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DES
SCIENCES NATURELLES.
TOME XIX.
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IMPRIMERLE DE VEUVE me DUT
PAR
MM. AUDOUIN , ao. BRONGNIART Er DUMAS,
COMPRENANT
LA PHYSIOLOGIE ANIMALE ET VÉGÉTALE, L'ANATOMIE
COMPARÉE DES DEUX REGNES , LA ZOOLOGIE, LA
BOTANIQUE, LA MINÉRALOGIE , ET LA GÉOLOGIE.
TOME DIX-NEUVIÈME,
ACCOMPAGNÉ DE PLANCHES.
PARIS.
CROCHARD, LIBRAIRE - ÉDITEUR,
CLOITRE SAINT-BENOIT, Ne 16,
ET RUE DE SORBONNE, N° 3.
1830.
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ANNALES
DES
SCIENCES NATURELLES.
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Recuerones sur quelques-unes des Révolutions de
la surface du globe, présentant. différens exem-
ples de coïncidence entre le redressement des
couches de certains systèmes de montagnes; et
les changemens soudains qui ont produit les
lignes de démarcation qu'on observe entre cer-
tains étages consécutifs des terrains de sédi-
ment ; : i dl
(Mémoire lu par extrait à l’Académie des Sciences , le 22 juin 1829.)
Par M. L. Eure De BEAUMONT.
(Sel *G) we à re
CHAPITRE TV:
Révolution, de: la surface du globe qui est arrivée
pendant la durée du dépôt des terrains qu’on
©) Voyez les premières parties de ce Mémoire, tom. XVIIE } pag. 5
et 284. ï
XIX, — Janvier 1830. I
is (6)
appelle d’atterrissement , de transport, ou d’al-
luvion. Le redressement des couches d’un sys-
1ème de montagnes qui comprend les chaines du
V’entoux, du Leberon et de la Sainte-Baume
(en Provence), et la chaine principale des
Alpes (du Valais, en Autriche) , a eu lieu LA
‘cette révolution.
Je serai obligé, dans ce chapitre ,,de commencer par
faire la description de deux grands dépôts de sédiment ,
lun et l’autre plus récens que les terrains tertiaires ;
dépôts encore peu connus , et qu'on est dans l'habitude
dé confôndre sous le nom dé ‘terrains d’atterrissément ou
de transport, d’' aluvions anciennes ou de diluvium.
C’estentredeuxdémembrémensde cetensemble, regardé
à tort comme indivisible;iqhe se trouve la solution de
continuité dont je vais mocquper, et que je vais cher-
cher.à mettre. en rapport avec.une des dislocations qu'a
éprouvées l’écorce minérale du globe terrestre.
Ce chapitre se divisera naturellement en trois para-
graphés:, dont des deux premiers auront pour cbjet là
description des deux ter rains, d’atterrissement où de
transport les plus anciens du $.-E. de la France, et dont
le troisième sera consacré à là mise en rapport de la solu-
tion de continuité, quise-manifeste entre ces deux
dépôts, avec la dislocation!des couches d’un système de
montagnes , dont, font partie les chaînes du Ventoux,
du Lebérbn ‘dé l'Étoile’, de la Sainte- Baume , et plu-
SEnVS autres ! qui travhigent dé même la piSVerieé de
VE.-NE; à l'O.-S.-0., ainsi que la chaine principale
des Alpes (du Valais ,en Autriche).
CR) à
$ I".
Description du terrain d’atterrissement le plus ancien
des vallées de l'Isère, du Rhône , de la Saône, et
de La Durance. — Preuve qu'il a été déposé depuis
le redressement des couches secondaires et tertiaires
dans la partie occidentale des Alpes.
J'ai fait connaître plus haut que la vallée longitudi-
nale, dans laquelle s’élèvela petite ville de Saint-Laurent
du - Pont (1) (département de l'Isère), présente à
l'observation trois formations, dont les couches sont
inclinées , et même quelquefois verticales ; savoir : la
formation jurassique, la formation du grès vert et de la
craie, et la mollasse coquillière tertiaire, Quoiqu'on
n’aperçoive cette dernière qu'en un petit nombre de
points, on en. voit assez pour être sûr qu'elle partage les,
inflexions de la stratification des deux autres formations;
que ses tranches , plus ou moins inclinées, forment la
base du terrain de toute la partie centrale de la vallée de
Saint-Laureut, depuis Voreppe jusqu'aux Echelles, et
qu'elle s’y verrait presque partout à découvert, sans les
dépôts plus récens qui y constituent généralement la sur-
face du sol.
Sur la tranche de ces couches de mollasse, aussi bien
que sur celle des couches calcaires qui la supportent,
on voit s'étendre, en beaucoup de points, de grandes
masses de cailloux roulés, agglomérés, dont la stratifica-
(1) Carte de Cassini ,n° :19.
(8)
tion, à la vérité peu prononcée, n’a évidemment subi
aucun dérangement depuis la première époque de leur
dépôt.
Entre Saint-Laurent-du-Pont, et l’entrée de la gorge
qui conduit à la grande Chartreuse , le fond de la vallée
du Guyer est creusé dans la mollasse coquillière; maïs
les flancs et les sommets des collines, qui s'élèvent de
part et d’autre, sont formés par un dépôt de cailloux
roulés , arrondis, sans aucun mélange de blocs angu-
leux. Ces cailloux roulés, enveloppés d’un sable fin ,
un peu micacé, constituent des masses plus ou moins
solidement agglutinées. On les voit former quelques escar-
pemens au $.-E. de Provina, au-dessus des points où le
Guyer coupe des couches de mollasse à peu près vertica-
les. Ce dépôt , sans présenter lui-même de traces de stra-
üfication bien nettes, paraît s'étendre horizontalement,
et il est évident qu’il ne forme pas le prolongement des
couches dé mollasse, mais qu'il repose sur leurs tran-
ches. On a représenté cette disposition PIX VS GERS
où M représente la mollasse, et À , le conglomérat de
cailloux agglutinés.
‘Ce même dépôt a très-probablement rempli tout le
fond de la vallée de Saint-Laurent ; mais il n'existe plus
maintenant que le long des escarpemens des montagnes
de la grande Chartreuse, qui bordent cette vallée du côté
de l’est; il constitue , à leur pied, dés collines considé-
rables qui leur sont adossées, et qui n’ont pu évidemment
se former que depuis que les couches inclinées de ces
mêmes escarpéemens ont été redressées. Ces collines
elles-mèmes présenteut en divers points, du côté de la
vallée de Saint-Laurent, des escarpemens de plus de
(91)
200 mètres de hauteur, qui dévoilent la structure du
dépôt de cailloux qui les compose. Ce terrain de trans-
port'ne se divise nulle part en une série d'assises nette-
ment séparées ; il semblerait plutôt former une couche
unique de plusieurs centaines de mètres de puissance,
divisée, en quelques points, en strates irrégulières d’une
très-grande épaisseur. Ces strates sont souvent incli-
nées ; mais, comme l’inclinaison varie d’un point à l’autre
sans qu’il y ait aucun indice de rupture ni de plis, il est
évident qu’elle n’est pas l’effet d’un redressement , mais
que les strates se sont formées dans la position où on les
voit aujourd'hui, comme les strates obliques, qu’on
observe sur une échelle moins grande dans presque toutes
les couches arénacées ; et mème dans les calcaires ooli-
thiques.
Le ciment sableux qui unit les cailloux est souvent
assez cohérent pour former, de la masse entière, un pou-
dingue très-solide , et qui ressemble beaucoup, abstrac-
tion faite de la nature des cailloux qu'il contient , au
nagelfluhe de la Suisse , tandis que les parties du même
dépôt, dans lesquelles le ciment se trouve accidentelle-
ment dépourvu de cailloux, rappellent tout-à-fait les
parties les plus grossières de la mollasse, dont elles sont
cependant bien distinctes par l’époque de leur forma-
tiôn. L'absence des cailloux roulés dans des portions
d’une forme tuberculeuse , et irrégulièrement ramifiée,
de la masse sableuse qui leur sert de ciment, est une
circonstance très-fréquente dans ce grand dépôt de trans-
port, et tient probablement à la manière dont il a été
accumulé. Ces portions, sans cailloux, présentent des
contours trop irréguliers , et se fondent trop insensible-
{ 10 }
ment dans la masse générale du poudingue , pour qu'om
puisse les considérer comme des couches ; ou même
comme des strates. On ne peut y voir que le résultat
de variations brusques dans la quantité des cailloux em-
patés.
Ces cailloux sont d’une grosseur variable, mais qui ne
dépasse que rarement celle de la tête; ils sont tous bien
arrondis. On en trouve de granite et de gneiss talqueux ,
de schiste talqueux, ei surtout d’une roche amphibolique
plus ou moins schisteuse , qui est très-abondante dans la:
rangée de cimes primitives qui s'étend du Mont-Blanc à
la montagne de Taillefer dans l’Oisans; roche qui, à
cause de sa ténacité , a dû naturellement se conserver
mieux qu'aucune autre dans le transport. On voit aussi
un petit nombre de galets, d'euphotides , de roches ser-
pentineuses , et de variolites du Drac : on en remarque
très-souvent d’un. jaspe rouge ; enfin on en trouve, en
grande abondance , de calcaire compacte gris et blanc,
plus ou moins siliceux, ou même de silex; tels queceuxqui
abondent dans les couches jurassiques et dans les cou-
ches du système crayeux des contrées voisines. Enfin, on
en voit un grand nombre d’un quarz blanc micacé, plus
ou moins grenu, très-répandu dans les hautes montagnes
de la Tarentaise et de la Maurienne, où il paraît n'être
qu'une transformation des grès du sysième jurassique.
Le grand amas de cailloux roulés ne forme pas une
masse entièrement continue le long du pied des mon-
tagnes de la grande Chartreuse ; il est profondément
découpé par les vallées dans lesquelles coulent les torrens
qui desceudent de ces montagnes, et il présente aussi, le
Jong de ces vallées, de grands escarpemens. C’est dans
CU
une vallée de cette espèce, nommée Vallon de Roïze,
qui débouche près de Pomiers, que se trouve le gite
de combustible fossile qui porte le nom de ce village.
L’aflleurement est situé à mi-côte de la pente sep-
tentrionale de la vallée, qui est creusée jusqu'à son
fond dans le grand dépôt de cailloux qui présente ici,
presque partout , un poudingue assez solide. Cette roche
constitue, sur le flanc méridional et opposé de la mème
vallée, un escarpement qui s'élève depuis le lit du tor-
rent jusqu’à plus de 100 mètres au-dessus de ses eaux. Les
énormes strates qu’elle y présente sont inclinées de 30° ;
mais, comme celles de la partie supérieure et celles de
la partie inférieure plongent dans des sens opposés, sans
qu'il y aît entre elles aucune trace de rupture, il est évi-
dont que cette inclinaison date du moment où s'est fait
le dépôt, et que les masses qui la présentent sont des
strates plutôt que des couches.
* Lecombustible fossile, qui est supporté et recouvert
par une grande épaisseur du poudingue dont je viens de
parler, est renfermé dans une assise d’un grain très-
fin , et même tout-à-fait terreuse, qui s’y trouve inter-
callée. £a masse charbonneuse est formée de petites
strates planes , sur la surface desquelles se trouvent sou-
vent un assez grand nombre de planorbes, dont le test,
aplati , est blanc, friable , et comme calciné, Sa cassure
trausversale est quelquefois conchoïde, presque pisci-
forme, et analogue à celle du jayet; quelquefois au
contraire , surtout dans les parties les plus schisteuses ,
elle est terne et presque terreuse : le lignite est alors effer-
vescent par l'effet sans doute d’un mélange de la marne
qui lui sert de toit et de mur, ou peut-être d’un mé-
(12)
lange de détritus de coquilles. Un très-petit nombre
d'échantillons présentent d’une manière distincte des
traces d’une texture ligneuse, et il est probable que ce
combustible ne provient pas principalement de bois en-
fouis. Les tentatives d'exploitation dont il a été l’objet,
en ont fait connaître trois couches , de 1 ou 2 décimètres
de puissance, qui sont supportées , séparées et recou-
vertes par des bancs de marne grisâtre , de quelques
mètres d'épaisseur. On trouve , dans cette marne, des
veines d’un grès eflervescent, solide, d’un grain assez
fin , sans mélange de cailloux; mais on n’y voit aucune
trace de ces calcaires d’eau douce fétides , qui accompa-
gnent si constamment , et toujours de si près, les lignites
tertiaires, sans trace de tissus ligneux , de la Provence
et de la Suisse.
Il parait d’après cela très-probable que le lignite de
Pomiers , outre qu'il se trouve dans une autre formation
géologique, a été formé d’une manière un peu diflé-
rente ; mais il est important de remarquer que, quoique
renfermé dans un terrain de transport peu régulier, et
qu'on aurait pu croire accumulé rapidement, il présente
des traces incontestables d’un dépôt lent par petites assi-
ses successives dans une masse d’eau qui renfermait un
grand nombre de mollusques fluviatiles.
Au-dessus des assises sans consistance qui renferment
les trois couches de lignite, se trouve une masse assez
épaisse d’un grès calcaire qui ne contient pas de cailloux :
ce n’est autre chose que le ciment ordinaire des cailloux
qui s’en trouve ici accidentellement dépourvu , mais qui
plus haut en contient de nouveau en grande quantité.
Ce grès est en effet recouvert par une grande masse de
(13 )
poudingue qui constitue les pentes situées au dessus de
l’ancienne exploitation, et qui s’adosse aux premiers
escarpemens calcaires des montagnes de la grande Char-
treuse.
Sur la rive opposée du torrent qui traverse le vallon
de Roiïze, le même dépôt d’atterrissement forme aussi
de grandes masses qui se rattachent à celles qui , comme
je l'ai dit dans le chapitre précédent, recouvrent, à
stratification discordante, la mollasse tertiaire exploitée
dans les carrières de Voreppe.
Les torrens qui, prenant naissance au pied des escar-
pemens de calcaire jurassique qui constituent à l’E.-S.-K.
de Voreppe la roche de Lambernay, descendent de part
et d'autre du vieux château qui domine les carrières de
mollasse, ont creusé leurs lits profonds et très-inclinés
dans cette grande masse de poudingue qui s’adosse aux
escarpemens calcaires, qu'elle masque jusqu'à une
grande hauteur. Comme je l’ai déjà indiqué tome X VII,
page 350, et comme le montre la figure 3, PI. xv, ce
poudingue repose sur les couches coupées en biseau de
la mollasse coquillière tertiaire, sans présenter avec
elles aucune liaison. Parmi les galets de ce poudingue,
tous assez bien arrondis comme près de Saint-Laurent
et de Pomiers, on en trouve de granite , de roches ser-
pentineuses , de variolite du Drac, et un petit nombre
de quarz grenu schistoïde. Un plus grand nombre sont
formés de silex analogues à ceux que présentent les for-
mations calcaires des parties adjacentes des Alpes ; et la
plupart sont de calcaire, et offrent les diverses variétés de
cette roche qu’on rencontre dans lesmèmes formations : il
y en a qui ont deux fois la grosseur de la tête. Dans la pre-
(14)
mière masse de poudingue qui repose sur la mollasse de
Voreppe, j'ai trouvé un galet de calcaire compacte gris ,
contenant un grand nombre de Nummulites, et percé
de beaucoup de trous de coquilles perforantes ; ces trous
étaient remplis de sable agglutiné par un ciment calcaire
formant une masse analogue à de la mollasse , mais qui
ressemble aussi beaucoup au ciment même du poudingue
que nous décrivons.
En effet le sable fin agglutiné par un ciment calcaire,
qui sépare et unit les galets présente avec la mollasse une
ressemblance , qui devient trés-marquée dans les points
où les galets laissent entre eux de grands intervalles , et
plus encore dans certains strates tout-à-fait dépourvus de
cailloux , qui s’intercallent entre les strates obliques du
poudingue ordinaire. On voit même , dans les coupures
des ravins, quelques uns de ces strates présenter assez
d’étendue pour qu'on put être tenté de les prendre
pour des couches subordonnées de mollasse , si on ve-
nait à perdre de vue la solution de continuité et la dis-
cordance de stratification qui se manifestent si claire-
ment entre les couches de mollasse dans lesquelles les
carrières sont ouvertes, et la première masse de poudin-
gue qui repose immédiatement sur leurs tranches.
Nous avons vu d’ailleurs que la mollasse était déposée
au moment où les montagnes calcaires, dont la roche
de Lambernay fait partie, ont éprouvé leurs dernières
convulsions ; et la manière dont notre pondingue s’adosse
à ces mêmes escarpemens , montre qu'ils existaient dans
leur forme actuelle au moment de son dépôt, circons-
tance qui rappelle et qui confirme celle du même genre
que j'ai indiquée près de Saint-Laurent.
(15)
* La mème remarque peut être faite sur un lambeau du
mème système de cailloux roulés agglutinés , qui com-
pose, au N.-0. de Saint-Quentin, la rive gauche de
l'Isère. La montagne autour de laquelle tourne l'Isère ,
entre Voreppe et Saint-Quentin , est formée de couches
calcaires pliées en forme de voûte, qui plongent vers
V'E.-S.-E. et vers l'O.-N.-O., sous des angles d'environ
45°. Sur la pente de cette montagne se trouve, près de la
rive gauche de l'Isère , un peu au-dessus de Saint-Quen-
tsn, un monticule qui supporte une tour ruinée , et qui
est composé de cailloux agglutinés par un sable fin. Il ne
présente aucun mélange de blocs anguleux, et, par
suite de cette dernière circonstance , il fait évidemment
partie de l’ancien terrain de transport dont nous nous
occupons. Si cet amas de cailloux faiblement agrégés
avait existé au moment où les couches calcaires dont
il est si voisin ont subi une flexion violente, il aurait
sans doute été désagrégé, ou du moins divisé par une
nombreuse série de fractures qu’on n'y observe nulie-
ment.
En suivant notre 4errain de transport ancien jusqu’à
Saint-Quentin, nous venons déjà de sortir de l’ancienne
vallée longitudinale qui renferme Saint-Laurent-du-
Pont et Voreppe. En effet , les couches calcaires arquées
en forme de voûte , qui constituent les escarpemens
autour desquels tourne l'Isère, entre Voreppe: et Saint-
Quentin , ne sont autre chose que le prolongement de
cellés dont se compose le barrage qui borde à l'O.-N.-O.
la-vallée de Saint-Laurent. Ces dernières forment aussi
le dos -d’äne , et, après s'être relevées de dessous Vo-
reppe , Saint-Laurent et les Echelles , elles replongent ,
(16)
de manière à s’enfoncer au-dessous de Voiron , de Chi.
rens et de Saint-Geoire. Des bords de l'Isère, entre Vo-
reppe et Saint-Quentin, on aperçoit au-dessus de Ja
Buisse et de la croix de Moiran, entre Voreppe et
Voiron, des escarpemens dans lesquels cette disposition
des couches se dessine clairement.
Comme elle ne se reproduit pas dans les amas de
cailloux qui s'appuient dessus , il est évident que ceux-
ci ont été déposés depuis qu'elle a pris naissance. Du
sommet du monticule de mollasse, situé au sud de Rat,
on distingue très-bien , sur les flancs opposés des vallées
de Saint-Nicolas et de Saint-Aupre , au-dessus des
Parins , des escarpemens formés par les parties les plus
solides du grand amas de caïlloux. Ces escarpemens se
prolongent horizontalement , et il est indubitable qu’ils
iraient en s’abaissant vers l'O.-N.-O. , si les masses qui
les composent eussent existé à l’époque où les couches
calcaires de la porte de Chaiïlle , et des escarpemens voi-
sins de la Buisse, ont reçu leur inclinaison actuelle, car
il est évident que ces dernières couches se prolongent
au-dessous du poudingue en question. Elles auraient
donc influé sur lui tout au moins comme celles de la
montagne au sud de Saint-Nazaire ont influé, ainsi
que je l'ai dit plus haut , sur la mollasse située plus à
l'ouest. Quoique la mollasse du Royans ne soit pas
très bien stratifiée , surtout dans les parties où elle est
peu inclinée, elle m'a cependant toujours présenté,
dans la disposition de ses masses, la trace de l'in-
fluence qu'a exercée sur elle le redressement des cou-
ches voisines du système du grès vert et de la craie.
Cette influence ne se retrouve nulle part dans les
(am )
dépôts de cailloux dont je m'occupe ici , partout où on y
distingue une véritable stratification : cette stratification
est horizontale. Il est done clair, d’après la manière
dont se transmet de proche en proche, ou s'arrête brus-
quement l’inclinaison des couches des montagnes, que
le grand amas de cailloux est.distinct de la mollasse co-
quillière sur laquelle on le voit d’ailleurs reposer à stra-
üfication discordante ; et on reconnait en mème temps
que le redressement des couches alpines s’est opéré-entre
les: époques des formations de ces deux dépôts.
La discordance de stratifieation des deux dépôts ne se
manifeste pas moins .en dehors du barrage qui borde à
V’O.-N.-0. la vallée de Saint-Laurent , que dans l’inté-
rieur de cette vallée. Lé vallon. dans lequel se trouve
l’ancienne chartreuse ‘dé Saint-Aupre, au N.-E. de
Voiron (1) ,court au pied extérieur de ce même barrage,
et est même en partie creusé,à.ses dépens. Le flanc
O.-N.-0. de cette vallée est formé; sur la-plus grande
partie de sa hauteur, par des couches d’une mollasseana=
logue à celle de Voreppe ; qui plongent vers l'O: 26° N.
sous un arigle d'environ 70°. Mais, vers le haut du coteau
qui sépare la vallée de Saint-Aunpre de celle des Antas,
on voit s'étendre horizontalement ; sur la tranche des
couches de mollasse , un poudingue analogue à ceux que
j'ai indiqués daus la vallée de Saint-Laurent |
Üne circonstance remarquable ; c’est que les cailloux
du poudingue pénètrent à 3 où 4 décimètres dans l’ex-
trémité des couches de la mollasse, comme s’ils y avaient
été enfoncés par pression à ‘une époque où cette roche
(1) Carte de Cassini, no 110.
XIX. 2
(318)
n'aurait encore présenté qu'une masse sableuse peu co-
hérente. Du reste, à un mètre du contact, la mollasse ne
contient pas de cailloux, et comme en même 1emps sa
stratification ne se continue pas dans le poudingue placé
sur le prolongement de ses couches, on voit que les
deux dépôts sont parfaitement distincts.
Ce poudingue se rattache à ceux du même genre, qui,
plus à l'O. et plus au N. , constituent la petite montagne
nommée Cray de Bartacuchet, et celles adossées an
Cray de la Serre, ét par eux au masses du même genre,
dont sont formés les coteaux qui bordent au Sud la val-
lée du Guyer , depuis Vaussères jusqu’à peu de distance
de Chimillin. Il se lie également au grand système de
dépôts analogues , qui s'étend jusqu'aux rives du Rhône
et de la Saône , et dans toute la Bresse, et qui a de toui
temps fait naître dans l'esprit des observateurs l’idée d’un
vaste atlerrissement produit par des eaux qui, à une cer-
taine époque ; seraient descendues des Alpes.
*On peut'remarquer sous ce dernier point de vue que
les collines de cailloux agglomérés , situées au nord de
Voiron , sont en effet placées, relativement au Cray
dé la’Serre et au reste de la crête calcaire qui borde à
l'O.::N: 0. la vallée de Saint-Laurent, comme devraient
l'être des dépôts laissés par des courans par rapport aux-
quels ce barrage aurait joué le rôle de déversoir : ce sont
à peu près les plus élevées de tout le vaste ensemble
dont elles-font partie. Da pied de la roche de Lamber-
nay, près de Voreppe, on voit très-bien qu’à mesure
qu’on avance vers l’ouest ou. vers le Rhône, les collines
de ce système deviennent de moins en moins élevées,
en mème témps qu'elles deviennent de moins en moins
(49 )
découpées par des vallées, et se dessinent à l'horizon par
des lignes horizontales de plus en plus étendues.
Le niveau de ce dépôt n’est encore que très-peu abaissé
dans les collines élevées situées aux environs de Rives
et de Tullins , et le Fure, qui sort du lac de Paladru,
et traverse ces deux villes, y a creusé son lit profondé-
ment. Le lit du Fure ne se trouve guère à plus de 200
mètres au-dessus de la mer; et, comme les collines qui
le bordent atteignent une hauteur de plus de 800 mè-
tres , on voit que le terrain de transport qui nous occupe
présente ici une épaisseur de plus de 600 mètres.
Ce même dépôt ne s'élève déjà plus tout-à-fait aussi
haut dans les côteaux sur lesquels passe la route de Lyon,
entre la Frette et Bourgoin , et il se termine plus bas
encore , près de cette dernière ville.
Dans ces diverses localités , 1l présente la mème com-
position et les mêmes accidens de structure que dans
la vallée de Saint-Laurent. Les cailloux roulés de quarz,
provenant de l’intérieur des Alpes, y sont toujours très-
nombreux, et on y voit de même des portions d’un
contour irrégulier et comme ramifié , dans lesquelles le
sable, qui forme généralement le ciment de toute la
masse , se trouve dépourvu de cailloux. Quelques par-
ües du sysième sont très-solidement agglutinées ; et, sui-
vant qu'elles contiennent ou non des galets, elles for-
ment un poudingue qui rappelle le nagelfluhe, ou un
grès qui rappelle la mollasse. Entre Vermelle et Bour-
goin , ces parties uniquement sableuses prennent le
dessus, et on pourrait, à leur aspect, se croire au
milieu de collines de mollasse.
Au nord de Bourgoin se trouvent des collines élevées,
( 20,)
. dont toute la partie inférieure est composée d’un sable
fin en strates minces et souvent presque schisteux, mais
toujours faiblement agglutiné. La partie supérieure pré-
sente des cailloux , et est souvent assez solide pour deve-
nir un poudingue.
Au nord de la route qui conduit de Bourgoin à la
Tour-du-Pin, ce système forme un plateau assez étendu
qui constitue de ce côté l'extrémité septentrionale du
dépôt de transport doni je m'occupe. De divers points de
ce plateau on voit très-bien le mème dépôt s'étendre,
en se relevant peu à peu vers les montagnes de la grande
Chartreuse et les rives de l'Isère, et se découper de plus
en plus en collines arrondies à mesure qu'il s'en ap-
proche.
En montant sur ce plateau au nord de la Chapelle,
par la nouvelle route qui conduit de la Tour-du-Pin vers
Saint-Sorlin et Morestel, on peut observer, le long des
escarpemens qui le bordent , une coupe assez étendue du
dépôt de transport, dont la disposition générale est la
même que près de Bourgoin. Les cailloux roulés , rares
dans le bas, sont au contraire très-abondans dans le
haut ; vers le milieu on voit un poudingue à pâte de sable
micacé, plus ou moins fortement agglutiné , alterner ou
plutôt se mélanger par grosses veines irrégulières et
quelquefois ramifiées , quelquefois brusquement inter-
rompues , avec des masses du même sable dépourvues de
cailloux. Les cailloux que contient le poudingue sont
principalement composés de quarz schistoïde, de cal-
caire compacte noir, de granite , de jaspe rougeàtre. J'y
en a trouvé un de porphyre rouge avec paillettes de mica
et d’amphibole pareil aux porphyres des Vosges. Le sable
(273)
x
agglutiné est quelquefois très-ferrugineux ; il pré-
sente souvent une division en strates obliques, assez pro-
noncée : son degré d’agglutination est variable, et, au
milieu d’une masse peu cohérente, on observe souvent
des parties très-solides , en forme de sphéroïdes irrégu-
lièrement aplatis. On y trouve même des rognons de cal-
caire presque compacte, qui se fondent en partie dans
le reste de la masse. Des portions considérables de ce
sable agglutiné sont assez solides pour pouvoir être em-
ployées comme pierres de taille, en guise de véritable
mollasse.
Dans ses parties les moins fortement agglutinées, ce
sable mélangé de mica rappelle d’une manière frappante
les dépôts que forment actuellement le Rhône , l'Isère et
la Durance. Le mème sable , en devenant très-fin , passe
à une marne jaunâtre ou verdâtre ; quelquefois aussi il
devient bleuâtre, schisteux, micacé , et passe à une es-
pèce de mollasse schisteuse, un peu charbonneuse.
Ces mêmes parties sableuses et presque marneuses du
terrain de transport contiennent des fragmens de boïs
qui passent à l’état de lignite, mais qui présentent en-
core la texture ligneuse.
Ce bois fossile, en devenant plus abondant en certains
points, produit les amas de lignite ligneux , mentionnés
par M. Héricart de Thury dans sa Statistique minéralo-
gique du département de l'Isère , à Bevenais , à Longue-
Chanal, à Saint-Didier-sur-le-Lent, à Brizonnes, à Biol,
à Montrevel , à Droisin , à Blandin , à Virieu, à Panis-
sage, à Chelien , au Passage, à Saint-André, à Saint-
Didier, à Sainte-Blandine , à Saint-Jean-de-Soudain , à
Serezin , à Cessieux, à Montereau , et autres points des
(22)
environs de la Tour-du-Pin. Dans ces différentes locali-
tés , les lignites forment des couches de quelques déci-
mètres d'épaisseur, intercallés entre des couches d’argile,
de marne ou de sable agglutiné, qui alternent avec des
amas de cailloux , et qui font partie du grand dépôt de
transport ancien dont nous nous occupons.
Les lignites qu’on exploite à peu de distance de Saint-
Didier, des deux côtés de la grande route de la Tour-
du-Pin au Gaz, un peu en avant la Cassole , sont inter-
callés entre deux couches d’argile comprises dans la masse
terreuse et sableuse, inférieure à la masse principale de
poudingue. L'exploitation se fait par galeries inclinées,
qui toutes sont ouvertes dans un poudingue à pâte de
sable micacé, agglutiné, et dans lequel dominent les ga-
lets de quarz grenu et de calcaire compacte blanchätre ,
siliceux. Les matières extraites n’offrent aucune trace de
coquilles fossiles, ni de couches ou veines calcaires;
elles présentent, avec le lignite, un grès schistoïde ,
friable , presque terreux, sur lequel on voit quelques
impressions végétales. Ce grès alterne avec une argile ou
un sable très-fin , d’un éclat micacé.
Les lignites dont je viens de parler, et particulière-
went ceux de Saint-Didier, se composent de troncs d’ar-
bres aplatis, dans lesquels on reconnaît encore la texture
ligneuse ; ils présentent souvent des parties noires com-
pactes, à cassure éclatante, et semblable à celle du
jayet. Ils brülent en donnant, comme la plupart des
lignites , une fumée épaisse, et en répandant une odeur
tantôt aromatique , tantôt fétide et pénétrante.
On voit qu'ils diffèrent sensiblement du lignite de
Pomiers, dont ils sont toutefois contemporains ; ils sont
(33)
au contraire tout-à-fait analogues à ceux qu'on exploite
dans les parties adjacentes de la Savoie, à Novalèse , à
Barberaz , à Bisses, à Motte-Servolex, et à Sonnaz, près
Chambéry, dans un terrain de transport de même nature
et de même âge. La couche de lignite exploitée à Motte-
Servolex est recouverte par des couches horizontales
d’un sable micacé, faiblement agglutiné, analogue à celui
qui, près de la Tour-du-Pin, se trouve dans la partie
inférieure du terrain de transport, et qui renferme les
lignites. Au-dessous de Chambéry, sur le flanc droit de
la vallée, à peu de distance de Sonnaz, j'ai trouvé un
poudingue peu solide, tout pareil à ceux des environs
de la Tour-du-Pin.
Les lignites de la Tour-du-Pin sont aussi tout-à-faît
comparables , tant pour leur nature que par l’époque de
leur dépôt, à celui qu’on trouve aux environs de Cuzeau
(Saône-et-Loire), dans le terrain d’atterrissement qui
constitue la plaine de la Bresse.
Dans l’intérieur de cette plaine unie , on ne peut voir
de coupes du terrain que dans un petit nombre de vallées
qui entament un système d’argiles ou de marnes, de sa-
bles et de cailloux agelutinés , pareil à celui dont nous
venons de nous occuper; mais les vallées du Rhône et de
la Saône qui comprennent cette plaine, ou plutôt ce
plateau marécageux, dans l’angle qu’elles forment entre
elles , mettent sa composition à découvert en beaucoup
de points, et sur une grande hauteur. Dans les es-
carpemens qui bordent le Rhône , depuis le point où il
reçoit l'Ain jusqu’à Lyon . on voit reparaitre exactement
le terrain de transport que nous avons suivi sur la rive
opposée de ce fleuve, dans le département de l'Esère.
(24)
Tout près du pied du Jura, ce terrain se reconnaît
aisément dans les collines des environs d’Ambronay et
d’Ambrutrix , collines dont le profil, terminé aux deux
extrémités par des escarpemens , et supérieurement par
une ligne horizontale, montre clairement que les masses
qui les composent n’ont pas participé aux mouvemens
qu'ont éprouvé les couches des parties voisines du Jura,
et ont au contraire été déposées depuis le redressement
de ces couches. En effet, si ce dépôt eût existé à l’é-
poque de la dislocation du Jura, il est évident que,
quelque désagrégeable qu’il soit, on en trouverait des
lambeaux sur les pentes des montagnes voisines; ce
qui n'a pas lieu, et ce qui prouve qu'il a été déposé
à, leur pied lorsqu'elles avaient déjà leur forme ac-
tuelle.
À Lyon même, où j'ai pu examiner ce terrain avec
quelque détail , j'ai reconnu que sa partie inférieure est
principalement composée, comme à la Tour-du-Pin, de
sables agglomérés, tandis que les cailloux roulés, très-
abondans dans sa partie supérieure , en font un poudin-
gue des mieux caractérisés , qui est souvent très-solide.
Les points de la ville de Lyon où, en 1828, on pouvait
le mieux observer le terrain de transport qui nous oc-
cupe, étaient le chemin dit de la Boucle, qui monte de la
porte Saint-Clair à la Croiïx-Rousse , et un clos appar-
tenant à M. Ferrez, situé entre ce chemin et l’intérieur
de Ja ville. Différentes fouilles qui se trouvaient ouvertes
dans ce clos, à des hauteurs diverses, mettaient à décou-
vert plusieurs assises différentes.
Dans la partie la plus basse du clos, à quelques mètres
au-dessus du niveau du Rhône, le terrain se trouvait
(25 )
entamé par suite de la démolition récente de deux
petites fabriques de carton.
L'emplacement de celle qui était la plus basse et la
plus voisine du Rhône, présentait , dans un petit escar-
pement, des couches horizontales, mais composées de
strates obliques , d’un sable un peu micacé , faiblement
aggluuné; contenant de petites veines terreuses, un peu
ochreuses , dont j'aurai de fréquentes occasions de citer
les analogues dans d’autres parties du mème terrain.
Dans ce sable se trouvent des veines plus solides, en
forme d’ellipsoïdes très-aplatis, qui sont un véritable
grès à ciment calcaire, analogue à celui que j'ai indiqué
dans les collines au nord de Bourgoin.
Un peu plus haut, dans le mème clos, on exploite
pour les constructions un sable à gros grains de quarz et
de feldspath, qui provient évidemment de détritus de
roches granitiques , et qui sans doute doit son origine au
granite qui aflleure dans la ville mème de Lyon, et en
quelques points des environs ; ce sable , très-faiblement
agglutiné, est mélangé de veines de sable fin, stratifiées
obliquement. On voit cette masse sableuse passer, dans
sa partie supérieure, à un poudingue qui nest autre
chose que le même sable, mélangé de cailloux roulés et
consolidé par un ciment calcaire. La superposition et
le passage insensible de lune des masses à l’autre se
voient de la manière la plus claire.
Dans une carrière ouverte encore plus haut, on voit le
mème poudingue, grossièrement stratifié, alterner avec
de grosses strates sableuses sans mélange de cailloux.
On observe aussi très-bien ce poudingue dans les escar-
pemens qui bordent le chemin de la Boucle, où on le voit
(26)
reposer sur la grande masse sableuse inférieure , décrite
ci-dessus, et dans ceux qui s'étendent le long du Rhône,
sur la route de -Genève : partout ses masses, grossière-
ment stratifiées, s'étendent horizontalement. En beau-
coup de points , il contient de grosses strates irrégulières
de sable dépourvu de cailloux ; les galets qu’il renferme
sont quelquefois presque aussi gros que la tête, et tou-
jours bien arrondis. La plupart sont pareils à ceux que
j'ai indiqués dans la vallée de Saint-Laurent et près de
la Tour-du-Pin , et proviennent évidemment des Alpes;
quelques-uns rappellent au contraire les roches primi-
tives du Forez : ces dernières roches seulement se pré-
sentent quelquefois dans le poudingue en fragmens
anguleux. Ainsi , dans le poudingue qui forme des escar-
pemens sur la rive gauche de la Saône , entre Lyon et
l’île Barbe, on trouve des blocs anguleux d’un granite
analogue à celui de Lyon ; mais jamais on n’y trouve de
fragmens non roulés de roches provenant de contrées
lointaines; circonstance qui, comme on le verra plus
loin , est très-importante à remarquer.
J'ai déjà indiqué plus haut, tome XVIÏIE, page 364,
l'existence du même dépôt de transport ancien à Saint-
Fons, où sa présence offre un intérêt particulier , à
cause de sa superposition sur la mollasse coquillière ter-
tiaire , qu’on y exploite comme pierre à bâtir, dans plu-
sieurs carrières tant à ciel onvert que souterraines. Les
escarpemens des carrières mettent à découvert la ligne
de contact des deux dépôts , et permettent de voir elai-
rement que, quoique restés l’un et l'autre dans la si-
tuation horizontale dans laquelle ils ont été formés,
ils ne présentent cependant aucune liaison entre eux.
(27)
On remarque an contraire, comme J'ai cherché à le
figurer PI. xv, fig. 4, et PI. xvi, que la surface de la
mollasse était entamée et sillonnée par de petits ravins
qui en coupaient plusieurs couches, lorsque les parties
inférieures du terrain de transport ancien sont venues
la recouvrir. Ce terrain présente ici la même composi-
tion qu'à Lyon; et, dans l’escarpement qui surmonte
l'entrée d’une des carrières souterraines, il présente,
comme l'indique la PI. xvr, un exemple assez remar-
quable de la division en strates diversement inclinées ,
que j’ai mentionnée plusieurs fois.
Aux carrières mêmes , le dépôt de transport ancien
est en partie incohérent, et en partie seulement agglu-
tiné en un poudingue assez solide. Le long de la grande
route , au sud du village de Saint-Fons , il se présente
sur une grande hauteur en poudingue très-solide,
qui forme des rochers escarpés, pareils à ceux que
J'ai indiqués plus haut sur les bords du Rhône, près
de Lyon. Ce poudingue se retrouve plus au S.-E. , dans
l'espèce de cap qui s’avance entre le Rhône et l'Ozon,
près de leur confluent, et il fait partie de la masse de
terrain de transport qui s'étend sur la rive septentrionale
de cette dernière rivière. Le poudingue se trouve ici
associé et mème en quelque sorte subordonné à une
grande masse d’un sable fin et cohérent qui est en géné-
ral très-abondant dans toute la partie du terrain du
transport ancien qui avoisinne le pied des montagnes
du Forez.
En descendant du village de Solaise , bâti sur le
plateau, vers l'Oson, qui coule au sud, on suit un
chemin creux, profondément encaissé dans ce dépôt
(28)
sableux. Des portes qui s'ouvrent le long du chemin ,
donnent accès dans des caves creusées dans ce même
dépôt. Le sable qui le constitue est jaunâtre , assez fin,
et légèrement aglutiné par un ciment calcaire ; presque
partout il est dépourvu de cailloux roulés ; cependant
ceux-ci se montrent tout-à-coup en grand nombre dans
des portions de la masse sableuse, dont le contour est
elliptique, et qui sont comme isolées au milieu du reste.
Ce système repose immédiatement sur le gneiss qu’on
trouve au bas du.chemin creux, presqu’au niveau de
l’'Ozon.
On voit de grands escarpemens au sud de Vienne,
le long de la côte qu’on monte en se dirigeant vers Au-
berive. Ils sont formés en partie par un poudingue pareil
à celui de Lyon et de Saint-Fons, eten partie parun sable
fin et cohérent , pareil à celui de Solaise. Le poudingue
et le sable, sans présenter de stratification distincte, of-
frent des indices d’une disposition en masses horizontales;
mais ces masses ne se continuent pas à une grande dis-
tance , car, en deux points situés à peu de distance l’un
de l’autre, et exactement à la même hauteur, j'ai trouvé
dans l’un du poudingue, et dans l’auire du sable sans
cailloux. On voit donc clairement que le poudingue et le
sable ne forment que de grosses veines qui s’enchevètrent
irrégulièrement les unes dans les autres; circonstance
que j'ai déjà mentionnée près de Saint-Laurent , de la
Tour-du-Pin, etc. , etc.
Ce même sable, présentant des amas isolés pétris de
cailloux roulés, et contenant en quelques points des
couches bleuâtres, un peu argileuses, analogues à celles
qui , en d’autres points , avoisinent les amas de bois fos-
(29)
sile , forme tout le plateau qui s'étend au sud de Chonas,
et remplit toute la dépression dans laquelle se trouve
Saint-Prim. Des chemins creux le mettent à découvert
en beaucoup de points. J'y ai remarqué un grand nom-
bre de petits rognons tuberculeux, dans lesquels le sable
est empâté, et très-fortement agglutiné par un suc cal-
caire très-abondant ; leur cassure inégale présente une
grande quantité de petites cavités irrégulières , qui rap-
pellent celles que présentent certains calcaires d’eau
douce.
Le terrain de transport ancien dont je viens de décrire
diverses manières d'être, forme la côte située au sud
d’Auberive ; dans sa partie supérieure, comme à Lyon
et à Bourgoin , les cailloux roulés sont très-abondans.
Ils sont formés , comme dans ces deux endroits, de ro-
ches alpines ; maïs parmi eux on remarque des blocs
anguleux du gneiss du Forez. Ce mème dépôt constitue
aussi tout le plateau entre Auberive et le péage de Ros-
sillon ; de mème que ceux qui, de Vienne et d’Auberive,
s'étendent vers Bourgoin, vers la côte Saint-André,
vers Ajou.
Près d’Ajou on y trouve des dépôts de bois bitumineux,
à l’occasion desquels on a fait des recherches qui, d’après
M. Héricart de Thury ( Description minéralogique du
département de l'Isère ; Journal des Mines , tom. 33,
pag. 60), ont fait connaître , au-dessous d’amas de cail-
loux de tout diamètre et de marnes argileuses , la série
dé coûclies suivantes. 1°. Un banc d’argile bleue; 2°. Un
premier bane de lignites; 3°, Un banc de galets et de
cailloux; 4‘. Une couche d'argile bleue ; 5°. Un banc de
lignite; 6. Un banc d'argile bleue, contenant des bran-
(:800
ches , des troncs d'arbres et des racines plus ou moins
bien conservées; 7°. Des argiles rougeâtres et bleuâtres,
souvent en couches séparées , et quelquefois mélangées
ou confondues ensemble; 8. Un banc de bois très-bitu-
mineux, très-épais et très-compacte.
M. Héricart de Thury ajoute que le premier banc de
lignite renferme quelquefois des cailloux et des galets,
avec des terres argileuses. On y trouve une grande quan-
tité de coquilles fluviatiles et terrestres , qui sont toutes
aplaties ou écrasées, ce qui rappelle le lignite de Po-
miers.
Le même dépôt de transport se retrouve au sud de la
plaine caillouteuse qui s'étend de la côte Saint-André à
Saint-Rambert , et constitue les coteaux sur la pointe
avancée desquels s'élève la tour d’Albon, et ceux qui
séparent Creure de Saint-Uze et de la vallée de la Ga-
laure , et qui sont couronnés par un large plateau élevé
de plus de 320 mètres au-dessus du niveau de la mer. I]
constitue aussi les collines situées immédiatement à l'est
des buites de roches primitives qui forment la rive gauche
du Rhône, près de Saint-Vallier et de Tain.
Au pied oriental de ces protubérances granitiques , le
terrain de transport dont nous nous occupons présente
principalement des masses sableuses , faiblement agglu-
tinées , souvent disposées par grandes strates obliques,
qui s’inclinent dans diverses directions ; quelquefois il
devient très-grossier, et tout-à-fait analogue à des détri-
tus, à peine remaniés , de granite qui serait décomposé
presque sur place ; circonstance que j'ai déjà remarquée
à peu de distance de là, dans le dépôt tertiaire de la
mollasse. Il présente souvent des veines ferrugineuses ,
N
( 2% )
‘
irrégulières , plus solides que celles que j'ai indiquées
à Lyon, dans la masse sableuse qui forme la partie
inférieure du mème terrain de transport. J’ai observé
entre Blonac et Saint-Barthélemy, dans un sable grani-
tique faiblement agglutiné , des veines assez pures de fer
oxidé rouge. On remarque aussi en grand nombre , dans
ce dépôt sableux, comme dans celui au sud de Chonas
de petites masses tuberculeuses, dans lesquelles le sable
est fortement agglutiné par un ciment calcaire , et dont
la cassure est celluleuse , et rappelle celle de certains
calcaires d’eau douce ; elles sont disposées par lits, comme
les silex, dans la craie, et rappellent les concrétions de
marne endurcie ressemblant à du calcaire d’eau douce ,
que M. Voltz, danr son Aperçu de la topographie miné-
ralogique de l'Alsace, indique sous le nom de Kupstein
dans les glaises d’alluvion des environs de Strasbourg.
Des chemins creux sont souvent creusés très-profondé-
ment dans cette masse sableuse, dans laquelle on a mème
en beaucoup de points pratiqué des caves, comme, par
exemple, près du Soulon , le long du chemin qui con-
duit vers l’exploitation de kaolin de Larnage. Ce sable
est très-souvent dépourvu de cailloux sur de grandes
étendues; mais, dans différens points, on y trouve inter-
callés des amas pétris de cailloux , parmi lesquels domi-
nent ceux de quarz grenu schisteux : on y en trouve
aussi beaucoup de jaspe rouge , de roche amphibolique
schisteuse , etde calcaire compacte noir, gris et blanc.
Il paraïtrait que les parties du dépôt de transport
ancien que je viens de décrire ont été déposées dans une
sorte d’anse comprise entre les masses primitives des
environs de Saint-Vallier et de Tain , et les collines de
(3)
mollasse des environs de Clavezon et de Saint-Donat. je
ne connais jusqu'ici aucun dépôt du mème genre dans
la partie de la vallée du Rhône située plus au sud. On
voit au contraire ces dépôts se développer rapidement à
mesure.qu’on s’avance vers le nord et le nord-est; la
mollasse coquiilière disparaît sous ceux qui s'étendent
d’Albon et de Creure vers le Grand-Serre, Montrigaud
et Roybon. Mais si de ces divers lieux on s’avance au
midi, vers Saint-Donat, on voit le dépôt de transport
ancien s’amincir graduellement; bientôt il ne forme
plus que de petits lambeaux qui couronnent les coteaux
de mollasse coquillière tertiaire, et, d’après le peu d’é-
paisseur et la composition en partie argileuse de ces
lambeaux , je crois que le terrain de transport ancien ne
s’est jamais étendu beaucoup au sud de Saint-Donat.
À une lieue au uord de ce dernier endroit, le coteau
assez élevé qui domine , du côté de l’ouest, le village de
Baternay, est formé à sa partie supérieure par l’extré-
mité méridionale d’un petit lambeau détaché de terrain
de transport ancien , qui présente une assise de cailloux
roulés , en partie calcaire et en partie quarzeux , repo-
sant sur une couche argileuse qui contient un grand
nombre de tubercules calcaires irréguliers , dont la cas-
sure compacte et un peu celluleuse a une apparence
lacustre.
Le même dépôt de transport ancien constitue les
parties supérieures des coteaux qui s'étendent au nord
de Charaix et du château de Langon (1), et il y pré-
sente de même , dans des couches de glaise sableuse,
(1) Carte de Cassini, n° 119.
(33)
de gros tubercules calcaires à surface très-rugueuse ét
irès-irrégulière , dont la cassure grisâtre , compacte , un
peu celluleuse , rappelle celle du calcaire d’eau douce.
Aux environs de Montrigaud, et sur les plateaux cou-
verts de boïs et de bruyères qui s'étendent de Montri-
gaud vers Roybon, le terrain de transport ancien est
principalement formé d’une glaise sableuse , colorée
par de l’oxide de fer, et contenant de petits tubercules
ferrugineux , analogues par leur forme aux tubercules
calcaires dont je viens de parler, mais beaucoup plus
petits. Lorsque le lavage naturel , opéré par les pluies,
les a réunis en grand nombre dans les petites dépressions
de la surface , ils rappellent tout-à-fait certains minerais
d’alluvion de la Franche-Comté et de l'Alsace. Ce sys-
ième de glaise sableuse , avec grains de minerai de fer
pauvre , ressemble tout-à-fait à celui qui forme le sol
d’une partie de la Bresse, de la plaine basse du déparie-
ment de la Côte-d'Or (de Chälons-sur-Saône, à Pontoælier
et à Dijon) , et celui de la plaine du Suntgau , aux envi-
rons de Ferette (Haut-Rhin ). Le mème dépôt de glaise
sableuse, avec grains de minerai de fer pauvre, constitue
au nord-est de Roybon le plateau des bois de Chamber-
ran. Lorsqu'on descend de ce plateau, soit par le che-
min de Roybon, soit par celui qui conduit à Moulin-
Ruet et à la plaine plus basse de la côte Saint-André,
on trouve dans la partie inférieure de la glaise sablon-
neuse une assise épaisse, composée presque entièrement
de galets de grès à grain fin, à cassure terreuse , devenu
Jjaunâtre par décomposition , mélangés avec des galets
de quarz grenu schistoïde. Un peu plus bas, tant dans
l’une que dans l’autre descente , on trouve une couche
IX. 3
(54)
dans laquelle abondent les galets calcaires. La manière
semblable dont ces assises se süccèdent dans les deux
descentes , m'a semblé indiquer, avec une grande pro-
babilité, qu’elles se continuent au-dessous du plateau
des bois de Chamberan , et qu’'ainsi le terrain qui nous
occupe est formé ici d'assises étendues, d’une certaine
régularité.
En voyant qu'aux environs de Baternay, de Montri-
gaud et de Roybon, la composition de ce terrain de trans-
port ancien rappelle si fort les parties du même dépôt
qui constituent le nord de la Bresse, il m'a paru natu-
rel de conjecturer que les unes et les autres ont été dé-
posées aux deux extrémités d'un même lac, dont les
eaux douces se seraient étendues entre le Jura et les
montagnes du Forez et du Beaujolais, et auraient été
empêchées, par quelque disposition particulière , de
prendre leur cours vers le midi.
Cette supposition se trouve appuyée par la circon-
stance que la partie supérieure de ce système présente à
l’est de Roybon , au sud de Plan Michard , un calcaire
marneux qui à l'apparence de calcaire d’eau douce;
il forme une couche d’environ un mètre , qui renferme
quelques cailloux roulés , et il est intercalé dans la masse
de cailloux qui forme en ce point la partie supérieure du
terrain dont je m'occupe en ce moment. M. Fénéon, à
qui cette dernière observation est due, n’a pas trouvé
de fossiles dans ce calcaire; maïs son aspect permet peu
de douter qu'il n'ait été déposé dans l’eau douce, et
les caractères lacustres qu'il présente s'accordent avec
la présence de coquilles d’eau douce entre les strates
des lignites de Pomiers et d’Ajou, pour indiquer que le
(35 )
terrain très-récent , dont ces diverses couches font par-
tie, a été déposé en entier dans des eaux douces.
On doit convenir cependant que le grand dépôt dont
nous nous occupons ne présente pas toute l’unifor-
mité qu’on devrait s'attendre à y trouver s'il avait été
formé sous une grande masse d’eau complètement en
repos. La prédominance du sable , au pied des buttes
granitiques qui bordent le Rhône, s’expliquerait par la
superposition de courans qui entrainaient tous les maté-
riaux de ce terrain, et qui n'avaient pas toujours la force
d’amener les cailloux jusqu’au pied des collines graniti-
ques des bords du Rhône, mais toujours celle d'y amener
les sables. La présénce de masses de cailloux, à section
elliptique irrégulière, doit faire présumer que de temps
en temps un courant plus fort serait venu sillonner le
sable, et y amener des cailloux, Ces circonstances seraient
dificiles à concilier avec l’idée d’un dépôt dans un lac,
si on n'avait pas la faculté de supposer, comme on y est
naturellement conduit par des remarques qui se pré-
senteront plus loin, que les eaux de ce lac ne s’élevaient
pas à une grande hauteur, et qu’il se comblait progressi-
vement , à partir du point par lequel il recevait les eaux
des Alpes, par l'effet même de la quantité de matières
charriées que ces eaux amoncelaient de plus en plus
loin en avant de leur embouchure.
Quelle que soit au reste la manière dont ce vaste
atterrissement a été formé, l’origine des matériaux qui le
composent ne saurait être douteuse: presque tous les
fragmens reconnaissables qu’il présente sont des roches
alpines, complètement arrondies dans le transport. La
route que ces matériaux ont suivie n’est pas moins éVI-
( 36)
dente. De Lyon, des collines qui dominent Vienne,
Saint-Vallier, ete., on aperçoit le Mont-Blanc et les cimes
voisines, presque jusqu’à leur base , par une échancrure
ouverte entre les montagnes de la grande Chartreuse et
l'extrémité méridionale du Jura. Cette échancrure, con-
sidérée de plus près, se trouve barrée par des montagnes
d’une hauteur comparativement médiocre, formées de
couches du système jurassique , de couches du système
de grès vert et de la craie, et de couches de mollasse co-
quillière tertiaire , toutes fortement inclinées et quel-
quefois verticales. Cette série presque continue de mon-
tagnes d’une hauteur à peu près uniforme s’étend de
Belley à Voreppe ; le Rhône la traverse dans le défilé de
Pierre-Châtel, le Guyer dans celui de la porte de
Chaille, et la route de Chambéry dans une galerie sou-
terraine. Ainsi que je l’ai indiqué, elle a évidemment
joué , à l’époque dont nous nous occupons , le rôle de
déversoir par rapport aux eaux qui descendaient des
Alpes, soit que ces eaux, formant une nappe très-
étendue, aient couvert toute l’arête du barrage, soit
qu'elles n’aient passé que par les points les plus bas
de cette mème arête.
Les masses du mème dépôt de sables et de cailloux
qui se trouvent en avant du barrage, dans la vallée de
Saint-Laurent, au pied des premiers escarpemens des
montagnes de la grande Chartreuse, semblent avoir été
déposées dans un remous des mêmes courans.
M. d’'Epine, en examinant les terrains de transport
dans lesquels se trouvent, non loin de Chambéry, à
Sonnaz, à Motte-Servolex, à Bisses, à Barberaz et à No-
valèse , des couches horizontales de lignites ligneux , a
(37 )
été conduit à attribuer aussi leur formation à de pareils
courans, de l’action desquels il serait peut-être égale-
ment possible de reconnaître des traces aux environs de
Rumilly, de la perte du Rhône, et de Genève.
Il me semblerait beaucoup plus diflicile de dire po-
sitivement ce que devenaient ces mêmes eaux dans le
cas où elles n'auraient pas été dissipées par l’évaporation
du grand lac qui paraît avoir couvert à cette époque la
partie N.-O+du département de l’Isère , ainsi que la
Bresse. Comme dans la vallée du Rhône, au-dessous
du confluent de l'Isère, on ne trouve aucun dépôt de la
date de ceux que nous décrivons en ce moment ; il parait
évident que les eaux qui les produisaient ne se diri-
geaient pas de ce côté. Il n’est pas aussi certain qu'on
ne puisse un jour tracer leur ancien cours jusque dans
la vallée du Rhin, qui n’est séparée de celle de la Saône
que par un détroit terrestre peu élevé.
Lorsqu'on remonte la Saône , de Lyon à Chälons-sur-
Saône, on voit près de Neuville, de Genay, de Trévoux,
le plateau de terrain de transport ancien de la Bresse
venir, comme à Lyon, se terminer au bord de la Saône
en coteaux très-rapides, et même en falaises escarpées.
Il présente , comme en beaucoup de points déjà décrits,
une grande épaisseur de sable jaunàtre agglutiné, et
n'offre que dans sa partie supérieure un mélange de
cailloux roulés, qui forme alors un poudingue peu cohé-
rent. Les deux rives de la Saône deviennent ensuite
tout-à-fait plates sur une certaine étendue; mais presque
en face de Villefranche , au nord de Beauregard , des
collines s'avancent de l’intérieur de la Bresse jusqu’au
bord de la Saône , et forment sur sa rive gauche un cap
‘
(38 )
peu élevé, composé de sable agglutiné , analogue à celui
de Trévoux. En continuant à remonter, on voit le pla-
teau de terrain de transport ancien s'éloigner de nouveau
de la Saône , dont il se rapproche ensuite brusquement
pour former le cap sur lequel s'élèvent, au S.-E. de
Belleville , l’église et le château de Montmerle , et plus
loin, celui qui s’avance près d'Orme , entre Tournus et
Chàlons. Dans les intervalles, la rive gauche de la Saône,
formée d’alluvions récentes , serait constamment plate,
si les collines de calcaire oolithique , situées au sud-est
de Tournus , ne venaient interrompre son uniformité.
La même alternative de collines du terrain de trans-
port ancien et de plages basses d’alluvions récentes, con-
ünue sur la rive gauche de la Saône jusqu’à Verdun-
sur-Saône , et sur celle du Doubs , de la Loue et de la
Cuisance, jusqu'au sud-est de Dôle. La route de Dôle à
Lons-le-Saulnier, après avoir traversé ces trois rivières,
rencontre sur la rive gauche de la dernière un petit coteau
qui n’est autre chose que le bord du plateau de la Bresse.
Ce coteau continue à border la vallée de la Cuisance jus-
qu'à Mont-sous-Vaudrey, et présente çà et là divers es-
carpemens , qui permettent d’en étudier la composition.
Entre Nevy et Souvans, par exemple, il présente de
grandes masses de sable plus où moins agglutiné et plus ou
moins argileux , contenant en quelques points des cailloux
roulés qui en formentun poudingue plus ou moins solide.
Parmi ces cailloux roulés , on en trouve un grand nom-
bre de quarz blanc schistoïde , plus ou moins grenu, de
Jaspe rouge, de grauwacke, analogue à celle des Vosges.
Les cailloux roulés de granite y sont très-petits et très-
peu nombreux. Ces cailloux roulés, particulièrement
(39 )
ceux de quarz , se retrouvent dans un grand nombre de
vallées du département de la Haute-Saôae, où ils sont
fréquemment mélangés avec les minerais de fer en grains.
Ces mêmes cailloux de quarz se trouvent naturellement
en grand nombre dans le lit du Doubs, à Dôle, et dans
celui de la Saône , à Châlons, et on s’en sert pour paver
ces deux villes, comme on se sert de leurs analogues
pour paver les petites rues de Lyon et toutes les villes
des bords du Rhône.
La hauteur au-dessus des rivières des collines formées
par le terrain de transport ancien , va sans cesse en di-
minuant depuis Lyon, et même depuis Saïnt-Vallier,
jusqu’au nord de la Bresse, parce que la hauteur de ces
rivières au-dessus de la mer se trouve être de plus en
plus grande à mesure qu’on remonte vers leurs sources ,
tandis que la hauteur absolue qu’atteint le dépôt de
transport ancien se trouve être de moms en moins grande
à mesure qu'on avance vers le nord.
Entre Saint-Uze et Creure, au N.-E. de Saint-Val-
lier, les coteaux formés par le terrain de transport an-
cien , qui sont peut-être moins élevés aujourd’hui qu'ils
n'ont été à des époques antérieures , attendu qu’ils sont
dominés de beaucoup par les plateaux que forme le
mème terrain aux environs de Montrigaud et de Roy-
bon , s'élèvent encore à plus de 320 mètres au-dessus
de la mer. Au sud-est de Dôle, et aux environs de
Mont-sous-Vaudrey, les collines de terrain de transport
les plus élevées, qui donnent à peu près la hauteur du
plateau de la Bresse vers son extrémité septentrionale ,
ne s'élèvent guère au contraire à plus de 220 mètres au-
dessus de la mer.
(40)
La plaine basse qui s'étend au pied de la Côte-d'Or
jusqu'à Dijon, et qui , sauf l’interposition de Ja vallée
de la Saône, forme la continuation de la Bresse , est
mème encore un peu moins élevée. La ville de Dijon,
bâtie au bord et plutôt au-dessus qu'au-dessous du
niveau général de cette plaine, se trouve à 217 mètres
au-dessus de la mer; ce qui donne un abaïssement de
plus de 100 mètres depuis les coteaux situés au N.-E. de
Saint-Vallier jusqu'à Dijon ; différence qui se trouverait
portée à 300 et même à 5 ou 600 mètres , si, s’éloignant
du Rhône et des bords du massif central de la France,
on comparait le plateau de la Bresse aux plateaux de
mème formation, et d’une composition analogue, des
environs de Roybon , et aux collines que forme le ter-
rain de transport ancien près de Tullins et de Voiron.
Le fait de cet abaissement de niveau, qui s’opère gra-
duellement en allant de la partie N.-0. du département
de l'Isère vers le nord de la Bresse , et qui est trop régu-
lier pour qu’on puisse y voir l'effet d’une destruction
partielle du terrain de transport ancien, deviendra plus
frappant lorsque je pourrai publier le tableau des me-
sures barométriques par lesquelles je l’ai constaté.
Cet abaissement est d'autant plus important à remar-
quer, que le terrain de transport ancien ne s’élevant pas
sensiblement sur les pentes des collines et des monta-
gnes calcaires qui circonscrivent la Bresse , il est évident
que des points pris sur ces mêmes pentes , à la hauteur
des parties voisines de ce plateau , marqueraient 1æ hau-
teur jusqu’à laquelle elles ont été baignées par les eaux
qui ont déposé le terrain de transport ancien. D’après
,
(41)
ce qui vient d’être dit, l’ensemble de ces points, qui a
dû être de niveau si ce même terrain a été déposé dans
un lac, a cessé depuis lors d’être horizontal.
Je n’ai pu jusqu’à présent lier d’une manière continue
le terrain de transport de la Bresse avec le terrain de
même nature, qui, dans le midi du département du
Haut-Rhin, forme en partie le sol fertile du Suntgau,
et particulièrement les plaines faiblement ondulées des
environs de Dennemarie et d’Altkirch , au milieu des-
quelles se fait le partage des eaux entre le Rhône et le
Rhin (1). Ce terrain s'élève maintenant à un niveau
(1) L'espace compris entre Montreux et Dannemarie, dans lequel ce
partage s’opère, au lieu de présenter la chaîne de montagnes que la plu-
part des cartes y figurent , ne présente que de faibles ondulations ou de
petites collines , qui se soutiennent presque au même niveau jusqu’au
bord de l’Ill, où ce plateau se termine par des coteaux peu élevés. De
divers points de la route de Dannemarie à Aspach , par exemple entre
Ammertzwiller et Brunhaut-le-Bas , où cette route se trouve sensible-
ment au même niveau que le bief de partage du canal de Monsieur,
on voit s'étendre de toutes parts, à une grande distance, la plaine un
peu ondulée du terrain de transport, dont le niveau général s’abaisse
légèrement vers Illfurth, pour se relever ensuite à peu près au même
niveau, au sud et à l’est d’Altkirch, sur les routes de Ferette et de
Bâle.
Ce terrain présente une grande masse de glaise sableuse et un peu
ferrugineuse , jaune, marbrée , bleuâtre ou noire , où j'ai trouvé
dans la tranchée du canal de Monsieur, au-dessous de Dannemarie, un
grand nombre de petites coquilles probablement terrestres. Elle con-
tient souvent une quantité plus ou moins considérable de cailloux rou-
lés, de quarz ou de grauwacke , dont la grosseur varie de celle d’une
noisette à celle de la tête : on en trouve aussi quelques-uns de jaspe
rouge. Quoiqueles grauwackes rappellent celles des Vosges, j'ai cherché
presque vainement parmi ces galets, dans les environs d’Aspach,
d’Ammertzwiller, de Dannemarie, de Montreux , des granites et des
porphyres de ces montagnes : ce n’est qu'entre Montreux-le-Chäteau
(42)
beaucoup plus élevé (de plus de 200 mètres) que celui
du nord de la Bresse ; mais il ne faudrait pas se hâter
et Froïde-Fontaine que jy ai trouvé un fragment de porphyre quarzi-
fère en décomposition. Au contraire , les cailloux de quarz rappellent
assez souvent ceux qu’on observe dans le dépôt de transport ancien du
uord du département de l'Isère et de Lyon, et qu'on peut présumer
venir des Alpes ; mais je dois dire aussi que je ne saurais assigner l’ori-
give d’un grand nombre de ces cailloux , surtout des quarz schisteux à
feuillets plans, souvent micacés , qui constituent un grand nombre des
plus gros et des moins arrondis. Il ÿ en a aussi de grès des Vosges, et
d’autres qui rappellent les galets quarzeux, grisätres, un peu grenus ,
du grès des Vosges, les parties les plus solides du grès inférieur du
Las de la Haute-Saône et de la Haute-Marne, les arkoses de Saône-et-
Loire, certaines roches quarzeuses de la forêt de Serre, et même cer-
taines variétés des grès quarzeux tertiaires du nord de la France, etc.
Quelques-uns de ces galets de quarz sont pénétrés de cavités irrégu-
lières et comme cariées, circonstance que M. Voltz a déjà remarquée
dans les galets que présente le même terrain aux environs d’Altkirch.
(Voyez la Géognosie des deux départemens du Bhin, par M. Voltz,
ingénieur en chef des mines, p. 38.) Je crois me rappeler que les roches
primitives et les porphyres des Vosges et de la forêt noire se trouvent
au contraire assez abondamment dans les galets du même dépôt, entre
Altkirch et Ferette, et si ce fait se confirme, il sera difficile de ne pas
en conclure que les galets des environs de Dannemarie ont dù étre
charriés par des eaux qui coulaient, non de Alsace vers la Franche-
Comté, mais au contraire de la Franche-Comté vers l'Alsace et vers le
pied des montagnes des Vosges et de la forêt Noire. Les galets de por-
phyre rouge et quelquefois quarzifère , et ceux de quarz provenant de
l4 formation du grès des Vosges, sont assez fréquens dans les dépôts de
cailloux roulés de même en partie quarzeux des environs de Delemont,
qui s'élèvent , ainsi que les minerais de fer, sur les pentes des monta-
nes , jusqu’à près de 800 mètres au-dessus du niveau de la mer.
La glaise sableuse du Suntgau, jaunâtre et souvent comme mar-
brée le long des fissures de teintes diversement foncées et de quelques
nuances de bleu, rappelle , jusque dans ces légers accidens, le;
glaises du nord de la Bresse et de la plaine basse qui en forme la cou-
tinuation dans le département de la Côte-d'Or, aussi-bien que eelle
(43)
d'en conclure qu’il n’a pu se former sous une nappe
d’eau intérieure, liée à celle de la Bresse, et dans la-
quelle même cette dernière se serait déchargée ; car la
différence de niveau actuelle des deux dépôts peut s'être
produite depuis leur formation, comme la différence non
moins grande qui existe entre les niveaux des parties
des plateaux des environs de Montrigaud et de Roybon (Isère).
Ici comme dans ces divers lieux, la glaise est presque toujours mé-
langée de grains irréguliers de minerai de fer plus ou moins riche,
qui restent fréquemment isolés à la surface du sol par l’eflet du lavage
saturel opéré par les pluies. fls se lient évidemment aux minerais de
fer en grains, qui se trouvent sur toute la circonférence de la plaine
du Suntgau , soit à la surface ‘du sol, soit dans les cavités du calcaire
jurassique, et qui se présentent de même sur les bords de la plaine
de la Bresse, d’où ils entrent dans les vallées du département de la
Haute-Sadve , où ils contiennent des cailloux roulés de quarz, des csse-
meus de Rhinocéras et d’Ours, et où ils se lient à ceux qui pénètrent
sous forme de boyaux dans le calcaire jurassique (1).
Ou voit par là que le terrain de transport ancien dont nous nous
occupons est contemporain de la formation de minerai de fer pisi-
forme, décrite par M. Brongniart (2), et de la formation des gîtes
d’ossemens des cavernes de la Haute-Saône et de diverses autres con-
trées.
On devra probablement rapporter à la même époque et à la même
origine le dépôt de transport considérable qui s'élève à environ 80 mè-
tres au-dessus du Rhin (200 mètres au-dessus de la mer), dans les
collines et les plateaux situés au S.-E. de Lauterbourg (Bas-Rhin), où
il a été observé depuis long-temps par M. Voltz, et où il est devenu
récemment l’objet des recherches de M. Rozet.
(1) Voyez la Notice sur les grottes du département de la Haute-Saône, et sur
les ossemens fossiles qu’elles renferment; par M. Thirria, ingénieur au corps
royal des mines. Annuaire de la Haute-Saône , 1829.
(2) Voyez la Notice sur les brèches osseuses et les minerais de fer pisiforme de
même position géognostique , par M. Al. Brongniart, Ann. des Sc. nat., t. XIV,
p. {ro ; et les Observations additionnelles à cette même Notice, que M. Brongniart
a consignées dans les Ann. des Sc, nat, ,t. XVI, p. 80.
(44)
septentrionale et méridionale du dépôt de la Bresse, et
il ne serait peut-être pas impossible de trouver, dans les
parties du Jura qui avoisinent Delemont et Saint-Ur-
sanne , des traces de mouvemens considérables du sol ,
qui se seraient produits après la formation du terrain de
transport ancien.
Nous allons bientôt voir sur les bords de la Durance
des dépôts du même âge, dont le niveau a été bien plus
fortement dérangé , et qui ont même été disloqués. Dans
le troisième chapitre de ce Mémoire, J'ai eu plusieurs
occasions , t. XVIIT, p. 373 et suiv., de faire mention
du terrain de transport ancien dans lequel est en partie
creusée la vallée de la Durance , entre Volone et le Per-
tuis de Mirabeau. J’ai dit qu'il compose les collines qui
forment, entre Mirabeau et Sainte-Tulle , le flanc droit
de cette vallée, et j'ai aussi indiqué son existence dans
celles des environs de Manosque, de Volx, de Ville-
neuve, de Ganagobie et de Volone.
Je vais maintenant le décrire le plus succinctement
possible , en le prenant d’abord sur la rive gauche de la
Durance , où il occupe une surface considérable , puis-
qu’il s'étend jusqu'aux Moutiers , jusqu’au-delà de
Mezel , et jusqu’à peu de distance de Digne.
Ce terrain, qui couvre d’assez grandes étendues entre
Cotignac (Var) et Greoux ( Basses-Alpes) , forme , près
de cette dernière petite ville, presque toute la rive droite
du Verdon et ensuite du Colostre (x); ily est super-
posé , tantôt à un calcaire contemporain du grès vert, et
tantôt à un calcaire tertiaire lacustre , qui rappelle celui
de Manosque.
(x) Carte de Cassini, n° 153.
(4 )
Sur le flanc septentrional de la vallée du Colostre,
entre Greoux et Saint-Martin de Bromes , on voit pa-
raître le long de la route de Riez un calcaire d’eau douce
évidemment supérieur au calcaire contemporain du
grès vert dans lequel le lit du torrent est profondément
creusé. Ce calcaire d’eau douce s'élève brusquement en
divers points à travers un poudingue principalement
composé de galets calcaires, réunis par un sable fin ag-
glutiné, qui en enveloppe fréquemment des blocs plus
ou moins considérables. Tout annonce que ce poudingue
est venu embrasser des escarpemens de ce calcaire , bor-
dés d’éboulemens, et qu’ainsi il appartient à une forma--
tion plus récente que la sienne , et qui en est nettement
séparée; ce qui va se trouver confirmé par un grand
nombre d’autres observations.
Plus haut, dans la vallée du Colostre, à peu près à
moitié chemin de Saint-Mariin-de-Bromes à Allemagne,
on voit sur la gauche de la route de Riez, le calcaire
d’eau douce alterner avec des marnes souvent un peu
schisteuses, grises, d’un gris bleuâtre, brunes et noires ;
ces couches , dont la composition rappelle naturellement
celle du dépôt d’eau douce des environs de Manosque,
sont presque horizontales. La surface supérieure de la
masse totale , sans être fortement inclinée dans son en-
semble, présente des inégalités qui entament les cou-
ches. Sur cette surface qui porie ainsi l'empreinte d’une
ancienne dégradation du dépôt tertiaire, repose un agglo-
mérat qui ne s’y lie par aucun passage; il se compose
d'assez gros galets calcaires, réunis par un sable fin
agglutiné , et rappelle entièrement par son aspect celui
qui constitue en grande partie, près de Voreppe, le
(46)
terrain de transport ancien. Dépourvu de couches fria-
bles , il forme des rochers escarpés. Comme il n’y a
pas un seul caïllou roulé dans les couches calcaires et
marneuses sur lesquelles il repose, tandis qu'il ne
présente lui-même, du moins jusqu'à une certaine
hauteur, aucune assise marneuse , le contraste des
deux formations est aussi brusque et aussi tranché que
possible.
Ce poudingue forme la base d’un système très-épais
d'assises alternatives de conglomérats et de marnes, tan-
iôt rouges , tantôt d’un gris bleuätre ou jaunâtre sale,
dans lequel est creusée toute la partie su périeure de la
vallée du Colostre , aussi-bien que celle de ses divers
afluens : les cailloux roulés qu’il y présente sont pour
la plupart calcaires. Entre Allemagne et Riez , j'en ai
remarqué un grand nombre d’un calcaire compacte,
très-bleu , et quelquefois traversé de petites veinules
rouges contournées, rappelant à la fois les calcaires
blancs, qui. dans les chaînes de la Sainte-Baume et de
l'Étoile, font partie du système du grès vert et de la
craie , et certains calcaires d'eau douce du département
des Bouches-du-Rhône.
En allant de Riez à Puymoisson , village situé à une
lieue plus au nord, on remarque aussi un grand nom-
bre de ces galets composés de calcaires blancs, présen-
tant les caractères et même, à ce qu'il m'a paru, les
fossiles de certzines couches que présente le système du
grès vert et de la craie sur les bords de la Méditerranée,
et d’autres d’un aspect lacustre assez prononcé. Ces der-
niers offrent souvent, comme certains calcaires d’eau
douce du département des Bouches-du-Rhône, beaucoup
( 47 )
de petites cavités tapissées où remplies de spath cal-
caire.
Le village de Puymoisson est bâti sur le bord d’un
plateau, dont les diverses ramifications remplissent l’es-
pace compris entre les vallées du Colostre, de l’Asse et
de leurs affluens, et qui est entièrement formé par le
terrain ancien dont je m'occupe. Sa surface n’est pas
entièrement horizontale ; elle se relève au nord , et je
ne doute pas que la surface supérieure du terrain de
transport ancien n’aille ainsi en se relevant d’une ma-
nière presque uniforme, du midi vers le nord , depuis
Brue et Cotignac ( Var) jusqu'à la vallée de l’Asse ; nous
verrons même plus loin qu’elle continue encore à s’éle-
ver graduellement au-delà de cette dernière vallée. Le
sol de ce plateau est couvert et même en grande partie
composé de cailloux roulés qu’on pourrait être tenté de
comparer à ceux de la Crau, s’ils n'étaient pas pour la
plupart calcaires , tandis que ceux de la Crau, qui d’ail-
leurs appartiennent à une autre formation , sont pour la
plupart quarzeux. On conçoit aisément qu'un sol ainsi
composé est assez pauvre ; aussi les amandiers qui y
sont plantés en grand nombre y forment-ils un des
objets de culture les plus importans.
Ce plateau se termine au N.-N.-O, , vers la vallée de
l'Asse , profonde de plus de 200 mètres, par une pente
très-rapide , déchirée par de nombreux ravins , qui met-
tent à découvert sur une grande hauteur la composition
du terrain de transport ancien.
Le long de la descente qui conduit à la Begude blan-
che , il présente une succession de grosses assises à peine
distinctes de marnes quelquefois sableuses , tantôt rou-
(48 )
ges , tantôt d’un gris jaunâtre ou bleuâtre , et d’un con:
glomérat plus ou moins solide , à ciment terreux ou sa-
blonneux, dont les galets, le plus souvent calcaires ,
sont fréquemment ‘plus gros que la tête. Les plus nom-
breux sont formés de diverses variétés de calcaire noiï-
râtre ou gris, souvent marneux ou schistoïde , appar-
tenant soit au terrain jurassique, soit à celui du grès
vert et de la craie, qui constitueni en grande partie les
montagnes situées à l’est de Digne et des Moutiers. Tou-
tefois , j'y ai aussi remarqué en assez grand nombre des
fragmens de calcaire et de silex d'apparence lacustre ,
dont les analogues n’existent, du moins dans des con-
trées peu éloignées , que dans les dépôts tertiaires d’eau
douce de Forcalquier, des Bouches-du-Rhône et du
Var; j'ai même remarqué entre autres un fragment de
calcaire , à noyaux composés de couches irrégulièrement
concentriques , tout pareil à celui qu'on rencontre fré-
quemment dans le terrain d’eau douce, entre Aix et
Gardanne (Bouches-du-Rhône). On doit aussi remar-
quer la ressemblance qui existe entre les marnes rouges
qui forment une partie assez considérable de ce terrain
de transport, et celles qui font partie des terrains d’eau
douce des départemens de Vaucluse et des Bouches-du-
Rhône. Les deux circonstances se réunissent pour prou-
ver que notre terrain de transport, évidemment plus
récent que les dépôts tertiaires sur lesquels il repose,
sans se lier à eux, a été formé en partie de matériaux
provenant de leur destruction.
Je dois encore ajouter qu'avec les galets que je viens
de mentionner, j'en ai trouvé plusieurs d’un calcaire
compacte gris, nuancé de jaune, analogue à des varié-
( 49)
tés très-fréquentes du muschelkalk du Var ; ce qui con-
courrait à établir que les matériaux du terrain de trans-
port sont venus du midi et de contrées dans lesquelles il
paraît d’ailleurs très-probable que le muschelkalk et les
dépôts d’eau douce n’ont jamais occupé un niveau aussi
élevé que celui auquel on trouve ici leurs matériaux (ce
niveau est, entre Puymoisson et la Begude blanche,
de plus de 650 mètres au-dessus de la mer); d’où il
résulte 1° que la direction des cours d’eau a com-
plètement changé dans ces contrées depuis la forma-
tion du terrain de transport ancien ; 2° que depuis
cette même époque, les niveaux relatifs des diflérens
points de ces contrées ont changé, de manière à ce que
les points où nous nous trouvons se sont élevés de beau-
coup par rapport à ceux qui sont situés plus au sud et
plus près des côtes ; deux circonstances qu'il était im-
portant de faire remarquer, et sur lesquelles je revien-
drai plus loin.
Sur la rive droite de l’Asse, entre cette rivière et la
Bleonne , le même terrain de transport s'élève , dans l’é-
tat actuel des choses , à une hauteur plus grande encore.
Il constitue un plateau incliné et profondément découpé,
qui se ramifie entre les grands ravins qui tombent dans
l’Asse, au-dessous de Mezel , et se relève graduellement
versune crète irrégulière située un peu au N.-N.-0O. dela
ligne qui joindrait le Puy-Michel à Mezel et dont le plan
forme sensiblement le prolongement de celui du plateau
que j'ai indiqué ci-dessus , au midi de l’Asse. Ce relève-
ment uniforme de la surface du terrain de transport an-
cien du midi vers le nord , se présente très-clairement à
l'œil, lorsque , placé sur la montagne de Notre.Dame-
XIX, 4
(50)
des-Roches , au nord de Volx, sur la rive droite de la
Durance , on observe les coteaux de la rive opposée, que
le terrain de transport ancien compose en totalité.
La crête irrégulière qui, comme je viens de le dire,
s'étend un peu au N.-N.-O. d’une ligne tirée de Puy-
Michel à Mezel , présente à l'observation des faits cu-
rieux , que je vais successivement faire connaître , en la
parcourant à partir de son extrémité occidentale, qui
est la plus voisine de la Durance , et la moins élevée.
On s’élève de la petite ville des Mées, bâtie dans la
vallée de la Durance , jusqu'à la cime des coteaux élevés
qui la séparent du village de Puy-Michel , en remontant
des ravins creusés profondément dans des poudingues
pareils à ceux dont jai parlé ci-dessus, et présentant
toujours principalement des galets calcaires et quelque-
fois siliceux , dont la grosseur est fréquemment double
de celle de la tête. Ces poudingues , qui rappellent par
leur aspect celui qui constitue le terrain de transport
aucien près de Voreppe , sont ici assez solides ; ils pré-
sentent même près des Mées des parties très-résistantes ,
que l’action atmosphérique a taillées en une suite de
pyramides qui produisent, sur le bord de la vallée de
la Durance , un effet plus bizarre que pittoresque. Près
du point culminant du sentier, on trouve intercallé ,
dans la partie supérieure du poudingue, un grès très-
calcaire, un peu marneux, à surfaces tuberculeuses ,
présentant dans l’intérieur de petites géodes de spath
calcaire. Son aspect rappelle les dépôts lacustres , cir-
constance qui doit être rapprochée de celle du même
genre que présente le terrain de transport ancien aux
environs de Roybon (Isère). Il est en effet assez proba-
(51)
ble que tout le système dont il fait partie a été déposé,
comme les systèmes contemporains du N.-O. du dépar-
tement de l'Isère et de la Bresse, et celui du Suntgau,
sous une grande nappe d’eau douce,
Si on s’avance du côté du nord , dans la direction de
la Bastide de haute montagne, on atteint bientôt la ligne
de partage entre le penchant qui regarde la rivière
d'Asse, et le penchant beaucoup plus rapide qui regarde
le Rhône. Sur le premier, le plan supérieur de la masse
de cailloux s'incline légèrement au sud , et va corres-
pondre , comme je l'ai déjà fait pressentir, au plateau
que forme le même dépôt au midi de l’Asse; mais vers
le nord on n’aperçcoit pas la mème régularité. Sur la
rive septentrionale de la Bleonne , le dépôt de transport
ancien constitue, au nord des Guillaumonds et d’Ay-
glun , de petites montagnes que la prolongation du plan
légèrement incliné dont je viens de parler irait couper
vers le milieu de leur hauteur ; ce qui indique que le
même terrain y a subi des dérangemens que devaient
aussi faire présumer les faits curieux que j'ai indiqués
(t. XVII, p. 392) entre Volonne et Lescale.
Près de la Bastide de haute montagne, la ligne de
partage entre l’Asse et la Bleonne se trouve déjà à plus de
750 mètres au-dessus de la mer, et, à partir de ce point,
elle présente une série de proéminences qui vont en s’é-
levant vers l’est, et le long desquelles je. vais essayer de
conduire le lecteur. Elles finissent par atteindre , au sud
du Chaffaut, une hauteur absolue d’environ 850 mè-
tres ; hauteur peu différente de celle qu’atteint le terrain
de transport ancien dans les collines les plus élevées des
environs de Voiron (Isère ).
(52)
Si d’abord nous descendons dans les vallons très-pro-
fonds qui prennent naïssance près de la Bastide de l’hô-
pital, les ravins considérables qui entament leurs pentes
nous montreront un poudingue à gros galets , la plupart
calcaires , mais parmi lesquels on en trouve aussi quel-
ques-uns d’un quarz grenu blanc, un peu schisteux ,
fréquent dans différentes parties des Alpes. Quant aux
galets de roches primitives, ils sont ici excessivement
rares ; je n’en ai trouvé qu'un seul : c'était un fragment
d’un schiste micacé, dont on pourrait trouver l’analogue
sur le littoral du département du Var. Je n'ai pas réussi
à trouvér une seule des roches de l’Oisans. Ce poudin-
gue grossier alterne par gros bancs avec des marnes
rouges , d’an gris bleuâtre , et jaunes, qui contiennent
en un grand nombre de petits tubercules calcaires très-
irréguliers, d’an aspect lacustre , et qui rappellent ceux
que j'ai mentionnés dans le terrain de transport ancien
du N.-O0. du département de l'Isère (Chonas, Bater-
naÿ; etc. ). Parmi ces couches , j'en ai aussi trouvé une
d’un grès calcaire à grain assez fin , qui rappelle assez
bien la mollasse , mais qui rappelle encore mieux celui
qui se trouve intercallé dans le dépôt de transport ancien
de Voreppe et de Pomiers (Isère ).
Ces couches ne présentent pas ici d’inclinaïson bien
sensible ; mais si on monte sur les hauteurs très-décou-
pées situées au sud du village d'Epinouse, on commence
à y'apercévoir d’une manière bien marquée une double
inclinaison , qui, comme celle de la surface extérieure,
s'incline d’une part légèrement au midi, vers lAsse,
et de l’autre plonge au nord , vers la Bleonne , sous un
angle beaucoup plus prononcé.
(55)
Des hauteurs situées en face de la vallée de l'Eduye,
on voit les couches de l’arête escarpée, située près du
Teisson et des escarpemens voisins, plonger au N. 15° O.
sous un angle très-sensible à l'œil, et que j'ai évalué à
5 ou 6°. Du côté opposé, les couches plongent , entre
le S. et le S. : S.-E., sous un angle qui ne dépasse guère
2°; elles forment ainsi une espèce de toit, dont les
deux pentes sont inégales , et dont l’arête se dirige et se
relève légèrement vers l'E. © N.-E, , de manière à aller
passer à une demi-lieue O.-N.-O. de la petite ville de
Mezel, entre les Bastides de Bautujas et de Creas.
En me dirigeant vers ce point à travers les extrémités
supérieures de plusieurs vallons très-profonds, j'ai vu se
reproduire dans le terrain de transport ancien les eir-
constances déjà mentionnées, et j'y ai seulement remar-
qué de plus, entre Chemillers et Bautujas, quelques
galets de roches serpentineuses , et de variolites analo-
gues à celles du Drac.
Un point situé un peu à l’ouest du milieu de la ligne
qui, sur la feuille 153 de la carte de Cassini, joindrait
la Bastide de Bautujas à celle de Creas , est remarquable
en ce que les couches du terrain de transport ancien, qui
y sont horizontales sur une petite étendue , plongent de
toutes parts, à partir de ce point, sous des angles que
j'ai vu aller jusqu’à 70°. Cette inclinaison se commu-
nique d’une manière plus ou moins marquée aux cou-
ches du terrain de transport, dans un espace de deux
lieues de diamètre, qui, comprenant le territoire de
Mezel , s’étendrait jusque vers Estoublon, Beynes et
Château-Redon (1). Dans tout cet espace, les couches
(1) La diligence de Marseille à Digne passe à Mezel. La grande
(54)
se relèvent à peu près vers le point que j'ai indiqué ,
offrant ainsi la disposition qu’on remarquerait dans un
cratère de soulèvement très-dégradé, dont ce point serait
le centre. La fig. 2 de la PI. xvrr du tome XVIIT pré-
sente une coupe figurative des couches redressées, faites
par un plan dirigé de V'E.-S.-E. à l'O.-N.-O., qui passe
par Mezel et par le centre de relèvement.
Les portions des couches redressées qui s'élèvent le
plus haut sont situées un peu à l'O. de Creas, et au
N.-O. du centre de relèvement. Le torrent qui tombe
dans l’Asse au-dessous de Mezel, après avoir passé un
peu au sud de Bautujas et du centre de relèvement,
prend naïssance derrière leur crête , et les entame pro-
fondément. Au centre de relèvement, j’ai trouvé un grès
calcaire en couches horizontales, que j'ai vu ur peu
plus à l'O. plonger de 70° vers PO.-S.-0. Il serait fa-
cile, à l’aide des nombreuses déchirures que présente
le terrain , de construire une coupe rigoureuse de toutes
les couches depuis les précédentes, qui sont les plus
basses qu’on puisse voir, jusqu'aux plus élevées, qui
constituent les escarpemens à l'O. de Creas. Pour faire
connaître leur nature, qui est à peu près la même dans
toute la hauteur, je me bornerai à décrire deux points.
Un peu à l’O. du centre de soulèvement, on voit al-
terner le long du principal ravin de nombreuses couches
de poudingue, de grès calcaire et de marnes , souvent
d’un rouge très-foncé, qui plongent à l’O.-S.-O. sous un
angle qui dépasse fréquemment 45°. Au sud du ravin,
sur la pente en face et à l'O. de Bautujas , on voit alter-
route traverse presque suivant son plus grand diamètre l’espace que je
viens d'indiquer.
(55)
ner avec le conglomérat des marnes dont les couches
sont alternativement rouges ou d’un gris rougeâtre , et
qui contiennent de petits tubercules calcaires irréguliers,
semblables à ceux que j'ai décrits plus haut : les cou-
ches plongent de 45° à l’O.-S.-0. Un peu plus haut, le
poudingue alterne avec des marnes rouges, d’un gris
rougeâtre , et jaunes par couches, dont l’inclinaison, di-
rigée à l'O. 30° S$., est seulement de 30°. Les galets, tous
bien arrondis , sont quelquefois deux fois gros comme la
tête ; ils sont principalement composés de calcaire gris
ou jaune, schistoïde, à cassure terreuse, de calcaire com-
pacte, gris ou blanchâtre, et de silex. On y trouve aussi,
mais en très-petit nombré, des galets de roches serpen-
tineuses et feldspathiques, et d’euphotide.
Si on fait attention à la position du point central
duquel les couches plongent de toutes parts vers l’ex-
térieur, on voit que si, à partir de ce point, on tire une
ligne vers l'O. 10° S., cette ligne coïncidera avec la
ligne de faite que forment les couches du terrain de
transport en plongeant d’une part de 5 à 6° au N. 15° O.
du côté de la Bleonne , et de l’autre de 2° environ vers
le midi , du côté de l’Asse.
Cette ligne de faite s’abaisse graduellement et les
pentes des couches deviennent en même temps de plus
en plus faibles à mesure qu’on approche de la vallée de
la Durance où , près des Mées, le dépôt devient presque
horizontal.
Il est toutefois à remarquer que vers le point où le
prolongement de l’arête de cette espèce de toit rencontre
le flanc occidental de la vallée de la Durance, on ob-
serve des faits qui sembleraient indiquer aussi , quoique
( 56 )
d'une autre manière , une dislocation postérieure à la
formation du dépôt de transport ancien.
Entre Giropuy et Pont-Bernard , l’entaille creusée
pour donner une largeur suflisante à la grande route
de Marseille à Grenoble, met à découvert, d’une ma-
nière presque continue sur près d’une lieue de lon-
gueur, la composition du sol. Près de la serre, par
exemple, elle est coupée dans des couches de calcaire
un peu marneux du système du grès vert et de la craie
qui se relèvent vers le midi sous un angle de quelques
degrés.
Une partie de ces couches sont comme hachées en
place un peu au-dessus du niveau de la route , et vont,
pour ainsi dire, se perdre dans un conglomérat très-
grossier, dont leurs parties les plus solides composent les
noyaux, tandis que leurs parties les plus tendres en
sont devenues le ciment. Ce conglomérat recouvre les
tranches des autres couches coupées brusquement , et
forme les pentes qui s'élèvent au-dessus de la route. Si
on monte sur ces pentes vers le pied des escarpemens de
mollasse de Ganagobie , on voit paraître en abondance
dans ce même conglomérat très-grossier, des marnes
rouges et des cailloux roulés calcaires, pareils à ceux
que J'ai décrits plusieurs fois ci-dessus, et qui ratta-
chent évidemment ce même conglomérat au terrain
de transport ancien. Maïs, ce qui est surtout remar-
quable, c’est qu’on y remarque à diverses hauteurs de
nombreux et très-grands fragmens , des lambeaux en-
üers de couches du calcaire inférieur contemporain du
grès vert; les variétés peu schisteuses forment dans le
8
conglomérat des blocs dont les uns ont 5 ou 6 mètres
(57)
de côté et dont les autres sont de toutes les grosseurs
au-dessous jusqu’à celle des fragmens ordinaires. Les
variétés schisteuses forment des plaques de plus de 10
mètres de long sur 0"30 de puissance, couchées dans le
poudingue parallèlement à ses strates grossiers qui
plongent d'environ 10° au N.-N.-0. ; il résulte de là en
quelques points l'apparence d’une alternance entre le
calcaire et le conglomérat.
J'ai indiqué plus haut, t. XVII, p. 392, dans le dépôt
de transport ancien entre Voloneet Lescale des lambeaux
de couches tertiaires. Ces deux faits doivent être rappro-
chés, car au milieu de leur singularité encore inexpli-
cable pour moi (1), leur existence simultanée prouve
qu'ils n’établissent pas une identité de formation entre
le conglomérat et le terrain qu'il recouvre , puisque ce
conglomérat ne pourrait se lier à la fois et d’une ma-
nière semblable au green-sand et à la mollasse coquillière
tertiaire : de là il résulte nécessairement qu'il appartient
à une formation indépendante à la fois des deux que je
viens de nommer , et plus récente à la fois que l’une
et que l’autre , ce qu'établissaient du reste les diverses
superpositions que j'ai mentionnées.
Il me reste encore à décrire l’une de ces superposi-
tions, que je n’ai fait que citer, et qui est indiquée
PI. xvir, fig. r, du tome XVIII.
Sur la rive gauche du torrent appelé le Laye , au-des-
sus du pont de Volx , à peu de distance de la route de
poste de Grenoble à Marseille, les couches de la mollasse
(1) Un fait analogue s’observe dans la vallée de Provesieux, à deux
lieues au nord de Grenoble. Ces faits mériteraient d’être étudiés avec
plus de détail.
(58)
coquillière tertiaire, inclinées sous un angle qui varie de
10 à 30°, sont coupées en biseau par une surface sensi-
blement horizontale. Sur cette surface s’étend horizon-
talement un agglomérat plus ou moins solide de galets,
pour Ja plupart calcaires et assez souvent de quarz
grenu un peu schisteux , parmi lesquels je n’en ai pas
trouvé de roches primitives. Les premières assises sont
très-grossières et composées de gros galets posés con-
fusément sur la tranche des couches de mollasse. Les
couches suivantes prennent l’aspect ordinaire du terrain
de transport ancien dans ces contrées ; elles sont en
quelques points colorées en rouge par le ciment. Le
dépôt de transport ancien est ici très-épais et s'élève jus-
qu’au sommet des collines situées entre Villeneuve et
Notre-Dame des Roches.
En général , comme je l’ai déjà dit, il entre dans la
composition d’une partie des collines qui forment le
flanc droit de la vallée de la Durance depuis Peyruis
jusqu’au Pertuis de Mirabeau. Sur la base des pentes
qu’il constitue, on trouve souvent des lambeaux du
terrain de transport diluvien qu’on distinguerait diflici-
lement du terrain de transport ancien sous l'abondance
des galets des roches primitives de l’Oisans et autres
matériaux des Hautes-Alpes, qui en font une partie
intégrante essentielle.
Il résulte des faits précédens , qu’à une époque plus
récente que le redressement des couches dans le système
de montagnes, dont font partie les Alpes occidentales
{de Marseille à Zurich), la contrée comprise entre
Digne et Manosque , a présenté une dépression en par-
tie circonscrite par des montagnes , et probablement
( 59 )
remplie par un lac d’eau douce; dépression dans laquelle
s’est accumulé un dépôt de transport très-épais, dont
les matériaux venaient en partie du midi. Immédiate-
meut après sa formation, la surface supérieure de ce
dépôt était sans doute à peu près horizontale, et le relè-
vement qu’elle présente aujourd'hui, du midi vers le
nord, paraît s'être produit après coup, comme le relè-
vement moins rapide, il est vrai, que présente au-
jourd'hui du nord au sud le fond de l’ancien lac de
la Bresse. Ici le fond du lac a mème été disloqué, et les
couches qui s’y étaient déposées ont été redressées. Je
reviendrai plus loin sur ces faits.
Les deux lacs dont je viens de parler , et auxquels on
peut joindre celui qui paraîtrait avoir couvert à la même
époque le bassin du Suntgau, et même probablement
l'Alsace entière , et auxquels on pourrait peut-être aussi
associer le lac plus grand et plus élevé que le lac de Cons-
tance actuel, dans lequel s’est déposé le terrain d’eau
douce d'OEningen, devraient figurer sur une mappe-
moude où on chercherait à représenter l’état de la surface
du globe pendant la période de tranquillité qui a suivi le
redressement des couches du système de montagnes dont
font partie les Alpes de la Savoie et du Dauphiné.
Cette mappemonde présenterait aussi des mers dans
lesquelles a dû se former, comme pendant les périodes
antérieures et pendant la période actuelle, un système
de dépôts marins. On voit clairement, d’après cela,
qu'on doit s'attendre à trouver quelque part des dépôts
marins qui, sans se lier à ceux de l’époque actuelle,
seront plus récens que les mollasses coquillières, les fah-
fans et le crag, et en seront distincts. La description que
no
prépare M. Lyell de certains dépôts marins de la Sicile,
en présentera peut-être déjà un exemple.
N'ayant pas moi-mème à décrire de terrains de cette
nature , j'ai conservé aux dépôts formés dans les anciens
lacs dont j'ai parlé , la dénomination de dépôts d’atter-
rissement, de transport ou d’alluvion , sous laquelle les
aggrégations de cette sorte ont été comprises jusqu'ici ;
mais je ne l’ai fait que pour ne pas m'écarter, sans une
nécessité immédiate, de la nomenclature généralement
employée , et peut-être aurai-je contribué par là à faire
sentir combien cette nomenclature est imparfaite.
Quoi qu’il en soit, l’état de choses pendant lequel se
sont accumulés les dépôts que j'ai décrits, a depuis
long-temps cessé d’exister ; sa terminaison a été suivie
par une débâcle dont les effets , que nous allons étudier,
ont été si considérables, que leurs traces, quoique sans
doute fort anciennes, paraissent encore aujourd’hui
presque toutes fraîches.
$ IL.
Description du second terrain de transport des vallées
de la Durance , du Rhône et de l'Isère ( Diluvium
de quelques géologues ).
Depuis les travaux de De Saussure, la plaine caillou-
teuse de la Crau (département des Bouches-du-Rhône)
a constamment fixé l’attention des géologues qui se sont
occupés du midi de la France. Les blocs anguleux de
roches alpines, transportés sur les pentes du Jura, ont
excité encore plus de curiosité, et tout le monde connaît
les travaux que MM, Léopold de Buch , Deluc , et plu-
(61)
sieurs autres géologues ont publiés à leur sujet. On a
généralement considéré ces deux grands dépôts isolément;
ils semblent être susceptibles de devenir plus intéressans
encore , si on prouve qu'ils remontent l’un et l’autre à la
même époque , qu'ils ont été produits tous les deux dans
une même révolution de la surface du globe.
Or, pour voir ces deux dépôts se confondre, il suffit
de suivre l’un des deux jusqu'en des points où l’autre
existe en même temps d’une manière reconnaissable, et
où on les voit passer l’un à l’autre; circonstance qu’on
rencontre en remontant les vallées de la Durance ou du
Rhône. |
Il est difficile , en parcourant la partie orientale de la
Crau, de jeter les yeux vers le N.-N.-E, , sans remar-
quer l’échancrure qui , au pied oriental de l’ancien chà
teau de Lamanon , donne passage au canal de Craponne,
et sans être porté à conjécturer que c’est en partie par
cette ouverture que sont arrivés les courans d’eau qui
ont amené les cailloux roulés sur lesquels on marche,
que c’est par là en particulier que sont arrivés les
roches des montagnes du Briançonnais et de l’Oisans.
L'examen de la partie de la vallée de la Durance, si-
tuée vers l’entrée septentrionale de l’échancrure dont
nous venons de parler, confirme pleinement cette sup
position. En effet , le sol de la plaine basse qui est située
entre les canaux de Craponne et de Boisgelin , à l’ouest
de Pont-Royal , est formé de cailloux roulés qu’on peut
attribuer aux anciennes excursions de la Durance ; mais
au milieu de cette plaine on voit s’élever, en monticu-
les isolés, les débris d’un plateau également couvert de
cailloux roulés , mais plus élevé que le précédent d’une
(62)
dixaine de mètres , et dont on ne sanraît attribuer l’ori-
gine aux causes actuellement agissantes. Ces monticules
sont composés de cailloux roulés, réunis par un sable
fin et micacé , faiblement aggrégé , qui en forme un pou-
dingue peu cohérent, analogue à celui qui constitue le
fond du sol de Crau. La nature des cailloux est aussi la
même que dans la partie orientale de la Crau; on y trouve
entre autres des roches serpentineuses , analogues à
celles du mont Genèvre, des granites à feldspath rose,
pareils à ceux de la Val-Louise (Hautes-Alpes), etc...
