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ANNALES
SCIENCES NATURELLES
QUATRIÈME SÉRIE
ZOOLOGIE
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Paris, — Imprimerie de L, MARTINET, 2, rue Mignün.
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ANNALES
DES
SCIENCES NATURELLES
COMPRENANT
LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE
L'ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES DEUX RÈGNES
ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES
RÉDIGÉES
POUR LA ZOOLOGIR
PAR M. MILNE EDWARDS
POUR LA BOTANIQUE
PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE
QUATRIÈME SÉRIE
ZOOLOGIE
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VICTOR MASSON ET FILS
PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE
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ANNALES
DES
SCIENCES NATURELLES
PARTIE ZOOLOGIQUE
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MÉMOIRE
SUR
LES CORPUSCULES ORGANISÉS QUI EXISTENT
DANS L’ATMOSPHÈRE,
EXAMEN DE LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES,
Par M. L. PASTEUR (!,.
CHAPITRE PREMIER.
Historique (2).
Dans l'antiquité et jusqu’à la fin du moyen âge tout le monde
croyait à l’existence des générations spontanées. Aristote dit que
tout corps sec qui devient humide et tout corps humide qui se
sèche, engendrent des animaux.
Van Helmont décrit le moyen de faire naître des souris.
Beaucoup d'auteurs indiquaient encore au xvu‘ siècle la manière
(1) Les principaux résultats de ce mémoire ont été présentés à l'Académie
des sciences, dans ses séances du 6 février, 7 mai, 3 septembre, 12 novem-
bre 4860. J'ai fait connaître ceux du chapitre II à la Société chimique de Paris,
dans sa séance du 9 décembre 1859.
(2) Le lecteur pourra remarquer que l'une de mes préoccupations dans ce
chapitre historique a été de rendre à chaque expérimentateur la part de progrès
6 L. PASTEUR,
de faire produire des grenouilles au limon des marais, ou des
anguilles à l’eau de nos rivières (1).
De pareilles erreurs ne pouvaient supporter longtemps l'esprit
d'examen qui s'empara de PEurope au xvi° et au xvir siècle.
Redi, membre célèbre de l’Académie del Cimento, fit voir que
les vers de la chair en putréfaction étaient des larves d'œufs de
mouches. Ses preuves étaient aussi simples que décisives, car il
montra qu'il suffisait d’entourer d'une gaze fine la chair en
putréfaction pour empêcher d’une manière absolue la naissance
de ces larves.
Le premier également, Redi reconnut dans les animaux qui
vivent dans d’autres animaux, des mâles, des femelles, des
œufs.
On surprit dans leur opération, disait plus tard Réaumur, ces
mouches qui déposent leur œufs dans les fruits, et l’on sut, lors-
qu’on voyait un ver dans une pomme, que ce n’était pas la cor-
ruption qui l'avait engendré, mais au contraire que le ver est la
cause de la corruption du fruit (2).
Mais bientôt, dans la seconde partie dü tir siècle et la première
moitié du xvur‘, se multiplièrent à l’envi les observations micros-
copiques. La doctrine des générations spontanées reparut alors.
Les uns ne pouvant s'expliquer l’origihé de ces êtres si variés que
le microscope faisait apercevoir dans les infusions des matières
végétales ou animales, et ne voyant chez eux rien qui ressemblàt
à une génération sexuelle, furent portés à admettre que la matière
qui avait eu vie, conservait après Ia mort une vitalité propre, sous
l'influence de laquelle ses parties disjointes sé réunissaient de
qui lui est due. Mais j'ai mis le même soin à ne pas confondre un progrès véri-
table, soit avec les nombreuses dissertations auxquelles le sujet a donné lieu,
soit avec ces expériences d’une exactitude équivoque qui embarrassent au lieu
d'aplanir la marche de la science. Dans ces sortes de questions ressassées par
tant d'esprits depuis des siècles, toutes les vues à priori, tous les arguments
que peuvent fournir l'analogie ou les faits indirects, toutes les hypothèses, se
sont fait jour. Ce qui importe, c'est de prouver rigoureusement, c'est d’instituer
des expériences dégagées de toute confusion née des expériences mémes.
(1) Voir Leewenhoech. Epistola 75, 1692.
(2) Flourens, Histoire des travaux et des idées de Buffon, 1844, p. 78.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES,. %
nouveau, dans certaines conditions favorables, avec des variétés
de structure et d'organisation que ces conditions mêmes déter-
minaient.
D'autres, au contraire, ajoutant par l’imagination aux résultats
merveilleux que le microscope leur faisait découvrir, croyaient
voir des aecouplements dans ces infusoires, des mâles, des fe-
melles, des œufs, et se posaient en adversaires déclarés de la
génération spontanée.
Il faut le reconnaitre, les preuves à l’appui de l’une ou de l’autre
de ces opinions ne soutenaient guère l'examen.
La question en était là, lorsque parut à Londres, en 1745, un
ouvrage de Needham, observateur habile et prêtre catholique
d’une foi vive, circonstance qui, dans un tel Sujet, s’offrait comme
un garant de la sincérité de ses convictions,
La doctrine des générations spontanées était appuyée, dans cet
ouvrage, sur des faits d'un ordre tout nouveau, je veux parler des
expériences sur les vaisseaux herméliquement clos, préalablement
exposés à l’action de la température. C’est Needham, en effet,
qui eut le premier l’idée de pareils essais.
Deux années ne s'étaient pas écoulées depuis la publication des
recherches de Needham, que la Société royale de Londres l’ad-
mettait au nombre de ses membres. Plus tard, il devint l'un des
huit associés de l’Académie des sciences.
Mais ce fut surtout par l'appui qu’il reçut du système de Buffon
sur la génération, que l'ouvrage de Needham eut un grand reten-
tissement.
Les trois premiers volumes de Buffon de l’édition in-4°, publiée
de son vivant, parurent en 1749. C’est dans le second volume
de cette édition, quatre années après le livre de Needham, que
Buffon expose son système des molécules organiques et qu'il
défend l'hypothèse des générations spontanées. Il est présumable
que les résultats de Needham eurent une grande influence sur les
vues de Buffon, car c’est à l’époque même où l’illustre naturaliste
rédigeait les premiers volumes de son ouvrage, que Needhanmn fit
un voyage à Paris, durant lequel il fut le commensal de Buffon
et pour ainsi dire son collaborateur.
8 L. PASTEUR.
Les idées de Needham et de Buffon eurent leurs partisans et
leurs détracteurs. Elles se trouvaient en opposition avec un autre
système fameux, celui de Bonnet, sur la préexistence des germes.
La lutte était d'autant plus vive qu’elle pouvait paraître plus légi-
time aux deux partis. Nous savons aujourd’hui que la vérité n’était
ni d’un côté ni de l’autre. Et puis, c'était encore le temps: où l’on
dissertait volontiers à perdre haleine, sur des systèmes, sur des
vues spéculatives. Il y avait en quelque sorte deux hommes d’un
esprit opposé dans Buffon, l’un qui aujourd'hui avouera sans
détours qu'il cherche une hypothèse pour ériger un système, et
qui, le lendemain, écrira la belle préface de sa traduction de la
Statique chimique des végélaux de Hales, où la nécessité de
l'expérience est placée à la hauteur qui convient. Ces deux côtés
du génie de Buffon se retrouvent à des degrés divers dans tous
les savants de son époque.
Mais les conclusions de Needham ne tardèrent pas à être sou-
mises à une vérification expérimentale. 11 y avait alors en Italie
l'un des plushabiles physiologistes dont la science puisse s’honorer,
le plus ingénieux, le plus difficile à satisfaire, l'abbé Spallan-
zani.
Needhom, ainsi que je le rappelais tout à l'heure, avait appuyé la
doctrine des générations spontanées sur des expériences directes
fort bien imaginées. L'expérience seule pouvait condamner ou
absoudre ses opinions. C’est ce que Spallanzani comprit très bien.
« Dans plusieurs villes d'Italie, dit-il, on a vu des partis formés
» contre l’opinion de M. de Needham ; mais je ne crois pas que
» personne ait jamais songé à l’examiner par la voie de l’expé-
» rience. »
Spallanzani publia à Modène, en 1765, une dissertation dans
laquelle il réfutait les systèmes de Needham et de Buffon. Cet
ouvrage fut traduit en français, probablement à la demande de
Needham, car l'édition qui en fut donnée en 1769 est accompa-
gnée de notés rédigées par lui, où il répond à toutes les objections
de Spallanzani.
Ce dernier, frappé sans doute de la justesse des critiques de
Needhain, se remit à l'œuvre de nouveau, et fit bientôt paraître
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. Ÿ
ce bel ensemble de travaux dont il nous a transmis les détails
dans ses Opuscules physiques (1).
Il serait sans utilité de présenter un historique complet de la
querelle des deux savants naturalistes. Mais il importe de bien
préciser la difficulté expérimentale à laquelle ils appliquèrent plus
particulièrement leurs efforts, et de rechercher si ce long débat
avait éloigné tous les doutes. C’est ce que l’on croit généralement.
Spallanzani est volontiers regardé comme l'adversaire victorieux
de Needham. Si ce jugement était fondé, n’y aurait-il pas lieu de
s'étonner qu'il y eût encore de nos jours de si nombreux par-
tisans de la doctrine des générations spontanées ? Dans les sciences,
l'erreur n'est-elle pas plus prompte à s’effacer, même dans des
questions de cet ordre, lorsqu'elle a été bien réellement démasquée
par l'expérience? N'’est-il pas à craindre, si on la voit renaître
de bonne foi, que sa défaite n’ait été qu’apparente ? Un examen
impartial des observations contradictoires de Spallanzani et de
Needham sur le point le plus délicat du sujet, va nous montrer
en effet, contrairement à l'opinion généralement admise, que
Needham ne pouvait en toute justice abandonner sa doctrine en
présence des travaux de Spallanzani.
J'ai dit que Needham était l’auteur des expériences relatives à
ce que l’on observe dans les vases clos, exposés préalablement
à l’action du feu.
» M. de Needham, dit Spallanzani, nous assure que les expé-
» riences ainsi disposées ont toujours réussi fort heureusement
» entre ses mains, c’est-à-dire que les infusions ont montré des
» infusoires et que c’est là ce qui a mis le sceau à son système.
» Si, après avoir purgé, ajoute Spallanzani, par le moyen du
» feu, et les substances que l’on met dans les vases et l’air contenu
» dans ces mêmes vases, on porte encore la précaution jusqu'à
» leur ôter toute communication avec l'air ambiant, et que, malgré
» cela, à l'ouverture des folles, on y trouve encore des animaux
» vivants, cela deviendra une forte preuve contre le système des
(1) Spallanzani, Opuscules de physique animale et végétale, traduits de l'italien
par Jean Sennebier, 1777.
40 L, PASTEUR,
» Ovaires ; j'ignore méme ce que ses partisans pourront y répondre.»
Je souligne ces derniers mots, afin de montrer que Spallan-
zani plaçait dans le résultat des expériences ainsi conduites le cri-
térium de la vérité on de l'erreur. Or, nous allons voir par la
citation suivante, extraite des notes de Needham,, que tel était
également l'avis de ce dernier. Voici en effet un passage des
remarques de Needham, sur le chapitre X de la première disser-
tation de Spallanzani.
E
LA
« I ne me reste plus, dit Needham, qu’à parler de la dernière
expérience de Spallanzani, qu'il regarde lui-même comme la
seule de toute sa dissertation qui paraît avoir quelque force
contre mes principes.
» IL a scellé hermétiquement dix-neuf vases remplis de diffé-
rentes substances végétales, et il les a fait bouillir, ainsi fermés,
pendant l’espace d’une heure. Mais de la façon qu'il a traité et
mis à la torture ses dix-neuf infusions végétales, il est visible
que non-seulement il a beaucoup affaibli, ou peut-être totale-
ment anéanti la force végétative des substances infusées, mais
aussi qu'il a entièrement corrompu, par les exhalaisons et par
l’ardeur du feu, la petite portion d'air qui restait dans la partie
vide de ses fiolles. Il n’est pas étonnant par conséquent que
ses infusions ainsi traitées n’aient donné aueun signe de vie. Il
en devait être ainsi.
» Voici donc ma dernière proposition et le résultat de tout mon
travail en peu de mots : Qu'il se serve en renouvelant ses expé-
riences de substances suffisamment cuites pour détruire tous les
prétendus germes qu'on croit attachés ou aux substances mêmes
* Où aux parois intérieures, où flottant dans l'air du vase ; qu'il
scelle ses vases hermétiquement, en y laissant une cer-
taine portion d’air sans le bouleverser; qu’il les plonge ensuite
dans l’eau bouillante pendant quelques minutes, le temps seule-
ment qu'il faut pour durcir un œuf de poule et pour faire périr
les germes; en un mot qu’il prenne toutes les précautions qu'il
voudra, pourvu qu'il ne cherche qu'à détruire les prétendus
germes étrangers qui viennent du dehors, et je réponds qu'il
trouvera toujours de ces êtres vitaux microscopiques en nombre
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, A1
» suffisant pour prouver mes principes. S'il ne trouve à l’ouver-
» ture de ses vases après les avoir laissé reposer le temps néces-
» saire à la génération de ces corps, rien de vital ni aueun signe
» de vie, en se conformant à ces conditions, j'abandonne mon
» système et je renonce à mes idées. C’est je erois tout ee qu'un
» adversaire judicieux peut exiger de mor. »
Voilà certes la discussion bien nettement limitée entre Needham
et Spallanzani. C’est dans le chapitre IE du tome 1°” de ses
Opuscules que Spallanzani aborde la difficulté décisive. Et quelle
est sa conclusion? Pour supprimer toute production d’infusoires,
il est nécessaire de maintenir trois quarts d'heure les infusions à
la chaleur de l’eau bouillante (4). Or, cette durée obligée d’une
température de cent degrés pendant trois quarts d'heure, ne
justifiait-elle pas les craintes de Needham sur une altération pos-
sible de l'air des vases? Il aurait fallu tout au moins que Spallan-
zani joignit à ses expériences une analyse de cet air. Mais la
science n’était pas encore assez avancée; l’eudiométrie n’était pas
encore créée. La composition de l'air atmosphérique était à peme
connue (2).
Les résultats des expériences de Spallanzani sur le point le plus
délieat de la question, conservaient donc aux objections de Nee-
dhäin toute leur valeur. Bien plus, celles-ci se trouvèrent légitimées,
au moins ef apparence, par les progrès ultérieurs de la science,
(1) « Je réussis, dit Spallanzani, à me procurer ensuite des vases qui résis-
» tèrent mieux à l’action du feu, et je parvins à leur faire éprouver une ébulli-
» tion plus longue, en n'y mettant qu'une petite dose des infusions dont j'ai
» parlé; sans cette précaution, j'étais encore sûr de voir sauter tous mes vases.
» Mais, pour ne pas perdre un temps précieux dans de trop petits détails, je
» rapporterai seulement le résultat de mes observations. L'ébullition d'une demi-
» heure ne fut pas un obstacle à la naissance des animalcules du dernier ordre
» qui peuplèrent toujours plus ou moins tous les vases exposés à son action
» pendant tout ce temps-là; mais l'ébullition pendant trois quarts d'heure ou
» même pendant un temps un peu moindre, eut [a force de priver entièrement
» d'animalcules les six infusions, » (Spallanzani, Opuscules, t. I, p. 39.)
(2) La première dissertation de Spallanzani est de 1763. Ses Opuscules paru-
rent pour la première fois en 4776. La découverte de la composition de l'air par
Lavoisier est de 1774.
412 L, PASTEUR,
Appert appliqua à l'économie domestique les résultats des
expériences de Spallanzani effectuées selon la méthode de Needham
Par exemple, l'une des expériences du savant llalien consiste à
introduire des petits pois avec de l’eau dans un vase de verre que
l’on ferme ensuite hermétiquement, après quoi on le maintient
dans l’eau bouillante pendant trois quarts d'heure. C’est bien le
procédé d’Appert; or, Gay-Lussac, voulant se rendre comple de
ce procédé, le soumit à divers essais dont il consigna les résultats
dans l’un de ses mémoires le plus fréquemment cités.
Les extraits suivants du travail de Gay-Lussae ne laissent aucun
doute sur l’une des opinions de l’illustre physicien, opinion qui à
passé dans la science entière et incontestée.
« On peut se convainere, dit Gay-Lussac, en analysant l'air des
» bouteilles dans lesquelles les substances (bœuf, mouton, poisson,
» champignons, moût de raisin) ont été bien conservées, qu'il
» ne contient plus d'oxygène, et que l'absence de ce gaz est par
» conséquent une condition nécessaire pour la conservation des
» substances animales et végétales (1).
(1) Gay-Lussac ajoute plus loin : « Lorsqu'on laisse l'urine en contact avec
» une petite quantité d'air, elle en absorbe l'oxygène assez promptement et sa
» décomposition s'arrête ensuite; mais si on lui en donne une quantité suffisante,
» il se forme beaucoup de carbonate d'ammoniaque, et il se dépose presque tou-
» jours avec le phosphate de chaux, du phosphate ammoniaco-magnésien. »
C'est encore dans ce mémoire de Gay-Lussac que l'on trouve l'expérience
suivante si souvent rappelée.
« J'ai pris du lait de vache et je l'ai exposé tous ies jours ensuite à la tempé-
» rature de l’ébullition de l’eau saturée de sel. Deux mois après, il était parfai-
» tement conservé. » |
Ce travail de Gay-Lussac a exercé sur les esprits, dans la question qui nous
occupe, une influence considérable.
Gay-Lussac trouve que r’air des conserves d’Appert est privé d'oxygène. Cela
peut être après une longue durée de conservation des matières, ou lorsque la
quantité des substances organiques est très grande par rapport au volume de
l'air. Mes propres expériences serviront même à expliquer ce résultat. Mais
certainement il n’est pas général, et dans tous les cas, l'interprétation que
Gay-Lussac donna à ce fait est erronée. L'absence d'oxygène, dit-il, est une con-
dition nécessaire pour la conservation des substances animales et végétales. Cette
opinion, qui eut une influence particulière sur les théories de la fermentation et
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 15
Les craintes de Needham sur une altération de l'air des vases
dans les expériences de Spallanzanïi, se trouvaient justifiées par ce
fait de l'absence de l'oxygène dans les conserves d’Appert.
Mais une expérience du docteur Schwann vint apporter dans
la question un progrès très notable. Dans le mois de février 1837,
M. Schwann publia les faits suivants : Une infusion de chair mus-
culaire est mise dans un ballon de verre ; on ferme ensuite le bal-
lon à la lampe, puis on l’expose tout entier à la température de
l'eau bouillante, et, après son refroidissement, on l’abandonne à
lui-même. Le liquide ne se putréfie pas. Jusque-là rien de bien
nouveau. C’est l’une des expériences de Spallanzani, ou mieux une
conserve d’Appert. Mais il était désirable, ajoute M. Schwann, de
modifier l’essai de telle manière qu’un rencuvellement devint pos-
sible, avec cette condition toutefois que le nouvel air fût préala-
blement chauffé comme l’est celui du ballon à l’origine. Alors
M. Schwann répète l'expérience précédente en adaptant au col du
ballon un bouchon percé de deux trous traversés par des tubes
de verre coudés et recourbés, de manière que leurs courbures
soient plongées dans des bains d’alliage fusible entretenus à une
température voisine de celle de l’ébullition du mercure. À l’aide
d’un aspirateur, on renouvelle l'air qui arrive froid dans le ballon,
mais après avoir été échauffé en passant dans la portion des tubes
entourés d’alliage fusible. On commence l'expérience en faisant
bouillir le liquide. Le résultat est le même que dans les expé-
riences de Spallanzani et d’Appert. Il n’y a pas d’altération du
liquide organique.
L'air chauffé, puis refroidi, laisse donc intact du jus de viande
qui a été porté à l’ébullition. C’était là un grand progrès, parce
que cela donnait gain de cause à Spallanzani contre Needham.
Cela répondait à toutes les craintes de ce dernier sur l’altération
possible de l’air dans les expériences de Spallanzani ; cela détrui-
sait enfin l’assertion de Gay-Lussac sur le rôle de l'oxygène
des générations spontanées, n’était pas une conséquence obligée comme le pen-
sait Gay-Lussac, de ses observations sur la composition de l'air des conserves
d'Appert.
14 L. PASTEUR,
dans les procédés de conserves d’Appert et dans la fermentation
alcoolique.
Cependant sur ee dernier point il y avait des doutes à garder ;
enteffet, dans ce même travail du docteur Sehwann, outre l’expé-
rience sur le bouillon de viande, laquelle touchait à la cause de
la putréfaction, ily en a une autre relalive à la fermentation
alcoolique, et qu'il faut rappeler. L'auteur remplit quatre:flacons
d’une solution de sucre de cannes mêlée à de la levûre de bière ;
puis, après les avoir bien ‘bouchés, il les place dans l’eau bouil-
lante, et les renverse ensuite sur la cuve à mercure. Après leur
refroidissement, il y fait arriver de l'air, de l’air ordinaire dans
deux d’entre eux, de l’air calciné dans les deux autres. Au bout
d’un mois, il y eut fermentation dans les flacons qui avaient reçu
l'air ordinaire ; elle ne s’était pas encore manilestée dans les deux
autres après deux mois d'attente. Mais en répétant ces -expé-
riences, je trouvai, dit-il, qu’elles ne réussissent pas toujours-aussi
bien, et que quelquefois la fermentation ne se déclare dans aucun
des flacons , par exemple lorsqu'on les a maintenus trop long-
temps dans l’eau bouillante, et quelquelois d'autre part le liquide
fermente dans les flacons qui ont reçu de l'air calciné.
En résumé, l'expérience du docteur Sehwann relative à Ja pu-
‘tréfaction du bouillon:est très nette. Mais en ce qui concerne la
fermentation alcoolique, la.seule fermentation qui fût assez bien
-connue en 1837 à l’époque du travail.de M. Sehwann, les expé-
‘riences du savant physiologiste étaient contradictoires, et cepen-
dant on venait d'apprendre, par les observations de M. Cagnard-
‘Latour et par celles de M. Schwann lui-même, que la fermentation
vineuse était déterminée par un ferment organisé.
Combien plus ces cbscurités de la question, en ce qui touche la
fermentation alcoolique , ne furent-elles pas accrues, lorsque,
postérieurement , les chimistes étudièrent un.grand nombre de
fermentations où l’on n'avait pu ‘découvrir aucun ferment :or-
vanisé, et dont la cause était universellement attribuée à des actions
de contact, à des phénomènes d'entrainement ou de mouvement
communiqué. produits par des matières azotées mortes envoie
d'altération.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 15
Quoi qu'il'en soit, voici quelle fut la conclusion que le doc-
teur Schwann déduisit des expériences que je viens de rap-
porter : « Pour la fermentation alcoolique, dit-il, comme pour
» la putréfaction, ce n'est pas l'oxygène, du moins l'oxygène
» seul de l'air atmosphérique qui les ‘occasionne, mais ‘un prin-
» cipe renfermé dans l'air ordinaire, et que la chaleur peut dé-
» truire. »
La réserve de cëtie conclusion mérite d’être remarquée. On
voit bien, par certains passages de son travail, que le docteur
Schwann penchait à croire que, par la chaleur, il détruisait des
germes; mais sa conclusion définitive ne pouvait aller et ne va
pas jusque-là. Souvent, en rapportant ses expériences, les adver-
saires dela doctrine des générations spontanées ont affirmé que
emploi de la chaleur n'avait d'autre but que de tuer des germes ;
mais ce n’était [à qu’une'hypothèse. Ainsi que le dit très ‘bien le
docteur Schwann, ces expériences prouvent seulement que ce
n’est pas l’oxygène, ou du moins l'oxygène seul, qui est la cause
de la :putréfaction et de la fermentation vineuse, mais quelque
chose d’ineonnu que la:chaleur-détruit. Et:encore pour la fermen-
tâtion vineuse, il était mal établi qu’il fûtindispensable de-recou-
rir à une autre cause que celle qu'avait indiquée Gay-Lussac ,
savoir l’oxygène seul de l’air (4).
Les expériences du docteur Schwann ont été répétées et modi-
iées.par divers observateurs. MM. Ure et Helmhol{z (2) ont con-
“irmé :ces ‘résultats par des expériences analogues aux siennes.
M. Schultze, au lieu de calciner' l'air avant de le mettre au contact
des conserves d’Appert, le fit passer à travers des réactifs éhi-
.miques : potasse et acide sulfurique concentrés. MM. Schrœder et
Dusch imaginèrent de filtrer l'air à travers du coton, au lieu de le
“modifier par une température ‘élevée à la manière du docteur
*(t) Voir la note de mon mémoire sur la fermentation alcoolique relative aux
expériences de Gay-Lussac et de M. Schwann. (Annales de chimie et de physique,
3° série, L..LVTHIL, p.369.)
(2) Journal allemand de chimie pratique, 1. XIX, p. 186, et Llome XXXI,
page 429.
16 L. PASTEUR,
Schwaun, où par les réactifs chimiques énergiques, selon le pro-
cédé de M. Schultze (1).
Le premier mémoire de MM. Schrœder et Duscha paru en 1854,
le second en 1859. Ce sont d’excellents travaux qui ont, en outre,
le mérite historique de montrer l’état de la question qui nous
occupe à la date de 1859. |
On savait depuis longtemps, et dès les premières discussions
sur la génération spontanée, qu’une gaze fine, déjà employée
avec lant de succès par Redi dans ses recherches sur l’origine
des larves de la viande en putréfaction, suflisait pour empêé-
cher, ou tout au moins pour modifier singulièrement J'altération
ra
(1) Voici l'extrait publié dans les Annales des sciences naturelles sur les expé-
riences de M. Schultze : « L'auteur remplit à moitié un flacon de cristal avec
» de l'eau distillée contenant diverses substances animales et végétales, puis
» bouche le vase à l’aide d’un bouchon traversé par deux tubes coudés, et sou-
» met l'appareil ainsi disposé à la température de l’eau bouillante. Enfin, pen-
» dant que la vapeur s'échappait encore à travers les tubes dont nous venons
» de parler, il adapta à chacun d'eux un de ces petits appareils de Liebig, em-
» ployés par les chimistes dans les analyses élémentaires des substances orga-
niques, il remplit l’un d'acide sulfurique concentré, l'autre d’une solution con-
centrée de potasse. La température élevée avait dû nécessairement détruire
tout ce qui était vivant, et tous les germes qui pouvaient se trouver dans
l'intérieur du vase ou de ses ajustages, et la communication du dehors en
dedans était interceplée par l'acide sulfurique d'un côté, la potasse de l’autre;
néanmoins, en aspirant par l'extrémité de l'appareil où se trouvait la solution
de potasse, il était facile de renouveler l'air ainsi enfermé, et les nouvelles
quantités de ce fluide qui s'introduisaient ne pouvaient porter avec elles aucun
germe vivant, car elles étaient forcées de passer dans un bain d'acide sulfu-
rique concentré. M. Schultze plaça l'appareil ainsi disposé sur une fenêtre
bien éclairée, à côté d’un vase ouvert dans lequel il avait mis en infusion
les mêmes substances organiques, puis il eut soin de renouveler l'air de son
appareil plusieurs fois par jour pendant plus de deux mois, et d'examiner au
microscope ce qui se passait dans l'infusion. Le vase ouvert se trouva bientôt
rempli de vibrions et de monades auxquels s’ajoutèrent bientôt des infusoires
polygastriques d'un plus grand volume, et même des rotateurs ; mais l'obser-
vation la plus attentive ne put faire découvrir la moindre trace d'infusoires, de
conferves ou de moisissures dans l'infusion de l'appareil. » (Edinburgh New
Philosophical Journal, octobre 1837; Annales des sciences naturelles, t. VIII,
2° série. Paris, 1837.)
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y
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 17
des infusions. Ce fait même était au nombre de ceux qu’in-
voquaient alors de préférence les adversaires de la doctrine de la
spontéparité (1).
Guidés, sans doute, par ces faits, et surtout, comme ils le disent
expressément , par les expériences ingénieuses de M. Lœvel qui
reconnut que l’air ordinaire était impropre à provoquer la cristal-
lisation du sulfate de soude lorsqu'il avait été filtré sur du coton,
MM. Schræder et Dusch ont procédé de la manière suivante :
Un ballon de verre reçoit la matière organique. Le bouchon du
ballon est traversé par deux tubes recourbés à angle droit : l’un
de ces tubes communique avec un aspirateur à eau ; l’autre à un
large tube de 1 pouce de diamètre et de 20 pouces de longueur
rempli de coton. Lorsque toutes les communications étaient bien
établies, le robinet de l’aspirateur fermé , et la matière organique
placée dans le ballon, on chauffait celle-ci jusqu’à cuisson, en
maintenant l’ébullition un temps suffisant, pour que tous les tubes
de communication fussent échauffés fortement par la vapeur d’eau;
alors on ouvrait le robinet de l'aspirateur que l’on entretenait jour
et nuit.
Voici les résultats des premiers essais conduits de cette ma-
nière :
MM. Schrœder et Dusch ont opéré :
(1) Extrait d'un passage de l'ouvrage de Baker, membre de la Société royale
de Londres, ouvrage intitulé : Le microscope à la portée de tout le monde, tra-
duit de l'anglais sur l'édition de 4743. Paris, 4754.
« J'ai trouvé constamment que si l'infusion (de poivre, de foin) est couverte
» d'une mousseline ou d'une autre toile fine, il ne s’y produit que très peu d'ani-
» maux, mais que si l'on ôte cette couverture, elle est dans peu de jours pleine
» de vie... Comme les œufs de ces petites créatures sont moins pesants que
» l'air, il peut se faire qu'il en flotte continuellement des millions dans l'air, et
»que, étant portés indifféremment de tousles côtés, il en périsse un grand nom -
- “bre dans les endroits qui ne conviennent pas à leur nature. Il y a des gens
» qui s'imaginent que les œufs de ces petits animaux sont logés dans le poivre,
» dans le foin, ou dans toutes les autres matières que l'on met dans l'eau; mais
» Si cela était, je ne saurais comprendre comment une petite couverture d’une
» Loïle fine, qui n'empêche pas l'air de pénétrer, pourrait empêcher ces œufs
» d'éclore : on doit conclure que c'est là une illusion, »
&° série, ZooL. T. XVI. (Cahier n° 1.) 2 2
15 L. PASTEUR.
4° Sur la viande avec addition d’eau,
2% Sur le mout de bière ,
à Surlelait,
&° Sur la viande sans addition d’eau.
Dans les deux premiers cas, l'air filtré à iravers le coton a
laissé les liqueurs intactes, même après plusieurs semaines. Mais
le lait s’est caillé et pourri aussi promptement que dans l'air ordi-
naire, et la viande sans eau est entrée promplement en putréfaction.
«Il sembledoncrésulter de ées expériences, disent MM. Schræder
» et Dusch, qu'il y a des décomposilions spontanées de substances
» organiques , qui n’ont besoin pour commencer que de la pré-
» sence du gaz oxygène ; parexemple : la putréfaction de la viande
» sans eau, la putréfaction de la caséine du lait et la‘transforma-
» tion du suere de lait en acide lactique (fermentation lactique).
» Mais à côté il y aurait d’autres phénomènes de putréfaction et de
» fermentation placés, à tort, dans la même catégorie que les pré-
» cédents, tels que la putréfaction du jus de viande et la fermen-
» tation alcoolique qui exigeraient pour commencer, outre l’oxy-
» gène, ces choses inconnues mêlées à l’air atmosphérique, qui
» sont détruites par la chaleur d’après les expériences de Schwann,
» et d’après les nôtres par la filtration de cet air à travers le coton.
» …. Comme il resle ici encore tant de questions à décider par
» la voie de l’expérience, nous nous abstiendrons de déduire au-
» cune conclusion théorique de nos expériences. »
M. Schræder revint seul sur ce sujet, en 1859, dans un mé-
moire qui traile, en outre, de la cause dela cristallisation. Ce nou-
veau travail ne conduisit pas davantage son auteur à des conclu-
sions dégagées de toute incertitude ; il y fait connaître de nouveaux
. liquides organiques qui ne se putréfient pas lorsqu'on les met au
contact de l’air filtré, tels que l'urine, la colle d’amidon, et les
divers matériaux du lait pris isolément; mais il ajoute le jaune
d'œuf à la liste de celles qui, comme le lait et la viande sans eau,
se putréfient dans l’air filtré sur le coton.
« Je ne hasarderai pas, dit M. Schræder, d'essayer Pexplication
» théorique de ces faits. On pourrait admettre que l'air frais ren-
» ferme une substance aclive qui provoque les phénomènes de
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 19
» fermentation alcoolique et de putréfaction, substance que la cha-
» leur détruirait, ou que le coton arrêterait. » Puis il ajoute :
« Faut-il regarder cette substance active comme formée de germes
» organisés microscopiques disséminés dans l'air ? Ou bien est-ce
» une substance chimique encore inconnue? Je l'ignore. »
Puis il arrive aux phénomènes de cristallisation par l’air libre,
par l'air chauffé ou par l'air filtré sur le coton, qui présentent de
telles analogies, selon lui, avec les phénomènes de putréfaction,
«qu'il ne peut s'empêcher de les attribuer à une cause commune
» jusqu'ici entièrement inconnue. »
« En ce qui concerne les eristallisations, dit-il encore, l’action
» inductive de l’air semble n’être pas complétement arrêtée par le
»eoton, mais seulement affaiblie. Elle ne peut alors empêcher la
» cristallisation que de certaines dissolutions sursaturées ; mais il
» en est d’autres qui ne peuvent lui résisier. » Puis il remarque
que les résultats qu'il a obtenus sur la putréfaction et la fermenta-
tion sont parallèles à ceux de la cristallisation, puisqu'il y a des
corps qui résistent à l’air filtré, tandis que d’autres, tels que le
lait, entrent en décomposition. L'air filtré sur le coton ne fait
done que perdre partiellement sa force inductive de putréfaction
ou de fermentation.
Vai, à dessein, résumé avec détails ces travaux très judicieux,
parce qu'ils donnent l'expression exacte des difficultés qui, à la
date de 1859, devaient assiéger tout esprit impartial, libre d'idées
préconçues, et désireux de se former une opinion dûment motivée
sur cette grave question des générations spontanées. On peut
affirmer qu’à cette date tous ceux qui la croyaient résolue en con-
naissaient mal l’histoire.
- Spallanzani n'avait pas triomphé des objections de Necdham,
et MM. Schwann, Schullze et Schræder, n'avaient fait que démon-
ter l'existence dans l’air atmosphérique d’un principe mconnu qui
était la condition de la vie dans les infusions. Ceux qui affirmaient
que ce principe n’était autre chose que des germes n'avaient pas
plus de preuves à l'appui de leur opinion, que ceux qui pensaient
que cela pouvait être un gaz, un fluide, des miasmes, ete., et qui,
par conséquent, inelinaient à croire aux générations spontanées,
20 L. PASTEUR.
Les conclusions de MM. Schwann et Schrœæder ne peuvent à cet
égard laisser le moindre doute dans l'esprit du lecteur. Les termes
mêmes de ces conclusions provoquaient au doute, et servaient la
doctrine des générations spontanées. Et puis, les expériences de
MM. Schwann, Schultze et Schrœder, ne réussissaient que pour
certains liquides. Bien plus, elles échouaient presque constam-
ment et pour tous les liquides, comme je le dirai bientôt, lorsqu'on
les pratiquait sur la cuve à mercure, sans que personne connüt le
motif de cet insuccès, ou püt y démêler quelque cause d'erreur.
Aussi lorsque (1), postérieurement aux travaux dont je viens
de parler, un habile naturaliste de Rouen, M. Pouchet, membre
correspondant de l’Académie des sciences, vint annoncer à l’Aca-
démie des résultats sur lesquels il croyait pouvoir asseoir d’une
manière définitive les principes de l’hétérogénie, personne ne sut
indiquer la véritable cause d’erreur de ses expériences, et bientôt
l’Académie, comprenant tout ce qui restait encore à faire, proposa
pour sujet de prix la question suivante :
Essayer, par des expériences bien faites, de jeter un jour nou-
veau sur la question des générations spontanées (2).
La question paraissait alors si obscure, que M. Biot, dont la
bienveillance n’a jamais fait défaut à mes études, me voyait avec
peine engagé dans ces recherches, et réclamait, de ma déférence à
ses conseils, l'acceptation d’une limite de temps, au delà de la-
quelle j’abandonnerais ce sujet, si je n’étais pas maître des diffi-
cultés qui m’arrêtaient. M. Dumas, dont la bienveillance a sou-
(1) M. Pouchet, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1. XLVIT, p. 979,
décembre 1858. MM, Milne Edwards, Payen, de Quatrefages, Claude Bernard,
Dumas, t. XLVIII, p. 23 et suiv., janvier 4859. M. Pouchet, t. XLVIII,
1859, p. 148, 220, 546; t. L, 1860, p. 532, 572, 748, 1421, 104%.
(2) La commission était composée de MM. Geoffroy Saint-Hilaire, Bron-
gniart, Milne Edwards, Serres, Flourens, rapporteur.
« La commission demande des expériences précises, rigoureuses, également
» étudiées dans toutes leurs circonstances, et telles, en un mot, qu’il puisse en
» être déduit quelque résultat dégagé de toute confusion, née des expériences
» mêmes. » (Janvier 1860.)
Tel était le programme de la commission. On ne pouvait mieux indiquer les
difficultés du sujet,
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 91
vent conspiré en ce qui me touche avec celle de M. Biot, me disait
à la même époque : « Je ne conseillerais à personne de rester trop
longtemps dans ce sujet. »
Quel besoin avais-je de m'y attacher ?
Les chimistes ont découvert depuis vingt ans un ensemble de
phénomènes vraiment extraordinaires, désignés sous le nom géné-
rique de fermentations. Tous exigent le concours de deux matières :
l’une dite fermentescible, telle que le sucre; l’autre azotée, qui est
toujours une substance albuminoïde. Or voici la théorie qui était
universellement admise : Les matières albuminoïdes éprouvent,
lorsqu'elles ont été exposées au contact de l’air, une altération,
une oxydation particulière, de nature inconnue, qui leur donne le
caractère ferment, c'est-à-dire la propriété d’agir ensuite, par leur
contact, sur les substances fermentescibles.
Il y avait bien un ferment, le plus ancien, le plus remarquable
de tous, que l’on savait être organisé : la levüre de bière. Mais
comme dans toutes les fermentations de découverte plus moderne
que la connaissance du fait de l’organisation de la levüre de
bière (1836), on n'avait pu reconnaitre l'existence d'êtres orga-
nisés, même en les y recherchant avec soin, les physiologistes
avaient abandonné peu à peu, plusieurs bien à regret, l'hypothèse
de M. Cagnard-Latour, d’une relation probable entre l’organisa-
tion de ce ferment et sa propriété d’être ferment, et l’on appli-
quait à la levüre de bière la théorie générale en disant : « Ce n’est
pas parce qu’elle est organisée que la levüre de bière est active,
c’est parce qu'elle a été au contact de l’air. C’est la portion morte
de la levûüre, celle qui a vécu et qui esten voie d’allération qui
agit sur le sucre. »
Mes études me conduisaient à des conclusions entièrement dif-
férentes. Je trouvais que toutes les fermentations proprement
dites, visqueuse, lactique, butyrique, la fermentation de l’acide
tartrique, de l’acide malique, de l’urée..…, étaient toujours corré-
latives de la présence et de la multiplication d'êtres organisés. Et,
loin que l’organisation de la levüre de bière fût une chose gênante
pour la théorie de la fermentation, c'était par là, au contraire,
qu'elle rentrait dans la loi commune, et qu'elle était le type de
99 L, PASTEUR.
tous les ferments proprement dits. Selon moi, les matières albu-
minoïdes n'étaient jamais des ferments, mais l'aliment des fer-
ments, Les vrais ferments étaient des êtres organisés. s
Cela posé, les ferments prennent naissance, on le savait, par le
fait du contact des matières albuminoïdes et du gaz oxygène.
Dès lors, de deux choses l’une, me disais-je ; les ferments des
fermentalions proprement dites étant organisés, si l'oxygène
seul, en tant qu'oxygène, leur donne naissance, par son contact
avec les matières azotées, ces ferments sont des générations
spontanées ; si ces ferments ne sont pas des êtres spontanés,
ce n’est pas en tant qu’oxÿgène seul que ce gaz intervient dans
leur formation, mais comme excitant d’un germe apporté en même
temps que lui, ou existant dans les matières azotées on fermen-
tescibles. Au point où je me trouvais de mes études sur les fer-
mentations, je devais donc me former une opinion sur la ques-
tion des générations spontanées. Jy rencontrerais peut-être une
arme puissante en faveur de mes idées sur les fermentations pro-
prement dites.
Les recherches, dont j'ai maintenant à rendre compte, n'ont
été par conséquent qu’une digression obligée de mes études sur
les fermentations.
C’est ainsi que je fus conduit à m'occuper d’un sujet qui jusque-
là n'avait exercé que la sagacité des naturalistes.
CHAPITRE IT.
Examen au microscope des particules solides disséminées
dans l'air atmosphérique.
Mon premier soin fut de rechercher une méthode qui permit
de recueillir en toute saison les particules solides qui flottent dans
l'air et de les étudier au microscope. Il fallait s’aitacher d’abord à
lever, s'il était possible, les objections que les partisans de la
génération spontanée opposent à l’ancienne hypothèse de la dissé-
mination aérienne des germes (1).
(1) Cette hypothèse est en effet très ancienne. Elle forme le sujet ordinaire des
discussions relatives à la génération spontanée depuis le xvn° siècle.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 23
Lorsque les matières organiques des infusions ont été chauffées,
elles se peuplent d’infusoires ou de moisissures. Ces productions
organisées ne sont en général ni aussi nombreuses, ni aussi
variées que si l’on n'avait pas préalablement porté lés liqueurs à
l'ébullition , mais il s’en forme toujours. Or, leurs germes, dans
cés conditions, ne peuvent venir que de l'air, parce que l’ébullition
détruit ceux que les vases ou les matières de l'infusion ont apportés
dans la liqueur. Les premières questions expérimentales à résou-
dre sont donc celles-ci : Y a-t-il des germes dans l’air ? Y en a-t-il
en assez grand nombre pour expliquer l'apparition des produe-
tions organisées des infusions qui ont été chauffées préalablement ?
Peut-on se faire une idée approchée du rapport à établir entre un
volume déterminé d’air ordinaire et le nombre des germes que ce
volume d'air peut renfermer ?
Et d’abord existe-t-il des germes dans l’air ? Personne ne le
nie, parce que l’on comprend qu’il ne peut pas en être autrement.
L'un des partisans les plus déclarés de la doctrine des générations
spontanées, M. Pouchet, s'exprime de la manière suivante (1):
«On rencontre parfois dans la poussière quelques œufs de
» Microzoaires, comme on y rencontre une foule de corpuscules
» légers, mais c’est une véritable exception, »
Plus loin, M. Pouchet s'exprime ainsi :
« Parmi les corpuscules de poussière qui appartiennent au rêgne
» végétal, il y a des spores de Cryptogames, mais en fort petit
» nombre. Enfin j'ai constamment rencontré, une certaine quantité
» de fécule de hlé mêlée à la poussière soit récente, soit ancienne…
» Il est évident que c’est cette fécule, parfaitement caractérisée
5 physiquement et chimiquement, ou que ce sont des grains de
» silice, que l’on a pris pour des œufs de Microzoaires (2).
Il y a donc dans la poussière de l’air, des œufs d’infusoires, et
des spores de moisissures ; les partisans de la doctrine de l’hété-
(1) Pouchet, Traité de la génération spontanée, Paris, 4859, p. 432.
(2) De Quatrefages, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 4839,
t. XLVIII, p. 31.
Voyez aussi Dictionnaire de Nysten, pat Littré et Ch. Robin, article Poussière,
onzième édition, 1858.
DJ . PASTEUR.
rogénie l’affirment; mais ils rer qu'il n’y en a qu’exception-
nellement en nombre excessivement restreint, et ceux qui, disent-
ils, ont cru en voir davantage se sont trompés. Ils ignoraient un
fait récent, à savoir qu'il y a des grains de fécule de diverses
tailles dans la poussière (1). Ces observateurs ont pris pour des
œufs ou des spores ces grains de fécule, qui souvent leur ressem-
blent tant.
Telle est l'opinion de M. Pouchet. Je n’ai pas fait assez d’obser-
vations sur la poussière ordinaire déposée , à la surface des objets,
pour que je puisgt ! lbfirmer cette manière de voir au sujet de la
poussière au repos. J8 puis même ajouter qu'à l’époque où je fis
mes premières expériences, diverses personnes très autorisées,
étaient désireuses de constater par elles-mêmes l'exactitude de
mes résultats, parce que, me disaient-elles, ayant eu l’occasion
assez fréquente d’étudier des poussières, elles n’y avaient pas vu
de spores. Mais ici se présente une remarque : la poussière
que l’on trouve à la surface de tous les corps est soumise con-
stamment à des courants d'air, qui doivent soulever ses parti-
eules les plus légères, au nombre desquelles se trouvent, sans
doute, de préférence les corpuscules organisés, œufs ou spores,
moins lourds généralement que les particules minérales. En
outre, en ce qui concerne la poussière ordinaire au repos, il
n’est pas possible d’avoir une indication sur le rapport approché
qui peut exister entre un volume donné de cette poussière et le
volume d’air qui l’a fournie. Ce n’est donc pas la poussière au
repos qu'il faut observer, mais bien celle qui est en suspension
dans l'air.
Voyons si cela est réalisable, et s’il est vrai que cette poussière
flottante ne renferme qu’exceptionnellement des germes d’orga-
nismes inférieurs, ainsi que cela arrive, d’après M. Pouchet, pour
la poussière au repos.
Le procédé que j'ai suivi pour recueillir la poussière en sus-
pension dans l'air et l’examiner au microscope est d’une grande
(1) Ce fait, reconnu pour la première fois, je pense, par M. Pouchet, est très
exact,
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 25
simplicité ; il consiste à filtrer un volume d’air déterminé sur du
coton-poudre, soluble dans un mélange d'alcool et d’éther. Les
fibres du coton arrêtent les particules solides. On traite alors le
coton par son dissolvant. Après un repos suffisamment prolongé,
toutes les particules solides tombent au fond de la liqueur; on les
soumet à quelques lavages, puis on les dépose sur le porte-objet
du microscope où leur étude devient facile.
Je vais entrer dans les détails de l'expérience : FF (pl. 1, fig. 1)
est un châssis de fenêtre, dans lequel j'avais ÿ | jué, à une dis-
tance de plusieurs mètres du sol, une ouvertu. aonnant passage au
tube de verre T. Ce tube n’avait dans mes expériences qu’un demi-
centimètre de diamètre. En a se trouve une bourre de coton so-
luble sur une longueur d’un centimètre environ, retenue par une
petite spirale en fil de platine. L'air, qui était ordinairement aspiré
du côté de la rue d’Ulm ou du côté du jardin de l’École normale,
se trouvait appelé par l'aspirateur R. C'est un tube de laiton en
forme de T, dans lequel s'écoule constamment de l’eau qui, par
succion, entraîne l’air du tube mn, un peu recourbé, à son extré-
mité n, comme l'indique la figure. Le tube mn communique
d’ailleurs par un tube de caoutchouc au tube T renfermant la
bourre de coton soluble. Si l’on veut déterminer le volume d’air
entrainé par l’écoulement de l’eau, il suffit d'engager l'extrémité Z
du tube kl sous un grand flacon renversé plein d’eau, jaugé à
l’avance, et de mesurer le temps que ce flacon, d’un volume de
10 litres par exemple, mettra à se remplir.
Ce mode d'aspiration continue est très commode, et m’a rendu
beaucoup de services.
Lorsque l’air a passé pendant un temps suffisant, la bourre de
coton, plus ou moins salie par les poussières qu’elle a arrêtées, est
déposée dans un petit tube avec le mélange alcoolique éthéré qui
dissout le coton. On laisse reposer pendant un jour. Toutes les
poussières se rassemblent au fond du tube, où il est facile de les
laver par décantation, sans aucune perte, si l’on a soin de séparer
chaque lavage par un repos de douze à vingt heures. Pour décan-
ter le liquide, il est bon de se servir d’un siphon formé par un tube
de très petit diamètre, et pouvant s’amorcer par aspiration.
26 L. PASTEUR.
Lorsque le lavage des poussières est suffisant, on les rassemble
dans un verre de montre où le restant du liquide qui les baigne
s'évapore promptement (4); alors on les délaye dans ün peu d’eau,
et on les examine au microscope.
On peut faire agir sur elles, suivant lès méthodes ordinaires,
différents réactifs : l'eau d’iode, la potasse, l'acide sulfurique, les
matières colorantes.
Ces manipulations fort simples permettent de reconnaître qu’il
y à constamment dans l'air commun un nombre variable de cor-
puscules, dont la forme et la structure annoncent qu’ils sont orga-
nisés. Leurs dimensions s'élèvent depuis les plus petits diamètres
jusqu'à 4/100° à 4,5/100° et davantage demillimètre. Les uns sont
parfaitement sphériques, les autres ovoïdes. Leurs contours sont
plus ou moins nettement accusés. Beaucoup sont tout à fait trans-
lucides, mais il y en a aussi d’opaques avec granulations à l’inté-
rieur. Ceux qui sont translucides, à contours nets, ressemblent
tellement aux spores des moisissures lés plus communes, que le
plus habile mierographe ne pourrait y voir de différence. C’est
tout ce que l’on peut en dire, comme on peut affirmer seulement
que, parmi les autres, il y en a qui ressemblent à des Infusoires en
boule, enkystés, et généralement aux globules que l’on regarde
comme étant les œufs de ces petits êtres. Mais quant à affirmer que
ceci est une spore, bien plus la spore de telle espèce déterminée,
et que cela est un œuf et l’œuf de tel Microzoaire, je crois que cela
n’est pas possible. Je me borne en ce qui me concerne à déclarer
que ces corpuscules sont évidemment organisés, ressemblant de
tout point aux germes des organismes les plus inférieurs, et si
divers de volume et de structure, qu’ils appartiennent sans Conteste
à des espèces fort nombreuses.
L'emploi de l’eau d’iode montre de la manière la’ioins équi=
voque que, parmi ces corpuseules, il y a toujours des granulés
d'amidon. Mais il est bien facile d'éliminer tous les globules de
cette sorte en délayant la poussière dans l'acide sulfurique ordi-
(1) Le lavage est suffisant après cinq ou six décantations. Il faut se servir de
coton-poudre dont la solubilité soit aussi parfaite que possiblé.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 97
naire, qui dissout en quelques instants tout ce qui est amidon.
Sans doute, l'acide sulfurique altère, et dissout peut-être d’autres
olobules; mais ilen reste encore un grand nombre, et quelquefois
même on en distingue davantage après l’action de lacide sulfu-
rique, parce que cet acide dissout le carbonate de chaux et délaye
les autres particules de poussière, de façon que beaucoup de cor-
puseules organisés se trouvent dégagés des débris amorphes qui
empêchent souvent de les bien voir. Il est bon d'observer aussitôt
après que les petites bulles d'acide carbonique sont dissipées, et
avant que les aiguilles de sulfate de chaux se soient déposées (1).
En opérant sur la poussière d’une bourre de L centimètre de
longueur sur 4/2 centimètre de diamètre exposée au courant
d'air pendant vingt-quatre heures, avec un écoulement d’un litre
par minute, on découvre et-on peut dessiner facilement vingt à
trente corpuscules organisés en un quart d'heure. Il y en a ordi-
nairement plusieurs dans le champ. Notons que la goutte d'acide,
mêlée de poussière, que l’on place sur le porte-objet du micros-
cope ne représente qu'une fraction de celle qui est dans le verre
de montre. |
D'autre part, il faudrait évidemment plusieurs heures pour re-
chercher et dessiner au fur et à mesure tous les corpuscules orga-
nisés de cette goutte. On voit done que le nombre descorpuseules
organisés que l'on fixe par cette méthode sur les filaments de
coton est fort sensible comparativement au volume d'air (2); sans
doute, il n’est pas suffisant, pour justifier cette asserlion généra-
(1) J'ai reconnu par des épreuves directes, que l'acide sulfurique concentré
ordinaire ne dissolvait pas les spores des moisissures communes, même par un
contact prolongé.
(2) Je n'ai pas besoin de dire que je me suis assuré que le coton que j'em-
ployais ne renfermait pas du tout de corpuscules organisés, et que sa dissolution
dans le mélange alcoolique ne laissait d'autre résidu que quelques fibres non
dissoutes.
Je dois faire observer en outre que, sous une épaisseur d'un centimètre , une
bourre de coton est loin d'arrêter tous les corpuseules de l'air. Si l'on place plu-
sieurs bourres à la suite les unes des autres, la seconde, la troisième... se cou-
vrent de poussière ; seulement, il faut pour les charger à l’égal de la première,
d'autant plus de temps qu’elles en sont plus éloignées.
28 L, PASTEUR.
lement admise, que la plus petite bulle d’air commun est capable
de faire naître dans une infusion toutes les espèces d’Infusoires
et toutes les Cryptogames propres à cette infusion. Mais nous
verrons dans un chapitre subséquent que cette opinion est fort
exagérée, et que l’on peut toujours mettre en contact avec une
infusion qui a été portée à l’ébullition un volume d’air ordinaire
considérable, sans qu'il s’y développe la moindre production
organisée.
Je vais entrer dans quelques détails, afin que l’on ait une idée
un peu plus nette du nombre des corpuscules organisés que l’on
découvre dans la poussière, recueillie comme je viens de le dire.
Les figures II, IIT et IV, représentent quelques corpuscules
organisés d’un échantillon de poussière recueillie en vingt-quatre
heures du 16 au 17 novembre 1859. Voici comment ces dessins
rapides, qui ne donnent que le volume et le contour des corpus-
cules, ont été faits :
Après que le lavage de la poussière eût été effectué comme je
l’ai indiqué tout à l'heure, j'ai pris dans le verre de montre une
partie de la poussière, et je l’ai délayée dans une goutte de solu-
tion de polasse, renfermant 5 parties de potasse pour 400 d’eau.
Au fur et à mesure que je déplaçais la lame de verre sous l’ob-
jecuf, et que j’apercevais un globule évidemment organisé, je le
dessinais. C’est ainsi que la figure IT a été obtenue.
J'ai alors remplacé la potasse par de la teinture aqueuse d’iode.
Il suffit pour cela de placer au contact avec le bord de la lame de
verre un petit carré de papier buvard, que l’on recouvre d’un
second, d’un troisième papier semblable, et ainsi de suite jusqu’à
ce que toute la solution de potasse soit absorbée. On la remplace
alors par une goutte d’eau iodée, que l’on enlève par le même
moyen pour y substituer une nouvelle goutte de cette temture.
On continue ainsi jusqu’à ce que la potasse restant sous la lame de
verre soit entièrement neutralisée.
La figure III représente une partie des globules mis au contact
de la teinture aqueuse d’iode. Enfin la figure IV donne le dessin
des globules examinés, après que l’eau d’iode fut remplacée par
l'acide sulfurique ordinaire.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29
La distance des deux parallèles de la figure V représente
1/100° de millimètre au grossissement employé dans l’expérience.
J'ajouterai que j'ai mis une heure et demie à faire les dessins
des globules et les expériences de substitutions de réactifs les uns
aux autres. Cela donnera au lecteur une première indication sur
le nombre des corpuscules organisés, que l’on peut arrêter en
vingt-quatre heures en faisant passer sur une petite bourre de co-
ton environ 1500 litres d’air pris dans une rue de Paris peu fré-
quentée, et à une distance de à à 4 mètres au-dessus de la surface
du sol (1). On peut avoir une idée bien plus exacte du nombre des
corpuscules, que leur forme et leur volume permettent de dire
organisés, par la détermination du nombre moyen de ces corpus-
cules contenus dans le champ du microscope, et par la connais-
sance du rapport des surfaces de la goutte étalée sous la petite
lame de verre qui la recouvre, et du champ du microscope, pour
le grossissement que l’on emploie. Le nombre total des corpus-
cules de la goutte sera égal au rapport dont nous parlons, mulu-
plié par le nombre moyen des corpuscules compris dans un champ
quelconque. On arrive ainsi à reconnaître qu’une petite bourre de
colon exposée pendant vingt-quatre heures au courant d’air de la
rue d’Ulm, pris à quelques mètres du sol, pendant l'été, après une
succession de beaux jours, rassemble plusieurs milliers de cor-
puseules organisés pour une aspiration d’un litre d’air environ
par minute. Du reste, ce résultat varie infiniment avec l’état de
(4) Postérieurement à l'emploi de la méthode que je viens de décrire et dans
lé but de réfuter les résultats que j'en avais obtenus, M. Pouchet a examiné la
poussière que la neige abandonne après sa fusion, moyen déjà mis en pratique
par M. de Quatrefages et par M. Boussingault (Comptes rendus de l'Académie,
t. XLVIII, p. 34, 1859). « La neige, dit M. Pouchet, fut recueillie dans une
» grande cour carrée. On en prit seulement la couche superficielle dans une
» épaisseur de 5 centimètres environ, et sur une étendue de 4 mètres carrés. »
(Comptes rendus, t. L, p. 5392.)
Je n'ai pas étudié la poussière de l'air en faisant fondre de la neige, et j'ignore
si cette méthode vaut celle que j'ai suivie. Dans tous les cas, il est évident qu'il
faudrait étudier la première neige tombée, la couche du fond et non la couche
de la surface. Car si la neige peut entraîner les poussières de l'air, c’est la pre-
mière tombée qui se chargera de cet office.
00 L, PASTEUR.
l'atmosphère, si l’on opère avaat ou après la pluie, par un temps
calme ou agité, de jour ou pendant la nuit, à une petite ou à une
grande distance du sol. Enfin que l’on imagine toutes les mille et
une causes qui peuvent augmenter ou diminuer le nombre de ces
particules solides que tout le monde a aperçues dans un rayon de
soleil qui pénètre dans une chambre obseure, et l’on comprendra
tout ce qu'il doit y avoir de changements dans les résultats qui
précèdent,
La méthode dont je viensde parler pour recueillir les poussières
qui sont en suspension dans l’air ordinaire, et les examiner ensuite
au microscope, est évidemment susceptible d’être modifiée utile-
ment (1),
Je.crois qu'il y aurait un grand intérêt à multiplier les études
sur ce sujet, el à comparer dans un même lieu avec les ‘saisons,
dans des lieux différents à une même époque, les corpuscules
organisés disséminés dans l'atmosphère. Il semble que les phéno-
mènes de contagion morbide, surtout aux époques où sévissent
des maladies épidémiques, gagneraient à des travaux poursuivis
dans cette direction.
Les figures VI, Vif, VII, IX, représentent des corpuscules
organisés associés à des particules amorphes, tels qu'ils s'offrent
au microscope pour un grossissement de 350 diamètres, le liquide
délayant étant l'acide sulfurique ordinaire.
La figure VI s'applique à des poussières recueillies. du 25 au
(1) Ne serait-il pas possible de remplacer le coton par une bourre de fils très
fins formés par un borate soluble, étiré à chaud, voire même par du sucre d'orge
réduit en fils soyeux ?
J'essaye en ce moment l'emploi d'un tube thermométrique de gros calibre où
l'on a soufflé à des distances rapprochées une suite de renflements. En introdui-
sant dans ce tube quelques gouttes d'un liquide visqueux ou d'huile, le liquide
s'arrête dans les étranglements, et si l’on fait passer de l'air, les méaisques des -
étranglements se reforment après le passage de chaque bulle de gaz, qui se
trouve ainsi lavé un grand nombre de fois par une quantité de liquide adhésif
très minime. M. Jamin a utilisé des tubes de cette nature dans quelques-unes
de ses curieuses expériences sur la capillarité. C’est ce qui m'a suggéré
l'idée de l'emploi de pareils tubes, dont je ne peux cependant pas juger encore
l'efficacité.
SUR LA DOCTRINE DES, GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. o1
26 juin 1860 ; la figure VIT a des foussières du brouillard très in-
tense du mois de février 1861 ; la figure VIIL a des poussières
recueillies du 17 au 19 décembre 1859 par un froid de — 9 à
— 14 degrés; enfin la figure IX a des poussières d’une bourre
qui était précédée d’une autre, afin de montrer qu'une première
bourre n'arrête pas toutes les poussières qui sont en suspension
daus l'air, Cependant il faut remarquer que les poussières étaient
ici en très petit nombre, et qu'il fallait plusieurs fois changer de
champ pour apercevoir un corpuseule organisé, tandis que dans
les cas ordinaires il y a le plus souvent un ou plusieurs corpus-
cules organisés dans un champ quelconque.
CHAPITRE THE.
Des expériences avec l'air calciné.
Nous venons de voir qu’il y avait toujours en suspension dans
l'air des corpuscules organisés, qui, par leur forme, leur volume
et leur structure apparente, ne sauraient être distingués des germes
des organismes inférieurs, et le nombre en est grand sans avoir
rien d’exagéré. Y a-t-il réellement parmi eux des germes fé-
conds (1)? Voilà la question vraiment intéressante; je erois être
arrivé à le démontrer d’une manière certaine. Mais avant d’expo-
(1) Ce qu'il y aurait de mieux à faire et de plus direct consisterait à suivre au
microscope le développement de ces germes. Tel était mon projet; mais l'appa-
reil que j'avais fait construire pour cet objet ne m'ayant pas été livré en temps
opportun, j'ai été éloigné de cette étude par d’autres travaux. Du reste, il ne
faut pas se dissimuler la difficulté de cette méthode d'observation. Rien de plus
simple que de déposer les spores d'une Mucédinée dans un liquide propre à les
nourrir, d’en prélever quelques-unes le lendemain ou le surlendemain, et de voir
que plusieurs ont germé et ont déja poussé de longs appendices, Mais autre
chose, est d'opérer sur une seule spore, qu'il faudra retrouver sous le microscope
à une place déterminée, tout en lui fournissant de l’eau pour remplacer celle qui
s'évapore sur les bords de la lame de verre, etc... Et puis les très petits Infu-
goires, Bacteriums et Monades, se montrent promptement, prénnent l'air el la
spore privée d'un de ses aliments essentiels ne se développe pas. J'espère reve-
nie prochainement sur celte partie de mon travail.
22 L. PASTEUR.
ser les expérienees qui se rapportent plus particulièrement à cette
partie du sujet, il est indispensable de rechercher premièrement
si les faits annoncés par le docteur Schwann sur l’inactivité de
l'air qui a été rougi sont exacts. MM. Pouchet, Mantegazza, Jolly
et Musset, le contestent. Essayons de voir de quel côté est la
vérité ; aussi bien ce sera la base de nos recherches ultérieures.
Dans un ballon de 250 à 300 centimètres cubes, j’introduis
400 à 150 centimètres cubes d’une eau sucrée albumineuse, for-
mée dans les proportions suivantes :
Ens ,,°: s'enponlotp. @ sde su 110008
SCO ER et ce che 0000
Matières albuminoïdes et minérales provenant
de la levûre de bière, . . . . . . . . . 0,2 à 0,7.
Le col effilé du ballon communique avec un tube de platine
chauffé au rouge, comme l'indique la figure X. On fait bouillir le
Jiquide pendant deux à trois minutes, puis on le laisse refroidir
complétement. Il se remplit d’air ordinaire à la pression de
l'atmosphère, mais dont toutes les parties ont été portées au
rouge ; puis on ferme à la lampe le col du ballon, qui a alors la
forme indiquée par la figure XI.
Le ballon ainsi préparé est placé dans une étuve à une tempé-
rature constante voisine de 30 degrés ; il peut s’y conserver indé-
finiment, sans que le liquide qu’il renferme éprouve la moindre
altération. Sa limpidité, son odeur, son caractère d’acidité très
faible, à peine appréciable au papier de tournesol bleu, persistent
sans changement appréciable. Sa couleur se fonce légèrement
avec le temps, sans doute sous l’influence d’une oxydation directe
de la matière albuminoïde ou du sucre (1).
J'affirme avec la plus parfaite sincérité que jamais il ne m'est
arrivé d’avoir une seule expérience, disposée comme je viens de
le dire, qui m'ait donné un résultat douteux. L'eau de levüre
sucrée portée à l'ébullition pendant deux ou trois minutes , puis
mise en présence de l'air qui a élé rougi, ne s’altère donc pas du
(4) Cette oxydation directe est indiquée par l'analyse suivante, effectuée sur
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 39
tout (1), même après dix-huit mois de séjour à une tempéra-
ture de 25 à 80 degrés, tandis que si on l’abandonne à l'air
ordinaire, après un jour ou deux, elle est en voie d’altération
manifeste, et se trouve remplie de bacteriums, de vibrions, ou
couverte de mucors.
L'expérience du docteur Schwann appliquée à l’eau de levûre
sucrée est par conséquent d’une exactitude irréprochable,
Comment se fait-il néanmoins que plusieurs observateurs,
MM. Pouchet, Mantegazza et Schwann lui-même, soient arrivés
à des résultats contradictoires ? J'ajoute que le docteur Schwann
lui-même n’a pas toujours réussi dans ses expériences sur l’inac-
tivité ge l'air caleiné ; en effet, nous avons vu dans la première
partie du présent mémoire, où j'ai résumé le travail de ce savant,
que ses expériences sur la fermentation alcoolique avaient sou-
vent donné des résultats opposés à ceux qu’il espérait, sans qu’il
eût pu d’ailleurs reconnaitre les causes d’erreur présumées de ces
résultats.
Moi-même, dans des expériences inédites, j'étais arrivé à cette
conséquence, que les expériences faites avec l'air calciné, ne réus-
sissaient qu’exceptionnellement. Je vais en rapporter quelques-
unes.
Le 9 août1857, je prépare comme il suit, plusieurs ballons d’un
quart de litre de capacité. Dans chacun d’eux, je place 80 centi-
l'air d’un ballon rempli aux 2/5 d'eau de levüre sucrée, et qui était resté à
l'étuve du 12 février au 18 avril 4860.
Acide carbonique. . . . . , . .« ., 0,9
RTE Le aan io san ne 4
Azote par différence. . . . . . .. 3 00879;6
100,0
Le volume de l'acide carbonique est moindre que le volume d'oxygène qui a
disparu. Cela peut tenir aux différences des coefficients de solubilité de ces gaz.
Quant à la limpidité du liquide, elle était parfaite.
Toutes les analyses de gaz contenues dans ce mémoire ont été faites avec l'eu-
diomètre de M. Regnault,
(1) J'ai certainement eu l’occasion de répéter plus de cinquante fois l'expé-
rience, et, dans aucun cas, cette liqueur, si altérable, n'a donné vestige de
productions organisées, en présence de l'air calciné.
&° série, Zoo. T. XVI. (Cahier n° 4.) 3 3
54 L. PASTEUR.
mètres cubes d’eau de levüre de bière sucrée très limpide, renfer-
mant par litre 100 grammes de sucre et 3 grammes de matière
azotée et minérale empruntées aux principes solubles de la levûre.
J'étire à la lampe le col des ballons, puis je porte le liquide à
l’ébullition, et je ferme ensuite la pointe effilée par un trait de cha-
lumeau pendant l’ébullition, maintenue préalablement de deux
à quatre minutes. Je renverse ensuite successivement chaque
ballon dans la cuve à mercure, au fond de laquelle je brise
leurs pointes; alors j'introduis dans le premier ballon environ
70 centimètres cubes d'oxygène préparé avec le chlorate de po-
tasse, et conduit dans un tube de porcelaine chauffé au rouge
avant d'entrer dans le ballon. Dans le deuxième ballon, je fais
arriver 50 centimètres cubes d'oxygène provenant de la décom-
position de l’eau par la pile, et de production toute récente. Dans
le troisième et le quatrième ballon, je fais passer de 50 à 60 cen-
timètres cubes d’air ordinaire sortant d’un tube de porcelaine
chauffé au rouge. Enfin, dans un cinquième ballon, j'introduis
50 centimètres cubes d’air ordinaire non chauffé. Je porte ensuite
les cinq ballons dans une étuve à la température constante de 25
à 30 degrés, renversés sur le mercure dans des verres à pied.
Le 43 août, il y a des productions organisées dans tous les bal-
tons. Le liquide du premier était tout trouble, laiteux, par la pré-
sence d'une Torulacée en granulations très ténues réunies en cha-
pelets. Le deuxième ballon est tombé dans la nuit du 15 au
46 août, parce qu'il s’est rempli de gaz par fermentation. Une
étude microscopique des portions de liquide restées dans le verre
y à fait reconnaître des globules de levüre de bière. Les ballons 3,
let 5, offraient des touffes de moisissure flottant dans un liquide
limpide.
En résumé, j'oblenais des résultats directement contraires à
ceux du docteur Schwann. Des Mucédinées, des Torulacées, pou-
vaient naître en présence de l'air calciné, dans des liquides qui
avaient été soumis à l’ébullition.
Je ne publiai pas ces expériences ; les conséquences qu’il fallait
en déduire étaient trop graves pour que je n’eusse pas la crainte
de quelque cause d'erreur cachée, malgré le soin que j'avais mis
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29
à les rendre irréprochabhles. J'ai réussi, en effet, plus tard à re-
connaitre cette cause d'erreur.
Quoi qu'il en soit, les choses étaient telles, à celte époque, qu’un
observateur répétant de bonne foi sur la cuve à mercure les expé-
riences de Needham, de Spallanzani et d’Appert, avec la modifi-
cation indiquée par le docteur Schwann, arrivait à des conséquences
tout à fait favorables à la doctrine des générations spontanées,
sans qu’il füt possible de signaler la véritable cause d'erreur de
ses expériences. On pouvait croire seulement qu'il était très dif-
ficile de ne pas laisser s’introduire dans les vases une petite quan-
tité d’air ordinaire. Mais, outre que cette crainte était exagérée, on
verra par la suite que ce n’est pas du tout en cela que consistait
l'inexactitude de la méthode.
Dans toutes ces expériences, comme dans celles du docteur
Schwann qui avaient été contraires au résullat de sa première
expérience sur le bouillon de viande, c'est le mercure qui avait
introduit les germes dans les liqueurs. J’en donnerai ultérieure-
ment des preuves convaincantes. Mais nous pouvons remarquer
dès à présent que le mercure d’une cuve delaboraloire est constam-
ment exposé à recevoir les poussières de l'air, et que ce liquide
doit recéler par conséquent une multitude de ces corpuscules
organisés, que nous avons appris à étudier dans le chapitre pré-"
cédent. Leur légèreté spécifique ne serait suffisante pour les amener
à la surface que s'ils avaient un volume sensible. D'ailleurs, n'y
aurait-il de ces corpuscules qu'à la surface du mercure, il ne
serait pas possible de les éviter. dans les manipulations. Que l'on
dépose, en effet, des poussières sur le mercure et qu'on y en-
fonce ensuite un tube de verre, une éprouvette, un vase quel-
conque, on verra les poussières de la surface s'engager peu à
peu dans la gaine que le corps solide laisse entre lui et le mercure.
Si le corps est enfoncé d’un décimètre ou davantage, les pous-
Sières le suivront jusqu’à cette profondeur, et les dernières arrivées
seront appelées d’une grande distance du point où le corps aura
été plongé.
Nous pouvons résumer comme il suit les expériences de ce
chapitre. L'eau de levüre sucrée, liqueur excessivement altérable
356 L. PASTEUR.
au contact de l'air ordinaire, peut être conservée intacte pendant
des années entières lorsqu'elle est exposée à l’action de l'air cal-
ciné, après avoir été soumise à l'ébullition pendant deux ou trois
minutes. Mais l'expérience a besoin d'être faite convenablement.
Effectuée sur la cuve à mereure avec tous les soins imaginables,
elle ne réussit qu'exceplionnellement, si tant est qu'elle réussisse
quelquefois. La liqueur s’altère presque aussi facilement qu’à
l'air ordinaire, parce qu'il est impossible que la manipulation,
de quelque manière qu’elle soit dirigée, n'introduise pas des
germes provenant de l’intérieur où de la surface du mercure ou
des parois de la cuve.
L'insuccès des expériences avec l'air calciné, toutes les fois
qu'on venait à les pratiquer sur la cuve à mercure, n'était pas la
seule cause d'incertitude et d'embarras dans cette grave question
de la génération des êtres les plus inférieurs.
Remplace-t-on, en effet, dans les essais précédents l’eau de
levüre sucrée par le lait, outel autre liquide quenous apprendrons
à connaître, et de quelque manière que l'expérience soit con-
duite, que l’on opère sur la cuve à mercure, ou que l’on opère
avec l'appareil déjà décrit, représenté figure 10, et qui donne des
résultats si constants pour l’eau de levûre sucrée, le lait se putré-
‘ fie et montre des organismes. |
Ces résultats si divers, contradictoires en apparence, trouveront
leur explication naturelle dans un des chapitres suivants. Mais
jusque-R ils étaient bien faits pour jeter le trouble dans les esprits,
ainsi que j'ai déjà essayé de le montrer dans le chapitre historique
placé en tête de ce travail.
CHAPITRE IV.
Ensemencement des poussières qui existent en suspension dans l’air, dans
des liqueurs propres au développement des organismes inférieurs.
Les résultats des expériences des deux chapitres qui précèdent
nous ont appris :
=
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 97
4° Qu'il y a toujours en suspension dans l’air ordinaire, des
corpuscules organisés tout à fait semblables à des germes d’orga-
nismes inférieurs ;
2° Que l’eau de levüre de bière sucrée, liqueur éminemment
allérable à l'air ordinaire, demeure intacte, limpide, sans donner
jamais naissance à des infusoires ou à des moisissures, lors-
qu'elle est abandonnée au contact de l’air qui a été préalable-
ment chauffé.
Cela posé, essayons de rechercher ce qui arriverait au contact
de ce même air, en ensemençant dans cette eau sucrée albumi-
neuse, les poussières que nous avons appris à recueillir au
chapitre IT, sans introduire autre chose que ces poussières.
Quelle que soit la méthode d’expérimentation, il faut qu’elle
éloigne complétement la cuve à mercure, parce que tous les résul-
tats en seraient troublés. Je l’ai constaté directement pour ce point
de la question par des expériences particulières que je crois sans
grande utilité de rapporter ici. J'aurai d’ailleurs l’occasion de reve-
nir encore sur les inconvénients d'utiliser le mercure dans ces
sortes d'expériences.
Voici les dispositions que j'ai Mess pour déposer les pous-
sières de l’air dans les liqueurs putrescibles ou fermentescibles,
en présence de l’air chauffé.
Reprenons notre ballon renfermant de l’eau de levüre sucrée
et de l'air calciné, figure 11. Je supposerai que le ballon soit à
l'étuve à 25 ou 30 degrés, depuis un ou deux mois, sans y avoir
éprouvé d’allération sensible, preuve manifeste de l’inactivité de
l'air chauffé dont il a été rempli sous la pression atmosphérique
ordinaire.
La pointe du ballon étant toujours fermée, je l’adapte au moyen
d’un tube de caoutchouc, à un appareil disposé comme il suit,
figure 12 : T, est un tube de verre fort, de 10 à 12 millimètres de
diamètre intérieur, dans lequel j'ai placé unsbout de tube de petit
diamètre a, ouvert à ses extrémités, libre de glisser dans le gros
tube et renfermant une portion d’une des petites bourres de coton
chargées de poussières; R, est un tube de laiton en forme de T,
muni de robinets, l’un de ces robinets communique avec la
38 L. PASTEUR.
machine pneumatique, un autre avec un tube de platine chaaffé
au rouge, le troisième avec le tube T ; ce, représente le caoutchouc
qui réunit le ballon B au tubeT.
Lorsque toutes les parties de l’appareil sont disposées et que le
tube de platine est porté au rouge par le calorifère à gaz figuré
en G, on fait le vide, après avoir formé le robinet qui conduit au
tube de platine. Ce robinet est ensuite ouvert de façon à laisser
rentrer peu à peu dans l'appareil de l’air calciné. Le vide’et la ren-
trée de l'air calciné sont répétés alternativement dix à douze
fois. Le petit tube à coton se trouve ainsi rempli d'air brûlé jusque
dans les moindres interstices du coton, mais il a gardé ses pous-
sières. Cela fait, je brise la pointe du ballon B, à travers le caout-
choue ce, sans dénouer les cordonnets, puis je fais couler le petit
tube aux poussières dans le ballon. Enfin, je referme à la lampe
le col du ballon qui est de nouveau reporté à l’étuve. Or, il arrive
constamment que des productions commencent à apparaître dans
le ballon après vingt-quatre, trente-six où quarante-huit heures au
plus.
C’est précisément le temps nécessaire pour que ces mêmes pro-
ductions apparaissent dans l’eau de levüre sucrée lorsqu'elle est
exposée au contact de l'air commun.
Voici le détail de quelques expériences :
Dans les premiers jours de novembre 1859, j'ai préparé sui-
vant la méthode de la fig. 10, plusieurs ballons de 250 centi-
mètres cubes de capacité, renfermant 100 centimètres cubes
d'eau de levüre sucrée et 450 centimètres cubes d’air chauffé.
Is sont restés à l’étuve à une température voisine de 30 degrés
jusqu'au 8 janvier 1860. Ce jour-là, vers neuf heures du matin,
j'ai introduit dans l’un de ces ballons, à l’aide de l'appareil de la
figure 12, une portion de bourre de coton chargée de poussières,
recueillies comme cela a été expliqué au chapitre IE.
Le 9 janvier à neuf”heures du matin, le liquide du ballon n'offre
rien de particulier. Le même jour, à six heures du soir, on voit
très distinctement de petites touffes de moisissures sortir du tube
aux poussières. Limpidité parfaite du liquide.
Le 10 janvier, à cinq heures du soir, outre les touffes soyeuses
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29
de moisissures, le liquide ayant toujours conservé une limpidité
parfaite, j'aperçois sur les parois du ballon un grand nombre de
traînées blanches, irisées de diverses couleurs lorsqu'on place le
ballon entre l’œil et la lumière.
Le 41 janvier le liquide a perdu sa limpidité. Il est tout trouble,
à tel point qu’on ne distingue plus les touffes de mycelium,
Alors j'ouvre le ballon par un trait de lime et j'étudie au
microscope les diverses productions qui y ont pris naissance.
Le trouble du liquide est dû à une foule de petits bacteriums, de
la plus petite dimension, très rapides dans leurs mouvements,
pirouettant vivement ou se balançant, etc..…., fig. 13.
Les touffes soyeuses sont formées par un mycelium en tubes
rameux, fig. 14.
Enfin, cette espèce de précipité pulvérulent sous forme de trai-
nées blanches qui s’est montré le 10 janvier, ‘est constitué par une
Torulacée très élégante représentée fig. 15. C’est une Torulacée
très fréquente dans les liqueurs albumineuses sucrées, qui se
développe, par exemple, dans les jus de betteraves rendus un
peu acides, dans les urines des diabétiques, et que l’on pour-
rait confondre avec la levüre de bière, à laquelle elle ressemble
beaucoup par son mode de développement, si le diamètre de ses
globules n’était sensiblement plus petit que celui des cellules de la
levûre, plus petit d’un tiers ou même de la moitié. Les globules de
cette Torulacée sont peu granuleux, plus translucides que les glo-
bules de la levüre de bière. Le noyau, quand il est visible, est
unique et très net. Ces globules se multiplient par bourgeonne-
ment et affectent la forme rameuse de la levüre de bière en voie
de multiplication.
Ainsi, voilà trois productions nées sous l'influence des pous-
sières que l’on a semées, productions de même ordre que celles
qu'on voit naître dans ces mêmes liqueurs sucrées albumineuses
quand on les abondonne au contact de l’air ordinaire.
Le 17 janvier, j'ai introduit des poussières dans deux autres de
ces ballons d’eau de levüre sucrée demeurées sans altération depuis
le mois de novembre.
Le 19 au matin, un des liquides est tout trouble. Il n'offre
!
h0 L, PASTEUR,
d’ailleurs aucune apparence de myceliam. Le liquide de l'autre
ballon est encore très limpide. Aucune apparence de production
organisée.
Le même jour à cinq heures du soir, le premier ballon est dans
le même état; le trouble est seulement accru ; quant à l’autre,
la limpidité de son liquide est toujours parfaite. mais une touffe de
mycelium sort du petit tube aux poussières et en garnit tout une
extrémité.
Le 20, l’état du premier ballon n'a pas changé schlioipt,
La moisissure du second s’est beaucoup développée, et il s’en est
formé une nouvelle dans l’intérieur du liquide. En outre, la Himpi-
dité du liquide parait légèrement altérée.
Le 21, le liquide du second ballon est presque aussi trouble que
celui du premier, et les touffes de mycelium n’ont pris aucun
accroissement depuis la veille, c’est-à-dire depuis que le trouble
s’est manilesté dans toute la masse du liquide.
Le 22 et le 23 janvier, les touffes de mycelium restent toujours
stationnaires, etiln’estpas douteux, comme onva le voir, qu’il faille
attribuer l’arrêt de leur développement à la présence des infusoires
qui troublent le liquide, et qui, en s’emparant de l'oxygène dis-
sous, privent la plante d’un de ses aliments les plus essentiels. Ce
résultat est constant, et c’est là ce qui explique pourquoi dans le
premier ballon, la production développée en premier lieu, ayant
élé formée par des infusoires, on n’a vu naître aucune autre pro-
duction organisée.
Voici la confirmation remarquable de cette opinion :
Le 23 janvier, voyant que les touffes du mycelium du deuxième
ballon sont stationnaires depuis le 20, je fais tomber le petit tube
aux poussières dans le goulot du ballon, comme le représente la
figure 16, afin de placer la touffe de moisissures qui garnit l’une
des extrémités de ce petit tube, en contact avec l'atmosphère du
ballon, et éloigner ainsi l’influence des infusoires.
Or, dix-huit heures après, dès le 24 janvier au matin, la moi-
sissure à poussé des filaments dans toutes les directions, qui
tapissent le petit tube et le goulot du ballon. Le 95 elle a fructifié.
Le 27, elle s'étend en partie à la surface du liquide du ballon.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. A
A partir de ce jour elle ne s’est plus agrandie et est restée tout à
fait stationnaire, parce que tout l'oxygène de l'air du ballon avait
disparu et avait été remplacé par de l'acide carbonique.
Ces faits, que j’ai eu l’occasion de constater bien souvent dans
des circonstances analogues, montrent toute l'influence que
peuvent avoirles unes sur les autres des productions se développant
simultanément, comment elles peuvent se nuire et comment il
arrive qu’une liqueur peut offrir des organismes variés, mais
toujours bien moins nombreux, dans chaque cas particulier qu'il
n’y a de germes semés, et qu’il ne pourrait s’en développer à la
rigueur. Les premiers qui sont en voie de multiplication étouffent
les autres (1).
Toutes les personnes qui ont étudié les productions organisées
des infusions ont pu faire la remarque qu'une infusion est privée
plus ou moins complétement d’infusoires, s’il arrive qu’elle se
couvre de Mucédinées, dans les premiers jours de son exposition
à l'air. Et, inversement, lorsqu'elle débute par des infusoires, elle
a peine à montrer des moisissures. La cause de ce fait est du
même ordre que celle dont je viens de parler. Dans le premier cas
l'oxygène est absorbé par les Mucédinées, dans le second par les
Infusoires. Ce que je dis de l'oxygène peut s'appliquer sans doute
aux autres aliments de ces petits êtres.
J'ai représenté figure 47 la Mucédinée développée dans le
goulot du ballon, lequel a été ouvert le 31 janvier, afin de pou-
voir étudier les productions auxquelles il avait donné lieu.
Au fond du liquide qui s'était éclairei depuis plusieurs jours,
(4) C'est donc à Lort, selon moi, que M. Pouchet donne comme une immense
objection que les poussières qu'il a semées ne lui ont pas fourni plus de Mucédi-
nées qu'il n'en apparaît sans semence, Qu'il veuille bien les semer, par exemple,
sur une même liqueur, placée dans un vase divisé en compartiments, et il verra
que les corpuscules de l'air semés dans ces compartiments lui fourniront des
productions très diverses. C'est en définitive ce que je fais quand j'opère sur
plusieurs ballons séparément.
Toutes les conditions seront pareilles, mais dans chaque petit compartiment
les premières productions qui auront poussé ne nuiront en rien à celles des
cases voisines. Seulement la variété des productions ne sera pas indéfinie parce
qu'elle est limitée, comme on le sait, par la nature de l'infusion.
12 L, PASTEUR.
parce que la moisissure avait à son tour nui au développement
des Infusoires, il y avait un dépôt sensible, blanc jaunâtre, formé
uniquement de cadavres de petits Bacteriums et de petits Vibrions.
Tous, sans exception, étaient sans mouvement autre que le mou-
vement brownien.
Quant à la Mucédinée, son mycelium avait poussé des tubes
verticaux, translucides, incolores, non ramifiés, portant à leur
extrémité de petites boules colorées en brun foncé dans les indi-
vidus les plus âgés. Ces sporanges s’écrasent facilement sous la
lame de verre, en laissant voir des spores dans leur intérieur, On
reconnait alors très nettement que ces sporanges ont une enve-
loppe membraneuse, ear celle-ci se déchire par la pression. Si
alors on fait arriver une goutte d’eau sous la lame de verre,
instantanément la petite sphère se vide, et il en sort par courants
rapides des amas de spores ovoïdes, d’une translucidité parfaite,
et d’une grande netteté de contours. Leur diamètre varie de 0,006
à 0,008 de millimètre. Ce sont tous les caractères de l'espèce la
plus commune du genre Ascophora. Mais, en outre, à côté de
cette Mucédinée, j'en ai rencontré une très différente appartenant
au genre Penicillium, représentée figure 18; et dans l’inté-
rieur même du petit tube à poussières, mêlée aux fibres du coton,
se trouvait une T'orula en grosses cellules de 0,02 à 0,04 de milli-
mètre de diamètre, jointe à des articles beaucoup plus longs pro-
venant d’un développement de ces cellules généralement très
granuleuses. Elle est représentée figure 19,
Je pourrais multiplier beaucoup les exemples de productions
nées dans l’eau de levüre sucrée par le fait de l’ensemencement
des poussières de l'air, au sein d’une atmosphère d’air chauffé
préalablement et par elle-même tout à fait inactive. J'ai choisi de
préférence pour les décrire les essais qui m’avaient montré des
productions organisées très communes, et qui apparaissent fré-
quemment sur les liquides de la nature de ceux que j'employais.
Mais les Mucorées, les Torulacées, les Mucédinées les plus di-
verses, prennent naissance. Quant aux Infusoires, ce sont tou-
jours, pour ce genre de liquides, de petits Bacteriums, les plus
petites Monades ou les plus petits des Vibrions.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. à
Or toutes ces productions sont précisément de la nature de
celles que l’on voit apparaître dans la liqueur dont il s’agit, lors-
qu’elle est librement exposée au contact de l’air ordinaire. En ce
qui concerne les Infusoires, je puis affirmer que jamais dans au-
cune circonstance je n’ai vu l’eau de levûre sucrée donner nais-
sance à des Infusoires autres que les Bacteriums et les plus petits
des Vibrions. L’Infusoire le plus gros que j'aie rencontré est le
Monas lens de0"",004 de diamètre, et encore je ne l’ai vu que fort
rarement soit à l’air libre, soit dans les ballons fermés. Quant aux
végétaux, ce sont des Mucors, des Mucédinées ordinaires ou des
Torulacées (1).
On pourrait peut-être se demander si, dans les expériences qui
précèdent, le coton, en tant que matière organique, n’a pas eu quel-
que influence sur les résultats. Il est surtout utile de savoir ce qui
arriverait si l'on répétait les manipulations sur des ballons pré-
parés comme on l’a dit, et en éloignant les poussières de l'air. En
d’autres termes, la manipulalion à laquelle il faut recourir pour
l'introduction des poussières n’a-t-elle par elle-même aucune in-
fluence. Il est indispensable de s’en assurer.
Afin de répondre à ces questions, j'ai remplacé le coton par de
l'amiante. Les bourres d'amiante, après une exposition de quel-
ques heures au courant d’air de l’aspirateur (fig. L), ont été intro-
duites dans des ballons en suivant les indications qui précèdent,
et elles ont donné des résultats tout à fait de même ordre que ceux
que nous venons de rapporter. Mais avec des bourres d'amiante
{1} Je dois dire ici, une fois pour toutes, que j'appelle mucors les produc-
tions organisées végétales qui se développent de préférence à la surface des
liquides, et qui offrent un aspect plus ou moins gras ou gélatineux, en pellicules
minces ou épaisses, humides ou sèches, et quelquefois chagrinées ; mucédinées,
les moisissures proprement dites dont le mycelium est formé de tubes diverse-
ment ramifiés, et qui offrent à la surface du liquide des organes de fructifica-
tion ordinairement colorés sous la forme de poussières, et quelquefois de tubes
visibles à l'œil nu, terminés par des sporanges comme dans les moisissures les
plus vulgaires, et enfin torulacées les petites plantes cellulaires non tubulées,
qui se montrent au fond du liquide où elles se multiplient par bourgeonnement,
en affectant la forme de précipités, à la manière de la levûre de bière.
hl L. PASTEUR,
préalablement calcinées et non chargées de poussière ou chargées
de poussière, mais chauffées ultérieurement, il ne s’est produit ni
trouble, ni Infusoires, ni plantes d’aucune sorte. Les liquides ont
conservé une parfaite limpidité. J'ai répété un grand nombre de
fois ces expériences comparatives, et j'ai toujours été surpris de
leur netteté, de leur constance parfaite. Il semblerait, en effet,
que des expériences de cette délicatesse devraient offrir quelque-
fois des résultats contradictoires amenés par des causes d’erreur
accidentelles. Or il ne m'est pas arrivé une seule fois de voir
réussir les expériences à blanc, comme je n’ai jamais vu l’ense-
mencement des poussières ne pas fournir des productions orga-
nisées.
En présence de tels résultats, confirmés et agrandis par ceux
des chapitres suivants, je regarde, comme mathématiquement dé-
montré, que toutes les productions organisées, qui se forment à
l'air ordinaire dans de l’eau sucrée albumineuse, préalablement
portée à l’ébullition , ont pour origine les particules solides qui
sont en suspension dans l’air.
Mais, d’autre part, nous avons vu au chapitre IT que ces parti-
cules solides renferment, au milieu d'une foule de débris amor-
phes : carbonate de chaux, silice, suie, brins de laine, etc., des
corpuscules organisés qui ressemblent, à s'y méprendre, aux pe-
tites graines des productions dont nous avons reconnu la forma-
tion dans cette liqueur. Ces corpuseules sont donc les germes fé-
conds de ces productions.
Concluons, en outre, que, si l’air chauffé mis en présence d’une
conserve d’Appert formée par de l’eau sucrée albumineuse, telle
que du moût de raisin, ne s’altère pas, ainsi que l’a trouvé le pre-
mier le docteur Schwann, c’est que la chaleur a détruit les germes
que cet air charriait. C’est ce que prévoyaient tous les adversaires
de l’hétérogénie. Je n’ai fait qu'en donner des preuves solides et
décisives, et obliger les esprits non prévenus de rejeter bien loin
toute idée de l'existence dans l'air d’un principe plus ou moins
mystérieux, gaz, fluide, ozone, etc., ayant la propriété de provo-
quer une organisation quelconque dans les infusions.
I y aurait ici à traiter une question bien intéressante, sur la-
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. ts)
quelle je reviendrai dans une publication spéciale, et qui ne man-
quera pas de surprendre le lecteur. Rien n’est plus propre que la
liqueur étudiée dans les pages précédentes, à donner naissance
à la fermentation alcoolique. L'eau de levüre sucrée est constituée
à la manière du moût de raisin, du moût de bière, du jus de
betterave, etc... liquides qui, exposés au contact de l’air ordinaire,
entrent facilement en fermentation. Or, dans un nombre consi-
dérable d'expériences disposées comme je l'ai dit précédemment,
et où j'ai semé des poussières de l'air dans de l’eau de levüre
sucrée, il ne m'est jamais arrivé d’oblenir la fermentation du
liquide sucré.
C'est ici le lieu de faire remarquer qu'il n'y a rien de plus
contraire à la vérité que cette assertion souvent reproduite par les
partisans de la doctrine des générations spontanées , « que l’appa-
» rition des premiers organismes est toujours précédée par des
» phénomènes de fermentation ou de putréfaction, et que la for-
» mation des Animalcules dans les macérations vient à la suite
» l’un dégagement de gaz divers dus à la décomposition des sub-
» stances que l’on a employées, et que c’est après la manifestation
» de ces phénomènes qu'il se forme à la surface des liquides une
» pellicule particulière (1). » Aussi, lorsque l’on me parle de
mouvement fermentescible, que je détermine dans mes liqueurs
en y semant les poussières, mouvement fermentescible nécessaire
pour l’évolution des forces génésiques , Je ne vois là que des mots
vagues, auxquels l'expérience m'apprend à ne prêter aucun sens
raisonnable. ,
CHAPITRE V.
Extension des résultats qui précèdent à de nouveaux liquides très altéra-
rables. — Urine. — Lait. — Eau sucrée albumineuse mêlée de car-
bonate de chaux.
$ I. — Urine.
On sait avec quelle facilité l'urine fraîche s’altère au contact de
l'air atmosphérique. Le plus ordinairement elle perd son acidité,
(4) Pouchet, Traité de la génération spontanée, 1859, p. 359 et 383.
6 L. PASTEUR.
se trouble, répand une forte odeur ammoniacale, et dépose des
cristaux de diverses natures. Une étude microscopique attentive
permet de reconnaître que le trouble de la liqueur, le dépôt qui se
forme au fond du vase, la pellicule qui souvent recouvre peu à
peu tout la surface du liquide, sont constitués par des productions
organisées (1). Voici les plus fréquentes : La pellicule de la Sur-
face du liquide est souvent une membrane mucorée, formée de
granulations ou mieux d'articles d’une extrême ténuité ; on dirait
des amas de Bacterium termo sans mouvement. Cela paraît d’au-
tant plus probable que, dans cette même pellicule, fourmille cet
Infusoire, et de très petites Monades se mouvant circularrement
avec rapidité. Cette pellicule membraneuse tombe en tout ou en
partie au fond du vase, dès qu’elle devient assez lourde en quelques
points, puis une nouvelle se reforme, laquelle tombe à son tour ;
de là l’origine de certains dépôts de l'urine en voie d’altération.
D'autres fois il se développe à la surface de l'urine des îlots de
Mucédinées, surtout le Penicillium glaucum qui ne s’y propage
cependant que péniblement, sans y prendre sa couleur vert
bleuâtre bien franche.
Enfin, lorsque la température ambiante ne s’élève pas à plus
de 15 degrés, l’urine se couvre assez fréquemment d'une pelli-
cule continue, difficile à déchirer, et qui se reforme aussitôt sans
solution de continuité, dès que l’on retire la baguette de verre avec
laquelle on essaye de disjoindre ses parties. Lorsque cette pelli-
cule prend naissance, il arrive assez souvent que l'urine reste
acide, et ne se trouble pas sensiblement.
Cette pellicule est formée par une Mucorée remarquable, fort
analogue à la Torulacée, figure 45, mais que je crois néanmoins
différente spécifiquement. Elle est représentée figure 20. Ce sont
des cellules translucides où le noyau est rarement apparent, se
multipliant par bourgeonnement. Le diamètre des cellules varie
de 0°",0045 à 0"*,0065, sensiblement plus petit que celui des
elobules de levüre de bière.
(1) Je laisse de côté, bien entendu, les dépôts muqueux, amorphes, qui pren-
nent naissance dans l'urine par son refroidissement.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. L7
Quant au dépôt qui prend naissance au fond et sur les parois
d'un vase d'urine exposée à l'air, il renferme, outre les produc-
tions tombées de la surface, des cristaux de nature variable.
Mais ce que je veux surtout faire remarquer, c'est l’existence
d'une Torulacée en chapelets de très petits grains, fig. 21,
toutes les fois que la liqueur est devenue ammoniacale par la
transformation de l’urée. Je suis très porté à croire que cette
production conslitue un ferment organisé, et qu’il n’y a jamais
trans{ormation de l’urée en carbonate d'anmoniaque, sans la pré-
sence et le développement de-ce petit végétal. Cependant mes expé-
riences sur ce point n'étant pas encore achevées, je dois mettre
quelque réserve dans mon opinion. Ce que je puis affirmer dans
tous les cas, c’est l’inexactitude d’un fait qui a été souvent cité dans
les discussions auxquelles ont donné lieu les théories relatives à
l'origine des fermentations. Ce fait bien connu consisterait dans la
décomposition de l’urée, sous l'influence de la fermentation
alcoolique du sucre. Toutes les fois que j'ai vu l'expérience réussir,
la levüre de bière s’est trouvée mêlée à la Torulacée en chapelets
dont je viens de parler, et lorsque la levüre de bière restait ho-
mogène, sans mélange d’aucune autre production particulière,
l’urée n’avait éprouvé aucune altération. Le fait qui précède, mieux
étudié, concorde donc avec les idées nouvelles que j'ai émises
dans ces dernières années au sujet de l’origine des fermentations
proprement dites.
Nous venons de reconnaitre les productions les plus ordinaires
de l’urine exposée au contact de l'air, et qui s’y montrent simul=-
tanément ou séparément. Étudions maintenant ce qui se passe
lorsque l’urine est soumise à l’action de l’air qui a été chaufé.
Pour cela, reprenons l'appareil de la figure 10.
De l'urine fraiche filtrée est mise à bouillir pendant deux à trois
minutes dans le ballon, communiquant avec le tube de platine
chauffé au rouge. On cesse alors l’ébullition, de manière que le
ballon refroidi soit rempli d'air calciné sous la pression et à la
température ordinaire ; puis on le ferme à la lampe, à la naissance
de la partie effilée de son col. On porte alors le ballon, tel qu’il est
représenté figure 11, à l’étuve, à la température de 25 à 30 degrés,
18 L. PASTEUR.
température si favorable à la putréfaction de l’urine, Il peut y
séjourner indéfiniment, sans éprouver d'autre altération qu’une
oxydation lente de la matière albumineuse de l’urine ; du moins,
l’urine se fonce un peu en couleur avec le temps, et l'analyse de
l'air du ballon accuse une perte d'oxygène et un gain d’acide
carbonique.
Le 14 avril 1860, j'ai analysé l’air d’un ballon préparé comme
je viens de le dire, et qui était à l’étuve depuis le 13 février Fe la
même année. L'air renfermait alors :
Azote, par différence. . , . . . . . . * 76,8
Oxypenes ne PRIE SIREN RES
Acide carbonique. . . . . . . . . . 3,9
100,0
Mais la limpidité de l'urine reste parfaite, même après dix-huit
mois, etil n'y apparaît pas la plus petite production animale ou
végétale : elle conserve également son acidité et son odeur pre-
mières.
L'urine, qui a été portée à la température de lébullition,
n’éprouve danc aucune putréfaction ou fermentation en présence
de l'air chauffé (1).
(1) Mais il ne sera pas inutile de faire remarquer encore ici que cette expé-
rience, effectuée avec l'aide de la cuve à mercure, donne des résultats positifs,
sans que l'on introduise en apparence rien qui puisse contenir des germes. Que
l'on prenne, par exemple, le ballon de la figure 114, et que l’on brise sa pointe
au fond de la cuve à mercure, puis que l’on fasse sortir du gaz afin que le mer-
cure puisse rentrer ensuile dans le ballon, il arrivera au moins neuf fois sur dix,
sinon toujours, que des moisissures ou de petits Infusoires apparaîtront dans la
liqueur. C’est le mercure qui en apporte les germes.
Je ne rapporterai qu'une expérience de ce genre,
Le ballon dont il est question dans le texte a été reporté à l’étuve le 44 avril,
après qu'on eut prélevé sur la cuve à mercure le volume d'air nécessaire à l'ana-
lyse. Ce ballon était renversé dans un verre à pied sur le mercure. Or, voici ce
qui se passa : le 416 avril, il y avait au fond de l'urine, à la surface de séparation
de l'urine et du mercure, douze petites louffes de mycelium. Le liquide avait
conservé une limpidité parfaite, preuve de l'absence absolue des Infusoires. Le
21 avril, plusieurs des petites touffes réunies par juxtaposition se sont tellement
accrues, qu'elles ont atteint la surface de l'urine et que leurs tubes se trouvent
ainsi en contact avec l'air. Le liquide est toujours d'une parfaite limpidité, Dès
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 19
Voyons maintenant ce qui arrive à ce liquide, lorsque toutes les
conditions précédentes sont remplies, et que l’on y dépose les
poussières qui existent en suspension dans l'air.
Le 16 mars 1860, j'introduis dans un ballon, contenant de
l'urine et de l’air chauffé, une petite bourre d’amiante qui avait
été exposée pendant quelques heures à un courant d’air ordi-
naire.
L'introduction des poussières fut pratiquée en suivant la méthode
de la figure 12, avec toutes les précautions déjà indiquées au pré-
cédent chapitre.
Le 47 mars il n’y a ni trouble, ni moisissures, ni Torulacée.
Pas de cristaux déposés.
Le 48, pas de moisissure apparente, ni dans je tube, ni ailleurs,
mais le liquide est trouble, comme cela arrive toutes les fois qu’il
y a développement d’Infusoires. Ainsi que je lai fait observer,
. c'estle mouvement même de ces petits êtres qui est la cause du
trouble de la liqueur. Dès qu'ils périssent par privation d'air,
ils se rassemblent au fond du vase, comme ferait un précipité, et
le liquide s’éclaireit.
Le 19 mars, le trouble existe encore et a déjà formé un
dépôt très sensible au fond du ballon, dépôt blanc, un peu vis-
queux.
Le 20 etle 21 mars, toujours même état.
le 24 avril au soir, un flot est constitué à la surface du liquide, avec sporanges
visibles, de couleur verte el rappelant tout à fait le penicillium giaucum.
Quelques jours après, la Mucédinée occupait plus de la moitié de la surface du
liquide. J'analyse alors de nouveau le gaz du ballon. Il renfermait :
Acidegarbonigne., Li... siner sfiante à 19,5
Azote par différence. . . . . . … . .. 80,5
GPU) enr PAM SN AR TRE RE 0,0
100,0
Remarquons en passant que, d'après cette analyse, une Mucédinée épuise
par sa végétation jusqu'aux plus petites quantités d'oxygène libre de l'air d'un
ballon fermé.
&° série, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 4.) 4 %
50 L. PASTEUR.
Le 21 au soir, beaucoup de petits cristaux sont déposés à la
surface du liquide et tapissent toutes les parois du ballon. Ce
dépôt de cristaux annonce que le liquide doit être ammoniacal et
qu’il s’est altéré suivant un des modes ordinaires de putréfaction de
l'urine, au contact de l’air ordinaire.
Le 23 mars, j'ouvre le ballon sur le mercure. 1 n’y a pas de
pression qui annonce qu'il y ait eu dégagement de gaz. Le liquide
est très sensiblement alealin au papier de tournesol rouge, cepen-
dant la réaction alcaline, aussi bien que l’action de l'acide chlorhy-
drique indique, qu'il ne s’est pas encore formé beaucoup de carbo-
nate d'ammoniaque, L'examen au microscope accuse la formation
de trois sortes de cristaux, d’une foule de petits Bacteriums dont
plusieurs encore très agiles, el des monades très pelites qui se
déplacent suivant des courbes. Il y avait en outre la Torulacée,
figure 21, en petits grains réunis sous forme de courts chapelets.
Le résultat de cet examen au microscope est représenté figure 22;
on a seulement figuré à part les cristaux et les productions orga-
nisées.
Le dianètre des grains de la Torulacée en petits chapelets était
de 0"",0015 environ, C'est le ferment organisé que je regarde
comme le ferment de l'urine, c’est-à-dire celui qui provoque Ja
transformation de l’urée en carbonate d’ammoniaque, et qui, ulté-
. rieurement par le fait de l’acalinité qui en résulte, amène ledépôt
des urates alcalins et du phosphate ammoniaco-magnésien.
L’urine, abandonnée à elle-même et qui reste acide, laisse bien
déposer des cristaux, mais ce sont des cristaux d'acide urique.
J'ai dessiné, figure 25, des cristaux de cet acide, déposés dans
de l'urine qui était restée acide pendant quinze jours, à la tempé-
rature de 11 degrés, et à la surface de laquelle n’avait pris nais-
sance que la mucorée déjà représentée figure 20.
