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Full text of "Annales"

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DE    LA    SOCIETE 


JEAN-JACQUES    ROUSSEAU 


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Et-  ùh   ini^   un  PttvH/i'n  ijii't/  /ui/'iti'i/  a   j?rmr:-r.'/:r:/'i- 


D'après  le  dessui  de  (i.  /•'.  Maycr,  fçravc  pai-  11. 


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ANNALES 


DE    LA    SOCIETE 


Jean-Jacques  Rousseau 


TOME     CINQUIÈME 
1909 


A   GENÈVE  V^ 

CHEZ    A.    JULLIEN,    ÉDITEUR 

Au     BoURG-DE-FoUK,    32 

PARIS  LEIPZIG 


Honoré   Champion 

Quai  Malaquais,  3 


Karl   W.    Hiersemann 

KÔNIGSTRASSIi,   3 


Imprimerie  I^vche-Varidel  «&  Bron 
Lausanne,  Escalier-du-Marché,  5. 


LE  TEXTE 


DK    I.  A 


NOUVELLE    HÉLOISE 

et  les  Editions  du  XV IH    Siècle 


Notre  étude  précise,  nous  l'espérons,  tout  ce  qui  est  essentiel 
sur  la  question.  Elle  n'a  nullement  la  prétention  d'être  complète. 
Préliminaire  à  une  édition  critique  et  historique  de  la  Nouvelle 
Héloïse  qui  ne  saurait  être  achevée  avant  plusieurs  années,  elle 
pourra  bénéficier  de  toutes  les  corrections  et  additions  que  la 
bienveillance  des  lecteurs  et  des  bibliothécaires  voudra  bien  faire 
parvenir  à  l'auteur.  Nous  apprendrons  peut-être  ainsi  s'il  n'existe 
pas  dans  les  collections  privées  quelques  fragments  des  brouil- 
lons de  la  Nouvelle  Héloïse,  quelque  exemplaire  annote  et  corrige 
par  Rousseau.  Les  bibliothèques  inconnues  de  nous,  nous  indi- 
queront peut-être  des  exemplaires  complets  des  éditions  dont 
nous  n'avons  pas  trouvé  tous  les  tomes  ou  les  éditions  que  nous 
avons  ignorées.  Nos  recherches  n'ont  pu  porter  que  sur  les  biblio- 
thèques publiques  de  Paris,  celles  de  Genève  et  Neuchàtel,  le 
British  Muséum,  toutes  les  bibliothèques  de  Suisse  et  de  France 
qui  ont  publié  un  catalogue,  en  v  adjoignant  celles  de  Saint-Omer 
et  Toulouse,  et  quelques  bibliothèques  privées. 

Nous  avons  dû  demander  de  nombreux  services.  Nous  remer- 
cions très  vivement  tous  ceux  qui  nous  ont  aidé,  MM.  E.  Alber- 
tini,  M.  Aubert,  A.  François,  M.  Masson,  E.  Maynial,  H.  Mérimée. 
J.  Merlant,  Mr  R.  Sturel,  dont  la  complaisance  fut  aussi  précise 
que  patiente,  MM.  les  bibliothécaires  de  Paris.  Genève,  Neuchà- 
tel, Toulouse,  et  tous  ceux  qui  nous  ont  libéralement  fait  parve- 
nir des  bibliothèques  de  province  les  éditions  sollicitées.  MM.  E. 
Ritter  et  Th.  Dufour  ont  bien  voulu  lire  cette  étude  en  manuscrit 
ou  en  placards  et  nous  faire  bénéficier  de  leur  savante  bienveil- 
lance. 


ANNALES   DE   LA   SOCIETE  .1.   J.    ROUSSEAU 

PREMIÈRE   PARTIE 
Le    texte. 

I.   Les  Editions 

A.  Pi^emière  édition. 

iA  Nouvelle  H élo'i se  fut  mise  en  vente  à  Paris 
en  février  i7()i.  Dès  1762  les  éditeurs  et 
contrefacteurs  annonçaient  un  texte  plus 
complet  et  plus  correct  :  «Nouvelle  édition 
augmentée  —  Seconde,  troisième,  quatrième  édition 
originale  revue  et  corrigée  par  l'éditeur  —  Nouvelle  édi- 
tion revue  et  corrigée  —  Edition...  coUationnée  sur  les 
manuscrits  originaux  de  l'auteur.  »  Ces  promesses  n'é- 
taient pas  vaines,  s'il  est  vrai  que  le  texte  de  la  Nouvelle 
Héldise  ne  s'est  pas  transmis  sans  changements  ou  aven- 
tures depuis  l'édition  qu'imprima  Rey  à  Amsterdam. 
Duchesne  réédite  par  exemple  le  texte  de  1761  .  Pour 
les  cent  premières  pages  de  la  quatrième  partie'  il  n'y 
a  guère  qu'une  variante.  Son  édition  est  réimprimée  en 
1770  :  il  y  a  huit  variantes.  Le  chiffre  double  pour  l'édi- 
tion de  Londres  [Bruxelles]  1774.  Entre  la  première 
édition  et  celle  de  Musset-Pathay  il  y  a,  pour  les  trois 
dernières  parties,  environ  soixante-cinq  variantes  de 
quelque  importance'-.  Le  chitTrc    s'allonge   jusqu'à  cent 


'  Choisie  parce  que  les  brouillons  manuscrits  ne  commencent  qu'à 
cette  quatrième  partie. 

-  Sans  tenir  compte  de  variantes  qui  peuvent  avoir  leur  importance 
pour  le  philologue,  mais  qui  demaïuieraienl  à  être  examinées  une  à 
une. 


TEXTE   DE    LA   NOUVELLE   HELOISE  5 

si  l'on  va  jusqu'à  Tédition   courante  de  la  librairie  Ha- 
chette. 

Que  faut-il  penser  de  ces  variantes?  Il  en  est,  nous  le 
verrons,  qui  portent  en  elles-mêmes  leur  valeur  puis- 
qu'elles appartiennent  à  Rousseau.  D'autres  semblent 
bagatelles  d'imprimeur  et  qui  n'importent  guère  pour 
connaître  exactement  les  aventures  de  Julie  et  de  Saint- 
Preux.  A  y  regarder  de  près  pourtant,  une  simple  let- 
tre, un  signe  de  ponctuation,  fidèlement  modifiés  d'édi- 
tion en  édition,  peuvent  perpétuer  un  contre-sens  ou 
une  absurdité.  Faut-il  lire  [c'est  Claire  qui  parle  de 
Saint-Preux]  :  a  Je  le  vois  retourner  beaucoup  plus 
réassuré  sur  son  cœur  que  quand  il  est  arrivé...  »,  com- 
ment le  veulent  Musset-Pathay  et  bien  d'autres,  ou 
«  beaucoup  plus  rassurée...  ^^  ainsi  que  l'imprime  Rev 
en  1761  ^?  Ne  faut-il  pas  croire  que  Musset-Pathay  et 
tous  ceux  qui  le  précèdent  déplacent  fâcheusement  un 
point  et  virgule  en  imprimant  :  «  Dans  le  second  [sys- 
tème] on  s'applique  à  l'individu,  à  l'homme  en  général  ; 
on  ajoute  en  lui  tout  ce  qu'il  peut  avoir  de  plus  qu'un 
autre»,  et  non  comme  la  raisonnable  première  édition: 
«on  s'applique  à  l'individu;  à  l'homme  en  général  on 
ajoute...-»  Il  semble  bien  que  pour  cette  lettre  ou  ce 
point  et  virgule  on  transforme  ou  ridiculise  la  pensée 
de  Rousseau.  Surtout  c'est  Jean-Jacques  lui-même  qui 
nous  invite  impérieusement  à  nous  soucier,  quand  il 
s'agit  de  son   style,  des  plus  infimes  détails.    Les  soins 

'  Partie  IV,  lettre  9,  p.  99.  Dans  nos  références,  sauf  les  exceptions 
signalées,  les  chiffres  romains  indiqueront  la  partie,  les  chiffres  arabes 
la  lettre.  Le  chiffre  de  la  page  sera  précédé  de  la  lettre  p.  Sauf  indi- 
cation spéciale  le  numéro  de  la  page  renvoie  à  la  première  édition.  Quan  d 
nous  renvoyons  aux  «Œuvres»  sans  spécifier  l'édition,  il  s'agit  de  l'édi- 
tion Hachette,  in-12. 

-  V,  3,  p.  I  19. 


4  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.   .1.   ROUSSEAU 

pieux  d'une  édition  critique   seront  simplement  dociles 
à  ses  exigences  constantes  d'écrivain. 

«Quand  il  s'agit  de  style,  écrit-il  à  Rey  en  \'jb8,  je 
veux  qu'on  me  laisse  le  mien  jusque  dans  mes  fautes b), 
et  c'est  ce  qu'il  répétera  patiemment  pendant  toute  l'im- 
pression du  roman.  En  mars  1709  il  pose  ses  conditions 
préliminaires  :  «  on  suivra  exactement  mon  manuscrit, 
l'orthographe,  la  ponctuation,  même  les  fautes,  sans  se 
mêler  d'y  rien  corriger ^  »  Même  recommandation  en 
mars  et  mai  1760^.  Louanges  à  Rey  en  avril  parce 
qu'on  lui  obéit  et  qu'on  respecte  ses  fautes  *,  Une  phrase 
de  roman  n'est  pas  en  effet  un  prospectus  de  commerce 
et  nul  n'y  saurait  toucher  sans  en  détruire  la  mystérieuse 
harmonie  :  «  l'harmonie  me  paraît  d'une  si  grande  im- 
portance en  fait  de  style  que  je  la  mets  immédiatement 
après  la  clarté,  même  avant  la  correction-'^».  Rousseau 
dédaignera  donc  à  l'occasion  la  stricte  vérité  de  l'his- 
toire, au  risque  de  méconnaître  les  libérateurs  de  la 
Suisse  :  «  la  phrase  est  tellement  cadencée  que  l'addition 
d'une  seule  syllabe  en  gâterait  toute  l'harmonie".»  Il 
s'affranchira  des  scrupules  de  la  grammaire  et,  malgré 
l'effroi  d'un  prote  obstiné,  exigera  qu'on  imprime  dans 
]&.  Lettre  à  d'Alcmbert  h  accueillii'Cy)>  et  non  ((  accueil- 
lerez '». 


'  Lettres  inédites  de  Jean-Jacques  Rousseau  à  Marc-Michel  Rey,  pu- 
bliées par  J.  Bosscha.  Amsterdam,  Mulkr,  et  Paris,  Didot,  i8.^8,  in-8*, 
p.  59. 

2  Ibid.  p.  (39. 

•'•  Ibid.  p.  86  et  ()5. 

•i  Ibid.  p.  88. 

*  Ibid.  p.  52. 

6  Ibid.  p.  99. 

'  Bosscha  p.  5i.  Aussi  Rey  dans  l'édition  de  1761  comme  dans  celle 
de  1763,  imprime  dans  la  Nouvelle  Héloise  (V,  2,  p.  36  de  1761):  «Les 


TEXTE   DE    I.A    NOULELLE    HEI.OISE  D 

Où  donc  trouverons-nous  le  texte  sûr  qui  nous  per- 
mettra de  ne  pas  nous  tromper  d'une  seule  syllabe  et 
de  respecter  les  barbarismes  harmonieux.  C'est  à  Rous- 
seau tout  d'abord  qu'il  semble  nécessaire  de  s'adresser. 
Et  Rousseau  semble  n'avoir  jamais  varié.  La  seule 
édition  dont  il  ait  revu  les  épreuves,  la  seule  qu'il  ait 
jamais  recommandée  est  la  première  édition  de  Rey  à 
Amsterdam.  La  première  édition  «est  la  meilleure», 
dit-il,  postérieurement  à  1764^  En  1772  il  ne  reconnaît 
pour  sienne  que  «la  première  édition  de  chacun  de  ses 
écrits^.))  En  1778  il  demande  à  Rey  un  exemplaire  de 
Julie  pour  remplacer  la  belle  édition  que  Rey  lui  avait 
offerte  et  qu'il  avait  lui-même  donnée  au  comte  d'Eg- 
mont.  Le  libraire  expédie  un  nouvel  exemplaire,  soi- 
disant  de  l'édition  originale  ;  Rousseau  répond  en  pro- 
testant que  l'édition  est  très  différente^.  En  1774,  quand 
il  est  hanté  par  l'idée  qu'on  altère  et  dénature  son  œu- 
vre, la  Déclaration  relative  à  différentes  réimpressiojis 
de  ses  ouvrages  affirme  encore  que  ses  livres  n'existent 
«que  dans  la  première  édition*» 

La  tâche  d'un  éditeur  serait  donc  claire  s'il  n'y  avait 
une  première  difficulté.  Si  cette  première  édition  est  la 
meilleure,  elle  n'est  pas  bonne;  elle  est  même  très  mau- 


richesses  qu'on  y  rccueillira  dans  deux  mois.  »  Il  faut  conserver  ce 
texte  qui  n'est  pas  une  faute  d'impression.  (Sur  cette  forme  de  futur 
cf.  A.  François,  Les  provincialismes  suisses-romands  et  savoyards  de 
J.  J.  Rousseau  dans  les  Anuales  de  1907,  p.  58.) 

'  Note  manuscrite  sur  la  feuille  de  garde  du  t.  I  de  l'exemplaire  de 
l;i  Chambre  des  députés  décrit  plus  bas,  p.   14. 

2  Bosscha.  p.  3o2. 

•^  Ibid.  pp.  307  et  3o8. 

*  Notons  que  cette  déclaration  fut  publiée  pour  la  première  fois  par 
la  Galette  de  littérature  des  sciences  et  des  arts,  le  19  février  1774  (d'a- 
près Bosscha,  p.  3(i3.) 


t)  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  .1.  ROUSSEAU 

vaise  et  c'est  Rousseau  lui-même  qui  le  répète  avec 
obstination  :  à  son  imprimeur  tout  d'abord  ;  les  derniè- 
res feuilles  de  la  première  partie  sont  «  pleines  de  fau- 
tes grossières  ^»  ;  les  bonnes  feuilles  sont  semées  de  fau- 
tes énormes,  dont  plusieurs  font  des  contre-sens  «  qui 
le  désolent  ^)).  A  son  libraire  et  à  ses  amis  ensuite;  la 
première  édition  «a  grand  besoin  de  corrections*»  Il 
souhaiterait  «  une  édition  moins  pleine  de  contre-sens 
et  de  fautes*.))  Les  amis  le  savent  et  le  répètent.  Dès 
février  1761  «  on  parle  d'une  troisième  édition  de  Julie, 
faite  sur  celle  d'Amsterdam,  corrigée  de  ses  fautes  et 
contre-sens^,  w  A  ce  mal  on  remédiera  par  des  Errata  : 
un  premier  Errata  très  court  qui  paraît  en  tête  de  l'édi- 
tion de  Rey.  Puis  un  deuxième  imprimé  séparément, 
au  plus  tôt  en  janvier  1761  '',  sur  quatre  pages,  et  qui 
indique  soixante  et  onze  corrections,  dont  treize  cor- 
rections de  style.  Malheureusement  VErrata  est  insuf- 
fisant. Il  est,  nous  dit  Rousseau  lui-même,  en  1764, 
«  très  défectueux'.»  L'édition  de  Rey  présente  en  effet 
des  fautes  typographiques  aussi  grossières  que  nom- 
breuses. 


'  Bosscha.  p.  106,. 

-  Ibid.  pp.    108-109. 

^  Œuvres  complètes.  Kd.   llacheue.  X,  p.   •->4("i. 

*  Ibid.  X.  p.  256. 

*  Lettre  inédite  de  Dangirard  (22  févrierl  à  la  Bib.  de  Neuchatcl. 

*  Donc  après  l'envoi  des  exemplaires  à  Robin  {ci.  infra  l'hisloirc  de 
la  I"  édition.)  Ce  n'est  pas  la  seule  fois  où  Rousseau  ait  ainsi  demandé 
un  Errata  en  carton  ou  même  après  le  dépôt  chez  les  libraires.  11  prie 
Rey,  à  propos  des  Lettres  de  la  Montagne,  d'expédier  un  errata,  carton 
ou  modèle,  à  ceux  qu'il  aura  chargés  du  débit  de  l'ouvrage  (Bosscha, 
p.  239.)  Pour  la  date  d'impression  de  l'errata,  cf.  une  lettre  de  Rey  à 
Rousseau  à  la  Bibliothèque  de  Neuchatcl.  sans  date,  mais  postérieure 
au  départ  de  Rey  de  Paris  (janvier  lyTn)  :  «  L'Errata  se  travaillera  la  se- 
maine prochaine. » 

'  Œuvres,  t.  XI.  p.   17S. 


TEXTE   DE   LA    NOTIVEl.l.E   HEI.OISE 


B.  L'édition  de  i  jôS. 


Il  y  a  mieux.  Les  affirmations  de  Rousseau  qui  s'é- 
chelonnent de  1764  à  la  fin  de  sa  vie,  ne  sont  pas 
Texacte  expression  de  sa  constante  pensée.  Si  Ton  se 
bornait  à  réimprimer  la  première  édition  on  oublierait 
ou  Ton  maintiendrait  bien  des  choses  que  Rousseau 
crut  essentielles  ou  fâcheuses  vers  1764  et  vers  1769 
tout  au  moins.  Il  y  eut,  en  1763,  une  édition  qu'il  dut 
juger  meilleure  que  la  première  puisqu'elle  était  impri- 
mée sur  un  exemplaire  corrigé  par  lui. 

Dès  février  1761,  dès  la  mise  en  vente  à  Paris  de 
l'édition  d'Amsterdam,  on  parlait  d'une  nouvelle  édi- 
tion «corrigée  de  ses  fautes  et  contre-sens^».  Coindet 
écrivait  à  Rousseau,  vers  la  même  date,  pour  lui  parler 
d'une  réédition^.  Rey  sans  doute  pensait  comme  l'opi- 
nion publique.  Le  i'^''  juin  1761,  annonçant  son  inten- 
tion de  réimprimer  Julie  en  trois  tomes,  il  suggérait  à 
Jean-Jacques  de  lui  fournir  les  changements  qu'il  pour- 
rait «  y  avoir  fait,  s'il  y  en  avait  quelqu'un  ^.  »  Le 
17  août  1761  il  revient  à  la  charge,  et  le  2  septembre 
Rousseau  lui  répond  :  «J'ai  un  exemplaire  revu  et  cor- 
rigé avec  soin  pour  une  nouvelle  édition  de  VHéldise;  il 
y  a  même  quelques  petits  changements,  retranchements 
et  additions.  Je  consens  de  bon  cœur  à  vous  l'envover.» 


'  Lettre  de  Dangirard  à  la  Bibliothèque  de  Neuchàtel  (22  février  1761.) 
-  Œuvres.  X,  p.    294.  La  lettre  de  Rousseau  à  Coindet  qui  fait  allu- 
sion à  cette  réédition  est    non   datée,  mais   mal  placée.    Elle  doit  être 
de  février  ou  mars. 

■■•  Lettre  inédite  à  la  Bibliothèque  de  Neuchàtel.  Toutes  les  lettres  de 
Rey  dont  nous  n'indiquerons  pas  la  référence,  sont  empruntées  à  cette 
collection  de  Neuchàtel. 


8  AXXAI.KS    \)K   I. A   SOCIKTK  .1.    .( .   ROUSSEAU 

Le  i'"^  octobre  Rey  remercie  et  otîre  de  payer  ce  travail 
de  correction.  Rousseau  refuse  le  14  octobre  et  annonce 
que  l'exemplaire  va  partir.  Le  22  octobre  Rey  propose 
un  messager.  Le  3i  octobre  l'envoi  est  prêt.  Le  (î  no- 
vembre Rousseau  indique  qu'il  a  été  confié  aux  soins  de 
M.  Du  voisin.  Le  19  novembre  Re}'  annonce  une  lettre 
où  Duvoisin  notifie  l'expédition.  Le  24  novembre,  let- 
tre à  Re}  de  Duvoisin  qui  précise:  «J'ai  porté  moi- 
même  à  la  diligence  le  paquet  bien  et  dûment  condi- 
tionné: et  sur  la  demande  du  buraliste  j'ai  donné  la 
déclaration  du  contenu  en  ces  termes,  les  six  volumes 
de  Julie. ..'^n  Le  4  décembre  l'exemplaire  arrive.  L'é- 
dition comprendra  trois  tomes  qui  coûteront  six  livres, 
et  neuf  livres  avec  figures.  Le  28  avril  1762  elle  n'est 
pas  commencée;  le  i?  mai  non  plus.  Ln  juillet  on  y 
travaille.  En  septembre  elle  est  à  moitié  chemin.  Fin 
octobre  on  en  est  à  la  cinquième  partie.  Le  14  janvier 
1763  elle  est  achevée.  En  août  1762  Rousseau  deman- 
dait deux  ou  trois  exemplaires.  Il  renouvelle  sa  de- 
mande le  ic)  février  1763.  Le  25.  Rey  annonce  Texpédi- 
tion  de  quatre  exemplaires  par  M.  Rilliet.  Il  est  d'ail- 
leurs possible  que  Rousseau  ne  les  ait  pas  reçus,  comme 
furent  perdus  ceux  que  Re}^  lui  adressa  par  M"^  l'rem- 
bley  en   1  767^. 

Les  changements  apportés  par  Rousseau  à  cette  édi- 
tion de  1763  sont  assez  nombreux.  Corrections  de  style 
tout  d'abord.  La  blancheur  éblouissante  de  la  poitrine 
des  Valaisannes   devient    l'extrême   blancheur^.    Il    y    a 


'  Lettre  de  Duvoisin  à  la  Bibliothèque  de  Neuchàtel. 
-'  Bosscha,  p.  iiH,  120,  121.   164,   192  —  Lettres  de  Rey. 
'^  I,  23,  p.   1  32. 


TEXT1-:    l)K    I.A    NOUN'ELI.I-;    Hl'il.OISE  g 

trente  à  quarante  variantes  analogues^  Corrections  de 
sens  :  en  1761  Rousseau  attribue  à  Aulu-Gelle  une  anec- 
dote sur  Labérius  que  nulle  part  Aulu-Gelle  ne  raconte'. 
Il  est  mieux  averti  en  1763  et  corrige  Aulu-Gelle  par 
Macrobe.  En  1761  il  affirme  que  les  «  grus  »  et  la  «  cé- 
racée  »  se  fabriquent  sur  le  Salève  et  sont  probablement 
inconnus  sous  ce  nom  dans  le  Jura^.  En  1763  il  change 
d'avis  et  note  que  ce  sont  des  «  laitages  excellents  qui 
se  font  sur  le  mont  Jura\  »  Additions  aussi  :  simples 
détails  comme  la  note  où  il  affirme  que  «  la  première 
syllabe  de  chalet  n'est  point  longue,  mais  brève,  comme 
celle  de  chaland.^»  Remarques  de  grammaire  conime 
la  note  sur  le  sens  «corrélatif»  du  mot  hôte.  Conseils 
de  jardinage  lorsqu'il  explique  que  l'élagage  tarit  la 
sève  des  arbres  dont  la  moitié  des  racines  «  sont  en 
rair*"'.  »  Notes  d'histoire  lorsqu'il  ajoute  que  Bonnivard 
est  l'auteur  d'une  chronique  de  Genève  ^  Détails  pitto- 
resques quand  la  fraîcheur  de  l'air  se  joint  au  ciel  se- 
rein, aux  doux  rayons  de  la  lune  et  au  frémissement 
argenté  de  l'eau  pour  soulever  dans  lame  de  Saint- 
Preux  la  tempête  des  souvenirs  sentimentaux  ^.  Page 
d'analyse  lorsqu  une  longue  note  explique  que  ce   sont 


'  ici  comme  ailleurs  il  n'est  pas  possible  de  préciser  parce  qu'on  ne 
peut  savoir  bien  souvent  si  par  exemple  (i  ic  feignis  n  substitué  à  «Je 
feignais  V  est  correction  de  Rousseau  ou  négligence  d'imprimeur.  L'édi- 
tion de  1763  est  typographiquement  encore  assez  médiocre. 

-  II,  23,  p.  254. 

•'•  IV,  10,  p.  141. 

*  Le  mot  céracée  était  en  eftét  un  terme  vaudois  et  neuchàtelois. 
(Cf.  A.  François,  dans  les  Annales,  1907,  p.  40.) 

^  I,  36,  p.  210  (1763,  p.  141.» 
"  IV,  II,  p.  293  et  3oi  (1763.) 
'  VI,  8,  p.  3n  (1763.) 

*  IV,  17,  p.  369  (1763.  ( 


lO  ANNALES   DE   LA   SOCIETE  .1.  .1.    ROUSSEAU 

les  situations  qui  déterminent  souvent  les  vertus  et  les 
vices  ^ 

Enfin  il  y  a  des  suppressions  de  notes  constantes  et 
considérables.  Malesherbes  avait  retranché  dans  l'édition 
de  Paris  les  sévères  remarques  sur  le  procès  de  La  Bé- 
doyère  en  donnant  longuement  ses  raisons-.  Les  rai- 
sons parurent  bonnes  sans  doute  à  Jean-Jacques  car  il 
supprime  lui  aussi  dans  l'édition  de  1763.  Une  note 
brève  de  1761  interpellait  Vhomme  au  beurre^.  Allusion 
singulière  et  inexplicable,  avant  la  publication  des  Con- 
fessions, pour  le  lecteur  et  même  pour  les  familiers  ;  si 
étrange  même  que  Lorenzi  lui  écrit  en  lui  demandant 
pour  M"^'^  de  Boufflers  des  explications  \  Rousseau  sup- 
prime la  note.  On  pourrait  ainsi  expliquer  bon  nombre 
de  ces  repentirs  renonçant  à  des  remarques  qui  ne  se 
trouvent  pour  la  plupart  ni  dans  les  brouillons,  ni  dans 
la  copie  Luxembourg.  Les  raisons  seraient  parfois  plus 
mystérieuses,  car  lédition  de  1763  omet  cinquante-cinq 
notes,  la  moitié  de  celles  de  1761. 

Au  total  ce  sont  des  modifications  nombreuses  et  par- 
fois si  intéressantes  qu'on  ne  saurait  être  trop  certain 
qu'elles  sont  bien  dues  à  Rousseau  lui-même.  Or  sur 
cette  édition  Rousseau  ne  s'est  pas  expliqué.  Il  l'a  eue 
très  certainement  entre  les  mains  puisqu'il  écrit  à  Rey 
en   i7()4  que  dans  l'exemplaire  de  ses  (euvres  il  lui  man- 


'  176J).  i.  II  p.  1 17. 

-  II,  i3.  Streckeisen-Moultou,  J.-J.  Rousseau,  xes  amis  et  ses  ennemis. 
Paris,  Calmann-Lévy,   i865,  i,  II,  p.  407. 

-V,  7.  p.  238. 

*  Lettre  du  12  mars  1762  à  la  Bib.  de  Neuchâtcl.  Sur  «  l'homme  au 
beurre»,  voir  les  lettres  à  la  M'"  de  Menars,  au  comte  de  Lastic  et  à 
M"*  d'Epinay  du  20  décembre  1754  (X,  p.  93-94.)  L'édition  Duchesne 
de  1764  supprime  d'ailleurs  également  cette  note. 


TEXTE   DE   LA    NOUVELLE   HELOISE  I  l 

que  le  tome  troisième  ^  Un  premier  envoi  de  la  réédi- 
tion de  1767  ne  lui  est  pas  parvenu';  mais  il  a  reçu 
celle  de  1769  (identique  à  part  quelques  erreurs  typo- 
graphiques à  celle  de  1763):  le  docteur  Ch.  Coindet  a 
légué  à  la  bibliothèque  de  Genève  un  exemplaire  du 
tome  m  (parties  5  et  6)  annoté  ou  plutôt  corrigé  par 
Rousseau.  Les  corrections  consistent  à  rétablir  de  sa 
main  et  en  marge  toutes  les  notes  supprimées  en  1763. 
Si  Ton  ajoute  à  cela  que  peu  après  1764,  comme  en 
1772,  comme  à  la  fin  de  sa  vie,  Rousseau  renvoie  à  la 
première  édition,  accepte  l'édition  Duchesne  avec  très 
peu  d'additions  et  modifications,  il  en  faudrait  con- 
clure que  l'édition  de  i  'j63  est  bien  Jîdèle  à  des  correc- 
tions de  Rousseau,  mais  qu'il  a  renoncé  par  la  suite  à 
presque  tout  ce  qu'il  avait  modijié  sur  l'exemplaire  en- 
voyé à  Rej . 

C'est  bien  en  effet  la  seule  conclusion  qui  s'impose. 
Nous  verrons  que  les  notes  manuscrites  des  exemplaires 
Duchesne  donnés  par  Rousseau  à  ses  amis  recopient 
mot  pour  mot  trois  des  additions  les  plus  importantes 
de  1763,  comme  une  ou  deux  autres  sont  confirmées 
par  les  brouillons  ou  la  copie  Luxembourg.  Ceci  dit, 
si  Rey  ne  s'est  pas  servi  pour  son  impression  de  l'exem- 
plaire envoyé  par  Rousseau,  une  hypothèse  et  une 
seule  pourrait,  à  la  rigueur  et  péniblement,  s'ajuster  aux 
faits.  Ce  serait  qu'il  eut  imprimé  non  sur  une  édition 
de  1761,  qu'il  savait  très  incorrecte,  mais  sur  la  copie 
même  envoyée  en  i  739  par  Rousseau.  Presque  toutes 
les  notes,  comme  le  montre   l'examen   des  manuscrits, 

ï  La    Nouvelle    Héloise   forme   les   tomes    IV^  V  et   VI.  Cf.    Bosscha 
p.  206. 
-  Cf.  supra,  p.  8. 


12  ANNALES  DE  LA  SOClI-iTK.I.  .1.    ROUSSEAU 

ont  dû  être  ajoutées  sur  les  épreuves.  Ainsi  s'explique- 
raient, malgré  des  hypothèses  difficiles,  les  variantes  et 
la  disparition  des  cinquante-cinq  notes.  Mais  cette 
explication  même  est  insoutenable.  Rey  sans  doute 
imprime  (^  Lettres  de  deux  amans...  revues  et  corrigées 
par  l'éditeur»,  ce  qui  prête  à  Tinterprétation  immé- 
diate que  Rey  a  corrigé  lui-même  son  texte.  Mais  il 
faut  comprendre  que  Rousseau  se  donne  non  pour 
l'auteur,  mais  pour  Y  éditeur  de  son  roman,  et  qu'il 
exige  de  Rey  qu'il  s'en  souvienne  :  «  N'allez  pas  non 
plus  dans  la  nouvelle  édition  de  la  Julie,  si  vous  y 
mettez  revue  et  corrigée,  ■d]omev.,  par  l'auteur  :  car  vous 
devez  savoir  que  je  ne  me  reconnais  point  pour  tel, 
mais  seulement  pour  ^éditeur^))  Enfin  il  est  évident 
que  les  ouvriers  de  Rey  ont  imprimé,  non  sur  la  copie 
manuscrite,  mais  sur  un  exemplaire  de  1761.  Dans  ce 
texte  de  1761  les  fautes  d'impressions  abondent.  Vingt- 
cinq  au  moins  d'entre  elles  et  des  plus  grossières  ont 
été  reproduites  machinalement  par  le  compositeur  qui 
les  avait  sous  les  yeux-. 

Ce  n'est  d'ailleurs  pas  la  seule  fois  où  Rousseau  ait 
renoncé  si  vite  à  ce  qu'il  avait  si  soigneusement  corrigé. 
Méticuleux  parce  qu'il  est  scrupuleux,  Rousseau  est 
comme  tous    ceux   chez   qui    l'intensité  du  scrupule  ne 


'  Bosscha.  p.  \'ij.  On  verra  d'ailleurs  (p.  38)  que  dans  son  Prospec- 
tus de  1760,  Rey  avait  déjà  pris  ses  précautions  et  laissé  clairement  en- 
tendre que  Rousseau  avait  bien  imaginé  et  non  recueilli  les  Lettres  de 
deux  amans. 

-On  les  trouvera  partie  II.  p.  S3,  11  5,  170,  249,  3i3  —  III,  3,  10,  11  3, 
I  2I-),  179  —  IV,  192,  225,  261 ,  262,  323  —  V.  222,  23o,  264  —  VI,  12,  93, 
144.  En  voici  quelques  exemples  :  Je  sens  raminer  en  moi  —  essayez, 
croyez-moi,  de  ce  nouveaux  genre  d'études  —  ces  sentiments  sublimes 
ce  sont  affaiblis.  —  Que  sert  donc  l'opulence  à  la  fécilité  —  il  vient 
d'être,  profané  -   et  comme  je  m'aime  guère  moins  à  le  répéter  etc. 


TEXTE    DE   LA    NOUVEF.I.E   HEEOISE  \  .-> 

suppose  pas  sa  stabilité.  Les  exigences  de  son  oreille, 
celles  de  sa  conscience  morale  ou  de  sa  pensée  sont 
momentanément  impérieuses,  mais  elles  ne  s'embar- 
rassent pas  des  contradictions.  Les  différences  profon- 
des qui  séparent  le  deuxième  brouillon,  primitivement 
copié  pour  Timpression  \  du  texte  de  1761  prouvent 
que  Rousseau  a  modifié  son  texte  soit  en  le  recopiant 
pour  Rey,  soit  sur  les  épreuves.  Or  plusieurs  des  le- 
çons de  1763  sont  un  renoncement  à  ces  corrections  de 
style  et  un  retour  au  texte  du  deuxième  brouillon  ou 
de  la  copie  Luxembourg,  L'édition  de  i-(3i  imprime: 
Hé  bien^  je  l'y  suivrai^.  1763  ne  donne  que:  Je  l'y  sui- 
j'rai.  Est-ce  un  oubli  du  compositeur  ?  Non  pas.  Hé 
bien  manque  dans  la  copie  Luxembourg,  mais  on  s'a- 
perçoit qu'il  a  été  gratté  et  que  la  place  est  restée  en 
blanc.  Il  y  a  là  une  quadruple  oscillation  de  Rousseau. 
«  Que  penser-polis  qu'il  m'en  a  coûté  yy.  dit  i  761^  confirmé 
par  le  deuxième  brouillon.  «  Qu'il  m'en  ait  coûté))^  dit 
1763.  Ce  n'est  pas  une  variante  instinctive  de  l'impri- 
meur :  c'est  la  leçon  de  la  copie  Luxembourg  reprise 
par  Jean-Jacques*. 

C.  Les  édi lions  annotées. 

C'est  par  ces  oscillations  constantes  de  Rousseau  que 
s'expliquent   les    éditions  annotées    qui  nous  sont  par- 


'  Sur  ces  manuscrits  cf.  pp.  18  et  p.   1 10. 

-  III,  16,  p.  go. 

^  IV,  I I,  p.   194. 

*  De  même  1763  (II,  16)  :  Puisse  le  ciel  les  combler  des  biens  [17*11. 
du  bonheur'],  confirmé  par  la  copie  Luxembourg  —  Je  ne  crois  pas  qu'il 
y  ait  de  souverains  (IV,  lo)  [1761,  des  souverains],  confirmé  par  le 
deuxième  brouillon  et   la  copie  Luxembourg  —  Un  ciel  serein,  la  frai- 


14  ANNALES   1)K    F.A   SOCIKTK  .1.    .1.    ROUSSEAU 

venues  et  qui  sont  importantes  pour  rétablissement  du 
texte.  On  en  possède  trois,  dont  deux  incomplètes.  La 
bibliothèque  de  la  Chambre  des  députés  garde  un 
exemplaire  de  l'édition  Duchesne  in-8°,  1764,  tomes  I, 
III.  IV.  qui  porte  cette  indication:  «Toutes  les  notes 
et  corrections  sont  de  la  main  de  J.-J.  Rousseau.  Cet 
exemplaire  m'a  été  donné  par  M.  Coindet  de  Genève, 
neveu  de  Tami  de  J.-J.  H.  de  Chateaugiron.  >;  A  la 
bibliothèque  de  Genève  nous  avons  identifié  un  exem- 
plaire complet  de  la  même  édition  \  sans  indication 
d'origine,  mais  évidemment  destiné  à  d'Ivernois.  La 
feuille  de  garde  porte  de  la  main  de  Rousseau  :  De  la 
pari  de  l'auteur^  et  les  quatre  feuilles  de  titre  portent 
également  de  sa  main  le  nom  de  d'Ivernois.  Enfin 
nous  avons  signalé  précédemment  le  t.  III  de  l'édition 
de  Rey  1769  qui  a  été  légué  par  le  docteur  Ch.  Coin- 
det en  iXj6  à  la  même  bibliothèque  de  Genève^. 

Les  annotations  de  l'édition  du  Palais-Bourbon  sont 
évidemment  postérieures  à  17(54.  Elles  en  sont  vraisem- 
blablement \oi.sines.  Leur  ressemblance  est  presque 
absolue  avec  celles  de  l'exemplaire  d'Ivernois.  Or  nous 
avons  de  d'Ivernois  deux  lettres,  du  i3  août  et  du 
24  septembre  1764*,  ou  il  demande  à  Rousseau  les  qua- 


cheur  de  l'air,  les  doux  rayons  de  la  lune  (IV,  i  -)  [1761,  u>i  ciel  serein, 
les  doux  rayons  de  la  lune]  est  la  leçon  définitive  d'un  texte  que  Rous- 
seau écrit  d'abord  tel  que  l'édition  de  1761,  puis  surcharge  la  fraîcheur 
de  la  nuit,  puis  corrige  la  fraîcheur  du  soir. 

'  Hf.  2018. 

-  Il  serait  logiquement  possible  que  l'édition  de  Dupeyrou  (Genève, 
1782I  représentât  un  autre  exemplaire  annoté.  Nous  avons  discuté  l'hy- 
pothèse (p.  83  et  sq.)  Pratiquement  l'on  verra  que  cet  exemplaire  serait 
identique  à  celui  de  la  Chambre  des  Députés. 

•■'  Bibliothèque  de  Neuchàtel. 


TEXTE   DE    I,A    NOUVEF.I.l':    HÉI.OISE  l5 

tre  volumes  ^  de  la  Nouvelle  Hélo'ise  et  où  il  en  accuse 
réception. 

Les  corrections  et  additions  de  Jean-Jacques  sont 
assez  nombreuses.  Duchesne,  pour  établir  ses  quatre 
volumes,  avait  supprimé  la  division  en  six  parties  et 
numéroté  à  nouveau  les  lettres.  Rousseau  demande 
par  deux  notes  qu'on  rétablisse  les  parties;  il  y  revient 
au  cours  des  volumes  lorsque  chaque  partie  devrait 
commencer.  Duchesne  avait  ajouté  après  le  titre  de 
chaque  lettre  un  sommaire  reproduit  en  table  des  ma- 
tières. Jean-Jacques  efface  ces  sommaires,  efface  la 
table  des  matières  des  deux  premiers  volumes,  puis  se 
ravise  :  «  Ces  tables  peuvent  être  bonnes  à  conserver 
avec  les  sommaires  des  lettres  pour  y  trouver  au  be- 
soin ce  qu'on  cherche  -.  »  Les  corrections  typographi- 
ques sont  constantes  et  méticuleuses.  Il  faut,  par  exem- 
ple, imprimer  l'ûes  sans  accent  circonflexe.  La  note  et 
les  citations  italiennes  du  t.  IIL  p.  228^  mal  compri- 
ses et  mal  disposées  par  Duchesne  sont  rétablies.  Une 
note  de  la  première  partie  est  supprimée.  Toutes  les 
citations  italiennes  sont  traduites,  sauf  deux'' où  Rous- 
seau inscrit  «  rt'.s/e  à  h-adiiii-e  ».  Trois  des  additions  de 


'  L'édition  Duchesne  est  à  cette  date  la  seule  en  quatre  volumes.  Dans 
une  lettre  à  Rey  du  27  avril  1769  (Bosscha,  p.  288),  Rousseau  écrit  : 
«  Je  me  souviens  que  d  ans  une  de  vos  éditions  de  la  Julie  pour  égaliser 
les  volumes  et  les  mettre  en  quatre  tomes  vous  les  avez  coupés  diftc- 
remment».  Nous  ne  connaissons  d'éditions  de  Rey  qu"en  six  ou  trois 
tomes.  Probablement  Rousseau  confond-il  avec  cette  édition  Duchesne. 

2  L'idée  d'une  pareille  table  plaisait  certainement  à  Rousseau  puisque 
dans  un  Mémoire  relatif  à  l'édition  générale  de  ses  Œuvres  envoyé  à 
Rey  en  mars  1764,  il  propose  une  Table  des  matières  qu'il  fera  lui- 
même  (Bosscha,  p.  207.) 

"  Partie  I\'.  lettre  11,  p.  2^7  du  texte  17O1. 

*  1,  20,  21,  pp.   106,  I  I  2  (de   176  y.  ) 


l()  ANNAl.KS    DK    LA    SOC1KTI-;  .1.    .1.    ROUSSEAU 

l'édition  de  1763  sont  reprises:  la  fraiclieur  de  l'air'^^ 
la  note  III,  p.  207  sur  le  mot  hote'^.  la  note  II,  p.  392 
sur  le  rapport  entre  les  situations  et  les  vertus  ou  les 
vices  ^.  L'exemplaire  de  (ienève  a  des  annotations 
moins  nombreuses  que  celui  de  Paris.  xMais  comme  il 
est  complet  il  permet  de  constater  que  l'addition  signa- 
lée par  Rousseau  pour  la  troisième  partie,  dans  l'exem- 
plaire de  la  Chambre  des  députés,  comme  très  impor- 
tante, est  bien  la  note  III,  lettre  20,  p.  117  de  l'édi- 
tion de  1763,  copiée  par  lui  sur  tm  feuillet  et  collée 
dans  cet  exemplaire. 

Enfin  l'exemplaire  de  Paris  comporte  trois  correc- 
tions de  Rousseau  qui  confirment  cette  tendance  ma- 
ladive à  suspendre  et  alterner  son  choix  pour  les  moin- 
dres détails  de  style:  «  Peu  lire  et peuse?~  beaucoup  à  nos 
lectures  —  si  le  charme  de  mes  jouj^s  est  le  supplice  des 
tiens — 6  charme  et  bonheur  de  ma  r/t?*».  corrigent  les 
leçons  de  Duchesne  ((beaucoup  méditer —  tourment  — 
gloire  et  bonheur.»  Or  Rousseau  ne  fait  ainsi  que  re- 
venir au  texte  de  i7()i.  texte  qui  lui  avait  déplu  et  qu'il 
avait  fait  corriger  par  l'errata  de  Rey^  tel  que  Duchesne 
s'est  cru  légitimement  autorisé  à  l'imprimer  en  i  764, 
ainsi  que  Key  en  1763. 

D.  (lonclusion. 

Les  exigences  dune  édition  critique  s'établissent  donc 
clairement.  Que  Rousseau  n'ait  pas  voulu  s'en  tenir  au 

'  \\\  17,  p.  :>6y  (17O3.) 
-  IV.  II.  p.  2f):-i  (1763.» 

3  II,  p.    117  (i7(o.) 

■•t.   1,  pp.   122,147,  211  (lettres  I-',  K).  3i.)    • 

^  Sur  cet  errni.i.  C.\ ,    pp.  û  et  48. 


TEXTE   DE   LA   NOUVELLE   HELOISE  IJ 

texte  corrigé  pour  l'édition  de  1 763,  c'est  ce  que  prou- 
vent évidemment  ses  renvois  répétés  à  la  première  édi- 
tion, le  soin  qu'il  a -sur  une  édition  de  1769  de  rétablir, 
pour  les  parties  3  et  6,  toutes  les  notes  alors  suppri- 
mées. C'est  donc  la  première  édition  qui  devra  servir  de 
texte  de  base.  On  y  fera  entrer  les  additions  de  l'exem- 
plaire annoté  de  Duchesne  1764  (connu,  nous  le  ver- 
rons, par  les  éditeurs  de  Genève  en  1780,  et  utilisé  par 
eux.)  L'insistance  de  Rousseau  qui  en  indique  l'impor- 
tance et  qui  reproduit  sur  deux  exemplaires  celles  qui 
sont  essentielles  y  autorisent  amplement.  Les  très  ra- 
res et  très  minimes  corrections  seront  utilisées  en  si- 
gnalant la  variante  de  1761.  Enfin  toutes  les  variantes 
de  l'édition  de  i  763  seront  soigneusement  notées.  Elles 
intéressent  d'abord  l'histoire  de  la  pensée  et  la  connais- 
sance du  style  de  Rousseau.  Surtout  il  n'est  pas  sûr 
qu'il  n'ait  voulu  conserver  parmi  elles  que  les  ad- 
ditions transcrites  sur  les  exemplaires  Duchesne  de 
Paris  et  de  Genève.  11  n'aurait  pas  rétabli  l'erreur 
d'Aulu-Gelle,  par  exemple,  qu'il  corrige  par  Macrobe. 
Dans  l'exemplaire  des  parties  V  et  VI  corrigé  par  lui 
en  1769  il  laisse  subsister,  donc  il  semble  accepter  tel- 
les leçons  différentes  de  celles  de  la  première  édition 
et  de  l'édition  Duchesne,  la  remarque  par  exemple  sur 
Bonnivard  auteur  d'une  chronique  de  Genève  ^  Or  nous 
n'avons  de  cette  édition  de  i  769  annotée  que  le  tome  IIL 
Rien  ne  prouve  que  dans  les  tomes  I  et  II,  les  anno- 
tations de  Rousseau,  les  dernièf^es  en  date^  ne.  laisaient 
pas  subsister  des  variantes  analogues  ou  même  plus 
nombreuses  et  plus  importantes. 

1  VI,  «,  p.  3ii  (1763). 


l8  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  .1.  ROUSSEAU 


II.    LES    MANUSCRITS 

A.    Usag-e  des  manuscrits. 

Ainsi  déterminée  la  tâche  d'un  éditeur  ne  sera  pas 
encore  complète.  La  première  édition,  nous  l'avons  vu, 
est  extrêmement  incorrecte.  Rousseau  lui-même  a  de- 
mandé à  plusieurs  reprises  qu'on  s'en  défie.  Longtemps 
les  éditeurs  n'ont  pu  se  fier  pour  les  corrections  qu'à 
des  évidences  de  sens  ou  à  des  vraisemblances  qui  les 
ont  souvent  trompés.  Le  dépôt  à  la  Convention  des 
brouillons  et  de  la  copie  Luxembourg^  leur  offrit  la  pos- 
sibilité d'une  revision  plus  intéressante  et  plus  sùrc. 

Mais  ils  ont  eu  grand  tort  d'annoncer  souvent  qu'ils 
avaient  utilisé  l'expression  dernière  de  la  pensée  de 
Rousseau  et  la  copie  même  qui  avait  «  servi  pour  l'im- 
pression». Un  examen  même  superficiel  montre  rapide- 
ment entre  les  textes  manuscrits  et  le  texte  de  1761  des 
différences  tellement  profondes  que  le  deuxième  brouil- 
lon ou  la  copie  Luxembourg,  comme  on  l'a  déjà  souvent 
signalé,  ne  sont  pas  la  forme  définitive  du  texte.  Rous- 
seau lui-même  nous  en  avertit  :  «J'ai  examiné  l'état  du 
manuscrit,  écrit-il  à  Rey,  et  ne  le  trouvant  pas  assez  net 
pour  vous  être  envoyé  dans  cet  état,  je  prends  le  parti  de 
le  recopier  en  entier,  et  je  vous  enverrai  la  copie  partie 
par  partie,  à  mesure  qu'elle  sera  faite.»  Cette  copie 
ne  fut  pas  une  exacte  reproduction  :  «En  faisant  votre 
copie  sur  la  mienne,  j'y  ai  changé  beaucoup  de  choses 
dont  je  ne  me  souviens  plus.  »    Même,    la   copie  partie. 

'  Cf.  la  note  sur  les  manuscrits,  p.   iio. 


TEXTE   DE   LA   NOUVELLE   HÉLOISE  I9 

Rousseau,  toujours  poursuivi  par  ses  scrupules  méti- 
culeux et  ses  incertitudes  obstinées,  médite  de  nou- 
veaux changements  à  envoyer  à  Rey,  «  peu  considéra- 
bles, mais  nécessaires  et  assez  nombreux.»  Sur  les 
épreuves,  les  corrections  d'auteur  sont  nombreuses,  si 
nombreuses  que,  malgré  les  dépenses  de  port,  Rey  de- 
mande à  Rousseau  de  lui  envoyer  les  épreuves  mêmes 
et  non  des  corrections  repérées.  Averti  par  Texpérience, 
et  pour  éviter  les  remaniements  difficiles  ou  même  les 
cartons,  Rey  prend  à  Toccasion  les  devants  et  réclame 
à  Rousseau  les  additions  et  corrections  pour  les  par- 
ties qu'il  se  prépare  à  imprimera 

Il  ne  peut  donc  pas  être  question  d'imprimer  le  texte 
de  la  Nouvelle  Hélo'ise  sur  le  manuscrit  de  Rousseau, 
comme  on  imprime  Virgile  ou  Horace  sur  les  meilleurs 
manuscrits.  Il  est  impossible  même  d'en  conclure  des 
additions  ou  suppressions  certaines.  Pourtant  ces  ma- 
nuscrits peuvent  rendre,  pour  vérifier  la  première  édi- 
tion, des  services  limités  mais  précis. 

Parmi  les  innombrables  erreurs  de  cette  première 
édition  il  en  est  qui  sont  des  fautes  typographiques 
évidentes  :  «  De  dépit,  je  me  plais  à  la  remplir  de  cho- 
ses qui  n'y  saurait  être —  ce  n'est  pas  assez  qu'elle  soit 
vertueuse,  elle  doit  être  sans  tâche  —  mdissobles,  etc...,*» 
sont  d'indéniables  sottises  de  compositeur.  Mais  les  cas 
douteux  sont  constants,  plus  nombreux  même  à  me- 
sure qu'ils  affrontent  un  examen  attentif.  Rappelons- 
nous  les  exigences  impérieuses  de  Rousseau,  sa  ferme 
volonté  qu'on  respecte  les  moindres  détails  de  son  texte, 

1  Bosscha,   pp.  68,  95,  97,  84,  87.  Lettres  de  Rey  du  17  avril,  10  mai, 
19  mai  1760. 

2  VI,  2,  3,7. 


20  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  .1.   ROUSSEAU 

au  risque  de  laisser  subsister  ses  fautes  :  nous  croirons 
volontiers  que  ce  n'est  pas  toujours  l'imprimeur  qui 
est  coupable,  mais  Rousseau  lui-même.  La  preuve  s'é- 
tablit pour  des  cas  inattendus:  u  Abruvoir —  des  four- 
rés de  lilac^»  imprime  Rey,  et  c'est  bien  ainsi  qu'écrit 
Rousseau  et  dans  le  deuxième  brouillon  et  dans  la  copie 
Luxembourg.  Or  le  Dictionnaire  de  l'Académie  dans  sa 
première  édition  et  dans  les  éditions  postérieures,  le  Fu- 
retièrede  \'j'i2.  le  Grand  Vocabulaire  français  en  1771,  le 
Dictionnaire  de  Trévoux  en  1732,  le  Dictioiinaire  de  Fé- 
raud  en  1787,  donnent  bien  la  formie  abreuvoir.  Mais 
qu'on  ouvre  la  sixième  édition  de  V Art  de  bien  parler 
français.,  de  de  La  Touche  (1747):  on  y  lit:  a  Abreuver, 
abruver.  On  prononce  et  on  écrit  abruver.  On  ne  se  sert 
de  ce  verbe  au  figuré  que  dans  le  discours  familier.  Tout 
le  monde  est  abruvé  de  cette  nouvelle-.»  Et  le  Dictionnaire 
de  Richelet,  en  1706,  1732,  1739,  maintient  la  même  re- 
marque: a  Abreuver.  Le  petit  peuple  de  Paris  dit  abi^u- 
ver,  mais  les  gens  du  beau  monde  prononcent  et  écrivent 
abreuver.  »  C'est  dire  que  Rousseau  ne  prononce  ni  n'é- 
crit encore  en  1760  comme  le  beau  monde.  Les  Diction- 
Jiaires  de  Furetière  en  ir)90,  de  l'Académie  en  i(k)4,  de 
Richelet  en  170G,  impriment  Lilas  sans  commentaire. 
Mais  La  Touche  nous  renseigne  encore  en  reproduisant 
la  remarque  de  Ménage  :  «  On  dit  lilas  et  non  pas  lilac^.» 
Rousseau  a  gardé  sinon  l'ancienne  prononciation,  tout 
au  moins  une  ancienne  orthographe*. 

'  IN,  1 1,  pp.  97,  2o3. 

-'  L'Art  de  bien  parler  français  :  G'  câit.  Amsterdam  et  Leipzig.  Arksiée 
et  Merkus.  1747,  t.  II,  p.  8. 

•'■  Ibid.  t.  Il,  p.  8.  Le  Dictionnaire  de  Hatzfeld  et  Darmestetcr  indique 
que  Lilas  est  emprunté  de  l'espagnol  Lilac. 

*  Cette  orthographe  pourrait  peut-être  s'expliL|uer  par  la  note  oii  Rous- 


TEXTE  DE  LA  NOUVELLE  HELOISE  21 

Ici  c'est  Rousseau  qui  s'attarde  à  rextrême  et  il  ne 
semble  pas  que  l'usage  du  temps  ait  pu  justifier  son  or- 
thographe. Ailleurs  les  manuscrits  nous  permettront  de 
respecter  d'autres  particularités  d'orthographe  ou  de 
prononciation  sur  lesquelles  l'usage  hésite,  mais  où 
Rousseau  choisit  les  formes  qui  ont  depuis  disparu  : 
«  Soin  puéi^ile'^  »,  imprime  Rey.  Bouhours  et  La  Tou- 
che demandaient  déjà  ptié?^il,  mais  en  l'jGo  puéî^il  ex 
puérile  s'écrivaient.  Le  deuxième  brouillon  et  la  copie 
Luxembourg  choisissent  ptiét^ile.  (.<.  Bienpeuillance^  »  dit 
Rey.  On  hésitait  entre  bienreuillance  et  bienveillance . 
Rousseau  hésite  lui-même.  Le  premier  et  le  deuxième 
brouillon  et  la  copie  Luxembourg  donnent  le  plus  sou- 
vent bienveuillance  que  Re}^  a  trouvé  sur  sa  copie.  Le 
deuxième  brouillon  donne  à  l'occasion  bienveillance^, 
i^  Argent  content  —  Sens-froid*»^  imprime  Rey.  L'usage 
accepte  alors  ces  formes  et  la  forme  actuelle.  Ce  n'est 
pas  le  compositeur  qui  a  choisi,  mais  Rousseau  qui 
écrit  ainsi  dans  le  deuxième  brouillon  comme  dans  la 
copie  Luxembourg. 

La  syntaxe  de  Rousseau  peut  aussi  à  l'occasion  se  vé- 
rifier et  ne  se  pas  modifier  sous  prétexte  de  fautes 
d'impression.  L'accord  du  verbe  avec  des  sujets  multi- 
ples est  resté  longtemps  indécis.  C'est  bien  Rousseau 
et  non  l'inadvertance  du  compositeur  qui  écrit,  dans 
ses  manuscrits  comme  dans  Rey  :  «  le  bruit  de  la  basse- 
cour,  le  chant  des  coqs,  le  mugissement  du  bétail,  l'at- 

seau  reproche  aux  Genevois  de  faire  sentir  beaucoup  de  lettres  qui  ne 
se  prononcent  pas  en  français,  par  exemple  le  c  dans  lacs  {=  lacets) 
{V,  i3.) 

'  IV,  II,  p.  220  et  passim. 

2  V,  2,  p.  85  et  passim. 

■''  pour  la  lettre  IV,  i5  (Nous  jouissons  de  la  bienveillance 

*  V,  2,  p.  70;  3,  p.  104;  VI,  II,  p.  290,  etc. 


•2  2  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  .1.  ROUSSEAU 

telage  des  chariots,  le  repos  des  champs,  le  retour  des 
ouvriers,  et  tout  l'appareil  de  l'économie  rustique  donne 
à  cette  maison  un  air  plus  champêtre.  —  La  symétrie 
et  la  régularité  plait  à  tous  les  yeux.  —  S'il  est  des  bé- 
nédictions humaines  que  le  Ciel  daigne  exaucer,  ce  ne 
sont  point  celles  qu'arf^ache  la  flatterie  et  la  bassesse 
en  présence  des  gens  qu'on  loue^w  Inversement  les 
manuscrits  nous  permettront  de  corriger  des  leçons, 
encore  légitimées  par  Tusage,  mais  auxquelles  Rous- 
seau et  beaucoup  d'autres  avaient  déjà  renoncé.  Ridi- 
cule après  les  précieuses  était  devenu  substantif  mascu- 
lin ou  féminin.  On  disait  un  ridicule,  comme  une  pré- 
cieuse, un  merveilleux .  Rey  n'est  donc  pas  absurde  en 
imprimant  :  «  c'est  apparemment  aussi  l'usage  en  An- 
gleterre de  tourner  ses  hôtes  en  ridicules-  )>\  mais  dans 
la  note  manuscrite  de  l'exemplaire  d'Ivernois,  Rousseau 
écrit  en  ridicule.  Un  usage  qui  nous  paraît  plus  étrange 
était  d'employer  le  pronom  un  autre^  avec  une  sorte 
de  valeur  neutre  en  parlant  d'un  homme  ou  d'une 
femme  ^.  Rey  imprime  ainsi  :  «  un  homme  qui  fut  aimé 
de  Julie  d'Etange  et  pourrait  se  résoudre  à  en  épouser 
un  autre*,.. y)  Mais  Rousseau  écrit  une  autre  dans  la  copie 
Luxembourg  et  le  deuxième  brouillon,  et  il  prend  soin  de 
corriger  dans  l'exemplaire  Duchesne  annoté  de  Paris •''. 

>  IV,  lo,  p.   II  5,  V,  2,  p.   89. 

2  V,  2,  p.  82. 

^  Voir  la  Syntaxe  française  du  XVII'  siècle  de  Haase,  trad.  par 
Obert.  Paris,  Picard,  1898,  p.  119. 

*  VI,  i3,  p.  309.  De  niême  encore  dans  Todition  de  Genève  1782  in-4'' 
(t.  II,  p.  374)  «  Ne  donnez  à  nul  autre  [cpousej  une  place  que  je  n'ai  pu 
remplir.  » 

'  L'édition  de  Rey  imprime  de  même  (t.  IV,  p.  204)  «une  monticule». 
Le  genre  du  mot  était  encore  incertain  (et".  A.  François,  Ainialcs  de  1907, 
p.  57.)  Mais  le  2'  brouillon  et  la  copie  Luxembourg  donnent  un  mon- 
ticule. 