Tout conduit en un mot à voir dans cet ancien plateau
caillouteux une continuation de la Crau , ou plutôt une
trace du passage des courans qui, plus loin, ont pro-
duit la partie orientale de la Crau (près d’Istres et de
Salon ).
Des monticules du même genre, et sans doute produits
par les mêmes causes , s'observent en remontant la val-
lée de la Durance , tant au-dessous du Pertuis de Mira-
beau qu'au-dessus.
Du Pertuis de Mirabeau à Volone (1), la vallée de la
Durance a été en partie creusée , ainsi que je l'ai dit plus
haut, dans le terrain de transport ancien , qui forme de
part et d’autre des coteaux de plusieurs centaines de
mètres de hauteur. Les conglomérats qu'il présente se
distinguent au premier abord de celui dont nous parlons
ici par l'absence des roches primitives , telles que le gra-
nite à feldspath rose de Val-Louise, qui abondent tou-
jours dans le dernier. Celui-ci ne s'élève pas non plus à
beaucoup près à d'aussi grandes hauteurs que les con-
(1) Carte de Cassini, no 153.
(65 )
glomérats anciens ; il reste au fond de la vallée, et forme
des lambeaux adossés au pied des pentes qui la bordent
(ainsi qu'on l’a figuré en B, PI. xvir, fig. 2, du
t. XVIII), et de petits plateaux interrompus , couverts
d’un grand nombre de cailloux roulés , et dont l’aspect
rappelle immédiatement la Crau.
Près du pont de Pastre , au sud de la Brillanne, le lit
de l’Ansor est creusé dans le terrain de transport an-
cien sans galets primitifs, divisé en grosses strates, qui,
plus obliques encore que celles dont j'ai parlé près de
Saint-Fons et de Pomiers (Isère), plongent de 3o à
5o° vers l’E.-S.-E. Ce dépôt , qu'on suit jusqu’à la Bril-
lane, y est adossé à des couches de mollasse coquillière
tertiaire, qui se dirigent au N. 15° E. , et qui sont tantôt
verticales, et tantôt inclinées vers l'E. de 80°. Sur le
tout s'étend horizontalement le dépôt de transport dilu-
vien, caractérisé par ses galets de roches des Hautes-
Alpes , parmi lesquelles on remarque surtout le granite
à feldspath rose de l’Oisans , et un poudingue quarzeux,
dont une partie des noyaux sont roses.
Ce même dépôt diluvien forme , au nord de la Bril-
Janne, un plateau uni et assez étendu que traverse la
route de Sisteron; on en retrouve d’analogues près de
Peyruis , et ils se continuent vers Château-Arnoux, où
ils forment sur les bords de la Durance des berges es-.
carpées.
De là ils se prolongent, en s’élevant sensiblement,
jusqu’à l'entrée de la CZuse ou défilé que traverse la
Durance à Sisteron , et, en s’en rapprochant, ils pré-
sentent des berges perpendiculaires de plus en plus éle-
vées, dans lesquelles les grosses strates irrégulières et
(64)
souvent obliques qui les composent, se dessinent par
des saillies inégales. Je citerai, particulièrement sous ce
rapport, le plateau caillouteux situé à l'O.-S.-0. de
Solignac, et celui situé au nord de Beaulieu (1).
On remarque dans ces divers dépôts un grand nombre
de gros galets ou de petits blocs parfaitement arrondis de
roches primitives de l’Oisans, telles que le granite à feld-
spath rose de la Val-Louiïse, ainsi qu'un poudingue quar-
zeux, dont les noyaux sont souvent roses, et qu'on trouve
dans les hautes vallées de la Durance, du Guil et de
l'Ubaye. Ces dépôts renferment aussi un grand nombre
d'assez gros blocs anguleux de calcaire, arrachés selon
toute apparence aux parois de la Cluse de Sisteron ; mais
de plus on ÿ remarque, tant sur la surface du plateau
que dans les escarpemens terminaux , un grand nombre
de petits blocs (de 0,60 à 0®,70 de longueur ), de roches
primitives, qui viennent probablement des points de
départ des courans diluviens.
Au-dessous de Sisteron , à la hauteur de Peypin , ces
courans paraissent avoir, pendant un certain instant de
leur durée, atteint une assez grande hauteur ; car sur
l’une et l’autre rive de la Durance, on voit le dépôt que
nous décrivons couronner des collines assez élevées au-
dessus des eaux de cette rivière. Ce fait se lie à la circon-
stance que la surface supérieure des dépôts diluviens ne
présente pas toujours un plan unique. Au-dessous de
Sisteron , sur la rive droite, on remarque l’une à côté
de l’autre deux portions de dépôt terminées par des
plans presque horizontaux, dont l'un est élevé au-
(x) Caite de Cassini, no 152.
(65)
dessus de l’autre de 20 ou 30 mètres et plus , et se ter-
mine à une berge rapide; disposition qui semble indi-
quer que le courant diluvien , après avoir formé un
premier dépôt, s’y est recreusé un autre lit.
On voit diflérens exemples du, même fait Gans le
grand dépôt de cailloux qui s'étend au nord de Sisteron,
vers le Poet et Ventavon, et qui forme des falaises es-
carpées sur les bords de la Durance, dont le lit se trouve
coupé dans sa masse en divers points, notamment au
N.-O. de Theze (r). En suivant la route de Gap, on
aperçoit et on a même à monter plusieurs de ces berges,
qui partagent la nappe caillouteuse en portions discon-
tinues, de niveaux diflérens. Je citerai en particulier
celle sur laquelle sont bâtis les villages de la Silve et de
la Clapisse.
À mesure qu’on avance vers le nord , on voit la gros-
seur, maximum des galets qui couvrent la plaine aug-
menter ; ce sont souvent de petits blocs , dont la lon-
gueur dépasse 0m,70 où Om ,80. Déjà même près du Poet
on trouve d'assez gros blocs, dont les arêtes sont à
peine émoussées ; et, à mesure qu'on avance, On voil
croitre le nombre et la grosseur de ces blocs , ainsi que
la vivacité de leurs arêtes.
Ces blocs commencent à donner un caractère particu-
lier aux lambeaux du dépôt diluvien qu’on observe entre
les lits des torrens creusés profondément dans le schiste
argilo-calcaire jurassique près de Ventavon, du Mones-
(1) Les plateaux escarpés sur lesquels sont bâties les villes d'Embrun
et de Mont-Dauphin, sont aussi formés de conglomérats que je crois
de la même époque queceux-ci.
XIX. 5
( 66 )
tier-Allemont, du Vivas, de la Saulce; et, avec eux,
on y voit paraître un grand nombre de fragmens angu-
leux , de diverses natures.
On peut même dire que de la Saulce à Gap, à la
Bâtie-Neuve et au-delà , le dépôt diluvien se compose
principalement de débris anguleux ét de très-menus frag-
mens de diverses roches, au milieu desquels de gros
blocs se trouvent enveloppés. On en trouve des lambeaux
considérables sur la route de Sisteron à Gap, au haut de
la côte de la Tour-Ronde, et sur celle de Gap à Veyne,
entre la Fressinouze et la Baume-des-Arnauds.
Mais souvent il est arrivé que tous les petits fragmens
que présentait le dépôt diluvien ont été emportés , et
que les blocs sont restés seuls et isolés sur la surface du
sol. Telle est sans doute l’origine des blocs de roches
amphiboliques fragmentaires , de granite rose et blanc
de l'Oisans, etc., dont le diamètre surpasse souvent
2 mètres ; qu’on trouve épars près des piles ainsi que sur
les montées d'Oris-Neuf et de la Tour-Ronde, et de
ceux qu’on trouve répandus sur le sol des environs de
Gap, au pied du col de Bayard.
On voit , en résumant les faits ci-dessus énoncés, que
les grandes pierres primitives alpines , répandues aux
environs de Gap, peuvent être considérées comme ap-
partenant à la partie la plus voisine de son point de
départ d’un vaste dépôt de transport , qu'on peut suivre
de proche en proche en descendant la vallée de la Du-
rance. On trouve les matériaux qui le composent de
moins en moins volumineux , et de plus en plus arrondis
à mesure qu'on les observe en des points situés plus bas,
et on finit par les voir entrer dans la plaine caillouteuse
( 67 )
de la Crau, dont la partie orientale n’est autre chose
que l’extrémité inférieure de ce même dépôt.
Des faits analogues se présentent lorsque , partant de
même de la Crau , on remonte la vallée du Rhône (x).
M. le professeur Marcel de Serres , dans ses Observa:
tions sur la Crau , insérées dernièrement dans les Mé-
méires du Muséum d'Histoire naturelle ; dit que les
galets qui couvrent cette « mer de cailloux, » s'étendent
avec une simple diminution dans leur grosseur, mais
sans changement dans leur nature, jusqu’au-delà de
Nimes et de Montpellier, et ne se terminent de ce côté
qu’au bord de la Méditerranee. Cette remarque judi-
cieuse peut être étendue à une grande partie des galets
qu’on rencontre en remontant la vallée du Rhône.
Cette vallée offre, en effet, sur divers points , tels
que la petite Crau , au nord de Saint-Remy, les environs
d'Avignon, ceux de Château-Neuf-du-Pape, de Donzère,
de Montélimart , etc. , des amas de cailloux roulés de la
même nature que ceux de la Crau, amas dont les surfa-
ces supérieures présentent des plaines caïllouteuses qui
forment , pour ainsi dire, une continuation interrompue
de la Crau proprement dite.
Il n’est pas nécessaire, pour mon objet actuel, de
décrire ces diverses parties d’un même ensemble ; car
les plaines caillouteuses des environs de Romans (Drôme)
(x) Peut-être arriverait-on aussi à des résultats analogues si, partant
du grand dépôt caillouteux qui supporte les bois de Rustenwald et la
forèt dela Hart, non loin de Neu-Brissack ( Haut-Rhin), où recherche-
vait de proche. en proche les dépôts semblables , en remontant le Rhin
et ses afluens , tels que l’Aar , la Reuss, la Liminat. ( Voyez à cet
égard les travaux de MM. Voltz et Merian. )
( 68 )
et de Saint-Rambert (Isère) sont encore évidemment des
fractions du mème tout , et il me suflira par conséquent
de rattacher ma description à ces dernières localités.
Pour atteindre ce but, j'irai prendre jusqu’au fond
de quelques-unes des vallées dont il est sorti, le dépôt
dont font partie les grandes pierres alpines transpor-
tées (1), et je le suivrai depuis ces points de départ jus-
qu'aux plaines caïllouteuses dont je viens de parler.
Le dépôt diluvien dont j'ai fait connaître la composi-
tion dans les environs de Gap, au pied méridional du
col de Bayard , se retrouve avec des caractères analogues
au pied septentrional du même col , dans le fond de la
vallée du Drac, entre Champoléon et Saint-Bonnet ;
mais il est remarquable que sur le col même et sur ses
deux pentes ; jusqu’à un niveau assez bas, on ne trouve
que des blocs de roches secondaires , et jamais de blocs
de roches primitives ; d’où il suit que les courans dilu-
viens des vallées du Drac et de la Durance n’ont jamais
eu aucune communication : partis de points presque con-
tigus , ils ne se sont confondus que dans la Crau, à
laquelle ils sont arrivés par des circuits divergens et
Inégaux.
Le dépôt devailloux presque horizontal qui borde le
torrent de Brutinel , ne m’a pas présenté de fragmens
rimitifs ; je n’en ai pas non plus trouvé dans les dépôts
P ; P P
(x) Voyez le Mémoire sur le phénomène des grandes pierres primi-
tives alpines, lu par M, J. A. Deluc (neveu) à la Société de Physique
et d'Histoire naturelle de Genève, le 21 septembre 1826. Voyez aussi,
quoiqu’ils se rapportent à des lieux plus éloignés de ceux dont je m’oc-
cupe ici, les, Mémoires publiés sur le même objet par M. Léopold de
Buch et par M. Escher.
( 69 )
de blocs de grès à Nummulites et de calcaire, qu'on
trouve en montant vers le col qui conduit de Brutinel à
Chaudun ; d’où il suit que le courant diluvien qui a-dû.
amener des fragmens primitifs de la vallée de Champo-
bon , s’est tenu tout-à-fait dans le fond-de la vallée su-
périeure du Drac.
Ce dépôt , mélangé de fragmens primitifs, commence
à s'élever plus haut sur les pentes, à partir de Lesdi-
guières et du débouché du val Godemard ; il forme une
partie de la surface du sol le long de la montée que pré-
sente la route de Grenoble , à partir du pont sur la Se-
veraise , et il recouvre souvent le calcaire jurassique en
face d’Aspres , et dans les traverses de Corps.
La petite ville de Corps est bâtie au pied des pentes
d’une montagne principalement formée de schiste argilo-
calcaire de la formation jurassique, et au commence-
ment d’une espèce de terrasse formée par ce même dépôt
diluvien, qui s’avance presque horizontalement entre
le Drac et le torrent des Salettes.
Ce dépôt se présente sur une très-grande épaisseur le
long des deux rives de la Bonne, qui sort du Val-Bonnais
pour se jeter dans le Drac, entre Corps et Lamure,
après avoir traversé la route de Grenoble sous le pont
de Pontaux.
De part et d'autre de ce torrent, qui a coupé son lit
profondément dans le schiste argilo-calcaire noir juras-
sique , on voit le dépôt de transport qui repose sur ce
schiste , s'élever en pentes escarpées jusqu’à une grande
hauteur. [l se compose de plusieurs étages assez nette-
ment distingués , et séparés par des lignes sensiblement
horizontales ; ces étages diflérent par la proportion des
(70)
matières triturées en parties fines , et des blocs ou gros
cailloux roulés.
La partie inférieure du dépôt est principalement éom-
posée de gros galets de roches primitives ; il y en a de
toutes grosseurs , jusqu’à 1 mètré de longueur: ces der-
niers sont plutôt de petits blocs, dont les angles sont
seulement légèrement arrondis ; quelquefois même dans
les plus gros ils sont à peine émoussés ; ceux qui ont
plus de 0",30 de longueur, ont encore toutes leurs formes
reconnaissables. Parmi ces galets, on en trouve entre
autres de très-gros, qui sont formés de variolite du Drac.
Cette portion du dépôt est fréquemment agglutinée en un
poudingue qui fait saillie en quelques points, et dans lequel
on remarque des galets et des blocs suspendus en sur-
plomb. Les assises supérieures se composent principale-
ment d’une masse incohérente, formée d’une multitude
de petits fragmens anguleux ou mal arrondis , et de
parties tout-à-fait triturées de roches primitives et cal-
caires. On y trouve enveloppés un petit nombre de galets
arrondis, et quelques gros blocs de roches primitives.
L'action des pluies les découpe en pyramides aiguës, de
l'aspect le plus ruineux. Les blocs sont très-nombreux et
très-gros dans ces parties supérieures du dépôt, près du
point culminant de la route de Grenoble, au sud des
Meyers, Ils sont principalement formés d’un granite
pareil à celui du col de la Pisse.
Ces diflérences entre les divers étages du dépôt sont
importantes à remarquer, en ce qu'elles prouvent que
le phénomène du passage du torrent diluvien dans la
vallée du Drac n’a pas été tout-à-fait instantané, et
que , dans les derniers momens , ce courant a été capa-
(71)
ble de transporter de plus gros bloc que dans le
commencement, circonstances dont la première trouve
sa confirmation dans les dépôts diluviens de la vallée
de la Durance et du N.-O. du département de l'Isère.
Sur la rive septentrionale de la Bonne , la surface du
dépôt de transport forme un plateau presque horizontal,
à l'extrémité duquel s’élève la ville de La Mure, dans
une position comparable à celle de Corps. Le sol de ce
plateau est jonché d’un grand nombre de blocs de roches
primitives et de variolite du Drac, et on en rencontre
de même un grand nombre en allant de La Mure au
hameau du Crest, situé à une lieue au nord.
Il paraît que le dépôt de transport a rempli d’ancien-
nes vallées jusqu’au niveau marqué par Îes terrasses dont
je viens de parler. (Cette disposition est indiquée dans
la fig. 3 de la PI. xvrr du tome XVIII. ) Une suite de
terrasses semblables se présente sur la rive gauche du
Drac ; elles sont séparées les unes des autres par les lits
des torrens qui ont coupé le dépôt diluvien , et entamé,
comme le Drac lui-même, le schiste argilo-calcaire qui
supporte ce dépôt. Elles se prolongent très-avant dans
la vallée qui descend du Devoluy, et, passant derrière
la protubérance que forment les couches jurassiques au
midi du pont de Coignet, elles vont se joindre au pla-
teau couvert de gros cailloux roulés, qui supporte Saint-
Jean d’'Herans ; plateau dont la tranche, le long des
coupures des ravins, présente un poudingue grossier ,
d'une cohérence variable.
De Saint-Jean d'Herans, ces mêmes terrasses dilu-
viennes s'étendent vers le Monestier de Clermont, où
le dépôt de cailloux qui les constitue présente un grand.
(72)
nombre de galets de variolite du Drac, et continuant
ensuite à suivre la même vallée, elles ne se terminent
qu’à l'entrée de la plaine de Grenoble, et forment
encore sur ses bords les coteaux entre lesquels passe le
Drac, un peu au-dessous du point où il reçoit la Ro-
manche (1).
(1) Des dépôts comparables à ceux dont je viens de parler s’obser-
vent en Maurienne, dans la vallée de l’Arc. Jen ai remarqué un très-
bel exemple presque au pied du mont Cenis, entre Lans-le-Bourg et
Termignon : il présentait , le long de la grande route , des escarpemens
remarquables par l’obliquité des grosses strates qui les composaient. La
vallée de l'Arc tombe dans celle de l’Isère, dans laquelle j'ai observé,
vers les confins'de la Savoie et de la France, des terrasses analogues à
celles dont j'ai parlé plus haut. Le fort de Barault est bâti sur l’une
d'elles, une autre est adossée , près de Belle-Combette , à la base de la
dent de Granier. Il est remarquable que la pente de cette montagne,
qui présente une sorte d’éperon entre les vallées de l’Isère et du lac
du Bourget, sont couvertes de blocs de roches primitives, et de
poudingue analogue à celui d'Ugine, en partie enveloppées dans une
masse de cailloux roulés, mal arrondis, et de débris incohérens , jus-
qu’à plus de 4oo mètres au dessus du niveau des terrasses de Belle-Com-
bette et de Barault ; d’où il paraît résulter que ces terrasses marquent
seulement le dernier niveau auquel ont coulé les torrens diluviens qui
s'étaient auparavant élevés beaucoup plus haut , du moins eu certaius
points où existaient peut-être des remous.
On voit que les vallées de la Durarce, du Drac, de la Romanche, de
l'Arc, de l’Isère, présentent des faits analogues À ceux observés par
MM. Deluc, de Buch, Escher, dans celles de l’Arve, du Rhône, de
l’Aar, de la Renss, de la Limmat, du Rhin, dans les vallées qui des-
vendent vers les plaines de la Bavière , etc.
On sait aussi que des faits du même genre s’observent dans toutes les
vallées dont les eaux descendent vers le bassin du Pô , depuis le mont
Viso jusqu’au-delà de l’Adige.
Les traces qu'ont laissées ces courans dans la vallée de la Doire-
Baltée, les digues de débris qui s'élèvent de part et d’autre du
débouché de cette vallée dans la plaine du Piémont, sont bien connues.
- mime
(73 )
Un grand courant diluvien est aussi arrivé par la val-
lée de cette dernière rivière, qui reçoit en partie les
eaux des plus hautes montagnes de l’Oisans.
Sur sa rive droite, sur le penchant de la côte que
monte la route de Vizille à Grenoble, j'ai observé une
grande quantité de débris diluviens, parmi lesquels j'ai
particulièrement remarqué un bloc de roche amphibo-
lique , de plus de 2 mètres de côté. Il paraît que ces
débris sont répandus sur toute la surface des collines
élévées qui séparent Vizille de Grenoble; car j'en ai
trouvé jusque sur leur penchant septentrional , qui m'a
présenté, près d'Eybens, un bloc de granite de plus
d’un mètre et demi de longueur.
( Voyez la Statistique minéralogique du département de la Doire, par
M. Daubuisson ; Journal des Mines , t. XXIX , p. 343 , année 1811.)
Le val Anzasca, qui, du pied du Mont-Rose descend vers le lac
Majeur, présente aussi bien que la vallée d’Aoste des terrasses de débris
diluviens , que les lignes horizontales qui les terminent fout distinguer
de loin. Quelquefois elles viennent se terminer en falaise escarpée sur
le bord du torrent , rappelant jusqu’à un certain point , par cette dispo-
sition, les coulées basaltiques de certaines vallées du Vivarais et de l’Au-
vergne. Les derniers travaux de MM. Léopola de Buch et de La Bêche
ont rappelé l'attention des géologues sur les accumulations de débris
diluviens , et sur les énormes bloes de roches alpines (il y en a de plus
de 20 mètres de longueur) que présentent les pentes des montagnes que
baïgnent les eaux du lac Majeur et du lac de Côme. Ils appartiennent à
la parlie supérieure du vaste dépôt diluyien qui forme le sol du plateau
faiblement incliné qu'on traverse en allant de Varèse à Milan, et en
général de tous ceux de la rive gauche du PÔ, de Saluces à Côme, et
au-delà. Entre Va: èse et Sarouno , ce plateau est découpé par de pro-
fonds vallons, le long desquels le dépôt diluvien se présente souvent
agglutiné en un poudingue, dont les galets ne sont presque jamais
qu'imparfaitement arrondis, et dans lequel j'ai remarqué çà et là des
blocs anguleux , plus où moius gros.
( 74 )
Des blocs pareïls , quoique ordinairement moins;vo-
lumineux , se trouvent sur les pentes de la montagne
autour de laquelle tourne l’Isère pour sortir, en quittant
Grenoble, de la vallée de Graisivaudan.
Le coteau qui supporte la bastille de Grenoble , en
présente plusieurs, et on y trouve, même dans des
parties rentrantes de la surface, des dépôts de frag-
mens anguleux et de parties triturées de roches di-
verses , dans lesquels sont empâtés des blocs plus ou
moins gros de roches primitives et de grès à anthracite.
Lorsqu'on monte d'un côté ou de l’autre de la montagne
de Rachel , savoir, de la Porte-de-France vers la Frete,
ou de la Tronche vers Vence et le Sapey, on trouve aussi
des blocs de roches primitives , ainsi que des grès et des
poudingues du système à anthracite, qui , comme je l’ai
annoncé ailleurs, forme dans cette partie des Alpes la
base du terrain jurassique. Des blocs pareils sont
répandus au-delà du Sapey , dans les montagnes de la
grande Chartreuse , et jusque dans la gorge du Guyer-
Mort , entre la grande Chartreuse et Saint-Laurent-du-
Pont.
Sur la rive gauche de l'Isère, les côtes de Sassenage
m'ont présenté des blocs anguleux de roches primitives,
de plusieurs mètres de côté. Ils ont été examinés an-
térieurement , et avec plus de détail, par M. Victor
Jacquemont , qui, avant d’aller explorer l'Hymalaya, a
observé à plusieurs reprises les parties les plus intéres-
santes de nos Alpes.
Enfin , au débouché de la gorge majestueuse par Ja-
quelle les eaux du Drac et de YIsère sortent des Alpes ,
les pentes qui dominent la petite ville de Voreppe, pré-
(7 )
sentent à l'observation des faits du mème genre, avec
des circonstances remarquables.
Les torrens qui , prenant naissance au pied des escar-
pèmens de la roche de Lambernay, viennent descendre
de part et d'autre du vieux château , qui domine les car-
rières de Voreppe , ont creusé leurs lits comme je l’ai
dit plus haut, dans un terrain de transport horizontal,
qui ne renferme pas de gros blocs anguleux. On ne
rencontre même pas de ces blocs dans le fond des ra-
vins ; mais dans les espaces intermédiaires les pentes qui,
par suite des contours de la surface du sol , se trouvent
faire face d’une manière plus au moins directe à la par-
tie ascendante de la vallée de l'Isère et à celles de la
Romanche et du Drac, en présentent au contraire un
grand nombre. Ils ne sont pas tous entièrement dégagés ;
ils sont au contraire, en grande partie, enclavés dans
une masse incohérente composée de fragmens anguleux
en très-imparfaitement arrondis de roches diverses et
de parties presque triturées de ces mêmes roches, et con-
tenant aussi de gros galets à angles à peines émoussés ;
quand même ce dépôt peu cohérent ne contiendrait pas
de gros blocs , il se distinguerait au premier aspect par
sa composition du poudingue à galets bien arrondis , sur
lequel ii repose. Mais la présence des blocs dispense
d’entrer dans le détail de leur contraste. Ces blocs sont
pour la plupart composés de roches primitives, granite ,
gneiss , schiste talqueux : il y en a aussi un grand nom-
bre de grès et de poudingue du système à anthracite.
La fig. 4 de la PI]. xvir du tome XVII, indique Ja
disposition du terrain de transport diluvien sur le terrain
de transport ancien, posé lui-même sur la mollasse.
( 76 )
La vallée de l'Isère fait un coude à Voreppe, pour
prendre une direction presque parallèle à celle de la
stratification dans les Alpes occidentales. Au-dessous de
ce coude elle a été creusée presque entièrement dans le
dépôt d’atterrissement ancien, et dans la mollasse coquil-
lière tertiaire, et son fond offre un second dépôt de trans-
port dans lequel, à mesure qu’on l’observe en des points
de plus en plus bas, on voit des traces de plus en plus
évidentes de l’action d’un courant d’eau violent. On a
rappelé, par une liaison entre les fig. 5 et 4 de la
PI. xvir, tome XVIIT, la liaison qui existe entre ce
dernier dépôt et celui qui recouvre , au-dessus de Vo-
reppe , le dépôt de transport ancien.
On peut citer plusieurs exemples de l’espèce de plaine
représentée dans la fig. 5. Sur le chemin de la fonderie
de canons de Saint-Gervais à Izeron (1), après avoir
traversé un torrent sur un pont en fil de fer, on voit
affleurer sur la pente du petit coteau qui borde sa rive
gauche, un dépôt incohérent, composé en partie de
petits blocs anguleux, parmi lesquels on en remarque un
grand nombre de grès à anthracite, de roches primitives
des Âlpes, et un nombre plus grand encore de calcaire
compacte blanc, provenant du système du grès vert etde
la craie. Entre ces blocs sont interposés une grande quan-
tité de cailloux roulés, parmi lesquels il y en a beau-
coup de roches amphiboliques schisteuses. Le sol hori-
zontal de la plaine unie sur laquelle on marche jusqu’à
la petite vallée de Cognin , est formé par ce même dépôt,
qui se continue plus loin encore , toujours sensiblement
au même niveau, jusqu'au delà d’Izeron.
(1) Garte de Cassini, n° 110.
pr
Qi)
La gorge dans laquelle coule le torrent qui passe au
S.-E. d’Izeron , est creusée dans la mollasse coquillière,
Sur les deux flancs de la gorge on voit notre dépôt de
transport posé sur la surface irrégulière de la mollasse,
avec laquelle , comme on doit bien s’y attendre , il ne se
lie en aucune manière. J'ai trouvé dans ce dépôt de trans-
port des blocs anguleux de roches alpines de même na-
ture que près de Saint-Gervais , associés de même à des
cailloux roulés plus ou moins parfaitement arrondis : le
tout réuni par une masse sableuse peu cohérente. Ce
dépôt atteint , de part et d'autre du ruisseau , le niveau
de la plaine qu’on traverse entre Cognin et Izeron , et il
forme la continuation du dépôt de blocs et de cailloux
qui constitue le sol de cette plaine, et se retrouve encore
à la même hauteur, sur la rive opposée de l'Isère , entre
Vinay et Saint-Marcellin. Ces terrasses , beaucoup plus
vastes que celles que j'ai indiquées dans la vallée du
Drac , leur sont du reste comparables.
Entre Izeron et Beauvoir , l'Isère coule dans :une
vallée encaissée dans Ja mollasse coquillière, qui se relève
dans un sens opposé à son cours. En sortant de ce défilé,
près du vieux château de Beauvoir, on commence à voir
se déployer une plaine plus étendue et un peu plus
basse que la précédente , et qui s'étend presque horizon-
talement jusqu'aux environs de Saint-Nazaire et de Ro-
mans. Quoique les cailloux roulés soient plus visibles à
sa surface que dans la plaine entre Saint-Gervais et Ize-
ron, les blocs anguleux ne sont pas étrangers au dépôt
de transport qui forme son sol. En traversant au sud de
Beauvoir la petite vallée de Saint-Romans , creusée dans
ce dépôt, j'ai remarqué un grand nombre de blocs assez
(78 )
gros, dont les uns, à angles un peu émoussés , étaient
formés d’un calcaire compacte blanc , provenant évidem-
ment des montagnes voisines, et dont les autres, d’après
leur nature, ne pouvaient provenir que des Alpes , et
avaient cependant leurs arêtes presque vives. Parmi ces
derniers on en distinguait de protogine, de gneiss tal-
queux et autres roches primitives des Alpes , et de grès à
anthracite : il y avait de ces blocs qui avaient près d’un
mètre de diamètre. Les plus gros étaient les seuls dont
les arêtes fussent vives ; dans ceux de grosseur médio-
cre, les arêtes étaient déjà un peu émoussées, et les frag-
mens moins gros que la tête étaient presque toujours
complètement arrondis.
Le sol rougeâtre de la plaine unie et en partie cou-
verte de müûriers , qu'on traverse entre Saint - Ro-
mans et Saint-Nazaire, présenté partout une quan-
tité plus ou moins grande de cailloux ellipsoïdaux, de
la grosseur du poing ou des deux poings. On en dis-
tingue un assez grand nombre de quarz grenu schistoïde ;
mais ils ne forment pas la majorité : il y en a davantage
de gneiss talqueux, d’un granite mal caractérisé à élé-
ment schisteux vert auquel passe le premier, et mème
de véritable protogine. Il y en a plus encore de roche
amphibolique schisieuse ; on en trouve d’euphotide , de
serpentine , de calcaire gris analogue à celui de la porte
de France de Grenoble, et de grès à anthracite; on trouve
aussi beaucoup de fragmens arrondis du calcaire com-
pacte blanc des montagnes voisines ; il y a passage insen-
sible des cailloux aux blocs, qui ne sont que des caïlloux
plus gros et moins arrondis. L’arrondissement des frag-
mens et leur grosseur paraissent être en raison inverse
monte htntt
(79)
l’un de Pautre, et dans une dépendance réciproque.
Les cailloux sont toujours plus ou moins nombreux
dans les champs, et en quelques points on en trouve
de grands tas relevés à leurs angles. En approchant de
Saint-Nazaire , les cailloux deviennent trop nombreux
pour qu’il soit possible d’en débarrasser les champs ; la
charrue, dans les parties qu’on cultive, ne relève, pour
ainsi dire, que des cailloux: c’est en quelque sorte
une copie de la Crau.
On marche sur ce même dépôt de Saint-Nazaire au
pont de Furan (route de Saint-Marcelin à Romans),
et, des Fauries à Romans, on retrouve sa continua-
tion. En approchant de Romans, les cailloux roulés,
dont la grosseur varie de celle du poing à celle de la
tête, deviennent extrêmement abondans ; et, en des-
cendant vers cette ville, on trouve des escarpemens,
des carrières , dans lesquels on peut étudier le dépôt
dont ils forment la superficie. On remarque d’abord
que l’espèce d’uniformité que présente la grosseur des
galets qui couvrent la plaine, n’existe pas dans l’en-
semble‘du dépôt : celui-ci présente un mélange de gra-
vier, de cailloux roulés et de biocs presque angu-
leux, dont quelques parties, disposées irrégulière-
ment au milieu de la-masse, se trouvent agglutinées
en poudingue par un ciment calcaire, Les fragmens,
qui tous appartiennent à des roches alpines, sont de
toutes grosseurs ; les plus petits sont les mieux arron-
dis , et les plus gros, qui ont souvent plus d’un demi-
mètre de longueur, et de = de mètre cube, ont seulement
leurs arêtes émoussées. On peut encore reconnaître dans
ces derniers les blocs à arêtes vives de la vallée de Saint-
( 80)
Laurent , de Saint-Gervais , d’Izeron ; et lenr présence
montre que le dépôt dont nous parlons n’appartient pas
à l’ancien terrain de transport qui renferme les ligniies
de Pomiers , de la Tour-du-Pin , d’Ajou , etc:
La plaine qu'on traverse entre le bac de Saint-Nazaire,
et le pont de Furan , est une des plus caillouteuses de
tout l’ensemble dont je parle ici : dans beaucoup de
parties, quelques petits chênes croissent seuls entre les
cailloux. On remarque au milieu de ces derniers un
assez grand nombre de petits blocs d’un demi-mètre de
longueur. En général, partout où on a cultivé, on a
enlevé ces blocs , qui le plus souvent ont été employés
comme pierres à bâtir. Quelque près que ces blocs se
trouvent de l'Isère, on ne saurait attribuer leur trans-
port aux crues , même les plus fortes, qu’a pu éprouver
cette rivière dans l’état actuel de la surface du globe. En
effet , l'Isère ne roule pas de galets d’une grosseur com-
parable à beaucoup près à celle de ces blocs, et d’ailleurs,
la plaine ou plutôt le plateau qui en est jonché se trouve
à plus de 40 mètres au-dessus de ses eaux. Leur trans-
port n’a pu être que l’effet d’une catastrophe donton ne
voit plus d'exemples.
On trouve ici réunis le résultat du phénomène qui a
produit, sur les bords du Rhône, les plaines caillouteu-
ses dont la Crau n’est qu’un exemple particulier, et celui
du phénomène qui a produit le wansport des grandes
pierres alpines. On peut mème remarquer que d’après
la suite d'observations que je viens de rapporter. les |
dernières plages caillouteuses que je viens de décrire ne
sont que des termes plus avancés de cette série dé
plates-formes qui, jusque vers le baut de la vallée du
(8r)
Drac, présentent tant de galets plus ou moins gros et de
blocs répandus sur leur surface ou empâtés dans linté-
rieur de leur masse.
Nous allons d’ailleurs nous trouver conduits à des
résultats tout-à-fait analogues , en étudiant d’autres lits
parcourus par des courans de la même nature.
La partie basse de la Savoie présente, dans presque
toute son étendue , notamment aux environs d'Annecy :
d’Alby, de Rumilly, des lambeaux plus ou moins épais,
plus ou moins étendus, d’un dépôt de transport qui
paraît n’être autre chose que la continuation de celui que
M. J. A. Deluc (neveu) a si bien étudié dans tous les
environs de Genève. Il se compose de galets mal arron-
dis, souvent quarzeux ou calcaires, enveloppés dans
une masse de débris de roches diverses, concassées et
triturées, qui enveloppe fréquemment aussi de gros blocs.
Les courans qui opéraient les dépôts n’ont pas épar-
gné la vallée de Chambéry , et ils semblent être venus
buter particulièrement contre la montagne qui s'élève
derrière Saint-Sulpice , car en montant de Cognin vers
ce village, on marche sur une grande accumulation ‘des
débris dont je viens de parler. Les courans affluaient sans
doute en partie par les grands débouchés que présente
la vallée, mais il en est en outre arrivé par de petites
vallées latérales. Celle par exemple qui descend de la
Thuile à Saint-Jean d’Arvei, offre en plusieurs points
des lambeaux très-épais d’un dépôt incohérent, composé
de matières triturées de petits et de moyens fragmens et
de blocs, parmi lesquels domine le calcaire compacte,
gris ou noirâtre , de certaines montagnes du voisinage ;
mais parmi lesquelles on trouve aussi beaucoup de blocs
XIX. 6
Ç 88)
des roches primitives et arénacées de l’intérieur des Alpes.
Des dépôts de la même classe se trouvent dans la
vallée de Novalèse ; il y a notamment une graude accu-
mulation dans ces débris au pied occidental du mont
d'Épine. Le torrent diluvien a débouché de là dans
la vallée du pont de Beauvoisin par le défilé de la Bri-
doire en face duquel on trouve au milieu de débris de
toute grosseur des blocs de roches primitives de plus de
quatre mètres de longueur.
La vallée des Echelles et de Saint-Laurent-du-Pont ,
comme les précédentes, auxquelles elle est contiguë,
présente une grande quantité de débris diluviens, de
grosseurs diverses.
Entre le village appelé la Cime de la Paroisse et Po-
miers , près du point culminant de la route de Voreppe
aux Échelles , j'ai trouvé un grand nombre de blocs de
protogine, de granite mal cristallisé, de gneiss, de schiste
talqueux , de poudingue d’Ugine , et de grès à anthra-
cite. Ces blocs sont renfermés dans un dépôt peu cohé-
rent , contenant en même temps beaucoup de cailloux
plus ou moins arrondis des mêmes roches et de schiste
amphibolique , ainsi que de divers calcaires, et particu-
lièrement de calcaire blanc du système du grès vert et
de la craie.
Le vallon de Roïze, dans lequel se trouve l’aflleurement
de lignite dit de Pomiers dont j'ai parlé ci-dessus, est
creusé, sur toute sa profondeur, dans le terrain de trans-
port ancien sur lequel ou voit reposer un grand nombre
de blocs anguleux de roches primitives et secondaires, de
la nature de celles qu’on trouve dans l’intérieur des Alpes.
Ces blocs sont répandus dans tonte étendue du
QE
vallon de Roize ; ils ne diminuent ni en nombre n:
en volume en approchant des escarpemens calcaires qui
le dominent; mais ils ne se trouvent jamais intercalés
dans l’ancien terrain de transport dont ils couvrent la
surface. Aux environs de Pomiers , aussi-bien qu'entre
ce village et Saint-Laurent, on voit de très-grands es-
carpemens taillés dans le dépôt de transport ancien , qui
n’y laisse apercevoir que des cailloux roulés arrondis,
dont la grosseur ne dépasse que rarement celle de Ja
tète, ef qui n'y présente jamais aucun de ces blocs à
arêtes presque vives, qui ont souvent plus d’ux mètre
dans plusieurs de leurs dimensions.
Des blocs pareils aux précédens sont aussi répandus
en abondanee sur les montagnes calcaires qui bordent à
l’ouest la vallée de Saint-Laurent. J'en ai trouvé un
grand nombre entre Baboulin et les ruines du signal géo-
désique qui avait été élevé au N.-E. de la Garenière. Ils
s'élèvent jusqu’à la cime du Cray de la Serre et sur le
revers occidental de cette montagne, on trouve un
grand amas de débris diluviens qui renferme des blocs
considérables. Cet amas assez étendu m'a paru couvrir
la ligne de jonction du calcaire dépendant du système
du grès vert et la craïe avec le terrain de transport an-
cien.
Les débris diluviens se divisent pour ainsi dire en
deux trainées séparées, qui sortent de la vallée de Saint -
Laurent, par deux voies différentes. D'une part ceux
qui sont répandus près de Pomiers, se continuent de
proche en proche jusqu'a Voreppe , où ils se joignent à
ceux qui ont descendu la vallée de l'Isère où nous Jes
avons déjà suivis. D'une autre part, dépassant le bar-
(84)
rage qui limite à l’O.-N.-O. la vallée de Saint-Laurent ;
ils se trouvent surtout en grande quantité à l'issue de la
dépression qui conduit vers Saint-Etienne--de-Crossay
et l'étang Dauphin : la route qui descend à Voiron
est tracée sur une accumulation considérable de débris
en partie triturés , de galets mal arrondis et de blocs de
diverses grosseurs. Ces blocs sont généralement de même
nature que ceux déjà cités ; seulement j’en ai remarqué
dans le nombre qui étaient formés du poudingue du
terrain de transport ancien, poudingue qui constitue la
petite montagne appelée Roche de Vouisy, qui domine
la ville Voiron, et dans laquelle ont été creusées la plu-
part des vallées qui l’avoisinent, et particulièrement
celle qui contient le dépôt dont nous parlons.
La plupart des vallées des environs de Voiron sont
parsemées de blocs ; on en remarque particulièrement
un grand nombre en approchant de Chirens ; maïs on
en trouve surtout en grande quantité et de très-gros,
lorsqu’en se dirigeant vers Rives par la traverse, on
monte vers le hameau des bruyères. Le sol des environs
de ce hameau en présente un grand ñombre, qui ont
un à deux mètres de longueur ; ils sont encore formés de
granite , de gneiss, de schiste talqueux et de grès à an-
thracite. Plus à l'O. encore, les vallées qui débouchent
sur le côté S. de la plaine de la côte Saint-André,
m'ont présenté près Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs ,
de Saint-Pierre-de-Bressieu, de Moulin-Ruet, des blocs
de mème nature ; mais de moindres dimensions et en
moindre nombre. On en trouve de même sur le pen-
chant du coteau qui, près de la Frète, domine du côté
du N., la plaine de la côte Saint-André. Sur le sol
(85 )
même de cette plaine qui ocenpe le fond d’une large
vallée creusée dans le terrain de transport aucien, on
ne voit que des cailloux roulés, dont la longueur ne dé-
passe pas 3 ou 4 décimètres , et qui sont formés , le plus
souvent , de roches primitives ou de quarz grenu schis-
toïde ; mais il est bien probable qu'ici, comme à Ro-
mans, ces galets ne forment que la superficie d’un
dépôt de transport très-épais, contenant un grand nom-
bre de blocs. Cette nappe de caïlloux roulés va se ter-
miner sur les bords du Rhône , entre le pont de Bancel
et Saint-Rambert.
Si l’on parcourt avec attention les feuilles numérotées
118 et 119 de la carte de Cassini, on voit que les par-
ties du département de l'Isère , que j'ai désignée comme
principalement composée par le terrain de transport an-
cien, se divisent en vallées qui courent parallèlement les
unes aux autres de l’'E.-N.-E. à l’O.-S.-O., ou du bar-
rage ci-dessus mentionné vers le Rhône. On pourrait
difficilement citer un exemple plus palpable de vallées
qui doivent leur origine à l’action diluvienne. Il est évi-
dent que les courans qui ont dû parcourir ces vallées sont
venus tomber dans celle du Rhône , qu’ils ont peut-être
contribué à creuser ou à élargir. Leurs flancs présen-
tent souvent un grand nombre de blocs de roches al-
pines , et leurs fonds sont généralement occupés , sur-
tout vers leurs parties inférieures , par des plages cail-
louteuses analogues à celles dont j’ai parlé ci-dessus.
De Saint-Rambert à Auberive, la route de Marseille
à Lyon traverse plusieurs plaines de ce genre , situées à
des niveaux différens (1). Je citerai particulièrement, sous
(4) Cartesde Cassini, n° 88 et 119.
( 86 }
ce rapport , la plaine élevée et très-unie entre le Péage et
Auberive. Cette plaine , couverte d’un grand nombre de
gros cailloux, la plupart de quarz grenu un peu schis-
teux, est située en face des débouchés des vallées de la
Vareïze et de la Sonne, et dominée par les côteaux qui
s'élèvent derrière Saint-Alban de Vareize, Assieu, et
Ville-Sous-A jou ; coteaux qui sont composés du terrain
de transport plus ancien , dans lequel se trouve le lignite
d’Ajou.
L'espèce d’uniformité qu'on remarque sur de grandes
étendues de ces différentes plaines caillouteuses, dans
la grosseur des cailloux roulés , n'existe qu’à la surface.
Lorsqu'on entame le dépôt de transport qui forme leur
sol, on le trouve constamment formé d’un mélange de
gravier, de galets de toutes grosseurs, et même de quel-
ques blocs à peine arrondis : les cailloux qui jonchent la
surface sont sans doute ceux qui n'ont pu continuer à
ètre entraînés par le courant d’eau, lorsqu'il s’affaiblis-
sait. Îl sera arrivé un moment où les courans ne pou-
vaient plus rouler que des cailloux d’une certaine gros-
seur ; et, à partir de ce moment, ils auront seulement
emporté ceux dont la grosseur ne dépassait pas cette
Hmite , et ils auront laissé tous les autres.
Les dernières plages caïllouteuses dont j'ai parlé, y
compris celle de la côte Saint-André, ont cela de parti-
culier, qu’une partie très-considérable des galets dont
elles sont couvertes sont formés de ce quarz grenu , un
peu schisteux, si abondant dans les hautes montagnes
de la Tarentaise et de la Maurienne, où il parait n’être
qu'une modification du grès à anihracite du terrain Ju-
rassique. En cela elles diffèrent des plaines caillouteuses
(87)
produites , aux environs de Romans et de Saint-Nazaire,
par les eaux qui ont débouché par la grande vallée de
l'Isère. Dans celles-ci on voit, en quantité prédominante,
le granite , le gneiss talqueux et la roche amphibolique
schisteuse, qui abondent dans les montagnes de l'Oisans.
On observe le passage de l’un des systèmes de cailloux à
l'autre , lorsqu'on va de Romans à Tain ; à mesure qu'on
approche de cette dernière ville, on voit les galets de
quarz dominer de plus en plus parmi ceux dont la plaine
est jonchée.
La prédominance des galets de quarz dans les nappes
caillouteuses qui atteignent les bords du Rhône, vers
Tain et au-dessus, comparées à celles des bords de PI-
sère, au-dessus de Romans, coïncide avec la circonstance
que les courans qui ont produii les premières ont coulé
pendant beaucoup plus long-temps sur le dépôt de trans-
port ancien, dans lequel les galets quarzeux sont au
nombre des plus communs et des plus gros , et surtout
des plus résistans. Il serait, d’après cela, naturei de
penser que ces galets se sont introduits dans le dépôt
récent par l’effet de la dégradation et du triage naturel
que les torrens diluviens opéraient dans le dépôt ancien ;
ce qui entrainerait la conséquence que ce sont ces mêmes
torrens diluviens qui ont eux-mèmes creusé les larges
vallées, dans le fond desquelles sont restées une partie
des matières qu’ils charriaient. Cette conséquence se
wouve d’ailleurs confirmée par la considération de la
diversité des hauteurs auxquelles se présententles plans
caillouteux.
Le monticule de mollasse sur lequel s'élèvent, près
de Chatillon , les ruines de la chapelle de Saint-Jean,
( 88 )
est couronné par un dépôt de gros galets , presque tous
quarzeux. Ces galets , se trouvant à une hauteur de plus
de 4o mètres au-dessus de la plaine voisine, semblent
n'avoir pu être apportés par les mêmes courans que ceux
qui couvrent cette dernière. On peut remarquer, au
contraire , qu'ils se rattachent par une série de dépôts
intermédiaires de même nature à ceux qui sont répan-
dus en grande quantité sar les plateaux que forment la
mollasse coquillière et le dépôt de transport ancien entre
Montrigaud et le Rhône. L’analogie de tous ces dépôts de
cailloux avec le grand dépôt de la plaine plus basse de la
côte Saint-André, m'a paru telle, qu'il serait difficile de
ne pas attribuer les uns et les autres aux mêmes courans;
seulement, cette supposition conduit à admettre que
ces courans auront coulé pendant un certain temps,
comme nous l’a déjà indiqué l'examen des dépôts dilu-
viens de la vallée du Drac. Les vallées dont la plaine de
la côte Saint-André et d’autres du même genre occupent
le fond, auront été creusées pendant ce temps, et saus
doute par l’action de ces mêmes courans.
Des plateaux voisins de Montrigaud et de Roybou, on
voit la partie centrale et la plus élevée du mont du Chat,
situé entre le lac du Bourget et la vallée de Novalaise,
s'élever au-dessus de l'horizon comme une masse isolée,
parce que sa base et tout ce qui s'y rattache se trouve
caché ; il se présente de même lorsqu'on le considère du
côté opposé, en parcourant les parties de la Savoie dont
la superficie est également couverte par le dépôt de
transport diluvien. Il parait donc que le plan légèrement
incliné que présentait la surface des courans diluviens,
passait un peu au-dessus des cols du mont du Chat et du
( 89 )
mont d’Epine, qui isolent de part et d’autre la masse
supérieure du mont du Chat. Ils couvraient ainsi à peu
près en totalité le barrage qui, comme je l'ai dit plus
haut , sépare aujourd’hui la partie basse de la Savoie des
parties basses du département de l'Isère ; et cela s'accorde
avec la position des grandes pierres alpines transportées,
qu'on trouve à toutes sortes de hauteurs sur les pentes
du barrage en question. Le creusement des vallées dont
nous venons de parler n’est pas un effet supérieur à céux
qu’on peut attendre de pareils courans.
J'ai encore à parler des dépôts diluviens qui s’obser-
vent à Lyon et dans le voisinage. Ils présentent un in-
térêt particulier, à cause des ossemens de grands Marm-
mifères d'espèces perdues, qu’on y a découverts.
Au sud-est de Lyon on voit s'étendre sur la rive gau-
che du Rhône, entre la Guillotière et Saint-Fons, une
plaine dont le sol est formé par un dépôt de cailloux
roulés non agglutinés. On pourrait, au premier abord,
ne voir dans ce dépôt que des alluvions déposées par le
Rhône ; peut-être en est-il ainsi de la partie qui se trouve
dans la portion de la plaine qui est la plus basse et la plus
rapprochée du fleuve ; mais il s’en faut de beaucoup qu'il
en soit de même des cailloux qui se trouvent déposés plus
loin , et à un niveau plus élevé. On trouve, au milieu
de ces derniers, des blocs anguleux qui font reconnaître
en eux le produit d’un courant semblable à ceux qui
sont venus déboucher entre Saint-Nazaire et Romans,
dans Ja plaine de la côte Saint-André , ete. Les cailloux
de quarz compacte ou légèrement grenu , blanc, schis-
toïde et un peu micacé, y dominent: on en voit aussi
beaucoup, mais d’un diamètre généralement moindre ,
(90)
de calcaire gris noiràtre. Au S.-0. de Cremieu, aux
environs du Chafar. on remarque, dans le dépôt dilu-
vien, des fragmens grossièrement roulés des silex qui
se trouvent dans les calcaires oolithiques des collines
situées, plus à l'est. Les cailloux roulés qu’on voit en
abondance sur la colline calcaire qui domine vers le sud-
est le village de la Verpilière , appartiennent probable-
ment au même dépôt de transport.
Le courant diluvien n’est pas arrivé à Lyon uni-
quement par le défilé dans lequel le Rhône.est encaissé,
entre Grôlée et Lagnieu ; il semble avoir dû déboucher
en partie par la vallée dans laquelle se trouvent les marais
du Bourgoin , vallée qui n’est séparée, par aucune élé-
vation considérable , de celle du Rhône, près de Cordon
et de Grôlée.
De nombreux blocs de roches primitives et arénacées
alpines se trouvent dans tous les environs de Belley,
soit isolés , soit mélangés à des masses peu cohérentes
de petits fragmens et de galets grossièrement arrondis,
qui se trouvent en outre disséminés sur la surface du sol
en un grand nombre de points. C’est un intermédiaire
entre les dépôts diluviens du nord de la Savoie, et ceux
des bords du Rhône, au-dessons de Cordon.
Sur la rive gauche du Rhône , depuis Passin et
Solomieu jusqu’à Bourgoin (1), la vallée dans laquelle se
trouvent les marais qui portent le nom de cette dernière
ville, est bordée à droite par des collines de calcaire ooli-
thique , dont les couches se relèvent sous un petit angle
vers le N.-0., et dont la surface s’éléve progressi-
(1) Cuile de Cassini, no 118,
Got )
- vement lorsqu'on les suit dans cette direction. La mème
vallée est bordée à droite par des coteaux beaucoup plus
abrupts et plus élevés, formés par le dépôt de sable et de
cailloux qui constitue aussi les coteaux des environs de
la Tour-du-Pin et de Bourgoin , dont j'ai fait connaitre
la composition dans le paragraphe précédent. Il est évi-
dent que la vallée des marais de Bourgoin a été creusée
en grande partie aux dépens de cet ancien terrain de
transport, qui, au moment de son dépôt, ne pouvait
présenter la pente abrupte qu’il offre du côté des marais
de Bourgoin, mais devait s'étendre jusque sur le calcaire
qui se trouve en face, de l’autre côté de la vallée , et qui
en est aujourd'hui complètement débarrassé. Le second
dépôt de transport est venu à son tour, après le creusc-
ment de la vallée, recouvrir la surface mise à nu. Sur
le calcaire se trouvent en diflérens points, notamment
dans l’espace compris entre Frontonas et Saint-Hilaire
de Brens , de grands blocs anguleux de roches alpines :
on en rencontre aussi au midi des marais de Bourgoin ,
sur les collines de calcaire oolithique qui s'élèvent près
de Saint-Alban de Roche, de Vaulx-Milieu et de Gre-
nay. On en rencontre de même à Saint-Quentin , sur la
route de la Verpilière à Vienne.
Les blocs de la côte de Grenay, dont la longueur va
souvent à 2 mètres , et ceux qui se sont arrêtés en grand
nombre au S.-O. de Cremieu , entre Bethenou et Cho-
seau, derrière les coteaux de calcaire oolithique qui
dominent cette localité, sont placés, par rapport à la
plaine caillouteuse située au S.-E. de Lyon, absolument
comme les blocs entre Voiron et les bruyères par rap-
port à la plaine caillouteuse de la côte Saint-André. La
(92)
plage de cailloux commence en effet à peu de distance
de Grenay; elle s'étend, par Saint-Laurent de Mures,
lusqu'aux portes de Lyon, et elle comprend de grands
éspaces sur la rive droite du Rhône, au sud de Mexi-
mieux. Elle n’est pas en entier sur un mème plan ; mais
elle présente plusieurs plans de hauteurs diverses , rac-
cordés par des berges rapides ; circonstance que j'ai déjà
mentionnée dans les plateaux caillouteux des environs
de Sisteron , et qui s’observe aussi dans la plaine de la
côte de la côte Saint-André.
Les blocs ne sont pas entièrement étrangers à la com-
position de son sol. Un fossé de la route de Lyon à Gre-
noble, qui entame une des berges qui partagent cette
plaine en différens compartimens, a mis à découvert un
bloc anguleux d’une roche granitoïde en décomposition,
de près d’un mètre de diamètre, qui se trouve enve-
loppé de toutes parts dans un dépôt de cailloux roulés,
et qui prouve d’une part que ce dépôt n’a pu être
formé que par un courant d’eau incomparablement plus
fort que le Rhône, et de l’autre , qu’il diffère totalement
du dépôt de transport ancien , dans lequel un bloc angu-
leux de cette grosseur serait une très-grande anomalie.
Comme dans les autres exemples de plaines caillou-
teuses déjà décrits, les coteaux qui bordent celle dont
nous parlons ici, présentent un grand nombre de bjocs
de roches alpines. On peut citer pour exemple ceux des
environs de Montluel , ainsi que le dépôt de blocs alpins
et de cailloux qui couvre la pente des coteaux de la Croïix-
Rousse et de la Boucle , dans la ville même de Lyon.
Les fouilles occasionées par les nouvelles constructions
qu'on exécute sur le coteau de la Croix-Rousse , y ont
f 2
(:9b}")
fait découvrir un très-grand nombre de ces fragmens an-
guleux renfermés dans le dépôt de graviers et de cailloux,
qui forme la superficie de ce sol incliné. La longueur de
ces blocs surpasse rarementun demi-mètre, et leurs angles
sont toujours plus ou moins émoussés. Outre les roches
primitives des Alpes, on y reconnait le poudingue d’u-
gine, le grès à anthracite, le calcaire de la porte de
France , des calcaires compactes gris ou blancs, à points
spathiques , souvent pétris d’un grand nombre de bival-
ves très-contournées ( Caprines ou Dicérates?}), dont le
point de départ est encore plus facile à assigner, et se
trouve sans aucun doute dans la partie antérieure des
Alpes, entre Grenoble et Genève : on y trouve aussi des
cailloux roulés de serpentine.
Le dépôt de gravier et de cailloux qui contient ces
différens blocs , était mis à découvert en plusieurs points
par les fouilles qui se trouvaient ouvertes, en septem-
bre 1828, dans le clos de M. Ferrez, près du chemin
de la Boucle, qui monte du faubourg Saint-Clair à la
Croix-Rousse. Dans la partie supérieure du clos, une
carrière se trouvait ouverte dans le terrain de transport
ancien , qui y présentait une série de grosses strates irré-
gulières de sable faiblement agglutiné, et de poudin-
gue sans blocs anguleux. Ce dépôt était terminé, à sa
partie supérieure , par une surface irrégulière dont l’in-
clinaison générale coupait ses différentes assises.
Sur cette surface irrégulière on voyait reposer un
second dépôt qui ne faisait pas du tout continuité avec
le premier, et qui s’en distinguait par les blocs de roches
alpines à angles émoussées , mais encore très-sensibles ,
qu'il renfermait en grand nombre. Ce second dépôt de
( 94)
transport forme la surface inclinée du sol de tout le clos,
et des coteaux dont le clos fait partie : plusieurs autres
fouilles , ouvertes dans le clos même , le mettent encore
à découvert, Dans quelques-unes il ne présente qu'un
amas confus de gravier, de cailloux roulés, et de blocs
à arêtes émoussées , parmi lesquels on reconnait, outre
les différentes roches alpines que j’ai indiquées ci-dessus,
des blocs plats, de près d’un mètre carré, et à angles
presque vifs , des parties les plus solides du sable agglu-
tüiné, et du poudingue , qui forment la masse des coteaux
sur la pente desquels le dépôt qui contient ces blocs se
trouve déposé.
Cette circonstance prouverait à elle seule combien les
deux dépôts de transport sont distincts l’un de l’autre.
Le plus récent , celui qui forme la surface au sol, et
dont nous nous occupons ici, est très-mince dans la
partie supérieure du clos ; ii est au contraire très-épais
en d’autres points situés plus bas, et il y est d'autant plus
irrégulier. Des masses informes de cailloux et de blocs,
et d’autres d’un sable fin terreux , quelquefois entière-
ment dépourvu de cailloux , semblent s’envelopper mu-
tuellement ; les blocs et les cailloux sont mélangés entre
eux de la manière la plus confuse : ils sont quelquefois
agglutinés par une infiltration calcaire assez visible , qui
en forme un poudingue pareil à celui que j'ai indiqué ci-
dessus, près de Romans, dans un dépôt de même age. Les
parties les plus fines du dépôt présentent des espèces de
strates contournées et inclinées dans tous les sens ; on
voit affleurer ces parties fines à la même hauteur que les
parties les plus grossières , et elles y passent latérale-
ment. Ces parties fines du dépôt de transport sont ex-
(9% )
ploitées comme terre à briques, et sont aussi suscepti-
bles d’être employées comme terre à pisé; on y trouve
en quelques points des coquilles d’'Hélix , qui sont peut-
être la preuve d'un remaniement récent.
Dans la partie inférieure du clos, la démolition de
deux petits bâtimens , bâtis il y a quelques années pour
y établir des fabriques de carton, met à découvert la
composition du sol, qui se trouve composé d’une petite
épaisseur du dépôt de transport récent reposant sur le
sable un peu agglutiné des assises inférieures du dépôt
de- transport ancien. Les fondations des deux bâtimens
reposaient sur ce sable; mais l'emplacement du plus
petit, qui était situé à un niveau plus élevé, avait été
excavé dans le dépôt de transport récent. Ce dépôt pré-
sentait, à sa partie supérieure, une agglomération de
gravier, de cailloux et de blocs, qu'on voit encore en place
sur les parois de l’excavation ; au-dessous se trouvait une
terre brune , dont on s’est servi comme terre à pisé, et
qui par conséquent était très-distincte du sable agglutiné
sur lequel elle reposait, sable dont on ne pourrait faire
un pareil usage. Il est clair que c'était une partie de la
masse sablo-terreuse qui se mélange irrégulièrement à la
masse de galets et de blocs, et qui se trouvait ici au-des-
sous de tout le reste. En achevant de creuser l’emplace-
ment du petit bâtiment en question, les ouvriers trouvè-
rent dans cette terre à pisé un ossement de dimensions
considérables, et bien conservé ; M. Ferrez a déposé cet
ossement au Musée de Lyon , et M. Bredin, professeur
à l'École vétérinaire de cette ville, l’a reconnu pour un
fémur de l'Elephas primigenius.
Un autre squelette de l’'Eléphant fossile a été trouvé
( 96 )
à la Croix-Rousse , dans une fouille faite à l'extrémité
septentrionale de ce faubourg , près du chemin de {la
Boucle , dans un clos qui appartenait alors à M. Krauss.
Il était enfoui à 4 pieds au-dessous de la surface du sol,
et renfermé dans un sable calcarifère faiblement agglu-
tiné, très-fin, un peu terreux, très-peu. différent de la
terre à pisé du clos de M. Ferrez, et probablement de
la même formation : il se trouvait à près de 70 mètres
plus haut que le fémur dont j'ai parlé précédemment ;
mais cela n’a rien d'étonnant, puisque le dépôt de trans-
port, dans lequel l’un et l’autre paraissent avoir été
enfouis , couvrait toute la pente du coteau.
On peut reconnaître ce même dépôt de transport dans
la terre rouge, mélangée de cailloux, qui supporte la
terre végétale sur le plateau de la rive gauche de la
Saône, entre Lyon et Trévoux. Le sol de ce plateau, qui
n'est autre chose que l'extrémité S.-O. de la plame de
la Bresse, présente un grand nombre de cailloux de
quarz, souvent deux fois.gros comme le poing, qui se
mélangent fréquemment à la terre végétale , et qu’on voit
relevés aux angles de beaucoup de champs. Entre Tou-
sieux et Trévoux , la surface du plateau présente
‘au-dessous de la terre végétale cette terre rouge ferrugi-
neuse , contenant des cailloux quarzeux , disséminés en
plus ou moins grande abondance. En descendant vers
Trévoux, on voit paraître au-dessous un dépôt de sable
et de caïlloux, sans trace de matière ferrugineuse , qui
fait évidemment la continuation de celui qui constitue
la masse des coteaux des environs de Lyon, et qui appar-
tient au terrain d’atterrissement ancien, antérieur au
transport des grandes pierres alpines. L'absence de la
( 97 )
matière ferrugineuse distingue ici cet ancien terrain de
üansport de celui qui le recouvre , et qui contient, non
seulement une terre ochreuse , mais encore des veines
plus ou moins abondantes, et des géodes de fer hydraté.
Dans la partie de ce dépôt récent qui se trouve répan-
due sur les pentes qui regardent Saint-Didier sur Fro-
men, près des Balmes de Beauregard:, on a trouvé une
dent de Mastodonte, que M. Dugas-Ponchon, adjoint
du maire de Lyon, possède dans sa collection, et qu’il a
eu la complaisance de me montrer. L’émail de cette
dent , quoique parfaitement conservé ; est couvert dans
ses enfoncemens d’une couleur ochreuse, et la surface
tuberculeuse de la racine est tout hérissée de grains
quarzeux , agglutinés par un ciment ferrugineux. Cette
circonstance confirme ‘pleinement le rapport d’après le-
quel elle aurait été trouvée dans ce dépôt de eailloux
et de terre, rouge , contenant des géodes ferrugineuses.
Des dents d'Eléphant ont encore été trouvées en d’au-
tres points des environs de Lyon, dans des positions
géologiques que j'ai regretté de ne pouvoir complètement
éclaircir ; mais il suffit que la dent du Mastodonte de
Trévoux, le squelette d'Eléphant de la Croix-Rousse ,
et surtout le fémur d’Eléphant du clos de M. Ferrez,
aient été trouvés dans le dépôt de cailloux roulés, mêlés
de blocs anguleux , ou immédiatement au-dessous , pour
montrer que les Mastodontes et l’£lephas primigenius
out habité l'Europe au moins jusqu’au moment du trans-
port de ce dépôt, qui comprend à la fois les grandes
pierres alpines transportées sur le Jura, et les cailloux
roulés de la Crau.
Le transport d’un dépôt dans lequel se trouvent de si
|XIX. 7
(58)
gros blocs à une distance aussi considérable du lieu de
leur origine ; a exigé le développement de forces méca-
niques immenses ; il correspond évidemment à l’une dés
plus grandés débâcles dont nos contrées aient été le
théâtre. Les observations rapportées ci-dessus prouvent
que cette débâcle est survenue long-temps après le re -
dressement des couches de la partie occidentale des Alpes,
qui avait mis fin au dépôt des terrains tertiaires ; et à la
suite d’une nouvelle période de tranquillité, pendant
laquelle s'était déposé l’ancien terrain d’atterrissement on
de transport qui a formé le sujet du paragraphe précédent.
L'épaisseur de ce dernier dépôt, et les caractères qu’il
présente dans plusieurs de ses parties, permettent de
penser que l'intervalle de temps qui s’est écoulé entre
le redressement des couches des Alpes occidentales et la
catastrophe à laquelle est dù le transport des grandes
pierres alpines et des cailloux de la Crau , a été long,
et a suffi pour que les Eléphans , les Mastodontes , les
Fhinocéros, l'Ours des cavernes , etc., pussent se mul-
tiplier dans nos contrées.
Le dépôt dans lequel les blocs anguleux sont souvent
engagés ne se lie en aucune manière au dépôt de trans-
port ancien , sans blocs anguleux ; il est au contraire dé-
posé irrégulièrement dans les dépressions qui ÿ ont été
creusées postérieurement à sa formation ; à peu près
comme l'argile plastique dans les dépressions de la craie.
Ces grandes pierres anguleuses et ces cailloux roulés ,
iransportés probablement pendant un intervalle de temps
irès-court, doivent être considérés comme le premier
terme de la série de couches de sédiment qui a dû se for-
mer sur la surface du globe pendant la période de tran-
( 99 )
quillité qui aura suivi la grande catastrophe dont nous
venons de citer quelques eflets.
* On pourrait s'attendre à trouver des traces d’eflets ana-
logues' à la partie inférieure @e chacun dés étages bien
prononcés des terrains de sédiment; et par exemple,
d'après ce qu'on a vu dans le chapitre précédent , il y
aurait quelque probabilité que les blocs répandus à l’en-
tour des Alpes scandinaves, appartiennent à la partie
inférieure de létage dont fait partie notre dépôt de
transport ancien. ( La suite au cahier de février.)
Norte sur le Pieris cornuta de Palisot-Beauvois ,
espèce du genre Ceratopteris ;
Par M. Le-Pereur.
Sons le premier de ces noms, Palisot a désigné , dans
sa Flore d’'Oware ét Benin, une espèce de Fougère
superbe , qui croit, selon son indication , dans les eaux
salées des bords marécageux de la mer. Souvent, pour
ne pas dire toujours, on avait confondu cette espèce
avec le Ceratopteris thalictroides, qui en diffère Lota-
lement ; cette belle fougère habite les parties peu pro-
fondes de quelques marais d’eau douce de la presqu'ile
du Cap-Vert, ét du pays de Mboro , dans le royaume
dé Cayor. Elle y est vivace et ses frondes ne sont pas
iinmergéés , ainsi que son habitation aurait pu le faire
supposer. Les frondes stériles n'existent que dans la jeune
planté, qui n’a pas éncore ni fructilié ni acquis tout son
dévéloppement ; dès qu’élle est assez forte , les bords des
expansions foliacées se roulent sur eux-mêmes pour deve-
( 100 )
hir les protecteurs de la génération qui doit en provenir.
Cette plante n’est pas munie, comme nos Fougères
européennes, d’une tige souterraine, ou rhizome ; le point
d'où partent les feuilles donne naissance à un grand
nombre de petites racines fibreuses , verticillées , qui lui
servent de point d'appui; les feuilles aussi partent dn
mème point, et, comme dans les palmiers, les plus
jeunes sont toujours au centre , pour remplacer les plus
anciennes , qui se détruisent successivement. La plante
est d'autant plus chargée de fructifications, que son
existence date de plus loin; ses frondes acquièrent sou-
vent jusqu'à trois pieds de haut. Il me paraît probable
qu'Adanson n’a pas visité les maraïs où je lai trouvée,
car elle y est abondante et n'aurait pas sans doute échappé
à un aussi bon observateur.
Palisot de Beauvois était le seul voyageur qui, jusqu’à
ces derniers temps , eût fait connaître, par un fragment
trouvé dans le pays d'Oware, une plante aussi remar-
quable : j'en avais eu connaissance avant mon voyage
dans la Sénégambie; de plus, M. Bory-Saint-Vincent
m'avait beaucoup engagé à la rechercher dans les marais
des bords de la mer.
Lorsqüe, pour la première fois , je rencontrai cette
belle Fougère, je fus très-étonné de ne pas trouver
les petits faisceaux de feuilles figurées dans la Flore
d'Oware et Benin; voulant alors me rendre compte
d’une semblable différence , je cherchai sur divers indi-
vidus , et mes peines ne furent pas inutiles , car je trou-
vai des individus entièrement couverts des faisceaux de
feuilles que Beauvois avait figurés ; j'acquis alors la con-
viction intime que la plante de Beauvois était un frag-
(L re)
ment détérioré sur lequel de jeunes Fougères avaient pris
naissance , et en suivant tous les passages de développe-
ment, je nr'assurai également que ce n’était pas une plante
appartenant aux genres Marsilea où Salyinia, ainsi
qu’on pourrait le croire d’après Palisot , qui dit : « Elle
« présente une particularité remarquable à la base de
« presque toutes les divisions des pinnules; on voit
« une petite plante parasite qui y prend racine, et
« pousse quatre ou cinq feuilles rondes , veinées à la
« manière des fougères , et ayant à l'extrémité un point
« brun, qui est, comme dans beaucoup d’autres fougères,
« le commencement d’un faisceau de racines. Cette pe-
« tite plante adhère tellement au Pteris, que sans un
« examen particulier on la prendrait, comme je l'ai fait
« d’abord, pour des feuilles qui lui appartiennent : je
« ne l'ai jamais vue dans un état plus avancé, et je suis
« porté à croire qu'elle se rapproche des genres Mar-
« silea ou Salvinia. Mais ce n’est qu'une conjecture
« que l’observation seule peut confirmer. »
Ainsi s'exprimait l'infatigable botaniste, qui le pre-
mier avait trouvé cette belle Fougère, et j'ai été assez
heureux pour étendre des observations imparfaites qu’il
n'avait pas eu le temps de continuer.
Des observations réitérées , et un plus grand nombre
de jeunes individus du Pteris cornuta dans tous ses états,
m'ont mis à même de pouvoir affirmer aujourd'hui que
Palisot de Beauvois avait eu raison de voir dans les
faisceaux de feuilles qui existaient sur cette Fougère, une
plante différente de celle qui les portait ; mais il s’était
néanmoins trompé en les prenant pour une plante ap-
partenant aux genres Warsilea ou Salvinia , tandis que
( 102)
ve ne sont que des développemens du Ceratopteris ui-
mème : erreur que. sans doute 1l n’eüt pas commise , s’il
avait eu, comme moi, les moyens de pouvoir à plusieurs
reprises observer le développement de cette plante.
Je suis, d’après mes différentes observations , porté à
croire, sans pourtant vouloir l’aflirmer, que cette nais-
sauce demi - parasite est une conséquence nécessaire de
l'habitat de la plante (dans des eaux de 5 à 6 pouces
de profondeur). En effet , il serait difficile à des sporules
aussi petites que celles de cette plante, de se développer
si elles étaient couvertes par 5 à 6 pouces d’eau , tandis
que, tombant sur des feuilles étalées à la surface de l’eau,
et qui déja commencent à se détériorer , elles trouvent
toute l’humidité nécessaire pour un premier développe-
ment , un point d'appui pour le plateau et les premières
racines qui devront suffire pendant les premiers jours
de l'existence de la jeune plante.
Palisot dit qu'il n’a observé ces faisceaux de petites
feuilles que dans les bifurcations de la fronde ; mais on
peut aussi les observer partout, soit sur le limbe, soit sur
les bords des feuilles, tant jeunes que vieilles, et souvent
mème on rencontre de ces jeunes Fougères qui ont pris
naissance sur des plantes qui ont à peine un pouce de
hauteur ; d’ailleurs partout où les sporules se trouvent
dans des circonstances favorables, elles peuvent se déve-
lopper ; aussi se développent-elles quelquefois sur l’eau
tranquille et peu profonde, ou sur la vase humide, comme
je l'ai souvent observé, ainsi que M. Perrotèt. Dès
qu’une sporule du Ceratopteris est tombée sur un objet
quelconque, où eïle peut se gonfler en absorbant l’hu-
mité, elle ne tarde pas à changer de forme; la partie ap-
( 105 )
pliquée sur l’objet où elle est tombée, s’élargit en un
petit plateau muni de suçoirs ou de bouches aspirantes,
au moyen desquelles 'elle s’aflermit dans sa position.
Bientôt après, au centre , apparaît un point proéminent
qui, au bout de quelque temps, s'élève, prend une forme
ovoïde, et finit par laisser passer par son sommet en-
tr'ouvert les premières feuilles de la jeune plante, tandis
que dans le même temps de petites racines fines comme
des cheveux sont produites par le plateau.
EXPLICATION DE LA PLANCHE IV. 4.
Jeunes individus du Ceratopteris cornuta,, croissant sur des feuilles de
la même plante , à différens degrés de leur développement.
Sur les feuilles du Malaxis paludosa ;
Par M. J. S. Hexsiow,
Professeur de botanique à l'Université de Cambridge.
Dans le quatrième volume de la Flore anglaise,
James Smith a décrit les feuilles du Malaxis paludosa,
comme « rugueuse vers l'extrémité, souvent un peu
frangée , de sorte que cette plante peut avoir donné lieu
à l'opinion d’un Orchis à feuilles poilnés , etc. »
Cette plante se trouve en grande abondance dans les
marais sur la bruyère de Gamlingay , dans le Cambrid-
geshire , où j'eus occasion de l’examiner il y a quelques
jours , et de m’assurer de la cause de. cette apparence
frangée dont parle Smith. Chaque échantillon que
je recueillis présentait cette circonstance à un degré plus
où moins grand, et je n’eus besoin que d’une loupe or-
dinaire pour voir que cela était occasioné par de nom-
breux petits germes bulbeux, sortant du bord et vers
( 104 )
le sommet de la feuille, comme on le voit représenté
dans l’esquisse ci-jointe { PI. rv, fig. B. 1 , 2). Ils étaient
de la mème couleur que les feuilles , vert sur celles qui
étaient le plus exposées à la lumière , et tout-à-fait blancs
- sur celles qui étaient les plus basses sur la tige, et à
moitié ensevelies dans la tourbe et la mousse. Quelques-
uns de ces germes étaient tellement avancés qu’ils avaient
produit les rudimens de deux ou trois feuilles (4, 5);
d’autres étaient moins avancés (3 f).
Ces plantes se présentent souvent par petites touffes
d'une demi-douzaine d'individus ou plus, réunis ensem-
ble ; ce qu'on peut expliquer par l'existence de plusieurs
des germes arrivant à leur perfection, tandis que le reste
périt; car il m'a paru, autant que j'ai pu l’observer,
que la plante se développait en un seul rameau , et on
peut trouver trois où quatre des vieux bulbes qui ont
péri, l’un au - dessous de l’autre parmi la tourbe, et
encore attachés à tige vivante.
Cetie plante et le Malaxis Loeselii sont probable-
ment de véritables parasites.
REMARQUES appirionnez£us sur les Molécules
actives ;
Par M. R. Browx, EF. R.S.
I y a environ un an, je publiai un exposé des obser-
vations microscopiques, faites dans l'été de 1827, sur
les particules contenues dans le pollen des plantes ; et
sur l'existence générale des molécules actives dans les
corps organiques et inorganiques (1).
{r) Voyez les Ann. des Sc.nat., tome XIV, p. 4r.
. (105 )
Dans le présent supplément à cet exposé, mon inten-
tion est d'expliquer et de modifier quelques-uns de
ces résultats, et de répondre à quelques-unes des remar-
ques qui ont été faites, soit sur l’exactitnde on l’origina-
lité de ces observations, soit sur les causes qu’on a considé-
rées comme suflisantes pour expliquer ces phénomènes.
D'abord j'ai à parler d’une assertion erronée émise
par plus d’un écrivain, savoir que J'ai établi que ces
molécules actives étaient animées. Cette méprise est pro-
venue probablement de ce que j'ai communiqué les faits
dans le même ordre dans lequel ils s’offrirent à moi, en
les accompagnant des idées qui se présentèrent dans
les différentes époques de mes recherches , et de ce que
dans un cas, j'ai adopté, par rapport à cette opinion, le
langage d’un autre observateur qui s'était occupé de la
première branche de ce sujet.
Quoique j'aie tàché de me borner strictement à l’ex-
position des faits observés, cependant, en parlant des mo-
lécules actives, je n’ai pu, dans tous les cas, éviter d’in-
troduire des hypothèses ; telle est la supposition que les
particules également actives de plus grande taille , et
souvent de forme très-différente , sont des composés
primaires de ces molécules. Quoique cette supposition ne
fût évidemment qu'une conjecture , je regrette d’avoir
insisté sur elle, spécialement parce qu’elle peut sembler
liée avec l’opinion de l'identité absolue des molécules,
de quelque source qu’elles dérivent.
Les deux seuls points de ce dernier sujet que j'ai essayé
d'établir, étaient leur grandeur et leur forme, et quoique
je fusse porté à penser qu’à cet égard les molécules
étaient semblables, quelle que füt la substance dont elles
{ 106 )
provenaient , cependant les faits rapportés pour soutenir
cette supposition étaient loin d'être suflisans, et je puis
ajouter que je suis encore moins satisfait à présent à cet
égard; mais l’uniformité des molécules sous ces deux
rapports eüt-elle été absolument établie, il ne s’ensui-
vrait pas, et je ne lai dit nulle part, comme cela m'a
été imputé , qu’elles fussent semblables aussi dans toutes
leurs autres propriétés et dans toutes leurs fonctions.
J'avais remarqué que certaines substances, nommé-
ment le soufre, la résine, et la cire, ne fournissaient
pas des particules actives, ce qui cependant provenait
d'un défaut de manipulation : car depuis je les ai promp-
tement obtenues de tous ces corps ; en même temps je
dois dire que leur existence dans le soufre fut antérieu-
rement mentionnée par mon ami M. Lister.
En poursuivant mes recherches après la publication
de mes observations , jai employé principalement le
microscope simple , mentionné dans mon premier Mé-
moire, comme ayant été fait pour moi, par M. Dollond ,
et dontles trois lentilles que j'ai généralement employées
sont d’un quarantième, d’un soixantième et d’un soixante-
dixième de pouce de foyer.
Plusieurs des observations ont été répétées et con-
firmées avec d'autres microscopes simples ayant des len-
tilles de mêmes pouvoirs, et aussi avec les meilleurs
microscopes achromatiques composés , qui étaient en ma
possession ou qui appartenaient à mes amis.
Le résultat de ces nouvelles recherches s'accorde essen-
tiellement avec celui qu'on peut déduire de mon Mé-
moire imprimé, et on peut l'exposer ici brièvement dans
les termes suivans , savoir :
(107 )
Que les particules extrémement délicates de la ma-
üère solide, soit qu'on les obtienne de substances or-
ganiques ou inorganiques , lorsqu'elles sont suspendues
dans l’eau, ou dans quelque autre fluide aqueux, présen-
tent des mouvemens dont je ne puis me rendre compte,
et qui, d'après leur irrégularité et leur indépendance
apparente, ressemblent à un degré remarquable aux mou
vemens les moins rapides de quelques-uns des animal-
cules infusoires les plus simples ; que les petites parti-
cules mouvantes que j'ai observées et que j'ai nommées
molécules actives , paraissent être sphériques ou presque
sphériques, et avoir entre un vingt-millième et un trente-
millième de pouce en diamètre; et que d’autres par-
ticules d’une taille beaucoup plus grande et plus variée,
et d’une forme ou semblable ou très-différente , présen-
tent aussi des mouvemens très-analogues dans de sem-
blables circonstances.
J'ai anciennement dit que je croyais que ces mou-
vemens des particules ne provenaient, ni de courans
dans le fluide qui les contenait, ni des mouvemens
intérieurs qu'on peut supposer qui accompagnent son
évaporation,
Ces causes de mouvement cependant, soit seules , soit
combinées avec d’autres telles que l'attraction et la répul-
sion parmi les particules elles-mêmes, leur équilibre
imparfait dans le fluide dans iequel elles sont suspen-
dues, leur action hygrométrique ou capillaire, et dans
quelques cas le dégagement de la matière volatile, ou
de petites bulles d’air , ont été considérées par plasieurs
écrivains, comme expliquant suflisamment les phéno-
mènes apparens, Quelques-unes des causes que J'ai allé
( 108 )
guées ici, ainsi que d’autres qu'il me semble inutile
de mentionner , seront facilement aperçues et ne pour-
ront tromper des observateurs ayant quelque expérience
dans les recherches microscopiques; et l'insuffisance des
causes les plus importantes parmi celles que j'ai énumé-
rées peut, je pense, être démontrée d’une manière satis-
faisante , par le moyen d’une expérience très-simple.
Cette expérience consiste à diviser la goutte d’eau qui
contient les particules en partie d’une petitesse micros-
copique, et à prolonger son existence en la plongeant dans
un fluide transparent d'une gravité spécifique inférieure,
avec lequel elle ne puisse se mélanger, et dont l’évapo-
ration soit extrêmement lente : si on ajoute à de l’huiïle
d'amande, fluide qui possède ces propriétés, une
portion considérablement plus petite d’eau entièrement
imprégnée de particules , et qu'on secoue et mélange en-
semble ces deux fluides, il en résultera des gouttes d’eau
de différentes tailles, depuis un cinquantième jusqu’à
un deux-centième de pouce en diamètre. Les plus petites
de ces gouttes ne contiennent nécessairement que peu
de particules , et on peut en observer quelques-unes qui
en contiennent seulement une. De cette manière, les
petites gouttes qui se dissiperaient en une minute, si
elles étaient exposées à l'air, peuvent se conserver plus
d’une heure. Maïs , dans toutes ces gouttes ainsi formées
et protégées , le mouvement des particules s'opère avec
une activité qui ne diminue pas ; tandis que les causes
principales assignées pour ce mouvement, nommément
l'évaporation, et leur attraction et leur répulsion mu-
tuelles , sont ou considérablement réduites, ou absolu-
ment nulles,
( 109 )
On peut remarquer ici que ces courans du centre à
la circonférence, d’abord à peine perceptibles, ensuite
plus visibles, etenfin très-rapides, qui existent constam-
ment dans les gouttes exposées à l'air , et qui dérangent
ou empêchent entièrement le mouvement propre des
particules , sont entièrement évités dans des gouttes
d’une petite taille plongées dans l'huile. C’est un fait
qui n’est cependant apparent que dans les gouttes qui
sont aplaties , parce qu'elles sont presque ou absolument
en contact avec le porte-objet du microscope.
On peut prouver, en faisant l'expérience inverse, que
le mouvement des particules n’est produit par aucune
cause agissant à la surface de la goutte; car, en mêlant
une très-petite proportion d'huile avec l’eau qui contient
les particules , on trouvera sur la surface de la goutte
d’eau des gouttes d’huile microscopiques d’ane extrême
petitesse , dont quelques-unes ne dépassent pas en gros-
seur les particules elles-mêmes , et qui sont presque
immobiles , tandis que les particules placées au centre,
ou vers le fond de la goutte , continuent à se mouvoir
avec leur degré habituel d'activité.
Par le moyen que je viens de décrire pour réduire la
taille et prolonger l'existence des gouttes qui contien-
nent les particules, et qui, malgré sa simplicité, ne
s’est présenté à moi que dernièrement , on peut se for-
mer une idée plus étendue de ce sujet , suffisante peut-
ètre pour nous permettre de déterminer la cause réelle
des mouvemens en question.
Quelques-unes des expériences que j'ai faites depuis
que J'ai adopté cette manière d'observer, me paraissent
si curieuses , que Je ne risquerai pas d’en parler avant
(pamo })
de les avoir vérifiées par de fréquentes et soigneuses
répétitions (x).
Rapport fait à l’Académie des Sciences, par
MM. Fourwær et Duméris , sur un Mémoire inti-
tulé : De l’'Influence de la température sur la
mortalité des enfans nouveau-nés, par MM. Vir-
LERMÉ 4 Mise Enwanrps.
(Séance du 2 février 1820.)
Nous venons rendre compie à l’Académie d’un Mé-
moire de MM. Villermé et Milne Edwards, qu'elle a
chargé M. le baron Fourier et moi d'examiner. Ce tra-
vail est le résultat de recherches statistiques relatives à
la population ; il a pour titre : De l’Influence de la
température sur la mortalité des enfans nouveau-nés.
On avait reconnu depuis long-temps que chez les
très-Jeunes animaux à température constante, comme
les Mammifères et les Oiseaux, l'acte de la respiration
ne pouvait seul suflire à maintenir ou à conserver la
chaleur qui leur est nécessaire pour l'exercice de la vie.
Aussi , par un instinct naturel , les parens et surtout les
mères sé tiennent-ils constamment en contact avec leurs
nouveau-nés, afin de les préserver des causes de refroi-
dissement. Dans ces dernièresannées même, M. Edwards
aîné a démontré , par des expériences positives , qu’en
(x) A la suite des observations précédentes, que nous avons traduites
littéralement , M. R. Brown cousacre quelques pages à rappeler quel-
ques observations analogues, faites anciennement ou à des époques
plus récentés , mais qui ne nous ont pas paru assez importantes pour
être rapportées. (R.)
amRs-cmtie
(-etin })
eflec les très-jeunes animaux ne sont pas encore organi-
sés de manière à conserver une température supérieure à
celle de l'atmosphère dans laquelle ils se trouvent plongés.
Ce sont ces faits bien avérés, et dont l'influence sur
la conservation de la vie est si grande, qui ont engagé
les auteurs du Mémoire dont nous rendons compte, à
rechercher dans quels rapports se trouvent les tempéra-
turés basses et élevées avec le nombre des-enfans qui
périssent dans les trois premiers mois de leur naissance.
C’est dans ce but qu'ils ont fait avec le plus grand soin
le relevé des états de naissance et de mortalité des
enfans, mois par mois, dans tous les départemens de la
France, pendant les années 1818 et 1819.
Il résulte de ces recherches que, dans toute la France,
la mortalité des enfans de zéro à trois mois d’âge est
constamment plus prononcée dans le 1rimestre d'hiver
que dans les trois autres saisons ; tandis que, depuis l’âge
d'un an jusqu'à la vieillesse, le nombre des individus
‘qui meurent dans la saison froide est notablement moins
considérable. MM. Villermé et Milne Edwards attri-
buent en grande partie cette mortalité à l'usage ; et
mème à la nécessité établie par nos lois, de faire pré
senter les enfans, dès les premiers jours de leur nais-
sance , dans des lieux publics, où la date en est consta-
tée, et où ces petits êtres doivent être transportés souvent
à de grandes distances, quelle que soit l’intempérie de
la saison. Ils font remarquer que déjà plusieurs savans
italiens avaient fait la mèmé observation, comme T'oaldo
à Padoue, Zeviani à Vérone, et Trevisen à Castel-
Franco.
Le travail principal des auteurs du Mémoire est con-
(xx )
signé dans une série de tableaux de tous les départemens
de la France , disposés par ordre alphabétique , et indi-
quant mois par mois le décès de tous les enfans nouveau-
nés, de zéro à trois mois d'âge, pendant les années 1818
et 1519. Un autre tableau, dressé dans le mème but,
indique les rapports du nombre des décès des enfans de
ce mème âge, et mois par mois, dans deux séries de dé-
partemeus , les uns situés au nord du 47° degré de lati-
tude , et les autres au midi du 45° degré. Il résulte de
cêtte comparaison, que cette mortalité diminue sensible-
ment au sud dès le mois de mars, et qu’elle se prolonge
jusqu’à la fin d'avril, dans le nord de la France.
Comme l'ont fait trèc-bien sentir MM. Villerméet
Milne Edwards, ces résultats sont intéressans pour la
physiologie et la médecine ; mais ils sont, en outre, de
nature à provoquer l'attention et les soins du Gouverne-
ment et des législateurs ; car, de même que pour consta-
cer les décès , l'officier civil ou son subdélégué se rend
au domicile du défunt, indépendamment de l'acte qui
en est dressé , ils pensent qu’il ne serait pas impossible,
avec quelques déclarations préalables exigées, de faire
constater l’acte de naïssance, chez la mère de l'enfant,
pendant la saison rigoureuse.
D’après cet exposé et d’après l'importance des vues
présentées dans ce Mémoire, nous pensons que l’Aca-
démie doit encourager le zèle de ces jeunes médecins,
en les engageant à poursuivre ces recherches statistiques
dans la bonne direction qu’ils ont prise.
Signé le baron Fourier , Dumériz , rapporteur.
1 Académie adopte les conclusions de ce Rapport.
— - ——
(i5887)
Norice GÉOGNOSTIQUE sur quelques parties du
département des Ardennes et de la Belgique;
Par M. Rozer,
Officier au corps royal des Ingénieurs-Géographes.
( Lue à PAcadémie des sciences, le 9 mars 1829. }
Pendant la campagne de 1828 , mes travaux topogra-
phiques ont eu lieu dans cette portion du département
des Ardennes, comprise entre les rivières de l’Aïsne,
de la Sormone et du Thin. Profitant de quelques instans
de loisir , j'ai exploré la plus grande partie de l’ Ardenne
proprement dite , et j'ai même suivi la vallée de la Meuse
jusqu’à Liége.
Tout ce pays est peu connu ; je ne sache pas que l’on
ait encore rien publié, en France, sur le département
des Ardennes (1); les écrits de MM. d'Omalius d'Hal-
loy, Cauchy, Engelspach , etc. , sur l’Ardenne, les pro-
vinces de Namur , de Liége et de Luxembourg, quoi-
que faits avec tout le talent qui distingue ces cbserva-
teurs, laissent néanmoins beaucoup à désirer. L'âge
relatif des différentes époques géognostiques n'y est pr à
parfaitement établi.
Dans son Essai d’une description SFOBROSTR 0 du
grand duché de Luxembourg, publiéà Bruxelles’, ,8:;
M. Steïninger dispose les groupes de travsition de Ar.
denne, groupes qui se prolongent jusque sur le territoire
(1) Au moment où j'écris, M. Boblaye s’occupe d’un travail sur le
terrain oolithique du département de la Meuse et de la partie orientale
de celui des Ardennes. — Ce Mémoire est actuellement imprimé dans
ces Annales. Voyez tome XVII, p. 35. (R.)
XIX. — Février 1830. 8
( 114 )
du Grand-Duché, suivant leur âge relatif, absolument
dans le mème ordre que moï ; mais ce savant n’a pas
cherché à rapprocher ses formations de celles d’Angle-
terre et des autres contrées bien connues. Enfin, les
observations de MM. Oeynhausen et de Dachen , sur le
terrain schisteux de la Belgique ( Æerta, v. 8, page 201
à 268), sont aussi parfaitement d'accord avec les mien-
nes ; mais les conclusions de ces géognostes, nront
paru présenter le même inconvénient que celles de
M, Steininger.
Dans le pen de temps qu'il m’a été possible de con-
sacrer à l'étude de ces contrées, J'ai été assez heureux
pour rencontrer des points où les superpositions sont évi-
dentes ; et j'ai pu, d’après cela, déterminer avec une
certaine exactitude, l’âge relatif des diflérens groupes de
transition, qui se développent en Belgique depuis lAr-
denne jusqu’au bassin de Liége, et qui se retrouvent
en France, le long de la Meuse , depuis Givet jusqu’à
Mézières.
Mes observations n’ont point eté assez multipliées
p ‘our me permettre de donner une description complète
du‘ pays ; aussi cette notice n'est-elle écrite que dans le
but d'être utile aux observateurs qui pourront consa-
crer à l'étude de ’Ardenne, et des contrées qui s’y rat-
= F è ? ? . x
tachent , beaucoup plus de temps que je n'en n'avais à
ma disposition.
e s » # ere 4
Ces observations äyant été faites dans un cadre très-
étendu , il m'est impossible de joindre une carte à ce
ravail; mais ivera toutes les localités que je cite
travail; mais On trouv que j
sur celle de Cassini.
Le pays que j'habitais cetie année est occupé par des
collines et de petites montagnes qui se rattachent au
( 115 )
système général des Ardennes ; j'étais placé sur la ligne
de partage des eaux entre la Meuse et la Seine. À partir
de cette ligne, les montagnes baissent à mesure que
l’on s’avance au sud-ouest , vers la rivière de l’Aïsne;
mais elles s’élèvent en allant au nord-est vers la Meuse;
en sorte que la région la plus élevée de la contrée se
trouve située entre la Meuse et sa ligne de partage avec
la Seine, C’est un fait remarquable, et dont on a déjà
plusieurs exemples. Il résulte de ce que je viens de dire,
qu’en partant des bords de l’Aïsne, on voit des mon-
tagnes s'élever de plus en plus à mesure que l’on avance
vers l’Ardenne, dont les sommets atteignent jusqu’à
5oo mètres au-dessus du niveau de la mer.
Si on faisait passer deux plans par les points les plus
élevés de la contrée dont nous nous occupons , l’un en
France et l’autre en Belgique, ces plans atteindraient,
dans la chaîne des Ardennes, une hauteur de 500 mètres
au-dessus de lamer , et ensuite ils baisseraient progressi-
vement en allant l’un au sud-ouest , et l’autre au nord-
est. [l ne faut point perdre de vue ce fait important qui
nous sera très-utile dans la suite.
$ I. La formation la plus ancienne qui se montre
au jour dans la portion de pays que je vais décrire, est
composée de schistes associés avec des couches de quar-
zites , de diorites, de psammites, etc. Cette formation ,
connue depuis très-long-temps, constitue tout le sol
occupé par la vaste forèt des Ardennes.
Ce groupe géognostique est partout divisé en deux
étages : le plus ancien, où dominent les roches schis-
8 SC
teuses ; et le plus nouveau, où ce sont au contraire les
roches compactes qui ont pris le plus grand dévelop-
pement.
a. Dans les ardoiïsières de Rimogne et dans les nom-
breux escarpemens des montagnes de l’Ardenne , où j'ai
pu étudier facilement le premier étage de cette forma-
tion , j'ai reconnu qu'il est composé d’une énorme masse
de schistes luisans, passant au schiste ardoise et quelque-
fois au phyllade, Ces schistes ont une couleur grise
bleuâtre ; ils sont rarement bien stratifiés ; ils renfer-
ment des couches subordonnées de psammites , dè
trapps, de quarzites , de diorites , d'hémithrènes et des
bancs d'un calcaire sublamellaire gris bleuâtre. Souvent
ces diverses roches sont intimement liées avec les schis-
tes auxquels on les voit passer par degrés insensibles ;
elles présentent aussi fréquemment la structure schis-
teuse ; et alors, au point de contact, elles se confondent
entièrement avec le schiste. Dans le premier étage les
couches de schiste sont sou vent ondulées ; j'ai remarqué,
dans la masse, des galets de quarzite enveloppées. Les
quarzites sont ordinairement compactes , à cassure ci-
reuse, mais quelquefois ils offrent une texture grenue ,
une cassure droite, et passent à un véritable grès dont la
couleur est souvent parfaitement blanche. Toutes les
roches de cet étage sont coupées par des veines de quarz
blanc , laiteux ou gras, qui deviennent très-nombreuses
vers le haut. Les diorites, quoiqu'un peu compactes ,
peuvent se rapporter, en général, à la variété granitoïde ;
les hémithrènes sont schistoïdes; enfin, les trapps
sont noirs, compactes, et contiennent beaucoup de fer
pyriteux en petits cristaux cubiques.
(ram
Dans les environs du Mont-Hermé , à Rimogne et sur
quelques autres points, les schistes renferment une
grande quantité de fer pyriteux , en cristaux cubiques ,
gros comme des dés à jouer , et du fer oxidulé en oc-
taèdres. Ces derniers cristaux sont si petits et si abon-
dans dans certaines couches qu’au premier coup-d’œil
la roche paraît criblée d'une infinité de petits trous ;
elle agit alors très-fortement sur l'aiguille aimantée.
Les diorites, les hémithrènes ei les trapps, agissant
aussi, mais faiblement, sur cette aiguille, doivent con-
tenir un peu de fer oxidulé. Cet étage a une puissance
considérable , que l’on n’a pas encore pu déterminer,
parce que nulle part on n’a atteint la roche sur laquelle
il repose.
b. Vers la partie supérieure de l'étage précédent, les
quarzites deviennent de plus en plus abondans, les
schistes prennent une couleur pâle et passent souvent
au phyllade. Bientôt les quarzites , qui alternaient d’a-
bord régulièrement avec des masses schisteuses à peu
près d’égale épaisseur, se présentent en couches assez
régulières, qui ne sont plus séparées que par des lits,
extrêmement minces, de phyllades. Comme je l'ai déjà
dit, ces roches sont généralement compactes, et, dans
plusieurs endroits, elles passent à un quarz grenu sou-
vent très-blanc ; d’autres fois (Château-Renaud , Mont-
Hermé), elles deviennent schisteuses et passent, rare-
ment , à un véritable schiste micacé.
Cet étage renferme aussi quelques couches acciden-
telles de psamruites grisàtres ou jaunâtres, souvent
schisteux. Partout il est traversé par une imfinité de
veines de quarz blanc, laiteux où gras, qui coupent les
( 118 )
strates dans tous les sens; ces strates ne sont jamais
très-épais : l'épaisseur de ceux que j'ai mesurés variait
depuis o",4 jusqu’à 1"; on remarque dans chacun une
infinité de fissures, obliques et parallèles à la stratifica-
tion , déterminant des clivages qui donnent des fragmens
rhomboïdaux, souvent assez réguliers.
Le fer pyriteux des schistes pénètre dans les quarzites
où on en voit quelques cristaux; mais je n’y ai point
remarqué de fer oxidulé, et ces roches n’agissent pas
sur l’aiguille aimantée.
On a creusé à Rimogne un puits, nommé par les
ouvriers puits d’aplomb, dont la profondeur est de
5o7 pieds. Pour cela, il fallut traverser entièrement la
masse des quarzites, à laquelle on a reconnu une puis-
sance de 50" ; au-dessous s’est présentée celle des schistes
telle que je l’ai décrite plus haut; le reste du puits a
été creusé dans cette masse.
Je n’ai pas remarqué une seule trace de restes orga-
niques dans toutes les roches que je viens de décrire.
Aux environs du Mont-Hermé, certains feuillets de
schiste présentent des empreintes, que les ouvriers
nomment des tétes, à cause de leur forme ; ces em-
preintes adhèrent très-peu à la roche et ressemblent à
des feuilles de certaines plantes aquatiques ; mais
M. Cauchy m'a dit que l’on avait trouvé dans les schistes
des végétaux analogues à ceux des houillères , et il m'a
montré plusieurs échantillons de psammites , recueillis
par lui-même au milieu de la grande formation ardoï-
sière, dans lesquels j'ai reconnu des encrinites, des
pentacrinites et des spirifères.
Les deux étages que je viens de décrire sont parfai-
‘
( 119)
tement liés entre eux , et constituent évidemment une
seule et même formation. L’inclinaison générale des
strates est vers le sud sous un angle qui varie de 30° à
6o°. Cette formation a pris un développement extrè-
mement considérable dans toute la partie de la France
et de la Belgique , connue sous le nom d’Ardenne ; sur
quelques points elle présente des particularités que je
vais faire connaître.
A Mézières et à Fumay , deux points éloignés de neuf
lieues l’un de l’autre , le schiste passe au phyllade et
prend une couleur rougeâtre , et les quarzites sont
schisteux et passent souvent à un schiste micacé ou
phyllade quarzeux. À Mézières , le phyllade n’est point
exploité; mais à Fumay il y a de très-belles exploita-
tions, qui fournissent des ardoises plus estimées que
celles de Rimogne , parce qu’elles sont plus solides et
en même temps beaucoup plus minces.
Je n’ai pas vu un seul cristal de fer sulfuré ni oxidulé
dans les ardoises de Fumay. La couleur rougeàtre passe
quelquefois brusquement au gris bleuâtre, et on peut
obtenir ces deux nuances dans un échantillon assez
petit.
Cette variété des schistes est placée immédiatement
sous l’assise des quarzites ; ce qui me porte à croire
qu'elle appartient à la même époque que ceux de Ri-
mogne et de l’Ardenne , dont la couleur dominante est
le gris bleuàtre.
Entre Givet et Rocroy, les diorites sont très-com-
munes dans la masse schisteuse. À Vireu, village situé
entre ces deux villes, sur la rive gauche de la Meuse,
(120)
ces roches paraissent remplacer les quarzites , et consti-
tuer l'étage supérieur de la formation.
Près de Nau, sur la rive droite de la Semoy, on ex-
ploite dans les schistes deux bancs de calcaire sublamel-
laire, d'un gris bleuâtre, que l’on emploie dans les
forges voisines pour faire de la castine. À quelque dis-
tance de là , en suivant le sentier qui conduit aux forges
de Linchant , on trouve des mines de fer, qui provien-
nent d’uñ lit assez mince de fer hydraté, compris dans
les schistes.