Je pourrais mulliplier beaucoup les exemples d’altération de
l'urine en présence de l'air chauffé, sous l'influence des poussières
qui existent dans l'air ordinaire, mais cela aurait peu d’utilité (4):
{1) Je citerai cependant encore une expérience choisie parmi celles qui ont
donné en premier lieu des Mucédinées, avant toute formation d'Infusoires,
Le 2 mai 1860, je dépose dans un ballon conservé, à l'aide de la méthode
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 51
Bacteriums, Monades, Mucédinées, Torulacées diverses, voilà tou-
jours cequel'on observe. Cependant les Mucélinées sont en général
moins fréquentes que dans les expériences avee Feau sucrée albu-
mineuse. Ce qu'il faut surtout remarquer, c’est qu'il n’y a pas plus
de variété dans les productions qu'offre l'urine exposée à l'air ordi-
paire, qu'il n'y en a dans celles de l'urine exposée à l'air chauffé,
sous l'influence des poussières qui flottent dans l'air. La différence,
si elle existe, est plutôt en faveur du second mode d’expérimen-
tation.
Notre conclusion sera donc que toutes les fois que l'urine s’al-
tère au contact de l'air ordinaire, c’est par le fait des poussières
solides que l'air charrie et qui tombent dans le liquide.
Nous pouvons déjà remarquer par les détails des expériences
que j'ai rapportées jusqu'ici, combien est fréquente la formation
des plus petits des infusoires et surtout du Bacierium termo, qui
se montre dans toutes sortes d’infusions et qui apparait presque
toujours avant les autres Infusoires. Cet Infusoire est si pelit qu'on
ne saurait distinguer son germe et encore moins assigner la pré-
sence de ce germe, s’il était connu, parmi les corpuscules orga-
nisés des poussières en suspension dans l'air. Mais commeni
n'existerait-1l pas dans l'air, lui qui est partout à profusion? Je n’en
veux d’autres preuves que celles que l’on peut déduire de examen
microscopique d’une foule de substances en putréfaction. Que l'on
se rappelle également les observations de Leewenhoeck sur les
indiquée figure 12, une très petite portion de bourre de coton chargée de pous-
sières de l'air.
Le 4 mai, à huit heures du matin, une touffe de mycéiium en tubes très
Jâches flotte dans le liquide, qui a conservé toute sa limpidité. Le même jour, à
sept heures du soir, apparaissent en outre trois trainées d'un blanc opaque, su.
les parois du fond du ballon,
Le 5 mai, le développement des productions de la veille continue. Le liquide
“st toujours d'une parfaite limpidité. Même état le 6 et le 7 mai, Du 7 au 8, le
uide se trouble uniformément par l'apparition de petits Bacteriums, et les
moisissures restent stationnaires à partir de ce moment par privation d'oxygène.
Le 9 et les jours suivants, des cristaux commencent à se déposer sur les parois
du ballon,
52 L. PASTEUR.
Infusoires de la matière blanche qui s'amasse entre les dents, et
qui ne fait défaut dans la bouche de personne, quel que soit le
soin que l'on prenne à tenir ses dents dans un état de propreté
aussi parfait que possible. Les Bacteriums fourmillent dans la
plus petite parcelle de cette matière. On les retrouve en grande
quantité dans le canal intestinal et les matières des excré—
ments (1).
$ II. — Lait. — Eau sucrée albumineuse avec carbonate de chaux.
L'étude du lait et de quelques autres liquides va nous offrir des
résultats qui paraîtront au premier abord singulièrement embar-
(4) M. Pouchet a souvent rappelé, sous forme d'objection aux idées que je
défends dans ce mémoire, que dans les vaisseaux clos, ce sont toujours les plus
petits Infusoires qui prennent naissance. Cela est vrai, et cette remarque méri-
terait un examen sérieux, s’il était prouvé qu'une même liqueur donne au con-
tact de l'air ordinaire de gros Infusoires, tandis qu'elle en fournit seulement de
très petits dans un ballon, en présence de l'air chauffé. Mais cela n'est pas. Etsi
M. Pouchet connaît une liqueur qui, après avoir subi la température de l'ébullition
à 100 degrés, donne naissance, après deux ou trois jours seulement, à de gros Infu-
soires, lorsqu'elle est exposée à l'air libre, j'affirme que je pourrai y faire naître
ces mêmes gros Infusoires, en opérant dans des ballons, au contact de l’air chauffé,
et par l'influence seule des poussières qui sont en suspension dans l'air. Si, au
contraire, celte liqueur ne donne de gros Infusoires qu'après un temps assez
long, et après qu'il y aura eu succession dans la liqueur de plusieurs générations
des petits Infusoires, la difficulté de faire naître les gros dans un volume limité
d'air, tiendra simplement à ce que l'air altéré par le développement des premiers
et très pelits Infusoires, et ayant perdu tout son oxygène, l’éclosion des germes
des gros Infusoires ne pourra plus avoir lieu. Mais la difficulté pourra étre
levée facilement, dans ce cas, si l'on s'arrange de manière à renouveler l’air
chauffé dans le ballon. i
En opérant comme je l'ai dit, je n'ai pas vu naître de gros Infusoires dans
l'eau sucrée albumineuse, ou dans l'urine, préalablement portées à l'ébullition.:
Je n'ai vu ni Kolpodes, ni Vorticelles, ni Paramécies... Mais je n'ai pas davan-
tage aperçu ces Infusoires dans ces mêmes liqueurs, lorsqu'elles étaient exposées
au libre contact de l'air, et il est juste que l'on ne m'invite pas à faire appa-!
raître dans mes expériences des Infusoires de nature plus diverse que celle que
l'on observe dans les essais à l'air libre, toutes choses égales d'ailleurs,
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. Dà
rassants. Lorsqu'il s’est agi dans les chapitres précédents de l’eau
de levüre sucrée et de l’urine, nous avons reconnu que ces liquides,
portés à la température de l’ébullition à 400 degrés pendant deux
ou trois minutes, puis exposés au contact de l’air qui a subi la
température rouge, n’éprouvent aucune altération. L'expérience,
conduite comme je l'ai décrite en se servantde l’appareil figure 10,
n’est jamais en défaut.
Cela posé, si l’on répète celte même expérience sur le lait or-
dinaire, on peul être assuré que le lait se caillera et se putréfiera
constamment.
Le 10 avril 1860, je prépare un ballon de lait avec l’appareil
de la figure 40. L’ébullition a duré deux minutes, depuis le moment
où la vapeur d’eau avait déjà assez échauffé la partie effilée du col
pour que l’on ne puisse y tenir la main. Après le refroidissement
du liquide, on ferme à la lampe le col du ballon comme à l’ordi-
naire, et on le porte dans une étuve à la température de 95 à
30 degrés.
Le 17 avril, le lait de ce ballon est caillé. Aucune apparence
de dégagement de gaz. Je détache le col par un trait de lime.
Faible odeur de lait caillé. Le petit-lait est alcalin autant que le lait
frais. Examiné au microscope , je le trouve rempli de Vibrions
d’une même espèce, mais de longueurs très variables, Ils ont un
mouvement lent, flexueux; il n’y a pas du tout de Bacterium
termo, ni aucune autre production animale ou végétale. Il n'est
donc pas douteux que le lait s’est caillé sous l’influence de la vie
de ces Vibrions, peut-être par le fait de la production d’un liquide
analogue à la présure. Une foule de ces Vibrions avaient jus-
qu'à 0°",05 ; les plus petits avaient 0"°,004 de longueur. Beau-
coup étaient sans mouvements.
L'analyse de l'air du ballon à donné :
Dayeèneir.2 shol: silrs etes dt Li 0,8
Acidetearhonique. 41.1 20, pe meute ve 17,2
HUGrOPÉNE 4 ele j. “ed 0,2
A701O HAN CINeENCEEs EN ce, 81,8
5l L. PASIEUR,
I] résulte de cette analyse que l'oxygène avait en grande partie
disparu, et avait été remplacé par de l'acide carbonique, sans nul
doute sous l'influence de la respiration des Vibrions. Le fait de
l'existence des Vibrions encore vivants à l'ouverture du ballon,
bien qu'il n’y eût pas un centième d'oxygène, montre que la vie
de ces petits êtres se poursuit tant qu'il y a de l'oxygène, et lors
même que la proportion d'acide carbonique est considérable. Nous
avons déjà constaté un fait de même ordre pour les Mucédinées à
la page 49.
Bien que le lait de ce ballon ait mis sept jours à se cailler, du
10 au 47 avril, il ne faut pas en conclure que le phénomène ne
s'est manifesté qu'après sept jours. Si l’on avait ouvert le ballon
le 42, le 43 avril, on aurait reconnu déjà la présence des Infusoires
et un commencement très faible de coagulation.
La coagulation se manifeste en général de trois à dix jours;
mais je l'ai vue dans un cas ne se déclarer qu'après un mois
de séjour à l’étuve, du 14 mars au 46 avril. Cela indique seule-
ment que les Infusoires se sont multipliés péniblement et lente-
ment.
Les expériences dont nous venons de parler m'ont toujours
offert des résultats analogues. Le lait soumis à l’ébullition à
400 degrés, et abandonné au contact de l'air chauffé, se remplit
après quelques jours de petits Infusoires, le plus souvent d’une
variété de 7/ibrio lineola, Big. 24, et de Bacteriums, ct, tout en
conservant son alcalinité, il se caille.
Je n'ai jamais vu se former dans le lait ainsi traité autre chose
que des Vibrions et des Bacleriums, aucune Mucédinée, aucune
Torulacée, aucun ferment végétal. Il n’y a pas de doute que cela
tient à ce que les germes de ces dernières productions ne peu-
vent résister à 100 degrés au sein de l’eau, ce que j'ai d’ailleurs
constaté par des expériences directes. Et de même nous allons re-
connaître que, si le lait se putréfie dans les circonstances précé-
dentes, c'est que les germes des Infusoires dont nous venons de
parler peuvent résister à la température humide de 100 degrés,
lorsque le liquide où on les chauffe jouit de certaines pro-
priétés.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 50
Pour ce qui est de la coagulation du lait, nous voyons par ces
expériences que le lait abandonné au contact de l’air se caille sous
deux influences très différentes. Il peut se caillec par le fait du
développement d'Infusoires, phénomène qui rentre probablement
dans les cas de coagulation du lait par la présure. 1 y a lieu de
rechercher si, par suile de la vie des Infusoires, il prend nais-
sance dans un liquide analogue à celui des présures naturelles ou
artificielles, qui peuvent, elles aussi, produire la coagulation sans
acidité, I y a d'autre part la coagulation du lait sous l'influence
de l'acide lactique. Lorsque le lait frais, non bouilli, est abandonné
au contact de l’air, la coagulation est due le plus souvent à cette
seconde cause. Quant à l'acidité elle-même, elle est occasionnée
par le développement de ferments végétaux, particulièrement le
ferment lactique, qui transforment le sucre de lait en acide lactique
ou en d’autres acides, ferments qui ne peuvent prendre naissance
lorsque le lait a été bouilli, et qu’il est exposé à l’air chauffé, parce
que les germes de ces ferments ne résistent pas à 100 degrés.
J'ai dit que la putréfaction du lait qui a été chauffé à 100 degrés,
et qui se trouve exposé à l'air calciné, était due à ce que, dans
certains cas, les germes des Vibrions résistaient à la température
de 100 degrés. I est facile de s’en convaincre. Reprenons,
en effet, l'appareil de la figure 40, et faisons bouillir le lait à
une température un peu supérieure à 400 degrés, 110 degrés
au maximum, en adaptant à l'extrémité gauche du tube de pla-
tine le tube de verre de la figure 10 bis, plongeant de 40 à
50 centimètres dans le mercure de la longue cuvette que repré-
sente cette même figure. Détachons ce tube de verre lorsque
l'ébullition du lait aura duré seulement une minute ou deux; puis
fermons à la lampe le col du ballon comme nous l’avons toujours
fait. Ces ballons ainsi préparés pourront alors rester indéfiniment
à l’étuve, sans jamais donner lieu à la moindre production, moi-
sissure ou Infusoire quelconques.
Le lait conserve sa saveur, son odeur et toutes ses qualités
Il est surprenant que sa matière grasse ne s’oxyde pas plus
rapidement en présence d’un volume d’air aussi considerable.
Cette oxydation existe cependant, mais elle est très faihle. Voicr
56 L. PASTEUR.
l’analyse de l'air d’un ballon qui était resté quarante jours à l’é-
tuve :
REA ANT PT SR se en» 18,37
ACIAD LATPORIQUEs ICS MRERNRN EEE UT, 0,46
Azote par différence. . . . . . . . . . . 81,47
100,00
Sous l'influence de cette oxydation directe, la crème se gru--
melle un peu, et communique au lait une légère saveur de suif.
Ainsi donc la putréfaction du lait, bouilli à 100 degrés et exposé
à l’air chauffé, n’était qu'un accident provoqué par ce fait, que la
température de l’ébullition n’avait pas été assez élevée. 11 suffit de
la pratiquer à 100 et quelques degrés, et rnême quelquefois de la
prolonger à 100 degrés, pour que les résultats aient toute la
netteté et toute la précision de ceux que nous avons déjà obtenus
en opérant sur l’eau de levüre sucrée et sur l’urine.
Mais, dira-t-on, comment se fait-il que l’eau de levüre sucrée
et l'urine n'aient besoin de subir qu’une ébullition à 400 de-
grés, pour que jamais on n’y voie apparaître des Vibrions au con-
tact de l’air chauffé. Nous allons reconnaître que cela est dû vrai-
semblablement à ce que ces liquides sont très faiblement acides,
tandis que le lait est alcalin. En effet, j'ai reconnu que l’on peut
faire produire des Vibrions, à l’eau de levüre sucrée, au contact de
l'air calciné. Il suffit de faire bouillir la liqueur à 100 degrés en
présence d’un peu de carbonate de chaux, qui rend la liqueur
neutre ou légèrement alcaline.
Le 21 mars 1860, je prépare six ballons à l’aide de l’appareil
figure 10, chacun d'eux renferme :
40 grammes de sucre.
100 cent. cubes d’eau de levüre de bière (0,5 de matière solide).
A gramme de carbonate de chaux.
” Après les avoir remplis d’air calciné, je les ferme à la lampe
d’émailleur, et je les dépose à l’étuve.
Le 25 mars, le liquide de ces ballons est trouble, et tout
annonce qu'ils renferment des Infusoires. Le trouble a commencé
pour trois d'entre eux dès le 23 mars.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 7
J'ouvre un de ces ballons le 25 mars, et je trouve, en effet, le
liquide rempli de très petits Vibrions dont plusieurs se meuvent
visiblement, quoique avec beaucoup de lenteur; ils sont comme
malades. Le 5 avril, les quatre ballons qui n’ont pas été ouverts
montrent à leur surface un mucor gélatineux, épais, chagriné et
de couleur rougeâtre. Au microscope, ce mucor est constitué par
un amas de granulations d’une extrême ténuité. Au fond du liquide
se trouve un dépôt de cadavres de petits Vibrions. Je pense que
ce mucor est une espèce cryptogamique végétale indépendante de
la production des Vibrions, et que, conséquemment, le germe de
ce mucor particulier, aussi bien que le germe des Vibrions a ré-
sisté dans ces conditions particulières à la température de 100 de-
grés pendant deux à trois minutes.
Si maintenant nous répétons ces mêmes essais en faisant bouillir
le liquide à 405 degrés seulement, comme nous l'avons fait tout à
l'heure pour le lait, dans aucun cas on ne verra se former le
moindre trouble, ni mucorée quelconque. Dès lors, il n’est pas
douteux que si le lait s’altère en présence de l'air calciné, lorsqu'il
n'a subi qu’une ébullition à 100 degrés, c’est qu’il est légèrement
alcalin, puisqu'il suffit d'ajouter un peu de craie à l'eau de levûre
sucrée pour lui communiquer les mêmes propriétés, propriétés
qu’elle n’a jamais si elle est mise à bouillir sans addition de craie.
Mais poursuivons ces éludes, et voyons ce qui arrive, en pré-
sence de l'air calciné, lorsque l’on sème les poussières de l'air
dans du lait conservé intact par une ébullition à 400 et quelques
degrés.
Le 7 avril 1860, je fais passer dans un ballon, dont le lait
bouilli à 108 degrés est resté sans altération depuis deux mois,
une portion d’une petite bourre d'amiante chargée des poussières
en suspension dans l’air.
Le 9 et le 10 avril, le lait paraît intact. Mais déjà le 10 avril au
soir, la couche crémeuse de la surface emprisonne des bulles de
gaz. J'agite pour les faire disparaître ; deux heures après de nou-
velles bulles sont déjà reformées. Le 41, la fermentation continue
à se manifester par des bulles de gaz; maisle lait n’est pas caillé.
Le 12, même état que la veille.
98 L. PASTEUR, -
Le 15 avril, le lait, sans être caillé, paraît éclairci, J'ouvre le
ballon sur la cuve à mercure, afin d’en étudier le contenu. Une
quantité notable de gaz sort avec force du ballon; 1l est donc
certain qu'il y a eu fermentalion. Cependant le liquide n’est pas
acide ; ila même encore au papier de tournesol rouge un soupçon
d’alcalinité. Son odeur est faible, quoique sensible et toute parti-
culière ; c’est l'odeur du lait aigre, ou plus exactement l'odeur des
petits enfants à la mamelle lorsqu'ils sont mal soignés. Ea saveur
du lait est douce en premier lieu, puis elle fait bientôt place à une
autre saveur très désagréable qui a quelque chose d’amer et de
poivré. Exposé pendant quelques instants au bain-marie, le lait
se caille aussitôt en donnant un pelit-lait tout opaque. Au micro-
scope, on voit mêlés aux globules de beurre une foule de petits
articles souvent étranglés au milieu : c’est la variété allongée du
Bacterium termo qui élait mêlée, en outre, au Wibrio lineola de
petite dimension. Tous sont sans mouvement. On voit d'autre part
une foule d'articles d’un diamètre presque double, caractérisés par
une espèce de tête sphérique à une extrémité. Leur nombre est
au moins égal à celui des Bacteriums et des Vibrions, Comme eux,
ils sont sans mouvements apparents.
Voici l'analyse du gaz :
Gay Éene Late latte 2: OLIS Lin 19 4 2,3
Acide carbonique. . . .. . . . . . . . : : 28,6
PUR d'A tE A et apate Do 11,0
Azote par différence. . . . , . . . . .-. . 58,1
100,0
J'ai répété celte expérience à diverses reprises sur le lait ou sur
l'eau de levüre sucrée mêlée de carbonate de chaux ; elle a tou-
jours donné des résultats analogues , c’est-à-dire qu’il ne m'est
jamais arrivé de semer les poussières de l'air dans des liqueurs
conservées intactes par le moyen que j'ai indiqué, sans voir appa-
raître au bout de très peu de jours soit des Mucors ou Mucédinées
diverses, soit des Infusoires. 11 résulte de là que, si le lait bouilli à
100 et quelques degrés ne s’alière ni ne se caille au contact de
l'air chauffé, ce n’est pas qu’il en ait perdu la propriété, puisqu'il
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 09
suffit d'y déposer des poussières recueillies dans l'air ordinaire,
pour le voir donner lieu à des productions organisées de même
ordre que celles que le lait frais montre, au bout de quelques
jours, quand on l’expose à l'air ordinaire. Conséquemment,
s'il se putréfie, et présente des Infusoires au contact de l'air
chauffé, lorsqu'il n’a été bouilli qu’à 100 degrés, c’est évidem-
ment que les germes de ces Infusoires résistent à la température
de 100 degrés pendant quelques minutes. L'expérience suivante
achèvera d’en donner une preuve directe.
Un ballon de Jait est conservé intact depuis deux mois en pré-
sence de l’air calciné. J'y dépose des poussières de l’air en suivant
la méthode indiquée figure 42, et décrite au chapitre IV. Je re-
ferme immédiatement le ballon à la lampe, et je le porte tout entier
dans une marmite pleine d’eau en ébullition: vive. Je l’y ai laissé
cinq minutes, et je l'ai retiré alors pour le porter à l’étuve : c'était
le 24 juillet 1860. Le 30 juillet, il commence visiblement à se
cailler ; le 34, il l’est complétement. Je l’ouvre alors pour étudier
le liquide au microscope; jy découvre une foule de Bacteriums et
de Vibrions très agiles. Au papier de tournesol rouge, le petit-lait
a conservé toute son alcalinité première.
J'aurais bien désiré rechercher quelle est la véritable origine des
germes des Vibrions qui apparaissent dans le lait bouilli à 100 de-
grés, puis expose à l'air calciné. Ces germes existent-ils dans le lait
naturel? Cela n’est pas impossible, Cependant je suis plus porté à
croire qu'ils appartiennent simplement aux poussières qui tombent
dans le lait pendant et après la traite, ou qui se trouvent toujours
dans les vases employés pour recueillir le lait. J'ai rencontré des
difficultés que je n’ai pas encore levées, pour introduire dans mes
ballons, cn présence de l'air chauffé, du lait naturel, n'ayant eu
aucun contact avec l'air ordinaire. J'ai pu réaliser convenable-
ment l'expérience avec l'urine, et j'ai vu qu'elle restait tout à fait
sans altération au contact de l'air calciné, bien qu'elle n’eût subi
aucune élévation de température. Néanmoins, ce sont des expé-
riences que je me propose de reprendre et de suivre avec des
soins particuliers. Tout le monde en comprendra l'importance.
60 L. PASTEUR.
CHAPITRE VI.
Autre méthode très simple pour démontrer que toutes les productiens
organisées des infusions (préalablement chauffées), ont pour origine les
corpuscules qui existent en suspension dans l’air atmosphérique.
Je crois avoir établi rigoureusement dans les chapitres précé-
dents que toutes les productions organisées des infusions, préala-
blement chauffées, n'ont d'autre origine que les particules solides
que l'air charrie toujours et qu’il laisse constamment déposer sur
tous les objets. S'il pouvait rester encore le moindre doute à cet
égard dans l'esprit du lecteur, il serait levé par les expériences
dont je vais parler.
Je place dans un ballon de verre une des liqueurs suivantes,
toutes fort altérables au contact de l’air ordinaire, eau de levüre de
bière, eau de levüre de bière sucrée, urine, jus de betteraves, eau
de poivre ; puis j'étire à la lampe le col du ballon de manière à
lui donner diverses courbures, comme l'indique, la figure 25.
Je porte ensuite le liquide à l'ébullition pendant quelques
minutes jusqu'à ce que la vapeur d'eau sorte abondamment
par l'extrémité du col effilé restée ouverte, sans autre précaution,
Je laisse alors refroidir le ballon. Chose singulière, bien faile pour
étonner toute personne habituée à la délicatesse des expériences
relatives aux générations dites spontanées, le liquide de ce ballon
restera indéfiniment sans altération. On peut le manier sans aucune
crainte, le transporter d’un lieu à un autre, lui laisser subir toutes
les variations de température des saisons, et son liquide n’éprouve
pas la plus légère altération et conserve son odeur, et sa saveur ;
c’est une conserve d’Appert excellente. Il n’y aura d’autre change-
ment dans sa nature que celle que peut apporter, dans certains
cas, une oxydation directe, purement chimique de la matière. Mais
nous avons vu par les analyses que j'ai fait connaitre dans ce
mémoire, combien cette action de l'oxygène était bornée, toutes
les fois qu’il n’y avait pas de productions organisées développées
dans les liqueurs.
I semble que l’air ordinaire rentrant avec force dans les
SUR LA DOCTRINE DES CÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 61
premiers moments doit arriver tout brut dans le ballon. Cela est
vrai, mais il rencontre un liquide encore voisin de la température
de l’ébullition. La rentrée de l'air se fait ensuite avec plus de len-
teur ct, lorsque le liquide est assez refroidi pour ne plus pouvoir
enlever aux germes leur vitalité, la rentrée de l’air est assez ralentie
pour qu’il abandonne dans les courbures humides du col toutes les
poussières capables d'agir sur les infusions et d'y déterminer des
productions organisées. Du moins, je ne vois pas d'autre explica-
tion possible à ces curieuses expériences. Que si, après un ou
plusieurs mois de séjour à l’étuve, on détache le col du ballon par
un trait de lime, sans toucher autrement au ballon, figure 26,
et après vingt-quatre, trente-six ou quarante-huit heures, les
moisissures et les Infusoires commenceront à se montrer abso-
lument comme à l'ordinaire, ou comme si l'on avait semé
dans le ballon les poussières de l’air, suivant la méthode de la
figure 42.
Les mêmes expériences peuvent se répéter sur le lait, pourvu
qu’on ait la précaution de produire l’ébullition sous pression à la
température de 400 et quelques degrés, à l’aide de l'appareil
figure 40 et figure 10 bis, et de laisser le ballon se refroidir pen-
dant qu’il y rentre de l'air calciné. On peut alors abandonner
le ballon ouvert à lui-même. Le lait se conserve sans altération.
J'ai pu laisser plusieurs mois à l'étuve de 25 à 30 degrés, du lait
préparé de cette manière, sans qu'il s’altère. On constate seule-
ment un léger épaississement de la crème dû à une oxydation
chimique directe.
Je ne connais rien de plus probant que ces expériences si faciles
àrépéter et que l’on peut varier de mille façons. Je croyais à l’ori-
gine qu'il était indispensable, soit de faire rentrer de l'air calciné,
une première fois, pendant le refroidissement du liquide du bal-
Jon, soit de maintenir le ballon constamment à la même tempéra-
ture afin que l’air extérieur ordinaire ne püt en quelque sorte
rentrer dans le ballon que par diffusion lente; mais j'ai reconnu
ensuite que toutes ces précautions étaient exagérées. Dans les chan-
gements de température, le mouvement de l'air ne se fait sentir
que dans le col avec quelque intensité, et c’est là seulement qu'il
62 L. PASTEUR.
peut y avoir dépôt des germes que l'air transporte. On n'arrive à
provoquer des productions organisées dans le liquide que par une
très brusque agitation du liquide. Un autre moyen qui réussit le
plus souvent pour déterminer l'apparition des productions, consiste
à fermer l'extrémité effilée du ballon aussitôt après ou mieux pen- :
dant l’ébullition. Le vide se fait ensuite par la condensatien de la
vapeur d’eau, Alors, on débouchel’extrémité fermée du col recour -
bé, l’air extérieur rentre avec force, emportant avec lui toutes ses
poussières jusqu'au contact du liquide. Dans ce cas une altération
du liquide se manifeste le plus souvent au bout de quelques jours.
Je dois ajouter que j'ai en ce moment dans mon laboratoire plu-
sieurs liqueurs très altérables conservées depuis dix-huit mois
dans des vases ouverts à cols recourbés et inclinés, notamment
plusieurs de ceux qui ont été déposés sur le bureau de l’Académie
des sciences, dans sa séance du 6 février 1860, lorsque j'ai eu
l'honneur de lui faire connaitre ces nouveaux résultats.
Le grand intérêt de cette méthode, c'est qu'elle achève de prou-
ver sans réplique que l’origine de la vie dans les infusions qui ont
été portées à l’ébullition, est uniquement due aux particules solides
en suspension dans l’air. Gaz, fluides divers, électricité, magné-
tisme, ozone, choses connues ou choses ocultes, il n’y a absolu-
ment rien dans l’air atmosphérique ordinaire qui, en dehors de
ses particules solides, soit la condition de la putréfaction ou de la
fermentation des liquides que nous avons étudiés.
Le docteur Schwann, et ceux qui ont répété ou modifié ses
expériences, ainsi que je l'ai déjà dit, avaient élabli que ce n'est
pas l’oxygène, ou du moins l'oxygène seul qui est la condition de
la vie dans les infusions, mais quelque chose, un principe inconnu,
que la chaleur détruit (Schwann), que le coton détruit (Schræder
et Dusch), que détruisent les réactifs chimiques énergiques
(Schultze). Là s'arrêtait l'expérience. Ces incertitudes et ces hési-
tations dont nous(rouvons la trace dansle mémoire de M. Schwann
el surtout dans les travaux de M. Schrüder, aulorisaient, soit l'hy-
pothèse des germes disséminés, soit l'hypothèse de l'existence
dans l'air d’un principe chimique ou physique, conclusion à
laquelle M. Schrüder s'était arrêté.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 63
Dans des recherches de cette nature, où l'esprit est dominé à
son insu par le mystère impénétrable de l'origine de la vie à la
surface du globe, je ne crois pas qu'il puisse y avoir d’hypothèses,
si étranges soient-elles, qui ne trouvent crédit. On ne peut parve-
nir à les éloigner que par des faits bien étudiés et rigoureusement
démontrés. Il faut instituer, comme le dit avec autant de justesse
que d'autorité, la commission du prix proposé par l’Académie,
« instituer des expériences précises, rigoureuses, également étu-
» diées dans toutes leurs circonstances, et telles en un mot qu'il
» puisse en être déduit quelque résultat dégagé de toute confusion
» née des expériences mêmes. »
Je me suis efforcé de donner ce caractère à mes expériences.
Si je ne me trompe, celles que j'ai fait connaitre dans les chapitres
précédents prouvent réellement ce qu’elles ontla prétention de
prouver et qui se résume dans cette double proposition :
4° Il ya constamment dans l'air des corpuscules organisés qu'on
ne peut distinguer des véritables germes des organismes des
infusions ;
2 Lorsqu'on sème ces corpuscules et les débris amorphes qui
leur sont associés, dans des liqueurs qui ont été soumises à l’ébul-
lition et qui resteraient inlactes dans l'air préalablement chauffé si
l'on n’y pratiquait pas cet ensemencement, on voit apparaitre dans
ces liqueurs exactement les mêmes êtres qu’elles développent à
l'air libre (4).
Cela posé, un partisan des générations spontanées veut-il con-
tinuer à soutenir ses principes, même en présence de cette double
(1) Le lecteur remarquera le soin que je mets à indiquer toujours qu'il s'agit
dans mes expériences d’infusions qui ont été portées à lébullition. J'espère pou-
voir rechercher bientôt les effets de l'air calciné sur les liquides bruts de l’éco-
nomie animale, tels que le sang, le lait, l'urine, ou sur les jus bruts des végé-
taux. On sait que la plupart des substances solubles ou insolubles qu'élaborent
les animaux et les végétaux, possèdent certaines propriétés spéciales, qu'elles
perdent sons l'influence d'une température plus ou moins élevée. Ces matières,
au nombre desquelles se trouvent les produits du genre de la pepsine, de la
diastase.…, n'interviennent-elles pas dans le développement ou dans les modifi-
cations morphologiques des êtres inférieurs? C’est une question qu’il me paraît
utile d'examiner, et que j'aborderai prochainement. |
64 L. PASTEUR.
proposition ? Il le peut encore; mais alors son raisonnement sera
forcément celui-ci, et j'en laisse juge le lecteur :
«Il y a dans l’air, dira-t-il, des particules solides, telles que
carbonate de chaux, silice, suie, brins delaine, de coton, fécule.…,
et à côté des corpuseules organisés d’une parfaite ressemblance
avec les spores des Mucédinées ou avec les œufs des Infusoires.
Eh bien! je préfère placer l’origine des Mucédinées et des Infu-
soires dans les premiers corpuscules amorphes plutôt que dans les
seconds. »
A mon avis, l'inconséquence d’un pareil raisonnement ressort
d'elle-même. Tout le progrès de mes recherches consiste à y avoir
acculé les partisans de la doctrine de l’hétérogénie.
CHAPITRE VII
11 n’est pas exact que la plus petile quantité d’air ordinaire suffise pour
faire naître dans une infusion les productions organisées propres à
cette infusion, — Expériences sur l’air de localités diverses. — [ncon-
vénients de l'emploi de la cuve à mercure dans les expériences rela-
tives aux générations dites spontanées.
J'ai déjà indiqué dans la partie historique de ce mémoire l'in-
fluence qu'avait eue, dans le sujet qui nous occupe, un travail
célèbre de Gay-Lussac relatif à l’air des conserves d’Appert, et à
l'interprétation que l’illustre physicien avait déduite de ses expé-
riences. Voici ses propres expressions :
«On peut se convaincre en analysant l’air des bouteilles, dans
» lesquelles les substances ont été bien conservées, qu’il ne con-
» tient plus d'oxygène, et que l'absence de ce gaz est par consé-
» quent une condition nécessaire pour la conservation des sub-
» stances animales et végétales. »
Que l'air des conserves étudiées par Gay-Lussac fût privé
d'oxygène, il n’y a pas à en douter. Personne n’oserait suspecter
l'exactitude d’une analyse d’air faite par Gay-Lussac. Cependant il
n’est pas douteux aujourd'hui, bien que personne, à ma connais-
sance, n'ait repris avec suile ces expériences de Gay-Lussac, que
les conserves d’Appert peuvent renfermer de l'oxygène, surtout
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 65
lorsqu'elles sont de nouvelle préparation. Il résulte des analyses
d'air que j'ai rapportées pages 32, 48, 56, que l'oxygène de l'air
rendu inactif par la chaleur, selon la méthode de Schwann, se
combine directement avec les matières organiques, et en dégage
de l'acide carbonique, mais c’est une action très lente. Néanmoins.
le fait d’oxydation directe existe, il n’y a pas à le nier. Cette oxyda-
tion peut être plus sensible dans les conserves d’Appert, au mo-
ment où on les prépare, à cause de l'élévation de la température.
Dans tous les cas, si là préparation y laisse de l'oxygène, ce gaz
disparaïtra peu à peu par l'effet de cette oxydation directe dont
je viens de parler. Il y a une circonstance qui doit contribuer
beaucoup à rendre très faible ou nulle la quantité d'oxygène res-
lant dans les conserves d’Appert : c’est le rapport des volumes
d'air et de matière organique. Elles contiennent toujours peu
d'air et beaucoup de matière, circonstance très favorable pour
que le phénomène d'oxydation s'achève. Mais, je le répète,
rien ne serait plus facile que de préparer des conserves en \
laissant de l'oxygène, et il y a lieu de croire que souvent elles en
renferment. L'expérience de Schwann ne laisse aucun doute à
cel égard.
C'est pourquoi l'interprétation donnée par Gay-Lussac aux
résultats de ses analyses, à savoir que l'absence de ce gaz est une
condition de la conservation, est tout à fait erronée. Tout le monde
n'a pas su faire ce départ entre la vérité des faits observés par
Gay-Lussac et l'erreur de son interprétation. Le docteur Schwann
doit être regardé à juste titre comme l’auteur de la véritable
théorie des procédés d’Appert, Les conserves d'Appert continuent
de se conserver en présence de l'air chauffé : voilà sa découverte.
Le secret de leur conservation est donc dans la destruction par la
chaleur d’un principe que l'air ordinaire renferme, et non dans
l'absence de l'oxygène (1).
(1) Bien que le fait de l'absence du gaz oxygène n'ait pas à intervenir dans
l'explication du procédé, il ne faudrait pas en conclure que l'on pourrait dans la
pralique laisser sans danger beaucoup d'air dans les conserves. Car si Ja cha-
leur n'a pas détruit tous les germes d’Infusoires et de Mucédinées apportés par
l'air ou les matières, ces germes encore féconds pourront se développer s'il
4° série, Zoo, T. XVI. (Cahier n° 2.) ! | 5
66 L. PASTEUR.
Mais il y a une extension des expériences de Gay—Lussac, à la-
quelle la découverte de Schwann n'avait porté aucune atteinte,
qu’elle aurait servi plutôt à confirmer, extension que les adver-
saires de la doctrine des générations spontanées n’ont pas con-
testée, et sur laquelle les partisans de cette doctrine appuient à
juste titre une de leurs principales objections. C’est à savoir que
la plus petite quantité d’air commun, mise au contact d’une infu-
sion, y détermine en peu de temps la naissance des Mucédinées et
des Infusoires habituellement propres à cette infusion.
Cette manière de voir a toujours eu pour appui, au moins in-
direct, l'habitude prise et jugée indispensable par les observateurs
d’éloigner avec des précautions infinies, dans leurs expériences,
l'accès de l’air ordinaire. Nous l'avons vu, tantôt ils recomman-
dent de calciner l'air commun, tantôt ils le soumettent aux agents
chimiques énergiques; souvent ils placent préalablement toutes
ses parties au contact de la vapeur d’eau à 100 degrés (expérience
de Spalianzani) ; enfin ils opèrent d’autres fois avec de l’air arti-
ficiel, et, s’il arrive dans une de ces conditions diverses, que l’ex-
périence donne lieu à des productions organisées, ils n’hésitent
pas à affirmer que l'opérateur n’a pas su éviter complétement l’'in-
fluence cachée d’une petite portion d’air ordinaire, si pelite soit-
elle.
Dès lors, les partisans des générations spontanées s’empressent
de faire remarquer avec raison que, si la plus minime portion d’air
ordinaire développe des organismes dans une infusion quelconque,
il faut de toute nécessité, au cas où ces organismes ne sont pas
spontanés, que, dans cette portion si petite d’air commun, il y ail
y a de l'oxygène, tandis que, si ce gaz est absent, ils ne se développeront pas
plus que s'ils avaient été réellement privés de vie. Mais je pense que ce qui est
toujours à craindre, même et surtout dans les cas où il y a peu d'oxygène, ce
sont les germes des ferments végétaux ou animaux, ferments qui n'ont pas
besoin d'air pour vivre, et dont les germes doivent être nécessairement tués par
la chaleur. Je suis persuadé que c’est là le danger que le fabricant doit le plus
redouter, et je suis porté à croire, par exemple, que les animalcules infusoires
butyriques que J'ai fait connaître récemment, se développent dans certaines
conserves mal préparées.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNERATIONS SPONTANÉES. 67
les germes d’une multitude de productions diverses; et qu'enfin,
si les choses sont lelles, l'air ordinaire, selon les expressions de
M. Pouchet, doit être encombré de matière organique; elle y for-
merail un épais. brouillard.
Ce raisonnement est assurément fort sensé. 1 le serait davan-
tage encore s’il était bien établi que les espèces inférieures qui se
montrent fort distinctes, le sont réellement, et proviennent par
conséquent de germes différents. Cela est vraisemblable, mais cela
n’est pas prouvé.
J y a donc là une difficulté sérieuse, en apparence très fondée.
Mais n'est-elle pas le fruit d’exagérations et de faits plus où moins
erronés ? Est-il vrai, comme on l’admet, qu'il y a continuité de la
cause des générations dites spontanées dans atmosphère ter-
restre ? Est-il bien sûr que la plus petite quantité d’air ordinaire
suffise à développer dans une infusion quelconque des productions
organisées ?
Les expériences suivantes répondent à foules ces questions.
Dans une série de ballons de 250 centimètres cubes, j'introduis
là même liqueur putrescible (eau albumineuse provenant de la
levüre de bière ; la même, sucrée; urine, ete.), de manière qu’elle
occupe le tiers environ du volume total. J’effile les cols à la
lampe, puis je fais bouillir la liqueur, et je ferme l'extrémité eftilée
pendant l’ébullition. Le vide se trouve fait dans Jes ballons ; alors
je brise leurs pointes dans un lieu déterminé. L'air ordinaire
s'y précipite avec violence, entrainant avec lui toutes les pous-
sières qu'il tent en suspension, et {ous les principes connus ou
inconnus qui lui sont associés. Je referme alors immédiatement
les ballons par un trait de flamme, et je les transporte dans une
étuve à 25 ou 30 degrés, c’est-à-dire dans les meilleures condi-
tions de température pour le développement des Animalcules et
des Mucors.
Voici les résultats de ces expériences, qui sont en désaccord
avec les principes généralement admis, et parfaitement conformes,
au contraire, avec l’idée d’une dissémination des germes.
Le plus souvent, en très peu de jours, la liqueur s’altère, et l’on
voit naître dans les ballons, bien qu'ils soient placés dans des
68 L. PASTEUR.
conditions identiques, les êtres les plus variés, beaucoup plus variés
même, surtout en ce qui regarde les Mucédinées et les Torulacées,
que si les liqueurs avaient été librement exposées à l’air ordinaire.
Mais, d'autre part, il arrive fréquemment, plusieurs fois dans
chaque série d’essais, que la liqueur -reste absolument intacte ,
quelle que soit la durée de son exposition à l’étuve, comme si elle
avait reçu de l'air calciné.
Ce mode d’expérimentation me parait aussi simple qu’irrépro-
chable pour démontrer que Pair ambiant n'offre pas à beaucoup
près, avec continuité, la cause des générations dites spontanées,
et qu'il est toujours possible de prélever dans un lieu et à un
instant donnés un volume considérable d’air ordinaire, n'ayant
subi aucune espèce d’altération physique ou chimique, et néan-
moins tout à fait impropre à donner naissance à des Infusoires ou
à des Mucédinées, dans une liqueur qui s’altère très vite et con-
stamment au libre contact de l’air. Le succès partiel de ces expé-
riences nous dit assez d’ailleurs que, par l'effet des mouvements
de l'atmosphère, il passera toujours à la surface d’une liqueur qui
aura élé placée bouillante dans un vase découvert, une quantité
d'air suffisante pour qu’elle en reçoive des germes propres à s’y
développer dans l’espace de deux ou trois jours.
J'ai dit que les productions sont plus variées dans les ballons
que si le contact avec l'air était libre. Rien de plus naturel , car,
en limitant la prise d’air et en la répétant nombre de fois, on saisit
en quelque sorte les germes de l’air avec toute la variété sous la-
quelle ils s'y trouvent. Les germes en petit nombre, d’un volume
limité d'air, ne sont pas gênés dans leur développement par des
germes plus nombreux ou d’une fécondité plus précoce, capables
d’envahir le terrain, en ne laissant place que pour eux. C’est ainsi
que le Penicillium glaucum, dont les spores sont vivaces et fort
répandues, se montre seul au bout de très peu de jours dans des
liqueurs non renfermées, qui offrent au contraire des produc-
tions très diverses lorsqu'on les soumet à des quantités d'air
limitées.
Enfin il est très intéressant de signaler les différences que l’on
observe dans le nombre des résultais négatifs de ces expériences,
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 63
suivant les conditions atmosphériques. Ici encore nous {rouvons
une confirmation frappante de l’opinion que je défends.
Rien de plus facile, en effet, que d'élever ou de réduire soit le
nombre des ballons qui s’altèrent, soit le nombre des ballons qui
restent intacts. C’est ce qui ressortira des détails dans lesquels je
vais entrer.
A. — Expériences préliminaires propres à mettre en évidence le fait de la non-
continuité de la cause des générations dites spontanées.
Le 26 mai 1860, j'ouvre et je referme aussitôt après, sur une
terrasse en plein air, à quelques mètres au-dessus du sol, deux
ballons renfermant l’un de l’eau de levüre, l’autre la même liqueur
sucrée au 4/10°. C'était quelques instants après une pluie légère
et de très courte durée.
Le 4° juin, il n’y a aucune apparence de productions orga-
nisées.
Le 2, très petite touffe de moisissure dans un des ballons,
celui d’eau de levüre sucrée.
Le 8, le deuxième ballon offre également une petite touffe de
moisissure.
Les deux liquides sont parfaitement limpides, et restent tels
pendant l’accroissement des mycéliums (1).
Le 28 mai 1860, j'ouvre et je referme quatre ballons, sur la
(1) Je signalerai ici un fait instructif qui me paraît bien en harmonie avec les
résultats généraux de ce travail. En se reportant aux détails des expériences des
chapitre IV et suivants, on verra qu'il n’est jamais arrivé qu'en semant des
bourres de coton ou d'amiante, chargées des poussières d'un grand volume
d’air, dans des infusions diverses, les productions organisées ne s'y soient mon-
trées dès le lendemain ou le surlendemain. Dans les expériences du présent
chapitre, au contraire, on reconnaît que la vie met quelquefois un temps consi-
dérable à se manifester, huit, douze, quinze jours. Cela se concoit très bien. Dans
le premier cas, il y a tant de germes semés qu'il en existe toujours dont la
fécondité est presque aussi précoce que celle des germes les plus sains de ce
genre de productions. Dans le second cas, où l'on sème en définitive les germes
d’un volume très limité d'air, il doit arriver souvent que ceux qui pénètrent dans
le ballon sont en mauvais état, et d'un développement rendu pénible par toutes
les causes d'altération auxquelles ils ont dû être exposés dans l'atmosphère.
70 L. PASTEUR.
même terrasse, après une violente ondée à très grosses goulles
de pluie.
Le À juin, aucune apparence de production.
Le 5, petite touffe de moisissure dans l’un des ballons. Liquide
très limpide.
Le 6, autre touffe de moisissure dans un deuxième ballon.
Liquide très limpide.
Les deux autres ballons sont restés intacts, très limpides! Même
état en 1861.
Le 20 juillet 1860, j'ouvre et je referme six ballons renfermant
de l’eau de levüre, dans une des pièces de mon laboratoire. Au-
jourd’hui encore (avril 4861), le liquide de quatre de ces ballons
est parfaitement limpide, sans la moindre apparence de produc-
tions organisées. Les deux autres ont offert promptement des pro-
duetions, le 22 juillet et le 4° août, Dans l’un, Infusoires et Tor-
rulacées ; dans l’autre, mycélium en boule soyeuse.
Le 80 juin, j'ai ouvert et refermé un grand nombre de ballons
contenant de l’eau de levüre non sucrée, dans le but d'étudier au
microscope les productions qui prendraient naissance, afin d'avoir
une idée de la Fee sous laquelle elles se présentent. J’ai repro-
duit, fig. 27, A,B,C, D,E,F,G, H,K, L, M, un certain nombre
de mes dessins :
A. Bactériums de 0"”,0006 de diamètre, et 0"",005 pour la
plus grande longueur (4).
(1) Ces Bactériums, mélés peut-être à de très petits Vibrions, ont apparu dans
le ballon le 2 juillet, sans aucune autre production quelconque. Le 4 juillet, j'ai
analysé l’air du ballon, au moment où l'étude du liquide trouble venait de me
montrer qu'il était rempli de ces petits Infusoires très fragiles. Or, l'air renfer-
mait :
Re nue s ue 4 4,3
AUIOO CALDORIQUE. ne: 27 ee + 03 14,3
HVOLOSONEMREER UT APPLE NE 0,0
Azote par différence. . 2. - : 4 84,4
100,0
Cette analyse nous indique combien est grande la proportion d'oxygène absor-
bée par ces très petits Infusoires, et transformée en acide carbonique. Ils ont
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. TA
B. Torulacée en très petits globules, d’une sphéricité parfaite,
de 0"",0015 de diamètre, et réunis en petits chapelets.
C. Mucor et Vibrions. |
D. Torulacée, dont les cellules ont un diamètre de 0"",004
à 0"",007. Elle est assez fréquente, comme j'ai déjà eu l’occasion
de le dire.
E. Mycorderma pareille à celle de la bière, du vin, etc., en
articles de toutes les dimensions, et plus ou moins rameux.
F. Infusoires d'une petitesse infinie. La plus petite des Monades
se mouvant avec une agilité extraordinaire, Ce sont des points à
peine perceptibles.
G. Torulacée en beaux globules bourgeonnés, un peu granu-
leux dans leur intérieur, dont le diamètre varie de 0"",006
à 0,009. Elle ressemble parfaitement à la levüre de bière; elle
ressemble beaucoup également à la Torulacée D, mais elle est un
peu plus grosse et un peu plus granuleuse (4).
commencé à se montrer le 2 juillet, s'’annonçant comme à l'ordinaire par un
léger trouble du liquide, Le 3 et le 4 juillet, ils ont continué à se multiplier, et
après quarante-huit heures environ, ils avaient déjà utilisé un volume considé-
rable d'oxygène.
Le ballon renfermait 80 centimètres cubes de liquide et 160 centimètres cubes
d'air,
Il eût été impossible de recueillir les Bactériums sur un filtre et d'en prendre
le poids, parce qu'ils passent à travers les pores du filtre, mais ce poids à l'état
sec devait être fort minime, tout au plus de quelques milligrammes. Par consé-
quent, le poids d'oxygène, transformé en acide carbonique par la vie de ces
petits êtres, était ici supérieur au poids total de leur substance.
(1) De toutes les productions organisées inférieures, la levüre de bière est
celle qui a été, le plus souvent, l'objet des contestations des partisans et des
adversaires de la doctrine des générations spontanées. Son apparition, si rapide
et si facile dans certains liquides fermentescibles, a toujours été invoquée par
les hétérogénistes comme un de leurs arguments favoris. Il est certain que l'ori-
gine de cette plante offre un sujet d'étude fort intéressant et enveloppé d'ob-
scurités.
Quelques botanistes allemands, M. Bail entre autres, ont cherché à tourner la
difficulté en essayant de prouver, comme l'avait déjà tenté en France M. Turpin,
que la levüre de bière n'était qu'une des formes des spores des Mucédinées vul-
gaires, telles que le Penicillium glaucum, l Ascophora elegans
ss...
Cette thèse a été reproduite récemment par M, Hoffmann, et par MM. Pou-
7a L, PASTEUR,
H. Torulacée en granulations visqueuses, qui s’attachent forte-
ment aux parois du ballon qu’on a peine à en détacher, où ils for-
ment une couche continue.
Le diamètre des granulations est exactement celui de la Torula-
cée B ; mais celle-ci est sous forme de chapelets, et n’adhère pas
aux vases. Je crois que ce sont des espèces distinctes, malgré leur
ressemblance.
K. Algue formée de cellules quaternaires, déposée sous forme
de précipité sur les parois du ballon ; on dirait au microscope des
assises de pierre. Sous l'influence de l'acide chlorhydrique étendu
d’eau, les amas de cellules se disjoignent par petits groupes de
quatre cellules. |
L. Mucorée en pellicule rougeätre s'étendant à la surface du
liquide, se déchirant très facilement, et tombant en lambeaux au
fond du liquide où elle a l'aspect d’un chiffon. Écrasée sous la
petite lame de verre, au microscope elle offre des amas des plus
fines granulations, qui fourmillent dans les canaux qui séparent
ces amas.
M. Mucor en granulations très ténues, mêlées à des Vibrions
de longueur variable, à mouvements flexueux.
Que l’on ajoute à ces figures où j'ai de préférence représenté
les Mucors, les Torulacées et les Infusoires les plus fréquents, des
dessins d’une foule de Mycéliums en tubes cloisonnés qui viennent
s’étaler ensuite à la surface du liquide en membranes gélati-
neuses humides, épaisses, ou en membranes composées de lacis
de tubes et couvertes de sporanges de couleur verte, rouge
orangée, jaune verdâtre, brun noirâtre, etc….…, offrant les espèces
les plus variées, et l’on aura une idée de ce que peut donner d’es-
pèces distinctes l’eau de levûre placée sous l'influence de quan-
tités limitées d'air ordinaire, dans une série de ballons préparés
comme je l’ai indiqué.
Ce sont ces mêmes espèces que la même liqueur fournirait au
chet et Joly qui l'ont mise en harmonie avec leurs idées favorites. (Bail, Flora,
4857; Hoffmann, Botanische Zeitung, fév. 1860: Pouchet, Joly et Musset,
Comptes reïdus de l'Académie, 1861.)
J'espère oublier très prochainement l'ensemble de mes observations sur ce
sujet.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 75
libre contact de l'air, mais, pour les retrouver toutes, il fau-
drait multiplier davantage les essais, parce que des prises d'air
limitées ont bien plus de chances, comme je l’ai déjà dit, de saisir
les germes de l’air avec toute la variété qui leur est habituelle.
Aussi je suis toujours fort surpris quand M. Pouchet, dans ses
habiles plaidoyers en faveur de la doctrine de l’hétérogénie, re-
vient sur cette vague objection des facullés génésiques des infu-
sions étouffées par les conditions matérielles des expériences in vitro.
Ces facultés génésiques, pour me servir des expressions de
M. Pouchet, je les vois plutôt exaltées que détruites. Si cette ob-
jection avait quelque chose de fondé, c’est aux expériences de
Schwann dont les résultats ont essentiellement un caractère né-
gatif, et nullement aux miennes qu’il faudrait l'adresser, car l’un
des progrès de mes recherches est d’avoir institué des expériences
qui ont, à la volonté de l’opérateur (comme on l’a vu au cha-
pitre IV) des résultats positifs ou négatifs (1).
(1) Quant à opérer en plein air, pour interpréter ensuite les résuilats, comme
M. Pouchet m'a si souvent recommandé de le faire, je m'en garderai soigneuse-
ment. Il est si rare de deviner juste quand on étudie la nature ! Et puis, est-ce
que les idées préconçues ne sont pas toujours là pour placer un bandeau sur nos
yeux ?
Voici, par exemple, l’une des expériences en plein air {de M. Pouchet. « On
» fit macérer, dit-il, des tiges d'asperges dans de l’eau. Celle-ci ayant été filtrée,
» on en fit deux parts : l’une fut conservée sans autre préparation; l’autre fut
» portée à l’ébullition pendant deux minutes. Le lendemain, la macération
» simple était remplie d’une immense quantité de bactériums et de Vibrions.
» Au contraire, la macération bouillie n'en offrait pas un seul » (Moniteur scien-
tifique, 1861, p.163.)
Puis M. Pouchet ajoute : « Les Vibrions n’apparaissent que plus tard dans une
» décoction, que parce que la chaleur en retarde la fermentation... Qui ne sait
» cela? Est-il possible de présenter rier de plus simple et de plus saisissant que
» cette expérience ? » (Moniteur scientifique, même expérience, 1860, p. 1082.)
Mais en vérité, qu'y a-t-il de plus facile à concevoir qu'une différence dans les
époques d'apparition des Vibrions de deux macérations pareilles, dont l’une a été
bouillie, tandis que l’autre ne l’a pas été? Est-ce que la nature des liquides est
la même? Est-ce que celle qui a été chauffée n'est pas profondément modifiée?
Est-ce que dans celle-ci les germes des Vibrions ne sont pas tués? S'ils ne le
sont pas, comme j'ai montré que cela arrivait pour le lait et pour d’autres
liqueurs, est-ce qu'il ne peut pas y avoir des modifications dans leur faculté de
71, L. PASTEUR.
Mais sous ce rapport de la variété des productions je reconnais
qu'il y a une différence très grande entre celles de nature végé-
tale et les autres. Les premières sont très multiples, tandis que
pour les Infusoires cela se borne aux Monades, aux Bactériums
et aux Vibrions. Sans vouloir préjuger ici la question de l’origine
des gros Infusoires, sur laquelle j'espère publier un travail spé-
cial, on n’ignore pas que jamais une infusion ne donne de gros
Infusoires de prime saut, que jamais les Paramécies, les Kol-
podes , les Vorticelles....…, ne précèdent les Bactériums et les
Vibrions. Dès lors que l’on se reporte aux analyses d'air que je
donne dans ce mémoire, alors que les plus petits des Infusoires
ont apparu dans les ballons, et on verra avec quelle rapidité ils
altèrent l’air et le chargent d’acide carbonique.
Tant qu'il y a de l'humidité, la vie est sans fin, dans une infu-
sion exposée au contact de l'air libre, parce que l'oxygène, lun
des aliments essentiels des Mucédinées et des Infusoires, ne leur
fait jamais défaut. Mais dans une atmosphère limitée, la vie s’ar-
rête forcément au bout de quelques jours. Les gros Infusoires ne
se montreront done pas, puisqu'il est reconnu que ce n’est point
par eux que la vie commence dans les infusions (1). Leur appari-
tion serait une difficulté nouvelle à résoudre.
Mais cela n'infirme en rien les conclusions auxquelles je suis
conduit sur l’origine des Mucorées, des Mucédinées, des Torula-
cées et des plus petits des Infusoires, dans les infusions qui ont été
portées préalablement à l’ébullition. Sur ce point, le seul dont je
développement, comme cela est si manifeste, par exemple au chap. VIII, pour
les spores du Penicillium glaucum chauffés à 420 degrés, dont la germination est
retardée de plusieurs jours? Qui sait si le fait de la modification du liquide par
la chaleur ne suffit pas seul à rendre compte d’un retard dans l'apparition des
mêmes organismes, et je dirais plus, d'une différence dans la nature des orga-
nismes , puisque l'on sait que ceux-ci changent avec la nature des infusions ?
(1) A tel point que M. Pouchet fait naître spontanément les gros infusoires et
les Mucédinées dans une pellicule dite proligère, formée par des amas de Bacté-
riums ou de Vibrions. (Voir page 352 de son Traité de la génération spontanée,
le chapitre intitulé : Formation de la pellicule proligère.) J'ai cependant rencon-
tré, à deux ou trois reprises, des Infusoires qui m'ont paru être le Monas lens.
dans des liqueurs sucrées où il ne s'était formé ni Bacteriums, ni Vibrions.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 75
traite aujourd'hui, je juge que les résultats de mon travail sont
inattaquables.
B. — Expériences sur un air non agité.
Grâce à l’obligeance de M. Le Verrier, j'ai pu faire quelques
expériences sur l’air des caves de l'Observatoire. Dans cette partie
des caves, situées dans la zone de température invariable, l'air
parfaitement calme doit évidemment laisser tomber ses poussières
à la surface du sol, dans l’intervalle des agitations qu’un observa-
teur peut y provoquer par ses mouvements ou par les objets qu'il
y transporte. Et en multipliant par conséquent les précautions,
lorsque l’on y descend pour y faire des prises d’air, les ballons
qui ultérieurement se montreront sans productions organisées,
devront être considérablement plus nombreux que dans le cas où
ils auront été, par exemple, remplis d’air dans la cour de l’éta-
blissement, C’est en effet ce qui arrive, el le sens des résultats,
par l'accord qu'il présente avec la nature ou la multiplicité plus
ou moins grande des précautions dont on s’entoure, afin d'éviter
l'introduction accidentelle des poussières étrangères, oblige d’ad-
mettre que si les ballons étaient ouverts et fermés dans les caves
sans que l'opérateur füt tenu de s’y transporter, l'air de ces
caves se montrerait constamment aussi inactif que de l’air porté
au rouge, Ce n’est pas cependant qu'il ait par lui-même, et vu les
conditions où il est placé, une inactivité propre. Toul au contraire,
se trouvant saturé d'humidité et la plupart des organismes infé-
rieurs n'ayant nul besoin de lumière pour vivre, cet air m’a tou-
jours paru plus propre que celui de la surface du sol au dévelop-
pement de ces organismes.
Je ne rapporterai qu'une des séries d'expériences. Le 14 août
1860, j'ai ouvert et refermé dans les caves de l'Observatoire dix
ballons contenant de l’eau de levüre de bière, et onze autres bal-
lons de la même préparation dans la cour de l'établissement, à
50 centimètres du sol, par un vent léger. Tous ont été rapportés
le même jour dans l’étuve de mon laboratoire, dont la température
est de 25 à 30 degrés. J'ai conservé jusqu’à ce jour tous ces bal-
76 L. PASTEUR.
lons. Un seul de ceux ouverts dans les caves renferme une pro-
duction végétale. Les onze ballons ouverts dans la cour ont tous
fourni des Infusoires ou des végétaux du genre de ceux que j'ai
déjà décrits.
C. — Expériences sur l'air à diverses hauteurs.
Les expériences relatées dans les paragraphes précédents éta-
blissent suffisamment qu'il n’y à pas dans l'atmosphère continuité
de la cause des générations dites spontanées, c'est-à-dire qu'il est
toujours possible de prélever en un lieu déterminé un volume
notable, mais limité, d’air ordinaire , n'ayant subi aucune espèce
de modification physique ou chimique, et tout à fait impropre
néanmoins à provoquer une altération quelconque dans une
liqueur éminemment putrescible. De là ce principe que la condi-
tion première de l’apparition des êtres vivants dans les infusions
ou dans les liquides fermentescibles n’existe pas dans l'air consi-
déré comme fluide, mais qu’elle s’y trouve çà et là, par places,
offrant des solutions de continuité nombreuses et variées,
comme on doit le prévoir dans l'hypothèse d’une dissémination
des germes.
I m'a paru très intéressant de suivre les idées que suggèrent
les résultats qui précédent, en soumettant l'air pris à des hauteurs
diverses au mode d’expérimentation que j'ai fait connaître. J’au-
rais pu m’élever en aérostat; mais pour des études d'essai, préli-
minaires en quelque sorte, j'ai pensé qu’il serait plus commode
et peut-être plus utile d'opérer comparativement dans la plaine
et sur les montagnes.
J'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau de l’Académie, dans
&a séance du 5 novembre 4860, soixante-treize ballons, chacun
d’un quart de litre de capacité, préparés comme je lai dit au
commencement de ce chapitre, c’est-à-dire qu'ils étaient primi-
tivemient vides d'air et remplis au tiers d’eau de levüre de bière,
filtrée à limpidité parfaite.
Vingt de ces ballons ont recu de l'air dans la campagne, assez
loin°de toute habitation, au pied des hauteurs qui forment le pre-
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉEÉS, 77
mier plateau du Jura; vingt autres l'ont été sur l’une des mon-
tagnes du Jura, à 850 mètres au-dessus du niveau de la mer;
enfin une autre série de vingt de ces mêmes ballons a été
transportée au Montanvert, près de la mer de glace, à 2000 mètres
d’élévation.
Voici les résultats qu’ils ont offerts :
Des vingt ballons ouverts dans la campagne, huit renferment
des productions organisées ; des vingt ballons ouverts sur le Jura,
cinq seulement en contiennent; et enfin des vingt ballons rem-
plis au Montanvert, par un vent assez fort, soufflant des gorges
les plus profondes du glacier des Bois, un seul est altéré. Il fau-
drait sans doute multiplier beaucoup ces expériences. Mais telles
qu’elles sont, elles tendent à prouver déjà qu’à mesure que l'on
s'élève, le nombre des germes en suspension dans l’air diminue
notablement. Elles montrent surtout la pureté, au point de vue qui
nous occupe, de l'air des hautes cimes couvertes de glace, puis-
qu’un seul des vases remplis au Montanvert a donné naissance
à une Mucédinée.
La prise d’air exige quelques précautions que j'avais reconnues
indispensables depuis longtemps pour éloigner, autant qu'il est
possible, l'intervention des poussières que l'opérateur porte avec
lui, et de celles qui sont répandues à la surface des ballons ou des
outils dont il faut se servir. Je chauffe d’abord assez fortement le
col du ballon et sa pointe effilée dans la flamme d’une lampe à
alcool, puis je fais un trait sur le verre à l’aide d'une lame d’acier;
alors, élevant le ballon au-dessus de ma tête, dans une direction
opposée au vent, je brise la pointe avec une pince de fer, dont les
longues branches viennent de passer dans la flamme, afin de brû-
ler les poussières qui pourraient être à leur surface, et qui ne man-
queraient pas d’être chassées en partie dans le ballon par la ren
trée brusque de l'air.
J'avais été fort préoccupé, durant mon voyage, de la crainte
que l'agitation du liquide dans les vases pendant le transport, n'ait
quelque influence fàcheuse sur les premiers développements des
Infasoires où des Mucors. Les résultats suivants éloignent ces
serupules. Ils vontnous permettre, en outre, de reconnaitre toute
78 L. PASTEUR.
la différence qui existe entre l'air de la plaine ou des hauteurs et
celui des lieux habités.
Mes premières expériences sur le glacier des Bois furent inter-
rompues par une circonstance que je n’avais nullement prévue.
J'avais emporté, pour refermer la pointe des ballons après la prise
de l'air, une lampe éolipyle alimentée par de l'alcool; or, la blan-
cheur de la glace frappée par le soleil était si grande, qu'il me fut
impossible de distinguer le jet de vapeur d’alcool enflammé, et
comme ce jet de flamme était d’ailleurs un peu agité par le vent, il
ne restait jamais sur le verre brisé assez de temps pour fondre la
pointe et refermer-hermétiquement le ballon. Tous les moyens que
J'aurais pu avoir alors à ma disposition pour rendre la flamme
visible, et par suite dirigeable, auraient inévitablement donné
lieu à des causes d'erreur, en répandant dans l’air des poussières
étrangères.
Je fus donc obligé de rapporter à la petite auberge du Montan-
vert, non refermés, les ballons que j'avais ouvertssur le glacier, et
d'y passer la nuit, afin d'opérer dans de meilleures conditions le
lendemain matin avec d’autres ballons. Ce sont les résultats de
cette deuxième série d'expériences que j'ai indiqués tout à l'heure.
Quant aux treize ballons ouverts la veille sur le glacier, je ne
les refermai que le lendemain malin, après qu’ils eurent été expo-
sés toute la nuit aux poussières de la chambre dans laquelle j'avais
couché. Or, de ces treize ballons, il y en a dix qui renferment des
Infusoires ou des moisissures.
Puisque le nombre des ballons altérés dans ces premiers essais
est plus grand que dans ceux qui ont suivi, l'agitation du liquide
pendant le voyage n’a pas l'influence que je redoutais sur le déve-
loppement des germes. En outre, la proportion des ballons qui,
dans ces premières expériences, offrent des productions organisées,
nous donne la preuve indubitable que les lieux habités renferment
un nombre relativement considérable de germes féconds, à cause
des poussières qui sont à la surface de tous les objets. Dans cette
petite auberge da Montanvert, par exemple, il y a certainement
des poussières et par suite des germes venant de tous les pays du
monde, apportés par les effets des voyageurs.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 79
D. — Expériences sur le mercure.
J'ai déjà rappelé au chapitre VIT et dans la partie historique de
ce mémoire, comment l'expérience du docteur Schwann avait
écarté l'hypothèse de Gay-Lussac sur le rôle de l'air dans l’ex-
plication des procédés de conserves d’Appert. Mais d'où vient que
dans l’expérience sur le moût de raisin du célèbre chimiste, ex-
périence si souvent citée, la levüre de bière prenne naissance à
la suite de l'introduction d’une très petite portion d'air, et que, si
l’on répète cette même expérience sus des infusions diverses, on
voie celles-ci s’altérer sous l'influence de quantités d’air minimes,
bien plus par l'introduction d’air calciné ou d'air artificiel; car
les expériences de M. Pouchet, effectuées sur la cuve à mereure,
sont exactes, tandis que celles de Schwann y sont presque con-
stamment erronées ? C’est tout simplement que le mercure de nos
cuves, qui ne subit que de loin en loin des lavages aux acides
énergiques, est habituellement rempli de germes apportés par les
poussières qui sont en suspension dans l'air, lesquelles y tombent
toutes les fois que la cuve est exposée à l'air, et qui pénètrent
dans l'intérieur du mercure par les manipulations qu’on y pra-
tique, sans que leur légèreté spécifique puisse les ramener toutes
à la surface à cause de leur volume microscopique (4).
Voici une expérience bien simple et bien démonstrative qui
réussit presque constamment.
Que l’on prenne un de ces ballons préparés comme je l'ai dit
au commencement du chapitre VIT, vides d’air et remplis en partie
d'un liquide putrescible, soumis à l’ébulhition préalablement,
qu'on plonge sa pointe fermée au fond d’une cuve à mercure
(1) Il est clair que dans l’expérience particulière de Gay-Lussac, où les éprou-
vettes dont il se servait n'étaient pas préalablement chauffées, les germes ont pu
être apportés par les poussières de la surface du verre des éprouvettes, ou par les
graips de raisin qui, comme tous les corps, sont couverts de poussière et par
suite de germes.
80 L. PASTEUR.
quelconque, et que par un choc on brise sa ponte au fond de la
cuve, il naîtra dans le liquide de ce ballon des productions orga-
nisées, peut-être neuf fois sur dix, après qu'on y aura fait arriver
soit de l'air caleiné, soit de l’air artificiel.
Il n’y a évidemment que le mercure qui ait pu fournir les ger-
mes, à moins qu'il n’y ait génération spontanée, mais cette hypo-
thèse est écartée par ce fait que, si l'expérience est répétée sans
emploi de la cuve à mercure, comme au chapitre INF, en suivant
la méthode de la figure X, il n’y a pas de productions.
Les expériences suivantes sont encore plus directes et plus
probantes.
Je prends du mercure, puisé sans précautions particulières,
dans la cuve d’un laboratoire quelconque, et, à l’aide de la mé-
thode que j'ai décrite antérieurement, chapitre IV, au sein d'une
atmosphère d'air calciné, je dépose un seul globule de ce mercure,
de la grosseur d’un pois, dans une liqueur altérable. Deux jours
après, dans toutes les expériences que j'ai faites (4) il y a eu des
productions variées; et en répélant au même moment, par la
même méthode, sans rien changer à la manipulation, les mêmes
essais sur du mercure de même provenance, mais qui avait été
chauffé, il n’y a pas eu la moindre production.
Il ne faut pas exagérer les conséquences que l’on peut déduire
de ces expériences. Voyons bien, en effet, ce qui se passe. On
puise dans un verre à pied du mercure d’une cuve; on prélève
toujours ainsi, à moins de précautions que je ne suppose pas
avoir été prises, une partie du mereure qui est à la surface de la
cuve où il y a des poussières ; ensuite on verse une goutte de ce
mercure dans un petit tube. L'expérience montre que cette goutte
en tombant emporte à sa surface une portion notable des pous-
sières de la surface même du mercure du verre. La goutte pré-
levée renferme donc toujours une partie des poussières de la sur-
face de la cuve. Je serai mieux compris encore en remarquant
(4) Au nombre de quatre, deux avec le mercure de mon laboratoire, une avec
le mercure du laboratoire de chimie de l’École normale, une autre avec le mercure
du laboratoire de physique du même établissement.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 81
que si l’on faisait écouler d’un verre à pied une goutte de mer-
cure que l’on aurait couvert à sa surface d’une couche d’une
poussière quelconque, toute la goutte en tombant serait enveloppée
par une couche de cette poussière, par un effet de capillarité.
Mais rien ne serait plus simple que de refaire l'expérience sur
un globule de mercure puisé avec des précautions spéciales
au sein de la masse du liquide. Je ne doute pas que lexpé-
rience ne réussisse encore le plus ordinairement, même dans ces
conditions particulières.
CHAPITRE VIII.
De l’action comparée de la température sur la’ fécondité des spores des
Mucédinées et des germes qui existent en suspension dans l’atmos-
phère.
Les expériences que je vais faire connaitre ajoutent aux con-
elusions définitives de ce mémoire une confirmation nouvelle.
Ce que l’on sait de la résistance à la mort des Anguilles du blé
niclié, des Rotifères et aussi des graines des plantes supérieures
après des dessiccations préalables, nous dit assez que les spores des
Mucédinées doivent pouvoir conserver leur fécondité à des tempé-
ralures assez élevées lorsqu'elles sont sèches (4).
Supposons pour un instant que l'on détermine les limites de
température que les spores des Mucédinées vulgaires peuvent
supporter sans se détruire, et les limites au dela desquelles toute
vitalité cesse dans ces petites graines. Si les corpuscules organi-
sés, qui existent constamment en suspension dans l’air et parmi
lesquels il en est toujours en grand nombre qui ont une parfaite
ressemblance avec des spores de Mucédinées, si, dis-je, ces cor-
puseules sont bien réellement des spores, l’expérience devra nous
(1) M. Payen a reconnu depuis longlemps que les sporules de l'Oidium auran -
Liacum conservent leur faculté de développement après avoir été portées à 420 de-
grés. Je pense qu'il s’agit d'une épreuve dans l'air ou dans le vide sec. Dans le
cas contraire, je serais porté à croire que la temp éralure n’a pu être déterminée
exactement, et qu'elle est trop élevée.
&° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 2.) ? 6
82 L. PASTEUR. ,
conduire à ce résultat curieux, que les poussières de l'air semées
dans des conserves d’Appert, suivant la méthode représentée
figure XII, seront encore fécondes après qu'elles auront subi la
plus haute température que peuvent supporter les spores des Mu-
cédinées vulgaires, et qu’elles seront sans effet sur ces mêmes
conserves, si elles ont été préalablement soumises à la tempéra-
ture qui tue ces spores.
Voyons d’abord ce que l’on sait sur ce sujet.
Duhamel rapporte dans un de ses ouvrages qu'il a pu faire
germer du froment quiavait supporté une températurede{10degrés
centigrades. Cette observation du savant agronome devint lori-
gine de quelques recherches de Spallanzani sur le degré de cha-
leur auquel on peut soumettre les graines, sans leur faire perdre
la faculté de germer. Parmi les plantes supérieures cinq espèces
de graines furent étudiées par lui : c’est le pois chiche, la len-
tille, l’épeautre, la graine de lin et celle du trèfle. Spallanzani
s’occupa, en outre, de l'influence de la température sur les spores
des Mucédinées. Pour ce qui est des graines des plantes supé-
rieures, les résultats de Spallanzani, encore bien que très curieux,
n’ont rien qui doive nous surprendre dans l’état présent de nos
connaissances. La graine de trèfle, moins impressionnable que
toutes les autres, a pu supporter une température voisine de
100 degrés centigrades. Mais pour les graines des moisissures.
Spallanzani fut conduit à des conséquences singulières. Il admet,
en effet, que non-seulement les spores des Mucédinées peuvent
supporter la température de 100 degrés quand elles sont plongées
dans l’eau, mais qu’elles peuvent même résister à la chaleur d’un
brasier ardent lorsqu'elles sont sèches. D'ailleurs, dans ce der-
nier cas, il n’assigne pas la température d’une manière précise (1 ).
(1) Le passage suivant des œuvres de Spallanzani est extrait d'un chapitre du
tome II de ses Opuscules, dans lequel il a principalement pour but de prouver
que Michelli avait eu raison de regarder la poussière qui tombe des moisissures
lorsqu'eiles sont müûres, comme étant bien la semence de ces plantes.
« Les petits grains qui sortent des têtes des moisissures mûres, et qui sont
» les vraies semences de ces végélaux, ont la singularité de résister à un degré
» de chaleur qu'aucune autre graine ne peut supporter sans perdre la faculté de
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 89
On aurait peine à comprendre que ces résultats de Spallanzani
sur les graines des Mucédinées n'aient pas été soumis à de
nouvelles épreuves. si les expériences n’offraient ici des difficul-
tés particulières, consistant surtout à trouver une méthode d’expé-
rimentation rigoureuse. Rien de plus simple pour les plantes supé-
rieures d'essayer si leurs graines sont encore capables de germer
lorsqu'elles ont été chauffées à une température déterminée : il ne
pousse du blé que là où l’on en a semé; mais pour les Murédi-
nées, elles se développent partout où elles rencontrent des condi-
tions favorables. Il est donc indispensable de recourir, en ce qui
concerne les Mucédinées vulgaires, à une disposition qui permette
d'affirmer sûrement que la petite plante a été reproduite par les
. spores que l’on a semées, et non additionnellement par les spores
qui sont en suspension dans l'air, ou déposées à la surface des
objets mis en expérience.
Voici la méthode que j'ai suivie et qui me semble irréprochable :
je passe un peu d'amiante dans les petites têtes de la moisissure que
je veux étudier (4); puis je place cette amiante couverte de spores
» germer. Après avoir fait bouillir ces petits grains dans l’eau, j'ai versé l'eau
» qui en avait pris une couleur noire, sur les corps capables de moisir, et sui-
» vant les résultats habituels de ces sortes d'expériences, la moisissure a poussé
» plus épaisse que sur ces mêmes corps qui n’en avaient pas été mouillés. J'ai
» fait la même chose avec des poussières, des moisissures exposées à un feu
» beaucoup plus fort, tel que celui d'un brasier ardent, et j'ai trouvé que cette
» chaleur n'ôte pas à ces graines la faculté de se reproduire, »
Plus loin, Spallanzani s'exprime ainsi :
« L'hypothèse qui établit que cette poussière est invisiblement répandue par-
» tout, et qu'elle donne naissance à la multitude des moisissures naturelles, est
-» une des hypothèses les plus raisonnables de la physique. »
(1) Lorsque, dans un ballon préparé comme je l'ai dit au chapitre VII, p. 67.
il ne se développe qu'une seule moisissure, ce qui est fréquent, il est évident que
les spores en sont parfaitement pures. C'est dans les sporanges de pareilles
moisissures que je passais le petit pinceau d'amiante, après avoir détaché la
partie supérieure du ballon. Il n'y avait chance d'introduire des germes étran-
gers que pendant le Lemps très court où je prélevais les spores de la moisissure
pour les transporter dans le tube en U, On chauffait d'ailleurs fortement l'amiante
avant de la couvrir de spores, et aussi le tube en U. Dès qu'il était refroidi, on
y introduisait le petit tube et ses spores. |
8ll L. PASTEUR.
dans un très petit tube de verre que j'introduis dans un tube en U
de plus gros diamètre, où le petit tube peut se mouvoir librement :
fig. 28. L'une des extrémités du tube en U se relie par un caout-
chouc à un tube de métal à robinets, en forme de T. Un des robi-
nets communique à la machine pneumatique, un autre à un tube
de platine chauffé au rouge. L'autre extrémité porte un caoutchouc
qui reçoit également le ballon où l’on doit semer les spores, ballon
fermé à la lampe, rempli d’air calciné et d’un liquide préalablement
porté à l’ébullition, devant servir d’aliment à la jeune plante.
Enfin, le tube en U plonge dans un bain &’huile, d’eau ordinaire
ou d’eau saturée de divers sels, selon que l’or veut porter les spores
à telle ou telle température. Entre le tube en U et le tube de pla-
tine il y a un tube desséchant à ponce sulfurique. Lorsque tout
l'appareil qui précède le tube de platine a été rempli d’air caleiné
et que les spores ont été maintenues à la température voulue un
temps suffisant que l’on peut faire varier, on brise la pointe du
ballon par un coup de marteau, sans dénouer les cordonnets du
caoutchouc qui réunit le ballon au tube en Ü; puis, inclinant con-
venablement ce dernier tube éloigné de son bain, on fait glisser
dans le ballon l'amiante et ses spores. Enfin, on referme le bal-
lon à Ja lampe par un trait de flamme sur l'un des étranglements
ménagés sur son col. On le porte alors à l’étuve à une lempéra-
ture de 20 à 30 degrés, qui est très favorable au développement
rapide des Mucédinées.
L'expérience sur les poussières de l'air se fait de la même
manière avec de l'amiante qui a été exposée à un courant d’air
ordinaire, suivant les indications de la méthode du chapitre II.
Je vais entrer maintenant dans le détail des résultats de quel-
ques expériences particulières.
Le 4° juin 4860, je fais passer dans un ballon renfermant,
depuis le 19 mars, de l’eau de levüre et de l'air calciné, sans
avoir éprouvé la moindre altération, une portion de bourre de
coton chargée des poussières de l’air ordinaire après qu'elle eût
été maintenue une heure à 100 degrés (bain d’eau bouillante).
Dans la nuit du 4 au 5 juin, une espèce de dépôt pulvérulent
commence à se montrer sur les parois du ballon, et envahit rapi-
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 89
dement les jours suivants la surface du liquide. C’est une Mucorée
incolore, en pellicule un peu chagrinée, en petits amas confusé-
ment circulaires comme s’ils étaient soulevés par des bulles de gaz,
ce qui n’est qu'une illusion. Dès le 9 ou le 10 juin, tout dévelop-
pement cesse et la pellicule tombe en lambeau au fond du vase.
A la fin de juin j'ai ouvert le ballon, pour étudier cette Mucorée au
microscope. Elle est formée de granulations comme le sont en
général toutes les Mucorées, mais ici les granulations sont relati-
vement volumineuses. Leur diamètre est de 0"",002. Ces granu-
lations étaient isolées ou en paquets, brillantes à leur centre, à
contours nettementlimités. La figure 29 les représente associées à
quelques Vibrions très ténus, à peine visibles, et qui n’avaient
plus de mouvements lorsque le ballon a été ouvert. Ils étaient en
fort petit nombre.
Cette expérience montre que les germes desséchés de ces deux
productions résistent à la température de 100 degrés pendant une
heure.
Le 2 juin 1860, je fais passer dans du lait conservé depuis le
10 avril, en présence de l’air calciné, sans altération aucune, une
petite bourre d'amiante chargée des poussières de l'air après
l'avoir exposée un quart d’heure à 100 degrés (bain d’eau bouil-
lante).
Le 4 juin, le lait n’est pas caillé, mais on voit à sa surface une
couche de sérum presque translucide, qui indique une altéra-
tion.
Le 5etle 6 juin, il est visible que le lait s’altère. Il y a au fond
du ballon un dépôt jaunâtre, caséeux ; aucune apparence de
dégagement de gaz. Je n'avais pas encore rencontré des carac-
tères d’altération du lait de l’ordre de ceux-ei exactement.
Le 7 juin, j'ouvrele ballon et j'étudie le liquide au microscope,
il se trouve rempli d’une multitude d’Infusoires de deux natures
bien distinctes. Les uns sont des Vibrions filiformes très agiles,
qui courent rapidement en faisant trembler vivement la seconde
moitié de leur corps. Ils ont de 0"",006 à 0°",009 de longueur
et 0"",0007 de largeur. Les autres sont courts, beaucoup plus
larges, un peu étranglés, souvent réunis par chaînes de deux et
86 L. PASTEUR.
trois articles. La longueur des articles est de 0"",003 à 0"",004
et le diamètre de 0"",002 à 0"",003. La figure 30 représente ces
deux sortes d’Infusoires outre les globules de beurre.
Il ne s’est pas dégagé de gaz lorsque j'ai ouvert le ballon sur la
cuve à mercure. l
Le 6 juillet, je fais passer dans nn ballon d’eau de levüre sucrée,
mêlée de craie, conservée sans altération depuis le 11 avril en
présence de l'air calciné, une bourre d'amiante avec poussières,
chauffée pendant une demi-heure à 100 degrés (bain d'eau
bouillante).
Le 8 juillet, trouble sensible, avec pellicule mince sur toutes
les parois. Le 10 juillet, trouble laiteux, avec lambeaux chiffon
nés dans la masse du liquide et au fond. Apparence de dégage-
ment de gaz.
Le 10 juillet, j'ouvre ce ballon, sortie brasque el violente de gaz.
Il est évident qu'il y a eu fermentation. Au microscope il y a deux
espèces de Vibrions, différant surtout par le diamètre de leurs
articles. Les uns ont 0"",0006 à 0"*,0008 de diamètre; les autres
ont 0"%,0015 à 0"",002 de diamètre et jusqu’à 0"",01 et plus
de longueur (4).
Le 9 novembre 1860, je fais passer une bourre d'amiante,
chargée des poussières de l'air, dans un ballon renfermant de
l'eau de levüre, et une autre bourre pareille dans un deuxième
ballon renfermant de l'urine. Ces ballons étaient conservés depuis
le 25 juin. Avant d'introduire les bourres, on les avait maintenues
pendant une demi-heure à 421 degrés (bain d’huile).
Le 11 novembre, le ballon d’eau de levüre a commencé à mon-
lrer une touffe de mycélinm en tubes très lîches, qui a poussé
avec une rapidité extraordinaire. Il a atteint en quatre jours le
niveau du liquide, et a poussé partout de longs tubes cotonneux
d'une grande blancheur qui se sont rapidement étendus sur les
(4) Je ne doute pas que la fermentation du liquide de ce ballon n'ait été pro-
voquée par ces derniers Infusoires, préservés du contact de l'air par ceux de la
première espèce qui n'élaient que des Vibrions ordinaires, ayant besoin d'air pour
vivre.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 87
parois du ballon. Les spores et les tubes qui les portaient sont
représentés figure 341.
Le ballon d'urine n’a commencé que le 16 novembre à monirer
une petite touffe de moisissure en tubes très serrés, sous forme
de petite boule soyeuse. Cette Mucédinée s’est développée avec une
si grande lenteur, que le 22 novembre elle n’avait pas encore la
grosseur d’un pois.
Ce même jour, 22 novembre, a apparu un autre mycélium en
tubes lâches qui a étouffé le premier en peu de jours.
Pas du tout d’'Infusoires, ni dans un cas, ni dans l’autre.
Le 12 août 1860, même expérience, avec eau de levûre et
poussières de l'air qui avaient été préalablement chauffées pen
dant une demi-heure au bain d'huile à 129 degrés. Aujourd’hui
(avril 1861) pas encore la moindre apparence de productions
organisées.
Passons maintenant en revue quelques expériences sur les
spores des Mucédinées vulgaires.
Le 21 juillet 1860, je fais passer dans un ballon, renfermant de
l’eau de levüre et de l’air caleiné, sans altération, depuis le 26 juin,
une petite bourre d’amiante chargée de spores de Penicillium,
préalablement chauffées pendant une demi-heure au bain d'huile
de 419 à 124 degrés.
Le 29, le 23, le 24 juillet, aucune apparence de développe-
ment. Le 25 juillet, une multitude de très petites touffes de mycé-
lium couvrent les parois du ballon. Mais, chose assez singulière, il
n'y a que les spores du fond qui se soient développées. Celles
qui, au moment de l'introduction de la bourre d'amiante, étaient
venues à la surface former des amas, des espèces de taches, n'ont
pas germé du tout; elles n’ont pas poussé de tubes germinatifs.
Le 26 juillet, développement sensible, bien qu’un peu faible, et
comme pénible des touffes du fond. Les spores de la surface du
liquide n’ont pas encore germé.
Le 28 juillet plusieurs îlots sont développés à la surface, mais
ils proviennent de touffes du fond et non des spores de la surface.
Ces îlots commencent à fructifier et à verdir à leur centre. On
voit toujours çà et 1à, à la surface, des taches de spores qui n’on
pas germé.
88 L, PASTEUR.
Le 3 août, foule la surface est couverte par un beau Penicil-
lium vert bleuâtre, vigoureux. Rien n'indique qu'il soit malade ;
cependant il faut remarquer : 4° queles spores, semées le 21 juil-
let, n'ont commencé à germer que dans la nuit du 24 au 25 juil-
let, tandis que, si on ne les avait pas chauffées ou même si on les
avait chauffées à 100 degrés, elles auraient commencé à montrer
des touffes de tubes germinatifs visibles à l'œil nu dès le lende-
main ; je lai constaté souvent par des épreuves directes. 2° Beau-
coup des spores avaient été évidemment privées de vie, et plus
légères, dirait-on, que les autres, elles étaient venues à la surface
où elles n’ont pas germé.
Voici une expérience qui prouvera qu’en élevant la tempéra-
ture des spores à 108°,4, au lieu de 120 degrés, la germination
se montre déjà après quarante-huit heures.
Le 23 juillet, j'ai semé, dans un des ballons d'eau de levure
conservé depuis le 26 juin sans altération, une bourre d'amiante
chargée de spores de Penicillium, chauffées préalablement, à see,
comme dans toutes ces expériences, pendant une demi-heure
à 108°,4 (bain d’eau saturée de sel et bouillante).
L’ensemencement a eu lieu à midi, le 23 juillet.
Dès le 25, à cinq heures du soir, on voyait une infinité de
touffes de mycélium au fond du liquide.
Il n’est donc pas douteux que, par l'action d’une température
élevée, en dehors de toute humidité, la fécondité des spores du
Penicillium glaucum se conserve jusqu’à 120 degrés et même un
peu plus ; et qu'elles reproduisent une plante toute pareille à la
plante mère, et dont les spores sont fécondes (je l'ai constaté par
des épreuves directes). Mais il n’est pas moins vrai que la vitalité
du germe est un peu atteinte, et que les spores en éprouvent un
retard sensible dans leur faculté germinative.
Le 12 août 1869, je répète les expériences précédentes sur deux
ballons d’eau de levüre conservés depuis longtemps, et avec des
spores de Penicillium glaucum et des spores d’Ascophora elegans,
chauffées pendant une demi-heure de 127 à 152 degrés (bain
d'huile).
I n’y a eu aucun développement quelconque des spores ni dans
l'un, ni dans l’autre ballon.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 89
En résumé, je crois pouvoir conclure de mes expériences que
les spores des Mucédinées vulgaires, chauffées dans le vide ou
dans l'air sec, restent fécondes après avoir été portées à une tem-
pérature de 120 degrés. On trouverait probablement qu'on peut
même aller un peu au delà, peut-être à 125 degrés. Au contraire,
il suffit d’une exposition d'assez courte durée à 130 degrés pour
enlever leur fécondité aux spores de ces mêmes Mucédinées, qui
paraissent être les plus vivaces et les moins impressionnables (1).
D'autre part, nous trouvons que les limites sont les mêmes pour la
fécondité des poussières de l’air, c’est-à-dire qu’elles donnent des
Mucédinées même après avoir été portées à 120 degrés , et
qu’elles n’en donnent plus si on leur fait subir la température de
130 degrés. |
La correspondance de ces résultats est une preuve nouvelle de
l'existence des spores des Mucédinées parmi les corpuseules orga-
nisés que le microscope permet de reconnaitre si facilement dans
les poussières qui sont en suspension dans l'air ordinaire.
(1) Je dois cependant remarquer qu'au nombre des Mucédinées qui ont pris
naissance dans les expériences, en petit nombre, il est vrai, où j'avais semé les
poussières de l'air chauffées à 1 20 degrés, le Penicillium glaucum ne s'est pas mon-
tré. Ç'a été, entre autres, cette mucédinée d’un développement si rapide dont j'ai
parlé page 87, et dont les sporanges formaient des amas cotonneux à longs
tubes, d'une grande blancheur à la surface du liquide. Je me proposais de
l’étudier au microscope et de la décrire, mais elle s’est affaissée rapidement avant
que je n’ouvrisse le ballon, et n'offrait plus rien de net. Il eût été intéressant de
voir si les spores de cette moisissure ne résistaient pas un peu mieux que le
Penicillium à une température élevée.
Dans le cours de mes expériences, j'ai eu l'occasion de constater .-des diffé-
rences considérables dans la rapidité du développement des moisissures. J'ai vu
des mycéliums mettre plusieurs mois à atteindre la grosseur d'une noisette. J'en
ai vu d'autres remplir le liquide en quelques jours. Il peut y avoir à cela des
causes diverses, notamment la nature du liquide. Il se pourrait qu'en la faisant
varier, les rôles changeassent. J'ai été frappé bien souvent de la multitude
d'études diverses que suggère à l'esprit le mode de vie de ces petits êtres. Celle-
ci en est une entre mille autres, autant et plus intéressantes.
90 L. PASTEUR,
CHAPITRE IX.
Sur le mode de nutrition des ferments proprement dits, des Mucédinées
et des Vibroniens.
Il est essentiel de remarquer que jusqu'à ce jour toutes les
expériences de générations spontanées ont porté sur des infusions
de matières végétales ou animales, en un mot sur des liquides
renfermant des substances qui avaient appartenu antérieurement
à l'organisme. Quelles que soient les conditions préalables de
température et d’ébullition qu'on leur fasse subir, ces matières
ont une constitution et des propriétés acquises sous l'influence de
la vie,
Ce fait a servi de thème à toutes les théories sur la génération
spontanée, Or, je vais démontrer dans ce chapitre que l'apparition
des organismes inférieurs ne présuppose pas nécessairement la
présence de matières organiques plastiques, de ces matières albu-
minoïdes que le chimiste n’a jamais pu produire, qui dans leur
formation exigent le concours des forces vitales.
Les nouvelles expériences que je vais faire connaître montre-
ront le peu de fondement de toutes les théories sur la formation
spontanée des organismes inférieurs. Passons d’abord en revue
ces lhéories où l'imagination a tant de part, où les vrais principes
de la méthode expérimentale en ont si peu.
Needham admettait l'existence dans la matière organique d’une
force particulière qu'il appelait force végétative, et qui survivait à
la mort des végélaux et des animaux, Spécifiquement déterminée
dans un individu, elle lui conservait sa forme et ses propriétés
pendant sa vie. Mais à sa mort elle devenait libre et ses manifesta-
tions dépendaient des conditions particulières où se trouvaient
placées les parties disjointes du corps de l'individu. Et c’est ainsi
que cette force persistant dans la matière organique des infusions,
organisait de nouveau cette matière suivant des modes qui ne dé-
pendaient plus que des conditions propres à l’infusion (1).
(4) Voy. Spallanzani, Opuscules. Exposition des nouvelles idées de M. de
Needham sur le système de la génération, t. [°, chap. 4°".
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 91
Le système des molécales organiques de Buffon à beaucoup de
rapport avec les idées de Needham. Je reproduirai textuellement
les vues du grand naturaliste sur la génération spontanée (1).°
« Mes recherches et mes expériences, dit Buffon, sur les molé-
» cules organiques démontrent qu'il n’y a point de germes pré-
»existants, et en même temps elles prouvent que la génération
» des animaux et des végétaux n’est pas univoque; qu'il y à peut-
»ôtre autant d'êtres, soit vivants, soit végétaux, qui se repro-
» daisent par l'assemblage fortuit des molécules organiques, qu'il
»y a d'animaux ou de végétaux qui peuvent se reproduire par
» une succession constante de générations...
» Les molécules organiques, toujours actives, toujours sub-
»sislantes, appartiennent également aux végétaux comme aux
» animaux; elles pénètrent la matière brute, la travaillent, la re-
» muent dans toutes ses dimensions, et la font servir de base au
» tissu de l’organisation, de laquelle ces” molécules vivantes sont
» les seuls principes et les seuls instruments; elles ne sont sou-
» mises qu'à une seule puissance qui, quoique passive, dirige
» leur mouvement et fixe leur position. Cette puissance est le
» moule intérieur du corps organisé ; les molécules vivantes que
» l'animal ou le végétal tire des aliments ou de la séve, s’assi-
»milent à {outes les parties du moule intérieur de leur corps, elles
» le pénètrent dans toutes ses dimensions, elles y portent la végé-
» fation et la vie, elles rendent ce moule vivant et croissant dans
»{outes ses parties ; la forme intérieure du moule détermine seule-
» ment leur mouvement et leur position pour la nutrition et le dé-
» veloppement dans tous les êtres organisés.
» Et lorsque la mort fait cesser le feu de l'organisation, c'est-
» A-dire la puissance de ce moule, la décomposition du corps suit,
»et les molécules organiques qui toutes survivent, se retrouvant
» en liberté dans la dissolution et la putréfaction descorps, passent
»dans d’autres corps aussitôt qu'elles sont pompées par la puis-
»sance de quelque autre moule, en sorte qu’elles peuvent passer
» de l'animal au végétal et du végétal à l'animal, sans altération
» et avec la propriété permanente et constante de leur porter la
(1) Supplément. Histoire de l'homme, 1778, t. VIII, édition in-42.
92 L. PASTEUR.
» nutrition et la vie; seulement il arrive une infinité de généra-
» tions spontanées dans cet intermèêde, où la puissance du moule
» est sans action, c’est-à-dire dans cet intervalle de temps pen-
» dant lequel les molécules organiques se trouvent en liberté dans
» la matière des corps morts et décomposés , dès qu'elles ne sont
» point absorbées par le moule intérieur des êtres organisés qui
» composent les espèces ordinaires de la nature vivante ou végé-
» tante; ces molécules organiques, toujours actives, travaillent à
» remuer la matière putréfiée, elles s’en approprient quelques par-
» licules brutes et forment, par leur réunion, une multitude de
» petits corps organisés, dont lesuns, comme les vers de terre, les
» champignons, etc., paraissent être des animaux ou des végé-
» faux assez grands, mais dont les autres, en nombre presque in-
» fini, nese voient qu’au microscope. Tous ces corps n'existent que
» par une génération spontanée, et ils remplissent l'intervalle que
» Ja nature a mis entre la simple molécule organique vivante et
» l'animal ou le végétal ; aussi trouve-t-on tous les degrés, toutes
»les nuances imaginables dans cette suite, dans cette chaîne
» d'êtres, qui descend de l’animal le mieux organisé à la molécule
» simplement organique ; prise seule, cette molécule est fort éloi-
» gnée de la nature de l'animal. Prises plusieurs ensemble, ces
» molécules vivantes en seraient encore tout aussi loin, si elles ne
» s’appropriaient pas des particules brutes, et si elles ne les dis-
» posaient pas dans une certaine forme, approchant de celle du
» moule intérieur des animaux ou des végétaux. Et comme cette
» disposition de forme doit varier à l'infini, tant pour le nombre
» que par la différente action des molécules vivantes contre la ma-
» tière brute, il doit en résulter, et il en résulte en effet, des êtres
» de tous degrés d'animalité. Et celte génération spontanée à la-
» quelle tous ces êtres doivent également leur existence, s'exerce
» et se manifeste toutes les fois que les êtres organisés se décom-
» posent; elle s'exerce constamment et universellement après la
» mort et quelquefois aussi pendant leur vie, lorqu’il y a quelques
» défauts dans l’organisation du corps qui empêchent le moule in-
» térieur d’absorber et d’assimiler toutes les molécules organiques
» contenues dans les aliments. Ces molécules organiques sur-
» abondantes qui ne peuvent pénétrer le moule intérieur de
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 93
» l’animal pour sa nutrition, cherchent à se réunir avec quelques
» particules de la matière brute des aliments et forment, comme
» dans la putréfaction, des corps organisés; c’est là l’origine des
» Ténias, des Ascarides, des Douves..…... »
Un botaniste, M. Turpin, a reproduit de nos jours un système
qui avait beaucoup d'analogie avee celui des molécules organiques
de Buffon. (Voir son mémoire du tome XVII des Mémoires de
l'Académie des sciences.)
J'arrive maintenant au système de M. Pouchet (1).
« On peut considérer, dit-il, comme une loi fondamentale que
» des phénomènes de fermentation ou de dédoublement catalytiques
» précédent où accompagnent loute génération spontanée.
» Les organismes ne se produisent qu'à même la nature expi-
» rante, et au moment où les éléments des êtres sur lesquels ils
» s'engendrent entrent dans de nouvelles combinaisons chimiques,
» et éprouvent tous les phénomènes de la fermentation ou de la
» putréfaction.
» Il résulte de là qu’il ne se manifeste de générations primaires
» qu'après que les corps dont elles dérivent commencent àsubir les
» premiers phénomènes de décomposition ; comme si, pour s’or-
» ganiser , les êtres nouveaux altendaient la désagrégation des
» autres, afin de s'emparer des molécules de la substance expi-
» ranle, à mesure qu'elles se trouvent mises en liberté. I est évi-
» dent que l'organisme ne puise ses éléments matériels qu’à même
» les cadavres des anciennes générations. . .« . . Ji
» Ainsi donc, sous l empire de la fermentation ou ba la Sr
» faction, les Corps org anisés se décomposent et dissocient leurs
» molécules organiques ; puis, après avoir erré en liberté pen-
» dant un temps illimité, lorsque les circonstances plastiques
» viennent à se manifester, ces molécules se groupent de nou-
» Veau pour conslituer un nouvel être ui
» Bientôt après la manifestation des phénomènes de fermenta-
» lion et de putréfaction, on reconnait qu'il se forme, à la surface
» des liquides en expérience, une pellicule d'abord inapparente, et
(1) Traité de la génération spontanée, 1859, p. 335 et suivantes.
94 L. PASTEUR.
» que le microscope découvre à peine; puis celle-ci s’épaissil suc-
» cessivement, et finit même parfois par devenir assez tenace.
» Cette pellicule est évidemment composée par des débris d’Ani-
» malcules, d’abord de l’ordre le plus infime, et ensuite par ceux
» d'espèces de plus en plus élevées dans la série des Microzoaires.
» C’est cette même pseudo-membrane que j'ai nonunée pellicule
» proligère, parce qu’il est évident que c’est elle qui, à l’instar d’un
» ovaire improvisé, produit les Animalcules. On peut y suivre léur
» développement à l’aide de nos instruments, et reconnaitre qu'ils
» s’engendrent à même les débris organiques dont elles se com-
» posent.
» Les Protozoaires, qui forment d'abord la pellicule proligére,
» sont des Monades, des Bactériums et des Vibrions. Comment
» ces Animalcules sont-1ls produits? Nous ne pouvons ledire, leur
» extrême petitesse les dérobant à toute espèce d'investigation.
» Lorsque ce sont des végétaux qui apparaissent à la surface
» des macérations, la pseudo-membrane proligère est alors formée
» presque uniquement par l’enchevêtrement des mycéliums, des
» champignons rudimentaires, qu’on observe à sa surface... On
» pourrait donc ajouter qu'il y a une pellicule proligère eryptoga-
» nique. »
Par la réunion des parties des pellicules proligères se forment
spontanément les ovules des êtres inférieurs. M. Pouchet décrit
toutes les phases du phénomène.
Voila le système du savant naturaliste de Rouen, œuvre d’une
imagination féconde guidée par des observations erronées (1).
En rapportant ici les principes des systèmes sur la génération
spontanée qui ont eu le plus de retentissement, mon but principal
est de montrer que, dans toas, on fait jouer un rôle essentiel à Ja
matière organique des infusions. Par elle-même, elle jouirait de
propriétés spéciales acquises dans l'acte de sa formation antérieure
sous l'influence de la vie.
(1) On peut lire dans les Ann. des sc. nat., t. IT, 1845, des assertions non
moins nettement formulées de M. le docteur Pineau sur la génération spontanée
des Infusoires des Cryptogames. Voy. aussi un ouvrage intitulé : Études physio -
logiques sur les animacules des infusions, par M. Paul Laurent, ancien élève de
l'École polytechnique, Nancy, 1853.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 95
Les matières albuminoïdes conserveraient en quelque sorte un
reste de vitalité, qui leur permettrait de s'organiser au contact de
l'oxygène , lorsque les conditions de température et d'humidité
sont favorables.
Nous allons reconnaître que ces opimions sont tout à fait erro-
nées, et que les matières albuminoïdes ne sont qu'un aliment pour
les germes des Infusoires et des Mucédinées; qu’elles n’ont pas
d'autre rôle dans les infusions, car on peut les remplacer par des
matières cristallisables, telles que des sels d’ammoniaque et des
phosphates.
Ainsi se trouvent privées d’une de leurs bases essentielles
toutes les théories relatives à la formation spontanée des êtres les
plus inférieurs. fr
L'expérience m’a montré, en effet, que l’on pouvait remplacer
dans les essais des chapitres IV, V, VI, Peau de levure de bière
sucrée, l'urine, le lait, ete., par une infusion composée de la
manière suivante :
RARE DHEB de ne Lou le ne 100
PHOTO CANON ee UPPER 10
Tartrate d'ammoniaque. . . . . . . 0,2 à 0,5
Cendres fondues de levüre de bière. 0,4
Si l’on sème dans cette liqueur, èn présence de l’air calciné,
les poussières qui existent en suspension dans l'air, on y voit
naître les Bactériums, les Vibrions, les Mucédinées, etc. Les ma-
tières azotées albumineuses, les matières grasses, les huiles essen-
tielles, les substances colorantes propres à ces organismes, se
forment de toutes pièces à l’aide des éléments de l’ammoniaque,
des phosphates et du sucre.
Composons la liqueur de la même manière avec addition de
craie :
RHONE ANGERS, She 00
SUCTOICATIARA MMS, HQE. LA EURE 10
Tartrate d'ammoniaque. . . . . . . 0,2 à 0,5
Cendres fondues de levure de bière. 0,1
Carbonate de chaux pur. , . . . . 3 à 5 gr.
96 L. PASTEUR.
etles mêmes phénomènes se produiront, mais avec une tendance
plus marquée vers les fermentations appelées lactique, visqueuse,
butyrique , et tous les ferments végétaux ou animaux propres à
ces fermentations prendront naissance simultanément ou succes
sivement.
Je publierai prochainement un travail détaillé sur les résultats
que j'ai obtenus dans ces études, qui m'ont toujours paru offrir
un grand intérêt pour la question des générations dites spon-
tanées.
C'est par elles que j'ai été conduit à entreprendre les expé-
riences suivantes dont le succès a dépassé mon attente,
Dans de l’eau distillée pure, je dissous un sel d’ammoniaque
cristallisé, du sucre candi et des phosphates provenant de la eal-
cination de la levûre de bière ; puis je sème dans le liquide quel-
ques spores de Penicillium ou d’une Mucédinée quelconque. Ces
spores germent facilement, et bientôt, en deux ou trois jours seu-
lement, le liquide est rempli de flocons de mycélium, dont un
grand nombre ne tardent pas à s’étaler à la surface de la liqueur
où ils fructifient. La végétation n’a rien de languissant. Par Ja
précaution de l'emploi d’un sel acide d’ammoniaque, on empêche
le développement des Infusoires, qui, par leur présence, arrête-
raient bientôt le progrès de la petite plante, en absorbant l'oxy-
gène de l'air, dont la Mucédinée ne peut se passer. Tout le ear—
bone de la plante est emprunté au sucre qui disparaît peu à peu
complétement , son azote à l'ammoniaque, sa matière minérale
aux phosphates. Il y a donc sur ee point de l'assimilation de
l'azote et des phosphates une complète analogie entre les ferments,
les Mucédinées et les plantes d’un organisme compliqué. C’est ce
que les faits suivants achèveront de prouver d’une manière défi-
nitive.
Si, dans l'expérience que je viens de rapporter, je supprime
l’un quelconque des principes en dissolution, la végétation est
arrêtée, Par exemple, la matière minérale est celle qui paraitrait
la moins indispensable pour des êtres de cette nature. Or, si la
liqueur est privée de phosphates, il n’y a plus de végétation possible,
quelle que soit la proportion du sucre et des sels ammoniacaux.
C’est à peine si là germination des spores commence par l'influence
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 97
des phosphates que les spores elles-mêmes que l’on à semées
introduisent en quantitéinfiniment petite. Supprime-t-on de même
le sel d’ammoniaque, la plante n’éprouve aucun développement.