TEXTE  DE  LA  NOUVELLE  HÉLOISE  23 

Enfin  ce  sont  le  style  même  et  la  pense'e  de  Rous- 
seau que  les  manuscrits  nous  permettent  à  Toccasion 
de  déterminer  et  de  respecter.  Rey,  par  exemple,  im- 
prime :  «  Ainsi  cet  état  se  suffit  à  lui-même,  et  l'inquié- 
tude qu'il  donne  est  une  sorte  de  jouissance  qui  sup- 
plée à  la  réalité. 

Qui  vaut  mieux,  peut-être....^» 

Duchesne  et  presque  tous  les  éditeurs  qui  suivent  cor- 
rigent :  «...une  sorte  de  jouissance  qui  supplée  à  la 
réalité,  qui  vaut  mieux,  peut-être.»  Le  deuxième  brouil- 
lon et  la  copie  Luxembourg  marquent,  comme  Rey, 
l'alinéa.  C'est  qu'il  y  a  dans  la  pensée  de  Julie  qui  écrit 
un  moment  de  méditation  mélancolique  et  silencieuse 
et  que  le  «Qui  vaut  mieux  »  n'est  que  la  conclusion  de 
ce  silence.  Nous  avons  indiqué,  au  début-,  des  varian- 
tes où  une  lettre  et  un  signe  de  ponctuation  déplacés 
transforment  le  sens.  Les  manuscrits  nous  permettent 
de  choisir.  De  même  lorsque  Rey  imprime  :  «  dans  l'é- 
tat civil  où  l'on  a  moins  besoin  de  bras  que  de  tête^», 
il  n'a  pas  laissé  tomber  Vs  que  rétablissent  Duchesne 
et  tous  les  autres.  C'est  ainsi  qu'écrit  Rousseau  dans  le 
deuxième  brouillon  et  la  copie  Luxembourg. 

Puisque  les  manuscrits  ont  un  usage  nécessaire  il 
n'est  pas  indifférent  de  connaître  quel  est  le  plus  rap- 
proché de  l'impression,  celui  qui  devra  faire  foi.  Leur 
chronologie,  importante  pour  toute  étude  du  travail  du 
style  chez  Rousseau,  est  également  indispensable  pour 
une  édition  critique. 


'  VI,  8,  p.  i6o. 

2  Cf.  p.  3. 

3  V,  3,  p.  ii8. 


24  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  .1.  .1.   ROUSSEAU 

B.  Chronologie  des  manuscrits. 

Indépendamment  de  la  copie  d'Houdetot,  antérieure- 
à  la  copie  Luxembourg^  et  qui  serait  par  conséquent, 
même  si  elle  se  retrouvait,  sans  importance  critique, 
de  quelques  feuillets  à  la  bibliothèque  de  la  Sorbonne, 
et  des  exemplaires  annotés,  il  y  a  de  la  Nouvelle  Héloise, 
à  la  Chambre  des  députés,  trois  manuscrits  :  un  pre- 
mier brouillon  tout  à  fait  fragmentaire,  un  deuxième 
brouillon  pour  les  parties  IV-VI  avec  un  certain  nom- 
bre de  lacunes,  et  la  copie  Luxembourg  complète.  La 
perfection  même  de  la  copie  Luxembourg  invite  à  croire 
qu'elle  est  postérieure  aux  brouillons.  C'est  ainsi  que 
Petitain,  pour  son  édition,  l'appelle  le  manuscrit  et 
l'utilise  comme  celui  qui  fait  foi,  par  opposition  aux 
deux  brouillons.  L'examen  des  dates  lui  donne  tout 
d'abord  une  apparente  justification. 

Prenons  pour  exemple  la  quatrième  partie  dont  nous 
étudierons  la  fameuse  promenadesur  le  lac(lettre  17).  Rey 
accuse  réception  le  27  octobre  i75q  de  la  quatrième  par- 
tie, le  i"""  février  1760  de  la  sixième  partie  de  la  copie 
envoyée  par  Rousseau.  A  cette  date  tout  le  manuscrit 
établi  par  Jean-Jacques  sur  le  deuxième  brouillon  est 
terminé.  Or  les  copies  pour  M'"'^  de  Luxembourg  ne 
sont  commencées  que  fin  novembre  i75g.  La  troisième 
partie  est  envo3^ée  le  20  juin  1760.  Rousseau  termine 
la  sixième  dans  la  première  quinzaine  d'octobre.  La 
quatrième  partie  doit   être  envoyée  vraisemblablement 

'  Œuvres.  VIII.  p.  SyS.  Sur  cette  copie  on  consultera  surtout  :  H.  Buf- 
fenoir.  La  comtesse  d'Houdetot,  sa  famille,  ses  amis.  Paris,  Leclerc, 
190.S,  8",  pp.  147,  188,  237,  2^'S,  25i-252.  La  copie  fut  commencée  !e 
ig  ou  20  novembre  1757. 


TEXTE   DE   LA   NOUVELLE   HELOISE  2D 

vers  le  i8  août  ^  Elle  est  donc  postérieure  d'une  dizaine 
de  mois  à  la  copie  envoye'e  par  Rousseau  à  Rey  et  faite 
sur  le  deuxième  brouillon. 

Et  pourtant  c'est  bien  le  deuxième  brouillon  qui, 
par  ses  corrections,  additions,  suppressions  est  de  beau- 
coup et  constamment  le  plus  rapproché  du  texte  de 
1761;  nous  rétablirons  tout  à  Theure.  C'est  que  Jean- 
Jacques  a  corrigé  les  épreuves  de  la  lettre  17  de  la 
quatrième  partie,  que  nous  prendrons  pour  exemple, 
postérieurement  au  7  septembre  1760,  Il  reçoit  le 
28  août  les  quatre  premières  feuilles  de  la  quatrième  par- 
tie. Le  7  septembre  il  renvoie  Tépreuve  K.  du  tome  l\ 
(fin  de  la  lettre  11)-.  La  lettre  17  est  à  la  feuille  N,  O. 
Une  seule  hypothèse  demeure  :  c'est  que  la  copie 
Luxembourg  a  été  faite  avant  le  18  août  sur  le 
deuxième  brouillon  }ion  coiv^igé^  puis  que  Rousseau, 
dans  Tattente  des  épreuves,  souvent  tardives,  a  rema- 
nié ce  deuxième  brouillon  après  le  18  août  et  reporté 
les  corrections  sur  ses  épreuves.  C'est  ce  que  l'examen 
philologique  va  pleinement  confirmer^. 

1  Rousseau.  Œuvres.  X,  pp.  221,  22g,  23  i,  269.  Lettres  de  Rey,  La 
lettre  par  laquelle  Rousseau  annonce  l'envoi  est  datée  ace  Mercredi  18». 
De  juin  (envoi  de  la  troisième  partie)  à  octobre  (envoi  de  la  sixième),  il 
n'y  a  pas  de  mercredi  i  8.  Mais  Rousseau  écrit  :  «  Voici  Madame,  une 
quatrième  partie  que  vous  devriez  avoir  depuis  longtemps  ».  Cette  phrase 
permet  d'éliminer  le  18  juillet  trop  rapproché  du  20  juin  pour  la  justi- 
fier. Le  18  septembre  est  bien  voisin  d'octobre  où  Rousseau  veut  envoyer 
la  sixième  partie  avant  le  1  5.  —  Cette  erreur  de  date  n'est  pas  unique 
chez  Rousseau.  Il  écrit  (à  supposer  que  le  texte  édité  soit  exact)  la  même 
année,  à  la  même  M""  de  Luxembourg,  «ce  lundi  20  juillet  1760.  »  Le 
20  juillet  était  un  dimanche.  —  Dans  tous  les  cas  l'édition  Hachette  a 
eu  tort  de  classer  cette  lettre  du  mercredi  18,  après  une  autre  du  4  oc- 
tobre 1761. 

'  Bosscha.  pp.  107,  108. 

■'  Notons  d'ailleurs  que,  peu  satisfait  sans  doute  du  texte  envoyé  à 
M""  de  Luxembourg,  Rousseau,  le  12  décembre  1760  (X,  246),  lui  de- 
mande la  cinquième  partie  pour  la  corriger. 


20  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  J.   ROUSSEAU 

Sans  tenir  compte  tout  d'abord  des  ratures  et  surchar- 
ges, la  copie  Luxembourg  diffère  du  deuxième  brouil- 
lon (pour  cette  lettre  IV,  17)  sur  dix  points  où  le  brouil- 
lon est  avant  toute  correction  identique  à  la  première  édi- 
tion: trois  mots  et  un  court  membre  de  phrase  sont  sau- 
tés \  soit  volontairement,  soit  par  inadvertance  de  Rous- 
seau. Les  sept  autres  différences  sont  de  très  minimes  mo- 
difications de  style-.  Ces  variantes  ne  montrent  que  la 
tendance  constante  de  Rousseau  à  remanier  les  détails  en 
recopiant  les  manuscrits.  En  deuxième  lieu  et  surtout  : 
la  rédaction  immédiate,  avant  corrections  de  ce  deuxième 
brouillon,  et  la  copie  Luxembourg  sont  identiques  entre 
elles  et  différentes  du  texte  de  la  première  édition  sur  huit 
points.  Mais  des  corrections  postérieures  de  Rousseau, 
faites  d'ailleurs  d\mc  encre  beaucoup  plus  blanche,  mo- 
difient le  texte  du  deuxième  brouillon  pour  rétablir  tel 
que  Rey  Ta  imprimé.  Voici  par  exemple  quatre  de  ces 
corrections  :  A.  (deuxième  brouillon  non  corrigé  et  copie 
Luxembourg)  :  Trois  rameutas,  sans  compter  un  des 
i>ens  de  la  maison...  B.  (deuxième  brouillon  corrigé  et 
texte  de  Rey):  trois  rameurs,  un  domestique...  —  A.  oit 
la  terre,  partout  cultivée  et  partout  fertile...  B.  partout 
féconde... —  A.  approcher  du  bord  de  l'esplanade...  B.  ap- 
procher du  bord^... —  A.  l'aimer,  l'adorer  encore  et,  après 
une  union  si  parfaite  et  si  douce,  la  sentir  perdue...  B.  l'ai- 

'  Exemples  :  tandis  que  nous  nous  amusions  agréablement  à  parcou- 
rir {2'  brouillon  et  1761]  —  tandis  que  nous  nous  amusions  à  parcourir 
[copie  Luxembourg]. 

'  Exemple:  elle  semble  sourire  et  s'animer  —  elle  semble  s'animer  et 
sourire. 

^  Ici  Rousseau  avait  écrit  sur  le  deuxième  brouillon  :  approcher  de 
l  esplanade.  En  recopiant  pour  M'"'  de  Luxembourg  il  écrit:  approcher 
du  bord  de  l'esplanade.  Puis  en  corrigeant  son  deuxième  brouillon  et 
en  envoyant  son  texte  à  Rey  il  adopte  la  leçon  :  approcher  du  bord. 


TEXTE   DE   LA   NOUVELLE   HÉLOISE  27 

mer,  l'adorer  et  presque  en  la  possédant  encore^  la  sentir 
perdue. . . 

Enfin  sur  quatre  points,  le  texte  du  deuxième  brouil- 
lon d'abord  identique  à  la  copie  Luxembourg  et  diff'érenl 
du  texte  de  Rej'  est  établi  conformément  à  ce  dernier 
par  une  addition  de  Rousseau  :  A.  (deuxième  brouillon 
non  corrigé  et  copie  Luxembourg)  :  et  nous  j'  primes 
terre...  B.  (addition  du  deuxième  brouillon  et  texte  de 
1761)  et  nous  j-  primes  terre  après  ai'oir  lutté  plus  d'une 
heure  à  dix  pas  du  rivage  sans  y  pouvoir  arriver^... — 
A.  ce  lieu  solitaire...  B.  En  approchant  et  reconnaissant 
mes  anciens  renseignements.,  je  fus  prêt  à  me  trouver  mal; 
mais  je  me  surmontai,  je  cachai  mon  trouble  et  nous  arri- 
vâmes. Ce  lieu  solitaire...'  —  A.  mais  Julie  attendrie... 
'B.  mais  Julie.,  qui  me  voyant...  —  A.  la  serra  sans  mot 
dire...  B.  la  serra  sans  mot  dire  en  me  regardant  avec 
tendresse  et  retenant  avec  peine  un  soupir^. 

Il  n'y  a  à  peu  près  pas  de  cas  inverse  où  la  copie 
Luxembourg  soit  à  la  fois  différente  du  deuxième  brouil- 
hm  et  plus  proche  du  texte  de  Rey  et  permette  ainsi 
de  supposer  qu'elle  est  chronologiquement  plus  rappro- 
chée de  ce  texte.  Les  trois  seuls  exemples  sont  sans 
signification  :  A.  (texte  de  Rey  et   de   la  copie  Luxem- 


'  Ici  le  texte  de  Rey  est  légèrement  différent  :  et  après  avoir  lutté  plus 
d'une  heure  à  dix  pas  du  rivage,  nous  parvînmes  à  prendre  terre. 
Rousseau  a  remanié  encore  sa  correction  pour  l'impression. 

-  Toute  cette  phrase  partie  au  verso,  partie  en  surcharge.  Noter  tou- 
jours l'extrême  différence  des  encres  qui  prouve  des  corrections  non 
immédiates  et  confirme  notre  démonstration. 

■■'  Rousseau  avait  d'abord  écrit  (2"^  brouillon)  :  «  la  serra  sa)is  mot  dire 
en  retenant  avec  peine  un  sotipir»;  puis  il  barre  et  ne  laisse  que  a  la 
serra»;  en  recopiant  pour  M»"  de  Luxembourg  il  rétablit  «sans  mot 
dire»;  enfin  en  corrigeant  et  en  envoyant  son  texte  à  Rey  il  rétablit 
tous  les  mots  barrés  en  intercalant  «  en  me  regardant  avec  tendresse.  » 


28  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.   J.   ROUSSEAU 

bourg):  entre  quelques  rochers...  B.  (deuxième  brouil- 
lon) jt^arm  /  quelques  rochers.  Il  n'}'  a  là  qu'une  de  ces 
minimes  oscillations  de  mots  pour  lesquels  Rousseau, 
nous  Tavons  vu,  change  constamment  et  sans  raison. 
A.  sauvage  et  désert,  mais  plein  de  ces  sortes...  B.  sau- 
vage et  désert,  plein...  —  A.  Je  partis  arec  elle  en  soupi- 
rant., mais  sans  lui  7'épondre  ^  B.  Je  partis  avec  elle  san^ 
lui  répondre.  Pour  ces  deux  derniers  cas,  si  le  texte 
Luxembourg  est  identique  au  texte  de  Rey  il  est  éga- 
lement identique  à  la  p?'emière  rédaction  du  deuxième 
brouillon.  Rousseau,  sur  ce  brouillon,  a  seulement  barre- 
les  mots  qui  manquent  en  B.  Puis  il  s'est  ravisé  et  en 
recopiant  pour  M'"*'  de  Luxembourg  et  en  recopiant 
pour  Rey. 

Nous  avons  fait  le  même  travail  pour  la  lettre  IV, 
1 1  et  les  résultats  en  sont  identiques.  Le  manuscrit 
deuxième  brouillon  est  constamment  plus  voisin  du 
texte  de  1761  que  la  copie  Luxembourg  par  ses  correc- 
tions et  additions.  Ces  additions  et  corrections  sont 
postérieures  à  cette  copie.  C'est  le  deuxième  brouillon 
qui  doit  faire  foi  pour  les  textes  qu'il  nous  donne. 
(Parties  W-VI.) 

C.   Conclusion. 

Quelques  conclusions  très  générales  s'indiquent  à  côté 
des  conclusions  critiques.  Elles  intéressent  et  la  phi- 
lologie et  la  psychologie  de  Rousseau.  La  Nouvelle 
Héloise  fut,  et  de  beaucoup,  le  plus  grand  succès  litté- 
raire du  dix-huitième  siècle.  Elle  eut  plus  de  cinquante 
éditions  et  contrefaçons   avant    1800,  une  au  moins,  la 

'  Ici  le  texte  de  Rey  modifie  «  en  gémissant.  » 


TEXTE   DE   LA   NOUVELLE    HÉLOISE  2C) 

première,  tirée  à  quatre  mille  exemplaires  et  peut-être 
plus,  alors  qu'aucun  roman,  de  1760  à  la  Révolution,  ne 
«emble  avoir  dépassé  trois  ou  quatre  éditions  avouées  ^ 
Son  action  sur  les  âmes  françaises  fut  prodigieuse-.  Au 
cours  du  dix-neuvième  siècle,  elle  fut  incessamment 
rééditée  et  relue.  Ce  roman,  Rousseau  Ta  revu,  corrigé 
avec  un  soin  tendre  et  une  obstination  durable.  Des 
éditeurs  sont  venus  qui  ont  fait  quelque  effort  pour 
l'imprimer  correctement  et  qui  en  connaissaient  les 
manuscrits.  Pourtant  il  nous  faut  encore  le  lire  dans 
des  éditions  qui  sont  ou  médiocres  ou  très  mauvaises. 
Certes  le  sens  du  livre  n'en  souffre  pas  essentiellement 
et  les  âmes  ardentes  de  Julie  et  de  Saint-Preux  n'en 
sont  pas  défigurées.  Mais  ce  sont  tout  au  moins  le 
philologue  qui  étudie  la  langue  de  Rousseau,  le  lettré 
pieux  désireux  de  le  connaître  exactement  qui  n'ont  en- 
tre leurs  mains  que  des  ressources  incertaines.  C'est 
enfin  tout  lecteur  cultivé  qui  garde  la  crainte  instinc- 
tive d'être  infidèle  à  Rousseau  et  de  n'avoir  d'une  œu- 
vre d'art  qu'une  copie  altérée  parfois,  ou  retouchée  au 
hasard. 

L'étude  des  manuscrits  de  Rousseau  suffirait  ample- 
ment à  nous  convaincre  du  soin  minutieux  qu'il  met  à 
se  corriger.  Mais  son  obstination  patiente,  non  pas  im- 
médiate et  continue  comme  celle  de  Flaubert,  échelon- 
née au  contraire  parfois  sur  onze  ou  douze  années, 
révèle   des  scrupules  de  styliste  presque   maladifs.  Les 


1  Paul  et  Virginie  n'est  qu'une  «pastorale.  » 

-  Cf.  notre  ouvrage  :  Le  sentiment  de  la  nature  en  France  deJ.-J.  Rous- 
seau à  Bernardin  de  Saint-Pierre,  Paris,  Hachette,  1907,  et  notre  arti- 
cle de  la  Revue  du  Mois  (1909  10  mai)  :  Les  admirateurs  inconnus  de  la 
Nouvelle  Héloïse. 


JO  ANNALES  DE  LA  SOCIETE.!.  J.    ROUSSEAU 

étapes  de  ces  corrections  s'ajoutent  indéfiniment  les 
unes  aux  autres  :  remaniements  des  phrases  dans  ses 
promenades  de  .Montmorency,  le  soir,  la  nuit.  Pour  le 
moins  premier  brouillon  surchargé  de  ratures  innom- 
brables, deuxième  brouillon,  copie  pour  l'édition  mo- 
difiée, copie  Luxembourg  également  et  différemment 
modifiée,  corrections  du  deuxième  brouillon,  envoi 
d'additions  ou  corrections  à  Rey,  corrections  sur  les 
épreuves,  corrections  de  style  dans  Terrata,  autres  cor- 
rections pour  l'édition  de  17Ô3,  exemplaires  de  i  7Ô4  et 
lyôq  corrigés  et  annotés.  Quand  on  étudie  ces  correc- 
tions, qu'on  retrouve  les  mêmes  variantes  qui  oscillent 
à  quatre  reprises  entre  deux  textes,  les  mêmes  notes 
abandonnées  et  reprises,  on  doit  songer  une  fois  de 
plus  que  Rousseau  fut  un  nerveux  et  un  malade  et  que 
la  tendance  à  l'idée  fixe,  parfaitement  d'accord  avec  l'in- 
décision, se  retrouve  parfois  dans  ses  tâches  d'auteur 
comme  dans  les  actes  de  sa  vie. 

Ainsi  se  confirme  aussi  ce  que  nous  avons  dit  ailleurs 
du  style  «  sentimental  »  et  non  pittoresque  de  Rousseau. 
Quand  il  compose  Jean-Jacques  est  un  auditif  et  non 
un  visuel.  Lorsqu'on  écrit,  comme  Chateaubriand,  pour 
ressusciter  par  les  mots  sans  couleur  et  sans  forme  les 
visions  éclatantes  et  harmonieuses,  on  peut  se  corriger 
sans  cesse  et  sans  cesse  trouver  une  plus  sûre  corres- 
pondance entre  ses  images  et  son  style.  Mais  il  n'est 
généralement  pas  de  retour  possible.  La  phrase  plus 
fidèle  à  l'image  s'impose  sans  conteste  et  pour  toujours 
sur  celle  moins  précise  et  moins  vivante.  Au  con- 
traire l'harmonie  musicale  d'une  phrase  est  chose  infi- 
niment mystérieuse  et  mouvante.  Elle  n'est  pas  la 
même   pour   un   Genevois   du   dix-huitième   siècle   qui 


TEXTE   DE   LA  NOUVELLE    HÉLOISE  3l 

tend  à  prononcer  les  consonnes  finales,  et  pour  un  con- 
temporain de  M'"®  de  Staël  qui  tend  à  les  effacer.  Elle 
se  transforme  même  peut-être  pour  un  Rousseau  mon- 
dain et  bien  portant  et  pour  un  Rousseau  solitaire  et 
malade.  De  là  ces  corrections,  ces  hésitations,  ces  re- 
tours dont  aucune  raison  impersonnelle  ne  saurait  sou- 
vent rendre  bien  compte.  Pourtant  si  le  détail  d'un 
pareil  style  échappe  en  partie  à  une  analyse  méthodi- 
que, si  les  scrupules  ne  se  justifient  pas  toujours  pour 
d'autres  que  pour  Técrivain,  c'est  cette  poursuite  assi- 
due des  cadences  subtiles  et  des  harmonies  fuyantes  des 
mots  qui  seule  fonde  solidement  la  valeur  musicale  de 
la  phrase.  Les  usages  changent  ;  nous  n'avons  exacte- 
ment les  oreilles  ni  de  Rousseau,  ni  de  ses  contempo- 
rains, et  pourtant  les  phrases  vibrent  toujours  dans  les 
lettres  de  Julie  et  de  Saint-Preux. 


.^2  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  J.   ROUSSEAU 

DEUXIÈME  PARTIE 
Les  éditions  du  dix-huitième  siècle. 

L     HISTOIRE    DE    LA    PREMIÈRE    ÉDITION 

Pendant  un  voyage  que  fit  Rey  à  Paris  en  1738,  Rous- 
seau lui  lut  à  Montmorency  «quelques  morceaux  de  la 
Noiwelle  Héldise.»  Le  1 3  septembre  1768,  Rousseau  an- 
nonce que  le  roman,  en  six  parties,  est  entièrement  achevé 
et  qu'il  pourra,  s'il  le  désire,  commencer  par  lui  impri- 
mer une  édition  de  ses  œuvres.  Jean-Jacques  projetait 
même  un  voyage  à  Amsterdam,  fixé  au  printemps  de  1 759, 
pendant  lequel  il  devait  surveiller  l'impression.  Le  prix 
convenu  avait  été  fixé  tout  de  suite  à  quinze  louis  neufs 
par  partie.  Le3i  octobre,  Rey  précise  ses  intentions  :  «Je 
commencerai  par  vos  lettres  que  vous  m'avez  fait  le  plai- 
sir de  me  faire  voir  à  quinze  louis  la  partie  ;  je  voudrais 
les  publier  par  deux  parties  à  la  fois,  mais  comment 
faire  pour  les  dessins?  Voudriez-vous  les  faire  exécu- 
ter à  Paris  et  combien  demanderait-on  par  sujet?  Vous 
pourriez  m'envoyer  partie  par  partie  et  je  vous  ferai 
payer  en  peu  de  temps  à  chaque  fois,  sans  m'enga- 
ger  à  tout  finir  pour  le  inois  de  septembre  prochain; 
qo  louis  font  2160  livres,  c'est  une  somme,  sans  comp- 
ter les  autres  frais  qui  iront  bien  au  delà;  combien 
croyez-vous  que  tiendra  de  pages  chaque  partie?»  Le 
iQ  février  1739,  Rey  réclame  les  deux  premières  parties 
du    manuscrit   en   promettant   pour    le   mois    de   mars 


ÉDITIONS    DU    XVIII'^   SIÈCLE  33 

trente  louis  neufs.  En  réponse,  le  14  mars,  Rousseau 
précise  ses  conditions  définitives.  L'ouvrage  sera  sur 
beau  papier,  de  caractères  et  de  format  à  convenir;  les 
feuilles  seront  tirées  seulement  après  le  retour  des 
épreuves  corrigées  ;  on  suivra  exactement  Torthographe, 
la  ponctuation,  même  les  fautes  du  manuscrit  ;  l'ou- 
vrage paraîtra  tout  à  la  fois  et  Rousseau  en  recevra 
soixante  exemplaires  ^ 

A  la  même  date  du  14  mars,  Rousseau  indique  qu'il 
expédiera  la  première  partie  le  dernier  jour  d'avril 
et  que  les  parties  suivront  de  mois  en  mois.  En 
fait,  Rey  accuse  réception  de  la  première  partie  le 
18  avril.  Rousseau  expédie  la  deuxième  le  2  mai  et 
Rey  annonce  son  arrivée  le  i3.  Le  14  octobre,  il  est 
-question  dans  une  lettre  de  Rey  de  la  troisième  partie. 
Le  27  octobre,  la  quatrième  partie  vient  d'arriver.  Le 
i5  décembre,  la  cinquième  est  expédiée.  Rey  Ta  reçue 
le  24.  Envoi  de  la  sixième  le  18  janvier  et  accusé  de 
réception  du  i^'  février'. 

La  question  des  épreuves  fut  l'objet  de  constantes 
difficultés  et  négociations.  A  cette  date  les  ports  de 
paquets  aussi  pesants  étaient  extrêmement  coûteux'. 
Rousseau  refusait  de  les  prendre  à  sa  charge  en  affir- 
mant que  tous  ses  bénéfices  d'auteur  y  passeraient.  D'au- 
tre part,  en  suivant  la  voie  régulière  de  la  poste,  il  crai- 

'  Bosscha:  pp.  63,  65,  66,  68-69.  —  Œuvres.  VIII,  p.  36o.  —  Lettres 
de  Rey  du  20  septembre  1758,  24  octobre,  3i  octobre,  19  février  lySg, 
mars. 

-  Bosscha:  pp.  68,  73,  82,  84.  —  Lettres  de  Rey  du  14  mars  1759, 
10  avril,  2  mai,  14  mai,  i3  octobre,  27  octobre,  i5  décembre,  24  décem- 
bre, 1  février  1760. 

*  Ils  venaient  même  d'être  augmentés.  (Cf.  une  lettre  de  Thieriot  à 
Voltaire  du  28  novembre  1759.  Revue  d'Hist.  litt.  de  la  France,  1908, 
p.   348.) 


:>4  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  J.   ROUSSEAU 

gnait  des  indiscrétions,  des  détournements  ou  des  diffi- 
cultés de  police.  Il  commence  par  indiquer  à  Rey  qu'il 
devra  expédier  à  d'autres  adresses  que  la  sienne,  en 
alternant  ces  adresses,  et  avec  des  précautions  minu- 
tieuses, détaillées  dans  une  lettre  du  i5  octobre.  A  la 
même  date  il  suggère  à  Rey  de  solliciter  de  M.  de 
Malesherbes,  s'il  a  les  ports  francs,  l'autorisation  de 
lui  faire  parvenir  les  épreuves.  Le  24  décembre,  Rey 
écrit  à  Malesherbes  ^  Le  i^*"  février  il  annonce  à  Jean- 
Jacques  que  M,  de  Malesherbes  a  accepté  la  propo- 
sition. Dans  une  lettre  du  G  mars  Rousseau  indique  à 
Malesherbes  comment  les  épreuves  pourront  lui  parve- 
nir de  Paris  à  Montmorency,  soit  par  la  poste,  soit 
par  un  messager  de  la  rue  Saint-Germain  l'Auxerrois'^. 
La  question  des  ports  réglée,  restait  celle  de  la  régu- 
larité des  envois,  d'Amsterdam  ou  de  Paris.  Les  lettres 
de  Rousseau  à  Rey  et  de  Rey  à  Rousseau  précisent  les 
dates  sans  grand  intérêt  de  ces  échanges.  Notons  seu- 
lement que  la  première  épreuve  est  envoyée  le  3  avril 
1760,  la  deuxième  le  7  avril,  la  première  bonne  feuille 
le  24  avril,  avec  l'épreuve  D'.  Rousseau  et  Rey  eurent 

'  La  lettre  est  conservée  à  la  Bibliothèque  Nationale  (Manuscrits. 
Collection  Anisson,  22191,  f"  299):  «J'ai  deux  grâces  à  vous  demander 
et  que  je  vous  prie  de  vouloir  m'accorder. . .  La  première  est  de  me 
permettre  de  vous  adresser  les  épreuves  d'un  nouvel  ouvrage  que  je 
vais  entreprendre  dont  l'auteur  est  M.  Rousseau,  citoyen  de  Genève  ; 
voici  ce  qu'il  me  mande  par  la  lettre  du  i5  Xbre  lySg,  de  Montmo- 
rency.... [Lettre  publiée,  conformément  à  l'extrait  donné  par  Rey, 
dans  Bosscha,  p.  831. 

Je  mande  parce  courrier  à  M.  Rousseau  que  je  vous  en  ai  fait  la  de- 
mande et  que  je  l'instruirai  de  la  réponse  dont  je  vous  prie  de  m'ho- 
norer. . .  » 

'  Bosscha.  pp.  83,  82,  86.  —  Œuvres,  X.  p.  226.  —  Lettres  de  Rey 
du  24  décembre  1759,  1  lévrier  1760,  16  juin  (Lettre  d'envoi  d'épreuves 
:i  M.  de  Malesherbes.) 

•  Bosscha  et  lettres  de  Rey,  passim. 


ÉDITIONS   DU    XVIII^  SIÈCLE  35 

de  fréquents  démêlés  dont  le  prétexte  furent  les  retards 
de  l'impression.  Rousseau  accuse  Rey  fort  aigrement 
de  ne  rien  expédier,  et  Rey  s'excuse  ou  insinue  que  l'au- 
teur ne  corrige  pas  régulièrement.  Il  semble  bien  d'ail- 
leurs que  ce  fut  Rey  qui  laissa  traîner  l'impression  en 
longueur.  Dès  le  20  octobre  lySg,  Rousseau  prenait 
ses  précautions.  Il  avertissait  que  son  livre  était  attendu 
avec  «  quelque  sorte  d'impatience  qu'une  longue  di- 
sette de  romans  doit  naturellement  augmenter.  »  Mais 
il  y  a  sous  presse  plusieurs  ouvrages  analogues  et  «  il 
est  à  croire  que  la  curiosité  sera  éteinte  »  avant  que 
Rey  se  soit  mis  en  état  de  la  contenter.  Le  8  mai  1760. 
le  18  mai,  le  28  mai,  etc..  Rousseau  affirme  son  exac- 
titude, s'irrite  des  reproches  de  Rey  et  revient  sur  ses 
affirmations  et  ses  craintes  :  «  outre  que  la  réputation 
de  ce  recueil  commence  à  chanceler  et  qu'on  n'en  vou- 
dra plus  s'il  tarde  à  paraître,  je  sais  qu'il  doit  paraître, 
durant  l'hiver,  des  nouveautés  capables  d'absorber  l'at- 
tention du  public.  »  Rey  se  défend  comme  il  peut,  in- 
sinuant, le  10  mai,  que  Rousseau  n'est  pas  très  exact, 
sans  peut-être  qu'il  y  ait  de  sa  faute,  avouant  à  la 
même  date,  ou  le  12  septembre,  des  retards  dans  le  tra- 
vail, se  plaignant  à  nouveau,  le  20  octobre,  de  retards 
d'épreuves  dont  la  poste  dut  avoir  sa  part^ 

En  même  temps  Rousseau  s'irrite  amèrement  et 
constamment  de  l'incorrection  des  feuilles,  des  «fautes 
horribles  »  qu'on  lui  envoie.  L'imprimeur  n'est  pas 
seul  coupable.  Son  manuscrit  parti,  il  expédie  encore 
des  changements,  importants  surtout  pour  la  première 
partie,    et   qu'il   faut   repérer.  Les  erreurs  sont  dès  lors 

*  Bosscha:  pp.  8i,  90,  92,  96,  97.  —  Lettres  de  Rey   du  10  mai  1760, 
26  mai,  12  septembre.  20  octobre. 


36  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

si  aisées  et  si  fréquentes  que  Rey  se  plaint  (i  juin  1760) 
et  que  Rousseau  en  reconnaissant  les  inconvénients  du 
système  demande  à  Rey  de  se  contenter  des  corrections 
faites  sur  les  épreuves  ^  Entre  temps  la  correspondance 
réciproque  fixe  toutes  sortes  de  menus  détails  d'impres- 
sion. Rey  demande,  en  mai  1759,  des  indications  sur  le 
format  et  le  caractère;  Jean-Jacques  préférerait  la  forme 
in-8°.  Rey  s'inquiète  de  l'inégale  importance  des  par- 
ties que  Rousseau  maintient  comme  inévitable.  Le 
28  février  1760,  Re}^  envoie  un  échantillon  du  carac- 
tère. Le  6  mars,  Rousseau,  qui  entre  dans  tous  les  dé- 
tails, fait  ses  observations  sur  le  caractère,  le  papier, 
le  titre  courant.  La  page  de  titre  fut  l'objet  de  nom- 
breux remaniements.  Déjà  Rousseau  avait  profondé- 
ment modifié  le  titre  de  la  copie  envoyée  à  Rey  -.  La 
page  corrigée  est  envo3^ée  par  l'imprimeur  le  22  juin 
1760.  Le  2q  juin,  Rousseau  demande  des  transforma- 
tions, une  page  moins  chargée,  la  répartition  du  titre 
en  faux-titre  et  titre,  ainsi  qu'on  les  trouve  dans  l'im- 
pression définitive.  Les  lettres  de  Rey  du  10  juillet, 
28  juillet,  2S  août  et  de  Rousseau  du  17  juillet  se  met- 
tent définitivement  d'accord**. 

Rey,  par  souci  de  réclame,  avait  surtout  insisté  pour 
inscrire  en  page  de  titre  la  devise  déjà  célèbre  de  Jean- 
Jacques:  «  vitam  impendere  vero.»  Rousseau  proteste 
pour  raisons  personnelles  et  parce  qu'il  ne  veut  pas 
barioler  son  titre  de  français,  d'italien  et  de  latin.  Rc}^ 

'  Bosscha  ;  pp.  91.  84,  g.S,  97,  87.  Lettres  île  Rey  du  1"  juin  1760, 
22  juin. 

-'  Cf.  Hosscha  :  p.  yS.  La  ditVcrence  essentielle  est  que  le  loinaii  s'in- 
titulait :  Julie  ou  la  Moderne  Héloise. 

"  Bosscha  :  pp.  77,  81,  86,  102,  104.  —  Lettres  de  Rey  du  1,4  mai  1739, 
28  février  1760,  22  juin,  10  juillet,  28  juillet,  2.S  août. 


ÉDITIONS    DU    XVIII'^   SIÈCLE  Sy 

tenace,  fait  graver  une  vignette  pour  encadrer  cette  ior- 
mule  qui  lui  tient  au  cœur,  et  il  faut  que  Rousseau  re- 
nouvelle ses  protestations  le  6  et  le  24  juillet  1760^ 

La  question  des  vignettes  ne  fut  pas  moins  débattue. 
Le  7  avril  1760,  Rey,  qui  possédait  dans  son  fonds 
d'imprimeur  un  certain  nombre  d'assez  jolies  vignettes 
gravées,  qu'il  utilisera  au  besoin  pour  les  éditions  de 
Rousseau^,  écrivait:  «Je  désirerais  mettre  des  vignet- 
tes aux  titres;  voulez-vous  m'en  donner  les  sujets.  « 
Le  projet  «  ne  rit  pas  trop  »  à  Jean-Jacques  qui  de- 
mande du  reste  des  épreuves.  Rey  insiste  pour  que 
son  auteur  «  lui  indique  lui-même  les  sujets  »,  mais 
Rousseau  a  changé  d'avis;  il  ne  veut  plus  de  vignettes. 
Le  cartouche  qui  a  été  gravé  pour  encadrer  la  devise 
pourra  seulement  et  très  commodément  enfermer  l'é- 
pigraphe de  Pétrarque.  Cartouche  et  épigraphe  ne  de- 
vront du  reste  figurer  qu'au  premier  volume  et  au  der- 
nier^. 

Pour  les  planches,  Rousseau  a  songé  à  huit  estampes*, 
puis  à  douze,  qui  seraient  dessinées  par  Boucher,  coûte- 
raient une  centaine  de  louis  et  dont  les  sujets  sont  tout 
écrits.  Boucher  a  même  donné  son  consentement.  Mais 
Rey  trouvait  la  dépense  trop  forte  (lettres  du  1 3  août 
1739  et  du  24  avril  1760.)  Rousseau  se  décide  ù  charger 
Coindet  de  surveiller  l'exécution  et    la   publication  des 

'  Bosscha.  pp.  89,103,  106. 

-  Par  exemple  les  vignettes  utilisées  pour  le  nouveau  tirage  de  1761 
(cf.  iniVa  p.  49)  portent  les  dates  de  1728  et  1737. 

•'■C'est  ainsi  qu'ils  sont  utilisés  dans  l'édition  de  1761  (i«'  tirage).  — 
Bosscha:  pp.  88,  100,  102,  io5.  —  Lettres  de  Rey  du  7  avril  1760, 
24  avril,  3  mai. 

*  Sur  ces  projets  d'estampes  dont  Rousseau  discuta  avec  M™  d'Hou- 
detot  et  son  frère  M.  de  Lalive  de  JuUy,  voir  Buffenoir,  op.  cit.,  pp.  i8t|, 
200,  219. 


38  AWALES    DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  ,1.    ROUSSEAU 

douze  estampes  qui  furent  dessinées  par  Gravelot.  Il 
offrit  sans  doute  à  Rey  de  les  joindre  à  son  édition, 
mais  Rey  répondit  (27  octobre  1760)  qu'elles  arrive- 
raient trop  tard  —  comme  il  advint  —  et  elles  furent 
publiées  à  part  ^ 

Le  prospectus  fut  lancé  par  Rev  dans  les  derniers 
mois  de  i7(')o.  Nous  n'en  avons  pas  retrouvé  d'exem- 
plaire, mais  il  fut  inséré  dans  la  Bibliothèque  des  Scien- 
ces et  des  Beaux- Arts'-:  «M.  Rey  distribue  le  pros- 
pectus que  voici  :  La  Nourelle-Hélo'ise,  ou  Lettres  de 
deux  Ar?iaus,  Habitaus  d'une  petite  ville  au  pied  des 
Alpes,  recueillies  et  publiées  parJ.-J.  Rousseau,  6  vol. 
grand  in-douze,  1761.  à  Amsterdam,  chez  Marc-Michel 
Rey.  à  1.  7...  10  de  Hollande.  On  ne  se  propose  ici 
que  d'annoncer  ces  Lettres.  Le  nom  de  M.  Rousseau 
qui  les  a  recueillies,  et  en  quelque  sorte  adoptées,  est 
plus  que  suffisant  pour  les  recommander  au  public. 
Cependant  comme  bien  des  gens  souhaiteront  sans 
doute  de  savoir  quel  en  est  le  sujet,  on  \a  tâcher  de 
les  satisfaire  par  un  précis  très  succinct  des  principaux 
événements  sur  lesquels  elles  roulent... 

[Analyse:  pp.  5 1 2-3  14] 

C.e  précis  peut  suffire  pour  ceux  qui  veulent  lire  ce 
recueil  dans  le  seul  dessein  de  s'amuser.  Quant  à  ceux 
qui  y  chercheront  quelque  chose  de  plus  solide,  on  les 
avertit  qu'ils  y  trouveront  une  foule  de  réflexions  inté- 
ressantes amenées  par  les  différentes  situations  des  per- 
sonnes  qui    écrivent   ces    Letti"es.    Ces    personnes  sont 

'  Avec  des  pagiiiaiions  qui  permettaient  de  les  relier  coinmodément. 
—  Bosscha  :  pp.  77,  78.  —  Lettres  de  Rey  du  i  !^  août  1  7.^(),  24  avril  1760, 
27  octobre. 

-'  Public  à  La  Haye,  chez  Pierre  Gosse,  in-12.  Octobre-iiovenibre-dé- 
cembre  (t.  XIV,  2' partie),  p.   3ii-5i3. 


ÉDITIONS    DU    XVIII^   SIKCLE  89 

Julie,  Claire,   Saint-Preux,    Mylord    Edouard  et  M.  de 
Wolmar.  » 

Tout  cela  n'était  que  discussions  commodes  et  arran- 
gements sans  portée  lointaine.  Il  y  avait  pour  Rey  des 
questions  infiniment  plus  graves  et  dont  dépendait  le 
succès  financier  de  son  entreprise.  Rey  était  libraire  de 
Hollande,  inconnu  comme  tel  du  gouvernement  fran- 
çais et  livré  à  toutes  les  entreprises  des  contrefac- 
teurs. Il  voulait  vendre  son  édition  assez  cher,  pour  se 
payer  de  ports  assez  lourds.  Il  était  donc  assuré  que 
Touvrage  serait  immédiatement  contrefait  et  que  les 
volumes  imprimés  en  France  se  vendraient  au  détri- 
ment des  siens.  Il  songea  à  une  première  combinaison  : 
«Je  tire  quatre  mille  exemplaires  de  Julie,  j'en  place 
deux  mille  à  Paris  pour  toute  la  France  où  il  ne  me 
sera  pas  permis  d'en  envoyer  ;  je  les  y  vends  [au  libraire] 
à  8  livres  l'exemplaire,  payables  à  six  mois  et  à  un  an, 
à  un  nommé  Robin  au  Palais.»  (23  octobre  1760^).  Il 
s'agissait  alors  d'obtenir  l'entrée  libre  des  ballots. 
Rousseau  fit  auprès  de  M.  de  Malesherbes  des  démar- 
ches (lettre  de  Rey  du  3o  novembre)  ;  il  annonce  le 
26  décembre  que  l'entrée  a  été  accordée  à  Robin.  Rey 
avait  d'abord  promis  de  faire  l'envoi  le  12  décembre, 
mais  il  prévient  que  les  balles  ne  sont  parties  que  le  22 
par  eau,  par  la  voie  de    la   Zélande  et  de  Bruxelles^.  Il 

'  Rey  avait  sans  doute  déjà  entretenu  Rousseau  de  ses  craintes.  Dans 
tous  les  cas  Rousseau  en  parla  à  Malesherbes  qui  donna,  pendant  que 
Rey  se  décidait  tout  seul,  le  conseil  de  substituer  pour  la  moitié  de 
l'édition  un  libraire  français  (Rousseau.  Œuvres,  X,  p.  239.) 

-  L'édition  Hachette  donne  (X,  235)  une  lettre  datée  de  1760  où  Rous- 
seau indique  qu'il  n'a  plus  reçu  de  nouvelles  de  son  libraire  depuis  la 
dernière  feuille  et  qu'il  croit  son  envoi  en  route.  Nous  avons  omis  de  re- 
lever à  Neuchâtel  la  dernière  lettre  où  Rey  annonce  l'arrivée  d'épreuves, 
mais  il  y  a  une  lettre  de  lui  du  20  octobre  où  il  se  plaint  de  n'avoir  pas 


40  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ,1.  .1.   ROUSSEAU 

avait  d'abord  espéré  qu'elles  arriveraient  à  Paris  vers 
le  milieu  de  décembre  ^  Les  difficultés  de  la  naviga- 
tion d'hiver  furent  cause  que  le  3i  décembre  le  «na- 
vire M  n'était  pas  encore  a  Bruxelles.  L'arrivée  devait 
avoir  lieu  à  Paris  le  q  janvier.  Elle  est  faite  en  tous 
cas  le  17 2.  Mais  les  exemplaires  ne  furent  pas  immé- 
diatement mis  en  vente. 

Re3%  en  effet,  n'avait  pas  conjuré  le  péril  pour  avoir 
vendu  ses  deux  mille  exemplaires  à  Robin.  L'imprime- 
rie au  dix-huitième  siècle  était  une  entreprise  si  semée 
de  périls  et  d'embûches  qu'on  s'étonne  de  voir  malgré 
tout  les  livres  s'éditer  avec  quelque  aisance.  Les  ris- 
ques que  Rey  ne  courait  plus,  c'est  Robin  qui  les  affron- 
tait, et  si  Robin  ne  vendait  pas,  c'est  Rey  qui  n'était 
pas  payé.  Dès  la  mise  en  vente,  et  même  avant,  si  quel- 
que exemplaire  s'égarait,  c'était  le  champ  libre  ouvert 
aux  contrefacteurs.  Il  s'agissait  donc  pour  Rev  et  pour 
Robin  d'obtenir  de  M.  de  Malesherbes  une  sorte  de 
privilège,  l'interdiction  de  toute  réimpression  du  ro- 
man en  dehors  des  deux  mille  exemplaires  envoyés  à 
Paris.  Déjà  en  août  1761,  Re}'  avait  soupçonné  qu'une 
édition  parisienne  de  Julie  se  préparait,  et  il  avait  écrit 
à  Rousseau  pour  lui  demander  de  s'y  opposer.  Rous- 
seau répondit  sèchement  qu'il  n'était  question  de  rien  ; 
mais  le  péril  n'était  que  différé.    C'était  de  M.  de  Ma- 


reçu  les  épreuves  corrigées  par  Rousseau.  La  lettre  doit  donc  être  da- 
tée fin  octobre  ou  commencement  novembre.  Dans  tous  les  cas  elle  est 
antérieure  au  24  novembre,  ou  plutôt  à  l'arrivée  à  Paris  d'une  lettre  du 
24  où  Rey  annonce  l'expédition  de  l'ouvrage. 

'  C'est  ce  qu'espère  aussi  Rousseau  dans  une  lettre  à  Lcnicps  du  1  i  dé- 
cembre 1760  (X,  p.   244.) 

-  Lettres  de  Rey  du  2  3  octobre  1760,  .^o  novembre,  26  décembre, 
sans  date,  24  novembre,  3i  décembre,  9  janvier  1761,  17  janvier. 


EDITIONS   DU   XVIll'   SIÈCLE  4I 

leshcrbes  que  dépendait  toute  TalVaire.  Rey  ne  ménage 
ni  les  sollicitations  ni  les  voyages.  Il  vint  à  Paris  en 
décembre  1760  (où  il  vit  même  Rousseau  à  Montmo- 
rency), et  en  janvier  17(^1  ^  Il  n'obtint  qu'un  demi- 
succès. 

Pour  Malesherbes,  Rousseau  avait  vendu  son  manus- 
crit à  un  libraire  de  Hollande.  Il  n'avait  plus  à  s'oc- 
cuper des  conditions  de  la  mise  en  vente.  C'était  au 
libraire  à  calculer  ses  droits  et  ses  intérêts.  Or  rien  ne 
pouvait  interdire  aux  libraires  français  de  réimprimer 
à  leur  guise  un  ouvrage  édité  à  l'étranger;  toutes  con- 
trefaçons étaient  légitimes.  Dans  tous  les  cas  elles 
étaient  possibles  avant  même  l'arrivée  à  Paris  des  bal- 
lots pour  Robin,  Malesherbes  avait  reçu  de  Rey,  en 
novembre  1760,  un  volume,  puis  six  exemplaires  qu'il 
n'avait  pas  gardés  pour  lui.  Rey  s'en  inquiète  et  s'en 
plaint,  en  constatant  le  3i  décembre  que  de  ces  six  exem- 
plaires trois  courent  de  mains  en  mains.  Le  chevalier 
de  Lorenzi  écrit  lui  aussi  qu'il  y  a  deux  exemplaires 
«qui  trottent  de  l'un  à  l'autre».  Rey  d'ailleurs  a  lui- 
même  commis  des  imprudences,  puisque  dès  le  com- 
mencement de  décembre  il  a  prêté  Julie  à  Dangirard, 
un  correspondant  de  Rousseau.  Aussi  écrit-il  lettres 
inquiètes  sur  lettres  pressantes.  Malesherbes  refuse  de 
recevoir  en  présent  les  trois  exemplaires  du  roman  et 
les  paye.  Il  refuse  d'interdire  la  contrefaçon.  Il  ne 
reste  donc  plus  qu'à  canaliser  cette  contrefaçon  en  sau- 
vant Robin  et  l'argent  de  Rey.  On  demandera  à  Ma- 
lesherbes de  donner  à  Robin  le  droit  exclusif  de  réim- 


1  Bosscha  :  pp.  117.  m.  Lettres  de  Rey  du  20  décembre  1760  et  9  jan- 
vier I  76  I. 


42  ANNALES  DE   LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.  ROUSSEAU 

primer  la  Nouvelle-Héloise.  Malesherbes  résiste,  puis 
finit  par  donner  son  consentement  à  une  combinaison 
qui  profitera  aux  intérêts  de  Rousseau.  Robin  imprimera 
une  nouvelle  édition  autorisée,  mais  il  versera  à  Rous- 
seau un  présent  de  cent  pistoles.  L'impression  est  com- 
mencée malgré  Rousseau  et  sans  d'ailleurs  que  Rey 
soit  averti.  Jean-Jacques,  avec  une  très  belle  et  très 
scrupuleuse  honnêteté,  poussant  bien  plus  loin  que 
Malesherbes  le  souci  des  engagements  tacites  qu'il 
croyait  avoir  pris  envers  Rey\  dut  accepter  ce  qui  s'é- 
tait fait  «à  son  insu  ».  Il  réclama  du  moins  le  consen- 
tement de  Re}-.  Re}-  donna  ce  qu'il  ne  pouvait  contes- 
ter puisque  Malesherbes  ordonnait  et  que  l'édition 
était  sous  presse-.  Du  moins  Rousseau  voulut-il  par- 
tager avec  Rey  ses  cent  pistoles.  Rey  refusa.  Rousseau, 
comme  compensation,  lui  céda  pour  mille  francs  le  ma- 
nuscrit du  Contrat  social  dont  il  aurait  pu.  dit-il.  tirer 
deux  mille  francs.  Cette  édition  de  Paris  ainsi  impri- 
mée avant  l'arrivée  des  ballots  de  Rey  dut  même,  par 
ordre  de  Malesherbes,  et  dans  l'intérêt  de  Robin  qui 
n'aurait  pu  écouler  un  texte  altéré,  être  vendue  toute 
entière  avant  de  commencer  le  débit  de  l'édition  d'Ams- 
terdam :  ('  Robin,  écrit  de  Loreiizi,  le  28  janviei'  lyin, 
ne  veut  pour  or  ni   poLir   argent   livrer   d'autres  cxcm- 


'  Voir  le  très  intéressant  échange  de  ieiircs  entre  .1 .  J.  Rousseau  cl  Ma- 
lesherbes :  Oeuvres,  X,  p.  237;  Streckcisen-Moullou  :  J.J.  Rousseau. 
Ses  amis  et  ses  ennemis,  Paris,  i865.  Lettres  du  2()  octobre  et  du  11  no- 
vembre 1760,  t.  II,  pp.  401-406. 

-  On  voit  donc  ce  que  vaut  la  phrase  de  Rousseau  du  28  janvier  1761 
{ci.  éf^alement  Confession.  VIII,  p.  3(\';,  ou  lettre  à  Malesherbes  du  10  fé- 
vrier 1761,  X,  p.  23i):  «cette  seconde  édition  se  faisant  par  votre  ordre 
et  du  consentement  de  Rey.  »  (Voir  la  lettre  de  Rey  du  25  février  1761  : 
«J'ai  donné  les  mains  à  la  réimpression  de  Julie  parce  que  je  ne  pouvais 
pas  l'empêcher.)») 


KDlllOXS   UV   XVm'  SIÈCLE  43 

plaires  que  de  rédition  de  Paris.»  Coindet  avait  reçu 
pour  Rousseau  douze  exemplaires  de  l'édition  d'Ams- 
terdam. Six  avaient  été  distribués.  Robin  proteste  au- 
près de  Malesherbes  qui  en  écrivit  à  Jean-Jacques  et 
Jean-Jacques  promit  que  Coindet  «  ferait  tous  ses  efforts 
pour  les  retirer.»  L'édition  complète  d'Amsterdam  ne 
commença  à  se  débiter  qu'au  début  de  février  17(31  ^ 

Il  fut  également  question,  et  tout  de  suite,  de  nou- 
velles éditions  autorisées,  revues  par  Rousseau  et  qui 
auraient  sérieusement  menacé  les  bénéfices  de  Robin. 
C'est  ainsi  que  Robin,  le  21  février,  écrit  à  Re\^  pour 
protester  violemment  contre  le  bruit  d'une  troisième 
édition  avec  figures,  moins  coûteuse,  que  Malesherbes 
aurait  autorisée  et  à  laquelle  Rousseau  aurait  quelque 
part.  Rey,  le  2  mars,  transmet  à  Rousseau  les  protes- 
tations de  Robin  avec  les  siennes.  Rousseau,  en  effet, 
avait  été  pressenti  par  Coindet  et  Malesherbes.  Mais  il 
voulait  avant  de  consentir  laisser  à  Robin  le  temps  de 
débiter  l'édition  de  Paris  et  ses  deux  mille  exemplaires 
de  Hollande.  Il  voulait  aussi,  puisqu'il  s'agirait  d'une 
édition  officiellement  autorisée,  s'entendre  avec  Ma- 
lesherbes sur  les  suppressions  de  l'édition  de  Paris, 
sur  les  raisons  données  pour  les  justifier,  surlesaccom- 

1  Le  3  février  Le  Roy  écrit  bien  à  Hennin  qu'il  vient  d'achever  la  lec- 
ture du  roman.  (Cf.  G.  M  au  gras  :  Querelles  de  philosophes,  Voltaire  et 
J.J.  Rousseau,  Paris,  Calmann-Lévy,  1886,  in-8°,  p.  128),  mais  il  n'in- 
dique pas  s'il  s'agit  de  la  contrefaçon.  A  la  même  date  du  3  février,  La 
Condamine  (lettre  de  Neuchâtel)  écrit  à  Jean-Jacques  qu'il  diffère  d'ac- 
quérir son  roman  pour  avoir  le  texte  authentique.  Rousseau  dit  (IX, 
p.  2)  «au  début  du  Carnaval».  Le  Carnaval  de  1761  se  place  du  i  au 
3  février. 

Bosscha  :  pp.  117,  iii.  —  Rousseau  :  Œuvres:  X,  pp.  241,  246;  'VIII, 
p.  367.  —  Lettres  de  Rey  du  3i  décembre  1760,  6  mars  1761,  25  février, 
sans  date.  —  Lettres  de  Dangirard  du  22  février  1761  et  Lorenzi,  28  jan- 
vier. 


44  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  .1.  .1.  ROUSSEAU 

modements  et  retouches  qu'on  pourrait  trouvera  En 
avril  1761.  il  renonce  à  s'occuper  de  ce  projet  d'une 
édition  française.  Le  livre  restera  tel  qu'il  est-. 

Rousseau  avait  été  intégralement  payé.  En  mars  lySp, 
Rey  promettait  de  verser  les  quatre-vingt  dix  louis  dans 
le  courant  de  l'année.  Mais  le  i^'"  juin.  Fauteur  n'avait 
encore  rien  reçu.  Le  i  i  juin  Rey  explique  qu'il  s'est 
arrangé  avec  M.  de  Saintvenant  de  Rouen  qui  se  char- 
gera de  pa3^er  à  Rousseau  quatre  cents  livres  en  mai, 
autant  en  juillet,  septembre,  novembre  et  cinq  cent 
soixante  en  décembre  pour  parfaire  les  deux  mille  cent 
soixante  livres  représentant  les  quatre-vingt-dix  louis 
neufs.  Le  21  juin  Rousseau  a  reçu  le  premier  paiement. 
Le  6  août  rien  de  nouveau.  Il  propose  à  Rey  si  ses 
affaires  sont  embarrassées  de  résilier  le  traité.  Mais  le 
deuxième  paiement  est  arrivé  le  2  septembre,  le  troi- 
sième le  7  octobre,  le  quatrième  le  ib  décembre  et  le 
dernier  le  18  janvier  1760'. 

Conformément  à  la  promesse  faite,  Robin  annon- 
çait à  Rousseau,  le  3o  novembre  i7()o,  qu'il  y  aurait 
dans  les  balles  de  Rey  soixante  exemplaires  pour  lui. 
Sans  compter  M'"''  de  Luxembourg,  M'"'=  d'Houdetot 
et  les  intimes  qui  ont  lu  les  copies,  Duclos  a  vu  le  ro- 
man sur  les  bonnes  feuilles  que  lui  envoie  Rousseau"*. 


'  Voir  la  lettre  sans  date  à  Coindet  (X,  293).  Elle  est  très  mal  classée 
entre  deux  lettres  du  2.^  décembre  1761.  Elle  doit  se  placer  avant  la 
lettre  265  d'avril  176 1  . 

'  Rousseau  :  Œuvres,  X,  p.  256,  249.  —  Lettres  de  Robin  (à  la  Biblio- 
thèque de  Neuchâtel)  du  12  mars  1761,  de  Rey  du  2  mars. 

3  Bosscha  :  pp.  75,  77,  78,  79,  82,  84.  —  Lettres  de  Rey  de  mars  1759 
(postérieure  au   14),  i  1  juin. 

*  Ajoutons  une  lettre  à  M.  (Duclos?)  où  Rousseau  indique  qu'il  en- 
verra la  préface  «  imprimée»  et  «  déjà  cousue  à  la  première  partie»  si 
son  correspondant  le  désire. 