À Deville, près du Monthermé, des roches subor-
données à l’ardoise renferment des cristaux de feldspath
bien prononcés. Suivant M. d'Omalius , « ces roches se
« lient aux ardoises par une série de nuances ; les mieux
« caractérisées ont pour base un quarz grenu bleuàtre,
« ou une ardoise stéatiteuse, qui renferme du quarz
« hyalin et du feldspath. Le premier est en globules
« presque limpides , avec une légère teinte blanchâtre
« ou enfumée; le second est blanc , et forme soit des
« cristaux très-bien prononcés , soit des globules ou
« petites masses qui atteignent quelquefois jusqu'à la
« grosseur d'un œuf. » M. Brongniart regarde ces roches
comme des phyllades porphyroïdes.
Je n'ai pas remarqué que l'on exploitài un seul filon
métallique dans les schistes ; cependant, suivant M. d’O-
malius, on aurait entrepris d'y exploiter du plomb, du
cuivre pyriteux et du manganèse.
Le sol occupé par la formation que je viens de décrire
présente une chaine de montagnes très-élevées. Ces
montagnes , qui sont ordinairement terminées par des
plateaux plus ou moins étendus, offrent souvent des
Seb in
ee”:
(121)
flancs très-inclinés, et même des escarpemens assez
droits, par exemple le long du cours de la Meuse et de
celui de la Semoy, Monthermé , Château-Renaud, etc.
Rarement on remarque des crêtes assez étroites , où les
blocs de quarzite, ayant plus résisté à la destruction que
ceux de schiste, forment des pics. Les vallées , qui sont
toutes de fracture , tombent les unes dans les autres sous
des angles aigus; elles sont étroites, à flancs courts
souvent très-inclinés : l’inclinaison du thalweg est assez
régulière. Ces vallées commencent ordinairement par
un évasement à pentes douces.
Le fond des vallées et les flancs des montagnes sont
couverts, dans plusieurs localités, de blues erratiques
assez gros, appartenant aux quarzites, quelquefois aux
diorites , dans les endroits où ces roches sont communes.
On trouve aussi de ces blocs sur les petites montagnes
et les plateaux bas.
Tout le sol occupé par la formation schisteuse est
impropre à la culture; on n’y rencontre que des bois,
dont quelques-uns sont cependant d’une belle venue,
de maigres pâturages, et quelques mauvaises terres, où
l’on sème de temps en temps du seigle.
$ IT. En suivant le cours de la Meuse, depuis Méziè-
res jusqu’à Vireu, on marche constamment sur la for-
mation n° 1, dont on coupe les strates à peu près à angle
droit. Là , on trouve une autre formation qui repose
sur les schistes en stratification concordante, et dont
les couches inférieures commencent mème par alierner
avec eux. Les strates des deux groupes sont très-incli-
nés, et plongent au sud. Le long de la berge, sur la rive
( 122 1}
droite de la Meuse ( PI. ë fig. 1), la superposition est
bien claire, et les couches sont peu inclinées. Ici, le
schiste passe au phyllade, et contient beaucoup de dio-
rites , qui paraissent y remplacer les quarzites.
La formation qui recouvre les schistes, à Vireu, est
composée de deux étages parfaitement tranchés, intime-
ment liés l’un à l'autre , et qui ontune grande épaisseur.
a. La roche qui occupe la partie inférieure du pre-
mier est un grès quarzeux , à grains de quarz distincts
et quelquefois assez gros : la couleur varie du gris rou-
getre au rouge. Ce grès passe insensiblement à un autre
à grains fins et entièrement rouge, avec lequel il alterne
ensuite ; mais ja dernière variéié est dominante, On y
remarque des passages à un psammite schisteux, qui
diffère très-peu du grès ; vers le haut, ce psammite à
une structure fibreuse. |
Dans toute la masse que nous venons de décrire, il
existe , au milieu des grès et des psammites, des couches
de poudingues formés de cailloux quarzeux, dont la
grosseur ne dépasse guère celle d’un œuf , réunis par un
ciment quelquefois siliceux , mais ordinairement formé
par la pâte du psammite, contenant une grande quan-
tité de fer hydroxidé.
b. À la partie supérieure de la masse rouge, les psami-
mites et les grès rouges commencent à alterner avec un
psammite gris, schisteux, contenant des lits de o",3 d’é-
paisseur d’un quarzite gris jaunâtre. Cette roche, dont
la cassure est inégale , avec une texiure presque Com-
pacte et une structure subschisteuse , domine bientôt
sur les schistes , qui finissent par ne plus exister qu’en
lits minces séparant les strates, souvent très-épais, de
( +25 )
quarzite. Cet assemblage de psammite schisteux et de
quarzite , forme un étage dont la puissance est quelque-
fois de près de 100 mètres ; cet étage et le précédent
sont intimement liés , la stratification est identique dans
tous les deux ; ainsi, je les regarde comme constituant
une seule formation.
Ce groupe est très-pauvre en espèces minérales; Je
n’y ai reconnu que le fer hydroxidé , qui forme le ciment
des poudingues, et quelques cristaux de quarz hyalin
tapissant certaines fissures de stratification.
Les restes organiques paraissent manquer entière-
ment.
En France, je n'ai observé la formation du grès
rouge qu'entre Fumay et Givet; mais en Belgique elle
occupe des espaces très-étendus le long du cours de la
Meuse. Sur la rive gauche, entre Rouillon et Burnot
(fig. 2), ce groupe est parfaitement développé ; dans Île
village d’Anserème , près de Dinant, on le voit plonger
sous les calcaires noirs ; on le trouve un peu avant d’en-
trer à Huy, en venant de Namur; enfin , il sort de des-
sous le calcaire entre Flaune et Aupire (fig. 3), sur la
route de Huy à Liége. Dans tout ces points, la formation
n° 2 est identique : on y retrouve absolument les choses
telles que je viens de les décrire.
La puissance de cette formation est , entre Rouillon et
Burnot, de plus de 150 mètres. La stratification est
assez régulière. Les strates plongent , tantôt au nord et
tantôt au sud, sous un angle qui varie de 50° à Go°.
SHL. À Vireu (fig. 1 ) il existe sur le grès rouge une
petite masse de.calcaire noir ; à Rouillon (fig. 2), le
( 124)
calcaire noir repose évidemment, et en stratification con-
cordante , sur les quarzites du second étage : il existe
ici une petite dépression entre les deux formations. Les
parties inférieures de la masse des calcaires noirs de
Dinant, alternent avec des psammites gris, plus ou
moins schisteux, qui sont identiques avec ceux du second
étage de la formation n° 2. Près de Huy, le calcaire
noir est exploité sur le grès rouge. Enfin, entre Mal-
lieue et Aupire (fig. 3), la masse des grès rouges est
tellement disposée , qu'il esi évident qu'elle doit ètre
recouverte par cette grande formation calcaire qui s’é-
tend tout le long de la vallée de la Meuse , depuis Di-
nant jusqu’au bassin de Liége.
Les faits que nous venons de faire connaître établis-
sent clairement que le groupe n° 2 est immédiatement
recouvert et en stralification concordante , par la grande
masse calcaire. Cette masse constitue une formation
bien caractérisée composée de deux étages : au premier,
appartiennent les calcaires noirs de Givet, Dinant
et Namur ; au second, les calcaires gris qui les recou-
vrent , et qui sont si bien développés entre Huy et Liége.
a. La roche qui occupe la partie la plus ancienne de
cette formation, est composée d’un calcaire noir, com-
pacte, à cassure plus ou moins conchoïde, et souvent
traversé par de nombreuses veines de spath calcaire
blanc. Ce calcaire est très-fétide, et phosphorescent par
la chaleur; dans l'acide hydro-chlorique , il se dissout en
donnant une effervescence assez vive, et laisse un ré-
sidu noir qui, suivant M. Cauchy (1), « blanchit ins-
(1) Mémoire sur la Coustitution géologique de la province de Namur,
page 10.
(139 :3
« tantanément au chalumeau sans donner aucune odeur
=
« bitumineuse, mais qui ne s’y dissipe jamais complé-
«€ tement , et y fond quelquefois en une scorie verdàtre
« ou noirâtre. »
Cette roche est parfaitement stratifiée , mais l’épais-
seur des strates est très = variable : ce sont tantôt des lits
minces de o",1 à 0",3 , tantôt des bancs épais de 2", sé-
parés les uns des autres par des lits très - minces d’un
schiste bitumineux calcaire. En général , et surtout dans
les environs de Dinant , la stratification est très -tour-
mentée : on y remarque une infinité de plis, beaucoup
de couches arquées, enfin l’inclinaison varie depuis
l'horizontale jusqu’à la verticale.
Les strates calcaires contiennent beaucoup de phta-
niteen rognons , et en lits minces parallèles à la stratifi-
cation. La figure { présente un exemple de cette dispo-
sition. Sur beaucoup de points, et principalement dans
les environs de Namur, les joints de stratification sont
couverts par des plaques d’anthracite métalloïde; on
trouve aussi de petites veines de cette substance dans le
calcaire. Les veines de chaux carbonatée, qui traversent
les couches , présentent souvent des cristaux violets de
chaux fluatée , on voit aussi, par places , dans la masse
noire, de la barytite lamellaire.
Les fossiles du calcaire noir ne sont pas très-communs
ni très-bien conservés ; les plus nombreux sont des
caryophytllies , des encrinites et des madrépores bran-
chus. Parmi les coquilles , j’ai reconnu : l’euomphalus
pentagulatus , le productus antiquatus, des spirifers et
deux espèces de strophomène , ou peut-être deux indivi-
dus appartenant à la même espèce , et d’àges différens.
( 136 )
Cet étage acquiert un développement et une puissance
très-considérable : c’est lui qui occupe tout le sol des
environs de Dinant, une grande partie de celui de Na-
mur , d’où il s'étend jusqu'à Huy le long du cours dela
Meuse ; enfin il forme la base du rocher de Charlemont.
b. À Thon, carrière de Gorbe, point situé en Bel-
gique, entre Sclayn et Namur, fig. 4, au rocher de
Charlemont, etc. , le calcaire noir est recouvert par un
calcaire gris , auquel il paraît souvent passer insensible
ment. À Charlemont , il n’y a point de séparation tran-
chée ; mais à Thon, il existe un lit mince de schiste bi-
tumineux entre les deux étages. Le second ne contient
plus de phtanite , les strates sont plus épais , et la stra-
tification est beaucoup moins régulière que dans le cal-
caire noir ; même , sur plusieurs points, elle n’est pas
du tout apparente, et alors la roche se présente en grosses
masses. Dans les parties inférieures , le calcaire est plus
ou moins noir; mais cette couleur se perd peu à peu, et
on arrive bientôt à un calcaire gris de fumée ou gris
blanchâtre , qui est la roche dominante dans cet étage.
Ce calcaire est compacte ou sublamellaire ; sa cassure
varie de la conchoïde à l’inégale , il se dissout lentement
dans les acides en donnant une effervescence assez lente ;
comme celui du premier étage, 11 présente la phospho-
rescence par la chaleur , maïs il est très-peu fétide. Vers
le haut de la formation, on trouve des strates de calcaire
à entroques, et d’autres remplis de madrépores branchus.
Toute la masse de calcaire gris est traversée par des
veines , souvent très-considérables , de chaux carbonatée
laminaire qui donne, par le clivage, des rhomboïdes
assez parfaits, mais , en général, très-peu transparens,
Nr.
(127) Due
T1 n'existe plus d’anthracite dans les fissures de stratifi-
cation.
Les fossiles de cet étage sont ordinairement plus nom-
breux et mieux conservés que ceux du premier. Je n’en
ai pas beaucoup trouvé en Belgique ; mais à Charlemont
ils sont extrèmement abondans.
Parmi les zoophytes, j'ai reconnu : des madrepores
branchus , semblables à ceux du premier étage , des tu-
bipores , des caryophyllies , des encrinites et des cya-
thophyllum.
Les coquilles sont : des strophomènes , très-nombreux
à Charlemont, des spirifers, des productus et des euom-
phalus.
La puissance de cet étage est très - considérable : à
Thon, où il repose sur le calcaire noir et où il est recou-
vert par la formation houillère , fig. 5, cette puissance
dépasse 50".
Depuis Namur jusqu’à Liége , sur les deux rives de la
Meuse , il existe de grandes masses de dolomies grises,
qui font évidemment partie de la formation que je viens
de décrire : non -seulement on y trouve les mêmes fos-
siles, mais encore il est facile de reconnaître que ce sont
véritablement des portions de la masse calcaire ; elles se
présentent au milieu des calcaires, et je ne doute pas
que , sur plusieurs points , elles n’y passent insensible-
ment. Ces roches sont quelquefois à l’état puivérulent,
mais ordinairement leur solidité est assez grande. La
couleur est le gris de cendres ; la cassure droite présente
une texture grenue et une infinité de points brillans ; la
texture de la roche est celluleuse et se rapproche beau-
coup de celle de certaines laves volcaniques ; les dolomies
(27259
sont phosphorescentes par la chaleur. Suivant M. En-
gelspach (1), elles sont composées de 20 à 4o pour 100
de carbonate de magnésie, et de 35 à 54 de carbonate de
chaux ; elles se dissolvent entièrement dans l'acide ni-
trique avec une légère effervescence.
La masse de dolomies se présente quelquefois en cou-
ches presque horizontales , mais ordinairement elle n’est
point stratifiée : on y remarque une infinité de fissures
dans tous les sens, des sillons verticaux et recourbés
plus ou moins larges. Les rochers offrent des pointes ai-
guës, des dentelures ; et, à une certaine distance, on
prendrait cette masse pour une formation pyroïde.
Les fossiles de la dolomie sont les mêmes qüe ceux du
calcaire. J'ai observé qu’à la surface des roches ils étaient
d’un blanc mat. M. d'Omalius prétend que dans l’inté-
rieur ils n’ont pas cette couleur.
Ces roches magnésiennes sont très-bien développées
entre Huy et Liége ; il en existe une grande masse qui
s'étend depuis Malieue ( fig. 3), où elle paraît recouvrir
le grés rouge, jusqu’à Huy ; je n'ai pas pu en déterminer
la puissance.
La formation que je viens de décrire renferme des fi-
lons de fer hydroxidé qui traversent toutes les roches.
Quelques-uns de ces filons contiennent de la galène , qui
s’y présente : «en veines , en filets, tantôt plats, tantôt
« droits , et tantôt inclinés. On y trouve aussi quelquefois
« de la pyrite blanche , de la blende et de la calamine.s
La grande formation calcaire , renfermant des do-
lomies, est très-peu développée en France : je ne lai re-
(x) Notice sur le calcaire magnésien de la province de Liége.
(129)
trouvée qu'à 11 montagne de Charlemont, où les deux
étages sont bien développés , maïs sans dolomies , et près
de Vireux, où il en existe un lambeau sur le grès rouge
(fig. 1). Mais , en Belgique , le même groupe a pris un
développement considérable le long du cours dela Meuse;
il forme la masse des montagnes depuis Falmignioule
jusqu’à Rouillon ; on le retrouve ensuite au-delà de Na-
mur , d'où il s'étend jusqu’au bassin de Liége.
Le sol occupé par cette formation présente des pla-
teaux souvent très-étendus, interrompus par des vallées
de fracture , généralement très-étroites , et même par de
véritables gorges. On y remarque beaucoup d’escarpe-
mens à pic, surtout le long de la Meuse, et des cavernes,
souvent très-spacieuses et tapissées de fort belles stalac-
ütes ; il parait que l’on a découvert des ossemens dans
quelques-unes d’entre elles : le peu de temps que j'avais
à ma disposition ne m'a pas permis de les visiter.
Certaines couches du calcaire noir prennent un très-
beau poli, et sont exploitées comme marbres; on les
connaît dans les arts sous les noms de marbres de Dinant
et de Namur. Quelques-unes de celles du calcaire gris
sont aussi exploitées pour le même usage ; mais les mar-
bres qu’elles donnent sont beaucoup moins estimés que
ceux du calcaire noir.
Le sol occupé par la formation n° 3 est peu fertile : on
yremarque beaucoup de bois et de friches.
$ IV. Entre Huy et Liége on trouve un grand
nombre d'exploitations de schistes aluminifères. Ces
schistes reposent sur le calcaire gris, et, suivant M. Cau-
chy, « c’est toujours à la jonction du terrain calcaire
XIX. 9
( 130 )
« avec le terrain houiller qu’ils sont placés. Il n'est
« pas rare de rencontrer entre les feuillets quelques
« veines continues de honillés ; et enfin , les filons, per-
« cés au milieu du calcaire, ne pénètrent pas plus dans
« ces couches que dans celles des houillères. »
À l'entrée du bassin de Liége (fig. 3), le calcaire gris
plonge au nord - est sous la formation houillère , et on
remarque une petite dépression au point de contact entre
les deux groupes.
À Thon , carrière de Gorbe, la formation houillere ,
composée d’une alternance de psammites gris, argiles
schisteuses , avee empreintes végétales et lits de fer car-
bonaté , repose en stratification concordante et peu in-
clinée (fig. 5) sur le calcaire gris. Ici se trouve un lit de
poudingue calcaire , assez irrégulier , placé entre le cal-
caire et les schistes houillers, et dans ces derniers il
n'existe pas un seul fossile du calcaire. Maïs en France,
au rocher de Charlemont , les choses se passent autre-
ment:
Sur le côté nord di rocher, au pied des ouvrages de
fortification (fig. 6) ; les strates du calcaire gris , qui plon-
gent au nord sous l’angle de 55° à Go°, deviennent moins
épais à mesure que lon avance vers le haut de la for-
mation; enfin ce ne sont plus que des lits minces d’un
calcaire gris blenâtre, à structure fragmentaire , et rem-
plis d’une grande quantité de fossiles , qui sont : des Ca-
ryophy Lies, des Madrépores branchus , des Tubipores,
des Spirifères, des Strophomènes et quelques productus.
Vers le haut, ces lits calcaires alternent avec des argiles
schisteuses, qui renferment les mêmes fossiles. Mais
bientôt ces argiles, contenant des lits réguliers de fer
U54)
carbonaté lithoïde en nodules plus où moins aplatis,
se développent seules , et tous les fossiles y pénètrent
jusqu’à une certaine distance; les petits madrépores
branchus et les tubipores y sont surtont très-ahondans ;
mais au-delà de certaines Ximmités, on ne trouve plus de
fossiles , et l'alternance d'argile et de lits de fer carbonaté
se continué, s'enfonce sous les oùviages, et reparaît,
surtout à côté du fort, dans les fossés et les talus de
ces mêmes ouvrages.
Cette alternance de lits de fer carbonaté et d’argiles
schisteuses fait évidemment partie de la grande forma-
tion houillère , qui doit très - probablement occuper le
bassin situé au nord de la montagne de Charlemont: On
voit qu'ici cette formation ; an lieu de reposer brusque-
ment sur le calcaire , conime en Belgique , commence
par alterner avec lui, et qu'elle contient même ses fos-
siles pendant quelque temps. C'est un fait très-remar-
quable, et qui prouve que la formation houillère se lie
intimement avec le terrain de transition.
N'ayant pas eu le temps d'observer avec soin la grande
formation houillère de la Belgique, je n'entreprendrai
point ici d’en décrire les différentes parties; mon but
était seulement de montrer qu'elle recouvre immédiate-
went , eten stratification concordante , la masse calcaire.
Ce fait , bién établi, nous sera très-utile dans la séconde
partie, pour en déduire la position, dans la série géognos-
tique , des différens groupes que nous venons de faire
connaitre.
$ V. En France, le long de la forèt des Ardennes,
dans la partie comprise entre Mézières et Maubert-Fon-
( 162)
taine, on ne voit plus, comme en Belgique , succéder
aux schistes des formations semblables à celles des Nos»,
3 et 4. Dans toute cette partie, le terrain secondaire re-
couvre ces mêmes schistes en stratification transgressive.
J'ai vu d’une manière bien évidente cette superposi-
tion à Lavalmorency, dans un ravin au nord-est du
village, le long du chemin qui conduit au Trembloy
(fig. 7).
Le strate qui recouvre immédiatement les schistes est
composé d’un calcaire gris jaunâtre , à cassure inégale
et à texture subgrenue; ce calcaire est un peu siliceux.
Les autres strates, qui viennent après , sont séparés par
des lits minces d’une marne bleuâtre. Peu à peu l’épais-
seur des lits de marne augmente, les strates calcaires ,
qui deviennent marneux et lumachelles , alternent assez
régulièrement avec des couches de marne; et, vers le
haut, c’est la marne qui domine. #
Les strates de ce groupe sont horizontaux , assez ré-
guliers et peu épais; la plus grande épaisseur ne va ja-
mais à 0",. Ici, la puissance du groupe entier n'excède
pas six mètres. Les strates sont coupés par des petites
veines de spath calcaire.
La marne contient quelques traces de lignite pici-
forme. Les deux roches renferment des coquilles assez
mal conservées ; cependant j'ai pu y reconnaître des
Peignes, le Gryphea arcuata, de grandes Bivalves Unio
concinna? des fragmens d’Æmmonites et des Bélem-
nites. La marne présente assez rarement des débris de
grands Sauriens , dont je possède une vertèbre.
Le long de la rivière j'ai suivi ce calcaire jusqu’au-
delà du viliage de Sormonc : on y retrouve partout les
(133)
mêmes fossiles , et souvent parfaitement conservés. Près
du Châtelet, à Sormone, Lonny, etc., le calcaire à
une couleur bleuâtre , ilest très- solide et on s’en sert
pour les constructions ; il renferme beaucoup d’Æ/mmo-
nites, de Peignes et de Gryphées. M. Boblaye l’a vu
recouvrir la formation n° 1, comme à Lavalmorency,
en stratification transgressive sur plusieurs autres points
situés plus à l’est ; à Izel , à Houldizy et à Florenville .
Dans ces deux dernières localités , il existe , en stratifi-
cation concordante sur le schiste, un grès rouge qui
pourrait bien être de la mème époque géognostique que
celui du n° 2.
En: quittant les schistes pour entrer sur leterrain,cal-
caire, on est frappé du changement brusque dans l'aspect
du pays : au lieu de friches et de bois, on voit des plaines
et des plateaux très-bien cultivés , produisant en abon-
dance du froment, de l'orge et d’autres céréales. Les
vallées sont beaucoup plus larges, et leur fond est sou-
vent occupé par une partie plane , assez étendue , cou-
verte de belles prairies. Les montagnes présentent des
pentes très-douces ; toutes les sommités sont arrondies
ou terminées par des plateaux ; en un mot, l’œil le moins
exercé peut juger qu'il est sur un sol d’une nature bien
différente.
$ VI. Les marnes bleuâtres ,'de la formation précé-
dente, se montrent sur plusieurs points de la grande
vallée dans laquelle coule la rivière: d’Audry , et dans
d’autres vallées secondaires. Ici, de mème qu’à Laval-
morency, reposent immédiatement sur ces marnes des
couches horizontales d’une roche fissile , composée de
*
( 154 )
calcaire et d’une grande quantité de fer. oolithique
mèlé de grains pisiformes qui paraissent avoir été rou-
lés avant d'être agglutinés. . |:
Cette roche contient du spath calcaire en veines et en
géodes ; elle‘se brise facilement, et présente un clivage
parallèle à la siratification ; sa cassure est inégale et sa
texture grenue. ‘ | 1} |
- Les fossiles de cet étage ferrugineux sont : des Zéré-
bratules , de grands Peignes, et, vers le haut , une pe-
üte Huître , Ostrea acuminata , devenant extrêmement
abondante dans les strates {süpériéurs , qui sont encore
ferrugineux , mais qui ne contiennent plus de fer ooli-
thique : ilsysont composés d'un calcaire jaunâtre ferru -
gino-sableux , toujours fissile, etqui renferme, avec .
uné grande quantité dé petites huîtres , des bélemnités
dont plusieurs. ont 0",2 de longueur.
Cette roche est imparfaitement oclithique, mais elle
passe insensiblement à une oolithe miliaire très-caracté-
risée. Aux carrières de l’Épinette,, près d’Aubigny, les
derniers:strates ferrugineux contiennent une petite co-
quille turritellée extrèmement abondante , ce qui donne
à la cassure un aspect tout-à-fait semblable à celui d’une
viande ‘piquée de lard. :Ces strates et ceux de l’oolithe
supérieure présentent une grande quantité de : débris
végétaux , parmi lesquels on remarque des empreintes
de tiges , de fruits, et des feuilles én assez bon état, dont
les plus communes sont longues et étroites ; les autres,
beaucoup plus rares, appartiennent à des Cycadées.
M. Ad. Brongniart y a reconnu le Zamia pectinata,
8 y ]
qui sé trouve à Stonesfield.
Comme je viens de le dire , au-dessus de l’étage ferru-
(135)
gineux vient une oolithe miliaire bien caractérisée, en
strates de 0",3 à o",7 d'épaisseur, Ces strates présentent
un elivage presque toujours parallèle à la stratification ,
et souvent une infinité de fissures verticales et obliques
qui , les forçant à se diviser en fragmens , empèchent
que l’on puisse en tirer des pierres de taille; mais cepen-
dant , sur plusieurs points , les fissures sont moins nom-
breuses , et on en tire d’assez belles plaques et des jam-
bages pour les portes et les croisées.
Les fossiles de cette partie sont: des T'érébratules
lisses et striées , de petites Zurritelles et des végé-
taux.
Dans toutes les carrières autour d’Aubigny , sur l’'É-
péron, Vaux, Logny, etc., on voit l’oolithe passer insen-
siblement à un calcaire compacte, d’un blanc mat, sou-
vent très-tendre et tachant les doigts comme de la craie.
La cassure de cette roche est inégale , un peu terreuse,
rarement conchoïde dans les parties les plus dures. La
stratification est très-irrégulière ; et, comme dans le se-
cond étage , la masse est coupée par une infirité de fis-
sures , cependant on en tire d’assez belles pierres de taille.
Au-dessus de l'Éperon , ce calcaire est très-bien stra-
tifié, il se présente en gros bancs horizontaux qui ont
jusqu'à deux mètres d'épaisseur et qui sont assez solides.
La seule espèce minérale que j'aie trouvée dans cet
étage est de la chaux carbonatée en veines et en géodes.
Les fossiles sont peu communs , je n'y ai recueilli que
quelques bivalves, et une Rostellaire.
Les trois étages que nous venons de décrire sont in-
timement liés entre eux, et constituent ure grande for-
mation oolithique , dont les strates sont presque hori-
( 136 )
zontaux, comme ceux du calcaire à gryphées qu’elle
recouvre.
En récapitulant ce que nous avons dit, on voit que le
groupe précédent est très-pauvre en espèces minérales ;
je n’y ai remarqué que du fer hydroxidé oolithique , et
de la chaux carbonatée.
Voici la liste des fossiles rangés dans les diflérens
étages :
OOLITHE CALCAIRE
OOLITHE
FERRUGINEUSE. BLANCHE. COMPACTE.
Ammonites. Ostrea acuminata. Rostellaria.
Bélemnites compres- | Terebratula subun- | Plagiostoma punctata.
sus. data. Lucina ?
Pleurotomaria tuber- | T. biplicata.
culosa. T.. octoplicata.
T'urritella ? Mucleolites.
Plicatula.
Pecten. Végétaux.
Ostrea acuminata.
Z'amia pectinata Ad, B.
Végétaux. — Tiges et
feuilles.
‘ Ilest à remarquer que dans cette formation , et sur-
tout dans la partie oolithique , les univalves sont extrè-
mement rares , ce qui la distingue essentiellement de la
suivante , où ces coquilles dominent.
La grande formation oolithique, que je viens de dé-
crire , a pris un développement très-considérable entre
la Meuse et l’Aisne. D’après les différences de niveau
calculées , je conclus que sa puissance dépasse 100 mè-
tres dans les environs d'Aubigny ; les montagnes que
ce groupe constitue, sont toutes arrondies et terminées
chti =
(Caemt ]
par des plateaux plus ou moins étendus. Ces montagnes
s’allongent quelquefois beaucoup en venant mourir dans
les vailées. La hauteur moyenne est de 260 mètres au-
dessus de la mer; qnelques sommets atteignent 315 mè-
tres et même 320 mètres. Les vallées sont larges, et les
différens ordres se coupent sous des angles assez ouverts.
Je n’ai pas remarqué un seul escarpement ; partout les
talus sent formés, et, à quelques petites exceptions près,
ils présentent des pentes douces.
Le sol occupé par la grande formation oolithique est
assez fertile ; il produit toutes sortes de céréales; et le
fond de la plus grande partie des vallées est couvert de
belles prairies.
S VIT. Sur les hauteurs au sud d’Aubigny , le long
du chemin qui conduit de ce village à Signy-l’Abbaye,
on voit paraître au jour , dans une petite étendue, un
calcaire oolithique dont les grains sont plus gros que ceux
du précédent. La stratification de ce calcaire est presque
horizontale comme celle de la grande oolithe sur laquelle
il repose , et dont il se distingue par la grande quantité
de nérinées et de madrépores qu’il renferme. Cette roche
est exploitée près de Signy dans un escarpement où j'ai
pu l’observer facilement.
La masse est bien stratifiée, les strates ont jusqu’à
1 mètre d'épaisseur ; vers le haut ils sont un peu plus
minces ; des fissures, obliques à la stratification, les cou-
pent dans tous les sens , mais ce calcaire n’est point fis-
sile comme celui du n° 6, les parties inférieures sont
composées d’un calcaire siliceux, peu oolithique, passant
par degrés insensibles à un calcaire marneux blanc jau-
( 138 )
nâtre, qui, vers le haut, devient parfaitement oolithique.
La seule espèce minérale que j'ai tronvée dans les ro-
ches est de la chaux carbonatée, en veines et en cristaux.
Les fossiles sont extrèmement nombreux dans cette
seconde formation oolithique. Les nérinées et les téré-
bratules striées y dominent ; il y existe aussi beaucoup
de madrépores , quelques nucléotites, mais point de vé-
gétaux. "
Voici le tableau des fossiles que j'ai recueillis :
Nerinea, deux espèces.
Melania.
Ammonites.
Terebratula , plusieurs espèces.
Ostrea.
Pholodomia Protei, Brong.
Avicula echinata.
Nucleolites.
Le plus grand nombre des Madrépores appartient au
genre Astrée ; j'ai aussi trouvé un Millepore ? oviforme,
de la grosseur d’un œuf de pigeon , mais plus allongé.
Je n’ai vu que quelques lambeaux de cette formation;
lus 4 ë ;
ainsije ne puis rien dire sur les formes du sol qu’elle
occupe.
$ VII. Sur le versant ouest de la grande vallée qui
s'étend du village de Marlemont à celui de Logny-Bogny,
on: voit succéder au groupe n° 6 une glauconie très-bien
caractérigée, et dans laquelle la matière verte domine
beaucoup ; la masse n’est point stratifiée. Cette roche,
que l’on exploite comme cendres, contient une grande
quantité de fer pyriteux , tellement divisé, qu'on a de fa
Tr
( 139 )
peine à l’apercevoir sans loupe. Sur quelques points, le
calcaire devient dominant, et la roche passe au grès vert
commun (green sand ): elle ne paraît pas contenir
d’autres espèces minérales que le fer pyriteux disséminé.
Malgré toutes mes recherches, je n’ai pas pu découvrir
un seul reste organique , et je crois bien qu’il n'y en
existe point.
La masse glauconiense occupe toutle sol compris entre
la vallée dont nous venons de parler , et la route d'Au-
bigny à Rumigny. Dans les marnières , à l’ouest du vil-
lage de Liart, on voit la glauconie recouverte par une
marne argileuse bleuâtre, quidevient grise et finit par
passer à la craie tufeau ; celle - ci passe à la craie
blanche , dans laquelle on trouve quelques silex pyro-
maques. Toutes ces roches ne sont pas stratifiées; les
marnes blezes et la craïe tufeau contiennent des nodules
radiés de fer pyriteux.
La craie blanche et les parties supérieures de la craie
ufeau contiennent quelques fossiles : des Spatangues
et des Zérébratules lisses. Mais, en général, les restes
organiques sont très-rares daus ioute cette formation; la
glauconie paraît en être entièrement dépourvue.
La formation que nous venons de décriré est évidem-
ment celle de Ja craie , offrant la réunion des trois étages
bien établis maintenant par les géognostes: Les deux su-
périeurs, et surlout la craie blanche, ne se présentent que
par lambeaux ; la portion si riche en silex pyromaques
a été en partie détruite, et ces silex sont restés en grande
abondance, dans les alluvions, comme pour attester celle
destruction.
La butte de Marlemont , élevée de 296 mètres au-des-
( 140 )
sus du niveau de la mer, est formée de craie blanche
recouverte par le terrain diluvien. Les environs de Liart
presentent plusieurs lambeaux de cette roche, recou-
vrant la craie tufeau. Toutes les collines occupées par
cette grande quantité de bois et de prés, qui sont com-
pris entre la vallée de Liart, celle de Marlemont et la
route d'Aubigny à Rumigny , se trouvent formées par la
craie verte. Il est bon de remarquer ici que la végétation
est très-active dans tout le sol occupé par cette roche ;
ce qui explique pourquoi on l’emploie à l'amendement
des terres ; les cultivateurs attribuent ses qualités au fer
pyriteux qu’elle renferme.
Les sommets les plus élevés des montagnes de craie,
atteignent 296 mètres au-dessus du niveau de la mer,
le fond des vallées est à 200 mètres ou 210 mètres au-
dessus de ce mème niveau ; ce qui donne à toute la for-
mation une épaisseur de plus de 80 mètres.
$ IX. Ce morcellement de la formation crayeuse, dont
nous venons de parler , annonce qu’à une certaine épo-
que, une grande révolution est venue bouleverser la
surface du pays qui la contient. Cette grande catas-
trophe est attestée par une foule de faits irrévocables ,
et que nous allons exposer.
En décrivant la formation des schistes, [, nous
avons dit que les sommets , les plateaux peu élevés et
les flancs des vallées étaient couverts de débris des
roches compactes contenues dans cette même formation.
Les mêmes roches existent le long du cours de la Meuse
et sur le versant Est de la chaîne des Ardennes ; elles
se présentent souvent à la surface du sol ; mais le plus
Ci4)
communément elles sont renfermées dans une couche
de transport, très-épaisse, avec une grande quantité
d’autres débris du terrain de transition ; il en existe aussi
quelques-unes sur les plateaux calcaires. Ces roches sont
en bloes plats, assez minces, 0,3 à 0",4 d'épaisseur,
plus longs que larges, et dont les angles sont le plus
ordinairement à peine émoussés.
En France, sur les formations nos 5, 6,7 et 8, il
existe une grande quantité de ces blocs : ils gisent à
toutes les hauteurs ; ils sont aussi abondans et aussi gros
sur les plateaux que dans les vallées. Les blocs de quar-
zite sont accompagnés de fragmens de Psammites jau-
nâtres, de blocs de véritables poudingues siliceux qui
ressemblent à ceux de la formation n° 2 ; et dans les en-
virons d’Etrebay et de Prez , on trouve , avec des pou-
dingues , une grande quantité de Psammite rouge et de
grès provenant de la mème formation. Quelques-uns des
blocs de quarzite passent au Phtanite; circonstance citée
par M. d'Omalius pour les quarzites de l’Ardenne (1),
mais que je n'ai pas eu occasion d'observer sur les roches
en place. Dans toutes les localités, il existe aussi des
blocs de grès blanc semblable à celui du n° 1.
Les fragmens de poudingue et de grès rouge ont des
formes arrondies; leur volume ne dépasse guère un
mètre cube. Ceux de quarzite et de grès blanc sont
plats, plus longs que larges ; mais la longueur r’excède
jamais deux mètres ; l'épaisseur varie entre 0",2 et 0",4 ;
les angles sont à peine émoussés. Ces roches , identiques
avec celles qui composent le second étage de la forma-
(1) Mémoire pour servir à la Description géologique des Pays-Bas
et de la France, p. 38.
(142)
ton des schistes et le groupe n° >, sont accompagnées
d’une grande quantité de cailloux roulés de quarz blanc,
identique avec celui des veines qui coupent toutes les
roches de la formation n° 1 ; quelques-uns de ces cail-
loux , qui ont une structure lamellaire et dont le quarz
est mélangé de paillettes de miea, sont regardés par
M. Boblaye comme appartenant à une formation plus
ancienne que celle des schistes; mais M. d'Omahius cite
des filons de ce même quarz dans cette formation (1)-
Vous ces débris du terrain ancien se trouvent répan-
dus, à la surface du sol , sur les montagnes et dans les
vallées. Ils sont aussi souvent renfermés dans une couche
de transport , tantôt marneuse et tantôt composée d’un
sable jaunâtre assez pur , qui a plus de trois mètres d’é-
paisseur. Près de la ferme de Malgrétout , on les trouve
à 293" au-dessus de la mer, dans une masse de sable; il
existe aussi de ces mêmes blocs à la surface du sol, sur
le point culminant de cette région, 314" au-dessus de la
mer, situé à oo” à l’est de cette ferme , sur le chemin de
Neufmaison. Le sommet de la butte de Marlemont , qui
s'élève à 296" au - dessus de la mer, est couvert d’une
masse de sable très- épaisse, contenant une grande
quantité de blocs erratiques , les plus grands que j'aie
vus , et des cailloux roulés. Au pied de cette butte, où
existent des lambeaux crayeux, le terrain diluvien ren-
ferme avec les blocs une grande quantité de silex pyro-
maques noirâtres , qui sont tous plus ou moins brisés.
Dans la partie au nord-ouest de la vallée dans laquelle
coule la rivière d’Audry, les blocs de Psammites, de grès
rouges et de poudingues siliceux sont beaucoup plus
(1) Mémoire cité, p. 38.
(145)
nombreux que dans celle située au sud , où ce sont au
contraire les quarzites qui dominent. Les environs de
l'Éperon, de Vaux et de Neufmaison en présentent des
quantités considérables. Au nord d’Aubigny, près de
Cernion, Havy, etc., ces gros blocs sont extrèmement
rares ; mais il existé toujours une grande quantité de dé-
bris de quarzites, de grès et des cailloux roulés de
quarz blanc. En arrivant dans la grande vallée qui s’é-
tend depuis Liart jusqu’au-delà d’Aubenton , je n’ai plus
trouvé que quelques blocs , de petits fragmens de quar-
zite et de grès blanc mêlés avec des silex pyromaques.
À l’ouest de cette vallée , les débris du terrain de transi-
tion ont presque entièrement disparu, et le terrain dilu-
vien , qui couvre les collines et le fond des vallées, ne
contient plus que des silex pyromaques. Ainsi cette
vallée peut être regardée comme Ja limite Ouest du trans-
port des blocs; elle est distante de 16,000" à 20,000"
des points les plus près où le terrain de transition se
montre au jour : Lavalmoreney , Rimogne , etc., et de
40,000" du centre de la chaîne des Ardennes. Son éléva-
tion au-dessus de la mer est de 200" , célles des sommets
de l’Ardenne varient de 480" à 5oo". Aïnsi il y aurait
une différence de niveau de 280" au moins entre ces
deux régions.
Pour la portion des blocs de l’Ardenne transportée en
France , la translation parait être effectuée dans la di-
rection du N.-E. au S.-O.; mais en Belgique, sur le
flanc Est de la chaîne, le transport a eu lieu en sens con-
taire. Je remarque, avant de terminer cét article, queje
n'ai reconnu aucun rapport entre la grosseur des blocs et
les distances auxquelles ils ont été transportés : ceux de
(144)
Marlemont , qui sont les plus éloignés du point de dé-
part, sont aussi des plus gros que j'aie vus ; et sur les
points intermédiaires on en trouve de toutes les grosseurs
mèlés les uns avec les autres.
CONCLUSIONS.
1°, La grande formation houillère, qui est exploitée
dans tout le bassin de Liége, est un excellent horizon
géognostique, puisque tous les observateurs sont d’ac-
cord sur sa position relative. Dans la description du
bassin du Bas-Boulonnais (1), j'ai regardé cette forma-
tion comme faisant partie de la grande époque à laquelle
on donne le nom de terrain de transition. Les observa-
tions que je viens de rapporter confirment pleinement
cette opinion : la houille se lie intimement avec le cal-
caire inférieur (fig. 3). Les fossiles de l’un pénètrent
dans l'autre, et la stratification est parfaitement concor-
dante dans les deux groupes. M. Steininger ( page 37)
range aussi cette formation dans le terrain de transition ;
et c’est, selon moi, la place qui lui convient le mieux,
tant à cause des circonstances de la stratification que
parce que les restes organiques qui y sont enfouis , vé-
gétaux et animaux, ressemblent toui-à-fait à ceux du
terrain de transition, et différent complètement de ceux
du terrain secondaire.
Ainsi , la grande époque des houilles forme le dernier
terme de cette autre époque plus étendue après laquelle
se préseritent les couches horizontales ; circonstance qui
(x) Description geologique du Bas-Boulonnais , Paris, 1828. Sel-
ligue, Levrault, etc.
(145)
avait faii donner le nom de terrain horizontal par les
anciens observateurs à l’époque qui suit immédiatement;
ce qui prouve qu'entre les deux il s’est opéré une des
grandes révolutions qui ont affecté toute la surface du
globe.
2°, Le calcaire n° 3, qui est recouvert en stratification
concordante par les psammites et les argiles schisteuses
des houilles , est tout-à-fait identique avec celui du Bas-
Boulonnais ; c’est la mème nature de pierre , présentant
le mème aspect , contenant les mêmes espèces minérales ;
et enfin les restes organiques sont identiques dans les
deux localités: hors de place, les calcaires noirs de
Boulogne et ceux de Dinant et de Namur ne pourraient
pas être distingués. J'ai aussi reconnu des masses de do-
lomies grisés dans le Boulonnais, et ce que j'ai nommé
silex corné n’est autre chose que du phtanite. Alors
J'avais regardé le calcaire noir et le calcaire gris comme
appartenant à deux formations différentes ; mais , d’après
ce que j'ai exposé dans le courant de ce Mémoire , il est
évident qu'il faut maintenant les considérer comme deux
étages d’une seule et même formation.
Je dois aussi convenir que je me suis complètement
trompé ( page 96 ), en disant que le calcaire du Boulon-
nais contient des Ammonites : ce sont des Euomphalus
tout-à-fait semblables à ceux de Namur. J'ai commis
cette erreur, parce qu’alors je ne connaissais pas ce genre
de coquille.
D’après les observations du docteur Fitton , la forma-
tion des: calcaires du Boulonnais est la même que celle
du Mountain - Limestone des Anglais. Il en résulte que
XIX. 10
C 146 )
le groupe identique de Givet, Dinant, Namur, etc. , ap-
partient aussi à cette époque géognostique.
3°. La formation n° 2, composée de deux étages , dont
les dernières couches alternent sur plusieurs points avec
les calcaires noirs, et les premières avec les schistes et
les quarzites , occupe dans la série géognostique absolu-
ment la même place que l’OZd red Sandstone des géo-
gnostes anglais ; en outre , elle s'en rapproche beaucoup
par la nature des roches qui entrent dans sa composition ;
comme lui , elle renferme très-peu de restes organiques.
Ces considérations me semblent assez puissantes pour
me faire regarder la formation n° 2 comme l’équivalente
géognostique du groupe auquel, en Angleterre, on donne
le nom d’Old red Sandstone, et qui est le dernier de
ceux décrits dans l’ouvrage de MM. Phillips et Cony-
beare.
4°. La grande formaiion ardoiïsière n° 1 constitue une
époque géognostique bien tranchée, et qui, d’après les
restes organiques qu'on y rencontre, appartient sans
aucun doute au terrain de transition. Cette formation,
la plus ancienne de toutes celles que j'aie observées dans
l’Ardenne , repose sur le terrain primitif à Ottré (1),
grand duché de Luxembourg. M. de Humboldt (2) en
fait le troisième groupe de transition, et l'appelle :
« Thonschiefer de transition , renfermant des grauwa-
« ches , des grunsteins, des calcaires noirs , des syé-
« nites et des porphyres. »
La formation de schistes ardoises, grès quarzeux et
phyllades , décrite par M. Boblaye, dans son excellent
(1) Mémoire de M. Steininger, p. 87.
(2) Essai sur le gisement des roches, p. 140.
(147)
travail sur la Bretagne (1), et à laquelle, suivant lui.
doivent ètre rapportés les schistes ardoises d'Angers, si
riches en trilobites , est absolument la même que celle
de l’Ardenne ; elle repose aussi sur le phyllade primitif.
La place que j'assigne , dans la série géognostique , à
chacune des formations qui se montrent au jour dans
l’Ardenne et le long de la vallée de la Meuse , dépuis le
mont Hermé jusqu’à Liége, est parfaitement confirmée
par les observations de M. Steininger ; dans le résumé
placé à la fin de son travail, les positions assignées à
ces formations sont identiques avec les miennes. Les
travaux de MM. Oeynhausen et Dechen, dont j'ai lu
un extrait dans le Bulletin des Annales scientifiques,
mai 1828 ; viennent encore confirmer mon opinion, qui,
du reste , Jose le dire , est appuyée sur des faits bien
constatés.
Enfin j'ai eu l'avantage de rencontrer chez M. Bron-
gniart , M. Van Breda , chargé de la direction de la carte
géologique du royaume des Pays-Bas, et qui, après un
long entretien sur la constitution géognostique de l’Ar-
denne et du pays de Liége , m'a écrit de sa main le billet
suivant : « M. Van Breda , professeur à l’université de
« Gand, est parfaitement d'accord avec M. Rozet sur
« la grande succession des terrains dans les Ardennes,
« qu'il vient de lui communiquer chez M. Brongniart,
« aujourd'hui le 5 janvier 1629. »
A mon passage à Namur, j'eus l'honneur de voir
MM. d'Omalius et Cauchy, et nous discutämes beau-
coup ensemble sur l’âge relatif des différens groupes
(1) Essai sur la configuration et la constitution géologique de la
Bretagne, Mémoires du Museum, tome XV.
( 148 )
géognostiques de l’Ardenne et de la province de Namur.
Le seul fait sur lequel nous fûmes parfaitement d'accord,
c’estque les houilles recouvrent les calcaires sur plusieurs
points de la vallée de la Meuse.
Après avoir quitté ces savans , je traversai de nouveau
l’Ardenne , depuis Dinant jusqu’à Rimogne , en passant
par Givet, Fumay et Rocroy ; tout ce que je vis alors
confirma pleinement les conclusions que j'avais tirées de
mes premières observations.
Dans un ouvrage publié en 1828 (1), M, d'Omalius
regarde les groupes que je viens de décrire comme
se confondant tous plus ou moins : et il ajoute que plu-
sieurs des systèmes qu'ils composent doivent être consi-
dérés comme parallèles plutôt que comme le résultat de
formations successives : « Maïs, dit-il , s’il fallait abso-
« lument établir un ordre de succession , je dirais que je
« regarde le calcaire anthraxifère, tel qu'il se trouve
« dans le Condros , comme le terrain le plus ancien de
«ces contrées , qu'il a été suivi successivement par les
« schistes et les psammites jaunes, par le calcaire mé-
« tallifère, par les poudingues du terrain anthraxifère
« (OUd red Sandstone ), par le terrain houiller , par le
« terrain ardoisier et par le terrain trappéen. »
Si jamais M. d'Omalius peut être rendu entièrement
à la science qu'il a tant illustrée (2), et qu'il veuille ob-
server de nouveau l’Ardenne et les différentes contrées
qui s’y rattachent, il reconnaîtra lui-même que les
choses sont beaucoup plus simples qu'il ne le pense
(x) Déjà cité ,p. 195.
(2) Depuis plusieurs années, M. d’Omaïius est gouverneur de la
province de Namur.
(149)
maintenant, et surtout qu’elles ne sont pas disposées
les unes par rapport aux autres, d’une manière différente
de celle que l’on a reconnue dans toutes les localités où
des groupes analogues se trouvent réunis.
5°. En France, sur le versant ouest de la chaîne des
Ardennes, on ne trouve plus les formations 2, 3 et 4;
mais une autre , n° 5 , qui recouvre les schistes en stra-
tification transgressive, et qui, d’après les fossiles et les
autres caractères que nous avons décrits $ V, est évi-
demment celle du Lias.
6°. La grande formation oolithique, qui recouvre en
stratification concordante le n° 5 , est identique , tant par
ses fossiles que, par les roches qui la composent, avec
celles du Jura , de la Bourgogne , du Boulonnais , et avec
le Great oolithe des Anglais ; les végétaux et les coquilles
sont les mêmes qu’à Stonesfield. Le calcaire crétacé com-
pacte , qui forme le troisième étage de ce groupe, existe
également, dans la mème position , en Bourgogne et sur
le littoral de l'étang de Berre, Bouches-du-Rhône.
7°. Quant au calcaire oolithique contenant des Néri-
nées , c’est le mème que celui que j'ai observé dans le
Boulonnais, et qui, suivant M. Fitton , est identique
avec le Coral-Rag des Anglais. Depuis deux ans j'ai eu
occasion de voir plusieurs fois ce calcaire superposé à la
grande formation oolithique (Boulonnais, Bouches-du-
Rhône, Nièvre, Saône -et - Loire , etc.), toujours j'y ai
irouvé une grande quantité de Nérinées.
Jusqu'à présent , l'abondance de ces coquilles est pour
moi un caractère certain pour distinguer cette seconde
formation oolithique de la première , n°6 , avec laquelle
on lui trouve la plus grande ressemblance.
( 150 })
8°. La description que j'ai donnée du groupe des
Glauconies et des autres roches qui se lient avec elles,
sufit pour faire reconnaitre dans la formation n° 8 celle
de la craïe bien caractérisée et composée de trois étages,
ayant été tous plus ou moins détruits par la grande révo-
lution qui a couvert le sol de nombreux blocs erra-
tiques.
9°. Ces blocs , que l’on trouve en si grande abondance
sur plusieurs points de la Belgique et dans toute la por-
tion du département des Ardennes que nous avons dé-
crite, viennent évidemment de la grande formation ar-
doisière et de celle du vieux grès rouge ; l’identité entre
chaque bloc et l'espèce de roche en place d’où il provient
peut être constatée. Partout où les blocs erratiques exis-
tent en grande quantité , ils sont placés les uns sur les
autres , tout-à-fait comme s'ils avaient été déposés tran-
quillement dans la place qu'ils occupent ; et un exa-
men attentif démontre que la surface inférieure n’a point
éprouvé de bouleversemens depuis leur dépôt ; la couche
diluvienne, qui les renferme souvent, existe sur les mon-
tagnes comme dans les vallées. Ces considérations me
portent à penser que le transport de ces masses est d’une
époque postérieure à la formation des vallées , ou tout
au plus contemporaine de cette formation.
Les géologues qui admettent que les vallées ont été
creusées par l’action lente des eaux, et que le transport
des blocs erratiques s’est effectué antérieurement à ce
creusement , n'éprouveront aucune difliculté pour expli-
quer comment ces blocs se trouvent maintenant sur des
montagnes séparées par plusieurs vallées des points d’où
ils proviennent ; car, d’après les deux plans de pente que
( 25 )
nous avons établis au commencement de ce Mémoire,
ces masses pourraient avoir glissé sur ces plans lorsqu'ils
étaient continus.
Mais plus j'observe les chaînes de montagnes et les
accidens qu’elles présentent, moins je puis admettre le
creusement des vallées par les eaux; pour moi, les mon-
tagnes et les vallées ont été formées ensemble; celles-ci
ne sont autre chose que les vides laissés entre les diverses
productions des masses. f
Si, comme l’ont pensé plusieurs géologues , la cause
qui a répandu les blocs erratiques sur toute la surface du
globe est la même que celle qui a soulevé certaines par-
ties des chaînes de montagnes, on comprend, très-bien
comment, en imprimant une grande vitesse à ces blocs,
elle a pu les transporter à des distances souvent très-con-
sidérables , et les déposer , comme dans les Ardennes,
sur des points dont le niveau est moindre que celui de
la région d’où ils sont partis, malgré qu'il se formàt des
vallées entre eux et cette région.
Mais si cette cause est postérieure au creusement des
vallées, elle doit être surnaturelle : c’est une force infi-
niment plus considérable que tout ce que nous connais-
sons aujourd'hui, puisqu'elle aurait pu imprimer aux
roches de la Scandinavie une impulsion assez grande
pour les faire passer par dessus le bassin de la Baltique ,
et les porter jusque dans les plaines de la Basse- Alle-
magne.
Quelle que soit l'hypothèse que l’on fasse, il est bien
difhcile de ne pas admettre que les eaux ont joué un
grand rôle dans cette circonstance ; partout on a des
preuves non équivoques que de grands courans ont sil-
(262)
lonné la surface de la terre et déposé en même temps
de nombreux ‘débris. Dans les Ardennes, la formation
de la craie a été en partie détruite, et les silex pyro-
maques sont restés là comme pour attester cette destruc-
tion par un liquide qui semble avoir dissout la matière
crayéuse.
Si l'on suppose que les montagnes existaient alors,
et que ce cataclysme soit le résultat d’une irruption de
la mer actuelle sur les continens , il faut que ‘cette
masse se soit élevée à plus de 320" au-dessus de son ni-
veau, ce qui nécessite une force extraordinaire, et qui
dépasse tout ce que l'imagination peut raisonnablement
eoncevoir. Cette: force aurait pu lancer les blocs comme
des boulets de canon, et les faire passer ainsi par dessus
des vallées et des montagnes. Dans cette dernière hypo-
thèse , les bloes les plus gros , ayant reçu la plus grande
quantité de mouvement , devraient être les plus éloignés
du point de départ; c’est effectivument ce qui a'souvent
lieu dans le pays que nous décrivons.
Ce que je viens d'exposer prouve que je suis bien loin
d’avoir des idées fixes relativement à la cause qui a dis-
persé les blocs erratiques sur la surface de la terre.
Mais, d’après les observations que J'ai déjà faites sur
plusieurs points de la France ( Provence, Bourgogne,
Boulonnais , ‘etc. ), je suis convaincu que cette disper-
sion est due à un ordre de choses différent de l’ordre ac-
tel, et qui me paraît avoir déposé en même temps les
diverses parties du terrain diluvien.
‘Il résulte de ce que nous venons d'exposer dans cette
seconde partie, que les formations géognostiques qui se
miéntrent au jour le loug de ka vallée de la Meuse,
( 153 )
depuis le mont Hermé jusqu’au bassin de Liége , sont
par ordre d'ancienneté , les schistes ardoises , le vieux
grès rouge, la grande masse calcaire; la formation
houillère et le terrain diluvién , renfermant des blocs
erratiques ; et; en France , depuis la forèt des Ardennes
jusqu’à la vallée d’Aubenton , Les schistes ardoises, le
lias, la grande oolithe, le coral-rag, la craie et le
terrain diluvien.
Sur quelques Circonstances de la naissance, de
lu vie et de la mort de la fille bicéphale Rita-
Cristina ;
Par M. le docteur Marrin SaAINT-ANGE.
Un grand nombre d'articles ont paru depuis un mois
sur Rita-Cristina , soit dans les recueils scientifiques ,
soit mème dans les journaux quotidiens ; une foule de
détails ont été ainsi répandus dans le public, soit sur la
conformation extérieure, soit sur les phénomènes phy-
siologiques et psychologiques si remarquables qu'elle a
présentés : il n’est pas jusqu'aux détails de son organisa-
tion intérieure qui n'aient été publiés, et cela: avans
même que.l’autopsie les eùt fait connaitre d’une manière
exacte. De là des erreurs multipliées , et des assertions
tellement contradictoires, que, sauf les points les plus
importans, sur lesquels tout le monde est d'accord, il
devient presque impossible à ceux qui n’ont pu étudier
par eux-mêmes Rita-Cristina, de se former une: idée
(154)
exacte de cet être extraordinaire , et de résoudre d’une
manière certaine les questions si curieuses auxquelles il
peut donner lieu.
MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Serres doivent publier,
sur l’organisation de Rita-Cristina, un Mémoire étendu
et complet , qui ne laissera rien à désirer sur ce sujet, et
qui lèvera entièrement les doutes qu'ont pu faire naître
toutes les descriptions mutlées et inexactes qu’on a pu-
bliées jusqu’à ce jour.
Je crois qu’il ne sera pas non plus sans quelque uu-
lité de présenter quelques détails, qui du moins sont
les résultats d'observations attentives et souvent répétées
sur les phénomènes de la vie, et sur les circonstances
de la mort de Rita-Cristina. Ayant passé plusieurs années
en Italie, les parens de Rita-Cristina ont cru trouver en
moi un compatriote, et se sont souvent adressés à moi
pour les diriger dans les soins à donner à leur enfant.
Cette circonstance m'a mis à même de l’étudier avec
tout le soin possible, et elle m'oblige d’ailleurs de
répondre aux plaintes consignées dans quelques jour-
naux, qui attribuent la mort de Rita-Cristina au manque
de soins et de conseils médicaux. Ce ne sont pas les con-
seils qui ont manqué aux parens de cet enfant ; mais,
comme on le verra, le moyen de mettre à profit ceux
qui lui ont été donnés de toute part.
Rita et Cristina sont arrivés à Paris le 26 octobre 1829,
ét dès cette époque on s’empressa de les étudier avec
beaucoup de soin , principalement sous le rapport phy-
siologique. M. le professeur Geoffroy Saint-Hilaire me
procura pour la première fois l’avantage de bien exami-
ner Rita-Cristina; nous applicames le stéthoscope sur
( 165 )
différens points de la poitrine ; les battemens du cœur
nous parurent simples, mais ils étaient confus, et ne
pouvaient être appréciés exactement , à cause de la fré-
quence des inspirations. Les artères radiales furent in-
terrogées avec soin ; leurs battemens semblaient isochro-
nes à ceux du cœur : chaque individu offrait 90 pulsa-
tions par minute. Cela fut vérifié à plusieurs reprises ,
et il demeura constant que les pulsations étaient en
même nombre chez les deux enfans. Nous examinàmes
aussi les inspirations qui se faisaient alternativement ,
et cependant un même nombre de fois, dans un temps
donné. Tel fut le résultat des recherches qui furent faites
le premier jour au Jardin du Roi. Voici maintenant ce
que J'ai pu constater par la suite.
Rita-Cristina n'avaient que huit mois à peine , et déjà
toutes deux paraissaient reconnaître la voix de leurs
parens, surtout celle de leur père; Cristina était plus
éveillée que sa sœur : toutes deux reposaient ensemble
ou alternativement , et, dans ce dernier cas , l'un pou-
vait rire ou pleurer, éternuer ou tousser, et prendre le
sein , sans que l’autre en éprouvât le moindre dérange-
ment. Il ne m'a pas été possible de constater si les ma-
tières excrémentitielles étaient expulsées pendant le
sommeil de lune d'elles ; la nourrice assure cependant
s’en être convaincue plusieurs fois. Il était curieux de
voir l’une d’elles endormie , pendant que l’autre veillait ;
dans ce cas la première respirait paisiblement , l’autre
s’agitait , et déterminait des mouvemens à leur ventre
commun ; il semblait qu’à chaque inspiration le paquet
intestinal fût porté non de haut en bas, mais bien laté-
ralement de gauche à droite ou de droite à gauche, selon
( 156 )
que c'était l’une ou l’autre qui veillait. Lorsque toutes
les deux veillaient ou dormaient en même temps, il y
avait plus de régularité dans les mouvemens d'inspira-
tion ; dans l’état de sommeil, on pouvait mieux juger
que dans l'état de veille des pulsations artérielles, mieux
aussi de celles du cœur, mais jamais d’une manière assez
précise pour que l’on püût reconnaître un double batte-
ment du cœur. Il y avait une telle confusion de monve-
mens dans la poitrine , que le stéthoscope ne pouvait
apprécier au juste ce qui devait s’y trouver. Que lon
ajoute à cela la fréquence des inspirations qui se faisaient
alternativement, et l’on concevra combien il était difi-
cile d'apprécier les mouvemens du cœur par l’ausculta-
tion. On éprouve souvent une semblable difficulté dans
certaines affections de poitrine, où la respiration , deve-
nue très-accélérée , empêche l'observateur de bien juger
des altérations du cœur.
Pendant que Rita-Cristina dormaient, l’on pouvait
les éveiller l’une après l’autre, en chatouillant le pied
correspondant à l’une d'elles ; aussitôt des mouvemens
du membre avaient lieu, et bientôt on vovait sur qui on
agissait. On pouvait aussi produire le rire, et quelque-
fois des mouvemens convulsifs , au point de faire agiter
tout le corps de l’une d'elles, sans pour cela déranger
l’autre de son sommeil. Il en était de même pour les
mains , que le chatouillement faisait d’abord retirer, et
qui finissait par troubler leur repos. Ces sensations
étaient donc spéciales à chacune d'elles ; chacune sentait
seule pour ses deux bras, et, ce qui est surtout remar-
quable, pour le membre inférieur de son côté.
Mais il n’en était pas ainsi lorsqu'on irritait les parties
(159)
génitales ou l’orifice de l’anus, les deux filles ressen-
taient en même temps la sensation ; tous leurs membres
se remuaient à la fois avec vivacité. Ce fait avait déjà été
constaté par le docteur Demichelis, dans la Notice qu'il
a donnée sur cet enfant.
Les urines et les matières stercorales étaient expulsées
avéc facilité, en petite quantité il est vrai, mais à des
intervalles très-rapprochés. Rien de la part des enfans
n'indiquait à l'avance le moment de la défécation ; mais
souvent toutes deux semblaient réunir leurs contractions
d’expulsions , et se livraient à des empreintes forcées ,
sans pourtant rier expulser dans ce moment. Du reste,
il n’y à jamais eu constipation , ni difliculté d’uriner.
Ces deux enfans semblaient pouvoir continuer à exis-
ter. La position où se sont trouvés les parens de Rita-
Cristina est la principale cause de leur mort ; des écono-
mies d’ailleurs mal entendues les privaient du nécessaire;
cette famille, quoique d’un pays plus chaud que le
nôtre , a éprouvé les premières rigueurs de l'hiver sans
chercher à s’en garantir : il n’y avait jamais de feu dans
leur chambre, et l’on conçoit combien Rita-Cristina ,
encore si jeune , devait soufirir d’une telle température.
Ces enfans sont véritablement morts de froid; déjà,
depuis trois jours, des symptômes d’une bronchite in-
iense se manifestaient chez la plus faible, Rita ; l’autre,
Cristina, ne toussait pas encore : la fièvre ne tarda pas
à s'emparer de la pauvre Rita. Dès ce moment, la tem-
pérature de celle-ci s'éleva beaucoup au-dessus de celle
de sa sœur, e il devint facile de reconnaitre que le cœur
devait être double. Les pulsations des artères ne sem -
blaient plus être en harmonie chez les deux individus ;
(158 )
il y avait confusion, difficulté et alternance dans les
battemens du cœur : le pouls de Rita battait 120 pulsa-
tions par minute , celui de Cristina 102. La respiration
de la première était cependant presque la même que
celle de la seconde ; toutes deux s’agitaient également.
Rita souffrait seule , mais Cristina devait se ressentir de
l’état de sa sœur; elle souflrait par la gène qu’elle éprou-
vait en respirant ; son côté du diaphragme était sans cesse
refoulé en haut par le paquet intestinal que lui renvoyait
pour ainsi dire sa sœur, en bas, par la nécessité de rece-
voir de l’air dans ses poumons. Cette lutte était forcée,
et en cela Cristina devait éprouver du malaise. Cet état
d’angoisse dura pendant trois jours, Je fis prendre à Ja
petite malade quelques médicamens internes, et appli-
quer de la flanelle sur la poitrine: par ordonnance d'un
autre médecin, on mit les pieds à l’eau. Je vis Rita-Cris-
tina trois heures avant leur mort ; Rita ne prenait plus le
sein depuis la veille, Cristina n’avait cessé de le prendre.
Je percutai légèrement leur poitrine, qui était partout
sonore. Rita avait une peine extrème à respirer ; sa face
était pâle et défaite ; les ailes du nez étaient immobiles,
les yeux ternes et à demi ouverts ; le visage et le cou
étaient couverts d’une sueur froide. Rien de cela ne s’ob-
servait chez Cristina. La sensibilité était tout-à-fait
perdue pour Rita; on pouvait surtout s’en assurer en
pressant ou en chatouillant le pied qui lui correspondait.
Le même résultat n’était pas obtenu lorsqu’on touchait
Cristina ; tous les membres de celle-ci étaient dans l’état
ordinaire : la jambe de Rita, au contraire, paraissait
infilirée et augmentée de volume.
Les urines avaient conservé leur cours ordinaire, les
(159)
matières stercorales avaient même été rendues quelques
heures avant la mort ; le ventre d’ailleurs n'était ni dou-
loureux, ni ballonné, mais bien dans une agitation conti-
nuelle : on aurait dit que le paquet intestinal était sans
cesse renvoyé d’un enfant à l’autre. Dans les derniers
momens dela vie de Rita-Cristina, cesmouvemens de l’ab-
domen devinrent si rapides, qu’on ne voyait plus qu’une
ondulation latérale ; c’étaient les deux diaphragmes qui
refoulaient sans cesse les intestins. Au milieu d’une telle
agitation , Cristina , quoique sa respiration füt devenue
plus fréquente et gènée , semblait jouir d’une vie pleine
et entière , et devait prolonger son existence. Elle pre-
nait encore le sein de sa nourrice; mais, de même
qu'elles avaient vécu ensemble , elles furent toutes deux
frappées de mort presque au mème instant: Rita mou-
rut au milieu de quelques mouvemens convulsifs; Cris-
una , qui venait de prendre le sein de sa nourrice , s’é-
tæignit aussi presque aussitôt , comme si une àme
commune eût animé ces deux êtres ; si diflérens cepen-
dant par leurs sensations et leur volonté.
À l’autopsie, on a trouvé le rectum disiendu par les
matières fécales , et on s’est empressé de dire que c'était
là la seule cause de leur mort, sans s’occuper de l’état
antécédent , et sans tenir compte de plusieurs circon-
stances qui ne permettent guère d'admettre une telle
opinion. La constipation peut-elle en effet déterminer
des accidens si funestes ? Si l’on voulait se rappeler ce
que nous montrent les enfans nouveau-nés, on serait
loin de penser ainsi. J'ai fait environ six cents autopsies
à l'hôpital des Enfans-Trouvés ; j'ai presque constam-
ment vu le rectum seul , distendu par le méconium,
( 160 )
ou par du lait coagulé. C’est là une des causes que peu-
vent déterminer la dilatation de cet intestin ; mais, dans
le cas qui nous occupe, il fallait faire attention aux cir-
constances qui occasionent la sortie des matières sterco-
rales. Un anus extrêmement petit existait; deux dia-
phragmes qui, quoique confondus, n’en formaient qu’un
seul, avaient leurs mouvemens bien distincts, comme
nous l’avons déjà dit , et qui n’agissaient pas de manière
à presser les intestins de haut en bas, mais bien à les
pousser en avant. Je crois que ce fait explique pourquoi
les efforts que faisaient les deux enfans pour provoquer
l’excrétion des matières fécales étaient presque inutiles ;
ajoutons à cela l’extrème petitesse de l’orifice du rectum,
et nous aurons trouvé la cause déterminante de la dila-
tation de celui-ci. Il ne faut pas non plus perdre de vue
que dans le cas qui nous occupe, deux appareils diges-
tifs se réunissaient pour se terminer en un seul, et que
rien n'est plus naturel que de voir la terminaison du
gros intestin offrir une capacité plus grande. Il en est de
cela comme de deux troncs vasculaires qui se joignent;
mais encore , si l'ouverture anale avait été suflisamment
grande , l'accumulation des matières stercorales n'aurait
pas été aussi considérable. Si telles étaient done les
causes de cette dilatation, je demande de quelle utilité
aurait pu être l'injection d’un liquide dans le rectum ?
Dans un article d’ailleurs plein d'intérêt, qui a paru
dans le journal du temps, on a avancé que la vie de
Rita-Cristina n'avait tenu qu’à la négligence d’une si
petite précaution. Sans doute on aurait mis de l’eau dans
le gros intestin, mais cela n'aurait servi qu’à le distendre
encore davantage; car il n’y avait ni matières endurcies ,
( 16x )
ni paralysie : il y avait seulement obstacle à ce qu’une
grande partie des matières ait pu sortir à la fois par une
petite ouverture. Cet obstacle était-il de nature à com-
promettre leur existence? non sans doute; car tous
les jours, et plusieurs fois mème , les enfans se débar-
rassaient des matières stercorales : il en a été ainsi,
comme on l’a vu même le jour de la mort, Il est donc
certain que l’on s'est trompé à cet égard, et cela tient
sans doute à ce que l’on a prononcé sans avoir eu une
connaissance exacte des antécédens. Il est d'ailleurs
facile de concevoir que, si la mort eût dépendu de la
constipation , ou d'un état quelconque du gros intestin ,
Cristina eût dû présenter les mêmes symptômes que
Rita, puisque cet organe était commun à l’une et à
l’autre. D’autres causes de la mort presque simultanée
de Rita-Cristina ont été encore indiquées par quelques
médecins ; mais aucune d'elles ne semble entièrement
satisfaisante. Sans doute, la description anatomique que
préparent MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Serres, pourra
donner la solution du problème.
Après avoir fait connaître , d’après mes propres ob-
servations , les principaux phénomènes présentés par
Rita-Cristina pendant leur vie et à l’époque de leur
mert , j'ajouterai quelques détails que j'ai recueillis du
père et de la mère, et qui se rapportent aux circonstan-
ces de la grossesse et surtout de l’accouchement.
La mère , Maria-Teresa Parodi, âgée de trente-deux
ans , avait déjà eu huit enfans bien conformés ; sa neu-
vième grossesse , qui donna naissance à Rita-Cristina ,
fut troublée par quelques accidens ; du reste elle ne pré-
sentait rien d’extraordinaire , et ne pouvait nullement
XIX. 11
( 162 )
faire prévoir son résultat si remarquable. A la fin de la
grossesse ; le ventre était plus volumineux qu'il n’avait
été dans les grossesses précédentes ; la forme paraissait
avoir été. modifiée : on remarquait sur les côtés , et vers
les fosses iliaques, deux saillies, une de chaque côté.
Ce fait n'a été constaté que vers les derniers temps, et
lorsque, comme on le dit vulgairement , le ventre est
tombé. Des douleurs se firent ressentir à la fin du neu-
vième mois ;.elles partaient principalement des lombes :
il paraît que la sage-femme prévit un accouchement long
et pénible ; elle se basait sans doute sur ce que les dou-
leurs ne portaient pas sur la matrice. Cependant , au
bout de quatre heures, les contractions de l’utérus com-
mencèrent ; on plaça la femme sur un lit de misère, et,
quelque temps après, de fortes douleurs déterminèrent
la rupture des enveloppes fœtales, et une petite quantité
de liquide en sortit. Il est dit, dans le rapport imprimé
de M. le docteur Demichelis, que les deux têtes se pré-
sentèrent ensemble au détroit supérieur, et qu’elles le
franchirent facilement l’une après l’autre : il nous laisse
ignorer le reste. Si nous voulons en croire le sieur
Parodi , on se serait servi de lacs pour retenir quelques
membres ; il ajoute cependant que l'accouchement fut
terminé par la tète. Nous croyons , malgré son témoi-
gnage , devoir révoquer ce fait en doute.
Gardien et un grand nombre d’accoucheurs disent que
dans le cas où deux têtes appartenant au mème tronc se
présentent en même temps au détroit supérieur du bas-
sin , il faut diminuer le volume de ces têtes en les ou-
vrant , et les extraire ensuite à l’aide de crochets.
Il nous semble en effet difficile d'admettre la possibi-
lité d’un accouchement par les têtes dans le cas de R ita-
(163)
Cristina. On sait que l’accouchement naturel peut avoir
lieu dans six positions qui correspondent aux diamètres
obliques du bassin et autres parties. Dans le cas qui
nous occupe, une tête devait être placée dans la même
diagonale que l'autre; par conséquent, en supposant
pour une d’elles la position occipito-cotyloïdienne gau-
che , l’autre devait se trouver dans la troisième position,
occipito-sacro-iliaque droite; ou bien encore, ces deux
têtes pouvaient se trouver dans l’autre diagonale, et alors
un occiput devait correspondre à la cavité cotyloïde
droite, et l’autre à la symphyse sacro-iliaque gauche.
Les deux occiputs ne pouvaient pas se trouver dans une
cinquième ou une sixième position ; car alors il serait
arrivé plutôt que locciput de l’un d’eux se serait dirigé
du côté de la cavité cotyloïde gauche, et celui de l’autre
vers la cavité cotyloïde droite ; ou bien encore, les deux
occiputs dirigés du côté du sacrum , et regardant l’un la
symphyse sacro-iliaque gauche, l’autre la symphyse
sacro-iliaque droite. Ainsi donc , les positions possibles
étaient la première et la troisième en même temps, la
deuxième et la quatrième, ou bien la première et la
deuxième simultanément, et enfin la troisième et la qua-
trième. Si telles étaient les positions possibles , il nous
semble évident que les deux têtes ne pouvaient franchir
en même temps le détroit supérieur ; il aurait dû y avoir
nécessairement un intervalle quelconque , car les dia-
mêtres de chaque tête de fœtus se seraient rencontrés
inévitablement, dans quelque sens qu’elles fussent si-
tuées. Actuellement , si l’on suppose les deux têtes arri-
vées dans le petit bassin, il devient impossible d'ad-
mettre que l’une d’elles ait pu franchir le détroit infé-
rieur séparément, et ici, au contraire, les deux auraient
( 164 )
dû nécessairement se présenter en mème temps à la
vulve, ayant les deux occiputs tournés vers la symphyse
du pubis, ou vers le sacrum. On concevra facilement
l'impossibilité de ce cas, en se rappelant combien est
difficile et pénible le passage d’une seule tête à travers le
détroit inférieur et la vulve. Il est vrai de dire que chaque
tête n’était pas tout-à-fait du volume de celle d’un fœtus
à terme; mais la différence était si petite, qu'il n’en
reste pas moins établi l'impossibilité d’un tel accouche-
ment par les seules forces de la nature ; aussi a-t-on
conseillé , dans des cas semblables , de perforer le crâne
pour diminuer le volume de chaque tête.
Il est pourtant certain que Teresa Parodi est la mère
de Rita-Cristina, que rien n'a été tenté pour dimi-
nuer le volume des deux têtes, que le forceps n’a pas
mème été appliqué; tout cela nous fait présumer que
l'accouchement a dû être terminé autrement : ce qui a
été fait dans la manœuvre vient à l’appui de cette asser-
tion. La sage-femme , dit-on , s’est servie de lacs ; à quoi
bon ces lacs? Si les deux têtes se fussent présentées
comme on le dit, il est présumable qu’une des extrémi-
tés se sera présentée à la vulve, et que la sage-femme
aura décidé et jugé convenable de faire la version. On
ne sait pas si le toucher lui avait appris quelque chose de
remarquable sur l'existence des deux têtes; il paraît
qu’elle a agi sans connaissance de cause, et qu'elle a
cherché à faire la version de l'enfant par la seule raison
qu'une des extrémités s'était présentée. IL semblerait
donc que l’accouchement a eu lieu par les pieds; et, en
effet, ce dernier mode est le plus admissible. D'abord,
l'extrémité la plus petite a pu se présenter et franchir
librement le détroit inférieur ; les deux têtes ont dùû
( 165 )
franchir l’une après l’autre toujours le détroit supérieur,
s'engager simultanément dans le petit bassin, et de là
être retirées au dehors, en employant toutefois une trac-
tion assez forte pour comprimer les deux têtes , et aider
ainsi les contractions de la matrice , qui, quoique très-
active, n'aurait jamais pu, sans le secours de la main,
se débarrasser du produit de la conception. Si ce fait
demeure constant , et tout porte à le croire, on doit en
pareil cas tenter la version de l'enfant avant de se déci-
der à perforer les deux crânes, comme l'ont conseillé
certains accoucheurs dans le cas de Rita-Cristina. La
délivrance ne tarda pas à se faire ; un seul placenta fut
expulsé, n'ayant qu’un cordon ombilical : rien de ficheux
ne survint à la mère. Rita-Cristina paraissait également
bien se porter ; l’une et l’autre se nourrirent sans peïne
dès les premiers jours : les deux têtes présentaient un
égal volume , et il est à remarquer que toutes les deux
offraient un aplatissement sur les pariétaux correspor-
dans. (Voyez la Planche.) (1)
De la Génération chez le Séchot ( Mulus gobio };
Par M. le docteur Prevosr.
(Mémoires de la Société de Physique de Genève. )
Les observations que nous avions faites, M. Dumas et
moi, nous meltaient en droit de conclure que les prin-
(1) Ce Mémoire est extrait du Journal hebdomadaire de Médecine,
Nous avons eru utile, en le reproduisant, d’y ajouter une planche faite
d’après nature par M. Martin.
( 166 }
cipaux phénomènes de la génération étaient, dans les
poissons, identiques à ceux dont nous avions décrit la
marche chez les autres vertébrés. J’ai cependant désiré
présenter à mes lecteurs quelque chose de plus qu’une
analogie probable ; et, en étudiant le Séchot , j'ai trouvé
les moyens de le faire. Ce poisson, dont ia longueur
n'excède pas dix centimètres , fraie chez nous en abon-
dance le long des bords du Rhône, dès les commence-
mens du printemps.
L'appareil générateur du mâle n’offre rien de compli-
qué ; il se compose de deux testicules et de leurs conduits
excréteurs (voy. la PI. 1). Placés symétriquement à droite
et à gauche dans l'abdomen , en arrière du rectum , au
devant des reins et de la vessie , qui se déjette un peu à
droite, les testicules, volumineux vers le temps de la fé-
condation, le sont très-peu après cette époque : leur forme
se rapproche de celle d’une pyramide allongée, dont la
baseserait tournée en haut; leur couleur est blanche, mais
le tissu noirâtre du péritoine qui les enveloppe de tous
côtés leur donne une apparence tigrée ; leur parenchyme
consiste en un assemblage de culs-de-sac étroits plus ou
moins ramifiés, juxtaposés les uns aux autres, et liés
entre eux par du tissu cellulaire : ils renferment la li-
queur spermatique sécrétée par la membrane qui les re-
vêt intérieurement. Un lacis de vaisseaux très-déliés,
et qu'on ne saurait bien voir qu’au moyen d’une injec-
tion fine, couvre leur surface externe. Les culs-de-sac
s’abouchent entre eux, et les derniers rameaux qui
résultent de cette disposition s'ouvrent dans un canal
déférent, disposé ie long du bord interne du testicule ;
après s'être un peu prolongés au - delà de celui-ci, les
ne
( 167 )
canaux déférens viennent s'ouvrir à droite et à gauche
de la ligne médiane , très-près l’un de l’autre à la paroi
antérieure du col de la vessie, et vis-à-vis de l'insertion
des uretères. Le col de la vessie descend le long du rec-
tum, et aboutit immédiatement derrière l'anus; il se
termine par une papille pointue, qui fait distinguer au
premier coup d’œil le mâle de la femelle ; en pressant
un peu le testicule on fait jaillir de la papille la liqueur
spermatique : elle est d’un blanc de lait, et fort épaisse.
Si nous la plaçons sous le microscope , nous yremarquons
deux espèces de corps très-diflérens : les uns sont des
globules légèrement elliptiques , de 0"008 de diamètre;
les autres, les animalcules spermatiques : ceux ci se
meuvent d’une manière si rapide, et sont en si grand
nombre , qu’ils donnent à l'œil qui les observe la sensa-
tion d’une vibration de tout le liquide où ils nageni;
pour les bien voir, il faut un peu délayer la semence :
leur extrémité antérieure est ovoïde ; la postérieure est
une queue peu eflilée , et tellement transparente, qu'elle
échappe aisément aux regards, et qu’on ne saurait l’a-
percevoir qu'au moyen d’un éclairement parfait. La lon-
gueur de tout l’animalcule est entre 0,007 et 0",008.
Les organes femelles de la génération sont également
simples ; ils consistent en un oviducte , poche profondé-
ment bilobée , située en avant des reins et de la vessie,
en arrière du rectum ; ses deux divisions communiquent
largement entre elles, et s'ouvrent dans un conduit
très - court qui s’abouche avec celui de la vessie; on
trouve derrière l’anus lorifice commun à l’un et l’autre
conduit : il est bien plus large que son analogue chez le
mâle , et west point terminé par une papille ; à la paroi
( 168 )
postérieure de chacune des divisions de l’oviducte , entre
les feuillets qui composent son tissu , est placé un ovaire.
Étendus sur une assez grande surface, les ovaires pré-
sentent fort peu d'épaisseur; leur parenchyme est un
tissu cellulaire lâche , entre les lames duquel sont enga-
gés les œufs : ils reçoivent un grand nombre de vaisseaux
sanguins d’un volume considérable , dans le temps qui
précède la ponte. Les œufs sont de toutes grosseurs , de-
puis 2,5 jusqu’à 0",005 , où l’on commence à les
bien distinguer; ils sont sphériques , et d’abord d’un
blanc perlé ; lorsqu'ils ont atteint les deux tiers de leur
volume , ils commencent à se colorer en jaune , d’abord
d’un ambre pâle , puis d’une teinte dorée ; en grossissant,
les œufs font saillie à l’intérieur de l’oviducte ; là mem-
brane interne de cet organe cède d’abord , puis revient
sur elle-même, en vertu de sa tenacité, dé manière à
donner à l’œuf une enveloppe mince et un pédoncule
qui le fixe à l’oviducte ; parvenus à leur maturité, les
œufs rompent ce feuillet, ét roulent librement dans la
cavité qui les renferme ; ils reçoivent à leur surface un
enduit gluant qui les lie les uns aux autres; ils sont
enfin pondus en masse ; au moment où ils tombent dans
l’eau , l’enduit qui lés couvre durcit et les fait adhérer
fortement , soit entre eux, soit aux cailloux sur lesquels
ils sont déposés.
Les œufs n’ont qu’une seule enveloppe , assez résis-
tante, mais mince et transparente ; elle est élastique , et
composée de petites couches de tissu cellulaire fort serré :
Ja surface interne de cette enveloppe est lisse comme
une membrane séreuse ; l’externe l’est moins : elle est
recouverte par l’enduit que nous venons de mentionner;
( 169 )
cet enduit n'est point un mucus, comme on pourrait
le croire à son apparence dans l’oviducte; il dureit au
contact de l’eau, davantage encore lorsqu'on le plonge
dans les acides ; il est légèrement soluble dans les alcalis.
Les contenus de l’œuf forment trois corps distincts :
1°. Un jaune extrêmement fluide , enveloppé (1) dans
une membrane si mince , qu’elle se rompt toujours alors
qu’on ouvre l’œuf, et qu’on n’en retrouve que des lam-
beaux sous le microscope. Le jaune consiste en globules
de cette couleur, fort petits, puisqu'ils n’ont guère que
0®,0016 de diamètre, nageant dans un liquide transpa-
rent; à la surface supérieure du jaune , se rassemblent
quelques gouttelettes d’une huile moins colorée ;
2°, Une glèbe blanche en forme de caloite sphérique,
placée au-dessous du jaune : c’est un assemblage de glo-
bules blancs, semblables à ceux que l’on rencontre dans
(x) Je dois à l'obligeance de M. Morin, chimiste très-distingué de
notre ville, les observations suivantes sur les propriétés chimiques des
contenus de l'œuf du Séchot. Ils présentent infiniment d'analogie avec
les jaunes d’œuf de poule et Les corps jaunes de Povaire de la vache :
comme eux, ils donnent beaucoup d’albumine, et une huile grasse,
” jaune , soluble dans l’éther; ils en diflèrent en ce qu’ils ne contiennent
point de gélatine , mais quelques traces de mucus. L’albumine des œufs
de poissons , mise en contact avec l’acide muriatique étendu d’eau , ue
se prend pas en gelée, comme lorsqu'on fait agir ce réactif sur elle au
travers de l'enveloppe de l’œuf : elle se dissout aussi dans l’acide muria-
tique concentré, le coagule , mais une nouvelle addition d’eau la redis-
sout. Ce caractère se retrouve encore dans l’albumine du blanc d'œuf
de poule ; et, si elle est moins soluble, c’est vraisemblablement à l’ab-
sence de la matière grasse interposée entre les molécules d’albumine ,
que cette différence doit s’attribuer ; car, si l’on triture le blanc d'œuf
avec de l’huile d'amande douce avant de faire agir l’aeide muriatique
concentré , il s’en dissout aussitôt une grande quantité par l'addition
subséquente de l’eau.
(170 )
le jaune de l’œuf de poule, vers le cinq ou sixième jour
de l'incubation. Ils sont enfermés dans un sac particulier,
collé à la membrane du jaune : le système que forme ces
deux corps est entièrement isolé de l’enveloppe externe,
de sorte qu'il peut rouler dans la cavité qu’elle comprend ;
et la glèbe blanche , formant un point plus pesant, re-
prend toujours la position la plus déclive alors qu'on re-
tourne l’œuf de manière à l’amener au-dessus;
3°. La cicatricule, ceue partie la plus importante de
toutes , est si diaphane qu’elle échappe aux regards; sa
situation est moins constante que dans l'œuf des oiseaux ;
elle est placée sous la membrane du jaune, et en général
vers le bord de la glèbe blanche; pour la retrouver au
moment de la ponte , et préalablement à tout développe-
ment , nous sommes obligés d’immerger l’œuf dans une
solution d’acide muriatique étendu d'eau : le jaune durcit
sans perdre sa transparence , la cicatricule blanchit, et
prend un peu de consistance : elle s’oflre à la vue sous
la forme d’un disque ovalaire de 0",6 de longueur; alors
que le fœtus commence à se développer, la cicatricule
prend des dimensions plus considérables , se lacère moins
aisément , et il convient de s'abstenir de cette préparation.
La fécondation chez les Séchots a lieu comme chez les
Batraciens : au moment où les œufs sortent de l’oviducte,
le mâle répand sa semence dans l’eau ; l'œuf qui tombe
dans ce milieu en absorbe une portion , et le courant qui
résulte de cette absorption porte les animalcules à la sur-
face de l'œuf. Je me suis assuré de ce fait en prenant un
œuf dans l’oviducte , et le plaçant dans une eau sperma-
üsée ; si dans le moment 6n examinait au microscope,
l’on voyait les animaleules portés à la périphérie de l'œuf
| (171)
par un courant très-fort , et le fœtus manquait rarement
de se développer. Nous devons avertir toutefois ceux qui
voudraieut répéter cette expérience, qu'elle ne réussit
qu’en tant qu’on replace l’œuf immédiatement en eau
courante : il se détériorerait bientôt , si l’on en agissait
autrement.
Le fœtus se montre, comme chez les oïseaux, au
centre de la cicatricule , sous la forme d’un trait renflé à
l’une de ses extrémités, un peu eflilé vers l’autre, qui
est la postérieure ; il ne m'a pas été possible de le‘distin-
guer nettement avant qu'il eùt atteint de o",r5 à o",2
de longueur. Ün peu plus tard , nous voyons se dessiner
le bord antérieur de la tête : il offre une ligne disposée
comme la courbe d’une parabole , lorsque le jeune ani-
mal a acquis une longueur de 1", on voit les cercles des
yeux, et la trace de la moelle épinière sous la forme
d'un canal renflé postérieurement; l’animal est encore
très-peu consistant : il repose sur le porte-objet comme
ferait une gelée, et ne se courbant de préférence en au-
cun sens ; un peu plus tard il en est tout différemment.
À cette époque, la cicatricule a augmenté en surface
et en transparence ; elle s’avance peu à peu, de manière
à envelopper finalement le jaune : elle ne présente en-
core aucune vascularité. ;
Chez le fœtus de 2", les vésicules qui forment les
yeux se prononcent, ainsi que le cercle noirâtre de l'iris;
l'on distingue les vésicules cérébrales postérieures : leur
cavité est maintenant bien petite ; mais dans les périodes
subséquentes, on la verra augmenter rapidement.
Chez celui de 3", les rudimens du système osseux de-
viennent très- visibles : l’épine , les arêtes se dessinent
(172
nettement; les cavités du cerveau ont beaucoup aug-
menté ; les os operculaires prennent leur place en arrière
de l'œil : c’est l’orbiculaire qu’on aperçoit le premier ;
le cœur est en mouvement , mais ne saurait suivre de
circulation ; le cœur est encore un boyau presque droit,
à chaque extrémité duquel est un renflement. L’anté-
rieur , peu perceptible , est le buibe de l'aorte; le pos-
térieur, beaucoup plus considérable, est l'oreillette.
Lorsque l'embryon a pris davantage d’accroissement ,
que sa longueur est entre 5" et 6*, on peut reconnaître
presque toutes les parties qui constitueront l'animal par-
fait; on le voit s’agiter vivement dans l’œuf, et avec un
peu d'attention l’on divise celui-ci sans toucher à son
contenu ; le jeune poisson sort, et se met à nager dans
l’eau avec assez de vitesse , entrainant avec lui le jaune
sur lequel il est placé : il n’est point, comme les mam-
mifères et les oiseaux , renfermé dans un amnios : cette
membrane n'existe pas, à moins qu'on ne veuille don-
ner ce nom au feuillet qui , se prolongeant du péritoine,
enveloppe le jaune. Le poisson, à l'égard des membranes,
se rapproche des Batraciens ; il s’en éloigne par rapport
à l'enveloppe de l'œuf , qu'il perce , et dont il se sépare
au lieu de s’en revêtir comme eux.
Quant au cerveau , les vésicules cérébrales, qui jus-
qu’à présent avaient beaucoup grossi, se dépriment , et
sont proportionnellement moins volumineuses que dans
les âges précédens ; cette marche de diminution coexiste
avec l’abord du sang autour de ces cavités. Elles s'étaient
formées par l’afflux du liquide ambiant au travers de
leurs tissus : ce liquide est réabsorbé par le système ver -
neux, C’est dans les lois qui règlent le mouvement des
(173)
liquides au travers des membranes que nous devons
chercher la solution des problèmes de ce genre et tout
ce qui a rapport à la formation des cavités ; mais un pa-
reil travail doit être l’objet d’une investigation spéciale,
dont pour le présent je ne veux point m'occuper. L’œil
éprouve le mème sort que les vésicules cérébrales ; son
accroissement s'arrête. Les os du cerveau sont tous re-
connaissables ; les operculaires aussi; l’on en voit des-
cendre en avant les cartilages de la membrane périostége,
qu'un peu plus tôt on entrevoyait à peine ; l'animal meut
les nageoires brachiales et pectorales , et s’en sert pour
se tenir en équilibre ; une lame membraneuse, mince
et transparente , assez large, entoure Île poisson dans le
sens de sa longueur : elle part de la partie postérieure
de la tête , et vient aboutir à l'anus: plus tard elle s’ef-
face ; les écailles se dessinent sur la peau : la transpa-
rence de celle-ci permet de suivre la formation de toute
la charpente osseuse, ainsi que celle des viscères ; le
caual alimentaire présente l’estomac et les circonvolu-
tions des intestins; derrière le rectum, on voit sous
l'apparence d’un corps rouge un peu allongé, les reins :
leur vascularité est extrême. Lorsque, pour le mieux
examiner, on a placé le fœtus sur le côté, le cœur un
peu tiré en bas est très-bien placé pour être observé ; le
ventricule s’est un peu recourbé, et le bulbe de l'aorte
à la partie antérieure se déjette de gauche à droite, et se
dirige en avant et en haut; on le perd de vue sous la mem-
brane périostége, à laquelle il donne de nombreux ra-
meaux, que l’on suit le long des bandes cartilagineuses de
cettemembrane ;ilse porteaux branchies , dans lesquelles
il se subdivise en un lacis infiniment volumineux. Un
(174)
peu au-dessous du point où la membrane périostége est
en contact avec les os operculaires, on voit sortir l’aorte
descendante (1), formée par la réunion des divisions
branchiales ; elle descend le long de la colonne verté-
brale jusque vers l’extrémité de la queue ; l'aorte se re-
plie ici sur elle-même, et devient la veine de retour,
qui rapporte au cœur le sang qui a circulé : elle forme
un angle très-aigu avec sa première portion , et marche
parallèlement et immédiatement au - dessous d’elle ; elle
s’en écarte en arrivant près du cœur pour descendre dans
l’auricule ; dans son trajet, l’aorte donne des vaisseaux
aux diverses parties du corps. Je n’entrerai dans aucun
détail à cet égard , et me contenterai de dire un mot de
ce qui concerne la circulation du jaune : assez en arrière
de la nageoire pectorale, se détache une grosse artère qui
croise la direction du rectum près de l’anus , et remonte
le long du bord inférieur de cet intestin jusque vers
une masse granuleuse , rougeàtre , soutenue immédia-
tement par le jaune; ce corps, dont la position se rap-
porte à celle du foie, est très - volumineux : il reçoit
dans son parenchyme le vaisseau dont nous décrivons la
marche, et qui s’y ramifie beaucoup ; les capillaires qui
en résultent se prolongent à la face interne de la mem-
brane du jaune , surtout postérieurement et à droite ;
arrivés à la partie inférieure , ils se réunissent de nou-
(2) Nous retrouvons des vestiges de cet arrangement chez le fœtus de
tous les vertébrés. Du bulbe de l’aorte partent un certain nombre de
rameaux, qui se réunissent de nouveau pour former l’aorte descen-
dante; mais cette disposition demeure à son état le plus rudimentaire ,
ou même disparaît entièrement chez ceux où les branchies ne se déve
loppent pas.
(179 )
veau en une grosse veine qui remonte en avant, et un
peu à droite, et vient s'ouvrir dans l’auricule; les glo-
bules du sang commencent à devenir elliptiques : ils
w’ont point toutefois encore ces formes régulières qui
distinguent le glébule sanguin de l’animal adulte; un
peu plus tôt, lorsque le fœtus n'avait que 3" de long,
les globules étaient sphériques : le diamètre des plus
réguliers était 0,013 ; l'enveloppe du noyau central pré-
sentait un aspeci granuleux comme dans le globule du
tétard ; et , comme chez celui-ci, cette apparence s’est
bientôt effacée (1).
Le jaune diminue sensiblement lorsque le fœtus com-
mence à acquérir du volume ; il rentre dans l’abdomen ,
ainsi que cela a lieu chez les oïseaux , et le jeune poisson
perce l’œuf et commence à nager en liberté : ses mou-
vemens sont d’abord embarrassés par son gros ventre ;
mais au bout de quelques jours le jaune est absorbé , et
la vie fœtale entièrement terminée.
EXPLICATION DE LA PLANCHE I.
Fig. 1. Séchot mâle , ouvert de manière à laisser voir les or s*tés de la
génération contenus dans l'abdomen.
Fig. 2. L'appareil générateur. Dans sa position à l'égard des reins , de
‘(x) Le Protée anguiforme est le seul animal adulte sur les globules
sanguins duquel j'aie retrouvé cette granulation de la matière colorante.
On peut, à cet égard, consulter la fig. 2 que j'en ai donnée dans la
planche jointe à ce Mémoire. Ces globules sont encore remarquables
par leur grosseur ; je Les ai placés à côté de ceux du Séchot, pour qu’on
pèt s’en faire une idée : les uns et les autres sont grossis cinq cents fois
linéairement.
( 176 )
la vessie ct du rectum , on a figuré en ayant la papille, qui termine
antérieurement le conduit urinaire.
Fig. 3. La liqueur spermatique examinée au microscope : le grossisse-
ment linéaire est 500.
Fig. 4. Une portion du testicule et du canal déférent, grossis vingt
fois, pour montrer la disposition des culs.de-sac.
Fig. 5. Le Séchot femelle, f’abdomen ouvert iaisse voir les deux por-
tions de l'ovaire.
Fig. 6. Des œufs fixés à une portion d’oviducte.
Fig. 7. Une masse d’œufs pondus et liés entre eux.
Fig. 8. Un œuf de Séchot grossi six fois linéanwrement , de manière à
présenter la glèbe blanche.
Fig. 9. Autre œuf , sur lequel le fœtus commence à se développer.
Fig. 10. Œuf sur lequel on voit un Séchot fœtus bien développé.
Fig. 11. Cicatricule examinée au moment de la ponte, grossie vingt
fois. — 11, a. Autre cicatricule , sur laquelle on voit le fœtus com-
mençant à se développer. Grossissement linéaire , 20.
Fig. 12. Fœtus de 3" de longueur, vu du côté gauche, et avec un
grossissement linéaire de 10. L’on distingueles yeux, les os opercu-
laires , et les vésicules du cerveau , qui sont très-développées.
Fig. 13. Fœtus de 5m, grossi dix fois linéairement , placé sur le côté
droit. Au-dessous de la tête, on voit le cœur, le bulbe antérieure-
ment, l’auricule en arrière ; elle est dessous la membrane périostége.
On voit sortir deux vaisseaux : le supérieur est l’aorte descendante ,
l’inférieur la veine de retour ; l'artère qui se sépare de l’aorte descen-
dante est celle dont nous avons décrit le trajet dans le jaune.
Fig. 14. Globules sanguins sphériques du sang du fœtus ; globules ellip-
tiques du sang du Séchot adulte ; grands globales elliptiques appar-
tenant au sang du Protce anguiforme. Un gros globule sphérique :
c’est le globule central du globule sanguin du Protée. Tous ces objets
sont vus avec un grossissement linéaire de 500. Les dimensions du
globule sanguin du Protée sont les suivantes :
Long axe. om,0/ 1
Petit axe. om,0019
Diamètre du globule central. Om 009
(1779
Recuercues sur quelques-unes des Révolutions de
la surface du globe , présentant diférens exem-
ples de coïncidence entre le redressement des
couches de certains systèmes de montagnes , et
les changemens soudains qui ont produit les
lignes de démarcation qu'on observe entre cer-
tains étages consécutifs des terrains de sédi-
ment ;
(Mémoire lu par extrait à l’Académie des Sciences , Le 22 juin 1829.)
Par M. L. Ezre De Beaumonr.
(Suite et fin.)
CHAPITRE IV.
6 TL.
Mise en rapport de la discontinuité qui existe entre les
deux terrains de transport des vallées de l'Isère,
du Rhône, de la Saône et de la Durance, avec le
redressement des couches d’un système de monta-
gnes dont font partie les chaînes du Ventoux, du
Leberon , de l'Etoile et de la Sainte-Baume (en
Provence) , et la chaîne principale des Alpes (du
Valais en Autriche).
Nous avons vu dans les deux paragraphes précédens
que les vallées de l'Isère, du Rhône, de la Saône et de
XIX. 12
(178 )
la Durance, présentent deux terrains d’atterrissement
ou de transport, très-distincts l’un de l’autre, entre les-
quels on observe un défaut de continuité, et une varia-
tion brusque de caractères , qui constituent une nouvelle
interruption dans la série des dépôts de sédiment.
Nous allons examiner s’il ne serait pas encore possible
de rattacher cette interruption, et la catastrophe avec
laquelle elle se trouve évidemment liée, à la disloca-
tion de quelque partie de l’écorce minérale du globe ter-
restre.
Une des grandes différences que présentent les deux
dépôts de transport dont nous venons de parler, consiste
en ce que les eaux qui ont transporté les matériaux du
premier, semblent avoir été reçues dans des lacs d’eau
douce, qui couvraient d’une part la partie N.-O. du
département de l'Isère, la Bresse et peut-être l’Al-
sace, etc. , et de l’autre, la partie du département des
Basses-Alpes comprise entre Manosque et Mezel: tandis
que les eaux qui ont entraîné les matériaux du second
terrain de transport, se sont écoulées directement vers
la Méditerranée.
On ne trouve ni dans la vallée du Rhône , au-dessous
de Lyon, ni dans celle de la Durance, au-dessous de Ma-
nosque, aucune trace de barrages assez élevés pour qu’on
puisse attribuer à une simple rupture qui s’y serait opé-
rée ce changement dans le régime des eaux.
Il paraît donc évident qu’à l'époque du commencement
de la grande débâcle à laquelle est dû le second des deux
dépôts de transport, un grand changement s’est opéré
dans les niveaux relatifs des différens points de la con-
trée située entre la Bresse et la Méditerranée , de ma-
( 179 )
nière, par exemple, que la pente générale du sol , diri-
gée auparavant d'Arles vers Saint-Vallier, a commencé
dès-lors à être dirigée de Saint-Vallier vers Arles.
L'augmentation progressive des hauteurs auxquelles
on trouve la mollasse coquillière , à mesure qu’on s’é-
loigne de la Méditerranée vers le nord , donne la preuve
directe qu’un pareil changement entre les niveaux des
différens points dont nous parlons, s’est opérée à une
époque postérieure au-moins au dépôt de cette mollasse.