I n'y a qu'un commencement de germination très chétive par
l'effet de la présence de la matière albuminoïde des spores semées,
bien qu’il y ait surabondance d'azote libre dans l'air ambiant ou
en dissolution dans le liquide. Enfin, il en est encore de même
si l'on supprime le sucre, l'aliment carboné, alors même qu'il y
aurait dans l’air ou dans le liquide des proportions quelconques
d'acide carbonique. Tout annonce en effet que, sous le rapport de
l'origine du carbone, les Mucédinées diffèrent essentiellement
des plantes phanérogames. Elles ne décomposent pas l'acide
carbonique; elles ne dégagent pas d'oxygène. L'absorption de
l'oxygène el le dégagement de l'acide carbonique sont au contraire
des actes nécessaires et permanents de leur vie.
Ces faits nous donnent des idées précises sur le mode de nutri-
tion des Mucédinées, à l’égard duquel la science ne possède pas
encore d'observations suivies (1).
D'autre part, et c'est 1à peut-être ce qu'il faut remarquer de
préférence, ils nous découvrent une méthode à l’aide de laquelle
la physiologie végétale pourra aborder sans peine les questions
les plus délicates de la vie de ces petites plantes, de manière à
préparer sürement la voie pour l'étude des mêmes problèmes
chez les végétaux supérieurs.
Lors même que l’on etireit de ne pouvoir appliquer aux
grands végétaux les résultats fournis par ces organismes d'appa-
rence si infime, il n’y aurait pas moins un grand intérêt à résoudre
(1) Un excellent observateur, M. Bineau, nous a laissé sur les Algues vul-
gairés, plantes un peu supérieures aux Mucédinées, et qui en diffèrent surtout
par la présence de la matière verte, les résultats suivants, qui montrent que les
Algues peuvent décomposer l'ammoniaque. |
« M. Lortet a, depuis plusieurs mois, la complaisance de faire pour moi la
» récolle des eaux pluviales recueillies à Oullins, et de me l’expédier tous les
» buit ou quinze jours. À partir du commencement de mai, un brusque change-
» ment eut lieu dans la composition de ces eaux. L'ammoniaque y disparut tota-
» lement. J'en fis-la remañque-à M. Lortet, qui m'apprit alors que le flacon ser-
4* série. Zoo. T. XVI. (Cahier n° 2.) # 7
98 L. PASTEUR,
les difticultés que soulève l'étude de la vie des plantes, en com-
mençant par celles où la moindre complication d'organisation
rend les conclusions plus faciles et plus sûres : la plante est réduite
ici en quelque sorte à 1'état cellulaire, et les progrès de la science
montrent de plus en plus que l'étude des actes accomplis sous
l'influence de la vie végétale ou animale, dans leurs manifestations
les plus compliquées, se ramène en dernière analyse à la décou-
verte des phénomènes propres à la cellute.
» vant de récipient pour nos eaux, avait commencé à présenter de ces produits
organisés verdâtres, dont le développement devient si fréquent sous l'influence
de la température des saisons chaudes et de la lumière.
» J'ai fait alors des études spéciales au sujet de l'action des Algues sur les sels
» ammoniacaux et sur les azotates tenus en dissolution dans l’eau environnante.
J'ai opéré, d'une part, sur l’Algue que sa singulière texture réticulaire m'a
fait aisément reconnaitre pour l'Hydrodictyon pentagonale, et, d’une autre part,
» sur une conferve aux longs filaments verts, qui paraît être le Conferva vul-
» garis.
5
» Des quantités jugées à l'œil égales entre elles de chacune des deux espèces
» d'Algues mentionnées furent enfermées dans des flacons à l'émeri bien bou-
chés, d'un peu plus d’un demi-litre, avec 250 centimètres cubes d'eau conte-
» nant 12 millionièmes d'ammoniaque ajoutée à l'état de chlorhydrate et une
» quantité un peu moindre d'azotate de chaux. Les flacons furent ensuite expo-
sés, les uns sur une fenêtre où ils recevaient les rayons du soleil,. les autres
dans le voisinage, mais dans l'obscurité.
» Après dix jours, le liquide de chaque flacon fut filtré et soumis à un essai
» ammonimétrique.
» On a trouvé que l'Hydrodictyon avait fait disparaître au soleil presque les
» trois quarts de l'ammoniaque, et le Conferva vulgaris près de la moitié, A l'obscu-
rité, l'absorption de l'’ammoniaque fut environ moitié moindre.
» Dans aucun des liquides des flacons il ne resta la moindre trace appréciable
d'azote.
>» Un dégagement notable de bulles gazeuses s'était, comme d'habitude, mani-
» festé sous l'influence des rayons solaires autour des plantes mises en expé-
» rience. » (Mémoires de l’Académie des sciences de Lyon, t. I, 1853.)
v
11
EXPÉRIENCES Ù
SUR
LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET SUR LE TÉNIA
QUI RÉSULTE
DE SA TRANSFORMATION DANS L’INTESTIN DU CHIEN,
Par C. BAILLET,
Professeur à l’École impériale vétérinaire de Toulouse.
Dans un travail publié en 1859, je disais que si les lois géné-
rales qui président à l’accomplissement des phénomènes de
migration et de métamorphoses des Cestoïdes sont aujourd'hui
bien connues, il n’en est pas de même d’une multitude de ques-
tions secondaires dont l'étude se relie à la connaissance des mœurs
de chaque espèce en particulier, et dont la solution offre, à cause
de cela, le plus grand intérêt pour l’étiologie de quelques maladies
vermineuses. A cette époque, j'avais pris pour sujet de mes
recherches les migrations du Cœnure cérébral chez nos diverses
espèces de ruminants domestiques. Cette année, je me suis plus
spécialement occupé du Cysticercus tenuicollis Rud., et du Ténia
auquel il donne naissance; car aujourd'hui encore il existe entre
les plus éminents helminthologistes, au sujet de la détermination
spécifique de ce Cestoïde, des dissidences qui ne peuvent être
levées que par des expériences directes faites dans des conditions
variées. Je n'ai point réussi à parcourir en entier le cercle des
investigations auxquelles je désire me livrer sur ce parasite;
toutefois les résultats que j'ai obtenus me paraissent intéressants
au double point de vue de la zoologie et de la pathologie vétérinaire,
et c’est là ce qui me décide à livrer dès à présent à la publicité
une première partie de mon travail.
Le Cysticercus tenuicollisRud. est un Ver eystique que l’on ren-
106 €. BAILLET.
contre assez fréquemment dans le péritoine du bœuf, du mouton,
de la chèvre et du pore. Je l'ai trouvé également, à diverses reprises,
dans les plèvres, chez des bêtes ovines. Enfin, en 1858, j'ai recueilli
dans le tissu cellulaire de la région sous-lombaire, chez un chat,
deux Vers qui me paraissent appartenir à celte même espèce. Lors-
qu'on fait déglatir au chien des Cysheercus tenuicollis recueillis
chez des ruminants, ils se transforment en Ténias dans l'intestin de
ce carnassier. Cette expérience, faite par divers naturalistes, notam-
ment par MM. de Siebold, Leuckart et Kuchenmeister, ne laisse
aucun doute sur l’identité spécifique du Cysticercus tenuicollis Rud.
et du Ténia que l’on a désigné sous le nom de Tœnia Cysticerci
tenuicollis. La démonstration de ce fait acquiert une nouvelle force
encore par les expériences inverses dans lesquelles M. Kuchen-
meisler a réussi à reproduire des Cysticerques dans le péritoine des
bêtes ovines, en faisant prendre à celles-ci des anneaux du Tœænia
Cysticerci tenuicollis. Mais si tout le monde est d’accord aujourd'hui
pour reconnaître l'identité spécifique du Cystique et du Ver rubané
auquel 11 donne naissance, on est bien loin de s'entendre lorsqu'il
s’agit de décider si le Ver dont nous nous occupons constitue une
espèce bien distincte parmi les Ténias armés. Les uns, en effet, con-
sidérent le Ver solitaire de l’homme, certains Ténias du chien et
ceux de quelques autres carnassiers, comme appartenant tous à un
seul et même type spécifique, et pensent que cette espèce à l’état de
Cystique peut vivre indifféreniment sous forme de Cœnure chezles
ruminants, et sous forme de Cysticerques, très différents les uns
des autres, chez le porc, les ruminants, le lièvre et le lapin domes-
tique. Les autres, au contraire, pensent que chaque Cystique appar-
tient à un Ténia particulier, et que, par conséquent, il doit exister
dans ce genre autant d'espèces séparées qu'il y a de formes bien
caractérisées parmi les Vers à vessie. Comme nous l'avons dit déjà
dans les travaux que nous avons publiés en 1858 (1) et en 1859(2),
toutes nos expériences entreprises à l’école de Toulouse viennent à
(1) Voy. Journal des vétérinaires du Midi, 3° série, t. 1, p. 439, et Annales
des sciences naturelles, 4° série, t. X, p. 491.
(2) Voy Journal des vétérinaires tu Midi, 3° série, t. II, p. 338, et Annales
des sciences naturelles, 4° série, t. XI, p. 303,
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 101
l'appui de cette dernière opinion, qui nous parait être l'expression
de la vérité. Nous avons pensé cependant qu’il ne serait pas mutile
d'ajouter de nouveaux faits à ceux que nous avons rapportés, et
c’est là ce qui nous a engagé, à entreprendre, sur une espèce encore
peu étudiée, les expériences dont nous allons rendre compte.
Aissi que nous nous en sommes assuré assez souvent, le T'ænia
Cysticerci tenwcollis, bien qu'il soit plus rare que le Tænta serrata,
se rencontre néanmoins de temps à autre dans l’intestin du chien.
Cependant, afin de ne conserver aucun doute sur l’origine des Ces-
toïdes que nous voulions employer à nos expériences, nous avons
pris le parti de provoquer directement le développement de Ténias
de cette espèce dans l'intestin du chien.
Le12 décembre 1859, une chienne épagneule du nomdeZémire,
àgée de deux mois et demienviron, reçut un Cysticercus tenuicollis,
tiré du péritoine d'un mouton. Le 20 et le 21 du même mois, elle
prit encore trois autres Cystiques de lamême espèce, recueillis, l'un
dans l'abdomen d'un boue, les deux autres dans le péritoine d’une
chèvre. Dès le 28 mars 1860, c’est-à-dire cent sept jours après l’ad-
ministration du premier Cystique, cette chienne commença rendre
par l'anus quelques proglottis qui me parurent offrir tous les carac-
tères que j'avais constatés en 1858 sur des Tœnia Cysticerci tenui-
collis, dont j'avais provoqué la formation dans l'intestin de divers
chiens. Ces anneaux contenaientdes œufs mûrs. À partir du L° avril,
les expulsions devinrent assez fréquentes, et je pusutiliser les pro-
glottis à des expériences en les administrant, à plusieurs reprises,
à cinq jeunes agneaux de trois à quatre mois, à peine sevrés depuis
quelques jours.
De ces cinq animaux un seul a succombé ; les quatre autres ont
été successivement sacrifiés.
Acxeau N° 1. — Le premier de ces ruminants dont nous ayons à
parler est une agnelle qui, en trois fois, a pris dix-sept anneaux ren-
dus par la chienne Zémire, savoir :
Le 4 avril, un proglottis ;
Le 5 avril, cinq proglottis ;
Et le 10 avril, onze anneaux rendus en un seul fragment.
F0 €. BAILELT.
Le matin du 14 avril, cette agnelle, qui la veille avait mangé avec
appétit et n'avait présenté aucun symptôme particulier, est trouvée
gravement malade. Elle est couchée sur le sternum et appuyée con-
tre le mur de son étable. La tête est à demi tombante à l'extrémité
du cou, et, par moments, elle est agitée de tremblements convulsifs.
Les paupières sont baissées, les veux chassieux et lormoyants,
et la bête ne prête aucune attention à ce qui se passe autour d’elle.
La respiration est grande, profonde, et l'expiration s'accompagne
d’un ronflément peu sonore, qui parfois se transforme en une véri-
table plainte. La conjonctive, la muqueuse de la bouche, la peau,
sont d'une pâleur effrayante. Les battements du cœur sont forts,
irréguliers, et le pouls est à peine sensible. Autour des naseaux
existe du sang coagulé qui indique qu’'ime hémorrhagie a eu lieu
par le nez pendant la nuit. Du sang que l’on retrouve sur la toison
d’un autre agneau qui vit dans le même compartiment que la bête
dont il est ici question, atteste par sa quantité que cette hémorrha-
gie a du être considérable,
On faitlever l’agnelle malade, et, pour l’observer plus facilement,
on la conduit dans une pièce mieux éclairée. Pendant le trajet d’ail-
leurs peu étendu qu’elle a à parcourir, sa marche est lente et vacil-
lante; elle s'arrête souvent, et dans la station elle tient ses mem—
bres écartés, comme pour élargir la base de sustentation. Arrivée
dans le nouveau local où on l’a conduite, elle se laisse aller sur la
paille et paraît sur le point d’être suffoquée. Elle reste longtemps
dans cet état ; puis peu à peu elle semble se calmer. Toutefois les
symptômes qu'on a observés le matin persistent en s’aggra-
vant.
Dans l'après-midi, la bête secouche et se relève sans cesse ; elle
mange un peu d'herbe verte qu’on lui présente, mais elle s'arrête
souvent et semble oublier le fourrage qu’elle a dans la bouche.
Vers midi, on lave les naseaux avec de l’eau tiède pour les débar-
rasser du sang coagulé qui les obstrue en partie, et presque
aussitôt un liquide sanguinolent s'écoule par le nez. Deux fois la
bête expulse de l'urine en petite quantité, et ce liquide est égale-
ment sanguinolent. Enfin, à trois heures, les plaintes deviennent
plus fréquentes, l'animal reste définitivement couché, et après
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET@LE TÉNIA. 403
quelques convulsions peu énergiques d’ailleurs, il succombe à
trois heures et demie. |
L'autopsie est faite immédiatement.
Tous les viscères abdominaux sont trouvés baignant dans du
sang qui s’est épanché en quantité considérable dans la cavité du
péritoine. Les vaisseaux, examinés avec le plus grand soin, ne
laissent voir aucune ouverture ni aucune lésion qui puisse expliquer
ceite hémorrhagie interne. Le foie est gorgé de sang, et à la moin-
dre pression que l’on exerce à sa surface, il laisse transsuder ce
liquide. La surface du foie est parsemée d’une innombrable quantité
de petits sillons droits ou peu sinueux : les uns d’un rouge brun, les
autres d’un rouge plus clair, s’entrecroisant souvent de différentes
manières et ne laissant pas intact un seul point de la superficie de
l'organe. La capsule qui revêt celui-ci se détache avec la plus grande
facilité du tissu de la glande, et lorsqu'elle est enlevée on reconnait
que les sillons dont nous venons de parler sont creusés dans le
parenchyme même du foie, et qu’ils sont comblés en partie par du
sang qui s’est coagulé en petits caillots. Dans chaque sillon on trouve
une, deux, trois ou quatre petites vésicules ovoïdes, dont nous
donnerons plus loin la description, et qui sont placées, les unes
parallèlement, les autres transversalement au grand axe du sillon
qu’elles occupent. Du reste, avant même que l'on ait enlevé par-
tiellement la capsule du foie, de nombreuses vésicules semblables
se sont détachées, entrainées par le sang qui a transsudé de l'organe.
Ce fait s’est produit déjà, sans doute, pendant la vie; car dans le
sang qui est épanché dans le péritoine, on retrouve un grand nom-
bre de vésicules tout à fait identiques avec celles du foie. Enfin, ce
n’est pas seulement à la surface que ce dernier organe présente des
altérations; car, en le divisant avec l’instrament tranchant dans le
sens de son épaisseur, on reconnait que partout son parenchyme
est creusé de galeries qui, sur leur coupe, offrent le même aspect
que les sillons de la surface, et, comme eux, sont occupées par de
petits caillots sanguins et par des vésicules.
Le canal cystique et la vésieule biliaire sontdistendus par la bile ;
mais dans leur intérieur op ne trouve point de vésicules. La rate est
parfaitement saine.
10! e
Toute la partie flottante de l’épiploon est le siége d’un épanche-
ment sanguin qui s’est fait entre les deux lames du péritoine. Le
sang qui s'est coagulé dans celte région dessine une sorte de lacis
d’un rouge foncé, au milieu duquel on trouve encore de nom-
breuses vésicules semblables à celles du foie. Dans les autres régions
du péritoine on voit aussi çà et là quelques vésicules qui ne sont
point encore enkystées.
Le tube digestif est sain. Il en est de même des reins et de la
vessie. Celle-eiest complétement vide, l’animal ayant uriné quelques
instants avec sa mort.
Dans la poitrine, le poumon offre à sa surface des ecchymoses
assez nombreuses, espacées, non confluentes, dont le diamètre varie
entre 2 et 8 ou 16 millimétres. En incisant la plèvre, on reconnait
que ces ecchymoses re pénètrent qu'à une faible profondeur, et
que toujours le centre de chacune d'elles est occupé par une, ou plus
rarement par deux vésicules de même forme, mais un peu plus
petites que celles du foie. Un petit caillot de la grosseur d’une
tête d’épingle se trouve toujours à côté de chaque vésicule. Les
bronches, la trachée et les cavités nasales sont remplies d’un liquide
spumeux un peu rosé. Le cœur et les gros vaisseaux paraissent
entièrement sains.
Il n’y a rien à noter dans le cerveau ni dans ses enveloppes.
Dans toutes les régions du corps, le tissu musculaire est pâle et
décoloré.
C'est par milliers qu'il faudrait compter les vésicules dont, à
l’autopsie de cet animal, on a constaté la présence dans le foie, le
poumon, l’épiploon, et jusque dans le sang épanché dans le péri-
toine. Toutefois il ne faut pas oublier de faire remarquer que c’est
le foie surtout qui est le siége occupé par les parasites en voie de
migration, et que tout cet organe en est littéralement criblé, au
point qu'il suffit d'en presser un morceau entre les doigts pour
faire sourdre aussitôt de toutes parts des vésicules en grand
nombre.
Quels que soient d’ailleurs les points occupés par les vésicules,
elles offrent les caractères suivants. Elles sont ovoïdes , à parois
transparentes, et remplies à l’intérieur d’un liquide clair et limpide.
€. BAILLET,.
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TENIA, 105
Elles ne portent encore aucune trace de scolex, et l’on ne saurait
au juste prévoir le point où celui-ci devra se former. Leur meni-
brane, considérablement grossie, est finement granuleuse, et
chez quelques-unes que j’examine dès que l’agnelle est ouverte,
je puis constater des contractions et de légères modifications dans
la forme. Les plus grosses d’entre elles, qui ont été trouvées en
grand nombre, surtout dans le foie ou dans le sang épanché
dans le péritoine, sont longues de 2 millimètres à 3°”,50, et
larges de 41°°,20 à 1°°,40. D'autres n’ont guère plus de 1°",50
de longueur. Enfin, les plus petites n’ont pas plus de 0"”,35 à
0"*,60 dans leur grande longueur.
Avant de m'arrêter sur les conséquences qui me paraissent
découler des symptômes et des lésions observés chez l'animal dont
je viens de retracer l’histoire, je crois devoir rapporter les quatre
autres expériences qui ont donné des résultats beaucoup moins
saillants, mais qui cependant ne sont pas dépourvus d'intérêt.
AGNEaU N° 2. — Un agneau du même âge que la bête dont nous
venons de parler a reçu, en huit fois, du 26 avril au 16 mai 1860,
jusqu’à cent seize anneaux rendus par la chienne Zémire, tous
semblables, d’ailleurs, à ceux utilisés dans la précédente expérience.
Cet animal n’a jamais manifesté la moindre tristesse, et l’examen
le plus minutieux, fréquemment renouvelé, n’a jamais fait décou-
vrir en lui aucun symptôme de maladie. Le 5 juin, on l’a sacrifié,
et à l’autopsie , faite immédiatement après la mort, on a constaté
les lésions suivantes :
Le rumen porte dans l’épaisseur de sa paroi inférieureune tumeur
du volume d’un œuf de poule, dure, résistante, creusée à l'intérieur
d’une cavité anfractueuse, remplie elle-même d’un pus épais et
comme caséeux. Il existe, disséminés dans le péritoine, dix-neuf
Cysticerques de différentes grosseurs. Les plus forts ont leur vési-
eule longue de 20 à 25 millimètres et large de 10 à 12 millimètres.
Cetté vésicule est un peu conique, obtuse en arrière. A l’extrémité
opposée se trouve le scolex qui fait saillie de 2 millimètres environ.
Chez d’autres, les vésicules sont un peu plus petites, mais de même
forme. Chez tous, la tête du scolex, qui est invaginée, est parfaite-
106 €. BAILLET.
ment formée, munie de ses quatre ventouses, de sa trompe et de
sa double couronne de érochets, où l’on retrouve, d’ailleurs, tous
les caractères de dimensions et de formes que j'ai signalés en 1858,
comme élant propres au Cyslicercus tenuicollis. Tous ces Vers
s’agitent encore au moment de l’autopsie, et quatre d’entre eux,
choisis parmi les plus gros, sont immédiatement administrés à un
jeune chien.
Le foie porte à son bord inférieur un kyste qui est à peu près
du volume d’une grosse fève. Ce kyste, dont les parois sont très
épaisses et très résistantes, renferme dans son intérieur un Cysti-
cerque moitié moins gros que ceux signalés plus haut. La tête de
ce dernier Ver est cependant complétement organisée comme celle
des autres.
La surface du foie est parsemée de quelques taches d’un blanc
jaunâtre, de forme irrégulière, et de dimensions variables. Les
plus petites ont environ 1 ou 2 millimètres de diamètre. Si on
les incise, on pénètre dans une pelite cavité circonscrite par des
parois propres, et dans lintérieur de laquelle se trouve une
matière pulpeuse, molle tout à la fois, onctueuse et granu-
leuse au toucher, qui fait légèrement effervescence par les
acides, mais sans se dissoudre entièrement. Quelques taches
un peu plus étendues correspondent à des cavités un peu plus
grandes et contenant la même matière. D'autres, qui ont jusqu’à
2 ou 5 centimètres de longueur, sont formées par le rappro-
chement d’un certain nombre de petites cavités semblables à
celles que je viens de décrire. En faisant des coupes dans l’épais-
seur du foie, on reconnaît que des dépôts, semblables à ceux
que nous yenons de signaler, se sont formés dans la profondeur
de cette glande. La plupart sont sous forme de points peu éten-
dus; d’autres sont sous forme de longues trainées sinueuses et
étroites; et les petites cavités qui constituent les unes et les
autres sont remplies de cette manière pulpeuse que nous avons
signalée plus haut.
Les autres organes contenus dans la cavité abdominale sont sains.
I n'existe aucune lésion appréciable, ni dans le crâne, ni dans la
cavité thoracique.
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERGUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 107
AGneau N° 3. — Ce troisième agneau à beaucoup mieux résisté
que les deux animaux dont nous venons de parler, à l’introduc-
tion des parasites dans son économie. En effet, après avoir reçu,
le 5et le 21 mai, huit anneaux recueillis au milieu de matières
fécales de la chienne Zémire, il a été sacrifié le 27 juin. A l’autop-
sie, on n’a pu voir dans le péritoine qu'un seul Cysticercus terui-
collis. En outre, le foie était entièrement sain, et le cerveau, ainsi
que les autres organes, ne présentait non plus aucune altération
pathologique.
Agneau n° 1. —De même que les trois sujets qui précèdent, ce
quatrième agneau a dégluti des anneaux de Ténia rendus par la
chienne Zémire. Ces anneaux, au nombre de onze, ont été admi-
nistrés , le premier à la date du 28 avril, et les dix autres, qui
d'ailleurs ne renfermaient que peu d'œufs mürs, à la date du 16 mai.
Pendant sa vie, l'animal n’a laissé voir aucun symptôme particulier.
On l’a sacrifié le 2 août, et l’on à trouvé dans le péritoine seulement
huit Cysticercus tenuicollis dont les scolex étaient pourvus de cro-
chets parfaitement formés et dont les ampoules étaient manifeste-
ment plus grosses que celles recueillies chez l'agneau sacrifié le
5 juin, Le foie offrait, d’ailleurs, à sa surface et dans sa profondeur,
quelques taches blanchâtres semblables à celles observées chez
l'agneau n° 2, mais beaucoup moins nombreuses.
AGnEau N° 5. — Treize anneaux rendus par la chienne Zémire
ont été administrés en trois fois, le 28 avril, le 7 mai et le 21 mai,
au dernier agneau dont il nous reste à parler. Cet animal, qui n’a
été sacrifié que le 14 janvier 1861, a conservé toutes les appa-
rences d’une santé excellente jusqu’au moment de sa mort. A
l'autopsie, on a rencontré dans le péritoine, particulièrement entre
les lames de l’épiploon, sur le foie et au voisinage du rectum,
trente Cysticercus tenuicollis. Un autre Cystique de même espèce
a élé trouvé dans le thorax, adhérent au bord postérieur du pou-
mon droit. Tous ces Vers étaient enkystés. Leurs vésicules étaient
de la grosseur d'une noix, et leurs scolex, plus gros que ceux
recueillis dans les expériences précédentes, élaient tous pourvus
108 C. BAILLET.
d’une double couronne de 32 à 36 crochets, présentant dans leurs
formes et dans leurs dimensions tous les caractères que nous avons
indiqués pour les Cystiques de cette espèce, dans le travail que
nous avons publié en 1858.
Le foie offrait, en outre, à sa surface, des taches blanchâtres,
disséminées : les unes allongées,ilongues d’un centimètre environ ;
les autres, arrondies et plus petites. Les premières avaient l'aspect
de véritables cicatrices, et au-dessous de leur tissu légèrement
épaissi, on rencontrait la substance du foie parfaitement saine. Les
autres correspondaient le plus souvent à de petites cavités du
diamètre d'un pois où même d’un diamètre moins considérable.
Toutes ces cavités étaient remplies d’une matière pulpeuse, granu-
leuse au toucher, et présentant parfois une dureté presque pier-
reuse. Enfin, dans son épaisseur, le foie laissait voir aussi de sem-
blables dépôts. Ajoutons, d’ailleurs, que les cicatrices et les dépôts
dont nous venons de parler n'étaient pas très nombreux.
Quant aux autres organes, bien qu'ils aient été examinés avec
le plus grand soin, on n’a pu constater en eux la moindre trace
d’altération.
La multiplicité des vésicules qui dans la première expérience ont
été rencontrées dans différents points de la poitrine et de l’abdo-
men; le développement encore peu considérable de ees vésicules;
leur apparition rapide peu de jours après la première administra-
tion des anneaux du Tœnia Cysticerci tenuicollis, ne permettent de
conserver aucun doute sur leur origine. Il est évident qu’elles
dérivent des œufs contenus dans les anneaux de Ténia administrés
à l'animal, et que les désordres ‘graves qui ont entrainé la mort
du sujet mis en expérience ont été produits par les efforts tentés
par les proscolex, pour accomplir l’une de leurs migrations et
arriver au sein des organes où existent les conditions favorables à
leur développement ultérieur. En présence de ce résultat si remar-
quable, il est permis de s'étonner que l’on n'ait rencontré qu’un
nombre si restreint de Cysticerques dans le péritoine des quatre
derniers sujets soumis à la même expérience. Cette différence dans
les effets produits sur des animaux du même âge ne peut s’expli-
quer que par ce fait déjà bien souvent constaté, que dans une
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 109
espèce déterminée les animaux opposent à l'introduction des Hel-
minthes dans l’économie une résistance variable, au point que
chez quelques-uns, tous les œufs administrés peuvent éclore et
produire des Vers, tandis que chez les autres c’est à peine si quel-
ques œufs parviennent à se trouver dans les conditions favorables
à leur éclosion et à la conservation de la vie chez l'embryon. I]
y a là quelque chose d’occulte que l'on ne saurait expliquer d’une
manière satisfaisante, mais dont il faut tenir compte avec le plus
grand soin dans toutes les expériences qui ont pour objet d'étudier
les phénomènes de la reproduction chez les Vers parasites. Quoi
qu'il en soit, il est certain que, pour démontrer la transformation
des œufs du Ténia administrés en Cysticerques, on ne saurait s’ap-
puyer sur les résultats donnés par les autopsies des agneaux por-
tant les n° 5 et 4; car le Cysticercus lenuicollis est commun
chez les bêtes ovines, et il n’est pas absolument rare d'en rencon-
trer jusqu'à huit ou dix dans le péritoine d'un seul animal. Mais
en constatant ce fait, nous ne devons pas manquer de faire obser-
ver que chez les moutons entretenus dans de bonnes conditions
hygiéniques, comme l’étaient celles où se trouvaient les animaux
sur lesquels nous avons expérimenté, le nombre des Cysticercus
tenuicollis est toujours très restreint (D). Ceci nous amène naturel-
(1) En consultant mes notes, je vois que dans les autopsies assez nombreuses
de chèvres et de moutons que j'ai faites depuis plusieurs années, il ne m'est
jamais arrivé de rencontrer plus de sept Custicercus tenuicollis dans le péritoine.
Deux agneaux seulement font exception : ce sont ceux dont j'ai tracé l'histoire
dans le travail que j'ai publié en 4855 (Journal des vétérinaires du Midi, 2° série,
t. IX, p. 97). Chez ces animaux, on a trouvé à l’autopsie, « dans le péritoine,
» à la surface du foie et dans le poumon, de nombreux Cysticerques de l'espèce
» Cysticercus tenuicollis. » Mais ces agneaux avaient pris, l'un quatre-vingt-dix-
huit jours et l’autre cent seize jours avant d’être sacrifiés, des anneaux d'un
Ténia rendus par un chien, et dont l'espèce n'avait pas été déterminée. Or,
comme le Tænia Cysticerci tenuicollis existe parfois dans l'intestin du chien, il
n'est pas impossible que les anneaux administrés aient élé de cette espèce, et
que leurs embryons, en se développant au sein du péritoine et des autres orga-
nes, y aient fait naître les Cysticercus tenuicollis trouvés à l’autopsie. Je ne pense
donc point que ce fait particulier puisse infirmer en rien les assertions que j'ai
avancées plus haut.
110 C. BAILLET..
lement à donner un peu plus d'importance aux résultats de la
seconde expérience dans laquelle vingt Cysticerques ont été pro-
duits, et surtout à ceux de la cinquième expérience, où l'on à pu
recueillir dans les séreuses jusqu’à trente et un Cysticerques. Nous
n'hésitons pas à reconnaître cependant que, si ces deux expériences
ont quelque valeur pour aider à résoudre les questions relatives à
la détermination spécifique du Cysticercus tenuicollis et de son
Ténia, c’est seulenent lorsqu'on les rapproche du fait observé chez
l'agneau n° 1. Si, en effet, on les laissait isolées, elles seraient
bien loin de suffire pour lever les doutes de ceux qui n’acceptent
point encore entièrement les théories nouvelles sur la reproduction
des Cestoïdes. Ce sera done presque exclusivement sur notre pre-
mière expérience que nous nous appuierons dans les quelques con-
sidéralions qu’il nous reste à ajouter à notre (ravail.
Dans le compte rendu que nous avons publié en 1858, nous avons
essayé de démontrer que le Cænurus cerebralis,le Cysticercus pisi-
formis ct le Cysticercus tenuicollis sont les scolex de trois espèces
parfaitement distinctes. Les expériences que nous venons de rap-
porter donnent une nouvelle force à notre assertion. Si, en effet, le
Tœnia Cysticerci tenuicollis, par exemple, était de la même espèce
que leT'ænia serrala et le Tœænia cœnurus, les œufs de ce Ténia que
nous avons administrés dans notre première expérience auraient
dù provoquer tout à la fois la production de Cysticerques dans le
péritoine et la production de Cœnures dans le crâne. Or, comme
nous l'avons dit, les centres nerveux étaient parfaitement sains et
ne laissaient voir aucune trace du passage des proscolex. Le foie,
au contraire, était littéralement criblé de Cystiques en voie de migra-
tion. S'il en a élé ainsi, c'est que les œufs du Tænia Cysticerci
lenuicollis ne peuvent engendrer què des C'ysticerques, et que, par
conséquent, le Ver qui les produit ne saurait étre de la même
espèce que celui qui donne naïssance au Cœnure cérébral.
Les nombreuses vésicules qui existaient dans le foie de l’animal
consacré à la première expérience, ainsi que les traces particulières
observées dans le foie des agneaux n° 2, 4 et 5, démontrent
clairement que, pour arriver dans le péritoine, les proscolex du
Tœnia Cysticerci tenuicollis traversent, pour la plupart, l’organe
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. At
sécréteur de la bile. Par quelle voie ces animaux microscopiques
pénètrent-ils dans cette glande? On peut présumer que ce n’est
point par les canaux biliaires, car dans ces canaux on n’a point
trouvé de vésicules. Je ne sais si je me fais illusion, mus il me
semble que les lésions rencontrées à l’autopsie du premier agneau
indiquent que c’est par les vaisseaux et à la faveur du cours du
sang que les Vers’arrivent dans le foie. Il est assez probable qu'a-
près être sortis de l’œuf, les proscolex s’introduisent dans la veine
porte par les racines de ce vaisseau, et sont ainsi portés jusqu’au
milieu du parenchyme de la glande, d’où ils doivent ensuite sortir
pour pénétrer dans le péritoine. La présence de quelques vésicules
au sein du tissu du poumon me paraît appuyer mon assertion ; car,
dans l'hypothèse que je viens d'émettre, on comprend facilement
que des embryons ont pu traverser le foie sans s’y arrêter, et que
de là ils ont pu être portés dans la veine cave par les veines sus-
hépatiques, puis dans le cœur, et en dernier lieu dans le poumon,
par l'artère pulmonaire. Mais je me hâte d'ajouter que ce n’est
là qu’une hypothèse qui a besoin, pour passer au rang des vérités
acquises à la science, d’être démontrée par des recherches directes.
Je m'abstiendrai done d'insister aujourd’hui davantage sur ce sujet.
Aussi bien aurai-je encore occasion de revenir sur le Cyshcercus
tenuicollis, qui, par eéela même qu'il vit chez plusieurs de nos
espèces domestiques, offre pour les vétérinaires et pour les zoolo-
gistes un intérêt tout particulier.
NOTE SUR LE SYSTÈME NERVEUX
BT PARTICULIÈREMENT
SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DU MARSOUIN,
(DELPHINUS PHOCÆNA).
Par M. BAZIN,
Professeur à la Faculté des sciences de Bordeaux.
(Extrait.)
Le système nerveux ganglionnaire des Cétacés n'avait pas en-
core été éludié, et les recherches que M. Bazin vient de publier
à ce sujet dans les Mémoires de la Société des sciences physiques
et naturelles de Bordeaux rempliront cette lacune en ce qui con-
cerne la portion antérieure de ce système; mais l’auteur n’a pas
élendu ses observations à la portion abdominale de cet appareil
ganglionnaire. Il résume son travail de la manière suivante :
4° Le Marsouin n’a ni lobes ni nerfs olfactifs, ce que l’on sait
depuis longtemps.
2° Le rameau nasal est très développé et se distribue à la mem-
brane muqueuse des évents.
8° Les connexions du ganglion ophthalmique sont les mêmes
que dans les autres Mammifères.
h° Les, connexions connues dans les Mammifères entre la
deuxième branche de la cinquième paire et le nerf facial, entre ce
dernier, le nerf auditif, le glosso-pharyngien et le ganglion cer-
vical supérieur, existent dans le Marsouin.
5° Le nerf accessoire naît du faisceau postérieur de la moelle
épinière par de nombreuses racines très rapprochées les unes des
autres, comme dans les Oiseaux.
6° Le pneumogasirique fournit de nombreux filets nerveux
aux tissus contractiles et à la membrane muqueuse des bronches;
les artères et les veines reçoivent anssi de nombreux filets ner
veux du pneumogastrique.
7° Le Marsouin n’a que deux ganglions pour la région cervi-
cale ; 1ls sont moins volumineux que dans l’homme.
8 La région thoracique n’a que six ganglions, ou sept, en
comptant pour deux le septième qui est bilobé. Ils sont aussi volu-
mineux que dans l’homme et les autres Mammifères.
RECHERCHES D'EMBRYOLOGIE COMPARÉE
SUR LE DÉVELOPPEMENT
DE LA TRUITE, DU LÉZARD ET DU LIMNÉE,
Par M. LEREBOULLET,
Professeur à la Faculté des sciences de Strasbourg.
(Mémoire qui a obtenu le grand prix des sciences physiques décerné par l’Académie des
sciences, dans la séance publique du 2 février 1857.)
« La philosophie, dans les sciences d'observation, est
l'ensemble des formules ou des principes qui résument les
faits. » SERRES, Organogénie, t. II, p. 15.
AVANT-PROPOS.
L'Académie des sciences, dans sa séance du 30 janvier 1854,
a remis pour la troisième fois au concours l’importante question
du développement comparatif des animaux :
« Établir, par l'étude du développement de l'embryon dans
» deux espèces prises, l’une dans l’embranchement des V'erlébrés,
» et l’autre soit dans l'embranchement des Mollusques, soit dans
» celui des Articulés, des bases pour l’embryologie comparée. »
« Le grand objet, ajoute le programme, que, par le choix de
celte question, l’Académie propose aux efforis des naturalistes et
des anatomistes, est la détermination posilive de ce qu'il peut y
avoir de semblable ou de dissemblable dans le développement
comparé des Vertébrés et des Invertébrés. »
Telle est la question difficile posée par l’Académie, question de
faits et question d'appréciation.
Les faits, suivant nous, doivent précéder les doctrines ; celles-ci
ne peuvent être solides et durables qu'autant qu'elles reposent sur
l'observation exacte des faits et sur leur appréciation loyique.
C’est celle vérité, exprimée par un esprit éminemment philoso-
4° série, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 2.) # 8
114 LEREBOULLET .
phique, que nous avons choisie pour épigraphe, et que nous avons
inscrite en tête de notre travail.
Cette vérité est surlout importante en embryologie comparée,
science encore jeune, née d'hier pour ainsi dire, et hérissée de
difficultés soit pour la constatation des faits, soit pour leur juste
appréciation.
C'est par l’étude minutieuse des détails observés dans chaque
espèce zoologique qu’on arrivera un jour à pouvoir comparer
entre eux les faits qu'on aura recueillis.
Nous partageons entièrement, sous ce rapport, l’avis d’un excel-
lent observateur, M. Vogt, qui s'exprime ainsi dans la préface de
son Embryologie des Salmones : « Pour établir l'embryologie sur
des bases solides, iln°y a, selon moi, qu’une manière de procéder :
c'est de remonter, comme on l’a fait pour l'anatomie comparée,
du simple au composé, et de ne déduire des règles générales
qu'autant que l'on a acquis une connaissance spéciale des diffé-
rents types. » (P. 1v.)
Dans un précédent travail, j'avais étadié deux espèces de Pois-
sons osseux, la Perehe et le Brochet, comme types des Vertébrés,
et l’Écrevisse de rivière comme type d'animal articulé.
Dans le présent mémoire, j'ai choisi pour sujets d'étude la
Truite comme Vertébré anallantoïdien, le Lézard comme Vertébré
allantoïdien, et le Limnée des étangs comme type de Mollusque.
J'ai donc pu me procurer, par l'observation, un nombre assez
considérable de matériaux dont je me suis servi pour étudier la
question du développement comparatif de ces animaux.
Seulement j'ai rencontré dans l'étude de la Truite et dans celle
du Lézard des obstacles matériels tenant à la nature de leurs œufs,
obstacles qui m'ont empêché de pénétrer dans tous les détails de
leur composition aux diverses époques de leur développement. II
n’en a pas été de même du Limnée; j'ai pu étudier minutieuse-
ment toutes les phases du développement de ce Mollusque, et je
crois être arrivé à constater, dans son embryologie, un certain
nombre de faits nouveaux.
J'ai cru devoir denner un soin tout particulier à la comparaison
des résultats obtenus, c’est-à-dire à l'étude des ressemblances et
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 445
des différences. Pour rendre plus facile leur appréciation, j'ai
donné à la fin de chaque chapitre, dans les trois monographies
que j'ai traitées, un résumé des principaux faits contenus dans ce
chapitre.
Dans la quatrième partie de mon travail, qui traite de la déter-
mination des ressemblances et des différences entre le développe-
ment des Vertébrés et celui des Invertébrés, j'ai comparé succes-
sivement entre eux, sous le rapport de leur développement, les
divers animaux qui font l'objet de mes monographies particulières ;
puis, dans un dernier chapitre, j'ai cherché à apprécier la valeur
des ressemblances, et surtout celle des différences que j'ai eu à
constater, afin d'arriver à en faire ressortir les plus importantes.
BR crois avoir obtenu de cette manière, des résultats positifs ;
puisse cette conviction passer dans l'esprit de mes lecteurs.
PREMIÈRE PARTIE.
EMBRYOLOGIE DE LA TRUITE COMMUNE.
(Salar Ausoniü, VAL. Salmo fario L. BL.)
CHAPITRE I.
De l'œuf avant la fécondation.
Les ovaires de la Truite sont deux longs sacs qui occupent toute
l'étendue de la cavité viscérale. Les œufs sont enchâssés dans les
parois de ces sacs ; ils grossissent peu à peu, toujours coiffés par
la membrane ovarienne recouverte intérieurement de son épithé-
lium; puis, quand ils sont arrivés à maturité, ils se détachent de
Vovaire, tombent dans la cavité abdominale, et ne tardent pas à
être pondus pour recevoir l’action fécondante de la liqueur sé-
minale.
J'ai étudié la composition des œufs ovariens et celle des œufs
mürs détachés de l'ovaire, et tombés dans la cavité abdominale.
On sait que les parois des sacs ovariens renferment toujours
4116 LEREBOULLET.
une mulütude de jeunes ovules, de dimensions très diverses, des-
tinés à mürir et à être fécondés l’année suivante. Les plus petits
ovules que j'aie pu découvrir mesuraient 0"",05.
Ces très petits ovules se composaient : 1° d’une enveloppe
amorphe membraneuse très mince, et 2° d’une vésicule germina-
tive, quelquefois très grosse, relativement au volume de l’ovule.
Dans celui dont je viens de parler, par exemple, qui avait un dia-
mètre de 0"",05, la vésicule mesurait 0"",04.
Cependant cetle grosseur proportionnelle de Ia vésicule ne se
voit pas longtemps, car, dans la plupart des petits ovules dont j'ai
mesuré les parties, elle avait moins de développement. Voici quel-
ques-unes de ces mesures :
Ovule Vésicule germinative.
mm mm
ET. ., 0,06
DRE NE pe. HU 0,06
DATRueue amet, 0,07
OR dl à 0,09
0,58. yray<q dd a u0 413
Dans la plupart des petits ovules, la vésicule germinative est
excentrique; elle est toujours plus ou moins rapprochée de la paroi
de l’enveloppe, quelquefois collée contre cette paroi; ce n’est que
dans les ovules un peu plus gros que la vésicule est centrale.
Ce fait semblerait montrer que la vésicule naît contre les parois
de la cellule ; cependant il pourrait aussi s’interpréter par le déve-
loppement de la cellule autour de la vésicule primitivement for-
mée. Seulement, dans cette dernière supposilion, on ne comprend
pas pourquoi la cellule ne se développe pas concentriquement avec
la vésicule. Il semble naturel d'admettre que la force qui déter-
mine la condensation de la matière organique autour d’un noyau
primitif, doit être la même sur toute la périphérie de ce noyau,
d'où il suit que l’enveloppe devrait toujours, dès le principe, se
trouver à égale distance de la vésicule, ce qui n’a pas lieu.
Les petits ovules dont nous parlons sont toujours recouverts par
l’épithélium ovarien qui semble faire corps avec eux. Cet épithé-
lium est quelquefois composé de très grosses cellules qui masquent
le contenu de l’ovule. (PI. 2, fig. 4.)
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 117
L'accroissement des ovules se fait d'une manière simultanée,
mais inégale, dans ses parties constituantes. La vésicule se déve-
loppe moins rapidemeut que l’ovule lui-même.
L'augmentation de volume de la vésicule germinative est un fait
mis aujourd'hui hors de toute contestation par des observations
nombreuses. Il suffit, pour s’en assurer, de mesurer les parties
conslituantes de quelques œufs à divers degrés de développement.
Le contenu des ovules primitifs est d'abord une matière gra-
Mieuse pale, à peine distincte, mais qu’on rend plus apparente
pa la coagulation, à l’aide d'un peu d’eau acidulée.
uand l’ovule grossit, et dès qu'il a dépassé 0"",4, on voit se
lorner autour de la vésicule germinative une couronne de petits
corp&cules sphériques, réfractant fortement la lumière, mais
tanSprents à leur centre, ce qui indique leur nature vésiculeuse.
Ces pets corps sont des vésicules graisseuses qui commencent à
se forme (fig. 2). Leur présence donne aux ovules une couleur
sombre. à couronne s’élargit rapidement en s'étendant vers la
périphérie l'œuf, et bientôt celui-ci est rendu presque opaque
par l’acCumlation de ces éléments graisseux.
Le conter de la vésicule germinative a un caractère particu-
lier ; il consie dans de petits corpuscules sphériques, brillants,
que l’on connä sous le nom assez vague de taches germinatives.
Ces taches sont &s petites, quelquefois à peine perceptibles dans
les très petits Giles ; mais, à mesure qu’elles grossissent, elles
deviennent plus SlJantes, et remplissent la vésicule.
Les ovules donte viens de donner la description se rencon-
trent pendant toutéannée dans les ovaires de la Truite, aussi
bien avant qu'après :ponte.
C'est vers la fin & septembre ou dans les premiers jours
d'octobre que les ŒufS 5rochent de la maturité, dans les Truites
des Vosges et de la foriNoire, Les deux ovaires sont alors tur-
gescents, et occupent l'abmen dans toute sa longueur. Les œufs,
d'un beau jaune or ang ${ régulièrement serrés les uns contre
les autres, et entourés étrOsnent par les parois de l'ovaire qui
forment une capsule autour chacun d’eux. Leur diamètre est
ordinairement alors de à Millüires.
118 LEREBOULLET.
Vus par transparence, à un faible grossissement, ces œufs
paraissent uniformément remplis de gouttes d'huile de diverse
grosseur (fig. 3). Les plus grosses mesurent 0"",16, et les plus
petites de 0"*,04 à 0,02. Il ne m'a pas été possible de découvrir
de vésicule germinative dans ces gros œufs, soit en employant
une compression graduelle, soit en vidant l'œuf, et en examinant
attentivement son contenu. Mais j'apercevais ordinairement, vers
le centre de l'œuf, une tache foncée de forme irrégulière, qui mA
semblé, malgré sa position centrale, être formée par les débis
de la vésicule.
En piquant l’œuf, on voyait s’échapper, avec les gouttes d’hile,
des grumeaux opaques formés par une agglomération d’élénents
très petits.
Ayant coagulé ces œufs, je les examinai au soleil par la Jmière
directe, et je vis constamment, dans chacun d'eux, uneou plu-
sieurs petites taches blanches couleur de lait, opaques dont la
einte mate tranchait fortement sur la couleur jaunâtredu reste
de l’œuf. :
J'examinai avec soin plusieurs de ces taches blanchitres.
Quand il n’en existe qu'une dans un œuf, elle St arrondie,
aplatie, et elle forme un disque plissé, comme chiffhné, et rem-
pli de granules. Ce corps arrondi et aplati, rataté, n’est autre
chose que la vésicule germinative qui s’est vidé et dont il ne
reste plus que l'enveloppe avec quelques granul0nS encore con-
tenues dans sa cavité. L'une de ces vésicules viës se lrouvait près
de la surface de l’œuf; elle avait 0"",49 de amètre. La mem-
brane chiffonnée qui la composait était forméde granules micro-
scopiques d’une extrême pelitesse, cohénts, serrés les uns
contre les autres, et constituant, par cet aangement, une mem -
brane granuleuse et non une simple pellile-
J'ai répété un grand nombre de fois 1s1ême observation, tou-
jours après avoir coagulé l’œuf. Quet il n’y avait qu'un seul
corps blanchâtre, il était régulièreme discoïde et rapproché de
la surface de l'œuf, Lorsqu’au contre il existait plusieurs taches,
ce que j'ai vu rarement, elles était irrégulières et dispersées.
L'œuf lui-même n’était compe due de gouttes d'huile en
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 119
grande quantité, et d’un liquide albumineux particulier qui a la
propriété de se coaguler immédiatement dans l’eau et de troubler
ce liquide.
Un mois plus tard, vers la fin d’ociobre ou au commencement
de novembre, les œufs commencent à se détacher de l'ovaire. Ils
ont encore un peu grossi; leur diamètre approche de 4 milli-
mètres.
Ces œufs mûrs ou presque mûrs ont aussi, comme les précé-
dents, leur vésicule germinative vidée et ratatinée ; cette vésicule
e trouve tout à fait à la surface.
J'ai examiné, après les avoir coagulés, dix œufs d’une même
Tuite. Dans tous les dix, j'ai trouvé à la surface un petit disque
blac très apparent, visible à travers le cliorion, sur les œufs
Cotulés, et qu’on pouvait détacher facilement avec des aiguilles.
Ce sque mesure, en général, 06"",60. En le déchirant avee des
aiguies, on voit qu'il constitue un véritable sac vide, aplati,
chiffoné; cependant il contient encore, assez souvent, des amas
de Conuscules celluliformes, granuleux, dont le diamètre varie
de 0°",05 à 0"",16, et dont quelques-uns sont nucléés.
Dans ne de ces vésicules germinatives qui mesurait 0"",65,
les corpusules celluliformes étaient réunis à son centre en assez
grand notre; d’autres corpuscules, beaucoup plus petits ét d’un
aspect brilht, se trouvaient dispersés dans l'intérieur de la vési-
cule ; dés CO: amoncelés au centre avaient les caractères de véri-
tables cellule: f]s étaient sphériques, un peu aplatis, remplis de
granulés brilkts; quelques-uns d’entre eux avaient un noyau
transparent. (FE. h.)
Ces cellules nsuraient jusqu'à 0°",046, tandis que les petites
vésicules dispersé n'avaient que 0**,003 à 0°°,005.
Le contenu des 4fs mûrs détachés de l’ovaire se composait,
comme les précédes, de gouttes d'huile de toutes les dimensions
dispersées dans toultétendue de l'œuf, et d'un liquide très vis-
queux qui se coagulet se solidifie en quelque sorte immédiate-
ment dans l’eau.
Je piquai plusieurs @, et j'en examinai le contenu avec toute
l'attention possible, à nure qu'il s'écoulait, et sans y ajouter
420 LEREBOULLET,.
aucun menstrue., Je n'ai trouvé dans la substance de l’œuf aucun
corps particulier, si ce n’est de petites sphères faiblement rosées,
distinctes des globules graisseux par leur couleur et par leur
contour moins ombré. Au milieu du liquide qui s’échappait de
l'œuf, on voyait flotter çà et là quelques lambeaux jaunâtres com-
posés de vésicules brillantes et provenant des débris de la vésicule
germinative. Dans les œufs coagulés, ces débris apparaissaient
comme de pelites taches blanches de la même nuance que la vési-
cule germinative, et qui tranchaient distinctement sur la couleur
opaline de la substance vitelline coagulée.
Depuis le moment où ils passent dans la cavité abdominale jus:
qu’à l’époque à laquelle ils sont pondus, les œufs subissent trs
peu de changements.
Si l’on pique un de ces œufs entièrement murs et propres à ére
fécondés, et qu'on en examine le contenu à mesure qu’il s’éoule
sur la plaque de verre, on trouve : 1° de nombreuses goutts de
graisse de toutes les dimensions ; 2° un certain nombre de etites
vésicules rosées (les globules vitellins); et 3° quelques rares
flocons jaunâtres composés de vésicules élémentaires agglmérées
et cohérentes.
Vus coagulés, ces mêmes œufs n'offrent pas à l’urde leurs
pôles la tache jaune opaque qui est si apparente danles œufs
mürs du Brochet. Seulement les globules huileux sesont accu-
mulés en plus grande quantité vers un des pôles deœuf, ce qui
donne une teinte jaunâtre à celte région.
Si l’on réduit en parcelles l'œuf solidifié par la Agulation, on
rencontre çà et là, au milieu de ces fragments, r petites taches
opaques et ternes. Ces taches sont dues à la préser d'une matière
finement granuleuse, au milieu de laquelle se vent quelques gra-
oules plus gros et brillants. Il n’existe plus au trace de vési-
cule germinative, mais la grande analogie dSpect et de com-
position entre les flocons dont je viens dearler et la vésicule
elle-même, me fait croire que les flocons entléstion proviennent
de cette dernière.
Au moment de la ponte, l'enveloppe 6 @ufs ou chorion est
mince, très molle, et elle n’offre pas enc? la résistance et l’élas-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. AZ4
ticité qu'elle acquiert au bout de quelque temps de séjour dans
l’eau.
La structure de cette coque est en rapport avec la fonction
qu'elle est appelée à remplir, celle de faciliter l'absorption de l’eau
et le passage des gaz nécessaires à la respiration de l'œuf, et plus
tard à celle de l'embryon. En effet, elle est percée de part en part
d’une infinité de petits tubes excessivement fins, droits, parallèles
les uns aux autres, et qui donnent un aspect strié aux coupes pra-
tiquées suivant l’épaisseur de cette membrane.
Ces tubes n'ont pas plus de 1/700° de millimètre, ou 0°",0044
d'épaisseur. Leur présence donne à la surface du chorion, quand
on l’examine sous un fort grossissement, un aspect finement
ponctué. )
Résumé du premier chapitre.
1. L'ovule primitif de la Truite est composé de deux sphères
emboîtées : la sphère vitelline et la vésicule germinative.
2. Dans l’origine, la vésicule germinative remplit, pour ainsi
dire, la sphère ou vésicule vitelline, ce qui peut faire penser que
c'est la vésicule germinative qui est la première formée dans
l'ovaire.
3. La vésicule germinative grossit progressivement en même
temps que la sphère vitelline ; mais l'accroissement de cette der-
nière est plus rapide, et bientôt elle l'emporte de beaucoup en
volume.
k. Dès leur apparition, les deux sphères sont le siége d’un tra
vail qui a pour résultat la production d’une substance particulière,
différente dans chacune des deux sphères.
5. Le contenu de la sphère vitelline est d’abord une matière
liquide, homogène, tenant en suspension une substance finement
granuleuse : puis une matière graisseuse qui se dépose sous forme
de petites vésicules autour de la vésicule germinative, et ne tarde
pas à remplir l’ovule.
6. Le contenu de la sphère germinative consiste dans des cor-
192 LEREBOULLET.
puseules brillants, vésiculeux, qui grossissent et se multiplient au
point de remplir cette sphère.
7. Pendant toute la durée de son évolution dans l'ovaire, l’ovule
est entouré d’une capsule ovarienne propre, recouverte intérieu-
rement d’une couche d’épithélium vésiculeux.
8. L’accroissement de l'œuf produit des résultats différents sur
le contenu des deux sphères. La sphère vitelline multiplie ses élé-
ments graisseux, et le liquide, au milieu duquel flottent ces der-
niers, acquiert la propriété de troubler l’eau en se coagulant immé-
diatement dans celle-ci. La sphère germinative transforme ses
éléments vésiculeux en cellules, qui se remplissent d’une matière
granuleuse. Quand la sphère vitelline a atteint le terme de son
évolution, la vésicule germinative se déchire, et son contenu se
disperse au milieu des éléments du vitellus.
9. L’œuf mür se compose donc de deux groupes d'éléments
différents les uns des autres, mais d’abord mêlés et confondus :
1° les éléments de la sphère vitelline qui sont des globules grais-
seux, et le liquide dans lequel ils nagent ; 2° les éléments de la
vésicule germinalive qui sont des cellules et des granules vési-
culeux.
Ces derniers éléments constituent la substance plastique, orga-
nisable, du nouvel être; les éléments de la sphère vitelline en
constituent la substance nutritive.
10. Pendant la durée du développement de l'œuf, les éléments
solides dont il se compose tendent à se porter vers la périphérie,
et à se concentrer à l'un de ses pôles.
11. Quand la vésicule germinative a terminé le cycle de son
évolution, elle est vide, flasque, située à la surface de l'œuf, et ne
tarde pas à disparaître complétement.
12. Les éléments fournis par la vésicule germinative restent
quelque temps sous forme de cellules dispersées dans l'œuf ou
réunies en pelits amas. Ces cellules renferment des corpuscules
vésiculeux (les granules ou corpuscules plastiques) qui plus tard
deviennent libres, et se mêlent aux autres éléments de l’œuf.
13. Dans la Truite, les éléments plastiques produits par la
vésicule germinative et les éléments nutritifs fournis par la sphère
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1423
vitelline, restent mêlés et confondus jusqu’à l’époque de la fécon-
dation. Les œufs mûrs de ce poisson, même ceux qui vont être
pondus, n’offrent pas la tache jaune si apparente dans le Brochet,
et qui provient de la condensation des éléments plastiques.
A4. La coque, dans les œufs mûrs, est composée d’une quantité
innombrable de petits tubes qui s’ouvrent au dehors, et la rendent
très perméable à l’eau.
CHAPITRE IL.
Première période du développement de l'œuf, ou période préparatoire,
comprenant les changements qui surviennent dans l'œuf depuis la
fécondation jusqu’à la formation de l'embryon.
Les œufs qui viennent d’être fécondés différent peu, quant à
leur aspect, des œufs mürs non fécondés.
Is se gonflent par leur séjour dans l’eau et acquièrent, au bout
de vingt-quatre heures, un diamètre de 5 millimètres ; leur coque
devient dure et élastique; les gouttes d’huile s’amassent en plus
grande quantité vers un des pôles de l’œuf.
Si l’on ouvre un œuf sous le miéroscope, on voit s’en échapper,
avec le liquide vitellin et les gouttes huileuses, une grande quan-
tité de flocons jaunâtres demi-opaques. Ces flocons ont un aspect
granuleux (fig. 5); ils se composent d’un amas de granules
pulvérulents, au milieu desquels on remarque de très pelites
vésicules brillantes et des corps celluliformes sphériques, de
grandeur variable, remplis de granulations et munis d’un noyau
vésiculeux; ces corps celluleux ont en moyenne un diamètre de
0"",02. Cà et là on rencontre, au milieu de ces éléments, des glo-
bules à teinte mate, uniforme, grisäfre ou quelquelois faiblement
rosée.
En résumé, l’œuf fécondé, examiné frais, renferme :
4° Un liquide visqueux, abondant, qui se coagule immédiate-
ment dans l’eau ;
2° Des globules de graisse liquide, véritables gouttes d'huile
qui sont accumulées surtout vers un des pôles de l'œuf;
12/4 LEREBOULLET.
3° Une substance organisable, jaunâtre, amassée vers le même
pôle et composée :
a. D'une base finement granuleuse ;
b. De corpuscules brillants (corpuscules plastiques), disséminés
au milieu de la matière granuleuse précédente ;
c. De cellules granuleuses nucléées ;
d. De corps celluliformes, grisâtres ou rosés, non granu-
leux.
Ces deux derniers éléments sont probablement les globules
vitellins de l'œuf de la Truite; je n'ai jamais vu dans cet œuf les
globes vitellins qu’on rencontre dans le Brochet, dans la Perche
et dans d’autres poissons osseux.
Pour mieux apprécier les rapports des divers éléments que je
viens de faire connaître, il convient de coaguler l'œuf à l’aide
d’une eau faiblement acidulée.
Des œufs coagulés immédiatement après la fécondation offrent
la composition suivante :
Il existe à l’un des pôles de l’œuf une pellicule membraneuse,
amorphe, fenêtrée, c’est-à-dire offrant une multitude de trous que
remplissaient des vésicules graisseuses ; celles-ci s’échappent
pendant la préparation de la pièce.
Cette pellicule, qui entoure un tiers ou une moitié de l'œuf, a
pour base une substance granuleuse, amorphe, interposée entre
les gouttes d'huile et formant, avec ces dernières, le disque hui-
leux. L’acide coagule cette substance granuleuse, et les gouttes
d'huile, en s’échappant, laissent des vides aux endroits qu’elles
occupaient.
C’est cette pellicule qui constituera le feuillet organique (feuillet
muqueux) du germe embryonnaire. Au-dessus d’elle se trouve un
disque jaunâtre, aplati, peu épais, fortement adhérent à la pelli-
cule sous-jacente. C’est le disque embryonnaire, composé d’élé-
ments granuleux très fins et des granules brillants que j'ai
désignés sous le nom de corpusceules plastiques. Les éléments qui
composent ce disque germinateur sont très cohérents et difficiles
à désagréger,
Le reste de l'œuf est transparent; le vitellus ne renferme plus
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1925
que quelques flocons jaunâtres , coagulés, répandus çà et là en
petite quantité.
Pendant les quatre ou cinq premières heures qui suivent la
fécondation, le travail de condensation des éléments plastiques
vers le pôle de l'œuf continue, le disque germinateur s’épaissit et
acquiert plus de consistance; il devient aussi plus jaune. Le
vitellus, au contraire, augmente de transparence, et bientôt on ne
trouve plus au milieu du liquide dont il est composé, aucune trace
de la substance floconneuse qu’il renfermait auparavant.
Vers la sixième heure, le disque est assez cohérent pour
s'échapper en entier de l’œuf, quand on ouvre celui-ci sans le
coaguler. On voit alors qu'il est essentiellement composé de petits
granules vésiculeux, brillants, ou corpuscules plastiques.
Il résulte de ces observations que les premiers temps de l'évo-
lütion de l’œuf de la Truite, après la fécondation, sont caractérisés
par l’accumulation vers l’un de ses pôles, des éléments forma-
teurs qui se trouvaient auparavant dispersés dans le vitellus. Ces
éléments formateurs ont été fournis par la vésicule germinative,
véritable sphère génératrice qui prépare les premiers matériaux
dont le germe devra se composer. En même temps que les cor-
puscules plastiques se réunissent pour former le germe ou disque
embryonnaire, les gouttes d'huile s’amassent au-dessous de ce
dernier pour fournir les éléments nutritifs, et des granules parti-
culiers se réunissent en une membrane très mince qui deviendra
le point de départ de la formation des organes digestifs. Ainsi,
tout est préparé pour la constitution du nouvel être : le disque
embryonnaire, situé immédiatement au-dessous de la membrane
vitelline et composé d'éléments plastiques ; puis le disque muqueux
avec un amas de gouttes huileuses, placé sous le précédent et
formé surtout d'éléments nutritifs.
I est très difficile de suivre avec exactitude le fractionnement
vitellin sur l'œuf de la Truite, à cause de l’opacité de son enve-
loppe. On est obligé d’avoir recours à la coagulation, et alors le
germe est plus où moins déformé ou altéré dans sa structure par
l’action de l’eau acidulée.
Cette circonstance m’a empêché aussi de préciser l’époque
126 LEREBOULLET.
exacte à laquelle la segmentation commence. D'ailleurs, l’époque
des différentes phases du développement varie chez la Truite
comme chez les autres poissons , et probablement chez tous les
animaux à sang froid, suivant la température et d’autres in-
fluences extérieures, le degré de pureté de l’eau par exemple.
C'est vers la dixième heure que parait commencer la segmen-
tation par la division du germe en deux portions. La subdivision
de ces deux sphères en sphères plus petites et de plus en plus
nombreuses se passe rapidement, c’est-à-dire dans l’espace de
quelques heures. Ainsi, par exemple, les mêmes œufs qui avaient
quatre globes de segmentation à la dix-neuvième heure, en pré-
sentaient seize quatre heures plus tard.
La division du germe se fait, comme toujours, par des lignes
qui le partagent suivant des directions perpendiculaires les unes
aux autres. Lorsqu'il a été partagé en deux, la seconde ligne de
division se dispose perpendiculairement à la première pour con-
stituer la segmentation en quatre. Quelquefois la coque est assez
transparente pour qu'on puisse distinguer le germe à travers; on
voit alors les quatre lobes faire saillie au-dessus du vitellus, en
chevauchant plus ou moins l’un sur l’autre. Si l’on ouvre l'œuf
pour en faire sortir le germe, celui-ci s’aplatit aussitôt et il n’est
plus possible de reconnaitre les lobules de segmentation. Maïs en
ayant recours à la coagulation, on voit le germe divisé en quatre
parties par deux lignes en croix.
La division en huit a lieu par de nouvelles lignes qui partagent
les quatre premières sphères en deux; la pièce coagulée et dé-
formée par l’action de l'acide offre une figure étoilée par suite
de la régularité des lignes de division. Quand on ouvre un œuf
qui a été coagulé, le germe reste attaché à la face interne du
chorion, tandis qu’il se détache facilement du vitellus. La mem-
brane sous-jacente au germe, que nous appellerons désormais le
feuillet muqueux, accompagne toujours celui -ei auquel elle adhère
fortement; ce germe est loujours plat et très mince. Les éléments
des globes de segmentation sont les mêmes que ceux qui compo-
saient le germe avant le commencement du travail de fractionne-
ment. Ces éléments sont:
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 127
1° Une matière finement granuleuse, pulvérulente, dont les
granules sont fortement condensés et donnent au germe une teinte
jaunûtre ;
2° De très petites vésicules transparentes (les corpuscules plas-
tiques).
Il ne m'a pas été possible de constater la présence d’une grosse
vésieule transparente, située au centre de chaque sphère , sorte
de cytoblaste qui parait exister dans tous les globes de segmenta-
lion, et qui joue sans doute un rôle important dans le travail du
fractionnement. Il est à présumer que ces vésicules cyloblastiques
ont des parois très minces et qu’elles sont masquées par les gra-
nules, Cependant j'ai examiné beaucoup de germes soit frais, soit
coagulés, avec ou sans compression, sans rien voir qui ressemblât
à une vésicule centrale.
Examinés dans le liquide albumineux de l’œuf, dans lequel
ils restent translucides, les globes de segmentation ne laissent
apercevoir que les deux groupes d'éléments que je viens de signa-
ler : les granules pulvérulents et les vésicules plastiques. IL se
pourrait que les vésicules centrales ne fussent présentes qu’à une
certaine époque; nous verrons, en effet, dans le développement
du Limnée, qu’elles apparaissent et disparaissent successivement
à diverses époques du développement de l'œuf. Ces recherches
sur l'existence d’une vésicule cytoblastique au centre des globes
de segmentation m'ont permis de constater que ces derniers sont
privés d’une membrane propre. Aussitôt qu'on vide l'œuf, on
voit les globes se déformer sur leurs bords, comme une matière
diffluente ; souvent ils se rejoignent et se donné l’un dans l’autre
de manière à faire disparaitre toute trace de division. IL est évi-
dent que cette fusion des globes en une seule masse est incompa-
üible avec l'existence d’une enveloppe membraneuse particulière.
À la division du germe en huit sphères succède bientôt la divi-
sion en douze, puis en seize. Les sphères deviennent plus petites
ebmieux circonscrites; elles sont disposées les unes autour des
autres, de manière que leur ensemble affecte une forme 2lobu-
leuse (fig. 6). Le diamètre du germe pris en totalité n’a pas
changé ; il était primitivement d’un millimètre et il conserve cette
198 LEREBOULLET,
dimension pendant que son fractionnement à lieu; il suit de là
que les globes de segmentation deviennent, comme je viens de
le dire, plus petits à mesure qu'ils se multiplient; en effet, dans
un germe divisé en seize globes, chacun de ceux-ci ne mesurait
que 0*",20 ; dans d’autres germes, également divisés en seize,
chaque globe avait jusqu’à 0", 30 et 0°", 35.
Lorsque le fractionnement est arrivé à vingt-quatre ou trente
globes, j'ai pu constater que l’arrangement de ceux-ci forme une
sphère creuse. En coagulant le germe et en cherchant à le diviser
à l’aide d’une aiguille, on parvient assez facilement à s'assurer de
l'existence d’une petite cavité centrale, résultant de ce que les
globes tendent à se grouper vers la périphérie. Nous verrons bien-
tôt qu'à la fin du fractionnement le germe est transformé en une
véritable vésieule, fait dont nous avons aussi constaté l'existence
dans l'œuf du Brochet et dans celui de la Perche, et qui est pro-
bablement général dans les poissons osseux.
Le mécanisme suivant lequel le fractionnement continue, pa-
rait toujours être le même. Chacun des globes nouvellement
formé se partage, au bout de quelque temps, en deux hémisphères,
par une ligne droite qui le divise en totalité, puis les deux moi-
tiés S’arrondissent et chevauchent d’abord l’une sur l’autre, avant
de s’'isoler lout à fait. La composition des sphères reste aussi
toujours la même. Qu'on les examine fraîches ou coagulées,
c'est toujours la même substance granuleuse et comme pulvéru-
lente qui en forme la portion principale, et l'on trouve au
milieu de ces granules une quantité plus ou moins grande de
vésicules ou corpuscules plastiques, que l’on reconnaît à leur
aspect brillant.
Le fractionnement n'intéresse que le disque auquel nous avons
donné le nom de germe, c’est-à-dire le vitellus formateur. La
membrane sous-jacente au germe, pas plus que le vitellus nutritif,
ne prend aucune part à ce travail.
Pendant toute la durée du fractionnement, la membrane située
sous le germe et qui lui adhère fortement conserve la même
composition et le même aspect fenêtré dont j'ai parlé plus haut.
Elle déborde le germe dans une certaine étendue et retient empri-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 129
sonnées, au milieu de la substance granuleuse qui la compose,
un nombre considérable de gouttes huileuses.
Quant au vitellus proprement dit, il est pris, par l'effet de la
coagulation, en une masse transparente et comme vitrée, et sa
surface est couverte de gouttelettes huileuses, accumulées en plus
grande quantité au-dessous du feuillet muqueux.
Le fractionnement du vitellus continue jusqu’à la fin du second
jour. Vers la quarante-sixième ou quarante-huitième heure, quel-
quefois déjà à la trente et unième heure, les globes de segmentation
n'ont plus que 0"",1; le germe offre alors un aspect granulé
ou müriforme, et bientôt il redevient lisse extérieurement.
Depuis cette époque, que l’on regarde généralement comme la
fin du travail de segmentation, jusqu’à l'apparition de l'embryon,
il s'écoule encore un temps assez long, du troisième au huitième
jour, pendant lequel les globes de segmentation deviennent de
plus en plus petits et sont peu à peu remplacés par de véritables
cellules.
D’après cela, il conviendrait peut-être de diviser le fractionne-
ment vitellin en deux périodes. La première comprendrait la seg—
mentation proprement dite, qui commence à la division du germe
primitif en deux sphères, et se termine lorsque, par suite de la
subdivision des sphères nouvellement formées, le germe est rede-
venu lisse. La seconde période du fractionnement comprendrait le
travail de division ultérieure des petites sphères et leurs métamor-
phoses, depuis que le germe est redevenu lisse jusqu’à la formation
des véritables cellules.
Dans la première période, on désigne sous le nom de globes de
segmentation les sphères qui se forment successivement. Nous
proposerons d'appeler globes générateurs les dernières petites
sphères qui résultent du travail de cette première période, c’est-à-
dire les derniers globes de seomentation {ormés. Notre deuxième
période .du fractionnement comprend done la division des globes
générateurs et les changements qu'ils éprouvent jusqu'à l'ap-
parilion des véritables cellules embryonnaires. Cette phase du
développement est peu connue et difficile à étudier. On sait
aujourd’hui, à Ja vérité, que les cellules proprement dites ne ré-
k° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 3.) 1 9
130 LEREBOULLET.
sultent pas directement de la division des globes de segmentation,
c'est-à-dire ne sont pas, comme on l’a cru, les derniers termes
de cette division. Mais ce que personne n'a encore bien fait con-
naître, c’est le mode suivant lequel se constituent les cellules,
ainsi que les relations qui existent entre ces dernières et les globes
générateurs dont elles dérivent.
Malgré de nombreuses et longues recherches, je ne suis pas
encore en mesure de résoudre cette question difficile; cependant
les résultats de mes études sur les œufs de la Truite, joints à ceux
que m'ont fournis les œufs de l’Ecrevisse et ceux du Limnée des
étangs, pourront jeter quelque lumière sur cette partie si impor-
tante et si curieuse de l’embryogénie.
Le plus ordinairement, c’est de la quarante-huitième à la cin-
quante-deuxième heure, c’est-à-dire à la fin du second jour ou au
commencement du troisième, que le germe a un aspect fram-
boisé, par suite du fractionnement successif des sphères vitellines.
Le germe forme alorslune petite sphère très aplatie, ou un disque
renflé dans son milieu, aminei sur ses bords, de 1°*,30 à 4°" ,40
de diamètre, enchâssé au milieu du disque huileux dont les vési-
cules le débordent de toutes parts (fig. 7, 8, 9). Ce disque est
creux (fig. 12); il constitue donc une véritable vésieule que nous
appellerons, comme dans nos précédents mémoires, vésieule
blastodermique , parce que c’est cette vésicule qui s'aplatit et
s'étend progressivement sur l'œuf pour former le blastoderme.
Si l’on ouvre un œuf vivant et qu'on en fasse sortir la vésicule
blastodermique, au milieu du liquide albumineux et sans addition
d’eau, on voit qu'elle se compose entièrement de sphères granu-
leuses, jaunâtres, peu transparentes à cause des granules qui les
remplissent. Ces sphères sont toutes d’égale dimension ; elles me-
surent 0"".,08 dans les uns, 0"*,10 ou quelquefois 0"",14 dans
d’autres, suivant l’âge du germe; mais dans un même œuf, elles
ont à yeu près toutes la même grandeur. . |
Elles sont essentiellement composées d’une substance granu-
leuse, très fine, la même que celle dont était formé le germe avant
la segmentation, et de petites vésicules transparentes, dispersées
en petit nombre au milieu de cette matière. Ces sphères ont très
RECHEBCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 131
peu de consistance; elles se déforment sur la plaque de verre,
quand on les examine dans l’albumine de l'œuf; leur bord devient
plus clair, tandis que la partie centrale plus foncée pourrait faire
croire à l'existence d’un gros noyau. Les mêmes globes généra-
teurs coagulés ne diffèrent pas beaucoup des précédents par leur
aspect (fig. 10). Seulement ils sont un peu plus foncés, mais,
comme eux, ils ont des caractères qui les distinguent des vraies
cellules ; tels que les nombreux granules dont ils sont remplis,
leur apparence homogène, leur teinte jaune, l’absence d'un véri-
table noyau tel qu'on en trouve dans les cellules; tandis qu'ils
ont la plus grande analogie avec les globes de segmentation, qu'ils
représentent, en effet, en petit. Une ou deux heures plus tard, l'as-
pect de ces globes générateurs a changé. Les petites vésicules
transparentes (vésicules plastiques), qui commençaient à se mon-
trer dans les œufs précédents, se trouvent maintenant en grand
nombre interposées parmi les granules ordinaires, et dans la plu-
part des globes on distingue nettement un noyau muni d’un
nucléole vésiculeux (fig. 14). Ces sphères humectées d’eau se
gonflent par l'absorption de ce liquide.
Le germe dans les œufs coagulés se dessine nettement sur le
vitellus, comme un disque blane situé au milieu du disque huileux
qui le déborde de toutes parts (fig. 7). Il est convexe en dessous
et enfoncé dans une dépression du vitellus. La membrane sous-
jacente (feuillet muqueux), qui adhère au germe par toute sa face
inférieure, forme autour de lui une sorte de bourrelet produit par
une accumulation de vésicules graisseuses que la coagulation em-
prisonne dans les mailles de la membrane elle-même (fig. 8),
mais qui s’échappent pour la plupart, pendant qu’on étale la pièce
sur le porte-objet.
A cetle époque, comme encore un jour ou même deux jours
plus tard, on peut facilement constater la nature vésiculeuse du
disque blastodermique, en le coupant en deux par le milieu ou en
le disséquant à l’aide de fines aiguilles sous un grossissement suf-
fisant. On obtient des préparations dans lesquelles cette disposition
est rendue très visible par l’écartement qu’on observe entre les
déux feuillets du disque (fig. 12), Plus tard, quand cet écartement
432 LEREBOULLET,
paturel n’est plus aussi prononcé, on peut le produire artificielle-
ment, en séparant l’un de l'autre les deux feuillets, et s'assurer
qu'ils n'adhérent l’un à l’autre qu’à la périphérie du disque. J'ai
trouvé le feuillet supérieur formé d’une simple couche de globes
générateurs, tandis que l'inférieur est composé de deux couches
au moins de ces sphères. |
Nous pouvons done admettre comme un fait bien établi que
dans la Truite, comme dans le Brochet et la Perche, le fractionne-
ment du germe transforme celui-ci en une vésicule creuse qui se
déprime de plus en plus de manière à former une petite calotte.
Cette calotte constitue le blastoderme qui s'étale peu à peu sur le
vitellus et finit par l’envelopper complétement.
Pendant toule la durée du troisième et du quatrième jour, les
globes générateurs qui étaient homogènes et tous de même di-
mension, commencent à se différencier et offrent des change-
ments dans leur aspect et dans leur composition, en même temps
qu'ils deviennent insensiblement de plus en plus petits.
Tandis qu'ils mesuraient 0"",12 ou 0"*,10 à la fin du second
jour, ils se réduisent successivement à 0"",09, à 0"*,06, à0"",03;
et l’on rencontre dans la même pièce des sphères de dimension
très différente.
J'ai trouvé, par exemple, vers le milieu du quatrième jour (à la
quatre-vingt-cinquième heure) le germe composé de corps ovoïdes
ayant 0"°,09 de longueur sur 0"",05 de largeur, et d’autres
corps plus petits, globuleux, de 0*",04 de diamètre.
Les globes générateurs continuent à montrer une grande dif-
fluence. Quand on les examine frais, ils se déforment et assez
souvent se fondent les uns dans les autres quand ils se touchent
par leurs bords.
La composition de ces éléments du germe est très variable à
cette époque. Tantôt ils paraissent simplement remplis de granules
sans aucune trace de noyau; d’autres fois ils contiennent un
noyau vésiculeux, transparent, renfermant lui-même un, deux
ou plusieurs petits nucléoles brillants. Quelquelois on trouve dis-
persées au milieu des granules, de très petites vésicules brillantes,
comme dans la fig. 11, qui existent conjointement avec le noyau.
RECHERCHES SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 133
La coagulation produit sur ces globes générateurs un effet singu-
lier. Tandis qu'à l’état frais, ils semblent dépourvus d’une enve-
loppe propre, ils font voir, par la coagulation, une membrane
chiffonnée et plissée, plus ou moins étendue ; ils ressemblent alors
à des cellules qui auraient un gros noyau avec ou sans nucléole
(lg. 13 et #4).
Cette apparence celluleuse n’est probablement qu'un effet de la
coagulation. L’amas de granules est entouré d’une couche d'albu-
mine qui se prend en membrane sous l’influence de l’eau acidulée;
la masse granuleuse éprouve en même temps, par suite de la
même cause, un retrait plus ou moins considérable.
Ce n’est que plus tard qu'apparaissent les vraies cellules, lors-
que les globes générateurs se seront encore subdivisés. Ces der-
niers continuent à être le siége d’ün travail intérieur de transfor-
mation, travail qui se manifeste par l'apparition et la disparition
du noyau vésiculeux et des vésicules plastiques. Ce travail paraît
précéder la subdivision des globes, et influer directement sur cette
dernière opération.
La division des globes générateurs ne marche pas avec la
même vitesse dans toutes les parties du germe. Vers la fin du
quatrième jour, on trouve ce dernier composé de deux sortes de
corps celluliformes, qui annoncent, par leur position respective,
la distinction qui se fera plus tard entre les cellules épidermoïdales
et les cellules embryonnaires.
En effet, si l’on sépare avec des aiguilles les deux feuillets dont
se compose le disque blastodermique, on voit que la couche la plus
superficielle de ce disque est formée de grosses cellules qui ont
généralement un diamètre de 0"",03 : ce sont les cellules épider-
moïdales. Les autres cellules, plus petites, n’ont que 0*",018 ;
elles deviendront des cellules embryonnaires. Ces deux sortes de
cellules diffèrent en ce que les premières ont un noyau très
visible, égal à la moitié du diamètre de la cellule, tandis que les
cellules embryonnaires sont uniformément granuleuses, sans
noyau apparent.
Vers la fin du cinquième jour, le disque blastodermique a un peu
augmenté de diamètre ; il mesure 4 millimètre 1/2, et a ses bords
134 LEREBOULLET,
très minces. La membrane sous-jacente a un diamètre de 2 milli-
mètres ; son bourrelet s’est épaissi et s’est éloigné du disque, dont
il est séparé par une ligne circulaire transparente (fig, 15) indi-
quant la partie amincie de cette membrane.
On peut séparer facilement l’une de l’autre les deux pièces, le
- disque embryonnaire proprement dit et la membrane sur laquelle
il repose. Cette dernière se compose de deux parties : l’une cen-
trale, très mince, transparente, étalée sous le disque, et le dépas-
sant même un peu, est homogène, granuleuse, et n'offre qu’un
petit nombre de vésieules graisseuses; l’autre marginale, beaucoup
plus épaisse, est remarquable surtout par le nombre et la gran-
deur des gouttes de graisse liquide interposées, et comme enchàs-
sées au milieu des granules.
Ce bourrelet cireulaire peut être regardé comme un magasin de
matériaux qui serviront à l'extension ultérieure de la membrane.
Celle-ci, en effet, continue à s'étendre autour du vitellus nutritif,
et finit par l’envelopper en doublant intérieurement la membrane
blastodermique. Elle forme plus tard le feuillet intérieur de la
vessie vitelline, dont le blastoderme constitue le feuillet externe.
Quant au disque embryonnaire, on pouvait encore à cette époque
le séparer en deux feuillets, entre lesquels se trouvait une cavité
très étroite, mais distincte.
Dans une de mes recherches, j'ai rencontré un germe qui était
devenu sphérique par l'effet de la coagulation ; ayant coupé cette
sphère en deux, j'ai vu distinctement qu’elle était creuse.
Les cellules qui composaient à cette époque le disque embryon-
naire, avaient un peu diminué de grosseur; elles ne mesuraient
plus que 0°",026 ; elles renfermaient, comme toujours, un gros
noyau avec un ou deux nucléoles, Les cellules du bord étaient
allongées, el disposées les unes à la suite des autres sur une seule
rangée.
J'ai trouvé sur des œufs à peu près de la même époque que les
précédents (commencement du sixième jour) une forme particu-
lière de cellules, quime paraît offrir un grand intérêt pour éclairer
la genèse de ces petits organismes. Les cellules du germe embryon-
naire, au lieu d’avoir les caractères des précédentes, c’est-à-dire
(RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE La TRUITE. 159
de posséder un gros noyau, ne renfermaient qu'un contenu gra-
nuleux disséminé, peu abondant. Quelques cellules même ne ren-
fermaient pas de granules ; elles avaient une teinte mate uniforme,
de couleur fauve ; d’autres n’offraient que quelques petites VÉSi-
cules brillantes (fig. 16). Leur diamètre était de 0"",025.
Cette forme annonce une dissolution du contenu de la cellule ;
elle représente un état transitoire qui précède la formation des
vraies cellules, de celles qui se constitueront bientôt d’une manière
définitive pour former l'embryon.
J'ai observé et décrit dans l'Écrevisse un travail analogue qui
précède apparition des vraies cellules. Je ne puis me l'expliquer
qu’en admettant que les cellules primitives ou génératrices four-
nissent, en se dissolvant, des éléments nouveaux qui se groupe-
ront d’une manière particulière pour produire les cellules. Seule -
ment ici il ne m'a pas été possible de suivre ce travail comme je
l'ai suivi dans les œufs des Écrevisses.
Aü commencement du septième jour, le disque embryonnaire
a atteint 2 millimètres de diamètre; sa partie moyenne s’est
épaissie; cependant il ne produit qu’une très faible saillie sur
l'œuf. Les cellules superficielles sont réduites au diamètre de
0"",09 : elles ont la composition ordinaire et l'aspect des cellules
épidermoïdales (fig. 17, A). Les cellules placées au-dessous d'elles
n’ont que 0"",01 : ce sont les cellules embryonnaires (fig. 47, B).
Ces dernières ne diffèrent pas seulement des cellules épider-
moïdales par leurs dimensions ; elles s’en distinguent aussi, parce
qu’elles sont entièrement granuleuses, et ont le caractère des jeunes
cellules, dans lesquelles l'enveloppe estappliquée contre le noyau,
en sorte que celui-ci forme à lui seul la cellule tout entière. Dans
les cellules épidermoïdales, au contraire, l’enveloppe de R cellule
est très distincte (fig. 17, A), et il existe un noyau granuleux, dont
les dimensions sont exactement les mêmes que celles des petites
cellules embryonnaires.
Parmi ces dernières, on en trouve un grand nombre qui sont
allongées, plus ou moins étroites, et quelquefois irrégulières.
Du septième au neuvième jour, il ne se passe pas de change-
ment appréciable dans la constitution du germe embryonnaire. La
136 LEREBOULLET.
première différenciation des cellules s’est établie ; elle a eu pour
résultat de limiter l'être futur par la production des grandes cel-
lules épidermiques, et de réunir en un autre groupe les éléments
qui seront employés plus particulièrement à la formation de
l'embryon. Le disque blastodermique commence à s’étaler en
membrane sur le vitellus, mais il n’embrasse encore qu’une
étendue peu considérable de la sphère nutritive. Son bord mar-
ginal est à peine renflé ; il n'offre pas le bourrelet si prononcé
qu'on observe dans le Brochet, mais il continue à se distinguer du
reste du disque par ses cellules allongées disposées en travers. On
parvient encore à séparer les deux lamelles qui composent le
blastoderme, et l’on voit, en opérant cette séparation, que la
région centrale du disque est plus épaisse que le reste. Cet épais-
sissement du disque blastodermique affecte une disposition géné-
ralement longitudinale, c’est-à-dire dans la direction du méridien
del’œuf, Les dimensions des cellules épidermoïdales et des cellules
embryonnaires n'ont pas changé; elles sont de 0°",02 pour les
premières el de 0"",01 pour les secondes.
Le disque membraneux sous-embryonnaire a continué à s’éten-
dre, de manière à déborder toujours le précédent; il est muni,
comme je l’ai dit, d’un bourrelet granuleux et graisseux, et 1l
offre, dans sa composition, de grandes cellules granuleuses
entremêlées de nombreuses vésicules de graisse.
Cette première période du développement de l’œuf comprend,
comme on vient de le voir, tous les phénomènes qui ont pour
résultat la préparation des éléments formateurs et leur arrange-
ment pour la constitution de l'être nouveau qui va se montrer ;
voilà pourquoi nous l’appelons période préparatoire.
Résumé du deuxième chapitre.
1. Immédiatement ou très peu de temps après la fécondation,
les éléments plastiques qui étaient restés dispersés dans l'œuf se
concentrent vers le pôle, pour former le disque germinateur ou
blastodermique.
2. L'œuf récemment fécondé se compose :
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 157
a). D'un liquide très visqueux qui se coagule dans l’eau;
b). De globules de graisse liquide ;
c). D'une matière organisable de couleur jaunâtre, condensée
à l’un des pôles, et composée essentiellement de granules et de
corpuseules plastiques.
3. Le travail de condensation des éléments de l’œuf vers l’un
de ses pôles dure plusieurs heures. Ce travail porte non-seulement
sur les corpuscules plastiques, mais aussi sur les globules huileux.
&. Il en résulte la formation d'un disque jaunâtre, composé de
ce qu’on pourrait appeler la matière première de l'embryon futur,
puisque c’est ce disque seul qui se segmentera et se transformera
en blastoderme.
5. Au-dessous du disque précédent se trouve une membrane
dont le bord circulaire offre une quantité considérable de globules
graisseux formant comme un bourrelet autour du disque.
6. La plus grande partie des gouttes de graisse se réunissent
ainsi pour former le disque huileux.
7. Par suite de cette condensation des éléments de l'œuf vers
l’un de ses pôles, le vitellus devient transparent.
8. Ainsi les éléments de l’œuf fécondé sont partagés en deux
groupes : les éléments plastiques qui occupent un des pôles et les
éléments nutritifs qui forment le reste de l'œuf, mais dont une
portion considérable se dispose au-dessous des précédents.
9. La segmentation vitelline commence vers la dixième heure ;
elle ne s'exerce que sur les éléments plastiques de l’œuf, c’est-à-
dire sur le disque germinateur ; elle a lieu, comme d'ordinaire,
suivant une progression géométrique.
10. Les éléments des globes de segmentation sont les mêmes
que ceux qui composaient le disque germinateur : ce sont toujours
des granules très fins et de petites vésicules brillantes, les cor-
puscules plastiques.
11. Je crois, contrairement à ce que j'ai dit ailleurs (Ann. des
se. nat., h° série, t. I”, p. 247), qu’il n'existe pas de membrane
propre autour des globes de segmentation.
12. Les globes de fractionnement se disposent de bonne heure
de manière à former une sphère creuse, une véritable vésicule.
138 LEREBOULLET
13. Il existe dans la Truite, comme dans le Brochet et dans
la Perche, une vésicule blastodermique, c’est-à-dire une vési-
cule qui s’aplatira et s’étalera sur l'œuf pour former le blasto-
derme.
14. Le blastoderme est donc aussi, dans ce Poisson, composé
primitivement de deux feuillets, disposés comme les deux lames
d'une membrane séreuse.
15. La membrane sous-jacente, ou feuillet muqueux, est com-
plétement distincte du double feuillet blastodermique, et par son
mode d’origine et par sa composition qui reste granuleuse pendant
toute la durée du fractionnement.
16. Le fractionnement n’intéresse jamais, en effet, que le vitel-
lus formateur.
17. La segmentation vitelline a pour résultat de partager la
masse plastique en un certain nombre de sphères de plus en plus
petites. Ce travail comprend deux périodes : dans l’une se pro-
duisent des sphères qui ne sont pas encore des cellules, et que
nous appelons globes générateurs; dans l’autre les globes géné-
rateurs se modifient, continuent à se diviser, et fournissent les
éléments qui s'organisent et se disposent en vraies cellules.
18. Les globes générateurs offrent dans la Truite une diffluence
remarquable, ce qui montre de nouveau qu'ils n’ont pas de mem-
brane propre.
19. Ils sont tous d’abord d’égale dimension dans un même
germe. 1
20. Plus tard ils se différencient par leur taille, et sont alors de
deux sortes, les uns doubles des autres.
21. Leurs dimensions diminuent de jour en jour, jusqu’à ce.
qu’ils soient arrivés à ne plus avoir que 0"",02 pour les plus gros
et 0*",02 pour les plus petits.
22. Les globes générateurs conservent quelque temps les ca-
ractères des globes de segmentation, c’est-à-dire qu'ils sont d’une
couleur foncée, peu transparents et composés de granules et de
vésicules plastiques.
23. Plus tard ils s’éclaircissent, la matière granuleuse qui les
compose devient de plus en plus rare, et comme en voie de dis-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRÜITE. 199
solution, jusqu’à ce qu'il ne reste plus dans ces cellules généra-
trices que quelques petites vésicules dispersées.
9h. Les globes générateurs ont un noyau; mais la présence de
ce dernier n’est pas constante.
25. Ils renferment aussi, par moment, des vésicules brillantes
en grande quantité.
26. L'apparition et la disparition successive du noyau et des
vésicules annoncent un travail de métamorphose dans l’intérieur
des cellules génératrices, travail qui parait précéder leur division
en cellules plus petites et qui se montre toujours avant la dissolu-
tion de leur contenu.
27. Les cellules proprement dites apparaissent vers le sixième
jour immédiatement après qu’on a remarqué cette raréfaction singu-
lière du contenu des sphères génératrices, dont j'ai parlé au n° 22.
28. Les premières cellules formées sont de deux sortes : les
plus grosses, superficielles, ont un gros noyau; on les désigne
sous le nom de cellules épidermoïdales ; les autres, qui consti-
tuent la plus grande partie du germe, sont les cellules embryon-
naires, de moitié plus petites que les précédentes.
29, Pendant la durée de ce travail d'organisation des cellules,
la vésicule blastodermique a commencé à s'étendre sur le vitellus,
Cette extension se fait moins rapidement que dans le Brochet et
dans la Perche, et le disque blastodermique n'offre pas l’épais
bourrelet marginal qu’on observe surtout chez le Brochet,
30. Le disque muqueux s’étend plus rapidement que le disque
blastodermique; il le déborde toujours et il est entouré d’un
bourrelet formé surtout par des gouttes d’huile emprisonnées dans
la substance granuleuse dont le feuillet muqueux se compose à
celle époque.
31. Vers la fin de cette période, c’est-à-dire vers le huitième
ou le neuvième jour, les cellules embryonnaires s'accumulent dans
la partie moyenne du disque blastodermique, en affectant une dis-
position linéaire; c’est l'indice de la formation très prochaine de
la bandelette embryonnaire.
140 LEREBOULLET,
CHAPITRE II.
Deuxième période ou période animale, comprenant le développement de
embryon depuis son apparition jusqu’à la formation du cœur.
C'est à la fin du dixième jour que j'ai vu la première trace de
l'embryon apparaissant sous la forme d’une bandelette étroite et
assez courte, dirigée dans le sens du méridien de l’œuf, en consi-
dérant comme polaire la région occupée par le disque germinateur
(fig. 18).
Le blastoderme n’avait pas encore atteint la moitié de l'œuf; il
offrait un bourrelet peu épais, rendu blanchâtre par la coagu-
lation. La bandelette se détachait de ce bourrelet et s’arrêtait à
une petite distance du pôle de l’œuf, en se terminant par une
pointe mousse. On voyait par transparence de nombreuses gouttes
d’huile dispersées assez régulièrement au-dessous du blastoderme,
mais réunies en plus grand nombre dans le voisinage de l’em-
bryon; aucun globule de graisse n'existait dans le vitellus. Cette
concentration des éléments graisseux au-dessous du blastoderme,
et surtout autour de l'embryon, indique assez le rôle important
que joue la graisse dans la formation des organes; elle fournit,
sans aucun doute, les matériaux nécessaires, soit à la production
des parties nouvelles, soit à l’accroissement de celles qui existent
déjà.
Dans l'œuf dont je parle en ce moment, la bandelette embryon-
naire était déjà soulevée en forme de cylindre au-dessus de la sur-
face de l'œuf, et ce cylindre était creusé d’une large dépression
longitudinale, peu profonde, et dont les bords se redressaient laté-
ralement de chaque côté.
Au fond de cette dépression et dans une grande partie de la
longueur du cylindre, on voyait un ruban longitudinal d’une
grande transparence, premier rudiment de la corde dorsale qui
apparait presque en même temps que le sillon.
Sous l’embryon existe une membrane mince qui semble faire
corps avec lui, mais qu’on peut en détacher avec facilité. C’est la
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. tt
même membrane (feuillet muqueux) que nous avons vue plus haut
occuper la région inférieure du germe et s'étendre avec le blasto-
derme sur le vitellus.
La constitution de l'embryon est encore très simple. Il est com-
posé de cellules embryonnaires de 0"",01 de diamètre; sa sur:
face est couverte d’une couche de cellules épidermoïdales de
0"",025. Quant au feuillet inférieur, il est granuleux et n'offre
pas encore de cellules distinctes; on,voit au milieu de la substance
amorphe qui le compose une quantité considérable de cellules
graisseuses, endogènes, de dimensions très variables.
Un autre œuf observé au treizième jour n’était pas beaucoup plus
avancé que le précédent. Cependant le blastoderme avait envahi
presque tout le vitellus ; il formait ainsi une bourse dont l’ouver-
ture était garnie d’un bourrelet peu sensible. De ce bourrelet par-
tait l'embryon sous la forme d’un cylindre étroit et long, dirigé
“vers le pôle de l'œuf. Ce cylindre élait creusé d’un sillon peu
profond.
Aussitôt que l'embryon s'est montré sous la forme d’un cylindre
long et étroit, il présente des changements qui apparaissent simul-
tanément ou successivement dans les diverses régions.
Le premier de ces changements est la formation du sillon dor-
sal, c’est-à-dire de la dépression en forme de gouttière qui règne
dans toute la longueur du corps, et qui est toujours plus profonde
dans la région moyenne que vers les extrémités du cylindre
embryonnaire. On voit apparaître presque aussitôt au fond de cette
gouttière une ligne d’une transparence parfaite, que je crois être
le premier rudiment de la corde dorsale. En effet, lorsque plus
tard la présence de la corde n’est plus douteuse et qu’on la re-
connaît facilement aux cellules dont elle est remplie, on voit que ce
long cylindre occupe la même place que la ligne transparente
dont je viens de parler.
Il est facile de s’assurer, par l’examen de coupes transversales,
qu'elle est placée au-dessous du plan inférieur de la gouttière et
qu'elle est séparée du fond de celle-ci par une couche mince de
substance embryonnaire.
Les bords de la gouttière dorsale auxquels on a donné le nom
142 LEREBOULLET.
de carènes dorsales, sont plus ou moins redressés et tendent à se
rapprocher et à se rejoindre sur le dos. La fusion a lieu en avant
d’abord, dans la région céphalique. La partie antérieure de l’em-
bryon forme alors une vessie allongée qui presque aussitôt se
rétrécit transversalement dans son tiers antérieur et se divise par
cet étranglement en deux vessies secondaires : l’une, antérieure,
plus courte, formera les régions céphaliques antérieure et
moyenne; l’autre, postérieure, plus longue, constitue la région
céphalique postérieure. Ces vessies ne tardent pas à se remplir
de cellules nerveuses dont l’accumulation produit les centres ner-
veux encéphaliques.
Cette fermeture du sillon dorsal dans la région céphalique,
mentionnée par tous les observateurs, est in phénomène primor-
dial de la plus haute importance, puisqu'il caractérise essentielle -
ment les animaux vertébrés. Il a pour résultat de constituer
immédiatement les cavités encéphaliques, et fait ressortir la valeur
des caractères zoologiques du type des vertébrés, caractères qui
reposent tout d'abord sur la nature et sur les rapports du cordon
nerveux rachidien.
Une seconde modification, non moins importante que la pre-
mière, quoiqu’elle lui soit subordonnée, consiste dans la forma-
tion des vessies oculaires.
Peu de temps après la production de l’étranglement qui a
séparé la vessie cérébrale antérieure, les parties latérales de cette
vessie se renflent en ampoules qui font saillie sur les côtés; puis
ces ampoules se détachent de la masse commune et s’isolent d’ar-
rière en avant. Elles ressemblent alors à deux appendices en
forme d’oreillons situés sur les côtés de la tête, et dont l’intérieur
communique avec la cavité cérébrale par une ouverture assez
étroite. |
Pendant que ces changements se passent du côté de la tête, il
s’en produit d’une autre nature dans toute la longueur du cylindre
embryonnaire. Les carènes dorsales se rapprochent l’une de
l'autre et se soudent de manière à former un tube qui se remplit
presque aussitôt de substance nerveuse. La moelle épinière est
constituée et, dès son apparition, ellese montre composée de deux
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1443
cordons parallèles, réunis l’un à l’autre en avant et en arrière, de
manière à ressembler à une longue ellipse dont les côtés seraient
contigus.
Avant la fermeture du sillon dorsal, les parties latérales de ce
sillon se sont divisées transversalement en lamelles rectangu-
laires par des lignes d’abord incertaines, mais qui deviennent peu
à peu plus prononcées.
Ces lignes transversales, qu’on a nommées divisions vertébrales,
commencent toujours dans la région moyenne du corps, là où la
gouttière a le plus de profondeur, puis elles se continuent en
avant et en arrière de leur point de départ. Elles entament la
substance embryonnaire de dedans en dehors et la partagent en
petites portions qui deviendront dans la suite des faisceaux mus-
culaires correspondant à autant de vertèbres.
Tous ces phénomènes on lieu pendant la durée du onzième et
du douzième jour, à une époque où rien n'existe encore des appa-
reils de ia vie végétative. Ils montrent la tendance de la nature à
jeter d’abord, dans les animaux vertébrés, les bases de tous les
appareils qui présideront aux fonctions de relation : le système
“nerveux, les appareils locomoteurs, les appareils sensitifs.
Le treizième jour, les vésicules oculaires commencent à se dé-
primer; vues d'en haut, elles offrent à leur bord externe une
légère échancrure qui indique la dépression cutanée. Ce refoule-
ment dela peau a pour effet la production d’une bourse qui sera
plus tard occupée par le cristallin. La partie antérieure de la tête se
prolonge en une pointe émoussée qui constitue à proprement
parler la région cérébrale antérieure, tandis que la partie du cer-
veau correspondante aux vessies oculaires devient maintenant la
région cérébrale moyenne. La région cérébrale postérieure, sé-
parée de la précédente par un étranglement, est beaucoup plus
longue que celle-ci et s’en distingue par trois lobes arrondis,
situés de chaque côté et formés aux dépens de la substance em-
bryonnaire. C’est dans les lobes moyens que doivent se former
prochainement les capsules auditives.
Le corps est plus étroit que les deux régions qui précèdent ; il
s’élargit de nouveau en arrière pour former la queue.
All LEREBOULLET.,
A l'intérieur on voit les deux cordons rachidiens séparés l'un
de l’autre par une ligne distincte. Parvenus dans la région céré-
brale postérieure, ces deux cordons grossissent et s’écartent l’un
de l’autre, puis ils se rapprochent de nouveau dans les régions
cérébrales moyenne et antérieure.
L'écartement des deux cordons rachidiens dans la partie de
l’encéphale qui correspond au cervelet est le premier indice de la
formation d’un pli cérébral qui se disposera verticalement der-
rière la région moyenne, pli que nous avons appelé lamelle céré-
belleuse. L'espace compris entre les deux cordons écartés consti-
tuera Ja grande cavité cérébrale.
Les divisions vertébrales existaient dans toute la longueur du
corps, depuis la queue jusqu’à une très pelite distance de la ré-
gion céphalique postérieure.
La corde dorsale offrait dans toute son étendue des stries trans-
versales, rapprochées les unes des autres, et entre lesquelles on
voyait de très petites vésicules. Quand on déchirait cette corde,
on en faisait sortir des cellules ovalaires, pleines de granules et
renfermant un petit noyau vésiculeux. Ces cellules de la corde
dorsale avaient 0°",025 de longueur.
Quelques jours plus tard ces cellules granuleuses de la corde
n'existent plus ; elle est alors remplie de petits corps vésiculeux,
aplatis, disposés de champ dans l'intérieur du cylindre et donnant
à la corde, par leur disposition, l’aspect finement strié qui la ca-
ractérise à cetle époque.
Vers le dix-huitième jour, la corde est encore striée en arrière ;
mais, en avant, les stries sont remplacées par des vésicules oblon-
gues, transparentes, disposées en travers dans la même direction
que les stries.
Si l’on déchire la corde, les vésicules qu’elle renfermait
s’'échappent et s'accumulent au niveau de la déchirure. Elles
prennent alors aussitôt la forme sphérique et ns mad rapide-
ment de volume dans l’eau. H
Dans mes recherches sur l’'embryologie du Brochet, j'ai
déjà appelé l'attention des anatomistes sur ces corps vésiculeux
que renferme la corde et sur leur développement successif,
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 145
et j'ai émis l'opinion que ces vésicules étaient de nature gélati-
neuse.
On vient de voir les mêmes transformations des éléments de la
corde se produire dans la Truite, seulement j'ai trouvé dans ce
poisson de vraies cellules granuleuses dont l'existence précède
celle des disques gélatineux, ce que je n’avais pas vu dans le
Brochet. Mais les corps transparents qui grossissent à mesure que
le développement du poisson avance ne sont pas des cellules, ce
sont des vésicules destinées à contenir la matière gélatineuse qui
remplit la corde dorsale et dont on trouve des restes dans les
cônes dont sont creusés les corps des vertèbres, chez les poissons
adultes.
L’apparence celluleuse que prennent ces vésicules gélatineuses,
quand elles sortent de la corde, tient à la faculté qu’elles ont
d’absorber l’eau et de se gonfler dans ce liquide.
Il est probable que ces vésicules gélatineuses dérivent des cel-
lules granuleuses qui occupent dans l'origine l’intérieur de la
corde. Quoi qu’il en soit, l’aspect strié que présente celle-ci aux
premiers temps de son existence est dù à l’arrangement des cel-
lules d’abord, puis des vésicules qui se touchent, les unes comme
les autres, par leur surface et ne laissent voir que leur tranche.
Nous avons empiété de quelques jours sur la marche du déve-
loppement pour faire connaître la nature des éléments contenus
dans la corde dorsale aux premières époques de son existence;
nous allons reprendre la suite des changements que l'embryon
présente dans son évolution. :
Depuis le quatorzième jusqu’au dix-septième jour, le travail
embryogénique continue à se porter principalement sur les appa-
reils dont l'apparition avait caractérisé surtout les premiers temps
de la vie embryonnaire, c’est-à-dire sur les appareils nerveux,
locomoteurs et sensitifs.