ÉDITIONS  DU  xviii'^  sièclb:  45 

Des  soixante  exemplaires,  un  fut  donné  à  M.  de  Mar- 
gency,  deux  à  M'^''  de  Boufflers  pour  le  prince  de  Conti, 
trois  remis  à  de  Lorenzi  par  l'intermédiaire  de  Coindet, 
un  autre  à  M.  de  Gauffecour.  Rousseau,  le  12  mars 
1761,  annonçait  à  M'"*'  Bourrette  que  tous  ses  exem- 
plaires étaient  donnés  ou  destinés  ^ 

II.    DESCRIPTION   CRITIQUE   DES   ÉDITIONS 

Nos  filiations  d'éditions  se  justifient  ainsi  :  les  gran- 
des familles  se  déterminent  sans  hésitation  et  avec  une 
certitude  rigoureuse.  I.  Première  édition.  Persistance 
du  texte  de  1761,  sans  les  corrections  conformes  à  V Er- 
rata de  Rousseau  que  comportent  toutes  les  autres  fa- 
milles. II.  Edition  Duchesne  de  1764.  Titres  de  lettres 
constamment  modifiés.  Table  sommaire  des  matiè- 
res...^. III.  Edition  Rey  de  1763.  Variantes  conformes 
à  l'exemplaire  de  1761  corrigé  par  Rousseau.  IV.  Édi- 
tion de  Genève,  1782.  Variantes  conformes  à  l'exem- 
plaire Coindet  annoté  par  Rousseau.  V.  Éditions  Defek 
DE  Maisonneuve,  Didot,  etc.  Variantes  diverses  emprun- 
tées aux  manuscrits  déposés  à  la  Convention. 

Pour  le  détail  des  filiations,  qu'il  était  d'ailleurs  inu- 
tile de  pousser  très  loin  au  prix  d'un  travail  infini',  il 
ne  nous  était  pas  possible  d'employer  exdusij>ement  la 
méthode  la  plus  simple  et  la  plus  courante  :   collation- 


'  Bosscha  :  pp.  io8.  Œuvres:  X.  pp.  234.  253.  242.  —  Lettres  (à  Neu- 
chàtel)  de  Robin  3o  novembre  1760;  Margency,  21  janvier  1761  ;  Lo- 
renzi, 28  janvier;  Lalive,  3i  janvier;  Pernetti,  6  février. 

'Cf.  l'étude  sur  le  Texte,  p.  \':> . 

'■''  Le  texte  de  la  Xoiivelle-Héloise  comportant  iq3i  p.  in-12  et  1066  p. 
in-4". 


46  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.  ROUSSEAU 

ner  d'un  bout  à  Tautre  dans  toutes  les  éditions  cin- 
quante ou  cent  pages  déterminées.  Il  y  a  en  effet  quel- 
quefois trente  ou  quarante  pages  consécutives,  ou  plus, 
où  l'on  ne  rencontre  pas  une  variante  importante  et 
qui  ne  puisse  pas  être  attribuée  à  la  rigueur  au  hasard 
de  la  composition.  Nous  avons  donc  coUationné  en- 
tièrement les  éditions  de  Rey  1763  et  de  Genève  1782, 
les  parties  IV-VI  de  l'édition  Musset-Pathay,  et  pour 
toutes  les  éditions  de  quelque  intérêt  les  cent  ou  deux 
cents  premières  pages  de  la  quatrième  partiel 

En  même  temps  nous  avons  comparé  le  texte  de  la 
première  édition  et  le  texte  de  Musset-Pathay,  le  der- 
nier en  date  qui  ait  quelque  valeur,  pour  l'ensemble 
des  parties  IV,  V  et  VI  dont  nous  avons  les  brouillons. 
Cette  comparaison  nous  a  fourni  un  tableau  de  qua- 
rante-sept variantes  distribuées  sur  la  moitié  du  roman. 
Nous  les  avons  réparties  en  trois  groupes  suivant  leur 
importance^.  Et  c'est  à  ces  quarante-sept  variantes  que 


'  Les  deux  brouillons  ne  commencent  qu'à  cette  quatrième  partie. 
2  Voici  quelques  exemples  du  tableau  et  des  groupes  : 

I.  I.  (1761.  IV,  I  i).  Pas  de  note,  i'  (Musset-Pathay).  Cette  réponse  n'est 
pas  exacte  puisque  le  mot  d'hôte,  etc.  —  2.  (IV,  17)  et  le  bateau  ayant 
besoin  de  raccommoder.  2'  ...  ayant  besoin  d'être  raccommodé.  —  3.  (IV, 
17).  Un  ciel  serain,  les  doux  rayons  de  la  lune.  3' Un  ciel  serein,  la 
fraîcheur  de  l'air,  les  doux  rayons  de  la  lune.  — 4  (VI,  8)  ...une  sorte 
de  jouissance  qui  supplie  à  la  réalité.  —  Qui  vaut  mieux,  peut-être. 
4'  ...qui  supplée  à  la  réalité,  qui  vaut  mieux,  peut-être. 

II .  I .  (IV,  I)  ;  tout  le  veut  ;  mon  cœur,  mon  devoir,  mon  bonheur,  mon 
honneur  conservé,  ma  raison  recouvrée,  mon  état,  mon  mari,  mes  en- 
fans,  moi-même,  je  te  dois  tout,  i';  tout  le  veut,  mon  cœur,  mon  de- 
voir... mes  enfans,  moi-même;  je  te  dois  tout.  —  2.  (IV,  3).  Entin  j'ai 
vu  dans  mes  compagnons  de  voyage  un  peuple  intrépide  et  Her  dont 
l'exemple  et  la  liberté  rétablissaient  à  mes  yeux  l'honneur  de  mon  es- 
pèce, pour  lesquels  la  douleur  et  la  mort  ne  sont  rien.  2'  ...l'honneur  de 
mon  espèce,  pour  lequel  la  douleur...  —  3.  (IV,  9)  ...en  sorte  que  je  le 
vois  retourner  beaucoup  plus  rassurée  sur  son  cœur  que  quand  il  est 
arrivé.  3'  ...  beaucoup  plus  rassuré.  — 4.  (IV,    10);  elle  lui  assigne  une 


ÉDITIONS   DU    XVIll'^   SIÈCLE  47 

nous  avons,  pour  compléter  nos  recherches,  comparé 
toutes  nos  éditions.  Les  concordances  ou  différences 
suffisent  le  plus  souvent  à  établir  un  certain  nombre 
de  filiations  secondaires. 


I.  Première  édition, 

A.  Edition  de  Rey. 

Dans  nos  indications  les  lignes  des  titres  sont  séparées 
par  un  trait.  Quand  il  y  a  changement  de  page  pour  les 
faux-titres  la  séparation  est  marquée  par  deux  traits. 
Les  lignes  imprimées  eii  lettres  rouges,  comme  il  arrive 
fréquemment  pour  les  éditions  de  Hollande,  sont  signalées 
par  des  italiques^. 

1.  (Bibliothèque  de  l'Arsenal,  B.  L.  -loSô-j.) 
Julie,    I    ou    I    la    Nouvelle    Heloïse.     |    Tome 
premier.    j|  Lettres    |    de  deux  Amans.    \    Habi- 
tans   d'une   petite  Ville    |    au   pied  des  Alpes.    | 
Recueillies  et  publiées    \    Par  J.  J.  Rousseau.    [ 
Première  partie.    \    [Cartouche  gravé]  Non  la  co- 
nobbe   il    mondo,    mentre   l'ebbe  :     |    ConobilTio 
ch'a  pianger   qui   rimasi.    |    Petrarc.    |    A   Ams- 

heure  pour  l'entendre  en  particulier,  et  c'est  là  qu'elle  ou  son  mari  leur 
parlent  comme  il  convient.  4'  ...lui  parlent... 

III.  I.  (IV,  2).  Je  ne  pouvois  m'empêcher  d'admirer  en  toi  ce  que  j'au- 
rais repris  dans  un  autre.  T  ...  dans  une  autre.  —  2.  (IV,  3)  ...  accablé  de 
fers,  d'opprobres  et  de  misères.  2"  ...d'opprobre.  — 3.  (IV,  3)  ...J'ai  vu 
dans  ce  lieu  de  délice  et  d'effroi.  3'...  de  délices...  —  4.  (IV,  7)  ...  l'a 
guéri  de  l'esprit  de  systèmes.  4'. ..de  système. 

'  11  reste  bien  entendu  que  les  italiques  n'ont  cette  signification  que 
dans  la  copie  des  pages  de  titres  et  ne  l'ont  plus  quand  il  s'agit  de  rendre 
claire  la  suite  de  la  description  (Par  ex.  Préface...  Catalogue...) 


48  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

terdam.   \  Chez  Marc  Michel  Rey  |   MDCCLXI. 

Il   [in-'^] 

T.  I.  Préface  (Six  feuillets  non  chiffrés.)  A  la 
dernière  page  :  Note  sur  les  fautes  d'impression. 
—  Lettres:  pp.  1-407.  P.  407  verso  (non  chiffré)  : 
Catalogue  des  livres  du  fond  de  M.  M.  Rey,  Li- 
braire â  Amsterdam. 

Errata  de  la  Julie  (paginé  i  à  4;.  P.  4  : 

«Le  débit  de  cette  édition  ne  pouvant  pas  être  ditîéré, 
et  les  estampes  qui  s'y  rapportent  n'étant  pas  encore 
tout-à-fait  prêtes,  on  les  publiera  dans  peu  de  jours. 
Elles  seront  cottées  sur  les  pages  de  cette  édition  de 
Hollande,  afin  que  l'on  puisse  aisément  les  y  insérer.  » 

T.  II.  (Ne  porte  pas  le  cartouche  et  les  vers. 
Fleuron.)  Lettres  :  pp.  1-3 19.  Verso  de  la  page 
319  :  Suite  du  catalogue  des  livres  du  fond  de 
M.  M.  Rey.  libraire  à  Amsterdam.  —  1\  II L 
(Pas  de  cartouche).  Lettres:  pp.  1-2^^.  Verso  de 
la  p  25=5  :  Suite  du  catalogue,  etc  —  1  .  IV.  (Pas 
de  cartouche).  Lettres:  pp  1-331.  (Pas  de  cata- 
logue). —  T.  V.  (Pas  de  cartouche).  Lettres  : 
pp.  1-3  1 1 .  Verso  de  la  page  311:  Suite  du  cata- 
logue, etc.  —  T.  VI.  (Cartouche).  Lettres  :  pp.  1- 
312.  (Pas  de  catalogue). 

Nous  avons  vu  que  la  feuille  d'errata  avait  été  im- 
primée postérieurement  à  l'achèvement  définitif  de  l'é- 
dition. On  comprend  donc  qu'elle  n'ait  pas  été  bro- 
chée avec  le  dernier  volume.  La  plupart  des  exemplaires 
que  Ton  rencontre  ne  comportent  pas  cet  errata.  (Ainsi 
s'explique    Tallirmation    de    Bosscha  '  qu'il  n'existe  pas 

'  y.   loy. 


ÉDITIONS    DU   XYIII*-'   SIÈCLE  49 

d'errata.)  On  le  trouvera  dans  l'exemplaire  ci-dessus 
décrit  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal.  Il  n'existe  pas 
au  contraire  dans  notre  exemplaire,  dans  ceux  de  Limo- 
ges (B.  L.  1472),  de  Genève  (Hf.   2762),  etc.. 

Dans  sa  correspondance  avec  Rousseau,  Rey  parle 
sans  plus  d'un  tirage  à  quatre  mille  exemplaires  dont 
deux  mille  envoyés  à  Robin.  Or  de  deux  choses  l'une  : 
ou  les  exemplaires  imprimés  pour  lui  ne  furent  pas 
tous  identiques  à  ceux  envoyés  à  Robin  et  ne  furent 
pas  tous  tirés  immédiatement,  ou  plus  probablement 
il  fit  procéder  sur  les  mêmes  formes  à  de  nouveaux 
tirages  ^  Certains  exemplaires,  les  plus  fréquents,  ne 
comportent  comme  celui  décrit  et  comme  l'avait  voulu 
Rousseau  ni  vignettes  diverses,  ni  cartouches  et  épi- 
graphes aux  tomes  II,  III,  IV.  V.  D'autres,  au  con- 
traire (par  exemple  Bibliothèque  de  Rouen  O.  2372)  ont 
à  tous  les  volumes  ce  cartouche  et  cette  épigraphe*. 
Certains  mêmes  sont  plus  modifiés  encore.  Avec  une 
justification  identique  et  les  mêmes  fautes  d'impression 
ils  comportent  les  différences  suivantes  : 

2.  (Bibliothèque  de  Genève  Hf.  2^62.} 

T.  I.  En  tête:  Sujets  d'estampes:  pp.  3-24. 
A  la  fin  :  Vignette  gravée  (Yver  fecit  1737) — T.  Il: 


1  Par  nouveau  tirage,  ici  comme  ailleurs,  nous  n'entendons  pas  déci- 
der si  les  éditeurs  ont  conservé  leurs  formes  jusqu'à  épuisement  de  lé- 
dition.  Nous  voulons  indiquer  seulement  qu'ils  ont  mis  en  vente  des 
exemplaires  imprimés  à  un  moment  quelconque  sur  les  mêmes  formes, 
avec  des  pages  de  titre  différentes. 

-  Remarquons  que  ce  cartouche  gravé  devait  être  reporté  sur  les 
exemplaires  après  le  tirage  typographique.  Au  tome  IV  de  l'exemplaire 
de  Rouen  il  est  imprimé  tout  de  travers. 


5o  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J .  .1.   ROUSSEAU 

Préface  |  de  la  |  Nouvelle  Heloïse  :  |  ou  |  Entre- 
tien sur  les  Romans.  I  entre  l'Editeur  |  et  un  Hom- 
me de  Lettres.  |  Par  J.  J.  Rousseau,  |  Citoyen 
de  Genève.  |  A  Amsterdam,  |  Chez  Marc  Michel 
Rey,  I  MDCCLXI.  |  Avec  Privilège  de  nos  Sei- 
o-neurs  les  Etats  de  1  Hollande  et  de  Westfrise.  1 

O  I  I 

pp:  1-63  (y  compris  le  privilège).  Verso  de  la  p.  63  : 
Approbation  (conforme  à  celle  de  l'édition  Du- 
chesne)  et  Avis  du  Libraire  Rey  :  a  On  trouvera  in- 
cessamment chez  moi  les  douze  planches  qui  ont 
été  gravées  pour  Julie  ou  la  nouvelle  Héloïse,  de- 
puis la  publication  de  cet  Ouvrage  »  —  Errata 
pour  Julie  (de  deux  feuillets  non  chiffrés.  Iden- 
tique pour  le  fond  à  celui  des  exemplaires  envoyés 
à  Paris,  mais  les  caractères  d'impression  sont  très 
différents)  —  Sur  la  page  de  titre  du  volume:  vi- 
gnette gravée.  A  la  dernière  page,  cul  de  lampe 
(B.  Picart.  del .  1729)  —  T.  III.  Sur  la  page  de 
titre  :  vignette  gravée  (identique  à  celle  du  t.  Il, 
mais  avec  fond  strié.)  Dernière  page  :  cul  de  lampe. 
(Picart.  1728)  —  T.  IV.  Page  de  titre  :  vignette 
(B.  Picart  direx.).  Dernière  page:  vignette  (avec 
la  légende  :  Ingeniosa  assiduitate  et  une  ruche 
d'abeilles  ^)  —  T.  V.  Page  de  titre  :  vignette.  L^er- 
nière  page:  même  vignette  qu'au  tome  IV  —  Les 
estampes  de  cette  édition  sont  gravées  par  Fran- 


'  Ce  motif  gravé  ne  porte  ni  date  ni  nom  degraveur.  La  même  vignette 
agrandie  se  trouve  en  tête  du  t.  I.  des  Œuvres  de  l'édition  de  lyby. 
Elle  est  signée  S.  V.  J.  avec  la  date  de  1762.  Peut-être  pourrait-on  re- 
culer jusquen  1762  la  date  de  la  mise  en  vente  de  ce  tirage,  mais  il  est 
permis  de  supposer  qu'en  1762  Rey  a  fait  gravera  nouveau  sa  vignette. 


ÉDITIONS   DU   XVIII^    SIÈCLE  6l 

kendaal  (de  I  à  IV)  et  par  J.  Folkema  de  V  à  XI. 
La  XIP  ne  porte  pas  d'indications  1|  in- 12. 

On  voit  donc  que  Rey,  sans  avertir  Rousseau,  s'était 
entêté  dans  son  projet  de  vignettes  et  qu'il  les  avait 
prodiguées.  En  outre  la  présence  d'une  contrefaçon  des 
Sujets  d'estampe  et  de  la  Seconde  Pî^éface  de  Duchesne, 
postérieure  nécessairement  au  7  mars  1  -()  1 ,  puisque  le 
Recueil  d'estampes  ne  fut  publié  par  Duchesne  qu'après 
cette  date  ^  prouve  pour  le  moins  que  Rey,  s'il  ne  s'a- 
git pas  d'un  nouveau  tirage,  n'a  fait  brocher  ses  exem- 
plaires qu'à  partir  de  mars  1761.  La  mise  en  vente  de 
ces  exemplaires  se  place  entre  cette  date  de  mars  1761 
et  le  mois  de  novembre.  L'avis  du  libraire  au  verso  de 
la  page  63  de  la  deuxième  préface,  cité  plus  haut,  porte 
qu'on  trouvera  «  incessamment  »  chez  Rey  les  douze 
planches  nouvellement  gravées.  Or  Rey  écrit  à  Rous- 
seau, le  i5  novembre^:  «J'ai  fait  graver  les  douze  plan- 
ches de  la  Nouvelle-Héldise.  » 

Les  éditions  datées  de  1761  furent  donc  très  nom- 
breuses et  de  beaucoup,  semble-t-il,  les  plus  répan- 
dues. Nous  avons  pu  consulter  les  catalogues  de  ventes 
d'un  très  grand  nombre  de  bibliothèques  de  la  deuxième 
moitié  du  dix-huitième  siècle^.  Sur  126  éditions  de  la 
Nouvelle-Héloise  que  nous  v  avons  rencontrées,  8q  sont 
d'Amsterdam  1761,  et  les  prix  de  vente  écartent  l'idée 
d'une  des  mauvaises  contrefaçons  que  nous  signale- 
rons. Ces  éditions  sont  achetées  presque  toujours  plus 


'  Cf.  infra,  p.  53. 

-  Lettre  de  Neuchâtel. 

*  Mais  tous  antérieurs  à  1780. 


D2  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J,   J.   ROUSSEAU 

de  dix  livres  et  assez  souvent  plus   de  quinze*.  (Le  ro- 
man se  vendait  broché  quinze  livres.) 

B.  Préface  et  Recueil  d'estampes. 

Dès  le  14  mars  1759,  Rousseau  prévenait  Rey  qu'il 
avait  écrit  une  Préface  de  Julie.,  mais  qu'elle  ne  paraî- 
trait pas  avec  le  roman  et  qu'il  se  réservait  le  droit  de 
la  faire  imprimer.  Ce  fut  Coindet  qui  conclut  le  mar- 
ché pour  l'impression,  concurremment  avec  les  Estam- 
pes et  VEssai  sur  l'imitation  théâtrale.  La  nouvelle  Pré- 
face parut  chez  Duchesne  le  16  février  1761.  Rousseau 
se  plaint  d'ailleurs  à  cette  date  de  n'en  avoir  aucune 
nouvelle.  Il  l'avait  promise  a  Rey  qui  écrit  le  2  5  février 
qu'elle  ne  lui  est  pas  encore  parvenue"-. 

Préface  |  de  la  |  Nouvelle  Héloïse:  |  ou  |  En- 
tretien sur  les  romans,  |  entre  l'Editeur  |  et  un 
homme  de  Lettres.  |  Par  j.  ).  Rousseau,  Ci- 
toyen I  de  Genève  |  A  Paris,  |  Chez  Duchesne, 
Libraire,  rue  |  S.  Jacques,  au  Temple  du  Goût.  | 
xMDCCLXI.  I  Avec  Approbation  et  Privilège  du 
Roi   ' 

Avertissement:  pp.  Ill-IV  —  fVétace  :  pp.  i- 
91.  Approbation   datée  du   10  février   1761.    «*  Le 


'  Prix  marqués  par  le  bibliophile  inconnu  qui  collectionna  ces  cata- 
logues (bibliothèque  de  Toulouse).  A  titre  de  curiosité  voici  le  prix  des 
exemplaires  de  personnages  connus:  Princesse  de  Rohan:  9  livres, 
i5  sols.  —  La  Popelinicrc  :  21  1.  —  d'Argenson  :  17  1.  10.  —  M""  de 
Pompadour:  24  1.  —  M""  de  Luxembourg:  19  1.  10.  —  Princesse  de 
Conti  :  12  1.  —  Chancelier  Maupcou:  5  1.  4.  —  Comte  de  Clcrmont  : 
12  1.  19.  —  Duchesse  de  Brancas:  20  1.  12.  —  Président  Hénault:  <S  1. 
(broché).  —  Clairaut  :  <;  1. 

-  Bosscha  :  pp.  (jg,  112,  204.  —  Cl-hivres:  X,  p.  2b'i .  —  Lettre  de  Rey 
du  27>  février  i  77  i. 


ÉDITIONS    DU    XVlll''   SIKCLK  53 

Privilège  se  trouvera  à  la  fin  du  Recueil  d'Estam- 
pes de  la  Nouvelle  Héloïse,  que  l'on  mettra  inces- 
samment au  jour.  » 

Cette  édition  de  Duchesne  fut  immédiatement  con- 
trefaite par  Rey  lui-même.  Duchesne  se  plaignit  à  l'oc- 
casion à  Rousseau  et  accusa  Rey  d'avoir  envoyé  des 
exemplaires  à  Paris  ^  Nous  avons  décrit  cette  contre- 
façon de  Rey  insérée  en  tête  du  tome  II  du  nouveau 
tirage  de  1761.  (L'insertion  est  faite  au  tome  II  pour 
compléter  un  volume  que  Rey,  comme  il  l'avait  écrit  à 
Rousseau,  trouvait  trop  mince ^.) 

Le  Recueil  d'estampes  est  annoncé  en  dernière  page 
de  la  deuxième  Préface.  Il  parut  en  mars  et  se  vendait 
trois  livres^.  Le  privilège  est  daté  du  7  mars.  Une 
faute  de  la  Nouvelle  Préface  est  corrigée  dans  un  erra- 
tum à  la  page  47. 

Recueil  |  d'Estampes  |  pour  |  La  Nouvelle 
Héloïse,  I  avec  |  Les  Sujets  des  mêmes  Estampes, 
tels  qu'ils  |  ont  été  donnés  par  l'Editeur.  |  A  Pa- 
rie, I  Chez  Duchesne,  Libraire,  rue  Saint  |  Jac- 
ques, au  Temple  du  Goût.  |  1761  |  Avec  Appro- 
bation et  Privilège  du  Roi.  || 

Recueil  :  pp.  1-43.  Approbation  :  p.  44.  Privi- 
lège :  pp.  44-46  —  P.  47  ((  Faute  à  corriger  dans 
la  Nouvelle  Préface.  Page  26.  ligne  5.  n'ait  plus 
rien  à  faire.  Lisez,  ait  plus  rien  à  faire.  » 

Rey  contrefit  également  ce  recueil  dès  1761.  Voir  la 
description  de  l'édition  de  1763,  p.  73. 

1  Lettre  de  la  Bibliothèque  de  Neuchâtel  du  12  lévrier  1763. 

-  Cf.  supra,  p.  36. 

■'•  Voir  l'annonce  du  Mercure  en  mars  1761. 


?4  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  ,1.   .1.   ROUSSEAU 

C.  Edition  de  Paris. 

Rousseau  avait  promis,  si  Rey  consentait  à  la  réim- 
pression, des  corrections  dont  la  première  édition  avait 
grand  besoin  ^  Mais  nous  avons  vu  que  cette  réimpres- 
sion fut  faite  à  son  insu,  donc  sans  corrections  de  sa 
part.  On  trouvera  dans  Touvrage  de  Streckeisen-Moul- 
tou  le  relevé,  envoyé  par  Malesherbes.  des  suppressions 
imposées  à  Robin  et  la  réponse  de  Rousseau'-. 

3.    Bibliothèque  de  l'Arsenal:  BL.  20(S6<S.  Bibliothèque 

de  Dieppe  :  43 16.  Bf.  g.) 

Julie  I  ou  I  La  Nouvelle  Helovse  |  Tome  pre- 
mier. Il  etc..  Page  de  titre  semblable  à  celle  de  l'édi- 
tion authentique  sauf  Heloyse  au  lieu  de  Heloïse 
et  de  légères  différences  dans  le  cartouche  gravé. 
Les  justifications  des  pages  diffèrent;  les  caractères 
d'impression  ne  sont  pas  les  mêmes  ;  la  ponctua- 
tion est  modifiée.  Les  catalogues  de  Rey  sont  sup- 
primés. Les  fautes  d  impression  signalées  dans  les 
errata  sont  corrigées.  ||  in- 12. 

T.  L  Reliée  en  tète  :  Préface  de  la  Nouvelle 
Héloise  etc..  (Seconde  Préface)  —  Préface  (non 
paginée).  Lettres:  pp.  1-407 — ^T.  II.  (Cartouche 
gravé  et   vers   de    Pétrarquej.   Lettres  :  pp.  1-319 

'  Œuvres  :  X,  p.   246. 

- ./.  ./.  Rousseau.  Ses  amis  et  ses  ennemis,  t.  H,  pp.  406-41  5.  —  Œu- 
vres et  correspondance  inédites  de  ./.  J.  Rousseau:  Paris,  Calmann- 
l.évy,  r86i,  p.  389.  ^  Les  textes  publiés  par  Streckeisen  l'ont  été  négli- 
gemment et  ne  sont  pas  toujours  exacts.  Nous  nous  sommes  assurés  que 
pour  ces  lettres  de  Malesherbes  il  n'y  avait  que  des  variantes  insigni- 
fiantes. Notons  pourtant  que  cette  longue  et  importante  lettre  est,  pour 
le  relevé  des  suppressions,  un  «  .Mémoire  »  qui  n'est  pas  de  la  main  de 
Malesherbes. 


ÉDITIONS   DU   XVIII^   SIÈCLE  55 

—  T.  m.  (Cartouche).  Lettres  :  pp.  1-255  — 
T.  IV.  (Cartouche).  Lettres:  pp.  1-33 1  — T.  V. 
(Cartouche).  Lettres  :  pp.  1-308  —  T.  VL  (Cartou- 
che). Lettres:  pp.  1-293. 

D.  Contrefaçons. 

Les  contrefaçons  de  la  première  édition  furent,  comme 
le  craignait  Re}',  aussi  nombreuses  que  rapides.  Rey 
était  persuadé,  il  l'écrit  d'ailleurs  à  Rousseau  le  6  mars, 
que  Duchesne  avait  imprimé  une  édition  et  qu'il  n'a- 
vait renoncé  à  la  vendre  que  sur  les  instances  de  l'au- 
teur. Duchesne  prit  du  reste  la  peine  d'écrire  à  son 
confrère  pour  protester.  Il  signale  en  même  temps  des 
contrefaçons  à  Lyon,  Rouen,  Bordeaux,  Avignon,  Liège. 
Selon  Rey,  ces  éditions  se  vendaient  publiquement  à 
Paris  dès  le  début  de  1761,  à  quatre,  cinq  et  six  livres 
l'exemplaire.  Dans  tous  les  cas  Pernetti  indique  qu'on 
imprime  le  roman  à  Lyon  dès  le  6  février  1761 .  A 
Rouen,  Rey  signale  deux  contrefaçons,  l'une  que  Pierre 
Machuel  doit  avoir  finie  avant  Pâques  1761,  l'autre  qui 
se  vend  quatre  livres  en  février  1762.  En  octobre  1701, 
il  y  a  en  Hollande  une  édition  de  Hambourg.  Le  ?  juin, 
à  Hennebont,  un  correspondant  de  Rousseau.  Froma- 
get,  se  plaint  qu'il  n'}^  ait  qu'une  très  mauvaise  contre- 
façon ^  Jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième  siècle  les  contre- 
facteurs réimprimèrent  sur  la  première  édition.  La  con- 
trefaçon, pour  les  éditions  que  nous  avons  trouvées  et 
que  nous  décrivons,  s'établit  très  aisément.  Toutes  im- 

'  Bosscha  :  pp.  122.  —  Lettres  de  Rey  du  6  mars  1762,  6  mars  1761, 
2  mars,  22  février  1762,  22  octobre  1761.  —  Lettre  de  Guy  (à  la  Bib.  de 
Neuchâtell  du  12  février  1763;  de  Pernetti,  du  6  février  1761;  de  Fro- 
maget. 


56  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.  ROUSSEAU 

priment  le  texte  de  i-h\  sans  tenir  compte  de  Terrata 
imprimé  par  Rey  séparément  et  rarement  joint,  comme 
nous  l'avons  vu,  aux  exemplaires  vendus  \  Pour  les 
éditions  datées  de  1761,  les  différences  profondes  d'as- 
pect, de  caractères,  de  pagination,  signalent  au  premier 
abord  qu'il  ne  peut  pas  être  question  d'un  nouveau 
tirage  sur  les  mêmes  formes.  C'est  une  nouvelle  im- 
pression et  par  conséquent  Rey  aurait  corrigé  confor- 
mément à  son  errata,  comme  il  le  fit  dès  1762  (édition 
de  1763),  comme  le  firent  ensuite  Duchesne  et  les  au- 
tres. Pour  les  éditions  datées  de  17(52  et  années  sui- 
vantes, le  même  raisonnement  vaut  encore  plus  clai- 
ment. 

4.  (Bibliothèque  Nationale  Y-  63.  cSi  i  —63.  <Si3.} 

Lettres  |  de  deux  |  Amants,  |  Habitans  d'une 
petite  Ville  |  au  pied  des  Alpes,  |  Recueillies  et  pu- 
bliées I  Par  J.  J.  Rousseau.  |  Tome  premier.  I. 
partie  |  A  Amsterdam,  |  Chez  Marc  Michel  Rey. 
I  MDCCLXI  ||in-i2. 

T.  I.  Préface  de  Julie  :  pp.  i-iii  —  Seconde  Pré- 
face ou  Entretien  sur  les  Romans  :  pp.  iv-xxxv 
—  Lettres  sur  la  Nouvelle  Heloyse,  ou  Alosia  [sic] 
de  Jean-Jacques  Rousseau,  Citoyen  de  Genève  : 
pp.  xxviii-Lxii  —  Prédiction  tirée  d'un  vieux  ma- 
nuscrit :  pp.  Lxiii-Lxxii  —  Sujets  d'estampes  :  p.  i- 
24  —  Lettres  :  pp.  1-5 18. 

T.  II,  (IIP  et  IV=  parties)  :  pp    1-423. 

T.  III,  (V'  et  VP  parties)  :  pp.  1-442. 

1  Exception  faite  bien  entendu  pour  les  fautes  grossières  de  typogra- 
phie que  les  compositeurs  ont  corrigées  d'eux-mêmes  à  l'occasion. 
Encore  laissent-ils  souvent  subsister  des  fautes  telles  que  genre  au  lieu 
de  génie. 


KDITIONS    DU    XVlir   SU-XLK 


^1 


Il  y  a  entre  chaque  partie  intercalation  d'une  page  de  ti- 
tre ne  comptant  pas  dans  la  pagination.  Pas  de  gravures. 

5.  (Bibliothèque  de  Genève.  Hf.  201  j.) 

Julie,  I  ou  la  I  Nouvelle  Heloyse.  |  Première 
partie.  ||  Lettres  |  de  |  deux  amans,  |  habitants 
d'une  petite  ville  |  aux  pieds  des  Alpes.  |  Recueil- 
lies et  publiées  |  par  J.  J.  Rousseau.  |  Première 
partie.  |  Edition  augmentée  |  d'une  nouvelle  Pré- 
face de  l'Auteur.  |  Non  la  conobbe  il  mondo,  | 
mentre  l'ebbe  :  |  Conobill'io  ch'a  pianger  qui  ri- 
masi.  I  Petrarc.  !  A  Genève.  |  MDCCLXI  || 
in-i2. 

T.  L  Préface.  (Sans  pagination).  Seconde  Pré- 
face de  Julie  :  p.  i  |  Seconde  préface  de  Julie,  ou 
entretien  sur  les  Romans  :  pp.  3-52  —  Lettres  : 
pp.  1-199  —  T.  II  :  pp.  1-214  —  T.  III  :  pp.  i- 
195  —  T.  IV  :  pp.  1-282  —  T.  V:  pp.  1-172  — 
T.  VI.  pp  1-150.  Seconde  préface  :  pp.  151-18:5 
(Identique  à  celle  imprimée  au  tome  L) 

6.  Bibliothèque  Nationale.  Y'  63.82'j.  Exemplaire  qui 
comprend  seulement  les  2'-' et  3*^  parties.  —  Bibliothè- 
que de  Genève:  Hf.  4261.  Exemplaire  où  la  4*^  partie 
est  empruntée  à  l'édition  de  Rey  176D.) 

Lettres  \  de  deux  |  Amants,   \  habitants   d'une 
petite  ville  |  au  pied  des  Alpes,  |  Recueillies  et  pu- 
bliées   I   Par  J.J.  Rousseau.    \  Nouvelle  Edition, 
I  augmentée,    avec  Figures.   |  Première    partie. 
I   [Fleuron].  |  A  Amsterdam,   \   Chez    Marc-Mi- 
chel Rey.  I  M.DCC.LXII.  \\  in-12. 

(Le  tome  II  de  l'exemplaire  de  la  Nationale  com- 


58  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  .1.  ROUSSEAU 

porte  en  plus  le  faux  titre  :  Julie,  ou  la  |  Nouvelle 
Heloyse.  |  Tome  second.  ||  ) 

Préface  de  Julie  :  pp.  i-iv  —  Seconde  préface  : 
pp.  v-xLui  —  Sujets  des  estampes  (  i'''  et  2")  :  pp.  i- 
VI  —  Lettres  :  pp.  1-24^  —  T.  II.  3'  estampe. 
4''  estampe  :  pp.  i-iv.  Lettres  :  pp.  1-184  —  T.  IIL 
3''  et  6^  estampes  :  pp.  i-iii.  Lettres:  pp.  1-143  — 
(Quatrième  partie  manque  dans  les  deux  exemplai- 
res) —  Cinquième  partie  (reliée  avec  la  sixième 
comme  t.  III  de  l'exemplaire  de  Genève)  :  9'  et  10' 
estampes:  pp  1-3.  — Lettres:  pp.  1-186  —  Sixième 
partie:  1 1*"  et  12^  estampes  :  pp.  i-iv.  Lettres:  pp.  i- 
171 .  —  Lettres  sur  la  Nouvelle  Helo3'se  ou  Aloisia 
de  Jean-Jacques  Rouseau,  Citoyen  de  Genève. 
jVl.DCC.LXII  :  pp.  173-197.  (Au  verso  de  la  page 
197):  Prédiction  tirée  d'un  vieux  manuscrit  : 
pp.  198-207. 

Seule  cette  édition,  par  son  aspect  et  sa  date  pourrait 
faire  penser  à  une  nouvelle  impression  de  Rey.  avant 
celle  qu'il  lit  sur  l'exemplaire  envoyé  par  Rousseau,  en 
I  763.  Mais  elle  ne  corrige  pas  même  des  fautes  signalées 
par  l'errata  et  qui  rendent  le  texte  absurde  (au  tome  II, 
par  exemple  :  le  rendre  insipide  =-  les  rejidre  —  el  soulient 
=  elle  soutient —  lasse,  c'est -classe  est.)  Elle  laisse  même 
subsister  des  fautes  t\'pographiques  ridicules  (T.  Il,  let- 
tre 27  .  élève  et  nourrit  le  genre  =  le  génie.,  faute  signalée 
dans  les  Fautes  d'impression  de  l'édition  de  Rey.) 

7.   [Zurich.  Bibliothèque    cantonale,    (jal.    XXV.,    816- 

HiHK) 

'  M.  M.  Masson,  professeur  à  TUniversité  de  Fribourg  a  bien  voulu 
prendre  pour  nous  la  description  de  cette  édition. 


ÉDITIONS    DU    Xyill*^   SIECLE  DQ 

Julie,  I  OU  I  La  Nouvelle  Hcloïse  |  Tome  pre- 
mier Il  Lettres  |  de  deux  amans,  |  Habitans  d'une 
petite  Ville  au  pied  j  des  Alpes.  |  Recueillies  et  pu- 
bliées I  par  J.  J.  Rousseau  |  Tome  premier  j  A 
Lausanne  |  chez  iVlarc  Chapuis  |  MDCCLXII  || 
in- 12. 

Préface  :  pp.  i-iv.  Avertissement  (p.  v)  —  Pré- 
face de  la  Nouvelle  Heloïse  :  ou  entretien  sur  les 
romans  entre  l'éditeur  et  un  Homme  de  lettres. 
par  J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève  :  pp.  7-36 
—  Lettres:  pp.  38-536.  —  T.  IL  Lettres:  pp.  i- 
434 — T.  IIL  Lettres  :  pp.  1-455. 

S.  (Bibliothèque  de  Boulogne-sur-Mer ;  24^ 1 2-2^' i5 .) 
Julie,  I  ou  la  I  Nouvelle  Héloyse.  |  Tome 
Premier.  ||  Lettres  \  de  deux  |  Amants,  \  habi- 
tants d'une  petite  ville  |  au  pied  des  Alpes,  |  re- 
cueillies et  publiées  |  Par  J .  J .  Rousseau.  \  Nou- 
velle édition,  |  augmentée,  avec  Figures.  |  Pre- 
mière ^partie.  \  A  Amsterdam.  \  Chez  Marc- 
Michel  Rev.  I  MDCCLXVW  in-12. 

Préface  de  Julie  :  pp.  i-iv  —  Seconde  préface  ou 
entretiens  sur  les  romans  :  pp.  v-xlhi  —  Sujets  des 
estampes  de  cet  ouvrage  :  pp.  xlix  [sic]-Lvi  — 
Lettres  :  pp.  1=245  —  ^ •  ^^-  3^  ^^  4'  estampes  : 
pp.  i-iv.  Lettres  :  pp.  1-184.  — T.  IIL  5^^  et  6^  es- 
tampes: ,pp.  i-i\".  Lettres  :  pp.  1-143.  —  T.  IV. 
7^  et  8^  estampes  :  pp  i-vi.  Lettres  :  pp.  1-20  |  — 
T.  V.  9^  et  10^  estampes  :  pp.  i-iii.  Lettres  :  pp.  i- 
186  —  T.  VI.  1 1'  et  12'  estampes  :  pp.  i-iv.  Let- 
tres :  pp.  1-171. 


60  ANNALES  UE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.  ROUSSEAU 

A  la  suite  de  ce  sixième  volume  : 
Lettres  |  sur  la  |  Nouvelle  Héloyse  |  ou  Aloisia 
I  de  I  Jean-Jacques    Rousseau,  |  Citoyen  de  Ge- 
nève. I  MDCCLV  [sic]  Il  Lettres  |  a    Monsieur  | 
de  Voltaire  |  :  pp.  173-197. —  Prédiction  |  tirée  | 
d'un  vieux  manuscrit  :  pp.  198-207 —  La  |  Nou- 
velle I  Héloïse.  I  romance:  pp.  1-22. 

9.  ( Bibliothèque  de  Nantes:  B.  L.  3og6i.) 

Julie,    I   ou  la  I   Nouvelle  Heloyse.   |  Tome  cin- 
quième.   Il  Lettres  \  de    deux   |   Amants,   \   habi- 
tants  d'une     petite    ville  |  au   pied    des   Alpes,  | 
Recueillies    et    publiées  |  par  J.  J.    Rousseau.  \ 
Nouvelle   Edition,   1  auo-mentée,  avec   Fi^-ures.  1 
Cinquième  partie  \     A  Amsterdam,  \  chez  Marc- 
Michel  Rey.  I  M.DCC.LXX,  \\  in-12. 

9^  et  lo"^  estampes  :  pp.  i-iii.  Lettres  :  pp.  1-186 

—  Sixième  partie.   1  i^  et  12'"  estampes  ;  pp.  i-iv. 
Lettres  :  pp.  1-171 . 

A  la  suite  :    Lettres  |  sur  la  j  Nouvelle  Heloyse 
I  ou  Aloisia  |  de  |  Jean-Jacques    Rousseau,  |  Ci- 
toyen de  Genève.  |  M.DCC.LXX.  |    pp.  173-197 

—  Prédiction   titée    [sic]    d'un  vieux   manuscrit  : 
pp.  198-207. 

Mauvaise  contrefaçon  des  gravures  de  Gra- 
velot. 

10.  (Bibliothèque  Nationale  >"'  63.H42  —  63.^4-;  —  Bi- 
bliothèque de  Calais  :  2 y.  I.  ()()'/()•! 

Julie,  I  ou  la  I  Nouvelle  Héloyse.  |  Tome  pre- 
mier. Il  Lettres  \  de  deux  |  Amants,  \  Habi- 
tants d'une  petite  ville  |  au  pied  des  Alpes,  j  Re- 


ÉDITIONS    DU    XYIII*^    SIÈCLE  6l 

cueillies  et  publiées  |  I*ar  J .  J .  Rousseau  \  Nou- 
velle édition,  |  augmentée,  avec  Figures.  |  Pre- 
mière partie.  \  A  Amsterdam,  \  Chez  Marc-Mi- 
chel Rey.  I  M.DCC.LXXIIW 

Cette  édition  est  absolument  identique  à  celle  de 
1765  (n°  8).  [Ce  n'est  pas  un  nouveau  tirage;  il  y  a  des 
différences  dans  les  justifications.  Certaines  fautes  d'im- 
pressions sont  corrigées  (par  exemple  IV,  lettre  3,  poin- 
lesquels  est  modifié  en  pou7^  lequel).  La  date  des  Lettres 
de  Voltaire  est  modifiée  (M.DCC.LXXII).  La  Romance 
n'existe  pas.  Pour  tout  le  reste  les  descriptions  concor- 
deraient. 

11.  (Bibliothèque  de  Montpellier,  326 1  —  Bibliothèque 
de  Toulouse.,  86'j  [manque  le  t.  VI].) 

Julie,  I  ou  la  |  Nouvelle  Héloyse.  |  Tome  pre- 
mier. Il  Lettres  \  de  deux  |  Amants,  \  Habitants 
d'une  petite  ville  |  au  pied  des  Alpes,  j  Recueillies 
et  publiées  |  par  J .  J .  Rousseau,  j  Nouvelle  édi- 
tion. I  augmentée,  avec  Figures.  |  Première  par 
lie,  I  A  Amsterdam,  \  Chez  Marc-Michel  Rev.  | 
M.DCC.LXXVW  in-T2. 

Mêmes  observations  que  pour  l'édition  précédente. 
Ce  n'est  pas  un  nouveau  tirage  sur  les  mêmes  for- 
mes, mais  c'est  une  réédition,  identique  comme  des- 
cription, de  l'édition  de  1765.  La  date  des  Lettres  de 
Voltaire  est  également  adaptée  (MDCCLXXV). 

12.  (Bibliothèque  de  Lannion  D  lo-i.  Edition  dont  iM.  le 
maire  de  Lannion  a  bien  voulu  nous  envoyer  la  des- 
cription ci-jointe.  Nous  n'avons  pu  avoir  communi- 
cation du  volume). 


02  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ,1.  .1.   ROUSSEAU 

Lettres  |  de  deux  Amants,  |  Habitants  d'une 
petite  ville  au  pied  des  Alpes.  |  Recueillies  et 
publiées  |  Par  J.  J.  Rousseau.  |  Nouvelle  Edi- 
tion I  Augmentée  avec  Figures  |  Troisième 
partie  |  A  Amsterdam  |  Chez  Marc-Michel  Rev. 
I  M.D.CCLXXIII  II 

13,  (Edition  signalée  dans  le  Catalogue  des  livres  de 
M.  Midy,  secrétaire  du  roi,  Paris,  Mérigot.  177?. 
in-8°.) 

La  Haye.  1762.  4  v.  in-8°.  fig. 

14.  (Edition  signalée  dans  le  Catalogue  des  livres  de 
M .  Re***.  Paris.  Desauges.  1  778.  in-8.) 

Amsterdam.  1771.  6  v.  in-12. 


IL  U édition  Duchesne, 

A.  Edition  de  1  '()-/.. 

L'Edition  de  la  Nouvelle  Héloise  publiée  par  Du- 
chesne se  rattache  à  une  Collection  des  (Eiivres  dont  la 
bibliographie  détaillée  ne  relève  pas  de  notre  étude ^ 
Rappelons  seulement  que  le  travail  de  cette  édition  fut 
commencé  dans  le  courant  de  17(32,  dirigé  par  Tabbé 
de  La    Porte,    et  terminé   rtn   1764  ou    début   de  1765. 

'  De  même  chaque  l'ois  qu'il  s'agira  d'une  édition  qui  prend  place 
dans  des  Œuvres  complètes  nous  n'indiquerons  sur  l'édition  que  ce  qui 
sera  nécessaire,  cm  à  l'occasion  quelques  renseignements  significatifs  re- 
cueillis au  cours  de  nos  recherches.  Les  éditions  séparées  sont  précé- 
dées d'un  chiffre  arabe,  les  éditions  dans  les  CEmnes  complètes  d'un 
chiffre  romain. 


ÉDITIONS    DU    XVIII^   SIÈCLE  63 

Rousseau  en  reçut  les  feuilles  imprimées  et  écrivit  à  de 
La  Porte  le  22  janvier  1764  :  «Je  n'y  ai  rien  trouvé  qui 
ne  confirme  la  satisfaction  que  j'avais  de  voir  cette  en- 
treprise sous  votre  direction».  Mais  il  a  toujours  in- 
sisté pour  que  le  public  fût  prévenu  que  «  non  seule- 
ment cette  édition  n'est  pas  faite  par  l'auteur,  mais 
qu'il  ne  s'en  est  pas  mêlé.))  Le  i  2  février  i  764,  il  répète 
qu'il  ne  doit  ni  ne  veut  reconnaître  l'édition  pour 
sienne,  le  2  décembre  1764  et  le  i  2  septembre  1  765,  qu'il 
n'ignore  pas  qu'elle  est  fautive  \ 

La  Nouvelle  Héloise  fut  couramment  vendue  à  part. 
Les  volumes  ne  portent  aucun  faux-titre  qui  les  ratta- 
che, comme  il  arrivait  d'ordinaire  pour  les  éditions  de  ce 
genre,  aux  Œuvres  complètes.  L'impression  en  fut  par- 
ticulièrement défectueuse.  Rousseau  s'en  plaignit  sans 
doute.  Dans  tous  les  cas  Guy  lui  écrivait  le  i5  août 
1764-:  «Il  n'est  guère  possible  qu'il  y  ait  des  livres 
sans  qu'il  ne  s'y  trouve  des  fautes  d'impression,  plus 
ou  moins,  et  qui  font  souvent  des  contre-sens  épouvan- 
tables. Cela  n'est  arrivé  malheureusement  que  trop  à 
la  Nouvelle  Héloise.  M.  l'abbé  de  Laporte  n'a  pu  y  veil- 
ler, parce  qu'elle  n'a  pas  été  imprimée  ici.  Des  raisons 
d'amitié  pour  un  confrère  de  province  qui  nous  harcelait 
pour  en  faire  l'édition  [sic].  Nous  avons  été  assez  sim- 
ples pour  y  consentir,  aussi  nous  ne  sommes  pas  à  nous 
en  repentir  [sic].  Heureusement  que  l'édition  n'est  pas 
bien  considérable.»  On  n'avait  tiré  en  effet,  comme 
Guy  l'annonce  le  12  février   1763,  que  730  exemplaires 


1  Œuvres  XI,  p.  114-113,   14,   i5,   119,    177.    —  Lettre  de  de  La  Porte 
(à  la  Bib.  de  Neuchâtel),  du  12  décembre  1764. 

2  Lettre  de  la  Bib.  de  Neuchâtel. 


64  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

du  format  in-8°^  Guy  et  Duchesne  craignaient  en  eftet 
que  l'écoulement  n'en  fût  difficile,  par  la  concurrence 
des  éditions  de  Hollande  et  des  contrefaçons. 

L'édition  du  roman  s'annonce  comme  «  revue,  corri- 
gée et  augmentée  de  figures  en  taille-douce  et  d'une 
table  des  matières».  ISAver^lissemenl  général  de  l'édi- 
tion prévenait  en  même  temps  que  les  éditions  précé- 
dentes étaient  «  si  défectueuses  qu'elles  ont  excité  les 
justes  plaintes  de  Fauteur,  qui  les  désavoue.  »  L'aveu 
de  Guy  lui-même  montre  que,  pour  la  Nouvelle  Héloïse 
tout  au  moins,  la  révision  a  dû  être  quelque  peu  non- 
chalante. Elle  se  borne  en  fait  à  tenir  compte  de  Ter- 
rata  publié  par  Rey  et  déjà  utilisé  par  l'édition  de  Pa- 
ris. Par  contre  un  grand  nombre  de  modifications  sont 
imposées  au  texte  de  Rousseau.  Chaque  lettre  est  pré- 
cédée d'un  sommaire  assez  détaillé,  reproduit  en  table 
des  matières.  Nous  avons  vu  que  Rousseau  avait  accepté 
la  table  des  matières.  Un  grand  nombre  de  titres  de 
lettres  sont  modifiés  et  détaillés-.  Ces  titres  nouveaux 
dans  lesquels  Rousseau  n'est  pour  rien  se  transmettront 
fidèlement  à  presque  toute  les  éditions  postérieures. 
Rousseau,  d'ailleurs,  les  a  laissés  subsister  dans  les 
exemplaires  annotés.  La  division  en  six  parties  n'est 
pas  respectée  et  les  lettres  sont  numérotées  suivant  les 
quatre  volumes. 

Les  altérations  de  détail,  volontaires  ou  d'inadver- 
tance, sont  assez  nombreuses.  On  y  retrouve  dix  des  va- 


'  Lettre  à  la  Bib.  de  Neuchâtel. 

-  Exemples  :  (IV.  4)  de  M.  de  Wolmar  à  l'amant  de  Julie  au  lieu  de  : 
de  M.  de  Wolmar  —  (IV,  5)  De  M""  d'Orbe  à  l'amant  de  Julie  (Dans 
cette  lettre  était  incluse  la  précédente)  au  lieu  do  :  De  M'"'  d'Orbe  {Et 
dans  laquelle  était  incluse  la  précédente.) 


PREMIÈRES   ÉDITIONS   DK    LA   NOUVELLE    HÉLOISE  65 

riantes  de  notre  tableau,  une  en  I,  trois  en  II,  six  en 
III,  dont  quelques-unes  sont  assez  fâcheuses.  Le  texte  : 
«  ...qui  supplée  à  la  réalité  —  Qui  vaut  mieux,  peut- 
être...»  est  déjà  modifié  en  «;  qui  vaut  mieux...» 

L'édition  comporte  deux  estampes  nouvelles,  «  un 
dessin  général  de  tout  Touvrage  pour  mettre  à  la  tête 
du  premier  volume  de  THéloïse»,  «un  nouveau  dessin 
pour  remplacer  le  douzième  qui  n'a  jamais  trop  con- 
venu.» Gu}^  annonce  ces  deux  estampes  à  Jean-Jacques, 
le  12  février  1763  *.  Il  voulait  les  tenir  secrètes,  comme 
il  récrivait  à  M.  de  Malesherbes,  pour  en  faire  la  sur- 
prise à  Rousseau.  Mais  le  secret  se  répandait.  Le  fron- 
tispice est  un  Prométhée  de  Cochin,  allégorie  assez 
obscure.  La  nouvelle  estampe  de  Gravelot,  Julie  se  je- 
tant dans  le  lac,  est  substituée  à  celle  de  Julie  sur  son 
lit  de  mort.  Guy  envoie  l'épreuve  le  23  avril  17(53.  Rous- 
seau s'en  plaignit  assurément  car  Guy  s'excuse  le  10  mai. 
Rousseau  insiste  le  i5  octobre:  «L'attitude  de  Julie  y 
est  guindée,  insupportable  ;  on  dirait  qu'elle  va  faire  un 
pas  de  rigodon  ».  Le  3i  décembre,  Guy  répond  qu'il  a 
multiplié  les  recommandations  et  qu'on  a  retouché  la 
gravure  plus  de  dix  fois^.  Rousseau,  dans  tous  les  cas, 
ne  désarma  pas,  et  il  annote  ainsi  dans  l'exemplaire  de 
Genève  :  «  Cette  froide  et  ridicule  estampe  avec  ce  pied 
de  Julie  en  Tair,  comme  pour  danser,  a  été  ajoutée  à 
mon  insu,  je  ne  sais  par  qui  ni  pourquoi,  et  n'est  point 
dans  les  premières  éditions.» 

XV.    i Bibliothèque  Nalionale.  Réscrpc  Y-    1644-164^.) 
La   Nouvelle    |    Heloise,    |    ou    |    Lettres    \    de 

»  Lettre  de  la  Bib.  de  Neuchate!. 

2  Lettres  de  Duchesne  (Neuchâtell.  du  2?  avril  176.^,  10  mai,  20  juin, 
3i  décembre.  —  Rousseau  :  Œmres  :  XI,  p.   89. 

5 


66  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.   J.    ROUSSEAU 

deux  Amans,  |  habitans  \  D^une  petite  Ville  au 
pied  des  Alpes  :  |  Recueillies  et  publiées  |  Par 
J.J.  Rousseau  \  Nouvelle  édition,  revue,  corrigée 
et  augmentée  |  de  Figures  en  taille  douce,  et  d'une 
Table  |  des  Matières.  |  Tome  I  \  Non  la  conobbe'l 
mondo,  mentre  l'ebbe  :  |  ConobbiTio  ch'a  Pianger 
qui  rimasi.  |  Petrarc.  |  ANeuchàtel  \  Et  se  trouve 
I  A  Paris  \  Chez  Duchesne,  Libraire,  rue  Saint- 
Jacques,  I  au  Temple  du  Goût.  |  MDCCLXIV  \\ 
in-8». 

Avis  du  Libraire  sur  cette  édition  :  pp.  ni-iv  — 
Préface:  pp.  1-5  — Avertissement  sur  la  Préface 
suivante  :  p.  6  —  Seconde  préface  :  pp.  7-62  — 
Lettres  :  pp.  63-398.  Table  des  matières  :  pp.  399- 
408  —  T.  IL  (Pas  de  cartouche  ni  de  vers  de  Pé- 
trarque). Lettres:  pp.  1-398.  Table:  pp.  399-405 

—  T.  III  (Pas  de  cartouche  etc..)  Lettres  :  pp.  i- 
429.  Table  :  pp.  430-432  —  T.  IV  (Pas  de  cartou- 
che etc..)  Lettres  :  pp.   1-33  1 .  Table  :  pp.  332-336 

—  Sujets  des  estampes;  pp.  337-362  —  Prédic- 
tion etc..  :  pp.  363-378  —  Approbation  et  Privi- 
lège :  pp.  379-382. 

Bonnes  estampes  de  Gravelot. 

Il  y  eut  sans  doute  un  tirat^e  in-12  de  cette  édition 
(Cf.  les  lettres  de  Rousseau  à  Gu}'  du  (')  mai  et  à  Du- 
chesne du  20  juillet  1764.)  La  Bibliothèque  Nationale 
possède^  une  Collection  des  Œia^res  de  format  in-12, 
identique  à  la  collection  in-8"    dont    lait    partie  l'exem- 

'  Z.  :^6i4ij  et  suiv. 


PREMIÈRES   ÉDITIONS    DE    LA   NOUVELLE    HÉLOISE  67 

plaire  décrit  de  la  Nouvelle  Hélo'ise.   Mais  la  Nouvelle 
Hélo'ise  manque. 

B.  Edition  de  1764  (ijjo.) 

Les  sept-cent  cinquante  exemplaires  in-8°,  et  peut- 
être  les  exemplaires  in- 12  tirés  en  1764  s'épuisèrent 
sans  doute.  Les  rayons  de  Duchesne  se  trouvèrent  dé- 
garnis et  les  Collections  d'Œhivres  incomplètes.  Il  fallut 
aviser  et  réimprimer  en  1770.  Pour  ne  pas  surprendre 
sans  doute  au  milieu  des  autres  volumes  on  laissa  la 
date  de  1764,  on  garda  à  peu  de  choses  près  tout  l'as- 
pect extérieur  des  volumes  ^  La  justification  des  pages 
est  d'ailleurs  très  différente  et  l'on  reconnaît  immédia- 
tement la  réimpression  en  se  reportait  à  la  dernière 
page  du  quatrième  volume  où  l'on  lit  :  «  De  l'Impri- 
merie de  P.  Al.  Le  Prieur,  Imprimeur  du  Roi.  1770». 
La  table  sommaire  est  maintenue,  mais  les  sommaires 
en  tête  de  chaque  lettre,  peut-être  sur  une  réclamation 
indirecte  de  Rousseau,  sont  supprimés. 

La  réimpression  ne  fut  pas  faite  sur  un  texte  de  Rey 
1761 .  Par  commodité  d'imprimeur  on  prit  un  des  exem- 
plaires restants  de  1764.  Les  dix  variantes  signalées  de 
1764  se  retrouvent.  Par  contre,  et  suivant  la  loi  fatale  de 
ces  réimpressions  qui  additionnent  les  altérations  typo- 
graphiques, le  nouveau  texte  est  beaucoup  plus  mauvais 
que  le  premier.  Aux  dix  variantes  de  1764,  1770  en 
ajoute  onze  autres,  une  en  I,  six  en  II,  quatre  en  III. 
La  réimpression  in-i  2  ajoute  encore  une  altération  en 


1  On  rencontre  des  exemplaires  où  les  deux  éditions  sont  confondues, 
ainsi  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal  (B.  L.  20861»,  t.  I  et  II  de  i7*)4, 
t.  IV  de  1764  (1  770). 


68  ANNALES   DE   LA    SOCIÉTÉ  .).    .1.    ROUSSEAU 

II  et  trois  en  III.  Les  altérations  particulières  ne  se  rat- 
tachant pas  à  ce  tableau  sont  d'ailleurs  nombreuses. 
Pour  les  cent  premières  pages  de  la  IV*"  partie  de  Re}- 
1761,  il  y  a  dix  variantes  importantes  qui  transforment 
souvent  complètement  le  sens  (sera  =  fera  ;  à  ton  tour 
=  à  mon  tour;  et  partout  où  l'on  se  porte  avec  soi. 
Ton  y  porte  =  Ton  se  porte  avec  soi  l'on  v  porte;  le 
moins  prévenu  =  le  moins  prévu  ;  une  phrase  sautée  ; 
c'est  encore  un  fort  bon  signe,  etc. . .) 