Les monticules de Château-Neuf-du-Pape, de Vedène
et des environs de Barbantane , composés d’un calcaire
compacte blanc qui appartient au système du grès vert
et de la craie, présentent sur leurs pentes et dans leurs
anfractuosités des encroûtemens de mollasse coquillière ,
qui, en quelques points, ne sont presque formés que
de fragmens de coquilles et de polypiers, et dont la com-
position semble prouver que les masses calcaires qui les
supportent formaient des îlots ou des écueils à fleur d’eau
dans la mer, sous les eaux de laquelle se déposait la mol.
lasse coquillière.
L'ancienne surface de niveau, marquée par cet en-
croûtement coquillier sur la surface des montagnes pré-
existantes, a subi depuis la fin de la période des terrains
tertiaires d'énormes perturbations , qui montrent bien
que depuis lors tout le sol de la contrée a éprouvé de
violentes convulsions.
La mollasse coquillière qui, près d'Arles, de Salon et
d'Avignon , ne s'élève qu'à 4o ou 5o mètres au-dessus
de la mer, et celle qui, près de Saint-Paul-Trois-Chà-
teaux ou à Puygiron, à la Bâtie-Rolland et au Fort des
Coquilles , près de Montélimart, s'élève à 2 ou 300 mé-
( 180 )
tres plus haut, et celle enfin qui, près de Saint-Donat,
de Clavezon et de Baternay (1), atteint une hauteur
absolue de plus de 4oo mètres, ont sans aucun doute été
formées sous une même nappe d’eau marine, et à une
profondeur au-dessous de son niveau, qui ne pouvait être
très-différente , attendu qu'elle était très-petite.
Les Balanes de Lyon et de Saint-Fons ont dû aussi.
se déposer à peu de distance au-dessous de la surface des
mêmes eaux marines; mais leur élévation au-dessus de
la mer n’est aujourd’hui que de 200 mètres.
On voit, d’après cela , que lorsqu'on se borne à em-
brasser le long du Rhône une zone de peu de largeur,
les coteaux de mollasse coquillière, élevés de plus de
400 mètres au-dessus de la mer, à l’est de Saint-Vallier,
forment un point de maximum de hauteur, à partir
duquel le niveau de cette formation , après s'être gra-
duellement élevé depuis les rivages de la Méditerranée
jusqu'à ce même point, paraît redescendre vers le
nord.
Cette seconde inclinaison , en sens inverse de la pre-
mière , est partagée, du moins en partie, par le dépôt
de:transport ancien dont nous avons vu précédemment
que la surface s’abaisse de plus de 100 mètres , depuis les
coteaux de Saint-Uze jusqu'aux plaines voisines de
Dijon , et même d’une quantité beaucoup plus grande
(qui va à plus de Goo mètres), si l’on prend pour l’un
des termes de comparaison les hauteurs auxquelles s’é-
lève le transport ancien près de Baternay, de Roybon,
de Tullins et de Voiron , et si on les oppose à celles gra-
(1) Carte de Cassini, nos 121 , 120 et 119.
De"
( 167 À
duellement décroissantes que présente la partie supé-
rieure du mème dépôt lorsqu'on le suit vers le N.-N.-O.
d’abord près des Abrets et de Bourgoin , puis près de
Meximieux, de Cuzeau, de Poligny, de Dôle et de
Dijon.
Le redressement des couches des Alpes occidentales,
survenu depuis le dépôt de la mollasse coquillière, a pu
sans doute contribuer à altérer les rapports des niveaux
des différens lambeaux de mollasse, dont j'ai parlé
ci-dessus ; mais il est évident que si, comme tout
porte à le croire, le terrain de transport ancien s’est
déposé sous une nappe d’eau en repos dont il aura
nécessairement encroûté les différens rivages jusqu’à un
méme niveau, la pente que sa surface totale présente
aujourd'hui, du midi vers le nord , a dû lui être impri-
mée depuis sa formation , et par conséquent à une épo-
que postérieure au redressement des couches des Alpes
occidentales, dont il avait en quelques points recouvert
les tranches.
Il n’est pas moins évident que la vallée du Rhône , au-
dessous de Saint-Vallier, n’ayant pas été ouverte au dépôt
de transport ancien, et ayant au contraire donné un
libre cours aux torrens diluviens , c’est entre l’époque
de la formation du terrain de transport ancien et celle
du passage des torrens diluviens qu'elle a dû recevoir sa
pente actuelle , qui est inverse de celle indiquée dans la
Bresse.
C’est une circonstance assez curieuse pour la faire
remarquer dès à présent , que la ville de Saint-Vallier,
à la hauteur de laquelle se fait la rencontre de ces deux
pentes opposées, se trouve presque exactement sur le
\
( 183)
prolongement de la bande de mélaphires et de dolomies,
qui, d’après les observations de M. Léopold de Buch, se
présente au pied de la chaîne principale des Alpes, le
long des plaines septentrionales de FPlialie. La coïnci-
dence devient plus remarquable encore, lorsqu'on ajoute
que cette même ligne prolongée va traverser les dépar-
temens de la Haute-Loire et du Cantal, où des dépôts
lacustres , dont j'ai déjà indiqué l’analogie avec ceux de
la vallée inférieure du Rhône, s’observent à des hauteurs
auxquelles on conçoit difficilement comment des lacs
pourraient exister aujourd'hui.
Pour expliquer, sans admettre de changement dans
le niveau général du sol, la position des terrains d’eau
douce de l’Auvergne à leur hauteur actwelle , on a
eu recours à la supposition d’une suite de lacs, dont
les eaux se seraient écoulées de l’un dans l’autre dans
la direction du sud au nord (1), et, par suite, à celle
d'anciennes digues aujourd’hui détruites. Cette dernière
supposition est, pour ne rien dire de plus, bien difh-
cile à concilier avec la petitesse des effets dont les ob-
servations, faites en Auvergne, ont prouvé que la cause
est due à l’action érosive des eaux , exercée pendant la
(1) Voyez; relativement à la disposition graduellement ascendante
des terrains d’eau donce , depuis les plaines des départemens du Loi-
ret, du Cher et de la Nièvre jusqu’à Aurillac, les importantes obser-
vations renfermées dans les Mémoires pour servir à la Description
géologique des Pays-Bas, de la France, et de quelques contrées voi-
sines, par M. J.-J. d'Omalius d'Halloy ( Namur, 1828), ainsi que le
Mémoire, et particulièrement la coupe d’Aurillac à Lempdes, par
MM. Ch. Lyell et R,. [. Murchison, Ænnales des Sciences natu-
relles, tome XVIII, p. 172, aimsi que les travaux de M. Bertrand-
Roux , les Recherches sur les Ossemens fossiles du département du
Puy-de-Dôme, par MM./labhé Croizet et Johert aîné, etc:
( 183 )
totalité ou pendant une très-grande partie du temps qui
s’est écoulé depuis la fin des dépôts tertiaires de la Li-
magne (1). On n’a mème jamais examiné si Jes divers
points jusques auxquels on pourrait reconnaître que les
eaux de ces lacs ont baïgné leurs diflérens rivages, sont
encore à une même hauteur absolue dans toutes les
parties qui ont dù appartenir à un même lac, et je suis
bien porté à croire que si on entreprenait cet examen ,
le baromètre à la main , on serait conduit à un résultat
du mème genre que celui que j'ai obtenu pour la Bresse.
On peut en effet remarquer que les dépôts lacustres
des vallées de la Loire , de l'Allier et du Cantal, d’une
part, et de l’autre le dépôt de transport ancien et le
dépôt tertiaire marin des vallées de la Saône et du Rhône,
forment aujourd’hui, malgré la diversité de leur origine,
deux rampes ascendantes, parallèles ( de Bourges à Au-
rillac, et de Dijon à Voiron), dont les longueurs sont
égales entre elles, aussi-bien que les hauteurs absolues
de leurs points de départ et de leurs points d’arrivée ,
et dont les pentes moyennes sont par conséquent les
mèmes. Tout conduit à n’y voir que deux parties acci- -
dentellement distinctes d’un vaste plan incliné, qui se
présente même naturellement comme la prolongation de
celui qui va en s’élevant des bords du lac de Constance
et des plaines du Danube vers la chaîne principale des
Alpes. Dans toute cette étendue des dépôts les uns
lacustres et les autres marins, dont chaque portion a
(1) Voyez particulièrement le Mémoire intitulé : On the excavation
ofthe valleys, as illustrated by the volcanic rocks of central France,
par MM. Ch. Lyell et R, L. Murchison. £dinburg new philosophical
Journal, juillet 1820.
( 184 )
été formée à peu près horizontalement à des époques
toutes assez peu reculées , vont maintenant en s’élevant
d'une manière inappréciable à l'œil, mais qui devient
sensible quand on emploie des moyens rigoureux (1),
suivant un plan ascendant , du N.-N.-O. au S.-S.-E. , et
il paraît naturel de supposer que les dépôts de chaque
époque ont été déposés dans chaque conirée (comme
la close est évidente pour la Bavière et pour la Bresse}
sous une nappe d'eau unique, et que tous ont ensuite
été inclinés en même temps par un même mouvement
de bascule de tout l’ensemble du sol. Quand on con-
sidère sous ce point de vue général la disposition qui
nous occupe, et quand on remarque qu'une partie des
dépôts qui y participent sont marins, on voit du moins
combien l’hypothèse de lacs en étages les uns au-dessus
des autres, se trouve au-dessous du phénomène aussi
vaste que simple qu'il s’agit d'expliquer (2).
(x) Voyez à cet égard les résultats consignés par MM. l'abbé Croizet
et Jobert , Discours préliminaire , p. 22 à 37.
(2) Je suis loin de supposer que les nappes d’eau douce sous les-
quelles se sont déposés les terrains tertiaires de l'Auvergne, ne
fussent pas dés lacs; je pense seulement que ces lacs devaient être
vasteS, peu nombreux, et situés à des niveaux absolus bien moindres
que ceux auxquels se trouvent aujourd’hui les dépôts qui s’y sont
formés : pent-être leur niveau était-il peu différent de celui des eaux
douces dans lesquelles se sont formés les dépôts lacustres des dépar-
temens de la Nièvre, du Cher, du Loiret, etc.
Je suis loin aussi de repousser l'hypothèse de lacs plus circonscrits,
et d’une date plus récente , pour expliquer certains phénomènes locaux
que présente le sol de l'Auvergne et des contrées adjacentes. Il me
semble, au contraire, qu'on pourrait difficilement se refuser à ad-
mettre celle déjà discutée par MM. l'abbé Croizet et Jobert, p. 80
et suivantes, et adoptée par MM. Murchison et Lyell, du dépôt ,
dens un lac, du terrain de transport de la montagne de Perrier ou
( 185 )
Il me semble au contraire qu’on est assez naturellement
conduit à remarquer que la rampe formée par les dépôts
de Boulade, si célèbre par ses ossemens de quadrupèdes d’espèces
perdues. Ce lac pourrait , aussi-bien que celui dans lequel s’est formé
le dépôt de Menat , avoir appartenu à la même période de tranquillité
que le lac beaucoup plus vaste dans lequel s’est formé le terrain
de transport ancien de la Bresse. Ce serait à partir du soulève-
ment en masse du sol de ces contrées , arrivé à la fin de cette même
période de tranquillité , qu’auraient commencé à se creuser les vallées
qui coupent à la fois le terrain de transport et le terrain d’eau douce
de la montagne de Perrier ; vallées dans lesquelles ont ensuite coulé,
comme l'ont remarqué MM. Lyell et Murchison , les laves des volcans
modernes de l'Auvergne.
Le coude à angle droit que forme au-dessous de Briare la direction
générale de la Loire, coude qui, comme l’a remarqué M. d’Omalius
d'Halloy, s’explique si peu par la simple action érosive des eaux , ré-
sulte simplement de ce qu’à partir de ce point, la Loire se jette dans la
dépression déterminée par l’intersection des deux pentes opposées que
présente la surface des dépôts tertiaires, l’une de la haute Auvergne
vers la Sologne, et l’autre dela Sologne et de la Touraine jusqu’au haut
des coteaux des départemens de l’Aisne, de l'Oise, de l'Eure, et jusqu’au
baut des falaises de la Manche. Cette dernière pente, non moins remar=
quable par son étendue et sa régularité , que celle à laquelle elle fait face
et dont elle semble être en petit la contrepartie, a déjà été indiquée et
figurée par M. d'Omalius d'Halloy. La contemporanéité d’origine de
ces deux pentes , qui ne sont peut-être à vrai dire que les deux extré-
mités d’une même courbure concaye , dont le cours inférieur de la
Loire suit la partie centrale et la plus basse, me semble d'autant plus
probable, qu’il est naturel de chercher un rapport entre la grande
élévation de la craie et des terrains tertiaires dans les falaises de la
Normandie, et le redressement des mêmes couches de l’autre côté du
canal de la Manche.
Le rivage septentrional de ce bras de mer court, depuis les masses
serpeutineuses du cap Lizard jusqu’à Folkstone et Douvres (1) , dans
(1) Voyez le Mémoire de M. de la Bêche sur les amphibolites de Tor-Bay, et les
travaux de M. le docteur Fitton sur le Bas-Boulonnais.
( 186 )
inclinés de la Bresse et de l'Auvergne, vaen se relevant
vers une ligne de faîte, dirigée de Voiron vers Bater-
une direction très-sensiblement parallèle à celle de la chaîne principale
des Alpes, et qui semble avoir été en partie déterminée par ia disloca-
tion que les couches jurassiqnes , crayeuses et tertiaires, ont subie dans
le Dorsetshire et l'ile de Wight , suivant une direction qui ne s'éloigne
que légèrement dela précédente. Ce rapprochement dans Les directions
est d’autant plus remarquable, que si la direction générale des couches
redressées de la craie, de l’argile plastique et de l’argile de Londres
dans l’île de Wight est à la vérité un peu plus rapprochée de la ligne
E.-O. que ne le serait une parallèle à la direction de la chaîne priu-
cipale des Alpes, cette dernière direction se retrouve presque exacte-
ment un peu plus au nord, dans une partie des accidens qu'a subi,
depuis le dépôt des couches tertiaires, le sol du Hampshire et du
Wiltshire, Les vallées d'élévation de Bower-Chalk, de Pewsey, de
Shalbourne , si bien décrites par M. Buckland (x), courent dans une
directiou qui approche beaucoup de la ligne O. + S.-0.—E. + N.-E.,
et qui s’éloigne très-peu du parallélisme avec la chaîne principale des
Alpes, La vallée de Kingsclere offre seule une exception peut-être acci-
dentelle à cette loi. L’inclinaison que présentent les couches tertiaires
près de Kingsclere et de Highclere, presque à la base de l’Inkpen Bea-
con, point le plus haut de la craie, en Angleterre, prouve qu'ici, comme
dans l’île de Wight et dans le Dorsetshire, le redressement des couches
a eu lieu à une époque qui ne peut être plus ancienne que le dépôt de
Pargile plastique et de largile de Londres , et qui par conséquent est
bien diflérente de celle à Haquelle se sont produites les bosses crayeuses
dans lesquelles ont été creusées (comme j'ai cherché à l'indiquer
t. XVIII, p.314 ) la dénudation du pays de Bray, et celle du Surrey,
du Sussex , du Kent et du bas Boulonnais, après que les dépôts ter-
tiaires les plus anciens dela France, de la Belgique et de l'Angleterre,
étaient venus les entourer et recouvrir leurs bases.
Il est à regretter que la différence de hauteur entre les couches ter-
(1) Memoir on the formation of the valley of Kingsclere and other valleys
by the elevation of thestrata that enclose them ; and on the evidence , of the
original continuity of the basins of London and Hampshire , inséré dans les
Transactions de la Société géologique de Londres, deuxième série, L, IL, p. 119:
( 187 )
nay, Saint-Vallier, le Puy, Aurillac, ligne qui coïncide
à peu près avec la prolongation de l’axe de la zone subal-
pine des mélaphires et des dolomies , et que tous les
points des dépôts récens, situés à des élévations extraor-
dinaires, sont compris dans la prolongation de la large
bande occupée par la chaîne principale des Alpes, et
par ses appendices latéraux, et à en inférer que si les
inductions tirées de la direction ne sont pas entièrement
sans valeur, il y a lieu de regarder le mouvement as-
censionnel inégal, dont nous venons de signaler les
indices dans le sol de l’intérieur de la France, comme
ayant fait partie du phénomène de dislocation qui a donné
à la chaîne principale des Alpes (d'Autriche en Valais)
la forme qu’elle nous présente aujourd’hui (1).
tiaires récentes , dans l’île de Wight et dans le Hampshire , soit la
seule trace visible de dérangement qu’elles présentent , et que l’absence
du Crag sur tous les rivages de la Manche (à l'exception des côtes du
Cotentin et de la Bretagne. Voyez les Mémoires déjà cités de M. Des-
noyers), soit presque le seul moyen que fournisse l'observation pour
vérifier la supposition que ces mêmes rivages ont été façonnés long-
temps après son dépôt. \
L'existence , sur le plateau des bruyères de Bissières , de Cesni , d’Ai-
ran , etc, ( Calvados), d’un dépôt de transport qui ne descend pas dans
les valiées , et dans lequel on trouve des fragmens de grès et de poudin-
gue tertiaire, s’accorderait très-bien avec l’idée d’un mouvement très-
récent du sol des bords de la Manche , à dater duquel beaucoup de val-
lées auraient été approfondies. j
(1) Le plateau du Mexique semble n’être que la prolongation de la
crête des montagnes rocheuses dont la direction est presque perpendi-
culaire à la ligne des volcans mexicains , de même que la direction de
la chaîne principale des Alpes est presque perpendiculaire à la ligne des
monts Domes. Cousidéré , comme nous venons de le faire, dans son
ensemble, le grand phénomène du relèvement de dépôts très-récens
du N.-N.-0. au S.-S.-E., que présente l’intérieur de la France, ne se
( 188 )
La contrepente qui se trouve au sud de la ligne de
faite, est beaucoup plus rapide que le plan incliné situé
au nord ; il y a même une chute assez brusque dans le
niveau des dépôts tertiaires , qui ne reparaissent au midi
du bassin d’Aurillac qu'à une hauteur assez peu diflé-
rente de celle qu'ils occupent dans les plaines de la
Gascogne. Cette disposition est une analogie de plus
avec celle de la chaîne principale des Alpes, qui pré-
sente une chute beaucoup plus rapide, plus considérable
et plus accidentée du côté du midi que du côté du nord:
Cette influence exercée par la dislocation des couches
de la chaîne principale des Alpes jusque sur le sol de
l'intérieur de la France, peut être comparée à celle que
les dislocations des Alpes occidentales ont eue sur la
partie du sol de la Provence qui forme aujourd’hui la
vallée de la Durance , entre Volone et le Pertuis de Mi-
rabeau ; seulement nous n’observons en Auvergne
qu’une simple élévation du sol, tandis qu'en Provence
il y a eu (chap. ur, t. XVIIT, p. 373 et suiv.) une dis-
location complète des couches secondaires et tertiaires.
trouve que partiellement en rapport avec les soulèvemens volcaniques-
de l'Auvergne. Les collines élevées que forme le terrain de transport
ancien aux environs de Voiron , sont déjà aussi rapprochées du Saint-
Gothard que du Cantal et du Mont-Dore. Ainsi, loin de voir dans
l'élévation de tous ces dépôts modernes une simple conséquence des
phénomènes volcaniques qui se sont passés dans le voisinage de quel-
ques-uns d’entre eux , il y aurait peut-être lieu de partir du relèvement
général auquel se rattache la hauteur de ces derniers, pour se demander
si lapparition de la chaîne principale des Alpes n’aurait pas été le
signal de l'élévation des cratères de soulèvement du Mont-Dore et du
Cantal, et de la mise en activité des cônes d’éruption situés dans leur
voisinage.
( 189 )
Si ces rapprochemens n'étaient pas fondés sur des
aperçus trop généraux, il demeurerait établi que la
chaîne principale des Alpes a pris son relief actuel au
moment où le sol, s’infléchissant près de Saint-Val-
lier, autour du prolongement de la ligne des méla-
phires et des dolomies du nord de l'Italie, comme autour
d’un axe de flexion , a pris de part et d’autre de cet axe
les pentes opposées , qu’il a conservées jusqu’à nos jours ,
sauf les seuls changemens produits par les torrens dilu-
viens, et par l’appro fondissement naturel ultérieur des
vallées. Il résulte évidemment de ce qui précède, que ce
dernier mouvement, qui a influé sur le reliefd’une partie
considérable de l'Europe (1), a coïncidé avec l’époque géo-
logique qui nous occupe en ce moment, c'est-à-dire, avec
la révolution de la surface du globe qui est survenue
entre la formation du dépôt de transport ancien et le pas-
sage des courans diluviens. Mais les distances géographi-
ques que nous avons été obligés de franchir pour par-
venir aux aperçus qui viennent d’être exposés relative-
ment aux Alpes, étant considérables, je ne considérerai
ces mèmes aperçus que comme un motif propre à attirer
(1) La connaissance des faits que je viens de rappeler contribuera peut-
être à rendre plus facile l'explication du phénomène des cavernes à
ossemens. Îl est en eflet évident que si diférentes parties de l’Europe
ont , sans être disloquées , subi un exhaussement notable à l’époque de
l'apparition de la chaîne principale des Alpes (du Valais en Autriche),
beaucoup de vallées ont dù par suite s’approfondir considérablement ,
et que les courans d’eau souterrains, qui devaient circuler alors comme
aujourd’hui dans l’intérieur des plateaux calcaires pour sortir en
sources considérables au pied de leurs pentes, ont dû changer de niveau,
et abandonner leurs anciens lits souterrains, qu’ils auront laissés rem-
plis en partie des objets qu’ils y avaient entraînés pendant tout le cours
de la période de tranquillité précédente.
( 190 )
plus d'attention sur une série d’observations assez éten-
due, qui tend à les confirmer, en faisant remarquer que
si réellement elles les confirment, il en résultera un nou-
vel argument en faveur de l’importance des directions,
L’altération dans les rapports de niveaux que nous
avons signalée dans la vallée inférieure du Rhône, se
manifeste également dans toutes les parties de la Pro-
vence , qui présentent à cet égard des moyens d’investi-
gation. Il suffit, pour s’en convaincre, d'observer la
position des couches les plus récentes , depuis les bords
de la Méditerranée jusqu'à Digne et Sisteron , en mar-
chant parallèlement à la ligne que nous avions suivie,
d'Arles et d'Avignon vers Saint-Vallier.
Des lambeaux de mollasse coquillière s’observent à
plusieurs centaines de mètres au-dessus de la Méditerra-
née , sur les montagnes qui se trouvent au nord de Lam-
hesc (1) (Bouches-du-Rhône); près de Marseille., au
contraire , à 4 myriamètres plus au sud , on ne trouve
pas la moindre trace de cette formation , même au niveau
de la mer, et certainement il serait resté sur les rochers
calcaires des encroûtemens de mollasse coquillière ,
aussi-bien que près d'Avignon et de Château-Neuf-du-
Pape, si la mer qui déposait celle-ci les avait baignés
jusqu'à une hauteur plus grande que la mer actuelle.
On a là une preuve évidente du changement relatif de
niveau qui, depuis la formation des derniers dépôts ter.
tiaires , a élevé les masses qui forment le sol de l’inté-
rieur de la Provence, par rapport à celles qui, plus au
sud , forment la côte de la Méditerranée.
Au nombre des couches ainsi relevées du midi vers le
(1) Carte de Cassini, n° 123.
(rgr)
nord , sé trouvent non-senlement la mollasse coquillière
tertiaire , mais aussi le dépôt de transport ancien quej’ai
décrit ci-dessus , entre Manosque et Mezel. J'ai eu soin,
en effet , de faire remarquer que la surface de ce terrain
augmente d’abord peu à peu de hauteur depuis les envi-
rons de Brue, de Cotignac, de Barjols, jusqu’au haut des
flancs de la vallée du Colostre , et forme un plan assez
régulier, dont l’œil suit aisément, plus au nord, sur les
deux rives de l’Asse , l'élévation graduelle , jusqu’à la
ligne de partage des eaux entre l’Asse et la Bleonne. In-
dépendamment de la difficulté de concevoir qu’un plan
aussi régulier se soit formé autrement que par un dépôt
presque tranquile sous une nappe d’eau peu agitée, et,
par suite, dans une position telle, que tous les points
de son contour fussent compris dans un même plan hori-
zontal , nous avons trouvé la preuve directe qu’il a reçu
après coup l'élévation qu’il atteint aujourd’hui, sur les
rives de l’Asse, dans la présence de cailloux roulés, for-
més de calcaires et de silex d’eau douce et de fragmens
de musclielkalk, dont les analogues existent, près des
rivages de la Méditerranée , à des niveaux plus bas, et
qui ne peuvent évidemment devoir cette infériorité à la
simple dégradation de la surface extérieure des masses
par les agens atmosphériques.
Ce dépôt, formé dans un lac probablement contem-
porain de celui dans lequel s’est formé le dépôt de trans-
port ancien du N.-O. du département de l'Isère et de la
Bresse, a donc subi comme ce dernier dépôtunrelèvement
après sa formation. Le relèvement s’est fait ici dans un
sens diamétralement opposé à celui qui a eu lieu dans la
Bresse; ce qui prouve que l'axe général de relèvement
(192)
était intermédiaire entre les deux, comme nous avons
déjà été conduits à l’admettre. Il s’est fait dans le même
sens que celui de la mollasse coquillière , qui va en
s’élevant graduellement d'Arles vers Saint-Vallier; et cela
prouve qu'il y avait lieu de rapporter, comme nous l’a-
vons fait, à une seule et même époque les deux pentes
opposées qui se sont établies au nord et au sud de Saint-
Vallier, dans les contrées contiguës aux cours du Rhône
et de la Saône.
Il est toutefois à remarquer que, sur les bords de
l’Asse et de la Bleonne, le relèvement a produit une
pente beaucoup plus rapide que dans le bassin de la
Bresse, pente qui se rattache de la manière la plus directe
aux dislocations que les couches du terrain de transport
ont éprouvées, comme je lai dit précédemment, au
N.-O. de Mezel.
On a vu, dans le paragraphe précédent , qu’aux envi-
rons de Mezel les couches du terrain de transport ancien
se relèvent de toutes parts, comme l'indique la fig. 2 de
la PI. xvir du tome XVIIT, vers un centre commun,
situé non loin des Bastides de Creas et de Bautujas. Les
inclinaisons vont souvent à 30°, 40°, et même à 70°;
nous avons de plus remarqué que ce centre de soulève-
ment est situé à l'extrémité d’une arèête que présentent
plus à l’ouest les mêmes couches, en se pliant en forme
de toit à pentes inégales, pour plonger d’une part de 5
à 6° du côté du nord , et de l’autre d’environ 2° du côté
du sud; disposition qui se lie intimement à l’inclinaison
générale de tout le dépôt, du nord au sud , et qui con-
firme que cetie inclinaison s’est produite après sa for-
mation,
(195)
L’arète de cette espèce de toit se dirige à peu près
vers l'O. :S.-0. ; direction sensiblement conforme à la
direction générale des chaînes de la Sainte-Baume , du
Leberon, du Ventoux; ce qui semble déjà indiquer
une liaison entre le relèvement du sud au nord, qu’a
éprouvé le sol de ces contrées et les grandes failles qui
sont venues le traverser de l'O. = S.-0. à l'E, : N.-E,.,
et qui ont donné naïssance aux montagnes dont je viens
de parler.
La même liaison se trouve confirmée de nouveau par
l'élévation considérable qu’a acquise le terrain de trans-
port ancien dans les petites montagnes qui, comme je
l'ai dit dans le paragraphe précédent , s'élèvent au nord
d'Ayglun et des Guillaumonds, et s'étendent vers le
nord, de manière à traverser le prolongement de la
direction des couches calcaires de la montagne de Lure,
et à aller presque s'appuyer, près de Mellan et d’Abros,
contre l’extrémité des couches jurassiques redressées ,
dans lesquelles est coupée la Cluse, ou défilé qui donne
passage , à Sisteron , aux eaux de la Durance.
Il est difficile, en effet, de ne pas croire que la hau-
teur tout-à-fait anomale qu'atteint de ce côté le. dépôt
de transport ancien , est une conséquence du redresse-
ment de ces couches, dans lesquelles on retrouve la
direction qui domine en général dans la classe d’acci-
dens du sol de ces contrées , sur laquelle j'ai déjà appelé
ci-dessus l'attention du lecteur.
Les couches de calcaire jurassique qui constituent les
deux parois de la Cluse de Sisteron, se dirigent de
l'O. 142 S. à l'E. 14° N., en se relevant, du côté du
nord, sous un angle qui, surpassant le plus souvent 80°,
XIX. 13
( 194 )
atteint quelquefois la verticale , et la dépasse même en
quelques points. Cette direction est encore à peu près
celle des couches calcaires du système du grès vert et de
la craie, qui se relèvent de Mallefougasse et de Cruis
vers l’arète de la montagne de Lure , et elle se retrouve
dans une partie des accidens partiels des crêtes qui se
continuent à l’ouest, jusqu’au Ventoux. Toutes ces
couches plus ou moins fortement redressées font partie
d’un système d’accidens dont la direction générale court
à peu près de FO. 10° S. à l'E. 10° N., depuis les
masses de gypse situées entre Gigondas et les Baumes de
Venise (Vaucluse ) (1) jusqu’à celles de Barles (Basses-
Alpes). Ce système d’accidens ne peut s'être produit à
une époque plus ancienne que le dépôt des couches ter-
tiaires les plus récentes; on en a la preuve matérielle
dans la très-forte inclinaison ( de 60 à 80°) des couches
de mollasse coquillitre, entre lesquelles on passe en
montant de la Baume (à l’est de Malaucene, Vaucluse)
vers le Ventoux ; et les observations ci-dessus mention-
nées permettent même d’ajouter qu’il s’est produit plus
récemment aussi que le dépôt de notre terrain de trans-
port ancien.
Il est, du reste , évident que ce mème système d’acci-
dens remonte à une époque antérieure au passage des
torrens diluviens. Il est clair en effet, d’après la dispo-
sition des dépôts qu'ils ont laissés , que ces torrens sont
venus déboucher par la Cluse de Sisteron , des parois de
(1) Je dois la connaissance des accidens curieux que présente la struc-
ture du sol à l'extrémité occidentale des dislocations du Ventoux ,
près de Gigondas, aux bienveillantes communications de M. Gasparin,
correspondant de l’Académie royale des Sciences de l'Institut.
( 19 )
laquelle ils ont enlevé des blocs calcaires , et qu'ils ont
contribué à élargir. Tant au-dessus qu'au-dessous de
Sisteron , ces dépôts s'étendent sur les tranches des cou-
ches affectées par le système d’accidens dont je viens de
parler, sans cesser de présenter en masse, sinon une
exacte horizontalité , du moins une pente légère dans le
sens du cours actuel des eaux, telle qu’ils ont dùû la
prendre au moment de leur formation. Ainsi, le redres-
sement des couches dont nous parlons a eu lieu entre le
dépôt du terrain de transport ancien et celui du terrain
de transport diluvien , c’est-à-dire, précisément à l’épo-
que géologique dont nous nous occupons ; et tou indi-
que qu'il en est de mème, comme Je l'ai déjà annoncé,
des couches qui , dans toute la Provence, sont redressées
à peu près dans le même sens.
Le groupe d’accidens dont la date vient d’être déter-
minée fait partie d’un système beaucoup plus étendu,
qui embrasse toute la contrée dans laquelle nous avons
suivi la pente ascendante qu'ont reçu les dépôts récens ,
depuis les bords de la Méditerranée jusque vers Saint-
Vallier et Sisteron. Ces accidens paraissent résulter de
grandes fractures qui sont venues traverser le sol de la
Provence dans une direction à peu près perpendiculaire
à celle dans laquelle sa surface s’est inclinée ; disposition
qui indique à elle seule un rapport entre les fractures et
l'inclinaison de la surface. Ce rapport d'ensemble se
trouve en mème temps établi par la connexion que nous
avoñs reconnue ci-dessus entre l’inclinaison générale de
la surface et quelques-uns des accidens en question. En
effet, comme ceux d’entre ces accidens qui ne rencontrent
pas le dépôt de transport ancien affectent du moins pres-
(196 )
que tous la mollasse coquillière tertiaire, ikest clair que
la plupart ne remontent pas à une époque plus reculée
que ce dernier dépôt , et on ne saurait concevoir l’idée
que des failles, resserrées dans des limites aussi étroites
d'espace et de temps , soient parallèles entre elles sans
être contemporaines.
De Château-Neuf du Rhône vers le revers nord de la
montagne de Poet (1) s'étend , de l'O.-S.-0. à l'E. -
N.-E. , une faille par l'effet de laquelle les couches de
l’époque du grès vert et de la craïe , ainsi que les cou-
ches tertiaires qui se trouvent immédiatement au sud de
sa direction , sont à un niveau plus élevé que celles qui
se trouvent immédiatement au nord. C’est en grande
partie à cette faille qu'est due la forme générale du
bassin qui s'étend de Montélimart à Soupierre et à
Puy-Saint-Martin , et dans lequel s'élèvent les monti-
cules isolés de Puy-Giron et de la Bâtie-Rolland , cou-
ronnés chacun par un petit lambeau de mollasse co-
quillière.
Cette faille est située au nord de la ligne de dislocations
dont le Ventoux fait partie, et est à peu près parallèle à
ces dislocations , aussi-bien qu’à celles des petites chaînes
du Leberon, des Alpines, de Sainte-Victoire, de l'Etoile,
de la Sainte-Baume , et à celles qui sillonnent le plateau
situé au nord de Draguignan, de Bargemon et de Grasse.
Pris dans leur ensemble, ces divers accidens du sol
présentent une série d’aspérités allongées , dont les
directions , à peu près parallèles les unes aux autres,
coupent le méridien sous un angle moyen d'environ 74°.
(x) Cartes de Cassini , n9% go et rar.
(197 )
En examinant de près l’une quelconque de ces petites
chaînes, on voit qu’elle est due, ainsi que je l'ai déjà
annoncé , à une faille parallèle à sa longueur. Ces failles
ont cela de très-remarquable que, dans le voisinage
d’une grande partie d’entre elles ,.le prolongement des
couches calcaires de quatre formations différentes, le
muschelkalk , le terrain jurassique, le terrain du grès
vert et de la craie, et le terrain tertiaire, se présente
très-fréquemment à l’état de dolomie. La direction de
celle de ces failles, qui donne lieu aux montagnes de
la Sainte-Baume, passe dans les montagnes de l’Esterel,
et près d'Antibes , à peu de distance de différentes masses
de mélaphires, roches avec lesquelles M. Léopold de
Buch a montré que les dolomies sont généralement en
connexion.
Dans le chapitre précédent, après avoir décrit les
accidens que présentent les couches tertiaires le long
d’une ligne qui, passant un peu au sud de Manosque ,
court du S. 26° ©. au N. 26° E., j'ai annoncé, t. XVII,
P- 398, que cette ligne, dont j'ai indiqué comme les deux
jalons extrèmes la petite île de Riou (au sud de Mar-
seille) et la butte phonolitique de Hohentwiel (au N.-O.
de Constance), joue dans la structure du sol de la Pro-
vence un rôle important , sur lequel j'aurais à revenir.
C’est ici le lieu d’en parler.
On peut en effet remarquer que, parmi les diverses
chaînes qui sillonnentle sol de la Provence, del’O.:S.-0.
à VE. © N.-E., il n’y en a pas une seule qui coupe la ligne
que je viens d'indiquer, quoique plusieurs en appro-
chent très-près. La chaîne de l'Etoile , entre Marseille
et Aix, pourrait au premier abord paraître faire excep-
( 198 )
tion; mais la discontinuité qui existe entre sa masse
principale et la montagne de Garlaban, se manifeste
justement à peu près sur le prolongement de la ligne
dont nous parlons. La chaîne de la Sainte-Baume , dont
les montagnes entre Cassis et Marseille forment l’extré-
mité occidentale, la chaîne de Sainte- Victoire et l’arète
en forme de toit que présentent les couches du terrain
de transport ancien à l’ouest de Mezel, se terminent
vers l’ouest à une petite distance de cette ligne, maïs
sans la couper. Les montagnes du Leberon et de Lure,
et les couches redressées qui courent de Sisteron à En-
trepierre et vers Abros, présentent du côté opposé une
disposition tout-à-fait analogue. Si cette ligne de dislo-
cation n'arrête pas toujours complètement l'influence
des rides O. = S.-0.—E. ; N.-E. , elle les empèche tou-
ours de se continuer à la même hauteur, et cette ma-
nière d'influer sur elles me semble tendre encore à prou-
ver que ces mêmes rides se sont formées après la ligne
de dislocation $S. 26° O.—N. 26° E., comme nous l’a-
vons déjà reconnu, par d’autres moyens.
De part et d'autre de cette dernière ligne de disloca-
tion , les rides O. ©: S.-0.—E. : N.-E. ne présentent
nulle part une exacte correspondance , quoiqu’elles sui-
vent toutes en général une direction à peu près sembla-
ble. Cette disposition est analogue à celle qui se produi-
rait dans une feuille de carton, dans le milieu de laquelle
on ferait une inc'sion rectiligne , et qu'on chercherait
ensuite à froncer, de manière à ce que les rides produites
fussent à peu près perpendiculaires à la direction de
l’incision.
n e . »)
Si maintenant nous suivons, comme nous l'avons
(199 )
déjà fait plus haut, notre ligne de dislocation des
bords de la Durance, suivant sa direction N. 26° E.,
jusqu’en Suisse, nous retrouverons un fait entièrement
analogue aux précédens , dans la manière dont la ligne
de cimes calcaires escarpées à laquelle appartiennent
les deux Myten et le Pilate, vient se terminer brusque-
ment vers l’ouest, à la vallée de l’Entlebuch. (Voyez la
carte jointe à ce Mémoire, PI. 1.) Nous verrons même
dans l’intérieur des Alpes une influence semblable se
manifester à l’approche de cette même ligne, ou plutôt
à l'approche des grands accidens du sol auxquels elle
est parallèle.
En eflet, la principale crête des Alpes, après s'être
étendue avec une continuité et une régularité remarqua-
bles, depuis les confins de l'Autriche jusqu’au Saint.
Gothard, devient moins distinete à partir de la source
du Rhône, par suite de la complication résultant de
l’entre-croisement des accidens qui dépendent du sys-
tème des Alpes occidentales. Elle s’interrompt à l’ap-
proche de la ligne des escarpemens que le massif du
mont Rose présente vers l’E.-S.-E., et ne reparaît que
divisée en trois branches parallèles sur les flancs du
Valais et de la vallée d'Aoste , où elle expire pour ainsi
dire en approchant de la ligne des escarpemens E.-S.-E.
du Mont-Bjlanc.
Toutefois , je ferai remarquer que les deux ordres de
pentes ou d’escarpemens indiqués par M. Brochant , le
long des vallées de la Tarentaise (1), comme des indices
de deux époques de creusement , et les faits encore iné-
(x) Observations géologiques sur la Tarentaise, par M. Brochant,
Journal des Mines , tome XXIII (1808), p. 333.
( 200 )
dits qui ont conduit M. Chaper à une conclusion ana-
logue pour la vallée du Breda (Isère), peuvent s’expli-
quer d’une manière très-simple , par un soulèvement en
masse des montagnes déjà faconnées de ces dernières
contrées. Ces faits, joints à l'élévation extraordinaire.
du terrain de transport ancien aux environs de Voiron,
deBaternay, de Saint-Vallier, et à celle des terrains ter-
tiaires en Auvergne, me semblent, comme je l’ai déjà
indiqué , être des traces de la propagation à travers les
Alpes occidentales , et jusqu’au milieu de la France , du
mouvement de dislocation qui a donné à la chaîne prin-
cipale des Alpes son relief actuel. Qui pourrait même
à la rigueur assurer que l'élévation si évidemment ré-
cente, mais jusqu'à présent si problématique des bancs
d’huitres de Saint-Michel-en-l'Herm (Vendée }, si bien
décrits par M. Fleuriau de Bellevue (1), ne se lie pas
à la même série de phénomènes (2) ?
(x) Carte de Cassini, no 133. Voyez la Description des buttes co-
quillières de Saint-Michel-en-l'Herm, par M. Fleuriau de Bellevue.
Journal des Mines , t. xxxv, p. 426.
(2) On est si généralement habitué à considérer comme un tout
unique la réunion de montagnes qu’on désigne par le nom unique
d'ALPES , qu'on aura peut-être quelque peine à admettre que cette
vaste agglomération résulte du croisement de plusieurs systèmes indé-
pendans les uns des autres , et distincts à la fois par leur âge et par leur
direction. Le fait le plus saillant qui résulte de ce croisement a été reçu
dans la science comme un résultat direct d'observation inutile à discu-
ter. On a admis que la crête des Alpes forme, à la hauteur du Mont-
Blanc, un coude qui a été considéré comme un exemple avéré d’une
iuflexion subite et considérable daus la direction d’une chaîne de mon-
tagnes. Le changement que je propose dans la manière d’envisager ce
fait, est comparable à celui qui s’est introduit dans la manière de con-
sidérer les cristaux de Sraurotide où pierre de croix , lorsqu'on eut
( 20€ )
Par suite de la disposition croisée des deux systèmes
qui concourent principalement à la formation des Alpes,
reconnu les lois si simples suivant lesquelles se groupent les cristaux.
Il me semble que les Alpes réduites, comme j’essaie de le faire , à leurs
élémens constitutifs, rentreraient de même dans certaines lois, qui
semblent se déduire de l’observation d’autres groupes de montagnes,
plus simples à quelques égards.
Le changement que je propose me semble d’autant plus essentiel ,
que de là dépend réellement l’importance qu’on peut attacher aux
inductions de contemporanéité déduites de la direction des chainons
de montagnes. Je ne saurais donc trop multiplier les moyens d’investi-
gation auxquels on peut soumettre la question de savoir si réellement
le système de la chaîne principale des Alpes pénètre, sans s’infléchir,
le système des Alpes occidentales.
Parmi tant de phénomènes curieux qui semblent se rattacher à la
dislocation du sol qui a donné à la chaîne principale des Alpes son
relief actuel , un des plus remarquables peut-être consiste dans les irré-
gularités reconnues dans les longueurs des degrés de latitude qui vien-
nent aboutir à son pied. De toutes les irrégularités de ce genre consta-
tées jusqu'ici, la plus considérable, et en même temps une des plus
certaines , est celle que présente , en traversant les plaines du Piémont,
le méridien du Mont-Rose, qui est eu même temps à peu près celui
d’Andrate , de Turin et de Mondovi. L’arc mesuré d’Andrate à Mon-
dovi, une première fois en 1762-1764, par le P. Beccaria, et une
seconde fois en 1822, par MM. Plana et Carlini, présente, sur une
longueur totale de 126,394m,60 , l'énorme excédant de longueur de
1487%,10 , d’où il suit , en d’autres termes , que l’amplitude géodési-
que d’Andrate à Mondovi surpasse l'amplitude astronomique de 47”,84,
ce qui constitue, comme le font remarquer MM. Plana et Carlini
(Opérations géodésiques et astronomiques pour la mesure d'un arc
du parallèle moyen, t. XI, chap. 8, p. 347), un fait des plus remar-
quables. Cet excès de la distance effective des observatoires d’Andrate
et de Mondovi, sur celle qu’on pourrait conclure de la différence qui
existe entre leurs latitudes astronomiques , parait résulter de ce que la
verticale d’Andiate se dévie, en cédant à une attraction exercée par
le Mont-Rose , de manière à reporter le zénith d’Andrate de 28”,1 vers
le sud, tandis que la verticale de Mondovi éprouvant de la part des
( 202 )
il est pour ainsi dire reçu que ces montagnes forment
un coude à la hauteur du Mont-Blanc, et qu'après s'être
Alpes maritimes une action diamétralement opposée , le ‘zénith se
trouve transporté vers le nord de 19”,34.
Cette action des montagnes sur le fil à plomb n’est probablement pas
due en totalité à la portion de leurs masses qui s’élève au-dessus de l’ho-
rizon : il est beaucoup plus vraisemblable qu’elle dérive en partie d’irré-
gularités dans la structure intérieure du globe , qui peut-être sont elles-
mêmes en rapport ayec les mouvemens intestins qui ont donné lieu. à
l'élévation des montagnes. MM. Plana et Carlini, parlant de l’anomalie
constatée par la mesure de l’arc de méridien , de Mondovi à Andrale,
remarquent (t. IL, chap. 8, p. 847) que « si les causes extérieures pou-
« vaient suflire pour expliquer cette espèce de perturbation dans la direc-
« tion du fil à plomb, il faudrait l’attribuer, du côté du sud , à la chaîne
« des Alpes maritimes, et, du côté du nord, à la chaîne des Alpes groïen-
nes ; mais il est possible aussi que ce singulier phénomène soit pro-
« duit en grande partie par une irrégularité dans la densité des couches
« terrestres. Les données nécessaires pour séparer ces deux effets man-
« quent. Si l’on était disposé à vouloir considérer la masse des mon-
« Lagnes comme cause prépondérante, on serait aussitôt arrêté, en
« comparant la latitude géodésique de Parme, déduite en partant de
« Milan, avec la latitude géodésique qui y fut observée. Ici l’on trouve
« une différence de 20,4 ; et cependant ces deux villes sont situées au
« milieu d'uve plaine, à une distance telle des montagnes , qui ne per-
« met guère de regarder l’attraction de leur masse extérieure comme
« capable de produire un effet aussi considérable, Au reste , le principe
« de l’analogie , et le résultat de plusieurs autres observations, concou-
« rent à faire croire que les anomalies que l’on vient de citer ne sont
« pas purement locales. Il est probable que la cause qui les produit s’é-
« tend à toute la Péninsule , et même à toute l’Europe, en se modi-
« fiant différemment. »
Turin étant placé plus près d’Andrate que de Mondovi, et action
exercée par le Mont-Rose étant d’ailleurs la plus forte, comme le prouve
la comparaison des déviations du fil à plomb aux deux stations extrè-
mes , le zénith de Turin se trouve légèrement déplacé dans le même
sens que celui d’Andrate , c’est-à-dire vers le sud , et la latitude astro-
nomique de Turin se trouve par suite plus faible de 87,1 que celle
{ 203 )
dirigées depuis l'Autriche jusqu’en Valais , suivant une
8 P Jusq ;
direction peu éloignée de l'E. : N.-E. à l'O. : S.-0O.
qu’on peut déduire des opérationes géodésiques qui lient observatoire
de Turin à d’autres observato res qui ne sont pas soumis à de pareilles
influences.
L'observatoire du Mont-Cenis , placé à peu de distance du méridien
du Mont-Blanc, a lui-même son zénith déplacé, vers le sud, d’une
quantité un peu plus grande que celui de Turin : 8°,5.
Les observatoires de Milan, de Vérone, de Padoue, de Venise,
situés à des distances variables du pied sud de la chaîne principale des
Alpes , ont aussi leur zénith déplacé, vers le sud , de quantités plus ou
moins grandes.
Au contraire, les observatoires de Vienne et de Munich, situés du
côté nord de la même chaîne, ont leur zénith déplacé vers le nord,
par suite sans doute d’une influence du même genre qui dévie de même
le pied de la verticale, vers la base de la chaîne située au sud des deux
stations. La même action se manifeste d’une manière analogue à Ins-
pruck. À Genève, où la déviation est encore dans le même sens, elle
se trouve être très-faible, par suite peut-être de l’action du Jura,
dont une des principales cimes, la Dôle , est située presque exactement
au nord. Cette influence d’une chaîne différente des Alpes se mani-
feste d’une manière bien plus sensible à Wells , entre Vienne et
Munich. Le zénith de Wells se trouve fortement déplacé vers le sud ;
mais aussi cette ville se trouve au pied sud du Bœhmerwald-Gebirge,
qui agit sur sa verticale précisément comme les Alpes maritimes sur la
verticale de Mondovi. D’après cet ensemble de résultats, il semble
déjà permis d’assurer que si des chaînes de triangles venaient à étre
établies du sud au nord, par dessus la crête de la chaîne principale des
Alpes, de manière à lier directement les plaines de la Lombardie avec
celles de l'Autriche et de la Bavière , elles dévoileraient dans les degrés
de latitude un raccourcissement anomal , indice d’une courbure trop
rapide de tous Les méridiens qui se trouvent à cheval sur les Alpes.
Ces anomalies sont comparables à celles qui , sauf quelques incerti-
tudes qui subsistent encore dans les latitudes astronomiques de certains
points dela méridienne de France, ont paru se manifester dans les
résultats de la mesure de l'arc de Carcassonne à Evaux, qui se trouve
lui-même à cheval sur le prolongement mathématique de la chaîne prän-
( 204 )
Elles tournent rapidement pour se rapprocher de la ligne
N.-N.-E.—$.-S.-0. Les Alpes voisines du Mont-Blanc,
cipale des Alpes, en même temps qu’il passe dans le voisinage de dépôts
tertiaires , relevés vers le sud, comme ceux de la Bavière, jusqu’à une
hauteur extraordinaire. Il est sans doute à remarquer que, dans ce
même intervalle , la méridienne passe à côté des masses volcaniques du
Cantal et du mont Dore; mais, d’après les observations faites jusqu’à
ce Jour et consignées dans l'ouvrage intitulé: Base du système métrique,
les anomalies existantes en Auvergne seraient plus grandes que celles
que présente l’arc du même méridien , qui se trouve à cheval sur les
Pyrénées, et par conséquent hors de proportion avec les petites mon-
tagnes du centre de la France, comparées à celles du Roussillon et de la
Catalogne. Il y a d’autant plus à parier, ce me semble , que de nouvelles
observations astronomiques ne parviendront pas à faire disparaître
cette partie des anomalies que présente l’opération de la méridienne de
France, que les déviations du fil à plomb, en Auvergne, se lieraient à
la hauteur extraordinaire qu’y atteignent les dépôts tertiaires sans se
disloquer, à peu près comme les déviations dans la direction du fil à
plomb , observées à Gênes, à Pise, à Florence, à Parme, à Rimini,
et en quelques autres points de la même contrée , semblent se lier à la
hauteur extraordinaire que les terraius tertiaires atteignent dans le
voisinage, sans cesser d’être à peu près horizontaux.
Après avoir discuté la réalité de l’anomalie indiquée dans la longueur
des degrés de latitude en Auvergne, on pourrait encore se demander si
ce phénomène ne serait pas indépendant du phénomène analogue qui se
présente dans les Alpes. Le meilleur moyen de résoudre cette difficulté
serait de voir ce qui a lieu sur un méridien intermédiaire , par exemple
sur celui de Lyon ; de comparer entre elles, si elles étaient rigoureuse-
ment connues , Les latitudes astronomiques et géodésiques de deux points
de ce méridien qui correspondissent à peu près à Carcassonne et à
Évaux ; celles, par exemple, d'Arles et de Chälons-sur-Saône: mais, à
défaut de cette comparaison , on peut être porté , par des considérations
d’un autre genre, à présumer que les solutions définitives des deux
questions ci-dessus seront aflirmatives, et que les deux phénomènes
rentréront dans un même phénomène général, commun aux méridiens
d’une grande partie de l’Europe.
En effet, M. Biot , dans son Mémoire sur la figure de la terre , inséré
( 205 )
du Mont-Rose, du Finsteraarhorn, sont le nœud de
deux systèmes qui se rencontrent sous un angle de 45°
dans les Mémoires de l’Académie des Sciences , t.8, p. 1°*, remarque,
p- 19, que les irrégularités observées dans le décroissément de la lon-
gueur du pendule à secondes , sur le méridien de Paris, de Dunkerque
à Formentera sont en rapport avec celles que les degrés du méridien
présentent dans le même arc. D’où résulte d’abord , ce me semble , une
grande probabilité que les anomalies des degrés ne disparaîtront pas
par suite d’observatiuns astronomiques qu’on puisse complètement
garantir.
De plus , la variation de la longueur du pendule à secondes de Paris
à Toulon suit une loi comprise dans celle des variations qu’il éprouve
de Dunkerque à Formentera , ce qui semble bien indiquer que, sur les
méridiens intermédiaires entre celui de Paris et celui de Toulon, et,
par exemple, sur celui de Lyon; la variation des degrés suivrait à peu
près la loi que l'observation a indiquée sur le méridien de Paris lui-
même , ainsi qu'on aurait peut-être pu l’inférer aussi de la similitude
des dérangemens qu'ont subis, sous les parties correspondantes des
méridiens de Lyon et de Paris , les dépôts de sédiment les plus récens.
M. Biot, parlant des inégalités qui existent entre les longueurs ob-
seryées du pendule et celles qui correspondraient à un aplatissement
elliptique régulier , dit, page 8, qu’elles se montrent avectrop de con-
tinuité et dans une proportion trop énergique pour qu’on puisse les
attribuer à des attractions purement locales accidentelles, ou pour
qu’on doive les confondre avec les erreurs des observations. Il résulte,
en eflet , de l’ensemble des comparaisons que renferme son Mémoire ,
que ces inégalités ne sont pas particulières au méridien de Paris,
et que, sur les méridiens compris entre celui de Bordeaux et celui de
Fiume, les varialions de la longueur du pendule à secondes suivent
des lois différentes au nord etau sud du 45e parallèle ; ce qui, d’après les
positions des lieux d’observation , revient à peu près à dire que la loi de
ces variations change aux points où les méridiens sont coupés par la
ligne de direction de la chaîne principale des Alpes.
Ce résultat , comme celui des observations géodésiques, conduirait à
supposer que les méridiens qui passent entre Fiume et Bordeaux se
composent tous de deux parties en quelque sorte discontinues , qui se
joindraient lune à l’autre au point où ces mêmes méridiens se trouvent
( 206 )
à 5o°; et, d’après cela, on ne doit pas s'étonner que
leur structure paraisse embrouillée , lorsqu'on la com-
à cheval , soit sur la chaine principale des Alpes , soit sur son prolonge-
ment à travers la France.
On pourra trouver , sans doute , que ce qu’il y a encore d’incertain
dans les résultats d’une partie des observations astronomiques desquelles
nous sommes partis , et ce qu'il y a de conjectural dans quelques-unes
des considérations par lesquelles nous ayons passé est plus que suffisant
pour empêcher d’attribuer une grande valeur aux rapprochemens que je
viens d'indiquer. On doit toutefois remarquer, ce me semble, que ce
serait un hasard assez étrange que celui qui aurait disposé les inégalités
des degrés et du pendule de manière à ce que, sans tirer aucune con-
séquence forcée des résultats actuellement publiés, on puisse croire
qu’on voit déjà se dégager du milieu des incertitudes dont une partie
d'entre eux, pris individuellement, se trouvent environnés, une nou-
velle manifestation de l'influence qu’a exercée jusqu’au milieu de la
France la cause du redressement des couches de la chaîne principale
des Alpes, et par suite un nouveau moyen de reconnaître que cette cause
a prolongé son action en ligne droite à travers le système des Alpes
occidentales.
En discutant toutes les irrégularités qui résultent des déviations
qu’éprouve la direction du fil à-plomb dans le voisinage des Alpes, on
ne peut s'empêcher d’être frappé de la circonstance qu’elles sont plus
fortes et moins inconstantes sur les versans italiens que sur ceux qui
regardent l’Allemagne, la Suisse et la Savoie. C’est aussi sur ces ver-
sans que viennent principalement au jour les mélaphires et les serpen-
tines , ‘et ce rapprochement semble favorable à l'hypothèse qui regarde
ces roches comme les agens du soulèvement des chaînes dont elles font
partie.
Les irrégularités qui me paraissent se trouver plus particulièrement
en rapport avec la bande des serpentines et avec le système des Alpes
occidentales (Voyez la carte pl. 2.) sont celles qui ont été constatées
par les opérations géodésiques et astronomiques pour la mesure d’un
arc du parallèle moyen exécutées en Piémont et en Savoie par une
commission composée d'officiers de l’état major général et d’astronomes
piémontais et autrichiens en 1821, 1822, 1823.
MM. Carlini et Plana établissent , dans leur 2° volume, chap, 7 , une
( 207 )
pare à celle d’une chaine d’un seul jet, comme les
Pyrénées.
S'il n’y avait là qu’une inflexion pure et simple dans
une chaîne de montagnes unique, qui vint seulement à
s'arquer, on verrait peu à peu la direction des couches
s’infléchir, pour passer de la direction N. 70° E, qui
domine vers le Saint-Gothard, à la direction N. 26°E.,
qui domine vers le Moni-Blanc et en decà : il en est tout
autrement. Les deux chaînes de montagnes qui s’éten-
dent de part et d'autre du Valais, jusqu’à la hauteur de
Martigny, courent exactement dans la direction des
principaux accidens du sol du Saint-Gothard et de la
chaine principale des Alpes, jusqu’en Autriche, et,
dans ces deux mêmes chaînes de montagues , on observe
un grand nombre d’actidens de stratification , et plu-
sieurs vallées du second ordre, qui courent dans la di-
rection du système des Alpes occidentales. Je pourrais
comparaison entre les arcs mesurés de Milan à Turin, de Turin au
Mont-Cénis, du Mont-Cénis au Mont-Colombier (près de Seyssel,
département de l'Ain) et du Mont-Colombier au Puy d'Usson (près
d’Issoire, département du Puy-de-Dôme }; et il résulte de cette compa-
raison que les deux arcs extrêmes Milan —Turin et Colombier— Usson
sont relativement plus longs que les ares intermédiaires et contigus
Turin — Mont-Cénis et Mont-Cénis — Colombier. Or, il est à remar-
quer que l’arc Turin — Colombier, qui est composé de la soînme des
deux derniers , et qui, considéré dans son ensemble , se trouve présen-
ter une courbure trop rapide , est, pour ainsi dire , à cheval sur le sys-
tème des Alpes occidentales , et coupe perpendiculairement la ligne de
direction tirée de Marseille à Zurich , ligne qui , comme je l’ai montré
dans le 3° chapitre de ce Mémoire , peut être considérée comme repré-
sentant la direction qui domine dans les Alpes occidentales , ét qui peut
même être regardée comme étant de son côté un des axes principaux du
continent européen.
( 208 )
ester à cet égard plusieurs vallées du bas Valais , et par-
ticulièrement celles de Bagnes , d'Entremont et de Fer-
ret , où cette direction de la stratification à été observée
par M. de Charpentier, qui me l’a fait remarquer dès
1822, tant sur le terrain que sur les cartes géologiques
qu'il avait dès-lors commencé à dresser. Ainsi, les deux
directions, loin de passer l’une à l’autre , se coupent et
se pénètrent mutuellement sous des angles de 45 à 5o°,
et ce phénomène s’observe sur une grande étendue,
puisque la direction. N. 26° E., qui domine dans les
Alpes occidentales, est encore à peu près celle des lacs
de la Lombardie et de la haute vallée de l’Inn. (Voyez
la carte, PI. 11.)
Cette disposition des principaux accidens de la struc-
ture de la vaste réunion de montagnes qu’on appelle les
Alpes, est en rapport avec celle des accidens minéralogi-
ques les plus remarquables qu’on y observe, et n’en est
probablement qu’une conséquence. La crête des Alpes
orientales et centrales, qui court des confins de l’Au-
triche vers le Breuner et le Saint-Gothard , est parallèle
à la bande de mélaphires ei de dolomies qui , d’après les
mémorables observations de M. Léopold de Buch, s’é-
tend entre le faîte de la chaîne et les plaines de l'Italie
septentrionale, depuis Bleyberg en Carinthie jusqu'à
Lugano et à Baveno , sur les bords des lacs de la Lom-
bardie. Plus à l’ouest, cette bande semble s’arrèter
à l'approche de celle des serpentines (voyez la carte,
PI. 17), à moins cependant qu'on ne voie une trace de
sa prolongation dans les gypses et les dolomies avec tre-
molite de Cogne.
La ligne moins fortement dessinée des gypses, des
( 209 )
dolomies et des gîtes de cristaux du Saint-Gothard (1),
accompagne en Valais (Binn, Tourtemagne, Pfynn)
les crêtes moins étendues , parallèles à la direction dont
nous nous occupons , ét ne finit guère que là où cette
direction s’efface complètement , au milieu des accidens
du sol dépendans du système des Alpes occidentales.
En considérant avec attention la situation de masses
dont tous les traits principaux se coordonnent à la direc-
tion des Alpes occidentales, on pourrait encoreremarquer
que les cîmes collossales du Mont-Blanc, du Mont-Rose,
de l’Ortler, s’alignent comme d’énormes jalons , suivant
une direction parallèle à celle de la chaîne principale des
Alpes et de la bande subalpine des mélaphires et des dolo-
mies. Cette disposition remarquable pourrait faire présu-
mer que les trois massifs proéminens queje viens de citer
doivent leur saillie, au-dessus de tout ce qui les envi-
ronne , à un surcroît de hauteur qu'ils auraient acquis
au moment où la chaîne principale des Alpes { du Valais
en Autriche )a pris son relief actuel.
Mais l'examen de cette question spéciale m’entraîne-
rait dans de trop longs détails (2}; je me hâte de reve-
(1) Voyez la belle carte géologique du Saint-Gothard, par M. Lardy.
Lausanne, 1829.
(2) En poursuivant à travers la Lorraine les traces de la dislocation
qui a donné à la Côte-d’Or son relief actuel, nous avons vu le prolon-
gement de sa direction marqué par des protubérances de roches an-
ciennes , qui s’élevaient cà et là comme des espèces de jalons géologiques
(voyez chap, Ier, t. XVIII, p. 11). Les masses proéminentes du Mont-
Blanc, du Mont-Rose , de l’Ortler, en s’alignant sur une même ligne
droite , parallèle à la direction de la chaîne principale des Alpes et à la
bande des mélaphires et des dolomies , présentent un nouvel exemple
du même genre de disposition.
La chaîne principale des Alpes pourrait, dans une révolution future ,
XIX. 14
( 210 )
nir au rapprochement que j'ai pour. but d'établir entre
la chaine principale des Alpes et les chaînes qui , à une
devenir en grande partie sous-marine sans que ces trois cimes colossa-
les cessassent de marquer au-dessus des flots la direction de ses couches
et de ses accidens minéralogiques. Cette disposition est d’autant plus
remarqueble et d'autant plus propre à faire sentir l'importance des ali-
gnemens , qu'abstraction faite du surcroît de hauteur qui les détache
de ce qui les enyironne , les traits individuels de ces hautes montagnes,
ou du moins ceux du Mont-Blanc et du Mont-Rose, les lient intimement
au système des Alpes occidentales. On trouve réunis en elles les signes
caractéristiques des deux systèmes, à peu près comme dans les îles
Ponces;, qui chacune en particulier s’allongent du nord au sud , et qui
s’alignent entre elles de PO.:N.-0. à l'E.-S.-E., on trouve réunis les
traits distinctifs du système des îles de Corse et de Sardaigne et du sys-
tème pyrénéo-apennin.
Dans le langage populaire de la ville de Lyon, d’où on apercoit le
Mont-Blanc dans uve direction presque transversale par rapport à la
direction des Alpes occidentales , on l’appelle souveut le chameau ou le
dromadaire.
Cette figure familière n’est pas dénuée de toute justesse. Le massif
de'roches primitives, dont la cime du Mont-Blanc forme le point cui-
minant, s'élève au-dessus du niveau général de toutes les crêtes voi-
sines, à peu près comme la bosse du dromadaire au-dessus du reste
de l'animal ; et, de même que cette bosse s’allonge dans le sens du dos,
de même ‘aussi le massif du Mont-Blanc s’allonge dans la direction des
dos de montagnes qui suivent et qui dessinent la direction dominante
des Alpes occidentales. Une remarque du même genre pourrait s'appli-
quer au massif du Mont-Rose. Ces deux bosses sont réunies l’une à
Vaulre par une crête qui rencontre leurs directions sous un angle de 45°,
et qui est comparable à un joug placé obliquement entreclles. La hauteur
proéminente des deux bosses au-dessus de tout ce qui les entoure semble
étroitement liée à l’existence de cette même irête de jonction. Celle-
ci, qui, est l’une des plus hautes et des plus continues des Alpes, court
entre le Valais et la vallée d’Aoste daus une direction parallèle à celle
de la ligne de dolomies,, de gypses et de gîtes de cristaux de Pfynn,
Tourtemagne, Binn, Airolo, à celle de la chaîne principale des Alpes (du
Valais en Autriche), et enfin à celle de la: bande des mélaphires et des
EL, ha
{ 211 )
époque géologique déjà déterminée , sont venues sillon -
ner la Provence dans une direction parallèle à la sienne.
Considérées sous un point de vue général, les crêtes
de la Sainte-Paume , de Sainte-Victoire, du Leberon, du
Ventoux , de la montagne de Poet, la crête principale
des Alpes , qui court du Valais vers l'Autriche, la crète
moins haute et moins étendue qui comprend en Suisse
le mont Pilate et les deux Myten, etc., sont différens
chainons de montagnes, qui, malgré leur inégalité, sont
comparables entre eux, à cause de leur parallélisme et
des rapports analogues qu'ils présentent avec les acci-
dens des Alpes occidentales , représentés par la ligne
tracée par diverses dislocations, de l'ile de Riou à
Hohentwiel. Le parallélisme, l'asalogie de rapports
dont je viens de parler, me sembleraient à elles seules
de fortes raisons de croire que tous ces chaïînons de
montagnes ont pris naissance en même temps, et ne
sont que diflérentes parties d’un même tout d’un sys-
tème de fractures unique, opéré en un moment. On
pourrait tout au plus concevoir l'idée de les diviser
en deux groupes, celui de la Provence et celui des
dolomies ( de Baveno à Bleyberg) (voyez la carte, PI. 11). Le Mont-
Blanc , le Mont-Rose et l’Ortler, qui s’aligne avec eux, pourraient donc
bien devoir leur saillie, au-dessus de tout ce qui les entoure, à un
nouveau mouvement que leurs masses auraient éprouvé au moment de
la dislocation qui a donné à la chaîne principale des Alpes son relief
actuel.
Si on admettait une supposition du même genre pour cette partie
des montagnes de l'Oisans qui se trouve disposée à peu près en forme
de cratère de soulèvement à l’entour du hameau de la Berarde, on ex-
pliquerait de la manière la plus simple comment aucun galet des gra-
nites de l'Oïsans n’a été entraîné dans le grand lac qui s’étendait de
Manosque à Mezel, a
(12129)
Alpes; mais nous avons vu que les crêtes et les fail-
les dont nous avons parlé en Provence, et au nombre
desquelles se trouve la faille qui , partant du pied de la
montagne de Poet , vient traverser le Rhône à Château-
Neuf du Rhône, sont étroitement liées à la pente géné-
rale qu’a contractée la surface du sol de la contrée, après
la formation du terrain de transport ancien , et avant le
passage des courans diluviens ; nous avons vu que cette
pente n’est qu’un des effets du mouvement qui s’est fait
sentir dans le sol de la vallée du Rhône à cette mème
époque, et qui a fait naître deux inclinaisons opposées,
l'une vers le nord, l’autre vers le sud , dont la rencontre
a lieu à la hauteur de Saint-Vallier; or, la ligne de
faite de Saint-Vallier se trouvant exactement dans la
prolongation de la ligne de mélaphires qui dessine le
pied méridional de la chaîne principale des Alpes, on
voit qu'il ne s’agit pas d’un simple parallélisme entre
des directions éloignées, mais que deux des accidens
principaux des deux groupes dont on vient de parler
sont précisément dans le prolongement l’un de l’autre;
comment donc pourrait-on croire que ces deux groupes
soient distincts par leurs dates ? Il est évident que l'un
et l’autre font partie d’un même ensemble, dont la date
se trouve complétement déterminée par les seules obser-
vations faites dans les vallées de la Durance et du Rhône,
La question de d'époque à laquelle a eu lieu la der-
nière des révolutions qui ont contribué à donner sa forme
actuelle à l’agglomération de montagnes qu’on appelle
les Alpes, se trouve d’ailleurs déjà réduite dans d’étroi-
tes limites : on peut même dire que l'opinion admise à
cet égard par les géologues qui se sont le plus occupés
C3)
des phénomènes particuliers à ces montagnes, conduit
déjà par une autre voie à la solution que je viens d’in-
diquer. Il serait véritablement à peu près superflu d’éta-
blir la date géologique de cette dernière dislocation sur
des considérations de la nature de celles qui précèdent s’il
ne régnait encore quelque incertitude (1) sur la manière
(x) Les effets des courans diluviens sont beaucoup mieux connus que
leur origine. On ne doit pas perdre de vue qu’au moment de la convul-
sion qui a donné son relief actuel à la chaine principale des Alpes ( du
Valais en Autriche), la contrée au milieu de laquelle elle parut, présen-
tait déjà de très-hautes montagnes, puisque le système des Alpes occi-
dentales existait depuis long-temps, et n’était baigné, au moins dans une
grande partie de ses contours , que par les eaux de quelques lacs d’eau
douce, élevés eux-mêmes au-dessus des mers d’une quantité plus ou
moins grande. Les neiges dont ces hautes montagnes ne pouvaient
manquer d’être couvertes , ont dù être fondues en un instant par les gaz
auxquels est attribuée l’origine des dolomies et des gypses , et les
eaux provenant de leur fusion ont sans doute concouru, et peut-être
pour beaucoup, à la production des courans diluviens des Alpes.
Les Alpes scandinaves donneraient lieu à une remarque du même
genre.
La chaîne des Pyrénées au contraire, si remarquable par la sim-
plicité, et, si l’on peut s’exprimer ainsi, par l'unité dé sa structure,
semble s’être élevée en une seule fois du milieu de dépôts horizontaux ,
et, selon toute probabilité , du fond même des mers où s'étaient formés
les derniers d’entr’eux; aussi ne présente-t-elle pas, au moins sous une
forme bien marquante, le phénomène des grandes pierres transpor-
tées. M. de Charpentier ne l’y mentionne pas; MM. Dufrenoy et de
Billy m'ont assuré ne l’y avoir jamais remarqué. Le témoignage d’aussi
habiles observateurs me fait supposer que les blocs du pic du midi
d’'Ossau , remarqués par Palassou , sont un phénomène purement local,
et probablement l’effet d’un éboulement.
Tout porte à croire que le phénomène des grandes pierres trauspor-
tées n'existait pas non plus dans les Alpes occidentales avant le redres-
sement des couches de la chaîne principale des Alpes.
Si la cause que j'ai indiquée précédemment a eu une grande part à La
( 214 )
dont a été produite la dispersion des blocs alpins: les
explications de ce phénomène , qui regardent le trans-
port des bloes comme ayant coïncidé avec le dernier
bouléversement des Alpes, étant sans contredit les plus
vraisemblables.
En effet, il est d’abord certain que le soulèvement de
la chaîne principale des Alpes a eu lieu après le dépôt
des terrains tertiaires subapennins (1). On à de ce fait le
production des courans diluviens, le célèbre torrent de la vallée de
la Bagnes, produit par la rupture subite de la digue de glace qui retenait
un très-petit lac, a dù en présenter, quoique en petit , une image assez
fidèle, et d’habiles observateurs ont en effet été frappés de l’analogie des
eflets qu’il a produits avec ceux des courans diluviens.
On peut encore déduire de ce qui précède que , si les Pyrénées ont
commencé à se couvrir de neige pendant le dépôt de l'argile plastique
et du calcaire grossier, cette neige n’a été fondue subitement dans au-
cune des révolutions de la surface du globe qui sont arrivées depuis
lors. On ne pourrait peut-être pas dire que les Vosges aient de même
élé préservées, depuis leur dernière convulsion , de fontes de neige
instantanées. On y observe en divers points quelque chose d’analogue
au phénomène des blocs transportés.
Si on objectait à ce qui précède que le peu de permanence de la neige
et de la glace les fait sortir du domaine de la géologie, je rappellerais
que les glaces voismes de embouchure des fleuves Lena et Viloui n’ont
pas fondu depuis le redressement des couches de la chaîne principale
des Alpes , époque à laquelle ont cessé de vivre les espèces d’Eléphans
et de Rhinocéros, dont un certain nombre d'individus se sont conservés
dans ces glaces , avec leur poil, leur peau, et leur chair encore man
geable, L'état de conservation presque parfait de ces énormes cadavres
serait une raison de présumer gue la catastrophe qui les a transportés
jusqu’à leur position actuelle , 2 eu lieu pendant l'hiver de notre hémi-
sphère boréal , ce qui supposerait beaucoup plus de force encore à la
cause dont j'ai essayé de faire admettre au moins le concours dans la
production des torrens diluviens des Alpes,
(1) Vovez le Mémoire de M. Léopold de Büch , intitulé : Ueber die
( 15 )
mème génre de preuves que pour le Ventoux, t'est-à-
dire, que les dépôts tertiaires les plus récens sont re-
verbreitung grosser Alpengeschiebe, Annaleu der Phisick und Che-
mie, par M. Poggendorf, t. IX, p. 575 (année 1827).
M. de Buch dit, p. 587 : « Depuis cinq ou six ans j'ai cherché à mon-
« trer par la liaison d’une grande quantité de faits réunis dans un
« grand nombre de montagnes très diverses , que toutes les chaînes de
« montagnes ont été élevées par le porphyre pyroxénique ( mélaphire)
« et par des fluides gazeux très-variés, agissant en même temps que
« lui sur des fentes produites par rupture, comparables à celles qui ont
« recu les filons, feutes qui déterminaient l'extension des chaînes de
« montagnes. Ces fentes puissantes se sont ouvertes à travers les cou-
« ches super-incumbentes du système secondaire qui, par l’action de
« Ja force qui produisait les fentes , a été repoussé sur les côtés, et. en
« même temps élevé d’une manière très-frappante et même considéra-
« blement changé dans sa nature. Les fluides gazeux ne traversaient pas
« seulement les couches de roches primitives qu'ils élévaient de Pinte -
« rieur én hautes montagnes et en chaînes , mais ils traversaient aussi
« les roches fendues du voisinage, et ils les remplissaient de métaux
« et de beaucoup de substances qui paraissent ne s’être oxidées que
« depuis qu’elles sont sorties. Cette apparition et cette élévation des
« chaînes de montagnes primitives ne peuvent avoir eu lieu qu'après le
« dépôt des formations qu'on nomme tertiaires, car celles-ci sont aussi
« élevées , fendues et altérées: Toutes les vallées des pays de montagnes
« résultent des fentes latérales des couches qui étaient élevées, et qui
« par suite étaient étendues sur une surface plus grande qu'elles n’au-
« aient pu embrasser sans se rompre. Ainsi, elles sont contempo-
« raines de l'élévation des montagnes primitives : tout a pris naissance
À
én même temps. »
Voyez aussi le Mémoire dé M. dé Buch, joint à sa carte gologique
du terrain entre le lac d’Orta et éélui de Lugaño, Ænn.-des Sc. nat.,
t XVII, p. 258, ét, relativement aux observations de M. de Buch
citées plus haut, consultez particulièrement sa lettre à M. de Humboldt,
renfermant le tableau géologique de la partie méridionale da Tyrol
(Ann. de Chimie et de Physique, t. XXI, p. 276), et son Mémoire
sur quélqués phénomènes géognostiques que présente la position rela-
tive du porphyre et des calcaires dans les environs du lac de Lugano
(Ann, des Sc, nat. ,t. X ,p. 195).
( 216 )
dressés comme les autres à l'approche de cette chaîne (1).
De plus, les géologues qui se sont occupés, de la
manière la plus approfondie , du transport des blocs de
roches alpines loin de leur gisement originaire, ont con-
sidéré ce phénomène, ainsi que je l’ai déjà indiqué,
comme ayant été lié à celui du soulèvement de la
chaîne. Ces blocs étant répandus sur les dépôts ter-
tiaires aussi-bien que sur les terrains plus anciens, ils
admettaient par là même que le soulèvement avait eu
lieu après le dépôt des terrains tertiaires (2) ; et, comme
nous avons vu ces blocs répandus de même en abon-
dance sur la surface du terrain de transport ancien ,
on voit que, dans la même manière de raisonner, on est
obligé de supposer que le soulèvement a eu lieu après le
dépôt du terrain de transport ancien lui-même.
Si donc, en travaillant à établir que les couches des
Alpes ont subi plusieurs redressemens à des époques et
dans des directions diverses , je me suis écarté de l’opi-
nion des géologues qui se sont occupés de ces questions,
j'ai du moins la saisfaction de ne pas me trouver en
contradiction avec eux quant à la date à laquelle la
chaîne principale, dirigée du Valais en Autriche, a pris
son relief actuel, puisque je suis conduit à admettre que
(1) Voyez les ouvrages déjà cités de MM. Boué et Keferstein , et le
Mémoire de M. Murchison , intitulé : On the relations of the tertiary
and secondary rocks forming the southern flank of the Tyrolese Alps
near Bassano , Philosophical magazine and Annals, juin 1829.
{2) M. Deluc, dans le post-scriptum du Mémoire déjà cité, dit
positivement : « Il résulterait aussi de là que les montagnes primitives
« des Aipes, avec les formes et la hauteur que nous leur voyons, ne
« seraient pas aussi anciennes qu’on l’imagine ordinairement , qu’elles
« seraient même postérieures à la formatiéh des couches de mollasse. »
(217) :
cet événement a eu lieu, pour cette chaîne comme Je
le prouve directement pour le Ventoux , le Leberon ,
la Sainte-Baume, etc., au moment même où les torrens
diluviens ont exercé leurs ravages. J'ajonte seulement
qu'avant ce moment, avant le passage de ces torrens,
un terrain de transport ancien , dont on ne s'était pas
encore occupé , était déjà venu recouvrir la surface des
terrains tertiaires, antérieurement disloqués eux-mêmes
dans une autre direction.
Une série d'observations assez diverses dans leur na-
ture, mais concordantes daus leur résultat , vient de nous
conduire à rapporter à une mème époque de dislocation
une série de crêtes qui s'étendent parallèlement les unes
aux autres dans la partie de l'Europe dont la structure
est la plus compliquée. On doit d’abord remarquer que
cette nouvelle application ajoute encore à la force des
inductions de contemporanéité tirées de la direction pa-
rallèle des chainons de montagnes.
Indépendamment de la grande extension que ces in-
ductions nous ont porté à attribuer aux systèmes de mon-
tagnes dont nous nous sommes précédemment occupés ,
il serait en soi-même assez singulier que la cause,
quelle qu’elle soit, qui a produit sur la surface du globe
un accident aussi considérable que la chaîne principale
des Alpes ; ait limité son action dans un espace compa-
rativement aussi restreint , et nous n'avons surtout aucun
motif pour présumer que cette action ail été précisément
circonscrite dans le champ qui s’est trouvé le plus acces-
( 218 ) |
sible aux recherches des géologues de l’Europe centrale.
Il est donc naturel d'examiner si, en nous éloignant des
montagnes dont la constitution nous est plus où moins
complètement connue , pour nous diriger vers d’autres
dont nous ne connaissons que la position et les traits les
plus généraux de forme et quelquefois de composition ,
nous ne pourrions pas suivre de proche en proche la pro-
longation du groupe que nous venons d'étudier.
En effet, si l’on considère d’abord un globe terrestre
et qu'on suive ensuite sur des cartes plus développées les
détails de sa configuration , on peut remarquer que les
arêtes du mont Pilate (en Suisse), de la chaîne princi-
pale des Alpes, du Ventoux, du Leberon, de la Sainte-
Baume , etc., font partie d’un vaste ensemble de cha-
nons de montagnes qui, répandus à l’entour de la Médi-
terranée, et se prolongeant à une grande distance à
travers le continent asiatique, semblent se lier à la fois
les uns aux autres par leur parallélisme et par la simi-
litude de leurs rapports avec les cours d’eau actuels et
avec les grandes dépressions du sol remplies par les
eaux des mers ou peu élevées au-dessus de leur surface.
D'après les observations que M. Cambessèdes a eu la
complaisance de me communiquer, tout annonce que,
dans l’île de Majorque, la direction de la stratification
est à peu près réprésentée par une ligne tirée le long de
la côte N.-0., du cap Formenton au cap Lebèche,
ligne qui passe très-près des plus hautes sommités. Cette
ligne serait en même temps à peu près parallèle à celle
qui terminerait l’Archipel des Baléares du côté du
S.-E., en passant au sud des îles de Minorque, de
Majorque et d’Iviza , le plus près possible des îlots de
(219 )
Ayre, de Cabrera et de Formentera , et qui irait joindre
le cap Palos près Carthagène, sur la côte d'Espagne. On
peut dire que la moyenne des deux directions très-
voisines que je viens d'indiquer, représente celle qui
domine dans les Baléares, et que cette direction est
sensiblement parallèle à celle des accidens du sol, qui
forment aujourd’hui les traits les plus caractéristiques
du littoral de la Méditerranée, entre Gênes et l’embou-
chure du Rhône. En eflet, des parallèles à ces direc-
tions , tirées à travers la Provence, seraient comprises
entre les directions légèrement obliques entre elles, dont
on est obligé de prendre la moyenne pour avoir ce qu’on
peut appeler la direction générale des -accidens qui la
traversent de l'E. + N.-E. à l'O.: S. O. Aïnsi, comme
je l'ai indiqué ailleurs (1), la chaîne des Baléares parait
ne différer de celles de la Provence , auxquelles elle
ressemble par sa composition minéralogique , que pare
qu'elle est en partie sous-marine.
La direction dont je viens de parler domine, comme
Va fait voir M. Bory de Saint-Vincent, dans une grande
partie de l'Espagne et du Portugal. Les hautes montagnes
du royaume de Grenade présentent un grand nombre de
chainons et de vallées qui courent dans la direction, et
presque dans le prolongement des îles Baléares, Cette
mème direction se reproduit dans la Sierra -Morena ,
dans les montagnes de Tolède et de Guadarama, et dans
plusieurs parties des vallées de la Guadiana , du Tage et
du Duero. La Notice lue à la Société de Gœttingue par
M. le professeur Haussmann, à son retour du voyage
(x) Note sur la Constitution géologique des îles Baléares, Ænnales
des Sciencee naturelles ,t, X , p. 423.
(L 20)
qu'il a fait en Espagne en 1829 , ne laisse aucun doute
sur le parallélisme des principaux accidens du sol de la
Péninsule, et sur le contraste de leur direction avec
celle des Pyrénées.
Dans le nord de l'Afrique, le sol de la Barbarie pré-
sente plusieurs séries d’accidens qui se croisent dans dif-
férentes directions , dont l’une , comme je lai déjà in-
diqué plus haut, est parallèle à celle du système pyrénéo-
apennin , et dont une autre ne s'éloigne que légèrement
de la direction des Alpes occidentales. Au milieu de ces
divers accidens , les chaînons de montagnes les plus éle-
vées , ceux qui se coordonnent le plus directement à la
direction des vallées longitudinales et des côtes de la
mer, et auxquels s'appliquent spécialement les noms de
petit et de grand Atlas, courent dans des directions très-
sensiblement parallèles à celle qui domine dans les îles
Baléares et en Espagne , et à celle des différens chaînons
de montagnes qui traversent la basse Provence, de
l'O. ; S.-O.à l'E. : N.-E.
Si on pouvait prolonger vers l’'E.-N.-E., par une suite
de jalons, la direction de celle des branches de l’Atlas
qui vient mourir au nord de Tunis, elle traverserait la
Sicile à peu de distance de sa côte septentrionale, et à
très-peu près suivant l’axe de la chaîne qui s'étend du
val Mazzara vers Messine. Plus loin elle traverserait la
Calabre parallèlement à beaucoup d’accidens du sol du
royaume de Naples , tels que la chaîne calcaire qui , de
l'ile de Caprée et du cap della Campanella, se dirige
vers l’E.-N.-E. Cette même ligne passerait au nord de
la Grèce parallèlement au rivage septentrional de la mer
de l’Archipel, à la chaîne du Balkan et à quelques-uns
( 221 )
’
des chaînons de montagnes de la Transylvanie. Elle tra-
verserait ensuite l’Asie-Mineure dans une direction paral-
lèle à la direction générale de ses côtes septentrionales
et méridionales , et à celle de la plupart des chaînons de
montagnes et des vallées longitudinales qui sillonnent
son sol dans toute son étendue; direction qui tranche
si nettement avec celle des chaînes de la Grèce, qui
forment le rivage opposé à la mer de l’Archipel , mais
qui se retrouve dans la partie orientale de l’île de Candie.
La direction dominante des accidens du sol de l’Asie-
Mineure semble être principalement déterminée par
celle de la chaîne du Taurus, qui borde la côte de la Mé-
diterranée , et ensuite les déserts de ia Syrie et les plaines
de l'Euphrate , depuis les côtes qui font face à l’ile de
Rhodes jusque dans le Kurdistan , et qui est parallèle à
la chaîne centrale porphyrique et la plus élevée du Cau-
case (1), dont la direction est bien distincte de celle
(1) Voyez, sur la carte de M. Klaproth, la disposition de cette
chaîne, qui se prolonge de l'O. à VE. à travers la vaste réunion de mon-
tagnes souvent dirigées dans le sens des Pyrénées, qui composent le
vaste massif du Caucase, dont on sait que l’Elburz, qui s’élève sur
cette crête si distincte, est la cime la plus haute.
M. Kupfer, dans la lettre qu'il a écrite à M. Arago, à la suite de
son ascension sur l’Elburz ou l’Elbroutz, en juillet 1829 , donne une
idée de l'aspect que présente la chaîne centrale du Caucase, observée
d’une station haute de 14,000 pieds. Cette chaîne centrale est entière-
ment formée de porphyre. Figurez-vous un plateau de 8 à 10,000 pieds
d’élévation , allongé dans la direction de l’est à l’ouest , déchiré dans
tous les sens par des vallées étroites et profondes, traversé au milieu ,
et selon sa longueur, par une crête de rochers escarpés qui présentent
un aspect pittoresque, et dont les sommets sont couverts d’une neige
éternelle ; formez sur cette crête, à peu près à moitié de sa longueur,
une excavation très-large et peu profonde, dont le milieu soit occupé
par un cône qu'on croirait entièrement composé de neige si lon ne
( 298 )
de beaucoup de rameaux qui s'y rattachent, tels que
celui qui court sur la côte de la mer Noire , au nord-est
de l’Abasie.
Les diverses chaînes parallèles entre celles de l'Asie-
Mineure et celles du Paropamissus de lIndou-kosh et de
l’'Hymâlaya , forment, d’après les cartes les plus récen-
tes , une série de grands chaînons tous à peu près paral-
lèles à la direction de l'Atlas, supposée prolongée par
une suite de jalons.
Il existe un rapport de disposition difficile à méconnai-
tre entre la situation de l’Hymälaya au nord des plaines
du Gange et celle de la chaîne principale des Alpes au
nord des plaines du P6. Les cours d’eau qui s’échappent
de l’une ou l’autre chaîne de montagnes s’infléchissent
de la même manière dans la contrée basse qui la borde
pour tomber les unes dans le Gange comme les autres
dans le P6 ; ce qui semble indiquer que la première plaine
doit être, comme la seconde , formée par une vaste al-
luvion descendue des montagnes voisines. Le système
géologique de la presqu’ile occidentale de l'Inde s'élève,
au midi des plaines du Bengale , à peu près comme celui
des Apeñnins au midi des plaines de la Lombardie; et
on pourrait, par suite de cet ensemble de rapports, re-
marquer des analogies de situation géographique et
commerciale entre Milan et Dehly, entre Venise et Cal-
cutta , entre Ancône et Madras, entre Gênes et Bombay.
Les rapports que je signale deviendraient plus frappans
encore, si le cours de l’Indus, étant barré par des mon-
voyait par-ci par-là paraître à uu le roc qu’elle recouvre: c’est PEI-
broutz, dont la hauteur surpasse de 3 à 4,000 pieds celle de toutes les
montagues environnantes.
( 225 )
tagnes comparables en position à celles qui vont de Gênes
au col de Tende, les eaux de ce fleuve et celles de la
rivière Setlej et de ses autres affluens étaient obligées
de franchir le seuil peu élevé qui les sépare de la
grande vallée du Gange. Toutefois, pour compléter la
similitude , il faudrait retrouver au pied sud de PHy-
mâlaya, des lacs comparables à ceux de la Lombardie.
Mais si les lacs manquent, les traits de ressemblance
qu'ils dévoileraient ne manquent pas entièrement. Les
lacs de la Lombardie remplissent des dépressions paral-
lèles à la direction des Alpes occidentales, coupée sous
un angle de 45° à 50° par celle de la chaîne principale
des Alpes ; et M. de Humboldt a depuis long-temps com-
paré l'angle que présentent la direction de l'Hymâlaya
et celle du Belour-Tagh, qui se trouve plus au nord
dans Ja Fartarie, à l'angle qué présentent nos Alpes à
la hauteur du Mont-Blanc (1).
On voit donc que certaines considérations accessoires
viennent déjà se joindre à l’irduction tirée de la confor-
(1) Voyez les Mémoires de M. de Humboldt sur les montagnes de
l’inde, Annales de Chimie et de Physique, t. NL, p. 297, et t. XIV,
p. 5. |
Quand on cousidère sur un globe les directions des principales iné-
galités de la terre, on pourrait être porté à croire que le Belour-Tagh ,
les accidens qui semblent en prolonger la direction dans les déserts de
la Perse à l’ouest de l’Indus, et la chaîne des monts Lupata, qui borde
la côte d'Afrique du cap Guardafui au cap de Bonne-Espérance , paral-
lèlement au canal de Mozambique et à l'ile de Madagascar, forment un
système unique et comparable à ceux dont nous nous sommes occupés.
Ce système, s’il correspond réellement à une époque unique et dis-
tincte, ne saurait être d’une date très-ancienne, si l’on s’en rapporte à
la liaison remarquable qu’il présente avec la distribution encore sub-
sistante des contineus et des mers.
( 224 )
mité de direction pour faire regarder PHymälaya et la
chaîne principale des Alpes (du Valais en Autriche)
comme étant deux élémens d'un vaste système de sillons
saillans qui se seraient produits dans l'écorce minérale
du globe terrestre au moment où se sont redressées les
couches du terrain de transport ancien des environs de
Mezel (Basses-Alpes ), et avant le passage des courans
qui ont laissé tant de traces de leur action dans la plu-
part des vallées des Alpes, et particulièrement dans
celles de la Durance, de l'Isère et du Rhône.
CONCLUSION.
Vouloir attribuer à des modifications lentes et progres-
sives la totalité des changemens qui sont survenus sur la
surface du globe , méconnaître les traces des révolutions
subites qui sont venues presque périodiquement renou-
veler l’état de cette surface , ce serait supprimer un des
traits les plus importans et les plus frappans à la fois de
son histoire.
Tout semble de plus en plus conduire à diviser
les faits que les terrains de sédiment présentent à notre
observation , en deux classes distinctes ; l’une com-
prenant les faits relatifs à la marche tranquille ei pro-
gressive qu'a suivie l'accumulation de chacun des dépôts
de sédiment, et l’autre renfermant les faits relatifs aux
interruptions subites qui ont établi des lignes de démar-
cation entre les divers dépôts consécutifs. Après avoir
fait, pour ainsi dire, la part des phénomènes violens et
passagers , on aperçoit plus facilement l’analogie que pa-
raissént avoir présenté , avec les phénomènes de la pé-
(2459
riode actuelle (1), ceux qui se sont répétés sur la surface
du globe pendant les différentes périodes de tranquillité
qui s’y sont succédées.
La cause des phénomènes passagers que je viens de rap-
peler n’est entrée pour rien dans l’objet de mon travail
actuel : les questions que je me suis proposé de résoudre
n'étaient que des questions d’époques et de coïncidences
de dates. Les résultats auxquels je suis parvenu , relati-
vement aux époques auxquelles plusieurs systèmes de
montagnes ont recu les traits printipaux de leur forme
actuelle , sont absolument indépendans de toute hypo-
thèse relative à la manière dont ils ont recu cette forme.
En admettant mes résultats, on resterait libre, à la ri-
gueur, de choisir entre l'hypothèse de Deluc, qui expli-
quait le redressement des couches par l’affaissement
d’uue partie de l'écorce du globe , et l’hypothèse géné-
ralement admise par les plus célèbres géologues de
notre époque, et qui consiste à supposer que les couches
secondaires qu'on trouve redressées dans les chaînes de
montagnes , l'ont été par le soulèvement des masses de
roches primitives, qui constituent généralement leur
axe central et leurs principales sommités.
IT me semble, du reste, que la ressemblance mutuelle
des diflérens systèmes qu’on parvient à former en grou-
(x) Mentionner cette analogie, c’est rappeler aux géologues les im-
portans travaux qui l’ont mise pleinement en lumière , et particulière-
ment ceux de M. C. Prévost ( voyez , dans le tome IV des Mémoires de
la Soc. d’'Hist. nat. de Paris , la Dissertation de M. C. Prévost sur
cette question : Les continens actuels ont-ils été à plusieurs reprises
submergés par la mer ?), et les travaux plus récens de M, Lyell, dont
l’ouvrage, encore inédit , est cependant déjà en partie connu eu France
par les communications amicales de l’auteur.
xx 15
( 226 )
pant les chaînes de montagnes d’après les dates de leur
apparition , se trouve plus particulièrement en rapport
avec la similitude de structure des chaînes de montagnes
comparées entre elles , qui est devenue si frappante par
les savantes re cherches de M. Léopold de Buch.
Les résultats auxquels je suis parvenu , sur la coïnci-
dence de l'apparition de certains systèmes de montagnes
avec les révolutions successives de la surface du globe et
avec le renouvellement presque périodique de la popu-
lation animale et végétale de chaque contrée, s’éloignent
à la vérité de la supposition que toutes les chaines de
montagnes se seraient élevées en mème temps; mais ces
mèmes résultats n’ont rien de contraire à la partie de
cette supposition qui se déduit, je crois, le plus directe-
ment d'observations posilives ; savoir que chaque chaînon
de montagnes, convenablement circonscrit, présente,
malgré la diversité des roches qui peuvent entrer dans
sa composition , un tout unique qui a pris son relief ac-
tuel en un moment, et, pour ainsi dire, d’un seul
coup. ;
D'un autre côté, mes résultats s’éloignent aussi et
peut-être plus encore de la supposition d’un nombre
presque illimité de soulèvemens partiels arrivés à des
époques réparties sans règle fixe dans toute la durée des
périodes géologiques : supposition qui semblerait entrai-
ner l’idée d’un défaut complet d'ensemble dans les
directions des couches redressées; mais , en montrant
que des systèmes de montagnes de dates et de directions
diverses se coupent et se pénètrent mutuellement , mes
résultats semblent expliquer comment on a souvent occa-
sion d'observer, dans une contrée très-circonscrite, et,
227 )
pour ainsi dire, dans un même point, des traces de
plusieurs soulèvemens, et comment on à pu par suite être
conduit à croire que le nombre des phénomènes de ce
genre aurait été beaucoup plus considérable qu'il n’a
été en réalité. Peut-être la manière de grouper les faits,
à laquelle j'ai été conduit, finira-t-elle par paraître
s’accorder également bien avec ce qui, dans les deux
manières de voir opposées que je viens de rappeler,
dérive le plus directement de l’observation (r).
Si on recherche ce que peuvent avoir de commun les
montagnes dans lesquelles on reconnaît que les couches
ont été redressées à une même époque, on ne trouve
pas toujours ce lien commun dans une nature parti-
culière des roches non stratifiées, qui peuvent en former
les noyaux; mais on est bientôt conduit à remarquer une
certaine constance dans la direction des couches redres-
sées, et dans celle des crêtes que ces couches consti-
(1) Je n'aurai sans doute accompli que très-imparfaitement le désir
que j'avais en commençant , d'appuyer les idées que j’expose dans ce
Mémoire par la citation de tous les passages dans lesquels différens
auteurs ont dit plus ou moins explicitement que telle ou telle montagne,
telle ou telle chaîne s’est soulevée avant ou après telle ou telle époque
géologique. Le temps m’a manqué pour achever les recherches que com-
portait cette tâche ; mais, pour mettre le lecteur sur la voie d’y sup-
pléer, je crois devoir rappeler ici l’énumération d'auteurs qui se
trouve daus les dernières pages da Mémoire ‘déjà cité de M. Boué,
imprimé dans le Zeitschrift de M. Leonhardt (juillet 1827, page 125).
On trouvera en outre plusieurs indications de passages, et même de faits
de ce genre , dans les nombreux articles insérés par M. Boué dans le
Bulletin de M. de Férussac. On peut aussi consulter à cet égard le
Mémoire de M. Desnoyers, imprimé dans les Annales des Sciences
naturelles , tome XVI , p. 1791 et 4o2, et les citations nombreuses et
istructives dont il est accompagné.
( 228 )
tuent, et on se trouve ainsi ramené au mode de distine-
tion que M. Léopold de Buch a depuis long-temps établi,
comme je l’ai rappelé en commençant , entre les diffé-
rentes montagnes de l'Allemagne.
Le nombre limité, la distinction tranchée de ces di-
rections, la propriété qu’elles ont de se croiser sans se
confondre , sont importantes à remarquer , en ce que,
abstraction faite de toute autre considération, elles s’ac-
cordent mieux avec l’idée que chaque système de mon-
tagnes, caractérisé par une certaine direction, a été pro-
duit d’un seul jet entre deux périodes de tranquillité,
qu'avec celle d’une série presque indéfinie de soulève-
mens partiels qui se seraient succédés pendant toute la
durée des temps auxquels remontent les observations
géologiques.
C’est en quelque sorte un garant d’exactitude pour
mes recherches de- voir leurs résultats se rattacher à un
fait aussi important et aussi connu que celui de la con-
stance de la direction des couches dans de grandes éten-
dues de pays, et de la variation subite de cette direction
d'une contrée à une autre , et ne pas emprunter d’autre
intermédiaire pour se lier aux traits les mieux dessinés
des formes de nos continens.
La forme des continens dépend, en effet , d’une ma-
nière évidente, de celle des chaînes de montagnes qui
les traversent. L'Europe, quelque compliquée que soit
sa structure , comparée à celle d’autres grandes contrées,
en offre un exemple frappant. Sa forme générale est celle
d’une pointe qui s’avance dans les mers, du N.-E. au
S.-O, depuis l’Oural ei le Caucase jusqu'aux côtes occi-
dentales et méridionales du Portugal et de l'Espagne.
(29) sv
Il est vrai que , pour des rapports de ce genre, la li-
mite fournie par une coupure aussi étroite et aussi acci-
dentelle que le détroit de Gibraltar, a quelque chose d’as-
sez précaire ; mais on doit remarquer que la disposition
angulaire dont il s’agit se présente d’une manière encore
plus marquée peut-être, lorsque, comprenant avec
l'Europe les contrées montueuses de l’empire de Maroc
et de la Barbarie, on substitue comme limite à la Médi-
terranée cette vaste mer de sable qui, sous le nom de
grand désert de Sahara, va se lier aux déserts de l'Arabie
et de la Perse, et par eux aux plaines basses du haut
Indus et du Bengale.
La plupart des systèmes de montagnes que nous avons
considérés dans cette extrémité occidentale du grand
massif asiatique, courent , sinon du N.-E. au S.-0O.,
du moins vers des points de l’horizon compris entre l'O.
etle S., et plus ou moins rapprochés de la direction
h. 3—4 de la boussole de Freyberg , qui , comme M. de
Humboldt la remarqué dès 1792, est la moyenne
des directions les plus fréquentes en Europe. La ligne
N.-E.—S.-0O., qui partagerait en deux parties égales
l'angle formé par les deux côtés de cette pointe , est pa-
rallèle à la direction du système de l’Erzgebirge, de la
Côte-d'Or et du Pilas, et divise aussi en deux parties à
peu près égales l’angle formé par les directions du sys-
tème des Alpes occidentales et du système de la chaîne
principale des Alpes , systèmes les plus récens de l’Eu-
rope , et qui sont, pour ainsi dire , les deux axes prin-
cipaux auxquels se lient les traits les plus saillans de
sa forme. La direction des Pyrénées , à laquelle se rat-
tachent les principales dentelures des côtes de la Médi-
( 230 )
terranée, forme l’anomalie la plus considérable qu'on
puisse signaler dans cette disposition. Cette anomalie ne
pouvait échapper aux vastes et profondes recherches
auxquelles M. de Humboldt s’est livré depuis la pre-
mière émission des idées qu'il avait d’abord rattachées
à l'expression de loxodromisme des formations, idées
dont la poursuite a contribué, comme il nous l’apprend
lui-même, à l’attirer, 1l y a trente ans, vers les régions
équinoxiales du nouveau continent. Plus d’une fois cet
illustre voyageur a eu la bonté de me faire remarquer
cette différence de direction , aussi-bien que celle qui
existe entre la direction des Alleghanys et celle des
Andes, et la dissemblance que présentent les parties
méridionales de cette dernière chaîne et les montagnes
du Brésil.
