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Full text of "Annales des sciences naturelles"

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ANNALES 


SCIENCES NATURELLES 


QUATRIÈME SÉRIE 


ZOOLOGIE 


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Paris, — Imprimerie de L, MARTINET, 2, rue Mignün. 


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ANNALES 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


COMPRENANT 


LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE 


L'ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES DEUX RÈGNES 


ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES 


RÉDIGÉES 
POUR LA ZOOLOGIR 


PAR M. MILNE EDWARDS 


POUR LA BOTANIQUE 


PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE 


QUATRIÈME SÉRIE 





ZOOLOGIE 
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VICTOR MASSON ET FILS 
PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE 


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ANNALES 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


PARTIE ZOOLOGIQUE 


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MÉMOIRE 
SUR 


LES CORPUSCULES ORGANISÉS QUI EXISTENT 
DANS L’ATMOSPHÈRE, 


EXAMEN DE LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 


Par M. L. PASTEUR (!,. 


CHAPITRE PREMIER. 


Historique (2). 


Dans l'antiquité et jusqu’à la fin du moyen âge tout le monde 
croyait à l’existence des générations spontanées. Aristote dit que 
tout corps sec qui devient humide et tout corps humide qui se 
sèche, engendrent des animaux. 

Van Helmont décrit le moyen de faire naître des souris. 

Beaucoup d'auteurs indiquaient encore au xvu‘ siècle la manière 


(1) Les principaux résultats de ce mémoire ont été présentés à l'Académie 
des sciences, dans ses séances du 6 février, 7 mai, 3 septembre, 12 novem- 
bre 4860. J'ai fait connaître ceux du chapitre II à la Société chimique de Paris, 
dans sa séance du 9 décembre 1859. 

(2) Le lecteur pourra remarquer que l'une de mes préoccupations dans ce 
chapitre historique a été de rendre à chaque expérimentateur la part de progrès 


6 L. PASTEUR, 


de faire produire des grenouilles au limon des marais, ou des 
anguilles à l’eau de nos rivières (1). 

De pareilles erreurs ne pouvaient supporter longtemps l'esprit 
d'examen qui s'empara de PEurope au xvi° et au xvir siècle. 

Redi, membre célèbre de l’Académie del Cimento, fit voir que 
les vers de la chair en putréfaction étaient des larves d'œufs de 
mouches. Ses preuves étaient aussi simples que décisives, car il 
montra qu'il suffisait d’entourer d'une gaze fine la chair en 
putréfaction pour empêcher d’une manière absolue la naissance 
de ces larves. 

Le premier également, Redi reconnut dans les animaux qui 
vivent dans d’autres animaux, des mâles, des femelles, des 
œufs. 

On surprit dans leur opération, disait plus tard Réaumur, ces 
mouches qui déposent leur œufs dans les fruits, et l’on sut, lors- 
qu’on voyait un ver dans une pomme, que ce n’était pas la cor- 
ruption qui l'avait engendré, mais au contraire que le ver est la 
cause de la corruption du fruit (2). 

Mais bientôt, dans la seconde partie dü tir siècle et la première 
moitié du xvur‘, se multiplièrent à l’envi les observations micros- 
copiques. La doctrine des générations spontanées reparut alors. 
Les uns ne pouvant s'expliquer l’origihé de ces êtres si variés que 
le microscope faisait apercevoir dans les infusions des matières 
végétales ou animales, et ne voyant chez eux rien qui ressemblàt 
à une génération sexuelle, furent portés à admettre que la matière 
qui avait eu vie, conservait après Ia mort une vitalité propre, sous 
l'influence de laquelle ses parties disjointes sé réunissaient de 


qui lui est due. Mais j'ai mis le même soin à ne pas confondre un progrès véri- 
table, soit avec les nombreuses dissertations auxquelles le sujet a donné lieu, 
soit avec ces expériences d’une exactitude équivoque qui embarrassent au lieu 
d'aplanir la marche de la science. Dans ces sortes de questions ressassées par 
tant d'esprits depuis des siècles, toutes les vues à priori, tous les arguments 
que peuvent fournir l'analogie ou les faits indirects, toutes les hypothèses, se 
sont fait jour. Ce qui importe, c'est de prouver rigoureusement, c'est d’instituer 
des expériences dégagées de toute confusion née des expériences mémes. 

(1) Voir Leewenhoech. Epistola 75, 1692. 

(2) Flourens, Histoire des travaux et des idées de Buffon, 1844, p. 78. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES,. % 


nouveau, dans certaines conditions favorables, avec des variétés 
de structure et d'organisation que ces conditions mêmes déter- 
minaient. 

D'autres, au contraire, ajoutant par l’imagination aux résultats 
merveilleux que le microscope leur faisait découvrir, croyaient 
voir des aecouplements dans ces infusoires, des mâles, des fe- 
melles, des œufs, et se posaient en adversaires déclarés de la 
génération spontanée. 

Il faut le reconnaitre, les preuves à l’appui de l’une ou de l’autre 
de ces opinions ne soutenaient guère l'examen. 

La question en était là, lorsque parut à Londres, en 1745, un 
ouvrage de Needham, observateur habile et prêtre catholique 
d’une foi vive, circonstance qui, dans un tel Sujet, s’offrait comme 
un garant de la sincérité de ses convictions, 

La doctrine des générations spontanées était appuyée, dans cet 
ouvrage, sur des faits d'un ordre tout nouveau, je veux parler des 
expériences sur les vaisseaux herméliquement clos, préalablement 
exposés à l’action de la température. C’est Needham, en effet, 
qui eut le premier l’idée de pareils essais. 

Deux années ne s'étaient pas écoulées depuis la publication des 
recherches de Needham, que la Société royale de Londres l’ad- 
mettait au nombre de ses membres. Plus tard, il devint l'un des 
huit associés de l’Académie des sciences. 

Mais ce fut surtout par l'appui qu’il reçut du système de Buffon 
sur la génération, que l'ouvrage de Needham eut un grand reten- 
tissement. 

Les trois premiers volumes de Buffon de l’édition in-4°, publiée 
de son vivant, parurent en 1749. C’est dans le second volume 
de cette édition, quatre années après le livre de Needham, que 
Buffon expose son système des molécules organiques et qu'il 
défend l'hypothèse des générations spontanées. Il est présumable 
que les résultats de Needham eurent une grande influence sur les 
vues de Buffon, car c’est à l’époque même où l’illustre naturaliste 
rédigeait les premiers volumes de son ouvrage, que Needhanmn fit 
un voyage à Paris, durant lequel il fut le commensal de Buffon 
et pour ainsi dire son collaborateur. 


8 L. PASTEUR. 

Les idées de Needham et de Buffon eurent leurs partisans et 
leurs détracteurs. Elles se trouvaient en opposition avec un autre 
système fameux, celui de Bonnet, sur la préexistence des germes. 
La lutte était d'autant plus vive qu’elle pouvait paraître plus légi- 
time aux deux partis. Nous savons aujourd’hui que la vérité n’était 
ni d’un côté ni de l’autre. Et puis, c'était encore le temps: où l’on 
dissertait volontiers à perdre haleine, sur des systèmes, sur des 
vues spéculatives. Il y avait en quelque sorte deux hommes d’un 
esprit opposé dans Buffon, l’un qui aujourd'hui avouera sans 
détours qu'il cherche une hypothèse pour ériger un système, et 
qui, le lendemain, écrira la belle préface de sa traduction de la 
Statique chimique des végélaux de Hales, où la nécessité de 
l'expérience est placée à la hauteur qui convient. Ces deux côtés 
du génie de Buffon se retrouvent à des degrés divers dans tous 
les savants de son époque. 

Mais les conclusions de Needham ne tardèrent pas à être sou- 
mises à une vérification expérimentale. 11 y avait alors en Italie 
l'un des plushabiles physiologistes dont la science puisse s’honorer, 
le plus ingénieux, le plus difficile à satisfaire, l'abbé Spallan- 
zani. 

Needhom, ainsi que je le rappelais tout à l'heure, avait appuyé la 
doctrine des générations spontanées sur des expériences directes 
fort bien imaginées. L'expérience seule pouvait condamner ou 
absoudre ses opinions. C’est ce que Spallanzani comprit très bien. 
« Dans plusieurs villes d'Italie, dit-il, on a vu des partis formés 
» contre l’opinion de M. de Needham ; mais je ne crois pas que 
» personne ait jamais songé à l’examiner par la voie de l’expé- 
» rience. » 

Spallanzani publia à Modène, en 1765, une dissertation dans 
laquelle il réfutait les systèmes de Needham et de Buffon. Cet 
ouvrage fut traduit en français, probablement à la demande de 
Needham, car l'édition qui en fut donnée en 1769 est accompa- 
gnée de notés rédigées par lui, où il répond à toutes les objections 
de Spallanzani. 

Ce dernier, frappé sans doute de la justesse des critiques de 
Needhain, se remit à l'œuvre de nouveau, et fit bientôt paraître 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. Ÿ 


ce bel ensemble de travaux dont il nous a transmis les détails 
dans ses Opuscules physiques (1). 

Il serait sans utilité de présenter un historique complet de la 
querelle des deux savants naturalistes. Mais il importe de bien 
préciser la difficulté expérimentale à laquelle ils appliquèrent plus 
particulièrement leurs efforts, et de rechercher si ce long débat 
avait éloigné tous les doutes. C’est ce que l’on croit généralement. 
Spallanzani est volontiers regardé comme l'adversaire victorieux 
de Needham. Si ce jugement était fondé, n’y aurait-il pas lieu de 
s'étonner qu'il y eût encore de nos jours de si nombreux par- 
tisans de la doctrine des générations spontanées ? Dans les sciences, 
l'erreur n'est-elle pas plus prompte à s’effacer, même dans des 
questions de cet ordre, lorsqu'elle a été bien réellement démasquée 
par l'expérience? N'’est-il pas à craindre, si on la voit renaître 
de bonne foi, que sa défaite n’ait été qu’apparente ? Un examen 
impartial des observations contradictoires de Spallanzani et de 
Needham sur le point le plus délicat du sujet, va nous montrer 
en effet, contrairement à l'opinion généralement admise, que 
Needham ne pouvait en toute justice abandonner sa doctrine en 
présence des travaux de Spallanzani. 

J'ai dit que Needham était l’auteur des expériences relatives à 
ce que l’on observe dans les vases clos, exposés préalablement 
à l’action du feu. 

» M. de Needham, dit Spallanzani, nous assure que les expé- 
» riences ainsi disposées ont toujours réussi fort heureusement 
» entre ses mains, c’est-à-dire que les infusions ont montré des 
» infusoires et que c’est là ce qui a mis le sceau à son système. 

» Si, après avoir purgé, ajoute Spallanzani, par le moyen du 
» feu, et les substances que l’on met dans les vases et l’air contenu 
» dans ces mêmes vases, on porte encore la précaution jusqu'à 
» leur ôter toute communication avec l'air ambiant, et que, malgré 
» cela, à l'ouverture des folles, on y trouve encore des animaux 
» vivants, cela deviendra une forte preuve contre le système des 


(1) Spallanzani, Opuscules de physique animale et végétale, traduits de l'italien 
par Jean Sennebier, 1777. 


40 L, PASTEUR, 


» Ovaires ; j'ignore méme ce que ses partisans pourront y répondre.» 


Je souligne ces derniers mots, afin de montrer que Spallan- 


zani plaçait dans le résultat des expériences ainsi conduites le cri- 
térium de la vérité on de l'erreur. Or, nous allons voir par la 
citation suivante, extraite des notes de Needham,, que tel était 
également l'avis de ce dernier. Voici en effet un passage des 
remarques de Needham, sur le chapitre X de la première disser- 
tation de Spallanzani. 


E 


LA 


« I ne me reste plus, dit Needham, qu’à parler de la dernière 
expérience de Spallanzani, qu'il regarde lui-même comme la 
seule de toute sa dissertation qui paraît avoir quelque force 
contre mes principes. 

» IL a scellé hermétiquement dix-neuf vases remplis de diffé- 
rentes substances végétales, et il les a fait bouillir, ainsi fermés, 
pendant l’espace d’une heure. Mais de la façon qu'il a traité et 
mis à la torture ses dix-neuf infusions végétales, il est visible 
que non-seulement il a beaucoup affaibli, ou peut-être totale- 
ment anéanti la force végétative des substances infusées, mais 
aussi qu'il a entièrement corrompu, par les exhalaisons et par 
l’ardeur du feu, la petite portion d'air qui restait dans la partie 
vide de ses fiolles. Il n’est pas étonnant par conséquent que 
ses infusions ainsi traitées n’aient donné aueun signe de vie. Il 
en devait être ainsi. 

» Voici donc ma dernière proposition et le résultat de tout mon 
travail en peu de mots : Qu'il se serve en renouvelant ses expé- 
riences de substances suffisamment cuites pour détruire tous les 
prétendus germes qu'on croit attachés ou aux substances mêmes 


* Où aux parois intérieures, où flottant dans l'air du vase ; qu'il 


scelle ses vases hermétiquement, en y laissant une cer- 
taine portion d’air sans le bouleverser; qu’il les plonge ensuite 
dans l’eau bouillante pendant quelques minutes, le temps seule- 
ment qu'il faut pour durcir un œuf de poule et pour faire périr 
les germes; en un mot qu’il prenne toutes les précautions qu'il 
voudra, pourvu qu'il ne cherche qu'à détruire les prétendus 
germes étrangers qui viennent du dehors, et je réponds qu'il 
trouvera toujours de ces êtres vitaux microscopiques en nombre 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, A1 


» suffisant pour prouver mes principes. S'il ne trouve à l’ouver- 
» ture de ses vases après les avoir laissé reposer le temps néces- 
» saire à la génération de ces corps, rien de vital ni aueun signe 
» de vie, en se conformant à ces conditions, j'abandonne mon 
» système et je renonce à mes idées. C’est je erois tout ee qu'un 
» adversaire judicieux peut exiger de mor. » 

Voilà certes la discussion bien nettement limitée entre Needham 
et Spallanzani. C’est dans le chapitre IE du tome 1°” de ses 
Opuscules que Spallanzani aborde la difficulté décisive. Et quelle 
est sa conclusion? Pour supprimer toute production d’infusoires, 
il est nécessaire de maintenir trois quarts d'heure les infusions à 
la chaleur de l’eau bouillante (4). Or, cette durée obligée d’une 
température de cent degrés pendant trois quarts d'heure, ne 
justifiait-elle pas les craintes de Needham sur une altération pos- 
sible de l'air des vases? Il aurait fallu tout au moins que Spallan- 
zani joignit à ses expériences une analyse de cet air. Mais la 
science n’était pas encore assez avancée; l’eudiométrie n’était pas 
encore créée. La composition de l'air atmosphérique était à peme 
connue (2). 

Les résultats des expériences de Spallanzani sur le point le plus 
délieat de la question, conservaient donc aux objections de Nee- 
dhäin toute leur valeur. Bien plus, celles-ci se trouvèrent légitimées, 
au moins ef apparence, par les progrès ultérieurs de la science, 


(1) « Je réussis, dit Spallanzani, à me procurer ensuite des vases qui résis- 
» tèrent mieux à l’action du feu, et je parvins à leur faire éprouver une ébulli- 
» tion plus longue, en n'y mettant qu'une petite dose des infusions dont j'ai 
» parlé; sans cette précaution, j'étais encore sûr de voir sauter tous mes vases. 
» Mais, pour ne pas perdre un temps précieux dans de trop petits détails, je 
» rapporterai seulement le résultat de mes observations. L'ébullition d'une demi- 
» heure ne fut pas un obstacle à la naissance des animalcules du dernier ordre 
» qui peuplèrent toujours plus ou moins tous les vases exposés à son action 
» pendant tout ce temps-là; mais l'ébullition pendant trois quarts d'heure ou 
» même pendant un temps un peu moindre, eut [a force de priver entièrement 
» d'animalcules les six infusions, » (Spallanzani, Opuscules, t. I, p. 39.) 

(2) La première dissertation de Spallanzani est de 1763. Ses Opuscules paru- 
rent pour la première fois en 4776. La découverte de la composition de l'air par 
Lavoisier est de 1774. 


412 L, PASTEUR, 


Appert appliqua à l'économie domestique les résultats des 
expériences de Spallanzani effectuées selon la méthode de Needham 
Par exemple, l'une des expériences du savant llalien consiste à 
introduire des petits pois avec de l’eau dans un vase de verre que 
l’on ferme ensuite hermétiquement, après quoi on le maintient 
dans l’eau bouillante pendant trois quarts d'heure. C’est bien le 
procédé d’Appert; or, Gay-Lussac, voulant se rendre comple de 
ce procédé, le soumit à divers essais dont il consigna les résultats 
dans l’un de ses mémoires le plus fréquemment cités. 

Les extraits suivants du travail de Gay-Lussae ne laissent aucun 
doute sur l’une des opinions de l’illustre physicien, opinion qui à 
passé dans la science entière et incontestée. 

« On peut se convainere, dit Gay-Lussac, en analysant l'air des 
» bouteilles dans lesquelles les substances (bœuf, mouton, poisson, 
» champignons, moût de raisin) ont été bien conservées, qu'il 
» ne contient plus d'oxygène, et que l'absence de ce gaz est par 
» conséquent une condition nécessaire pour la conservation des 
» substances animales et végétales (1). 


(1) Gay-Lussac ajoute plus loin : « Lorsqu'on laisse l'urine en contact avec 
» une petite quantité d'air, elle en absorbe l'oxygène assez promptement et sa 
» décomposition s'arrête ensuite; mais si on lui en donne une quantité suffisante, 
» il se forme beaucoup de carbonate d'ammoniaque, et il se dépose presque tou- 
» jours avec le phosphate de chaux, du phosphate ammoniaco-magnésien. » 

C'est encore dans ce mémoire de Gay-Lussac que l'on trouve l'expérience 
suivante si souvent rappelée. 

« J'ai pris du lait de vache et je l'ai exposé tous ies jours ensuite à la tempé- 
» rature de l’ébullition de l’eau saturée de sel. Deux mois après, il était parfai- 
» tement conservé. » | 

Ce travail de Gay-Lussac a exercé sur les esprits, dans la question qui nous 
occupe, une influence considérable. 

Gay-Lussac trouve que r’air des conserves d’Appert est privé d'oxygène. Cela 
peut être après une longue durée de conservation des matières, ou lorsque la 
quantité des substances organiques est très grande par rapport au volume de 
l'air. Mes propres expériences serviront même à expliquer ce résultat. Mais 
certainement il n’est pas général, et dans tous les cas, l'interprétation que 
Gay-Lussac donna à ce fait est erronée. L'absence d'oxygène, dit-il, est une con- 
dition nécessaire pour la conservation des substances animales et végétales. Cette 
opinion, qui eut une influence particulière sur les théories de la fermentation et 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 15 

Les craintes de Needham sur une altération de l'air des vases 
dans les expériences de Spallanzanïi, se trouvaient justifiées par ce 
fait de l'absence de l'oxygène dans les conserves d’Appert. 

Mais une expérience du docteur Schwann vint apporter dans 
la question un progrès très notable. Dans le mois de février 1837, 
M. Schwann publia les faits suivants : Une infusion de chair mus- 
culaire est mise dans un ballon de verre ; on ferme ensuite le bal- 
lon à la lampe, puis on l’expose tout entier à la température de 
l'eau bouillante, et, après son refroidissement, on l’abandonne à 
lui-même. Le liquide ne se putréfie pas. Jusque-là rien de bien 
nouveau. C’est l’une des expériences de Spallanzani, ou mieux une 
conserve d’Appert. Mais il était désirable, ajoute M. Schwann, de 
modifier l’essai de telle manière qu’un rencuvellement devint pos- 
sible, avec cette condition toutefois que le nouvel air fût préala- 
blement chauffé comme l’est celui du ballon à l’origine. Alors 
M. Schwann répète l'expérience précédente en adaptant au col du 
ballon un bouchon percé de deux trous traversés par des tubes 
de verre coudés et recourbés, de manière que leurs courbures 
soient plongées dans des bains d’alliage fusible entretenus à une 
température voisine de celle de l’ébullition du mercure. À l’aide 
d’un aspirateur, on renouvelle l'air qui arrive froid dans le ballon, 
mais après avoir été échauffé en passant dans la portion des tubes 
entourés d’alliage fusible. On commence l'expérience en faisant 
bouillir le liquide. Le résultat est le même que dans les expé- 
riences de Spallanzani et d’Appert. Il n’y a pas d’altération du 
liquide organique. 

L'air chauffé, puis refroidi, laisse donc intact du jus de viande 
qui a été porté à l’ébullition. C’était là un grand progrès, parce 
que cela donnait gain de cause à Spallanzani contre Needham. 
Cela répondait à toutes les craintes de ce dernier sur l’altération 
possible de l’air dans les expériences de Spallanzani ; cela détrui- 
sait enfin l’assertion de Gay-Lussac sur le rôle de l'oxygène 


des générations spontanées, n’était pas une conséquence obligée comme le pen- 
sait Gay-Lussac, de ses observations sur la composition de l'air des conserves 
d'Appert. 


14 L. PASTEUR, 
dans les procédés de conserves d’Appert et dans la fermentation 
alcoolique. 

Cependant sur ee dernier point il y avait des doutes à garder ; 
enteffet, dans ce même travail du docteur Sehwann, outre l’expé- 
rience sur le bouillon de viande, laquelle touchait à la cause de 
la putréfaction, ily en a une autre relalive à la fermentation 
alcoolique, et qu'il faut rappeler. L'auteur remplit quatre:flacons 
d’une solution de sucre de cannes mêlée à de la levûre de bière ; 
puis, après les avoir bien ‘bouchés, il les place dans l’eau bouil- 
lante, et les renverse ensuite sur la cuve à mercure. Après leur 
refroidissement, il y fait arriver de l'air, de l’air ordinaire dans 
deux d’entre eux, de l’air calciné dans les deux autres. Au bout 
d’un mois, il y eut fermentation dans les flacons qui avaient reçu 
l'air ordinaire ; elle ne s’était pas encore manilestée dans les deux 
autres après deux mois d'attente. Mais en répétant ces -expé- 
riences, je trouvai, dit-il, qu’elles ne réussissent pas toujours-aussi 
bien, et que quelquefois la fermentation ne se déclare dans aucun 
des flacons , par exemple lorsqu'on les a maintenus trop long- 
temps dans l’eau bouillante, et quelquelois d'autre part le liquide 
fermente dans les flacons qui ont reçu de l'air calciné. 

En résumé, l'expérience du docteur Sehwann relative à Ja pu- 
‘tréfaction du bouillon:est très nette. Mais en ce qui concerne la 
fermentation alcoolique, la.seule fermentation qui fût assez bien 
-connue en 1837 à l’époque du travail.de M. Sehwann, les expé- 
‘riences du savant physiologiste étaient contradictoires, et cepen- 
dant on venait d'apprendre, par les observations de M. Cagnard- 
‘Latour et par celles de M. Schwann lui-même, que la fermentation 
vineuse était déterminée par un ferment organisé. 

Combien plus ces cbscurités de la question, en ce qui touche la 
fermentation alcoolique , ne furent-elles pas accrues, lorsque, 
postérieurement , les chimistes étudièrent un.grand nombre de 
fermentations où l’on n'avait pu ‘découvrir aucun ferment :or- 
vanisé, et dont la cause était universellement attribuée à des actions 
de contact, à des phénomènes d'entrainement ou de mouvement 
communiqué. produits par des matières azotées mortes envoie 
d'altération. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 15 

Quoi qu'il'en soit, voici quelle fut la conclusion que le doc- 
teur Schwann déduisit des expériences que je viens de rap- 
porter : « Pour la fermentation alcoolique, dit-il, comme pour 
» la putréfaction, ce n'est pas l'oxygène, du moins l'oxygène 
» seul de l'air atmosphérique qui les ‘occasionne, mais ‘un prin- 
» cipe renfermé dans l'air ordinaire, et que la chaleur peut dé- 
» truire. » 

La réserve de cëtie conclusion mérite d’être remarquée. On 
voit bien, par certains passages de son travail, que le docteur 
Schwann penchait à croire que, par la chaleur, il détruisait des 
germes; mais sa conclusion définitive ne pouvait aller et ne va 
pas jusque-là. Souvent, en rapportant ses expériences, les adver- 
saires dela doctrine des générations spontanées ont affirmé que 
emploi de la chaleur n'avait d'autre but que de tuer des germes ; 
mais ce n’était [à qu’une'hypothèse. Ainsi que le dit très ‘bien le 
docteur Schwann, ces expériences prouvent seulement que ce 
n’est pas l’oxygène, ou du moins l'oxygène seul, qui est la cause 
de la :putréfaction et de la fermentation vineuse, mais quelque 
chose d’ineonnu que la:chaleur-détruit. Et:encore pour la fermen- 
tâtion vineuse, il était mal établi qu’il fûtindispensable de-recou- 
rir à une autre cause que celle qu'avait indiquée Gay-Lussac , 
savoir l’oxygène seul de l’air (4). 

Les expériences du docteur Schwann ont été répétées et modi- 
iées.par divers observateurs. MM. Ure et Helmhol{z (2) ont con- 
“irmé :ces ‘résultats par des expériences analogues aux siennes. 
M. Schultze, au lieu de calciner' l'air avant de le mettre au contact 
des conserves d’Appert, le fit passer à travers des réactifs éhi- 
.miques : potasse et acide sulfurique concentrés. MM. Schrœder et 
Dusch imaginèrent de filtrer l'air à travers du coton, au lieu de le 
“modifier par une température ‘élevée à la manière du docteur 


*(t) Voir la note de mon mémoire sur la fermentation alcoolique relative aux 
expériences de Gay-Lussac et de M. Schwann. (Annales de chimie et de physique, 
3° série, L..LVTHIL, p.369.) 

(2) Journal allemand de chimie pratique, 1. XIX, p. 186, et Llome XXXI, 
page 429. 


16 L. PASTEUR, 
Schwaun, où par les réactifs chimiques énergiques, selon le pro- 
cédé de M. Schultze (1). 

Le premier mémoire de MM. Schrœder et Duscha paru en 1854, 
le second en 1859. Ce sont d’excellents travaux qui ont, en outre, 
le mérite historique de montrer l’état de la question qui nous 
occupe à la date de 1859. | 

On savait depuis longtemps, et dès les premières discussions 
sur la génération spontanée, qu’une gaze fine, déjà employée 
avec lant de succès par Redi dans ses recherches sur l’origine 
des larves de la viande en putréfaction, suflisait pour empêé- 


cher, ou tout au moins pour modifier singulièrement J'altération 
ra 


(1) Voici l'extrait publié dans les Annales des sciences naturelles sur les expé- 
riences de M. Schultze : « L'auteur remplit à moitié un flacon de cristal avec 
» de l'eau distillée contenant diverses substances animales et végétales, puis 
» bouche le vase à l’aide d’un bouchon traversé par deux tubes coudés, et sou- 
» met l'appareil ainsi disposé à la température de l’eau bouillante. Enfin, pen- 
» dant que la vapeur s'échappait encore à travers les tubes dont nous venons 
» de parler, il adapta à chacun d'eux un de ces petits appareils de Liebig, em- 
» ployés par les chimistes dans les analyses élémentaires des substances orga- 
niques, il remplit l’un d'acide sulfurique concentré, l'autre d’une solution con- 
centrée de potasse. La température élevée avait dû nécessairement détruire 
tout ce qui était vivant, et tous les germes qui pouvaient se trouver dans 
l'intérieur du vase ou de ses ajustages, et la communication du dehors en 
dedans était interceplée par l'acide sulfurique d'un côté, la potasse de l’autre; 
néanmoins, en aspirant par l'extrémité de l'appareil où se trouvait la solution 
de potasse, il était facile de renouveler l'air ainsi enfermé, et les nouvelles 
quantités de ce fluide qui s'introduisaient ne pouvaient porter avec elles aucun 
germe vivant, car elles étaient forcées de passer dans un bain d'acide sulfu- 
rique concentré. M. Schultze plaça l'appareil ainsi disposé sur une fenêtre 
bien éclairée, à côté d’un vase ouvert dans lequel il avait mis en infusion 
les mêmes substances organiques, puis il eut soin de renouveler l'air de son 
appareil plusieurs fois par jour pendant plus de deux mois, et d'examiner au 
microscope ce qui se passait dans l'infusion. Le vase ouvert se trouva bientôt 
rempli de vibrions et de monades auxquels s’ajoutèrent bientôt des infusoires 
polygastriques d'un plus grand volume, et même des rotateurs ; mais l'obser- 
vation la plus attentive ne put faire découvrir la moindre trace d'infusoires, de 
conferves ou de moisissures dans l'infusion de l'appareil. » (Edinburgh New 
Philosophical Journal, octobre 1837; Annales des sciences naturelles, t. VIII, 
2° série. Paris, 1837.) 


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SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 17 


des infusions. Ce fait même était au nombre de ceux qu’in- 
voquaient alors de préférence les adversaires de la doctrine de la 
spontéparité (1). 

Guidés, sans doute, par ces faits, et surtout, comme ils le disent 
expressément , par les expériences ingénieuses de M. Lœvel qui 
reconnut que l’air ordinaire était impropre à provoquer la cristal- 
lisation du sulfate de soude lorsqu'il avait été filtré sur du coton, 
MM. Schræder et Dusch ont procédé de la manière suivante : 

Un ballon de verre reçoit la matière organique. Le bouchon du 
ballon est traversé par deux tubes recourbés à angle droit : l’un 
de ces tubes communique avec un aspirateur à eau ; l’autre à un 
large tube de 1 pouce de diamètre et de 20 pouces de longueur 
rempli de coton. Lorsque toutes les communications étaient bien 
établies, le robinet de l’aspirateur fermé , et la matière organique 
placée dans le ballon, on chauffait celle-ci jusqu’à cuisson, en 
maintenant l’ébullition un temps suffisant, pour que tous les tubes 
de communication fussent échauffés fortement par la vapeur d’eau; 
alors on ouvrait le robinet de l'aspirateur que l’on entretenait jour 
et nuit. 

Voici les résultats des premiers essais conduits de cette ma- 
nière : 

MM. Schrœder et Dusch ont opéré : 


(1) Extrait d'un passage de l'ouvrage de Baker, membre de la Société royale 
de Londres, ouvrage intitulé : Le microscope à la portée de tout le monde, tra- 
duit de l'anglais sur l'édition de 4743. Paris, 4754. 

« J'ai trouvé constamment que si l'infusion (de poivre, de foin) est couverte 
» d'une mousseline ou d'une autre toile fine, il ne s’y produit que très peu d'ani- 
» maux, mais que si l'on ôte cette couverture, elle est dans peu de jours pleine 
» de vie... Comme les œufs de ces petites créatures sont moins pesants que 
» l'air, il peut se faire qu'il en flotte continuellement des millions dans l'air, et 
»que, étant portés indifféremment de tousles côtés, il en périsse un grand nom - 

- “bre dans les endroits qui ne conviennent pas à leur nature. Il y a des gens 
» qui s'imaginent que les œufs de ces petits animaux sont logés dans le poivre, 
» dans le foin, ou dans toutes les autres matières que l'on met dans l'eau; mais 
» Si cela était, je ne saurais comprendre comment une petite couverture d’une 
» Loïle fine, qui n'empêche pas l'air de pénétrer, pourrait empêcher ces œufs 
» d'éclore : on doit conclure que c'est là une illusion, » 

&° série, ZooL. T. XVI. (Cahier n° 1.) 2 2 


15 L. PASTEUR. 

4° Sur la viande avec addition d’eau, 

2% Sur le mout de bière , 

à Surlelait, 

&° Sur la viande sans addition d’eau. 

Dans les deux premiers cas, l'air filtré à iravers le coton a 
laissé les liqueurs intactes, même après plusieurs semaines. Mais 
le lait s’est caillé et pourri aussi promptement que dans l'air ordi- 
naire, et la viande sans eau est entrée promplement en putréfaction. 

«Il sembledoncrésulter de ées expériences, disent MM. Schræder 
» et Dusch, qu'il y a des décomposilions spontanées de substances 
» organiques , qui n’ont besoin pour commencer que de la pré- 
» sence du gaz oxygène ; parexemple : la putréfaction de la viande 
» sans eau, la putréfaction de la caséine du lait et la‘transforma- 
» tion du suere de lait en acide lactique (fermentation lactique). 
» Mais à côté il y aurait d’autres phénomènes de putréfaction et de 
» fermentation placés, à tort, dans la même catégorie que les pré- 
» cédents, tels que la putréfaction du jus de viande et la fermen- 
» tation alcoolique qui exigeraient pour commencer, outre l’oxy- 
» gène, ces choses inconnues mêlées à l’air atmosphérique, qui 
» sont détruites par la chaleur d’après les expériences de Schwann, 
» et d’après les nôtres par la filtration de cet air à travers le coton. 
» …. Comme il resle ici encore tant de questions à décider par 
» la voie de l’expérience, nous nous abstiendrons de déduire au- 
» cune conclusion théorique de nos expériences. » 

M. Schræder revint seul sur ce sujet, en 1859, dans un mé- 
moire qui traile, en outre, de la cause dela cristallisation. Ce nou- 
veau travail ne conduisit pas davantage son auteur à des conclu- 
sions dégagées de toute incertitude ; il y fait connaître de nouveaux 
. liquides organiques qui ne se putréfient pas lorsqu'on les met au 
contact de l’air filtré, tels que l'urine, la colle d’amidon, et les 
divers matériaux du lait pris isolément; mais il ajoute le jaune 
d'œuf à la liste de celles qui, comme le lait et la viande sans eau, 
se putréfient dans l’air filtré sur le coton. 

« Je ne hasarderai pas, dit M. Schræder, d'essayer Pexplication 
» théorique de ces faits. On pourrait admettre que l'air frais ren- 
» ferme une substance aclive qui provoque les phénomènes de 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 19 
» fermentation alcoolique et de putréfaction, substance que la cha- 
» leur détruirait, ou que le coton arrêterait. » Puis il ajoute : 
« Faut-il regarder cette substance active comme formée de germes 
» organisés microscopiques disséminés dans l'air ? Ou bien est-ce 
» une substance chimique encore inconnue? Je l'ignore. » 

Puis il arrive aux phénomènes de cristallisation par l’air libre, 
par l'air chauffé ou par l'air filtré sur le coton, qui présentent de 
telles analogies, selon lui, avec les phénomènes de putréfaction, 
«qu'il ne peut s'empêcher de les attribuer à une cause commune 
» jusqu'ici entièrement inconnue. » 

« En ce qui concerne les eristallisations, dit-il encore, l’action 
» inductive de l’air semble n’être pas complétement arrêtée par le 
»eoton, mais seulement affaiblie. Elle ne peut alors empêcher la 
» cristallisation que de certaines dissolutions sursaturées ; mais il 
» en est d’autres qui ne peuvent lui résisier. » Puis il remarque 
que les résultats qu'il a obtenus sur la putréfaction et la fermenta- 
tion sont parallèles à ceux de la cristallisation, puisqu'il y a des 
corps qui résistent à l’air filtré, tandis que d’autres, tels que le 
lait, entrent en décomposition. L'air filtré sur le coton ne fait 
done que perdre partiellement sa force inductive de putréfaction 
ou de fermentation. 

Vai, à dessein, résumé avec détails ces travaux très judicieux, 
parce qu'ils donnent l'expression exacte des difficultés qui, à la 
date de 1859, devaient assiéger tout esprit impartial, libre d'idées 
préconçues, et désireux de se former une opinion dûment motivée 
sur cette grave question des générations spontanées. On peut 
affirmer qu’à cette date tous ceux qui la croyaient résolue en con- 
naissaient mal l’histoire. 

- Spallanzani n'avait pas triomphé des objections de Necdham, 
et MM. Schwann, Schullze et Schræder, n'avaient fait que démon- 
ter l'existence dans l’air atmosphérique d’un principe mconnu qui 
était la condition de la vie dans les infusions. Ceux qui affirmaient 
que ce principe n’était autre chose que des germes n'avaient pas 
plus de preuves à l'appui de leur opinion, que ceux qui pensaient 
que cela pouvait être un gaz, un fluide, des miasmes, ete., et qui, 
par conséquent, inelinaient à croire aux générations spontanées, 


20 L. PASTEUR. 

Les conclusions de MM. Schwann et Schrœæder ne peuvent à cet 
égard laisser le moindre doute dans l'esprit du lecteur. Les termes 
mêmes de ces conclusions provoquaient au doute, et servaient la 
doctrine des générations spontanées. Et puis, les expériences de 
MM. Schwann, Schultze et Schrœder, ne réussissaient que pour 
certains liquides. Bien plus, elles échouaient presque constam- 
ment et pour tous les liquides, comme je le dirai bientôt, lorsqu'on 
les pratiquait sur la cuve à mercure, sans que personne connüt le 
motif de cet insuccès, ou püt y démêler quelque cause d'erreur. 

Aussi lorsque (1), postérieurement aux travaux dont je viens 
de parler, un habile naturaliste de Rouen, M. Pouchet, membre 
correspondant de l’Académie des sciences, vint annoncer à l’Aca- 
démie des résultats sur lesquels il croyait pouvoir asseoir d’une 
manière définitive les principes de l’hétérogénie, personne ne sut 
indiquer la véritable cause d’erreur de ses expériences, et bientôt 
l’Académie, comprenant tout ce qui restait encore à faire, proposa 
pour sujet de prix la question suivante : 

Essayer, par des expériences bien faites, de jeter un jour nou- 
veau sur la question des générations spontanées (2). 

La question paraissait alors si obscure, que M. Biot, dont la 
bienveillance n’a jamais fait défaut à mes études, me voyait avec 
peine engagé dans ces recherches, et réclamait, de ma déférence à 
ses conseils, l'acceptation d’une limite de temps, au delà de la- 
quelle j’abandonnerais ce sujet, si je n’étais pas maître des diffi- 
cultés qui m’arrêtaient. M. Dumas, dont la bienveillance a sou- 


(1) M. Pouchet, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1. XLVIT, p. 979, 
décembre 1858. MM, Milne Edwards, Payen, de Quatrefages, Claude Bernard, 
Dumas, t. XLVIII, p. 23 et suiv., janvier 4859. M. Pouchet, t. XLVIII, 
1859, p. 148, 220, 546; t. L, 1860, p. 532, 572, 748, 1421, 104%. 

(2) La commission était composée de MM. Geoffroy Saint-Hilaire, Bron- 
gniart, Milne Edwards, Serres, Flourens, rapporteur. 

« La commission demande des expériences précises, rigoureuses, également 
» étudiées dans toutes leurs circonstances, et telles, en un mot, qu’il puisse en 
» être déduit quelque résultat dégagé de toute confusion, née des expériences 
» mêmes. » (Janvier 1860.) 

Tel était le programme de la commission. On ne pouvait mieux indiquer les 
difficultés du sujet, 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 91 


vent conspiré en ce qui me touche avec celle de M. Biot, me disait 
à la même époque : « Je ne conseillerais à personne de rester trop 
longtemps dans ce sujet. » 

Quel besoin avais-je de m'y attacher ? 

Les chimistes ont découvert depuis vingt ans un ensemble de 
phénomènes vraiment extraordinaires, désignés sous le nom géné- 
rique de fermentations. Tous exigent le concours de deux matières : 
l’une dite fermentescible, telle que le sucre; l’autre azotée, qui est 
toujours une substance albuminoïde. Or voici la théorie qui était 
universellement admise : Les matières albuminoïdes éprouvent, 
lorsqu'elles ont été exposées au contact de l’air, une altération, 
une oxydation particulière, de nature inconnue, qui leur donne le 
caractère ferment, c'est-à-dire la propriété d’agir ensuite, par leur 
contact, sur les substances fermentescibles. 

Il y avait bien un ferment, le plus ancien, le plus remarquable 
de tous, que l’on savait être organisé : la levüre de bière. Mais 
comme dans toutes les fermentations de découverte plus moderne 
que la connaissance du fait de l’organisation de la levüre de 
bière (1836), on n'avait pu reconnaitre l'existence d'êtres orga- 
nisés, même en les y recherchant avec soin, les physiologistes 
avaient abandonné peu à peu, plusieurs bien à regret, l'hypothèse 
de M. Cagnard-Latour, d’une relation probable entre l’organisa- 
tion de ce ferment et sa propriété d’être ferment, et l’on appli- 
quait à la levüre de bière la théorie générale en disant : « Ce n’est 
pas parce qu’elle est organisée que la levüre de bière est active, 
c’est parce qu'elle a été au contact de l’air. C’est la portion morte 
de la levûüre, celle qui a vécu et qui esten voie d’allération qui 
agit sur le sucre. » 

Mes études me conduisaient à des conclusions entièrement dif- 
férentes. Je trouvais que toutes les fermentations proprement 
dites, visqueuse, lactique, butyrique, la fermentation de l’acide 
tartrique, de l’acide malique, de l’urée..…, étaient toujours corré- 
latives de la présence et de la multiplication d'êtres organisés. Et, 
loin que l’organisation de la levüre de bière fût une chose gênante 
pour la théorie de la fermentation, c'était par là, au contraire, 
qu'elle rentrait dans la loi commune, et qu'elle était le type de 


99 L, PASTEUR. 


tous les ferments proprement dits. Selon moi, les matières albu- 
minoïdes n'étaient jamais des ferments, mais l'aliment des fer- 
ments, Les vrais ferments étaient des êtres organisés. s 

Cela posé, les ferments prennent naissance, on le savait, par le 
fait du contact des matières albuminoïdes et du gaz oxygène. 
Dès lors, de deux choses l’une, me disais-je ; les ferments des 
fermentalions proprement dites étant organisés, si l'oxygène 
seul, en tant qu'oxygène, leur donne naissance, par son contact 
avec les matières azotées, ces ferments sont des générations 
spontanées ; si ces ferments ne sont pas des êtres spontanés, 
ce n’est pas en tant qu’oxÿgène seul que ce gaz intervient dans 
leur formation, mais comme excitant d’un germe apporté en même 
temps que lui, ou existant dans les matières azotées on fermen- 
tescibles. Au point où je me trouvais de mes études sur les fer- 
mentations, je devais donc me former une opinion sur la ques- 
tion des générations spontanées. Jy rencontrerais peut-être une 
arme puissante en faveur de mes idées sur les fermentations pro- 
prement dites. 

Les recherches, dont j'ai maintenant à rendre compte, n'ont 
été par conséquent qu’une digression obligée de mes études sur 
les fermentations. 

C’est ainsi que je fus conduit à m'occuper d’un sujet qui jusque- 
là n'avait exercé que la sagacité des naturalistes. 


CHAPITRE IT. 


Examen au microscope des particules solides disséminées 
dans l'air atmosphérique. 


Mon premier soin fut de rechercher une méthode qui permit 
de recueillir en toute saison les particules solides qui flottent dans 
l'air et de les étudier au microscope. Il fallait s’aitacher d’abord à 
lever, s'il était possible, les objections que les partisans de la 
génération spontanée opposent à l’ancienne hypothèse de la dissé- 
mination aérienne des germes (1). 


(1) Cette hypothèse est en effet très ancienne. Elle forme le sujet ordinaire des 
discussions relatives à la génération spontanée depuis le xvn° siècle. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 23 


Lorsque les matières organiques des infusions ont été chauffées, 
elles se peuplent d’infusoires ou de moisissures. Ces productions 
organisées ne sont en général ni aussi nombreuses, ni aussi 
variées que si l’on n'avait pas préalablement porté lés liqueurs à 
l'ébullition , mais il s’en forme toujours. Or, leurs germes, dans 
cés conditions, ne peuvent venir que de l'air, parce que l’ébullition 
détruit ceux que les vases ou les matières de l'infusion ont apportés 
dans la liqueur. Les premières questions expérimentales à résou- 
dre sont donc celles-ci : Y a-t-il des germes dans l’air ? Y en a-t-il 
en assez grand nombre pour expliquer l'apparition des produe- 
tions organisées des infusions qui ont été chauffées préalablement ? 
Peut-on se faire une idée approchée du rapport à établir entre un 
volume déterminé d’air ordinaire et le nombre des germes que ce 
volume d'air peut renfermer ? 

Et d’abord existe-t-il des germes dans l’air ? Personne ne le 
nie, parce que l’on comprend qu’il ne peut pas en être autrement. 
L'un des partisans les plus déclarés de la doctrine des générations 
spontanées, M. Pouchet, s'exprime de la manière suivante (1): 

«On rencontre parfois dans la poussière quelques œufs de 
» Microzoaires, comme on y rencontre une foule de corpuscules 
» légers, mais c’est une véritable exception, » 

Plus loin, M. Pouchet s'exprime ainsi : 

« Parmi les corpuscules de poussière qui appartiennent au rêgne 
» végétal, il y a des spores de Cryptogames, mais en fort petit 
» nombre. Enfin j'ai constamment rencontré, une certaine quantité 
» de fécule de hlé mêlée à la poussière soit récente, soit ancienne… 
» Il est évident que c’est cette fécule, parfaitement caractérisée 
5 physiquement et chimiquement, ou que ce sont des grains de 
» silice, que l’on a pris pour des œufs de Microzoaires (2). 

Il y a donc dans la poussière de l’air, des œufs d’infusoires, et 
des spores de moisissures ; les partisans de la doctrine de l’hété- 


(1) Pouchet, Traité de la génération spontanée, Paris, 4859, p. 432. 

(2) De Quatrefages, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 4839, 
t. XLVIII, p. 31. 

Voyez aussi Dictionnaire de Nysten, pat Littré et Ch. Robin, article Poussière, 
onzième édition, 1858. 


DJ . PASTEUR. 


rogénie l’affirment; mais ils rer qu'il n’y en a qu’exception- 
nellement en nombre excessivement restreint, et ceux qui, disent- 
ils, ont cru en voir davantage se sont trompés. Ils ignoraient un 
fait récent, à savoir qu'il y a des grains de fécule de diverses 
tailles dans la poussière (1). Ces observateurs ont pris pour des 
œufs ou des spores ces grains de fécule, qui souvent leur ressem- 
blent tant. 

Telle est l'opinion de M. Pouchet. Je n’ai pas fait assez d’obser- 

vations sur la poussière ordinaire déposée , à la surface des objets, 
pour que je puisgt ! lbfirmer cette manière de voir au sujet de la 
poussière au repos. J8 puis même ajouter qu'à l’époque où je fis 
mes premières expériences, diverses personnes très autorisées, 
étaient désireuses de constater par elles-mêmes l'exactitude de 
mes résultats, parce que, me disaient-elles, ayant eu l’occasion 
assez fréquente d’étudier des poussières, elles n’y avaient pas vu 
de spores. Mais ici se présente une remarque : la poussière 
que l’on trouve à la surface de tous les corps est soumise con- 
stamment à des courants d'air, qui doivent soulever ses parti- 
eules les plus légères, au nombre desquelles se trouvent, sans 
doute, de préférence les corpuscules organisés, œufs ou spores, 
moins lourds généralement que les particules minérales. En 
outre, en ce qui concerne la poussière ordinaire au repos, il 
n’est pas possible d’avoir une indication sur le rapport approché 
qui peut exister entre un volume donné de cette poussière et le 
volume d’air qui l’a fournie. Ce n’est donc pas la poussière au 
repos qu'il faut observer, mais bien celle qui est en suspension 
dans l'air. 

Voyons si cela est réalisable, et s’il est vrai que cette poussière 
flottante ne renferme qu’exceptionnellement des germes d’orga- 
nismes inférieurs, ainsi que cela arrive, d’après M. Pouchet, pour 
la poussière au repos. 

Le procédé que j'ai suivi pour recueillir la poussière en sus- 
pension dans l'air et l’examiner au microscope est d’une grande 


(1) Ce fait, reconnu pour la première fois, je pense, par M. Pouchet, est très 
exact, 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 25 


simplicité ; il consiste à filtrer un volume d’air déterminé sur du 
coton-poudre, soluble dans un mélange d'alcool et d’éther. Les 
fibres du coton arrêtent les particules solides. On traite alors le 
coton par son dissolvant. Après un repos suffisamment prolongé, 
toutes les particules solides tombent au fond de la liqueur; on les 
soumet à quelques lavages, puis on les dépose sur le porte-objet 
du microscope où leur étude devient facile. 

Je vais entrer dans les détails de l'expérience : FF (pl. 1, fig. 1) 
est un châssis de fenêtre, dans lequel j'avais ÿ | jué, à une dis- 
tance de plusieurs mètres du sol, une ouvertu. aonnant passage au 
tube de verre T. Ce tube n’avait dans mes expériences qu’un demi- 
centimètre de diamètre. En a se trouve une bourre de coton so- 
luble sur une longueur d’un centimètre environ, retenue par une 
petite spirale en fil de platine. L'air, qui était ordinairement aspiré 
du côté de la rue d’Ulm ou du côté du jardin de l’École normale, 
se trouvait appelé par l'aspirateur R. C'est un tube de laiton en 
forme de T, dans lequel s'écoule constamment de l’eau qui, par 
succion, entraîne l’air du tube mn, un peu recourbé, à son extré- 
mité n, comme l'indique la figure. Le tube mn communique 
d’ailleurs par un tube de caoutchouc au tube T renfermant la 
bourre de coton soluble. Si l’on veut déterminer le volume d’air 
entrainé par l’écoulement de l’eau, il suffit d'engager l'extrémité Z 
du tube kl sous un grand flacon renversé plein d’eau, jaugé à 
l’avance, et de mesurer le temps que ce flacon, d’un volume de 
10 litres par exemple, mettra à se remplir. 

Ce mode d'aspiration continue est très commode, et m’a rendu 
beaucoup de services. 

Lorsque l’air a passé pendant un temps suffisant, la bourre de 
coton, plus ou moins salie par les poussières qu’elle a arrêtées, est 
déposée dans un petit tube avec le mélange alcoolique éthéré qui 
dissout le coton. On laisse reposer pendant un jour. Toutes les 
poussières se rassemblent au fond du tube, où il est facile de les 
laver par décantation, sans aucune perte, si l’on a soin de séparer 
chaque lavage par un repos de douze à vingt heures. Pour décan- 
ter le liquide, il est bon de se servir d’un siphon formé par un tube 
de très petit diamètre, et pouvant s’amorcer par aspiration. 


26 L. PASTEUR. 


Lorsque le lavage des poussières est suffisant, on les rassemble 
dans un verre de montre où le restant du liquide qui les baigne 
s'évapore promptement (4); alors on les délaye dans ün peu d’eau, 
et on les examine au microscope. 

On peut faire agir sur elles, suivant lès méthodes ordinaires, 
différents réactifs : l'eau d’iode, la potasse, l'acide sulfurique, les 
matières colorantes. 

Ces manipulations fort simples permettent de reconnaître qu’il 
y à constamment dans l'air commun un nombre variable de cor- 
puscules, dont la forme et la structure annoncent qu’ils sont orga- 
nisés. Leurs dimensions s'élèvent depuis les plus petits diamètres 
jusqu'à 4/100° à 4,5/100° et davantage demillimètre. Les uns sont 
parfaitement sphériques, les autres ovoïdes. Leurs contours sont 
plus ou moins nettement accusés. Beaucoup sont tout à fait trans- 
lucides, mais il y en a aussi d’opaques avec granulations à l’inté- 
rieur. Ceux qui sont translucides, à contours nets, ressemblent 
tellement aux spores des moisissures lés plus communes, que le 
plus habile mierographe ne pourrait y voir de différence. C’est 
tout ce que l’on peut en dire, comme on peut affirmer seulement 
que, parmi les autres, il y en a qui ressemblent à des Infusoires en 
boule, enkystés, et généralement aux globules que l’on regarde 
comme étant les œufs de ces petits êtres. Mais quant à affirmer que 
ceci est une spore, bien plus la spore de telle espèce déterminée, 
et que cela est un œuf et l’œuf de tel Microzoaire, je crois que cela 
n’est pas possible. Je me borne en ce qui me concerne à déclarer 
que ces corpuscules sont évidemment organisés, ressemblant de 
tout point aux germes des organismes les plus inférieurs, et si 
divers de volume et de structure, qu’ils appartiennent sans Conteste 
à des espèces fort nombreuses. 

L'emploi de l’eau d’iode montre de la manière la’ioins équi= 
voque que, parmi ces corpuseules, il y a toujours des granulés 
d'amidon. Mais il est bien facile d'éliminer tous les globules de 
cette sorte en délayant la poussière dans l'acide sulfurique ordi- 


(1) Le lavage est suffisant après cinq ou six décantations. Il faut se servir de 
coton-poudre dont la solubilité soit aussi parfaite que possiblé. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 97 


naire, qui dissout en quelques instants tout ce qui est amidon. 
Sans doute, l'acide sulfurique altère, et dissout peut-être d’autres 
olobules; mais ilen reste encore un grand nombre, et quelquefois 
même on en distingue davantage après l’action de lacide sulfu- 
rique, parce que cet acide dissout le carbonate de chaux et délaye 
les autres particules de poussière, de façon que beaucoup de cor- 
puseules organisés se trouvent dégagés des débris amorphes qui 
empêchent souvent de les bien voir. Il est bon d'observer aussitôt 
après que les petites bulles d'acide carbonique sont dissipées, et 
avant que les aiguilles de sulfate de chaux se soient déposées (1). 
En opérant sur la poussière d’une bourre de L centimètre de 
longueur sur 4/2 centimètre de diamètre exposée au courant 
d'air pendant vingt-quatre heures, avec un écoulement d’un litre 
par minute, on découvre et-on peut dessiner facilement vingt à 
trente corpuscules organisés en un quart d'heure. Il y en a ordi- 
nairement plusieurs dans le champ. Notons que la goutte d'acide, 
mêlée de poussière, que l’on place sur le porte-objet du micros- 
cope ne représente qu'une fraction de celle qui est dans le verre 
de montre. | 
D'autre part, il faudrait évidemment plusieurs heures pour re- 
chercher et dessiner au fur et à mesure tous les corpuscules orga- 
nisés de cette goutte. On voit done que le nombre descorpuseules 
organisés que l'on fixe par cette méthode sur les filaments de 
coton est fort sensible comparativement au volume d'air (2); sans 
doute, il n’est pas suffisant, pour justifier cette asserlion généra- 


(1) J'ai reconnu par des épreuves directes, que l'acide sulfurique concentré 
ordinaire ne dissolvait pas les spores des moisissures communes, même par un 
contact prolongé. 

(2) Je n'ai pas besoin de dire que je me suis assuré que le coton que j'em- 
ployais ne renfermait pas du tout de corpuscules organisés, et que sa dissolution 
dans le mélange alcoolique ne laissait d'autre résidu que quelques fibres non 
dissoutes. 

Je dois faire observer en outre que, sous une épaisseur d'un centimètre , une 
bourre de coton est loin d'arrêter tous les corpuseules de l'air. Si l'on place plu- 
sieurs bourres à la suite les unes des autres, la seconde, la troisième... se cou- 
vrent de poussière ; seulement, il faut pour les charger à l’égal de la première, 
d'autant plus de temps qu’elles en sont plus éloignées. 


28 L, PASTEUR. 


lement admise, que la plus petite bulle d’air commun est capable 
de faire naître dans une infusion toutes les espèces d’Infusoires 
et toutes les Cryptogames propres à cette infusion. Mais nous 
verrons dans un chapitre subséquent que cette opinion est fort 
exagérée, et que l’on peut toujours mettre en contact avec une 
infusion qui a été portée à l’ébullition un volume d’air ordinaire 
considérable, sans qu'il s’y développe la moindre production 
organisée. 

Je vais entrer dans quelques détails, afin que l’on ait une idée 
un peu plus nette du nombre des corpuscules organisés que l’on 
découvre dans la poussière, recueillie comme je viens de le dire. 

Les figures II, IIT et IV, représentent quelques corpuscules 
organisés d’un échantillon de poussière recueillie en vingt-quatre 
heures du 16 au 17 novembre 1859. Voici comment ces dessins 
rapides, qui ne donnent que le volume et le contour des corpus- 
cules, ont été faits : 

Après que le lavage de la poussière eût été effectué comme je 
l’ai indiqué tout à l'heure, j'ai pris dans le verre de montre une 
partie de la poussière, et je l’ai délayée dans une goutte de solu- 
tion de polasse, renfermant 5 parties de potasse pour 400 d’eau. 
Au fur et à mesure que je déplaçais la lame de verre sous l’ob- 
jecuf, et que j’apercevais un globule évidemment organisé, je le 
dessinais. C’est ainsi que la figure IT a été obtenue. 

J'ai alors remplacé la potasse par de la teinture aqueuse d’iode. 
Il suffit pour cela de placer au contact avec le bord de la lame de 
verre un petit carré de papier buvard, que l’on recouvre d’un 
second, d’un troisième papier semblable, et ainsi de suite jusqu’à 
ce que toute la solution de potasse soit absorbée. On la remplace 
alors par une goutte d’eau iodée, que l’on enlève par le même 
moyen pour y substituer une nouvelle goutte de cette temture. 
On continue ainsi jusqu’à ce que la potasse restant sous la lame de 
verre soit entièrement neutralisée. 

La figure III représente une partie des globules mis au contact 
de la teinture aqueuse d’iode. Enfin la figure IV donne le dessin 
des globules examinés, après que l’eau d’iode fut remplacée par 
l'acide sulfurique ordinaire. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29 


La distance des deux parallèles de la figure V représente 
1/100° de millimètre au grossissement employé dans l’expérience. 

J'ajouterai que j'ai mis une heure et demie à faire les dessins 
des globules et les expériences de substitutions de réactifs les uns 
aux autres. Cela donnera au lecteur une première indication sur 
le nombre des corpuscules organisés, que l’on peut arrêter en 
vingt-quatre heures en faisant passer sur une petite bourre de co- 
ton environ 1500 litres d’air pris dans une rue de Paris peu fré- 
quentée, et à une distance de à à 4 mètres au-dessus de la surface 
du sol (1). On peut avoir une idée bien plus exacte du nombre des 
corpuscules, que leur forme et leur volume permettent de dire 
organisés, par la détermination du nombre moyen de ces corpus- 
cules contenus dans le champ du microscope, et par la connais- 
sance du rapport des surfaces de la goutte étalée sous la petite 
lame de verre qui la recouvre, et du champ du microscope, pour 
le grossissement que l’on emploie. Le nombre total des corpus- 
cules de la goutte sera égal au rapport dont nous parlons, mulu- 
plié par le nombre moyen des corpuscules compris dans un champ 
quelconque. On arrive ainsi à reconnaître qu’une petite bourre de 
colon exposée pendant vingt-quatre heures au courant d’air de la 
rue d’Ulm, pris à quelques mètres du sol, pendant l'été, après une 
succession de beaux jours, rassemble plusieurs milliers de cor- 
puseules organisés pour une aspiration d’un litre d’air environ 
par minute. Du reste, ce résultat varie infiniment avec l’état de 


(4) Postérieurement à l'emploi de la méthode que je viens de décrire et dans 
lé but de réfuter les résultats que j'en avais obtenus, M. Pouchet a examiné la 
poussière que la neige abandonne après sa fusion, moyen déjà mis en pratique 
par M. de Quatrefages et par M. Boussingault (Comptes rendus de l'Académie, 
t. XLVIII, p. 34, 1859). « La neige, dit M. Pouchet, fut recueillie dans une 
» grande cour carrée. On en prit seulement la couche superficielle dans une 
» épaisseur de 5 centimètres environ, et sur une étendue de 4 mètres carrés. » 
(Comptes rendus, t. L, p. 5392.) 

Je n'ai pas étudié la poussière de l'air en faisant fondre de la neige, et j'ignore 
si cette méthode vaut celle que j'ai suivie. Dans tous les cas, il est évident qu'il 
faudrait étudier la première neige tombée, la couche du fond et non la couche 
de la surface. Car si la neige peut entraîner les poussières de l'air, c’est la pre- 
mière tombée qui se chargera de cet office. 


00 L, PASTEUR. 

l'atmosphère, si l’on opère avaat ou après la pluie, par un temps 
calme ou agité, de jour ou pendant la nuit, à une petite ou à une 
grande distance du sol. Enfin que l’on imagine toutes les mille et 
une causes qui peuvent augmenter ou diminuer le nombre de ces 
particules solides que tout le monde a aperçues dans un rayon de 
soleil qui pénètre dans une chambre obseure, et l’on comprendra 
tout ce qu'il doit y avoir de changements dans les résultats qui 
précèdent, 

La méthode dont je viensde parler pour recueillir les poussières 
qui sont en suspension dans l’air ordinaire, et les examiner ensuite 
au microscope, est évidemment susceptible d’être modifiée utile- 
ment (1), 

Je.crois qu'il y aurait un grand intérêt à multiplier les études 
sur ce sujet, el à comparer dans un même lieu avec les ‘saisons, 
dans des lieux différents à une même époque, les corpuscules 
organisés disséminés dans l'atmosphère. Il semble que les phéno- 
mènes de contagion morbide, surtout aux époques où sévissent 
des maladies épidémiques, gagneraient à des travaux poursuivis 
dans cette direction. 

Les figures VI, Vif, VII, IX, représentent des corpuscules 
organisés associés à des particules amorphes, tels qu'ils s'offrent 
au microscope pour un grossissement de 350 diamètres, le liquide 
délayant étant l'acide sulfurique ordinaire. 

La figure VI s'applique à des poussières recueillies. du 25 au 


(1) Ne serait-il pas possible de remplacer le coton par une bourre de fils très 
fins formés par un borate soluble, étiré à chaud, voire même par du sucre d'orge 
réduit en fils soyeux ? 

J'essaye en ce moment l'emploi d'un tube thermométrique de gros calibre où 
l'on a soufflé à des distances rapprochées une suite de renflements. En introdui- 
sant dans ce tube quelques gouttes d'un liquide visqueux ou d'huile, le liquide 
s'arrête dans les étranglements, et si l’on fait passer de l'air, les méaisques des - 
étranglements se reforment après le passage de chaque bulle de gaz, qui se 
trouve ainsi lavé un grand nombre de fois par une quantité de liquide adhésif 
très minime. M. Jamin a utilisé des tubes de cette nature dans quelques-unes 
de ses curieuses expériences sur la capillarité. C’est ce qui m'a suggéré 
l'idée de l'emploi de pareils tubes, dont je ne peux cependant pas juger encore 
l'efficacité. 


SUR LA DOCTRINE DES, GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. o1 
26 juin 1860 ; la figure VIT a des foussières du brouillard très in- 
tense du mois de février 1861 ; la figure VIIL a des poussières 
recueillies du 17 au 19 décembre 1859 par un froid de — 9 à 
— 14 degrés; enfin la figure IX a des poussières d’une bourre 
qui était précédée d’une autre, afin de montrer qu'une première 
bourre n'arrête pas toutes les poussières qui sont en suspension 
daus l'air, Cependant il faut remarquer que les poussières étaient 
ici en très petit nombre, et qu'il fallait plusieurs fois changer de 
champ pour apercevoir un corpuseule organisé, tandis que dans 
les cas ordinaires il y a le plus souvent un ou plusieurs corpus- 
cules organisés dans un champ quelconque. 


CHAPITRE THE. 


Des expériences avec l'air calciné. 


Nous venons de voir qu’il y avait toujours en suspension dans 
l'air des corpuscules organisés, qui, par leur forme, leur volume 
et leur structure apparente, ne sauraient être distingués des germes 
des organismes inférieurs, et le nombre en est grand sans avoir 


rien d’exagéré. Y a-t-il réellement parmi eux des germes fé- 
conds (1)? Voilà la question vraiment intéressante; je erois être 


arrivé à le démontrer d’une manière certaine. Mais avant d’expo- 


(1) Ce qu'il y aurait de mieux à faire et de plus direct consisterait à suivre au 
microscope le développement de ces germes. Tel était mon projet; mais l'appa- 
reil que j'avais fait construire pour cet objet ne m'ayant pas été livré en temps 
opportun, j'ai été éloigné de cette étude par d’autres travaux. Du reste, il ne 
faut pas se dissimuler la difficulté de cette méthode d'observation. Rien de plus 
simple que de déposer les spores d'une Mucédinée dans un liquide propre à les 
nourrir, d’en prélever quelques-unes le lendemain ou le surlendemain, et de voir 
que plusieurs ont germé et ont déja poussé de longs appendices, Mais autre 
chose, est d'opérer sur une seule spore, qu'il faudra retrouver sous le microscope 
à une place déterminée, tout en lui fournissant de l’eau pour remplacer celle qui 
s'évapore sur les bords de la lame de verre, etc... Et puis les très petits Infu- 
goires, Bacteriums et Monades, se montrent promptement, prénnent l'air el la 
spore privée d'un de ses aliments essentiels ne se développe pas. J'espère reve- 
nie prochainement sur celte partie de mon travail. 


22 L. PASTEUR. 


ser les expérienees qui se rapportent plus particulièrement à cette 
partie du sujet, il est indispensable de rechercher premièrement 
si les faits annoncés par le docteur Schwann sur l’inactivité de 
l'air qui a été rougi sont exacts. MM. Pouchet, Mantegazza, Jolly 
et Musset, le contestent. Essayons de voir de quel côté est la 
vérité ; aussi bien ce sera la base de nos recherches ultérieures. 

Dans un ballon de 250 à 300 centimètres cubes, j’introduis 
400 à 150 centimètres cubes d’une eau sucrée albumineuse, for- 
mée dans les proportions suivantes : 


Ens ,,°: s'enponlotp. @ sde su 110008 
SCO ER et ce che 0000 
Matières albuminoïdes et minérales provenant 

de la levûre de bière, . . . . . . . . . 0,2 à 0,7. 


Le col effilé du ballon communique avec un tube de platine 

chauffé au rouge, comme l'indique la figure X. On fait bouillir le 

Jiquide pendant deux à trois minutes, puis on le laisse refroidir 
complétement. Il se remplit d’air ordinaire à la pression de 
l'atmosphère, mais dont toutes les parties ont été portées au 
rouge ; puis on ferme à la lampe le col du ballon, qui a alors la 
forme indiquée par la figure XI. 

Le ballon ainsi préparé est placé dans une étuve à une tempé- 
rature constante voisine de 30 degrés ; il peut s’y conserver indé- 
finiment, sans que le liquide qu’il renferme éprouve la moindre 
altération. Sa limpidité, son odeur, son caractère d’acidité très 
faible, à peine appréciable au papier de tournesol bleu, persistent 
sans changement appréciable. Sa couleur se fonce légèrement 
avec le temps, sans doute sous l’influence d’une oxydation directe 
de la matière albuminoïde ou du sucre (1). 

J'affirme avec la plus parfaite sincérité que jamais il ne m'est 
arrivé d’avoir une seule expérience, disposée comme je viens de 
le dire, qui m'ait donné un résultat douteux. L'eau de levüre 
sucrée portée à l'ébullition pendant deux ou trois minutes , puis 
mise en présence de l'air qui a élé rougi, ne s’altère donc pas du 


(4) Cette oxydation directe est indiquée par l'analyse suivante, effectuée sur 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 39 


tout (1), même après dix-huit mois de séjour à une tempéra- 
ture de 25 à 80 degrés, tandis que si on l’abandonne à l'air 
ordinaire, après un jour ou deux, elle est en voie d’altération 
manifeste, et se trouve remplie de bacteriums, de vibrions, ou 
couverte de mucors. 

L'expérience du docteur Schwann appliquée à l’eau de levûre 
sucrée est par conséquent d’une exactitude irréprochable, 

Comment se fait-il néanmoins que plusieurs observateurs, 
MM. Pouchet, Mantegazza et Schwann lui-même, soient arrivés 
à des résultats contradictoires ? J'ajoute que le docteur Schwann 
lui-même n’a pas toujours réussi dans ses expériences sur l’inac- 
tivité ge l'air caleiné ; en effet, nous avons vu dans la première 
partie du présent mémoire, où j'ai résumé le travail de ce savant, 
que ses expériences sur la fermentation alcoolique avaient sou- 
vent donné des résultats opposés à ceux qu’il espérait, sans qu’il 
eût pu d’ailleurs reconnaitre les causes d’erreur présumées de ces 
résultats. 

Moi-même, dans des expériences inédites, j'étais arrivé à cette 
conséquence, que les expériences faites avec l'air calciné, ne réus- 
sissaient qu’exceptionnellement. Je vais en rapporter quelques- 
unes. 

Le 9 août1857, je prépare comme il suit, plusieurs ballons d’un 
quart de litre de capacité. Dans chacun d’eux, je place 80 centi- 


l'air d’un ballon rempli aux 2/5 d'eau de levüre sucrée, et qui était resté à 
l'étuve du 12 février au 18 avril 4860. 





Acide carbonique. . . . . , . .« ., 0,9 
RTE Le aan io san ne 4 
Azote par différence. . . . . . .. 3 00879;6 

100,0 


Le volume de l'acide carbonique est moindre que le volume d'oxygène qui a 
disparu. Cela peut tenir aux différences des coefficients de solubilité de ces gaz. 
Quant à la limpidité du liquide, elle était parfaite. 

Toutes les analyses de gaz contenues dans ce mémoire ont été faites avec l'eu- 
diomètre de M. Regnault, 

(1) J'ai certainement eu l’occasion de répéter plus de cinquante fois l'expé- 
rience, et, dans aucun cas, cette liqueur, si altérable, n'a donné vestige de 
productions organisées, en présence de l'air calciné. 

&° série, Zoo. T. XVI. (Cahier n° 4.) 3 3 


54 L. PASTEUR. 


mètres cubes d’eau de levüre de bière sucrée très limpide, renfer- 
mant par litre 100 grammes de sucre et 3 grammes de matière 
azotée et minérale empruntées aux principes solubles de la levûre. 
J'étire à la lampe le col des ballons, puis je porte le liquide à 
l’ébullition, et je ferme ensuite la pointe effilée par un trait de cha- 
lumeau pendant l’ébullition, maintenue préalablement de deux 
à quatre minutes. Je renverse ensuite successivement chaque 
ballon dans la cuve à mercure, au fond de laquelle je brise 
leurs pointes; alors j'introduis dans le premier ballon environ 
70 centimètres cubes d'oxygène préparé avec le chlorate de po- 
tasse, et conduit dans un tube de porcelaine chauffé au rouge 
avant d'entrer dans le ballon. Dans le deuxième ballon, je fais 
arriver 50 centimètres cubes d'oxygène provenant de la décom- 
position de l’eau par la pile, et de production toute récente. Dans 
le troisième et le quatrième ballon, je fais passer de 50 à 60 cen- 
timètres cubes d’air ordinaire sortant d’un tube de porcelaine 
chauffé au rouge. Enfin, dans un cinquième ballon, j'introduis 
50 centimètres cubes d’air ordinaire non chauffé. Je porte ensuite 
les cinq ballons dans une étuve à la température constante de 25 
à 30 degrés, renversés sur le mercure dans des verres à pied. 

Le 43 août, il y a des productions organisées dans tous les bal- 
tons. Le liquide du premier était tout trouble, laiteux, par la pré- 
sence d'une Torulacée en granulations très ténues réunies en cha- 
pelets. Le deuxième ballon est tombé dans la nuit du 15 au 
46 août, parce qu'il s’est rempli de gaz par fermentation. Une 
étude microscopique des portions de liquide restées dans le verre 
y à fait reconnaître des globules de levüre de bière. Les ballons 3, 
let 5, offraient des touffes de moisissure flottant dans un liquide 
limpide. 

En résumé, j'oblenais des résultats directement contraires à 
ceux du docteur Schwann. Des Mucédinées, des Torulacées, pou- 
vaient naître en présence de l'air calciné, dans des liquides qui 
avaient été soumis à l’ébullition. 

Je ne publiai pas ces expériences ; les conséquences qu’il fallait 
en déduire étaient trop graves pour que je n’eusse pas la crainte 
de quelque cause d'erreur cachée, malgré le soin que j'avais mis 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29 
à les rendre irréprochabhles. J'ai réussi, en effet, plus tard à re- 
connaitre cette cause d'erreur. 

Quoi qu'il en soit, les choses étaient telles, à celte époque, qu’un 
observateur répétant de bonne foi sur la cuve à mercure les expé- 
riences de Needham, de Spallanzani et d’Appert, avec la modifi- 
cation indiquée par le docteur Schwann, arrivait à des conséquences 
tout à fait favorables à la doctrine des générations spontanées, 
sans qu’il füt possible de signaler la véritable cause d'erreur de 
ses expériences. On pouvait croire seulement qu'il était très dif- 
ficile de ne pas laisser s’introduire dans les vases une petite quan- 
tité d’air ordinaire. Mais, outre que cette crainte était exagérée, on 
verra par la suite que ce n’est pas du tout en cela que consistait 
l'inexactitude de la méthode. 

Dans toutes ces expériences, comme dans celles du docteur 
Schwann qui avaient été contraires au résullat de sa première 
expérience sur le bouillon de viande, c'est le mercure qui avait 
introduit les germes dans les liqueurs. J’en donnerai ultérieure- 
ment des preuves convaincantes. Mais nous pouvons remarquer 
dès à présent que le mercure d’une cuve delaboraloire est constam- 
ment exposé à recevoir les poussières de l'air, et que ce liquide 
doit recéler par conséquent une multitude de ces corpuscules 
organisés, que nous avons appris à étudier dans le chapitre pré-" 
cédent. Leur légèreté spécifique ne serait suffisante pour les amener 
à la surface que s'ils avaient un volume sensible. D'ailleurs, n'y 
aurait-il de ces corpuscules qu'à la surface du mercure, il ne 
serait pas possible de les éviter. dans les manipulations. Que l'on 
dépose, en effet, des poussières sur le mercure et qu'on y en- 
fonce ensuite un tube de verre, une éprouvette, un vase quel- 
conque, on verra les poussières de la surface s'engager peu à 
peu dans la gaine que le corps solide laisse entre lui et le mercure. 
Si le corps est enfoncé d’un décimètre ou davantage, les pous- 
Sières le suivront jusqu’à cette profondeur, et les dernières arrivées 
seront appelées d’une grande distance du point où le corps aura 
été plongé. 

Nous pouvons résumer comme il suit les expériences de ce 
chapitre. L'eau de levüre sucrée, liqueur excessivement altérable 


356 L. PASTEUR. 


au contact de l'air ordinaire, peut être conservée intacte pendant 
des années entières lorsqu'elle est exposée à l’action de l'air cal- 
ciné, après avoir été soumise à l'ébullition pendant deux ou trois 
minutes. Mais l'expérience a besoin d'être faite convenablement. 
Effectuée sur la cuve à mereure avec tous les soins imaginables, 
elle ne réussit qu'exceplionnellement, si tant est qu'elle réussisse 
quelquefois. La liqueur s’altère presque aussi facilement qu’à 
l'air ordinaire, parce qu'il est impossible que la manipulation, 
de quelque manière qu’elle soit dirigée, n'introduise pas des 
germes provenant de l’intérieur où de la surface du mercure ou 
des parois de la cuve. 

L'insuccès des expériences avec l'air calciné, toutes les fois 
qu'on venait à les pratiquer sur la cuve à mercure, n'était pas la 
seule cause d'incertitude et d'embarras dans cette grave question 
de la génération des êtres les plus inférieurs. 

Remplace-t-on, en effet, dans les essais précédents l’eau de 
levüre sucrée par le lait, outel autre liquide quenous apprendrons 
à connaître, et de quelque manière que l'expérience soit con- 
duite, que l’on opère sur la cuve à mercure, ou que l’on opère 
avec l'appareil déjà décrit, représenté figure 10, et qui donne des 
résultats si constants pour l’eau de levûre sucrée, le lait se putré- 

‘ fie et montre des organismes. | 

Ces résultats si divers, contradictoires en apparence, trouveront 
leur explication naturelle dans un des chapitres suivants. Mais 
jusque-R ils étaient bien faits pour jeter le trouble dans les esprits, 


ainsi que j'ai déjà essayé de le montrer dans le chapitre historique 
placé en tête de ce travail. 


CHAPITRE IV. 


Ensemencement des poussières qui existent en suspension dans l’air, dans 
des liqueurs propres au développement des organismes inférieurs. 


Les résultats des expériences des deux chapitres qui précèdent 
nous ont appris : 


= 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 97 

4° Qu'il y a toujours en suspension dans l’air ordinaire, des 

corpuscules organisés tout à fait semblables à des germes d’orga- 
nismes inférieurs ; 

2° Que l’eau de levüre de bière sucrée, liqueur éminemment 
allérable à l'air ordinaire, demeure intacte, limpide, sans donner 
jamais naissance à des infusoires ou à des moisissures, lors- 
qu'elle est abandonnée au contact de l’air qui a été préalable- 
ment chauffé. 

Cela posé, essayons de rechercher ce qui arriverait au contact 
de ce même air, en ensemençant dans cette eau sucrée albumi- 
neuse, les poussières que nous avons appris à recueillir au 
chapitre IT, sans introduire autre chose que ces poussières. 

Quelle que soit la méthode d’expérimentation, il faut qu’elle 
éloigne complétement la cuve à mercure, parce que tous les résul- 
tats en seraient troublés. Je l’ai constaté directement pour ce point 
de la question par des expériences particulières que je crois sans 
grande utilité de rapporter ici. J'aurai d’ailleurs l’occasion de reve- 
nir encore sur les inconvénients d'utiliser le mercure dans ces 
sortes d'expériences. 

Voici les dispositions que j'ai Mess pour déposer les pous- 
sières de l’air dans les liqueurs putrescibles ou fermentescibles, 
en présence de l’air chauffé. 

Reprenons notre ballon renfermant de l’eau de levüre sucrée 
et de l'air calciné, figure 11. Je supposerai que le ballon soit à 
l'étuve à 25 ou 30 degrés, depuis un ou deux mois, sans y avoir 
éprouvé d’allération sensible, preuve manifeste de l’inactivité de 
l'air chauffé dont il a été rempli sous la pression atmosphérique 
ordinaire. 

La pointe du ballon étant toujours fermée, je l’adapte au moyen 
d’un tube de caoutchouc, à un appareil disposé comme il suit, 
figure 12 : T, est un tube de verre fort, de 10 à 12 millimètres de 
diamètre intérieur, dans lequel j'ai placé unsbout de tube de petit 
diamètre a, ouvert à ses extrémités, libre de glisser dans le gros 
tube et renfermant une portion d’une des petites bourres de coton 
chargées de poussières; R, est un tube de laiton en forme de T, 
muni de robinets, l’un de ces robinets communique avec la 


38 L. PASTEUR. 


machine pneumatique, un autre avec un tube de platine chaaffé 
au rouge, le troisième avec le tube T ; ce, représente le caoutchouc 
qui réunit le ballon B au tubeT. 

Lorsque toutes les parties de l’appareil sont disposées et que le 
tube de platine est porté au rouge par le calorifère à gaz figuré 
en G, on fait le vide, après avoir formé le robinet qui conduit au 
tube de platine. Ce robinet est ensuite ouvert de façon à laisser 
rentrer peu à peu dans l'appareil de l’air calciné. Le vide’et la ren- 
trée de l'air calciné sont répétés alternativement dix à douze 
fois. Le petit tube à coton se trouve ainsi rempli d'air brûlé jusque 
dans les moindres interstices du coton, mais il a gardé ses pous- 
sières. Cela fait, je brise la pointe du ballon B, à travers le caout- 
choue ce, sans dénouer les cordonnets, puis je fais couler le petit 
tube aux poussières dans le ballon. Enfin, je referme à la lampe 
le col du ballon qui est de nouveau reporté à l’étuve. Or, il arrive 
constamment que des productions commencent à apparaître dans 
le ballon après vingt-quatre, trente-six où quarante-huit heures au 
plus. 

C’est précisément le temps nécessaire pour que ces mêmes pro- 
ductions apparaissent dans l’eau de levüre sucrée lorsqu'elle est 
exposée au contact de l'air commun. 

Voici le détail de quelques expériences : 

Dans les premiers jours de novembre 1859, j'ai préparé sui- 
vant la méthode de la fig. 10, plusieurs ballons de 250 centi- 
mètres cubes de capacité, renfermant 100 centimètres cubes 
d'eau de levüre sucrée et 450 centimètres cubes d’air chauffé. 
Is sont restés à l’étuve à une température voisine de 30 degrés 
jusqu'au 8 janvier 1860. Ce jour-là, vers neuf heures du matin, 
j'ai introduit dans l’un de ces ballons, à l’aide de l'appareil de la 
figure 12, une portion de bourre de coton chargée de poussières, 
recueillies comme cela a été expliqué au chapitre IE. 

Le 9 janvier à neuf”heures du matin, le liquide du ballon n'offre 
rien de particulier. Le même jour, à six heures du soir, on voit 
très distinctement de petites touffes de moisissures sortir du tube 
aux poussières. Limpidité parfaite du liquide. 

Le 10 janvier, à cinq heures du soir, outre les touffes soyeuses 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29 
de moisissures, le liquide ayant toujours conservé une limpidité 
parfaite, j'aperçois sur les parois du ballon un grand nombre de 
traînées blanches, irisées de diverses couleurs lorsqu'on place le 
ballon entre l’œil et la lumière. 

Le 41 janvier le liquide a perdu sa limpidité. Il est tout trouble, 
à tel point qu’on ne distingue plus les touffes de mycelium, 

Alors j'ouvre le ballon par un trait de lime et j'étudie au 
microscope les diverses productions qui y ont pris naissance. 

Le trouble du liquide est dû à une foule de petits bacteriums, de 
la plus petite dimension, très rapides dans leurs mouvements, 
pirouettant vivement ou se balançant, etc..…., fig. 13. 

Les touffes soyeuses sont formées par un mycelium en tubes 
rameux, fig. 14. 

Enfin, cette espèce de précipité pulvérulent sous forme de trai- 
nées blanches qui s’est montré le 10 janvier, ‘est constitué par une 
Torulacée très élégante représentée fig. 15. C’est une Torulacée 
très fréquente dans les liqueurs albumineuses sucrées, qui se 
développe, par exemple, dans les jus de betteraves rendus un 
peu acides, dans les urines des diabétiques, et que l’on pour- 
rait confondre avec la levüre de bière, à laquelle elle ressemble 
beaucoup par son mode de développement, si le diamètre de ses 
globules n’était sensiblement plus petit que celui des cellules de la 
levûre, plus petit d’un tiers ou même de la moitié. Les globules de 
cette Torulacée sont peu granuleux, plus translucides que les glo- 
bules de la levüre de bière. Le noyau, quand il est visible, est 
unique et très net. Ces globules se multiplient par bourgeonne- 
ment et affectent la forme rameuse de la levüre de bière en voie 
de multiplication. 

Ainsi, voilà trois productions nées sous l'influence des pous- 
sières que l’on a semées, productions de même ordre que celles 
qu'on voit naître dans ces mêmes liqueurs sucrées albumineuses 
quand on les abondonne au contact de l’air ordinaire. 

Le 17 janvier, j'ai introduit des poussières dans deux autres de 
ces ballons d’eau de levüre sucrée demeurées sans altération depuis 
le mois de novembre. 

Le 19 au matin, un des liquides est tout trouble. Il n'offre 


! 


h0 L, PASTEUR, 


d’ailleurs aucune apparence de myceliam. Le liquide de l'autre 
ballon est encore très limpide. Aucune apparence de production 
organisée. 

Le même jour à cinq heures du soir, le premier ballon est dans 
le même état; le trouble est seulement accru ; quant à l’autre, 
la limpidité de son liquide est toujours parfaite. mais une touffe de 
mycelium sort du petit tube aux poussières et en garnit tout une 
extrémité. 

Le 20, l’état du premier ballon n'a pas changé schlioipt, 
La moisissure du second s’est beaucoup développée, et il s’en est 
formé une nouvelle dans l’intérieur du liquide. En outre, la Himpi- 
dité du liquide parait légèrement altérée. 

Le 21, le liquide du second ballon est presque aussi trouble que 
celui du premier, et les touffes de mycelium n’ont pris aucun 
accroissement depuis la veille, c’est-à-dire depuis que le trouble 
s’est manilesté dans toute la masse du liquide. 

Le 22 et le 23 janvier, les touffes de mycelium restent toujours 
stationnaires, etiln’estpas douteux, comme onva le voir, qu’il faille 
attribuer l’arrêt de leur développement à la présence des infusoires 
qui troublent le liquide, et qui, en s’emparant de l'oxygène dis- 
sous, privent la plante d’un de ses aliments les plus essentiels. Ce 
résultat est constant, et c’est là ce qui explique pourquoi dans le 
premier ballon, la production développée en premier lieu, ayant 
élé formée par des infusoires, on n’a vu naître aucune autre pro- 
duction organisée. 

Voici la confirmation remarquable de cette opinion : 

Le 23 janvier, voyant que les touffes du mycelium du deuxième 
ballon sont stationnaires depuis le 20, je fais tomber le petit tube 
aux poussières dans le goulot du ballon, comme le représente la 
figure 16, afin de placer la touffe de moisissures qui garnit l’une 
des extrémités de ce petit tube, en contact avec l'atmosphère du 
ballon, et éloigner ainsi l’influence des infusoires. 

Or, dix-huit heures après, dès le 24 janvier au matin, la moi- 
sissure à poussé des filaments dans toutes les directions, qui 
tapissent le petit tube et le goulot du ballon. Le 95 elle a fructifié. 
Le 27, elle s'étend en partie à la surface du liquide du ballon. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. A 


A partir de ce jour elle ne s’est plus agrandie et est restée tout à 
fait stationnaire, parce que tout l'oxygène de l'air du ballon avait 
disparu et avait été remplacé par de l'acide carbonique. 

Ces faits, que j’ai eu l’occasion de constater bien souvent dans 
des circonstances analogues, montrent toute l'influence que 
peuvent avoirles unes sur les autres des productions se développant 
simultanément, comment elles peuvent se nuire et comment il 
arrive qu’une liqueur peut offrir des organismes variés, mais 
toujours bien moins nombreux, dans chaque cas particulier qu'il 
n’y a de germes semés, et qu’il ne pourrait s’en développer à la 
rigueur. Les premiers qui sont en voie de multiplication étouffent 
les autres (1). 

Toutes les personnes qui ont étudié les productions organisées 
des infusions ont pu faire la remarque qu'une infusion est privée 
plus ou moins complétement d’infusoires, s’il arrive qu’elle se 
couvre de Mucédinées, dans les premiers jours de son exposition 
à l'air. Et, inversement, lorsqu'elle débute par des infusoires, elle 
a peine à montrer des moisissures. La cause de ce fait est du 
même ordre que celle dont je viens de parler. Dans le premier cas 
l'oxygène est absorbé par les Mucédinées, dans le second par les 
Infusoires. Ce que je dis de l'oxygène peut s'appliquer sans doute 
aux autres aliments de ces petits êtres. 

J'ai représenté figure 47 la Mucédinée développée dans le 
goulot du ballon, lequel a été ouvert le 31 janvier, afin de pou- 
voir étudier les productions auxquelles il avait donné lieu. 

Au fond du liquide qui s'était éclairei depuis plusieurs jours, 


(4) C'est donc à Lort, selon moi, que M. Pouchet donne comme une immense 
objection que les poussières qu'il a semées ne lui ont pas fourni plus de Mucédi- 
nées qu'il n'en apparaît sans semence, Qu'il veuille bien les semer, par exemple, 
sur une même liqueur, placée dans un vase divisé en compartiments, et il verra 
que les corpuscules de l'air semés dans ces compartiments lui fourniront des 
productions très diverses. C'est en définitive ce que je fais quand j'opère sur 
plusieurs ballons séparément. 

Toutes les conditions seront pareilles, mais dans chaque petit compartiment 
les premières productions qui auront poussé ne nuiront en rien à celles des 
cases voisines. Seulement la variété des productions ne sera pas indéfinie parce 
qu'elle est limitée, comme on le sait, par la nature de l'infusion. 


12 L, PASTEUR. 


parce que la moisissure avait à son tour nui au développement 
des Infusoires, il y avait un dépôt sensible, blanc jaunâtre, formé 
uniquement de cadavres de petits Bacteriums et de petits Vibrions. 
Tous, sans exception, étaient sans mouvement autre que le mou- 
vement brownien. 

Quant à la Mucédinée, son mycelium avait poussé des tubes 
verticaux, translucides, incolores, non ramifiés, portant à leur 
extrémité de petites boules colorées en brun foncé dans les indi- 
vidus les plus âgés. Ces sporanges s’écrasent facilement sous la 
lame de verre, en laissant voir des spores dans leur intérieur, On 
reconnait alors très nettement que ces sporanges ont une enve- 
loppe membraneuse, ear celle-ci se déchire par la pression. Si 
alors on fait arriver une goutte d’eau sous la lame de verre, 
instantanément la petite sphère se vide, et il en sort par courants 
rapides des amas de spores ovoïdes, d’une translucidité parfaite, 
et d’une grande netteté de contours. Leur diamètre varie de 0,006 
à 0,008 de millimètre. Ce sont tous les caractères de l'espèce la 
plus commune du genre Ascophora. Mais, en outre, à côté de 
cette Mucédinée, j'en ai rencontré une très différente appartenant 
au genre Penicillium, représentée figure 18; et dans l’inté- 
rieur même du petit tube à poussières, mêlée aux fibres du coton, 
se trouvait une T'orula en grosses cellules de 0,02 à 0,04 de milli- 
mètre de diamètre, jointe à des articles beaucoup plus longs pro- 
venant d’un développement de ces cellules généralement très 
granuleuses. Elle est représentée figure 19, 

Je pourrais multiplier beaucoup les exemples de productions 
nées dans l’eau de levüre sucrée par le fait de l’ensemencement 
des poussières de l'air, au sein d’une atmosphère d’air chauffé 
préalablement et par elle-même tout à fait inactive. J'ai choisi de 
préférence pour les décrire les essais qui m’avaient montré des 
productions organisées très communes, et qui apparaissent fré- 
quemment sur les liquides de la nature de ceux que j'employais. 
Mais les Mucorées, les Torulacées, les Mucédinées les plus di- 
verses, prennent naissance. Quant aux Infusoires, ce sont tou- 
jours, pour ce genre de liquides, de petits Bacteriums, les plus 
petites Monades ou les plus petits des Vibrions. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. à 


Or toutes ces productions sont précisément de la nature de 
celles que l’on voit apparaître dans la liqueur dont il s’agit, lors- 
qu’elle est librement exposée au contact de l’air ordinaire. En ce 
qui concerne les Infusoires, je puis affirmer que jamais dans au- 
cune circonstance je n’ai vu l’eau de levûre sucrée donner nais- 
sance à des Infusoires autres que les Bacteriums et les plus petits 
des Vibrions. L’Infusoire le plus gros que j'aie rencontré est le 
Monas lens de0"",004 de diamètre, et encore je ne l’ai vu que fort 
rarement soit à l’air libre, soit dans les ballons fermés. Quant aux 
végétaux, ce sont des Mucors, des Mucédinées ordinaires ou des 
Torulacées (1). 

On pourrait peut-être se demander si, dans les expériences qui 
précèdent, le coton, en tant que matière organique, n’a pas eu quel- 
que influence sur les résultats. Il est surtout utile de savoir ce qui 
arriverait si l'on répétait les manipulations sur des ballons pré- 
parés comme on l’a dit, et en éloignant les poussières de l'air. En 
d’autres termes, la manipulalion à laquelle il faut recourir pour 
l'introduction des poussières n’a-t-elle par elle-même aucune in- 
fluence. Il est indispensable de s’en assurer. 

Afin de répondre à ces questions, j'ai remplacé le coton par de 
l'amiante. Les bourres d'amiante, après une exposition de quel- 
ques heures au courant d’air de l’aspirateur (fig. L), ont été intro- 
duites dans des ballons en suivant les indications qui précèdent, 
et elles ont donné des résultats tout à fait de même ordre que ceux 
que nous venons de rapporter. Mais avec des bourres d'amiante 


{1} Je dois dire ici, une fois pour toutes, que j'appelle mucors les produc- 
tions organisées végétales qui se développent de préférence à la surface des 
liquides, et qui offrent un aspect plus ou moins gras ou gélatineux, en pellicules 
minces ou épaisses, humides ou sèches, et quelquefois chagrinées ; mucédinées, 
les moisissures proprement dites dont le mycelium est formé de tubes diverse- 
ment ramifiés, et qui offrent à la surface du liquide des organes de fructifica- 
tion ordinairement colorés sous la forme de poussières, et quelquefois de tubes 
visibles à l'œil nu, terminés par des sporanges comme dans les moisissures les 
plus vulgaires, et enfin torulacées les petites plantes cellulaires non tubulées, 
qui se montrent au fond du liquide où elles se multiplient par bourgeonnement, 
en affectant la forme de précipités, à la manière de la levûre de bière. 


hl L. PASTEUR, 


préalablement calcinées et non chargées de poussière ou chargées 
de poussière, mais chauffées ultérieurement, il ne s’est produit ni 
trouble, ni Infusoires, ni plantes d’aucune sorte. Les liquides ont 
conservé une parfaite limpidité. J'ai répété un grand nombre de 
fois ces expériences comparatives, et j'ai toujours été surpris de 
leur netteté, de leur constance parfaite. Il semblerait, en effet, 
que des expériences de cette délicatesse devraient offrir quelque- 
fois des résultats contradictoires amenés par des causes d’erreur 
accidentelles. Or il ne m'est pas arrivé une seule fois de voir 
réussir les expériences à blanc, comme je n’ai jamais vu l’ense- 
mencement des poussières ne pas fournir des productions orga- 
nisées. 

En présence de tels résultats, confirmés et agrandis par ceux 
des chapitres suivants, je regarde, comme mathématiquement dé- 
montré, que toutes les productions organisées, qui se forment à 
l'air ordinaire dans de l’eau sucrée albumineuse, préalablement 
portée à l’ébullition , ont pour origine les particules solides qui 
sont en suspension dans l’air. 

Mais, d’autre part, nous avons vu au chapitre IT que ces parti- 
cules solides renferment, au milieu d'une foule de débris amor- 
phes : carbonate de chaux, silice, suie, brins de laine, etc., des 
corpuscules organisés qui ressemblent, à s'y méprendre, aux pe- 
tites graines des productions dont nous avons reconnu la forma- 
tion dans cette liqueur. Ces corpuseules sont donc les germes fé- 
conds de ces productions. 

Concluons, en outre, que, si l’air chauffé mis en présence d’une 
conserve d’Appert formée par de l’eau sucrée albumineuse, telle 
que du moût de raisin, ne s’altère pas, ainsi que l’a trouvé le pre- 
mier le docteur Schwann, c’est que la chaleur a détruit les germes 
que cet air charriait. C’est ce que prévoyaient tous les adversaires 
de l’hétérogénie. Je n’ai fait qu'en donner des preuves solides et 
décisives, et obliger les esprits non prévenus de rejeter bien loin 
toute idée de l'existence dans l'air d’un principe plus ou moins 
mystérieux, gaz, fluide, ozone, etc., ayant la propriété de provo- 
quer une organisation quelconque dans les infusions. 

I y aurait ici à traiter une question bien intéressante, sur la- 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. ts) 


quelle je reviendrai dans une publication spéciale, et qui ne man- 
quera pas de surprendre le lecteur. Rien n’est plus propre que la 
liqueur étudiée dans les pages précédentes, à donner naissance 
à la fermentation alcoolique. L'eau de levüre sucrée est constituée 
à la manière du moût de raisin, du moût de bière, du jus de 
betterave, etc... liquides qui, exposés au contact de l’air ordinaire, 
entrent facilement en fermentation. Or, dans un nombre consi- 
dérable d'expériences disposées comme je l'ai dit précédemment, 
et où j'ai semé des poussières de l'air dans de l’eau de levüre 
sucrée, il ne m'est jamais arrivé d’oblenir la fermentation du 
liquide sucré. 

C'est ici le lieu de faire remarquer qu'il n'y a rien de plus 
contraire à la vérité que cette assertion souvent reproduite par les 
partisans de la doctrine des générations spontanées , « que l’appa- 
» rition des premiers organismes est toujours précédée par des 
» phénomènes de fermentation ou de putréfaction, et que la for- 
» mation des Animalcules dans les macérations vient à la suite 
» l’un dégagement de gaz divers dus à la décomposition des sub- 
» stances que l’on a employées, et que c’est après la manifestation 
» de ces phénomènes qu'il se forme à la surface des liquides une 
» pellicule particulière (1). » Aussi, lorsque l’on me parle de 
mouvement fermentescible, que je détermine dans mes liqueurs 
en y semant les poussières, mouvement fermentescible nécessaire 
pour l’évolution des forces génésiques , Je ne vois là que des mots 
vagues, auxquels l'expérience m'apprend à ne prêter aucun sens 
raisonnable. , 


CHAPITRE V. 


Extension des résultats qui précèdent à de nouveaux liquides très altéra- 
rables. — Urine. — Lait. — Eau sucrée albumineuse mêlée de car- 
bonate de chaux. 


$ I. — Urine. 


On sait avec quelle facilité l'urine fraîche s’altère au contact de 
l'air atmosphérique. Le plus ordinairement elle perd son acidité, 


(4) Pouchet, Traité de la génération spontanée, 1859, p. 359 et 383. 


6 L. PASTEUR. 


se trouble, répand une forte odeur ammoniacale, et dépose des 
cristaux de diverses natures. Une étude microscopique attentive 
permet de reconnaître que le trouble de la liqueur, le dépôt qui se 
forme au fond du vase, la pellicule qui souvent recouvre peu à 
peu tout la surface du liquide, sont constitués par des productions 
organisées (1). Voici les plus fréquentes : La pellicule de la Sur- 
face du liquide est souvent une membrane mucorée, formée de 
granulations ou mieux d'articles d’une extrême ténuité ; on dirait 
des amas de Bacterium termo sans mouvement. Cela paraît d’au- 
tant plus probable que, dans cette même pellicule, fourmille cet 
Infusoire, et de très petites Monades se mouvant circularrement 
avec rapidité. Cette pellicule membraneuse tombe en tout ou en 
partie au fond du vase, dès qu’elle devient assez lourde en quelques 
points, puis une nouvelle se reforme, laquelle tombe à son tour ; 
de là l’origine de certains dépôts de l'urine en voie d’altération. 

D'autres fois il se développe à la surface de l'urine des îlots de 
Mucédinées, surtout le Penicillium glaucum qui ne s’y propage 
cependant que péniblement, sans y prendre sa couleur vert 
bleuâtre bien franche. 

Enfin, lorsque la température ambiante ne s’élève pas à plus 
de 15 degrés, l’urine se couvre assez fréquemment d'une pelli- 
cule continue, difficile à déchirer, et qui se reforme aussitôt sans 
solution de continuité, dès que l’on retire la baguette de verre avec 
laquelle on essaye de disjoindre ses parties. Lorsque cette pelli- 
cule prend naissance, il arrive assez souvent que l'urine reste 
acide, et ne se trouble pas sensiblement. 

Cette pellicule est formée par une Mucorée remarquable, fort 
analogue à la Torulacée, figure 45, mais que je crois néanmoins 
différente spécifiquement. Elle est représentée figure 20. Ce sont 
des cellules translucides où le noyau est rarement apparent, se 
multipliant par bourgeonnement. Le diamètre des cellules varie 


de 0°",0045 à 0"*,0065, sensiblement plus petit que celui des 
elobules de levüre de bière. 


(1) Je laisse de côté, bien entendu, les dépôts muqueux, amorphes, qui pren- 
nent naissance dans l'urine par son refroidissement. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. L7 


Quant au dépôt qui prend naissance au fond et sur les parois 
d'un vase d'urine exposée à l'air, il renferme, outre les produc- 
tions tombées de la surface, des cristaux de nature variable. 
Mais ce que je veux surtout faire remarquer, c'est l’existence 
d'une Torulacée en chapelets de très petits grains, fig. 21, 
toutes les fois que la liqueur est devenue ammoniacale par la 
transformation de l’urée. Je suis très porté à croire que cette 
production conslitue un ferment organisé, et qu’il n’y a jamais 
trans{ormation de l’urée en carbonate d'anmoniaque, sans la pré- 
sence et le développement de-ce petit végétal. Cependant mes expé- 
riences sur ce point n'étant pas encore achevées, je dois mettre 
quelque réserve dans mon opinion. Ce que je puis affirmer dans 
tous les cas, c’est l’inexactitude d’un fait qui a été souvent cité dans 
les discussions auxquelles ont donné lieu les théories relatives à 
l'origine des fermentations. Ce fait bien connu consisterait dans la 
décomposition de l’urée, sous l'influence de la fermentation 
alcoolique du sucre. Toutes les fois que j'ai vu l'expérience réussir, 
la levüre de bière s’est trouvée mêlée à la Torulacée en chapelets 
dont je viens de parler, et lorsque la levüre de bière restait ho- 
mogène, sans mélange d’aucune autre production particulière, 
l’urée n’avait éprouvé aucune altération. Le fait qui précède, mieux 
étudié, concorde donc avec les idées nouvelles que j'ai émises 
dans ces dernières années au sujet de l’origine des fermentations 
proprement dites. 

Nous venons de reconnaitre les productions les plus ordinaires 
de l’urine exposée au contact de l'air, et qui s’y montrent simul=- 
tanément ou séparément. Étudions maintenant ce qui se passe 
lorsque l’urine est soumise à l’action de l’air qui a été chaufé. 
Pour cela, reprenons l'appareil de la figure 10. 

De l'urine fraiche filtrée est mise à bouillir pendant deux à trois 
minutes dans le ballon, communiquant avec le tube de platine 
chauffé au rouge. On cesse alors l’ébullition, de manière que le 
ballon refroidi soit rempli d'air calciné sous la pression et à la 
température ordinaire ; puis on le ferme à la lampe, à la naissance 
de la partie effilée de son col. On porte alors le ballon, tel qu’il est 
représenté figure 11, à l’étuve, à la température de 25 à 30 degrés, 


18 L. PASTEUR. 
température si favorable à la putréfaction de l’urine, Il peut y 
séjourner indéfiniment, sans éprouver d'autre altération qu’une 
oxydation lente de la matière albumineuse de l’urine ; du moins, 
l’urine se fonce un peu en couleur avec le temps, et l'analyse de 
l'air du ballon accuse une perte d'oxygène et un gain d’acide 
carbonique. 

Le 14 avril 1860, j'ai analysé l’air d’un ballon préparé comme 
je viens de le dire, et qui était à l’étuve depuis le 13 février Fe la 
même année. L'air renfermait alors : 





Azote, par différence. . , . . . . . . * 76,8 
Oxypenes ne PRIE SIREN RES 
Acide carbonique. . . . . . . . . . 3,9 

100,0 


Mais la limpidité de l'urine reste parfaite, même après dix-huit 
mois, etil n'y apparaît pas la plus petite production animale ou 
végétale : elle conserve également son acidité et son odeur pre- 
mières. 

L'urine, qui a été portée à la température de lébullition, 
n’éprouve danc aucune putréfaction ou fermentation en présence 
de l'air chauffé (1). 


(1) Mais il ne sera pas inutile de faire remarquer encore ici que cette expé- 
rience, effectuée avec l'aide de la cuve à mercure, donne des résultats positifs, 
sans que l'on introduise en apparence rien qui puisse contenir des germes. Que 
l'on prenne, par exemple, le ballon de la figure 114, et que l’on brise sa pointe 
au fond de la cuve à mercure, puis que l’on fasse sortir du gaz afin que le mer- 
cure puisse rentrer ensuile dans le ballon, il arrivera au moins neuf fois sur dix, 
sinon toujours, que des moisissures ou de petits Infusoires apparaîtront dans la 
liqueur. C’est le mercure qui en apporte les germes. 

Je ne rapporterai qu'une expérience de ce genre, 

Le ballon dont il est question dans le texte a été reporté à l’étuve le 44 avril, 
après qu'on eut prélevé sur la cuve à mercure le volume d'air nécessaire à l'ana- 
lyse. Ce ballon était renversé dans un verre à pied sur le mercure. Or, voici ce 
qui se passa : le 416 avril, il y avait au fond de l'urine, à la surface de séparation 
de l'urine et du mercure, douze petites louffes de mycelium. Le liquide avait 
conservé une limpidité parfaite, preuve de l'absence absolue des Infusoires. Le 
21 avril, plusieurs des petites touffes réunies par juxtaposition se sont tellement 
accrues, qu'elles ont atteint la surface de l'urine et que leurs tubes se trouvent 
ainsi en contact avec l'air. Le liquide est toujours d'une parfaite limpidité, Dès 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 19 


Voyons maintenant ce qui arrive à ce liquide, lorsque toutes les 
conditions précédentes sont remplies, et que l’on y dépose les 
poussières qui existent en suspension dans l'air. 

Le 16 mars 1860, j'introduis dans un ballon, contenant de 
l'urine et de l’air chauffé, une petite bourre d’amiante qui avait 
été exposée pendant quelques heures à un courant d’air ordi- 
naire. 

L'introduction des poussières fut pratiquée en suivant la méthode 
de la figure 12, avec toutes les précautions déjà indiquées au pré- 
cédent chapitre. 

Le 47 mars il n’y a ni trouble, ni moisissures, ni Torulacée. 
Pas de cristaux déposés. 

Le 48, pas de moisissure apparente, ni dans je tube, ni ailleurs, 
mais le liquide est trouble, comme cela arrive toutes les fois qu’il 
y a développement d’Infusoires. Ainsi que je lai fait observer, 
. c'estle mouvement même de ces petits êtres qui est la cause du 
trouble de la liqueur. Dès qu'ils périssent par privation d'air, 
ils se rassemblent au fond du vase, comme ferait un précipité, et 
le liquide s’éclaireit. 

Le 19 mars, le trouble existe encore et a déjà formé un 
dépôt très sensible au fond du ballon, dépôt blanc, un peu vis- 
queux. 

Le 20 etle 21 mars, toujours même état. 


le 24 avril au soir, un flot est constitué à la surface du liquide, avec sporanges 
visibles, de couleur verte el rappelant tout à fait le penicillium giaucum. 

Quelques jours après, la Mucédinée occupait plus de la moitié de la surface du 
liquide. J'analyse alors de nouveau le gaz du ballon. Il renfermait : 


Acidegarbonigne., Li... siner sfiante à 19,5 
Azote par différence. . . . . . … . .. 80,5 
GPU) enr PAM SN AR TRE RE 0,0 

100,0 


Remarquons en passant que, d'après cette analyse, une Mucédinée épuise 
par sa végétation jusqu'aux plus petites quantités d'oxygène libre de l'air d'un 
ballon fermé. 

&° série, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 4.) 4 % 


50 L. PASTEUR. 

Le 21 au soir, beaucoup de petits cristaux sont déposés à la 
surface du liquide et tapissent toutes les parois du ballon. Ce 
dépôt de cristaux annonce que le liquide doit être ammoniacal et 
qu’il s’est altéré suivant un des modes ordinaires de putréfaction de 
l'urine, au contact de l’air ordinaire. 

Le 23 mars, j'ouvre le ballon sur le mercure. 1 n’y a pas de 
pression qui annonce qu'il y ait eu dégagement de gaz. Le liquide 
est très sensiblement alealin au papier de tournesol rouge, cepen- 
dant la réaction alcaline, aussi bien que l’action de l'acide chlorhy- 
drique indique, qu'il ne s’est pas encore formé beaucoup de carbo- 
nate d'ammoniaque, L'examen au microscope accuse la formation 
de trois sortes de cristaux, d’une foule de petits Bacteriums dont 
plusieurs encore très agiles, el des monades très pelites qui se 
déplacent suivant des courbes. Il y avait en outre la Torulacée, 
figure 21, en petits grains réunis sous forme de courts chapelets. 
Le résultat de cet examen au microscope est représenté figure 22; 
on a seulement figuré à part les cristaux et les productions orga- 
nisées. 

Le dianètre des grains de la Torulacée en petits chapelets était 
de 0"",0015 environ, C'est le ferment organisé que je regarde 
comme le ferment de l'urine, c’est-à-dire celui qui provoque Ja 
transformation de l’urée en carbonate d’ammoniaque, et qui, ulté- 
. rieurement par le fait de l’acalinité qui en résulte, amène ledépôt 
des urates alcalins et du phosphate ammoniaco-magnésien. 

L’urine, abandonnée à elle-même et qui reste acide, laisse bien 
déposer des cristaux, mais ce sont des cristaux d'acide urique. 
J'ai dessiné, figure 25, des cristaux de cet acide, déposés dans 
de l'urine qui était restée acide pendant quinze jours, à la tempé- 
rature de 11 degrés, et à la surface de laquelle n’avait pris nais- 
sance que la mucorée déjà représentée figure 20. 

Je pourrais mulliplier beaucoup les exemples d’altération de 
l'urine en présence de l'air chauffé, sous l'influence des poussières 
qui existent dans l'air ordinaire, mais cela aurait peu d’utilité (4): 

{1) Je citerai cependant encore une expérience choisie parmi celles qui ont 


donné en premier lieu des Mucédinées, avant toute formation d'Infusoires, 
Le 2 mai 1860, je dépose dans un ballon conservé, à l'aide de la méthode 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 51 
Bacteriums, Monades, Mucédinées, Torulacées diverses, voilà tou- 
jours cequel'on observe. Cependant les Mucélinées sont en général 
moins fréquentes que dans les expériences avee Feau sucrée albu- 
mineuse. Ce qu'il faut surtout remarquer, c’est qu'il n’y a pas plus 
de variété dans les productions qu'offre l'urine exposée à l'air ordi- 
paire, qu'il n'y en a dans celles de l'urine exposée à l'air chauffé, 
sous l'influence des poussières qui flottent dans l'air. La différence, 
si elle existe, est plutôt en faveur du second mode d’expérimen- 
tation. 