Les  éditions  filiales  de  celles  de  Duchesne  se  recon- 
naissent aisément.  Elles  reproduisent  la  table  sommaire  ; 
elles  utilisent  les  titres  de  lettres  modifiés.  L'absence 
des  variantes  essentielles  les  isole  immédiatement  de  la 
famille  Rey  17O3,  Genève  1780,  etc.  Elles  n'ont  jamais 
été  faites  sur  l'impression  de  1764,  beaucoup  plus  rare 
sans  doute.  Les  tableaux  de  variantes  les  rattachent  im- 
médiatement à  l'impression  de  1770,  beaucoup  plus 
incorrecte  comme  nous  l'avons  vu.  L'absence  des  som- 
maires en  tète  des  lettres  confirme  cette  concordance. 

XVI.  [Bibliothèque  Nationale    Z.  36 1  •23-36 1 26.) 

La  Nouvelle  |  Héloise.  \  ou  |  Lettres  \  de 
deux  Amans,  |  habitans  \  D'une  petite  Ville  au 
pieddes  Alpes;  |  Recueillies  et  publiées  |  Pa.r  J.J. 
Rousseau.  \  Nouvelle  édition,  revue,  corrii^ée  et 
augmentée  |  de  Figures  en  taille  douce,  et  d'une 
Table  |  des  Matières  |  Tome  I  \  Non  la  conobbe 
il  mondo,  mentre  l'ebbe  :  |  Conobbil'io  ch'a 
Pianger  qui   rimasi.    |    Petrarc.    |    A   Neuchdtel 

I  Et  se  trouve  |  A  Paris,   \  chez  Duchesne,   Li- 
braire, rue  Saint-)acques,  |  au    lemple  du  (toûL 

I  MD(:CLXIvi'm-'6\ 


PREMIÈRES    ÉDITIONS    DE    l,.\    XOUVEI.I.E    HÉI.OISE  6l) 

Avis  du  Libraire  sur  cette  édition  —  Préface  : 
pp.  1-5  —  Avertissement  sur  la  Préface  suivante  : 
p.  6  —  Seconde  Préface:  pp.  7-62  —  Lettres: 
pp.  63-438.  Table  des  Lettres  et  matières  conte- 
nues dans  ce  volume  :  pp.  439-454  —  T.  IL  Let- 
tres :  pp.  1-468.  Table:  pp.  469-478  —  T.  IIL 
Lettres  :  pp.  1-502.  Table:  pp.  503-504  —  T.  IV. 
Lettres  :  pp.  1-386.  Table  :  pp.  387-391  —  Sujets 
des  estampes  :  pp.  392-418  —  Prédiction  faite 
sur  l'auteur  etc..  :  pp.  419-431 —  Approbation  et 
privilège  :  p.  432  (non  chiffrée.)  De  l'imprimerie 
de  P.  Al.  Le  Prieur,  Imprimeur  du  Roi,  1770. 

XVII.  Bibliothbqiic  Xalionale  :  Y-  63'S32-63<S35 .) 

Même  édition  que  l'édition  in-8''  mais  format 
in-i2.  Les  pages  imprimées  sont  de  même  dimen- 
sion; les  marges  seules  diffèrent.  Pourtant  c'est 
bien  une  autre  édition.  Il  va  de  légères  différences 
dans  la  page  de  titre  (Alpes:,  au  lieu  de  Alpes; 
—  Xon  la  conobbHl  au  lieu  de  conobbe  il.)  Il  v  a 
des  différences  dans  les  justifications  des  pages.  Le 
tome  IV  est  ainsi  paginé:  Prédiction  :  pp.  4(9- 
436.  .4pprobation  et  privilège  :  p.  .^37  —  De  l'Im- 
primerie de  P.  Al.  Le  Prieur,  Imprimeur  du  Roi, 
1770  —  Catalogue  de  livres  de  fonds  (sans  pagina- 
tion.)^ 

XVIU.    Bibliothèque  de  Nantes:  3og63.  L.) 

L'édition  de  1764  (1770)  a  été  réimprimée  en  1788. 

Julie,    I    ou    I    La    Nouvelle  |  Héloise.    |  Tome 

1  L'édition  in-8*  se  vendait    20   livres   avec  figures   et   celle  in- 12.   12 
livres.  (Catalogue  de  la  Vve  Duchesne,  1775.) 


■yo  annai.es  de  i.a  société  j.   i.  Rousseau 

premier  i  La   Nouvelle  |  Héloïse,  |  ou  |  Lettres  | 
de  deux  amans,  |  habitans  |  d'une  petite  ville  au 
pied  des  Alpes;  |  recueillies  et  publiées  |  par  J.  J. 
Rousseau.  |  Nouvelle  Edition,  ornée  de  Gravures. 

I  Non  la  connobe'l  mondo,  mentre  l'ebbe.  |  Co 
nobbil'io   ch'a   Pianger    qui    rimasi.  |  Petrarc.  | 
Tome  premier.  |  A  Paris,  |  Du  fonds  de  la  Veuve 
Duchesne,    Libraire,    rue  |  Saint-Jacques.  |   1788. 

II  in-i2. 

Préface  :  pp.  1-5  —  Avertissement  sur  la  Pré- 
face suivante  :  p.  6  —  Seconde  préface  :  pp.  7-62  — 
Lettres  :  pp.  63-438  —  Table  etc.  :  pp.  439-454 
—  T.  IL  Lettres  :  pp.  i-?  (manquent  deux  feuillets). 
Table  :  pp.  ?  —  479  —  T.  IIL  Lettres  :  pp.  i- 
502.  Table  :  pp.  503-504  —  T.  IV.  Lettres  :  pp.  i- 
386.  Table  :  pp.  387-392  —  Sujets  d'estampes: 
pp.  393-4  18  —  Prédiction  faite  sur  l'auteur  etc. .. 
pp.  419-436.  De  l'Imprimerie  de  Couturier,  quai 
des  Augustins.  1788.  —  Supplément  à  la  Nouvelle 
Héloïse  de  J.  j.  Rousseau  :  pp.  1-32. 

Ce  sont  les  mêmes  caractères  que  ceux  de  Tédition 
1764  (i  770).  La  pagination  est  à  peu  près  identique.  Il 
y  a  de  légères  différences  dans  la  justification. 

C.  Edition  de  Londres  (Btnixelles)  77  7-/. 

XIX.  (Bibliothèque  Nationale.  Réserve,  Z.  i356'^et  suiv.) 

Collection   |  complette    |    des    |    œuvres    |    de  | 
J.    J.    Rousseau  |  Tome   premier   ||    [Portrait    de 
Rousseau  :   de    la   Tour    pinx.      A   de  St-Aubin, 


PREMIERES   EDITIONS    DE    I.A   NOUVEl.Ll':    HEI.OISE  71 

sculp.]  \\  Julie  I  ou  la  I  Nouvelle  Héloïse  \  Lettres 
I  de  I  Deux  Amans,  \  habitans  j  d'une  petite 
ville  au  pied  des  Alpes.  |  Recueillies  et  publiées  | 
par  \  J.J.  Rousseau,  \  Nouvelle  Edition  originale, 
revue  et  corrigée  par  l'Editeur.  |  Tome  premier  \ 
Londres  \  MDCCLXXIV  \\  Vignette  (Moreau  le 
j.  inv.  et  sculp-  ||  in-ij". 

Prédiction  faite  sur  l'auteur  de  la  Nouvelle  Hé- 
loïse, par  un  anonyme  (Note  :  Cette  prédiction  est 
attribuée  à  M'.  C.  Panckouke,  Libraire  à  Paris)  : 
p.  i-vni.  (Souvent  reliée  après  la  Préface  ou  à  la 
fin  du  volume  ou  supprimée)  —  Préface  :  pp.  iiii 

—  Avertissement  sur  la  Préface  suivante:  p.  iv  — 
Seconde  préface  :  pp.  v-xxxii  —  Lettres:  pp.  1-336 

—  Table  des  Lettres  et  matières  etc..  pp.  367-382 

—  T.  IL  Lettres:  pp.  1-392.  Table  etc..  pp.  393- 

399- 

Gravures  de  Moreau  le  Jeune.   Il  y  a  des  exem 

plaires  sans  gravures. 

La  division  en  parties  n'existe  pas.  Les  lettres  sont 
numérotées  par  volume.  La  Nouvelle  Héloïse  a  dû  être 
vendue  séparément.  On  la  rencontre  souvent  dans  les 
bibliothèques  sans  le  reste  de  la  collection. 

Cette  édition  des  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau  est  da- 
tée de  1774  pour  la  Nouvelle  Héloïse  (tomes  I  et  II). 
Mais  le  tome  I  n'a  pas  dû  être  publié  avant  1776.  La 
vignette  du  titre  et  la  gravure  de  la  p.  198  portent  bien 
la  date  de  1774,  mais  les  gravures  aux  pp.  278  et  3i8 
sont  datées  de  1776.  De  même  au  t.  II,  les  gravures 
aux  pages  46,  282,  345  sont  datées  de  1777.  Après  l'é- 
dition de  Genève  1780,  au  tome  X,  (Œuvres  posthumes^ 


7*2  AXXALKS   DE    LA    SOCIETE  .1.   .1.    ROUSSEAU 

t.  I.  1782)  les  éditeurs  insérèrent  (pp.  1-14  Les  Aniou?-s 
de  Milord  Edouard  Bomslon.  Sur  cette  édition  impri- 
mée en  réalité  à  Bruxelles  (Voir,  par  exemple,  l'édition 
de  Mercier  178(8  [n°  xxxix]  t.  I,  p.  53),  pour  Boubers, 
et  dont  Rousseau  a  eu  connaissance  en  refusant  d'en 
corriger  les  épreuves,  on  consultera  les  indications  don- 
nées par  Th.  Dufour  (Annales  de  la  Soeiété  J.  J.  Rous- 
seau, i()o5,  p.  'iIm^  —  I  ()or),  p.  i()8.)^ 

L'exemplaire  de  l'Arsenal  (B.  L.  20864)  renferme  un 
long  prospectus  de  4  p.  in-4"  qui  se  termine  par  la 
copie  d'un  traité,  daté  du  11  décembre  1780,  où  Louis- 
Joseph  Deloigne  Castel,  Jacques  Charvet,  négociants  à 
Lille,  Simon  Peltzer,  négociant  à  Cologne,  s'engagent 
envers  Pierre  Jacques  Duplain,  libraire  à  Paris,  à 
faire  imprimer  à  leurs  frais  la  suite  des  Œuvres  de 
J.  J,  Rousseau  [tomes  X  à  XII,  ou  Œuvî^es  posthumes 
I  à  111].  Les  éditeurs  déprécient  l'édition  de  Genève  et 
affirment  que  leur  édition  a  été  faite  «en  grande  partie 
du  vivant  et  sous  la  direction  de  l'auteur»,  tandis  que 
«celle  de  Genève  n'a  été  entrepi'ise  que  depuis  sa 
mortw.  Pour  la  Nou]>elle  Héloïse  tout  au  moins,  l'affir- 
mation, démentie  d'ailleurs  par  Rousseau  lui-même, 
est  arbitraire  et  le  texte  n'est  que  la  reproduction  de 
l'édition  Duchesne  1 7()4  (1770).  Aux  fautes  de  cette 
édition  Duchesne  s'en  ajoutent  d'ailleurs  un  tix's  grand 
nombre  et  des  plus  graves,  phrases  sautées,  contre- 
sens, non  sens,  etc.  etc..  L'impression  a  été  très  né- 
gligée.  L'indication:  Nouvelle  édition  ori!j;iuale  revue  et 

'  Le  Alcrcure  de  France  du  Si  juillet  1779,  p.  336,  donne  l'annonce 
de  cette  édition  qui  se  vendait  12  1.  par  volume,  (il.  3  s.  par  figure.) 
Un  petit  nombre  d'exemplaires  fut  tire  sur  papier  de  Hollande,  à  20  1. 
Deux  nouvelles  annonces  de  janvier  1784  (pp.  4.^-46;  i?8-i3())  déni- 
grent l'édition  de  Genève. 


PREMIERES   EDITIONS    DE    I.A   XOUVIiLI.K   HEI.OISE  yj 

corrigée  par  l'édileui\  semblerait  bien  la  rattacher  à 
rédition  de  lyôS:  Seconde  édition  oriL(inak\  etc.,  mais 
les  imprimeurs  n'ont  emprunté  que  cette  indication 
mensongère.  Aucune  des  leçons  de  lyi")?  n'a  passé  dans 
leur  texte.  D'ailleurs  il  semble  bien  que  l'affirmation 
•des  éditeurs  ait  été  contestée  tout  de  suite.  Le  Journal 
de  Paris^  le  i6  mai  1779,  insère  à  la  demande  de  Thé- 
rèse, la  Déclaration  de  Rousseau  relative  à  différentes 
réimpressions  de  ses  ouvrages,  pour  protester  contre 
l'annonce  faite  par  la  Ga'^ette  de  Lei'de  (n°  33i  d'une 
édition  de  Bruxelles  in-4"  «avouée  et  dirigée  par  l'au- 
teur^». Cette  édition  de  Bruxelles  ne  peut  être  que  no- 
tre édition  ^ 

XX.  {Bibliothèque  de  Narbonne.  n"  2430.) 

Cette  édition  de  Londres  a  été  remise  en  vente  en 
1790  avec  une  nouvelle  page  de  titre.  Les  marges  sont 
un  peu  moins  larges  dans  l'exemplaire,  mais  c'est  la 
seule  différence  ;  il  n'y  a  pas  eu  impression  nouvelle. 

Collection  |  complète  |  des  œuvres  |  de  |  J.  J. 
Rousseau,  |  citoyen  de  Genève,  |  ornée  de  son  por- 
trait. I  Tome  premier.  |  Contenant  le  premier  vo- 
lume de  Julie,  ou  de  la  nouvelle  |  Héloise  |  A  Ge- 
nève, I  et  à  Paris,  |  chez  Volland,  Libraire,  Quai 
des  Augustins,  |  n°  25.  |  M.DCC.XC  |!  in-4°. 

XXI.  [Bibliothèque  de  Genève.  Hf.  4244.) 

Enfin  l'édition  Duchesne  1764  (177O)  est  reproduite 
dans  l'édition  suivante  : 

La    Nouvelle  |  Héloïse  |  ou  |  Lettres  |  de  deux 

'  Sur  les  autres  publications  de  cette  déclaration,  et.  Th.  Dufour,  An- 
nales, 1906,  p.  i55. 

2  La  Nouvelle-Héloise  a  été  sûrement  vendue  séparément.  Elle  existe 
isolée  dans  les  bibliothèques  de  Lorient  (n*  348)  et  de  Lyon  (104694.) 


74  ANNALES   DE    LA   SOCIÉTÉ  .1.    J.    ROUSSEAU 

Amans.  |  habitans     d'une    petite    ville  |  au     pied 
des  Alpes;  |  recueillies  et  publiées  |  Par),  j.  Rous- 
seau. I  Nouvelle   édition.  |  Tome  premier  |  à  Pa- 
ris.  I  an    huitième    de    la    République.  |   1799  || 
in-J2. 

Préface  :  pp.  3-5  —  Avertissement  :  p.  .|  —  Se- 
conde préface  :  pp.  7-37  —  Lettres  :  pp.  38-214 
Table  des  Lettres  etc.  :  pp.  21 5-216  —  T.  II  (1800). 
Lettres  :  pp.  3-208.  Table  :  pp.  209-210  —  T.  III 
(1800).  Lettres  :  pp.  1-212.  Table:  pp.  213-214 
—  T.  IV  (1800).  Lettres  :  pp.  3-208.  Table  : 
pp.  209-210  —  T.  V  (1800)  Lettres:  pp.  3-183. 
Table  :  p.  184  —  T.  \T  (1800).  Lettres:  pp.  3-222. 
Table  :  pp.  223-224. 

IIL  Edition  de  Rey^  ij63. 

A.  Edition  de  i~63. 

Nous  avons  donné  dans  l'étude  du  texte  tous  les  dé- 
tails sur  l'origine  de  cette  édition.  Signalons  que  le 
tome  I  des  Œiiin-es  dont  cette  édition  fait  partie  est 
daté  de  i7()2.  A  la  fin  de  ce  tome  Rey  indique  :  c  Jim- 
prime  actuellement  les  Œuvres  de  M.  J.  J.  Rousseau, 
Citoyen  de  Genève...  .Iulie  ou  la  Nouvelle-Héloïse,  let- 
tres de  deux  Amants,  in-!2,  6  vol.»  Ces  six  volumes 
furent  paginés  en  trois  tomes.  Il  est  certain  d'après 
cette  annonce  que  la  Nouvelle-Héloïse  fut  vendue  sépa- 
rément. C'est  ainsi  que  nous  l'avons  acquise.  En  mai 
1764,  le  tome  I  était  épuisé.  D'après  Rey  l'édition  (tout 


PREMIERES   EDITIONS   J)E   LA   NOUVELLE   HELOISE  ' 0 

au  moins  pour  le   tome    1)   était  de  mille  exemplaires  ; 
mais  Rousseau  estimait  que  Rey  n'était  pas  sincère  ^ 

XXn.  [Bibliothèque  de  Genève.  Hf.  2765.  La  Nouvelle 
Héloïse  est  incomplète  de  la  3^  partie,  remplacée  par 
la  contrefaçon  de  17(0.  Exemplaire  complet  dans 
notre  bibliothèque  personnelle.) 

Œuvres  |  de  |  J.  J.  Rousseau.  |  Tome  Qua- 
trième. I  Contenant  |  Julie,  |  ou  |  la  Nouvelle 
Heloïse.  |  Tome  I  et  II.  ||  Lettres  |  de  deux 
Amans,  \  Habitans  d'une  petite  Ville  |  au  pied  des 
Alpes.  I  Recueillies  et  publiées  \  Par  J.  J.  Rous- 
seau. I  Seconde  édition  orig-inale.  revue  et  corrio;ée 

I  par  l'Editeur.  |  Tome  premier.  \  Xonlaconobbe 
il  mondo,  mentre  l'ebbe  :  |  ConobilPio  ch'a  pian- 
ger  qui  rimasi.  |  Petrarc.  |  A  Amsterdam,  \  Chez 
Marc  Michel  Rey,  \  MDCCLXIII.  \\    in-12. 

Privilégie  [en  hollandais]  :  2  feuilles  non  pa- 
ginées —  Préface  :  4  pages  non  chiffrées.  Avis 
du  Libraire  :  On  trouvera  au  commencement  du 
tome  II  la  Préface  ou  Entretien  etc..  — Lettres: 
pp.  1-472  —  T.  V  (II  de  la  Nouvelle  Héloïse). 
Préface  :  pp.  i-xxxvi.  Lettres  :  pp.  1-372  —  T.  VI 
(III).  Lettres  :  pp.  1-387  —  Pages  de  cette  Edition 
auxquelles  les  Estampes  doivent  correspondre  : 
p.  388  — (A  la  suite).  Recueil  |  d'estampes  |  pour 

I  La  Nouvelle  Héloïse,  |  avec  |  Les  Sujets  des 
mêmes  Estampes,  tels  qu'ils  |  ont  été  donnés  par 
l'Editeur.    |    Non    la  conobbe    il    mondo,    mentre 

1  Bosscha ;  p.  211. 


70  ANNALES    DE    LA    SOCIETE  .1.  .1.    ROUSSEAU 

l'ebbe  ;    |  Conobillio  ch  a    piang^er  qui    rimasi.  | 
Petrarc.  |  A  Amsterdam.  |  Chez  Marc  Michel  Rey. 
I  M.DCC.LXI.  Ilpp:  1-24. 

CONTREFAÇONS 

Cette  édition  de  i7()3   fut   abondamment   contrefaite. 
23.  [Bibliothèque  de  Geiiève.  Relié  arec  le  3"" partie  (  /.  II) 

de  l'édition  précédente.] 

Lettres  |  de  |  deux  amans,  |  habitans  d'une 
petite  ville  |  au  pied  des  Alpes  |  recueillies  et  pu- 
bliées I  par  J.  J.  Rousseau.  |  Seconde  Edition 
originale,  |  revue  et  corrigée  |  par  l'Editeur.  | 
Tome  second.  |  Quatrième  Partie.  |  A  Amster- 
dam, Chez  Marc-Michel  Rey.  |  MDCC.LXV.  || 
(in-12)  pp.  1-364  . 

XXIV.     Bibliothèque  Nationale:  Y-(i3<S:hS\^ 

Œuvres  |  de  J,  J.  Rousseau,  |  contenant  Julie, 
I  ou  la  I  Nouvelle  Héloïse.  |  Tome  second.  || 
Lettres  |  de  deux  Amans  |  habitans  d'une  petite 
ville  I  au  pied  des  Alpes,  |  recueillies  et  publiées 
I  par  J,  j.  Rousseau  |  Seconde  Edition  originale, 
revue  et  corrigée  |  par  l'Editeur.  |  Troisième  par- 
tie. I  [contrefaçon  du  cartouche  de  Rey  avec  les 
vers  de  Pétrarque]  |  A  Amsterdam,  |  Chez  Marc- 
Michel  Rev.  I  MDCCLXX  il  in-12. 

Préface  de  la  Nouvelle  Héloïse  ou  Entretien  etc.  : 
pp.  ix-xxxvi  —  Lettres  :  pp.  1-1  52. 

Détestables  contrefaçons   des  gravures  de  Gra- 
ve lot. 


PREMIÈRES   EDITIONS    DE    LA   NOUVEI.I.lv   HELOISE 


// 


Nous  n'avons  rencontré  nulle  part  d'exemplaire  plus 
complet. 

XXV.  {Bibliothèque  de  Niort.  .V«  3i<So.) 

Œuvres  |  de  J.  ].  Rousseau,  |  contenant  | 
Julie,  I  ou  la  I  Nouvelle  Héloïse.  |  Tome  premier. 
Il  Lettres  |  de  |  deux  amants,  |  habitants  d'une 
petite  ville  |  au  pied  des  Alpes,  |  recueillies  et  pu- 
bliés I  par  J.  J-  Rousseau.  |  Seconde  Edition  ori- 
ginale, revue  et  corrigée  |  par  PEditeur.  |  Tome 
premier.  |  [Contrefaçon  du  cartouche  de  la  I''  édi- 
tion et  vers  de  Pétrarque]  j  A  Amsterdam,  |  chez 
Marc-Michel    Rey.    |    M.DCC.LXXVI   ||   in-12. 

Sujets  d'estampes  :  pp.  5-27  —  Pages  de  cette 
édition  auxquelles  les  estampes  doivent  correspon- 
dre :  p.  28  —  Lettres  :  pp.  1-288  —  T.  II  (Pas  de 
cartouche).  Lettres  :  pp.  5-201  —  T.  III  (Cartou- 
che). Préface  de  la  Nouvelle  Héloïse  ou  Entretiens, 
etc..  pp.  7-40 — Lettres:  pp.  41-192  —  T.  IV 
(Pas  de  cartouche).  Lettres:  pp.  5-192  — T. VI. 
Lettres  :  pp.  5-180. 

Très  mauvaises  contrefaçons  des  estampes  de 
Gravelot. 

Ces  trois  éditions  sont  évidemment  des  contrefa- 
çons. L'aspect  du  volume,  des  caractères,  l'absence 
de  lettres  rouges  au  titre,  etc..  le  montrent  de  suite 
pour  celle  de  1765.  Pour  les  deux  autres  qui  s'intitu- 
lent, en  1770  et  1776,  Seconde  édition,  il  suffit  de  re- 
marquer que  Re}^  publiait  dès  1767  une  Troisième  édi- 
tion originale  etc. 


78  ANNALES   DE   LA  SOCIÉTÉ  .1.   J.    ROUSSEAU 

B.  Rééditions  de  l'G-j  et  suivantes. 

XXVI.  {Bibliothèque  de  Genève.  Hf.  4354). 

Œuvres  |  de  |  J.  J.  Rousseau.  |  Tome  qua- 
trième. I  contenant  |  Julie,  |  ou  |  La  Nouvelle  He- 
loïse.  I  1  et  IL  partie  ||  Lettres  |  de  deux  Amans, 

I  Habitans  d'une  petite  Ville  |  au  pied  des  Alpes. 

I  Recueillies  et  publiées  |  Par  J .  J .  Rousseau  \ 
Troisième  édition  originale,  revue  et  corrigée  | 
par  l'Editeur.  |  Tome  premier  [Cartouche  gravé  et 
vers  de  Pétrarque]  |  A  Amsterdam  \  Chez  Marc- 
Michel  Rey,  I  M.DCC.LXVII  \  Avec  Privilège  de 
nos  Seigneurs  les  Etats  de  |  Hollande  et  de  West- 
frise  II  in-i  2. 

Privilégie  (en  hollandais.  Sans  pagination)  — 
Préface  (sans  pagination)  —  Avis  du  Libraire  — 
Lettres  :  pp.  1-462  —  Catalogue  des  livres  nou- 
veaux qu'on  trouve  chez  Marc-Michel  Rey,  etc.. 
(feuillet  sans  pagination)  —  T.  V.  (11  de  la  Nou- 
velle Héloïse)  2"  Préface  :  pp.i-xxxv  —  Recueil  d'es- 
tampes: pp.  xxxvi-Lix  —  Lettres:  pp.  1-360  — 
T.  VI  (III).  Lettres  :  pp.  1-372.  Table  des  Matières 
(sans  pagination). 

Cette  réédition  de  \-()-  était  commencée  en  Mars 
i7<)(),  puisque  Rousseau  en    demande   un   exemplaire  ^ 

XXVII.  Bibliothèque  de  l'Arsenal:  BL.  -JOcSôS). 
(Euvres  |  de  |  Jean-Jaques    Rousseau.    |     lome 

Quatrième.       Julie,  |  ou  la  |  Nouvelle   Heloïse.  | 

'  l'ossclia  :  p.  270. 


PREMIERES   EDITIONS   DE    LA   NOUVELLE    HÉLOISE  79 

Lettres  de   deux   Amans,  Habitans  |  d'une   petite 
Ville  au  pied  des  Alpes.  |  Recueillies  et  publiées  | 
ParJ.J.  Rousseau  |  Troisième  édition  originale, 
revue  et  corrigée  |  par  l'Editeur.  |  Tome  premier 

I  [Cartouche  gravé  et  vers  de  Pétrarque]  |  A  Ams- 
terdam I  Chez  Marc-Michel   Rey.  |  MDCCLXIX. 

I  Avec  Privilège  de  nos  Seigneurs  les  Etats  |  de 
Hollande  et  de  Westfrise.  ||  in-8°. 

La  description  des  volumes  est  identique  à  celle  de 
l'édition  de  1767.  Bien  que  nous  n'ayions  pas  vu  côte 
à  côte  ces  deux  éditions  il  semble  que  Rey  se  soit  con- 
tenté de  mettre  une  nouvelle  page  de  titre.  Il  faut  re- 
marquer que  Rey  avait  deux  modèles  un  peu  différents 
du  cartouche  gravé  pour  Tépigraphe.  On  verra  ces  dif- 
férences aux  tomes  I  et  II  de  l'exemplaire  de  Genève. 
Le  Privilège  n'est  pas  toujours  relié  en  tête  du  tome  I 
(cf.  l'exemplaire  incomplet  de  la  Nationale:  Z.  3().i39 
in-80)^ 

Ces  éditions  comportent  treize  eaux-fortes  (assez  mé- 
diocres, sans  nom  de  dessinateur  ni  de  graveur),  les 
douze  estampes  primitives  et  celle  que  Duchesne  avait 
fait  graver  pour  son  édition.  La  «  description»  de  cette 
treizième  estampe  est  obtenue,  dans  le  Recueil  d'estam- 
pes, par  un  extrait  de  Rousseau  (VI,  9)  :  «  Toute  la  fa- 
mille... Si  je  ne  dis  rien».  La  Table  des  matières,  très 
différente  de  celle  de  Duchesne,  est  un  Index  alphabé- 
tique :  Abattement...  Adultère...  Ame  etc. 

'  Signalons  que  le  tome  1  des  Œuvres  de  cette  édition  de  i-(mj  ren- 
ferme une  Dédicace  à  Monsieur  Pierre-Alexandre  Dupeyrou,  à  Neuchâ- 
tel,  datée  du  i"  mai  1769  et  un  Avertissement  du  libraire  qui  n'indique 
rien  pour  la  Nouvelle-Héloisc,  mais  qui  est  important  pour  la  biblio- 
-graphie  générale.  (Sur  la  dédicace,  cf.  Bosscha  ;  p.  288.) 


8o  ANNALES    DE    LA    SOCIÉTÉ  ,1.    .T.    ROUSSEAU 

Il  y  a  eu  des  tirages  en  format  in- 12  pour  lesquels 
on  a  simplement  imprimé  avec  marges  réduites  un 
exemplaire  nous  a  été  communiqué  par  M.  A,  Jullien, 
libraire  à  Genève,  éditeur  des  Annales'^.) 

XXVIII,   Bibliothèque  de  Genève.  Hf.  40 1\ 

Œuvres  |  de  |  Jean-Jacques  Rousseau.  |  Tome 
quatrième.  ||  Julie,  |  ou  la  |  Nouvelle  Heloise. 
I  Lettres  de  deux  Amans,  Habitans  |  d'une 
petite  Ville  au  pied  des  Alpes.  |  Recueillies  et  Pu- 
bliées I  Par  J.  J.  Rousseau.  |  Troisième  édition 
originale,  revue  et  corrigée  |  par  l'Editeur.  |  Tome 
premier  |  [Cartouche  modifié.  \'ers  de  Pétrar- 
que] I  A  Amsterdam,  |  Chez  Marc  Michel  Rey,  | 
M.MCC.LXXII.  I  Avec  Privileoe  de  nos  Seigneurs 
les  Etats  |  de  Hollande  et  de  Westfrise.  |1  in-8°. 

Description  des  volumes  identique  à  celle  des  édi- 
tions 1767  et  i7()9.  Les  seules  différences  sont  que  le 
Privilège  n'a  pas  été  relié  et  qu'au  tome  11  le  Recueil 
d'estampes  est  paginé  xxxvi-lvi.  C'est  un  nouveau 
tirage.  La  justification  des  pages  n'est  pas  identique. 
Les  estampes  ont  été  gravées  à  nouveau.  Elles  sont 
signées  Martinet,  la  dernière  1<^.-A.  Giraud  fésit  1772. 
Martinet.  Rousseau  nous  indique  qu'il  n'a  eu  aucune  pari 
à  celle  édilion^. 

Les  textes  de  1772,  i  7(^9,  i7<^>7  ont  été  établis  sur  un 
exemplaire  de  l'édition  de  1763  et  non  pas.  comme  il 
aurait  été  à  la  rigueur  possible,  sur  Texemplaire  annoté 
de  Rousseau.  Ils  n'ont  donc  pas  de  valeur  critique.  Vin 

'  On  trouvera  lians  le  Journal  Encyclopédique  (i5  déc.  1769,  p.  472) 
rannonce  de  l'édition  avec  l'indication  «  M''  Rousseau  a  aidé  l'éditeur 
de  ses  conseils.  » 

^  Bosscha  :  p.  28S. 


PREMIÈRES   KDITIONS    DH   LA    NOUVELLE   HKLOISE  8l 

voici  une  seule  preuve  :  Rousseau  avait  écrit  ^  et 
l'exemplaire  Duchesne-Rousseau  imprime  :  «  et  si  l'on 
joint  au  sentiment  universel  que  sa  vue  inspire  le  sen- 
timent plus  doux  qu'un  souvenir  ineffaçable  a  dû  lui 
laisser...»  Le  compositeur  de  1763,  par  bourdon,  saute 
sept  mots  et  imprime  «et  si  l'on  joint  au  sentiment 
plus  doux...»  Le  compositeur  de  1 767-1  ybg,  en  présence 
de  ce  texte  inintelligible  ne  se  donne  pas  la  peine  de 
recourir  à  l'exemplaire  modifié  par  Rousseau;  il  corrige 
pour  donner  un  sens  :  «  si  Ton  3-  joint  un  sentiment 
plus  doux...  » 

29.  Edition  communiquée  par  M.  A.  Jiillien  et  portée 
à  son  catalogue  d'ourrag-es  neufs  et  d'occasion  de 
./.  /.  Rousseau^  iqoS.) 

Après  la  mort  de  Rey,  Barthelmy  Vlam  imprima  une 
quatrième  édition  du  texte  de  1763.  Elle  fut  établie 
sur  un  exemplaire  de  1769,  comme  le  montre  la  con- 
cordance des  paginations,  la  justification  presque  cons- 
tamment identique,  etc.. 

Julie  I  ou  la  I  Nouvelle  Heloïse.  |  Tome  pre- 
mier. !|  Julie  I  ou  la  I  Nouvelle  Heloïse.  |  Lettres 
de  deux  Amans,  Habitans  d'une  |  petite  Ville  au 
pied  des  Alpes  ;  |  Recueillies  et  publiées  |  ParJ.  J. 
Rousseau,  j  Quatrième  édition  orifj;inale,  revue  et 
corrigée.  |  Tome  premier.  |  A  Amsterdam,  |  chez 
Barthelemi  Vlam.  |  MDCCLXXXXL  |  Avec  Pri- 
vilège de  nos  Seigneurs  les  Etats  de  Hollande  |  et 
deWestfrise.  [j  in-12. 

Les  seules  différences  avec  l'édition  de  1767   pour  la 

1  IV,  p.  icio  (1761.) 


(52  ANXALES  DE  LA  SOCIETE  .1.  .1.    ROUSSEAU 

description  des  volumes  sont  la  pagination  de  la  Pré- 
face au  tome  II  :  pp.  i-xxxiv,  et  la  pagination  donnée 
à  la  table  finale  des  matières  :  pp.  374-386. 

XXX.    Bibliothcqiii'  de  Geiiin'c.  Hf.  ■ib()o  . 

Collection  |  complète  |  des  |  Œuvres  |  de  |  J.  J. 
Rousseau.  1  avec  Fiq"ures  en  taille-douce.  1 
Nouvelle  édition,  |  Soigneusement  revue  et  cor- 
riffée.  1  Tome  Quatrième.  I  Non  la  conobbe  il 
mondo.  mentre  |  l'ebbe.  |  Conobillio  ch'a  pian- 
ger  qui  rimasi.  |  Petrarc.  |  \  Neuchàtel  |  De 
l'Imprimerie  de  Samuel  Fauche,  |  Librairie  du 
Roi.  il  M.nCC.LXXV.  Il  Julie,  |  ou  |  La  Nouvelle 
I  Héloïse.  I  Lettres  de  deux  Amans,  Habitans 
d'une  I  petite  Ville  au  pied  des  Alpes;  |  Recueil- 
lies et  publiées  I  par  I  ].  ].  Rousseau.  |  Première 
partie.  ||  in-i  2. 

Préface  :  pp.  v-viii  —  Préface  de  la  Nouvelle 
Héloïse,  ou  entretien  etc..  :  pp.  i\-xliii  —  Lettres: 
pp.  i-,|62  —  T.  V  (t.  II  de  la  Nouvelle  Héloïse). 
Recueil  d'estampes  :  pp.  \-xxviii  —  Lettres  :  pp.  i- 
360 —  T.  VI  (II!)  Lettres  :  pp.  1-372.  lable  des 
matières  :  pp.  373-39H. 

.Mauvaises  contrefaçons  des  gravures  de  Gra- 
velot. 

L'édition  de  la  Nouvelle  Héloïse  a  été  établie  sur  le 
texte  de  Rey  176g.  Le  tome  I  de  la  collection  repro- 
duit l'avertissement  de  1769  en  notant  que  «cet  aver- 
tissement est  à  la  tête  de  l'édition  de  M.  Rey».  La 
table  analytique  et  alphabétique  est  empruntée.  La 
correction  arbitraire  «si  l'on  y  joint  un  sentiment  plus 
doux...  «)  est  également  reproduite. 


PREMIKRES   ÉDITIONS    DE   LA   NOUVELLE    HÉLOISE  83 

La  Collection  de  Fauche  fut  réimprimée  en  1790: 
Collection  complète  des  Œuvres  dej.  J.  Rousseau^ 
citoyen  de  Genève.  Neuchâtel.  de  l'Imprimerie  de 
L.  Fauche-Bore! .  Imprimeur  du  roi.  1790.  in-8". 
Le  seul  exemplaire  que  nous  en  avons  rencontré 
est  à  la  Bibliothèque  Nationale  (Z  36421-36425) 
et    a  Xourelle  Hcloïse  manque. 

IV.  Edition  de  Genève, 
A.  Edition  de  Genève  1  -jHo- 1  -jH-j. 

L'édition  de  Genève  dirigée  par  du  Peyrou  et  très  ré- 
pandue au  XVIIP  siècle  est  bien  connue.  Signalons  qu'à 
la  fin  de  1780,  comme  l'indique  le  prospectus  dont  nous 
avons  parlé,  l'édition  commencée  depuis  environ  dix- 
huit  mois  ne  comportait  encore  que  les  tomes  I  à  IV  ^. 
La  Nouvelle  Héloïse  tomes  II  et  III)  était  pourtant  pu- 
bliée. On  s'expliquera  donc  les  différences  de  dates  sin- 
gulières que  révèlent  les  nombreuses  impressions  de 
cette  édition,  certains  exemplaires  portant,  comme 
nous  l'indiquerons,  doubles  pages  de  faux-titres  et  titres, 
les  premières  avec  la  date  de  1782  et  les  deuxièmes  avec 
la  date  de  1780. 

Le  texte,  pour  la  Nouvelle  Héloïse^  fut  très  évidem- 
ment établi  à. l'aide  de  l'édition  Duchesne,  exemplaire 
annoté  qui  appartenait  à  Coindet  ^.  La  preuve  s'en  éta- 
blit immédiatement  par  le  fait  que  toutes  les  corrections 

'  Cf.  également  la  date  de  lAvant-Propos  et  de  la  Dédicace  aux  Mâ- 
nes de  ./.  J.  Rousseau  :  Neuchâtel,  1779. 
-  Cf.  supra,  p.  14. 


84  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  J.  ROUSSEAU 

et  adjonctions  de  l'exemplaire  annoté  se  retrouvent 
dans  cette  édition:  suppression  de  la  note  1,62;  tra- 
duction des  vers  italiens  par  Rousseau,  sauf  ceux  des 
lettres  I,  20,  21;  note  111,  20;  variantes  1.  12,  iq, 
3i,  etc..  Un  détail  prouvera  la  fidélité  machinale  avec 
laquelle  ces  corrections  ont  été  reproduites.  L'édition 
Duchesne  a  comme  appels  de  notes  des  chiffres.  Les 
appels  manuscrits  de  Rousseau  sont  des  *.  Or  à  la  let- 
tre IV.  II  il  y  a  dans  l'édition  de  Genève,  pour  la  note 
ajoutée  par  Rousseau,  un  appel  par  %  le  seul  des  deux 
volumes  de  l'édition.  11  a  été  reproduit  machinalement 
par  celui  qui  a  recopié  la  note  de  Rousseau.  11  n'y  a  en- 
tre les  corrections  de  l'exemplaire  annoté  par  Rousseau 
et  l'édition  de  Genève  qu'une  différence.  Si  l'on  étudie 
la  note  IV.  11  de  la  première  édition  ip.  237,  note  aux 
huit  vers  italiens,,  on  en  comprend  clairement  le  sens. 
Au  contraire,  le  texte  de  Duchesne  qui  transporte  les 
huit  vers  dans  le  texte,  en  maintenant  en  note  la  phrase 
de  Rousseau  «  il  aurait  pu...  »,  est  inintelligible.  A  juste 
titre  Rousseau  la  corrige  pour  la  rétablir  conformé- 
ment à  la  première  édition.  Mais  on  constate  que  cette 
correction  manuscrite  est  extrêmement  confuse.  On 
s'explique  très  bien,  en  l'étudiant,  que  l'éditeur  de  17X2 
l'ait  mal  interprétée  et  corrige  le  texte  de  Duchesne  par 
celui  qu'il  nous  donne  et  qui  est  lui  aussi  peu  intelligible. 

Conformément  à  cet  exemplaire  1  7(")4  annoté,  l'édition 
de  Genève  conserve  les  titres  modifiés  par  Duchesne 
et  non  biffés  par  Rousseau,  et  la  table  sommaire  des 
matières   qu'il    acceptait    explicitement. 

Il  était  logiquement  possible  que  du  Peyrou  ait  eu  en 
sa  possession  non  l'exemplaire  Coindet  mais  un  autre 
exemplaire    annoté    par    Rousseau    et    comportant    an 


PREMIÈRES    ÉDITIONS    DE   l.A    NOUVEI.l.I':    HÉI.OISE  Hb 

moins  toutes  les  corrections  Coindet.  Nous  avons  donc 
collationné  entièrement  Tcdition  du  Peyrou.  I!  en  ré- 
sulte : 

1"  Que  rédition  du  Peyrou  est  liée  étroitement  à  une 
édition  de  Duchesne  1764  (édition  de  l'exemplaire  Coin- 
det.; Voici  les  altérations  communes  les  plus  impor- 
tantes :  T.  I  (de  l'édition  du  peyrouj  p.  63  :  au  défaut 
duquel  (=  au  refus)  —  p.  \ob  :  peut  goûter  (=  peut 
goûter  sans  lui)  —  p.  104:  destructeur  des  vertus  de 
l'humanité  (==  des  j'ertus  et  de  l'humanité)  —  p,  267  :  je 
n'ai  rien  fait  que  ^=  je  n'ai  fait  que)  —  p.  40X  :  Si  c'é- 
tait (==  Si  c'était  ici)  —  p.  49S  :  que  nous  admirons 
(=r  qui  nous  admirons)  —  p.  5o3  :  que  j'ai  à  présent 
(^  que  J'ai  maintenant) —  T.  II,  p.  247  :  à  l'homme  en 
général;  on  ajoute  (=  ;  à  l'homme  en  général  on  ajoute) 

—  p.  298  :  dans  ses  yeux  que  dans  les  regards  enjoués 
(:=  dans  ses  yeux  si  doux  que  dans  les  regards  plus  en- 
joués) —  p.  3i  1  :  Note,  L'homme  au  beurre...  supprimée 

—  p.  484  :  réalité  qui  vaut   mieux  peut-être  (=  réalité. 

—  Qui  vaut  mieux  peut-être)  —  p.  4'SX  :  suj-  }ious  que 
quand  (=  sur  nous  quand.) 

2°  Que  l'édition  du  Peyrou  a  été  très  négligée,  au 
moins  en  cours  d'impression.  Voici  deux  exemples  de 
fautes  d'impression  :  cotiser  recette  bonhommie  (II,  p.  61) 

—  laissera  du  moins  un  charte  veuve  il.  p.  5o3.) 

3°  Que  quatre-vingt-dix  variantes  de  l'édition  du 
Peyrou  ne  se  justifient  pas  par  l'édition  Duchesne.  Ces 
quatre-vingt-dix  variantes  révèlent-elles  des  corrections 
de  Rousseau  (autres  que  celles  de  l'exemplaire  Coindet)? 

Dix-sept  entraînent  non  pas  même  des  sens  douteux 
mais  de  grossiers  contre  sens.  Exemples:  T.  I.  p.  100: 
six  mois  à  Lausanne  (^=  six  jours)  —  p.  396  :  qu'il  peut 


86  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ.!.  .1.   ROUSSEAU 

arj^éter  (=  qu'il  ne  peut)  —  p.  898  :  que  nous  admirons 
(==  qui  nous  admirons)  —  II,  p.  i23  :  ce  sont  des  forets 
de  mâts  ou  de  maïs  (=  de  mays)  etc.. 

Trente-cinq  sont  des  mots  sautés  dont  rien  ne  justifie 
la  suppression  et  qui  entraînent  souvent  des  faux-sens 
ou  des  contre  sens,  ou  des  absurdités  Exemples  :  T.  I, 
p.  2o5  :  car  quand  on  parle  de  qu'elle  est  —  T.  II,  p.  qtî: 
c'est  que  les  habitants  (=  c'est  ce  que>  — •  p.  iq-j  :  pour 
l'aimer  et  pour  être  aimés  (=  pour  en  être  aimés)  etc.. 
La  plupart  de  ces  mots  sont  d'ailleurs  des  mono- 
syllabes. 

Deux  sont  des  mots  déplacés  sans  importance:  T.  I, 
p.  3  :  je  consens  qu'on  puisse  tous  imaginer  (=  vous 
puisse)  —  T.  II.  p.  i(36  :  vous  pouve:^  plus  contribuer  que 
[z^  contribuer  plus  que). 

Dix-neuf  sont  de  menus  mots  altérés,  sans  aucune 
importance,  et  qui  parfois  mênie  faussent  le  sens: 
T.  I,  p.  1  2  I  :  c7  /a  Julie  f=  à  sa  Julie)  —  p.  20Q  :  qui 
ne  l'offensent  pas  \-=  point)  —  p.  24D  :  dans  tout  ce  que 
j'ai  observé  (^  de  tout)  —  p.  307  :  su)^  qui  porte  la  tor- 
tue (contre-sens  =  sur  quoi  porte)  etc.. 

Six  sont  des  oscillations  de  grammaire  ou  d'usage: 
T.  I,  p.  21:  :  au  col  de  mon  père  (=  au  cou)  —  p.  joq  : 
Grâces  au  ciel  (=  Grâce) —  T.  II,  p.  i()():  cette  charité 
paresseuse  des  riches  qui  payent  [=■-  qui  paye)  etc.. 

Cinq  sont  de  menus  mots  ajoutés  sans  importance 
(me,  un,  des^  et,  de).  T,  I,  p.  ôi  :  le  plutôt  qu'il  me  sera 
possible  i^~  qu'il  sera  possible)  —  p.  187  :  dont  ils  font 
un  si  grand  bruit  {=  font  si  grand  bruit). 

Il  reste  comme  leçons  qu'on  puisse  à  la  rigueur  dis- 
cuter: 1°,  T.  I,  p.  242  :  je  tâcherai  du  moins  qu'il  soit 
sage  (=^  je  tâcherai  de  faire  au  moins  qu'il  soit  sage) 


PREMIÈRES   ÉDITIONS   DK   LA   NOUVELLE   HÉLOISE  87 

—  2*^,  p.  334  :  celle  qui  peut  nous  serrir  pendcvil  le  l'oj'age 
[=z  durant)  —  3°,  T.  II,  p.  170:  un  i^n^ind  secret,  un 
seul  chagrin  l'empoisonne  (=  un  chagrin  secret,  u)i  seul 
chagrin  l'empoisonne)  —  4°,  p.  207,  note  :  ce  métier 
oisif  (=^  ce  métier  oiseux)  —  5°,  p.  248:  Heureux,  les 
enfants  bien  nés  (=  Heureux  les  bien  nés)  —  (")",  p.  476: 
et  qu'il  savait  bien  que  tant  (=  et  qu'il  savait  que  tant). 

La  variante  2  est  insignifiante  et  s'explique  mieux 
d'ailleurs  quand  on  la  rapproche  de  Taltération  de  Du- 
chesne^,  dajis  le  voyage  {:=  durant).  —  La  variante  3 
fausse  fâcheusement  le  sens  et  s'expliquerait  d'ailleurs 
par  le  voisinage  des  sonorités  (un  chaj^rm  secret,  (un) 
grand  secret.  —  La  variante  6  n'est  qu'une  con- 
fusion de  l'œil  du  compositeur.  L'édition  Duchesne 
porte  à  la  ligne  supérieure  :  qu'il  connaissait  bien  M""^  de 
Wolmar,  et  bien  est  juste  au-dessus  de  //  savait.  Les 
trois  seules  variantes  qui  subsistent  sont  minimes. 
Les  nombreux  contre-sens  et  fautes  d'impression  de 
l'édition  prouvent  une  grande  négligence.  Elles  sont 
dues  certainement  à  des  corrections  plus  ou  moins 
conscientes  du  texte  de  Duchesne  ;  les  variantes  4 
et  5  notamment  ne  font  que  modifier  des  expressions 
qui  ont  dû  surprendre  le  compositeur  ou  le  prote. 

Rien  n'oblige  ou  n'invite  à  supposer  un  exemplaire  an- 
noté autt^e  que  celui  de  Coindet,  ou  tout  au  juoins  dont 
les  annotations  fussent  différentes. 

Les  éditeurs  n'ont  prévenu  nulle  part^  qu'ils  avaient 
à  leur  disposition  un  exemplaire  corrigé  par  Rous- 
seau.  L'authenticité    des    leçons   nouvelles,    malgré  ce 

'  Utilisé,  rappelons  le  par  du  Peyron. 

2  A  moins  qu'il  ne  Taient  fait  dans  un  Prospectus  que  nous  n'avons  pas 
rencontré. 


88  ANNALES   DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

silence  étrange,  donne  à  Tédition  une  solide  importance 
critique,  et  semblerait  prouver  par  exemple  qu'ils  se 
sont  bien  référés  à  un  texte  inconnu  de  Rousseau  pour 
intercaler  dans  le  Discou)\s  sii?^  riné^alile  un  morceau 
que  signale  M.  \^wio\i\  Annales  delà  Société  J .  J.  Rous- 
seau, \qob.  p.  iqo  et  qui  apparaît  pour  la  première 
fois  dans  leur  édition  \ 

Il  V  eut  d'abord  une  édition  de  format  in-4°. 
XXXI.    Bibliothèque  Xalioiiale.  Réserve.  Z  j3ôj.  in-4".) 

{  1  )   (>ollection   |   complète  [  des   |   Œuvres    |    de 
j.   J.    Rousseau.  |  Tome  Second     1  (2)  Collection 

I  complète  |  des  œuvres  |  de  |  J.  J.  Rousseau^  | 
Citoyen  de  Genève.  |  Tome  Second  |  Contenant  les 
trois  premières  Parties  j  de  Julie  ou   la  Nouvelle 
Héloïse    A  Genève  |  MDCCLXXXII  i|  (3)LaNou- 
velle  I  Héloïse.  |  ou   |   Lettres  |   de   deux  Amans, 

I  Habitans  D'une  petite  Ville  au  pied   des  Alpes  ; 

I  Recueillies  et  publiées  |  Par  J.  J.  Rousseau.  | 
Tome   Premier.  |  Non  la  conobbe  il  mondo.  men- 
trc   l'ebbe  :  (>onobiirio  ch'a  piani^er  qui  rimasi  | 
Petrarc    |    Irad.  Le  monde  la  posséda  sans  la  con- 
naître, et  moi  je  l'ai   connue  je  |  reste  ici-bas  à  la 
pleurer   1  (  ))  Julie,  j  ou  |  La  Nouvelle  |  Héloïse.  | 
Tome   premier.  |i  {^)  La  Nouvelle  |  Héloïse,  |  ou 

I  Lettres  |  de  deux  amans.  |  habitans  |  d'une  pe- 
tite Ville  au   pied    des  Alpes:  |  Recueillies  et  pu- 

'  .Sur  ia  favon  dont  fut  établie  rédition,  ou  cousultera  uiilcnient  la 
note  de  Girardin  sur  l'un  des  manuscrits  de  la  Chambre  des  députés  et 
reproduite  par  Marcellin  Pcllct  (Révolution  française.  Septembre  lytX), 
p.  197.)  M""  A.  Pons  (J.  ./.  Rousseau  et  le  Théâtre.  Genève,  1909,  p.  li^y) 
signale  également  un  vers  du  Devin  du  village  donné  par  l'édition  de 
Genève  et  qui  ne  se  trouve  ni  dans  l'édition  originale,  ni  dans  le  ma- 
nuscrit lie  la  partition,  ni  dans  In  partition  lie   1734. 


PREMIÈRES    KOITIONS   DK    I.A   NOUVEr.I.E   HÉLOISK  Ny 

bliées  I  Par    ).    [.    Rousseau.  |  Tome  premier.  | 
Genève.  |  M.DCC.LXXX  \\  in-4'\ 

Préface  :  pp.  i-iv  —  Avertissement  sur  la  Pré- 
face suivante  :  p.  v  —  Seconde  préface  :  pp.  vi- 
xLvii  —  Lettres  :  pp  1-536  —  Table  des  Lettres  et 
Matières  etc.  :  pp.  537-548. 

Tome  troisième,  (second  de  la  Nouvelle  H éloïse) 
I  Contenant  la  fin  de  la  Nouvelle  Héloïse,  et  les 
Amours  de  Mylord  Edouard  Bomston  ||  La  Nou- 
velle Héloïse  etc.  [comme  le  titre  (3)  sauf  Tome 
second]  !|  Lettres:  pp  1-5 12  —  Les  Amours  | 
de  I  Milord  Edouard  Bomston.  pp.  513-530  — 
Table  des  lettres,  etc.  pp.  531-537. 

Cette  édition  fut  publiée  comme  on  le  voit  avec  une 
profusion  singulière  de  titres  de  collection,  faux-titres, 
titres.  Nous  avons  décrit  Texemplaire  le  plus  compli- 
qué. Mais  tout  cela  fut  le  plus  souvent  simplifié  par 
les  éditeurs  ou  les  relieurs.  Certains  exemplaires  ne 
portent  pas  les  pages  4  et  5  (par  exemple  Bibliothèque 
Nationale  :  Inventaire  Z  9939  et  suivants».  D'autres  sup- 
priment les  pages  i,  4  et  5.  Ces  titres  devaient  sans 
doute  permettre  aux  libraires,  éditeurs,  particuliers,  de 
relier  ou  de  vendre  la  Nouvelle  Héloise  tout  au  moins 
dans  la  Collection  complète  ou  séparément.  L'exem- 
plaire de  la  Nouvelle  Héloïse  à  la  Bibliothèque  Natio- 
nale (Z  9974)  comporte  seulement  les  pages  4  et  5  favcc 
la  date  1780)  et  par  conséquent  aucun  titre  de  collec- 
tion. 

Avec  l'édition  in-4°  on  publia  une  édition  in-8*^.  On 
trouve  à  la  bibliothèque  de  Lyon  (catalogue  manuscrit 
n°  103098)  une  édition  de  format  grand  in-8°,  mais  qui 


QO  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  .T.  .!.   ROUSSEAU 

ne  diffère  de  Tédition  in-4''  que  par  la  largeur  des  mar- 
ges. La  véritable  édition  in-8"  est  une  impression  nou- 
velle. 

XXXll.  ^Bibliolhèque  Xatioîtale.  Z  36.28 1,  /;z-rVo.) 

Cinq  pages  de  titres  à  peu  près  identiques 
comme  description  à  celles  de  l'exemplaire  in-4". 
La  seule  différence   est  la  façon  dont  sont  coupés 

les  vers   de   Pétrarque   et  leur  traduction:  io 

ch'a  I  et  moi  je^  ||    in-8°. 

Préface  :  pp.  i-v  —  Avertissement  :  p.  v  —  Se- 
conde préface  :  pp.  \ii-Lxn  —  Lettres  :  pp.  1-342 
—  Table  des  lettres  et  matières:  pp.  343-355  — 
T.  IV  (Second  de  la.  Nouvelle  Héloïse.)  Lettres: 
pp.  1-453.  Table:  pp.  454-464  —  T.  V  (III).  Let- 
tres :  pp.  1-413.  Table  :  pp.  414-419  — Tome  VI 
(IV).  Lettres  :  pp.  1-31-9  —  ^-^^  Amours  de  Milord 
Edouard  Bomston  :  pp.  350-376.  Table  :  pp.  377- 

383. 

Les  mêmes  confusions  se  présentent  dans  les  pages 
de  titre  que  pour  l'édition  in-4°.  L'exemplaire  de  la 
Bibliothèque  Mazarine  '23067  G  et  suiv.)  ne  comporte 
que  les  pages  1 .  2  et  3.  L'exemplaire  de  la  Bibliothèque 
Nationale  (Z.  36249}  ne  possède  que  les  pages  4  et  b 
(date  de  1780).  Là  encore  la  Nouvelle  Héloïse  fut  sans 
doute  vendue  séparément. 

J'vnfin  il  y  eut  une  édition,  ou  plus  probablement  con- 
trefaçon fie  frontispice  et  les  treize  estampes  sont  de 
détestables  contrefaçons),  de  format  in-ri. 

'  Ajoutons  bien  ciiiendu  les  diiVérenccs  dans  lindication  des  numéros 
des  tomes,  la  Nouvelle  Héloïse  commençant  au  tome  III  (au  lieu  de  II) 
et  comprenant  4  volumes  et  non  2. 


PREMIÈRES   ÉDITIONS   DE   LA   NOUVELLE   HÉLOISK  9I 

XXXIII.  i Bibliothèque  de  l'Arsenal.  20.S66  1er.  B.  L.) 
Collection  |  complète  |  des  œuvres  |  de  J.  J. 
Rousseau,  |  Tome  troisième  ||  Collection  |  com- 
plète I  des  œuvres  de  J.  J.  Rousseau,  etc.  (Les 
cinq  pages  de  titres  des  éditions  in-4'*  et  in-S*^  avec 
de  légères  différences  :  Julie  ou  de  la  Nouvelle 
Héloïse  —  amans  =  Amans  —  habitans  =-  Habi- 
tans,  etc.j  ||  in-12. 

Préface  :  pp.  i-vi  —  Avertissement  :  p.  vu  — 
Seconde  préface  :  pp.  viii-lxxvii  —  Lettres  :  pp.  i- 
328  —  Table  des  Lettres  et  Matières  :  pp.  329-342 
—  T.  IV  (tome  II  de  la  Nouvelle  Héloïse.)  Lettres  : 
pp.  1-444  — Table:  PP-  445-455— T  V  (IIIj 
Lettres  :  pp.  1-39S  —  Table  :  pp.  396-401  — 
T.  VI  (IV)  Lettres  :  pp.  1-335  —  ^^^  Amours  de 
Milord  Edouard  Bomston  :  pp.  336-360  —  Table  : 
pp.  361-367. 

Les  estampes  sont  de  détestables  contrefaçons  des 
gravures  de  Gravelot. 

Les  Aventures  de  Milord  Edouard  Bouiston  parais- 
saient pour  la  première  fois  dans  l'édition  de  Genève, 
avec  la  note  :  (fidèlement  empruntée  par  un  grand  nom- 
bre d'éditions)  a  Cette  pièce  qui  paraît  pour  la  première 
fois,  a  été  copiée  sur  le  manuscrit  original  et  unique  de 
la  main  de  l'auteur,  qui  appartient  et  existe  entre  les 
mains  de  iVf"^^  la  Maréchale  de  Luxembourg,  qui  a  bien 
voulu  le  confier.» 