Ainsi , les idées qui se rattachent aux directions des
couches et des montagnes, de même que celles qui déri-
vent de la distinction rigoureuse des populations dont
les débris sont enfouis dans les sédimens successifs, sont
depuis un grand nombre d'années en possession de fixer
l'attention des esprits les plus éminens , et j'espère
que ce motif servira d’excuse pour le nombre des détails
souvent minutieux que jai cru nécessaire d’accumuler,
en essayant de présenter quelques vues sur une liaison
long-temps inaperçue entre des objets qui en eux-mêmes
seraient de beaucoup au-dessus de mes forces.
Si le résultat général de mon travail était exact (et il
pourrait l'être encore quand même un examen plus
approfondi viendrait à changer quelques-uns des résul-
tats partiels de l’ensemble desquels il me paraît se
déduire), on pourrait exprimer brièvement , en disant
( 231 )
que l’INDÉPENDANGE DES FORMATIONS (1) de sédiment est
une conséquence et une preuve de l’INDÉPENDANCE DEs
SYSTÈMES DE MONTAGNES DIVERSEMENT DIRIGÉS.
Je crois inutile de récapituler, autrement que par la
table des matières qui terminera ce Mémoite, les révo-
lutions de la surface du globe dont je me suis occupé,
et les systèmes de montagnes avec lesquels j'ai cru les
trouver en rapport.
Quand mème les recherches dirigées vers ce but au-
raient été poursuivies pendant long-temps, il serait difli-
cile que le nombre des connexions de ce genre qu’on
aurait reconnues présentàt quelque chose de fixe et de dé-
finitif. Outre les quatre coïncidences auxquelles j’ai con-
sacré les quatre chapitres de ce Mémoire, j'en ai ensuite
indiqué d’autres dans les notes qui y sont ajoutées ; et ces
premiers résultats , s’ils sont exacts, ne seront peut-être
encore que la moindre partie de ceux qu'on peut pré-
voir lorsqu'on considère combien d’autres interruptions
présente la série des dépôts de sédiment, et combien
d’autres systèmes de montagnes hérissent la surface du
globe.
Plusieurs indications d'interruption dans la série des
dépôts de sédiment , ne sont peut-être si peu marquées ,
dans les parties connues de l’Europe , que parce que les
systèmes de montagnes auxquels elles correspondent n’y
envoient aucune ramification considérable.
(r) Cette expression , non moins heureuse que celle d’horizon géo-
gnostique, a été de même introduite dans notre langue par M. de
Humboldt. ( Voyez, dans le Dictionnaire des Sciences natarelles,
l’aiticle INDÉPENDANCE DES FORMATIONS , réimprimé sous le titre d’Æs-
sai gévgnostique sur Le gisement des roches dans les deux hémi-
\
LPS
sphères, }
( 252)
L'apparition d’une chaine de montagnes , qui, à en
juger par quelques-uns des résultats que j'ai cités, a
produit dans les contrées voisines des effets si violens ;
à pu au contraire n'influer sur des contrées 1rès-loin-
taines que par l'agitation qu’elle a causée dans les eaux
de la mer, et par un dérangement plus où moins grand
dans leur niveau ; événemens comparables à l’inonda-
tion subite et passagère, dont on retrouve l'indication
à une date presque uniforme dans les archives de tous
les peuples (1).
Mais si le nombre des révolutions de la surface du
globe et des systèmes de montagnes réellement distinets
est encore indéterminé, si la série formée par ces termes
successifs n’est encore que très-imparfaitement connue ,
les observations déjà faites circonscrivent pourtant déjà
entre certaines limites la loi qui, lorsqu'ils seront tous
complètement connus, pourra se manifester dans leur
succession. Par cela seul que la hauteur actuelle du Mont-
Blanc ei du Mont-Rose ne date que des dernières révo-
lutions de la surface du globe, il est visible que, quelle
que soit la place définitive que viendront occuper dans la
mème série d’autres montagnes plus hautes encore, cette
série ne prendra jamais cette forme longuement et régu-
lièrement décroissante , qui conduirait directement à
(x) Si cet événement historique n’était autre chose que la dernière
des révolutions de la surface du globe, on serait natureliement con-
duit à demander quelle est la chaîne de montagnes dont l'apparition
remonte à la même date, et peut-être serait-ce le cas de remarquer que
la chaîne des Andes, dont les soupiraux volcaniques sont encore géné-
ralement en activité, forme le trait le plus étendu, le plus tranché , et
pour ainsi dire le moins effacé de la configuration extérieure actuelle
du globe terrestre.
(26371
conclure que la limite est atteinte, et que des phénomènes
dont les derniers paroxysmes ont produit de tels effets
ne se renouvelleront plus. Quelque provisoire que
soit la succession de termes qui résulte de ce Mémoire,
il est diflicile d’y prévoir une modification qui change
son aspect au point de porter à supposer que l'écorce
minérale du globe terrestre ait perdu la propriété de se
rider successivement en diflérens sens, et de permettre
d'assurer que la période de tranquillité dans laquelle
nous vivons ne sera pas troublée à son tour par l’appa-
rition d’un nouveau système de montagnes , effet d’une
nouvelle dislocation du sol que nous habitons , et dont
les tremblemens de terre nous avertissent assez que les
fondemens ne sont pas inébranlables.
On peut d'autant moins donner cette assurance , que
rien n'indique que les systèmes de montagnes les plus
récens le cèdent plus aux autres én étendue et en régu-
larité qu’en hauteur. Suivis aussi loin que possible par
tous les moyens d'observation et d’induction qui se sont
présentés à nous , tous ont également paru se composer
d'un ceriain nombre de chaînons rangés parallèlement à
une demi-circonférence de la surface du globe. En exa-
minant ces divers systèmes les uns après les autres,
abstraction faite des détails , on croirait voir autant d’ap-
plications différentes d’une même formule dans laquelle
on ferait varier à la fois le temps et la direction , autant
d'effets distincts d’un même phénomène naturel succes-
sivement répété.
Si jamais une étude prolongée, après avoir suivi ce
grand phénomène dans tous ses résultats, venait à faire
connaître d’une manière complète et rigoureuse les rap-
ports d'âge qui paraissent exister entre les étages succes-
(234)
sifs des terrains de sédiment et les différentes chaînes de
montagnes qui sillonnent la surface du globe dans des
directions si diverses , il resterait sans doute encore à
faire le calcul des temps écoulés pour qu’on püt se flatter
d’avoir rempli le vœu exprimé par Buffon, il y a cin-
quante ans (1), de « fixer quelques points dans l’im-
« mensité de l’espace, et de placer un certain nombre
« de pierres numéraires sur la route éternelle du
« temps: » mais du moins on serait à même de donner
un cadre assez simple à la table des matières d’une
partie de la géologie. La table suivante expliquera mon
idée, en même temps qu'elle permettra de retrouver
plus aisément, dans cinq Numéros successifs des Anna-
les , les objets dont je me suis occupé. On sentira aisé-
ment combien il serait facile de mettre cette table en
rapport avec un tableau général des formations de sédi-
ment , analogue à celui qui a été publié récemment par
M. de la Bèêche.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES OU INDIQUÉES DANS CE MÉMOIRE.
ConsrDÉrATIONS PRÉLIMINAIRES. ‘T. XVIII, p. 5
1) Révolution de la surface du globe qui est arri-
vée entre le dépôt des couches appelées exclusi-
vement de transition et le dépôt de la série
houillère (Old-red-sandstone, mountain limes-
tone, coal measures). Le redressement des
couches de quelques parties des Vosges , de
{1) Epoques dela nature, p. 1.
( 2861}
quelques-unes des collines du Bocage (Calva-
dos ), et de certaines parties de l’Angileterre ,
a eu lieu dans cette révolution. (Note (1).)
Tome XVIII, page 313
2) Révolution de la surface du globe qui est arri-
vée entre la période du dépôt de la série houil-
lère et la période du dépôt du grès rouge des
Vosges. — Le redressement des couches du sys-
ième des Pays-Bas a eu lieu dans cette révolu-
ion. { Note.) 313
3) Révolution de la surface du globe qui est arri-
vée entre la période du dépôt du grès rouge des
Vosges et la période du dépôt du grès bigarré ,
du muschelkalk et des marnes irisées. Les failles
qui ont donné naïssance à la falaise orientale
des Vosges , et aux autres traits distinctifs du
système du Rhin, se sont produites dans cette
révolution. ( Note. ) 312
4) Révolution de la surface du globe qui est arri-
(1) La plupart des notes dont ce Mémoire est accompagné ont été
ajoutées depuis l’époqne où MM. Brouguiart, Brochant et Beudant en
ont rendu compte à l’Académie, et le corps du Mémoire a recu lui-
même depuis lors de nombreuses additions qu’il n'a pas été possible
de distinguer. Le Rapport de M. Brongniart a été imprimé dans les
Annales de Chimie et de Physique, tome XLIT, page 284 (novembre
1 829):
( 236)
vée entre la période du dépôt du grès bigarré ,
du muschelkalk et des marnes irisées , et la
période du dépôt du terrain jurassique (lias et
calcaire oolithique). == Le redressement des
couches d’un système de montagnes dont font
partie les côtes S.-O. de la Bretagne, la Vendée,
le Morvan , et probablement aussi le Thürin-
gerwald et le Bœmerwald-Gebirbe, a eu lieu
dans cette révolution. (Note.) T.XVIIH,p. 31:
5) Révolution de la surface du globe qui est arri-
vée entre la période du dépôt du calcaire juras-
sique et celle du dépôt du grès vert et de la
craie. Le redressement des couches d’un sys-
tème de montagnes qui comprend l’Erzgebirge,
la Côte-d'Or et le mont Pilas , a eu lieu dans
cette révolution. ( Chap. I.) 9
Côte-d'Or. II
Erzgebirge. 15
Mont Pilas. 16
Vallées longitudinales du Jura. 18
Côte septentrionale de la Bretagne, et Coten-
tin. (Note.) Sa2
( C’est principalement en combinant les résultats des im-
portantes observations faites en Ecosse par MM. Murchison
et Sedgwick avec la considération de la direction qui domine
dans les Highlands, que j'ai eru pouvoir, dans la Planche 1ü,
rapprocher les montagnes du nord de la Grande-Bretagne
du système qui a pris son relief actuel entre le dépôt du sys-
tème jurassique et celui du système crayeux. )
( 237 )
6) Révolution de la surface du globe qui est arri-
vée entre la période du dépôt de la craie et la
période du dépôt des terrains tertiaires. — Le
redressement des couches d’un système de mon-
tagnes qui comprend les Pyrénées et les Apen-
ins, a eu lieu dans cette révolution. (Chap. Il.)
T. XVII, p.
Pyrénées.
Provence.
Apennins.
Dalmatie.
Grèce.
Carpathes.
Harz.
Dénudation du Bas-Boulonnais et des Wealds
de Kent , de Sussex et de Surrey.
Conjectures sur les Gates.
— sur les Alleghanys.
7) Révolution de la surface du globe qui est arri-
vée entre le commencement et la fin des dépôts
tertiaires. — Le redressement des couches d’un
système de montagnes qui comprend les îles de
Corse et de Sardaigne, le Liban (?), l'Ou-
ral (??), etc. , a eu lieu dans cette révolution.
(Note. )
8) Révolution de la surface du globe qui est arri-
284
286
288
297
302
305
306
310
312
319
320
306
( 238 )
vée entre la période du dépôt des terrains ter-
tiaires et la péricde du dépôt des terrains qu’on
appelle d’atterrissement , de transport ou d’al-
luvion. — Le redressement des couches de la
partie occidentale des Alpes (de Marseille à
Zurich)a eu lieu dans cette révolution. (Ch. IIL.)
T. XVII, p.
Faits observés en Dauphiné et en Savoie.
— en Provence.
— en Suisse.
Conjectures sur les Alpes scandinaves.
— sur les montagnes du N.-O. de l'Afrique.
— sur la Cordilière littorale du Brésil.
9) Révolution de la surface du globe qui est arri-
vée pendant la durée du dépôt des terrains
qu'on appelle d’atterrissement , de transport ou
d’alluvion. — Le redressement des couches :
d'un sysième de montagnes qui comprend les
chaînes du Ventoux, du Leberon et de la Sainte-
Baume (en Provence), et la chaîne principale
des Alpes (du Valais en Autriche), a eu lieu
dans cette révolution (Chap. IV.) T. XIX.
6 I. Description du terrain d’atterrissement Île
plus ancien des vallées de l'Isère, du Rhône,
de la Saône et de la Durance. Preuve qu'il a été
déposé depuis le redressement des couches se-
condaires et tertiaires de la partie occidentale
des Alpes.
326
327
373
400
406
zx
415
( 239 )
$ IL. Description du second terrain de transport
des vallées de la Durance, du Rhône et de l’I-
sère { Diluvium de quelques géologues ).
T. XIX, p.
STE. Mise en rapport de la discontinuité qui existe
entre les deux terrains de transport des vallées
de l'Isère , du Rhône , de la Saône et de la Du-
rance, avec le redressement des couches d’un
système de montagnes dont font partie les chaî-
nes du Ventoux, du Leberon, de l'Étoile et
de la Sainte-Baume (en Provence), et la chaine
principale des Alpes (du Valais en Autriche ).
Mouvement général du sol, dont on reconnaît les
traces dans les vallées de la Saône , du Rhône
et de la Durance, et dans une partie considé-
rable de la France.
Dislocation des couches du terrain de transport
ancien près de Mezel (Basses-Alpes ).
— Mont Ventoux et autres petites chaînes de la
Provence.
— Chaîne du Pilate et des deux Myten en Suisse.
— Chaîne principale des Alpes.
— Son influence sur les résultats des opérations
géodésiques. (Note. )
Incertitude de la cause des phénomènes diluviens.
(Note. )
Conjectures relatives aux îles Baléares et à l’Es-
pagne.
— à l’Atlas, à la Sicile, au Balkan, à la Tran-
sylvanie.
go
i
( 240 )
Conjectures relatives à l’Asie-Mineure , au Tau-
rus , à la chaîne centrale porphyrique du Cau-
case. T. XIX, p. 221
— à l’'Hymâlaya. 16.
10) Déluge historique. — Apparition de la Cor-
dilière des Andes ?? (Note. ) 232
Conciuston. 294
(Il m'a semblé que l’ensemble des résultats réunis dans cette table
des matières deviendrait plus facile à saisir, si on en donnait une sorte
de récapitulation graphique. C’est ce que j'ai essayé de faire dans la
Planche ITZ, intitulée : FssAr D'UNE COORDINATION DES AGES RELATIFS
DE CERTAINS DÉPÔTS DE SÉDIMENT ET DE CERTAINS SYSTÈMES DE MON-
TAGNES, AYANT CHACUN LEUR DIRECTION. On y « figuré tous les systèmes
de montagnes dont je me suis occupé, tant ceux qui forment l'objet de
chapitres spéciaux , que ceux qui ne sont encore indiqués que dans des
notes. Ils sont placés de gauche à droite, dans l’ordre des dates de leur
apparition , et cet ordre est justifié dans le dessin méme par l'indication
des formations dont les couches sont sujettes à se trouver, sur les pentes
de chaque système, redressées ou horiontales.)
Nore sur un Charanson de l'Ile-de-France ;
Par M. Dessarnins.
M. Desjardins, croyant celte espèce nouvelle, nous
en a envoyé la description ; mais l’examen que nous en
avons fait nous a montré que c'était le Curculio striga
de Fabricius, qui appartient au genre Menætius de
M. Schœnherr (Catal. de M. Dejean, p. 94 ) ; on le sa-
vait de l'Ile-de-France, mais on ne connaissait rien de
ses habitudes. M. Desjardins , qui l’a observé , nous ap-
prend qu'il a été trouvé, au mois de décembre , en très-
grande quantité, dans les forèts du quartier de Flacq,
sur les tiges des arbrisseaux qui y croissent. Lorsqu'on
veut le prendre, il se blottit et se cache derrière les
feuilles ; mais il ne se laisse pas tomber à terre, comme
le font un grand nombre d'espèces de cette famille.
Cafi)
Cowsipérarions sur les Mollusques, et en
particulier sur les Céphalopodes ;
Par M. le baron Cuvrer.
( Lues à l’Académie royale des Sciences, février 1830. )
Les Mollusques , en général , maïs plus particulière-
ment les Céphalopodes , ont une organisation plus riche,
et où l’on retrouve plus de viscères analogues à ceux
des classes supérieures que dans les autres animaux sans
vertèbres. Ils ont un cerveau , souvent des yeux qui,
dans les Céphalopodes , sont plus compliqués encore que
dans aucun Vertébré ; quelquefois des oreilles; des
glandes salivaires ; des estomacs multipliés ; un foie très-
considérable , de la bile; une circulation complette , et
double ; pourvue d’oreillettes, de ventricules, en un mot
de puissances d’impulsion très-vigoureuses ; des bran-
chies; des organes mâles et femelles très-compliqués ,
et d’où sortent des œufs dans lesquels le fœtus et ses
moyens d'alimentation sont disposés comme dans beau-
coup de Vertébrés.
Ces différens faits résultaient déjà des observations de
Rédi, de Swammerdam, de Monro et de Scarpa , ob-
servations que j'ai fort étendues, appuyées de prépara-
tions nombreuses et dont Je me suis prévalu , il y a main-
tenant trente - cinq ans ; pour établir que des animaux
aussi richement pourvus d'organes ne pouvaient pas être
confondus , comme ils l’étaient avant moi , avec les Po-
lypes et autres Zoophytes dans une seule classe , mais
XIX, — Mars 1830. 16
( 242)
qu'ils devaient en être distingués et reportés à un plus
haut degré de l'échelle , idée qui me paraît aujourd’hui
adoptée d’une manière ou d’une autre par l’universalité
es naturalistes.
Cependant je me suis bien gardé de dire que cette or-
ganisation , approchant, pour l'abondance et la diversité
de ses parties ; de celle des animaux vertébrés , fût com-
posée de même, ni arrangée sur le même plan; aucontraire,
j'ai toujours soutenu que le plan qui jusqu’à un certain
point est commun aux Vertébrés, ne se continue pas chez
les Mollusques ; et, quant à la composition, je n’ai jamais
admis que l’on püt raisonnablement la dire une, même
en ne la prenant que dans une seule classe , à plus forte
raison dans des classes diflérentes. Tout nouvellement
encore , dans le premier volume de mon Histoire des
Poissons , j'ai exprimé mon sentiment à ce sujet, sans
doute avec le ton modéré que les sciences réclament et
avec la politesse qui appartient à tout homme bien élevé,
mais cependant d’une manière assez claire, assez positive,
pour que personne n'ait pu s’y méprendre. Mon opinion
est sous les yeux des naturalistes avec ses preuves ; c’est
à eux qu'il appartient de la juger, et je me serais abs-
tenu, comme je m'en abstiens depuis dix ans , d’en en-
retenir l’Académie , si une circonstance dont elle a été
témoin ne me contraignait de renoncer à une résolution
que me dictaient le désir d'employer plus utilement mon
temps aux progrès de la science, et la persuasion que c'est
par une connaissance plus approfondie des faits que la
vérité en histoire naturelle est plus assurée de se faire
jour.
Deux jeunes et ingénieux observateurs , examinant la
( 245 )
manière dont les viscères des Céphalopodes sont placés
mutuellement, ont eu la pensée qu’on retrouverait peut-
être entre ces viscères un arrangement semblable à celui
qu'on leur connaît dans les Vertébrés , si l’on se repré-
sentait le Céphalopode comme un Vertébré dont le tronc
serait replié sur lui-même en arrière, à la hauteur du
nombril , de façon que le bassin revienne vers la nuque ;
et un de nos sayans confrères, M. Geofiroy Saint-Hilaire,
saisissant avidement cetle vue nouvelle , a annoncé
qu'elle réfute complètement tout ce que j'avais dit sur la
distance qui sépare les Mollusques des Vertébrés ; allant
mème beaucoup plus loin que les auteurs du Mémoire ,
il en a conclu que la zoologie n’a eu jusqu’à présent
aucune base solide, qu'elle n’a été qu’un édifice con-
struit sur le sable, et que sa seule base désormais indes-
tructible est un certain principe qu’il appelle d'unité de
composition, et dont il assure pouvoir faire une appli-
cation universelle.
Je vais examiner la question dans son rapport particu-
lier avec les Mollusques ; dans une suite d’autres Mé-
moires je la traiterai relativement aux autres animaux ;
j'espère le faire avec la même urbanité dont notre savant
confrère a usé avec moi, et comme les écrits qu’il a di-
rigés depuis dix ans contre mamanière de voir n’ontjamais
altéré en rien l'amitié que je lui porte, j'espère qu'il en
sera de mème de ceux par lesquels maintenant je vais
successivement défendre mes idées.
Mais, dans toute discussion scientifique, la première
chose à faire est de bien définir les expressions que l’on
emploie ; sans cette précaution, l'esprit s’égare prompte-
ment; prenant les mèmes mots dans un sens à un endroit
(244)
du raisonnement et dans un sens différent à un autre
endroit , on fait ce que les logiciens appellent des syllo-
gismes à quatre termes, qui sont les plus trompeurs des
sophismes. Que si dans l'exposé de ces mêmes raisonne-
mens, au lieu du langage simple, des mots propres rigou-
reusement exigés dans les sciences, on emploie des méta-
phores et des figures de rhétorique , le danger est bien
plus grand encore ; on croit se tirer d’un embarras par un
trope, et répondre à une objection par une paronomase ;
et, en se détournant ainsi de sa route directe, on s’enfonce
promptement dans un labyrinthe sans issue. Mais, j'en
demande pardon à l’Académie , je vois que je me perds
moi-même dans le langage que je repousse, et je m'em-
presse de revenir à celui que je continuerai de parler
dans le reste de ce Mémoire.
Commençons donc par nous entendre sur ces grands
mots d'unité de composition et d'unité de plan.
La composition d’une chose signifie, du moins dans le
langage ordinaire, les parties dans lesquelles cette chose
consiste , dont elle se compose ; et le plan signifie l’ar-
rangement que ces parties gardent entre elles.
Pour me servir d’un exemple trivial, mais qui rend
bien les idées, la composition d’une maison, c’est le
nombre d’appartemens ou de chambres qui s’y trou-
vent ; et son plan, c’est la disposition réciproque de ces
appartemens et de ces chambres. Si deux maisons con-
tenaient chacune un vestibule , une antichambre, une
chambre à coucher, un salon et une salle à manger, on
dirait que leur composition est la méme; et si cette
chambre , ce salon, etc., étaient au même étage arran-
gés dans le même ordre, si l’on passait de l’une dans
C5)
l’autre de la même manière, on dirait aussi que leur
plan est le méme. Mais si leur ordre était différent , si,
de plain-pied dans une des maisons , elles étaient placées
dans l’autre aux étages successifs , on dirait qu'avec une
composition semblable ces maisons sont construites sur
des plans différens. j
Ainsi la composition d’un animal se détermine sans
doute par les organes qu’il possède , et son plan par la
position relative de ces organes, ou ce que notre savant
con frère appelle leur connexion.
Mais qu'est-ce que l’unité de plan et surtout l'unité de
composition qui doit servir désormais de base nouvelle
à la zoologie? Voilà ce que personne ne nous à encore
dit clairement , et cependant c’est là - dessus qu'il faut
d’abord fixer ses idées.
Un argumentateur de mauvaise foi prendrait ces mots
dans leur sens naturel , dans le sens qu’ils ont en fran-
çais et dans toutes les langues, il prétendrait qu'ils signi-
fient que tous les animaux se composent des mémes
organes arrangés de La méme manière ; et, partant de
là , il aurait bientôt pulvérisé le prétendu principe.
Maïs ce n’est pas moi qui supposerai que les natura-
listes , même les plus vulgaires, aient pu employer ces
mots , unité de composition, unité de plan, dans leur
sens ordinaire , dans le sens d'identité.
Aucun d’eux n’oserait soutenir une minute que le Po-
‘lype et l'Homme aient, dans ce sens, une composition
une , un plan un. Cela saute aux yeux. Unité ne signifie
donc pas , pour les naturalistes dont nous parlons , iden-
tité ; il n’est pas pris dans son acception naturelle , mais’
dit li donne un sens détourné pour signifier ressem -
(246)
blance, analogie. Ainsi, quand on dit qu'il y a entre
l'Homme et la Baleine unité de composition , on ne veut
pas dire que la Baleine ait toutes les parties de l'Homme,
car les cuisses, les jambes , les pieds lui manquent ;
mais seulement qu'elle en a le plus grand nombre. C’est
une expression du genre de celles que les grammairiens
appellent emphatiques. Unité de composition ne signifie
ici que très-grande ressemblance de composition.
De même quand on dit qu’il y a unité de composition
entre l’'Homine et la Couleuvre, qui n’a point d’extré-
mités antérieures et dont les postérieures se réduisent
à de légers vestiges, on veut dire seulement qu'il y a
entre eux une certaine ressemblance de composition ,
déjà moindre qu'entre l'Homme et la Baleine.
Il est évident qu’il y aurait contradiction formelle dans
les termes à appeler une ou identique une composition
qui, de l’aveu même de ceux qui emploient ces mots,
change d’un genre à l’autre.
Ce que je dis de la composition s'applique aussi au
plan. Nous croirions faire injure à ces naturalistes si
nous prétendions que par ces mots, unité de plan, ils
entendent autre chose que ressemblance plus ou moins
grande de plan. Sans cela, il suflirait d'ouvrir devant
eux un oiseau et un poisson pour les réfuter à l'instant.
Or, ces termes extraordinaires une fois définis ainsi,
une fois dépouillés de ce nuage mystérieux dont les enve-
loppe le vague de leurs acceptions, ou le sens détourné
dans lequel on en use, l’on arrive à un résultat bien
inattendu sans doute, car 1l est directement contraire à
ce qui a été mis en avant; c’est que , loin de fournir des
bases nouvelles à la zoologie, des bases inconnues à
( 247 )
vous les'hommes plus ou moins habiles qui l'ont cultivée
jusqu’à présent, restreints dans des limites convenables,
ils forment au contraire une des bases les plus essen-
telles sur lesquelles la zoologie repose depuisson origine,
une des principales sur lesquelles Aristote, son créateur,
l’a placée, base que tous les zoologistes dignes de ce
nom ont cherché à élargir , et à l’affermissement de la-
quelle tous les efforts de l’anatomie sont consacrés.
Ainsi chaque jour l’on peut découvrir dans un animal
une partie que l’on n’y connaissait pas , et qui faitsaisir
quelque analogie de plus entre cet animal et ceux de
genres ou de classes différentes. Il peut en être de même
de connexions , de rapports nouvellement aperçus. Les
travaux auxquels on se livre à cet effet méritent tous nos
éloges. C'est par eux que la zoologie agrandira ses bases ;
mais que l'on se garde de croire qu'ils l'en feront sortir.
Si j'avais à citer des exeraples de ces travaux dignes de
toute notre estime, c'est parmi ceux de notre savant
confrère M. Geoffroy que je les choisirais. Lorsque, par
exemple, il a reconnu qu’en comparant la tête d’un
fœtus de Mammifère à celle d’un Reptile ou d’un Ovipare
en général, on remarquait des rapports dans le nombre
et l’arrangement des pièces qui ne s’apercevaient point
dans les têtes adultes ; lorsqu'il a prouvé que l'os , appelé
carré dans les oiseaux , est l’analogue de l'os de la caisse
dans les fœtus de Mammifères, il a fait des découvertes
très réelles , très - importantes auxquelles j'ai été le pre-
mier à rendre pleine justice dans le rapport que j'ai eu
occasion d’en faire à l'Académie. Ce sont des traits de
plus qu'il a ajoutés à ces ressemblances de divers degrés
qui existent entre la composition des diflérens animaux ;
(248 )
mais il n'a fait qu'ajouter aux bases anciennes et connues
de la zoologie; il ne les a nullement changées ; il n’a
nullement prouvé ni l’unité, ni l'identité de cette com-
position, ni rien enfin qui puisse fournir un nouveau
principe. Entre quelques analogies de plus dans certains
animaux et la généralisation de l’assertion que la com-
position de tous les animaux est une, la distance est aussi
grande, et c’est tout dire, qu'entre l'Homme et la
Monade.
Ainsi nous savons tous, et depuis bien long - temps,
que les Cétacés ont aux côtés de l’anus deux petits os
qui sont ce que nous appelons des vestiges de leur bassin.
Il y a donc là, et nous le disons depuis des siècles , une
ressemblance , et une ressemblance légère , de composi-
uon.Mais aucun raisonnement ne nous persuadera qu'il
y ait unité de composition, lorsque ce vestige de bassin
ne porte aucun des autres os de l’extrémité postérieure.
En un mot, si par unilé de composition on entend
identité, on dit une chose contraire au plus simple té-
moignage des sens.
Si par là on entend ressemblance, analogie, on dit
une chose vraie dans certaines limites , mais aussi vieille
dans son principe que la zoologie elle-même, et à laquelle
les découvertes les plus récentes n’ont fait qu’ajouter
dans certains cas des traits plus ou moins importans
sans rien altérer dans sa nature.
Mais en réclamant pour nous, pour nos prédécesseurs,
un principe qui n’a rien de nouveau , nous nous gardons
bien, et c’est en quoi nous diflérons essentiellement des
naturalistes que nous combattons, nous nous gardons
bien:de le regarder comme principe unique ; au con-
( 249 )
aire, cen’est qu'un principe subordonné à un autre
bien plus élevé et bien plus fécond, à celui des condi-
tions d'existence , de la convenance des parties , de leur
coordination pour le rôle que l’animal doit jouer dans la
nature. Voilà le vrai principe philosophique d’où décou-
lent la possibilité de certaines ressemblances , l’impos-
sibilité de certaines autres; voilà le principe rationnel
d’où celui des analogies de plan et de composition se
déduit , et dans lequel en même temps il trouve ces li-
mites que l’on veut méconnaître.
Cependant cette observation me mènerait trop loin ;
je la reprendrai dans un autre moment. Je reviens à
mon sujet.
Tout ce que je viens de dire sur le plan et la composi-
tion étant posé et convenu, et, je le répète, cela est
convenu et posé depuis Aristote, depuis deux mille
deux cents ans , les naturalistes n’ont autre chose à faire,
et ils ne font en effet pas autre chose que d'examiner
jusqu'où s'étend cette ressemblance , dans quels cas et
sur quels points elle s’arrèête , et s’il y a des êtres où elle
se réduise à si peu de chose que l’on puisse dire qu’elle
y finit tout-à-fait. C’est l’objet d’une science spéciale
que l’on nomme l'anatomie comparée , mais qui est loin
d’être une science moderne , car son auteur est Aristote.
Dans la nouvelleédition de mes Lecons d’Anatomie com-
parée que je prépare , excité par le désir de réduire à de
justes bornes ce qui a été dit vaguement sur ce sujet, je
considérerai beaucoup les animaux sous ce point de vue;
j'aurai soin d'y profiter de toutes les découvertes récentes
qui établissent des analogies nouvelles, mais j’aurai un
soin non moins grand de marquer les limites de ces ana-
(2802
logies , et de prévenir contre les conclusions trop géné-
rales que l’on voudrait en tirer.
Je prendrai la liberté de soumettre de temps en temps
quelques chapitres de ce travail à l'Académie ; mais au-
jourd’hui je lui demande la permission de lui offrir seu-
lement quelques considérations sur les Céphalopodes,
sujet qui a été très-heureusement choisi par notre savant
confrère ;, car il n’en est aucun où l’on puisse voir plus
clairement ce que les principes en discussion ont de juste
et ce qu'ils ont de vague et d’exagéré.
Supposons, nous a-t-on dit, qu'un animal vertébré
se replie à l’endroit du nombril , en rapprochant les deux
parties de son épine du dos comme certains Bateleurs ;
sa tête sera vers ses pieds et son bassin derrière la nuque ;
alors tous les viscères seront placés mutuellement comme
dans les Céphalopodes; et, dans ceux-ci , ils le seront
comme dans les Vertébrés ainsi ployés. Cette partie,
qu'à eause de sa couleur brune vous appeliez le dos , ré-
pondra à la moitié antérieure du ventre, le fond du sac
répondra à la région ombilicale; ce que vous appeliez
le devant du sac sera la moitié postérieure ou inférieure
du ventre. Cette mâchoire plus saillante , que vous pre-
niez pour l'inférieure , sera la supérieure ; tout rentrera
dans l’ordre; unité de plan , unité de composition, tout
sera démontré.
Je dirai d’abord que je ne connais aucun naturaliste
assez ignorant pour croire que le dos se détermine par
sa couleur foncée ou mème par sa position lors des mou-
vemens de l'animal ; ils savent tous que le Blaireau a le
ventre noir et le dos blanc, qu'une änfinité d'autres ani-
maux , surtout parmi les Insectes, sont dans le même
( 25a )
cas; ils savent qu’une infinité de Poissons nagent sur le
côté, ou le dos en bas et le ventre en haut; mais ils ont
pour reconnaître Je dos un caractère plus certain, c’est
la position du cerveau.
Dans tous les animaux qui en ont un, il est en dessus,
et l'œsophage et le canal intestinal sont en dessous.
Notre savant confrère lui-même l'avait fait remarquer
dans un de ses anciens Mémoires ; c’est là pour nous
comme pour lui le vrai critérium, et non pas une puérile
remarque sur les couleurs.
Partant de jà, j'ai pris d’une part un animal vertéiré,
je l'ai ployé comme on le demandait, le bassin vers la
nuque; j'ai enlevé tous les tégumens d’un côté pour
bien montrer en situation ses parties intérieures ; d'autre
part j'ai pris un poulpe, je l’ai placé à côté de l'animal
vertébré dans la position indiquée, et je me suis rendu
compte de la situation respective de ses organes.
Les ébauches très-grossies que je mets sous les yeux
de l’Académie pourront faire saisir les détails compara-
tifs où je vais entrer aux personnes qui n’ont jamais
observé ces animaux par elles-mêmes.
Dans ces esquisses, le système nerveux est coloré en
jaune , l’artériel en rouge, le veineux en bleu, le canal
intestinal en brun , le foie en vert, les organes génitaux
en blanc; les organes respiratoires sont blancs piquetés
de rouge.
Il est vrai que dans cette position la mâchoire la plus
saillante du Poulpe répond à la mâchoire supérieure du
Mammifère ; mais, pour en conclure que c’est la mâchoire
supérieure du Poulpe, il faudrait que le cerveau fût
placé vers l’entonnoir , comme il l’est dans le Mammifère
( 253 )
vers la nuque. Or, c’est tout le contraire. Le cerveau du
Poulpe est vers la face opposée à l’entonnoir.
Voilà déjà un terrible préjugé contre l'idée que l’en-
tonnoir est un bassin replié vers la nuque.
Mais continuons.
Pour que ce côté sur lequel se replie l’entonnoir füt le
côté de la nuque, il faudrait encore que l’œsophage
passät entre ce côté et le foie, comme on le voit dans
le Mammifère ; c’est encore tout le contraire : il passe
du côté opposé, du côté que nous appelons dorsal.
Pour qu'il y eût analogie dans la position du cœur et
de l'organe respiratoire, il faudrait qu’ils fussent, comme
on les voit dans le Mammifère, au-dessus du diaphragme,
du foie et de l’estomac, ce qui les porterait de ce côté que
nous appelons dorsal, mais que l’hypothèse appelle ven-
tral. C’est tout le contraire: les branchies et le cœur sont
plus loin de la tête que le foie et l’estomac , et au-dessous
de cette partie que l’on a voulu appeler diaphragme et où
l’on a même cherché à voir des piliers analogues au
psoas, piliers qui ne sont autres que les muscles de
l’'entonnoir, déjà décrits dans mon Mémoire sur les
Poulpes.
Pour qu'il y eût analogie dans la position des gros
vaisseaux , il faudrait que la principale veine et la prin-
cipale artère marchassent ensemble le long du même
côté où serait le cerveau. Cela est vrai pour l'artère,
dans le sens où nous prenons les viscères du Poulpe ;
mais c’est tout le contraire pour la veine : elle marche
précisément du côté opposé ; en cela elle se conformerait
à la vue des nouveaux auteurs ; mais on ne peut regarder
la veine comme un régulateur préférable au cerveau , à
(298)
l'artère , à l’œsophage , au foie et aux branchies. La si-
tuation opposée où elle se trouve est seulement une
preuve plus palpable qu'il ne peut pas y avoir identité
de plan.
Pour qu’il y eût analogie dans la position des orga-
ues de la génération, il faudrait qu’ils fussent , dans la
partie repliée sur la nuque , adossés à la portion de ce
repli qui reviendrait sur la partie dite dorsale par les
auteurs. C’est tout le contraire ; ils sont dans le fond de
la bourse , immédiatement enveloppés par le sac dans la
partie qui dans l'hypothèse répondrait au ventre et même
au nombril.
Pour qu’il y eût analogie dans l’issue des organes gé-
nitaux, il faudrait que leurs orifices fussent voisins de
anus , soit en avant comme dans les Mammifères, soit
à ses côtés comme dans les Poissons. Point du tout: dans
la femelle du moins il en est tout autrement : les oviduc-
tes s'ouvrent fort loin de l’anus, et près des branchies.
Je ne parlerai pas des reins, ni de la vessie, qui n’exis-
tent pas dans les Céphalopodes, ou que l’on ne croit du
moins retrouver dans le tissu spongieux qui communi-
que avec les veines que par une hypothèse sans preuves.
Voilà des démonstrations plus amples, plus abon-
dautes qu’il ne faut pour montrer que le problème de
l'identité de plan entre les Céphalopodes et les Verté-
brés n’est pas encore résolu. En voilà en même temps
assez pour prouver :
1°. Que le côté brun , qui est celui du cerveau, est le
côté dorsal ;
2°, Que la mandibule la plus saillante du bec, celle
qui embrasse l’autre, répond à la mâchoire inférieure.
(254 )
On en a une preuve de plus dans la position de la
langue qui est sur cette mandibule, et dans celle du pha-
rynx qui est sous l’autre ;
3°. Qu'il serait plus facile d'établir quelque analogie
de situation, en supposant l'animal ployé en sens in-
verse de celui de l'hypothèse ; car alors le cerveau , le
foie , l’œsophage, les estomacs , la grande artère reste-
raient dans la mème position respective que dans les
Vertébrés ; mais le cœur, la veine, les branchies, les
organes de la génération seraient toujours autrement
disposés, et le problème ne serait pas encore résolu.
Je vais plus loin; je dis qu'il est impossible qu'il le
soit en entier.
Les cœurs et les branchies, ces organes si impor-
tans, toujours en rapport avec l’œsophage dans les Ver-
tébrés, en sont ici à une grande distance , et sans aucune
connexion. Il en résulte nécessairement une tout autre
direction dans les vaisseaux ; en effet, la grande veine est
d’un côté opposé à la grande artère ; au lieu d’une veine
unique entrant dans une oreillette unique , la veine ici
se partage en deux pour donner dans deux cœurs bran-
chiaux , qui font l’oflice du cœur branchial unique des
Poissons. Le cœur aortique, qui manque aux Poissons ,
est ici prononcé comme dans les animaux à sang chaud ;
mais il est entièrement séparé et même assez éloigné des
cœurs branchiaux. L’aorte , qui, dans les Vertébrés, naît
toujours dans la poitrine , soit au-dessus de l'œsophage,
comme dans les Poissons , soit en le contournant,
comme dans les animaux à sang chaud , naït ici dans le
fond du sac au point le plus opposé à l’œsophage ; en
sorte que ses rameaux les plus éloignés, qui, dans les
(255)
Vertébrés , sont ceux de l’extrémité postérieure, sont
ici précisément ceux de la tête.
Or, comme le plan d’un animal dépend essentielle-
ment de la distribution des vaisseaux qui portent à ses
organes la nutrition et la vie, on peut à priori soutenir
que l'identité de plan des Céphalopodes et des Vertébrés
ue.se démontrera jamais que très-partiellement.
Un autre élément générateur du plan des animaux,
plus essentiel peut-être encore que leurs vaisseaux , c’est
leur système nerveux. Or, comment veut- on qu’il y ait
ici la moindre analogie ?
Le cerveau est enfermé dans une cavité de l’anneau
cartilagineux qui sert de base aux tentacules ; il fournit
en avant les nerfs de la masse buccale , puis une expan-
sion qui occupe le côté de l'anneau cartilagineux et donne
les nerfs des grands tentacules. De la base de’cette expan-
sion naît le filet qui se renfle pour produire l'énorme
ganglion de l'œil; une autre branche se renfle un peu
plus loin en un ganglion d’où les nerfs du sac partent en
rayonnant ; une troisième , jointe à sa correspondante ,
descend dans l’abdomer et se distribue aux viscères. Un
petit filet va à l'oreille. Il n’y a pas la moindre trace
d’une moelle épinière , ni de ces nombreuses paires de
nerfs qui en sortent si régulièrement dans les Vertébrés ;
aussi n'y a-t-il ni épine du. dos, ni aucune des paires de
membres ou des paires de côtes qui s’y rattachent.
Ce qui à fait illusion aux jeunes auteurs du Mémoire,
c’est la position de l’oreille du côté de l'anneau cartilagi-
neux opposé au cerveau. Comme dans les Vertébrés l’o-
reille est vers l'arrière de la tête, ils ont cru qu’elle mar-
quait la nuque ; mais l'oreille , dans les Vertébrés, n’est
( 366 })
pas seulement à l'arrière de la tête, elle est aussi sous cet
arrière, sous le cerveau ; dans le Poulpe elle est placée de
même, puisque cette partie de l'anneau est l’inférieure ;
seulement les deux oreilles, au lieu de rester simplement
aux côtés de l’œsophage , descendent plus bas, et l’em-
brassent en dessous; mais c’est toujours en dessous
qu’elles sont situées.
Ce que je viens de dire du système nerveux me ra-
mène à la composition des Céphalopodes.
‘ Ils ont donc, comme nous l’avons dit, un cerveau
enfermé dans une cavité à part, des yeux , des oreilles,
un bec formé de deux mandibules , une langue, des
glandes salivaires , un œsophage, un gésier, un second
estomac, un canal intestinal, un foie, des branchies,
des cœurs , des artères , des veines, des nerfs; des orga-
nes des deux sexes : ovaires, testicules, oviductes ,,épi-
didymes, verge , toutes choses qui leur sont communes
avec certains Vertébrés ; maïs tout cela autrement dis-
posé , presque toujours autrement organisé.
En même temps ils manquent de tous les os du crâne,
de tous ceux de la face , de vraies mâchoires, de tous les
os de l'appareil hyoïdien et de l'appareil branchial, de
toutes les vertèbres , de tous les os des extrémités, des
côtes, du sternum , des muscles adhérens à toutes les
parties, de la moelle épinière, de tous les nerfs qui en
sortent , du pancréas , des reins , de la vessie.
En même temps encore ils ont beaucoup de parties
dont il n’y a nulle trace dans les Vertébrés, un appareil
musculaire tout différent , et approprié à leur forme si
extraordinaire; souventune coquille d’une structure vrai-
ment remarquable, et dont aucun Vertébré n'offre le
( 257 )
moindre vestige ; un organe excrémentitiel qui produit
cette liqueur noire, connue sous le nom d’encre de Seiche
ou de Sépia ; un appareil sporigieux ou glanduleux qui
communique directement avec leurs veines par une foule
d’orifices.
Ces tentacules mêmes , que l’on a voulu comparer
aux barbiilons des Poissons, ne leur ressemblent ni
par l’organisation, ni par les connexions. Leur com-
plication est prodigieuse ; des nerfs renflés d'espace en
espace, en nombreux ganglions, fournissant d’innom-
brables filets, des vaisseaux très-prononcés , divisés aussi
en innombrables rameaux, les parcourent et les animent;
des ventouses d’une structure admirable leur fournissent
une armure d'un genre unique. Enfin, le principal bar-
billon des Poissons n’est qu’un prolongement de leur os
maxillaire, et les tentacules des Céphalopodes ne sont
pas même attachés au bec, qui, sans représenter abso-
lument les mâchoires, en remplit cependant les fonctions.
Je le demande maintenant : comment avec ces nom-
breuses , ces énormes différences, en moins d’un côté,
en plus de l’autre, pourrait-on dire qu’il y a entre les
Céphalopodes et les Vertébrés, identité de composition ,
unité de composition, sans détourner les mots de la
langue de leur sens le plus manifeste ?
Je ramène tous ces faits à leur véritable expression, en
disant que les Céphalopodes ont plusieurs organes qui
leur sont communs avec les Vertébrés, et qui remplis-
sent chez eux des fonctions semblables ; mais que ces or-
ganes sont attrement disposés entre eux , souvent cons-
truits d’une autre manière, qu'ils y sont accompagnés
de plusieurs autres organes que les Vertébrés n’ont pas,
xx. 17
( 258 )
tandis que ces derniers en ont aussi de leur côté plusieurs
qui manquent aux Céphalopodes.
J'avoue qu’en disant cela, je ne dis autre chose que
ce qu'ont dit beaucoup d’autres avant moi; mais , si Je
n'ai pas le mérite de la nouveauté, je me flatte du moins
d’avoir celui de la vérité et de la justesse, et celui de
ne point embrouiller l'esprit des commencçans par des
expressions non définies , qui semblent, dans le vague
qui les enveloppe, présenter un sens profond ; mais
qui, analysées de près, ou sont entièrement contraires
aux faits, ou ne signifient que ce que l’on a dit de tous
les temps avec plus ou moins de détail dans l'application.
Dans mes communications suivantes, j’examinerai
plusieurs autres principes , plusieurs autres lois annon-
cées par divers naturalistes ; mais pour que ces lectures
ne se bornent pas à des questions métaphysiques , j'aurai
soin qu’elles se rattachenttoujours, comme celle d’aujour-
d’hui, à quelques déterminations de faits dont la science
puisse tirer un parti plus solide que de ces oïseuses
généralités.
EXPLICATION DE LA PLANCHE XII.
La fig. 4 représente lo coupe d’un quadrupède ployé sur lui-même, de
manière que le bassin revienne sur la nuque.
La fig. B est la coupe d’un Poulpe dans son état naturel.
Dans les deux figures , les mêmes lettres indiquent les mêmes
organes.
a, a, le cerveau.
b,b, l'oreille.
c, «, la mâchoire ou mandibule supérieure.
d, d, l’inférieure.
e, e’, e”, l’œsophage, l’estomac et le canal intestinal.
JS J; le foie.
( 259 )
8 &, l'organe respiratoire; poumon dans le Mammifère, branchie
dans le Céphalopode.
k,h, le cœur aortique.
i, le cœur veineux, qui, dans le Poulpe, est double et séparé de
l’aortique.
k,k, la principale veine.
Z, 4, la principale artère.
m ,m , l'organe de la génération.
n , le rein propre au Mammifère.
0, la vessie id.
p , ventonnoir propre au Cépkalopode.
r.r, l'anus.
s, s, l’orifice des organes génitaux.
t,t,la moelle épini ère propre au Mammifère!
Rapport sur deux Mémoires de M. Virlet, relatifs
à la Géologie de la Messénie , et notamment à
celle des environs de Modon et de Navarin,
fait à l’Académie royale des Sciences, par
M. Alexandre Brongniart.
(Lu dans la séance du 21 septembre 1829.)
Le canton parcouru, étudié et décrit par M. Virlet,
dans les deux Mémoires qui nous ont été remis, a peu
d’étendue. Les terrains qui le composent sont peu va-
riés et faiblement caractérisés; mais, si la géologie de la
Grèce est en général peu connue, celle de la Morée oc-
cidentale l’est encore moins. Les voyageurs géologues,
dont les observations sur la Grèce sont venues à notre
connaïssance (MM. Parolini, Webb, Holland, Haw-
kins, Woods, etc.), ont à peine fait mention de quel-
ques points de la Messénie.
( 260 )
Les descriptions de notre voyageur, les résultats qu'il
en a tirés, et ceux qu'on pourra encore eu déduire,
auront donc le double intérêt de nous fournir des ma-
tériaux précieux pour la connaissance de la structure de
cette partie de l'écorce du globe , et pour le développe-
ment des lois de la Géologie. Nous allons y retrouver
cette constance de phénomènes qui, se présentant sous
toutes les latitudes , sous tous les méridiens , distinguent
si éminemment les produits du règne minéral de eeux des
règnes organiques.
Les parties de la Messénie , que M. Virlet a exami-
nées ,se bornent aux petites vallées de Modon, de Na-
varin , à celle qui comprend les plaines d’Androussa, et
aux collines qui séparent ces vallées.
Il y a reconnu quatre terrains ou formations dis-
tüinctes, dont trois nous paraissent clairement et sûre-
ment déterminés ; le quatrième est tout-à-fait incertain.
En allant des plus nouvelles formations à celles qui
paraissent les plus anciennes, nous reconnaîtrons d’abord
dans le fond de quelques vallons, dans celui des vallées ,
surtout vers leur embouchure, deux sortes de terrains
d’alluvion qui se recouvrent immédiatement , qui offrent
à peine quelques différences extérieures, maïs qui ne
se mêlent cependant pas. M. Virlet, guidé par les carac-
tères savans que MM. Sedgwich et Buckland ont assi-
gnés à ces terrains , a très-bien su les distinguer.
Le terrain alluvien, le plus nouveau de ces terrains
de sédiment grossier, est dù au dépôt des fleuves, des
torrens , et de toutes les eaux continentales. La mer
n’a dû y contribuer en rien, car ces sédimens alluviens
sont au-dessus de son niveau actuel ; et, depuis les
(261)
temps historiques les plus reculés, on n’a pas remarqué
que ce niveau ait changé : or, si ce phénomène avait eu
lieu , où trouverait-on sur le globe un pays qui, mieux
que le Péloponnèse , ait pu en conserver la tradition.
Cependant ces terrains, composés de limon , renfermant
des débris des arts humains, notamment des fragmens
de briques, présentent aussi des coquilles marines et
des galets qu'on ne peut attribuer aux faibles cours
d’eau qui les sillonnent ; M. Virlet a reconnu avec beau-
coup de sagacité que ces galets et ces coquilles n'étaient
pas le produit de la mer actuelle, mais qu'ils prove-
naient des collines qui bordent ces terrains; collines
composées de ces deux sortes de maiériaux et d’une
tout autre origine que les dépôts alluviens, dans les-
quels ils ont été charriés et enveloppés.
Le terrain diluvien , pour nous servir de cette expres-
sion des géologues anglais, est placé sous le précédent
dans le fond des vallées, mais d'une manière indépen-
dante et superficielle dans les points où l’alluvion n’a
pu se former et le recouvrir. Il se montre à l’est de
Pylos dans la rade de Navarin, immédiatement sur la
marne argileuse inférieure. Il ne renferme aucun reste
de l’industrie humaine, mais du minerai de fer en gra-
vier, probablement de celui qu’on appelle limoneux, et
que M. Virlet croirait susceptible d’exploitation.
Voici deux terrains bien déterminés. On les regarde
en général comme peu importans , comme dénués d’inté-
rêt ; aussi ne sont-ils ordinairement que très-superficiel-
lement observés : ce sont cependant les terrains qui, par
l'intégrité de leur conservation , par la fraicheur pour
ainsi dire de leur formation, peuvent nous donner les
( 262}
notions les plus nombreuses et les plus précises sur les
derniers phénomènes géologiques qui ont modifié la
croûte extérieure du globe.
Avant ces terrains, dans l’ordre du temps , maïs non
pas toujours au-dessous d'eux, s'étaient déposées dans
le fond de l’ancienne mer des roches calcaires à gros
grains, enveloppant les débris organisés qui vivaient
alors dans la mer, et formant des couches puissantes
étendues sur tout le globe. Ces terrains si répandus , si
superficiels, par conséquent si faciles à observer, étaient
cependant entièrement méconnus des géologues , il y a
à peine trente ans : ils sont souvent composés d’un cal-
caire à texture lâche et grossière, comme notre pierre
à bâtir des environs de Paris. C’est sous cet aspect qu'ils
se sont présentés à M. Virlet sur les sommets de la plu-
part des collines qui bordent les vallées de Modon et
de Navarin , offrant tous leurs caractères géologiques de
nature , de texture, de position, et de débris organi-
ques ; ce sont surtout ces derniers, aussi remarquables
par leur constance et leur généralité, que précieux pour
la détermination précise des formations, qui ont offert
à M. Virlet des caractères tranchés et indépendans de
tout autre moyen, pour reconnaître en Grèce les ter-
rains de Paris.
Ainsi, les Cérites, les Cônes, les Rostellaires , les
Cythérées, les Bucardes, et les autres coquilles connues
sous la dénomination vague, mais suffisante pour nous,
de littorales, dont M. Virlet donne l’énumération , et
dont il a envoyé de nombreux échantillons, suffiront
pour établir l’idéntité de ce terrain, soit avec celui des
collines subapennines, soit avec celui du bassin de Paris.
+
( 263 )
Nous voici arrivés à la formation incertaine, à celle
qui semble plus caractérisée que les précédentes , et qui
cependant ne nous fournira aucun moyen pour la rap
porter avec quelque certitude à l’une des grandes en-
veloppes de l'écorce du globe.
C’est un terrain composé de lits inclinés, quelque-
fois courbés , de roches calcaires schisteusés et sableuses ,
de calcaires quelquefois compactes , quelquefois sableux
et schistoïdes , alternant avec des schistes passant au
psammite , qui lui-mème passe au poudingue, d’abord
peu puissant, et ensuite recouvert ou remplacé entière-
ment par des masses énormes de poudingue. Cette roche
forme les montagnes les plus boisées et les plus élevées
de la Messénie , atteignant jusqu’à 1000 mètres d’éléva-
tion au-dessus du niveau de la mer. Ces montagnes sont
souvent presque coniques, offrant d’un côté des pentes
tellement abruptes , qu’elles semblent presque verticales.
Les vueset profils pris par M. Baccuet donnent une idée
très-claire de ces formes.
Les amas gigantesques de débris de roches, qui dé-
rivent tous des roches environnantes , forment la plus
grande partie des montagnes qui se montrent au Levant,
au-delà des vallons de Navarin et de Modon , quand on
pénètre dans la Messénie; et au! nord, dans les chaînes
et chainons de Banzi (Neda) et d’Arkadie (Cyparisia ).
M. Virlet les compare ici au gompholite, c’est-à-dire,
à ces poudingues que les habitans de la Suisse appellent
Nagelflue, et qui constituent, comme ceux de cette
partie de la Morée, des montagnes très-élévées; mais
n'oublions pas que ce mème naturaliste dit qu'ils alter-
nent ailleurs avec un calcaire qu'il rapporte à une.for-
( 264 )
mation beaucoup trop ancienne, pour qu'on puisse
admettre, dans cet autre cas, le rapprochement qu’il
propose ici avec beaucoup de fondement.
Ce mème calcaire , compacte, schistoïde, sablonneux,
base et continuation inférieure des psammites et des
poudingues, dans les vallons de Modon et de Navarin,
et dans la chaîne qui sépare ces vallons de la plus grande
vallée d’Androussa au Levant, passe sur le revers orien-
tal de cette chaîne par le psammite déjà décrit à une
roche homogène , entièrement siliceuse, et qni offre
d’une part toutes les variétés de jaspe grossier , jaunâtre,
rougeàtre, brunâtre, noirâtre et schistoïde, par consé-
quent de celle à laquelle Hauy a donné le nom de Phta-
nite, et, d’une autre part, plusieurs variétés de silex cor-
nés et pyromaques. Il est stratifié comme les roches qu'il
accompagne et se présente, tantôt en bancs puissans, tan-
tôt en lits minces, soit continus, soit interrompus, tan-
1ôt enfin, en gros nodules aplatis, ellipsoïdes, ou en
nodules plus petits, plus sphéroïdaux, qui sont toujours
déposés sur un même plan, et non pas dispersés au
hasard dans la roche psammitique ou calcaire, qui al-
terne avec eux, ou qui les renferme.
Telle nous paraît être la disposition générale du ter-
rain, depuis les côtes de Navarin et de Modon, jusqu'à
la vallée de l’ancienne Messénie , d’après l’idée que les
descriptions de M. Virlet ont pu nous en donner.
Ce qu'il en dit suffit pour faire admettre sans hésita-
tion les rapprochemens qu'il a établis entre les trois
premières formations et les terrains nommés Ælluviens,
Diluviens et Tertiaires; mais ce qu’il nous apprend du
quatrième de ces terrains, si singulièrement composé de
sit
( 262 3
calcaire compacte, de psammite, de masses énormes de
poudingue et de jaspes divers, nous laisse, comme à
lui, une grande incertitude sur l’époque de formation à
laquelle on peut le rapporter. M. Virlet savait bien qu'il
devait chercher dans les débris organiques ou dans les
minéraux , que ce terrain pourrait renfermer , des
moyens d’en déterminer, ou au moins d'en présumer
l’époque, et on voit qu’il n’a pas négligé cette recherche;
mais il n’a trouvé aucune coquille dans aucune des trois
roches principales qui le composent, et il n’a pas vu
d’autre espèce minérale que des veines plus ou moins
nombreuses de calcaire spathique, parcourant, et le
calcaire compacte, et le psammite, et les jaspes.
Néanmoins la texture compacte et fine du calcaire in-
férieur des versans occidentaux, et son alternance avec
des schistes , ont fait présamer à M. Virlet que ce cal-
caire, et par conséquent le terrain dont il fait parte,
pourrait appartenir à ce qu’on appelle vulgairement
Calcaire alpin ; dénomination maintenant si vague ou
si fausse, qu’on ne sait quelle valeur lui donner. Nous
pensons qu'il a eu en vue ce terrain déterminé d’une
manière beaucoup plus précise et auquel M. d’'Omalius
a donné le nom de Penéen , et dont , en effet , le Zeches-
tein des Allemands fait partie.
Mais nous ne voyons entre cette formation et le sol
en question que des ressemblances bien rares , bien fai-
bles et bien incertaines. L'auteur les tire de la texture,
de l'alternance avec les schistes et de l’absence des débris
organiques , absence locale qui paraît cependant en in-
diquer au moins la rareté habituelle. Il aurait peut-être
pu appuyer son rapprochement de Ja texture grenue et
( 266 }
cellulaire et du toucher rude que présente ce calcaire :
particularités qui semblent lui donner de la ressemblance
avec la dolomie, roche calcaire qui fait souvent partie
des terrains penéens. La structure de Sphacteris et de
Paleo-Castro, telle qu’elle est indiquée par les jolis des-
sins de M. Baccuet, rappelle très-bien celle des mon-
tagnes de dolomie, montagnes sans stratification et à
fissures et déchiremens verticaux.
Malgré ces indices, dont M. Viriet à pu apprécier la
valeur bien mieux que nous qui ne connaissons pas les
lieux, nous ne pouvons admettre encore un tel rappro-
chement.
Les formations qui se sont présentées presque partout
entre les terrains penéens, terrains anciens et profonds,
et le terrain dit tertiaire, sont trop nombreuses , trop
puissantes, trop bien caractérisées pour croire qu’elles
aient pu manquer ainsi toules et totalement. Ce terrain
reste donc, du moins pour nous, encore à déterminer.
I! en est de même de celui qui le couvre et qui paraît
le suivre , de celui sur lequel M. Virlet ne s’est pas pro-
noncé , et qui présente ces amas immenses de poudin-
gues. Ils ont frappé M. Virlet et ont jeté de l’incertitude
sur le rapprochement qu’il proposait, car il fait remar-
quer qu’on ne connaît aucun amas aussi immense de
débris dans les terrains de sédiment inférieur, dont
Vancien. calcaire alpin fait partie. Il est vrai que de telles
masses de poudingues, se présentant, pour ainsi dire ,
d’une manière presque indépendante , ne se sont pas en-
core montrées avec cette puissance ou dans les terrains
penéens ou entre ces terrains et ceux qui ies recouvrent.
Néanmoins , il paraît que les poudingues de l'Alsace,
( 267 )
qui font partie du grès bigarré (terrains pœciliens ), of-
frent un exemple de cette réunion. Maïs on doit observer
que ces poudingues , leur ciment et les roches avec les-
quelles ils sont en liaison , paraissent très - différens de
ceux de la Morée. Enfin , on reconnaît, dans les calcaires
‘qui accompagnent les poudingues de cette dernière con-
trée , des lits de silex, de la variété des jaspes, qui ap-
partiennent plus spécialement aux terrains inférieurs
qu'aux supérieurs.
RÉGAPITULATION.
Tels sont les faits et les raisonnemens dont on peut
appuyer le rapprochement proposé par M. Virlet. Ils ne
sont pas sans valeur, mais ils n’en ont pas assez pour le
faire admettre sans un nouvel examen; car nous pour-
rions présenter des raisons presque aussi nombreuses et
aussi prépondérantes pour rapporter ces terrains , soit à
la formation crétacée, soit à la formation jurassique. La
présence des débris organiques pourra seule apporter
des preuves d’un poids suflisant pour faire adopter l'un
de ces rapprochemens.
S’il s’agissait d'émettre une opinion positive sur l'im-
portance et le mérite des travaux de M. Virlet et sur la
certitude des conséquences qu’il en a déduites ; nous ne
pourrions le faire avec une pleine assurance de ne pas
errer, car le mérite des observations géologiques ne peut,
en général, être jugé que sur les lieux mêmes de l’obser-
vation. Mais s’il s’agit d'examiner si l’auteur a su tirer
un parti complet et judicieux de tous les moyens dont il
pouvait disposer; s’il pouvait reconnaitre, pour le mo-
( 268 )
ment , les environs de Modon , de Navarin et de Mes-
sène, mieux qu'il ne l’a fait; si l'incertitude qui reste
sur la détermination du terrain principal ne résulte pas
de l’absence de caractères qu’il n’était pas en son pouvoir
de découvrir ou de faire naître, nous pouvons dire alors
que nous présumons qu'il a fait tout ce qui lui était
possible dans le lieu et dans les circonstances où il se
trouvait. Nous pouvons juger, par la manière dont les
observations ont été recueillies et présentées, que
M. Virlet, bien instruit de ce qu’il fallait observer, a
senti et fait ressortir les points importans, qu'il a rappe-
lés aux naturalistes et mème aux économistes l'influence
des différens sols sur la culture, qu’il leur a montré le
parti qu’on avait tiré et qu'on pourrait tirer encore des
pierres calcaires compactes , qu’il a reconnu du minerai
de fer disséminé dans le sol diluvien, et fait remarquer
qu'il pourrait peut-être devenir susceptible d’exploita-
tion. M. Virleta donc assez bien fait connaître , dans les
deux Mémoires qu’il a adressés au ministre, la petite
partie de la Grèce qu’il lui a été donné de parcourir et
de décrire. Nous avons dit, au commencement de ce
Rapport, que les géologues n'avaient aucune notion ou
n'avaient que des notions vagues sur les côtes occiden-
tales de la Morée. M. Parolini est peut-être le seul qui
ait encore dit que ces côtes consistaient en calcaire de
sédiment (Flœtzkalk). Or, on voit combien il y a loin
d’une indication aussi vague aux observations de détails,
aux faits curieux et importans pour l’avancement de la
géologie en général et aux conséquences sages qui sont
présentées dans les Mémoires de M. Virlet.
( 269 )
Conczusrons.
Nous croyons donc que ces premiers travaux méritent
les encouragemens de l’Académie, et que, si on n’a pas
d’ailleurs d’autres connaissances sur cette contrée , il est
à désirer qu'on donne à ce jeune géologue les moyens
d'en poursuivre l’étude aussi loin que les circonstances
pourront le lui permettre.
Monocrapmie du genre Næmaspora des auteurs
modernes, et du genre Libertella, Desmaz.,
PL. crypt. du nord de la France, fascicule x.
Par M. J. B. H. J. Desmaziëres.
Le genre Nœæmaspora, \ong- temps composé de cinq
Cryptogames remarquables (1), mais très-diflérentes
dans leur organisation, a été judicieusement divisé en
deux groupes distincts par Fries, Ehrenberg , Nées et
plusieurs autres savans mycologues. Celles qui offrent
un véritable réceptacle ou péridium ont donné naïssance
au genre Cytispora, et celles qui en sont dépourvues et
dont les sporules , mêlés à une substance mucilagineuse
et tant soit peu celluleuse, se développent librement sous
l’épiderme des végétaux morts ou mourans, et y restent
contenus jusqu’à ce qu’il se déchire pour leur livrer pas-
sage sous forme de cirrhes ou filamens gélatineux, ont
(1) Pers., Syn,. fung., p. 108.
(270 )
été seules maintenues dans le genre Nœmaspora. Le pre-
mier de ces genres renferme maintenant une vingtaine
d'espèces et appartient aux Pyrenomycetes ; le second
fait partie des Gymnomycetes et repose sur deux ou
trois Cryptogames imparfaitement décrites et si peu
connues dans leur organisation intime, que les auteurs
les plus recommandables appliquent encore aujourd’hui
le nom de l'espèce qu'ils croient la plus vulgaire ( le
Næmaspora crocea), à trois ou quatre productions
distinctes qui doivent être séparées en deux genres dif-
férens.
Nous allons faire connaître, par des phrases diagnosti-
ques et des figures, le résultat des observations quenous
avons faites à l’aide du microscope , instrument encore
trop négligé aujourd’hui et sans lequel il n'était pas
possible de caractériser exactement les espèces qui vont
nous occuper. Ces espèces , au nombre de six, seront
réparties également en deux genres. Nous conserverons
au premier l’ancienne dénomination Væmaspora (1),
et nous décrirons le second sous celle de Libertella.
Tous les botanistes, nous osons l’espérer , voudront bien
sanctionner notre choix qui rappelle un nom célèbre
dans la science.
(1) On doit écrire, avec Wildenow ( Berol. ; no 1207) et Persoon
( Obs. mye., 1, p. So), æmaspora et non IVemaspora, parce qu’il
est évident que ces auteurs ont fait dériver ce mot de Vama, Væœma
( courant , flux ). Les mycologues qui écrivent IVemaspora le font venir
de Vema (fil), et veulent ainsi rappeler la forme filamenteuse que
prend la masse dés sporules lorsqu'elle s'écoule au dehors, Cette étymo-
logie serait également bonne si l’on ne devait pas respecter les intentions
du botaniste qui a créé le uom.
(271)
[. NÆMASPORA.
Char. essent. Receptaculum nullum. Sporidia sim-
plicia , globosa vel ovoidea massa gelatinosa juncta , sub
epidermide plantarum mortuarum effusa, in cirrhos pro-
deuntia.
Obs. Genus Næmaspora a genere Melanconio in quo
semper sporidia atra et nuda sunt , sporidiis pellucidis
mucosisque in cirrhon ascendentibus distinguitur.
Species.
r. Næmaspora microsporA, Nob. (tab. 5, fig. I) (1).
N. sporidiüis ovoideis , aurantiaco-rubris , circiter —
millimetris longis.
Næmaspora encephalum : sporidiis minimis gelati-
nosis rubro-aureis, in gyros bicolores collectis, sub epi-
dermide bullata sine lege coacervatis, demum (sæpè
cirrorum magnorum forma) per rimam ejectis. Ehrenb.,
Syl. Berol., p. 22.
(1) Les espèces des genres Væmaspora et Libertella offrant toutes,
sous l’épiderme des végétaux , des masses à peu près semblables et d’une
couleur orangée , qui ne varie que par une légère teinte de rouge ou de
jaune , nous ne figurerons dans ce Mémoire que les formes diverses de
leurs sporules, qui seules peuvent fournir des caractères invariables et
essentiels. La représentation des filamens sporulo-mucilagineux , sous
lesquels ces masses se montrent au dehors, ne pourrait satisfaire que le
plaisir des yeux, puisque ces prolongemens cirrhiformes n’affectent
aucune figure particulière à l'espèce; souvent même, dans les temps
pluvieux où brumeux , ils n’existent pas : l'humidité les dissout à me-
sure qu'ils naissent, et l’on ne trouve sur l'écorce qu'un tubercule
arréndi ou convexe , ou une couche plus ou moins effuse.
( 272)
Næmaspora encephaloides : massa gelatinosa gyrosa
rubro-aurea, sub epidermide concreta, in cirrhos cras-
sos erumpente. Spreng., Syst. veg., t. 1V, p. 533.
Habitat ad cortices Quercinos, Carpinos, etc., in
Europa (v. v.).
Cette espèce se trouve assez communément en France ;
nous l’avons observée dans les départemens du nord, et
elle nous a été adressée de ceux du midi et de Paris,
sous le nom de Næmaspora crocea, Pers. Nous devons
à notre savant ami, le professeur Kunze de Leipzig, un
échantillon du Næmaspora encephalum , qu’il tenait
d'Ehrenberg même , et c’est d’après l’examen microsco-
pique que nous en avons fait qu’il nous a été possible
d'établir notre synonymie. Sans cette communication ,
il nous aurait été difficile , sans doute , de connaître la
Cryptogame d’Ehrenberg et de Sprengel, puisque les
descriptions qu'ils en ont données sont applicables à
presque toutes les espèces des genres Næmaspora et
Libertella.
2. NæmasporA iNcARNATA, Kunze (tab. 5, fig. IT ).
N. sporidiis ovoideis, incarnatis , circiter —— millime-
iris longis. Nob.
Næmaspora incarnata : receptaculo nullo, massa in-
carnata deformi in cirrhos copiosos, tenuissimos , co-
lore dilutiore, erumpente.Kunze, Myk., Heft., 1, p.92.
Næmaspora incarnata : stromate nullo, massa defor-
mi incarnata, in Ccirrhos copiosos tenuissimos dilutiores
abeunte. Spreng., Syst. veg., t. 1v, p. 537.
Næmaspora incarnata. Fries, Scler. suec. exsicc.,
n°. 108.
(273)
Habitat ad corticem Salicum , in Europa (v. v.).
Le Næmaspora incarnata paraît plus rare que l’es-
pèce précédente, du moins en France, où nous ne l'avons
observé qu’une fois.
3. Næmaspora crocea , Pers. (tab. 5, fig. IT).
N. sporidiis minutis, globosis, aurantiacis, Link
( Myxosporium croceum , Spec,, p. 2, p. 99.).
Næmaspora crocea : nuda, cirrhis confertis inæqua-
libus fruticulosis flavo - croceis. Pers. , Obs. myc., 1,
p.81,ejusd., Syn. Fung., p. 109.
Næmaspora crocea : massa gelatinosa crocea, in cir-
rhos crassos compressos persistentes concolores erum-
pente. Spreng., Syst. veg., 1. iv, p- 537.
Næmaspora crocea, De C., F1. fr. ,2, p. 309. —
Encyc. supp., 1. 1v, p.79. — Nées, Syst., p. 321, fig.
366 (non Fries, Scler. suec. exsicc. n° 107, nec Moug.
et Nest. Siirp.n°. 175.).
Habitat frequens Mines fagineos cæsos, in Eu-
ropa ( v. icon. ).
Cette espèce est le refuge de productions diverses que
l'on y fait entrer sans examen de leur organisation : notre
Næmaspora microspora et plusieurs Libertella y soni
tous les jours introduits. La confusion qu’elle a fait
naître dans les herbiers et dans les livres prouve assez
qu'elle n’est pas aussi répandue qu’on le croit générale-
ment ; nous déclarons qu’elle ne s’est pas encore pré-
sentée dans nos fréquentes herborisations , et que nous
ne la connaissons que d’après les descriptions: de: De
Candolle, Nées et Link, Ces auteurs assurent que les
XIX. 18
( 274 )
sporules sont globuleuses ; nous devons même à Nées
une figure qui les représente avec cette forme, et ce
sont les sporules de cette figure, dont on ne connaît point
le degré de grossissement qui ne peut être comparé avec
celui que nous avons employé, que nous reproduisôns
dans notre planche. Des témoignages aussi respectables
ne peuvent laisser aucun doute sur l’existence de cette
espèce ; nous l'avons adoptée avec la phrase de Link qui ,
bien qu’insuflisante , est encore la meïlleure que nous
ayons. Quant à la synonymie de ces botanistes, nous
la croyons un peu hasardée ; rien ne prouve, en effet,
d’après la description de Persoon , qu’il ait voulu parler
d’un Væmaspora à sporules globuleuses. Pour nous
éclairer sur ce point, nous nous sommes adressés à ce
mycologue , dans l'espoir de soumettre à notre examen
le type qui a servi à établir son espèce, mais ce type
n'existait plus dans son herbier ; néanmoins il crut pou-
voir nous assurer que son Væmaspora, ramassé il y a
plus de trente ans , sur les troncs du hêtre, dans les en-
virons de Gottingue , offrait « des sporules très-petits,
presque imperceptibles, même sous le microscope, et
qui n'avaient point la forme d’un fuseau. » Quoique
cette réponse ne dissipe pas tous nos doutes, nous avons,
pour nous conformer à la synonymie de De Candolle,
Nées et Link, rapporté le Næmaspora crocea de Per-
soon à l'espèce dont il est ici question, bien que la
description du Synopsis Fungorum püût convenir égale-
ment au Libertella faginea que nous allons caractériser
ci-après.
Link a changé le nom de Næmaspora en celui de My-
æosporium ; mais nulle raison valable ne pouvant faire
( 275 )
recevoir cette innovalion, nous avons conservé l’ancienne
dénomination sanctionnée par tous les auteurs. Link,
en proposant son nouveau nom (en 1824 seulement) , a
peut-être voulu que l’on conservàt le genre Næmaspora
pour toutes les espèces de Cytispora ; mais si l’on se
_conformait aux intentions que nous lui supposons, il
faudrait rejeter ce dernier nom créé par Ehrenberg,
dès l’année 1818, et adopté aujourd’hui dans tous les
livres.
IT. LIBERTELLA, Nob.
.
Char. essent. Receptaculum nullum. Sporidia fusi-
formia, recta aut magis minusve curva massa gelatinosa
juncta , sub evidermide plantarum mortuarum effusa ,
in cirrhos prodeuntia.
Observ. Genus Libertella a genere Cryptosporio
(Kunze) , ut genus Næmaspora a genere Melanconio
præcipuè differt.
Le caractère qui différencie le genre ZLibertella du
genre Væmaspora est d’une importance majeure dans
la famille à laquelle ces deux groupes appartiennent;
aussi les cryptogamistes les plus célèbres qui, de nos
jours, se sont livrés à l’étude des espèces microscopi-
ques et à leur classification naturelle, ont-ils constam-
ment, dans les Gymnomycetes, séparé avec soin dans
des genres distinets , les espèces qui difilèrent entre elles,
ou par la forme de leurs sporidies , ou par l’absence ou
la présence des cloisons que l’on remarque quelquefois
dans cet organe qui constitue souvent à lui seul la plante
entière. C’est donc appuyé des autorités les plus re-
commandables , et surtout en suivant les principes que
( 296 )
le professeur Link a établis à presque toutes les pages de
son savant Species (1), que nous avons créé un nouveau
genre dédié à mademoiselle M.-A. Libért de Malmédy,
dont les vastes connaissances et les consciencieux tra-
vaux en cryptogamie sont si Justement estimés par les
botanistes de toutes les nations.
Species.
1. Lisertezza 8eruzinA, Nob, (tab. 5, fig. IV ).
L. sporidis aurantiaco rubris, fusiformibus, sub-
recuis, circiter -*. millimetris longis. Desmaz., PI. crypi.
du nord de la France, Fasc. x.
Nœmaspora crocea, Fries, Scler. suec. exsicc.,
n° 107.
Habitat ad cortices Betulinos , in Europa (v. v.).
Cette espèce, que nous allons faire connaître en na-
ture dans le dixième volume de notre Collection eryp-
iogamique, se trouve assez communément dans le nord
de la France : il n’est pas rare de la rencontrer pendant
l'hiver sur les fagots exposés en meule à l’humidité de
l'atmosphère. Ses beaux filets, d’un rouge orangé très-
brillant , se détachent agréablement sur le fond blanc de
l’épiderme du Betula alba et la font remarquer à une
assez grande distance.
2. LIBERTELLA FAGINEA , Nob. (tab. 5, fig. V).
L. sporidüs aurantiacis, fusiformibus , curvissimis ,
tenuissimis , cireiter millimetris longis.
{1) Willdenow, Species plantarum , t. VX. Berol, , 1824.
( 277 )
Næmaspora crocea , Moug. et Nest., Stirp., n° 195.
Habitat ad cortices fagineos , in Europa (v. v.).
Cette espèce est aussi répandue que la précédente.
L'analyse microscopique à laquelle nous avons sou-
mis les échantillons que MM. Mougeot et Nestler ont
donnés dans les Surpes des Vosges pour le Næmas-
pora @ocea, nous a mis à même de les rapporter à
uotre Libertella faginea. Cependant, comme dans cette
sorte d'ouvrage tous les exemplaires peuvent ne pas être
parfaitement identiques, nous ne pouvons répondre de
notre synonymie que pour ceux que nous avons pu con-
sulter. Les personnes qui possèdent la collection de
MM. Mougeot et Nestler pourront , avec un microscope,
s'assurer si cette synonymie est applicable aux individus
que lon a placés dans leurs fascicules. Du reste , il est
probable que les échantillons qui ont servi à la confec-
tion de l'ouvrage ont été pris à la mème époque , dans la
même localité; et cette circonstance peut faire croire
qu’ils appartiennent tous à l'espèce dont il est ici ques-
uon. Le
3. Luserrezza Rosz, Nob. (tab. 5 , fig. VE).
L. acervis oblongis, coniluentibus ; sporidiis auran-
liacis, tenuissimis, circiter ;- millimetris longis, in
semi-circulum curvatis.
Obs. Hæc descriptio illam Cryptosporii aurantiaci
revocat in memoriam.
Habitat in cortice ramorum Rosæ caninæ , in Prus-
sià (v. v.).
1] ne faut pas confondie cette rare et intéressante
(278 )
espèce avec le Næmaspora Rosarum de Greville , qui :
n'est, comme nous le dirons dans un instant, que le
Cytispora leucosperma de Persoon.
Species inquirendæ.
Næmaspora grisea : sémplicissima, cirrho solitario
albido-griseo. Hab. rarius ad cortices Coryli Avella-
næ. Pers., Syn. Fung., p. 110.
Næmaspora Ribis : Sporidiis minimis gelatinosis au-
reis sub epidermide in acervos irregulares concretis,
demum per rimam (sæpè cirrhorum parvorum forma
juxta Sphæriam ribesiam) ejectis. Ehrenb., Sylv. myc.
Berol., p. 22.
Nous citons ici, comme obscures ou douteuses , deux
espèces que nous recommandons aux recherches des
mycologues, et qu’il n’est pas possible de placer dans
lun ou l’autre des genres que nous venons de caracté-
riser , d'après le peu de connaissance que nous en ont
donnée les auteurs. #
Le Næmaspora epiphy lla de De Candolle (Syn. PL.,
p- 63) , ne peut trouver place dans notre Monographie,
parce que, suivant ce botaniste, il est pourvu d’un ré-
“ceptacle. On trouve encore dans le Scottish Cryptoga-
mic flora de Greville un Næmaspora magna (Vol, 6,
t. 349), et un Næmaspora Rosarum (vol. x , t. 26);
mais il est évident que le premier est un Melanconium
et le second le Cytispora leucosperma , ainsi que l’auteur
l’a reconnu dans le Synopsis ( p. 17) placé à la fin de
son bel ouvrage. Quant au Næmaspora nigra Pers.,
que l’on trouve dans le VNomenclaior botanicus de
(279)
Steudel (PI. crypt., p. 296), Persoon lui - même
nous a déclaré qu’il n'avait décrit nulle part un Næmas-
pora sous ce nom.
Toutes les autres productions mentionnées par les au-
teurs sous les noms de Næmaspora hyalosperma, me-
‘lasperma , leucosperma , chrysosperma, ete. , appar-
tiennent au genre Cytispora. Il en est aussi plusieurs
qui sont de véritables Sphæria; et la plante trouvée au
Brésil par M. de Chamisso , et que Ehrenberg a décrite
sous le nom de Næmaspora tularostoma (Hor. Berol. ,
p- 87, t. 18, fig. 7), est un Phoma particulier aux
feuilles des Myrtes et des Lardizabala.
De l’ergot du Maïs , et de ses effets sur l'homme
et sur les animaux ;
Par M. Rouzin.
(Lu à l'Académie royale des Sciences, séance du 19 juillet 1829.)
On sait depuis long-temps que le Seigle ergoté, pris
comme aliment, donne naissance à des maladies con-
vulsives et gangréneuses ; on sait encore qu'administré
convenablement , il exerce une action spéciale sur l’uté-
rus, et son eflicacité, comme moyen thérapeutique,
semble aujourd’hui suffisamment prouvée. L’analogie a
porté à penser que l’ergot développait dans toutes les
Graminées qu'il attaque des propriétés semblables ;
mais , jusqu'à présent , aucune expérience directe n’a
prouvé la légitimité de cette supposition ; l'observation
( 280 )
non plus n'a rien appris à ce sujet, attendu que, dans
les Céréales, dont l’usage est le plus répandu, dans le
Froment , lOrge et lAvoine, le nombre des épis
malades est, en général, trop petit pour avoir de l’in-
fluence sur le produit de tout une récolte. Il serait
donc possible , à la rigueur, que l’ergot ne communi-
quàt à ces grains aucune propriété délétère, et que,
comme le chancre et la nielle, il leur enlevât seulement
leurs qualités nutritives. Si, comme cela est plus pro-
bable , il leur donne sur l’économie animale une action
nuisible , peut-être les accidens produits sont-ils tout
diflérens de ceux qui caractérisent l’épidémie de Sologne,
le raphania , le kriebel krankheit.
Il serait intéressant d’éclaircir cette question , d’au-
tant mieux que la maladie qui a régné épidémiquement
cet hiver à Paris a présenté, suivant quelques praticiens,
des signes d’ergotisme qui pourtant , dans la plupart des
cas, ne sauraient être atiribués à l'usage du Seigle.
J'ai eu ; pendant mon séjour en Amérique , l’occasion
d'observer l’ergot sur une Céréale qui, en Europe, n’en
a jamais été attaquée, sur le Maïs, qui, dans toutes
les parties chaudes de Colombie, entre pour beau-
coup dans la nourriture du peuple. Les symptômes
ressemblaient bien, sous certains points, à ceux que
produit le Seigle ergoté; mais, sous d’autres , ils en
différaient sensiblement.
Je n’ai pu obtenir de renseignemens bien précis sur
les circonstances qui favorisent le développement de
l'ergot dans le Maïs ; quoi qu'il en soit des causes qui le
produisent , cet ergot se présente toujours sous forme
d’un petit tubercule d’une à deux lignes de diamètre ét
( 281 )
de trois à quatre de longueur. Ce n’est point, comme
dans le Seigle, un allongement de tout le grain, mais
un petit cône enté sur une sphère; de sorte que l’en-
semble représente une poire, ou, mieux encore, une
gourde. L’ergot se distingue des parties voisines par une
couleur un peu livide; quant à l’odeur, elle ne m'a pré-
senté rien de remarquable ; mais peut-être cela tenait-il
à ce que le grain était anciennement cueilli.
Quelquefois plusieurs plantations voisines sont atta-
quées en même temps de l’ergot; mais il est rare que la
maladie envahisse à la fois tout un canton.
On donne au grain ainsi altéré le nom de Maïs pela-
dero , c'est-à-dire, qui cause la pelade : il fait , en effet,
tomber les cheveux des hommes qui en mangent, et
cest un accident qui se remarque beaucoup dans un
pays où la calvitie est presque inconnue , mème chez les
vieillards. Quelquefois aussi, mais plus rarement, il
cause l’ébranlement et la chute des dents; jamais je ne
lai vu produire de gangrène des membres, ni de mala-
dies convulsives. Au reste, si les effets de l’ergotisme
sont moins terribles dans ce pays que dans le nôtre,
cela tient aussi , sans doute, en partie au moindre usage
qu'on y fait des Céréales. Le paysan américain con-
somme à peine en Maïs la moitié de ce que le nôtre
consomme en Seigle, parce que, dans un grand nombre
de cas, la banane remplace pour lui le pain.
On pourrait supposer aussi que cette différence d’effets
tient à la diflérence de composition des deux grains. Le
Maïs , en effet, ne renferme pas de gluten, matuèreor-
tement animalisée et éminemment putrescible. Au reste,
remarquons en passant que le Froment, qui en con-
( 282 )
tient presque deux fois autant que le Seigle, est très-
rarement attaqué de l’ergot.
Les porcs témoignent d’abord quelque répugnance
pour le Maïs peladero ; cependant, si l’on n’a pas soin
de les éloigner du lieu où l’on renferme ce grain , ils y
prennent bientôt goût, et le recherchent avidement.
Après qu'ils en ont mangé pendant quelques jours, leur
poil commence à tomber, sans que d’ailleurs leur santé
paraisse être altérée. Plus tard, on remarque de la gène
dans les mouvemens du train de derrière ; les membres
abdominaux semblent s’atrophier, et l'animal peut à
peine s'appuyer sur eux. Je n’ai pas été en position d’ob-
server par moi-même le développement ultérieur de la
maladie , et je n’en ai pu rien apprendre par le récit des
paysans; car, sitôt que l'animal commence à maigrir,
on le tue, afin de profiter de sa chair. Je n'ai jamais
entendu dire que l’usage de cette viande ait été suivi
d’accidens.
Les mules à qui on présente le Waïs peladero, le
mangent comme s’il était sain. Si l’on continue à leur
en donner, leur poil tombe , leurs pieds s’engorgent , et
quelquefois même le sabot s’en détache. Comme , dans
cet état, l'animal n’est plus propre à servir, on le relègue
communément dans des pâturages éloignés des habita-
üons ; en ces lieux, la cause de la maladie ne subsiste
plus, la santé se rétablit communément, et le pied se
recouvre d’une corne nouvelle.
Je ne trouve dans mes notes rien qui indique préci-
sémegt que les membres postérieurs soient les seuls
affectés ; cependant cela est probable , puisqu’en espa-
gnol, les pieds de deyant , dans les bêtes chevalines,
( 283 )
étant désignés par le mot de mains, on n’eûüt pas manqué
de les mentionner séparément dans le cas où ils eussent
été aussi atteints de la maladie.
Les poules qui mangent du Maïs ergoté pondent assez
fréquemment des œufs sans coquille. On ne comprend
‘pas trop d’abord comment ce genre de nourriture peut
influer sur la formation du carbonate de chaux dont
l’œuf est habituellement revêtu ; cependant il me semble
que le fait s'explique assez bien, en concevant que l’ergot
produit, dans ce cas, un véritable avortement; en un
mot, qu'il excite dans les organes destinés à l'expulsion
de l’œuf des contractions qui chassent ce produit de
l’oviductus avant qu'il ait en le temps de s’y revêtir de
son enveloppe terreuse.
J'insiste sur ce fait, parce que plusieurs des médecins
qui ont préconisé l’usage du Seigle ergoté comme médi-
cament, ont avancé en même temps qu'il était incapable
de produire l'avortement, Peut-être ont-ils été conduits
à soutenir cette opinion, moins par une véritable con-
viction que par le désir de prévenir des tentatives cou-
pables. S'il en est ainsi, tout en louant leurs intentions,
Je suis loin d'approuver leur réserve, et je crois que,
dans ce cas, comme dans bien d’autres, il.y a moins
d’inconvénient à dire toute la vérité qu’à en céler une
partie.
Si l’on n’avait pas observé que l'usage du Seigle ergoté
mêlé aux alimens produisait des accouchemens préma-
turés , on ne voit guère ce qui eût porté à l’administrer
pour hâter les accouchemens à terme. L’avortement a
été observé dans des épidémies d’ergotisme par plusieurs
praticiens , entre autres par M. Courhaut, qui même est
a.
( 284)
parvenu à le produire sur une chienne , après six jours
de l'usage du Seigle ergoté donné à quatre onces par jour.
Nul doute que la dose qui peut amener l'expulsion
d’un fœtus à terme , lorsque la matrice et ses annexes
sont dans les conditions les plus favorables de dévelop-
pemens, ne soient souvent insuffisantes à une époque
moins avancée de la gestation; mais il est un grand
nombre de cas dans lesquels un médicament qui excite
les contractions de l'utérus, lors mème que cet organe
ne contient autre chose qu'un polype , produira presque
à coup sûr l'avortement.
Je dois confesser ici que je n'ai jamais eu l’occasion
de constater directement l’avortement déterminé chez
un Mammifère par l'usage du Seigle ergoté , et que les
renseignemens que j'ai recueillis à cet effet ne m'ont pas
même paru suflisans pour bien établir ce fait , que d’ail-
leurs je suis très-porté à admettre.
On sait que le Seigle ergoté n’agit jamais avec plus de
force que lorsqu'il est fraichement récolté; la mème
chose a lieu pour le Maïs peladere , avec ceute seule
différence que le poison semble encore plus actif avant
que le grain ait acquis sa parfaite maturité.
Le Maïs, depuis l'instant où il commence à entrer en
épis jusqu'au moment de la récolte, est environné de
nombreux ennemis : les Mammifères et les Oiseaux s’en
montrent également avides , et il n’y a que la surveillance
la plus active qui puisse les en tenir écartés. Lorsque la
récolte est gâtée par l’ergot, on se relâche communément
d’une garde aussi fatigante, alors de jour et de nuit les
animaux viennent pour se gorger de ce mauvais grain
qui agitsur eux avec la plus effrayante rapidité. I n'est
( 285 )
pas rare de voir des singes, des perroquets tomber comme
ivres au milieu du champ , et sans pouvoir jamais se re-
lever. Des chiens indigènes ; des cerfs qui sont égale-
ment frionds de Maïs , maïs qui ne viennent se repaître
que: dans l'obscurité , éprouvent quelquefois le même
sort. Le matin, on les trouve dans les halliers voisins de
la plantation, et le vol des zamurros indique le lieu où
ils sont allés se coucher pour mourir.
Après ce que je viens de rapporter, croirait-on qu’un
grain, capable de causer si subitement la mort, pût perdre
en peu de temps ses propriétés délétères, et devint sus-
ceptible de servir d’aliment ; c'est pourtant ce qui semble
prouvé , autant du moins qu'une chose peut l'être par
un concours de témoignages désintéressés. Nombre de
gens dignes de foi m'ont assuré que lorsque le Maïs pe-
ladero à passé les Paramos , hautes montagnes où règne
un froid éternel, il se trouve dépouillé de toute qualité
nuisible. Ce qu'il y a de certain , c’est qu'on porte assez
fréquemment ce grain dans les villages de la Cordilière,
situés sur le versant opposé , et là il est acheté par des
hommes qui n’ignorent pas le danger qu’il y aurait à s’en
servir dans le lieu où il a été récolté.
Ce faitne pourrait-il pas, jusqu’à un certain point,
rendre raison des différences qu’on remarque dans l’ac-
tion du Seigle ergoté , quand on l’emploie comme médi-
cament. Îl serait intéressant de constater si le grain qui
se trouve sans vertu n'a pas été exposé dans quelques
magasins mal clos, à tous les froids de l'hiver; tandis
que celui qui agit encore avec énergie aurait été conservé
dans un lieu dont la température varie peu , dans une
cave ou dans un appartement habituellement chauité.
( 286 )
Il ne paraît pas que l’ergot du Maïs soit une maladie
fort répandue; on ne le connaît point au Pérou, au
Mexique, ni dans les républiques du centre. En Co-
lombie, je n'ai jamais appris qu’elle existât hors des
provinces de Neyba et de Mariquita. Dans ces provinces,
on ne l’observe que dans les parties chaudes , quoique,
d’ailleurs, le Maïs prospère dans des climats constam-
ment froids. J’ai vu, sur les bords de'la lagune de Fu-
quène , à 2200" d’élévation au-dessus du niveau de la
mer, des plantations de Maïs , dont les tiges dépassaient
communément sept pieds.
Il paraît que la température influe beaucoup sur la
proportion des principes immédiats qui entrent dans la
composition de cette plante. Pour le grain, je n'ai pu
m'en assurerdirectement ; je n'étais pas en état de faire
une analyse comparée d’une exactitude suflisante ; mais,
pour la tige, je m'en suis parfaitement assuré.
Je lus un jour, dans la première lettre de Cortez à
l’empereur Charles V , que les Mexicains faisaient avec
le suc du Maïs un sirop aussi agréable que celui du sucre
de canne. J'étais alors à Bogota, j'allai le jour même
goûter des tiges de Maïs , et je ne leur trouvai qu'un
goût fort insipide ; depuis , me trouvant dans un climat
chaud, à Mariquita, je fis le même essai, et ayant
alors trouvé à cette tige une saveur très-fortement sucrée,
j'en fis moudre une assez grande quantité dans un mou-
lin à rouleau (trapiche) ; je recueillis de deux à trois
litres de jus d’un vert glauque, opaque, mais qui s’é-
claircit après quelques minutes d'ébullition. Je traitai
ce jus exactement comme on fait dans le pays pour celui
de canne, c’est-à-dire, qu'après avoir bien écumé, j'y
( 287 )
jetai à un certain moment une lessive de cendre, et je
poussai convenablement le feu.
J'obtins ainsi un sirop blond d’une saveur sucrée,
très-franche , et qu'il eût été impossible de distinguer
du sirop ordinaire , sans une petite pointe d’acidité qui
Jui restait.
Le sirop placé à l’étuve me donna plus de deux onces
d’un sucre pris en masse, parfaitement sec, mais qui
attira bientôt l’humidité de l'air, peut-être à cause d’un
peu d’acide malique dont la lessive alcaline ne l'avait
pas bien purgé.
Rarrorr fait à l’Académie royale des Sciences
sur le Voyage de M. d'Urville;
Par M. le baron Cuvier.
(Séance du 26 octobre 1820.)
L'Académie, qui a déjà entendu avec intérêt le rap-
port qui lui a été fait par M. de Rossel, sur le voyage
de découvertes exécuté sous les ordres de M. le capilaine
d'Urville , a désiré qu’il lui füt rendu un compte parti-
culier des travaux des naturalistes attachés à cette expé-
dition , et elle nous a chargés, MM. Geoffroy - Saint-
Hilaire, Latreille, Duméril et moi, d'en examiner la
partie zoologique.
I nous a été d’autant plus facile de nous acquitter de
ce devoir, que déjà trois fois nous avons eu occasion
d'entretenir V Académie des envois de ces savans naviga-
( 288 )
teurs , et que nous n'avons en quelque sorte aujourd'hui
qu'à résumer nos rapports précédens , et à les compléter
par une indication des objets qu’ils en ont déposés eux-
mêmes , à leur retour, soit à l’Académie, soit au Muséum
d'histoire naturelle. .
MM. Quoy et Gaïmard , zoologistes de l'expédition ,
étaient déjà glorieusement connus de l’Académie et de
tous les amis de l’histoire naturelle par leur participation
au voyage de M. le capitaine Freycinet et par le volume
plein d'observations curieuses et nouvelles dont ils ont
enrichi la relation. On ne pouvait pas douter que l’ex-
périence acquise lors de cette première expédition et les
études qui leur avaient été nécessaires pour en publier
les résultats ne les eussent mis à même de rendre la se-
conde encore plus profitable à la science ; et on l’espé-
rait d'autant plus que le capitaine d’Urville devait se
rendre dans des parages encore plus abondans en riches
productions et encore moins connus des naturalistes que
ceux qu'avait traversés le capitaine Freycinet.
Ces espérances n’ont point été trompées , malgré les
malheurs et les contre-temps que l'expédition a éprou-
vés , et bien qu'elle n'ait pu séjourner, autant qu'il eût
été à désirer, sur ces côtes encore presque neuves pour
la science , de la Nouvelle - Guinée, MM. Quoy et Gai-
mard ont envoyé et rapporté des collections plus consi-
dérables qu’il n’en avait été formé jusqu'à ce jour, ni
par leurs prédécesseurs , ni par eux-mêmes.
Fidèlement déposées au Cabinet du Roi , il en a été
fait des catalogues exacts, qui spécifient classe par
classe les nombres des genres , des espèces et des indi-
vidus de chaque espèce; ious ces animaux, depuis les
mani
( 289 )
plus grands jusqu'aux plus petits et aux plus frèles , sont
d’une conservation qui annonce la plus grande habileté
et la patience la plus soutenue.
Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit
dans nos trois rapports précédens sur les nombres des
éspèces et des individus qui ont composé ces envois. Les
catalogues les comptent par milliers (1), et rien ne prouve
mieux l’activité de nos naturalistes que l'embarras où se
trouve l’administration du Jardin du Roi pour placer
tout ce que lui ont valu les dernières expéditions , etsur-
tout celle dont nous rendons compte. I a fallu descendre
au rez-de-chaussée , presque dans les souterrains , et les
magasins même sont aujourd’hui tellement eucombrés,
c’est le véritable terme , que l’on est obligé de les diviser
par des cloisons pour y multiplier les places.
Nous ferons remarquer seulement que , dans les cata-
logues généraux qui ont été présentés à l’Académie, ne
sont pas comprises de nombreuses petites espèces conte-
nues dans six cent cinquante bocaux , dont plusieurs en
renferment dix ou douze, l'examen que MM. Quoy et
Gaimard en font eux-mêmes n'ayant pas encore été ter-
miné.
Une partie des objets auxquels leur nature donnait
du prix ont été achetés des deniers de ces naturalistes ,
et même M. Gaimard a fait à lui seul les frais de son
excursion particulière à Madagascar.
On conçoit d’ailleurs tout ce qu'il a dû en coûter de
fatigue, ce qu’il leur a fallu d'attention et d'adresse pour
(1) Ces catalogues , qui ont demandé plusieurs mois de travail, ont
été faits par MM. Latreille, Valenciennes , Isidore Geoffroy et
Audouin. , |
XIX.
39
( 290 )
ne rien laisser échapper de tant d'êtres fugitifs, surtout
de ceux que l’œil même a peine à saisir au milieu des
vagues dont ils ne se détachent point par la couleur;
aussi se font-ils un plaisir de reconnaitre que le zèle de
tous les officiers, de tous les hommes de l'équipage pour
ce genre de recherches , la complaisance qu’ils ont mise
à les seconder , les ont puissamment aidés à remplir
cette partie de leur mission. Lé corps de la marine fran-
çaise est trop éclairé aujourd’hui pour dédaigner rien de
ce qui se rapporte aux sciences , et nous regarderons
toujours comme un devoir de la part des naturalistes de
témoigner publiquement toute la reconnaissance qu'ils
lui doivent. Depuis plusieurs années, l’histoire natu-
relle , et surtout la zoologie, s’est plus enrichie peut-
être , par suite des ordres donnés de la part du ministère
de la marine, et du zèle que MM. Les officiers ont mis à
les exécuter , que par les efforts particuliers d'aucun de
ceux qui la cultivent, et même que par les expéditions
scientifiques d'aucune des époques précédentes. Dans cette
occasion, ce zèle a pu se montrer d'autant mieux, que le
commandant de l'expédition , ML. le capitaine d'Urville
lui-même , très - profond dans plusieurs branches de la
science, a partagé , autant que ses devoirs de chef le Jui
ont permis, les travaux des naturalistes; et qu’én lui
doit personnellement une grande partie des insectes de
la collection. On en doit aussi beaucoup à M. Loutn,
l’un des officiers, et leurs contributions, pour cette
partie seulement, montent à près de cinq cents espèces.
À Madagascar, M. Ackermann, chirurgien-major de
l'établissement francais, en a usé également envers
M. Gaimard avec la plus grande générosité.
(291 )
Ce qui ajoute encore à la reconnaissance que les amis
de l’histoire naturelle doivent au ministère de la marine
et au gouvernement du Roi en général , c’est l’attention
que l’on met aujourd’hui à publier aussitôt les résultats
des expéditions, et avec une magnificence égale, à quel-
que science qu'ils se rapportent. Onse souvientcomment
tout ce qu'avaient produit le voyage de Bougainville et le
séjour de Commersondans les mers de l’Inde, s’est trouvé
dispersé. Je ne parle®i pas de l'expédition de La Pérouse,
ni de celle de d'Entrecasteaux , l’une et l’autre si mal-
heureusement terminées, quoique d’une manière dif-
férente; mais Péron lui-même, dont l’activité lors
de l'expédition de Baudir avait été si productive, n’a pu
obtenir que la publication d’un mince atlas, et le grand
nombre de dessins qui avaient été faits sous ses yeux
ont mème disparu après sa mort, sans qu'aucune auto-
rité se soit mise en peine d’en faire la recherche.
I] n’en a pas été de même des trois derniers voyages.