Ainsi, les deux cordons nerveux rachidiens, qui d’abord étaient
semblables l’un à l’autre dans toute l'étendue de l'embryon, se
différencient d’une manière notable par la production des renfle-
ments cérébraux et des cavités encéphaliques, et surtout par le
raccourcissement de ces cordons dans la région cérébrale posté-
4° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 3.) ? 10
146 LEREBOULLET.
rieure, Ceux-ci, en effet, s'écartent l’un de l'autre, forment de
chaque côté une anse très prononcée, puis s’adossent l’un à
l'autre sur Ja ligne médiane et vont ensuite former les paroïs de la
grande cavité cérébrale. Une lamelle nerveuse se détache des
cordons pour s'étendre au-dessus de cette cavité et former son
plafond ; puis les cordons se portent tout à fait en avant et s’écar-
tent une troisième fois, avant de se souder l’un à l’autre en avant.
Il résulte de ces écartéments et de ces rapprochements trois ca-
vités cérébrales , savoir : une première très petite dans la région
cérébrale antérieure, une seconde, la plus grande des trois, dans
la région cérébrale moyenne, et une troisième qui correspond au
cervelet et résulte de l’écartement des deux cordons rachidiens.
L’œil aussi a éprouvé des changements remarquables. La bourse
choroïdienne s’est formée par suite du refoulement de la peau
extérieure; le cristallin, qu'on apercevait d'abord à entrée de la
bourse, en occupe maintenant le fond; l'ouverture de la choroïde
est encore large, c’est pourquoi lesdeux cylindres qu'elle présente,
quand on la regarde de profil, sont encore très écartés l’un de
l'autre.
Les premiers rudiments des capsules auditives se présentent
sous la forme d’un amas globuleux de petites cellules, au milieu
duquel il n'existe pas encore de cavité. Les lamelles vertébrales
sont achevées ; elles ont maintenant la forme de petits rectangles
semblables les uns aux autres et disposés avec régularité sur les
côtés des cordons nerveux contre lesquels elles sont appliquées
et qu'elles tendent à entourer.
L'embryon, étendu sur le vitellus, est remarquable par son
étroilesse et, quand on le coagule, il apparaît pour ainsi dire comme
un fil. Le blastoderme enveloppe toute la sphère vitelline; le trou
vitellaire est fermé depuis plusieurs jours, cependant on distingue
encore un petit point transparent, semblable à un pore, qui repré-
sente la dernière trace de cette ouverture de la bourse blasto-
dermique.
La membrane sous-jacente au blastoderme (feuillet muqueux
primitif) se montre à présent composée de cellules granuleuses
rendues irrégulières par la coagulation, et entremêlées de globules
D
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 147
de graisse et de cellules graisseuses endogènes. Ce feuillet s'attache
à l'embryon sur les côtés d'une carène mousse que ce dernier
présente le long de sa partie inférieure.
La tête de l'embryon est encore appliquée et comme collée
contre le vitellus : la région caudale, au contraire, s’est soulevée,
et la queue est devenue libre dans une certaine étendue.
Sur la fin de cette période, du dix-septième au dix-huitième
jour, on remarque sous la tête, derrière les yeux, un espace trans-
parent en avant du vitellus. C’est la chambre cardiaque destinée
à loger le cœur, lorsqu'il se détachera de la face mférieure du
corps contre laquelle il est appliqué.
Avant de résumer les principaux faits de cette période, nous
ferons remarquer de nouveau qu’elle est particulièrement consa-
crée à la production et au développement des organes ou des appa-
reils qui président aux fonctions de la vie animale. Voilà pour-
quoi nous avons cru devoir la désigner sous la dénomination de
période animale. Avec l'apparition du cœur et l'établissement de
la circulation commence une nouvelle phase de la vie embryon-
paire, dont le résultat principal est la formation des appareils cir-
culatoire et digestif, ainsi qu’une première localisation-de la fonc-
tion respiratoire. L'ensemble de ces phénomènes constituera une
période distincte de la précédente, et que nous appellerons période
nutritive.
Résumé du troisième chapitre.
4. L'embryon de la Truite se montre vers le dixième jour sous
la forme d’un étroit cylindre qui se détache à angle droit da bour-
relet blistodermique, et se dirive vers le pôlé de l'œuf.
2. Cette production du cylindre embryonnaire (bandelette em-
bryonnaire) a lieu avant que lé blastoderme ait enveloppé tout le
vitellus.
3. Le bourrelet blastodermique est mince dans la Truite, et le
cylindre embryonnaire se fait aussi remarquer par son peu
d'épaisseur.
4. La surface du vitellus recouverte par le blastoderme est par-
148 LUREBOULLET.
semée de gouttelettes d'huile; celles-ci sont plus nombreuses
autour de l'embryon. Ces goultes de graisse sont des éléments
nutritifs employés à l'accroissement des parties déjà formées ou à
la formation de parties nouvelles.
Aucune gouttelette de graisse ne se voit dans le reste du
vitellus.
5. Peu de temps après le soulèvement de l'embryon en forme
de cylindre, la région dorsale de ce cylindre se déprime en gout-
üière dans toute sa longueur. Cette gouttière (sillon dorsal) est plus
profonde dans la région moyenne que vers les extrémités ; elle
s’élargit en avant.
6. La bourse blastodermique se ferme de plus en plus; son
ouverture se réduit à un petit orifice annulaire au niveau duquel
le vitellus est à découvert (trou vitellaire).
7. Au fond du sillon dorsal se voit un tube transparent qui
parait être le premier indice de la corde dorsale. Ce tube est d’abord
vide, ou du moins il ne renferme aucun élément solide appré-
ciable.
8. Le blastoderme est doublé intérieurement par une mem-
brane mince qui passe sous l'embryon, et adhère à sa partie infé-
rieure, Cette membrane (feuillet muqueuæ) est encore granuleuse ;
elle renferme une grande quantité de cellules graisseuses endo -
gènes, c’est-à-dire contenant d’autres vésicules graisseuses en
nombre variable.
9. L’embryon est composé de cellules homogènes et semblables
entre elles (cellules embryonnaires), et de cellules épidermoïdales
caractérisées par des dimensions plus grandes et par la présence
d’un gros noyau.
10. Le sillon dorsal commence à se fermer dans la région
céphalique; cette fermeture a lieu par le rapprochement des
carènes, et se fait d'avant en arrière. Plus tard la même opération
se produit d’arrière en avant dans la région postérieure du corps,
et peu à peu la région supérieure du cylindre embryonnaire est
changée en tube dans toute sa longueur.
11. Avant même que le tube embryonnaire soit entièrement
formé, la partie antérieure de ee tube s’étrangle et se partage en
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 119
deux cavités ou vessies cérébrales, dont la postérieure est plus
longue et un peu plus étroite que l’antérieure.
12. La vessie cérébrale antérieure, qui deviendra bientôt la
région moyenne de l'encéphale, se renfle sur ses côtés, et produit
les ampoules oculaires dont la cavité communique avec la cavité
cérébrale.
13. A peu près en même temps que la formation des ampoules
oculaires, où un peu auparavant, les côtés du sillon dorsal se par-
tagent (ransversalement en lamelles par des divisions qui se por-
tent de dedans en dehors.
Ces divisions vertébrales commencent toujours dans la région
moyenne, la plus profonde, du sillon, et se continuent en avant et
en arrière.
14. Les divisions vertébrales sont les premiers indices des
faisceaux musculaires du rachis ; elles marquent la place qu’oceu-
peront ces faisceaux sur les côtés des vertèbres correspondantes.
15. Après la fermeture du sillon dorsal, le tube embryonnaire
est occupé par deux cordons nerveux parallèles et contigus, réunis
en anse à leurs extrémités.
16. Ces deux cordons nerveux se continuent jusqu’à la partie
la plus antérieure de la région céphalique, et ne sont pas plus
larges dans cette région que dans le reste de leur étendue.
17. Les ampoules oculaires se dépriment ; la peau extérieure
est refoulée sur elle-même; il en résulte un petit sac, la bourse
choroïdienne, que le cristallin viendra plus tard occuper.
18. La région céphalique est alors divisée en trois parties : une
antérieure, lrès courte, située au-devant des ampoules oculaires,
une moyenne au niveau de celles-ci, et une postérieure toujours
plus longue que les deux précédentes réunies.
Cette dernière est caractérisée par trois renflements latéraux
formés par la substance embryonnaire.
19. Les cordons nerveux céphaliques, qui jusqu'ici avaient
ressemblé aux: cordons rachidiens, s’en distinguent maintenant
par une augmentation de substance et par leur écartement.
20. Cet écartement se montre entre la région cérébrale posté-
rieure et la moyenne; chaque cordon se porte en dehors, et
150 LEREBOULLET.
revient bientôt après en dedans pour se rapprocher du cordon
opposé.
Il en résulte une cavité cérébrale oblongne et étroite, plus large
en arrière qu’en avant.
21. À cette époque, les divisions vertébrales règnent dans
toute la longueur du corps ; elles s’arrêtent à quelque distance de
la région céphalique postérieure, non loin de l'endroit où appa-
raitront les capsules auditives.
29, La corde dorsale, qui était d’abord un cylindre transparent,
offre maintenant des stries transversales très fines et serrées les
unes contre les autres.
28. Ces stries transversales sont dues à l'existence de cellules
granulées, placées les unes au-devant des autres et dont on ne
voit que la tranche, quand on regarde la corde sans la déchirer.
24. Quelques jours plus tard, les cellules de la corde sont rem-
placées par des disques transparents, disposés de champ comme les
cellules, et donnant encore à la corde le même aspect strié qu’elle
avait précédemment.
25. Quand on déchire la corde, les disques s'échappent, se
gonflent dans l’eau, et apparaissent sous la forme de vésicules
transparentes.
26. Peu à peu ces disques se développent dans l’intérieur même
de la corde; ils augmentent d'épaisseur; les stries transversales
sont remplacées par des vésicules oblongues qui s’arrondissent
de plus en plus. Je regarde ces vésicules comme de nature gélati-
neuse. ÿ
97. Les modifications dont je viens de parler ont lieu d’avant en
arrière. La présence des vésicules dans la partie antérieure de la
corde marque la fin de cette période et coïncide avec la pro-
chaine apparition du cœur.
28. C'est aussi vers la fin de cette période qu'a lieu la forma-
tion des trois cavités cérébrales, par suite des modifications
qu’éprouvent les deux cordons nerveux céphaliques.
29. Ceux-ci continuent à s’écarter l’un de l'autre dans la région
céphalique postérieure, d’où résulle le ventricule cérébelleux.
Après s'être adossés l’un à l’autre au-devant de ce ventricule,
RECHERCHES SUR LE. DEVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 151
ils s’écartent de nouveau, mais beaucoup moins, pour former la
cavité cérébrale moyenne.
Puis, après s'être rapprochés au niveau des yeux, ils se sépa-
rent une troisième fois, et forment bientôt une anse antérieure, en
circonscrivant une troisième cavité de forme ovalaire, la cavité
cérébrale antérieure.
30. Par suite de ces ondulations et de ces plissements des cor-
dons nerveux primitifs, ces cordons se raccourcissent considéra-
blement dans la région céphalique, et déterminent un raccourcis-
sement correspondant de toute cette région, surtout de sa partie
postérieure,
51: Le cristallin qui s'était montré d’abord comme un petit
globule attaché à la face interne de la peau extérieure, au-
devant de la bourse choroïdienne, occupe ‘maintenant le fond de
cette bourse.
Les bords de celle-ci apparaissent comme deux cylindres
encore assez éloignés l’un de l'autre. |
92. Les capsules auditives se forment; ce sont d’abord des
masses solides qui se transforment bientôt en une capsule arrondie.
89, Les lamelles vertébrales ont pris leur forme régulière et
définitive. La queue s’est détachée du corps.
84. La dernière formation qui précède l'apparition du cœur est
celle d’un espace transparent situé sous la tête, la chambre car-
diaque, destinée à recevoir l'organe de la circulation.
39. La période dont nous venons de résumer les traits princi-
paux dure sept à huit jours.
Elle est caractérisée par la formation des appareils chargés de
présider aux fonctions de relation,
Pour cette raison, nous proposons de l'appeler période animale
du développement embryonnaire.
36. Les principaux phénomènes qui marquent cette période se
succèdent dans l’ordré suivant :
a. Formation du cylindre embryonnaire sur le blastoderme dans
la direction du méridien de l'œuf.
b. Dépression longitudinale de la face supérieure de ce cylindre
(sillon dorsal).
152 LEREBOULLET.
c. Fermeture de la partie antérieure de la gouttière dorsale ;
formation de la cavité encéphalique.
d. Apparition de la corde dorsale.
e. Formation des premières divisions vertébrales dans la région
moyenne du corps.
f. Division de la cavité encéphalique commune en deux cavités
ou vessies secondaires.
g. Apparition des ampoules oculaires.
h. Fermeture du sillon dorsal.
i. Formation de deux cordons nerveux céphalo-rachidiens,
qui occupent toute la longueur du tube embryonnaire.
k. Dépression des ampoules oculaires ; formation de la bourse
choroïdienne et du cristallin.
l. Augmentation de volume des cordons nerveux dans la région
céphalique, et écartement de ces cordons pour former une grande
cavité cérébrale.
m. Continuation des divisions vertébrales en avant et en arrière
de leur point d’origine.
n. Apparition de cellules dans la corde dorsale.
o. Écartement plus prononcé des cordons nerveux dans la région
céphalique postérieure ; formation du ventricule cérébelleux, sui-
vie de la formation des ventricules moyen et antérieur. Raccour-
cissement des cordons nerveux produit par leur plissement et, par
suite, raccourcissement de la région céphalique postérieure.
p. Transformation des cellules de la corde en disques gélati-
neux. Aspect strié de cette corde.
g. Rétrécissement de la bourse choroïdienne ; descente du cris-
tallin dans le fond de cette bourse.
r. Formation des capsules auditives.
s. Achèvement des lamelles vertébrales dans toute l’étendue du
corps de l'embryon.
t. Soulèvement de la queue qui va se détacher du vitellus.
u. Transformation des disques gélatineux de la corde dorsale
en vésicules. Aspect vésiculeux du contenu de ce tuyau dans sa
région antérieure.
v. Formation de la chambre cardiaque.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 158
CHAPITRE IV.
Troisième période, ou période nutritive, comprenant le développement de
l’embryon depuis l'apparition du cœur jusqu’à l’éclosion.
L'épaisseur et l’opacité de la coque dans l’œuf de la Truite
empêchent d'observer directement la formation du cœur et du
canal intestinal qui caractérise le commencement de cette période.
Il faut ouvrir l’œuf et se hâter d'examiner l'embryon pendant qu'il
a encore quelque reste de vie, car l'extraction de l'embryon ne
peut se faire sans lésion du vitellus. La coagulation ne peut servir
que pour étudier les couches de cellules qui formeront le canal
intestinal ; elle nuit plutôt que d’aider à la recherche du cœur,
parce que les battements de celui-ci sont nécessaires pour qu’on
puisse le reconnaître.
Ayant l'habitude de ne donner des descriptions détaillées que
pour les faits que j'ai bien vus et que j'ai pu observer attentive-
ment, je dirai peu de chose des premiers temps de la formation
du cœur et de l'intestin.
En ouvrant des œufs âgés de dix-sept ou de dix-huit jours, j'ai
vu plusieurs fois, lorsque l'embryon était étalé sur la plaque de
verre, un corps allongé, cylindrique, renflé en arrière et étendu,
suivant sa longueur, sous la région céphalique. Ce corps était en
mouvement ; il offrait des contractions et des dilatations succes-
sives, mais lentes et irrégulières. Il m'a toujours paru sans cavité
et comme formé par une accumulation de cellules. La situation
et l'aspect du cœur me rappelaient ce que j'avais vu, mais beau—
coup plus distinctement, dans le Brochet et dans la Perche.
Au-dessus de la région moyenne du vitellus, on voyait sous
l'embryon deux couches de cellules rondes, plus grosses et moins
transparentes que les cellules embryonnaires, disposées à peu près
comme les a représentées M. Vogt (Embryologie des Salmones,
fig. 136, p. 153); ces deux couches étaient séparées l’une de
Vautre par une ligne transparente. En eoagulant l'embryon, on
454 LEREROULLET,
voyait, après avoir enlevé la substance vitelline, une membrane
disposée en gouttière, et dont les hords s'inclinaient vers le
vitellus.
Cette gouttière membraneuse formée de cellules constitue la
paroi supérieure de l'intestin futur ; elle est d’abord ouverte dans
toute sa longueur ; mais au bout de très peu de temps, un jour
tout au plus, les deux bords se rejoignent en arrière, et forment
un petit cul-de-sac situé dans l’angle que fait le bord supérieur et
postérieur du vitellus avec la région caudale de l'embryon. La
vessie vitellaire est alors en communication avec l'embryon par
toute la longueur de sa face supérieure, puisque la gouttière abdo-
minale de l’embryon a ses deux feuillets latéraux étalés sur la
substance vitelline elle-même. A mesure que les deux bords de
la gouttière intestinale se soudent par le bas, d’arrière en avant,
la région caudale se détache du vitellus, la queue s’allonge et flotte
librement dans l'œuf, ef l'intestin s’isole en arrière. Il apparait
alors comme un boyau fermé en arrière, à l'endroit que l'anus
occupera plus tard, et largement ouvert en avant, à partir du
point où commence l’adhérence entre le vitellus et l'embryon. Un
tube correspondant au tube intestinal s’est formé du côté dé la tête,
au-dessus de la chambre cardiaque. Ce tube pharyngien s’élargit
en arrière, dans la région où se formera l'estomac ; ses bords
celluleux et comme déchirés se continuent avec la gouttière intes-
tinale. Ce tube antérieur est d’abord fermé en avant ; ce n’est que
plus tard qu’il s'ouvre dans la cavité buccale.
Pendant que le tube digestif se constitue, le cœur éprouve des
changements dans sa composition, sa forme et ses rapports.
De solide qu'il était dans l’origine, il devient creux et se détache
du plan inférieur de la tête pour descendre dans la chambre car:
diaque. Il prend donc la forme d’un cylindre qui s'étend sous un
angle droit entre l’embryon et le vitellus ; son extrémité inférieure
est élargie, el ses parois semblent se continuer avec la tunique
interne de la vessie vitellaire. On voit quelques globules osciller
dans la cavité du cœur, sous l'influence des contractions de cet
organe. |
Un ou deux jours plus tard, le boyau cardiaque s’allonge et se
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 455
replie sur lui-même en anse. La portion dirigée vers le vitellus
est plus large que l’autre et évasée.
Le cœur est alors entièrement celluleux; les cellules qui le
composent sont rondes, transparentes, faiblement granuleuses et
renferment un noyau dont le diamètre est moitié de celui de la
cellule (fig. 19). La grosseur moyenne des cellules du cœur est de
0"",013.
Je n'ai vu qu'imparfaitement les premiers temps de la cireula-
tion, l’embryon étant toujours plus où moins lésé, quand je le sor-
ais de l’œuf. J'ai pu seulement constater que les globules sanguins
élaient encore très petits, moitié environ des cellules du cœur et
tout à fait sphériques.
Depuis l'apparition du cœur jusqu'au moment où il est re-
courbé en anse, et pendant la formation des deux boyaux digestifs,
l’un postérieur, le tube rectal, l’autre antérieur, le tube buccal,
l'embryon se développe dans ses diverses parties. La queue s'est
allongée, l'extrémité antérieure de la tête s'est détachée du vitellus,
la nageoire embryonnaire commence à régner tout autour de
l'embryon, dans sa moitié postérieure. Un petit tubercule arrondi
situé de chaque côté au-dessus de la région cardiaque indique
l’origine des nageoires thoraciques.
Les deux extrémités du cylindre choroïdien se sont rapprochées
pour former la fente choroïdale. Les capsules auditives sont en-
tourées d’un cadre assez épais et renferment quelques grains qui
annoncent la formation des otolithes. La corde dorsale devient
peu à peu vésiculeuse dans toute son étendue. Les disques qui la
composaient se remplissent de substance gélatineuse, d’où il suit
que leurs tranches, d’abord linéaires, figurent maintenant des
ellipses et seront bientôt des vésicules transparentes. Au-des-
sous de la corde dorsale, entre elle et l'intestin, on voit les
conduits tubuleux des corps de Wolff; ceux-ci sont encore peu
distincts.
La bouche commence à se montrer sous la forme d'une fente
transversale, peu apparente.
- Au-dessus du cœur se voit un sac allongé représentant le
pharynx.
156 LEREBOULLET.
Les parois de l'intestin sont épaisses et se composent de cellules
allongées d’épithélium cylindrique.
Les lamelles vertébrales, parfaitement circonserites, sont for-
mées de cellules disposées en séries linéaires et sur le point de se
changer en fibres. Cependant l'embryon exerce déjà des mouve-
ments de contraction très prononcés; sa queue se remue avec
une certaine agilité, quand on le sort de l'œuf.
Le système nerveux cérébral s’est développé d’une manière
remarquable. Vue de profil, la masse nerveuse encéphalique
forme une grande vessie qui s'élève au-dessus du niveau de la
moelle épinière, en sorte qu’il existe un vide considérable, derrière
le cerveau, entre l’enveloppe du corps et le cordon rachidien. La
région antérieure s’est agrandie et présente une cavité ovalaire
circonscrite par le cordon nerveux primitif. La région moyenne
se compose en réalité de deux sacs en forme d’hémisphères creux,
allongés et rapprochés l'un de l'autre sur la ligne médiane, de ma-
nière à former une cavité simple.
Derrière cette région moyenne se voient deux plis de substance
nerveuse formés par les cordons rachidiens qui se sont raccourcis
en se disposant en travers et en se redressant derrière les deux
cavités précédentes, pour former par leur adossement la lamelle
cérébelleuse.
Si l’on sépare l’un de l’autre les deux cordons rachidiens sur
un embryon coagulé, on s’assure facilement que toute la masse
nerveuse encéphalique est formée par le prolongement de ces
cordons , ce qu’on pouvait prévoir par l’étude du système ner-
veux aux premières époques de son développement. Seulement
la masse nerveuse augmente dans chacune des deux moitiés de
l’encéphale et il se forme symétriquement dans le fond de la grande
cavité cérébrale des renflements disposés les uns au-devant des
autres.
La circulation générale s'établit quelques jours seulement
après la formation du cœur ; elle comprend la marche du sang
dans le corps et son passage à travers le vitellus, passage qui a
lieu aussitôt que les courants sanguins sont établis.
J'ai fait connaitre dans le Brochet et dans la Perche les pre-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 157
mières phases de cette circulation. Ce que j'ai pu en distinguer
dans la Truite a suffi pour me convaincre qu'elle se fait de la
même manière dans ce poisson.
I s'établit entre le cœur, l'embryon et le vitellus des anses cir-
culatoires de plus en plus allongées. Le sang du cœur passe dans
l'embryon en suivant un canal situé sous la corde dorsale et
qui devient désormais l'artère aorte. Arrivé au niveau de l’extré-
mité postérieure du vitellus, le courant sanguin revient sur lui-
même, pénètre dans le vitellus, dans lequel il se divise ordinaire-
ment en deux branches, et revient au cœur. Il n’y a alors qu’une
seule ellipse circulatoire, sans ramifications et sans réseaux. Les
canaux vitellins sont larges, mal circonscrits, comme s'ils n'étaient
pas encore munis de parois propres; ce n'est que plus tard, lors-
que la circulation vitelline est complétement établie, qu'on dis-
üngue à leurs contours les parois des vaisseaux.
Cetle première anse ou cette première ellipse circulatoire a pour
but de pourvoir à l’oxygénation du sang, en portant ce liquide à
la surface de la vessie vitellaire, pour le mettre en contact avec le
liquide ambiant. Comme la quantité des globules est encore très
peu considérable, une plus grande diffusion de la masse sanguine
est inutile, l’oxygénation peut se faire sur chacun des corpuseules
sanguins.
Mais l’aorte ne tarde pas à se porter dans la queue, portion du
corps déjà détachée du vitellus quand la circulation s'établit. A
mesure qu'elle s’avance le long du bord inférieur de cet organe,
elle revient sur elle-même et forme ainsi des anses ou des boucles
successives, placées les unes au-devant des autres. Les premières
boucles formées disparaissent peu à peu, mais il y en a toujours
plusieurs qui existent simultanément. Le vaisseau de retour, ou
veine cave, suit donc le bord inférieur de l'artère, avec laquelle
il s’anastomose par les boucles dont il vient d’être question. Ar-
rivée au vitellus, la veine cave y pénètre comme précédemment
et le traverse pour rejoindre le cœur.
Les corpuscules sanguins grossissent et surtout se multiplient
rapidement. Dès lors le besoin d’une dissémination plus grande
de ces éléments au contact de l’eau aérée se fait sentir. C’est alors
1538 LEREBOULLET.
que les courants vitellins primitifs commencent à se capillariser.
Ils se divisent en canaux plus petits et ceux-ci sont unis les uns
aux autres par des tubes flexueux, peu nombreux d’abord, mais
qui se multiplient rapidement, D’un autre côté, le nombre des
courants sanguins embryonnaires a augmenté et il se forme de
chaque côté deux veines caves, l’une antérieure, qui ramène au
cœur le sang des parties antérieures du corps, l’autre postérieure,
continuation de l’anse aortique terminale qui s'approche de plus
en plus de l’extrémité de la queue. La plus grande partie du sang: de
celle veine cave postérieure se jette dans le vitellus pour subvenir
à la respiration vitelline; une partie cependant m'a semblé se
rendre au cœur sans pénétrer dans le vitellus.
C'est du vingtième au trentième jour que la circulation vitelline
s'établit, après avoir passé par les phases dont je viens d'exposer
sucemetement les principales. Cette nouvelle fonction du vitellus
caractérise d'une manière toute spéciale la période d'évolution qui
nous occupe. Jusqu'ici le vitellus n'avait servi qu’à fournir les
matériaux nécessaires à l’accroissement, en d’autres termes il
était simplement nutritif. Maintenant il devient en même temps
appareil de respiration, puisqu'il permet au sang, en raison de
l'étendue de sa surface, de se diviser d’une manière suffisante
pour que les corpuscules sanguins reçoivent tous l’action vivi-
fiante de l’air dissous dans l’eau. Cette double fonction du vitellus
persiste jusque après l’éclosion; il ne cesse d’être respiratoire
pour redevenir simplement nutritif, que lorsque les organes
définitifs de l’hématose, c’est-à-dire les branchies, sont entrés en
fonction.
Quoique l’évolution des appareils circulatoire et digestif, ainsi
que l'établissement de la fonction respiratoire , constitue le cachet
particulier de la période actuelle, que je propose d'appeler pour
cette raison période nutritive du développement, cependant les
appareils nerveux, sensitifs et locomoteurs continuent à se déve-
lopper et à se rapprocher de plus en plus de ce qu’ils seront à
Pétat d'évolution complète ou à l’état parfait.
Vers le trentième jour, le système cérébral s’est concentré de
plus en plus en se raccourcissant, tandis que les éléments nerveux
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 159
ont continué à s’accroitre de manière à augmenter la masse encé-
phalique.
L'encéphale commence à prendre la forme qu'il affecte chez
l'adulte, surtout dans sa partie moyenne. Celle-ci s'élève, comme
nous l’avons déjà dit, en une voûte séparée sur la ligne médiane,
par une fente longitudinale, en deux moitiés symétriques (fig. 20).
Derrière cette voûte saillante se voient, dans les pièces coa-
gulées, comme deux bandelettes nerveuses disposées sur une
même ligne transversale et adossées l’une à l’autre sur la ligne
médiane. Quand on examine la pièce de profil, on voit que cette
bande nerveuse, transversale, interrompue dans son milieu, n’est
autre chose que le cordon rachidien lui-même qui s’est redressé
contre la partie postérieure de la vessie cérébrale moyenne
(fig. 23), pour former avec la même pièce du côté opposé une
lamelle verticale que nous appelons lamelle cérébelleuse.
C'est surtout par la dissection de pièces coagulées qu’on arrive
à se faire une idée juste de l’arrangement de ces parties. Cepen-
dant on peut aussi voir leur disposition sur des embryons vivants.
Notre figure 21, par exemple, la montre d’une manière très claire.
On voit les deux cordons rachidiens s’écarter l’un de l’autre, puis
revenir sur eux-mêmes et se porter de nouveau vers la ligne
médiane, tout en se redressant verticalement. Les deux cordons
ainsi repliés s’adossent sur la ligne médiane, puis se contournent
en dehors et en avant et vont former les parois latérales des deux
sacs dont la réunion constitue la grande cavité cérébrale moyenne.
Le sillon transversal qu’on voit entre les deux cordons nerveux
résulte de l’adossement de ces cordons. L
Tel est, d’après les nombreuses observations que nous avons
faites sur ce point dans le Brochet et dans la Perche d’abord, puis
sur la Truite, le mode de formation de la lamelle cérébelleuse,
rudiment du cervelet. Derrière cette lamelle redressée, le double
cordon rachidien est trés large et forme la moelle allongée.
Au-devant de la même pièce on voit sur les côtés la continua-
tion des cordons qui ont formé la Jamelle cérébelleuse, et entre
ces cordons une membrane nerveuse, tendue comme une toile
au-dessus de la cavité moyenne de l'encéphale. On peut enlever
160 LEREBOULLET.
facilement cette sorte de plafond voûté de la grande cavité céré-
brale et l’on découvre au fond de cette cavité plusieurs petits
renflements placés l’un au-devant de l’autre, et destinés à former
les couches optiques et les tubercules quadrijumeaux.
Au-devant de la grande cavité cérébrale l’encéphale se rétrécit
considérablement et se porte vers le bas en formant une petite
cavité oblongue dont il a déjà été question. Cette portion de l’en-
céphale, qui fournira les hémisphères cérébraux, touche à deux
dépressions cutanées qui représentent les rudiments des fossettes
olfactives.
Quand on examine l'embryon par en bas, la transparence des
parties fait distinguer des formes diverses, suivant qu’on allonge
ou qu'on raccourcit le foyer. On aperçoit d’abord le plancher de
la cavité cérébrale, puis, en raccourcissant le foyer, on voit des
formes arrondies qui représentent les renflements contenus dans
cette cavité. La fente qui partage en deux la région cérébrale
antérieure, est toujours large et offre des formes variées.
Les deux extrémités du cylindre choroïdien ou, pour être plus
exact, les bords du sac que forme la choroïde se rapprochent de
plus en plus et sont sur le point de se toucher. Le contact entre
ces deux bords a lieu un ou deux jours plus tard et alors l’anneau
choroïdien présente dans sa partie inférieure une fente linéaire
longitudinale qui persiste assez longtemps.
Le pigment commence au trente et unième jour à se déposer
dans cette enveloppe de l'œil; il n’est encore composé que d’un
petit nombre de granules disséminés qui donnent à l’œil une teinte
grisatre.
L'étude du cristallin est intéressante à cette époque du dévelop-
pement de la Truite, parce qu’elle montre l’origine et le mode de
formation des fibres de cette lentille transparente.
On voit d’abord au centre de la lentille un noyau granuleux,
composé d’une agglomération de corpuscules transparents, d’une
teinte uniforme, mate, quelquefois faiblement rosée, de grosseur
variable, ayant une forme sphérique ou irrégulière et comme
anguleuse. Ce noyau central augmente insensiblement de volume
par la formation de nouveaux corpuseules autour de ceux qui
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 161
existaient déjà. Ces petits corps nucléaires sont les éléments qui
formeront bientôt les fibres du cristallin. En effet, huit jours
plus tard on trouve le centre de la lentille occupé par des fibrilles
extrêmement fines, roides, disposées en couches concentriques
(tig. 22).
En écrasant le cristallin, on voit que les fibrilles sont à peu
près.toutes de la même longueur et que chacune d'elles est munie
vers sa partie moyenne d'un petit noyau brillant.
Les couches extérieures sont formées de cellules granuleuses,
disposées avec régularité les unes près des autres. Le diamètre de
ces cellules est de 0"",016.
Les capsules auditives n’ont pas changé d'aspect, mais elles se
sont rapprochées.de la tête à cause du raccourcissement que la
région antérieure du corps a subi par suite de la concentration
longitudinale du système nerveux. Ces capsules renferment deux
groupes de granulations calcaires qui occupent leur région in-
férieure.
Les narines ne sont encore que deux petites dépressions cuta-
nées, placées au-dessous de la partie antérieure de la tête. Elles
n'offrent pas de changement appréciable dans kur composition
jusqu'après l’éclosion.
La tête s’est dégagée du vitellus dans une assez grande étendue
(fig. 23); elle est très large, arrondie, et, vue de profil, elle
montre par transparence la grande cavité moyenne de l’encéphale
et la lamelle cérébelleuse qui se dresse derrière cette cavité.
Au-dessous se voit la bouche garnie en avant et en arrière de
deux rebords qui seront les deux raandibules.
Un peu plus en arrière se dessinent sur les côtés les fentes
branchiales. Les nageoires pectorales, qui s'étaient montrées vers
la fin de la période précédente sous la forme de tubercules, sont
maintenant des lamelles arrondies qui commencent à se mouvoir.
La queue est très longue, munie d’une grande nageoire embryon-
naire ; elle exerce des mouvements très agiles et presque continus.
Nous avons vu an commencement de ce chapitre le tube intes-
tinal se former par le reploiement des deux lamelles qui compo-
saient Ja gouttière intestinale.
4° série. Zooz. T. XVI. {Cahier n° 3) ? LE.
162 LEREROULLET.
Nous avons dit que cette goullièré se fermait d'arrière en avant
dans sa région postérieure, et d'avant en arrière dans sa région
antérieure , d’où l'existence de deux boyaux primitifs qu’on a
noimés inteslin reclal et intestin buccal.
Peu de temps après la formation de ce dernier, la partie de
l'émbryon qui lui fait suite en avant s’élargit et se creuse d’une
cavité. Cette portion élargie et creuse forme un sac allongé, le
sac pharyngien, sur les côtés duquel s’ouvriront bientôt les fentes
branchiales.
L'intestin buccal, dont la lumière est d’abord très étroite,
linéaire en quelque sorte, entre en communication avec ce sac
pharyngien. A l'endroit où cesse l'intestin buccal, celui-ci s’élar-
git et forme une ampoule à bords irréguliers et comme déchirés,
qui fait saillie vers le vitellus. Derrière cette dilatation stomacale
l'intestin ést encore largement ouvert et renferme la tunique
interne du sac vitellin qui s’allonge en pédicule pour se loger
dans la gouttière intestinale.
J'ai vu souvent celte disposition en vidant lentement le sac
vitellin. À mesure que le contenu s'écoule, on distingue mieux
les deux membränes dont se compose ce sac, l’externe continua-
tion de la peau et l’interne qui se prolonge en un pédicule pour
pénétrer dans l'intestin. Si l’on exerce de légères tractions sur le
vitellus, on fait saillir de plus en plus le pédicule intestinal
(fig. 23), au travers duquel on aperçoit le pédicule vitellin qui
se terminé en cul-de-saé ; mais les tractions font sortir facilement
lé prolongement cæcal du vitellus du tuyau qui le renfermait.
Il est très difficile de déterminer le mode de formation du foie;
malgré de nombreuses recherches, je n'ai pu encore arriver à
établir d’une manière positive sa véritable origine.
V'ai extrait plusieurs tubes digestifs du vingt-septième au trénte-
deuxième et trente-troisième jour, après les avoir faiblement coa+
gulés, afin d'en examiner la composition élémentaire et de recher-
cher la différenciation des cellules qui doit avoir pour résultat la
formation du foie.
Un appareil digestif du trente et unième jour n'offrait encore
aucune trace de cette glande. Il montrait l’ampoule stomacale
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 165
encore ouverte en arrière-et se continuant avec la gouttière intes-
tinale; mais on ne voyait dans le voisinage de lestomac aucune
forme qui püût annoncer l'existence d’un rudiment de glande.
Dans un autre appareil digestif d’un embryon qui n’était qu’au
trentième jour, on voyait au contraire sur les côtés du renflement
stomacal une forme arrondie dont les contours se distinguaient
des contours de l'estomac.
Dans quelques pièces, cette portion lobulée n’offrait qu'une
trame amorphe, sans structure distincte. Dans d’autres elle éfait
composée de cellules sen:blables à celles du tube digestif ; elles ne
s’en distinguaient que parce qu’elles étaient un peu plus grosses
et plus pâles.
Les cellules de l'intestin examinées fraiches sont globuleuses,
brillantes ; elles renferment un ou deux nucléoles vésiculeux,
brillants , et ne mesurent que 0°",008. Celles du foie ont un dia-
mètre de 0"",013 ; leur enveloppe paraît plus mince, ce qui les
rend plus transparentes ; du reste, elles ont la même composition.
Les cellules de l'intestin, comme celles du foie, quand elles sont
coagulées, deviennent granuleuses.
À l’époque que nous venons de décrire où le foie est encore
confondu, pour ainsi dire, avec le renflement stomacal, les organes
sécréteurs qui représentent les reins embryonnaires, el qu’on
désigne sous le nom de corps de Wolff, se composent de deux
renflements tubuleux rapprochés l’un de l’autre, et situés au-des-
sus du tube alimentaire, derrière le cœur, au niveau des nageoires
pectorales (fig. 23 et 24).
Ces renflements se continuent chacun en un tube qui marche
parallèlement avec l'intestin, au-dessus de lui, et se terminent au
niveau du cul-de-sac anal.
Sur dés embryons coagulés, on peut dérouler le renflement
antérieur ou le corps de Wolff proprement dit. D'abord le renfle-
ment est globuleux, et ordinairement double (fig. 25). Plus tard,
au lieu de deux corps globulenx, on trouve deux tubes repliés sur
eux-mêmes, et maintenus rapprochés par un tissu connectif assez
serré (fig. 26). Ces tubes repliés ont la même structure que les
tubes excréteurs qui en sont la continuation ; ils paraissent remplis
16/4 LEREBOULLET.
de corps utriculiformes qui en obstruent la cavité (fig. 27), et ils
sont entourés d'une gaine de cellules disposées longitudinalement,
indices de l'enveloppe fibreuse dont ils seront munis plus tard.
C'est vers le vingt-septième jour que les fentes branchiales
commencent à se montrer, aussitôt que la circulation vitelline est
complétement établie, c’est-à-dire qu'il s'est formé un réseau
sanguin à la surface du vitellus.
Sur des embryons du trentième jour, ces fentes étaient au
nombre de cinq sur les côtés du sac pharyngien ; elles commen-
çaient à se prolonger vers le bas pour se porter vers la ligne
médiane.
A mesure que les fentes branchiales se produisent, des courants
sanguins se détachent de l'extrémité antérieure du eœur, pour se
porter le long des ares solides qui résultent de la production des
fentes latérales. Ces ares vasculaires se réunissent en arrière en
un seul courant, qui se joint à celui du côté opposé pour former
l'artère aorte.
Cette première division de la masse sanguine en avant du cœur
est une modification très importante qui constitue en réalité le
commencement d'une nouvelle phase de la vie embryonnaire,
puisqu'elle annonce l'établissement futur de la respiration bran-
chiale. On peut alors se représenter, dans son ensemble, la cir-
culation générale comme décrivant une grande ellipse interrompue
sur deux points de son trajet, points qui correspondent l’un au
vitellus, l’autre à la région branchiale ; en d'autres termes, le sang
se divise deux fois, et forme ainsi deux sortes de cônes opposés
ou deux doubles cônes. Mais un seul de ces doubles cônes est
pourvu d’un système capillaire interposé entre les vaisseaux qui
se divisent et ceux qui se réunissent : c’est le système capillaire
vitellin. Du côté des ares branchiaux, au contraire, les vaisseaux
qui partent de l’artère se réunissent au-dessus de l'appareil que
forment ces arcs, sans passer auparavant par un système capil-
laire.
I suit de là que la formation des ares vasculaires branchiaux
ne modifie pas encore Ja respiration de l'embryon ; celle-ci se fait
toujours par le vitellus. puisque ce n’est qu’à la surface de ce
RECHERCHES log LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 165
grand sac nutritif que les vaisseaux se divisent assez pour rendre
l'hématose suffisante.
Le cœur, qui s’est coudé de plus en plus, à maintenant ses deux
renflements, loreillette et le ventricule.
Les corpuscules sanguins sont encore sphériques et petits ; ils
ne mesurent que 0"",095 ou tout au plus 0"",008, tandis que les
plus petites cellules du cœur ont 0"",01. Cette disproportion entre
les globules sanguins et les cellules du cœur montre que ces glo-
bules ne dérivent pas directement de celles-er.
J'avais déjà fait la même observation sur le Brochet et sur la
Perche ; nous verrons plus loin qu’elle s'applique aussi au Lézard.
En sorte que, dans les Vertébrés dont j'ai suivile développement,
les corpuscules sanguins commencent par être des granules ou
des vésicules très petites, sphériques, sans noyau et sans contenu
d'aueune nature. Ce n’est que longtemps après l'apparition du
cœur, lorsque la respiration branchiale commence à s'établir,
qu'ils s’allongent, prennent leur forme elliptique normale, et sont
munis d'un noyau.
Nous venons d'exposer l’évolution des principaux appareils
embryonnaires depuis le trentième jusqu'au quarantième jour.
Nous allons les reprendre à partir de cette dernière époque, et les
suivre jusqu'à l’éclosion.
C’est environ vers le quarantième jour que la circulation vitel-
line est en pleine activité, c’est-à-dire que tous les vaisseaux
capillaires se sont développés à la surface du vitellus. On dis-
tingue alors assez bien l’ensemble de ces vaisseaux à travers la
coque de l'œuf, qui prend dès ce moment une teinte rougeître.
Les plus fins capillaires entourent les globules huileux, qui sont,
comme toujours, agglomérés sous le corps de l'embryon, et for-
ment une couronne vasculaire autour de chacun d’eux. La respi-
ration vitelline est donc en pleine activité, et l’on peut dire que la
membrane vitelline, sur laquelle s’étalent les nombreux vaisseaux
capillaires, remplit en ce moment la même fonction que l’allan-
toïde dans les Vertébrés aériens, lorsque cette membrane est déve-
loppée autour de l’œuf.
Ce qui caractérise surtout la phase dans laquelle entre l’em-
166 LEREBOULLET, |
bryon, lorsque la circulation vitelline est établie, c’est le déve-
loppement du foie qui devient bientôt le siége d’une circulation
capillaire non moins remarquable que celle du vitellus.
Nous avons vu plus haut que le foie se montre d’abord comme
une petite masse celluleuse appliquée contre la paroi extérieure de
l'estomac, alors que l'intestin est encore ouvert dans une assez
grande étendue. Il ne se distingue du sac stomacal que par son
contour, ses cellules ayant d’abord beaucoup de ressemblance
avec celles du tube digestif.
Peu à peu la glande grossit et se sépare de l'intestin, ap-
puyant sur le vitellas qu’elle déprime et qu’elle éloigne de la
face inférieure du corps, contre laquelle ce vitellus était aupara-
vant appliqué. Les cellules hépatiques ont grossi ; elles ont toutes
un noyau vésiculeux assez considérable.
Une veine particulière qui ramène le sang de l'intestin, la
veine sous-intestinale, suit le bord inférieur, puis le bord supé-
rieur de l'intestin ; arrivée au niveau del’estomac, elle se recourbe,
pénètre dans le foie, et s’y divise en formant un réseau serré.
Les mêmes vaisseaux sortis du foie circulent dans le vitellus. Nous
reviendrons sur cette disposition en reprenant la circulation
générale.
Quelques jours plus tard (vers le cinquantième jour), le foie
offre un aspect lobulé bien apparent. Chacun de ses lobules est
entouré d’un anneau vasculaire, qui rappelle la disposition qu'on
observe sur l'adulte. On voit par transparence la forme de ces
lobules et la circulation qui se fait autour d'eux ; on voit aussi
une grosse artère se détacher de l'aorte, et se diviser en plusieurs
branches qui pénètrent dans le foie à côté de la veine.
Le foie est muni d’une vésicule biliaire remplie d’un liquide
jaunâtre, et il tient à l’intestin par un large canal excréteur : le
canal cholédoque.
La circulalion générale s’est augmentée de la cireulation rachi-
dienne dont il sera question plus loin, et de la circulation péri-
intestinale. L'intestin est bordé de deux vaisseaux : une artère qui
longe sa face supérieure et une veine qui occupe sa région infé—
rieure, L’artère envoie de distance en distance des rameaux
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 167
d'anastomose qui contournent l’intestin et vont se jeter dans la
veine. Arrivée dans le voisinage de l'anus, l'artère revient sur
elle-même en formant une dernière boucle qui se continue direc-
tement avec la veine; de cette manière l'intestin est entouré d’un
réseau vasculaire à mailles lâches et plus ou moins espacées,
Avant de pénétrer dans le foie, la veine sous-mtestinale se porle
à la face supérieure de l'intestin comme nous l'avons dit, puis se
recourbe subitement, entre dans la glande, et s’y divise en un
arand nombre de rameaux volumineux, desquels partent les anses
anastomotiques et les petits vaisseaux qui se capillarisent et se
disposent autour des lobules. 11 ne m'a pas été possible de suivre
la marche des artères qui pénètrent dans le foie tout près des
veines. Il est probable qu’elles accompagnent ces dernières, et se
perdent dans les capillaires de la glande.
Les veines du foie, quand elles sortent de la glande, s’étalent
dans toutes les directions sur le vitellus.
Le foie à done apporté une modification importante à la cireu-
lation vitelline, Dans l’origine, en effet, le vitellus recevait directe-
ment le sang de la veine cave on, pour mieux dire, le sang qui, de
l’extrémilé terminale de l'aorte, revenait au cœur, sans avoir péné-
tré dans la queue ; la veine cave proprement dite n'existait pas
encore. Quand le foie est pourvu de son appareil vasculaire, c'est
la veine sous-intestinale qui fournit le sang au vitellus, puisque
c’est elle qui se jette dans le foie, et produit les nombreux troncs
vasculaires qui parcourent cette glande. Le sang qui a cireulé dans
l'embryon retourne done au eœur par deux voies, par la veine
cave ou veine cardinale qui se rend au cœur sans traverser Île
vitellus, et par la veine intestinale qui dérive de cette même veine
cave. D'un autre côté, le foie reçoit des artères qui se détachent
de l'aorte, et pénètrent dans la glande à côté du vaisseau intesti-
pal, Il n’est pas difficile de voir dans cet arrangement l'indice de la
circulation hépatique, telle qu’elle existe chez l'adulte : la veine
intestinale sera et est même déjà une veine porte ; l'artère qui
accompagne ses ramifieations dans le foie est l'artère hépatique, et
quant aux veines hépatiques, elles sont représentées par les vais-
seaux vitellins qui ne retournent au cœur qu'après avoir parcouru
168 LEREBOULLET .
le vitellus. L'embryon est, à cette époque, très riche de sang, et la
cireulation vitelline offre, sous le microscope, l'un des plus beaux
spectacles que l’on puisse voir.
Les derniers jours de cette époque se confondent avec l’époque
de l’éclosion ; la coque de l’œuf devient extrêmement mince, et se
déchire au moindre contact. L’embryon se meut avec énergie
dans son œuf qu'il remplit exactement ; il cherche à se retourner,
et les tentatives qu'il fait pour y parvenir ont pour effet de déchi-
rer l'enveloppe mince et friable qui s'oppose à sa mise en liberté.
L'eau qui s'interpose entre la coque et le jeune poisson seconde
les efforts de celui-ci, la coque tombe en lambeaux ou se divise
en deux. et l’éclosion a lieu.
Le petit poisson sort de l’œuf vers le cinquante-deuxième jour,
quelquefois plus tard, rarement plus tôt.
Il nage un instant, puis se laisse tomber au fond de l’eau, et
demeure immobile pendant un temps assez long.
* Iest alors muni de tous les appareils locomoteurs dont il a
besoin; ses nageoires peclorales très longues s’agitent d'un mou-
vement vibratoire très vif et continuel ; sa longue queue est munie
d'une nageoire embryonnaire étendue. Ses fibres musculaires
commencent à prendre le caractère qui leur est propre; elles sont
allongées, roides, transparentes ; mais elles n'offrent encore
aucun genre de striation ni longitudinale, ni transversale.
Résumé du quatrième chapitre.
1. L'évolution des appareils circulatoire et digestif, l’établisse-
ment de la respiration vitelline et le passage de cette respiration à
la respiration branchiale, caractérisent essentiellement cette période
à laquelle nous donnons pour ce motif le nom de période nutritive
du développement embryonnaire.
2. Cette période comprend elle-même deux phases :
Dans la première, tout le sang de l’embryon passe directement
par le vitellus ; il n'existe qu’un seul grand cerele cireulatoire.
Dans la seconde phase, qui commence à l'établissement de la
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 169
circulation hépatique et à la formation des ares vasculaires bran-
chiaux, le sang embryonnaire ne passe qu’en partie par le vitel-
lus. Une portion cousidérable de ce liquide va au cœur sans avoir
traversé le vitellus, circule dans les ares branchiaux, et ne vient
respirer à la surface du sac vitellaire qu'après avoir traversé le
foie, en passant par les veines et par les artères qui vont à cette
glande.
Il existe alors deux cercles cireulatoires : un cercle embryon-
naire formé par le sang qui part du cœur, circule dans l'embryon
et revient au cœur avant d’avoir pénétré dans le vitellus, et
un cercle vitellin qui s’est établi entre le cœur, le foie et le
vitellus.
3. Ces deux phases sont séparées l’une de l’autre par l’achève-
ment du tube digestif et l’établissement'de la circulation péri-
intestinale.
Nous allons grouper les principaux faits embryologiques qui
se rattachent à l’une et à l’autre de ces phases.
h. Le cœur est primitivement une masse cylindrique, pleine,
c’est-à-dire sans cavité intérieure, composée de cellules et éten-
due sous la tête.
5. Quoique plein et celluleux, le cœur se contracte d’une
manière rhythmique dès son apparition.
6. Le cœur se détache de la région inférieure de la tête, et
descend dans la chambre cardiaque sous la forme d’un boyau
droit étendu directement entre la tête et le vitellus.
ILest alors muni d’une cavité centrale, dans laquelle on ne dis-
tingue d’abord aucun globule.
7. Le boyau cardiaque se recourbe en anse, et se renfle en deux
cavités : l’une antérieure, qui sera le ventricule; l’autre posté-
rieure, l'oreillette, dont les bords se perdent sur la membrane du
sac vitellaire.
8. Les cavités du cœur renferment des globules qui éprouvent
un mouvement de va-et-vient, par suite des contractions de cet
organe. On ne voit pas de globules hors du cœur.
9. Les globules sanguins sont pendant longlemps plus petits
que les cellules dont le cœur se compose. Leur forme est d’abord
170 LEREBOULLET ,
sphérique; ils grossissent assez lentement, et deviennent peu à
peu elliptiques.
10. La première circulation ne s'aperçoit que cinq ou six jours
après la formation du cœur.
11. Le sang décrit d’abord une grande ellipse qui embrasse le
vitellus. L'une des branches de cette ellipse, l'aorte, est simple ;
l'autre, la branche de retour, se divise dans le vitellus avant de
revenir au Cœur.
12. Les trones qui ramènent le sang au cœur sont d’abord
simples ; plus tard seulement ils se multiplient dans le vitellus, et
s'unissent entre eux par des rameaux d’anastomose plus déliés.
13. La simplicité de la cireulation et l'absence de ramifieations
vasculaires sont en rapport avec la petite quantité des globules
sanguins. Les vaisseaux se multiplient à mesure que les corpus-
cules sanguins augmentent en nombre et en volume.
14. Ainsi le nombre des vaisseaux est toujours en rapport avec
les besoins de la respiration.
15. Peu à peu l'artère aorte pénètre dans la quéue, et forme,
en revenant sur elle-même, des boucles successives placées les
unes au-devant des autres. La queue est alors pourvue de deux
vaisseaux superposés, l'artère en dessus, la veine en dessous. La
cireulation est à la veille de se modifier pour constituer la seconde
phase de la période nutritive.
16. Dès que la circulation vitelline est établie, le vitellus rem-
plit une double fonction : il est à la fois un organe de nutrition qui
fournit à l'embryon les éléments nécessaires à son développement,
et un organe de respiration pour les globules sanguins qui vien-
nent se répandre à sa surface.
47. La naissance du tube intestinal coïncide à peu près avec
l'apparition du cœur.
18. L'intestin commence par une accumulation de cellules au-
dessous du feuillet muqueux primitif, le long de la face inférieure
de l'embryon.
19. Ces cellules se disposent aussitôt en gouttière, dont les
bords s'inclinent vers le bas et tendent à se rapprocher pour se
souder l’un à l’autre.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 171
20. La fermeture de la gouttière intestinale se fait suivant une
direction longitudinale centripète, c’est-à-dire en deux sens oppo-
sés, d'arrière en avant et d'avant en arrière.
21. Il en résulte deux boyaux fermés chacun à leur extrémité :
l'intestin rectal et l’intestin buceal.
22. Ces deux boyaux, continus par leur face dorsale, sont infer-
rompus du côté ventral, et offrent dans leur région moyenne/une
longue fente en forme de boutonnière, dont la partie antérieure
est renflée en ampoule.
Une petite portion du vitellus est embrassée par les lèvres de
cette boutonnière.
23. À mesure que la fente intestinale se ferme, le vitellus
que celte fente renfermait s’étrangle et se change bientôt en un
pédieule qui persiste assez longtemps après que la fente à dis-
paru.
24. Pendant que la gouttière intestinale se change en tube, la
région située au-dessus du cœur s’élargit et se creuse d’une cavité.
Le sac pharyngien se forme, et la bouche apparaît comme une
fente transversale située sous le museau.
25. Le fond du sac pharyngien entre bientôt en communication
avec l'extrémité en forme de cæcum de l'intestin buccal.
26. Pendant que la soudure des deux bords de la gouttière à
lieu en arrière, la queue se détache du vitellus et devient flottante ;
elle s’allonge rapidement.
27. En avant la tête se soulève et se détache aussi du vitellus,
mais plus tardivement.
28. Aussitôt que la queue s’est détachée et a atteint une cer-
taine longueur, elle s'entoure d’une nageoire mince, transparente,
homogène, la nageoire embryonnaire.
29. En même temps une petite saillie tubereuleuse, située de
chaque côté de la région thoracique, annonce la formation des
nageoires pectorales.
30. La bourse choroïdienne s’est fermée; les deux cylindres
se sont rapprochés l’un de l’autre, pour former par leur juxtapo—
sition une fente linéaire, la fente choroïdale.
31. Peu de temps après, la choroïde se remplit de pigment ;
172 LEREBOULLET.
elle a d’abord une teinte grisâtre qui augmente peu à peu d’in-
tensilé.
32. Le cristallin, qui jusqu'ici était resté homogène, offre à son
centre un noyau composé de corpuseules nucléaires brillants.
33. Peu à peu le nombre de ces corpuscules augmente; puis ils
S’allongent et se transforment en fibres fusifornies, très déliées,
ayant un noyau dans leur partie moyenne et disposées en couches
concentriques : ce sont les fibres du cristallin.
54. Les capsules auditives ont le même aspect que précédem-
ment; seulement elles se rapprochent de plus en plus de la tête et
elles contiennent des granules calcaires disposés en deux groupes,
les otolithes.
35. La corde dorsale devient vésiculeuse dans toute son étendue.
86. Le système nerveux, dès le commencement de cette pé-
riode et pendant toute sa durée, se concentre de plus en plus dans
la région céphalique, en même temps que sa masse augmente.
37. Les deux cordons rachidiens se replient sur eux-mêmes,
derrière le renflement cérébral moyen, et forment par leur ados-
sement la lamelle cérébelleuse qui se dresse verticalement der-
rière ce renflement.
38. Les mêmes cordons se continuent en avant pour former
les parois latérales de la grande cavité cérébrale et celles du ven-
tricule antérieur.
39. Le fond de la grande cavité cérébrale se garnit de renfle-
ments nerveux, tandis que son plafond se constitue par deux
lamelles nerveuses qui se disposent en voüte au-dessus de cette
cavité.
h0. Les lamelles vertébrales sont encore celluleuses ; mais on
remarque que les cellules qui les composent sont disposées en
séries linéaires, ce qui annonce la formation prochaine des fibres
musculaires.
1. Cependant l'embryon exerce déjà des mouvements de
totalité par de légères secousses et surtout des mouvements par-
tiels, quelquefois très vifs, de sa queue.
42. Avant que la fente intestinale soit fermée, on distingue je
premiers Indices du foie sous la forme d’un corps celluleux, appli-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 173
qué contre les parois extérieures de l'estomac, à l'endroit où il se
continue avec l'intestin.
13. En même temps apparaissent les fentes branchiales qui
entament peu à peu et successivement les côtés de la cavité pha-
. ryngienne.
kk. Le cœur envoie des vaisseaux le long des ares qui résultent
de la présence de ces fentes.
Ces vaisseaux se réunissent en arrière pour former les deux
branches de l'aorte.
L5. Une artère se détache de l’aorte pour se porter vers le foie,
dans lequel elle pénètre et se divise.
h6. Pendant ce temps la circulation embryonnaire s’est modifiée
par l'établissement d’une circulation particulière autour de l’in-
testin. |
47. Une artère provenant de l'aorte suit le bord supérieur de
l'intestin et envoie des rameaux d'anastomose vers la veine qui
en suit le bord inférieur.
h8. La veine cave ou veine cardinale, qui prend naissance à
l’extrémité de la queue, marche parallèlement à l'aorte et va droit
au cœur sans pénétrer dans le vitellus.
h9. La veine sous-intestinale quitte l'intestin à la hauteur de
l'estomac et pénètre dans le foie avec l'artère hépatique.
50. Le foie s’est détaché de l’estomac et déprime le vitellus; il
est devenu globuleux et se compose d’une infinité de petits lobules
entourés d’un anneau vasculaire.
51. Les veines du foie, bien plus nombreuses et plus grosses
que les artères, sortent de la glande et se répandent dans le
vitellus ; puis ces veines vitellines se réunissentetse portent au cœur.
52. La veine sous-intestinale fonctionne done déjà comme une
veine porte, l'artère qui pénètre avec elle dans le foie est l’artère
hépatique, et les veines vitellines représentent les veines hépa-
tiques, quoiqu’elles aient pour mission particulière en ce moment
de présider à l'hématose en se divisant sur le vitellus.
53. Les corps de Wolff et leurs conduits excréteurs ne de-
viennent bien distincts que pendant celte seconde phase de la
période nutritive.
47h LEREBOULLET,
5k. Les corps de Wolff commencent à se montrer en même
temps que la gouttière intestinale primitive. Ils consistent dans la
formation de deux tubes repliés sur eux-mêmes à leur origine.
55. Ces tubes repliés et enroulés forment deux corps globuleux,
rapprochés l’un de l’autre et situés derrière le cœur, au-dessus du
canal intestinal.
56. Ils sont composés d'éléments utriculiformes qui paraissent
remplir -Jeur cavité et annoncent leur nature sécrétoire.
91. À mesure que le foie grossit, il s’isole de plus en plus de
l'intestin, ses lobules se dessinent mieux, il est muni d’un canal
excréteur qui s'ouvre dans l'intestin, et d’une vésicule biliaire
que l’on reconnait à son contenu jaunâtre.
58. Pendant la durée de cette seconde phase de la période
nutritive, l'embryon continue à se développer dans ses différentes
parties ; il exerce dans son œuf des mouvements vifs et fréquents ;
la coque s’amineit de plus en plus et se déchire au moindre effort.
99. L'éclosion a lieu vers le cinquante-deuxième jour. Le petit
poisson sorti de l'œuf se tient tranquille, étendu au fond de l’eau ;
il ne se déplace que de temps à autre, pour nager un instant, puis
il retombe et reprend son immobilité habituelle.
CHAPITRE V.
Quatrième période, ou période d'achèvement, comprenant le développe-
ment du poisson depuis l’éclosion jusqu’à la disparition de la vessie
vitellaire.
Le développement du poisson est loin d’être terminé quand il
sort de son œuf. Ce n’est qu'après l’éclosion qu'ont lieu l’évolution
des branchies et la formation des nageoires, deux modifications
importantes qui mettent le poisson en harmonie avec sa nouvelle
destination et qui achèvent de le constituer. Pendant toute la durée
de cette période, le vitellus continue à fonctionner comme organe
putriif et comme appareil respiratoire, jusqu'au moment où les
branchies, devenues suffisantes pour l’hématose, attirent à elles
tout le sang et fonctionnent d’une manière définitive.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 175
Cette période dure environ deux mois ou même deux mois et
demi, Suivant les conditions au milieu desquelles se trouve le petit
poisson.
Ge qui frappe tout d’abord dans la jeune Truite récemment
éclose, c’est le volume considérable du vitellus, Celui-ci, en effet,
forme une grosse vessie cylindrique, aussi large en arrière qu’en
avant, étendue depuis la région du cœur jusqu’à la région analg,
et dont la hauteur est égale à quatre ou cinq fois Ja hauteur du
corps, tandis que sa longueur dépasse encore cette proportion.
Cette grande poche vitelline montre par transparence des gonttes
plus où moins nombreuses de graisse liquide, dispersées dans
toute son étendue ; la plupart sont réunies en avant, vers la région
du cœur, où l’on voit toujours une ou plusieurs gouttes beaucoup
plus grosses que les autres. |
Le vitellus est parcouru par de nombreux vaisseaux très rap
prochés les uns des autres et s’anastomosant fréquemment entre
eux. Ces vaisseaux forment un magnifique réseau à mailles allon-
gées, IS paraissent tous provenir de da veine sous-intestinale,
car lous m'ont semblé sortir du foie. Après avoir parcouru le
vitellus, ils se réunissent en un tronc principal qui marche le long
du bord inférieur de ce sac et va se jeter dans l’oreillette.
Le cœur recoit de chaque côté deux veines caves, l’une anté-
rieure, l’autre postérieure.
La veine cave antérieure ramène le sang de la tête. I existe
dans cette région une circulation très riche, mais qu'il est difficile
de suivre à cause de la présence du pigment. Celui-ci, en effet,
qui à commencé à se déposer une dizaine de jours avant l’éclosion,
couvre maintenant les diverses régions du corps, mais surtout la
région supérieure, et'empêche de distinguer les vaisseaux. Cepen-
dant on voit très bien sur le sommet de la tête un grand nombre
de veines se diriger en arrière et se réunir en un seul tronc qui
passe par-dessus l'oreille, se recourbe derrière l'appareil bran=
chial et se jette dans l'oreillette à côté de la veine cave postérieure,
ou en s’unissant à elle pour former un sinus.
La veine cave postérieure résulte du retour du sang de l'artère
aorte qui, lorsqu'elle est arrivée au bout de la queue, revient
176 LEREBOULLET.
directement sur elle-même. Toujours plus grosse que l'artère, la
veine cave est située au-dessous d'elle. Arrivée à quelque dis-
tance du cœur, elle se divise en deux troncs qui vont de chaque
côté aboutir à l’oreillette, après s'être élargis en sinus en s’unis-
sant à la veine cave antérieure.
Le cœur se prolonge maintenant en avant en un tube artériel,
muni à son origine d'un renflement bulbiforme. Ce tube ou
l'artère branchiale se porte entre les ares branchianx et fournit
latéralement les vaisseaux qui courent le long du bord convexe de
ces arcs (fig. 31).
L'extrémité terminale de l'artère branchiale fournit des vais-
seaux déliés aux pièces operculaires qui sont en train de se for-
mer, mais qu'on ne distingue pas encore, et à l’arcade maxillaire
inférieure. Une première paire de vaisseaux se porte en arrière
et dessine le contour des opercules. Une seconde paire est des-
tinée aux préopercules. Entre ces deux vaisseaux nait une artère
médiane qui semble être la continuation de l'artère branchiale;
elle se porte en avant vers le point de jonction des deux branches
du maxillaire inférieur, et là elle se divise en deux rameaux qui
suivent le contour de ces os.
Les arcs vasculaires branchiaux, au nombre de quatre, beau-
coup plus gros que les artères dont il vient d'être question, con-
tournent le bord convexe des arcs branchiaux et vont se réunir
au-dessus de ces arcs en un seul tronc de chaque côté. Ces deux
troncs, d’abord séparés l’un de l’autre de toute la longueur de la
tête, se rapprochent peu à peu de la ligne médiane et s’unissent
l’un à l’autre à une petite distance derrière la région des oreilles
en un tronc unique, l'artère aorte, qui se porte directement en
arrière sous la corde dorsale jusqu’à l'extrémité de la queue.
Une cireulation des plus remarquables par sa disposition el sur-
tout par son élégance est celle qui s'établit quelque temps déjà
avant l’éclosion, autour des arcs vertébraux, et qui forme une
admirable ceinture vasculaire autour du corps dans toute sa
longueur (fig. 29 et 30).
De l'artère partent, de distance en distance, des vaisseaux qui
montent verticalement vers la région dorsale. Arrivées au-dessus
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 477
de la corde dorsale, ces artères se bifurquent, décrivent en avant
et en arrière un are de cercle et se changent en veines qui re-
descendent vers a veine cave, dans laquelle elles se jettent. On.
peut très bien suivre la marche du sang et le voir monter par
l'artère, décrire 3es ares dorsaux et redescendre dans une direc+
tion parallèle, pour aller rejoindre la veine cave. Je n’ai jamais yu
l'artère et la veine contiguës; toujours, au contraire, le vaisséau
ascendant et le vaisseau descendant étaient régulièrement espatés.
Le plus souvent les artères et les veines, que l’on pourrait appeler
péri-verlébrales, \lternaient régulièrement; quelquefois cependant
on voyait deux artères consécutives. Les lignes obliques, qui
marquent les divisions vertébrales et qui indiquent maintenant les
intersections tendineuses des masses musculaires latérales, sont
aussi accompagnées de vaisseaux alternativement artériels et
veineux, plus petits que les précédents, et qui viennent s'unir à
eux tout près de leur point de jonction avec l’aorte ou avec la
veine cave. Enfin là partie inférieure du corps, mais seulement
dans la région caudale, offre des vaisseaux analogues qui se di-
rigent en bas, contournent le corps du poisson et disparaissent à
la vue.
Il est certain que ce riche appareil vasculaire est en rapport
avec la formation prochaine des appendices vertébraux, c’est-à-
dire des apophyses épineuses dont les cartilages ne tarderont pas
à se montrer. Très souvent nous avons pu constater, dans nos
recherches sur le développement des poissons, que l’apparition
des vaisseaux sanguins précède et annonce en quelque sorte un
travail qui a pour résultat la formation de cartilages d’ossification.
Nour citerons pour exemples : la richesse dela circulation dansles
parois de la boîte crânienne qui précède et accompagne les for-
mations cartilagineuses de cette enveloppe; les vaisseaux qui cir-
conscrivent les pièces operculaires, avant que ces pièces soient
appréciables à la vue (fig. 31); et nous allons voir des dispositions
analogues et peut-être plus curieuses encore pour la formation
de la nageoire caudale.
Du reste, cet arrangement est conforme aux lois physiologiques
que tout le monde connaît. Toujours les cartilages d’ossification
4° série. Zooz. T. XVI. (Cahier n° 3.) 4 12
178 LEREBOULLET
sont riches en vaisseaux sanguins, parce que c’st le liquide san-
guin qui apporte les matériaux nécessaires à te travail d’orga-
nisation.
Lorsque l'aorte est arrivée à l'extrémité de k corde dorsale, à
l'endroit où celle-ci se replie vers le haut, et avant de former sa
boucle terminale, elle se porte en bas vérs le bord inférieur de
la nageoire embryonnaire, et décrit une ou plusieurs anses vas-
cuhires dont l’ensemble forme un élégant plexus. Ce plexus,
d’abord très simple, commence à se montrer avant l’éclosion vers
le quarante-huitième jour; il n’est alors composé que de deux ou
trois anses vasculaires, mais peu à peu il augmente d’étendue et
s'étale en éventail (fig. 29).
Plus tard, les anses vasculaires qui le forment prennent une
direction rectiligne et se disposent parallèlement les unes aux
autres. Chaque anse forme une ellipse qui s’allonge de plus en
plus et dont une des branches est constituée par une artère et
l'autre par une veine (fig. 30).
On voit des granules pigmentaires sc disposer par groupes le
long des vaisseaux et enfin, quand les rayons de la nageoire sont
formés, chaque rayon occupe l’espace étroit et long circonserit
par les vaisseaux, et se trouve en quelque sorte encadré par ces
derniers.
Il'est donc évident que le plexus caudal, dont je viens de don-
ner la description, précède et annonce la formation des rayons de
la nageoire caudale.
Pour terminer cet exposé sommaire de la circulation à l’époque
de l’éclosion, il ne nous reste plus qu'à dire quelques mots de la
- circulation péri-intestinale. Celle-ci est très riche sur les poissons
récemment éclos, et elle se fait, comme avant l'éclosion, par une
artère et par une veine qui parcourent l'intestin dans toute sa
longueur, et entre lesquelles existent de nombreuses anasto-
moses flexueuses, disposées aulour du tube intestinal.
L'aspect général du tube digestif a peu changé. Cependant un
nouvel organe s’est montré sur le trajet de ce tube, c'est la vessie
natatoire. Elle apparaît avant l’éclosion sous la forme d’une dé-
pression située sur les parois de l’œsophage. Vers l’époque de
RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 179
Péclosion ce culile-sae se sépare de plus en plus 'de l'œsophage
et se resserre à sen origine, de manière à ressembler à une petite
fiole (fig. 28). Puis la vessie s'allonge assez rapidement et se
trouve fixée par une sorte de ligament contre les parties voisines.
Elle conserve lonztemps encore après la naissance une large com-
munication avec l'æsophage dont elle constitue, comme on voit,
un véritable appeadice. /
Le tube intestiral s’est fermé dans toute sa longueur, sauf uñe
ouverture étroite et tubuleuse qui parait persister longtemps, Car
je l'ai encore rencontrée sur des poissons âgés de six semgines
(fig. 33 et 34). On ne peut méconnaitre cet orifice, soit f{u'on
étende l'estomac sur une lame de verre et qu’on le regarde par
en haut (fig. 35), soit qu on l’examine de profil. Dans celte der-
nière position, on reconnait l'existence d’un tube assez long, situé
entre le foie et l'estomac (fig. 34) et formant un véritgble pédi-
cule creux.
J'ai cherché en vain ce pédicule vitellin dans le voisinage du
pharynx, lieu indiqué par M. Vogt pour sa position ordinaire
(O. c., p. 162), je l'ai toujours trouvé entre l'estoniac et le foie,
comme je viens de le dire. Ni l'examen de poissons vivants, ni la
dissection sur des poissons coagulés n’ont pu me montrer de
traces d'aucun canal dans la région pharyngienne, tandis qu’en
écartant le foie, je trouvais immédiatement le pédicule, et en
ouvrant l'estomac par sun côté dorsal, je distinguais facilement
l'ouverture de ce conduit.
Le foie est toujours une masse compacte, globuleuse, composée
d’une multitude de lobules. J1 offre du côté de l'intestin une pro-
fonde échancrure d’où sort le conduit cholédoque. Ce dernier
s’insère à l’origine de l'intestin, et à l’endroit où il y pénètre il est
entouré de petites glandules en grappe. La vésicule biliaire est
remplie d’un liquide jaunâtre et le tube intestinal est teint de la
même couleur, ce qui indique le passage de la bile dans l’intérieur
de ce tube.
Il existe sur le côté droit du foie une petite glande qui parait en
être distincte ; elle est collée contre les parois de l'estomac et lient
au corps du poisson par un ligament particulier. Ce corps esl
150 LER£BOULLET.
peut-être la rate; je n'ai pas fait à son sujet des hservalions assez
suivies pour pouvoir dire quelque chose de positif sur sa nature.
L'estomac qui était resté semblable à l'intestin par sa structure,
s’en distingue d’une manière notable un mois ou six semaines
après la naissance.
Les parois deviennent plus épaisses et plus manifestement mus-
culeuses; il offre de gros plis longitudinaux et des stries trans-
versales, très fines, qui indiquent sa nature (fig. 3h). Un peu
avant sa terminaison dans l’intestin il forme un coude assez pro-
noncé et se rétrécit notablement.
L'intestin a une structure très remarquable. Vu à travers les
téguments du poisson, il apparaît comme formé de bandes trans-
versales, semblables les unes aux autres par leur épaisseur et par
leur aspect (fig. 34 et 35). Ces bandes sont produites par des
replis de la muqueuse qui font saillie au-dessus de la surface intes-
tinale et affectent une disposition en spirale, ce dont on peut
s'assurer en coagulant l'intestin et en enlevant la tunique exté-
rieure, ou en le déchirant pour en détacher cet appareil valvulaire
qui rappelle assez bien en petit la valvule spirale de l'intestin des
Sélaciens. Chaque pli valvulaire offre dans son milieu une ligne
transversale, plus foncée, due à la saillie de à membrane muscu-
leuse contre laquelle la muqueuse vient s’appliquer (fig. 35).
Quant à cette dernière, toute la partie saillante est remplie de
tubes serrés les uns contre les autres, comme les glandes de Lie-
berkühn dans les intestins des Vertébrés supérieurs (fig. 36).
Les corps de Wolff (fig. 32) ont peu grossi; ils représentent
deux petites masses globuleuses, bosselées, formées par les tubes
sécréleurs qui se sont repliés sur eux-mêmes un grand nombre
de fois. Leur canal excréteur est resté le même.
Les pièces qui composeront le crâne commencent à prendre
leur forme respective. Le sphénoïde entre autres se dessine très
bien à la base du crâne ; son extrémité postérieure touche à l’ex-
trémité terminale et effilée de la corde dorsale (fig. 32), circon-
stance qi montre que celte dernière ne prend aucune part à la
formation des pièces crâniennes, et que c’est peut-être à tort qu’on
les a regardées comme des vertèbres.
RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 181
Les yeux ont à peu près leur forme définitive. Quant aux
oreilles, elles représentent deux grosses capsules cartilagineuses,
allongées, ovoïdes (fig. 32), dont il est difficile de suivre les for-
malions intérieures.
Nous allons maintenant nous occuper du développement dé
l'appareil le plus important de la vie du jeune poisson : de lappy-
reil branchial qui doit bientôt entrer en action, et qui est appelé à
localiser complétenent la fonction respiratoire.
Ce n’est que quelques jours après l’éclosion que les franges
branchiales apparaissent d’une manière distinete sous la forme de
petits tubercules arrondis, disposés sur deux séries le long du
bord convexe de chaque arc (fig. 31 et 37).
Les cartilages qui soutiennent ces lamélles rudimentaires sont
déjà remplis, depuis quelque temps, de leurs cellules particulières
(fig. 28). La formation de ces cellules est postérieure À celle des
cavités destinées à lesrecevoir. Les ares brancbiaux n’ont d’abord,
en effet, qu’un blastème cartilagineux, homogène, dans lequel on
voit se former des cavités oblongues, occupant quelquefois toute
la largeur du cartilage, et tout à fait vides de cellules. Ces cavités
cartilagineuses se muliplient, se serrent les unes contre les autres,
et se remplissent peu à peu de cellules. Je n’ai pu déterminer si
les petits granules qu’elles renferment sont le point de départ des
formations celluleuses proprement dites.
Le cartilage branchial occupe le bord supérieur de la lamelle
(fig. 37 et 38). Au-dessous de lui se trouve un espace clair, trans-
parent, dans lequel marche le courant sanguin qui appartient à
l'arc. C’est au-dessous de ce vaisseau que sont appendues les
franges branchiales; celles-ci sont entièrement celluleuses. Les
cellules qui les composent, et qui ont 0°*,01 de diamètre, sont
remarquables par leur uniformité. Chaque tubercule présente dans
sa partie moyenne un espace transparent indiquant l'existence
d’un canal que suit le sang dans sa marche. Ce canal est double,
et l’on distingue quelquefois, à une petite distance du bord libre
de la lamelle, une petite ouverture qui fait communiquer entre
eux les deux canaux.
Quand on observe ces lamelles branchiales pendant la vie, on
182 LEREBOULLET,
voit les globules sanguins quitter le vaisseau, pénétrer dans la
lamelle correspondante, puis passer par l’ouverhre de communi-
cation, et retourner au courant sanguin d’où ils étaient partis.
C'est avec un plaisir toujours nouveau que j'ai revu dans la
Truite ladmirable spectacle de cette cireulatio branchiale que
j'avais si souvent étudiée sur le Brochet etsur k Perche.
Aussi longtemps que les franges branchialesont peu de déve-
loppement, il n'existe qu’un seul vaisseau pour chaque arc bran-
chial. Les vaisseaux de retour, c’est-à-dire les veines branchiales,
ne se forment que plus tard, quand les lamelks ont atteint une
certaine longueur.
Lorsque les lamelles branchiales se sont allongées au point
de former sous la tête des franges visibles à l’œil nu, c'est-à-
dire d’un mois à six semaines après l'éclosion, le canal dont la
lamelle est creusée pousse des excroissances latérales (fig. 39)
dans la cavité desquelles s'engagent les globules sanguins, et dans
lesquelles ces corpuscules se comportent comme dans les lamelles
primitives. Ces tubercules latéraux sont sans doute l’origine des
plis qui se formeront plus tard sur les lamelles respiratoires.
Dès que le petit poisson est devenu libre, son appareil hyo-
branchial fonctionne d’une manière régulière, et témoigne par
ses mouvements rhythmiques du besoin de la respiration. Cepen-
dant la membrane branchiostège reste longtemps à se développer,
et les branchies, quoiqu'elles aient déjà atteint une certaine lon-
gueur, sont entièrement à découvert.
L'étude de la cireulation dans les arcs branchiaux m'a fourni
l’occasion de constater de nouveau un fait singulier relatif à l’alté-
ration qu'éprouvent les corpuscules sanguins au moment de la
mort du jeune poisson. À mesure que la vie s'éteint, ces corpus-
cules se déforment, grossissent, s'attachent les uns aux autres, et
prennent l’aspect de corpuscules graisseux (fig. 38).
Je ne saurais jusqu’à présent donner aucune explication de ce
phénomène, mais je puis affirmer qu'il existe, et je désire vive-
ment que les personnes qui s'occupent d’embryologie en con-
statent la réalité sur les poissons qu'ils ont l’occasion d'étudier .
Si le développement des branchies constitue une époque impor-
RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 183
tante de la vie du jeune poisson, puisqu'il fixe d’une manière
définitive son mçde de respiration, la formation des nageoires
verticales offre wi autre genre d'intérêt, comme déterminant avec
les nageoires horzontales le mode de locomotion qu'il est appelé
à exercer dans l’eau.
La nageoire enbryonnaire, pendant toule la durée de la troi;
sième période, est une membrane homogène, transparente, qui
s'étend d’une manière continue sur le dos, autour de la queue/et
s'arrête à la région anale; elle a partout la même hauteur.
Vers l’époque de l’éclosion, cette membrane s’échancre sûr le
dos, à peu près vers le niveau du tiers postérieur du vitellus, par
résorplion de sa substance dans une petite étendue, La portion
séparée de la nageoire commune a encore la même structure que
cette nageoire; celle-ci est nécessairement encore très longe,
puisqu'elle contourne la queue, et se continue en dessons jusqu'à
l'anus. Mais bientôt la nageoire anale s’isole par le même méca-
nisme que s’est isolée la nageoire dorsale. La caudale future com-
mence alors à se cireonscrire, quoique la nageoire embryonnaire
conserve epcore, en arrière, une assez grande bañteur, afin de
pourvoir à la formation de la nageoire adipeuse. Celle-ci n'apparait
qu'assez tard, vers l’âge d’un mois, par une troisième échancrure
qui se fait par résorption comme les précédentes.
Le résultat de la résorption partielle de la nageoire embsyon-
naire est donc la formation successive des nageoires dorsale,
anale et adipeuse; nous laissons de côté pour le moment la
nageoire caudale.
Peu de temps après leur séparation, les nageoires dorsale et
anale changent d'aspect. D'homogènes qu’elles étaient d’abord,
elles offrent maintenant, soit à leur base seulement, soit dans une
plus grande étendue, des lignes transparentes séparées par des
intervalles plus foncés et dirigés dans le sens des rayons futurs
de la nageoire (üg. 40 et 41). Plus tard, elles sont marquées de
stries fines et très serrées, et offrent des trainées de pigment et
d'une matière jaunâtre qui affectent la même direction (fig. 40).
La striation devient plus distincte vers l’âge d’un mois, jusqu'à ce
qu'enfin, vers l’âge de deux mois seulement, apparaissent les
184 LEREBOULLET.
véritables rayons, par un dépôt de substane cartilagineuse
dans les bandes longitudinales transparentes dat il vient d’être
question.
Je n'ai jamais vu de vaisseaux sanguins dans c?s deux nageoires
verticales, ni aucune espèce de circulation. La nageoire dorsale
précède toujours l’anale dans son développement; séparée la
premiére de la nageoire commune, c’est elle aussi qui montre, la
première, les diverses transformations que nous venons d'exposer.
la nageoire adipeuse ne subit pas ces transformations; elle
s’épaissit seulement à la longue, mais elle reste stationnaire, et
continue à avoir un aspect granuleux, sans aucune sorte de stries.
La nageoire caudale précède, dans son développement, les
autres nageoires verticales, et son évolution s'accompagne des
modifications remarquables, que nous avons décrites plus haut,
dans la circulation. Avant même que la nageoire dorsale soit
séparée de la nageoire embryonnaire, celle-ci présente dans
toute l'étendue de la région caudale, en dessus comme en dessous
et en arrière, de nombreuses stries parallèles très fines et très
serrées (fig. 29 et 30), comme on en voit naître plus tard dans
les deux autresnageoires verticales, avant la formation des rayons.
Le plexus vasculaire sous-caudal suit les phases que nous avons
fait connaitre plus haut.
Quand les anses de ce plexus sont arrivées à se disposer en
ellipses, parallèlement les unes aux autres (fig. 30), des rayons
carüilagineux, d’une grande transparence, commencent à se for-
mer dans l’intérieur de ces ellipses, de sorte que les vaisseaux
sanguins marquent assez exactement les limites de ces rayons.
Ceux-ei se montrent avec leurs caractères le long du bord posté
rieur de la partie terminale redressée de la corde dorsale, alors
que la nageoire adipeuse n'existe pas encore, et que les nageoires
dorsale et anale n’en sont encore qu’au commencement de leur
évolution , par conséquent lorsque la nageoire embryonnaire
commence à se modifier. Peu à peu la nageoire caudale se cir-
conscrit, les rayons en occupent toute l’étendue, et sont disposés
d’une manière rayonnante sous forme de lames d’épée dont les
pointes sont dirigées vers le corps du poisson.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 159
Les extrémitéseffilées de ces rayons ne touchent pas la corde
dorsale ; elles en sont séparées par des pièces particulières qui
sont des productions de l’enveloppe ou gaîne de cette corde
(fig. 42).
Vers la fin du développement dans l’œuf, la corde dorsale com-
mence à se redresser en arrière ; à l’âge d’un mois, son extrémité
effilée se rapproche du bord supérieur de la nageoïre (fig. 42), êt
elle ressemble alors parfaitement à la disposition qu'on renconfre
dans un groupe de poissons fossiles. La gaine de la corde s’est
changée en substance cartilagineuse, et de cette gaine partent des
appendices qui constituent les rudiments des apophyses épineuses
supérieures et inférieures (fig. 42). En arrière, les apophyses
supérieures plus courtes cessent à l’endroit où commence le
redressement de la corde ; les apophyses’inférieures, au contraire,
s’allongent beaucoup plus, et règnent dans toute la longueur de
la portion recourbée. Ces appendices inférieurs sont des lames
assez larges, vers lesquelles se dirigent les extrémités/pointues des
rayons. Ces dernières s'appliquent contre ces pièces intermé-
diaires, et plus tard sont retenues fixées contre elles par de petits
ligaments.
Il suit de là que les rayons des nageoires sont des productions
périphériques indépendantes du squelette, tandisque les apophyses
épineuses sont des appendices squelettiques qui proviennent de la
gaine cartilagineuse de la corde. Les premiers ont un développe-
ment centripèle , les seconds un développement centrifuge.
La division des rayons de la nageoire caudale en articles se fait
vers la fin du premier mois de la naissance par de petites lignes
transversales qui partagent la substance cartilagineuse de ces
rayons. Toutes les lignes de division apparaissent en même temps
et à la même hauteur. Les vaisseaux sanguins continuent à décrire
leurs anses le long des rayons, en cheminant dans les espaces
intermédiaires ; ces derniers sont marqués par des granules pig-
mentaires disposés en séries.
Les nageoires abdominales se montrent à l’époque de l’éclosion ;
leur mode de formation est analogue à celui des nageoires pecto-
rales. Ce sont aussi des tubercules qui se développent, à quelque
186 LEREBOULLET
distance au-devant de l'anus, au-dessus du board postérieur du
vitellus qui les masque en partie.
A l’âge d’un mois, le poisson est muni de touies ses nageoires.
Les premières formées, les pectorales, ont depuis longtemps leurs
rayons ; elles se meuvent avec agilité. La caudale, qui constitue
la nageoire la plus vigoureuse, est garnie de ses rayens, et peut
déjà fonctionner énergiquement. Viennent ensuite, dans l’ordre de
leur évolution et de leur importance, la dorsale et l’anale, dans
lesquelles les rayons sont en voie de formation, puis les abdomi-
nales. Quant à la nageoire adipeuse, qui caractérise la famille des
Salmones, elle ne parait pas avoir de fonction particulière.
Il nous reste à parler d’une dernière phase du développement
embryologique du poisson, la disparition du vitellus, et les chan-
gements que cette disparition entraine dans Ja circulation.
Vers l’âge de dix à douze jours, le vitellus, qui jusque-là avait
offert une forme ovoïde ou cylindrique, prend une forme conique.
Son extrémité postérieure se rétrécit dans tous les sens et se porte
en bas, se détachant de plus en plus du corps du poisson. En
même temps son contenu se relire, et il reste en arrière un espace
vide plus ou moins étendu. Les deux tiers antérieurs de la vessie
vitellaire sont seuls appliqués contre le corps du poisson ; encore
la partie antérieure a-t-elle aussi éprouvé un commencement
de retrait, et, de bas en haut, le vitellus a également un peu di
minué,
On remarque déjà à cette époque, qui correspond au développe-
ment des branchies, une réduction sensible des vaisseaux vitellins.
Les troncs sont plus espacés, plus minces ; les anastomoses moins
nombreuses. Les vaisseaux postérieurs sont les plus petits; les
antérieurs, au nombre de deux seulement, sont les troncs qui
ramènent le sang au cœur. L'un de ces trones recoit les vaisseaux
du vitellus; il charrie encore du sang artériel, L'autre tronc, plus
court, vient immédiatement du foie; le sang qu'il renferme n’a
pas circulé dans le vitellus ; ce sang est done veineux, et retourne
au cœur sans avoir été artérialisé dans le vitellus. La fonction
respiratoire de la vessie vitellaire a donc considérablement dimi-
nué d’nportance, puisque la moitié environ du sang qui s’y ren-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 187
dait en est maintenant détournée pour se rendre directement au
cœur et aller respirer dans les branchies.
Si le vitellus perd insensiblement la fonction transitoire dont il
avait été chargé, il conserve au contraire sa fonction principale,
celle de servir à la nutrition. Les gonttes de graisse se concen-
trent et se réunissent en gouttes de plus en plus grosses, qui fini
ront par n’en plus former qu'une seule.
À deux mois, la vessie vitellaire avaitencore un certain volume ;
elle occupait l’espace compris entre les nageoires abdominalés et
le cœur; mais elle était peu élevée, el offrait, dans la partie
moyenne de sa région inférieure, une forte dépression ; lés plus
grosses gouttes de graisse s'étaient réunies en avant de cettg vessie.
Quant aux vaisseaux sanguins, ils n’offraient plus aucuné anasto—
mose, et l’on peut dire qu'à cette époque la respiration vitelline
n'existait plus.
A partir de cette époque, la résorption du vitellus'se fait rapi-
dement. |
Sur un poisson âgé de deux mois et demi, il 4’y avait plus
aucune trace extérieure de vessie vitelline ; mais enouvrant l’abdo-
men, je vis s’écouler une quantité considérable de graisse , et je
trouvai le reste du vitellus remplissant pour ainsi dire la cavité
abdominale. La masse vitellaire cachait l'intestin, et s’étendait en
arrière jusqu'au niveau des nageoires abdominales ; en avant, elle
entourait le foie qui se trouvait comme enchâssé au milieu d'elle ;
la membrane vitelline interne adhérait fortement à cette glande.
Tout à fait en avant, le sac vitellaire s’adossait au péricarde. J'ai
de nouveau recherché attentivement une communication du sac
vitellaire avec le pharynx; mais en exerçant des tractions, j'ame-
pais au dehors le sac vitellaire sans apercevoir aucune trace de
pédieule ; au contraire, j'ai cru voir en dedans du foie, au niveau
du renflement stomacal, un très petit tube de communication avec
l'intestin.
L'estomac forme maintenant un cul-de-sac, comme chez
l'adulte; il a, coagulé par l'alcool, une teinte argentée qui tranche
avec la teinte jaune de l'intestin. Si l’on examine le poisson par
transparence, pendant la vie, on distingue très bien le sac vitel-
188 LEREBOULLET.
lin et ses vaisseaux. Ceux-ci sont très grêles et peu nombreux ;
ceux du foie continuent à être très riches, et tous se réunissent
pour former une veine qui représente la veine hépatique , tandis
que ceux qui circulent dans la glande sont formés par la veine
intestinale devenue veine porte. Toute la graisse est concentrée en
une seule grosse goutte. |
Le vitellus est peu à peu résorbé, mais la goutte d’huile paraît
persister encore quelque temps. Dans un poisson âgé de près de
trois mois, on voyait à travers les téguments ce globule huileux
au-devant du foie.
On voit, par ce qui précède, que les vaisseaux du foie cessant
peu à peu de se rendre au vitellus, la respiration vitelline doit
cesser à son tour; mais, à mesure que cette dernière s’efface, la
respiration branchiale, au contraire, prend plus de développement,
et finit par la remplacer tout à fait. Quant au sang veineux, qui
venait, après avoir traversé le foie, s’étaler sur le vitellus pour la
respiration, il remplit maintenant une fonction particulière, puis-
qu'il préside à la sécrétion’de:la bile et se modifie par cette sécré-
ton.
Résumé du cinquième chapitre.
1. La période que j'appelle période d'achèvement, comprend,
parmi ses phénomènes les plus importants, l’évolution des bran-
chies, la formation des nageoires verticales et la disparition du
vitellus.
2. La petite Truite, à l'éclosion, offre la conformation extérieure
suivante : vilellus volumineux rempli de grosses gouttes d'huile
dispersées, et parcouru à sa surface par de nombreux vaisseaux ;
nageoire embryonnaire entière çou faiblement échancrée sur le
dos ; nageoires pectorales très développées ; bouche presque ter-
minale ; fente choroïdale linéaire ; fossettes olfactives assez pro-
fondes ; capsules auditives en forme de sacs cartilagineux situés
en arrière de la tête ; anus ouvert au niveau du bord postérieur
du vitellus; riche circulation vertébrale ; formation du plexus
caudal.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 189
3. À l'intérieur, on voit apparaître le premier rudiment de la
vessie natatoire, produite par une exsertion de la paroi œsopha-
glenne.
h. L'ampoule quitn résulte se détache de l’œsophage, s’allonge
et prend une forme cylindrique.
5. Le tube intestinal est fermé ; cependant il reste un pédicule
creux situé entre le foie et l’estomac, et qui parait persister jusqu’à
l'entière résorption du vitellus.
6. Un mois environ après l’éclosion, l'estomac et l'intestin se
différencient. L’estomac est musculeux ; l'intestin renferme des
replis valvulaires disposés en spirale, et contenant de nombreuses
glandes tubuleuses analogues aux glandes de Lieberkübn.
7. Le foie est entré en communication avec l’origine de Fintes-
lin parle canal cholédoque. La sécrétion biliaire teint le tube intes-
linal en jaune.
8. Les corps de Wolff ont grossi par suite d’un enroulement
plus considérable de leur tube sécréteur.
9. Les pièces de la tête commencent à se dessiner; la plupart
d’entre elles ont des cellules cartilagineuses.
10. La corde dorsale renferme de grandes vésieules gélati-
neuses. Son extrémité postérieure se redresse, ef fait un angle
obtus avec l’axe du corps.
11. La corde dorsale ne prend aucune part à Ja formation des
pièces du crâne; elle s’arrêle immédiatement derrière le sphé-
noïde.
12. Sa gaine se remplit de cellules cartilagineuses.
43. Les apophyses épineuses naissent de cette gaine, et leurs
cellules cartilagmeuses se continuent directement avec les cellules
de celle-ci.
44. Les principaux phénomènes que présente la circulation à
l’époque de l’éclosion et les jours suivants comprennent la dispo-
sition des vaisseaux autour de l’axe vertébral, autour de la queue
et du canal intestinal, ainsi que leur distribution dans le vitellus.
15. Les lamelles vertébrales sont entourées d’anses artérielles
el veineuses qui forment une circulation péri-vertébrale.
16. Il se forme sous la portion repliée de la corde dorsale nn
190 LEREBOULLET.
plexus vasculaire composé d’anses artérielles et veineuses. Après
s'être étalées dans la portion caudale de Ja nageoïre embryonnaire,
les anses de ce plexus s’allongent, et se disposent comme de
longues ellipses dans la direction que prendront les rayons de la
nageoire caudale.
17. La circulation péri-vertébrale et la circulation caudale pré-
cèdent et annoncent le travail de formation des cartilages dans ces
régions.
18. Il en est de même des vaisseaux crâniens et de petits vais-
seaux très déliés, détachés de l'extrémité de l'artère branchiale,
qui circonscrivent les pièces operculaires et les branches du
maxillaire inférieur ; leur présence annonce aussi et accompagne
la formation des cartilages dans ces régions.
19. La circulation péri-intestinale est très active; elle est
formée par une artère et par une veine qui établissent entre
elles de nombreuses anastomoses flexueuses autour de l’intestin ;
elle précède et accompagne la formation de la muqueuse intes-
tinale.
20. La veine intestinale quitte l'intestin immédiatement derrière
l'estomac, pour pénétrer dans le foie avec une artère qui provient
de l'aorte. Cette veine se divise dans le foie, puis les nombreux
vaisseaux qui résultent de cette circulation hépatique se répandent
dans le vitellus.
21. Les vaisseaux vitellins sortis du foie par des troncs consi-
dérables et nombreux s’anastomosent fréquemment entre eux, et
forment à la surface du sac vitellaire un vaste plexus qui sert à
l’hématose.
22. Le vitellus devient alors un organe particulier de respira-
lion, dans lequel la masse entière du sang du poisson vient se
répandre tant par la veine intestinale que par l'artère hépatique.
23. Le travail de formation des branchies s'annonce avant
l'éclosion par l'apparition des cartilages dans les ares branchiaux.
2h. Le cartilage est d'abord un blastème homogène creusé de
cavités allongées. C’est dans ces cavités que se développent les
cellules cartilagineuses.
25. Les premiers rudiments des lamelles branchiales apparais-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. A9t
sent, quelques jours après l’éclosion, sous la forme d’un double
feston, le long du bord convexe de chaque arc.
26. Chaque lamelle branchiale est creusée d’un double canal
pour la circulation du sang. Ces lamelles restent longtemps cellu-
leuses.
27. Quand elles ont atteint une certaine longueur, elles pous-
sent des tubercules latéraux, dans lesquels la circulation s’éta-
blit immédiatement comme dans les tubercules primitifs.
28. La membrane branchiostège est longlemps à se former ;
les branchies sont encore à découvert, alors qu'elles sont déjà
assez longues.
29. Pendant qu'on observe la circulation dans les branchies,
on voit les corpuscules sanguins s’altérer, à mesure que la vie
s'éteint, et prendre l’aspect de la graisse.
30. Les nageoires verticales se forment par résorption de cer-
taines portions de la nageoire embryonnaire.
31. La résorption se fait de manière à produire successivement
les nageoires dorsale, anale et adipeuse.
32. Dès qu’elles se sont isolées, les nageoires dorsale et anale
présentent des bandes verticales transparentes et des stries fines
qui ont la même direction, puis des traîinées d’une’substance jau-
nâtre amorphe.
38. Ces formations précèdent toujours l'apparition des rayons.
84. La nageoire adipeuse reste petite et granaleuse.
39. Le développement de la caudale est plus'hàtif que celui des
autres nageoires ; il est toujours précédé dela formation et du
développement du plexus caudal. C’est dans les anses allongées de
ce plexus que se déposent les rayons cartilagineux.
36. Des pièces cartilagineuses particulières, émanées du four-
reau de la corde, se portent en arrière à la rencontre des rayons
précédents.
37. Les rayons de la caudale se segmentent très tard, par des
lignes transversales de division qui se produisent simultanément
à la même hauteur.
38. Les rayons des nageoires sont des productions périphé-
riques indépendantes de l’axe vertébral.
199 LEREBOULLET.
39. Les nagcoires abdominales ne se montrent qu’à l'éclosion;
elles se développent comme les pectorales.
A0. Vers le douzième jour depuis la naissance, le vitellus se
détache du corps en arrière, et prend la forme d’un cône ; son
contenu se retire vers l’embryon.
LA. Ses vaisseaux diminuent de nombre et de grosseur d’arrière
en avant; leurs anastomoses deviennent aussi de moins en moins
nombreuses.
42. Une grande partie du sang qui a traversé le foie se rend
directement au cœur, en quittant cette glande, sans se répandre
sur le vitellus.
h3. La circulation est donc détournée du vitellus au profit du
foie et de l'appareil branchial.
Ah. Le vitellus cesse dès lors d’être respiratoire , mais 1l con-
tinue à rester nutritif; la graisse liquide qu'il renferme se réunit
en gouttes de plus en plus grosses.
h5. A l'âge de deux mois, tous les capillaires du vitellus ont
disparu ; ses vaisseaux sont pelils et peu nombreux.
A6. Le reste du sac vitellaire entre dans la cavité abdominale
qu'il remplit presque en totalité ; la membrane externe du sac
forme les parvis de cette cavité.
A7. Ce rest du vitellus persiste encore quelque temps dans
l'abdomen du pcisson pour servir à sa nutrition ; la graisse liquide
se réunit en une grosse goutte qui se place au-devant ou au-des-
sous du foie.
h8. Cette goutte de graisse, dernière trace de la substance
vitelline, se voit encore sur des Truites âgées de trois mois.
EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE à.
Embryologie de la Truite.
Mg. 1. Jeune ovule mesurant 0®",17 encore entouré de sa capsule ovarienne.
Grossissement 150 diamètres : a, épithélium de la capsule vu de profil ; b, le
même vu de face; c, vésicule germinative mesurant 0" 06.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 193
Fig. 2. Ouf ovarien offrant un anneau ‘déjà assez épais, de vésicules huileuses
autour de la vésicule germinative. 50 diamètres.
Fig. 3. Contenu d'un œuf mûr encore renfermé dans le sac ovarien.
Fig. 4. Corps celluliformes contenus dans la vésicule germinative d'un œuf
mûr. 250 diamètres.
Fig. 5. Fragments de l'un des flocons jaunâtres dispersés dans l'œuf, après la
rupture de la vésicule germinative; trois heures après la fécondation.
Grossissement, 200 diamètres, — a, vésicules graisseuses ; b, corps celluli-
formes granuleux ; c, corpuscules plastiques ; d, granulations vitellines.
Fig. 6. Segmentation en seize globes vue dans l'œuf, à h vingt-huitième heure.
45 diamètres.—a, les globes de segmentation ; b, véscules huileuses réunies
sous le germe et formant le disque huileux.
Fig. 7. Ouf à la cinquante-deuxième heure, coagulé. 15 diamètres.— a, disque
embryonnaire ; b, amas de vésicules graisseuses.
Fig. 8. Disque embryonnaire détaché de l'œuf, avec lamembrane sous-jacente
qui représente le feuillet muqueux. 48 diamètres.—a, disque embryonnaire;
b, feuillet muqueux sous-jacent ; cc, espaces vides qii étaient occupés par des
vésicules graisseuses.
Fig. 9. Le disque embryonnaire séparé, grossi 30 fos.
Fig. 10. Globes générateurs du disque embryonnaire, coagulés. 70 diamètres,
Fig. 11. Les mêmes globes d'un disque de la cinquante-troisième heure, vus
. dans l’eau. 100 diamètres.
Fig. 12. Germe embryonnaire de la soixante-seiziène heure coupé en deux par
le milieu, pour montrer sa cavité. 50 diamètres.
Fig. 13. Cellules d'un germe de la soixante-dix-septième heure, coagulées.
150 diamètres.
Fig. 14. Cellules d'un autre germe de la même éoque, coagulées. 100 dia-
mètres. — a, membrane de la cellule ; b, son ncyau contenant un nucléole.
Fig. 15. Œuf de la cent dix-septième heure (fin du cinquième jour), coagulé et
grossi 10 fois. —u, disque embryonnaire; b, feuillet muqueux sous-jacent,
renflé en un bourrelet marginal ; c, région amincie et transparente de ce
feuillet ; d, gouttelettes appartenant au disque huileux.
Fig. 16. Cellules appartenant à un disque embryonnaire du commencement du
sixième jour. 200 diamètres. — a, cellules granuleuses ; b, cellules mates,
homogènes ; c, cellules ne renfermant qu'un petit nombre de vésicules.
Fig. 17. Cellules d'un germe embryonnaire du huitième jour. 200 diamètres.
— À, cellules épidermoïdales ; B, cellules embryonnaires.
Fig. 18. OEuf coagulé, montrant la bandelette embryonnaire (fin du dixième
4° série. Zoo. T. XVI. (Cahier n° 4.) ! à 13
19% LEREBOULLET.
jour). 40 diamètres. — a, blastoderme avec son faible bourrelet marginal b ;
c, bandelette embryonnaire ; d, vitellus.
Fig. 19. Cellules du cœur d'un embryon âgé de dix-neuf jours. Grossissement
306 diamètres. (Le cœur entier n'était composé que de ces cellules.)
PLANCHE 9.
Pig. 20. Partie antérieure du corps d'un embryon de trente jours, vue par son
côté supérieur. 1 2 damètres.—a, lamelle cérébelleuse formée par le redresse-
ment, le plissement ét l’adossement des deux cordons rachidiens ; bb, les deux
cavités des hémisphtres, dont la réunion forme la grande cavité cérébrale ;
d, moelle allongée ; 4 nageoires pectorales.
Fig. 21. Système nerviux cérébral d'un embryon de trente et un jours, vu par
sa face supérieure et jar transparence sur le vivant. 25 diamètres.—a, moelle
allongée; b, pli cérébileux ; b', rainure qui sépare les deux portions adossées
du cordon ; c, continudion du cordon; d, lamelle nerveuse disposée en voûte
au-dessus de la grande cavité cérébrale ; e, commissure antérieure des deux
cordons; f, cavité de laportion cérébrale antérieure.
Fig. 22. Cristallin d'un empryon de trente-sept jours, grossi 4 00 fois.—a, portion
périphérique composée & cellules rangées en séries ; b, portion centrale for-
mée de fibres nucléaires.
Fig. 23. Moitié antérieure d’un embryon Âgé de trente-trois jours, dessinée
d'après le vivant; le vitelus s’est écoulé en partie.—a, moelle allongée; b, pli
cérébelleux ; à, grande cayité cérébrale; o, capsule auditive ; p, nageoire pec-
torale; q, fossette olfactwe; r, tube intestinal; s, pédicule vitellin ; #, corps
de Wolf.
Fig. 24. Portion de l'embryçon précédent vue par sa face inférieure, coagulée.
— f, ®sophage; g, saillie tomacale ; k, orifice qui recevait le pédicule vitellin ;
î, foie; kk, corps de Wolff; /!, leurs canaux excréteurs ; mm, nageoires
pectorales.
Fig. 25. Portion antérieure du corps de Wolff du côté droit, appartenant à un
embryon de trente-sept jours. 50 diamètres.
Fig. 26. La même partie dans un embryon plus avancé.
Fig. 27. Tube excréteur du précédent, grossi 450 fois. — a, cellules utricu-
liformes de l'intérieur du tube ; b, cellules longitudinales formant les parois
de ce tube.
Fig. 28. Portion du tube digestif d'un embryon âgé de soixante jours, mais non
encore éclos. 32 diamètres. — c, vessie natatoire; d, renflement stomacal ;
e, intestin ; f, portion du foie ; g, son canal excréteur.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 195
Fig. 29. Extrémité postérieure d'un poisson sur le point d’éclore. 80 diamètres.
— a, corde dorsale ; b, son extrémité terminale redressée; ç, sa gaîne; d, na-
geoire embryonnaire ;e, aorte; é, sa bouche terminale; f, veine cave; g, anses
vertébrales supérieures ; g’ anses inférieures ; g'/ rameaux d’anastomoses
obliques ; k, plexus caudal. :
Fig, 30. La même région appartenant à uu poisson plus avaicé. Même grossis-
sement. Les lettres ont la même signification. — Le plexus vasculaire caudal a
pris un autre caractère. Les anses, au lieu d'être entremélées, sont disposées
parallèlement les unes aux autres de manière à former dis ellipses marquées
par des traînées de pigment. C’est dans les intervalles circonscrits par ces
anses vasculaires que se déposeront les rayons cartiagineux. Les anses
latérales h' et h!” indiquent l'extension et la direction qu prendra le plexus.