On  rencontra  tout  de  suite  des  éditions  séparées  de 
ces  Aventures.,  destinées  évidemment  à  ceux  qui  possé- 
daient des  éditions  antérieures  de  la  Nouvelle  Héloise. 
{Bibliothèque  de  Genève.  Hf.  23 1 g.) 


ql  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  .1.  .1.   ROUSSEAU 

Supplément  à   rEmile  |  ou  |  de   l'Education^  | 
de  J.  J.  Rousseau.  ||  s.  1.  n.  d.  [(jenève  1781]. 
A  la  suite  :  Supplément  |  a  la  nouvelle  Héloïse 

1  de  J.  J.  Rousseau.  |  pp.  101-128  ||  in-24. 

Bibliothèque  de  Neuchdtel  . 

Emile  et  Sophie,  ou  les  Solitaires.  Ouvrage 
posthume  de  M.  J.  J.  Rousseau.  A  (jenève,  chez 
la  Société  typographique.  MDCCLXXI. 

A  la  suite  :  Les  Amours  de  Milord  Edouapd 
Bomston.  pp.  103-133  ||  in-12. 

Notons  que  ces  Aventures  copiées  pour  la  seule 
M"^*de  Luxembourg,  et  qui  causèrent  au  persécuté  Rous- 
seau tant  d'inquiétudes,  étaient  depuis  longtemps  soup- 
çonnées du  public.  Le  2  mars  1761  «une  personne  »  a 
dit  à  Rey  quie  Rousseau  s'occupe  à  un  septième  volume 
qui  doit  contenir  l'histoire  de  Bomston  et  le  retour  de 
Saint-Preux  auprès  de  M.  de  Wolmar.  En  1764,  le 
I  I  mai,  Rey  revient  à  la  charge  «  Il  y  a  des  gens  qui 
veulent  absolument  que  vous  ayiez  publié  une  suite  à 
la  Nouvelle  Héloïse,  un  poème  ^  je  leur  soutiens  le  con- 
traire^». 

B .  Edi  tio  n  s  fi  lia  les 

Elles  ont  dû  être  établies  sur  l'édition  ia-S",  plus 
commode   pour  le   travail  d'imprimerie.  Il  va  entre  le 

'  Il  y  a  là  sans  doute  une  cf)nfusion  a\ec  le  «  poème  en  prose»  du  Lé- 
vite  d'Ephraim.  dont  (ilusicurs  amis  de  Rousseau  connaissaient  aloi^s 
l'existence. 

2  Lettres  de  Rey  du  2  mars  lylti,  ri  mai  1764  —  Jean-Jacques  écrit  à 
M**  (Duclos,  sans  doute),  en  1760  (non  datée  —  Décembre)  qu'il  ne  pu- 
bliera pas  les  Aventures  d'Edouard,  qu'il  a  jeté  les  cahiers  au  feu  et 
qu'il   n'en  reste  que  la  copie  de  M"'«  de  Luxembouri;  (X,  p.  2'}>b). 


PREMIERES   EDITIONS   DE    I-A   NOUVELLE   HELOISE  Q-t 

texte  in-S''  et  celui  in-4'^  trois  des  variantes  de  notre  ta- 
bleau qui  sont  différentes  et  qu'on  retrouve  dans  les 
éditions  suivantes,  identiques  au  texte  in-8". 

34.  (Bibliothèque  Nationale.  Y^.  68854. 

Julie,  I  ou  I  La    Nouvelle    |    Héloïse.    |    Tome 
premier  ||  La    Nouvelle  |  Héloïse,  |  ou  |  Lettres  | 
de  deux  Amans,  |  habitans  d'une  petite   Ville  au 
pied  I  des   Alpes  ;    |   recueillies    et    publiées  |  par 
J.  J.   Rousseau.    |    Tome    premier.    |    Genève.    | 
MDCCLXXX||in-i2. 

Préface  :  pp.  i-iv  —  Avertissement  :  p.  iv  —  Se- 
conde préface  :  pp.  v-xlviii  —  Lettres  :  pp.  1-3  i  2  — 
Table  des  Lettres  et  matières  :  pp.  ^  1 3-327  — 
T.  II.  Lettres:  pp.  1-412.  Table:  pp.  413-427  — 
T.  III.  M.DCC.LXXXI.  Lettres  :  pp.  1-377. 
Table  :  pp.  378-384  —  T.  IV.  M.DCC.LXXXI 
Lettres  :  pp.  1-329  —  Les  Amours  de  Milord 
Edouard  Bomston  :  pp.  3^0-354  — Table  :  pp.  355- 
362. 

Remarquer  la  différence  des  dates  pour  les  tomes  HT 
et  IV. 

35.  [Bibliothèque  Nationale.  Réseri>e  Y^  J^gS-JSo  i . 

Julie,    I    ou    I    la  Nouvelle    |    Héloïse.    |    Tome 
premier.  ||  La  Nouvelle  |  Héloïse,  |  ou  |  Lettres  | 
de  deux  Amans;  |  Habitans   d'une  petite  Ville  au 
pied  I  des   Alpes  ;    |   Recueillies    et    publiées    par 
J.  J.   Rousseau.  |  Tome  premier.  |  A  Londres.  | 
MDCCLXXXI.il 

Petit  in-S*^  à  très  grandes  marges  blanches  et 
impression  très  soignée. 


C)4  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1,  .1.   ROUSSEAU 

Préface  :  pp.  i-v  —  Avertissement  :  p.  vi  —  Se- 
conde préface  :  pp.  vn-Lxiii  —  Lettres  :  pp.  1-140 
Table:  pp.  141-144  —  T.  II.  Lettres:  pp.  1-205 
—  Table  :  pp.  206-21 1  —  T.  III.  Lettres  :  pp.  1-252. 
■ —  Table  :  pp.  253-256  —  T.  IV.  Lettres  :  pp.  i- 
19:;  — Table  :  pp.  196-199  —  T.  V,  Lettres  : 
pp.  1-269 —  Table:  pp.  270-273  — T.  VI.  Let- 
tres :  pp.  1-245  —  Table:  pp.  246-248  — T.  Vil  : 
Lettres:  pp.  1-235  — -Les  Amours  de  Milord 
Edouard  Bomston  :  pp.  236-261  .  Table  :  pp.  262- 
264. 

Réduction  des  gravures  de  Moreau  le  Jeune  pour 
l'édition  de  Londres.  (Bruxelles). 

Cette  édition  de  luxe  sur  papier  grand  format  fut 
tirée  à  petit  nombre.  Les  exemplaires  courants  sont  de 
format  in-24  (Bibliothèque  Nationale,  Z  36.191  etsuiv.). 
On  lit,  imprimé  à  la  fin  du  tome  V  le  prospectus  de  la 
collection  «  Collection  de  petits  formats,  en  beau  pa- 
pier, belle  impression,  belle  gravures,  en  tout  supérieure 
à  celle  imprimée  à  Lyon...  » 

XXXVI.    Bibliothcqite  de  Génère.  Archives  J.  J .    Rous- 
seau. 0  R.  77. 

(collection    |    complette    |    des     (cuvres    j    de    | 
J.    j.     Rousseau,  |  (Citoyen     de   (jcncve.   |    Tome 
troisième.   |  (contenant  le  L'   Fome  de  Julie  ou  de 
I  la  Nouvelle  Héloïse.   |  Aux  Deux-Lonts,  |  (>hez 
Sanson   et    (compagnie.    |   M .  IXv(">.  LXXXIIL  || 
Œuvres  |  complettes  |  de  |   ] .    ].    Rousseau  |  (Ci- 
toyen de  (^lenève.   I  N.  Héhyise.    lome  premier.  || 
La    Nouvelle    1    Héloïse    1    ou  1  Lettres  1  de    deux 


PREMIÈRES    ÉDITIONS    DE    LA   NOUVELLE   HÉLOISE  qD 

Amans  |  Habitans  d'une  petite  Ville  au  pied  |  des 
Alpes  ;  I  Recueillies  et  publiées  |  Par  J.  J.  Rous- 
seau. I  Tome  I.  I  Aux  Deux-Ponts,  |  Chez  San- 
son  et  Compagnie.  |  M. DCC.LXXXII .  ||  in-8«. 
Préface  :  pp.  5-8  —  Avertissement  :  p.  9  — 
Seconde  préface  :  pp.  10-^1  —  Lettres  :  pp.  ^3- 
269  —  Table:  pp.  271-281  — T.  IV  (tome  II  de 
\a  Nouvelle  Héloïse) .  Lettres:  pp.  5-293.  Table: 
pp.  294-302  —  T.  V,  (III)  Lettres:  pp.  5-269. 
Table  :  pp.  271-275  —  T.  VI  (IV^)  Lettres  :  pp.  5- 
249.  Table:  pp.  251-255. 

XXXVII.    Biblioihi'qiie  Naliouak'.  Z.  3635 1   al  suir.) 

Collection  |  complète  |  des  œuvres  |  de  J.  J. 
Rousseau,  |  Citoven  de  Genève.  |  Tome  troi- 
sième. I  De  l'Imprimerie  de  la  Société  littéraire  — 
typographique.  |  1783  H  La  Nouvelle  |  Héloïse,  | 
ou  I  Lettres  |  de  deux  amans,  |  habitans  d'une 
petite  ville  |  au  pied  des  Alpes.  |  Tome  Premier.  || 
in-12. 

Préface:  pp.  1-5  —  Avertissement  :  p.  6 — Se- 
conde préface:  pp  7-60  —  Lettres:  pp.  6i-3_|6 
—  Table  des  lettres  et  matières  :  pp.  347-360  — 
T.  IV  (tome  11  de  la  Nouvelle  Héloïse.)  Lettres  : 
pp.  1-385— Table:  pp.  386-396  —  T.  V.  (111) 
Lettres:  pp.  1-350  —  Table  :  pp.  351-356  — 
T.  VI  (IV).  Lettres:  pp.  1-300  —  Les  Amours  de 
Milord  Edouard  Bomston  :  pp.  301-324  —  Ta- 
ble :  pp.  325-331 . 

La  Mazarine  possède    r4.?3<S    un  exemplaire  incom- 


q6  ANNALES   DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.    ROUSSEAU 

plet  (tomes  III  et  IV  avec  une  bonne  réduction  des  gra- 
vures de  iMoreau. 

38.  [Bibliothèque  de    Genève.  Archii'es  J.  J.   Rousseau  : 

O.  R.  ig.) 

Julie,    ou    I    La    nouvelle    |    Héloïse.    |    Tome 
premier.  ||  La  nouvelle  |  Héloïse,  |  ou  |  Lettres  | 
de  deux  Amans,  |  Habitans  d'une  petite  ville  au 
pied  des  Alpes;  |  Recueillies  et  publiées  par  J.  J. 
Rousseau.  |  Tome   premier.  |  Genève.  |   1788.    || 
in-24. 

Préface  :  pp.   5-8  —  Seconde  préface  :  pp.  8-44 

—  Lettres  :  pp.  45-278  —  Table  des  lettres  et  ma- 
tières ;   pp.    279-288  —  \.   IL  Lettres  :  pp.  5-243 

—  Table:    pp.   244-250  —  T.   III  Lettres  :    5-220 
Table  :  pp.  221-225. 

XXXIX    Bibliothèque  Nationale.  Z .  SG.'y-jC). 

Œuvres  |  complètes  |  de  J.  J.  Rousseau.  | 
Nouvelle  édition,  |  classée  par  ordre  de  matières, 
et  ornée  |  de  quatre-vingt-dix  gravures.  |  Tome 
premier.  |  1788  ||  [Verso  suivant]  Les  Pièces  nou- 
velles insérées  dans  ce  volume  sont  :  Introduction, 
par  M.  Mercier.  Vovage  à  Ermenonville,  par  feu 
M.  Le  Tourneur,  pour  servir  de  Préface.  Notes  de 
J.  J.  Rousseau  sur  sa  A'^owî^e//^  Héloïse.  Les  Notes 
des  Editeurs  i|  Frontispice  (C.  I\  Marillier  del. 
J.  J.  Hubert,  sculp.  Paysage  suisse  entouré  de 
neuf  médaillons  représentant  les  scènes  de  la  Sou- 
velle  Héloïse).  La  Nouvelle  Héloïse  Tome  I"  || 
in-8^ 

Introduction  :   pp.    1-56 —  Vovage  à  Ermenon- 


l'REMIKRliS    l'iDITlOXS    DK    LA   NOUVELLE    HÉLOISE  ()-] 

ville:  pp.  ^9-176  —  La  Nouvelle  Héloise  [faux 
titre]  :  p.  177.  Avis:  p.  178^  —  Préface  :  pp.  179- 
183  —  Avertissement  :  p.  184  —  Seconde  préface  : 
pp.  185-239 —  Avis^  :  p.  240  —  Notes  de  J.  J. 
Rousseau  sur  sa  Nouvelle  Héloïse  :  pp.  241-248 
—  Lettres  :  pp.  249-476  —  Table  :  pp.  477-488  — 
T.  IL  Lettres:  pp.  1-454.  Table:  pp.  455-468  — 
T.  IIL  Lettres  :  pp.  1-479.  Table  :  pp.  480-488  — 
T.  IV.  Lettres  :  pp.  1-418  —  Les  Amours  de  Mi- 
lord  Edouard  Bomston  :  pp  419-446  —  Des 
Ecrits  publiés  à  l'occasion  de  la  Xourelle  Héloise  : 
pp.  467-475  —  Table  :  pp.  476-484. 

Il  fut  publié  des  exemplaires  k  grandes  marges, 
in-4". 

Cette  édition,  faite  pour  le  texte  sur  celle  de  Genève 
1782,  in-S'',  a  son  importance,  outre  la  beauté  des  gra- 
vures et  frontispices.  Les  éditeurs  ont  eu  connaissance 
de  la  Copie  Liixemboin^s^  à  laquelle  ils  ont  emprunté  une 
addition  itome  I,  p.  2481.  Les  Notes  de  J.  J .  Rousseau, 
sur  sa  Nouvelle  Héloise  sont  adaptées  de  la  deuxième 
partie  des  Confessions,  encore  inconnue  du  public. 
L'étude  de  Mercier  sur  les  Ecrits  publiés  à  l'occasioji  de 
la  Nouvelle  Héloise  nous  a  conservé  des  analyses  et 
extraits  de  pièces  qui  semblent  maintenant  introuvables. 


'  Voici  cet  Avis  «Les  morceaux  nouveaux  tirés  des  mémoires  ou  lettres  ^ 
de  Rousseau  seront  marqués  par  des  guillemets;  les  notes  qui  lui  ap- ; 
partiennent  seront  désignées  par  un  chiffre,  et  celles  de  TEditeur  par  une 
étoile,  avec  ces  mots  :  A",  de  l'Edit.» 

-  Voici  cet  Avis  :  «  Les  notes  suivantes  au  sujet  de  la  Nouvelle  Héloïse, 
n'ayant  point  été  publiées  dans  aucune  édition,    nous  croyons  que  nos  ^ 
lecteurs  ne  pourront  que  nous  savoir  gré  de  les  rapporter  ici;  ce  n"est 
qu'après  beaucoup  de  recherches  que  nous  sommes  parvenus  à  nous  les  - 
procurer;  elles  sont  de  Rousseau  lui-même.» 


q8  ANNALES   DE    LA    SOCIÉTÉ  .1.   .1.    ROUSSEAU 

On  trouve  à  la  Bibliothèque  Nationale,  relié  avec  un 
exemplaire  de  cette  édition  (Z  i38o)  le  Prospectus.  Les 
deux  premiers  volumes  de  la  Nouvelle  Hélo'ise.,  alors 
publiés,  se  vendaient  lo  livres  et  24  livres  pour  l'in-S", 
selon  le  papier,  24  livres  et  48  livres  pour  rin-4*'. 

Les  gravures  sont  des  frontispices  de  Marillier,  la  re- 
production des  gravures  de  Moreau  le  Jeune  et  une 
gravure  nouvelle  de  Wheaty  pour  la  lettre  IV,  17.  On 
remarquera  que,  pour  la  reproduction  des  gravures  de 
Moreau,  on  a  fait  subir  quelques  modifications  aux 
costumes  pour  les  mettre  d'accord  avec  les  modes  nou- 
velles. 

XL.  (Bibliothèque  de   Vesoul.  W  20<S j .) 

Collection  |  complète  |  des  Œuvres  |  de  | 
J.  J.  Rousseau,  |  Citoyen  de  Genève.  |  Tome 
premier,  |  avec  Figures.  |  Contenant  le  premier 
volume  de  la  |  Nouvelle  Héloïse.  |  A  Paris,  | 
chez  Bossange  et  Comp.  Libraires,  |  rue  des 
Noyers,  n""  33.  |  Et  à  Bruxelles,  chez  J.  L.  de 
Boubers,  Imprimeur-Libraire.   |  1791  ||  in-12 .     | 

Préface:  pp.  i-v  —  Avertissement  :  p.  vi  —  Se- 
conde préface  :  pp.  vii-Lxii  —  Lettres  :  pp.  1-342. 
Table  :  pp.  343-357  —  1  .  H.  Lettres:  pp.  1-453. 
Table:  pp.  454-466 —  T.  IIL  Lettres:  pp.  1- 
413.  Table:  pp.  414-420 — T.  IV.  Lettres: 
pp.  1-349  —  ^^^  Amours  de  Milord  Edouard 
Bomston  :  pp.  350-376.  Table  :  pp.  377-384.  || 
L'exemplaire  comprend  sept  gravures.  Cinq  sont  des 
contrefaçons  de  Marillier.  Les  deux  autres  (arrivée  des 
enfants  de  Julie  auprès  de  Saint-Preux  et  Scène  du 
Voilej  ne  sont  signées  que  J.  Maillart  S. 


PREMIÈRES   ÉDITIONS    DE   LA    NOl'VEl.l.E   HÉLOISE  ^9 

XLl.  [Bibliothèque  de  Geiii'i'e.  Hf.  4ig'j.\ 

Œuvres   |   complettes    |    de    J .     j.     Rousseau, 

I  Cit03'en  de  Genève.   |  Nouvelle  édition.   |  Tome 

troisième.   |  A    Paris,  |  chez   Bélin,    libraire,    rue 

St-Jacques,  n°  26  |  Caille,  rue  de  la  Harpe,  n°  i  50. 

I  Grégoire,  rue  du  Coq  St-Honoré  |  Volland,  quai 

des  Augustins,  n°  2^  |   1793   \\  in-24 . 

Préface  :  pp.  1-5  —  Avertissement  :  p.  6  — 
Seconde  Préface  :  pp.  7-52  —  Lettres:  pp.  53- 
363  —  Table  des  lettres  et  matières:  pp.  364-378 

—  T.  IV  (tome  II  de  la  Nouvelle  Héloïse.)  Let- 
tres: pp.  1-4 17  —  Table:  pp.  418-431  —  T.  V 
(III).  Lettres:  pp.    1-379 — Table  :   pp.  380-387 

—  T.  VI  (IV)  Lettres  :  pp.  1-322  —  Les  Amours 
de  Milord  Edouard  Bomston  :  pp.  323-346  —  Ta- 
ble :  pp.  347-354- 

Cette  édition  est  de  format  in- 16  ou  in-24  suivant  la 
largeur  des  marges.  Il  y  eut  également  des  exemplaires 
in-8°  et  in-4°  avec  simples  différences  de  marges. 
Dans  l'exemplaire  in-i6  de  la  Bibliothèque  Nationale 
(Z. 36416.  Incomplet  du  tome  Ij  on  trouve  glissé  le  Pros- 
pectus de  l'édition.  Le  prix  était  de  8  livres  10  sous, 
cartonné;  21  livres  sur  velin  in-8°;  42  livres  sur  velin 
in-4°.  Le  prospectus  ajoute  :  «  Les  variantes,  additions 
et  corrections  recueillies  sur  les  manuscrits  de  Tauteur. 
étant  déposés  au  comité  d'instruction  publique,  la  Con- 
vention nationale  nous  a  accordé  la  permission  de  les 
comparer.  Nous  publierons  ce  supplément  aussitôt  que 
le  travail  en  sera  achevé.  Nous  nous  étendrons  plus  au 
long  à  la  dernière  livraison.». 

L'impression  de  la  Nouvelle  Héloïse  est  antérieure  à 


100  ANNALES   DE    LA   SOCIETE  .1.  .1.    ROUSSEAU 

cet  examen;  elle  est  éditée  simplement  sur  l'édition  de 
Genève. 

XLU.  iBibliollicquc  de  Gcncve.  Hf.  4243. \ 

La  I  Nouvelle  Héloïse,    |   ou  |  Lettres  |  de  deux 
amans,    |   habitant    une    petite     ville    au    pied  | 
des  Alpes.   |  parj.  J.  Rousseau.  |  Tome  premier. 

I  Lausanne.   |   1794  |1  in-12. 

Préface:  p.  1-3 — Avertissement:  p.  4 — Seconde 
préface:  p.  5-39  —  Lettres;  pp.  41-303  —  Ta- 
ble des  lettres  et  matières  :  pp.  30=^-314  —  T.  Il 
[Seconde  et  troisième  parties].  Lettres:  pp.  1-348 
—  Table:  pp.  349-357  —  T.  III  [quatrième  et 
cinquième  parties] .  Lettres  :  pp.  1-320.  Table: 
pp.  321-324. 

XLlIl.   iBibliolhi'quL'  de    Genève.   Archii'es  J.  ./.    Rous- 
seau. O.  R.  S 2.) 
Œuvres  |  complètes  |  de    |    J .      |.     Rousseau. 

II  Œuvres  |  complètes  |  de  j  J .    j.    Rousseau,  | 
citoyen  de  (Genève,   j  Tome  troisième,   j  A  Basie, 

I  de     l'imprimerie    de    J.     J.     Thourneisen.    | 
M.DCC.XCV   II  La    Nouvelle   |    Héloïse,   |  ou  | 
Lettres  |  de   deux    Amans  |  habitans  d'une  petite 
ville  I  au   pied  des  Alpes;  |  Recueillies  et  publiées 

I  Par  j.  J.  Rousseau.  || 
Préface  :  pp.  3-5  —  Avertissement  :  p.  6  —  Se- 
conde préface  :  pp.  7-f]  —  Lettres  :  pp.  15-308  — 
Table  des  lettres  et  matières  :  pp.  309-320  — T.  IV 
(tome  II  de  la  Nouvelle  Héloïse).  Lettres  :  pp.  i- 
348.  Table:  pp.  319-357  —  T.  V  (III).  Lettres: 
pp.  1-320 —  l'able  :  pp.    321-32]  — T.  VI  (IV). 


PRKMIKRES   ÉDITIONS    DE    l..\  XOIJ\"KI.LK    HEI.OISK  lOI 

Lettres  :  pp.  1-283  —  Les  Amours  de  Milord 
Edouard  Bomston  :  pp.  284-304  —  Table:  pp. 
305-311. 

44.  La  librairie  A.  Jiillien  de  Genève  a  porté  à  son  Ca- 
talogue des  ouvrages  de  J.  J.  Rousseau,  de  igoy, 
l'édition  suivante  : 

La  Nouvelle  Héloïse.  Leipzig.  1796,  portrait, 
4  V.  in-i2. 

L'édition  suivante,  de  Lausanne  1792,  n'est  qu'une 
mauvaise  entreprise  de  librairie  ;  mais  elle  fut  singuliè- 
rement éditée  et  il  nous  a  été  malaisé  de  la  classer, 
i"  L'éditeur  a  eu  certainement  connaissance  de  l'édition 
Mercier  1788,  à  laquelle  il  emprunte  le  Voyage  à  E 7^- 
menonville  de  Le  Tourneur.  Il  lui  emprunte  également, 
ou  bien  à  une  édition  de  Genève,  les  traductions  des  vers 
italiens  —  avec  d'assez  fréquents  oublis  —  et  sans  doute 
(plutôt  qu'à  l'édition  Duchesne  1764)  la  table  sommaire 
des  matières.  2°  Mais  ni  l'édition  Mercier,  ni  l'édition 
de  Genève  n'ont  servi  pour  l'impression.  On  trouve  en 
effet,  partie  I,  lettres  12,  19,  3i,  les  leçons  de  Rey  1761 
et  non  les  corrections  typiques  :  pour  les  livres^  beau- 
coup méditer^  tourment,  gloire  et  bonheur.  De  même  les 
titres  des  lettres  et  la  disposition  de  la  note  IV,  1 1  ap- 
partiennent à  la  première  édition.  Les  parties  I,  II,  III, 
V,  VI.  sont  donc  établies  sur  un  texte  de  la  famille  1761. 
On  n'y  retrouve  pas  les  variantes  de  la  famille  Rey  1763. 
3**  Mais  la  quatrième  partie  a  été  établie  sûrement  sur 
un  exemplaire  de  cette  famille  1763  (sans  doute  cette 
partie  manquait-elle  dans  l'exemplaire  de  1761  utilisé 
par  l'imprimeur,  ou  bien,  comme  nous  l'avons  vu  pour 


102  ANXALKS    DE    I.A    SOCll'yiP.   .1.    .1.    ROUSSEAU 

certains  exemplaires^,  avait-on  relié  une  quatrième  par- 
tie de  1763  avec  une  troisième  de  1761.)  En  effet,  tou- 
tes les  notes  supprimées  dans  Tédition  de  1763  sont 
également  supprimées.  En  outre  et  surtout  on  y  trouve, 
avec  les  variantes  des  lettres  IV,  11  et  17:  un  ciel  se- 
rein^ la  fraicheur  de  l'ait'...  des  guirlandes  de  houblon., 
de  lisei^on...  avec  la  note  nouvelle  de  la  lettre  IV,  11  : 
Cette  réponse  n'est  pas  exacte...,  communes  également 
à  l'édition  de  Genève,  la  correction  cruciale  (IV,  10)  : 
Laitages  excellens  qui  se  font  sur  le  mont  Jura...  au 
lieu  de:  Laitages  excellens  qui  se  font  sur  la  montagne 
de  SaVeve.  Je  doute,  etc.. 

Il  reste  d'ailleurs  pour  que  cette  conclusion  soit  in- 
discutable les  difficultés  que  voici  :  De  nombreuses  et 
assez  importantes  variantes  sont  inconnues  à  Rey  1763, 
Duchesne  1764,  etc.,  etc.  Exemples:  contraindre  = 
contrefaire  (IV,  2)  —  que  j'ai  vécus  =  que  j'ai  passés 
(Ib.)  —  le  doux  titre  =  le  doux  nom  (IV,  3),  etc..  etc.. 
Mais  ces  difficultés  ne  sont  pas  insurmontables.  Quel- 
ques-unes de  ces  variantes  aboutissent  à  de  véritables 
non  sens  :  non  moins  timide  ni  tendre  =  non  timide  ni 
tendre  (IV,  (>)  —  Je  crois  avoir  accompli  les  vœux  ^^ 
7'o/r  accomplir...  (IV,  10)  —  //  se  trouve  ainsi  plus  que 
doublé...  est  a  peu  prés  alors  -=  serai!  ainsi  plus  que  dou- 
blé... serait  à  peu  p?\'s  alors...  (Ib.)  On  peut  donc  croire 
simplement,  comme  l'aspect  de  toute  l'édition  le  con- 
firme, à  une  grande  négligence  d'impression.  Il  y  a 
ainsi  de  très  nombreuses  variantes  par  omissions,  mots 
sautés,  pronoms,  conjonctions,  syllabes  tombés.  (Exem- 
ples :   //  mangeait   Aristoie  =   mangerait  —  un  pan  de 

'  Edition  de  Hcy  lyTjX.  Exemplaire  de  Genève.  \'oir  p.  75. 


PRKMIKRES    l':r)ITIONS    DK    LA    NOUVELF.I';    HÉI^OISE         Io3 

son  habit  calant  étendu  =  galamment  —  est-il  juste  qu'un 
mauvais  sujet  =  qu'un  nouveau  venu  sans  affection  cl 
qui  71  est  peut-être  qu'un  mauvais  sujet.)  11  y  a  vingt-huit 
fautes  de  ce  genre  pour  les  cent  cinquante  premières 
pages. 

45.  {Bibliothèque  de  Lyon.  jiylviG.) 

La  nouvelle  |  Heloïse,  |  ou  |  Lettres  |  de  deux 
Amans,  |  Habitans  d'une  petite  ville  au  |  pied  des 
Alpes.  I  Recueillies  par  J.  J.  Rousseau,  et  précé- 
dées I  du  voyagea  Ermenonville,  de  M.  le  Tour 
I  neur.  |  Tome  premier.  |  A  Lausanne,  |  chez 
François  Lacombe,  Libraire.  |  1792  ||  in-12. 
Préface  :  pp.  i-iv  —  Voyage  à  Ermenonville  : 
pp.  v-cvi  —  Lettres  :  pp.  1-298  —  Table  :  pp.  299- 
311  —  T.  IL  Lettres  :  pp.  1-3 10  —  Table  ;  pp.  31 1- 
318  —  T.  III  Lettres:  pp.  1-346  —  l'able  :  pp. 
317-352  —  T.  IV.  Lettres:  pp.  1-353  —  Les  Aven- 
tures de  Milord  Edouard  Bomston  :  pp.  354-376 
—  Table  :  pp.  377-382. 

V.  Editions  posth^ieii7^es  au  dépôt  des 
manuscrits  a  la  convention. 


XLVl.  {Bibliothèque  Nationale.   I^éserve.  Z  :>  14  et  sui- 
vants.) 

Œuvres  |  de  |  J.  J,  Rousseau,  |  Tome  second, 

contenant  |  La  Nouvelle  Héloïse.   ||   Œuvres  |   de 

I  J.  J.   Rousseau,  |  citoyen  de  Genève.  |  Edition 


104  ANNALES    DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.    .1.    ROUSSEAU 

ornée  de  Fio-ures,  et  collationnée  sur  les  I  Manus- 
crits  originaux   de   l'Auteur,    déposés    au  Comité 

I  d'Instruction  publique.  |  Nouvelle  Héloïse,  To- 
me I  I  A  Paris,  |  chez  Defer  de  Maisonneuve.  rue 
du  Foin  S.  Jacques,  n°  ii.  |  De  l'Imprimerie  de 
Didot  le  Jeune.   |  1793  |1  Explication  des  estampes 

I  contenues  |  dans  ce  volume.  [Frontispice  de 
Cochin.  Quatre  gravures  de  Monsiau]  ||  La  |  Nou- 
velle Héloïse,  I  ou  I  Lettres  |  de  deux  Amans,  | 
Habitans  d'une  petite  Ville  au  pied  des  Alpes.  | 
Non  la  conobbe  il  mondo,  mentre  l'ebbe  :  Cono- 
bill'io  ch'a  piangerqui  |  rimasi.  |  Pétrarc.  |  Trad. 
Le  monde  la  posséda  sans  la  connaître,  et  moi  qui 
l'ai  connue  je  reste  |  ici-bas  à  la  pleurer.  ||  in-4°. 
Préface  :  pp.  g- 12  —  Seconde  Préface  :  pp.  13- 
41  --  Lettres:  pp.  43-584 —  Table  :  pp.  585-600 
— T.  III  (tome  II  de  la  Nouvelle  Héloïse.)  A  Paris 
et  à  Amsterdam,  |  chez  J.  F.  Gabriel  Dufour, 
Successeur  de  Defer  de  |  Maisonneuve.  |  De  l'Im- 
primerie etc.  .  .  I  an  VII  j|  Lettres  :  pp. 9-529 — 
Les  Amours  de  Milord  Edouard  Bomston  :  pp.  531- 
548  —  Table  :  pp.  549-556. 

L'édition  Defer  de  Maisonneuve  est  la  première  qui 
s'annonce  comme  «collationnée  sur  les  Manuscrits  ori- 
ginaux de  l'Auteur,  déposés  au  Comité  d'Instruction 
publique».  L'Avertissement  de  l'éditeur  précise  qu'il  a 
bien  eu  connaissance  de  deux  manuscrits,  le  manuscrit 
Luxembourg  et  l'un  des  deux  brouillons,  évidemment 
le  deuxième.  11  ajoute  que  ce  manuscrit  «  a  servi  à  faire 
la  première  édition,  dont  les  épreuves  ont  été  vues  et 
corrigées  par   l'auteur.   Nous  avons  cette  édition   sous 


PIŒMIHRES   ÉDITIONS    \)K   LA    NOUVEI.I.E   HKLOISI':  1  OD 

les  yeuxw.  Même  si  cet  avertissement  était  sincère,  la 
méthode  selon  laquelle  le  texte  aurait  été  établi  serait 
donc  défectueuse.  Le  deuxième  brouillon,  pas  plus  que 
la  copie  Luxembourg,  nous  l'avons  dit,  n'ont  servi  pour 
la  première  édition  et  la  comparaison  la  plus  superfi- 
cielle aurait  montré  à  l'éditeur  quelles  difterences  pro- 
fondes les  séparaient.  La  nécessité  qui  s'impose  de  n'u- 
tiliser copie  et  brouillon  que  comme  contrôle  occasion- 
nel nous  permet  de  négliger  Tétude  détaillée  des  correc- 
tions que  l'éditeur  de  1793  lui  a  demandées.  En  fait  on 
s'aperçoit  très  vite  que,  s'il  s'en  est  parfois  servi,  il  l'a 
fait  avec  une  extrême  négligence.  Il  annonce  tout  d'a- 
bord qu'il  a  eu  la  première  édition  sous  les  yeux.  Or 
les  compositeurs  ont  travaillé  sur  l'édition  de  Genève. 
Toutes  les  variantes  essentielles  que  Genève  doit  au 
seul  exemplaire  annoté  de  Rousseau  sont  en  effet  repro- 
duites. En  outre,  pour  les  quarante-sept  variantes  de 
notre  tableau,  l'édition  Defer  de  Maisonneuve  s'éloigne 
de  la  première  édition  sur  quarante-trois  points.  L'é- 
tude des  manuscrits  lui  aurait  permis  de  confirmer 
cette  première  édition  et  de  se  défier  de  l'édition  de 
Genève  sur  au  moins  huit  points,  d'éviter  par  exemple 
les  contre-sens,  signalés  p.  3,  où  la  pensée  de  Rous- 
seau est  inversée  ou  rendue  inintelligible.  Indiquons 
seulement  que  l'édition  ajoute  à  la  fin  de  la  Préface 
quelques  lignes  empruntées  peut-être  au  deuxième 
brouillon:  «Allez,  bonnes  gens  avec  qui  j'aimai  tant  à 
vivre...  ^  » 


*  Petitain  se  demande  déjà  où  ces  lignes  ont  été  trouvées.  La  copie 
Luxembourg  n'a  pas  de  Préface.  Nous  n'avons  pas  pu  avant  l'impres- 
sion de  cette  étude  revoir  les  deux  brouillons  que  nous  n'avions  pas  en- 
tièrement étudiés.   Mais  l'éditeur  indique  qu'il  emprunte  son  addition  à 


10()  ANNAF.es    de    la   société  .1.    .1.    ROUSSEAU 

XLVU.  \Bibliollit'qite  Xalioiiak'.  Z.  3645 1  cl  suiv.) 

Œuvres  |  de  |  J .  J .  Rousseau,  |  (>itoyen  de 
Genève.  |  Tome  troisième.  |  A  Paris,  |  De 
l'Imprimerie  de  P.  Didot  l'Aîné,  |  Au  Palais  des 
Sciences  et  arts.  |  An  IX.  (1801)  ||  Julie,  |  ou  | 
La  Nouvelle  Héloïse  ;  |  ou  |  Lettres  |  de  deux 
amants,  habitants  d'une  |  petite  ville  au  pied  des 
Alpes;  I  recueillies  et  publiées  |  par  J .  J.  Rous- 
seau.  I  Non  la  conobbe  il  mondo,  mentre  l'ebbe  : 

I  Conobill'io,  ch'a  piang-er  qui   rimasi.    Petrar  | 
Le  monde  la  posséda  sans  la  connaître  ;  et  moi  je 

I  l'ai  connue,  je  reste  ici-bas  à  la  pleurer.  || 
Préface  :  pp.  3-5 — Avertissement  sur  la  préface 
suivante  :  p.  6  —  Seconde  préface  :  pp.  7-40  — 
Lettres:  pp.  .41-409  —  Table  des  lettres  et  matiè- 
res pp.  410-423  —  T.  IV  (tome  II  de  la  Nouvelle 
Héloïse).  Lettres:  pp.  3-291  — Table:  pp.  292- 
298 — 'i\  V  (III).  Lettres:  pp.  3-302  —  Les 
Amours  de  Milord  Edouard  Bomston  :  pp.  303- 
318  —  Lettre  à  M . . .  Montmorency  ...  1 760  [a  Le 
mot  propre  me  vient  rarement,  etc.  .  .  »]  pp.  319- 
320  —  Sujets  d'estampes  :   pp.    321-322  —  Table: 

PP-  333-337- 

Cette  édition  fut  faite  plus  sérieusement  que  la  pré- 
cédente. L'avis  des  éditeurs  annonce  qu'ils  n'ont  «  épar- 
gne ni  recherches,  ni  soins,  ni  dépenses,  pour  la  rendre 
précieuse   aux  gens  de    lettres  par  l'extrême  pureté  du 


la  copie  «qui  a  servi  pnur  rirnpressiun  ».  Cette  copie  (deuxième  brouil- 
lon) ne  commence  qu'à  la  qualriènie  partie??  Nous  aurons  à  étudier  la 
question. 


I>REM1KRES    Éhll'IOXS    \)F.    LA   NOUVKI.LK    Hl':[.OIS]':  I  07 

texte,  altéré  trop  longtemps,  et  par  les  entraves  que  la 
censure  mettait  au  génie  de  l'auteur  à  l'époque  des  pre- 
mières éditions,  et  par  la  négligence  des  libraires  qui 
les  ont  renouvelées  et  multipliées  à  l'infini  pendant 
trente  ans  et  plus...»  Pour  la  Nouvelle- Héloïsc  ils  au- 
raient collationné  le  texte  sur  deux  manuscrits,  le  ma- 
nuscrit Luxembourg  et  le  deuxième  brouillon.  Ces  ma- 
nuscrits leur  auraient  servi  «à  corriger  quelques-unes 
de  ces  fautes  légères  qui  échappent  à  l'attention  la  plus 
soutenue».  Mais  les  éditeurs  se  trompent  quand  ils 
annoncent  que  le  deuxième  brouillon  «  avait  été  mis  au 
net  par  l'auteur  pour  servir  à  l'impression  de  l'ouvrage» 
ou  du  moins  ils  n'indiquent  pas  que  des  corrections 
innombrables  avaient  fait  de  cette  copie  un  nouveau 
brouillon.  Ils  se  trompent  plus  singulièrement  encore 
en  indiquant  que  ce  deuxième  brouillon  et  la  copie 
Luxembourg  «diffèrent  très  peu».  Les  différences  sont 
au  contraire  profondes.  En  fait  le  texte  a  été  imprimé 
sur  celui  de  Genève^  à  qui  Didot  emprunte  les  titres 
modifiés  de  Duchesne,  la  table  sommaire,  les  traduc- 
tions des  vers  italiens  de  Rousseau.  Mais  il  emprunte 
effectivement,  soit  à  la  première  édition,  soit  aux  ma- 
nuscrits un  certain  nombre  de  corrections.  Il  comporte 
les  leçons  exactes:  et  le  bateau  ayant  besoin  de  î\iccoui- 
moder  (IV,  17)  —  une  sorte  de  jouissance  qui  supplée  à 
la  réalité  —  (2ui  vaut  mieux  peut-être  (VI,  8.)  Il  main- 
tient les  variantes  I,  ig  et  3i  conformes  aux  manus- 
crits et  à  la  première  édition  :  «pour  les  ouvrages...  le 
tourment  des  tiens...  à  gloire  et  bonheur  de  ma  vie.  »  Il 
rétablit  conformément  au  texte  de  lyCSi  les  vers  italiens 

'  ou  sur  un  texte  de  même  famille. 


lO'^  ANNALES   DE   LA    SOCIÉTÉ  .1.    ,1.    ROUSSEAU 

et  la  note  IV,  ii.  bouleversés  constamment  par  tous 
les  éditeurs.  Il  reste  pourtant  que  ce  travail  de  révision 
a  été  fait  maladroitement.  Un  certain  nombre  de  va- 
riantes (IV,  I  :  tout  le  peut,  mou  cœu^\  mou  devoir... 
mes  enfants,  moi  même;  —  IV,  9  :  eu  sorte  que  je  le 
rois  retourner  beaucoup  plus  rassuré  sur  son  cœur...  — 
V,  3  :  Dans  le  second  ou  s'applique  à  l'individu,  à  l'homme 
en  général;  —  VI,  2  :  si  ton  ami  n'eut  pas  été  ton  amant 
j'ignoj^e  ce  qu'il  eut  été  pour  toi,  etc.)  gardent  de  l'édi- 
tion de  Genève  ou  y  ajoutent  des  contre-sens  et  absur- 
dités qu'un  peu  d'attention  aurait  rendus  évidents  et 
que  la  première  édition  ou  les  manuscrits  auraient  per- 
mis de  corriger  immédiatement. 

XLVIll.  Le  Catalogue  de  la  Bibliothèque  d'un  ama- 
teur., Paris,  Renouard,  1819,  4  vol.  in-S'',  signale  l'édi- 
tion suivante  :  (pp.  3o3-3o4). 

Œuvres  de  Jean-Jacques  Rousseau,  Citoyen 
de  Genève.  Paris,  de  l'imprimerie  de  Pierre  Didot 
l'ainé,  1796,  25  vol.  gr.  in-18.  fig.  vélin. 

Soixante  gravures  de  Diq^récl. 

On  tira  cent  exemplaires  numérotés  à  400  francs  ; 
puis  on  refit  avec  les  mêmes  planches  des  exemplaires 
in-S**,  six  cents  au  moins. 

La  Bibliographie  de  Quérard  signale  des  éditions  de 
la  Nouvelle  Héloïse  qui  nous  sont  restées  inconnues. 

49.  Genève,  1786,  6  v.  in-12. 

50.  Genève,   1787,   |  v.   in-18. 

51.  Paris,  1799,  6  v.   in-iS. 

l^lle  signale,  sans  nom  de  ville,  des  éditions  que  nous 


l'Kl'lMIKRES    I>;i)IT10NS    DK    LA    XOrNlvI.I.l':    HKLOISK  I  O9 

supposons  identiques  à    Getièpe    iy62    —  Amsterdam, 
ijôy  —  Lausanne.  ijç'J  — Lausanne,   i'jg4- 

Editions  Petilain  et  Musset-Patha)-. 

Ajoutons  quelques  renseignements  sur  ces  deux  édi- 
tions, les  plus  intéressantes  du  XIX'  siècle. 

L'édition  donnée  par  Petitain  (Paris,  Crapelet,  Lefè- 
vre,  18 19-1820)  indique  dans  son  Avertissement  les  prin- 
cipes qui  ont  servi  à  rétablissement  du  texte.  L'éditeur 
a  suivi  le  texte  de  Genève  confronté  avec  la  première 
édition  et  à  l'occasion  avec  celui  de  l'édition  1801  ou 
les  manuscrits  du  Palais-Bourbon.  On  pourra  voir  en 
comparant  cet  Avertissement  avec  notre  étude  ce  que 
l'information  de  Petitain,  fort  judicieuse,  eut  de  néces- 
sairement insuffisant  puisqu'il  ne  connaissait  ni  l'exem- 
plaire annoté  Coindet.  ni  l'édition  de  Rey  1763.  etc.. 

Les  critiques  contre  l'édition  de  1801  sont  justes  lors- 
que Petitain  affirme  que  les  corrections  ont  été  faites 
sans  méthode.  Il  a  tort  du  reste  d'affirmer  que  rien  ne 
justifie  les  textes  ((peu  lire  et  beaucoup  méditer)),  «ô 
charme  et  bonheur  de  ma  vie)>.  Ils  sont  donnés  comme 
nous  Pavons  montré  (p.  ()  et  16)  par  un  Errata  de  Rous- 
seau. 

Petitain  a  bien  confronté  l'édition  de  Genève  avec  la 
première  édition.  Il  a  repris  à  cette  première  édition 
la  note  I,  62.  («Il  y  a  ici  beaucoup  d'inexactitude») 
supprimée  dans  l'exemplaire  annoté  et  dans  l'édition 
de  Genève  (Voir  de  même  la  note  III,  3  et  le  rétablis- 
sement logique  de  la  note  et  des  citations  à  la  lettre 
IV,  II.  Cf.  supra  p.  84J.  Mais  cette  confrontation  n'a 
été    sans   doute   qu'occasionnelle.    La   première  édition 


IlO  ANNALES    DE    LA    SOCIÉTÉ  .1.   .1.    ROUSSEAU 

aurait  permis  à  Petitain  de  corriger  les  contre-sens  dont 
nous  avons  parlé  (p.  3)  et  la  variante  fâcheuse  citée  p.  84 
(note  IV,  11),  qu'il  emprunte  à  Tédition  de  Genève. 
L'édition  Musset-Pathay  (Paris,  Dupont,  Bossange, 
Chassériau.  1823-1826)  reproduit  simplement  (pour  la 
Nourelle-Héloïse)  le  texte  de  Petitain  (voir  par  exemple 
la  présence  de  la  note  I,  62,  etc.) 

Note  sur  les  manuscrits. 

A  l'exception  du  deuxième  brouillon  dont  nous  avons 
indiqué  la  valeur  critique,  les  manuscrits  de  la  Nou- 
velle Hélo'ise  intéressent  l'histoire  de  la  pensée  et  du 
style  de  Rousseau,  non  l'établissement  du  texte.  Nous 
n'avons  donc  pas  à  les  étudier  en  détail.  M.  Marcellin 
Pellet  en  a  donné  une  description  sommaire  (Les  Ma- 
uuscrils  de  J .  J.  Rousseau  au  Palais  Bourbon^  dans  la 
Révolution  fratiçaise.  Septembre  1906,  pp.  199-202). 
Nous  ajouterons  seulement  que  le  deuxième  brouillon 
ne  donne  pas  au  complet  les  parties  IV,  V  et  VI  qui 
existent  seules.  Il  y  a  des  lacunes  importantes.  Signa- 
lons également,  puisqu'on  ne  l'a,  croyons-nous,  indi- 
qué nulle  part,  qu'on  trouvera  à  la  fin  du  deuxième 
volume,  sur  le  verso  des  feuillets,  un  assez  long  frag- 
ment de  brouillon  pour  le  livre  IV  de  VEmile  (Le  Si 
j'étais  riche.) 

La  Collection  d'autographes  de  Victor  Cousin  à  la 
Bibliothèque  de  la  Sorbonne  contient  (fol.  81,  83,  8y, 
89),  des  feuillets  de  brouillons,  très  intéressants  pour 
Tétude  de  la  composition  de  la  Nom^elle  Héloïse.  Ce 
sont  des  f?"agments  des  lettres  VI,  S;  VI,  6;  VI,  i  i  ^ 

'  M.    Th.    Dufour    a    signalé    et    reproduit   dans    les  Anvalcs  (kjchS^ 
p.  2()(j)  nne  ébauche  d'une  dizaine  de  lignes  pour  la  lettre  1,   11. 


l'KEMIKRES    KLU  TIONS    DE   LA    NOUVELLE    HELOL^E  I  1  1 

Conclusion. 

Quelques  conclusions  générales  se  dégagent  de  notre 
étude. 

Une  lecture  attentive  des  descriptions  confirmera 
bien  souvent  ce  que  tous  les  bibliographes  savent  de 
reste;  le  soin  avec  lequel  il  faut  examiner  et  décrire  les 
éditions  pour  les  identifier  ou  les  distinguer.  Par  com- 
modité de  travail  des  éditions  différentes  suivent  sou- 
vent page  par  page  l'édition  modèle  ^  La  réimpression 
Duchesne  de  1770,  par  exemple,  d'où  sortirent  bien  des 
textes,  est  à  peu  près  identique  à  l'édition  de  1764. 
D'autre  part,  suivant  une  coutume  toujours  vivace,  les 
éditeurs,  pour  écouler  des  éditions  qui  s'attardent,  les 
affublent  parfois  d'une  page  de  titre  toute  neuve  qui 
dissimule  l'ouvrage  vieilli.  Les  dates  des  pages  de  titre 
n'ont  aucune  signification  certaine,  même  dans  les 
bonnes  éditions,  et  demandent  sans  cesse  à  être  véri- 
fiées, etc.,  etc.  Tout  cela  est  d'expérience  courante  dans 
la  pratique  bibliographique. 

Une  remarque  plus  importante  est  que  les  éditions 
sont  assez  nombreuses,  dans  cette  fin  du  XVIIP  siècle, 
qui  s'intitulent  revisées,  corrigées,  complétées^.  L'exem- 
ple de  la  Nouvelle  Héloïse  doit  apprendre  à  s'en  défier. 
Il  s'agit  pour  les  libraires,  non  de  servir  les  intérêts  de 
la  littérature,  mais  au  milieu  d'éditions  et  contrefaçons 
diverses,  d'attirer  le  lecieur   et   de  vendre  leurs   livres. 


1  Cf.  d'autres  exemples  dans  R.  Sturel.  Jacques  Amyot,  traducteur 
des  vies  parallèles  de  Plutarque.  Paris,  Champion,  1909,  pp.  126  e 
suiv. 

*  Voir  pour  un  cas  non  identique  mais  analogue  l'exemple  d'une  édi- 
tion de  Plutarque  excellemment  étudié  par  M.  Sturel.  Op.  citât,  pp.  126 
et  suiv. 


112  .\NXALi':s  ni<:  i.\  sociici'K  .1.  .1.  rousseau 

Les  affirmations  arbitraires  ne  leur  coûtent  rien.  Pour 
la  Nouvelle  Héloïse  deux  éditions  sont  intéressantes  en 
dehors  de  la  première,  celle  de  Rey  1763,  et  celle  de 
Genève  1780.  Il  se  trouve  que  celle  de  Rey  se  donne 
obscurément  comme  u  corrigée  par  l'éditeur»  et  que  celle 
de  Genève  n'annonce  rien.  Toutes  les  autres  qui  s'in- 
titulent plus  fidèles  et  plus  complètes  n'ont  de  valeur 
que  pour  faire  nombre. 

La  philologie  de  Rousseau  retiendra  l'intérêt  de  plus 
en  plus  en  certain  de  l'édition  de  Genève  pour  l'établis- 
sement du  texte  des  Oeuvres.  Inversement  l'édition  de 
Musset-Pathav,  intéressante  par  la  compétence  de  son 
auteur,  n'a  pas,  pour  la  Nouvelle-Héloïse  du  moins, 
d'autre  valeur  que  celle  du  texte  de  Petitain. 

Il  reste,  pour  l'histoire  littéraire,  qu'au  lendemain 
même  de  la  publication  du  roman  et  jusqu'à  la  tin  du 
XVIIP  siècle,  les  éditeurs  ont  cru  plaire  au  public  en 
assurant  qu'ils  donnaient  un  Rousseau  plus  exact  et 
plus  complet.  Il  n'est  guère  de  contrefaçons,  même  dé- 
testables, qui  n'ornent  leur  page  de  titre  de  ces  falla- 
cieuses promesses.  Elles  assurent  ainsi  que,  dès  i7t)i, 
Jean-Jacques  est  de  ceux  dont  on  entend  connaître  exac- 
tement la  pensée,  l'un  de  ces  grands  écrivains  dont  les 
miettes  sont  d'or  et  dont  le  génie  est  sacré.  Elles  signi- 
fient même  sans  doute,  pour  certains  éditeurs  et  pour 
certains  lecteurs,  qu'entre  le  persécuté  et  l'autorité  qui 
le  persécute,  c'est  pour  la  pensée  sincère  et  libre  que 
l'opinion  publique  se  décide.  «  Nouvelle  édition  revue  el 
C07^7'ii(ée » ,  cela  veut  dire  qu'il  importe  de  lire,  sur  la 
société,  la  morale  et  la  religion,  non  ce  qui  convient  à 
la  censure  mais  ce  qu'a  vraiment  écrit  Rousseau.  Lors- 
que Re}'  imprime  n  Seconde  édiiioii  orit^inale  »  il  avertit 


PREMIÈRES   ÉDITIONS   DE   LA   NOUVELLE   HÉLOISE  il3 

qu'il  réédite  l'édition  de  Hollande  et  non  l'édition  de 
Robin  soigneusement  émoussée  par  Malesherbes.  De 
cette  édition  de  Paris  les  exemplaires  sont  rares.  Si 
médiocre  que  fut  son  édition,  nul  contrefacteur  n'a 
voulu,  par  dessein  ou  par  nonchalance,  la  reproduire. 
Les  prudences  de  Malesherbes  n'ont  pas  été  suivies  par 
les  scrupules  du  commerce  ;  c'est  dire  qu'elles  furent 
dédaignées  par  l'opinion. 

Surtout  ces  longues  et  monotones  recherches  n'au- 
raient pas  été  vaines  quand  elles  ne  nous  auraient  donné 
qu'un  seul  chiffre  :  cinquante  éditions  de  la  Nouvelle  Hé- 
/oi'se  publiées  collectivement  ou  séparément  avant  1800. 
Et  même  plus  ces  listes  d'éditions  s'allongent,  plus  elles 
risquent  d'être  incomplètes.  Qu'un  ouvrage  ait  eu  une, 
deux  ou  trois  éditions,  il  y  a  chance  fort  souvent  pour 
qu'on  arrive  à  ne  pas  s'y  tromper.  Qu'il  en  ait  eu  cin- 
quante, cela  signifie  que  d'innombrables  lecteurs  l'ont 
demandé  à  leurs  libraires  ;  cela  signifie  aussi  qu'en 
présence  de  ces  demandes,  partout  ou  il  y  avait  un  édi- 
teur audacieux,  dans  l'absolue  liberté  où  Ton  était  de 
contrefaire  un  ouvrage  imprimé  en  Hollande,  il  y  a  eu 
tentation  de  contrefaçon,  il  y  a  eu  bien  souvent  contre- 
façon. C'est  dix.  vingt,  trente  de  ces  éditions  de  pro- 
vince ou  de  l'étranger  qui  nous  ont  assurément  échappé. 
En  quarante  ans  il  y  a  donc  eu  plus  de  soixante  tirages 
de  la  Nouvelle  Héloïse.  La  seule  première  édition  a  été 
tirée  pour  le  moins  à  quatre  mille  exemplaires.  Il  n'est 
pas  de  roman  contemporain  de  Rousseau  qui  ait  clai- 
rement dépassé  le  dixième  de  ce  chiffre.  Il  n'est  peut- 
être  pas  d'autre  ouvrage  qui  l'ait  atteint.  Si  l'on  y 
joint  tout  ce  que  nous  apprennent  les  jugements  des 
critiques  et  des  journalistes,   les   anecdotes  des  Mémoi- 

8 


114  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  J.   ROUSSEAU 

res,  la  correspondance  pittoresque  de  la  Bib.  de  Neuchà- 
tel,  il  s'avère  qu'il  n'est  pas  d'œuvre  littéraire  au  XVIII* 
siècle  qui  ait  contribué  plus  clairement  que  le  roman  de 
Rousseau  à  pétrir  les  âmes  françaises. 

Enfin  retenons  que  la  publication  de  la  Nouvelle 
Héloïse  offre  un  intérêt  incomparable  pour  l'étude  des 
relations  entre  les  auteurs,  les  éditeurs  et  le  gouverne- 
ment dans  la  deuxième  moitié  du  XVIIP  siècle.  Grâce 
aux  lettres  de  Rousseau  à  Rey,  publiées  par  Bosscha, 
grâce  aux  lettres  de  Malesherbes  et  de  Rey  publiées 
par  Streckeisen-Moultou  ou  conservées  à  Neuchàtel, 
il  n'est  pas  d'ouvrage  au  XVIIP  siècle,  à  beaucoup  près, 
dont  nous  puissions  suivre  aussi  clairement  les  aven- 
tures jusqu'au  jour  de  la  mise  en  vente.  La  Noui'elle 
Héloïse  est  l'exemple  le  plus  favorable  d'un  ouvrage 
imprimé  à  l'étranger  mais  officieusement  autorisé. 
Malesherbes  sert  d'intermédiaire  pour  les  épreuves;  il 
autorise  l'entrée  des  ballots  en  France.  Pourtant  que 
de  craintes  et  que  de  risques  pour  Rey.  Le  port  des  pa- 
quets d'épreuves  est  extrêmement  coûteux.  Quand  le 
marché  est  fait  avec  Rousseau,  rien  ne  prouve  que  la 
vente  en  France  sera  tolérée.  Lorsque  Malesherbes, 
parce  qu'il  est  Malesherbes  et  que  l'auteur  est  Rous- 
seau, autorise  Robin  à  recevoir  les  ballots,  rien  ne  dé- 
fend Robin  contre  la  concurrence  d'une  contrefaçon 
vendue  aisément  à  meilleur  compte;  rien  ne  lui  assure 
la  vente  de  ses  deux  mille  exemplaires  et  ne  promet  à 
Rey  qu'il  sera  payé.  En  fait  ce  n'est  plus  deux  mille 
exemplaires  qu'il  faudra  vendre,  mais  trois  mille,  puis- 
que mille  sont  réimprimés  à  Paris.  Et  de  toutes  parts, 
à  Lyon,  Rouen,  Hambourg,  Genève,  etc..  les  contre- 
façons se   multiplient  sans  que,  ni   en  droit  ni  en  fait. 


PREMIÈRES   EDITIONS  DE   LA   NOUVELLE    HELOISE  I  1  D 

les  autorités  ne  puissent  ni  ne  veuillent  s'y  opposer. 
Rey  gagna  assurément  de  l'argent.  Mais  l'entreprise, 
avant  le  succès,  n'était  pas,  il  faut  le  dire,  tout  à  fait 
sûre.  Les  quatre-vingt-dix  louis  neufs  promis  à  Rous- 
seau n'étaient  pas  la  somme  dérisoire  qu'il  nous  semble. 
On  ne  croit  plus  aujourd'hui  que  la  censure,  la  Sor- 
bonne  et  le  Parlement  n'étaient  pour  les  écrivains  que 
de  vains  fantômes  et  la  Bastille  une  aimable  villégiature^. 
Mais  n'eussent-ils  tenu  sur  la  tête  des  auteurs  que  des 
foudres  de  clinquant  qu'ils  eussent  encore  gardé  des 
armes  aisément  efficaces.  Par  les  privilèges  et  les  tolé- 
rances, par  les  poursuites  et  les  entraves  de  la  vente  et 
du  colportage,  ils  frappaient  les  éditeurs  à  la  bourse  ; 
ils  opposaient  ainsi  aux  auteurs  une  des  plus  solides 
barrières,  celle  de  l'argent. 

1  Voir  notamment  les  éludes  de  M.  Lanson  sur  l'affaire  de  VEmile  (An- 
nales, igoS,  pp.  95-1 36)  et  de  M.  Keim,  sur  celle  de  VEsprit  d'Helvétius 
(Helvétius,  sa  vie  et  son  Œuvre.  Paris,  Alcan,  1907,  Ch.  XV.) 