Celui de M. de Freycinet a déjà produit, pour la seule
zoologie , un volume où l’on ne peut reprendre que deux
ou trois figures faites sur des dessins non vérifiés d’un
artiste qui n'était pas naturaliste. Celui de M. Duperrey
se publie maintenant avec encore plus de magnificence,
et l’ordre a été donné de publier également celui dont
nous rendons compte. Rien ne lui manquera en exacti-
tude, sous le rapport des dessins. M. Quoy , pour beau-
coup d'objets, ne s’en est reposé que sur lui-même ; il
s’est en quelque sorte adjoint à M: Sainson , peintre de
l'expédition , et son talent, comme dessinateur, ne se
montre pas moins dans les recueils que nous avons sous
les yeux, que ses connaissances comme naturaliste. Tous
( 292 )
les objets dont l’art ne pouvait entièrement préserver
les formes ou les couleurs , ont été représentés d’après le
vivant, ou au moins sur le frais; et, ce qui est vraiment
prodigieux , ils ont tous été dessinés deux fois ; les au-
teurs ont gardé par devers eux les premiers dessins ; et,
dans la crainte d’événemens qui pouvaient anéantir
leurs travaux, ils ont saisi toutes les occasions d’en en-
voyer des copies correctes à l'Académie, qui , déposées
au secrétariat, leur ont été exacihent remises lors de
leur retour.
Ces dessins , que rien ne pourrait remplacer, ne por-
tent, comme cela était naturel, nisur les Mammifères ,
ni sur les Oiseaux , ni sur les Insectes , trois classes qui
se conservent assez bien en nature, pour ne pas exiger
celte précaution ; mais ils représentent quelques Qua-
drupèdes (à cause de leurs attitudes) et tous les Reptiles,
les Poissons , les Mollusques , les Annélides et les Zoo-
phytes qui ont paru offrir quelque intérèt.
Ils forment 525 planches in-4°, contenant 3350 figures
ou détails anatomiques relatifs à 1263 espèces différentes
d'animaux des classes que nous venons d'indiquer.
En même temps que ces observateurs pleins de zèle
se livraient à ce pénible travail, ils consignaient dans
des registres tenus dans le meilleur ordre , tout ce qu’il
y avait à remarquer d'intéressant sur chaque espèce.
Des numéros de concordance fort exacts renvoient de
l'observation écrite , au dessin, et à l’objet même con-
servé en nature; en sorte que , par la combinaison
de ces trois documens , on peut toujours en compléter
l'histoire.
L'examen de ces riches recueils est fait à la fois pour
( 293 )
effrayer l'imagination sur les prodigieuses richesses de
la nature, et pour rendre modestes les naturalistes les
plus habiles, en leur apprenant combien ils sont encore
reculés dans la connaissance de ces êtres dont ils préten-
dent dresser le catalogue. Chaque pas , chaque coup de
filet, pour ainsi dire, a fourni à nos voyageurs des
choses singulières et inconnues. L'Académie se souvient
que, dès la baie d’Algésiras, pendant un séjour que les
vents contraires les obligèrent d'y faire , ils découvrirent ,
en quelque sorte, une famille tout entière de Zoo-
phytes, celle des Diphydes, dont on n'avait encore
qu'une seule espèce et un individu mutilés.
Ce sont des animaux presque incomprékensibles; tou-
jours se tenant deux à deux, mais où les individus de
chaque couple ne sont pas semblables; l’un des deux
emboitant l’autre en partie, et fournissant une guirlande
d’ovaires et de tentacules qui traverse un canal de l’em-
boité pour pendre dans la mer. Cet arrangement, dont
on ne se faisait aucune idée , qui ne se laisse pas bien
expliquer maintenant qu’on le connaît, se répète ce-
pendant en huit ou dix espèces différentes, toutes d’une
mer très-voisine de nous, et tellement communes, qu’il
n'a fallu que quelques jours à nos observateurs pour les
rassembler. Depuis lors, ils en ont trouvé plusieurs
autres exemples dans d’autres mers , et nous ne doutons
point que les navigateurs , maintenant avertis, ne les
multiplient encore beaucoup.
MM. Quoy et Gaimard eux-mêmes ont découvert et
décrit plusieurs genres qui conduisent par degrés de
ceux-là aux Acalèphes hydrostatiques ordinaires , dont
la série se termine aux Physalies. Les formes et les com-
(294)
binaisons les plus extraordinaires se rencontrent dans
ce groupe dont les Physsophores de Forskahl ne donnent
qu'une légère idée. Il y en. a dont les vésicules , prenant
des formes stéréométriques prononcées, se rassemblent
en prismes, en pyramides, en sphères. Les guirlandes
de tentacules, de suçoirs , d’ovules suspendus à ces amas
de vésicules , présentent aussi les formes et les couleurs
les plus variées. C’est encore là une famille d'êtres qui
promet les observations les plus curieuses.
Marsigli, Donaü, Ellis, nous avaient fait connaître
les animaux du Corail, des Gorgones et des Pennatules.
M. Savigny avait donné des idées encore plus précises
de ceux des Alcyons ; mais on n'avait encore que des
idées assez vagues de ceux des divers sous-genres que
l’on a établis dans le genre des Madrépores , tels que les
Caryophyllies, les Méandrines , les Astrées.
Nos voyageurs les ont observés avec soin, et nous en
donnent des figures coloriées ; on voit que, dans les
Méandrines, ce sont des oscules ouverts çà et là dans
les sillons ; que les Astrées ont des Polypes assez voisins
des Actinies ; que dans les Caryophyllies, chaque extré-
mité de branche fait sortir un faisceau de tentacules.
Plus de cent planches , contenant pour la plupart de
nombreuses figures, sont consacrées aux animaux des
coquilles. La conchyliologie ne sera plus réduite , comme
elle l'était presque encore il y a trente ans, à jouer,
comme disait Müller , avec de petites productions pier-
reuses plus ou moins bien colorées. Ce qu'Adanson avait
commencé, ce que Müller lui-même, malgré son ironie,
n'avait pu porter bien loin, se trouve fort avancé par les
observations de nos savans voyageurs. Il n’est guère de
(29 )
genre ni de subdivision de genre dont ils n'aient repré-
senté l’animal dans toute son expansion et avec ses cou-
leurs naturelles. Deux de ces genres cependant restent
encore dans le doute. Ïls n'ont eu du Nautile qué des
fragmeus ; encore n’ést-ce qüe par conjecture qu'ils les
supposent appartenir à cette coquille. Quant à l'Argo-
naute, l’Académie a déjä appris , par une de leats lettres,
qu'un Hollandais , établi depuis long-temps aux Molu-
ques, les à assurés que éetté coquille était habitée par
un Mollu:que dont il à fait dé mémoire une esquisse ,
et qui paraitrait de l’ordre des Gästéropodes ; mais
MM. Quoy et Gaimard eux-mêmes n'ont vu ce Mol-
lusque ni mort, ni en vié, én sorte que ce problème,
qui à tant occupé, dans ces derniers temps, quelques na-
turalistes , ne peut être encore considéré comme tout-à-
fait résolu.
MM, Quoy et Gaimard , ayant bien voulu se souvenir
que l’un de nous s’otéupe d’un grand ouvrage sur les
Poissons , ont donné tüne atténtion particulière à cette
classe d'animaux. Ils lui ont consacré 136 planches,
dont la phupart contiennent plusieurs figures, en sorte
que le nombre des espèces représentées va à près de 300.
Les aulêurs se sont concertés avec leurs collègues
MM. Lesson et Garnot , qui publient en ce moment la
partie zoologique du voyage du capitaine Duperrey, et
avec MM. Cuvier ét Valenciennes , auteurs de l’histoire
générale des Poissons, afin que lés espèces qui seront
représentées dans un de ces ouvrages ne soient pas répé-
tées dans les deux autres , et que l’on n'y figure, autant
qu'il séra possible , que des espèces qui n’aient point en-
core paru ailleurs, en sorte que, si l’on y réunit la partie
(296 )
zoologique du voyage du capitaine Freycinet, la France
aura produit , en peu d'années , une masse de figures de
Poissons coloriées d’après le frai, qui enrichira consi-
dérablement l’ichihyologie.
Parmi ceux que l’on devra à MM. Quoy et Gaimard ,
nous ferons remarquer particulièrement un grand nom-
bre de grands Squales et de grandes Raïes difficiles à
rapporter , deux nouvelles espèces de Moles, un nou-
veau Sternoptyx et cinq ou six poissons qui forment des
genres nouveaux, et dont, avec la permission de nos
voyageurs , l’un de nous a déjà indiqué une partie dans
la nouvelle édition de son Règne animal , mais qui exi-
geraient trop de détails pour être expliqués ici.
Ce qui , dans cette parüe des travaux de MM. Quoy
et Gaimard, plaira surtout aux amateurs, ce sera une
suite de Poissons de couleurs charmantes qui n'avaient
point encore été rendus avec cette vivacité. On ne peut
revenir dela beauté de ces inimitables assortimens de
couleurs dont la nature s’est plu à revêtir des êtres des-
tinés à demeurer dans les profonds abimes de la mer.
Nos naturalistes n'ont pas négligé l'anatemie des
Poissons. Leurs planches représentent lesguiscères de
plusieurs espèces , et ils se sont attachés surtout aux
cerveaux des grands Squales et des grandes Raïes.
Ils ont rapporté aussi plusieurs pièces anatomiques
relatives aux animaux supérieurs, et dans ces classes
supérieures elles-mêmes, ils ont assez d'espèces nou-
velles pour enrichir leurs ouvrages de planches inté-
ressantes,
D'après cet exposé, il nous paraît que les travaux
exécutés pour la zoolosie par les naturalistes de l’expé-
Ï sie F
(297 )
dition commandée par le capitaine d’Urville , répondent
parfaitement à ce que les amis des sciences pouvaient
attendre, et que l'ouvrage où ils en rendront compte ne
pourra que faire honneur à la France et à son gouver-
nement.
Signé Georrroy Saint -Hicaime , Larreizre, Du-
MÉRIL; Cuvier , rapporteur.
"L'Académie adopte les conclusions de ce Rapport.
ExPÉRIENCES sur la Génération des Plantes ;
Par M. C. Girou DE BuzAREINGUES,
Correspondant de l’Académie royale des Sciences.
Ares en avoir rendu compte à l’Académie , j'ai pu-
blié les faibles résultats que j'avais obtenus en 1827 et
1828, de quelques expériences sur la reproduction des
plantes.
J'ai voulu m’assurer , en 1829, si ces mêmes résultats
se présenteraient encore dans de nouvelles expériences ,
et si les lois de reproductions végétales auxquelles j'avais
été conduit par des aperçus physiologiques , existaient
réellement.
Mon chanvre de l'expérience de 1828 avait été soumis
à une circonstance particulière ; J'avais arraché presque
tous les mâles avant la fleuraison ; deux ou trois seule-
ment étaient fleuris lorsque je les arrachai; et il était
pour moi vraisemblable :
1°. Que si, comme l’aflirme Spallanzani , le chanvre
( 298 )
femelle produit des graines susceptibles de germer,
quoiqu'il n'ait pas été fécondé par le mâle, il ÿ aurait
dans ma peêtite récolte de 1838 des graines de chanvre
qui seraient dans ce cas ;
2°, Que, s’il y avait quelque analogie entre le règne
végétal et le règne animal, si le chanvre se comportait
dans sa reproduction , comme le puceron, ces grains,
formés sans le coucours du mâle, produiraient spéciale-
ment des femelles , et que j'obtiendrais , en somme , de
ce chenevis un plus grand nombre relatif de femelles ,
que de tout autre qui n’aurait pas été soumis à la même
circonstance. Une expérience de Spallanzani affaiblissait
cependant l'espérance de ce dernier résultat.
Je me suis procuré d’autre chenevis, dont une partie
m'a été donnée comme venant d'Issoire, ét une autre
partie comme recueillie à Cassagnes, près Buzareingues.
Sur le chenevis de mon expérience de 1828 , j'ai pu
séparer les grains formés par le haut de la tige, de ceux
qui l'avaient été par ses grappes inférieures ; et sur cha-
cune de ces divisions , ainsi que sur le chenevis d'Issoire ,
j'ai séparé les grains les plus gros des plus petits, afin de
m’assurer, éncoré par moi-même, si le résultat obtenu
par M. Autenrieth, et rapporté par M. De Candolle, était
général ; si les grains les plus gros donnaient constam-
ment plus de mâles que les grains les plus petits , ou s'il
n’én serait pas de ce sentiment comme de celui qu'a-
vaient adopté les Romains sur les œufs, et qui nous est
conhu par ces vers d'Horace :
« Longa quibus facies ovis exitilla memento,
« Ut suceci melioris et ut magis alta rotundis
« Poncre : namque marem cohibent callosa vitellum. »
( 299 )
Toutes mes divisions étant faites, je les ai seméés sé-
parément dans mon jardin ; au commencement de mai,
quinze jours plus tôt qu’on ne sème le chanvre dans le
canton dont fait partie le domaine dé Buzareingues ; je les
ai semées à l'Est et sous l’abri d’une haute muraille qui
intercepte parfaitement le vent du couchant , le seul qui
eût pu apporter sur mon chanvre Îe pollen que pouvait
fournir la seule chenevière voisine, éloignée d'environ
huit cents mètres de mon jardin.
J'ai pris ces précautions, parce que, étant dans l’in-
tention de détruire les sujets mâles avant la fleuraison ,
il m’importait aussi de soustraire les sujets femelles au
pollen étranger ; où plutôt de prévenir tout doute là-
dessus; car je suis convaincu que les influences du
pollen transporté par les vents sunt moindres qu’on ne
le pense. S’ilen était ainsi, en effet, il serait presque im-
possible de conserver les espèces dans leur pureté; l’hy-
bridation serait inévitable et générale. Une expérience de
Spallanzani sur la mercuriale des jardins montre , d’ail-
leurs, que ce n’est qu'à de petites distances que le pol-
len de ces sortes de plantes féconde les femelles.
J'ai été singulièremeni contrarié par les limaces , les
araignées , plusieurs insectes et les oiseaux. Ceux-ci,
au mépris de tous les épouvantails, au mépris même
d'un faucon empaillé, se portaient en foule sur mon
chanvre naissant , parce qu'il était seul dans la contrée.
Je suis bien certain d’avoir arraché et détruit tous les
sujets mâles avant la fleuraison. Il n’y a pas eu de fleurs
mâles sur les sujets femelles. Je suis enfin très-persuadé
que mon chanvre femelle n’a reçu aucune influence du
pollen étranger, parce qu'il était fleuri et son chenevis
( 500 )
déjà formé avant la fleuraison de tout autre chanvre mâle
du voisinage ; précocité que j'avais ménagée tout
exprès.
Cependant mon chanvre femelle m’a donné beaucoup
de chenevis, et indifféremment dans toutes ses grappes
et sur toutes les faces de ses tiges; autant m'en ont
donné les plantes les plus rapprochées de l'abri, que
celles qui en étaient les plus éloignées. J'ai semé 300
grains de ce chenevis , ils ont parfaitement germé ; j'en
eusse peut-être obtenu une seconde récolte, si la tem-
pérature de l’été dernier eût été plus chaude.
Je suis donc convaincu que le chanvre femelle peui
se reproduire sans le concours du mâle ; mais le chanvre
ainsi formé est-il apte à produire, comme tout autre,
des mäles et des femelles, et dans les mêmes propor-
tions ? Voilà une question dont la solution m'intéresse
beaucoup, et sur laquelle je n’ai encore acquis à poste-
riori qu'un léger adminieule ; mais que j'espère résoudre
l'an prochain d’une manière positive.
Je passe aux autres résuliats de mon expérience; en
voici le tableau : J
Chanvre provenant de l'expérience de 1828, et fécondé
par un petit nombre de méäles.
Rapport
Mäles. Femelles. des mâles aux femelles.
Part. iuf. de latige. Semence grosse. 87 07 5. 1000, : "TTID
— — — Semence petite. 63 67 :: 1000 : 1063
Total. 150 ,164 : : 1000 :. 4093
72
( 301 )
Part. sup. de la tige. Semence grosse. 103 117 :: 1000 : 1136
— — — Semence petite. 77 118 :: 1000 : 1532
Total des quatre sections. 330, 429 : : 1000 : 1209
me rt, ee
Chanvre présumé d'Issoire.
Semence grosse. 256 307::: 1000 «:. 1199
Semence petite. 163 AS Ne UTOON EEE O0
Total. . 419 455 : : 1000 : 1088
Chanvre de Cassagnes. 3030840: I0OD ER 122
Résumé.
Le chenevis provenant de l'expérience de 1828 , et
que je suppose n'avoir pas été tout fécondé par du pol-
len , est celui qui m'a donné le plus de femelles ; et la
semence fournie par la partie inférieure de la tige men
a donné, comme en 1828, moins que celle qui prove-
nait de la partie supérieure. Dans celle-ci, la semence
petite , fournie spécialement par le sommet des grappes,
a donné un peu plus de trois femelles contre deux mäles ,
tandis que dans l’autre partie , la semence petite a donné
plus de mâles que la semence grosse.
Dans le chanvre présumé d’Issoire, la semence petite
a réellement donné plus de mâles que de femelles, tan-
dis que la semence grosse a donné plus de femelles que
de mâles.
Enfin, le chanvre de Cassagnes a produit un plus
grand nombre relatif de femelles que celui d'Issoire :
résultat opposé à un autre résultat de l'expérience de
, 1828, que j'ai dû rapporter , quoique j'en fusse surpris.
( 302 )
Les semences les plus petites ne m'ont done donné
un plus grand nombre relatif de femelles, qu’autant
qu'elles provenaient du haut des grappes. Or, telle est
la condition dans laquelle se trouve spécialement cetie
qualité de semence, toutes les fois que le chanvre a
été semé dru, comme on le sème ordinairement, et
n'a pu, par ce motif, produire que des épis terminaux
très-courts.
On ne peut donc rien conclure de mon observation
contre celle de M. Autenrieth ; mais elle rend vraisem-
blable, s’il n’est certain du contraire, que la semence
qu’il a employée dans ses expériences provenait du som-
met des tiges : et, dans ce cas, il aurait trop généralisé
sa proposition, supposé , d’ailleurs, que mes résultats ,
encore un peu mesquins , soient confirmés par d’autres
expériences.
da végétation du chanvre provenant de l'expérience
de 1818 a suivi la marche de l'inflorescence : celle de la
semence fournie par le bas de la tige a devancé celle de
la semence fournie par le sommet.
J'ai remarqué le même fait dans d’autres expériences
sur des épinards , desquelles je ne puis encore rendre
compte.
La végétation de la semence grosse a été plus belle et
a mieux réussi que celle de la semence petite. Cepen-
dant je dois entrer ici dans quelques détails qui seraient
assez curieux, s'ils se reproduisaient dans de nouvelles
expériences. k
En mème temps que j'arrachais les brins de chanvre
mâle, je les classais , suivant leur grandeur, en deux
sections, grands et petits; et, lorsque j'ai arraché Je
( 303 )
chanvre femelle, je lai lout mesuré brin à brin. Je
17
joins ici le tableau des résultats de cetie double opéra-
tion, qui m'ont été donnés par mon chanvre de l’expé-
rience de 1828.
RAPPORT LONGUEUR MOYENNE
des femelles,
du nombre des mâles petits à la totalité. {mesurée du collet au sommet.
|
Bas de la tige. Semeuce grosse. 666 à 1000 0,582
— — Semencpctite. 603 à 1000 0,516
Haut de la tige. Semence grosse, 779 à 1000 0,607
— — Semence petite. 718 à 1000 0,677 (1)
Résumé de ce Tableau.
…
La grandeur des brins femelles a suivi un ordre in-
verse de celle des brins mâles; et, chose assez remar-
quable , la semence petite du haut de la tige, à laquelle
j'avais supposé une plus grande tendance à produire des
femelles que des mâles, m’a donné non seulement le plus
de femelles, mais encore les plus grandes femelles ;
tandis que les mâles qu’elle a fournis ont été les moins
nombreux et les plus petits.
Je pe puis dire quelle part ont prise à ce singulier ré-
sultat des circonstances étrangères à la semence elle-
même, telles que le hasard , la culture, la distribution
du fumier et l'inégalité de l’arrosement ; et quoique je
(1) Mon chanvre paraîtra de bien petite taille : il y avait cependant
des sujets de plus de six pieds ; mais, comme j'avais fait en sorte de
tout conserver, il y en avait anssi un certain nombre de très-petits,
( 304 )
sois autorisé à la croire bien petite, si elle n’est pas tout-
à-fait nulle, je m'abstiens de rien déduire de cette obser-
vation solitaire. Bien résolu de faire quel, si elle est
confirmée dans les expériences auxquelles je me propose
de me livrer encoré, ce soit d’une manière concluante.
Sur quoi vous êtes-vous fondé d’abord , me dira-t-on
peut-être, pour supposer que le haut des tiges du chanvre
femelle doit produire , plus spécialement que le bas , des
grains aptes à former des femelles ?
Sur des faits connus de tous les botanistes.
1°. Si Je considère l’action propre de la femelle indé-
perdamment du mäle , je suis conduit à ma supposition
par les faits suivans.
Le sommet des grappes, des épis, des rameaux, et
surtout des tiges principales , représente plus spéciale-
ment que leur base l'axe fibreux ou l’étui médullaire de
la plante, dont les organes féminins sont la continua-
tion; tandis que la base représente ‘plus spécialement
que le sommet, et l'enveloppe de l’étui médullaire ou les
couches superposées , et l'écorce dont les organes mascu-
lins principalement sont la continuation.
Dans les plantes monoïques dicotylédones, sauf un
petit nombre d’exceptions, les fleurs femelles naissent
au sommet de la tige et les fleurs mâles sur ses côtés.
Dans les plantes dioïques dicotylédones , le mâle est
plus rameux, a une plus grande force de végétation ho-
rizontale que la femelle , qui est plus élancée , qui a une
plus grande force de végétation verticale que le mâle.
29, Si je considère l’action du mâle dans la reproduc-
tion des deux sexes :
Le chanvre mâle fleurit quinze jours et mème trois
( 3059
semaines avant la femeile. Le pollen des sujets les plus
hauts, les plus vigoureux.et les plus précoces , celui qui
tomberait spécialement sur le sommet des femelles, est
donc répandu bien avant l'apparition des pistils et sur-
tout de ceux du sommet de la tige. Il est d’ailleurs sujet
à être dissipé par les vents ou entrainé par les eaux plu-
viales, avant de pouvoir servir à la fécondation ; tandis
que celui des sujets les plus tardifs et les plus petits, qui
doit atteindre spécialement les bas rameaux de la plante
femelle ou les ramuscules inférieurs de ses épis, ne par-
vient souvent à sa maturité et ne tombe que lorsque les
femelles fleurissent ou sont sur le point de fleurir ; d’où
je suis induit à conclure que c’est spécialement sur ces
parties inférieures de l'inflorescence féminine que de-
vient sensible l’action des mâles.
En juillet dernier, et lorsque le fruit du chanvre de
l'expérience dont je viens de faire le rapport était déjà
formé, j'ai semé, encore dans mon jardin, d'autre
chanvre dont je me proposais de détruire et dont j'ai dé-
truit , en effet, les produits màles les plus petits avant
leur fleuraison, ne conservant que les plus grands. La
semence que j'en ai obtenue sera mise en expérience en
1830. Je crains bien qu’elle n’ait pas acquis une suflisante
maturité.
J'ai fait aussi des expériences sur les épinards ; mais
la température extraordinaire de l'été dernier s’est op-
posée à leur complète fleuraison. Peut-être , cependant,
en obtiendrai-je quelques résultats le printemps prochain.
XIX. 20
( 306 )
Mémone sur les Vices de conformation du rein ,
et sur les variétés qu’il présente dans sa struc-
ture chez les Mammifères , et dans ses formes
chez les Oiseaux ;
Par M. le docteur Martin SaINT-ANGE,
Membre de la Société anatomique de Paris.
Tous les organes sont susceptibles d’être modifiés
dans leur forme, et de présenter des conditions plus ou
moins différentes de celles qu'ils offrent dans leur état
normal ; mais le nombre des anomalies auxquels ils
sont sujets est loin d’être le mème pour ious. Le rein
est sans contredit l’un de ceux qui offrent le plus fré-
quemment des variétés. Ces variétés dépendent le plus
souvent de la compression que l'organe a éprouvée par
suite d’un déplacement qui l’a mis en rapport avec des
organes plus denses que lui.
Une autre cause peui faire changer la forme d’un
organe : c’est celle qu’on désigne sous le nom d'arrêt de
développement ; maïs celle-ci n’agit que plus rarement,
et, dans ce cas, l’organe n’est véritablement point dif-
forme. La seule anomalie est la persistance d’une forme
qui n'aurait dù être que transitoire. Or, de ce qu'un
organe'est resté ce qu'il était dans son principe, on ne
doit pas conclure qu'il est difforme , pas même dans les
cas où son arrangement el sä forme se seraient arrêtés
au même point où ils restent constamment chez un être
très-inférieur. En effet, beaucoup de faits prouvent
que ce vice de conformation est le véritable point de
( 307 )
départ de l’organe que l'on examine : c’est ainsi, par
exemple, qu'on voit le rein du chat ou du lapin res-
sembler parfaitement à celui de l’homme, non adulte,
mais à l’état d’embryon. Cela prouve, je crois, qu’un
organe est toujours parfait à l'époque à laquelle on l’exa-
mine , abstraction faite de l’âge du sujet qui le produit.
De plus, cela prouve aussi que souvent un organe reste
chez l’homme ce qu’il est chez les animaux. Ces variétés
se rapportent à des vices de conformation qui ne le sont
véritablement que par rapport à l'individu que lon
examine ; et, en effet , ce qui est l’état complet de déve-
loppement d’une partie pour tel être, nel’est plus pour
tel autre plus élevé dans l’échelle animale, c’est-à-dire,
dont l’organisation offre quelques degrés de plus de com-
plication : ce qui permet d’établir une succession non
interrompue de manières d’être d’un organe, et de mon-
ter à l’unité de composition organique, en établissant
qu'un organe se montre sous la plus grande simplicité
chez un être très-inférieur, pour devenir de plus en
plus compliqué et se modifier ainsi à l'infini, en passant
par un grand nombre d’intermédiaires qui le conduisent
au maximum de composition.
En envisageant ainsi la chose, nous nous voyons
portés à examiner les variétés de formes , ou la diffor-
mité, sous le rapport du mode de développement ; ce
qui nous conduit à examiner la structure de l’organe
que nous étudions, chez l’homme et les animaux, com-
parativement.
Avant cependant de considérer les anomalies du rein
comme étant souvent le résultat d’un arrèt de dévelop-
pement dans la forme , il est convenable de rechercher
( 308 )
tous les vices de conformation de cet organe, soit qu’ils
aient été produits par une action mécanique , soit qu'ils
aient eu pour point de départ un vice quelconque dans
le mode de développement. Il sera facile de distinguer
ces deux cas au moyen de l'anatomie comparée. Un rein
sera difforme pour avoir seulement changé de figure, sa
structure étant ce qu’elle doit être ; maïs il ne sera pas
difforme pour avoir changé en mème temps et de forme
et de structure, et avoir persisté , par un arrêt de déve-
loppement , dans un état qui n'aurait dù être que tran-
sitoire , et que d’ailleurs nous retrouvons d’une manière
permanente chez des êtres inférieurs. Enfin, après avoir
établi qu’un rein n'est jamais difforme par défaut de
développement , nous comparerons les variétés produi-
tes par anomalie, chez l’homme , aux modifications qui
forment l’état normal chez les animaux , et nous ferous
voir que, chez les Mammifères , la forme est toujours
la même, tandis que la structure varie , et que l'inverse
a lieu chez les oiseaux. Cette différence nous fera con-
naître qu'il y a de nombreuses divisions à établir chez
les premiers, quant à leur structure ; et , chez les se-
conds , quant à leur forme.
V'ices de conformation.
Les vices de conformation des reins sont très-nom-
breux et en mème temps très-variés. Les auteurs rap-
portent un très-grand nombre de cas de reins manquant
complètement, très-peu développés, inégaux en volume,
ou bien ayant subi un déplacement plus ou moins grand:
tous ces cas sont considérés par eux comme des cas de
difformité.
{ 309 )
On cite des exemples de reins uniques. Chabrol a vu
un.cas de cette nature ; le rein avait un volume énorme,
et était placé sur les dernières vertèbres lombaires.
Eustachi a cité l'exemple d’un seul rein. Gavard dit
avoir trouvé un rein sur la colonne vertébrale, se con-
fondant un peu avec les deux autres. Ce rein avait un
uretère particulier qui allait s'ouvrir vers le tiers infé-
rieur de l’uretère droit (1). M. Portal a mis sous les
yeux de l’Académie des Sciences , année 1767, un rein
volumineux et unique. M. Roux a rencontré sur un ca-
davre un fait singulier : les deux reins , réunis en haut,
formaient sur la colonne vertébrale un croissant à con-
cavité inférieure. M. Monod a vu un rein très-volumi-
neux placé sur le corps des vertèbres lombaires. J'ai
moi-même observé un cas analogue sur un sujet que je
disséquai à la Pitié, en 1822. La réunion des deux reins
ensemble a lieu de telle sorte , qu’on ne peut distinguer
quelquefois le point où les deux organes se sont réunis.
Souvent un rétrécissement plus ou moins marqué indi-
‘que l'endroit de leur jonction , qui a lieu le plus souvent
par une de leurs extrémités. Il est assez rare que la
(1) M. Marjolin dit que le plus souvent , lorsqu'il y a trois uretères,
deux se réunissent ensemble avant de traverser les parois de la vessie ;
cependant il n’est pas rare de voir les uretères perforer la vessie iso-
lément , et à quelque distance l’un de l’autre. M. Bérard a montré à la
Société anatomique , en février ou mars 1828, une vessie ayec quatre
uretères , allant à deux reïus seulement; il n’y avait point de double
bassinet, mais il y avait une bifurcalion de chaque bassinet, bifurca-
tion résultant de lPadossement de deux calices. M. Monod a aussi
montré à la même Société un cas à peu près analogue ; enfin, j’ai moi-
mème fait voir un très-pelit rein oflrant deux uretères, qui perforaient
la vessie séparément.
( 310 )
réunion des deux reins ait lieu dans toute leur hauteur,
comme Haller paraît l'avoir observé.
Il est aussi d’autres vices de conformation qui ont
rapport au nombre. Blasius parle d’un sujet qui avait
trois reins, un d'un côté, et deux de l’autre. Rhodius
dit en avoir vu trois; Fallope l’a observé de mème.
Gavard en a vu aussi trois sur le même individu : deux
étaient latéraux et occupaient leur place ordinaire,
tandis que le troisième était couché transversalement au
devant du rachis; les trois reins avaient leurs bassinets
et leurs uretères , dont deux s’unissaient avant de per-
forer la paroi de la vessie. Dulaurent dit avoir vu quatre
reins ; Molinetti cinq. Enfin , on a aussi observé d’au-
trés variétés de forme , dépendant de la position contre
nature qu'occupent les organes, et que l’on a rangées
parmi les vices de conformation : ce sont en effet les
seules peut-être qui méritent le nom de diflormité (1).
L'un des exemples les plus remarquables de déplace-
ment du rein est celui qui a été vu et décrit par M. Pa-
coud , sur le cadavre d’un homme ägé de cinquante ans.
Le rein gauche était placé dans l’excavation du petit
bassin derrière la vessie, à côté de l'intestin rectum, qui
s'était porté un peu à droite et devant la partie anté-
rieure ou concave du sacrum, recouvert par le péritoine ;
ce rein était plongé dans une masse de tissu cellulaire ,
dont les lames, assez compactes, formaient là comme
(1) Je pense que, lorsque la difformité affecte la forme sans la struc-
ture , elle est toujours due à une action mécanique qui n’a poiut em-
pèché la structure d’être la même, mais seulement la forme; et dans
ce cas , le vice de conformation est réel, puisque le developpement de
l'organe n’est arrêté que dans sa forme , et non dans sa structure,
(: 3211)
deux brides ligamenteuses qui s’attachaient au sacrum.
Cette position avait , sans aucun doute, singulièrement
influé sur la forme de l'organe. Ce rein était triangu-
laire, pour s'être accommodé à la forme des parties dures
sur lesquelles il était appuyé; il recevait trois artères,
dont l’une venait de l’angle que forme l'aorte abdomi-
male en se divisant, et chacune des deux autres de l’ar-
tère hypogastrique : il n’y avait qu'une veine rénale (1).
J'ai observé et publié (2) un fait analogue, qui a
fourni à M. Geoffroy Saint-Hilaire l’eccasion de pré-
senter quelques vues théoriques , et de mettre sous un
nouveau jour la loi organique qu'il appelle principe des
connexions. Ce fait est peut-être moins curieux, à cause
de l’âge de l'individu , qui ne change cependant rien au
fait observé. C’était un enfant né avant terme , qui avait
succombé à une pneumonie, je crois, et au troisième
jour de sa naissance. Le rein gauche se trouvait placé en
partie dans l'excavation du petit bassin ; il était en rap-
port, par sa face postérieure, avec la dernière vertèbre
lombaire et la face antérieure et supérieure du sacrum ;
sa face externe était cachée par le péritoine, qui la re-
couvrait immédiatement et dans toute son étendue, et
par le rectum, qui croisait sa partie supérieure. Le bord
interne était très-concave ; à sa partie moyenne on voyait
l’origine de l’uretère ; à son côté externe se trouvait le
rectum , qui appuyait sur le bord du rein. Le bord ex-
(1) Il est utile de remarquer que les autres viscères de ce même
sujet présentaient différentes anomalies. J'ai déjà observé plusieurs fois
qu’un organe est rarement seul difforme , et qu’une seule cause d’ano-
malie peut amener le trouble dans plusieurs organes à la fois.
(2) Voyez Annales des Sciences naturelles , janvier 1826.
(53220)
terne était eonvexe, et décrivait une courbe presque
cireulaire ; il était cotoyé par l'artère iliaque primitive.
Ce rein, plus petit que celui du côté droit, était comme
ramassé sur lui-même, bosselé, et comme arrêté dans
son développement (1); il recevait deux artères : l’une
venait de la partie supérieure , antérieure et interne de
l'iliaque primitive gauche, tout près de son origine;
son calibre ne le cédait en rien à celui de la rénale droite;
elle ne donnait aucune branche avant d’en distribuer à
l'organe. L'autre artère, qui se portait aussi sur le
même rein, naïssait de la partie postérieure, supérieure
et interne de l’iliaque primitive gauche , gagnait le bord
interne du rein, pénétrait dans cet organe, et s’anasto-
mosait avec l’autre branche déjà décrite (2).
Un autre cas bien curieux est celui d’un enfant de
quatre à cinq jours, qui a été disséqué à la Pitié, et se
trouve dans le cabinet anatomique de M. Serres. On
voit chez cet individu les deux reins descendre dans le
bassin, ayant une forme toute particulière; ïls sont
arrondis , bosselés, et comme rapprochés par les deux
(1) Ici on né pouvait point dire que le vice de conformation tenait
à un arrêt de développement. A cet âge, les lobes qui forment le rein
sont encore Lien distincts , et ce n’est que plus tard que la difformité
aurait eu lieu.
(2) D’après les idées de M. le professeur Serres, plus un organe
reçoit de vaisseaux, plus il doit avoir de volume ; cependant le contraire
paraît avoir lieu : deux artères se distribuent à un organe qui se trouve
être plus petit que son semblable ; l’une d’elles est cependant aussi
grosse que celle du rein le plus volumineux. Cette exception nous
paraît tenir à la compression qu’a subie le rein descendu dans le bassin :
dans ce cas, la présence d’une artère de plus ne pourra rieu faire, si
l'organe ne peut se développer par défaut d’espace.
Slt
(33)
extrémités. Les artères de ces reins paraïissaient venir
des iliaques primitives ; les veines avaient été enlevées :
j'ignore si les deux uretères allaient s'ouvrir dans la
vessie, et au lieu accoutumé. La vessie était très-petite ,
et l'insertion des conduits rénaux paraissait se faire au
sommet de cet organe : sans doute cette apparence était
le résultat de la dessiccation de la vessie. Au reste, des
cas semblables et bien authentiques ont déjà été obser-
vés ; l’on a vu quelquefois les uretères traverser les pa-
rois de la vessie dans un tout autre point que celui où se
trouvent ordinairement leurs orifices.
Les auteurs rapportent encore un assez grand nombre
de cas de transposition des reins, mais sans remarque
aucune sur leur forme ; il est cependant utile d'indiquer
tout ce que les auteurs ont dit sur leur déplacement. Il
nous sera facile de conclure que, d’après telle ou telle
disposition , le rein devait avoir une forme plus ou moins
variée; car toujours un organe s’accommode avec son
voisin, et le moins résistant, dans ce cas, prend la
forme que lui donne celui qui est le plus dense : c’est
du moins ce que l’on rencontre le plus ordinairement.
Ruysch a vu un rein descendu fort au-dessous de sa
place , dans la région hypogastrique. Riolan a parlé d’un
rein trouvé dans la région ombilicale. Eustachi et Bau-
hin ont rapporté chacun une observation d’un rein
placé antérieurement dans la cavité du bassin. Les Hé-
moires de la Société royale de Médecine (1. X , p.66)
contiennent un fait analogue. L’organe déplacé était
dans intervalle de la bifurcation de l'aorte : le sujet de
cette observation était un homme de cinquante ans.
Drouin à vu le rein droit placé dans le bassin, sur l'os
(314)
_sacrum , chez une fille qui mourut à l’âge de dix-sept
ans, Ce rein contenait huit pierres, pesait une livre et
demie, et ne présentait aucune trace de vaisseaux rénaux
ni d'uretères (1). Thouret a vu l’un des reins descendre
dans le bassin ; la mème chose a été observée par Cho-
part. Le rein droit occupait sa place au-dessous du foie ;
le gauche était en partie derrière la fin du colon, devant
les muscles iliaque et psoas, et s’étendait dans le petit
bassin : il n'avait pas la forme ordinaire des reins; il
était très-large , inégal et d’un grand volume , et conte-
nait treize pierres volumineuses.
M. Chaussier a trouvé un rein droit dans le bassin.
On voit, au cabinet de ia Faculté de Médecine de Paris,
une pièce anatomique qui présente un rein droit dans
la cavité pelvienne. C’est à peu près tout ce que les au-
teurs ont dit sur les vices de conformation du rein.
Meckel distingue les vices de conformation primitifs
des reins, qui dépendent plus ou moins évidemment
d’une suspension de développement ; tels sont :
1°. L'absence d’un des organes ou de tous les deux.
»°. La petitesse. Dans ce cas il arrive souvent , mais
non toujours, lorsque cetie anomalie exisie d’un seul
(1) Ce fait nous paraît bien singulier. Drouin ne dit pas s’il existe
une substance corticale et une substance mamelonnée, et ne nous
apprend pas comment il a reconnu cet organe. Le prétendu rein était
aussi dépourvu de bassinet , ce qui nous ferait croire que ce n’était
qu'une tumeur accidentelle. Cependant les calculs et l’absence d’un rein
pouvaient éclairer jusqu’à un certain point sur la nature de la tumeur.
Il est seuiement à regretter que Drouin w’ait point recherché ce qu'é-
taient devenues les artères rénales, chose qu'il pouvait faire en exami-
sant leur point d’origine , et aussi ce que pouvait être devenu l’uretère
du côté de la vessie.
( 53259
côté, qu'elle se trouve compensée par le volume plus
considérable du rein de l’autre côté.
3°. La différence plus ou moins considérable de vo-
lume entre les deux reins.
4°. Le volume excessif de ces deux organes.
. 5°, Leur réunion en un seul. Cette anomalie offre plu-
sieurs différences sous le rapport de la position des par-
ties et de l’étendue de la jonction , comme nous l'avons
déjà vu.
6°. La forme plus oblongne qu’à l'ordinaire.
7°. La situation du bassinet sur la face antérieure (1).
Ces deux dernières anomalies, dit Meckel, coïnci-
dent ordinairement avec l’excès du volume ; mais on
les rencontre aussi quelquefois sans qu’il y ait aucune
trace d’hypertrophie.
8°. La structure lobuleuse, qui est portée quelquefois
jusqu’au point de donner naissance à plusieurs reins
séparés.
9°. La situation plus déclive qu’à l'ordinaire est telle
mème quelquefois, qu’on trouve les deux reins dans le
bassin.
Enfin, Meckel admet que plusieurs de ces anomalies
se développent aussi dans le cours de la vie seulement :
c’est ce qui a lieu en particulier pour l’hypertrophie et
l'atrophie. Il n’est pas rare , en effet, que les reins aug-
mentent de volume , quelquefois mème à un point
énorme, quoiqu’à la vérité en changeant de texture , ou
(1) Chez les oiseaux cette disposition existe constamment ; le sas-
sinet se trouve placé en avant , surtout pour les lobes inférieurs des
reins , chez les oiseaux qui en présentent quatre , tels que les aigles et
les canards,
( 316 )
qu'au contraire ils disparaissent et s’eflacent presque eu-
üèrement. Dans ce dernier cas, tantôt ils diminuent
beaucoup de volume, mais leur masse demeure solide ;
tantôt ils conservent leur volume , ou même en acquiè-
rent un plus considérable ; mais leur substance se détruit
presque en totalité, et ils se trouvent convertis en un
sac à paroïs minces. L’atrophie de la première espèce
survient à la suite d’une maladie de l’organe ; la seconde
ne reconnaît pas toujours pour cause une maladie anté-
cédente , et dépend souvent d’un obstacle à l’écoule-
ment de l'urine , qui existe au-dessous de la glande.
D’après ce qui précède , on voit que les vices de con-
formation du rein sont très-nombreux ; qu'ils dépendent
en grande partie de la position insolite qu'ont occupée
les organes; que les vices de conformation , résultat
d’un défaut de développement, sont très -rares, et
qu’aiusi tous les cas cités comme étant des difformités ,
ne le sont pas en réalité, si nous exceptons les variétés
que les reins nous ont présentées, l'organe étant dans
son lieu accoutumé ; et, à cet égard, nous voyons bien
peu de cas de vices de conformation, qui encore ne dé-
pendent le plus souvent que d’un volume plus ou.moins
considérable : résultat pathologique que nous ne regar-
derons pas comme difformité. Tous les cas de difformités
du rein que les auteurs nous ont laissés peuvent être
rangés en deux classes ; celles produites par un arrèt de
développement mécanique, et celles qui dépendent d’un
arrêt de développement spontané. Les premières sont le
résultat d’une compression que le rein a subie; nous en
avons cité plusieurs exemples. Toutes les fois qu'un rein
se trouve en contact avec des parties solides, ce qui
(317)
arrive ordinairement lorsqu'il a changé de place , il con-
tinue à se développer du côté où il ne rencontre pas
d’obstacle ; de là un défaut dans la forme. Mais si l’on
examine attentivement cet organe, ainsi changé dans sa
configuration ordinaire , on le trouvera atrophié dans
un point, plus développé dans un autre, et partout formé
des mêmes principes, une substance corticale, des
tubes, etc. C’est, selon nous, les seuls cas réels de
difformité, car ceux qui sont produits par un arrêt spon-
tané de développement peuvent se ramener, quant à
leur forme, à un état primitif qui ne devait exister que
dans l’une des périodes précédentes de développement.
Il est donc évident que le mot difformité ne leur con-
vient plus, à moins qu'on n’ajoute, produite par un
arrêt de développement. Quant aux vices de conforma-
tion par arrèt de développement spontané (1), nous
dirons qu'il en existe fort peu ; et, dans ce cas, l’on voit
la nature s'arrêter véritablement dans sa marche. Ainsi,
un rein qui n'aura subi aucune compression , qui aura
été exempt de toute adhérence insolite, offrira une infi-
nité de lobules bien distincts , et quelquefois tout-à-fait
isolés. Certes, dans ce cas l’on doit admettre un arrêt de
développement ; et, en effet, l’on connaît la composi-
tion de l'organe urinaire chez l'embryon, le fœtus, et
même chez l'enfant. Pourquoi ces lobules se réunissent-
ils ordinairement chez l’adulie? Pourquoi restent-ils
séparés dans d'autres circonstances ? Ces questions ne
peuvent être résolues, et ne pourront l’être que quand on
aura saisi tous les changemens qu’un organe est suscep-
(1) Nous employons ce mot spontané pour indiquer les vices de con-
formation qui ne sont pas le résultat évident d’une action mécanique,
C2436:)
üble d’éprouver, et doit éprouver pendant son accrois-
sement. Déjà l'absence de plusieurs parties qui entrent
dans la composition d’un organe a fait que chez l’homme,
par exemple , un rein qui manque de substance mame-
lonnée se rapproche de celui du chat, par cela mème que,
chez cet animal et chez beaucoup d’autres , il n’y a
point de mamelons. De même encore qu’un rein chez
l’homme présente plusieurs calices séparés , il sera com-
paré à celui des oïseaux , qui a cette structure. Aïnsi je
ne vois aucun fait de difformité de ce genre qui ne puisse
se rapporter à un état premier en organisation , lorsque
l'on compare le rein de l’homme aux reins des animaux.
Le cas le plus remarquable que je connaisse, et celui
qui, en apparence , était le plus exceptionnel , est celui
que j'ai trouvé chez une femme âgée de vingt-cinq ans :
j'ai présenté la pièce à la Société anatomique. Les deux
reins existaient et ne présentaient rien d’insolite dans
leur forme ; le rein droit était cependant bosselé et un
peu plus petit que le gauche ; en outre il présentait un
bassinet bien plus petit en apparence que celui du rein
opposé; autour de lui se voyaient quatre conduits en
tout semblables aux uretères : il y en avait de plus petits,
de plus gros. Tous ces conduits se réunissaient en un
seul avant d’arriver à la vessie ; ils provenaient des ca-
lices, qui, au lieu de s’aboucher immédiatement dans
un bassinet, avaient franchi de beaucoup la scissure du
rein , et s'étaient allés réunir assez loin pour ne former
qu'un uretère ; le bassinet n'existait véritablement pas,
et ce n’était qu'un des calices qui présentait une dilata-
tion plus grande à la sortie du rein. Une chose bien
remarquable, c’est que le rein était bosselé ; plusieurs
( 319 )
lobes le formaient, et ces lobes pouvaient très-facilement
se séparer, et se séparer bien distinctement jusqu’au-
près des conduits divers qui partaient de la scissure de
ce rein. Ainsi, chaque lobule était un rein à part, qui
offrait un uretère aussi distinct. Ce rein , que je présen-
tai à la Société anatomique , ne fut pas vu avec beaucoup
d'intérêt , ce qui me le fit abandonner, Ce fait m'a sem-
blé, depuis mes recherches sur les reins des animaux,
un des cas les plus curieux qui se soient encore offerts ;
il montre en eflet jusqu'à quel point l’organisation de
l’homme peut , dans ses anomalies, se rapprocher
des êtres inférieurs dans leur état normal; et, mieux
encore, nous montre qu'un organe tel que le rein
est, chez les Cétacés et les Ours, à cela près d’un
degré de äéveloppement, ce que ce mème organe est
chez l'homme. Chez les premiers il y a multiplicité de
lobes qui persistent jusqu’à l’âge adulte; chez l’homme
le même fait peut se reproduire, bien que ce ne soit pas
là ce qui arrive le plus souvent. D'où l’on peut conclure
que le premier mode de formation est le mème pour
tous les êtres , et que pour chaque espèce il doit subve-
nir une modification ; cette modification est réelle , et on
va voir qu'elle est de deux manières.
Variétés de structure du rein chez Les Mammifères.
Chez l’homme et chez les Mammifères ; ce quilya
de variable, c’est la structure ; chez les Poissons, les
Oiseaux et les Reptiles, c’est la forme.
Voici , à cet égard, ce que j'ai observé chez l’homme
( 320 )
et les Mammifères. La forme extérieure des reins est
presque toujours la même, et l’on pourrait même dire
constamment la même; car, si elle change, ce n’est,
comme nous l’avons déjà dit, que par une cause méca-
nique ou par un arrêt de développement , qui peut-être
aussi est une cause déterminée par quelques vices peu
appréciables dans l’organisation.
Cette forme toujours constante des reins , chez
l’homme et les Mammifères , est due à une cause tout-à-
fait matérielle, et dépend , je crois, de la forme du
bassin , ou plutôt de la position que les organes affectent
chez les individus pourvus de gros muscles tapissant la
colonne vertébrale et le bassin. En outre , cet organe est
toujours , chez les Mammifères, entouré d’une quantité
plus ou moins considérable de graisse ; et ce sont autant
de conditions qui concourent à rendre leur forme con-
stamment lisse et polie. Mais, s’il en est ainsi de leur
forme, 1l n’en est pas de même de leur structure , et, si
la première est une chose constante pour tous les Mam-
mifères , la seconde ne l'est pas: et, d’après ces varié-
tés, l’on pourrait jusqu’à un certain point classer les
espèces.
Les variétés de structure du rein sont nombreuses ;
cependant elles n’empèchent pas que cet organe ne pré-
sente chez tous les Mammifères la même composition,
et ne renferme des élémens semblables, quoique dispo-
sés quelquefois d’une manière diverse. En effet, au fond
et en bien considérant la chose, le rein est toujours par-
faitement identique en ce qui concerne sa structure
essentielle et ses fonctions ; nous le verrons toujours
(31)
formé des mêmes parties, et se présentant cependant
sous des formes bien différentes , et paraissant plus ou
moins compliqué. Ainsi, par exemple, chez l'homme
le rein nous présente une substance corticale , c’est la
plus extérieure ; une dite tubuleuse , et l’autre mame-
lonnée ; en outre, on y distingue des calices enveloppant
les saillies que forment les tubes réunis en cônes, et
constituant ce que l’on a nommé substance mamelon-
uée ; enfin , un bassinet se trouve être chez l’homme le
réceptacle commun de tous les calices, qui vont y abou-
ür. Ainsi, chez l’homme, qui, selon moi, présente le
rein le plus compliqué, on voit une substance corticale,
une tubuleuse , une autre mamelonnée, des calices et
un bassinet. Certes, ce sont là bien des choses qu'il
serait impossible de troûver dans un rein de chat ou de
chien ; par exemple : le rein des singes seul offre une
ressemblance presque complète avec celui de l’homme.
Celui du bœuf, quoiqu’en apparence très-ressemblant
aussi , à ses dimensions près, commence déjà à s’écarter
un peu de celui de l’homme: on y voit à la vérité une
substance corticale , une mamelonnée et une tubuleuse;
mais souvent, sur ces reins, des communications ont
lieu d’un calice à l’autre , et toujours déjà l’on peut iso-
ler, quoiqu'un peu difficilement , les lobes qui le com-
posent; on peut en quelque sorte former autant de reins
qu'il y a de mamelons, chose que l’on ne peut déjà plus
faire sur le rein d’un homme adulte. L’on voit aussi chez
le bœuf tous les calices ne se réunir souvent qu'après
être sortis un peu de la scissure du rein, et, d’autres
fois , le bassinet n’est constitué que par la réunion de
tous les calices affluant vers le même point. Ces variétés
XIX. 21
( 328)
ne se vemarquent pas chez l’homme , bien entendu que
nous considérons la structure de son rein dans ce qu’elle
doit ètre , et dans son état normal.
Si du rein du bœufnous passons à l'examen de celui
du chat, par exemple , mous le voyons ainsi formé.
Une substance corticale plus ou moins bosselée,
point de mamelons, point de calices ; un bassinet assez
vaste, de forme cireulaire , envoyant des prolongemens
qui forment comme des languettes, au nombre de six à
huit, qui s’introduisent, en accompagnant les vaisseaux,
jusque dans la substance corticale ; ces languettes mem-
braneuses entourent et séparent les conduits urinifères
de distance en distance : cet arrangement peut seul faire
distinguer des faisceaux ou cônes formant ce que l’on
nomme substance tubuleuse; mais ces faisceaux ne se
trouvent pas embrassés par les calices , ce qui fait que la
substance mamelonnée manque entièrement chez beau-
coup de Mammifères , et d’ailleurs elle existerait si la
membrane du bassinet embrassait tous les sommets des
cônes formés par les tubes urinifères. Ce manque de dé-
veloppement de la membrane du bassinet fait que tout
ce qui devait être substance mamelonnée ne se trouve
pas séparé par autant de brides, qui constitueraient les
calices, et que le sommet de tous les cônes où les ma-
melons se réunissent ne forment plus qu’une voûte, pour
ainsi dire , à l’intérieur de la substance cortieale , voûte
qui correspond par sa face libre dans l’intérieur du bas-
sinet. Cette face interne n'étant donc formée que par le
rapprochement de petits tubes urinifères, il en résulte
que l’urine suinte à la face interne , dans ce que nous
nommons voûte, pour tomber et s’accumuler dans le
( 323.)
bassinet , sans être obligée de passer préalablement par
d’autres voies , les calices.
L'’arrangement des parties constituant le rein que nous
venons d'examiner, est certainement digne de remarque.
Plusieurs Mammifères ont aussi cette mème disposition,
mais tous peut-être avec de petites modifications : tou-
jours est-il que , dans ce cas, le rein de l’homme se pré-
sente comme le plus compliqué en organisation, et
cependant il est formé des mêmes élémens. L’arrange-
ment des parties constitutives d’un organe peut donc le
faire changer de forme , au point de le rendre mécon-
naissable. Il est en effet certain que rien , en apparence,
ne peut faire comparer le rein d’un oiseau à celui de
Phomme, et cependant rien de plus semblable , quant
aux élémens qui le constituent et à l’arrangement qu'ils
présentent. Que faut-il à l’organe que nous examinons
pour qu'il puisse exécuter ses fonctions ? toujours les
mêmes principes , une substance qui sécrète, et que l’on
pense être la corticale (x), des tubes , voies de commu-
(x) D’après quelques recherches que j'ai entreprises sur la structure
du rein des oïseaux , j’ai cru remarquer que des tubes urinifères allaient
sous la membrane propre du rein , et que cette membrane pouvait peut-
être sécréter. Voici ce que j’ai dit à ce sujet ( Annales des Sciences
naturelles, t, XIT). L'origine des tubes urinifères varie selon qu’on
examine le rein d’un Mammifère ou le rein d’un Oiseau : dans le pre-
mier cas , les petits tubes paraissent venir de l’intérieur de la substance
corticale ; dans le second, il y a une disposition que voici. Si l’on fait
une injection au mercure dans l’intérieur de l’uretère, on voit la surface
corticale s’injecter, et cela d’une manière bien singulière et qui ne res-
semble en aucune facon aux autres injections. Ce sont de petits filets
excessivement ténus, qui s’embranchent de chaque côté d’un gros tronc,
comme le font les filets , ou barbes d’une plume , sur leur tige com-
mune. Les filets ne paraissent pas se toucher par leurs extrémités , bien
“ ( 324 )
hication pour transmettre le liquide sécrété : rien de
plus ; et cependant sous combien de formes diverses se
montrent ses parties ? C’est là une différence à saisir
dans la composition des reins chez les Mammifères, qui
présentent toujours la mème forme extérieure. Quant à
leur structure , on parviendrait , je crois , à reconnaître
le rein de tel ou tel Mammifère , en exammant attenti-
vement sa structure ; mais un arrêt dans le développe-
que ceperdant très-rapprochés l'an de Yautre par le moyen de nom-
breuses tiges , toutes disposées comme il vient d’être dit. Si l'injection
est poussée avec plus de force dans l’'uretère , on voit bientôt sortir de
pétites gouttelettes par l'extrémité libre de chaque filet terminal prove-
nant d’une tige commune.
Ce fait prouve , ce me semble , qu’il y a une infinité de conduits ex-
trêmement déliés qui pourraient être regardés comme des vaisseaux
absorbans qui vont à la surface libre de la substance corticale, sous la
membrane ‘propre : il reste à savoir ce qu’est cette membrane, et si
elie ne peut sécréter comme les séreuses. Dans ce cas, les vaisseaux
dont j'ai parlé, qui ne sont autre chose que les tubes qui s’abouchent
dans le bassinet, seraient les seuls peut-être qui pomperaïent le liquide
sécrété , l'urine,
Des injections très-fines, faites dans les artères, ne m'ont jamais
donné ces belles tiges dont j'ai parlé, et qui se remarquent seulement à
la surface libre du rein. Ainsi il n’y aurait point, comme on l’a dit,
communication des tubes urinifères avec les ramifications artérielles.
Cependant, si l’on injecte de l'air dans l’artère aorte , préalablement
liée au-dessous de la naissance de la rénale, on fait arriver de l'air daus
les tubes, et, chez les oiseaux , le cloaque peut ainsi être dilaté. Ce
fait tendrait à prouver qu’il y a une communication entre les artères et
les tubes, ce qui a été déjà dit par plusieurs anatomistes, et ce qui peut
être réellement ; mais je crois m'être aperçu que l'air injecté lentement
ne pénètre point dans l’uretère, mais qu’au contraire , lorsqu'il est
poussé avec force, il y pénètre et dilate le cloaqne : ce qui tient , selon
moi , à la rupture d’un ou de plusieurs filets artériels qui vont se perdre
dans l’épaisseur des parois: de l’urétère. Ce qui me confirme dans cette
opinion, c’est que jamais l'air ne paraît venir des tubes vers Le bassinet.
( 25)
ment du rein peut faire que ce même organe se trouve
en tout ressembler à celui d’un être plus ou moins élevé
en organisation : c'est ainsi, par exemple, que, chez
l’homme , on peut trouver un rein semblable à celui du
chat, je suppose , et sans qu’il ait la moindre différence.
Sans doute un tel changement doit déranger une classi-
fication que je supposais pouvoir s'établir; mais cela
nous montre aussi que le premier degré de formation
peut se rencontrer chez l’homme, et qu’on peut trouver,
dans l’état adulte, des conditions organiques qui ne
devaient appartenir qu’à une époque peu avancée de
développement. Et, en eflet, que l’on examine un lobe
séparé du rein d’un fœtus humain , il aura une sub-
stance corticale et quelques tubes embrassés par un ca-
lice qui , s’il était seul’ et isolé des lobes circonvoisins,
serait exactement ce qu'est le bassinet chez le chat. Que
l’on suppose done chez l'homme un arrêt dans le déve-
loppement de la membrane du bassinet, et l'on verra
tous les faisceaux des tubes se réunir pour former ce
que nous avons appelé voûte des tubes urinifères. Ainsi,
le rein que nous avons trouvé chez homme, manquant
de substance mamelonnée, et qui manquait par cela
même de calices , ne peut s'expliquer qu’en rappelant,ce
qui arrive chez tous les Mammifères dépourvus de. sub-
stance mamelcnnée et de calices ; et, si chez ceux-ci le
défaut de complication dans la structure dépend d’un
défaut de développement de la membrane du bassinet,
on pourra conclure que la même chose a eu lieu pour le
rein humain dont j'ai parlé. D'où il résulte véritable-
ment que rien n’est changé dans la structure du rein,
que tout dépend d’un arrangement différent des parties
( 326 )
qui le constituent, et que tout se ramène à l'unité de
composition , au mode de formation primitif.
Variétés dé forme du rein chez les Oiseaux.
Si de la structure du rein chez les Mammifères nous
passons à celle des Oiseaux, nous trouverons encore les
mêmes principes constituans , mais différemment ran-
gés, et, chose bien remarquable , disposés de la même
manière dans toute la classe, de sorte que le rein offre
une forme qui varie à l'infini , et une structure d’arran-
sement toujours la mème. Cette structure. peut être
comparée à celle du rein chez l’homme (1); mais, en
(x) En effet , tout rein d’oiseau est composé :
10. D'une substance corticale très-molle , de l'épaisseur d’une ligne
environ ;
20. De faisceaux composés de tubes très-distincts , au nombre de
quinze à trente ou quarante, contenus dans une enveloppe très-mince ;
30. D’un canal évasé en plusieurs endroits , rétréci en d’autres, dans
lequel s’abouchent , au moyen des calices , les conduits urinifères.
Si l’on compare actuellement la structure de ces reins à celle du rein
de l’homme, on a 10 la substance corticale dans les deux cas ; 20 la
tubuleuse , plus marquée chez les oïseaux ; car les faisceaux de tubes
sont plus évidemment entonrés d’une membrane , et écartés les uns des
autres , chez les oiseaux, par une plus grande quantité de substance
corticale. De plus, les tubes urinifères eux-mêmes sont très-gros, et
l’on peut facilement les injecter et les compter, ce qui rend cette sub-
stance tubuleuse on ne peut plus marquée chez les oïseaux , tandis que
les conduits urinifères , chez l’homme , sont d’une ténuité extrême, et
qu’il est impossible de les isoler. D’où il résulte que la substance tubn-
leuseest plus développée chez les oiseaux que chez l’homme , avec cette
différence, toutefois , que dans les premiers il y a , toutes choses égales
d’ailleurs, un bien moins grand nombre de tubes que dans les reins
des Mammifères.
Les calices ne paraissent point exister chez les oiseaux ; cependant il
( 327 )
négligeant cette ressemblance , nous pouvons, chez les
Oiseaux, classer aussi les espèces en examimant leurs
reins. Chez les Mammifères , nous avons pu distinguer
jusqu’à un certain point les espèces d'animaux d’après la
structure de leurs reins ; chez les Oiseaux, nous pôu-
vons aussi et même mieux distinguer les espèces ; mais,
pour ceux-ci , la forme seule pourra nous guider, tandis
que, pour les Mammifères , la structure sert de guide.
Nous avons dit que la constance de la forme des reins
des Mammifères tient à la disposition du bassin et des
muscles qui le tapissent. Chez les Oiseaux, le bassin offre
des variétés de formes infiniment nombreuses; done,
chaque bassin doit imprimer une forme différente aux
reins qu'il devra contenir, et cela, parce que ces orga-
ues sont immédiatement appliqués sur des parties dures,
uon garnies de muscles ou de graisse, En partant de. ce
principe , nous verrons que , quant à la forme des reins
chez les oiseaux , elle varie pour chaque familie, en sorte
que chaque groupe a pour ainsi dire sa forme propre de
y a, comme je l'ai dit plus haut, une membrane qui entoure les tubes
urinifères, Cette membrane se continue avec le canal, plus ou moins
évasé, qui conduit au hassinet; de manière qu'il y a évidemment,
comme chez l’homme, nne enveloppe des tubes destinés à conduire
urine plus loiu dans le bassinet. C’est à celte enveloppe qu'on a donué
Le nom de calice.
Enfin , lo bassinet , qui n’est qu’un réservoir commun à tous les ca-
lices, s’observe chez les oiseaux. Il y à en effet chez ceux-ci, outre le
cänai plus ou moins évasé qui longe le rein , un bassirel ou évasement
plus considérable du canal vers la partis inférieure des reins: il ya
même deux et quelquefois trois petits réservoirs. Ainsi, d’après ce qu'il
vient d’être dit, les reins des oiseaux ont non-seulement deux substan-
ces , une corticale et l’autie tubuleng , mais cn outre des calices , et un
ou plusieurs bussinets,
(3287
rein. L’on peut, en effet, par la forme qui se rapporte au
développement plus ou moins complet de l'organe, dire
que l'oiseau à qui tel rein appartient, se trouve placé
plus ou moins bas dans l'échelle animale. Voici , à cet
égard , ce que j'ai observé.
En prenant pour point de départ le rein du poisson,
on le voit unique et d’une forme plus ou moins triangu-
laire. Si de ce rein unique nous cherchons un oiseau
qui présente aussi cette disposition, on verra celui-ci
être le plus rapproché des Poissons , soit par ses habitu-
des, soit par son organisation. Les Grèbes (1), par
exemple, qui vivent sur les eaux , n’ont qu’un reim. Ce
rein offre, ïl est vrai, deux lobes ou têtes séparées et
bien distinetes ; en outre , il présente des saillies et des
sillons qui semblent les partager, mais qui sont superfi-
ciels, et ne l’empêchent pas d’être unique , comme l’on
peut s’en assurer en suivant les faisceaux des tubes uri-
nifères. Ils naissent de toutes parts , et vont tous vers le
même canal, qui conduit au bassinet. Si du reim de cette
famille on passe à celui d’une autre, et que l’on observe,
par exemple, celui de la Foulque, on le verra divisé
en deux lobes placés chacun sur les côtés de la ligne
médiane. Cette division, très-manifeste supérieurement,
ne l'est plus vers la terminaison du rein à l’extrémité
caudale ; il est facile de voir que là les deux lobes sont
confondus : il est vrai que le point de contact est très-
faible, mais du moins il existe, et forme, selon moi,
un passage assez tranché pour qu’à ce seul caractère lon
puisse dire que ce rein appartient à un oiseau aquatique,
1) L'espèce que j'ai disséquée est le Grèbe cornu.
il que } q
( 329 )
assez voisin du Grèbe, et un peu plus éloigné des Pois-
sons que ne l’est le Grèbe lui-même.
L’Hirondelle de mer vient ensuite se placer entre la
Foulque et les Oiseaux terrestres. Ce rein offre deux
lobes bien distincts, divisés sur la ligne médiane ; chaque
moitié latérale présente plusieurs sillons profonds, dis-
posés de manière à circonscrire de petits espaces carrés.
Ces sillons font, qu'au premier abord, on croirait le
rein de l’Hirondelle de mer composé de sept à huit lobes
bien séparés. Ici l’on voit évidemment deux lobes sépa-
rés et bien distincts l’un de l’autre; nul doute que ce
rein doive suivre le précédent. Enfin, le rein des Oiseaux
terrestres peut être placé après le rein de l’Hirondelle
de mer par son développement plus grand , sa forme,
ses limites. Parmi les reins de cette division, ceux des
Aigles , par exemple , ont quatre lobes bien distinets et
séparés ; il n’y a cependant pas quatre uretères , mais il
y a quatre bassinets et un conduit intermédiaire de cha-
que côté , de manière que l’uretère de droite, par exem-
ple , arrive au premier lobe, se dilate un peu, et consti-
tue ainsi un bassinet ; ensuite il se continue en se rétré-
cissant pour gagner Îa plus grosse glande rénale; une
fois qu’il y est parvenu , il se dilate de nouveau , et con-
stitue le second bassinet. L'on voit déjà plus de compli-
cation dans la structure de ces reins ; aussi les Oiseaux
qui présentent cette organisation sont-ils plus éloignés
des Poissons , et par cela même plus élevés dans l’é-
chelle animale (1).
(1) Je dis à dessein que tous les reins des aigles, et tous ceux qui pré-
seutent quatre lobes, sont plus compliqués et d’une formation plus
élevée que ceux des oiseaux aquatiques, au lieu deles cous:dérer comme
( 330 )
Presque tous les Oiseaux ont quatre lobes pour les.
reins ; mais il ne s'ensuit pas qu'ils appartiennent tous
à la même famille. Il y a aussi des variétés dans la forme
qu'affectent les lobes rénaux : on voit, par exemple,
chez l’Aïgle, les deux lobes supérieurs bien plus volu-
mineux que les deux lobes inférieurs, et dans les Fai-
sans, par exemple, le contraire avoir lieu. Ce sont là
des différences moins importantes , il est vrai, mais qui
cependant suffisent pour distinguer les familles (1).
L'on voit, d’après cela, que la forme des reins, chez
les Oiseaux , varie d’un genre à un autre , qu’elle varie
étant l'effet d’un arrêt de développement, comme je l'ai établi à l'égard
des Mammifères ; mais ici les choses sont bien différentes. Un rein qui
a plusieurs lobes dans le commencement de sa formation, chez l’homme,
et qui persiste dans cet état à l’âge adulte, présente réellement un arrét
de développement ; mais, comme le rein d’un oiseau commence par
autant de lobes qu’il en doit conserver pendant toute la vie, on ne
devra pas regarder les quatre lobes séparés comme un arrêt de déve-
loppement , ma s plutôt comme une formation parfaite.
Si au contraire on considérait les reins des oiseaux , soit aquatiques ,
soit terrestres, par rapport à ceux de homme et de la plupart des
Mammifères, on pourrait les regarder comme des organes arrêtés dans
leur développement. Ainsi, les reins des oiseaux terrestres sont supé-
rieurs , par leur degré de complication , à ceux des oiseaux aquatiques,
puisqu'ils ont un plus grand nombre de lobes ; mais les uns et les autres
sont inférieurs à ceux des Mammifères, puisque ces lobes ne sont pas
réunis. Il est même à remarquer que les reins des Cétacés et des Ours
se trouvent intermédiaires entre ceux des Oiseaux, tels que les Aigles
et ceux de la plupart des Mammifères, puisqu'ils ressemblent aux pre-
miers par lPexistence de lobes non réunis, et aux seconds par leur
forme générale.
(1) Parmi les Oiseaux de familles diflérentes dont j'ai disséqué les
reins , je citerai seulement le Casoar de la Nouvelle-Hollande. Son rein
st composé de deux lébeë, dont linférieur est extrêmement allongé, et
le supérieur assez pelit.
( 331 À
en se rapprochant d’une formation moins complète à
une plus élevée, et que des lignes de démareation bien
établies font reconnaitre le développement successif de
l'organe , lorsqu'il ést envisagé dans la série des êtres,
et que l’on voit sa composition devenir de plus en plus
complexe , et par cela mème tendre à arriver au maxi-
mum de développement.
CONCLUSION.
1°. Un rein est difforme quand son changement est le
résultat d’une action mécanique, qui le plus souvent
dépend d’un changement de position de l'organe ;
9°, Tout changement dans la forme du rein qui recon-
naît pour cause une modification dans sa structure, n’est
pas une diflormité, mais bien un arrêt de développe-
ment , qui fait que l’organe que l’on examine est resté
parfait , eu égard à ce qu'il était à un àge moins avancé ;
3°. Un rein n’est véritablement difforme que lorsque
le développement de l'organe à été arrêté dans sa forme
seulement, et non dans sa structure ;
4°. On peut ranger en deux classes les vices de confor-
mation du rein, 1° ceux produits par une aciion méca-
nique ; 2° ceux produits par un arrèt de développement
spontané ;
59. Il n’y a véritablement pas de vices de conformation
dépendant d’un arrêt de développement, la difformité
pouvant toujours , dans ce cas, se rattacher à une figure
que l'organe avait déjà présentée ;
6°. Tout rein est formé d’une substance au moins, et
de deux au plus, si l’on regarde comme telle celle Com-
posée par les'tubes urinifères :
(C3)
7°. La forme .des reins est la même pour tous les Mam-
mifères ; leur structure varie pour chaque famille ;
8. Chez les Oiseaux , la forme varie d’une famille à
l’autre; la structure est constamment la même chez
tous ;,
9°. De ce que la forme est toujours constante chez les
Mammifères, et la structure variée, on peut, d’après
celle-ci , établir des divisions pour chaque famille ;
10°. De même, chez les Oiseaux, la structure est
toujours la même , et l’on peut, par la variété de leur
forme, établir des divisions pour chaque famille ;
11°. Le rein de l’homme et les reins des singes sont,
de tous, ceux qui présentent le plus de complication
dans l’arrangement de leurs parties constitutives ;
12°. Ceux qui en offrent le moins sont ceux du chat,
du chien, du lapin , etc. ;
13°. Ce qui fait que l'organe urinaire du chat est le
plus simple, c’est le manque de calices ou le défaut de
développement de la membrane du bassinet ;
14°. Le rein des Oiseaux est formé des mêmes parties
qui composent celui des Mammifères , c’est-à-dire ,
qu'il y a substance corticale, tubes urinifères constituant
la substance mamelonnée et la tubuleuse , des calices et
des bassinets ;
15°, Le rein de l’homme subit des modifications dans
sa forme et dans sa structure aux diverses périodes de
développement. Ces changemens , dans la structure sur-
tout, font que souvent le premier degré de formation
subsiste , l'individu continuant à croître ; de là un arrêt
de développement ;
16°. En étudiant le rein chez les animaux, on voit
(3383
sauvént que ce qui était arrêt de développement pour
l’homme , constitue l’état normal d’un autre ètre ;
17°. Que le rein, malgré les nombreuses modifica-
üons qui afféctent soit sa forme , soit sa structure , peut
être comparé à un organe identique, mais présentant
des degrés divers de développement ;
18°, Enfin , il y a une succession bien remarquable
dans les variations de forme et de structure du rein, qui
indique très-bien le degré d’organisation des êtres.
Descriprion des genres Glaucothoëé, Sicyonie,
Sergeste et Acète, de l’ordre des Crusracés
DÉCAPODES ;
Par M. H. Mine Epwarps.
(Mémoire présenté à l’Académie des Sciences le 2 novembre 1820.)
À mesure que nous découvrons des animaux nouveaux
pour la science, nous en rencontrons un certain nombre
dont les formes sont si éloignées de tout ce que nous
avions vu jusqu'alors, qu’ils semblent être comme isolés
et séparés par une grande lacune de iout ce qui les en-
toure. Ce sont ces êtres bizarres qui excitent le plus vi-
vement notre curiosité ; mais les animaux qui établissent
le passage d’un type organique à un autre, et font dis-
paraître quelques-unes de ces anomalies apparentes, en
remplissant les Aiatus dont nous venons de parler, ne
sont pas moins importans à connaître , et il arrive sou-
vent que c’est l'étude comparative de ces modifications
(354 )
intermédiaires de l’organisation qui contribuent le plus
au perfectionnement de nos méthodes naturelles, Lies
Crustacés que je vais faire connaître ici me paraissent
devoir intéresser les zoologistes sous ce double rapport;
en eflet, la plupart d’entre eux établissent de nouveaux
liens entre des genres qui jusqu'ici semblaient irès-éloi-
gnés, et ceux que je désigne sous les noms de Sergeste
et d’Acète montrent que, pour assigner à l’ordre des Déca-
podes des limites naturelles , il faut prendre pour base
de classification des caractères plus importans que ceux
fournis par le nombre des pattes ambulatoires, sujet sur
lequel je me propose de revenir dans une autre occasion.
Genre GLAUCOTHOÉ.
C'est en examinant quelques crevettines rapportées
par MM. Péron et Lesueur, mais malheureusement trop
mal conservées pour être déterminées , même générique-
ment, que j'ai trouvé le petit Crustacé auquel je donne
ce nom; il appartient à la division des Décapodes Ma-
croures, mais ne paraît pouvoir ètre rapporté à aucun
des genres naturels déjà établis. C’est un des plus peuits
Décapodes connus, et son organisation le rapproche à la
fois des Pagures et des Callianasses (voy. PI. vuix, fig. 1).
La portion céphalo-thoracique du corps de cet animal
est presque ovoïde, et son abdomen , étroit et allongé,
n’est nullement contourné sur lui-même comme chez les
Pagures; son enveloppe tégumentaire est cornée ou plutôt
semi-membraneuse comme chez les Callianasses ou chez
certains Salicoques, et elle présente partout à peu près
la mème consistance. La carapace ou bouclier céphalo-
thoracique est lisse et ne présente point de prolongement
(335 )
rostriforme ; le sternum est.assez large en arrière, et
l'anneau qui supporte les pattes de la dernière paire
n'est pas soudé aux précédentes comme chez la plupart
des Décapodes, disposition qui se rencontre aussi chez
les Pagures, les Galathées, les Porcellanes et quelques
genres voisins; enfin l’ahdomen est divisé, comme chez
vous les Macroures normaux, en sept segmens symé-
tiques , dont le dernier ne constitue plus qu'une lame
natatoire.
Les yeux sont saïllans, grands, mobiles et à peu près
pyriformes. Les antennes, au nombre de quatre, sont
insérées sur deux lignes; celles de la paire supérieure
sont courtes, cylindriques et coudées , comme chez les
Pagures ; le troisième article de leur pédoncule est Île
plus long de tous et porte à son extrémité deux petits
appendices multi - articulés, très-courts et assez gros;
l’un de ces filets, plus grand que l’autre, est garni de
beaucoup de longs poils ( voy. PI. vuix, fig. 9). Les an-
tenne$ inférieures ou externes sont, au contraire, grèles
et terminées par un seul filet sétacé; leur pédoncule est
encore coudé , el son premier article donne insertion à
une petite écaille qui ne recouvre nullement les articles
suivans ( fig. 10). L'appareil buccal se compose, comme
à l'ordinaire, de six paires de membres et de deux
replis tégumentaires impairs; savoir : les mandibules,
les deux paires de mâchoires, les trois paires de pattes-mà-
choires , le labre et la languette. Les mandibules sont à
peine dentées sur le bord, et portent un palpe grêle
et court (fig. 3); le labre , la languette et les màchoires
ne présentent rie n de remarquable (fig. 4 et 5); ilen
est de même des pattes - mèchoires de la première paire
(-536.)
(fig. 6); celles de la seconde paire diminuent de grosseur
depuis le troisième article, et portent en dehors un
palpe assez grand (fig. 7). Les pattes-màchoires externes
sont très-allongées; leur article basilaire supporte un
palpe semblable à celles de la seconde paire ; le second
article, guère plus gros que les suivans, est armé, du
côté interne , d’une série de dents , et les dernières sont
garnies de cils nombreux. Les pattes proprement dites
sont au nombre de dix, comme chez tous les autres Crus-
tacés du mème ordre que l’on ait encore fait connaître ;
celles des trois premières paires sont très-longues et diri-
gées en avant, mais les quatre dernières sont fort petites
et relevées sur les côtés du corps, comme cela se voit
chez les Pagures et les Callianasses. Les pattes de la
première paire sont terminées par une grosse maïn didac-
tyle bien formée; leur volume est très-différent; celle
du côté droit étant beaucoup plus forte et plus longue
que la gauche. Les pattes des deux paires suivantes sont
toutes exactement semblables entre elles, leur longueur
égale celle de la grosse pince antérieure , mais elles sont
grêles et terminées par un article pointu. Les pattes de
la quatrième paire n’ont guère plus du tiers de la lon-
gueur des précédentes ; elles sont aplaties , assez larges
et imparfaitement didactyies , le doigt immobile de leur
main n'étant formé que par un tubercule peu saillant
(fig. 11); enfin , celles de la cinquième paire sont encore
plus petites; mais la main didaciyle qui les termine,
quoique lamelleuse, est assez bien formée ( fig. 12).
Le premier anneau de l’abdomen est beaucoup plus
étroit que les suivans et ne porte point d'appendices ;
les quatre segmens suivans donnent, au contraire, attache .
( 337 )
chacun à une paire de fausses pattes natatoires assez
grandes, formées par un article basilaire, cylindrique, et
deux lames terminales , dont l’une très-petite et obtuse,
l’autre grande, terminée en pointe, et garnie sur les
bords de longs poils ciliés (fig. 13). Les appendices du
sixième anneau , symétriques comme les précédens, cons-
tituent les parties latérales de la nageoire caudale, dont
la lame médiane, arrondie et ciliée , est formée, comme
nous l’avons déjà dit, par le septième segment de l’ab-
domen. Le pédoncule de ces appendices est assez grand,
et leur écaille interne est petite et arrondie , tandis que
l’externe est grande et allongée.
D’après la description que nous venons de donner de
ce petit Crustacé, on a pu voir combien: il a d’analogie
avec les Pagures. Si on ne connaïssait que la moïtié an-
térieure de son corps, il serait même facile de le confondre
avec ces animaux; Car ce ne serait guère que d’après
quelques particularités dans la structure des pattes pos-
térieures qu'on aurait pu l'en distinguer; mais l’orga-
nisation de son abdomen et des appendices natatoires
qui y sont fixées est toute diflérente de ce que l’on voit
chez ces animaux singuliers, et le rapproche des Callia-
nasses et des Axies. Les Prophylaces de M. Latréille Jui
ressemblent encore davantage; mais l’abdomen de ces
Paguriens paraît soutenir simplement des filets suc
fères (1) , tandis qu'ici nous trouvons de fausses pattes
(1) D’après le Rapport que M. Latreille a fait sur ce Mémoire à
VAcadémie des Sciences , on voit que ce savant pense que notre genre
Glaucothoé ne devrait pas être distingué de celui qu'il avait déjà établi
sous le nom de Prophylace. N'ayant pas eu l’occasion d'observer les-
pèce de Pagure qui sert de type à cette division, et qui n’a pas encore été
XIX. 22
(338)
natatoires très-développées. En un mot, cette partie du
corps de notre Crustacé nouveau n'offre rien d’anomal et
ne diffère pas de celle des Macroures qui constituent le
iype de ce groupe. Son aspect rappelle aussi celle des deux
genres d’Astaciens dont nous venons de parler ; enfin la
forme et la disposition de ses, pattes postérieures. sont
semblables à ce que l’on voit chez ces animaux, et font
soupçonner des mœurs analogues; on n’y voit pas de
cés tubérosités presque calleuses qui existent chez: les
Pagures, et qui servent à fixer l'animal dans la coquille
qu'il habite ; mais ces organes sont aplatis, presque la-
melleux et dirigés en dehors comme, chez les. Callia-
masses et les Axies, où ils servent à creuser sous le sable
des espèces de galéries souterraines.
Dans la méthode de classificauion de M. Tatreille,
c’est dans la tribu des Paguriens que ce petit Crustacé
nous parait devoir prendre place, mais nous croyons
qu’il serait peut-être plus naturel de le rapprocher des
Axies'et des Callianasses. Quoi qu'il en soit, voici en
peu de mois Jé résumé des caractères du genre qne nous
décrite, nous ne pouvous avoird’opimion arrêtée à cet égard; mais voici
les raisons pour lesquelles nous en avons distingué les Glaucothoés.
M. Latreille divise la tribu des Paguriens en deux genres, les Birgus
et les Pagures , et distingue parmi ces derniers trois sous-genres, les
Cénobites, les Pagures propres et les Prophylaces."« Leur queue
(dit-il), les Birgus exceptés, n’oflre, et dans les femelles seulement,
que trois fausses pattes situées sur l’un des côtés , et divisées chacune
en deux branches filiformes et velues » (p.55); et plus loin il ajoute
que les Prophylaces ont denx rangées de fausses pattes abdominales ;
mais comme,ni le nombre ni la forme de ces appendices ne sont indi-
qués, on doit croire qu'ils sont semblables à ceux des deux autres sub-
divisions dumême genre, c’est-à-dire de simples filets ovifères ; tandis
que, chez les Glaucothcés, leur nombre est de quatre paires, et leur forme
ne diffère pas de celle des fausses pattes natatoires des Salicoques.
(Règre animal, deuxième édition , t. IV, p. 795 et 78.)
| ( 339 )
proposons d'établir pour le recevoir, et quenous nomme-
merons GLAUCOTHOÉ ( Glaucothoe, Nob. ).
Abdomen symétrique, corné comme le reste du corps,
divisé en anneaux supportant quatre paires de fausses
pattes natatoires semblables à celles des Salicoques , et
terminées par une nageoire caudale. Pattes de La pre-
mière paire grandes et didacty les; pattes de la seconde
et de la troisième paire grandes et monodactyles;
enfin celles des deux dernières paires petites et plus ou
moins parfaitement didacty les.
Nous dédierons à Péron l'espèce de Glaucothoé que
nous venons de faire connaître; sa longueur est d’envi-
ron 8 lignes ( voyez fig. 2), et sa formé assez svelte.
Nous ignorons la patrie de ce petit Crustacé', qui fait
partie des collections du Muséum ; mais il est à présu-
mer que € ’est dans les mers d'Asie qu’il a été trouvé par
le célèbré voyageur que nous venons de citer.
Genre Sicyonrt.
Parmi les Crustacés que j'ai recueillis dans la baie de
Naples, il en est un qu’au premier abord j'ai pris pour
une Penée, mais qu'après un examen plus attentif j'ai
reconnu devoir constituer un genre nouveau (voy. PI. 1x,
fig. 1). En effet, s’il ressemble à ces Salicoques par la
terminaison des antennes supérieures , par la disposition
foliacée des palpes mandibulaires, et par la forme di-
dactyle des six premières pattes, il s’en éloigne par l’ab-
sence des appendices palpiformes qu'on voit chez les
Penées à la base de chacune des pattes ambulatoires,
ainsi que par la structure des fausses pattes natatoires
de l’abdomen , et ces caractères extérieurs coïncident
avec des différences encore plus grandes dans l’appareil
( 340 )
respiratoire. En effet, chez les Penées, les branchies
sont disposées par faisceaux comme chez les Astaciens ;
on en compte dix-huit de chaque côté du thorax, et, entre
chacun des groupes qu’elles forment, est une appendice
flabelliforme qui nait de l’article basilaire de la patte
correspondante, et remonte verticalement dans la cavité
branchiale. Dans le Crustacé dont je vais donner la des-
cription, les branchies ne sont qu’au nombre de onze
de chaque côté du corps, savoir : une fixée au-dessus
de la patte de la quatrième paire, deux sur les anneaux
thoraciques qui correspondent aux pattes des trois pre-
mières paires, et autant au-dessus des pattes-màchoires
de la troisième ei deuxième paires; enfin il n’y a point
d’appendice flabelliforme fixée à la patte-mâchoire ex-
terne.
Ce Crusiacé , que nous nommons SICYONIE SCULPTÉE
(Sicyonia sculpta, Nob.) (1), est long d’environ deux
(1) Il me paraît probable que ce Crustacé est le même que celui
décrit et figuré par Olivi , sous le nom de Cancer carinatus ( Zoologia
Adriatica , PI. 3, fig. 2 ): car je ne connais aucun autre Salicoque de
la Méditerranée qui y ressemble, mais je n’oserais l’affirmer. En eflet,
d’après la figure que je viens de citer, il n’y'aurait que quatre pattes
chiliformes au lieu de six, et le nombre des épines dorsales serait plus
grand que chez la Sicyonie sculptée. Le Cancer pulchellus de Herbst
(Ærabben , tab. 43 , fig. 3), et l_AÆstacus squilla de Vetagna ( Znstitu-
tiones entomologicæ ), pourraient bien appartenir aussi à la même
espèce; mais les descriptions et les figures qu’on en a données ne sont
pas assez détaillées pour que nous en ayons la certitude. Enfin, M. La-
treille, qui avait également observé ce Crustacé , et qui, dans ses notes
manuscrites, l'avait désigné sous le nom de Peneus sculpteus , pense
que c’est encore la même espèce qui a été décrite deux fois par Olivier,
d’abord comme le Palemon lancifer, et ensuite comme le Palemon
carinatus (qu’il ne faut pas confondre avec le Cancer carinatus
d’Olivi) ; mais nous hésitons à adopter cette dernière opinion.
Le Palemon lancifer d'Olivier, qu'on voit figuré dans l'Atlas de
(341)
pouces et recouvert de tégumens cornéo-calcaires , ru-
gueux (voy. PI. 9, fig. 1) ; son thorax se termine anté-
rieurement par un rostre à peu près droil, qui n’atteint
pas l’extrémité des antennes supérieures, mais dépasse de
beaucoup les yeux, et qui se continue en arrière avec une
série de trois épines situées sur la ligne médiane de la ca-
rapace ; depuis l'origine de l'abdomen jusqu’à la pointe
du rosire, on compte six de ces épines , et au bord infé-
rieur du rostre, près de l'extrémité, on en voit une qui
est très-petite. Sur les côtés de la carapace, on remarque
l'Encyclopédie méthodique, PL. 317, fig. 2, a été rapporté de la mer
des Indes par Pérou, et appartieut probablement à notre genre Si-
cyonie ; mais il se distingue de la Sicyonie sculptée par le nombre des
dentelures de la carène dorsale de la carapace , qui est de cinq ou six
depuis la base jusqu’à l’origine des yeux , Landis que dans la se ulptéei
n’y en a que:trois , et par l’existence de trois petites épines sur les côtés
inférieurs de chacun des segmens de l'abdomen. Voici la description
qu'Olivier en a donnée. « PALEMON LANGIFÈRE , P. lancifer. P. 1horace
carinato , serrato , utrinque aculeato caudæ carin& marginal&. Ik est
plus court que le Palémon squille : le rostre est cassé dans lindividu
que je décris. Le corselet est un peu raboteux , élevé eu carène dans
toute sa longueur, avec cinq ou six dents de scie depuis La base jusqu’à
l'origine des yeux. On voit de chaque côté, à quelque distance du bord,
uue très-forte épine avancée. La peau est nn peu raboteuse. Chaque
segment est élevé en carène, un peu aplati et rebordé à son sommet , et
les côtés inférieurs sont armés de trois pelites épines ; le dernier est
Lerminé, au sommet et de chaque côté, par uue épine assez forte, Le
feuillet supérieur est creusé en gouttière, et terminé en pointe; les
côtés sont ciliés. Les autres feuillets sont ciliés, et ont une arête à leur
mieu. Les yeux sont gros et pédiculés. Les pattes sout petites, fort
minces ; Les deux premières sout les p'us courtes, et Les deux troisièmes
les plus longues. Les bras sont un peu plus grands que les pattes, et
fortement ciliés. Les antennes manquent. » ( Æncyclopedie méthodique,
Hist. des Insectes, par Olivier, t. VIT, p. 664.) Quant au Palémon
caréné du même auteur, nous verrons plus loin qu'il diffère aussi de
la Sicyonie sculptée et qu'il ne faut pas le confondre avee le Palémon
lancifère.
( 542 )
aussi une épine située à peu près au niveau de l’inser-
tion de la patte-mâchoire externe ; mais, dans le reste
de son étendue, ce bouclier céphalo - thoracique est
seulement inégal et pubescent. Les épines qui garnissent
supérieurement le thorax se continuent avec une carène
élevée qui règne dans toute la longueur de l’abdomen ;
près du bord postérieur de chaque anneau, cette carène
se bifurque pour recevoir celle de l’anneau suivant, si
ce n’est sur le sixième, où elle se termine en pointe;
enfin , de chaque côté de la crête longitudinale ainsi
formée , on voit plusieurs sillons irréguliers qui se diri-
gent en bas. Le sternum est assez large entre les pattes
de la cinquième paire ; mais entre celle de la quatrième,
il devient linéaire et présente une forte épine dirigée
en avant; les cinq premiers anneaux de l'abdomen ont
aussi en dessous une armature semblable. Les antennes
supérieures sont courtes et terminées par: deux filets
moins longs que leur pédoncule; la base de celui-ci ne
présente pas, comme chez les Penées, un appendice
lamelleux qui vient se recourber sur les yeux; ces der-
uiers organes sont saillans, mais courts. Les antennes
inférieures ent , comme. à l'ordinaire , une grande
écaille qui en recouvre la base, mais le bord externe de
cette lame et l’épine qui la termine sont beaucoup plus
forts que dans les espèces voisines ; le pédoncule de la
tige de ces antennes est très-court, et le filament qui les
termine est cylindrique et glabre. Le palpe des mandibu-
les, comme nous l’avons déjà dit , est grand et lamelleux
(fig. 2). Les mâchoires n'offrent rien de remarquable
(fig. 3 et 4). Les pieds-mâchoires de la première paire
présentent en dehors un grand palpe flabelliforme au-
dessus duquel est fixé un appendice vésiculeux, qui est
( 343 )
l'analogue du fouet des membres suivans (fig. 5 ); celles
de la seconde et de la troisième paire ressemblent beau-
coup à ce que l’on voit chez les Penées ; seulement elles
sont dépourvues de palpes , tandis que chez ces derniers
ces appendices sont très-grands et d’une forme particu-
lière (fig. 6 er 7). Les pattes des trois premières paires sont
grèles et didactyles, les antérieures sont moins longues que
les pattes-mâchoires externes, mais celles de la troisième
paire les dépasse de beaucoup et s’avancent au-delà du
rostre et des filets terminaux des antennes supérieures;
les pattes des deux dernières paires sont termimées par un
artiele court et pointu; celles de la cinquième paire sont
plus longues que les précédentes ; enfin leur pénultième
article n’est pas annelé comme dans un genre voisin, celui
des Sténopes. Les cinq premiers anneaux de l'abdomen
supportent chacun une paire de fausses pattes natatoires
terminées par une seule lame, qui est grande, pointue et
ciliée sur les bords (fig. 8), tandis que dans tous les
genres voisins il existe constamment deux de ces lames
cornées. Les appendices du sixième segment forment,
avec le septième anneau, la nageoïre caudale; ce dernier
segment, au lieu d’être caréné en dessus comme les pré-
cédens, présente sur la ligne médiane un sillon longitu-
dinal et se termine par une pointe aiguë de chaque côté
de laquelle est une épine qui se continue supérieurement
avec une ligne légèrément saïllante, de facon que la
lame médiane de la queue paraît creusée de trois sillons
longitudinaux ; ses bords sont fortement ciliés; enfin les
James latérales de la nageoire caudale sont arrondies äü
bout et ne présentent rien de remarquable.
Le genre Sicyonie appartient, comme on le voit, à la
tribu des Salicoques de M. Latreille, et y trouve natu-
(344)
rellement sa place à côté des genres Penée et Sténope.
On peut le distinguer des autres Décapodes macroures à
l’aide des caractères suivans :
Pieds des trois premières paires didacty les , et dont
la longueur augme nte progressivement; point de di-
visions annulaires sur les pieds des deux dernières
paires ; point de lame palpiforme à la base des pieds;
fausses pattes natatoires de l'abdomen portant une
seule lame terminale.
La couleur de la Sicyone scuzrtée est d’un brun
terreux ; son test légèrement pubescent , et :sa longueur
est d'environ deux pouces. J'en ai déposé plusieurs in-
dividus dans les collections du Muséum.
( Depuis que j'ai présenté ce Mémoire à l’Académie des
Sciences, Jai eu l’occasion d'examiner un autre Crustacé
qui appartient également au genre Sicyonie (voy. PI. 9,
fig. 9). 11 se distingue de l'espèce précédente, 1° par la
brièveté du rostre, qui s’avance à peine au-delà des yeux
et ne présente sur le bord supérieur que deux petites
dents situées près de sa pointe; 2° par le nombre des den-
telures de la carène dorsale faisant suite au rostre; depuis
la base des yeux, on n’en compte que deux au lieu de
trois , de façon que le nombre total des épines situées
sur Ja ligne médiane de la carapace, depuis la pointe
du rostre jusqu’à la base de l’abdomen, est seulement
de quatre, tandis que chez la Sicyonie sculptée il est de
six; 3° par l'existence d’une petite épine aiguë au bord
antérieur de la carapace, immédiatement derrière l'in-
sertion des antennes supérieures; 4° par la brièveté de
ces antennes, dont l'extrémité du pédoncule n’atteint
pas, à beaucoup près, l'extrémité de l’écaille des an-
( 545 )
tennes inférieures; 5° par la longueur de l’article basi=
laire de la tige des antennes inférieures qui atteint presque
l'extrémité de l’écaille qui le recouvre ; 6° par la forme
du filament terminal de ces dernières antennes qui, au
lieu d’être circulaire, est aplati et fortement cilié sur
ses deux bords; 5° par le développement des pattes-
mächoires externes’, qui avancent presque aussi loin que
les pattes de la troisième paire, et par plusieurs autres
particularités qu’il serait trop long d’énumérer ici.
Ce Crustacé, qui se trouve dans les collections du
Muséum d'Histoire naturelle, mais sans indication de
localité, me paraît être le Palémon caréné d'Olivier (1);
l’individu qui a servi pour la description que cet ento-
mologiste en a donnée, avait été rapporté de la Nouvelle-
Hollande par Péron, et se voit dans les galeries du
Muséum; mais c’est évidemment un jeune, et il est
tellement défiguré par la dess'ccation, qu’il m'a paru
impossible de retirer quelque fruit de son examen ; son
aspect est le même que celui de la Sicvonie dont je viens
de parler ; seulement ce dernier a plus de deux pouces
(x) Voici la description qu'Olivier donne de son Palemon carinatus.
« P. thorace cariñato , bidentato ; rostro porrecto, obtuso , dentato ,
pedibus sex anticis chelatis. I est très-petit, n’ayant guère que quinze
à dix-huit lignes de longaeur. Le corselet est caréné dans toute sa lon--
gueur, et la carène est armée de deux dentelures. Le rostre est avancé,
vbtus , armé de deux ou trois petites dentelures à sa partie supérieure,
et d’une forte épine à sa partie inférieure. Les antennes externes sont
de la longueur du corps; les internes sont terminées par trois filets
lrès-courts, dont un à peine distinct. Les yeux sont pédiculés. Les six
pattes antérieures sont petites, terminées en pince ; Les deux premières
sont les plus courtes , et les deux troisièmes les plus longues. Tous les
scgmeus de la quene sont élevés en carène. Les feuillets ont une arête
au milieu ; le supérieur est obtus et fortement cilié. » ( Op. cit, article
Palémon , t. VEIL, p. 667.)
( 346 )
de long. Je proposerai donc de la nommer Sicyonie ca-
rence: Sicyonia carinata, Nob.
Genre SERGESTE.
Dans la division des Édriophthalmes , les appendices
thoraciques qui suivent les pattes-mâchoires ont tous la
forme de pattes ambulatoires, et par conséquent le
nombre normal de ces appendices est de quatorze, tandis
que chez les Crabes on n’en compte que dix ; les pattes-
mâchoires des deux dernières paires ne servant plus à la
locomotion, mais appartiennent spécialement à l'appareil
buccal, Le Crustacé que je vais faire connaître ici tient
le milieu entre ces deux modes d'organisation et conduit
de l’un à l’autre; car le nombre de ces pattes ambula-
toires est de douze, et les pattes-mächoires des premières
paires appartiennent encore à l'appareil buccal. Sous ce
rapport il établit donc le passage entre les deux ordres
dont nous venons de parler; mais les autres caractères
qu'on y remarque ne permettent pas de le séparer des
Décapodes : il appartient évidemment au groupe des Sa-
licoques de M. Latreille, et doit être placé près des limi-
tes qui séparent ce tribu de celui des Schizopodes.
Son corps est grêle, allongé et un peu aplati ( voyez
PI. x, fig. 1); le bouclier céphalo-thoracique s'étend
jusqu’à l'abdomen et présente antérieurement une petite
épine qui tient lieu de rostre. L’abdomen n'offre rien
de remarquable, si ce n’est que les parties latérales
de l’arceau supérieur de ses cinq premiers anneaux ne se
prolongent pas inférieurement, de manière à cacher
l'insertion des fausses pattes, comme cela a lieu chez les
autres Salicoques. Les yeux sont fort saillans, et leur
pédoncule, dont la longueur varie suivant les sexes,
( 347 )
s’insère sur un tubercule médian qui n’est pas com-
plètement recouvert par la carapace, disposition ana-
logue à celle qui existe chez les Alimes, eic. Les antennes
sont placées sur deux rangs : les supérieures ou internes
sont extrêmement longues ; leur pédoncule est composé
de trois articles bien ‘distincts, dont le dernier est au
moins aussi long que les précédens; et, outre le filet
multi-articulé, grêle et sétacé qui le termine, et qui est
beaucoup plus long que le corps, on distingue à son
extrémité deux petits appendices filiformes rudimen-
taires (fig. 8 ). Les antennes inférieures sont également
très-longues , et leur base est recouverte, comme chez
toutes les autres Salicoques, par une grande lame cornée,
ciliée du côté interne (fig. 7). Les mandibules sont
grosses , leur bord interne est large et pas sensiblement
denté; le palpe qu’elles supportent est très -long et
grêle (fig. 2). Les quatre mâchoires proprement dites
et les pattes-mächoires de la première paire ne présentent
rien de remarquable ( fig. 5, 4 et 5 ); celles de la seconde
paire sont presque pédiformes et ne portent ni palpe ni
appendice flabelliforme ; elles sont grêles , très-longues,
reployées sur elles-mêmes et appliquées sur les autres
parties de l'appareil buccal (fig. 6). Les appendices qui
correspondent aux pattes - mâchoires externes n’offrent
rien qui puisse les faire distinguer des pieds ambulatoires ;
elles sont minces, très-longues, ciliées et terminées par
un article styliforme (fig. 1, c). Les autres pattes ont
Ja mème structure ; toutes sont grèles , filiformes , mo-
nodactyles et garnies de beaucoup de poils: elles s’in-
sérentprès dela ligne médiane du sternum, etne présentent
à leurbase ni appendice flabelliforme ni aucun vestige de
à) . . x
palpe. Celles de la seconde paire, qui, correspondant à
( 348 )
celle de la première chez les autres Décapodes, sont beau-
coup moins longues que les précédentes, tandis que les
deux paires qui suivent ont à peu près la même lon-
gueur; enfin, celles de l’avant-dernière paire (fig. 1, 8)
sont très-courtes et les dernières sont presque rudimen-
taires (a). Les cinq premiers segmens de l'abdomen sup-
portent chacun une paire de fausses pattes assez grandes,
dont l’arucle basilaire est renflé inférieurement et se ter-
mine par deux lames natatoires étroites, allongées,
pointues, ciliées sur les bords et d’inégale grandeur,
si ce n’est à la première paire , où l’on ne voit qu’un de
ces appendices foliacés ; chez les mâles, l’article basi-
laire de ces fausses pattes antérieures présente aussi une
disposition particulière ; à son côté interne, il existe un
prolongement corné , d’une forme bizarre , qui va s’ar-
ticuler sur la ligne médiane avec celui du côté opposé,
et qui paraît appartenir à l'appareil de la génération
(fig. 10, a). Enfin le septième segment de l'abdomen,
petit et pointu, forme la pièce médiane de la nageoire
caudale, dont les pièces latérales sont étroites, à peu
près ovalaires, terminées en pointe, et d'autant plus
longues qu’elles sont plus externes.