Fig. 31. Appareil branchial et artères operculaires d’un posson âgé de six jours.
— a, artère branchiale; b, son bulbe ; c, arcs vasculaires branchiaux ; d, franges
branchiales ; e, artère de l’opercule ; e! artère du préoperale ; e/ artère du maxil-
laire inférieur ; f, cylindre choroïdien; g, cristallin; k fossettes olfactives ;
i, l'une des deux veines caves.
Fig. 32. Région inférieure du corps d'unautre poisson âgé desix jours, sur lequel
on a enlevé l'appareil branchial et le tube digestif. Grossissement 20 diamètres.
— a; fente choroïdienne; b, cristallin ; c, fossettes olfctives ; d, région anté-
rieure du cerveau ; e, sphénoïde ; f, terminaison antériure de la corde dorsale;
g, capsules auditives; hh, corps de Wolff; à, leu's conduits excréteurs;
k, lamelles vertébrales.
Fig. 33. Portion du tube intestinal d’un poisson âgé de six jours, 60 jours après
la fécondation, vue par sa face inférieure et grossie — a, renflement stoma-
cal; b, ouverture pour le passage du pédicule vitelln; e, foie ; d, corps glan-
duleux distinct du foie et muni d’un prolongement lisamenteux.
Fig. 34. Portion du tube digestif d’un poisson âgé de sit semaines.—a, estomac ;
b, vessie natatoire; c, prolongement tubuleux du pédicule vitellin; d, foie ;
e, vésicule biliaire ; f, canal cholédoque ; g, intestin.
Fig. 35. Portion d'intestin du poisson précédent, vueà travers les téguments.
24 diamètres. — aa, valvules intestinales; b, vitellus; c, nageoire embryon-
naire,
Fig. 36. Une valvule séparée montrant les utricules aa dont elle est remplie.
Grossissement 170 diamètres.
Fig. 37. Arc branchial d’un poisson âgé de dix jours. 60 diamètres. — a, car-
tilage ; b, tubercules mousses formant l’origine des franges branchiales.
Fig. 38. Portion d'arc branchial d’un poisson plus âgé. 200 diamètres. —
a, cartilage; b, veine branchiale ; c, lamelles; d, leur cavité; e, ouverture
pour le passage des corpuscules sanguins.
196 LEREBOULLET,
Fig. 39. Lamelle branchiale d'un poisson âgé de six semaines, grossie 200 fois.
Fig. 40. Nageoire dorsale d’une Truite âgée de dix jours, vue du côté gauche.
*40 diamètres. — aa, bandes transparentes le long desquelles sedéposerontles
rayons ; b, resté de nageoire embryonnaire placée derrière la nageoire précé-
dente et destinée à se changer en nageoire adipeuse.
Fig. 41. Nageoire anale du même poisson. —aa, rayons futurs ; bb, bases de ces
rayons; c, anus dd, nägeoire embryonnaire.
Fig. 42. Queue d'un poisson âgé d'un mois, dont on a détaché les parties molles.
— a, corde; b, gaine; c, apophyses épineuses supérieures ; d, apophyses
épineuses inférieures ; e, pièces cartilaginenses postérieures; f, rayons de la
caudale.
OBSERVATIONS
LES HÉLICES SAXICAVES DU BOULONNAIS,
Par M. BOUCHARD-CHANTEREAUX.
Nous avons, depuis fort longtemps, suivi avec la plus grande
attention les débats existant entre les conchyliologistes sur la
perforalion des roches par les Mollusques pour s’y creuser une
habitation permanente ou seulement un abritemporaire. Cette
étude entre dans le cercle de nos observations de prédilec-
tion depuis près de quarante ans : elle nous a fait suivre tous ceux
qui y ont pris une part quelconque, et, nous ayons fait plus, nous
avons passé toutes ces opinions au creuset d’une révision directe
des faits. Nous en avions le temps et les moyens, puisque nous
habitons le bord de la mer, et que nous avons pour principe de ne
jamais nous presser. Si, aujourd’hui, nous venons une seconde
fois nous mêler à ces débats, on ne pourra pas nous taxer de vues
ou d'idées préconçues, puisque nous venons, müri par une longue
expérience et de nouvelles études des faits, contredire ce que
nous Supposions exister, et que nous avons publié, il y a près de
trente ans, dans notre Catalogue des Mollusques marins des côles
du département du Pas-de-Calais.
Nous ne nous occuperons celte fois que d’observations tout
exceptionnelles, puisqu'elles appartiennent à des formes qui ont
été repoussées, même assez vertement, par quelques auteurs,
comme devant, par leur organisation spéciale , rester étrangères
àtous faits d’un travail d’érosions calcaires. On regardait ces formes
comme étant si incompatibles avec un tel travail, qu’on s’est cru
autorisé à attaquer avec beaucoup trop de vivacité, pour ne pas dire
plus, les communications que d’honorables et très sérieux savants
avaient faites à leur sujet. Notre principal but aujourd’hui est de
198 BOUCHARD-CHANTEREAUX.
restituer à ces savants tout l’honneur qui leur appartient dans cette
découverte. Nous le disons avec sincérité, c’est à la confiance que
nous inspiraient leurs travaux que nous devons l’insistance que
nous avons mise dans ces recherches, et par conséquent la
chance d’en avoir renouvelé la découverte, que cette fois il
faudra bien admettre comme positive, puisque nous fournirons
à qui voudra les moyens d’en obtenir les preuves même palpa-
bles.
D y a plus de quinze années que nous avons observé pour la
première fois les faits que nous allons décrire : nous les avons
suivis ensuite pendant près de trois ans, puis la maladie est venue
nous prendre, et nous tenir près de dix autres années avant de
nous permettre de reprendre le cours de nos observations et de
vérifier les résultats anciennement obtenus. Nous aurions encore
différé cette publication, parce que les observations qu’elle contient
ne satisfont pas complétement notre esprit, si nous n'avions été pour
ainsi dire contraint de la faire par la crainte de voir perdre pour
nous le fruit d'aussi longues études. En eflet, nous eroyions la
retraite de nos Hélices saxicaves parfaitement cachée au fond d’un
bois peu fréquenté ordinairement, et nous pensions pouvoir impu-
nément nous la conserver, comme nous l'avons fait jusqu’à ce
jour, mais des travaux industriels nécessitant depuis peu le pas-
sage de ce bois par dé nombreux ouvriers, et aussi par des hommes
instruits appelés à les diriger ou à visiter leurs travaux, nous
avons craint qu'on alt dénicher ce que nous considérions comme
notre propriété. Nous nous sommes done décidé à vous la faire
connaitre, toute imparfaile que nous la jugeons encore dans ses
détails.
La question, si vivement controversée, de la perforation
des roches calcaires par les animaux inférieurs a fait naître
deux opinions distinctes, qui forment, des hommes qui les pro-
fessent, deux camps bien retranchés : les chimistes et les mécani-
ciens.
Nous devenons décidément transfuge ; nous abandonnons les
derniers pour les premiers avec lesquels nous nous rangeons, et
nous avons la conviction la plus profonde que beaucoup d’autres
HÉLICES SAXICAVES. 199
feront comme nous, dès qu’ils voudront, sans passion, se rendre
compte directement des faits et les analyser sérieusement.
Notre intention st de passer une revue générale des érosions
calcaires animales opérées par les Poissons, Mollusques, Gasté-
ropodes et Acéphales, Crustacés, Échinodermes et Annelides, ainsi
que par des Znsecks de divers ordres. Aujourd’hui nous ne nous
occuperons que desHélices saxicaves, le reste formeraun deuxième
et peut-être un troisième mémoire, si la matière le comporte,
que nous publierons successivement.
Dans le I° volume de l’Année scientifique pour 1858, p. 28
à 36, M. Louis Figuier passe en revue les principaux travaux
publiés depuis quelques années sur les animaux perforants. Il cite
tout particulièrement l’intéressant mémoire présenté à l’Acadé-
mie des sciences par M. Valenciennes, 'en 1854 ; et à ce sujet
M. L. Figuier dit : |
« A la suite du mémoire de M. Valencienies dont rrous venons
» de donner l'analyse, le savant géologue, M. Constant Prévost,
» crut pouvoir ramener l'attention sur des faits du même genre
» qu’il avait depuis longtemps observés etrendus publics, mais
» qui n'avaient trouvé jusque-là que peu de faveur auprès des
» naturalistes. I y a plus de vingt-cinq ans que M. Constant Pré-
» vost a donné la description d'une rochecalcaire du Monte Pele-
» grino, roche cristalline offrant la dureté du marbre, et qui se
» trouve traversée dans lous les sens par un grand nombre de
» canaux intérieurs, dont la plupart communiquent entre eux, et
» dont chaque embranchement sert de gîte à un Limaçon (Helix),.
» M. Constant Prévost n’avait pas craint d'attribuer à des Lima-
» cons le creusement des galeries intérieures qui sillonnent le
» calcaire du Monte Pelegrino.
» Les idées de M. Constant Prévost sur la perforation d’une
» roche dure et demi-cristalline par des Colimaçons n’ont rencon-
» tré, il y a vingt-cinq ans, presque aucun crédit. Il nous paraît
» encore difficile qu’elles soient acceptées aujourd’hui, même après
» les nombreux faits de ce genre rapportés par MM. Cailliaud,
» Eugène Robert, de Quatrefages et Valenciennes. Il ne s’agit plus
» en effet d'animaux essentiellement marins, comme les Oursins,
200 BOUCHARD-CHANTER EAUX.
» par exemple, qui ont pu excaver sous les eaux, et avec le secours
» incessant de l’action mécanique de ces eaux, des roches grenues
» arénacées, qui peut-être n’offraient pas, au noment où le phé-
» nomèêne s’est produit, la solidité qu’elles présentent de nosjours
» depuis qu’elles ant cessé de baigner au sein d’un liquide, I s’agit
» dans le fait invoqué par M. Prévost de Mollusques terrestres,
» de Limaçons vivant sur la pierre sèche, qui sont loin de-possé-
» der aucun instrument de perforation, et qui, au lieu de sécréter
» un fluide dissolvant capable d’altérer la substance des roches,
» laissent au contraire sur leur passage une iongue trainée d’une
» sorte d’enduit muqueux, qui serait éminemment propre à défen-
» dre les roches de l’action des causes extérieures de destruction.
» Il faut remarquer de plus que le phénomène, observé autrefois
» par M. Constant Prévost sur le calcaire du Monte Pelegrino, ne
» s’est retrouvé depuis cette époque dans aucune autre localité. »
Nous avons copié in peu longuement peut-être, mais fidèle-
ment, M. Louis Figuier, parce que les faits qu'il expose, comme
ayant élé avancés par le savant et regretté professeur de la Sor-
bonne, sont à ceux que nous avons nous-même observés, ce
qu'est la photographie plus fidèle à l'original qu’elle est chargée
de représenter.
Tout ce que M. Constant Prévost à vu au Monte Pelegrino,
en Sicile, nous l'avons vu, nous, dans le Bourbonnais, au Bois-
des-Roches. Les rapporis entre les faits passés dans ces deux loca-
lités si éloignées l’une de l’autre sont si complets que nous pour-
rions parfaitement nousdispenser de {oute description, et accepter
pour le Bourbonnais ce que le savant géologue a dit pour le Monte
Pelegrino, si nous n’avions l'obligation de prouver à tous, pièces
en main, que M. C. Prévost a parfaitement vu et parfaitement
apprécié les faits d’érosion des roches cristallines par des HéLices
SAXICAVES, puisque nous avons nous-même observé les mêmes
faits dans des circonstances analogues.
Nos Hélices du Bois-des-Roches sont, en effet, logées dans un
calcaire compacte demi-cristallin, dépendant de la formation car-
bonifère, el employé comme marbre dans les travaux d'art sous le
nom de Marbre-N apoléon.
HÉLICES SAXICAVES. 201
Ce n'est pas d’ujourd'hui qu'il porte ce nom, il y a près de
soixante ans qu'il à été baptisé ; il le doit au choix qui en a été fait
pour la construction de la colonne de la Grande-Armée, colonne
qui a été commentée à l’époque du camp de Boulogne, c’est-à-
dire vers 1801. La belle conservation de ce monument nous
prouve que les architectes d'alors, comme ceux d'aujourd'hui, ne
recherchaient pas jour de semblables travaux, exposés à toutes les
intempéries de l'atmosphère, les matériaux les plus tendres. Au
contraire, ils choisissaient alors, comme ils le font toujours, les
plus durs, les plus homogènes, enfin ceux qui leur offrent le plus
de garantie de solidité et de longue durée. Ce n’est pas le choix
qui pouvait les embarrasser dans un pays aussi riche en calcaires
de toutes natures et de toutes densités qu'est le Boulonnais.
Cette digression à pour motif de prouver que nos calcaires
perforés par l’Helix hortensis du Bois-des-Roches sont bien de
nature compacte et demi-cristalline, et qu’ils présentaient à ces
Mollusques toutes les difficultés qu’on attribue aux calcaires du
Monte Pelegrino.
M. Louis Figuier verra donc que les Colimaçons, tout terrestres
qu'ils sont, et quoique dépourvus de tout instrument de perfora-
tion, n’en ont pas moins perforé le calcaire précité pour s’y creu-
ser un abri hivernal. Il verra de plus que la sorte d’enduit
muqueux qu'ils laissent sur leur passage est loin d’être propre à
défendre les roches de l’action des causes extérieures de destruc-
tion, puisque, au contraire, cet enduit les corrode incessamment ;
cela encore nos échantillons le prouveron;, et à cet effet nous en
avons déposé de remarquables dans les collections du Muséum
d'histoire naturelle de Paris et de la Faculté des sciences de la
même ville.
Pour terminer avec la critique peu méritée de M. L. Figuier,
auteur très estimable, du reste, sous tous autres rapports, et dont
nous sommes un (les plus assidus lecteurs, nous demanderons s’il
est de bonne justice d'exercer une semblable critique sur la mé-
moire d'un savant des plus obligeants et des plus distingués, par
ce seul motif que le fait qu'il a déclaré avoir vu est très rare ou
seulement très rarement observé ?
202 BOUCHARD-UHANTEREAUX.
Ne se peut-il pas, comme dans l'espèce qui rous occupe aujour-
d'hui, que ce fait, pour exister, réclame une ‘éunion peu com-
mune de circonstances favorables et exceptionnelles? Ne peut-il
pas en être de même pour sa découverte ou seilement sa consta-
tation ?
Tout le prouve, puisque personne ne l’a fait jusqu’à présent, et
que nous, nous venons aussi lard essayer de aire rendre justice
à un excellent observateur qui n’est plus là pour se défendre lui-
même.
Nous devons à notre tour dire à l'avantage de l’opinion émise
par M. L. Figuier relativement au mucus répandu par les Hélices
pendant l'acte de leut replation, que nous avons diverses fois essayé
ce mucus des espècés ordinaires au papier de tournesol, sans
qu'une seule fois il nous ait accusé contenir la moindre propriété
acide. Donc, des observations ordinaires sembleraient lui donner
raison. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il existe des circon-
slances particulières que nous ne pouvons nous-même apprécier,
qui rendent cette sécrétion acide, puisque nous en avons les
preuves sous les yeux dans l'érosion toute particulière de la sur-
face des rochers que nôus décrirons plus loin.
Comme chacun le sit, ce fait d’érosions calcaires par des
- Hélices semble si anormal, que s’il n’est pas plus généralement
contesté, il n’en est pas moins douteux pour beaucoup de monde;
il a, ilest vrai, commt tout ce qui n’est pas ordinaire, cela de
commun avec d’autres faits non moins intéressants et qui, comme
lui, ont été niés dès leu1 apparition dans la science.
Il en est un surtout qui cependant présente celte particularité
d'être des plus communs, puisqu'il crève, pour ainsi dire, les yeux
des habitants des côtes de tous les pays, et qui néanmoins est
resté des siècles inobservé.
Nous voulons parler des métamorphoses que subissent les
Jeunes Calanes, dont la première annonce par M. Thompson date
de 1830, et qui n’a été bien et convenablement confirmée que
dans ces dernières années. Toutes les côtes du monde entier sont
cependant couvertes chaque année pendant deux et lrois mois de
ces larves à différents états de développement.
HÉLICES SAXICAVES. 203
Il en est de même des perforations sans nombre effectuées
dans toute sorté de calcaires, de polypiers et de coquilles par
une simple Éporge, dont les facultés térébrantes n'ont été bien
reconnues et coistatées qu'en 1840, et que pour ses faits Duver-
noy à nommée lponge térébrante.
Tout cela est aujourd’hui du domaine de la science et n’éprouve
aucune contestalion, mais par quelles vicissitudes ces faits n’ont-
ilS pas passé avant d'arriver à un semblable résultat !
I devait sans doute en être de même pour les Hélices saxi-
caves, puisque leurs travaux, comme les faits précités, offrent
une certaine invraisemblance ; mais comme eux, ils auront aussi
cet avantage qu’une fois reconnu par les maîtres de la science, ils
n’en obltiendront que plus de mérite, car, plus un fait frappe
l'esprit, plus il éprouve de difficultés à percer, plusil s’ancre dans
notre savoir.
Nous allons donc essayer de faire passer dans l'esprit des autres
la conviction que nous possédons, que les Hélices que nous
citons sont bien les auteurs des loges tubuleuses, creusées dans
les affleurements calcaires du Bois-des-Roches.
Le Bois-des-Roches, situé dans la commune de Réty, sur la
droite de la route départementale d'Hardingen, entre ce bourg et
Ja petite ville de Marquise, à environ 16 kilomètres de la ville
de Boulogne-sur-Mer, est ainsi nommédes masses considérables
de calcaire carbonifère qui y sont en affleurement, et gisant, bou-
leversées les unes sur les autres, au-dessus de la surface du sol,
depuis le dernier cataclysme qui a retourné toute la contrée, en
rapprochant les uns des autres les terrains de différents âges, et
mettant en contact les roches les plus étrangères les unes aux
autres, telles, par exemple, que celles du terrain crétacé côte à côte
avec celles du terrain dévonien, etc.
Fous les blocs de calcaire carbonifère précités sont environnés
de ronces, couverts de mousses et de lierres dont les tiges et
racines enveloppent tous leurs contours et semblent les étreindre.
C’est une fort belle retraite, comme on voit pour les Mollusques
terrestres. De distance en distance, et plus particulièrement sur
les faces verticales de ces blocs qui sont tournées du nord-est à
204 BOUCHARD-CIHANTEREAUX.
l’est, exposition tournant le dos aux vents pluvieux de la contrée
sud et sud-ouest, on voit sur les parties latérales, coupées plus ou
moins verticalement, des ouvertures circulaires nombreuses, plus
ou moins rapprochées les unes des autres.
Ces ouvertures, la plupart conformées en entonnoir, d'autant
plus prononcées et plus évasées qu’elles ont été plus ou moins fré-
quentées, présentent un diamètre ordinaire de 3 à 4 centimètres,
s’évasant extérieurement, mais se rétrécissant intérieurement de
manière à ne laisser à l'entrée tubuleuse de la loge qu’un diamètre
de 22 à 26 millimètres. La profondeur de ces loges tubuleuses
ne dépasse pas, que nous sachions, 12 à 44 centimètres, et quoi-
que l'ouverture ne varie pas plus que nous l'avons dit, l’inté-
rieur s'agrandit souvent dans tous les sens, forme des chambres
plus ou moins boyautées, plus ou moins spacieuses et boursouflées,
toujours comme bossuéés par les corrosions partielles qui forment
de petites cavités arrondies en godet ou capsule à bords évasés et
adoucis, et qui sont l’ouyrage d’une saison hivernale pour chaque
individu, indiquant la place occupée par lui, sans mouvement
pendant toute cette saison.
Les diverses divisions des loges, les rendant tortueuses dans
Lous les sens, font aussi que souvent elles se rencontrent et qu’elles
communiquent entre elles par des ouvertures accidentelles qui
annoncent que le travail des Hélices est absolument aveugle, qu'il
ne suit aucune règle diredrice. Il est même facile de reconnaître
que ces communications ne sont qu'accidentelles, parce qu'elles
contrarient les Mollusques plus qu’elles ne les accommodent ; ordi-
nairement, le courant d’air qui en provient les contrarie et semble
les obliger à porter sur un autre point de la loge leur nouvelle
érosion. Jamais ils ne profitent de ces ouvertures pour passer
d'une loge à l’autre, et ce qui le prouve, c’est que leur périphérie
resle tranchante. La forme de ces ouvertures et leur diamètre,
toujours restreint, nous portent à supposer que le Mollusque ne s’est
pas aperçu que le centre de son pied manquait de point d'appui ou
que, quand il l'a ressenti, il a abandonné la place pour se porter
autre part, car les diamètres d'ouverture sont, quoique restés infé-
rieurs à celui du corps du Mollusque, de différentes grandeurs.
HÉLICES SAXICAVES. 9205
Comme nous l'avons déjà dit, il y a un choix bien constaté
dans les parties de la roche attaquée par les Hélices pour com-
mencer à creug&r l’ouverture de leur loge, puisque ce n’est que
sur celles abritérs des pluies hivernales qu’on trouve ces ouver-
tures à tous les degrés d'avancement. Outre celte première pré-
caution, il en es encore une autre, c’est de placer ces ouvertures
sur des faces verticales jouissant du même abri, et empêcher ainsi
l'eau pluviale d'y pénétrer. Leur direction intérieure n’est pas non
plus dépourvue de cette précaution, car elle tend plutôt à s'élever
au-dessus du niveau de l'ouverture qu’à se trouver au-dessous de
ce même niveau. Je n’ai jamais vu d’ouveriure de loge établie sur
la face plus ou moins horizontale, mais supérieure des roches.
On comprend que dans cette position les Mollusques seraient ex-
posés à être noyés dans leur loge aux époques où elles sont plus
particulièrement habitées, et qui sont celles aussi où les pluies
sont plus abondantes. Ne reconnait-on pas dans toutes ces pré-
cautions si judicieuses que, s’il n’exisie pas de prescience chez ces
animaux, il y à ou moins un instinct de conservation bien établi.
Dans le cours de nos longues études, nous avons été très souvent
frappé d’admiration en reconnaissant chez des Mollusques si bas
placés dans l'échelle des êtres, des actions suivies de résultats in-
dubitablement calculés et infiniment supérieurs à ce qu'on leur
accorde généralement d’instinct.
Mais revenons à nos érosions calcaires, et disons qu’outre celles
qui ont pour but le creusement d’un abri hivernal, il en est
d’autres qu'on ne peut attribuer qu’à la reptation ordinaire des
Hélices en question, et qui prennent toutes les formes sans en
affecter plus particulièrement aucune. Elles sont produites par le
passage souvent répété des Hélices sur la surface des roches, pour
arriver ou pour sortir de leur loge tubuleuse. On voit même que
certaines parties de ces roches sont plus fréquentées que d’autres :
ce sont celles qui correspondent plus ou moins directement avec
les ouvertures, et qui vont des unes aux autres. Dans ces diffé-
rentes parties, la surface de la roche est usée, rigolée par une éro-
sion acide qui y creuse des méplats plus ou moins étendus, plus
ou moins excavés, de toutes formes enfin, mais dont les arêtes, ou
205 BOUCHARD-CHANTEREAUX.
angles plus ou moins saillants qui les séparent, sont toujours
adoucis. C’est, à n’en pas douter, le fait de la reptation de ces
Mollusques passant et repassant depuis des sièrles, et de géné-
ration en génération sur le même plan de la roche qui conduit
à leur demeure, et laissant dans ce trajet, comme toujours après
eux, les traces de leur passage en un mucus qe suinte de leur
plan locomoteur pour faciliter ses mouvements. C’est ce mueus
qui jouit naturellement sans doute des propriétés corrosives , qui
attaque incessamment la surface de la roche, et use de manière à
la faire ressembler à une pâte sucrée, dont la surface aurait été
atteinte par l'humidité, ee que nous voyons assez souvent sur des
bonbons un peu anciens.
Il s’en faut donc que ce mueus serve d’enduit protecteur de la
roche comme on l’a supposé, puisqu'il produit l'effet tout con-
traire. Nous en avons une sorte de preuve, surtout dans l’élar-
gissement en entonnoir de l'ouverture des loges, élargissement
tonjours en rapport avec la grandeur de chaque réduit, et par con-
séquent de la fréquence de son habitation. Dans cette circonstance,
tout semble nous démontrer que ces érosions sont indépendantes
de tout vouloir de la part de l'animal, qu’elles sont inhérentes à
la nature des sécrétions produites par l'organisme en faveur de
l'acte de la reptation.
Il ne paraît pas en être de même pour la confection de son loge-
ment (d'hiver. Il doit y avoir Ià une volonté exprimée par la posi-
tion qu'il prend soit pour attaquer la surface de la roche, soit pour
s’enfoncer dans son épaisseur, Dans ces deux cas, il y a une inten-
tion bien manifeste, un choix préalable d'abord de la place pour y
élablir l’ouverture, puis le retour à la même place pour l’appro-
fondir, et en former avec le temps une loge boyautée. Dans ces
différents cas, l'animal à le corps sorti de sa coquille ; il se con-
tracte, se ramasse pour ainsi dire en se raccourcissant, puis s’ap-
plique fortement ainsi, sans mouvement quelconque, sur la paroi
de la roche qu'il veut entamer, ou dont il veut continuer l’appro-
fondissement. Il est probable que, pendant ce temps, tout le plan
locomoteur est très raccourci et par cela même élargi, et que, ten-
dant à se ballonner centralement par la pression qu’il imprime sur
HÉLICES SAXICAVES. 207
la roche par ses deux extrémités antérieure et postérieure, l’animal
fait traverser ses tissus par la liqueur acide chargée de la dissolu--
tion du calcaire. Celle-ci s’épanche sans doute très lentement par
toute la surface du plan du pied, car elle ne déborde jamais les
parties molles du corps. Ce n’est, sans doute encore, qu’une trans-
sudation directe etproportionnée aux besoins de l’absorption gra-
duée du calcaire pour sa dissolution partielle.
Pendant les trois années qu'ont duré nos expériences, nous
avons différentes fois dérangé des Hélices en train de travailler à
la perforation du calcaire, et, reconnaissant les diverses disposi-
tions décrites ci-dessus, nous appliquions immédiatement, soit sur
le pied du Mollusque, soit sur la paroi que nous le forcions de
quitter, une pelite bande de papier de tournesol, en la maintenant
quelques secondes avec l'extrémité du doigt, et aussitôt la couleur
bleue de ce papier devenait violacée, plus ou moins rougeâtre,
selon le plus ou moins d’abondance d'humidité que conservaient les
parties expérimentées. Nous ne devons pas omettre de dire que,
quand nous séparions ainsi violemment le Mollusque de sa posi-
tion, nous le trouvions comme engourdi, conservant quelque
temps les dispositions qu'il avait au contact du calcaire, et ne ren-
trant ensuite que fort lentement dans la coquille.
Nous n’en sommes pas bien certain, mais nous avons de fortes
présomplions pour supposer que la moitié antérieure du pied
fonctionne plus activement dans le travail d’érosion que la moitié
postérieure du même organe. Dans tous les cas, il n’y à pas pour
nous dans ce travail le moindre doute sur l'emploi d’un suc acide,
et pas davantage sur l'organe chargé de l'appliquer directement,
et qui, certainement, est le pied du Mollusque.
On remarquera que ce n’est que pendant l'hiver que les Mol-
lusques terrestres cherchent à s’abriter des rigueurs de cette sai-
son, qui, du reste, ne leur offrirait pas la possibilité de se procu-
rer leur nourriture habituelle. Que les uns se tapissent en nombre
sous les pierres, dans les creux des vieux murs, ou s’enfoncent,
faute de mieux, plus ou moins profondément dans la terre, selon
qu'ils pressentent que l'hiver sera plus ou moins dur, cela
estsi vulgaire que, dans nos contrées, les campagnards et les jar-
208 BOUCHARD-CHANTEREAUX
diniers en tirent le pronostic sur la rigueur oule plus ou moins de
durée de celle saison, suivant qu’ils trouvent les Limaçons plus ou
moins profondément enfoncés dans la terre.
Ce n’est donc, dans notre pays, qu’une hibænation de six mois
en moyenne. Mais nos Hélices saxicaves travaillent-ils pendant
ces six mois à perforer le calcaire? C’est une question que nous
nous sommes posée.el que nous avons résolue d’une manière affir-
mative, du moins aussi affirmalive que possibie, en trouvant tou-
jours dans les loges habitées, chaque fois que nous les visitions,
les Hélices toujours développées aux mêmes degrés, et, comme
nous l'avons déjà dit, appliquées directement sur la paroi calcaire
de leur loge. Nous avions le soin de multiplier nos visites pen-
dant l'hiver, et de les espacer de manière à partager cette saison
en six ou huit parties plus ou moins égales ; de sorte que nous les
visilions plusieurs fois au commencement, au milieu et vers la fin
de cette saison.
Il est bon de noter que nos Hélices saxicaves ne formaient pas
d’épiphragmes pendant tout le temps qu'elles restaient logées dans
leurs chambres de pierre, tandis que toutes celles fourrées dans les
trous des vieux murs, sous les grosses pierres ou enfoncées dans
la terre, ne se dispensent jamais de celte précaution abritante sup-
plémentaire. Ce n’est donc que pendant la moitié de l’année envi-
ron que nos Hélices s’abritent, corrodent et approfondissent leur
loge calcaire. Mais il résulte de nos observations la certitude que
les mêmes loges ne sont pas habitées chaque année, et que cette
habitation n’est que le résultat du hasard qui dirige les individus
tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, en sorte que bon nombre de
loges restent des années inoccupées.
On reconnait tout de suite qu’elles sont inhabitées à leur encom-
brement par l'introduction dans leur intérieur des plantes erypto-
games ou des brindilles de lierres qui les tapissent, et qui y meurent
étouflées. Il est facile, même après le départ des Hélices rendues
sous la feuillée à la belle saison, de reconnaitre les loges qui ont
été récemment abandonnées, et de juger de l'importance de leur
dernier approfondissement hivernal, car cette partie de la loge
est toujours plus nette et plus claire que celles qui proviennent de
HÉLICES SAXICAVES. 209
plus anciennes érosions. Elle offre, en outre, de remarquables
différences dans ses dimensions, puisqu'elle forme toujours un
godet particulier d'environ À centimètre de profondeur, et dont le
diamètre d'ouverture ne dépasse pas celui de toute la coquille du
Mollusque qui l'a creusé. Il est plutôt inférieur que supérieur à ce
diamètre, en sorte qu'il nous fait douter qu’il serait possible à l’ani-
mal de traverser dans sa longueur sa loge tubuleuse , si elle
n’avait dans tout son parcours que ce diamètre initial. Mais les
travaux subséquents des années élargissent toujours ces tubulures
qui deviennent de plus en plus irrégulières, et qui finissent,
comme nous l'avons dit, par former des chambres ballonnées et
bossuées de plusieurs centimètres de diamètre dans leurs cavités
intérieures, tandis que leur ouverture reste toujours à peu près la
même, sauf son évasement involontaire, extérieur résultant de
l'érosion produite par un passage plus ou moins fréquent des
habitants.
Nous disons que l’évasement extérieur des loges hivernales de
nos Hélices saxicaves nous semble involontaire de leur part, parce
que nous avons remarqué qu'elles s’en tenaient toujours à distance
dans l’intérieur, qu’elles ne s’y arrêtaient jamais une fois perforée,
et qu'elles nous semblaient tenir à conserver son étroitesse, puis-
qu'elles ne commençaient toujours à élargir leur loge que lors-
qu'elles en étaient à une certaine distance intérieure. Quand il s’agit
de la perforation d’une loge nouvelle etde l'occupation d’un premier
godet, travail de l’année précédente, le Mollusque qui s’en empare
se fixe toujours dans son fond et non sur ses côtés. Tout donc
nous autorise à supposer que ces Hélices tiennent particulièrement
à ne pas agrandir l'ouverture de leur loge, et à conserver ainsi
toute l'importance de leur abri pendant la mauvaise saison.
Un autre fait aussi particulier aux Hélices en question, c’est que,
contrairement à ce que nous voyons toujours s'effectuer chez les
autres qui se logent dans les cavités des vieux murs, ou n’importe
quelles espèces, mais plus particulièrement l’Heliæ aspersa,
beaucoup plus commune que les autres dans le voisinage des habi-
lations, nous voyons, disons-nous, ces dernières accumulées les
unes sur les autres, en plus ou moins grand nombre, selon l’impor-
4° série. Zooc. T, XVI. (Cahier n° 4.) ? 14
210 BOUCHARD-CHANTEREAUX.
tance des cavités, et passant ainsi l'hiver rentrées totalement dans
leur coquille elôturée par un épiphragme, tandis que dans les loges
calcaires, quelle que soit la rigueur de cette saison, nous les trou-
vons toujours, comme nous l'avons dit, hors de leur coquille, et
jamais réunies. Chaque loge est habitée par un seul individu ordi-
nairement, quelquefois deux ou trois, mais alors c’est que la loge
est assez spacieuse pour les abriter tous sans contact. L'émanation
acide ne serait-elle pas, dans cette circonstance, la cause princi-
pale de cet éloignement que semblent éprouver nos Hélices saxi-
caves les unes pour les autres ?
Il est probable que les roches calcaires du Bois-des-Roches ont
été de tout temps attaquées par les Hélices dont nous vous entre-
tenons, et que leur perforation est aussi ancienne que leur appa-
rition à la surface du sol qui les supporte maintenant. Cependant
un doute à ce sujet existe encore dans notre esprit, qui se demande
pourquoi ces tubulures ne dépassent pas, malgré la série de siècles
qui s’est écoulée depuis leur commencement, une profondeur de
12 à 15 centimètres, comme nous l'avons observé dans toutes
celles que nous considérons comme les plus profondes, et que
nous avons sondées sur place ?
Nous savons, il est vrai, que ces loges ne sont pas régulière-
ment occupées chaque année, que cette habitation n’est absolu-
ment qu'accidentelle et temporaire, qu’elle est due aux diverses
chances du hasard, et que, par conséquent, elle peut être inter-
rompue pendant des séries d'années. Leur agrandissement ou
approfondissement n’est donc pas continu , il ne recommence pas
chaque hiver ; il n’a lieu qu’à des intervalles indéterminés qui
peuvent être courts, comme aussi se prolonger indéfiniment.
Nous avons vu souvent des loges, que nous avons reconnues
très anciennes à la nature de leurs parois, se trouver réoccupées,
et présenter des érosions nouvelles qui se distinguent toujours des
anciennes à leur couleur et à leur netteté. Leur abandon n’est
donc pas non plus un fait volontaire.
Du reste, quelle que soit la capacité d’une loge, nous avons
remarqué qu'elle présentait, chaque fois qu’elle était réhabitée,
une érosion fraiche à la place occupée par le Limaçon. Cette par-
HÉLICES SAXICAYES. . 211
ticularité, si souvent renouvelée, nous a toujours frappé, et nous
a porté à nous demander chaque fois si, en effet, la volonté de
l'animal était pour quelque chose dans cette érosion nouvelle, ou
si elle n’était pas plutôt simplement le résultat du suintement natu-
rel et involontaire de son organisme. On doit aussi observer que
nous n'avons jamais trouvé dans les loges habitées les traces bril-
lantes du mucus desséché que nous voyons ordinairement sur les
plantes ou sur les murailles des habitations champêtres, et qui y a
laissé le passage des Hélices ou des Limaces. Cela nous fait sup-
poser que la nature de la sécrétion qui corrode les calcaires n’est
pas la même que celle qu’abandonnent ces Mollusques lors de
leur reptation ordinaire, et qu’elle provient aussi d’un autre sys-
tème d'organes.
Nous savons, à n’en pas douter, que le travail des siècles a
passé sur les surfaces des masses calcaires du Bois-des-Roches, et
qu’indubitablement ces surfaces ont été amoindries ; mais, quelles
qu’aient été ces érosions extérieures et de quelque agent qu’elles
proviennent, elles ne nous paraissent pas assez importantes pour
expliquer une limitation en profondeur des habitations hivernales
creusées par nos Hélices saxicaves. Nous pensons être plus près de
la vérité en supposant que cette profondeur est en rapport quel-
conque avec les besoins animaux qui, sans doute, se trouveraient
froissés par un approfondissement plus considérable. Nous sup-
posons, en outre, que l'acte de la respiration est au premier rang
de ces besoins, parce qu'il nécessite souvent le renouvellement de
la quantité d’air absorbé ou décomposé, et nous avons été porté à
cette observation en voyant que tous les animaux perforants que
nous avons étudiés nous offraient une régularité parfaite dans les
lignes maximum de profondeur qu'atteignait le fond de leur
demeure ; que celle-ci soit sous-marine ou terrestre, ces lignes
sont toujours en rapport avec la taille des individus, et surtout
avec les dispositions de leurs organes respiratoires. Il ne serait
donc pas surprenant que, pour l’espèce qui nous occupe, et que
nous avons dit conserver tout l'hiver son pied hors de sa co-
quille, l’acte de la respiration nécessite une plus grande quantité
d’air respirable que pour les Hélices qui restent dans leur coquille,
219 BOUCHARB-CHANTEREAUX.
et ferment celle-ci au moyen d'un épiphragme pendant toute la
durée de la saison rigoureuse, et la traversent ainsi engourdies.
D'après ce que nous avons dit précédemment, on sait que l’éro-
sion intérieure des loges hivernales, quoique lente à s'effectuer,
ne dépasse pas moins À centimètre en profondeur pour le travail
d’un seul individu pendant un hiver de six mois en moyenne, et
quand ce travail s’opérait sur une des parois latérales, il arrivait
souvent qu'il faisait communiquer deux loges voisines ; mais ce
que nous n’avons pas encore dit, c’est que la nature toute particu-
lière de ce travail rendait l’érosion si délicate, si légère, si nous
pouvons nous exprimer ainsi, que l'organe qui l’effectue, le
pied (1), semble avoir sucé le calcaire. En effet, la dissolution du
carbonate calcaire s'opère si légèrement , qu’elle laisse subsister
des feuillets rigides et tranchants, qui, vers leur extrémité, ne
présentent pas plus d'épaisseur que des feuillets de papier ; cet
effet est surtout remarquable sur toute la périphérie des ouver-
tures accidentelles qui établissent les communications entre deux
loges voisines, el où on voit le calcaire aussi tranchant que la lame
d'un couteau.
Contrairement à ce qui se passe chez les animaux perforants
marins, qui ont toujours dans leur loge une couche assez épaisse
de matière décomposée et vaseuse intercalée entre l'animal ou sa
coquille et les parois de sa loge, celle de nos Hélices est toujours
nelle et propre lorsqu'elle est habitée, on n’y observe pas le
moindre résidu.
Mais où se présente une grande analogie, pour ne pas dire
(1) Ce qui nous prouve que c’est le pied de l'Hélice qui est l'organe sécré-
teur de la liqueur acide qui corrode le calcaire, c’est qu'il est facile de distin-
guer le travail particulier aux individus de différents âges dans les diamètres
divers qu'on observe souvent dans les érosions partielles d'une même loge, dia-
mètres qui sont toujours aussi en rapport avec le volume du pied contracté des
Hélices, et celui de leur coquille, et par conséquent avec celui de leur âge.
Dans d’autres circonstances, ne voyons-nous pas le pied devenir organe
sécréteur de l'épiphragme ? Cette faculté temporaire et intermittente n'est-elle
pas propre aussi à démontrer que cet organe peut être rppelé, selon le cas, à
d'autres sécrétions ?
HÉLICES SAXICAVES. 213
identité, entre la confection des deux sortes d'habitations, c'est
dans la pénétration des calcaires par une liqueur étrangère qui,
dans tout le contour des excavations nouvelles, forme une sorte
d'auréole d'un aspect gras; et quand cette liqueur a pénétré dans
des gerçures préexistantes de nos calcaires à Hélices, elle y pro-
voque le développement d’un petit lichen microscopique, qui
donne à ces fissures une teinte verte, vive, persistante, de plus
d’un millimètre de largeur, tandis que l'espèce d’auréole grasse
que nous signalons a moins d’un millimètre de largeur, et dispa-
rat avec son exposition à l'air.
L'érosion des Hélices saxicaves porte avec elle son cachet spé-
cifique dans les dispositions particulières des contours de leurs
loges, qui sont toujours dissemblables, difformes, irrégulières,
boyautées et boursouflées ; toujours divisées en autant de cavités
particulières qu'il y a eu de stations individuelles, limitées par des
étranglements ou des arêtes adoucies. On ne voit rien de sem-
blable dans les érosions des animaux marins, surlout quand ils
sont coquilliers : ils fofment toujours des loges presque régu-
lières, et qui sont semblables pour tous les individus d’une même
espèce. On voit alors des rapports constants entre la forme des
loges et celle des animaux qui les ont creusées, tandis que chez nos
Hélices rien de semblable ne se présente. La forme générale de
leur loge est totalement l'effet du hasard ; il n’y a que chaque éro-
sion partielle limitée, comme nous l'avons dit, qui représente à
peu près le diamètre de leur coquille.
Ces perforations d’Hélices ne sont pas des trous perdus, isolés,
comme on pourrait le supposer, et sur l’origine desquels on pour-
rait douter. Non, ce sont pour ainsi dire des établissements de
colonies d’origine certaine et des plus anciennes, offrant une
remarquable distinction dans le choix du placement de leur ouver-
ture, en rapport avec le meilleur abri hivernal. Ce que nous en
avons dit, chacun pourra le vérifier sur les lieux que nous avons
assez indiqués dans le cours de cette notice, ear ils existeront sans
doute encore de nouveaux siècles exposés à tous les regards.
En parlant du temps, nous ne pouvons nous empêcher de pen-
ser aux innombrables générations d’Hélices de la même espèce,
Ah BOUCHARD-CHANTEREAUX.
qui ont du se succéder depuis les premières perforations de nos
masses de caleaire, et cependant ces perforations, si remarquables
et si intéressantes sous tous rapports, sont reslées inconnues jus-
qu’à présent.
On se doute bien qu’à l’exceplion du mesurage de l’approfon-
dissement des loges que nous avons exécuté sur place avec un
mètre pliant de baleine, le reste de nos observations n’a pu s’effec-
tuer qu’en fracturant chaque fois la roche pour pouvoir étudier
l'intérieur de ses cavités, ce qui n’était même pas toujours facile,
parce qu'il fallait attaquer au marteau des blocs énormes et mas-
sifs de calcaires, qui ne sont possibles à briser que sur leurs
angles toujours fortement émoussés. Nous avons donc été sou
vent forcé pour oblenir un échantillon d'étude d’en sacrifier
plusieurs autres : c’élait un sacrifice obligé pour pouvoir arriver
à juger des différents degrés des érosions diverses et de leur plus
ou moins grande ancienneté.
Nous n’avons encore rien dit de l'opinion générale plus ou
moins prononcée contre les érosions calcaires par des liqueurs
acides dissolvantes, et produites par l’organisme des animaux per-
forants ; nous nous sommes borné à décrire, aussi bien que nous
l'avons pu, ce que nous avons vu. Nous devons cependant toucher
un peu cette corde, et, bien que notre acquit ne soit pas encore
positivement concluant, nous pensons qu’il pourra offrir UT LE
données nouvelles qui lui seront favorables.
On connaît toutes les belles expériences qui ont été faites par
les Gmelin, Proust, Tiedmann, Braconnot, Pelouze, Bernard, Bar-
resvil, Blondlot, Leuret, Lassaigne, etc., sur le suc gastrique des
animaux, expériences qui v ont fait découvrir l'acide lactique, et
souvent une grande quantité d'acide chlorhydrique libre, selon
que l'estomac était vide où stimulé soit par des aliments, soit par
des corps étrangers. On connaît généralement aussi son acti-
vité dissolvante des matières calcaires ; mais ce qu’on ne con-
naît pas bien encore généralement, ce sont les moyens que l’ani-
mal emploie pour porter à l'extérieur ces liqueurs acides, et les
appliquer à la perforation de certaines roches. Nous avons émis
notre propre opinion à ce sujet, et nous n’y reviendrons pas.
HÉLICES SAXICAVES. 215
Nous allons dire ce que nous avons vu dans d’autres circonstances
et sur d’autres animaux que les Hélices.
Pendant plusieursannées, nous avons chargé un de nos parents,
le capitaine Leprêtre, qui commandait pour la pêche de la Morue
(Gadus morna, Linn.), de nous faire choisir un certain nombre
d’estomacs les plus pleins de ce poisson ; de les faire saler et
embariller. Nous avions ainsi chaque année à notre disposition de
nombreux moyens d’investigations qui nous ont démontré que,
sous le rapport de l'activité dissolvante, le suc gastrique des pois-
sons n’est pas au-dessous de celui des autres animaux. Nous avons
trouvé dans ces viscères les matières calcaires les plus dissem-
blables, telles que fragments de pierres, Crustacés de toutes
tailles, Échinodermes, Balanes, coquilles univalves et bivalves,
et jusqu’à des têtes entières de poissons de la même espèce que
ceux qui les avaient avalés. Tous ces objets étaient déjà plus ou
moins atteints par l’acide du suc gastrique et en partie dissous.
Nous avons fait, en outre, les observations suivantes qui nous
ont paru mériter une citation particulière. Chez les animaux pour-
vus de test calcaire, comme les Crustacés et les Échinodermes, les
téguments charnus existaient encore intacts que déjà leurs sou-
tiens calcaires étaient absorbés, puisqu'ils étaient restés entiers,
quoïque devenus très mous. De ce nombre étaient de trés grosses
Lithodes arctiques, et une masse considérable à’ Astérides, telles que
des Ophiures de toutes espèces et de toutes tailles. Quant aux
coquilles, les Bivalves étaient écrasées ; leurs fragments présen-
taient plusieurs degrés de dissolution, et quelques-uns ne conser-
vaient plus que leur épiderme. Donc là aussi les parties calcaires
avaient été dissoutes avant les parties cornées. Les Univalves
étaient d’abord attaquées par leurs parois ventrues latérales, qui
offraient des ouvertures arrondies, absolument comme celles que
nous avons signalées pour les communications des loges de nos
Hélices. Ces ouvertures laissaient voir la columelle dans toute son
étendue, et celle-ci, à son tour, dominait progressivement, selon
les individus et selon leur plus ou moins de séjour dans l’estomac,
puis s’amoindrissaient jusqu’à disparaître entièrement. Nous tirons
de tout ceci ceite conséquence différentielle, que les parties char-
216 BOUCHARD-CHANTEREAUX,
nues des Mollusques avaient été digérées avant leur coquille, tandis
que chez les Crustacés et les Echinodermes, la charpente calcaire
était dissoute avant la digestion des parties charnues. Qui expli-
quera cette différence ?
Quant aux morceaux de roches calcaires, ils étaient attaqués par
toutes leurs surfaces à la fois, comme s'ils avaient nagé dans une
dissolution'acide, et ressemblaient à des morceaux de sucre atta-
qués par l'humidité, Il est indubitable qu'ils étaient en partie
dissous.
Chez les Mollusques vivants, nous avons vu très souvent opé-
rer sous nos yeux la dissolution de certaines parties calcaires de
leur coquille.
Ainsi chacun sait que les Hélices et genres voisins ne parvien-
nent pas à construire leur coquille tout d’un trait continu , qu'ils
éprouvent ordinairement des temps d'arrêt dans son accroisse-
ment, et que, dans cette circonstance, pour consolider leur péris-
tome, ils forment intérieurement ce que nous nommons un bour-
relet intérieur. Mais, comme la présence de ces bourrelets gènerait
leur accroissement ultérieur, les Mollusques les dissolvent avant
de le continuer, au moyen d’une sécrétion particulière émanant
de la partie antérieure de leur pied. Beaucoup de Mollusques
marins agissent absolument de la même manière que les Mollus-
ques terrestres.
Nous avons vu aussi très souvent les Buccins, les Pourpres et
les Rochers de nos côtes, perforer en quelques minutes les valves
des coquilles des Moules, des Mactres et des Bucardes, et ce au
moyen d’une liqueur provenant de l'estomac de l'animal perfora-
teur et portée au dehors par sa trompe, et appliquée directement
par l'ouverture de cet organe sur la partie de la coquille à percer.
Dans cette circonstance, l'animal appuie celte ouverture sur la
coquille, puis, entourant sa trompe par la partie antérieure de son
pied, qui, à cet effet, prend une disposilion bilobée, s'avance de
chaque côté de cet organe pour réunir ensuile ses deux paries,
aussitôt qu’elles l'ont dépassé, de manière à l’enfermer entre elles ,
puis s'appliquant fortement sur la coquille, forment le vide autour
de la trompe, la protégent de tout contact avec l'élément environ-
HÉLICES SAXICANES. 217
nant, tout le temps que dure l'opération du percement de la valve;
ce qui dépasse rarement quatre à six minutes, el qui s'effectue sans
le moindre mouvement d'aucune partie de l’animal perforateur.
On ne peut pas nier davantage ce que tout le monde peut voir,
mais que pea apprécient, il est vrai : ce sont les effets considé-
rables de perforation qu'on rencontre partout sur les caleaires
sous-marins, les polypiers et les coquilles de toutes espèces et de
toutes grandeurs, et exécutées par ce hillipulien marin des animaux
perforants, cet animal si informe, que son animalité a paru long-
temps douteuse ; si mesquin, que de plus grands doutes encore se
sont élevés sur l’origine des travaux considérables qu’il exécute
cependant avec une vigueur et une continuité qui pourraient le
faire nommer le Perceur de pierres par excellence, puisque, à lui
seul, il fait plus de ravages dans les corps calcaires sous-marins
que tous les autres animaux perforants, bien que la plupart de ces
derniers soient mille fois plus gros que lu.
Nous parlons du genre Vioa, ou Éponge térébrante de Duver-
noy ; nous n'avons même pas à notre disposition, à l'égard de cet
animal, la ressource d’un sue gastrique pour expliquer ses facultés
corrosives. Savous-nous seulement s’il possède un estomac ? Quel
est done son appareil sécréteur ? Quel est son instrument de per-
foration, comme dirait certain auteur? A toules ces questions,
nous ne pouvons répondre que ceci : c’est une pelite épenge
informe, charnue et jaunâtre, souvent grosse à peine d’un milli-
mètre dès qu’elle annonce sa présence. Cela ne l'empêche pas de
pénétrer dans tous les corps calcaires organisés ou non organisés,
de s’y introduire au moyen d'une perforation parfaitement cireu-
laire, et de s'étendre ensuite dans toutes les couches en les ron-
geant en galeries labyrinthiformes ; les traversant, les perforant
de toutes les manières, jusqu'à ce qu’elle ait formé un squelette
spongiforme rigide des corps les plus compactes. De nombreuses
coquilles et des banes rocheux sous-marins entiers sont rongés et
perforés de la sorte par cet infiniment petit.
M. le docteur G. Drumond suppose que ces animaux ont le pou-
voir de décomposer l'eau de la mer, et d’en extraire un acide
chlorhydrique libre, qu'ils emploieraient à l'érosion précitée.
218 BOUCHARL-CHANTEREAUX. — HÉLICES SAXICAVES.
Mais que n’a-t-on pas supposé ? Mieux vaut dire, ce semble,
que nous ne savons encore rien à cet égard , que nous voyons les
faits, qu'ils existent, que nous en sommes émerveillés, mais que
nous ne pouvons les expliquer : c’est infiniment plus rationnel.
On a déjà beaucoup écrit sur la perforation des roches calcaires
par les animaux. Nous avons vu dans ces écrits beaucoup de
bonnes observations et aussi beaucoup d'observations superf-
cielles, et par là dépourvues d’autorité.
Quoi qu’on dise done sur la sécrétion animale d’un sue acide et
des difficultés pour expliquer son emploi dans la dissolution des
corps calcaires, nous les considérons l’un et l’autre comme cer-
tains, et sommes profondément convaincu que cette opinion, la
seule véritablement rationnelle pour qui a beaucoup vu et beau-
coup étudié, est appelée à survivre et à dominer toutes les autres.
On nous objectera sans doute, comme on l’a fait depuis quel-
que temps, les érosions grésiques, gnéisiques et granitiques des
Oursins et des Pholades des côtes de la Bretagne. Nous devons à
notre bon ami M. F. Cailliaud, conservateur du Muséum de la
ville de Nantes, d’avoir pu les étudier. Nous y répondrons dans
notre second mémoire en traitant des perforations des animaux
marins en général, et nous espérons pouvoir y prouver que l’opi-
nion émise à leur sujet n’est qu'une hérésie scientifique.
Nota. — Nous donnons une planche (pl. 4) des figures repré-
sentant des perforations de nos Hélices saxicaves, et nous dépo-
sons dans les collections du Muséum d'histoire naturelle de Paris
et de la Faculté des sciences les pièces qui ont servi de modèles
pour ces dessins.
RECHERCHES SUR LES GLANDES GASTRIQUES
ET. j
LES TUNIQUES MUSCULAIRES DU TUBE DIGESTIF
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS,
Par M. Martial VALATOUR,
Agrégé des sciences, préparateur de zoologie à l'École normale supérieure,
INTRODUCTION.
De nombreux travaux accomplis depuis un siècle sur les Mam-
mifères et les Oiseaux ont fait connaître en grande partie quels
sont les procédés de la digestion dans ces animaux. Sont-ils les
mêmes dans tous les Vertébrés et en particulier dans tous les Pois-
sons osseux? La chose semble admise implicitement, mais elle
n’est pas démontrée. En effet, s'agit-il des poissons osseux? Les
glandes salivaires ne se rencontrent dans aucun, le pancréas n'a
pu être trouvé que dans un très petit nombre, et encore à l’état
rudimentaire ; et, si l'estomac existe presque toujours, comparable
par ses fonctions à celui des Mammifères, il paraît manquer quel-
quefois. 11 y a des Poissons, le Gardon parexemple, dans lesquels
on ne connaît ni glandes salivaires, ni pancréas, ni estomac. En
présence de pareils faits, toute recherche sur les sécrétions diges-
lives dans les Poissons osseux offre un grand intérêt.
L'étude des glandes gastriques en particulier a été presque com-
plétement négligée dans les animaux de ce groupe. Aujourd'hui
l'existence même de ces glandes n’est établie d’une manière irré-
futable chez aucun d’eux. Cette lacune est d'autant plus à regret-
ter que le sue gastrique n’a été lui-même le sujet d'aucune re-
cherche. On sait bien qu’il se fait dans l’estomac des Poissons
une dissolution des aliments, mais est-elle semblable à celle qui se
2920 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
fait dans l'estomac des Mammifères? porte-t-elle sur les mêmes
matières alimentaires exclusivement? y retrouve-t-on les mêmes
principes essentiels? Toutes ces choses semblent probables, mais
personne n’a cherché à les démontrer.
Jusqu'ici très peu de travaux ont été entrepris sur la physiolo-
gie et l'anatomie comparées de la sécrétion gastrique dans les
différents Vertébrés, et cependant le peu de recherches qui ont
été faites semblent promettre des découvertes intéressantes et
rendent plus désirables encore des études sur la sécrétion gastrique
dans les poissons.
Sans parler de quelques différences qui paraissent exister dans
la forme des glandes gastriques, et l’arrangement des glandes
pepsiques et des glandes muqueuses dans différents Mammifères,
M. Molin (Denkschrifien der kaiserlichen Akademie der W issen-
schaften, 1852) à démontré que dans le ventricule succenturié
des Oiseaux les glandes gastriques sont groupées d’une manière
tout à fait spéciale.
M. CI. Bernard (Leçons faites au Collége de France, 1855)
professe que le suc gastrique des différents Mammifères n’agit pas
de la même manière. «Le suc gastrique des Lapins, mis en con-
» fact avec de la viande crue, la décolore, la crispe, l’imbibe, mais
» ne la désagrége pas et ne la ramollit pas avec la même énergie
» que le fait le suc gastrique du Chien, et ne fait pas disparaître
»les stries transversales des fibres. Ceci s'observe également
» Quand on fait manger du bœuf à des Lapins; on rencontre dans
» l'estoniac de la viande décolorée, comme cuite, mais présentant
» des caractères différents de ceux qu’on observe dans de la viande
» mise dans l'estomac d’un Chien... Le suc gastrique de l'Homme
» et celui du Chien se ressemblent... Le suc gastrique préparé
»avec le ventricule succenturié des oiseaux n'a pas la propriété
» de ramollir et de dissoudre la chair musculaire comme celui
» préparé avec l'estomac de | Homme où du Chien. »
Enfin on lit dans l'Æaistologie humaine de Külliker (1856) que,
d’après le docteur Berlin , les deux principes essentiels du sue
gastrique, l'acide et la pepsine, seraient fournis dans les oiseaux
, Par des glandes distinctes; la pepsine serait sécrétée par les
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 221
glandes du ventricule succenturié, et l'acide par des glandes en
tube, recouvertes d’un épithélium cylindrique, qui se rencontrent
dans le gésier. Cependant Frerichs (Wagner’s Handiwærterbuch,
1849), voulant prouver que le suc gastrique est sécrété acide,
expérimenta précisément sur des oiseaux; il fit des coupes à tra-
vers les glandes du ventricule succenturié et trouva toutes ces
coupes acides.
Après ces expériences et les faits que j'ai cités d’abord, on ne
peut pas admettre sans démonstration qu'il existe dans l'estomac
des poissons un sue gastrique, tont à fait identique par ses pro-
priétés avec celui des Mammifères et sécrété par des organes sem-
blables. L'existence même du suc dissolvant n’entraine pas
l'existence des glandes; des cellules épithéliales pourraient à la
rigueur sécréler ce liquide, et Bischoff, dans un travail dont nous
allons parler, admet que le suc dissolvant peut être sécrété par la
muqueuse elle-même sans le secours d'aucun épithélium ni d’au-
eune glande.
Je me suis donc proposé de rechercher au microscope les or-
ganes qui peuvent sécréler le suc gastrique dans les poissons
osseux. Ces recherches ont nécessité l'étude d’une grande partié
du tube digestif, et m'ont donné l’occasion de faire un certain
nombre de remarques sur les tuniques musculaires de ce tube.
Avant de faire connaître les résultats auxquels je suis arrivé,
je résumerai les travaux qui ont été entrepris dans cette direction.
PREMIÈRE PARTIE.
DES GLANDES GASTRIQUES.
CHAPITRE PREMIER.
Historique.
La découverte des glandes gastriques date de 1836 seulement.
Cependant dès 1752, Réaumur (Mémoires de l’Académie des
sciences), dans son mémoire sur la digestion chez les oiseaux
299 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
granivores, dit que les parois du ventricule succenturié de cès
oiseaux contiennent des glandes en forme de tube, très visibles à
l’œil pu, que ces glandes ont été déjà figurées par Perrault et que
celles de l’Outarde ont été décrites dans les anciens Mémoires de
l’Académie des sciences.
Sir Everard Home (Lectures on Comparative Anatomy de 181
à 1823), qui a observé l’estomac d’un très grand nombre d’ani-
maux et recherché les glandes gastriques, sans pouvoir les trou-
ver, si ce n’est quand elles étaient visibles à l’œil nu, a figuré ces
glandes des oiseaux ainsi que des masses glandulaires qui existent
dans l'estomac de quelques Mammifères, le Castor et le Wombat.
Mais M. Molin, dans le mémoire déjà cité, a démontré que ces
tubes ne sont pas des glandes simples, comme on le croyait, mais
des groupes de glandes, et que les véritables glandes sont placées
dans l'épaisseur de leurs parois et n'avaient pas été vues avant lui.
C’est Sprott Boyd qui découvrit vraiment les glandes pepsiques
(Ofthe Mucous Membranes of the Stomach dans Edinburgh Medi-
cal and Surgical Journal, 1836). |
Il reconnut que les parois de l'estomac de l'Homme, du Cochon,
du Lapin, du Cheval, des Ruminants, contiennent dans leur épais-
seur un grand nombre de tubes cylindriques, filiformes, perpen-
diculaires à la surface de l'estomac, ouverts du côté de cette sur-
face, fermés en cul-de-sac à l'extrémité opposée. Il étendit ses
recherches à l’estomac de quelques reptiles et de quelques Pois-
sons, et y reconnut une structure alvéolaire. Je ne sais quels Pois-
sons ont été étudiés et quels résultats ont été réellement obtenus,
parce que je n'ai pu me procurer le mémoire de Sprott Boyd, et
que je le connais seulement par les extraits qui en sont donnés
dans l'anatomie générale de Henle et l'anatomie microscopique
de Mandl.
Sprott Boyd avait seulement reconnu la forme des glandes.
Purkinje en étudia le contenu chez ies Ruminants, chez les Car-
nassiers et chez l'Homme (Ueber den Bau der Magendrüsen, dans
Bericht über die V'ersammlung deutcher Naturforscher und Aerzte
in Prag, 1838). Elles sont remplies de cellules arrondies à noyau
et de granules non mesurables, animés du mouvement brownien.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 293
Leur produit consiste en granules semblables, réunis par une
substance plus ou moins mucilagineuse.
En même temps que Sprott Boyd, Bischoff recherchait les
glandes gastriques. Son mémoire parut dans les Archives de Mül-
ler en 1838 ; il s'étend aux quatre classes de Vertébrés. Parmi les
Mammifères, Bischoff étudie l'Homme, le Chien, le Chat, la Taupe,
le Bœuf, le Cochon, le Cheval, le Lapin et la Souris. Il distingue
chez quelques-uns d’entre eux, outre les glandes en tubes simples,
des glandes lobulées. Chez le Cochon toutes les glandes seraient
lobulées. Chez les Oiseaux, Bischoff n’en vit pas plus long que sir
Everard Home. Chez les Reptiles, Rana esculenta, Salamandra
maculata, Coluber natrix , Coluber lœvis, Coluber atroflavus,
Lacerta agilis et Emys europæa , il reconnait des culs-de-sac
qu'il appelle cryptes, leur refusant le nom de tubes. Quant au
contenu de ces cryptes, il n’en est pas question. Pour les Pois-
sons, voict ce qu'il en dit : « Chez certains Poissons je n’ai pu
» trouver une partie du tube digestif, remarquable par sa struc-
»ture, de telle sorte qu'on peut leur refuser un estomac. C’est ce
» qui arrive chez plusieurs espèces de Cyprinoïdes, où immédiate-
» ment après l’œsophage, reconnaissable à son épithélium, com-
» mencent les plis en zigzag qui se continuent sur tout l'intestin.
» Nulle part je n'ai trouvé de glandes; quant à l'épithélium qui
» peut recouvrir les plis de la muqueuse, je n’ai pu le bien distin-
»guer. La muqueuse elle-même produirait donc ici la sécrétion.
» Chez d’autres Poissons, au contraire, j'ai trouvé une structure
»tout à fait semblable à celle des Reptiles. Ainsi la muqueuse
»Stomacale de la Carpe montre des tubes très nombreux, beau-
»coup plus courts et plus larges que ceux des Mammifères, au
» point que leurs ouvertures sont visibles à l'œil nu.
» L’estomac de l’Anguille ressemble encore plus à celui des
» Reptiles et contient des cylindres très fins.
» Chez les Cobitis fossilis que j'ai examinés, mais seulement con-
» Servés dans l'alcool, je n'ai pas trouvé de glandes dans l’esto-
» Mac. » !
Ainsi Bischoff trouve des glandes gastriques chez deux Poissons
seulement, et encore il y a tout lieu de croire que chez la Carpe
99/ M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
les prétendus tubes gastriques appartiennent en réalité au tube
intestinal, ce qui peut faire douter de la nature des tubes reconnus
chez l’Anguille, puisque le contenu de ces tubes n’a pas été ob-
servé: Tous les tubes que lon peut trouver dans lé tube digestif
et même dans l'organe regardé comme un estomac, ne sont pas
nécessairement des tubes pepsiques. C’est done là un travail à
reprendre et qui ne prouve pas suffisamment l'existence des tubes
pepsiques chez les Poissons.
En 1845 parut l'Anatomie des Salmones, par Agassiz et Vogt.
La splanchnologie, c’est-à-dire la partie qui nous intéresse, a été
traitée par Vogl; à propos du tube intestinal de la Truite com—
mune (Salmo fario), choisie pour type, il dit : « Nous avons con-
» Sacré un soin tout particulier à l'étude de la muqueuse des dif-
» férentes parties du canal intestinal. Quand on examine la surface
» libre de la muqueuse de l'estomac sous une loupe assez forte,
» on aperçoit des saillies formant des mailles assez régulières, pour
» la plupart oblongues, séparées par des excavations peu profondes.
» Le fond des mailles n’est pas uni; il est au contraire réticulé,
» et l’on aperçoit deux, quatre ou six cryptes qui s'ouvrent par
» des trous ronds dans la cavité. Une matière opaque, grenue,
» d'apparence blanchâtre sur un fond noir, est accumulée au fond
» de ces cryptes. Sur une coupe transversale, les saillies de la
» muqueuse se présentent comme autant de collines ou de verrues
» implantées l’une à côté de l’autre et séparées par des rentrées
» reposant sur une couche entièrement opaque, qui envoie quel-
» quefois des prolongements dans les espaces entre les mamelons.…
» Avec de forts grossissements on reconnait que les mamelons
» où plutôt les plis grands ou petits de la muqueuse sont composés
» d’une quantité de cellules coniques, engrenées les unes dans les
» autres, Comme les pierres d’une voûte, et formant ainsi ce qu’on
» a appelé un épithélium à cylindres... La structure de la mu-
» queuse de l'estomac est, on le voit, des plus simples. Une couche
» épaisse de cellulés coniques recouvre le tissu fibreux. Il paraît
» que ces cellules coniques sont recouvertes à leur tour par des
» cellules plates et grennes qui se trouvent en quantité dans la
» mucosité qui remplit l'intestin. Ces dernières se renouvellent
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 295
»sans cesse, et ce qui prouve bien qu’elles forment une couche
» continue en pavé, c'est que plusieurs fois en comprimant des
» coupes transversales sous le compresseur microscopique, nous
»avons vu le fond des anfractuosités se détacher et présenter un
» rouleau en forme de massue. Il nous a été facile de réconnaître
» alors que ce rouleau n’élait pas composé de cellules cylindriques,
» mais bien de cellules rondes et aplaties, qui tapissaient le fond
» du creux et qui s'étaient détachées en entier par la pression…
» Il n'existe de glandes muqueuses composées, ni dans l’esto-
» mac, ni dans aucune autre partie de la muqueuse. Les eryptes
» de l'estomac qui s'ouvrent, au nombre de quatre à six au plus
_»dans une cavité plus grande, sont les seuls représentants des
» glandes, et encore leur structure ne diffère-t-elle en aucune
» façon de celle des plis qui les entourent. Ce sont de simples ex-
» cavations destinées à augmenter la surface sécrétante. »
Faut-il conclure de ce travail qu'il existe des glandes pepsiques
dans l'estomac de la Truite? Ce n’est pas,-en tout cas, la conclusion
de l’auleur. Ce n’est pas non plus celle d'Ecker dans l'analyse
quil donne de ce travail dans les Archives de Müller (1852). «Les
» ailleurs, dit-il, ne trouvent nulle part de véritables glandes,
» mais seulement des eryptes plats dans des plis en réseau. Au
»Contraire, Stannius, dans son Anatomie comparée, indique de
» petites glandes stomacales, évidentes chez les Trigles, ete. »
Et cependant d’après cette description elles doivent exister;
mais il est facile de reconnaître aux doutes de l’auteur et à l’obs-
curité de certains passages, que les choses ont été vues impar-
faitement et mal interprétées, et que de nouvelles observations
seraient nécessaires. Ainsi, à la simple lecture du mémoireon voit
bien que l'épithélium cylindrique ne doit pas recouvrir toute la
surface des cryptes, comme le laisse entendre Vogt, et que les
cellules rondes doivent former le contenu spécial de ces cryptes
et ne pas recouvrir du tout l'épithélium cylindrique. Faut-il croire,
comme le texte et les figures semblent le montrer, que l’épithé-
lium cylindrique est formé de plusieurs couches superposées ?
Pourquoi les cryptes, visibles quand on regarde la muqueuse par
sa partie supérieure, ne le sont-ils plus sur des coupes verticales ?
. Æsérie, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 4.) ® 45
296 M. VALATOUR. — CGLANDES GASTRIQUES
Dans l’ Anatomie comparée de Siebold et Stannius, publiée à Berlin
de 1846 à 1848, Stannius, parlant des Poissons, dit : «Les glan-
dules stomacales sont souvent très apparentes, et il met en note
«chez les Trigla, Uranoscopus, Blennius, Gasterosteus, Cyclop-
terus », et il n’ajoute pas un mot de plus. Il n’en décrit mi la
forme, ni le contenu.
Or que penser de ces glandes ? De lout temps on a parlé de
cryptes muqueux (c’étaient les expressions employées) qui existe
raient dans différentes parties du tube digestif des Poissons, et en
particulier dans l’æsophage où il n’y a pas de glandes.
Pour en finir avec les travaux publiés sur les glandes gas-
triques des Poissons, il ne reste plus qu’à parler des observations
de Leydig. Dans ses Anatomisch-histologische Untersuchungen
über Fische und Reptilien, 1853, il décrit le tube digestif de l’Estur-
geon et d’un Cyclostome, le Petromyzon Planeri : « Dans la
» muqueuse stomacale de l’Esturgeon, écrit-il, se voient des
» glandes, dontla véritable nature ne peut être reconnue que sur
» des sujets très frais. Ce sont’alors des sacs cylindriques, très
» courts, présentant ceci de remarquable que leur surface interne
» est recouverte très régulièrement d’un épithélium cylindrique
» transparent, qui laisse au milieu de la glande une cavité remplie
» par un liquide. Cet épithélium cylindrique se continue à l’ouver-
» ture des glandes avec celui de la muqueuse stomacale. Les cel
» Jules de ce dernier diffèrent de celles des glandes par leur plus
» grande longueur... Nulle part dans le reste du tube digestif,
» on ne trouve de glandes semblables... Chez le Petromyzon
» Planeri, 11 n’y à de glandes ni dans l'estomac, ni dans lintestin ;
» mais l’épithélium cylindrique, épais de 0,006” à 0,008" (le
» signe "” désigne les lignes), est garni de cils vibratiies. »
Dans la même année 1853, les Archives de Müller contien-
nent un mémoire de Leydig sur le Cobitis fossilis. L'estomac de
ce Poisson ne lui paraît pas renfermer de glandes, mais son épi-
thélium n’est pas formé de cellules identiques; il se compose
d’une couche de cellules cylindriques, sur lesquelles reposent des
cellules arrondies. La surface de l'intestin ne serait recouverte par
aucun épithélium. Enfin, en 1857, Leydig fait paraitre son Hasto-
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 9297
logie comparée (Lehrbuch der Histologre des Menschen und der
Thiere). Dans le paragraphe 280, il dit : « Le tube digestif ne con-
» tient pas toujours des glandes; ainsi je n’en trouve ni dans
» l’œæsophage, ni dans l'estomac, ni,dans l'intestin du Petromy-
» on fluviatilis, du Myæine et du Cobitis fossilis. » Et dans le
paragraphe 282 qui traite des glandes gastriques : « La muqueuse
» de l'estomac possède des glandes chez tous les Vertébrés, à
» l'exception des Poissons que j'ai nommés. Chez les Plagiostomes,
» les glandes gastriques ont la forme de cylindres terminés en
» massue ; elles sont pressées les unes contre les autres. Chez
» l’Esturgeon, ce sont des sacs cylindriques courts. Chez le Poly-
» ptère, ce sont dans la partie antérieure de l’estomac des tubes
» assez longs; mais vers le eul-de-sac de l'estomac, leur longueur
» diminue en même temps que leur largeur augmente. Elles
» deviennent tout à fait superficielles et figurent de larges cryptes,
» et enfin se démembrent tout à fait. »
Leydig n’en dit pas davantage sur les glandes gastriques des
Poissons. A ce paragraphe sont jointes deux figures : l’une repré-
sente une glande gastrique de l’Esturgeon; elle est très large,
courte, recouverte sur toute sa surface interne par une seule
couche de cellules cylindriques claires. Levdig la considère comme
une vraie glande pepsique, car il l’appelle Labdrüse, glande à
présure ; elle ressemble, par le contenu du moins, à une glande
muqueuse de l'estomac des Mammifères. Est-ce bien là une
glande pepsique? L'autre figure représente une glande gastrique
de la Torpille. Le fond du tube seul est représenté. La surface
interne est recouverte d’une seule couche de cellules arrondies
contenant des granules et un noyau, et ressemblant à des cellules
pepsiques. Il est long et étroit. Bien que Leydig avance hardiment
qu'il existe des glandes gastriques chez tous les Vertébrés, excepté
chez le Petromyzon fluviatilis, le Myxine et le Cobitis fossilis,
je ne crois pas qu'il ait publié quelque part la description des
glandes gastriques chez un Poisson osseux, un Poisson téléastéen.
Il est étonnant qu'il ne dise rien des Cyprinoïdes, Admettrait-il
qu’il existe chez eûx des glandes gastriques ? |
Voilà, je crois, tous les travaux qui ont été publiés sur les
228 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
glandes gastriques des Poissons. Du moins, j'ai parcouru tous les
volumes des Archives de Müller, où se trouvent résumées par
année les recherches microscopiques, et je n’y ai trouvé l’indica-
tion d'aucun autre ouvrage.
Si l'étude des glandes gastriques a été négligée chez les Pois-
sons, il n’en a pas été de même chez les Mammifères domes-
tiques. Aussi la structure de ces glandes y est-elle aujourd'hui
parfaitement connue, ainsi que chez l'Homme ; et il est nécessaire
avant de commencer les recherches sur l'estomac des Poissons, de
résumer les connaissances acquises sur l'estomac des Mammi-
fères.
On y à reconnu deux sortes de glandes, de vraies glandes
pepsiques et des glandes muqueuses ; les unes et les autres sont
formées par des tubes isolés, ou réunis plusieurs ensemble en
une sorte de patte d’oie. L'épithélium cylindrique, qui recouvre
toute la muqueuse stomacale, s'étend jusqu’au fond des glandes
muqueuses qui n’ont pas d'autre revêtement. Dans les glandes
pepsiques, au contraire, il ne descend jamais profondément, et le
reste du tube est rempli ou tapissé par des cellules à noyau arron-
dies, finement granulées, et mesurant chez l'Homme de 0"",044
à 0"*,02 en diamètre.
Chez l'Homme, les glandes pepsiques simples occupent presque
toute la muqueuse stomacale, les glandes pepsiques composées
occupent une très petite partie voisine du cardia, et les glandes
muqueuses occupent la région pylorique, ce qui a lieu le plus sou-
vent chez les Mammifères.
C'est Wasmann (De digestione nonnulla, 1839) qui, le pre-
mier, reconnut dans l’estomac du Porc ces deux sortes de glandes.
Les glandes muqueuses existent dans la région cardiaque et la
région pylorique.
Todd et Bowman (The Physiol. Anatomy and Physiology of
Man, 1845-53) les retrouvèrent chez le Chien ; Kôlliker (His-
tologie humaine, 1850-54) chez les Ruminants, le Cheval, le
Lièvre, le Lapin et le Chat. Chez tous ces animaux, les glandes
muqueuses n’occupent que la partie pylorique. Par une série de
digestions artificielles entreprises avec le docteur Goll, Kôlliker
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 229
(Histologie humaine) a démontré que le produit des glandes à cel-
lules arrondies digère les substances albuminoïdes légèrement
acidulées, et que le produit des glandes à épithélium cylindrique
reste sans action sur ces substances. Ces dernières glandes auraient
pour fonction de fournir avec le reste de l’épithélium stomacal le
mucus gastrique, comme Todd et Bowman l'ont avancé les pre-
miers.
CHAPITRE I.
Glandes gastriques dans les Poissons osseux dont l’estomac est manifeste.
$ I. — Méthode d'observation.
L'étude des glandes gastriques est possible seulement sur des
animaux très frais, des animaux vivants ; surtout quand il s’agit
des Poissons, très peu de temps après la mort, les épithéliums et
le contenu glandulaire se sont décomposés. Il n’y avait donc pas
lieu de faire un choix parmi les Poissons ; il fallait me contenter
de ceux que je pourrais avoir en vie. C’est pourquoi j'ai étudié
l’Anguille, le Brochet, la Perche et quelques Cyprinoïdes, entre
autres la Carpe, la Tanche et le Gardon. Mais ici les circonstances
m'ont assez bien servi, car ces Poissons appartiennent à des
groupes éloignés, et m'ont présenté chacun des particularités. J’ai
pu répéler sur des Poissons de mer quelques-unes des observa-
lions faites sur ces Poissons d’eau douce.
J'ai observé les parois intestinales fraiches et préparées de dif-
férentes manières ; cela est indispensable : un seul mode d’obser-
vation ne peut conduire à des résultats satisfaisants ; les observa-
tions ont besoin d’être variées pour se compléter et s’éclairer les
unes les autres ; 1l faut une sorte d’expérimentation.
L'examen des muqueuses fraiches montre les cellules épithé-
_liales et le contenu glandulaire à l’état naturel. £es coupes, faites
au couteau double, doivent être mises dans l’eau salée, et non pas
dans l’eau pure qui gonfle et déforme toujours les cellules. Il es
230 M. VALATOUR. -—— GLANDES GASTRIQUES
quelquefois utile de se servir du compresseur pour étendre et dila-
ter les parties. Mais l'observation des muqueuses fraiches laisse
toujours à désirer, parce qu’elles contiennent des fibres élastiques
et des fibres musculaires, et que, par suite, les coupes se contour-
nent le plus souvent, et ne permettent plus de voir la véritable
forme et la disposition dés parties. En même temps, les cellules
épithéliales et les cellules glandulaires se détachent facilement et
se mêlent. C’est, je crois, pour avoir seulement étudié des esto-
macs non dureis, que Vogt n’a pas mieux reconnu la structure de
l'estomac de la Truite. Il faut donc étudier des muqueuses dessé-
chées après avoir été convenablement préparées. Ces préparations
préalables ont pour but de conserver toutes les parties en les modi-
fiant quelquelois d’une manière utile.
J'ai traité les parois intestinales de deux manières avant de les
dessécher ; je les place dans l'alcool à 40 degrés, ou dans le car-
bonate de potasse concentré; je les y laisse pendant une quinzaine
d'heures, puis je les retire, les étends sur une plaque de liége et
les laisse sécher. Une fois que les tissus sont secs, on peut faire
au scalpel d'excellentes coupes ; les épithéliums eux-mêmes sont
parfaitement conservés. Ces coupes sont placées dans de l’eau, où
elles s'étendent et reprennent bientôt en quelques secondes leur
volume primitif. On peut alors les observer au microscope ; Si la
coupe provient de tissus consèrvés dans l'alcool, en faisant passer
de l’acide acétique entre les deux verres qui la renferment, on la
rend très transparente. En même temps, le tissu cellulaire surtout
se dilate considérablement, et toutes les parties deviennent très
facilement observables. Si, ensuite, l’on traite par l'acide nitrique,
cet acide colore certaines parties, par exemple, les épithéliums,
les contenus glandulaires et les fibres musculaires; le tissu cellu-
laire reste incolore ; toutes ses parties deviennent alors plus recon-
naissables encore, et prennent plus de relief. Je ne traite pas
d’abord par l'acide nitrique, parce que cet acide contracte les
tissus. Je commence par les dilater avec l'acide acélique, qui me
permet déjà un certain nombre d'observations ; puis j'ajoute l'acide.
nitrique, s’il est nécessaire, pour compléter ces observations, sans
avoir à faire de nouvelles coupes. Je n’ai pas employé la soude,
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 231
parce que, même étendue, elle rend les coupes beaucoup trop
transparentes.
Quand les tissus ont été traités par le carbonate de potasse, les
coupes sont d’une très grande transparence.
Enfin j'ai employé aussi la macération plus ou moins prolongée
dans l’acide acétique et dans l’eau ; la macération dans l'acide acé-
tique rend les cellules très apparentes ; quand elle se prolonge,
elle désagrège complétement le tissu curé de la muqueuse, et
dissocie les glandes après avoir coagulé, solidifié, le contenu. La
muqueuse se réduit en une espèce de pulpe, qui, au microscope,
paraît une agglomération de glandes et de cellules épithéliales. La
forme des glandes ainsi séparées et durcies se reconnaît alors très
bien, ainsi que le contenu. |
La macération dans l’eau détruit, au contraire, les épithéliums
et le contenu glandulaire, et met en évidence le réseau dont est
creusée la muqueuse, et dans les mailles duquel étaient contenues
les glandes.
J'ai eu recours à tous ces procédés, et quand j'ai voulu étudier
un Poisson, je me suis procuré cinq intestins de ce Poisson : l'un
d'eux à été observé frais, le second a été placé dans l'alcool à
40 degrés , le troisième dans le carbonate de potasse concentré ,
le quatrième dans l'acide acétique et le cinquième dans l’eau.
Si l’on n'avait à sa disposition qu’un seul individu, pour en faire
l'étude, il faudrait partager l'intestin, dans sa longueur, en deux
parties symétriques, étudier l’une fraiche, et placer l’autre dans
l'alcool à 40 degrés. Un intestin frais, placé ainsi dans l'alcool,
donne des résultats très satisfaisants ; ce serait un moyen d’étu-
dier le tube digestif des Poissons qu'on ne peut avoir vivants dans
le lieu où l’on se trouve.
Le plus souvent j'ai répété les observations un grand nombre
de fois ; les choses ne sont pas tellement évidentes, qu’on puisse
être assuré d’avoir bien vu du premier coup, et, dans tous les cas
douteux où imprévus, j'ai répété les observations tant que j'ai pu
espérer voir mieux.
J'ai étudié les mêmes coupes avec des grossissements variables.
Ceci est très utile; les faibles grossissements donnent plus de
232 M. VALATOUR. -— GLANDES GASTRIQUES
champ, plus de clarté, montrent les parties dans leur ensemble et
leurs rapports; les forts grossissements sont nécessaires pour
étudier les détails. Le microscope dont je me suis servi est un
microscope Nachet, petit modèle, avec des grossissements variables
centre 80 et 600 diamètres environ. Les mesures ont été prises au
micromètre oculaire; j'avais d’abord déterminé la valeur de cha-
eune de ses divisions pour les différents objectifs avec le micro-
mètre objectif : les mesures se prennent ainsi très rapidement.
$ II. — L'’Anguille.
L'estomac de l’Anguiile se compose, comme celui de la plupart
des Poissons, de trois parties : un cul-de-sae, une branche car-
diaque et une branche pylorique. Mais, tandis que le plus souvent,
dans les animaux de celte classe, cette dernière est perpendicu-
laire à la branche cardiaque, ici elle lui est parallèle, de telle sorte
que le cul-de-sac se divise à sa partie antérieure en deux tubes,
situés tous les deux dans son prolongement, et appliqués l’un
contre l’autre. Dans cette partie, il est nécessairement plus large
que chacun des deux tubes; mais il se rétrécit vers sa partie posté-
rieure, et forme un cône très allongé, au moins quand il est vide,
car, lorsqu'il contient des aliments, les dimensions peuvent en
varier beaucoup. La branche cardiaque constitue avec l’œsophage
un tube ayant le même diamètre dans toute son étendue, et plus
long encore que le cul-de-sac. Ces différentes dispositions sont
en harmonie avec la forme du corps; le corps étant allongé et
étroit, les parties sont elles-mêmes allongées et pressées les unes
contre les autres. Il n’était pas inutile d’insister sur la direction
de la branche pylorique : c’esten tenant compte de cette direction
que l’on peut expliquer certaines différences dans l’arrangement
des tuniques musculaires de ces régions.
Un étranglement très prononcé sépare la branche pylorique de
l'intestin, ct marque extérieurement la fin de lestomae ; au con-
traire, rien dans l’apparence extérieure ne permet de distinguer
l’œsophage de l’estomae, si ce n’est une plus grande transparence
des parois. Le lube qui se porte du cul-de-sac à la bouche est
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 239
opaque comme le cul-de-sae, sur une très petite longueur voisine
de la branche pylorique, et beaucoup plus transparent dans tout
le reste de son étendue : c’est à cette partie plus transparente que
l'on a donné le nom d’'æsophage; elle est au moins aussi longue
que l'estomac, a 5 ou 6 centimètres de long sur une Anguille de
taille moyenne. Si l'on ouvre tous ces organes, et qu'on en exa-
mine la surface interne, on voit que l'aspect n’en est pas partout
le même; la muqueuse de l'estomac est épaisse, veloutée, opaque ;
celle de l’œsophage est plus mince, plus transparente, plus sèche;
la muqueuse du cul-de-sac est jaunètre ; celle de la branche pylo-
rique, qui lui ressemble du reste en tous points, est blanche. Voilà
donc trois muqueuses différentes : il faudra savoir si ces diffé-
rences d'aspect correspondent à des différences réelles de struc-
ture, et quelles sont ces différences.
Le cul-de-sac est bien certainement un estomac : 1l est suscep-
tible d’une grande dilatation, en même temps qu'il est très con
tractile ; les aliments y font un long séjour, et s’y transforment en
chyme; il est acide quand il contient des aliments ; la surface de
ces aliments est elle-même acide. Quant à l'œsophage, comme
aucun étranglement nele sépare de l'estomac, qu'il forme avec lui
un même sac, el que souvent la proie trop volumineuse pour
tenir dans le cul-de-sac remplit aussi l’œsophage, on pourrait à la
rigueur le considérer comme faisant partie de l'estomac : dans
l'estomac du Cheval, la muqueuse de la portion cardiaque pré-
sente ainsi tons les caractères de la muqueuse œsophagienne. En
tout cas, cet œsophage de l’Anguille diffère en quelque chose par
ses fonctions de celui des Mammifères, puisque les aliments y
séjournent. e
A l'extrémité du canal pylorique existe une valvule très déve-
loppée, sous laquelle s'ouvre le canal cholédoque qui est court;
immédiatement derrière cette valvule, la muqueuse change com
plétement; dans l'estomac, elle est lisse, unie, ne présente que
quelques plis longitudinaux peu élevés ; dans l'intestin elle est
couverte de plis très nombreux, très élevés, dirigés dans tous les
sens, et anastomosés eulre eux de manière à circonserire de pro-
fondes alvéoles.
234 M. VALATOUR. —- GLANDES GASTRIQUES
Voyons maintenant quelle est la structure microscopique de
toutes ces parties; examinons d’abord la surface de la muqueuse
œsophagienne ; on n’y voit aucun indice de glandes, mais elle est
partout couverte d'un épithélium formé de grosses cellules arron-
dies qui ne sont pas comprimées les unes contre les autres, puis-
qu'elles conservent la forme ronde, mais sont séparées par une
matière intercellulaire jaune, épaisse, opaque, dans laquelle elles
paraissent empâtées. En quelques points, il semble même qu’une
cellule se soit rompue, se soit détachée, et que la place en soit
restée vide. Quand on racle cette surface avec un scalpel, on enlève
une couche d'apparence muqueuse qui se montre au microscope
entièrement formée de semblables cellules; elles ont un contenu
granuleux et un noyau. Dans les parties profondes, il semble
exister des cellules beaucoup plus petites, presque réduites à leur
noyau. Sur des coupes, on reconnaît qu'il n’y a aucune glande,
que les cellules ne sont pas aplaties; qu'au contraire, elles sont
allongées, ovoïdes, et que le plus grand diamètre en est perpen-
diculaire à la muqueuse. Il y en a toujours plusieurs les unes au-
dessus des autres dans l'épaisseur de l'épithélium; mais elles ne
forment pas de véritables couches, parce que leur longueur varie,
et qu’elles se placent ainsi à des hauteurs différentes. L’épaisseur
de l’épithélium est elle-même variable ; elle est le plus souvent de
0°*,05 ou 0**,06. La hauteur des cellules est de 0" ,03 ou 0"",04
le plus souvent. Il n’y en a que deux ou trois dans l'épaisseur de
l'épithélium ; leur diamètre, quand on le regarde par la partie
supérieure, est d'environ 0°*,018. Cet épithélium est donc de la
nature des épithéliums pavimenteux, mais plutôt ce que Henle
appelle, dans son Anatomie générale, un épithélium de transition,
formant le passage entre le véritable épithélium pavimenteux et
l'épithélium cylindrique. Pour bien s'assurer que l’épithélium est
complet, comme je l’ai décrit, que les parties supérieures ne sont
pas détachées, il faut l’observer au fond des plis longitudinaux qui
couvrent en grand nombre la surface de l’æsophage. Au fond de
ces plis, les épithéliums qui couvrent les deux faces opposées sont
en contact, et il y a tout lieu de croire que chacun d’eux est com-
plet. Eh bien, dans ces plis, l’épithélium est, comme je l’ai décrit,
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 235
uniquement formé par de grosses cellules ovoïdes, perpendicu-
laires à la surface, et le plus souvent sur deux rangs d'épaisseur.
Quant aux petites cellules dont j'ai parlé et qui existeraient dans
la profondeur, on ne les voit pas nettement sur les coupes, sans
doute à cause de leur petitesse ; mais elles peuvent exister à la sur-
face de la muqueuse sous les grosses cellules.
L’estomac est couvert lui aussi d’un épithélium, mais tout dif-
férent de celui de l’œsophage sous tous les rapports. Quand on le
regarde par la partie supérieure, il est composé de cellules poly-
sonales, le plus souvent à six ou cinq côtés, exactement compri-
mées les unes contre les autres, séparées seulement par de minces
lignes amorphes, formant une mosaïque très régulière, qui con-
trasie d’une manière frappante avec l’épithélium œsophagien.
Les pièces de cette mosaïque sont beaucoup plus petites que les
cellules de cet épithélium ; le diamètre en est moindre environ de
moitié. Elles sont très claires, tandis que l’épithélium æsophagien
est obscur, trouble. |
Quand on examine des coupes faites à travers l'estomac, on
voit que l’épithélium est formé d’une seule couche de cellules
cylindriques très allongées ; les cellules détachées montrent très
nettement dans leur intérieur un noyau ovoïde, situé à peu près
au milieu de la hauteur, et sur l'extrémité libre un bord épaissi.
L’épithélium stomacal est donc bien un épithélium cylindrique ;
il apparaît sur la muqueuse, dès que celle-ci change d’aspect ;
c’est à lui qu’elle doit, sans doute, son apparence veloutée. Il n’y
a pas transition insensible d’un des épithéliums à l’autre; ils se
trouvent en contact avec tous leurs caractères des deux côtés
d’une ligne plus ou moins sinueuse et irrégulière. Des îlots de
l’épithélium cylindrique se montrent quelquefois complétement
enclavés au milieu des cellules de l’épithélium pavimenteux.
À quelque distance seulement de cette ligne commencent à se
montrer des taches rondes jaunâtres, quand on les éclaire par
transmission ; blanches, quand on les éclaire par réflexion, et qui
donnent beaucoup d’opacité à la muqueuse. Elles sont d’abord
réunies par petits groupes, laissant entre eux de larges intervalles
couverts par l’épithélium stomacal. Le nombre des taches com-
236 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
prises dans chaque groupe augmente en même temps que les
groupes se rapprochent, et bientôt les taches couvrent uniformé-
ment toute la muqueuse; 1l reste toujours entre elles de petits
intervalles où se voit l’épithélium cylindrique. Quand on a disposé
le microscope pour voir neltement l’épithélium, il faut l'abaisser
pour voir nettement ces taches qui paraissent alors formées de
granules. Elles correspondent donc à des cavités pleines de gra-
nules, et l’on peut même suivre l’épithélium cylindrique jusque
dans ces cavités ; on le voit s’infléchir sur leur bord et y des-
cendre. Si l'on traite par la potasse ou par la soude, les taches
disparaissent, la muqueuse devient très transparente, el se montre
composée d’un réseau, dont les mailles étaient tout à l'heure occu-
pées par les taches. Dans quelques-unes de ces mailles, on voit
encore des granules jaunâtres ; en comprimant un peu ils arrivent
au contact de la potasse et disparaissent.
Les parois des mailles n'ont pas toutes la même épaisseur ; il y
a comme des mailles de différents ordres : des mailles à parois
épaisses circonserivant un certain nombre de mailles à parois plus
minces. On peut encore faire apparaïilre ce réseau en laissant
macérer la muqueuse pendant longtemps dans l’eau, ou en la
comprimant sous le compresseur. Quand on la comprime ainsi,
on voit les taches se décomposer en granules qui s’écoulent, et à
leur place restent des mailles.
Pour étudier la forme de ces cavités, et surtout leur contenu, il
faut faire des coupes sur des muqueuses fraiches avec le couteau
double ; on reconnaît alors que chaque tache correspond à un véri-
table tube, dans lequel l’épithélium eylindrique descend jusqu’à
une certaine profondeur, et dont le reste est occupé par de petites
cellules rondes remplies de granules qui les rendent très obscures ;
elles sont pressées en grand nombre les unes contre les autres. Si
l’on comprime un peu la coupe, les cellales vont sortir, mais sans
se séparer ; elles forment de petites masses ; elles semblent réunies
par un liquide mucilagineux ; elles sont tellement pleines de gra-
nules qu'on n’en peut distinguer les parois, et qu'on pourrait les
prendre pour des agglomérations de granules agglutinés ensemble,
d'autant plus que le noyau est caché d'ordinaire par les granules.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 237
Quelquefois les noyaux sont très apparents sous forme de petites
taches pâles transparentes, et le contour des cellules n’est pas
discernable. Si la coupe a été mise dans de l’eau et non dans
l’eau salée, les cellules éclatent, et ce ne sont plus des cellules qui
sortent des glandes, mais seulement des granules. Le diamètre
des cellules est d'environ 0"",01, celui des granules de 0"",001.
Ils sont animés du mouvement brownien quand ils sont libres.
Pour bien reconnaitre la forme de ces tubes, ce n’est plus sur
des muqueuses fraîches qu'il faut opérer, mais sur des muqueuses
qui commencent à se dessécher, où mieux encore préparées ,
comme je l’ai dit, avec l'alcool où avec le carbonate de potasse.
On voit alors que ce sont bien des tubes simples dans toute leur
étendue ; peut-être y a-t-il en quelques points des tubes formés
par la réunion de plusieurs autres, comme on en trouve dans
l'estomac de l'Homme ; mais quand les coupes étaient très nettes,
j'ai toujours vu les tubes simples ; les dimensions en sont variables :
la longueur est le plus souvent de 0"",8, la largeur de 0"",015.
La partie occupée par l'épithélium stomacal est environ le tiers ou
le quart de la longueur totale ; ces dimensions sont variables.
Quand les coupes sont faites sur des pièces préparées par l'alcool,
le contenu esttoujours obseur, et a conservé à peu près son aspect.
On augmente beaucoup la clarté de ces coupes en les traitant par
l'acide acétique ; si l’on traite ensuite par l’acide nitrique, les tubes
pepsiques se colorent en jaune, et prennent plus de relief encore ;
en même temps, les noyaux des cellules pepsiques apparaissent
sous forme de taches pâles. Quand les coupes sont faites sur des
pièces préparées par le carbonate de potasse, les tubes sont très
transparents ; ils sont parsemés de petites taches pâles très nettes,
régulièrement espacées ; ces taches doivent être-les noyaux des
cellules pepsiques.
Si on laisse macérer un estomac pendant longtemps dans l'acide
acétique, la surface de la muqueuse se réduit en une pulpe; celte
pulpe, observée au microscope, est formée par les cellules de
l’épithélium cylindrique, et par les tübes gastriques dont le contenu
s’est solidifié. Ces tubes ont conservé le même aspect; sur ceux
qui sont isolés, on voit très bien les cellules pepsiques avec leur
238 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
noyau; quelques-unes sont hbres. Les tubes ne sont pas entiers;
la partie épithéliale s’est séparée de la partie pepsique.
Comme l’on comprime pour isoler ces tubes, ceux-ci sont le
plus souvent brisés : en les faisant courir sous le microscope, on
voit très bien que ces fragments sont cylindriques, et ce sont là
certainement des tubes pepsiques, offrant par leurs dimensions et
leur contenu la plus grande ressemblance avec ceux des Mammi-
fères ; ils sont simples ; le cul-de-sac n’est nullement ramifié ni
divisé. Ils existent dans toute l’étendue du cul-de-sac; on n’en
trouve plus un seul dans la branche pylorique.
La muqueuse de cette branche, observée par sa partie supé-
rieure, n’est plus obscure comme celle du eul-de-sa; elle est
très claire et laisse voir très nettement l'épithélium cylindrique.
Elle est percée de distance en distance d'ouvertures entourées
d’une sorte d’auréole sombre; les ouvertures sont assez rappro-
chées pour que les auréoles se touchent. Le diamètre de ces
auréoles est variable ; il est de 0“*,09 en moyenne; le diamètre
des ouvertures est en moyenne de 0*",03. Les bords de ces
ouvertures sont plus ou moins rapprochés. Elles semblent con-
tractiles. Tantôt les bords se touchent, et l’ouverture se réduit à
une fente; d’autres fois ils s’écartent, et l’ouverture est triangu-
laire ou arrondie. Si l’on fait des coupes, on reconnait que chaque
ouverture correspond à un large tube, recouvert sur toute sa sur-
face par l’épithélium cylindrique clair. Sur des pièces fraîches ces
tubes se voient très bien. Ils se touchent presque. Leur profon-
deur est seulement de 0"",15, leur largeur est de 0"",03,. Il existe
toujours une cavité dans leur centre. Quand on laisse macérer
l'estomac dans l’acide acétique, la muqueuse du canal pylorique
ne se réduit pas en pulpe, comme celle du cul-de-sac. Ces tubes
ressemblent tout à fait aux glandes que Leydig a décrites dans
l'estomac de l’Esturgeon, et qu'il a considérées comme des glandes
pepsiques, et ressemblent aussi beaucoup aux glandes muqueuses
que l’on trouve dans la région pylorique de l'estomac des Mam-—
mifères; ce sont certainement les analogues de ces glandes. Il y
a donc dans l’estomac de l’Anguille, comme dans l'estomac des
Mammifères, une partie pepsique et une partie muqueuse, si l'on
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 239
peut ainsi parler, et celle partie occupe, comme chez les Mammi-
fères, la région pylorique. L'existence exclusive dans ces tubes de
cellules tout à fait semblables par leur forme et leur contenu à
celles de l’épithélium qui recouvre toute la surface de l'estomac,
me paraît démontrer que cet épithélium fournit une sécrétion ; car
les cellules des tubes ne peuvent pas avoir d’autre fonction que
de sécréter.
$ III. — La Perche.
Chez la Perche l'estomac présente encore un cul-de-sac, une
branche pylorique et une branche cardiaque. Mais toutes ces par-
ties, au lieu d'être allongées comme dans l’Anguille, sont larges
et courtes, et la branche pylorique n’est plus pressée contre la
branche cardiaque, elle lui est perpendiculaire.
Un étranglement très prononcé sépare encore la branche pylo-
rique de l'intestin; aucun étranglement ne sépare l'estomac de
l’æsophage. Si l'on ouvre ces organes, on reconnait que la mu-
queuse æsophagienne et la muqueuse stomacale sont encore lisses,
ou du moins ne présentent que quelques plis longitudinaux. Au
contraire, la muqueuse intestinale se relève en un grand nombre
de plis très élevés et anastomosés entre eux. Une valvule existe
au pylore : derrière cette valvule viennent s'ouvrir dans l'intestin
trois appendices pyloriques, très larges, presque aussi grands
chacun que le cul-de-sac de l'estomac; à la base de l’un de ces
appendices débouche le canal cholédoque qui est court.
L'æsophage est excessivement court d’une manière absolue et
proportionnellement à l'estomac. Il ne s'étend pas jusqu’à la
branche pylorique, comme chez l’Anguille, et bien que le tube,
qui s'étend du cul-de-sac à la bouche, soit très petit, 1l n’occupe
qu’une très petite partie de ce tube. Sa surface présente un grand
nombre de plis microscopiques. Elle est couverte d’un épithélium
tout à fait identique avec celui qui existe sur l’æsopbage de l'An
guille. La muqueuse du cul-de-sac offre aussi tous les mêmes carac-
tères que celle du eul-de-sac de l'estomac de l’Anguille; elle est
couverte du même épithélium cylindrique et contient des glandes
210 M. VALATOUR, —-- GLANDES GASTRIQUES
pepsiques en tubes simples tout à fait semblables, remplis des
mêmes cellules pepsiques. De même les glandes commencent à
quelque distance de la ligne de séparation entre l’épithélium œso-
phagien et l’épithélium stomacal. Elles sont d'abord par petits
groupes isolés, qui se rapprochent ensuite, et couvrent régulière-
ment toute la surface.
Cette ressemblance n'existe plus qu'en partie dans la branche
pylorique; cette branche est encore tout à fait dépourvue de glandes
pepsiques ; elle est claire, couverte de l’épithélium cylindrique,
mais sa surface ne présente plus les mêmes ouvertures; il n’y a
pas de tube muqueux, mais à leur place un très grand nombre de
plis fort sinueux. Sur les coupes transversales, l'apparence est
absolument la même que sur les coupes faites à travers la mu-
queuse du canal pylorique de l’Anguille. Les coupes des plis
figurent des coupes de larges tubes partout recouverts de l’épithé-
lium cylindrique.
La profondeur de ces dépressions et leur largeur sont à peu
près les mêmes que les dimensions correspondantes dans les tubes
muqueux de lAnguille. I ne faut pas attacher d'importance à
cette différence. Les organes sécréteurs du mucus sont les cellules
de l’épithélium eylindrique; dans les régions où il doit se faire
une abondante sécrétion de mucus, ces cellules doivent être aussi
très abondantes. Comme elles ne forment qu'une seule couche,
il faut alors que la surface qui les porte se multiplie beaucoup;
dans ce but elle se creusera de larges tubes, comme dans l'An-
guille, ou de longues dépressions flexueuses, comme dans la
Perche : le résultat final sera toujours le même. Dans la Perche
comme dans l’Anguille, le canal pylorique est donc le siége d’une
abondante sécrétion muqueuse.
$ IV. — Le Brochet.
Chez le Brochet, l’estomac ne présente plus la forme type. II
n'a plus de branche pylorique; il est composé d’un tube simple,
séparé de l'intestin par un étranglement et prolongé en avant par
un œsophage de même largeur que lui. Cet œsophage est très
[DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 241
long, comme chez l’'Anguille, au moins aussi long que l’estomac
et non plus rudimentaire comme chez la Perche; chez un Brochet
de taille moyenne il a de 5 à 6 centimètres de long. La surface de
l’æsophage et celle de l'estomac offrent identiquement le même
aspect que chez les Poissons précédents. La surface intestinale
s'en distingue encore d’une manière frappante; elle n’est plus
couverte de longs plis anastomosés, mais de petites lames en
forme de papilles ; le canal cholédoque ne s’ouvre plus immédia-
LS derrière la valvule pylorique, mais à une certaine distance,
4 ou 2 centimètres. Le canal cholédoque n’est plus court comme
dans les Poissons précédents, il est très allongé; la vésicule du
fiel restant près de la partie antérieure de sers et le pylore
s'étant beaucoup éloigné.
L’estomac est très nettement acide, comme celui de la Perche,
quand il contient des aliments.
Si l’on étudie toutes ces parties au microscope, on reconnait
que l’æsophage est encore couvert du même épithélium pavimen-
teux, l'estomac du même épithélium cylindrique. La muqueuse
stomacale renferme de nombreuses glandes gastriques pressées
les unes contre les autres, ce sont toujours des tubes simples
offrant une partie épithéliale et une partie pepsique, et tout à fait
semblables à ceux de l'Anguille. La muqueuse stomacale offre à
l'œil nu deux aspects différents : dans la région pylorique elle est
blanche, comme dans la branche pylorique de l’Anguille; dans le
reste de l'estomac, elle est jaunâtre.
C’est dans la partie jaunâtre qu'existent les glandes pepsiques
simples dont je viens de parler. Dans la région pylorique, les
glandes sont un peu différentes; la muqueuse observée par la
partie supérieure présente toujours des ouvertures circulaires; mais
elles sont plus espacées et surtout ne sont plus obscures, comme
les ouvertures des glandes pepsiques ordinaires; elles sont aussi
claires que le reste de la muqueuse. En faisant des coupes, on
reconnaît qu’à chaque ouverture correspond un tube ayant 0"",08
de largeur environ et 0"",15 de profondeur, et recouvert dans toute
son étendue par l’épithélium cylindrique clair. Tout près du py-
lore, les glandes paraissent se réduire à ce tube; mais à une dis-
4° série. Zoor, T. XVI, (Cahier n° k.; 4 46
212 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
tance même très faible, on voit plusieurs petits tubes pepsiques,
trois ou quatre aboutir, au fond de cette première glande; ils
peuvent avoir alors 0"",03 de long et 0"",012 de large. A mesure
que l’on s'éloigne du pylore, ces petits tubes pepsiques s’allongent
et s’élargissent en même temps; ils se rapprochent et se pressent
bientôt les uns contre les autres, leur nombre paraît diminuer dans
chaque groupe et ils passent aux glandes pepsiques de la partie
moyenne de l'estomac (1.