(Voir  à  la  page  suij>ante  le  tableau  des  filiations.) 


ii6 


ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.   J     ROUSSEAU 


5     4-5-6  -7-[l5] 


XV 


10-12-u        wvn 


XIX 

I 

XX 


XATD 
21 


^^ 


z 

I 

XXXI 


n 


I 

im 


29      SiMïï     XXV 


xxxn 


XXXm  -  35  -  54 
XXXVI -XXX\T1- 

[49]  -  [50]  -  38- 

XL  -  XLI  -  XLO- 
'XLIII-[44]  -  [51] 


ixxix 


Nous  désignons  par  A  l'exemplaire  corrigé  envoyé  à  Rey  par 
Rousseau;  par  Z  l'exemplaire  corrigé  de  la  Chambre  des  députés; 
par  M  les  manuscrits.  —  Les  chiffres  renvoient  aux  numéros  d'or- 
dre de  nos  descriptions.  Nous  réunissons  par  une  accolade  les 
éditions  qui  dilVérent  seulement  par  des  détails  de  pages  de  titres, 
formats,  —  Nous  plaçons  sous  une  accolade  les  éditions  pour 
lesquelles  il  était  sans  intérêt  de  rechercher  les  filiations  intermé- 
diaires ;  elles  peuvent  donc  être  établies  parfois  les  unes  sur  les 
autres  et  non  ilirectement  sur  l'édition  d'origine.  —  I-es  éditions 
entre  crochets  n'ont  pas  ete  étudiées  sur  exemplaires.  Leur  clas- 
sement est  donc  hypothétique. 

Les  lignes  pointillées  indiquent  rinterveniion  secondaire  d'étii- 
tions;  le  sens  des  flèches  indique  le  sens  des  emprunts. 

Les  corrections  n'ayant  pas  été  possibles  sur  ce  tableau  cliché. 
précisons  que  45  utilise  secondairement  XXII  et  XXXIX,  XI  A'I  uti- 
lise M.  XLVII  utilise  1  et  M,  LU  utilise  i,  XLVII  et  M. 


PREMIERES   EDITIONS   DE    LA   NOUVELLE    HÉLOISE  II7 

Pour  plus  de  commodité  nous  résumons  ci-dessous  la  significa- 
tion des  chiffres. 


1  Rej''  lyôi 

2  Rey  1761  (cartouches  et 

vignettes) 

3  Rey  (édition  de  Paris) 

Rey,  Contrefaçons  : 

4  Amsterdam  1761 

5  Genève  1761 

6  Amsterdam  1762 

7  Lausanne  1762 

8  Amsterdam  1765 

9  Amsterdam  1770 

11  Amsterdam  1775 

12  [Amsterdam  1778] 
i3  [La  Haye  1762] 

14  [Amsterdam  1771] 

XV  Duchesne  ij64 
XVI  Duchesne  1764  {1770) 
in-80 
XVII  Duchesne  1764  (1770) 
in-i2 
XVIII  Paris  1788 
XIX  Londres  1774 
XX  Genève-Paris  1790 
21  Paris  1799 

XXII  Rey  iy63 

23  Contrefaçon  Rey  1765 

XXIV  Contrefaçon  Rey  1770 

XXV  Contrefaçon  Rev  1776 


XXVI  Rev  1767 

XXVII  Rey  1769 

XXVIII  Contrefaçon  Rey  1773 

29  Amsterdam  1791 

XXX  Neuchàtel  1775 

XXXI  Genève  i-jSo  in-4'^ 

XXXII  Genève  1780  in-80 

XXXIII  Genève  1780  in-12 

34  Genève  1780  in-12 

35  Londres  1781  in-80 

XXXVI  Deux-Ponts  1783 

XXXVII  Société  littéraire  1783 

38  Genève  1788 

XXXIX  Paris  (Mercier)  1788 

XL  Paris  1791 

XLI  Paris  1793 

XLII  Lausanne  1704 

XLIII  Bàle  1795 

44  [Leipzig  1796I 

45  Lausanne  1792 

XLVI  Defei-,  Didot  ijg3 
XLVII  Didot  1801 
XLVIII  Didot  1796 

49  [Genève  1786] 

50  [Genève  1787] 
5i  [Paris  1799I 

LU  Petitain 
LUI  Musset-Pathav 


Daniel  Mornet. 


RECHERCHES  SUR  LES 

SOURCES  DU   DISCOURS 

DE  UINÉGALITÉ 


[oTRE  but  est  d'expliquer  la  formation  du 
Discours  de  l'Inégalité.  Cette  étude  com- 
prend deux  parties.  D'abord,  nous  repla- 
çons Rousseau  dans  le  milieu  intellectuel 
vivant  où  il  pensait  et  réagissait.  On  peut  dire  que 
Condillac  et  Diderot  sont,  à  ce  moment,  les  deux  écri- 
vains avec  lesquels  Rousseau  est  le  plus  lié  et  dont  il 
subit  le  plus  l'influence  ^  Les  influences  vivantes  pous- 
sent Rousseau  à  certaines  lectures  de  livres  déjà  an- 
ciens. C'est  la  question  des  sources  «livresques»,  qui 
formera  la  deuxième  partie  de  cette  étude  -. 

*  Nous  constaterons  des  sources  «  livresques»;  des  influences  ;  des  états 
d'esprit  identiques;  des  développements  imprévus  de  germes  très  pe- 
tits; nous  parcourrons  la  gamme  des  déformations  volontaires  ou  invo- 
lontaires que  subissent  les  idées  en  passant  d'un  esprit  dans  un  autre  ; 
la  parole  exprime  plus  d'idées  que  le  livre.  Diderot  discourant  sur  Vln- 
terprétation  de  la  nature  dut  dépasser  son  ouvrage,  remplaçant  les 
hypothèses  par  des  affirmations  et  surtout  mêlant  au  livre  actuel  les 
préoccupations  du  livre  prochain,  et  peut-être  ses  conclusions.  11  serait 
cependant  d'une  mauvaise  méthode  de  substituer  au  livre  réel,  que  nous 
tenons,  un  livre  parlé  hypothétique.  Pour  nous,  le  bilan  d'idées  de 
Condillac  est  constitué  uniquement  par  tout  ce  qu'il  a  écrit  avant  cette 
date.  Les  ouvrages  postérieurs  ne  servent  qu'à  éclairer  et  non  à  aug- 
menter ce  système  d'idées. 

2  Ici  les  rapports  d'expressions,  de  vocabulaire,  sont  les  seules  preu- 
ves d'une  lecture.  Nous  ne  prétendons  pas  faire  ici  un   dénombrement 


I20  ANNALES    DE    LA   SOCIETE  .1.    J.    ROUSSEAU 


Diderot  et  le  Discours  de  l'Inégalité. 

Y  eut-il  insertion  de  morceaux  composés  par  Diderot 
dans  le  Discours  de  Rousseau?  Y  eut-il  seulement  des 
indications  générales^  données  par  Diderot  à  Rousseau  ? 
Nous  tenons  pour  la  seconde  hypothèse. 

Première  hypothèse  :  Sa  critique. 

Tout  est  dit  sur  la  conversation  de  Diderot.  Il  était 
dans  un  perpétuel  état  «d'incandescence^»;  s'emportant 
sur  n'importe  quel  sujet,  il  construisait  en  une  heure 
le  plan  d'un  livre.  En  1754,  devant  le  président  De 
Brosses,  il  discourt  pendant  quatre  heures,  avec  «  quel- 
ques digressions.  »  Ses  bavardages  sont  la  cause  de 
son  emprisonnement  :  le  mouchard  Perrault  l'a  en- 
tendu chez  son  logeur  (kiillot  parler  avec  «  mépris  des 
saints  mistaires  (sic)  de  notre  religion^».  Le  Curé  de 
St-Médard,  Hardy,  fournit  sur  lui  une  dénonciation  en 
règle,  mais  reconnaît  a  que  sa  conversation  est  des  plus 
amusantes.»  Il  a  une  sorte  de  manie  pédagogique. 
C(  C'est  un  philosophe  qui  instruit  la  jeunesse*.»  Dans 
l'Encyclopédie,  il  professe.  Aussi  est-il  un  furieux  don- 
complet.  Nous  connaissons  les  lacunes  de  ce  travail.  L'influence  de 
Montesquieu  est  laissée  de  côté,  celle  de  Hobbes  indiquée,  celle  de 
Montaigne  dispersée.  Nous  avons  seulement  voulu  donner  les  premiers 
éléments  d'une  étude  explicative. 
'  Schérer,  Diderot,  p.  45  et  sq. 

*  Bibl.  Nat.  ms.  l'iii  n.  a.  fr. 

*  M"«  de  L'Espinasse,  citée  par  Schcrcr,  p.  4.5. 


SOURCES   DU    DISCOURS    DE   L  INEGALITE  121 

neur  de  conseils,  mais  il  s'en  tient  à  des  indications 
générales,  à  des  plans  que  d'autres,  qui  ont  le  temps, 
rempliront:  il  a  le  prospectus  facile.  Personne,  mieux 
■que  lui,  n'indique  le  but.  et  les  chemins;  nul  n'est 
moins  apte  à  les  suivre  d'un  pied  patienta  Diderot  a 
•dû  prodiguer  à  Rousseau  de  tels  coiiseils. 

Mais  on  accuse  Diderot  de  collaboratioyi  précise. 
Pour  d'autres  cas,  Diderot  lui-même  a  fait  des  aveux  : 
«  Il  y  a  dans  les  Observations  de  l'abbé  Desfontaines 
plusieurs  morceaux  de  ma  façon-.»  Voilà  une  présomp- 
tion pour  croire  à  l'insertion  de  quelques  pages  de 
Diderot.  M.  Assézat  n'hésite  pas  à  introduire  dans  les 
(euvres  de  Diderot  plusieurs  passages  du  Discours^  et 
la  part  faite  à  Diderot  est  belle.  ^ 

Une  critique  du  texte  du  Discours  permet  de  rendre 
à  Rousseau  huit  lignes  de   ce   passage  :   «  Semblable  au 

sanguinaire  Sylla quae  Lier  y  mas 

dédit»,  qui  n'apparaissent  dans  le  texte  qu'en  1782. 
Cette  addition  doit  se  rapporter  à  la  période  où  Rous- 
seau préparait  la  Lettre  sur  les  spectacles.  Car  on  y  re- 
trouve le  fragment  textuel,  sauf  la  citation*.  De  plus 
l'anecdote  relative  à  Alexandre  de  Phères  est  dans 
Montaigne^,  que  Rousseau  lisait  beaucoup. 

Mais  voici  des  aveux  du  seul  Rousseau.  Car  Diderot 
(et    Marmontel)    si    bavards  sur   le    premier    Discours, 

'  Cf.  surtout  les  Pensées  siii-  l Interprétation  de  la  Sature  et  l'article 
Art  de  V Encyclopédie. 

*  Lettre  de  Diderot,  10  août    1749.   Mss.  cités  de  la  B.  N.  Ce  sont  les 
Observations  sur  les  Ecrits  modernes,   1742-43. 

'Les  pages  99-100   de  l'édit.    Hachette:    «Tel  est  le  pur  mouvement 
de  la  nature. . .   Il  est  donc  bien  certain.  » 

*  Edit.   de  Du  Peyrou.  Lettre  sur  les  spectacles  I,  p.  193. 

*  Essais  III,  XXVII.  Début.  «  Alexandre,  tyran  de  Phères,  ne  pouvoit 
souffrir  d'ouyr  au  Théâtre  le  ieu  des  tragédies  de  peur  que  ses  citoyens 


122  ANNALES   DE   LA   SOCIETE  .1.    .1.    ROUSSEAU 

sont  muets  sur  le  second.  C'est  d'abord  une  note  du 
Livre  VIII  des  Co7ifessions  : 

...De  ces  méditations  résulta  le  Discours  de  l'Inégalité,  ouvrage 
qui  fut  plus  du  goût  de  Diderot  que  tous  mes  autres  écrits,  et  pour 
lequel  ses  conseils  me  furent  le  plus  utiles....* 

'  Dans  le  tems  où  j'écrivois  ceci,  je  n'avois  encore  aucun  soup- 
çon du  grand  complot  de  Diderot  et  de  Grimm:  sans  quoi  j'aurois 
aisément  reconnu  combien  le  premier  abusoit  de  ma  confiance, 
pour  donner  à  mes  écrits  ce  ton  dur  et  cet  air  noir  qu'ils  n'eurent 
plus  quand  il  cessa  de  me  diriger.  Le  morceau  du  philosophe  qui 
s'argumente  en  se  bouchant  les  oreilles  pour  s'endurcir  aux  plain- 
tes d'un  malheureux  est  de  sa  façon  ;  et  il  m'en  avoit  fourni  d'au- 
tres plus  forts  encore,  que  je  ne  pus  me  résoudre  à  employer. 
Mais  attribuant  uniquement  cette  humeur  noire  à  celle  que  lui 
avoit  donnée  le  Donjon  de  Vincennes,  et  dont  on  retrouve  dans 
son  Clairval  une  assez  forte  dose,  il  ne  me  vint  jamais  à  l'esprit 
d'y  soupçonner  la  moindre  méchanceté. 

Dans  le  texte^  il  s'agit  de  conseils,  dans  la  note  de 
l'insertion  d'un  morceau  de  la  façon  de  Diderot.  Or  il 
ne  paraît  pas  douteux  que  la  note  est  postérieure  à  la 
rédaction  de  ce  livre  des  Confessions.  La  formule  qui 
l'introduit  le  prouve:  «Dans  le  temps  que  j'écrivais 
ceci...»,  et  cet  argument  a  suffi  à  M,  Jansen^ 

L'examen  du  manuscrit  de  Paris,  que  l'on  s'accorde 
à  considérer  comme  la  première  rédaction  des  Confes- 
sions, achève  la  démonstration.  La  note  est  placée  lon- 
gitudinalement  dans  la  marine,  quand  d'autres  notes 
sont  placées   naturellement    au    bas    des    pages".  Ainsi 

ne  le  veissent  gémir  aux  malheurs  d'Hecuba  et  dAndromache,  lui  qui, 
sans  pitié,   faisoit  cruellement  meurtrir  tant  de  gents  touts  les  jours». 

'  Fragments  inédits  de  ./.  J .  Rousseau,  p.  77. 

2  Cf.  p.  77,  86,  102,  125  du  nis.  de  Paris.  La  note  n'est  point  écrite  de- 
là même  encre  que  le  texte  (J.  B.  Morin,  Essai  sur  la  rie  et  le  carac- 
tère de  Rousseau,  p.  ^<)3.)  Nous  n'affirmons  pas  avec  cet  auteur  que  le 
texte  est  à  l'encre  de  Chine  et  la  note  à  l'encre  ordinaire.  La  note  pa- 
raît écrite  avec  de  l'encre  de  Chine  beaucoup  plus  diluée  que  celle  du 
texte  :  le  texte  est  resté  d'un  noir  brillant,  la  note  est  grise  :  l'encre  ordi- 
naire passée  tire  plutôt  sur  le  roux  que  sur  le  gris. 


SOURCES    DU   DISCOURS   DE   l'iNÉGALITÉ  123 

le  souvenir  d'une  collaboration  précise  de  Diderot  ne 
s'est  point  d'abord  présenté  à  Rousseau.  La  note  des 
Confessions  — dont  on  fait  argument — est  surajoutée. 
Quel  mobile  poussa  Rousseau  à  l'écrire?  La  mention 
du  grand  complot  de  Diderot  et  de  Grimm  fait  soupçon- 
ner l'imagination  d'un  malade. 

Entre  le  texte  des  Confessions  et  l'addition  de  cette 
note,  on  doit  sans  doute  placer  une  lettre  à  M.  de  S^  Ger- 
main ^  Du  moins  y  a-t-il  entre  la  lettre  et  la  note  des 
rapports  d'expression  si  étroits  que  l'une  et  l'autre 
appartiennent,  chez  Rousseau,  au  même  état  d'esprit. 
Trois  notes  de  la  lettre  contiennent  la  note  unique  des 
Confessions  : 

«  On  sent  dans  les  ouvrages  que  j'écrivais  à  Paris,  la  bile  d'un 
homme  importuné  du  tracas  de  cette  grande  ville...*» 

Et  en  note  : 

«Ajoutez  les  impulsions  continuelles  de  Diderot  qui,  soit  qu'il 
ne  pût  oublier  le  Donjon  de  Vincennes,  soit  avec  le  projet  déjà 
formé  de  me  rendre  odieux,  m'allait  sans  cesse  excitant  et  stimu- 
lant aux  sarcasmes.  « 

Puis  ^,  pour  prouver  sa  vertu  à  ses  calomniateurs,  il 
leur  présente  son  Discours  de  l'Inégalité,  et   en  note  : 

«  En  retranchant  quelques  morceaux  de  la  façon  de  Diderot, 
qu'il  m'y  fit  insérer  malgré  moi.  //  en  avait  ajouté  de  plus  durs* 
encore;  mais  je  ne  pus  me  résoudre  à  les  employer.  > 

Enfin,  montrant  comme  il  était  aisé  à  Diderot  de 
fabriquer  de   fausses    pièces   pour   les    lui  attribuer,  il 


26 

1  T.  XII,  p.  180  sq.,  du  17  —  70  (26  fév.  1770.) 

'T.  XII,   p.  187.  Je   souligne  les  passages  qui  sont  dans  la  note  des 
Confessions. 
3  Ibid,  p.   188. 
*  Variante  des  Confessions:  au  lieu  de  [durs]  on  lit  [forts]. 


Î24  ANNALES    DE    LA   SOCIETE  .[.    .1.    ROUSSEAU 

rappelle  les  emprunts  qu'il  lui  rit,  impossibles  à  recon- 
naître quant  au  style  :  mais  en  note^: 

«  Quant  aux  pensées,  celles  qu'il  a  eu  la  bonté  de  me  prêter  et 
que  j"ai  eu  la  bêtise  d'adopter  sont  bien  faciles  à  distinguer  des 
miennes,  comme  on  peut  voir  dans  celle  du  philosophe  qui  s'ar- 
^umente^  en  enfonçant  son  bonnet  sur  ses  oreilles;  car  ce  mor- 
ceau est  de  lui  tout  entier.  Il  est  certain  que  M.  Diderot  abusa  tou- 
jours de  ma  confiance  et  de  ma  facilité,  pour  donner  à  mes  écrits 
ce  ton  dur  et  cet  air  noir  qu'ils  n'eurent  plus  sitôt  qu'il  cessa  de 
)ne  diriger  et  que  je  fus  tout  a  fait  livré  à  moi-même. 

Notons  la  progression  de  ces  notes  :  Rousseau  glisse 
du  conseil  au  conseil  pertide,  du  conseil  pertide  à  l'in- 
sertion de  morceaux  entiers.  Ce  sont  d'abord  de  a  sim- 
ples impulsions  »,  puis  «  quelques  morceaux»  qui  ne  sont 
pas  désignés  ;  enfin  l'idée  arrive  à  la  précision  :  «  le  mor- 
ceau du  philosophe  qui  s'argumente  est  de  lui  tout  en- 
tier. »  Au  reste,  à  travers  la  lettre,  croît  l'exaltation  de 
Rousseau  :  c'est  le  détraquement  :  les  griefs  s'accumu- 
lent; les  ennemis  surgissent:  Choiseul  «l'enlace  de  satel- 
lites» et  «d'espions  malveillants».  Et  —  trait  qui  sonne 
la  folie  —  «les  planchers  ont  des  yeux,  les  murs  des 
oreilles.  »  On  lui  vole  ses  lettres,  et  toute  encre  lisible  ;  sa 
botanique  est  une  science  d'empoisonneur;  M.  de  Mon- 
tégut  a  brisé  sa  carrière  ;  M'"'-'  de  Boufflers,  maîtresse 
d'un  prince,  le  hait,  parce  que  lui,  Rousseau,  accueil- 
lit froidement  ses  avances.  M'"*-'  de  Luxembourg  le  hait  ; 
Tronchin,  d'Holbach  le  haïssent;  Diderot  veut  l'arra- 
cher à  la  solitude  où  son  àme  se  pacifie;  Diderot  gâte 
son  plus  vertueux  ouvrage,   le   Discours    de  l'Inégalité. 

Les  persécutions  de  VEmile  ont  affolé  Rousseau. 
Lorsque  le    bruit   en    est   apaisé,    c'est  la    conspiration 

1  Ibid,  p.    i(j2. 

2  Confessions  :  [en  se  bouchant  les  oreilles.] 


SOURCES   DU    DISCOURS    DE   I.  INEGALITE  ]  2D 

du  silence  :  que  machinent-ils?  Selon  M'"*"  Macdonald^ 
il  est  possible  que  Diderot  ait.  dès  cette  époque,  com- 
mencé à  remanier  les  Mémoires  de  M'"^  d'Epinay.  Oui  ! 
les  fausses  pièces  se  fabriquent  dans  le  mystère.  Une 
idée  fixe  se  forme  chez  Rousseau  :  on  falsifie,  à  son 
insu,  ses  livres.  «  Ils  mont  attribué  des  écrits  abomina- 
bles qu'ils  ont  fabriqués,  imitant  le  style  et  la  main".  » 
Dans  les  Dialoi^ues.  il  écrira  :  «Cet  argument  tiré  de 
ses  livres  a  toujours  inquiété  nos  messieurs...  ils  en 
ont  entrepris  la  falsification...^»  Cette  machination  est- 
elle  possible?  —  Certainement,  et  voici  l'argument  : 
Diderot  y  a  la  main  faite  :  styliste  habile,  ami  de  Rous- 
seau, aristarque  de  jadis,  conseilleur  intarissable,  il  est 
désigné  pour  cette  besogne  :  la  preuve,  c'est  que  le 
c(  morceau  du  philosophe  qui  s'argumente  est  de  lui.  » 

Il  y  a  unité  de  ton  entre  la  lettre  à  M.  de  S^  Ger- 
main et  la  note  des  Confessions.  Ne  peut-on  former 
l'hypothèse  que  l'une  et  l'autre  sont  écrites  par  unper- 
sécuté  à  idée  Jîxe': 

L'intluence  de  Diderot  n'est  pas  très  sensible  dans 
ce  «morceau».  Sans  doute  Rousseau  }'  montre  en  ger- 
me toutes  les  vertus  sociales,  et  cela  paraît  bien  dans  les 
idées  du  traducteur  de  Shaftesbur}'.  Mais  l'influence  de 
Mandeville  y  est  prédominante  et  avouée;  mais  la  théo- 
rie de  la  pitié,  conçue  comme  une  identification  avec  l'a- 
nimal souffrant,  n'est  pas  celle  de  Diderot,  qui  a  adopté 
celle  de  Shaftesbury  •*  :  que  la  vue  immédiate  de  l'ob- 
jet souffrant  dans    tous    ses    détails  nous  rend  pitova- 

1  Cf.  La  Revue,  août  U)o6.  Le  livre  a  depuis  paru  en  Angleterre  et  a 
été  traduit  en  français  (chez  Hachette.) 

2  Lettre  citée,  à  M.  de  S'-Germain. 

•''  P.  3o3-3o4.  Cf.  la  lettre  du  14  juin  1772,  à  Rey. 
*  Diderot.  Edit.  Assézat,  t.  I,  p.  91,  et  I,  p.  289. 


126  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1,   J.    ROUSSEAU 

bles  :  Diderot  soupçonne  les  aveugles  d'inhumanité. 
Mais  ce  n'est  pas  la  première  fois  que  Rousseau  peint 
l'insensibilité  philosophique,  il  a  écrit  dans  la  Préface 
de  Narcisse  : 

«  Le  goût  de  la  philosophie  relâche  tous  les  liens  de...  bienveil- 
lance qui  attachent  les  hommes  à  la  société,  et  c'est  peut-être  le 
plus  dangereux  des  maux  qu'elle  engendre.  »  Le  philosophe  finit 
«  par  mépriser  les  hommes...  »  «  Bientôt  il  réunit  dans  sa  personne 
tout  l'intérêt  que  les  hommes  vertueux  partagent  avec  leurs  sem- 
blables. Son  mépris  pour  les  autres  hommes  tourne  au  profit 
de  son  orgueil  :  son  amour-propre  augmente  dans  la  même  pro- 
portion que  son  indifférence  pour  le  reste  de  l'univers.  La  famille, 
la  Patrie,  deviennent  pour  lui  des  mots  vides  de  sens  ;  il  n'est  ni 
parent,  ni  citoyen,  ni  homme;  il  est  philosophe.'» 

Deuxième  hypothèse  :   Influence  générale  de  Diderot. 

Nous  comparons  ici  les  idées  exprimées  par  Diderot 
avant  1754,  avec  celles  du  Discours  de  l'Inégalité.  Nous 
ne  conclurons  pas  toujours  de  l'identité  à  la  tiliation. 
Une  influence  subie  à  la  fois  par  les  deux  écrivains  est 
souvent  plus  probable  ". 

L'Inslijict  Social.  —  L'homme,  tel  qu'il  apparaît 
dans  les  premières  œuvres  de  Diderot,  est  un  animal 
social,  dont  le  bonheur  et  la  vertu  résident  dans  la 
Société  :  le  bonheur  individuel  et  le  bonheur  social 
doivent  s'harmoniser,  et  se  confondre  en  fait.  Ces  idées 
semblent  en  contradiction  avec  celles  du  Discours,  dont 
on  a  fait  une  œuvre  individualiste.  Le  caractère  de 
Rousseau  est  pour  beaucoup  dans  cette  interprétation*. 
Mais  distinguons  le  caractère  et  les  idées.  On  peut 
montrer    que    le    primitif   de    Vliiégalité   est    sociable. 

>  Fin  1732.  C(.  Discours,  p.  100.  «C'est  la  philosophie  qui  l'isole,  etc.» 
*  Cf.  notre  introduction  et  ses  notes,  p.  1 18-19. 

3  Cf.  Diderot,  lettre  à  Rousseau,  fin  1756.  «C'est  un  étrange  citoyen 
qu'un  ermite.  » 


SOURCES    DU   DISCOURS   DE   L  INEGALITE  I27 

Tout  être,  selon  Shaftesbury,  traduit  par  Diderot' 
fait  partie  d'un  système,  où  il  joue  un  rôle  de  conser- 
vation. On  ne  peut  donner  l'épithète  de  «bon»  à  une 
«  créature  parfaitement  isolée,  à  l'abri  de  tout  ce  qui 
pourrait  émouvoir  ses  passions»  à  moins  de  la  suppo- 
ser «  parfaite  »  et  en  «  relation  avec  elle-même  »,  Mais 
dès  qu'on  peut  considérer  «ce  vivant  automate»  comme 
«  faisant  partie  d'un  système  de  la  nature  »,  on  voit 
que  par  «  sa  solitude  et  son  inaction,  il  tend  directe- 
ment à  la  ruine  de  son  espèce»  et  dès  lors,  il  devient 
impossible  de  décorer  un  tel  être  du  titre  de  bon.  Ainsi 
le  monde  peut  être  considéré  comme  une  série  de  sys- 
tèmes, et  même  les  systèmes  se  pénétrent  l'un   l'autre. 

«  Toute  une  espèce  peut  contribuer  à  l'existence  ou  au  bien  être 
d'une  autre  espèce...  L'existence  de  la  mouche  est  nécessaire  à  la 
subsistance  de  l'araignée  ;  aussi,  le  vol  étourdi,  la  structure  délicate 
de  l'un  de  ces  insectes  ne  le  destinent  pas  moins  évidemment  à 
être  la  proie,  que  la  force,  la  vigilance  et  l'adresse  de  l'autre  à  être 
le  prédateur.  » 

Et  Rousseau  écrit  qu'aucun  animal  ne  témoigne  con- 
tre l'homme  de  ces  antipathies  qui  annoncent  qu'une 
espèce  est   destinée   par   la  nature  à  servir  de  pâture  à 


'  Principes  de  la  Philosophie  morale  ou  Essai  sur  le  Mérite  et  la 
Vertu,  avec  Réflexions,  Amsterdam,  1745.  Assézat,  t.  I,  p.  24-27.  Précau- 
tions à  prendre  avant  d'attribuer  à  Diderot  les  idées  de  VEssai  sur  le 
Mérite  de  Shaftesbury  :  Si  l'on  en  croit  la  préface  de  Diderot,  il  aurait 
transformé  le  livre  anglais.  Il  n'en  est  rien.  Le  texte  est  traduit  exac- 
tement. Les  notes  sont  plus  originales.  Sur  quarante-huit  notes,  qua- 
rante-deux sont  de  Diderot.  Il  y  adopte  la  morale  sociale  de  Shaftesbury, 
en  forçant  l'importance  de  la  Société.  Il  ajoute  une  apologie  de  la  pas- 
sion et  une  critique  religieuse;  il  cite  souvent  Shaftesbury  dans  des  ou- 
vrages ultérieurs.  Le  texte  cité  ici  est  dans  V Encyclopédie,  art.  Célibat. 
Notre  règle,  pour  VEssai  sur  le  Mérite,  est  de  n'utiliser  que  les  notes 
qui  sont  de  Diderot,  ou  les  passages  qu'il  a  cités  dans  d'autres  ou- 
vrages. 


128  ANNALES   DE    I.A   SOCIÉTÉ   .1.    .1.    ROUSSEAU 

Tautre  ^;  et  il  utilise  l'antagonisme  entre  l'individu  et  l'es- 
pèce ^. 

Mais  Diderot  ne  perd  point  l'individu  dans  l'espèce, 
ni  ne  donne  le  pas  aux  tendances  sociales.  «  Fais  en 
sorte  que  toutes  tes  actions  tendent  à  la  conservation 
de  toi-même,  et  à  la  conservation  des  autres,  c'est  le 
cri  de  la  nature^.»  Cette  combinaison  est  dans  Rous- 
seau :  il  y  ^  dans  l'homme  c(  deux  principes...  dont  l'un 
nous  intéresse  ardemment  à  la  conservation  de  nous- 
mêmes»,  et  l'autre  nous  inspire  une  répugnance  natu-^ 
relie  à  voir  périr*  «nos  semblables».  L'homme  de  la  na- 
ture vit  insociable,  ou  plutôt  n'a  que  rarement  à  résou- 
dre les  problèmes  de  la  sociabilité.  Sans  doute  Rous- 
seau se  défend  de  faire  intervenir  la  notion  de  sociabi- 
lité. Mais  la  Pitié  tient  la  place  des  Aifections  Sociales  : 
C'est  la  sociabilité  en  germe.  Elle  se  développera  :  J,  de 
Castillon  l'a  très  bien  vu^:  il  refuse  la  sociabilité  à 
l'homme  pour  la  lui  rendre  sous  forme  de  pitié,  «  De 
cette  seule  qualité,  dit  Rousseau,  découlent  toutes  les. 
vertus  sociales".  » 

l^ref,  sur  ce  texte  de  Shaftcsbur}^  : 

«  Qu'une  créature  sensible  puisse  naitre  si  mal  constituée  que 
la  connaissance  des  objets  qui  sont  à  sa  portée  n'excite  en  elle 
aucune  afTection.   qu'elle   soit    orit;inellement   incapable  d'amour, 

1  Discours,  p.  86. 

'  Ibid.  ;  p.  iio.  Les  progrès  «ont  été,  en  apparence,  autant  de  pas 
vers  la  perfection  de  l'individu,  et,  en  effet,  vers  la  décrépitude  de  l'Es- 
pèce. » 

'  Encycl.,  art.  Conservation . 

*  Disc,  p.  8i.  Cf.  p.  100.  «La  pitié  est  un  sentiment  naturel  qui  mo- 
dérant dans  chaque  individu  l'amour  de  soi-même  concourt  à  la  consL-r- 
vation  mutuelle  de  l'Espèce.»  Cf.  p.  98. 

*  Cf.  son  Discours  sur  l'origine  de  l'Inégalité  parmi  les  hommes,  p.  8cS. 
—  Cf.  la  Profession  de  Foi,  t.  II,  p.  261-62  :  «  Mais  si  l'homme  est  socia- 
ble par  nature,  ou  du  moins  fait  pour  le  devenir...» 

*  Cf.  la  suite  :  énumération  des  vertus  qui  procèdent  de  la  pitié. 


SOURCES   DU    DISCOURS    DE    [.INEGALITE  1  2() 

-de  pitié,  de  reconnaissance  et  de  toute  autre  passion  sociale;  c'est 
une  hypothèse  chimérique;  qu'une  créature  raisonnable  ait  senti 
l'impression  des  objets  proportionnés  à  ses  facultés;  que  les  ima- 
ges de  la  justice,  de  la  générosité,  des  autres  vertus  se  soient  gra- 
vées dans  son  esprit,  et  qu'elle  n'ait  éprouvé  aucun  penchant  pour 
■CCS  qualités...  c'est  une  autre  chimère'.  » 

Rousseau  a  fait  deux  rêduclioiis  :  i"  II  suppiime  la 
créature  raisonnable,  pour  ne  garder  que  la  créature 
sensible.  2°  Il  a  réduit  les  passions  sociales,  multipliées 
par  Shaftesbur}^  à  une  seule,  d'où  naissent  les  autres. 
L'homme,  créature  sensible.  —  Grâce  à  Diderot, 
Rousseau  regarde  la  sensibilité  comme  suffisante  à  la 
vie,  au  bonheur,  et  à  la  vertu-.  C'est  une  des  idées 
■chères  à  Diderot  que  la  réhabilitation  de  la  passion.  «On 
croirait,  dit-il,  faire  injure  à  la  Raison,  si  l'on  disait 
un  mot  en  faveur  de  ses  rivales.^»  Et  il  se  fait,  sui- 
vant un  mot  de  Grimm,  l'apologiste  des  passions*.  Dans 
les  Pensées  philosophiques  il  attaque  les  morales  ra- 
tionnelles et  chrétiennes  :  «On  déclame  sans  fin  contre 
les  Passions  et  on  oublie  qu'elles  sont  la  source  de  tous 
nos  plaisirs...  Il  faut  avoir  de  fortes  passions,  à  l'unis- 
son. »  Elles  font  de  grandes  choses^.  Dans  V Essai, 
il  avait  dégagé  l'importance  de  la  sensibilité,  moteur 
de  l'être  vivant  :  «  Toute  action  de  l'animal  considéré 
comme  animal  part  d'une  affection,  d'un  penchant  ou 
d'une  passion  qui  le  meut...  l'amour,  la  crainte,  ou  la 
haine..."»  C'est  dans  le  même  ordre  d'idées  que  Rous- 

'  Essai,  I,  p.  43. 

^  y oy ez  Discoiits,  p.  82. 

■■  Pensées  philos.,  I. 

♦  Les  notes  qu'il  ajoute  à  l'Essai  de  Shaftesbury,  portent  la  trace  de  cet 
iitat  d'esprit.  Cf.  surtout  Essai,  I,  p.  2?. 

*  Pensées  philos.,  I,  IV,  V. 

«  Essai,  p.  70,  t.   I.   Ce  passage  de  VEssai  sur  le  Mérite  est  une  des 
rares  additions  faites  par  Diderot  au  texte  même  de  l'auteur. 

9 


l3o  ANNALES    DE    LA   SOCIÉTÉ  .1.    .1.    ROUSSEAU 

seau  écrit  :  «  Quoi  qu'en  disent  les  moralistes,  l'enten- 
dement humain  doit  beaucoup  aux  passions...  C'est 
par  leur  activité  que  la  raison  se  perfectionne..^»  Il 
fait  Tapologie  de  la  morale  du  sentiment  :  celle  de  la  Pi- 
tié. On  peut  acquérir  la  vertu  par  raison,  mais  il  v  a 
longtemps  que  le  genre  humain  ne  serait  plus  si  sa 
conservation  eût  dépendu  des  raisonnements  2,  Pour- 
tant Rousseau  reste  l'adversaire  de  la  passion.  Diderot 
se  vante  d'aimer  «très  passionnément  sa  maîtresse-''» 
et  Rousseau  fait  une  peinture  sombre  de  l'amour  «pas- 
sion terrible»,  «rage  effrénée  et  brutale''».  Le  bonheur 
de  l'homme  primitif  procède  de  ce  qu'il  a  peu  de  pas- 
sions, et  «peu  actives ^  »  C'est  qu'il  subit,  plus  qu'il  ne 
le  dit,  l'influence  des  moralistes  chrétiens  et  qu'en  dé- 
fenseur logique  de  l'homme  primitif  il  n"admet  la  pas- 
sion qu'en  tant  qu'impulsion  de  la  nature  et  besoin 
physique. 

Ses  apologies  de  la  passion  ne  sont  que  la  contre- 
partie des  critiques  contre  les  lumières  et  la  société. 
A  cette  affirmation  de  Diderot  :  «  la  passion,  le  senti- 
ment, peuvent  constituer  une  morale».  Rousseau  subs- 
titue celle-ci  :  «  la  passion  naturelle^  le  sentiment  na- 
turel peuvent  constituer  une  vie  heureuse   et    bonne.  » 

Recherche,  par  une  méthode  a  posterioi'i.  d'un  déve- 
loppement historicjue  de  l'I'Are  humain.  —  (^ette  idée  que 
la  Vérité  sort  des  faits,    et    qu'elle    n'est   point    un  sys- 

'  Discours,  p.  loo.  Cf.  la  suite  :  «  El  il  n'est  pas  possible  de  concevc>ir 
pourquoi  celui  qui  n'aurait  ni  désir,  ni  crainte,  se  donnerait  la  peine 
de  raisonner.  » 

2  Discours,  p.  loo.  Cl.  tout  le  passage. 

■'  Essai,  I,  p.  23 . 

*  Discours,  p.   101-102. 

*  Discours,  p.    100.  Cf.  p.   144. 

*  Discours,  p.  (ji . 


SOURCES   DU    DISCOURS    DE   L  INECAIJ'J  )•;  IJl 

tème  abstrait,  construit  à  la  mode  des  géomètres;  celle 
de  la  toute  puissance  du  fait,  vainqueur  des  théo- 
ries spécieuses;  voilà  la  «grande  Révolution  dans  les 
sciences^»  à  laquelle  assistent  les  hommes  du  milieu 
du  dix-huitième  siècle.  Les  Pensées  sur  rinlerpréialion 
de  la  Nature  formulent  les  nouvelles  l'ègles  de  la 
Science.  Diderot  pronostique  la  disparition  du  géomè- 
tre, à  voii"  son  siècle  se  jetei"  dans  Vhistoire  expéri- 
mentale de  la  Nature'-.  Rousseau  a  cherché  à  donner 
Vhistoire  expérimentale  des  Sociétés.  Il  procède  en  so- 
ciologue qui  observe  et  conjecture  sur  des  observations. 
(3n  peut  lui  appliquer  cette  formule  de  Diderot  :  «Nous 
avons  trois  moyens  principaux  :  l'Observation  de  la 
Nature,  la  Réflexion  et  l'Expérience.  L'Observation  re- 
cueille les  faits,  la  Réflexion  les  combine,  l'Expérience 
vérifie  les  résultats  de  la  combinaison.)) 

Rousseau  recueille  des  faits  relatifs  aux  civilisations 
primitives,  ce  n'est  pas  douteux  ^\  Ce  constant  appel 
aux  Relations  de  voyages,  à  l'Histoire  Naturelle,  est  si- 
gnificatif. Il  rêve,  en  termes  scientifiques,  l'expérience, 
décisive  : 

«  ...  Quelles  expériences  seraient  nécessaires  pour  connaître 
rhomme  naturel;  et  quels  sont  les  moyens  de  faire  ces  expérien- 
ces dans  le  sein  de  la  société  ».  Il  ose  <>  affirmer  d'avance  que  les 
plus  grands  savants  ne  seraient  pas  trop  bons  pour  diriger  ces 
expériences*» 

1  Pensées  sur  l'Interprétation  de  la  Nature,  II,  VIII,  XX.  —  Ibid.,  IV 

-  Pensées  sur  l'Interprétation  de  la  Nature.  \  et  IV. 

■'  Cf.  infra,  dernier  chapitre. 

*  Discours,  p.  8'}.  Rousseau  parle  de  <<  déterminer  exactement  les 
précautions  à  prendre  pour  faire  sur  ce  sujet  de  solides  observations...  » 
Mais  il  laisse  le  problème  aux  Aristotes  et  aux  Plines  de  son  temps.  Il 
songe  à  Maupertuis,  qui  a  conçu  l'idée  de  telles  expériences.  En  lin- 
guistique, en  psychologie,  en  métaphysique,  la  méthode,  selon  lui,  serait 
féconde:  «Deux  ou  trois  enfants  élevés  ensemble  dès  le  plus  bas  âge 
sans    aucun    commerce  avec   les    autres    hommes,  se    feraient  assur-é 


1.-12  ANNALES    DE  I.A   SOCIETE  .1.    .1.    ROUSSEAU 

Cette  méthode  directe  n'est  pas  pratique.  Mais  reste 
possible  une  combinaison  rétiéchie  des  faits,  une  sorte 
de  reconstruction  historique^  —  et  conjecturale,  —  mais 
vraisemblable. 

Or  nous  sommes  en  présence  d'tm  très  petit  nombi'e 
de  faits  :  une  méthode  s'impose,  dont  Rousseau  marque 
la  parenté  avec  la  méthode  historique: 

Deux  faits  étant  donnés  comme  réels  à  lier  par  une  suite  de 
faits  intermédiaires  inconnus  ou  regardés  tels,  c'est  à  l'Histoire, 
quand  on  l'a,  de  donner  les  faits  semblables  qui  lient,  c'est  a  la 
philosophie  a  son  défaut  de  determinei"  les  faits  semblables  qui 
peuvent  les  lier. 

Il  y  a  «  plusieuis  explications  de  la  manière  dont  les 
faits  se  sont  produits»,  il  est  impossible  de  leur  don- 
ner «  le  degré  de  certitude  des  faits»,  mais  ce  sont 
«les  plus  probables.»  Donc,  la  Réflexion  philosophi- 
que, nécessairement  «conjecturale)!,  «tirée  de  la  na- 
ture même  des  choses»  est  le  seul  mo3'en  «de  décou- 
vrir la  vérité'-.»  l^ir  là  on  détermine  et  on  rapproche 
les  hasards  qui  ont  perfectionné  l'être  humain,  Dide- 
j"ot  précise  cette  méthode-': 

"  .Souvent,  dil-il,  on  ignoie  l'origine  d"Lin  art  mécanique  ou  Ton 
n'a  que  des  connaissances  vagues  sur  ses  progrès.  Dans  ces  occa- 
.sions,  il  faut    recourir  à   des  suppositions   philosophiques,   partir 

jnciit  une  laiiguc.  l'our  que  rexpérieiice  fût  complète,  il  faudrait  former 
des  sociétés  pareilles  plus  nombreuses,  et  les  former  denfants  de  difl'é- 
rentes  nations  :  il  faudrait  surtout  que  ces  petits  peuples  n'apprissent 
aucune  autre  langue.  Cette  expérience  pourrait  nous  apprendre  bien 
autre  chose  sur  l'origine  des  idées  même...  Après  tant  de  siècles. . .  pen- 
dant lesquels,  malgré  les  eflbrts  des  plus  grands  hommes,  nos  connais- 
sances métaphysiques  n'ont  pas  fait  le  moindre  progrès,  ce  ne  saurait 
être  que  par  des  moyens  nouveaux,  et  aussi  extraordinaires  que  ceux- 
ci»  qu'on  y  arriverait.  (Maupertuis,  Œumes  complûtes,  p,  35o-5i,  Lettre 
sur  le  progrès  des  sciences.) 

1  Le  mot  est  prononcé  par  Rousseau,  Discours,  p.  8J>. 

2  Pour  ces  textes,  Discours,  p.  \o.<  et  p.   104. 
•'  Encyclopédie,  art.  Art. 


SOURCES  nu  mscouus  dk  l'inégalité  i  33 

de  quelque  hypothèse  vraisemblable,  de  quelque  événemeni  pre- 
mier et  fortuit  et  s'avancer  ainsi  jusqu'où  l'art  a  été  poussé.  »  »  Si 
l'on  ii»norait  l'origine  et  les  progrès  de  la  papeterie,  que  ferait  un 
philosophe  qui  se  proposerait  d'écrire  l'histoire  de  cet  art?  Il  sup- 
poserait qu'un  morceau  de  linge  est  tombé  par  hasard  dans  un 
vaisseau  plein  d'eau,  etc » 

C'est  là,  selon  le  mot  de  Diderot,  une  dialectique. 
Rousseau  l'emploie  lorsqu'il  explique  l'origine  des  arts^ 
et  dans  l'ensemble  du  discours.  Elle  s'écarte  beaucoup 
de  la  pure  observation. 

C'est  une  preuve  que  l'on  est  mal  guéri  des  svstè- 
mes.  Entre  la  théorie  et  l'application,  du  temps  s'éciu- 
lera.  On  a  beau  vanter  l'observateur  patient-  qui 
amasse  les  faits,  on  ne  l'imite  pas:  on  ne  se  résigne 
pas  à  ne  pas  conclure  :  le  système  reste  la  tin  suprême 
et  désirable,  la  raison  d'être  de  l'expérience.  Et  on 
ne  s'attaque  point  à  des  problèmes  restreints,  l'on  esti- 
me que  l'observation  va  fournir  la  solution  des  plus 
générales  questions  :  origine  et  développement  de  l'es- 
prit, du  monde,  de  la  société,  lois  ph^'siques,  moiales. 
chimiques,  etc. 

Par  cette  méthode  analytique  et  expérimentale,  pleine 
de  sjmthèses  prématurées,  on  constitue  une  notion  nou- 
velle de  la  nature.  Elle  ne  sera  plus  un  tout  actuel, 
immuable.  Diderot  «  introduit  l'idée  de  succession  da?îs 
sa  définition  de  la  Nature.  »  La  fixité  des  êtres  et  des 
choses  n'est  peut-être  qu'une  illusion  due  à  la  petitesse 
de  la  vie  de  l'homme,  et  à  la  lenteur  des  révolutions, 
étagées  dans  un  temps  sans  limite^. 

«  Est-ce  que  les  animaux  ont  toujours  été  et  seront-ils  toujours 
ce   qu'ils    sont.-»    u  Un    individu  commence,   s'accroît,   dure,  dé- 

'  Cf.  Discours,  p.  1 1 1 . 

2  Pensées  sur  l'Interprétation  de  la  Sature,  VIII. 

■'  Ibid.,  LVIII  (questions). 


1^4  ANNAi.Ks  ni'i  i.A  s(m:ii':tk  .i.  j.  kousseau 

périt  et  passe  ;  n'en  serait-il  pas  de  même  pour  des  espèces  entiè- 
res. L'emhrvon  forme  des  éléments  premiers  a  passe  par  une  in- 
finité d'organisations  et  de  développements  ;  il  a  en,  par  succes- 
sion, du  mouvement,  de  la  sensation,  des  idées,  de  la  pensée,  de 
la  réflexion,  de  la  conscience,  des  sentiments,  des  passions,  des 
signes,  des  gestes,  des  sons,  des  sons  articidés.  ime  langue,  des 
lois,  des  sciences  et  des  arts  :  il  s'est  écoule  des  millions  d'an- 
nées entre  chacun  de  ses  développements':  il  a  peut-être  d'au- 
tres développements  à  subir:  il  a  eu,  ou  il  aura  un  état  station- 
naire  :  il  s'éloigne  ou  s'éloignera  de  cet  étal  par  un  dépérissement 
éternel  pendant  lequel  ses  facultés  sortiront  de  lui  comme  elles  y 
étaient  entrées  :  il  disparaîtra  poiu-  jamais  de  la  nature.  ■■ 

Dans  cette  vision,  qui  n'est  pas  sans  grandeur.  Di- 
derot propose  quatre  idées  :  i"  Idée  de  la  vie  d'iDie 
Espèce;  2"  Fariatio)i  du  type  physique  de  l'Homme; 
1>  De  sou  type  meulal  ;  4"  Q///  se  produiseul  dajis  uu 
temps  éuorme  ;  ces  idées  ont  enij;endie  le  Discours: 

«  Il  V  a  une  jetmesse  du  monde  :  l'espèce  approche  de  sa  décré- 
pitude... -  ■' 

dit  Rousseau,  et  c'est  la  \  ie  de  cette  espèce  qu'il  \eut 
retrouve!"^.  La  question  des  variations  dti  type  phy- 
sique de  rhonime  est  abordée  de  biais  dans  Rotisseau. 
Il  parle  de  «l'intèi'èt  qu'il  y  aiwait  à  examiner  »  Thoni- 
me  «dans  le  premiei"  embryon  de  rF'^spèce».  mais  il 
ne  veut  pas  «  stiivre  son  ori^anisation  à  ti"a\ei's  ses  dé- 
veloppements successifs...  «  Rotisseati  «  n'étudiera  pas 
les  changements  qtu'  ont  dfi  stuvenii"  dans  la  conlor- 
mation  tant  extérieuie  qu'intérietue  de  l'homme.  »  Mais 
dans  les  notes,  il  \-  a  (.les  réponses  à  ces  i.|uestions.  La 

'  Celte  idée  que  le  lenips  iiifuii  reiui  toutes  les  irausfunnalions  pos- 
sibles est  dans  Bulloii.  Mais  BulVou  ne  l'a  pas  appliquée  à  l'hoininc. 
Nous  ncii  sommes  pas  au  liulToii  des  I-ipoqucs  (1774). 

*  Discours,  p.  i  10  et  84.  (]f.  sa  réponse  à  lîonnct:  «  La  société  est  natu- 
relle a  l'espèce  humaine  comme  la  décrépitude  à  Tindividu.» 

s  Dlscuiirs,  p.  84.  Cf.  uu  texte  de  Grimm  très  intéressaiu  pour  l'in- 
lelligencc  du  Discours  ICoir.,  \\\,  p.  58  et  sq.) 


SOURCES    DU    DISCOURS    Dl'i    l/lNÉCiAI.ITK  (35 

note  (3)^  traite  d'après  les  données  de  Vncvialomie  com- 
parée r>  la  question  de  l'homme  quadrupède.  Quant  au 
développement  moral  de  l'homme,  le  langage,  par  exem- 
ple, apparaît  suivant  la  progression  indiquée  par  Di- 
derot: «Signes,  gestes,  sons,  sons  articulés,  langues...  » 
Reste  l'idée  d'un  temps  extrêmement  long.  Rousseau 
lui  aussi  renonce  à  compter  «  les  siècles  qui  s'écou- 
lèrent avant  que  les  hommes  puissent  voir  d'autre 
feu  que  celui  du  cieb»,  il  «parcourt  comme  un  trait 
■des  multitudes  de  siècles-».  C'est  ainsi  que  s'élabore 
l'idée  de  perfectibilité  :  on  peut  suivre  le  développe- 
ment historique  de  l'homme,  pense  Diderot.  L'homme 
est  capable  d'un  développement  progressif,  sous  la  pres- 
sion des  circonstances  :   c'est  la  formule  de  Rousseau. 

De  telles  audaces  de  pensée  exposaient  leurs  au- 
teurs aux  rancunes  de  l'Eglise.  A  ces  recherches  sur 
l'origine  et  le  développement  des  choses,  des  êtres  et 
des  sociétés  s'opposait  le  récit  de  la  Genèse,  et  de  toute 
la  Bible.  Son  «Interprétation  de  la  Nature»  eût  valu 
la  Bastille  à  Diderot,  s'il  ne  s'était  enveloppé  d'obscu- 
rité. Mais  on  se  débarrassait  du  dogme  par  des  conces- 
sions verbales;  on  affichait  du  respect  pour  les  Vérités 
théologiques,  et  on  présentait  l'idée  hardie  comme  une 
hypothèse.  Une  convention  tacite  entre  le  lecteur  et  l'au- 
teur remettait  les  choses  au  point,  et  l'excès  de  la  sou- 
mission précisait  ce  que  la  pensée  avait  de  nouveau.  C'est 
un  contre   sens  de  prendre  ces  déclarations  à  la  lettre. 

Comparons  certaines  précautions  de  Diderot  à  quel- 
q  ues  passages  du  Discours.  Diderot  écrit  : 

'  Je  donne  le  numtjrotage  des  notes  d"après  ledit,  princeps.  Hachette. 
p.   127. 

•  Cf.  Discours,  p.  92-96-104. 


\'M')  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

«  Si  la  Foi  ne  nous  apprenait  pas  que  les  animaux  sont  sortis 
des  mains  du  Créateur  tels  que  nous  les  voyons,  le  philosophe 
abandonné  à  ses  conjectures...  »  «La  religion  nous  épargne  bien 
des  écarts  et  des  travaux;  si  elle  ne  nous  avait  point  éclairés  sur 
le  système  universel  des  êtres,  combien  d'hypothèses...  que  nous 
aurions  été  tentés  de  prendre  pour  le  secret  de  la  nature:  ces 
hypothèses  étant  toutes  également  fausses  nous  auraient  paru  tou- 
tes à  peu  près  également  vraisemblables  ^  »  Et  encore:  «Dans  le 
dessein  où  j'étais  de  développer  la  génération  successive  de  nos 
connaissances,  il  eût  été  bien  ridicule  de  choisir  le  premier  hom- 
me à  qui  Dieu  les  avait  accordées  toutes  par  infusion.  » 

Mais,  proteste  Tadversaire,  «est-il  permis  à  un  phi- 
losophe chrétien  de  raisonner  sur  des  hypothèses  arbi- 
traires qui  contredisent  les  principes  de  la  foi?»  Et 
Diderot  riposte  -  : 

M  Ayant  à  conduire  l'homme  depuis  l'instant  où  il  n"a  pas  d'i- 
dées, jusqu'à  ce  degré  de  perfection  où  il  est  instruit  des  profon- 
deurs mêmes  de  la  religion  :  de  ce  point  de  nature  imbécile,  où  il 
est  en  apparence  au  dessous  de  plusieurs  animaux,  jusqu'à  cet 
état  de  dignité  où  il  a  pour  ainsi  dire  la  tête  dans  les  cieu:^,  et  oii 
il  est  élevé  par  la  révélation  jusqu'au  rang  des  intelligences  céles- 
tes, je  n'ai  pu  choisir  pour  modèle  l'homme  qui  sortit  parfait  des 
mains  de  son  créateur,  et  qui  posséda  \uï  seul  en  un  instant  plus 
de  hunière  que  toiue  sa  postérité  réunie  n'en  acquerra  dans  tous 
les  siècles  à  venir.  » 

Rappelons  le  début  du  Discours'^:  létat  de  nature 
n'a  pas  existé!  Le  premier  homme  a  lecu  de  Dieti 
lumières  et  préceptes  :  voilà  ce  que  doit  dire  le  philo- 
sophe chrétien.  Ecartons  tous  les  faits  ,  les  fails  Ihéolo- 
giques)  ce  ne  sont  pas  des  vérités  historiques  lliisloirc, 
c'est  la  Bible!):  ce  sont  des  hypothèses,  ce  sont  des 
conjectures.  \'oilà  bien  des  précautions  a\ant  de  bous- 


'  Cf.   Pensées  sur  l'Interprétation  de  la  Sature.  I.\'I1I. 

*  Apologie  de  la  Thèse  de  l'abbé  de  Prades,  I,  441,-432-45.4. 

'  Discours,  p.  8^-84. 


SOURCES   DU    DISCOURS    DE   L  INEGAIJTK  IJy 

culer  résolument  le  plan  primitif  de  la  cre'ation  M  ces 
concessions  donnent  au  Discouî^s  un  air  théorique  : 
mais  il  ne  faut  pas  s'y  laisser  prendre.  Elles  cachent  un 
désir  d'observation  scientifique,  une  méthode,  qui  veut 
être  expérimentale,  une  recherche,  qui  se  croit  trop  vite 
heureuse,  du  fait  historique  et  sociologique. 

Faisons  une  large  part  aux  influences  subies  en  com- 
mun par  Diderot  et  Rousseau  :  les  travaux  antérieurs  de 
Diderot  expliquent  comment  ces  idées  se  sont  formées 
chez  lui  :  il  vient  de  méditer  Bacon  pour  sa  préface  de 
V Encyclopédie  :  pendant  les  loisirs  de  Vincennes.  il 
s'occupait  de  rédiger  des  notes  sur  l'Histoire  naturelle-. 
Rousseau  est  préoccupé  de  morale,  de  politique  et  de 
musique.  Ces  idées  scientifiques  devaient  être  plus 
précises  chez  Diderot  que  chez  Rousseau.  Si  l'on  réflé- 
chit que  les  Pensées  sur  V Interprétation  de  la  Nature 
paraissent  ei:  pleine  composition  du  Discours  :  que 
Rousseau  dût  être  associé    aux    hardiesses   de  Diderot, 

*  Voici  comment  l'abbé  Talbert  (Cf.  Vernes.  Choix  littéraire,  t.  \'I1, 
ou  Migne,  Collect.  desOrat.  sacrés,  t.  LXVI,  p.  546  et  sq.},  l'heureux  con- 
current de  Rousseau,  dépeint,  d'une  manière  orthodoxe,  l'état  de  Nature: 
«Représentons-nous  la  nature  humaine  sortant  des  mains  de  son  auteur, 
comme  une  fleur  qu'une  rosée  pure  et  qu'un  rayon  bienfaisant  vien- 
nent de  faire  éclore  et  dont  la  fraîcheur,  le  coloris  et  le  parfum  char- 
ment également.. .  Fait  pour  connaître,  l'homme  connaissait  sans  erreur  J 
il  n'avait  à  craindre  ni  ténèbres,  ni  fausses  lumières.  Il  voyait  ce  qui 
était  bon,  ce  qui  était  juste;  le  cœur  n'était  point  en  contradiction  avec 
l'esprit.  Le  penchant  pour  le  bien  était  le  seul  goût  qu'il  connût,  la 
vertu  était  son  centre.  Une  volupté  pure  acquise  sans  travail,  inaccessi- 
ble au  trouble,  à  l'amertume. . .  La  terre  toujours  couverte  de  ses  plus  ri- 
ches vêtements  s'empressait  d'ouvrir  son  sein  sous  la  main  innocente 
qui  la  cultivait...  Toutes  les  parties  de  l'univers  concouraient  à  formerai! 
roi  de  la  nature  une  demeure  "digne  de  lui.  Un  air  pur,  inaltérable,  et 
un  soleil  brillant  donnaient  une  saison  unique  et  tempérée,  qui  lui 
épargnait  le  soin  de  préparer  à  son  corps  des  vêtements  et  des  asiles, 
éloignant  de  lui  la  maladie,  la  douleur  et  cette  foule  de  besoins  qui  en 
sont  la  suite.  » 

2  Cf.  Lettre  an  gouverneur  de    Vincennes,  3o  septembre  1749. 


|3N  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

et  à  ses  craintes  de  la  censure,  qu'il  corrigea  peut-être 
les  épreuves  avec  son  ami,  ou  se  Ht  lire  les  bonnes  pa- 
ges, il  n'est  pas  exagéré  de  dire  que  le  Discours  est  le 
développement  de  la  Pensée  L  VIII  de  Diderot. 