Notre conclusion sera donc que toutes les fois que l'urine s’al- 
tère au contact de l'air ordinaire, c’est par le fait des poussières 
solides que l'air charrie et qui tombent dans le liquide. 

Nous pouvons déjà remarquer par les détails des expériences 
que j'ai rapportées jusqu'ici, combien est fréquente la formation 
des plus petits des infusoires et surtout du Bacierium termo, qui 
se montre dans toutes sortes d’infusions et qui apparait presque 
toujours avant les autres Infusoires. Cet Infusoire est si pelit qu'on 
ne saurait distinguer son germe et encore moins assigner la pré- 
sence de ce germe, s’il était connu, parmi les corpuscules orga- 
nisés des poussières en suspension dans l'air. Mais commeni 
n'existerait-1l pas dans l'air, lui qui est partout à profusion? Je n’en 
veux d’autres preuves que celles que l’on peut déduire de examen 
microscopique d’une foule de substances en putréfaction. Que l'on 
se rappelle également les observations de Leewenhoeck sur les 


indiquée figure 12, une très petite portion de bourre de coton chargée de pous- 
sières de l'air. 

Le 4 mai, à huit heures du matin, une touffe de mycéiium en tubes très 
Jâches flotte dans le liquide, qui a conservé toute sa limpidité. Le même jour, à 
sept heures du soir, apparaissent en outre trois trainées d'un blanc opaque, su. 
les parois du fond du ballon, 

Le 5 mai, le développement des productions de la veille continue. Le liquide 

“st toujours d'une parfaite limpidité. Même état le 6 et le 7 mai, Du 7 au 8, le 
uide se trouble uniformément par l'apparition de petits Bacteriums, et les 
moisissures restent stationnaires à partir de ce moment par privation d'oxygène. 
Le 9 et les jours suivants, des cristaux commencent à se déposer sur les parois 
du ballon, 


52 L. PASTEUR. 


Infusoires de la matière blanche qui s'amasse entre les dents, et 
qui ne fait défaut dans la bouche de personne, quel que soit le 
soin que l'on prenne à tenir ses dents dans un état de propreté 
aussi parfait que possible. Les Bacteriums fourmillent dans la 
plus petite parcelle de cette matière. On les retrouve en grande 
quantité dans le canal intestinal et les matières des excré— 


ments (1). 
$ II. — Lait. — Eau sucrée albumineuse avec carbonate de chaux. 


L'étude du lait et de quelques autres liquides va nous offrir des 
résultats qui paraîtront au premier abord singulièrement embar- 


(4) M. Pouchet a souvent rappelé, sous forme d'objection aux idées que je 
défends dans ce mémoire, que dans les vaisseaux clos, ce sont toujours les plus 
petits Infusoires qui prennent naissance. Cela est vrai, et cette remarque méri- 
terait un examen sérieux, s’il était prouvé qu'une même liqueur donne au con- 
tact de l'air ordinaire de gros Infusoires, tandis qu'elle en fournit seulement de 
très petits dans un ballon, en présence de l'air chauffé. Mais cela n'est pas. Etsi 
M. Pouchet connaît une liqueur qui, après avoir subi la température de l'ébullition 
à 100 degrés, donne naissance, après deux ou trois jours seulement, à de gros Infu- 
soires, lorsqu'elle est exposée à l'air libre, j'affirme que je pourrai y faire naître 
ces mêmes gros Infusoires, en opérant dans des ballons, au contact de l’air chauffé, 
et par l'influence seule des poussières qui sont en suspension dans l'air. Si, au 
contraire, celte liqueur ne donne de gros Infusoires qu'après un temps assez 
long, et après qu'il y aura eu succession dans la liqueur de plusieurs générations 
des petits Infusoires, la difficulté de faire naître les gros dans un volume limité 
d'air, tiendra simplement à ce que l'air altéré par le développement des premiers 
et très pelits Infusoires, et ayant perdu tout son oxygène, l’éclosion des germes 
des gros Infusoires ne pourra plus avoir lieu. Mais la difficulté pourra étre 
levée facilement, dans ce cas, si l'on s'arrange de manière à renouveler l’air 
chauffé dans le ballon. i 

En opérant comme je l'ai dit, je n'ai pas vu naître de gros Infusoires dans 
l'eau sucrée albumineuse, ou dans l'urine, préalablement portées à l'ébullition.: 
Je n'ai vu ni Kolpodes, ni Vorticelles, ni Paramécies... Mais je n'ai pas davan- 
tage aperçu ces Infusoires dans ces mêmes liqueurs, lorsqu'elles étaient exposées 
au libre contact de l'air, et il est juste que l'on ne m'invite pas à faire appa-! 
raître dans mes expériences des Infusoires de nature plus diverse que celle que 
l'on observe dans les essais à l'air libre, toutes choses égales d'ailleurs, 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. Dà 


rassants. Lorsqu'il s’est agi dans les chapitres précédents de l’eau 
de levüre sucrée et de l’urine, nous avons reconnu que ces liquides, 
portés à la température de l’ébullition à 400 degrés pendant deux 
ou trois minutes, puis exposés au contact de l’air qui a subi la 
température rouge, n’éprouvent aucune altération. L'expérience, 
conduite comme je l'ai décrite en se servantde l’appareil figure 10, 
n’est jamais en défaut. 

Cela posé, si l’on répète celte même expérience sur le lait or- 
dinaire, on peul être assuré que le lait se caillera et se putréfiera 
constamment. 

Le 10 avril 1860, je prépare un ballon de lait avec l’appareil 
de la figure 40. L’ébullition a duré deux minutes, depuis le moment 
où la vapeur d’eau avait déjà assez échauffé la partie effilée du col 
pour que l’on ne puisse y tenir la main. Après le refroidissement 
du liquide, on ferme à la lampe le col du ballon comme à l’ordi- 
naire, et on le porte dans une étuve à la température de 95 à 
30 degrés. 

Le 17 avril, le lait de ce ballon est caillé. Aucune apparence 
de dégagement de gaz. Je détache le col par un trait de lime. 
Faible odeur de lait caillé. Le petit-lait est alcalin autant que le lait 
frais. Examiné au microscope , je le trouve rempli de Vibrions 
d’une même espèce, mais de longueurs très variables, Ils ont un 
mouvement lent, flexueux; il n’y a pas du tout de Bacterium 
termo, ni aucune autre production animale ou végétale. Il n'est 
donc pas douteux que le lait s’est caillé sous l’influence de la vie 
de ces Vibrions, peut-être par le fait de la production d’un liquide 
analogue à la présure. Une foule de ces Vibrions avaient jus- 
qu'à 0°",05 ; les plus petits avaient 0"°,004 de longueur. Beau- 
coup étaient sans mouvements. 

L'analyse de l'air du ballon à donné : 


Dayeèneir.2 shol: silrs etes dt Li 0,8 
Acidetearhonique. 41.1 20, pe meute ve 17,2 
HUGrOPÉNE 4 ele j. “ed 0,2 


A701O HAN CINeENCEEs EN ce, 81,8 


5l L. PASIEUR, 


I] résulte de cette analyse que l'oxygène avait en grande partie 
disparu, et avait été remplacé par de l'acide carbonique, sans nul 
doute sous l'influence de la respiration des Vibrions. Le fait de 
l'existence des Vibrions encore vivants à l'ouverture du ballon, 
bien qu'il n’y eût pas un centième d'oxygène, montre que la vie 
de ces petits êtres se poursuit tant qu'il y a de l'oxygène, et lors 
même que la proportion d'acide carbonique est considérable. Nous 
avons déjà constaté un fait de même ordre pour les Mucédinées à 
la page 49. 

Bien que le lait de ce ballon ait mis sept jours à se cailler, du 
10 au 47 avril, il ne faut pas en conclure que le phénomène ne 
s'est manifesté qu'après sept jours. Si l’on avait ouvert le ballon 
le 42, le 43 avril, on aurait reconnu déjà la présence des Infusoires 
et un commencement très faible de coagulation. 

La coagulation se manifeste en général de trois à dix jours; 
mais je l'ai vue dans un cas ne se déclarer qu'après un mois 
de séjour à l’étuve, du 14 mars au 46 avril. Cela indique seule- 
ment que les Infusoires se sont multipliés péniblement et lente- 
ment. 

Les expériences dont nous venons de parler m'ont toujours 
offert des résultats analogues. Le lait soumis à l’ébullition à 
400 degrés, et abandonné au contact de l'air chauffé, se remplit 
après quelques jours de petits Infusoires, le plus souvent d’une 
variété de 7/ibrio lineola, Big. 24, et de Bacteriums, ct, tout en 
conservant son alcalinité, il se caille. 

Je n'ai jamais vu se former dans le lait ainsi traité autre chose 
que des Vibrions et des Bacleriums, aucune Mucédinée, aucune 
Torulacée, aucun ferment végétal. Il n’y a pas de doute que cela 
tient à ce que les germes de ces dernières productions ne peu- 
vent résister à 100 degrés au sein de l’eau, ce que j'ai d’ailleurs 
constaté par des expériences directes. Et de même nous allons re- 
connaître que, si le lait se putréfie dans les circonstances précé- 
dentes, c'est que les germes des Infusoires dont nous venons de 
parler peuvent résister à la température humide de 100 degrés, 
lorsque le liquide où on les chauffe jouit de certaines pro- 
priétés. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 50 

Pour ce qui est de la coagulation du lait, nous voyons par ces 
expériences que le lait abandonné au contact de l’air se caille sous 
deux influences très différentes. Il peut se caillec par le fait du 
développement d'Infusoires, phénomène qui rentre probablement 
dans les cas de coagulation du lait par la présure. 1 y a lieu de 
rechercher si, par suile de la vie des Infusoires, il prend nais- 
sance dans un liquide analogue à celui des présures naturelles ou 
artificielles, qui peuvent, elles aussi, produire la coagulation sans 
acidité, I y a d'autre part la coagulation du lait sous l'influence 
de l'acide lactique. Lorsque le lait frais, non bouilli, est abandonné 
au contact de l’air, la coagulation est due le plus souvent à cette 
seconde cause. Quant à l'acidité elle-même, elle est occasionnée 
par le développement de ferments végétaux, particulièrement le 
ferment lactique, qui transforment le sucre de lait en acide lactique 
ou en d’autres acides, ferments qui ne peuvent prendre naissance 
lorsque le lait a été bouilli, et qu’il est exposé à l’air chauffé, parce 
que les germes de ces ferments ne résistent pas à 100 degrés. 

J'ai dit que la putréfaction du lait qui a été chauffé à 100 degrés, 
et qui se trouve exposé à l'air calciné, était due à ce que, dans 
certains cas, les germes des Vibrions résistaient à la température 
de 100 degrés. I est facile de s’en convaincre. Reprenons, 
en effet, l'appareil de la figure 40, et faisons bouillir le lait à 
une température un peu supérieure à 400 degrés, 110 degrés 
au maximum, en adaptant à l'extrémité gauche du tube de pla- 
tine le tube de verre de la figure 10 bis, plongeant de 40 à 
50 centimètres dans le mercure de la longue cuvette que repré- 
sente cette même figure. Détachons ce tube de verre lorsque 
l'ébullition du lait aura duré seulement une minute ou deux; puis 
fermons à la lampe le col du ballon comme nous l’avons toujours 
fait. Ces ballons ainsi préparés pourront alors rester indéfiniment 
à l’étuve, sans jamais donner lieu à la moindre production, moi- 
sissure ou Infusoire quelconques. 

Le lait conserve sa saveur, son odeur et toutes ses qualités 
Il est surprenant que sa matière grasse ne s’oxyde pas plus 
rapidement en présence d’un volume d’air aussi considerable. 
Cette oxydation existe cependant, mais elle est très faihle. Voicr 


56 L. PASTEUR. 
l’analyse de l'air d’un ballon qui était resté quarante jours à l’é- 
tuve : 


REA ANT PT SR se en» 18,37 
ACIAD LATPORIQUEs ICS MRERNRN EEE UT, 0,46 
Azote par différence. . . . . . . . . . . 81,47 

100,00 


Sous l'influence de cette oxydation directe, la crème se gru-- 
melle un peu, et communique au lait une légère saveur de suif. 

Ainsi donc la putréfaction du lait, bouilli à 100 degrés et exposé 
à l’air chauffé, n’était qu'un accident provoqué par ce fait, que la 
température de l’ébullition n’avait pas été assez élevée. 11 suffit de 
la pratiquer à 100 et quelques degrés, et rnême quelquefois de la 
prolonger à 100 degrés, pour que les résultats aient toute la 
netteté et toute la précision de ceux que nous avons déjà obtenus 
en opérant sur l’eau de levüre sucrée et sur l’urine. 

Mais, dira-t-on, comment se fait-il que l’eau de levüre sucrée 
et l'urine n'aient besoin de subir qu’une ébullition à 400 de- 
grés, pour que jamais on n’y voie apparaître des Vibrions au con- 
tact de l’air chauffé. Nous allons reconnaître que cela est dû vrai- 
semblablement à ce que ces liquides sont très faiblement acides, 
tandis que le lait est alcalin. En effet, j'ai reconnu que l’on peut 
faire produire des Vibrions, à l’eau de levüre sucrée, au contact de 
l'air calciné. Il suffit de faire bouillir la liqueur à 100 degrés en 
présence d’un peu de carbonate de chaux, qui rend la liqueur 
neutre ou légèrement alcaline. 

Le 21 mars 1860, je prépare six ballons à l’aide de l’appareil 
figure 10, chacun d'eux renferme : 


40 grammes de sucre. 
100 cent. cubes d’eau de levüre de bière (0,5 de matière solide). 
A gramme de carbonate de chaux. 

” Après les avoir remplis d’air calciné, je les ferme à la lampe 
d’émailleur, et je les dépose à l’étuve. 

Le 25 mars, le liquide de ces ballons est trouble, et tout 
annonce qu'ils renferment des Infusoires. Le trouble a commencé 
pour trois d'entre eux dès le 23 mars. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 7 


J'ouvre un de ces ballons le 25 mars, et je trouve, en effet, le 
liquide rempli de très petits Vibrions dont plusieurs se meuvent 
visiblement, quoique avec beaucoup de lenteur; ils sont comme 
malades. Le 5 avril, les quatre ballons qui n’ont pas été ouverts 
montrent à leur surface un mucor gélatineux, épais, chagriné et 
de couleur rougeâtre. Au microscope, ce mucor est constitué par 
un amas de granulations d’une extrême ténuité. Au fond du liquide 
se trouve un dépôt de cadavres de petits Vibrions. Je pense que 
ce mucor est une espèce cryptogamique végétale indépendante de 
la production des Vibrions, et que, conséquemment, le germe de 
ce mucor particulier, aussi bien que le germe des Vibrions a ré- 
sisté dans ces conditions particulières à la température de 100 de- 
grés pendant deux à trois minutes. 

Si maintenant nous répétons ces mêmes essais en faisant bouillir 
le liquide à 405 degrés seulement, comme nous l'avons fait tout à 
l'heure pour le lait, dans aucun cas on ne verra se former le 
moindre trouble, ni mucorée quelconque. Dès lors, il n’est pas 
douteux que si le lait s’altère en présence de l'air calciné, lorsqu'il 
n'a subi qu’une ébullition à 100 degrés, c’est qu’il est légèrement 
alcalin, puisqu'il suffit d'ajouter un peu de craie à l'eau de levûre 
sucrée pour lui communiquer les mêmes propriétés, propriétés 
qu’elle n’a jamais si elle est mise à bouillir sans addition de craie. 

Mais poursuivons ces éludes, et voyons ce qui arrive, en pré- 
sence de l'air calciné, lorsque l’on sème les poussières de l'air 
dans du lait conservé intact par une ébullition à 400 et quelques 
degrés. 

Le 7 avril 1860, je fais passer dans un ballon, dont le lait 
bouilli à 108 degrés est resté sans altération depuis deux mois, 
une portion d’une petite bourre d'amiante chargée des poussières 
en suspension dans l’air. 

Le 9 et le 10 avril, le lait paraît intact. Mais déjà le 10 avril au 
soir, la couche crémeuse de la surface emprisonne des bulles de 
gaz. J'agite pour les faire disparaître ; deux heures après de nou- 
velles bulles sont déjà reformées. Le 41, la fermentation continue 
à se manifester par des bulles de gaz; maisle lait n’est pas caillé. 
Le 12, même état que la veille. 


98 L. PASTEUR, - 

Le 15 avril, le lait, sans être caillé, paraît éclairci, J'ouvre le 
ballon sur la cuve à mercure, afin d’en étudier le contenu. Une 
quantité notable de gaz sort avec force du ballon; 1l est donc 
certain qu'il y a eu fermentalion. Cependant le liquide n’est pas 
acide ; ila même encore au papier de tournesol rouge un soupçon 
d’alcalinité. Son odeur est faible, quoique sensible et toute parti- 
culière ; c’est l'odeur du lait aigre, ou plus exactement l'odeur des 
petits enfants à la mamelle lorsqu'ils sont mal soignés. Ea saveur 
du lait est douce en premier lieu, puis elle fait bientôt place à une 
autre saveur très désagréable qui a quelque chose d’amer et de 
poivré. Exposé pendant quelques instants au bain-marie, le lait 
se caille aussitôt en donnant un pelit-lait tout opaque. Au micro- 
scope, on voit mêlés aux globules de beurre une foule de petits 
articles souvent étranglés au milieu : c’est la variété allongée du 
Bacterium termo qui élait mêlée, en outre, au Wibrio lineola de 
petite dimension. Tous sont sans mouvement. On voit d'autre part 
une foule d'articles d’un diamètre presque double, caractérisés par 
une espèce de tête sphérique à une extrémité. Leur nombre est 
au moins égal à celui des Bacteriums et des Vibrions, Comme eux, 
ils sont sans mouvements apparents. 

Voici l'analyse du gaz : 


Gay Éene Late latte 2: OLIS Lin 19 4 2,3 
Acide carbonique. . . .. . . . . . . . : : 28,6 
PUR d'A tE A et apate Do 11,0 
Azote par différence. . . . , . . . . .-. . 58,1 

100,0 


J'ai répété celte expérience à diverses reprises sur le lait ou sur 
l'eau de levüre sucrée mêlée de carbonate de chaux ; elle a tou- 
jours donné des résultats analogues , c’est-à-dire qu’il ne m'est 
jamais arrivé de semer les poussières de l'air dans des liqueurs 
conservées intactes par le moyen que j'ai indiqué, sans voir appa- 
raître au bout de très peu de jours soit des Mucors ou Mucédinées 
diverses, soit des Infusoires. 11 résulte de là que, si le lait bouilli à 
100 et quelques degrés ne s’alière ni ne se caille au contact de 
l'air chauffé, ce n’est pas qu’il en ait perdu la propriété, puisqu'il 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 09 
suffit d'y déposer des poussières recueillies dans l'air ordinaire, 
pour le voir donner lieu à des productions organisées de même 
ordre que celles que le lait frais montre, au bout de quelques 
jours, quand on l’expose à l'air ordinaire. Conséquemment, 
s'il se putréfie, et présente des Infusoires au contact de l'air 
chauffé, lorsqu'il n’a été bouilli qu’à 100 degrés, c’est évidem- 
ment que les germes de ces Infusoires résistent à la température 
de 100 degrés pendant quelques minutes. L'expérience suivante 
achèvera d’en donner une preuve directe. 

Un ballon de Jait est conservé intact depuis deux mois en pré- 
sence de l’air calciné. J'y dépose des poussières de l’air en suivant 
la méthode indiquée figure 42, et décrite au chapitre IV. Je re- 
ferme immédiatement le ballon à la lampe, et je le porte tout entier 
dans une marmite pleine d’eau en ébullition: vive. Je l’y ai laissé 
cinq minutes, et je l'ai retiré alors pour le porter à l’étuve : c'était 
le 24 juillet 1860. Le 30 juillet, il commence visiblement à se 
cailler ; le 34, il l’est complétement. Je l’ouvre alors pour étudier 
le liquide au microscope; jy découvre une foule de Bacteriums et 
de Vibrions très agiles. Au papier de tournesol rouge, le petit-lait 
a conservé toute son alcalinité première. 

J'aurais bien désiré rechercher quelle est la véritable origine des 
germes des Vibrions qui apparaissent dans le lait bouilli à 100 de- 
grés, puis expose à l'air calciné. Ces germes existent-ils dans le lait 
naturel? Cela n’est pas impossible, Cependant je suis plus porté à 
croire qu'ils appartiennent simplement aux poussières qui tombent 
dans le lait pendant et après la traite, ou qui se trouvent toujours 
dans les vases employés pour recueillir le lait. J'ai rencontré des 
difficultés que je n’ai pas encore levées, pour introduire dans mes 
ballons, cn présence de l'air chauffé, du lait naturel, n'ayant eu 
aucun contact avec l'air ordinaire. J'ai pu réaliser convenable- 
ment l'expérience avec l'urine, et j'ai vu qu'elle restait tout à fait 
sans altération au contact de l'air calciné, bien qu'elle n’eût subi 
aucune élévation de température. Néanmoins, ce sont des expé- 
riences que je me propose de reprendre et de suivre avec des 
soins particuliers. Tout le monde en comprendra l'importance. 


60 L. PASTEUR. 


CHAPITRE VI. 


Autre méthode très simple pour démontrer que toutes les productiens 
organisées des infusions (préalablement chauffées), ont pour origine les 
corpuscules qui existent en suspension dans l’air atmosphérique. 


Je crois avoir établi rigoureusement dans les chapitres précé- 
dents que toutes les productions organisées des infusions, préala- 
blement chauffées, n'ont d'autre origine que les particules solides 
que l'air charrie toujours et qu’il laisse constamment déposer sur 
tous les objets. S'il pouvait rester encore le moindre doute à cet 
égard dans l'esprit du lecteur, il serait levé par les expériences 
dont je vais parler. 

Je place dans un ballon de verre une des liqueurs suivantes, 
toutes fort altérables au contact de l’air ordinaire, eau de levüre de 
bière, eau de levüre de bière sucrée, urine, jus de betteraves, eau 
de poivre ; puis j'étire à la lampe le col du ballon de manière à 
lui donner diverses courbures, comme l'indique, la figure 25. 
Je porte ensuite le liquide à l'ébullition pendant quelques 
minutes jusqu'à ce que la vapeur d'eau sorte abondamment 
par l'extrémité du col effilé restée ouverte, sans autre précaution, 
Je laisse alors refroidir le ballon. Chose singulière, bien faile pour 
étonner toute personne habituée à la délicatesse des expériences 
relatives aux générations dites spontanées, le liquide de ce ballon 
restera indéfiniment sans altération. On peut le manier sans aucune 
crainte, le transporter d’un lieu à un autre, lui laisser subir toutes 
les variations de température des saisons, et son liquide n’éprouve 
pas la plus légère altération et conserve son odeur, et sa saveur ; 
c’est une conserve d’Appert excellente. Il n’y aura d’autre change- 
ment dans sa nature que celle que peut apporter, dans certains 
cas, une oxydation directe, purement chimique de la matière. Mais 
nous avons vu par les analyses que j'ai fait connaitre dans ce 
mémoire, combien cette action de l'oxygène était bornée, toutes 
les fois qu’il n’y avait pas de productions organisées développées 
dans les liqueurs. 

I semble que l’air ordinaire rentrant avec force dans les 


SUR LA DOCTRINE DES CÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 61 


premiers moments doit arriver tout brut dans le ballon. Cela est 
vrai, mais il rencontre un liquide encore voisin de la température 
de l’ébullition. La rentrée de l'air se fait ensuite avec plus de len- 
teur ct, lorsque le liquide est assez refroidi pour ne plus pouvoir 
enlever aux germes leur vitalité, la rentrée de l’air est assez ralentie 
pour qu’il abandonne dans les courbures humides du col toutes les 
poussières capables d'agir sur les infusions et d'y déterminer des 
productions organisées. Du moins, je ne vois pas d'autre explica- 
tion possible à ces curieuses expériences. Que si, après un ou 
plusieurs mois de séjour à l’étuve, on détache le col du ballon par 
un trait de lime, sans toucher autrement au ballon, figure 26, 
et après vingt-quatre, trente-six ou quarante-huit heures, les 
moisissures et les Infusoires commenceront à se montrer abso- 
lument comme à l'ordinaire, ou comme si l'on avait semé 
dans le ballon les poussières de l’air, suivant la méthode de la 
figure 42. 

Les mêmes expériences peuvent se répéter sur le lait, pourvu 
qu’on ait la précaution de produire l’ébullition sous pression à la 
température de 400 et quelques degrés, à l’aide de l'appareil 
figure 40 et figure 10 bis, et de laisser le ballon se refroidir pen- 
dant qu’il y rentre de l'air calciné. On peut alors abandonner 
le ballon ouvert à lui-même. Le lait se conserve sans altération. 
J'ai pu laisser plusieurs mois à l'étuve de 25 à 30 degrés, du lait 
préparé de cette manière, sans qu'il s’altère. On constate seule- 
ment un léger épaississement de la crème dû à une oxydation 
chimique directe. 

Je ne connais rien de plus probant que ces expériences si faciles 
àrépéter et que l’on peut varier de mille façons. Je croyais à l’ori- 
gine qu'il était indispensable, soit de faire rentrer de l'air calciné, 
une première fois, pendant le refroidissement du liquide du bal- 
Jon, soit de maintenir le ballon constamment à la même tempéra- 
ture afin que l’air extérieur ordinaire ne püt en quelque sorte 
rentrer dans le ballon que par diffusion lente; mais j'ai reconnu 
ensuite que toutes ces précautions étaient exagérées. Dans les chan- 
gements de température, le mouvement de l'air ne se fait sentir 
que dans le col avec quelque intensité, et c’est là seulement qu'il 


62 L. PASTEUR. 

peut y avoir dépôt des germes que l'air transporte. On n'arrive à 
provoquer des productions organisées dans le liquide que par une 
très brusque agitation du liquide. Un autre moyen qui réussit le 
plus souvent pour déterminer l'apparition des productions, consiste 
à fermer l'extrémité effilée du ballon aussitôt après ou mieux pen- : 
dant l’ébullition. Le vide se fait ensuite par la condensatien de la 
vapeur d’eau, Alors, on débouchel’extrémité fermée du col recour - 
bé, l’air extérieur rentre avec force, emportant avec lui toutes ses 
poussières jusqu'au contact du liquide. Dans ce cas une altération 
du liquide se manifeste le plus souvent au bout de quelques jours. 

Je dois ajouter que j'ai en ce moment dans mon laboratoire plu- 
sieurs liqueurs très altérables conservées depuis dix-huit mois 
dans des vases ouverts à cols recourbés et inclinés, notamment 
plusieurs de ceux qui ont été déposés sur le bureau de l’Académie 
des sciences, dans sa séance du 6 février 1860, lorsque j'ai eu 
l'honneur de lui faire connaitre ces nouveaux résultats. 

Le grand intérêt de cette méthode, c'est qu'elle achève de prou- 
ver sans réplique que l’origine de la vie dans les infusions qui ont 
été portées à l’ébullition, est uniquement due aux particules solides 
en suspension dans l’air. Gaz, fluides divers, électricité, magné- 
tisme, ozone, choses connues ou choses ocultes, il n’y a absolu- 
ment rien dans l’air atmosphérique ordinaire qui, en dehors de 
ses particules solides, soit la condition de la putréfaction ou de la 
fermentation des liquides que nous avons étudiés. 

Le docteur Schwann, et ceux qui ont répété ou modifié ses 
expériences, ainsi que je l'ai déjà dit, avaient élabli que ce n'est 
pas l’oxygène, ou du moins l'oxygène seul qui est la condition de 
la vie dans les infusions, mais quelque chose, un principe inconnu, 
que la chaleur détruit (Schwann), que le coton détruit (Schræder 
et Dusch), que détruisent les réactifs chimiques énergiques 
(Schultze). Là s'arrêtait l'expérience. Ces incertitudes et ces hési- 
tations dont nous(rouvons la trace dansle mémoire de M. Schwann 
el surtout dans les travaux de M. Schrüder, aulorisaient, soit l'hy- 
pothèse des germes disséminés, soit l'hypothèse de l'existence 
dans l'air d’un principe chimique ou physique, conclusion à 
laquelle M. Schrüder s'était arrêté. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 63 

Dans des recherches de cette nature, où l'esprit est dominé à 
son insu par le mystère impénétrable de l'origine de la vie à la 
surface du globe, je ne crois pas qu'il puisse y avoir d’hypothèses, 
si étranges soient-elles, qui ne trouvent crédit. On ne peut parve- 
nir à les éloigner que par des faits bien étudiés et rigoureusement 
démontrés. Il faut instituer, comme le dit avec autant de justesse 
que d'autorité, la commission du prix proposé par l’Académie, 
« instituer des expériences précises, rigoureuses, également étu- 
» diées dans toutes leurs circonstances, et telles en un mot qu'il 
» puisse en être déduit quelque résultat dégagé de toute confusion 
» née des expériences mêmes. » 

Je me suis efforcé de donner ce caractère à mes expériences. 
Si je ne me trompe, celles que j'ai fait connaitre dans les chapitres 
précédents prouvent réellement ce qu’elles ontla prétention de 
prouver et qui se résume dans cette double proposition : 

4° Il ya constamment dans l'air des corpuscules organisés qu'on 
ne peut distinguer des véritables germes des organismes des 
infusions ; 

2 Lorsqu'on sème ces corpuscules et les débris amorphes qui 
leur sont associés, dans des liqueurs qui ont été soumises à l’ébul- 
lition et qui resteraient inlactes dans l'air préalablement chauffé si 
l'on n’y pratiquait pas cet ensemencement, on voit apparaitre dans 
ces liqueurs exactement les mêmes êtres qu’elles développent à 
l'air libre (4). 

Cela posé, un partisan des générations spontanées veut-il con- 
tinuer à soutenir ses principes, même en présence de cette double 


(1) Le lecteur remarquera le soin que je mets à indiquer toujours qu'il s'agit 
dans mes expériences d’infusions qui ont été portées à lébullition. J'espère pou- 
voir rechercher bientôt les effets de l'air calciné sur les liquides bruts de l’éco- 
nomie animale, tels que le sang, le lait, l'urine, ou sur les jus bruts des végé- 
taux. On sait que la plupart des substances solubles ou insolubles qu'élaborent 
les animaux et les végétaux, possèdent certaines propriétés spéciales, qu'elles 
perdent sons l'influence d'une température plus ou moins élevée. Ces matières, 
au nombre desquelles se trouvent les produits du genre de la pepsine, de la 
diastase.…, n'interviennent-elles pas dans le développement ou dans les modifi- 
cations morphologiques des êtres inférieurs? C’est une question qu’il me paraît 
utile d'examiner, et que j'aborderai prochainement. | 


64 L. PASTEUR. 
proposition ? Il le peut encore; mais alors son raisonnement sera 
forcément celui-ci, et j'en laisse juge le lecteur : 

«Il y a dans l’air, dira-t-il, des particules solides, telles que 
carbonate de chaux, silice, suie, brins delaine, de coton, fécule.…, 
et à côté des corpuseules organisés d’une parfaite ressemblance 
avec les spores des Mucédinées ou avec les œufs des Infusoires. 
Eh bien! je préfère placer l’origine des Mucédinées et des Infu- 
soires dans les premiers corpuscules amorphes plutôt que dans les 
seconds. » 

A mon avis, l'inconséquence d’un pareil raisonnement ressort 
d'elle-même. Tout le progrès de mes recherches consiste à y avoir 
acculé les partisans de la doctrine de l’hétérogénie. 


CHAPITRE VII 


11 n’est pas exact que la plus petile quantité d’air ordinaire suffise pour 
faire naître dans une infusion les productions organisées propres à 
cette infusion, — Expériences sur l’air de localités diverses. — [ncon- 
vénients de l'emploi de la cuve à mercure dans les expériences rela- 
tives aux générations dites spontanées. 


J'ai déjà indiqué dans la partie historique de ce mémoire l'in- 
fluence qu'avait eue, dans le sujet qui nous occupe, un travail 
célèbre de Gay-Lussac relatif à l’air des conserves d’Appert, et à 
l'interprétation que l’illustre physicien avait déduite de ses expé- 
riences. Voici ses propres expressions : 

«On peut se convaincre en analysant l’air des bouteilles, dans 
» lesquelles les substances ont été bien conservées, qu’il ne con- 
» tient plus d'oxygène, et que l'absence de ce gaz est par consé- 
» quent une condition nécessaire pour la conservation des sub- 
» stances animales et végétales. » 

Que l'air des conserves étudiées par Gay-Lussac fût privé 
d'oxygène, il n’y a pas à en douter. Personne n’oserait suspecter 
l'exactitude d’une analyse d’air faite par Gay-Lussac. Cependant il 
n’est pas douteux aujourd'hui, bien que personne, à ma connais- 
sance, n'ait repris avec suile ces expériences de Gay-Lussac, que 
les conserves d’Appert peuvent renfermer de l'oxygène, surtout 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 65 
lorsqu'elles sont de nouvelle préparation. Il résulte des analyses 
d'air que j'ai rapportées pages 32, 48, 56, que l'oxygène de l'air 
rendu inactif par la chaleur, selon la méthode de Schwann, se 
combine directement avec les matières organiques, et en dégage 
de l'acide carbonique, mais c’est une action très lente. Néanmoins. 
le fait d’oxydation directe existe, il n’y a pas à le nier. Cette oxyda- 
tion peut être plus sensible dans les conserves d’Appert, au mo- 
ment où on les prépare, à cause de l'élévation de la température. 
Dans tous les cas, si là préparation y laisse de l'oxygène, ce gaz 
disparaïtra peu à peu par l'effet de cette oxydation directe dont 
je viens de parler. Il y a une circonstance qui doit contribuer 
beaucoup à rendre très faible ou nulle la quantité d'oxygène res- 
lant dans les conserves d’Appert : c’est le rapport des volumes 
d'air et de matière organique. Elles contiennent toujours peu 
d'air et beaucoup de matière, circonstance très favorable pour 
que le phénomène d'oxydation s'achève. Mais, je le répète, 
rien ne serait plus facile que de préparer des conserves en \ 
laissant de l'oxygène, et il y a lieu de croire que souvent elles en 
renferment. L'expérience de Schwann ne laisse aucun doute à 
cel égard. 

C'est pourquoi l'interprétation donnée par Gay-Lussac aux 
résultats de ses analyses, à savoir que l'absence de ce gaz est une 
condition de la conservation, est tout à fait erronée. Tout le monde 
n'a pas su faire ce départ entre la vérité des faits observés par 
Gay-Lussac et l'erreur de son interprétation. Le docteur Schwann 
doit être regardé à juste titre comme l’auteur de la véritable 
théorie des procédés d’Appert, Les conserves d'Appert continuent 
de se conserver en présence de l'air chauffé : voilà sa découverte. 
Le secret de leur conservation est donc dans la destruction par la 
chaleur d’un principe que l'air ordinaire renferme, et non dans 
l'absence de l'oxygène (1). 


(1) Bien que le fait de l'absence du gaz oxygène n'ait pas à intervenir dans 
l'explication du procédé, il ne faudrait pas en conclure que l'on pourrait dans la 
pralique laisser sans danger beaucoup d'air dans les conserves. Car si Ja cha- 
leur n'a pas détruit tous les germes d’Infusoires et de Mucédinées apportés par 
l'air ou les matières, ces germes encore féconds pourront se développer s'il 

4° série, Zoo, T. XVI. (Cahier n° 2.) ! | 5 


66 L. PASTEUR. 

Mais il y a une extension des expériences de Gay—Lussac, à la- 
quelle la découverte de Schwann n'avait porté aucune atteinte, 
qu’elle aurait servi plutôt à confirmer, extension que les adver- 
saires de la doctrine des générations spontanées n’ont pas con- 
testée, et sur laquelle les partisans de cette doctrine appuient à 
juste titre une de leurs principales objections. C’est à savoir que 
la plus petite quantité d’air commun, mise au contact d’une infu- 
sion, y détermine en peu de temps la naissance des Mucédinées et 
des Infusoires habituellement propres à cette infusion. 

Cette manière de voir a toujours eu pour appui, au moins in- 
direct, l'habitude prise et jugée indispensable par les observateurs 
d’éloigner avec des précautions infinies, dans leurs expériences, 
l'accès de l’air ordinaire. Nous l'avons vu, tantôt ils recomman- 
dent de calciner l'air commun, tantôt ils le soumettent aux agents 
chimiques énergiques; souvent ils placent préalablement toutes 
ses parties au contact de la vapeur d’eau à 100 degrés (expérience 
de Spalianzani) ; enfin ils opèrent d’autres fois avec de l’air arti- 
ficiel, et, s’il arrive dans une de ces conditions diverses, que l’ex- 
périence donne lieu à des productions organisées, ils n’hésitent 
pas à affirmer que l'opérateur n’a pas su éviter complétement l’'in- 
fluence cachée d’une petite portion d’air ordinaire, si pelite soit- 
elle. 

Dès lors, les partisans des générations spontanées s’empressent 
de faire remarquer avec raison que, si la plus minime portion d’air 
ordinaire développe des organismes dans une infusion quelconque, 
il faut de toute nécessité, au cas où ces organismes ne sont pas 
spontanés, que, dans cette portion si petite d’air commun, il y ail 


y a de l'oxygène, tandis que, si ce gaz est absent, ils ne se développeront pas 
plus que s'ils avaient été réellement privés de vie. Mais je pense que ce qui est 
toujours à craindre, même et surtout dans les cas où il y a peu d'oxygène, ce 
sont les germes des ferments végétaux ou animaux, ferments qui n'ont pas 
besoin d'air pour vivre, et dont les germes doivent être nécessairement tués par 
la chaleur. Je suis persuadé que c’est là le danger que le fabricant doit le plus 
redouter, et je suis porté à croire, par exemple, que les animalcules infusoires 
butyriques que J'ai fait connaître récemment, se développent dans certaines 
conserves mal préparées. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNERATIONS SPONTANÉES. 67 
les germes d’une multitude de productions diverses; et qu'enfin, 
si les choses sont lelles, l'air ordinaire, selon les expressions de 
M. Pouchet, doit être encombré de matière organique; elle y for- 
merail un épais. brouillard. 

Ce raisonnement est assurément fort sensé. 1 le serait davan- 
tage encore s’il était bien établi que les espèces inférieures qui se 
montrent fort distinctes, le sont réellement, et proviennent par 
conséquent de germes différents. Cela est vraisemblable, mais cela 
n’est pas prouvé. 

J y a donc là une difficulté sérieuse, en apparence très fondée. 
Mais n'est-elle pas le fruit d’exagérations et de faits plus où moins 
erronés ? Est-il vrai, comme on l’admet, qu'il y a continuité de la 
cause des générations dites spontanées dans atmosphère ter- 
restre ? Est-il bien sûr que la plus petite quantité d’air ordinaire 
suffise à développer dans une infusion quelconque des productions 
organisées ? 

Les expériences suivantes répondent à foules ces questions. 

Dans une série de ballons de 250 centimètres cubes, j'introduis 
là même liqueur putrescible (eau albumineuse provenant de la 
levüre de bière ; la même, sucrée; urine, ete.), de manière qu’elle 
occupe le tiers environ du volume total. J’effile les cols à la 
lampe, puis je fais bouillir la liqueur, et je ferme l'extrémité eftilée 
pendant l’ébullition. Le vide se trouve fait dans Jes ballons ; alors 
je brise leurs pointes dans un lieu déterminé. L'air ordinaire 
s'y précipite avec violence, entrainant avec lui toutes les pous- 
sières qu'il tent en suspension, et {ous les principes connus ou 
inconnus qui lui sont associés. Je referme alors immédiatement 
les ballons par un trait de flamme, et je les transporte dans une 
étuve à 25 ou 30 degrés, c’est-à-dire dans les meilleures condi- 
tions de température pour le développement des Animalcules et 
des Mucors. 

Voici les résultats de ces expériences, qui sont en désaccord 
avec les principes généralement admis, et parfaitement conformes, 
au contraire, avec l’idée d’une dissémination des germes. 

Le plus souvent, en très peu de jours, la liqueur s’altère, et l’on 
voit naître dans les ballons, bien qu'ils soient placés dans des 


68 L. PASTEUR. 

conditions identiques, les êtres les plus variés, beaucoup plus variés 
même, surtout en ce qui regarde les Mucédinées et les Torulacées, 
que si les liqueurs avaient été librement exposées à l’air ordinaire. 
Mais, d'autre part, il arrive fréquemment, plusieurs fois dans 
chaque série d’essais, que la liqueur -reste absolument intacte , 
quelle que soit la durée de son exposition à l’étuve, comme si elle 
avait reçu de l'air calciné. 

Ce mode d’expérimentation me parait aussi simple qu’irrépro- 
chable pour démontrer que Pair ambiant n'offre pas à beaucoup 
près, avec continuité, la cause des générations dites spontanées, 
et qu'il est toujours possible de prélever dans un lieu et à un 
instant donnés un volume considérable d’air ordinaire, n'ayant 
subi aucune espèce d’altération physique ou chimique, et néan- 
moins tout à fait impropre à donner naissance à des Infusoires ou 
à des Mucédinées, dans une liqueur qui s’altère très vite et con- 
stamment au libre contact de l’air. Le succès partiel de ces expé- 
riences nous dit assez d’ailleurs que, par l'effet des mouvements 
de l'atmosphère, il passera toujours à la surface d’une liqueur qui 
aura élé placée bouillante dans un vase découvert, une quantité 
d'air suffisante pour qu’elle en reçoive des germes propres à s’y 
développer dans l’espace de deux ou trois jours. 

J'ai dit que les productions sont plus variées dans les ballons 
que si le contact avec l'air était libre. Rien de plus naturel , car, 
en limitant la prise d’air et en la répétant nombre de fois, on saisit 
en quelque sorte les germes de l’air avec toute la variété sous la- 
quelle ils s'y trouvent. Les germes en petit nombre, d’un volume 
limité d'air, ne sont pas gênés dans leur développement par des 
germes plus nombreux ou d’une fécondité plus précoce, capables 
d’envahir le terrain, en ne laissant place que pour eux. C’est ainsi 
que le Penicillium glaucum, dont les spores sont vivaces et fort 
répandues, se montre seul au bout de très peu de jours dans des 
liqueurs non renfermées, qui offrent au contraire des produc- 
tions très diverses lorsqu'on les soumet à des quantités d'air 
limitées. 

Enfin il est très intéressant de signaler les différences que l’on 
observe dans le nombre des résultais négatifs de ces expériences, 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 63 


suivant les conditions atmosphériques. Ici encore nous {rouvons 
une confirmation frappante de l’opinion que je défends. 

Rien de plus facile, en effet, que d'élever ou de réduire soit le 
nombre des ballons qui s’altèrent, soit le nombre des ballons qui 
restent intacts. C’est ce qui ressortira des détails dans lesquels je 
vais entrer. 


A. — Expériences préliminaires propres à mettre en évidence le fait de la non- 
continuité de la cause des générations dites spontanées. 


Le 26 mai 1860, j'ouvre et je referme aussitôt après, sur une 
terrasse en plein air, à quelques mètres au-dessus du sol, deux 
ballons renfermant l’un de l’eau de levüre, l’autre la même liqueur 
sucrée au 4/10°. C'était quelques instants après une pluie légère 
et de très courte durée. 

Le 4° juin, il n’y a aucune apparence de productions orga- 
nisées. 

Le 2, très petite touffe de moisissure dans un des ballons, 
celui d’eau de levüre sucrée. 

Le 8, le deuxième ballon offre également une petite touffe de 
moisissure. 

Les deux liquides sont parfaitement limpides, et restent tels 
pendant l’accroissement des mycéliums (1). 

Le 28 mai 1860, j'ouvre et je referme quatre ballons, sur la 


(1) Je signalerai ici un fait instructif qui me paraît bien en harmonie avec les 
résultats généraux de ce travail. En se reportant aux détails des expériences des 
chapitre IV et suivants, on verra qu'il n’est jamais arrivé qu'en semant des 
bourres de coton ou d'amiante, chargées des poussières d'un grand volume 
d’air, dans des infusions diverses, les productions organisées ne s'y soient mon- 
trées dès le lendemain ou le surlendemain. Dans les expériences du présent 
chapitre, au contraire, on reconnaît que la vie met quelquefois un temps consi- 
dérable à se manifester, huit, douze, quinze jours. Cela se concoit très bien. Dans 
le premier cas, il y a tant de germes semés qu'il en existe toujours dont la 
fécondité est presque aussi précoce que celle des germes les plus sains de ce 
genre de productions. Dans le second cas, où l'on sème en définitive les germes 
d’un volume très limité d'air, il doit arriver souvent que ceux qui pénètrent dans 
le ballon sont en mauvais état, et d'un développement rendu pénible par toutes 
les causes d'altération auxquelles ils ont dû être exposés dans l'atmosphère. 


70 L. PASTEUR. 
même terrasse, après une violente ondée à très grosses goulles 
de pluie. 

Le À juin, aucune apparence de production. 

Le 5, petite touffe de moisissure dans l’un des ballons. Liquide 
très limpide. 

Le 6, autre touffe de moisissure dans un deuxième ballon. 
Liquide très limpide. 

Les deux autres ballons sont restés intacts, très limpides! Même 
état en 1861. 

Le 20 juillet 1860, j'ouvre et je referme six ballons renfermant 
de l’eau de levüre, dans une des pièces de mon laboratoire. Au- 
jourd’hui encore (avril 4861), le liquide de quatre de ces ballons 

est parfaitement limpide, sans la moindre apparence de produc- 
tions organisées. Les deux autres ont offert promptement des pro- 
duetions, le 22 juillet et le 4° août, Dans l’un, Infusoires et Tor- 
rulacées ; dans l’autre, mycélium en boule soyeuse. 

Le 80 juin, j'ai ouvert et refermé un grand nombre de ballons 
contenant de l’eau de levüre non sucrée, dans le but d'étudier au 
microscope les productions qui prendraient naissance, afin d'avoir 
une idée de la Fee sous laquelle elles se présentent. J’ai repro- 
duit, fig. 27, A,B,C, D,E,F,G, H,K, L, M, un certain nombre 
de mes dessins : 

A. Bactériums de 0"”,0006 de diamètre, et 0"",005 pour la 
plus grande longueur (4). 


(1) Ces Bactériums, mélés peut-être à de très petits Vibrions, ont apparu dans 
le ballon le 2 juillet, sans aucune autre production quelconque. Le 4 juillet, j'ai 
analysé l’air du ballon, au moment où l'étude du liquide trouble venait de me 


montrer qu'il était rempli de ces petits Infusoires très fragiles. Or, l'air renfer- 
mait : 





Re nue s ue 4 4,3 
AUIOO CALDORIQUE. ne: 27 ee + 03 14,3 
HVOLOSONEMREER UT APPLE NE 0,0 
Azote par différence. . 2. - : 4 84,4 

100,0 


Cette analyse nous indique combien est grande la proportion d'oxygène absor- 
bée par ces très petits Infusoires, et transformée en acide carbonique. Ils ont 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. TA 

B. Torulacée en très petits globules, d’une sphéricité parfaite, 
de 0"",0015 de diamètre, et réunis en petits chapelets. 

C. Mucor et Vibrions. | 

D. Torulacée, dont les cellules ont un diamètre de 0"",004 
à 0"",007. Elle est assez fréquente, comme j'ai déjà eu l’occasion 
de le dire. 

E. Mycorderma pareille à celle de la bière, du vin, etc., en 
articles de toutes les dimensions, et plus ou moins rameux. 

F. Infusoires d'une petitesse infinie. La plus petite des Monades 
se mouvant avec une agilité extraordinaire, Ce sont des points à 
peine perceptibles. 

G. Torulacée en beaux globules bourgeonnés, un peu granu- 
leux dans leur intérieur, dont le diamètre varie de 0"",006 
à 0,009. Elle ressemble parfaitement à la levüre de bière; elle 
ressemble beaucoup également à la Torulacée D, mais elle est un 
peu plus grosse et un peu plus granuleuse (4). 


commencé à se montrer le 2 juillet, s'’annonçant comme à l'ordinaire par un 
léger trouble du liquide, Le 3 et le 4 juillet, ils ont continué à se multiplier, et 
après quarante-huit heures environ, ils avaient déjà utilisé un volume considé- 
rable d'oxygène. 

Le ballon renfermait 80 centimètres cubes de liquide et 160 centimètres cubes 
d'air, 

Il eût été impossible de recueillir les Bactériums sur un filtre et d'en prendre 
le poids, parce qu'ils passent à travers les pores du filtre, mais ce poids à l'état 
sec devait être fort minime, tout au plus de quelques milligrammes. Par consé- 
quent, le poids d'oxygène, transformé en acide carbonique par la vie de ces 
petits êtres, était ici supérieur au poids total de leur substance. 

(1) De toutes les productions organisées inférieures, la levüre de bière est 
celle qui a été, le plus souvent, l'objet des contestations des partisans et des 
adversaires de la doctrine des générations spontanées. Son apparition, si rapide 
et si facile dans certains liquides fermentescibles, a toujours été invoquée par 
les hétérogénistes comme un de leurs arguments favoris. Il est certain que l'ori- 
gine de cette plante offre un sujet d'étude fort intéressant et enveloppé d'ob- 
scurités. 

Quelques botanistes allemands, M. Bail entre autres, ont cherché à tourner la 
difficulté en essayant de prouver, comme l'avait déjà tenté en France M. Turpin, 
que la levüre de bière n'était qu'une des formes des spores des Mucédinées vul- 
gaires, telles que le Penicillium glaucum, l Ascophora elegans 


ss... 


Cette thèse a été reproduite récemment par M, Hoffmann, et par MM. Pou- 


7a L, PASTEUR, 


H. Torulacée en granulations visqueuses, qui s’attachent forte- 
ment aux parois du ballon qu’on a peine à en détacher, où ils for- 
ment une couche continue. 

Le diamètre des granulations est exactement celui de la Torula- 
cée B ; mais celle-ci est sous forme de chapelets, et n’adhère pas 
aux vases. Je crois que ce sont des espèces distinctes, malgré leur 
ressemblance. 

K. Algue formée de cellules quaternaires, déposée sous forme 
de précipité sur les parois du ballon ; on dirait au microscope des 
assises de pierre. Sous l'influence de l'acide chlorhydrique étendu 
d’eau, les amas de cellules se disjoignent par petits groupes de 
quatre cellules. | 

L. Mucorée en pellicule rougeätre s'étendant à la surface du 
liquide, se déchirant très facilement, et tombant en lambeaux au 
fond du liquide où elle a l'aspect d’un chiffon. Écrasée sous la 
petite lame de verre, au microscope elle offre des amas des plus 
fines granulations, qui fourmillent dans les canaux qui séparent 
ces amas. 

M. Mucor en granulations très ténues, mêlées à des Vibrions 
de longueur variable, à mouvements flexueux. 

Que l’on ajoute à ces figures où j'ai de préférence représenté 
les Mucors, les Torulacées et les Infusoires les plus fréquents, des 
dessins d’une foule de Mycéliums en tubes cloisonnés qui viennent 
s’étaler ensuite à la surface du liquide en membranes gélati- 
neuses humides, épaisses, ou en membranes composées de lacis 
de tubes et couvertes de sporanges de couleur verte, rouge 
orangée, jaune verdâtre, brun noirâtre, etc….…, offrant les espèces 
les plus variées, et l’on aura une idée de ce que peut donner d’es- 
pèces distinctes l’eau de levûre placée sous l'influence de quan- 
tités limitées d'air ordinaire, dans une série de ballons préparés 
comme je l’ai indiqué. 

Ce sont ces mêmes espèces que la même liqueur fournirait au 


chet et Joly qui l'ont mise en harmonie avec leurs idées favorites. (Bail, Flora, 
4857; Hoffmann, Botanische Zeitung, fév. 1860: Pouchet, Joly et Musset, 
Comptes reïdus de l'Académie, 1861.) 

J'espère oublier très prochainement l'ensemble de mes observations sur ce 
sujet. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 75 


libre contact de l'air, mais, pour les retrouver toutes, il fau- 
drait multiplier davantage les essais, parce que des prises d'air 
limitées ont bien plus de chances, comme je l’ai déjà dit, de saisir 
les germes de l’air avec toute la variété qui leur est habituelle. 

Aussi je suis toujours fort surpris quand M. Pouchet, dans ses 
habiles plaidoyers en faveur de la doctrine de l’hétérogénie, re- 
vient sur cette vague objection des facullés génésiques des infu- 
sions étouffées par les conditions matérielles des expériences in vitro. 
Ces facultés génésiques, pour me servir des expressions de 
M. Pouchet, je les vois plutôt exaltées que détruites. Si cette ob- 
jection avait quelque chose de fondé, c’est aux expériences de 
Schwann dont les résultats ont essentiellement un caractère né- 
gatif, et nullement aux miennes qu’il faudrait l'adresser, car l’un 
des progrès de mes recherches est d’avoir institué des expériences 
qui ont, à la volonté de l’opérateur (comme on l’a vu au cha- 
pitre IV) des résultats positifs ou négatifs (1). 


(1) Quant à opérer en plein air, pour interpréter ensuite les résuilats, comme 
M. Pouchet m'a si souvent recommandé de le faire, je m'en garderai soigneuse- 
ment. Il est si rare de deviner juste quand on étudie la nature ! Et puis, est-ce 
que les idées préconçues ne sont pas toujours là pour placer un bandeau sur nos 
yeux ? 

Voici, par exemple, l’une des expériences en plein air {de M. Pouchet. « On 
» fit macérer, dit-il, des tiges d'asperges dans de l’eau. Celle-ci ayant été filtrée, 
» on en fit deux parts : l’une fut conservée sans autre préparation; l’autre fut 
» portée à l’ébullition pendant deux minutes. Le lendemain, la macération 
» simple était remplie d’une immense quantité de bactériums et de Vibrions. 
» Au contraire, la macération bouillie n'en offrait pas un seul » (Moniteur scien- 
tifique, 1861, p.163.) 

Puis M. Pouchet ajoute : « Les Vibrions n’apparaissent que plus tard dans une 
» décoction, que parce que la chaleur en retarde la fermentation... Qui ne sait 
» cela? Est-il possible de présenter rier de plus simple et de plus saisissant que 
» cette expérience ? » (Moniteur scientifique, même expérience, 1860, p. 1082.) 

Mais en vérité, qu'y a-t-il de plus facile à concevoir qu'une différence dans les 
époques d'apparition des Vibrions de deux macérations pareilles, dont l’une a été 
bouillie, tandis que l’autre ne l’a pas été? Est-ce que la nature des liquides est 
la même? Est-ce que celle qui a été chauffée n'est pas profondément modifiée? 
Est-ce que dans celle-ci les germes des Vibrions ne sont pas tués? S'ils ne le 
sont pas, comme j'ai montré que cela arrivait pour le lait et pour d’autres 
liqueurs, est-ce qu'il ne peut pas y avoir des modifications dans leur faculté de 


71, L. PASTEUR. 


Mais sous ce rapport de la variété des productions je reconnais 
qu'il y a une différence très grande entre celles de nature végé- 
tale et les autres. Les premières sont très multiples, tandis que 
pour les Infusoires cela se borne aux Monades, aux Bactériums 
et aux Vibrions. Sans vouloir préjuger ici la question de l’origine 
des gros Infusoires, sur laquelle j'espère publier un travail spé- 
cial, on n’ignore pas que jamais une infusion ne donne de gros 
Infusoires de prime saut, que jamais les Paramécies, les Kol- 
podes , les Vorticelles....…, ne précèdent les Bactériums et les 
Vibrions. Dès lors que l’on se reporte aux analyses d'air que je 
donne dans ce mémoire, alors que les plus petits des Infusoires 
ont apparu dans les ballons, et on verra avec quelle rapidité ils 
altèrent l’air et le chargent d’acide carbonique. 

Tant qu'il y a de l'humidité, la vie est sans fin, dans une infu- 
sion exposée au contact de l'air libre, parce que l'oxygène, lun 
des aliments essentiels des Mucédinées et des Infusoires, ne leur 
fait jamais défaut. Mais dans une atmosphère limitée, la vie s’ar- 
rête forcément au bout de quelques jours. Les gros Infusoires ne 
se montreront done pas, puisqu'il est reconnu que ce n’est point 
par eux que la vie commence dans les infusions (1). Leur appari- 
tion serait une difficulté nouvelle à résoudre. 

Mais cela n'infirme en rien les conclusions auxquelles je suis 
conduit sur l’origine des Mucorées, des Mucédinées, des Torula- 
cées et des plus petits des Infusoires, dans les infusions qui ont été 
portées préalablement à l’ébullition. Sur ce point, le seul dont je 


développement, comme cela est si manifeste, par exemple au chap. VIII, pour 
les spores du Penicillium glaucum chauffés à 420 degrés, dont la germination est 
retardée de plusieurs jours? Qui sait si le fait de la modification du liquide par 
la chaleur ne suffit pas seul à rendre compte d’un retard dans l'apparition des 
mêmes organismes, et je dirais plus, d'une différence dans la nature des orga- 
nismes , puisque l'on sait que ceux-ci changent avec la nature des infusions ? 

(1) A tel point que M. Pouchet fait naître spontanément les gros infusoires et 
les Mucédinées dans une pellicule dite proligère, formée par des amas de Bacté- 
riums ou de Vibrions. (Voir page 352 de son Traité de la génération spontanée, 
le chapitre intitulé : Formation de la pellicule proligère.) J'ai cependant rencon- 
tré, à deux ou trois reprises, des Infusoires qui m'ont paru être le Monas lens. 
dans des liqueurs sucrées où il ne s'était formé ni Bacteriums, ni Vibrions. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 75 


traite aujourd'hui, je juge que les résultats de mon travail sont 
inattaquables. 


B. — Expériences sur un air non agité. 


Grâce à l’obligeance de M. Le Verrier, j'ai pu faire quelques 
expériences sur l’air des caves de l'Observatoire. Dans cette partie 
des caves, situées dans la zone de température invariable, l'air 
parfaitement calme doit évidemment laisser tomber ses poussières 
à la surface du sol, dans l’intervalle des agitations qu’un observa- 
teur peut y provoquer par ses mouvements ou par les objets qu'il 
y transporte. Et en multipliant par conséquent les précautions, 
lorsque l’on y descend pour y faire des prises d’air, les ballons 
qui ultérieurement se montreront sans productions organisées, 
devront être considérablement plus nombreux que dans le cas où 
ils auront été, par exemple, remplis d’air dans la cour de l’éta- 
blissement, C’est en effet ce qui arrive, el le sens des résultats, 
par l'accord qu'il présente avec la nature ou la multiplicité plus 
ou moins grande des précautions dont on s’entoure, afin d'éviter 
l'introduction accidentelle des poussières étrangères, oblige d’ad- 
mettre que si les ballons étaient ouverts et fermés dans les caves 
sans que l'opérateur füt tenu de s’y transporter, l'air de ces 
caves se montrerait constamment aussi inactif que de l’air porté 
au rouge, Ce n’est pas cependant qu'il ait par lui-même, et vu les 
conditions où il est placé, une inactivité propre. Toul au contraire, 
se trouvant saturé d'humidité et la plupart des organismes infé- 
rieurs n'ayant nul besoin de lumière pour vivre, cet air m’a tou- 
jours paru plus propre que celui de la surface du sol au dévelop- 
pement de ces organismes. 

Je ne rapporterai qu'une des séries d'expériences. Le 14 août 
1860, j'ai ouvert et refermé dans les caves de l'Observatoire dix 
ballons contenant de l’eau de levüre de bière, et onze autres bal- 
lons de la même préparation dans la cour de l'établissement, à 
50 centimètres du sol, par un vent léger. Tous ont été rapportés 
le même jour dans l’étuve de mon laboratoire, dont la température 
est de 25 à 30 degrés. J'ai conservé jusqu’à ce jour tous ces bal- 


76 L. PASTEUR. 


lons. Un seul de ceux ouverts dans les caves renferme une pro- 
duction végétale. Les onze ballons ouverts dans la cour ont tous 
fourni des Infusoires ou des végétaux du genre de ceux que j'ai 
déjà décrits. 


C. — Expériences sur l'air à diverses hauteurs. 


Les expériences relatées dans les paragraphes précédents éta- 
blissent suffisamment qu'il n’y à pas dans l'atmosphère continuité 
de la cause des générations dites spontanées, c'est-à-dire qu'il est 
toujours possible de prélever en un lieu déterminé un volume 
notable, mais limité, d’air ordinaire , n'ayant subi aucune espèce 
de modification physique ou chimique, et tout à fait impropre 
néanmoins à provoquer une altération quelconque dans une 
liqueur éminemment putrescible. De là ce principe que la condi- 
tion première de l’apparition des êtres vivants dans les infusions 
ou dans les liquides fermentescibles n’existe pas dans l'air consi- 
déré comme fluide, mais qu’elle s’y trouve çà et là, par places, 
offrant des solutions de continuité nombreuses et variées, 
comme on doit le prévoir dans l'hypothèse d’une dissémination 
des germes. 

I m'a paru très intéressant de suivre les idées que suggèrent 
les résultats qui précédent, en soumettant l'air pris à des hauteurs 
diverses au mode d’expérimentation que j'ai fait connaître. J’au- 
rais pu m’élever en aérostat; mais pour des études d'essai, préli- 
minaires en quelque sorte, j'ai pensé qu’il serait plus commode 
et peut-être plus utile d'opérer comparativement dans la plaine 
et sur les montagnes. 

J'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau de l’Académie, dans 
&a séance du 5 novembre 4860, soixante-treize ballons, chacun 
d’un quart de litre de capacité, préparés comme je lai dit au 
commencement de ce chapitre, c’est-à-dire qu'ils étaient primi- 
tivemient vides d'air et remplis au tiers d’eau de levüre de bière, 
filtrée à limpidité parfaite. 

Vingt de ces ballons ont recu de l'air dans la campagne, assez 
loin°de toute habitation, au pied des hauteurs qui forment le pre- 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉEÉS, 77 


mier plateau du Jura; vingt autres l'ont été sur l’une des mon- 
tagnes du Jura, à 850 mètres au-dessus du niveau de la mer; 
enfin une autre série de vingt de ces mêmes ballons a été 
transportée au Montanvert, près de la mer de glace, à 2000 mètres 
d’élévation. 

Voici les résultats qu’ils ont offerts : 

Des vingt ballons ouverts dans la campagne, huit renferment 
des productions organisées ; des vingt ballons ouverts sur le Jura, 
cinq seulement en contiennent; et enfin des vingt ballons rem- 
plis au Montanvert, par un vent assez fort, soufflant des gorges 
les plus profondes du glacier des Bois, un seul est altéré. Il fau- 
drait sans doute multiplier beaucoup ces expériences. Mais telles 
qu’elles sont, elles tendent à prouver déjà qu’à mesure que l'on 
s'élève, le nombre des germes en suspension dans l’air diminue 
notablement. Elles montrent surtout la pureté, au point de vue qui 
nous occupe, de l'air des hautes cimes couvertes de glace, puis- 
qu’un seul des vases remplis au Montanvert a donné naissance 
à une Mucédinée. 

La prise d’air exige quelques précautions que j'avais reconnues 
indispensables depuis longtemps pour éloigner, autant qu'il est 
possible, l'intervention des poussières que l'opérateur porte avec 
lui, et de celles qui sont répandues à la surface des ballons ou des 
outils dont il faut se servir. Je chauffe d’abord assez fortement le 
col du ballon et sa pointe effilée dans la flamme d’une lampe à 
alcool, puis je fais un trait sur le verre à l’aide d'une lame d’acier; 
alors, élevant le ballon au-dessus de ma tête, dans une direction 
opposée au vent, je brise la pointe avec une pince de fer, dont les 
longues branches viennent de passer dans la flamme, afin de brû- 
ler les poussières qui pourraient être à leur surface, et qui ne man- 
queraient pas d’être chassées en partie dans le ballon par la ren 
trée brusque de l'air. 

J'avais été fort préoccupé, durant mon voyage, de la crainte 
que l'agitation du liquide dans les vases pendant le transport, n'ait 
quelque influence fàcheuse sur les premiers développements des 
Infasoires où des Mucors. Les résultats suivants éloignent ces 
serupules. Ils vontnous permettre, en outre, de reconnaitre toute 


78 L. PASTEUR. 
la différence qui existe entre l'air de la plaine ou des hauteurs et 
celui des lieux habités. 

Mes premières expériences sur le glacier des Bois furent inter- 
rompues par une circonstance que je n’avais nullement prévue. 
J'avais emporté, pour refermer la pointe des ballons après la prise 
de l'air, une lampe éolipyle alimentée par de l'alcool; or, la blan- 
cheur de la glace frappée par le soleil était si grande, qu'il me fut 
impossible de distinguer le jet de vapeur d’alcool enflammé, et 
comme ce jet de flamme était d’ailleurs un peu agité par le vent, il 
ne restait jamais sur le verre brisé assez de temps pour fondre la 
pointe et refermer-hermétiquement le ballon. Tous les moyens que 
J'aurais pu avoir alors à ma disposition pour rendre la flamme 
visible, et par suite dirigeable, auraient inévitablement donné 
lieu à des causes d'erreur, en répandant dans l’air des poussières 
étrangères. 

Je fus donc obligé de rapporter à la petite auberge du Montan- 
vert, non refermés, les ballons que j'avais ouvertssur le glacier, et 
d'y passer la nuit, afin d'opérer dans de meilleures conditions le 
lendemain matin avec d’autres ballons. Ce sont les résultats de 
cette deuxième série d'expériences que j'ai indiqués tout à l'heure. 

Quant aux treize ballons ouverts la veille sur le glacier, je ne 
les refermai que le lendemain malin, après qu’ils eurent été expo- 
sés toute la nuit aux poussières de la chambre dans laquelle j'avais 
couché. Or, de ces treize ballons, il y en a dix qui renferment des 
Infusoires ou des moisissures. 

Puisque le nombre des ballons altérés dans ces premiers essais 
est plus grand que dans ceux qui ont suivi, l'agitation du liquide 
pendant le voyage n’a pas l'influence que je redoutais sur le déve- 
loppement des germes. En outre, la proportion des ballons qui, 
dans ces premières expériences, offrent des productions organisées, 
nous donne la preuve indubitable que les lieux habités renferment 
un nombre relativement considérable de germes féconds, à cause 
des poussières qui sont à la surface de tous les objets. Dans cette 
petite auberge da Montanvert, par exemple, il y a certainement 
des poussières et par suite des germes venant de tous les pays du 
monde, apportés par les effets des voyageurs. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 79 


D. — Expériences sur le mercure. 


J'ai déjà rappelé au chapitre VIT et dans la partie historique de 
ce mémoire, comment l'expérience du docteur Schwann avait 
écarté l'hypothèse de Gay-Lussac sur le rôle de l'air dans l’ex- 
plication des procédés de conserves d’Appert. Mais d'où vient que 
dans l’expérience sur le moût de raisin du célèbre chimiste, ex- 
périence si souvent citée, la levüre de bière prenne naissance à 
la suite de l'introduction d’une très petite portion d'air, et que, si 
l’on répète cette même expérience sus des infusions diverses, on 
voie celles-ci s’altérer sous l'influence de quantités d’air minimes, 
bien plus par l'introduction d’air calciné ou d'air artificiel; car 
les expériences de M. Pouchet, effectuées sur la cuve à mereure, 
sont exactes, tandis que celles de Schwann y sont presque con- 
stamment erronées ? C’est tout simplement que le mercure de nos 
cuves, qui ne subit que de loin en loin des lavages aux acides 
énergiques, est habituellement rempli de germes apportés par les 
poussières qui sont en suspension dans l'air, lesquelles y tombent 
toutes les fois que la cuve est exposée à l'air, et qui pénètrent 
dans l'intérieur du mercure par les manipulations qu’on y pra- 
tique, sans que leur légèreté spécifique puisse les ramener toutes 
à la surface à cause de leur volume microscopique (4). 

Voici une expérience bien simple et bien démonstrative qui 
réussit presque constamment. 

Que l’on prenne un de ces ballons préparés comme je l'ai dit 
au commencement du chapitre VIT, vides d’air et remplis en partie 
d'un liquide putrescible, soumis à l’ébulhition préalablement, 
qu'on plonge sa pointe fermée au fond d’une cuve à mercure 


(1) Il est clair que dans l’expérience particulière de Gay-Lussac, où les éprou- 
vettes dont il se servait n'étaient pas préalablement chauffées, les germes ont pu 
être apportés par les poussières de la surface du verre des éprouvettes, ou par les 
graips de raisin qui, comme tous les corps, sont couverts de poussière et par 
suite de germes. 


80 L. PASTEUR. 


quelconque, et que par un choc on brise sa ponte au fond de la 
cuve, il naîtra dans le liquide de ce ballon des productions orga- 
nisées, peut-être neuf fois sur dix, après qu'on y aura fait arriver 
soit de l'air caleiné, soit de l’air artificiel. 

Il n’y a évidemment que le mercure qui ait pu fournir les ger- 
mes, à moins qu'il n’y ait génération spontanée, mais cette hypo- 
thèse est écartée par ce fait que, si l'expérience est répétée sans 
emploi de la cuve à mercure, comme au chapitre INF, en suivant 
la méthode de la figure X, il n’y a pas de productions. 

Les expériences suivantes sont encore plus directes et plus 
probantes. 

Je prends du mercure, puisé sans précautions particulières, 
dans la cuve d’un laboratoire quelconque, et, à l’aide de la mé- 
thode que j'ai décrite antérieurement, chapitre IV, au sein d'une 
atmosphère d'air calciné, je dépose un seul globule de ce mercure, 
de la grosseur d’un pois, dans une liqueur altérable. Deux jours 
après, dans toutes les expériences que j'ai faites (4) il y a eu des 
productions variées; et en répélant au même moment, par la 
même méthode, sans rien changer à la manipulation, les mêmes 
essais sur du mercure de même provenance, mais qui avait été 
chauffé, il n’y a pas eu la moindre production. 

Il ne faut pas exagérer les conséquences que l’on peut déduire 
de ces expériences. Voyons bien, en effet, ce qui se passe. On 
puise dans un verre à pied du mercure d’une cuve; on prélève 
toujours ainsi, à moins de précautions que je ne suppose pas 
avoir été prises, une partie du mereure qui est à la surface de la 
cuve où il y a des poussières ; ensuite on verse une goutte de ce 
mercure dans un petit tube. L'expérience montre que cette goutte 
en tombant emporte à sa surface une portion notable des pous- 
sières de la surface même du mercure du verre. La goutte pré- 
levée renferme donc toujours une partie des poussières de la sur- 
face de la cuve. Je serai mieux compris encore en remarquant 


(4) Au nombre de quatre, deux avec le mercure de mon laboratoire, une avec 
le mercure du laboratoire de chimie de l’École normale, une autre avec le mercure 
du laboratoire de physique du même établissement. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 81 


que si l’on faisait écouler d’un verre à pied une goutte de mer- 
cure que l’on aurait couvert à sa surface d’une couche d’une 
poussière quelconque, toute la goutte en tombant serait enveloppée 
par une couche de cette poussière, par un effet de capillarité. 
Mais rien ne serait plus simple que de refaire l'expérience sur 
un globule de mercure puisé avec des précautions spéciales 
au sein de la masse du liquide. Je ne doute pas que lexpé- 
rience ne réussisse encore le plus ordinairement, même dans ces 
conditions particulières. 


CHAPITRE VIII. 


De l’action comparée de la température sur la’ fécondité des spores des 
Mucédinées et des germes qui existent en suspension dans l’atmos- 
phère. 


Les expériences que je vais faire connaitre ajoutent aux con- 
elusions définitives de ce mémoire une confirmation nouvelle. 

Ce que l’on sait de la résistance à la mort des Anguilles du blé 
niclié, des Rotifères et aussi des graines des plantes supérieures 
après des dessiccations préalables, nous dit assez que les spores des 
Mucédinées doivent pouvoir conserver leur fécondité à des tempé- 
ralures assez élevées lorsqu'elles sont sèches (4). 

Supposons pour un instant que l'on détermine les limites de 
température que les spores des Mucédinées vulgaires peuvent 
supporter sans se détruire, et les limites au dela desquelles toute 
vitalité cesse dans ces petites graines. Si les corpuscules organi- 
sés, qui existent constamment en suspension dans l’air et parmi 
lesquels il en est toujours en grand nombre qui ont une parfaite 
ressemblance avec des spores de Mucédinées, si, dis-je, ces cor- 
puseules sont bien réellement des spores, l’expérience devra nous 


(1) M. Payen a reconnu depuis longlemps que les sporules de l'Oidium auran - 
Liacum conservent leur faculté de développement après avoir été portées à 420 de- 
grés. Je pense qu'il s’agit d'une épreuve dans l'air ou dans le vide sec. Dans le 
cas contraire, je serais porté à croire que la temp éralure n’a pu être déterminée 
exactement, et qu'elle est trop élevée. 

&° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 2.) ? 6 


82 L. PASTEUR. , 

conduire à ce résultat curieux, que les poussières de l'air semées 
dans des conserves d’Appert, suivant la méthode représentée 
figure XII, seront encore fécondes après qu'elles auront subi la 
plus haute température que peuvent supporter les spores des Mu- 
cédinées vulgaires, et qu’elles seront sans effet sur ces mêmes 
conserves, si elles ont été préalablement soumises à la tempéra- 
ture qui tue ces spores. 

Voyons d’abord ce que l’on sait sur ce sujet. 

Duhamel rapporte dans un de ses ouvrages qu'il a pu faire 
germer du froment quiavait supporté une températurede{10degrés 
centigrades. Cette observation du savant agronome devint lori- 
gine de quelques recherches de Spallanzani sur le degré de cha- 
leur auquel on peut soumettre les graines, sans leur faire perdre 
la faculté de germer. Parmi les plantes supérieures cinq espèces 
de graines furent étudiées par lui : c’est le pois chiche, la len- 
tille, l’épeautre, la graine de lin et celle du trèfle. Spallanzani 
s’occupa, en outre, de l'influence de la température sur les spores 
des Mucédinées. Pour ce qui est des graines des plantes supé- 
rieures, les résultats de Spallanzani, encore bien que très curieux, 
n’ont rien qui doive nous surprendre dans l’état présent de nos 
connaissances. La graine de trèfle, moins impressionnable que 
toutes les autres, a pu supporter une température voisine de 
100 degrés centigrades. Mais pour les graines des moisissures. 
Spallanzani fut conduit à des conséquences singulières. Il admet, 
en effet, que non-seulement les spores des Mucédinées peuvent 
supporter la température de 100 degrés quand elles sont plongées 
dans l’eau, mais qu’elles peuvent même résister à la chaleur d’un 
brasier ardent lorsqu'elles sont sèches. D'ailleurs, dans ce der- 
nier cas, il n’assigne pas la température d’une manière précise (1 ). 


(1) Le passage suivant des œuvres de Spallanzani est extrait d'un chapitre du 
tome II de ses Opuscules, dans lequel il a principalement pour but de prouver 
que Michelli avait eu raison de regarder la poussière qui tombe des moisissures 
lorsqu'eiles sont müûres, comme étant bien la semence de ces plantes. 

« Les petits grains qui sortent des têtes des moisissures mûres, et qui sont 
» les vraies semences de ces végélaux, ont la singularité de résister à un degré 
» de chaleur qu'aucune autre graine ne peut supporter sans perdre la faculté de 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 89 
On aurait peine à comprendre que ces résultats de Spallanzani 
sur les graines des Mucédinées n'aient pas été soumis à de 
nouvelles épreuves. si les expériences n’offraient ici des difficul- 
tés particulières, consistant surtout à trouver une méthode d’expé- 
rimentation rigoureuse. Rien de plus simple pour les plantes supé- 
rieures d'essayer si leurs graines sont encore capables de germer 
lorsqu'elles ont été chauffées à une température déterminée : il ne 
pousse du blé que là où l’on en a semé; mais pour les Murédi- 
nées, elles se développent partout où elles rencontrent des condi- 
tions favorables. Il est donc indispensable de recourir, en ce qui 
concerne les Mucédinées vulgaires, à une disposition qui permette 
d'affirmer sûrement que la petite plante a été reproduite par les 
. spores que l’on a semées, et non additionnellement par les spores 
qui sont en suspension dans l'air, ou déposées à la surface des 
objets mis en expérience. 
Voici la méthode que j'ai suivie et qui me semble irréprochable : 
je passe un peu d'amiante dans les petites têtes de la moisissure que 
je veux étudier (4); puis je place cette amiante couverte de spores 


» germer. Après avoir fait bouillir ces petits grains dans l’eau, j'ai versé l'eau 
» qui en avait pris une couleur noire, sur les corps capables de moisir, et sui- 
» vant les résultats habituels de ces sortes d'expériences, la moisissure a poussé 
» plus épaisse que sur ces mêmes corps qui n’en avaient pas été mouillés. J'ai 
» fait la même chose avec des poussières, des moisissures exposées à un feu 
» beaucoup plus fort, tel que celui d'un brasier ardent, et j'ai trouvé que cette 
» chaleur n'ôte pas à ces graines la faculté de se reproduire, » 
Plus loin, Spallanzani s'exprime ainsi : 
« L'hypothèse qui établit que cette poussière est invisiblement répandue par- 
» tout, et qu'elle donne naissance à la multitude des moisissures naturelles, est 
-» une des hypothèses les plus raisonnables de la physique. » 
(1) Lorsque, dans un ballon préparé comme je l'ai dit au chapitre VII, p. 67. 
il ne se développe qu'une seule moisissure, ce qui est fréquent, il est évident que 
les spores en sont parfaitement pures. C'est dans les sporanges de pareilles 
moisissures que je passais le petit pinceau d'amiante, après avoir détaché la 
partie supérieure du ballon. Il n'y avait chance d'introduire des germes étran- 
gers que pendant le Lemps très court où je prélevais les spores de la moisissure 
pour les transporter dans le tube en U, On chauffait d'ailleurs fortement l'amiante 
avant de la couvrir de spores, et aussi le tube en U. Dès qu'il était refroidi, on 
y introduisait le petit tube et ses spores. | 


8ll L. PASTEUR. 

dans un très petit tube de verre que j'introduis dans un tube en U 
de plus gros diamètre, où le petit tube peut se mouvoir librement : 
fig. 28. L'une des extrémités du tube en U se relie par un caout- 
chouc à un tube de métal à robinets, en forme de T. Un des robi- 
nets communique à la machine pneumatique, un autre à un tube 
de platine chauffé au rouge. L'autre extrémité porte un caoutchouc 
qui reçoit également le ballon où l’on doit semer les spores, ballon 
fermé à la lampe, rempli d’air calciné et d’un liquide préalablement 
porté à l’ébullition, devant servir d’aliment à la jeune plante. 
Enfin, le tube en U plonge dans un bain &’huile, d’eau ordinaire 
ou d’eau saturée de divers sels, selon que l’or veut porter les spores 
à telle ou telle température. Entre le tube en U et le tube de pla- 
tine il y a un tube desséchant à ponce sulfurique. Lorsque tout 
l'appareil qui précède le tube de platine a été rempli d’air caleiné 
et que les spores ont été maintenues à la température voulue un 
temps suffisant que l’on peut faire varier, on brise la pointe du 
ballon par un coup de marteau, sans dénouer les cordonnets du 
caoutchouc qui réunit le ballon au tube en Ü; puis, inclinant con- 
venablement ce dernier tube éloigné de son bain, on fait glisser 
dans le ballon l'amiante et ses spores. Enfin, on referme le bal- 
lon à Ja lampe par un trait de flamme sur l'un des étranglements 
ménagés sur son col. On le porte alors à l’étuve à une lempéra- 
ture de 20 à 30 degrés, qui est très favorable au développement 
rapide des Mucédinées. 

L'expérience sur les poussières de l'air se fait de la même 
manière avec de l'amiante qui a été exposée à un courant d’air 
ordinaire, suivant les indications de la méthode du chapitre II. 

Je vais entrer maintenant dans le détail des résultats de quel- 
ques expériences particulières. 

Le 4° juin 4860, je fais passer dans un ballon renfermant, 
depuis le 19 mars, de l’eau de levüre et de l'air calciné, sans 
avoir éprouvé la moindre altération, une portion de bourre de 
coton chargée des poussières de l’air ordinaire après qu'elle eût 
été maintenue une heure à 100 degrés (bain d’eau bouillante). 

Dans la nuit du 4 au 5 juin, une espèce de dépôt pulvérulent 
commence à se montrer sur les parois du ballon, et envahit rapi- 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 89 


dement les jours suivants la surface du liquide. C’est une Mucorée 
incolore, en pellicule un peu chagrinée, en petits amas confusé- 
ment circulaires comme s’ils étaient soulevés par des bulles de gaz, 
ce qui n’est qu'une illusion. Dès le 9 ou le 10 juin, tout dévelop- 
pement cesse et la pellicule tombe en lambeau au fond du vase. 
A la fin de juin j'ai ouvert le ballon, pour étudier cette Mucorée au 
microscope. Elle est formée de granulations comme le sont en 
général toutes les Mucorées, mais ici les granulations sont relati- 
vement volumineuses. Leur diamètre est de 0"",002. Ces granu- 
lations étaient isolées ou en paquets, brillantes à leur centre, à 
contours nettementlimités. La figure 29 les représente associées à 
quelques Vibrions très ténus, à peine visibles, et qui n’avaient 
plus de mouvements lorsque le ballon a été ouvert. Ils étaient en 
fort petit nombre. 

Cette expérience montre que les germes desséchés de ces deux 
productions résistent à la température de 100 degrés pendant une 
heure. 

Le 2 juin 1860, je fais passer dans du lait conservé depuis le 
10 avril, en présence de l’air calciné, sans altération aucune, une 
petite bourre d'amiante chargée des poussières de l'air après 
l'avoir exposée un quart d’heure à 100 degrés (bain d’eau bouil- 
lante). 

Le 4 juin, le lait n’est pas caillé, mais on voit à sa surface une 
couche de sérum presque translucide, qui indique une altéra- 
tion. 

Le 5etle 6 juin, il est visible que le lait s’altère. Il y a au fond 
du ballon un dépôt jaunâtre, caséeux ; aucune apparence de 
dégagement de gaz. Je n'avais pas encore rencontré des carac- 
tères d’altération du lait de l’ordre de ceux-ei exactement. 

Le 7 juin, j'ouvrele ballon et j'étudie le liquide au microscope, 
il se trouve rempli d’une multitude d’Infusoires de deux natures 
bien distinctes. Les uns sont des Vibrions filiformes très agiles, 
qui courent rapidement en faisant trembler vivement la seconde 
moitié de leur corps. Ils ont de 0"",006 à 0°",009 de longueur 
et 0"",0007 de largeur. Les autres sont courts, beaucoup plus 
larges, un peu étranglés, souvent réunis par chaînes de deux et 


86 L. PASTEUR. 


trois articles. La longueur des articles est de 0"",003 à 0"",004 
et le diamètre de 0"",002 à 0"",003. La figure 30 représente ces 
deux sortes d’Infusoires outre les globules de beurre. 

Il ne s’est pas dégagé de gaz lorsque j'ai ouvert le ballon sur la 
cuve à mercure. l 

Le 6 juillet, je fais passer dans nn ballon d’eau de levüre sucrée, 
mêlée de craie, conservée sans altération depuis le 11 avril en 
présence de l'air calciné, une bourre d'amiante avec poussières, 
chauffée pendant une demi-heure à 100 degrés (bain d'eau 
bouillante). 

Le 8 juillet, trouble sensible, avec pellicule mince sur toutes 
les parois. Le 10 juillet, trouble laiteux, avec lambeaux chiffon 
nés dans la masse du liquide et au fond. Apparence de dégage- 
ment de gaz. 

Le 10 juillet, j'ouvre ce ballon, sortie brasque el violente de gaz. 
Il est évident qu'il y a eu fermentation. Au microscope il y a deux 
espèces de Vibrions, différant surtout par le diamètre de leurs 
articles. Les uns ont 0"",0006 à 0"*,0008 de diamètre; les autres 
ont 0"%,0015 à 0"",002 de diamètre et jusqu’à 0"",01 et plus 
de longueur (4). 

Le 9 novembre 1860, je fais passer une bourre d'amiante, 
chargée des poussières de l'air, dans un ballon renfermant de 
l'eau de levüre, et une autre bourre pareille dans un deuxième 
ballon renfermant de l'urine. Ces ballons étaient conservés depuis 
le 25 juin. Avant d'introduire les bourres, on les avait maintenues 
pendant une demi-heure à 421 degrés (bain d’huile). 

Le 11 novembre, le ballon d’eau de levüre a commencé à mon- 
lrer une touffe de mycélinm en tubes très lîches, qui a poussé 
avec une rapidité extraordinaire. Il a atteint en quatre jours le 
niveau du liquide, et a poussé partout de longs tubes cotonneux 
d'une grande blancheur qui se sont rapidement étendus sur les 


(4) Je ne doute pas que la fermentation du liquide de ce ballon n'ait été pro- 
voquée par ces derniers Infusoires, préservés du contact de l'air par ceux de la 
première espèce qui n'élaient que des Vibrions ordinaires, ayant besoin d'air pour 
vivre. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 87 


parois du ballon. Les spores et les tubes qui les portaient sont 
représentés figure 341. 

Le ballon d'urine n’a commencé que le 16 novembre à monirer 
une petite touffe de moisissure en tubes très serrés, sous forme 
de petite boule soyeuse. Cette Mucédinée s’est développée avec une 
si grande lenteur, que le 22 novembre elle n’avait pas encore la 
grosseur d’un pois. 

Ce même jour, 22 novembre, a apparu un autre mycélium en 
tubes lâches qui a étouffé le premier en peu de jours. 

Pas du tout d’'Infusoires, ni dans un cas, ni dans l’autre. 

Le 12 août 1860, même expérience, avec eau de levûre et 
poussières de l'air qui avaient été préalablement chauffées pen 
dant une demi-heure au bain d'huile à 129 degrés. Aujourd’hui 
(avril 1861) pas encore la moindre apparence de productions 
organisées. 

Passons maintenant en revue quelques expériences sur les 
spores des Mucédinées vulgaires. 

Le 21 juillet 1860, je fais passer dans un ballon, renfermant de 
l’eau de levüre et de l’air caleiné, sans altération, depuis le 26 juin, 
une petite bourre d’amiante chargée de spores de Penicillium, 
préalablement chauffées pendant une demi-heure au bain d'huile 
de 419 à 124 degrés. 

Le 29, le 23, le 24 juillet, aucune apparence de développe- 
ment. Le 25 juillet, une multitude de très petites touffes de mycé- 
lium couvrent les parois du ballon. Mais, chose assez singulière, il 
n'y a que les spores du fond qui se soient développées. Celles 
qui, au moment de l'introduction de la bourre d'amiante, étaient 
venues à la surface former des amas, des espèces de taches, n'ont 
pas germé du tout; elles n’ont pas poussé de tubes germinatifs. 

Le 26 juillet, développement sensible, bien qu’un peu faible, et 
comme pénible des touffes du fond. Les spores de la surface du 
liquide n’ont pas encore germé. 

Le 28 juillet plusieurs îlots sont développés à la surface, mais 
ils proviennent de touffes du fond et non des spores de la surface. 
Ces îlots commencent à fructifier et à verdir à leur centre. On 
voit toujours çà et 1à, à la surface, des taches de spores qui n’on 
pas germé. 


88 L, PASTEUR. 


Le 3 août, foule la surface est couverte par un beau Penicil- 
lium vert bleuâtre, vigoureux. Rien n'indique qu'il soit malade ; 
cependant il faut remarquer : 4° queles spores, semées le 21 juil- 
let, n'ont commencé à germer que dans la nuit du 24 au 25 juil- 
let, tandis que, si on ne les avait pas chauffées ou même si on les 
avait chauffées à 100 degrés, elles auraient commencé à montrer 
des touffes de tubes germinatifs visibles à l'œil nu dès le lende- 
main ; je lai constaté souvent par des épreuves directes. 2° Beau- 
coup des spores avaient été évidemment privées de vie, et plus 
légères, dirait-on, que les autres, elles étaient venues à la surface 
où elles n’ont pas germé. 

Voici une expérience qui prouvera qu’en élevant la tempéra- 
ture des spores à 108°,4, au lieu de 120 degrés, la germination 
se montre déjà après quarante-huit heures. 

Le 23 juillet, j'ai semé, dans un des ballons d'eau de levure 
conservé depuis le 26 juin sans altération, une bourre d'amiante 
chargée de spores de Penicillium, chauffées préalablement, à see, 
comme dans toutes ces expériences, pendant une demi-heure 
à 108°,4 (bain d’eau saturée de sel et bouillante). 

L’ensemencement a eu lieu à midi, le 23 juillet. 

Dès le 25, à cinq heures du soir, on voyait une infinité de 
touffes de mycélium au fond du liquide. 

Il n’est donc pas douteux que, par l'action d’une température 
élevée, en dehors de toute humidité, la fécondité des spores du 
Penicillium glaucum se conserve jusqu’à 120 degrés et même un 
peu plus ; et qu'elles reproduisent une plante toute pareille à la 
plante mère, et dont les spores sont fécondes (je l'ai constaté par 
des épreuves directes). Mais il n’est pas moins vrai que la vitalité 
du germe est un peu atteinte, et que les spores en éprouvent un 
retard sensible dans leur faculté germinative. 

Le 12 août 1869, je répète les expériences précédentes sur deux 
ballons d’eau de levüre conservés depuis longtemps, et avec des 
spores de Penicillium glaucum et des spores d’Ascophora elegans, 
chauffées pendant une demi-heure de 127 à 152 degrés (bain 
d'huile). 

I n’y a eu aucun développement quelconque des spores ni dans 
l'un, ni dans l’autre ballon. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 89 


En résumé, je crois pouvoir conclure de mes expériences que 
les spores des Mucédinées vulgaires, chauffées dans le vide ou 
dans l'air sec, restent fécondes après avoir été portées à une tem- 
pérature de 120 degrés. On trouverait probablement qu'on peut 
même aller un peu au delà, peut-être à 125 degrés. Au contraire, 
il suffit d’une exposition d'assez courte durée à 130 degrés pour 
enlever leur fécondité aux spores de ces mêmes Mucédinées, qui 
paraissent être les plus vivaces et les moins impressionnables (1). 
D'autre part, nous trouvons que les limites sont les mêmes pour la 
fécondité des poussières de l’air, c’est-à-dire qu’elles donnent des 
Mucédinées même après avoir été portées à 120 degrés , et 
qu’elles n’en donnent plus si on leur fait subir la température de 
130 degrés. | 

La correspondance de ces résultats est une preuve nouvelle de 
l'existence des spores des Mucédinées parmi les corpuseules orga- 
nisés que le microscope permet de reconnaitre si facilement dans 
les poussières qui sont en suspension dans l'air ordinaire. 


(1) Je dois cependant remarquer qu'au nombre des Mucédinées qui ont pris 
naissance dans les expériences, en petit nombre, il est vrai, où j'avais semé les 
poussières de l'air chauffées à 1 20 degrés, le Penicillium glaucum ne s'est pas mon- 
tré. Ç'a été, entre autres, cette mucédinée d’un développement si rapide dont j'ai 
parlé page 87, et dont les sporanges formaient des amas cotonneux à longs 
tubes, d'une grande blancheur à la surface du liquide. Je me proposais de 
l’étudier au microscope et de la décrire, mais elle s’est affaissée rapidement avant 
que je n’ouvrisse le ballon, et n'offrait plus rien de net. Il eût été intéressant de 
voir si les spores de cette moisissure ne résistaient pas un peu mieux que le 
Penicillium à une température élevée. 

Dans le cours de mes expériences, j'ai eu l'occasion de constater .-des diffé- 
rences considérables dans la rapidité du développement des moisissures. J'ai vu 
des mycéliums mettre plusieurs mois à atteindre la grosseur d'une noisette. J'en 
ai vu d'autres remplir le liquide en quelques jours. Il peut y avoir à cela des 
causes diverses, notamment la nature du liquide. Il se pourrait qu'en la faisant 
varier, les rôles changeassent. J'ai été frappé bien souvent de la multitude 
d'études diverses que suggère à l'esprit le mode de vie de ces petits êtres. Celle- 
ci en est une entre mille autres, autant et plus intéressantes. 


90 L. PASTEUR, 


CHAPITRE IX. 


Sur le mode de nutrition des ferments proprement dits, des Mucédinées 
et des Vibroniens. 


Il est essentiel de remarquer que jusqu'à ce jour toutes les 
expériences de générations spontanées ont porté sur des infusions 
de matières végétales ou animales, en un mot sur des liquides 
renfermant des substances qui avaient appartenu antérieurement 
à l'organisme. Quelles que soient les conditions préalables de 
température et d’ébullition qu'on leur fasse subir, ces matières 
ont une constitution et des propriétés acquises sous l'influence de 
la vie, 

Ce fait a servi de thème à toutes les théories sur la génération 
spontanée, Or, je vais démontrer dans ce chapitre que l'apparition 
des organismes inférieurs ne présuppose pas nécessairement la 
présence de matières organiques plastiques, de ces matières albu- 
minoïdes que le chimiste n’a jamais pu produire, qui dans leur 
formation exigent le concours des forces vitales. 

Les nouvelles expériences que je vais faire connaître montre- 
ront le peu de fondement de toutes les théories sur la formation 
spontanée des organismes inférieurs. Passons d’abord en revue 
ces lhéories où l'imagination a tant de part, où les vrais principes 
de la méthode expérimentale en ont si peu. 

Needham admettait l'existence dans la matière organique d’une 
force particulière qu'il appelait force végétative, et qui survivait à 
la mort des végélaux et des animaux, Spécifiquement déterminée 
dans un individu, elle lui conservait sa forme et ses propriétés 
pendant sa vie. Mais à sa mort elle devenait libre et ses manifesta- 
tions dépendaient des conditions particulières où se trouvaient 
placées les parties disjointes du corps de l'individu. Et c’est ainsi 
que cette force persistant dans la matière organique des infusions, 
organisait de nouveau cette matière suivant des modes qui ne dé- 
pendaient plus que des conditions propres à l’infusion (1). 


(4) Voy. Spallanzani, Opuscules. Exposition des nouvelles idées de M. de 
Needham sur le système de la génération, t. [°, chap. 4°". 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 91 


Le système des molécales organiques de Buffon à beaucoup de 
rapport avec les idées de Needham. Je reproduirai textuellement 
les vues du grand naturaliste sur la génération spontanée (1).° 

« Mes recherches et mes expériences, dit Buffon, sur les molé- 
» cules organiques démontrent qu'il n’y a point de germes pré- 
»existants, et en même temps elles prouvent que la génération 
» des animaux et des végétaux n’est pas univoque; qu'il y à peut- 
»ôtre autant d'êtres, soit vivants, soit végétaux, qui se repro- 
» daisent par l'assemblage fortuit des molécules organiques, qu'il 
»y a d'animaux ou de végétaux qui peuvent se reproduire par 
» une succession constante de générations... 

» Les molécules organiques, toujours actives, toujours sub- 
»sislantes, appartiennent également aux végétaux comme aux 
» animaux; elles pénètrent la matière brute, la travaillent, la re- 
» muent dans toutes ses dimensions, et la font servir de base au 
» tissu de l’organisation, de laquelle ces” molécules vivantes sont 
» les seuls principes et les seuls instruments; elles ne sont sou- 
» mises qu'à une seule puissance qui, quoique passive, dirige 
» leur mouvement et fixe leur position. Cette puissance est le 
» moule intérieur du corps organisé ; les molécules vivantes que 
» l'animal ou le végétal tire des aliments ou de la séve, s’assi- 
»milent à {outes les parties du moule intérieur de leur corps, elles 
» le pénètrent dans toutes ses dimensions, elles y portent la végé- 
» fation et la vie, elles rendent ce moule vivant et croissant dans 
»{outes ses parties ; la forme intérieure du moule détermine seule- 
» ment leur mouvement et leur position pour la nutrition et le dé- 
» veloppement dans tous les êtres organisés. 

» Et lorsque la mort fait cesser le feu de l'organisation, c'est- 
» A-dire la puissance de ce moule, la décomposition du corps suit, 
»et les molécules organiques qui toutes survivent, se retrouvant 
» en liberté dans la dissolution et la putréfaction descorps, passent 
»dans d’autres corps aussitôt qu'elles sont pompées par la puis- 
»sance de quelque autre moule, en sorte qu’elles peuvent passer 
» de l'animal au végétal et du végétal à l'animal, sans altération 
» et avec la propriété permanente et constante de leur porter la 


(1) Supplément. Histoire de l'homme, 1778, t. VIII, édition in-42. 


92 L. PASTEUR. 


» nutrition et la vie; seulement il arrive une infinité de généra- 
» tions spontanées dans cet intermèêde, où la puissance du moule 
» est sans action, c’est-à-dire dans cet intervalle de temps pen- 
» dant lequel les molécules organiques se trouvent en liberté dans 
» la matière des corps morts et décomposés , dès qu'elles ne sont 
» point absorbées par le moule intérieur des êtres organisés qui 
» composent les espèces ordinaires de la nature vivante ou végé- 
» tante; ces molécules organiques, toujours actives, travaillent à 
» remuer la matière putréfiée, elles s’en approprient quelques par- 
» licules brutes et forment, par leur réunion, une multitude de 
» petits corps organisés, dont lesuns, comme les vers de terre, les 
» champignons, etc., paraissent être des animaux ou des végé- 
» faux assez grands, mais dont les autres, en nombre presque in- 
» fini, nese voient qu’au microscope. Tous ces corps n'existent que 
» par une génération spontanée, et ils remplissent l'intervalle que 
» Ja nature a mis entre la simple molécule organique vivante et 
» l'animal ou le végétal ; aussi trouve-t-on tous les degrés, toutes 
»les nuances imaginables dans cette suite, dans cette chaîne 
» d'êtres, qui descend de l’animal le mieux organisé à la molécule 
» simplement organique ; prise seule, cette molécule est fort éloi- 
» gnée de la nature de l'animal. Prises plusieurs ensemble, ces 
» molécules vivantes en seraient encore tout aussi loin, si elles ne 
» s’appropriaient pas des particules brutes, et si elles ne les dis- 
» posaient pas dans une certaine forme, approchant de celle du 
» moule intérieur des animaux ou des végétaux. Et comme cette 
» disposition de forme doit varier à l'infini, tant pour le nombre 
» que par la différente action des molécules vivantes contre la ma- 
» tière brute, il doit en résulter, et il en résulte en effet, des êtres 
» de tous degrés d'animalité. Et celte génération spontanée à la- 
» quelle tous ces êtres doivent également leur existence, s'exerce 
» et se manifeste toutes les fois que les êtres organisés se décom- 
» posent; elle s'exerce constamment et universellement après la 
» mort et quelquefois aussi pendant leur vie, lorqu’il y a quelques 
» défauts dans l’organisation du corps qui empêchent le moule in- 
» térieur d’absorber et d’assimiler toutes les molécules organiques 
» contenues dans les aliments. Ces molécules organiques sur- 
» abondantes qui ne peuvent pénétrer le moule intérieur de 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 93 


» l’animal pour sa nutrition, cherchent à se réunir avec quelques 
» particules de la matière brute des aliments et forment, comme 
» dans la putréfaction, des corps organisés; c’est là l’origine des 
» Ténias, des Ascarides, des Douves..…... » 

Un botaniste, M. Turpin, a reproduit de nos jours un système 
qui avait beaucoup d'analogie avee celui des molécules organiques 
de Buffon. (Voir son mémoire du tome XVII des Mémoires de 
l'Académie des sciences.) 

J'arrive maintenant au système de M. Pouchet (1). 

« On peut considérer, dit-il, comme une loi fondamentale que 
» des phénomènes de fermentation ou de dédoublement catalytiques 
» précédent où accompagnent loute génération spontanée. 

» Les organismes ne se produisent qu'à même la nature expi- 
» rante, et au moment où les éléments des êtres sur lesquels ils 
» s'engendrent entrent dans de nouvelles combinaisons chimiques, 
» et éprouvent tous les phénomènes de la fermentation ou de la 
» putréfaction. 

» Il résulte de là qu’il ne se manifeste de générations primaires 
» qu'après que les corps dont elles dérivent commencent àsubir les 
» premiers phénomènes de décomposition ; comme si, pour s’or- 
» ganiser , les êtres nouveaux altendaient la désagrégation des 
» autres, afin de s'emparer des molécules de la substance expi- 
» ranle, à mesure qu'elles se trouvent mises en liberté. I est évi- 
» dent que l'organisme ne puise ses éléments matériels qu’à même 
» les cadavres des anciennes générations. . .« . . Ji 

» Ainsi donc, sous l empire de la fermentation ou ba la Sr 
» faction, les Corps org anisés se décomposent et dissocient leurs 
» molécules organiques ; puis, après avoir erré en liberté pen- 
» dant un temps illimité, lorsque les circonstances plastiques 
» viennent à se manifester, ces molécules se groupent de nou- 
» Veau pour conslituer un nouvel être ui 

» Bientôt après la manifestation des phénomènes de fermenta- 
» lion et de putréfaction, on reconnait qu'il se forme, à la surface 
» des liquides en expérience, une pellicule d'abord inapparente, et 


(1) Traité de la génération spontanée, 1859, p. 335 et suivantes. 


94 L. PASTEUR. 

» que le microscope découvre à peine; puis celle-ci s’épaissil suc- 
» cessivement, et finit même parfois par devenir assez tenace. 
» Cette pellicule est évidemment composée par des débris d’Ani- 
» malcules, d’abord de l’ordre le plus infime, et ensuite par ceux 
» d'espèces de plus en plus élevées dans la série des Microzoaires. 
» C’est cette même pseudo-membrane que j'ai nonunée pellicule 
» proligère, parce qu’il est évident que c’est elle qui, à l’instar d’un 
» ovaire improvisé, produit les Animalcules. On peut y suivre léur 
» développement à l’aide de nos instruments, et reconnaitre qu'ils 
» s’engendrent à même les débris organiques dont elles se com- 
» posent. 

» Les Protozoaires, qui forment d'abord la pellicule proligére, 
» sont des Monades, des Bactériums et des Vibrions. Comment 
» ces Animalcules sont-1ls produits? Nous ne pouvons ledire, leur 
» extrême petitesse les dérobant à toute espèce d'investigation. 

» Lorsque ce sont des végétaux qui apparaissent à la surface 
» des macérations, la pseudo-membrane proligère est alors formée 
» presque uniquement par l’enchevêtrement des mycéliums, des 
» champignons rudimentaires, qu’on observe à sa surface... On 
» pourrait donc ajouter qu'il y a une pellicule proligère eryptoga- 
» nique. » 

Par la réunion des parties des pellicules proligères se forment 
spontanément les ovules des êtres inférieurs. M. Pouchet décrit 
toutes les phases du phénomène. 

Voila le système du savant naturaliste de Rouen, œuvre d’une 
imagination féconde guidée par des observations erronées (1). 

En rapportant ici les principes des systèmes sur la génération 
spontanée qui ont eu le plus de retentissement, mon but principal 
est de montrer que, dans toas, on fait jouer un rôle essentiel à Ja 
matière organique des infusions. Par elle-même, elle jouirait de 
propriétés spéciales acquises dans l'acte de sa formation antérieure 
sous l'influence de la vie. 


(1) On peut lire dans les Ann. des sc. nat., t. IT, 1845, des assertions non 
moins nettement formulées de M. le docteur Pineau sur la génération spontanée 
des Infusoires des Cryptogames. Voy. aussi un ouvrage intitulé : Études physio - 
logiques sur les animacules des infusions, par M. Paul Laurent, ancien élève de 
l'École polytechnique, Nancy, 1853. 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 95 


Les matières albuminoïdes conserveraient en quelque sorte un 
reste de vitalité, qui leur permettrait de s'organiser au contact de 
l'oxygène , lorsque les conditions de température et d'humidité 
sont favorables. 

Nous allons reconnaître que ces opimions sont tout à fait erro- 
nées, et que les matières albuminoïdes ne sont qu'un aliment pour 
les germes des Infusoires et des Mucédinées; qu’elles n’ont pas 
d'autre rôle dans les infusions, car on peut les remplacer par des 
matières cristallisables, telles que des sels d’ammoniaque et des 
phosphates. 

Ainsi se trouvent privées d’une de leurs bases essentielles 
toutes les théories relatives à la formation spontanée des êtres les 
plus inférieurs. fr 

L'expérience m’a montré, en effet, que l’on pouvait remplacer 
dans les essais des chapitres IV, V, VI, Peau de levure de bière 
sucrée, l'urine, le lait, ete., par une infusion composée de la 
manière suivante : 


RARE DHEB de ne Lou le ne 100 
PHOTO CANON ee UPPER 10 
Tartrate d'ammoniaque. . . . . . . 0,2 à 0,5 


Cendres fondues de levüre de bière. 0,4 


Si l’on sème dans cette liqueur, èn présence de l’air calciné, 
les poussières qui existent en suspension dans l'air, on y voit 
naître les Bactériums, les Vibrions, les Mucédinées, etc. Les ma- 
tières azotées albumineuses, les matières grasses, les huiles essen- 
tielles, les substances colorantes propres à ces organismes, se 
forment de toutes pièces à l’aide des éléments de l’ammoniaque, 
des phosphates et du sucre. 

Composons la liqueur de la même manière avec addition de 
craie : 


RHONE ANGERS, She 00 
SUCTOICATIARA MMS, HQE. LA EURE 10 
Tartrate d'ammoniaque. . . . . . . 0,2 à 0,5 


Cendres fondues de levure de bière. 0,1 
Carbonate de chaux pur. , . . . . 3 à 5 gr. 


96 L. PASTEUR. 


etles mêmes phénomènes se produiront, mais avec une tendance 
plus marquée vers les fermentations appelées lactique, visqueuse, 
butyrique , et tous les ferments végétaux ou animaux propres à 
ces fermentations prendront naissance simultanément ou succes 
sivement. 

Je publierai prochainement un travail détaillé sur les résultats 
que j'ai obtenus dans ces études, qui m'ont toujours paru offrir 
un grand intérêt pour la question des générations dites spon- 
tanées. 

C'est par elles que j'ai été conduit à entreprendre les expé- 
riences suivantes dont le succès a dépassé mon attente, 

Dans de l’eau distillée pure, je dissous un sel d’ammoniaque 
cristallisé, du sucre candi et des phosphates provenant de la eal- 
cination de la levûre de bière ; puis je sème dans le liquide quel- 
ques spores de Penicillium ou d’une Mucédinée quelconque. Ces 
spores germent facilement, et bientôt, en deux ou trois jours seu- 
lement, le liquide est rempli de flocons de mycélium, dont un 
grand nombre ne tardent pas à s’étaler à la surface de la liqueur 
où ils fructifient. La végétation n’a rien de languissant. Par Ja 
précaution de l'emploi d’un sel acide d’ammoniaque, on empêche 
le développement des Infusoires, qui, par leur présence, arrête- 
raient bientôt le progrès de la petite plante, en absorbant l'oxy- 
gène de l'air, dont la Mucédinée ne peut se passer. Tout le ear— 
bone de la plante est emprunté au sucre qui disparaît peu à peu 
complétement , son azote à l'ammoniaque, sa matière minérale 
aux phosphates. Il y a donc sur ee point de l'assimilation de 
l'azote et des phosphates une complète analogie entre les ferments, 
les Mucédinées et les plantes d’un organisme compliqué. C’est ce 
que les faits suivants achèveront de prouver d’une manière défi- 
nitive. 

Si, dans l'expérience que je viens de rapporter, je supprime 
l’un quelconque des principes en dissolution, la végétation est 
arrêtée, Par exemple, la matière minérale est celle qui paraitrait 
la moins indispensable pour des êtres de cette nature. Or, si la 
liqueur est privée de phosphates, il n’y a plus de végétation possible, 
quelle que soit la proportion du sucre et des sels ammoniacaux. 
C’est à peine si là germination des spores commence par l'influence 


SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 97 


des phosphates que les spores elles-mêmes que l’on à semées 
introduisent en quantitéinfiniment petite. Supprime-t-on de même 
le sel d’ammoniaque, la plante n’éprouve aucun développement. 
I n'y a qu'un commencement de germination très chétive par 
l'effet de la présence de la matière albuminoïde des spores semées, 
bien qu’il y ait surabondance d'azote libre dans l'air ambiant ou 
en dissolution dans le liquide. Enfin, il en est encore de même 
si l'on supprime le sucre, l'aliment carboné, alors même qu'il y 
aurait dans l’air ou dans le liquide des proportions quelconques 
d'acide carbonique. Tout annonce en effet que, sous le rapport de 
l'origine du carbone, les Mucédinées diffèrent essentiellement 
des plantes phanérogames. Elles ne décomposent pas l'acide 
carbonique; elles ne dégagent pas d'oxygène. L'absorption de 
l'oxygène el le dégagement de l'acide carbonique sont au contraire 
des actes nécessaires et permanents de leur vie. 