Le genre que nous proposons d'établir pour recevoir
ee petit Crustacé, et que nous désignerons sous le nom
de SerGeste ( Sergestes, Nob. ), se rapproche, comme
on le voit, des Pandales de M. Leach ; mais chez ceux-ci
les pieds de la seconde paire sont didactyles, tandis que
chez l'animal dont nous venons de parler aucun de ces
organes ne présente une siructure semblable. I diffère
de tous les Décapodes connus par le nombre de ses pattes
ambulatoires ; mais, sous ies autres rapports, son orga-
. , A * ,
nisation est la ineéme; et, du reste, ce caractère n est Pas
( 349 )
un de ceux auxquels il faut attacher le plus d'importance
dans la distribution naturelle des Crustacés. Pour nous,
le caractère le plus important et le plus invariable des
animaux qui composent le groupe naturel auquel on a
donné le nom de Décapodes, réside dans la structure et
la position des branchies. Or, dans les Sergestes, ces
organes sont fixés sur les côtés du thorax, dans une cavité
spéciale formée, comme chez les Crabes et les Écrevisses,
par les flancs d’une part, et par le bouclier céphalo-tho-
racique de l’autre, et leur organisation est la même que
chez ces animaux : aussi n’hésitons-nous pas à les ranger
dans le même ordre. La forme générale de ces animaux,
l'existence d’une grande lame cornée au-dessus du pédon-
cule des antennes inférieures, et l'absence des appendices
qu'on peut considérer comme l’analogie des palpes et
qu’on remarque à la partie externe des pieds chez les
Schizipodes , feront reconnaître , au premier abord, des
Crustacés pour des Salicoques ; enfin pour les distinguer
des autres genres de la même tribu, il suffira de se rap-
peler les caractères suivans :
Six paires de pattes ambulatoires filiformes et mo-
nodactyles, dont les dernières très-courtes.
L'animal qui nous a présenté ce nouveau type d’or-
ganisation , et que nous nommons Sergeste Atlantique
(S. atlanticus, Nob.), nous a été communiqué par
notre ami M. Reynaud, dont les riches récoltes, conser-
vées au Muséum du Jardin du Roi, serviront aux pro-
grès deftoutes les branches de la zoologie. Il l’a rencon-
tré dans l'Océan atlantique , à une grande distance
des côtes, et sa longueur est d'environ un pouce,
( 350
Genre AGCETE.
Un autre Crustacé macroure, qui a été découvert par
le même naturaliste, et qui doit également être pris pour
type d’une division générique , est encore plus curieux ;
en effet, bien que les pattes-mâächoires externes y aflec-
tent aussi la forme de pattes ambulatoires, le nombre
total de ces organes n’est que de huit, car ceux des
deux dernières paires, au lieu d’être plus ‘ou. moins
rudimentaires , comme dans les Sergestes, manquent
complètement.
Ce genre nouveau , que nous désignerons sous le nom
d'Acire (-Acetes, Nob.), a les plus grands rapports
avec le précédent (voy. PI. x1, fig. 1 ). La forme géné-
rale est la même ; la carapace est lisse et présente-à son
extrémité antérieure une série longitudinale de trois pe-
tites dents, mais il n y a point de rostre proprement dit.
Les yeux sont sphériques et portés sur des pédoncules
assez longs; les antennes supérieures, placées au-dessus
des externes, ont un long pédoncule (fig. 7), mais son
dernier article est plus court que le premier et ne porte
que deux soies, dont l’une ayant à peu près deux fois
la longueur du corps. Les antennes inférieures ou ex-
ternes présentent un filet terminal non moins allongé :
et leur base est recouverte par une grande lame cornée
(fig. 8). Les mandibules , les mâchoires proprement dites
et les deux paires de pattes-màchoires ne diffèrent pas no-
tablement de celles des Sergestes (fig. 2, 3, 4, 5 et 6).
Il en est de même des pattes ambulatoires, qui sont fili-
formes et terminées par un article pointu; mais, comme
nous l'avons déjà dit, celles des deux paires postérieures
manquent complètement ; cependant en arrière des der-
( 35%)
nières qui existent, on distingue encore un segment tho-
racique portant des branchies comme les précédens,
mais sans appendices locomoteurs. L’abdomen ne pré-
sente rien de remarquable ; les fausses pattes natatoires
se terminent toutes par deux lames étroites et pointues,
qui sont d’abord à peu près de mème longueur, mais
dont l’interne devient plus courte sur les derniers seg-
mens. Le pédoncule de ces appendices présente des
modifications tout opposées, car sur les premiers an-
neaux de l’abdomen, il est long et étroit, tandis que
sur les derniers, il devient gros et court. La nageoire
caudale n'offre rien de remarquable (voy. fig. 9 ).
Bien que ce Crustacé n'ait pas dix pieds, il n’en est
pas moins évident que c’est au groupe naturel des Dé-
capodes macroures qu’il appartient, et c’est encore dans
la tribu des Salicoques qu'il devra prendre place.
On peut caractériser le genre Acète de la manière
suivante :
SALICOQUE ayant les pattes ambulatoires au nombre
de quatre paires , filiformes et toutes monodacty les.
Si l’on voulait aussi des caractères tirés de l’organi-
sation intérieure de ces animaux, les branchies nous en
fourniraient, car ces organes ne sont qu'au nombre de
cinq de chaque côté du corps, disposition dont nous ne
connaissons pas d'autre exemple parmi les Macroures.
L'espèce d’Acète qui nous a servi de type pour ce genre
habite le Gange et portera le nom d'AcÈre INDIEN ( 4.
indicus , Nob. ) ; sa longueur est d'environ un pouce.
EXPLICATION DES PLANCHES.
PI. vx, fig. 1. Guaucornoé pe PÉRON beaucoup grossi et vu de profil.
Fig. 2. Le corps du même animal, pour montrer sa grandeur naturelle.
Fig. 3. Mandibule grossi , de même que toutes les parties suivantes,
Fig. 4. Mâchoire de la première paire.
(352)
Fig. 5. Mâchoire de la seconde paire, portaut en dehors la grande
ais cornée , qui est un des caractères distinctifs de tous les Déca-
odes.
Fig. 6. Patte-mächoire de la première paire.
Fig. 7. Patte-mâchoire de la seconde paire , avec son palpe.
Fig. 5. Patte-mâchoire de la troisième paire , portant également un
palpe très-développé.
Fig. 9. Antenne interne ou supérieure.
Fig. 10. Antenne inférieure.
Fig. 11. Patte thoracique de la quatrième paire.
Fig. 12. Patte thoracique de la cinquième paire.
Fig. 13. Fausse patte natatoire de l'abdomen.
PI. 1x, fig. 1. Sicyonte sCULPTÉE de grandeur naturélle.
Fig. 2. Mandibule grossie.
Fig. 3. Mâchoire de la première paire, également vue au microscope.
Fig. 4. Mâchoire de la seconde paire.
Fig. 5. Patte-mâchoire de la première paire.
Fig. 6. Patte-mâchoire de la seconde paire, portant à sa base un fouet
et deux branchies rudimentaires.
Fig. 8. Fausse patte natatoire de l'abdomen.
Fig. 9. Sicxonte CARÉNÉE de grandeur naturelle.
PI. x, fig. 1. SenGesre ATLANTIQUE vu de profil, et beaucoup grossi ;
sa grandeur naturelle est indiquée par la ligne placée au-dessous. —
a, patte thoracique de la sixiéme paire ; ce, patte ambulatoire de la
première paire, qui correspond à la patte - mâchoire externe des
autres Crustacés décapodes.
Fig. 2. Mandibule,
Fig. 3. Mâchoire de la première paire.
Fig. 4. Mâchoire de la seconde paire.
Fig. 5. Patte-mâchoire de la première paire. — a, vésicule membraneux
- résultant d’une modification du fouet.
Fig. 6. Patte-mâchoire de la seconde paire.
Fig. 7. Portion basilaire de l’antenne inférieure.
Fig. $. Portion basilaire de l’antenne supérieure.
Fig. Fausse patte natatoire du premier anneau de l'abdomen du
mâle , pour montrer l’appendice cornce qui existe an côté interne de
son pédoncule.
PI. x1, fig. 1. AGÈTE INDIEN grossi : la ligne placée au-dessous indique
sa grandeur naturelle. — 4, patte-mâchoire de la seconde paire;
b, patte ambulatoire de la première paire, correspondant à la patte-
mâchoire externe des autres Décapodes; c, patte ambulatoire de la
seconde paire , correspondant à la patte thoracique de la première
aire chez les autres Décapodes.
Fig. 2. Mandibules.
Fig. 3. Mâchoire de la première paire.
Fig. 4. Mâächoire dela seconde paire.
Fig. 5. Patte-mâchoire de la première paire. — à, le fouct transformé
en ane vésicule membraneuse.
Fig. 6. Patte-mâchoire de la seconde paire. — a, modification de l’ap-
pendice flabelliforme.
Fig. 7. Pédoncule de l’antenne supérieure.
Fig. 8. Portion basilaire de l’antenne inférieure.
Fig. 9. Nageoire caudale.
(353)
Mémoire sur Les Rapports de volumes des deux
sexes dans le règne animal ;
Par M. Cu. Grrou DE BuzAREINGUES,
Correspondant de l’Académie royale des Sciences.
IL a semblé difficile à Buffon d'expliquer pourquoi,
chez les oiseaux de proie, comme chez les insectes et les
poissons (il eût pu ajouter, et les reptiles), la femelle est
plus grande que le mâle ; tandis que c’est , en général, le
contraire chez les autres oiseaux et chez les mammifères.
Je n’aurais pas eu, sans doute, la pensée de m'occuper
d’un problème qu’un aussi puissant génie n'avait pu ré-
soudre , si la solution de la principale difficulté qu’il
renferme ne m'avait été offerte par les faits observés dans
mes recherches sur la reproduction des animaux.
Pourquoi le mâle naît-il ordinairement plus gros que
la femelle chez les ruminans , les rongeurs , etc. , parmi
les mammifères ; et pourquoi, lors même qu'il n’est pas
plus gros, qu’il est mème plus petit qu’elle, en naissant,
la surpasse-t-il le plus souvent en volume, chez presque
ous les mammifères et chez la plupart des oiseaux , lors-
qu'il a atteint le terme de son accroissement ?
Pour résoudre cette question , il ne suffit pas de savoir
quelles causes peuvent déterminer ces rapports entre
individus ; il faut encore pouvoir assigner celles qui les
rendent inhérens aux espèces ; indépendamment de leurs
causes premières. La solution dé cette seconde branche
de la question s'étant présentée la première à mon es-
prit, Je vais aussi la présenter la première.
XIX. — Avril 1830. 23
(354 )
La prédominance en volume n’est pas de l’essence du
sexe masculin; puisque, loin d’être générale, elle est
restreinte dans une partie peu nombreuse du règne ani-
mal. D'ailleurs, si elle était un effet des organes sexuels,
la suppression de ces organes dans le bas âge devrait la
prévenir : or, il arrive précisément le contraire; la perte
des testicules, qui rapproche, sous tant de rapports , le
mâle de la femelle, semble l’en éloigner, par l’accrois-
sement de volume quien est la suite; ces mêmes organes
sont donc réellement un obstacle au développement.
J'ai déjà combattu , dans mon ouvrage sur la généra-
uon , le sentiment des physiologistes qui pensent que le
sexe est déterminé par la nourriture que reçoit l'embryon,
soit dans l’œuf, soit dans l’utérus ; et qu’il devient mâle,
si cette nourriture est suffisante ou forte , ou qu'il reste
femelle , si elle est insuffisante ou faible (x).
Depuisla publication de cet ouvrage, j'ai prouvé par
des observations positives qui ont été communiquées à
l’Académie , que, si les mâles naïssans présentaient les
sujets les plus forts , ils présentent aussi les plus faibles.
Je vais, avant de passer à l’objet principal de ce Mémoire,
tâcher de prouver que le mâle doit spécialement sa taille
à son père, et la femelle à sa mère. Cette proposition
déjà énoncée par noi dans de précédens Mémoires,
n'ayant pas été appuyée d’un assez grand nombre de
faits, son importance m'engage à y revenir.
J'ai déjà dit que , parmi les produits que j'ai obtenus
de l’accouplement d’un étalon arabe avec des jumens
plus grandes que lui, les femelles ont été, en général ,
(1) Voyez cet ouvrage, p. 231.
(355)
plus grandes que les mâles (1). A ce fait et à d’autres
relatifs à l'espèce humaine , que j'ai rapportés aussi (3),
J'ajouterai les suivans.
J'ai introduit à plusieurs reprises , dans mes étables,
des taureaux appartenant à des races bien plus fortes
que celles de mes vaches ; et j'ai remarqué constamment
que, parmi les produits, les mèles, bien plus que les
femelles , se ressentaient, sous le rapport de la taille,
des influences de ces introductions.
J'ai fait croiser un troupeau d’environ 250 brebis de
forte taille par des béliers mérinos bien plus petits
qu'elles ; les agneaux mâles qu’a donnés ce mélange ont
été, en général, plus petits que les femelles, tant au
commencement de la naissance qu’à l’époque du parfait
accroissement.
Les cultivateurs de ma connaissance qui , possesseurs
de races indigènes fortes comme la mienne, ont tenté le
mème croisement , en ont obtenu de semblables résultats.
Je citerai M. Amans Rodat, connu de tous les agronomes
par ses excellens articles sur l’agriculture publiés dans/la
Feuille villageoise ou dans le Propagateur de l'Aveyron,
et insérés en grande partie dans les Annales de lAgri-
culture française. Je lui ai adressé la question suivante :
« Vous souvient-il si, dans les produits que vous avez
« obtenus du croïsement de vos brebis indigènes par des
« béliers mérinos, il y a eu, entre les mâles et les fe-
« melles, le mème rapport de volume, qué parmi les
« agneaux indigènes de pure race? »
Voici sa réponse :
(1) Ouvrage cité, p. 122.
(a) Thid , p.29.
( 356 )
« Dans les métis des deux premières générations , les
« femelles étaient magnifiques ; elles égalaient leur
« mère en taille, et les surpassaient en grosseur.
« M. Châteauvieux a mesuré une de ces métisses du 2°
« degré qui avait 27 pouces de hauteur et une conforma-
« tion parfaitement proportionnée. Les màles étaient
« beaux aussi; mais ils ne surpassaient guère les fe-
« melles , et plusieurs ne faisaient que les égaler. Il me
« paraît meme qu'il arriva quelquefois que les ante-
« noises l’emportaient sur leurs frères de même àge;
« mais il faut noter que ceux-ci étaient nourris sur des
« pâturages moins substantiels. Tout ce que je puis
« dire avec assurance, c’est que le rapport entre les deux
« sexes n’était pas le mème dans la race métisse que
« dans la race pure. »
C’est parce que les mâles métis ont été de beaucoup
inférieurs en taille aux mâles de pure race indigènes ,
qu'on a éprouvé beaucoup de difficultés pour les vendre,
qui ont fait proscrire les croisemens sur tous les points
du département de l'Aveyron , où la race indigène s’est
trouvée plus forte que les mérinos ; tandis qu'on a con-
tinué de les pratiquer dans l'arrondissement de Saint-
Affrique ; où la brebis, qui donne le fromage de Roque-
fort, n’est pas plus grande que celle d’Espagne; et où,
d’ailleurs, on n’élève que très-peu de mâles.
Dans le cours d’une exploitation de dix-huit ans du
domaine le plus considérable du département de l’Avey-
ron , dont mon beau-père était fermier, et où l’on tenait
une vingtaine de jumens poulinières d’assez belle taille,
qu'on livrait presque toutes au baudet , j'ai pu observer
que les mules étaient, en général , plus grandes que les
( 357 )
mulets. Jai vérifié souvent cette observation dans les
foires.
D'après des renseignemens que j'ai obtenus, ce serait
tout le contraire chez les bardeaux issus du cheval et de
l’ânesse ; mais je n’ai point, sur ce dernier fait, d’obser-
vation personnelle.
Autorisé enfin par de nombreuses observations , Je
considère comme constant que les deux sexes, et surtout
la femelle, concourent à déterminer le volume de leurs
produits ; mais que le père transmet le'sien plus’spécia-
lement au mâle qu’à la femelle ; et la mère, le sien plus
spécialement à la femelie qu'au mâle.
Donc les circonstances qui rendent le volume du mâle
supérieur à celui de la femelle tendent à établir cette
même supériorité dans l'espèce , puisqu'une fois intro-
duite, elle se reproduit. 4
Il ne s'agit donc plus que de signaler ces causéstipre-
mières , dont l’acüon immédiate sur les individus 'a in-
troduit chez la plupart des oïseaux , et surtout des mam-
mifères, des rapports de volume entre les deux sexes,
différens et mème inverses de ceux que l’on rericontre
dans les classes inférieures du règne animal, et les'cir-
constances qui ont soustrait à l’action de ces causés ceux
des animaux de ces deux hautes classes qui y ontéchappé.
On voit déjà que je considère comme exception à la loi
générale sur les rapports de volume des sexes ; non la
prédominance de la femelle sur le mâle , mais celle du
mèle sur la femelle. Test, en éflet , dans l’ordre primi-
tif de la nature que le sujet destiné à transmettre la vie
el à l’entretenir après l'avoir transmise, aït une plus
grande puissance de nutrition que'‘celui qui n’a à nourrir
(358)
que lui seul : et cela est réellement ainsi, non seulement
dans l’immense majorité des animaux , maïs encore dans
toutes les plantes dioïques.
Les travaux des zoologistes laissent très-incomplètes
nos connaissances sur Îles rapports exact du volume
des sexes ; et mon travail se ressentira nécessairement de
cette lacune dans la science.
Il n’y à guère de grandes masses où le mâle prédomine
notablement sur la femelle , que les gallinacés , les échas-
siers et les palmipèdes chez les oiseaux; l'espèce humaine,
les quadruümanes , les earnassiers , les ruminans, les ron-
geurs et les amphibies chez les mammifères. Cette pré-
deminance devient plus grande dans la domesticité que
dans l’état sauvage; et elle est plus générale chez les
mammifères que chez les oiseaux.
C’est donc dans les progrès du perfectionnement que
le. mâle devient plus gros que la femelle. Mais un autre
résultat de ces mêmes progrès esi de rendre nécessaire et
de prolonger l'éducation tant utérine qu’extra-utérine de
la famille dont.les soins deviennent de plus en plus
onéreux et exclusivement imposés à la femelle, et dont
le mâle est affranchi, en partie du moins , par la nature,
et-quelquefois totalement par ses appétits ou sa volonté.
Or, neserait-ce pas à cette exclusive et progressive dé-
viation de la nutrition de la femelle, ou aux longues
privations qu’elle s'impose , que nous devons rapporter
le retard relatif, l’arrèr même de son développement ?
L'oiseau femelle est soumis ,.pendant la durée de l’in-
cubation et de l'édugation, à une abstinence que ne
connaissent ni lesreptiles, ni les-poissons; et la femelle
du mammifère est soumise, soit pendant la gestation,
( 359 )
soit pendant l'allaitement, à une plus grande déviation
de la nutrition que celle de l'oiseau , et elle est en outre
détournée , comme celle-ci , du soin de sa propre con-
servation , pour veiller à celle de ses petits.
Si nous considérons cependant cette double cause de
déperdition ou ce double obstacle au développement,
dans ses diverses phases, nous le trouverons constam-
ment d'accord avec les faits dont nous cherchons la
solution.
Les oiseaux de proie sont ceux qui produisent le moins :
ils ne font que deux ou trois œufs, et n’élèvent qu’un
ou deux petits, qu'ils expulsent mème du nid, après
une très-courte éducation , et quoiqu'ils puissent à peine
se suflire. {ls sont monogames; le mäle partage avec la
femelle l’éducation des peuits ; le temps de l’incubation
ne profite guère plus à l’un qu’à l’autre, ear le prin-
temps est pour eux une époque d'abstinence : il dérobe
leur proie à leurs poursuites , par les abris ou les refuges
que la végétation des plantes offre et l’exubérance de vie
qu'elle donne aux timides animaux que l’hiver leur livre
sans asile, sans mouvement et sans force. Aucune cir-
coustance enfin ne trouble chez l'oiseau de proie la pré-
dominance naturelle de la femelle sur le mâle. Lorsque
l’époque périodique de son plus grand ou de son plus
rapide développement , ou celle qui lui présente le plus
de nourriture, est arrivée , la femelle ne pond pas, ne
couve pas , n'élève pas de petits , elle chasse ; et la supé-
riorité de sa force se maintient par celle des avantages
qu’elle en. obtient.
Chez ceux des oiseaux de proie qui produisent le plus
d'œufs et qui donnent le plus de soins à leurs petits
( 360 )
chez l’émérillon , un des derniers de cet ordre , ou chez
la pie-grièche , le premier de l’ordre suivant , la femelle
est aussi petite que le mâle.
Ne serait-ce pas parce que les squales se trouvent dans
des positions analogues à celles des oiseaux de proie,
qu’ils sont aussi, de tous les poissons , ceux qui offrent
les plus grandes disproportions de volumeentre la femelle
et le mäle. Les rousselettes , chez lesquelles cette dispro-
portion a été le plus "observée, ne produisent que de
neuf à treize petits ; elles vivent au fond des eaux , près
de la vase dans laquelle une foule de poissons ou de
mollusques vont passer l'hiver; elles se reproduisent par
accouplement réel, la femelle est vivipare , et son mâle,
peut-être; monogame.
Chez les oïseaux polygames , le mâle s’affranchit des
soins de l’incubation et de l'éducation, exclusivement
réservés à la femelle. Chez eux aussi, il devient plus
gros qu’elle ; et la prédominance de son volume est en
rapport avec les facilités de se procurer une abondante
nourriture aux époques de Fa reproduction; elle est re-
marquable chez les gallinacés et chez les échassiers her-
bivores, ou chez les palmipèdes piscivores, parce que
l’époque de leur ponte est aussi celle qui leur fournit le
plus de nourriture : la terre se couvre alors d’insectes,
d'herbes tendres , de feuilles nouvelles, où de grains;
les mollusques, les crustacés, les poissons, se rendent
par myriades à la surface des eaux. Or, le mâle met à
profit toutes ces causes de rapide développement , tandis
que la femelle , cédant à l'instinct de conserver l'espèce,
couve ses œufs, conduit ou réchaufle ses petits , leur pro-
cure, les invite à prendre de la nourrituré, partage avec
( 361 )
eux celle qui lui serait nécessaire ; et non seulement elle
se prive ainsi, dans la saison de l'abondance , des moyens
d’accroïissement , mais encore elle supporte alors une
plus rude abstinence que dans les époques de disette.
Tout concourt à l’empêcher de croître : déviation de la
nutrition , dans la formation d’un grand nombre d'œufs,
et privation de la nourriture , dans les soins de l’incuba-
tion et de l’éducation. Cetté dernière circonstance lui
est plus préjudiciable encore que la première : la ponte
cesse toujours du jour de l’incubation, et elle recom-
mence lorsque celle-ci a cessé : les mâles lascifs ont
l'instinct de ces rapports ; ils détruisent les œufs comme
obstacles à leurs jouissances. La femelle oiseau peut se
maintenir grasse pendant la ponte; mais elle maigrit
infailliblement pendant la couvaison, et ne reprend sa
graisse qu'après que l'éducation de ses petits est terminée.
Les oiseaux appartenant à un même ordre offrent des
rapports différens de volume entre Les deuxsexes, suivant
qu’ils sont monogames ou polygames, suivant que les
mâles partagent ou ne partagent pas avec les femelles les
soins de la famille. Ainsi, ces rapports ne sont pas les
mèmes chez les pigeons que chez les poules ; chez les pies,
les geaïs , les freux , les corbeaux , que chez les moineaux
ou les alouettes; chez la bécasse , le vanneau, le pluvier,
que chez l’outarde.
Quoiqu'étrangère à l’ordre des oiseaux de proie , la
femelle du coucou reste plus grande que le mäle , parce
que, étant dégagée des soins de l’incubation , la nutri-
tion n'éprouve pas chez elle de plus grande déviation
que chez la femelle de l'aigle ou du faucon.
Chez les oïseaux insectivores qui vivent entre les tra-
( 362 )
piques, se trouvent des espèces où la femelle est plus
grande que le mâle (le tinamoux (perdrix de la Guiane }
le barbichon et le tyran de Cayenne, la moucherolle du
Sénégal). Il n’en est pas ainsi des mêmes espèces, ou de
celles qui en sont voisines, sous des latitudes polaires
où tempérées (nos gobe-mouches ). Or, la nourriture
s'oflre en plus grande abondance aux animaux insecti-
vores , sous les climats chauds et humides, que sous les
climats froids ou tempérés : là, bien plus qu'ici, la fe-
melle trouve à sa portée les moyens de réparer ses pertes.
Dan; les espèces où le mâle trop lascif s’épuise dans
l'acte trop souvent répé'é de l’accouplement, il reste plus
petit que la femelle , surtout lorsque celle-ci rencontre
près d'elle, pendant la couvaison, une abondante nour-
riture (la caille , le canari).
Chez les mammifères, la prédominance du mâle sur
la femelle est plus générale et plus grande que chez les
oiseaux. Il y a une notable disproportion entre le bœuf
et la vache, le bélier et la brebis , le bouc et la chèvre.
Or, chez les mammifères, la femelle est soumise à une
bien plus grande déviation de la nutrition que chez les
oiseaux. La vache, dont le poids est à peu près égal à la
moitié de celui du bœuf, vit dans un perpétuel état de
gestation ou d'allaitement ; il en est de même de la brebis
et de fa chèvre.
I n'y a pas de cultivateur qui ignore que les jeunes
femelles cessent de croitre après qu’elles ont produit; et
que l'allaitement est encore plus préjudiciable que la
gestalion à leur accroissement.
Les ruminans et les lamantins produisent plus que les
pachydermes ; les petits de ceux-là consomment plus de
( 363 )
lait que ceux de ces derniers : chez les uns aussi, le
mâle prédomine plus constamment et davantage sur la
femelle que chez les autres.
Les cochons sont les seuls des pachydermes qui pro-
duisent beaucoup : chez eux aussi, le mäle prédomine
plus sensiblement sur la femelle que chez ces derniers.
De tous les rongeurs , les rats sont les plus féconds :
la prédominance du rat mâle sur sa femelle est aussi plus
grande que celle de tout autre mäle rongeur sur la sienne.
Les chéiroptères et les insectivores; ceux des mam-
mifères carnassiers qui vivent et d'insectes et de fruits,
n’offrent pas la même différence de volume entre les deux
sexes , que les carnivores proprement dits ; or, la femelle
de ceux-là peut aisément trouver et saisir, soit les larves
d'insectes qui pullulent, soit les fruits qui tombent où
mürissent près de son repaire; tandis que la femelle de
ceux - ei est obligée de poursuivre une proie alerte et
agile qui souvent sait l’éviter et se soustraire à ses pour-
suites ; elle fait beaucoup de petits cependant; elle
éprouve donc une grande déviation de la nutrition, et
de grandes privations dont le mâle, toujours libre , dis-
pos et occupé de lui seul, est affranchi. Voilà pourquoi,
si je ne me trompe , la femelle de la chauve-souris, du
hérisson , de Ja taupe , est au moins aussi grande que Île
mâle; tandis que la lionne est bien plus petite que lelion.
Chez les marsupiaux, qui ne produisent , pour ainsi
dire , que des embryons, que des rudimens de fœtus,
lesquels voyagent toujours avec leur mère, ei ne la re-
tiennent pas captive loin des lieux où elle peut trouver
sa subsistance, la femelle estau moins aussi grande que
le mâle.
(364 )
Lorsque , par sa qualité, la nourriture ne développe
que très-faiblement , tant chez l'oiseau que chez le mam-
mifère, la force musculaire du mâle , les masses fibreuses
de celui-ci restent grêles , appauvries , atrophiées ; il con-
somme peu , parce qu’il agit peu ; ilest privé de la cause
qui porte la vie de l’intérieur à l'extérieur ; le dévelop-
pement de sa vie d'action ne compense pas celui de la
vie de nutrition de la femelle; il doit rester plus petit
qu'elle. Or, tel est, en effet, le rapport des sexes chez
tous les fourmiliers et chez les édentés. Je dois signaler
encore ici une autre circonstance qui peut aussi préparer
et déterminer enfin ce résultat. La femelle de ces ani-
maux est plus apte que le mâle à saisir les insectes dont
elle se nourrit ; car c’est à l’aide de la langue, organe
ordinairement plus développé chez la femelle que chez
le mâle, que les fourmiliers atirapent les fourmis, ali-
ment toujours à la portée de la femelle, et abondant au-
tour d’elle, dans les lieux qu’habitent ces animaux. Les
plus légères différences dans les causes presque conti-
nuellement agissantes, peuvent en produire de grandes
dans les résultats ultérieurs de leur action.
Un résultat semblable au précédent se présente encore
chez les tardigrades : le mâle du guignard ( petit pluvier),
oiseau très-paresseux, et celui de la foulque , que sa pa-
resse livreau busard, sont plus petits que leurs femelles ;
tandis que celui du combattant, échassier comme les
précédens, mais actif, ardent, colère, devient plus
grand que la femelle, On ne peut être surpris que les
animaux que leur tempérament ou des causes quelcon-
ques rapprochent des reptiles ou des poissons, en su-
bissent les lois.
( 365 )
Lorsque, dans les animaux domestiques, la femelle
est destinée au travail, comme le mâle, et qu’elle n’est
soumise , d’ailleurs , hi à une trop fréquente reproduc-
tion , ni à un trop long et épuisant allaitement, il ne la
dépasse point en volume : l’ânesse est aussi grande que
le baudet ; la jument que le cheval; la chienne que le
chien; parce que l’homme pourvoit à leur nourriture
selon leurs besoins.
Les naturalistes ont considéré la marte comme une
fouine domestique , et la fouine comme une marte sau-
vage. Or, chez l’une, le mâle n’est pas plus grand que
la femelle ; il est plus grand chez l’autre.
Le lièvre se tient plus près de nos habitations que le
lapin ; l’un, pour me servir des expressions du bon La
Fontaine , passe la vie à songer en un gite ; l’autre rôde,
trotte , fait mille tours. La femelle du premier fait ses
petits au centre de nos récoltes ; celle du second fait les
siens dans ses terriers au sein de pâturages arides ; celle-
là, d’ailleurs, produit moins que celle-ci : or, la hase
est plus grosse que le lièvre, et la lapine est plus petite
que le lapin.
Cependant le moineau mâle est sensiblement plus
gros que la femelle ; tandis que, chez les autres passe-
reaux , il ya peu de différence de volume entre les deux
sexes. Mais le moineau mâle, libre de tous soins étran-
gers à sa propre conservation , vit dans l'abondance des
grains que l’homme rassemble près de ses habitations , à
l'époque où sa femelle est livrée aux soins répétés de
l’incubation et de l'éducation ; tandis que celle-ci ne
peut s'occuper exclusivement de sa propre nourriture ,
, \ . ’ r #
qu'après que les grains ont été enserrés dans les meules
( 366 })
ou dans les greniers , qu'après que les chenilles ont été
changées en papillons , et ne s'offrent plus en paquets
serrés sur les branches des arbre$ ou des arbrisseaux.
Toutes les substances alimentaires ne contribuent pas
également au développement physique des animaux :
les substances végétales mucilagineuses ou herbacées y
contribuent plus puissamment que les substances fi-
breuses ou animales ; celles-ci plus que les substances
acides; toutes les précédentes plus que les substances
sucrées. Ainsi, parmi les mammifères , les cétacés , les
lamantins , les pachydermes et les ruminans deviennent
plus grands que les carnassiers, qui deviennent plus
grands que les fourmiliers; et, parmi les oiseaux, les
échassiers et les palmipèdes deviennent plus grands que
les oiseaux de proie , qui deviennent plus grands que les
buccivores et les fourmiliérs , qui deviennent plus grands
que les colibris ou les oiseaux- mouches.
La nourriture ne tourne au profit de l’accroissement
qu’au préjudice de la reproduction ; car les difficultés de
se la procurer en suflisante quantité deviennent plus
grandes pour les grosses espèces que pour les petites.
L'exercice cependant dirige ou appelle la nutrition vers
les organes de locomotion ou de préhension , et les dé-
tourne de ceux de reproduction : l'aigle mâle adulte a
les testicules comme des pois, tandis que le poulet de
quatre mois les a comme des olives. Le bélier les a plus
gros que le cheval.
Les grandes espèces doivent donc être nécessairement
rares sur le globe , à moins que l’industrie humaine ne
supplée à l'insuffisance de leurs propres moyens de con-
servation : les petites races de chèvres ou de brebis pour-
(367 )
raient exister par elles-mêmes dans nos climats tempérés,
mais il n'en serait pas ainsi des grandes races de ces
mêmes animaux ; et, à plus forte raison , du cheval, du
bœuf, ou de l'âne.
La cause qui rend le volume du mâle prédominant
sur celui de la femelle établirait à la longue une énorme
disproportion entre eux, si elle ne devenait en même
temps, par les combinaisons de la génération que nous
avous précédemment exposées, une cause d’accroisse-
ment de la femelle elle- mème, de laquelle résalte un
ralentissement dans les progrès de l'inégalité, qui n’est
point tel cependant qu’il rende tout-à-fait nulle la pro-
gression de celle-ci ; puisque , comme je l'ai déjà fait
observer , le père influe dans la génération plus spé-
cialement sur la taille du mâle que sur celle de la
femelle.
La prédomimance du mâle devrait donc être plus sen-
sible dans les grandes espèces que dans les petites ; et
elle l’est en eflet , comme on peut le remarquer chez les
oiseaux échassiers , sur les grandes outardes comparées
aux petites ; chez les gallinacés, sur les poules domesti-
ques comparées aux gélinottes ; chez les hirondelles,
sur les grands martinets comparés aux petites hiron-
delles ; chez les alouettes, sur les calandres comparées
aux spiplettes; chez les mésanges , sur les charbonnières
comparées aux remiz, etc. Et, parmi les mammifères ,
chez les rongeurs, sur les gros rats com parés aux petites
souris ; chez les ruminans, sur nos fortes races , soit de
bœufs , soit de moutons , comparées aux petites, etc.
L’inégalité de volume des deux sexes serait plus re-
marquable encore dans les grandes espèces, si une de
( 368 )
ces causes premières , la déviation de la nutrition chez
la femelle , n’y devenait progressivement moindre par
une progressive diminution de la fécondité.
Parmi ceux de nos animaux domestiques dont les
femelles nous fournissent du lait, l’inégalité devient
énorme dans les grandes espèces , parce que la fréquente
mulsion est encore plus nuisible au développement,
qu’une très-grande fécondité : les bonnes vaches s’en-
graissent pendant la gestation ei s’amaigrissent pendant
l'allaitement, quelle que soit la qualité et la quantité de
la nourriture qu'on leur offre.
Il y a donc, dans la cause première de cette inégalité
qui nous occupe, un principe de retour à l'équilibre ;
et cette observation pourrait rendre problématique si
autrefois les mâles des cicognes et des grues parmi les
oiseaux , et des pachydermes parmi les mammifères , ne
furent pas relativement plus gros qu’ils ne le sont au-
jourd’hui, comme permet de fe soupçonner l'inégalité
encore existante chez les amphibies, qui produisent plus
de petits que les éléphans, les rhinocéros et les hippo-
potames.
Cependant, lorsque la capacité de reproduction s’é-
teint , l'espèce touche à sa fin. Ne serait-ce point parce
qu’elle s’est trop affaiblie chez les pachydermes , que cet
ordre offre, plus spécialement que chez les autres , des
fossiles dont on ne retrouve plus le type chez les asimaux
vivans ? Les espèces, comme les individus, déclinent et
meurent, lorsqu'elles sont parvenues au plus haut degré
de leur accroissement.
De ce qui a été dit précédemment, on peut conclure,
à priori, que les ordres d'animaux où le mâle est ordi-
( 369 )
nairement monogame et partage avec la femelle l’éduca-
tion des petits , ne sont point, en général , susceptibles
d’un aussi grand développement que ceux où il est po-
lygame. Or, cette déduction est confirmée par les faits ;
on ne trouve point d'aussi grandes espèces chez Îles oï-
seaux de proie, les fourmiliers et les passereaux, que chez
les gallinacés, les échassiers et les palmipèdes.
Mais, puisqu’en croisant, les espèces tendent à leur
fin , il serait donc généralement vrai que , dans l’ordre
naturel , comme dans l’ordre social, l’égoïsme est nui-
sible ; et que l'instinct moral , qui, confondant l'amour
et l'amitié, unit le père à sa famille, est à la fois le
principe de la conservation des individus et de celle de
l'espèce. En créant les sentimens affectueux , la nature
aurait donc posé les fondemens de la plus utile morale.
Je n’ai garde de dire que les solutions que je vies de
proposer des divers faits que j’ai essayé de résoudre , sont
les seules ou les meilleures que l’on puisse donner ; mais
je considère comme certain :
1°. Que la nourriture est la cause première de l’ac-
croissement, et que la nutrition en est le premier moyen;
d’où il suit que , sous une égale nourriture , la femelle
devrait croitre plus que le mâle, comme étant douée
d'une plus grande force nutritive , si chez elle la nutri-
tion, n’éprouvait pas une plus grande somme de dévia-
tionique chez le mâle.
2°. Que la femelle étant soumise à des privations de
nourriture, et sa nutrition à des déviations plus ou
moins complètement étrangères au mâle, il doit en ré-
sulter des variations dans les rapports de leur volume,
proportionnées en partie à l’action de ces causes.
XIX. 24
C2
( 370 )
3°. Que, dans la génération , les capacités de déve-
loppement des produits naissent de la transmission de
celles du père et de la mère , sous des combinaisons spé-
ciales pour chaque sexe de ces produits ; d’où il suit né-
cessairement que les rapports de volume, déjà déterminés
entre les sexes des ascendans , doivent se maintenir dans
les espèces, non seulement par la continuation de leur
cause première , mais encore par cette transmission.
Descriprion du Theligonum Cynocrambe ;
Par M. le professeur Deus.
Le Theligonum Cynocrambe est une des plantes
printanières du midi de la France, et qui se trouve à
Montpellier, à Toulon, en Italie, sur le littoral et dans
plusieurs îles de la Méditerranée : elle était regardée
chez les Grecs comme une herbe potagère.
Gaspard Bauhin la découvrit à Montpellier en 1671 ;
mais elle avait été décrite auparavant, à Florence, par
Césalpin, qui l’appelait Æ/sine, du nom sous lequel
Columna l'avait fait connaître aux botanistes de son
temps, leur en ayant communiqué des graines de l'ile de
Caprée. H
Si nous consultons Dioscoride , nous trouvons que ce
qu'il dit, d’une manière fort abrégée, du Cynocrambe
est assez applicable à la plante décrite par Gaspard
Bauhin et par Césalpin, pour nous donner lieu de pen-
ser que c’est bien la même plante que ces divers auteurs
ont indiquée successivement. Le nom de Cynocrambe,
(371 )
chou de chien, tel que les Grecs l’ont donné à cette
plante ; est propre à inspirer quelque dégoût et suffit pour
faire voir qu’ils ne la classaient que parmi les herbes pota-
gères les plus viles. Je rie crois point qu’elle soit malsaine,
parce que je l'ai vue souvent maugée verte par les lapins
et par les moutons. Cependant sa saveur est âcre et non
pas fade, comme l’a décrite Gaspard Bauhin; son odeur
est un peu celle du chou et n’est point agréable. Cette
plante semble être un pourpier d'hiver; et si elle n’est
point en usage comme alimentaire à Montpellier, où
l’on mange beaucoup d’herbes sauvages, on peut l’attri-
buer à sa rareté et à ce qu’elle ne croît que dans un
seul lieu écarté, en sorte qu'il ne serait possible d’en
recueillir une certaine quantité que si on la cultivait.
I y a un assez grand nombre de plantes, mème sus-
pectes, que l’on peut manger sans accident, principa-
lement en hiver. Ainsi on n'est point incommodé, à
Montpellier, de manger abondamment le coquelicot
sauvage (Papaver rhœas ). On en fait un grand usage
comme d’épinards, seulement en hiver et au printemps.
Cette plante serait dangereuse et narcotique en été. Les
circonstances seules ne m'ont pas été favorables pour
pouvoir essayer de goûter le Z'heligonum préparé par
la cuisson qui probablement lui enlève son âcreté.
J'ai principalement examiné cette plante sous ses rap-
ports organographiques.
Elle à été décrite succinctement par Tournefort, qui
Jui a conservé son ancien nom Cynocrambe, et qui en
a établi principalement le genre, d’après les caractères
extérieurs du fruit, Linné a changé ce nom pour celui
( 372)
de Theligonum, qui était un des noms grecs de la
pariétaire. Ïl a été inexact en décrivant un style très-
long dans la fleur femelle , où ce style est proportionné
aux autres parties petites et difficiles à apercevoir. Adan-
son a placé le Cynocrambe à côté du Thesium, parmi
ses Eléagnées, à cause de quelque ressemblance exté-
rieure entre les fruits. M. de Jussieu à décrit la position
et la persistance latérale du calice de la fleur femelle,
genre d'insertion beaucoup moins fréquent que celle
infère ou terminale. Gœrtner a fait connaître la struc-
ture intérieure du fruit, et M. De Candolle y a puisé
l'observation des aflinités qui réunissent cette plante à
la famille des Chénopodées.
Le Theligonum est une herbe annuelle un peu char-
nue; sa racine est droite, fibreuse et très-mince ; sa tige
se ramifie et s'étale dans les crevasses des rochers à l’abri
des gelées. Ses rameaux sont opposés dans le bas de la
tige, où les feuilles sont pareillement opposées, tandis
que les supérieures sont alternes. Les feuilles sont char-
nues, ovales , pétiolées et glabres comme toute la plante.
Les stipules rendent les feuilles inférieures connées au
moyen d’une membrane mince, dentelée. Ces stipules
se convertissent en gaine enveloppant la tige à la base
des feuilles supérieures alternes. Les pétioles dispa-
raissent dans les feuilles terminales sessiles, mais les
stipules y subsistent en gaine. Les fleurs sont monoïques;
il n'y en a point d'hermaphrodites. Les femelles pa-
raissent les premières et garnissent les aisselles des
feuilles. |
Les fleurs mâles ne se trouvent que sur les rameanx
(33)
terminaux , aux côtés de la tige précisément opposés aux
fleurs femelles.
Les fleurs femelles sont agglomérées au nombre de
trois assez ordinairement dans les aisselles des feuilles
alternes , et correspondant à des fleurs mâles; mais, dans
les aisselles des feuilles opposées , il ne se trouve, des
deux côtés de la tige, que des fleurs femelles. IL y a
autour des fleurs femelles des feuilles rudimentaires et
des bractées constantes dans leur disposition pour le
nombre de trois fleurs, mais dont on ne peut plus suivre
l’arrangement dans les paquets de fleurs plus nombreuses.
Le calice des fleurs femelles est tubuleux en massue ,
posé d’abord au sommet de l'ovaire avant de s'ouvrir,
et qui s’abaisse et devient latéral en proportion de l’ac-
croissement que prend l'ovaire. Ce calice donne passage
par le sommet à un stigmate subulé. Les fleurs mâles
ont un calice en manière de sachet, oblong, comprimé,
tronqué aux extrémités , et qui se sépare au sommet et
par les bords en deux lames roulées en dchors. Les
étamines naissent du fond de ce calice; elles varient
depuis le nombre ordinaire de huit à neuf jusqu’à quinze
ou seize, et sont réduites à deux ou trois dans quelques
fleurs terminales où la végétation semble épuisée. Les
filets des étamines sont fins comme de la soie, de la lon-
gueur du calice et portent des anthères linéaires.
Le fruit est un drupe globuleux d'environ une ligne
de grosseur, sur lequel l’extrème ténuité du style laisse
à peine subsister de trace. La base de ce drupe est
rétrécie de manière à former un court pédicelle charnu.
On découvre, au collet de ce pédicelle, la trace de
l'ancien point d'attache calicinal et du style. Le drupe
( 374 )
est peu charnu et se conserve sec de lui-même ; mais
sur la terre humide, il se dépouille de son épiderme et
de sa pulpe , en se corrompant, et reste quelque temps
couvert d’une poussière blanche, d’un aspect amiantacé,
qui résiste à la décomposition. Cette poussière consiste
en une quantité prodigieuse de cristaux en aiguilles,
ressemblant, pour la forme, à des poils de malpighia-
cées , acérés aux deux extrémités, épaissis au milieu, et
portant d’un côté sur ce milieu une facette plate, ce
qui ne peut se voir qu'au microscope. Ces cristaux , d’un
ordre particulier, sont plus gros que ceux d’aucun autre
végétal que j'aie observé. Ils sent agglomérés par fais-
ceaux, de manière à donner une apparence un peu ver-
ruqueuse au fruit, en dessous de l’épiderme tendre et
desséché. On trouve des aiguilles cristallines moins nom-
breuses dans la tige et dans toutes les parties fibreuses
de cette plante, mais c’est du fruit seul que j'ai pu les
retirer blanches , opaques, ayant un point médian aplati,
et telles qu’elles ressemblent à des parcelles amiantacées.
La plus grande partie de la masse du fruit consiste en
un noyau sphérique caché sous la pulpe. Une cicatrice
semi-lunaire très-fine sur la base de ce noyau correspond
à un repli prolongé dans sa cavité intérieure , de manière
à la partager jusqu’à moitié de sa hauteur en deux com-
partimens. L’embryon courbé en anse et enveloppé
d’un endosperme farineux est logé, par son extrémité
cotylédonaire, dans la partie du noyau qui répond à la
convexité de la cicatrice, tandis que l'extrémité radi-
culaire de cet embryon se loge dans la partie qui répond
au côté concave de la même cicairice. Cette disposition
ne varie point. L'insertion précise du style, lorsque
(UE 5 ENS
toute trace en est disparue de la surface du fruit, est
indiquée par le point de ce fruit où la pulpe couvre le
milieu convexe de la cicatrice semi-lunaire du noyau,
et en coupant ce noyau dans le sens longitudinal de la
cicatrice, on partage constamment l'embryon par le mi-
lieu, en deux parties, dont l’une est celle radiculaire et
l’autre celle cotylédonaire ; tandis que si l’on coupe le
noyau de manière à partager la cicatrice par le travers
en deux parties, l’une de droite, l’autre de gauche, on
obtient une coupe de l'embryon dans toute sa longueur
en deux moitiés égales. La cicatrice semi-lunaire résulte
de l’occlusion du passage des vaisseaux nourriciers et
fécondateurs de la graine; et, quand la germination
s'opère , elle a lieu par l’écartement des bords de cette
cicatrice , qui livre passage à la radicule et à la tigelle.
L'organisation du tissu de la feuille de cette plante
m'a paru régulière sous les rapports suivans : l’épiderme
du dessous des feuilles est seul pourvu de siomates, et il
ne s’en trouve point à la face supérieure de ces feuilles.
La face supérieure est très-finement chagrinée au moyen
de bosselures régulières qui résultent d’une couche de
cellules hyalines contiguës, et qui imitent les cellules
des poils blancs cloisonnés de beaucoup d’autres plantes.
Mais sur les feuilles du Zheligonum Cynocrambe, les
cellules sont étendues en une couche, tandis que dans
des poils elles sont superposées. Au-dessous de ces pre-
mières cellules le disque foliacé se compose d’une couche
d'utricules oblongs en massue, perpendiculaires, pressés
les uns contre les autres, au-dessous desquels le reste
de l'épaisseur de la feuille consiste en utricules sem-
blables qui, au lieu d’être contigus avec régularité,
( 376 )
s'anastomosent en réseau et en grillage, de manière 4
former des mailles le plus souvent pentagones. Elles
aboutissent à l’épiderme aréolé et pourvu de stomates
de la face inférieure des feuilles. Ces utricules sont longs
d’un millimètre, très-visibles et se désagrègent facile-
ment si on les râcle dans l’eau pour les détacher de la
feuille. Ils sont remplis de masses distinctes de globules
verts qui donnent la couleur aux feuilles et qui rentrent
parfaitement dans l’ordre du tissu végétal que M. Turpin
a nommé globulines.
En résumé, j'ai décrit le Theligonum Cynocrambe ,
pour faire connaître la structure presque ignorée de la
fleur et du fruit. J'ai indiqué le premier exemple d’ai-
guilles cristallines dans le fruit, où elles sont suscep-
uibles d’être recueillies plus facilement que dans tout
autre végétal. J'ai de plus insisté sur l’examen de la
structure des feuilles, pour offrir un point de compa-
raison propre à éclairer l'anatomie des mèmes parties
dans d’autres végétaux.
EXPLICATION DE LA PLANCHE XIII.
Un petit échantillon de la plante jeune et entière, de grandeur natu-
relle , est représenté au milieu de la planche.
Les autres figures sont plus grandes que nature , à l'exception de celles,
en petit nombre, qui sont désignées dans le cours de l'explication
comme étant de grandeur naturelle.
Fig. 1. Fleurs mâles géminées , détachées de la tige.
Fig. 2. Une des fleurs mâles vue en devant, par rapport à son ouver-
ture, tandis que les fleurs de la fig. 1 sont vues de côté.
Fig. 3. Un paquet régulier de fleurs femelles, dans l’ordre suivant
lequel elles sont placées à l'opposé des fleurs mâles sur la tige.
(37)
à, a ; coupe horizontale de la bractée qui sépare les fleurs femelles de
Ja tige.
b,b, feuilles florales qui sont d’autant plus petites qu’elles se trouvent
dans la partie la plus élevée des rameaux. Ces mêmes feuilles florales,
plus grandes, pétiolées, sont représentées ombrées dans leur situation
paturelle aux aisselles des feuilles mayennes de la plante entière du
milieu de la planche,
c, e, écailles trèe-petites qui font office de stipules aux côtés des feuilles
florales b, en même temps que leur position contre les ovaires d, d,
et e leur fait rempiir les fonctions de bractées.
d , d, fleurs femelles latérales qui sont le plus sujettes à avorter.
e , fleur femelle médiane du groupe des fleurs ternées.
Fig. 4. Fleur femelle entière.
Fis. 5. Fleur femelle plus avancée, dont l'ovaire est devenu latéral d’in-
fère qu’il était.
Fi
Fi
a , point d’attache du tube calicinal et du style. On voit en D la posi-
tion naturelle du calice et du style , qui persistent contre le fruit ; b*
est une section longitudinale du calice qui contient le style; e, base
du fruit.
Fig. 8. Fruit mür, de grandeur naturelle,
Fig. 9. Le même considérablement grossi.
+ 6. Fleur femelle , dans laquelle le style a percé le tube calicinal.
. 7. Le fruit noué , entier.
ga
CE
Fig. 10. Le même dans une situation renversée , pour faire voir sa base
creusée en dessous , et formant une espèce de bourrelet qui a servi à
l'implantation de ce fruit sur la tige.
Fig. 11, Coupe longitudinale du fruit.
Fig. 12. Coupe transversale du même fruit.
Fig. 13. Autre coupe du fruit après que la pulpe en a été’enlevée.
a , indique l’attache du sac ovulaire , devenu le tégument de la graine,
b:, le calice et le pistil, dont l'insertion répondait, lors de la féconda-
tion , au point & de l'ovaire.
c, endocarpe ou noyau du fruit.
d , tégument de la graine.
e, endosperme.
J; embryon.
Fig. 14. Noyau dépouillé de tout le sarcocarpe. Ce noyau est représenté
renversé ; pour faire voir la cicatrice semi-lunaire de sa base,
( 378 )
Fig. 15. Le même noyau, dont la cicatrice offre une figure un peu
différente.
Fig. 16. Aiguilles cristallines du tissu du sarcocarpe; elles sont vues au
microscope ayec lequel M. Lebaillif, après les avoir placées sur un
micromètre , m'a donné l'évaluation de leur épaisseur d’un trois-cen-
tième de millimètre.
Fig. 17. Graine en germination, de grandeur naturelle.
Fig. 18. La même graine grossie.
Fig. 19. La même dépouillée du noyau qui l’enveloppait.
Fig. 20. Coupe de la même graine en germination , démontrant le peu
de développement des cotylédons encore retenus dans l’endosperme,
et l’allongement de la tigelle et de la radicule.
Fig. 21. Germination plus avancée.
Fig. 22. Plantule de taille naturelle, dont les cotylédons ne sont pas
encore tout-à-fait débarrassés de leurs enveloppes.
Fig. 23. Sommet grossi des parties pareillement au sommet dans la
figure 22,
Fig. 24. Plantule à l’époque à laquelle les cotylédons sont épanouis.
Fig. 25. Coupe transversale des parties de la plante , à la hauteur d’an
des nœuds floraux.
a , bractée qui sépare les fleurs femelles e, d, d, dela tige g.
b,b, feuilles florales.
c, c, écailles additionnelles aux feuilles florales b , b.
d, fleurs femelles latérales,
€ , fleur femelle médiane.
f$, fleurs mâles.
£ » tige.
h , pétiole et gaîne stipulaire de la feuille.
Fig. 26. Portion considérablement grossie d’un rameau florifère , afin
de faire voir la position relative des parties principales et accessoires
des fleurs.
a , fleur femelle médiane, axillaire, mise à découvert par une coupe
longitudinale faite sur l'épaisseur de la tige.
b, fleurs mâles.
ce, une fleur mâle séparée , non épauouie.
d , autre fleur mâle à segmens écartés, pour montrer l'insertion des
étamines , en ligne transversale , au bas des segmens.
Fig. 27. Portion du tissu d’une feuille, près d’un très-mince lambeau
( 579 )
coupé sur la tranche de la feuille, depuis sa face supérieure jusqu’à
l’épiderme de sa face inférieure.
a, cellules transparentes, régulières, formant l’épiderme chagriné de
la face supérieure des feuilles.
b , utricules implantés verticalement , et juxtaposés dans l’épaisseur de
la feuille.
e, utricules anastomosés , situés au-dessous de la couche des utricules
verticaux.
Fig. 28. Assemblage d’utricules détachés de l’épiderme de la face infé-
rieure des feuilles.
Fig. 29. Epiderme du dessous d’une feuille. Il présente, au centre
d’aréoles sinueuses , des points arrondis ou stomates , cernés par un
étroit bourrelet sur les premières feuilles de la plante tendre et non
adulte. Ce bourrelet prend l'aspect de deux vésicules séparées par une
fente dans Les feuilles de la plante adulte.
RecHERCHES anatomico-physiologiques et chimi-
ques sur la Matière colorante du placenta de
quelques animaux ;
Par M. Gizsent Brescaer, D.-M.,
Chef des travaux anatomiques de la Faculté de Médecine de Paris,
Membre de la Société philomatique.
« Par est, omnes omunia experiri. »
({Lues à la Société philomatique , séance du 20 mars 1830.)
Parmi les Mammifères , et principalement parmi les
Carnassiers , dans le genre Canis , on aperçoit, sur les
bords du placenta disposé en ceinture et situé à la
partie moyenne de l’œuf , deux bandelettes de plusieurs
( 380 )
lignes de largeur et d’une teinte d’un vert d’émeraude
très-remarquable. Ces deux bandes circulaires et termi-
nales du placenta sont unies intimement, d’une part, à
la substance propre de cet organe avec laquelle il semble
qu’elles se continuent ; de l’autre, par leur face extérieure
ou utérine, aux deux feuillets de la membrane caduque,
et paraissent comme confondues avec elle. Cependant
les zônes vertes dont je parle semblent appartenir bien
plus au placenta qu'aux membranes caduques ; mais,
en examinant leur structure, on reconnaît qu’elle diffère
essentiellement de celle du placenta et que cette struc-
ture est propre aux deux bandelettes colorées dont je
parle.
Dans le tissu réticulé de ces zônes existe une matière
d’un beau vert d’émeraude. C’est de cette matière que
je désire entretenir quelques instans la Société Philoma-
tique. Déjà , dans une autre séance, jai fait connaitre
les premiers résultats de mes recherches et de l'analyse
chimique que je devais à M. Barruel. Aujourd'hui , je
viens indiquer de nouveaux faits qui pourront servir à
l’histoire de cette substance organique d’une teinte si
remarquable et si rare parmi les liquides animaux.
De premières recherches anatomico-chimiques étaient
tout-à-fait insuffisantes, et comme nous n’avions pu agir
que sur de petites quantités de cette liqueur, nous dési-
rions reprendre nos études à cet égard.
C’est pourquoi je remis il y a quelques mois à M. Bar-
ruel, chef des travaux chimiques de la Faculté de
médecine, plusieurs placentas de foetus de chienne que
j'avais immergés dans une certaine quantité d'alcool ;
( 381 )
mais, soit que ce liquide spiritueux ne füt pas en suffi-
sante quantité, soit que l'alcool ne se soit pas de suite
combiné convenablement avec la matière colorante, ou
que les vases aient été mal bouchés , cette matière colo-
rante fut altérée , disparut , et lorsque le chimiste, au
bout de six semaines , voulut procéder à son analyse, il
ne fut plus possible de retrouver la matière verte et de
la distinguer du propre tissu du placenta. Je me procurai
de nouvelles chiennes en gestation, j'enlevai le placenta
sur tous les fœtus renfermés dans la matrice, et je re-
cueillis de la sorte une assez grande quantité de liqueur
verte qui fut remise aussitôt à M. Barruel, qui en fit
l'analyse chimique.
Voici les résultats qui ont été obtenus par cette ana-
iyse: je ne vais exposer ici que les parties principales du
travail de ce chiiniste.
La dissolution alcoolique des placentas, évaporée au
bain-marie jusqu’à pellicule, était d’une belle couleur
verte; cette liqueur a laissé sur le filtre une matière
verdâtre insoluble dans l’eau et dans l'alcool , se dissol-
vant très-bien dans l'acide nitrique et lui communiquant
une couleur rouge-hyatinthe.
La dissolution alcoolique traitée par l’ean s’est trou-
blée très-fortement ; mise à filtrer, la filtration a marché
avec une extrême lenteur, et il est passé un liquide
verdâtre d’une odeur particulière ; le résidu resté sur le
filtre a été mis à part etétiqueté A.
La liqueur aqueuse, évaporée au bain-marie jusqu’à
siccité, a laissé dans la capsule une matière brune-ver-
dâtre; cette matière n'avait pas de saveur amère, mais
une saveur salée: elle attirait promptement l'humidité
( 382 )
de l'air; on y a reconnu la présence de l’hydrochlorate
de soude en grande quantité.
La matière insoluble restée sur le filtre À, réprise
par l’alcool à chaud, s’est dissoute et a donné une belle
couleur verte émeraude. Par le refroidissement , il s’est
précipité une matière de couleur fauve qui, recueillie
par la filtration, a présenté tous les caractères des ma-
tières grasses et surtout celle du cerveau, et qui n’avait
aucune saveur amère ou désagréable.
La liqueur alcoolique , privée de cette matière grasse
et évaporée au bain-marie jusqu’à siccité, a donné une
matière d’un beau vert, d’une consistance molle n’ayant
aucune saveur.
Comme, suivant Berzélius, la matière résineuse de la
bile ne seraït qu’un composé d’une matière particulière
analogue au picromel et d’acide, il était important de
connaître si cette matière verte des placentas de chiennes
était la matière résineuse verte de la bile, et comme pour
son extraction on n'emploie aucun acide, qu'elle est
toute formée dans les placentas , il faudra nécessairement
admettre comme principe immédiat de la bile cette ma-
tière verte. Il a donc fallu analyser comparativement
cette matière du placenta avec la matière résineuse de la
bile. Voici le résultat des expériences.
Matière résineuse de La bile de Matière verte du placenta.
bœuf.
Insoluble dans l’eau à froid, assez
Insoluble dans l’eau à froid et à soluble dans l’eau, à laide de
chaud. la chaleur.
Insoluble dans l'alcool à froid, très- | À peine soluble dans l’alcool à froid,
soluble dans l'alcool à chaud, et | très-soluble dans l’alcool à chaud,
donnant une dissolution verdà- et dounant une dissolution d’un
tre. beau vert émeraude.
(383)
Matière, résineuse de la bile de Matière verte du placenta.
bœuf. :
Cette dissolution ne se trouble nul-
Cette dissolution se trouble par lement par l’eau, qui ne fait
l’eau ; il se précipite une matière qu’étendre la couleur.
blanche, et la liqueur reste co-
lorée en verdûtre.
Le chlore décolore la dissolution
alcoolique , en y formant un pré- Idem.
cipité blanc.
L’acide nitrique concentré , versé
à froid dans la dissolution alcoo-
lique , la colore en bleu violacé,
puis la couleur passe au beau
rouge vineux.
Idem.
La matière résineuse traitée par
l’acide nitrique à chaud , il y a
dégagement rapide de deutoxide
d'azote, et la liqueur se colore
en fauve.
|
; Idem.
L'eau versée dans cette liqueur en | L'eau sépare à peine de la matière
précipite une matière jaunâtre, | jaunâtre de la dissolution nitri-
qui s’agglomère et devient cas- que.
sante comme de la cire.
Cette matière résineuse donne par
sa distillation des produits am- Idem.
monliacaux.
Il résulte des expériences ci-dessus relatées que la ma-
tière verte qui se trouve dans le placenta des chiennes
doit être considérée comme la matière verte delabilepure,
ue contenant pas de matière jaune ni de matière amère.
L'action de l'acide nitrique à froid sur ces deux ma-
uüères semble confirmer l'opinion de M. Chevreul (Diet.
des Sc. naturelles, art. Picromel), que la bile contient
twois principes colorans : un bleu, un rose et un
jaune.
Il était important pour la physiologie de retrouver
cette matière coloranie verte des placentas dans la bile.
C'est pourquoi de la bile de chienne avant été recueillie
( 384 ) *
par M. Breschet, M. Barruel commença par en précipiter
lamatière jaune par l'acide nitrique, et par la séparer par
le filtre, puis il traita la liqueur filtrée, comme l'indique
M. Thenard , par le sous-acétate de plomb fait avec huit
parties de plomb du commerce et une partie de litharge ;
il en précipita la matière verte avec l’oxide de plomb ;
et le précipité, recueilli sur un filtre et bien lavé, fut
traité dans un tube à expérience, avec de l’acide nitrique
étendu : celui-ci opéra la dissolution de l’oxide de plomb
et en sépara la matière verte sous forme de glèbes vertes
en grande abondance. Cette matière, recueillie et lavée,
a présenté tous les caractères de la matière verte des
placentas.
Des expériences récentes sur la feuille du petit houx,
faites dans le but de comparer le chlorophylle ou la
matière verte de ses feuilles avec la matière verte de la
bile établissent la plus grande analogie, pour ne pas dire
une similitude parfaite , entre ces deux principes immé-
diats , et tendent à confirmer l’opinion depuis émise par
M. Barruel , que la matière verte de la bile n’est autre
chose que de la chlorophylle.
Telles sont les recherches chimiques de M. Barruel ;
maintenant nous dirons que toutes les personnes qui
cultivent les sciences physiologiques savent que depuis
long-temps on a comparé le placenta au foie, parce que,
dans le premier de ces organes , il s’opère , pendant la
vie intrà-utérine , une hématose analogue à celle qui
s'opère aussi dans le foie, hématose qui est exercée
principalement et presque exclusivement par le poumon,
lorsque la vie intrà-utérine est terminée et que le jeune
animal respire l’air atmosphérique.
f (385)
On sait aussi que beaucoup de physiologistes , à la tête
desquels je placerai Harvey (Opera omn. 1766), ont
considéré le placenta comme un organe hématopoïétique;
quelques-uns enfin ont prétendu qu’il réprésentait dans
son action celle des poumons pendant la respiration , et
ils alléguaient en faveur de cette opinion que la respira-
tion étant une fonction indispensable à l'existence , elle
ne pouvait être représentée, pendant la vie fœtale , que
par le placenta (Girtanner ; Anfangsgr. Der anti-phlogis-
tischen Chemie, Zweyte Auss. s. 218). M. Lobstein
considérant enfin le placenta comme un organe vicariant
ou de suppléance, son action doit, selon ce physiologiste,
se continuer tant que les fonctions de l’organe qu’il rem-
place ne sont pas en exercice, et cet organe auquel le
placenta supplée n’est autre que le poumon. (Æssai sur
la nutrition du fœtus.)
Le mélange des deux espèces de sang du fœtus dans
le placenta , les modifications apportées à ce liquide qui
vaau placenta pâr Les artères ombilicales avec des carac-
tères particuliers, et qui est ramené au fœtus par la
veine ombilicale avec d’autres caractères et avec la pro-
priété stimulante, et cela sans communication immédiate
avec la circulation de la mère, démontre que le placenta
est un véritable organe d’hématose (r).
(x) De nombreuses expériences , faites par moi sur la femme et sur
la femelle de beaucoup d’animaux , m'ont démontré qu’il n'existe au-
cune communication directe, immédiate ou par continuité de vaisseaux,
entre le placenta et l’utérus. On pourrait en quelque sorte comparer
les rapports médiats du placenta et de l’œuf lui-même avec la mère , à
ce qui se passe dans les bronches entre le sang et l'air atmosphérique ,
qui n’ont aussi entre eux que des rapports médiats.
es
XIX. 29
( 386 ) «
On sait aussi que le foie est un des premiers organes
développés dans le fœtus, que son volume est considé-
rable , puisque cette glande à elle seule occupe la ma-
jeure partie de la capacité abdominale ; on sait que la
partie gauche qui reçoit les principales divisions de la
veine ombilicale en est la partie la plus considérable et
que cette prépondérance diminue à mesure que le canal
intestinal se développe, et avec lui le système de la veine
porte ; on sait aussi que la vésicule biliaire et la bile elle-
même paraissent bien avant le canal intestinal et surtout
bien avant que ce canal soit assez développé pour exer-
cer une fonction comparable à la digestion. À quoi donc
peut servir celte bile si tôt préparée, lorsque aucun ali-
ment n’est encore élaboré dans les voies digestives ?
Pourquoi le sang, revenant du placenta par la veine om-
bilicale, se disiribue-t-il en grande partie dans le foie ?
et pourquoi n'est-il pas directement et en totalité versé
dans la veine cave ou dans l'oreillette droite? C’est qu'il
éprouve dans le foie une élaboration particulière et qu'il
s’unit dans cet organe à un fluide particulier sécrété par
cette glande dont l'apparition est häuve et le développe-
ment considérable. Je ferai aussi remarquer que la
teinte de la bile pendant les premières phases de la vie
fœtale est d’un beau vert, et que par cette teinte elle
ressemble parfaitement à la matière verte du placenta
dont nous venons de faire connaître l'analyse. N'est-ce
pas encore une analogie entre ces deux liquides ?
Enfin, je dirai que rien n’est plus commun que de
remarquer une teinte jaune-verdâtre dans tous les tissus
de jeunes fœtus pendant la gestation , que rien n’est plus
commun que de voir une teinte jaune sur toute la sur-
( 387 )
face extérieure du corps des enfans nouveau-nés , teinte
principalement remarquable sur ceux qui naïssent avant
terme , sur ceux qui sont faibles ou sur ceux chez les-
quels, par une circonstance accidentelle quelconque , la
respiration s'établit difficilement ou fort imparfaitement.
Cette teinte constituant le principal symptôme de la ma-
ladie nommée ictère des nouveau-nés , dépendrait -elle
du défaut de la matière colorante rouge dans le sang ou
de sa circulation isolée et de la quantité prédominante
de la sérosité dans le sang des fœtus nouveau-nés? ou
enfin dépendrait-elle de la présence d’une matière colo-
rante particulière dans cette sérosité , lorsque le sang
n’a pas encore été élaboré suffisamment par la respira-
tion pulmonaire ?
D'habiles chimistes auxquels j'avais remis de ce li-
quide (1) y ont trouvé une matière analogue à la matière
colorante de la bile, et cette circonstance me porterait
à penser qu'il existe dans le sang lui-même, ou dans la
sérosité qui en est une des parties constituantes, une
substance colorante particulière provenant , soit de Ja
bile, soit d’une sécrétion exécutée par le placenta.
N'est-ce pas, Messieurs, une nouvelle analogie entre
des liqueurs sécrétées par des organes différens et servant
les uns et les autres, pendant la vie intrà-utérine, à la
circulation et mieux encore à l'hématose ?
On m'objectera sans doute que, pour admettre l’ana-
logie entre certains principes de la bile et la matière co-
lorante verte du placenta de quelques Carnassiers, pour
(1) Du sang , de la sérosité de fœtus à terme ou d’enfans nouveau-
nés affectés d’ictère, — Du sang , de la sérosité de fœtus à terme ou
d’enfans nouveau-nés non affectés d’ictère.
( 388 )
admettre l’analogie entre les fonctions du foie et celles
du placenta pendant la vie intrà-utérine et celles du
poumon d'autre part lorsque la respiration s'exerce, il
faudrait d’abord établir qu'il y a constance dans les dis-
positions , c’est-à-dire qu'il faudrait démontrer qu’une
matière colorante , analogue à la bile, se trouve dans tous
les placentas, et cependant cette matière colorante ne se
voit que dans un petit nombre d'animaux.
L'objection est plus spécieuse que forte; car le fait,
établi une fois dans un genre, dans un ordre , dans une
classe d'animaux, les différences que nous observerons
dans d’autres classes ou ordres ne seront qu'apparentes ;
une étude plus approfondie les fera peu à peu dispa-
raître, et ces différences finiront par se réduire à de
simples degrés de développement. Ne voyons- nous pas,
dans la disposition du placenta lui-même , d'énormes dif-
férences dans les Rongeurs et les Ruminans , et surtout
entre les granulations des Solipèdes et la ceinture des
Carnassiers , ou le vaste gâteau de l'espèce humaine?
S’est-on permis, pour cela, de nier l’existence de cet
organe dans aucun genre de Mammifères, si nous en
exceptions quelques animaux marsupiaux ? encore la ges-
tation de ces animaux est trop peu connue pour que cette
exception en soit une véritable.
En nous bornant rigoureusement aux faits, ne pou-
vons-nous pas dire :
1°. Qu'il existe sur le placenta de quelques Carnas-
siers deux bandes circulaires colorées en vert ;
2°, Que l'analyse chimique a fait reconnaître une
identité de composition entre cette substance colorante
et la matière colorante verte de la bile ;
( 389 )
3°. Que cette similitude est une preuve de plus en
faveur de l’analogie des fonctions du placenta et du foie
pendant la vie intrà-utérine :
4°. Que ces deux organes paraissent former un petit
appareil d’hématose chez le fœtus , et que cette matière
colorante du placenta ou celle de la bile elle-même , déjà
reconnue dans le sang par plusieurs chimistes, porte à
croire que ce fluide est nécessaire à l’hématose et à l’en-
tretien de la vie du fœtus , en donnant au sang les qua-
lités propres à cet entretien ?
Mais je m'arrète par la crainte de m’égarer dans ce
champ si vaste des comparaisons et des analogies. Je ne
voulais , Messieurs, que vous faire connaître les résul-
tats d’une analyse chimique et faire pressentir quelques-
unes de ses conséquences et de ses importantes applica-
tions à la physiologie ; j'ai de beaucoup dépassé les
limites dans lesquelles je voulais me renfermer. Votre
réflexion suppléera à tout ce que je pourrais dire; qu’il
me suflise donc d’avoir appelé votre attention et vos
“méditations sur ce point intéressant de l’embryologie.
( 390 )
Sur les Formes et les Relations des Volcans,
d’après M. Léorozv pe Bucu, et particulière-
ment d'après sa Description physique des îles
Canaries (1).
(Extrait par M. L. Elie de Beaumont. })
Une grande partie de ce qui, dans le relief du sol, n'a
jamais pu être sérieusement attribué à l’action érosive
des eaux , a été long-temps considéré comme l'effet du
hasard ; mais l’importante découverte de la formation
des montagnes par le soulèvement des masses qui les
constituent, a fait comprendre que les principaux traits
de leur forme actuelle sont encore ceux de la forme même
avec laquelle elles se sont élevées à leur hauteur actuelle,
et a donné l’idée de rechercher dans cette forme quelques
traces des circonstances du grand phénomène de leur
élévation. L'examen de la forme des montagnes est de-
venu depuis lors une des parties essentielles de leur
étude , et la reproduction de cette forme par le dessin,
la gravure et la lithographie, est une des parties impor-
tantes d’un bon ouvrage géologique.
Tels sont les motifs qui, sans doute, ont déterminé
(1) Physikalische beschreibung der Canarischen inseln von Leopold
von Buch. Berlin , 1825. L’ailas qui accompagne cet ouvrage renferme
3 planches lithographiées dent M. Léopold de Buch a bien voulu enri-
chir les Annales des Sciences naturelles; et, n’ayant pas eu le loisir
d'y joindre un texte explicatif, il a suggéré l’idée de réimprimer en
aême temps une partie d’un article inséré l’année dernière dans la
Revue francaise de M. Guizot.
( 3a1 )
M. de Buch à joindre à la description des îles Canaries
un très-bel atlas in-folio , composé de cartes et de vues
perspectives d’une exécution également soignée.
Des quatre cartes principales , celles des îles de Téné-
rifle , de la grande Canarie , de l’île de Palma et de l’île
de Lancerote, les deux dernières sont lés seules dont la
gravure soit terminée en ce moment, et elles font vive-
ment désirer la publication des deux premières.
Tous les hommes instruits de Paris ont admiré dans
la bibliothèque de l’Institut la belle carte de l’île de
Palma , que M. de Buch y a déposée, et qui forme en ce
moment la première planche de son atlas. Il serait difi-
cile, sans doute , de mieux exprimer qu’il n’a réussi à
le faire , avec l’aide de M. Tardieu , le relief d’un sol
très -inégal ; mais aussi il est rare de découvrir un sol
qui mérite à plus juste titre les soins dont celui-ci a été
l'objet.
Au milieu de la partie septentrionale et la plus large
de l’île s'élève une montagne qui forme le point de départ
de toutes les pentes du terrain , et dont les irrégularités
déterminent celles du contour des côtes. Cette élévation,
qui joue ainsi, par rapport aux mouvemens du sol qui
l'entoure, un rôle pour ainsi dire normal, présente la
forme générale d’un cône peu élevé sur sa base , et dont
le sommet serait tronqué et remplacé par une vaste
cavité en forme d’entonnoir. Les flancs extérieurs faible-
ment inclinés du cône sont en-partie cultivés; mais le
fond et les parois de la cavité centrale , appelée par les
habitans de l’ile Za Caldera, présentent partout des ro-
chers incultes , pelés , et presque complètement dénués
de végétation. Les bords de l’enionnoir de la Caldera
( 592 )
sont si rapides , que , lorsqu'on est parvenu sur les flancs
extérieurs et en pente douce du cône jusqu’à la crête cir-
culaire qui le borde , on est réduit à promener ses regards
dans cette vaste enceinte de deux lieues de diamètre,
sans pouvoir trouver aucun sentier pour y descendre.
On réussit cependant à s’y introduire en suivant un grand
ravin qui coupe la circonférence du cirque, et qui aboutit
au bord de la mer, à côté des plantations de cannes à sucre
d’Argual. La figure première de la Planche xvir repré-
sente cette entrée de la Caldera. La vue est prise du côté
de l'ouest. Elle est exécutée d’après le dessin très-fidèle
qui se trouve sur la carte marine de Borda. L'œil pénètre
dans la fente profonde du Baranco de las angustias;, et
aperçoit dans le lointain les rochers élevés et escarpés
qui forment l’enceinie du cratère de soulèvement. A
droite, sur le premier plan, on voit s'élever en amphi-
théâtre les plantations de canne à sucre d’Argual.
Les flancs de la gorge affreuse qui conduit dans la
Caldera , aussi-bien que les parois intérieures de cette
enceinte, présentent d'énormes rochers décharnés, taillés
à pic, ou diversement dentelés, d’un aspect véritablement
alpin. Le débouché de la gorge, dans la Caldera, rappelle
celui qui surprend toujours si agréablement le voyageur
lorsque après avoir passé le pont du Diable, sur le chemin
du Saint-Gothard , il arrive enfin au bout du passage de
Schoœællenen , et aperçoit tout-à-coup devant lui la vallée
unie et encaissée d’'Urseren , dont il ne manque ici que
les rians villages et la culture.
Des rochers inaccessibles s'élèvent circulairement
jusqu'à une hauteur de plusieurs milliers de pieds, et
présentent à leur partie supérieure une arèête dégarnie
( 395 )
d'arbres et complètement nue. Partout où on peut at-
teindre leur pied, on ne trouve que des masses basal-
tiques. Les parties inférieures des escarpemens présen-
tent une énorme épaisseur de fragmens agglomérés de
basalte, supportant le basalte solide. Les assises plongent
de toutes parts, du point central de la Caldera, vers
l'extérieur, parallèlement à la surface conique extérieure
de la montagne. Tout annonce que ces assises s’étaient
entassées les unes sur les autres dans une position hori-
zontale, et que l'inclinaison régulière qu’elles présentent
aujourd'hui est l’effet d’un changement survenu après
coup dans leur position , changement qui doit avoir été
lié à la formation de l’entonnoir de la Caldera, à la forme
duquel la disposition modifiée des couches se coordonne
si régulièrement.
En parcourant l'énorme fente qui conduit du bord de
la mer jusque dans l’entonnoir de la Caldera, on recon-
naît, non sans étonnement, un grand nombre de blocs
détachés de roches de la classe de celles qu’on est con-
venu d'appeler primitives , roches qui sont étrangères à
la surface des îles Canaries, mais qui, sans doute, exis-
tent au-dessous d'elles , dans les profondeurs de la terre,
et dont les fragmens épars sont ici un gage assuré de la
communication qui à existé un moment, dans ces sites
tourmentés , entre l’intérieur et la surface du globe. On
est ainsi conduit à chercher la cause des mouvemens du
sol, liés à la formation de l’éntonnoir de la Caldera,
au-dessous des roches primitives , dans ces profondeurs
où , depuis les travaux de Dolomieu, nous savons qu'est
situé le foyer des phénomènes volcaniques.
Les cavités, en forme de cône renversé ou d’enton-
( 394 )
noir, sont communes dans les contrées dans lesquelles
les feux volcaniques se sont fait jour , et toutes avaient
été confondues sous la dénomination commune de cratère.
Les canaux de communication entre l’intérieur du globe
et sa surface , auxquels s'applique spécialement le nom
de volcans, sont généralement situés dans l’axe d’un
cône plus ou moins régulier. Ils viennent constamment
s'ouvrir dans le fond d’une cavité en forme d’entonnoir,
doni les bords sont formés en partie par les scories et
les matières incohérentes qui , rejetées par les courans de
matières gazeuses qui s’échappent par intervalle de la
cheminée volcanique , s’entassent circulairement autour
de son orifice. La cavité ainsi produite au sommet d’un
cône d’éruption est ce qu’on appelle cratère d'éruption.
Lorsque Guettard eut reconnu, dans beaucoup de
montagnes de l’ Auvergne et du Vivarais, les caractères et
la forme des montagnes volcaniques ; lorsque , réuni à
Desmarets , à Monnet et au célèbre Malesherbes, il y eut
‘signalé à l'attention publique un grand nombre de cra-
tères d’éruption , aujourd’hui complètement éteints, mais
encore aussi nets que si nos pères les eussent vus fumer,
on s’habitua à voir un cratère dans chaque cavité en forme
d'entonnoir, mème dans un lac d'un contour circulaire.
Il était réservé à M. de Buch de montrer que, mème
dans les contrées dont toutes les roches présentent d’une
manière plus ou moins complète les caractères des pro-
duits volcaniques, beaucoup de ces cavités , en forme de
cratère , n’ont Jamais été des cratères d’éruption.
Rien, par exemple, dans l'enceinte de la Caldera de
l'ile de Palma , ne rappelle ni cône d’éruption , ni cou-
rant de lave , ni scories, ni rapilli; rien n'autorise à
( 395 )
penser que jamais elle ait joué dans la nature un rôle
comparable à celui du cratère du Vésuve. Elle a deux
lieues marines de diamètre ; et peut-être parmi les vol-
cans connus, n’y en a-t-il aucun dont le cratère d’érup-
tion soit aussi grand.
La croûte oxidée de la terre a été poussée, soulevée
et ouverte par l’action d’une puissance intérieure; un
cratère de soulèvement a été formé ; mais il ne s’est éta-
bli dans cette ouverture aucun canal de communication
permanente entre l'intérieur du globe et sa surface, il
n'y a pas de cratère d’éruption, et ce n’est, jusqu'à
présent, qu'un volcan manqué. Cependant, l’action
volcanique qui a produit ce commencement de volcan a
quelquefois réussi à se faire jour à peu de distance, et a
produit, en deux points de l’île de Palma, de petits
cônes d’éruption composés de scories accumulées, d’où
sont sortis, en ébréchant leurs bords, des courans de
laves assez considérables.
Il est bien remarquable que ces petits cratères d’érup-
tion sont situés sur une ligne droite qui passe par le
centre du cratère de soulèvement.
On ignore si, verticalement au-dessous de la Caldera
de l’île de Palma, l’action volcanique qui lui a proba-
blement donné naissance est assoupie pour toujours;
mais on connait sur la surface du globe d’autres mon-
tagnes d’une composition analogue , de même évidées
dans leur milieu, et dans la cavité desquelles le feu
volcanique semble chercher journellement, où même à
réussi à se faire jour.
Si les eaux de l'Océan venaient à s'élever d’un peu
plus de 6,000 pieds , les bords du cirque de la Caldera,
( 396 )
dont le point le plus élevé atteint maintenant 7,160 pieds -
au-dessus de la mer, formeraient une couronne incom-
plète dont le centre serait occupé par un golfe presque
circulaire de près de 4,000 pieds de profondeur.
Ce golfe serait tout-à-fait analogue , tant par sa forme
générale que par la structure et la disposition de ses
bords et par sa profondeur, à celui qu’entourent les îles
de Santorin, de Therasia et d'Aspronisi, dans lar-
chipel de la Grèce, golfe dont le diamètre ne surpasse
que d’un quart celui de la Caldera.
Les trois îles que je viens de citer sont composées de
conglomérats et de tufs trachytiques recouverts de pierres
ponces agglomérées. Les assises de ces roches , aussi-bien
que la surface des trois iles, plongent sous un angle peu
considérable vers l’extérieur du groupe, et se perdent
sous la mer qui l’entoure. Les mêmes couches sont, au
contraire , coupées presque perpendiculairement du côté
du point central vers lequel elles se relèvent , et les trois
îles offrent, du côté du golfe presque circulaire dont
elles composent l’enceinte, des bords également escarpés.
L'ile de Santorin , qui forme à elle seule les deux tiers de
la circonférence, présente du côté du golfe un escarpe-
ment de six lieues de développement , sur le haut duquel
se trouvent plusieurs villages, et le long duquel néan-
moins on n’a pu pratiquer que deux petits sentiers pour
descendre à la mer. Il n'existe pas de grève au pied des
rochers ; ceux-ci s’enfoncent immédiatement dans la mer,
et ils ne sont pas moins escarpés au - dessous de ses eaux
qu’au-dessus. Tout près du bord , la sonde n'a trouvé le
fond qu’à 500 pieds ; un peu plus loin , elle est descendue
à 1000 pieds sans l’atteindre.
( 597 )
Les couches de conglomérats et de tufs trachytiques
qui constituent les trois îles de Santorin , de Therasia et
d'Asprouisi, ne peuvent avoir été formées dans la posi-
tion où nous les voyons. Tout annonce qu’elles se sont
accumulées horizontalement les unes sur les autres au
fond de la mer, et qu’elles ontété soulevées ; et, en effet,
les îles de Santorin et de Therasia présentent sur leurs
côtes extérieures des lambeaux du schiste argileux qui
paraît constituer le fond des mers voisines. Ces lambeaux
ont, sans aucun doute , été entraînés dans le soulève-
ment, et leur présence rend Santorin une des îles les
plus remarquables et les plus instructives de la terre.
Les trois îles font évidemment partie d’un seul et
même tout, et elles ne pourraient avoir été soulevées
l’une après l’autre. L'accord qu'elles présentent dans
leur disposition annonce une cause de formation sem-
blable et unique, et non l’action d’une force aussi irré-
gulière que le seraient des éruptions arrivées à des siècles
d'intervalle. On est donc conduit à reconnaître là les
effets d’une force unique qui , agissant vers le centre du
golfe , aura relevé symétriquement de toutes parts tout
ce qui résistait à son action, et à voir, dans l’espace em-
brassé par les îles de Santorin, Therasia et Aspronisi,
un cratère de soulèvement, et même l’un des beaux,
des plus réguliers et des plus entiers de ceux qui ont été
décrits jusqu'à présent.
Ce point du globe est surtout important en ce qu’on
y trouve dévoilées à la fois l’histoire des îles soulevées et
celle des îles volcaniques. Aussi loin que l’histoire et la
tradition peuvent remonter , la nature n’a pas cessé de
faire des efforts pour établir un volcan au milieu de ce
( 598 )
cratère de soulèvement : 144 ans avant l’ère chrétienne,
on vit paraître la petite île d'Hiera, nommée maïîntenant
Palaio-Kameni, et vraisemblablement d’autres rochers
s’élevèrent plus tard dans son voisinage. En 1427, cette
île reçut un nouvel accroissement. En 1578, la petite
Kameni sortit au milieu du bassin , accompagnée d’une
grande quantité de pierres ponces , et d’un grand déga-
gement de vapeurs. Enfin, de 1707 à 1709, s’y forma
la nouvelle Kameni, qui continue encore à exhaler des
vapeurs sulfureuses. Ces îles sont des rochers d’un tra-
chyte brun , présentant souvent une cassure résineuse,
et dans lequel se trouvent empâtés en grande abondance
les cristaux de feldspath vitreux qui forment le caractère
distinctif de cette roche. Ces petites îles trachytiques
isolées , soulevées dans le voisinage l’une de l’autre, mais
séparément , au milieu du cratère de soulèvement, y
sont placées comme nous verrons plus loin que le pic de
Teyde, à Ténériffe, est placé lui-même au centre de
son enceinte. La sortie de chacune d'elles semble avoir
été une tentative de la nature pour l'établissement d’un
cône d’éruption. Maïs , jusqu’à présent, toutes ces tenta-
tives ont manqué ; aucune des îles soulevées ne contient
de cratère d’éruption; les étroites ouvertures qu’on ren-
contre sur la petite Kameni sont plutôt de simples fentes
que de vrais canaux conduisant dans l’intérieur. Aïnsi ,
le volcan n’a pas été durable. La communication de l’in-
térieur avec l'atmosphère n’a pu s’établir d’une manière
permanente , et Santorin n’est toujours qu'une île de
soulèvement , et n’aurait encore aucun droit à être
inscrite sur la liste des volcans réellement brülans.
Les choses sont plus avancées dans l'ile dite Barren-
P
( 399 )
Island , située dans le golfe de Bengale. Vue de la haute
mer, cette île présente presque de tous côtés des rochers
pelés qui s'élèvent en pente douce vers l’intérieur. Mäis
il y a un côté par lequel une échancrure permet aux re-
gards de pénétrer dans le centre , et de voir qu’il est oc-
cupé par un vaste bassin circulaire rempli par les eaux
marines , bordé tout autour de rochers escarpés, et au
milieu duquel s'élève le cône d’éruption d’un volcan,
C'est de ce côté qu'a été dessinée la vue qui forme la
figure 2 de la Planche xvit. La hauteur de ce cône n’est
que de 1690 pieds ; mais, comme beaucoup de petits vol
cans, il est doué d’une grande activité, Depuis 1792, épo-
que de sa découverte, on l’a vu fréquemment vomir d’é-
normes nuages de fumée , et des pierres incandescentes.
La hauteur de sa cime étant la même que celle du rebord
circulaire qui forme l'enceinte du bassin, on ne peut
l’apercevoir de la haute mer que par la seule échancrure
qui joue précisément ici le rôle de la gorge profonde par
laquelle on pénètre dans la Caldera de l'ile de Palma ,
et dont on retrouve l'équivalent d’une manière plus ou
moins marquée dans tous les cratères de soulèvement.
L’enceinte circulaire de Barren-Island est en effet un
cratère de soulèvement des mieux marqués , au centre
duquel s’est élevé un cône d’éruption, avec son cratère
d'éruption au sommet. On a ici, au niveau de la mer,
eten partie cachée par sés eaux , l’exacte répétition de
ce qu'on trouve à une grande hauteur sur la pente du pie
de Teyde ; dans l’île de Ténériffe.
Le cône parfaitement régulier du pic de Teyde s'élève
de même au milieu d’un cratère de soulèvement; mais
il en remplit presque tout l'intérieur, et il en surpasse
(400 )
de beaucoup les bords. Cette double circonstance rend
naturellement le cirque moins apparent qu'il ne l’est à
Palma, où il est resté vide , et dans les îles de Santorin
et de Barren-Island, où il ne s’est élevé que de très-
petites masses dans le milieu de l’entonnoir, dont la mer
dessine les contours tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
On ne peut toutefois refuser de reconnaître une forme
tout-à-fait analogue dans le cirque qui entoure la base du
pic de Ténériffe, et dont M. de Buch a reproduit l'aspect,
sous plusieurs points de vue, dans son atlas. La PI. xrv
présente une vue de la cime du pic de Ténériffe et du
cratère de soulèvement qui l'entoure, prise du côté de
l’est, et d’un point dont la hauteur surpasse déjà la
limite de la végétation des arbres. Elle montre non-seu-
lement l’exacte configuration du pic et la blancheur
éblouissante qui provient des pierres ponces , comme si
le pic était couvert de neïge , mais on voit distinctement
aussi les courans d’obsidienne, qui s’échappent de la
pente, et dont la plupart n’atteignent pas le sol. L'un
seulement d’entre eux disparait derrière la montagne de
pierres ponces sur laquelle se trouve, au bord de ce
même courant d’obsidienne, la première Æstancia de
los Ingleses. Le courant descend jusque dans la Canada.
À gauche on aperçoit le cirque de rochers perpendicu-
laires qui entoure le cratère de soulèvement : la plus
haute pointe des rochers est celle de los Æzulejos. L’es-
carpement se continue sur le revers postérieur des col- |
lines qui se voient sur le premier plan du dessin, et ne
finit qu'avec elles. C’est en parlant de ce mème escar-
pement circulaire que M. de Buch dit que le pic consi-
déré d'en bas, dans un grand nombre de directions,
( 401 )
paraît entouré , du côté de l’orient, par une espèce de
couronne, et ressemble à une tour fortifiée, avec son
fossé et son bastion. Lorsque , par une espèce d’étroit
passage situé entre Tigayga et l'extrémité orientale de
la couronne , et appelé eZ Portillo , on atteint le véri-
table pied du piton , on voit se déployer en demi-cercle
les rochers escarpés qui entourent avec une étonnante
régularité ce grand cône sur sa face méridionale, et
jusque du côté de l’ouest, en face de l’île de Gomera.
C’est là le cirque auquel il a déjà été fait allusion , ou le
reste de la paroï intérieure du cratère de :oulèvement
dans le milieu duquel le pic s’est probablement élevé
avec une forme peu différente de celle que nous lui
voyons. Les côtés occidental et septentrionäl de l’en-
ceinte ont été en grande partie emportés et détruits par
les éruptions du volcan. Les rochers qui la composent
sont coupés à pic du côté de l’intérieur, et on voit s’y
dessiner une série de couches superposées. Les assises
inférieures présentent un conglomérat, non de basalte,
comme à Palma, mais de trachyte , comme à Santorin.
Les plus élevées sont formées de trachyte solide ; seu-
lement , tout-à-fait à la partie supérieure, au-dessus de
l’Angostura , il s’en trouve de basalte.
Le coup-d’œil dont on jouit du sommet de cette en-
ceinte circulaire, est de la plus intéressante variété.
C’est de là seulement que lœil peut bien mesurer la
hauteur du pic; on l’aperçoit jusqu’à son point le plus
élevé , et ses côtés se détachent complètement. Le pic
est une montagne placée sur une autre montagne; on
n'en atteint réellement le pied que lorsque, ayant gravi
la pente inférieure , et passé le défilé appelé e/ Portillo,
do 26
( 402)
on entre dans l'enceinte du cirque. Là commence , à
proprement parler, la masse de roches qui forme du pic
de Teyde une montagne distincte de toutes les autres.
Tout ce qu'on voit autour , quelque élevé qu’il puisse
être, n’est qu’une enveloppe extérieure qui n'appartient
pas essentiellement au pic.
+ La profondeur du cirque semble pour ainsi dire s'éva-
nouir lorsque l'œil la compare aux hauteurs qu'il mesure
sur le pic, quoique l'élévation des rochers qui en for-
ment l’enceinte ne soit jamais au-dessous de 1000 pieds ,
et en ait souvent 1800.
‘ Si on se retourne, et que de l’arête du cirque située
au-dessus des limites de la végétation des arbres, on
porte ses Pegards vers les rivages de la mer, couverts
d’une végétation presque tropicale, le sol semble s’a-
baisser vers la côte en pente douce et uniforme : seule-
ment d'innombrables petits cônes d’éruption , plus
nombreux encore. vers le bas de la pente que dans sa
partie supérieure, en interrompent luniformité. Ils ne
sont jamais très-élevés, et ne changent pas d'une ma-
pière considérable la configuration extérieure du sol.
On ne doit pas voir dans chacun d’eux un volcan ; mais
une bouche latérale du grand volcan du pic, quia cessé,
depuis un temps très-considérable , d'agir par le cratère
placé à son sommet. Ces bouches latérales elles-mêmes
sont éteintes depuis plusieurs siècles. C’est à une dis-
tance plus grande encore que se sont fait jour toutes les
éruptioys dont on a gardé le souvenir.
Quelques-uns.des élémens de ce vaste ensemble sont
reproduits. dans la Planche xvr ,; qui présente une vue
du pic de Ténérifie, prise du port de lOrotava: La
( 403)
longue montagne basaltique de T'igayga, qui borde la
vallée de Taoro , cache une grande partie du pic : on
n’en voit que la pointe. En avant paraissent les trois
cônes d’éruption de la vallée d’Orotava; d’abord , le
courant de lave sur lequel est bâti Puerto Orotava
même , avec la maison de campagne du gouverneur ; en-
suite le cône de los Frayles ; enfin, le petit cône en avant
du village de Ralejo de Ariba , qu’on aperçoit au pied
de Tigayga.
La Planche xv présente une vue du pic de Ténériffe et
de Chahorra , prise du côté de l’ouest. Dans les autres
directions, le pic de Teyde cache si complètement Cha-
horra, que pendant long-temps cette dernière montagne
est restée tout-à-fait inconnue. Ce n’est que d’un petit
nombre de points situés vers l’ouest que les deux monta-
gnes paraissent complètement séparées l’une de l’autre.
Ces deux dernières Planches (xv et xvr) ont princi-
palement pour but de compléter la connaissance indivi-
duelle du pic et de l’ile de Ténériffe ; mais les deux autres
(x1v et xvi), indépendamment des objets qu’elles peignent
individuellement , sont importantes pour la théorie des
volcans. Les vues du cratère de soulèvement de Palma,
de l'ile Barren-[sland et du pic de Téuériffe, montrent
clairement aux yeux, et bien mieux qu'on ne peut le
faire par le discours, combien un cratère de soulève-
ment diffère d’un volcan, et quels sont les traits extérieurs
qui caractérisent principalement cette différence.
Les quatre exemples de Palma, de Santorin, de
Barren-{sland et du pic de Teyde, montrent pour ainsi
dire les diverses phases successives de l'existence d’un
volcan. Le pic de Ténériffe, parvenu à l'extrême vieil-
( 404 )
lesse, ne produit plus que des éruptions latérales par
des ouvertures qui se forment vers la base. C’est un
volcan parfaitement régulier, qui a eu son entier déve-
loppement, et qui se trouve réduit de fait au même état
que les volcans imparfaits , ou peut-être dans l'enfance,
qui n’ont jamais agi par l'intérieur de eur cratère de
soulèvement , mais dont les éruptions ont eu lieu par
diverses petites bouches qui se sont formées à l’entour,
comme cela a eu lieu, par exemple, dans l’île de Palma.
Le cône de l’Etna s’élève aussi au milieu d’un cirque
formé en partie de colonnades basaltiques.
Le cône du Vésuve est dans une position semblable
par rapport à la crête circulaire de la montagne de la
Somma , qui entoure sa base de plusieurs côtés en forme
de croissant.
Les mêmes formes dans les mêmes rapports ont été
retrouvées d’une manière plus ou moins décidée dans la
plupart des volcans considérables qu’on a examinés avec
quelque soin.
La constance de ces rapports paraît dériver de la rela-
tion qui existe entre la cause violente , mais non con-
tinue dans son action, qui a occasioné la formation des
cratères de soulèvement , et la cause permanente qui agit
par intervalles, par les canaux de communication entre
l'intérieur et l'atmosphère qui constituent les volcans.
Il y a sans doute connexion, mais il n’y a pas identité
entre la cause de l’action mécanique dont les cratères
de soulèvement ont été l'ouvrage, et celle qui continue
à entretenir les phénomènes volcaniques. De ces deux
effets différens, l’un paraît avoir en licu une fois pour
toutes dans chacun des poinis qui en ont été le théâtre,
( 405 )
tandis que l’autre se renouvelle d’une manière plus ou
moins périodique partout où il a une fois commencé à se
produire.
Il semblerait que l’action intérieure quelconque, qui
s’est manifestée à la surface du sol par la formation d’un
cratère de soulèvement, a constitué du mème coup au-
dessous un laboratoire volcanique permanent, dont les
éruptions ont eu lieu , tantôt par le centre du cratère de
soulèvement , qui leur offrait souvent moins de résis-
tance que les points voisins , tantôt par d’autres points
peu éloignés.
Il est certain, et les seules observations faites par
M. de Buch dans la fente qui donne accès dans la Cal-
dera de l’île de Palma suflisent pour le démontrer, que
l’action mécanique qui a produit les cratères de soulève-
ment, s'est développée au-dessous des roches primitives.
On savait déjà , depuis Dolomieu , que le foyer des érup-
tions volcaniques est aussi placé au-dessous de ces
mêmes roches.
Deviner comment se sont formés les cratères de sou-
lèvement paraît être aujourd’hui un des principaux pro-
blèmes de la géologie. Sa solution donnerait immédia-
tement la clef des phénomènes volcaniques , et condui-
rait probablement aussi à trouver celle du phénomène
bien plus important du soulèvement des chaînes de
montagnes.
Les cratères de soulèvement se sont rarement produits
isolément ; le plus souvent, au contraire , plusieurs se
sont formés dans le voisinage l’un de l’autre , soit en se
groupant autour d’un volcan central et principal, soit
en s’alignant suivant une direction en rapport, comme
( 406 )
nous le verrons plus loin, avec les grands accidens du
sol de la contrée. C’est du premier de ces deux modes
de développement que sont résultés les groupes d’iles
volcaniques , comme les Acores, les Canaries, etc., dont
chacune contient un cratère de soulèvement et un centre
particulier d’éruptions volcaniques.
Ces centres d'éruptions ainsi groupés ne sont pas
complètement indépendans les uns des autres. Ainsi il
n'arrive jamais que deux foyers d’un même groupe fas-
sent éruption en même temps; il semble que chacun
d'eux ait la propriété de servir de soupape de sûreté à
tous les autres ; il n’arrive jamais qu’un même foyer fasse
éruption deux fois de suite, ou que l’éruption d’un
foyer soit immédiatement suivie par une éruption d’un
des foyers immédiatement voisins du même groupe ;
mais il arrive toujours que deux éruptions consécutives
sont produites par deux foyers très-éloignés l’un de
l’autre. La connaissance de ce genre de relations entre
des centres d’éruptions groupés permet de reconnaître si
des bouches volcaniques , placées sur la surface du globe
à une petite distance l’une de l’autre , font ou non partie
d’un même groupe. En comparant des catalogues d’é-
ruptions, on a pu reconnaître, par exemple, que le
Vésuve, l’Etna et le Stromboli, non-seulement sont
des volcans distincts, mais appartiennent à des groupes
séparés.