Détail  du  développement  intellectuel  de  lliomme  et  l'état 
de  nature.  —  Ici,  l'influence  de  Diderot  est  masquée 
par  celle  de  Condillac.  Pourtant  la  théorie  de  Rousseau 
sur  la  perfectibilité,  doit  à  Diderot,  qui  écrit  dans  les 
Pensées  sur  l'Literprétation  de  la  Nature:  «  Les  facultés 
de  l'homme  sortiront  de  lui  comme  elles  y  étaient  en- 
trées^; » 

«  11  veut  développer  la  génération  successive  de  nos  connais- 
sances. »  «  l/homme  est  au-dessous  de  la  hète  même  dans  la  pas- 
sion, l'ivresse  et  la  folie,  semblable  à  la  bête  dans  l'imbécilite, 
dans  Tentance  et  la  caducité,  semblable  à  la  bète  farouche...  chez 
le  cannibale^.  » 

Diderot  et  Rousseau  se  rencontrent  dans  leur  ps3xho- 
logie  de  Thomme  primitif: 

«  Les  miracles  de  la  nature,  dit  Diderot,  sont  exposés  à  nos  yeux 
longtemps  avant  que  nous  ayons  assez  de  raison  pour  en  être 
éclairés...  Qui  s'avise  de  s'émerveiller  de  ce  qu'il  voit  depuis  cin- 
quante ans...  Les  uns,  occupés  de  leurs  besoins  n'ont  guère  eu  le 
temps  de  se  livrer  aux  spéculations  métaphysiques...  Les  autres 
n'ont  jamais  eu  l'occasion  d'interroger  la  nature  et  n'ont  pas  eu 
l'esprit  d'entendre  sa  réponse.  Le  génie  philosophique,  dont  la 
sagacité,  secouant  le  joug  de  l'habitude,  s'étonna  le  premier  des 
prodiges  qui  l'eiiN  ironnaient,  descendit  en   lui-mC'me.  se  demanda 

'  Cf.  .ipol.  de  Prades,  p.  45  i . 

■-  Cf.  Discours,  p.  90.  «Si  l'homme  est  seul  sujet  à  devenir  imbécile, 
c'est  qu'il  retourne  ainsi  dans  son  état  primitif...  et  que  perdaiu  par  la 
vieillesse,  ou  par  d'autres  accidents,  ce  que  sa  perfectibilité  lui  avait  fait 
acquérir,  il  retombe  plus  bas  que  la  bctc  elle-même.  »  Crimm  exprime 
cette  théorie  avec  netteté  et  dans  les  termes  de  Jean-.Iacqucs  en  février 
35  (Cf.  sa  Corr.)  Mais  à  ce  moment,  le  discours  était  presque  tout  im- 
primé. Du  reste  bien  des  idées  du  discours  se  retrouvent  dans  Grimm, 
qui  —  les  dates  l'indiquent  —  n'en  est  que  l'écho. 


SOl.'RCKS    DU    [)ISCOrRS    DE    L  INEGAMTK  1  .">() 

■et  se  rendit  raison  de  tout    ce    qu'il    voyait,  a  pu  se  faire  attendre 
longtemps  et  mourir  sans  avoir  accrédité  son  opinion'.» 

Et  il  est  facile  de  trouver  dans  Diderot  les  traits  d'un 
tableau  de  Thumanité  dans  Va  P^tat  de  nature  »,  qui  rap- 
pelle celui  de  Rousseau.  Maison  peut  douter  s'il  a  conçu 
l'homnie  primitif  à  l'état  de  dispersion,  à  la  manière 
de  Jean-Jacques-.  Il  paraît  concevoir  les  premiers  hom- 
mes sous  forme  de  troupeau. 

«  Il  s"agit  de  la  condition  actuelle  des  descendants  d"Adam  con- 
sidérés en  troupeau  et  non  en  société  :  condition  non  seulement 
possible,  mais  subsistante,  sous  laquelle  vivent  presque  tous  les 
sauvages,  et  dont  il  est  très  permis  de  partir  lorsqu'on  se  propose 
de  découvrir  philosophiquement...  l'origine  de  ses  connaissan- 
ces...; qui  diu'e  plus  ou  moins  selon  les  occasions  que  les  hommes 
peuvent  avoir  de  se  policer  et  de  passer  de  l'état  de  troupeau  a 
i'état  de  société.  »  "  (]'est  celui  sous  lequel  les  hommes  rapprochés 
à  l'instigation  simple  de  la  nature,  comme  les  singes,  les  cerfs, 
les  corneilles,  etc.,  n'ont  formé  aucune  convention  qui  les  assu- 
jettissent à  des  devoirs,  ni  constitué  d'autorité  qui  contraignent  a 
l'accomplissement  des  conventions:  et  où  le  ressentiment,  cette 
passion  que  la  nature  qui  veille  a  la  conservation  des  êtres  a  placée 
dans  chaque  individu  pour  le  rendre  redoutable  à  ses  semblables, 
est  Tunique  frein  de  l'injustice^.» 

On  retrouve  là  des  idées  du  Discoin\^  :  riuimanité 
en  troLipeau.  a\ec  ces  sortes  d'association  sans  obliga- 
tion, comparables  à  celles  des  siiiges  el  des  corneilles. 
demandait  à  la  terreur  des  vengeances  de  tenir  lieu  du 
frein  des  lois'*.    Même    Diderot    a  quelquefois  soutenu 

*  Diderot,  Essai  sur  le  Mérite,  p.  q2  et  la  note,  IiJicyclopcdic.  art. 
Art.  Cf.  Discuins.  p.  i|i  :  <■  Le  spectacle  de  la  nature  lui  devient  indilVé- 
rent  à  force  de  lui  devenir  familier,  etc.  » 

*  Sans  doute  lEiicycl.,  art.  Besoin,  et  Apol.  lie  Praiies.  I,  4t'><)  .  il  dis- 
tingue l'état  ou  les  hommes  sont  rassemblés  de  celui  où  ils  étaient  dis- 
persés et  montre  les  hommes  «  arrêtés  les  uns  à  côté  des  autres  »,  ce  qui 

•paraît  supposer   un   état  nomade,   et   l'isolement  primitif  de  chaque  in- 
dividu. 
'^'Apologie  de  Prades,  p.  4.^4-55. 

*  Cf.  Discoiiis,  p.  107,  iO(),  iio.  «  Il  s'unissait  à  eux  en  troupeau  ou 
■tout  au  plus  par  quelque  sorte  d'association   libre  qui    n'obligeait  par- 


140  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  .1.  .1,    ROUSSEAU 

que  cet  état  primitif  était  heureux  et  moraP  :  «Les 
Abiens.  dit-il,  sont  les  seuls  peuples  de  la  terre  qui 
n'aient  eu  ni  poètes,  ni  philosophes,  ni  orateurs  et  qui 
n'en  aient  été  ni  moins  honorés,  ni  moins  courageux, 
ni  moins  sages.»  Ef-  la  société  donne  aux  hommes  la 
notion  d'une  infinité  de  besoins  chimériques  qui  les 
pressent  mille  fois  plus  vivement  que  des  besoins  réels 
et  qui  les  rendent  peut-être  plus  malheureux.  Et 
ailleurs  :  «  Nous  \o}'ons  naitre  et  s'accroîti'e  la  corrup- 
tion et  les  vices  avec  la  naissance  et  l'accroissement  des 
cités^.  »  Opinions  assez  répandues  au  temps  de  Dide- 
rot et  de  Rousseau. 

La  Propj^icté  el  son  Orii>iuL\  l'Etal  de  Guerre  el  la 
f'ormalion  de  la  Société,  les  d)'oits  du  peuple  datis  le 
coulral  de  ^ouvernemenl.  —  Diderot  et  Rousseau  sont 
d'accoi'd  poLH'  voir  dans  l'agriculture  l'oiigine  de  la 
propriété.  L'article  Ai^ficullui-e  trahit  une  lecture  de 
(irotius,  de  Pufendorf  et  de  Locke  :  sources  oli  Rous- 
seau a  puisé  et  auxquelles  l'a  conduit  son  ami^ 

Mais  cette  idée  de  Rousseau  que  la  Propriété  est  la 
cause  de  la  guerre  de  tous  contie  tous,  lui  fut  peut- 
être  indiquée  par   Diderot"';  il  parle    des    P)acchionites. 

sonne»  et  qui  ciait  sans  durée.  «Les  singes  et  les  corneilles  s"aur(;upent 
à  peu  près  de  inême».  Quand  ce  troupeau  sest  rapproché  de  la  terme 
sociale  —  point  où  nous  avons  trouvé  la  plupart  des  sauvages —  «  chacun, 
avant  les  lois,  étant  seul  juge  et  vengeur  desotVenses  qu'il  avait  reçues... 
c'était  a  la  terreur  des  vengeances  de  tenir  lieu  du  t'rcin  des  lois.  » 
'  Art.  Abicu. 

2  Art.  Besoi)!. 

3  Art.  Cité  (i7(j;i-()4.)  .\  ticssein  je  n'utilise  pas  les  idées  sur  le  luxe 
exprimées  par  Diderot  dans  son  article  Cliyistia)iismc.  11  s'y  déclare 
Tadversaire  du  luxe,  corrupteur  des  mœurs.  .Mais  cet  article  était  guetté 
parles  catholiques  et  Diderot  s'en  doutait  ;  il  ne  ménage  point  les  con- 
cessions  dont  le  caractère  extrême  marque  le  peu  de  sincérité. 

*  Cf.  Discours,  p.  i)2,   ii2-ii3,  et  ici   111. 

*  Cf.  Discours,  p.  roq. 


SOURCES    DU    DISCOURS    \)K    L  INl';r, ALITl':  I4I 

secte  de  philosophes,  qui,  «après  avoir  banni  d'entre 
eux  les  distinctions  funestes  du  tien  et  du  mien,  n'a- 
vaient que  peu  de  choses  à  faire  pour  n'avoir  plus  au- 
cun sujet  de  querelles  et  se  rendi'e  aussi  heureux  qu'il 
est  permis  de  l'être.  » 

Selon  Rousseau,  les  inègalitc's  naturelles  «  à  peine 
sensibles  dans  l'Etat  de  Nature^»  prennent  toute  leur 
importance  dès  que  l'inégalité  des  richesses  et  la  vie  en 
société  s'instituent  chez  les  hommes.  Avec  l'industrie 
naissante,  l'inégalité  des  talents  est  mise  en  valeur;  avec 
la  vie  en  société,  les  passions  de  l'amour  font  naître  des 
luttes:  on  se  bat  pour  posséder;  les  riches  ont  affaire 
à  des  coalitions  de  pauvres  :  un  «état  de  guerre»  s'éta- 
blit. Et  cet  horrible  tableau  est  précise  par  l'idée  de  la 
propriété. 

«  Les  mots  de  forts  et  faibles  sont  équivoques;  dans  l'intervalle 
qui  se  trouve  entre  rétablissement  du  droit  de  propriété...  et  celui 
des  gouvernements  politiques,  le  sens  de  ces  termes  est  mieux 
rendu  par  celui  de  riches  et  de  pauvres.  » 

Otoîis  cette  précision  de  Rousseau  et  voici,  dans  Dide- 
rot, une  description  de  l'état  de  guerre  -  : 

«Voici  les  hommes...  arrêtés  en  troupeau...  par  l'attrait  de  leur 
utilité  propre.  Qu'arrivera-t-il?  C'est  que  n'étant  encore  enchaînés 
par  aucune  loi,  animés  tous  par  des  passions  violentes,  ils  cher- 
cheront à  s'approprier  les  avantages  communs  de  la  réunion,  se- 
lon les  talents,  la  force,  la  sagacité,  que  la  nature  leur  a  distribues 
dans  une  mesure  inégale  ;  les  faibles  seront  les  victimes  des  plus 
forts,  les  plus  forts  pourront  être  surpris  et  immolés  par  les  fai- 
bles... »  On  voit  «le  péril  et  la  barbarie  de  ce  droit  fondé  sur 
l'inégalité  des  talents,  indistinctement  funeste  au  faible  qu'il  op- 
primait, au  fort  dont  il  entraînait  nécessairement  la  ruine,  digne 
récompense  de  ses  injustices  et  de  sa  tyrannie.  »  Bientôt  «  cette 
inégalité  de  talents,  de  force,   etc.,   détruira   entre  les  hommes  le 

'  Discours,  p.  112. 

'■^  Apol.  de  Prades,  I.  p.  466-4Ô7. 


142  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

commencement  de  lien»  qu'ils  avaient  forme.  «Apres  s'être  rap- 
prochés, après  s'être  arrêtés  les  uns  à  côte  des  autres,  après  s'être 
tendu  la  main  en  signe  d'amitié,  finiront-ils  par  se  dévorer,  com- 
me des  bêtes  féroces  et  par  s'exterminer?  » 

Mais  il  convient  de  noter  que  tous  les  sociologues  qui 
ont  fondé  la  société  sur  un  contrat,  ont  été  obligés  de 
supposer  l'état  de  guerre:  car,  sans  lui,  qui  pousserait 
les  hommes  à  s'unir?  Rousseau  n'échappe  pas  à  cette 
nécessité  :  mais  il  en  fait  un  état  intermédiaire  entre 
l'état  de  nature  et  l'état  de  société.  Et,  pour  Diderot 
comme  pour  Rousseau  \  les  hommes  mirent  tin  à  cet 
état  de  guerre  par  «  des  conventions.  »  Une  «  auto- 
rité ))  selon  Diderot,  un  «pouvoir  suprême»  selon  Rous- 
seau seront  chargés  de   l'exécution  de  cette  convention. 

Quelles  sont  les  clauses  de  ce  contrat  entre  gouver- 
nants et  gouvernés?  Le  consentement  du  peuple  légiti- 
me seul  l'autorité. 

«  La  puissance,  écrit  Diderot*,  qui  s'acquiert  parla  vit)lencc'  est 
une  usurpation,  et  ne  dure  qu'autant  que  la  force  de  celui  qui 
commande  l'emporte  sur  celui  qui  oheil...  »  Il  est  \rai  que  «  l'au- 
torité qui  s'établit  par  la  violence  peut  chani,'er  de  nature  :  c'est 
lorsqu'elle  continue  et  se  maintient  du  consentL-ment  exprès  de 
ceux  qu'on  a  soumis.  » 

Rousseau  montre  que  l'état  de  guerre  dure  entre  le 
conquérant  et  le  peuple  conquis  jusqu'à  ce  que  la  na- 
tion remise  en  pleine  liberté  reconnaisse  volontairement 
son  vainqueur  pour  son  chef-''.  Mais  ici  ils  subissent 
tous  deux  l'influence  de  Pufendorf  ^  Ailleurs,  ils  s'ins- 
pirent l'un  et  l'autre  de  Locke  ou  de  Barbeyrac,  éditeur 


'  Discours,  p.  114-115.   Apol.  de  Pradcs,  p.  467. 

2  Tous  ces  textes  sont  dans  l'an.  Autorité. 

'  Discours,  p.    i  10. 

*  Cf.  Pufendorf,  Droit  de  la  Nature  et   des  gens,  111,  p.   2(19.   Ici   II! 


SOURCES    DU    DISCOURS   DE   L  INÉGALITÉ  I  4 j> 

de  Fufendorf  ^  Ces  auteurs  sont  la  source  des  idées 
politiques  de  V Encyclopédie,  fpuisque  Diderot  les  défend 
comme  telles^.)  Or,  nous  montrerons  l'intiuence  de  ce 
livre  de  Pufendorf,  annoté  par  Barbeyrac,  sur  Rous- 
seau :  nous  tenons  donc  la  voie  par  laquelle  Rousseau  y 
est  arrivé  ;  le  Discours  de  l'Inégalité  est,  en  partie,  une 
(cuvre  d'esprit  encyclopédique. 


II 


Condillac  et  Rousseau. 

L'amitié  qui  unit  Rousseau  et  Condillac  ne  s'altéra 
point  avec  le  temps  :  c'est  qu'elle  ne  fut  pas  très  intime. 
Jusqu'au  bout  des  Confessions,  Jean  Jacques  parle  de 
Condillac  avec  affection  :  il  prétend  avoir  découvert 
un  grand  philosophe  dans  VEssai  sii?^  l'ofii^iiie  des  con- 
naissances humaines.  Vers  ijdo,  les  deux  amis  se  ren- 
contrant au  Panier  F  leur  y  :  les  entretiens  sont  pleins 
d'intérêt,  puisque  Diderot  est  exact  aux  rendez-vous^. 
Ne  nous  étonnons  donc  pas  de  voir  Condillac  souvent 
cité  par  Rousseau.  En  nous  autorisant^  des  contempo- 
rains, détachons  du  Discours  un  Essai  sur  l'origine  des 
langues,  qui  fera  la  deuxième  partie  de  ce  chapitre. 

'Cf.  Discours,  p.  119,  Pufendorf,  111.  p.  233,  Locke,  Gouvernement 
civil,  p.  3o-3i.  L'on  pourrait  multiplier  les  rapprochements  pour  mon- 
trer Rousseau  et  Diderot  soumis  à  cette  même  influence.  Cf.  Diderot,. 
loc.  cit.  et  Discours,  p.  120. 

2  Apol.  de  P rades,  l,  p.  469. 

•'  Edit.  Hachette,  VIII,  p.  366,   199. 

*  Grimm,  Corr.  III,  p.  56  et  sq. 


144  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.   .1.   ROUSSEAU 

I.  Influence  générale  de   Gondillac   sur  le  Discours. 

Les  traits  essentiels  de  la  ïiature  humaine.  —  Ayant 
examiné  !'«  Homme  physique^»  Rousseau  passe  à 
r« homme  moral.»  Il  était  à  croire  que  cette  psycholo- 
gie serait  fournie  par  Gondillac.  Pourtant,  l'influence 
de  Montaigne  prédomine,  car  VEssai  sur  l'origine  des 
connaissances  humaines  est  une  étude  partielle.  Il  ne 
considère  les  facultés  que  par  le  rapport  qu'elles  ont  à 
Tentendement.  Rousseau  veut  une  formule  complète  : 
entendement,  sensibilité,  volonté. 

Il  distingue  d'abord  l'homme  de  l'animal.  G'est  le 
point  de  vue  de  Montaigne  : 

«  Plutarche  dit  qu'il  ne  trouve  point  de  si  grande  distance  de 
beste  à  beste  comme  il  en  trouve  d'homme  à  homme  :  il  parle  de 
la  suffisance  de  l'àme  et  qualitez  internes.  J'enchérirois  sur  Plutar- 
che et  dirois  qu'il  v  a  plus  de  distance  de  tel  homme  à  tel  homme 

qu'il  \-  en  a  de  tel  homme  à  telle  beste ^.  » 

Rousseau  va  jusqu'à  le  citer  ^.  Mais  il  laisse  le  para- 
doxe de  Montaigne,  qui  voit  dans  l'animal  une  nature 
«  plus  riche  ^  »  que  celle  de  l'homme.  Rousseau  fait  «  du 
choix»,  de  la  liberté,  la  caractéristique  de  l'homme: 
l'animal  n'obéit  qu'à  l'instinct.  Belle  prérogative,  s'écrie 
Montaigne'',  supposé  qu'elle  soit  réelle: 

«  Il  est  plus  honorable  d'être  obligé  a  reigléement  agir  par  na- 
turelle et  inévitable  condition,  que  d'agir  rëgléement  par  liberté 
téméraire  et  fortuite,    et    plus    seur   de  laisser  à  nature  qu'à  nous, 

'  Discours,  p.  8(). 

*  Kssais,  1,  42,  de  l'Inégalité  qui  est  entre  nous. 
^  Discours,  p.  S(j. 

*  Cf.  Essais,  Apol.  de  R.  de  Scboudc,  11,  12.  «  Nous  debvons  conclure 
de  pareils  effets,  pareilles  facultés,  et  de  plus  riches  etVels,  plus  riches 
facultés»,  et  même  «  les  animaux  suivent  peut-être  quelque  voie  meil- 
leure que  la  nostre.  » 

*  Essais,  il,   12. 


SOURCES    DU    DISCOURS    DE   L  INÉGALITÉ  I  4D 

les  renés  de  nostre  conduite^»  (Quelle  sottise  que  de  se  «  plaire  à 
faire  valoir  cette  notable  prérogative  sur  les  autres  animaux,  que, 
où  nature  leur  a  prescript  certaines  raisons  et  limites  à  la  volupté 
elle  nous  en  a  lasché  la  bride  à  toutes  heures  et  oc- 
casions. »  De  cette  «  liberté  d'imagination  et  dereiglement  de  pen- 
sée... naît  la  source  principale  des  maux  qui  pressent  l'homme, 
péché,  maladie,  irrésolution,  trouble,  désespoir...  » 

Voilà  une  apologie  de  la  nature  que  Rousseau  s'ap- 
proprie :  ((  L'homme  s'écarte  souvent  à  son  préjudice 
de  la  règle  qui  lui  est  prescrite...»  Il  s'inspire  donc  de 
Montaigne  pour  sa  théorie  de  l'action  humaine. 

Il  doit  à  Condillac  l'importance  donnée  à  la  sensibi- 
lité dans  le  développement  de  l'intelligence;  Condillac 
n'est  pas  un  pur  intellectualiste  :  il  touche  le  fond  sen- 
sible de  l'être  humain  :  son  analyse  s'\'  heurte. 

c<  Les  choses,  écrit-il,  attirent  notre  attention  par  le  côte  où 
elles  ont  le  plus  de  rapport  avec  notre  tempérament,  nos  passions, 
ou  nos  besoins.  C'est  une  conséquence  que  la  même  attention 
embrasse  à  la  fois  les  idées  des  besoins  et  celles  des  choses  qui 
s'y  rapportent.  On  pourrait  considérer  la  perception  de  nos  be- 
soins comme  une  suite  d'idées  fondamentales  auxquelles  on  rap- 
porterait tout  ce  qui  fait  partie  de  nos  connaissances^.  » 

Ainsi  pour  Rousseau:  l'entendement  humain  doit  aux 
passiojis  :  nous  voulons  connaître  parce  que  nous  vou- 
lons jouir:  et  nos  passions  ont  pour  sources  nos  be- 
soins ^.  Chez  Condillac,  comme  chez  Rousseau,  il  y  a 
la  réaction  de  l'esprit  sur  les  passions  et  les  besoins. 
Condillac  montre  que  * 

'  Ibid. 

^  Essai  sur  l'orig.  des  coinutissaiices,  I,  p.  67. 

^  Cf.  Discours,  p.  90-91. 

*  Traité  des  settsations,  Ilï,  122-123.  Le  Traité  des  sensations,  qui 
parut  en  lySS  (octobre)  put  être  lu  par  Rousseau  en  manuscrit.  Nous 
l'utilisons  dans  notre  chapitre  sur  Condillac,  parce  que  Condillac  paraît 
l'avoir  longuement  préparé  (Cf.  la  préface  de  cet  ouvrage).  Il  est  impos- 
sible que  Rousseau  n'en  ait  pas  entendu  parler. 

10 


146  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1,  ,1.   ROUSSEAU 

«  nos  premières  idées  ne  sont  que  peine  ou  plaisir.  Bientôt  d'au- 
tres leur  succèdent  et  donnent  lieu  à  des  comparaisons  d'où  nais- 
sent nos  premiers  besoins  et  nos  premiers  désirs.  Nos  recherches 
pour  les  satisfaire  font  acquérir  d'autres  idées  qui  produisent  de 
nouveaux  désirs...  et  il  se  forme  une  chaîne  dont  les  anneaux  sont 
tour  à  tour  idées  ou  désirs.» 

«Les  passions,  dit  Rousseau,  doivent  aussi  beaucoup 
à  l'entendement...  elles  tirent  leur  progrès  de  nos  con- 
naissances ^  »  La  statue  de  Condillac  ressemble  à  l'hom- 
me du  Discours:  Condillac  écrit  un  chapitre  intitulé: 
Des  besoins,  de  l'industrie  el  des  idées  d'un  lionune  isolé 
qui  jouit  de  tous  ses  sens. 

«  Supposons  que  la  statue  ail  des  obstacles  à  surmonter  pour 
obtenir  la  possession  de  ce  qu'elle  désire...  son  désir  augmente- 
avec  son  inquiétude...  il  devient  passion.»  Mais  «  la  statue  est 
sans  prévovance  :  la  première  fois  qu'elle  satisfait  un  besoin,  elle 
ne  devine  pas  qu'elle  doit  l'éprouver  encore.  Le  besoin  soulage. 
elle  s'abandonne  à  sa  première  tranquillité.  Ainsi,  sans  précaution 
pour  l'avenir  elle  ne  songe  qu'au  présent  ;  elle  ne  songe  qu'à  écar- 
ter la  peine  que  produit  un  besoin,  au  moment  qu'elle  souffre. 
VA\e  demeure  à  peu  près  dans  cet  état  tant  que  ses  besoins  sont 
faibles,  en  petit  nombre,  et  qu'elle  trouve  peu  d'obstacles  à  les 
soulager*...  »  «  Les  premiers  hommes  observaient  les  faits  relatifs 
à  leurs  besoins.  Parce  qu'on  avait  peu  de  besoins,  il  v  avait  peu 
d'observations  à  faire. ..•^» 

Peu  de  besoins,  pense  Rousseau,  vite  satisfaits,  im- 
prévoyance, aucune  idée  de  l'avenir''. 

A  ces  données,  ajoutons  cette  idée  de  Locke,  ba- 
nale, que  la  pensée  est  une  combinaison  de  sensations'*; 
et  cette  formule  de  Condillac  :  «  Le  premier  et  le  moin- 
dre degré  de  connaissance  est  d'apercevoir •"'»,  nous  tien- 

'  Discours,  p.  qo. 

*  Traité  des  sensations,  t.  III,  p.   1149,  3. t. 5. 
=*  Traité  des  systèmes,  11,  p.  <)-io. 

*  Discours,  p.  yi. 

*  Discours,  p.  89. 

*  Essai  sur  l'origine  des  connaissances,  I,  p.    i3. 


SOURCES    DU    DISCOURS    DE   L  INKCAMT]';  I  47 

drons  les  éléments  de  cette  conclusion  de  Rousseau  : 
«  Apercevoir  et  sentir  sera  son  premier  clat  qui  lui  sera 
commun  avec  tous  les  animaux,  vouloir  el  ne  pas  vouloir, 
désirer  et  craindre  sont  les  premières  et  presque  les  seules 
opérations  de  son  dmeK  » 

L'Idée  d'un  développement  de  l'intelligence  humaine. 
—  Condillac  se  propose  d'ft  expliquer  la  génération  des 
opérations  de  l'àme  en  les  faisant  naitre  d'une  simple 
perception  ^  n  II  y  est  amené  par  un  travail  d'analyse. 
Mais  l'analyse  statique  ne  lui  suffit  pas  :  il  faut  qu'elle  soit 
suivie  d'une  synthèse:  il  ne  s'agit  pas  de  prendre  un 
fait  actuel  et  d'en  indiquer  les  éléments  :  il  faut  prendre 
ces  éléments  et  en  élaborer  progressivement  le  fait  ac- 
tuel ^.  Condillac  applique  cette  méthode  à  l'étude  de  l'es- 
prit humain.  Et  il  arrive  à  supprimer  la  théorie  de  l'es- 
prit inné  :  l'esprit  s'acquiert. 

Aussi,  grâce  à  Condillac,  Rousseau  peut  tenter  l'his- 
toire de  la  pensée  humaine.  Mais  des  raisons,  tenant 
au  sujet  et  à  la  forme  du  Discours,  déforment  son  in- 
fluence :  les  subtiles  analyses  par  quoi  il  dégageait  une 
à  une  les  opérations  de  l'esprit,  Rousseau  a  quelque- 
peine' à  les  faire  passer  dans  son  court  exposé:  elles 
sont  trop  minutieuses.  Il  se  borne  donc  à  marquer  les 
points  principaux  du  progrès  de  l'esprit  et  à  signaler 
entre  chacun  d'énormes  espaces.  Il  distingue  des 
«états''))  :  l'état  de  nature,  l'état  élémentaire;  il  s'op- 
pose à  l'état  de  raisonnement,  qui,  pour  Condillac  aussi. 

*  Discours,  p.  90. 

2  Essai  sur  l'origine  des  connaissances,  p.  i3. 

•■!  Voyez  notre  chapitre  sur  Diderot.  Condillac  ne  veut  pas  seulement 
«  remonter  à  l'origine  de  nos  connaissances  »,  il  veut  «en  suivre  la  gé- 
nération. »  Essai  sur  l'origine  des  connaissances,  I,  p.   loi. 

*  Cf.  Discours,  p.  81,  87,  99,  91. 


Î48  AXXALES  DE  [,A   SOCIÉTÉ  .1 .    .1.   IJOUSSKAU 

est  la  dernière  limite  de  la  connaissance  :  il  v  a  «  un 
abîme  entre  les  pures  sensations  ut  les  simples  connais- 
sances.» Puis  Condillac  étudie  un  développement  indi- 
viduel, Rousseau  celui  d'une  espèce.  Comiiient  transpor- 
ter à  un  groupe  la  progression  valable  pour  un  seul  hom- 
me? Les  analyses  menues  sont  impossibles.  Aussi  Rous- 
seau invente  une  nouvelle  faculté,  qui  tiendra  la  place 
des  analyses  progressives  de  Condillac:  ((Celle  de  se 
perfectionner:  à  l'aide  des  circonstances,  elle  développe 
successivement  toutes  les  autres  :  c'est  la  perfectibi- 
lité^.)) C'est  la  faculté  de  devenir. 

Ce  devenir.  Condillac,  dans  V Essai,  le  conçoit,  semble- 
t-il.  comme  une  mise  en  exercice  p}^o^<>ressive  des  facultés 
contenues  en  puissance  dans  l'âme  humaine. 

".le  suis,  ecrit-il-.  rL'moiite  a  la  perception  parée  que  c'est  la 
premiL-re  opération  qu'on  peut  i-emarquer  i.ians  l'àme  :  et  j'ai  fait 
voir  comment  et  élans  quel  ordre  elle  produit  toutes  celles  dont 
nous  pouvons  acquérir  l'exercice." 

La  mémoii'c  était  en  nous,  la  sensation  la  dégage  et 
nous  la  révèle.  Que  dit  Rousseau?  Il  montre  ((  se  déve- 
loppant successivement  dans  l'esprit  humain  les  opéra- 
tions dont  il  était  capable \'oilà  donc  toutes  nos  fa- 
cultés développées,  la  mémoire  et  l'imagination  en  jeu, 
i'amour-propre  intéressé,  la  raison  rendue  active^.»  Il 
n'arrive  pas  à  se  défaire  de  la  notion  des  facultés  de 
Tàme  distinctes  et  irréductibles.  Aussi  bien  Condillac 
avoue*  ne  s'en  éti'e  vrainient  débarrassé  que  dans  le 
Traité  des  sensations  (17Ï)?),  où  il  prouve  que  la  «per- 
ception   enveloppe    en    elle    toutes    les    opéi'ations    de 

'  Discours,  p.  yo. 

^  Essai  sur  l'origine  des  co)iiiaissaiices,  t.   I.  p.   10. 

*  P.  lia.  CF.  également  (Jcs  phrases  tri;s  typiques,  p.  81,  (j-,   104. 

*  Traité  des  sensations,  III,  p.  48. 


SOURCES    DU    DISCOURS    D1-:    L  INl-XiALlTl-;  I4() 

l'esprit.  »  Et  de  cette  perception,  il  fait  sortir  tout  l'es- 
prit humain.  Les  opérations  «naissent»  l'une  de  l'autre  : 
tous  les  éléments  de  Tune  sont  contenus  dans  l'autre. 
La  mémoire,  l'imagination,  la  raison,  so)i(  la  perception. 
Alors  seulement,  Condillac  a  montré  l'esprit  se  créant, 
et  non  plus  se  dégageant.  Rousseau,  d'accord  avec 
V Essai,  ne  l'est  plus  avec  le  Traité  des  sensalions. 

Rousseau  concrétise  les  abstractions  de  Condillac  :  il 
fait  de  l'histoire  avec  cette  psychologie  analytique,  aidé 
par  sa  forme  constructive  et  poussé  par  le  Traité  des 
systèmes,  où  est  proclamée  la  valeur  du  fail^.  «  Des 
faits  constatés,  voilà  proprement  les  seuls  principes  des 
sciences.  »  Le  «  seul  dessein  »  de  V Essai  ~  est  de  »  rappe- 
ler l'Esprit  a  un  principe  qui  soit  une  expérience  cons- 
tante dont  toutes  les  conséquences  seront  confirmées 
par  de  nouvelles  expériences...  »  Il  contient  un  chapitre  : 
«  Où  on  confirme  pai^  des  faits^  ce  qui  a  été  prouvé  plus 
haut.  »  Rousseau  en  est  frappé:  et  voici  un  des  «faits», 
que  Condillac  lui  fournit^.  «Je  n'avance  pas  de  simples 
conjectures,  écrit  Condillac'':  dans  les  forêts  qui  con- 
finent, la  Lithuanie  et  la  Russie,  on  prit  en  i6()4  un 
jeune  homme  qui  vivait  parmi  les  ours...»  Son  histoire 
est  copiée  par  Rousseau  dans  une  des  notes  du  Dis- 
cours. Ce  côté  expérimental  de  la  pensée  de  Condillac 
a  souvent  échappé  à  ses  contemporains".  Ce  qu'il  y  a 
de  sûr,  c'est  que  Rousseau  l'y  a  cherché  et  trouvé  :  il  a 

1  Traite  des  systèmes.  II,  p.  S. 

2  Essai  sur  l'origine  des  connaissances.  I.  p.  q. 
^  Ibid.  p.    ii8. 

*  Discours,  p.    128  et  142. 

*  Essai  sur  l'origine  des  cun)iaissances,  1,  p.    199. 

6  Cf.  GrimiTi.,  Corr.  II,  p.  441-42:  il  aurait  voulu  la  vraie  histoire  mé- 
taphysique de  l'homme.  Cf.  pourtant  le  chapitre  du  Traité  des  sensations  : 
«  De  l'état  d'un  homme  abandonné  à  lui-même  et  comment  les  accidents 


1?0  ANXAl.F.S    !>]•:    I.A    SOCIl'n'I'    .1.    .1.    UOUSSEAU 

lu  Condillac  dans  un  ctat  d'esprit  qu'on  peut  appeler  le 
parti  pris  du  point  de  vue  historique. 

On  peut  être  tenté  de  penser  que  ces  déformations 
anéantissent  l'influence  de  Condillac.  Je  la  crois  au  con- 
traire capitale.  Sans  Condillac.  Rousseau  n'aurait  pu 
élaborer  son  idée  de  l'homme  de  la  nature,  plus  proche 
de  l'anthropoïde  que  de  l'homme.  Tous  les  politiques 
qu'il  a  lus  croient  que  la  raison  est  un  fait  inné.  En 
psx'chologie,  Locke  l'admet  sous  la  forme  du  pouvoir  de 
combiner  les  sensations,  qui  s'exerce  presque  dès  la 
naissance.  Butfon  est  purement  Cartésien  :  doué  de 
raison,  l'homme  de  la  nature  aurait  du  immédiatement, 
en  face  de  l'univers,  le  concevoir,  l'expliquer,  en  adorer 
la  cause,  déduire  les  règles  du  droit  naturel,  et  inven- 
ter rapidement  les  arts  et  les  sciences.  Entre  toutes  ces 
intiuences  et  Rousseau,  s'interpose  l'affirmation  de  Con- 
dillac :  les  (>pé}\itio}is  de  l'espril  appa}\iisseiit  dans  un 
ordre  proi^essif. 

11.  L"l*2ssAi  SUR  i.'oRUiiXH  i)r;s  i.axc.uios 

Pour  Condillac,  une  des  causes  du  développement  des 
opérations  de  l'àme.  c'est  l'invention  des  signes  conven- 

auxqucls  il  est  expcisé  coiilribueiii  a  sou  inslruclioii  ».  Coiuiillac  écrit  : 
«  Le  besoin  tie  la  nourriture  est  le  plus  nécessaire  à  sa  conservation.  » 
En  soulageant  sa  faim,  la  statue  renouvelle  ses  forces  :  la  vue.  le  tou- 
cher, l'ouïe,  ne  semblent  faits  que  pour  découvrir  et  procurer  ce  qui  peut 
flatter  le  goût  (p.  ;^6o.)  La  saison  change  presque  tout  à  coup,  les  plan- 
tes se  dessèchent,  le  pays  devient  aride  et  elle  respire  un  air  qui  la 
blesse  de  toutes  pans.  Elle  apprend  à  se  vêtir  de  tout  ce  qui  peut  entre- 
tenir la  chiileur.  Elle  s'applique  à  reconnaître  les  animaux  qui  lui  font 
la  guerre.  Elle  fuit  les  lieux  qu'ils  paraissent  habiter.  Tantôt  elle  s'étu- 
die à  les  éviter  par  adresse,  tantôt  elle  se  saisit  pour  sa  défense  de  ce 
que  le  hasard  lui  présente;  supplée  par  son  industrie,  mais  avec  bien 
de  la  lenteur,  aux  armes  que  la  nature  lui  a  refusées;  apprend  peu  à 
peu  à  se  défendre,  sort  victorieuse  du  combat,  et  flattée  de  ses  succès, 
elle  commence  à  sentir  un  courage  qui  la  met  au-dessus  du  péril.» 
\'oyez  les  pages  lon-io^du  Discoiiis.  Tous  ces  traits  s'y  retrouvent. 


SOURCES    DU    DISCOURS    DE    L   INEGALITE  IDI 

tionnels^  Son  idée  est  que  par  les  signes  seulement 
nous  devenons  maîtres  de  nos  idées:  sur  eux  seuls  nous 
avons  de  l'action;  sans  les  mots,  nous  sommes  dans  la 
dépendance  des  faits  extérieurs.  Ce  détail  psychologi- 
que a  échappé  à  Rousseau.  Pourtant,  l'importance  du 
langage  sur  les  progrès  de  l'esprit  humain,  Rousseau 
la  signale  :  beaucoup  de  nos  idées  viennent  du  langage; 
sans  lui  l'homme  serait  resté  dans  l'imbécillité  des  temps 
primitifs  :  il  adapte  l'idée  à  sa  thèse  -. 

Car  ce  que  l'on  a  considéré  comme  une  théorie  du 
langage  chez  Rousseau  n'est  qu'un  moment  de  sa  dé- 
moîistratioji.  Il  faut  montrer  que  la  nature  a  mis  elle- 
même  des  obstacles  au  progrès  humain.  Elle  «a  mis 
peu  du  sien  dans  l'établissement  de  la  sociabilité.  »  Le 
langage,  instrument  de  civilisation,  ne  nous  a  pas  été 
donné  par  elle:  elle  nous  en  a  même  écarté  en  nous 
rendant  presque  impossible  son  invention.»  Le  but  de 
Rousseau  n'est  pas  de  résoudre  les  «difficultés)),  mais 
de  les  poser.  La  question  sera  d'autant  mieux  placée 
«dans  le  jour  qui  convient  au  sujet  ^.»  Et  il  tinit  par 
se  déclarer  incapable  de  résoudre  ce  problème.  C'est 
que  Rousseau  est  un  peu  sophiste  ;  il  fait  plus  atten- 
tion à  la  thèse  qu'à  l'argument.  Il  y  aura  donc  ici  un 
principe  déformateur  de  l'intiuence  de  Condillac. 

Condillac  a  supposé,  dit  Rousseau  *,  une  «  société 
établie  entre  les  inventeurs  du  langage.  »  C'est  exact. 
Condillac   imagine   deux    enfants    réunis   et    isolés    du 

'  Essai  sur  l'origine  des  connaissances,  1,  p.  y. 

'  Cf.  Discours,  p.  93,  et  Condillac,  Essai,  I,  p.  184-185.  «Otez  à  un  esprit 
supérieur  l'usage  de  la  parole,  le  sort  des  muets  nous  apprend  dans 
queUe.s  bornes  étroites  vous  l'enfermez...  Enlevez-lui  l'usage  de  toute 
sorte  de  signes,  vous  aurez  un  imbécile.  » 

'  Discours,  p.  91-92,  96. 

*  Discours,  p.  9^1. 


l52  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

monde.  Et  Rousseau  admet  que  c'est  à  peine  «  si  les 
créatures  humaines  se  rencontrent  deux  fois  dans  leur 
vie»,  et  leur  amour  se  passe  d'éloquence ^  Des  relations 
de  mère  à  enfant  existent,  du  moins  pendant  l'allaite- 
ment. Mais  «l'enfant  ayant  tous  ses  besoins  à  expliquer, 
et  par  conséquent  plus  de  choses  à  dire  à  la  mère  que 
la  mère  à  l'enfant,  c'est  lui  qui  doit  faire  les  plus  grands 
frais  d'invention  et  la  langue  qu'il  emploie  doit  être  en 
grande  partie  son  propre  ouvrage.»  En  cela,  il  suit 
Condillac-: 

«  Ce  couple  eut  un  enfant  qui,  presse  par  clés  besoins  qu'il  r.e 
pouvait  faire  connaître  que  difficilement,  agita  tout  son  corps.  Sa 
langue  fort  flexible  se  replia  et  prononça  un  mot  tout  nouveau... 
Les  parents  surpris,  ayant  enfin  deviné  ce  qu'il  voulait,  essayèrent 
en  le  lui  donnant  de  répéter  le  même  mot.  La  peine  qu'ils  eurent 
à  le  prononcer  fit  voir  qu'ils  n'auraient  pas  été  d'eux-mêmes  ca- 
pables de  l'inventer.  » 

Le  procédé,  constate  Condillac,  n'est  pas  rapide  mais 
il  est  sur.  Pour  Rousseau,  il  aboutit  seulement  à  mul- 
tiplier les  langues  :  il  y  en  aura  autant  que  d'individus: 
voilà  un  premier  obstacle. 

Mais,  nouvelle  «  difficullc  pire  oicoj'l'  que  la  pi'ccc- 
dente^»:  si  les  hommes  ont  eu  besoin  de  la  parole  pour 
apprendre  à  penser,  ils  ont  eu  bien  plus  besoin  encore 
de  savoir  penser  pour  trouver  l'art  de  la  parole.  C'est 
la  difficulté  que  se  propose  Condillac'*  : 

«Combien  n'a-t-il  pas  fallu  de  reflexion  poiu-  former  les  langues, 
et  de  quel  secours  les  langues  ne  sont-elles  pas  a  la  reflexion... 
]1  semble  qu'on  ne  saurait  se  servir  des  signes  d'institution  si  l'on 
n'était  pas  déjà  capable   d'assez    de  réflexion  pcuir  les  choisir  et  y 

'  Ibid.,  p.  93. 
2  Essai,  I,  p.  26.S. 
=•  Discours,  p.  94. 
*  Essai,  I,  p.  90. 


SOURCES   DU    DISCOURS   DE   L  INKGALITK  1  DJ 

attacher  des  idées.  Comment   donc,   l'exercice   de   la  reflexion  ne 
s'acquerrait-il  que  par  l'visage  des  signes?» 

Condillac  pose  l'objection,  annonce  qu'il  la  résoudra, 
et  la  résout  en  effet  ^^  en  montrant  l'existence  d'un  ^dan- 
ii'diie  instinctif  y)  ^  qui  précède  le  langage  réfléchi.  Or, 
le  langage  «instinctif»,  c'est  le  cri  de  la  nature  admis 
par  Rousseau,  mais  il  Tadrnet  comme  stade  de  l'inven- 
tion du  langage,  et  non  comme  solution  de  la  difficulté 
proposée. 

Voyons  ces  ébauches  de  langage  qui  précèdent  le  lan- 
gage articulé,  et  les  difficultés  qu'elles  suscitent. 

Il  y  a,  dit  Condillac^,  des  »  signes  naturels,  ou  cris,  que  la  nature 
a  établis  pour  les  sentiments  de  joie  ou  de  douleur...  »  «  Quand 
ces  deux  enfants  vécurent  ensemble,  leur  commerce  leur  lit  atta- 
cher au  cri  de  chaque  passion  les  perceptions  dont  ils  étaient  les 
signes  naturels.  Ils  les  accompagnaient  de  quelque  mouvement, 
de  quelque  geste  ou  de  quelque  action...  Celui  qui  souffrait  parce 
qu'il  était  privé  d'un  objet  que  ses  besoins  lui  rendaient  néces- 
saire, ne  s'en  tenait  pas  a  pousser  des  cris,  il  faisait  des  efforts 
pour  l'obtenir...  L'autre,  emu  par  ce  spectacle,  fixait  les  veux  sur 
le  même  objet  et.  sentant  passer  dans  son  âme  des  sentiments  dont 
il  n'était  pas  encore  capable  de  se  rendre  raison,...  souffrait  de 
voir  souffrir  ce  misérable.  Dès  ce  moment,  il  se  sent  intéressé  à 
le  soulager  et  il  obéit  à  cette  impression  autant  qu'il  est  en  son 
pouvoir.  Ainsi  par  le  seul  instinct,  les  hommes  se  demandaient  et 
se  prêtaient  du  secours;  je  dis  par  le  seul  instinct  car  la  réflexion 
n'v  pouvait  avoir  de  part.  » 

Nous  reconnaissons  Rousseau  :  pour  lui  le  «  cri  de 
la  nature»  est  le  premier  langage  »  et  le  plus  «  énergi- 
que», une  «  sorte  d'instinct  l'arrachait  pour  implorer  du 
secours,  ou  des  soulagements.»  Mais  tandis  que  Con- 
dillac montre  la  contribution  apportée  par  les  cris  des 
passions    au   développement  des   opérations   de  l'âme, 

'  Essai,  I,    p.  26!^  :  il  signale   en  cet  endroit   qu'il    résout  cette   diffi- 
culté. 
2  Essai,  1,  p.  75  et  261  sq. 


I  ?4  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .[.  .1.   ROUSSEAU 

Rousseau  marque  que  leur  emploi  était  très  rare  et  très 
peu  efficace. 

Le  ((  langage  d'action  »  est  le  premier  langage  :  voici 
comment  Rousseau  le  définit^:  «  Des  cris  inarticulés, 
beaucoup  de  gestes,  et  quelques  bruits  imitatifs  durent 
composer  pendant  longtemps  la  langue  universelle.» 
Ce  langage  exista,  selon  Condillac,  pendant  une  certaine 
période  concurremment  avec  le  langage  parlé:  «  il  }■  eut 
un  temps  oi^i  la  conversation  était  soutenue  par  un  dis- 
cours entremêlé  de  mots  et  d'action '^  »  Quant  aux  ono- 
matopées, Rousseau  en  trouve  l'indication  précise  dans 
Condillac^. 

Mais  comment  passer  de  ce  premier  langage  au  signe 
articulé?  Nouvel  obstacle:  «Les  organes  grossiers  n'a- 
vaient encore  aucun  exercice*.»  La  difficulté  est  réso- 
lue par  Condillac  :  c'est  l'enfant  qui  invente  les  mots, 
sa  langue  est  «plus  tlexible  que  celle  de  ses  parents» 
qui  ont  beaucoup  de  peine  à  l'imiter.  Mais  bientôt,  chez 
l'enfant  même^,  «  l'organe  de  la  voix  perd,  faute  d'exer- 
cice, toute  sa  flexibilité  »  et  le  langage  par  geste  reprend 
le  dessus.  Pourtant,  peu  à  peu.  à  mesure  que  les  sons 
articulés  deviennent  plus  abondants  «  le  langage  fut  plus 
propre  à  exercer  de  bonne  heure  l'organe  de  la  voix  et  à 
lui  conserver  sa  première  tiexibilité.»  La  substitution 
se  produit  donc,  pour  ('ondillac.  par  un  progrès  lent  et 


•  Disamrs.  p.   107. 

'  Essai,  \,  p.  267.  Cf.  aussi  Diderot  :  c  le  langage  animai  »  c'est  un 
«  mélange  confus  de  cris  et  de  gostes  »  ;  il  accorde  une  extrême  impor- 
tance au  geste.  Lettre  sur  les  sourds  et  muets,  1,  p.  '^7-2. 

^  Essai,  1,  p.  275:  «  Les  premiers  noms  des  animaux  en  imiièrciu  pro- 
bablement le  cri,  remarque  qui  convient  également  à  ceux  qui  furent 
donnés  aux  vents  et  aux  rivières,  et  à  tout   ce  qui  fait  quelque  bruit.» 

♦  Discours,  p.   ()4. 

*  Essai,  p.  267. 


SOURCKS    DU    DISCOURS    l)K    L  IN'EdALITK  IDD 

-continu,  insensible,  mais  efficace.  Rousseau  élimine 
cette  solution  :  il  aggrave  l'embarras  en  supposant  une 
convention  brusque  et  motivée.  Ce  dut  être  à  la  suite 
d'une  délibération  que  la  parole  articulée  fut  mise  en 
vigueur  :  «  La  parole  paraît  avoir  été  fort  nécessaire  pour 
établir  l'usage  de  la  parole.»  Boutade  qu'il  emprunte  à 
Lucrèce,  cité  par  Pufendorf,  comme  il  emprunte  à  ce 
dernier  seulement  l'hypothèse  d'un  secours  divin  dans 
l'invention  de  la  parole  ^ 

Reste  la  laborieuse  invention  des  parties  du  discjurs. 
Ici  Condillac  ne  l'inspire  que  sur  deux  points  :  c'est  à 
lui  qu'il  prend  cette  idée  que  «  l'infinitif  fut  d'abord 
le  seul  temps  des  verbes''»  et  celle-ci,  que  les  adjectifs 
se  développèrent  difficilement '. 

*  Discours,  p.  g.S-yG.  Cf.  infra.  Ces  passages  de  Lucrèce  se  trouvent 
dans  Pufendorf,  Dioit  de  la  nature,  t.  II,  p.   i63  et  sq. 

Le  poète  veut  montrer  l'absurdité  de  !'h\pothèse  d'un  homme  de  s,é- 
jiie  inventant  le  langage: 

«  Praeterea  si  non  alii  quoque  vocibus  usi  |  inter  se  fueranl  unde  insita, 
notities  est  |  utilitatis  ?  Comment  l'inventeur  aurait-il  pu...  ratione  do- 
cere  ulla  suadereque  surdis  |  quid  facto  opus  esset,  faciles  neque  cnim 
paterentur,  |  nec  ratione  ulla  sibi  ferrent  amplius  aures  |  vocis  inauditos 
^onitus  ebtundere  frustra...  »  Lucrèce.  De  Natura,  V,  104  et  sq.  Les  vers  V, 
1027  et  sq.  sont  cites  par  Pufendorf. 

Lucrèce  tenait  pour  une  origine  naturelle  du  langage  (Utilitas  expres- 
sit  nomina  rerum);  Pufendorf  le  critique,  et  admet  une  «institution  di- 
vine du  langage  » 

'-  Cf.  Discours,  p.  f)3  et  Condillac,  Essai  sur  l'origine  des  connaissances, 
1,  p.  368:  «Les  verbes,  dans  leur  origine  n'exprimaient  l'état  des  choses 
que  d'une  manière  indéterminée.  Tels  sont  les  infinitifs,  aller,  agir.» 
Cf.  aussi  Diderot,  Lettres  sur  les  sourds  et  muets,  1,  363-3(33.  même-. 
idées. 

^  Cf.  Condillac,  1,  p.  364.  »  On  distingua  ensuite,  mais  peu  ii  peu  les 
difl'érentes  qualités  sensibles  des  objets...  ce  furent  les  adjectifs  et  les 
adverbes.»  Diderot,  Lac.  cit.,  I,  p.  33i,  est  d'une  opinion  contraire. 

Cf.  Maupertuis,  Recherches  sur  l'origine  des  langues,  o.  c,  p.  332- 
33.  C'est  à  lui  que  Rousseau  doit  l'idée  que  chaque  mot  I Discours,  p.  9?) 
eut  le  sens  d'une  proposition  entière,  et  que  peu  à  peu  se  distingue  le 
sujet  d'avec  l'attribut,  etc.  Maupertuis  écrit: 

«  Je  suppose  que  ma  première  perception  fut  celle  que  j'éprouve  au- 
jourd'hui quand  je  dis:  «  je  vois  un  arbre»,   qu'ensuite  j'eusse  la  même 


I  56  ANNALES  nE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

La  formation  des  mots  généraux  soulève  de  nouveaux 
obstacles.  Selon  Condillac  : 

»  11  n'était  pas  possible  d'imaginer  des  noms  pour  chaque  objet 
particulier.  Il  fut  donc  nécessaire  d'avoir  de  bonne  heure  des  ter- 
mes généraux...  Aussi  les  hommes,  autant  qu'il  est  en  leur  pou- 
voir, rapportent  leurs  dernières  connaissances  à  l'une  de  celles 
qu'ils  ont  déjà  acquises.  Par  là  les  idées  qui  sont  le  moins  t'ami- 
rières  se  lient  a  celles  qui  le  sont  davantage,  ce  qui  est  d'mi  grand 
secours  à  la  mémoire  et  a  l'imagination.  ()uand  les  circonstances 
tirent  remarquer  de  nouveaux  objets,  on  chercha  ce  qu'ils  avaient 
de  commun  avec  ceux  qui  étaient  connus,  on  les  mit  dans  la 
même  classe  et  les  mêmes  noms  servirent  a  designer  les  uns  et 
les  autres,  (^est  de  la  sorte  que  les  idées  des  signes  dexinrenl  plus 
générales,  mais  cela  ne  se  ht  que  peu  a  peu:  on  ne  s'éleva  aux 
notions  les  plus  abstraites  que  par  degrés,  et  l'on  n'eut  que  fort 
tard  les  termes  d'essence,  de  substance,  et  i^rètre.» 

Mais  Rousseau  ^  prend  le  contrepied  des  idées  de  Con- 
dillac :  chaque  objet  reçoit  un  nom  particulier;  l'homme 
ne  connaît  d'abord  que  l'individu  :  ce  qui  le  frappe,  c'est 
la  non  identité  des  choses  :  ce  qu'elles  ont  de  comi^iun 
est  difficile  à  voir  :  pour  arriver  aux  idées  générales,  il 
faut  de  l'histoire  naturelle  et  de  la  métaph3'sique.  11 
substitue  à  la  fabrication  naturelle  des  idées  générales, 
leur  construction  scientitique  et  réfléchie.  Condillac 
avait  vu  que  le  mot  s'emplissait  peu  à  peu  de  sens,  jus- 
qu'à devenir  général.  Rousseau  admet  que  les  mots  sont 
la  traduction  adéquate  et  artificielle  des  pensées.  Ainsi 
s'aggravent  les  difficultés. 

Ce    n'est   pas  tout  :    pour    Rousseau    ces  idées  géné- 

perccptioii  que  j'ai  aujourd'hui  quaiui  je  dis  :  "  je  vois  un  cheval  ».  je 
verrai  tout  de  suite  que  l'une  n'est  pas  Tauire.  .le  les  distinguerai  par 
quelque  signe,  et  je  pourrai  me  contenter  des  expressions  A  et  B.  Mais 
je  remarquerai  que  certaines  perceptions  ont  quelque  chose  de  sembla- 
ble et  une  même  manière  de  m'atlecter  que  je  pourrai  comprendre  sous 
un  signe  et  j'aurai  :  C,  je  vois.  D,  arbre,  et  aussi  (!,  je  vois.  K,  clievjl.» 
'  Discours,  p.  gb-if). 


SOURCES    DU    DISCOURS    DK   L  INliGAI.rrK  ID7 

raies  supposent  les  mots  :  car  i"  T imagination  ne 
saurait  nous  fournir  que  des  images  particulières  ; 
2°  seul,  \c  pur  intellect,  Tentendement.  conçoit  les  idées 
générales,  par  le  moyen  unique  du  discours  qui  formule 
des  propositions,  des  définitions.  D'où  vient  cette  dou- 
ble théorie  ? 

1°  On  ne  saurait  imaginer,  dit  Rousseau,  un  arbre  en 
général.  L'image  se  particularise  aussitôt.  Essayez, 
vous  n'y  arriverez  pas.  On  songe  tout  de  suite  à  Ber- 
keley : 

«  De  ce  qu'on  peul  énoncer  et  démontrer  des  théorèmes  sur  re- 
tendue et  les  figures,  sans  taire  mention  de  la  grandeur  et  de  la 
petitesse  de  ces  figures,  ou  de  tout  autre  de  leurs  qualités  sensi- 
bles, peut-on  conclure  que  l'esprit  ait  la  facilité  de  se  représenter 
et  de  saisir  une  idée  abstraite  d'étendue  destituée  de  telle  ou  telle 
grandeur,  de  telle  ou  telle  couleur,  etc...^»  «  (^ue  si  au  reste  vous 
voulez  vous  en  convaincre  encore  mieux,  essavez  un  moment  de 
vous  former  Tidee  de  quelque  figure  abstraite  de  toute  circons- 
tance spécifique  de  grandeur  ou  même  abstraite  des  autres  quali- 
tés sensibles...  «  :  et  Hvlas  de  repondre  :  <i  Permettez  que  j"v  pense 
un  peu...  Je  trouve  qu'il  me  serait  impossible  d'en  venir  a 
bout...*» 

1  Dialogues  d'Hylas  et  de  Pliiloiwiix,  p.  (ji).  Diderot  en  préconise  la 
lecture  à  Condillac,  dans  la  lettre  sur  les  aveugles,  I,  p.  304.  N'est-ce 
pas  lui  que  Rousseau  critique  dans  le  premier  discours  :  «l'un  prétend 
qu'il  n"y  a  point  de  corps,  et  que  tout  est  représentation.»  Cf.  édit. 
Hachette,  I.  p.   1  7-1. S. 