Ces faits nous donnent des idées précises sur le mode de nutri- 
tion des Mucédinées, à l’égard duquel la science ne possède pas 
encore d'observations suivies (1). 

D'autre part, et c'est 1à peut-être ce qu'il faut remarquer de 
préférence, ils nous découvrent une méthode à l’aide de laquelle 
la physiologie végétale pourra aborder sans peine les questions 
les plus délicates de la vie de ces petites plantes, de manière à 
préparer sürement la voie pour l'étude des mêmes problèmes 
chez les végétaux supérieurs. 

Lors même que l’on etireit de ne pouvoir appliquer aux 
grands végétaux les résultats fournis par ces organismes d'appa- 
rence si infime, il n’y aurait pas moins un grand intérêt à résoudre 


(1) Un excellent observateur, M. Bineau, nous a laissé sur les Algues vul- 
gairés, plantes un peu supérieures aux Mucédinées, et qui en diffèrent surtout 
par la présence de la matière verte, les résultats suivants, qui montrent que les 
Algues peuvent décomposer l'ammoniaque. | 

« M. Lortet a, depuis plusieurs mois, la complaisance de faire pour moi la 
» récolle des eaux pluviales recueillies à Oullins, et de me l’expédier tous les 
» buit ou quinze jours. À partir du commencement de mai, un brusque change- 
» ment eut lieu dans la composition de ces eaux. L'ammoniaque y disparut tota- 
» lement. J'en fis-la remañque-à M. Lortet, qui m'apprit alors que le flacon ser- 

4* série. Zoo. T. XVI. (Cahier n° 2.) # 7 


98 L. PASTEUR, 


les difticultés que soulève l'étude de la vie des plantes, en com- 
mençant par celles où la moindre complication d'organisation 
rend les conclusions plus faciles et plus sûres : la plante est réduite 
ici en quelque sorte à 1'état cellulaire, et les progrès de la science 
montrent de plus en plus que l'étude des actes accomplis sous 
l'influence de la vie végétale ou animale, dans leurs manifestations 
les plus compliquées, se ramène en dernière analyse à la décou- 
verte des phénomènes propres à la cellute. 


» vant de récipient pour nos eaux, avait commencé à présenter de ces produits 
organisés verdâtres, dont le développement devient si fréquent sous l'influence 
de la température des saisons chaudes et de la lumière. 

» J'ai fait alors des études spéciales au sujet de l'action des Algues sur les sels 
» ammoniacaux et sur les azotates tenus en dissolution dans l’eau environnante. 
J'ai opéré, d'une part, sur l’Algue que sa singulière texture réticulaire m'a 
fait aisément reconnaitre pour l'Hydrodictyon pentagonale, et, d’une autre part, 
» sur une conferve aux longs filaments verts, qui paraît être le Conferva vul- 
» garis. 


5 


» Des quantités jugées à l'œil égales entre elles de chacune des deux espèces 
» d'Algues mentionnées furent enfermées dans des flacons à l'émeri bien bou- 
chés, d'un peu plus d’un demi-litre, avec 250 centimètres cubes d'eau conte- 
» nant 12 millionièmes d'ammoniaque ajoutée à l'état de chlorhydrate et une 
» quantité un peu moindre d'azotate de chaux. Les flacons furent ensuite expo- 
sés, les uns sur une fenêtre où ils recevaient les rayons du soleil,. les autres 
dans le voisinage, mais dans l'obscurité. 
» Après dix jours, le liquide de chaque flacon fut filtré et soumis à un essai 
» ammonimétrique. 

» On a trouvé que l'Hydrodictyon avait fait disparaître au soleil presque les 
» trois quarts de l'ammoniaque, et le Conferva vulgaris près de la moitié, A l'obscu- 
rité, l'absorption de l'’ammoniaque fut environ moitié moindre. 
» Dans aucun des liquides des flacons il ne resta la moindre trace appréciable 
d'azote. 
>» Un dégagement notable de bulles gazeuses s'était, comme d'habitude, mani- 
» festé sous l'influence des rayons solaires autour des plantes mises en expé- 
» rience. » (Mémoires de l’Académie des sciences de Lyon, t. I, 1853.) 


v 


11 


EXPÉRIENCES Ù 
SUR 


LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET SUR LE TÉNIA 
QUI RÉSULTE 


DE SA TRANSFORMATION DANS L’INTESTIN DU CHIEN, 


Par C. BAILLET, 


Professeur à l’École impériale vétérinaire de Toulouse. 


Dans un travail publié en 1859, je disais que si les lois géné- 
rales qui président à l’accomplissement des phénomènes de 
migration et de métamorphoses des Cestoïdes sont aujourd'hui 
bien connues, il n’en est pas de même d’une multitude de ques- 
tions secondaires dont l'étude se relie à la connaissance des mœurs 
de chaque espèce en particulier, et dont la solution offre, à cause 
de cela, le plus grand intérêt pour l’étiologie de quelques maladies 
vermineuses. A cette époque, j'avais pris pour sujet de mes 
recherches les migrations du Cœnure cérébral chez nos diverses 
espèces de ruminants domestiques. Cette année, je me suis plus 
spécialement occupé du Cysticercus tenuicollis Rud., et du Ténia 
auquel il donne naissance; car aujourd'hui encore il existe entre 
les plus éminents helminthologistes, au sujet de la détermination 
spécifique de ce Cestoïde, des dissidences qui ne peuvent être 
levées que par des expériences directes faites dans des conditions 
variées. Je n'ai point réussi à parcourir en entier le cercle des 
investigations auxquelles je désire me livrer sur ce parasite; 
toutefois les résultats que j'ai obtenus me paraissent intéressants 
au double point de vue de la zoologie et de la pathologie vétérinaire, 
et c’est là ce qui me décide à livrer dès à présent à la publicité 
une première partie de mon travail. 


Le Cysticercus tenuicollisRud. est un Ver eystique que l’on ren- 


106 €. BAILLET. 

contre assez fréquemment dans le péritoine du bœuf, du mouton, 
de la chèvre et du pore. Je l'ai trouvé également, à diverses reprises, 
dans les plèvres, chez des bêtes ovines. Enfin, en 1858, j'ai recueilli 
dans le tissu cellulaire de la région sous-lombaire, chez un chat, 
deux Vers qui me paraissent appartenir à celte même espèce. Lors- 
qu'on fait déglatir au chien des Cysheercus tenuicollis recueillis 
chez des ruminants, ils se transforment en Ténias dans l'intestin de 
ce carnassier. Cette expérience, faite par divers naturalistes, notam- 
ment par MM. de Siebold, Leuckart et Kuchenmeister, ne laisse 
aucun doute sur l’identité spécifique du Cysticercus tenuicollis Rud. 
et du Ténia que l’on a désigné sous le nom de Tœnia Cysticerci 
tenuicollis. La démonstration de ce fait acquiert une nouvelle force 
encore par les expériences inverses dans lesquelles M. Kuchen- 
meisler a réussi à reproduire des Cysticerques dans le péritoine des 
bêtes ovines, en faisant prendre à celles-ci des anneaux du Tœænia 
Cysticerci tenuicollis. Mais si tout le monde est d’accord aujourd'hui 
pour reconnaître l'identité spécifique du Cystique et du Ver rubané 
auquel 11 donne naissance, on est bien loin de s'entendre lorsqu'il 
s’agit de décider si le Ver dont nous nous occupons constitue une 
espèce bien distincte parmi les Ténias armés. Les uns, en effet, con- 
sidérent le Ver solitaire de l’homme, certains Ténias du chien et 
ceux de quelques autres carnassiers, comme appartenant tous à un 
seul et même type spécifique, et pensent que cette espèce à l’état de 
Cystique peut vivre indifféreniment sous forme de Cœnure chezles 
ruminants, et sous forme de Cysticerques, très différents les uns 
des autres, chez le porc, les ruminants, le lièvre et le lapin domes- 
tique. Les autres, au contraire, pensent que chaque Cystique appar- 
tient à un Ténia particulier, et que, par conséquent, il doit exister 
dans ce genre autant d'espèces séparées qu'il y a de formes bien 
caractérisées parmi les Vers à vessie. Comme nous l'avons dit déjà 
dans les travaux que nous avons publiés en 1858 (1) et en 1859(2), 
toutes nos expériences entreprises à l’école de Toulouse viennent à 


(1) Voy. Journal des vétérinaires du Midi, 3° série, t. 1, p. 439, et Annales 
des sciences naturelles, 4° série, t. X, p. 491. 

(2) Voy Journal des vétérinaires tu Midi, 3° série, t. II, p. 338, et Annales 
des sciences naturelles, 4° série, t. XI, p. 303, 


EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 101 
l'appui de cette dernière opinion, qui nous parait être l'expression 
de la vérité. Nous avons pensé cependant qu’il ne serait pas mutile 
d'ajouter de nouveaux faits à ceux que nous avons rapportés, et 
c’est là ce qui nous a engagé, à entreprendre, sur une espèce encore 
peu étudiée, les expériences dont nous allons rendre compte. 

Aissi que nous nous en sommes assuré assez souvent, le T'ænia 
Cysticerci tenwcollis, bien qu'il soit plus rare que le Tænta serrata, 
se rencontre néanmoins de temps à autre dans l’intestin du chien. 
Cependant, afin de ne conserver aucun doute sur l’origine des Ces- 
toïdes que nous voulions employer à nos expériences, nous avons 
pris le parti de provoquer directement le développement de Ténias 
de cette espèce dans l'intestin du chien. 

Le12 décembre 1859, une chienne épagneule du nomdeZémire, 
àgée de deux mois et demienviron, reçut un Cysticercus tenuicollis, 
tiré du péritoine d'un mouton. Le 20 et le 21 du même mois, elle 
prit encore trois autres Cystiques de lamême espèce, recueillis, l'un 
dans l'abdomen d'un boue, les deux autres dans le péritoine d’une 
chèvre. Dès le 28 mars 1860, c’est-à-dire cent sept jours après l’ad- 
ministration du premier Cystique, cette chienne commença rendre 
par l'anus quelques proglottis qui me parurent offrir tous les carac- 
tères que j'avais constatés en 1858 sur des Tœnia Cysticerci tenui- 
collis, dont j'avais provoqué la formation dans l'intestin de divers 
chiens. Ces anneaux contenaientdes œufs mûrs. À partir du L° avril, 
les expulsions devinrent assez fréquentes, et je pusutiliser les pro- 
glottis à des expériences en les administrant, à plusieurs reprises, 
à cinq jeunes agneaux de trois à quatre mois, à peine sevrés depuis 
quelques jours. 

De ces cinq animaux un seul a succombé ; les quatre autres ont 
été successivement sacrifiés. 


Acxeau N° 1. — Le premier de ces ruminants dont nous ayons à 
parler est une agnelle qui, en trois fois, a pris dix-sept anneaux ren- 
dus par la chienne Zémire, savoir : 

Le 4 avril, un proglottis ; 

Le 5 avril, cinq proglottis ; 

Et le 10 avril, onze anneaux rendus en un seul fragment. 


F0 €. BAILELT. 

Le matin du 14 avril, cette agnelle, qui la veille avait mangé avec 
appétit et n'avait présenté aucun symptôme particulier, est trouvée 
gravement malade. Elle est couchée sur le sternum et appuyée con- 
tre le mur de son étable. La tête est à demi tombante à l'extrémité 
du cou, et, par moments, elle est agitée de tremblements convulsifs. 
Les paupières sont baissées, les veux chassieux et lormoyants, 
et la bête ne prête aucune attention à ce qui se passe autour d’elle. 
La respiration est grande, profonde, et l'expiration s'accompagne 
d’un ronflément peu sonore, qui parfois se transforme en une véri- 
table plainte. La conjonctive, la muqueuse de la bouche, la peau, 
sont d'une pâleur effrayante. Les battements du cœur sont forts, 
irréguliers, et le pouls est à peine sensible. Autour des naseaux 
existe du sang coagulé qui indique qu’'ime hémorrhagie a eu lieu 
par le nez pendant la nuit. Du sang que l’on retrouve sur la toison 
d’un autre agneau qui vit dans le même compartiment que la bête 
dont il est ici question, atteste par sa quantité que cette hémorrha- 
gie a du être considérable, 

On faitlever l’agnelle malade, et, pour l’observer plus facilement, 
on la conduit dans une pièce mieux éclairée. Pendant le trajet d’ail- 
leurs peu étendu qu’elle a à parcourir, sa marche est lente et vacil- 
lante; elle s'arrête souvent, et dans la station elle tient ses mem— 
bres écartés, comme pour élargir la base de sustentation. Arrivée 
dans le nouveau local où on l’a conduite, elle se laisse aller sur la 
paille et paraît sur le point d’être suffoquée. Elle reste longtemps 
dans cet état ; puis peu à peu elle semble se calmer. Toutefois les 
symptômes qu'on a observés le matin persistent en s’aggra- 
vant. 

Dans l'après-midi, la bête secouche et se relève sans cesse ; elle 
mange un peu d'herbe verte qu’on lui présente, mais elle s'arrête 
souvent et semble oublier le fourrage qu’elle a dans la bouche. 
Vers midi, on lave les naseaux avec de l’eau tiède pour les débar- 
rasser du sang coagulé qui les obstrue en partie, et presque 
aussitôt un liquide sanguinolent s'écoule par le nez. Deux fois la 
bête expulse de l'urine en petite quantité, et ce liquide est égale- 
ment sanguinolent. Enfin, à trois heures, les plaintes deviennent 
plus fréquentes, l'animal reste définitivement couché, et après 


EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET@LE TÉNIA. 403 
quelques convulsions peu énergiques d’ailleurs, il succombe à 
trois heures et demie. | 

L'autopsie est faite immédiatement. 

Tous les viscères abdominaux sont trouvés baignant dans du 
sang qui s’est épanché en quantité considérable dans la cavité du 
péritoine. Les vaisseaux, examinés avec le plus grand soin, ne 
laissent voir aucune ouverture ni aucune lésion qui puisse expliquer 
ceite hémorrhagie interne. Le foie est gorgé de sang, et à la moin- 
dre pression que l’on exerce à sa surface, il laisse transsuder ce 
liquide. La surface du foie est parsemée d’une innombrable quantité 
de petits sillons droits ou peu sinueux : les uns d’un rouge brun, les 
autres d’un rouge plus clair, s’entrecroisant souvent de différentes 
manières et ne laissant pas intact un seul point de la superficie de 
l'organe. La capsule qui revêt celui-ci se détache avec la plus grande 
facilité du tissu de la glande, et lorsqu'elle est enlevée on reconnait 
que les sillons dont nous venons de parler sont creusés dans le 
parenchyme même du foie, et qu’ils sont comblés en partie par du 
sang qui s’est coagulé en petits caillots. Dans chaque sillon on trouve 
une, deux, trois ou quatre petites vésicules ovoïdes, dont nous 
donnerons plus loin la description, et qui sont placées, les unes 
parallèlement, les autres transversalement au grand axe du sillon 
qu’elles occupent. Du reste, avant même que l'on ait enlevé par- 
tiellement la capsule du foie, de nombreuses vésicules semblables 
se sont détachées, entrainées par le sang qui a transsudé de l'organe. 
Ce fait s’est produit déjà, sans doute, pendant la vie; car dans le 
sang qui est épanché dans le péritoine, on retrouve un grand nom- 
bre de vésicules tout à fait identiques avec celles du foie. Enfin, ce 
n’est pas seulement à la surface que ce dernier organe présente des 
altérations; car, en le divisant avec l’instrament tranchant dans le 
sens de son épaisseur, on reconnait que partout son parenchyme 
est creusé de galeries qui, sur leur coupe, offrent le même aspect 
que les sillons de la surface, et, comme eux, sont occupées par de 
petits caillots sanguins et par des vésicules. 

Le canal cystique et la vésieule biliaire sontdistendus par la bile ; 
mais dans leur intérieur op ne trouve point de vésicules. La rate est 
parfaitement saine. 


10! e 

Toute la partie flottante de l’épiploon est le siége d’un épanche- 
ment sanguin qui s’est fait entre les deux lames du péritoine. Le 
sang qui s'est coagulé dans celte région dessine une sorte de lacis 
d’un rouge foncé, au milieu duquel on trouve encore de nom- 
breuses vésicules semblables à celles du foie. Dans les autres régions 
du péritoine on voit aussi çà et là quelques vésicules qui ne sont 
point encore enkystées. 

Le tube digestif est sain. Il en est de même des reins et de la 
vessie. Celle-eiest complétement vide, l’animal ayant uriné quelques 
instants avec sa mort. 

Dans la poitrine, le poumon offre à sa surface des ecchymoses 
assez nombreuses, espacées, non confluentes, dont le diamètre varie 
entre 2 et 8 ou 16 millimétres. En incisant la plèvre, on reconnait 
que ces ecchymoses re pénètrent qu'à une faible profondeur, et 
que toujours le centre de chacune d'elles est occupé par une, ou plus 
rarement par deux vésicules de même forme, mais un peu plus 
petites que celles du foie. Un petit caillot de la grosseur d’une 
tête d’épingle se trouve toujours à côté de chaque vésicule. Les 
bronches, la trachée et les cavités nasales sont remplies d’un liquide 
spumeux un peu rosé. Le cœur et les gros vaisseaux paraissent 
entièrement sains. 

Il n’y a rien à noter dans le cerveau ni dans ses enveloppes. 

Dans toutes les régions du corps, le tissu musculaire est pâle et 
décoloré. 

C'est par milliers qu'il faudrait compter les vésicules dont, à 
l’autopsie de cet animal, on a constaté la présence dans le foie, le 
poumon, l’épiploon, et jusque dans le sang épanché dans le péri- 
toine. Toutefois il ne faut pas oublier de faire remarquer que c’est 
le foie surtout qui est le siége occupé par les parasites en voie de 
migration, et que tout cet organe en est littéralement criblé, au 
point qu'il suffit d'en presser un morceau entre les doigts pour 
faire sourdre aussitôt de toutes parts des vésicules en grand 
nombre. 

Quels que soient d’ailleurs les points occupés par les vésicules, 
elles offrent les caractères suivants. Elles sont ovoïdes , à parois 
transparentes, et remplies à l’intérieur d’un liquide clair et limpide. 


€. BAILLET,. 


EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TENIA, 105 
Elles ne portent encore aucune trace de scolex, et l’on ne saurait 
au juste prévoir le point où celui-ci devra se former. Leur meni- 
brane, considérablement grossie, est finement granuleuse, et 
chez quelques-unes que j’examine dès que l’agnelle est ouverte, 
je puis constater des contractions et de légères modifications dans 
la forme. Les plus grosses d’entre elles, qui ont été trouvées en 
grand nombre, surtout dans le foie ou dans le sang épanché 
dans le péritoine, sont longues de 2 millimètres à 3°”,50, et 
larges de 41°°,20 à 1°°,40. D'autres n’ont guère plus de 1°",50 
de longueur. Enfin, les plus petites n’ont pas plus de 0"”,35 à 
0"*,60 dans leur grande longueur. 

Avant de m'arrêter sur les conséquences qui me paraissent 
découler des symptômes et des lésions observés chez l'animal dont 
je viens de retracer l’histoire, je crois devoir rapporter les quatre 
autres expériences qui ont donné des résultats beaucoup moins 
saillants, mais qui cependant ne sont pas dépourvus d'intérêt. 


AGNEaU N° 2. — Un agneau du même âge que la bête dont nous 
venons de parler a reçu, en huit fois, du 26 avril au 16 mai 1860, 
jusqu’à cent seize anneaux rendus par la chienne Zémire, tous 
semblables, d’ailleurs, à ceux utilisés dans la précédente expérience. 
Cet animal n’a jamais manifesté la moindre tristesse, et l’examen 
le plus minutieux, fréquemment renouvelé, n’a jamais fait décou- 
vrir en lui aucun symptôme de maladie. Le 5 juin, on l’a sacrifié, 
et à l’autopsie , faite immédiatement après la mort, on a constaté 
les lésions suivantes : 

Le rumen porte dans l’épaisseur de sa paroi inférieureune tumeur 
du volume d’un œuf de poule, dure, résistante, creusée à l'intérieur 
d’une cavité anfractueuse, remplie elle-même d’un pus épais et 
comme caséeux. Il existe, disséminés dans le péritoine, dix-neuf 
Cysticerques de différentes grosseurs. Les plus forts ont leur vési- 
eule longue de 20 à 25 millimètres et large de 10 à 12 millimètres. 
Cetté vésicule est un peu conique, obtuse en arrière. A l’extrémité 
opposée se trouve le scolex qui fait saillie de 2 millimètres environ. 
Chez d’autres, les vésicules sont un peu plus petites, mais de même 
forme. Chez tous, la tête du scolex, qui est invaginée, est parfaite- 


106 €. BAILLET. 


ment formée, munie de ses quatre ventouses, de sa trompe et de 
sa double couronne de érochets, où l’on retrouve, d’ailleurs, tous 
les caractères de dimensions et de formes que j'ai signalés en 1858, 
comme élant propres au Cyslicercus tenuicollis. Tous ces Vers 
s’agitent encore au moment de l’autopsie, et quatre d’entre eux, 
choisis parmi les plus gros, sont immédiatement administrés à un 
jeune chien. 

Le foie porte à son bord inférieur un kyste qui est à peu près 
du volume d’une grosse fève. Ce kyste, dont les parois sont très 
épaisses et très résistantes, renferme dans son intérieur un Cysti- 
cerque moitié moins gros que ceux signalés plus haut. La tête de 
ce dernier Ver est cependant complétement organisée comme celle 
des autres. 

La surface du foie est parsemée de quelques taches d’un blanc 
jaunâtre, de forme irrégulière, et de dimensions variables. Les 
plus petites ont environ 1 ou 2 millimètres de diamètre. Si on 
les incise, on pénètre dans une pelite cavité circonscrite par des 
parois propres, et dans lintérieur de laquelle se trouve une 
matière pulpeuse, molle tout à la fois, onctueuse et granu- 
leuse au toucher, qui fait légèrement effervescence par les 
acides, mais sans se dissoudre entièrement. Quelques taches 
un peu plus étendues correspondent à des cavités un peu plus 
grandes et contenant la même matière. D'autres, qui ont jusqu’à 
2 ou 5 centimètres de longueur, sont formées par le rappro- 
chement d’un certain nombre de petites cavités semblables à 
celles que je viens de décrire. En faisant des coupes dans l’épais- 
seur du foie, on reconnaît que des dépôts, semblables à ceux 
que nous yenons de signaler, se sont formés dans la profondeur 
de cette glande. La plupart sont sous forme de points peu éten- 
dus; d’autres sont sous forme de longues trainées sinueuses et 
étroites; et les petites cavités qui constituent les unes et les 
autres sont remplies de cette manière pulpeuse que nous avons 
signalée plus haut. 

Les autres organes contenus dans la cavité abdominale sont sains. 
I n'existe aucune lésion appréciable, ni dans le crâne, ni dans la 
cavité thoracique. 


EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERGUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 107 
AGneau N° 3. — Ce troisième agneau à beaucoup mieux résisté 
que les deux animaux dont nous venons de parler, à l’introduc- 
tion des parasites dans son économie. En effet, après avoir reçu, 
le 5et le 21 mai, huit anneaux recueillis au milieu de matières 
fécales de la chienne Zémire, il a été sacrifié le 27 juin. A l’autop- 
sie, on n’a pu voir dans le péritoine qu'un seul Cysticercus terui- 
collis. En outre, le foie était entièrement sain, et le cerveau, ainsi 
que les autres organes, ne présentait non plus aucune altération 
pathologique. 


Agneau n° 1. —De même que les trois sujets qui précèdent, ce 
quatrième agneau a dégluti des anneaux de Ténia rendus par la 
chienne Zémire. Ces anneaux, au nombre de onze, ont été admi- 
nistrés , le premier à la date du 28 avril, et les dix autres, qui 
d'ailleurs ne renfermaient que peu d'œufs mürs, à la date du 16 mai. 
Pendant sa vie, l'animal n’a laissé voir aucun symptôme particulier. 
On l’a sacrifié le 2 août, et l’on à trouvé dans le péritoine seulement 
huit Cysticercus tenuicollis dont les scolex étaient pourvus de cro- 
chets parfaitement formés et dont les ampoules étaient manifeste- 
ment plus grosses que celles recueillies chez l'agneau sacrifié le 
5 juin, Le foie offrait, d’ailleurs, à sa surface et dans sa profondeur, 
quelques taches blanchâtres semblables à celles observées chez 
l'agneau n° 2, mais beaucoup moins nombreuses. 


AGnEau N° 5. — Treize anneaux rendus par la chienne Zémire 
ont été administrés en trois fois, le 28 avril, le 7 mai et le 21 mai, 
au dernier agneau dont il nous reste à parler. Cet animal, qui n’a 

été sacrifié que le 14 janvier 1861, a conservé toutes les appa- 
rences d’une santé excellente jusqu’au moment de sa mort. A 
l'autopsie, on a rencontré dans le péritoine, particulièrement entre 
les lames de l’épiploon, sur le foie et au voisinage du rectum, 
trente Cysticercus tenuicollis. Un autre Cystique de même espèce 
a élé trouvé dans le thorax, adhérent au bord postérieur du pou- 
mon droit. Tous ces Vers étaient enkystés. Leurs vésicules étaient 
de la grosseur d'une noix, et leurs scolex, plus gros que ceux 
recueillis dans les expériences précédentes, élaient tous pourvus 


108 C. BAILLET. 


d’une double couronne de 32 à 36 crochets, présentant dans leurs 
formes et dans leurs dimensions tous les caractères que nous avons 
indiqués pour les Cystiques de cette espèce, dans le travail que 
nous avons publié en 1858. 

Le foie offrait, en outre, à sa surface, des taches blanchâtres, 
disséminées : les unes allongées,ilongues d’un centimètre environ ; 
les autres, arrondies et plus petites. Les premières avaient l'aspect 
de véritables cicatrices, et au-dessous de leur tissu légèrement 
épaissi, on rencontrait la substance du foie parfaitement saine. Les 
autres correspondaient le plus souvent à de petites cavités du 
diamètre d'un pois où même d’un diamètre moins considérable. 
Toutes ces cavités étaient remplies d’une matière pulpeuse, granu- 
leuse au toucher, et présentant parfois une dureté presque pier- 
reuse. Enfin, dans son épaisseur, le foie laissait voir aussi de sem- 
blables dépôts. Ajoutons, d’ailleurs, que les cicatrices et les dépôts 
dont nous venons de parler n'étaient pas très nombreux. 

Quant aux autres organes, bien qu'ils aient été examinés avec 
le plus grand soin, on n’a pu constater en eux la moindre trace 
d’altération. 

La multiplicité des vésicules qui dans la première expérience ont 
été rencontrées dans différents points de la poitrine et de l’abdo- 
men; le développement encore peu considérable de ees vésicules; 
leur apparition rapide peu de jours après la première administra- 
tion des anneaux du Tœnia Cysticerci tenuicollis, ne permettent de 
conserver aucun doute sur leur origine. Il est évident qu’elles 
dérivent des œufs contenus dans les anneaux de Ténia administrés 
à l'animal, et que les désordres ‘graves qui ont entrainé la mort 
du sujet mis en expérience ont été produits par les efforts tentés 
par les proscolex, pour accomplir l’une de leurs migrations et 
arriver au sein des organes où existent les conditions favorables à 
leur développement ultérieur. En présence de ce résultat si remar- 
quable, il est permis de s'étonner que l’on n'ait rencontré qu’un 
nombre si restreint de Cysticerques dans le péritoine des quatre 
derniers sujets soumis à la même expérience. Cette différence dans 
les effets produits sur des animaux du même âge ne peut s’expli- 
quer que par ce fait déjà bien souvent constaté, que dans une 


EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 109 
espèce déterminée les animaux opposent à l'introduction des Hel- 
minthes dans l’économie une résistance variable, au point que 
chez quelques-uns, tous les œufs administrés peuvent éclore et 
produire des Vers, tandis que chez les autres c’est à peine si quel- 
ques œufs parviennent à se trouver dans les conditions favorables 
à leur éclosion et à la conservation de la vie chez l'embryon. I] 
y a là quelque chose d’occulte que l'on ne saurait expliquer d’une 
manière satisfaisante, mais dont il faut tenir compte avec le plus 
grand soin dans toutes les expériences qui ont pour objet d'étudier 
les phénomènes de la reproduction chez les Vers parasites. Quoi 
qu'il en soit, il est certain que, pour démontrer la transformation 
des œufs du Ténia administrés en Cysticerques, on ne saurait s’ap- 
puyer sur les résultats donnés par les autopsies des agneaux por- 
tant les n° 5 et 4; car le Cysticercus lenuicollis est commun 
chez les bêtes ovines, et il n’est pas absolument rare d'en rencon- 
trer jusqu'à huit ou dix dans le péritoine d'un seul animal. Mais 
en constatant ce fait, nous ne devons pas manquer de faire obser- 
ver que chez les moutons entretenus dans de bonnes conditions 
hygiéniques, comme l’étaient celles où se trouvaient les animaux 
sur lesquels nous avons expérimenté, le nombre des Cysticercus 
tenuicollis est toujours très restreint (D). Ceci nous amène naturel- 


(1) En consultant mes notes, je vois que dans les autopsies assez nombreuses 
de chèvres et de moutons que j'ai faites depuis plusieurs années, il ne m'est 
jamais arrivé de rencontrer plus de sept Custicercus tenuicollis dans le péritoine. 
Deux agneaux seulement font exception : ce sont ceux dont j'ai tracé l'histoire 
dans le travail que j'ai publié en 4855 (Journal des vétérinaires du Midi, 2° série, 
t. IX, p. 97). Chez ces animaux, on a trouvé à l’autopsie, « dans le péritoine, 
» à la surface du foie et dans le poumon, de nombreux Cysticerques de l'espèce 
» Cysticercus tenuicollis. » Mais ces agneaux avaient pris, l'un quatre-vingt-dix- 
huit jours et l’autre cent seize jours avant d’être sacrifiés, des anneaux d'un 
Ténia rendus par un chien, et dont l'espèce n'avait pas été déterminée. Or, 
comme le Tænia Cysticerci tenuicollis existe parfois dans l'intestin du chien, il 
n'est pas impossible que les anneaux administrés aient élé de cette espèce, et 
que leurs embryons, en se développant au sein du péritoine et des autres orga- 
nes, y aient fait naître les Cysticercus tenuicollis trouvés à l’autopsie. Je ne pense 
donc point que ce fait particulier puisse infirmer en rien les assertions que j'ai 
avancées plus haut. 


110 C. BAILLET.. 


lement à donner un peu plus d'importance aux résultats de la 
seconde expérience dans laquelle vingt Cysticerques ont été pro- 
duits, et surtout à ceux de la cinquième expérience, où l'on à pu 
recueillir dans les séreuses jusqu’à trente et un Cysticerques. Nous 
n'hésitons pas à reconnaître cependant que, si ces deux expériences 
ont quelque valeur pour aider à résoudre les questions relatives à 
la détermination spécifique du Cysticercus tenuicollis et de son 
Ténia, c’est seulenent lorsqu'on les rapproche du fait observé chez 
l'agneau n° 1. Si, en effet, on les laissait isolées, elles seraient 
bien loin de suffire pour lever les doutes de ceux qui n’acceptent 
point encore entièrement les théories nouvelles sur la reproduction 
des Cestoïdes. Ce sera done presque exclusivement sur notre pre- 
mière expérience que nous nous appuierons dans les quelques con- 
sidéralions qu’il nous reste à ajouter à notre (ravail. 

Dans le compte rendu que nous avons publié en 1858, nous avons 
essayé de démontrer que le Cænurus cerebralis,le Cysticercus pisi- 
formis ct le Cysticercus tenuicollis sont les scolex de trois espèces 
parfaitement distinctes. Les expériences que nous venons de rap- 
porter donnent une nouvelle force à notre assertion. Si, en effet, le 
Tœnia Cysticerci tenuicollis, par exemple, était de la même espèce 
que leT'ænia serrala et le Tœænia cœnurus, les œufs de ce Ténia que 
nous avons administrés dans notre première expérience auraient 
dù provoquer tout à la fois la production de Cysticerques dans le 
péritoine et la production de Cœnures dans le crâne. Or, comme 
nous l'avons dit, les centres nerveux étaient parfaitement sains et 
ne laissaient voir aucune trace du passage des proscolex. Le foie, 
au contraire, était littéralement criblé de Cystiques en voie de migra- 
tion. S'il en a élé ainsi, c'est que les œufs du Tænia Cysticerci 
lenuicollis ne peuvent engendrer què des C'ysticerques, et que, par 
conséquent, le Ver qui les produit ne saurait étre de la même 
espèce que celui qui donne naïssance au Cœnure cérébral. 

Les nombreuses vésicules qui existaient dans le foie de l’animal 
consacré à la première expérience, ainsi que les traces particulières 
observées dans le foie des agneaux n° 2, 4 et 5, démontrent 
clairement que, pour arriver dans le péritoine, les proscolex du 
Tœnia Cysticerci tenuicollis traversent, pour la plupart, l’organe 


EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. At 


sécréteur de la bile. Par quelle voie ces animaux microscopiques 
pénètrent-ils dans cette glande? On peut présumer que ce n’est 
point par les canaux biliaires, car dans ces canaux on n’a point 
trouvé de vésicules. Je ne sais si je me fais illusion, mus il me 
semble que les lésions rencontrées à l’autopsie du premier agneau 
indiquent que c’est par les vaisseaux et à la faveur du cours du 
sang que les Vers’arrivent dans le foie. Il est assez probable qu'a- 
près être sortis de l’œuf, les proscolex s’introduisent dans la veine 
porte par les racines de ce vaisseau, et sont ainsi portés jusqu’au 
milieu du parenchyme de la glande, d’où ils doivent ensuite sortir 
pour pénétrer dans le péritoine. La présence de quelques vésicules 
au sein du tissu du poumon me paraît appuyer mon assertion ; car, 
dans l'hypothèse que je viens d'émettre, on comprend facilement 
que des embryons ont pu traverser le foie sans s’y arrêter, et que 
de là ils ont pu être portés dans la veine cave par les veines sus- 
hépatiques, puis dans le cœur, et en dernier lieu dans le poumon, 
par l'artère pulmonaire. Mais je me hâte d'ajouter que ce n’est 
là qu’une hypothèse qui a besoin, pour passer au rang des vérités 
acquises à la science, d’être démontrée par des recherches directes. 
Je m'abstiendrai done d'insister aujourd’hui davantage sur ce sujet. 
Aussi bien aurai-je encore occasion de revenir sur le Cyshcercus 
tenuicollis, qui, par eéela même qu'il vit chez plusieurs de nos 
espèces domestiques, offre pour les vétérinaires et pour les zoolo- 
gistes un intérêt tout particulier. 


NOTE SUR LE SYSTÈME NERVEUX 
BT PARTICULIÈREMENT 


SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DU MARSOUIN, 
(DELPHINUS PHOCÆNA). 


Par M. BAZIN, 


Professeur à la Faculté des sciences de Bordeaux. 


(Extrait.) 


Le système nerveux ganglionnaire des Cétacés n'avait pas en- 
core été éludié, et les recherches que M. Bazin vient de publier 
à ce sujet dans les Mémoires de la Société des sciences physiques 
et naturelles de Bordeaux rempliront cette lacune en ce qui con- 
cerne la portion antérieure de ce système; mais l’auteur n’a pas 
élendu ses observations à la portion abdominale de cet appareil 
ganglionnaire. Il résume son travail de la manière suivante : 


4° Le Marsouin n’a ni lobes ni nerfs olfactifs, ce que l’on sait 
depuis longtemps. 


2° Le rameau nasal est très développé et se distribue à la mem- 
brane muqueuse des évents. 


8° Les connexions du ganglion ophthalmique sont les mêmes 
que dans les autres Mammifères. 


h° Les, connexions connues dans les Mammifères entre la 
deuxième branche de la cinquième paire et le nerf facial, entre ce 
dernier, le nerf auditif, le glosso-pharyngien et le ganglion cer- 
vical supérieur, existent dans le Marsouin. 

5° Le nerf accessoire naît du faisceau postérieur de la moelle 
épinière par de nombreuses racines très rapprochées les unes des 
autres, comme dans les Oiseaux. 

6° Le pneumogasirique fournit de nombreux filets nerveux 
aux tissus contractiles et à la membrane muqueuse des bronches; 
les artères et les veines reçoivent anssi de nombreux filets ner 
veux du pneumogastrique. 

7° Le Marsouin n’a que deux ganglions pour la région cervi- 
cale ; 1ls sont moins volumineux que dans l’homme. 

8 La région thoracique n’a que six ganglions, ou sept, en 
comptant pour deux le septième qui est bilobé. Ils sont aussi volu- 
mineux que dans l’homme et les autres Mammifères. 


RECHERCHES D'EMBRYOLOGIE COMPARÉE 


SUR LE DÉVELOPPEMENT 


DE LA TRUITE, DU LÉZARD ET DU LIMNÉE, 


Par M. LEREBOULLET, 


Professeur à la Faculté des sciences de Strasbourg. 


(Mémoire qui a obtenu le grand prix des sciences physiques décerné par l’Académie des 
sciences, dans la séance publique du 2 février 1857.) 


« La philosophie, dans les sciences d'observation, est 
l'ensemble des formules ou des principes qui résument les 
faits. » SERRES, Organogénie, t. II, p. 15. 


AVANT-PROPOS. 


L'Académie des sciences, dans sa séance du 30 janvier 1854, 
a remis pour la troisième fois au concours l’importante question 
du développement comparatif des animaux : 

« Établir, par l'étude du développement de l'embryon dans 
» deux espèces prises, l’une dans l’embranchement des V'erlébrés, 
» et l’autre soit dans l'embranchement des Mollusques, soit dans 
» celui des Articulés, des bases pour l’embryologie comparée. » 

« Le grand objet, ajoute le programme, que, par le choix de 
celte question, l’Académie propose aux efforis des naturalistes et 
des anatomistes, est la détermination posilive de ce qu'il peut y 
avoir de semblable ou de dissemblable dans le développement 
comparé des Vertébrés et des Invertébrés. » 

Telle est la question difficile posée par l’Académie, question de 
faits et question d'appréciation. 

Les faits, suivant nous, doivent précéder les doctrines ; celles-ci 
ne peuvent être solides et durables qu'autant qu'elles reposent sur 
l'observation exacte des faits et sur leur appréciation loyique. 
C’est celle vérité, exprimée par un esprit éminemment philoso- 

4° série, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 2.) # 8 


114 LEREBOULLET . 
phique, que nous avons choisie pour épigraphe, et que nous avons 
inscrite en tête de notre travail. 

Cette vérité est surlout importante en embryologie comparée, 
science encore jeune, née d'hier pour ainsi dire, et hérissée de 
difficultés soit pour la constatation des faits, soit pour leur juste 
appréciation. 

C'est par l’étude minutieuse des détails observés dans chaque 
espèce zoologique qu’on arrivera un jour à pouvoir comparer 
entre eux les faits qu'on aura recueillis. 

Nous partageons entièrement, sous ce rapport, l’avis d’un excel- 
lent observateur, M. Vogt, qui s'exprime ainsi dans la préface de 
son Embryologie des Salmones : « Pour établir l'embryologie sur 
des bases solides, iln°y a, selon moi, qu’une manière de procéder : 
c'est de remonter, comme on l’a fait pour l'anatomie comparée, 
du simple au composé, et de ne déduire des règles générales 
qu'autant que l'on a acquis une connaissance spéciale des diffé- 
rents types. » (P. 1v.) 

Dans un précédent travail, j'avais étadié deux espèces de Pois- 
sons osseux, la Perehe et le Brochet, comme types des Vertébrés, 
et l’Écrevisse de rivière comme type d'animal articulé. 

Dans le présent mémoire, j'ai choisi pour sujets d'étude la 
Truite comme Vertébré anallantoïdien, le Lézard comme Vertébré 
allantoïdien, et le Limnée des étangs comme type de Mollusque. 

J'ai donc pu me procurer, par l'observation, un nombre assez 
considérable de matériaux dont je me suis servi pour étudier la 
question du développement comparatif de ces animaux. 

Seulement j'ai rencontré dans l'étude de la Truite et dans celle 
du Lézard des obstacles matériels tenant à la nature de leurs œufs, 
obstacles qui m'ont empêché de pénétrer dans tous les détails de 
leur composition aux diverses époques de leur développement. II 
n’en a pas été de même du Limnée; j'ai pu étudier minutieuse- 
ment toutes les phases du développement de ce Mollusque, et je 
crois être arrivé à constater, dans son embryologie, un certain 
nombre de faits nouveaux. 

J'ai cru devoir denner un soin tout particulier à la comparaison 
des résultats obtenus, c’est-à-dire à l'étude des ressemblances et 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 445 
des différences. Pour rendre plus facile leur appréciation, j'ai 
donné à la fin de chaque chapitre, dans les trois monographies 
que j'ai traitées, un résumé des principaux faits contenus dans ce 
chapitre. 

Dans la quatrième partie de mon travail, qui traite de la déter- 
mination des ressemblances et des différences entre le développe- 
ment des Vertébrés et celui des Invertébrés, j'ai comparé succes- 
sivement entre eux, sous le rapport de leur développement, les 
divers animaux qui font l'objet de mes monographies particulières ; 
puis, dans un dernier chapitre, j'ai cherché à apprécier la valeur 
des ressemblances, et surtout celle des différences que j'ai eu à 
constater, afin d'arriver à en faire ressortir les plus importantes. 

BR crois avoir obtenu de cette manière, des résultats positifs ; 
puisse cette conviction passer dans l'esprit de mes lecteurs. 


PREMIÈRE PARTIE. 


EMBRYOLOGIE DE LA TRUITE COMMUNE. 


(Salar Ausoniü, VAL. Salmo fario L. BL.) 


CHAPITRE I. 


De l'œuf avant la fécondation. 


Les ovaires de la Truite sont deux longs sacs qui occupent toute 
l'étendue de la cavité viscérale. Les œufs sont enchâssés dans les 
parois de ces sacs ; ils grossissent peu à peu, toujours coiffés par 
la membrane ovarienne recouverte intérieurement de son épithé- 
lium; puis, quand ils sont arrivés à maturité, ils se détachent de 
Vovaire, tombent dans la cavité abdominale, et ne tardent pas à 
être pondus pour recevoir l’action fécondante de la liqueur sé- 
minale. 

J'ai étudié la composition des œufs ovariens et celle des œufs 
mürs détachés de l'ovaire, et tombés dans la cavité abdominale. 

On sait que les parois des sacs ovariens renferment toujours 


4116 LEREBOULLET. 


une mulütude de jeunes ovules, de dimensions très diverses, des- 
tinés à mürir et à être fécondés l’année suivante. Les plus petits 
ovules que j'aie pu découvrir mesuraient 0"",05. 

Ces très petits ovules se composaient : 1° d’une enveloppe 
amorphe membraneuse très mince, et 2° d’une vésicule germina- 
tive, quelquefois très grosse, relativement au volume de l’ovule. 
Dans celui dont je viens de parler, par exemple, qui avait un dia- 
mètre de 0"",05, la vésicule mesurait 0"",04. 

Cependant cetle grosseur proportionnelle de Ia vésicule ne se 
voit pas longtemps, car, dans la plupart des petits ovules dont j'ai 
mesuré les parties, elle avait moins de développement. Voici quel- 
ques-unes de ces mesures : 


Ovule Vésicule germinative. 
mm mm 
ET. ., 0,06 

DRE NE pe. HU 0,06 

DATRueue amet, 0,07 

OR dl à 0,09 

0,58. yray<q dd a u0 413 


Dans la plupart des petits ovules, la vésicule germinative est 
excentrique; elle est toujours plus ou moins rapprochée de la paroi 
de l’enveloppe, quelquefois collée contre cette paroi; ce n’est que 
dans les ovules un peu plus gros que la vésicule est centrale. 

Ce fait semblerait montrer que la vésicule naît contre les parois 
de la cellule ; cependant il pourrait aussi s’interpréter par le déve- 
loppement de la cellule autour de la vésicule primitivement for- 
mée. Seulement, dans cette dernière supposilion, on ne comprend 
pas pourquoi la cellule ne se développe pas concentriquement avec 
la vésicule. Il semble naturel d'admettre que la force qui déter- 
mine la condensation de la matière organique autour d’un noyau 
primitif, doit être la même sur toute la périphérie de ce noyau, 
d'où il suit que l’enveloppe devrait toujours, dès le principe, se 
trouver à égale distance de la vésicule, ce qui n’a pas lieu. 

Les petits ovules dont nous parlons sont toujours recouverts par 
l’épithélium ovarien qui semble faire corps avec eux. Cet épithé- 
lium est quelquefois composé de très grosses cellules qui masquent 
le contenu de l’ovule. (PI. 2, fig. 4.) 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 117 


L'accroissement des ovules se fait d'une manière simultanée, 
mais inégale, dans ses parties constituantes. La vésicule se déve- 
loppe moins rapidemeut que l’ovule lui-même. 

L'augmentation de volume de la vésicule germinative est un fait 
mis aujourd'hui hors de toute contestation par des observations 
nombreuses. Il suffit, pour s’en assurer, de mesurer les parties 
conslituantes de quelques œufs à divers degrés de développement. 

Le contenu des ovules primitifs est d'abord une matière gra- 
Mieuse pale, à peine distincte, mais qu’on rend plus apparente 
pa la coagulation, à l’aide d'un peu d’eau acidulée. 

uand l’ovule grossit, et dès qu'il a dépassé 0"",4, on voit se 
lorner autour de la vésicule germinative une couronne de petits 
corp&cules sphériques, réfractant fortement la lumière, mais 
tanSprents à leur centre, ce qui indique leur nature vésiculeuse. 
Ces pets corps sont des vésicules graisseuses qui commencent à 
se forme (fig. 2). Leur présence donne aux ovules une couleur 
sombre. à couronne s’élargit rapidement en s'étendant vers la 
périphérie l'œuf, et bientôt celui-ci est rendu presque opaque 
par l’acCumlation de ces éléments graisseux. 

Le conter de la vésicule germinative a un caractère particu- 
lier ; il consie dans de petits corpuscules sphériques, brillants, 
que l’on connä sous le nom assez vague de taches germinatives. 
Ces taches sont &s petites, quelquefois à peine perceptibles dans 
les très petits Giles ; mais, à mesure qu’elles grossissent, elles 
deviennent plus SlJantes, et remplissent la vésicule. 

Les ovules donte viens de donner la description se rencon- 
trent pendant toutéannée dans les ovaires de la Truite, aussi 
bien avant qu'après :ponte. 

C'est vers la fin & septembre ou dans les premiers jours 
d'octobre que les ŒufS 5rochent de la maturité, dans les Truites 
des Vosges et de la foriNoire, Les deux ovaires sont alors tur- 

gescents, et occupent l'abmen dans toute sa longueur. Les œufs, 
d'un beau jaune or ang ${ régulièrement serrés les uns contre 
les autres, et entourés étrOsnent par les parois de l'ovaire qui 


forment une capsule autour chacun d’eux. Leur diamètre est 
ordinairement alors de à Millüires. 


118 LEREBOULLET. 


Vus par transparence, à un faible grossissement, ces œufs 
paraissent uniformément remplis de gouttes d'huile de diverse 
grosseur (fig. 3). Les plus grosses mesurent 0"",16, et les plus 
petites de 0"*,04 à 0,02. Il ne m'a pas été possible de découvrir 
de vésicule germinative dans ces gros œufs, soit en employant 
une compression graduelle, soit en vidant l'œuf, et en examinant 
attentivement son contenu. Mais j'apercevais ordinairement, vers 
le centre de l'œuf, une tache foncée de forme irrégulière, qui mA 
semblé, malgré sa position centrale, être formée par les débis 
de la vésicule. 

En piquant l’œuf, on voyait s’échapper, avec les gouttes d’hile, 
des grumeaux opaques formés par une agglomération d’élénents 
très petits. 

Ayant coagulé ces œufs, je les examinai au soleil par la Jmière 
directe, et je vis constamment, dans chacun d'eux, uneou plu- 
sieurs petites taches blanches couleur de lait, opaques dont la 

einte mate tranchait fortement sur la couleur jaunâtredu reste 
de l’œuf. : 

J'examinai avec soin plusieurs de ces taches blanchitres. 

Quand il n’en existe qu'une dans un œuf, elle St arrondie, 
aplatie, et elle forme un disque plissé, comme chiffhné, et rem- 
pli de granules. Ce corps arrondi et aplati, rataté, n’est autre 
chose que la vésicule germinative qui s’est vidé et dont il ne 
reste plus que l'enveloppe avec quelques granul0nS encore con- 
tenues dans sa cavité. L'une de ces vésicules viës se lrouvait près 
de la surface de l’œuf; elle avait 0"",49 de amètre. La mem- 
brane chiffonnée qui la composait était forméde granules micro- 
scopiques d’une extrême pelitesse, cohénts, serrés les uns 
contre les autres, et constituant, par cet aangement, une mem - 
brane granuleuse et non une simple pellile- 

J'ai répété un grand nombre de fois 1s1ême observation, tou- 
jours après avoir coagulé l’œuf. Quet il n’y avait qu'un seul 
corps blanchâtre, il était régulièreme discoïde et rapproché de 
la surface de l'œuf, Lorsqu’au contre il existait plusieurs taches, 
ce que j'ai vu rarement, elles était irrégulières et dispersées. 

L'œuf lui-même n’était compe due de gouttes d'huile en 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 119 


grande quantité, et d’un liquide albumineux particulier qui a la 
propriété de se coaguler immédiatement dans l’eau et de troubler 
ce liquide. 

Un mois plus tard, vers la fin d’ociobre ou au commencement 
de novembre, les œufs commencent à se détacher de l'ovaire. Ils 
ont encore un peu grossi; leur diamètre approche de 4 milli- 
mètres. 

Ces œufs mûrs ou presque mûrs ont aussi, comme les précé- 
dents, leur vésicule germinative vidée et ratatinée ; cette vésicule 
e trouve tout à fait à la surface. 

J'ai examiné, après les avoir coagulés, dix œufs d’une même 
Tuite. Dans tous les dix, j'ai trouvé à la surface un petit disque 
blac très apparent, visible à travers le cliorion, sur les œufs 
Cotulés, et qu’on pouvait détacher facilement avec des aiguilles. 
Ce sque mesure, en général, 06"",60. En le déchirant avee des 
aiguies, on voit qu'il constitue un véritable sac vide, aplati, 
chiffoné; cependant il contient encore, assez souvent, des amas 
de Conuscules celluliformes, granuleux, dont le diamètre varie 
de 0°",05 à 0"",16, et dont quelques-uns sont nucléés. 

Dans ne de ces vésicules germinatives qui mesurait 0"",65, 
les corpusules celluliformes étaient réunis à son centre en assez 
grand notre; d’autres corpuscules, beaucoup plus petits ét d’un 
aspect brilht, se trouvaient dispersés dans l'intérieur de la vési- 
cule ; dés CO: amoncelés au centre avaient les caractères de véri- 
tables cellule: f]s étaient sphériques, un peu aplatis, remplis de 
granulés brilkts; quelques-uns d’entre eux avaient un noyau 
transparent. (FE. h.) 

Ces cellules nsuraient jusqu'à 0°",046, tandis que les petites 
vésicules dispersé n'avaient que 0**,003 à 0°°,005. 

Le contenu des 4fs mûrs détachés de l’ovaire se composait, 
comme les précédes, de gouttes d'huile de toutes les dimensions 
dispersées dans toultétendue de l'œuf, et d'un liquide très vis- 
queux qui se coagulet se solidifie en quelque sorte immédiate- 
ment dans l’eau. 

Je piquai plusieurs @, et j'en examinai le contenu avec toute 
l'attention possible, à nure qu'il s'écoulait, et sans y ajouter 


420 LEREBOULLET,. 


aucun menstrue., Je n'ai trouvé dans la substance de l’œuf aucun 
corps particulier, si ce n’est de petites sphères faiblement rosées, 
distinctes des globules graisseux par leur couleur et par leur 
contour moins ombré. Au milieu du liquide qui s’échappait de 
l'œuf, on voyait flotter çà et là quelques lambeaux jaunâtres com- 
posés de vésicules brillantes et provenant des débris de la vésicule 
germinative. Dans les œufs coagulés, ces débris apparaissaient 
comme de pelites taches blanches de la même nuance que la vési- 
cule germinative, et qui tranchaient distinctement sur la couleur 
opaline de la substance vitelline coagulée. 

Depuis le moment où ils passent dans la cavité abdominale jus: 
qu’à l’époque à laquelle ils sont pondus, les œufs subissent trs 
peu de changements. 

Si l’on pique un de ces œufs entièrement murs et propres à ére 
fécondés, et qu'on en examine le contenu à mesure qu’il s’éoule 
sur la plaque de verre, on trouve : 1° de nombreuses goutts de 
graisse de toutes les dimensions ; 2° un certain nombre de etites 
vésicules rosées (les globules vitellins); et 3° quelques rares 
flocons jaunâtres composés de vésicules élémentaires agglmérées 
et cohérentes. 

Vus coagulés, ces mêmes œufs n'offrent pas à l’urde leurs 
pôles la tache jaune opaque qui est si apparente danles œufs 
mürs du Brochet. Seulement les globules huileux sesont accu- 
mulés en plus grande quantité vers un des pôles deœuf, ce qui 
donne une teinte jaunâtre à celte région. 

Si l’on réduit en parcelles l'œuf solidifié par la Agulation, on 
rencontre çà et là, au milieu de ces fragments, r petites taches 
opaques et ternes. Ces taches sont dues à la préser d'une matière 
finement granuleuse, au milieu de laquelle se vent quelques gra- 
oules plus gros et brillants. Il n’existe plus au trace de vési- 
cule germinative, mais la grande analogie dSpect et de com- 
position entre les flocons dont je viens dearler et la vésicule 
elle-même, me fait croire que les flocons entléstion proviennent 
de cette dernière. 

Au moment de la ponte, l'enveloppe 6 @ufs ou chorion est 
mince, très molle, et elle n’offre pas enc? la résistance et l’élas- 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE.  AZ4 
ticité qu'elle acquiert au bout de quelque temps de séjour dans 
l’eau. 

La structure de cette coque est en rapport avec la fonction 
qu'elle est appelée à remplir, celle de faciliter l'absorption de l’eau 
et le passage des gaz nécessaires à la respiration de l'œuf, et plus 
tard à celle de l'embryon. En effet, elle est percée de part en part 
d’une infinité de petits tubes excessivement fins, droits, parallèles 
les uns aux autres, et qui donnent un aspect strié aux coupes pra- 
tiquées suivant l’épaisseur de cette membrane. 

Ces tubes n'ont pas plus de 1/700° de millimètre, ou 0°",0044 
d'épaisseur. Leur présence donne à la surface du chorion, quand 
on l’examine sous un fort grossissement, un aspect finement 
ponctué. ) 


Résumé du premier chapitre. 


1. L'ovule primitif de la Truite est composé de deux sphères 
emboîtées : la sphère vitelline et la vésicule germinative. 

2. Dans l’origine, la vésicule germinative remplit, pour ainsi 
dire, la sphère ou vésicule vitelline, ce qui peut faire penser que 
c'est la vésicule germinative qui est la première formée dans 
l'ovaire. 

3. La vésicule germinative grossit progressivement en même 
temps que la sphère vitelline ; mais l'accroissement de cette der- 
nière est plus rapide, et bientôt elle l'emporte de beaucoup en 
volume. 

k. Dès leur apparition, les deux sphères sont le siége d’un tra 
vail qui a pour résultat la production d’une substance particulière, 
différente dans chacune des deux sphères. 

5. Le contenu de la sphère vitelline est d’abord une matière 
liquide, homogène, tenant en suspension une substance finement 
granuleuse : puis une matière graisseuse qui se dépose sous forme 
de petites vésicules autour de la vésicule germinative, et ne tarde 
pas à remplir l’ovule. 

6. Le contenu de la sphère germinative consiste dans des cor- 


192 LEREBOULLET. 


puseules brillants, vésiculeux, qui grossissent et se multiplient au 
point de remplir cette sphère. 

7. Pendant toute la durée de son évolution dans l'ovaire, l’ovule 
est entouré d’une capsule ovarienne propre, recouverte intérieu- 
rement d’une couche d’épithélium vésiculeux. 

8. L’accroissement de l'œuf produit des résultats différents sur 
le contenu des deux sphères. La sphère vitelline multiplie ses élé- 
ments graisseux, et le liquide, au milieu duquel flottent ces der- 
niers, acquiert la propriété de troubler l’eau en se coagulant immé- 
diatement dans celle-ci. La sphère germinative transforme ses 
éléments vésiculeux en cellules, qui se remplissent d’une matière 
granuleuse. Quand la sphère vitelline a atteint le terme de son 
évolution, la vésicule germinative se déchire, et son contenu se 
disperse au milieu des éléments du vitellus. 

9. L’œuf mür se compose donc de deux groupes d'éléments 
différents les uns des autres, mais d’abord mêlés et confondus : 
1° les éléments de la sphère vitelline qui sont des globules grais- 
seux, et le liquide dans lequel ils nagent ; 2° les éléments de la 
vésicule germinalive qui sont des cellules et des granules vési- 
culeux. 

Ces derniers éléments constituent la substance plastique, orga- 
nisable, du nouvel être; les éléments de la sphère vitelline en 
constituent la substance nutritive. 

10. Pendant la durée du développement de l'œuf, les éléments 
solides dont il se compose tendent à se porter vers la périphérie, 
et à se concentrer à l'un de ses pôles. 

11. Quand la vésicule germinative a terminé le cycle de son 
évolution, elle est vide, flasque, située à la surface de l'œuf, et ne 
tarde pas à disparaître complétement. 

12. Les éléments fournis par la vésicule germinative restent 
quelque temps sous forme de cellules dispersées dans l'œuf ou 
réunies en pelits amas. Ces cellules renferment des corpuscules 
vésiculeux (les granules ou corpuscules plastiques) qui plus tard 
deviennent libres, et se mêlent aux autres éléments de l’œuf. 

13. Dans la Truite, les éléments plastiques produits par la 
vésicule germinative et les éléments nutritifs fournis par la sphère 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1423 


vitelline, restent mêlés et confondus jusqu’à l’époque de la fécon- 
dation. Les œufs mûrs de ce poisson, même ceux qui vont être 
pondus, n’offrent pas la tache jaune si apparente dans le Brochet, 
et qui provient de la condensation des éléments plastiques. 

A4. La coque, dans les œufs mûrs, est composée d’une quantité 
innombrable de petits tubes qui s’ouvrent au dehors, et la rendent 
très perméable à l’eau. 


CHAPITRE IL. 


Première période du développement de l'œuf, ou période préparatoire, 
comprenant les changements qui surviennent dans l'œuf depuis la 
fécondation jusqu’à la formation de l'embryon. 


Les œufs qui viennent d’être fécondés différent peu, quant à 
leur aspect, des œufs mürs non fécondés. 

Is se gonflent par leur séjour dans l’eau et acquièrent, au bout 
de vingt-quatre heures, un diamètre de 5 millimètres ; leur coque 
devient dure et élastique; les gouttes d’huile s’amassent en plus 
grande quantité vers un des pôles de l’œuf. 

Si l’on ouvre un œuf sous le miéroscope, on voit s’en échapper, 
avec le liquide vitellin et les gouttes huileuses, une grande quan- 
tité de flocons jaunâtres demi-opaques. Ces flocons ont un aspect 
granuleux (fig. 5); ils se composent d’un amas de granules 
pulvérulents, au milieu desquels on remarque de très pelites 
vésicules brillantes et des corps celluliformes sphériques, de 
grandeur variable, remplis de granulations et munis d’un noyau 
vésiculeux; ces corps celluleux ont en moyenne un diamètre de 
0"",02. Cà et là on rencontre, au milieu de ces éléments, des glo- 
bules à teinte mate, uniforme, grisäfre ou quelquelois faiblement 
rosée. 

En résumé, l’œuf fécondé, examiné frais, renferme : 

4° Un liquide visqueux, abondant, qui se coagule immédiate- 
ment dans l’eau ; 

2° Des globules de graisse liquide, véritables gouttes d'huile 
qui sont accumulées surtout vers un des pôles de l'œuf; 


12/4 LEREBOULLET. 

3° Une substance organisable, jaunâtre, amassée vers le même 
pôle et composée : 

a. D'une base finement granuleuse ; 

b. De corpuscules brillants (corpuscules plastiques), disséminés 
au milieu de la matière granuleuse précédente ; 

c. De cellules granuleuses nucléées ; 

d. De corps celluliformes, grisâtres ou rosés, non granu- 
leux. 

Ces deux derniers éléments sont probablement les globules 
vitellins de l'œuf de la Truite; je n'ai jamais vu dans cet œuf les 
globes vitellins qu’on rencontre dans le Brochet, dans la Perche 
et dans d’autres poissons osseux. 

Pour mieux apprécier les rapports des divers éléments que je 
viens de faire connaître, il convient de coaguler l'œuf à l’aide 
d’une eau faiblement acidulée. 

Des œufs coagulés immédiatement après la fécondation offrent 
la composition suivante : 

Il existe à l’un des pôles de l’œuf une pellicule membraneuse, 
amorphe, fenêtrée, c’est-à-dire offrant une multitude de trous que 
remplissaient des vésicules graisseuses ; celles-ci s’échappent 
pendant la préparation de la pièce. 

Cette pellicule, qui entoure un tiers ou une moitié de l'œuf, a 
pour base une substance granuleuse, amorphe, interposée entre 
les gouttes d'huile et formant, avec ces dernières, le disque hui- 
leux. L’acide coagule cette substance granuleuse, et les gouttes 
d'huile, en s’échappant, laissent des vides aux endroits qu’elles 
occupaient. 

C’est cette pellicule qui constituera le feuillet organique (feuillet 
muqueux) du germe embryonnaire. Au-dessus d’elle se trouve un 
disque jaunâtre, aplati, peu épais, fortement adhérent à la pelli- 
cule sous-jacente. C’est le disque embryonnaire, composé d’élé- 
ments granuleux très fins et des granules brillants que j'ai 
désignés sous le nom de corpusceules plastiques. Les éléments qui 
composent ce disque germinateur sont très cohérents et difficiles 
à désagréger, 

Le reste de l'œuf est transparent; le vitellus ne renferme plus 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1925 


que quelques flocons jaunâtres , coagulés, répandus çà et là en 
petite quantité. 

Pendant les quatre ou cinq premières heures qui suivent la 
fécondation, le travail de condensation des éléments plastiques 
vers le pôle de l'œuf continue, le disque germinateur s’épaissit et 
acquiert plus de consistance; il devient aussi plus jaune. Le 
vitellus, au contraire, augmente de transparence, et bientôt on ne 
trouve plus au milieu du liquide dont il est composé, aucune trace 
de la substance floconneuse qu’il renfermait auparavant. 

Vers la sixième heure, le disque est assez cohérent pour 
s'échapper en entier de l’œuf, quand on ouvre celui-ci sans le 
coaguler. On voit alors qu'il est essentiellement composé de petits 
granules vésiculeux, brillants, ou corpuscules plastiques. 

Il résulte de ces observations que les premiers temps de l'évo- 
lütion de l’œuf de la Truite, après la fécondation, sont caractérisés 
par l’accumulation vers l’un de ses pôles, des éléments forma- 
teurs qui se trouvaient auparavant dispersés dans le vitellus. Ces 
éléments formateurs ont été fournis par la vésicule germinative, 
véritable sphère génératrice qui prépare les premiers matériaux 
dont le germe devra se composer. En même temps que les cor- 
puscules plastiques se réunissent pour former le germe ou disque 
embryonnaire, les gouttes d'huile s’amassent au-dessous de ce 
dernier pour fournir les éléments nutritifs, et des granules parti- 
culiers se réunissent en une membrane très mince qui deviendra 
le point de départ de la formation des organes digestifs. Ainsi, 
tout est préparé pour la constitution du nouvel être : le disque 
embryonnaire, situé immédiatement au-dessous de la membrane 
vitelline et composé d'éléments plastiques ; puis le disque muqueux 
avec un amas de gouttes huileuses, placé sous le précédent et 
formé surtout d'éléments nutritifs. 

I est très difficile de suivre avec exactitude le fractionnement 
vitellin sur l'œuf de la Truite, à cause de l’opacité de son enve- 
loppe. On est obligé d’avoir recours à la coagulation, et alors le 
germe est plus où moins déformé ou altéré dans sa structure par 
l’action de l’eau acidulée. 

Cette circonstance m’a empêché aussi de préciser l’époque 


126 LEREBOULLET. 


exacte à laquelle la segmentation commence. D'ailleurs, l’époque 
des différentes phases du développement varie chez la Truite 
comme chez les autres poissons , et probablement chez tous les 
animaux à sang froid, suivant la température et d’autres in- 
fluences extérieures, le degré de pureté de l’eau par exemple. 

C'est vers la dixième heure que parait commencer la segmen- 
tation par la division du germe en deux portions. La subdivision 
de ces deux sphères en sphères plus petites et de plus en plus 
nombreuses se passe rapidement, c’est-à-dire dans l’espace de 
quelques heures. Ainsi, par exemple, les mêmes œufs qui avaient 
quatre globes de segmentation à la dix-neuvième heure, en pré- 
sentaient seize quatre heures plus tard. 

La division du germe se fait, comme toujours, par des lignes 
qui le partagent suivant des directions perpendiculaires les unes 
aux autres. Lorsqu'il a été partagé en deux, la seconde ligne de 
division se dispose perpendiculairement à la première pour con- 
stituer la segmentation en quatre. Quelquefois la coque est assez 
transparente pour qu'on puisse distinguer le germe à travers; on 
voit alors les quatre lobes faire saillie au-dessus du vitellus, en 
chevauchant plus ou moins l’un sur l’autre. Si l’on ouvre l'œuf 
pour en faire sortir le germe, celui-ci s’aplatit aussitôt et il n’est 
plus possible de reconnaitre les lobules de segmentation. Maïs en 
ayant recours à la coagulation, on voit le germe divisé en quatre 
parties par deux lignes en croix. 

La division en huit a lieu par de nouvelles lignes qui partagent 
les quatre premières sphères en deux; la pièce coagulée et dé- 
formée par l’action de l'acide offre une figure étoilée par suite 
de la régularité des lignes de division. Quand on ouvre un œuf 
qui a été coagulé, le germe reste attaché à la face interne du 
chorion, tandis qu’il se détache facilement du vitellus. La mem- 
brane sous-jacente au germe, que nous appellerons désormais le 
feuillet muqueux, accompagne toujours celui -ei auquel elle adhère 
fortement; ce germe est loujours plat et très mince. Les éléments 
des globes de segmentation sont les mêmes que ceux qui compo- 
saient le germe avant le commencement du travail de fractionne- 
ment. Ces éléments sont: 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 127 


1° Une matière finement granuleuse, pulvérulente, dont les 
granules sont fortement condensés et donnent au germe une teinte 
jaunûtre ; 

2° De très petites vésicules transparentes (les corpuscules plas- 
tiques). 

Il ne m'a pas été possible de constater la présence d’une grosse 
vésieule transparente, située au centre de chaque sphère , sorte 
de cytoblaste qui parait exister dans tous les globes de segmenta- 
lion, et qui joue sans doute un rôle important dans le travail du 
fractionnement. Il est à présumer que ces vésicules cyloblastiques 
ont des parois très minces et qu’elles sont masquées par les gra- 
nules, Cependant j'ai examiné beaucoup de germes soit frais, soit 
coagulés, avec ou sans compression, sans rien voir qui ressemblât 
à une vésicule centrale. 

Examinés dans le liquide albumineux de l’œuf, dans lequel 
ils restent translucides, les globes de segmentation ne laissent 
apercevoir que les deux groupes d'éléments que je viens de signa- 
ler : les granules pulvérulents et les vésicules plastiques. IL se 
pourrait que les vésicules centrales ne fussent présentes qu’à une 
certaine époque; nous verrons, en effet, dans le développement 
du Limnée, qu’elles apparaissent et disparaissent successivement 
à diverses époques du développement de l'œuf. Ces recherches 
sur l'existence d’une vésicule cytoblastique au centre des globes 
de segmentation m'ont permis de constater que ces derniers sont 
privés d’une membrane propre. Aussitôt qu'on vide l'œuf, on 
voit les globes se déformer sur leurs bords, comme une matière 
diffluente ; souvent ils se rejoignent et se donné l’un dans l’autre 
de manière à faire disparaitre toute trace de division. IL est évi- 
dent que cette fusion des globes en une seule masse est incompa- 
üible avec l'existence d’une enveloppe membraneuse particulière. 

À la division du germe en huit sphères succède bientôt la divi- 
sion en douze, puis en seize. Les sphères deviennent plus petites 
ebmieux circonscrites; elles sont disposées les unes autour des 
autres, de manière que leur ensemble affecte une forme 2lobu- 
leuse (fig. 6). Le diamètre du germe pris en totalité n’a pas 
changé ; il était primitivement d’un millimètre et il conserve cette 


198 LEREBOULLET, 


dimension pendant que son fractionnement à lieu; il suit de là 
que les globes de segmentation deviennent, comme je viens de 
le dire, plus petits à mesure qu'ils se multiplient; en effet, dans 
un germe divisé en seize globes, chacun de ceux-ci ne mesurait 
que 0*",20 ; dans d’autres germes, également divisés en seize, 
chaque globe avait jusqu’à 0", 30 et 0°", 35. 

Lorsque le fractionnement est arrivé à vingt-quatre ou trente 
globes, j'ai pu constater que l’arrangement de ceux-ci forme une 
sphère creuse. En coagulant le germe et en cherchant à le diviser 
à l’aide d’une aiguille, on parvient assez facilement à s'assurer de 
l'existence d’une petite cavité centrale, résultant de ce que les 
globes tendent à se grouper vers la périphérie. Nous verrons bien- 
tôt qu'à la fin du fractionnement le germe est transformé en une 
véritable vésieule, fait dont nous avons aussi constaté l'existence 
dans l'œuf du Brochet et dans celui de la Perche, et qui est pro- 
bablement général dans les poissons osseux. 

Le mécanisme suivant lequel le fractionnement continue, pa- 
rait toujours être le même. Chacun des globes nouvellement 
formé se partage, au bout de quelque temps, en deux hémisphères, 
par une ligne droite qui le divise en totalité, puis les deux moi- 
tiés S’arrondissent et chevauchent d’abord l’une sur l’autre, avant 
de s’'isoler lout à fait. La composition des sphères reste aussi 
toujours la même. Qu'on les examine fraîches ou coagulées, 
c'est toujours la même substance granuleuse et comme pulvéru- 
lente qui en forme la portion principale, et l'on trouve au 
milieu de ces granules une quantité plus ou moins grande de 
vésicules ou corpuscules plastiques, que l’on reconnaît à leur 
aspect brillant. 

Le fractionnement n'intéresse que le disque auquel nous avons 
donné le nom de germe, c’est-à-dire le vitellus formateur. La 
membrane sous-jacente au germe, pas plus que le vitellus nutritif, 
ne prend aucune part à ce travail. 

Pendant toute la durée du fractionnement, la membrane située 
sous le germe et qui lui adhère fortement conserve la même 
composition et le même aspect fenêtré dont j'ai parlé plus haut. 
Elle déborde le germe dans une certaine étendue et retient empri- 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 129 


sonnées, au milieu de la substance granuleuse qui la compose, 
un nombre considérable de gouttes huileuses. 

Quant au vitellus proprement dit, il est pris, par l'effet de la 
coagulation, en une masse transparente et comme vitrée, et sa 
surface est couverte de gouttelettes huileuses, accumulées en plus 
grande quantité au-dessous du feuillet muqueux. 

Le fractionnement du vitellus continue jusqu’à la fin du second 
jour. Vers la quarante-sixième ou quarante-huitième heure, quel- 
quefois déjà à la trente et unième heure, les globes de segmentation 
n'ont plus que 0"",1; le germe offre alors un aspect granulé 
ou müriforme, et bientôt il redevient lisse extérieurement. 

Depuis cette époque, que l’on regarde généralement comme la 
fin du travail de segmentation, jusqu’à l'apparition de l'embryon, 
il s'écoule encore un temps assez long, du troisième au huitième 
jour, pendant lequel les globes de segmentation deviennent de 
plus en plus petits et sont peu à peu remplacés par de véritables 
cellules. 

D’après cela, il conviendrait peut-être de diviser le fractionne- 
ment vitellin en deux périodes. La première comprendrait la seg— 
mentation proprement dite, qui commence à la division du germe 
primitif en deux sphères, et se termine lorsque, par suite de la 

subdivision des sphères nouvellement formées, le germe est rede- 
venu lisse. La seconde période du fractionnement comprendrait le 
travail de division ultérieure des petites sphères et leurs métamor- 
phoses, depuis que le germe est redevenu lisse jusqu’à la formation 
des véritables cellules. 

Dans la première période, on désigne sous le nom de globes de 
segmentation les sphères qui se forment successivement. Nous 
proposerons d'appeler globes générateurs les dernières petites 
sphères qui résultent du travail de cette première période, c’est-à- 
dire les derniers globes de seomentation {ormés. Notre deuxième 
période .du fractionnement comprend done la division des globes 
générateurs et les changements qu'ils éprouvent jusqu'à l'ap- 
parilion des véritables cellules embryonnaires. Cette phase du 
développement est peu connue et difficile à étudier. On sait 
aujourd’hui, à Ja vérité, que les cellules proprement dites ne ré- 

k° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 3.) 1 9 


130 LEREBOULLET. 


sultent pas directement de la division des globes de segmentation, 
c'est-à-dire ne sont pas, comme on l’a cru, les derniers termes 
de cette division. Mais ce que personne n'a encore bien fait con- 
naître, c’est le mode suivant lequel se constituent les cellules, 
ainsi que les relations qui existent entre ces dernières et les globes 
générateurs dont elles dérivent. 

Malgré de nombreuses et longues recherches, je ne suis pas 
encore en mesure de résoudre cette question difficile; cependant 
les résultats de mes études sur les œufs de la Truite, joints à ceux 
que m'ont fournis les œufs de l’Ecrevisse et ceux du Limnée des 
étangs, pourront jeter quelque lumière sur cette partie si impor- 
tante et si curieuse de l’embryogénie. 

Le plus ordinairement, c’est de la quarante-huitième à la cin- 
quante-deuxième heure, c’est-à-dire à la fin du second jour ou au 
commencement du troisième, que le germe a un aspect fram- 
boisé, par suite du fractionnement successif des sphères vitellines. 

Le germe forme alorslune petite sphère très aplatie, ou un disque 
renflé dans son milieu, aminei sur ses bords, de 1°*,30 à 4°" ,40 
de diamètre, enchâssé au milieu du disque huileux dont les vési- 
cules le débordent de toutes parts (fig. 7, 8, 9). Ce disque est 
creux (fig. 12); il constitue donc une véritable vésieule que nous 
appellerons, comme dans nos précédents mémoires, vésieule 
blastodermique , parce que c’est cette vésicule qui s'aplatit et 
s'étend progressivement sur l'œuf pour former le blastoderme. 

Si l’on ouvre un œuf vivant et qu'on en fasse sortir la vésicule 
blastodermique, au milieu du liquide albumineux et sans addition 
d’eau, on voit qu'elle se compose entièrement de sphères granu- 
leuses, jaunâtres, peu transparentes à cause des granules qui les 
remplissent. Ces sphères sont toutes d’égale dimension ; elles me- 
surent 0"".,08 dans les uns, 0"*,10 ou quelquefois 0"",14 dans 
d’autres, suivant l’âge du germe; mais dans un même œuf, elles 
ont à yeu près toutes la même grandeur. . | 

Elles sont essentiellement composées d’une substance granu- 
leuse, très fine, la même que celle dont était formé le germe avant 
la segmentation, et de petites vésicules transparentes, dispersées 
en petit nombre au milieu de cette matière. Ces sphères ont très 


RECHEBCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 131 


peu de consistance; elles se déforment sur la plaque de verre, 
quand on les examine dans l’albumine de l'œuf; leur bord devient 
plus clair, tandis que la partie centrale plus foncée pourrait faire 
croire à l'existence d’un gros noyau. Les mêmes globes généra- 
teurs coagulés ne diffèrent pas beaucoup des précédents par leur 
aspect (fig. 10). Seulement ils sont un peu plus foncés, mais, 
comme eux, ils ont des caractères qui les distinguent des vraies 
cellules ; tels que les nombreux granules dont ils sont remplis, 
leur apparence homogène, leur teinte jaune, l’absence d'un véri- 
table noyau tel qu'on en trouve dans les cellules; tandis qu'ils 
ont la plus grande analogie avec les globes de segmentation, qu'ils 
représentent, en effet, en petit. Une ou deux heures plus tard, l'as- 
pect de ces globes générateurs a changé. Les petites vésicules 
transparentes (vésicules plastiques), qui commençaient à se mon- 
trer dans les œufs précédents, se trouvent maintenant en grand 
nombre interposées parmi les granules ordinaires, et dans la plu- 
part des globes on distingue nettement un noyau muni d’un 
nucléole vésiculeux (fig. 14). Ces sphères humectées d’eau se 
gonflent par l'absorption de ce liquide. 

Le germe dans les œufs coagulés se dessine nettement sur le 
vitellus, comme un disque blane situé au milieu du disque huileux 
qui le déborde de toutes parts (fig. 7). Il est convexe en dessous 
et enfoncé dans une dépression du vitellus. La membrane sous- 
jacente (feuillet muqueux), qui adhère au germe par toute sa face 
inférieure, forme autour de lui une sorte de bourrelet produit par 
une accumulation de vésicules graisseuses que la coagulation em- 
prisonne dans les mailles de la membrane elle-même (fig. 8), 
mais qui s’échappent pour la plupart, pendant qu’on étale la pièce 
sur le porte-objet. 

A cetle époque, comme encore un jour ou même deux jours 
plus tard, on peut facilement constater la nature vésiculeuse du 
disque blastodermique, en le coupant en deux par le milieu ou en 
le disséquant à l’aide de fines aiguilles sous un grossissement suf- 
fisant. On obtient des préparations dans lesquelles cette disposition 
est rendue très visible par l’écartement qu’on observe entre les 
déux feuillets du disque (fig. 12), Plus tard, quand cet écartement 


432 LEREBOULLET, 


paturel n’est plus aussi prononcé, on peut le produire artificielle- 
ment, en séparant l’un de l'autre les deux feuillets, et s'assurer 
qu'ils n'adhérent l’un à l’autre qu’à la périphérie du disque. J'ai 
trouvé le feuillet supérieur formé d’une simple couche de globes 
générateurs, tandis que l'inférieur est composé de deux couches 
au moins de ces sphères. | 

Nous pouvons done admettre comme un fait bien établi que 
dans la Truite, comme dans le Brochet et la Perche, le fractionne- 
ment du germe transforme celui-ci en une vésicule creuse qui se 
déprime de plus en plus de manière à former une petite calotte. 
Cette calotte constitue le blastoderme qui s'étale peu à peu sur le 
vitellus et finit par l’envelopper complétement. 

Pendant toule la durée du troisième et du quatrième jour, les 
globes générateurs qui étaient homogènes et tous de même di- 
mension, commencent à se différencier et offrent des change- 
ments dans leur aspect et dans leur composition, en même temps 
qu'ils deviennent insensiblement de plus en plus petits. 

Tandis qu'ils mesuraient 0"",12 ou 0"*,10 à la fin du second 
jour, ils se réduisent successivement à 0"",09, à 0"*,06, à0"",03; 
et l’on rencontre dans la même pièce des sphères de dimension 
très différente. 

J'ai trouvé, par exemple, vers le milieu du quatrième jour (à la 
quatre-vingt-cinquième heure) le germe composé de corps ovoïdes 
ayant 0"°,09 de longueur sur 0"",05 de largeur, et d’autres 
corps plus petits, globuleux, de 0*",04 de diamètre. 

Les globes générateurs continuent à montrer une grande dif- 
fluence. Quand on les examine frais, ils se déforment et assez 
souvent se fondent les uns dans les autres quand ils se touchent 
par leurs bords. 

La composition de ces éléments du germe est très variable à 
cette époque. Tantôt ils paraissent simplement remplis de granules 
sans aucune trace de noyau; d’autres fois ils contiennent un 
noyau vésiculeux, transparent, renfermant lui-même un, deux 
ou plusieurs petits nucléoles brillants. Quelquelois on trouve dis- 
persées au milieu des granules, de très petites vésicules brillantes, 
comme dans la fig. 11, qui existent conjointement avec le noyau. 


RECHERCHES SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 133 
La coagulation produit sur ces globes générateurs un effet singu- 
lier. Tandis qu'à l’état frais, ils semblent dépourvus d’une enve- 
loppe propre, ils font voir, par la coagulation, une membrane 
chiffonnée et plissée, plus ou moins étendue ; ils ressemblent alors 
à des cellules qui auraient un gros noyau avec ou sans nucléole 
(lg. 13 et #4). 

Cette apparence celluleuse n’est probablement qu'un effet de la 
coagulation. L’amas de granules est entouré d’une couche d'albu- 
mine qui se prend en membrane sous l’influence de l’eau acidulée; 
la masse granuleuse éprouve en même temps, par suite de la 
même cause, un retrait plus ou moins considérable. 

Ce n’est que plus tard qu'apparaissent les vraies cellules, lors- 
que les globes générateurs se seront encore subdivisés. Ces der- 
niers continuent à être le siége d’ün travail intérieur de transfor- 
mation, travail qui se manifeste par l'apparition et la disparition 
du noyau vésiculeux et des vésicules plastiques. Ce travail paraît 
précéder la subdivision des globes, et influer directement sur cette 
dernière opération. 

La division des globes générateurs ne marche pas avec la 
même vitesse dans toutes les parties du germe. Vers la fin du 
quatrième jour, on trouve ce dernier composé de deux sortes de 
corps celluliformes, qui annoncent, par leur position respective, 
la distinction qui se fera plus tard entre les cellules épidermoïdales 
et les cellules embryonnaires. 

En effet, si l’on sépare avec des aiguilles les deux feuillets dont 
se compose le disque blastodermique, on voit que la couche la plus 
superficielle de ce disque est formée de grosses cellules qui ont 
généralement un diamètre de 0"",03 : ce sont les cellules épider- 
moïdales. Les autres cellules, plus petites, n’ont que 0*",018 ; 
elles deviendront des cellules embryonnaires. Ces deux sortes de 
cellules diffèrent en ce que les premières ont un noyau très 
visible, égal à la moitié du diamètre de la cellule, tandis que les 
cellules embryonnaires sont uniformément granuleuses, sans 
noyau apparent. 

Vers la fin du cinquième jour, le disque blastodermique a un peu 
augmenté de diamètre ; il mesure 4 millimètre 1/2, et a ses bords 


134 LEREBOULLET, 


très minces. La membrane sous-jacente a un diamètre de 2 milli- 
mètres ; son bourrelet s’est épaissi et s’est éloigné du disque, dont 
il est séparé par une ligne circulaire transparente (fig, 15) indi- 
quant la partie amincie de cette membrane. 

On peut séparer facilement l’une de l’autre les deux pièces, le 
- disque embryonnaire proprement dit et la membrane sur laquelle 
il repose. Cette dernière se compose de deux parties : l’une cen- 
trale, très mince, transparente, étalée sous le disque, et le dépas- 
sant même un peu, est homogène, granuleuse, et n'offre qu’un 
petit nombre de vésieules graisseuses; l’autre marginale, beaucoup 
plus épaisse, est remarquable surtout par le nombre et la gran- 
deur des gouttes de graisse liquide interposées, et comme enchàs- 
sées au milieu des granules. 

Ce bourrelet cireulaire peut être regardé comme un magasin de 
matériaux qui serviront à l'extension ultérieure de la membrane. 
Celle-ci, en effet, continue à s'étendre autour du vitellus nutritif, 
et finit par l’envelopper en doublant intérieurement la membrane 
blastodermique. Elle forme plus tard le feuillet intérieur de la 
vessie vitelline, dont le blastoderme constitue le feuillet externe. 

Quant au disque embryonnaire, on pouvait encore à cette époque 
le séparer en deux feuillets, entre lesquels se trouvait une cavité 
très étroite, mais distincte. 

Dans une de mes recherches, j'ai rencontré un germe qui était 
devenu sphérique par l'effet de la coagulation ; ayant coupé cette 
sphère en deux, j'ai vu distinctement qu’elle était creuse. 

Les cellules qui composaient à cette époque le disque embryon- 
naire, avaient un peu diminué de grosseur; elles ne mesuraient 
plus que 0°",026 ; elles renfermaient, comme toujours, un gros 
noyau avec un ou deux nucléoles, Les cellules du bord étaient 
allongées, el disposées les unes à la suite des autres sur une seule 
rangée. 

J'ai trouvé sur des œufs à peu près de la même époque que les 
précédents (commencement du sixième jour) une forme particu- 
lière de cellules, quime paraît offrir un grand intérêt pour éclairer 
la genèse de ces petits organismes. Les cellules du germe embryon- 
naire, au lieu d’avoir les caractères des précédentes, c’est-à-dire 


(RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE La TRUITE. 159 
de posséder un gros noyau, ne renfermaient qu'un contenu gra- 
nuleux disséminé, peu abondant. Quelques cellules même ne ren- 
fermaient pas de granules ; elles avaient une teinte mate uniforme, 
de couleur fauve ; d’autres n’offraient que quelques petites VÉSi- 
cules brillantes (fig. 16). Leur diamètre était de 0"",025. 

Cette forme annonce une dissolution du contenu de la cellule ; 
elle représente un état transitoire qui précède la formation des 
vraies cellules, de celles qui se constitueront bientôt d’une manière 
définitive pour former l'embryon. 

J'ai observé et décrit dans l'Écrevisse un travail analogue qui 
précède apparition des vraies cellules. Je ne puis me l'expliquer 
qu’en admettant que les cellules primitives ou génératrices four- 
nissent, en se dissolvant, des éléments nouveaux qui se groupe- 
ront d’une manière particulière pour produire les cellules. Seule - 
ment ici il ne m'a pas été possible de suivre ce travail comme je 
l'ai suivi dans les œufs des Écrevisses. 

Aü commencement du septième jour, le disque embryonnaire 
a atteint 2 millimètres de diamètre; sa partie moyenne s’est 
épaissie; cependant il ne produit qu’une très faible saillie sur 
l'œuf. Les cellules superficielles sont réduites au diamètre de 
0"",09 : elles ont la composition ordinaire et l'aspect des cellules 
épidermoïdales (fig. 17, A). Les cellules placées au-dessous d'elles 
n’ont que 0"",01 : ce sont les cellules embryonnaires (fig. 47, B). 

Ces dernières ne diffèrent pas seulement des cellules épider- 
moïdales par leurs dimensions ; elles s’en distinguent aussi, parce 
qu’elles sont entièrement granuleuses, et ont le caractère des jeunes 
cellules, dans lesquelles l'enveloppe estappliquée contre le noyau, 
en sorte que celui-ci forme à lui seul la cellule tout entière. Dans 
les cellules épidermoïdales, au contraire, l’enveloppe de R cellule 
est très distincte (fig. 17, A), et il existe un noyau granuleux, dont 
les dimensions sont exactement les mêmes que celles des petites 
cellules embryonnaires. 

Parmi ces dernières, on en trouve un grand nombre qui sont 
allongées, plus ou moins étroites, et quelquefois irrégulières. 

Du septième au neuvième jour, il ne se passe pas de change- 
ment appréciable dans la constitution du germe embryonnaire. La 


136 LEREBOULLET. 


première différenciation des cellules s’est établie ; elle a eu pour 
résultat de limiter l'être futur par la production des grandes cel- 
lules épidermiques, et de réunir en un autre groupe les éléments 
qui seront employés plus particulièrement à la formation de 
l'embryon. Le disque blastodermique commence à s’étaler en 
membrane sur le vitellus, mais il n’embrasse encore qu’une 
étendue peu considérable de la sphère nutritive. Son bord mar- 
ginal est à peine renflé ; il n'offre pas le bourrelet si prononcé 
qu'on observe dans le Brochet, mais il continue à se distinguer du 
reste du disque par ses cellules allongées disposées en travers. On 
parvient encore à séparer les deux lamelles qui composent le 
blastoderme, et l’on voit, en opérant cette séparation, que la 
région centrale du disque est plus épaisse que le reste. Cet épais- 
sissement du disque blastodermique affecte une disposition géné- 
ralement longitudinale, c’est-à-dire dans la direction du méridien 
del’œuf, Les dimensions des cellules épidermoïdales et des cellules 
embryonnaires n'ont pas changé; elles sont de 0°",02 pour les 
premières el de 0"",01 pour les secondes. 

Le disque membraneux sous-embryonnaire a continué à s’éten- 
dre, de manière à déborder toujours le précédent; il est muni, 
comme je l’ai dit, d’un bourrelet granuleux et graisseux, et 1l 
offre, dans sa composition, de grandes cellules granuleuses 
entremêlées de nombreuses vésicules de graisse. 

Cette première période du développement de l’œuf comprend, 
comme on vient de le voir, tous les phénomènes qui ont pour 
résultat la préparation des éléments formateurs et leur arrange- 
ment pour la constitution de l'être nouveau qui va se montrer ; 
voilà pourquoi nous l’appelons période préparatoire. 


Résumé du deuxième chapitre. 


1. Immédiatement ou très peu de temps après la fécondation, 
les éléments plastiques qui étaient restés dispersés dans l'œuf se 
concentrent vers le pôle, pour former le disque germinateur ou 
blastodermique. 

2. L'œuf récemment fécondé se compose : 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 157 

a). D'un liquide très visqueux qui se coagule dans l’eau; 

b). De globules de graisse liquide ; 

c). D'une matière organisable de couleur jaunâtre, condensée 
à l’un des pôles, et composée essentiellement de granules et de 
corpuseules plastiques. 

3. Le travail de condensation des éléments de l’œuf vers l’un 
de ses pôles dure plusieurs heures. Ce travail porte non-seulement 
sur les corpuscules plastiques, mais aussi sur les globules huileux. 

&. Il en résulte la formation d'un disque jaunâtre, composé de 
ce qu’on pourrait appeler la matière première de l'embryon futur, 
puisque c’est ce disque seul qui se segmentera et se transformera 
en blastoderme. 

5. Au-dessous du disque précédent se trouve une membrane 
dont le bord circulaire offre une quantité considérable de globules 
graisseux formant comme un bourrelet autour du disque. 

6. La plus grande partie des gouttes de graisse se réunissent 
ainsi pour former le disque huileux. 

7. Par suite de cette condensation des éléments de l'œuf vers 
l’un de ses pôles, le vitellus devient transparent. 

8. Ainsi les éléments de l’œuf fécondé sont partagés en deux 
groupes : les éléments plastiques qui occupent un des pôles et les 
éléments nutritifs qui forment le reste de l'œuf, mais dont une 
portion considérable se dispose au-dessous des précédents. 

9. La segmentation vitelline commence vers la dixième heure ; 
elle ne s'exerce que sur les éléments plastiques de l’œuf, c’est-à- 
dire sur le disque germinateur ; elle a lieu, comme d'ordinaire, 
suivant une progression géométrique. 

10. Les éléments des globes de segmentation sont les mêmes 
que ceux qui composaient le disque germinateur : ce sont toujours 
des granules très fins et de petites vésicules brillantes, les cor- 
puscules plastiques. 

11. Je crois, contrairement à ce que j'ai dit ailleurs (Ann. des 
se. nat., h° série, t. I”, p. 247), qu’il n'existe pas de membrane 
propre autour des globes de segmentation. 

12. Les globes de fractionnement se disposent de bonne heure 
de manière à former une sphère creuse, une véritable vésicule. 


138 LEREBOULLET 


13. Il existe dans la Truite, comme dans le Brochet et dans 
la Perche, une vésicule blastodermique, c’est-à-dire une vési- 
cule qui s’aplatira et s’étalera sur l'œuf pour former le blasto- 
derme. 

14. Le blastoderme est donc aussi, dans ce Poisson, composé 
primitivement de deux feuillets, disposés comme les deux lames 
d'une membrane séreuse. 

15. La membrane sous-jacente, ou feuillet muqueux, est com- 
plétement distincte du double feuillet blastodermique, et par son 
mode d’origine et par sa composition qui reste granuleuse pendant 
toute la durée du fractionnement. 

16. Le fractionnement n’intéresse jamais, en effet, que le vitel- 
lus formateur. 

17. La segmentation vitelline a pour résultat de partager la 
masse plastique en un certain nombre de sphères de plus en plus 
petites. Ce travail comprend deux périodes : dans l’une se pro- 
duisent des sphères qui ne sont pas encore des cellules, et que 
nous appelons globes générateurs; dans l’autre les globes géné- 
rateurs se modifient, continuent à se diviser, et fournissent les 
éléments qui s'organisent et se disposent en vraies cellules. 

18. Les globes générateurs offrent dans la Truite une diffluence 
remarquable, ce qui montre de nouveau qu'ils n’ont pas de mem- 
brane propre. 

19. Ils sont tous d’abord d’égale dimension dans un même 
germe. 1 

20. Plus tard ils se différencient par leur taille, et sont alors de 
deux sortes, les uns doubles des autres. 

21. Leurs dimensions diminuent de jour en jour, jusqu’à ce. 
qu’ils soient arrivés à ne plus avoir que 0"",02 pour les plus gros 
et 0*",02 pour les plus petits. 

22. Les globes générateurs conservent quelque temps les ca- 
ractères des globes de segmentation, c’est-à-dire qu'ils sont d’une 
couleur foncée, peu transparents et composés de granules et de 
vésicules plastiques. 

23. Plus tard ils s’éclaircissent, la matière granuleuse qui les 
compose devient de plus en plus rare, et comme en voie de dis- 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRÜITE. 199 
solution, jusqu’à ce qu'il ne reste plus dans ces cellules généra- 
trices que quelques petites vésicules dispersées. 

9h. Les globes générateurs ont un noyau; mais la présence de 
ce dernier n’est pas constante. 

25. Ils renferment aussi, par moment, des vésicules brillantes 
en grande quantité. 

26. L'apparition et la disparition successive du noyau et des 
vésicules annoncent un travail de métamorphose dans l’intérieur 
des cellules génératrices, travail qui parait précéder leur division 
en cellules plus petites et qui se montre toujours avant la dissolu- 
tion de leur contenu. 

27. Les cellules proprement dites apparaissent vers le sixième 
jour immédiatement après qu’on a remarqué cette raréfaction singu- 
lière du contenu des sphères génératrices, dont j'ai parlé au n° 22. 

28. Les premières cellules formées sont de deux sortes : les 
plus grosses, superficielles, ont un gros noyau; on les désigne 
sous le nom de cellules épidermoïdales ; les autres, qui consti- 
tuent la plus grande partie du germe, sont les cellules embryon- 
naires, de moitié plus petites que les précédentes. 

29, Pendant la durée de ce travail d'organisation des cellules, 
la vésicule blastodermique a commencé à s'étendre sur le vitellus, 
Cette extension se fait moins rapidement que dans le Brochet et 
dans la Perche, et le disque blastodermique n'offre pas l’épais 
bourrelet marginal qu’on observe surtout chez le Brochet, 

30. Le disque muqueux s’étend plus rapidement que le disque 
blastodermique; il le déborde toujours et il est entouré d’un 
bourrelet formé surtout par des gouttes d’huile emprisonnées dans 
la substance granuleuse dont le feuillet muqueux se compose à 
celle époque. 

31. Vers la fin de cette période, c’est-à-dire vers le huitième 
ou le neuvième jour, les cellules embryonnaires s'accumulent dans 
la partie moyenne du disque blastodermique, en affectant une dis- 
position linéaire; c’est l'indice de la formation très prochaine de 
la bandelette embryonnaire. 


140 LEREBOULLET, 


CHAPITRE II. 


Deuxième période ou période animale, comprenant le développement de 
embryon depuis son apparition jusqu’à la formation du cœur. 


C'est à la fin du dixième jour que j'ai vu la première trace de 
l'embryon apparaissant sous la forme d’une bandelette étroite et 
assez courte, dirigée dans le sens du méridien de l’œuf, en consi- 
dérant comme polaire la région occupée par le disque germinateur 
(fig. 18). 

Le blastoderme n’avait pas encore atteint la moitié de l'œuf; il 
offrait un bourrelet peu épais, rendu blanchâtre par la coagu- 
lation. La bandelette se détachait de ce bourrelet et s’arrêtait à 
une petite distance du pôle de l’œuf, en se terminant par une 
pointe mousse. On voyait par transparence de nombreuses gouttes 
d’huile dispersées assez régulièrement au-dessous du blastoderme, 
mais réunies en plus grand nombre dans le voisinage de l’em- 
bryon; aucun globule de graisse n'existait dans le vitellus. Cette 
concentration des éléments graisseux au-dessous du blastoderme, 
et surtout autour de l'embryon, indique assez le rôle important 
que joue la graisse dans la formation des organes; elle fournit, 
sans aucun doute, les matériaux nécessaires, soit à la production 
des parties nouvelles, soit à l’accroissement de celles qui existent 

déjà. 

Dans l'œuf dont je parle en ce moment, la bandelette embryon- 
naire était déjà soulevée en forme de cylindre au-dessus de la sur- 
face de l'œuf, et ce cylindre était creusé d’une large dépression 
longitudinale, peu profonde, et dont les bords se redressaient laté- 
ralement de chaque côté. 

Au fond de cette dépression et dans une grande partie de la 
longueur du cylindre, on voyait un ruban longitudinal d’une 
grande transparence, premier rudiment de la corde dorsale qui 
apparait presque en même temps que le sillon. 

Sous l’embryon existe une membrane mince qui semble faire 
corps avec lui, mais qu’on peut en détacher avec facilité. C’est la 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. tt 


même membrane (feuillet muqueux) que nous avons vue plus haut 
occuper la région inférieure du germe et s'étendre avec le blasto- 
derme sur le vitellus. 

La constitution de l'embryon est encore très simple. Il est com- 
posé de cellules embryonnaires de 0"",01 de diamètre; sa sur: 
face est couverte d’une couche de cellules épidermoïdales de 
0"",025. Quant au feuillet inférieur, il est granuleux et n'offre 
pas encore de cellules distinctes; on,voit au milieu de la substance 
amorphe qui le compose une quantité considérable de cellules 
graisseuses, endogènes, de dimensions très variables. 

Un autre œuf observé au treizième jour n’était pas beaucoup plus 
avancé que le précédent. Cependant le blastoderme avait envahi 
presque tout le vitellus ; il formait ainsi une bourse dont l’ouver- 
ture était garnie d’un bourrelet peu sensible. De ce bourrelet par- 
tait l'embryon sous la forme d’un cylindre étroit et long, dirigé 

“vers le pôle de l'œuf. Ce cylindre élait creusé d’un sillon peu 
profond. 

Aussitôt que l'embryon s'est montré sous la forme d’un cylindre 
long et étroit, il présente des changements qui apparaissent simul- 
tanément ou successivement dans les diverses régions. 

Le premier de ces changements est la formation du sillon dor- 
sal, c’est-à-dire de la dépression en forme de gouttière qui règne 
dans toute la longueur du corps, et qui est toujours plus profonde 
dans la région moyenne que vers les extrémités du cylindre 
embryonnaire. On voit apparaître presque aussitôt au fond de cette 
gouttière une ligne d’une transparence parfaite, que je crois être 
le premier rudiment de la corde dorsale. En effet, lorsque plus 
tard la présence de la corde n’est plus douteuse et qu’on la re- 
connaît facilement aux cellules dont elle est remplie, on voit que ce 
long cylindre occupe la même place que la ligne transparente 
dont je viens de parler. 

Il est facile de s’assurer, par l’examen de coupes transversales, 
qu'elle est placée au-dessous du plan inférieur de la gouttière et 
qu'elle est séparée du fond de celle-ci par une couche mince de 
substance embryonnaire. 

Les bords de la gouttière dorsale auxquels on a donné le nom 


142 LEREBOULLET. 


de carènes dorsales, sont plus ou moins redressés et tendent à se 
rapprocher et à se rejoindre sur le dos. La fusion a lieu en avant 
d’abord, dans la région céphalique. La partie antérieure de l’em- 
bryon forme alors une vessie allongée qui presque aussitôt se 
rétrécit transversalement dans son tiers antérieur et se divise par 
cet étranglement en deux vessies secondaires : l’une, antérieure, 
plus courte, formera les régions céphaliques antérieure et 
moyenne; l’autre, postérieure, plus longue, constitue la région 
céphalique postérieure. Ces vessies ne tardent pas à se remplir 
de cellules nerveuses dont l’accumulation produit les centres ner- 
veux encéphaliques. 

Cette fermeture du sillon dorsal dans la région céphalique, 
mentionnée par tous les observateurs, est in phénomène primor- 
dial de la plus haute importance, puisqu'il caractérise essentielle - 
ment les animaux vertébrés. Il a pour résultat de constituer 
immédiatement les cavités encéphaliques, et fait ressortir la valeur 
des caractères zoologiques du type des vertébrés, caractères qui 
reposent tout d'abord sur la nature et sur les rapports du cordon 
nerveux rachidien. 

Une seconde modification, non moins importante que la pre- 
mière, quoiqu’elle lui soit subordonnée, consiste dans la forma- 
tion des vessies oculaires. 

Peu de temps après la production de l’étranglement qui a 
séparé la vessie cérébrale antérieure, les parties latérales de cette 
vessie se renflent en ampoules qui font saillie sur les côtés; puis 
ces ampoules se détachent de la masse commune et s’isolent d’ar- 
rière en avant. Elles ressemblent alors à deux appendices en 
forme d’oreillons situés sur les côtés de la tête, et dont l’intérieur 
communique avec la cavité cérébrale par une ouverture assez 
étroite. | 

Pendant que ces changements se passent du côté de la tête, il 
s’en produit d’une autre nature dans toute la longueur du cylindre 
embryonnaire. Les carènes dorsales se rapprochent l’une de 
l'autre et se soudent de manière à former un tube qui se remplit 
presque aussitôt de substance nerveuse. La moelle épinière est 
constituée et, dès son apparition, ellese montre composée de deux 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1443 


cordons parallèles, réunis l’un à l’autre en avant et en arrière, de 
manière à ressembler à une longue ellipse dont les côtés seraient 
contigus. 

Avant la fermeture du sillon dorsal, les parties latérales de ce 
sillon se sont divisées transversalement en lamelles rectangu- 
laires par des lignes d’abord incertaines, mais qui deviennent peu 
à peu plus prononcées. 

Ces lignes transversales, qu’on a nommées divisions vertébrales, 
commencent toujours dans la région moyenne du corps, là où la 
gouttière a le plus de profondeur, puis elles se continuent en 
avant et en arrière de leur point de départ. Elles entament la 
substance embryonnaire de dedans en dehors et la partagent en 
petites portions qui deviendront dans la suite des faisceaux mus- 
culaires correspondant à autant de vertèbres. 

Tous ces phénomènes on lieu pendant la durée du onzième et 
du douzième jour, à une époque où rien n'existe encore des appa- 
reils de ia vie végétative. Ils montrent la tendance de la nature à 
jeter d’abord, dans les animaux vertébrés, les bases de tous les 
appareils qui présideront aux fonctions de relation : le système 

“nerveux, les appareils locomoteurs, les appareils sensitifs. 

Le treizième jour, les vésicules oculaires commencent à se dé- 
primer; vues d'en haut, elles offrent à leur bord externe une 
légère échancrure qui indique la dépression cutanée. Ce refoule- 
ment dela peau a pour effet la production d’une bourse qui sera 
plus tard occupée par le cristallin. La partie antérieure de la tête se 
prolonge en une pointe émoussée qui constitue à proprement 
parler la région cérébrale antérieure, tandis que la partie du cer- 
veau correspondante aux vessies oculaires devient maintenant la 
région cérébrale moyenne. La région cérébrale postérieure, sé- 
parée de la précédente par un étranglement, est beaucoup plus 
longue que celle-ci et s’en distingue par trois lobes arrondis, 
situés de chaque côté et formés aux dépens de la substance em- 
bryonnaire. C’est dans les lobes moyens que doivent se former 
prochainement les capsules auditives. 

Le corps est plus étroit que les deux régions qui précèdent ; il 
s’élargit de nouveau en arrière pour former la queue. 


All LEREBOULLET., 


A l'intérieur on voit les deux cordons rachidiens séparés l'un 
de l’autre par une ligne distincte. Parvenus dans la région céré- 
brale postérieure, ces deux cordons grossissent et s’écartent l’un 
de l’autre, puis ils se rapprochent de nouveau dans les régions 
cérébrales moyenne et antérieure. 

L'écartement des deux cordons rachidiens dans la partie de 
l’encéphale qui correspond au cervelet est le premier indice de la 
formation d’un pli cérébral qui se disposera verticalement der- 
rière la région moyenne, pli que nous avons appelé lamelle céré- 
belleuse. L'espace compris entre les deux cordons écartés consti- 
tuera Ja grande cavité cérébrale. 

Les divisions vertébrales existaient dans toute la longueur du 
corps, depuis la queue jusqu’à une très pelite distance de la ré- 
gion céphalique postérieure. 

La corde dorsale offrait dans toute son étendue des stries trans- 
versales, rapprochées les unes des autres, et entre lesquelles on 
voyait de très petites vésicules. Quand on déchirait cette corde, 
on en faisait sortir des cellules ovalaires, pleines de granules et 
renfermant un petit noyau vésiculeux. Ces cellules de la corde 
dorsale avaient 0°",025 de longueur. 

Quelques jours plus tard ces cellules granuleuses de la corde 
n'existent plus ; elle est alors remplie de petits corps vésiculeux, 
aplatis, disposés de champ dans l'intérieur du cylindre et donnant 
à la corde, par leur disposition, l’aspect finement strié qui la ca- 
ractérise à cetle époque. 

Vers le dix-huitième jour, la corde est encore striée en arrière ; 
mais, en avant, les stries sont remplacées par des vésicules oblon- 
gues, transparentes, disposées en travers dans la même direction 
que les stries. 

Si l’on déchire la corde, les vésicules qu’elle renfermait 
s’'échappent et s'accumulent au niveau de la déchirure. Elles 
prennent alors aussitôt la forme sphérique et ns mad rapide- 
ment de volume dans l’eau. H 

Dans mes recherches sur l’'embryologie du Brochet, j'ai 
déjà appelé l'attention des anatomistes sur ces corps vésiculeux 
que renferme la corde et sur leur développement successif, 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 145 
et j'ai émis l'opinion que ces vésicules étaient de nature gélati- 
neuse. 

On vient de voir les mêmes transformations des éléments de la 
corde se produire dans la Truite, seulement j'ai trouvé dans ce 
poisson de vraies cellules granuleuses dont l'existence précède 
celle des disques gélatineux, ce que je n’avais pas vu dans le 
Brochet. Mais les corps transparents qui grossissent à mesure que 
le développement du poisson avance ne sont pas des cellules, ce 
sont des vésicules destinées à contenir la matière gélatineuse qui 
remplit la corde dorsale et dont on trouve des restes dans les 
cônes dont sont creusés les corps des vertèbres, chez les poissons 
adultes. 

L’apparence celluleuse que prennent ces vésicules gélatineuses, 
quand elles sortent de la corde, tient à la faculté qu’elles ont 
d’absorber l’eau et de se gonfler dans ce liquide. 

Il est probable que ces vésicules gélatineuses dérivent des cel- 
lules granuleuses qui occupent dans l'origine l’intérieur de la 
corde. Quoi qu’il en soit, l’aspect strié que présente celle-ci aux 
premiers temps de son existence est dù à l’arrangement des cel- 
lules d’abord, puis des vésicules qui se touchent, les unes comme 
les autres, par leur surface et ne laissent voir que leur tranche. 

Nous avons empiété de quelques jours sur la marche du déve- 
loppement pour faire connaître la nature des éléments contenus 
dans la corde dorsale aux premières époques de son existence; 
nous allons reprendre la suite des changements que l'embryon 
présente dans son évolution. : 

Depuis le quatorzième jusqu’au dix-septième jour, le travail 
embryogénique continue à se porter principalement sur les appa- 
reils dont l'apparition avait caractérisé surtout les premiers temps 
de la vie embryonnaire, c’est-à-dire sur les appareils nerveux, 
locomoteurs et sensitifs. 

Ainsi, les deux cordons nerveux rachidiens, qui d’abord étaient 
semblables l’un à l’autre dans toute l'étendue de l'embryon, se 
différencient d’une manière notable par la production des renfle- 
ments cérébraux et des cavités encéphaliques, et surtout par le 


raccourcissement de ces cordons dans la région cérébrale posté- 
4° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 3.) ? 10 


146 LEREBOULLET. 


rieure, Ceux-ci, en effet, s'écartent l’un de l'autre, forment de 
chaque côté une anse très prononcée, puis s’adossent l’un à 
l'autre sur Ja ligne médiane et vont ensuite former les paroïs de la 
grande cavité cérébrale. Une lamelle nerveuse se détache des 
cordons pour s'étendre au-dessus de cette cavité et former son 
plafond ; puis les cordons se portent tout à fait en avant et s’écar- 
tent une troisième fois, avant de se souder l’un à l’autre en avant. 
Il résulte de ces écartéments et de ces rapprochements trois ca- 
vités cérébrales , savoir : une première très petite dans la région 
cérébrale antérieure, une seconde, la plus grande des trois, dans 
la région cérébrale moyenne, et une troisième qui correspond au 
cervelet et résulte de l’écartement des deux cordons rachidiens. 