Ve
Parmi les Poissons que j'ai pu observer vivants, la Perche, le
Brochet, l’Anguille sont les seuls qui aient un véritable estomac;
mais j'ai encore recherché les glandes gastriques chez un certain
nombre de Poissons de mer, le Maquereau, le Hareng, le Merlan
et la Sole. Ces Poissons n'étaient plus assez frais dans l’état où je
(4) Dans plusieurs des Brochets que j'ai ouverts, j'ai trouvé sur la surface de
l'estomac, quelle que füt l'époque de l'année, un certain nombre de petits tuber-
cules blanchâtres, visibles à l'œil nu , les uns présentant une ouverture à leur
sommet, les autres complétement fermés. On reconnaît au microscope que ces
tubercules sont de véritables kystes vermineux à parois épaisses, situés dans la
muqueuse. Tous ceux qui présentent une ouverture sont vides, les autres, au
contraire, contiennent un ver nématoïde, un spiroptère, je crois, de 4 millimètre
de long au moins sur 0"%,03 de large environ, plus ou moins enroulé sur lui-
même en spirale, Quand le ver est à l’intérieur du kyste, il est immobile ; quand
on le retire, qu'il est devenu libre, il exécute des mouvements rapides. Dans des
muqueuses abandonnées à l’air ou dans l'eau depuis plus de huit jours, les vers
qu'on retire des kystes sont encore vivants.
Des kystes vermineux ont été reconnus dans l'estomac de certains Poissons
de mer, mais je ne crois pas qu'on en ait jamais signalé dansle Brochet ; et cepen-
dant leur existence me paraît très fréquente ; je les ai trouvés dans la moitié
environ des Brochets que j'ai ouverts.
Dans l'estomac d'un Brochet j'ai trouvé onze grands vers trématodes fixés par
leur ventouse buccale à la paroi de la muqueuse ; ces vers étaient certainement
des Distoma tereticolle. D'après Dujardin (Histoire naturelle des Helminthes) le
Distoma tereticolle se trouve assez communémenten Allemagne et dans le Dane-
marck, entre les plis de l'estomac des vieux Brochets, mais n’a jamais été trouvé
en France.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 213
les ai observés, il ne fallait pas songer à faire sur eux une étude,
complète des glandes gastriques. Les épithéliums n’existaient plus ;
mais les glandes étaient encore assez apparentes pour qu'on en
püt reconnaître l'existence, la forme tubulaire et le contenu obscur,
jaunâtre et granuleux. Ce n’est pas en de pareils cas qu’on peut
rechercher si les tubes sont simples ou se réunissent plusieurs
ensemble, ce qui a peu d'importance; mais on reconnaît bien
qu'il y a des tubes allongés. A défaut des épithéliums, j'ai reconnu
l’œsophage à l'absence des glandes; le canal pylorique en est aussi
dépourvu.
Chez le Maquereau, le Hareng et le Merlan, l'estomac présente
la forme type. Il est composé d’une branche cardiaque, d’un cul-
de-sac et d’une branche pylorique. La: branche pylorique est
longue, perpendiculaire au cul-de-sac, au moins à son origine,
toujours séparée de l'intestin par un étranglement. La branche
cardiaque se continue tout d’une venue, sans changement de dia-
mètre avec l'æsophage. Nous avons vu que chez l’Anguille l'esto-
mac ne commence guére qu’à l'embouchure de la branche pylo-
rique; la branche cardiaque est très réduite, l’œsophage très
allongé. Chez la Perche, au contraire, la branche cardiaque s’al-
longe aux dépens de l’œsophage dont la longueur devient très
petite.
Les Poissons que nous étudions maintenant se rapprochent
de la Perche. Bien que le tube qui conduit du eul-de-sae à la
bouche, soit assez long, il est occupé presque entièrement par la
branche cardiaque ; l’œsophage est très court. Chez le Maquereau,
où le canal formé par l’œsophage et l'estomac, non compris la
branche pylorique, a 12 centimètres de long, le eul-de-sac a
seulement 5 centimètres.
Dans le Merlan, la partie formée par l’œsophage et la branche
cardiaque est encore plus longue à proportion; le cul-de-sac est
très petit. Chez le Hareng, cette partie est au contraire plus courte
que le cul-de-sac, mais reste encore assez longue.
Chez ces trois poissons, il y a de nombreux appendices pylo-
riques, qui viennent s’insérer dans l'intestin immédiatement après
le pylore. La fonction de ces organes n’est pas encore connue.
2h M, VALATOUR., — CLANDES GASTRIQUES
Ils sont certainement destinés à fournir une abondante sécrétion.
Leur muqueuse a la même structure que celle de l'intestin. Comme
il n'y a pas de glandes, la sécrétion doit être fournie par les cel-
lules épithéliales, les mêmes que celles qui existent dans l'intestin.
Il faut en conclure que l’épithélium intestinal lui-même produit
une sécrétion importante, et peut-être cette sécrétion jouit-elle
de propriétés spéciales, et supplée à celles qui semblent manquer
chez les Poissons. Dans son mémoire sur le pancréas, inséré
dansles Suppléments aux Comptes rendus, M. CI. Bernarddit avoir
étudié le liquide qui remplit l'intestin, et lui avoir trouvé les
mêmes fonctions qu'au mélange de bile et de sue pancréatique
qui existe dans l'intestin des Mammifères, et pour lui ce mélange
est le liquide digestif par excellence; le vrai liquide digestif n’est
pas le suc gastrique, comme le pensait Spallanzani. Si. l'estomac
manque réellement chez les Cyprinoïdes, ce serait une preuve en
faveur de cette manière de voir, et comme le pancréas semble
manquer, il faut bien chercher, ainsi que le laisse entendre
M. Cl. Bernard, des organes équivalents dans les cellules épi-
théliales.
L’estomac de la Sole est entièrement différent de tous ceux que
nous avons examinés jusqu'ici. Il est composé d’un tube droit
sans branche pylorique, s’ouvrant largement en avant dans l'œso-
phage et en arrière dans l'intestin. Nulle part il n'existe d’étran-
glements; mais à sa terminaison même du côté de l'intestin
il forme une petite dilatation, une petite courbure, un commence-
ment de cul-de-sac. Le pylore se reconnait à la différence d'aspect
de la muqueuse stomacale et de la muqueuse intestinale : la pre-
mière est, comme à l’ordinare, lisse et veloutée, la seconde cou-
verte de plis réticulés.
Au microscope, on reconnait un œsophage qui a À centimètre
de long sur une Sole, chez laquelle le tube s'étendant de la bouche
au pylore avait 4 centimètres. C’est proportionnellement une lon-
gueur assez grande , si l’on se rappelle le Merlan ou le Maque-
reau. La muqueuse de cet æsophage ne renferme pas de glandes,
mais sa surface offre comme toujours des plis nombreux longi-
tudinaux ; elle est couverte de l'épithélium æsophagien, semblable
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 245
à celui des autres Poissons. Cette Sole était tellement fraiche, que
l'épithélium œsophagien était très bien conservé. La muqueuse
stomacale renferme des glandes tubulaires pepsiques, très recon-
paissables. Les glandes tubulaires n'existent plus dans l'intestin,
La Lotte commune ou de rivière (Gadus lota).
Parmi les Poissons de la famille des Gades, qui comprend les
Merlans, les Morues, etc., il en est un qui remonte les rivières et
qu'on peut se procurer vivant à Paris, c’est la Lotte. Il était inté-
ressant d’en étudier les glandes gastriques en le prenant pour type
de Ja famille.
Son estomac présente un cul-de-sal, une branche pylorique et
une branche cardiaque. Celle-ci est très développée, le cul-de-sac
est très réduit, ainsi que la branche pylorique. L'œsophage est
court : sur la Lotte que j'ai examinée il avait 1 centimètre de long,
tandis que la branche cardiaque avec le eul-de-sac en avait 5.
Il est recouvert par l’épithélium pavimenteux ordinaire et manque
de glandes. L’estomac est recouvert par l’épithélium cylindrique
ordinaire, sa muqueuse contient dans la branche cardiaque et le
cul-de-sac des glandes pepsiques en tube. Quelques-uns de ces
tubes paraissent simples dans toute leur longueur, mais presque
tous semblent se réunir par deux, trois, quatre ou cinq, ou même
plus, en un tube unique, et forment ainsi un tube divisé tout à fait
semblable aux glandes de l'estomac humain, figurées et décrites
sous le nom de glandes utriculaires composées, dans l’Histologie
de Külliker. Ils ont, sur des coupes failes dans la partie moyenne
de l'estomac, 0"",5 de long et 0*",045 de large ; le premier quart
environ est revêtu par l’épithélium cylindrique, le reste est rempli
par les cellules pepsiques. Ils ne sont plus régulièrement pressés
les uns contre les autres, laissant à peine entre eux un intervalle
appréciable, comme chez l’Anguille ou le Brochet; ils sont par
groupes de dix, vingt ou trente environ, séparés par des intervalles
assez larges, de 0°",02 par exemple. Dans la branche pylorique
les glandes pepsiques manquent complétement, on ne trouve plus
que l'épithélium cylindrique.
246 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
CHAPITRE JI.
Détermination des différentes parties du tube digestif dans les Gyprinoïdes,
particulièrement la Carpe et la Tanche.
8 VI
Chez les Cyprinoïdes, le tube digestif, d’abord formé d’un canal
étroit et très court ressemblant beaucoup à un æsophage, se renfle
subitement, et ne présente plus en aucun point ni étranglemient,
ni cæcum, qui indique un estomac. Presque à l’origine de cette
partie renflée vient s'ouvrir le canal cholédoque , et la surface
interne présente des plis nombreux analogues à ceux de l'intestin
des autres Poissons, et nullement cet aspect velouté et lisse qui
caractérise l’estomac. Dans la Carpe seule, au lieu de plis, existent
des ouvertures circulaires, très visibles à l’œil nu; ces plis ou
ces ouvertures se retrouvent dans toute l’étendue de la muqueuse
jusqu'à l’anus ; ils varient seulement de grandeur. Puisque le tube
présente le même aspect dans toute sa longueur, il est tout entier
inteslin ou tout entier estomac; mais il ressemble bien plus à un
imtestin, et d’ailleurs le canal cholédoque s'ouvre toujours au com-
mencement de l'intestin; et il a été démontré, au moins dans les
Mammifères, que la bile, en se mélangeant avec le suc gastrique,
détruit son action dissolvante. D'un autre côté, le canal étroit, par
lequel commence le tube digestif, est très court (il a À centimètre
environ chez les Carpes dont le corps mesure 32 centimètres
de long jusqu'à l’origine de la queue; chez la Tanche, il est plus
long; chez une Tanche dont le corps mesure 25 centimètres
de long jusqu’à l'origine de la queue, il a près de 2 centimètres).
Sa muqueuse à la même apparence que celle de l’œsophage ; les
aliments n'y séjournent pas : c’est probablement un œsophage. II
n y aurait donc pas d'intermédiaire entre l'œsophage et l’intestin ;
l'estomac n’existerait pas. Voyons quelles sont les opinions des
auteurs à ce sujet. Dans la première édition de l’Anatomie com
parée, 1805, Cavier dit : « Dans les Carpes, on ne peut distinguer
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 247
» l'estomac du reste du canal alimentaire. » Dans la seconde édi-
tion revue par Duvernoy (1835), le canal étroit qui précède la
partie renflée est regardé comme répondant à la fois à l’œsophage
et à l'estomac ; la partie renflée tout entière est un intestin, l’œso-
phage et l'estomac sont à l’état rudimentaire. Cependant, dans
l'Histoire des Poissons (Cuvier et Valenciennes, 1842), la partie
renflée est encore considérée comme un estomac jusqu’à la pre-
mière courbure. Pour Meckel (Anatomie comparée, 1836), la pre-
mière circonvolulion de la partie renflée correspond aussi à
l'estomac. Stannius (Anatomie comparée, 1848) dit que, dans
certains Poissons, les Cyprins entre autres, l'estomac n’est pas
distinct de l'æsophage. Enfin Weber {comme je lis dans le pré-
cieux ouvrage de M. Milne Edwards sur l’Anatomie et la physio-
logie comparées) regarde (Archives de Meckel, 1827) la partie
comprise entre l'insertion du canal cholédoque et l’origine de la
partie renflée comme l'estomac. Bischoff est, je crois, le seul qui
ait étudié la question, à l’aide du microscope, dans le mémoire
que j’ai déjà cité, el auquel je renvoie; je rappellerai seulement
qu'il regarde les tubes de la muqueuse de la Carpe comme des
glandes gastriques, et que, ces tubes n’existant pas dans les autres
Cyprins, il leur refuse un estomac. Quant à la partie étroite, c’est
pour lui un œsophage, il le reconnait à l’épithélium.
Je dois ajouter ici que, quand les chimistes ont voulu étudier le
sue gastrique des Poissons, c’est assez souvent à la Carpe qu'ils se
sont adressés. C’est ce qu'ont fait MM. Leuret et Lassaigne (Rech.
physiol. et chim. sur la digestion, 1825) : « Nous avons appliqué,
disent-ils, du papier de tournesol sur la membrane interne de
l'estomac de la Carpe, et il a constamment rougi comme dans un
acide. » Je suppose que, pour eux, l’estomac est la première cir-
convolution de l'intestin, et elle est presque toujours mouillée par
la bile. Je l’ai souvent trouvée alcaline, je ne l’ai jamais trouvée
acide.
Ainsi, pour Duvernoy et pour Stannins, l’œæsophage et l'esto-
mac se confondent dans la partie étroite. Quelle doit en être alors
la structure microscopique ? Pour Cuvier et Meckel, l'estomac est
la première circonvolution de la partie renflée. Le microscope
218 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
peut-il montrer quelque différence entre la muqueuse de cette
première circonvolution et la muqueuse de l'intestin des autres
poissons ? J’ai cherché à répondre à ces deux questions.
J'ai étudié la muqueuse de la partie étroite par tous les procédés
dont j'ai déjà parlé, sur le frais et sur des pièces préparées par
l'alcool ou le carbonate de potasse; je l'ai étudiée successivement
chez la Carpe, la Tanche et le Gardon ; je lai trouvée tout à fait
semblable à la muqueuse œsophagienne de la Perche ou du Bro-
chet. Elle ne renferme pas de glandes, mais sa surface forme un
très grand nombre de plis, et se trouve couverte d’un épithélium
pavimenteux semblable à celui de l’æsophage des autres poissons,
c’est-à-dire formée de grosses cellules ovoïdes, perpendiculaires
à la surface; les cellules ne m'ont paru différer en rien de celles
des autres Poissons. J'en conclus que cette partie étroite est un
œsophage, et uniquement un œsophage qui n’est pas plus rudi-
mentaire que chez la Perche ou les Poissons de mer que j'ai étu-
diés. Pour répondre à la seconde question, il fallait observer la
muqueuse intestinale de l’Anguille et de la Perche, c’est ce que
j'ai fait.
Que l’on observe là muqueuse intestinale des Cyprinoïdes, de
l’Anguille ou de la Perche, on lrouve identiquement les mêmes
résultats. La surface est couverte d’un épithélium cylindrique
formé d’une seule couche de cellules : on le reconnait sur des
coupes transverses faites sur le frais ou sur les pièces préparées.
Pour bien voir cet épithélium, il suffit de gratter la surface de
la muqueuse avec un scalpel : on enlève des lambeaux muqueux
composés entièrement des cellules épithéliales. Placées dans l’eau
salée, sous le microscope, les unes se présentent droites, les autres
couchées. Les premières forment, comme l’épithélium stomacal,
une véritable mosaïque ; les secondes forment des groupes de
cylindres plus ou moins réguliers, accolés parallèlement les uns
aux autres. Sur ces tubes couchés, l’on voit parfaitement un noyau
intérieur avec un nucléole situé au milieu de la hauteur du tube,
et un bord renflé, celui de lextrémité qui était libre. Ce bord
n'existe pas toujours, quand les cellules sont groupées plusieurs
ensemble ; il existe souvent quand les cellules sont isolées; il
DANS LES FOISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 249
parait quelquefois s’être détaché. Le noyau est granuleux ; il y à
aussi quelques granules dans la cellule.
Quand on traite par l’acide acétique, les cellules qui se présen-
tent de face et forment une mosaïque montrent un gros noyau
dans chaque pièce de la mosaïque. On voit encore très bien cet
épithélinm en opérant sur des muqueuses qui ont séjourné quel-
ques heures dans l'acide acétique.
Si l’on étudie ainsi, dans la Perche ou dans l’Anguille, les cel-
lules épithéliales de l'intestin et celles de l’estomac isolées, on n'y
voit guère de différence ; mais si on les étudie sur place au moyen
des coupes, ou bien dans des groupes, on reconnaît certaines dif-
férences qui permettent de les distinguer. Sur les coupes, l'épi-
thélium stomacal est toujours très clair; les lignes de séparation
entre les cellules sont très nettes, très régulières, à très peu près
parallèles. Dans l'intestin, il n’en n’est plus de même ; les cellules
sont toujours obscures ; elles paraissent plus étroites, plus pres-
sées, plus intimement unies ; les lignes de séparation se distin-
guent bien, mais elles ne sont plus aussi nettes, aussi régulières.
Les cellules semblent former une sorte de feutrage, tout en restant
à peu près parallèles. Ceci n’est pas particulier aux Poissons.
Külliker, dans son Histologie humaine, ne parle pas de l’épi-
thélium stomacal, mais il dit : « Les cellules de l’épithélium intes-
» tinal sont unies entre elles d’une manière si intime, que, peu
» d'instants même après la mort, on ne voit pas, ou l’on ne voit
» qu'indistinctement, leur contour quand on les examine de
» profil. »
Cela est vrai pour l'intestin des Poissons; mais dans l'estomac,
les contours de l’épithélium sont très nets.
Or, dans la partie renflée du tube digestif des Cyprinoïdes,
l’épithélium est tout à fait semblable à celui de l'intestin de l'An-
guille et de la Perche, et non pas à l’épithélium stomacal de ces
mêmes Poissons.
On ne peut étudier la muqueuse par la partie supérieure, à cause
des nombreux plis qui se superposent; il faut l’étudier sur des
coupes. On reconnait alors, sur une Perche par exemple, de
nombreuses dépressions qui ressemblent tout à fait à des coupes
250 M. VALATOUR., — GLANDES GASTRIQUES
de larges tubes, mais ne correspondent pas à des tubes, ils corres-
pondent à des plis. Ces plis se touchent presque, sont séparés seu-
lement par de minces lames cellulaires ; ils sont recouverts dans
toute leur étendue par l’épithélium cylindrique que je viens de
décrire. Le tissu cellulaire qui en forme la charpente constitue une
couche d’une certaine épaisseur entre eux et les couches muscu-
laires ; on n’y reconnaît aucune glande.
Les coupes faites en différents points de la partie renflée du tube
digestif de ia Carpe, de la Tanche ou du Gardon, présentent iden-
tiquement la même apparence, à la grandeur des tubes près. Les
ouvertures circulaires, visibles sur l'estomac de la Carpe, corres-
pondent bien à de longs tubes parfaitement cylindriques ; mais
l'apparence est la même que sur une coupe faile à travers l’intes-
tin d’un Gardon. Ces tübes doivent être considérés comme une
manière d’être des plis; ils forment un réseau ; cependant on
pourrait les comparer aux glandes de Lieberkühn des Mammi-
fères ; dans les autres Cyprinoïdes, ces glandes seraient suppléées
par les plis de la muqueuse.
De tout cela, il me semble résulter que la partie renflée du tube
digestif des Cyprinoïdes est bien un intestin, ne différant en rien
de l'intestin d’un Poisson à estomac, de l'intestin d’une Perche par
exemple.
Je n’y vois aucun organe sécréteur spécial n’existant pas dans
l'intestin des autres Poissons. L’estomac manquerait donc com-
plétement chez les Cyprinoïdes ; il ne serait confondu ni avec
l'æsophage, ni avec l'intestin ; il n’existerait pas. C’est là un fait
bien extraordinaire; même en réduisant beaucoup l'importance
que l’on accordait au sue gastrique, ce suc a toujours des fonctions
à remplir ; le régime des Cyprinoïdes ne suffit pas pour expliquer
son absence.
I y a parmi les Mammifères et les Oiseaux des espèces dont le
régime est plus essentiellement végétal que celui des Cyprinoïdes,
et cependant elles ne manquent pas d'estomac.
Dans l'Histoire naturelle des Poissons de Cuvier et de Valen-
ciennes, on lit que ces Poissons, les moins carnassiers de tous, se
jettent cependant sur les Vers et les Insectes, et doivent être
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 251
pêchés, à certaines époques, à la Mouche ou au Ver. Quelques
espèces de Cyprins attaquent aussi les petits Poissons.
Il existe sur le palais des Cyprinoïdes un organe particulier
qui n'existe pas dans la bouche des autres Poissons. Il est formé
d’une couche épaisse d’un tissu mou, en apparence homogène,
et recouvert d’une muqueuse blanche, rappelant un peu celle
de la partie pylorique de l’estomac, et se continuant avec la mu-
queuse du reste de la bouche qui paraît plus mince et plus sèche.
Ne fournirait-il pas une sécrétion pouvant suppléer la sécrétion
gastrique ?
M. Milne Edwards dit, dans sa Physiologie comparée, que la
Carpe, après s'être gorgée d'aliments, en fait souvent remonter
des portions de son estomac jusque dans son arrière-bouche pour
les écraser entre les dents pharyngiennes, et que le même phéno-
mène a été constaté chez la Tanche et la Brème. Les aliments ne
reviennent-ils pas aussi dans la bouche pour s'imbiber du liquide
qui serait fourni par l'organe palatin ? Il importe d'étudier la struc-
ture microscopique de cet organe ; c’est ce qu'ont déjà fait Davaine
et Leydig; il ne me restait qu'à vérifier leurs résultats au point de
vue où je me plaçais.
Cuvier (Anatomie comparée, 1'° édit.) regarde cet organe
comme une glande, et, pour lui, le tissu glandulaire est la masse
même de l'organe, et non la muqueuse qui le recouvre. Duver-
noy (Anatomie comparée de Cuvier, 2° édit.) ajoute qu’on ne con-
naît pas à cette glande d'organes excréteurs apparents, et que les
mucosités dont sa face est couverte paraissent transsuder par des
pores invisibles. Or Davaine (Mémoires de la Société de biclogie),
et plus tard Leydig (Lehrbuch der Histologie), ont démontré que
la masse de l’organe est formée par des faisceaux de fibres museu-
lires striées qui s’entrecroisent. Davaine aurait trouvé en même
temps des fibres lisses ; Leydig n'a vu que des fibres striées. Dans
son Histologie, il décrit l'organe palatin comme formé par ces
muscles, des nerfs très abondants, un tissu cellulaire vasculaire,
et des cellules de graisse plus où moins nombreuses; « il est
» recouvert, dit-il, par une muqueuse qui ne se comporte pas
» autrement que celle de l’arrière-bouche. » Ces résultats, si loin
252 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
de ceux que l'on prévoyait, montrent combien le microscope est
nécessaire pour la détermination des organes. Davaine regarde cet
appareil comme destiné à faciliter la déglulition; Leydig confirme
cette manière de voir.
Les premières fois que l’on observe cet organe, on est frappé
de son irritabilité et de sa contractililé ; sa surface est parcourue
spontanément par des sortes d’ondulations, dirigées de la bouche
à l'intestin, et ressemblant jusqu’à un certain point à des mouve-
ments de déglutition. Si on la touche, le point touché se soulève
en un mamelon qui persiste un certain temps, puis s’efface ; si l'on
fait passer à travers l'organe un courant électrique, il se contracte
énergiquement à la manière des muscles striés. Ces phénomènes
se produisent encore sur un organe séparé depuis assez long-
temps du corps de l’animal. Si l’on observe une coupe transver-
sale faite sur le frais ou sur des pièces préparées, l’on reconnait
que cet organe est formé, daos presque toute son épaisseur, par
des fibres musculaires striées, au milieu desquelles existent des
cellules graisseuses. Cette graisse est abondante chez la Carpe et
chez la Tanche ; elle existe à peine chez le Gardon. Au-dessus de
ces muscles existe une très mince couche de tissu cellulaire,
recouverte par un épithélium semblable à celui de l’œsophage,
formé comme lui de cellules ovoides superposées ; ces cellules
paraissent un peu plus petites, et forment un plus grand nombre
de couches. Sur le frais, cette partie cellulaire s’enlève facilement
de l'organe comme une muqueuse, emportant toujours avec elle
des fibres musculaires entrecroisées. La surface n’est pas unie;
elle offre des ouvertures circulaires correspondant à de petits
tubes, visibles dans leur longueur sur les coupes transversales, et
dans leur largeur sur les coupes parallèles à la surface. Ces tubes
sont larges et courts; leur profondeur varie un peu avec les
régions. Les fibres musculaires supérieures ne sont pas parallèles
à la surface ; elles sont un peu obliques de haut en bas, se relèvent
autour des cryptes. Ces cryptles sont partout recouverts du même
épithélium que le reste de la surface ; je n’y ai pas trouvé de con-
tenu spécial. Ils ne se trouvent pas sur loute la surface; en cer-
tains points, il existe seulement de larges mamelons peu élevés,
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS, 9253
laissant entre eux d’étroiles vallées, qui ont le même aspect que
les ervptes sur les coupes transversales.
Il ne paraît done pas qu’il y ait là une sécrétion comparable à la
sécrétion gastrique ; il doit y avoir une sécrétion assez abondante,
mais de même nature que celle fournie par l’épithélium buccal.
J'ai appliqué du papier de tournesol à la surface de cet organe ;
il n’a pas rougi, même quand j'avais irrité la muqueuse avec du
poivre.
A la suite de cet appareil, entre lui et l’œsophage, existe encore
un organe, dont le microscope a fait connaitre, il y a une dizaine
d'années, la véritable nature : je veux parler du tubercule solide
qui remplit la fossette de l’occipital inférieur, et contre lequel
viennent frapper les dents pharyngiennes. M. Molin (Sitzungs-
berichte der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, 1850),
a démontré que ce n’est autre chose qu’une callosité, un épaissis-
sement de l’épithélium. I l’a étudié chez le Cyprinus carpio, la
Tinca chrisitis, le Barbus fluviatilis, V'Abrahamis Brama, le
Leuciseus lobula, le Chondrostoma nasus.
Cette callosité se détache facilement de l’apophyse de l’occipi-
tal; si l’on en fait une coupe, on voit que la muqueuse se pro-
longe au-dessous d'elle ; que la surface de cette muqueuse présente
des plis recouverts par des cellules polygonales, pressées les unes
contre les autres qui s'accumulent sur une très grande épais-
seur, et forment le tubercule; près de la muqueuse, leur noyau
est très net, et leur contenu est granuleux, obscur; à mesure
qu’elles s’éloignent, elles deviennent plus claires.
Ainsi, dans les Cyprinoïdes que j'ai étudiés spécialement, la
Carpe, le Gardon, la Tanche, je crois qu'il n’existe ni dans la
bouche, ni dans l’œsophage, ni dans l'intestin, une sécrétion équi-
valente à la sécrétion gastrique; du moins, je n’y trouve aucun
organe contenant des cellules semblables à celles des tubes gas-
triques de l’Anguille, par exemple. Du reste, si une pareille sécré-
tion existait dans l'intestin, elle devrait avoir d’autres propriétés
que le suc gastrique des Mammifères, puisqu'elle se trouverait
mêlée à la bile ; il en serait de même si elle existait dans la bouche,
et si les aliments revenaient pour s’en imprégner, après avoir
254 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
+
séjourné dans l'intestin. Faut-il conclure que la digestion se fait
uniquement par l’action de la bile et du liquide fourni par les cel-
lules épithéliales de l'intestin, cellules qui ne me paraissent dif-
férer en rien de celles de l'intestin des autres animaux? Certes, ce
serait là un fait bien étonnant, qui ne confirmerait guère l’opinion
par laquelle la bile est considérée comme inutile à la digestion. Le
suc gastrique n'existe pas; en faut-il conclure que son action est
de peu d'importance ? Mais le pancréas n'existe pas non plus, ou
du moins on peui le croire ; on a signalé, il est vrai, dans la Carpe
un organe qu'on regarde comme un pancréas ; on l’a aussi trouvé
dans la Brème ; mais on n’en parle plus pour les autres Cypri-
noïdes ; le suc pancréatique est-il donc aussi inutile ? M. CI. Ber-
nard répond en disant que les cellules épithéliales peuvent former
un pancréas sans cesse renaissant. Ce qui me parait en effet évi-
dent, c’est l’importance de la sécrétion épithéliale. Comment se
fait, en réalité, la digestion chez les Cyprinoïdes? On ne peut le
dire ; il faudrait une étude de la bile, du fluide fourni par le pré-
tendu pancréas et de la sécrétion épithéliale.
Il y a là des difficultés qu’il ne serait pas inutile de résoudre ;
c'est en étudiant les modifications que la nature introduit dans les
phénomènes, qu’on peut arriver à comprendre ces derniers.
L’anatomie et la physiologie comparées, en même temps qu’elles
nous offrent le magnifique spectacle de la création, peuvent seules
résoudre complétement les problèmes que présentent les fonctions
dans les Vertébrés supérieurs. En elles se trouve toute la philo-
sophie de la science. Que de découvertes de la plus grande im-
portance se succèdent depuis une vinglaine d'années dans l'étude
des animaux inférieurs!
Les Cyprinoïdes ne seraient pas les seuls Poissons dépourvus
d’un estomac. D’après Duvernoy (Anatomie comparée de Cuvier,
2° édition), les Loches, et presque tous les Labroïdes et les
Gobioïdes, sont dans le même cas.
D'après Stannius (Anatomie comparée), l'estomac n’est distinet
de l’œsophage ni par une dilatation, ni par des particularités de
texture, non-seulement dans les Cyprins, mais encore dans les
Cyclostomes, les Cobilis, plusieurs Pleuronectes ; les £xocetus,
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 9255
Hemiramphus et Bellone, parmi les Pharyngognathes; les La-
broïdes, les Lophobranches, les Balistes et Ostracions, parmi les
Plectognathes ; les Symbranchus, chez les Anguilliformes ; enfin
plusieurs Blennius, Gobius, etc.
N'ayant pas observé ces Poissons, je ne sais ce qu'il en est,
Dans son Æistologie comparée, Leydig cite, comme ayant un tube
digestif complétement privé de glandes, le Petromyzon fluvia-
his, le Myxine et le Cobitis fossilis. Cependant, dans un travail
sur le Cobitis fossilis où Loche (Archives de Müller, 1853), il
admet qu'il y a un estomac dans ce Poisson, « L'œsophage, dit-il,
est court; sa muqueuse forme de longs plis reliés en réseau et
manque de glandes (Duvernoy considérait cette partie comme un
estomac rudimentaire) ; l'estomac s'étend jusqu'à la fin du foie, il
parait manquer de glandes ; l’épithélium est formé par deux cou-
ches de cellules : une couche profonde de cellules cylindriques et
une couche superficielle de cellules rondes; la muqueuse de l'in
testin ne parait recouverte par aucun épithélium. » Pourquoi don-
ner à la première partie de ce tube le nom d'estomac, puisqu'il n’y
a pas de glandes? Sans doute, à cause des deux épithéliums ; il est
bien singulier de voir ainsi une couche de cellules rondes au-des-
sus de l’épithélium cylindrique; Leydig ne dit pas quel en est le
contenu, n1 quel en peut être l’usage.
La chose est assez remarquable et vaudrait la peine qu’on y
regardt : ces cellules doivent fournir un produit nécessaire à la
digestion, comme les cellules épithéliales de l'intestin des Cypri-
noïdes ; autrement la digestion se ferait uniquement par Ja bile,
car on ne signale pas de pancréas.
CHAPITRE IV.
Glandes de l’œsophage et de l’estomac dans la Grenouille et le Crapaud.
Jai voulu comparer les glandes gastriques des Poissons à celles
des Vertébrés les plus voisins, c’est-à-dire les Batraciens ; je dési-
rais encore observer dans ces animaux les glandes œsophagiennes
qui n'existent pas dans les Poissons.
L
256 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
Bischoff le premier(Ueber den Bau der Magenschleimhaut dans
Müller’s Arch., 1838) a recherché, au microscope, des glandes
dans le tube digestif des Batraciens ; il a opéré sur la Rana escu-
lenta, la Salamandra maculata et le Triton palustris : « L'æso-
» phage et l'estomac ont, dit-il, un épithélium cylindrique, qui est
» couvert de cils vibratiles dans toute la longueur de l’œsophage ;
» l’estomac contient non pas de véritables cylindres, mais de
» simples eryptes pressés les uns contre les autres ; ils existent
» seulement dans l'estomac, et ne se retrouvent ni dans l’æso-
» phage, ni dans l’intestin.
» Dans l’œæsophage existent d'ordinaire d’autres glandes qui
» sont en grappe. Tout est semblable chez la Grenouille et chez le
» Triton palustris. »
Bischoff n’a observé ces glandes que par la partie supérieure ;
il n’a pas fait de coupes. Son travail était insuffisant ; il a été repris
par Leydig (Anatomisch-histologische Untersuchungen über F'ische
und Reptilien, 1853). D’après lui, «les glandes æsophagiennes
» n'existent pas dans la Salamandra maculata ; elles existent chez
» la Rana temporaria etle Proteus anguinus. Chez les Grenouilles,
» elles sont visibles à l'œil nu, ne présentent rien de particulier,
» ne sont que de simples excavations peu profondes en forme de
» sac, recouvertes de cellules grandes de 0,0120”, dont les pro-
» fondes sont arrondies, ont un contenu finement granuleux et un
» noyau clair. Les ouvertures des glandes sont plus étroites que
» les glandes elles-mêmes.
» Sur la muqueuse œsophagienne du Protée, les glandes sont
» si grosses, qu’on les voit bien à l'œil nu isolées comme de
» petits tubercules. Au microscope, elles paraissent des sacs
» arrondis avec une ouverture étroite et un contenu cellulaire.
» Dans l'estomac, les glandes consistent en de petits sacs formant
» des groupes; les cellules qui les remplissent sont à différents
» états : elles sont tantôt claires et tantôt plus ou moins granu—
» leuses. » Leydig n’a rien ajouté dans son Histologie comparée.
Pour Bischoff, les glandes œsophagiennes sont en grappe.
Leydig ne parait pas du tout les considérer comme des glandes en
grappe ; et, d’après sa description, on ne sait trop quelle doit en
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 257
être la forme ; il semble qu'elle soit la même que celle des glandes
gastriques.
Dans la Grenouille, l'estomac et l'æsophage forment un même
tube qui va en se rétrécissant vers la partie postérieure, et se
continue sans étranglement avec l'intestin. Intérieurement l’œso-
phage, l’estomac et l'intestin, se distinguent à l'œil nu par les
mêmes caractères que dans les Poissons ; la muqueuse stomacale
est lisse, épaisse, veloutée, opaque, présente quelques gros plis
longitudinaux. Sa surface est très fortement acide, ainsi que celle
des aliments qui y sont contenus. La muqueuse intestinale offre
de nombreux plis transverses, minces et élevés. Immédiatement
après le pylore où n'existe aucune valvule, elle est d’un jaune
orangé ; le canal cholédoque s’insère assez loin de l’estomac, à
1 centimètre environ. L’œsophage est long, à peu près autant que
l'estomac; sa muqueuse est mince, transparente, du moins dans
les points où elle ne contient pas de glandes; en effet, si on la tend,
on voit qu’elle renferme un très grand nombre de glandes quisont
très visibles à l'œil nu, forment de petites masses blanches lobulées,
et présentent tout à fait l'apparence des glandes en grappe.
Si l’on étudie cette muqueuse au microscope par sa partie supé-
rieure, on voit qu'elle est partout couverte d’un épithélium vibra-
ile ; les ouvertures des glandes ne se voient pas, soit parce
qu’elles se trouvent cachées dans les nombreux plis longitudinaux,
soit parce que les glandes donnent beaucoup d’opacité à la mu-
queuse. Ces dernières apparaissent encore comme des masses
lobulées ; mais, pour reconnaitre leur véritable structure, il faut
faire des coupes perpendiculaires. J'ai fait ces coupes, comme
pour les Poissons, sur des muqueuses complétement fraîches, sur
des muqueuses qui étaient étendues sur un liége depuis une heure
ou deux, et qui commençaient à se dessécher, mais où les coupes
n'étaient encore possibles qu'au couteau double, et dans lesquelles
le mouvement ciliaire existait encore ; ce mouvement persiste très
longtemps ; enfin sur des muqueuses préparées par l'alcool ou le
carbonate de potasse.
Sur ces coupes, l’on reconnait que l’épithélium vibratile est
formé d'une seule couche de grandes cellules cylindriques, dont
4° série. Zoo. T. XVI. (Cahier n° 8)1 17
258 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
l'extrémité libre est recouverte d’un bord épaissi portant les cils
vibratiles. Ces cellules sont troubles avec un contenu granuleux.
ont un aspect tout à fait caractéristique. Quand elles sont en place,
on ne voit pas leur noyau ; mais quand elles sont détachées, ce
noyau est très apparent ; il est situé le plus souvent au milieu de Ja
hauteur. Au-dessous de cette couche de cellules existe une très
mince couche obscure, formée de noyaux comme chez les Pois-
sons. Sur les muqueuses préparées à l'alcool, ces cellules vibra-
iles ont encore le même aspect trouble et le même contenu, tan
dis que sur des pièces ainsi préparées, les cellules de l'épithélium
œsophagien des Poissons paraissent vides.
Si les coupes ont été faites sur des muqueuses tout à fait
fraiches, la véritable forme des glandes œsophagiennes ne se dis-
tingue pas bien ; on voit seulement qu’elles sont formées de gros
cylindres remplis de cellules rondes, à contenu granuleux, sem-
blables à des cellules pepsiques, ayant environ de 0®",01 à 0°*,02
de diamètre; leurs granules sont assez gros comme ceux des
cellules pepsiques. En traitant par l'acide acétique, on rend les
cellules plus évidentes encore ; elles deviennent alors très obscures, :
d’un jaune foncé, comme les cellules pepsiques dans les mêmes
circonstances.
Mais si les coupes sont faites sur des muqueuses desséchées, on
parvient à reconnaitre que les glandes œsophagiennes ressem-
blent beaucoup à des glandes en grappe; elles ont un long canal
excréteur, étroit, perpendiculaire à la surface de la muqueuse,
qui se divise à la partie inférieure en deux, trois ou quatre bran-
ches; chacune d'elles se divise à son tour, et les divisions reçoi-
vent un certain nombre de cylindres ou de sacs plus ou moins
longs et plus ou moins larges ; c’est dans ces cylindres seulement
qu’existent les cellules rondes semblables aux cellules pepsiques.
On voit nettement le tube excréteur, ses premières divisions et
les culs-de-sac terminaux tout autour de la masse de la glande.
Le corps de la glande se trouve à peu près au milieu du tissu cel-
lulaire épais qui existe entre l’épithélium et les couches museu-
laires. Le canal excréteur est recouvert d’un épithélium, dont les
cellules sont différentes des cellules des culs-de-sae. Il paraît
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 259
s'ouvrir assez souvent au fond de dépressions de la muqueuse
recouvertes par l’épithélium vibratile. Sur des coupes parallèles à
la surface, on peut trouver des sections de ces canaux excréteurs.
(Le plus souvent la longueur du canal excréteur est de 0°",2; sa
largeur de 0"",02 ou 0"",03. La largeur de Ia partie lobulée est
de 0"",7 ou 0"",8 ; sa hauteur de 0"*,3. Je donne ces dimensions
pour qu’on prenne une idée de la grandeur des glandes; elles
n’ont rien d’absolu, elles varient beaucoup.)
Quand on fait des coupes sur des muqueuses préparées à l’al-
cool, les glandes sont très obscures, d’un jaune foncé, comme les
glandes pepsiques des poissons. Pour bien les distinguer, il faut
faire passer sur la coupe de l'acide acétique qui donne de la trans-
parence; si ensuite l’on fait passer de l'acide nitrique, on fait
apparaître dans les culs-de-sac, comme dans les cylindres gas-
triques des Poissons, de petites taches pâles, ambrées, transpa-
rentes, très régulièrement espacées, qui peuvent déjà se voir après
le traitement par l'acide acétique, mais se montrent toujours très
bien dans les circonslances que je viens d'indiquer; les formes
sont alors très nettes. Ces mêmes taches, qui sont les noyaux des
cellules, sont très apparentes immédiatement, sur les coupes
faites à travers les muqueuses préparées au carbonate de potasse.
Nous avons vu que la même chose avait lieu pour les tubes gas-
triques des Poissons. Nous retrouvons tous ces caractères dans
les glandes uastriques de la Grenouille. Ces glandes œsophagiennes
produisent-elles une sécrétion semblable à la sécrétion gastrique ?
Je n’ai pastrouvé la surface de l’œæsophage acide, quand celle de
l'estomac l'était.
Ces glandes n’existent pas sur les parties tout à fait antérieures
de l’æsophage. Quand elles se montrent, elles sont d’abord assez
éloignées, peu volumineuses ; le nombre en augmente un peu plus
loin, ainsi que l'étendue. Tout près de l’estomac, elles paraissent
de nouveau diminuer de grandeur , en même temps elles se rap-
prochent de la surface, et passent aux glandes gastriques, avec
lesquelles leurs euls-de-sac ont quelquelois une grande ressem-
blance. Sur certaines de ces glandes, les euls-de-sac s’allongent et
se rétrécissent, et prennent tout à fait l’aspect de cylindres. Sur
260 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
des coupes faites dans les premières parties de l'estomac, on peut
voir un mélange, de formes diverses, résultant de la simplification
plus ou moins avancée des glandes œsophagiennes.
Si de la muqueuse œsophagienne nous passons à la muqueuse
stomacale, nous en sommes tout de suite avertis, comme chez les
Poissons, par le changement d’épithélium. Avec l’æsophage cessent
les cellules vibratiles, et sur l'estomac existe un épithélium eylin-
drique entièrement semblable à l'épithélinm stomacal des Pois-
sons : comme lui, il forme, quand on le regarde par la partie
supérieure, une magnifique mosaïque, dont les pièces sont le plus
souvent hexagonales ou pentagonales. Toute la surface de Ja
muqueuse est couverte de taches jaunes, indices des glandes gas
triques, comme chez les Poissons. Sur les coupes faites toujours
par les mêmes procédés, on reconnaît que ces taches correspon-
dent à de véritables cylindres, à de véritables tubes : je ne sais
pourquoi on veut leur refuser ce nom. La longueur et la largeur
en varient sur une même coupe, et à plus forte raison dans l’éten-
due de l'estomac; mais dans la partie moyenne, j'en mesure un
grand nombre qui ont 0"",3 de long sur 0"",025 de large (ces
dimensions sont variables; j'en ai mesuré qui avaient plus de
0"",6 de long avec 0"",03 de large). Entre ces tubes existent de
minces lames cellulaires ; ils ne sont pas immédiatement en con-
tact. Je suis à peu près sûr que presque tous sont simples dans
toute leur longueur ; quelques-uns me paraissent se diviser vers
leur partie moyenne en deux ou trois tubes; en tout cas, il ne
saurait être question de glandes en grappe. Au commence-
ment de l'estomac, des tubes renflés à l’extrémité se mêlent aux
dernières glandes en grappe de l’æsophage, tout à fait sembla-
bles par leur contenu aux glandes pepsiques. Il y a passage,
comme je l’ai dit, entre les glandes gastriques et les glandes œso-
phagiennes.
Dans les tubes de la partie moyenne de l’estomac, on voit très
bien pénétrer l’épithélium cylindrique ; il descend le plus souvent
jusqu’à moitié environ de la longueur de la glande: les cellules
diminuent de hauteur ; le reste de la glande est rempli par les cel-
lules pepsiques semblables à celles que j'ai décrites dans les glandes
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 261
æsophagiennes, et présentent les mêmes caractères avec les diffé-
rents réactifs employés.
J'ai laissé macérer dans l'acide acétique des muqueuses stoma-
cales de Grenouilles, comme j'avais fait macérer des muqueuses
de Poissons ; elles ne se sont pas réduites en pulpe. Quand on en
gratte la surface, on enlève l’épithélium et les gaines épithéliales,
le cylindre pepsique reste. Pour l’observer, il faut faire des coupes
au couteau double : on reconnait bien les tubes et les cellules
pepsiques. En comprimant ces coupes, on fait sortir le contenu
glanduleux sous forme de cylindres jaunes solides, semblables à
ceux qu'on obtient en faisant macérer la muqueuse stomacale des
poissons dans l’acide acétique. La muqueuse æsophagienne, au
contraire, se réduit en pulpe, comme la muqueuse stomacale des
Poissons. La pulpe est composée de culs-de-sac glandulaires
séparés. Il semble que le tissu cellulaire, dans lequel sont creusées
les glandes gastriques, soit capable de mieux résister à l’action de
l'acide acétique que le tissu cellulaire de l’estomac des poissons.
Dans l'estomac de la Grenouille , on distingue deux parties,
comme dans l'estomac des Poissons, une première partie jaunâtre
et une partie pylorique blanche. En observant la muqueuse de
celte dernière par la face supérieure, on reconnaît qu’elle est plus
transparente que celle de la partie jaunâtre ; comme elle, elle
offre des ouvertures, mais ces ouvertures sont plus espacées, el
sont claires. Sur les coupes, on reconnaît que cette partie con-
tient aussi des tubes ; ils sont plus larges, et l’épithélium eylin-
drique y descend plus profondément : au fond du cul-de-sac seu-
lement, les cellules changent de nature. Ces tubes étant assez
éloignés les uns des autres, il est plus facile d’en reconnaître la
véritable forme que dans les parties moyennes de l’estomac : ce
sont bien des tubes simples. |
J'ai aussi observé le Crapaud ; ayant à faire des recherches sur
les tuniques musculaires de son tube digestif, j’en ai profité
pour observer les glandes, d'autant plus que cette étude n’a pas
encore été faite. Son estomac présente un véritable renflement, il
affecte la forme d’une cornemuse. Je l'ai toujours trouvé plein
d'insectes ou de Chenilles, et fortement acide ; il est précédé d’un
2692 M. VALATQUR. — GLANDES GASTRIQUES
long œsophage comme dans la Grenouille. Si l’on étend cet æso-
phage, on est d’abord frappé de l’absence des masses blanches
lobulées, si apparentes dans cette dernière. Les glandes œæsopha-
giennes paraissent manquer complétement ; on reconnait eepen-
dant au microscope qu'il en existe quelques-unes dans les parties
voisines de l’estomac; elles rappellent par leur forme celles de la
Grenouille, mais sont moins développées, moins lobulées ; elles
passent aussi aux glandes gastriques. La surface de l’œsophage
présente un plus grand nombre de plis que dans la Grenouille;
elle est encore couverte d’un épithélium vibratile formé par une
seule couche de cellules cylindriques. Cet épithélium ne se pro-
longe pas dans l'estomac, lequel présente toujours le même épithé-
lium cylindrique, figurant la même mosaïque quand on le regarde
par la partie supérieure. Les glandes gastriques sont semblables à
celles de la Grenouille ; ce sont encore de longs tubes à peu près
cylindriques. Sur des pièces préparées au carbonate de potasse, je
trouve aux tubes, dans une coupe faite à travers la partie moyenne,
environ 0"*,55 de long et 0"",03 à 0"",04 de large; ils s’ou-
vrent immédiatement sur la surface de l'estomac comme chez la
Grenouille. La partie pépsique en paraît plus développée ; dans
les tubes précédents, elle avait près de 0,5 de long. Toutes ces
dimensions sont variables. Le contenu présente les mêmes carac:
tères que dans la Grenouille. Dans l'estomac du Crapaud, il y a
aussi une partie pylorique comme dans l'estomac de cette der-
nière.
CONCLUSIONS.
Ainsi, dans les animaux que j'ai observés, Batraciens et Pois-
sons, lorsqu'il existe un organe comparable par ses fonctions à
l'estomac, non-seulement les glandes gastriques existent, mais
encore elles ressemblent d'une manière frappante, par leur forme
et leur contenu, à celles des Mammifères, et l’on trouve, en même
temps que des glandes pepsiques, des glandes muqueuses situées
dans la partie jiylorique comme chez les Mammifères. Il est peu
d'organes qui présentent autant d’uniformité, Parmi les Poissons
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 263
étudiés jusqu'ici à ce point de vue (le nombre en est petit, il est
vrai), lEsturgeon seul ferait exception d’après Leydig, puisque
ses glandes pepsiques seraient semblables aux glandes muqueuses,
étant recouvertes dans toute leur étendue par l’épithélium cylin-
drique clair. Sont-ce bien là des glandes pepsiques ? Existent-elles
seales dans l'estomac de l’Esturgeon ?
Leydig admet aussi dans la Loche, comme nous l'avons dit, un
estomac sans glandes d'aucune sorte, mais présentant cette par-
ticularité que son épithélium cylindrique est recouvert d’une
couche de cellules arrondies ; mais rien ne prouve jusqu'ici que
ce soit un estomac.
Cette uniformité dans les glandes gastriques en rend l’absence
plus étonnante encore chez les Cyprinoïdes.
DEUXIÈME PARTIE.
DES TUNIQUES MUSCULAIRES DU TUBE DIGESTIF.
CHAPITRE PREMIER.
Des tuniques musculaires du tube digestif dans les Poissons osseux.
$ I. — Historique et méthode d'observation.
Dans le cours des observations précédentes, j'avais remarqué
certaines particularités dans les tuniques musculaires du tube
digestif, et, comme malheureusement je ne pouvais disposer que
d’un petit nombre de Poissons pour l'étude des glandes, je résolus
de m'en rendre compte.
Les différents auteurs n’ont donné que des indications incom-
plètes sur les tuniques musculaires de l’œsophage des Poissons ;
leurs descriptions réunies ne permettent pas encore de s’en faire
une idée satisfaisante : elles ne font pas connaître quels sont leurs
rapports avec celles de l’estomac.
Cuvier (Anatomie comparée, 1° édition, 1805) dit que, dans
26/4 M. VALATOUR, — GLANDPES GASTRIQUES
les Chondroptérygiens, les fibres de la tunique musculeuse parais-
sent longitudinales pour la plupart ; qu’elles s'étendent en avant
de l'estomac sur l'œsophage, mais sont enveloppées dans le com-
mencement de ce canal par une couche épaisse de fibres cireu—
laires, et que la même chose a lieu dans tous les Poissons. A pro-
pos de différents Poissons osseux, il revient encore sur les deux
couches de fibres musculaires qui enveloppent l’æsophage, ces
fibres étant circulaires dans la couche externe et longitudinale dans
la couche interne. Il ne désigne jamais sur l'estomac que des fibres
musculaires longitudinales, si ce n’est dans l’Anguille. Dans ce
Poisson, d’après lui, l’œsophage se distingue de l'estomac par la
direction différente des fibres musculaires, qui sont longitudinales
dans ce canal et circulaires dans l’estomac. Ce serait une exception
à la règle qu'il a posée d’abord ; il n’en fait pas la remarque.
Dans la deuxième édition de l’Anatomie comparée, 1835, il n°y
a pas grand changement ; cependant, dans la description de quel-
ques Poissons, on lit: « Les fibres les plus externes de la tunique
» musculaire de l'estomac sont longitudinales, » et non plus seu-
lement« les fibres de latunique, » etc. : on a ajouté les plus externes.
Ce qui laisse à penser qu’il peut y avoir des fibres internes dispo-
sées autrement. Pour l’Anguille, la description est restée identi-
quement la même.
Meckel (4natomie comparée, 1836) s'explique plus catégori—
quement dans ses Généralités sur le tube digestif des Poissons :
« Lorsque l’œsophage est court, dit-il, il est fort musculeux dans
» toute son étendue; dans le cas contraire, ce développement
» musculaire n'existe qu'en-devant; les fibres circulaires de sa
» tunique museuleuse sont appliquées à l'extérieur des fibres lon-
» gitudinales. Dans l’estomae, la tunique musculeuse est toujours
» formée d’un plan de fibres longitudinales et externes et d’un
» plan de fibres circulaires et internes. Dans l'intestin, les couches
» sont disposées comme dans l’estomac. »
Dans l’Anatomie comparée Ac Slannius, rien de plus sur la dis-
position des fibres musculaires ; mais il parle de leur nature, ce
que n’a pas fait Meckel : « Elles ne présentent pas le plus souvent,
» dit-il, de stries transversales. Cependant Reichert, en 18/44, a
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 265
» rencontré des fibres striées dans toute l’étendue de l'intestin de
» Ja Tanche. »
Agassiz et Vogt, dans leur Anatomie des Salmones, 1845, ne
parlent pas de la disposition des couches musculaires, mais disent
qu’à l'origine de l’æsophage, à l'extrémité du cône du pharynx, il
y a des transitions insensibles des fibres musculaires lisses aux
fibres musculaires striées.
Nous avons déjà dit que Reichert (Medic. Zeit. des V'ereines für
Heilkunde in Preussen, 1841) avait démontré que les deux tuniques
musculaires de l'intestin de la Tanche sont formées de fibres striées.
I rechercha s’il en était de même chez quelque autre Vertébré,
mais ne retrouva cette particularité chez aucun. D’après lui, chez
tous les Vertébrés, les deux couches musculaires de l’intestin sont
formées de fibres lisses, la Tanche seule fait exception.
Cependant Budge, dans le même recueil en 1847, annonce que
la tunique musculaire de l’estomac de la Loche, Cobitis fossilis,
est formée aussi de fibres striées.
En 1850, Molin (Sitzungsberichte der kaiserlichen À kademie der
W'issenschaften, 1850) complète les observations de Reichert sur
la Tanche. Reichert croyait qu’il n'existait autour de l'intestin que
des fbres striées : les profondes formant une couche transversale,
les externes une couche longitudinale. Molin démontre qu'en de-
dans de ces deux couches, entre elles et le tissu cellulaire de la mu-
queuse, il se trouve deux nouvelles couches musculaires, toutes
les deux formées de fibres lisses : l’une interne, composée de
fibres transverses ; l’autre externe, composée de fibres longitudi-
nales.
En 1853, Leydig (Archives de Müller, 1853) recherche s’il en
serait de même chez la Loche, et trouve en effet, entre les fibres
striées el la muqueuse, une couche de muscles lisses, dont les
fibres s'étendent circulairement autour de l’estomac. Il ne s’ex-
prime pas autrement : on peut croire qu’il n’y a qu’une couche de
fibres lisses; les choses ne seraient pas alors comme dans la
, Tanche. Molin est beaucoup plus explicite.
Dans la même année 1853, Leydig publia ses Anatomisch-
histoloyische Untersuchungen über Fische und Reptilien; il y
266 M. VALATQOUR. — GLANDES GASTRIQUES
décrit le tube digestif de l’Esturgeon. « La tunique musculaire
» de l’æsophage, dit-il, se compose de muscles striés ; » et il
ajoute : « Il n’en est pas ainsi dans l'Esturgeon seulement ; l’exis-
» fence des couches musculaires striées dans l’œsophage paraît
» être la loi chez les Poissons. Je l'ai constaté chez tous ceux
» (ont j’ai fait l’histologie, aussi bien chez tous les Plagiostomes
» et les Chimèéres que chez les Poissons osseux, nos Carpes et
» n0S Perches, le Dentex vulgaris, le Gobius niger, le Zeus
» faber. »
Dans son Histologie comparée, il ne fait que répéter ce passage,
et ne dit rien de la disposition des couches musculaires.
Toutes les citations précédentes établissent donc que les fibres
musculaires de l'œæsophage des Poissons sont striées ; qu'elles
forment deux couches : dans la couche interne, elles sont longitu-
dinales : dans la couche externe, elles sont transversales ; que,
dans l’Anguille au contraire, elles sont longitudinales dans la
couche externe. Il n’est pas question de la manière dont elles se
continuent avec les fibres des tuniques musculaires de l’estomac.
Cuvier seul dit que la couche longitudinale de l'estomac se continue
avec la couche longitudinale de l’œsophage.
Pour étudier cette question, j'ai employé les parois intestinales :
4° fraiches, 2° plus où moins desséchées, 3° préparées à l'alcool.
Sur les pièces préparées à l'alcool, les stries des fibres musculaires
sont parfaitement conservées ; elles le sont aussi sur des pièces
préparées au carbonate de potasse.
J'ai toujours observé les coupes, d’abord avant d’avoir ajouté
aucun réactif, puis après avoir fait passer entre les deux lames de
verre qui les renfermaient de l’acide acétique. Cet acide met admi-
rablement en évidence les- cellules musculaires et leurs noyaux.
Après avoir traité ces coupes par l'acide acétique, je les aï traitées
encore par l’acide nitrique qui colore fortement en jaune les fibres
musculaires, et les distingue très nettement des fibres du tissu
cellulaire où des fibres élastiques ; en ajoutant de l’ammo-
niaque, on avive encore la teinte qui devient d’un très beau jaune
orangé.
Quand on traite les tissus frais par l'acide acétique, les stries des
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 267
fibres musculaires disparaissent très rapidement. Si les tissus ont
été préparés à l'alcool, les stries ne disparaissent pas d’abord, elles
deviennent encore plus évidentes.
Je vais décrire successivement les observations que j'ai faites
sur les différents Poissons. Le tube digestif a été coupé immédia-
tement derrière le pharynx, au point même où ses parois devien-
nent libres.
$ IL. — L’Anguille.
L'œsophage de l’Anguille est très long ; chez tous les Poissons
que j'ai étudiés, j'ai trouvé l’œsophage, au contraire, très court,
excepté chez l’Anguille et le Brochet. Je reconnais l'œsophage à
son épithelium et à l’absence de glandes.
Dans les parties tout à fait antérieures de l’œsophage, on voit
qu'il y à bien deux couches de fibres musculaires, des fibres lon-
gitudinales internes et des fibres transversales externes ; elles sont
toutes striées, sans aucun mélange de fibres lisses.
Pour s'assurer qu'un faisceau musculaire est tout entier formé
de fibres striées, il ne faut pas faire des coupes parallèles à ce
faisceau, mais des coupes perpendiculaires : on le voit alors dans
toute sa largeur. Il est vrai que les stries ne peuvent plus se
Voir, mais les coupes de fibres striées diffèrent complétement des
coupes de fibres lisses. Elles ont un diamètre beaucoup plus grand,
êt ne présentent jamais de noyau, tandis que celles des fibres
lisses en présentent presque toujours un très reconnaissable, sur-
tout quand la coupe à été traitée par l'acide acétique : le noyau
peut ne pas apparaître, parce qu'il né Ss’étend pas dans toute la
longueur de la cellule, et que la coupe peüt ne pas l’atteindre ;
mais la dimension de la fibre suffirait à la faire reconnaitre.
Si l'on recherche ces deux couches musculaires dans les parties
moyennes de l’œsophage, on retrouve la couche de fibres trans-
versées avec la inême épaisseur sensiblement ; toutes ses fibres
sont encore striées. Mais en dedans, on ne voit plus que le tissu
cellulaire ; Ja couche de fibres longitudinales n'existe plus ; en
268 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
dehors de cette couche musculaire transverse se trouve une couche
plus mince qui paraît cellulaire. Pour m'en assurer, je traite par
l'acide acétique : elle ne présente aucun des caractères des fibres
musculaires ; je traite par l’acide azotique : elle reste compléte-
ment incolore, comme le tissu cellulaire qui est en dedans de la
couche musculaire transverse, tandis que celle-ci se colore forte-
ment en jaune.
I n’y a donc plus qu’une couche de fibres D et elles
sont transverses. Je ne m'explique pas comment Cuvier à pu y
trouver seulement des fibres longitudinales.
Qu'est devenue la couche des fibres musculaires longitudinales ?
Pour le savoir, je reviens vers les parties antérieures de l’œso-
phage, et je fais des coupes longitudinales. On reconnait alors que
ces fibres ne forment pas une véritable couche, mais un nombre
plus ou moins grand de faisceaux assez éloignés les uns des autres.
Le nombre, qui en est considérable d’abord, se réduit rapide-
ment ; les différentes fibres musculaires viennent finir successive-
ment dans le tissu cellulaire qui enveloppe les faisceaux. Quelques-
unes me paraissent se terminer en un paquet de fibrilles plus
foncées que celle du tissu cellulaire environnant, et allant se
perdre au milieu d'elles. Sur un œsophage qui avait 5 centimètres
de long, ces fibres musculaires ne s’étendaient pas à plus d’un
centimètre du commencement de l’œsophage. Dans tout le reste
jusqu’à l’estomae, il n’existe plus que les fibres musculaires trans-
verses qui forment une véritable couche, à travers laquelle le tissu
cellulaire intérieur et le tissu cellulaire extérieur envoient des pro-
longements et paraissent communiquer.
Sur les premières parties de l'estomac, alors que l’épithélium
cylindrique a déjà commencé, il en est encore de même; cepen-
dant dans le cul-de-sac il existe deux couches de fibres muscu-
laires : l’uneinterne, formée de fibres transverses; l’autre externe,
formée de fibres longitudinales. Elles ne contiennent l’une et
l’autre que des fibres lisses ; il en est de même dans la branche
pylorique. Que se passe-t-il donc au commencement de l'estomac?
Cherchons-le sur des coupes longitudinales. Les fibres transverses
y apparaissent coupées. On peut, en choisissant des Anguilles qui
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 269
ne soient pas trop grosses, avoir des coupes comprenant une
assez grande portion de l'estomac et de l’'œsophage. On voit alors
que la tunique musculaire transverse de l'estomac n'est que la
continuation de celle de l'œæsophage; seulement, à l’origine de
l'estomac, des faisceaux de fibres lisses apparaissent dans la partie
interne de celte couche, et bientôt elle en est presque entièrement
formée, ne contient plus que quelques faisceaux de fibres striées.
Ceux-ci, placés dans sa partie externe, sont plus ou moins éloignés,
de grandeur variable, se retrouvent, sur une longueur d’un milli-
mètre environ, dans une Anguille, dontl’æsophage a 5 centimètres
de long, puis disparaissent complétement.
Ainsi la couche musculaire transverse de l’estomac n’est que la
continuation de celle de l’œsophage. Il y a seulement substitution
des fibres lisses aux fibres striées, substitution qui ne se fait pas
brusquement, mais s'opère peu à peu dans un court intervalle
cependant.
Quant à la couche musculaire longitudinale externe de l’esto-
mac, elle commence avec lui; elle lui est propre, comme celle des
fibres longitudinales internes striées est propre à l'œsophage. Elle
est tout entière formée de fibres lisses, et reste loujours peu
épaisse. La couche transverse, au contraire, acquiert une grande
épaisseur dans la branche pylorique; elle diminue vers le fond du
cul-de-sac, où les deux couches ont à peu près la même épaisseur.
Dans l'intestin, les deux tuniques musculaires existent encore
disposées de la même manière, et formées de fibres lisses ; la
tunique externe toujours peu développée. Quant à la tunique
interne, son développement est encore considérable dans les par-
ties voisines du pylore ; il va en diminuant.
Dans ces couches de fibres lisses, les noyaux des cellules mus-
culaires se voient très bien et sur les fibres vues dans leur lon-
gueur, et sur les fibres coupées en travers, surtout quand on a
traité par l’acide acétique.
Cette étude de l’Anguille nous fournit déjà un certain nombre de
résultats : 1° Les fibres musculaires sont tout autrement disposées
sur l’æsophage et sur l'estomac que l’a dit Cuvier; sur la partie
moyenne de l'œsophage, elles sont toutes circulaires et non pas
270 M. VALATOUR., -— GLANDES GASTRIQUES
longitudinales; sur l'estomac, elles sont longitudinales dans la
tunique externe et non pas circulaires : c’est tout l'inverse de ce
que veut Cuvier. 2 Dans l’Anguille, les tuniques musculaires de
l’œsophage sont formées de fibres striées comme dans les Poissons
observés par Leydig, 3° Dans presque toute la longueur de cet
œsophage, il n'existe qu’une seule couche de fibres musculaires,
ce qui n’a encore élé signalé nulle part, je crois. On s'explique
cette absence de fibres musculaires longitudinales sur l’œsophage
de l’Anguille, en remarquant qu’il est fixé, sur une partie de sa
longueur, aux organes voisins. Quand on enlève sur une Anguille
l’'æsophage avec l’estomac, celui-ci est animé de contractions
énergiques aussi bien dans sa longueur que dans sa largeur, et la
longueur peut se réduire considérablement. Quant à l’œsophage,
il reste immobile, ne se raccourcit aucunement. C’est tout autre
chose quand on opère sur un Brochet : l'œsophage est animé de
mouvements aussi énergiques que l'estomac, nous en verrons tout
à l'heure la raison; mais on reconnait bien à ce seul caractère
qu'il doit y avoir une différence essentielle entre ces deux æso-
phages.
$ III. — La Perche,
Chez la Perche, lœsophage est très court, même proportion-
nellement à l'estomac, qui lui-même est déjà court; aussi, quand
on étudie ses tuniques musculaires, paraît-il réduit à la première
partie de l’æsophage de l’Anguille. Il est enveloppé dans toute
son étendue par deux couches de fibres musculaires : une couche
longitudinale interne et une couche transversale externe. L'une et
l’autre sont entièrement formées de fibres striées, et pénètrent
dans l'estomac ; on les voit encore sur des coupes, en même temps
que les glandes gastriques.
Comme, dans l’Anguille, les fibres longitudinales ne forment
pas une couche, mais sont disposées en un certain nombre de
faisceaux très distincts les uns des autres, dont le nombre et
l'épaisseur vont en diminuant, parce que les fibres s'arrêtent à dif-
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 271
férentes distances de la bouche, les dernières finissent au com-
mencement de l'estomac.
Ces faisceaux ne m'ont pas toujours semblé parallèles à la couche
museulaire externe ; je les ai vus s’incliner et pénétrer dans les
espaces cellulaires qui existent dans celle-ci.
A l'origine de l'estomac commence la couche longitudinale
externe formée de fibres lisses, et en même temps se fait la sub-
sütution des fibres lisses aux fibres striées dans la couche trans-
verse, Celle substitution ne se fait pas tout d’un coup ; comme
chez l’Anguille, il y a un espace occupé par des faisceaux de fibres
lisses et des faisceaux de fibres striées plus ou moins mêlés les
uns aux autres,
Si l’on fait des coupes transverses dans l’estomac, à l’origine de
la branche pylorique,on voit trois couches musculaires au lieu de
deux : une couche externe, où les fibres se présentent en long ;
une seconde couche, où elles se présentent coupées; et enfin une
troisième couche, où elles se présentent de nouveau en long. Rien
de pareil n’a lieu chez l’Anguille, et si l’on fait les coupes un peu
plus loin sur le cul-de-sac, il n’y a plus trace de cette perturba-
tion. Si l’on en cherche la cause, on remarque que, chez l’An-
guille, le canal pylorique est parallèle au cul-de-sac, et est situé
dans son prolongement; au contraire, dans la Perche, il lui est
perpendiculaire. Or les couches musculaires sont disposées dans le
même ordre sur l’estomac et sur le canal pylorique, c’est-à-dire
la couche longitudinale en dehors et la couche transversale en
dedans. Dans l’Anguille, les deux tubes ayant même direction, il
n'y a pas de changement dans les couches musculaires quand elles
passent de l’un sur l’autre. Mais dans la Perche, les deux canaux
étant perpendiculaires l’un sur l’autre, les fibres transverses qui
forment la couche interne du cul-de-sae, au point où commence la
branche pylorique, deviendraient, en se prolongeant sur cette
branche, des fibres longitudinales. Il doit donc y avoir là quelque
disposition spéciale; en effet, en dirigeant convenablement des
coupes transverses dans le cul-de-sac, à l’origine de la branche
pylorique, on peut en obtenir sur lesquelles on voit le passage de
l’une des manières d’être à l’autre. Du côté du cul-de-sac, on voit
972 + M. VALATOUR.. — GLANDES GASTRIQUES
très bien la couche longitudinale externe dont les fibres se présen-
tent coupées, et la couche transversale interne dont les fibres se
présentent en long; du côté de la branche pylorique, on voit une
nouvelle couche de fibres qui se présentent coupées, et naissent
en coin au milieu des fibres de la couche interne du eul-de-sac ;
elles vont former la couche transverse du canal pylorique. Une
partie des fibres de la couche transverse du cul-de-sac passent
au-dessous d’elles, et vont former la couche longitudinale du canal
pylorique ; les autres passent au-dessus, mais de nouvelles cou-
ches de fibres qui se présentent coupées naissent en coin au milieu
d'elles, et elles finissent par disparaître complétement. Quant à la
couche musculaire longitudinale du cul-de-sac dont les fibres se
présentent ici coupées, on la voit finir près du point où commence
le mélange précédent.
$ IV. — Le Brochet.
L'œsophage du Brochet est long comme celui de lAnguille,
mais 1l est libre, tandis que ce dernier est en partie fixé; il est
beaucoup plus contractile comme nous l’avons dit, et nous allons
voir que ses tuniques musculaires sont tout à fait différentes.
Dans la partie antérieure de l’æsophage, les tuniques muscu-
laires sont absolument semblables à celles de la partie antérieure
de l’æsophage de l’Anguille, et cela sur une longueur à peu près
égale, qui n’est qu’une petite fraction de la longueur totale de
l’'æsophage. Si l’on fait des coupes dans la partie moyenne de ce
tube, on reconnait qu’il y a deux couches composées entièrement
de fibres musculaires lisses, comme dans l’estomac de l’Anguille :
une couche interne transversale et une couche externe longitudi-
nale plus mince. Le passage de la première partie à la seconde se
fait comme dans l’Anguille. Les faisceaux internes des fibres
striées longitudinales se terminent successivement dans le tissu
cellulaire; les fibres lisses se substituent par groupes aux fibres
striées dans la couche transversale ; et enfin la couche longitudi-
nale externe, formée de fibres lisses, prend naissance au-dessous
de l’espace où se fait cette substitution. Les fibres de, cette der-
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 273
nière couche ne prennent pas toutes naissance tout à fait en dehors;
elles se mélent aux faisceaux les plus externes de la couche trans-
versale, et on voit en plusieurs points les derniers groupes de
fibres striées transverses enveloppés par les fibres lisses longitu-
dinales.
Les faisceaux des fibres longitudinales striées de la couche
interne se prolongent assez loin dans l'œsophage ; mais, tandis
qu'ils sont très nombreux dans la première partie, et remplissent
presque toute la couche cellulaire, ils sont très rares un peu plus
Join et tous rapprochés de la couche transverse. Des faisceaux de
fibres lisses paraissent leur succéder, de telle sorte que, dans
presque toute la longueur de l’œsophage, ily a un,certain nombre
de faisceaux de fibres longitudinales internes d'abord striées, puis
lisses. c
Dans l'estomac, il n'y a que les deux couches de fibres lisses
comme à l'ordinaire.
Ainsi la loi posée par Leydig n’est pas absolue; les tuniques
musculaires de lœsophage ne sont pas toujours formées de fibres
siriées; de plus, les fibres circulaires ne sont pas toujours appli-
quées à l'extérieur des fibres longitudinales, comme le dit Meckel.
Il serait curieux d'observer d’autres Poissons à œsophage
allongé, pour savoir quelle est la disposition la plus ordinaire des
luniques musculaires : celle qui existe dans le Brochet ou celle qui
existe dans l’Anguille, J'en ai cherché en vain ; tous ceux que j'ai
observés après ceux-ci, le Merlan, le Maquereau, le Hareng, la
Sole, les Cyprinoïdes, ont l'æsophage très court comme la Perche.
$ V. — Le Merlan, le Maquereau et le Hareng.
Dans le Merlan, le Maquereau et le Hareng, les choses se passent
tout à fait comme dans la Perche. L'œsophage est très court; les
glandes gastriques commencent à une très petite distance de son
origine. Ses tuniques musculaires sont donc au nombre de deux,
formées entièrement par des fibres striées : une couche interne
longitudinale, une couche externe transversale ; toutes les deux se
vrolongent jusque dans l’estomac. Les faisceaux de la couche
4° série. Zooz. T, XVI. (Cahier n° 5.) 2 18
274 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
interne se terminent dans le tissu cellulaire ; des fibres lisses se
substituent par groupes aux fibres striées dans la couche transver-
sale, et la couche longitudinale externe de fibres lisses prend nais-
sance. Tout cela se passe dans les parties tout à fait antérieures de
l'estomac.
Dans le Maquereau, j'ai vu quelques fibres striées mêlées aux
fibres lisses dans la couche longitudinale externe, mais seulement
tout à l’origine de cette couche quand elle prend naissance , un
peu plus loin on n’en voit plus.
Vers la branche pylorique, il y a les mêmes changements dans
la disposition des couches que dans la Perche. Quand on marche
du eul-de-sac vers la branche pylorique, dans la direction de cette
branche, on voit la couche longitudinale externe s'arrêter, la
couche transversale continuer en partie pour former la couche
longitudinale externe de la branche pylorique, et une nouvelle
couche naît au milieu d'elle pour former la couche transversale de
cette branche.
$ VI. — La Lotte commune (Gadus Lota).
Les tuniques musculaires de l’æsophage sont disposées comme
dans la Perche, par exemple; elles sont au nombre de deux, for-
mées l’une et l’autre entièrement par des fibres striées : la tunique
externe est composée de fibres transversales, la tunique interne de
fibres longitudinales. Ces fibres longitadinales existent dans toute
la longueur de l’œsophage ; leur nombre diminue à mesure que
l'on approche de l'estomac, parce qu’elles se terminent succes-
sivement au milieu du tissu cellulaire ; les dernières pénètrent
jusque dans la première partie de l'estomac. Dans cette première
partie, la tunique transversale est encore formée uniquement par
des fibres striées ; mais bientôt il s’y mêle des faisceaux de fibres
lisses, et, à quelque distance de l’æsophage, elle est entièrement
formée de fibres lisses. Quand ce mélange commence, où voit
apparaître la couche musculaire longitudinale externe composée
de fibres lisses ; elle prend naissance en partie au-dessous de Ja
couche transversale de l'œsophage, et en partie au milieu d'elle
DANS -LES POISSONS OSSEUX ET- LES BAFRAGÏENS. 275
par de nombreux faisceaux qui pénètrent entre ceux- de ‘cette
couche. |
À
$ VII. — La Sole. F3
L'œsophage est court comme dans les Poissons précédents, et
les tuniques musculaires y sont semblables. Mais dans l'estomac,
les choses se passent autrement : la tunique musculaire longitu-—
dinale externe qui commence avec lui, au lieu d’être composée de
fibres lisses, est composée d’abord entièrement de fibres striées
qui s'étendent sur plus de la moitié de l’estomac ; des groupes de
fibres lisses s’y mêlent peu à peu, et, dans la dernière partie de
l'estomac, elle ne contient plus que des fibres lisses. Dans la partie
antérieure de cette tunique, onen voit bien les fibres striées com-
mencer au milieu du tissu cellulaire, qui forme une couche assez
épaisse sous la tunique musculaire transverse de l’'œæsophage.
Cette dernière tunique se continue comme à l’ordinaire avec celle
de l'estomac; mais la substitution des fibres lisses aux fibres
striées, au lieu de se faire, comme dans les autres Poissons, au
commencement de l'estomac, ne se fait qu'à la fin ; de sorte que
la tunique musculaire transverse de l'estomac est formée, dans la
plus grande partie de sa longueur, uniquement par des fibres
striées, et que, dans la première moitié de l'estomac, les deux
tuniques musculaires sont composées de fibres striées:
Dans l'intestin, on trouve les deux couches musculaires com-
posées, l’une et l’autre, uniquement de fibres lisses.
$ VIII. — Les Cyprinoïdes.
Dans les Cyprinoïdes, la Carpe etle Gardon ne nous offrent rien
de particulier. Leur œsophage est court, c’est le canal étroit par
lequel commence le tube digestif; ses tuniques museulaires sont
tout à fait semblables à celles de l’œsophage de la Perche, et sé
continuent, comme dans ce Poisson, avec celles de l’estomac qui
estici remplacé par l'intestin. La couche musculaire longitudinale
276 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
externe est formée de fibres lisses qui se redressent pour com-
mencer en grand nombre au milieu des faisceaux striés de la
couche transverse de l’œsophage; de telle sorte que celle-ci
semble s’infléchir en partie au-dessous de la couche transverse de
fibres lisses de l'estomac, et se continuer par quelques faisceaux
dans la couche longitudinale externe.
La Tanche, au contraire, comme nous l’avons déjà dit, offre des
particularités remarquables qui ont été découvertes par Reichert
et Molin. Son æsophage est semblable à celui des autres Cypri-
noïdes , ses tuniques musculaires ne présentent rien d’anormal.
Mais si l’on fait des coupes sur l’inteslin, à une certaine distance
de son origine, on reconnait que les deux couches musculaires,
au lieu d’être formées de fibres lisses, sont formées, comme l’a
démontré Reichert, de fibres striées, sans aucun mélange de fibres
lisses. En dedans de ces deux couches striées, on reconnaît aussi
très bien les deux couches de fibres lisses découvertes par Molin:
une couche longitudinale externe et une couche transversale
interne beaucoup moins épaisses l’une et l’autre que les premières;
tandis que les couches de fibres striées ont chacune dans ces
régions 0"",3 d'épaisseur, les couches de fibres lisses n’ont
ensemble que 0°" ,1 environ.
Dans les premières parties de l'intestin, tout à fait à son origine,
sur des coupes qui comprennent à la fois l’œsophage et l’intestin,
on voit commencer la couche de fibres striées longitudinales
externes. Les fibres en prennent naissance au milieu de la couche
transversale externe de l’œsophage. Arrivée au contact de cette
couche, elle paraît s'épanouir, se diviser en nombreux groupes de
fibres qui se prolongent entre les faisceaux de cette dernière ; de
telle sorte que ces deux couches paraissent se continuer l’une
l'autre.
Dans cette première partie de l'intestin, les deux couches de
fibres lisses commencent à se montrer; mais, chose remarquable,
leur disposition m'a toujours paru inverse de ce qu’elle est sur les
parties plus éloignées, c’est-à-dire que la couche transverse est
externe et la couche longitudinale interne. Les choses sont très
nettes, chacune de ces couches ayant en certains points 0®",06
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS, 277
environ. Un peu plus loin, la couche transverse parait exister
seule; une couche longitudinale se montre au-dessous d’elle , mais
elle est d’abord excessivement mince ; elle se développe, et bien-
tôt les deux couches sont très appréciables, comme je l’ai déjà
décrit.
Cette inversion dans la disposition des deux couches est assez
remarquable, surtout quand on se rappelle que la même chose a
lieu pour les couches ordinaires de l’estomac et de l’æœsophage.
Ainsi donc, chez tous les Poissons que j'ai observés, à l’excep-
tion de deux, l'œsophage présente la plus grande ressemblance.
Il est court; ses tuniques musculaires sont au nombre de deux,
formées l’une et l’autre uniquement par des fibres striées en fais
ceaux plus ou moins distants. Les fibres de la couche interne sont
longitudinales, celles de la couche externe transversales. La pre-
mière se termine dans l'æsophage ou le commencement de l'esto-
mac, et la seconde se continue avec la couche transverse de
celui-ci; 1l y a seulement substitution des fibres lisses aux fibres
striées, substitution qui se fait toujours dans l’estomac et non dans
l’æsophage. Dans les Cyprinoïdes surtout, la couche longitudi-
nale externe de l’estomac prend naissance au milieu des faisceaux
de la couche transversale de l’œsophage.
Dans l’Anguille et le Brochet, la première partie de l’œsophage
est l’équivalent de l’œsophage entier des autres Poissons.
On trouve dans les Mammifères une partie du tube digestif tout
à fait comparable par la nature et la disposition de ses tuniques
musculaires à la première partie de l’œsophage du Brochet par
exemple : c’est le pharynx.
Les muscles du pharynx des Mammifères peuvent être consi-
dérés, ainsi que le dit Sappey (Ænatomie descriptive de l'homme),
comme formant deux couches musculaires qui correspondent à
celles des autres parties du tube digestif, mais sont disposées
d’une manière inverse. Tandis que, dans les autres parties du
tube digestif, la couche externe est longitudinale, et la couche
interne transversale, dans le pharynx c'est la couche externe qui
est transversale et la couche interne qui est longitudinale ; de
plus, dans le pharynx, les fibres musculaires sont striées, tandis
978 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
que dans les autres parties du tube digestif elles sont lisses.
Gépendant ceci n’est pas absolu; dans certains Mammiféres, les
fibres de l’œsophage sont striées. D'après Leydig, ellessont striées,
dans toute l'étendue de ce tube jusqu’au cardia, chez la Souris, le
Lupin, le Castor, le Vespertilis pipistrellus, là Taupe, le Laman-
tin; etc. D'après Weber, elles sont striées chez le Chat, dans la
moitié supérieure seulement de l'œsophage; elles sont lisses dans
la moitié inférieure, D'après Schwaon et Külliker, 1l en est de
même chez l'Homme.
. En tout cas que les fibres soient striées ou non sur l’œæsophage
des Mammifères, elles sont striées dans le pharynx, et leur dispo-
sition y est inverse de ce qu'elle est dans le resté du tube digestif.
On est done porté à comparer la première partie de l'œsophage du
Brochet et de l’Anguille à un pharynx. Mais le pharynx ne se
définit pas par la disposition et la nature de ses fibres musculaires ;
c’est la partie du tube digestif qui appartient en même temps à
l'appareil de la respiration, et qui donne passage à la fois aux ali-
ments et aux fluides respirables, A ce point de vue, aueune partie
dé l’æsophage du Brochet ou des autres Poissons ne peut être con-
sidérée comme un pharynx ; le véritable pharynx des Poissons
est cette partie de l’arrière-bouche où viennent s'ouvrir les fentes
branchiales internes. Si l’on regardait la première partie de l'œso-
phage du Brochet ou de l'Anguille comme un pharyax, il n°y
aurait d'œsophage ni dans la Perche, ni dans les Cyprinoïdes, ni
dans les autres Poissons que j'ai observés. Cette première partie
doit être regardée comme appartenant à l’œsophage.
CHAPITRE IL.
Des tuniques musculaires du tube digestif dans les Batraciens.
L'œsophage de la Grenouille est enveloppé de deux couches de
fibres musculaires entièrement formées toutes les deux par des
fibres lisses ; nulle part on ne trouve de fibres striées. Leydig dit
qu'il en est de même chez tous les Reptiles et tous les Oiseaux. La
couche interne est formée de fibres transverses, la couche externe
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATBACIENS. 279
de fibres longitudinales ; elles sont très minces l’une et l’autre,
surtout dans les parties antérieures, près de la bouche; la couche
externe est alors excessivement réduite; mais, à mesure qu'on
approche de l'estomac, leur épaisseur augmente tout en restant
très faible, et près du cardia elles ont chacune 0"",05 ou 0°",06,
Dans les premières parties de l'estomac, elles existent encore
toutes les deux avec le même développement. Mais bientôt la
couche transverse augmente considérablement d'épaisseur, et la
couche longitudinale disparaît. Au-dessous de la couche ‘trans-
verse, qui a, dans les parties moyennes de l’estomac, 0"”,4 ou
0"",5, existe une couche de 0"",03 environ qui ne me paraît
contenir aucune fibre musculaire. Si on la traite par l'acide acé-
tique soit sur des coupes transverses, soit sur des coupes longitu-
dinales, on n’y peut reconnaître aucune apparence de fibres mus-
culaires. Si on la traite par l'acide azotique, elle reste tout à fait
incolore dans toute son épaisseur, tandis que la couche muscu-
laire transverse se colore fortement en jaune.
Sur l'intestin, on retrouve les deux couches musculaires très
uettes, ayantà peu près la même épaisseur que sur l’æsophage; dans
les dernières parties de l'estomac, elles ont déjà reparu, mais seule-
ment dans les dernières parties tout à fait. Done sur la plus grande
partie de l'estomac de la Grenouille, il n’existerait qu’une couche
de fibres musculaires ; elle serait transverse et très épaisse. La
couche musculaire longitudinale n’existerait pas, bien qu'elle soit
très apparente sur l’œsophage et sur l'intestin.
Celte exceplion à la règle commune me paraissant extraordi-
naire, j'ai cherché à la vérifier sur d’autres Batraciens. Dans le
Crapaud, les tuniques musculaires du tube digestif sont tout à fait
semblables à celles de la Grenouille ; leur disposition et leur déve-
loppement sont les mêmes. Dans l'estomac, au-dessous d’une
épaisse tunique musculaire transverse, existe encore une couche
de tissu cellulaire, dont l'aspect diffère complétement de celui de
la couche externe de l’æsophage ou de l'intestin. Tandis que cette
dernière est formée presque entièrement de fibres musculaires
très apparentes, la première ne paraît en contenir aucune.
Dans la Salamandre d’eau et la Salamandre terrestre, la même
280 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
couche cellulaire, avec son aspect caractéristique, enveloppe en-
core extérieurement la tunique musculaire transverse de l’esto-
mac; mais ici elle m'a paru contenir toujours quelques fibres
musculaires longitudinales, immédiatement appliquées contre la
tunique transverse. Ces fibres seraient très rares, formeraient
une couche rudimentaire ; tandis que sur l’œsophage et l'intestin,
il existe une tunique musculaire longitudinale très manifeste.
J'ai pu observer un Axolotl conservé dans l'alcool, les tuniques
musculaires de son tube digestif m'ont paru semblables à celles
de la Salamandre. Sur l’æsophage et l'intestin, deux couches
musculaires très nettes ; sur l'estomac, une conche musculaire
transverse très développée, et en dehors une couche cellulaire
contenant à peine quelques fibres musculaires dans sa partie supé-
rieure (1).
Ainsi l'absence de la couche musculaire longitudinale sur l’esto-
mac ne serait pas un caractère absolu des Batraciens ; mais chez
tous ceux que j'ai observés, cette couche serait rudimentaire,
et reprendrait son développement sur l’æsophage et l'intestin.
L'absence complète de la tunique musculaire longitudinale n’est
pas la seule chose qui frappe qaand on examine une coupe faite
à travers l’estomac d’une Grenouille, les fibres musculaires propres
de la muqueuse sont d’une netteté et d’une régularité remar-
quables.
(4) Cet Axolotl, qui était depuis longtemps dans l'alcool étendu, était couvert
de lamelles cristallines très abondantes ; examinées au microscope, ces lamelles
présentaient les formes caractéristiques de la cholestérine, des lamelles losangi-
ques isolées ou le plus souvent groupées, quelquefois tronquées sur l'angle aigu,
tout à fait comme elles sont figurées dans l'atlas de la Chinue anatomique et
physiologique de MM. Robin et Verdeil. Elles étaient insolubles dans l'eau,
insolubles dans les acides et dans la potasse, solubles dans l'éther et dans
l'huile, C'étaient bien des lamelles de cholestérine.
Ce n’est pas là un fait isolé. Un fœtus de Chat avait été placé dans l'alcool ;
au bout de quelques mois, l'alcool contenait une grande quantité de paillettes
cristallines très visibles à l'œil nu. Ces paillettes étaient des lamelles de choles-
térine ; quand on raclait la peau de ce Chat, on enlevait beaucoup de ces lamelles
et en même temps d'autres cristaux microscopiques avant la forme d'octaèdres
tronqués sur le sommet, solubles immédiatement dans l'acide acétique sans effer-
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 281
L'existence de fibres musculaires lisses dans l'épaisseur même
de la muqueuse du tube digestif est connue depuis 1851 seulement.
La découverteen est due à Kôlliker (Siebold etKülliker, Zeitschrift
für Wissenschafliche Zoologie, 1851); il les trouva d’abord
dans l’œsophage de l'Homme, en recherchant jusqu'où s’étendaient
les fibres striées. Sur une muqueuse œsophagienne, qu'il avait
débarrassée des tuniques musculaires et du tissu conjonctif, il
reconnut de nombreux faisceaux de fibres lisses; de semblables
faisceaux furent retrouvés par lui dans l'estomac, et par Brücke
dans l'intestin. Ces travaux, résumés dans l’Histologie humaine
de Külliker, établissent que la muqueuse du tube digestif de
l'Homme et des Mammifères contient des fibres musculaires lisses
dans toute sa longueur. Dans l’œsophage, elles sont disposées en
faisceaux longitudinaux ; dans l'estomac, elles s’entrecroisent dans
deux directions principales, forment une couche sous le fond des
culs-de-sac, et pénètrent même entre les glandes ; dans lintestin,
elles constituent deux couches : une couche interne transverse et
une couche externe longitudinale.
Leydig (Anatomisch-histologische Untersuchungen über Fische
und Reptilien, 1853) a signalé l’existence de fibres musculaires
‘dans la muqueuse de la Grenouille et de la Salamandre terrestre ;
il Va fait en ces mots : « Dans la muqueuse de l'estomac de la Gre-
vescence, et qui devaient appartenir à un phosphate. Quand on faisait des cou-
pes à travers la peau, on y reconnaissait de petites lamelles de cholestérine,
surtout accumulées le long des poils encore contenus tout entiers dans l'inté-
rieur de la peau.
Chaque fois que j'ai laissé un intestin de Poisson dans l'alcool, cet intestin
s'est rempli de lamelles de cholestérine.
Ayant abandonné un intestin de Merlan à lui-même, je le trouvai, au micros-
cope, rempli de cristaux de phosphale de magnésie; ces cristaux sont très
faciles à reconnaître au microscope; ils sont solubles sans effervescence dans
l'acide acétique et donnent, quand on ajoute ensuite de l'ammoniaque, les for-
mes en étoile si caractéristiques du phosphate ammoniaco-magnésien. Ils ne
se forment pas seulement dans l'intestin, ils existaient en grande quantité
dans le mucus qui recouvrait le palais. Ayant enlevé un peu de peau pour met-
tre les muscles à nu, ces muscles ainsi dénudés se couvrirent en abondance des
mêmes cristaux.
282 M. VALATQOUR, — GLANDES GASTRIQUES
» nouille et de la Salamandre terrestre se trouvent des muscles
» Jisses qui pénètrent même entre les glandes. » Dans son Histo-
logie comparée, il n’a rien ajouté, ne dit rien de leur disposition.
Si l’on fait une coupe à travers l'estomac d’une Grenouille, on
remarque sous le fond des culs-de-sac glandulaires deux couches
musculairesexcessivement nelles, en contaci l’une avec l’autre, for-
mées de fibres lisses, longitudinales dans la couche externe, trans-
versales dans la couche interne. Ces fibres sont tout à fait sem-
blables à celles de la tunique externe; leurs noyaux sont très
apparents. Elles ne sont certes pas entremêlées sans ordre ; elles
forment parfaitement deux couches, comme je viens de le dire,
très neltement séparées l’une de l’autre. Dans la couche interne,
il n'y a que des fibres transversales; dans la couche externe, il
n'y a que des fibres longitudinales ; on le reconnait très bien sur
des coupes transversales et sur des coupes longitudinales. L’épais-
seur de ces deux couches est assez grande ; sur une coupe, dans
laquelle la tunique musculaire transverse externe avait 0"",5, elles
avaient ensemble 0**,06. Elles sont très nettes et très apparentes
dans toute la longueur de l'estomac, suivent partout le fond des
euls-de-sac glandulaires , mais sans pénétrer entre les glandes,
forment une couche continue au-dessous d'elles, ne se dévient.
pas. S'il existe des fibres musculaires entre les glandes, ces fibres
ne sont pas des prolongements de ces couches, elles en sont tout
à fait distinctes.
Sur des coupes faites à travers l’intestin, ces deux couches ne
se retrouvent plus; elles n'existent pas non plus sur l’æsophage,
si ce n’est dans les dernières parties où l’on voit les fibres longi-
tudinales prendre naissance sous les dernières glandes en grappe ;
mais, au lieu d’être rapprochées, de former une couche, elles sont
éloignées les unes des autres, dispersées dans une assez grande
épaisseur de la muqueuse; elles se rapprochent peu à peu vers
l'estomac, et forment la couche longitudinale externe de cet
organe. Les fibres transverses commencent avec l'estomac ; il
n’en existe pas dans l’œsophage sous les dernières glandes.
Les choses sont tout à fait de même dans le Crapaud, il n’y a
aucune différence.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 988
Dans la Salamandre terrestre et aussi dans la Salamandre d’eau,
ces deux couches musculaires sont lout à fait semblables à celles
de la Grenouille.
Enfin, dans l’Axolotl que j'ai observé, les parties supérieures
de la muqueuse étaient mal conservées ; cependant il m’a bien
semblé que les deux couches existaient encore, mais un peu moins
régulières.
Des fibre$ musculaires propres de la muqueuse du tube digestif
dans les Poissons,
Leydig a recherché ces fibres dans l’Esturgeon (4natomisch-
histologische Untersuchungen über Fische und Reptilien), et déclare
qu’elles n'existent pas, Dans son Lehrbuch der Histologie, il répète
la même assertion, mais ajoute en note qu'il les a trouvées dans la
valvule intestinale des Raies et des Squales, et qu’elles manquent
dans celle du Petromyzon.
Dans tous les Poissons que j'ai observés, à l’exception des
Cyprinoïdes, j'ai reconnu dans la muqueuse stomäcale, en Ja trai-
tant successivement par l’acide acétique et par l'acide azotique,
dés faisceaux de fibres musculaires lisses, presque tous lüngitudi-
naux, surtout abondants dans la branche pylorique. Ils restent
éloignés les uns des autres, dispersés sans aucune régularité au-
dessous des culs-de-sac glandulaires, ne se rapprochent pas pour
former deux couches comme chez les Batraciens.
Dans la Lotte où des intervalles assez grands existent entre les
groupes de glandes pepsiques, on voit quelques faisceaux muscu-
laires dans ces intervalles.
284 M. VALATOUR, —— GLANDES GASTRIQUES
EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE 9 ET 0.
Fig. 4. Épithélium de l'œsophage d’une Anguille, vu par la partie supérieure
sur une muqueuse fraîche ; l'une des cellules paraît vide et détruite, sa
place seule resterait.
Fig. 2. Épithélium de l’œsophage d’une Anguille sur une coupe faite à travers
une muqueuse fraîche.
Fig. 3. Le même épithélium sur une coupe faite à travers une muqueuse pré-
parée à l'alcool ; toutes les cellules paraissent vides.
Fig. 4. Épithélium de l'estomac d'une Anguille, vu par la partie supérieure.
Fig. 5. Glandes pepsiques de l'estomac d'un Brochet, vues sur une coupe faite
à travers une muqueuse fraîche ou préparée à l'alcool. Je n’ai figuré les cel-
lules pepsiques que dans l’une de ces glandes.
Fig. 6. Glande pepsique de l'estomac d'un Brochet sur une coupe faite à tra-
vers une muqueuse préparée au carbonate de potasse. On voit le noyau des
cellules pepsiques.
Fig. 7. Morceau d'une glande pepsique tirée d’une muqueuse qui a longtemps
macéré dans l'acide acétique ; les cellules pepsiques sont très apparentes,
ainsi que leurs noyaux.
Fig. 8. Cul-de-sac d'une glande préparée de la même manière.
Fig. 9. Cellule pepsique isolée tirée de la même muqueuse,
Fig. 40. Ouvertures des glandes muqueuses de la branche pylorique de l’es-
tomac de l'Anguille, vues par la partie supérieure sur une muqueuse fraîche.
Fig. 44. Glandes muqueuses de la branche pylorique de l'estomac de l'An-
guille sur une coupe transversale,
Fig. 42. Coupe d'une de ces glandes parallèle à la surface de la muqueuse. Sur
cette coupe et sur la précédente, on reconnaît que les glandes ont une mem-
brane propre.
Fig. 13. Une glande muqueuse de la partie pylorique de l'estomac du Brochet
avec trois petits tubes pepsiques.
Fig. 44. Cellules de l'épithélium intestinales de la Carpe, détachées de la mu-
queuse et vues par la partie supérieure.
Fig. 15. Les mêmes, après traitement par acide acétique.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 285
Fig. 146. Les mêmes, vues de profil; a, b, des cellules isolées.
Fig. 47. Les tubes de l'intestin de la Carpe recouverts dans toute leur étendue
par l'épithélium cylindrique.
Fig. 48. Les mêmes sur une coupe parallèle à sa surface.
Fig. 19. Aspect des glandes œsophagiennes de la Grenouille à un faible gros-
sissement.
Fig. 20. L'une de ces glandes, vue plus nettement, pour montrer qu'elles sont
formées de cylindres réunis par groupe et aboutissant à un même canal
excréteur. La région où convergent les tubes n’est jamais nette.
Fig. 21. Les deux couches musculaires propres de la muqueuse stomacale de la
Grenouille.
Fig. 22. Substitution des fibres lisses aux fibres situées dans la couche muscu-
laire transverse, au commencement de l'estomac de l’Anguille.
Fig. 23. Coupe transversale dans un œsophage de Perche, prépare à l'alcool :
a, couche transversale externe formée de fibres striées; b. faisceaux longitu-
dinaux de fibres striées ; c, cellules de l'épithélium.
Fig. 24. Coupe transversale dans l'estomac de la Perche, vers l'origine de la
branche pylorique, pour montrer comment les tuniques musculaires se sub-
stituent l'une à l’autre en passant du cul-de-sac dans la branche pylorique.
Fig. 25. Glande pepsique de l'estomac de la Lotte.
NOTE
SUR
DIFFÉRENTES ESPÈCES DE VERTÉBRÉS FOSSILES
OBSERVÉS POUR LA PLUPART
DANS LE MIDI DE LA FRANCE,
Par M. Paul GERV AIS.
Je réunis dans ce mémoire (1) diverses observations nouvelles
relatives à des animaux vertébrés fossiles appartenant aux diffé
rentes classes des Mammifères, des Reptiles et des Poissons. Je
les ai recueillies depuis la publication de la seconde édition de
mon ouvrage sur la Paléontologie de la France (2), et elles ont
trait, pour la plupart, à des animaux dont les restes se rencontrent
dans nos départements méridionaux. Ces observations, dont quel-
ques-unes ont été communiquées à l'Académie des sciences, sont
à la fois zoologiques et géologiques; elles serviront de premier
supplément à l'ouvrage que je viens de citer.
MAMMIFÈRES.
Je parlerai d'abord de quatre espèces de Mammifères apparte-
nant à la faune pleistocène ou faune diluvienne. La première rentre
dans le genre Hystriæ.
Hysrrix maso, — M. Jules lier, mon confrère à l’Académie
des sciences et lettres de Montpellier, a réuni des fragments de
brèches provenant de l’île de Ratoneau près Marseille, qui renfer-
ment des osséments et des dents de quelques Mammifères, et il a
bien voulu m'en confier l'examen. Comme il arrive le plus habi-
(4) Ce travail, accompagné d’une planche et de neuf figures intercalées dans le
texte, paraîtra dans le tome V des Mémoires de l'Académie de Montpellier, 1861.
(2) Zoologie et Paléontologie françaises, in-4°, avec atlas, Paris, 1859.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIbf DE LA FRANCE, 287
tuellement pour les fossiles enfouis dans les mêmes circonstances,
la plupart de ces ossements sont fracturés en esquilles, et, par cela
même, d’une détermination difficile. Tai cependant réussi à en
isoler de la roche quelques-uns qui sont moins mutilés que les
autres, et j'ai pu reconnaitre le genre dont ils proviennent.
Je signalerai, indépendamment d’un Mammifére de la taille du
Cerf ou celle de l’Ane, dont le groupe ne saurait encore être pré-
cisé, trois espèces qui peuvent, au contraire, être classées d’une
manière certaine; ce sont :
Un Renard (Vulpes), dont j'ai vu une carnassière presque
entière, provenant de la mâchoire supérieure ;
Un Lagomys, indiqué par trois molaires et par une incisive infé-
rieure ;
Un Porc-Épic (Hystriæ), que des dents et plusieurs os des
membres doivent faire regarder comme étant de près d’un tiers
supérieur en dimensions, aux plus grands Pores-Épics actuels de
l'Afrique et de l'Inde. M. Itier et moi en avons dégagé de leur
gangue des parties très caractéristiques dont voici l’énumération :
4° Plusieurs fragments des dents incisives, dont l’un, qui est long de
0,085 et large de 0",006, montre encore sur une partie de son étendue
la coloration jaune pâle qui distingue la partie antérieure des mêmes
dents chez les rongeurs de ce genre; on y voit l’indice d’un très faible
sillon ; une extrémité d’incisive supérieure est large de 0,007: celle-ci
ne présente pas l’indice de sillon dont il vient d’être question.
2° Des molaires, à différents degrés d’usure, laissées par plusieurs sujets.
Le fût et les caractères de la couronne sont semblables à ce que l’on voit
chez les Porcs-Épics ; mais le volume de chaque dent est sensiblement plus
considérable.
3° Diverses portions des membres montrant les mêmes analogies de
formes associées à des dimensions également supérieures à celles des mêmes
parties dans les Pores-Epics actuels. Il y a parmi elles : une moitié supérieure
d’humérus ; une extrémité également supérieure de fémur ; une extrémité
inférieure de tibia; un métacarpien médian, long de 0",038, et une pre-
mière phalange, également plus forte que celle des Porcs-Épics de nos col-
lections.
L’extrémité supérieure du fémur était surtout intéressante à étudier,
parce qu’elle permettait de distinguer nettement le gros rongeur fossile
288 PAUL GERVAIS.
à Ratoneau, d’avec les espèces de la division des castors dont les dents
molaires, du moins dans certaines formes éteintes, ont une assez grande
ressemblance avec celles des Hystricidés. La direction du col dans le fémur
trouvé à Ratoneau, l’échancrure qui sépare sa tête d’avec le grand tro-
chanter, la profondeur de la cavité digitale, la position tout à fait posté-
rieure du petit trochanter et l'absence du troisième trochanter, sont autant
de particularités décisives montrant bien que cet os vient d’un fort Porc-
Épie et non pas d’un Castor.
Le genre Porc-Épic, dont il y a des restes parmi les fossiles du pseudo-
pliocène d'Auvergne, n’avait point encore été observé dans les brèches
à ossements du midi de la France. L'espèce que nous en signalons d’après
les fossiles trouvés à Ratoneau, paraît différente de celles qui vivent de nos
jours, et aussi de celle de l’Auvergne ; nous l’avonsindiquée sous le nom
d'Hystriæ major (1).
Cervus srroNGYLocER OS. — Le grand Cerf dont j'ai reconnu (2)
la présence parmi les Mammifères enfouis dans la caverne du
Pontil, près de Saint-Pons, avec le Rhinoceros tichorhinus, le
Bos primigenius et l'Ursus spelœus, me parait être le Cervus
strongyloceros, qui est une variété du Cerf ordinaire plus grande
que celle vivant actuellement en Europe, ou peut-être une espèce
très voisine de celle-là.
J'ai également eu l’occasion de constater la présence dans nos
dépôts pleistocènes du bas Languedoc, de deux autres espèces inté-
ressantes de la famille des Cervidés, et qui n’y avaient point
encore été observées.
Cervus somonensis. — La première est le Gran Dam, décrit
autrefois par G. Cuvier, d'après un fragment de bois découvert
dans les sables des environs d’Abbeville ; c’est le Cervus (Dama)
somonensis des auteurs actuels. On l’a également signalé dans la
Limagne et dans le Vélay.
Une portion assez considérable d’empaumure trouvée dans la brèche
osseuse de Pédémar, près de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard), appartient
(1) Comptes rendus hebdomad. de l'Acad. des se., L. XLIX, p. 511 ; 1859.
(2) Mém. de l'Acad, des sc. de Montpellier, t, HF, p. 509 ; 4857.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 289
bien certainement à cette espèce. C’est ce dont je me suis assuré en la
comparant avec la pièce, type de la description de G. Cuvier, que l’on
conserve au Muséum de Paris. Elle indique un sujet un peu plus grand,
mais la forme générale n’en est pas différente, et l’on y voit encore les
points d'insertion des andouillers supérieurs qui sont rangés de même et
en même nombre.
Les brèches osseuses de Pédémar m’ont aussi fourni des débris très
caractéristiques du genre Rhinocéros (1) et quelques fragments apparte-
nant au genre Cheval.