Des observations du même genre prouvent que les
phénomènes volcaniques qui se sont produits sur les iles
Canaries ont été au contraire dans la dépendance les uns
des autres. Mais , quoique ces rapports entre les diverses
éruptions connues semblent tendre à faire considérer le
( 407 )
pic de Teyde comme le centre autour duquel se coor-
donnent ces phénomènes , ce serait aller trop loin que
de réunir par Ja pensée les îles séparées en un seul tout,
et de les considérer comme des lambeaux d’une grande
terre qui aurait été brisée par l’action volcanique, et
divisée en plusieurs parties isolées. Chaque île est évi-
demment et essentiellement à elle seule un tout; chacune
contient dans son centre un cratère de soulèvement. d’un
diamètre considérable, vers l’arête extérieure duquel
les assises basaltiques se relèvent. de toutes parts. Cela,
est parfaitement clair sur la grande Canarie , où main-
tenant encore la circonférence extérieure des côtes indi-
que presque exactement la direction et la forme de la
Caldera , située au milieu: La: forme presque circulaire
que cette circonstance donne à l'ile est si frappante ,
qu'elle montre d’un seul coup d'œil comment elle ne
peut être un lambeau, mais comment au contraire toutes:
les parties se coordonnent autour d’un centre , point de
départ de la force qui éleva probablement toute l'ile du
fond de l'Océan. Cette apparence et la conséquence qui
en résulte sont également frappantes, et peut-être encore
plus claires dans l’île de Palma, qui est plus petite et en
mème temps plus élevée , ce qui fait que le relèvement
en pente douce de toutes les couches , depuis la circon-
férence de l'ile jusqu’à l’arête de la Caldera , peut d’au-
tant moins échapper à l'observation. Les cratères de
soulèvement sont moins prononcés sur les iles de Fuerta-
Ventura et de Lancerote. Ces deux îles ont été formées
par des masses sorties en: forme de filon , et se sont par
suite allongées ; cependant on reconnait encore très-bien
des cratères de soulèvement à Lancerote , dans les bords
( 408 )
escarpés et presque à pic du bras de mer de Rio, qui la
| d
"sépare de la petite île de Graciosa , et à Fuerta-Ventura,
dans le bassin au sein duquel s'élève la capitale de l’île ,
Santa-Maria de Bethencuria. 1
On ne peut d'après cela considérer le groupe entier
des îles Canaries que comme une réunion d'îles qui ont
été élevées les unes à côté des autres, et isolément , du
fond de la mer. Le principe d’action qui a produit un
effet aussi considérable doit s'être rassemblé et renforcé
pendant long-temps avant d’avoir pu vaincre la résis-
tance qui le comprimait. La force intérieure , parvenue
à un degré suflisant de développement, souleva jusqu’à
la surface les assises composées , par exemple , de con-
glomérats et de basalte, qui s’étaient formés au fond de
la mer, ou même plus profondément dans l’intérieur de
la terre , et se fit jour par un grand cratère de soulève-
ment. Cependant une aussi grande masse soulevée ne put
manquer de retomber sur elle-même, et ferma bientôt
l'ouverture , qui n'avait pris naissance que pour donner
passage au principe d’action intérieur. Jusque-là il
n'existe pas de volcan. Mais le pic s'élève au milieu d’un
de ces cratères de soulèvement , sous la forme d’un dôme
surhaussé de trachyte : alors une communication perma-
nente est ouverte entre l’intérieur et l'atmosphère ; les
matières, gazeuses se dégagent continuellement , et si
quelque obstacle s'oppose à leur sortie, elles peuvent le
pousser en dehors, vers le pied du volcan , ou à quel-
que distance , sous la forme d’un courant de lave isolé,
et n’ont pas besoin , pour le vaincre, de soulever une île
entière. Le volcan, ne se bouchant que dans sa partie
supérienre, par des masses fondues qui se refroïdissent
( 409 )
et qui retombent , demeure le centre de ces éruptions.
D’après cela, il n’y a qu’un seul volcan dans les îles
Canaries , le pic de Teyde; c’est un volcan central.
Tous les volcans de la surface de la terre se partagent
en deux classes essentieiiement différentes l’une de
l’autre , les volcans centraux et les volcans alignés.
Les premiers constituent toujours le point central
d’une grande quantité de bouches d’éruption réparties
presque également à l’entour dans toutes les directions.
Les seconds , les volcans alignés , sont rangés en
ligne droite l’un à la suite de l’autre , et souvent à de
petits intervalles, comme seraient des cheminées placées
sur une grande fente ; et peut-être , en effet, ne sont-ils
pas autre chose. On compte ainsi quelquefois vingt,
trente ou mème un plus grand nombre de volcans, qui
traversent , par longues rangées , des portions considéra-
bles de la surface du globe. Relativement à leur position,
les volcans alignés se divisent en deux espèces ; tantôt ils
s'élèvent du fond de la mer comme des îles coniques
isolées, et alors une chaîne de montagnes primitives
court près d’eux dans une direction exactement paral-
lèle : ils semblent en marquer le pied ; tantôt les volcans
sont placés sur la crête de la chaîne de montagnes, et
en forment les sommités.
Relativement à leur composition et à leurs produits,
ces deux espèces de volcans alignés ne diffèrent pas les
uns des autres; ce sont de part et d’autre, avec peu
d'exceptions , des montagnes de trachytes ; et les pro-
duits solides qui en proviennent se rapportent également
aux trachytes,
Lorsque l’on considère les chaînes des montagneselles-
( 410 )
mêmes comme des masses qui, se, sont élevées, sur de
grandes crevasses. par l’action des porphyres noirs ou
pyroxéniques (mélaphires ), on comprend jusqu’à un
certain point celte position de bouches volcaniques :
tantôt le principe d'action, qui agit dans les volcans,
trouve plus de facilité à parvenir à la surface par la cre-
vasse principale, alors les volcans s’élèvent sur les mon-
tagnes mème ; tantôt les masses de roches primitives qui
surmontent la crevasse sont pour eux un trop grand
obstacle ; alors ils s'élèvent à la surface comme le por-
phyre noir l’a souvent fait lui-même au bord de la cre-
vasse ; au point où les montagnes ont commencé à se
soulever, c’est-à-dire, au pied de la chaine.
Mais quand ce qui tend à se faire jour ne trouve pas
une pareille crevasse qui lui trace la route à suivre, ou
même lorsque sur une crevasse de ce genre il se pré-
sente un obstacle trop considérable, la force doit aller
croissant au-dessous de la surface , jusqu'à ce qu'elle
puisse vaincre la résistance, et faire crever la masse
même des roches qui composent le sol. Il arrive un mo-
ment où, devenue assez forte , elle fait naître une nou-
velle crevasse , et s’y constitue une cheminée de commu-
nication avec l’atmosphère.
Ainsi se forment les volcans centraux. Mais ils ne s’é-
lèvent que rarement avant de s’être préparé la voie au
moyen d’iles soulevées renfermant des cratères de sou-
lèvement.
Ce dernier mode de formation ne paraît pas demander
un contours extraordinaire de circonstances très-favo-
rables , ou même peut-être un état tout différent de la
surface du globe , comme la formation des chaînes de
(4u )
montagnes. Il pourrait donc toujours se continuer; et il
paraît que c’est en effet ce qui a lieu. Des îles se sont
élevées sous nos yeux du fond de la mer ; et lorsqu'on
suit les nouvelles découvertes des navigateurs dans
l’océan Pacifique , ou qu’on étudie le tableau spirituel
et instructif des îles de la mer du Sud, tracé par M. de
Chamisso , on ne peuts’empècher de croire qu’un. nombre
considérable d’iles nouvelles contmue à s’y élever, soit
immédiatement au-dessus du niveau des eaux , soit à une
petite distance au-dessous de la surface, et comme pour
servir de base aux travaux des madrépores , qui élèvent
bientôt leur sol jusqu’au niveau des flots. L'histoire seule
de la végétation qui couvre les îles de ces parages suffi-
rait pour prouver le peu d'ancienneté d’un grand nombre
d’entre elles.
Pour citer ici quelques exemples de volcans alignés,
je dirai que l’archipel de la Grèce présente ; de l’isthme
de Corinthe à l’île de Santorin , une suite d’iles formées
de trachytes , et renfermant plusieurs cratères de soulè-
vement. Cette rangée de masses soulévées, dans lesquelles
il n’a pu s'établir encore de véritablé volcan, court du
nord-ouest au sud-est. Elle est parallèle à toutes les
chaînes de montagnes qui traversent la terre ferme de la
Grèce , et dont les autres îles de l’Archipel paraissent
être la continuation , non-seukement d’après leur posi-
tion, mais aussi d'après l'identité que présente. leur
composition avec celle des montagnes dans le prolonge-
ment desquelles elles se trouvent.
À Java, dans l’archipel de la Sonde, vingt-cinq vol-
cans d’une prodigieuse activité sont rangés sur des lignes
(412)
parallèles à la plus grande longueur de l’île , dont l’une
se continue vers l’est jusqu’à l’île de Banda.
Cette même zone de volcans semble se prolonger en.
se détournant un peu au nord-ouest, suivant la plus
grande longueur de l’île de Sumatra , jusqu’à l'ile de
Barren-Island, dont j'ai cité plus haut le cône d’érup-
tion situé au milieu d’un magnifique cratère de soulève-
ment (PI. xvir, fig. 2).
A son autre extrémité, cette zone de volcans se rat-
tache à une autre d’une direction toute différente , qui,
de l’île de Banda , va gagner l’île de Luçon, l’une des
Philippines , en traversant les Moluques.
La réunion de ces deux zones entoure comme une
ceinture l'extrémité sud-est du continent de l'Asie, ainsi
que le système d'îles qui se groupent autour des dente-
lures qu’il présente de ce côté.
Suivant la remarque de M. de Buch, cette ceinture
fournit un motif pour réunir au continent asiatique,
plutôt qu’à l'Océanie , toutes les îles qu’elle traverse , et
celles qui, comme Bornéo, sont comprises entre elle et
les côtes de l’Inde et de la Chine.
L'origine de cette même ceinture semble liée à l’élé-
vation du continent de l’Asie, au-dessus du niveau des
mers. Îl paraît que la grande masse oxidée et soulevée
qui constitue le continent empêche la communication de
l’intérieur avec l'atmosphère , mais que cette communi-
cation se trouve rétablie près de la ligne qui termine le
continent par d'immenses crevasses, sur lesquelles les
volcans s'élèvent comme des canaux de communication.
La Cordilière des Andes , qui forme un bourrelet de
3000 lieues de long sur le bord occidental du continent
(413)
américain , présente sur ses crêtes plusieurs files de vol-
cans alignés suivant la longueur de la portion de la chaîne
sur laquelle ils s'élèvent comme d’énormes jalons.
Ce n’est pas toujours par une conformité de direction
que les lignes de volcans se rattachent aux grands acci-
dens de la surface du globe qui se trouvent dans leur
voisinage : ainsi, on voit les volcans des petites Antilles
joindre l’extrémité de la Cordilière littorale de Venezuela
à l'extrémité de la chaîne parallèle, et également com-
posée en partie de roches primitives , qui traverse les
grandes Antilles.
De même , les grands volcans du Mexique sont rangés
de l’est à l’ouest, sur une ligne droite qui coupe sous
un angle très-ouvert la direction générale des masses de
trachytes et de porphyres qui constituent le plateau élevé
de l’intérieur de ce pays. Ces volcans semblent placés sur
une énorme crevasse qui, sur une longueur de 137 lieues,
traverse tout le continent mexicain, mais dont la liaison
avec la forme de ce continent se manifeste en ce qu’elle se
termine aux rivages de l'océan Pacifique et du golfe du
Mexique , rivages en dehors desquels il n’y a plus de vol-
cans. On doit dire cependantque lesiles de Ravillagigedo,
situées dans l’océan Pacifique , se trouvent sur le prolon-
gement de la ligne de volcans qui traverse le Mexique,
et que, malgré la distance de 120 lieues qni les sépare
des côtes , on a quelquefois regardé les productions vol-
caniques qu'elles présentent comme faisant partie du
système des volcans mexicains.
En parlant des volcans , on est toujours conduit à par-
ler des trachytes et des basaltes, et cela seul est déjà
une preuve de la liaison intime qui existe entre les causes
(414 )
qui ont produit ces roches, et celle dont l’action donne
naissance aux phénomènes volcaniques ; mais cela, tou-
tefois, n’empèche pas qu’on ne puisse assigner des diffé-
rences considérables entre leur mode de formation et
celui des laves qui descendent sous nos yeux par bandes
étroites des cratères des volcans. Les produits volcani-
ques , les trachytes et les basaltes, sont trois groupes
voisins , mais distincts , de roches non stratifiéés,
Certaines laves présentent la plus grande ressemblance
avec le basalte, et peuvent être prises pour des basaltes
refondus. L'ile de Lancerote offre plusieurs séries d’émi-
nences rangées en ligne droite. L’une de ces rangées est
formée par une suite de cratères composés de scories
accumulées, dont plusieurs, lors de la trop fameuse
éruption de 1730 , ont vomi des courans de laves qui se
sont étendus sur près d’un tiers de l’île, en formant une
nappe horizontale de plusieurs lieues carrées de surface
qui atléignit la mer en plusieurs points. Un tiers de l’île,
auparavant le plus fertile, reste depuis lors recouvert
d'une croûte pierreuse entièrement dépourvue de végé-
tation. Cette nappe de laves si étendue rappelle, à cer-
tains égards , les nappes de basalte. Des laves de la même
nature, en se précipitant dans la mer, et en s’y refroi-
dissant rapidement, se sont plus d’une fois divisées en
prismes pareils aux prismes basaltiques. On en voit un
exemple à Lancerote ; mais M. de Buch remarque que
cette lave n’alterne pas avec des conglomérats, comme
les basaltes le font toujours dans les îles Canaries ; ee qui
montre qu’il n’y a pas eu identité complète entre les phé-
nomènes qui ont produit les basaltes et ceux des volcans
de l’époque actuelle.
(415 )
Aux environs du port d'Orotava, dans l’île de Téné-
riffe, on voit des conglomérats composés de fragmens de
basaltes irréguliers , scoriacés, à peine cimentés, brunis
par un commencement de décomposition , alterner con-
tinuellement avec des assises solides de basalte. Ces der-
nières assises plongent parallèlement à la surface exté-
rieure des masses, et ce n’est jamais que très -rarement
qu’on y reconnaît positivement les caractères d’un cou-
rant. Îl ne serait pas possible de suivre individuellement
aucune de ces espèces de couches à une grande distance;
elles conservent toujours l'irrégularité de stratification,
ou plutôt l'absence de toute stratification régulière et
suivie qui forme un des caractères communs à toutes les
masses volcaniques. On voit cependant en certains points,
sur de petites étendues , des séries d’assises très-régulières
de ces roches , comme , par exemple, au cap Martianez.
Ici on pourrait prendre certaines nappes basaltiques
pour des courans de laves , avec d’autant plus de raison
qu'on y observe des indices qui montrent clairement
qu'elles ont coulé. Mais elles n’atteignent pas la puis-
sance que présente toujours un courant de lave, etil
demeure vraisemblable que leur production appartient
à une classe de phénomènes sensiblement différente de
celle qui fait maintenant sortir les courans de laves des
cratères.
Les rapports que je viens de signaler entre les basaltes
et les conglomérats qui les accompagnent , rapports qui
tendent à les éloigner des produits volcaniques propre-
ment dits, sont, au contraire, exactement pareils à ceux
qui existent entre les trapps et les conglomérats qui
s’insèrent entre leurs masses, et il arrive en même tenips
( 416)
que le voisinage , soit des trapps , soit des basaltes , pro-
duit des effets absolument pareils sur les couches de grès
que ces couches traversent quelquefois en forme de co-
lonnes irrégulières ou de filons. On pourrait donc dire
qu'il y a eu plus rapports entre le mode de formation
des trapps et celui des basaltes, qu'entre le mode de
formation des basaltes et les phénomènes volcaniques
proprement dits; les basaltes, comme les trapps , pa-
raissent s'être élevés à la surface de la terre par des ou-
vertures irrégulières ou par des fentes de la croûte solide,
accompagnés de même d’amas considérables de fragmens
incohérens de leur propre substance déjà solidifiée , qui
sont restés intercalés, sous forme de conglomérats,
entre leurs diverses masses, lorsque celles - ci se sont
étendues en nappes sur la surface du sol préexistant.
Les basalies , sortis plus récemment , se sont souvent
épanchés à travers l'écorce minérale de la terre dans les
points marqués d'avance par la disposition des élémens
de notre globe , pour présenter au Jour des cratères de
soulèvement, au milieu desquels s’élèveraient les cônes
des véritables volcans d’éruption.
Ces cônes sont, pour la plupart, formés en partie par
une classe de roches , les trachytes, qui a de tels rap-
ports avec certaines variétés de laves très-communes,
qu’on a souvent eu l’idée de regarder ces dernières comme
des trachytes refondus.
Les masses trachytiques accompagnées de leurs con-
glomérats , en se produisant au jour sous forme de cônes,
de dômes ou de masses arrondies plus ou moins irrégu-
lières, semblent avoir préparé l'emplacement des foyers
volcaniques. Quelques-unes d’entre elles, en forme de
(49 )
cloches coniques, produisant des effets plus complets
qu’à Santorin, ont donné passage dans leur intérieur à
ces canaux de communication entre l’intérieur du globe
et la surface auxquels on doit restreindre le nom spécial
de volcan. Les cheminées des laboratoires volcaniques
se sont le plus souvent ouvertes dans ces roches. Ce sont
elles qui constituent les cônes de la plupart des grands
volcans. Le cône élancé du pic de Ténériffe paraît en
être composé , et tout ce qui en est sorti rappelle le tra-
chyte et ne rappelle jamais aucune autre roche. Le
volcan de Ténériffe a donc son gisement dans les tra-
chytes. Il semble que ces roches, dont les masses se
sont si souvent élevées au centre mème des cratères de
soulèvement , sont plus directement en connexion avec
les foyers volcaniques que ne le sont les basaltes, qui ne
s'y présentent que comme parties constituantes des
masses soulevées dont est formée l’enveloppe conique
extérieure de ces mêmes cratères.
Les trois cratères de soulèvement des iles les plus con-
sidérables du groupe des Canaries , la grande Canarie,
Ténériffe et Palma, sont sensiblement alignés dans la
direction du sud-est au nord-ouest. Cette circonstance
paraît bien n'être pas l'effet du hasard, mais résulter de
quelque cause intérieure ; il y aurait de la hardiesse
peut-être, mais il y aurait aussi de la vraisemblance, à
chercher cette cause dans les trachytes. Les îles de Lan-
cerote et de Fuerta-Ventura, placées dans une tout
autre direction, ne contiennent aucune trace de trachyte ;
mais Palma en présente dans l’intérieur de la Caldera ,
le pic de Ténérifle en est formé eu entier dans toute la
partie qui est comprise dans le cratère de soulèvement,
XX 27
(418)
et la grande Canarie présente dans la même direction ses
plus grandes et ses plus hautes montagnes de trachyte.
On peut croire que ces roches auront , pour ainsi dire,
cherché à crever l'écorce minérale du globe suivant une
ligne droite, qui n’est autre chose que la direction sur
laquelle se trouvent les trois cratères de soulèvement.
La présence de plus en plus fréquente des cristaux de
feldspath dans le basalte, à mesure qu'on approche du
pic de Ténériffe , a conduit à penser que dans la profon-
deur il s'établit une sorte de passage du basalte au véri-
table trachyte qui parait former le noyau du volcan ;
mais les exemples de ce genre sont rares , et le plus sou-
vent les basaltes et les trachytes se présentent nettement
séparés, et forment sur la surface du globe des groupes
détachés; peut-être mème pourrait - on dire que les ba-
saltes , étendus en grandes nappes , et les trachytes, élevés
en dûmes ou en cônes, semblent différer les uns des
autres par le mode de leur formation, plus qu’ils ne
diffèrent de certains produits des volcans actuellement
brülans. Il est surtout évident qu'ils diffèrent plus les
uns des autres, qu’ils ne diflèrent les uns des trapps et
les autres des porphyres du grès rouge.
Quoique les basaltes et les irachytes aient évidemment
été produits par des phénomènes souterrains dans les-
quels la chaleur jouait un grand rôle, on ne peut les
appeler des produits volcaniques qu'en donnant au mot
volcan une extension plus grande que celle qu’il a dans
le langage ordinaire, et qu'il serait peut-être avantageux
de lui restituer dans le langage géologique.
On ne voit pas, en eflet , pourquoi, appelant les tra-
chytes volcaniques, on n’appellerait pas aussi volcaniques
( 419 )
les porphyres quarzifères liés au grès rouge ; car, comme
on vient de le dire, ceux-ci différent moins , à certains
égards , des trachytes , que les trachytes ne diffèrent des
laves qui coulent de nos volcans ; si on appelle volca-
niques les porphyres quarzifères, on ne voit pas pour-
quoi on refuserait ce nom au granite, qui cependant,
formant une des parties principales de la croûte solide
au-dessous de laquelle s’exerce l’action volcanique, peut
être considéré comme servant d'enveloppe au théâtre de
cette action , et doit sans doute son origine à des phéno-
mènes plus généraux dont ceux des volcans ne peuvent
être qu'une conséquence , où peut-être tout au plus un
reste et un cas particulier.
Si on range les roches non stratifiées d’après les ana-
logies de composition , de structure et de position dans
la croûte oxidée du globe qui existent entre elles,
on parvient à en former une série dont les laves de nos
volcans , composées principalement de feldspath et de
pyroxène, occupent une extrémité, dont le milieu est
formé par des porphyres composés de feldspath et de
quarz , et dont la fin présente les granites composés de
feldspath , de quarz et de mica. Cette série se partage en
un certain nombre de groupes plus ou moins nettement
séparés entre lesquels il est certain qu’il y a ressem-
blance, mais non identité d’origine. En la parcourant
depuis les laves des volcans actuellement brülans jus-
qu'au granite, on observe entre ses termes successifs
uné suite non interrompue, mais continuellement dé-
croissante , de ressemblances , et une suite continuelle-
ment croissante de différences.
Ces ressemblances et ces différences , également im-
{ 420 )
portantes pour la science , ont toujours vivement frappé
les savans qui se sont occupés de géologie, et suivant
qu'ils ont attaché plus d'importance aux unes ou aux
autres, ils ont réuni ou séparé les différens termes de la
série et leur ont attribué une origine analogue ou
opposée.
Ceux qui ont été plus frappés des ressemblances ont
dit que le granite avait été formé par le feu comme les
laves des volcans. Ceux qui ont été plus frappés des dif-
férences, en attribuant au feu la formation d’une partie
plus ou moins grande de la série des roches non strati-
fées, ont attribué à la cristallisation par voie humide
celle de l’autre partie, et particulièrement du granite;
de là les dénominations de vulcanistes et de neptuniens ,
dénominations devenues presque des injures , à cause du
ridicule attaché à d’interminables discussions , mais qui
n’en rappellent pas moins à l'esprit un ordre de faits
très-réel et des notions positives qui sont une des parties
les plus importantes de la science géologique.
Si les géologues sont aujourd’hui trop bien instruits
des rapports et des différences que l'observation indique
entre le mode de formation du granite et celui des laves
des volcans, pour qu'aucun d’eux consente à être appelé
vulcaniste ou neptunien , il est entre eux une autre dis-
tinction qui les partage entre deux grandes classes. Les
uss, en effet, frappés surtout des rapports que beaucoup
de parties de l'écorce minérale du globe présentent avec
les dépôts formés sous nos yeux par l’action des eaux,
ont suivi plus particulièrement le fil d'induction qui con-
duit, des dépôts qui s’opèrent actuellement jusqu'aux
parties les plus anciennes de la série des dépôts stratifiés.
(421)
Les autres , s’attachant plutôt au genre de rapports par
lesquels les diverses roches non stratifiées se rapprochent
ou s’éloignent des laves des volcans , ont suivi plus par-
ticulièrement le fil d’induction qui sert à remonter des
produits volcaniques aux termes de plus en plus éloignés
de la série des roches non stratifiées. Les premiers ont
été conduits à s'occuper spécialement de l'étude des gé-
nérations successives d'êtres organisés divers, dont les
débris se trouvent enfouis dans les dépôts de sédiment ;
il a été beaucoup plus nécessaire aux autres d’avoir une
connaissance profonde et pratique des nombreuses es-
pèces minérales qui se rencontrent dans les produits
volcaniques et dans presque toutes les masses non stra-
tifiées , ainsi que dans les portions de couches de sédi-
ment qui ont été altérées par l'effet de leur contact , et
dans les nombreux filons qui se trouvent en connexion
avec elles. Tandis que les géologues qui s'occupent de
l'étude des dépôts stratifiés ont trouvé moyen d'y faire
servir les sciences nées de l'examen des êtres organisés,
les géologues qui s'occupent de la série des roches non
stratifiées ont trouvé de puissans secours dans la plupart
des sciences qui s'occupent des corps inorganiques. Non-
seulement ils se sont servis avec avantage de la minéra-
logie, qui est une application directe de plusieurs de ces
sciences ; mais la géographie est venue aussi à leur aide,
et des observations qui embrassent d'immenses étendues
de pays leur ont dévoilé des relations aussi intimes que
curieuses entre les volcans et les termes de la série des
roches non stratifiées qui sont les plus éloignés des pro-
duits volcaniques.
Les principales dislocations de l'écorce minérale du
(422)
globe se sont opérées suivant des séries de lignes paral-
lèles ; sur lesquelles se sont élevées autant de chaînes de
montagnes de la classe de celles qu’on est convenu d’ap-
peler primitives , chaînes dont le granite forme si géné-
ralement l’axe central, et au pied desquelles paraît si sou-
vent le porphyre pyroxénique (mélaphire), qui n’est ni
primitif ni volcanique, mais qui se trouve vers le milieu de
la série des roches non stratifiées. D’autres roches non
stratifiées percent aussi très-fréquemment la surface du
sol au pied de leurs pentes les plus escarpées , et on voit
en même temps beaucoup de réunions de volcans s’éten-
dre parallèlement à leur longueur dans une connexion
souvent plus éloignée, mais toujours analogue. Il résulte
évidemment de là que les rapports de composition, de
structure et de forme des grandes masses qui rappro-
chent les unes des autres les différens termes de la série
des roches non stratifiées , ne sont pas les seuls liens qui
les unissent, mais que les produits volcaniques , les
trapps , les porphyres et les granites, se rattachent en-
core entre eux par les rôles dépendans les uns des autres
qu’ils jouent dans les grands accidens que nous offre la
surface du globe.
Ces différentes roches se rattachent également les unes
aux autres par les rapports qu’elles présentent avec plu-
sieurs des phénomènes les plus importans qui se passent
à la surface de la terre.
Les sources thermales et les tremblemens de terre,
phénomènes si fréquens dans les contrées volcaniques,
ne s’y montrent pas exclusivement. S'ils se présentent
rarement dans les grandes plaines formées d’une grande
épaisseur de dépôts stratifiés en couches horizontales,
(423 )
ils sont , au contraire , très-fréquens dans les parties du
globe où, sans rencontrer aucune trace de volcans, on
voit les couches de sédiment jadïs horizontales se re-
dresser à l'approche de masses de roches non stratifiées
qui paraissent les avoir soulevées; et ils concourent
ainsi à établir une connexion entre les termes extrèmes,
ci différens l’un de l’autre , de la série des roches non
stratifiées , les produits volcaniques et les granites.
D’après les seuls rapports de position géographique
qu’on remarque entre les volcans, les roches qu'on est
convenu d'appeler primitives , les sources thermales et
les tremblemens de terre, ainsi qu'entre les volcans ran-
sés en ligne droite et les chaînes de montagnes, il est
évident qu’on ne peut plus faire sur les phénomènes
volcaniques que des hypothèses qui embrassent dans leur
généralité la structure entière du globe terrestre, et
que celles qui tendaient à les expliquer par la combus-
tion de couches de charbon de terre ou de masses de
soufre ou de bitume, ou par la décomposition de masses
de pyrites, disparaissent d’elles-mêmes, par leur seule
petitesse , devant l'étendue des objets embrassés par les
rapports que je viens de rappeler.
EXPLICATION DES PLANCHES.
PI. xiv. Vue de la cime du pic de Ténériffe et du cratère de soulève-
ment qui l’entoure.
PL. xv. Vue du pic de Ténérifle et de Chahorra, du côté de l’ouest.
P!. xvr. Vue du pic de Ténériffe, prise du port de l’Orotaya.
PI. xvir. Vue du cratère de soulèvement de l’île de Palma. — Vue de
Barren-Island , au nord des îles de Nicobar.
( 424 )
Nornce sur la Formation d'un Lac dans le
département de la Drôme ;
Par M. De GAsPARIN,
Correspondant de l’Institut.
Âu commencement de novembre 1829, le bruit se
répandit à Orange que l’éboulement d’une montagne
près de Lamothe Chalancon venait de barrer le passage
aux eaux de l’Oule, affluent de la rivière d'Eygues, et
avait ainsi formé un lac, qui, par son écoulement
subit, pouvait présenter des dangers pour les contrées
situées sur le cours de cette rivière. Bientôt plusieurs
habhitans de Lamothe, munis de certificats de leur maire,
vinrent confirmer cette nouvelle, en sollicitant des se-
cours que la perte de leurs propriétés leur rendait né-
cessaires. Je formai dès-lors le projet d’aller vérifier ce
fait, soit pour apprécier le danger que pouvait courir
mon pays, soit pour examiner les circonstances elles-
mêmes de léboulement. Un hiver rigoureux, en rompant
toute communication avec ces vallées écartées et d’un
difficile accès, me fit ajourner ce voyage que je n'ai pu
exécuter que le 16 mars dernier (1830), et les jours
suivans.
Aussitôt arrivé à Lamothe Chalancon, je me rendis
au nouveau lac, qui en est éloigné d’un quart de lieue,
et situé entre ce bourg et le village de Rotier ( voyez la
carte de Cassini, n° 121); son premier aspect me fit
aussitôt connaître que cet événement si fâächeux pour les
habitans dont il avait submergé les propriétés, ou en-
trainé les terres situées sur les pentes de la montagne,
( 429 )
ne pouvait présenter aucun danger sérieux pour les rive-
rains inférieurs. La petite dimension de cette nappe
d’eau ne pouvait pas faire craindre beaucoup son écou-
lement subit, et le barrage solide et peu élevé qui le
formait le rendait tout-à-fait improbable. En effet, son
étendue est bornée aujourd’hui à 5 ou 600 mètres de
longueur sur une largeur de 6o mètres environ, et sa
profondeur n'excède pas 3 à 4 mètres. Ce n’est plus
aujourd’hui, à proprement parler, qu’un renflement du
cours de la rivière plutôt qu’un lac. D’après les dimen-
sions que nous venons de lui assigner, il ne présenterait
pas une masse de plus de 126,000 mètres cubes d’eau,
et il en sortait, lors de ma visite, environ 15 mètres
cubes d’eau par seconde, fournies par la rivière d'Oule.
— Pour juger combien cette quantité est faible, il
faut savoir seulement que , d’après les calculs du général
Andréossy, le réservoir artificiel de Saint-Ferréol , qui
alimente le canal du midi, contient plus de six millions
de mètres cubes d’eau. Si l’écoulement subit du lac de
Lamothe venait à avoir lieu, nul doute que l’eau qu’il
contient ne causàt quelque dégât dans la plaine située
au-dessous ; mais ensuite les nombreuses circonvolutions
de la rivière, son lit resserré, et la diminution de la
pente, en réglant le cours de cette masse d’eau, en
allongeant la colonne par l'inégalité de vitesse de ses
molécules, ne lui permettraient d’arriver à quelque
distance que sous forme d’une crue médiocre et très-
passagère. Je pense donc que les pays situés à plusieurs
lieues au-dessous du lac n’auraient rien à en craindre,
si l'événement improbable de l'enlèvement de sa digue
venait à avoir lieu.
( 426 )
Après ce premier coup-d’œil donné à l’état actuel des
choses , il faut chercher à se faire une idée de l’événe
ment qui l’a causé, et ce ne peut être qu’en faisant con-
naître la nature des montagnes qui dominent la vallée.
La partie sud-ouest du Dauphiné est assez uniforme
dans sa formation. La roche la plus profonde qu’elle
présente est une espèce d’argile où marne schisteuse, à
feuillets très-minces et entrecoupés , de distance en dis-
tance, de couches calcaires plus dures, qui forment le
long des pentes des espèces de chaînes qui en affermissent
les assises. La couleur générale de ce terrain est noi-
râtre où bleu foncé ; il a quelquefois une grande puis-
sance et acquiert jusqu'à 2 ou 300 mètres au-dessus des
vallées dans certaines positions. Les fossiles y sont rares,
ce n’est que dans les couches supérieures en contact avec
la formation qui le recouvre, que l’on trouve quelques
ammonites de la craie; mais dans les couches centrales
je n'ai vu que des géodes marno-ferrugineux renfermant
à leur centre un cristal de quarz hyalin, et enfin des
pyrites. C’est dans cette formation que se trouve la fon-
taine ardente , une des merveilles du Dauphiné. Ce ter-
rain si étendu et si puissant appartient-il aux marnes
du lias, ou ne serait-il qu’un développement extraor-
dinaire des marnes des terrains épiolithiques de M. Bron-
gniart ? C’est à M. Élie de Baumont, qui a tant et si
bien vu le Dauphiné, à prononcer sur ce point, qui ne
peut être décidé par le petit nombre de corps fossiles
que j'y ai vu, mais qui doit l'être par la superposition
de cette roche. Nous observerons, au reste, que si elle
appartient au lias, il faudra admettre que ce terrain
s’étend au sud de Dieu-le-Fit vers le village d’'Allençon,
( 427 )
où on le voit en couches très-puissantes, et enfin entre
Rochegude et Uchaux près d'Orange, où il se montre
encore au jour sous de plus petites dimensions, mais
avec les mêmes caractères géologiques.
Les marnes que nous venons de décrire, de même
que le calcaire qui les recouvre et dont nous allons
parler, présentent des couches fort inelinées de diverses
manières et dans divers sens , mais en stratifications con-
cordantes et dirigées du nord-est au sud-ouest. Au-dessus
de ces masses argileuses, sur lesquelles rampent de tous
côtés les chemins de montagne qui deviennent si pénibles
et si mauvais en temps de pluie, et qui présentent des
éboulemens si fréquens, se place en général du calcaire
souvent très-compacte, quelquefois marneux et exfolié ,
d’autres fois fragmenteux, qui appartient incontesta-
blement à la craie, soit par ses fossiles (ammonites,
bélemnites, trigonies, etc.), soit par sa position fréquente
au-dessus des grès verts. Ses masses couronnent ious les
sommets , débordent de toutes parts les marnes décom-
posées et minces qui les portent, s'élèvent à pic au-dessus
d'elles et couvrent leurs flancs de nombreux débris; les
chutes de ces masses sont très-fréquentes, parce que les
marnes se décomposant sans cesse et étant entrainées
par les eaux, la base des roches calcaires s’excave con-
tinuellement et elles se trouvent porter à faux ; et quand
leur saillie est telle que le poids de la masse qui est en
l'air excède la tenacité de la couche, il y a rupture et
chute. Ainsi, peu à peu la marne se couvre de débris
calcaires, les eaux supérieures entraînent les terres et
les menus débris qui couvrent les sommets et viennent
les déposer entre les blocs calcaires entassés. Il se forme
( 428 )
ainsi, au pied des escarpemens, des dépôts calcaires
souvent fort épais et fort étendus qui recouvrent les
marnes, quand celles-ci ne sont pas trop inclinées ; car,
si leur inclinaison est forte, les débris ne tardent pas à
glisser sur leur surface.
Quand un terrain de débris un peu considérable est
parvenu à se former sur une pente moins abrupte, ce
terrain très-perméable laisse filtrer l’eau de pluie qui se
trouve arrêtée par les couches argileuses ; alors il s’établit
une espèce de nappe d’eau qui coule entre l'argile et les
débris calcaires, et, suivant les parties les plus déclives
du terrain, se résout en sources qui viennent percer
plus bas à la surface du terrain. Maïs quand les pluies
ont été très-fortes, l’eau s'étend à toute la surface du
terrain marneux qui devient glissant; alors la masse de
débris qu'il supporte s’en sépare, descend le long du
plan incliné, et arrive plus ou moins rapidement au
fond de la vallée, selon le plus ou moins d’inclinaison
et l'abondance des eaux qui forment le plan mobile
interposé entre les deux terrains ; on sent combien cet
accident doit ètre fréquent dans un pays qui présente
partout les circoristances que nous venons de décrire,
aussi n’y fait-on aucune attention quand il n’a lieu qu'en
petit; mais se présente-t-il sur une vaste échelle et dans
des circonstances qui causent des malheurs considérables,
alors on les remarque comme des événemens extraor-
dinaires, quoiqu’ils ne soient que la répétition d’un
phénomène journalier. C’est par un effet de ce genre
que fut formé le lac du Luc en 1442 ; ce sont aussi des
causes analogues qui causèrent l’ébouiement du Ruf-
berg, en Suisse ,en 1866. Ainsi, quoique rassuré sur les
( 429 )
suites de l’éboulement actuel, on peut prévoir qu'il se
renouvellera, et que d’autres lacs se formeront dans la
suite dans ces vallées resserrées.
Ce qui rend surtout ces désastres plus fâcheux, c’est
que les flancs de la montagne , couverts ainsi de débris
el de terrains de transport accumulés de longue main,
sont ordinairement bien cultivés, parce que le sol en
est éminemment propre à la culture des arbres, qui
étendent leurs racines à l'aise dans ces terres meubles
et que si la pente n’est pas très-grande, toutes les autres
cultures y réussissent très-bien, même celle des prairies
et des jardinages, favorisées par les sources qui yjaillis-
sent; enfin, parce que, dans un pays dont les vallées
sont très-resserrées , et les flancs des montagnes ravinés,
la moindre portion de terrain cultivable devient si pré-
cieuse que l’on n’en laisse rien échapper. — Or, la pente
dont nous allons décrire l’'éboulement se présentait sous
ces conditions favorables ; c’est celle qui est au nord-est
de la montagne désignée sur la carte de Cassini par le
nom de Bois de Cornillon.
Les mois de septembre et d'octobre 1829 ont été très-
pluvieux dans nos contrées comme dans le reste de la
France et des pays voisins. A Orange, il est tombé en
septembre 169 millimètres d’eau et 94 en octobre. Dans
les vallées fermées au nord, comme celle de Lamothe,
il a dû en tomber une quantité plus grande encore. Ces
pluies succédaient à un printemps qui avait donné une
quantité d’eau de pluie presque double de la moyenne,
à un été froid et où l'évaporation avait été peu consi-
dérable : le sol était donc déjà saturé d’eau quand l’au-
tomne est venu combler la mesure; on s’aperçut alors
( 430 )
d’une séparation de terrain dans le haut de la montagne,
qui fit naître les premières craïîntes. — Le 3r octobre,
à neuf heures du soir, Combo! , propriétaire d’une ferme
sur le penchant, voulut aller chercher de l’eau à sa fon-
taine, et s’aperçut que sa source en était larie ; une autre
fontaine, située au-dessus de la première, ne laissait
plus échapper que des eaux troubles; déjà un mouve-
ment existait sans doute à la partie inférieure du ter-
rain, et ouvrait de nouvelles issues aux eaux. Aussitôt
il donne l’alarme, et les troïs fermes situées sur la pente
furent promptement déménagées. Cette opération dura
tout le jour suivant. Le 1° de novembre, à minuit, on
s’aperçut que le terrain était en mouvement sur une
vaste étendue; alors on se met à l’œuvre de tous côtés ,
une foule d'ouvriers vient aider les malheureux, on scie
les arbres, on les coupe, on les emporte, on évacue tout
ce qui peut l'être de ce terrain prèt à s’abimer; on tra-
vaille sans relàäche sur ce terrain qui glisse en entier,
comme si l’on était en pleine sécurité. Le mouvement
progressif était lent et ne causait pas d’abord de boule-
versement, tout avançait en masse et sans secousse ;
l’'éboulement ne parvint au bord de la rivière que le
lendemain, et ce ne fut que le mardi qu'il en encombra
le lit. Mais dès qu'il eut rencontré un obstacle vers le
bas, aussitôt les couches supérieures, continuant à pous-
ser, il y eut bouleversement complet; le terrain se re-
dressait, roulait sur lui-même, les rochers saillaient
de toutes parts, et enfin un nouvel équilibre s'étant
établi, le terrain s'arrêta présentant à l’œil l’image d’un
labour gigantesque qui aurait retourné les couches meu-
bles à une immense profondeur, mêlé et confondu les
(43r)
élémens les plus divers qui la composaient, ne laissant
à la place des vergers, des prés et des jardins qu’un
chaos infertile de pierres et de rochers ramenés du fond
à la surface, et où l’on cherchait en vain quelque trace
de deux fermes qu'on y voyait auparavant, et quiavaient
été retournées et mêlées avec le reste du sol. L’éboule-
ment, parti d'environ 280 mètres au-dessus de la rivière,
parcourant une distance d'environ 1000 mètres sur une
surface qui devait ainsi être inclinée de 15 degrés 38
minutes, n'avait pas eu la rapidité de celui de Rufhberg,
qui descendait sous un angle de 25 degrés. Mais dans
cette rapidité doit sans doute aussi entrer, comme élé-
ment, l’état du sol inférieur plus ou moins libre et plus
ou moins enduit d’eau.
Très-large à son point de départ, l’éboulement se
réduisait en largeur en avançant vers le bas, par la ren-
contre de deux promontoires solides qu’il rencontra, ce
qui causa le bouleversement le plus complet à l'endroit
de cet étranglement , où le mouvement latéral des cou-
ches refoulées vers le centre vint s'unir à un mouvement
direct vers le bas de la pente, et se partagea en deux
courans d'environ 300 mètres de largeur; arrivé à la
rivière, il forma un barrage de roches et de terres sur
une longueur de 140 mètres; ce barrage, fort élevé
d'abord, exista dans cet état pendant une partie du mois
de novembre ; mais aux premières pluies de ce mois, le
lac qu'il avait formé s'étant gonflé, balaya toutes les
parties supérieures du barrage, plus meubles et moins
solides, et descendit de 10 mètres environ, mettant
ainsi à sec une grande partie de la surface qu'il avait
d'abord occupée, et prenant ses dimensions actuelles
(432)
qui paraissent être définitives, si l’on en juge par le
fond de sa digue formée seulement aujourd’hui par
d'énormes rochers, par son épaisseur et par le peu
d’élévation qui lui reste ( de 3 à 4 mètres). Il est pro-
bable que les eaux troubles de l’Oule, se déposant dans
ce bassin , l’altéreront peu à peu, et qu'il ne restera
plus alors de tout ce désordre qu’un cours rapide à l’en-
droit du barrage, et l'aspect de désolation de l’éboule-
meut qui sera plus long-temps inculte.
On est saisi d’une profonde pitié quand on voit errer
sur ces débris ces familles qui ont passé tout-à-coup de
l’aisance à une misère complète, ne sachant pas encore
se résigner à leur destinée, semblant chercher la place
où fut leur maison, leur jardin , leur prairie, et usant,
dans ces stériles regrets, un temps et des forces qui
deviendraient leur véritable ressource si elles avaient le
courage de surmonter cet abattement moral, et de se
créer un nouvel avenir en oubliant un passé irrévoca-
blement détruit.
Je ne quitterai pas cette partie du Dauphiné, sans
insister sur l’état de délabrement de ses montagnes. Ce
sont d'immenses ruines s’éboulant de toutes parts. Pour
les pentes abruptes , la faute en est sans doute à leur
nature, à leur mode de formation; mais quand on voit
les plateaux et les pentes les plus douces, dépouillés de
toute couche de terre végétale, ne présenter qu'une
surface pierreuse et nue, à côté de quelques sommets
préservés par la dificulté de leur abord ou par les soins
de leurs propriétaires et garnis de beaux bois, on ne
peut s’empècher d'attribuer leur aspect repoussant à la
main des hommes. Il est constant , en eflet , que la fatale
(433)
ordonnance qui encourageait les défrichemens a causé
tout ce mal dans un espace de temps très-court; les bois
étant extirpés sur des terrains qui n'étaient recouverts
que d’une mince couche de terrain , les habitans en ont
retiré quelques récoltes , et bientôt après la terre a été
abandonnée sans abri à l’action des pluies et des vents
qui en ont achevé la ruine. Que de temps ou que de
soins n’exigeront pas aujourd'hui le rétablissement et le
reboisement de ces montagnes!
Les amateurs d’hypsométrie trouveront peut-être ici
avec plaisir les résultats de nivellement barométrique
de la route que j'ai parcourue, et qui donnera une idée
de l'élévation du pays.
Au-dessus de la mer.
Nyons. 162,23
Col de Monréal , entre Lahune et Remuzat. 707 ,54
Remuzat. 498 ,5x
Lac de Lamothe. 583 ,78
Lamothe-Chalancon. 589 ,97
Col entre Lamothe et Arnayon. 760 ,07
De ce col, la montagne la plus élevée que l’on dé-
couvre au nord , est celle qui est entre Brette et Vole-
vent, désignée sur la carie par le nom de Bois de
Fagny.
On passe, en allant à Bouvières , derrière la montagne
d'Angelle, qui doit avoir près de 1600 mètres d’élé-
vation.
Bouvières. 647,49
Dieu-le-Fit, 366 ,4r
XIX. 20
( 454 )
Montagnes autour de Dieu-le-Fit, mesurées dans un
autre voyage.
La Lance. 1335m,08
Mialandre. 1469 ,56
Plate-forme du château de Grignan. 308 ,60
IconocrarmiE de deux Plantes cryptogames à
ajouter à la Flore française ;
Par M. J. B. H. Desmazières.
Tode, en 1790, dans son excellent Traïté des Cham-
pignons du duché de Mecklenbourg, a créé le genre
Stilbum pour de très-petites fongosités stipitées, géla-
tineuses, agrégées et terminées par une tête diaphane,
luisante, solide, persistante, offrant extérieurement Îa
fructification. Ce genre, qui renfermait alors six espèces,
croissant sur les tiges mortes des plantes herbacées ou
sur le bois pourri et les écorces des arbres, à été con-
sidérablement augmenté par les travaux des cryptoga-
mistes modernes, et tel que le présente aujourd'hui
Sprengel, qui y réunit la plupart des Periconia ou Ce-
phalotrichum, quelques Ætractium de Schmidt et de
Link, l{saria microscopica de Greville, etc. ; le genre
Stilbum est caractérisé par cette phrase : Capitulum
nudum stipitatum in sporidia fatiscens. L'auteur alle-
mand en mentionne vingt-cinq espèces, auxquelles il
‘faut encore ajouter celle que nous allons décrire.
( 435 )
Sriisum ærueinosuM, N., PI. 8, fig. r, stipite
recto , rigido, albido, demum badio; sporidiis ærugi-
nosis, exactè globosis, creberrimis, minutissimis, in
capitulum sphæricum collectis. — {labitat in ramulis
foliisque putridis, in locis humidis umbrosis, in Gallia.
Cette espèce n’a pas plus d’une ligne de hauteur; son
pédicelle est droit, raide, grèle, d’abord blanchâtre,
ensuite d’un brun rougeûtre peu foncé, à peine plus
élargi à la base, et terminé au sommet par une petite
iète sphérique, quelquefois ovoïde, qui forme à peu
près la cinquième partie de la hauteur du champignon.
Cette tête est composée, d’un nombre prodigieux de
sporules de la couleur du vert-de-gris, exactement glo-
buleuses, d'environ —— de millimètre de diamètre, et
affectant souvent une disposition sériale. Ce joli Stilbum
qui, par son exiguité, a échappé jusqu’à présent aux
recherches des mycologues, croît en petits groupes, pen-
dant tout l’automne , sur des débris très-pourris de
plantes couchées sur la terre humide de nos champs
ombragés. Nous l'avons trouvé, pour la première fois,
au mois d'octobre 1828, à Lambersart près Lille, dans
un champ de pommes de terre où nous récoltions le
Cyathus vernicosus. Depuis cette époque, nous avons
encore observé le Sulbum æruginosum dans d’autres
localités, ce qui nous a mis à même de renouveler nos
observations et de confirmer les caractères que nous lui
avions reconnus.
(436)
Fusisrorrum BerÆ, N. (PI. crypt. du nord de la
France, n° 305 ). PI. 18, fig. 2.
PF. Thallo aurantiaco, in crusitam tremellosam ef-
fuso ; floccis densis, ramosis, vix septatis ; sporidiis
copiosissimis fusiformibus , tenuissimis , subcurvis,
obscure septatis, circiter — millimetris longis.
Habitat ad radices Betæ rubræ putrescentes in Gal-
lia , vere.
Nous trouvons tous les ans cette espèce sur les racines
putréfiées de la betterave rouge. Nous l'avons observée,
pour la première fois, au printemps de l’année 1826.
Depuis cette époque, l’auteur d’une Flore locale a cru
devoir, sans la décrire, la rapporter, comme variété, au
Fusisporium aurantiacum de Link ; maïs cette dernière
espèce en diffère considérablement, et rien que la couleur
ne peut justifier un rapprochement aussi étrange. Le
Fusisporium Betæ, vu sous la lentille, présente des
filamens rameux, hyalins, cloisonnés , et des sporidies
très-nombreuses , souvent un peu arquées, d’un vingt-
cinquième de millimètre de longueur sur une largeur
d'un cent quatre-vingtième de millimètre environ. Au
plus fort grossissement , nous y avons distingué plusieurs
cloisons (ordinairement trois ou quatre). Fries admet
aussi que le genre Fusisporium présente quelquefois des
sporidies obscurément cloisonnées ; mais notre estimable
ami , le professeur Kunze, a observé souvent que l’eau,
mise sur le porte-objet, pénétrant, suivant lui, dans les
sporidies , y formait quelques vésicules que l’on pouvait
prendre facilement pour des loges ou pour des cloisons.
( 437)
Quoi qu'il en soit de cette opinion , que nous ne sommes
pas éloigné de partager, le Fusisporium Betæ se dis-
tingue encore du Fusisporium aurantiacum par la gran-
deur de la croûte qu’il forme et par sa substance tré-
melleuse. Nous nous sommes assuré que les cloisons
des filamens du Fusisporium , pour n’être pas toujours
bien distinctes, n’en existent pas moins; et, lorsque
Link, qui a créé le genre, lui a reconnu ce caractère,
lorsque Fries (Syst. orb. veget.), et tous les myco-
logues qui ont écrit depuis le savant professeur de Berlin,
ont observé des cloisons, on ignore pourquoi le floriste
dont nous avons parlé plus haut vient annoncer, dans
une Botanographie belgique, que les filamens des Fu-
sisporium sont non cloisonnés : il eût été intéressant
sans doute, pour les progrès de la science , qu’il fit con-
naître ses observations ou plutôt ses autorités.
EXPLICATION DE LA PLANCHE XVIII
Fig.:.a, Stilbum æruginosum de grandeur naturelle.
B , Stilbum æruginosum vu à la loupe.
C, un individu vu au microscope avec une lentille assez forte.
D , sporidies vues au plus fort grossissement.
Fig.2.a, Fusisporium Betæ de grandeur naturelle.
B , coupe de cette espèce, pour en faire voir l'épaisseur.
C, filamens et sporidies vus au microscope.
(438)
OBSERVATIONS sur le nouveau genre Melanorrhæa,
ou Arbre à vernis des Birmans, avec des
Remarques sur les genres dont il se rapproche ;
Par N. Warzricu,
Surintendant du Jardin botanique de Calcutta (1).
MELANORRHÆA.
SepaLa 5 in calycem calyptraceum, 5-nervium, ca-
ducum, valvatim cohærentia. PetaLA 5, raro 6, æstiva-
tione imbricantia, persistentia, infra fructum aucta.
STAMINA plura, distincta, toro convexo inserta. Prsriz-
LUM 1. Ovarrum obliquè lenticulare, stipitatum, :1-
loculare , 1-sporum : ovulo suspenso corda funiculari
libera, e fundo loculi adscendente. Srvzus lateralis e ver-
tice ovarii. ST1GMA parvum convexum. Frucrus indehis-
cens , coriaceus , depresso-reniformis , obliquus , pedi-
cellatus, involucro corollino stellatim patente maximo
suffultus. Semen exalbuminosum, decumbens. Corvyr-
vONES carnosæ crassæ. RAprcuLA lateralis, ascendens et
in commissuram cotyledoneam replicata.
Classis Linnæana , PoryannrrA Monogynia.
Ordo naturalis, TeregiNrHAGEARUM tribus AnAcAR-
DEÆ, Brown.
Habitus : arbores magnæ facie Semecarpi, omnibus
partibus scalentes succo viscido, ferrugimeo , contactu
atmosphærico citù in atrum converso ; coma latè pro-
(1) Traduit de l’£dinburgh Journal of Science , janvier 1830.
(439 )
tensa ; folia ampla , coriacea , simplicia, integerrima ,
decidua , penninervia. Paniculæ florum axillares, oblon-
gæ ; fructuum amplæ , laxæ , involucris maximis, rufis,
demunm ferrugineis ornatæ.
Obs. Characteres generici quoad florem præcipuè a
M. glabra, quoad fructum a M. usitata desumpui ; ha-
bitus ferè totus posteriorem speciem respicit.
MELANORRHÆA USITATA.
Foliis obovatis, obtusissimis, villosis.
Provenit in convalle magna Kubbu dicta , regni Mu-
nipuriani hindustaniæ, Sillet et Tipperæ contermini ; in
imperio Burmanico , et ad oram Tenasserim usque ad
Tavoy, inter gradum xxv et xiv latitudinis meridionalis.
Ipse observavi juxta ripam sinistram [rawaddi fluminis
ad Prome, in provincia Martabaniæ ad urbem Martaban,
ad Kogun fluminis Salum et ad Neynti fluminis Attran.
Floret initio anni; fructus maturi a fine Martii ad
medium Maïi.
Nomen vernaculum : munipurensibus Xheu ; Bur-
manis Z'heet-tsee vel Zit-si.
ARBOR vasta, ramosa et umbrosa, trunco robusto,
cortice sordidè fusco, rimoso, ligno ponderoso , com-
pacto , e fusco rufescente, viliori varietati ligni Swie-
teniæ mahagoni haud absimili.
Ramuzr crassi , cylindrici, grisei, villosi, a lapsu fo-
liorum cicatricibus majusculis frequentibus notati ; no-
velli ferrugineo-villosi.
GEmmMz axillares et terminales parvæ, ovaiæ , acutæ ,
squamis paucis , coriaceis, villosis , cit dilabescentibus.
F'orra versus ramorum exiremitates approximata, Ssparsa,
( 440 )
patentia, decidua , obovata , obtusa, rard subretusa ,
nunc oblongo-cuneata, deorsum valdè attenuata, basi
acula, integerrima, subsinuosa, lateribus quandoque dis-
paribus, coriacea et firma , spithamæa ad pedalia, utrin-
que ferrugineo villosa, mollia, ætate glabriora ; supra
atroviridia , subtus nervo principali crasso, elevato, se-
cundariis numerosis , suboppositis parallelis , obliquë
peripheriam excurrentibus, parvèque ab illà distantià
areuatim anastomosantibus ; venis numerosis, prominu-
lis, reuculatis. Psriorus brevis, nudus, villosus ,
crassus, basi intumescens , supra planus, à folio subde-
currente parum marginatus. Sripuæ nullæ. Inriores-
ceNTIAM baud vidi, flores aliquot delapsos, emarcidos et
_cariosos , tantum, observavi. Erant parvi et inconspicui,
pedicellis insidentes brevibus, teretibus, villosis. Nullum
vestigium calycis nisi forsan lineola obsoleta infra co-
rolam.
PeraLA 5 lanceolata, acuminata , bilinearia, purpu-
rascentia, uninervia, pubescentia, ciliata, intus minutim
glanduloso-punctata, persistentia , tria exteriora parum
majora. S'rAmINA 20-30 libera erecto-patula, petalis paulè
breviora, toro conico, elevato undique inserta ; filamenta
glabra, capillacea ; antheræ ovatæ oscillatoriæ, bilocu-
lares , utrinque dehiscentes albicantes. Ovarium obliquè
lenticulare, margine altero rectiore, altero gibboso,
parvulum, pubescens, pedicello suflultum proprio,
inter stamina e centro toro surgente, 1-loculare,
1-sporum. Ovurum reniforme, sustentum funiculo
hibero, e fundo loculi orto, secus angulum hujus rec-
tiorem adscendente, apice incurvato. SryLus lateralis e.
vertice ovarii, subulatus pubescens, deciduus. Srrewa
( 441 )
parvulum , convexum. Discus hypogynus nullus. Panr-
CULA FRUCTUUM terminalis , ampla, patens , laxa , villosa,
constans cymis pluribus , pedunculatis, oblongis, nutan-
tibus, 6-7 pollicaribus , ramosis, axillaribus foliorum
delapsorum. Penuncuzr teretes , villosi , infra divisuras
cicatricibus bractearum caducarum. Frucrus coriaceus,
indehiscens , transversè ovatus, depressus , subrenifor-
mis, vertice planà nudus , hinc gibbosior et porrectior
(ideoque excentricus), magnitudine Cerasi, glaber, reti-
culato-venosus, venis viridibus demum nigricantibus,
ruber, glaucescens , plenà maturitate fuscescens , stipi-
tatus thecaphoro clavato, tereti, unguiculari ; 1-locularis,
1-spermus, involucratus. InvozucruM 5 rard, 6-phyllum,
patentissimum demüm subreflexum; foliola oblonga ,
obtusa vel paulo retusa, integerrima , 2-3 pollicaria,
pubescentia, ruberrima, furfuracea, demüm fusca,
coriacea , arida, supra convexiascula, subtüs eleganter
reticulato-venosa, venis mediis in fasciculum collectis
latiusculum , prominulum , ultra basin in unguem bre-
vissimum subproductum. SEMEN transversè decumbens,
magnum. SPERMODERMIUM chartaceum, læve, embryo-
nem arcte cingens, vertice crassius et ad latus ejus radi-
culare exsculptum sulco pro recipienda chorda funicu-
lari lata plana, e basi fundi oriunda , adscendente,
partem spermodermii apici radiculæ oppositam perfo-
rante moxque evanida. EmBryo magnus, semini con-
formis , exalbuminosus. CoryLEDONESs crassæ , carnosæ
semiovatæ , obtusæ, gibbosæ, rugosulæ, ad paginam
internam planæ, arcitèque sibi invicem accumbentes,
hypogeæ. Rapicuza brevis, planiuscula, ad extremi-
tatem elevatiorem embryonis locata, adscendens, com-
( 442)
missuræ cotyledonum adpressa , basi subbifida, apice
inclinata et obtusa. PLrumura minuta, occulta, lan-
ceolata.
La première fois que je rencontrai cet arbre intéres-
sant, ce fut à un petit village au-dessous de Prome , sur
la rivière Irawaddi, où on en avait planté quelques-uns ;
et, à mon retour d’Ava, je le retrouvai en abondance sur
les collines qui entourent la ville ci-dessus mentionnée ;
mais , dans ces deux cas , les arbres étaient sans fructifi-
cation. Dans la province de Martaban, j'eus la satisfaction
de voir ces arbres en grand nombre , en mars 1827, sur
un petit monticule qui s'élève derrière la ville de Mar-
taban. Ils étaient chargés de paquets de fruits rouges
presque mürs, mais ils n'étaient pas très-grands ; quel-
ques-uns seulement dépassaient trente pieds de haut et
avaient un tronc court n'ayant pas plus de quatre à cinq
pieds en circonférence. Les feuilles étaient entièrement
tombées et couvraient la terre dans toutes les directions.
À Neynt, village sur la rivière Attran , derrière la sta-
tion militaire de Moalmeyn, j'observai aussi quelques
arbres ; et dernièrement aussi, sur la rivière Saluen,
vers Kogen. Ici , ils étaient de dimensions plus grandes
que ceux dont je viens de parler ; un d’eux ayant qua-
rante pieds de haut avec une tige longue de douze pieds
et de onze pieds de circonférence à quatre pieds au-dessus
de la terre. Un de mes aides m’apporta un échantillon
portant des fruits, de Tavoy sur la côte Tenasserim.
Au Bengale , je pris avec moi une grande quantité de
fruits mürs de l'arbre à vernis, qui germèrent librement
et produisirent 500 plantes fortes et bien portantes. De
(443 )
plusieurs individus que j'avais avec moi à bord du vais-
seau dans lequel je revins en Europe, je ne réussis à
conserver qu’une seule plante vivante qui fut présentée
au jardin de Sa Majesté à Kew par la Société des Indes-
Orientales. Depuis, plusieurs autres plantes ont été
apportées du jardin de Calcutta en Angleterre.
Avant de quitter le Bengale, j'eus occasion de con-
fronter notre arbre avec le majestueux Kheu, ou arbre
à vernis du Munipur, principauté de l'Indoustan qui
borde au N.-O. les districts de la frontière de Sillet et
Tippera. M. Georges Swinton, secrétaire en chef du
gouvernement du Bengale (à la bonté duquel je dois
beaucoup d'informations importantes concerrant le pro-
duit de cet arbre et d’autres arbres utiles des Indes) ,
obtint de là, pour moi, un supplément de fruits mûrs,
qui , à aucun égard , ne différaient de ceux que J'avais
vus à Martaban. Ils entraient promptement en végéta-
tion , et produisaient des plantes semblables à celles que
nous possédions déjà. Le capitaine F. Grant, qui a un
commandement militaire à Munipur, eut la bonté de me
fournir les particularités suivantes : Ces arbres croissent
en grande abondance à Kubba, vallée étendue dans la
principauté ci-dessus mentionnée ; ils y formentde grandes
forêts en commun avec les deux arbres de constructions
de l'Inde continentale : le Saul etle Teak (Shorea
robusta et Tectona grandis) , spécialement le pre-
mier. On y trouve aussi mêié en grand nombre le gigan-
tesque arbre à bois huileux ( Dipterocarpus). Leur
grandeur varie; mais, en général, ils atteignent de
très - grandes dimensions. Le capitaine Grant parle
d'arbres ayant des tiges de quarante-deux pieds iusqu'à
( 444)
la première branche, avec une circonférence de treize
pieds près de la terre; et il dit qu’on sait qu'ils atteignent
une beaucoup plus grande taille. Tous les individus
croissent de la même manière, c’est-à-dire qu'ils attei-
gnent une très-grande hauteur avant de pousser aucune
branche. Depuis l’année 1812, feu M. M. R. Smith,
qui habite Sillet depuis près de quarante ans , et qui,
dans les derniers temps de cette longue période , a con-
tribué avec zèle à enrichir le jardin de botanique de
Calcutta , a fourni quelques informations très -curieuses
concernant notre arbre , à M. H. Colebrooke , chargé
alors de cet établissement. Il doit être par conséquent
considéré comme la première personne qui fit mention
de cet arbre utile, quoiqu'il ne réussit pas, dans ces
essais, pour en procurer, soit des échantillons secs , soit
des semences fraîches. Je joindrai ici quelques - unes de
ses remarques.
« J'ai découvert une sorte de vernis que je considère
« comme identique avec celui employé par les Chinois
« dans leurs provinces de l’est et du nord-est. On se le
« procure en grande quantité de Munipur, où on l’em-
« ploie pour vernir les vases destinés à contenir des li-
« quides, tels que l'huile , le ghee (beurre clarifié), le
« lait, le miel et l’eau. Cette drogue est transportée à
« Sillet par les marchands , qui viennent annuellement
« avec des chevaux et autres objets de commerce. Les
« arbres qui le donnent deviennent d’une taille éton-
« nante. Je suis informé qu'ils atteignent cent cubits en
« hauteur, et vingt cubits en circonférence, et mème
« plus. Il forme des forêts étendues qui commencent à
« une distance de trois jours de voyage de la capitale,
(°445 )
« et s'étendent dans une direction nord et est vers la
« Chine pendant plusieurs milles. »
Il ne peut y avoir aucun doute que le Kheu que
M. Smith décrit ne soit le même que celui trouvé par le
capitaine Grant ; il ne peut y en avoir non plus qu'il soit
identique avec le Theet-tsze ou arbre à vernis des Bir-
mans. Il suit de là que cet arbre a une étendue géogra-
phique considérable , puisqu'il se trouve depuis Muni-
pur (en latitude 25° nord, et en longitude 94° est) jus-
qu’à Tavoy (en latitude 14°, en longitude 97° ). La vallée
de Kubba, qu’on a déterminé , par des observations ré-
centes faites par le lieutenant Pemberton, n’être qu’à
5oo pieds au-dessus des plaines de l'Inde , est distante
de 200 milles du rivage de la mer le plus proche. L'arbre
atteint là sa plus grande taille , et je crois qu’il devient
plus petit à mesure qu’il approche de la mer sur la côte
de Tnasserim, où, par comparaison , il croît dans des
situations basses.
Notre arbre appartient à la classe de ceux à feuilles
caduques , car il perd ses feuilles en novembre , et reste
dépouillé jusqu'au mois de mai; c’est durant cette pé-
riode qu’il produit ses fleurs et ses fruits.
Durant la saison pluvieuse, qui dure cinq mois, du
milieu de mai jusqu’à la fin d'octobre, il est en plein
feuillage. Chaque partie abonde en un fluide épais et
visqueux d'un brun grisätre , qui devient noir aussitôt
qu’il est mis en contact avec l’air extérieur. Dans le
Journal des Sciences d' Édimbourg , vol. 8, pag. 96 et
100 , on trouve deux intéressans articles , contenant d’u-
tiles informations concernant le vernis produit par notre
arbre, et ses effets délétères sur la constitution humaine.
( 446 )
C’est un fait curieux que, à ma connaissance, les natifs du
pays où l'arbre est indigène n’éprouvent jamais aucune
conséquence fàcheuse en touchant à son jus : les étran-
gers seulementen sont quelquefois affectés , spécialement
les Européens. M. Swinton et moi-même nous y avons
fréquemment exposé nos mains sans aucune suite sé-
rieuse. J'ai mème risqué d’y goûter dans son état récent
et comme il est exposé pour la vente à Rangoon , et je
n’en ai jamais été affecté. IL possède très-peu de piquant
et est entièrement sans odeur. Je connais cependant des
exemples où son contact a produitdes érysipèles écailleux,
étendus, suivis de douleur et de fièvre, mais de peu de
durée. De ce genre, fut l'effet qu'il produisit sur feu
M. Carey ; fils du révérend docteur W. Carey, qui ré-
sida plusieurs années dans l'empire des Birmans. Parmi
les gens qui m’accompagnèrent à Ava, Hindous et Maho-
métans , il n’arriva aucun accident, quoiqu'ils touchas-
sent fréquemment le vernis , excepté à un léger degré, à
un de mes aides, dont la main pela et continua à être
douloureuse pendant deux jours. Le docteur Brewster
m'informa , qu'après avoir résisté à ses eflets pendant
long-temps, il en fut enfin attaqué au poignet avec une
telle violence, que la douleur était presque intolérable,
Elle était plus vive que celle d’une violente brülure , et
le docteur fut obligé de dormir plusieurs nuits , ayant la
main trempée dans l’eau la plus froide. Il considère cette
substance comme une drogue très-dangereuse à manier.
Un de ses domestiques fut deux fois presque tué par elle.
Dans le voisinage de Prome, on extrait une quantité
considérable de vernis de l’arbre ; mais on en obtient
très-peu à Martaban ; cela est dû, m'a-t-on dit, à la
(44)
pauvreté du sol, et en partie aussi à ce qu'il n’y a per-
sonne dans cette contrée dont l’état soit d'exécuter ce
procédé. Ce dernier est très-simple : on insère dans une
direction oblique, dans des blessures faites à travers
l'écorce du tronc et des principales branches , de courts
articles d’une sorte de bambou , épais , taillés à un bout
comme une plume à écrire, et fermés à l’autre bout.
On les laisse là 24 ou 48 heures, après quoi on les retire
et on verse dans une corbeille faite de bambou ou de
Rattan, qu’on a préalablement vernie extérieurement ,
leur contenu qui excède rarement un quart d'once. On
voit quelquefois cent bambous fichés dans uni seul trone,
pendant la saison de la récolte, qui dure aussi long-
temps que l'arbre est dépouillé de feuilles, nommément
de janvier jusqu’en avril, et on les renouvelle tant que
le jus coule. On reconnaît qu'un bon arbre doit produire
d’un demi à 2, 3 et même 4 viss annuellement (un wiss
étant égal à environ 3 iv. : avoir du poids). Dans son état
pur, on le vend à Prome au prix d’un tical ou 2 s. 6 d.
(3 fr. 15 ec.) le viss. À Martaban, où tout était cher
lorsque j'y fus , la drogue était détaillée à deux roupies
de Madras par viss; elle était d’une qualité inférieure et
mêlée avec de l'huile de Sesame , altération qu’on pra-
tique quelquefois.
L'usage étendu auquel on applique le vernis indique
qu'il doit être d’un emploi très -économique. Presque
chaque article de fourniture de ménage destiné à conte-
nir une nourriture où solide ou liquide est vernie par
son moyen. À un village voisin de Pagam sur l'irravaddi,
appelé Gnannee, où cette sorte de manufacture est
exécutée d’ane manière très-étendue et avec une grande
( 448 )
perfection, j'essayai d'obtenir quelques informations
relatives au mode précis du lacquage; maïs je ne pus
rien apprendre, sinon que l’objet qui doit être verni
doit être préparé avec une couche d’os calcinés , pulvé-
risés ; après quoi, on pose le vernis assez épais , soit dans
son état pur, ou diversement coloré par le moyen du
rouge ou d’autres couleurs. On me dit que la partie la
plus essentielle , aussi-bien que la plus difficile de l’opé-
ration , consistait dans l’action du séchage , qu'on doit
exécuter d’une manière lente et graduelle ; dans ce des-
sein, on place les articles dans une voûte souterraine,
froide et humide , où on les garde plusieurs mois jusqu’à
ce que le vernis soit devenu parfaitement sec. Un autre
objet pour lequel on emploie cette drogue en grande
quantité est comme colle ou glue dans l’action de dorer,
ce qui consiste simplement à enduire la surface d’un
vernis épais, et alors à y appliquer immédiatement la
feuille d’or. Si on considère combien la pratique de cet
art par la nation birmane est étendue , leurs actes les plus
fréquens de dévotion et de piété consistant à dorer leurs
nombreux édifices religieux et leurs idoles, il sera évi-
dent qu’une grande quantité de cette drogue doit être
consommée rien que dans ce but. Enfin, le bel ouvrage
Pali , taitant de l’ordre religieux des Birmans, exécuté
sur ivoire , feuilles de palmier ou métal , est entièrement
fait avec ce vernis dans son état naturel et pur.
Je ne fus pas assez heureux pour voir l'arbre tandis
qu'il était en fleur, ou pour m'en procurer des échan-
tillons dans cet état; mais l’examen de son fruit et de
quelques vieilles fleurs tombées , que je trouvai sous les
arbres, m'a permis d’en former un genre nouveau par-
( 449 )
faitement distinct. Quelques jours avant que je quittasse
Inde, j'obuns des échantillons en fleur, mais sans
aucun fruit, d’une seconde espèce venant de Tavoy; ils
m'ont aidé à compléter le caractère générique.
Ce genre est allié à la plupart de ceux qui forment la
tribu des Ænacardeæ; mais il en diffère, parce qu'il
a un calice caduc monophylle en forme de coiffe,
une corolle persistante qui s’élargit en un involucre
étendu , des étamines indéfinies , un ovaire libre, et un
fruit sec, soutenu par un pédicelle propre, non altéré.
Je finirai par quelques remarques sur chacun des
genres dont se rapproche le Jelanorrhæa.
Les Ænacardium et les Semecarpus ont leur fruit
reposant sur un pédoncule charnu et élargi ou torus, et
le dernier de ces genres a trois styles et un disque hypo-
gyne. L’/Joligarna, genre que M. Brown a établi il y
a plusieurs années dans son Appendice à l’'Expédition
au Congo de Tuckey , est très-distinet par son fruitin-
férieur et adhérent. L’/. longifolia et V H. racemosa,
Roxb., produisent un jus âcre qu’on emploie comme
vernis. Mon ami et prédécesseur le docteur Hamilton
m’informa qu'il ne savait rien sur l'arbre à vernis des
Birmans, ni s'il différait des espèces d’Æoligarna.
Dans la collection d'échantillons qu'il rapporta d’Ava,
et parmi les dessins et les descriptions qui y sont rela-
tifs, et qui sont déposés dans l’herbier de Banks , je ne
pus trouver aucune trace de cet arbre , et je ne pus le
rencontrer durant ma visite dans ce pays.
Le Buchanania a un disque crénelé ou lobé autour
de l'ovaire sessile , 5 styles et un drupe bacciforme.
L'Astronium ressemble à notre genre, en ayant un
&
XIX. 20
( 450 )
fruit avec involucre; maïs c’est le calice persistant ’et
non Ja corolle qui s’élargit ; il a, en outre, un ovaire
sessile et trois styles. Les feuilles sont composées.
L’Augia de Loureiro (qu'on ne doit pas confondre
avec l’Augia de Thunberg, plante du Cap appartenant
à une famille extrêmement différente) a des fleurs po-
lyandres ; mais le fruit est nu et sessile ; ses feuilles sont
pinnées. Selon Loureiro , le vernis produit par cet arbre
est celui qu’on emploie communément en Chine et à
Siam. Ni ce genre , ni celui qui suit n’a été mentionné
par les botanistes subséquens.
Le Stagmaria verniciflua , Jack. (dans les Walayan
miscellanea, vol. 11, append. 3, p. 12), a un calice tu-
buleux , 5 étamines , un ovaire stipité à trois loges, et
une baie nue contenant un embryon pseudo-monocoty-
lédon. IL est natif des îles Malaises, et est le même que
l’Arbor vernicis de Rumphius. D’après cela, M. Jack
observe que c’est l'arbre qui fournit la laque ou vernis
si célèbre du Japon, de même que celui de Siam ou de
Tonquin, quoique Loureiro représente le vernis des
deux derniers pays comme étant le produit d’un arbre
différent. M. Jack ajoute que, à l’article Sanga, dans
l'Encyclopédie botanique, on donne une partie des
observations de Rumphius : mais, par une méprise sin-
gulière, on conjecture que l’arbre est un /Zernandia ,
et, dans le premier volume du même ouvrage, l'Ærbor
vernicis est changé en Terminalia vernix ; erreur qui
n’a pas été corrigée par les derniers auteurs.
Le Rhus et le Mauria diffèrent en ayant un fruit nu
et sessile, et des cotylédons foliacés. Je prends cette
occasion de remarquer que mon ARhus juglandifolia ,
( 451)
queje ne puis distinguer du Sitz ou Sitzdsju de Kemp-
fer, doit son nom spécifique à une indication publiée par
cet auteur. Comme il existe un arbre appelé de même
par Wildenow, le professeur De Candolle a changé le
nom en À. vernicifera. La coïncidence du nom birman
du Melanorrhæa usitata avec celui de l'arbre à vernis du
Japon est très-remarquable.
Mémoire sur une disposition particulière de
l'appareil branchial chez quelques Crustacés ;
Par M. H. Mine Enwanns.
( Présenté à l’Académie des Sciences le 15 mars 1830.)
Dans la belle collection de Crustacés dont le Muséum
est redevable à M. Reynaud , et dont l’examen m'a été
confié par ce naturaliste, on pouvait distinguer, au pre-
mier coup d'œil, un grand nombre d'espèces d’un haut
intérêt pour les zoologistes , à cause des formes bizarres
et encore inconnues qu’elles offraient; mais une ‘étude
plus attentive de ces animaux m'a fait voir que plusieurs
d’entre eux sont non moins importans à éonnaîire pour
l’anatomiste que pour le classificateur; car ils enrichi-
ront la science de types d'organisation dont nous ne
connaissions pas encore d'exemple, Les Crustacés dont
je vais entretenir aujourd'hui l’Académie sont dans ce
cas. En effet, ils doivent former dans nos méthodes
naturelles un genre distinct , etils fournissent à l’anato-
mie comparée de nouveaux élémens, par le mode de
structure particulier de leur appareil respiratoire.
Ces petits animaux, qui se trouvent dans l'Océan
Atlantique, loin des côtes, et que je désignerai sous le nom
( 452)
générique de Tuaysanopopes, ressemblent, par leur forme
extérieure, aux Mysis (voy. PJ. x1x). Leur corps présente
les mêmes divisions que chez les Décapodes macroures ;
Ja carapace qui recouvre la tète cache aussi tout le thorax,
et l'abdomen , dont la longueur excède beaucoup celle
du céphalo-thorax, est étendu en arrière , et se compose
de sept segmens , dont les trois médianes présentent à
leur bord postérieur et supérieur une petite épine diri-
gée en arrière. La carapace est lisse , et se termine anté-
rieurement par un petit rostre pointu , qui n’atteint pas
le niveau de l'extrémité des yeux , dont les pédoncules
sont gros et courts. Les antennes , au nombre de quatre,
s’insèrent sur deux lignes, et leur longueur est à peu
près égale; les supérieures ont un pédoncule recourbé
à sa base pour recevoir les yeux, et composé de trois
articles cylindroïdes ; enfin , elles se terminent par deux
uüges filiformes assez longues. La base des antennes infé-
rieures est recouverte par une longue écaille lamelleuse,
dont l'extrémité et le bord interne sont ciliés; leur
tige terminale ne présente rien de remarquable. La
bouche , située à peu de distance du point d'insertion
des antennes inférieures , est entourée, comme d’ordi-
naire, d’un labre assez gros, d’une languette bifide, et
d’une paire de mandibules : ces derniers organes sont
armés , sur leur bord interne , de quelques dents aiguës,
et portent un palpe court, aplati, et divisé en trois arti-
cles. Deux paires de màchoïires entrent également dans
la composition de l'appareil buccal , et sont appliquées
sur les mandibules et la languette. Celles de la première
paire n’offrent rien de remarquable. Les secondes sont
composées de trois articles lamelleux, dont les deux
premiers sont bilobés du côté interne ; on n'y voit au-
cune trace de ce grand appendice foliacé qui existe tou-
jours au côté externe de ces organes chez les Décapodes,
et qui sert au mécanisme de la respiration ; leur forme
et leur structure sont absolument les mêmes que chez les
Squilles , les Alimes , etc. Les huit paires de membres
thoraciques qui suivent les mâchoires, et qui correspon-
dent à la fois aux pieds-màchoires et aux pieds ambu-
latoires des Crustacés décapodes, ont ici tous la même
(453 )
forme et les mêmes usagés ; aucun d’eux n'entre dans la
composition de l'appareil buccal , mais tous servent à la
locomotion. Ces pattes, à l'exception de ceïles de la
dernière paire, sont longues , grèles et bifides , comme
chez les Mysis; leur article basilaire, gros et court,
porte en dedans une longue tige, garnie de poils nom-
breux , et, en dehors, un palpe composé de deux pièces,
dont-la dernière est mince , lamellaire , et ciliée sur les
bords. La longueur de ces pattes natatoires augmente un
peu depuis la première jusqu'à la cinquième paire ,
puis diminue; enfin, celles de la huitième et dernière
paire manquent de tige interne, et ne consistent que
dans la branche exterue ou palpe. Les cinq premiers
segmens de l'abdomen supportent aussi de petites pattes
natatoires formées d’un pédoncule cylindrique portant
deux lames allongées et ciliées sur les bords, dont l’in-
terne , moins longue que l’externe , présente à son tour
un petit appendice cylindrique. Enfin , les membres du
sixième anneau de l'abdomen, et le septième segment
devenu lamelleux, constituent une nageoïre en éventail,
dent la pièce médiane, étroite et pointue, se termine
par trois épines acérées ; et les latérales, également
étroites , sont garnies sur les bords de longs poils.
Jusqu'ici l’organisation de nos Thysanopodes a la
plus grande analogie avec celle des Mysis, et ne diflère
pas beaucoup de celle de certains Salicoques; mais, si
l’on examine la structure de l'appareil respiratoire de ces
Crustacés, on verra qu’elle s'éloigne considérablement
de tout ce que l’on connaissait encore.
Chez les Décapodes, les branchies sont renfermées
dans une cavité spéciale , située de chaque côté du tho-
rax, et se composent de deux gros vaisseaux sanguins,
sur les côtés desquels on trouve un grand nombre de
lamelles empilées les unes sar les autres, ou de petits cy-
lindres simples, implantés comme les poils d’une brosse.
Chez les Thysanopodes, au contraire, les branchies
ne sont pas renfermées dans des cavités respiratoires,
mais sont situées à l'extérieur du corps, et flottent libre-
ment dans l’eau qui baigne Panimal. La structure de ces.
organes ne ditlère pas moins de ce qu'on voit chez les
(454)
Décapodes ; car chacun d'eux est formé d’une espèce de
üge , d’où naissent à angle droit un certain nombre de
branches latérales , dont le bord inférieur est garni à son
iour d'une série de longs filamens cylindriques. Le
nombre de ces branchies , qui ressemblent à des pana-
ches rameux , est de seize; elles sont fixées à la base
de chacun des huit membres thoraciques qui servent à
la natation , et leur grandeur augmente progressivement
d'avant en arrière (voyez PI. xix, fig. 6, 7 et 8).
Si l’on compare maintenant ce mode d'organisation
de l'appareil respiratoire des Thysanopodes avec celui
que nous présentent les Squilles, on sera frappé de la
ressemblance qui existe entre les branchies de ces Crus-
tacés. En eflet, chez les Squilles comme dans le genre
nouveau que nous venons de faire connaître, ces organes
sont externes , et flotient dans l’eau ambiant; enfin, ils
sont aussi en forme de panache, et ils se composent d’un
pédoncule conique , d’où part une rangée de tubes cy-
lindriques , qui à leur tour donnent naissance à de nom-
breux filamens. Mais , chez les Squilles, c’est à la base
des pattes natatoires fixées sous l'abdomen que les bron-
ches s’insèrent , tandis que, chez les Thysanopodes, ces
espèces de franges respiratoires sont suspendues aux
pattes thoraciques (1).
Des recherches anatomiques, que nous exposerons
ailleurs , nous ont convaincus que c’est dans l’organisa-
tion de l’appareil respiratoire qu'il faut chercher les
premières bases de la division des Malacostracés à yeux
(r) Voici , en peu de mots, les caractères les plus saillans qui distin-
guent le genre Thysanopode des autres Malacostracés à yeux pédon-
culés :
Carapace recouvrant tout le thorax; huit paires de pattes natatoi-
res bifides, dont la branche externe est formée au moins de deux arti-
cles bien distincts, et dont la base donne insertion à une branchie
ramifiee en forme de panache.
J’appellerai Thysanopode tricuspide l’espèce que j'ai décrite ci-dessus,
à cause des trois épines qui terminent la lame médiane de la nageoiïre
caudale,
(455 )
pédonculés en deux ordres, qui portent les noms de
Décapodes et de Stomapodes. D’autres caractères d’une
moindre importance viennent confirmer les coupes ainsi
établies ; mais c’est seulement d’après ces considérations
qu'on peut tracer des limites rigoureuses et naturelles
entre ces deux groupes. Aussi est-ce d’après ce principe
que nous chercherons maintenant la place que les Thy-
sanopodes doivent occuper dans nos méthodes.
Nous avons vu combien l’organisation de l’appareil
branchial de ces animaux s'éloigne de celle des mêmes
organes chez les Décapodes ; nous ne pouvons par con-
séquent les ranger dans cet ordre sans y introduire des
élémens disparates, ce qui serait contraire à l'esprit de
toute classification naturelle; mais il n’en sera pas de
mème si nous placons nos Thysanopodes dans le groupe
qui renferme les Squilles. Le principe de la subordina-
tion des caractères , établi depuis long-temps par M. Cu-
vier, conduit à adopter cette marche; car, sous le rap-
port de l’un des appareils les plus importans de léco-
nomie animale, ces Crustacés ne diffèrent que peu entre
eux. Chez les uns comme chez les autres, les branchies
ont une position analogue, et leur structure est la même;
tandis que, chez les Décapodes , tout est différent.
Nous n’hésiterons donc pas à placer les Thysanopodes
dans l’ordre des Stomapodes; et la disposition des
membres thoraciques fournit des caractères d’une im-
portance secondaire, qui viennent à l'appui de ce rap-
prochement. En effet, chez tous les Stomapodes , l’ap-
pareil buccal ne se compose essentiellement que des
mandibules et des mächoires, et les huit païres de mem-
bres qui font suite à celles-ci servent comme organes de
préhension ou de locomotion (1). Il en est de raêème
chez les Thysanopodes , tandis que , chez les Décapodes
pourvus de branchies intérieures, il n’y a jamais plus de
cinq ou six paires de pattes ambulatoires ou préhensiles,
et les deux ou trois premières paires de membres thoraci-
(1) À moins toutefois qu'ils ue soient réduits à l’état rudimentaire,
comme cela se voit pour les pattes-mächoires antérieures des Phyllo-
somes.
( 456 )
ques qui suivent les mächoires entrent dans la composi-
ton de l'appareil buccal, et se transforment en pieds-mà-
choires. La structure des mächoires de la seconde paire,
considérée d’une manière comparative chez les Décapo-
des et les Sitomapodes , vient encore à l'appui de cette
manière de voir. En efïet, chez les premiers elles por-
tent toujours à leur côté externe une grande lame qui
agit à la manière d'une valvule à registre, et sert au
mécanisme de la respiration , tandis que, chez les Sto-
mapodes , on ne trouve rien de semblable. Les Thysa-
nopodes sont dans le mème cas.
On cbjectera peut-être que l’analogie qui existe entre
les Mÿsis et les T'hysanopodes est trop grande pour qu'ou
puisse placer ces derniers dans l’ordre des Stomapodes,
tandis que les premiers se trouvent dans celui des Déca-
podes. En eflet, ces deux genres se tiennent par une
multitude de liens, et leur ressemblance est si grande ,
qu'à moins d'examiner leurs organes respiratoires , il
faut descendre à des détails minutieux pour les distin-
guer. Mais les Mysis doivent-ils réellement faire partie
du groupe naturel auquel on les rapporte? Les zoolo-
gistes ne sont pas entièrement d'accord sur ce point ;
jusqu'ici aucun anatomisie n’a cherché à décider la
question par l'examen des organes qu’il importe le plus
de connaître pour arriver à la solution de la question,
et on ignore complètement la structure de leur appareil
respiratoire.
Si l’on dissèque un de ces petits Crustacés sous une
forte loupe , on voit que la carapace ne recouvre pas les
derniers segmens du thorax , tandis que, sur les autres
anneaux, il descend jusqu'à la base des pattes, et en-
caisse les flancs ; disposition qui tient pour ainsi dire Île
milieu entre ce qui existe chez les Décapodes à pattes
onguiculées et la plupart des Stomapodes. Mais, si l’on
enlève cette partie latérale de la carapace, on ne trouve
pas de branchies au-dessous ; les flancs sont parfaite-
ment lisses , et ne donnent attache à aucune espèce d’ap-
pendice. Enfin, il n’existe à la base des pattes aucun
organe respiratoire, el le seul appendice que Il on puisse
regarder comme un dernier vestige de l'appareil bran-
(457)
chial, est une petite lame flabelliforme , fixée à la patte-
mâchoire de la première paire.
Sous le rapport des organes respiratoires, les Mysis
diffèrent donc complètement des Décapodes proprement
dits , et ressemblent au contraire à certains Stomapodes
également dépourvus de branchies. D’autres particula-
rités de leur organisation les rapprochent aussi de ces
derniers Crustacés, et nous croyons par conséquent ,
qu'ainsi que les Thysanopodes, ils doivent prendre
place dans le groupe naturel des Siomapodes.
La structure d’un genre nouveau de Schizopodes ,
établi dernièrement par M. Thompson sous le nom de
Cynthia, vient encore confirmer ce rapprochement
entre les Crustacés dont nous venons de parler et les
Stomapodes. En effet, ces animaux, dont la forme géné-
rale diffère à peine de celle des Mysis et des Thysano-
podes, sont dépourvus de branchies thoraciques, mais
présentent à l'extrémité de l’article basilaire de chacune
des pattes natatoires de l'abdomen un appendice mem -
braneux, que, d’après un examen attentif, nous n’hé-
sitons pas à regarder comme une petite branchie. Sur
les membres du premier segment de l’abdomen, cet
organe est presque rudimentaire; mais, sur ceux des
quatre anneaux suivans, il a la forme de deux filamens
cylindriques assez longs, réunis sur un pédoncule com-
mun, et enroulés sur eux-mêmes. Le mode d'insertion
de ces branchies est le même que chez les Squilles, et
leur structure ne diffère pas essentiellement de ce qu’on
voit chez les Alimes, où les premières fausses pattes
abdominales présentent des appendices respiratoires
rudimentaires.
Quant à ces Crustacés singuliers dont M. Thompson
a formé le genre Lucrrer (1), et que ce naturaliste
place anssi dans la famille des Schizopodes , bien que
les pattes ne soient pas bifides, je me suis assuré qu'ils
(1) Ce serait trop m'éloigner du sujet principal de ce Mémoire , que
de donner ici la description de ces divers Crustacés, que M. Rey-
naud a également recueillis pendant son voyage à bord de {a Chevreite:
mais ous y reviendrons dans une autre occasion.
(458 )
sont dépourvus de branchies comme les Mysis ; et, sui-
vant moi, ils doivent également rentrer dans l’ordre
des Stomapodes.
En résumé , nous voyons donc :
1°. Que chez les Mysis, les Cynthia, les Thysano-
podes et les Lucifers, de même que chez les divers Crus-
tacés déjà placés dans l’ordre des Stomapodes, il n'existe
jamais de branchies semblables, par leur structure , à
celles des Décapodes , et logées dans une cavité respira-
toire , situées de chaque côté du thorax comme chez ces
derniers ; et que, lorsque ces animaux sont pourvus
d’érganes spéciaux pour la respiration , ces organes sont
extérieurs , et plus où moins ramifiés ;
2°. Que les Cynthia et les Alimes portent ces organes
suspendus aux pattes natatoires de l’abdomen , comme
les Squilles, mais réduits à un état plus ou moins
rudimentaire ;
3". Que chez les Thysanopodes , les branchies sont
au contraire très-développées , et ont la forme de pana-
ches touffus, comme chez les Squilles, mais qu'au lieu
de s’insérer à l’abdomen , elles sont suspendues au
thorax ;
4°. Que chez les Mysis et les Lucifers, de même que
chez les Phyllosomes, etc., il n'existe plus de branchies,
et que c’est probablement par la surface générale du
corps que la respiration s’eflectue.
Les faits que nous venons de rapporter nous portent
aussi à penser que ces divers Crustacés doivent rentrer
dans l’ordre des Stomapodes , qui comprendra alors tous
les Malacostracés à yeux pédonculés, n'ayant pas de
branchies intérieures logées dans une cavité située de
chaque côté du thorax (1). Dans ce groupe on trouvera,
(1) En adoptant cette manière de voir, il faudrait distribuer les Sto-
mapodes en quatre familles ; savoir : les Mysiens, les Thysanopodiens,
les Squilliens etles Phyllasoniens. Les deux premiers établissent le
passage entre les Décapodes et les Squilles , ainsi que les Phyllosomes ;
mais , si l’on voulait classer les divers Stomapodes suivant la compli-
cation plus ou moins grande de leur organisation , il faudrait placer à
( 459 )
il est vrai, des animaux dépourvus d'organes spé-
ciaux pour la respiration , et d’autres portent des bran-
chies dont la position et la forme varient beaucoup,
tandis que , dans l’ordre des Décapodes , la disposition
de l'appareil respiratoire sera toujours la même. Mais
cela ne doit pas nous étonner ; car la science possède déjà
un grand nombre de faits de même nature.
l'extrémité mférieure de la série les Mysis et les Phyllosomes , et ranger
sur deux lignes parallèles Les genres où la respiration s’est localisée et
est deyenue l’apanage d’organes spéciaux, au lieu de s’opérer par la
surface générale du corps. Les Thysanopodes, dont les branchies sont
thoraciques , formeraient alors le passage eutre les Mysis et Les Salico-
ques , tandis que les Cynthia lieraient les premiers avec les Squilles.
Enfin , on passerait également des Phyllosomes aux Squilles, par l’iu-
termédiaire des Alimes. Ainsi, l’une des branches de l’ordre des Sto-
mapodes irait se joindre aux Salicoques , pour se continuer jusqu'aux
Crustacés les plus élevés dans lécheile , tandis que l’autre branche
s’arrêterait aux Squilles.
Si l’on divise de la sorte les Crustacés à yeux pédonculés , ou Mala-
costracés podophthalmes de M. Leach, d’après la présence ou l’absence
de branchies fixes sur Les côtés du thorax, et renfermés dans une cavité
spéciale formée par les côtés de la carapace , on n’aura plus d’incerti-
tude sur la place que doit occuper un genre très-curieux, que Bosc a
établi sous le nom de Zoé, et que les naturalistes ont rangé tantôt
parmi les Décapodes, tantôt parmi les Entomostracés. En effet, un
examen attentif de ces petits animaux m’a convaincu que, non-seule-
ment. leurs yeux sont portés sur des pédoncules, mais aussi que de
chaque côté de leur thorax il existe sous la carapace une cavité respi-
ratoire renfermant des branchies, semblables, par leur structure et
leur position , à celles des autres Macroures. IL est donc évident , pour
moi , que le Zoé est réellement un Crustacé de l’ordre des Décapodes :
M. Thompson assure que cet animal n’est autre chose que le jeune du
Crabe commun. Cette opinion ne me paraît pas soutenable; mais
néanmoins il serait possible que les Zaés observés jusqu’ici ne soient
pas des animaux adultes ; et alors il se pourrait bien que, par les pro-
grès de l’âge, ils deviennent assez semblables aux Megalops. Question
que nous nous proposons de traiter plus au long dans une autre
occasion.
( 460 ).
En effet, chez les Décapodes, la structure des tégu-
mens est telle, que l'influence vivifiante de l’oxigène
ne peut se faire sentir à travers l'enveloppe dure et
épaisse qu'ils fournissent à toutes les parties du corps ;
et, par conséquent , le rôle que jouent les branchies est
de la plus haute importance. Or, des exemples nom-
breux ont appris qu’en général plus un organe est essen-
tiel à la vie, plus sa structure est uniforme.
Chez les Stomapodes, au contraire, les tégumens ,
devenus minces et plus ou moins membraneux, n’oppo-
sent pas d'obstacles invincibles à l’action de l’oxigène
sur le sang par tous les points de la surface du corps , et
les branchies deviennent d’auiant moins nécessaires à
l'entretien de la vie, que cette respiration cutanée est
plus active; aussi ne tardent-elles pas à devenir rudi-
mentaires , puis à disparaitre complètement, et, en
éprouvant ces dégradations successives , elles présentent
des modifications diverses. Il en est de mème pour la
plupart des organes, lorsqu'ils ne sont pas d’une utilité
bien grande äans l’économie animale. On rencontre
alors à chaque pas des anomalies plus ou moins fortes ,
et il semblerait que la nature, lorsqu'elle commence
à localiser les fonctions, marche pour ainsi dire en täton-
nant, essaie divers modes de structure, et choisit ensuite,
pour ne plus s’en départir, celui qui est le plus propre
à atteindre le but qu’elle avait en vue.
EXPLICATION DE LA PLANCHE XIXe
Fig. 1. THYSANOPODE TRICUSPIDE grossi; la ligue placée au-dessous en.
indique fa grandeur naturelle, — €, pattes de la première paire, cor-
respondantes aux pattes-mâchoires antérieures des Décapodes ; b,
pattes de la septième paire; a, pattes de la huitième paire.
Fig. 2. Mandibule vue au microscope.
Fig. 3. Languette.
Fig. 4. Mächoire de la première paire.
Fig. 5: Mächoire de la seconde paire. à
Fig. 6. Patte de la première paire, ayant à sa base une petite branche
rameuse.
Fig. 7. Patte de la septième paire , avec sa branchie.
Fig. 8. Patte de la huitième paire, réduite au palpe ou branche externe.
Fig. 9. Fausse patte abdominale.
Fig. 10. Nageoire caudale.
FIN DU DIX-NEUVIÈME VOLUME.
TABLE
PLANCHES RELATIVES AUX MEMOIRES
CONTENUS DANS CE VOLUME,
—— 9 ———
PI. r. Génération du Séchot.
PL. 2. Carte de la direction de quelques systèmes de montagnes.
PI. 3. Coordination des âges des dépôts de sédiment et de certains
systèmes de montagnes.
PL. 4: Développement du Ceratopteris , et bulbille du Malaxis palu-
dosa.
PI. 5, Væœmaspora et Libertella.
PI. 6. Coupes géologiques des Ardennes,
PL. 7. Rita-Cristina.
PL.8,9, 10, 11. Crustacés.
PI. 12. Comparaison des Mollusques et des animaux vertébrés.
PI. 13. Theligonum Cynocrambe.
PL 14, 15, 16. Vues du Pic de Ténériffe.
PI. 17. Vues de l’île de Palma , et de Barren-Island.
PI. 18. Siilbum æruginosum et Fusisporium Betæ.
PL 19. Thysanopode tricuspide, Edw.
FIN DE LA TABLE DES PLANCHES,
TABLE MÉTHODIQUE
DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
=
ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE ANIMALES, ZOOLOGIE.
Pages,
Rapport fait à l'Académie des Sciences, par MM. Fourier et
Duméril, sur un Mémoire intitulé : De l’[nfluence de la tem-
pérature sur la mortalité des enfans nouveau-nés, par MM. 7'i-
lermé et Milne Edwards. 110
Sur quelques Circonstances de la naissance, de la vie et de la
mort de la fille bicéphale Rita-Cristina; par M. le docteur
Martin Saint- Ange. 155
De la Génération chez le Séchot ( Mulus gobio); par M. le
docteur Prévost. 165
Note sur un Charanson de l’Ile-de France ; par M. Desjardins. 240
Considérations sur les Mollusques, et en particulier sur les
Céphalopodes ; par MT. le baron Cuvier. 247
De l’ergot du Maïs, et de ses effets sur l’homme et sur les ani-
maux ; par M. Roulin. 279
Mémoire sur les Vices de conformation du rein , et sur les varié-
tés qu’il présente dans sa structure chez les Mammifères, et
dans ses formes chez les Oiseaux; par M. le docteur Martin
Saint- Ange. 306
Description des genres Glaucothoé, Sicyonie, Sergeste et
Acète, de l’ordre des Crustacés décapodes ; par M. H. Mine
Edwards. 333
(463)
Mémoire sur les Rapports de volumes des deux sexes dans le
règne animal ; par M. Ch. Girou de Buzareingues.
Recherches anatomico-pathologiques et chimiques sur la Matière
colorante du placenta de quelques animaux; par M. Gilbert
Breschet. *
Mémoire sur une disposition particulière de l’appareil branchial
chez quelques Crustacés ; par M. H. Milne Edwards.
ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE VÉGÉTALES , BOTANIQUE.
Note sur le Pteris cornuta de Palisot-Beauvois , espèce du genre
Ceratopteris ; par M. Le Prieur.
Sur les feuilles du Halaxis paludosa; par M. J. S. Henslow.
Monographie du genre Væmaspora des auteurs modernes , et du
genre Libertella; par M. J. B.H. Desmazières.
Expériences sur la Génération des Plantes; par M. C. Girou de
Buzareingues.
Description du Theligonum Cynocrambe ; par M. le professeur
Delile.
Iconographie de deux Plantes cryptogames à ajouter à la Flore
francaise ; par M. J. B. H. Desmazières.
Observations sur le nouveau genre Melanorrhæa, où Arbre à
vernis des Birmans, avec des Remarques sur les genres dont il
se rapproche; par IV. Wallich.
MINÉRALOGIE ET GÉOLOGIE , CORPS ORGANISÉS FOSSILES.
Recherches sur quelqwes-unes des Révolutions de la surface du
globe , présontant différens exemples de coïncidence entre le
redressement des couches de certains systèmes de montagnes,
et les changemens soudains qui ont produit les lignes de dé-
marcation qu’on observe entre certains étages consécutifs des
terrains de sédiment ; par M} Elie de Beaumont. 5 ét
Notice géognostique sur quelques parties du département des
Ardennes et de la Belgique; par M. Rozet.
Rapport sur deux Mémoires de M. l’irlet, relatifs à la Géologie
de la Messénie, et notamment à celle des environs de Modon et
Pages.
353
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438
( 464 )
Pagos.
de Navarin, fait à l’Académie royale des Sciences, par
M. Alexandre Brongniart. 259
Sur les Formes etles Relations des Volcans , d’après M. Zéopold
de Buch, et particulièrement d’après sa Description physique
des îles Canaries. ( Extrait par M. Ælie de Beaumont. ) 390
Note sur la Formation d’un lac dans le département de la Drôme ;
par M. de Gasparin. 424
MÉLANGES.
Remarques additionnelles sur les Molécules actives ; par M. R.
Brown. 104.
Rapport fait à l’Académie royale des Sciences sur le Voyage de
M. d'Urville; par M. le baron Cuvier. 287
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRESs
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