L’œil aussi a éprouvé des changements remarquables. La bourse 
choroïdienne s’est formée par suite du refoulement de la peau 
extérieure; le cristallin, qu'on apercevait d'abord à entrée de la 
bourse, en occupe maintenant le fond; l'ouverture de la choroïde 
est encore large, c’est pourquoi lesdeux cylindres qu'elle présente, 
quand on la regarde de profil, sont encore très écartés l’un de 
l'autre. 

Les premiers rudiments des capsules auditives se présentent 
sous la forme d’un amas globuleux de petites cellules, au milieu 
duquel il n'existe pas encore de cavité. Les lamelles vertébrales 
sont achevées ; elles ont maintenant la forme de petits rectangles 
semblables les uns aux autres et disposés avec régularité sur les 
côtés des cordons nerveux contre lesquels elles sont appliquées 
et qu'elles tendent à entourer. 

L'embryon, étendu sur le vitellus, est remarquable par son 
étroilesse et, quand on le coagule, il apparaît pour ainsi dire comme 
un fil. Le blastoderme enveloppe toute la sphère vitelline; le trou 
vitellaire est fermé depuis plusieurs jours, cependant on distingue 
encore un petit point transparent, semblable à un pore, qui repré- 
sente la dernière trace de cette ouverture de la bourse blasto- 
dermique. 

La membrane sous-jacente au blastoderme (feuillet muqueux 
primitif) se montre à présent composée de cellules granuleuses 
rendues irrégulières par la coagulation, et entremêlées de globules 


D 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 147 
de graisse et de cellules graisseuses endogènes. Ce feuillet s'attache 
à l'embryon sur les côtés d'une carène mousse que ce dernier 
présente le long de sa partie inférieure. 

La tête de l'embryon est encore appliquée et comme collée 
contre le vitellus : la région caudale, au contraire, s’est soulevée, 
et la queue est devenue libre dans une certaine étendue. 

Sur la fin de cette période, du dix-septième au dix-huitième 
jour, on remarque sous la tête, derrière les yeux, un espace trans- 
parent en avant du vitellus. C’est la chambre cardiaque destinée 
à loger le cœur, lorsqu'il se détachera de la face mférieure du 
corps contre laquelle il est appliqué. 

Avant de résumer les principaux faits de cette période, nous 
ferons remarquer de nouveau qu’elle est particulièrement consa- 
crée à la production et au développement des organes ou des appa- 
reils qui président aux fonctions de la vie animale. Voilà pour- 
quoi nous avons cru devoir la désigner sous la dénomination de 
période animale. Avec l'apparition du cœur et l'établissement de 
la circulation commence une nouvelle phase de la vie embryon- 
paire, dont le résultat principal est la formation des appareils cir- 
culatoire et digestif, ainsi qu’une première localisation-de la fonc- 
tion respiratoire. L'ensemble de ces phénomènes constituera une 
période distincte de la précédente, et que nous appellerons période 
nutritive. 


Résumé du troisième chapitre. 


4. L'embryon de la Truite se montre vers le dixième jour sous 
la forme d’un étroit cylindre qui se détache à angle droit da bour- 
relet blistodermique, et se dirive vers le pôlé de l'œuf. 

2. Cette production du cylindre embryonnaire (bandelette em- 
bryonnaire) a lieu avant que lé blastoderme ait enveloppé tout le 
vitellus. 

3. Le bourrelet blastodermique est mince dans la Truite, et le 
cylindre embryonnaire se fait aussi remarquer par son peu 
d'épaisseur. 

4. La surface du vitellus recouverte par le blastoderme est par- 


148 LUREBOULLET. 

semée de gouttelettes d'huile; celles-ci sont plus nombreuses 
autour de l'embryon. Ces goultes de graisse sont des éléments 
nutritifs employés à l'accroissement des parties déjà formées ou à 
la formation de parties nouvelles. 

Aucune gouttelette de graisse ne se voit dans le reste du 
vitellus. 

5. Peu de temps après le soulèvement de l'embryon en forme 
de cylindre, la région dorsale de ce cylindre se déprime en gout- 
üière dans toute sa longueur. Cette gouttière (sillon dorsal) est plus 
profonde dans la région moyenne que vers les extrémités ; elle 
s’élargit en avant. 

6. La bourse blastodermique se ferme de plus en plus; son 
ouverture se réduit à un petit orifice annulaire au niveau duquel 
le vitellus est à découvert (trou vitellaire). 

7. Au fond du sillon dorsal se voit un tube transparent qui 
parait être le premier indice de la corde dorsale. Ce tube est d’abord 
vide, ou du moins il ne renferme aucun élément solide appré- 
ciable. 

8. Le blastoderme est doublé intérieurement par une mem- 
brane mince qui passe sous l'embryon, et adhère à sa partie infé- 
rieure, Cette membrane (feuillet muqueuæ) est encore granuleuse ; 
elle renferme une grande quantité de cellules graisseuses endo - 
gènes, c’est-à-dire contenant d’autres vésicules graisseuses en 
nombre variable. 

9. L’embryon est composé de cellules homogènes et semblables 
entre elles (cellules embryonnaires), et de cellules épidermoïdales 
caractérisées par des dimensions plus grandes et par la présence 
d’un gros noyau. 

10. Le sillon dorsal commence à se fermer dans la région 
céphalique; cette fermeture a lieu par le rapprochement des 
carènes, et se fait d'avant en arrière. Plus tard la même opération 
se produit d’arrière en avant dans la région postérieure du corps, 
et peu à peu la région supérieure du cylindre embryonnaire est 
changée en tube dans toute sa longueur. 

11. Avant même que le tube embryonnaire soit entièrement 
formé, la partie antérieure de ee tube s’étrangle et se partage en 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 119 


deux cavités ou vessies cérébrales, dont la postérieure est plus 
longue et un peu plus étroite que l’antérieure. 

12. La vessie cérébrale antérieure, qui deviendra bientôt la 
région moyenne de l'encéphale, se renfle sur ses côtés, et produit 
les ampoules oculaires dont la cavité communique avec la cavité 
cérébrale. 

13. A peu près en même temps que la formation des ampoules 
oculaires, où un peu auparavant, les côtés du sillon dorsal se par- 
tagent (ransversalement en lamelles par des divisions qui se por- 
tent de dedans en dehors. 

Ces divisions vertébrales commencent toujours dans la région 
moyenne, la plus profonde, du sillon, et se continuent en avant et 
en arrière. 

14. Les divisions vertébrales sont les premiers indices des 
faisceaux musculaires du rachis ; elles marquent la place qu’oceu- 
peront ces faisceaux sur les côtés des vertèbres correspondantes. 

15. Après la fermeture du sillon dorsal, le tube embryonnaire 
est occupé par deux cordons nerveux parallèles et contigus, réunis 
en anse à leurs extrémités. 

16. Ces deux cordons nerveux se continuent jusqu’à la partie 
la plus antérieure de la région céphalique, et ne sont pas plus 
larges dans cette région que dans le reste de leur étendue. 

17. Les ampoules oculaires se dépriment ; la peau extérieure 
est refoulée sur elle-même; il en résulte un petit sac, la bourse 
choroïdienne, que le cristallin viendra plus tard occuper. 

18. La région céphalique est alors divisée en trois parties : une 
antérieure, lrès courte, située au-devant des ampoules oculaires, 
une moyenne au niveau de celles-ci, et une postérieure toujours 
plus longue que les deux précédentes réunies. 

Cette dernière est caractérisée par trois renflements latéraux 
formés par la substance embryonnaire. 

19. Les cordons nerveux céphaliques, qui jusqu'ici avaient 
ressemblé aux: cordons rachidiens, s’en distinguent maintenant 
par une augmentation de substance et par leur écartement. 

20. Cet écartement se montre entre la région cérébrale posté- 
rieure et la moyenne; chaque cordon se porte en dehors, et 


150 LEREBOULLET. 


revient bientôt après en dedans pour se rapprocher du cordon 
opposé. 

Il en résulte une cavité cérébrale oblongne et étroite, plus large 
en arrière qu’en avant. 

21. À cette époque, les divisions vertébrales règnent dans 
toute la longueur du corps ; elles s’arrêtent à quelque distance de 
la région céphalique postérieure, non loin de l'endroit où appa- 
raitront les capsules auditives. 

29, La corde dorsale, qui était d’abord un cylindre transparent, 
offre maintenant des stries transversales très fines et serrées les 
unes contre les autres. 

28. Ces stries transversales sont dues à l'existence de cellules 
granulées, placées les unes au-devant des autres et dont on ne 
voit que la tranche, quand on regarde la corde sans la déchirer. 

24. Quelques jours plus tard, les cellules de la corde sont rem- 
placées par des disques transparents, disposés de champ comme les 
cellules, et donnant encore à la corde le même aspect strié qu’elle 
avait précédemment. 

25. Quand on déchire la corde, les disques s'échappent, se 
gonflent dans l’eau, et apparaissent sous la forme de vésicules 
transparentes. 

26. Peu à peu ces disques se développent dans l’intérieur même 
de la corde; ils augmentent d'épaisseur; les stries transversales 
sont remplacées par des vésicules oblongues qui s’arrondissent 
de plus en plus. Je regarde ces vésicules comme de nature gélati- 
neuse. ÿ 
97. Les modifications dont je viens de parler ont lieu d’avant en 
arrière. La présence des vésicules dans la partie antérieure de la 
corde marque la fin de cette période et coïncide avec la pro- 
chaine apparition du cœur. 

28. C'est aussi vers la fin de cette période qu'a lieu la forma- 
tion des trois cavités cérébrales, par suite des modifications 
qu’éprouvent les deux cordons nerveux céphaliques. 

29. Ceux-ci continuent à s’écarter l’un de l'autre dans la région 
céphalique postérieure, d’où résulle le ventricule cérébelleux. 

Après s'être adossés l’un à l’autre au-devant de ce ventricule, 


RECHERCHES SUR LE. DEVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 151 


ils s’écartent de nouveau, mais beaucoup moins, pour former la 
cavité cérébrale moyenne. 

Puis, après s'être rapprochés au niveau des yeux, ils se sépa- 
rent une troisième fois, et forment bientôt une anse antérieure, en 
circonscrivant une troisième cavité de forme ovalaire, la cavité 
cérébrale antérieure. 

30. Par suite de ces ondulations et de ces plissements des cor- 
dons nerveux primitifs, ces cordons se raccourcissent considéra- 
blement dans la région céphalique, et déterminent un raccourcis- 
sement correspondant de toute cette région, surtout de sa partie 
postérieure, 

51: Le cristallin qui s'était montré d’abord comme un petit 
globule attaché à la face interne de la peau extérieure, au- 
devant de la bourse choroïdienne, occupe ‘maintenant le fond de 
cette bourse. 

Les bords de celle-ci apparaissent comme deux cylindres 
encore assez éloignés l’un de l'autre. | 

92. Les capsules auditives se forment; ce sont d’abord des 
masses solides qui se transforment bientôt en une capsule arrondie. 

89, Les lamelles vertébrales ont pris leur forme régulière et 
définitive. La queue s’est détachée du corps. 

84. La dernière formation qui précède l'apparition du cœur est 
celle d’un espace transparent situé sous la tête, la chambre car- 
diaque, destinée à recevoir l'organe de la circulation. 

39. La période dont nous venons de résumer les traits princi- 
paux dure sept à huit jours. 

Elle est caractérisée par la formation des appareils chargés de 
présider aux fonctions de relation, 

Pour cette raison, nous proposons de l'appeler période animale 
du développement embryonnaire. 

36. Les principaux phénomènes qui marquent cette période se 
succèdent dans l’ordré suivant : 

a. Formation du cylindre embryonnaire sur le blastoderme dans 
la direction du méridien de l'œuf. 

b. Dépression longitudinale de la face supérieure de ce cylindre 
(sillon dorsal). 


152 LEREBOULLET. 


c. Fermeture de la partie antérieure de la gouttière dorsale ; 
formation de la cavité encéphalique. 

d. Apparition de la corde dorsale. 

e. Formation des premières divisions vertébrales dans la région 
moyenne du corps. 

f. Division de la cavité encéphalique commune en deux cavités 
ou vessies secondaires. 

g. Apparition des ampoules oculaires. 

h. Fermeture du sillon dorsal. 

i. Formation de deux cordons nerveux céphalo-rachidiens, 
qui occupent toute la longueur du tube embryonnaire. 

k. Dépression des ampoules oculaires ; formation de la bourse 
choroïdienne et du cristallin. 

l. Augmentation de volume des cordons nerveux dans la région 
céphalique, et écartement de ces cordons pour former une grande 
cavité cérébrale. 

m. Continuation des divisions vertébrales en avant et en arrière 
de leur point d’origine. 

n. Apparition de cellules dans la corde dorsale. 

o. Écartement plus prononcé des cordons nerveux dans la région 
céphalique postérieure ; formation du ventricule cérébelleux, sui- 
vie de la formation des ventricules moyen et antérieur. Raccour- 
cissement des cordons nerveux produit par leur plissement et, par 
suite, raccourcissement de la région céphalique postérieure. 

p. Transformation des cellules de la corde en disques gélati- 
neux. Aspect strié de cette corde. 

g. Rétrécissement de la bourse choroïdienne ; descente du cris- 
tallin dans le fond de cette bourse. 

r. Formation des capsules auditives. 

s. Achèvement des lamelles vertébrales dans toute l’étendue du 
corps de l'embryon. 

t. Soulèvement de la queue qui va se détacher du vitellus. 

u. Transformation des disques gélatineux de la corde dorsale 
en vésicules. Aspect vésiculeux du contenu de ce tuyau dans sa 
région antérieure. 

v. Formation de la chambre cardiaque. 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 158 


CHAPITRE IV. 


Troisième période, ou période nutritive, comprenant le développement de 
l’embryon depuis l'apparition du cœur jusqu’à l’éclosion. 


L'épaisseur et l’opacité de la coque dans l’œuf de la Truite 
empêchent d'observer directement la formation du cœur et du 
canal intestinal qui caractérise le commencement de cette période. 
Il faut ouvrir l’œuf et se hâter d'examiner l'embryon pendant qu'il 
a encore quelque reste de vie, car l'extraction de l'embryon ne 
peut se faire sans lésion du vitellus. La coagulation ne peut servir 
que pour étudier les couches de cellules qui formeront le canal 
intestinal ; elle nuit plutôt que d’aider à la recherche du cœur, 
parce que les battements de celui-ci sont nécessaires pour qu’on 
puisse le reconnaître. 

Ayant l'habitude de ne donner des descriptions détaillées que 
pour les faits que j'ai bien vus et que j'ai pu observer attentive- 
ment, je dirai peu de chose des premiers temps de la formation 
du cœur et de l'intestin. 

En ouvrant des œufs âgés de dix-sept ou de dix-huit jours, j'ai 
vu plusieurs fois, lorsque l'embryon était étalé sur la plaque de 
verre, un corps allongé, cylindrique, renflé en arrière et étendu, 
suivant sa longueur, sous la région céphalique. Ce corps était en 
mouvement ; il offrait des contractions et des dilatations succes- 
sives, mais lentes et irrégulières. Il m'a toujours paru sans cavité 
et comme formé par une accumulation de cellules. La situation 
et l'aspect du cœur me rappelaient ce que j'avais vu, mais beau— 
coup plus distinctement, dans le Brochet et dans la Perche. 

Au-dessus de la région moyenne du vitellus, on voyait sous 
l'embryon deux couches de cellules rondes, plus grosses et moins 
transparentes que les cellules embryonnaires, disposées à peu près 
comme les a représentées M. Vogt (Embryologie des Salmones, 
fig. 136, p. 153); ces deux couches étaient séparées l’une de 
Vautre par une ligne transparente. En eoagulant l'embryon, on 


454 LEREROULLET, 


voyait, après avoir enlevé la substance vitelline, une membrane 
disposée en gouttière, et dont les hords s'inclinaient vers le 
vitellus. 

Cette gouttière membraneuse formée de cellules constitue la 
paroi supérieure de l'intestin futur ; elle est d’abord ouverte dans 
toute sa longueur ; mais au bout de très peu de temps, un jour 
tout au plus, les deux bords se rejoignent en arrière, et forment 
un petit cul-de-sac situé dans l’angle que fait le bord supérieur et 
postérieur du vitellus avec la région caudale de l'embryon. La 
vessie vitellaire est alors en communication avec l'embryon par 
toute la longueur de sa face supérieure, puisque la gouttière abdo- 
minale de l’embryon a ses deux feuillets latéraux étalés sur la 
substance vitelline elle-même. A mesure que les deux bords de 
la gouttière intestinale se soudent par le bas, d’arrière en avant, 
la région caudale se détache du vitellus, la queue s’allonge et flotte 
librement dans l'œuf, ef l'intestin s’isole en arrière. Il apparait 
alors comme un boyau fermé en arrière, à l'endroit que l'anus 
occupera plus tard, et largement ouvert en avant, à partir du 
point où commence l’adhérence entre le vitellus et l'embryon. Un 
tube correspondant au tube intestinal s’est formé du côté dé la tête, 
au-dessus de la chambre cardiaque. Ce tube pharyngien s’élargit 
en arrière, dans la région où se formera l'estomac ; ses bords 
celluleux et comme déchirés se continuent avec la gouttière intes- 
tinale. Ce tube antérieur est d’abord fermé en avant ; ce n’est que 
plus tard qu’il s'ouvre dans la cavité buccale. 

Pendant que le tube digestif se constitue, le cœur éprouve des 
changements dans sa composition, sa forme et ses rapports. 

De solide qu'il était dans l’origine, il devient creux et se détache 
du plan inférieur de la tête pour descendre dans la chambre car: 
diaque. Il prend donc la forme d’un cylindre qui s'étend sous un 
angle droit entre l’embryon et le vitellus ; son extrémité inférieure 
est élargie, el ses parois semblent se continuer avec la tunique 
interne de la vessie vitellaire. On voit quelques globules osciller 
dans la cavité du cœur, sous l'influence des contractions de cet 
organe. | 

Un ou deux jours plus tard, le boyau cardiaque s’allonge et se 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 455 


replie sur lui-même en anse. La portion dirigée vers le vitellus 
est plus large que l’autre et évasée. 

Le cœur est alors entièrement celluleux; les cellules qui le 
composent sont rondes, transparentes, faiblement granuleuses et 
renferment un noyau dont le diamètre est moitié de celui de la 
cellule (fig. 19). La grosseur moyenne des cellules du cœur est de 
0"",013. 

Je n'ai vu qu'imparfaitement les premiers temps de la cireula- 
tion, l’embryon étant toujours plus où moins lésé, quand je le sor- 
ais de l’œuf. J'ai pu seulement constater que les globules sanguins 
élaient encore très petits, moitié environ des cellules du cœur et 
tout à fait sphériques. 

Depuis l'apparition du cœur jusqu'au moment où il est re- 
courbé en anse, et pendant la formation des deux boyaux digestifs, 
l’un postérieur, le tube rectal, l’autre antérieur, le tube buccal, 
l'embryon se développe dans ses diverses parties. La queue s'est 
allongée, l'extrémité antérieure de la tête s'est détachée du vitellus, 
la nageoire embryonnaire commence à régner tout autour de 
l'embryon, dans sa moitié postérieure. Un petit tubercule arrondi 
situé de chaque côté au-dessus de la région cardiaque indique 
l’origine des nageoires thoraciques. 

Les deux extrémités du cylindre choroïdien se sont rapprochées 
pour former la fente choroïdale. Les capsules auditives sont en- 
tourées d’un cadre assez épais et renferment quelques grains qui 
annoncent la formation des otolithes. La corde dorsale devient 
peu à peu vésiculeuse dans toute son étendue. Les disques qui la 
composaient se remplissent de substance gélatineuse, d’où il suit 
que leurs tranches, d’abord linéaires, figurent maintenant des 
ellipses et seront bientôt des vésicules transparentes. Au-des- 
sous de la corde dorsale, entre elle et l'intestin, on voit les 
conduits tubuleux des corps de Wolff; ceux-ci sont encore peu 
distincts. 

La bouche commence à se montrer sous la forme d'une fente 
transversale, peu apparente. 

- Au-dessus du cœur se voit un sac allongé représentant le 
pharynx. 


156 LEREBOULLET. 


Les parois de l'intestin sont épaisses et se composent de cellules 
allongées d’épithélium cylindrique. 

Les lamelles vertébrales, parfaitement circonserites, sont for- 
mées de cellules disposées en séries linéaires et sur le point de se 
changer en fibres. Cependant l'embryon exerce déjà des mouve- 
ments de contraction très prononcés; sa queue se remue avec 
une certaine agilité, quand on le sort de l'œuf. 

Le système nerveux cérébral s’est développé d’une manière 
remarquable. Vue de profil, la masse nerveuse encéphalique 
forme une grande vessie qui s'élève au-dessus du niveau de la 
moelle épinière, en sorte qu’il existe un vide considérable, derrière 
le cerveau, entre l’enveloppe du corps et le cordon rachidien. La 
région antérieure s’est agrandie et présente une cavité ovalaire 
circonscrite par le cordon nerveux primitif. La région moyenne 
se compose en réalité de deux sacs en forme d’hémisphères creux, 
allongés et rapprochés l'un de l'autre sur la ligne médiane, de ma- 
nière à former une cavité simple. 

Derrière cette région moyenne se voient deux plis de substance 
nerveuse formés par les cordons rachidiens qui se sont raccourcis 
en se disposant en travers et en se redressant derrière les deux 
cavités précédentes, pour former par leur adossement la lamelle 
cérébelleuse. 

Si l’on sépare l’un de l’autre les deux cordons rachidiens sur 
un embryon coagulé, on s’assure facilement que toute la masse 
nerveuse encéphalique est formée par le prolongement de ces 
cordons , ce qu’on pouvait prévoir par l’étude du système ner- 
veux aux premières époques de son développement. Seulement 
la masse nerveuse augmente dans chacune des deux moitiés de 
l’encéphale et il se forme symétriquement dans le fond de la grande 
cavité cérébrale des renflements disposés les uns au-devant des 
autres. 

La circulation générale s'établit quelques jours seulement 
après la formation du cœur ; elle comprend la marche du sang 
dans le corps et son passage à travers le vitellus, passage qui a 
lieu aussitôt que les courants sanguins sont établis. 

J'ai fait connaitre dans le Brochet et dans la Perche les pre- 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 157 
mières phases de cette circulation. Ce que j'ai pu en distinguer 
dans la Truite a suffi pour me convaincre qu'elle se fait de la 
même manière dans ce poisson. 

I s'établit entre le cœur, l'embryon et le vitellus des anses cir- 
culatoires de plus en plus allongées. Le sang du cœur passe dans 
l'embryon en suivant un canal situé sous la corde dorsale et 
qui devient désormais l'artère aorte. Arrivé au niveau de l’extré- 
mité postérieure du vitellus, le courant sanguin revient sur lui- 
même, pénètre dans le vitellus, dans lequel il se divise ordinaire- 
ment en deux branches, et revient au cœur. Il n’y a alors qu’une 
seule ellipse circulatoire, sans ramifications et sans réseaux. Les 
canaux vitellins sont larges, mal circonscrits, comme s'ils n'étaient 
pas encore munis de parois propres; ce n'est que plus tard, lors- 
que la circulation vitelline est complétement établie, qu'on dis- 
üngue à leurs contours les parois des vaisseaux. 

Cetle première anse ou cette première ellipse circulatoire a pour 
but de pourvoir à l’oxygénation du sang, en portant ce liquide à 
la surface de la vessie vitellaire, pour le mettre en contact avec le 
liquide ambiant. Comme la quantité des globules est encore très 
peu considérable, une plus grande diffusion de la masse sanguine 
est inutile, l’oxygénation peut se faire sur chacun des corpuseules 
sanguins. 

Mais l’aorte ne tarde pas à se porter dans la queue, portion du 
corps déjà détachée du vitellus quand la circulation s'établit. A 
mesure qu'elle s’avance le long du bord inférieur de cet organe, 
elle revient sur elle-même et forme ainsi des anses ou des boucles 
successives, placées les unes au-devant des autres. Les premières 
boucles formées disparaissent peu à peu, mais il y en a toujours 
plusieurs qui existent simultanément. Le vaisseau de retour, ou 
veine cave, suit donc le bord inférieur de l'artère, avec laquelle 
il s’anastomose par les boucles dont il vient d’être question. Ar- 
rivée au vitellus, la veine cave y pénètre comme précédemment 
et le traverse pour rejoindre le cœur. 

Les corpuscules sanguins grossissent et surtout se multiplient 
rapidement. Dès lors le besoin d’une dissémination plus grande 
de ces éléments au contact de l’eau aérée se fait sentir. C’est alors 


1538 LEREBOULLET. 


que les courants vitellins primitifs commencent à se capillariser. 
Ils se divisent en canaux plus petits et ceux-ci sont unis les uns 
aux autres par des tubes flexueux, peu nombreux d’abord, mais 
qui se multiplient rapidement, D’un autre côté, le nombre des 
courants sanguins embryonnaires a augmenté et il se forme de 
chaque côté deux veines caves, l’une antérieure, qui ramène au 
cœur le sang des parties antérieures du corps, l’autre postérieure, 
continuation de l’anse aortique terminale qui s'approche de plus 
en plus de l’extrémité de la queue. La plus grande partie du sang: de 
celle veine cave postérieure se jette dans le vitellus pour subvenir 
à la respiration vitelline; une partie cependant m'a semblé se 
rendre au cœur sans pénétrer dans le vitellus. 

C'est du vingtième au trentième jour que la circulation vitelline 
s'établit, après avoir passé par les phases dont je viens d'exposer 
sucemetement les principales. Cette nouvelle fonction du vitellus 
caractérise d'une manière toute spéciale la période d'évolution qui 
nous occupe. Jusqu'ici le vitellus n'avait servi qu’à fournir les 
matériaux nécessaires à l’accroissement, en d’autres termes il 
était simplement nutritif. Maintenant il devient en même temps 
appareil de respiration, puisqu'il permet au sang, en raison de 
l'étendue de sa surface, de se diviser d’une manière suffisante 
pour que les corpuscules sanguins reçoivent tous l’action vivi- 
fiante de l’air dissous dans l’eau. Cette double fonction du vitellus 
persiste jusque après l’éclosion; il ne cesse d’être respiratoire 
pour redevenir simplement nutritif, que lorsque les organes 
définitifs de l’hématose, c’est-à-dire les branchies, sont entrés en 
fonction. 

Quoique l’évolution des appareils circulatoire et digestif, ainsi 
que l'établissement de la fonction respiratoire , constitue le cachet 
particulier de la période actuelle, que je propose d'appeler pour 
cette raison période nutritive du développement, cependant les 
appareils nerveux, sensitifs et locomoteurs continuent à se déve- 
lopper et à se rapprocher de plus en plus de ce qu’ils seront à 
Pétat d'évolution complète ou à l’état parfait. 

Vers le trentième jour, le système cérébral s’est concentré de 
plus en plus en se raccourcissant, tandis que les éléments nerveux 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 159 


ont continué à s’accroitre de manière à augmenter la masse encé- 
phalique. 

L'encéphale commence à prendre la forme qu'il affecte chez 
l'adulte, surtout dans sa partie moyenne. Celle-ci s'élève, comme 
nous l’avons déjà dit, en une voûte séparée sur la ligne médiane, 
par une fente longitudinale, en deux moitiés symétriques (fig. 20). 
Derrière cette voûte saillante se voient, dans les pièces coa- 
gulées, comme deux bandelettes nerveuses disposées sur une 
même ligne transversale et adossées l’une à l’autre sur la ligne 
médiane. Quand on examine la pièce de profil, on voit que cette 
bande nerveuse, transversale, interrompue dans son milieu, n’est 
autre chose que le cordon rachidien lui-même qui s’est redressé 
contre la partie postérieure de la vessie cérébrale moyenne 
(fig. 23), pour former avec la même pièce du côté opposé une 
lamelle verticale que nous appelons lamelle cérébelleuse. 

C'est surtout par la dissection de pièces coagulées qu’on arrive 
à se faire une idée juste de l’arrangement de ces parties. Cepen- 
dant on peut aussi voir leur disposition sur des embryons vivants. 
Notre figure 21, par exemple, la montre d’une manière très claire. 
On voit les deux cordons rachidiens s’écarter l’un de l’autre, puis 
revenir sur eux-mêmes et se porter de nouveau vers la ligne 
médiane, tout en se redressant verticalement. Les deux cordons 
ainsi repliés s’adossent sur la ligne médiane, puis se contournent 
en dehors et en avant et vont former les parois latérales des deux 
sacs dont la réunion constitue la grande cavité cérébrale moyenne. 
Le sillon transversal qu’on voit entre les deux cordons nerveux 
résulte de l’adossement de ces cordons. L 

Tel est, d’après les nombreuses observations que nous avons 
faites sur ce point dans le Brochet et dans la Perche d’abord, puis 
sur la Truite, le mode de formation de la lamelle cérébelleuse, 
rudiment du cervelet. Derrière cette lamelle redressée, le double 
cordon rachidien est trés large et forme la moelle allongée. 

Au-devant de la même pièce on voit sur les côtés la continua- 
tion des cordons qui ont formé la Jamelle cérébelleuse, et entre 
ces cordons une membrane nerveuse, tendue comme une toile 
au-dessus de la cavité moyenne de l'encéphale. On peut enlever 


160 LEREBOULLET. 


facilement cette sorte de plafond voûté de la grande cavité céré- 
brale et l’on découvre au fond de cette cavité plusieurs petits 
renflements placés l’un au-devant de l’autre, et destinés à former 
les couches optiques et les tubercules quadrijumeaux. 

Au-devant de la grande cavité cérébrale l’encéphale se rétrécit 
considérablement et se porte vers le bas en formant une petite 
cavité oblongue dont il a déjà été question. Cette portion de l’en- 
céphale, qui fournira les hémisphères cérébraux, touche à deux 
dépressions cutanées qui représentent les rudiments des fossettes 
olfactives. 

Quand on examine l'embryon par en bas, la transparence des 
parties fait distinguer des formes diverses, suivant qu’on allonge 
ou qu'on raccourcit le foyer. On aperçoit d’abord le plancher de 
la cavité cérébrale, puis, en raccourcissant le foyer, on voit des 
formes arrondies qui représentent les renflements contenus dans 
cette cavité. La fente qui partage en deux la région cérébrale 
antérieure, est toujours large et offre des formes variées. 

Les deux extrémités du cylindre choroïdien ou, pour être plus 
exact, les bords du sac que forme la choroïde se rapprochent de 
plus en plus et sont sur le point de se toucher. Le contact entre 
ces deux bords a lieu un ou deux jours plus tard et alors l’anneau 
choroïdien présente dans sa partie inférieure une fente linéaire 
longitudinale qui persiste assez longtemps. 

Le pigment commence au trente et unième jour à se déposer 
dans cette enveloppe de l'œil; il n’est encore composé que d’un 
petit nombre de granules disséminés qui donnent à l’œil une teinte 
grisatre. 

L'étude du cristallin est intéressante à cette époque du dévelop- 
pement de la Truite, parce qu’elle montre l’origine et le mode de 
formation des fibres de cette lentille transparente. 

On voit d’abord au centre de la lentille un noyau granuleux, 
composé d’une agglomération de corpuscules transparents, d’une 
teinte uniforme, mate, quelquefois faiblement rosée, de grosseur 
variable, ayant une forme sphérique ou irrégulière et comme 
anguleuse. Ce noyau central augmente insensiblement de volume 
par la formation de nouveaux corpuseules autour de ceux qui 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 161 
existaient déjà. Ces petits corps nucléaires sont les éléments qui 
formeront bientôt les fibres du cristallin. En effet, huit jours 
plus tard on trouve le centre de la lentille occupé par des fibrilles 
extrêmement fines, roides, disposées en couches concentriques 
(tig. 22). 

En écrasant le cristallin, on voit que les fibrilles sont à peu 
près.toutes de la même longueur et que chacune d'elles est munie 
vers sa partie moyenne d'un petit noyau brillant. 

Les couches extérieures sont formées de cellules granuleuses, 
disposées avec régularité les unes près des autres. Le diamètre de 
ces cellules est de 0"",016. 

Les capsules auditives n’ont pas changé d'aspect, mais elles se 
sont rapprochées.de la tête à cause du raccourcissement que la 
région antérieure du corps a subi par suite de la concentration 
longitudinale du système nerveux. Ces capsules renferment deux 
groupes de granulations calcaires qui occupent leur région in- 
férieure. 

Les narines ne sont encore que deux petites dépressions cuta- 
nées, placées au-dessous de la partie antérieure de la tête. Elles 
n'offrent pas de changement appréciable dans kur composition 
jusqu'après l’éclosion. 

La tête s’est dégagée du vitellus dans une assez grande étendue 
(fig. 23); elle est très large, arrondie, et, vue de profil, elle 
montre par transparence la grande cavité moyenne de l’encéphale 
et la lamelle cérébelleuse qui se dresse derrière cette cavité. 

Au-dessous se voit la bouche garnie en avant et en arrière de 
deux rebords qui seront les deux raandibules. 

Un peu plus en arrière se dessinent sur les côtés les fentes 
branchiales. Les nageoires pectorales, qui s'étaient montrées vers 
la fin de la période précédente sous la forme de tubercules, sont 
maintenant des lamelles arrondies qui commencent à se mouvoir. 
La queue est très longue, munie d’une grande nageoire embryon- 
naire ; elle exerce des mouvements très agiles et presque continus. 

Nous avons vu an commencement de ce chapitre le tube intes- 
tinal se former par le reploiement des deux lamelles qui compo- 


saient Ja gouttière intestinale. 
4° série. Zooz. T. XVI. {Cahier n° 3) ? LE. 


162 LEREROULLET. 


Nous avons dit que cette goullièré se fermait d'arrière en avant 
dans sa région postérieure, et d'avant en arrière dans sa région 
antérieure , d’où l'existence de deux boyaux primitifs qu’on a 
noimés inteslin reclal et intestin buccal. 

Peu de temps après la formation de ce dernier, la partie de 
l'émbryon qui lui fait suite en avant s’élargit et se creuse d’une 
cavité. Cette portion élargie et creuse forme un sac allongé, le 
sac pharyngien, sur les côtés duquel s’ouvriront bientôt les fentes 
branchiales. 

L'intestin buccal, dont la lumière est d’abord très étroite, 
linéaire en quelque sorte, entre en communication avec ce sac 
pharyngien. A l'endroit où cesse l'intestin buccal, celui-ci s’élar- 
git et forme une ampoule à bords irréguliers et comme déchirés, 
qui fait saillie vers le vitellus. Derrière cette dilatation stomacale 
l'intestin ést encore largement ouvert et renferme la tunique 
interne du sac vitellin qui s’allonge en pédicule pour se loger 
dans la gouttière intestinale. 

J'ai vu souvent celte disposition en vidant lentement le sac 
vitellin. À mesure que le contenu s'écoule, on distingue mieux 
les deux membränes dont se compose ce sac, l’externe continua- 
tion de la peau et l’interne qui se prolonge en un pédicule pour 
pénétrer dans l'intestin. Si l’on exerce de légères tractions sur le 
vitellus, on fait saillir de plus en plus le pédicule intestinal 
(fig. 23), au travers duquel on aperçoit le pédicule vitellin qui 
se terminé en cul-de-saé ; mais les tractions font sortir facilement 
lé prolongement cæcal du vitellus du tuyau qui le renfermait. 

Il est très difficile de déterminer le mode de formation du foie; 
malgré de nombreuses recherches, je n'ai pu encore arriver à 
établir d’une manière positive sa véritable origine. 

V'ai extrait plusieurs tubes digestifs du vingt-septième au trénte- 
deuxième et trente-troisième jour, après les avoir faiblement coa+ 
gulés, afin d'en examiner la composition élémentaire et de recher- 
cher la différenciation des cellules qui doit avoir pour résultat la 
formation du foie. 

Un appareil digestif du trente et unième jour n'offrait encore 
aucune trace de cette glande. Il montrait l’ampoule stomacale 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 165 
encore ouverte en arrière-et se continuant avec la gouttière intes- 
tinale; mais on ne voyait dans le voisinage de lestomac aucune 
forme qui püût annoncer l'existence d’un rudiment de glande. 

Dans un autre appareil digestif d’un embryon qui n’était qu’au 
trentième jour, on voyait au contraire sur les côtés du renflement 
stomacal une forme arrondie dont les contours se distinguaient 
des contours de l'estomac. 

Dans quelques pièces, cette portion lobulée n’offrait qu'une 
trame amorphe, sans structure distincte. Dans d’autres elle éfait 
composée de cellules sen:blables à celles du tube digestif ; elles ne 
s’en distinguaient que parce qu’elles étaient un peu plus grosses 
et plus pâles. 

Les cellules de l'intestin examinées fraiches sont globuleuses, 
brillantes ; elles renferment un ou deux nucléoles vésiculeux, 
brillants , et ne mesurent que 0°",008. Celles du foie ont un dia- 
mètre de 0"",013 ; leur enveloppe paraît plus mince, ce qui les 
rend plus transparentes ; du reste, elles ont la même composition. 
Les cellules de l'intestin, comme celles du foie, quand elles sont 
coagulées, deviennent granuleuses. 

À l’époque que nous venons de décrire où le foie est encore 
confondu, pour ainsi dire, avec le renflement stomacal, les organes 
sécréteurs qui représentent les reins embryonnaires, el qu’on 
désigne sous le nom de corps de Wolff, se composent de deux 
renflements tubuleux rapprochés l’un de l’autre, et situés au-des- 
sus du tube alimentaire, derrière le cœur, au niveau des nageoires 
pectorales (fig. 23 et 24). 

Ces renflements se continuent chacun en un tube qui marche 
parallèlement avec l'intestin, au-dessus de lui, et se terminent au 
niveau du cul-de-sac anal. 

Sur dés embryons coagulés, on peut dérouler le renflement 
antérieur ou le corps de Wolff proprement dit. D'abord le renfle- 
ment est globuleux, et ordinairement double (fig. 25). Plus tard, 
au lieu de deux corps globulenx, on trouve deux tubes repliés sur 
eux-mêmes, et maintenus rapprochés par un tissu connectif assez 
serré (fig. 26). Ces tubes repliés ont la même structure que les 
tubes excréteurs qui en sont la continuation ; ils paraissent remplis 


16/4 LEREBOULLET. 

de corps utriculiformes qui en obstruent la cavité (fig. 27), et ils 
sont entourés d'une gaine de cellules disposées longitudinalement, 
indices de l'enveloppe fibreuse dont ils seront munis plus tard. 

C'est vers le vingt-septième jour que les fentes branchiales 
commencent à se montrer, aussitôt que la circulation vitelline est 
complétement établie, c’est-à-dire qu'il s'est formé un réseau 
sanguin à la surface du vitellus. 

Sur des embryons du trentième jour, ces fentes étaient au 
nombre de cinq sur les côtés du sac pharyngien ; elles commen- 
çaient à se prolonger vers le bas pour se porter vers la ligne 
médiane. 

A mesure que les fentes branchiales se produisent, des courants 
sanguins se détachent de l'extrémité antérieure du eœur, pour se 
porter le long des ares solides qui résultent de la production des 
fentes latérales. Ces ares vasculaires se réunissent en arrière en 
un seul courant, qui se joint à celui du côté opposé pour former 
l'artère aorte. 

Cette première division de la masse sanguine en avant du cœur 
est une modification très importante qui constitue en réalité le 
commencement d'une nouvelle phase de la vie embryonnaire, 
puisqu'elle annonce l'établissement futur de la respiration bran- 
chiale. On peut alors se représenter, dans son ensemble, la cir- 
culation générale comme décrivant une grande ellipse interrompue 
sur deux points de son trajet, points qui correspondent l’un au 
vitellus, l’autre à la région branchiale ; en d'autres termes, le sang 
se divise deux fois, et forme ainsi deux sortes de cônes opposés 
ou deux doubles cônes. Mais un seul de ces doubles cônes est 
pourvu d’un système capillaire interposé entre les vaisseaux qui 
se divisent et ceux qui se réunissent : c’est le système capillaire 
vitellin. Du côté des ares branchiaux, au contraire, les vaisseaux 
qui partent de l’artère se réunissent au-dessus de l'appareil que 
forment ces arcs, sans passer auparavant par un système capil- 
laire. 

I suit de là que la formation des ares vasculaires branchiaux 
ne modifie pas encore Ja respiration de l'embryon ; celle-ci se fait 
toujours par le vitellus. puisque ce n’est qu’à la surface de ce 


RECHERCHES log LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 165 
grand sac nutritif que les vaisseaux se divisent assez pour rendre 
l'hématose suffisante. 

Le cœur, qui s’est coudé de plus en plus, à maintenant ses deux 
renflements, loreillette et le ventricule. 

Les corpuscules sanguins sont encore sphériques et petits ; ils 
ne mesurent que 0"",095 ou tout au plus 0"",008, tandis que les 
plus petites cellules du cœur ont 0"",01. Cette disproportion entre 
les globules sanguins et les cellules du cœur montre que ces glo- 
bules ne dérivent pas directement de celles-er. 

J'avais déjà fait la même observation sur le Brochet et sur la 
Perche ; nous verrons plus loin qu’elle s'applique aussi au Lézard. 
En sorte que, dans les Vertébrés dont j'ai suivile développement, 
les corpuscules sanguins commencent par être des granules ou 
des vésicules très petites, sphériques, sans noyau et sans contenu 
d'aueune nature. Ce n’est que longtemps après l'apparition du 
cœur, lorsque la respiration branchiale commence à s'établir, 
qu'ils s’allongent, prennent leur forme elliptique normale, et sont 
munis d'un noyau. 

Nous venons d'exposer l’évolution des principaux appareils 
embryonnaires depuis le trentième jusqu'au quarantième jour. 
Nous allons les reprendre à partir de cette dernière époque, et les 
suivre jusqu'à l’éclosion. 

C’est environ vers le quarantième jour que la circulation vitel- 
line est en pleine activité, c’est-à-dire que tous les vaisseaux 
capillaires se sont développés à la surface du vitellus. On dis- 
tingue alors assez bien l’ensemble de ces vaisseaux à travers la 
coque de l'œuf, qui prend dès ce moment une teinte rougeître. 
Les plus fins capillaires entourent les globules huileux, qui sont, 
comme toujours, agglomérés sous le corps de l'embryon, et for- 
ment une couronne vasculaire autour de chacun d’eux. La respi- 
ration vitelline est donc en pleine activité, et l’on peut dire que la 
membrane vitelline, sur laquelle s’étalent les nombreux vaisseaux 
capillaires, remplit en ce moment la même fonction que l’allan- 
toïde dans les Vertébrés aériens, lorsque cette membrane est déve- 
loppée autour de l’œuf. 


Ce qui caractérise surtout la phase dans laquelle entre l’em- 


166 LEREBOULLET, | 

bryon, lorsque la circulation vitelline est établie, c’est le déve- 
loppement du foie qui devient bientôt le siége d’une circulation 
capillaire non moins remarquable que celle du vitellus. 

Nous avons vu plus haut que le foie se montre d’abord comme 
une petite masse celluleuse appliquée contre la paroi extérieure de 
l'estomac, alors que l'intestin est encore ouvert dans une assez 
grande étendue. Il ne se distingue du sac stomacal que par son 
contour, ses cellules ayant d’abord beaucoup de ressemblance 
avec celles du tube digestif. 

Peu à peu la glande grossit et se sépare de l'intestin, ap- 
puyant sur le vitellas qu’elle déprime et qu’elle éloigne de la 
face inférieure du corps, contre laquelle ce vitellus était aupara- 
vant appliqué. Les cellules hépatiques ont grossi ; elles ont toutes 
un noyau vésiculeux assez considérable. 

Une veine particulière qui ramène le sang de l'intestin, la 
veine sous-intestinale, suit le bord inférieur, puis le bord supé- 
rieur de l'intestin ; arrivée au niveau del’estomac, elle se recourbe, 
pénètre dans le foie, et s’y divise en formant un réseau serré. 
Les mêmes vaisseaux sortis du foie circulent dans le vitellus. Nous 
reviendrons sur cette disposition en reprenant la circulation 
générale. 

Quelques jours plus tard (vers le cinquantième jour), le foie 
offre un aspect lobulé bien apparent. Chacun de ses lobules est 
entouré d’un anneau vasculaire, qui rappelle la disposition qu'on 
observe sur l'adulte. On voit par transparence la forme de ces 
lobules et la circulation qui se fait autour d'eux ; on voit aussi 
une grosse artère se détacher de l'aorte, et se diviser en plusieurs 
branches qui pénètrent dans le foie à côté de la veine. 

Le foie est muni d’une vésicule biliaire remplie d’un liquide 
jaunâtre, et il tient à l’intestin par un large canal excréteur : le 
canal cholédoque. 

La circulalion générale s’est augmentée de la cireulation rachi- 
dienne dont il sera question plus loin, et de la circulation péri- 
intestinale. L'intestin est bordé de deux vaisseaux : une artère qui 
longe sa face supérieure et une veine qui occupe sa région infé— 
rieure, L’artère envoie de distance en distance des rameaux 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 167 
d'anastomose qui contournent l’intestin et vont se jeter dans la 
veine. Arrivée dans le voisinage de l'anus, l'artère revient sur 
elle-même en formant une dernière boucle qui se continue direc- 
tement avec la veine; de cette manière l'intestin est entouré d’un 
réseau vasculaire à mailles lâches et plus ou moins espacées, 
Avant de pénétrer dans le foie, la veine sous-mtestinale se porle 
à la face supérieure de l'intestin comme nous l'avons dit, puis se 
recourbe subitement, entre dans la glande, et s’y divise en un 
arand nombre de rameaux volumineux, desquels partent les anses 
anastomotiques et les petits vaisseaux qui se capillarisent et se 
disposent autour des lobules. 11 ne m'a pas été possible de suivre 
la marche des artères qui pénètrent dans le foie tout près des 
veines. Il est probable qu’elles accompagnent ces dernières, et se 
perdent dans les capillaires de la glande. 

Les veines du foie, quand elles sortent de la glande, s’étalent 
dans toutes les directions sur le vitellus. 

Le foie à done apporté une modification importante à la cireu- 
lation vitelline, Dans l’origine, en effet, le vitellus recevait directe- 
ment le sang de la veine cave on, pour mieux dire, le sang qui, de 
l’extrémilé terminale de l'aorte, revenait au cœur, sans avoir péné- 
tré dans la queue ; la veine cave proprement dite n'existait pas 
encore. Quand le foie est pourvu de son appareil vasculaire, c'est 
la veine sous-intestinale qui fournit le sang au vitellus, puisque 
c’est elle qui se jette dans le foie, et produit les nombreux troncs 
vasculaires qui parcourent cette glande. Le sang qui a cireulé dans 
l'embryon retourne done au eœur par deux voies, par la veine 
cave ou veine cardinale qui se rend au cœur sans traverser Île 
vitellus, et par la veine intestinale qui dérive de cette même veine 
cave. D'un autre côté, le foie reçoit des artères qui se détachent 
de l'aorte, et pénètrent dans la glande à côté du vaisseau intesti- 
pal, Il n’est pas difficile de voir dans cet arrangement l'indice de la 
circulation hépatique, telle qu’elle existe chez l'adulte : la veine 
intestinale sera et est même déjà une veine porte ; l'artère qui 
accompagne ses ramifieations dans le foie est l'artère hépatique, et 
quant aux veines hépatiques, elles sont représentées par les vais- 
seaux vitellins qui ne retournent au cœur qu'après avoir parcouru 


168 LEREBOULLET . 

le vitellus. L'embryon est, à cette époque, très riche de sang, et la 
cireulation vitelline offre, sous le microscope, l'un des plus beaux 
spectacles que l’on puisse voir. 

Les derniers jours de cette époque se confondent avec l’époque 
de l’éclosion ; la coque de l’œuf devient extrêmement mince, et se 
déchire au moindre contact. L’embryon se meut avec énergie 
dans son œuf qu'il remplit exactement ; il cherche à se retourner, 
et les tentatives qu'il fait pour y parvenir ont pour effet de déchi- 
rer l'enveloppe mince et friable qui s'oppose à sa mise en liberté. 
L'eau qui s'interpose entre la coque et le jeune poisson seconde 
les efforts de celui-ci, la coque tombe en lambeaux ou se divise 
en deux. et l’éclosion a lieu. 

Le petit poisson sort de l’œuf vers le cinquante-deuxième jour, 
quelquefois plus tard, rarement plus tôt. 

Il nage un instant, puis se laisse tomber au fond de l’eau, et 

demeure immobile pendant un temps assez long. 
* Iest alors muni de tous les appareils locomoteurs dont il a 
besoin; ses nageoires peclorales très longues s’agitent d'un mou- 
vement vibratoire très vif et continuel ; sa longue queue est munie 
d'une nageoire embryonnaire étendue. Ses fibres musculaires 
commencent à prendre le caractère qui leur est propre; elles sont 
allongées, roides, transparentes ; mais elles n'offrent encore 
aucun genre de striation ni longitudinale, ni transversale. 


Résumé du quatrième chapitre. 


1. L'évolution des appareils circulatoire et digestif, l’établisse- 
ment de la respiration vitelline et le passage de cette respiration à 
la respiration branchiale, caractérisent essentiellement cette période 
à laquelle nous donnons pour ce motif le nom de période nutritive 
du développement embryonnaire. 

2. Cette période comprend elle-même deux phases : 

Dans la première, tout le sang de l’embryon passe directement 
par le vitellus ; il n'existe qu’un seul grand cerele cireulatoire. 

Dans la seconde phase, qui commence à l'établissement de la 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 169 
circulation hépatique et à la formation des ares vasculaires bran- 
chiaux, le sang embryonnaire ne passe qu’en partie par le vitel- 
lus. Une portion cousidérable de ce liquide va au cœur sans avoir 
traversé le vitellus, circule dans les ares branchiaux, et ne vient 
respirer à la surface du sac vitellaire qu'après avoir traversé le 
foie, en passant par les veines et par les artères qui vont à cette 
glande. 

Il existe alors deux cercles cireulatoires : un cercle embryon- 
naire formé par le sang qui part du cœur, circule dans l'embryon 
et revient au cœur avant d’avoir pénétré dans le vitellus, et 
un cercle vitellin qui s’est établi entre le cœur, le foie et le 
vitellus. 

3. Ces deux phases sont séparées l’une de l’autre par l’achève- 
ment du tube digestif et l’établissement'de la circulation péri- 
intestinale. 

Nous allons grouper les principaux faits embryologiques qui 
se rattachent à l’une et à l’autre de ces phases. 

h. Le cœur est primitivement une masse cylindrique, pleine, 
c’est-à-dire sans cavité intérieure, composée de cellules et éten- 
due sous la tête. 

5. Quoique plein et celluleux, le cœur se contracte d’une 
manière rhythmique dès son apparition. 

6. Le cœur se détache de la région inférieure de la tête, et 
descend dans la chambre cardiaque sous la forme d’un boyau 
droit étendu directement entre la tête et le vitellus. 

ILest alors muni d’une cavité centrale, dans laquelle on ne dis- 
tingue d’abord aucun globule. 

7. Le boyau cardiaque se recourbe en anse, et se renfle en deux 
cavités : l’une antérieure, qui sera le ventricule; l’autre posté- 
rieure, l'oreillette, dont les bords se perdent sur la membrane du 
sac vitellaire. 

8. Les cavités du cœur renferment des globules qui éprouvent 
un mouvement de va-et-vient, par suite des contractions de cet 
organe. On ne voit pas de globules hors du cœur. 

9. Les globules sanguins sont pendant longlemps plus petits 
que les cellules dont le cœur se compose. Leur forme est d’abord 


170 LEREBOULLET , 


sphérique; ils grossissent assez lentement, et deviennent peu à 
peu elliptiques. 

10. La première circulation ne s'aperçoit que cinq ou six jours 
après la formation du cœur. 

11. Le sang décrit d’abord une grande ellipse qui embrasse le 
vitellus. L'une des branches de cette ellipse, l'aorte, est simple ; 
l'autre, la branche de retour, se divise dans le vitellus avant de 
revenir au Cœur. 

12. Les trones qui ramènent le sang au cœur sont d’abord 
simples ; plus tard seulement ils se multiplient dans le vitellus, et 
s'unissent entre eux par des rameaux d’anastomose plus déliés. 

13. La simplicité de la cireulation et l'absence de ramifieations 
vasculaires sont en rapport avec la petite quantité des globules 
sanguins. Les vaisseaux se multiplient à mesure que les corpus- 
cules sanguins augmentent en nombre et en volume. 

14. Ainsi le nombre des vaisseaux est toujours en rapport avec 
les besoins de la respiration. 

15. Peu à peu l'artère aorte pénètre dans la quéue, et forme, 
en revenant sur elle-même, des boucles successives placées les 
unes au-devant des autres. La queue est alors pourvue de deux 
vaisseaux superposés, l'artère en dessus, la veine en dessous. La 
cireulation est à la veille de se modifier pour constituer la seconde 
phase de la période nutritive. 

16. Dès que la circulation vitelline est établie, le vitellus rem- 
plit une double fonction : il est à la fois un organe de nutrition qui 
fournit à l'embryon les éléments nécessaires à son développement, 
et un organe de respiration pour les globules sanguins qui vien- 
nent se répandre à sa surface. 

47. La naissance du tube intestinal coïncide à peu près avec 
l'apparition du cœur. 

18. L'intestin commence par une accumulation de cellules au- 
dessous du feuillet muqueux primitif, le long de la face inférieure 
de l'embryon. 

19. Ces cellules se disposent aussitôt en gouttière, dont les 
bords s'inclinent vers le bas et tendent à se rapprocher pour se 
souder l’un à l’autre. 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 171 

20. La fermeture de la gouttière intestinale se fait suivant une 
direction longitudinale centripète, c’est-à-dire en deux sens oppo- 
sés, d'arrière en avant et d'avant en arrière. 

21. Il en résulte deux boyaux fermés chacun à leur extrémité : 
l'intestin rectal et l’intestin buceal. 

22. Ces deux boyaux, continus par leur face dorsale, sont infer- 
rompus du côté ventral, et offrent dans leur région moyenne/une 
longue fente en forme de boutonnière, dont la partie antérieure 
est renflée en ampoule. 

Une petite portion du vitellus est embrassée par les lèvres de 
cette boutonnière. 

23. À mesure que la fente intestinale se ferme, le vitellus 
que celte fente renfermait s’étrangle et se change bientôt en un 
pédieule qui persiste assez longtemps après que la fente à dis- 
paru. 

24. Pendant que la gouttière intestinale se change en tube, la 
région située au-dessus du cœur s’élargit et se creuse d’une cavité. 
Le sac pharyngien se forme, et la bouche apparaît comme une 
fente transversale située sous le museau. 

25. Le fond du sac pharyngien entre bientôt en communication 
avec l'extrémité en forme de cæcum de l'intestin buccal. 

26. Pendant que la soudure des deux bords de la gouttière à 
lieu en arrière, la queue se détache du vitellus et devient flottante ; 
elle s’allonge rapidement. 

27. En avant la tête se soulève et se détache aussi du vitellus, 
mais plus tardivement. 

28. Aussitôt que la queue s’est détachée et a atteint une cer- 
taine longueur, elle s'entoure d’une nageoire mince, transparente, 
homogène, la nageoire embryonnaire. 

29. En même temps une petite saillie tubereuleuse, située de 
chaque côté de la région thoracique, annonce la formation des 
nageoires pectorales. 

30. La bourse choroïdienne s’est fermée; les deux cylindres 
se sont rapprochés l’un de l’autre, pour former par leur juxtapo— 
sition une fente linéaire, la fente choroïdale. 

31. Peu de temps après, la choroïde se remplit de pigment ; 


172 LEREBOULLET. 
elle a d’abord une teinte grisâtre qui augmente peu à peu d’in- 
tensilé. 

32. Le cristallin, qui jusqu'ici était resté homogène, offre à son 
centre un noyau composé de corpuseules nucléaires brillants. 

33. Peu à peu le nombre de ces corpuscules augmente; puis ils 
S’allongent et se transforment en fibres fusifornies, très déliées, 
ayant un noyau dans leur partie moyenne et disposées en couches 
concentriques : ce sont les fibres du cristallin. 

54. Les capsules auditives ont le même aspect que précédem- 
ment; seulement elles se rapprochent de plus en plus de la tête et 
elles contiennent des granules calcaires disposés en deux groupes, 
les otolithes. 

35. La corde dorsale devient vésiculeuse dans toute son étendue. 

86. Le système nerveux, dès le commencement de cette pé- 
riode et pendant toute sa durée, se concentre de plus en plus dans 
la région céphalique, en même temps que sa masse augmente. 

37. Les deux cordons rachidiens se replient sur eux-mêmes, 
derrière le renflement cérébral moyen, et forment par leur ados- 
sement la lamelle cérébelleuse qui se dresse verticalement der- 
rière ce renflement. 

38. Les mêmes cordons se continuent en avant pour former 
les parois latérales de la grande cavité cérébrale et celles du ven- 
tricule antérieur. 

39. Le fond de la grande cavité cérébrale se garnit de renfle- 
ments nerveux, tandis que son plafond se constitue par deux 
lamelles nerveuses qui se disposent en voüte au-dessus de cette 
cavité. 

h0. Les lamelles vertébrales sont encore celluleuses ; mais on 
remarque que les cellules qui les composent sont disposées en 
séries linéaires, ce qui annonce la formation prochaine des fibres 
musculaires. 

1. Cependant l'embryon exerce déjà des mouvements de 
totalité par de légères secousses et surtout des mouvements par- 
tiels, quelquefois très vifs, de sa queue. 

42. Avant que la fente intestinale soit fermée, on distingue je 
premiers Indices du foie sous la forme d’un corps celluleux, appli- 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 173 
qué contre les parois extérieures de l'estomac, à l'endroit où il se 
continue avec l'intestin. 

13. En même temps apparaissent les fentes branchiales qui 
entament peu à peu et successivement les côtés de la cavité pha- 
. ryngienne. 

kk. Le cœur envoie des vaisseaux le long des ares qui résultent 
de la présence de ces fentes. 

Ces vaisseaux se réunissent en arrière pour former les deux 
branches de l'aorte. 

L5. Une artère se détache de l’aorte pour se porter vers le foie, 
dans lequel elle pénètre et se divise. 

h6. Pendant ce temps la circulation embryonnaire s’est modifiée 
par l'établissement d’une circulation particulière autour de l’in- 
testin. | 

47. Une artère provenant de l'aorte suit le bord supérieur de 
l'intestin et envoie des rameaux d'anastomose vers la veine qui 
en suit le bord inférieur. 

h8. La veine cave ou veine cardinale, qui prend naissance à 
l’extrémité de la queue, marche parallèlement à l'aorte et va droit 
au cœur sans pénétrer dans le vitellus. 

h9. La veine sous-intestinale quitte l'intestin à la hauteur de 
l'estomac et pénètre dans le foie avec l'artère hépatique. 

50. Le foie s’est détaché de l’estomac et déprime le vitellus; il 
est devenu globuleux et se compose d’une infinité de petits lobules 
entourés d’un anneau vasculaire. 

51. Les veines du foie, bien plus nombreuses et plus grosses 
que les artères, sortent de la glande et se répandent dans le 
vitellus ; puis ces veines vitellines se réunissentetse portent au cœur. 

52. La veine sous-intestinale fonctionne done déjà comme une 
veine porte, l'artère qui pénètre avec elle dans le foie est l’artère 
hépatique, et les veines vitellines représentent les veines hépa- 
tiques, quoiqu’elles aient pour mission particulière en ce moment 
de présider à l'hématose en se divisant sur le vitellus. 

53. Les corps de Wolff et leurs conduits excréteurs ne de- 
viennent bien distincts que pendant celte seconde phase de la 
période nutritive. 


47h LEREBOULLET, 


5k. Les corps de Wolff commencent à se montrer en même 
temps que la gouttière intestinale primitive. Ils consistent dans la 
formation de deux tubes repliés sur eux-mêmes à leur origine. 

55. Ces tubes repliés et enroulés forment deux corps globuleux, 
rapprochés l’un de l’autre et situés derrière le cœur, au-dessus du 
canal intestinal. 

56. Ils sont composés d'éléments utriculiformes qui paraissent 
remplir -Jeur cavité et annoncent leur nature sécrétoire. 

91. À mesure que le foie grossit, il s’isole de plus en plus de 
l'intestin, ses lobules se dessinent mieux, il est muni d’un canal 
excréteur qui s'ouvre dans l'intestin, et d’une vésicule biliaire 
que l’on reconnait à son contenu jaunâtre. 

58. Pendant la durée de cette seconde phase de la période 
nutritive, l'embryon continue à se développer dans ses différentes 
parties ; il exerce dans son œuf des mouvements vifs et fréquents ; 
la coque s’amineit de plus en plus et se déchire au moindre effort. 

99. L'éclosion a lieu vers le cinquante-deuxième jour. Le petit 
poisson sorti de l'œuf se tient tranquille, étendu au fond de l’eau ; 
il ne se déplace que de temps à autre, pour nager un instant, puis 
il retombe et reprend son immobilité habituelle. 


CHAPITRE V. 


Quatrième période, ou période d'achèvement, comprenant le développe- 
ment du poisson depuis l’éclosion jusqu’à la disparition de la vessie 
vitellaire. 


Le développement du poisson est loin d’être terminé quand il 
sort de son œuf. Ce n’est qu'après l’éclosion qu'ont lieu l’évolution 
des branchies et la formation des nageoires, deux modifications 
importantes qui mettent le poisson en harmonie avec sa nouvelle 
destination et qui achèvent de le constituer. Pendant toute la durée 
de cette période, le vitellus continue à fonctionner comme organe 
putriif et comme appareil respiratoire, jusqu'au moment où les 
branchies, devenues suffisantes pour l’hématose, attirent à elles 
tout le sang et fonctionnent d’une manière définitive. 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 175 


Cette période dure environ deux mois ou même deux mois et 
demi, Suivant les conditions au milieu desquelles se trouve le petit 
poisson. 

Ge qui frappe tout d’abord dans la jeune Truite récemment 
éclose, c’est le volume considérable du vitellus, Celui-ci, en effet, 
forme une grosse vessie cylindrique, aussi large en arrière qu’en 
avant, étendue depuis la région du cœur jusqu’à la région analg, 
et dont la hauteur est égale à quatre ou cinq fois Ja hauteur du 
corps, tandis que sa longueur dépasse encore cette proportion. 

Cette grande poche vitelline montre par transparence des gonttes 
plus où moins nombreuses de graisse liquide, dispersées dans 
toute son étendue ; la plupart sont réunies en avant, vers la région 
du cœur, où l’on voit toujours une ou plusieurs gouttes beaucoup 
plus grosses que les autres. | 

Le vitellus est parcouru par de nombreux vaisseaux très rap 
prochés les uns des autres et s’anastomosant fréquemment entre 
eux. Ces vaisseaux forment un magnifique réseau à mailles allon- 
gées, IS paraissent tous provenir de da veine sous-intestinale, 
car lous m'ont semblé sortir du foie. Après avoir parcouru le 
vitellus, ils se réunissent en un tronc principal qui marche le long 
du bord inférieur de ce sac et va se jeter dans l’oreillette. 

Le cœur recoit de chaque côté deux veines caves, l’une anté- 
rieure, l’autre postérieure. 

La veine cave antérieure ramène le sang de la tête. I existe 
dans cette région une circulation très riche, mais qu'il est difficile 
de suivre à cause de la présence du pigment. Celui-ci, en effet, 
qui à commencé à se déposer une dizaine de jours avant l’éclosion, 
couvre maintenant les diverses régions du corps, mais surtout la 
région supérieure, et'empêche de distinguer les vaisseaux. Cepen- 
dant on voit très bien sur le sommet de la tête un grand nombre 
de veines se diriger en arrière et se réunir en un seul tronc qui 
passe par-dessus l'oreille, se recourbe derrière l'appareil bran= 
chial et se jette dans l'oreillette à côté de la veine cave postérieure, 
ou en s’unissant à elle pour former un sinus. 

La veine cave postérieure résulte du retour du sang de l'artère 
aorte qui, lorsqu'elle est arrivée au bout de la queue, revient 


176 LEREBOULLET. 

directement sur elle-même. Toujours plus grosse que l'artère, la 
veine cave est située au-dessous d'elle. Arrivée à quelque dis- 
tance du cœur, elle se divise en deux troncs qui vont de chaque 
côté aboutir à l’oreillette, après s'être élargis en sinus en s’unis- 
sant à la veine cave antérieure. 

Le cœur se prolonge maintenant en avant en un tube artériel, 
muni à son origine d'un renflement bulbiforme. Ce tube ou 
l'artère branchiale se porte entre les ares branchianx et fournit 
latéralement les vaisseaux qui courent le long du bord convexe de 
ces arcs (fig. 31). 

L'extrémité terminale de l'artère branchiale fournit des vais- 
seaux déliés aux pièces operculaires qui sont en train de se for- 
mer, mais qu'on ne distingue pas encore, et à l’arcade maxillaire 
inférieure. Une première paire de vaisseaux se porte en arrière 
et dessine le contour des opercules. Une seconde paire est des- 
tinée aux préopercules. Entre ces deux vaisseaux nait une artère 
médiane qui semble être la continuation de l'artère branchiale; 
elle se porte en avant vers le point de jonction des deux branches 
du maxillaire inférieur, et là elle se divise en deux rameaux qui 
suivent le contour de ces os. 

Les arcs vasculaires branchiaux, au nombre de quatre, beau- 
coup plus gros que les artères dont il vient d'être question, con- 
tournent le bord convexe des arcs branchiaux et vont se réunir 
au-dessus de ces arcs en un seul tronc de chaque côté. Ces deux 
troncs, d’abord séparés l’un de l’autre de toute la longueur de la 
tête, se rapprochent peu à peu de la ligne médiane et s’unissent 
l’un à l’autre à une petite distance derrière la région des oreilles 
en un tronc unique, l'artère aorte, qui se porte directement en 
arrière sous la corde dorsale jusqu’à l'extrémité de la queue. 

Une cireulation des plus remarquables par sa disposition el sur- 
tout par son élégance est celle qui s'établit quelque temps déjà 
avant l’éclosion, autour des arcs vertébraux, et qui forme une 
admirable ceinture vasculaire autour du corps dans toute sa 
longueur (fig. 29 et 30). 

De l'artère partent, de distance en distance, des vaisseaux qui 
montent verticalement vers la région dorsale. Arrivées au-dessus 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 477 
de la corde dorsale, ces artères se bifurquent, décrivent en avant 
et en arrière un are de cercle et se changent en veines qui re- 
descendent vers a veine cave, dans laquelle elles se jettent. On. 
peut très bien suivre la marche du sang et le voir monter par 
l'artère, décrire 3es ares dorsaux et redescendre dans une direc+ 
tion parallèle, pour aller rejoindre la veine cave. Je n’ai jamais yu 
l'artère et la veine contiguës; toujours, au contraire, le vaisséau 
ascendant et le vaisseau descendant étaient régulièrement espatés. 
Le plus souvent les artères et les veines, que l’on pourrait appeler 
péri-verlébrales, \lternaient régulièrement; quelquefois cependant 
on voyait deux artères consécutives. Les lignes obliques, qui 
marquent les divisions vertébrales et qui indiquent maintenant les 
intersections tendineuses des masses musculaires latérales, sont 
aussi accompagnées de vaisseaux alternativement artériels et 
veineux, plus petits que les précédents, et qui viennent s'unir à 
eux tout près de leur point de jonction avec l’aorte ou avec la 
veine cave. Enfin là partie inférieure du corps, mais seulement 
dans la région caudale, offre des vaisseaux analogues qui se di- 
rigent en bas, contournent le corps du poisson et disparaissent à 
la vue. 

Il est certain que ce riche appareil vasculaire est en rapport 
avec la formation prochaine des appendices vertébraux, c’est-à- 
dire des apophyses épineuses dont les cartilages ne tarderont pas 
à se montrer. Très souvent nous avons pu constater, dans nos 
recherches sur le développement des poissons, que l’apparition 
des vaisseaux sanguins précède et annonce en quelque sorte un 
travail qui a pour résultat la formation de cartilages d’ossification. 
Nour citerons pour exemples : la richesse dela circulation dansles 
parois de la boîte crânienne qui précède et accompagne les for- 
mations cartilagineuses de cette enveloppe; les vaisseaux qui cir- 
conscrivent les pièces operculaires, avant que ces pièces soient 
appréciables à la vue (fig. 31); et nous allons voir des dispositions 
analogues et peut-être plus curieuses encore pour la formation 
de la nageoire caudale. 

Du reste, cet arrangement est conforme aux lois physiologiques 


que tout le monde connaît. Toujours les cartilages d’ossification 
4° série. Zooz. T. XVI. (Cahier n° 3.) 4 12 


178 LEREBOULLET 


sont riches en vaisseaux sanguins, parce que c’st le liquide san- 
guin qui apporte les matériaux nécessaires à te travail d’orga- 
nisation. 

Lorsque l'aorte est arrivée à l'extrémité de k corde dorsale, à 
l'endroit où celle-ci se replie vers le haut, et avant de former sa 
boucle terminale, elle se porte en bas vérs le bord inférieur de 
la nageoire embryonnaire, et décrit une ou plusieurs anses vas- 
cuhires dont l’ensemble forme un élégant plexus. Ce plexus, 
d’abord très simple, commence à se montrer avant l’éclosion vers 
le quarante-huitième jour; il n’est alors composé que de deux ou 
trois anses vasculaires, mais peu à peu il augmente d’étendue et 
s'étale en éventail (fig. 29). 

Plus tard, les anses vasculaires qui le forment prennent une 
direction rectiligne et se disposent parallèlement les unes aux 
autres. Chaque anse forme une ellipse qui s’allonge de plus en 
plus et dont une des branches est constituée par une artère et 
l'autre par une veine (fig. 30). 

On voit des granules pigmentaires sc disposer par groupes le 
long des vaisseaux et enfin, quand les rayons de la nageoire sont 
formés, chaque rayon occupe l’espace étroit et long circonserit 
par les vaisseaux, et se trouve en quelque sorte encadré par ces 
derniers. 

Il'est donc évident que le plexus caudal, dont je viens de don- 
ner la description, précède et annonce la formation des rayons de 
la nageoire caudale. 

Pour terminer cet exposé sommaire de la circulation à l’époque 
de l’éclosion, il ne nous reste plus qu'à dire quelques mots de la 
- circulation péri-intestinale. Celle-ci est très riche sur les poissons 
récemment éclos, et elle se fait, comme avant l'éclosion, par une 
artère et par une veine qui parcourent l'intestin dans toute sa 
longueur, et entre lesquelles existent de nombreuses anasto- 
moses flexueuses, disposées aulour du tube intestinal. 

L'aspect général du tube digestif a peu changé. Cependant un 
nouvel organe s’est montré sur le trajet de ce tube, c'est la vessie 
natatoire. Elle apparaît avant l’éclosion sous la forme d’une dé- 
pression située sur les parois de l’œsophage. Vers l’époque de 


RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 179 
Péclosion ce culile-sae se sépare de plus en plus 'de l'œsophage 
et se resserre à sen origine, de manière à ressembler à une petite 
fiole (fig. 28). Puis la vessie s'allonge assez rapidement et se 
trouve fixée par une sorte de ligament contre les parties voisines. 
Elle conserve lonztemps encore après la naissance une large com- 
munication avec l'æsophage dont elle constitue, comme on voit, 
un véritable appeadice. / 

Le tube intestiral s’est fermé dans toute sa longueur, sauf uñe 
ouverture étroite et tubuleuse qui parait persister longtemps, Car 
je l'ai encore rencontrée sur des poissons âgés de six semgines 
(fig. 33 et 34). On ne peut méconnaitre cet orifice, soit f{u'on 
étende l'estomac sur une lame de verre et qu’on le regarde par 
en haut (fig. 35), soit qu on l’examine de profil. Dans celte der- 
nière position, on reconnait l'existence d’un tube assez long, situé 
entre le foie et l'estomac (fig. 34) et formant un véritgble pédi- 
cule creux. 

J'ai cherché en vain ce pédicule vitellin dans le voisinage du 
pharynx, lieu indiqué par M. Vogt pour sa position ordinaire 
(O. c., p. 162), je l'ai toujours trouvé entre l'estoniac et le foie, 
comme je viens de le dire. Ni l'examen de poissons vivants, ni la 
dissection sur des poissons coagulés n’ont pu me montrer de 
traces d'aucun canal dans la région pharyngienne, tandis qu’en 
écartant le foie, je trouvais immédiatement le pédicule, et en 
ouvrant l'estomac par sun côté dorsal, je distinguais facilement 
l'ouverture de ce conduit. 

Le foie est toujours une masse compacte, globuleuse, composée 
d’une multitude de lobules. J1 offre du côté de l'intestin une pro- 
fonde échancrure d’où sort le conduit cholédoque. Ce dernier 
s’insère à l’origine de l'intestin, et à l’endroit où il y pénètre il est 
entouré de petites glandules en grappe. La vésicule biliaire est 
remplie d’un liquide jaunâtre et le tube intestinal est teint de la 
même couleur, ce qui indique le passage de la bile dans l’intérieur 
de ce tube. 

Il existe sur le côté droit du foie une petite glande qui parait en 
être distincte ; elle est collée contre les parois de l'estomac et lient 
au corps du poisson par un ligament particulier. Ce corps esl 


150 LER£BOULLET. 
peut-être la rate; je n'ai pas fait à son sujet des hservalions assez 
suivies pour pouvoir dire quelque chose de positif sur sa nature. 

L'estomac qui était resté semblable à l'intestin par sa structure, 
s’en distingue d’une manière notable un mois ou six semaines 
après la naissance. 

Les parois deviennent plus épaisses et plus manifestement mus- 
culeuses; il offre de gros plis longitudinaux et des stries trans- 
versales, très fines, qui indiquent sa nature (fig. 3h). Un peu 
avant sa terminaison dans l’intestin il forme un coude assez pro- 
noncé et se rétrécit notablement. 

L'intestin a une structure très remarquable. Vu à travers les 
téguments du poisson, il apparaît comme formé de bandes trans- 
versales, semblables les unes aux autres par leur épaisseur et par 
leur aspect (fig. 34 et 35). Ces bandes sont produites par des 
replis de la muqueuse qui font saillie au-dessus de la surface intes- 
tinale et affectent une disposition en spirale, ce dont on peut 
s'assurer en coagulant l'intestin et en enlevant la tunique exté- 
rieure, ou en le déchirant pour en détacher cet appareil valvulaire 
qui rappelle assez bien en petit la valvule spirale de l'intestin des 
Sélaciens. Chaque pli valvulaire offre dans son milieu une ligne 
transversale, plus foncée, due à la saillie de à membrane muscu- 
leuse contre laquelle la muqueuse vient s’appliquer (fig. 35). 

Quant à cette dernière, toute la partie saillante est remplie de 
tubes serrés les uns contre les autres, comme les glandes de Lie- 
berkühn dans les intestins des Vertébrés supérieurs (fig. 36). 

Les corps de Wolff (fig. 32) ont peu grossi; ils représentent 
deux petites masses globuleuses, bosselées, formées par les tubes 
sécréleurs qui se sont repliés sur eux-mêmes un grand nombre 
de fois. Leur canal excréteur est resté le même. 

Les pièces qui composeront le crâne commencent à prendre 
leur forme respective. Le sphénoïde entre autres se dessine très 
bien à la base du crâne ; son extrémité postérieure touche à l’ex- 
trémité terminale et effilée de la corde dorsale (fig. 32), circon- 
stance qi montre que celte dernière ne prend aucune part à la 
formation des pièces crâniennes, et que c’est peut-être à tort qu’on 
les a regardées comme des vertèbres. 


RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 181 

Les yeux ont à peu près leur forme définitive. Quant aux 
oreilles, elles représentent deux grosses capsules cartilagineuses, 
allongées, ovoïdes (fig. 32), dont il est difficile de suivre les for- 
malions intérieures. 

Nous allons maintenant nous occuper du développement dé 
l'appareil le plus important de la vie du jeune poisson : de lappy- 
reil branchial qui doit bientôt entrer en action, et qui est appelé à 
localiser complétenent la fonction respiratoire. 

Ce n’est que quelques jours après l’éclosion que les franges 
branchiales apparaissent d’une manière distinete sous la forme de 
petits tubercules arrondis, disposés sur deux séries le long du 
bord convexe de chaque arc (fig. 31 et 37). 

Les cartilages qui soutiennent ces lamélles rudimentaires sont 
déjà remplis, depuis quelque temps, de leurs cellules particulières 
(fig. 28). La formation de ces cellules est postérieure À celle des 
cavités destinées à lesrecevoir. Les ares brancbiaux n’ont d’abord, 
en effet, qu’un blastème cartilagineux, homogène, dans lequel on 
voit se former des cavités oblongues, occupant quelquefois toute 
la largeur du cartilage, et tout à fait vides de cellules. Ces cavités 
cartilagineuses se muliplient, se serrent les unes contre les autres, 
et se remplissent peu à peu de cellules. Je n’ai pu déterminer si 
les petits granules qu’elles renferment sont le point de départ des 
formations celluleuses proprement dites. 

Le cartilage branchial occupe le bord supérieur de la lamelle 
(fig. 37 et 38). Au-dessous de lui se trouve un espace clair, trans- 
parent, dans lequel marche le courant sanguin qui appartient à 
l'arc. C’est au-dessous de ce vaisseau que sont appendues les 
franges branchiales; celles-ci sont entièrement celluleuses. Les 
cellules qui les composent, et qui ont 0°*,01 de diamètre, sont 
remarquables par leur uniformité. Chaque tubercule présente dans 
sa partie moyenne un espace transparent indiquant l'existence 
d’un canal que suit le sang dans sa marche. Ce canal est double, 
et l’on distingue quelquefois, à une petite distance du bord libre 
de la lamelle, une petite ouverture qui fait communiquer entre 
eux les deux canaux. 

Quand on observe ces lamelles branchiales pendant la vie, on 


182 LEREBOULLET, 


voit les globules sanguins quitter le vaisseau, pénétrer dans la 
lamelle correspondante, puis passer par l’ouverhre de communi- 
cation, et retourner au courant sanguin d’où ils étaient partis. 

C'est avec un plaisir toujours nouveau que j'ai revu dans la 
Truite ladmirable spectacle de cette cireulatio branchiale que 
j'avais si souvent étudiée sur le Brochet etsur k Perche. 

Aussi longtemps que les franges branchialesont peu de déve- 
loppement, il n'existe qu’un seul vaisseau pour chaque arc bran- 
chial. Les vaisseaux de retour, c’est-à-dire les veines branchiales, 
ne se forment que plus tard, quand les lamelks ont atteint une 
certaine longueur. 

Lorsque les lamelles branchiales se sont allongées au point 
de former sous la tête des franges visibles à l’œil nu, c'est-à- 
dire d’un mois à six semaines après l'éclosion, le canal dont la 
lamelle est creusée pousse des excroissances latérales (fig. 39) 
dans la cavité desquelles s'engagent les globules sanguins, et dans 
lesquelles ces corpuscules se comportent comme dans les lamelles 
primitives. Ces tubercules latéraux sont sans doute l’origine des 
plis qui se formeront plus tard sur les lamelles respiratoires. 

Dès que le petit poisson est devenu libre, son appareil hyo- 
branchial fonctionne d’une manière régulière, et témoigne par 
ses mouvements rhythmiques du besoin de la respiration. Cepen- 
dant la membrane branchiostège reste longtemps à se développer, 
et les branchies, quoiqu'elles aient déjà atteint une certaine lon- 
gueur, sont entièrement à découvert. 

L'étude de la cireulation dans les arcs branchiaux m'a fourni 
l’occasion de constater de nouveau un fait singulier relatif à l’alté- 
ration qu'éprouvent les corpuscules sanguins au moment de la 
mort du jeune poisson. À mesure que la vie s'éteint, ces corpus- 
cules se déforment, grossissent, s'attachent les uns aux autres, et 
prennent l’aspect de corpuscules graisseux (fig. 38). 

Je ne saurais jusqu’à présent donner aucune explication de ce 
phénomène, mais je puis affirmer qu'il existe, et je désire vive- 
ment que les personnes qui s'occupent d’embryologie en con- 
statent la réalité sur les poissons qu'ils ont l’occasion d'étudier . 

Si le développement des branchies constitue une époque impor- 


RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 183 
tante de la vie du jeune poisson, puisqu'il fixe d’une manière 
définitive son mçde de respiration, la formation des nageoires 
verticales offre wi autre genre d'intérêt, comme déterminant avec 
les nageoires horzontales le mode de locomotion qu'il est appelé 
à exercer dans l’eau. 

La nageoire enbryonnaire, pendant toule la durée de la troi; 
sième période, est une membrane homogène, transparente, qui 
s'étend d’une manière continue sur le dos, autour de la queue/et 
s'arrête à la région anale; elle a partout la même hauteur. 

Vers l’époque de l’éclosion, cette membrane s’échancre sûr le 
dos, à peu près vers le niveau du tiers postérieur du vitellus, par 
résorplion de sa substance dans une petite étendue, La portion 
séparée de la nageoire commune a encore la même structure que 
cette nageoire; celle-ci est nécessairement encore très longe, 
puisqu'elle contourne la queue, et se continue en dessons jusqu'à 
l'anus. Mais bientôt la nageoire anale s’isole par le même méca- 
nisme que s’est isolée la nageoire dorsale. La caudale future com- 
mence alors à se cireonscrire, quoique la nageoire embryonnaire 
conserve epcore, en arrière, une assez grande bañteur, afin de 
pourvoir à la formation de la nageoire adipeuse. Celle-ci n'apparait 
qu'assez tard, vers l’âge d’un mois, par une troisième échancrure 
qui se fait par résorption comme les précédentes. 

Le résultat de la résorption partielle de la nageoire embsyon- 
naire est donc la formation successive des nageoires dorsale, 
anale et adipeuse; nous laissons de côté pour le moment la 
nageoire caudale. 

Peu de temps après leur séparation, les nageoires dorsale et 
anale changent d'aspect. D'homogènes qu’elles étaient d’abord, 
elles offrent maintenant, soit à leur base seulement, soit dans une 
plus grande étendue, des lignes transparentes séparées par des 
intervalles plus foncés et dirigés dans le sens des rayons futurs 
de la nageoire (üg. 40 et 41). Plus tard, elles sont marquées de 
stries fines et très serrées, et offrent des trainées de pigment et 
d'une matière jaunâtre qui affectent la même direction (fig. 40). 
La striation devient plus distincte vers l’âge d’un mois, jusqu'à ce 
qu'enfin, vers l’âge de deux mois seulement, apparaissent les 


184 LEREBOULLET. 

véritables rayons, par un dépôt de substane cartilagineuse 
dans les bandes longitudinales transparentes dat il vient d’être 
question. 

Je n'ai jamais vu de vaisseaux sanguins dans c?s deux nageoires 
verticales, ni aucune espèce de circulation. La nageoire dorsale 
précède toujours l’anale dans son développement; séparée la 
premiére de la nageoire commune, c’est elle aussi qui montre, la 
première, les diverses transformations que nous venons d'exposer. 

la nageoire adipeuse ne subit pas ces transformations; elle 
s’épaissit seulement à la longue, mais elle reste stationnaire, et 
continue à avoir un aspect granuleux, sans aucune sorte de stries. 

La nageoire caudale précède, dans son développement, les 
autres nageoires verticales, et son évolution s'accompagne des 
modifications remarquables, que nous avons décrites plus haut, 
dans la circulation. Avant même que la nageoire dorsale soit 
séparée de la nageoire embryonnaire, celle-ci présente dans 
toute l'étendue de la région caudale, en dessus comme en dessous 
et en arrière, de nombreuses stries parallèles très fines et très 
serrées (fig. 29 et 30), comme on en voit naître plus tard dans 
les deux autresnageoires verticales, avant la formation des rayons. 
Le plexus vasculaire sous-caudal suit les phases que nous avons 
fait connaitre plus haut. 

Quand les anses de ce plexus sont arrivées à se disposer en 
ellipses, parallèlement les unes aux autres (fig. 30), des rayons 
carüilagineux, d’une grande transparence, commencent à se for- 
mer dans l’intérieur de ces ellipses, de sorte que les vaisseaux 
sanguins marquent assez exactement les limites de ces rayons. 
Ceux-ei se montrent avec leurs caractères le long du bord posté 
rieur de la partie terminale redressée de la corde dorsale, alors 
que la nageoire adipeuse n'existe pas encore, et que les nageoires 
dorsale et anale n’en sont encore qu’au commencement de leur 
évolution , par conséquent lorsque la nageoire embryonnaire 
commence à se modifier. Peu à peu la nageoire caudale se cir- 
conscrit, les rayons en occupent toute l’étendue, et sont disposés 
d’une manière rayonnante sous forme de lames d’épée dont les 
pointes sont dirigées vers le corps du poisson. 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 159 

Les extrémitéseffilées de ces rayons ne touchent pas la corde 
dorsale ; elles en sont séparées par des pièces particulières qui 
sont des productions de l’enveloppe ou gaîne de cette corde 
(fig. 42). 

Vers la fin du développement dans l’œuf, la corde dorsale com- 
mence à se redresser en arrière ; à l’âge d’un mois, son extrémité 
effilée se rapproche du bord supérieur de la nageoïre (fig. 42), êt 
elle ressemble alors parfaitement à la disposition qu'on renconfre 
dans un groupe de poissons fossiles. La gaine de la corde s’est 
changée en substance cartilagineuse, et de cette gaine partent des 
appendices qui constituent les rudiments des apophyses épineuses 
supérieures et inférieures (fig. 42). En arrière, les apophyses 
supérieures plus courtes cessent à l’endroit où commence le 
redressement de la corde ; les apophyses’inférieures, au contraire, 
s’allongent beaucoup plus, et règnent dans toute la longueur de 
la portion recourbée. Ces appendices inférieurs sont des lames 
assez larges, vers lesquelles se dirigent les extrémités/pointues des 
rayons. Ces dernières s'appliquent contre ces pièces intermé- 
diaires, et plus tard sont retenues fixées contre elles par de petits 
ligaments. 

Il suit de là que les rayons des nageoires sont des productions 
périphériques indépendantes du squelette, tandisque les apophyses 
épineuses sont des appendices squelettiques qui proviennent de la 
gaine cartilagineuse de la corde. Les premiers ont un développe- 
ment centripèle , les seconds un développement centrifuge. 

La division des rayons de la nageoire caudale en articles se fait 
vers la fin du premier mois de la naissance par de petites lignes 
transversales qui partagent la substance cartilagineuse de ces 
rayons. Toutes les lignes de division apparaissent en même temps 
et à la même hauteur. Les vaisseaux sanguins continuent à décrire 
leurs anses le long des rayons, en cheminant dans les espaces 
intermédiaires ; ces derniers sont marqués par des granules pig- 
mentaires disposés en séries. 

Les nageoires abdominales se montrent à l’époque de l’éclosion ; 
leur mode de formation est analogue à celui des nageoires pecto- 
rales. Ce sont aussi des tubercules qui se développent, à quelque 


186 LEREBOULLET 


distance au-devant de l'anus, au-dessus du board postérieur du 
vitellus qui les masque en partie. 

A l’âge d’un mois, le poisson est muni de touies ses nageoires. 
Les premières formées, les pectorales, ont depuis longtemps leurs 
rayons ; elles se meuvent avec agilité. La caudale, qui constitue 
la nageoire la plus vigoureuse, est garnie de ses rayens, et peut 
déjà fonctionner énergiquement. Viennent ensuite, dans l’ordre de 
leur évolution et de leur importance, la dorsale et l’anale, dans 
lesquelles les rayons sont en voie de formation, puis les abdomi- 
nales. Quant à la nageoire adipeuse, qui caractérise la famille des 
Salmones, elle ne parait pas avoir de fonction particulière. 

Il nous reste à parler d’une dernière phase du développement 
embryologique du poisson, la disparition du vitellus, et les chan- 
gements que cette disparition entraine dans Ja circulation. 

Vers l’âge de dix à douze jours, le vitellus, qui jusque-là avait 
offert une forme ovoïde ou cylindrique, prend une forme conique. 
Son extrémité postérieure se rétrécit dans tous les sens et se porte 
en bas, se détachant de plus en plus du corps du poisson. En 
même temps son contenu se relire, et il reste en arrière un espace 
vide plus ou moins étendu. Les deux tiers antérieurs de la vessie 
vitellaire sont seuls appliqués contre le corps du poisson ; encore 
la partie antérieure a-t-elle aussi éprouvé un commencement 
de retrait, et, de bas en haut, le vitellus a également un peu di 
minué, 

On remarque déjà à cette époque, qui correspond au développe- 
ment des branchies, une réduction sensible des vaisseaux vitellins. 
Les troncs sont plus espacés, plus minces ; les anastomoses moins 
nombreuses. Les vaisseaux postérieurs sont les plus petits; les 
antérieurs, au nombre de deux seulement, sont les troncs qui 
ramènent le sang au cœur. L'un de ces trones recoit les vaisseaux 
du vitellus; il charrie encore du sang artériel, L'autre tronc, plus 
court, vient immédiatement du foie; le sang qu'il renferme n’a 
pas circulé dans le vitellus ; ce sang est done veineux, et retourne 
au cœur sans avoir été artérialisé dans le vitellus. La fonction 
respiratoire de la vessie vitellaire a donc considérablement dimi- 
nué d’nportance, puisque la moitié environ du sang qui s’y ren- 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 187 


dait en est maintenant détournée pour se rendre directement au 
cœur et aller respirer dans les branchies. 

Si le vitellus perd insensiblement la fonction transitoire dont il 
avait été chargé, il conserve au contraire sa fonction principale, 
celle de servir à la nutrition. Les gonttes de graisse se concen- 
trent et se réunissent en gouttes de plus en plus grosses, qui fini 
ront par n’en plus former qu'une seule. 

À deux mois, la vessie vitellaire avaitencore un certain volume ; 
elle occupait l’espace compris entre les nageoires abdominalés et 
le cœur; mais elle était peu élevée, el offrait, dans la partie 
moyenne de sa région inférieure, une forte dépression ; lés plus 
grosses gouttes de graisse s'étaient réunies en avant de cettg vessie. 
Quant aux vaisseaux sanguins, ils n’offraient plus aucuné anasto— 
mose, et l’on peut dire qu'à cette époque la respiration vitelline 
n'existait plus. 

A partir de cette époque, la résorption du vitellus'se fait rapi- 
dement. | 

Sur un poisson âgé de deux mois et demi, il 4’y avait plus 
aucune trace extérieure de vessie vitelline ; mais enouvrant l’abdo- 
men, je vis s’écouler une quantité considérable de graisse , et je 
trouvai le reste du vitellus remplissant pour ainsi dire la cavité 
abdominale. La masse vitellaire cachait l'intestin, et s’étendait en 
arrière jusqu'au niveau des nageoires abdominales ; en avant, elle 
entourait le foie qui se trouvait comme enchâssé au milieu d'elle ; 
la membrane vitelline interne adhérait fortement à cette glande. 
Tout à fait en avant, le sac vitellaire s’adossait au péricarde. J'ai 
de nouveau recherché attentivement une communication du sac 
vitellaire avec le pharynx; mais en exerçant des tractions, j'ame- 
pais au dehors le sac vitellaire sans apercevoir aucune trace de 
pédieule ; au contraire, j'ai cru voir en dedans du foie, au niveau 
du renflement stomacal, un très petit tube de communication avec 
l'intestin. 

L'estomac forme maintenant un cul-de-sac, comme chez 
l'adulte; il a, coagulé par l'alcool, une teinte argentée qui tranche 
avec la teinte jaune de l'intestin. Si l’on examine le poisson par 
transparence, pendant la vie, on distingue très bien le sac vitel- 


188 LEREBOULLET. 

lin et ses vaisseaux. Ceux-ci sont très grêles et peu nombreux ; 
ceux du foie continuent à être très riches, et tous se réunissent 
pour former une veine qui représente la veine hépatique , tandis 
que ceux qui circulent dans la glande sont formés par la veine 
intestinale devenue veine porte. Toute la graisse est concentrée en 
une seule grosse goutte. | 

Le vitellus est peu à peu résorbé, mais la goutte d’huile paraît 
persister encore quelque temps. Dans un poisson âgé de près de 
trois mois, on voyait à travers les téguments ce globule huileux 
au-devant du foie. 

On voit, par ce qui précède, que les vaisseaux du foie cessant 
peu à peu de se rendre au vitellus, la respiration vitelline doit 
cesser à son tour; mais, à mesure que cette dernière s’efface, la 
respiration branchiale, au contraire, prend plus de développement, 
et finit par la remplacer tout à fait. Quant au sang veineux, qui 
venait, après avoir traversé le foie, s’étaler sur le vitellus pour la 
respiration, il remplit maintenant une fonction particulière, puis- 
qu'il préside à la sécrétion’de:la bile et se modifie par cette sécré- 
ton. 


Résumé du cinquième chapitre. 


1. La période que j'appelle période d'achèvement, comprend, 
parmi ses phénomènes les plus importants, l’évolution des bran- 
chies, la formation des nageoires verticales et la disparition du 
vitellus. 

2. La petite Truite, à l'éclosion, offre la conformation extérieure 
suivante : vilellus volumineux rempli de grosses gouttes d'huile 
dispersées, et parcouru à sa surface par de nombreux vaisseaux ; 
nageoire embryonnaire entière çou faiblement échancrée sur le 
dos ; nageoires pectorales très développées ; bouche presque ter- 
minale ; fente choroïdale linéaire ; fossettes olfactives assez pro- 
fondes ; capsules auditives en forme de sacs cartilagineux situés 
en arrière de la tête ; anus ouvert au niveau du bord postérieur 
du vitellus; riche circulation vertébrale ; formation du plexus 
caudal. 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 189 

3. À l'intérieur, on voit apparaître le premier rudiment de la 
vessie natatoire, produite par une exsertion de la paroi œsopha- 
glenne. 

h. L'ampoule quitn résulte se détache de l’œsophage, s’allonge 
et prend une forme cylindrique. 

5. Le tube intestinal est fermé ; cependant il reste un pédicule 
creux situé entre le foie et l’estomac, et qui parait persister jusqu’à 
l'entière résorption du vitellus. 

6. Un mois environ après l’éclosion, l'estomac et l'intestin se 
différencient. L’estomac est musculeux ; l'intestin renferme des 
replis valvulaires disposés en spirale, et contenant de nombreuses 
glandes tubuleuses analogues aux glandes de Lieberkübn. 

7. Le foie est entré en communication avec l’origine de Fintes- 
lin parle canal cholédoque. La sécrétion biliaire teint le tube intes- 
linal en jaune. 

8. Les corps de Wolff ont grossi par suite d’un enroulement 
plus considérable de leur tube sécréteur. 

9. Les pièces de la tête commencent à se dessiner; la plupart 
d’entre elles ont des cellules cartilagineuses. 

10. La corde dorsale renferme de grandes vésieules gélati- 
neuses. Son extrémité postérieure se redresse, ef fait un angle 
obtus avec l’axe du corps. 

11. La corde dorsale ne prend aucune part à Ja formation des 
pièces du crâne; elle s’arrêle immédiatement derrière le sphé- 
noïde. 

12. Sa gaine se remplit de cellules cartilagineuses. 

43. Les apophyses épineuses naissent de cette gaine, et leurs 
cellules cartilagmeuses se continuent directement avec les cellules 
de celle-ci. 

44. Les principaux phénomènes que présente la circulation à 
l’époque de l’éclosion et les jours suivants comprennent la dispo- 
sition des vaisseaux autour de l’axe vertébral, autour de la queue 
et du canal intestinal, ainsi que leur distribution dans le vitellus. 

15. Les lamelles vertébrales sont entourées d’anses artérielles 
el veineuses qui forment une circulation péri-vertébrale. 

16. Il se forme sous la portion repliée de la corde dorsale nn 


190 LEREBOULLET. 


plexus vasculaire composé d’anses artérielles et veineuses. Après 
s'être étalées dans la portion caudale de Ja nageoïre embryonnaire, 
les anses de ce plexus s’allongent, et se disposent comme de 
longues ellipses dans la direction que prendront les rayons de la 
nageoire caudale. 

17. La circulation péri-vertébrale et la circulation caudale pré- 
cèdent et annoncent le travail de formation des cartilages dans ces 
régions. 

18. Il en est de même des vaisseaux crâniens et de petits vais- 
seaux très déliés, détachés de l'extrémité de l'artère branchiale, 
qui circonscrivent les pièces operculaires et les branches du 
maxillaire inférieur ; leur présence annonce aussi et accompagne 
la formation des cartilages dans ces régions. 

19. La circulation péri-intestinale est très active; elle est 
formée par une artère et par une veine qui établissent entre 
elles de nombreuses anastomoses flexueuses autour de l’intestin ; 
elle précède et accompagne la formation de la muqueuse intes- 
tinale. 

20. La veine intestinale quitte l'intestin immédiatement derrière 
l'estomac, pour pénétrer dans le foie avec une artère qui provient 
de l'aorte. Cette veine se divise dans le foie, puis les nombreux 
vaisseaux qui résultent de cette circulation hépatique se répandent 
dans le vitellus. 

21. Les vaisseaux vitellins sortis du foie par des troncs consi- 
dérables et nombreux s’anastomosent fréquemment entre eux, et 
forment à la surface du sac vitellaire un vaste plexus qui sert à 
l’hématose. 

22. Le vitellus devient alors un organe particulier de respira- 
lion, dans lequel la masse entière du sang du poisson vient se 
répandre tant par la veine intestinale que par l'artère hépatique. 

23. Le travail de formation des branchies s'annonce avant 
l'éclosion par l'apparition des cartilages dans les ares branchiaux. 

2h. Le cartilage est d'abord un blastème homogène creusé de 
cavités allongées. C’est dans ces cavités que se développent les 
cellules cartilagineuses. 

25. Les premiers rudiments des lamelles branchiales apparais- 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. A9t 


sent, quelques jours après l’éclosion, sous la forme d’un double 
feston, le long du bord convexe de chaque arc. 

26. Chaque lamelle branchiale est creusée d’un double canal 
pour la circulation du sang. Ces lamelles restent longtemps cellu- 
leuses. 

27. Quand elles ont atteint une certaine longueur, elles pous- 
sent des tubercules latéraux, dans lesquels la circulation s’éta- 
blit immédiatement comme dans les tubercules primitifs. 

28. La membrane branchiostège est longlemps à se former ; 
les branchies sont encore à découvert, alors qu'elles sont déjà 
assez longues. 

29. Pendant qu'on observe la circulation dans les branchies, 
on voit les corpuscules sanguins s’altérer, à mesure que la vie 
s'éteint, et prendre l’aspect de la graisse. 

30. Les nageoires verticales se forment par résorption de cer- 
taines portions de la nageoire embryonnaire. 

31. La résorption se fait de manière à produire successivement 
les nageoires dorsale, anale et adipeuse. 

32. Dès qu’elles se sont isolées, les nageoires dorsale et anale 
présentent des bandes verticales transparentes et des stries fines 
qui ont la même direction, puis des traîinées d’une’substance jau- 
nâtre amorphe. 

38. Ces formations précèdent toujours l'apparition des rayons. 

84. La nageoire adipeuse reste petite et granaleuse. 

39. Le développement de la caudale est plus'hàtif que celui des 
autres nageoires ; il est toujours précédé dela formation et du 
développement du plexus caudal. C’est dans les anses allongées de 
ce plexus que se déposent les rayons cartilagineux. 

36. Des pièces cartilagineuses particulières, émanées du four- 
reau de la corde, se portent en arrière à la rencontre des rayons 
précédents. 

37. Les rayons de la caudale se segmentent très tard, par des 
lignes transversales de division qui se produisent simultanément 
à la même hauteur. 

38. Les rayons des nageoires sont des productions périphé- 
riques indépendantes de l’axe vertébral. 


199 LEREBOULLET. 


39. Les nagcoires abdominales ne se montrent qu’à l'éclosion; 
elles se développent comme les pectorales. 

A0. Vers le douzième jour depuis la naissance, le vitellus se 
détache du corps en arrière, et prend la forme d’un cône ; son 
contenu se retire vers l’embryon. 

LA. Ses vaisseaux diminuent de nombre et de grosseur d’arrière 
en avant; leurs anastomoses deviennent aussi de moins en moins 
nombreuses. 

42. Une grande partie du sang qui a traversé le foie se rend 
directement au cœur, en quittant cette glande, sans se répandre 
sur le vitellus. 

h3. La circulation est donc détournée du vitellus au profit du 
foie et de l'appareil branchial. 

Ah. Le vitellus cesse dès lors d’être respiratoire , mais 1l con- 
tinue à rester nutritif; la graisse liquide qu'il renferme se réunit 
en gouttes de plus en plus grosses. 

h5. A l'âge de deux mois, tous les capillaires du vitellus ont 
disparu ; ses vaisseaux sont pelils et peu nombreux. 

A6. Le reste du sac vitellaire entre dans la cavité abdominale 
qu'il remplit presque en totalité ; la membrane externe du sac 
forme les parvis de cette cavité. 

A7. Ce rest du vitellus persiste encore quelque temps dans 
l'abdomen du pcisson pour servir à sa nutrition ; la graisse liquide 
se réunit en une grosse goutte qui se place au-devant ou au-des- 
sous du foie. 

h8. Cette goutte de graisse, dernière trace de la substance 
vitelline, se voit encore sur des Truites âgées de trois mois. 


EXPLICATION DES PLANCHES. 


PLANCHE à. 
Embryologie de la Truite. 
Mg. 1. Jeune ovule mesurant 0®",17 encore entouré de sa capsule ovarienne. 


Grossissement 150 diamètres : a, épithélium de la capsule vu de profil ; b, le 
même vu de face; c, vésicule germinative mesurant 0" 06. 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 193 


Fig. 2. Ouf ovarien offrant un anneau ‘déjà assez épais, de vésicules huileuses 
autour de la vésicule germinative. 50 diamètres. 


Fig. 3. Contenu d'un œuf mûr encore renfermé dans le sac ovarien. 


Fig. 4. Corps celluliformes contenus dans la vésicule germinative d'un œuf 
mûr. 250 diamètres. 


Fig. 5. Fragments de l'un des flocons jaunâtres dispersés dans l'œuf, après la 
rupture de la vésicule germinative; trois heures après la fécondation. 
Grossissement, 200 diamètres, — a, vésicules graisseuses ; b, corps celluli- 
formes granuleux ; c, corpuscules plastiques ; d, granulations vitellines. 


Fig. 6. Segmentation en seize globes vue dans l'œuf, à h vingt-huitième heure. 
45 diamètres.—a, les globes de segmentation ; b, véscules huileuses réunies 
sous le germe et formant le disque huileux. 


Fig. 7. Ouf à la cinquante-deuxième heure, coagulé. 15 diamètres.— a, disque 
embryonnaire ; b, amas de vésicules graisseuses. 


Fig. 8. Disque embryonnaire détaché de l'œuf, avec lamembrane sous-jacente 
qui représente le feuillet muqueux. 48 diamètres.—a, disque embryonnaire; 
b, feuillet muqueux sous-jacent ; cc, espaces vides qii étaient occupés par des 
vésicules graisseuses. 


Fig. 9. Le disque embryonnaire séparé, grossi 30 fos. 
Fig. 10. Globes générateurs du disque embryonnaire, coagulés. 70 diamètres, 


Fig. 11. Les mêmes globes d'un disque de la cinquante-troisième heure, vus 
. dans l’eau. 100 diamètres. 


Fig. 12. Germe embryonnaire de la soixante-seiziène heure coupé en deux par 
le milieu, pour montrer sa cavité. 50 diamètres. 


Fig. 13. Cellules d'un germe de la soixante-dix-septième heure, coagulées. 
150 diamètres. 


Fig. 14. Cellules d'un autre germe de la même éoque, coagulées. 100 dia- 
mètres. — a, membrane de la cellule ; b, son ncyau contenant un nucléole. 


Fig. 15. Œuf de la cent dix-septième heure (fin du cinquième jour), coagulé et 
grossi 10 fois. —u, disque embryonnaire; b, feuillet muqueux sous-jacent, 
renflé en un bourrelet marginal ; c, région amincie et transparente de ce 
feuillet ; d, gouttelettes appartenant au disque huileux. 

Fig. 16. Cellules appartenant à un disque embryonnaire du commencement du 


sixième jour. 200 diamètres. — a, cellules granuleuses ; b, cellules mates, 
homogènes ; c, cellules ne renfermant qu'un petit nombre de vésicules. 


Fig. 17. Cellules d'un germe embryonnaire du huitième jour. 200 diamètres. 
— À, cellules épidermoïdales ; B, cellules embryonnaires. 


Fig. 18. OEuf coagulé, montrant la bandelette embryonnaire (fin du dixième 
4° série. Zoo. T. XVI. (Cahier n° 4.) ! à 13 


19% LEREBOULLET. 


jour). 40 diamètres. — a, blastoderme avec son faible bourrelet marginal b ; 
c, bandelette embryonnaire ; d, vitellus. 


Fig. 19. Cellules du cœur d'un embryon âgé de dix-neuf jours. Grossissement 
306 diamètres. (Le cœur entier n'était composé que de ces cellules.) 


PLANCHE 9. 


Pig. 20. Partie antérieure du corps d'un embryon de trente jours, vue par son 
côté supérieur. 1 2 damètres.—a, lamelle cérébelleuse formée par le redresse- 
ment, le plissement ét l’adossement des deux cordons rachidiens ; bb, les deux 
cavités des hémisphtres, dont la réunion forme la grande cavité cérébrale ; 
d, moelle allongée ; 4 nageoires pectorales. 


Fig. 21. Système nerviux cérébral d'un embryon de trente et un jours, vu par 
sa face supérieure et jar transparence sur le vivant. 25 diamètres.—a, moelle 
allongée; b, pli cérébileux ; b', rainure qui sépare les deux portions adossées 
du cordon ; c, continudion du cordon; d, lamelle nerveuse disposée en voûte 
au-dessus de la grande cavité cérébrale ; e, commissure antérieure des deux 
cordons; f, cavité de laportion cérébrale antérieure. 


Fig. 22. Cristallin d'un empryon de trente-sept jours, grossi 4 00 fois.—a, portion 
périphérique composée & cellules rangées en séries ; b, portion centrale for- 
mée de fibres nucléaires. 


Fig. 23. Moitié antérieure d’un embryon Âgé de trente-trois jours, dessinée 
d'après le vivant; le vitelus s’est écoulé en partie.—a, moelle allongée; b, pli 
cérébelleux ; à, grande cayité cérébrale; o, capsule auditive ; p, nageoire pec- 
torale; q, fossette olfactwe; r, tube intestinal; s, pédicule vitellin ; #, corps 
de Wolf. 


Fig. 24. Portion de l'embryçon précédent vue par sa face inférieure, coagulée. 
— f, ®sophage; g, saillie tomacale ; k, orifice qui recevait le pédicule vitellin ; 
î, foie; kk, corps de Wolff; /!, leurs canaux excréteurs ; mm, nageoires 
pectorales. 


Fig. 25. Portion antérieure du corps de Wolff du côté droit, appartenant à un 
embryon de trente-sept jours. 50 diamètres. 


Fig. 26. La même partie dans un embryon plus avancé. 

Fig. 27. Tube excréteur du précédent, grossi 450 fois. — a, cellules utricu- 
liformes de l'intérieur du tube ; b, cellules longitudinales formant les parois 
de ce tube. 

Fig. 28. Portion du tube digestif d'un embryon âgé de soixante jours, mais non 


encore éclos. 32 diamètres. — c, vessie natatoire; d, renflement stomacal ; 
e, intestin ; f, portion du foie ; g, son canal excréteur. 


RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 195 


Fig. 29. Extrémité postérieure d'un poisson sur le point d’éclore. 80 diamètres. 
— a, corde dorsale ; b, son extrémité terminale redressée; ç, sa gaîne; d, na- 
geoire embryonnaire ;e, aorte; é, sa bouche terminale; f, veine cave; g, anses 
vertébrales supérieures ; g’ anses inférieures ; g'/ rameaux d’anastomoses 
obliques ; k, plexus caudal. : 

Fig, 30. La même région appartenant à uu poisson plus avaicé. Même grossis- 
sement. Les lettres ont la même signification. — Le plexus vasculaire caudal a 
pris un autre caractère. Les anses, au lieu d'être entremélées, sont disposées 
parallèlement les unes aux autres de manière à former dis ellipses marquées 
par des traînées de pigment. C’est dans les intervalles circonscrits par ces 
anses vasculaires que se déposeront les rayons cartiagineux. Les anses 
latérales h' et h!” indiquent l'extension et la direction qu prendra le plexus. 