CERVUS TaRANDUS. — La seconde espèce de Cervidés à laquelle
j'ai fait allusion tout à l'heure est un Renne fossile. On a déjà men-
lionné des Ruminants de ce genre dans plusieurs localités pleisto-
cènes, particulièrement en France, et, dans certains endroits, il en
a existé en même {emps que l'Homme, puisque les débris qui leur
appartiennent ont été travaillés par la main de celui-ci. Paris,
Étampes, Issoire, la caverne de Brengues dans le Lot, etc., ont
fourni des débris de Rennes si peu différents des Rennes actuels
du nord, que beaucoup d’auteurs doutent que l’on doive les en
distinguer spécifiquement. La plupart des fragments connus du
Renne fossile, dont mon Tarandus martialis (2), des graviers
diluviens de Pézenas, est très facile à séparer, répondent aux
Cervus tarandus, Guettardi el priscus, c’est-à-dire à trois des
espèces admises comme distinctes par quelques naturalistes.
J’ai trouvé un fragment de bois de T'arandus, très facile à reconnaître,
dans un envoi considérable d’ossements appartenant presque tous au grand
Ours des cavernes (Ursus spelœus), qui ont été extraits par M. Tail-
hades de la grotte d’Aldène, près Cesséras (Hérault). Des restes de
V'Hyæna spelwa sont également enfouis dans cette caverne.
Hipparion crassum (3). — M. À. Crova, jeune professeur des
Sciences physiques et naturelles, naguère attaché au collége de
Perpignan, a reconnu, il y a quelques années, la présence, dans
(A) Ibid.
(2) Zoo. et Paléontol. franç., p.184.
(3) P. Gerv., Comptes rendus hebdomad., 14 février 4859.
4° série. Zoo. T, XVI. (Cahier n° 5) 5 19
290 PAUL GERVAIS.
les sables marneux qui bordent une partie de la route allant de
cette ville à Canet, d’un gisement d’ossements fossiles de Mam-
mifères, et il a bien voulu me remettre, pour les publier, ceux
qu'il a pu se procurer.
J'y ai reconnu des animaux de trois genres différents :
4° Un Rhinoceros qui me paraît appartenir au sous-genre de ceux qui
sont pourvus de grandes incisives et dont les débris sont surtout répandus
dans le miocène européen.
2° Un grand ruminant de la famille des Bovides et qui est probablement
une Antilope analogue aux Antilope boodon et recticornis, espèces fos-
siles en Espagne et dans le midi de la France, qui sont voisines par leurs
caractères dentaires et leur taille, de l’Antilope senegalensis ou leuco-
phæa.
3° Un Hipparion ayant, comme les animanx de ce genre que l’on con-
naît, les pieds tridactyles, le cubitus entier et distinct du radius et les
molaires supérieures pourvues à leur bord interne d’une grosse île d’émail ;
mais cependant facile à distinguer de l'Hipparion ordinaire par ses
formes trapues et par un plus grand élargissement des os des pieds. J’en
possède une extrémité inférieure de radius avec la partie correspondante
du cubitus, deux métacarpes composés chacun de leurs trois os métacar-
piens, un tibia presque entier et un métatarsien médian, Ces os annoncent
une espèce à formes plus ramassées encore que l’Equus neogæus, dont
j'ai décrit plusieurs ossements trouvés à Bolivie par M. Weddell (4). Le
métacarpien médian a 0,035 de large au milieu sur 0,185 de long; le
métacarpien médian 0,28 sur 0,21. Une dent molaire supérieure, qui
a été recueillie dans le dépôt à ossements de Perpignan, se distingue
surtout de celles des autres Hipparions par la forme de son île interne
d’émail qui est subarrondie au lieu d’être ovalaire.
L'espèce d'Hipparion que je signale n’était guère plus grande que
les autres, et sa hauteur est également comparable à celle des Anes de
moyenne taille. Toutefois, elle était beaucoup plus robuste et son'squelette
était trapu au lieu d’être grêle et élancé comme celui de ces animaux.
C'est pour rappeler cette particularité que j’ai proposé de l'appeler l’Hip-
parion crassum.
(1) Recherches sur les Mammifères fossiles de l'Amérique méridionale, p. 33,
pl. 7.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 291
Les trois Mammifères suivants étaient terrestres, comme ceux
dont il vient d’être question, mais propres à une époque antérieure
à celle pendant laquelle les précédents ont vécu. Leurs débris ne
se rencontrent que dans les terrains miocènes. Deux sont du genre
Hipparion, l’autre est de celui des Anthracotheriums.
HipparioN GRaGiILE (H. prostylum, P. Gerv.). — Indépendam-
ment des débris dont je viens de parler sous la dénomination
d'Hipparion crassum, et qui indiquent une espèce bien certaine-
ment différente de celle que M. Kaup, M. de Christol et moi avons
décrite dans plusieurs occasions, j'ai reçu des restes de l’Hipparion
ordinaire provenant de deux localités qui méritent d’être ajoutées
à la liste de celles que j'ai déjà signalées dans ma Paléontologie
française.
Une dent de ce genre, qui appartient à l'espèce dont il s’agit, a été
trouvée par M. Flouest dans la molasse marine d'Aix, en Provence ; j’ai pu
l’examiner et m’assurer de ses véritables caractères.
D’autres dents du même animal, que j’ai également vues, font partie
d’une petite collection d’ossements que MM. Jullien et Brinckmann se
sont récemment procurée à Montredon, près Bize (Aude), et qui provient
du terrain lacustre de cette localité. D’autres fossiles de Montredon sont
conservés au musée de Narbonne ; on y reconnaît des restes de Mastodonte,
de Dinotherium et d’une espèce du genre Sus.
ANTHRACOTHERIUM MAGNUM, — Ce grand Bisulque est une des
espèces les plus importantes de la faune miocène et l’une de celles
qui, par leur présence dans un grand nombre de localités, en
France, en Suisse, en Allemagne et en Autriche, permettent le
mieux de reconnaître les terrains appartenant à l’époque du même
nom,
J’en connais un nouveau gisement situé dans le département de l'Hérault
et qui permet de compter désormais cette espèce parmi celles qui ont vécu
dans ce département. Il a été trouvé à Montoulieu, entre Ganges et Saint-
Hippolyte-du-Gard, dans un dépôt de marnes lacustres, une portion de
tête de l'Anthracotherium magnum. Une seule dent a été conservée :
c’est une incisive supérieure interne en très bon état, et par conséquent
9299 PAUL GERVAIS,
facile à reconnaître. Je la dois à M. Boutin, professeur à Ganges, qui s’oc-
cupe avec succès d'histoire naturelle.
La présence de l’Anthracotherium magnum dans le dépôt
lacustre de Montoulieu fait voir que ce dépôt se relie à ceux des
environs d’Alais et de Saint-Ambroix, qui nous ont déjà montré
d’autres débris d'animaux miocènes (1), et qu’il ne- faut pas le
réunir aux terrains, également d’origine lacustre et fréquents dans
l'Hérault, ainsi que dans le Gard, dans Vaucluse, etc., qui sont
caractérisés par la présence des Paléothériums, et rentrent dans
notre formation proïcène.
Je passe à quelques animaux essentiellement aquatiques, dont
les débris ont été trouvés dans nos terrains marins; l’un d’eux
constitue une espèce entièrement nouvelle appartenant à l’ordre
des Cétacés.
Hazrrnerium, — M. le docteur Delmas m’a montré, parmi les
fossiles des calcaires marins miocènes ramassés par lui auprès de
Castries (Hérault), des fragments de côtes provenant évidemment
d'un animal de ce genre, et j'en ai rencontré moi-même à Bou-
tonnet, dans la molasse miocène, qui a fourni autrefois les Glosso-
pètres signalés par de Blainville comme fossiles au même lieu.
Les côtes d’Halithérium qui sont enfouies à Boutonnet sont com-
parables, par leurs dimensions volumineuses, à celles de l'Hali-
therium fossile de la Sarthe et de l’Anjou, ainsi qu’à celles de
de l’Halitherium Beaumontii, des molasses de Beaucaire.
Payserer anriquus. — Le genre Cachalot (Physeter) existait déjà
pendant la période tertiaire supérieure, et j’en ai signalé des débris
dans le département de la Gironde ainsi que dans celui de l’Hé-
rault.
Une nouvelle pièce appartenant à ce genre a été trouvée dans les sables
marins de Montpellier, par M. Bourlier qui a bien voulu me la donner pour
la collection de la Faculté des sciences de Montpellier. J’en publie une
(1) Mém, de l'Acad. des sc. de Montpellier, t. ILE, p. 505.
VERTÉBRÉS VOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE, 293
figure, en même temps que ce travail, dans le tome V, pl. 5, des Mé-
moires de l’Acadénue de Montpellier ; c’est un fragment considérable de
la mâchoire inférieure.
MesorLonon (Cetorhynchus) Carisrozu. — Voici un fossile des
dépôts marins du Midi qui mérite particulièrement d'attirer l’atten-
tion. C’estun fragment considérable de la mâchoire inférieure d’un
Cétacé évidemment voisin du Delphinus sowerbensis, mais indi-
quant un animal de bien plus grande taille.
Le Delphinus sowerbensis de de Blainville, appelé aussi Dauphin de Dale,
Dauphin microptère, etc., est une espèce fort curieuse des mers d'Europe,
qui atteint 5 ou 6 mètres de longueur. On ne le prend qu’accidentellement,
lorsqu'il vient échouer sur les côtes. Il a été vu en Angleterre, en Écosse,
en Belgique, et, en France, sur les plages de la Seine-Inférieure et du
Calvados. Il est le type d’un genre à part, qui a reçu plusieurs dénomina-
tions, celle entre autres de Mesoplodon, substituée par moi aux mots
fautifs ou déjà employés dans un autre sens, de Diodon, Aodon et Nodus, et
sous laquelle on le désigne maintenant dans plusieurs ouvrages. Ce n’est
pomt ur véritable Delphinidé, mais un animal voisin des Hyperoodons et
des Ziphius, qu’il rattache à divers égards aux Delphinorhynques. Le Méso-
plodon de Sowerby est sensiblement inférieur à l'Hyperoodon par ses
dimensions, et il n’atteint pas même la longueur du Ziphius cavirostre, qui
est aussi un Cétacé de nos mers, mais propre à la Méditerranée ; tandis
que l’Hyperoodon et le Mésoplodon sont de l’océan Atlantique, de la
Manche et de la mer du Nord. Le Mésoplodon a le corps grêle et allongé,
ce qui indique dés habitudes essentiellement pélagiennes, et son rostre se
prolonge en bec étroit, en même temps que sa mâchoire inférieure a la
symphyse étendue et solidement réunie par une ossification complète, qui
en rend les deux branches inséparables l’une de l’autre. Ce Cétacé pré-
sente encore un autre caractère remarquable : sa mâchoire inférieure est
pourvue, vers le milieu, d’une paire de dents fortes et saillantes au dehors,
qui rappellent celles des Dioplodons, et elle porte en outre un certain
nombre de dents très petites, simplement adhérentes aux gencives (1),
ayant par cela même échappé à la plupart des auteurs qui ont étudié cette
espèce. On les retrouve cependant en partie sur le crâne de l’individu
échoué au Havre, quia été décrit par de Blainville, ainsi que par G. et
Fr. Cuvier.
(1) Zoo!. et Paléontol, franç., pl. 40, fig, 4.
294 PAUL GERVAIS.
La pièce pour l’interprétation de laquelle j’avais besoin de rappeler les
détails qui précèdent, indique un animal plus fort d’un bon tiers au moins
que le Mésoplodon de Sowerby, et qui approchait par ses dimensions de
l’Hyperoodon Butzkopf. On peut supposer que l’espèce dont il provient
n'avait pas moins de 7 à 8 mètres de long; mais, sauf les détails de valeur
presque spécifique, elle reproduit assez exactement les caractères de la
partie correspondante envisagée dans le Mésoplodon de nos côtes. Elle
montre, en effet, que la mâchoire à laquelle elle a appartenu était allongée,
grêle et pourvue d’une longue symphyse ossifiée. Ce qui la rendait surtout
différente de l’espèce actuelle, c’était le volume plus considérable de ses
dents et leur disposition plus uniforme. L’arc dentaire, dont une partie a été
perdue, porte encore pour chacun des deux côtés sa rainure alvéolaire, et
l’on y voit des alvéoles pour l’implantation d’une cinquantaine de dents,
peu différentes par leur arrangement de celles des Delphinus tursio et
rostratus, mais qui doivent avoir été plus grosses encore. Il y a toutefois
cette différence, que les alvéoles ne sont pas séparées transversalement les
unes des autres par des parois osseuses, et que la rainure dentaire a ici
une analogie véritable avec celle du Mésoplodon vivant, quoiqu’elle soit
proportionnellement beaucoup plus profonde et bien plus large.
J'ai proposé d'appeler cette remarquable espèce Mesoplodon Chris-
tollii (1), voulant indiquer ses affinités avec l’espèce de nos mers avec
laquelle elle me paraît offrir tant de ressemblance; et désirant, d’autre
part, rappeler par le nom spécifique qu’elle portera, qu’on en doit la décou-
verte à feu M. de Christol. C’est, en effet, dans la collection laissée par
cet habile paléontologiste que j'ai étudié la pièce osseuse dont il vient
d’être question. Cette pièce provient des dépôts tertiaires marins du dépar-
tement de l'Hérault, qui se rattachent à la partie supérieure du miocène,
et renferment des fossiles qui se trouvent aussi dans les molasses de cer-
taines autres contrées, ainsi que dans les faluns de la Touraine, etc, La
localité où on l’a trouvée ne m'est pas connue avec précision ; mais, à en
juger par le mode de fossilisation, je crois qu’elle vient des sables de Pous-
san (Hérault), dont j'ai, de mon côté, obtenu un certain nombre de fos-
siles intéressants, décrits dans mes précédentes publications. Peut-être
jugera-t-on que le Mesoplopon Christoli devra, à cause du développe-
ment plus considérable de ses dents, qui sans doute aussi étaient persis-
tantes et non caduques comme celles du Mésoplodon véritable, constituer
une petite division différente de celle à laquelle ce dernier sert de type.
(4) Comptes rendus hebdomad., t, LITE, p. 456 ; 1864.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 9295
Dans ce cas, on pourrait donner à cette division le nom de Cetorhyn-
chus.
Il serait curieux de comparer le Mesoplodon Christolii et, après
lui, tous les Cétacés dont les terrains marins supérieurs et moyens
du midi de la France ont fourni des débris, avec les animaux du
même ordre que l’on a récemment découverts en grand nombre
dans le erag d'Anvers, et dont mon savant ami, M. le professeur
Van Beneden, a entrepris de donner la description.
DELPHINORHYNCHUS suLcATUS (1). — Le curieux Cétacé auquel
j'ai donné ce nom m'est connu par des fragments de crâne recueillis
à Vendargues, à La Vérune, à Cournonsec et à Poussan, localités
miocènes du département de l'Hérault, dont trois appartiennent à
la molasse ou aux sables et dont l’autre est formée de marnes
bleues. Parmi les pièces rapportées à cette espèce que j'ai repré-
sentées dans mon ouvrage, la plus remarquable est un crâne
presque entier provenant de la molasse de Cournonsec. Tout
récemment, M. Paul Marès a trouvé à Loupian, dans un terrain
argilo-sableux remontant au même âgé que les précédents, des
débris osseux et quelques dents de Poissons qu’il a bien voulu me
remettre. Parmi ces fossiles, j'ai trouvé un morceau considérable
de l’éxtrémité inférieure d’un fémur que je crois appartenir à un
Crocodile de grande dimension et divers fragments très mutilés ,
dont il m'a été néanmoins possible d'opérer la restauration. Ces
fragments se sont trouvés constituer une portion considérable
d'une mâchoire inférieure d’une forme très singulière, que je
regrette de ne pas connaître dans sa totalité. Ce qu’il m’a été pos-
sible d’en reconstruire commence un peu én arrière de la partie
symphysaire qui était fort longue, et mesure 0,40, bien qu’in-
complet en avant aussi bien qu’en arrière. Les dimensions de
cette pièce répondent assez exactement à celle du crâne de Delphi-
norhynchus sulcatus dont j'ai parlé tout à l’heure.
(4) P. Gervais, Mém. de l'Acad. des sc. de Montpellier, t. I, p. 310, pl. VII,
fig. 3-7, et Zool. et Paléontol. franç., p. 306, pl. 83, fig. 3-7.
296 PAUL GERVAIS.
Par son faciès général, par sa forme et par son étroitesse, cette mâchoire
inférieure rappelle sensiblement la partie correspondante étudiée dans le
Gavial; mais on ne saurait cependant l’attribuer à un animal de ce genre,
attendu qu’elle est d’une seule pièce, et c’est un des caractères des Rep-
tiles d’avoir chaque moitié de la mâchoire inférieure décomposée en plu-
sieurs OS.
La partie symphysaire est aplatie à sa face dentaire, qui présente un
fort sillon médian; elle est à peu près demi-cylindrique à sa face inférieure,
qui se divise en trois régions longitudinales, une médiane et deux laté-
rales séparées de la précédente par un très fort sillon. La bande médiane
ne présente plus de trace apparente de la symphyse articulaire, si ce n’est
vers la base même de la région symphysaire. La coupe de cette mandibule
est également curieuse, à cause de la disposition trilobée des parties qu’elle
laisse voir. Le lobe médian est représenté par la bandelette médio-infé-
rieure qui vient d’être décrite, et les lobes latéraux répondent au reste de
la mâchoire. Chacun d’eux est séparé du lobe médian par le sillon profond
déjà signalé, et ils laissent entre eux et le lobe médian un canal évidé
presque aussi large que le lobe médian, qu’il surmonte, et au-dessus
duquel les bords externes des deux lobes latéraux se rapprochent mais sans
se souder. Entre eux se voit le sillon médio-supérieur qui longe toute la
surface palatine de la mâchoire.
L’allongement et la disposition de la mandibule du Dauphin trouvée à
Loupian par M. P. Marès répondent d’une manière assez exacte aux
_ caractères déjà signalés par moi dans le rostre du Delphinorhynchus sul-
catus, et il est bien probable que nous avons affaire ici à une pièce appar-
tenant à la même espèce.
La soudure des deux moitiés de la mâchoire inférieure du Delphino-
rynchus sulcatus n’était ni moins intime ni moins solide que chez les Inias,
les Platanistes et les Sténodelphes; mais la coupe de la mandibule de
l’Inia serait plutôt en demi-ellipse qu’en demi-cylindre ou portion de demi-
cylindre, comme dans l’espèce fossile, et la même coupe dans le Plataniste
est bien plus comprimée encore. L’Inia et les autres espèces actuelles
dont il vient d’être question, manquent d’ailleurs de sillons longitudinaux
qui caractérisent le Delphinorynchus sulcatus.
Aucune des dents n’est restée en place sur la mâchoire inférieure que
nous décrivons, et les alvéoles sont toutes oblurées, On peut constater
cependant qu’elles étaient de petite dimension, ce qui permet de conclure
que les dents elles-mêmes étaient grêles et aiguës, et la même disposition
avait sans doute également lieu pour les dents supérieures,
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE, 297
La pièce dont il est ici question, et que représentent les figures 1 à 3
de la planche IV du tome V des Mémoires de Montpellier, montrera que le
Delphinorhynchus sulcatus diffère encore plus que je ne l’avais supposé
des Delphinorhynques véritables, c’est-à-dire des Steno de M. Gray, et l’on
pourra, dans la classification naturelle des Cétacés, faire du Delphinidé à
long bec des terrains miocènes de l'Hérault, encore un genre différent de
ceux de la nature actuelle. Ce genre s’éloignait en particulier de celui dans
lequel javais placé l'espèce qui lui servira de type par la longueur de la
symphyse et par les sillons qui parcourent son rostre. Il pourrait prendre
le nom de Schizodelphis, par allusion à ces sillons qui se voient à la mà-
choire inférieure aussi bien qu’à la mâchoire supérieure.
REPTILES.
Les Reptiles, au sujet desquels je me propose de donner de
nouveaux détails, ne sont qu’au nombre de deux : l’un déjà décrit
dans mon ouvrage comme se rattachant à l’ordre des Crocodi-
liens; l’autre non encore observé en France, et rentrant dans le
genre Thécodontosaure. Ce sont l’un et l’autre des animaux de la
période triasique.
On ne connaît encore que d’une manière assez incomplète les
Vertébrés aériens qui ont peuplé le globe antérieurement à la
période jurassique, et, jusque dans ces derniers temps, ceux qui
sont enfouis dans le sol de la France n’avaient donné lieu qu’à
quelques observations isolées. J’ai essayé de réunir ces observa-
tions dans la seconde édition de mon ouvrage sur la paléontolo-
gie (1), et j'y ai ajouté quelques faits nouveaux ayant lrait, comme
ceux qu’on avait publiés antérieurement, à des espèces propres
aux terrains de la période triasique. Ces espèces appartiennent
uniquement à la classe des Reptiles et à celle des Batraciens.
Les Reptiles triasiques dont la présence a été signalée en France
sont de trois groupes différents, et il y avait aussi avec eux des
espèces de la classe des Batraciens. Les Reptiles sont :
4° Un Crocodilien encore incomplétement connu, dont j'ai parlé
(1) Zool. et Paléontol. franc.
298 PAUL GERVAIS.
d’après uné pièce recueillie aux environs de Lodève(Hérault), et qui
m'a été signalée par MM. Émilien Dumas et Paul de Rouville (4).
Je reproduis ici les détails que j'ai déjà publiés à son égard :
Crocodilien ? du trias? des environs de Lodève. — On a découvert, il
y a plusieurs années, auprès de Lodève, dans une propriété appartenant à
MM. Calvet frères, et dans un calcaire marneux de couleur jaunâtre, que
M. Paul de Rouville attribue (ainsi que M. É. Dumas) aux assises supé-
rieures de la série triasique, une partie du thorax d’un grand reptile, qu’à
la forme biplane et allongée de ses vertèbres je regarderais plutôt comme
appartenant à un animal jurassique, si les auteurs de la Carte géologique
du département de l’Héraut n’avaient une idée différente sur l’âge du ter-
rain qui a fourni ce fossile, et ne le rapportaient à l’étage des marnes
irisées.
La pièce, qui a été conservée et que possède maintenant la Faculté des
sciences de Montpellier, montre des traces de plusieurs vertèbres, dont
une, plus entière que les autres, est biplane, cylindroïde, quoique un peu
clepsydiforme, et longue de 0",12, ses faces articulaires, qui sont planes
l’une et l’autre et à contours à peu près circulaires, ayant environ 0°,06
de diamètre. Six des côtes du côté droit sont conservées en partie ou indi-
quées par leur empreinte. Elles sont fortes, solides, pleines, aplaties
d’avant en arrière et élargies dans le même sens et à leur extrémité
vertébrale qui, mesurée sur deux d’entre elles, a environ 0",06 sur la
face aplatie. La longueur de l’un de ces côtés dépassait 0",40.
J'ai cherché, pendant une des excursions que j'ai faites à Lodève, à
recueillir d’autres débris de cette curieuse espèce, mais il m’a été impos-
sible de men procurer. La pièce unique que l’on en connaît n’est pas
assez complète pour qu’il soit possible d’en déterminer le genre avec pré-
cision. On peut cependant juger, à la longueur des vertèbres, qu’elle avait
plus d’analogie avec la partie correspondante du squelette des crocodiliens,
qu'avec celle des plésiosauriens et des simosauriens; elle différait
encore davantage des ichthyosauriens dont les vertèbres sont raccourcies et
biconcaves. Les vertèbres du Pækilopleuron des terrains oolithiques de
Caen semblent plus particulièrement pouvoir être comparées à celles du
grand Reptile des environs de Lodève, que je viens de signaler; mais je
suis bien loin de pouvoir établir que les unes et les autres proviennent
d'animaux du même genre.
(1) J'en donne la figure dans les Mémoires de l’Académie de Montpellier.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 299
2 L’Aphelosaurus lutevensis, espèce de Saurien véritable, que
j'ai décrite sur l’examen d’une empreinte trouvée dans les ardoi-
sières permiennes de la même ville (1).
9° Diflérents Simosauriens, recueillis depuis une époque plus
ou moins éloignée dans les départements de l'Hérault, de la Moselle,
de la Marne et du Bas-Rhin. Les ossements de ces derniers ani-
maux abondent dans le muschelkalk de Lunéville où G. Cuvier les
a le premier indiqués, mais en en donnant des déterminations que
les recherches de M. Hermann de Meyer (2) et les miennes ont
dû faire modifier.
Les Batraciens enfouis avec ces Reptiles sont du groupe de ceux
que jai appelés Dinobatraciens, et ils appartiennent principale-
ment au genre des Labyrinthodontes ou Mastodonsaures. Leurs
restes osseux, ou les empreintes laissées par leur pas, m'ont éga-
lement occupé (3). On en a constaté la présence dans les départe-
ments de l'Aveyron, de l’Hérault, de la Haute-Saône, de la Moselle
ét du Bas-Rhin.
Taecoponrosaurus. — C'est également à la série des époques
dites triasiques que remonte l'animal auquel ont appartenu quel-
ques dents et un petit nombre de fragments osseux indiquant aussi
un Vertébré à respiration aérienne, sur lequel j'ai appelé, en
février dernier, l'attention des naturalistes (4).
Ces débris ont été soumis à mon examen par M. Dumortier (de Lyon),
qui les a découverts au Chappou, près Saint-Rambert (Ain). Leur forme,
et en particulier celle des dents que l’on distingue parmi eux, indiquent
un animal bien certainement différent de ceux dont je viens de rappeler
les noms, mais qui rentre probablement avec les premiers dans la classe
des Reptiles proprement dits. Ils ont été retirés des marnes blanchâtres
affleurant au milieu des dénudations des couches inférieures de l’infra-lias,
(1) Mém. de l’Acad. de Montp. (section des sciences), t. II, p. 437, pl. 5,
et Zool. et paléontol. franç., p. 459, pl. 84.
(2) Die Saurier des Muschelkalkes,in-fol., 1837.
(3) Loc. cit.
(4) Comptes rendus hebdomadaires, t. LIL, p. 347.
300 PAUL GERVAIS.
dans la localité qui vient d’être citée. M. Dumortier attribue ce gisement
à l’étage des marnes irisées.
Les ossements recueillis au Chappou sont réduits en petits fragments,
qu’il m’a été impossible de réunir les uns aux autres, de manière à me faire
une idée exacte de la partie du squelette dont ils proviennent, et je ne puis
rien dire à leur égard. On distingue cependant parmi eux une pièce à peu
près discoïde, ayant 7 millimètres de large sur 3 millimètres d'épaisseur,
qui rappelle assez bien, au premier abord, un corps de vertèbré à sur-
faces articulaires, biplanes, c’est-à-dire ayant le caractère propre aux
vertèbres de beaucoup de sauriens de la période secondaire; mais c’est
plutôt un os métacarpien qu’une vertèbre, et on lui trouve, en effet, quel-
que ressemblance avec un des os de la même région chez les Reptiles aqua-
tiques, les Chélonées par exemple, les Neustosaures, les Plésiosaures et
les Ichthyosaures. Cet os, s’il appartient réellement à l’animal qui nous
occupe, etsi la détermination que j’en donne est exacte, mettrait hors de
doute le genre de vie essentiellement aquatique du Reptile trouvé au
Chappou.
Quant aux dents, il y en a une dizaine, isolées les unes des autres, mais
dont quelques-unes sont à peu près entières, du moins pour la couronne.
Elles sont comprimées, à sommet acuminé, à bords antérieur et posté-
rieur denticulés en scie sur une grande partie de leur étendue. La partie la
plus rapprochée’du collet manque seule de dentelure, et la disposition de la
dent elle-même montre bien que la couronne, telle qu’elle vient d’être
décrite, surmontait une racine distincte et implantée dans une alvéole
propre. La longueur de ces dents, c’est-à-dire leur diamètre antéro-posté-
rieur varie entre 6 et 9 millimètres, et leur hauteur, pour la couronne
seulement, entre 9 et 44 ou 15 millimètres. La plus forte n’a que 4 milli-
mètres d'épaisseur entre ses deux faces. La courbure des bords antérieur et
postérieur n’est pas absolument la même pour les différentes dents.
Les caractères queje viens designaler, et toutes les particularités distinc-
tives des dents trouvées dans les marnes irisées du Chappou, sont la repro-
duction presque exacte de ceux attribués par MM. Riley et Stutschbury à
l'animal, fossile dans le conglomérat dolomitique des environs de Bristol
(étage inférieur du pénéen), qu’ils ont nommé T'hecodontosaurus antiquus
et auquel ils rapportent également des vertèbres biconcaves très dévelop-
pées dans leur partie neurapophysaire, ainsi que des fragments de côtes
provenant du même dépôt. Il me paraît hors de doute que les fossiles du
Chappou ont appartenu à un animal de la même espèce ou tout au moins
du même genre.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 301
On n’avait point encore observé en France des débris susceptibles d’être
attribués au Thécodontosaure. Je donne des figures de ceux qui vien-
nent d’être décrits.
POISSONS.
Je terminerai par quelques documents relatifs à diverses espèces
de Poissons fossiles appartenant presque tous aux dépôts miocènes
du Midi.
Ces espèces figurent déjà pour la plupart dans l’énumération des
Poissons fossiles en France que j'ai précéderament publiée; mais
j'en signale ici des gisements qui n’avaient point encore été énu-
mérés. J’en ai vu des pièces dans les collections de Montpellier
et d'Avignon, ainsi que dans le cabinet de M. le doctenr Delmas;
de Castries (Hérault), qui recueille avec $oin les fossiles de cette
classe dans les calcaires et les marnes des environs de la ville
qu’il habite.
*CarysopHRys. — On trouve assez souvent les dents, soit mo-
laires, soit incisives, des Chrysophrys ou Dorades dans les mo-
lasses miocènes et dans les sables de même âge si répandus dans
nos départements du Midi ; il y en a aussi dans nos terrains plio-
cènes. J'en connais en particulier dans les départements de la
Drôme, de Vaucluse, des Bouches-du-Rhône, du Gard, de l’Hé-
rault, etc. Les calcaires moellons de Castries et la molasse coquil-
lière de Boutonnet, près Montpellier, sont au nombre des localités
qui en fournissent le plus souvent. De beaux fragments de Chry-
sophrys fossiles trouvés dans le département de l'Hérault font
partie de la collection de feu'M. de Christol.
*SARGUS INCISIVuS. — Calcaires et argiles miocènes de Castries.
* ÆroBarus arGuaTus. — Molasse coquillière de Pézenas (Hé-
rault).
*CARCHARODON MEGALODON. — Romans, Saint-Reslitut, près
Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme); Carpentras, Entraigues,
Sorgues, Apt (Vaucluse) ; Barbantane, Aïx (Bouches-du-Rhône);
les Angles (Gard); Castries, Boutonnet, Pignan, Sain-Jean-de-
Védas, Poussan (Hérault).
302 PAUL GERVAIS,
*Cesrracion ou grande espèce de Rata. — Dans les marnes
sableuses de Loupian (Hérault), d’après une dent dont j'ai donné
la figure ailleurs, vue en dessus et en dessous de grandeur natu-
relle, et en dessus grossie au double. Cette pièce m'a élé remise
par M. Paul Marès.
“Prisnis. — Deux dents d’une espèce de scie (genre Pristis)
ont été trouvées dans le miocène marin de Pézenas (Hérault) par
M. Forel fils qui a bien voulu me les remettre. J'ai fait figurer
l’une d'elles.
*Oxvraina Hasrazis. — Sainte-Garde, Uzës, les Angles (Gard) ;
Castries (Hérault), dans le calcaire et dans les marnes. Cette
espèce, très répandue dans nos dépôts miocènes marins, se ren-
contre aussi dans ceux du Portugal, ainsi que je m'en suis assuré
par l'examen de dents provenant de ce pays qui m'ont été com-
muniquées par M. Ribeiro.
*OxYRHINA xYPHODON. — Pont-Saint-Esprit, les Angles, Uzès,
Beaucaire (Gard); Castries (Hérault), dans le calcaire et dans les
marnes.
*GALEOCERDO ADUNCUS, — Lourmarin, Cucurron (Vaucluse);
Castries, dans les marnes et dans les calcaires; Boutonnet, dans
la molasse (Hérault).
“ GALEOCERDO LATIDENS. — Sainte-Garde (Gard).
* Hemprisris Serra. — Entraigues, Sorgues, Courtheson (Vau-
cluse); Sainte-Garde (Gard); marnes et calcaires de Castries,
molasse de Boutonnet et de Pézenas (Hérault) ; se trouve aussi
dans les dépôts miocènes marins du Portugal.
*HemiPRISTIS PAUCIDENS. — Marnes bleues des environs de
Castries et de Mèze (Hérault) ; Nissan (Aude).
*Nonpanus PRIMIGENUS.—Sainte-Garde et Uzès (Gard) ; molasse
de Boutonnet (Hérault) ; Romans (Drôme). J’ai observé une dent
du genre Votidanus, mais d’une espèce différente de celle dont il
est ici question, dans le terrain néocomien de Ganges (Hérault).
Elle y est associée au Sphenodus sabaudianus et à une Pycnodus,
dont j'ai décrit ailleurs les dents palatines.
MÉMOIRE
SUR
LE COEUR DE LA TORTUE FRANCHE,
Par M. Henri JACQUART,
Aide naturaliste au Muséum d'histoire naturelle.
$. I. — La description du cœur de la Chelonia Midas ést importante en ce qu'elle
reproduit exactement celle du cœur des Ophidiens. .
L'étude du cœur de la Tortue franche, ou Chelonia Midas,
nous parait avoir une autre importance que celle d’un fait anato-
mique isolé. Elle ne se borne pas à faire connaître la structure
particulière de cet organe chez ce Reptile, elle a plus de portée ;
elle tend à établir que le cœur des Tortues a une conformation qui
le rapproche beaucoup de celui des Ophidiens, et par conséquent
qu’il n’est point composé d’un ventricule unique, ainsi que le
disent les auteurs, et de deux oreillettes distinctes, ce que per-
sonne ne conteste, mais bien de deux ventricules, c’est-à-dire
d’un droit ou pulmonaire et d’un gauche bilobé, séparés incom-
plétement l’un de l’autre par une cloison, dont le bord supérieur
n’est pas soudé aux parois du cœur.
Nous rechercherons plus tard si la disposition que nous espé-
rons trouver dans le cœur de tous les Chéloniens ne se rencon-
trerait pas aussi chez beaucoup d’autres Reptiles, à l'exception du
Crocodile, dont le cœur ne diffère en rien de celui des Mammi-
fères , car il a deux oreillettes et deux ventricules distincts, et le
mélange des deux sangs s’opère à l’aide de deux vaisseaux qui pro-
viennent chacun séparément d’un des ventricules, et s’abouchent
ensuite hors du cœur.
304 JACQUART.
$ II. — Nécessité de rappeler la structure du cœur des Serpents, et la compa-
raison que nous en avons faite avec celui des Mammifères.
Mais si la disposition de cet organe est la même chez la Tortue
franche et chez les Ophidiens, il est nécessaire de rappeler suc-
cinctement l'anatomie du cœur de ces derniers, ainsi que les vues
que nous avons développées en le comparant à celui des Mammi-
fères.
Nous renvoyons pour plus de détails au premier mémoire que
nous avons publié dans les Annales des sciences naturelles sur la
circulation du Python (L), et que M. le professeur de Quatrefages
a présenté én notre nom à l’Académie des sciences, dans la séance
du 9 juin 1856. (Voy. les Comptes rendus des séances de l’ Aca-
démie, t. XLII.)
Nous espérons avoir démontré dans ce travail, accompagné
de nombreuses planches en noir et en couleur, que le cœur des
Ophidiens peut être ramené à celui des Mammifères.
Rappelons-nous comment chez ces derniers le ventricule droit
empièête en avant sur le gauche, tandis que le second recouvre en
partie le premier en arrière. Cette disposition est exagérée chez
les Serpents; chez eux, lors de la formation primitive du cœur, le
ventricule droit rétréci, glisse au-devant du gauche, et lui devient
tout à fait antérieur ; beaucoup plus petit que ce dernier, il est
débordé par lui des deux côtés. Le ventricule à sang rouge est
rétréci dans son milieu ; ce rétrécissement, cet étranglement, c’est
le trou ventriculaire des auteurs. Enfin la cloison interventricu-
laire, qui sépare l'embouchure de l'artère pulmonaire de celle des
deux aortes, n’est pas soudée par son bord supérieur aux parois
du cœur. Nous avons un cœur veineux avec le vaisseau qui en
part, et qui porte le sang veineux au poumon, et un cœur gauche
auquel nous restituons les origines des deux aortes, qu'on avait
fait partir, à tort, du ventricule droit. Au lieu d’un trou ventrieu-
(4) Voy. Mémoire sur les organes de la circulation chez le serpent Python, par
Henri Jacquart, 4° série, Zoologie, t. IV, n° 6, 4855.
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 305
laire, nous ne trouvons plus que l’étroite communication entre les
deux loges du ventricule gauche. Il y à une cloison interventricu-
laire ; seulement, l’un de ses bords non soudé aux parois du cœur
permet le mélange partiel des deux sangs (1). Alors tout s'explique,
l'unité de plan n'est plus détruite, et la loi des connexions nous
permet de poursuivre tous les termes d’une comparaison rigou-
reuse entre le cœur des Ophidiens et celui des Mammifères.
Ces vues avaient été présentées à l’occasion du cœur d’un
Python et de celui d’un Boa d’un assez petit volume. Mais dans
ces derniers temps, grâce à la bienveillance de M. le professeur
Augusle Duméril, ayant fait l’autopsie de deux Pythons de Séba
d’une taille considérable, 3 à 4 mètres de longueur, nous avons
pu étudier deux cœurs deux ou trois fois plus gros que celui d’un
fœtus humain à terme.
Nous avons cru alors devoir revenir, dans un second mémoire,
sur certains détails anatomiques, quoique nous les ayons figurés
et décrits dans le premier avec exactitude, parce que la dimension
plus grande des objets nous en a rendu l'étude et la démonstra-
tion plus faciles. (Voy. Gazelle médicale de Paris, année 1855 :
Nouvelles recherches sur l'anatomie du cœur des Ophidiens, par
Henri Jacquart. Ce mémoire se trouve aussi dans les Comptes
rendus de la Société de biologie de la même année.)
S LIL. — Faits que nous croyons avoir démontrés dans les deux mémoires que
nous avons publiés sur l'anatomie du cœur des Ophidiens.
Nous y avons établi :
1° Que l'oreillette droite s'abouche dans le ventricule droit,
sans cependant confondre son axe avec celui de cette dernière
cavité. Les axes de l'oreillette droite et de la loge pulmonaire sont
(1) Dans le premier mémoire déjà cité, nous avions äit que chez les Ophidiens,
c'est le bord inférieur de la cloison interventriculaire qui n'est pas soudé aux
parois du cœur; nous nous sommes assuré depuis, par de nombreuses dissec-
tions faites comparativement sur le cœur des Mammifères et celui des Serpents,
que c’est précisément le contraire, c'est-à-dire le bord supérieur de cette cloison
qui est libre.
&° série. Zoo. T, XVI. (Cahier n° 5.) # 20
306 JACQUART.
dirigés d'avant en arrière et nn peu de hauten bas ; ils sont paral-
lèles l’un à l’autre, et communiquent ensemble sur le bord libre
du pilier de Ja cloison interventriculaire par un passage rétréci,
situé entre l'insertion de l'extrémité antérieure de ce pilier et la
cloison du cœur. L'axe de ce passage qui est presque vertical
coupe ceux des deux cavilés, comme une sécante coupe deux
parallèles qu’elle rencontre perpendiculairement. Nous ferons
remarquer ici que l’action de la pesanteur doit faciliter le passage
du sang de l'oreillette droite au ventricule droit dans les positions
les plus ordinaires du Serpent, c’est-à-dire dans le repos ou la
reptation. Le sang se dirige en bas sous l'extrémité antérieure de
la colonne charnue de la cloison qui s’amincit notablement dans
cet endroit, et au-dessous des orifices aortiques dans lesquels il
s’introduirait, si, dans la diastole des ventricules, les deux val-
vules sigmoïdes de chacune ne les fermaient complétement par
suite du choc en retour du sang qui les fait retomber.
2° Que la valvule aurieulo-ventriculaire s'abaisse pour le pas-
sage du sang veineux dans la loge pulmonaire au moment de la
systole des oreillettes, et forme un plan incliné qui le dirige vers
celle-ci. Cette valvule s'accole alors sur le bord de la cloison qui
sépare cette loge de la portion droite du ventricule gauche, et elle
rend impossible l'introduction du sang veineux dans celui-ci.
8° Qu'il faut, en outre, tenir compte de la force d’impulsion que
donne au ventricule gauche, surtout dans la loge gauche (ventri-
cule gauche des anciens auteurs), son épaisseur considérable qui
nous l’a fait comparer à un gésier. Ce ventricule n’est pour nous
que la loge la plus petite de cette cavité.
Le bord supérieur de la cloison n'étant pas soudé aux parois du
cœur, le mélange du sang veineux et du sang artériel a lieu au
moment de la systole ventriculaire ; mais c’est le sang artériel
müû par une force plus grande qui tend à s’introduire dans le ven-
tricule droit, sur le bord libre de la cloison interventriculaire, et
qui artérialise ainsi le sang veineux avant son arrivée au poumon,
Nous indiquerons plus loin les conséquences importantes qui
en découlent pour la théorie de lhématose pulmonaire chez les
Reptiles.
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 307
Mais si nous nous félicitons d'avoir profité de la gracieuse obli-
geance de M. le professeur Auguste Duméril pour étudier des
cœurs d'Ophidiens beaucoup plus gros que ceux qui avaient servi
à nos premières recherches, combien n’avons-nous pas été plus
heureux encore de trouver sur un cœur de Chelonia Midas ou
Tortue franche, c'est-à-dire sur un cœur deux fois aussi gros que
celui d'un Homme adulte, et par conséquent vingt fois plus volu-
mineux que celui du plus gros Serpent que nous ayons pu dissé-
quer antérieurement au Muséun ; de trouver, dis-je, une disposi-
lion entièrement semblable à celle du cœur des Ophidiens !
Les proportions en sont relativement gigantesques, et les détails
si nellement accentués, que c’est pour nous la confirmation de
toutes les vues que nous avons exposées dans les deux précédents
mémoires. Les points qui avaient pu rester.douteux, à cause de la
pelitesse des objets soumis antérieurement à notre examen, grâce
à la grandeur des proportions de la pièce, se présentent avec une
telle évidence, que la démonsiration nous semble ne plus rien
laisser à désirer.
Nous avons figuré avec soin et exactitude le ventricule droit et
le ventricule gauche d’une Chelonia Midas (voy. planche 7).
$ IV. — Cœur de la Chelonia Midas, étudié à l'extérieur après la dissection
des fibres musculeuses.
Si, par une dissection attentive et minutieuse, on met à nu les
fibres musculeuses du cœur de la Tortue franche en enlevant la
séreuse cardiaque, on voil à la face inférieure du cœur, immédis—
tement en arrière de la naissance de l'artère pulmonaire, une saillie
que les auteurs ont nommée tnfundibulum de l'artère pulmonaire,
et que les anatomisles de l'Homme ont décrite avec soin sur le
cœur de ce dernier. Ils ont comparé à la partie évasée d’un cor de
chasse cette dilatation du ventricule droit faisant suite à l'artère
pulmonaire, qui en serait l'embouchure ou partie rétrécie. Les
fibres musculeuses forment à droite et à gauche des anses plus ou
moins régulières, qui convergent de la base du cœur vers la pointe
en décrivant des courbes à concavité antérieure. Au niveau de
308 JACQUART.
l’infundibulum de l'artère pulmonaire, elles semblent s’écarter
pour laisser voir les fibres propres du ventricule droit qu’elles
recouvrent en partie; celui-ci semble s’énucléer au milieu d’elles
en les soulevant.
$ V. - Préparation pour l'étude de la cavité du ventricule droit.
On divise ensuite l’artère pulmonaire, en passant entre ses deux
valvules sigmoïdes. On prolonge l’incision sur la paroi inférieure
du cœur, de manière à ouvrir le ventrieule droit, et l’on tient for-
tement écartées les deux lèvres de la division.
$ VI. — Étude de la cavité du cœur droit de la Chelonia Midas.
On voit alors une cavité revêtue d’une membrane lisse, mais À
la surface de laquelle sont sculptées des colonnes charnues sous
forme de pilastres, puis des aréoles où sinus qui les séparent.
Quelques-uns de ces derniers sont assez profonds et d’un orifice
assez large, pour qu’on doive en tenir compte dans l’appréciation
de la capacité du cœur droit.
$ VII. — Pilier charnu principal, libre par son bord supérieur, et qui se
continue avec la cloison interventriculaire dont il fait partie.
On remarque surtout un pilier charnu, dont le sommet aminei
se fixe entre l’origine de l'artère pulmonaire et celle des deux vais-
seaux artériels. Sa base très épaisse se confond avec les parois du
cœur. I a un bord libre qui laisse une fente entre lui et la paroi
supérieure du cœur contre laquelle il s'applique ; dans le reste de
son étendue, il se continue avec la cloison interventriculaire.
Sur la pièce que nous avons sous les veux, une onverture cir-
culaire considérable pouvant admettre l'extrémité du petit doigt,
mène dans un sinus du ventricule gauche, qui pourrait loger la
dernière phalange de l'indicateur, s’il n’était presque entièrement
rempli par la base renflée du pilier de la cloison interventricu-
laire.
SIRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 209
11 devient évident que le cœur droit a une paroi inférieure con-
cave du côté de la cavité ventriculaire et convexe à l'extérieur,
où elle se traduit par l’infundibulum de l'artère pulmonaire, et
une autre paroi plane supérieure qui forme véritablement la cloi-
son interventriculaire, et qui n’est pas soudée par son bord
supérieur aux parois du cœur ; ce qui rend possible la communi-
cation entre le cœur droit et le cœur gauche.
Un seul vaisseau part du ventricule droit : c’est l'artère pulmo-
naire garnie de deux valvules sigmoïdes à son embouchure.
$ VIII. — Étude de la cavité du cœur gauche de la Chelonia Midas.
Préparation à exécuter pour cette étude.
Pour étudier le cœur gauche, il faut couper le pilier charnu de
la cloison par une incision qui semble n'être que le prolongement
de celle qui a divisé la paroi inférieure du ventricule droit. On
ouvre ensuite l’orifice auriculo-ventriculaire gauche, et l’on pro-
longe l’incision en avant et en arrière de cet orifice sur l’oreillette
gauche et le ventricule gauche des anciens auteurs, en respec-
tant la valvule auriculo-ventriculaire gauche et en suivant les axes
des cavités. Puis on réunit les deux incisions ventriculaires par
une coupe transversale faite à 2 centimètres environ de la pointe
du cœur. Elle passe au-dessus du ventricule droit, et divise près
de sa base, comme nous l'avons vu, le pilier que nous avons
décrit, et toute la masse charnue qui sépare les deux sections
ventriculaires.
On renverse de la pointe vers la base du cœur le lambeau épais
quadrilatère qui en résulte ; on embrasse alors d’un coup d’œil
toute la cavité du ventricule gauche située, comme on voit, au-
dessus du ventricule droit et le débordant des deux côtés, parce
qu'elle est plus grande que celle de ce dernier.
$ IX. — Tente membraneuse quadrilatère formée par les deux valvules
auriculo-ventriculaires, réunies sur la ligne médiane.
Au milieu de la cavité du ventricule gauche, mais un peu plus
310 JACQUART.
à gauche, se voit uñe lente membraneuse quadrilatère ; deux de
ses bords sont adhérents : l’un inférieur se continue avec l’endo-
carde, qui recouvre le lambeau charnü que l’on a relevé; autre
supérieur se confond avec la séreuse qui revêt la paroi opposée du
ventricule. Deux autres bords de cette cloison sont libres, flottants,
convexes et festonnés : l’un droit appartient à la valvale auriculo-
ventriculaire correspondante qui, en se relevant, bouche l’orifice
aurieulo-ventriculaire droit ; et l’autre gauche forme le bord libre
de la valvule auriculo-ventriculaire gauche qui, en se portant en :
haut, ferme l’orifice auriculo-ventriculaire de ce côté ; tous deux
sont comme sertis par üun renflement qui paraît destiné à leur
donner plus de sülidité. Les deux valvules, en s’abaissant dans la
diastole des ventricules, ferment toute communication entre les
deux loges du ventricule gauche, en bouchant le trou ventricu-
laire des anciens auteurs, trou qui, pour nous, n’est que le passage
rétréci qui fait communiquer ces deux loges.
Mais pour bien comprendre ce point d'anatomie, il est néces-
saire de replacer le lambeau charnu quadrilatère, qu'on a relevé
du côté de la base du cœur, dans la position qu’il occupait avant
la section qu'on à faité pour le séparer du tissu cardiaque ainsi
que le pilier de la cloison inférventriculaire. On voit alors que la
Joge de la cavité du ventricule gauche, qui est à droite de la tente
meérnbraneuse que nous venons de décrire, est plus que double de
celle qui se trouve à gauche de ce même appareil valvulaire. C’est
cèlte dernière seulement qui formait pour les anciens auteurs toute
la cavité du ventricule gauche, et elle ne donne naissance à aucun
vaisseaü. |
Sur notre dessin, le lambeau museuleux masque une partie de
cette cavité qu'il recouvre, et la fait paraître plus petite ; nous
n'avons pu le tirer suffisamment pour la découvrir entièrement, de
peur de déchirer la valvüule par une trop forte traction. La logé
droite du ventricule gauche donne naissance à deux troncs arté-
riels, qui ont deux embouchures distinctes garnies chacune de
deux valvules semi-lunaires; mais ces deux vaisseaux s’accolent
hors du cœur, et soudent leurs parois dans une assez grande éten-
que, de manière à ne sémblér former qu'un seul tronc, pour s
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. ôl1
séparer ensuile à quelques centimètres de leur origine. Vues par
la cavité du ventricule, les valvules sigmoïdes qui garnissent les
orifices sont tellement plissées et déformées, qu'on serait tenté de
croire qu'il en existe plus de deux pour chacun des vaisseaux ;
inais un examen plus attentif, surtout si on les ouvre, n’en con-
state que deux pour chaque artère.
Outre les deux valvules auriculo-ventriculaire droite et gauche
qui se confondent sans trace de démarcation sur la ligne moyenne,
. de manière à former la tente membraneuse déjà décrite, il existe
un rudiment de repli valvulaire festonné, assez épais, qui garnit,
l'entrée de chaque orifice auriculo-ventriculaire, et qui semble
destiné à séparer par une occlusion plus complète l'oreillette du
ventricule correspondant quand les valvules se relèvent vers
celle-ci. |
$ X. — Le trou ventriculaire des anciens auteurs n'est quele passage rétréci
qui fait communiquer les deux loges du ventricule gauche.
Il n’y a pas réellement de trou ventriculaire, mais bien, comme
nous l’avons dit, un passage rétréci de plusieurs centimètres de
diamètre, quand les valvules sont relevées ; il est formé en avant
el sur les côtés par la voûte membraneuse déjà décrite, et en
arrière par une portion du tissu charnû du cœur empiétant sur la
cavité du ventricule gauche. Entre les oreillettes, la paroi inter-
auriculaire, constituée par une membrane très mince, transpa-
rente, mais complète, vient s'insérer sur la face antérieure du
septum, qui résulte de la réunion des deux valvules auriculo-
ventriculaires. Si nous insisions sur ce point avec {ant de détails,
c'est parce que nous croyons qu’il n’a pas moins d'importance
dans la structure du cœur des Chéloniens que de celui des Ophi-
diens.
Si l’on compare l'épaisseur des parois du cœur droit avec celle
du gauche, on voit que, dans certains points, elle n'atteint que le
quart, et dans d’autres le cinquième de l'épaisseur des parois de
ce dernier,
212 JACQUART,
$ XI. — Des cavités des oreillettes.
Les oreillettes du cœur de la Chelonia Midas, pour la disposition
générale et les moindres détails, sont entièrement semblables aux
oreillettes du cœur des Ophidiens, à part l’épaisseur des parois
qui est considérable, et en harmonie avec celle des veutricules
qu'elle égale presque. I faut cependant probablement tenir compte
ici de la rétraction des parois des oreillettes après la mort.
Sur un cœur rempli de sang, elles doivent être plus volumi-
“neuses, leurs cavités plus considérables et leurs parois singulière-
ment plus minces que sur la pièce que nous avons sous les yeux,
dont les cavités ont été vidées de sang, et ont subi un retrait
considérable par le séjour de l’organe dans de l’eau fortement
alcoolisée.
$ XII. — Oreillette gauche,
Dans la cavité, de l'oreillette gauche se voit l’origine de la veine,
la disposition réticulée due aux colonnes charnues dans un point
et son état lisse dans d’autres.
$S XIIT. — Oreillette droite.
On trouve dans l'oreillette droite cette valvule si remarquable
comparée à la valvule iléo-cæcale, figurée et décrite avec tant de
soin dans notre premier mémoire déjà cité.
$ XIV. — Il y a identité parfaite entre le cœur dela Chelonia Midas et celui
- des Ophidiens.
En résumé, on voit qu'il n'y à pas seulement ressemblance
entre le cœur de la Chelonia Midas et celui des Ophidiens, mais
bien identité parfaite ; en sorte que la description de ce cœur peut
s'appliquer rigoureusement à celui des Serpents. Celui que nous
avons sous les yeux en est un spécimen admirable, et vingt fois
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 913
plus gros que le cœur du plus gros Serpent que nous ayons pu
disséquer au Muséum, et qui appartenait à un Reptile qui avait
k mètres environ de longueur. Le cœur de cette Tortue a deux fois
le volume du poing d'un adulte; il s'ensuit que l’étude en sera
beaucoup plus facile, et remplacera avec avantage celle du cœur
des Serpents.
Mais pourquoi, dira-t-on, une si longue description du cœur
de la Chelonia Midas, puisqu'on la trouve dans Meckel et les prin-
cipaux auteurs d'anatomie comparée? Pourquoi refaire ce qui à
déjà été fait? C’est que leur description n’a pu être aussi complète
que la nôtre. Au point de vue général où ils s'étaient placés dans
leurs ouvrages, il ne leur a pas été permis de la compléter davan-
tage; ils ne l’ont pas voulu! L’élude du cœur de la Tortue franche
ne leur a pas semblé plus importante que celle du premier Reptile
venu |
$ XV.— Nous faisons du nouveau tout en recommençant ce que d’autres
ont déjà fait,
Il n’en est pas de même pour nous; si nous avons insisté sur cette
description, c’est parce que nous regardons le cœur de la Chelo-
nia Midas non-seulement comme type de tous les cœurs de Tor-
tue, mais encore comme la représentation exacte et prodigieuse-
ment grossie de celui des Ophidiens. Nous voulons de plus
appliquer aux Chéloniens les vues que nous avons exposées sur le
cœur des Serpents, et comparer leur cœur à celui des Mammi-
féres. Voilà pourquoi, non content de tous les détails que nous
avons donnés sur l'anatomie du cœur de la Tortue franche, nous
complétons notre description par des figures en couleur et de
grandeur naturelle exécutées par nous d’après nature.
Nous nous sommes éclairé dans ce mémoire par la loi d'unité
de plan ; comme nous l'avons déjà dit plus haut, nous avons cher-
ché à résumer, dans la description d'un fait isolé au premier
abord, l’histoire du cœur des Ophidiens et probablement de tous
les Chéloniens; et enfin nous avons établi une comparaison qui
nous parait fondée entre le cœur de ces deux classes de Reptiles
et celui des Mammifères.
314 JACQUART.
8 XVI. — Avantages qui doivent résulter de notre travail pour la démons-
tration, surtout dans les cours publics,
Le plus souvent, dans les cours publics, on ne peut disposer
pour les démonstrations que du cœur d'Ophidiens d’un très petit
volume; c'est ordinairement de celui de la Couleuvre à collier ;
on pourra donc remplacer ces organes à peine visibles, à cause
de leur petitesse, par un cœur volumineux naturel ou moulé de la
Chelonia Midas. Ce qui n’est qu’à l’état débauche chez les Ophi-
diens se présente iei dans des proportions relativement gigantes-
ques, et avec des détails faciles à embrasser du premier coup
d'œil, C’est pourquoi nous nous proposons de faire reproduire en
plâtre par le moulage ce viscère à l'extérieur et à l’intérieur, en
donnant ensuite, d’après nos dessins, aux objets moulés leurs
couleurs naturelles ou fictives; comme nous avons pu le faire,
grâce à la savante intervention de M. le professeur Serres, pour
un cœur assez volumineux de Sérpent Python que ses auditeurs
ont eu sous les yeux, ainsi que les moulages exécutés par M: Stahl
avec une admirable perfection.
Nous nous sommes assuré par la dissection que le cœur de la
Chelonia imbricata et de la Testudo mauritanica ont une confor-
mation qui les rapproche beaucoup de celui de la Tortue franche.
Seulement les détails anatomiques, bien qu'observés sur des indi-
vidus d’assez forte taille pour l'espèce à laquelle ils appartenaient,
ont été bien plus difficiles à saisir à cause de la petitesse de leurs
dimensions. Il faut bien convenir aussi que la loge qui donne naïs-
sance à l'artère pulmonaire est à peine reconnaissable tant elle
est rélrécie ; que le pilier ‘ou colonne charnue dela eloison, n'est
qu'ébauché, et que le passage, ou trou ventriculaire, est si large,
qu'il semblerait n’exister qu'un seul ventricule, dans lequel s’ou-
vriraient les oreillettes et les artères ; mais l'étude du cœur de la
Tortue franche où tous ces points de l'anatomie sont de la plus
grande netteté, nous permet de relrouver avec un peu d'attention,
plus ou moins modifiées dans les autres Tortues, toutes les parties
que nous avons décrites dans celle-ci,
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 215
Mais nous voulons revenir sur un point de physiologie, dont
l'importance n’échappe à personne : il s’agit de l’hématose dans
les poumons des Reptiles.
Les poumons des Reptiles semblent constitués d’une manière
incomplète, pour transformer le sang veineux en sang artériel, par
l'action de l’air contenu dans leur cavité sur les vaisseaux de leur
tissu. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d'œil sur la
structure de cet organe dans les différentes classes de Reptiles.
$ XVII. — Structure du poumon chez les Ophidiens.
Chez les Ophidiens, il n'y a quelquefois qu’un poumon ; que ce
viscère soit simple ou double, c’est seulement la partie antérieure,
c’est-à-dire le tiers ou le quart de sa longueur qui est aréolaire,
et pourvu des ramifications de l'artère et de la veine pulmonaire,
c'est-à-dire en un mot qui est approprié à l’hématose. Dans le reste
de son étendue, ce n’est plus un véritable poumon, mais un sac
aérien sans vaisseaux sanguins visibles à l'œil pu, et formé par
une membrane lisse, transparente, et dont l'aspect est celui d’une
séreuse. Peut-être ce réservoir aérien, comme nous Pavons fait
pressentir dans un précédent mémoire, remplit-il chez la femelle
les fonctions d'organe incubateur pendant le développement des
œufs. Mais son organisation, au point de vue de la transformation
du sang veineux en sang artériel; semble beaucoup laisser à
désirer.
Chez les Chéloniens, les poumons n'ont que des rudiments de
cloisons celluleuses, et leur richesse vasculaire est très médiocre.
Chez les Sauriens et les Batraciens, ces poumons sont éncore
moins bien pourvus de vaisseaux.
$ XVIII. — Appareils d'hématose qui soulagent le poumon de sa tâche.
Chez tous les Reptiles, il semble que le sang, apporté par les
veines des différentes parties du corps, ait besoin de subir en
route, à la surface de la peau, certaine élaboration préparatoire,
avant d'arriver dans l'intérieur du poumon, de manière que la
lâche impossible à remplir par le poumon seul soit allégée par un
cerlain nombre d'appareils d’hématose qui lui viennent en aidé,
216 JACQUART.
$ XIX. — Respiration cutanée, même chez les reptiles écailleux.
C'est ainsi que l’on comprend que, même chez les Reptiles
écailleux, l’air agisse à travers la peau sur le sang veineux, et
qu’on est porté à admettre chez eux une respiration cutanée. En
effet, si l’on ne peut guère supposer que la substance cornée, qui
forme la partie moyenne des écailles à peu près impénétrable,
puisse se laisser imprégner par les gaz au milieu desquels elles
sont plongées , en revanche, il n’en est pas ainsi pour une partie
de leur face profonde et des intervalles qui les séparent ; les tégu-
ments y paraissent plus minces.
$S XX. — Vascularité de la peau des Reptiles écailleux examinés après
leur mort survenue au moment de la mue.
C’est surtout sur les Serpents morts, au moment où ils allaient
changer de peau, que l’on trouve une telle vascularité partout,
même dans l'épaisseur de la base des écailles, qu'on n’est pas
éloigné d'admettre une certaine action de l’air, même à travers
l'épaisseur de l’enveloppe externe,
$ XXI. — Existence de veines de Jacobson.
Ainsi s'explique chez eux l’existence des veines de Jacobson,
qui pourraient bien, à cause de leurs racines dans le réseau cutané,
amener aux reins le sang veineux déjà en parlie modifié dans sa
composition par l’action de l’air à travers les téguments.
Sur des Pythons et des Boas de grande taille, morts au moment
où ils vont changer de peau, époque plus critique pour eux que la
mue pour les Oiseaux, la matrice des écailles, si l’on peut donner
ce nom à la peau qui les supporte, en les comparant aux ongles,
est rendue turgescente par la quantité de vaisseaux qu’elle ren-
ferme. Plusieurs fois, sur des Serpents morts dans ces circon-
stances, nous avons vu, à la suite d’une injection heureuse, des
veines transversales, remplies par la matière solide injectée, se
me
STRUCTLRE DU COEUR DE LA TORTUE. 317
diriger transversalement sur la face profonde de la peau à la
manière des azygos, entre les rangées d’écailles : nées du réseau
vasculaire de la peau, elles ne tardaient pas acquérir le calibre
d’une plume de Corbeau. Ces veines aboutissent à trois vaisseaux
longitudinaux rampant à la face profonde de la paroi abdominale :
un médian plus considérable, et les deux autres beaucoup moindres
et latéraux. Ces trois vaisseaux sont fréquemment anastomosés
entre eux, et forment une partie très importante des racines des
veines de Jacobson.
$ XXII. — Existence chez les Serpents, au niveau du foie, de nombreuses
veines portes supplémentaires, nées du réseau cutané, disposées sous forme
de veines azygos transversales, etallant se ramifier directement dans le foie.
Au niveau du foie, il existe chez les Ophidiens de nombreuses
veines portes supplémentaires qui naissent, comme les précé-
dentes, de la peau de la région correspondante du corps, et qui,
dirigées transversalement, viennent se distribuer directement dans
le foie, où elles se ramifent, sans s’anastomoser avec la veine cave
inférieure. Nous avons cru d’abord, à tort, en les étudiant sur des
Serpents plus petits, qu’elles se rendent dans la veine cave infé-
rieure, située dans une gouttière de la face inférieure du foie. Ces
vaisseaux nés de Ja peau nous semblent, comme les précédents,
jouer un rôle relatif à l’hématose.
$ XXIIT, — Conséquences qui résultent de la force d'impulsion plus grande
du ventricule gauche.
Mais, comme nous l'avons dit, le ventricule gauche des Ophi-
diens est beaucoup plus grand que le droit; il a des parois quatre
ou cinq fois plus épaisses que lui : il s'ensuit que le sang artériel
est lancé avec une plus grande force d’irnpulsion que le sang vei-
peux, qu'il doit refouler ce sang, et se mêler à lui en quantité
notable dans le ventricule droit à travers la fente interventricu-
laire; de là, il est envoyé au poumon par l'artère pulmonaire.
La nature semble donc avoir eu pour but d’artérialiser en partie
318 JACQUART.
à l'avance le sang veineux, afin de venir en aide au poumon, et
de le préparer en quelque sorte à l'hématose pulmonaire.
Alors on peut comprendre pourquoi la cloison interventricu-
laire est incomplète, et pourquoi le ventricule droit et le gauche
communiquent entre eux par une large fente. Cette modification
dans la loi d'unité de plan, au lieu de nous paraître un oubli, une
imperfection, est rapportée avec raison, à une haute prévoyance,
à un dessein arrêté d'avance par la sagesse du Créateur!
$S XXIV. — Cœur humain avec persistance du trou de Botal et communication
des deux ventricules à travers de la cloison interventriculaire.
Au moment où nous lerminions ce mémoire, nous avons eu la
bonne fortune de voir un cœur d’adulte conformé presque entière-
ment comme celui que nous venons de décrire, et chez lequel il y
avait, en outre, persistance du trou de Rotal. Ce cœur fut présenté
à la Société de biologie, dans la séance du 44 septembre 1864,
par M. le docteur Gübler, médecin de l'hôpital Beaujon et pro-
fesseur agrégé à la Faculté de médecine. Nous renvoyons pour les
détails de cette observation au volume des Comptes rendus de la
Sociélé de biologie et à la Gazelle médicale, où l’on trouvera
le mémoire original. Nous nous contenterons d'en donner ici
une courte analyse, afin de pouvoir ensuite faire ressortir les
points d’analogie qui existent entre ce cœur humain anormal,
et celui de la Tortue franche et des Ophidiens régulièrement
conformés.
Le malade mort de phthisie pulmonaire, dans le service M. le
docteur Gübler à l'hôpital Beaujon, le 1° septembre de cette année,
avait présenté tous les symptômes d’une affection tuberculeuse
très prononcée, et des phénomènes de cyanose très caractérisée.
L'autopsie montre les deux poumons creusés de nombreuses
cavernes, surtout vers le sommet. On ne trouve à l’orifice aortique
aucune lésion qui puisse expliquer le bruit de souffle au premier
temps reconnu pendant la vie. Les trois valvules sigmoïdes sont
saines, et le bouchent complétement en se fermant. Mais on ren-
contre une anomalie des plus curieuses : la partie de la cloison
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 319
interventriculaire, qui vient ordiuaireiment s'interposer entre
l'aorte et l'artère pulmonaire, manque, et laisse entre les deux
ventricules une ouverlure de communication qui peut admettre
deux doigts. Le bord libre qui la circonserit s’insère par ses deux
extrémités dans deux interstices des valvules sigmoïdes aortiques,
de manière à laisser du côté du ventricule droit une de ces val-
vules, et deux autres du côté du ventricule gauche ; en sorte qu'un
tiers de la lumière de l’artère s'ouvre dans le ventricule droit et
deux tiers dans le gauche. Nous regrettons de ne point compléter
notre descriplion en citant les propres parolesde M. le professeur
Gübler, mais nous ne pouvons le faire pour deux motifs : d’abord
parce que son observation n’a pas encore été publiée; ensuite
c’est que le fait dont il s’agit a besoin d’êtré envisagé, et présenté
par chacun de nous à un point de vue tout à fait différent. Nous
renverrons donc aux recueils cités ceux de nos lecteurs qui vou-
draient consulter l'observation originale, et nous achèverons
d’esquisser rapidement les points qui nous paraissent intéressants
sous le rapport de l'application de l'anatomie comparée du cœur
aux anamolies de son développement. Il y a persistance du trou
de Botal, dont le diamètre a 5 ou 6 millimètres. L'infundibulum de
l'artère pulmonaire, ou partie du ventricule droit renflée ordinai-
rement en forme de cor de chasse qui lui donne naissance, est
tellement atrophiée, qu'elle ne pourrait pas contenir la phalange
unguéale du petit doigt; en outre, elle se termine du côté de la
cavité ventriculaire par un cul-de-sac qui ne communique avec
celle-ci que par trois ou quatre ouvertures comprises entre les
petites colonnes charnues semblables à celles qui sont sculptées en
si grand nombre à la surface du cœur. L’artère pulmonaire est
très petite, ainsi que ses divisions. Son orifice, dit M. Gübler,
n’admet guère qu’un tuyau de plume d'Oie; et, au lieu de trois
valvules sigmoïdes, offre une disposition valvulaire, qui rappelle
celle de la valvule iléo-cæcale.
Une colonne charnue, en forme de cône allongé, tient par sa
base assez renflée à la paroi supérieure du ventricule droit, et fait
relief à la surface de la cloison interventriculaire avec laquelle elle
se confond, Son sommet s’insère entre l’orifice de l'artère aorte
320 JACQUART.
et de l’artère pulmonaire. La direction de ce pilier est à peu près
parallèle au sillon antérieur du cœur.
Nous sommes porté àle regarder comme l'analogie de la colonne
musculeuse qu'on trouve dans le ventricule droit des Ophidiens
et de la Tortue franche. En effet, il a les mêmes connexions que
cette dernière; sa base et son sommet naissent, et se terminent de
la même manière. Les orifices auriculo-ventriculaires droit et
gauche et les valvules tricuspide et mitrale sont saines et nor-
males.
M. Gübler regrette de n'avoir pu s'assurer par la dissection de
la persistance du canal artériel, l'aorte n'ayant pas été coupée
assez loin du cœur. Une dissection minutieuse et à la loupe ne
nous à pas permis d'en retrouver le point de départ à la division
de l'artère pulmonaire. M. Gübler explique ensuite comment le
bruit de souffle au premier temps, à la base du cœur, a pu se pro-
duire chez ce sujet par la dilatation du bulbe aortique, et la eir-
constance que l'aorte recevant à la fois le sang des deux ventri-
cules se trouvait être d’un calibre insuffisant.
Il semble étrange, au premier abord, que l'artère aorte naisse
à la fois du ventricule droit et du gauche. Mais qu'on veuille bien
se rappeler que l’orifice aortique de l'Homme est toujours placé
à droite de l'artère pulmonaire. Supprimez, par la pensée, Ia partie
de la cloison interventriculaire qui sépare normalement les deux
vaisseaux l’un de l’autre, l'aorte s'ouvrira à Ja fois dans les deux
veniricules.
On ne saurait méconnaitre ici l’analogie qui existe entre cette
ouverture située au-devant des orifices des deux artères, et celle
qui existe dans le même point chez les Ophidiens et la Tortue
franche. Faut-il donc modifier les idées que nous avons émises
pour l'interprétation des différentes parties du cœur des Ophidiens
comparé à celui des Mammifères? Devons-nous cesser de regar-
der, comme nous l'avons fait, le trou ventricukaire comme un
passage resserré du ventricule gauche unissant deux loges ? Faut-
il y voir un simple arrêt de développement de cette partie de la
cloison qui s’interpose chez les Mammifères entre les vaisseanx
aortique et pulmonaire ?
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 921
« Nous aurions alors regardé, à tort, l’entonnoir du ventricule
» droit, d’où part l'artère pulmonaire, comme constituant à lui
» seul tout le ventricule droit; il n’en serait qu’une portion ; il y
» aurait encore pour le compléter toute la partie oceupée par la
» valvule auriculo-ventrieulaire droile, en un mot tout ce qui reste
» après avoir retranché l’infundibulum de l'artère pulmonaire.
» Seulement, chez les Ophidiens et la Tortue franche, le cœur
» gauche se trouve reporté plus en arrière, et le droit est plus en
» avant; le chevauchement des deux ventricules l’un sur autre
» est plus grand, et les deux aortes sont déviées plus à droite. »
Pour qu’il soit possible d'établir une analogie complète entre le
cœur humain anormal dontil est question ici, et le cœur des Ophi-
diens et de la Tortue franche, une seule difficulté se présente :
c'est que, chez ces derniers, l'orifice auriculo-ventriculaire droit
est placé en dedans ou à gauche des orifices aortiques, tandis que
sur le cœur humain anormal présenté par- M. Gübler, il est situé
en dehors ou à droite de l'aorte. C’est là une difficulté capitale,
car, remarquez-le bien, c’est en vain qu'après avoir indiqué les
raisons de ce déplacement que nous avons données plus haut, on
ajoutera que les valvules aurieulo-ventriculaires des Ophidiens ne
sont guère développées que dans la moitié interne de cet appareil
membraneux, on dans cette partie valvulaire qui correspond et
qui tient à la cloison interauriculaire; que l'autre partie plus externe
est atrophiée et seulement à l'état rudimentaire, ce qui a dû repor-
ter l’orifice auriculo-ventriculaire droit plus en dedans.
Il y a dans ces explications quelque chose de spécieux, mais qui
ne salisfait pas entièrement. La difficulté reste donc tout entière ;
VPanalogie fait défaut en ce point, Ainsi nous sommes ramené à
notre ancienne théorie, quoique un peu ébranlé dans nos convic-
tions par l'examen de ce cœur anormal d’Homme adulte. II faut
espérer qu’une étude plus approfondie du cœur dans la série ani-
male, et des anomalies de son développement chez l'Homme et les
Vertébrés, viendra éclairer les points restés obscurs dans notre
interprétation.
4° série, Zooz, T. XVI. (Cahier n° 6.) 1 21
329 JACQUART.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE 7.
Fig. 4. Cette figure, réduite au tiers de la grandeur naturelle, représente
l'intérieur de la cavité du ventricule droit de la Tortue franche, ou Chelonia
Midas. |
On y voit cependant aussi une portion de la surface externe de ce ventricule,
du ventricule gauche et des deux oreillettes. Le tronc de l'artère pulmonaire a été
divisé par une incision, qu’on a fait tomber entre ses deux valvules sigmoïdes, de
manière à les laisser toutes deux intactes, el qu'on a prolongée sur la paroi infé-
_rieure du ventricule droit, à partir de l'origine de l'artère pulmonaire jusque vers
la pointe du cœur. On a ouvert aussi la branche droite et la branche gauche de
sa bifurcation. L’aorte droite a été également fendue à sa naissance, suivant sa
longueur, en respectant ses deux valvules sigmoïdes.
Les deux lèvres de la division du ventricule droit sont maintenues fortement
écartées, afin de bien montrer tous les détails de sa cavité.
a a & a, oreillette droite, vue à l'extérieur. Elle est fortement plissée el revenue
sur elle-même, parce qu'elle a été débarrassée du sang qu'elle contenait, et
parce que l'eau alcoolisée dans laquelle la pièce était plongée a racorni le tissu du
cœur : dans cel état elle a des parois très épaisses ainsi ‘que l'oreillette gauche.
bb bb, oreillette gauche. vue à l'extérieur. La surface externe de ces deux oreil-
lettes offre des plis ou sillons arrondis qui lui donnent quelque ressemblance
avec celle des circonvolulions cérébrales; mais à l’état frais, comme nous
l'avons dit dans le corps de ce mémoire. ces deux cavités devaient être plus
grandes, leurs parois plus minces, et plus lisses à l’extérieur.
ceccc, extérieur du ventricule gauche dont les fibres musculeuses ont été mises
à nu par la dissection.
dd, extérieur du ventricule droit.
ee, lèvre droite de la division de la paroi inférieure du ventricule droit.
[f, lèvre gauche du même, On voit que cette paroi est assez mince.
gg, cloison interventriculaire divisée par la coupe ii, comme nous le «verrons
plus loin.
hh, pilier charnu très fort, en forme de cône très allongé, dont la base }/ s’en-
fonce à travers une ouverture arrondie dans le ventricule gauche, avec les
parois duquel elle se continue, et dont le sommet kaminci va se fixer entre
les embouchures de l’artère pulmonaire, et de l'aorte droite à un cartilage en
forme de poire découvert par Bojanus (1).
Selon Ernst Brücke (2), il existe dans ce cartilage un noyau osseux chez les
(1) Voy. Bojanus, Anatome Testitudinis Europææ, Vilnæ, 4849 p. 66.
(2) Voy. Ernst Brücke, membre de l’Académie impériale de Vienne, Mémoire sur le mécanisme de la
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 325
individus âgés. Nous r’avons vérifié ni l'existence du cartilage ni celle du noyau
osseux, sur la Tortue qui fait le sujet de ce mémoire, parce que nous avons dû
conserver la pièce dans son intégrité. Ce pilier charnu Ah’ se continue avec la
cloison interventriculaire dont ii fait partie et dont il constitue le bord supérieur,
légèrement concave et arrondi, Au lieu de s'être soudé aux parois du cœur, il est
resté libre, et laisse entreelles et lui une large fente, qui établit une commu-
nication entre le ventricule droit ou pulmonaire situé au-dessous, et le ventricule
gauche situé au-dessus, lequel est composé de deux loges inégales.
Le mémoire d'Ernst Brücke est fort intéressant au point de vue physiolo-
gique, mais dans l'interprétation anatomique des différentes parties du cœur de
la Tortue et de celui du Serpent, il est resté fidèle aux errements des anciens
auteurs. Il n'a pas adopté les vues par lesquelles nous avons cherché à le rame-
ner à celui des Mammifères, en poursuivant tous les termes d'une comparaison
rigoureuse entre ce dernier et celui des Ophidiens. Il s’est efforcé, ainsi que Schleem,
d'expliquer comment dans la systole ventriculaire, le‘sang rouge de l'oreillette
gauche arrive presque tout entier aux aortes : 1° par l'occlusion de la fente inter-
ventriculaire produite par l'application des parois du ventricule sur le pilier
museuleux renflé, à cause du roidissement de ses fibres; 2° par le jeu d'une
bande charnue située à la base de l'artère pulmonaire; bande qui, en se contrac-
tant, fermerait l'entrée de celle-ci, et produirait en ce moment entre elle et la
cloison une espèce de rigole ou gouttière qui conduirait le sang rouge aux artères
aortes.
Selon lui, cette bande musculeuse est l'analogue du bulbe artériel pulsatile chez
les Amphibies nus. S'il admet que le sang rouge se rend entièrement aux aortes,
il est cependant forcé, par les résultats de ses expériences, de reconnaître que
les artères reçoivent aussi du sang veineux; parce que, d’après les recherches
qu'il a faites à ce sujet, le sang rouge fourni par l'oreillette gauche ne suffirait
pæs-à-a circulation générale.
Si nous n'admeltons pas la séparation complète du cœur droit et du cœur
gauche par le mécanisme indiqué par les auteurs, nous reconnaissons que ce
mécanisme a pour effet de diminuer beaucoup le mélange des deux sangs ; nous
rappelons en même temps que la force d'impulsion due à l'épaisseur du ventri-
eule gauche produit le refoulement du sang veineux par le sang rouge.
iii, trace de la coupe profonde qui divise, suivant sa longueur, toute l'épais-
seur de la paroi inférieure de la loge gauche du ventricule gauche, et qui
constitue tout le ventricule gauche des auteurs, qui divise aussi le pilier AW
et arrive jusqu'à la cavité que nous regardons comme la loge droite du ven-
tricule gauche, en tranchant tout le tissu charnu situé au-dessous de lui, De
celte manière, en replaçant le lambeau, on peut à volonté rétablir le ventri-
cule droit, comme il était avant la section.
circulation chez les À mphibies, à propos de l'Hemys Europæe, dans les Contributions à l'anatomie et à la
physiologie comparées du système vasculaire (Denkschriften der Kaïserlichen Academie der Wissen-
schaften. Mathematisch-naturwissenchaftliche Classe, Dritter Band Wien, 18592).
324 JACQUART.
A, artère pulmonaire. divisée suivant sa longueur et dilatée en forme de sinus, à
quelque distance de son origine.
ss, ses deux valvules sigmoïdes à moitié relevées et offrant dans plusieurs points
des noyaux plus épais.
1j, les deux moitiés de la branche droite de bifurcation de l'artère pulmonaire.
k, branche gauche de la même.
La membrane qui garnit toute la surface interne de l'artère pulmonaire, a ur
aspect aréolaire dû au grand nombre de follicules qu'on y trouve.
IL, aorte droite, ouverte dès sa naissance suivant sa longueur et dont la muqueuse
présente de nombreux plis ou aréoles.
m, l'autre aorte cachée à son origine par la première et dérangée de ses rapports
pour la montrer.
n n, les deux valvules sigmoïdes de la première. Entre ces deux valvules on aper-
çoit une très petite partie d'une des valvules sigmoïdes de la seconde artère
aorte.
F, grande fente située entre la cloison interventriculaire renflée. en forme de
pilier, et la paroi du cœur, et qui permettrait une large communication entre
le ventricule droit et le gauche; si, comme nous l'avons vu plus haut, au
moment de la systole ventriculaire, le bord libre de la cloison ne grossissait
par le fait de sa contration, et si la paroi ventriculaire venant s'appliquer sur
lui, cette fente suivant Schleem et d'autres auteurs, ne se fermait pas, et sui-
vant nous, n'était seulement beaucoup diminuée.
VV, cavité du ventricule droit. A la surface de celle-ci sont sculptés de nom-
breux piliers ou colonnes charnues, dont la longueur et la saillie varient beau-
coup. Dans leurs intervalles sont des ouvertures arrondies qui diffèrent entre
elles par leurs diamètres qui atteignent depuis quelques millimètres jusqu’à
un centimètre et plus, et mènent dans des cavités ou sinus proportionnés. Le
plus considérable est celui du fond duquel sort la base du pilier de la cloison
et qui semblerait être une arrière-cavité du ventricule. Ces sinus, bien plus
nombreux et plus prononcés chez les Tortues d'une autre espèce, commu-
niquent avec là cavité des ventricules et s'étendent, comme Frnst Brücke en a
faitla remarque (ouv. cit.), dans l'épaisseur des parois du cœur jusqu’à leur
surface externe, et augmentent singulièrement la capacité de ces cavités ven-
triculaires dont elles font réellement partie.
Fig. z. Celte figure représente, réduite au tiers de la grandeur naturelle, la
cavité du ventricule gauche. Ainsi que nous l'avons dit, on a divisé la paroi infé-
rieure du ventricule droit et celle du ventricule gauche des anciens auteurs, sui-
vant les axes de ces cavités et de la base du cœur vers la pointe ; puis on a réuni,
par une section transversale faite à 2 centimètres environ de la pointe du cœur,
les deux divisions ventriculaires de manière à trancher le pilier du ventricule droit
à sa base et toute la masse musculaire qui sépare les deux coupes ventriculaires.
Le lambeau charnu très épais qui en résulte, est tiré en haut et maintenu
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE, 229
relevé. On peut ainsi embrasser d'un coup d'œil la cavité du ventricule gauche,
presque lout entière. Elle est seulement masquée en partie à gauche par le lam-
beau déjà indiqué qui la recouvre.
aaa, oreillette droite, vue à l'extérieur.
bbb, surface externe de l'oreillette gauche.
ccc, extérieur du ventricule gauche.
dd, extérieur du ventricule droit.
ce, lèvre droite assez mince de la coupe de la paroi inférieure du ventricule droit.
iiii, section quadrilatère du tissu cardiaque qui était continue avec le lambeau
et qui montre l'épaisseur du ventricule gauche dans ce point.
i', surface de section de la base du pilier charnu du ventricule droit.
ji, ce pilier relevé et tenant au lambeau.
k, section qui a séparé ce pilier à sa base.
l, petite partie de la lèvre gauche de la division du ventricule droit.
mmm, surface de section du lambeau.
nn, plis des valvules sigmoïdes aortiques et de la partie voisine de l’endocarde.
Il semblerait à la première vue qu'il y en a plus de deux pour chaque orifice ;
mais l'ouverture des deux vaisseaux nous a permis de constater que ce n'est
qu'une apparence due à l’ampleur de ces valvules contournées et déformées par
le séjour dans l’eau alcoolisée, et qu'il n’y a en réalité qu’une paire pour chaque
orifice.
00 0, section du tissu musculaire du ventricule gauche.
0!0!0!, surface de section appartenant au lambeau et qui correspond à la précé-
dente.
pp, la cavité du ventricule gauche des anciens auteurs ; et, suivant nous, portion
gauche de la cavité du ventricule gauche sur laquelle le lambeau empiète et
dont il cache au moins le tiers.
p''p', une partie de la cavité du ventricule droit des auteurs, et, selon nous la
portion droite du ventricule gauche. On y remarque les orifices aortiques
déjà indiqués précédemment, et les plicatures de leurs valvules sigmoïdes.
Y, tente membraneuse quadrilatère, dont chaque moitié, la droite et la gauche,
constitue la valvule auriculo-ventriculaire correspondante. Elle a deux bords
adhérents continus avec l'endocarde ventriculaire, l’un est supérieur, l’autre
inférieur ; et deux bords libres, l’un droit et l’autre gauche, dont la dispo-
sition rappelle celle du voile du palais. Chacun de ces bords, festonné, plus ou
moins renflé surtout dans certains points, forme une espèce d’ourlet quisemble
servir aux mêmes usages qu'une tringle à un rideau, c’est-à-dire à faciliter le
jeu des valvules lorsqu'elles se relèvent vers les oreillettes ou s'abaissent vers
le ventricule, et à rendre plus exacte l'occlusion des orifices qu’elles doivent
fermer. Lorsque les deux moitiés de cet appareil valvulaire V s’abaissent
vers le ventricule , elles forment de chaque côté une espèce de soupape arron-
die et libre du côté de la cavité du ventricule, adhérente vers l'oreillette, Elles
326 JACQUART.
s'appliquent ainsi l’une contre l'autre, en bouchant le trou ventriculaire des
auleurs, ou, suivant nous, le rétrécissement qui existe entre les deux loges du
ventricule gauche. Des deux faces de l'appareil membraneüx V, lorsqu'il est à
moitié relevé vers les oreillettes, l'une est antérieure, convexe et tournée vers
celles-ci; elle se continue avec la cloison interauriculaire qui s'insèré perpen-
diculairement sur elle. L'autre face est postérieure et concave; à. la manière
d'une voûte, et regarde les ventricules. Elle circonscrit les trois quarts anté-
rieurs de la circonférence du trou ventriculaire : c'est celle que nous voyons
dans la figure 2 : lereste de cette circonférence est circonscrit en arrière par le
tissu charnu du cœur revêtu de l’endocarde, L'appareit valvulaire V est sen-
siblement reporté vers la gauche, en sorte que la partie du ventricule droit des
anciens auteurs, qui, pour nous, est la loge droite du ventricule gauche, est
bien plus grande que la loge gauche de ce même ventricule regardée par eux
comme constituant à elle seule le ventricule gauche. On ne peut se faire une
bonne idée de ce point d'anatomie qu'en replaçant le lambeau comme il élait
avant d'être détaché et en regardant le troû ventriculaire alternativement du
côté du ventricule gauche et du droit. Sur le cœur décrit ici, on peut facile-
ment introduire la première phalange du doigt indicateur à travérs ce trou.
C'est là un détail de l'anatomie du cœur des Serpenñls, difficile à saisir chez
eux à cause de l'exiguité desés dimensions, et qui se trouve singulièrement élu-
cidé par l'étude de la pièce représentée ici, à cause de ses proportions vingt
fois plus grandes. La disposition de toutes les parties est la même chez la
Tortue franche et chez les Ophidiens.
q, bord libre de la valvule auriculo-ventriculaire gauche. La valvule äüriculo-
ventriculaire gauche qui n'est autre chose que la moitié gauche de V, répré-
sente la partie interne de la valvüle mitrale des Mammifères ; c'est la seule
partie de cette valvule qui soit développée chez la Tortue franche et chez les
Ophidiens, le reste de cette valvule n’est qu'à l’état rundiméntaire.
ss, les deux extrémités du bord libre de la valvule auriculo-ventriculairé gaaché.
s’, rudiment du reste de la valvulé mitralé, sous forme de rénflement où féplis
membraneux ; cependant les vestiges en sont bien plus appréciables qué ceux
dé la partie Correspondante de la valvule tricuspide où ils sont bien thvins
faciles à reconnaître.
g', bord libre de la valvule auriculo-ventriculaire droite.
rr, les deux extrémités du bord libre de la valvale tricuspide qui est uniquement
constituée par la moitié droite de l'appareil valvulaire V, ou valvule auriculo-
ventriculaire droite. Le reste de la valvule tricuspide qui est à un état plus
rudimentaire encore que la partie correspondante s' de la valvule mitrale ne se
voit pas ici, et se Lrouve caché par la valvule auriculo-ventriculaire droite.
OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES.
Par M. Aus.-0. WRZÉESNIOW SKI.
Arrivé à Varsovie au commencement de l'été dernier, je me
suis occupé de l'étude des Infusoires que l'on y trouve en abon-
dance. Les circonstances ne me permirent pas de me livrer exclu-
sivement à ce travail ; cependant j'ai été assez heureux de trouver
deux espèces, qu'il m'est permis de regarder comme nouvelles et
de constater quelques détails de l’organisation des Infusoires, qui
ne manqueront peut-être pas de quelque intérêt.
Parmi les formes qui peuplaient un étang bien sale, j'ai trouvé
une espèce qui appartient incontestablement au genre Leucophrys,
tel que l'ont caractérisé MM. Claparède et Lachmann. Elle pré-
sente la partie antérieure du corps tronquée par une surface con-
vexe (front), qui, à son pourtour, porte des cirrhes buccaux plus
forts que les cils qui couvrent tout le corps, el disposés en spire
læotrope. L'anus est situé à l'extrémité postérieure du corps, en
arrière de la vésicule contractile (1). Mais les caractères spéci-
fiques de cette espèce s’éloignent trop de ceux des Leucophrys
patula pour qu'on puisse joindre les deux espèces ensemble.
De tous les ouvrages qui traitent l’objet qui m'occupe, je ne
possède qu’un seul, savoir le bel ouvrage de MM. Claparède et
Lachmann, couronné par l’Académie des sciences de Paris, et si
je me permets de considérer l'espèce trouvée à Varsovie comme
nouvelle, c’est parce que ces auteurs citent tous les Infasoires
rapportés jusqu’à présent au genre Leucophrys, et démontrent en
(4) Voy. Claparède et Lachmann, Études sur les infusoires el les rhizopodes,
Genève, 1858-1861, vol, [, p. 215 et 228, pl, XIE, fig. 4.
328 WRZESNIO WSKEL.
même temps qu'ils doivent tous être rapportés ailleurs, à lex-
ception du Leucophrys patula, seul représentant da genre (1). Si
je ne me trompe pas et si l'espèce est vraiment nouvelle, c’est avec
un vif plaisir que je prendrai la liberté de lui donner le nom de
Leucophrys Claparedii, comme hommage au célèbre auteur qui
a tant contribué à perfectionner nos connaissances sur les Infu-
soires.
Notre Leucophre est un peu comprimé, plus large en arrière
qu'en avant ; les individus adultes sont à peu près deux fois plus
longs que larges (pl. 8, fig. 1, 2,3). Son corps est en général plus
où moins arqué, de manière que le bord droit, toujours plus long,
est convexe, tandis que le bord gauche est concave (fig. 2, 3).
Les individus jeunes sont comparativement plus larges.
Le front est triangulaire; son bord gauche présente un are,
tandis que le bord droit me parait être en ligne droite, ce que,
cependant, je n’oserais pas affirmer. Le bord antérieur est incliné
de droite à gauche par rapport à l'axe du corps. Le plan du front
est moins incliné par rapport à cet axe que chez le Leucophrys
patula, à en juger d’après la figure qu’en donne M. Claparède (2),
car animal même m'est resté jusqu’à présent inconnu.
A droite et à gauche du front, on voit deux élévations qui se
confondent en arrière; elles forment avec le plan du front une
fosse triangulaire ouverte en avant, et la bouche occupe son angle
postérieur. L’élévation gauche est semi-lunaire, et considérable-
ment plus grande que celle du côté droit; celle-ci rencontre le
plan du front sous un angle aigu, tandis que celle-là forme avec
ce plan un angle obtus.
La spire des cirrhes buccaux est disposée comme chez le Leu-
cophrys patula ; elle commence à droite de la bouche, fait un tour
complet autour du front, et descend dans l’entonnoir buccal; sur
les bords latéraux du front, les cirrhes sont implantés à la base
des élévalions.
La bouche est située à l'angle postérieur du front, comme je lai
1) Loc. cit., p. 230 et234.
(2) Loc. cit, p. XII, fig.
= =
OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES. 329
déjà mentionné; elle se continue en un long æsophage tubuleux,
eilié sur toute sa surface.
La vésicule contractile est située à l’extrémité postérieure du
corps, tout près de l'anus. Les vaisseaux longitudinaux n’apparais-
sent qu'après la systole de la vésicule ; ils se rejoignent en arriére,
et forment ensemble un arc (fig. 1). Tantôt ils s'étendent presque
sous le front, tantôt ils n’atteignent que la moitié de la, longueur du
corps. Quand la diastole de la vésicule recommence, les vaisseaux
s'élargissent et deviennent plus courts (fig. 2), puis peu à peu ils
prennent la forme d’un croissant avec une convexité au milieu
(fig. 3), et enfin le croissant s’arrondit complétement (fig. 4),
c’est-à-dire la diastole atteint son maximum. Plus d’une fois j'ai
observé des animaux chez lesquels on ne remarquait pas de vais-
seaux inême après que la vésicule avait disparu complétement.
L’anus est situé à l'extrémité postérieure du corps, en arrière
de la vésicule contractile (fig. 1-4, a); quelquelois sa place est
indiquée par une légère dépression (fig. 2).
Le nucléus est long et cylindrique ; sa position et la manière
dont il est contourné varient d’un individu à l’autre (fig. 2 et 3), et
parfois dans un seul et même. L'Infusoire qui nous occupe est
rarement assez transparent pour qu'on puisse découvrir son
nucléus sans réactifs. Une fois je ne pouvais pas apercevoir cet
organe même après l'addition de l’acide acétique. Le diamètre du
nucléus est de 0"",01.
Le parenchyme du corps n’est pas bien transparent. Les grains
verts que présentent presque tous les individus me paraissent
appartenir plutôt au chyme de la cavité digestive (Claparède et
Lachmann) qu'au parenchyme du corps, parce que ces grains
ressemblent tout à fait à ceux que je voyais entrer par l’œsophage
dans la cavité digestive, et puis les vacuoles qui ne renferment que
de l’eau sont toujours incolores. J'ai rencontré seulement un indi-
vidu rempli en grande partie par des grains verts qui gisaient, à
ee qu'il m'a paru, dans le parenchyme; ils étaient plus petits qu'à
l'ordinaire et tout à fait ronds, tandis qu'ailleurs ils étaient plus ou
moins allongés.
La cuticule présente chez le Leucophrys Claparedu, comme
380 WRZESNIOWSKE .
chez lant d’autres Intusoires ciliés sur toute la surface du corps.
des rangées longitudinales de petites élévations.
Les mouvements du Leucophrys Claparedii sont agiles, et je ne
l'ai pas vu se reposer. Souvent il nage à reculons, et alors lé corps
se raccourcil, sa partie postérieure s'élargit, et les élévations du
front s'approchent l’une contre l'autre ; les cirrhes buceaux battent
en sens inverse à l'ordinaire (fig. 4). S'il rencontre quelque
grand objet, 1: le te avec son front, comme S'il rechérehait la
nourriture. En général, c'est un animal extrêmement vorace, qui
avale volontiers des objets énormes comparativement au diamètre
de la bouche et de l'œsopliage; par exemple : des Vorticelles, dés
Paramecia Colpoda, des Arcelles, ete. Ces objets dilatent les
organes mentionnés (fig. 4), qui se rétrécissent peu à peu jusqu'à
ce Qu'ils aient repris leurs dimensions normales (fig. 2, 3). Le
Paramecium Colpoda ne se laisse pas avaler facilement ; au con-
traire, il travaille de toutes ses forces pour s'évader ; le Leuco-
phrys de son côté tâche dé reténir sa proie par ses cirrhes bué-
caux qu'il agite avec vivacité, mais loutes ces manœtvres he sont
pas loujours couronnées de succès. Plus d'une fois, j'ai vu le
Paramecium s'évader de l'œsophage avec la rapidité de l'éclair.
Un Leucophrys, après savoir avalé sous mes yeux deux Parame-
Cium Colpoda, travaillait péniblement pour retenir un troisième.
La nourriture expulsée de l'æsophage dans le chyme laisse
derrière elle un sillon plus ou moins elair. La cavité digestive
contient ordinairement des grains verts et noirs qui privent le
corps de toute transparence. Chez ün individu (fig. 4), la cavité
du corps renfermait une grande vaeuole avec un corps globuleux
(peut-être une Vorticelle) ; chez un autre, un Paramecium Col:
poda tournait vivement autour de son axe dans une vacuole
oblongue. Les bols ilimentaires sont rares à voir ; la cavité diges-
live remplit tout le corps.
Jai rencontré un individa qui se divisait spontanément ; mais
comme l'animal me tournait constamment le dos, il m'était impos-
sible d’apércevoir les cirrhes buccaux.
Le Leucophrys Claparedii atteint une longueur de 0"",45 à
Os 234.
OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES. 331
Si nous comparons cette deseription avec celle du Leucophrys
patula (4), nous voyons les différences suivantes qui autorisent
l'établissement d’une espèce spéciale, savoir :
Le Leucophrys Claparedii est plus allongé que le Leucophrys
patula.
Sur le bord droit et gauche de son front, nous voyons ües élé-
vations qui manquent à l’autre espèce.
Les eirrhes buccaux sont beaucoup plus longs.
Son nucléus est en forme d'une longue bande contournée, tan-
dis que le nucléus du Leucophrys patula est petit et discoïdale.
Enfin le Leucophrys patula n'alteint, en moyenne, qu’une lon-
gueur de 0"",13.
Le Leucophrys Claparedu fouririllait à à Varsovie (2), ati mois
de juin, dans un étang d’eau stagnante, bien sale, couvert de
Lemna et renipli de conferves en abondance ; mais après un laps
de temps de huit à neuf semaines, je ne pouvais plus retrouver que
quelques exemplaires isolés.
Dans l'aquarium, il se tenait surtout au fond, parmi la Lemna et
les conferves à demi pulréfiées, en nombreuse compagnie d’autres
Infusoires, tels que orticella (sp. indef.), ÆEuplotes Charon
(Ehr.) et patella (Ehr.), Oxytricha pellionella (Ehr.), Urostyla
grandis (Ehr. et Steiw.), Uroleptus piscis (Ehr. et Steiw.), Oxy-
trèca caudata (Clap. et Lach.), Stylonychia mytilus (Ebr.) et pus-
tulata (Ehr.), Spirostomum ambiguum (Ebr.) et teres (Clap. et
Lach.), Paramecium Colpoda (Ehr.), aurelia (Ehr.) et bursaria
(Tocke), Pleuronema chrysalis {Perty), Cyclidium glaucoma
(Ehr.), Glaucoma margaritaceum (Clap. et Lach.), Enchelys
farcimen (Ehr.), Loæophyllum fasciola (Clap. et Lach.), Enche-
lyodon farctus (Clap. et Lach.), Prorodon griseus (Clap. et Lach.),
Nassula (peut-être pubens, Clap. et Lach.), Trachelophyllum
apiculatum (Clap. et Lach.) et pusillus (Clap. et Lach.).
Dans les derniers jours du mois de juin, j'ai retrouvé le Leuco-
phrys Claparedii à Czersk (lisez Zschersk), ville sitaée à quelques
(1) Loc. cit., vol. 1, p. 229.
(2) 52° 13/ 5 de latitude et 48° %1” 55/°,5 de longitude orientale par rap-
port au méridien de Paris.
292 WRZESNIO WSKE,
lieues de Varsovie ; mais parmi les conferves et le Myriaphyllum
puisés dans un étang, les exemplaires étaient bien plus rares qu'à
Varsovie.
Une autre espèce, que je crois être nouvelle, appartient au
genre Oxytricha ; je l'ai trouvée dans un étang à Mokotow, situé
tout près de Varsovie. L'Oxytrique pullulait, surtout quand l’eau
s'était corrompue dans l'aquarium et répandait une odeur très
désagréable ; par cette raison, je lui donne le nom d'Oxytricha
sordida. Elle vivait en compagnie avec l'Oxytricha pellionella,
Stylonychia pustulata, Paramecium aurelia et Cyclidium glau-
coma.
L'Oxytrique en question est très comprimée, allongée et ovoïde
(fig. 5et 6), mais parfois elle est insensiblement élargie en arrière,
et alors, par sa forme, elle ressemble tant à l'Oxytricha pellionella,
que, pour l'en distinguer, il faut un examen plus détaillé.
Les cirrhes ventraux sont au nombre de onze, savoir : à droite
de la fosse buccale, on voit six cirrhes (cérrhes frontaux, Stirn-
wimpern dans la nomenclature de M. Stein), dont trois, implantés
sur le devant du corps, sont plus forts que les autres ; en arrière
de la bouche se trouvent trois cirrhes disposés en deux rangées,
etenfin deux cirrhes non loin de l’extrémité postérieure du corps.
Cette disposition des cirrhes ventraux, aussi bien que leur nombre
coïncide avec la disposition et le nombre de ces appendices chez
l’'Oxytricha pellionella, à l'exception d’un seul cirrhe frontal
(Stein) que je ne pouvais pas découvrir chez cette dernière ; mais
celte circonstance me parait sans importance, car l'Oxytricha
pelhionella étant de petite taille et d’une agilité désespérante, il est
bien possible que le cirrhe existe et qu'il m’ait échappé, ear je le
trouve sur les figures d’un observateur aussi consciencieux que
M. Stein (1).
Les cirrhes marginaux (Randwimpern, Stein) ne s’éloignent
pas beaucoup des bords du corps. Leurs deux rangées sont sépa-
(1) Stein, Organismus der Infusionsthiere. Erste Hwlfte, Leipzig, 1859, Taf, XI
Fig. 43-15.
OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES, 333
rées en arrière par des cirrhes, auxquels j'appliquerais le nom de
pieds-rames s'ils étaient plus forts; mais leur ténuité s'oppose à
cette dénomination, et, suivant l'exemple de M. Stein, je les nom-
merai cirrhes anaux (A fterwimpern), parce que de cette manière
on exprime seulement la position des appendices, sans préjuger de
leurs dimensions. Ces cirrhes anaux sont à peine plus forts et plus
longs que les marginaux ; ils sont au nombre de cinq à ce qu’il
m'a paru.
:- Les cirrhes anaux de l’'Oxytricha pellionella diffèrent tout à fait
de ceux d'Oxytricha sordida ; ils se disüinguent des marginaux au
premier coup d'œil tant par leur longueur que par leur épaisseur,
et ce sont ces cirrhes anaux qui distinguent avant tout les deux
espèces qui m'occupent. |
Je remarquerai en passant que je vois distinctement chez
l'Oxytricha pellionella sept eirrhes anaux, savoir : cinq cirrhes
courbés qui sont figurés par M. Stein (4), et, en outre, deux forts
cirrhes tout droits, situés à droite de l’axe du corps (fig. 7).
La fosse buccale (péristome) de l'Oxytricha sordida ne diffère
pas de celle de l'Oxytricha pellionella; elle est assez longue et
étroite.
Parmi quelques centaines d'Oxytriques des deux espèces, je ne
voyais pas une seule rejeter des matières fécales, et par suite la
osition de l'anus m'est restée inconnue.
Le nucléus est double et ovale, comme habituellement dans ce
genre; les nucléoles me sont restés inconnus.
La cavité du corps renferme toujours des granules noirâtres,
qui parfois rendent le corps tout à fait opaque.
L'animal est quelquefois couleur de rouille; son parenchyme
est mou et flexible au plus haut degré. Les mouvements de lOxy-
tricha sordida ne sont pas moins agiles que ceux de l'Oxytricha
pellionella.
La longueur de l’'Oxytricha sordida est à peu près C"",14,
celle de l'Oxytricha pellionella surpasse d’an peu 0"",08.
L'étude des Stylonychies et des Oxytriques m'a conduit à quel-
(4) Loc. cit., Taf, XI, fig. 43-45,
BRIII WRZESNIOWSKI.
ques observalions de détails, que confirment quelques assertions
tantôt de MM. Claparède et Lachmann, tantôt de M. Ste, asser-
tions qui sont toujours consciencieuses, et c'est pour celte raison
que je veux les communiquer au publie savant.
MM. Claparède et Lachmann affirment que les cirrhes fronto-
buccaux des Stylonychies, des Euplotes et des Oxytriques, sont
implantés sur le dos, depuis leur commencement sur le bord
droit jusqu’à son bord gauche (cirrhes frontaux, Clap. et Lach.),
où ils contournent le front (lèvre supérieure, Oberlippé de
M. Stein), et redescendent sur la face ventrale de Panimal (1).
M. Stein conteste l'exactitude de cette assertion (2) ; il dit que tous
les cirrhes fronto-buceaux (et dorsale W impern) appartiennent à
la face ventrale. Pour savoir à quoi s'en tenir, j'examinais souvent,
avec une attention particulière, la position relative de la lèvre
supérieure (front d’après MM. Claparède et Lachmann) et des
cirrhes fronto-buccaux chez les Stylonychia mytilus, S. pustu-
lata, S. histrie et Oxytricha sordida. Bien que ces animaux me
présentassen tantôt leur face dorsale, tantôt ventrale, ou qu'ils me
montrassent leur profil, je voyais toujours les cirrbes fronto-bue-
caux disposés comme le disent MM. Claparède et Lachmann, et par
conséquent la lèvre supérieure de M. Stein est en réalité inférieure.
La position de l'anus chez les Stylonychies n’est pas moins
litigiense entre M. Stein et les auteurs des Études sur les Infu-
soires. Ces savants auteurs placent l'anus des Stylonychies à droite
de la ligne médiane du corps, à la base des pieds-rames (3),
tandis que, d'après M. Stein, il se trouve à la base du dernier
pied-rame gauche (4).