Fig. 31. Appareil branchial et artères operculaires d’un posson âgé de six jours. 
— a, artère branchiale; b, son bulbe ; c, arcs vasculaires branchiaux ; d, franges 
branchiales ; e, artère de l’opercule ; e! artère du préoperale ; e/ artère du maxil- 
laire inférieur ; f, cylindre choroïdien; g, cristallin; k fossettes olfactives ; 
i, l'une des deux veines caves. 

Fig. 32. Région inférieure du corps d'unautre poisson âgé desix jours, sur lequel 
on a enlevé l'appareil branchial et le tube digestif. Grossissement 20 diamètres. 
— a; fente choroïdienne; b, cristallin ; c, fossettes olfctives ; d, région anté- 
rieure du cerveau ; e, sphénoïde ; f, terminaison antériure de la corde dorsale; 
g, capsules auditives; hh, corps de Wolff; à, leu's conduits excréteurs; 
k, lamelles vertébrales. 

Fig. 33. Portion du tube intestinal d’un poisson âgé de six jours, 60 jours après 
la fécondation, vue par sa face inférieure et grossie — a, renflement stoma- 
cal; b, ouverture pour le passage du pédicule vitelln; e, foie ; d, corps glan- 
duleux distinct du foie et muni d’un prolongement lisamenteux. 


Fig. 34. Portion du tube digestif d’un poisson âgé de sit semaines.—a, estomac ; 
b, vessie natatoire; c, prolongement tubuleux du pédicule vitellin; d, foie ; 
e, vésicule biliaire ; f, canal cholédoque ; g, intestin. 


Fig. 35. Portion d'intestin du poisson précédent, vueà travers les téguments. 
24 diamètres. — aa, valvules intestinales; b, vitellus; c, nageoire embryon- 
naire, 


Fig. 36. Une valvule séparée montrant les utricules aa dont elle est remplie. 
Grossissement 170 diamètres. 


Fig. 37. Arc branchial d’un poisson âgé de dix jours. 60 diamètres. — a, car- 
tilage ; b, tubercules mousses formant l’origine des franges branchiales. 


Fig. 38. Portion d'arc branchial d’un poisson plus âgé. 200 diamètres. — 
a, cartilage; b, veine branchiale ; c, lamelles; d, leur cavité; e, ouverture 
pour le passage des corpuscules sanguins. 


196 LEREBOULLET, 
Fig. 39. Lamelle branchiale d'un poisson âgé de six semaines, grossie 200 fois. 


Fig. 40. Nageoire dorsale d’une Truite âgée de dix jours, vue du côté gauche. 
*40 diamètres. — aa, bandes transparentes le long desquelles sedéposerontles 
rayons ; b, resté de nageoire embryonnaire placée derrière la nageoire précé- 
dente et destinée à se changer en nageoire adipeuse. 


Fig. 41. Nageoire anale du même poisson. —aa, rayons futurs ; bb, bases de ces 
rayons; c, anus dd, nägeoire embryonnaire. 


Fig. 42. Queue d'un poisson âgé d'un mois, dont on a détaché les parties molles. 
— a, corde; b, gaine; c, apophyses épineuses supérieures ; d, apophyses 
épineuses inférieures ; e, pièces cartilaginenses postérieures; f, rayons de la 
caudale. 


OBSERVATIONS 


LES HÉLICES SAXICAVES DU BOULONNAIS, 


Par M. BOUCHARD-CHANTEREAUX. 





Nous avons, depuis fort longtemps, suivi avec la plus grande 
attention les débats existant entre les conchyliologistes sur la 
perforalion des roches par les Mollusques pour s’y creuser une 
habitation permanente ou seulement un abritemporaire. Cette 
étude entre dans le cercle de nos observations de prédilec- 
tion depuis près de quarante ans : elle nous a fait suivre tous ceux 
qui y ont pris une part quelconque, et, nous ayons fait plus, nous 
avons passé toutes ces opinions au creuset d’une révision directe 
des faits. Nous en avions le temps et les moyens, puisque nous 
habitons le bord de la mer, et que nous avons pour principe de ne 
jamais nous presser. Si, aujourd’hui, nous venons une seconde 
fois nous mêler à ces débats, on ne pourra pas nous taxer de vues 
ou d'idées préconçues, puisque nous venons, müri par une longue 
expérience et de nouvelles études des faits, contredire ce que 
nous Supposions exister, et que nous avons publié, il y a près de 
trente ans, dans notre Catalogue des Mollusques marins des côles 
du département du Pas-de-Calais. 

Nous ne nous occuperons celte fois que d’observations tout 
exceptionnelles, puisqu'elles appartiennent à des formes qui ont 
été repoussées, même assez vertement, par quelques auteurs, 
comme devant, par leur organisation spéciale , rester étrangères 
àtous faits d’un travail d’érosions calcaires. On regardait ces formes 
comme étant si incompatibles avec un tel travail, qu’on s’est cru 
autorisé à attaquer avec beaucoup trop de vivacité, pour ne pas dire 
plus, les communications que d’honorables et très sérieux savants 
avaient faites à leur sujet. Notre principal but aujourd’hui est de 


198 BOUCHARD-CHANTEREAUX. 


restituer à ces savants tout l’honneur qui leur appartient dans cette 
découverte. Nous le disons avec sincérité, c’est à la confiance que 
nous inspiraient leurs travaux que nous devons l’insistance que 
nous avons mise dans ces recherches, et par conséquent la 
chance d’en avoir renouvelé la découverte, que cette fois il 
faudra bien admettre comme positive, puisque nous fournirons 
à qui voudra les moyens d’en obtenir les preuves même palpa- 
bles. 

D y a plus de quinze années que nous avons observé pour la 
première fois les faits que nous allons décrire : nous les avons 
suivis ensuite pendant près de trois ans, puis la maladie est venue 
nous prendre, et nous tenir près de dix autres années avant de 
nous permettre de reprendre le cours de nos observations et de 
vérifier les résultats anciennement obtenus. Nous aurions encore 
différé cette publication, parce que les observations qu’elle contient 
ne satisfont pas complétement notre esprit, si nous n'avions été pour 
ainsi dire contraint de la faire par la crainte de voir perdre pour 
nous le fruit d'aussi longues études. En eflet, nous eroyions la 
retraite de nos Hélices saxicaves parfaitement cachée au fond d’un 
bois peu fréquenté ordinairement, et nous pensions pouvoir impu- 
nément nous la conserver, comme nous l'avons fait jusqu’à ce 
jour, mais des travaux industriels nécessitant depuis peu le pas- 
sage de ce bois par dé nombreux ouvriers, et aussi par des hommes 
instruits appelés à les diriger ou à visiter leurs travaux, nous 
avons craint qu'on alt dénicher ce que nous considérions comme 
notre propriété. Nous nous sommes done décidé à vous la faire 
connaitre, toute imparfaile que nous la jugeons encore dans ses 
détails. 

La question, si vivement controversée, de la perforation 
des roches calcaires par les animaux inférieurs a fait naître 
deux opinions distinctes, qui forment, des hommes qui les pro- 
fessent, deux camps bien retranchés : les chimistes et les mécani- 
ciens. 

Nous devenons décidément transfuge ; nous abandonnons les 
derniers pour les premiers avec lesquels nous nous rangeons, et 
nous avons la conviction la plus profonde que beaucoup d’autres 


HÉLICES SAXICAVES. 199 


feront comme nous, dès qu’ils voudront, sans passion, se rendre 
compte directement des faits et les analyser sérieusement. 

Notre intention st de passer une revue générale des érosions 
calcaires animales opérées par les Poissons, Mollusques, Gasté- 
ropodes et Acéphales, Crustacés, Échinodermes et Annelides, ainsi 
que par des Znsecks de divers ordres. Aujourd’hui nous ne nous 
occuperons que desHélices saxicaves, le reste formeraun deuxième 
et peut-être un troisième mémoire, si la matière le comporte, 
que nous publierons successivement. 

Dans le I° volume de l’Année scientifique pour 1858, p. 28 
à 36, M. Louis Figuier passe en revue les principaux travaux 
publiés depuis quelques années sur les animaux perforants. Il cite 
tout particulièrement l’intéressant mémoire présenté à l’Acadé- 
mie des sciences par M. Valenciennes, 'en 1854 ; et à ce sujet 
M. L. Figuier dit : | 

« A la suite du mémoire de M. Valencienies dont rrous venons 
» de donner l'analyse, le savant géologue, M. Constant Prévost, 
» crut pouvoir ramener l'attention sur des faits du même genre 
» qu’il avait depuis longtemps observés etrendus publics, mais 
» qui n'avaient trouvé jusque-là que peu de faveur auprès des 
» naturalistes. I y a plus de vingt-cinq ans que M. Constant Pré- 
» vost a donné la description d'une rochecalcaire du Monte Pele- 
» grino, roche cristalline offrant la dureté du marbre, et qui se 
» trouve traversée dans lous les sens par un grand nombre de 
» canaux intérieurs, dont la plupart communiquent entre eux, et 
» dont chaque embranchement sert de gîte à un Limaçon (Helix),. 
» M. Constant Prévost n’avait pas craint d'attribuer à des Lima- 
» cons le creusement des galeries intérieures qui sillonnent le 
» calcaire du Monte Pelegrino. 

» Les idées de M. Constant Prévost sur la perforation d’une 
» roche dure et demi-cristalline par des Colimaçons n’ont rencon- 
» tré, il y a vingt-cinq ans, presque aucun crédit. Il nous paraît 
» encore difficile qu’elles soient acceptées aujourd’hui, même après 
» les nombreux faits de ce genre rapportés par MM. Cailliaud, 
» Eugène Robert, de Quatrefages et Valenciennes. Il ne s’agit plus 
» en effet d'animaux essentiellement marins, comme les Oursins, 


200 BOUCHARD-CHANTER EAUX. 

» par exemple, qui ont pu excaver sous les eaux, et avec le secours 
» incessant de l’action mécanique de ces eaux, des roches grenues 
» arénacées, qui peut-être n’offraient pas, au noment où le phé- 
» nomèêne s’est produit, la solidité qu’elles présentent de nosjours 
» depuis qu’elles ant cessé de baigner au sein d’un liquide, I s’agit 
» dans le fait invoqué par M. Prévost de Mollusques terrestres, 
» de Limaçons vivant sur la pierre sèche, qui sont loin de-possé- 
» der aucun instrument de perforation, et qui, au lieu de sécréter 
» un fluide dissolvant capable d’altérer la substance des roches, 
» laissent au contraire sur leur passage une iongue trainée d’une 
» sorte d’enduit muqueux, qui serait éminemment propre à défen- 
» dre les roches de l’action des causes extérieures de destruction. 
» Il faut remarquer de plus que le phénomène, observé autrefois 
» par M. Constant Prévost sur le calcaire du Monte Pelegrino, ne 
» s’est retrouvé depuis cette époque dans aucune autre localité. » 

Nous avons copié in peu longuement peut-être, mais fidèle- 
ment, M. Louis Figuier, parce que les faits qu'il expose, comme 
ayant élé avancés par le savant et regretté professeur de la Sor- 
bonne, sont à ceux que nous avons nous-même observés, ce 
qu'est la photographie plus fidèle à l'original qu’elle est chargée 
de représenter. 

Tout ce que M. Constant Prévost à vu au Monte Pelegrino, 
en Sicile, nous l'avons vu, nous, dans le Bourbonnais, au Bois- 
des-Roches. Les rapporis entre les faits passés dans ces deux loca- 
lités si éloignées l’une de l’autre sont si complets que nous pour- 
rions parfaitement nousdispenser de {oute description, et accepter 
pour le Bourbonnais ce que le savant géologue a dit pour le Monte 
Pelegrino, si nous n’avions l'obligation de prouver à tous, pièces 
en main, que M. C. Prévost a parfaitement vu et parfaitement 
apprécié les faits d’érosion des roches cristallines par des HéLices 
SAXICAVES, puisque nous avons nous-même observé les mêmes 
faits dans des circonstances analogues. 

Nos Hélices du Bois-des-Roches sont, en effet, logées dans un 
calcaire compacte demi-cristallin, dépendant de la formation car- 
bonifère, el employé comme marbre dans les travaux d'art sous le 
nom de Marbre-N apoléon. 


HÉLICES SAXICAVES. 201 

Ce n'est pas d’ujourd'hui qu'il porte ce nom, il y a près de 
soixante ans qu'il à été baptisé ; il le doit au choix qui en a été fait 
pour la construction de la colonne de la Grande-Armée, colonne 
qui a été commentée à l’époque du camp de Boulogne, c’est-à- 
dire vers 1801. La belle conservation de ce monument nous 
prouve que les architectes d'alors, comme ceux d'aujourd'hui, ne 
recherchaient pas jour de semblables travaux, exposés à toutes les 
intempéries de l'atmosphère, les matériaux les plus tendres. Au 
contraire, ils choisissaient alors, comme ils le font toujours, les 
plus durs, les plus homogènes, enfin ceux qui leur offrent le plus 
de garantie de solidité et de longue durée. Ce n’est pas le choix 
qui pouvait les embarrasser dans un pays aussi riche en calcaires 
de toutes natures et de toutes densités qu'est le Boulonnais. 

Cette digression à pour motif de prouver que nos calcaires 
perforés par l’Helix hortensis du Bois-des-Roches sont bien de 
nature compacte et demi-cristalline, et qu’ils présentaient à ces 
Mollusques toutes les difficultés qu’on attribue aux calcaires du 
Monte Pelegrino. 

M. Louis Figuier verra donc que les Colimaçons, tout terrestres 
qu'ils sont, et quoique dépourvus de tout instrument de perfora- 
tion, n’en ont pas moins perforé le calcaire précité pour s’y creu- 
ser un abri hivernal. Il verra de plus que la sorte d’enduit 
muqueux qu'ils laissent sur leur passage est loin d’être propre à 
défendre les roches de l’action des causes extérieures de destruc- 
tion, puisque, au contraire, cet enduit les corrode incessamment ; 
cela encore nos échantillons le prouveron;, et à cet effet nous en 
avons déposé de remarquables dans les collections du Muséum 
d'histoire naturelle de Paris et de la Faculté des sciences de la 
même ville. 

Pour terminer avec la critique peu méritée de M. L. Figuier, 
auteur très estimable, du reste, sous tous autres rapports, et dont 
nous sommes un (les plus assidus lecteurs, nous demanderons s’il 
est de bonne justice d'exercer une semblable critique sur la mé- 
moire d'un savant des plus obligeants et des plus distingués, par 
ce seul motif que le fait qu'il a déclaré avoir vu est très rare ou 
seulement très rarement observé ? 


202 BOUCHARD-UHANTEREAUX. 

Ne se peut-il pas, comme dans l'espèce qui rous occupe aujour- 
d'hui, que ce fait, pour exister, réclame une ‘éunion peu com- 
mune de circonstances favorables et exceptionnelles? Ne peut-il 
pas en être de même pour sa découverte ou seilement sa consta- 
tation ? 

Tout le prouve, puisque personne ne l’a fait jusqu’à présent, et 
que nous, nous venons aussi lard essayer de aire rendre justice 
à un excellent observateur qui n’est plus là pour se défendre lui- 
même. 

Nous devons à notre tour dire à l'avantage de l’opinion émise 
par M. L. Figuier relativement au mucus répandu par les Hélices 
pendant l'acte de leut replation, que nous avons diverses fois essayé 
ce mucus des espècés ordinaires au papier de tournesol, sans 
qu'une seule fois il nous ait accusé contenir la moindre propriété 
acide. Donc, des observations ordinaires sembleraient lui donner 
raison. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il existe des circon- 
slances particulières que nous ne pouvons nous-même apprécier, 
qui rendent cette sécrétion acide, puisque nous en avons les 
preuves sous les yeux dans l'érosion toute particulière de la sur- 
face des rochers que nôus décrirons plus loin. 

Comme chacun le sit, ce fait d’érosions calcaires par des 

- Hélices semble si anormal, que s’il n’est pas plus généralement 
contesté, il n’en est pas moins douteux pour beaucoup de monde; 
il a, ilest vrai, commt tout ce qui n’est pas ordinaire, cela de 
commun avec d’autres faits non moins intéressants et qui, comme 
lui, ont été niés dès leu1 apparition dans la science. 

Il en est un surtout qui cependant présente celte particularité 
d'être des plus communs, puisqu'il crève, pour ainsi dire, les yeux 
des habitants des côtes de tous les pays, et qui néanmoins est 
resté des siècles inobservé. 

Nous voulons parler des métamorphoses que subissent les 
Jeunes Calanes, dont la première annonce par M. Thompson date 
de 1830, et qui n’a été bien et convenablement confirmée que 
dans ces dernières années. Toutes les côtes du monde entier sont 
cependant couvertes chaque année pendant deux et lrois mois de 
ces larves à différents états de développement. 


HÉLICES SAXICAVES. 203 


Il en est de même des perforations sans nombre effectuées 
dans toute sorté de calcaires, de polypiers et de coquilles par 
une simple Éporge, dont les facultés térébrantes n'ont été bien 
reconnues et coistatées qu'en 1840, et que pour ses faits Duver- 
noy à nommée lponge térébrante. 

Tout cela est aujourd’hui du domaine de la science et n’éprouve 
aucune contestalion, mais par quelles vicissitudes ces faits n’ont- 
ilS pas passé avant d'arriver à un semblable résultat ! 

I devait sans doute en être de même pour les Hélices saxi- 
caves, puisque leurs travaux, comme les faits précités, offrent 
une certaine invraisemblance ; mais comme eux, ils auront aussi 
cet avantage qu’une fois reconnu par les maîtres de la science, ils 
n’en obltiendront que plus de mérite, car, plus un fait frappe 
l'esprit, plus il éprouve de difficultés à percer, plusil s’ancre dans 
notre savoir. 

Nous allons donc essayer de faire passer dans l'esprit des autres 
la conviction que nous possédons, que les Hélices que nous 
citons sont bien les auteurs des loges tubuleuses, creusées dans 
les affleurements calcaires du Bois-des-Roches. 

Le Bois-des-Roches, situé dans la commune de Réty, sur la 
droite de la route départementale d'Hardingen, entre ce bourg et 
Ja petite ville de Marquise, à environ 16 kilomètres de la ville 
de Boulogne-sur-Mer, est ainsi nommédes masses considérables 
de calcaire carbonifère qui y sont en affleurement, et gisant, bou- 
leversées les unes sur les autres, au-dessus de la surface du sol, 
depuis le dernier cataclysme qui a retourné toute la contrée, en 
rapprochant les uns des autres les terrains de différents âges, et 
mettant en contact les roches les plus étrangères les unes aux 
autres, telles, par exemple, que celles du terrain crétacé côte à côte 
avec celles du terrain dévonien, etc. 

Fous les blocs de calcaire carbonifère précités sont environnés 
de ronces, couverts de mousses et de lierres dont les tiges et 
racines enveloppent tous leurs contours et semblent les étreindre. 
C’est une fort belle retraite, comme on voit pour les Mollusques 
terrestres. De distance en distance, et plus particulièrement sur 
les faces verticales de ces blocs qui sont tournées du nord-est à 


204 BOUCHARD-CIHANTEREAUX. 

l’est, exposition tournant le dos aux vents pluvieux de la contrée 
sud et sud-ouest, on voit sur les parties latérales, coupées plus ou 
moins verticalement, des ouvertures circulaires nombreuses, plus 
ou moins rapprochées les unes des autres. 

Ces ouvertures, la plupart conformées en entonnoir, d'autant 
plus prononcées et plus évasées qu’elles ont été plus ou moins fré- 
quentées, présentent un diamètre ordinaire de 3 à 4 centimètres, 
s’évasant extérieurement, mais se rétrécissant intérieurement de 
manière à ne laisser à l'entrée tubuleuse de la loge qu’un diamètre 
de 22 à 26 millimètres. La profondeur de ces loges tubuleuses 
ne dépasse pas, que nous sachions, 12 à 44 centimètres, et quoi- 
que l'ouverture ne varie pas plus que nous l'avons dit, l’inté- 
rieur s'agrandit souvent dans tous les sens, forme des chambres 
plus ou moins boyautées, plus ou moins spacieuses et boursouflées, 
toujours comme bossuéés par les corrosions partielles qui forment 
de petites cavités arrondies en godet ou capsule à bords évasés et 
adoucis, et qui sont l’ouyrage d’une saison hivernale pour chaque 
individu, indiquant la place occupée par lui, sans mouvement 
pendant toute cette saison. 

Les diverses divisions des loges, les rendant tortueuses dans 
Lous les sens, font aussi que souvent elles se rencontrent et qu’elles 
communiquent entre elles par des ouvertures accidentelles qui 
annoncent que le travail des Hélices est absolument aveugle, qu'il 
ne suit aucune règle diredrice. Il est même facile de reconnaître 
que ces communications ne sont qu'accidentelles, parce qu'elles 
contrarient les Mollusques plus qu’elles ne les accommodent ; ordi- 
nairement, le courant d’air qui en provient les contrarie et semble 
les obliger à porter sur un autre point de la loge leur nouvelle 
érosion. Jamais ils ne profitent de ces ouvertures pour passer 
d'une loge à l’autre, et ce qui le prouve, c’est que leur périphérie 
resle tranchante. La forme de ces ouvertures et leur diamètre, 
toujours restreint, nous portent à supposer que le Mollusque ne s’est 
pas aperçu que le centre de son pied manquait de point d'appui ou 
que, quand il l'a ressenti, il a abandonné la place pour se porter 
autre part, car les diamètres d'ouverture sont, quoique restés infé- 
rieurs à celui du corps du Mollusque, de différentes grandeurs. 


HÉLICES SAXICAVES. 9205 


Comme nous l'avons déjà dit, il y a un choix bien constaté 
dans les parties de la roche attaquée par les Hélices pour com- 
mencer à creug&r l’ouverture de leur loge, puisque ce n’est que 
sur celles abritérs des pluies hivernales qu’on trouve ces ouver- 
tures à tous les degrés d'avancement. Outre celte première pré- 
caution, il en es encore une autre, c’est de placer ces ouvertures 
sur des faces verticales jouissant du même abri, et empêcher ainsi 
l'eau pluviale d'y pénétrer. Leur direction intérieure n’est pas non 
plus dépourvue de cette précaution, car elle tend plutôt à s'élever 
au-dessus du niveau de l'ouverture qu’à se trouver au-dessous de 
ce même niveau. Je n’ai jamais vu d’ouveriure de loge établie sur 
la face plus ou moins horizontale, mais supérieure des roches. 
On comprend que dans cette position les Mollusques seraient ex- 
posés à être noyés dans leur loge aux époques où elles sont plus 
particulièrement habitées, et qui sont celles aussi où les pluies 
sont plus abondantes. Ne reconnait-on pas dans toutes ces pré- 
cautions si judicieuses que, s’il n’exisie pas de prescience chez ces 
animaux, il y à ou moins un instinct de conservation bien établi. 
Dans le cours de nos longues études, nous avons été très souvent 
frappé d’admiration en reconnaissant chez des Mollusques si bas 
placés dans l'échelle des êtres, des actions suivies de résultats in- 
dubitablement calculés et infiniment supérieurs à ce qu'on leur 
accorde généralement d’instinct. 

Mais revenons à nos érosions calcaires, et disons qu’outre celles 
qui ont pour but le creusement d’un abri hivernal, il en est 
d’autres qu'on ne peut attribuer qu’à la reptation ordinaire des 
Hélices en question, et qui prennent toutes les formes sans en 
affecter plus particulièrement aucune. Elles sont produites par le 
passage souvent répété des Hélices sur la surface des roches, pour 
arriver ou pour sortir de leur loge tubuleuse. On voit même que 
certaines parties de ces roches sont plus fréquentées que d’autres : 
ce sont celles qui correspondent plus ou moins directement avec 
les ouvertures, et qui vont des unes aux autres. Dans ces diffé- 
rentes parties, la surface de la roche est usée, rigolée par une éro- 
sion acide qui y creuse des méplats plus ou moins étendus, plus 
ou moins excavés, de toutes formes enfin, mais dont les arêtes, ou 


205 BOUCHARD-CHANTEREAUX. 


angles plus ou moins saillants qui les séparent, sont toujours 
adoucis. C’est, à n’en pas douter, le fait de la reptation de ces 
Mollusques passant et repassant depuis des sièrles, et de géné- 
ration en génération sur le même plan de la roche qui conduit 
à leur demeure, et laissant dans ce trajet, comme toujours après 
eux, les traces de leur passage en un mucus qe suinte de leur 
plan locomoteur pour faciliter ses mouvements. C’est ce mueus 
qui jouit naturellement sans doute des propriétés corrosives , qui 
attaque incessamment la surface de la roche, et use de manière à 
la faire ressembler à une pâte sucrée, dont la surface aurait été 
atteinte par l'humidité, ee que nous voyons assez souvent sur des 
bonbons un peu anciens. 

Il s’en faut donc que ce mueus serve d’enduit protecteur de la 
roche comme on l’a supposé, puisqu'il produit l'effet tout con- 
traire. Nous en avons une sorte de preuve, surtout dans l’élar- 
gissement en entonnoir de l'ouverture des loges, élargissement 
tonjours en rapport avec la grandeur de chaque réduit, et par con- 
séquent de la fréquence de son habitation. Dans cette circonstance, 
tout semble nous démontrer que ces érosions sont indépendantes 
de tout vouloir de la part de l'animal, qu’elles sont inhérentes à 
la nature des sécrétions produites par l'organisme en faveur de 
l'acte de la reptation. 

Il ne paraît pas en être de même pour la confection de son loge- 
ment (d'hiver. Il doit y avoir Ià une volonté exprimée par la posi- 
tion qu'il prend soit pour attaquer la surface de la roche, soit pour 
s’enfoncer dans son épaisseur, Dans ces deux cas, il y a une inten- 
tion bien manifeste, un choix préalable d'abord de la place pour y 
élablir l’ouverture, puis le retour à la même place pour l’appro- 
fondir, et en former avec le temps une loge boyautée. Dans ces 
différents cas, l'animal à le corps sorti de sa coquille ; il se con- 
tracte, se ramasse pour ainsi dire en se raccourcissant, puis s’ap- 
plique fortement ainsi, sans mouvement quelconque, sur la paroi 
de la roche qu'il veut entamer, ou dont il veut continuer l’appro- 
fondissement. Il est probable que, pendant ce temps, tout le plan 
locomoteur est très raccourci et par cela même élargi, et que, ten- 
dant à se ballonner centralement par la pression qu’il imprime sur 


HÉLICES SAXICAVES. 207 


la roche par ses deux extrémités antérieure et postérieure, l’animal 
fait traverser ses tissus par la liqueur acide chargée de la dissolu-- 
tion du calcaire. Celle-ci s’épanche sans doute très lentement par 
toute la surface du plan du pied, car elle ne déborde jamais les 
parties molles du corps. Ce n’est, sans doute encore, qu’une trans- 
sudation directe etproportionnée aux besoins de l’absorption gra- 
duée du calcaire pour sa dissolution partielle. 

Pendant les trois années qu'ont duré nos expériences, nous 
avons différentes fois dérangé des Hélices en train de travailler à 
la perforation du calcaire, et, reconnaissant les diverses disposi- 
tions décrites ci-dessus, nous appliquions immédiatement, soit sur 
le pied du Mollusque, soit sur la paroi que nous le forcions de 
quitter, une pelite bande de papier de tournesol, en la maintenant 
quelques secondes avec l'extrémité du doigt, et aussitôt la couleur 
bleue de ce papier devenait violacée, plus ou moins rougeâtre, 
selon le plus ou moins d’abondance d'humidité que conservaient les 
parties expérimentées. Nous ne devons pas omettre de dire que, 
quand nous séparions ainsi violemment le Mollusque de sa posi- 
tion, nous le trouvions comme engourdi, conservant quelque 
temps les dispositions qu'il avait au contact du calcaire, et ne ren- 
trant ensuite que fort lentement dans la coquille. 

Nous n’en sommes pas bien certain, mais nous avons de fortes 
présomplions pour supposer que la moitié antérieure du pied 
fonctionne plus activement dans le travail d’érosion que la moitié 
postérieure du même organe. Dans tous les cas, il n’y à pas pour 
nous dans ce travail le moindre doute sur l'emploi d’un suc acide, 
et pas davantage sur l'organe chargé de l'appliquer directement, 
et qui, certainement, est le pied du Mollusque. 

On remarquera que ce n’est que pendant l'hiver que les Mol- 
lusques terrestres cherchent à s’abriter des rigueurs de cette sai- 
son, qui, du reste, ne leur offrirait pas la possibilité de se procu- 
rer leur nourriture habituelle. Que les uns se tapissent en nombre 
sous les pierres, dans les creux des vieux murs, ou s’enfoncent, 
faute de mieux, plus ou moins profondément dans la terre, selon 
qu'ils pressentent que l'hiver sera plus ou moins dur, cela 
estsi vulgaire que, dans nos contrées, les campagnards et les jar- 


208 BOUCHARD-CHANTEREAUX 


diniers en tirent le pronostic sur la rigueur oule plus ou moins de 
durée de celle saison, suivant qu’ils trouvent les Limaçons plus ou 
moins profondément enfoncés dans la terre. 

Ce n’est donc, dans notre pays, qu’une hibænation de six mois 
en moyenne. Mais nos Hélices saxicaves travaillent-ils pendant 
ces six mois à perforer le calcaire? C’est une question que nous 
nous sommes posée.el que nous avons résolue d’une manière affir- 
mative, du moins aussi affirmalive que possibie, en trouvant tou- 
jours dans les loges habitées, chaque fois que nous les visitions, 
les Hélices toujours développées aux mêmes degrés, et, comme 
nous l'avons déjà dit, appliquées directement sur la paroi calcaire 
de leur loge. Nous avions le soin de multiplier nos visites pen- 
dant l'hiver, et de les espacer de manière à partager cette saison 
en six ou huit parties plus ou moins égales ; de sorte que nous les 
visilions plusieurs fois au commencement, au milieu et vers la fin 
de cette saison. 

Il est bon de noter que nos Hélices saxicaves ne formaient pas 
d’épiphragmes pendant tout le temps qu'elles restaient logées dans 
leurs chambres de pierre, tandis que toutes celles fourrées dans les 
trous des vieux murs, sous les grosses pierres ou enfoncées dans 
la terre, ne se dispensent jamais de celte précaution abritante sup- 
plémentaire. Ce n’est donc que pendant la moitié de l’année envi- 
ron que nos Hélices s’abritent, corrodent et approfondissent leur 
loge calcaire. Mais il résulte de nos observations la certitude que 
les mêmes loges ne sont pas habitées chaque année, et que cette 
habitation n’est que le résultat du hasard qui dirige les individus 
tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, en sorte que bon nombre de 
loges restent des années inoccupées. 

On reconnait tout de suite qu’elles sont inhabitées à leur encom- 
brement par l'introduction dans leur intérieur des plantes erypto- 
games ou des brindilles de lierres qui les tapissent, et qui y meurent 
étouflées. Il est facile, même après le départ des Hélices rendues 
sous la feuillée à la belle saison, de reconnaitre les loges qui ont 
été récemment abandonnées, et de juger de l'importance de leur 
dernier approfondissement hivernal, car cette partie de la loge 
est toujours plus nette et plus claire que celles qui proviennent de 


HÉLICES SAXICAVES. 209 


plus anciennes érosions. Elle offre, en outre, de remarquables 
différences dans ses dimensions, puisqu'elle forme toujours un 
godet particulier d'environ À centimètre de profondeur, et dont le 
diamètre d'ouverture ne dépasse pas celui de toute la coquille du 
Mollusque qui l'a creusé. Il est plutôt inférieur que supérieur à ce 
diamètre, en sorte qu'il nous fait douter qu’il serait possible à l’ani- 
mal de traverser dans sa longueur sa loge tubuleuse , si elle 
n’avait dans tout son parcours que ce diamètre initial. Mais les 
travaux subséquents des années élargissent toujours ces tubulures 
qui deviennent de plus en plus irrégulières, et qui finissent, 
comme nous l'avons dit, par former des chambres ballonnées et 
bossuées de plusieurs centimètres de diamètre dans leurs cavités 
intérieures, tandis que leur ouverture reste toujours à peu près la 
même, sauf son évasement involontaire, extérieur résultant de 
l'érosion produite par un passage plus ou moins fréquent des 
habitants. 

Nous disons que l’évasement extérieur des loges hivernales de 
nos Hélices saxicaves nous semble involontaire de leur part, parce 
que nous avons remarqué qu'elles s’en tenaient toujours à distance 
dans l’intérieur, qu’elles ne s’y arrêtaient jamais une fois perforée, 
et qu'elles nous semblaient tenir à conserver son étroitesse, puis- 
qu'elles ne commençaient toujours à élargir leur loge que lors- 
qu'elles en étaient à une certaine distance intérieure. Quand il s’agit 
de la perforation d’une loge nouvelle etde l'occupation d’un premier 
godet, travail de l’année précédente, le Mollusque qui s’en empare 
se fixe toujours dans son fond et non sur ses côtés. Tout donc 
nous autorise à supposer que ces Hélices tiennent particulièrement 
à ne pas agrandir l'ouverture de leur loge, et à conserver ainsi 
toute l'importance de leur abri pendant la mauvaise saison. 

Un autre fait aussi particulier aux Hélices en question, c’est que, 
contrairement à ce que nous voyons toujours s'effectuer chez les 
autres qui se logent dans les cavités des vieux murs, ou n’importe 
quelles espèces, mais plus particulièrement l’Heliæ aspersa, 
beaucoup plus commune que les autres dans le voisinage des habi- 
lations, nous voyons, disons-nous, ces dernières accumulées les 


unes sur les autres, en plus ou moins grand nombre, selon l’impor- 
4° série. Zooc. T, XVI. (Cahier n° 4.) ? 14 


210 BOUCHARD-CHANTEREAUX. 


tance des cavités, et passant ainsi l'hiver rentrées totalement dans 
leur coquille elôturée par un épiphragme, tandis que dans les loges 
calcaires, quelle que soit la rigueur de cette saison, nous les trou- 
vons toujours, comme nous l'avons dit, hors de leur coquille, et 
jamais réunies. Chaque loge est habitée par un seul individu ordi- 
nairement, quelquefois deux ou trois, mais alors c’est que la loge 
est assez spacieuse pour les abriter tous sans contact. L'émanation 
acide ne serait-elle pas, dans cette circonstance, la cause princi- 
pale de cet éloignement que semblent éprouver nos Hélices saxi- 
caves les unes pour les autres ? 

Il est probable que les roches calcaires du Bois-des-Roches ont 
été de tout temps attaquées par les Hélices dont nous vous entre- 
tenons, et que leur perforation est aussi ancienne que leur appa- 
rition à la surface du sol qui les supporte maintenant. Cependant 
un doute à ce sujet existe encore dans notre esprit, qui se demande 
pourquoi ces tubulures ne dépassent pas, malgré la série de siècles 
qui s’est écoulée depuis leur commencement, une profondeur de 
12 à 15 centimètres, comme nous l'avons observé dans toutes 
celles que nous considérons comme les plus profondes, et que 
nous avons sondées sur place ? 

Nous savons, il est vrai, que ces loges ne sont pas régulière- 
ment occupées chaque année, que cette habitation n’est absolu- 
ment qu'accidentelle et temporaire, qu’elle est due aux diverses 
chances du hasard, et que, par conséquent, elle peut être inter- 
rompue pendant des séries d'années. Leur agrandissement ou 
approfondissement n’est donc pas continu , il ne recommence pas 
chaque hiver ; il n’a lieu qu’à des intervalles indéterminés qui 
peuvent être courts, comme aussi se prolonger indéfiniment. 

Nous avons vu souvent des loges, que nous avons reconnues 
très anciennes à la nature de leurs parois, se trouver réoccupées, 
et présenter des érosions nouvelles qui se distinguent toujours des 
anciennes à leur couleur et à leur netteté. Leur abandon n’est 
donc pas non plus un fait volontaire. 

Du reste, quelle que soit la capacité d’une loge, nous avons 
remarqué qu'elle présentait, chaque fois qu’elle était réhabitée, 
une érosion fraiche à la place occupée par le Limaçon. Cette par- 


HÉLICES SAXICAYES. . 211 
ticularité, si souvent renouvelée, nous a toujours frappé, et nous 


a porté à nous demander chaque fois si, en effet, la volonté de 
l'animal était pour quelque chose dans cette érosion nouvelle, ou 
si elle n’était pas plutôt simplement le résultat du suintement natu- 
rel et involontaire de son organisme. On doit aussi observer que 
nous n'avons jamais trouvé dans les loges habitées les traces bril- 
lantes du mucus desséché que nous voyons ordinairement sur les 
plantes ou sur les murailles des habitations champêtres, et qui y a 
laissé le passage des Hélices ou des Limaces. Cela nous fait sup- 
poser que la nature de la sécrétion qui corrode les calcaires n’est 
pas la même que celle qu’abandonnent ces Mollusques lors de 
leur reptation ordinaire, et qu’elle provient aussi d’un autre sys- 
tème d'organes. 

Nous savons, à n’en pas douter, que le travail des siècles a 
passé sur les surfaces des masses calcaires du Bois-des-Roches, et 
qu’indubitablement ces surfaces ont été amoindries ; mais, quelles 
qu’aient été ces érosions extérieures et de quelque agent qu’elles 
proviennent, elles ne nous paraissent pas assez importantes pour 
expliquer une limitation en profondeur des habitations hivernales 
creusées par nos Hélices saxicaves. Nous pensons être plus près de 
la vérité en supposant que cette profondeur est en rapport quel- 
conque avec les besoins animaux qui, sans doute, se trouveraient 
froissés par un approfondissement plus considérable. Nous sup- 
posons, en outre, que l'acte de la respiration est au premier rang 
de ces besoins, parce qu'il nécessite souvent le renouvellement de 
la quantité d’air absorbé ou décomposé, et nous avons été porté à 
cette observation en voyant que tous les animaux perforants que 
nous avons étudiés nous offraient une régularité parfaite dans les 
lignes maximum de profondeur qu'atteignait le fond de leur 
demeure ; que celle-ci soit sous-marine ou terrestre, ces lignes 
sont toujours en rapport avec la taille des individus, et surtout 
avec les dispositions de leurs organes respiratoires. Il ne serait 
donc pas surprenant que, pour l’espèce qui nous occupe, et que 
nous avons dit conserver tout l'hiver son pied hors de sa co- 
quille, l’acte de la respiration nécessite une plus grande quantité 
d’air respirable que pour les Hélices qui restent dans leur coquille, 


219 BOUCHARB-CHANTEREAUX. 


et ferment celle-ci au moyen d'un épiphragme pendant toute la 
durée de la saison rigoureuse, et la traversent ainsi engourdies. 

D'après ce que nous avons dit précédemment, on sait que l’éro- 
sion intérieure des loges hivernales, quoique lente à s'effectuer, 
ne dépasse pas moins À centimètre en profondeur pour le travail 
d’un seul individu pendant un hiver de six mois en moyenne, et 
quand ce travail s’opérait sur une des parois latérales, il arrivait 
souvent qu'il faisait communiquer deux loges voisines ; mais ce 
que nous n’avons pas encore dit, c’est que la nature toute particu- 
lière de ce travail rendait l’érosion si délicate, si légère, si nous 
pouvons nous exprimer ainsi, que l'organe qui l’effectue, le 
pied (1), semble avoir sucé le calcaire. En effet, la dissolution du 
carbonate calcaire s'opère si légèrement , qu’elle laisse subsister 
des feuillets rigides et tranchants, qui, vers leur extrémité, ne 
présentent pas plus d'épaisseur que des feuillets de papier ; cet 
effet est surtout remarquable sur toute la périphérie des ouver- 
tures accidentelles qui établissent les communications entre deux 
loges voisines, el où on voit le calcaire aussi tranchant que la lame 
d'un couteau. 

Contrairement à ce qui se passe chez les animaux perforants 
marins, qui ont toujours dans leur loge une couche assez épaisse 
de matière décomposée et vaseuse intercalée entre l'animal ou sa 
coquille et les parois de sa loge, celle de nos Hélices est toujours 
nelle et propre lorsqu'elle est habitée, on n’y observe pas le 
moindre résidu. 


Mais où se présente une grande analogie, pour ne pas dire 


(1) Ce qui nous prouve que c’est le pied de l'Hélice qui est l'organe sécré- 
teur de la liqueur acide qui corrode le calcaire, c’est qu'il est facile de distin- 
guer le travail particulier aux individus de différents âges dans les diamètres 
divers qu'on observe souvent dans les érosions partielles d'une même loge, dia- 
mètres qui sont toujours aussi en rapport avec le volume du pied contracté des 
Hélices, et celui de leur coquille, et par conséquent avec celui de leur âge. 

Dans d’autres circonstances, ne voyons-nous pas le pied devenir organe 
sécréteur de l'épiphragme ? Cette faculté temporaire et intermittente n'est-elle 


pas propre aussi à démontrer que cet organe peut être rppelé, selon le cas, à 
d'autres sécrétions ? 


HÉLICES SAXICAVES. 213 
identité, entre la confection des deux sortes d'habitations, c'est 
dans la pénétration des calcaires par une liqueur étrangère qui, 
dans tout le contour des excavations nouvelles, forme une sorte 
d'auréole d'un aspect gras; et quand cette liqueur a pénétré dans 
des gerçures préexistantes de nos calcaires à Hélices, elle y pro- 
voque le développement d’un petit lichen microscopique, qui 
donne à ces fissures une teinte verte, vive, persistante, de plus 
d’un millimètre de largeur, tandis que l'espèce d’auréole grasse 
que nous signalons a moins d’un millimètre de largeur, et dispa- 
rat avec son exposition à l'air. 

L'érosion des Hélices saxicaves porte avec elle son cachet spé- 
cifique dans les dispositions particulières des contours de leurs 
loges, qui sont toujours dissemblables, difformes, irrégulières, 
boyautées et boursouflées ; toujours divisées en autant de cavités 
particulières qu'il y a eu de stations individuelles, limitées par des 
étranglements ou des arêtes adoucies. On ne voit rien de sem- 
blable dans les érosions des animaux marins, surlout quand ils 
sont coquilliers : ils fofment toujours des loges presque régu- 
lières, et qui sont semblables pour tous les individus d’une même 
espèce. On voit alors des rapports constants entre la forme des 
loges et celle des animaux qui les ont creusées, tandis que chez nos 
Hélices rien de semblable ne se présente. La forme générale de 
leur loge est totalement l'effet du hasard ; il n’y a que chaque éro- 
sion partielle limitée, comme nous l'avons dit, qui représente à 
peu près le diamètre de leur coquille. 

Ces perforations d’Hélices ne sont pas des trous perdus, isolés, 
comme on pourrait le supposer, et sur l’origine desquels on pour- 
rait douter. Non, ce sont pour ainsi dire des établissements de 
colonies d’origine certaine et des plus anciennes, offrant une 
remarquable distinction dans le choix du placement de leur ouver- 
ture, en rapport avec le meilleur abri hivernal. Ce que nous en 
avons dit, chacun pourra le vérifier sur les lieux que nous avons 
assez indiqués dans le cours de cette notice, ear ils existeront sans 
doute encore de nouveaux siècles exposés à tous les regards. 

En parlant du temps, nous ne pouvons nous empêcher de pen- 
ser aux innombrables générations d’Hélices de la même espèce, 


Ah BOUCHARD-CHANTEREAUX. 


qui ont du se succéder depuis les premières perforations de nos 
masses de caleaire, et cependant ces perforations, si remarquables 
et si intéressantes sous tous rapports, sont reslées inconnues jus- 
qu’à présent. 

On se doute bien qu’à l’exceplion du mesurage de l’approfon- 
dissement des loges que nous avons exécuté sur place avec un 
mètre pliant de baleine, le reste de nos observations n’a pu s’effec- 
tuer qu’en fracturant chaque fois la roche pour pouvoir étudier 
l'intérieur de ses cavités, ce qui n’était même pas toujours facile, 
parce qu'il fallait attaquer au marteau des blocs énormes et mas- 
sifs de calcaires, qui ne sont possibles à briser que sur leurs 
angles toujours fortement émoussés. Nous avons donc été sou 
vent forcé pour oblenir un échantillon d'étude d’en sacrifier 
plusieurs autres : c’élait un sacrifice obligé pour pouvoir arriver 
à juger des différents degrés des érosions diverses et de leur plus 
ou moins grande ancienneté. 

Nous n’avons encore rien dit de l'opinion générale plus ou 
moins prononcée contre les érosions calcaires par des liqueurs 
acides dissolvantes, et produites par l’organisme des animaux per- 
forants ; nous nous sommes borné à décrire, aussi bien que nous 
l'avons pu, ce que nous avons vu. Nous devons cependant toucher 
un peu cette corde, et, bien que notre acquit ne soit pas encore 
positivement concluant, nous pensons qu’il pourra offrir UT LE 
données nouvelles qui lui seront favorables. 

On connaît toutes les belles expériences qui ont été faites par 
les Gmelin, Proust, Tiedmann, Braconnot, Pelouze, Bernard, Bar- 
resvil, Blondlot, Leuret, Lassaigne, etc., sur le suc gastrique des 
animaux, expériences qui v ont fait découvrir l'acide lactique, et 
souvent une grande quantité d'acide chlorhydrique libre, selon 
que l'estomac était vide où stimulé soit par des aliments, soit par 
des corps étrangers. On connaît généralement aussi son acti- 
vité dissolvante des matières calcaires ; mais ce qu’on ne con- 
naît pas bien encore généralement, ce sont les moyens que l’ani- 
mal emploie pour porter à l'extérieur ces liqueurs acides, et les 
appliquer à la perforation de certaines roches. Nous avons émis 
notre propre opinion à ce sujet, et nous n’y reviendrons pas. 


HÉLICES SAXICAVES. 215 


Nous allons dire ce que nous avons vu dans d’autres circonstances 
et sur d’autres animaux que les Hélices. 

Pendant plusieursannées, nous avons chargé un de nos parents, 
le capitaine Leprêtre, qui commandait pour la pêche de la Morue 
(Gadus morna, Linn.), de nous faire choisir un certain nombre 
d’estomacs les plus pleins de ce poisson ; de les faire saler et 
embariller. Nous avions ainsi chaque année à notre disposition de 
nombreux moyens d’investigations qui nous ont démontré que, 
sous le rapport de l'activité dissolvante, le suc gastrique des pois- 
sons n’est pas au-dessous de celui des autres animaux. Nous avons 
trouvé dans ces viscères les matières calcaires les plus dissem- 
blables, telles que fragments de pierres, Crustacés de toutes 
tailles, Échinodermes, Balanes, coquilles univalves et bivalves, 
et jusqu’à des têtes entières de poissons de la même espèce que 
ceux qui les avaient avalés. Tous ces objets étaient déjà plus ou 
moins atteints par l’acide du suc gastrique et en partie dissous. 

Nous avons fait, en outre, les observations suivantes qui nous 
ont paru mériter une citation particulière. Chez les animaux pour- 
vus de test calcaire, comme les Crustacés et les Échinodermes, les 
téguments charnus existaient encore intacts que déjà leurs sou- 
tiens calcaires étaient absorbés, puisqu'ils étaient restés entiers, 
quoïque devenus très mous. De ce nombre étaient de trés grosses 
Lithodes arctiques, et une masse considérable à’ Astérides, telles que 
des Ophiures de toutes espèces et de toutes tailles. Quant aux 
coquilles, les Bivalves étaient écrasées ; leurs fragments présen- 
taient plusieurs degrés de dissolution, et quelques-uns ne conser- 
vaient plus que leur épiderme. Donc là aussi les parties calcaires 
avaient été dissoutes avant les parties cornées. Les Univalves 
étaient d’abord attaquées par leurs parois ventrues latérales, qui 
offraient des ouvertures arrondies, absolument comme celles que 
nous avons signalées pour les communications des loges de nos 
Hélices. Ces ouvertures laissaient voir la columelle dans toute son 
étendue, et celle-ci, à son tour, dominait progressivement, selon 
les individus et selon leur plus ou moins de séjour dans l’estomac, 
puis s’amoindrissaient jusqu’à disparaître entièrement. Nous tirons 
de tout ceci ceite conséquence différentielle, que les parties char- 


216 BOUCHARD-CHANTEREAUX, 

nues des Mollusques avaient été digérées avant leur coquille, tandis 
que chez les Crustacés et les Echinodermes, la charpente calcaire 
était dissoute avant la digestion des parties charnues. Qui expli- 
quera cette différence ? 

Quant aux morceaux de roches calcaires, ils étaient attaqués par 
toutes leurs surfaces à la fois, comme s'ils avaient nagé dans une 
dissolution'acide, et ressemblaient à des morceaux de sucre atta- 
qués par l'humidité, Il est indubitable qu'ils étaient en partie 
dissous. 

Chez les Mollusques vivants, nous avons vu très souvent opé- 
rer sous nos yeux la dissolution de certaines parties calcaires de 
leur coquille. 

Ainsi chacun sait que les Hélices et genres voisins ne parvien- 
nent pas à construire leur coquille tout d’un trait continu , qu'ils 
éprouvent ordinairement des temps d'arrêt dans son accroisse- 
ment, et que, dans cette circonstance, pour consolider leur péris- 
tome, ils forment intérieurement ce que nous nommons un bour- 
relet intérieur. Mais, comme la présence de ces bourrelets gènerait 
leur accroissement ultérieur, les Mollusques les dissolvent avant 
de le continuer, au moyen d’une sécrétion particulière émanant 
de la partie antérieure de leur pied. Beaucoup de Mollusques 
marins agissent absolument de la même manière que les Mollus- 
ques terrestres. 

Nous avons vu aussi très souvent les Buccins, les Pourpres et 
les Rochers de nos côtes, perforer en quelques minutes les valves 
des coquilles des Moules, des Mactres et des Bucardes, et ce au 
moyen d’une liqueur provenant de l'estomac de l'animal perfora- 
teur et portée au dehors par sa trompe, et appliquée directement 
par l'ouverture de cet organe sur la partie de la coquille à percer. 
Dans cette circonstance, l'animal appuie celte ouverture sur la 
coquille, puis, entourant sa trompe par la partie antérieure de son 
pied, qui, à cet effet, prend une disposilion bilobée, s'avance de 
chaque côté de cet organe pour réunir ensuile ses deux paries, 
aussitôt qu’elles l'ont dépassé, de manière à l’enfermer entre elles , 
puis s'appliquant fortement sur la coquille, forment le vide autour 
de la trompe, la protégent de tout contact avec l'élément environ- 


HÉLICES SAXICANES. 217 
nant, tout le temps que dure l'opération du percement de la valve; 
ce qui dépasse rarement quatre à six minutes, el qui s'effectue sans 
le moindre mouvement d'aucune partie de l’animal perforateur. 

On ne peut pas nier davantage ce que tout le monde peut voir, 
mais que pea apprécient, il est vrai : ce sont les effets considé- 
rables de perforation qu'on rencontre partout sur les caleaires 
sous-marins, les polypiers et les coquilles de toutes espèces et de 
toutes grandeurs, et exécutées par ce hillipulien marin des animaux 
perforants, cet animal si informe, que son animalité a paru long- 
temps douteuse ; si mesquin, que de plus grands doutes encore se 
sont élevés sur l’origine des travaux considérables qu’il exécute 
cependant avec une vigueur et une continuité qui pourraient le 
faire nommer le Perceur de pierres par excellence, puisque, à lui 
seul, il fait plus de ravages dans les corps calcaires sous-marins 
que tous les autres animaux perforants, bien que la plupart de ces 
derniers soient mille fois plus gros que lu. 

Nous parlons du genre Vioa, ou Éponge térébrante de Duver- 
noy ; nous n'avons même pas à notre disposition, à l'égard de cet 
animal, la ressource d’un sue gastrique pour expliquer ses facultés 
corrosives. Savous-nous seulement s’il possède un estomac ? Quel 
est done son appareil sécréteur ? Quel est son instrument de per- 
foration, comme dirait certain auteur? A toules ces questions, 
nous ne pouvons répondre que ceci : c’est une pelite épenge 
informe, charnue et jaunâtre, souvent grosse à peine d’un milli- 
mètre dès qu’elle annonce sa présence. Cela ne l'empêche pas de 
pénétrer dans tous les corps calcaires organisés ou non organisés, 
de s’y introduire au moyen d'une perforation parfaitement cireu- 
laire, et de s'étendre ensuite dans toutes les couches en les ron- 
geant en galeries labyrinthiformes ; les traversant, les perforant 
de toutes les manières, jusqu'à ce qu’elle ait formé un squelette 
spongiforme rigide des corps les plus compactes. De nombreuses 
coquilles et des banes rocheux sous-marins entiers sont rongés et 
perforés de la sorte par cet infiniment petit. 

M. le docteur G. Drumond suppose que ces animaux ont le pou- 
voir de décomposer l'eau de la mer, et d’en extraire un acide 
chlorhydrique libre, qu'ils emploieraient à l'érosion précitée. 


218 BOUCHARL-CHANTEREAUX. — HÉLICES SAXICAVES. 


Mais que n’a-t-on pas supposé ? Mieux vaut dire, ce semble, 
que nous ne savons encore rien à cet égard , que nous voyons les 
faits, qu'ils existent, que nous en sommes émerveillés, mais que 
nous ne pouvons les expliquer : c’est infiniment plus rationnel. 

On a déjà beaucoup écrit sur la perforation des roches calcaires 
par les animaux. Nous avons vu dans ces écrits beaucoup de 
bonnes observations et aussi beaucoup d'observations superf- 
cielles, et par là dépourvues d’autorité. 

Quoi qu’on dise done sur la sécrétion animale d’un sue acide et 
des difficultés pour expliquer son emploi dans la dissolution des 
corps calcaires, nous les considérons l’un et l’autre comme cer- 
tains, et sommes profondément convaincu que cette opinion, la 
seule véritablement rationnelle pour qui a beaucoup vu et beau- 
coup étudié, est appelée à survivre et à dominer toutes les autres. 

On nous objectera sans doute, comme on l’a fait depuis quel- 
que temps, les érosions grésiques, gnéisiques et granitiques des 
Oursins et des Pholades des côtes de la Bretagne. Nous devons à 
notre bon ami M. F. Cailliaud, conservateur du Muséum de la 
ville de Nantes, d’avoir pu les étudier. Nous y répondrons dans 
notre second mémoire en traitant des perforations des animaux 
marins en général, et nous espérons pouvoir y prouver que l’opi- 
nion émise à leur sujet n’est qu'une hérésie scientifique. 





Nota. — Nous donnons une planche (pl. 4) des figures repré- 
sentant des perforations de nos Hélices saxicaves, et nous dépo- 
sons dans les collections du Muséum d'histoire naturelle de Paris 
et de la Faculté des sciences les pièces qui ont servi de modèles 
pour ces dessins. 


RECHERCHES SUR LES GLANDES GASTRIQUES 
ET. j 


LES TUNIQUES MUSCULAIRES DU TUBE DIGESTIF 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS, 


Par M. Martial VALATOUR, 


Agrégé des sciences, préparateur de zoologie à l'École normale supérieure, 


INTRODUCTION. 


De nombreux travaux accomplis depuis un siècle sur les Mam- 
mifères et les Oiseaux ont fait connaître en grande partie quels 
sont les procédés de la digestion dans ces animaux. Sont-ils les 
mêmes dans tous les Vertébrés et en particulier dans tous les Pois- 
sons osseux? La chose semble admise implicitement, mais elle 
n’est pas démontrée. En effet, s'agit-il des poissons osseux? Les 
glandes salivaires ne se rencontrent dans aucun, le pancréas n'a 
pu être trouvé que dans un très petit nombre, et encore à l’état 
rudimentaire ; et, si l'estomac existe presque toujours, comparable 
par ses fonctions à celui des Mammifères, il paraît manquer quel- 
quefois. 11 y a des Poissons, le Gardon parexemple, dans lesquels 
on ne connaît ni glandes salivaires, ni pancréas, ni estomac. En 
présence de pareils faits, toute recherche sur les sécrétions diges- 
lives dans les Poissons osseux offre un grand intérêt. 

L'étude des glandes gastriques en particulier a été presque com- 
plétement négligée dans les animaux de ce groupe. Aujourd'hui 
l'existence même de ces glandes n’est établie d’une manière irré- 
futable chez aucun d’eux. Cette lacune est d'autant plus à regret- 
ter que le sue gastrique n’a été lui-même le sujet d'aucune re- 
cherche. On sait bien qu’il se fait dans l’estomac des Poissons 
une dissolution des aliments, mais est-elle semblable à celle qui se 


2920 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


fait dans l'estomac des Mammifères? porte-t-elle sur les mêmes 
matières alimentaires exclusivement? y retrouve-t-on les mêmes 
principes essentiels? Toutes ces choses semblent probables, mais 
personne n’a cherché à les démontrer. 

Jusqu'ici très peu de travaux ont été entrepris sur la physiolo- 
gie et l'anatomie comparées de la sécrétion gastrique dans les 
différents Vertébrés, et cependant le peu de recherches qui ont 
été faites semblent promettre des découvertes intéressantes et 
rendent plus désirables encore des études sur la sécrétion gastrique 
dans les poissons. 

Sans parler de quelques différences qui paraissent exister dans 
la forme des glandes gastriques, et l’arrangement des glandes 
pepsiques et des glandes muqueuses dans différents Mammifères, 
M. Molin (Denkschrifien der kaiserlichen Akademie der W issen- 
schaften, 1852) à démontré que dans le ventricule succenturié 
des Oiseaux les glandes gastriques sont groupées d’une manière 
tout à fait spéciale. 

M. CI. Bernard (Leçons faites au Collége de France, 1855) 
professe que le suc gastrique des différents Mammifères n’agit pas 
de la même manière. «Le suc gastrique des Lapins, mis en con- 
» fact avec de la viande crue, la décolore, la crispe, l’imbibe, mais 
» ne la désagrége pas et ne la ramollit pas avec la même énergie 
» que le fait le suc gastrique du Chien, et ne fait pas disparaître 
»les stries transversales des fibres. Ceci s'observe également 
» Quand on fait manger du bœuf à des Lapins; on rencontre dans 
» l'estoniac de la viande décolorée, comme cuite, mais présentant 
» des caractères différents de ceux qu’on observe dans de la viande 
» mise dans l'estomac d’un Chien... Le suc gastrique de l'Homme 
» et celui du Chien se ressemblent... Le suc gastrique préparé 
»avec le ventricule succenturié des oiseaux n'a pas la propriété 
» de ramollir et de dissoudre la chair musculaire comme celui 
» préparé avec l'estomac de | Homme où du Chien. » 

Enfin on lit dans l'Æaistologie humaine de Külliker (1856) que, 
d’après le docteur Berlin , les deux principes essentiels du sue 
gastrique, l'acide et la pepsine, seraient fournis dans les oiseaux 

, Par des glandes distinctes; la pepsine serait sécrétée par les 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 221 


glandes du ventricule succenturié, et l'acide par des glandes en 
tube, recouvertes d’un épithélium cylindrique, qui se rencontrent 
dans le gésier. Cependant Frerichs (Wagner’s Handiwærterbuch, 
1849), voulant prouver que le suc gastrique est sécrété acide, 
expérimenta précisément sur des oiseaux; il fit des coupes à tra- 
vers les glandes du ventricule succenturié et trouva toutes ces 
coupes acides. 

Après ces expériences et les faits que j'ai cités d’abord, on ne 
peut pas admettre sans démonstration qu'il existe dans l'estomac 
des poissons un sue gastrique, tont à fait identique par ses pro- 
priétés avec celui des Mammifères et sécrété par des organes sem- 
blables. L'existence même du suc dissolvant n’entraine pas 
l'existence des glandes; des cellules épithéliales pourraient à la 
rigueur sécréler ce liquide, et Bischoff, dans un travail dont nous 
allons parler, admet que le suc dissolvant peut être sécrété par la 
muqueuse elle-même sans le secours d'aucun épithélium ni d’au- 
eune glande. 

Je me suis donc proposé de rechercher au microscope les or- 
ganes qui peuvent sécréler le suc gastrique dans les poissons 
osseux. Ces recherches ont nécessité l'étude d’une grande partié 
du tube digestif, et m'ont donné l’occasion de faire un certain 
nombre de remarques sur les tuniques musculaires de ce tube. 

Avant de faire connaître les résultats auxquels je suis arrivé, 
je résumerai les travaux qui ont été entrepris dans cette direction. 


PREMIÈRE PARTIE. 
DES GLANDES GASTRIQUES. 
CHAPITRE PREMIER. 
Historique. 


La découverte des glandes gastriques date de 1836 seulement. 
Cependant dès 1752, Réaumur (Mémoires de l’Académie des 
sciences), dans son mémoire sur la digestion chez les oiseaux 


299 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


granivores, dit que les parois du ventricule succenturié de cès 
oiseaux contiennent des glandes en forme de tube, très visibles à 
l’œil pu, que ces glandes ont été déjà figurées par Perrault et que 
celles de l’Outarde ont été décrites dans les anciens Mémoires de 
l’Académie des sciences. 

Sir Everard Home (Lectures on Comparative Anatomy de 181 
à 1823), qui a observé l’estomac d’un très grand nombre d’ani- 
maux et recherché les glandes gastriques, sans pouvoir les trou- 
ver, si ce n’est quand elles étaient visibles à l’œil nu, a figuré ces 
glandes des oiseaux ainsi que des masses glandulaires qui existent 
dans l'estomac de quelques Mammifères, le Castor et le Wombat. 
Mais M. Molin, dans le mémoire déjà cité, a démontré que ces 
tubes ne sont pas des glandes simples, comme on le croyait, mais 
des groupes de glandes, et que les véritables glandes sont placées 
dans l'épaisseur de leurs parois et n'avaient pas été vues avant lui. 

C’est Sprott Boyd qui découvrit vraiment les glandes pepsiques 
(Ofthe Mucous Membranes of the Stomach dans Edinburgh Medi- 
cal and Surgical Journal, 1836). | 

Il reconnut que les parois de l'estomac de l'Homme, du Cochon, 
du Lapin, du Cheval, des Ruminants, contiennent dans leur épais- 
seur un grand nombre de tubes cylindriques, filiformes, perpen- 
diculaires à la surface de l'estomac, ouverts du côté de cette sur- 
face, fermés en cul-de-sac à l'extrémité opposée. Il étendit ses 
recherches à l’estomac de quelques reptiles et de quelques Pois- 
sons, et y reconnut une structure alvéolaire. Je ne sais quels Pois- 
sons ont été étudiés et quels résultats ont été réellement obtenus, 
parce que je n'ai pu me procurer le mémoire de Sprott Boyd, et 
que je le connais seulement par les extraits qui en sont donnés 
dans l'anatomie générale de Henle et l'anatomie microscopique 
de Mandl. 

Sprott Boyd avait seulement reconnu la forme des glandes. 
Purkinje en étudia le contenu chez ies Ruminants, chez les Car- 
nassiers et chez l'Homme (Ueber den Bau der Magendrüsen, dans 
Bericht über die V'ersammlung deutcher Naturforscher und Aerzte 
in Prag, 1838). Elles sont remplies de cellules arrondies à noyau 
et de granules non mesurables, animés du mouvement brownien. 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 293 


Leur produit consiste en granules semblables, réunis par une 
substance plus ou moins mucilagineuse. 

En même temps que Sprott Boyd, Bischoff recherchait les 
glandes gastriques. Son mémoire parut dans les Archives de Mül- 
ler en 1838 ; il s'étend aux quatre classes de Vertébrés. Parmi les 
Mammifères, Bischoff étudie l'Homme, le Chien, le Chat, la Taupe, 
le Bœuf, le Cochon, le Cheval, le Lapin et la Souris. Il distingue 
chez quelques-uns d’entre eux, outre les glandes en tubes simples, 
des glandes lobulées. Chez le Cochon toutes les glandes seraient 
lobulées. Chez les Oiseaux, Bischoff n’en vit pas plus long que sir 
Everard Home. Chez les Reptiles, Rana esculenta, Salamandra 
maculata, Coluber natrix , Coluber lœvis, Coluber atroflavus, 
Lacerta agilis et Emys europæa , il reconnait des culs-de-sac 
qu'il appelle cryptes, leur refusant le nom de tubes. Quant au 
contenu de ces cryptes, il n’en est pas question. Pour les Pois- 
sons, voict ce qu'il en dit : « Chez certains Poissons je n’ai pu 
» trouver une partie du tube digestif, remarquable par sa struc- 
»ture, de telle sorte qu'on peut leur refuser un estomac. C’est ce 
» qui arrive chez plusieurs espèces de Cyprinoïdes, où immédiate- 
» ment après l’œsophage, reconnaissable à son épithélium, com- 
» mencent les plis en zigzag qui se continuent sur tout l'intestin. 
» Nulle part je n'ai trouvé de glandes; quant à l'épithélium qui 
» peut recouvrir les plis de la muqueuse, je n’ai pu le bien distin- 
»guer. La muqueuse elle-même produirait donc ici la sécrétion. 
» Chez d’autres Poissons, au contraire, j'ai trouvé une structure 
»tout à fait semblable à celle des Reptiles. Ainsi la muqueuse 
»Stomacale de la Carpe montre des tubes très nombreux, beau- 
»coup plus courts et plus larges que ceux des Mammifères, au 
» point que leurs ouvertures sont visibles à l'œil nu. 

» L’estomac de l’Anguille ressemble encore plus à celui des 
» Reptiles et contient des cylindres très fins. 

» Chez les Cobitis fossilis que j'ai examinés, mais seulement con- 
» Servés dans l'alcool, je n'ai pas trouvé de glandes dans l’esto- 


» Mac. » ! 
Ainsi Bischoff trouve des glandes gastriques chez deux Poissons 


seulement, et encore il y a tout lieu de croire que chez la Carpe 


99/ M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES 


les prétendus tubes gastriques appartiennent en réalité au tube 
intestinal, ce qui peut faire douter de la nature des tubes reconnus 
chez l’Anguille, puisque le contenu de ces tubes n’a pas été ob- 
servé: Tous les tubes que lon peut trouver dans lé tube digestif 
et même dans l'organe regardé comme un estomac, ne sont pas 
nécessairement des tubes pepsiques. C’est done là un travail à 
reprendre et qui ne prouve pas suffisamment l'existence des tubes 
pepsiques chez les Poissons. 

En 1845 parut l'Anatomie des Salmones, par Agassiz et Vogt. 
La splanchnologie, c’est-à-dire la partie qui nous intéresse, a été 
traitée par Vogl; à propos du tube intestinal de la Truite com— 
mune (Salmo fario), choisie pour type, il dit : « Nous avons con- 
» Sacré un soin tout particulier à l'étude de la muqueuse des dif- 
» férentes parties du canal intestinal. Quand on examine la surface 
» libre de la muqueuse de l'estomac sous une loupe assez forte, 
» on aperçoit des saillies formant des mailles assez régulières, pour 
» la plupart oblongues, séparées par des excavations peu profondes. 
» Le fond des mailles n’est pas uni; il est au contraire réticulé, 
» et l’on aperçoit deux, quatre ou six cryptes qui s'ouvrent par 
» des trous ronds dans la cavité. Une matière opaque, grenue, 
» d'apparence blanchâtre sur un fond noir, est accumulée au fond 
» de ces cryptes. Sur une coupe transversale, les saillies de la 
» muqueuse se présentent comme autant de collines ou de verrues 
» implantées l’une à côté de l’autre et séparées par des rentrées 
» reposant sur une couche entièrement opaque, qui envoie quel- 
» quefois des prolongements dans les espaces entre les mamelons.… 
» Avec de forts grossissements on reconnait que les mamelons 
» où plutôt les plis grands ou petits de la muqueuse sont composés 
» d’une quantité de cellules coniques, engrenées les unes dans les 
» autres, Comme les pierres d’une voûte, et formant ainsi ce qu’on 
» a appelé un épithélium à cylindres... La structure de la mu- 
» queuse de l'estomac est, on le voit, des plus simples. Une couche 
» épaisse de cellulés coniques recouvre le tissu fibreux. Il paraît 
» que ces cellules coniques sont recouvertes à leur tour par des 
» cellules plates et grennes qui se trouvent en quantité dans la 
» mucosité qui remplit l'intestin. Ces dernières se renouvellent 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 295 


»sans cesse, et ce qui prouve bien qu’elles forment une couche 
» continue en pavé, c'est que plusieurs fois en comprimant des 
» coupes transversales sous le compresseur microscopique, nous 
»avons vu le fond des anfractuosités se détacher et présenter un 
» rouleau en forme de massue. Il nous a été facile de réconnaître 
» alors que ce rouleau n’élait pas composé de cellules cylindriques, 
» mais bien de cellules rondes et aplaties, qui tapissaient le fond 
» du creux et qui s'étaient détachées en entier par la pression… 

» Il n'existe de glandes muqueuses composées, ni dans l’esto- 
» mac, ni dans aucune autre partie de la muqueuse. Les eryptes 
» de l'estomac qui s'ouvrent, au nombre de quatre à six au plus 

_»dans une cavité plus grande, sont les seuls représentants des 
» glandes, et encore leur structure ne diffère-t-elle en aucune 
» façon de celle des plis qui les entourent. Ce sont de simples ex- 
» cavations destinées à augmenter la surface sécrétante. » 

Faut-il conclure de ce travail qu'il existe des glandes pepsiques 
dans l'estomac de la Truite? Ce n’est pas,-en tout cas, la conclusion 
de l’auleur. Ce n’est pas non plus celle d'Ecker dans l'analyse 
quil donne de ce travail dans les Archives de Müller (1852). «Les 
» ailleurs, dit-il, ne trouvent nulle part de véritables glandes, 
» mais seulement des eryptes plats dans des plis en réseau. Au 
»Contraire, Stannius, dans son Anatomie comparée, indique de 
» petites glandes stomacales, évidentes chez les Trigles, ete. » 

Et cependant d’après cette description elles doivent exister; 
mais il est facile de reconnaître aux doutes de l’auteur et à l’obs- 
curité de certains passages, que les choses ont été vues impar- 
faitement et mal interprétées, et que de nouvelles observations 
seraient nécessaires. Ainsi, à la simple lecture du mémoireon voit 
bien que l'épithélium cylindrique ne doit pas recouvrir toute la 
surface des cryptes, comme le laisse entendre Vogt, et que les 
cellules rondes doivent former le contenu spécial de ces cryptes 
et ne pas recouvrir du tout l'épithélium cylindrique. Faut-il croire, 
comme le texte et les figures semblent le montrer, que l’épithé- 
lium cylindrique est formé de plusieurs couches superposées ? 
Pourquoi les cryptes, visibles quand on regarde la muqueuse par 


sa partie supérieure, ne le sont-ils plus sur des coupes verticales ? 
. Æsérie, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 4.) ® 45 


296 M. VALATOUR. — CGLANDES GASTRIQUES 


Dans l’ Anatomie comparée de Siebold et Stannius, publiée à Berlin 
de 1846 à 1848, Stannius, parlant des Poissons, dit : «Les glan- 
dules stomacales sont souvent très apparentes, et il met en note 
«chez les Trigla, Uranoscopus, Blennius, Gasterosteus, Cyclop- 
terus », et il n’ajoute pas un mot de plus. Il n’en décrit mi la 
forme, ni le contenu. 

Or que penser de ces glandes ? De lout temps on a parlé de 
cryptes muqueux (c’étaient les expressions employées) qui existe 
raient dans différentes parties du tube digestif des Poissons, et en 
particulier dans l’æsophage où il n’y a pas de glandes. 

Pour en finir avec les travaux publiés sur les glandes gas- 
triques des Poissons, il ne reste plus qu’à parler des observations 
de Leydig. Dans ses Anatomisch-histologische Untersuchungen 
über Fische und Reptilien, 1853, il décrit le tube digestif de l’Estur- 
geon et d’un Cyclostome, le Petromyzon Planeri : « Dans la 
» muqueuse stomacale de l’Esturgeon, écrit-il, se voient des 
» glandes, dontla véritable nature ne peut être reconnue que sur 
» des sujets très frais. Ce sont’alors des sacs cylindriques, très 
» courts, présentant ceci de remarquable que leur surface interne 
» est recouverte très régulièrement d’un épithélium cylindrique 
» transparent, qui laisse au milieu de la glande une cavité remplie 
» par un liquide. Cet épithélium cylindrique se continue à l’ouver- 
» ture des glandes avec celui de la muqueuse stomacale. Les cel 
» Jules de ce dernier diffèrent de celles des glandes par leur plus 
» grande longueur... Nulle part dans le reste du tube digestif, 
» on ne trouve de glandes semblables... Chez le Petromyzon 
» Planeri, 11 n’y à de glandes ni dans l'estomac, ni dans lintestin ; 
» mais l’épithélium cylindrique, épais de 0,006” à 0,008" (le 
» signe "” désigne les lignes), est garni de cils vibratiies. » 

Dans la même année 1853, les Archives de Müller contien- 
nent un mémoire de Leydig sur le Cobitis fossilis. L'estomac de 
ce Poisson ne lui paraît pas renfermer de glandes, mais son épi- 
thélium n’est pas formé de cellules identiques; il se compose 
d’une couche de cellules cylindriques, sur lesquelles reposent des 
cellules arrondies. La surface de l'intestin ne serait recouverte par 
aucun épithélium. Enfin, en 1857, Leydig fait paraitre son Hasto- 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 9297 


logie comparée (Lehrbuch der Histologre des Menschen und der 
Thiere). Dans le paragraphe 280, il dit : « Le tube digestif ne con- 
» tient pas toujours des glandes; ainsi je n’en trouve ni dans 
» l’œæsophage, ni dans l'estomac, ni,dans l'intestin du Petromy- 
» on fluviatilis, du Myæine et du Cobitis fossilis. » Et dans le 
paragraphe 282 qui traite des glandes gastriques : « La muqueuse 
» de l'estomac possède des glandes chez tous les Vertébrés, à 
» l'exception des Poissons que j'ai nommés. Chez les Plagiostomes, 
» les glandes gastriques ont la forme de cylindres terminés en 
» massue ; elles sont pressées les unes contre les autres. Chez 
» l’Esturgeon, ce sont des sacs cylindriques courts. Chez le Poly- 
» ptère, ce sont dans la partie antérieure de l’estomac des tubes 
» assez longs; mais vers le eul-de-sac de l'estomac, leur longueur 
» diminue en même temps que leur largeur augmente. Elles 
» deviennent tout à fait superficielles et figurent de larges cryptes, 
» et enfin se démembrent tout à fait. » 

Leydig n’en dit pas davantage sur les glandes gastriques des 
Poissons. A ce paragraphe sont jointes deux figures : l’une repré- 
sente une glande gastrique de l’Esturgeon; elle est très large, 
courte, recouverte sur toute sa surface interne par une seule 
couche de cellules cylindriques claires. Levdig la considère comme 
une vraie glande pepsique, car il l’appelle Labdrüse, glande à 
présure ; elle ressemble, par le contenu du moins, à une glande 
muqueuse de l'estomac des Mammifères. Est-ce bien là une 
glande pepsique? L'autre figure représente une glande gastrique 
de la Torpille. Le fond du tube seul est représenté. La surface 
interne est recouverte d’une seule couche de cellules arrondies 
contenant des granules et un noyau, et ressemblant à des cellules 
pepsiques. Il est long et étroit. Bien que Leydig avance hardiment 
qu'il existe des glandes gastriques chez tous les Vertébrés, excepté 
chez le Petromyzon fluviatilis, le Myxine et le Cobitis fossilis, 
je ne crois pas qu'il ait publié quelque part la description des 
glandes gastriques chez un Poisson osseux, un Poisson téléastéen. 
Il est étonnant qu'il ne dise rien des Cyprinoïdes, Admettrait-il 
qu’il existe chez eûx des glandes gastriques ? | 

Voilà, je crois, tous les travaux qui ont été publiés sur les 


228 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES 


glandes gastriques des Poissons. Du moins, j'ai parcouru tous les 
volumes des Archives de Müller, où se trouvent résumées par 
année les recherches microscopiques, et je n’y ai trouvé l’indica- 
tion d'aucun autre ouvrage. 

Si l'étude des glandes gastriques a été négligée chez les Pois- 
sons, il n’en a pas été de même chez les Mammifères domes- 
tiques. Aussi la structure de ces glandes y est-elle aujourd'hui 
parfaitement connue, ainsi que chez l'Homme ; et il est nécessaire 
avant de commencer les recherches sur l'estomac des Poissons, de 
résumer les connaissances acquises sur l'estomac des Mammi- 
fères. 

On y à reconnu deux sortes de glandes, de vraies glandes 
pepsiques et des glandes muqueuses ; les unes et les autres sont 
formées par des tubes isolés, ou réunis plusieurs ensemble en 
une sorte de patte d’oie. L'épithélium cylindrique, qui recouvre 
toute la muqueuse stomacale, s'étend jusqu’au fond des glandes 
muqueuses qui n’ont pas d'autre revêtement. Dans les glandes 
pepsiques, au contraire, il ne descend jamais profondément, et le 
reste du tube est rempli ou tapissé par des cellules à noyau arron- 
dies, finement granulées, et mesurant chez l'Homme de 0"",044 
à 0"*,02 en diamètre. 

Chez l'Homme, les glandes pepsiques simples occupent presque 
toute la muqueuse stomacale, les glandes pepsiques composées 
occupent une très petite partie voisine du cardia, et les glandes 
muqueuses occupent la région pylorique, ce qui a lieu le plus sou- 
vent chez les Mammifères. 

C'est Wasmann (De digestione nonnulla, 1839) qui, le pre- 
mier, reconnut dans l’estomac du Porc ces deux sortes de glandes. 
Les glandes muqueuses existent dans la région cardiaque et la 
région pylorique. 

Todd et Bowman (The Physiol. Anatomy and Physiology of 
Man, 1845-53) les retrouvèrent chez le Chien ; Kôlliker (His- 
tologie humaine, 1850-54) chez les Ruminants, le Cheval, le 
Lièvre, le Lapin et le Chat. Chez tous ces animaux, les glandes 
muqueuses n’occupent que la partie pylorique. Par une série de 
digestions artificielles entreprises avec le docteur Goll, Kôlliker 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 229 
(Histologie humaine) a démontré que le produit des glandes à cel- 
lules arrondies digère les substances albuminoïdes légèrement 
acidulées, et que le produit des glandes à épithélium cylindrique 
reste sans action sur ces substances. Ces dernières glandes auraient 
pour fonction de fournir avec le reste de l’épithélium stomacal le 


mucus gastrique, comme Todd et Bowman l'ont avancé les pre- 
miers. 


CHAPITRE I. 


Glandes gastriques dans les Poissons osseux dont l’estomac est manifeste. 


$ I. — Méthode d'observation. 


L'étude des glandes gastriques est possible seulement sur des 
animaux très frais, des animaux vivants ; surtout quand il s’agit 
des Poissons, très peu de temps après la mort, les épithéliums et 
le contenu glandulaire se sont décomposés. Il n’y avait donc pas 
lieu de faire un choix parmi les Poissons ; il fallait me contenter 
de ceux que je pourrais avoir en vie. C’est pourquoi j'ai étudié 
l’Anguille, le Brochet, la Perche et quelques Cyprinoïdes, entre 
autres la Carpe, la Tanche et le Gardon. Mais ici les circonstances 
m'ont assez bien servi, car ces Poissons appartiennent à des 
groupes éloignés, et m'ont présenté chacun des particularités. J’ai 
pu répéler sur des Poissons de mer quelques-unes des observa- 
lions faites sur ces Poissons d’eau douce. 

J'ai observé les parois intestinales fraiches et préparées de dif- 
férentes manières ; cela est indispensable : un seul mode d’obser- 
vation ne peut conduire à des résultats satisfaisants ; les observa- 
tions ont besoin d’être variées pour se compléter et s’éclairer les 
unes les autres ; 1l faut une sorte d’expérimentation. 

L'examen des muqueuses fraiches montre les cellules épithé- 
_liales et le contenu glandulaire à l’état naturel. £es coupes, faites 
au couteau double, doivent être mises dans l’eau salée, et non pas 
dans l’eau pure qui gonfle et déforme toujours les cellules. Il es 


230 M. VALATOUR. -—— GLANDES GASTRIQUES 


quelquefois utile de se servir du compresseur pour étendre et dila- 
ter les parties. Mais l'observation des muqueuses fraiches laisse 
toujours à désirer, parce qu’elles contiennent des fibres élastiques 
et des fibres musculaires, et que, par suite, les coupes se contour- 
nent le plus souvent, et ne permettent plus de voir la véritable 
forme et la disposition dés parties. En même temps, les cellules 
épithéliales et les cellules glandulaires se détachent facilement et 
se mêlent. C’est, je crois, pour avoir seulement étudié des esto- 
macs non dureis, que Vogt n’a pas mieux reconnu la structure de 
l'estomac de la Truite. Il faut donc étudier des muqueuses dessé- 
chées après avoir été convenablement préparées. Ces préparations 
préalables ont pour but de conserver toutes les parties en les modi- 
fiant quelquelois d’une manière utile. 

J'ai traité les parois intestinales de deux manières avant de les 
dessécher ; je les place dans l'alcool à 40 degrés, ou dans le car- 
bonate de potasse concentré; je les y laisse pendant une quinzaine 
d'heures, puis je les retire, les étends sur une plaque de liége et 
les laisse sécher. Une fois que les tissus sont secs, on peut faire 
au scalpel d'excellentes coupes ; les épithéliums eux-mêmes sont 
parfaitement conservés. Ces coupes sont placées dans de l’eau, où 
elles s'étendent et reprennent bientôt en quelques secondes leur 
volume primitif. On peut alors les observer au microscope ; Si la 
coupe provient de tissus consèrvés dans l'alcool, en faisant passer 
de l’acide acétique entre les deux verres qui la renferment, on la 
rend très transparente. En même temps, le tissu cellulaire surtout 
se dilate considérablement, et toutes les parties deviennent très 
facilement observables. Si, ensuite, l’on traite par l'acide nitrique, 
cet acide colore certaines parties, par exemple, les épithéliums, 
les contenus glandulaires et les fibres musculaires; le tissu cellu- 
laire reste incolore ; toutes ses parties deviennent alors plus recon- 
naissables encore, et prennent plus de relief. Je ne traite pas 
d’abord par l'acide nitrique, parce que cet acide contracte les 
tissus. Je commence par les dilater avec l'acide acélique, qui me 
permet déjà un certain nombre d'observations ; puis j'ajoute l'acide. 
nitrique, s’il est nécessaire, pour compléter ces observations, sans 
avoir à faire de nouvelles coupes. Je n’ai pas employé la soude, 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 231 


parce que, même étendue, elle rend les coupes beaucoup trop 
transparentes. 

Quand les tissus ont été traités par le carbonate de potasse, les 
coupes sont d’une très grande transparence. 

Enfin j'ai employé aussi la macération plus ou moins prolongée 
dans l’acide acétique et dans l’eau ; la macération dans l'acide acé- 
tique rend les cellules très apparentes ; quand elle se prolonge, 
elle désagrège complétement le tissu curé de la muqueuse, et 
dissocie les glandes après avoir coagulé, solidifié, le contenu. La 
muqueuse se réduit en une espèce de pulpe, qui, au microscope, 
paraît une agglomération de glandes et de cellules épithéliales. La 
forme des glandes ainsi séparées et durcies se reconnaît alors très 
bien, ainsi que le contenu. | 

La macération dans l’eau détruit, au contraire, les épithéliums 
et le contenu glandulaire, et met en évidence le réseau dont est 
creusée la muqueuse, et dans les mailles duquel étaient contenues 
les glandes. 

J'ai eu recours à tous ces procédés, et quand j'ai voulu étudier 
un Poisson, je me suis procuré cinq intestins de ce Poisson : l'un 
d'eux à été observé frais, le second a été placé dans l'alcool à 
40 degrés , le troisième dans le carbonate de potasse concentré , 
le quatrième dans l'acide acétique et le cinquième dans l’eau. 

Si l’on n'avait à sa disposition qu’un seul individu, pour en faire 
l'étude, il faudrait partager l'intestin, dans sa longueur, en deux 
parties symétriques, étudier l’une fraiche, et placer l’autre dans 
l'alcool à 40 degrés. Un intestin frais, placé ainsi dans l'alcool, 
donne des résultats très satisfaisants ; ce serait un moyen d’étu- 
dier le tube digestif des Poissons qu'on ne peut avoir vivants dans 
le lieu où l’on se trouve. 

Le plus souvent j'ai répété les observations un grand nombre 
de fois ; les choses ne sont pas tellement évidentes, qu’on puisse 
être assuré d’avoir bien vu du premier coup, et, dans tous les cas 
douteux où imprévus, j'ai répété les observations tant que j'ai pu 
espérer voir mieux. 

J'ai étudié les mêmes coupes avec des grossissements variables. 
Ceci est très utile; les faibles grossissements donnent plus de 


232 M. VALATOUR. -— GLANDES GASTRIQUES 

champ, plus de clarté, montrent les parties dans leur ensemble et 
leurs rapports; les forts grossissements sont nécessaires pour 
étudier les détails. Le microscope dont je me suis servi est un 
microscope Nachet, petit modèle, avec des grossissements variables 
centre 80 et 600 diamètres environ. Les mesures ont été prises au 
micromètre oculaire; j'avais d’abord déterminé la valeur de cha- 
eune de ses divisions pour les différents objectifs avec le micro- 
mètre objectif : les mesures se prennent ainsi très rapidement. 


$ II. — L'’Anguille. 


L'estomac de l’Anguiile se compose, comme celui de la plupart 
des Poissons, de trois parties : un cul-de-sae, une branche car- 
diaque et une branche pylorique. Mais, tandis que le plus souvent, 
dans les animaux de celte classe, cette dernière est perpendicu- 
laire à la branche cardiaque, ici elle lui est parallèle, de telle sorte 
que le cul-de-sac se divise à sa partie antérieure en deux tubes, 
situés tous les deux dans son prolongement, et appliqués l’un 
contre l’autre. Dans cette partie, il est nécessairement plus large 
que chacun des deux tubes; mais il se rétrécit vers sa partie posté- 
rieure, et forme un cône très allongé, au moins quand il est vide, 
car, lorsqu'il contient des aliments, les dimensions peuvent en 
varier beaucoup. La branche cardiaque constitue avec l’œsophage 
un tube ayant le même diamètre dans toute son étendue, et plus 
long encore que le cul-de-sac. Ces différentes dispositions sont 
en harmonie avec la forme du corps; le corps étant allongé et 
étroit, les parties sont elles-mêmes allongées et pressées les unes 
contre les autres. Il n’était pas inutile d’insister sur la direction 
de la branche pylorique : c’esten tenant compte de cette direction 
que l’on peut expliquer certaines différences dans l’arrangement 
des tuniques musculaires de ces régions. 

Un étranglement très prononcé sépare la branche pylorique de 
l'intestin, ct marque extérieurement la fin de lestomae ; au con- 
traire, rien dans l’apparence extérieure ne permet de distinguer 
l’œsophage de l’estomae, si ce n’est une plus grande transparence 
des parois. Le lube qui se porte du cul-de-sac à la bouche est 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 239 
opaque comme le cul-de-sae, sur une très petite longueur voisine 
de la branche pylorique, et beaucoup plus transparent dans tout 
le reste de son étendue : c’est à cette partie plus transparente que 
l'on a donné le nom d’'æsophage; elle est au moins aussi longue 
que l'estomac, a 5 ou 6 centimètres de long sur une Anguille de 
taille moyenne. Si l'on ouvre tous ces organes, et qu'on en exa- 
mine la surface interne, on voit que l'aspect n’en est pas partout 
le même; la muqueuse de l'estomac est épaisse, veloutée, opaque ; 
celle de l’œsophage est plus mince, plus transparente, plus sèche; 
la muqueuse du cul-de-sac est jaunètre ; celle de la branche pylo- 
rique, qui lui ressemble du reste en tous points, est blanche. Voilà 
donc trois muqueuses différentes : il faudra savoir si ces diffé- 
rences d'aspect correspondent à des différences réelles de struc- 
ture, et quelles sont ces différences. 

Le cul-de-sac est bien certainement un estomac : 1l est suscep- 
tible d’une grande dilatation, en même temps qu'il est très con 
tractile ; les aliments y font un long séjour, et s’y transforment en 
chyme; il est acide quand il contient des aliments ; la surface de 
ces aliments est elle-même acide. Quant à l'œsophage, comme 
aucun étranglement nele sépare de l'estomac, qu'il forme avec lui 
un même sac, el que souvent la proie trop volumineuse pour 
tenir dans le cul-de-sac remplit aussi l’œsophage, on pourrait à la 
rigueur le considérer comme faisant partie de l'estomac : dans 
l'estomac du Cheval, la muqueuse de la portion cardiaque pré- 
sente ainsi tons les caractères de la muqueuse œsophagienne. En 
tout cas, cet œsophage de l’Anguille diffère en quelque chose par 
ses fonctions de celui des Mammifères, puisque les aliments y 
séjournent. e 

A l'extrémité du canal pylorique existe une valvule très déve- 
loppée, sous laquelle s'ouvre le canal cholédoque qui est court; 
immédiatement derrière cette valvule, la muqueuse change com 
plétement; dans l'estomac, elle est lisse, unie, ne présente que 
quelques plis longitudinaux peu élevés ; dans l'intestin elle est 
couverte de plis très nombreux, très élevés, dirigés dans tous les 
sens, et anastomosés eulre eux de manière à circonserire de pro- 
fondes alvéoles. 


234 M. VALATOUR. —- GLANDES GASTRIQUES 


Voyons maintenant quelle est la structure microscopique de 
toutes ces parties; examinons d’abord la surface de la muqueuse 
œsophagienne ; on n’y voit aucun indice de glandes, mais elle est 
partout couverte d'un épithélium formé de grosses cellules arron- 
dies qui ne sont pas comprimées les unes contre les autres, puis- 
qu'elles conservent la forme ronde, mais sont séparées par une 
matière intercellulaire jaune, épaisse, opaque, dans laquelle elles 
paraissent empâtées. En quelques points, il semble même qu’une 
cellule se soit rompue, se soit détachée, et que la place en soit 
restée vide. Quand on racle cette surface avec un scalpel, on enlève 
une couche d'apparence muqueuse qui se montre au microscope 
entièrement formée de semblables cellules; elles ont un contenu 
granuleux et un noyau. Dans les parties profondes, il semble 
exister des cellules beaucoup plus petites, presque réduites à leur 
noyau. Sur des coupes, on reconnaît qu'il n’y a aucune glande, 
que les cellules ne sont pas aplaties; qu'au contraire, elles sont 
allongées, ovoïdes, et que le plus grand diamètre en est perpen- 
diculaire à la muqueuse. Il y en a toujours plusieurs les unes au- 
dessus des autres dans l'épaisseur de l'épithélium; mais elles ne 
forment pas de véritables couches, parce que leur longueur varie, 
et qu’elles se placent ainsi à des hauteurs différentes. L’épaisseur 
de l’épithélium est elle-même variable ; elle est le plus souvent de 
0°*,05 ou 0**,06. La hauteur des cellules est de 0" ,03 ou 0"",04 
le plus souvent. Il n’y en a que deux ou trois dans l'épaisseur de 
l'épithélium ; leur diamètre, quand on le regarde par la partie 
supérieure, est d'environ 0°*,018. Cet épithélium est donc de la 
nature des épithéliums pavimenteux, mais plutôt ce que Henle 
appelle, dans son Anatomie générale, un épithélium de transition, 
formant le passage entre le véritable épithélium pavimenteux et 
l'épithélium cylindrique. Pour bien s'assurer que l’épithélium est 
complet, comme je l’ai décrit, que les parties supérieures ne sont 
pas détachées, il faut l’observer au fond des plis longitudinaux qui 
couvrent en grand nombre la surface de l’æsophage. Au fond de 
ces plis, les épithéliums qui couvrent les deux faces opposées sont 
en contact, et il y a tout lieu de croire que chacun d’eux est com- 
plet. Eh bien, dans ces plis, l’épithélium est, comme je l’ai décrit, 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 235 


uniquement formé par de grosses cellules ovoïdes, perpendicu- 
laires à la surface, et le plus souvent sur deux rangs d'épaisseur. 
Quant aux petites cellules dont j'ai parlé et qui existeraient dans 
la profondeur, on ne les voit pas nettement sur les coupes, sans 
doute à cause de leur petitesse ; mais elles peuvent exister à la sur- 
face de la muqueuse sous les grosses cellules. 

L’estomac est couvert lui aussi d’un épithélium, mais tout dif- 
férent de celui de l’œsophage sous tous les rapports. Quand on le 
regarde par la partie supérieure, il est composé de cellules poly- 
sonales, le plus souvent à six ou cinq côtés, exactement compri- 
mées les unes contre les autres, séparées seulement par de minces 
lignes amorphes, formant une mosaïque très régulière, qui con- 
trasie d’une manière frappante avec l’épithélium œsophagien. 

Les pièces de cette mosaïque sont beaucoup plus petites que les 
cellules de cet épithélium ; le diamètre en est moindre environ de 
moitié. Elles sont très claires, tandis que l’épithélium æsophagien 
est obscur, trouble. | 

Quand on examine des coupes faites à travers l'estomac, on 
voit que l’épithélium est formé d’une seule couche de cellules 
cylindriques très allongées ; les cellules détachées montrent très 
nettement dans leur intérieur un noyau ovoïde, situé à peu près 
au milieu de la hauteur, et sur l'extrémité libre un bord épaissi. 

L’épithélium stomacal est donc bien un épithélium cylindrique ; 
il apparaît sur la muqueuse, dès que celle-ci change d’aspect ; 
c’est à lui qu’elle doit, sans doute, son apparence veloutée. Il n’y 
a pas transition insensible d’un des épithéliums à l’autre; ils se 
trouvent en contact avec tous leurs caractères des deux côtés 
d’une ligne plus ou moins sinueuse et irrégulière. Des îlots de 
l’épithélium cylindrique se montrent quelquefois complétement 
enclavés au milieu des cellules de l’épithélium pavimenteux. 

À quelque distance seulement de cette ligne commencent à se 
montrer des taches rondes jaunâtres, quand on les éclaire par 
transmission ; blanches, quand on les éclaire par réflexion, et qui 
donnent beaucoup d’opacité à la muqueuse. Elles sont d’abord 
réunies par petits groupes, laissant entre eux de larges intervalles 
couverts par l’épithélium stomacal. Le nombre des taches com- 


236 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 

prises dans chaque groupe augmente en même temps que les 
groupes se rapprochent, et bientôt les taches couvrent uniformé- 
ment toute la muqueuse; 1l reste toujours entre elles de petits 
intervalles où se voit l’épithélium cylindrique. Quand on a disposé 
le microscope pour voir neltement l’épithélium, il faut l'abaisser 
pour voir nettement ces taches qui paraissent alors formées de 
granules. Elles correspondent donc à des cavités pleines de gra- 
nules, et l’on peut même suivre l’épithélium cylindrique jusque 
dans ces cavités ; on le voit s’infléchir sur leur bord et y des- 
cendre. Si l'on traite par la potasse ou par la soude, les taches 
disparaissent, la muqueuse devient très transparente, el se montre 
composée d’un réseau, dont les mailles étaient tout à l'heure occu- 
pées par les taches. Dans quelques-unes de ces mailles, on voit 
encore des granules jaunâtres ; en comprimant un peu ils arrivent 
au contact de la potasse et disparaissent. 

Les parois des mailles n'ont pas toutes la même épaisseur ; il y 
a comme des mailles de différents ordres : des mailles à parois 
épaisses circonserivant un certain nombre de mailles à parois plus 
minces. On peut encore faire apparaïilre ce réseau en laissant 
macérer la muqueuse pendant longtemps dans l’eau, ou en la 
comprimant sous le compresseur. Quand on la comprime ainsi, 
on voit les taches se décomposer en granules qui s’écoulent, et à 
leur place restent des mailles. 

Pour étudier la forme de ces cavités, et surtout leur contenu, il 
faut faire des coupes sur des muqueuses fraiches avec le couteau 
double ; on reconnaît alors que chaque tache correspond à un véri- 
table tube, dans lequel l’épithélium eylindrique descend jusqu’à 
une certaine profondeur, et dont le reste est occupé par de petites 
cellules rondes remplies de granules qui les rendent très obscures ; 
elles sont pressées en grand nombre les unes contre les autres. Si 
l’on comprime un peu la coupe, les cellales vont sortir, mais sans 
se séparer ; elles forment de petites masses ; elles semblent réunies 
par un liquide mucilagineux ; elles sont tellement pleines de gra- 
nules qu'on n’en peut distinguer les parois, et qu'on pourrait les 
prendre pour des agglomérations de granules agglutinés ensemble, 
d'autant plus que le noyau est caché d'ordinaire par les granules. 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 237 


Quelquefois les noyaux sont très apparents sous forme de petites 
taches pâles transparentes, et le contour des cellules n’est pas 
discernable. Si la coupe a été mise dans de l’eau et non dans 
l’eau salée, les cellules éclatent, et ce ne sont plus des cellules qui 
sortent des glandes, mais seulement des granules. Le diamètre 
des cellules est d'environ 0"",01, celui des granules de 0"",001. 
Ils sont animés du mouvement brownien quand ils sont libres. 

Pour bien reconnaitre la forme de ces tubes, ce n’est plus sur 
des muqueuses fraîches qu'il faut opérer, mais sur des muqueuses 
qui commencent à se dessécher, où mieux encore préparées , 
comme je l’ai dit, avec l'alcool où avec le carbonate de potasse. 
On voit alors que ce sont bien des tubes simples dans toute leur 
étendue ; peut-être y a-t-il en quelques points des tubes formés 
par la réunion de plusieurs autres, comme on en trouve dans 
l'estomac de l'Homme ; mais quand les coupes étaient très nettes, 
j'ai toujours vu les tubes simples ; les dimensions en sont variables : 
la longueur est le plus souvent de 0"",8, la largeur de 0"",015. 
La partie occupée par l'épithélium stomacal est environ le tiers ou 
le quart de la longueur totale ; ces dimensions sont variables. 
Quand les coupes sont faites sur des pièces préparées par l'alcool, 
le contenu esttoujours obseur, et a conservé à peu près son aspect. 
On augmente beaucoup la clarté de ces coupes en les traitant par 
l'acide acétique ; si l’on traite ensuite par l’acide nitrique, les tubes 
pepsiques se colorent en jaune, et prennent plus de relief encore ; 
en même temps, les noyaux des cellules pepsiques apparaissent 
sous forme de taches pâles. Quand les coupes sont faites sur des 
pièces préparées par le carbonate de potasse, les tubes sont très 
transparents ; ils sont parsemés de petites taches pâles très nettes, 
régulièrement espacées ; ces taches doivent être-les noyaux des 
cellules pepsiques. 

Si on laisse macérer un estomac pendant longtemps dans l'acide 
acétique, la surface de la muqueuse se réduit en une pulpe; celte 
pulpe, observée au microscope, est formée par les cellules de 
l’épithélium cylindrique, et par les tübes gastriques dont le contenu 
s’est solidifié. Ces tubes ont conservé le même aspect; sur ceux 
qui sont isolés, on voit très bien les cellules pepsiques avec leur 


238 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


noyau; quelques-unes sont hbres. Les tubes ne sont pas entiers; 
la partie épithéliale s’est séparée de la partie pepsique. 

Comme l’on comprime pour isoler ces tubes, ceux-ci sont le 
plus souvent brisés : en les faisant courir sous le microscope, on 
voit très bien que ces fragments sont cylindriques, et ce sont là 
certainement des tubes pepsiques, offrant par leurs dimensions et 
leur contenu la plus grande ressemblance avec ceux des Mammi- 
fères ; ils sont simples ; le cul-de-sac n’est nullement ramifié ni 
divisé. Ils existent dans toute l’étendue du cul-de-sac; on n’en 
trouve plus un seul dans la branche pylorique. 

La muqueuse de cette branche, observée par sa partie supé- 
rieure, n’est plus obscure comme celle du eul-de-sa; elle est 
très claire et laisse voir très nettement l'épithélium cylindrique. 
Elle est percée de distance en distance d'ouvertures entourées 
d’une sorte d’auréole sombre; les ouvertures sont assez rappro- 
chées pour que les auréoles se touchent. Le diamètre de ces 
auréoles est variable ; il est de 0“*,09 en moyenne; le diamètre 
des ouvertures est en moyenne de 0*",03. Les bords de ces 
ouvertures sont plus ou moins rapprochés. Elles semblent con- 
tractiles. Tantôt les bords se touchent, et l’ouverture se réduit à 
une fente; d’autres fois ils s’écartent, et l’ouverture est triangu- 
laire ou arrondie. Si l’on fait des coupes, on reconnait que chaque 
ouverture correspond à un large tube, recouvert sur toute sa sur- 
face par l’épithélium cylindrique clair. Sur des pièces fraîches ces 
tubes se voient très bien. Ils se touchent presque. Leur profon- 
deur est seulement de 0"",15, leur largeur est de 0"",03,. Il existe 
toujours une cavité dans leur centre. Quand on laisse macérer 
l'estomac dans l’acide acétique, la muqueuse du canal pylorique 
ne se réduit pas en pulpe, comme celle du cul-de-sac. Ces tubes 
ressemblent tout à fait aux glandes que Leydig a décrites dans 
l'estomac de l’Esturgeon, et qu'il a considérées comme des glandes 
pepsiques, et ressemblent aussi beaucoup aux glandes muqueuses 
que l’on trouve dans la région pylorique de l'estomac des Mam-— 
mifères; ce sont certainement les analogues de ces glandes. Il y 
a donc dans l’estomac de l’Anguille, comme dans l'estomac des 
Mammifères, une partie pepsique et une partie muqueuse, si l'on 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 239 


peut ainsi parler, et celle partie occupe, comme chez les Mammi- 
fères, la région pylorique. L'existence exclusive dans ces tubes de 
cellules tout à fait semblables par leur forme et leur contenu à 
celles de l’épithélium qui recouvre toute la surface de l'estomac, 
me paraît démontrer que cet épithélium fournit une sécrétion ; car 
les cellules des tubes ne peuvent pas avoir d’autre fonction que 
de sécréter. 


$ III. — La Perche. 


Chez la Perche l'estomac présente encore un cul-de-sac, une 
branche pylorique et une branche cardiaque. Mais toutes ces par- 
ties, au lieu d'être allongées comme dans l’Anguille, sont larges 
et courtes, et la branche pylorique n’est plus pressée contre la 
branche cardiaque, elle lui est perpendiculaire. 

Un étranglement très prononcé sépare encore la branche pylo- 
rique de l'intestin; aucun étranglement ne sépare l'estomac de 
l’æsophage. Si l'on ouvre ces organes, on reconnait que la mu- 
queuse æsophagienne et la muqueuse stomacale sont encore lisses, 
ou du moins ne présentent que quelques plis longitudinaux. Au 
contraire, la muqueuse intestinale se relève en un grand nombre 
de plis très élevés et anastomosés entre eux. Une valvule existe 
au pylore : derrière cette valvule viennent s'ouvrir dans l'intestin 
trois appendices pyloriques, très larges, presque aussi grands 
chacun que le cul-de-sac de l'estomac; à la base de l’un de ces 
appendices débouche le canal cholédoque qui est court. 

L'æsophage est excessivement court d’une manière absolue et 
proportionnellement à l'estomac. Il ne s'étend pas jusqu’à la 
branche pylorique, comme chez l’Anguille, et bien que le tube, 
qui s'étend du cul-de-sac à la bouche, soit très petit, 1l n’occupe 
qu’une très petite partie de ce tube. Sa surface présente un grand 
nombre de plis microscopiques. Elle est couverte d’un épithélium 
tout à fait identique avec celui qui existe sur l’æsopbage de l'An 
guille. La muqueuse du cul-de-sac offre aussi tous les mêmes carac- 
tères que celle du eul-de-sac de l'estomac de l’Anguille; elle est 
couverte du même épithélium cylindrique et contient des glandes 


210 M. VALATOUR, —-- GLANDES GASTRIQUES 

pepsiques en tubes simples tout à fait semblables, remplis des 
mêmes cellules pepsiques. De même les glandes commencent à 
quelque distance de la ligne de séparation entre l’épithélium œso- 
phagien et l’épithélium stomacal. Elles sont d'abord par petits 
groupes isolés, qui se rapprochent ensuite, et couvrent régulière- 
ment toute la surface. 

Cette ressemblance n'existe plus qu'en partie dans la branche 
pylorique; cette branche est encore tout à fait dépourvue de glandes 
pepsiques ; elle est claire, couverte de l’épithélium cylindrique, 
mais sa surface ne présente plus les mêmes ouvertures; il n’y a 
pas de tube muqueux, mais à leur place un très grand nombre de 
plis fort sinueux. Sur les coupes transversales, l'apparence est 
absolument la même que sur les coupes faites à travers la mu- 
queuse du canal pylorique de l’Anguille. Les coupes des plis 
figurent des coupes de larges tubes partout recouverts de l’épithé- 
lium cylindrique. 

La profondeur de ces dépressions et leur largeur sont à peu 
près les mêmes que les dimensions correspondantes dans les tubes 
muqueux de lAnguille. I ne faut pas attacher d'importance à 
cette différence. Les organes sécréteurs du mucus sont les cellules 
de l’épithélium eylindrique; dans les régions où il doit se faire 
une abondante sécrétion de mucus, ces cellules doivent être aussi 
très abondantes. Comme elles ne forment qu'une seule couche, 
il faut alors que la surface qui les porte se multiplie beaucoup; 
dans ce but elle se creusera de larges tubes, comme dans l'An- 
guille, ou de longues dépressions flexueuses, comme dans la 
Perche : le résultat final sera toujours le même. Dans la Perche 
comme dans l’Anguille, le canal pylorique est donc le siége d’une 
abondante sécrétion muqueuse. 


$ IV. — Le Brochet. 


Chez le Brochet, l’estomac ne présente plus la forme type. II 
n'a plus de branche pylorique; il est composé d’un tube simple, 
séparé de l'intestin par un étranglement et prolongé en avant par 
un œsophage de même largeur que lui. Cet œsophage est très 


[DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 241 


long, comme chez l’'Anguille, au moins aussi long que l’estomac 
et non plus rudimentaire comme chez la Perche; chez un Brochet 
de taille moyenne il a de 5 à 6 centimètres de long. La surface de 
l’æsophage et celle de l'estomac offrent identiquement le même 
aspect que chez les Poissons précédents. La surface intestinale 
s'en distingue encore d’une manière frappante; elle n’est plus 
couverte de longs plis anastomosés, mais de petites lames en 
forme de papilles ; le canal cholédoque ne s’ouvre plus immédia- 
LS derrière la valvule pylorique, mais à une certaine distance, 
4 ou 2 centimètres. Le canal cholédoque n’est plus court comme 
dans les Poissons précédents, il est très allongé; la vésicule du 
fiel restant près de la partie antérieure de sers et le pylore 
s'étant beaucoup éloigné. 

L’estomac est très nettement acide, comme celui de la Perche, 
quand il contient des aliments. 

Si l’on étudie toutes ces parties au microscope, on reconnait 
que l’æsophage est encore couvert du même épithélium pavimen- 
teux, l'estomac du même épithélium cylindrique. La muqueuse 
stomacale renferme de nombreuses glandes gastriques pressées 
les unes contre les autres, ce sont toujours des tubes simples 
offrant une partie épithéliale et une partie pepsique, et tout à fait 
semblables à ceux de l'Anguille. La muqueuse stomacale offre à 
l'œil nu deux aspects différents : dans la région pylorique elle est 
blanche, comme dans la branche pylorique de l’Anguille; dans le 
reste de l'estomac, elle est jaunâtre. 

C’est dans la partie jaunâtre qu'existent les glandes pepsiques 
simples dont je viens de parler. Dans la région pylorique, les 
glandes sont un peu différentes; la muqueuse observée par la 
partie supérieure présente toujours des ouvertures circulaires; mais 
elles sont plus espacées et surtout ne sont plus obscures, comme 
les ouvertures des glandes pepsiques ordinaires; elles sont aussi 
claires que le reste de la muqueuse. En faisant des coupes, on 
reconnaît qu’à chaque ouverture correspond un tube ayant 0"",08 
de largeur environ et 0"",15 de profondeur, et recouvert dans toute 
son étendue par l’épithélium cylindrique clair. Tout près du py- 
lore, les glandes paraissent se réduire à ce tube; mais à une dis- 


4° série. Zoor, T. XVI, (Cahier n° k.; 4 46 


212 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


tance même très faible, on voit plusieurs petits tubes pepsiques, 
trois ou quatre aboutir, au fond de cette première glande; ils 
peuvent avoir alors 0"",03 de long et 0"",012 de large. A mesure 
que l’on s'éloigne du pylore, ces petits tubes pepsiques s’allongent 
et s’élargissent en même temps; ils se rapprochent et se pressent 
bientôt les uns contre les autres, leur nombre paraît diminuer dans 
chaque groupe et ils passent aux glandes pepsiques de la partie 
moyenne de l'estomac (1. 


Ve 


Parmi les Poissons que j'ai pu observer vivants, la Perche, le 
Brochet, l’Anguille sont les seuls qui aient un véritable estomac; 
mais j'ai encore recherché les glandes gastriques chez un certain 
nombre de Poissons de mer, le Maquereau, le Hareng, le Merlan 
et la Sole. Ces Poissons n'étaient plus assez frais dans l’état où je 


(4) Dans plusieurs des Brochets que j'ai ouverts, j'ai trouvé sur la surface de 
l'estomac, quelle que füt l'époque de l'année, un certain nombre de petits tuber- 
cules blanchâtres, visibles à l'œil nu , les uns présentant une ouverture à leur 
sommet, les autres complétement fermés. On reconnaît au microscope que ces 
tubercules sont de véritables kystes vermineux à parois épaisses, situés dans la 
muqueuse. Tous ceux qui présentent une ouverture sont vides, les autres, au 
contraire, contiennent un ver nématoïde, un spiroptère, je crois, de 4 millimètre 
de long au moins sur 0"%,03 de large environ, plus ou moins enroulé sur lui- 
même en spirale, Quand le ver est à l’intérieur du kyste, il est immobile ; quand 
on le retire, qu'il est devenu libre, il exécute des mouvements rapides. Dans des 
muqueuses abandonnées à l’air ou dans l'eau depuis plus de huit jours, les vers 
qu'on retire des kystes sont encore vivants. 

Des kystes vermineux ont été reconnus dans l'estomac de certains Poissons 
de mer, mais je ne crois pas qu'on en ait jamais signalé dansle Brochet ; et cepen- 
dant leur existence me paraît très fréquente ; je les ai trouvés dans la moitié 
environ des Brochets que j'ai ouverts. 

Dans l'estomac d'un Brochet j'ai trouvé onze grands vers trématodes fixés par 
leur ventouse buccale à la paroi de la muqueuse ; ces vers étaient certainement 
des Distoma tereticolle. D'après Dujardin (Histoire naturelle des Helminthes) le 
Distoma tereticolle se trouve assez communémenten Allemagne et dans le Dane- 
marck, entre les plis de l'estomac des vieux Brochets, mais n’a jamais été trouvé 
en France. 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 213 
les ai observés, il ne fallait pas songer à faire sur eux une étude, 
complète des glandes gastriques. Les épithéliums n’existaient plus ; 
mais les glandes étaient encore assez apparentes pour qu'on en 
püt reconnaître l'existence, la forme tubulaire et le contenu obscur, 
jaunâtre et granuleux. Ce n’est pas en de pareils cas qu’on peut 
rechercher si les tubes sont simples ou se réunissent plusieurs 
ensemble, ce qui a peu d'importance; mais on reconnaît bien 
qu'il y a des tubes allongés. A défaut des épithéliums, j'ai reconnu 
l’œsophage à l'absence des glandes; le canal pylorique en est aussi 
dépourvu. 

Chez le Maquereau, le Hareng et le Merlan, l'estomac présente 
la forme type. Il est composé d’une branche cardiaque, d’un cul- 
de-sac et d’une branche pylorique. La: branche pylorique est 
longue, perpendiculaire au cul-de-sac, au moins à son origine, 
toujours séparée de l'intestin par un étranglement. La branche 
cardiaque se continue tout d’une venue, sans changement de dia- 
mètre avec l'æsophage. Nous avons vu que chez l’Anguille l'esto- 
mac ne commence guére qu’à l'embouchure de la branche pylo- 
rique; la branche cardiaque est très réduite, l’œsophage très 
allongé. Chez la Perche, au contraire, la branche cardiaque s’al- 
longe aux dépens de l’œsophage dont la longueur devient très 
petite. 

Les Poissons que nous étudions maintenant se rapprochent 
de la Perche. Bien que le tube qui conduit du eul-de-sae à la 
bouche, soit assez long, il est occupé presque entièrement par la 
branche cardiaque ; l’œsophage est très court. Chez le Maquereau, 
où le canal formé par l’œsophage et l'estomac, non compris la 
branche pylorique, a 12 centimètres de long, le eul-de-sac a 
seulement 5 centimètres. 

Dans le Merlan, la partie formée par l’œsophage et la branche 
cardiaque est encore plus longue à proportion; le cul-de-sac est 
très petit. Chez le Hareng, cette partie est au contraire plus courte 
que le cul-de-sac, mais reste encore assez longue. 

Chez ces trois poissons, il y a de nombreux appendices pylo- 
riques, qui viennent s’insérer dans l'intestin immédiatement après 
le pylore. La fonction de ces organes n’est pas encore connue. 


2h M, VALATOUR., — CLANDES GASTRIQUES 


Ils sont certainement destinés à fournir une abondante sécrétion. 
Leur muqueuse a la même structure que celle de l'intestin. Comme 
il n'y a pas de glandes, la sécrétion doit être fournie par les cel- 
lules épithéliales, les mêmes que celles qui existent dans l'intestin. 
Il faut en conclure que l’épithélium intestinal lui-même produit 
une sécrétion importante, et peut-être cette sécrétion jouit-elle 
de propriétés spéciales, et supplée à celles qui semblent manquer 
chez les Poissons. Dans son mémoire sur le pancréas, inséré 
dansles Suppléments aux Comptes rendus, M. CI. Bernarddit avoir 
étudié le liquide qui remplit l'intestin, et lui avoir trouvé les 
mêmes fonctions qu'au mélange de bile et de sue pancréatique 
qui existe dans l'intestin des Mammifères, et pour lui ce mélange 
est le liquide digestif par excellence; le vrai liquide digestif n’est 
pas le suc gastrique, comme le pensait Spallanzani. Si. l'estomac 
manque réellement chez les Cyprinoïdes, ce serait une preuve en 
faveur de cette manière de voir, et comme le pancréas semble 
manquer, il faut bien chercher, ainsi que le laisse entendre 
M. Cl. Bernard, des organes équivalents dans les cellules épi- 
théliales. 

L’estomac de la Sole est entièrement différent de tous ceux que 
nous avons examinés jusqu'ici. Il est composé d’un tube droit 
sans branche pylorique, s’ouvrant largement en avant dans l'œso- 
phage et en arrière dans l'intestin. Nulle part il n'existe d’étran- 
glements; mais à sa terminaison même du côté de l'intestin 
il forme une petite dilatation, une petite courbure, un commence- 
ment de cul-de-sac. Le pylore se reconnait à la différence d'aspect 
de la muqueuse stomacale et de la muqueuse intestinale : la pre- 
mière est, comme à l’ordinare, lisse et veloutée, la seconde cou- 
verte de plis réticulés. 

Au microscope, on reconnait un œsophage qui a À centimètre 
de long sur une Sole, chez laquelle le tube s'étendant de la bouche 
au pylore avait 4 centimètres. C’est proportionnellement une lon- 
gueur assez grande , si l’on se rappelle le Merlan ou le Maque- 
reau. La muqueuse de cet æsophage ne renferme pas de glandes, 
mais sa surface offre comme toujours des plis nombreux longi- 
tudinaux ; elle est couverte de l'épithélium æsophagien, semblable 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 245 
à celui des autres Poissons. Cette Sole était tellement fraiche, que 
l'épithélium œsophagien était très bien conservé. La muqueuse 
stomacale renferme des glandes tubulaires pepsiques, très recon- 
paissables. Les glandes tubulaires n'existent plus dans l'intestin, 


La Lotte commune ou de rivière (Gadus lota). 


Parmi les Poissons de la famille des Gades, qui comprend les 
Merlans, les Morues, etc., il en est un qui remonte les rivières et 
qu'on peut se procurer vivant à Paris, c’est la Lotte. Il était inté- 
ressant d’en étudier les glandes gastriques en le prenant pour type 
de Ja famille. 

Son estomac présente un cul-de-sal, une branche pylorique et 
une branche cardiaque. Celle-ci est très développée, le cul-de-sac 
est très réduit, ainsi que la branche pylorique. L'œsophage est 
court : sur la Lotte que j'ai examinée il avait 1 centimètre de long, 
tandis que la branche cardiaque avec le eul-de-sac en avait 5. 
Il est recouvert par l’épithélium pavimenteux ordinaire et manque 
de glandes. L’estomac est recouvert par l’épithélium cylindrique 
ordinaire, sa muqueuse contient dans la branche cardiaque et le 
cul-de-sac des glandes pepsiques en tube. Quelques-uns de ces 
tubes paraissent simples dans toute leur longueur, mais presque 
tous semblent se réunir par deux, trois, quatre ou cinq, ou même 
plus, en un tube unique, et forment ainsi un tube divisé tout à fait 
semblable aux glandes de l'estomac humain, figurées et décrites 
sous le nom de glandes utriculaires composées, dans l’Histologie 
de Külliker. Ils ont, sur des coupes failes dans la partie moyenne 
de l'estomac, 0"",5 de long et 0*",045 de large ; le premier quart 
environ est revêtu par l’épithélium cylindrique, le reste est rempli 
par les cellules pepsiques. Ils ne sont plus régulièrement pressés 
les uns contre les autres, laissant à peine entre eux un intervalle 
appréciable, comme chez l’Anguille ou le Brochet; ils sont par 
groupes de dix, vingt ou trente environ, séparés par des intervalles 
assez larges, de 0°",02 par exemple. Dans la branche pylorique 
les glandes pepsiques manquent complétement, on ne trouve plus 
que l'épithélium cylindrique. 


246 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


CHAPITRE JI. 


Détermination des différentes parties du tube digestif dans les Gyprinoïdes, 
particulièrement la Carpe et la Tanche. 


8 VI 


Chez les Cyprinoïdes, le tube digestif, d’abord formé d’un canal 
étroit et très court ressemblant beaucoup à un æsophage, se renfle 
subitement, et ne présente plus en aucun point ni étranglemient, 
ni cæcum, qui indique un estomac. Presque à l’origine de cette 
partie renflée vient s'ouvrir le canal cholédoque , et la surface 
interne présente des plis nombreux analogues à ceux de l'intestin 
des autres Poissons, et nullement cet aspect velouté et lisse qui 
caractérise l’estomac. Dans la Carpe seule, au lieu de plis, existent 
des ouvertures circulaires, très visibles à l’œil nu; ces plis ou 
ces ouvertures se retrouvent dans toute l’étendue de la muqueuse 
jusqu'à l’anus ; ils varient seulement de grandeur. Puisque le tube 
présente le même aspect dans toute sa longueur, il est tout entier 
inteslin ou tout entier estomac; mais il ressemble bien plus à un 
imtestin, et d’ailleurs le canal cholédoque s'ouvre toujours au com- 
mencement de l'intestin; et il a été démontré, au moins dans les 
Mammifères, que la bile, en se mélangeant avec le suc gastrique, 
détruit son action dissolvante. D'un autre côté, le canal étroit, par 
lequel commence le tube digestif, est très court (il a À centimètre 
environ chez les Carpes dont le corps mesure 32 centimètres 
de long jusqu'à l’origine de la queue; chez la Tanche, il est plus 
long; chez une Tanche dont le corps mesure 25 centimètres 
de long jusqu’à l'origine de la queue, il a près de 2 centimètres). 
Sa muqueuse à la même apparence que celle de l’œsophage ; les 
aliments n'y séjournent pas : c’est probablement un œsophage. II 
n y aurait donc pas d'intermédiaire entre l'œsophage et l’intestin ; 
l'estomac n’existerait pas. Voyons quelles sont les opinions des 
auteurs à ce sujet. Dans la première édition de l’Anatomie com 
parée, 1805, Cavier dit : « Dans les Carpes, on ne peut distinguer 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 247 


» l'estomac du reste du canal alimentaire. » Dans la seconde édi- 
tion revue par Duvernoy (1835), le canal étroit qui précède la 
partie renflée est regardé comme répondant à la fois à l’œsophage 
et à l'estomac ; la partie renflée tout entière est un intestin, l’œso- 
phage et l'estomac sont à l’état rudimentaire. Cependant, dans 
l'Histoire des Poissons (Cuvier et Valenciennes, 1842), la partie 
renflée est encore considérée comme un estomac jusqu’à la pre- 
mière courbure. Pour Meckel (Anatomie comparée, 1836), la pre- 
mière circonvolulion de la partie renflée correspond aussi à 
l'estomac. Stannius (Anatomie comparée, 1848) dit que, dans 
certains Poissons, les Cyprins entre autres, l'estomac n’est pas 
distinct de l'æsophage. Enfin Weber {comme je lis dans le pré- 
cieux ouvrage de M. Milne Edwards sur l’Anatomie et la physio- 
logie comparées) regarde (Archives de Meckel, 1827) la partie 
comprise entre l'insertion du canal cholédoque et l’origine de la 
partie renflée comme l'estomac. Bischoff est, je crois, le seul qui 
ait étudié la question, à l’aide du microscope, dans le mémoire 
que j’ai déjà cité, el auquel je renvoie; je rappellerai seulement 
qu'il regarde les tubes de la muqueuse de la Carpe comme des 
glandes gastriques, et que, ces tubes n’existant pas dans les autres 
Cyprins, il leur refuse un estomac. Quant à la partie étroite, c’est 
pour lui un œsophage, il le reconnait à l’épithélium. 

Je dois ajouter ici que, quand les chimistes ont voulu étudier le 
sue gastrique des Poissons, c’est assez souvent à la Carpe qu'ils se 
sont adressés. C’est ce qu'ont fait MM. Leuret et Lassaigne (Rech. 
physiol. et chim. sur la digestion, 1825) : « Nous avons appliqué, 
disent-ils, du papier de tournesol sur la membrane interne de 
l'estomac de la Carpe, et il a constamment rougi comme dans un 
acide. » Je suppose que, pour eux, l’estomac est la première cir- 
convolution de l'intestin, et elle est presque toujours mouillée par 
la bile. Je l’ai souvent trouvée alcaline, je ne l’ai jamais trouvée 
acide. 

Ainsi, pour Duvernoy et pour Stannins, l’œæsophage et l'esto- 
mac se confondent dans la partie étroite. Quelle doit en être alors 
la structure microscopique ? Pour Cuvier et Meckel, l'estomac est 
la première circonvolution de la partie renflée. Le microscope 


218 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES 

peut-il montrer quelque différence entre la muqueuse de cette 
première circonvolution et la muqueuse de l'intestin des autres 
poissons ? J’ai cherché à répondre à ces deux questions. 

J'ai étudié la muqueuse de la partie étroite par tous les procédés 
dont j'ai déjà parlé, sur le frais et sur des pièces préparées par 
l'alcool ou le carbonate de potasse; je l'ai étudiée successivement 
chez la Carpe, la Tanche et le Gardon ; je lai trouvée tout à fait 
semblable à la muqueuse œsophagienne de la Perche ou du Bro- 
chet. Elle ne renferme pas de glandes, mais sa surface forme un 
très grand nombre de plis, et se trouve couverte d’un épithélium 
pavimenteux semblable à celui de l’æsophage des autres poissons, 
c’est-à-dire formée de grosses cellules ovoïdes, perpendiculaires 
à la surface; les cellules ne m'ont paru différer en rien de celles 
des autres Poissons. J'en conclus que cette partie étroite est un 
œsophage, et uniquement un œsophage qui n’est pas plus rudi- 
mentaire que chez la Perche ou les Poissons de mer que j'ai étu- 
diés. Pour répondre à la seconde question, il fallait observer la 
muqueuse intestinale de l’Anguille et de la Perche, c’est ce que 
j'ai fait. 

Que l’on observe là muqueuse intestinale des Cyprinoïdes, de 
l’Anguille ou de la Perche, on lrouve identiquement les mêmes 
résultats. La surface est couverte d’un épithélium cylindrique 
formé d’une seule couche de cellules : on le reconnait sur des 
coupes transverses faites sur le frais ou sur les pièces préparées. 

Pour bien voir cet épithélium, il suffit de gratter la surface de 
la muqueuse avec un scalpel : on enlève des lambeaux muqueux 
composés entièrement des cellules épithéliales. Placées dans l’eau 
salée, sous le microscope, les unes se présentent droites, les autres 
couchées. Les premières forment, comme l’épithélium stomacal, 
une véritable mosaïque ; les secondes forment des groupes de 
cylindres plus ou moins réguliers, accolés parallèlement les uns 
aux autres. Sur ces tubes couchés, l’on voit parfaitement un noyau 
intérieur avec un nucléole situé au milieu de la hauteur du tube, 
et un bord renflé, celui de lextrémité qui était libre. Ce bord 
n'existe pas toujours, quand les cellules sont groupées plusieurs 
ensemble ; il existe souvent quand les cellules sont isolées; il 


DANS LES FOISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 249 
parait quelquefois s’être détaché. Le noyau est granuleux ; il y à 
aussi quelques granules dans la cellule. 

Quand on traite par l’acide acétique, les cellules qui se présen- 
tent de face et forment une mosaïque montrent un gros noyau 
dans chaque pièce de la mosaïque. On voit encore très bien cet 
épithélinm en opérant sur des muqueuses qui ont séjourné quel- 
ques heures dans l'acide acétique. 

Si l’on étudie ainsi, dans la Perche ou dans l’Anguille, les cel- 
lules épithéliales de l'intestin et celles de l’estomac isolées, on n'y 
voit guère de différence ; mais si on les étudie sur place au moyen 
des coupes, ou bien dans des groupes, on reconnaît certaines dif- 
férences qui permettent de les distinguer. Sur les coupes, l'épi- 
thélium stomacal est toujours très clair; les lignes de séparation 
entre les cellules sont très nettes, très régulières, à très peu près 
parallèles. Dans l'intestin, il n’en n’est plus de même ; les cellules 
sont toujours obscures ; elles paraissent plus étroites, plus pres- 
sées, plus intimement unies ; les lignes de séparation se distin- 
guent bien, mais elles ne sont plus aussi nettes, aussi régulières. 
Les cellules semblent former une sorte de feutrage, tout en restant 
à peu près parallèles. Ceci n’est pas particulier aux Poissons. 

Külliker, dans son Histologie humaine, ne parle pas de l’épi- 
thélium stomacal, mais il dit : « Les cellules de l’épithélium intes- 
» tinal sont unies entre elles d’une manière si intime, que, peu 
» d'instants même après la mort, on ne voit pas, ou l’on ne voit 
» qu'indistinctement, leur contour quand on les examine de 
» profil. » 

Cela est vrai pour l'intestin des Poissons; mais dans l'estomac, 
les contours de l’épithélium sont très nets. 

Or, dans la partie renflée du tube digestif des Cyprinoïdes, 
l’épithélium est tout à fait semblable à celui de l'intestin de l'An- 
guille et de la Perche, et non pas à l’épithélium stomacal de ces 
mêmes Poissons. 

On ne peut étudier la muqueuse par la partie supérieure, à cause 
des nombreux plis qui se superposent; il faut l’étudier sur des 
coupes. On reconnait alors, sur une Perche par exemple, de 
nombreuses dépressions qui ressemblent tout à fait à des coupes 


250 M. VALATOUR., — GLANDES GASTRIQUES 


de larges tubes, mais ne correspondent pas à des tubes, ils corres- 
pondent à des plis. Ces plis se touchent presque, sont séparés seu- 
lement par de minces lames cellulaires ; ils sont recouverts dans 
toute leur étendue par l’épithélium cylindrique que je viens de 
décrire. Le tissu cellulaire qui en forme la charpente constitue une 
couche d’une certaine épaisseur entre eux et les couches muscu- 
laires ; on n’y reconnaît aucune glande. 

Les coupes faites en différents points de la partie renflée du tube 
digestif de ia Carpe, de la Tanche ou du Gardon, présentent iden- 
tiquement la même apparence, à la grandeur des tubes près. Les 
ouvertures circulaires, visibles sur l'estomac de la Carpe, corres- 
pondent bien à de longs tubes parfaitement cylindriques ; mais 
l'apparence est la même que sur une coupe faile à travers l’intes- 
tin d’un Gardon. Ces tübes doivent être considérés comme une 
manière d’être des plis; ils forment un réseau ; cependant on 
pourrait les comparer aux glandes de Lieberkühn des Mammi- 
fères ; dans les autres Cyprinoïdes, ces glandes seraient suppléées 
par les plis de la muqueuse. 

De tout cela, il me semble résulter que la partie renflée du tube 
digestif des Cyprinoïdes est bien un intestin, ne différant en rien 
de l'intestin d’un Poisson à estomac, de l'intestin d’une Perche par 
exemple. 

Je n’y vois aucun organe sécréteur spécial n’existant pas dans 
l'intestin des autres Poissons. L’estomac manquerait donc com- 
plétement chez les Cyprinoïdes ; il ne serait confondu ni avec 
l'æsophage, ni avec l'intestin ; il n’existerait pas. C’est là un fait 
bien extraordinaire; même en réduisant beaucoup l'importance 
que l’on accordait au sue gastrique, ce suc a toujours des fonctions 
à remplir ; le régime des Cyprinoïdes ne suffit pas pour expliquer 
son absence. 

I y a parmi les Mammifères et les Oiseaux des espèces dont le 
régime est plus essentiellement végétal que celui des Cyprinoïdes, 
et cependant elles ne manquent pas d'estomac. 

Dans l'Histoire naturelle des Poissons de Cuvier et de Valen- 
ciennes, on lit que ces Poissons, les moins carnassiers de tous, se 
jettent cependant sur les Vers et les Insectes, et doivent être 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 251 


pêchés, à certaines époques, à la Mouche ou au Ver. Quelques 
espèces de Cyprins attaquent aussi les petits Poissons. 

Il existe sur le palais des Cyprinoïdes un organe particulier 
qui n'existe pas dans la bouche des autres Poissons. Il est formé 
d’une couche épaisse d’un tissu mou, en apparence homogène, 
et recouvert d’une muqueuse blanche, rappelant un peu celle 
de la partie pylorique de l’estomac, et se continuant avec la mu- 
queuse du reste de la bouche qui paraît plus mince et plus sèche. 
Ne fournirait-il pas une sécrétion pouvant suppléer la sécrétion 
gastrique ? 

M. Milne Edwards dit, dans sa Physiologie comparée, que la 
Carpe, après s'être gorgée d'aliments, en fait souvent remonter 
des portions de son estomac jusque dans son arrière-bouche pour 
les écraser entre les dents pharyngiennes, et que le même phéno- 
mène a été constaté chez la Tanche et la Brème. Les aliments ne 
reviennent-ils pas aussi dans la bouche pour s'imbiber du liquide 
qui serait fourni par l'organe palatin ? Il importe d'étudier la struc- 
ture microscopique de cet organe ; c’est ce qu'ont déjà fait Davaine 
et Leydig; il ne me restait qu'à vérifier leurs résultats au point de 
vue où je me plaçais. 

Cuvier (Anatomie comparée, 1'° édit.) regarde cet organe 
comme une glande, et, pour lui, le tissu glandulaire est la masse 
même de l'organe, et non la muqueuse qui le recouvre. Duver- 
noy (Anatomie comparée de Cuvier, 2° édit.) ajoute qu’on ne con- 
naît pas à cette glande d'organes excréteurs apparents, et que les 
mucosités dont sa face est couverte paraissent transsuder par des 
pores invisibles. Or Davaine (Mémoires de la Société de biclogie), 
et plus tard Leydig (Lehrbuch der Histologie), ont démontré que 
la masse de l’organe est formée par des faisceaux de fibres museu- 
lires striées qui s’entrecroisent. Davaine aurait trouvé en même 
temps des fibres lisses ; Leydig n'a vu que des fibres striées. Dans 
son Histologie, il décrit l'organe palatin comme formé par ces 
muscles, des nerfs très abondants, un tissu cellulaire vasculaire, 
et des cellules de graisse plus où moins nombreuses; « il est 
» recouvert, dit-il, par une muqueuse qui ne se comporte pas 
» autrement que celle de l’arrière-bouche. » Ces résultats, si loin 


252 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 

de ceux que l'on prévoyait, montrent combien le microscope est 
nécessaire pour la détermination des organes. Davaine regarde cet 
appareil comme destiné à faciliter la déglulition; Leydig confirme 
cette manière de voir. 

Les premières fois que l’on observe cet organe, on est frappé 
de son irritabilité et de sa contractililé ; sa surface est parcourue 
spontanément par des sortes d’ondulations, dirigées de la bouche 
à l'intestin, et ressemblant jusqu’à un certain point à des mouve- 
ments de déglutition. Si on la touche, le point touché se soulève 
en un mamelon qui persiste un certain temps, puis s’efface ; si l'on 
fait passer à travers l'organe un courant électrique, il se contracte 
énergiquement à la manière des muscles striés. Ces phénomènes 
se produisent encore sur un organe séparé depuis assez long- 
temps du corps de l’animal. Si l’on observe une coupe transver- 
sale faite sur le frais ou sur des pièces préparées, l’on reconnait 
que cet organe est formé, daos presque toute son épaisseur, par 
des fibres musculaires striées, au milieu desquelles existent des 
cellules graisseuses. Cette graisse est abondante chez la Carpe et 
chez la Tanche ; elle existe à peine chez le Gardon. Au-dessus de 
ces muscles existe une très mince couche de tissu cellulaire, 
recouverte par un épithélium semblable à celui de l’œsophage, 
formé comme lui de cellules ovoides superposées ; ces cellules 
paraissent un peu plus petites, et forment un plus grand nombre 
de couches. Sur le frais, cette partie cellulaire s’enlève facilement 
de l'organe comme une muqueuse, emportant toujours avec elle 
des fibres musculaires entrecroisées. La surface n’est pas unie; 
elle offre des ouvertures circulaires correspondant à de petits 
tubes, visibles dans leur longueur sur les coupes transversales, et 
dans leur largeur sur les coupes parallèles à la surface. Ces tubes 
sont larges et courts; leur profondeur varie un peu avec les 
régions. Les fibres musculaires supérieures ne sont pas parallèles 
à la surface ; elles sont un peu obliques de haut en bas, se relèvent 
autour des cryptes. Ces cryptles sont partout recouverts du même 
épithélium que le reste de la surface ; je n’y ai pas trouvé de con- 
tenu spécial. Ils ne se trouvent pas sur loute la surface; en cer- 
tains points, il existe seulement de larges mamelons peu élevés, 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS, 9253 


laissant entre eux d’étroiles vallées, qui ont le même aspect que 
les ervptes sur les coupes transversales. 

Il ne paraît done pas qu’il y ait là une sécrétion comparable à la 
sécrétion gastrique ; il doit y avoir une sécrétion assez abondante, 
mais de même nature que celle fournie par l’épithélium buccal. 
J'ai appliqué du papier de tournesol à la surface de cet organe ; 
il n’a pas rougi, même quand j'avais irrité la muqueuse avec du 
poivre. 

A la suite de cet appareil, entre lui et l’œsophage, existe encore 
un organe, dont le microscope a fait connaitre, il y a une dizaine 
d'années, la véritable nature : je veux parler du tubercule solide 
qui remplit la fossette de l’occipital inférieur, et contre lequel 
viennent frapper les dents pharyngiennes. M. Molin (Sitzungs- 
berichte der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, 1850), 
a démontré que ce n’est autre chose qu’une callosité, un épaissis- 
sement de l’épithélium. I l’a étudié chez le Cyprinus carpio, la 
Tinca chrisitis, le Barbus fluviatilis, V'Abrahamis Brama, le 
Leuciseus lobula, le Chondrostoma nasus. 

Cette callosité se détache facilement de l’apophyse de l’occipi- 
tal; si l’on en fait une coupe, on voit que la muqueuse se pro- 
longe au-dessous d'elle ; que la surface de cette muqueuse présente 
des plis recouverts par des cellules polygonales, pressées les unes 
contre les autres qui s'accumulent sur une très grande épais- 
seur, et forment le tubercule; près de la muqueuse, leur noyau 
est très net, et leur contenu est granuleux, obscur; à mesure 
qu’elles s’éloignent, elles deviennent plus claires. 

Ainsi, dans les Cyprinoïdes que j'ai étudiés spécialement, la 
Carpe, le Gardon, la Tanche, je crois qu'il n’existe ni dans la 
bouche, ni dans l’œsophage, ni dans l'intestin, une sécrétion équi- 
valente à la sécrétion gastrique; du moins, je n’y trouve aucun 
organe contenant des cellules semblables à celles des tubes gas- 
triques de l’Anguille, par exemple. Du reste, si une pareille sécré- 
tion existait dans l'intestin, elle devrait avoir d’autres propriétés 
que le suc gastrique des Mammifères, puisqu'elle se trouverait 
mêlée à la bile ; il en serait de même si elle existait dans la bouche, 
et si les aliments revenaient pour s’en imprégner, après avoir 


254 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 
+ 


séjourné dans l'intestin. Faut-il conclure que la digestion se fait 
uniquement par l’action de la bile et du liquide fourni par les cel- 
lules épithéliales de l'intestin, cellules qui ne me paraissent dif- 
férer en rien de celles de l'intestin des autres animaux? Certes, ce 
serait là un fait bien étonnant, qui ne confirmerait guère l’opinion 
par laquelle la bile est considérée comme inutile à la digestion. Le 
suc gastrique n'existe pas; en faut-il conclure que son action est 
de peu d'importance ? Mais le pancréas n'existe pas non plus, ou 
du moins on peui le croire ; on a signalé, il est vrai, dans la Carpe 
un organe qu'on regarde comme un pancréas ; on l’a aussi trouvé 
dans la Brème ; mais on n’en parle plus pour les autres Cypri- 
noïdes ; le suc pancréatique est-il donc aussi inutile ? M. CI. Ber- 
nard répond en disant que les cellules épithéliales peuvent former 
un pancréas sans cesse renaissant. Ce qui me parait en effet évi- 
dent, c’est l’importance de la sécrétion épithéliale. Comment se 
fait, en réalité, la digestion chez les Cyprinoïdes? On ne peut le 
dire ; il faudrait une étude de la bile, du fluide fourni par le pré- 
tendu pancréas et de la sécrétion épithéliale. 

Il y a là des difficultés qu’il ne serait pas inutile de résoudre ; 
c'est en étudiant les modifications que la nature introduit dans les 
phénomènes, qu’on peut arriver à comprendre ces derniers. 
L’anatomie et la physiologie comparées, en même temps qu’elles 
nous offrent le magnifique spectacle de la création, peuvent seules 
résoudre complétement les problèmes que présentent les fonctions 
dans les Vertébrés supérieurs. En elles se trouve toute la philo- 
sophie de la science. Que de découvertes de la plus grande im- 
portance se succèdent depuis une vinglaine d'années dans l'étude 
des animaux inférieurs! 

Les Cyprinoïdes ne seraient pas les seuls Poissons dépourvus 
d’un estomac. D’après Duvernoy (Anatomie comparée de Cuvier, 
2° édition), les Loches, et presque tous les Labroïdes et les 
Gobioïdes, sont dans le même cas. 

D'après Stannius (Anatomie comparée), l'estomac n’est distinet 
de l’œsophage ni par une dilatation, ni par des particularités de 
texture, non-seulement dans les Cyprins, mais encore dans les 
Cyclostomes, les Cobilis, plusieurs Pleuronectes ; les £xocetus, 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 9255 


Hemiramphus et Bellone, parmi les Pharyngognathes; les La- 
broïdes, les Lophobranches, les Balistes et Ostracions, parmi les 
Plectognathes ; les Symbranchus, chez les Anguilliformes ; enfin 
plusieurs Blennius, Gobius, etc. 

N'ayant pas observé ces Poissons, je ne sais ce qu'il en est, 
Dans son Æistologie comparée, Leydig cite, comme ayant un tube 
digestif complétement privé de glandes, le Petromyzon fluvia- 
his, le Myxine et le Cobitis fossilis. Cependant, dans un travail 
sur le Cobitis fossilis où Loche (Archives de Müller, 1853), il 
admet qu'il y a un estomac dans ce Poisson, « L'œsophage, dit-il, 
est court; sa muqueuse forme de longs plis reliés en réseau et 
manque de glandes (Duvernoy considérait cette partie comme un 
estomac rudimentaire) ; l'estomac s'étend jusqu'à la fin du foie, il 
parait manquer de glandes ; l’épithélium est formé par deux cou- 
ches de cellules : une couche profonde de cellules cylindriques et 
une couche superficielle de cellules rondes; la muqueuse de l'in 
testin ne parait recouverte par aucun épithélium. » Pourquoi don- 
ner à la première partie de ce tube le nom d'estomac, puisqu'il n’y 
a pas de glandes? Sans doute, à cause des deux épithéliums ; il est 
bien singulier de voir ainsi une couche de cellules rondes au-des- 
sus de l’épithélium cylindrique; Leydig ne dit pas quel en est le 
contenu, n1 quel en peut être l’usage. 

La chose est assez remarquable et vaudrait la peine qu’on y 
regardt : ces cellules doivent fournir un produit nécessaire à la 
digestion, comme les cellules épithéliales de l'intestin des Cypri- 
noïdes ; autrement la digestion se ferait uniquement par Ja bile, 
car on ne signale pas de pancréas. 


CHAPITRE IV. 
Glandes de l’œsophage et de l’estomac dans la Grenouille et le Crapaud. 


Jai voulu comparer les glandes gastriques des Poissons à celles 
des Vertébrés les plus voisins, c’est-à-dire les Batraciens ; je dési- 
rais encore observer dans ces animaux les glandes œsophagiennes 
qui n'existent pas dans les Poissons. 

L 


256 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


Bischoff le premier(Ueber den Bau der Magenschleimhaut dans 
Müller’s Arch., 1838) a recherché, au microscope, des glandes 
dans le tube digestif des Batraciens ; il a opéré sur la Rana escu- 
lenta, la Salamandra maculata et le Triton palustris : « L'æso- 
» phage et l'estomac ont, dit-il, un épithélium cylindrique, qui est 
» couvert de cils vibratiles dans toute la longueur de l’œsophage ; 
» l’estomac contient non pas de véritables cylindres, mais de 
» simples eryptes pressés les uns contre les autres ; ils existent 
» seulement dans l'estomac, et ne se retrouvent ni dans l’æso- 
» phage, ni dans l’intestin. 

» Dans l’œæsophage existent d'ordinaire d’autres glandes qui 
» sont en grappe. Tout est semblable chez la Grenouille et chez le 
» Triton palustris. » 

Bischoff n’a observé ces glandes que par la partie supérieure ; 
il n’a pas fait de coupes. Son travail était insuffisant ; il a été repris 
par Leydig (Anatomisch-histologische Untersuchungen über F'ische 
und Reptilien, 1853). D’après lui, «les glandes æsophagiennes 
» n'existent pas dans la Salamandra maculata ; elles existent chez 
» la Rana temporaria etle Proteus anguinus. Chez les Grenouilles, 
» elles sont visibles à l'œil nu, ne présentent rien de particulier, 
» ne sont que de simples excavations peu profondes en forme de 
» sac, recouvertes de cellules grandes de 0,0120”, dont les pro- 
» fondes sont arrondies, ont un contenu finement granuleux et un 
» noyau clair. Les ouvertures des glandes sont plus étroites que 
» les glandes elles-mêmes. 

» Sur la muqueuse œsophagienne du Protée, les glandes sont 
» si grosses, qu’on les voit bien à l'œil nu isolées comme de 
» petits tubercules. Au microscope, elles paraissent des sacs 
» arrondis avec une ouverture étroite et un contenu cellulaire. 
» Dans l'estomac, les glandes consistent en de petits sacs formant 
» des groupes; les cellules qui les remplissent sont à différents 
» états : elles sont tantôt claires et tantôt plus ou moins granu— 
» leuses. » Leydig n’a rien ajouté dans son Histologie comparée. 

Pour Bischoff, les glandes œsophagiennes sont en grappe. 
Leydig ne parait pas du tout les considérer comme des glandes en 
grappe ; et, d’après sa description, on ne sait trop quelle doit en 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 257 


être la forme ; il semble qu'elle soit la même que celle des glandes 
gastriques. 

Dans la Grenouille, l'estomac et l'æsophage forment un même 
tube qui va en se rétrécissant vers la partie postérieure, et se 
continue sans étranglement avec l'intestin. Intérieurement l’œso- 
phage, l’estomac et l'intestin, se distinguent à l'œil nu par les 
mêmes caractères que dans les Poissons ; la muqueuse stomacale 
est lisse, épaisse, veloutée, opaque, présente quelques gros plis 
longitudinaux. Sa surface est très fortement acide, ainsi que celle 
des aliments qui y sont contenus. La muqueuse intestinale offre 
de nombreux plis transverses, minces et élevés. Immédiatement 
après le pylore où n'existe aucune valvule, elle est d’un jaune 
orangé ; le canal cholédoque s’insère assez loin de l’estomac, à 
1 centimètre environ. L’œsophage est long, à peu près autant que 
l'estomac; sa muqueuse est mince, transparente, du moins dans 
les points où elle ne contient pas de glandes; en effet, si on la tend, 
on voit qu’elle renferme un très grand nombre de glandes quisont 
très visibles à l'œil nu, forment de petites masses blanches lobulées, 
et présentent tout à fait l'apparence des glandes en grappe. 

Si l’on étudie cette muqueuse au microscope par sa partie supé- 
rieure, on voit qu'elle est partout couverte d’un épithélium vibra- 
ile ; les ouvertures des glandes ne se voient pas, soit parce 
qu’elles se trouvent cachées dans les nombreux plis longitudinaux, 
soit parce que les glandes donnent beaucoup d’opacité à la mu- 
queuse. Ces dernières apparaissent encore comme des masses 
lobulées ; mais, pour reconnaitre leur véritable structure, il faut 
faire des coupes perpendiculaires. J'ai fait ces coupes, comme 
pour les Poissons, sur des muqueuses complétement fraîches, sur 
des muqueuses qui étaient étendues sur un liége depuis une heure 
ou deux, et qui commençaient à se dessécher, mais où les coupes 
n'étaient encore possibles qu'au couteau double, et dans lesquelles 
le mouvement ciliaire existait encore ; ce mouvement persiste très 
longtemps ; enfin sur des muqueuses préparées par l'alcool ou le 
carbonate de potasse. 

Sur ces coupes, l’on reconnait que l’épithélium vibratile est 


formé d'une seule couche de grandes cellules cylindriques, dont 
4° série. Zoo. T. XVI. (Cahier n° 8)1 17 


258 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES 


l'extrémité libre est recouverte d’un bord épaissi portant les cils 
vibratiles. Ces cellules sont troubles avec un contenu granuleux. 
ont un aspect tout à fait caractéristique. Quand elles sont en place, 
on ne voit pas leur noyau ; mais quand elles sont détachées, ce 
noyau est très apparent ; il est situé le plus souvent au milieu de Ja 
hauteur. Au-dessous de cette couche de cellules existe une très 
mince couche obscure, formée de noyaux comme chez les Pois- 
sons. Sur les muqueuses préparées à l'alcool, ces cellules vibra- 
iles ont encore le même aspect trouble et le même contenu, tan 
dis que sur des pièces ainsi préparées, les cellules de l'épithélium 
œsophagien des Poissons paraissent vides. 

Si les coupes ont été faites sur des muqueuses tout à fait 
fraiches, la véritable forme des glandes œsophagiennes ne se dis- 
tingue pas bien ; on voit seulement qu’elles sont formées de gros 
cylindres remplis de cellules rondes, à contenu granuleux, sem- 
blables à des cellules pepsiques, ayant environ de 0®",01 à 0°*,02 
de diamètre; leurs granules sont assez gros comme ceux des 
cellules pepsiques. En traitant par l'acide acétique, on rend les 
cellules plus évidentes encore ; elles deviennent alors très obscures, : 
d’un jaune foncé, comme les cellules pepsiques dans les mêmes 
circonstances. 

Mais si les coupes sont faites sur des muqueuses desséchées, on 
parvient à reconnaitre que les glandes œsophagiennes ressem- 
blent beaucoup à des glandes en grappe; elles ont un long canal 
excréteur, étroit, perpendiculaire à la surface de la muqueuse, 
qui se divise à la partie inférieure en deux, trois ou quatre bran- 
ches; chacune d'elles se divise à son tour, et les divisions reçoi- 
vent un certain nombre de cylindres ou de sacs plus ou moins 
longs et plus ou moins larges ; c’est dans ces cylindres seulement 
qu’existent les cellules rondes semblables aux cellules pepsiques. 
On voit nettement le tube excréteur, ses premières divisions et 
les culs-de-sac terminaux tout autour de la masse de la glande. 
Le corps de la glande se trouve à peu près au milieu du tissu cel- 
lulaire épais qui existe entre l’épithélium et les couches museu- 
laires. Le canal excréteur est recouvert d’un épithélium, dont les 
cellules sont différentes des cellules des culs-de-sae. Il paraît 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 259 


s'ouvrir assez souvent au fond de dépressions de la muqueuse 
recouvertes par l’épithélium vibratile. Sur des coupes parallèles à 
la surface, on peut trouver des sections de ces canaux excréteurs. 
(Le plus souvent la longueur du canal excréteur est de 0°",2; sa 
largeur de 0"",02 ou 0"",03. La largeur de Ia partie lobulée est 
de 0"",7 ou 0"",8 ; sa hauteur de 0"*,3. Je donne ces dimensions 
pour qu’on prenne une idée de la grandeur des glandes; elles 
n’ont rien d’absolu, elles varient beaucoup.) 

Quand on fait des coupes sur des muqueuses préparées à l’al- 
cool, les glandes sont très obscures, d’un jaune foncé, comme les 
glandes pepsiques des poissons. Pour bien les distinguer, il faut 
faire passer sur la coupe de l'acide acétique qui donne de la trans- 
parence; si ensuite l’on fait passer de l'acide nitrique, on fait 
apparaître dans les culs-de-sac, comme dans les cylindres gas- 
triques des Poissons, de petites taches pâles, ambrées, transpa- 
rentes, très régulièrement espacées, qui peuvent déjà se voir après 
le traitement par l'acide acétique, mais se montrent toujours très 
bien dans les circonslances que je viens d'indiquer; les formes 
sont alors très nettes. Ces mêmes taches, qui sont les noyaux des 
cellules, sont très apparentes immédiatement, sur les coupes 
faites à travers les muqueuses préparées au carbonate de potasse. 
Nous avons vu que la même chose avait lieu pour les tubes gas- 
triques des Poissons. Nous retrouvons tous ces caractères dans 
les glandes uastriques de la Grenouille. Ces glandes œsophagiennes 
produisent-elles une sécrétion semblable à la sécrétion gastrique ? 
Je n’ai pastrouvé la surface de l’œæsophage acide, quand celle de 
l'estomac l'était. 

Ces glandes n’existent pas sur les parties tout à fait antérieures 
de l’æsophage. Quand elles se montrent, elles sont d’abord assez 
éloignées, peu volumineuses ; le nombre en augmente un peu plus 
loin, ainsi que l'étendue. Tout près de l’estomac, elles paraissent 
de nouveau diminuer de grandeur , en même temps elles se rap- 
prochent de la surface, et passent aux glandes gastriques, avec 
lesquelles leurs euls-de-sac ont quelquelois une grande ressem- 
blance. Sur certaines de ces glandes, les euls-de-sac s’allongent et 
se rétrécissent, et prennent tout à fait l’aspect de cylindres. Sur 


260 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


des coupes faites dans les premières parties de l'estomac, on peut 
voir un mélange, de formes diverses, résultant de la simplification 
plus ou moins avancée des glandes œsophagiennes. 

Si de la muqueuse œsophagienne nous passons à la muqueuse 
stomacale, nous en sommes tout de suite avertis, comme chez les 
Poissons, par le changement d’épithélium. Avec l’æsophage cessent 
les cellules vibratiles, et sur l'estomac existe un épithélium eylin- 
drique entièrement semblable à l'épithélinm stomacal des Pois- 
sons : comme lui, il forme, quand on le regarde par la partie 
supérieure, une magnifique mosaïque, dont les pièces sont le plus 
souvent hexagonales ou pentagonales. Toute la surface de Ja 
muqueuse est couverte de taches jaunes, indices des glandes gas 
triques, comme chez les Poissons. Sur les coupes faites toujours 
par les mêmes procédés, on reconnaît que ces taches correspon- 
dent à de véritables cylindres, à de véritables tubes : je ne sais 
pourquoi on veut leur refuser ce nom. La longueur et la largeur 
en varient sur une même coupe, et à plus forte raison dans l’éten- 
due de l'estomac; mais dans la partie moyenne, j'en mesure un 
grand nombre qui ont 0"",3 de long sur 0"",025 de large (ces 
dimensions sont variables; j'en ai mesuré qui avaient plus de 
0"",6 de long avec 0"",03 de large). Entre ces tubes existent de 
minces lames cellulaires ; ils ne sont pas immédiatement en con- 
tact. Je suis à peu près sûr que presque tous sont simples dans 
toute leur longueur ; quelques-uns me paraissent se diviser vers 
leur partie moyenne en deux ou trois tubes; en tout cas, il ne 
saurait être question de glandes en grappe. Au commence- 
ment de l'estomac, des tubes renflés à l’extrémité se mêlent aux 
dernières glandes en grappe de l’æsophage, tout à fait sembla- 
bles par leur contenu aux glandes pepsiques. Il y a passage, 
comme je l’ai dit, entre les glandes gastriques et les glandes œso- 
phagiennes. 

Dans les tubes de la partie moyenne de l’estomac, on voit très 
bien pénétrer l’épithélium cylindrique ; il descend le plus souvent 
jusqu’à moitié environ de la longueur de la glande: les cellules 
diminuent de hauteur ; le reste de la glande est rempli par les cel- 
lules pepsiques semblables à celles que j'ai décrites dans les glandes 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 261 
æsophagiennes, et présentent les mêmes caractères avec les diffé- 
rents réactifs employés. 

J'ai laissé macérer dans l'acide acétique des muqueuses stoma- 
cales de Grenouilles, comme j'avais fait macérer des muqueuses 
de Poissons ; elles ne se sont pas réduites en pulpe. Quand on en 
gratte la surface, on enlève l’épithélium et les gaines épithéliales, 
le cylindre pepsique reste. Pour l’observer, il faut faire des coupes 
au couteau double : on reconnait bien les tubes et les cellules 
pepsiques. En comprimant ces coupes, on fait sortir le contenu 
glanduleux sous forme de cylindres jaunes solides, semblables à 
ceux qu'on obtient en faisant macérer la muqueuse stomacale des 
poissons dans l’acide acétique. La muqueuse æsophagienne, au 
contraire, se réduit en pulpe, comme la muqueuse stomacale des 
Poissons. La pulpe est composée de culs-de-sac glandulaires 
séparés. Il semble que le tissu cellulaire, dans lequel sont creusées 
les glandes gastriques, soit capable de mieux résister à l’action de 
l'acide acétique que le tissu cellulaire de l’estomac des poissons. 

Dans l'estomac de la Grenouille , on distingue deux parties, 
comme dans l'estomac des Poissons, une première partie jaunâtre 
et une partie pylorique blanche. En observant la muqueuse de 
celte dernière par la face supérieure, on reconnaît qu’elle est plus 
transparente que celle de la partie jaunâtre ; comme elle, elle 
offre des ouvertures, mais ces ouvertures sont plus espacées, el 
sont claires. Sur les coupes, on reconnaît que cette partie con- 
tient aussi des tubes ; ils sont plus larges, et l’épithélium eylin- 
drique y descend plus profondément : au fond du cul-de-sac seu- 
lement, les cellules changent de nature. Ces tubes étant assez 
éloignés les uns des autres, il est plus facile d’en reconnaître la 
véritable forme que dans les parties moyennes de l’estomac : ce 
sont bien des tubes simples. | 

J'ai aussi observé le Crapaud ; ayant à faire des recherches sur 
les tuniques musculaires de son tube digestif, j’en ai profité 
pour observer les glandes, d'autant plus que cette étude n’a pas 
encore été faite. Son estomac présente un véritable renflement, il 
affecte la forme d’une cornemuse. Je l'ai toujours trouvé plein 
d'insectes ou de Chenilles, et fortement acide ; il est précédé d’un 


2692 M. VALATQUR. — GLANDES GASTRIQUES 


long œsophage comme dans la Grenouille. Si l’on étend cet æso- 
phage, on est d’abord frappé de l’absence des masses blanches 
lobulées, si apparentes dans cette dernière. Les glandes œæsopha- 
giennes paraissent manquer complétement ; on reconnait eepen- 
dant au microscope qu'il en existe quelques-unes dans les parties 
voisines de l’estomac; elles rappellent par leur forme celles de la 
Grenouille, mais sont moins développées, moins lobulées ; elles 
passent aussi aux glandes gastriques. La surface de l’œsophage 
présente un plus grand nombre de plis que dans la Grenouille; 
elle est encore couverte d’un épithélium vibratile formé par une 
seule couche de cellules cylindriques. Cet épithélium ne se pro- 
longe pas dans l'estomac, lequel présente toujours le même épithé- 
lium cylindrique, figurant la même mosaïque quand on le regarde 
par la partie supérieure. Les glandes gastriques sont semblables à 
celles de la Grenouille ; ce sont encore de longs tubes à peu près 
cylindriques. Sur des pièces préparées au carbonate de potasse, je 
trouve aux tubes, dans une coupe faite à travers la partie moyenne, 
environ 0"*,55 de long et 0"",03 à 0"",04 de large; ils s’ou- 
vrent immédiatement sur la surface de l'estomac comme chez la 
Grenouille. La partie pépsique en paraît plus développée ; dans 
les tubes précédents, elle avait près de 0,5 de long. Toutes ces 
dimensions sont variables. Le contenu présente les mêmes carac: 
tères que dans la Grenouille. Dans l'estomac du Crapaud, il y a 
aussi une partie pylorique comme dans l'estomac de cette der- 
nière. 


CONCLUSIONS. 


Ainsi, dans les animaux que j'ai observés, Batraciens et Pois- 
sons, lorsqu'il existe un organe comparable par ses fonctions à 
l'estomac, non-seulement les glandes gastriques existent, mais 
encore elles ressemblent d'une manière frappante, par leur forme 
et leur contenu, à celles des Mammifères, et l’on trouve, en même 
temps que des glandes pepsiques, des glandes muqueuses situées 
dans la partie jiylorique comme chez les Mammifères. Il est peu 
d'organes qui présentent autant d’uniformité, Parmi les Poissons 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 263 
étudiés jusqu'ici à ce point de vue (le nombre en est petit, il est 
vrai), lEsturgeon seul ferait exception d’après Leydig, puisque 
ses glandes pepsiques seraient semblables aux glandes muqueuses, 
étant recouvertes dans toute leur étendue par l’épithélium cylin- 
drique clair. Sont-ce bien là des glandes pepsiques ? Existent-elles 
seales dans l'estomac de l’Esturgeon ? 

Leydig admet aussi dans la Loche, comme nous l'avons dit, un 
estomac sans glandes d'aucune sorte, mais présentant cette par- 
ticularité que son épithélium cylindrique est recouvert d’une 
couche de cellules arrondies ; mais rien ne prouve jusqu'ici que 
ce soit un estomac. 

Cette uniformité dans les glandes gastriques en rend l’absence 
plus étonnante encore chez les Cyprinoïdes. 


DEUXIÈME PARTIE. 


DES TUNIQUES MUSCULAIRES DU TUBE DIGESTIF. 


CHAPITRE PREMIER. 


Des tuniques musculaires du tube digestif dans les Poissons osseux. 


$ I. — Historique et méthode d'observation. 


Dans le cours des observations précédentes, j'avais remarqué 
certaines particularités dans les tuniques musculaires du tube 
digestif, et, comme malheureusement je ne pouvais disposer que 
d’un petit nombre de Poissons pour l'étude des glandes, je résolus 
de m'en rendre compte. 

Les différents auteurs n’ont donné que des indications incom- 
plètes sur les tuniques musculaires de l’œsophage des Poissons ; 
leurs descriptions réunies ne permettent pas encore de s’en faire 
une idée satisfaisante : elles ne font pas connaître quels sont leurs 
rapports avec celles de l’estomac. 

Cuvier (Anatomie comparée, 1° édition, 1805) dit que, dans 


26/4 M. VALATOUR, — GLANDPES GASTRIQUES 


les Chondroptérygiens, les fibres de la tunique musculeuse parais- 
sent longitudinales pour la plupart ; qu’elles s'étendent en avant 
de l'estomac sur l'œsophage, mais sont enveloppées dans le com- 
mencement de ce canal par une couche épaisse de fibres cireu— 
laires, et que la même chose a lieu dans tous les Poissons. A pro- 
pos de différents Poissons osseux, il revient encore sur les deux 
couches de fibres musculaires qui enveloppent l’æsophage, ces 
fibres étant circulaires dans la couche externe et longitudinale dans 
la couche interne. Il ne désigne jamais sur l'estomac que des fibres 
musculaires longitudinales, si ce n’est dans l’Anguille. Dans ce 
Poisson, d’après lui, l’œsophage se distingue de l'estomac par la 
direction différente des fibres musculaires, qui sont longitudinales 
dans ce canal et circulaires dans l’estomac. Ce serait une exception 
à la règle qu'il a posée d’abord ; il n’en fait pas la remarque. 

Dans la deuxième édition de l’Anatomie comparée, 1835, il n°y 
a pas grand changement ; cependant, dans la description de quel- 
ques Poissons, on lit: « Les fibres les plus externes de la tunique 
» musculaire de l'estomac sont longitudinales, » et non plus seu- 
lement« les fibres de latunique, » etc. : on a ajouté les plus externes. 
Ce qui laisse à penser qu’il peut y avoir des fibres internes dispo- 
sées autrement. Pour l’Anguille, la description est restée identi- 
quement la même. 

Meckel (4natomie comparée, 1836) s'explique plus catégori— 
quement dans ses Généralités sur le tube digestif des Poissons : 
« Lorsque l’œsophage est court, dit-il, il est fort musculeux dans 
» toute son étendue; dans le cas contraire, ce développement 
» musculaire n'existe qu'en-devant; les fibres circulaires de sa 
» tunique museuleuse sont appliquées à l'extérieur des fibres lon- 
» gitudinales. Dans l’estomae, la tunique musculeuse est toujours 
» formée d’un plan de fibres longitudinales et externes et d’un 
» plan de fibres circulaires et internes. Dans l'intestin, les couches 
» sont disposées comme dans l’estomac. » 

Dans l’Anatomie comparée Ac Slannius, rien de plus sur la dis- 
position des fibres musculaires ; mais il parle de leur nature, ce 
que n’a pas fait Meckel : « Elles ne présentent pas le plus souvent, 
» dit-il, de stries transversales. Cependant Reichert, en 18/44, a 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 265 


» rencontré des fibres striées dans toute l’étendue de l'intestin de 
» Ja Tanche. » 

Agassiz et Vogt, dans leur Anatomie des Salmones, 1845, ne 
parlent pas de la disposition des couches musculaires, mais disent 
qu’à l'origine de l’æsophage, à l'extrémité du cône du pharynx, il 
y a des transitions insensibles des fibres musculaires lisses aux 
fibres musculaires striées. 

Nous avons déjà dit que Reichert (Medic. Zeit. des V'ereines für 
Heilkunde in Preussen, 1841) avait démontré que les deux tuniques 
musculaires de l'intestin de la Tanche sont formées de fibres striées. 
I rechercha s’il en était de même chez quelque autre Vertébré, 
mais ne retrouva cette particularité chez aucun. D’après lui, chez 
tous les Vertébrés, les deux couches musculaires de l’intestin sont 
formées de fibres lisses, la Tanche seule fait exception. 

Cependant Budge, dans le même recueil en 1847, annonce que 
la tunique musculaire de l’estomac de la Loche, Cobitis fossilis, 
est formée aussi de fibres striées. 

En 1850, Molin (Sitzungsberichte der kaiserlichen À kademie der 
W'issenschaften, 1850) complète les observations de Reichert sur 
la Tanche. Reichert croyait qu’il n'existait autour de l'intestin que 
des fbres striées : les profondes formant une couche transversale, 
les externes une couche longitudinale. Molin démontre qu'en de- 
dans de ces deux couches, entre elles et le tissu cellulaire de la mu- 
queuse, il se trouve deux nouvelles couches musculaires, toutes 
les deux formées de fibres lisses : l’une interne, composée de 
fibres transverses ; l’autre externe, composée de fibres longitudi- 
nales. 

En 1853, Leydig (Archives de Müller, 1853) recherche s’il en 
serait de même chez la Loche, et trouve en effet, entre les fibres 
striées el la muqueuse, une couche de muscles lisses, dont les 
fibres s'étendent circulairement autour de l’estomac. Il ne s’ex- 
prime pas autrement : on peut croire qu’il n’y a qu’une couche de 
fibres lisses; les choses ne seraient pas alors comme dans la 
, Tanche. Molin est beaucoup plus explicite. 

Dans la même année 1853, Leydig publia ses Anatomisch- 
histoloyische Untersuchungen über Fische und Reptilien; il y 


266 M. VALATQOUR. — GLANDES GASTRIQUES 


décrit le tube digestif de l’Esturgeon. « La tunique musculaire 
» de l’æsophage, dit-il, se compose de muscles striés ; » et il 
ajoute : « Il n’en est pas ainsi dans l'Esturgeon seulement ; l’exis- 
» fence des couches musculaires striées dans l’œsophage paraît 
» être la loi chez les Poissons. Je l'ai constaté chez tous ceux 
» (ont j’ai fait l’histologie, aussi bien chez tous les Plagiostomes 
» et les Chimèéres que chez les Poissons osseux, nos Carpes et 
» n0S Perches, le Dentex vulgaris, le Gobius niger, le Zeus 
» faber. » 

Dans son Histologie comparée, il ne fait que répéter ce passage, 
et ne dit rien de la disposition des couches musculaires. 

Toutes les citations précédentes établissent donc que les fibres 
musculaires de l'œæsophage des Poissons sont striées ; qu'elles 
forment deux couches : dans la couche interne, elles sont longitu- 
dinales : dans la couche externe, elles sont transversales ; que, 
dans l’Anguille au contraire, elles sont longitudinales dans la 
couche externe. Il n’est pas question de la manière dont elles se 
continuent avec les fibres des tuniques musculaires de l’estomac. 
Cuvier seul dit que la couche longitudinale de l'estomac se continue 
avec la couche longitudinale de l’œsophage. 

Pour étudier cette question, j'ai employé les parois intestinales : 
4° fraiches, 2° plus où moins desséchées, 3° préparées à l'alcool. 
Sur les pièces préparées à l'alcool, les stries des fibres musculaires 
sont parfaitement conservées ; elles le sont aussi sur des pièces 
préparées au carbonate de potasse. 

J'ai toujours observé les coupes, d’abord avant d’avoir ajouté 
aucun réactif, puis après avoir fait passer entre les deux lames de 
verre qui les renfermaient de l’acide acétique. Cet acide met admi- 
rablement en évidence les- cellules musculaires et leurs noyaux. 
Après avoir traité ces coupes par l'acide acétique, je les aï traitées 
encore par l’acide nitrique qui colore fortement en jaune les fibres 
musculaires, et les distingue très nettement des fibres du tissu 
cellulaire où des fibres élastiques ; en ajoutant de l’ammo- 
niaque, on avive encore la teinte qui devient d’un très beau jaune 
orangé. 

Quand on traite les tissus frais par l'acide acétique, les stries des 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 267 


fibres musculaires disparaissent très rapidement. Si les tissus ont 
été préparés à l'alcool, les stries ne disparaissent pas d’abord, elles 
deviennent encore plus évidentes. 

Je vais décrire successivement les observations que j'ai faites 
sur les différents Poissons. Le tube digestif a été coupé immédia- 
tement derrière le pharynx, au point même où ses parois devien- 
nent libres. 


$ IL. — L’Anguille. 


L'œsophage de l’Anguille est très long ; chez tous les Poissons 
que j'ai étudiés, j'ai trouvé l’œsophage, au contraire, très court, 
excepté chez l’Anguille et le Brochet. Je reconnais l'œsophage à 
son épithelium et à l’absence de glandes. 

Dans les parties tout à fait antérieures de l’œsophage, on voit 
qu'il y à bien deux couches de fibres musculaires, des fibres lon- 
gitudinales internes et des fibres transversales externes ; elles sont 
toutes striées, sans aucun mélange de fibres lisses. 

Pour s'assurer qu'un faisceau musculaire est tout entier formé 
de fibres striées, il ne faut pas faire des coupes parallèles à ce 
faisceau, mais des coupes perpendiculaires : on le voit alors dans 
toute sa largeur. Il est vrai que les stries ne peuvent plus se 
Voir, mais les coupes de fibres striées diffèrent complétement des 
coupes de fibres lisses. Elles ont un diamètre beaucoup plus grand, 
êt ne présentent jamais de noyau, tandis que celles des fibres 
lisses en présentent presque toujours un très reconnaissable, sur- 
tout quand la coupe à été traitée par l'acide acétique : le noyau 
peut ne pas apparaître, parce qu'il né Ss’étend pas dans toute la 
longueur de la cellule, et que la coupe peüt ne pas l’atteindre ; 
mais la dimension de la fibre suffirait à la faire reconnaitre. 

Si l'on recherche ces deux couches musculaires dans les parties 
moyennes de l’œsophage, on retrouve la couche de fibres trans- 
versées avec la inême épaisseur sensiblement ; toutes ses fibres 
sont encore striées. Mais en dedans, on ne voit plus que le tissu 
cellulaire ; Ja couche de fibres longitudinales n'existe plus ; en 


268 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


dehors de cette couche musculaire transverse se trouve une couche 
plus mince qui paraît cellulaire. Pour m'en assurer, je traite par 
l'acide acétique : elle ne présente aucun des caractères des fibres 
musculaires ; je traite par l’acide azotique : elle reste compléte- 
ment incolore, comme le tissu cellulaire qui est en dedans de la 
couche musculaire transverse, tandis que celle-ci se colore forte- 
ment en jaune. 

I n’y a donc plus qu’une couche de fibres D et elles 
sont transverses. Je ne m'explique pas comment Cuvier à pu y 
trouver seulement des fibres longitudinales. 

Qu'est devenue la couche des fibres musculaires longitudinales ? 
Pour le savoir, je reviens vers les parties antérieures de l’œso- 
phage, et je fais des coupes longitudinales. On reconnait alors que 
ces fibres ne forment pas une véritable couche, mais un nombre 
plus ou moins grand de faisceaux assez éloignés les uns des autres. 
Le nombre, qui en est considérable d’abord, se réduit rapide- 
ment ; les différentes fibres musculaires viennent finir successive- 
ment dans le tissu cellulaire qui enveloppe les faisceaux. Quelques- 
unes me paraissent se terminer en un paquet de fibrilles plus 
foncées que celle du tissu cellulaire environnant, et allant se 
perdre au milieu d'elles. Sur un œsophage qui avait 5 centimètres 
de long, ces fibres musculaires ne s’étendaient pas à plus d’un 
centimètre du commencement de l’œsophage. Dans tout le reste 
jusqu’à l’estomae, il n’existe plus que les fibres musculaires trans- 
verses qui forment une véritable couche, à travers laquelle le tissu 
cellulaire intérieur et le tissu cellulaire extérieur envoient des pro- 
longements et paraissent communiquer. 

Sur les premières parties de l'estomac, alors que l’épithélium 
cylindrique a déjà commencé, il en est encore de même; cepen- 
dant dans le cul-de-sac il existe deux couches de fibres muscu- 
laires : l’uneinterne, formée de fibres transverses; l’autre externe, 
formée de fibres longitudinales. Elles ne contiennent l’une et 
l’autre que des fibres lisses ; il en est de même dans la branche 
pylorique. Que se passe-t-il donc au commencement de l'estomac? 
Cherchons-le sur des coupes longitudinales. Les fibres transverses 
y apparaissent coupées. On peut, en choisissant des Anguilles qui 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 269 


ne soient pas trop grosses, avoir des coupes comprenant une 
assez grande portion de l'estomac et de l’'œsophage. On voit alors 
que la tunique musculaire transverse de l'estomac n'est que la 
continuation de celle de l'œæsophage; seulement, à l’origine de 
l'estomac, des faisceaux de fibres lisses apparaissent dans la partie 
interne de celte couche, et bientôt elle en est presque entièrement 
formée, ne contient plus que quelques faisceaux de fibres striées. 
Ceux-ci, placés dans sa partie externe, sont plus ou moins éloignés, 
de grandeur variable, se retrouvent, sur une longueur d’un milli- 
mètre environ, dans une Anguille, dontl’æsophage a 5 centimètres 
de long, puis disparaissent complétement. 

Ainsi la couche musculaire transverse de l’estomac n’est que la 
continuation de celle de l’œsophage. Il y a seulement substitution 
des fibres lisses aux fibres striées, substitution qui ne se fait pas 
brusquement, mais s'opère peu à peu dans un court intervalle 
cependant. 

Quant à la couche musculaire longitudinale externe de l’esto- 
mac, elle commence avec lui; elle lui est propre, comme celle des 
fibres longitudinales internes striées est propre à l'œsophage. Elle 
est tout entière formée de fibres lisses, et reste loujours peu 
épaisse. La couche transverse, au contraire, acquiert une grande 
épaisseur dans la branche pylorique; elle diminue vers le fond du 
cul-de-sac, où les deux couches ont à peu près la même épaisseur. 

Dans l'intestin, les deux tuniques musculaires existent encore 
disposées de la même manière, et formées de fibres lisses ; la 
tunique externe toujours peu développée. Quant à la tunique 
interne, son développement est encore considérable dans les par- 
ties voisines du pylore ; il va en diminuant. 

Dans ces couches de fibres lisses, les noyaux des cellules mus- 
culaires se voient très bien et sur les fibres vues dans leur lon- 
gueur, et sur les fibres coupées en travers, surtout quand on a 
traité par l’acide acétique. 

Cette étude de l’Anguille nous fournit déjà un certain nombre de 
résultats : 1° Les fibres musculaires sont tout autrement disposées 
sur l’æsophage et sur l'estomac que l’a dit Cuvier; sur la partie 
moyenne de l'œsophage, elles sont toutes circulaires et non pas 


270 M. VALATOUR., -— GLANDES GASTRIQUES 


longitudinales; sur l'estomac, elles sont longitudinales dans la 
tunique externe et non pas circulaires : c’est tout l'inverse de ce 
que veut Cuvier. 2 Dans l’Anguille, les tuniques musculaires de 
l’œsophage sont formées de fibres striées comme dans les Poissons 
observés par Leydig, 3° Dans presque toute la longueur de cet 
œsophage, il n'existe qu’une seule couche de fibres musculaires, 
ce qui n’a encore élé signalé nulle part, je crois. On s'explique 
cette absence de fibres musculaires longitudinales sur l’œsophage 
de l’Anguille, en remarquant qu’il est fixé, sur une partie de sa 
longueur, aux organes voisins. Quand on enlève sur une Anguille 
l’'æsophage avec l’estomac, celui-ci est animé de contractions 
énergiques aussi bien dans sa longueur que dans sa largeur, et la 
longueur peut se réduire considérablement. Quant à l’œsophage, 
il reste immobile, ne se raccourcit aucunement. C’est tout autre 
chose quand on opère sur un Brochet : l'œsophage est animé de 
mouvements aussi énergiques que l'estomac, nous en verrons tout 
à l'heure la raison; mais on reconnait bien à ce seul caractère 
qu'il doit y avoir une différence essentielle entre ces deux æso- 
phages. 


$ III. — La Perche, 


Chez la Perche, lœsophage est très court, même proportion- 
nellement à l'estomac, qui lui-même est déjà court; aussi, quand 
on étudie ses tuniques musculaires, paraît-il réduit à la première 
partie de l’æsophage de l’Anguille. Il est enveloppé dans toute 
son étendue par deux couches de fibres musculaires : une couche 
longitudinale interne et une couche transversale externe. L'une et 
l’autre sont entièrement formées de fibres striées, et pénètrent 
dans l'estomac ; on les voit encore sur des coupes, en même temps 
que les glandes gastriques. 

Comme, dans l’Anguille, les fibres longitudinales ne forment 
pas une couche, mais sont disposées en un certain nombre de 
faisceaux très distincts les uns des autres, dont le nombre et 
l'épaisseur vont en diminuant, parce que les fibres s'arrêtent à dif- 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 271 


férentes distances de la bouche, les dernières finissent au com- 
mencement de l'estomac. 

Ces faisceaux ne m'ont pas toujours semblé parallèles à la couche 
museulaire externe ; je les ai vus s’incliner et pénétrer dans les 
espaces cellulaires qui existent dans celle-ci. 

A l'origine de l'estomac commence la couche longitudinale 
externe formée de fibres lisses, et en même temps se fait la sub- 
sütution des fibres lisses aux fibres striées dans la couche trans- 
verse, Celle substitution ne se fait pas tout d’un coup ; comme 
chez l’Anguille, il y a un espace occupé par des faisceaux de fibres 
lisses et des faisceaux de fibres striées plus ou moins mêlés les 
uns aux autres, 

Si l’on fait des coupes transverses dans l’estomac, à l’origine de 
la branche pylorique,on voit trois couches musculaires au lieu de 
deux : une couche externe, où les fibres se présentent en long ; 
une seconde couche, où elles se présentent coupées; et enfin une 
troisième couche, où elles se présentent de nouveau en long. Rien 
de pareil n’a lieu chez l’Anguille, et si l’on fait les coupes un peu 
plus loin sur le cul-de-sac, il n’y a plus trace de cette perturba- 
tion. Si l’on en cherche la cause, on remarque que, chez l’An- 
guille, le canal pylorique est parallèle au cul-de-sac, et est situé 
dans son prolongement; au contraire, dans la Perche, il lui est 
perpendiculaire. Or les couches musculaires sont disposées dans le 
même ordre sur l’estomac et sur le canal pylorique, c’est-à-dire 
la couche longitudinale en dehors et la couche transversale en 
dedans. Dans l’Anguille, les deux tubes ayant même direction, il 
n'y a pas de changement dans les couches musculaires quand elles 
passent de l’un sur l’autre. Mais dans la Perche, les deux canaux 
étant perpendiculaires l’un sur l’autre, les fibres transverses qui 
forment la couche interne du cul-de-sae, au point où commence la 
branche pylorique, deviendraient, en se prolongeant sur cette 
branche, des fibres longitudinales. Il doit donc y avoir là quelque 
disposition spéciale; en effet, en dirigeant convenablement des 
coupes transverses dans le cul-de-sac, à l’origine de la branche 
pylorique, on peut en obtenir sur lesquelles on voit le passage de 
l’une des manières d’être à l’autre. Du côté du cul-de-sac, on voit 


972 + M. VALATOUR.. — GLANDES GASTRIQUES 


très bien la couche longitudinale externe dont les fibres se présen- 
tent coupées, et la couche transversale interne dont les fibres se 
présentent en long; du côté de la branche pylorique, on voit une 
nouvelle couche de fibres qui se présentent coupées, et naissent 
en coin au milieu des fibres de la couche interne du eul-de-sac ; 
elles vont former la couche transverse du canal pylorique. Une 
partie des fibres de la couche transverse du cul-de-sac passent 
au-dessous d’elles, et vont former la couche longitudinale du canal 
pylorique ; les autres passent au-dessus, mais de nouvelles cou- 
ches de fibres qui se présentent coupées naissent en coin au milieu 
d'elles, et elles finissent par disparaître complétement. Quant à la 
couche musculaire longitudinale du cul-de-sac dont les fibres se 
présentent ici coupées, on la voit finir près du point où commence 
le mélange précédent. 


$ IV. — Le Brochet. 


L'œsophage du Brochet est long comme celui de lAnguille, 
mais 1l est libre, tandis que ce dernier est en partie fixé; il est 
beaucoup plus contractile comme nous l’avons dit, et nous allons 
voir que ses tuniques musculaires sont tout à fait différentes. 

Dans la partie antérieure de l’æsophage, les tuniques muscu- 
laires sont absolument semblables à celles de la partie antérieure 
de l’æsophage de l’Anguille, et cela sur une longueur à peu près 
égale, qui n’est qu’une petite fraction de la longueur totale de 
l’'æsophage. Si l’on fait des coupes dans la partie moyenne de ce 
tube, on reconnait qu’il y a deux couches composées entièrement 
de fibres musculaires lisses, comme dans l’estomac de l’Anguille : 
une couche interne transversale et une couche externe longitudi- 
nale plus mince. Le passage de la première partie à la seconde se 
fait comme dans l’Anguille. Les faisceaux internes des fibres 
striées longitudinales se terminent successivement dans le tissu 
cellulaire; les fibres lisses se substituent par groupes aux fibres 
striées dans la couche transversale ; et enfin la couche longitudi- 
nale externe, formée de fibres lisses, prend naissance au-dessous 
de l’espace où se fait cette substitution. Les fibres de, cette der- 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 273 


nière couche ne prennent pas toutes naissance tout à fait en dehors; 
elles se mélent aux faisceaux les plus externes de la couche trans- 
versale, et on voit en plusieurs points les derniers groupes de 
fibres striées transverses enveloppés par les fibres lisses longitu- 
dinales. 

Les faisceaux des fibres longitudinales striées de la couche 
interne se prolongent assez loin dans l'œsophage ; mais, tandis 
qu'ils sont très nombreux dans la première partie, et remplissent 
presque toute la couche cellulaire, ils sont très rares un peu plus 
Join et tous rapprochés de la couche transverse. Des faisceaux de 
fibres lisses paraissent leur succéder, de telle sorte que, dans 
presque toute la longueur de l’œsophage, ily a un,certain nombre 
de faisceaux de fibres longitudinales internes d'abord striées, puis 
lisses. c 

Dans l'estomac, il n'y a que les deux couches de fibres lisses 
comme à l'ordinaire. 

Ainsi la loi posée par Leydig n’est pas absolue; les tuniques 
musculaires de lœsophage ne sont pas toujours formées de fibres 
siriées; de plus, les fibres circulaires ne sont pas toujours appli- 
quées à l'extérieur des fibres longitudinales, comme le dit Meckel. 

Il serait curieux d'observer d’autres Poissons à œsophage 
allongé, pour savoir quelle est la disposition la plus ordinaire des 
luniques musculaires : celle qui existe dans le Brochet ou celle qui 
existe dans l’Anguille, J'en ai cherché en vain ; tous ceux que j'ai 
observés après ceux-ci, le Merlan, le Maquereau, le Hareng, la 
Sole, les Cyprinoïdes, ont l'æsophage très court comme la Perche. 


$ V. — Le Merlan, le Maquereau et le Hareng. 


Dans le Merlan, le Maquereau et le Hareng, les choses se passent 
tout à fait comme dans la Perche. L'œsophage est très court; les 
glandes gastriques commencent à une très petite distance de son 
origine. Ses tuniques musculaires sont donc au nombre de deux, 
formées entièrement par des fibres striées : une couche interne 
longitudinale, une couche externe transversale ; toutes les deux se 


vrolongent jusque dans l’estomac. Les faisceaux de la couche 
4° série. Zooz. T, XVI. (Cahier n° 5.) 2 18 


274 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


interne se terminent dans le tissu cellulaire ; des fibres lisses se 
substituent par groupes aux fibres striées dans la couche transver- 
sale, et la couche longitudinale externe de fibres lisses prend nais- 
sance. Tout cela se passe dans les parties tout à fait antérieures de 
l'estomac. 

Dans le Maquereau, j'ai vu quelques fibres striées mêlées aux 
fibres lisses dans la couche longitudinale externe, mais seulement 
tout à l’origine de cette couche quand elle prend naissance , un 
peu plus loin on n’en voit plus. 

Vers la branche pylorique, il y a les mêmes changements dans 
la disposition des couches que dans la Perche. Quand on marche 
du eul-de-sac vers la branche pylorique, dans la direction de cette 
branche, on voit la couche longitudinale externe s'arrêter, la 
couche transversale continuer en partie pour former la couche 
longitudinale externe de la branche pylorique, et une nouvelle 
couche naît au milieu d'elle pour former la couche transversale de 
cette branche. 


$ VI. — La Lotte commune (Gadus Lota). 


Les tuniques musculaires de l’æsophage sont disposées comme 
dans la Perche, par exemple; elles sont au nombre de deux, for- 
mées l’une et l’autre entièrement par des fibres striées : la tunique 
externe est composée de fibres transversales, la tunique interne de 
fibres longitudinales. Ces fibres longitadinales existent dans toute 
la longueur de l’œsophage ; leur nombre diminue à mesure que 
l'on approche de l'estomac, parce qu’elles se terminent succes- 
sivement au milieu du tissu cellulaire ; les dernières pénètrent 
jusque dans la première partie de l'estomac. Dans cette première 
partie, la tunique transversale est encore formée uniquement par 
des fibres striées ; mais bientôt il s’y mêle des faisceaux de fibres 
lisses, et, à quelque distance de l’æsophage, elle est entièrement 
formée de fibres lisses. Quand ce mélange commence, où voit 
apparaître la couche musculaire longitudinale externe composée 
de fibres lisses ; elle prend naissance en partie au-dessous de Ja 
couche transversale de l'œsophage, et en partie au milieu d'elle 


DANS -LES POISSONS OSSEUX ET- LES BAFRAGÏENS. 275 
par de nombreux faisceaux qui pénètrent entre ceux- de ‘cette 
couche. | 


À 


$ VII. — La Sole. F3 

L'œsophage est court comme dans les Poissons précédents, et 
les tuniques musculaires y sont semblables. Mais dans l'estomac, 
les choses se passent autrement : la tunique musculaire longitu-— 
dinale externe qui commence avec lui, au lieu d’être composée de 
fibres lisses, est composée d’abord entièrement de fibres striées 
qui s'étendent sur plus de la moitié de l’estomac ; des groupes de 
fibres lisses s’y mêlent peu à peu, et, dans la dernière partie de 
l'estomac, elle ne contient plus que des fibres lisses. Dans la partie 
antérieure de cette tunique, onen voit bien les fibres striées com- 
mencer au milieu du tissu cellulaire, qui forme une couche assez 
épaisse sous la tunique musculaire transverse de l’'œæsophage. 
Cette dernière tunique se continue comme à l’ordinaire avec celle 
de l'estomac; mais la substitution des fibres lisses aux fibres 
striées, au lieu de se faire, comme dans les autres Poissons, au 
commencement de l'estomac, ne se fait qu'à la fin ; de sorte que 
la tunique musculaire transverse de l'estomac est formée, dans la 
plus grande partie de sa longueur, uniquement par des fibres 
striées, et que, dans la première moitié de l'estomac, les deux 
tuniques musculaires sont composées de fibres striées: 

Dans l'intestin, on trouve les deux couches musculaires com- 
posées, l’une et l’autre, uniquement de fibres lisses. 


$ VIII. — Les Cyprinoïdes. 


Dans les Cyprinoïdes, la Carpe etle Gardon ne nous offrent rien 
de particulier. Leur œsophage est court, c’est le canal étroit par 
lequel commence le tube digestif; ses tuniques museulaires sont 
tout à fait semblables à celles de l’œsophage de la Perche, et sé 
continuent, comme dans ce Poisson, avec celles de l’estomac qui 
estici remplacé par l'intestin. La couche musculaire longitudinale 


276 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES 

externe est formée de fibres lisses qui se redressent pour com- 
mencer en grand nombre au milieu des faisceaux striés de la 
couche transverse de l’œsophage; de telle sorte que celle-ci 
semble s’infléchir en partie au-dessous de la couche transverse de 
fibres lisses de l'estomac, et se continuer par quelques faisceaux 
dans la couche longitudinale externe. 

La Tanche, au contraire, comme nous l’avons déjà dit, offre des 
particularités remarquables qui ont été découvertes par Reichert 
et Molin. Son æsophage est semblable à celui des autres Cypri- 
noïdes , ses tuniques musculaires ne présentent rien d’anormal. 
Mais si l’on fait des coupes sur l’inteslin, à une certaine distance 
de son origine, on reconnait que les deux couches musculaires, 
au lieu d’être formées de fibres lisses, sont formées, comme l’a 
démontré Reichert, de fibres striées, sans aucun mélange de fibres 
lisses. En dedans de ces deux couches striées, on reconnaît aussi 
très bien les deux couches de fibres lisses découvertes par Molin: 
une couche longitudinale externe et une couche transversale 
interne beaucoup moins épaisses l’une et l’autre que les premières; 
tandis que les couches de fibres striées ont chacune dans ces 
régions 0"",3 d'épaisseur, les couches de fibres lisses n’ont 
ensemble que 0°" ,1 environ. 

Dans les premières parties de l'intestin, tout à fait à son origine, 
sur des coupes qui comprennent à la fois l’œsophage et l’intestin, 
on voit commencer la couche de fibres striées longitudinales 
externes. Les fibres en prennent naissance au milieu de la couche 
transversale externe de l’œsophage. Arrivée au contact de cette 
couche, elle paraît s'épanouir, se diviser en nombreux groupes de 
fibres qui se prolongent entre les faisceaux de cette dernière ; de 
telle sorte que ces deux couches paraissent se continuer l’une 
l'autre. 

Dans cette première partie de l'intestin, les deux couches de 
fibres lisses commencent à se montrer; mais, chose remarquable, 
leur disposition m'a toujours paru inverse de ce qu’elle est sur les 
parties plus éloignées, c’est-à-dire que la couche transverse est 
externe et la couche longitudinale interne. Les choses sont très 
nettes, chacune de ces couches ayant en certains points 0®",06 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS, 277 
environ. Un peu plus loin, la couche transverse parait exister 
seule; une couche longitudinale se montre au-dessous d’elle , mais 
elle est d’abord excessivement mince ; elle se développe, et bien- 
tôt les deux couches sont très appréciables, comme je l’ai déjà 
décrit. 

Cette inversion dans la disposition des deux couches est assez 
remarquable, surtout quand on se rappelle que la même chose a 
lieu pour les couches ordinaires de l’estomac et de l’æœsophage. 

Ainsi donc, chez tous les Poissons que j'ai observés, à l’excep- 
tion de deux, l'œsophage présente la plus grande ressemblance. 
Il est court; ses tuniques musculaires sont au nombre de deux, 
formées l’une et l’autre uniquement par des fibres striées en fais 
ceaux plus ou moins distants. Les fibres de la couche interne sont 
longitudinales, celles de la couche externe transversales. La pre- 
mière se termine dans l'æsophage ou le commencement de l'esto- 
mac, et la seconde se continue avec la couche transverse de 
celui-ci; 1l y a seulement substitution des fibres lisses aux fibres 
striées, substitution qui se fait toujours dans l’estomac et non dans 
l’æsophage. Dans les Cyprinoïdes surtout, la couche longitudi- 
nale externe de l’estomac prend naissance au milieu des faisceaux 
de la couche transversale de l’œsophage. 

Dans l’Anguille et le Brochet, la première partie de l’œsophage 
est l’équivalent de l’œsophage entier des autres Poissons. 

On trouve dans les Mammifères une partie du tube digestif tout 
à fait comparable par la nature et la disposition de ses tuniques 
musculaires à la première partie de l’œsophage du Brochet par 
exemple : c’est le pharynx. 

Les muscles du pharynx des Mammifères peuvent être consi- 
dérés, ainsi que le dit Sappey (Ænatomie descriptive de l'homme), 
comme formant deux couches musculaires qui correspondent à 
celles des autres parties du tube digestif, mais sont disposées 
d’une manière inverse. Tandis que, dans les autres parties du 
tube digestif, la couche externe est longitudinale, et la couche 
interne transversale, dans le pharynx c'est la couche externe qui 
est transversale et la couche interne qui est longitudinale ; de 
plus, dans le pharynx, les fibres musculaires sont striées, tandis 


978 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES 


que dans les autres parties du tube digestif elles sont lisses. 
Gépendant ceci n’est pas absolu; dans certains Mammiféres, les 
fibres de l’œsophage sont striées. D'après Leydig, ellessont striées, 
dans toute l'étendue de ce tube jusqu’au cardia, chez la Souris, le 
Lupin, le Castor, le Vespertilis pipistrellus, là Taupe, le Laman- 
tin; etc. D'après Weber, elles sont striées chez le Chat, dans la 
moitié supérieure seulement de l'œsophage; elles sont lisses dans 
la moitié inférieure, D'après Schwaon et Külliker, 1l en est de 
même chez l'Homme. 

. En tout cas que les fibres soient striées ou non sur l’œæsophage 
des Mammifères, elles sont striées dans le pharynx, et leur dispo- 
sition y est inverse de ce qu'elle est dans le resté du tube digestif. 
On est done porté à comparer la première partie de l'œsophage du 
Brochet et de l’Anguille à un pharynx. Mais le pharynx ne se 
définit pas par la disposition et la nature de ses fibres musculaires ; 
c’est la partie du tube digestif qui appartient en même temps à 
l'appareil de la respiration, et qui donne passage à la fois aux ali- 
ments et aux fluides respirables, A ce point de vue, aueune partie 
dé l’æsophage du Brochet ou des autres Poissons ne peut être con- 
sidérée comme un pharynx ; le véritable pharynx des Poissons 
est cette partie de l’arrière-bouche où viennent s'ouvrir les fentes 
branchiales internes. Si l’on regardait la première partie de l'œso- 
phage du Brochet ou de l'Anguille comme un pharyax, il n°y 
aurait d'œsophage ni dans la Perche, ni dans les Cyprinoïdes, ni 
dans les autres Poissons que j'ai observés. Cette première partie 
doit être regardée comme appartenant à l’œsophage. 


CHAPITRE IL. 


Des tuniques musculaires du tube digestif dans les Batraciens. 


L'œsophage de la Grenouille est enveloppé de deux couches de 
fibres musculaires entièrement formées toutes les deux par des 
fibres lisses ; nulle part on ne trouve de fibres striées. Leydig dit 
qu'il en est de même chez tous les Reptiles et tous les Oiseaux. La 
couche interne est formée de fibres transverses, la couche externe 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATBACIENS. 279 
de fibres longitudinales ; elles sont très minces l’une et l’autre, 
surtout dans les parties antérieures, près de la bouche; la couche 
externe est alors excessivement réduite; mais, à mesure qu'on 
approche de l'estomac, leur épaisseur augmente tout en restant 
très faible, et près du cardia elles ont chacune 0"",05 ou 0°",06, 

Dans les premières parties de l'estomac, elles existent encore 
toutes les deux avec le même développement. Mais bientôt la 
couche transverse augmente considérablement d'épaisseur, et la 
couche longitudinale disparaît. Au-dessous de la couche ‘trans- 
verse, qui a, dans les parties moyennes de l’estomac, 0"”,4 ou 
0"",5, existe une couche de 0"",03 environ qui ne me paraît 
contenir aucune fibre musculaire. Si on la traite par l'acide acé- 
tique soit sur des coupes transverses, soit sur des coupes longitu- 
dinales, on n’y peut reconnaître aucune apparence de fibres mus- 
culaires. Si on la traite par l'acide azotique, elle reste tout à fait 
incolore dans toute son épaisseur, tandis que la couche muscu- 
laire transverse se colore fortement en jaune. 

Sur l'intestin, on retrouve les deux couches musculaires très 
uettes, ayantà peu près la même épaisseur que sur l’æsophage; dans 
les dernières parties de l'estomac, elles ont déjà reparu, mais seule- 
ment dans les dernières parties tout à fait. Done sur la plus grande 
partie de l'estomac de la Grenouille, il n’existerait qu’une couche 
de fibres musculaires ; elle serait transverse et très épaisse. La 
couche musculaire longitudinale n’existerait pas, bien qu'elle soit 
très apparente sur l’œsophage et sur l'intestin. 

Celte exceplion à la règle commune me paraissant extraordi- 
naire, j'ai cherché à la vérifier sur d’autres Batraciens. Dans le 
Crapaud, les tuniques musculaires du tube digestif sont tout à fait 

semblables à celles de la Grenouille ; leur disposition et leur déve- 
loppement sont les mêmes. Dans l'estomac, au-dessous d’une 
épaisse tunique musculaire transverse, existe encore une couche 
de tissu cellulaire, dont l'aspect diffère complétement de celui de 
la couche externe de l’æsophage ou de l'intestin. Tandis que cette 
dernière est formée presque entièrement de fibres musculaires 
très apparentes, la première ne paraît en contenir aucune. 

Dans la Salamandre d’eau et la Salamandre terrestre, la même 


280 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES 


couche cellulaire, avec son aspect caractéristique, enveloppe en- 
core extérieurement la tunique musculaire transverse de l’esto- 
mac; mais ici elle m'a paru contenir toujours quelques fibres 
musculaires longitudinales, immédiatement appliquées contre la 
tunique transverse. Ces fibres seraient très rares, formeraient 
une couche rudimentaire ; tandis que sur l’œsophage et l'intestin, 
il existe une tunique musculaire longitudinale très manifeste. 

J'ai pu observer un Axolotl conservé dans l'alcool, les tuniques 
musculaires de son tube digestif m'ont paru semblables à celles 
de la Salamandre. Sur l’æsophage et l'intestin, deux couches 
musculaires très nettes ; sur l'estomac, une conche musculaire 
transverse très développée, et en dehors une couche cellulaire 
contenant à peine quelques fibres musculaires dans sa partie supé- 
rieure (1). 

Ainsi l'absence de la couche musculaire longitudinale sur l’esto- 
mac ne serait pas un caractère absolu des Batraciens ; mais chez 
tous ceux que j'ai observés, cette couche serait rudimentaire, 
et reprendrait son développement sur l’æsophage et l'intestin. 

L'absence complète de la tunique musculaire longitudinale n’est 
pas la seule chose qui frappe qaand on examine une coupe faite 
à travers l’estomac d’une Grenouille, les fibres musculaires propres 
de la muqueuse sont d’une netteté et d’une régularité remar- 
quables. 


(4) Cet Axolotl, qui était depuis longtemps dans l'alcool étendu, était couvert 
de lamelles cristallines très abondantes ; examinées au microscope, ces lamelles 
présentaient les formes caractéristiques de la cholestérine, des lamelles losangi- 
ques isolées ou le plus souvent groupées, quelquefois tronquées sur l'angle aigu, 
tout à fait comme elles sont figurées dans l'atlas de la Chinue anatomique et 
physiologique de MM. Robin et Verdeil. Elles étaient insolubles dans l'eau, 
insolubles dans les acides et dans la potasse, solubles dans l'éther et dans 
l'huile, C'étaient bien des lamelles de cholestérine. 

Ce n’est pas là un fait isolé. Un fœtus de Chat avait été placé dans l'alcool ; 
au bout de quelques mois, l'alcool contenait une grande quantité de paillettes 
cristallines très visibles à l'œil nu. Ces paillettes étaient des lamelles de choles- 
térine ; quand on raclait la peau de ce Chat, on enlevait beaucoup de ces lamelles 
et en même temps d'autres cristaux microscopiques avant la forme d'octaèdres 
tronqués sur le sommet, solubles immédiatement dans l'acide acétique sans effer- 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 281 
L'existence de fibres musculaires lisses dans l'épaisseur même 
de la muqueuse du tube digestif est connue depuis 1851 seulement. 
La découverteen est due à Kôlliker (Siebold etKülliker, Zeitschrift 
für Wissenschafliche Zoologie, 1851); il les trouva d’abord 
dans l’œsophage de l'Homme, en recherchant jusqu'où s’étendaient 
les fibres striées. Sur une muqueuse œsophagienne, qu'il avait 
débarrassée des tuniques musculaires et du tissu conjonctif, il 
reconnut de nombreux faisceaux de fibres lisses; de semblables 
faisceaux furent retrouvés par lui dans l'estomac, et par Brücke 
dans l'intestin. Ces travaux, résumés dans l’Histologie humaine 
de Külliker, établissent que la muqueuse du tube digestif de 
l'Homme et des Mammifères contient des fibres musculaires lisses 
dans toute sa longueur. Dans l’œsophage, elles sont disposées en 
faisceaux longitudinaux ; dans l'estomac, elles s’entrecroisent dans 
deux directions principales, forment une couche sous le fond des 
culs-de-sac, et pénètrent même entre les glandes ; dans lintestin, 
elles constituent deux couches : une couche interne transverse et 
une couche externe longitudinale. 
Leydig (Anatomisch-histologische Untersuchungen über Fische 
und Reptilien, 1853) a signalé l’existence de fibres musculaires 
‘dans la muqueuse de la Grenouille et de la Salamandre terrestre ; 
il Va fait en ces mots : « Dans la muqueuse de l'estomac de la Gre- 


vescence, et qui devaient appartenir à un phosphate. Quand on faisait des cou- 
pes à travers la peau, on y reconnaissait de petites lamelles de cholestérine, 
surtout accumulées le long des poils encore contenus tout entiers dans l'inté- 
rieur de la peau. 

Chaque fois que j'ai laissé un intestin de Poisson dans l'alcool, cet intestin 
s'est rempli de lamelles de cholestérine. 

Ayant abandonné un intestin de Merlan à lui-même, je le trouvai, au micros- 
cope, rempli de cristaux de phosphale de magnésie; ces cristaux sont très 
faciles à reconnaître au microscope; ils sont solubles sans effervescence dans 
l'acide acétique et donnent, quand on ajoute ensuite de l'ammoniaque, les for- 
mes en étoile si caractéristiques du phosphate ammoniaco-magnésien. Ils ne 
se forment pas seulement dans l'intestin, ils existaient en grande quantité 
dans le mucus qui recouvrait le palais. Ayant enlevé un peu de peau pour met- 
tre les muscles à nu, ces muscles ainsi dénudés se couvrirent en abondance des 
mêmes cristaux. 


282 M. VALATQOUR, — GLANDES GASTRIQUES 


» nouille et de la Salamandre terrestre se trouvent des muscles 
» Jisses qui pénètrent même entre les glandes. » Dans son Histo- 
logie comparée, il n’a rien ajouté, ne dit rien de leur disposition. 

Si l’on fait une coupe à travers l'estomac d’une Grenouille, on 
remarque sous le fond des culs-de-sac glandulaires deux couches 
musculairesexcessivement nelles, en contaci l’une avec l’autre, for- 
mées de fibres lisses, longitudinales dans la couche externe, trans- 
versales dans la couche interne. Ces fibres sont tout à fait sem- 
blables à celles de la tunique externe; leurs noyaux sont très 
apparents. Elles ne sont certes pas entremêlées sans ordre ; elles 
forment parfaitement deux couches, comme je viens de le dire, 
très neltement séparées l’une de l’autre. Dans la couche interne, 
il n'y a que des fibres transversales; dans la couche externe, il 
n'y a que des fibres longitudinales ; on le reconnait très bien sur 
des coupes transversales et sur des coupes longitudinales. L’épais- 
seur de ces deux couches est assez grande ; sur une coupe, dans 
laquelle la tunique musculaire transverse externe avait 0"",5, elles 
avaient ensemble 0**,06. Elles sont très nettes et très apparentes 
dans toute la longueur de l'estomac, suivent partout le fond des 
euls-de-sac glandulaires , mais sans pénétrer entre les glandes, 
forment une couche continue au-dessous d'elles, ne se dévient. 
pas. S'il existe des fibres musculaires entre les glandes, ces fibres 
ne sont pas des prolongements de ces couches, elles en sont tout 
à fait distinctes. 

Sur des coupes faites à travers l’intestin, ces deux couches ne 
se retrouvent plus; elles n'existent pas non plus sur l’æsophage, 
si ce n’est dans les dernières parties où l’on voit les fibres longi- 
tudinales prendre naissance sous les dernières glandes en grappe ; 
mais, au lieu d’être rapprochées, de former une couche, elles sont 
éloignées les unes des autres, dispersées dans une assez grande 
épaisseur de la muqueuse; elles se rapprochent peu à peu vers 
l'estomac, et forment la couche longitudinale externe de cet 
organe. Les fibres transverses commencent avec l'estomac ; il 
n’en existe pas dans l’œsophage sous les dernières glandes. 

Les choses sont tout à fait de même dans le Crapaud, il n’y a 
aucune différence. 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 988 


Dans la Salamandre terrestre et aussi dans la Salamandre d’eau, 
ces deux couches musculaires sont lout à fait semblables à celles 
de la Grenouille. 

Enfin, dans l’Axolotl que j'ai observé, les parties supérieures 
de la muqueuse étaient mal conservées ; cependant il m’a bien 
semblé que les deux couches existaient encore, mais un peu moins 
régulières. 


Des fibre$ musculaires propres de la muqueuse du tube digestif 
dans les Poissons, 


Leydig a recherché ces fibres dans l’Esturgeon (4natomisch- 
histologische Untersuchungen über Fische und Reptilien), et déclare 
qu’elles n'existent pas, Dans son Lehrbuch der Histologie, il répète 
la même assertion, mais ajoute en note qu'il les a trouvées dans la 
valvule intestinale des Raies et des Squales, et qu’elles manquent 
dans celle du Petromyzon. 

Dans tous les Poissons que j'ai observés, à l’exception des 
Cyprinoïdes, j'ai reconnu dans la muqueuse stomäcale, en Ja trai- 
tant successivement par l’acide acétique et par l'acide azotique, 
dés faisceaux de fibres musculaires lisses, presque tous lüngitudi- 
naux, surtout abondants dans la branche pylorique. Ils restent 
éloignés les uns des autres, dispersés sans aucune régularité au- 
dessous des culs-de-sac glandulaires, ne se rapprochent pas pour 
former deux couches comme chez les Batraciens. 

Dans la Lotte où des intervalles assez grands existent entre les 
groupes de glandes pepsiques, on voit quelques faisceaux muscu- 


laires dans ces intervalles. 


284 M. VALATOUR, —— GLANDES GASTRIQUES 


EXPLICATION DES PLANCHES. 


PLANCHE 9 ET 0. 


Fig. 4. Épithélium de l'œsophage d’une Anguille, vu par la partie supérieure 
sur une muqueuse fraîche ; l'une des cellules paraît vide et détruite, sa 
place seule resterait. 


Fig. 2. Épithélium de l’œsophage d’une Anguille sur une coupe faite à travers 
une muqueuse fraîche. 


Fig. 3. Le même épithélium sur une coupe faite à travers une muqueuse pré- 
parée à l'alcool ; toutes les cellules paraissent vides. 

Fig. 4. Épithélium de l'estomac d'une Anguille, vu par la partie supérieure. 

Fig. 5. Glandes pepsiques de l'estomac d'un Brochet, vues sur une coupe faite 
à travers une muqueuse fraîche ou préparée à l'alcool. Je n’ai figuré les cel- 
lules pepsiques que dans l’une de ces glandes. 

Fig. 6. Glande pepsique de l'estomac d'un Brochet sur une coupe faite à tra- 
vers une muqueuse préparée au carbonate de potasse. On voit le noyau des 
cellules pepsiques. 


Fig. 7. Morceau d'une glande pepsique tirée d’une muqueuse qui a longtemps 
macéré dans l'acide acétique ; les cellules pepsiques sont très apparentes, 
ainsi que leurs noyaux. 


Fig. 8. Cul-de-sac d'une glande préparée de la même manière. 

Fig. 9. Cellule pepsique isolée tirée de la même muqueuse, 

Fig. 40. Ouvertures des glandes muqueuses de la branche pylorique de l’es- 
tomac de l'Anguille, vues par la partie supérieure sur une muqueuse fraîche. 


Fig. 44. Glandes muqueuses de la branche pylorique de l'estomac de l'An- 
guille sur une coupe transversale, 


Fig. 42. Coupe d'une de ces glandes parallèle à la surface de la muqueuse. Sur 
cette coupe et sur la précédente, on reconnaît que les glandes ont une mem- 
brane propre. 


Fig. 13. Une glande muqueuse de la partie pylorique de l'estomac du Brochet 
avec trois petits tubes pepsiques. 


Fig. 44. Cellules de l'épithélium intestinales de la Carpe, détachées de la mu- 
queuse et vues par la partie supérieure. 


Fig. 15. Les mêmes, après traitement par acide acétique. 


DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 285 
Fig. 146. Les mêmes, vues de profil; a, b, des cellules isolées. 
Fig. 47. Les tubes de l'intestin de la Carpe recouverts dans toute leur étendue 
par l'épithélium cylindrique. 
Fig. 48. Les mêmes sur une coupe parallèle à sa surface. 


Fig. 19. Aspect des glandes œsophagiennes de la Grenouille à un faible gros- 
sissement. 


Fig. 20. L'une de ces glandes, vue plus nettement, pour montrer qu'elles sont 
formées de cylindres réunis par groupe et aboutissant à un même canal 
excréteur. La région où convergent les tubes n’est jamais nette. 


Fig. 21. Les deux couches musculaires propres de la muqueuse stomacale de la 
Grenouille. 
Fig. 22. Substitution des fibres lisses aux fibres situées dans la couche muscu- 


laire transverse, au commencement de l'estomac de l’Anguille. 


Fig. 23. Coupe transversale dans un œsophage de Perche, prépare à l'alcool : 
a, couche transversale externe formée de fibres striées; b. faisceaux longitu- 
dinaux de fibres striées ; c, cellules de l'épithélium. 


Fig. 24. Coupe transversale dans l'estomac de la Perche, vers l'origine de la 
branche pylorique, pour montrer comment les tuniques musculaires se sub- 
stituent l'une à l’autre en passant du cul-de-sac dans la branche pylorique. 


Fig. 25. Glande pepsique de l'estomac de la Lotte. 


NOTE 


SUR 


DIFFÉRENTES ESPÈCES DE VERTÉBRÉS FOSSILES 


OBSERVÉS POUR LA PLUPART 


DANS LE MIDI DE LA FRANCE, 


Par M. Paul GERV AIS. 


Je réunis dans ce mémoire (1) diverses observations nouvelles 
relatives à des animaux vertébrés fossiles appartenant aux diffé 
rentes classes des Mammifères, des Reptiles et des Poissons. Je 
les ai recueillies depuis la publication de la seconde édition de 
mon ouvrage sur la Paléontologie de la France (2), et elles ont 
trait, pour la plupart, à des animaux dont les restes se rencontrent 
dans nos départements méridionaux. Ces observations, dont quel- 
ques-unes ont été communiquées à l'Académie des sciences, sont 
à la fois zoologiques et géologiques; elles serviront de premier 
supplément à l'ouvrage que je viens de citer. 


MAMMIFÈRES. 


Je parlerai d'abord de quatre espèces de Mammifères apparte- 
nant à la faune pleistocène ou faune diluvienne. La première rentre 
dans le genre Hystriæ. 


Hysrrix maso, — M. Jules lier, mon confrère à l’Académie 
des sciences et lettres de Montpellier, a réuni des fragments de 
brèches provenant de l’île de Ratoneau près Marseille, qui renfer- 
ment des osséments et des dents de quelques Mammifères, et il a 
bien voulu m'en confier l'examen. Comme il arrive le plus habi- 


(4) Ce travail, accompagné d’une planche et de neuf figures intercalées dans le 
texte, paraîtra dans le tome V des Mémoires de l'Académie de Montpellier, 1861. 
(2) Zoologie et Paléontologie françaises, in-4°, avec atlas, Paris, 1859. 


VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIbf DE LA FRANCE, 287 


tuellement pour les fossiles enfouis dans les mêmes circonstances, 
la plupart de ces ossements sont fracturés en esquilles, et, par cela 
même, d’une détermination difficile. Tai cependant réussi à en 
isoler de la roche quelques-uns qui sont moins mutilés que les 
autres, et j'ai pu reconnaitre le genre dont ils proviennent. 

Je signalerai, indépendamment d’un Mammifére de la taille du 
Cerf ou celle de l’Ane, dont le groupe ne saurait encore être pré- 
cisé, trois espèces qui peuvent, au contraire, être classées d’une 
manière certaine; ce sont : 

Un Renard (Vulpes), dont j'ai vu une carnassière presque 
entière, provenant de la mâchoire supérieure ; 

Un Lagomys, indiqué par trois molaires et par une incisive infé- 
rieure ; 

Un Porc-Épic (Hystriæ), que des dents et plusieurs os des 
membres doivent faire regarder comme étant de près d’un tiers 
supérieur en dimensions, aux plus grands Pores-Épics actuels de 
l'Afrique et de l'Inde. M. Itier et moi en avons dégagé de leur 
gangue des parties très caractéristiques dont voici l’énumération : 


4° Plusieurs fragments des dents incisives, dont l’un, qui est long de 
0,085 et large de 0",006, montre encore sur une partie de son étendue 
la coloration jaune pâle qui distingue la partie antérieure des mêmes 
dents chez les rongeurs de ce genre; on y voit l’indice d’un très faible 
sillon ; une extrémité d’incisive supérieure est large de 0,007: celle-ci 
ne présente pas l’indice de sillon dont il vient d’être question. 

2° Des molaires, à différents degrés d’usure, laissées par plusieurs sujets. 
Le fût et les caractères de la couronne sont semblables à ce que l’on voit 
chez les Porcs-Épics ; mais le volume de chaque dent est sensiblement plus 
considérable. 

3° Diverses portions des membres montrant les mêmes analogies de 
formes associées à des dimensions également supérieures à celles des mêmes 
parties dans les Pores-Epics actuels. Il y a parmi elles : une moitié supérieure 
d’humérus ; une extrémité également supérieure de fémur ; une extrémité 
inférieure de tibia; un métacarpien médian, long de 0",038, et une pre- 
mière phalange, également plus forte que celle des Porcs-Épics de nos col- 
lections. 

L’extrémité supérieure du fémur était surtout intéressante à étudier, 
parce qu’elle permettait de distinguer nettement le gros rongeur fossile 


288 PAUL GERVAIS. 

à Ratoneau, d’avec les espèces de la division des castors dont les dents 
molaires, du moins dans certaines formes éteintes, ont une assez grande 
ressemblance avec celles des Hystricidés. La direction du col dans le fémur 
trouvé à Ratoneau, l’échancrure qui sépare sa tête d’avec le grand tro- 
chanter, la profondeur de la cavité digitale, la position tout à fait posté- 
rieure du petit trochanter et l'absence du troisième trochanter, sont autant 
de particularités décisives montrant bien que cet os vient d’un fort Porc- 


Épie et non pas d’un Castor. 

Le genre Porc-Épic, dont il y a des restes parmi les fossiles du pseudo- 
pliocène d'Auvergne, n’avait point encore été observé dans les brèches 
à ossements du midi de la France. L'espèce que nous en signalons d’après 
les fossiles trouvés à Ratoneau, paraît différente de celles qui vivent de nos 
jours, et aussi de celle de l’Auvergne ; nous l’avonsindiquée sous le nom 


d'Hystriæ major (1). 


Cervus srroNGYLocER OS. — Le grand Cerf dont j'ai reconnu (2) 
la présence parmi les Mammifères enfouis dans la caverne du 
Pontil, près de Saint-Pons, avec le Rhinoceros tichorhinus, le 
Bos primigenius et l'Ursus spelœus, me parait être le Cervus 
strongyloceros, qui est une variété du Cerf ordinaire plus grande 
que celle vivant actuellement en Europe, ou peut-être une espèce 
très voisine de celle-là. 

J'ai également eu l’occasion de constater la présence dans nos 
dépôts pleistocènes du bas Languedoc, de deux autres espèces inté- 
ressantes de la famille des Cervidés, et qui n’y avaient point 
encore été observées. 


Cervus somonensis. — La première est le Gran Dam, décrit 
autrefois par G. Cuvier, d'après un fragment de bois découvert 
dans les sables des environs d’Abbeville ; c’est le Cervus (Dama) 
somonensis des auteurs actuels. On l’a également signalé dans la 
Limagne et dans le Vélay. 


Une portion assez considérable d’empaumure trouvée dans la brèche 
osseuse de Pédémar, près de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard), appartient 


(1) Comptes rendus hebdomad. de l'Acad. des se., L. XLIX, p. 511 ; 1859. 
(2) Mém. de l'Acad, des sc. de Montpellier, t, HF, p. 509 ; 4857. 


VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 289 
bien certainement à cette espèce. C’est ce dont je me suis assuré en la 
comparant avec la pièce, type de la description de G. Cuvier, que l’on 
conserve au Muséum de Paris. Elle indique un sujet un peu plus grand, 
mais la forme générale n’en est pas différente, et l’on y voit encore les 
points d'insertion des andouillers supérieurs qui sont rangés de même et 
en même nombre. 


Les brèches osseuses de Pédémar m’ont aussi fourni des débris très 


caractéristiques du genre Rhinocéros (1) et quelques fragments apparte- 
nant au genre Cheval. 


CERVUS TaRANDUS. — La seconde espèce de Cervidés à laquelle 
j'ai fait allusion tout à l'heure est un Renne fossile. On a déjà men- 
lionné des Ruminants de ce genre dans plusieurs localités pleisto- 
cènes, particulièrement en France, et, dans certains endroits, il en 
a existé en même {emps que l'Homme, puisque les débris qui leur 
appartiennent ont été travaillés par la main de celui-ci. Paris, 
Étampes, Issoire, la caverne de Brengues dans le Lot, etc., ont 
fourni des débris de Rennes si peu différents des Rennes actuels 
du nord, que beaucoup d’auteurs doutent que l’on doive les en 
distinguer spécifiquement. La plupart des fragments connus du 
Renne fossile, dont mon Tarandus martialis (2), des graviers 
diluviens de Pézenas, est très facile à séparer, répondent aux 
Cervus tarandus, Guettardi el priscus, c’est-à-dire à trois des 
espèces admises comme distinctes par quelques naturalistes. 