Plus d’une fois , je voyais les Stylonychia suit et histrio
au moment d’expulser les matières fécales, et l’anus occupait tou-
jours la place indiquée par M. Stein (fig. 8). Mais M. Claparède
(1) Loc. cit., vol. I, p. 455 et 469.
(2) Au moment d'écrire ces lignes je ne peux disposer que des notices bien
imparfaites, tirées du bel ouvrage de M. Stein, c'est ce qui m'empêche de citer ce
passage.
(3) Loc. cit., vol. 1, p. 140 et 457.
(4) Loc, cit,, s, 446.
OBSERVATIONS SUR: QUELQUES INFUSOIRES. 589
lui-même ne l'indique pas autrement sur sa figure de Stylonychia
pustulata (voy. loc. eit., vol. 1, pl. VE, fig. 2). Chez le Séylony-
chia histrio, les matières fécales s'accumulent devant l'anus pour
être expulsées ensemble.
La Glaucoma margaritaceum, Clap. et Lach. (Cyclidium mar-
garitaceum, Ehr.), est munie à son extrémité supérieure de deux
soies longues, non pas d’une seule comme le disent MM. Clapa-
rède et Lachmann (4). La position et là direction d’une de ces
soies sont indiquées tout à fait exactement par ces auteurs; l’autre
soie se trouve implantée un peu plus à gauche, et sa direction est
moins oblique (fig. 9).
Je dois encore mentionner un fait assez singulier, qui, tout en
corroborant l'opinion de MM. Claparède et Lachmann sur la strue-
ture de la vésicule contractile, pourrait être en même temps invo-
qué par M. Stein contre cette opinion, Les savants de Genève
reconnaissent une membrane propre de la vésicule contractile,
-et, comme preuve, ils rapportent entre autre que, chez le Spiro-
slomum ambiquum, les matières fécales, au moment de traverser
l’espace entre la paroi du corps et la vésicule, reloulent celle-ci
sans pouvoir jamais pénétrer dans son intérieur (2). De son côté,
M. Stein pense que la vésicule contractile doit être privée d’une
membrane propre, puisqu'elle peut être disloquée dans certaines
circonstances (3),
Eb bien, chez le T'rachelophyllum apiculatum, Clap. et Lach.,
les matières fécales, qui s'accumulent à quelque distance au-des-
sus de la vésicule (fig. 10, eæ), la refoulent au moment de passer
entre elle et la paroi du corps (fig. 14); elles la font même avancer,
mais ne pénètrent jamais dans son intérieur. Quand les excré-
ments alleignent l'anus, la vésicule se trouve considérablement
disloquée (fig. 12) ; après l'expulsion des excréments, elle reprend
sa position normale, c’est-à-dire elle redescend dans l'extrémité
postérieure du corps (fig. 10).
(4) Loc. cit., vol. [, p. 278, tab. XIV, fig. 4.
(2) Loc. cit., vol. I, p. 53. Remarque.
(3) Loc, cit,, s. 86-91,
396 WRZESNIOWSKI.
S'il faut que je me prononce sur la signification de ce phéno-
inène que j'ai observé plusieurs fois, j'avouerai que je suis tenté
de pencher plutôt du côté de MM. Claparède et Lachmann.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE 8 ET 9.
Les lettres ont la même signification dans toutes ces figures que j'ai faites
moi-même.
b, Bouche. | Vs, vaisseaux,
a, anus. n, nucléus.
v, vésicule contractile. | eæ, Accumulation des matières fécales.
Le grossissement est de 300 à 350 diamètres, excepté le Claucoma margarita-
ceum grossi 600 à 700 fois en diamètre.
Fig. 4-4. Leucophrys Claparedii (Sp. n.).
Fig. 1. Un animal avec des vaisseaux, commeils se présentent après la diastole
de la vésicule contractile. Son nucléus n'est pas visible.
Fig. 2. La diastole de la vésicule commence. Nucléus courbé en 8 ; un petit
morceau d'une conferve sort par l'anus.
Fig. 3. Un animal avec un nucléus distinct et la vésicule contractile en forme
d'un croissant.
Fig. 4. Un animal qui nage à reculon. La diastole dela vésiculeestau maximum,
Fig. 4bis. Un-animal rempli en grande partie par des grains verts qui appar-
tiennent probablement au parenchyme du corps.
Fig. 5-6. Oxytricha sordida Sp. n.).
Fig. 5. L'animal vu par sa face ventrale.
Fig. 6, L'oxytrique vue de profil.
Fig. 7. Oxytricha pellionella (Ehr. Stein), vue par sa face ventrale.
Fig. 8. Stylonychia histrio (Ehr. Stein), réprésentée par la face ventrale.
Fig. 9. Glaucoma margaritaceum (Clap. et Lach.), vue par sa face ventrale
Fig. 10-12. Trachelophyllum apiculatum (Clap. et Lach.)
Fig. 10. Un animal avec la vésicule contractile dans sa position normale.
Fig. 41 et 12. Partie postérieure de l'animal pour montrer la position de la
vésicule contractile pendant l'expulsion des excréments.
RECHERCHES SUR LES MODIFICATIONS
QUE SUB:SSENT
APRÈS LA MORT, CHEZ LES GRENOULLES, LES PROPRIÉTÉS
DES NERES ET DES MUSCLES,
Par M. Ernest FAIVRE.
Professeur à la Faculté des sciences de Lyon.
Les propriétés des nerfs et des muscles persistent pendant un
temps assez long après la mort chez les Grenouilles ; elles ont été
l'objet depuis deux siècles d’un nombre considérable de recherches
entreprises à des points de vue d’ailleurs très différents.
Nous nous sommes proposé d'examiner la série des modifica-
tions qu’elles subissent jusqu’à leur entière disparition, en appré-
ciant aussi exactement que possible chacun des étals successifs.
Pour atteindre ce résultat, nous nous sommes servi de cou-
rants électriques, faibles et constants, dont on peut à volonté et
d’une manière déterminée augmenter ou diminuer l’intensité. On
peut ainsi représenter les divers états des nerfs et des muscles
par le courant d’une certaine énergie suffisant pour déterminer
une contraction.
Les physiologistes ont déjà essayé à diverses reprises de mesu-
rer, à l’aide des quantités d'électricité appliquées, les modifica-
tions de l’excitabilité nerveuse et de la contractilité musculaire.
Tantôt, comme M. Jules Regnaud, ils ont fait usage des élé-
ments d’une pile thermo-électrique (1) ; tantôt ils ont employé,
pour graduer les courants, des solides ou des liquides destinés,
par leur interposition, à en augmenter ou à en diminuer l'énergie.
Dubois Reymond, Ludwig, Kühne, et en dernier lieu Harless à
Munich, se sont servis de ces divers moyens (2).
(1) Voy. J. Regnaud, Bibl. de Genève, 1858, t. II, 123.
(2) Voy. Ludwig, Physiologie, t. 1; W. Kuhn dans Archives de Bois-Rey-
mond’'s, Jahrg, 1859, Heft 3; Harless, Journal l'Institut, 14 septembre 41859,
4° série. Zooz. T. XVI. (Cahier n° 6.) ? .22
o
538 E. FAIVRE.
L'appareil dont nous nous sommes servi est fondé sur les
modifications apportées au courant par l’eau distillée : c’est l’appa-
reil autrefois mis en usage par M. Delezenne pour apprécier la
puissance relative des diverses piles.
Nous faisons connaître dans Ja première partie de ce travail les
conditions physiques et physiologiques dans lesquelles nous nous
sommes placé.
Nous décrivons dans la seconde partie les modifications succes-
sives de la propriété contractile des muscles.
La troisième est consacrée aux propriétés des nerfs jusqu’à
leur entière disparition.
L
Conditions physiques et physiologiques des expériences.
L'appareil que nous employons se compose de deux tubes de
verre, ayant chacun À mètre de hauteur sur un décimètre de dia-
mètre, appliqués parallèlement sur un support vertical, et réunis
dans leur partie inférieure par un fil de platine : ce fil de platine
pénètre à travers des bouchons qui ferment hermétiquement la
base des tubes ; les deux tubes sont remplis d’eau distillée. On
peut y faire descendre ou monter à volonté deux tiges de cuivre
d’un mètre de haut sur 0",005 de diamètre, fixées en haut par
une barre transversale qui se meut au moyen d’un ressort sur une
échelle graduée.
Les pôles de la pile sont mis en communication avec l'extrémité
de chaque fil de cuivre engagée dans la traverse mobile.
Lorsque les tiges sont complétement descendues dans les tubes,
de manière à ce que le contact soit établi entre le cuivre et le
platine, l'appareil est à zéro, et le courant ne traverse aucune
colonne d’eau distillée.
Lorsqu'au contraire les tiges ne plongent dans l’eau des tubes
que par leur extrémité inférieure, l'appareil est à 100 degrés, et
le courant est très affaibli, puisqu'il traverse une colonne de
2 mètres d'eau distillée. Entre zéro et 100 degrés, on établit une
division en centimètres, et le courant est d'autant plus faible que
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 399
les tiges sont plus élevées, d'autant plus énergique qu'elles sont
plus basses.
Nous employons pour produire le courant constant une pile de
Daniel de deux éléments ; la disposition est telle que le courant de
cette pile, après avoir traversé tout notre appareil à zéro, dévie
toujours, et exactement de à degrés un galvanomètre sensible ; la
même condition doit être remplie avant chaque expérience. Ainsi
nous employons toujours un courant constant de même inten-
sité.
Nous avons réglé la force du courant, de telle sorté que, l’appa-
reil étant à zéro et le galvanomètre marquant 3 degrés, le courant
puisse déterminer des contractions directes et indirectes dans les
museles, Dés lors, pour trouver le degré du courant qui corres-
pond à l’état initial des nerfs ou des muscles, on n’a plus qu’à
élever ou abaisser les tiges en cherchant par tâtonnement le degré
de courant précisément nécessaire pour produire la contraction.
Ce degré trouvé, si, une heure après, le nerf est devenu plus exci-
table, on constatera que, pour produire l'effet initial, on n’a plus
besoin que d’un courant de moindre énergie , et cette énergie on
pourra la déterminer. L’inverse à lieu si le nerf est devenu moins
excitable.
L'état du nerf se traduit par la convulsion musculaire, et cette
convulsion musculaire peut être appréciée soit directement, soit à
l’aide d'instruments mesureurs.
Nous n'avons pas fait usage de semblables instruments dont
l'exactitude est très discutable, et l'usage difficile et complexe ;
nous nous sommes borné à l'inspection directe qui ne trompe
pas, quand on ne tient compte que des résultats bien déterminés,
et vérifiés en même temps par divers observateurs. Nous ne con-
signons dans ce travail que les résultats évidents et tranchés.
Après avoir obtenu un courant constant et gradué, nous avons
cherché à éviter les erreurs qui proviennent du mode d'application
de l'agent électrique aux tissus animaux.
Ces erreurs sont nombreuses ; elles tiennent à la nature des
pôles, au mode, à la durée de leur application, à l'énergie des
courants, aux courants dérivés, à la polarisation des électrodes, ete,
340 E. FAIVRE.
Voici, pour éviter ces erreurs, les précautions que nous avons
prises :
Les deux électrodes dont nous nous servons sont des fils de
platine très fins ; nous les plaçons autant que possible, dans toutes
les observations, à la même distance et sur les mêmes points des
nerfs et des muscles ; nous employons toujours le courant inter-
mittent direct ou centrifuge ; nous évitons toute pression ; nous ne
tenons compte que des résultats obtenus à l'instant même de la
fermeture du circuit; nous n’excitons les tissus que pendant un
temps très court, el nous répétons les excitations à des intervalles
constants et éloignés. C’est en agissant minutieusement de la
même manière, avec un même courant et un mode d’appheation
identique, que nos résultats deviennent parfaitement comparables
entre eux.
Nous ne nous sommes pas placé au point de vue du physicien
qui étudie le mode d'action des courants, mais au point de vue
du physiologiste qui veut, en se servant d'un même courant
comme mesure, comme réactif, apprécier les changements des
propriétés vitales.
Les conditions physiologiques dans lesquelles nos expériences
ont été exécutées se rapportent à l’état des animaux avant l’opé-
ration, au mode d'opération, au mode de constatation des phéno-
mênes.
Le choix des Grenouilles n’est pas indifférent. Dans une même
saison, les plus petites sont toujours plus actives que les plus
volumineuses; pour obtenir des résultats comparables, nous choi-
sissons, autant que possible, les animaux de même poids, et nous
les plaçons, avant l'expérience, dans des conditions analogues de
température et d'humidité. Nous avons remarqué qu'une humidité
excessive tend à abaisser les propriétés nerveuses et musculaires ;
aussi nous laissons les Grenouilles à sec pendant les jours qui pré-
cèdent l'opération. Nous avons soin de vider la vessie avant de
sacrifier l’animal ; sans cette précaution, l'urine s’infiltre dans les
museles pendant la section, etles propriétés de la fibre musculaire
sont modifiées.
Nous préparons les Grenouilles de la manière suivante : l'ani-
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. SIN
mal est coupé transversalement au-dessous des membres anté-
rieurs ; tous les viscères abdominaux du tronçon postérieur sont
enlevés, la peau est séparée ; les muscles des membres postérieurs
sont mis à nu. Les nerfs iliaques sont isolés depuis leur sortie du
canal vertébral jusqu’à l’origine du nerf erural: ils peuvent être
recouverts à volonté par une partie des parois abdominales que
nous laissons adhérente aux os iliaques ; cette disposition est des-
tinée à prévenir la dessiccation dans l'intervalle des expériences.
L'animal ainsi préparé est placé sur une plaque de liége; on pro-
cède alors à l’examen.
Pour constater les phénomènes, nous isolons généralement les
nerfs des tissus voisins à l’aide d’une plaquette de liége; sans cela,
le courant, affaibli par les liquides conducteurs, ne donnerait lieu
à aucune manifestation. Nous pouvons cependant galvaniser les
nerfs sur place, si nous avons soin d'enlever, à l’aide d’une fine
éponge, les liquides qui les entourent. Il importe de ne fatiguer le
nerf ni à l’aide des agents mécaniques, ni à l’aide du courant ; aussi
nous opérons rapidement et à des intervalles assez éloignés.
Pendant toute la durée des expériences, les animaux opérés sont
placés dans les mêmes conditions sous une cloche de verre, afin
d'éviter l’action des courants d'air et de la poussière.
Les minutieux détails dans lesquels nous venons d'entrer sem-
bleront peut-être superflus ; cependant ils sont tous nécessaires.
Dans les sçiences expérimentales, l'exactitude des résultats ne peut
être vérifiée, qu’autant qu'on à déterminé avec rigueur les condi-
tions sous lesquelles se manifeste un phénomène ; l'oubli d’une
seule de ses conditions peut conduire à des conséquences diamé-
tralement opposées, et devenir une source de contestations et
d'erreurs. L'histoire de la science n’en offre que de trop nombreux
exemples.
IL.
Modifications de la contractilité. musculaire.
Le premier fait qui nous a frappé, c’est qu'un nerf-et un muscle
exigent, pour produire des contractions, l'emploi de courants
542 E. FAIVRE,
d’une intensité différente. Un courant de 0,05 par exemple (4),
qui fait vivement contracter les muscles lorsqu'on l’applique sur
le nerf sciatique, ne détermine pas ou détermine à peine des con-
tractions lorsqu'il est appliqué directement sur les muscles eux-
mêmes; c’est un fait très constant dans son expression la plus
générale, mais qui varie trop selon les conditions, pour ‘qu'il soit
possible d'en présenter une évaluation numérique : ce fait a déjà
été très bien observé par M. Claude Bernard (2).
Toutes les Grenouilles opérées dans les mêmes conditions sont
bien loin d'offrir un égal degré de contractilité musculaire ;
chaque animal présente à cet égard des modifications qui lui sont
propres, et que rien ne peut faire prévoir.
Dans l’ensemble de nos expériences, la contractilité musculaire
a varié entre zéro et 0°,35, oscillant, en moyenne, entre zéro et
0",10 ; il s’agit ici des tnuscles de la face antérieure, interne et
externe de la cuisse, que nous prenons toujours pour point dé
départ. Ainsi il y a Chez chaque animal une sorte d'état, de tem-
pérament musculaire. Souvent des différences tranchées se mani -
festent entre les muscles de chaque cuisse ; on doit se mettre en
garde contre de pareilles modifications individuelles.
Au moment de la préparation, la fibre musculaire, comme ont
pu le constater une foule d’observatéurs, présente les caractères
suivants :
Les muscles sont facilement excitables à l’aide des courants
éléctriques ; seulement ils ne réagissent que localement dans le
voisinage de la région où les pôles ont été placés ; les contractions
sont de courte durée.
Les agents mécaniques ne déterminent que des contractions
partielles et peu prononcées ; il en est de même des agents chi-
miques, tels que les acides forts.
(1) Nous exprimons le degré d'énergie du courant par la hauteur de colonne
d’eau distillée qu'il traverse, à partir du zéro de l'appareil, pour produire un effet
donné. Il est clair que le courant. est d'autant plus affaibli, que la haateur de la
colonne d'eau traversée est plus considérable, et inversement.
(2) Cl, Bernard, Gazette médicale, 4858, n° 8, février, p. 116, 447,
PROPRIÉTES DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 513
Nous signalons ces caractères, car nous allons voir qu'ils subis-
sent à la mort de profondes modifications.
Le fait essentiel, celui qui résume toutes nos recherches sur les
propriétés des muscles après la mort, est le suivant : après un
temps plus où moins long, trois à quatre heures au moins après
l'opération, la contractilité musculaire augmente notablement, et
parvient insensiblement au plus haut degré d'énergie ; le muscle
est alors dans cet état particulier, que nous appellerons désormais
le maximum de contractilité, ou simplement le maximum. Il est
sensible aux agents mécaniques , il l’est davantage aux courants
électriques. Le maximum persiste au moins douze heures, et se
termine par la rigidité.
On peut, d'après cela, distinguer trois périodes dans l’état des
muscles après la mort :
Une période qui précède le maximum de contractihté, le
muscle conserve ses propriétés irritables.
La période de maximum de contraclilité, le muscle a acquis des
propriétés spéciales.
La période consécutive au maximum , le muscle cesse d'être
contractile, et devient rigide.
Nous ne distinguons ces périodes que pour mieux caractériser
les phénomènes et les exposer plus clairement ; elles n'ont d’ail-
leurs aucune limite tranchée, mais passent insensiblement l’une à
l'autre. !
A. Lorsqu’après la préparation des Grenouilles, les muscles
sont très contractiles, l'augmentation de leur contractilité a lieu
en un temps assez court. Voici une expérience : chez une Gre-
nouille opérée à neuf heures et demie, les muscles de la cuisse sont
contractiles à 0,15 ; à trois heures’et demie, ils le sont à 1 mètre;
cinq heures après, le maximum commence. Dans une autre expé-
rience, les museles marquent primitivement 0",35; une heure
après, ils s'élèvent à 1°,50 ; quatre heures après, le maximun est
établi.
Si, dans les mêmes conditions, au début, les muscles ne sont
contractiles qu’à zéro ou 0,2, la contractilité augmente lentement,
et son plus haut degré ne survient que huit à dix heures après.
3h E, FAIVRE.
© B. C'est ordinairement entre la cinquième et la dixième heure
après la mort que se manifeste le maximum de contractilité. Pour
suivre cet état dans toutes ses phases, nous avons eu soin de faire
nos expériences à des intervalles réguliers ; nous commencions à
trois heures : le premier examen avait lieu à quatre, le second à
sept heures du soir, le troisième à sept heures du matin, -et ainsi
de suite.
Dans une autre série d'observations, nous examinions les phé-
nomènes de deux heures en deux heures, à partir de huit heures
du matin. Pour ne rien omettre de ce qui tient au maximum de
contractilité, nous considérerons cet état particulier du musele
dans sa durée, ses caractères, les conditions de sa manifestation,
ses rapports avec les propriétés des nerfs.
Durée. — Elle n’a rien d'absolu, mais elle est liée à la fois à
l'état musculaire primitif, à certaines conditions de l'opération, à
l'influence des circonstances extérieures.
Sile muscle est primitivement très irritable, nous savons que
le maximum s'établit plus tôt ; il cesse également plus tôt; c’est
l'inverse dans le cas d’un muscle peu irritable.
Lorsqu'on opère par un temps très froid, le maximum dure
beaucoup plus longtemps ; le contraire à lieu si la température
est élevée. Pendant les mois de décembre et janvier, par une
température de 10 à 15 degrés centigrades, nous avons opéré une
Grenouille dont le maximum a duré plus de quinze heures, et une
autre chez laquelle il a persisté au moins trente heures ; ces
résultats sont en rapport avec les observations de Nysten, Car-
liste, Picford, etc. (1).
Des irritations souvent répétées sur les muscles diminuent
notablement la durée de la période maximum. Au milieu de ces
variations, on peut avancer qu'en moyenne la durée du maximum
est d'environ huit heures.
Caractères. — Le muscle, à l’état de maximum de contracti-
(4) Voy. Nysten, Recherches de physiol, pathol., p. 315 ; Carliste, On muscu-
lar motion. (Philos. trans., 1804) ; Picford, dans Bernard, Leçons sur le système
nerveux, Vol. I, p. 209.
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 319
lité, semble avoir acquis des propriétés différentes de celles qu'il
avait primitivement ; en effet, à cet instant, un courant électrique,
assez faible, fait contracter aisément la fibre, lors même qu'on
a pris soin d’en enlever la surface desséchée; les excitants mé-
caniques, si faibles qu’ils soient, déterminent des mouvements
généraux, persistants, successifs. Si l’on pique alors avec la pointe
d’une épingle un des muscles de la cuisse, il se contracte vio-
lemment et en totalité, imprimant un brusque mouvement au
membre ; la contraction est persistante, et souvent elle se repro-
duit plusieurs fois de suite. Si l’on irrite plusieurs muscles, les
effets sont étranges et puissants. Le tronçon mort semble animé
par la vie ; les cuisses, les jambes, s'étendent et se fléchissent
comme si le membre était pris d’un violent tétanos. 1} faut avoir
vu ces phénomènes pour comprendre lout ce que peut offrir de
saisissant cette apparition et cette augmentation de certaines pro-
priélés vitales plus de douze heures après la mort ; l'intensité des
convulsions, leur totalité, leur persistance, caractérisent cet état
spécial, pendant la durée duquel les irritations agissent aussi
d’une tout autre manière. Relativement à l’action des courants
électriques, nous avons constaté que, pendant une partie du maxi-
mum, on peut faire contracter aisément le muscle par un courant
de 60 à 120 degrés ; tandis qu'au début, un courant de O à 10 de-
grés seulement était toujours nécessaire. Ainsi, en général, la
sensibilité du muscle a beaucoup augmenté.
Nous avons essayé les irritants chimiques, tels que l’acide sul-
furique et la potasse ; ils agissent pendant la durée du maximum
dela même manière qu’au début de l’expérience ; il n’y a rien de
particulier à signaler à cet égard, qui ne l’ait déjà été dans le tra-
vail de M. Kühne.
Nous insisterons encore sur un fait important que nous avons
plusieurs fois nettement constaté. A la suite d’excitations méca-
niques répétées, un membre en maximum de contractilité se
fatigue, s’épuise ; il ne donne plus lieu, après quelques minutes,
qu’à de faibles contractions. Si on le laisse dans cet état, et qu’on
l’examine quelques heures après, on constate de nouveau de très
vives contractions ; la propriété contractile a donc pu se déve-
316 E. FAIVRE.
lopper dans l'intervalle, renaître pour ainsi dire. Sur quelques
animaux très vifs, nous avons vu à deux reprises différentes les
contractions épuisées se manifester de nouveau.
En présence de pareils résultats, il est difficile d'admettre que
la contractilité musculaire ne soit pas une propriété indépendante
des autres propriétés vitales, et susceptible de donner lieu; même
après son isolement, à des manifestations complexes et variées.
Conditions. — Le maximum de contractilité ne se manifeste
pas dans tous les cas ; on peut l'empêcher de se produire ; on peut
prévoir à l'avance les circonstances dans lesquelles il ne se pro-
duira pas. Nous avons remarqué que le maximum n’a jamais lieu,
lorsqu’aa moment de la préparation, ou quelques instants après,
les muscles des cuisses pâles et infiltrés se recouvrent d’une
innombrable quantité de petites rides transversales. Comment
s'expliquer cet état et surtout l'absence de maximum qui en est
nécessairement la suite? On doit certainement l’attribuer à l'in
fluence de l'humidité des muscles et de la sérosité qui les imbibe.
En effet, les muscles de la face postérieure de la cuisse, qui
reposent dans nos opérations sur la plaque de liége, sont ridés et
humides; il ne s’y développe jamais de contractilité maximum.
Vient-on à suspendre la Grenouille verticalement, on place sur le
liége les muscles de la face antérieure, de manière à maintenir
dans les autres une certaine dessiccation ; alors on voit apparaître
le maximum dans les museles de la face postérieure des deux
cuisses. Il résulte de ces faits que l'humidité à uné influence
extrême sur la propriété contractile des muscles ; elle la détruit
avec rapidité.
Il'est une autre circonstance dans laquelle le maximum ne se
manifeste jamais ; cette circonstance, nous pouvons la déterminer
à volonté : lorsque les muscles ont été agités par un violent téta-
nos, ou excités par des courants électriques intenses et longtemps
continués, la fibre musculaire se durcit, se fatigue, et perd la
propriété de donner naissance au maximum de contractilité.
M. Schiff a insisté le premier sur un caractère qui distinguerait
spécialement la contraction idio-musculaire. Quand on promène
la pointe d’un scalpel sur les muscles d’un Lapin ou d’un Cochon
PROPRIÉÊTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 307
d’Inde quelque temps après la mort, on détermine la production
d’une saillie qui persiste quelque temps et s’efface. Nous avons
recherché sice caractère était appréciable sur les muscles des
d&renouilles ; nous l'avons constaté dans plusieurs cas avant l’appa-
rition du maximum, mais jamais pendant la durée de cette période.
Nous n'avons pas examiné l’état du courant musculaire aux diverses
phases du maximum ; c’est une étude sur laquelle nous appelons
l'attention des physiciens.
Rapport sur les nerfs. — Une dernière question reste à exami2
ner pour terminer l’histoire de l’état musculaire que nous décri-
vons, et cetle question est fondamentale.
Quels sont, aux divers moments de la durée du maximum de
contractilité, les rapports des muscles avéc les nerfs qui s'y dis-
tribuent? L’excitabilité des nerfs augmente-t-elle avec la contrac-
tilité des muscles correspondants ? Suit-elle une marche analogue ?
Se comporte-t-elle d’une manière opposée? Voici à cet égard ce
que l’expérience nous a appris :
En général, au début du maximum, les nerfs sont beaucoup
moins excitables qu’ils l’étaient auparavant ; au milieu de cette
période, les nerfs ou sont très affaiblis, ou ont perdu entièrement
leurs propriétés; enfin ils ont totalement perdu ces propriétés
plusieurs heures avant la disparition du maximum.
Voici quelques Expériences :
1° Le vendredi 3 février, une Grenouille est préparée à deux
heures et demie ; les nerfs marquent 1°,30, les muscles 0",20 ;
à huit heures du soir, le maximum s'établit , les nerfs intérieurs
etextérieurs marquent zéro. Le lendemain à huit heures du matin,
le maximum persiste : la section, le tiraillement des nerfs dans
l'intérieur de la cuisse, ne produisent aucune contraction.
2° Le vendredi 10 février, à deux heures et demie, on prépare
une autre Grenouille ; le nerf marque 140 degrés après la prépa-
ration, le muscle marque 10 degrés; à huit heures et demie, le
maximum est établi : le muscle marque 100 degrés, les nerfs sont
à zéro. Le lendemain matin, le muscle est au maximum ; les nerfs
coupés, brülés dans l’intérieur même de la cuisse, ne produisent
rien sur les muscles.
048 E. FAIVRE,
3 Le même jour à trois heures et demie, sur un autre animal,
le nerf marque 100 degrés, le muscle 20 ; à sept heures du soir,
le nerf marque 0",02, le muscle 100 degrés. Le lendemain à huit
heures, le muscle est au maximum ; les nerfs intérieurs se mon-
trent encore excitables par l'irritation mécanique. A midi, le
muscle est dans le même état ; le nerf a perdu toute propriété ; le
maximum ne cesse qu'à huit heures du soir.
Dans toutes les expériences, nous avons soin d'étudier lexci-
tabilité nerveuse dans le sciatique à diverses hauteurs; nous avons
recours à divers modes d’excitation. Il est un certain nombre de
cas dans lesquels lesnerfs restent excitables, même pendant la plus
grande partie de la durée du maximum; dans ces circonstances, le
degré d’exeitabilité est le plus souvent inappréciable à notre appa-
reil, et toujours notablement inférieur à celui que présentait le même
nerfau début. Ainsi nous pouvons établir avec certitude la propo-
sition suivante basée sur plus de cent observations : tandis que le
musele devient plus contractile, le nerf devient moins excitable, et
son excitabilité disparait entièrement, tandis que la contractilité du
muscle conserve et accroît son énergie pendant plusieurs heures.
Ces faits démontrent de nouveau l'indépendance de la propriété
contractile du muscle et du pouvoir excitateur des nerfs ; ils con-
firment et complètent les démonstrations que Longet, Bernard,
Schiff, Kühne, ont déjà données sur ce point.
En empoisonnant les Grenouilles par le eurare, nous avons vu
le maximum de contractilité apparaître comme à l'ordinaire, et
cependant les nerfs avaient perdu immédiatement leur excitabilité ;
la strychnine n'empêche pas davantage l'apparition du maximum.
Vingt-quatre heures après la préparation des Grenouilles, la
contractülité des muscles diminue graduellement, et fait place à un
élat nouveau, la rigidité musculaire. Cette rigidité est liée intime -
ment au maximum de contractilité ; elle apparaît quand celui-ci
se montre , elle ne se manifeste pas dans le cas contraire ; la rigi-
dité pourrait donc être considérée comme l'expression la plus pro-
noncée de l’état contractile , le dernier degré de cette série de pro-
priétés que le muscle a acquis depuis l'instant de la mort. A cet
égard, les faits que nous avons observés sont d'accord avec les
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 319
recherches de Brown-Séquard et de Pélikan : Brown Séquard a
établi qu’un muscle rigide est encore un muscle vivant, puisqu'il
peut redevenir contractile sous l’influence de Pinjection du
sang (1); Pélikan a confirmé cette manière de voir par d’autres
expériences (2).
Nous avons constaté, après bien d’autres observateurs, qu’on
peut développer très peu de temps après la mort la rigidité cada-
vérique ; il suffit pour cela ou de tirailler longtemps et fortement
les nerfs, ou d'appliquer à leur surface un courant intermittent
énergique. Si l'excitation produite n’est pas très vive, la rigidité
peut n’être que momentanée ; le maximum de contractilité lui suc-
cède ; cet état, au contraire, ne se montre jamais, si la rigidité
est amenée par une extrême excitation.
A partir de la période de rigidité, la fibre musculaire a perdu
toute propriété physiologique. Un nouvel état commence, l’état :
physique dont la décomposition est le dernier terme.
Il
Modifications de l’excitabilité nerveuse.
Pour mettre de l’ordre dans l’exposition des résultats très variés
auxquels nous sommes parvenu, nous dirons d'abord quelle est
la marche générale de l’excitabilité nerveuse, depuis le moment
de la mort jusqu’à la complète disparition des propriétés.
Nous savons déjà que les nerfs cessent d’être excitables avant
que les muscles cessent d’être contractiles ; nous ajouterons que
l’excitabilité nerveuse disparaît du centre à la périphérie, dans un
intervalle de temps compris entre huit et quinze heures.
Nous examinons les propriétés initiales des nerfs sciatiques
dans les trois conditions suivantes : 1° les nerfs sont encore atta-
chés à la moelle et unis aux tissus sous-jacents ; 2° ils restent unis
à ces tissus, mais on les sépare de la moelle par une brusque sec-
A) Comptes rendus de l’Acad. des sc., 1855, t. XLI.
?
(2) Beiträge zur Medizin, etc. Würzbourg, 1853, p. 4191, et Archives de
Genève, 1858.
350 E. FAIVRE.
tion ; 3° on les isole après la section, et on les dispose sur une
lamelle de liége. Chacune de ces circonstances influe notablement
sur les résultats. Dans le premier cas, le nerf n’est généralement
excitable que de zéro à 0,05 de notre appareil, ce qui tient en
partie à l'humidité des tissus auxquels le nerf est attaché. Dans le
second cas, l’excitabilité est notablement augmentée; elle l’est
encore davantage dans le troisième.
Puisque l’état des nerfs se modifie aussi facilement, il devient
indispensable de caractériser dans des conditions fixes l’état du
nerf au début; pour atteindre ce but nous prendrons pour point
de départ l’excitabilité nerveuse après la section et l'isolement des
tissus.
Le tableau qui suit donnera une idée des modifications que la
section et la préparation déterminent dans le nerf :
Nerf avant Nerf après Nerf après
la section. la section. l'isolement.
Ar expérience, . . 1 120 130
2érexpérience:.1. + 2 50 140
3-.expérience.…. . .. 0 10 49
4° ‘expérience... . . 0 20 110
5° expérience. . . . 45 70 140
On voit par ce tableau que la section et la préparation, qui sont
des irritations mécaniques, déterminent une plus grande excitabi-
lité des troncs nerveux. On voit également que, plus le nerf est
excitable au début, plus il le devient après les opérations exécu-
tées; on peut d’ailleurs conjecturer l’excitabilité nerveuse, d’après
l’état de Ja Grenouille, après la section de la moelle. Cette excita-
bilité est d’autant plus grande, que les membres postérieurs sépa-
rés du tronc conservent plus énergiquement la propriété de se
rapprocher et de se fléchir fortement sur le bassin.
Un autre fait ressort de ces premières études : chaque animal à
son degré spécial d'excilabilité nerveuse ; tantôt cette excitabilité
correspond à un courant de 20 centimètres, tantôt à un courant
de 30 ou de 70 centimètres ; toutefois il y a toujours une relation
déterminée entre le degré primitif et les degrés consécutifs d’exci-
tabilité.
Il importe de noter aussi que, dans quelques cas, les nerfs de
chacun des membres ont une excitabilité différente.
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 391
A partir de la période initiale que nous avons indiquée, l’exci-
tabilité nerveuse se maintient un certain temps, une heure envi-
ron, à un degré assez élevé; bientôt elle décroit avec rapidité.
Les chiffres suivants donneront une idée de la persistance de
l’excitabilité assez élevée pendant la première heure :
Etat des nerfs
immédiatement j
après la section Etat des nerfs
etlapréparation. une heure après.
1" expérience. . . . . 4180 100
2e expérience. . . . . 480 100
3° expérience... .., .. 4140 70
ke expérience.. . . . 430 36
5e expérience... . . . 110 70
6° expérience,. . . . 65 30
Ainsi le nerf conserve environ une heure une partie de l’exci-
tabilité qu'il avait au début; à partir de ce moment, l’excitabilité
diminue de plus en plus, et avec une très grande rapidité, du
centre à la périphérie; elle se maintient encore quelques heures
entre 0 et 5 et disparait. Le nerf cesse d’être excitable par les cou-
rants même intenses, alors même qu'il a conservé le pouvoir de
réagir encore sous l'influence des agents mécaniques ou chi-
miques,
Telle est en général la marche des phénomènes.
Lorsqu'on étudie l’excitabilité qui persiste dans les nerfs après
la mort, on se demande si cette propriété n’est qu’une manifesta-
lion passagère, consécutive à la vie, ou si elle a son siége dans
chaque rameau, dans chaque trone nerveux ; dans ce cas, il fau-
drait considérer les nerfs comme doués d’une puissance propre,
indépendante de celle des centres. Pour résoudre cette question,
nous avons cherché dans quelles limites il était possible d’aug-
menter ou de duninuer l'excitabilité des troncs nerveux après la
mort dans un membre isolé.
Voici les résultats auxquels nous sommes parvenu : deux ou
trois heures après la mort, on peut rendre les nerfs plus excitables
par les procédés suivants : 1° section et exeitations mécaniques ;
2° section des nerfs mixtes du côté opposé ; 3° emploid’agents chi-
miques, tels que le sel et la bile expérimentés déjà par MM, Budge
et Kôülliker ; 4° emploi d'agents physiques, comme les caustiques,
392 E. FAIVRE.
Nous avons déjà insisté sur les effets consécutifs à la section ;
nous ajouterons qu'ils se manifestent longtemps après l'opération ;
ainsi nous avons vu notre appareil s'élever encore de quelques cen-
timètres après la section da sciatique et du poplité, plus de dix
heures après la mort.
Quand sur une Grenouille, les deux nerfs étant attachés à la
moelle, on coupe le nerf d’un côté, on augmente, par action
réflexe, l’excitabilité du nerf demeuré intact. Voici une expérience :
le sciatique droit adhérent à la moelle marque 10; on coupe le
nerf du côté opposé, et l’on galvanise le bout médullaire; un
instant après, le sciatique droit marque 20.
Nous avons essayé les solutions de sel marin; elles excitent le
nerf assez longtemps après la mort; elles l’excitent d'autant plus,
qu'avant l’action du sel le nerf s’est montré plus irritable. Dans
quelques cas, il nous a été possible de constater par notre appa-
reil l’accroissement d’excitabilité produit par le sel.
Si l’on brûle l'extrémité d’un nerf qui n’a pas été fatigué par des
irritations, on reconnait, même plus de deux heures après la
mort, que son excitabilité est fortement marquée ; elle persiste et
s’accroit quelque temps. Un pareil nerf, plongé alors dans le sel
marin, produit des convulsions plus énergiques. L'’excès d’excita-
bilité produit par la brûlure peut se manifester par 20 à 30 degrés
de notre appareil.
Il y a des conditions dans lesquelles on peut diminuer rapide-
ment l’excitabilité des nerfs après la mort. Nous citerons en pre-
mier lieu l’action paralysante du courant constant, bien étudiée
par Dubois Raymond, Eckart et Pluger (1).
Les courants intermittents centrifuges agissent également dans
le même sens, et affaiblissent lentement le nerf. Si l’on cesse leur
emploi, l’excitabilité se rétablit par le repos, mais elle est'moins
élevée qu'au début; si l’on applique de nouveau le même courant,
il y a production initiale de quelques contractions, puis elles
cessent de se manifester, alors le nerf est moins excitable; le
(4) Consultez pour ces travaux : Bibliothèque universelle de Genève, f6-
vrier 4860.
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 293
repos peut lui rendre de nouveau une certaine excitabilité, seule-
ment elle est plus faible, et une nouvelle application du courant la
dépense en un temps plus court. Ainsi on peut diminuer, à l’aide
d’un courant intermittent, l’excitabilité des nerfs, et constater
qu’elle se reproduit par le repos. Il y a là quelque chose de sem-
blable à ce maximum de contractilité musculaire qui disparaît par
l'excitation pour se rétablir ensuite.
De tous les faits qui précèdent, il est impossible de ne pas con-
elure que le nerf a, indépendamment des centres, le pouvoir de
produire l’excitabilité, et que son rôle est tout autre que celui
d’un organe de transmission (1).
L'étude des propriétés nerveuses après la mort nous conduit à
aborder une autre question. Quels rapports existent entre les dif-
férentes parties d’un même nerf? Si l’on augmente ou si l’on dimi-
nue l’excitabilité en un point, les mêmes effets se manifesteront-
ils dans toute l'étendue du nerf? L'expérience nous a appris que les
modifications imprimées à l’une des extrémités du nerf se propa-
gent dans toute son étendue, mais se propagent en s’affaiblissant ;
ainsi, après avoir mesuré l’excitabilité du sciatique et du poplité
interne, nous détachons le sciatique de la moelle , il devient plus
excitable; le nerf poplité examiné à cet instant devient également
plus excitable. Ces résultats sont les mêmes, dans le cas d’une
action paralysante exercée à l'aide d’un courant constant.
Les études précédentes nous plaçaient forcément en présence
de cette question fondamentale : Quels sont les rapports entre les
muscles et les nerfs ? Nous n’avons pas eu la prétention d’aborder
un pareil sujet dans sa généralité, nous avons cherché seulement
ce que nous apprend l’expérience sur les modifications produites
dans les muscles, dans le cas soit d’une plus grande, soit d'une
plus faible excitabilité des nerfs.
Une expérience bien simple et qui nous parait avoir été mécon-
nue jusqu'ici forme le point de départ de nos études sur ce sujet.
(1) Cette idée des propriétés vitales des nerfs moteurs a déjà été émise plu-
sieurs fois. (Voy. Muller, Physiologie, t. 1, et Brown-Séquard, Journal de
physiol., janvier 1860, p. 164.) L'autenr rapporte des expériences importantes
à l’appui de sa manière de voir.
&° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 6.) à 23
991 E. FAIVRE.
Nous avions souvent remarqué que, chez certaines Grenouilles,
des convulsions éclatent dans les membres à l'instant de la sec-
tion des nerfs sciatiques correspondants ; nous avons recherché
les conditions nécessaires à la manifestation de ce phénomène, et
nous avons reconnu qu'il y en a deux : 1° le nerf doit être suffi-
samment excitable ; 2° le muscle doit l'être à un faible degré. Plus
ces conditions sont prononcées, plus les contractions sont puis-
santes. Voici à cet égard le résultat de quelques expériences :
Élat des nerfs État des muscles
après la section au même instant Nalure et degré
et l'isolement. de l'expérience. des convulsions.
A'e exp, . 130 6 Convulsions violentes, durée
une demi-heure,
2° exp... . 4130 8 Id.
3° exp... 140 4 Convuls. tétaniques courtes.
4° exp. 40 0 Aucune convulsion.
5° exp... 4100 5) Convulsions tétaniques.
6° exp.. 100 0 Id. faibles.
1 ER. . 22 1 Aucune convulsion.
8° exp.. 180 0 Convuls. tétaniq. intenses.
Les convulsions qui ont lieu dans ces circonstances offrent Îes
caractères suivants : elles se montrent quelque temps après la sec-
tion du nerf, augmentent graduellement, et durent de quelques
minutes à trois quarts d'heure. Elles ont une forme choréique,
tétanique, dans quelques cas ; le plus souvent elles débutent par
le mollet, gagnent les muscles des cuisses, reviennent à ceux de
la jambe et ainsi de suite.
Voici une expérience qui démontre que les convulsions peuvent
apparaître assez longtemps après la mort : à deux heures, une
Grenouille est préparée ; à deux heures et demie, nous coupons le
nerf sciatique gauche; il marque 180 ; les muscles sont à 5 ; le
membre correspondant est agité convulsivement ; une heure après,
section du sciatique droit, convulsions violentes dans la jambe du
même côté; une demi-heure après, nous coupons de nouveau le
sciatique droit au milieu de la cuisse, les convulsions persistantes
reparaissent, le nerf coupé marque 100.
Après avoir rearqué qu'un certain degré d’excitabilité du nerf
coïncide avec l’état convulsif, nous avons dù rechercher si toute
convulsion suppose un degré très appréciable d’excitabilité ner-
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 399
veuse, et si la cessalion de cet état amène Ja cessation immédiate
des convulsions.
Nous avons déjà fait voir que, dans tous les cas de convulsions
consécutives à la section du nerf, l’excitabilité était notablement
augmentée. Nous devons ajouter que, dans les cas où l’excitabi-
lité nerveuse est fort grande, les convulsions se produisent rapi-
dement, facilement, et avec une certaine intensité ; ainsi, si l’on
plonge dans une solution de sel marin un nerf qui, détaché de la
moelle, fait contracter ous les muscles du membre, on accroît
rapidement et très énergiquement les convulsions; il en est de
même des nerfs dont l’excitabilité a été augmentée à l’aide de la
brülure. |
Nous avions d’abord supposé que la strychnine qui produit des
convulsions tétaniques agissait sur le scialique comme le sel marin ;
nous nous étions complétement trompé, comme l'expérience nous
l’a appris. En effet, après avoir soumis des Grenouilles à l’action
de la strychnine, nous avons constaté que la section des sciatiques
n'amêne pas de convulsions, et que ces nerfs ont subi un notable
affaiblissement ; ils ne marquent plus guère que 40 à 20 après la
section et la préparation. Ce fait prouve encore le rapport qui
existe entre l'excilabilité nerveuse et des convulsions, puisque
l'excitabilité nerveuse étant bien moindre, nous n’avons eu des
convulsions dans aucun cas. La strychnine agit spécialement sur
lés nerfs sensilifs et la moellé, comme l’ont bien vu Magendie,
Marshall-Hall, Bernard ; elle affaiblit au contraire les nerfs moteurs
dont le rôle se réduit à la transmission de l’excitabilité qu’ils reçoi-
vent des centres médullaires.
Les agents qui diminuent l'excitabilité font eesser aussitôt les
contractions,
Eckhard a fait voir que, lorsqu'un muscle est tétanosé, un
Courant assez énergique appliqué sur le nerf fait cesser le tétanos
du muscle; le tétanos recommence, lorsque le courant cesse
d’être appliqué sur le nerf (4). Nous avons reproduit la même
(1} Comptes rendus de l'Acad, des sc., 1854, p. 750.
296 E. FAIVRE.
expérience, et elle a réussi. Nous avons alors constaté, à l’aide de
notre appareil, que l’action du courant galvanique avait eu pour
effet de diminuer notablement l’excitabilité du nerf. On peut éga-
lement faire cesser le tétanos par le tiraillement brusque et vio-
lent du nerf, Aïnsi il y a un rapport intime entre les convulsions
et un certain développement d’excitabilité dans les nerfs; ajoutons
que cette excitabilité doit se développer brusquement, ou être
mise en jeu par une influence violente pour que la convulsion se
manifeste ; en effet, les nerfs, même très irritables, ne produisent
des convulsions qu'autant qu'ils y sont sollicités par une excitation.
Nous terminerons en rapprochant nos expériences qui précè-
dent de celles qui se rapportent à l'influence du pneumogastrique
sur le cœur.
Budge a démontré (1), et les physiologistes ont constaté, que
la section du nerf pneumogastrique augmente les battements du
cœur ; au contraire, la galvanisation du bout inférieur arrête ces
mouvements et paralyse le cœur. Les choses se passent de même
dans les nerfs et les muscles des membres ; nous coupons les
sciatiques, et des convulsions se produisent dans les muscles des
cuisses et des mollets; nous galvanisons les sciatiques, et les con-
vulsions s'arrêtent à l'instant. Puisque les effets produits sont les
mêmes, nous ne devons pas penser que, sans doute, les cir-
constances dans lesquelles ils se produisent seraient aussi les
mêmes, et qu'ainsi la section du pneumogastrique est suivie d’un
accroissement d’excitabilité qui explique les battements plus nom-
breux du cœur; au contraire, la galvanisation amènerait un épui-
sement du nerf. C’est là une simple conjecture que nous cherche-
rons à vérifier par l'expérience, lorsque nous nous occuperons
des animaux supérieurs.
Nous ajouterons un mot relativement à la disparition des pro-
priétés des nerfs sensitifs et de la moelle ; nous avons constaté
les faits suivants : la moelle a perdu toutes ses propriétés trois à
quatre heures après les préparations, bien longtemps avant que
les nerfs moteurs aient cessé d’être excitables.
Pour obtenir des eflets marqués, en agissant sur le bout médul-
laire d'un des nerfs sciatiques après la seclion, il est nécessaire
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 997
d'opérer immédiatement après la préparation, et de faire usage
d’un courant très énergique : jamais au zéro de notre appareil
nous n’oblenons de convulsions dans un membre en agissant sur
le bout central du nerf opposé, et en cherchant à provoquer des
mouvements réflexes ; aussi les nerfs sensitifs se montrent très
peu excitables. Dans quelques cas cepsnant j'excitabilité peut
acquérir un notable développement : cela a lieu en particulier
lorsque la Grenouille sur laquelle on opère, a été empoisonnée
par la strychnine.
Des expériences que nous avons exposées, nous croyons devoir
tirer les conséquences suivantes :
À. Relativement à la contractilité musculaire :
1° La contractilité des muscles s’accroît-en général un certain
nombre d'heures après la mort chez les Grenouilles ; alors la fibre
musculaire est devenue très excilable sous l'influence des agents
mécaniques et des courants électriques.
2° La contractilité maximum dure huit heures environ ; elle se
termine par la rigidité cadavérique.
3° La contractilité maximum ne se produit pas, lorsque les
muscles ont été agités par de violentes convulsions, lorsque les
muscles sont humides et recouverts de rides; dans ce cas, il n’y
a pas de rigidité cadavérique.
le Tandis que, après la mort, la sensibilité et la contractilité des
muscles se développent, donnant lieu à des manifestations parti-
eulières, l’excitabilité des nerfs va au contraire en diminuant; elle
n'existe plus ou existe à peine lorsque les museles sont arrivés au
milieu de leur période de maximum de contractilité.
Le curare, qui détruit les propriétés nerveuses, n’empêche pas
ce développement d’une extrême excitabilité ; on en peut conclure
avec une nouvelle évidence de l'indépendance de la contractilité
des muscles et de l’excitabilité des nerts.
B. Relativement à l’excitabilité des nerfs :
1" Les nerfs sciatiques demeurent excitables plus de deux
heures après la mort chez les Grenouilles ; chaque animal pré-
sente un degré particulier d'exeitabilité primitive ; la même chose
298 E. FAIVRE,
a lieu pour les muscles, qui demandent pour être excilés un cou-
rant beaucoup plus fort que les nerfs.
2 La section des nerfs, au début, est toujours suivie d'une aug-
mentation notable d’excitabilité ; il en est de même de leur prépa-
ration ; l’excitabilité plus grande se maintient pendant un certain
temps.
3° On peut dans un nerf coupé faire apparaître ou disparaître
l’excitabilité deux à trois heures après la mort. On rend l’excita-
bilité plus grande soit par une action mécanique comme la section,
soit par la brülure, soit par l’action d’un agent comme lesel marin.
On diminue l’excitabilité par l'emploi d’un courant continu, ou de
eourants intermittents énergiques et longtemps prolongés.
Lk° Lorsqu'on sépare de la moelle, une ou deux heures après la
mort, un nerf sciatique, on produit des convulsions spontanées,
violentes et de longue durée, dans les muscles correspondants ;
mais il faut pour obtenir cet effet que le muscle soit peu contrac-
tile, et que le nerf soit très excitable, Sa galvanisalion suspend
les contractions.
5 Il y a un rapport intime entre le degré d’excitabilité du
nerf et la production des convulsions dans un muscle.
6° Les faits qui précèdent indiquent avec évidence que chaque
nerf a un pouvoir propre et agit dans certaines conditions, même
après la mort, comme un centre spécial.
7° Enfin on ne saurait méconnaître qu'un certain temps après la
mort, les muscles et les nerfs, loin de perdre leurs propriétés, ne
donnent lieu à des manifestations nouvelles et spéciales.
RECHERCHES
SUR
LES MONSTRUOSITÉS DU BROCHET
OBSERVÉES DANS L'OEUF
ET SUR LEUR MODE DE PRODUCTION,
Par M, LEREBOULLET.
Professeur de zoologie et d'anatomie comparée à la Faculté des sciences de Strasbourg,
Lues à l'Académie des sciences le 25 novembre 4861. (Extrait.)
Une étude pleine de curiosité et d’attraits pour le physiologiste
est eelle des déviations qui surviennent dans la marche régulière
du développement des êtres, déviations auxquelles on donne ordi-
nairement le nom de monstruosités.
Connues depuis longtemps dans leurs formes les plus générales,
elles le sont très peu dans la manière dont elles se produisent, et
moins encore dans leurs causes.
Pour arriver à jeter quelque jour sur ces questions difficiles, il
faudrait pouvoir étudier les conditions normales de la production
d’un être et son développement depuis les premières époques de
son apparition, c’est-à-dire connaître exactement la composition
normale de l’œuf avant et après la fécondation ; pouvoir apprécier
les différences susceptibles d'amener des déviations; savoir les
changements que la fécondation apporte dans la constitution de
ce petit organisme; rechercher si ces changements sont fixes ou
s'ils sont variables , et voir s’il existe un rapport entre ces varia-
tions et les monstruosités produites ; enfin suivre la monstruosité
depuis sa naissance jusqu’à son entière évolution.
Or il est peu d'animaux qui se prêtent à ces études, parce qu’il
n’y à qu'un très petit nombre d'animaux supérieurs, chez les-
quels il soit possible de suivre le développement dans l’œuf depuis
260 LEREBOULLET.
l'origine de ce dernier jusqu’à la naissance de l'être nouveau.
Les Poissons réunissent ces conditions, et, parmi les Poissons de
nos rivières, le Brochet me parait être un des plus favorables à ce
cenre de recherches, à cause de la facilité avec laquelle on peut
manier et étudier ses œufs à toutes les périodes de leur existence.
C’est ce Poisson que j'ai choisi pour mes recherches: Pendant
dix années consécutives, j'ai fait chaque année plusieurs féconda-
tions artificielles, et je puis dire que plusieurs centaines de mille
d'œufs m'ont passé sous les yeux.
Jusqu'à présent ilne m'a pas été facile d'apprécier dans la con-
stitution de l'œuf, soit avant, soit après la fécondation, des diffé-
rences en rapport avec les anomalies observées; mais j'ai été
assez heureux pour découvrir le mode de production des mons-
truosités doubles et de quelques anomalies simples. J'ai pu assister
en quelque sorte à la naissance de ces monslruosilés, les suivre
depuis leur origine jusqu'à leur entier développement, décrire
leurs modifications, et constater l'importance de certaines parties
de l’œuf, mieux qu’on ne l'avait fait avant moi.
Il est bien entendu que j'ai écarté de mon travail toute ques-
tion théorique non basée sur des faits. Je ne sais pas quel avantage
il y aurait, par exemple, à supposer qu'il pourrait exister dans
l'œuf une monstruosité virtuelle, c'est-à-dire qui ne tomberail pas
sous le sens. Je trouve plus rationnel et plus physiologique de
n'établir la monstruosité que lorsqu'elle est réelle, et qu’on peut
Ja constater de visu. Or, je le répète, ce résullat n'a pu être
atteint jusqu'à présent que quelque temps après la fécondation,
alors que l’œuf possède les premiers éléments destinés à composer
le nouvel être.
Le travail dont j'ai l'honneur de présenter un extrait est divisé
en trois parties.
Je fais d’abord connaitre d’une manière très succincte l'évolu-
tion normale de l'œuf dans ses premières périodes, principale-
ment la formation embryonnaire.
Je donne dans la deuxième partela relation abrégée de soixante-
dix-neuf observations de monstruosité très différentes les unes des
aulres.
MONSTRUOSITÉS DU BROCHET, o61
Dans la troisième, je présente un résumé de ces observations,
ct j'expose ce que mes études m'ont appris sur le mode de forma-
tion de ces monstruosilés.
Les anomalies que j'ai rencontrées jusqu'à présent dans l'œuf
du Brochet peuvent être groupées en sepl catégories dont voici
l’énumération :
1° Poissons doubles, à deux corps à peu près égaux, réunis en
arrière dans une étendue plus ou moins grande.
2° Poissons doubles, composés d’un corps principal et d’un
embryon accessoire, réduit plus tard à un simple tubercule.
9° Poissons à deux têtes primitives soudées plus tard en une
seule.
k° Poissons composés de deux corps, dont l’un est à deux têtes.
9° Poissons doubles, à deux corps, avec une seule tête et une
seule queue.
6° Poissons doubles ou simples ayant les organes des sens
incomplets ou nuls, et provenant d’une bandelette primitive rudi-
mentaire.
7° Absence de bandelette embryonnaire primitive ; embryons
réduits à une languette.
Ces diverses anomalies se rapportent, comme on voit, la plu-
part à des monstres doubles, quelques-unes à des Poissons simples
arrêtés dans leur développement, et atrophiés dans plusieurs de
leurs parties.
Il serait trop long de reproduire les faits partiels exposés dans
le corps du mémoire. Je pense qu’en résumant ce que j'ai vu sur
l’origine et le développement des monstruosités, je ferai suffisam-
ment comprendre leur mode de formation et les différences qu’elles
présentent quand l’évolution est terminée.
Le premier phénomène qui suit la fécondation, dans les œufs
normaux des Poissons osseux, est l'accumulation de certains élé-
ments qui se fractionnent en portions de plus en plus petites pour
finir par constituer les cellules embryonnaires.
Ce fractionnement.est suivi de la formation d'une membrane
qui recouvre et enveloppe l'œuf ; on donne à cette membrane le
nom de blastoderme. Le vitellus est enfermé dans cette bourse,
362 LEREBOULLET .
comme le serait une sphère dans un sac ; mais l'entrée de la bourse
reste quelque temps ouverte, et elle est toujours plus épaisse sur
le contour de son orifice que dans le reste de son étendue.
J'appelle bourrelet embryogène le rebord épaissi de la bourse
blastodermique, parce que c’est ce rebord qui donne naissance à
l'embryon. En effet, peu de temps après que le blastoderme s’est
étalé sur le vitellus, an voit se former sur le bord libre et épaissi
de ce blastoderme (sur le bourrelet embryogène) une saillie trian-
gulaire à sommet plus ou moins arrondi, qui ne tarde pas à s’al-
longer dans la direction d’un méridien de l’œuf, pour constituer
ce qu'on appelle généralement bande primitive, dénomination que
j'ai proposé de remplacer par celle de bandelette embryonnaire.
Cette bandelette n’est autre chose que l'embryon lui-même à
l’état rudimentaire ; elle tient par sa base au bourrelet embryogène
dont elle est une production ; elle ne se produit pas tout d’un jet,
mais elle commence par une saillie naissant du bourrelet, et qui
s’allonge rapidement; voilà pourquoi j'appelle germe embryon-
naire cette saillie, premier commencement de la bandelette.
Le bourrelet embryogène est donc le point de départ de la bande-
lette embryonnaire, et celle-ci commence par un simple tubercule
ou germe. Or, les choses ne se passent pas toujours ainsi ; le bour-
relet peut offrir des anomalies dans le véritable travail de végéta-
tion dont il est le siége, et nous allons voir que toutes les mons-
truosités dont il vient d'être question se rattachent de la manière
la plus naturelle aux anomalies du bourrelet lui-même.
Premier genre d’anomalie du bourrelet embryogène. — Au lieu
d’un simple germe embryonnaire, ou, ce qui revient au même, au
lieu d’une simple bandelette primitive, le bourrelet peut en pro-
duire deux, tantôt très écartées l’une de l’autre, tantôt très rap-
prochées. Ces deux bandelettes réunies en arrière par une portion
commune, laquelle n’est autre chose que le bourrelet lui-même,
représentent déjà un embryon double, composé de deux corps
libres en avant, confondus en arrière. Dès le moment de leur appa-
rition et pendant les premiers jours de leur développement, les
deux corps embryonnaires se rapprochent et se, soudent l’un à
l'autre. Je fais voir dans mon travail comment la soudure a lieu
MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 263
par la fusion des lamelles vertébrales correspondantes, et je
montre que cette fusion continue aussi longtemps que les lamelles
vertébrales ont une structure homogène, c’est-à-dire sont encore
à l'état de constitution cellulaire. Cette circonstance explique
l'étendue plus ou moins grande de la soudure, et conséquemment
la forme du monstre qui en résulle (Poisson à deux corps ou à
deux têtes). Il est facile de comprendre que la réunion se fera sur
une étendue d'autant plus grande, que les bandelettes embryon-
paires seront primitivement plus rapprochées l’une de l’autre,
la durée du travail doit être nécessairement en raison directe de
la distance à franchir entre les deux pièces destinées à se réunir.
On aura donc un embryon à deux corps ou un embryon à deux
têtes, suivant le lieu où la soudure se serait arrêtée,
Une conséquence directe de la réunion des deux corps em-
bryonnaires en un seul est la soudure de deux organes symé-
triques, quand ces organes sont placés dans la direction de la ligne
de contact. Dans ce cas, les deux organes (cœurs, oreilles, yeux)
pourront se souder en un seul; ou bien ils peuvent être résorhés,
et disparaitre tout à fait (oreilles et yeux).
Ainsi, par exemple, si les deux bandelettes embryonnaires sont
primitivement très voisines l’une de l’autre, la réunion des deux
corps se fera très vite, el les deux têtes pourront se souder d’ar-
rière en avant dans une étendue assez grande pour faire dispa-
raitre les capsules auditives moyennes ou même les yeux inter-
médiaires, ou pour déterminer leur fusion en une seule pièce, ou
seulement pour amener leur juxtaposition sur la ligne médiane.
J'ai donné des exemples de ces divers résultats.
Je viens de supposer le cas où le bourrelet embryonnaire pro-
duit deux germes au lieu d’un seul. Or ces deux germes embryon-
naires peuvent être égaux ou inégaux, et il en résulte deux em-
bryons du même volume ou de grandeur différente. Mais, quoi
qu'il en soit, la marche du développement est la même; chacun
des embryons conserve ses proportions, et se développe en rai-
son de son volume primitif.
I'arrive assez souvent que les deux germes blastodermiques
sont très inégaux. Les embryons qui en naissent offrent le même
o6! LEREBOULLET,
caractère d'inégalité. L'un d'eux, le plus petit, est souvent alors
privé des parties essentielles de la région céphalique, des yeux
surtout, quelquefois des organes auditifs où du cœur. Il en résulte
un embryon accessoire, appelé improprement parasitaire, qui se
présente sous la forme d’une tige plus ou moins longue, fixée sur
un point du corps principal. Par le fait du développement et de la
fusion des deux corps, l'embryon accessoire peut se réduire à un
simple tubercule qui persiste plus où moins longtemps, et qui
semble ne nuire en rien au développement ultérieur de l'embryon
normal. Celui qui, sans en connaître l’origine, verrait ces tuber-
eules où même ces bandelettes amorphes attachées à l'embryon,
les prendrait pour un jeu de la nature ; mais son étonnement serait
plus grand encore, s’il trouvait ces langucttes terminées brus-
quement par un cœur seul ou par un cœur et des organes auditifs ;
ou bien s’il voyait sur les côtés de la tête un petit tubercule muni
d’un œil à sa base, à côté des yeux normaux de l’embryon prinei-
pal. L'étude de l’évolution des monstres doubles rend parfaite-
ment compte de celte apparente bizarrerie, qui résulte naturelle-
ment et simplement de la fusion des deux corps embryonnaires
primilifs.
Dans l’examen de ces monstruosités doubles, j'ai dirigé mon
attention sur l’état de la circulation, dans le but de rechercher si
elle était commune aux deux embryons, ou si chacun d’eux avait
une circulation indépendante. Or, il est très rare de rencontrer
des Poissons de ce genre chez lesquels les globules sanguins soient
assez nombreux et la circulation assez active pour qu’on puisse
suffisamment apprécier le mouvement du liquide nourricier. Ce
que je puis dire, c'est que j'ai toujours vu le sang d’un des corps
composant, rentrer dans ce même corps après avoir traversé le
vitellus commun, tandis que je n'ai jamais vu le sang d’un embryon
passer à l’autre. Je crois done que la circulation est individuelle;
mais il est certain que le sang des deux corps composants se
mélange en arrière, dans la partie commune, pour se diviser
ensuite en traversant le vitellus et se rendre à chaque embryon.
Deuxième genre d’anomalie du bourrelet. — I arrive souvent
que les deux genres sortis du bourrelet embryogène, au lieu d’être
MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 365
. plus ou moins séparés comme dans le cas précédent, se trouvent
tout à fait contigus, ou qu'ils sunt remplacés par une large bande
embryonnaire résultant de deux bandelettes primitives accolées
l’une à l’autre dès leur apparition. On reconnaît facilement cette
disposition aux deux lignes transparentes qui annoncent la forma-
tion prochaine de deux cordes dorsales. Cette large bandelette se
termine en avant par deux lobes égaux ou inégaux.
On a done sous les veux, dès les premières époques de la for-
mation embryonnaire, un corps simple terminé par deux têtes ou
plutôt par deux renflements céphaliques. Ces derniers subissent
leurs modifications normales, mais en même temps, comme ils
sont déjà très rapprochés, ils se soudent promptement l’un à l’autre
pour former une tête unique, parfaitement simple, dans laquelle
on ne distingue plus aucune trace des organes symétriques qui
avaient été en contact.
La soudure peut ne pas être complète, ce qui arrive quand il
existe un certain écartement entre les deux lobes céphaliques; on
voit alors une têle simple en apparence munie de quatre ou de trois
yeux, savoir: les deux yeux latéraux et un œil unique placé sur la
ligne médiane.
Quand les lobes céphaliques sont inégaux, le plus petit produit
une têle incomplète qui se réduit souvent à un tubercule, et ce
dernier peut porter un œil à sa base, comme nous l’avons observé
plusieurs fois.
Cette inégalité des lobes céphaliques jointe aux phénomènes qui
résultent de leur réunion rend très bien compte de certaines
anomalies dans le nombre et l’arrangement des veux, comme,
par exemple, deux yeux de grosseur différente; deux yeux d’un
côté et un œil de l’autre; un seul œil situé sur un des côtés de la
têle, etc.
Troisième genre d'anomalie. — Ce troisième mode n’est que la
réunion, sur un même œuf, des deux modes précédents. Le bour-
relet embryogène porte à la fois un germe simple et une large ban-
delette provenant de la réunion de deux bandelettes primitives.
Cette forme produit un embryon à trois têtes distinctes et à trois
corps dont deux sont réunis en un seul, Je n'ai vu qu'un seul
966 LEREBOULLET .
exemple de cette bizarre anomalie qui constitue en réalité un
monstre triple.
Quatrième genre d'anomalie du bourrelet. — Jusqu'ici nous
avons vu partir du bourrelet une production de matière embryo-
gène sous la forme d’une bandelette simple ou double. Dans Jes cas
dont il va être question, le germe embryonnaire produit par le bour-
relet est réduit à une sorte de tubercule irrégulier, assez épais,
mais très court. Le bourrelet lui-même, au contraire, est plus épais
que d'ordinaire, comme si les éléments qui auraient dû former la
bandelette primitive, s'étaient accumulés autour de l'anneau ilasto-
dermique. Or, le tubercule en question devient plus tard la tête
du Poisson, et le bourrelet blastodermique en constitue le corps;
mais ce corps à la forme d’un large anneau dont les deux branches
aboutissent à la tête et à la queue. J'ai donné à ces formes singu-
lières le nom de Poissons doubles à deux corps séparés, mais en
réalité ces derniers ne sont que des moiliés de corps, puisque
chacun d’eux est composé d’une simple série de lamelles verté-
brales, d’une corde et d’un demi-cordon nerveux rachidien.
lei je ne puis entrer en plus de détails sur la composition et le
développement ultérieur de cette monstruosité, lPune des plus
curieuses que je connaisse. J'ai voulu seulement faire voir que
dans sa production c’est le bourrelet {out entier qui participe à la
formation des deux corps où plutôt des deux demi-corps, puisque
ceux-ci proviennent directement de la transformation de fou
l'anneau blastodermique.
Cinquième genre d'anomalie. — Icile bourrelet embryonnaire,
au lieu de fournir une bandelette primitive normale, ne produit
qu'une tige grêle presque filiforme. Cette tige se divise dans
toute sa longueur en lamelles vertébrales, et il en résulte un
embryon incomplet auquel manquent toujours les yeux et quel-
quefois aussi les capsules auditives, tandis que le cœur existe géné-
ralement.
C'était un spectacle curieux que de voir un cœur battre à l’ex-
trémité d’une lige informe, privée des organes qui constituent
essentiellement un embryon. Je dois avertir d’ailleurs que dans
ces formes monstrueuses, comme dans la plupart des anomalies,
MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 207
autres que les monstres doubles ordivaires, il n'existait pas de
olobules sanguins, ce qui n’empêchait pas le cœur de battre avec
vivacité et mème péndant un temps assez long.
La languette filiforme, origine de ces embryons incomplets, était
assez souvent double. H en résultait alors deux formes embryon-
paires qui se soudaient l’une à l’autre dans une étendue plus ou
moins grande, en suivant les mêmes lois que pour les embryons
doubles complets.
C'est chez les embryons de cette catégorie et chez ceux de la
suivante, que j'ai souvent observé un agrandissement considérable
de la chambre cardiaque. Cette chambre simulait parfaitement un
second vitellus, soudé au vitellus ordinaire et renfermant un cœur
très allongé, semblable quelquefois à un cordon.
Sixième genre d'anomalie. — Dans ce dernier genre d’anomalie
du bourrelet embryogène, celui-ci ne produit ni bandelette, ni tige
filiforme ; il conserve longtemps sa disposition primitive à forme
d’anneau, puis cet anneau se resserre et peu à peu la bourse se
ferme. On voit alors surgir sur le bourrelet ainsi resserré, un
tubercule arrondi et saillant, qui persiste pendant plusieurs jours
sous la même forme, puis s'allonge, après s'être entouré d’une
membrane, se segmente dans toute sa longueur et se change en
une languette embryonnaire. Quand le développement est terminé,
cette languette se détache du vitellus comme la queue des Pois-
sons normaux et ne tient plus à ce même vitellus que par une
portion quelquefois très courte.
Les languettes ainsi formées étaient toujours privées de ligne
transparente, de corde dorsale, de cordon nerveux, d'organes sen-
sitifs et de cœur ; quelquefois elles portaient deux nageoires pec-
torales.
Je regarde ces ébauches d’embryon comme représentant la
région postérieure du corps et principalement la queue.
Les faits dont je viens de présenter un résumé très succinct me
semblent établir, d’une manière suffisamment probante, l'impor-
tance du bourrelet blastodermique dans la formation embryonnaire
et légitiment la dénomination de bourrelet embryogène que je
lui ai donnée.
368 LEREBOULLET.
Dans les conditions normales, l’anneau blastodermique produit
la bandelette embryonnaire; dans les monstruosités doubles, il
donne naissance à deux germes qui se changent bientôt en deux
bandeletles séparées ou confondues et qui se fusionnent plus ou
moins ; quand le germe est rudimentaire et l'anneau d’une certaine
épaisseur, cet anneau se transforme pour produire lui-même les
deux moitiés du corps ; quand le germe est filiforme et l’anneau
d’une épaisseur normale, il en résulte un embryon incomplet ;
enfin, quand le bourrelet ne pousse aucun germe, il n’a pas perdu,
pour cela, sa faculté organisatrice, il preduit encore une portion
embryonnaire, la région caudale.
Cette influence du bourrelet embryogène est telle que, lorsqu'il
est mince et chargé de molécules organiques, on peut s'attendre à
coup sûr à ne voir apparaître que des embryons grêles, normaux
ou non, très pales et toujours peu viables.
Le bourrelet embryogène doit donc être considéré comme une
sorte de magasin d'éléments d'organisation, et comme le point de
départ de toutes les formations ernbryonnaires régulières et nor-
males.
DESCRIPTION
DE
RESTES FOSSILES DE DEUX GRANDS MAMMIFÈRES
CONSTITUANT
le genre RIHIZOPRION (ordre des Cétacés, groupe des Delphinoïdes)
et le genre DINOCYON (ordre des Carnassiers, famille des Canides),
Par M. JOURHAN.
$ I.
Genre Rhizoprion.
Ce genre repose principalement sur une tête presque complète
trouvée, il ya deux ans, dans un calcaire marin de la couche infé-
rieure du miocène proprement dit. Nous avons pu, par un travail
long et minutieux, extraire cette tête du bloc de pierre qui la con-
tenait. Malheureusement ce bloc avait été brisé dans la partie cor-
respondant au museau, et les débris presque pulvérisés n’ont pu
être recueillis par nous que très imparfaitement.
Cette tête est allongée, surtout par le museau qui est étroit, et
dont les mandibules inférieures sont soudées par une symphyse
qui paraît avoir occupé plus de la moitié de leur longueur.
Il y a deux espèces de dents à chaque mâchoire. Les postérieures,
qu'on pourrait assimiler aux molaires, sont au nombre de sept de
chaque côté à la mâchoire supérieure et de six à l'inférieure. Elles
sont aplaties, triangulaires et à deux racines ; elles offrent sur leurs
bords, principalement le postérieur, de trois à cinq fortes dente-
lures dirigées suivant l’axe de la dent, comme si elles provenaient
de demi-colonnes adossées qui auraient composé la dent elle-
même. Les dents antérieures ou prémolaires, au nombre de vingt-
quatre à vingt-six de chaque côté et à chaque mâchoire, sont à
4° série. Zoor. T, XVI, (Cahier n° 6 ) 4 24
970 JOURDAN.
une seule racine; d'abord aplaties et triangulaires, elles devien—
nent insensiblement, en s’approchant de l'extrémité du museau,
arrondies et aiguës.
Les évents où canaux respirateurs s'élèvent de la base de la tête
pour s'ouvrir sur la face supérieure en arrière même de la ligne
transversale qui correspond aux deux yeux. Leur ouverture supé-
rieure, très allongée d’arrière en avant, présente antérieurement
une double goultière communiquant avec le canal intermaxillaire
qui est plus large, plus régulièrement établi que dans les autres
Dauphins. Ces deux goutlières servaient-elles de communication
avec ce canal remplaçant les fosses nasales, ou étaient-elles seu-
lement destinées à loger une membrane pituitaire ou olfactive plus
considérable ?
Quant aux os de la tête, ils présentent les dispositions com-
munes aux Dauphins, mais avec des apophyses zygomatiques et
des os jugaux plus volumineux. La mâchoire inférieure est celle
des Delphinorhinques ; elle se rétrécit, et présente sa symphyse
avant d’avoir atteint la moitié de sa longueur.
Par ces caracières très sommairement indiqués, le Rhizoprion
est bien un Cétacé de la division des Delphinoïdes ; mais peut-être
doit-on le considérer comme établissant une famille partieulière
sous le nom de famille des Rhizopriones. Cette dénomination
composée des deux mots grecs : bu, racines, et retwv, scies, den-
telures, donne en effet les caractères les plus distinctifs de notre
animal fossile d'avoir des dents à plusieurs racines et armées de
fortes dentelures :
Dimensions de la téte,
m.
Longueur totale présumée. . . , . , . . . . . bisou 16 OR . 0,26
Longueur de la partie principale de la tête, des srolclhe occipitaux à
l'extrémité antérieure des orbites. : : . , . 4 « « . le à. se « 0,30
Longueur des condyles à l'ouverture supérieure des évents. . . . . . . 0,19
Longueur du museau, de sa naissance vers la ligne correspondant aux
parties antérieures des orbites jusqu’à son extrémité. . . . . . . . 0,75
Longueur du même point jusqu'au commencement des prémolaires. . . 0,30
Longueur totale de la mâchoire inférieure. . . . . «he Jets s12 < .90186
MAMMIFÈRES FOSSILES. a71
Du condyle de la mâchoire inférieure au point où commencent les prémo-
LTÉE te Le ere SANS CASA > SAT Aa AR RS RER , SUUAS
Largeur de la tête vers les arcades zygomatiques. . . . . . . . . . . 0,28
Largeur vers la partie moyenne des arcades orbitaires. . . . . . . . . 0,26
Largeur du museau à sa base vers les arcades orbitaires. . , . . . . . 0,45
Largeur du museau aufpoint où cessent les molaires et commence la sym-
1 LL UNSN RENAN ONNENT CT TPOTESTE LAS Hamel ah: Mecs! 0,05
Hauteur du crâne, des cavités glénoïdes aux évents. . . . . . . . . . 0,22
Hauteur de la mâchoire inférieure vers son apophyse coronoïde, . . . . 0,18
Hauteur de l'ensemble du museau vers le point où cessent les molaires
ÉE Commence HUSVIMBANSRS". PS 4 et Dee à A ELLE
Largeur des molaires les plus grandes, au point d'union de leurs racines
avec leur couronne triangulaire. , . . . . . . . . . . . . . . 0,026
Hauteur des couronnes triangulaires. . . . . . . . . nhtdenat.snt 0,020
L'animal vivant avec lequel le Rhizoprion aurait le plus de rap-
ports, quoique éloignés, serait le Delphinorhinque du Gange ou
Plataniste. L'un et l’autre ont le museau très allongé et étroit, les
ouvertures des évents allongées d'avant en arrière, et en outre les
dents postérieures du Plataniste sont un peu aplaties et triangu-
laires, et semblent aussi composées de colonnetles soudées en-
semble. La dernière molaire des Dugongs présente les mêmes
dispositions ; mais par l’ensemble de la tête et surtout par la
mâchoire inférieure, les Dugongs, et encore plus les Lamantins,
sont encore très éloignés de notre Rhizoprion.
Parmi les animaux fossiles, le Rhizoprion paraît avoir les plus
grands rapports avec l’animal dont M. de Grateloup a trouvé,
en 1837, aux environs de Bordeaux un fragment de la mâchoire
supérieure, et qui a été considéré par lui comme appartenant à un
Reptile, auquel il donna le nom générique de Squalodon. Plus
tard, le même fragment a été regardé par M. Laurillard comme
se rapprochant des Cétacés à dents nombreuses et aux deux
mâchoires. Il a pris le nom de Crenidelphinus; c'est aussi le
Delphinoïde de Pédroni et le Phocodon d’Agassiz.
Dans ces derniers temps, le Squalodon a été rapproché des
Zeuglodons par M. Pictet , et l’on a créé un ordre dans les Mam-
mifères pour recevoir ces deux genres auxquels on donne pour
caractères de manquer d’évent et de respirer par des fosses nasales
372 JOURDAN.
ordinaires s’ouvrant au bout du museau, mais se rapprochant des
Cétacés delphinoïdes par leur mâchoire inférieure.
Nos recherches démontrent sans contestation possible que les
Squalodons ont des évents très développés ; ainsi tombe, pour ce
qui les concerne au moins, cet ordre des Zeuglodons, introduit
nouvellement dans la classe des Mammifères. Si les descriptions
et les figures sont exactes, les Zeuglodons devraient être rangés à
la suite des Phoques ; nos Rhizoprions le sont en tête des Dau-
phins ; les deux genres Zeuglodon et Rhizoprion relieraient ainsi
entre eux les deux groupes importants des Dauphins et des Phoques.
Le rapprochement que M. Owen à voulu établir entre les Laman-
tins et les Zeuglodons ne paraît pas naturel; les Lamantins sont
des Pachydermes aquatiques plus rapprochés de l’ordre des Pro-
boscidiens.
La désignation du Squalodon conduisant à des appréciations
fausses, nous avons préféré désigner notre magnifique fossile par
la dénomination très caractéristique, ainsi que nous l’avons expli-
qué plus haut, de Rhizoprion.
Le nom d’espèce Bariensis vient du village Bari, près duquel
nous avons trouvé les premiers fragments en 1854. La tête a été
recueillie sur la même montagne, un peu plus au nord, dans les
carrières de M. le comte de Bord, et elle nous a élé remise par
M. Lagoy, son représentant à Lyon.
$ II.
Genre Dinocyon. — Famille des Canides, — Ordre des Carnassiers. n
Espèce Dinocyon Thenardi.
On a déjà à plusieurs reprises trouvé dans les terrains tertiaires
moyens des restes de grands Carnassiers se rapprochant des
Chiens, mais rappelant un peu les grands Ours par leur marche
demi-plantigrade.
Tout le monde connaît les dents du Chien gigantesque d'Avaray
près d'Orléans, signalé par Cuvier.
Tout le monde connaît également la belle mâchoire supérieure
MAMMIFÈRES FOSSILES, 913
de l’4mplicyon major de Sansans, due aux infatigables recherches
de M. Lartet, l’un de nos paléontologistes les plus distingués.
Ce sont les restes d’un animal d'aussi grande taille et apparte-
nant également à la famille des Canides que j'ai l’honneur de sou-
mettre à l’Académie.
Ces restes se composent d’une mandibule inférieure droite
armée de sa puissante carnassière et de ses deux tuberculeuses :
d'une canine et d’une première tuberculeuse droite, ainsi que
d'une dernière tuberculeuse gauche. Nous possédons également
des incisives supérieures et inférieures, et, ce qui est très impor-
lant, an point de la manière d’être de ce grand Mammifère, nous
avons recueilli les cinq métacarpiens de l'extrémité droite. Nous
avons ainsi les principaux éléments pour arriver à une bonne
détermination.
Le Loup est l'animal vivant avec lequel notre fossile aurait le
plus de rapports, mais avec des tuberculeuses proportionnelle-
ment un peu plus fortes, avec des métacarpiens plus inégaux,
ainsi un peu moins digiligrades, mais surtout avec un volume plus
que triple. Notre Chien fossile devait égaler par la taille les plus
grands Ours connus. Sa formule dentaire est celle des Chiens.
Parmi les animaux fossiles, nous ne lui connaissons pas de
semblables. Si on veut le comparer avec l’4 mphicyon major de
Sansans de M. Lartet, on trouve que ce dernier en diffère beau-
coup par sa troisième tuberculeuse qui manque au premier, par
Sa canine un peu aplatie et à grosses stries longitudinales, tandis
que la canine du premier a son corps arrondi et son sommet aigu.
Le nom donné à notre genre nouveau se compose des deux mots
grecs : dewos, puissant, et xvev, Chien. Par un sentiment de recon-
naissance personnelle, nous l’avons dédié à la mémoire de The-
nard : de là Dinocyon T'henardi.
Nous Favons recueilli, en 1847 et en 1861, à la Grive-Saint-
Alban, près Bourgoin (Isère), dans des fentes d’un calcaire de
l'oolithe inférieure remplies d’une argile rougeûtre et de minerai
de fer en grains.
Notre Dinocyon T'henardi était associé dans le gisement à de
nombreux restes de Mammifères, d'Oiseaux et de Reptiles. Les
o7l JOURDAN.
resles de Mammifères l’emportaient de beaucoup sur les autres ;
nous avons pu y reconnaître trente et un genres de cette classe.
Les restes de Dinotherium y étaient nombreux; tous sans exception
appartenaient à l'espèce nouvelle que nous avons déterminée
depuis longtemps, le Dinotherium levius. Cette faune a beaucoup
de rapport, nous dirons presque de similitude, avec la faune de
Sansans, l’un des gisements les plus riches, et dont nous devons
la connaissance au savant et infatigable M. Lartet. C’est une faune
du miocène supérieur ou miocène proprement dit.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE A0,
Fig. 4. Tête du Rhizoprion bariensis, vue de côté et réduite de près des deux
tiers.
Fig. 2. Portion postérieure de la même tête, vue en dessous. a, les arrières-
narines ; b, les évents.
Fig. 3. L'une des dents de la partie antérieure de la mâchoire supérieure.
Fig. 4. Dents coniques des deux mâchoires.
Fig. 5. L'une des dents comprimées de la partie postérieure de la mâchoire
supérieure,
NOTICE
LE GENRE TRACHINUS (ARTEDI) ET SES ESPÈCES
Par M. le chevalier P., BLECKER.
Après que le genre Uranoscope a été séparé du genre Trachi-
nus, le genre Artédien établi sous ce dernier nom n’a plus subi de
modification.
Mais si, depuis Linné, on l’a laissé intact, ce n’est pas parce que
c’est un genre simple, mais probablement parce que pendant long-
temps on ne connaissait que très mal ses espèces, et qu'après
qu'elles furent un peu mieux connues, elles paraissaient trop peu
nombreuses pour en faire des coupes génériques nouvelles.
En effet, ces espèces, d’après les auteurs, ne sont qu'au nombre
de cinq seulement, savoir :
Trachinus draco L. — Trachinus lineatus BI. Schn.
Trachinus araneus W. = Trachinus lineatus Risso.
Trachinus radiatus W. = Trachinus lineatus De la Roche.
Trachinus cornutus Guich.
Trachinus vipera W. — Trachinus draco BI.
M. Günther cependant a rendu quelques traits d’une sixième
espèce habitant les côtes occidentales de l'Afrique, mais il ne l’a
pas séparée de la Vive commune, bien qu’elle eût été nommée déjà
Trachinus armatus par M. Schlegel.
A ces espèces vient se joindre une septième qui habite la Côte-
d'Or, et que j'ai trouvée au Musée d'histoire naturelle de Leyde.
De ces sept espèces, trois seulement ou quatre au plus sont de
vrais T'rachinus : ce sont les Trachinus draco L., Trachinus
araneus W., Trachinus armatus Schl. et Trachinus cornutus
Guich,
976 BLECKER . |
La petite Vive n'est plus un vrai l'rachinus, et les deux autres
espèces n'y appartiennent pas non plus.
Quant au Trachinus vipera, elle diffère tant de l'espèce typique,
que je m'étonne qu'on l'ait pu laisser avec elle dans un même
genre. |
En effet, la physionomie de la petite Vive n’est plus celle des
véritables Trachinus, le corps étant plus raccourci, les veux situés
plus horizontalement, et l’écaillure du corps donnant de tout
autres reflets.
Aussi, en l’examinant plus en détail, on trouve plusieurs carac-
tères qui justifient sa séparation du genre Trachinus.
En eflet, la petite Vive à les lèvres frangées, tandis qu’on n’en
trouve pas même des vestiges dans les autres espèces que j'ai pu
examiner. Je m'étonne que ni Cuvier ni M. Günther n'aient parlé
d’un caractère aussi remarquable, qui suffirait à lui seul pour distin-
guer l’espèce de toutes les autres. Ces papilles sont parfaitement
bien visibles à l'œil nu, et celles de la lèvre inférieure, qui sont plus
longues que les supra-labiales, sont même érigées dans l’état de
repos, et donnent à la mâchoire l’air d’être armée de dents
coniques assez fortes, ce qui peut avoir induit en erreur Lauleur
qui parle de dents de la rangée externe plus fortes.
Un autre caractère important de la petite Vive, c’est l'absence
complète de dents ptérygoïdiennes, qui, dans l'espèce typique,
comme aussi dans le Trachinus armatus, occupent une plaque
plus ou moins allongée.
Les joues, presque entièrement couvertes d’écailles dans les
vrais Trachinus, n’en portent pas ou presque pas dans le Trachi-
nus vipera, où bien elles sont si caduques, qu’en général elles
manquent sur les individus qu’on observe.
La ligne latérale, simple dans les autres Vives, est manifeste-
ment double dans la petite Vive, la ligne latérale inférieure sob=
servant parfaitement bien au bas des flancs, et s'étendant ; Jusqu'à
la nageoire caudale. Cette ligne n’est pas une simple dépression
intermusculaire.
Et puis encore le dessus de la tête, dans la pelle Vive, n’est
plus couvert de scabrosités comme dans les autres Vives, et les
POISSON DU GENRE TRACHINE. 977
épines orbitaires ne s’y voient plus, tandis que les yeux y ont une
position plus horizontale, plus uranoscopique, que dans les vrais
Trachinus.
Si l’on trouvait un tel assemblage de caractères différentiels
dans deux espèces d’une autre classe d'animaux, aueun zoologiste
moderne certes n'hésiterait à y voir deux genres parfaitement
naturels. Pourquoi en serait-il autrement pour la classe des Pois-
sons, où, plus qu'on n’est disposé à l’admettre, les caractères pour
l'établissement de genres et d'espèces sont essentiels et multiples
pour qui sait les saisir et les déchiffrer.
Donc je considère la petite Vive comme devant appartenir à an
genre distinct, que je propose de nommer Echüchthys.
Après avoir détaché du genre Trachinus la petite Vive, il reste
à faire encore un nouveau démembrement.
La Vive commune, l'espèce typique, a des dents plérygot-
diennes qui se retrouvent dans le Trachinus armatus, et proba-
blement aussi dans le T'rachinus araneus. Elle a aussi des épines,
quoique faibles, au préopereule, épines qui sont plus développées
dans le Trachinus armatus, et surtout dans le Trachinus cor-
nulus.
Ni ces dents ptérygoïdiennes, ni ces épines préoperculaires,
sont le partage des T'rachinus radiatus et de l’espèce nouvelle de
la Côte-d'Or.
Mais aussi, sans avoir égard à la dentition du palais ou à l’ar-
mature du préopereule, on voit bien qu'ici on a affaire à un type
différent. Le corps y est plus raccourci que dans les vraies Vives,
et celte forme se reflète dans des nombres moindres des rayons
des nageoires dorsale et anale. Et quant à la physionomie de la
tête, elle n’est pas moins différente, le profil étant plus obtus, le
bout du museau descendant notablement au-dessous du niveau du
bord inférieur de l'orbite, la direction des mâchoires s’approchant
inoins de la verticale, el l'anneau sous-orbitaire osseux étant plus
baut; peut-être qu'aussi le caractère typique fondamental se
reflète dans la courbure en haut des épines sous-orbitaires.
D'après les règles adoptées par la plupart des ichthyologistes
contemporains, il faut encore détacher ces deux espèces du genre
218 BLECHER.
Trachinus. On pourrait donner à ce nouveau genre le nom de
Pseudotrachinus.
Quant à l’espèce du Chili, peut-être qu’elle aussi appartient
à un genre différent, du moins à en juger d'après la figure qui en
est publiée. Cependant, jusqu'à ce que ses caractères soient mieux
connus, il me paraît préférable de la laisser dans le genre Tra-
chinus, car évidemment ce n’est ni un Pseudotrachinus, ni un
Echichthys.
D'après ce que je viens de dire, le genre Trachinus des auteurs
acquiert la valeur d'un groupe, dans lequel se rangent les trois
genres Trachinus, Pseudotrachinus et Echiichthys avec les carac-
tères suivants :
1° TracHiNUs Art. et auct. ex parte.
Caput vertice granulis scabrum. Orbita antice spinis armata. Maxilla
superior usque ante oculum adscendens. Squamæ genis sessiles multi-
seriatæ. Labia simplicia nec fimbriata nec papillata. Dentes pterygoidei.
Oculi obliqui subverticales. Præoperculum aculeatum. Linea lateralis
simplex.
Spec. Trachinus draco L., Trachinus araneus W., Trachinus arma-
tus Schl., T'rachinus ? cornutus Guich.
2. PseuporrAcHINUs BI.
Caput vertice granulis e centris radiantibus scabrum. Orbita antice
spinis armata. Maxilla superior non usque ante oculum adscendens.
Spinæ suborbitales sursum spectantes. Squamæ genis sessiles multise-
riatæ. Labia simplicia nec fimbriata nec papillata. Dentes pterygoidei
nulli. Oculi obliqui subverticales. Præopereulum non aculeatum. Linea
lateralis simplex.
Spec. Pseudotrachinus radiatus = Trachinus radiatus’ W.; Pseudo-
trachinus pardals BIk.
3. Ecancuruays BIk.
Caput vertice non granosum. Orbita ubique lævis. Maxilla superior
usque ante oculum adscendens. Spinæ suborbitales nullæ. Squamæ genis
parcæ, deciduæ. Labia papillata vel fimbriata. Dentes pterygoidei nulli.
Oculi obliqui subhorizontales. Præoperculum aculeatum. Linea lateralis
duplex.
Spec. Echüchthys vipera — Trachinus vipera W,
POISSONS DU GENRE TRACHINE, 319
Le Pseudotrachinus pardalis n'étant pas encore connu des
naturalistes, et le Trachinus armatus ne l’étant que parce que
M. Günther en a dit, je n’ai pas cru inutile d'ajouter ici la
description de ces deux espèces. :
Trachinus armatus Schl., Mus. L. Bat.
Trach. corpore elongato compresso, altitudine 5 1/3 circiter in ejus
longitudine, latitudine 1 2/3 circiter in ejus altitudine; capite obtuso
convexo 4 1/4 ad 4 1/2 in longitudine corporis; altitudine capitis 1 2/5
ad 1 1/2 fere in ejus longitudine; oculis obliquis subverticalibus, dia-
metro 4 circiter in longitudine capitis, diametro 1/3 ad 4/4 distantibus ;
linea rostro-frontali convexa; vertice granulis e centris pluribus radianti-
bus scabro ; fronte inter orbitas valde concava ; regione post- et suborbi-
tali granulis conspicuis scabra ; orbita antice spinis 2 maxime conspicuis
sursum et postrorsum directis; osse suborbitali anteriore antice spina valde
conspicua deorsum et antrorsum directa; rictu valde obliquo; maxillis
subæqualibus, superiore vix post oculum desinente 2 1/4 ad 2 1/5 in lon-
gitudine capitis ; dentibus maxillis palatoque parvis pluriseriatis, vomere
in vittam trianguliformem, palatinis in vittam elongatam gracilem, ptery-
goideis in turmam oblongo-elongatam dispositis; labiis cirris vel papillis
nullis; squamis genis multiseriatis, præoperculo limbo valde rugoso
alepidoto, margine posteriore convexo inferne spinis 4 distantibus parvis ;
operculo spina valida apicem membranæ opercularis attingente; inter-
operculo alepidoto; ossibus suprascapularibus superiore scabro postice
denticulato, inferiore lævi postice denticulis majoribus ; squamis lateribus
75 p. m. in linea laterali; linea laterali simplice, trunco vix curvata,
cauda postice deorsum flexa et media pinna eaudali producta, singulis
squamis tubulo simplice notata; pinnis dorsali spinosa spinis erectis valde
divergentibus sulcatis 2* ceteris longiore corpore non multo plus duplo
humiliore, radiosa spinosa non humiliore; pinnis pectoralibus rhomboi-
deis radiis inferioribus fissis sed ramis non divergentibus radiis longissi-
mis 7 1/4 circiter, ventralibus oblique rotundatis 12 ad 13, caudali ex-
tensa truncata angulis acuta 5 1/2 ad 5 2/3 in longitudine corporis ; anali
dorsali radiosa paulo humiliore; colore corpore pinnisqué...?; macula
postscapulari nigra majore parle infra lineam lateralem sita, dorsali
spinosa macula magna nigra (caudali et anali postice ocellis numerosis
pellucidis).
B. 6. D. 6/29 vel 6/20. P. 1/14. V. 1/5. A. 2/29 vel2/30. C. 1/11
et lat. brev.
200 BLECKER .
Syn. Trachinus draco Günth., Cat. Acanth. Fish. 11, p. 238 ex parte
(specim. guineens.).
Hab. Guinea (Arobor, Ashantee).
Longitudo 2 speciminum 205” et 207/”.
Remarque. — Les individus de la côte de Guinée qui ont servi
à la description sont évidemment de la même espèce que ceux de
la même localité et des iles de Gomara et de Lanzarote, décrits par
M. Günther et rapportés par lui au Trachinus draco. Je ne puis
pas être de l'opinion de M. Günther, qui considère ces individus
comme ne différant pas spécifiquement du Trachinus draco. J'ai
devant moi de nombreux individus de la dernière espèce, maïs tous,
les grands aussi bien que les petits, différent constamment de ceux
de la Côte-d'Or par un vertex moins rude, dont les granules ne
rayonnent pas de centres déterminés ; par un front beaucoup
moins concave, par des épines de Porbite moins fortes, et celles
des sous-orbitaires et du préopercule nulles ou rudimentaires, et
par des plaques dentaires ptérygoïdiennes beaucoup moins larges.
J'y trouve aussi quatre-vingts écailles au moins dans la ligne laté-
rale, sans les petites écailles de la nageoire caudale ; puis encore
je n’y vois ni la grande tache postscapulaire noire, ni les ocelles
de l’anale. Je possède beaucoup d'individus de la Vive commune
pris dans la Méditerranée, et achetés au marché aux Poissons de
Marseille, qui montrent une grande tache noirâtre derrière la
tête; mais cette tache se trouve beaucoup plus bas, et reste au-
dessous de la ligne latérale.
Du reste, je ne puis pas juger des couleurs de l'espèce de la
Côte-d'Or, les individus étant trop mal conservés.
Croyant ces individus bien positivement d’une espèce distincte,
je propose de rendre à celte espèce le nom que le célèbre direc-
teur du Musée de Leyde lui avait déjà donné.
Pseudotrachinus pardalis BI.
Pseudotrach. corpore subelongato compresso, altitudine 4 4/5 circiter
in ejus longitudine, latitudine 4 3/5 ad 1 2/3 in ejus altitudine: capite
obtuso cenvexo A circiter in longitudine corporis ; altitudine capitis 1 1/3
circiter in ejus longitudine; oculis obliquis subverticalibus, diametro
POISSONS DU GENRE TRACHINE. 381
k1/2 circiter in longitudine capitis, diametro 1/4 circiter distantibus ;
linea rostrofrontali convexa; vertice granulis e centris pluribus radianti-
bus valde scabro ; fronte inter orbitas valde concava; regione post- et
suborbitali granulis conspicuis scabra ; orbita antice spinis 2 valde con-
spicuis sursum et postrorsum directis; osse suborbitali anteriore antice
spinis 2 crassis valde conspicuis sursum directis anteriore quam poste-
riore longiore ; rostro vix convexo, apice oculi diametro 1/2 tantum ab
oculo remoto ; maxillis subæqualibus, superiore vix post oculum desinente
21/4 circiter in longitudine capitis; dentibus maxillis palatoque parvis
pluriseriatis, vomerinis in vittam trianguliformem, palatinis utroque latere
in vittam elongatam dispositis, pterygoideis nullis ; labiis cirris vel papillis
nullis ; squamis genis sessilibus multiseriatis; præoperculo limbo rugoso
alepidoto, margine posteriore convexo angulo ,parum rotundato, spinis
angulo vel inferne nullis; operculo limbo præoperculari rugoso superne
Spina valida apicem membranæ opercularis attingente vel subattingente ;
interoperculo alepidoto ; ossibus suprascapularibus postice denticulatis,
inferiore lævi, superiore scabro ; squamis lateribus 68 p. m. in linea
laterali; linea laterali simplice trunco vix curvata cauda postice deorsum
flexa et media pinna caudali producta, singulis, squamis tubulo simplice
notata ; lobo axillo-pectorali et plica subpectorali rudimentariis; pinna
dorsali spinosa spinis erectis valde divergentibus sulcatis 2° et 3* ceteris
longioribus corpore sat multo plus duplo humilioribus, radiosa spinosa
paulo altiore; pinnis pectoralibus rhomboiïdeis radiis inferioribus fissis
sed ramis non divergentibus radiis longissimis 6 circiter, ventralibus
oblique acute rotundatis 10 circiter, caudali 5 circiter in longitudine
corporis ; anali dorsali radiosa humiliore; corpore superne cærulescente
inferne margaritaceo; capite inferne præsertim violascente , superne
operculisque maculis rotundis et irregularibus nigricantibus; dorso late-
. ribusque superne maculis numerosis majoribus et minoribus frequenter
coalescentibus fuscis vel nigricantibus, maculis majoribus longitudinaliter
sed irregulariter seriatis; lateribus inferne maculis diffusis aurantiacis ;
pinna dorsali spinosa dimidio anteriore majore tota nigra ; pinnis ceteris,
anali excepta, radiis aurantiacis, dorsali radiosa caudalique maculis ro-
tundis et oblongis fuscis, dorsali in series 3 longitudinales dispositis ;
anali roseo-margarilacea vel grisea.
B. 6. D. 6/25 vel 6/26 vel 6/27. P. 1/15. V. 1/5. A. 2/25 vel 2/26.
C. 1/11 et lat. brev.
Hab. Guinea (Arobor, Ashantee).
Longitudo 2 speciminun: 240” et 245.
382 BLECKER..
Remarque. — J'ai comparé les deux individus de la Côte-d'Or
avec un individu du Trachinus radiatus W. de la Méditerranée
d'à peu près la même longueur. Cet individu montre les taches
annulaires décrites par les auteurs, et il a la couleur du corps et de
la tête beaucop moins foncée. Les deux espèces sont très voisines
l’une de l’autre , mais elles me paraissent être bien distinctes. Le
Trachinus radiatus, c’est-à-dire l'individu que j'en ai devant moi,
a la hauteur du corps un peu plus de cinq fois dans sa longueur.
La tête y est moins haute à proportion, et le museau plus convexe
et descendant plus au-dessous du niveau de l'orbite. Le diamètre
de l'œil n’est qu'un cinquième de la longueur de la tête, et la
mâchoire supérieure s'étendant bien au delà des yeux, a presque
la moitié de la longueur de la tête; puis encore les épines de l’or-
bite, et surtout celles du sous-orbitaire antérieur, sont beaucoup
moins développées, tandis que le préopercule est plus arrondi et
son limbe lisse. Le limbe préoperculaire de l’opereule ne montre
pas non plus de rugosité, et la pointe de la membrane de cet os
est plus obtuse. Le lobe axillaire, qui, de la partie supérieure de
la base de la pectorale, se recourbe en bas, est très développé, et
la plie sous-pectorale se prolonge en pointe libre.
FIN DU SEIZIÈME VOLUME.
ERRATA.
Page 200, lignes 23 et 27 : Bourbonnais, lisez Boulonnaïis.
— 202, ligne 32 : Calanes, lisez Balanes.
— 215, ligne 5 : Gadus morna, lisez Gadus morua.
TABLE DES ARTICLES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE,
Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère,
par M, Pasreur.
ANIMAUX VERTÉBRÉS.
Recherches sur les modifications que subissent après la mort, chez les
Grenouilles, les propriétés des nerfs et des muscles, par M. Faivre.
Note sur le système nerveux et'particulièrement sur le grand sympathique
du Marsouin, par M. Bazin . : $ L
Mémoire sur le cœur de la Tortue rhdcbel par . Her aebtae:
Recherches sur les glandes gastriques et les tuniques musculaires du tube
digestif des Poissons osseux et des Batraciens, par M. Martial Vazarour.
Recherches d'embryologie comparée sur le Es de la Truite,
par M. LEREBOULLET. . . . 2 A0 4e) 20 ;
Recherches sur les monstruosités Es Broche observées dans l'œuf,
par M. LerEBOULLET. . , . . » .
Notice sur le genre Trachinus (Artedi) et sur ses espèces par M. Becker,
Note sur différentes espèces de Vertébrés fossiles observés pour la plupart
dans le midi de la France, par M. Paul Gervais. PRE à
Description des restes fossiles de deux grands Mammifères constituant le
genre Rhizoprion (ordre des Cétacés, groupe des Delphiniens) et le
genre Dinocyon (ordre des Carnassiers, familles des Canides), par
M. Jourpan.
ANIMAUX INVERTÉBRÉS.
Observations sur les Hélices saxicaves du Boulonnais, par M, Boucuarp-
CHANSERANEUMS sub toonéssiel 20h ».01e vednbilenx :
Expériences sur le Cysticercus tenuicolis et sur le Tænia qui i ésnléé de sa
transformation dans l'estomac du Chien, par M. Barcer.
Observations sur quelques Infusoires, par M. WRzESNIOWSKI.
337
412
303
247
413
359
375
288
369
197
99
327
TABLE DES MATIÈRES
PAR NOMS D'AUTEURS.
Baicer. — Expérience sur le
Cysticercus tenuicohs et sur le
Tœnia qui résulte de sa trans-
formation dans l'estomac du
Chien. ë
Bazin. — Note sur le système
nerveux et particulièrement
sur le grand sympathique du
Margobin : : -
Bzecxer. — Notice sur le genre
Trachine et sur ses espèces.
Boucuarp-CHanTerEeaux. — Ob-
servations sur les Hélices per -
forantes du Boulonnais
Favre. — Recherches sur les
modifications que subissent
après la mort, chez les Gre-
nouilles, les propriétés desnerfs
el des muscles.
Gervais. — Note sur différentes
espèces de Verlébrés fossiles
observés pour la plupart dans
le midi de la France.
99
327
Jacouarr.—Mémoire sur le cœur
de la Tortue franche. .
Jourpax.—Descriptiondesrestes
fossiles de deux grands Mam-
inifères constituant le genre
Rhisoprion et le genre Dino-
cyon. : Vos MORCRE
LereBouzzer. — Recherches
d’embryologie comparée sur
le développement de la Truite.
— Recherches sur iles mons-
truosités du Brochet observées
dans l'œuf. FPE ,100e
Pasteur. — Mémoire sur les
corpuscules organisés qui
existent dans l'atmosphère. .
Vacarour. — Recherches sur les
glandes gastriques et les tu-
niques musculaires du tube
digestif des Poissons osseux
et des Batraciens. . .
WRZESNOWRSKI. — Observations
sur quelques Infusoires. .
303
369
113
2e
TABLE DES PLANCHES
RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME.
Planche 14.
Recherches sur les générations dites spontanées.
— 2et3. Embryologie de la Truite.
— 4. Roche calcaire perforée par des Hélices.
— et 6. Glandes gastriques, etc., des Poissons et des Batraciens.
— : 7. Structure du cœur de la Tortue.
— 8. Leucophrys Claparedii, W.
— 9. Oxytricha sordida, etc.
— A0, Rhizsoprion Bariensis.
FIN DE LA TABLE.
Paris, — Imprimerie de L. MARTINET, rue Migu: 0,2,
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Ann der Srienc mit. "Série Zool Tomcif 102
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Eméryologie de Le Truite.
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Certes gastriques des Lhéssons oser et des Batraciens.
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Structure du cœur de la Tortue franche
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