J’ai trouvé un fragment de bois de T'arandus, très facile à reconnaître, 
dans un envoi considérable d’ossements appartenant presque tous au grand 
Ours des cavernes (Ursus spelœus), qui ont été extraits par M. Tail- 
hades de la grotte d’Aldène, près Cesséras (Hérault). Des restes de 
V'Hyæna spelwa sont également enfouis dans cette caverne. 


Hipparion crassum (3). — M. À. Crova, jeune professeur des 
Sciences physiques et naturelles, naguère attaché au collége de 
Perpignan, a reconnu, il y a quelques années, la présence, dans 


(A) Ibid. 
(2) Zoo. et Paléontol. franç., p.184. 
(3) P. Gerv., Comptes rendus hebdomad., 14 février 4859. 
4° série. Zoo. T, XVI. (Cahier n° 5) 5 19 


290 PAUL GERVAIS. 


les sables marneux qui bordent une partie de la route allant de 
cette ville à Canet, d’un gisement d’ossements fossiles de Mam- 
mifères, et il a bien voulu me remettre, pour les publier, ceux 
qu'il a pu se procurer. 

J'y ai reconnu des animaux de trois genres différents : 


4° Un Rhinoceros qui me paraît appartenir au sous-genre de ceux qui 
sont pourvus de grandes incisives et dont les débris sont surtout répandus 
dans le miocène européen. 

2° Un grand ruminant de la famille des Bovides et qui est probablement 
une Antilope analogue aux Antilope boodon et recticornis, espèces fos- 
siles en Espagne et dans le midi de la France, qui sont voisines par leurs 
caractères dentaires et leur taille, de l’Antilope senegalensis ou leuco- 
phæa. 

3° Un Hipparion ayant, comme les animanx de ce genre que l’on con- 
naît, les pieds tridactyles, le cubitus entier et distinct du radius et les 
molaires supérieures pourvues à leur bord interne d’une grosse île d’émail ; 
mais cependant facile à distinguer de l'Hipparion ordinaire par ses 
formes trapues et par un plus grand élargissement des os des pieds. J’en 
possède une extrémité inférieure de radius avec la partie correspondante 
du cubitus, deux métacarpes composés chacun de leurs trois os métacar- 
piens, un tibia presque entier et un métatarsien médian, Ces os annoncent 
une espèce à formes plus ramassées encore que l’Equus neogæus, dont 
j'ai décrit plusieurs ossements trouvés à Bolivie par M. Weddell (4). Le 
métacarpien médian a 0,035 de large au milieu sur 0,185 de long; le 
métacarpien médian 0,28 sur 0,21. Une dent molaire supérieure, qui 
a été recueillie dans le dépôt à ossements de Perpignan, se distingue 
surtout de celles des autres Hipparions par la forme de son île interne 
d’émail qui est subarrondie au lieu d’être ovalaire. 

L'espèce d'Hipparion que je signale n’était guère plus grande que 
les autres, et sa hauteur est également comparable à celle des Anes de 
moyenne taille. Toutefois, elle était beaucoup plus robuste et son'squelette 
était trapu au lieu d’être grêle et élancé comme celui de ces animaux. 
C'est pour rappeler cette particularité que j’ai proposé de l'appeler l’Hip- 
parion crassum. 


(1) Recherches sur les Mammifères fossiles de l'Amérique méridionale, p. 33, 
pl. 7. 


VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 291 


Les trois Mammifères suivants étaient terrestres, comme ceux 
dont il vient d’être question, mais propres à une époque antérieure 
à celle pendant laquelle les précédents ont vécu. Leurs débris ne 
se rencontrent que dans les terrains miocènes. Deux sont du genre 
Hipparion, l’autre est de celui des Anthracotheriums. 


HipparioN GRaGiILE (H. prostylum, P. Gerv.). — Indépendam- 
ment des débris dont je viens de parler sous la dénomination 
d'Hipparion crassum, et qui indiquent une espèce bien certaine- 
ment différente de celle que M. Kaup, M. de Christol et moi avons 
décrite dans plusieurs occasions, j'ai reçu des restes de l’Hipparion 
ordinaire provenant de deux localités qui méritent d’être ajoutées 
à la liste de celles que j'ai déjà signalées dans ma Paléontologie 
française. 


Une dent de ce genre, qui appartient à l'espèce dont il s’agit, a été 
trouvée par M. Flouest dans la molasse marine d'Aix, en Provence ; j’ai pu 
l’examiner et m’assurer de ses véritables caractères. 

D’autres dents du même animal, que j’ai également vues, font partie 
d’une petite collection d’ossements que MM. Jullien et Brinckmann se 
sont récemment procurée à Montredon, près Bize (Aude), et qui provient 
du terrain lacustre de cette localité. D’autres fossiles de Montredon sont 
conservés au musée de Narbonne ; on y reconnaît des restes de Mastodonte, 
de Dinotherium et d’une espèce du genre Sus. 


ANTHRACOTHERIUM MAGNUM, — Ce grand Bisulque est une des 
espèces les plus importantes de la faune miocène et l’une de celles 
qui, par leur présence dans un grand nombre de localités, en 
France, en Suisse, en Allemagne et en Autriche, permettent le 
mieux de reconnaître les terrains appartenant à l’époque du même 
nom, 


J’en connais un nouveau gisement situé dans le département de l'Hérault 
et qui permet de compter désormais cette espèce parmi celles qui ont vécu 
dans ce département. Il a été trouvé à Montoulieu, entre Ganges et Saint- 
Hippolyte-du-Gard, dans un dépôt de marnes lacustres, une portion de 
tête de l'Anthracotherium magnum. Une seule dent a été conservée : 
c’est une incisive supérieure interne en très bon état, et par conséquent 


9299 PAUL GERVAIS, 


facile à reconnaître. Je la dois à M. Boutin, professeur à Ganges, qui s’oc- 
cupe avec succès d'histoire naturelle. 


La présence de l’Anthracotherium magnum dans le dépôt 
lacustre de Montoulieu fait voir que ce dépôt se relie à ceux des 
environs d’Alais et de Saint-Ambroix, qui nous ont déjà montré 
d’autres débris d'animaux miocènes (1), et qu’il ne- faut pas le 
réunir aux terrains, également d’origine lacustre et fréquents dans 
l'Hérault, ainsi que dans le Gard, dans Vaucluse, etc., qui sont 
caractérisés par la présence des Paléothériums, et rentrent dans 
notre formation proïcène. 


Je passe à quelques animaux essentiellement aquatiques, dont 
les débris ont été trouvés dans nos terrains marins; l’un d’eux 
constitue une espèce entièrement nouvelle appartenant à l’ordre 
des Cétacés. 


Hazrrnerium, — M. le docteur Delmas m’a montré, parmi les 
fossiles des calcaires marins miocènes ramassés par lui auprès de 
Castries (Hérault), des fragments de côtes provenant évidemment 
d'un animal de ce genre, et j'en ai rencontré moi-même à Bou- 
tonnet, dans la molasse miocène, qui a fourni autrefois les Glosso- 
pètres signalés par de Blainville comme fossiles au même lieu. 
Les côtes d’Halithérium qui sont enfouies à Boutonnet sont com- 
parables, par leurs dimensions volumineuses, à celles de l'Hali- 
therium fossile de la Sarthe et de l’Anjou, ainsi qu’à celles de 
de l’Halitherium Beaumontii, des molasses de Beaucaire. 


Payserer anriquus. — Le genre Cachalot (Physeter) existait déjà 
pendant la période tertiaire supérieure, et j’en ai signalé des débris 
dans le département de la Gironde ainsi que dans celui de l’Hé- 
rault. 


Une nouvelle pièce appartenant à ce genre a été trouvée dans les sables 
marins de Montpellier, par M. Bourlier qui a bien voulu me la donner pour 
la collection de la Faculté des sciences de Montpellier. J’en publie une 


(1) Mém, de l'Acad. des sc. de Montpellier, t. ILE, p. 505. 


VERTÉBRÉS VOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE, 293 


figure, en même temps que ce travail, dans le tome V, pl. 5, des Mé- 
moires de l’Acadénue de Montpellier ; c’est un fragment considérable de 
la mâchoire inférieure. 


MesorLonon (Cetorhynchus) Carisrozu. — Voici un fossile des 
dépôts marins du Midi qui mérite particulièrement d'attirer l’atten- 
tion. C’estun fragment considérable de la mâchoire inférieure d’un 
Cétacé évidemment voisin du Delphinus sowerbensis, mais indi- 
quant un animal de bien plus grande taille. 


Le Delphinus sowerbensis de de Blainville, appelé aussi Dauphin de Dale, 
Dauphin microptère, etc., est une espèce fort curieuse des mers d'Europe, 
qui atteint 5 ou 6 mètres de longueur. On ne le prend qu’accidentellement, 
lorsqu'il vient échouer sur les côtes. Il a été vu en Angleterre, en Écosse, 
en Belgique, et, en France, sur les plages de la Seine-Inférieure et du 
Calvados. Il est le type d’un genre à part, qui a reçu plusieurs dénomina- 
tions, celle entre autres de Mesoplodon, substituée par moi aux mots 
fautifs ou déjà employés dans un autre sens, de Diodon, Aodon et Nodus, et 
sous laquelle on le désigne maintenant dans plusieurs ouvrages. Ce n’est 
pomt ur véritable Delphinidé, mais un animal voisin des Hyperoodons et 
des Ziphius, qu’il rattache à divers égards aux Delphinorhynques. Le Méso- 
plodon de Sowerby est sensiblement inférieur à l'Hyperoodon par ses 
dimensions, et il n’atteint pas même la longueur du Ziphius cavirostre, qui 
est aussi un Cétacé de nos mers, mais propre à la Méditerranée ; tandis 
que l’Hyperoodon et le Mésoplodon sont de l’océan Atlantique, de la 
Manche et de la mer du Nord. Le Mésoplodon a le corps grêle et allongé, 
ce qui indique dés habitudes essentiellement pélagiennes, et son rostre se 
prolonge en bec étroit, en même temps que sa mâchoire inférieure a la 
symphyse étendue et solidement réunie par une ossification complète, qui 
en rend les deux branches inséparables l’une de l’autre. Ce Cétacé pré- 
sente encore un autre caractère remarquable : sa mâchoire inférieure est 
pourvue, vers le milieu, d’une paire de dents fortes et saillantes au dehors, 
qui rappellent celles des Dioplodons, et elle porte en outre un certain 
nombre de dents très petites, simplement adhérentes aux gencives (1), 
ayant par cela même échappé à la plupart des auteurs qui ont étudié cette 
espèce. On les retrouve cependant en partie sur le crâne de l’individu 
échoué au Havre, quia été décrit par de Blainville, ainsi que par G. et 
Fr. Cuvier. 


(1) Zoo!. et Paléontol, franç., pl. 40, fig, 4. 


294 PAUL GERVAIS. 


La pièce pour l’interprétation de laquelle j’avais besoin de rappeler les 
détails qui précèdent, indique un animal plus fort d’un bon tiers au moins 
que le Mésoplodon de Sowerby, et qui approchait par ses dimensions de 
l’Hyperoodon Butzkopf. On peut supposer que l’espèce dont il provient 
n'avait pas moins de 7 à 8 mètres de long; mais, sauf les détails de valeur 
presque spécifique, elle reproduit assez exactement les caractères de la 
partie correspondante envisagée dans le Mésoplodon de nos côtes. Elle 
montre, en effet, que la mâchoire à laquelle elle a appartenu était allongée, 
grêle et pourvue d’une longue symphyse ossifiée. Ce qui la rendait surtout 
différente de l’espèce actuelle, c’était le volume plus considérable de ses 
dents et leur disposition plus uniforme. L’arc dentaire, dont une partie a été 
perdue, porte encore pour chacun des deux côtés sa rainure alvéolaire, et 
l’on y voit des alvéoles pour l’implantation d’une cinquantaine de dents, 
peu différentes par leur arrangement de celles des Delphinus tursio et 
rostratus, mais qui doivent avoir été plus grosses encore. Il y a toutefois 
cette différence, que les alvéoles ne sont pas séparées transversalement les 
unes des autres par des parois osseuses, et que la rainure dentaire a ici 
une analogie véritable avec celle du Mésoplodon vivant, quoiqu’elle soit 
proportionnellement beaucoup plus profonde et bien plus large. 

J'ai proposé d'appeler cette remarquable espèce Mesoplodon Chris- 
tollii (1), voulant indiquer ses affinités avec l’espèce de nos mers avec 
laquelle elle me paraît offrir tant de ressemblance; et désirant, d’autre 
part, rappeler par le nom spécifique qu’elle portera, qu’on en doit la décou- 
verte à feu M. de Christol. C’est, en effet, dans la collection laissée par 
cet habile paléontologiste que j'ai étudié la pièce osseuse dont il vient 
d’être question. Cette pièce provient des dépôts tertiaires marins du dépar- 
tement de l'Hérault, qui se rattachent à la partie supérieure du miocène, 
et renferment des fossiles qui se trouvent aussi dans les molasses de cer- 
taines autres contrées, ainsi que dans les faluns de la Touraine, etc, La 
localité où on l’a trouvée ne m'est pas connue avec précision ; mais, à en 
juger par le mode de fossilisation, je crois qu’elle vient des sables de Pous- 
san (Hérault), dont j'ai, de mon côté, obtenu un certain nombre de fos- 
siles intéressants, décrits dans mes précédentes publications. Peut-être 
jugera-t-on que le Mesoplopon Christoli devra, à cause du développe- 
ment plus considérable de ses dents, qui sans doute aussi étaient persis- 
tantes et non caduques comme celles du Mésoplodon véritable, constituer 
une petite division différente de celle à laquelle ce dernier sert de type. 


(4) Comptes rendus hebdomad., t, LITE, p. 456 ; 1864. 


VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 9295 


Dans ce cas, on pourrait donner à cette division le nom de Cetorhyn- 
chus. 


Il serait curieux de comparer le Mesoplodon Christolii et, après 
lui, tous les Cétacés dont les terrains marins supérieurs et moyens 
du midi de la France ont fourni des débris, avec les animaux du 
même ordre que l’on a récemment découverts en grand nombre 
dans le erag d'Anvers, et dont mon savant ami, M. le professeur 
Van Beneden, a entrepris de donner la description. 


DELPHINORHYNCHUS suLcATUS (1). — Le curieux Cétacé auquel 
j'ai donné ce nom m'est connu par des fragments de crâne recueillis 
à Vendargues, à La Vérune, à Cournonsec et à Poussan, localités 
miocènes du département de l'Hérault, dont trois appartiennent à 
la molasse ou aux sables et dont l’autre est formée de marnes 
bleues. Parmi les pièces rapportées à cette espèce que j'ai repré- 
sentées dans mon ouvrage, la plus remarquable est un crâne 
presque entier provenant de la molasse de Cournonsec. Tout 
récemment, M. Paul Marès a trouvé à Loupian, dans un terrain 
argilo-sableux remontant au même âgé que les précédents, des 
débris osseux et quelques dents de Poissons qu’il a bien voulu me 
remettre. Parmi ces fossiles, j'ai trouvé un morceau considérable 
de l’éxtrémité inférieure d’un fémur que je crois appartenir à un 
Crocodile de grande dimension et divers fragments très mutilés , 
dont il m'a été néanmoins possible d'opérer la restauration. Ces 
fragments se sont trouvés constituer une portion considérable 
d'une mâchoire inférieure d’une forme très singulière, que je 
regrette de ne pas connaître dans sa totalité. Ce qu’il m’a été pos- 
sible d’en reconstruire commence un peu én arrière de la partie 
symphysaire qui était fort longue, et mesure 0,40, bien qu’in- 
complet en avant aussi bien qu’en arrière. Les dimensions de 
cette pièce répondent assez exactement à celle du crâne de Delphi- 
norhynchus sulcatus dont j'ai parlé tout à l’heure. 


(4) P. Gervais, Mém. de l'Acad. des sc. de Montpellier, t. I, p. 310, pl. VII, 
fig. 3-7, et Zool. et Paléontol. franç., p. 306, pl. 83, fig. 3-7. 


296 PAUL GERVAIS. 


Par son faciès général, par sa forme et par son étroitesse, cette mâchoire 
inférieure rappelle sensiblement la partie correspondante étudiée dans le 
Gavial; mais on ne saurait cependant l’attribuer à un animal de ce genre, 
attendu qu’elle est d’une seule pièce, et c’est un des caractères des Rep- 
tiles d’avoir chaque moitié de la mâchoire inférieure décomposée en plu- 
sieurs OS. 

La partie symphysaire est aplatie à sa face dentaire, qui présente un 
fort sillon médian; elle est à peu près demi-cylindrique à sa face inférieure, 
qui se divise en trois régions longitudinales, une médiane et deux laté- 
rales séparées de la précédente par un très fort sillon. La bande médiane 
ne présente plus de trace apparente de la symphyse articulaire, si ce n’est 
vers la base même de la région symphysaire. La coupe de cette mandibule 
est également curieuse, à cause de la disposition trilobée des parties qu’elle 
laisse voir. Le lobe médian est représenté par la bandelette médio-infé- 
rieure qui vient d’être décrite, et les lobes latéraux répondent au reste de 
la mâchoire. Chacun d’eux est séparé du lobe médian par le sillon profond 
déjà signalé, et ils laissent entre eux et le lobe médian un canal évidé 
presque aussi large que le lobe médian, qu’il surmonte, et au-dessus 
duquel les bords externes des deux lobes latéraux se rapprochent mais sans 
se souder. Entre eux se voit le sillon médio-supérieur qui longe toute la 
surface palatine de la mâchoire. 

L’allongement et la disposition de la mandibule du Dauphin trouvée à 

Loupian par M. P. Marès répondent d’une manière assez exacte aux 
_ caractères déjà signalés par moi dans le rostre du Delphinorhynchus sul- 
catus, et il est bien probable que nous avons affaire ici à une pièce appar- 
tenant à la même espèce. 

La soudure des deux moitiés de la mâchoire inférieure du Delphino- 
rynchus sulcatus n’était ni moins intime ni moins solide que chez les Inias, 
les Platanistes et les Sténodelphes; mais la coupe de la mandibule de 
l’Inia serait plutôt en demi-ellipse qu’en demi-cylindre ou portion de demi- 
cylindre, comme dans l’espèce fossile, et la même coupe dans le Plataniste 
est bien plus comprimée encore. L’Inia et les autres espèces actuelles 
dont il vient d’être question, manquent d’ailleurs de sillons longitudinaux 
qui caractérisent le Delphinorynchus sulcatus. 

Aucune des dents n’est restée en place sur la mâchoire inférieure que 
nous décrivons, et les alvéoles sont toutes oblurées, On peut constater 
cependant qu’elles étaient de petite dimension, ce qui permet de conclure 
que les dents elles-mêmes étaient grêles et aiguës, et la même disposition 
avait sans doute également lieu pour les dents supérieures, 


VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE, 297 
La pièce dont il est ici question, et que représentent les figures 1 à 3 
de la planche IV du tome V des Mémoires de Montpellier, montrera que le 
Delphinorhynchus sulcatus diffère encore plus que je ne l’avais supposé 
des Delphinorhynques véritables, c’est-à-dire des Steno de M. Gray, et l’on 
pourra, dans la classification naturelle des Cétacés, faire du Delphinidé à 
long bec des terrains miocènes de l'Hérault, encore un genre différent de 
ceux de la nature actuelle. Ce genre s’éloignait en particulier de celui dans 
lequel javais placé l'espèce qui lui servira de type par la longueur de la 
symphyse et par les sillons qui parcourent son rostre. Il pourrait prendre 
le nom de Schizodelphis, par allusion à ces sillons qui se voient à la mà- 
choire inférieure aussi bien qu’à la mâchoire supérieure. 


REPTILES. 


Les Reptiles, au sujet desquels je me propose de donner de 
nouveaux détails, ne sont qu’au nombre de deux : l’un déjà décrit 
dans mon ouvrage comme se rattachant à l’ordre des Crocodi- 
liens; l’autre non encore observé en France, et rentrant dans le 
genre Thécodontosaure. Ce sont l’un et l’autre des animaux de la 
période triasique. 

On ne connaît encore que d’une manière assez incomplète les 
Vertébrés aériens qui ont peuplé le globe antérieurement à la 
période jurassique, et, jusque dans ces derniers temps, ceux qui 
sont enfouis dans le sol de la France n’avaient donné lieu qu’à 
quelques observations isolées. J’ai essayé de réunir ces observa- 
tions dans la seconde édition de mon ouvrage sur la paléontolo- 
gie (1), et j'y ai ajouté quelques faits nouveaux ayant lrait, comme 
ceux qu’on avait publiés antérieurement, à des espèces propres 
aux terrains de la période triasique. Ces espèces appartiennent 
uniquement à la classe des Reptiles et à celle des Batraciens. 

Les Reptiles triasiques dont la présence a été signalée en France 
sont de trois groupes différents, et il y avait aussi avec eux des 
espèces de la classe des Batraciens. Les Reptiles sont : 

4° Un Crocodilien encore incomplétement connu, dont j'ai parlé 


(1) Zool. et Paléontol. franc. 


298 PAUL GERVAIS. 


d’après uné pièce recueillie aux environs de Lodève(Hérault), et qui 
m'a été signalée par MM. Émilien Dumas et Paul de Rouville (4). 
Je reproduis ici les détails que j'ai déjà publiés à son égard : 


Crocodilien ? du trias? des environs de Lodève. — On a découvert, il 
y a plusieurs années, auprès de Lodève, dans une propriété appartenant à 
MM. Calvet frères, et dans un calcaire marneux de couleur jaunâtre, que 
M. Paul de Rouville attribue (ainsi que M. É. Dumas) aux assises supé- 
rieures de la série triasique, une partie du thorax d’un grand reptile, qu’à 
la forme biplane et allongée de ses vertèbres je regarderais plutôt comme 
appartenant à un animal jurassique, si les auteurs de la Carte géologique 
du département de l’Héraut n’avaient une idée différente sur l’âge du ter- 
rain qui a fourni ce fossile, et ne le rapportaient à l’étage des marnes 
irisées. 

La pièce, qui a été conservée et que possède maintenant la Faculté des 
sciences de Montpellier, montre des traces de plusieurs vertèbres, dont 
une, plus entière que les autres, est biplane, cylindroïde, quoique un peu 
clepsydiforme, et longue de 0",12, ses faces articulaires, qui sont planes 
l’une et l’autre et à contours à peu près circulaires, ayant environ 0°,06 
de diamètre. Six des côtes du côté droit sont conservées en partie ou indi- 
quées par leur empreinte. Elles sont fortes, solides, pleines, aplaties 
d’avant en arrière et élargies dans le même sens et à leur extrémité 
vertébrale qui, mesurée sur deux d’entre elles, a environ 0",06 sur la 
face aplatie. La longueur de l’un de ces côtés dépassait 0",40. 

J'ai cherché, pendant une des excursions que j'ai faites à Lodève, à 
recueillir d’autres débris de cette curieuse espèce, mais il m’a été impos- 
sible de men procurer. La pièce unique que l’on en connaît n’est pas 
assez complète pour qu’il soit possible d’en déterminer le genre avec pré- 
cision. On peut cependant juger, à la longueur des vertèbres, qu’elle avait 
plus d’analogie avec la partie correspondante du squelette des crocodiliens, 
qu'avec celle des plésiosauriens et des simosauriens; elle différait 
encore davantage des ichthyosauriens dont les vertèbres sont raccourcies et 
biconcaves. Les vertèbres du Pækilopleuron des terrains oolithiques de 
Caen semblent plus particulièrement pouvoir être comparées à celles du 
grand Reptile des environs de Lodève, que je viens de signaler; mais je 
suis bien loin de pouvoir établir que les unes et les autres proviennent 
d'animaux du même genre. 


(1) J'en donne la figure dans les Mémoires de l’Académie de Montpellier. 


VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 299 


2 L’Aphelosaurus lutevensis, espèce de Saurien véritable, que 
j'ai décrite sur l’examen d’une empreinte trouvée dans les ardoi- 
sières permiennes de la même ville (1). 

9° Diflérents Simosauriens, recueillis depuis une époque plus 
ou moins éloignée dans les départements de l'Hérault, de la Moselle, 
de la Marne et du Bas-Rhin. Les ossements de ces derniers ani- 
maux abondent dans le muschelkalk de Lunéville où G. Cuvier les 
a le premier indiqués, mais en en donnant des déterminations que 
les recherches de M. Hermann de Meyer (2) et les miennes ont 
dû faire modifier. 

Les Batraciens enfouis avec ces Reptiles sont du groupe de ceux 
que jai appelés Dinobatraciens, et ils appartiennent principale- 
ment au genre des Labyrinthodontes ou Mastodonsaures. Leurs 
restes osseux, ou les empreintes laissées par leur pas, m'ont éga- 
lement occupé (3). On en a constaté la présence dans les départe- 
ments de l'Aveyron, de l’Hérault, de la Haute-Saône, de la Moselle 
ét du Bas-Rhin. 


Taecoponrosaurus. — C'est également à la série des époques 
dites triasiques que remonte l'animal auquel ont appartenu quel- 
ques dents et un petit nombre de fragments osseux indiquant aussi 
un Vertébré à respiration aérienne, sur lequel j'ai appelé, en 
février dernier, l'attention des naturalistes (4). 


Ces débris ont été soumis à mon examen par M. Dumortier (de Lyon), 
qui les a découverts au Chappou, près Saint-Rambert (Ain). Leur forme, 
et en particulier celle des dents que l’on distingue parmi eux, indiquent 
un animal bien certainement différent de ceux dont je viens de rappeler 
les noms, mais qui rentre probablement avec les premiers dans la classe 
des Reptiles proprement dits. Ils ont été retirés des marnes blanchâtres 
affleurant au milieu des dénudations des couches inférieures de l’infra-lias, 


(1) Mém. de l’Acad. de Montp. (section des sciences), t. II, p. 437, pl. 5, 
et Zool. et paléontol. franç., p. 459, pl. 84. 

(2) Die Saurier des Muschelkalkes,in-fol., 1837. 

(3) Loc. cit. 

(4) Comptes rendus hebdomadaires, t. LIL, p. 347. 


300 PAUL GERVAIS. 
dans la localité qui vient d’être citée. M. Dumortier attribue ce gisement 
à l’étage des marnes irisées. 

Les ossements recueillis au Chappou sont réduits en petits fragments, 
qu’il m’a été impossible de réunir les uns aux autres, de manière à me faire 
une idée exacte de la partie du squelette dont ils proviennent, et je ne puis 
rien dire à leur égard. On distingue cependant parmi eux une pièce à peu 
près discoïde, ayant 7 millimètres de large sur 3 millimètres d'épaisseur, 
qui rappelle assez bien, au premier abord, un corps de vertèbré à sur- 
faces articulaires, biplanes, c’est-à-dire ayant le caractère propre aux 
vertèbres de beaucoup de sauriens de la période secondaire; mais c’est 
plutôt un os métacarpien qu’une vertèbre, et on lui trouve, en effet, quel- 
que ressemblance avec un des os de la même région chez les Reptiles aqua- 
tiques, les Chélonées par exemple, les Neustosaures, les Plésiosaures et 
les Ichthyosaures. Cet os, s’il appartient réellement à l’animal qui nous 
occupe, etsi la détermination que j’en donne est exacte, mettrait hors de 
doute le genre de vie essentiellement aquatique du Reptile trouvé au 
Chappou. 

Quant aux dents, il y en a une dizaine, isolées les unes des autres, mais 
dont quelques-unes sont à peu près entières, du moins pour la couronne. 
Elles sont comprimées, à sommet acuminé, à bords antérieur et posté- 
rieur denticulés en scie sur une grande partie de leur étendue. La partie la 
plus rapprochée’du collet manque seule de dentelure, et la disposition de la 
dent elle-même montre bien que la couronne, telle qu’elle vient d’être 
décrite, surmontait une racine distincte et implantée dans une alvéole 
propre. La longueur de ces dents, c’est-à-dire leur diamètre antéro-posté- 
rieur varie entre 6 et 9 millimètres, et leur hauteur, pour la couronne 
seulement, entre 9 et 44 ou 15 millimètres. La plus forte n’a que 4 milli- 
mètres d'épaisseur entre ses deux faces. La courbure des bords antérieur et 
postérieur n’est pas absolument la même pour les différentes dents. 

Les caractères queje viens designaler, et toutes les particularités distinc- 
tives des dents trouvées dans les marnes irisées du Chappou, sont la repro- 
duction presque exacte de ceux attribués par MM. Riley et Stutschbury à 
l'animal, fossile dans le conglomérat dolomitique des environs de Bristol 
(étage inférieur du pénéen), qu’ils ont nommé T'hecodontosaurus antiquus 
et auquel ils rapportent également des vertèbres biconcaves très dévelop- 
pées dans leur partie neurapophysaire, ainsi que des fragments de côtes 
provenant du même dépôt. Il me paraît hors de doute que les fossiles du 
Chappou ont appartenu à un animal de la même espèce ou tout au moins 
du même genre. 


VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 301 

On n’avait point encore observé en France des débris susceptibles d’être 

attribués au Thécodontosaure. Je donne des figures de ceux qui vien- 
nent d’être décrits. 


POISSONS. 


Je terminerai par quelques documents relatifs à diverses espèces 
de Poissons fossiles appartenant presque tous aux dépôts miocènes 
du Midi. 

Ces espèces figurent déjà pour la plupart dans l’énumération des 
Poissons fossiles en France que j'ai précéderament publiée; mais 
j'en signale ici des gisements qui n’avaient point encore été énu- 
mérés. J’en ai vu des pièces dans les collections de Montpellier 
et d'Avignon, ainsi que dans le cabinet de M. le doctenr Delmas; 
de Castries (Hérault), qui recueille avec $oin les fossiles de cette 
classe dans les calcaires et les marnes des environs de la ville 
qu’il habite. 


*CarysopHRys. — On trouve assez souvent les dents, soit mo- 
laires, soit incisives, des Chrysophrys ou Dorades dans les mo- 
lasses miocènes et dans les sables de même âge si répandus dans 
nos départements du Midi ; il y en a aussi dans nos terrains plio- 
cènes. J'en connais en particulier dans les départements de la 
Drôme, de Vaucluse, des Bouches-du-Rhône, du Gard, de l’Hé- 
rault, etc. Les calcaires moellons de Castries et la molasse coquil- 
lière de Boutonnet, près Montpellier, sont au nombre des localités 
qui en fournissent le plus souvent. De beaux fragments de Chry- 
sophrys fossiles trouvés dans le département de l'Hérault font 
partie de la collection de feu'M. de Christol. 

*SARGUS INCISIVuS. — Calcaires et argiles miocènes de Castries. 

* ÆroBarus arGuaTus. — Molasse coquillière de Pézenas (Hé- 
rault). 

*CARCHARODON MEGALODON. — Romans, Saint-Reslitut, près 
Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme); Carpentras, Entraigues, 
Sorgues, Apt (Vaucluse) ; Barbantane, Aïx (Bouches-du-Rhône); 
les Angles (Gard); Castries, Boutonnet, Pignan, Sain-Jean-de- 
Védas, Poussan (Hérault). 


302 PAUL GERVAIS, 


*Cesrracion ou grande espèce de Rata. — Dans les marnes 
sableuses de Loupian (Hérault), d’après une dent dont j'ai donné 
la figure ailleurs, vue en dessus et en dessous de grandeur natu- 
relle, et en dessus grossie au double. Cette pièce m'a élé remise 
par M. Paul Marès. 

“Prisnis. — Deux dents d’une espèce de scie (genre Pristis) 
ont été trouvées dans le miocène marin de Pézenas (Hérault) par 
M. Forel fils qui a bien voulu me les remettre. J'ai fait figurer 
l’une d'elles. 

*Oxvraina Hasrazis. — Sainte-Garde, Uzës, les Angles (Gard) ; 
Castries (Hérault), dans le calcaire et dans les marnes. Cette 
espèce, très répandue dans nos dépôts miocènes marins, se ren- 
contre aussi dans ceux du Portugal, ainsi que je m'en suis assuré 
par l'examen de dents provenant de ce pays qui m'ont été com- 
muniquées par M. Ribeiro. 

*OxYRHINA xYPHODON. — Pont-Saint-Esprit, les Angles, Uzès, 
Beaucaire (Gard); Castries (Hérault), dans le calcaire et dans les 
marnes. 

*GALEOCERDO ADUNCUS, — Lourmarin, Cucurron (Vaucluse); 
Castries, dans les marnes et dans les calcaires; Boutonnet, dans 
la molasse (Hérault). 

“ GALEOCERDO LATIDENS. — Sainte-Garde (Gard). 

* Hemprisris Serra. — Entraigues, Sorgues, Courtheson (Vau- 
cluse); Sainte-Garde (Gard); marnes et calcaires de Castries, 
molasse de Boutonnet et de Pézenas (Hérault) ; se trouve aussi 
dans les dépôts miocènes marins du Portugal. 


*HemiPRISTIS PAUCIDENS. — Marnes bleues des environs de 
Castries et de Mèze (Hérault) ; Nissan (Aude). 


*Nonpanus PRIMIGENUS.—Sainte-Garde et Uzès (Gard) ; molasse 
de Boutonnet (Hérault) ; Romans (Drôme). J’ai observé une dent 
du genre Votidanus, mais d’une espèce différente de celle dont il 
est ici question, dans le terrain néocomien de Ganges (Hérault). 
Elle y est associée au Sphenodus sabaudianus et à une Pycnodus, 
dont j'ai décrit ailleurs les dents palatines. 


MÉMOIRE 


SUR 


LE COEUR DE LA TORTUE FRANCHE, 


Par M. Henri JACQUART, 


Aide naturaliste au Muséum d'histoire naturelle. 


$. I. — La description du cœur de la Chelonia Midas ést importante en ce qu'elle 
reproduit exactement celle du cœur des Ophidiens. . 


L'étude du cœur de la Tortue franche, ou Chelonia Midas, 
nous parait avoir une autre importance que celle d’un fait anato- 
mique isolé. Elle ne se borne pas à faire connaître la structure 
particulière de cet organe chez ce Reptile, elle a plus de portée ; 
elle tend à établir que le cœur des Tortues a une conformation qui 
le rapproche beaucoup de celui des Ophidiens, et par conséquent 
qu’il n’est point composé d’un ventricule unique, ainsi que le 
disent les auteurs, et de deux oreillettes distinctes, ce que per- 
sonne ne conteste, mais bien de deux ventricules, c’est-à-dire 
d’un droit ou pulmonaire et d’un gauche bilobé, séparés incom- 
plétement l’un de l’autre par une cloison, dont le bord supérieur 
n’est pas soudé aux parois du cœur. 

Nous rechercherons plus tard si la disposition que nous espé- 
rons trouver dans le cœur de tous les Chéloniens ne se rencon- 
trerait pas aussi chez beaucoup d’autres Reptiles, à l'exception du 
Crocodile, dont le cœur ne diffère en rien de celui des Mammi- 
fères , car il a deux oreillettes et deux ventricules distincts, et le 
mélange des deux sangs s’opère à l’aide de deux vaisseaux qui pro- 
viennent chacun séparément d’un des ventricules, et s’abouchent 
ensuite hors du cœur. 


304 JACQUART. 


$ II. — Nécessité de rappeler la structure du cœur des Serpents, et la compa- 
raison que nous en avons faite avec celui des Mammifères. 


Mais si la disposition de cet organe est la même chez la Tortue 
franche et chez les Ophidiens, il est nécessaire de rappeler suc- 
cinctement l'anatomie du cœur de ces derniers, ainsi que les vues 
que nous avons développées en le comparant à celui des Mammi- 
fères. 

Nous renvoyons pour plus de détails au premier mémoire que 
nous avons publié dans les Annales des sciences naturelles sur la 
circulation du Python (L), et que M. le professeur de Quatrefages 
a présenté én notre nom à l’Académie des sciences, dans la séance 
du 9 juin 1856. (Voy. les Comptes rendus des séances de l’ Aca- 
démie, t. XLII.) 

Nous espérons avoir démontré dans ce travail, accompagné 
de nombreuses planches en noir et en couleur, que le cœur des 
Ophidiens peut être ramené à celui des Mammifères. 

Rappelons-nous comment chez ces derniers le ventricule droit 
empièête en avant sur le gauche, tandis que le second recouvre en 
partie le premier en arrière. Cette disposition est exagérée chez 
les Serpents; chez eux, lors de la formation primitive du cœur, le 
ventricule droit rétréci, glisse au-devant du gauche, et lui devient 
tout à fait antérieur ; beaucoup plus petit que ce dernier, il est 
débordé par lui des deux côtés. Le ventricule à sang rouge est 
rétréci dans son milieu ; ce rétrécissement, cet étranglement, c’est 
le trou ventriculaire des auteurs. Enfin la cloison interventricu- 
laire, qui sépare l'embouchure de l'artère pulmonaire de celle des 
deux aortes, n’est pas soudée par son bord supérieur aux parois 
du cœur. Nous avons un cœur veineux avec le vaisseau qui en 
part, et qui porte le sang veineux au poumon, et un cœur gauche 
auquel nous restituons les origines des deux aortes, qu'on avait 
fait partir, à tort, du ventricule droit. Au lieu d’un trou ventrieu- 


(4) Voy. Mémoire sur les organes de la circulation chez le serpent Python, par 
Henri Jacquart, 4° série, Zoologie, t. IV, n° 6, 4855. 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 305 


laire, nous ne trouvons plus que l’étroite communication entre les 
deux loges du ventricule gauche. Il y à une cloison interventricu- 
laire ; seulement, l’un de ses bords non soudé aux parois du cœur 
permet le mélange partiel des deux sangs (1). Alors tout s'explique, 
l'unité de plan n'est plus détruite, et la loi des connexions nous 
permet de poursuivre tous les termes d’une comparaison rigou- 
reuse entre le cœur des Ophidiens et celui des Mammifères. 

Ces vues avaient été présentées à l’occasion du cœur d’un 
Python et de celui d’un Boa d’un assez petit volume. Mais dans 
ces derniers temps, grâce à la bienveillance de M. le professeur 
Augusle Duméril, ayant fait l’autopsie de deux Pythons de Séba 
d’une taille considérable, 3 à 4 mètres de longueur, nous avons 
pu étudier deux cœurs deux ou trois fois plus gros que celui d’un 
fœtus humain à terme. 

Nous avons cru alors devoir revenir, dans un second mémoire, 
sur certains détails anatomiques, quoique nous les ayons figurés 
et décrits dans le premier avec exactitude, parce que la dimension 
plus grande des objets nous en a rendu l'étude et la démonstra- 
tion plus faciles. (Voy. Gazelle médicale de Paris, année 1855 : 
Nouvelles recherches sur l'anatomie du cœur des Ophidiens, par 
Henri Jacquart. Ce mémoire se trouve aussi dans les Comptes 
rendus de la Société de biologie de la même année.) 


S LIL. — Faits que nous croyons avoir démontrés dans les deux mémoires que 
nous avons publiés sur l'anatomie du cœur des Ophidiens. 


Nous y avons établi : 

1° Que l'oreillette droite s'abouche dans le ventricule droit, 
sans cependant confondre son axe avec celui de cette dernière 
cavité. Les axes de l'oreillette droite et de la loge pulmonaire sont 


(1) Dans le premier mémoire déjà cité, nous avions äit que chez les Ophidiens, 
c'est le bord inférieur de la cloison interventriculaire qui n'est pas soudé aux 
parois du cœur; nous nous sommes assuré depuis, par de nombreuses dissec- 
tions faites comparativement sur le cœur des Mammifères et celui des Serpents, 
que c’est précisément le contraire, c'est-à-dire le bord supérieur de cette cloison 
qui est libre. 

&° série. Zoo. T, XVI. (Cahier n° 5.) # 20 


306 JACQUART. 

dirigés d'avant en arrière et nn peu de hauten bas ; ils sont paral- 
lèles l’un à l’autre, et communiquent ensemble sur le bord libre 
du pilier de Ja cloison interventriculaire par un passage rétréci, 
situé entre l'insertion de l'extrémité antérieure de ce pilier et la 
cloison du cœur. L'axe de ce passage qui est presque vertical 
coupe ceux des deux cavilés, comme une sécante coupe deux 
parallèles qu’elle rencontre perpendiculairement. Nous ferons 
remarquer ici que l’action de la pesanteur doit faciliter le passage 
du sang de l'oreillette droite au ventricule droit dans les positions 
les plus ordinaires du Serpent, c’est-à-dire dans le repos ou la 
reptation. Le sang se dirige en bas sous l'extrémité antérieure de 
la colonne charnue de la cloison qui s’amincit notablement dans 
cet endroit, et au-dessous des orifices aortiques dans lesquels il 
s’introduirait, si, dans la diastole des ventricules, les deux val- 
vules sigmoïdes de chacune ne les fermaient complétement par 
suite du choc en retour du sang qui les fait retomber. 

2° Que la valvule aurieulo-ventriculaire s'abaisse pour le pas- 
sage du sang veineux dans la loge pulmonaire au moment de la 
systole des oreillettes, et forme un plan incliné qui le dirige vers 
celle-ci. Cette valvule s'accole alors sur le bord de la cloison qui 
sépare cette loge de la portion droite du ventricule gauche, et elle 
rend impossible l'introduction du sang veineux dans celui-ci. 

8° Qu'il faut, en outre, tenir compte de la force d’impulsion que 
donne au ventricule gauche, surtout dans la loge gauche (ventri- 
cule gauche des anciens auteurs), son épaisseur considérable qui 
nous l’a fait comparer à un gésier. Ce ventricule n’est pour nous 
que la loge la plus petite de cette cavité. 

Le bord supérieur de la cloison n'étant pas soudé aux parois du 
cœur, le mélange du sang veineux et du sang artériel a lieu au 
moment de la systole ventriculaire ; mais c’est le sang artériel 
müû par une force plus grande qui tend à s’introduire dans le ven- 
tricule droit, sur le bord libre de la cloison interventriculaire, et 
qui artérialise ainsi le sang veineux avant son arrivée au poumon, 

Nous indiquerons plus loin les conséquences importantes qui 
en découlent pour la théorie de lhématose pulmonaire chez les 
Reptiles. 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 307 


Mais si nous nous félicitons d'avoir profité de la gracieuse obli- 
geance de M. le professeur Auguste Duméril pour étudier des 
cœurs d'Ophidiens beaucoup plus gros que ceux qui avaient servi 
à nos premières recherches, combien n’avons-nous pas été plus 
heureux encore de trouver sur un cœur de Chelonia Midas ou 
Tortue franche, c'est-à-dire sur un cœur deux fois aussi gros que 
celui d'un Homme adulte, et par conséquent vingt fois plus volu- 
mineux que celui du plus gros Serpent que nous ayons pu dissé- 
quer antérieurement au Muséun ; de trouver, dis-je, une disposi- 
lion entièrement semblable à celle du cœur des Ophidiens ! 

Les proportions en sont relativement gigantesques, et les détails 
si nellement accentués, que c’est pour nous la confirmation de 
toutes les vues que nous avons exposées dans les deux précédents 
mémoires. Les points qui avaient pu rester.douteux, à cause de la 
pelitesse des objets soumis antérieurement à notre examen, grâce 
à la grandeur des proportions de la pièce, se présentent avec une 
telle évidence, que la démonsiration nous semble ne plus rien 
laisser à désirer. 

Nous avons figuré avec soin et exactitude le ventricule droit et 
le ventricule gauche d’une Chelonia Midas (voy. planche 7). 


$ IV. — Cœur de la Chelonia Midas, étudié à l'extérieur après la dissection 
des fibres musculeuses. 


Si, par une dissection attentive et minutieuse, on met à nu les 
fibres musculeuses du cœur de la Tortue franche en enlevant la 
séreuse cardiaque, on voil à la face inférieure du cœur, immédis— 
tement en arrière de la naissance de l'artère pulmonaire, une saillie 
que les auteurs ont nommée tnfundibulum de l'artère pulmonaire, 
et que les anatomisles de l'Homme ont décrite avec soin sur le 
cœur de ce dernier. Ils ont comparé à la partie évasée d’un cor de 
chasse cette dilatation du ventricule droit faisant suite à l'artère 
pulmonaire, qui en serait l'embouchure ou partie rétrécie. Les 
fibres musculeuses forment à droite et à gauche des anses plus ou 
moins régulières, qui convergent de la base du cœur vers la pointe 
en décrivant des courbes à concavité antérieure. Au niveau de 


308 JACQUART. 


l’infundibulum de l'artère pulmonaire, elles semblent s’écarter 
pour laisser voir les fibres propres du ventricule droit qu’elles 
recouvrent en partie; celui-ci semble s’énucléer au milieu d’elles 
en les soulevant. 


$ V. - Préparation pour l'étude de la cavité du ventricule droit. 


On divise ensuite l’artère pulmonaire, en passant entre ses deux 
valvules sigmoïdes. On prolonge l’incision sur la paroi inférieure 
du cœur, de manière à ouvrir le ventrieule droit, et l’on tient for- 
tement écartées les deux lèvres de la division. 


$ VI. — Étude de la cavité du cœur droit de la Chelonia Midas. 


On voit alors une cavité revêtue d’une membrane lisse, mais À 
la surface de laquelle sont sculptées des colonnes charnues sous 
forme de pilastres, puis des aréoles où sinus qui les séparent. 
Quelques-uns de ces derniers sont assez profonds et d’un orifice 
assez large, pour qu’on doive en tenir compte dans l’appréciation 
de la capacité du cœur droit. 


$ VII. — Pilier charnu principal, libre par son bord supérieur, et qui se 
continue avec la cloison interventriculaire dont il fait partie. 


On remarque surtout un pilier charnu, dont le sommet aminei 
se fixe entre l’origine de l'artère pulmonaire et celle des deux vais- 
seaux artériels. Sa base très épaisse se confond avec les parois du 
cœur. I a un bord libre qui laisse une fente entre lui et la paroi 
supérieure du cœur contre laquelle il s'applique ; dans le reste de 
son étendue, il se continue avec la cloison interventriculaire. 

Sur la pièce que nous avons sous les veux, une onverture cir- 
culaire considérable pouvant admettre l'extrémité du petit doigt, 
mène dans un sinus du ventricule gauche, qui pourrait loger la 
dernière phalange de l'indicateur, s’il n’était presque entièrement 
rempli par la base renflée du pilier de la cloison interventricu- 
laire. 


SIRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 209 
11 devient évident que le cœur droit a une paroi inférieure con- 
cave du côté de la cavité ventriculaire et convexe à l'extérieur, 
où elle se traduit par l’infundibulum de l'artère pulmonaire, et 
une autre paroi plane supérieure qui forme véritablement la cloi- 
son interventriculaire, et qui n’est pas soudée par son bord 
supérieur aux parois du cœur ; ce qui rend possible la communi- 
cation entre le cœur droit et le cœur gauche. 
Un seul vaisseau part du ventricule droit : c’est l'artère pulmo- 
naire garnie de deux valvules sigmoïdes à son embouchure. 


$ VIII. — Étude de la cavité du cœur gauche de la Chelonia Midas. 
Préparation à exécuter pour cette étude. 


Pour étudier le cœur gauche, il faut couper le pilier charnu de 
la cloison par une incision qui semble n'être que le prolongement 
de celle qui a divisé la paroi inférieure du ventricule droit. On 
ouvre ensuite l’orifice auriculo-ventriculaire gauche, et l’on pro- 
longe l’incision en avant et en arrière de cet orifice sur l’oreillette 
gauche et le ventricule gauche des anciens auteurs, en respec- 
tant la valvule auriculo-ventriculaire gauche et en suivant les axes 
des cavités. Puis on réunit les deux incisions ventriculaires par 
une coupe transversale faite à 2 centimètres environ de la pointe 
du cœur. Elle passe au-dessus du ventricule droit, et divise près 
de sa base, comme nous l'avons vu, le pilier que nous avons 
décrit, et toute la masse charnue qui sépare les deux sections 
ventriculaires. 

On renverse de la pointe vers la base du cœur le lambeau épais 
quadrilatère qui en résulte ; on embrasse alors d’un coup d’œil 
toute la cavité du ventricule gauche située, comme on voit, au- 
dessus du ventricule droit et le débordant des deux côtés, parce 
qu'elle est plus grande que celle de ce dernier. 


$ IX. — Tente membraneuse quadrilatère formée par les deux valvules 
auriculo-ventriculaires, réunies sur la ligne médiane. 


Au milieu de la cavité du ventricule gauche, mais un peu plus 


310 JACQUART. 


à gauche, se voit uñe lente membraneuse quadrilatère ; deux de 
ses bords sont adhérents : l’un inférieur se continue avec l’endo- 
carde, qui recouvre le lambeau charnü que l’on a relevé; autre 
supérieur se confond avec la séreuse qui revêt la paroi opposée du 
ventricule. Deux autres bords de cette cloison sont libres, flottants, 
convexes et festonnés : l’un droit appartient à la valvale auriculo- 
ventriculaire correspondante qui, en se relevant, bouche l’orifice 
aurieulo-ventriculaire droit ; et l’autre gauche forme le bord libre 
de la valvule auriculo-ventriculaire gauche qui, en se portant en : 
haut, ferme l’orifice auriculo-ventriculaire de ce côté ; tous deux 
sont comme sertis par üun renflement qui paraît destiné à leur 
donner plus de sülidité. Les deux valvules, en s’abaissant dans la 
diastole des ventricules, ferment toute communication entre les 
deux loges du ventricule gauche, en bouchant le trou ventricu- 
laire des anciens auteurs, trou qui, pour nous, n’est que le passage 
rétréci qui fait communiquer ces deux loges. 

Mais pour bien comprendre ce point d'anatomie, il est néces- 
saire de replacer le lambeau charnu quadrilatère, qu'on a relevé 
du côté de la base du cœur, dans la position qu’il occupait avant 
la section qu'on à faité pour le séparer du tissu cardiaque ainsi 
que le pilier de la cloison inférventriculaire. On voit alors que la 
Joge de la cavité du ventricule gauche, qui est à droite de la tente 
meérnbraneuse que nous venons de décrire, est plus que double de 
celle qui se trouve à gauche de ce même appareil valvulaire. C’est 
cèlte dernière seulement qui formait pour les anciens auteurs toute 
la cavité du ventricule gauche, et elle ne donne naissance à aucun 
vaisseaü. | 

Sur notre dessin, le lambeau museuleux masque une partie de 
cette cavité qu'il recouvre, et la fait paraître plus petite ; nous 
n'avons pu le tirer suffisamment pour la découvrir entièrement, de 
peur de déchirer la valvüule par une trop forte traction. La logé 
droite du ventricule gauche donne naissance à deux troncs arté- 
riels, qui ont deux embouchures distinctes garnies chacune de 
deux valvules semi-lunaires; mais ces deux vaisseaux s’accolent 
hors du cœur, et soudent leurs parois dans une assez grande éten- 
que, de manière à ne sémblér former qu'un seul tronc, pour s 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. ôl1 


séparer ensuile à quelques centimètres de leur origine. Vues par 
la cavité du ventricule, les valvules sigmoïdes qui garnissent les 
orifices sont tellement plissées et déformées, qu'on serait tenté de 
croire qu'il en existe plus de deux pour chacun des vaisseaux ; 
inais un examen plus attentif, surtout si on les ouvre, n’en con- 
state que deux pour chaque artère. 

Outre les deux valvules auriculo-ventriculaire droite et gauche 
qui se confondent sans trace de démarcation sur la ligne moyenne, 
. de manière à former la tente membraneuse déjà décrite, il existe 
un rudiment de repli valvulaire festonné, assez épais, qui garnit, 
l'entrée de chaque orifice auriculo-ventriculaire, et qui semble 
destiné à séparer par une occlusion plus complète l'oreillette du 
ventricule correspondant quand les valvules se relèvent vers 
celle-ci. | 


$ X. — Le trou ventriculaire des anciens auteurs n'est quele passage rétréci 
qui fait communiquer les deux loges du ventricule gauche. 


Il n’y a pas réellement de trou ventriculaire, mais bien, comme 
nous l’avons dit, un passage rétréci de plusieurs centimètres de 
diamètre, quand les valvules sont relevées ; il est formé en avant 
el sur les côtés par la voûte membraneuse déjà décrite, et en 
arrière par une portion du tissu charnû du cœur empiétant sur la 
cavité du ventricule gauche. Entre les oreillettes, la paroi inter- 
auriculaire, constituée par une membrane très mince, transpa- 
rente, mais complète, vient s'insérer sur la face antérieure du 
septum, qui résulte de la réunion des deux valvules auriculo- 
ventriculaires. Si nous insisions sur ce point avec {ant de détails, 
c'est parce que nous croyons qu’il n’a pas moins d'importance 
dans la structure du cœur des Chéloniens que de celui des Ophi- 
diens. 

Si l’on compare l'épaisseur des parois du cœur droit avec celle 
du gauche, on voit que, dans certains points, elle n'atteint que le 


quart, et dans d’autres le cinquième de l'épaisseur des parois de 
ce dernier, 


212 JACQUART, 
$ XI. — Des cavités des oreillettes. 


Les oreillettes du cœur de la Chelonia Midas, pour la disposition 
générale et les moindres détails, sont entièrement semblables aux 
oreillettes du cœur des Ophidiens, à part l’épaisseur des parois 
qui est considérable, et en harmonie avec celle des veutricules 
qu'elle égale presque. I faut cependant probablement tenir compte 
ici de la rétraction des parois des oreillettes après la mort. 

Sur un cœur rempli de sang, elles doivent être plus volumi- 

“neuses, leurs cavités plus considérables et leurs parois singulière- 
ment plus minces que sur la pièce que nous avons sous les yeux, 
dont les cavités ont été vidées de sang, et ont subi un retrait 
considérable par le séjour de l’organe dans de l’eau fortement 
alcoolisée. 


$ XII. — Oreillette gauche, 


Dans la cavité, de l'oreillette gauche se voit l’origine de la veine, 
la disposition réticulée due aux colonnes charnues dans un point 
et son état lisse dans d’autres. 


$S XIIT. — Oreillette droite. 


On trouve dans l'oreillette droite cette valvule si remarquable 
comparée à la valvule iléo-cæcale, figurée et décrite avec tant de 
soin dans notre premier mémoire déjà cité. 


$ XIV. — Il y a identité parfaite entre le cœur dela Chelonia Midas et celui 
- des Ophidiens. 


En résumé, on voit qu'il n'y à pas seulement ressemblance 
entre le cœur de la Chelonia Midas et celui des Ophidiens, mais 
bien identité parfaite ; en sorte que la description de ce cœur peut 
s'appliquer rigoureusement à celui des Serpents. Celui que nous 
avons sous les yeux en est un spécimen admirable, et vingt fois 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 913 
plus gros que le cœur du plus gros Serpent que nous ayons pu 
disséquer au Muséum, et qui appartenait à un Reptile qui avait 
k mètres environ de longueur. Le cœur de cette Tortue a deux fois 
le volume du poing d'un adulte; il s'ensuit que l’étude en sera 
beaucoup plus facile, et remplacera avec avantage celle du cœur 
des Serpents. 

Mais pourquoi, dira-t-on, une si longue description du cœur 
de la Chelonia Midas, puisqu'on la trouve dans Meckel et les prin- 
cipaux auteurs d'anatomie comparée? Pourquoi refaire ce qui à 
déjà été fait? C’est que leur description n’a pu être aussi complète 
que la nôtre. Au point de vue général où ils s'étaient placés dans 
leurs ouvrages, il ne leur a pas été permis de la compléter davan- 
tage; ils ne l’ont pas voulu! L’élude du cœur de la Tortue franche 
ne leur a pas semblé plus importante que celle du premier Reptile 
venu | 


$ XV.— Nous faisons du nouveau tout en recommençant ce que d’autres 

ont déjà fait, 

Il n’en est pas de même pour nous; si nous avons insisté sur cette 
description, c’est parce que nous regardons le cœur de la Chelo- 
nia Midas non-seulement comme type de tous les cœurs de Tor- 
tue, mais encore comme la représentation exacte et prodigieuse- 
ment grossie de celui des Ophidiens. Nous voulons de plus 
appliquer aux Chéloniens les vues que nous avons exposées sur le 
cœur des Serpents, et comparer leur cœur à celui des Mammi- 
féres. Voilà pourquoi, non content de tous les détails que nous 
avons donnés sur l'anatomie du cœur de la Tortue franche, nous 
complétons notre description par des figures en couleur et de 
grandeur naturelle exécutées par nous d’après nature. 

Nous nous sommes éclairé dans ce mémoire par la loi d'unité 
de plan ; comme nous l'avons déjà dit plus haut, nous avons cher- 
ché à résumer, dans la description d'un fait isolé au premier 
abord, l’histoire du cœur des Ophidiens et probablement de tous 
les Chéloniens; et enfin nous avons établi une comparaison qui 
nous parait fondée entre le cœur de ces deux classes de Reptiles 
et celui des Mammifères. 


314 JACQUART. 


8 XVI. — Avantages qui doivent résulter de notre travail pour la démons- 
tration, surtout dans les cours publics, 


Le plus souvent, dans les cours publics, on ne peut disposer 
pour les démonstrations que du cœur d'Ophidiens d’un très petit 
volume; c'est ordinairement de celui de la Couleuvre à collier ; 
on pourra donc remplacer ces organes à peine visibles, à cause 
de leur petitesse, par un cœur volumineux naturel ou moulé de la 
Chelonia Midas. Ce qui n’est qu’à l’état débauche chez les Ophi- 
diens se présente iei dans des proportions relativement gigantes- 
ques, et avec des détails faciles à embrasser du premier coup 
d'œil, C’est pourquoi nous nous proposons de faire reproduire en 
plâtre par le moulage ce viscère à l'extérieur et à l’intérieur, en 
donnant ensuite, d’après nos dessins, aux objets moulés leurs 
couleurs naturelles ou fictives; comme nous avons pu le faire, 
grâce à la savante intervention de M. le professeur Serres, pour 
un cœur assez volumineux de Sérpent Python que ses auditeurs 
ont eu sous les yeux, ainsi que les moulages exécutés par M: Stahl 
avec une admirable perfection. 

Nous nous sommes assuré par la dissection que le cœur de la 
Chelonia imbricata et de la Testudo mauritanica ont une confor- 
mation qui les rapproche beaucoup de celui de la Tortue franche. 
Seulement les détails anatomiques, bien qu'observés sur des indi- 
vidus d’assez forte taille pour l'espèce à laquelle ils appartenaient, 
ont été bien plus difficiles à saisir à cause de la petitesse de leurs 
dimensions. Il faut bien convenir aussi que la loge qui donne naïs- 
sance à l'artère pulmonaire est à peine reconnaissable tant elle 
est rélrécie ; que le pilier ‘ou colonne charnue dela eloison, n'est 
qu'ébauché, et que le passage, ou trou ventriculaire, est si large, 
qu'il semblerait n’exister qu'un seul ventricule, dans lequel s’ou- 
vriraient les oreillettes et les artères ; mais l'étude du cœur de la 
Tortue franche où tous ces points de l'anatomie sont de la plus 
grande netteté, nous permet de relrouver avec un peu d'attention, 
plus ou moins modifiées dans les autres Tortues, toutes les parties 
que nous avons décrites dans celle-ci, 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 215 

Mais nous voulons revenir sur un point de physiologie, dont 
l'importance n’échappe à personne : il s’agit de l’hématose dans 
les poumons des Reptiles. 

Les poumons des Reptiles semblent constitués d’une manière 
incomplète, pour transformer le sang veineux en sang artériel, par 
l'action de l’air contenu dans leur cavité sur les vaisseaux de leur 
tissu. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d'œil sur la 
structure de cet organe dans les différentes classes de Reptiles. 


$ XVII. — Structure du poumon chez les Ophidiens. 


Chez les Ophidiens, il n'y a quelquefois qu’un poumon ; que ce 
viscère soit simple ou double, c’est seulement la partie antérieure, 
c’est-à-dire le tiers ou le quart de sa longueur qui est aréolaire, 
et pourvu des ramifications de l'artère et de la veine pulmonaire, 
c'est-à-dire en un mot qui est approprié à l’hématose. Dans le reste 
de son étendue, ce n’est plus un véritable poumon, mais un sac 
aérien sans vaisseaux sanguins visibles à l'œil pu, et formé par 
une membrane lisse, transparente, et dont l'aspect est celui d’une 
séreuse. Peut-être ce réservoir aérien, comme nous Pavons fait 
pressentir dans un précédent mémoire, remplit-il chez la femelle 
les fonctions d'organe incubateur pendant le développement des 
œufs. Mais son organisation, au point de vue de la transformation 
du sang veineux en sang artériel; semble beaucoup laisser à 
désirer. 

Chez les Chéloniens, les poumons n'ont que des rudiments de 
cloisons celluleuses, et leur richesse vasculaire est très médiocre. 

Chez les Sauriens et les Batraciens, ces poumons sont éncore 
moins bien pourvus de vaisseaux. 


$ XVIII. — Appareils d'hématose qui soulagent le poumon de sa tâche. 


Chez tous les Reptiles, il semble que le sang, apporté par les 
veines des différentes parties du corps, ait besoin de subir en 
route, à la surface de la peau, certaine élaboration préparatoire, 
avant d'arriver dans l'intérieur du poumon, de manière que la 
lâche impossible à remplir par le poumon seul soit allégée par un 
cerlain nombre d'appareils d’hématose qui lui viennent en aidé, 


216 JACQUART. 
$ XIX. — Respiration cutanée, même chez les reptiles écailleux. 


C'est ainsi que l’on comprend que, même chez les Reptiles 
écailleux, l’air agisse à travers la peau sur le sang veineux, et 
qu’on est porté à admettre chez eux une respiration cutanée. En 
effet, si l’on ne peut guère supposer que la substance cornée, qui 
forme la partie moyenne des écailles à peu près impénétrable, 
puisse se laisser imprégner par les gaz au milieu desquels elles 
sont plongées , en revanche, il n’en est pas ainsi pour une partie 
de leur face profonde et des intervalles qui les séparent ; les tégu- 
ments y paraissent plus minces. 


$S XX. — Vascularité de la peau des Reptiles écailleux examinés après 
leur mort survenue au moment de la mue. 


C’est surtout sur les Serpents morts, au moment où ils allaient 
changer de peau, que l’on trouve une telle vascularité partout, 
même dans l'épaisseur de la base des écailles, qu'on n’est pas 
éloigné d'admettre une certaine action de l’air, même à travers 
l'épaisseur de l’enveloppe externe, 


$ XXI. — Existence de veines de Jacobson. 


Ainsi s'explique chez eux l’existence des veines de Jacobson, 
qui pourraient bien, à cause de leurs racines dans le réseau cutané, 
amener aux reins le sang veineux déjà en parlie modifié dans sa 
composition par l’action de l’air à travers les téguments. 

Sur des Pythons et des Boas de grande taille, morts au moment 
où ils vont changer de peau, époque plus critique pour eux que la 
mue pour les Oiseaux, la matrice des écailles, si l’on peut donner 
ce nom à la peau qui les supporte, en les comparant aux ongles, 
est rendue turgescente par la quantité de vaisseaux qu’elle ren- 
ferme. Plusieurs fois, sur des Serpents morts dans ces circon- 
stances, nous avons vu, à la suite d’une injection heureuse, des 
veines transversales, remplies par la matière solide injectée, se 


me 


STRUCTLRE DU COEUR DE LA TORTUE. 317 


diriger transversalement sur la face profonde de la peau à la 
manière des azygos, entre les rangées d’écailles : nées du réseau 
vasculaire de la peau, elles ne tardaient pas acquérir le calibre 
d’une plume de Corbeau. Ces veines aboutissent à trois vaisseaux 
longitudinaux rampant à la face profonde de la paroi abdominale : 
un médian plus considérable, et les deux autres beaucoup moindres 
et latéraux. Ces trois vaisseaux sont fréquemment anastomosés 
entre eux, et forment une partie très importante des racines des 
veines de Jacobson. 


$ XXII. — Existence chez les Serpents, au niveau du foie, de nombreuses 
veines portes supplémentaires, nées du réseau cutané, disposées sous forme 
de veines azygos transversales, etallant se ramifier directement dans le foie. 


Au niveau du foie, il existe chez les Ophidiens de nombreuses 
veines portes supplémentaires qui naissent, comme les précé- 
dentes, de la peau de la région correspondante du corps, et qui, 
dirigées transversalement, viennent se distribuer directement dans 
le foie, où elles se ramifent, sans s’anastomoser avec la veine cave 
inférieure. Nous avons cru d’abord, à tort, en les étudiant sur des 
Serpents plus petits, qu’elles se rendent dans la veine cave infé- 
rieure, située dans une gouttière de la face inférieure du foie. Ces 
vaisseaux nés de Ja peau nous semblent, comme les précédents, 
jouer un rôle relatif à l’hématose. 


$ XXIIT, — Conséquences qui résultent de la force d'impulsion plus grande 
du ventricule gauche. 


Mais, comme nous l'avons dit, le ventricule gauche des Ophi- 
diens est beaucoup plus grand que le droit; il a des parois quatre 
ou cinq fois plus épaisses que lui : il s'ensuit que le sang artériel 
est lancé avec une plus grande force d’irnpulsion que le sang vei- 
peux, qu'il doit refouler ce sang, et se mêler à lui en quantité 
notable dans le ventricule droit à travers la fente interventricu- 
laire; de là, il est envoyé au poumon par l'artère pulmonaire. 

La nature semble donc avoir eu pour but d’artérialiser en partie 


318 JACQUART. 


à l'avance le sang veineux, afin de venir en aide au poumon, et 
de le préparer en quelque sorte à l'hématose pulmonaire. 

Alors on peut comprendre pourquoi la cloison interventricu- 
laire est incomplète, et pourquoi le ventricule droit et le gauche 
communiquent entre eux par une large fente. Cette modification 
dans la loi d'unité de plan, au lieu de nous paraître un oubli, une 
imperfection, est rapportée avec raison, à une haute prévoyance, 
à un dessein arrêté d'avance par la sagesse du Créateur! 


$S XXIV. — Cœur humain avec persistance du trou de Botal et communication 
des deux ventricules à travers de la cloison interventriculaire. 


Au moment où nous lerminions ce mémoire, nous avons eu la 
bonne fortune de voir un cœur d’adulte conformé presque entière- 
ment comme celui que nous venons de décrire, et chez lequel il y 
avait, en outre, persistance du trou de Rotal. Ce cœur fut présenté 
à la Société de biologie, dans la séance du 44 septembre 1864, 
par M. le docteur Gübler, médecin de l'hôpital Beaujon et pro- 
fesseur agrégé à la Faculté de médecine. Nous renvoyons pour les 
détails de cette observation au volume des Comptes rendus de la 
Sociélé de biologie et à la Gazelle médicale, où l’on trouvera 
le mémoire original. Nous nous contenterons d'en donner ici 
une courte analyse, afin de pouvoir ensuite faire ressortir les 
points d’analogie qui existent entre ce cœur humain anormal, 
et celui de la Tortue franche et des Ophidiens régulièrement 
conformés. 

Le malade mort de phthisie pulmonaire, dans le service M. le 
docteur Gübler à l'hôpital Beaujon, le 1° septembre de cette année, 
avait présenté tous les symptômes d’une affection tuberculeuse 
très prononcée, et des phénomènes de cyanose très caractérisée. 
L'autopsie montre les deux poumons creusés de nombreuses 
cavernes, surtout vers le sommet. On ne trouve à l’orifice aortique 
aucune lésion qui puisse expliquer le bruit de souffle au premier 
temps reconnu pendant la vie. Les trois valvules sigmoïdes sont 
saines, et le bouchent complétement en se fermant. Mais on ren- 
contre une anomalie des plus curieuses : la partie de la cloison 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 319 
interventriculaire, qui vient ordiuaireiment s'interposer entre 
l'aorte et l'artère pulmonaire, manque, et laisse entre les deux 
ventricules une ouverlure de communication qui peut admettre 
deux doigts. Le bord libre qui la circonserit s’insère par ses deux 
extrémités dans deux interstices des valvules sigmoïdes aortiques, 
de manière à laisser du côté du ventricule droit une de ces val- 
vules, et deux autres du côté du ventricule gauche ; en sorte qu'un 
tiers de la lumière de l’artère s'ouvre dans le ventricule droit et 
deux tiers dans le gauche. Nous regrettons de ne point compléter 
notre descriplion en citant les propres parolesde M. le professeur 
Gübler, mais nous ne pouvons le faire pour deux motifs : d’abord 
parce que son observation n’a pas encore été publiée; ensuite 
c’est que le fait dont il s’agit a besoin d’êtré envisagé, et présenté 
par chacun de nous à un point de vue tout à fait différent. Nous 
renverrons donc aux recueils cités ceux de nos lecteurs qui vou- 
draient consulter l'observation originale, et nous achèverons 
d’esquisser rapidement les points qui nous paraissent intéressants 
sous le rapport de l'application de l'anatomie comparée du cœur 
aux anamolies de son développement. Il y a persistance du trou 
de Botal, dont le diamètre a 5 ou 6 millimètres. L'infundibulum de 
l'artère pulmonaire, ou partie du ventricule droit renflée ordinai- 
rement en forme de cor de chasse qui lui donne naissance, est 
tellement atrophiée, qu'elle ne pourrait pas contenir la phalange 
unguéale du petit doigt; en outre, elle se termine du côté de la 
cavité ventriculaire par un cul-de-sac qui ne communique avec 
celle-ci que par trois ou quatre ouvertures comprises entre les 
petites colonnes charnues semblables à celles qui sont sculptées en 
si grand nombre à la surface du cœur. L’artère pulmonaire est 
très petite, ainsi que ses divisions. Son orifice, dit M. Gübler, 
n’admet guère qu’un tuyau de plume d'Oie; et, au lieu de trois 
valvules sigmoïdes, offre une disposition valvulaire, qui rappelle 
celle de la valvule iléo-cæcale. 

Une colonne charnue, en forme de cône allongé, tient par sa 
base assez renflée à la paroi supérieure du ventricule droit, et fait 
relief à la surface de la cloison interventriculaire avec laquelle elle 
se confond, Son sommet s’insère entre l’orifice de l'artère aorte 


320 JACQUART. 
et de l’artère pulmonaire. La direction de ce pilier est à peu près 
parallèle au sillon antérieur du cœur. 

Nous sommes porté àle regarder comme l'analogie de la colonne 
musculeuse qu'on trouve dans le ventricule droit des Ophidiens 
et de la Tortue franche. En effet, il a les mêmes connexions que 
cette dernière; sa base et son sommet naissent, et se terminent de 
la même manière. Les orifices auriculo-ventriculaires droit et 
gauche et les valvules tricuspide et mitrale sont saines et nor- 
males. 

M. Gübler regrette de n'avoir pu s'assurer par la dissection de 
la persistance du canal artériel, l'aorte n'ayant pas été coupée 
assez loin du cœur. Une dissection minutieuse et à la loupe ne 
nous à pas permis d'en retrouver le point de départ à la division 
de l'artère pulmonaire. M. Gübler explique ensuite comment le 
bruit de souffle au premier temps, à la base du cœur, a pu se pro- 
duire chez ce sujet par la dilatation du bulbe aortique, et la eir- 
constance que l'aorte recevant à la fois le sang des deux ventri- 
cules se trouvait être d’un calibre insuffisant. 

Il semble étrange, au premier abord, que l'artère aorte naisse 
à la fois du ventricule droit et du gauche. Mais qu'on veuille bien 
se rappeler que l’orifice aortique de l'Homme est toujours placé 
à droite de l'artère pulmonaire. Supprimez, par la pensée, Ia partie 
de la cloison interventriculaire qui sépare normalement les deux 
vaisseaux l’un de l’autre, l'aorte s'ouvrira à Ja fois dans les deux 
veniricules. 

On ne saurait méconnaitre ici l’analogie qui existe entre cette 
ouverture située au-devant des orifices des deux artères, et celle 
qui existe dans le même point chez les Ophidiens et la Tortue 
franche. Faut-il donc modifier les idées que nous avons émises 
pour l'interprétation des différentes parties du cœur des Ophidiens 
comparé à celui des Mammifères? Devons-nous cesser de regar- 
der, comme nous l'avons fait, le trou ventricukaire comme un 
passage resserré du ventricule gauche unissant deux loges ? Faut- 
il y voir un simple arrêt de développement de cette partie de la 
cloison qui s’interpose chez les Mammifères entre les vaisseanx 
aortique et pulmonaire ? 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 921 


« Nous aurions alors regardé, à tort, l’entonnoir du ventricule 
» droit, d’où part l'artère pulmonaire, comme constituant à lui 
» seul tout le ventricule droit; il n’en serait qu’une portion ; il y 
» aurait encore pour le compléter toute la partie oceupée par la 
» valvule auriculo-ventrieulaire droile, en un mot tout ce qui reste 
» après avoir retranché l’infundibulum de l'artère pulmonaire. 

» Seulement, chez les Ophidiens et la Tortue franche, le cœur 
» gauche se trouve reporté plus en arrière, et le droit est plus en 
» avant; le chevauchement des deux ventricules l’un sur autre 
» est plus grand, et les deux aortes sont déviées plus à droite. » 

Pour qu’il soit possible d'établir une analogie complète entre le 
cœur humain anormal dontil est question ici, et le cœur des Ophi- 
diens et de la Tortue franche, une seule difficulté se présente : 
c'est que, chez ces derniers, l'orifice auriculo-ventriculaire droit 
est placé en dedans ou à gauche des orifices aortiques, tandis que 
sur le cœur humain anormal présenté par- M. Gübler, il est situé 
en dehors ou à droite de l'aorte. C’est là une difficulté capitale, 
car, remarquez-le bien, c’est en vain qu'après avoir indiqué les 
raisons de ce déplacement que nous avons données plus haut, on 
ajoutera que les valvules aurieulo-ventriculaires des Ophidiens ne 
sont guère développées que dans la moitié interne de cet appareil 
membraneux, on dans cette partie valvulaire qui correspond et 
qui tient à la cloison interauriculaire; que l'autre partie plus externe 
est atrophiée et seulement à l'état rudimentaire, ce qui a dû repor- 
ter l’orifice auriculo-ventriculaire droit plus en dedans. 

Il y a dans ces explications quelque chose de spécieux, mais qui 
ne salisfait pas entièrement. La difficulté reste donc tout entière ; 
VPanalogie fait défaut en ce point, Ainsi nous sommes ramené à 
notre ancienne théorie, quoique un peu ébranlé dans nos convic- 
tions par l'examen de ce cœur anormal d’Homme adulte. II faut 
espérer qu’une étude plus approfondie du cœur dans la série ani- 
male, et des anomalies de son développement chez l'Homme et les 
Vertébrés, viendra éclairer les points restés obscurs dans notre 
interprétation. 


4° série, Zooz, T. XVI. (Cahier n° 6.) 1 21 


329 JACQUART. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE 7. 


Fig. 4. Cette figure, réduite au tiers de la grandeur naturelle, représente 
l'intérieur de la cavité du ventricule droit de la Tortue franche, ou Chelonia 
Midas. | 

On y voit cependant aussi une portion de la surface externe de ce ventricule, 
du ventricule gauche et des deux oreillettes. Le tronc de l'artère pulmonaire a été 
divisé par une incision, qu’on a fait tomber entre ses deux valvules sigmoïdes, de 
manière à les laisser toutes deux intactes, el qu'on a prolongée sur la paroi infé- 

_rieure du ventricule droit, à partir de l'origine de l'artère pulmonaire jusque vers 
la pointe du cœur. On a ouvert aussi la branche droite et la branche gauche de 
sa bifurcation. L’aorte droite a été également fendue à sa naissance, suivant sa 
longueur, en respectant ses deux valvules sigmoïdes. 

Les deux lèvres de la division du ventricule droit sont maintenues fortement 
écartées, afin de bien montrer tous les détails de sa cavité. 

a a & a, oreillette droite, vue à l'extérieur. Elle est fortement plissée el revenue 
sur elle-même, parce qu'elle a été débarrassée du sang qu'elle contenait, et 
parce que l'eau alcoolisée dans laquelle la pièce était plongée a racorni le tissu du 
cœur : dans cel état elle a des parois très épaisses ainsi ‘que l'oreillette gauche. 

bb bb, oreillette gauche. vue à l'extérieur. La surface externe de ces deux oreil- 
lettes offre des plis ou sillons arrondis qui lui donnent quelque ressemblance 
avec celle des circonvolulions cérébrales; mais à l’état frais, comme nous 
l'avons dit dans le corps de ce mémoire. ces deux cavités devaient être plus 
grandes, leurs parois plus minces, et plus lisses à l’extérieur. 

ceccc, extérieur du ventricule gauche dont les fibres musculeuses ont été mises 
à nu par la dissection. 

dd, extérieur du ventricule droit. 

ee, lèvre droite de la division de la paroi inférieure du ventricule droit. 

[f, lèvre gauche du même, On voit que cette paroi est assez mince. 

gg, cloison interventriculaire divisée par la coupe ii, comme nous le «verrons 
plus loin. 

hh, pilier charnu très fort, en forme de cône très allongé, dont la base }/ s’en- 
fonce à travers une ouverture arrondie dans le ventricule gauche, avec les 
parois duquel elle se continue, et dont le sommet kaminci va se fixer entre 
les embouchures de l’artère pulmonaire, et de l'aorte droite à un cartilage en 
forme de poire découvert par Bojanus (1). 


Selon Ernst Brücke (2), il existe dans ce cartilage un noyau osseux chez les 


(1) Voy. Bojanus, Anatome Testitudinis Europææ, Vilnæ, 4849 p. 66. 
(2) Voy. Ernst Brücke, membre de l’Académie impériale de Vienne, Mémoire sur le mécanisme de la 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 325 
individus âgés. Nous r’avons vérifié ni l'existence du cartilage ni celle du noyau 
osseux, sur la Tortue qui fait le sujet de ce mémoire, parce que nous avons dû 
conserver la pièce dans son intégrité. Ce pilier charnu Ah’ se continue avec la 
cloison interventriculaire dont ii fait partie et dont il constitue le bord supérieur, 
légèrement concave et arrondi, Au lieu de s'être soudé aux parois du cœur, il est 
resté libre, et laisse entreelles et lui une large fente, qui établit une commu- 
nication entre le ventricule droit ou pulmonaire situé au-dessous, et le ventricule 
gauche situé au-dessus, lequel est composé de deux loges inégales. 

Le mémoire d'Ernst Brücke est fort intéressant au point de vue physiolo- 
gique, mais dans l'interprétation anatomique des différentes parties du cœur de 
la Tortue et de celui du Serpent, il est resté fidèle aux errements des anciens 
auteurs. Il n'a pas adopté les vues par lesquelles nous avons cherché à le rame- 
ner à celui des Mammifères, en poursuivant tous les termes d'une comparaison 
rigoureuse entre ce dernier et celui des Ophidiens. Il s’est efforcé, ainsi que Schleem, 
d'expliquer comment dans la systole ventriculaire, le‘sang rouge de l'oreillette 
gauche arrive presque tout entier aux aortes : 1° par l'occlusion de la fente inter- 
ventriculaire produite par l'application des parois du ventricule sur le pilier 
museuleux renflé, à cause du roidissement de ses fibres; 2° par le jeu d'une 
bande charnue située à la base de l'artère pulmonaire; bande qui, en se contrac- 
tant, fermerait l'entrée de celle-ci, et produirait en ce moment entre elle et la 
cloison une espèce de rigole ou gouttière qui conduirait le sang rouge aux artères 
aortes. 

Selon lui, cette bande musculeuse est l'analogue du bulbe artériel pulsatile chez 
les Amphibies nus. S'il admet que le sang rouge se rend entièrement aux aortes, 
il est cependant forcé, par les résultats de ses expériences, de reconnaître que 
les artères reçoivent aussi du sang veineux; parce que, d’après les recherches 
qu'il a faites à ce sujet, le sang rouge fourni par l'oreillette gauche ne suffirait 
pæs-à-a circulation générale. 

Si nous n'admeltons pas la séparation complète du cœur droit et du cœur 
gauche par le mécanisme indiqué par les auteurs, nous reconnaissons que ce 
mécanisme a pour effet de diminuer beaucoup le mélange des deux sangs ; nous 
rappelons en même temps que la force d'impulsion due à l'épaisseur du ventri- 
eule gauche produit le refoulement du sang veineux par le sang rouge. 

iii, trace de la coupe profonde qui divise, suivant sa longueur, toute l'épais- 
seur de la paroi inférieure de la loge gauche du ventricule gauche, et qui 
constitue tout le ventricule gauche des auteurs, qui divise aussi le pilier AW 
et arrive jusqu'à la cavité que nous regardons comme la loge droite du ven- 
tricule gauche, en tranchant tout le tissu charnu situé au-dessous de lui, De 
celte manière, en replaçant le lambeau, on peut à volonté rétablir le ventri- 
cule droit, comme il était avant la section. 


circulation chez les À mphibies, à propos de l'Hemys Europæe, dans les Contributions à l'anatomie et à la 
physiologie comparées du système vasculaire (Denkschriften der Kaïserlichen Academie der Wissen- 
schaften. Mathematisch-naturwissenchaftliche Classe, Dritter Band Wien, 18592). 


324 JACQUART. 


A, artère pulmonaire. divisée suivant sa longueur et dilatée en forme de sinus, à 
quelque distance de son origine. 

ss, ses deux valvules sigmoïdes à moitié relevées et offrant dans plusieurs points 
des noyaux plus épais. 

1j, les deux moitiés de la branche droite de bifurcation de l'artère pulmonaire. 

k, branche gauche de la même. 

La membrane qui garnit toute la surface interne de l'artère pulmonaire, a ur 
aspect aréolaire dû au grand nombre de follicules qu'on y trouve. 

IL, aorte droite, ouverte dès sa naissance suivant sa longueur et dont la muqueuse 
présente de nombreux plis ou aréoles. 

m, l'autre aorte cachée à son origine par la première et dérangée de ses rapports 
pour la montrer. 

n n, les deux valvules sigmoïdes de la première. Entre ces deux valvules on aper- 
çoit une très petite partie d'une des valvules sigmoïdes de la seconde artère 
aorte. 

F, grande fente située entre la cloison interventriculaire renflée. en forme de 
pilier, et la paroi du cœur, et qui permettrait une large communication entre 
le ventricule droit et le gauche; si, comme nous l'avons vu plus haut, au 
moment de la systole ventriculaire, le bord libre de la cloison ne grossissait 
par le fait de sa contration, et si la paroi ventriculaire venant s'appliquer sur 
lui, cette fente suivant Schleem et d'autres auteurs, ne se fermait pas, et sui- 
vant nous, n'était seulement beaucoup diminuée. 

VV, cavité du ventricule droit. A la surface de celle-ci sont sculptés de nom- 
breux piliers ou colonnes charnues, dont la longueur et la saillie varient beau- 
coup. Dans leurs intervalles sont des ouvertures arrondies qui diffèrent entre 
elles par leurs diamètres qui atteignent depuis quelques millimètres jusqu’à 
un centimètre et plus, et mènent dans des cavités ou sinus proportionnés. Le 
plus considérable est celui du fond duquel sort la base du pilier de la cloison 
et qui semblerait être une arrière-cavité du ventricule. Ces sinus, bien plus 
nombreux et plus prononcés chez les Tortues d'une autre espèce, commu- 
niquent avec là cavité des ventricules et s'étendent, comme Frnst Brücke en a 
faitla remarque (ouv. cit.), dans l'épaisseur des parois du cœur jusqu’à leur 
surface externe, et augmentent singulièrement la capacité de ces cavités ven- 
triculaires dont elles font réellement partie. 


Fig. z. Celte figure représente, réduite au tiers de la grandeur naturelle, la 
cavité du ventricule gauche. Ainsi que nous l'avons dit, on a divisé la paroi infé- 
rieure du ventricule droit et celle du ventricule gauche des anciens auteurs, sui- 
vant les axes de ces cavités et de la base du cœur vers la pointe ; puis on a réuni, 
par une section transversale faite à 2 centimètres environ de la pointe du cœur, 
les deux divisions ventriculaires de manière à trancher le pilier du ventricule droit 
à sa base et toute la masse musculaire qui sépare les deux coupes ventriculaires. 
Le lambeau charnu très épais qui en résulte, est tiré en haut et maintenu 


STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE, 229 
relevé. On peut ainsi embrasser d'un coup d'œil la cavité du ventricule gauche, 
presque lout entière. Elle est seulement masquée en partie à gauche par le lam- 
beau déjà indiqué qui la recouvre. 
aaa, oreillette droite, vue à l'extérieur. 
bbb, surface externe de l'oreillette gauche. 
ccc, extérieur du ventricule gauche. 

dd, extérieur du ventricule droit. 

ce, lèvre droite assez mince de la coupe de la paroi inférieure du ventricule droit. 

iiii, section quadrilatère du tissu cardiaque qui était continue avec le lambeau 
et qui montre l'épaisseur du ventricule gauche dans ce point. 

i', surface de section de la base du pilier charnu du ventricule droit. 

ji, ce pilier relevé et tenant au lambeau. 

k, section qui a séparé ce pilier à sa base. 

l, petite partie de la lèvre gauche de la division du ventricule droit. 

mmm, surface de section du lambeau. 

nn, plis des valvules sigmoïdes aortiques et de la partie voisine de l’endocarde. 
Il semblerait à la première vue qu'il y en a plus de deux pour chaque orifice ; 
mais l'ouverture des deux vaisseaux nous a permis de constater que ce n'est 
qu'une apparence due à l’ampleur de ces valvules contournées et déformées par 
le séjour dans l’eau alcoolisée, et qu'il n’y a en réalité qu’une paire pour chaque 
orifice. 

00 0, section du tissu musculaire du ventricule gauche. 

0!0!0!, surface de section appartenant au lambeau et qui correspond à la précé- 
dente. 

pp, la cavité du ventricule gauche des anciens auteurs ; et, suivant nous, portion 
gauche de la cavité du ventricule gauche sur laquelle le lambeau empiète et 
dont il cache au moins le tiers. 

p''p', une partie de la cavité du ventricule droit des auteurs, et, selon nous la 
portion droite du ventricule gauche. On y remarque les orifices aortiques 
déjà indiqués précédemment, et les plicatures de leurs valvules sigmoïdes. 

Y, tente membraneuse quadrilatère, dont chaque moitié, la droite et la gauche, 
constitue la valvule auriculo-ventriculaire correspondante. Elle a deux bords 
adhérents continus avec l'endocarde ventriculaire, l’un est supérieur, l’autre 
inférieur ; et deux bords libres, l’un droit et l’autre gauche, dont la dispo- 
sition rappelle celle du voile du palais. Chacun de ces bords, festonné, plus ou 
moins renflé surtout dans certains points, forme une espèce d’ourlet quisemble 
servir aux mêmes usages qu'une tringle à un rideau, c’est-à-dire à faciliter le 
jeu des valvules lorsqu'elles se relèvent vers les oreillettes ou s'abaissent vers 
le ventricule, et à rendre plus exacte l'occlusion des orifices qu’elles doivent 
fermer. Lorsque les deux moitiés de cet appareil valvulaire V s’abaissent 
vers le ventricule , elles forment de chaque côté une espèce de soupape arron- 
die et libre du côté de la cavité du ventricule, adhérente vers l'oreillette, Elles 


326 JACQUART. 


s'appliquent ainsi l’une contre l'autre, en bouchant le trou ventriculaire des 
auleurs, ou, suivant nous, le rétrécissement qui existe entre les deux loges du 
ventricule gauche. Des deux faces de l'appareil membraneüx V, lorsqu'il est à 
moitié relevé vers les oreillettes, l'une est antérieure, convexe et tournée vers 
celles-ci; elle se continue avec la cloison interauriculaire qui s'insèré perpen- 
diculairement sur elle. L'autre face est postérieure et concave; à. la manière 
d'une voûte, et regarde les ventricules. Elle circonscrit les trois quarts anté- 
rieurs de la circonférence du trou ventriculaire : c'est celle que nous voyons 
dans la figure 2 : lereste de cette circonférence est circonscrit en arrière par le 
tissu charnu du cœur revêtu de l’endocarde, L'appareit valvulaire V est sen- 
siblement reporté vers la gauche, en sorte que la partie du ventricule droit des 
anciens auteurs, qui, pour nous, est la loge droite du ventricule gauche, est 
bien plus grande que la loge gauche de ce même ventricule regardée par eux 
comme constituant à elle seule le ventricule gauche. On ne peut se faire une 
bonne idée de ce point d'anatomie qu'en replaçant le lambeau comme il élait 
avant d'être détaché et en regardant le troû ventriculaire alternativement du 
côté du ventricule gauche et du droit. Sur le cœur décrit ici, on peut facile- 
ment introduire la première phalange du doigt indicateur à travérs ce trou. 
C'est là un détail de l'anatomie du cœur des Serpenñls, difficile à saisir chez 
eux à cause de l'exiguité desés dimensions, et qui se trouve singulièrement élu- 
cidé par l'étude de la pièce représentée ici, à cause de ses proportions vingt 
fois plus grandes. La disposition de toutes les parties est la même chez la 
Tortue franche et chez les Ophidiens. 

q, bord libre de la valvule auriculo-ventriculaire gauche. La valvule äüriculo- 
ventriculaire gauche qui n'est autre chose que la moitié gauche de V, répré- 
sente la partie interne de la valvüle mitrale des Mammifères ; c'est la seule 
partie de cette valvule qui soit développée chez la Tortue franche et chez les 
Ophidiens, le reste de cette valvule n’est qu'à l’état rundiméntaire. 

ss, les deux extrémités du bord libre de la valvule auriculo-ventriculairé gaaché. 

s’, rudiment du reste de la valvulé mitralé, sous forme de rénflement où féplis 
membraneux ; cependant les vestiges en sont bien plus appréciables qué ceux 
dé la partie Correspondante de la valvule tricuspide où ils sont bien thvins 
faciles à reconnaître. 

g', bord libre de la valvule auriculo-ventriculaire droite. 

rr, les deux extrémités du bord libre de la valvale tricuspide qui est uniquement 
constituée par la moitié droite de l'appareil valvulaire V, ou valvule auriculo- 
ventriculaire droite. Le reste de la valvule tricuspide qui est à un état plus 
rudimentaire encore que la partie correspondante s' de la valvule mitrale ne se 
voit pas ici, et se Lrouve caché par la valvule auriculo-ventriculaire droite. 


OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES. 


Par M. Aus.-0. WRZÉESNIOW SKI. 


Arrivé à Varsovie au commencement de l'été dernier, je me 
suis occupé de l'étude des Infusoires que l'on y trouve en abon- 
dance. Les circonstances ne me permirent pas de me livrer exclu- 
sivement à ce travail ; cependant j'ai été assez heureux de trouver 
deux espèces, qu'il m'est permis de regarder comme nouvelles et 
de constater quelques détails de l’organisation des Infusoires, qui 
ne manqueront peut-être pas de quelque intérêt. 

Parmi les formes qui peuplaient un étang bien sale, j'ai trouvé 
une espèce qui appartient incontestablement au genre Leucophrys, 
tel que l'ont caractérisé MM. Claparède et Lachmann. Elle pré- 
sente la partie antérieure du corps tronquée par une surface con- 
vexe (front), qui, à son pourtour, porte des cirrhes buccaux plus 
forts que les cils qui couvrent tout le corps, el disposés en spire 
læotrope. L'anus est situé à l'extrémité postérieure du corps, en 
arrière de la vésicule contractile (1). Mais les caractères spéci- 
fiques de cette espèce s’éloignent trop de ceux des Leucophrys 
patula pour qu'on puisse joindre les deux espèces ensemble. 

De tous les ouvrages qui traitent l’objet qui m'occupe, je ne 
possède qu’un seul, savoir le bel ouvrage de MM. Claparède et 
Lachmann, couronné par l’Académie des sciences de Paris, et si 
je me permets de considérer l'espèce trouvée à Varsovie comme 
nouvelle, c’est parce que ces auteurs citent tous les Infasoires 
rapportés jusqu’à présent au genre Leucophrys, et démontrent en 


(4) Voy. Claparède et Lachmann, Études sur les infusoires el les rhizopodes, 
Genève, 1858-1861, vol, [, p. 215 et 228, pl, XIE, fig. 4. 


328 WRZESNIO WSKEL. 

même temps qu'ils doivent tous être rapportés ailleurs, à lex- 
ception du Leucophrys patula, seul représentant da genre (1). Si 
je ne me trompe pas et si l'espèce est vraiment nouvelle, c’est avec 
un vif plaisir que je prendrai la liberté de lui donner le nom de 
Leucophrys Claparedii, comme hommage au célèbre auteur qui 
a tant contribué à perfectionner nos connaissances sur les Infu- 
soires. 

Notre Leucophre est un peu comprimé, plus large en arrière 
qu'en avant ; les individus adultes sont à peu près deux fois plus 
longs que larges (pl. 8, fig. 1, 2,3). Son corps est en général plus 
où moins arqué, de manière que le bord droit, toujours plus long, 
est convexe, tandis que le bord gauche est concave (fig. 2, 3). 
Les individus jeunes sont comparativement plus larges. 

Le front est triangulaire; son bord gauche présente un are, 
tandis que le bord droit me parait être en ligne droite, ce que, 
cependant, je n’oserais pas affirmer. Le bord antérieur est incliné 
de droite à gauche par rapport à l'axe du corps. Le plan du front 
est moins incliné par rapport à cet axe que chez le Leucophrys 
patula, à en juger d’après la figure qu’en donne M. Claparède (2), 
car animal même m'est resté jusqu’à présent inconnu. 

A droite et à gauche du front, on voit deux élévations qui se 
confondent en arrière; elles forment avec le plan du front une 
fosse triangulaire ouverte en avant, et la bouche occupe son angle 
postérieur. L’élévation gauche est semi-lunaire, et considérable- 
ment plus grande que celle du côté droit; celle-ci rencontre le 
plan du front sous un angle aigu, tandis que celle-là forme avec 
ce plan un angle obtus. 

La spire des cirrhes buccaux est disposée comme chez le Leu- 
cophrys patula ; elle commence à droite de la bouche, fait un tour 
complet autour du front, et descend dans l’entonnoir buccal; sur 
les bords latéraux du front, les cirrhes sont implantés à la base 
des élévalions. 

La bouche est située à l'angle postérieur du front, comme je lai 


1) Loc. cit., p. 230 et234. 
(2) Loc. cit, p. XII, fig. 


= = 


OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES. 329 
déjà mentionné; elle se continue en un long æsophage tubuleux, 
eilié sur toute sa surface. 

La vésicule contractile est située à l’extrémité postérieure du 
corps, tout près de l'anus. Les vaisseaux longitudinaux n’apparais- 
sent qu'après la systole de la vésicule ; ils se rejoignent en arriére, 
et forment ensemble un arc (fig. 1). Tantôt ils s'étendent presque 
sous le front, tantôt ils n’atteignent que la moitié de la, longueur du 
corps. Quand la diastole de la vésicule recommence, les vaisseaux 
s'élargissent et deviennent plus courts (fig. 2), puis peu à peu ils 
prennent la forme d’un croissant avec une convexité au milieu 
(fig. 3), et enfin le croissant s’arrondit complétement (fig. 4), 
c’est-à-dire la diastole atteint son maximum. Plus d’une fois j'ai 
observé des animaux chez lesquels on ne remarquait pas de vais- 
seaux inême après que la vésicule avait disparu complétement. 

L’anus est situé à l'extrémité postérieure du corps, en arrière 
de la vésicule contractile (fig. 1-4, a); quelquelois sa place est 
indiquée par une légère dépression (fig. 2). 

Le nucléus est long et cylindrique ; sa position et la manière 
dont il est contourné varient d’un individu à l’autre (fig. 2 et 3), et 
parfois dans un seul et même. L'Infusoire qui nous occupe est 
rarement assez transparent pour qu'on puisse découvrir son 
nucléus sans réactifs. Une fois je ne pouvais pas apercevoir cet 
organe même après l'addition de l’acide acétique. Le diamètre du 
nucléus est de 0"",01. 

Le parenchyme du corps n’est pas bien transparent. Les grains 
verts que présentent presque tous les individus me paraissent 
appartenir plutôt au chyme de la cavité digestive (Claparède et 
Lachmann) qu'au parenchyme du corps, parce que ces grains 
ressemblent tout à fait à ceux que je voyais entrer par l’œsophage 
dans la cavité digestive, et puis les vacuoles qui ne renferment que 
de l’eau sont toujours incolores. J'ai rencontré seulement un indi- 
vidu rempli en grande partie par des grains verts qui gisaient, à 
ee qu'il m'a paru, dans le parenchyme; ils étaient plus petits qu'à 
l'ordinaire et tout à fait ronds, tandis qu'ailleurs ils étaient plus ou 
moins allongés. 


La cuticule présente chez le Leucophrys Claparedu, comme 


380 WRZESNIOWSKE . 
chez lant d’autres Intusoires ciliés sur toute la surface du corps. 
des rangées longitudinales de petites élévations. 

Les mouvements du Leucophrys Claparedii sont agiles, et je ne 
l'ai pas vu se reposer. Souvent il nage à reculons, et alors lé corps 
se raccourcil, sa partie postérieure s'élargit, et les élévations du 
front s'approchent l’une contre l'autre ; les cirrhes buceaux battent 
en sens inverse à l'ordinaire (fig. 4). S'il rencontre quelque 
grand objet, 1: le te avec son front, comme S'il rechérehait la 
nourriture. En général, c'est un animal extrêmement vorace, qui 
avale volontiers des objets énormes comparativement au diamètre 
de la bouche et de l'œsopliage; par exemple : des Vorticelles, dés 
Paramecia Colpoda, des Arcelles, ete. Ces objets dilatent les 
organes mentionnés (fig. 4), qui se rétrécissent peu à peu jusqu'à 
ce Qu'ils aient repris leurs dimensions normales (fig. 2, 3). Le 
Paramecium Colpoda ne se laisse pas avaler facilement ; au con- 
traire, il travaille de toutes ses forces pour s'évader ; le Leuco- 
phrys de son côté tâche dé reténir sa proie par ses cirrhes bué- 
caux qu'il agite avec vivacité, mais loutes ces manœtvres he sont 
pas loujours couronnées de succès. Plus d'une fois, j'ai vu le 
Paramecium s'évader de l'œsophage avec la rapidité de l'éclair. 
Un Leucophrys, après savoir avalé sous mes yeux deux Parame- 
Cium Colpoda, travaillait péniblement pour retenir un troisième. 

La nourriture expulsée de l'æsophage dans le chyme laisse 
derrière elle un sillon plus ou moins elair. La cavité digestive 
contient ordinairement des grains verts et noirs qui privent le 
corps de toute transparence. Chez ün individu (fig. 4), la cavité 
du corps renfermait une grande vaeuole avec un corps globuleux 
(peut-être une Vorticelle) ; chez un autre, un Paramecium Col: 
poda tournait vivement autour de son axe dans une vacuole 
oblongue. Les bols ilimentaires sont rares à voir ; la cavité diges- 
live remplit tout le corps. 

Jai rencontré un individa qui se divisait spontanément ; mais 
comme l'animal me tournait constamment le dos, il m'était impos- 
sible d’apércevoir les cirrhes buccaux. 

Le Leucophrys Claparedii atteint une longueur de 0"",45 à 
Os 234. 


OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES. 331 

Si nous comparons cette deseription avec celle du Leucophrys 
patula (4), nous voyons les différences suivantes qui autorisent 
l'établissement d’une espèce spéciale, savoir : 

Le Leucophrys Claparedii est plus allongé que le Leucophrys 
patula. 

Sur le bord droit et gauche de son front, nous voyons ües élé- 
vations qui manquent à l’autre espèce. 

Les eirrhes buccaux sont beaucoup plus longs. 

Son nucléus est en forme d'une longue bande contournée, tan- 
dis que le nucléus du Leucophrys patula est petit et discoïdale. 

Enfin le Leucophrys patula n'alteint, en moyenne, qu’une lon- 
gueur de 0"",13. 

Le Leucophrys Claparedu fouririllait à à Varsovie (2), ati mois 
de juin, dans un étang d’eau stagnante, bien sale, couvert de 
Lemna et renipli de conferves en abondance ; mais après un laps 
de temps de huit à neuf semaines, je ne pouvais plus retrouver que 
quelques exemplaires isolés. 

Dans l'aquarium, il se tenait surtout au fond, parmi la Lemna et 
les conferves à demi pulréfiées, en nombreuse compagnie d’autres 
Infusoires, tels que orticella (sp. indef.), ÆEuplotes Charon 
(Ehr.) et patella (Ehr.), Oxytricha pellionella (Ehr.), Urostyla 
grandis (Ehr. et Steiw.), Uroleptus piscis (Ehr. et Steiw.), Oxy- 
trèca caudata (Clap. et Lach.), Stylonychia mytilus (Ebr.) et pus- 
tulata (Ehr.), Spirostomum ambiguum (Ebr.) et teres (Clap. et 
Lach.), Paramecium Colpoda (Ehr.), aurelia (Ehr.) et bursaria 
(Tocke), Pleuronema chrysalis {Perty), Cyclidium  glaucoma 
(Ehr.), Glaucoma margaritaceum (Clap. et Lach.), Enchelys 
farcimen (Ehr.), Loæophyllum fasciola (Clap. et Lach.), Enche- 
lyodon farctus (Clap. et Lach.), Prorodon griseus (Clap. et Lach.), 
Nassula (peut-être pubens, Clap. et Lach.), Trachelophyllum 
apiculatum (Clap. et Lach.) et pusillus (Clap. et Lach.). 

Dans les derniers jours du mois de juin, j'ai retrouvé le Leuco- 
phrys Claparedii à Czersk (lisez Zschersk), ville sitaée à quelques 

(1) Loc. cit., vol. 1, p. 229. 


(2) 52° 13/ 5 de latitude et 48° %1” 55/°,5 de longitude orientale par rap- 
port au méridien de Paris. 


292 WRZESNIO WSKE, 

lieues de Varsovie ; mais parmi les conferves et le Myriaphyllum 
puisés dans un étang, les exemplaires étaient bien plus rares qu'à 
Varsovie. 


Une autre espèce, que je crois être nouvelle, appartient au 
genre Oxytricha ; je l'ai trouvée dans un étang à Mokotow, situé 
tout près de Varsovie. L'Oxytrique pullulait, surtout quand l’eau 
s'était corrompue dans l'aquarium et répandait une odeur très 
désagréable ; par cette raison, je lui donne le nom d'Oxytricha 
sordida. Elle vivait en compagnie avec l'Oxytricha pellionella, 
Stylonychia pustulata, Paramecium aurelia et Cyclidium glau- 
coma. 

L'Oxytrique en question est très comprimée, allongée et ovoïde 
(fig. 5et 6), mais parfois elle est insensiblement élargie en arrière, 
et alors, par sa forme, elle ressemble tant à l'Oxytricha pellionella, 
que, pour l'en distinguer, il faut un examen plus détaillé. 

Les cirrhes ventraux sont au nombre de onze, savoir : à droite 
de la fosse buccale, on voit six cirrhes (cérrhes frontaux, Stirn- 
wimpern dans la nomenclature de M. Stein), dont trois, implantés 
sur le devant du corps, sont plus forts que les autres ; en arrière 
de la bouche se trouvent trois cirrhes disposés en deux rangées, 
etenfin deux cirrhes non loin de l’extrémité postérieure du corps. 
Cette disposition des cirrhes ventraux, aussi bien que leur nombre 
coïncide avec la disposition et le nombre de ces appendices chez 
l’'Oxytricha pellionella, à l'exception d’un seul cirrhe frontal 
(Stein) que je ne pouvais pas découvrir chez cette dernière ; mais 
celte circonstance me parait sans importance, car l'Oxytricha 
pelhionella étant de petite taille et d’une agilité désespérante, il est 
bien possible que le cirrhe existe et qu'il m’ait échappé, ear je le 
trouve sur les figures d’un observateur aussi consciencieux que 
M. Stein (1). 

Les cirrhes marginaux (Randwimpern, Stein) ne s’éloignent 
pas beaucoup des bords du corps. Leurs deux rangées sont sépa- 


(1) Stein, Organismus der Infusionsthiere. Erste Hwlfte, Leipzig, 1859, Taf, XI 
Fig. 43-15. 


OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES, 333 

rées en arrière par des cirrhes, auxquels j'appliquerais le nom de 
pieds-rames s'ils étaient plus forts; mais leur ténuité s'oppose à 
cette dénomination, et, suivant l'exemple de M. Stein, je les nom- 
merai cirrhes anaux (A fterwimpern), parce que de cette manière 
on exprime seulement la position des appendices, sans préjuger de 
leurs dimensions. Ces cirrhes anaux sont à peine plus forts et plus 
longs que les marginaux ; ils sont au nombre de cinq à ce qu’il 
m'a paru. 
:- Les cirrhes anaux de l’'Oxytricha pellionella diffèrent tout à fait 
de ceux d'Oxytricha sordida ; ils se disüinguent des marginaux au 
premier coup d'œil tant par leur longueur que par leur épaisseur, 
et ce sont ces cirrhes anaux qui distinguent avant tout les deux 
espèces qui m'occupent. | 

Je remarquerai en passant que je vois distinctement chez 
l'Oxytricha pellionella sept eirrhes anaux, savoir : cinq cirrhes 
courbés qui sont figurés par M. Stein (4), et, en outre, deux forts 
cirrhes tout droits, situés à droite de l’axe du corps (fig. 7). 

La fosse buccale (péristome) de l'Oxytricha sordida ne diffère 
pas de celle de l'Oxytricha pellionella; elle est assez longue et 
étroite. 

Parmi quelques centaines d'Oxytriques des deux espèces, je ne 
voyais pas une seule rejeter des matières fécales, et par suite la 
osition de l'anus m'est restée inconnue. 

Le nucléus est double et ovale, comme habituellement dans ce 
genre; les nucléoles me sont restés inconnus. 

La cavité du corps renferme toujours des granules noirâtres, 
qui parfois rendent le corps tout à fait opaque. 

L'animal est quelquefois couleur de rouille; son parenchyme 
est mou et flexible au plus haut degré. Les mouvements de lOxy- 
tricha sordida ne sont pas moins agiles que ceux de l'Oxytricha 
pellionella. 

La longueur de l’'Oxytricha sordida est à peu près C"",14, 
celle de l'Oxytricha pellionella surpasse d’an peu 0"",08. 

L'étude des Stylonychies et des Oxytriques m'a conduit à quel- 


(4) Loc. cit., Taf, XI, fig. 43-45, 


BRIII WRZESNIOWSKI. 


ques observalions de détails, que confirment quelques assertions 
tantôt de MM. Claparède et Lachmann, tantôt de M. Ste, asser- 
tions qui sont toujours consciencieuses, et c'est pour celte raison 
que je veux les communiquer au publie savant. 

MM. Claparède et Lachmann affirment que les cirrhes fronto- 
buccaux des Stylonychies, des Euplotes et des Oxytriques, sont 
implantés sur le dos, depuis leur commencement sur le bord 
droit jusqu’à son bord gauche (cirrhes frontaux, Clap. et Lach.), 
où ils contournent le front (lèvre supérieure, Oberlippé de 
M. Stein), et redescendent sur la face ventrale de Panimal (1). 
M. Stein conteste l'exactitude de cette assertion (2) ; il dit que tous 
les cirrhes fronto-buceaux (et dorsale W impern) appartiennent à 
la face ventrale. Pour savoir à quoi s'en tenir, j'examinais souvent, 
avec une attention particulière, la position relative de la lèvre 
supérieure (front d’après MM. Claparède et Lachmann) et des 
cirrhes fronto-buccaux chez les Stylonychia mytilus, S. pustu- 
lata, S. histrie et Oxytricha sordida. Bien que ces animaux me 
présentassen tantôt leur face dorsale, tantôt ventrale, ou qu'ils me 
montrassent leur profil, je voyais toujours les cirrbes fronto-bue- 
caux disposés comme le disent MM. Claparède et Lachmann, et par 
conséquent la lèvre supérieure de M. Stein est en réalité inférieure. 

La position de l'anus chez les Stylonychies n’est pas moins 
litigiense entre M. Stein et les auteurs des Études sur les Infu- 
soires. Ces savants auteurs placent l'anus des Stylonychies à droite 
de la ligne médiane du corps, à la base des pieds-rames (3), 
tandis que, d'après M. Stein, il se trouve à la base du dernier 
pied-rame gauche (4). 

Plus d’une fois , je voyais les Stylonychia suit et histrio 
au moment d’expulser les matières fécales, et l’anus occupait tou- 
jours la place indiquée par M. Stein (fig. 8). Mais M. Claparède 


(1) Loc. cit., vol. I, p. 455 et 469. 

(2) Au moment d'écrire ces lignes je ne peux disposer que des notices bien 
imparfaites, tirées du bel ouvrage de M. Stein, c'est ce qui m'empêche de citer ce 
passage. 

(3) Loc. cit., vol. 1, p. 140 et 457. 

(4) Loc, cit,, s, 446. 


OBSERVATIONS SUR: QUELQUES INFUSOIRES. 589 
lui-même ne l'indique pas autrement sur sa figure de Stylonychia 
pustulata (voy. loc. eit., vol. 1, pl. VE, fig. 2). Chez le Séylony- 
chia histrio, les matières fécales s'accumulent devant l'anus pour 
être expulsées ensemble. 

La Glaucoma margaritaceum, Clap. et Lach. (Cyclidium mar- 
garitaceum, Ehr.), est munie à son extrémité supérieure de deux 
soies longues, non pas d’une seule comme le disent MM. Clapa- 
rède et Lachmann (4). La position et là direction d’une de ces 
soies sont indiquées tout à fait exactement par ces auteurs; l’autre 
soie se trouve implantée un peu plus à gauche, et sa direction est 
moins oblique (fig. 9). 

Je dois encore mentionner un fait assez singulier, qui, tout en 
corroborant l'opinion de MM. Claparède et Lachmann sur la strue- 
ture de la vésicule contractile, pourrait être en même temps invo- 
qué par M. Stein contre cette opinion, Les savants de Genève 
reconnaissent une membrane propre de la vésicule contractile, 
-et, comme preuve, ils rapportent entre autre que, chez le Spiro- 
slomum ambiquum, les matières fécales, au moment de traverser 
l’espace entre la paroi du corps et la vésicule, reloulent celle-ci 
sans pouvoir jamais pénétrer dans son intérieur (2). De son côté, 
M. Stein pense que la vésicule contractile doit être privée d’une 
membrane propre, puisqu'elle peut être disloquée dans certaines 
circonstances (3), 

Eb bien, chez le T'rachelophyllum apiculatum, Clap. et Lach., 
les matières fécales, qui s'accumulent à quelque distance au-des- 
sus de la vésicule (fig. 10, eæ), la refoulent au moment de passer 
entre elle et la paroi du corps (fig. 14); elles la font même avancer, 
mais ne pénètrent jamais dans son intérieur. Quand les excré- 
ments alleignent l'anus, la vésicule se trouve considérablement 
disloquée (fig. 12) ; après l'expulsion des excréments, elle reprend 
sa position normale, c’est-à-dire elle redescend dans l'extrémité 
postérieure du corps (fig. 10). 


(4) Loc. cit., vol. [, p. 278, tab. XIV, fig. 4. 
(2) Loc. cit., vol. I, p. 53. Remarque. 
(3) Loc, cit,, s. 86-91, 


396 WRZESNIOWSKI. 
S'il faut que je me prononce sur la signification de ce phéno- 
inène que j'ai observé plusieurs fois, j'avouerai que je suis tenté 
de pencher plutôt du côté de MM. Claparède et Lachmann. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE 8 ET 9. 


Les lettres ont la même signification dans toutes ces figures que j'ai faites 
moi-même. 


b, Bouche. | Vs, vaisseaux, 
a, anus. n, nucléus. 
v, vésicule contractile. | eæ, Accumulation des matières fécales. 


Le grossissement est de 300 à 350 diamètres, excepté le Claucoma margarita- 
ceum grossi 600 à 700 fois en diamètre. 


Fig. 4-4. Leucophrys Claparedii (Sp. n.). 

Fig. 1. Un animal avec des vaisseaux, commeils se présentent après la diastole 
de la vésicule contractile. Son nucléus n'est pas visible. 

Fig. 2. La diastole de la vésicule commence. Nucléus courbé en 8 ; un petit 
morceau d'une conferve sort par l'anus. 

Fig. 3. Un animal avec un nucléus distinct et la vésicule contractile en forme 
d'un croissant. 

Fig. 4. Un animal qui nage à reculon. La diastole dela vésiculeestau maximum, 

Fig. 4bis. Un-animal rempli en grande partie par des grains verts qui appar- 
tiennent probablement au parenchyme du corps. 

Fig. 5-6. Oxytricha sordida Sp. n.). 

Fig. 5. L'animal vu par sa face ventrale. 

Fig. 6, L'oxytrique vue de profil. 

Fig. 7. Oxytricha pellionella (Ehr. Stein), vue par sa face ventrale. 

Fig. 8. Stylonychia histrio (Ehr. Stein), réprésentée par la face ventrale. 

Fig. 9. Glaucoma margaritaceum (Clap. et Lach.), vue par sa face ventrale 

Fig. 10-12. Trachelophyllum apiculatum (Clap. et Lach.) 

Fig. 10. Un animal avec la vésicule contractile dans sa position normale. 

Fig. 41 et 12. Partie postérieure de l'animal pour montrer la position de la 
vésicule contractile pendant l'expulsion des excréments. 


RECHERCHES SUR LES MODIFICATIONS 
QUE SUB:SSENT 
APRÈS LA MORT, CHEZ LES GRENOULLES, LES PROPRIÉTÉS 
DES NERES ET DES MUSCLES, 


Par M. Ernest FAIVRE. 
Professeur à la Faculté des sciences de Lyon. 


Les propriétés des nerfs et des muscles persistent pendant un 
temps assez long après la mort chez les Grenouilles ; elles ont été 
l'objet depuis deux siècles d’un nombre considérable de recherches 
entreprises à des points de vue d’ailleurs très différents. 

Nous nous sommes proposé d'examiner la série des modifica- 
tions qu’elles subissent jusqu’à leur entière disparition, en appré- 
ciant aussi exactement que possible chacun des étals successifs. 

Pour atteindre ce résultat, nous nous sommes servi de cou- 
rants électriques, faibles et constants, dont on peut à volonté et 
d’une manière déterminée augmenter ou diminuer l’intensité. On 
peut ainsi représenter les divers états des nerfs et des muscles 
par le courant d’une certaine énergie suffisant pour déterminer 
une contraction. 

Les physiologistes ont déjà essayé à diverses reprises de mesu- 
rer, à l’aide des quantités d'électricité appliquées, les modifica- 
tions de l’excitabilité nerveuse et de la contractilité musculaire. 

Tantôt, comme M. Jules Regnaud, ils ont fait usage des élé- 
ments d’une pile thermo-électrique (1) ; tantôt ils ont employé, 
pour graduer les courants, des solides ou des liquides destinés, 
par leur interposition, à en augmenter ou à en diminuer l'énergie. 
Dubois Reymond, Ludwig, Kühne, et en dernier lieu Harless à 
Munich, se sont servis de ces divers moyens (2). 


(1) Voy. J. Regnaud, Bibl. de Genève, 1858, t. II, 123. 
(2) Voy. Ludwig, Physiologie, t. 1; W. Kuhn dans Archives de Bois-Rey- 
mond’'s, Jahrg, 1859, Heft 3; Harless, Journal l'Institut, 14 septembre 41859, 
4° série. Zooz. T. XVI. (Cahier n° 6.) ? .22 


o 


538 E. FAIVRE. 


L'appareil dont nous nous sommes servi est fondé sur les 
modifications apportées au courant par l’eau distillée : c’est l’appa- 
reil autrefois mis en usage par M. Delezenne pour apprécier la 
puissance relative des diverses piles. 

Nous faisons connaître dans Ja première partie de ce travail les 
conditions physiques et physiologiques dans lesquelles nous nous 
sommes placé. 

Nous décrivons dans la seconde partie les modifications succes- 
sives de la propriété contractile des muscles. 

La troisième est consacrée aux propriétés des nerfs jusqu’à 
leur entière disparition. 


L 


Conditions physiques et physiologiques des expériences. 


L'appareil que nous employons se compose de deux tubes de 
verre, ayant chacun À mètre de hauteur sur un décimètre de dia- 
mètre, appliqués parallèlement sur un support vertical, et réunis 
dans leur partie inférieure par un fil de platine : ce fil de platine 
pénètre à travers des bouchons qui ferment hermétiquement la 
base des tubes ; les deux tubes sont remplis d’eau distillée. On 
peut y faire descendre ou monter à volonté deux tiges de cuivre 
d’un mètre de haut sur 0",005 de diamètre, fixées en haut par 
une barre transversale qui se meut au moyen d’un ressort sur une 
échelle graduée. 

Les pôles de la pile sont mis en communication avec l'extrémité 
de chaque fil de cuivre engagée dans la traverse mobile. 

Lorsque les tiges sont complétement descendues dans les tubes, 
de manière à ce que le contact soit établi entre le cuivre et le 
platine, l'appareil est à zéro, et le courant ne traverse aucune 
colonne d’eau distillée. 

Lorsqu'au contraire les tiges ne plongent dans l’eau des tubes 
que par leur extrémité inférieure, l'appareil est à 100 degrés, et 
le courant est très affaibli, puisqu'il traverse une colonne de 
2 mètres d'eau distillée. Entre zéro et 100 degrés, on établit une 
division en centimètres, et le courant est d'autant plus faible que 


PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 399 


les tiges sont plus élevées, d'autant plus énergique qu'elles sont 
plus basses. 

Nous employons pour produire le courant constant une pile de 
Daniel de deux éléments ; la disposition est telle que le courant de 
cette pile, après avoir traversé tout notre appareil à zéro, dévie 
toujours, et exactement de à degrés un galvanomètre sensible ; la 
même condition doit être remplie avant chaque expérience. Ainsi 
nous employons toujours un courant constant de même inten- 
sité. 

Nous avons réglé la force du courant, de telle sorté que, l’appa- 
reil étant à zéro et le galvanomètre marquant 3 degrés, le courant 
puisse déterminer des contractions directes et indirectes dans les 
museles, Dés lors, pour trouver le degré du courant qui corres- 
pond à l’état initial des nerfs ou des muscles, on n’a plus qu’à 
élever ou abaisser les tiges en cherchant par tâtonnement le degré 
de courant précisément nécessaire pour produire la contraction. 
Ce degré trouvé, si, une heure après, le nerf est devenu plus exci- 
table, on constatera que, pour produire l'effet initial, on n’a plus 
besoin que d’un courant de moindre énergie , et cette énergie on 
pourra la déterminer. L’inverse à lieu si le nerf est devenu moins 
excitable. 

L'état du nerf se traduit par la convulsion musculaire, et cette 
convulsion musculaire peut être appréciée soit directement, soit à 
l’aide d'instruments mesureurs. 

Nous n'avons pas fait usage de semblables instruments dont 
l'exactitude est très discutable, et l'usage difficile et complexe ; 
nous nous sommes borné à l'inspection directe qui ne trompe 
pas, quand on ne tient compte que des résultats bien déterminés, 
et vérifiés en même temps par divers observateurs. Nous ne con- 
signons dans ce travail que les résultats évidents et tranchés. 

Après avoir obtenu un courant constant et gradué, nous avons 
cherché à éviter les erreurs qui proviennent du mode d'application 
de l'agent électrique aux tissus animaux. 

Ces erreurs sont nombreuses ; elles tiennent à la nature des 
pôles, au mode, à la durée de leur application, à l'énergie des 
courants, aux courants dérivés, à la polarisation des électrodes, ete, 


340 E. FAIVRE. 
Voici, pour éviter ces erreurs, les précautions que nous avons 
prises : 

Les deux électrodes dont nous nous servons sont des fils de 
platine très fins ; nous les plaçons autant que possible, dans toutes 
les observations, à la même distance et sur les mêmes points des 
nerfs et des muscles ; nous employons toujours le courant inter- 
mittent direct ou centrifuge ; nous évitons toute pression ; nous ne 
tenons compte que des résultats obtenus à l'instant même de la 
fermeture du circuit; nous n’excitons les tissus que pendant un 
temps très court, el nous répétons les excitations à des intervalles 
constants et éloignés. C’est en agissant minutieusement de la 
même manière, avec un même courant et un mode d’appheation 
identique, que nos résultats deviennent parfaitement comparables 
entre eux. 

Nous ne nous sommes pas placé au point de vue du physicien 
qui étudie le mode d'action des courants, mais au point de vue 
du physiologiste qui veut, en se servant d'un même courant 
comme mesure, comme réactif, apprécier les changements des 
propriétés vitales. 

Les conditions physiologiques dans lesquelles nos expériences 
ont été exécutées se rapportent à l’état des animaux avant l’opé- 
ration, au mode d'opération, au mode de constatation des phéno- 
mênes. 

Le choix des Grenouilles n’est pas indifférent. Dans une même 
saison, les plus petites sont toujours plus actives que les plus 
volumineuses; pour obtenir des résultats comparables, nous choi- 
sissons, autant que possible, les animaux de même poids, et nous 
les plaçons, avant l'expérience, dans des conditions analogues de 
température et d'humidité. Nous avons remarqué qu'une humidité 
excessive tend à abaisser les propriétés nerveuses et musculaires ; 
aussi nous laissons les Grenouilles à sec pendant les jours qui pré- 
cèdent l'opération. Nous avons soin de vider la vessie avant de 
sacrifier l’animal ; sans cette précaution, l'urine s’infiltre dans les 
museles pendant la section, etles propriétés de la fibre musculaire 
sont modifiées. 

Nous préparons les Grenouilles de la manière suivante : l'ani- 


PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. SIN 
mal est coupé transversalement au-dessous des membres anté- 
rieurs ; tous les viscères abdominaux du tronçon postérieur sont 
enlevés, la peau est séparée ; les muscles des membres postérieurs 
sont mis à nu. Les nerfs iliaques sont isolés depuis leur sortie du 
canal vertébral jusqu’à l’origine du nerf erural: ils peuvent être 
recouverts à volonté par une partie des parois abdominales que 
nous laissons adhérente aux os iliaques ; cette disposition est des- 
tinée à prévenir la dessiccation dans l'intervalle des expériences. 
L'animal ainsi préparé est placé sur une plaque de liége; on pro- 
cède alors à l’examen. 

Pour constater les phénomènes, nous isolons généralement les 
nerfs des tissus voisins à l’aide d’une plaquette de liége; sans cela, 
le courant, affaibli par les liquides conducteurs, ne donnerait lieu 
à aucune manifestation. Nous pouvons cependant galvaniser les 
nerfs sur place, si nous avons soin d'enlever, à l’aide d’une fine 
éponge, les liquides qui les entourent. Il importe de ne fatiguer le 
nerf ni à l’aide des agents mécaniques, ni à l’aide du courant ; aussi 
nous opérons rapidement et à des intervalles assez éloignés. 

Pendant toute la durée des expériences, les animaux opérés sont 
placés dans les mêmes conditions sous une cloche de verre, afin 
d'éviter l’action des courants d'air et de la poussière. 

Les minutieux détails dans lesquels nous venons d'entrer sem- 
bleront peut-être superflus ; cependant ils sont tous nécessaires. 
Dans les sçiences expérimentales, l'exactitude des résultats ne peut 
être vérifiée, qu’autant qu'on à déterminé avec rigueur les condi- 
tions sous lesquelles se manifeste un phénomène ; l'oubli d’une 
seule de ses conditions peut conduire à des conséquences diamé- 
tralement opposées, et devenir une source de contestations et 
d'erreurs. L'histoire de la science n’en offre que de trop nombreux 
exemples. 


IL. 


Modifications de la contractilité. musculaire. 


Le premier fait qui nous a frappé, c’est qu'un nerf-et un muscle 
exigent, pour produire des contractions, l'emploi de courants 


542 E. FAIVRE, 


d’une intensité différente. Un courant de 0,05 par exemple (4), 
qui fait vivement contracter les muscles lorsqu'on l’applique sur 
le nerf sciatique, ne détermine pas ou détermine à peine des con- 
tractions lorsqu'il est appliqué directement sur les muscles eux- 
mêmes; c’est un fait très constant dans son expression la plus 
générale, mais qui varie trop selon les conditions, pour ‘qu'il soit 
possible d'en présenter une évaluation numérique : ce fait a déjà 
été très bien observé par M. Claude Bernard (2). 

Toutes les Grenouilles opérées dans les mêmes conditions sont 
bien loin d'offrir un égal degré de contractilité musculaire ; 
chaque animal présente à cet égard des modifications qui lui sont 
propres, et que rien ne peut faire prévoir. 

Dans l’ensemble de nos expériences, la contractilité musculaire 
a varié entre zéro et 0°,35, oscillant, en moyenne, entre zéro et 
0",10 ; il s’agit ici des tnuscles de la face antérieure, interne et 
externe de la cuisse, que nous prenons toujours pour point dé 
départ. Ainsi il y a Chez chaque animal une sorte d'état, de tem- 
pérament musculaire. Souvent des différences tranchées se mani - 
festent entre les muscles de chaque cuisse ; on doit se mettre en 
garde contre de pareilles modifications individuelles. 

Au moment de la préparation, la fibre musculaire, comme ont 
pu le constater une foule d’observatéurs, présente les caractères 
suivants : 

Les muscles sont facilement excitables à l’aide des courants 
éléctriques ; seulement ils ne réagissent que localement dans le 
voisinage de la région où les pôles ont été placés ; les contractions 
sont de courte durée. 

Les agents mécaniques ne déterminent que des contractions 
partielles et peu prononcées ; il en est de même des agents chi- 
miques, tels que les acides forts. 


(1) Nous exprimons le degré d'énergie du courant par la hauteur de colonne 
d’eau distillée qu'il traverse, à partir du zéro de l'appareil, pour produire un effet 
donné. Il est clair que le courant. est d'autant plus affaibli, que la haateur de la 
colonne d'eau traversée est plus considérable, et inversement. 

(2) Cl, Bernard, Gazette médicale, 4858, n° 8, février, p. 116, 447, 


PROPRIÉTES DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 513 

Nous signalons ces caractères, car nous allons voir qu'ils subis- 
sent à la mort de profondes modifications. 

Le fait essentiel, celui qui résume toutes nos recherches sur les 
propriétés des muscles après la mort, est le suivant : après un 
temps plus où moins long, trois à quatre heures au moins après 
l'opération, la contractilité musculaire augmente notablement, et 
parvient insensiblement au plus haut degré d'énergie ; le muscle 
est alors dans cet état particulier, que nous appellerons désormais 
le maximum de contractilité, ou simplement le maximum. Il est 
sensible aux agents mécaniques , il l’est davantage aux courants 
électriques. Le maximum persiste au moins douze heures, et se 
termine par la rigidité. 

On peut, d'après cela, distinguer trois périodes dans l’état des 
muscles après la mort : 

Une période qui précède le maximum de contractihté, le 
muscle conserve ses propriétés irritables. 

La période de maximum de contraclilité, le muscle a acquis des 
propriétés spéciales. 

La période consécutive au maximum , le muscle cesse d'être 
contractile, et devient rigide. 

Nous ne distinguons ces périodes que pour mieux caractériser 
les phénomènes et les exposer plus clairement ; elles n'ont d’ail- 
leurs aucune limite tranchée, mais passent insensiblement l’une à 
l'autre.  ! 

A. Lorsqu’après la préparation des Grenouilles, les muscles 
sont très contractiles, l'augmentation de leur contractilité a lieu 
en un temps assez court. Voici une expérience : chez une Gre- 
nouille opérée à neuf heures et demie, les muscles de la cuisse sont 
contractiles à 0,15 ; à trois heures’et demie, ils le sont à 1 mètre; 
cinq heures après, le maximum commence. Dans une autre expé- 
rience, les museles marquent primitivement 0",35; une heure 
après, ils s'élèvent à 1°,50 ; quatre heures après, le maximun est 
établi. 

Si, dans les mêmes conditions, au début, les muscles ne sont 
contractiles qu’à zéro ou 0,2, la contractilité augmente lentement, 
et son plus haut degré ne survient que huit à dix heures après. 


3h E, FAIVRE. 


© B. C'est ordinairement entre la cinquième et la dixième heure 
après la mort que se manifeste le maximum de contractilité. Pour 
suivre cet état dans toutes ses phases, nous avons eu soin de faire 
nos expériences à des intervalles réguliers ; nous commencions à 
trois heures : le premier examen avait lieu à quatre, le second à 
sept heures du soir, le troisième à sept heures du matin, -et ainsi 
de suite. 

Dans une autre série d'observations, nous examinions les phé- 
nomènes de deux heures en deux heures, à partir de huit heures 
du matin. Pour ne rien omettre de ce qui tient au maximum de 
contractilité, nous considérerons cet état particulier du musele 
dans sa durée, ses caractères, les conditions de sa manifestation, 
ses rapports avec les propriétés des nerfs. 

Durée. — Elle n’a rien d'absolu, mais elle est liée à la fois à 
l'état musculaire primitif, à certaines conditions de l'opération, à 
l'influence des circonstances extérieures. 

Sile muscle est primitivement très irritable, nous savons que 
le maximum s'établit plus tôt ; il cesse également plus tôt; c’est 
l'inverse dans le cas d’un muscle peu irritable. 

Lorsqu'on opère par un temps très froid, le maximum dure 
beaucoup plus longtemps ; le contraire à lieu si la température 
est élevée. Pendant les mois de décembre et janvier, par une 
température de 10 à 15 degrés centigrades, nous avons opéré une 
Grenouille dont le maximum a duré plus de quinze heures, et une 
autre chez laquelle il a persisté au moins trente heures ; ces 
résultats sont en rapport avec les observations de Nysten, Car- 
liste, Picford, etc. (1). 

Des irritations souvent répétées sur les muscles diminuent 
notablement la durée de la période maximum. Au milieu de ces 
variations, on peut avancer qu'en moyenne la durée du maximum 
est d'environ huit heures. 


Caractères. — Le muscle, à l’état de maximum de contracti- 


(4) Voy. Nysten, Recherches de physiol, pathol., p. 315 ; Carliste, On muscu- 
lar motion. (Philos. trans., 1804) ; Picford, dans Bernard, Leçons sur le système 
nerveux, Vol. I, p. 209. 


PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 319 
lité, semble avoir acquis des propriétés différentes de celles qu'il 
avait primitivement ; en effet, à cet instant, un courant électrique, 
assez faible, fait contracter aisément la fibre, lors même qu'on 
a pris soin d’en enlever la surface desséchée; les excitants mé- 
caniques, si faibles qu’ils soient, déterminent des mouvements 
généraux, persistants, successifs. Si l’on pique alors avec la pointe 
d’une épingle un des muscles de la cuisse, il se contracte vio- 
lemment et en totalité, imprimant un brusque mouvement au 
membre ; la contraction est persistante, et souvent elle se repro- 
duit plusieurs fois de suite. Si l’on irrite plusieurs muscles, les 
effets sont étranges et puissants. Le tronçon mort semble animé 
par la vie ; les cuisses, les jambes, s'étendent et se fléchissent 
comme si le membre était pris d’un violent tétanos. 1} faut avoir 
vu ces phénomènes pour comprendre lout ce que peut offrir de 
saisissant cette apparition et cette augmentation de certaines pro- 
priélés vitales plus de douze heures après la mort ; l'intensité des 
convulsions, leur totalité, leur persistance, caractérisent cet état 
spécial, pendant la durée duquel les irritations agissent aussi 
d’une tout autre manière. Relativement à l’action des courants 
électriques, nous avons constaté que, pendant une partie du maxi- 
mum, on peut faire contracter aisément le muscle par un courant 
de 60 à 120 degrés ; tandis qu'au début, un courant de O à 10 de- 
grés seulement était toujours nécessaire. Ainsi, en général, la 
sensibilité du muscle a beaucoup augmenté. 

Nous avons essayé les irritants chimiques, tels que l’acide sul- 
furique et la potasse ; ils agissent pendant la durée du maximum 
dela même manière qu’au début de l’expérience ; il n’y a rien de 
particulier à signaler à cet égard, qui ne l’ait déjà été dans le tra- 
vail de M. Kühne. 

Nous insisterons encore sur un fait important que nous avons 
plusieurs fois nettement constaté. A la suite d’excitations méca- 
niques répétées, un membre en maximum de contractilité se 
fatigue, s’épuise ; il ne donne plus lieu, après quelques minutes, 
qu’à de faibles contractions. Si on le laisse dans cet état, et qu’on 
l’examine quelques heures après, on constate de nouveau de très 
vives contractions ; la propriété contractile a donc pu se déve- 


316 E. FAIVRE. 

lopper dans l'intervalle, renaître pour ainsi dire. Sur quelques 
animaux très vifs, nous avons vu à deux reprises différentes les 
contractions épuisées se manifester de nouveau. 

En présence de pareils résultats, il est difficile d'admettre que 
la contractilité musculaire ne soit pas une propriété indépendante 
des autres propriétés vitales, et susceptible de donner lieu; même 
après son isolement, à des manifestations complexes et variées. 

Conditions. — Le maximum de contractilité ne se manifeste 
pas dans tous les cas ; on peut l'empêcher de se produire ; on peut 
prévoir à l'avance les circonstances dans lesquelles il ne se pro- 
duira pas. Nous avons remarqué que le maximum n’a jamais lieu, 
lorsqu’aa moment de la préparation, ou quelques instants après, 
les muscles des cuisses pâles et infiltrés se recouvrent d’une 
innombrable quantité de petites rides transversales. Comment 
s'expliquer cet état et surtout l'absence de maximum qui en est 
nécessairement la suite? On doit certainement l’attribuer à l'in 
fluence de l'humidité des muscles et de la sérosité qui les imbibe. 

En effet, les muscles de la face postérieure de la cuisse, qui 
reposent dans nos opérations sur la plaque de liége, sont ridés et 
humides; il ne s’y développe jamais de contractilité maximum. 
Vient-on à suspendre la Grenouille verticalement, on place sur le 
liége les muscles de la face antérieure, de manière à maintenir 
dans les autres une certaine dessiccation ; alors on voit apparaître 
le maximum dans les museles de la face postérieure des deux 
cuisses. Il résulte de ces faits que l'humidité à uné influence 
extrême sur la propriété contractile des muscles ; elle la détruit 
avec rapidité. 

Il'est une autre circonstance dans laquelle le maximum ne se 
manifeste jamais ; cette circonstance, nous pouvons la déterminer 
à volonté : lorsque les muscles ont été agités par un violent téta- 
nos, ou excités par des courants électriques intenses et longtemps 
continués, la fibre musculaire se durcit, se fatigue, et perd la 
propriété de donner naissance au maximum de contractilité. 

M. Schiff a insisté le premier sur un caractère qui distinguerait 
spécialement la contraction idio-musculaire. Quand on promène 
la pointe d’un scalpel sur les muscles d’un Lapin ou d’un Cochon 


PROPRIÉÊTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 307 
d’Inde quelque temps après la mort, on détermine la production 
d’une saillie qui persiste quelque temps et s’efface. Nous avons 
recherché sice caractère était appréciable sur les muscles des 
d&renouilles ; nous l'avons constaté dans plusieurs cas avant l’appa- 
rition du maximum, mais jamais pendant la durée de cette période. 
Nous n'avons pas examiné l’état du courant musculaire aux diverses 
phases du maximum ; c’est une étude sur laquelle nous appelons 
l'attention des physiciens. 

Rapport sur les nerfs. — Une dernière question reste à exami2 
ner pour terminer l’histoire de l’état musculaire que nous décri- 
vons, et cetle question est fondamentale. 

Quels sont, aux divers moments de la durée du maximum de 
contractilité, les rapports des muscles avéc les nerfs qui s'y dis- 
tribuent? L’excitabilité des nerfs augmente-t-elle avec la contrac- 
tilité des muscles correspondants ? Suit-elle une marche analogue ? 
Se comporte-t-elle d’une manière opposée? Voici à cet égard ce 
que l’expérience nous a appris : 

En général, au début du maximum, les nerfs sont beaucoup 
moins excitables qu’ils l’étaient auparavant ; au milieu de cette 
période, les nerfs ou sont très affaiblis, ou ont perdu entièrement 
leurs propriétés; enfin ils ont totalement perdu ces propriétés 
plusieurs heures avant la disparition du maximum. 

Voici quelques Expériences : 

1° Le vendredi 3 février, une Grenouille est préparée à deux 
heures et demie ; les nerfs marquent 1°,30, les muscles 0",20 ; 
à huit heures du soir, le maximum s'établit , les nerfs intérieurs 
etextérieurs marquent zéro. Le lendemain à huit heures du matin, 
le maximum persiste : la section, le tiraillement des nerfs dans 
l'intérieur de la cuisse, ne produisent aucune contraction. 

2° Le vendredi 10 février, à deux heures et demie, on prépare 
une autre Grenouille ; le nerf marque 140 degrés après la prépa- 
ration, le muscle marque 10 degrés; à huit heures et demie, le 
maximum est établi : le muscle marque 100 degrés, les nerfs sont 
à zéro. Le lendemain matin, le muscle est au maximum ; les nerfs 
coupés, brülés dans l’intérieur même de la cuisse, ne produisent 
rien sur les muscles. 


048 E. FAIVRE, 

3 Le même jour à trois heures et demie, sur un autre animal, 
le nerf marque 100 degrés, le muscle 20 ; à sept heures du soir, 
le nerf marque 0",02, le muscle 100 degrés. Le lendemain à huit 
heures, le muscle est au maximum ; les nerfs intérieurs se mon- 
trent encore excitables par l'irritation mécanique. A midi, le 
muscle est dans le même état ; le nerf a perdu toute propriété ; le 
maximum ne cesse qu'à huit heures du soir. 

Dans toutes les expériences, nous avons soin d'étudier lexci- 
tabilité nerveuse dans le sciatique à diverses hauteurs; nous avons 
recours à divers modes d’excitation. Il est un certain nombre de 
cas dans lesquels lesnerfs restent excitables, même pendant la plus 
grande partie de la durée du maximum; dans ces circonstances, le 
degré d’exeitabilité est le plus souvent inappréciable à notre appa- 
reil, et toujours notablement inférieur à celui que présentait le même 
nerfau début. Ainsi nous pouvons établir avec certitude la propo- 
sition suivante basée sur plus de cent observations : tandis que le 
musele devient plus contractile, le nerf devient moins excitable, et 
son excitabilité disparait entièrement, tandis que la contractilité du 
muscle conserve et accroît son énergie pendant plusieurs heures. 
Ces faits démontrent de nouveau l'indépendance de la propriété 
contractile du muscle et du pouvoir excitateur des nerfs ; ils con- 
firment et complètent les démonstrations que Longet, Bernard, 
Schiff, Kühne, ont déjà données sur ce point. 

En empoisonnant les Grenouilles par le eurare, nous avons vu 
le maximum de contractilité apparaître comme à l'ordinaire, et 
cependant les nerfs avaient perdu immédiatement leur excitabilité ; 
la strychnine n'empêche pas davantage l'apparition du maximum. 

Vingt-quatre heures après la préparation des Grenouilles, la 
contractülité des muscles diminue graduellement, et fait place à un 
élat nouveau, la rigidité musculaire. Cette rigidité est liée intime - 
ment au maximum de contractilité ; elle apparaît quand celui-ci 
se montre , elle ne se manifeste pas dans le cas contraire ; la rigi- 
dité pourrait donc être considérée comme l'expression la plus pro- 
noncée de l’état contractile , le dernier degré de cette série de pro- 
priétés que le muscle a acquis depuis l'instant de la mort. A cet 
égard, les faits que nous avons observés sont d'accord avec les 


PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 319 
recherches de Brown-Séquard et de Pélikan : Brown Séquard a 
établi qu’un muscle rigide est encore un muscle vivant, puisqu'il 
peut redevenir contractile sous l’influence de Pinjection du 
sang (1); Pélikan a confirmé cette manière de voir par d’autres 
expériences (2). 

Nous avons constaté, après bien d’autres observateurs, qu’on 
peut développer très peu de temps après la mort la rigidité cada- 
vérique ; il suffit pour cela ou de tirailler longtemps et fortement 
les nerfs, ou d'appliquer à leur surface un courant intermittent 
énergique. Si l'excitation produite n’est pas très vive, la rigidité 
peut n’être que momentanée ; le maximum de contractilité lui suc- 
cède ; cet état, au contraire, ne se montre jamais, si la rigidité 
est amenée par une extrême excitation. 

A partir de la période de rigidité, la fibre musculaire a perdu 
toute propriété physiologique. Un nouvel état commence, l’état : 
physique dont la décomposition est le dernier terme. 


Il 


Modifications de l’excitabilité nerveuse. 


Pour mettre de l’ordre dans l’exposition des résultats très variés 
auxquels nous sommes parvenu, nous dirons d'abord quelle est 
la marche générale de l’excitabilité nerveuse, depuis le moment 
de la mort jusqu’à la complète disparition des propriétés. 

Nous savons déjà que les nerfs cessent d’être excitables avant 
que les muscles cessent d’être contractiles ; nous ajouterons que 
l’excitabilité nerveuse disparaît du centre à la périphérie, dans un 
intervalle de temps compris entre huit et quinze heures. 

Nous examinons les propriétés initiales des nerfs sciatiques 
dans les trois conditions suivantes : 1° les nerfs sont encore atta- 
chés à la moelle et unis aux tissus sous-jacents ; 2° ils restent unis 
à ces tissus, mais on les sépare de la moelle par une brusque sec- 


A) Comptes rendus de l’Acad. des sc., 1855, t. XLI. 
? 


(2) Beiträge zur Medizin, etc. Würzbourg, 1853, p. 4191, et Archives de 
Genève, 1858. 


350 E. FAIVRE. 

tion ; 3° on les isole après la section, et on les dispose sur une 
lamelle de liége. Chacune de ces circonstances influe notablement 
sur les résultats. Dans le premier cas, le nerf n’est généralement 
excitable que de zéro à 0,05 de notre appareil, ce qui tient en 
partie à l'humidité des tissus auxquels le nerf est attaché. Dans le 
second cas, l’excitabilité est notablement augmentée; elle l’est 
encore davantage dans le troisième. 

Puisque l’état des nerfs se modifie aussi facilement, il devient 
indispensable de caractériser dans des conditions fixes l’état du 
nerf au début; pour atteindre ce but nous prendrons pour point 
de départ l’excitabilité nerveuse après la section et l'isolement des 
tissus. 

Le tableau qui suit donnera une idée des modifications que la 
section et la préparation déterminent dans le nerf : 


Nerf avant Nerf après Nerf après 


la section. la section. l'isolement. 
Ar expérience, . . 1 120 130 
2érexpérience:.1. + 2 50 140 
3-.expérience.…. . .. 0 10 49 
4° ‘expérience... . . 0 20 110 
5° expérience. . . . 45 70 140 


On voit par ce tableau que la section et la préparation, qui sont 
des irritations mécaniques, déterminent une plus grande excitabi- 
lité des troncs nerveux. On voit également que, plus le nerf est 
excitable au début, plus il le devient après les opérations exécu- 
tées; on peut d’ailleurs conjecturer l’excitabilité nerveuse, d’après 
l’état de Ja Grenouille, après la section de la moelle. Cette excita- 
bilité est d’autant plus grande, que les membres postérieurs sépa- 
rés du tronc conservent plus énergiquement la propriété de se 
rapprocher et de se fléchir fortement sur le bassin. 

Un autre fait ressort de ces premières études : chaque animal à 
son degré spécial d'excilabilité nerveuse ; tantôt cette excitabilité 
correspond à un courant de 20 centimètres, tantôt à un courant 
de 30 ou de 70 centimètres ; toutefois il y a toujours une relation 
déterminée entre le degré primitif et les degrés consécutifs d’exci- 
tabilité. 

Il importe de noter aussi que, dans quelques cas, les nerfs de 
chacun des membres ont une excitabilité différente. 


PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 391 

A partir de la période initiale que nous avons indiquée, l’exci- 

tabilité nerveuse se maintient un certain temps, une heure envi- 

ron, à un degré assez élevé; bientôt elle décroit avec rapidité. 

Les chiffres suivants donneront une idée de la persistance de 
l’excitabilité assez élevée pendant la première heure : 


Etat des nerfs 
immédiatement j 
après la section Etat des nerfs 
etlapréparation. une heure après. 


1" expérience. . . . . 4180 100 
2e expérience. . . . . 480 100 
3° expérience... .., .. 4140 70 
ke expérience.. . . . 430 36 
5e expérience... . . . 110 70 
6° expérience,. . . . 65 30 


Ainsi le nerf conserve environ une heure une partie de l’exci- 
tabilité qu'il avait au début; à partir de ce moment, l’excitabilité 
diminue de plus en plus, et avec une très grande rapidité, du 
centre à la périphérie; elle se maintient encore quelques heures 
entre 0 et 5 et disparait. Le nerf cesse d’être excitable par les cou- 
rants même intenses, alors même qu'il a conservé le pouvoir de 
réagir encore sous l'influence des agents mécaniques ou chi- 
miques, 

Telle est en général la marche des phénomènes. 

Lorsqu'on étudie l’excitabilité qui persiste dans les nerfs après 
la mort, on se demande si cette propriété n’est qu’une manifesta- 
lion passagère, consécutive à la vie, ou si elle a son siége dans 
chaque rameau, dans chaque trone nerveux ; dans ce cas, il fau- 
drait considérer les nerfs comme doués d’une puissance propre, 
indépendante de celle des centres. Pour résoudre cette question, 
nous avons cherché dans quelles limites il était possible d’aug- 
menter ou de duninuer l'excitabilité des troncs nerveux après la 
mort dans un membre isolé. 

Voici les résultats auxquels nous sommes parvenu : deux ou 
trois heures après la mort, on peut rendre les nerfs plus excitables 
par les procédés suivants : 1° section et exeitations mécaniques ; 
2° section des nerfs mixtes du côté opposé ; 3° emploid’agents chi- 
miques, tels que le sel et la bile expérimentés déjà par MM, Budge 
et Kôülliker ; 4° emploi d'agents physiques, comme les caustiques, 


392 E. FAIVRE. 

Nous avons déjà insisté sur les effets consécutifs à la section ; 
nous ajouterons qu'ils se manifestent longtemps après l'opération ; 
ainsi nous avons vu notre appareil s'élever encore de quelques cen- 
timètres après la section da sciatique et du poplité, plus de dix 
heures après la mort. 

Quand sur une Grenouille, les deux nerfs étant attachés à la 
moelle, on coupe le nerf d’un côté, on augmente, par action 
réflexe, l’excitabilité du nerf demeuré intact. Voici une expérience : 
le sciatique droit adhérent à la moelle marque 10; on coupe le 
nerf du côté opposé, et l’on galvanise le bout médullaire; un 
instant après, le sciatique droit marque 20. 

Nous avons essayé les solutions de sel marin; elles excitent le 
nerf assez longtemps après la mort; elles l’excitent d'autant plus, 
qu'avant l’action du sel le nerf s’est montré plus irritable. Dans 
quelques cas, il nous a été possible de constater par notre appa- 
reil l’accroissement d’excitabilité produit par le sel. 

Si l’on brûle l'extrémité d’un nerf qui n’a pas été fatigué par des 
irritations, on reconnait, même plus de deux heures après la 
mort, que son excitabilité est fortement marquée ; elle persiste et 
s’accroit quelque temps. Un pareil nerf, plongé alors dans le sel 
marin, produit des convulsions plus énergiques. L'’excès d’excita- 
bilité produit par la brûlure peut se manifester par 20 à 30 degrés 
de notre appareil. 

Il y a des conditions dans lesquelles on peut diminuer rapide- 
ment l’excitabilité des nerfs après la mort. Nous citerons en pre- 
mier lieu l’action paralysante du courant constant, bien étudiée 
par Dubois Raymond, Eckart et Pluger (1). 

Les courants intermittents centrifuges agissent également dans 
le même sens, et affaiblissent lentement le nerf. Si l’on cesse leur 
emploi, l’excitabilité se rétablit par le repos, mais elle est'moins 
élevée qu'au début; si l’on applique de nouveau le même courant, 
il y a production initiale de quelques contractions, puis elles 
cessent de se manifester, alors le nerf est moins excitable; le 


(4) Consultez pour ces travaux : Bibliothèque universelle de Genève, f6- 
vrier 4860. 


PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 293 


repos peut lui rendre de nouveau une certaine excitabilité, seule- 
ment elle est plus faible, et une nouvelle application du courant la 
dépense en un temps plus court. Ainsi on peut diminuer, à l’aide 
d’un courant intermittent, l’excitabilité des nerfs, et constater 
qu’elle se reproduit par le repos. Il y a là quelque chose de sem- 
blable à ce maximum de contractilité musculaire qui disparaît par 
l'excitation pour se rétablir ensuite. 

De tous les faits qui précèdent, il est impossible de ne pas con- 
elure que le nerf a, indépendamment des centres, le pouvoir de 
produire l’excitabilité, et que son rôle est tout autre que celui 
d’un organe de transmission (1). 

L'étude des propriétés nerveuses après la mort nous conduit à 
aborder une autre question. Quels rapports existent entre les dif- 
férentes parties d’un même nerf? Si l’on augmente ou si l’on dimi- 
nue l’excitabilité en un point, les mêmes effets se manifesteront- 
ils dans toute l'étendue du nerf? L'expérience nous a appris que les 
modifications imprimées à l’une des extrémités du nerf se propa- 
gent dans toute son étendue, mais se propagent en s’affaiblissant ; 
ainsi, après avoir mesuré l’excitabilité du sciatique et du poplité 
interne, nous détachons le sciatique de la moelle , il devient plus 
excitable; le nerf poplité examiné à cet instant devient également 
plus excitable. Ces résultats sont les mêmes, dans le cas d’une 
action paralysante exercée à l'aide d’un courant constant. 

Les études précédentes nous plaçaient forcément en présence 
de cette question fondamentale : Quels sont les rapports entre les 
muscles et les nerfs ? Nous n’avons pas eu la prétention d’aborder 
un pareil sujet dans sa généralité, nous avons cherché seulement 
ce que nous apprend l’expérience sur les modifications produites 
dans les muscles, dans le cas soit d’une plus grande, soit d'une 
plus faible excitabilité des nerfs. 

Une expérience bien simple et qui nous parait avoir été mécon- 
nue jusqu'ici forme le point de départ de nos études sur ce sujet. 


(1) Cette idée des propriétés vitales des nerfs moteurs a déjà été émise plu- 
sieurs fois. (Voy. Muller, Physiologie, t. 1, et Brown-Séquard, Journal de 
physiol., janvier 1860, p. 164.) L'autenr rapporte des expériences importantes 
à l’appui de sa manière de voir. 

&° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 6.) à 23 


991 E. FAIVRE. 

Nous avions souvent remarqué que, chez certaines Grenouilles, 
des convulsions éclatent dans les membres à l'instant de la sec- 
tion des nerfs sciatiques correspondants ; nous avons recherché 
les conditions nécessaires à la manifestation de ce phénomène, et 
nous avons reconnu qu'il y en a deux : 1° le nerf doit être suffi- 
samment excitable ; 2° le muscle doit l'être à un faible degré. Plus 
ces conditions sont prononcées, plus les contractions sont puis- 
santes. Voici à cet égard le résultat de quelques expériences : 


Élat des nerfs État des muscles 
après la section au même instant Nalure et degré 
et l'isolement. de l'expérience. des convulsions. 
A'e exp, . 130 6 Convulsions violentes, durée 
une demi-heure, 
2° exp... . 4130 8 Id. 
3° exp... 140 4 Convuls. tétaniques courtes. 
4° exp. 40 0 Aucune convulsion. 
5° exp... 4100 5) Convulsions tétaniques. 
6° exp.. 100 0 Id. faibles. 
1 ER. . 22 1 Aucune convulsion. 
8° exp.. 180 0 Convuls. tétaniq. intenses. 


Les convulsions qui ont lieu dans ces circonstances offrent Îes 
caractères suivants : elles se montrent quelque temps après la sec- 
tion du nerf, augmentent graduellement, et durent de quelques 
minutes à trois quarts d'heure. Elles ont une forme choréique, 
tétanique, dans quelques cas ; le plus souvent elles débutent par 
le mollet, gagnent les muscles des cuisses, reviennent à ceux de 
la jambe et ainsi de suite. 

Voici une expérience qui démontre que les convulsions peuvent 
apparaître assez longtemps après la mort : à deux heures, une 
Grenouille est préparée ; à deux heures et demie, nous coupons le 
nerf sciatique gauche; il marque 180 ; les muscles sont à 5 ; le 
membre correspondant est agité convulsivement ; une heure après, 
section du sciatique droit, convulsions violentes dans la jambe du 
même côté; une demi-heure après, nous coupons de nouveau le 
sciatique droit au milieu de la cuisse, les convulsions persistantes 
reparaissent, le nerf coupé marque 100. 

Après avoir rearqué qu'un certain degré d’excitabilité du nerf 
coïncide avec l’état convulsif, nous avons dù rechercher si toute 
convulsion suppose un degré très appréciable d’excitabilité ner- 


PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 399 


veuse, et si la cessalion de cet état amène Ja cessation immédiate 
des convulsions. 

Nous avons déjà fait voir que, dans tous les cas de convulsions 
consécutives à la section du nerf, l’excitabilité était notablement 
augmentée. Nous devons ajouter que, dans les cas où l’excitabi- 
lité nerveuse est fort grande, les convulsions se produisent rapi- 
dement, facilement, et avec une certaine intensité ; ainsi, si l’on 
plonge dans une solution de sel marin un nerf qui, détaché de la 
moelle, fait contracter ous les muscles du membre, on accroît 
rapidement et très énergiquement les convulsions; il en est de 
même des nerfs dont l’excitabilité a été augmentée à l’aide de la 
brülure. | 


Nous avions d’abord supposé que la strychnine qui produit des 
convulsions tétaniques agissait sur le scialique comme le sel marin ; 
nous nous étions complétement trompé, comme l'expérience nous 
l’a appris. En effet, après avoir soumis des Grenouilles à l’action 
de la strychnine, nous avons constaté que la section des sciatiques 
n'amêne pas de convulsions, et que ces nerfs ont subi un notable 
affaiblissement ; ils ne marquent plus guère que 40 à 20 après la 
section et la préparation. Ce fait prouve encore le rapport qui 
existe entre l'excilabilité nerveuse et des convulsions, puisque 
l'excitabilité nerveuse étant bien moindre, nous n’avons eu des 
convulsions dans aucun cas. La strychnine agit spécialement sur 
lés nerfs sensilifs et la moellé, comme l’ont bien vu Magendie, 
Marshall-Hall, Bernard ; elle affaiblit au contraire les nerfs moteurs 
dont le rôle se réduit à la transmission de l’excitabilité qu’ils reçoi- 
vent des centres médullaires. 

Les agents qui diminuent l'excitabilité font eesser aussitôt les 
contractions, 

Eckhard a fait voir que, lorsqu'un muscle est tétanosé, un 
Courant assez énergique appliqué sur le nerf fait cesser le tétanos 
du muscle; le tétanos recommence, lorsque le courant cesse 
d’être appliqué sur le nerf (4). Nous avons reproduit la même 


(1} Comptes rendus de l'Acad, des sc., 1854, p. 750. 


296 E. FAIVRE. 

expérience, et elle a réussi. Nous avons alors constaté, à l’aide de 
notre appareil, que l’action du courant galvanique avait eu pour 
effet de diminuer notablement l’excitabilité du nerf. On peut éga- 
lement faire cesser le tétanos par le tiraillement brusque et vio- 
lent du nerf, Aïnsi il y a un rapport intime entre les convulsions 
et un certain développement d’excitabilité dans les nerfs; ajoutons 
que cette excitabilité doit se développer brusquement, ou être 
mise en jeu par une influence violente pour que la convulsion se 
manifeste ; en effet, les nerfs, même très irritables, ne produisent 
des convulsions qu'autant qu'ils y sont sollicités par une excitation. 

Nous terminerons en rapprochant nos expériences qui précè- 
dent de celles qui se rapportent à l'influence du pneumogastrique 
sur le cœur. 

Budge a démontré (1), et les physiologistes ont constaté, que 
la section du nerf pneumogastrique augmente les battements du 
cœur ; au contraire, la galvanisation du bout inférieur arrête ces 
mouvements et paralyse le cœur. Les choses se passent de même 
dans les nerfs et les muscles des membres ; nous coupons les 
sciatiques, et des convulsions se produisent dans les muscles des 
cuisses et des mollets; nous galvanisons les sciatiques, et les con- 
vulsions s'arrêtent à l'instant. Puisque les effets produits sont les 
mêmes, nous ne devons pas penser que, sans doute, les cir- 
constances dans lesquelles ils se produisent seraient aussi les 
mêmes, et qu'ainsi la section du pneumogastrique est suivie d’un 
accroissement d’excitabilité qui explique les battements plus nom- 
breux du cœur; au contraire, la galvanisation amènerait un épui- 
sement du nerf. C’est là une simple conjecture que nous cherche- 
rons à vérifier par l'expérience, lorsque nous nous occuperons 
des animaux supérieurs. 

Nous ajouterons un mot relativement à la disparition des pro- 
priétés des nerfs sensitifs et de la moelle ; nous avons constaté 
les faits suivants : la moelle a perdu toutes ses propriétés trois à 
quatre heures après les préparations, bien longtemps avant que 
les nerfs moteurs aient cessé d’être excitables. 

Pour obtenir des eflets marqués, en agissant sur le bout médul- 
laire d'un des nerfs sciatiques après la seclion, il est nécessaire 


PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 997 
d'opérer immédiatement après la préparation, et de faire usage 
d’un courant très énergique : jamais au zéro de notre appareil 
nous n’oblenons de convulsions dans un membre en agissant sur 
le bout central du nerf opposé, et en cherchant à provoquer des 
mouvements réflexes ; aussi les nerfs sensitifs se montrent très 
peu excitables. Dans quelques cas cepsnant j'excitabilité peut 
acquérir un notable développement : cela a lieu en particulier 
lorsque la Grenouille sur laquelle on opère, a été empoisonnée 
par la strychnine. 

Des expériences que nous avons exposées, nous croyons devoir 
tirer les conséquences suivantes : 

À. Relativement à la contractilité musculaire : 

1° La contractilité des muscles s’accroît-en général un certain 
nombre d'heures après la mort chez les Grenouilles ; alors la fibre 
musculaire est devenue très excilable sous l'influence des agents 
mécaniques et des courants électriques. 

2° La contractilité maximum dure huit heures environ ; elle se 
termine par la rigidité cadavérique. 

3° La contractilité maximum ne se produit pas, lorsque les 
muscles ont été agités par de violentes convulsions, lorsque les 
muscles sont humides et recouverts de rides; dans ce cas, il n’y 
a pas de rigidité cadavérique. 

le Tandis que, après la mort, la sensibilité et la contractilité des 
muscles se développent, donnant lieu à des manifestations parti- 
eulières, l’excitabilité des nerfs va au contraire en diminuant; elle 
n'existe plus ou existe à peine lorsque les museles sont arrivés au 
milieu de leur période de maximum de contractilité. 

Le curare, qui détruit les propriétés nerveuses, n’empêche pas 
ce développement d’une extrême excitabilité ; on en peut conclure 
avec une nouvelle évidence de l'indépendance de la contractilité 
des muscles et de l’excitabilité des nerts. 

B. Relativement à l’excitabilité des nerfs : 

1" Les nerfs sciatiques demeurent excitables plus de deux 
heures après la mort chez les Grenouilles ; chaque animal pré- 
sente un degré particulier d'exeitabilité primitive ; la même chose 


298 E. FAIVRE, 


a lieu pour les muscles, qui demandent pour être excilés un cou- 
rant beaucoup plus fort que les nerfs. 

2 La section des nerfs, au début, est toujours suivie d'une aug- 
mentation notable d’excitabilité ; il en est de même de leur prépa- 
ration ; l’excitabilité plus grande se maintient pendant un certain 
temps. 

3° On peut dans un nerf coupé faire apparaître ou disparaître 
l’excitabilité deux à trois heures après la mort. On rend l’excita- 
bilité plus grande soit par une action mécanique comme la section, 
soit par la brülure, soit par l’action d’un agent comme lesel marin. 
On diminue l’excitabilité par l'emploi d’un courant continu, ou de 
eourants intermittents énergiques et longtemps prolongés. 

Lk° Lorsqu'on sépare de la moelle, une ou deux heures après la 
mort, un nerf sciatique, on produit des convulsions spontanées, 
violentes et de longue durée, dans les muscles correspondants ; 
mais il faut pour obtenir cet effet que le muscle soit peu contrac- 
tile, et que le nerf soit très excitable, Sa galvanisalion suspend 
les contractions. 

5 Il y a un rapport intime entre le degré d’excitabilité du 
nerf et la production des convulsions dans un muscle. 

6° Les faits qui précèdent indiquent avec évidence que chaque 
nerf a un pouvoir propre et agit dans certaines conditions, même 
après la mort, comme un centre spécial. 

7° Enfin on ne saurait méconnaître qu'un certain temps après la 
mort, les muscles et les nerfs, loin de perdre leurs propriétés, ne 
donnent lieu à des manifestations nouvelles et spéciales. 


RECHERCHES 


SUR 


LES MONSTRUOSITÉS DU BROCHET 
OBSERVÉES DANS L'OEUF 


ET SUR LEUR MODE DE PRODUCTION, 


Par M, LEREBOULLET. 


Professeur de zoologie et d'anatomie comparée à la Faculté des sciences de Strasbourg, 


Lues à l'Académie des sciences le 25 novembre 4861. (Extrait.) 


Une étude pleine de curiosité et d’attraits pour le physiologiste 
est eelle des déviations qui surviennent dans la marche régulière 
du développement des êtres, déviations auxquelles on donne ordi- 
nairement le nom de monstruosités. 

Connues depuis longtemps dans leurs formes les plus générales, 
elles le sont très peu dans la manière dont elles se produisent, et 
moins encore dans leurs causes. 

Pour arriver à jeter quelque jour sur ces questions difficiles, il 
faudrait pouvoir étudier les conditions normales de la production 
d’un être et son développement depuis les premières époques de 
son apparition, c’est-à-dire connaître exactement la composition 
normale de l’œuf avant et après la fécondation ; pouvoir apprécier 
les différences susceptibles d'amener des déviations; savoir les 
changements que la fécondation apporte dans la constitution de 
ce petit organisme; rechercher si ces changements sont fixes ou 
s'ils sont variables , et voir s’il existe un rapport entre ces varia- 
tions et les monstruosités produites ; enfin suivre la monstruosité 
depuis sa naissance jusqu’à son entière évolution. 

Or il est peu d'animaux qui se prêtent à ces études, parce qu’il 
n’y à qu'un très petit nombre d'animaux supérieurs, chez les- 
quels il soit possible de suivre le développement dans l’œuf depuis 


260 LEREBOULLET. 

l'origine de ce dernier jusqu’à la naissance de l'être nouveau. 
Les Poissons réunissent ces conditions, et, parmi les Poissons de 
nos rivières, le Brochet me parait être un des plus favorables à ce 
cenre de recherches, à cause de la facilité avec laquelle on peut 
manier et étudier ses œufs à toutes les périodes de leur existence. 

C’est ce Poisson que j'ai choisi pour mes recherches: Pendant 
dix années consécutives, j'ai fait chaque année plusieurs féconda- 
tions artificielles, et je puis dire que plusieurs centaines de mille 
d'œufs m'ont passé sous les yeux. 

Jusqu'à présent ilne m'a pas été facile d'apprécier dans la con- 
stitution de l'œuf, soit avant, soit après la fécondation, des diffé- 
rences en rapport avec les anomalies observées; mais j'ai été 
assez heureux pour découvrir le mode de production des mons- 
truosités doubles et de quelques anomalies simples. J'ai pu assister 
en quelque sorte à la naissance de ces monslruosilés, les suivre 
depuis leur origine jusqu'à leur entier développement, décrire 
leurs modifications, et constater l'importance de certaines parties 
de l’œuf, mieux qu’on ne l'avait fait avant moi. 

Il est bien entendu que j'ai écarté de mon travail toute ques- 
tion théorique non basée sur des faits. Je ne sais pas quel avantage 
il y aurait, par exemple, à supposer qu'il pourrait exister dans 
l'œuf une monstruosité virtuelle, c'est-à-dire qui ne tomberail pas 
sous le sens. Je trouve plus rationnel et plus physiologique de 
n'établir la monstruosité que lorsqu'elle est réelle, et qu’on peut 
Ja constater de visu. Or, je le répète, ce résullat n'a pu être 
atteint jusqu'à présent que quelque temps après la fécondation, 
alors que l’œuf possède les premiers éléments destinés à composer 
le nouvel être. 

Le travail dont j'ai l'honneur de présenter un extrait est divisé 
en trois parties. 

Je fais d’abord connaitre d’une manière très succincte l'évolu- 
tion normale de l'œuf dans ses premières périodes, principale- 
ment la formation embryonnaire. 

Je donne dans la deuxième partela relation abrégée de soixante- 
dix-neuf observations de monstruosité très différentes les unes des 
aulres. 


MONSTRUOSITÉS DU BROCHET, o61 

Dans la troisième, je présente un résumé de ces observations, 
ct j'expose ce que mes études m'ont appris sur le mode de forma- 
tion de ces monstruosilés. 

Les anomalies que j'ai rencontrées jusqu'à présent dans l'œuf 
du Brochet peuvent être groupées en sepl catégories dont voici 
l’énumération : 

1° Poissons doubles, à deux corps à peu près égaux, réunis en 
arrière dans une étendue plus ou moins grande. 

2° Poissons doubles, composés d’un corps principal et d’un 
embryon accessoire, réduit plus tard à un simple tubercule. 

9° Poissons à deux têtes primitives soudées plus tard en une 
seule. 

k° Poissons composés de deux corps, dont l’un est à deux têtes. 

9° Poissons doubles, à deux corps, avec une seule tête et une 
seule queue. 

6° Poissons doubles ou simples ayant les organes des sens 
incomplets ou nuls, et provenant d’une bandelette primitive rudi- 
mentaire. 

7° Absence de bandelette embryonnaire primitive ; embryons 
réduits à une languette. 

Ces diverses anomalies se rapportent, comme on voit, la plu- 
part à des monstres doubles, quelques-unes à des Poissons simples 
arrêtés dans leur développement, et atrophiés dans plusieurs de 
leurs parties. 

Il serait trop long de reproduire les faits partiels exposés dans 
le corps du mémoire. Je pense qu’en résumant ce que j'ai vu sur 
l’origine et le développement des monstruosités, je ferai suffisam- 
ment comprendre leur mode de formation et les différences qu’elles 
présentent quand l’évolution est terminée. 

Le premier phénomène qui suit la fécondation, dans les œufs 
normaux des Poissons osseux, est l'accumulation de certains élé- 
ments qui se fractionnent en portions de plus en plus petites pour 
finir par constituer les cellules embryonnaires. 

Ce fractionnement.est suivi de la formation d'une membrane 
qui recouvre et enveloppe l'œuf ; on donne à cette membrane le 
nom de blastoderme. Le vitellus est enfermé dans cette bourse, 


362 LEREBOULLET . 


comme le serait une sphère dans un sac ; mais l'entrée de la bourse 
reste quelque temps ouverte, et elle est toujours plus épaisse sur 
le contour de son orifice que dans le reste de son étendue. 

J'appelle bourrelet embryogène le rebord épaissi de la bourse 
blastodermique, parce que c’est ce rebord qui donne naissance à 
l'embryon. En effet, peu de temps après que le blastoderme s’est 
étalé sur le vitellus, an voit se former sur le bord libre et épaissi 
de ce blastoderme (sur le bourrelet embryogène) une saillie trian- 
gulaire à sommet plus ou moins arrondi, qui ne tarde pas à s’al- 
longer dans la direction d’un méridien de l’œuf, pour constituer 
ce qu'on appelle généralement bande primitive, dénomination que 
j'ai proposé de remplacer par celle de bandelette embryonnaire. 

Cette bandelette n’est autre chose que l'embryon lui-même à 
l’état rudimentaire ; elle tient par sa base au bourrelet embryogène 
dont elle est une production ; elle ne se produit pas tout d’un jet, 
mais elle commence par une saillie naissant du bourrelet, et qui 
s’allonge rapidement; voilà pourquoi j'appelle germe embryon- 
naire cette saillie, premier commencement de la bandelette. 

Le bourrelet embryogène est donc le point de départ de la bande- 
lette embryonnaire, et celle-ci commence par un simple tubercule 
ou germe. Or, les choses ne se passent pas toujours ainsi ; le bour- 
relet peut offrir des anomalies dans le véritable travail de végéta- 
tion dont il est le siége, et nous allons voir que toutes les mons- 
truosités dont il vient d'être question se rattachent de la manière 
la plus naturelle aux anomalies du bourrelet lui-même. 

Premier genre d’anomalie du bourrelet embryogène. — Au lieu 
d’un simple germe embryonnaire, ou, ce qui revient au même, au 
lieu d’une simple bandelette primitive, le bourrelet peut en pro- 
duire deux, tantôt très écartées l’une de l’autre, tantôt très rap- 
prochées. Ces deux bandelettes réunies en arrière par une portion 
commune, laquelle n’est autre chose que le bourrelet lui-même, 
représentent déjà un embryon double, composé de deux corps 
libres en avant, confondus en arrière. Dès le moment de leur appa- 
rition et pendant les premiers jours de leur développement, les 
deux corps embryonnaires se rapprochent et se, soudent l’un à 
l'autre. Je fais voir dans mon travail comment la soudure a lieu 


MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 263 


par la fusion des lamelles vertébrales correspondantes, et je 
montre que cette fusion continue aussi longtemps que les lamelles 
vertébrales ont une structure homogène, c’est-à-dire sont encore 
à l'état de constitution cellulaire. Cette circonstance explique 
l'étendue plus ou moins grande de la soudure, et conséquemment 
la forme du monstre qui en résulle (Poisson à deux corps ou à 
deux têtes). Il est facile de comprendre que la réunion se fera sur 
une étendue d'autant plus grande, que les bandelettes embryon- 
paires seront primitivement plus rapprochées l’une de l’autre, 
la durée du travail doit être nécessairement en raison directe de 
la distance à franchir entre les deux pièces destinées à se réunir. 
On aura donc un embryon à deux corps ou un embryon à deux 
têtes, suivant le lieu où la soudure se serait arrêtée, 

Une conséquence directe de la réunion des deux corps em- 
bryonnaires en un seul est la soudure de deux organes symé- 
triques, quand ces organes sont placés dans la direction de la ligne 
de contact. Dans ce cas, les deux organes (cœurs, oreilles, yeux) 
pourront se souder en un seul; ou bien ils peuvent être résorhés, 
et disparaitre tout à fait (oreilles et yeux). 

Ainsi, par exemple, si les deux bandelettes embryonnaires sont 
primitivement très voisines l’une de l’autre, la réunion des deux 
corps se fera très vite, el les deux têtes pourront se souder d’ar- 
rière en avant dans une étendue assez grande pour faire dispa- 
raitre les capsules auditives moyennes ou même les yeux inter- 
médiaires, ou pour déterminer leur fusion en une seule pièce, ou 
seulement pour amener leur juxtaposition sur la ligne médiane. 
J'ai donné des exemples de ces divers résultats. 

Je viens de supposer le cas où le bourrelet embryonnaire pro- 
duit deux germes au lieu d’un seul. Or ces deux germes embryon- 
naires peuvent être égaux ou inégaux, et il en résulte deux em- 
bryons du même volume ou de grandeur différente. Mais, quoi 
qu'il en soit, la marche du développement est la même; chacun 
des embryons conserve ses proportions, et se développe en rai- 
son de son volume primitif. 

I'arrive assez souvent que les deux germes blastodermiques 
sont très inégaux. Les embryons qui en naissent offrent le même 


o6! LEREBOULLET, 

caractère d'inégalité. L'un d'eux, le plus petit, est souvent alors 
privé des parties essentielles de la région céphalique, des yeux 
surtout, quelquefois des organes auditifs où du cœur. Il en résulte 
un embryon accessoire, appelé improprement parasitaire, qui se 
présente sous la forme d’une tige plus ou moins longue, fixée sur 
un point du corps principal. Par le fait du développement et de la 
fusion des deux corps, l'embryon accessoire peut se réduire à un 
simple tubercule qui persiste plus où moins longtemps, et qui 
semble ne nuire en rien au développement ultérieur de l'embryon 
normal. Celui qui, sans en connaître l’origine, verrait ces tuber- 
eules où même ces bandelettes amorphes attachées à l'embryon, 
les prendrait pour un jeu de la nature ; mais son étonnement serait 
plus grand encore, s’il trouvait ces langucttes terminées brus- 
quement par un cœur seul ou par un cœur et des organes auditifs ; 
ou bien s’il voyait sur les côtés de la tête un petit tubercule muni 
d’un œil à sa base, à côté des yeux normaux de l’embryon prinei- 
pal. L'étude de l’évolution des monstres doubles rend parfaite- 
ment compte de celte apparente bizarrerie, qui résulte naturelle- 
ment et simplement de la fusion des deux corps embryonnaires 
primilifs. 

Dans l’examen de ces monstruosités doubles, j'ai dirigé mon 
attention sur l’état de la circulation, dans le but de rechercher si 
elle était commune aux deux embryons, ou si chacun d’eux avait 
une circulation indépendante. Or, il est très rare de rencontrer 
des Poissons de ce genre chez lesquels les globules sanguins soient 
assez nombreux et la circulation assez active pour qu’on puisse 
suffisamment apprécier le mouvement du liquide nourricier. Ce 
que je puis dire, c'est que j'ai toujours vu le sang d’un des corps 
composant, rentrer dans ce même corps après avoir traversé le 
vitellus commun, tandis que je n'ai jamais vu le sang d’un embryon 
passer à l’autre. Je crois done que la circulation est individuelle; 
mais il est certain que le sang des deux corps composants se 
mélange en arrière, dans la partie commune, pour se diviser 
ensuite en traversant le vitellus et se rendre à chaque embryon. 

Deuxième genre d’anomalie du bourrelet. — I arrive souvent 
que les deux genres sortis du bourrelet embryogène, au lieu d’être 


MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 365 


. plus ou moins séparés comme dans le cas précédent, se trouvent 
tout à fait contigus, ou qu'ils sunt remplacés par une large bande 
embryonnaire résultant de deux bandelettes primitives accolées 
l’une à l’autre dès leur apparition. On reconnaît facilement cette 
disposition aux deux lignes transparentes qui annoncent la forma- 
tion prochaine de deux cordes dorsales. Cette large bandelette se 
termine en avant par deux lobes égaux ou inégaux. 

On a done sous les veux, dès les premières époques de la for- 
mation embryonnaire, un corps simple terminé par deux têtes ou 
plutôt par deux renflements céphaliques. Ces derniers subissent 
leurs modifications normales, mais en même temps, comme ils 
sont déjà très rapprochés, ils se soudent promptement l’un à l’autre 
pour former une tête unique, parfaitement simple, dans laquelle 
on ne distingue plus aucune trace des organes symétriques qui 
avaient été en contact. 

La soudure peut ne pas être complète, ce qui arrive quand il 
existe un certain écartement entre les deux lobes céphaliques; on 
voit alors une têle simple en apparence munie de quatre ou de trois 
yeux, savoir: les deux yeux latéraux et un œil unique placé sur la 
ligne médiane. 

Quand les lobes céphaliques sont inégaux, le plus petit produit 
une têle incomplète qui se réduit souvent à un tubercule, et ce 
dernier peut porter un œil à sa base, comme nous l’avons observé 
plusieurs fois. 

Cette inégalité des lobes céphaliques jointe aux phénomènes qui 
résultent de leur réunion rend très bien compte de certaines 
anomalies dans le nombre et l’arrangement des veux, comme, 
par exemple, deux yeux de grosseur différente; deux yeux d’un 
côté et un œil de l’autre; un seul œil situé sur un des côtés de la 
têle, etc. 

Troisième genre d'anomalie. — Ce troisième mode n’est que la 
réunion, sur un même œuf, des deux modes précédents. Le bour- 
relet embryogène porte à la fois un germe simple et une large ban- 
delette provenant de la réunion de deux bandelettes primitives. 
Cette forme produit un embryon à trois têtes distinctes et à trois 
corps dont deux sont réunis en un seul, Je n'ai vu qu'un seul 


966 LEREBOULLET . 
exemple de cette bizarre anomalie qui constitue en réalité un 
monstre triple. 

Quatrième genre d'anomalie du bourrelet. — Jusqu'ici nous 
avons vu partir du bourrelet une production de matière embryo- 
gène sous la forme d’une bandelette simple ou double. Dans Jes cas 
dont il va être question, le germe embryonnaire produit par le bour- 
relet est réduit à une sorte de tubercule irrégulier, assez épais, 
mais très court. Le bourrelet lui-même, au contraire, est plus épais 
que d'ordinaire, comme si les éléments qui auraient dû former la 
bandelette primitive, s'étaient accumulés autour de l'anneau ilasto- 
dermique. Or, le tubercule en question devient plus tard la tête 
du Poisson, et le bourrelet blastodermique en constitue le corps; 
mais ce corps à la forme d’un large anneau dont les deux branches 
aboutissent à la tête et à la queue. J'ai donné à ces formes singu- 
lières le nom de Poissons doubles à deux corps séparés, mais en 
réalité ces derniers ne sont que des moiliés de corps, puisque 
chacun d’eux est composé d’une simple série de lamelles verté- 
brales, d’une corde et d’un demi-cordon nerveux rachidien. 

lei je ne puis entrer en plus de détails sur la composition et le 
développement ultérieur de cette monstruosité, lPune des plus 
curieuses que je connaisse. J'ai voulu seulement faire voir que 
dans sa production c’est le bourrelet {out entier qui participe à la 
formation des deux corps où plutôt des deux demi-corps, puisque 
ceux-ci proviennent directement de la transformation de fou 
l'anneau blastodermique. 

Cinquième genre d'anomalie. — Icile bourrelet embryonnaire, 
au lieu de fournir une bandelette primitive normale, ne produit 
qu'une tige grêle presque filiforme. Cette tige se divise dans 
toute sa longueur en lamelles vertébrales, et il en résulte un 
embryon incomplet auquel manquent toujours les yeux et quel- 
quefois aussi les capsules auditives, tandis que le cœur existe géné- 
ralement. 

C'était un spectacle curieux que de voir un cœur battre à l’ex- 
trémité d’une lige informe, privée des organes qui constituent 
essentiellement un embryon. Je dois avertir d’ailleurs que dans 
ces formes monstrueuses, comme dans la plupart des anomalies, 


MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 207 
autres que les monstres doubles ordivaires, il n'existait pas de 
olobules sanguins, ce qui n’empêchait pas le cœur de battre avec 
vivacité et mème péndant un temps assez long. 

La languette filiforme, origine de ces embryons incomplets, était 
assez souvent double. H en résultait alors deux formes embryon- 
paires qui se soudaient l’une à l’autre dans une étendue plus ou 
moins grande, en suivant les mêmes lois que pour les embryons 
doubles complets. 

C'est chez les embryons de cette catégorie et chez ceux de la 
suivante, que j'ai souvent observé un agrandissement considérable 
de la chambre cardiaque. Cette chambre simulait parfaitement un 
second vitellus, soudé au vitellus ordinaire et renfermant un cœur 
très allongé, semblable quelquefois à un cordon. 

Sixième genre d'anomalie. — Dans ce dernier genre d’anomalie 
du bourrelet embryogène, celui-ci ne produit ni bandelette, ni tige 
filiforme ; il conserve longtemps sa disposition primitive à forme 
d’anneau, puis cet anneau se resserre et peu à peu la bourse se 
ferme. On voit alors surgir sur le bourrelet ainsi resserré, un 
tubercule arrondi et saillant, qui persiste pendant plusieurs jours 
sous la même forme, puis s'allonge, après s'être entouré d’une 
membrane, se segmente dans toute sa longueur et se change en 
une languette embryonnaire. Quand le développement est terminé, 
cette languette se détache du vitellus comme la queue des Pois- 
sons normaux et ne tient plus à ce même vitellus que par une 
portion quelquefois très courte. 

Les languettes ainsi formées étaient toujours privées de ligne 
transparente, de corde dorsale, de cordon nerveux, d'organes sen- 
sitifs et de cœur ; quelquefois elles portaient deux nageoires pec- 
torales. 

Je regarde ces ébauches d’embryon comme représentant la 
région postérieure du corps et principalement la queue. 

Les faits dont je viens de présenter un résumé très succinct me 
semblent établir, d’une manière suffisamment probante, l'impor- 
tance du bourrelet blastodermique dans la formation embryonnaire 
et légitiment la dénomination de bourrelet embryogène que je 
lui ai donnée. 


368 LEREBOULLET. 


Dans les conditions normales, l’anneau blastodermique produit 
la bandelette embryonnaire; dans les monstruosités doubles, il 
donne naissance à deux germes qui se changent bientôt en deux 
bandeletles séparées ou confondues et qui se fusionnent plus ou 
moins ; quand le germe est rudimentaire et l'anneau d’une certaine 
épaisseur, cet anneau se transforme pour produire lui-même les 
deux moitiés du corps ; quand le germe est filiforme et l’anneau 
d’une épaisseur normale, il en résulte un embryon incomplet ; 
enfin, quand le bourrelet ne pousse aucun germe, il n’a pas perdu, 
pour cela, sa faculté organisatrice, il preduit encore une portion 
embryonnaire, la région caudale. 

Cette influence du bourrelet embryogène est telle que, lorsqu'il 
est mince et chargé de molécules organiques, on peut s'attendre à 
coup sûr à ne voir apparaître que des embryons grêles, normaux 
ou non, très pales et toujours peu viables. 

Le bourrelet embryogène doit donc être considéré comme une 
sorte de magasin d'éléments d'organisation, et comme le point de 
départ de toutes les formations ernbryonnaires régulières et nor- 
males. 


DESCRIPTION 


DE 


RESTES FOSSILES DE DEUX GRANDS MAMMIFÈRES 


CONSTITUANT 
le genre RIHIZOPRION (ordre des Cétacés, groupe des Delphinoïdes) 


et le genre DINOCYON (ordre des Carnassiers, famille des Canides), 


Par M. JOURHAN. 


$ I. 


Genre Rhizoprion. 


Ce genre repose principalement sur une tête presque complète 
trouvée, il ya deux ans, dans un calcaire marin de la couche infé- 
rieure du miocène proprement dit. Nous avons pu, par un travail 
long et minutieux, extraire cette tête du bloc de pierre qui la con- 
tenait. Malheureusement ce bloc avait été brisé dans la partie cor- 
respondant au museau, et les débris presque pulvérisés n’ont pu 
être recueillis par nous que très imparfaitement. 

Cette tête est allongée, surtout par le museau qui est étroit, et 
dont les mandibules inférieures sont soudées par une symphyse 
qui paraît avoir occupé plus de la moitié de leur longueur. 

Il y a deux espèces de dents à chaque mâchoire. Les postérieures, 
qu'on pourrait assimiler aux molaires, sont au nombre de sept de 
chaque côté à la mâchoire supérieure et de six à l'inférieure. Elles 
sont aplaties, triangulaires et à deux racines ; elles offrent sur leurs 
bords, principalement le postérieur, de trois à cinq fortes dente- 
lures dirigées suivant l’axe de la dent, comme si elles provenaient 
de demi-colonnes adossées qui auraient composé la dent elle- 
même. Les dents antérieures ou prémolaires, au nombre de vingt- 


quatre à vingt-six de chaque côté et à chaque mâchoire, sont à 
4° série. Zoor. T, XVI, (Cahier n° 6 ) 4 24 


970 JOURDAN. 

une seule racine; d'abord aplaties et triangulaires, elles devien— 
nent insensiblement, en s’approchant de l'extrémité du museau, 
arrondies et aiguës. 

Les évents où canaux respirateurs s'élèvent de la base de la tête 
pour s'ouvrir sur la face supérieure en arrière même de la ligne 
transversale qui correspond aux deux yeux. Leur ouverture supé- 
rieure, très allongée d’arrière en avant, présente antérieurement 
une double goultière communiquant avec le canal intermaxillaire 
qui est plus large, plus régulièrement établi que dans les autres 
Dauphins. Ces deux goutlières servaient-elles de communication 
avec ce canal remplaçant les fosses nasales, ou étaient-elles seu- 
lement destinées à loger une membrane pituitaire ou olfactive plus 
considérable ? 

Quant aux os de la tête, ils présentent les dispositions com- 
munes aux Dauphins, mais avec des apophyses zygomatiques et 
des os jugaux plus volumineux. La mâchoire inférieure est celle 
des Delphinorhinques ; elle se rétrécit, et présente sa symphyse 
avant d’avoir atteint la moitié de sa longueur. 

Par ces caracières très sommairement indiqués, le Rhizoprion 
est bien un Cétacé de la division des Delphinoïdes ; mais peut-être 
doit-on le considérer comme établissant une famille partieulière 
sous le nom de famille des Rhizopriones. Cette dénomination 
composée des deux mots grecs : bu, racines, et retwv, scies, den- 
telures, donne en effet les caractères les plus distinctifs de notre 
animal fossile d'avoir des dents à plusieurs racines et armées de 
fortes dentelures : 


Dimensions de la téte, 


m. 

Longueur totale présumée. . . , . , . . . . . bisou 16 OR . 0,26 
Longueur de la partie principale de la tête, des srolclhe occipitaux à 

l'extrémité antérieure des orbites. : : . , . 4 « « . le à. se « 0,30 

Longueur des condyles à l'ouverture supérieure des évents. . . . . . . 0,19 
Longueur du museau, de sa naissance vers la ligne correspondant aux 

parties antérieures des orbites jusqu’à son extrémité. . . . . . . . 0,75 


Longueur du même point jusqu'au commencement des prémolaires. . . 0,30 
Longueur totale de la mâchoire inférieure. . . . . «he Jets s12 < .90186 


MAMMIFÈRES FOSSILES. a71 


Du condyle de la mâchoire inférieure au point où commencent les prémo- 


LTÉE te Le ere SANS CASA > SAT Aa AR RS RER , SUUAS 
Largeur de la tête vers les arcades zygomatiques. . . . . . . . . . . 0,28 
Largeur vers la partie moyenne des arcades orbitaires. . . . . . . . . 0,26 
Largeur du museau à sa base vers les arcades orbitaires. . , . . . . . 0,45 
Largeur du museau aufpoint où cessent les molaires et commence la sym- 

1 LL UNSN RENAN ONNENT CT TPOTESTE LAS Hamel ah: Mecs! 0,05 
Hauteur du crâne, des cavités glénoïdes aux évents. . . . . . . . . . 0,22 
Hauteur de la mâchoire inférieure vers son apophyse coronoïde, . . . . 0,18 
Hauteur de l'ensemble du museau vers le point où cessent les molaires 

ÉE Commence HUSVIMBANSRS". PS 4 et Dee à A ELLE 
Largeur des molaires les plus grandes, au point d'union de leurs racines 

avec leur couronne triangulaire. , . . . . . . . . . . . . . . 0,026 
Hauteur des couronnes triangulaires. . . . . . . . . nhtdenat.snt 0,020 


L'animal vivant avec lequel le Rhizoprion aurait le plus de rap- 
ports, quoique éloignés, serait le Delphinorhinque du Gange ou 
Plataniste. L'un et l’autre ont le museau très allongé et étroit, les 
ouvertures des évents allongées d'avant en arrière, et en outre les 
dents postérieures du Plataniste sont un peu aplaties et triangu- 
laires, et semblent aussi composées de colonnetles soudées en- 
semble. La dernière molaire des Dugongs présente les mêmes 
dispositions ; mais par l’ensemble de la tête et surtout par la 
mâchoire inférieure, les Dugongs, et encore plus les Lamantins, 
sont encore très éloignés de notre Rhizoprion. 

Parmi les animaux fossiles, le Rhizoprion paraît avoir les plus 
grands rapports avec l’animal dont M. de Grateloup a trouvé, 
en 1837, aux environs de Bordeaux un fragment de la mâchoire 
supérieure, et qui a été considéré par lui comme appartenant à un 
Reptile, auquel il donna le nom générique de Squalodon. Plus 
tard, le même fragment a été regardé par M. Laurillard comme 
se rapprochant des Cétacés à dents nombreuses et aux deux 
mâchoires. Il a pris le nom de Crenidelphinus; c'est aussi le 
Delphinoïde de Pédroni et le Phocodon d’Agassiz. 

Dans ces derniers temps, le Squalodon a été rapproché des 
Zeuglodons par M. Pictet , et l’on a créé un ordre dans les Mam- 
mifères pour recevoir ces deux genres auxquels on donne pour 
caractères de manquer d’évent et de respirer par des fosses nasales 


372 JOURDAN. 


ordinaires s’ouvrant au bout du museau, mais se rapprochant des 
Cétacés delphinoïdes par leur mâchoire inférieure. 

Nos recherches démontrent sans contestation possible que les 
Squalodons ont des évents très développés ; ainsi tombe, pour ce 
qui les concerne au moins, cet ordre des Zeuglodons, introduit 
nouvellement dans la classe des Mammifères. Si les descriptions 
et les figures sont exactes, les Zeuglodons devraient être rangés à 
la suite des Phoques ; nos Rhizoprions le sont en tête des Dau- 
phins ; les deux genres Zeuglodon et Rhizoprion relieraient ainsi 
entre eux les deux groupes importants des Dauphins et des Phoques. 
Le rapprochement que M. Owen à voulu établir entre les Laman- 
tins et les Zeuglodons ne paraît pas naturel; les Lamantins sont 
des Pachydermes aquatiques plus rapprochés de l’ordre des Pro- 
boscidiens. 

La désignation du Squalodon conduisant à des appréciations 
fausses, nous avons préféré désigner notre magnifique fossile par 
la dénomination très caractéristique, ainsi que nous l’avons expli- 
qué plus haut, de Rhizoprion. 

Le nom d’espèce Bariensis vient du village Bari, près duquel 
nous avons trouvé les premiers fragments en 1854. La tête a été 
recueillie sur la même montagne, un peu plus au nord, dans les 
carrières de M. le comte de Bord, et elle nous a élé remise par 
M. Lagoy, son représentant à Lyon. 


$ II. 


Genre Dinocyon. — Famille des Canides, — Ordre des Carnassiers. n 
Espèce Dinocyon Thenardi. 


On a déjà à plusieurs reprises trouvé dans les terrains tertiaires 
moyens des restes de grands Carnassiers se rapprochant des 
Chiens, mais rappelant un peu les grands Ours par leur marche 
demi-plantigrade. 

Tout le monde connaît les dents du Chien gigantesque d'Avaray 
près d'Orléans, signalé par Cuvier. 

Tout le monde connaît également la belle mâchoire supérieure 


MAMMIFÈRES FOSSILES, 913 
de l’4mplicyon major de Sansans, due aux infatigables recherches 
de M. Lartet, l’un de nos paléontologistes les plus distingués. 

Ce sont les restes d’un animal d'aussi grande taille et apparte- 
nant également à la famille des Canides que j'ai l’honneur de sou- 
mettre à l’Académie. 

Ces restes se composent d’une mandibule inférieure droite 
armée de sa puissante carnassière et de ses deux tuberculeuses : 
d'une canine et d’une première tuberculeuse droite, ainsi que 
d'une dernière tuberculeuse gauche. Nous possédons également 
des incisives supérieures et inférieures, et, ce qui est très impor- 
lant, an point de la manière d’être de ce grand Mammifère, nous 
avons recueilli les cinq métacarpiens de l'extrémité droite. Nous 
avons ainsi les principaux éléments pour arriver à une bonne 
détermination. 

Le Loup est l'animal vivant avec lequel notre fossile aurait le 
plus de rapports, mais avec des tuberculeuses proportionnelle- 
ment un peu plus fortes, avec des métacarpiens plus inégaux, 
ainsi un peu moins digiligrades, mais surtout avec un volume plus 
que triple. Notre Chien fossile devait égaler par la taille les plus 
grands Ours connus. Sa formule dentaire est celle des Chiens. 

Parmi les animaux fossiles, nous ne lui connaissons pas de 
semblables. Si on veut le comparer avec l’4 mphicyon major de 
Sansans de M. Lartet, on trouve que ce dernier en diffère beau- 
coup par sa troisième tuberculeuse qui manque au premier, par 
Sa canine un peu aplatie et à grosses stries longitudinales, tandis 
que la canine du premier a son corps arrondi et son sommet aigu. 
Le nom donné à notre genre nouveau se compose des deux mots 
grecs : dewos, puissant, et xvev, Chien. Par un sentiment de recon- 
naissance personnelle, nous l’avons dédié à la mémoire de The- 
nard : de là Dinocyon T'henardi. 

Nous Favons recueilli, en 1847 et en 1861, à la Grive-Saint- 
Alban, près Bourgoin (Isère), dans des fentes d’un calcaire de 
l'oolithe inférieure remplies d’une argile rougeûtre et de minerai 
de fer en grains. 

Notre Dinocyon T'henardi était associé dans le gisement à de 
nombreux restes de Mammifères, d'Oiseaux et de Reptiles. Les 


o7l JOURDAN. 


resles de Mammifères l’emportaient de beaucoup sur les autres ; 
nous avons pu y reconnaître trente et un genres de cette classe. 
Les restes de Dinotherium y étaient nombreux; tous sans exception 
appartenaient à l'espèce nouvelle que nous avons déterminée 
depuis longtemps, le Dinotherium levius. Cette faune a beaucoup 
de rapport, nous dirons presque de similitude, avec la faune de 
Sansans, l’un des gisements les plus riches, et dont nous devons 
la connaissance au savant et infatigable M. Lartet. C’est une faune 
du miocène supérieur ou miocène proprement dit. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE A0, 


Fig. 4. Tête du Rhizoprion bariensis, vue de côté et réduite de près des deux 
tiers. 

Fig. 2. Portion postérieure de la même tête, vue en dessous. a, les arrières- 
narines ; b, les évents. 

Fig. 3. L'une des dents de la partie antérieure de la mâchoire supérieure. 

Fig. 4. Dents coniques des deux mâchoires. 

Fig. 5. L'une des dents comprimées de la partie postérieure de la mâchoire 
supérieure, 


NOTICE 


LE GENRE TRACHINUS (ARTEDI) ET SES ESPÈCES 


Par M. le chevalier P., BLECKER. 


Après que le genre Uranoscope a été séparé du genre Trachi- 
nus, le genre Artédien établi sous ce dernier nom n’a plus subi de 
modification. 

Mais si, depuis Linné, on l’a laissé intact, ce n’est pas parce que 
c’est un genre simple, mais probablement parce que pendant long- 
temps on ne connaissait que très mal ses espèces, et qu'après 
qu'elles furent un peu mieux connues, elles paraissaient trop peu 
nombreuses pour en faire des coupes génériques nouvelles. 

En effet, ces espèces, d’après les auteurs, ne sont qu'au nombre 
de cinq seulement, savoir : 

Trachinus draco L. — Trachinus lineatus BI. Schn. 

Trachinus araneus W. = Trachinus lineatus Risso. 

Trachinus radiatus W. = Trachinus lineatus De la Roche. 

Trachinus cornutus Guich. 

Trachinus vipera W. — Trachinus draco BI. 


M. Günther cependant a rendu quelques traits d’une sixième 
espèce habitant les côtes occidentales de l'Afrique, mais il ne l’a 
pas séparée de la Vive commune, bien qu’elle eût été nommée déjà 
Trachinus armatus par M. Schlegel. 

A ces espèces vient se joindre une septième qui habite la Côte- 
d'Or, et que j'ai trouvée au Musée d'histoire naturelle de Leyde. 

De ces sept espèces, trois seulement ou quatre au plus sont de 
vrais T'rachinus : ce sont les Trachinus draco L., Trachinus 


araneus W., Trachinus armatus Schl. et Trachinus cornutus 
Guich, 


976 BLECKER . | 

La petite Vive n'est plus un vrai l'rachinus, et les deux autres 
espèces n'y appartiennent pas non plus. 

Quant au Trachinus vipera, elle diffère tant de l'espèce typique, 
que je m'étonne qu'on l'ait pu laisser avec elle dans un même 
genre. | 

En effet, la physionomie de la petite Vive n’est plus celle des 
véritables Trachinus, le corps étant plus raccourci, les veux situés 
plus horizontalement, et l’écaillure du corps donnant de tout 
autres reflets. 

Aussi, en l’examinant plus en détail, on trouve plusieurs carac- 
tères qui justifient sa séparation du genre Trachinus. 

En eflet, la petite Vive à les lèvres frangées, tandis qu’on n’en 
trouve pas même des vestiges dans les autres espèces que j'ai pu 
examiner. Je m'étonne que ni Cuvier ni M. Günther n'aient parlé 
d’un caractère aussi remarquable, qui suffirait à lui seul pour distin- 
guer l’espèce de toutes les autres. Ces papilles sont parfaitement 
bien visibles à l'œil nu, et celles de la lèvre inférieure, qui sont plus 
longues que les supra-labiales, sont même érigées dans l’état de 
repos, et donnent à la mâchoire l’air d’être armée de dents 
coniques assez fortes, ce qui peut avoir induit en erreur Lauleur 
qui parle de dents de la rangée externe plus fortes. 

Un autre caractère important de la petite Vive, c’est l'absence 
complète de dents ptérygoïdiennes, qui, dans l'espèce typique, 
comme aussi dans le Trachinus armatus, occupent une plaque 
plus ou moins allongée. 

Les joues, presque entièrement couvertes d’écailles dans les 
vrais Trachinus, n’en portent pas ou presque pas dans le Trachi- 
nus vipera, où bien elles sont si caduques, qu’en général elles 
manquent sur les individus qu’on observe. 

La ligne latérale, simple dans les autres Vives, est manifeste- 
ment double dans la petite Vive, la ligne latérale inférieure sob= 
servant parfaitement bien au bas des flancs, et s'étendant ; Jusqu'à 
la nageoire caudale. Cette ligne n’est pas une simple dépression 
intermusculaire. 

Et puis encore le dessus de la tête, dans la pelle Vive, n’est 
plus couvert de scabrosités comme dans les autres Vives, et les 


POISSON DU GENRE TRACHINE. 977 
épines orbitaires ne s’y voient plus, tandis que les yeux y ont une 
position plus horizontale, plus uranoscopique, que dans les vrais 
Trachinus. 

Si l’on trouvait un tel assemblage de caractères différentiels 
dans deux espèces d’une autre classe d'animaux, aueun zoologiste 
moderne certes n'hésiterait à y voir deux genres parfaitement 
naturels. Pourquoi en serait-il autrement pour la classe des Pois- 
sons, où, plus qu'on n’est disposé à l’admettre, les caractères pour 
l'établissement de genres et d'espèces sont essentiels et multiples 
pour qui sait les saisir et les déchiffrer. 

Donc je considère la petite Vive comme devant appartenir à an 
genre distinct, que je propose de nommer Echüchthys. 

Après avoir détaché du genre Trachinus la petite Vive, il reste 
à faire encore un nouveau démembrement. 

La Vive commune, l'espèce typique, a des dents plérygot- 
diennes qui se retrouvent dans le Trachinus armatus, et proba- 
blement aussi dans le T'rachinus araneus. Elle a aussi des épines, 
quoique faibles, au préopereule, épines qui sont plus développées 
dans le Trachinus armatus, et surtout dans le Trachinus cor- 
nulus. 

Ni ces dents ptérygoïdiennes, ni ces épines préoperculaires, 
sont le partage des T'rachinus radiatus et de l’espèce nouvelle de 
la Côte-d'Or. 

Mais aussi, sans avoir égard à la dentition du palais ou à l’ar- 
mature du préopereule, on voit bien qu'ici on a affaire à un type 
différent. Le corps y est plus raccourci que dans les vraies Vives, 
et celte forme se reflète dans des nombres moindres des rayons 
des nageoires dorsale et anale. Et quant à la physionomie de la 
tête, elle n’est pas moins différente, le profil étant plus obtus, le 
bout du museau descendant notablement au-dessous du niveau du 
bord inférieur de l'orbite, la direction des mâchoires s’approchant 
inoins de la verticale, el l'anneau sous-orbitaire osseux étant plus 
baut; peut-être qu'aussi le caractère typique fondamental se 
reflète dans la courbure en haut des épines sous-orbitaires. 

D'après les règles adoptées par la plupart des ichthyologistes 
contemporains, il faut encore détacher ces deux espèces du genre 


218 BLECHER. 


Trachinus. On pourrait donner à ce nouveau genre le nom de 
Pseudotrachinus. 

Quant à l’espèce du Chili, peut-être qu’elle aussi appartient 
à un genre différent, du moins à en juger d'après la figure qui en 
est publiée. Cependant, jusqu'à ce que ses caractères soient mieux 
connus, il me paraît préférable de la laisser dans le genre Tra- 
chinus, car évidemment ce n’est ni un Pseudotrachinus, ni un 
Echichthys. 

D'après ce que je viens de dire, le genre Trachinus des auteurs 
acquiert la valeur d'un groupe, dans lequel se rangent les trois 
genres Trachinus, Pseudotrachinus et Echiichthys avec les carac- 
tères suivants : 


1° TracHiNUs Art. et auct. ex parte. 

Caput vertice granulis scabrum. Orbita antice spinis armata. Maxilla 
superior usque ante oculum adscendens. Squamæ genis sessiles multi- 
seriatæ. Labia simplicia nec fimbriata nec papillata. Dentes pterygoidei. 
Oculi obliqui subverticales. Præoperculum aculeatum. Linea lateralis 
simplex. 


Spec. Trachinus draco L., Trachinus araneus W., Trachinus arma- 
tus Schl., T'rachinus ? cornutus Guich. 


2. PseuporrAcHINUs BI. 

Caput vertice granulis e centris radiantibus scabrum. Orbita antice 
spinis armata. Maxilla superior non usque ante oculum adscendens. 
Spinæ suborbitales sursum spectantes. Squamæ genis sessiles multise- 
riatæ. Labia simplicia nec fimbriata nec papillata. Dentes pterygoidei 
nulli. Oculi obliqui subverticales. Præopereulum non aculeatum. Linea 
lateralis simplex. 


Spec. Pseudotrachinus radiatus = Trachinus radiatus’ W.; Pseudo- 
trachinus pardals BIk. 


3. Ecancuruays BIk. 


Caput vertice non granosum. Orbita ubique lævis. Maxilla superior 
usque ante oculum adscendens. Spinæ suborbitales nullæ. Squamæ genis 
parcæ, deciduæ. Labia papillata vel fimbriata. Dentes pterygoidei nulli. 
Oculi obliqui subhorizontales. Præoperculum aculeatum. Linea lateralis 
duplex. 

Spec. Echüchthys vipera — Trachinus vipera W, 


POISSONS DU GENRE TRACHINE, 319 

Le Pseudotrachinus pardalis n'étant pas encore connu des 

naturalistes, et le Trachinus armatus ne l’étant que parce que 

M. Günther en a dit, je n’ai pas cru inutile d'ajouter ici la 

description de ces deux espèces. : 
Trachinus armatus Schl., Mus. L. Bat. 


Trach. corpore elongato compresso, altitudine 5 1/3 circiter in ejus 
longitudine, latitudine 1 2/3 circiter in ejus altitudine; capite obtuso 
convexo 4 1/4 ad 4 1/2 in longitudine corporis; altitudine capitis 1 2/5 
ad 1 1/2 fere in ejus longitudine; oculis obliquis subverticalibus, dia- 
metro 4 circiter in longitudine capitis, diametro 1/3 ad 4/4 distantibus ; 
linea rostro-frontali convexa; vertice granulis e centris pluribus radianti- 
bus scabro ; fronte inter orbitas valde concava ; regione post- et suborbi- 
tali granulis conspicuis scabra ; orbita antice spinis 2 maxime conspicuis 
sursum et postrorsum directis; osse suborbitali anteriore antice spina valde 
conspicua deorsum et antrorsum directa; rictu valde obliquo; maxillis 
subæqualibus, superiore vix post oculum desinente 2 1/4 ad 2 1/5 in lon- 
gitudine capitis ; dentibus maxillis palatoque parvis pluriseriatis, vomere 
in vittam trianguliformem, palatinis in vittam elongatam gracilem, ptery- 
goideis in turmam oblongo-elongatam dispositis; labiis cirris vel papillis 
nullis; squamis genis multiseriatis, præoperculo limbo valde rugoso 
alepidoto, margine posteriore convexo inferne spinis 4 distantibus parvis ; 
operculo spina valida apicem membranæ opercularis attingente; inter- 
operculo alepidoto; ossibus suprascapularibus superiore scabro postice 
denticulato, inferiore lævi postice denticulis majoribus ; squamis lateribus 
75 p. m. in linea laterali; linea laterali simplice, trunco vix curvata, 
cauda postice deorsum flexa et media pinna eaudali producta, singulis 
squamis tubulo simplice notata; pinnis dorsali spinosa spinis erectis valde 
divergentibus sulcatis 2* ceteris longiore corpore non multo plus duplo 
humiliore, radiosa spinosa non humiliore; pinnis pectoralibus rhomboi- 
deis radiis inferioribus fissis sed ramis non divergentibus radiis longissi- 
mis 7 1/4 circiter, ventralibus oblique rotundatis 12 ad 13, caudali ex- 
tensa truncata angulis acuta 5 1/2 ad 5 2/3 in longitudine corporis ; anali 
dorsali radiosa paulo humiliore; colore corpore pinnisqué...?; macula 
postscapulari nigra majore parle infra lineam lateralem sita, dorsali 
spinosa macula magna nigra (caudali et anali postice ocellis numerosis 
pellucidis). 

B. 6. D. 6/29 vel 6/20. P. 1/14. V. 1/5. A. 2/29 vel2/30. C. 1/11 
et lat. brev. 


200 BLECKER . 

Syn. Trachinus draco Günth., Cat. Acanth. Fish. 11, p. 238 ex parte 
(specim. guineens.). 

Hab. Guinea (Arobor, Ashantee). 


Longitudo 2 speciminum 205” et 207/”. 


Remarque. — Les individus de la côte de Guinée qui ont servi 
à la description sont évidemment de la même espèce que ceux de 
la même localité et des iles de Gomara et de Lanzarote, décrits par 
M. Günther et rapportés par lui au Trachinus draco. Je ne puis 
pas être de l'opinion de M. Günther, qui considère ces individus 
comme ne différant pas spécifiquement du Trachinus draco. J'ai 
devant moi de nombreux individus de la dernière espèce, maïs tous, 
les grands aussi bien que les petits, différent constamment de ceux 
de la Côte-d'Or par un vertex moins rude, dont les granules ne 
rayonnent pas de centres déterminés ; par un front beaucoup 
moins concave, par des épines de Porbite moins fortes, et celles 
des sous-orbitaires et du préopercule nulles ou rudimentaires, et 
par des plaques dentaires ptérygoïdiennes beaucoup moins larges. 
J'y trouve aussi quatre-vingts écailles au moins dans la ligne laté- 
rale, sans les petites écailles de la nageoire caudale ; puis encore 
je n’y vois ni la grande tache postscapulaire noire, ni les ocelles 
de l’anale. Je possède beaucoup d'individus de la Vive commune 
pris dans la Méditerranée, et achetés au marché aux Poissons de 
Marseille, qui montrent une grande tache noirâtre derrière la 
tête; mais cette tache se trouve beaucoup plus bas, et reste au- 
dessous de la ligne latérale. 

Du reste, je ne puis pas juger des couleurs de l'espèce de la 
Côte-d'Or, les individus étant trop mal conservés. 

Croyant ces individus bien positivement d’une espèce distincte, 
je propose de rendre à celte espèce le nom que le célèbre direc- 
teur du Musée de Leyde lui avait déjà donné. 


Pseudotrachinus pardalis BI. 


Pseudotrach. corpore subelongato compresso, altitudine 4 4/5 circiter 
in ejus longitudine, latitudine 4 3/5 ad 1 2/3 in ejus altitudine: capite 
obtuso cenvexo A circiter in longitudine corporis ; altitudine capitis 1 1/3 
circiter in ejus longitudine; oculis obliquis subverticalibus, diametro 


POISSONS DU GENRE TRACHINE. 381 


k1/2 circiter in longitudine capitis, diametro 1/4 circiter distantibus ; 
linea rostrofrontali convexa; vertice granulis e centris pluribus radianti- 
bus valde scabro ; fronte inter orbitas valde concava; regione post- et 
suborbitali granulis conspicuis scabra ; orbita antice spinis 2 valde con- 
spicuis sursum et postrorsum directis; osse suborbitali anteriore antice 
spinis 2 crassis valde conspicuis sursum directis anteriore quam poste- 
riore longiore ; rostro vix convexo, apice oculi diametro 1/2 tantum ab 
oculo remoto ; maxillis subæqualibus, superiore vix post oculum desinente 
21/4 circiter in longitudine capitis; dentibus maxillis palatoque parvis 
pluriseriatis, vomerinis in vittam trianguliformem, palatinis utroque latere 
in vittam elongatam dispositis, pterygoideis nullis ; labiis cirris vel papillis 
nullis ; squamis genis sessilibus multiseriatis; præoperculo limbo rugoso 
alepidoto, margine posteriore convexo angulo ,parum rotundato, spinis 
angulo vel inferne nullis; operculo limbo præoperculari rugoso superne 
Spina valida apicem membranæ opercularis attingente vel subattingente ; 
interoperculo alepidoto ; ossibus suprascapularibus postice denticulatis, 
inferiore lævi, superiore scabro ; squamis lateribus 68 p. m. in linea 
laterali; linea laterali simplice trunco vix curvata cauda postice deorsum 
flexa et media pinna caudali producta, singulis, squamis tubulo simplice 
notata ; lobo axillo-pectorali et plica subpectorali rudimentariis; pinna 
dorsali spinosa spinis erectis valde divergentibus sulcatis 2° et 3* ceteris 
longioribus corpore sat multo plus duplo humilioribus, radiosa spinosa 
paulo altiore; pinnis pectoralibus rhomboiïdeis radiis inferioribus fissis 
sed ramis non divergentibus radiis longissimis 6 circiter, ventralibus 
oblique acute rotundatis 10 circiter, caudali 5 circiter in longitudine 
corporis ; anali dorsali radiosa humiliore; corpore superne cærulescente 
inferne margaritaceo; capite inferne præsertim violascente , superne 
operculisque maculis rotundis et irregularibus nigricantibus; dorso late- 
. ribusque superne maculis numerosis majoribus et minoribus frequenter 
coalescentibus fuscis vel nigricantibus, maculis majoribus longitudinaliter 
sed irregulariter seriatis; lateribus inferne maculis diffusis aurantiacis ; 
pinna dorsali spinosa dimidio anteriore majore tota nigra ; pinnis ceteris, 
anali excepta, radiis aurantiacis, dorsali radiosa caudalique maculis ro- 
tundis et oblongis fuscis, dorsali in series 3 longitudinales dispositis ; 
anali roseo-margarilacea vel grisea. 

B. 6. D. 6/25 vel 6/26 vel 6/27. P. 1/15. V. 1/5. A. 2/25 vel 2/26. 
C. 1/11 et lat. brev. 


Hab. Guinea (Arobor, Ashantee). 


Longitudo 2 speciminun: 240” et 245. 


382 BLECKER.. 

Remarque. — J'ai comparé les deux individus de la Côte-d'Or 
avec un individu du Trachinus radiatus W. de la Méditerranée 
d'à peu près la même longueur. Cet individu montre les taches 
annulaires décrites par les auteurs, et il a la couleur du corps et de 
la tête beaucop moins foncée. Les deux espèces sont très voisines 
l’une de l’autre , mais elles me paraissent être bien distinctes. Le 
Trachinus radiatus, c’est-à-dire l'individu que j'en ai devant moi, 
a la hauteur du corps un peu plus de cinq fois dans sa longueur. 
La tête y est moins haute à proportion, et le museau plus convexe 
et descendant plus au-dessous du niveau de l'orbite. Le diamètre 
de l'œil n’est qu'un cinquième de la longueur de la tête, et la 
mâchoire supérieure s'étendant bien au delà des yeux, a presque 
la moitié de la longueur de la tête; puis encore les épines de l’or- 
bite, et surtout celles du sous-orbitaire antérieur, sont beaucoup 
moins développées, tandis que le préopercule est plus arrondi et 
son limbe lisse. Le limbe préoperculaire de l’opereule ne montre 
pas non plus de rugosité, et la pointe de la membrane de cet os 
est plus obtuse. Le lobe axillaire, qui, de la partie supérieure de 
la base de la pectorale, se recourbe en bas, est très développé, et 
la plie sous-pectorale se prolonge en pointe libre. 


FIN DU SEIZIÈME VOLUME. 


ERRATA. 


Page 200, lignes 23 et 27 : Bourbonnais, lisez Boulonnaïis. 
— 202, ligne 32 : Calanes, lisez Balanes. 
— 215, ligne 5 : Gadus morna, lisez Gadus morua. 








TABLE DES ARTICLES 


CONTENUS DANS CE VOLUME. 


PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE, 


Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère, 
par M, Pasreur. 


ANIMAUX VERTÉBRÉS. 


Recherches sur les modifications que subissent après la mort, chez les 
Grenouilles, les propriétés des nerfs et des muscles, par M. Faivre. 
Note sur le système nerveux et'particulièrement sur le grand sympathique 

du Marsouin, par M. Bazin . : $ L 
Mémoire sur le cœur de la Tortue rhdcbel par . Her aebtae: 
Recherches sur les glandes gastriques et les tuniques musculaires du tube 

digestif des Poissons osseux et des Batraciens, par M. Martial Vazarour. 
Recherches d'embryologie comparée sur le Es de la Truite, 


par M. LEREBOULLET. . . . 2 A0 4e) 20 ; 
Recherches sur les monstruosités Es Broche observées dans l'œuf, 
par M. LerEBOULLET. . , . . » . 


Notice sur le genre Trachinus (Artedi) et sur ses espèces par M. Becker, 

Note sur différentes espèces de Vertébrés fossiles observés pour la plupart 
dans le midi de la France, par M. Paul Gervais. PRE à 

Description des restes fossiles de deux grands Mammifères constituant le 
genre Rhizoprion (ordre des Cétacés, groupe des Delphiniens) et le 
genre Dinocyon (ordre des Carnassiers, familles des Canides), par 
M. Jourpan. 


ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 


Observations sur les Hélices saxicaves du Boulonnais, par M, Boucuarp- 
CHANSERANEUMS sub toonéssiel 20h ».01e vednbilenx : 

Expériences sur le Cysticercus tenuicolis et sur le Tænia qui i ésnléé de sa 
transformation dans l'estomac du Chien, par M. Barcer. 

Observations sur quelques Infusoires, par M. WRzESNIOWSKI. 


337 


412 
303 


247 


413 


359 
375 


288 


369 


197 


99 
327 





TABLE DES MATIÈRES 


PAR NOMS D'AUTEURS. 


Baicer. — Expérience sur le 
Cysticercus tenuicohs et sur le 
Tœnia qui résulte de sa trans- 
formation dans l'estomac du 
Chien. ë 

Bazin. — Note sur le système 
nerveux et particulièrement 
sur le grand sympathique du 
Margobin : : - 

Bzecxer. — Notice sur le genre 
Trachine et sur ses espèces. 

Boucuarp-CHanTerEeaux. — Ob- 
servations sur les Hélices per - 
forantes du Boulonnais 

Favre. — Recherches sur les 
modifications que subissent 
après la mort, chez les Gre- 
nouilles, les propriétés desnerfs 
el des muscles. 

Gervais. — Note sur différentes 
espèces de Verlébrés fossiles 
observés pour la plupart dans 
le midi de la France. 


99 


327 


Jacouarr.—Mémoire sur le cœur 
de la Tortue franche. . 
Jourpax.—Descriptiondesrestes 

fossiles de deux grands Mam- 
inifères constituant le genre 
Rhisoprion et le genre Dino- 
cyon. : Vos MORCRE 
LereBouzzer. — Recherches 
d’embryologie comparée sur 
le développement de la Truite. 
— Recherches sur iles mons- 
truosités du Brochet observées 


dans l'œuf. FPE ,100e 
Pasteur. — Mémoire sur les 
corpuscules organisés qui 


existent dans l'atmosphère. . 
Vacarour. — Recherches sur les 
glandes gastriques et les tu- 
niques musculaires du tube 
digestif des Poissons osseux 
et des Batraciens. . . 
WRZESNOWRSKI. — Observations 
sur quelques Infusoires. . 


303 


369 


113 


2e 


TABLE DES PLANCHES 


RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. 


Planche 14. 


Recherches sur les générations dites spontanées. 


—  2et3. Embryologie de la Truite. 
— 4. Roche calcaire perforée par des Hélices. 


— et 6. Glandes gastriques, etc., des Poissons et des Batraciens. 


— : 7. Structure du cœur de la Tortue. 


— 8. Leucophrys Claparedii, W. 


— 9. Oxytricha sordida, etc. 
— A0, Rhizsoprion Bariensis. 


FIN DE LA TABLE. 





Paris, — Imprimerie de L. MARTINET, rue Migu: 0,2, 





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Ann der Srienc mit. "Série Zool Tomcif 102 


Lmbryologte de la Lrite 











Zonl. Tome 1Ë 


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Eméryologie de Le Truite. 











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Zoel. Tome 16, LES 


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Certes gastriques des Lhéssons oser et des Batraciens. 








Zale Time 16 PL 6. 








Clurtes gastriques ct tunique muscu de tube dégestf des Lessons. 


Ann ar Krème-mart. Serre 











1 





LONDON 0 0 


Structure du cœur de la Tortue franche 











——— _———— — - —————— — 


dun ler Sione. mue. "Série Zoo, Time 16. JU 8 


O2 


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Zeucophrys Chapuredii 





Han dar Stone mnt. 4 rie Zoot Tome 16 Pl 9. 


6 





So 6 Crytricha sortile. 7 Ox pelhimella 8 Stylonychia hitrio. 
à Clause maryarituoum. 10 à13 Trachelophyllum apiculatum . 
















Rhizoprion Bariensis 














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