2  Ibid.,  p.  70-7 1 .  Les  mêmes  idées  sont  développées  dans  VAlciplirvii,  t.  Il, 
p.  i4oetsq.  :  elles  sont  la  critique  d'un  texte  de  Locke,  qui  est  cité  par 
Berkeley.  Rousseau  l'a  peut  être  vu.  1  Essai  sur  lent,  hum.,  IV,  7,  9.)  «  Pre- 
nons par  exemple  l'idée  générale  de  triangle  :  quoiqu'elle  ne  soit  pas  la 
plus  abstraite,  la  plus  étendue  et  la  plus  malaisée  à  former,  il  est  certain 
qu'il  faut  quelque  peine  et  quelque  adresse  pour  se  la  représenter;  car 
il  ne  doit  être  ni  obliquangle,  ni  rectangle,  ni  équilatéral. . .  mais  tout 
cela  à  la  fois  et  nul  de  ces  triangles  en  particulier.  Dans  le  fait,  il  est 
quelque  chose  d'imparfait  qui  ne  peut  exister,  une  idée  dans  laquelle 
certaines  parties  tirées  d'idées  différentes  sont  mises  ensemble.  »  Cf. 
aussi  le  Traité  des  principes  de  la  connaissance  humaine.  iCrit.  phi- 
losophique, 1889.  p.  j^h-j  et  sq.)  Ce  traité  n'était  pas  traduit  du  temps  de 
Rousseau. 


l58  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

2**  Quant  à  la  théorie  nominaliste  de  la  formation  des- 
idées  générales,  Rousseau  l'introduit  en  montrant  que- 
faute  de  langage,  l'anijnal  n'en  saurait  former  :  le  singe 
qui  va  d'une  noix  à  l'autre,  ne  compare  pas  ces  deux 
individus  à  leur  archétype.  Ici.  il  suit  Locke  en  partie: 

«  Avoir  des  idées  générales.  c"est  ce  qui  établit  une  distinction 
parfaite  entre  l'homme  et  les  bêtes,  et  c'est  une  perfection  a  la- 
quelle les  facultés  des  bêtes  n'atteignent  jamais.  Nous  n'observons 
évidemment  pas  de  traces  en  eux  de  l'emploi  de  signes  généraux 
pour  marquer  les  idées  universelles,  et  nous  sommes  par  là  fondes 
à  imaginer  qu'ils  n'ont  pas  la  faculté  d'abstraire  ou  de  former  des 
idées  générales  puisqu'ils  n'ont  pas  l'usage  des  mots  ou  autres  si- 
gnes généraux...  Nous  ne  saurions  nier  que  les  hctes  ont  de  la 
raison  jusqu'à  un  certain  degré.  Et  poiu-  moi  il  me  paraît  aussi 
évident  qu'il  v  en  a  quelques-unes  qui  raisonnent  en  de  certaines 
rencontres  qu"il  me  paraît  qu'elles  ont  du  sentiment  :  mais  c'est 
seulement  sur  des  idées  particulières  qu'elles  raisonnent,  selon 
que  les  sens  les  leur  présentent.'  » 

Mais  la  différence  entre  les  deux  auteurs  est  que 
pour  Rousseau  le  mot  est  cause  d'idée,  pour  Locke,  il 
en  est  signe. 

Serrons  de  près  la  théorie  de  Rousseau  sur  ce  point; 

«  Les  idées  générales  ne  peuvent  s'introduire  dans  l'esprit  qii\T 
l'aide  des  mots,  et  l'entendeuieiil  ne  les  saisit  que  par  des  proposi- 
tions... loute  idée  générale  est  purement  intellectuelle...  Les  êtres 
purement  abstraits  ne  se  conçoivent  que  par  le  discours  :  la  défini- 
tion seule  du  triangle  vous  en  donne  la  véritable  idée...  Il  faut  donc 
énoncer  des  propositions,  il  faut  donc  parler  pour  avoir  des  idées 
générales,  car  sitôt  que  l'imagination  s'arrête  l'esprit  ne  marche 
plus  qu'à  l'aide  du  discours.  >> 

Cle  n'est  point  là  du  (londillac,  qui  éciit  -  : 

"  .le  trouve   un  corps,  et  je  vois  qu'il   est   étendu,   ligure,    divisi- 

'  Essai  sur  Ventendcmcnl  liuinain,  Il,chap.    Xi. 

^  Essai  sur  l'origine  des  connaissances,  I,  p.  181-S2.  Berkeley,  .Mci- 
phron,  H,  p.  148  et  sq.,  exprime  des  idées  identiques  :  il  compare  le  mot 
à  une  pièce  de  monnaie  dont  on  peut  vêritier  la  valeur,  mais  qu'en 
pratique,  on  ne  véririe  jamais. 


SOURCES   DU    DISCOURS   DK    L  INK(]AIJTK  I  bi) 

ble,  solide,  dur...  Il  est  certain  que  si  je  ne  puis  pas  donner  tout 
à  la  fois  une  idée  de  toutes  ces  qualités,  je  ne  saurais  me  les  rap- 
peler à  moi-même,  qu'en  les  faisant  passer  en  revue  dans  mon 
esprit;  mais  si,  ne  pouvant  les  embrasser  toutes  ensemble  je  vou- 
lais ne  penser  qu'à  une  seule,  par  exemple,  à  sa  couleur,  une  idée 
aussi  incomplète  me  serait  inutile  et  me  ferait  souvent  confondre 
ce  corps  avec  ceux  qui  lui  ressemblent  par  quelque  endroit.  Pour 
sortir  de  cet  embarras,  j'invente  le  mot  or  ci  je  m'accoutume  à 
lui  attacher  toutes  les  idées  dont  j'ai  fait  le  dénombrement;  quand 
par  la  suite,  je  penserai  à  la  notion  de  l'or,  je  n'apercevrai  donc 
que  ce  son  or,  et  le  souvenir  d'y  avoir  lié  une  certaine  quantité 
d'idées  simples,  que  je  ne  puis  réveiller  tout  à  la  fois,  mais  que 
j'ai  vu  coexister  dans  un  même  sujet,  et  que  je  me  rappellerai... 
quand  je  le  souhaiterai...  Les  mots  prennent  dans  notre  esprit  la 
place  que  les  sujets  occupent  au  dehors.  » 

On  le  voit,  le  mot  est  pour  lui  un  expédient,  une  com- 
modité. Il  devient  indispensable.  La  théorie  de  Rous- 
seau est  toute  différente. 

Pour  lui,  l'idée  générale  n'est  pas  un  mot.  Elle  est 
quelque  chose  en  soi,  qui  est  dans  l'aentendement ». 
dans  «le  pur  intellect»,  produite  par  le  «discours». 
Les  «définitions,  les  propositions  »,  nous  «  font  conce- 
voir les  êtres  abstraits»,  nous  en  donnent  «  la  véritable 
idée,  »  L-a  parole  n'est  qu'un  moyen  pour  faire  entrer 
l'idée  dans  l'esprit  :  elle  y  parvient  en  formulant  des 
phrases.  Or  voici  ce  que,  dans  Berkeley,  répond  Alci- 
phron  à  la  critique  d'Euphranor  sur  la  réalité  de  l'image 
générale  ^: 

«  Il  me  semble  que  vous  ne  distinguez  pas  entre  l'entendement 
pur  et  l'imagination.  Les  idées  abstraites  appartiennent  à  l'enten- 
dement pur  qui  les  conçoit,  quoique  l'imagination  ne  puisse  se 
les  représenter.  » 

Euphranor  demande  des  renseignements  sur  cette 
faculté,  et  n'en  obtient  pas  ;  Rousseau  cro/7  à  sou  exis- 
lence  :  c'est  en  elle  que  le  langage  suscite,  crée    «  la  vé- 

'  Alciplnun,  II,  p.   14?.  Cf.  Dialogue  d'Hylas  et  de  Philvnoùs,  p.  70. 


l6o  ANNALES    1>E    LA   SOCIÉTÉ  .1.  .1.    ROUSSEAU 

ritable  idée  »  abstraite.  Sans  le  langage,  cette  faculté  ne 
saurait  être  mise  en  exercice  :  car  elle  ne  fonctionne  que 
grâce  ((  aux  propositions,  aux  définitions  »,  et  il  est  évi- 
dent qu'il  est  impossible,  sans  langage,  d'exprimer  des 
«  propositions  ou  des  définitions». 


m 

De  l'Influence  de  Grotius  et  de    Pufendorf 
sur  le  Discours  de  l'Inégalité. 

Grotius  et  Pufendorl"  sont  à  l'époque  de  Rousseau,  les 
classiques  du  Droit  naturel.  On  les  corrige  par  les  poli- 
tiques anglais  ou  français,  mais  on  y  revient  toujours, 
Rousseau  leur  doit  beaucoup  et  surtout  à  l'édition  de 
Pufendorf  donnée  par  Barbe3'rac\ 

1.    L'Etat  ni';  Nature 

l^our  les  écrivains  qui  s'occupent  de  droit  naturel, 
sauf  de  rares  exceptions,  un  état  de  nou-sociclé  a  pré- 
cédé l'état  de  société.  Ils  cherchent  tous,  par  des  mé- 
thodes plus  ou  moins  abstraites,  à  reconstituer  l'homme 
«  sauvage  »,  afin  d'en  tirer  des  conjectures  sur  l'origine 
du  groupement  social. 

>  Cf.  Locke,  l':ditc.  des  enfants,  trad.  Coste,  1721,  p.  432  et  sq.  ;  Le- 
clerc,  Panliasiana,  il,  p.  117-118;  Diderot,  tome  XIV,  p.  i«j2etart. 
Citoyen;  et  surtout  Journal  des  savants,  mars  1748. 

Grotius.  Le  droit  de  la  guerre  et  de  la  paix,  avec  les  remarques  de 
J.  Barbeyrac,  Amsterdam,  1724,  2  voL  in-q". 

l'utcndorf.  Le  droit  de  la  nature  et  des  gens,  traduit  du  latin  par 
J.  IJarbeyrac,  avec  des  notes,  Amsterdam,  1740  '^  vol.  in-q». 


SOURCES    DU    DISCOURS   DE   l'iNKGALITÉ  i6i 

Grotius^  puise  dans  la  Bible  et  dans  l'antiquité  ses 
idées  sur  cet  état.  La  vie  des  premiers  descendants 
d'Adam,  les  développements  sur  le  règne  de  Saturne, 
voilà  les  éléments  de  sa  peinture.  Cet  état  est  un  commu- 
nisme pacifique.  «Dieu  donna  à  tout  le  monde  un  droit 
égal  sur  toutes  choses  de  la  terre-»,  tout  était  alors  en 
commun,  et  chacun  en  jouissait  par  indivis,  comme  s'il 
n'y  eût  eu  qu'un  seul  patrimoine^,  «et  les  hommes  vi- 
vaient à  leur  aise  des  choses  que  la  terre  produisait 
d'elle-même  sans  aucun  travail»;  même,  ils  étaient 
peut-être  végétariens,  se  demande  Grotius  : 

H  iJans  le  recueil  des  Anciens  géographes  grecs  (Hudson,  tome 
II),  il  V  a  au  devant  du  fragment  de  Dicéarque  des  paroles  de 
saint  Jérôme*,  où  le  passage  de  cet  ancien  auteur  grec  est  cité 
d'une  manière  qui  contient  le  fait  dont  il  s'agit  :  «  Dicearchus,  in  li- 
hris  Antiquitatum  et  descriptionum  GrœciiV  refert  sub  Saturno, 
id  est  in  aureo  sa;culo,  cum  omnia  humus  funderet,  nullam  come- 
disse  carnem  et  vixisse  fructibus  et  pomis,  qiuv  sponte  sua  terra 
gignebat.  » 

On  reconnaît  là  du  Rousseau  :  pas  de  propriété.  Fer- 
tilité naturelle  de  la  terre  :  la  citation  de  saint  Jérôme 
figure  dans  une  note  du  Discours^,  l^ref  «  les  choses  en 
seraient  là  si  les  hommes  eussent  continué  à  vivre  dans 
une  grande  simplicité  »,  comme  il  parait  «par  Texeinple 
de  quelques  peuples  d'Amérique,  chez  qui  tout  den^icure 
commun,  sans  qu'ils  y  trouvent  aucun  inconvénient». 
C'est  Grotius  qui  parle.  Ces  premiers  hommes  qui  «  vont 
tout  nus...  »,  «demeurent  dans  des  cavernes»  et  se  cou- 
vrent de  peaux  de  bête,  ne  sont  pas  mauvais.  Leur  vertu, 

1  Grotius,  I,  p.  22  1  et  sq. 

-  Genèse,  I,  2g,  IX,  23. 

•'•  Justin,  XLIII,  chap.   I. 

■*  Pour  tous  ces  textes,  voyez  Grotius  1,  p.  229  et  les  notes  de  Barbeyrac. 

^  Cf.  Discours,  p.  io5,  85,  129,  i3o. 

li 


102  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.   J.    ROUSSEAU 

comme  le  prouve  un  commentaire  emprunté  à  Tacite 
surtout  et  à  Senèque,  a  été  heureusement  précisée  par 
Justin  II,  2,  i5:  Tanto  plus  in  illis  proficit  vitiomwi 
ignoraiio  qiiam  cogiiitio  virtidis.  Citation  que  Rousseau 
n'a  garde  de  laisser  tombera  Et  son  idée  maîtresse  se 
dégage  :  le  progrès  des  connaissances  a  été  nuisible  à 
l'homme*.  Dion  de  Pruse,  ajoute  Grotius,  parlant  de 
ceux  qui  vinrent  après  les  premiers  hommes,  dit  que 
leur  finesse,  leur  adresse  à  inventer  et  à  faire  bien  des 
choses  pour  l'usage  de  la  vie  ne  fut  pas  fort  avantageux, 
parce  que  les  hommes  firent  servir  leur  esprit  et  leur 
habileté  à  se  procurer  du  plaisir  plutôt  qu'à  se  distin- 
guer par  des  actes  de  valeur  et  de  justice.  Et  ici,  nou- 
velle référence  à  la  lettre  XC  de  Senèque  sur  la  manière 
dont  ils  inventèrent  les  arts  et  les  choses  nécessaires  à 
la  vie'. 

Ainsi  Grotius,  que  Rousseau  raconte  avoir  lu  sur 
l'établi  de  son  père,  fournit  à  ses  idées  politiques,  dans 
le  Discours,  leur  couleur  antique  et  biblique,  et  leur 
chimérique  poésie. 

Avec  Pufendorf*,  la  question  de  l'état  de  natui^e  se 
pose  avec  précision: 

«  Ce  que  nous  appelons  «  état  de  nature...  »  c'est  la  condition  où 
l'on  conçoit  que  chacun  se  trouve  parla  naissance  en  taisant  abs- 
traction de  toutes  les  inventions  et  de  tous  les  établissements  hu- 

'  Discours,  p.  98. 

-  Groiius  remonte  à  la  source  biblique  de  celte  idée  :  l'arbre  de  la 
science  du  bien  et  du  mal. 

^  Rousseau  s'est  peut-être  reporté  à  cette  lettre. 

*  Entre  Grotius  et  Pufendorf  se  place  Hobbes  :  Il  revise  la  notion  de 
rétat  de  nature,  il  décrit  un  état  anarchiquc,  misérable  ;  sans  quoi  on  ne 
l'eût  point  quitté;  c'est  un  état  de  guerre,  parce  que  l'homme  est  mé- 
chant, vicieux  et  passionné;  le  droit  égal  que  les  hommes  ont  sur  tou- 
tes les  choses  entraîne  la  concurrence:  la  propriété,  c'est  la  guerre. 
Telles  sont  les  idées  qui  vont  dominer  le  débat. 


SOURCES   DU    DISCOURS    DE   l'iNÉGALITÉ  i63 

mains,  ou  inspirés  à  l'homme  par  la  Divinité,  qui  changent  la  face 
de  la  vie  humaine,  et  sous  lesquels  nous  comprenons  non  seule- 
ment les  diverses  sortes  d'arts  avec  toutes  les  commodités  de  la  vie 
en  général,  mais  encore  les  sociétés  civiles  dont  la  formation  est 
la  principale  source  du  bel  ordre  qu'on  voit  parmi  les  hommes.^» 

De  là  est  née  toute  la  première  partie  du  Discoures  *. 

C'est  pourquoi  Barbe3Tac  ^,  avant  Rousseau,  commen- 
cera d'étudier  les  primitifs,  et  rapportera  cette  histoire 
de  l'enfant  sauvage  «  trouvé  en  1844,  qui,  revenu  parmi 
les  hommes,  aimerait  mieux  retourner  parmi  les  loups». 
(Voyez  la  note  de  Rousseau.^)  Pourtant  Barbeyrac  ne 
garantissait  pas  le  récit. 

Mais  voici  cette  créature  selon  Pufendorf^: 

«  Muet,  incapable  d'autre  langage  que  celui  qui  consiste  dans 
des  sons  inarticulés,  et  affreux  à  voir  comme  une  vilaine  bête,  il 
serait  réduit  à  brouter  l'herbe  ou  à  cueillir  des  fruits  sauvages,  à 
boire  l'eau  de  la  première  fontaine  qu'il  trouverait,  à  se  retirer 
dans  quelque  caverne  pour  être  un  peu  à  couvert  des  injures  de 
l'air  et  à  se  couvrir  de  mousses  et  d'herbes,  à  passer  son  temps 
dans  une  oisiveté  ennuyeuse,  à  trembler  au  moindre  bruit,  au 
premier  aspect  d'un  autre  animal,  à  périr  enfin  de  froid  ou  de 
faim,  ou  par  les  dents  de  quelques  bêtes  féroces...  » 

Cette-  peinture  a  servi  de  point  de  départ  à  celle  de 
Rousseau.  Il  en  utilise  les  détails  concrets,  en  réfute  les 
traits  trop  pessimistes  ^ 

Sa  réfutation  est  souvent  inspirée  de  Lucrèce.  Or  Lu- 
crèce est  longuement  cité  par  Pufendorf^: 

Et  genus  humanum  multo  fuit  illud  in  arvis 
Durius,  ut  decuit  tellus  quod  dura  creasset... 

iPufendorf,  I,  p.  i8i. 

'  Discours,  p.  78  et  82. 

^  Edit.  de  Pufendorf,  1,  p.  182.   D'après  Hertius,  De  socialitate,  I,  8. 

*  Discours,  p.  128. 

*  Pufendorf,  I,  p.  i  80  et  i  82. 

*  Cf.  Discours,  p.  85,  86,   89.  Au   reste,    Rousseau   signale  lui-même 
Pufendorf  comme  sa  source. 

■>  Pufendorf,  I,  p.  i83. 


164 


ANNALES   DE   LA   SOCIETE  .1.    .1.    ROUSSEAU 


...  Voilà  pour  la  force  du  corps.  Les  besoins  vite  sa- 
tisfaits : 

...QuoJ  terra  crearat 
Sponte  sua,  satis  id  placabat  pectora  donum. 
Glandiferas  inter  curabant  corpora  quercus... 
At  sedare  sitim  fluvii  fontesque  vocabant 
...  nemora  cavos  montes  silvasque  colebant. 

Voici  l'amour  sauvage: 

Kl  Venus  in  silvis  jungehat  corpora  amantum. 

Nu!  doute  qu'il  n'ait  pris  au  même  Lucrèce  une  ins- 
piration dans  sa  peinture  des  premières  joies  de  la  fa- 
mille ^: 

Inde  casas  postquam  ac  pelleis  ignemque  pararunt 
Et  mulier  conjuncta  viro  concessit  in  unum 
Castaque  privatœ  Veneris  connubia  IseVà 
Cognita  sunt.  prolemque  e\  se  videre  creatam... 

Mais  la  vie,  alors,  devient  plus  molle-: 

Tum  genus  humanum  primum  mollescere  cœpit, 

et  l'union  des  familles  se  fait^: 

Tune  et  amicitiam  cœperunt  jungere  habentes 
l'Mnitima  inter  se  nec  Itcdere  ne  violare*. 

'  Discours,  p.  i  08. 

2  Ibid. 

2  Ibid.  p.  iO(j. 

*  Nf)us  n'avons  signalé  ici  que  les  rapprochements  du  discours  avec 
les  passages  de  Lucrèce  cités  par  Putendorf.  Les  citations  de  Pufendorf 
comportent  quelques  lacunes.  Rousseau  semble  s'être  reporté  au  texte 
pour  les  combler.  (Les  contemporains  n'ont  pas  manqué  de  signaler  ces 
emprunts.  J.  de  Castillon,  loc.  cit.,  traduit  tout  au  long  Lucrèce,  livre 
V,  V.  923,  ()7()-<jSo,  985-98G,  1008,  1027,  1089,  passages  presque  tous  ci- 
tés par  Pul'endorf).  Les  vers  964  et  sq .  paraissent  avoir  été  imités. 
«  Et  manum  mira  freti  virtute  pedumque  |  Consectabantur  sylvestria  s<e- 
cla  ferarum  |  Missilibus  saxis,  et  magno  pondère  clav;e  |  Multaque  vince 
bant,  vitabant  pauca  latcbris.»  Voyez  Discours,  p.  86,  la  lutte  du  sauvage 
contre  l'ours.  Cf.  l'inditVérence  de  l'homme  primitif  pour  le  spectacle  de 
la  nature  (p.  91)  avec  «  Nec  plangorc  diem  magno  solemque  per  agrt)S 
quatrebant  pavidi. . .  |  a  parvis  quod  enim  cousuerant  cernere  semper  | 
AUeriio  lencbras  et  lucem  tcmpore  gigni.»    (971    et   sq.)  Rapprochons^ 


SOURCES   DU   DISCOURS    DE    I. 'INÉGALITÉ  ibb 

Cet  homme  est  solitaire.  L'idée  d'un  état  de  disper- 
sion ^  se  dégage  de  cette  description  :  et  dans  cet  état 
quelle  difficulté  d'inventer  les  moindres  choses  ! 

«  Quand  même,  dit  Pufendorf,  plusieurs  hommes  semblables  à 
celui-là  viendraient  à  se  rencontrer  dans  un  pays  désert,  combien 
de  temps  ne  seraient-ils  pas  à  mener  une  vie  tout  à  fait  misérable 
et  presque  farouche,  avant  que  par  leur  propre  expérience,  par 
leur  industrie  ou  par  les  occasions  que  pouvait  leur  fournir  l'a- 
dresse de  quelque  bête,  ils  se  fussent  procure  peu  à  peu  quelques- 
unes  des  commodités  de  la  vie,  et  eussent  invente  divers  arts. 
Pour  en  tomber  d'accord,  il  ne  faut  que  considérer  ce  grand  nom- 
bre de  choses  qui  sont  présentement  d'usage  dans  la  vie,  et  com- 
bien il  aurait  été  difficile  à  chacun  d'inventer  tout  cela  lui  seul, 
sans  instruction  et  sans  le  secours  d'autrui... 2  » 

Et  Barbeyrac  d'insister  dans  sa  note  ^  :  «  C'est  Dieu  qui 
apprit  aux  hommes  la  nature  des  grains,  le  temps  des  se- 
mailles, et  la  manière  de  labourer  et  de  faire  du  pain....  ce 
qu'il  n'auraient  pu  découvrir  d'eux-mêmes,  qu'après  une 
longue  expérience  et  de  longues  réflexions»,  et  «le  fer», 
car  on  ne  peut  labourer  «  sans  l'usage  du  fer».  «  Les  habi- 
tants des  Iles  Canaries...  à  l'arrivée  des  Espagnols  ne  con- 
naissaient pas  du  tout  le  feu.  »  «  Dapper,  dans  sa  descrip- 
tion de  l'Amérique,  dit  que  plusieurs  peuples  de  ce  pays 
ignorent  le  fer  et  se  servent  de  dents  d'animaux.  »  Ajou- 
tons cet  argument  emprunté  à  Hobbes  par  Pufendorf 
que  ((  dans  l'état  de  nature,  personne  ne  saurait  être  assuré 
de  Jouir  des  fruits  de  son  industrie'*»,  et  nous  aurons  un 


encore  deux  passages  :  Lucrèce  i'-!6o  et  sq.  :  At  spécimen  sationis  et 
origo  I  Ipsa  fuit  rerum  primum  natura  creatrix  |  arboribus  quoniam  bac- 
cae  glandesque  caducae  |  Tempestiva  dabant  pullorum  examina  subter. 
Cf.  Discours,  p.   m.   Comment  les    hommes   apprennent  l'agriculture. 

1  Discours,  p.  i  5  i-i  52. 

»  Pufendorf,  I,  p.  182-183. 

3  Ibid.,  I,  p.   i85. 

*  Pufendorf,  I,p.  186.  Cf.  Hobbes,  De  Cive,  X,  par.  1. 


l66  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.  .1.    ROUSSEAU 

développement  de  Rousseau*.  Mais  ces  arguments,  qui, 
pour  Pufendorf,  sont  des  preuves  de  la  misère  de  l'état 
de  nature,  changent  de  sens  avec  Rousseau  :  ils  sont  do- 
minés par  ce  principe  que  la  civilisation  est  mauvaise, 
et  que  rien  ne  vaut  «  l'heureuse  ignorance  où  la  Sa- 
gesse éternelle  nous  a  placés^,»  Ainsi  la  «  Botnie Jialuf^e» 
nous  contenait  dans  cet  état  par  toutes  les  difficultés  ac- 
cumulées pour  nous  empêcher  d'en  sortir.  Cette  espèce 
de  transformation  de  l'argument  s'ajoute  aux  procédés 
de  réfutation  directe. 

A  vrai  dire,  il  trouvait  dans  l'édition  de  Barheyrac 
un  modèle  de  ce  travail.  Pufendorf  achève  son  déve- 
loppement sur  l'état  de  nature  par  un  parallèle  em- 
prunté à  Hobbes  entre  l'état  de  nature  et  l'état  civil, 
où  l'état  civil  est  fortement  avantagé^.  Mais  objecte 
en  note  Barbeyrac^,  il  exagère  beaucoup  les  avantages 
de  l'état  civil  par  dessus  l'état  de  nature,  et  com- 
mençant d'argum.enter,  il  ne  laisse  pas  passer  un  dé- 
tail du  texte  de  Pufendorf.  Relevons  seulement  celles 
de  ces  notes  dont  Rousseau  a  fait  son  profit. 

Des  passions  dans  l'état  de  nature?  ce  C'est  ce  qu'il  fau- 
drait prouver.  Car  pourquoi  l'empire  despassions  serait- 
il  si  grand  ?  Y  a-t-il  dans  la  société  civile  moins  d'objets 
et  d'occasions  propres  à  émouvoir  les  passions?  Ou 
plutôt  n'y  en  a-t-il  pas  davantage?  »  On  reconnaît  là  un 
des  thèmes  favoris  de  Rousseau  :  il  critique  les  philoso- 
phes d'avoir  prêté  à  l'homme  de  la  nature  des  passions 
qui  ne  naissent  qu'avec  la   société  :    le  sauvage  n'a  pas 

'  Discours,  p.  91  et  85,  sur  Tétat  de  dispersion   et  rinvciiticui   des  arts, 
p.  iio  et  107, sur  les  sauvages. 
'  Premier  Discours,  I,  p.  9. 

3  Pufendorf,  I,  p.  i85,  et  Hobbes  (De  Cive,  X,  i.) 
*  Pufendorf,  1,  p.  186,  d'après  Titius,  Observatioues,  460-461. 


SOURCES   DU    DISCOURS   DE   l'iNÉGALITÉ  1 67 

à  satisfaire,  comme  le  veut  Hobbes,  «  une  multitude  de 
passions  qui  sont  l'ouvrage  de  la  société  »  :  le  peu  de 
passions  qu'il  a  sont  «peu  actives»,  elles  se  bornent 
presque  à  ses  trois  besoins  essentiels,  la  faim,  le  repos, 
l'amour,  tous  les  trois  faciles  à  assouvira 

Les  guei^res  dans  l'étal  de  natuj^e? 

«  Il  y  en  aurait  sans  doute  quelques-unes,  mais  elles  ne  se- 
raient jamais  ni  si  furieuses,  ni  si  funestes,  ni  d'un  si  grand  nom- 
bre de  gens  que  celles  qui  ravagent  souvent  de  vastes  provinces 
et  de  grands  royaumes...  »  La  paix  ne  saurait  être  «troublée  d'une 
manière  qui  nuise  en  même  temps  à  un  si  grand  nombre  de  per- 


sonnes. » 


Selon  Rousseau,  il  a  fallu  l'état  civil  pour  que  les 
luttes  devinssent  «  sanglantes»:  ce  n'est  qu'alors  que  les 
homxmes  «  se  massacrent  par  milliers  ^.  » 

La  barbarie  dans  l'état  de  nature?  L'ordre...  la  dou- 
ceur, la  politesse,  les  sciences  ? 

«  D'où  viennent  alors  ces  monstres  d'ambition,  d'avarice,  de 
volupté,  de  cruauté,  d'inhumanité,  qui  régnent  ordinairement 
dans  les  cours  des  princes?»  Et  «  sous  ces  beaux  noms  on  cache 

'  Discours,  p.  gi,  98,  100. 

Pufendorf,  qui  veut  montrer  que  l'état  de  nature  est  un  état  miséra- 
ble, fait  argument  de  la  violence  de  l'amour  et  de  ses  conditions  spécia- 
les pour  indiquer  les  luttes  qu'il  doit  entraîner  :  on  voit  tout  de  suite  que 
Rousseau  (Discours,  p.  loi)  introduit  de  la  même  manière  son  «mor- 
ceau très  philosophique  sur  l'amour  sauvage».  (Grimm,  Corr.,  III,  p.  58 
et  sq.) 

«Chez  les  bêtes  (Pufendorf,  1,  p.  178),  les  mouvements  de  l'amour  ne 
les  pressent  qu'en  certains  temps,  et  autant  qu'il  est  nécessaire  pour  la 
multiplication  de  l'espèce,  et  non  pas  pour  un  vain  plaisir.  Sont-elles 
parvenues  à  leur  fin  :  les  voilà  contentes,  leurs  désirs  cessent  d'eux-mê- 
mes. Mais  dans  l'homme  les  mouvements  de  l'amour  ne  sont  pas  bornés 
à  de  certaines  saisons,  et  ils  s'excitent  même  beaucoup  plus  fréquem- 
ment qu'ils  ne  semble  nécessaire  pour  la  propagation  de  l'espèce.  >»  De  ce 
fait  que  chez  l'homme  l'amourn'est  jamais  périodique,  Rousseau  conclut 
justement  que  l'espèce  humaine  ne  souffrira  pas  de  ce  moment  terrible 
d'ardeur  commune,  de  tumulte,  de  désordre  et  de  combat. 

-  Discours,  p.   loi-ioi. 


vj 


l68  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.    .1.    ROUSSEAU 

souvent  la  vanité,  la  sottise,   la   folie,   la  pédanterie,   les  passions 
déréglées,  les  fourberies  ingénieuses...  » 

Voilà  Rousseau  presque  dépassé.  La  conclusion  de 
Barbe3Tac  prépare  celle  de  Rousseau  :  admettons  les 
misères  de  l'état  de  nature,  elles  n'existeront  pas  «par- 
tout et  de  tous  temps».  Il  y  aura  des  intervalles  quel- 
quefois assez  longs  pour  laisser  goûter  tous  les  plaisirs 
de  l'indépendance  et  ôter  toute  pensée  de  se  donner  un 
maître  pour  protecteur. 

Car,  pour  Pufendorf,  l'état  de  nature  est  un  état  d'in- 
dépendance, d'ég'alité,  de  communisme  : 

«  Pour  les  droits  qui  accompagnent  l'état  de  nature,  il  \  a 
deux  fondements:  l'un  est  l'inclination  dominante  de  tous  les  ani- 
maux qui  les  porte  invinciblement  à  chercher  par  toutes  les  voies 
imaginables  à  se  conserver...  L'autre,  c'est  l'indépendance  de 
ceux  qui  vivent  dans  l'état  de  nature,  en  tant  qu'ils  ne  sont  sou- 
mis à  aucune  autorite  humaine.  Du  premier  principe  il  s'en  suit 
que  dans  l'état  de  nature  on  peut  jouir  et  se  servir  de  tout  ce  qui 
se  présente,  mettre  en  usage  tous  les  moyens  et  faire  toutes  les 
choses  qui  contribuent  à  notre  propre  conservation...  De  l'autre, 
il  s'en  suit  qu'on  peut  faire  usage  de  ses  propres  forces,  et  suivre 
son  propre  jugement  et  sa  propre  volonté  dans  le  choix  des  moyens 
qu'on  emploie  pour  sa  conservation  et  sa  défense...  C'est  par  rap- 
port à  ce  dernier  droit  que  l'état  de  nature  s'appelle  aussi  la 
liberté  naturelle,  parce  qu'on  y  conçoit  chacun  comme  maître  de 
soi-même  et  indépendant  de  toute  autorité  de  ses  semblables, 
jusqu'à  ce  qu'on  y  soit  assujetti  par  quelque  acte  humain  :  d'où 
vient  aussi  que,  dans  cet  état-là,  chacun  passe  pour  égal  à  tout 
autre,  dont  il  n'est  ni  sujet  ni  maître.'» 

Nulle  part,  dans  Rousseau,  ne  se  trouvent  concentrées 
ces  idées:  mais  elles  sont  partout'-.  Chaque  homme  se  dé- 
veloppe suivant  son  intérêt:  et  le  livre  entier  est  l'apologie 
de  l'égalité  et  de  la  liberté  naturelle.  Les  hommes«  tiers  et 
indomptés»  sont  semblables  «  aux  coursiers  qui  se  dé- 

'  Pufendorf,  1,  p.    187. 

-  Cf.  Discours,  p.  81,  p.   i  10,  i  17  et  sq. 


SOURCKS    DU    DISCOURS    DE   l'iNKGALITÉ  1 69 

battent  impétueusement  à  la  seule  approche  du  frein.» 
Si  Pufendorf  admet  avec  Hobbes  que  l'état  de  nature 
est  misérable,  il  conteste  qu'il  soit  absolument  un  état 
de  guerre.  Or  le  premier  argument  de  Rousseau  est  que 
les  hommes,  étant  dans  un  a  état  de  dispersion  »,  ne  sau- 
raient être  en  guerre,  «puisqu'ils  se  rencontrent  à  peine 
deux  fois  dans  leur  vie,  ne  se  connaissent,  ni  ne  se 
parlent*));  et  on  lit  dans  Pufendorf:  «  Ceux  qu'une  dis- 
tatice  de  lieux  sépare  ne  peuvent  se  faire  du  mal  immé- 
diatement les  uns  aux  autres...  Ainsi  je  ne  vois  pas  pour- 
quoi, quand  on  est  éloigné  les  uns  des  autres  on  ne 
se  regarderait  pas  comme  amis^...  » 

Son  second  argument,  c'est  que  l'homme  est  un  ani- 
mal capable  de  pitié.  C'est  un  «  frein  »  aux  passions 
égoïstes  de  l'homme.  Rien  de  tel  dans  Grotius,  ni  dans 
Pufendorf:  tous  deux  protestent  que  c'est  un  a  abus  » 
de  faire  rentrer  «  la  générosité,  la  libéralité,  la  compas- 
sion... dans  le  droit  naturel'.»  Mais  ils  admettent  qu'il 
existe  dans  la  nature  même  de  l'homme  des  éléments 
capables  d'empêcher  l'état  de  guerre.  Tous  deux  font 
de  l'homme  une  créature  sociable. 

<y  Une  des  choses,  dit  Grotius,  propres  a  l'homme,  est  le  désir  de 
la  société,  c'est  à  dire  une  certaine  inclination  à  vivre  avec  ses  sem- 
blables, non  pas  de  quelque  manière  que  ce  soit,  mais  paisible- 
ment et  dans  une  communauté  de  vie,  aussi  bien  réglée  que  ses 
lumières  le  lui  suggèrent...*» 

Quand  on  critique  la  société,  on  ne  saurait  admettre  la 
sociabilité  :  Rousseau  la  rejette -^ 

1  Cf.  Discours,  p.  92,  98,  104,  i5i-i52.  J.  de  Castillon,  loc.  cit.,  mon- 
tre bien  que  cet  état  de  dispersion  est  au  fond  delà  doctrine  de  Rousseau . 
•Cf.  p.  128,  i33,  207  de  cet  ouvrage. 

-  Pufendorf,  1,  p.    19g. 

•'  Pufendorf,  I,  p.  239.  Il  cite  Grotius  et  Tapprouve. 

•*  Grotius,  I,  p.  5.  Pufendorf  soutient  des  idées  pareilles,  I,  p.  238. 

*  Cf.  supra  et  Discours,  p.  81. 


I  70  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  J.  ROUSSEAU 

D'autre  part  Grotius  et  Pufendorf  admettent  que 
rhomme  est  raisonnable.  Et  c'est  ainsi  qu'ils  arrivent  à 
leur  définition  de  la  «  Loi  naturelle  »  :  ^ 

«  La  loi  naturelle,  c'est  celle  qui  convient  si  nécessairement  à 
la  nature  sociable  et  raisonnable  de  l'homme  que  sans  l'observa- 
tion de  cette  loi  il  ne  saurait  y  avoir  parmi  le  genre  humain  de 
société  honnête  et  paisible.  » 

Cette  loi  évite,  complètement  pour  Grotius,  à  peu 
près  pour  Pufendorf,  l'état  de  guerre  :  «  Il  ne  s'agit  pas 
de  l'état  d'un  animal,  qui  ne  se  conduise  que  par  les  im- 
pressions des  sens  :  mais  d'un  animal  dont  toute  la 
partie  principale  et  celle  qui  dirige  toutes  les  autres  fa- 
cultés est  la  Raison,  laquelle  même  dans  l'état  de  na- 
ture a  une  règle  générale  sûre  et  fixe'.  »  De  cette  Raison, 
se  déduisent  à  travers  les  trois  /;/-_/"  de  Pufendorf  une 
foule  de  prescriptions  de  morale  sociale  et  individuelle  : 
c'est  là  une  «collection  de  règles^»  établie  a  priori, 
«  suivant  des  convenances  presque  arbitraires»,  et  non 
sur  «la  nature  des  choses».  Rousseau  laisse  sur  ce 
point,  avec  quelque  mépris,  «les  livres  scientifiques  *», 
Cette  définition  de  la  loi  naturelle  repose  sur  une  con- 
ception de  la  Raison  qu'il  n'admet  plus:  pour  l'ami  de 
Condillac,  la  Raison  n'esl plus  irréduclible^  :  il  faut  fon- 
der le  droit  naturel  sur  des  principes  antérieurs  à  la  rai- 
son*'. On  voit  la  place  de  la  théorie  de  la  pitié  dans  le 
Discours.  Elle  est  la  forme  modernisée  de  la  loi  natu- 
relle. 


'  Pufcnciorf,  I,  p.   i36,  et  Grotius  1,  p.  4. 

-  Pufendorf.  1,  p.   201.  C"est  une  réponse  à  Hobbes. 

"  Discours,  p.  H0-81. 

*  Ibid. 

^  Cf.  supra. 

'■  Discours,  p.  8. 


SOURCES   DU   DISCOURS   DE    L  INEGALITE  I71 

Donc  pour  Rousseau,  l'état  de  nature  est  un  état  de 
vertu  et  de  paix.  Mais  la  propi^iété  s'institue  et  les  cho- 
ses vont  changer. 

II.   La  Propriété. 

De  l'oj^igine  de  la  propr^iété.  —  Avant  Rousseau, 
deux  doctrines  sont  en  présence.  Selon  la  première 
(Grotius  et  Pufendorf,  droit  romain),  la  propriété  indi- 
viduelle a  pour  origine  un  partage^  ou  une  occupation^ 
par  droit  du  premier  occupant.  Il  y  a  eu  convention 
expresse,  ou  tacite,  consentement  universel  exprimé, 
ou  sous  entendu,  pour  passer  de  l'état  de  communisme  à 
l'état  de  propriété  personnelle.  Selon  la  seconde  (Locke, 
Barbeyrac),  la  propriété  a  pour  origine  le  travail  indi- 
viduel^ qui  la  fonde  en  droit,  comme  en  fait:  aucune 
convention  n'est  nécessaire.  Il  y  a  dans  Rousseau  des 
traces  de  ces  deux  conceptions. 

Nous  avons  vu  Grotius  admettre  un  communisme 
primitif.  Pufendorf  précise  :  «  il  n'était  encore  inter- 
venu à  l'égard  des  choses  aucun  acte  humaine  »  Il  y  avait 
seulement  un  droit  accordé  par  Dieu  aux  hommes 
«d'user  des  biens  de  la  terre  ^.))  Mais 

«  les  hommes  jugèrent  à  propos  d'abolir  la  communauté  primi- 
tive...*; ils  convinrent  d'assigner  à  chacun  sa  part  de  ce  qui  était 
auparavant  en  commim,  distribution  qui  se  fit  ou  par  l'autorité 
des  pères  de  famille  ou  par  un  accord,  ou  par  le  sort...  Toutes 
les  autres  choses  qui  n'entrèrent  point  dans  ce  premier  partage, 
furent  laissées  au  premier  occupant*.» 

1  Pufendorf,  II,  p.  243. 

-  Ibid,  p.  247. 

=*  Ibid.  p.  259  et  280  et  Grotius,  p.  228-245. 

*  A  ce  droit  du  premier  occupant,  Rousseau  a  peut  être  songé  dans 
un  passage  fameux  :  «  Le  premier  qui  ayant  enclos  un  terrain. . .  »  C'est 
r«  occupatio.  ».  Cf.  Discours,  p.   113-114. 


172  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  J.   ROUSSEAU 

Et  voilà  comment  se  fait  le  passage  du  communisne 
à  la  propriété  individuelle.  Ainsi,  pour  nous  servir  de 
l'expression  même  de  Rousseau,  se  forma  «  un  droit  de 
propriété  différent  de  celui  qui  résulte  de  la  loi  natu- 
relle. »  On  sait  comment  se  formule  ce  dernier  :  «  les 
fruits  à  tous,  la  terre  à  personne  ^  « 

Pour  Grotius,  que  Rousseau  cite  -,  ce  «  partage  »  a 
pour  cause  Tagriculture  :  «  Lorsque  les  anciens  ont 
donné  à  Gérés  Tépithète  de  législatrice,  et  le  nom  de 
Thesmophories  à  une  fête  célébrée  en  son  honneur,  ils 
ont  fait  entendre  par  là  que  le  partage  des  terres  a  pro- 
duit une  nouvelle  sorte  de  droit  ».  Et  la  note  de  Grotius 
l'inspire,  lorsqu'il  fait  de  Gérés  la  législatrice  d'une 
humanité  vasabonde  : 

o 

«  Nam  et  Cereris  Thesmophoria,  id  est  legum  latio,  vocantur: 
sed  hoc  ideo  fingitur,  quia  ante  inventum  frumentum  a  Cerere 
passim  homines  sine  lege  vagabantur:  quae  feritas  interrupta  est, 
invento  usu  frumentorum,  postquam  ex  agrorum  discretione 
nata  sunt  jura...  '  » 

Grotius  explique  que  la  multiplication  de  l'espèce 
humaine  et,  par  conséquent,  l'insuffisance  de  la  terre, 
empêche  qu'elle  reste  commune,  et  décrit  un  partage 
progressif  entre  les  nations,  puis  entre  les  familles. 
Rousseau  se  contente  d'une  formule  :  l'agriculture  fut 
la  cause  de  cette  «grande  révolution^».  Il  ne  garde  de 
Grotius  que  l'image  d'une  luimanité  composée  d'agri- 
culteurs et  de  bergers  —  image  biblique  —  et  l'idée  — 
latine  —  que  les  premiers  laboureurs  posèrent  les  pre- 
mières bornes  et  fixèrent  par  là  la  propriété. 

^Discours,  p.   112  et  p.  io5. 

"  Discou}s,  p.   I  r2,  et  Grotius,  I,  p.  229. 

••  C'est  le  latin  de  Servius  cité  par  Grotius,  1,  p.  228. 

*  Discours,  p.    I  lo-i  i3. 


SOURCES   DU    DISCOURS   DE   l/lNÉGALlTÉ  lyS 

Par  contre,  il  a  gardé  l'idée  qu'une  convention  est  né- 
cessaire pour  instituer  la  propriété.  Grotius  déclare 

«que  les  choses  n'ont  point  commencé  à  passer  en  propriété 
par  un  simple  acte  intérieur  de  Tâme,  puisque  les  autres  ne  pou- 
vaient pas  deviner  ce  que  l'on  voulait  s'approprier...  il  fallut  une 
convention,  ou  expresse  (dans  le  cas  de  partage),  «  ou  tacite  » 
(dans  le  cas  d'«  occupatio  »)  ;  tous  les  hommes  ont  «  consenti  », 
ou  «  furent  censés  avoir  consenti*.  » 

Pour  Rousseau  aussi  la  propriété  tire  son  origine 
de  i(  conventions  humaines  »-.  Le  fâcheux,  c'est  qu'il  y 
ait  eu  des  gens  assez  simples  pour  la  conclure. 

Mais  la  théorie  de  Locke  a  été  mise  à  contribution 
par  Rousseau.  Barbeyrac,  immédiatement  inspiré  par 
Locke,  s'élève  contre  la  théorie  du  partage  et  surtout 
contre  cette  idée  de  convention.  Il  qualifie  la  première 
de  apure  chimère»^  et  déclare  que  la  seconde  n'est 
^nullement nécessaire^.  »  S'il  abandonne  la  thèse  du  par- 
tage (Grotius  et  Pufendorfj.  Barbeyrac  retient  l'impor- 
tance de  l'agriculture.  C'est  elle  qui  fit  sortir  l'huma- 
nité de  l'état  de  «  communauté  »  primitive,  non  pas, 
comme  le  veut  Rousseau,  en  déterminant  un  «partage», 
mais  parce  qu'elle  est  la  première  forme  du  travail 
et  de  l'industrie  humaine*.  C'est  précisément  là  l'idée 
que    Rousseau    juxtapose    à    celle    de    partage^.    C'est 

1  Grotius,  p.  228.  Pufendorf  approuve  fort  cette  phrase  (Pufendorf,  II, 
p.  248-258.) 

-  Discours,  p.  i  kj.  Cf.  p.  1 14:  «  ...  qu'il  vous  fallait  un  consentement 
exprès  et  unanime  du  genre  humain  pour  vous  approprier  sur  la  subsis- 
tance commune...»  Cf.  Pufendorf,  II,  p.  248:  «  C'était  un  crime  de  pren- 
dre la  moindre  chose  de  ce  qui  est  en  commun,  avant  que  d'avoir  là-des- 
sus le  consentement  de  tous  les  autres»  (Barbeyrac). 

•'Pufendorf,  II,  p.   249-259. 

*  Pufendorf,  II,  p.  242. 

'^  Discours,  p.  1 12  :  «...  il  est  impossible  de  concevoir  l'idée  de  la  pro- 
priété naissant  d'ailleurs  que  de  la  main-d'œuvre;  car  on  ne  voit  pas 
ce  que,  pour  s'approprier  les  choses  qu'il  n'a  point  faites,  l'homme  peut 
y  mettre  de  plus  que  son  travail.» 


174  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  J.   ROUSSEAU 

l'idée    maîtresse    de    Locke  :    Barbeyrac    la    résume  : 

a  Un  homme  se  nourrit  de  glands  ramassés  sous  un  chêne...  Quand 
est-ce  que  les  choses  qu'il  mange  commencent  à  lui  appartenir  en 
propre?  ...  Il  est  visible  qu'il  n'y  a  rien  qui  puisse  les  rendre  sien- 
nes que  le  soin  et  la  peine  qu'il prendde  les  cueillir  et  de  les  amas- 
ser. Son  travail  distingue  et  sépare  alors  ces  fruits  des  autres  biens 
qui  sont  communs:  il  y  ajoute  quelque  chose  de  plus  que  la  nature, 
la  mère  commune  de  tous  y  a  mis.  Ainsi  se  forme  la  propriété  de 
la  terre  ^  » 

Mais  selon  Locke,  la  propriété  ainsi  acquise  à  ses  limi- 
tes dans  le  besoin  individuel  : 

i(  Mais  la  propriété  des  biens  acquis  par  le  travail  doit  donc  être 
réglée  selon  le  bon  usage  qu'on  en  fait  pour  l'avantage  et  le  plaisir 
de  la  vie  [pour  les  besoins  et  les  commodités  (variante  Barbeyrac)] 
si  l'on  passe  les  bornes  de  la  tnodération  et  que  l'on  prenne  plus  de 
choses  qu'on  en  a  besoin,  on  prend  sans  doute  ce  qui  appartient  aux 
autres.  » 

Il  y  a  des  traces  de  cette  théorie  en  deux  endroits 
dans  Rousseau  ''.  Ainsi  se  juxtaposent  les  deux  théories 
alors  exprimées  sur  l'origine  de  la  propriété^. 


1  Locke,  Gouvernement  Civil,  p.  32-70.  Pufendorf,  II,  p.  248-49.  Je 
cite  Locke;  tout  ce  qui  est  en  italique  est  textuellement  dans  Bar- 
beyrac. 

-  Discours,  p.  I  10  ei  I  14.  «  ...  utile  à  un  seul  d'avoir  des  provisions  pour 
deux  i>  «...  s'approprier  sur  la  subsistance  commune  tout  ce  qui  va  au- 
delà  de  la  sienne.  » 

•'■  Rousseau  ne  connaît-il  Locke  qu'à  travers  Barbeyrac  ?  Il  est  faux 
de  l'affirmer.  Une  grande  note  de  Rousseau  contient  une  très  longue 
citation  du  Gouvernement  civil.  Rousseau  écrit  :  «  C'est  le  seul  tra- 
vail, qui,  donnant  droit  au  cultivateur  sur  le  produit  de  la  terre,  lui 
en  a  donné  par  conséquent  sur  le  fonds...»  et  paraît,  là,  s'inspirer  direc- 
tement de  Locke  :  «  Nous  voyons  que  cultiver  la  terre  et  avoir  domi- 
nation sur  elle  sont  des  choses  jointes  ensemble  :  l'une  donne  droit 
à  l'autre.»  Il  n'y  a  rien  d'équivalent  dans  la  note  de  Barbeyrac.  Pour- 
tant dans  l'une  des  additions  ajoutées  au  texte  en  1782,  Rousseau  cite 
Barbeyrac  de  préférence  à  Locke.  Discours,  p.  119,  citation  presque 
intégrale  d'une  note  de  Barbeyrac,  dans  son  édition  de  Pufendorf,  III, 
p.  23!^  (Locke,   Gouvernement  civil,  p.  3o   et  3i).  Une  autre  citation  de 


SOURCES   DU    DISCOURS   DE   l'iNÉGALITÉ  l'j'j 

D'un  nouvel  état  de  choses  créé  par  /'«  invention  » 
de  la  propriété.  —  Avec  l'institution  de  la  propriété, 
nous  rattrapons  Hobbes.  Le  droit  égal  que  tous  les  hom- 
mes ont  sur  toutes  choses  entraîne  la  guerre  \  mais 
seulement  dès  l'instant  où  ils  commencent  à  revendi- 
quer individuellement  ce  droit,  fondé  sur  un  nouvel  état 
de  choses  :  alors  se  produisent  la  «  cojicurreftce  et  la  ri- 
valité^» qui  «produisit  une  infinité  de  disputes  et  de 
querelles.  »  Elle  est  indiquée  dans  Pufendorf^.  Mais 
c'est  à  la  description  de  Hobbes  que  Rousseau  est  re- 
venu. Cet  état  de  guerre  amène  les  hommes  à  former 
entre  eux  une  convention  qui  assure  la  paix.  Mais  Rous- 
seau donne  à  la  propriété  une  importance  capitale  ;  c'est 
Locke  qui  l'inspire.  Pour  Locke, 

«  la  principale  fin  que  se  proposent  les  hommes,  lorsqu'ils  s'u- 
nissent à  une  communauté  et  se  soumettent  à  un  gouvernement, 
c'est  de  conserver  leurs  propriétés,  pour  la  conservation  desquel- 
les bien  des  choses  manquent  dans  l'état  de  nature*.» 

L'influence  des  politiques  anglais  domine  dans  la  fin 
du  livre. 


Locke  paraît  être  venue  à  Rousseau  par  Barbeyrac:  «Car,  selon  l'axio- 
me du  sage  Locke,  il  ne  saurait  y  avoir  d'injure  où  il  n'y  a  point  de 
propriété.  »  Cette  citation  est  tirée  de  VEssai  philosophique  sur  l'En- 
tendement humain,  IV,  3,  i8,  p.  447,  2'  édit.  Coste.  Barbeyrac  dans  sa 
préface  à  Pufendorf,  Sur  les  méthodes  en  droit  naturel,  cite  ce  passage. 
Ailleurs,  critiquant  la  théorie  qui  fait  du  pouvoir  paternel  l'origine  du 
pouvoir  absolu,  Rousseau  passe  légèrement  (Discours,  p.  118)  sur  les 
objections  de  Locke  et  de  Sidney  ;  ces  deux  auteurs  sont  encore  cités 
par  Barbeyrac,  qui  expose  le  système  de  Locke  à  ce  sujet  (Pufen- 
dorf, III,  62-63.)  Rousseau  a  lu  Locke,  mais  Barbeyrac  a  attiré  son  atten- 
tion sur  certains  passages  de  cet  écrivain. 

'  Hobbes,  De  Cive,  p.    14. 

-  Discours,  p.    113-114. 

■  Pufendorf,  II,  p.  25 1. 

*  Locke,  Gouvernement  civil,  p.    179. 


176  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  .1.   ROUSSEAU 


III.    L'Etat  Civil. 

Mais  si  Locke  et  Sidney^  fournissent  à  Rousseau 
quelques  thèmes  contre  la  monarchie  absolue,  Pufen- 
dorf  et  Barbe3rac  ne  sont  pas  oubliés-. 

Selon  Rousseau,  «le  conquérant  et  le  peuple  conquis 
restent  entre  eux  en  état  de  guerre»  jusqu'à  la  recon- 
naissance libre  du  vainqueur^.  Et  pour  Pufendorf, 
ff  lorsqu'on    acquiert    la    souveraineté   par  les   voies  de 

la  force,  cela  s'appelle  s'en  emparer Toute  conquête 

légitime suppose  que   les  vaincus   se   sont  soumis  à 

1  L"etude  de  linfluence  de  Sidney  1  Discours  sur  le  gouvernement  1 
j<Mme  à  celle  de  Grotius,  Pufendorf  et  Barbeyrac  jette  un  jour  sur  l'éru- 
dition de  Rousseau.  Il  a  pris  à  Sidney  trois  passages  où  se  trouvaient 
des  citations  latines. 

Discours,  p.  124,  deux  citations  (Lucain).  Cf.  Sidney,  sect.  XIX,  I, 
p.  417-23.  «La  corruption  et  la  vénalité,  qui  est  si  commune  dans  les 
cours  des  princes  souverains  et  dans  leurs  Etats,  se  trouve  rarement  dans 
les  républiques  et  dans  les  gouvernements  mixtes.  »  Sidney  y  montre 
que  «  les  démocraties  ne  peuvent  se  soutenir  que  par  la  pratique  de  la 
vertu  »  ;  or  «  toutes  les  choses  du  monde  se  gouvernent  par  un  principe 
conforme  à  leur  origine.  »  Ainsi  César  «  n'ignorait  point  que  de  la  cor- 
ruption du  peuple  dépendait  sa  sûreté...  celui-là  était  un  soldat  selon 
son  cœur  qui  dirait  :  Pectore  si  fratris...  » 

Cf.  Sidney,  sect.  XIX  (I,  p.  qS?),  montre,  autour  des  tyrans,  des  hom- 
mes vicieux  qui  les  soutiennent  «  ce  sont  ces  gens-là  quitus  ex  lioves- 
to  niilla  est  spes ;  ils  ont  en  horreur  l'autorité  des  lois  parce  qu'elle  ré- 
prime leur  vice  :  mais  ils  se  font  un  plaisir  d'obéir  à  un  homme  qui  les 
favorise...  »  La  citation  de  Tacite  est  dans  le  Discours. 

Discours,  p.  118:  «  miserrimam  servitutem  pacem  appellant»  (Tacite, 
Hist.  IV,  17).  Cette  citation  se  retrouve  dans  Sidney,  sect.  XV,  tome  1, 
p.  359:  «  L'empire  romain  ne  cessa  de  déchoir  dès  qu'il  fut  entre  les 
mains  d'un  seul  homme».  Sidney  y  critique  Filmer,  qui  soutenait  que 
le  bonheur  et  la  grandeur  de  Rome,  ainsi  que  les  joies  de  la  paix,  se 
trouvèrent  sous  l'empire.  «Les  Bretons,  nos  ancêtres,  observèrent... 
que  la  paix  que  les  Romains  donnèrent  aux  hommes  en  ce  temps-là    ne 

tendait  qu'à  les  rendre  de  plus  en  plus  esclaves  :  miserrimam 

etc.,  comme  dit  un  grand  historien...» 

2  Grotius  est  laissé  de  côté.  Du  reste  toutes  ses  idées  sont  passées  dans- 
Pufendorf. 

•■  Discours,  p.  I  lO,  et  supra. 


SOURCES   DU    DISCOURS   DE   L  INÉGALITÉ  I77 

lui  par  une  convention;  autrement,  ils  sont  encore  ré- 
ciproquement en  état  de  guerre,  et  par  conséquent,  il 
n'est  pas  leur  souverain^». 

Il  n'est  pas,  selon  Rousseau,  «raisonnable))  de  croire 
que  les  peuples  se  sont  d'abord  jetés  dans  l'esclavage  de 
l'abolutisme*.  C'est  l'avis  de  Pufendorf. 

«  La  démocratie  est  la  plus  ancienne  parmi  la  plupart  des  na- 
tions ;  antiquité  qui,  d'ailleurs,  est  conforme  a  la  raison,  v  avant 
tout  lieu  de  supposer  que  ceux  qui  renonçaient  à  l'état  de  liberté 
et  d'égalité  naturelle  pour  se  joindre  en  un  seul  corps,  voulurent 
d'abord  gouverner  en  commun  les  affaires  de  la  société.  Le  moyen 
de  s'imaginer  qu'un  père  de  famille,  qui,  après  avoir  aperçu  les 
incommodités  d'une  vie  solitaire  entrait  volontairement  dans  une 
société  civile...  oubliât  si  fort  son  ancien  état  d'indépendance  où 
il  se  conduisait  à  sa  fantaisie  dans  tout  ce  qui  regardait  sa  con- 
servation que  de  se  soumettre  d'abord  à  la  volonté  d'une  seule 
personne  en  matière  d'affaires  publiques^.» 

Rousseau  enfin,  conteste  que  le  Contrat  qui  unit  les 
gouvernés  au  souverain  puisse  être  unilatéral.  C'était 
l'opinion  de  Pufendorf.  Rousseau  la  cite  pour  la  criti- 
quer. Tant  il  est  vrai  qu'il  suit  de  près  le  livre  du 
juriste.       , 

Pour  Pufendorf  la  souveraineté  repose  donc  sur  un 
abandon  des  droits  du  peuple.  Mais  que  devient  le 
droit  divm^  si  la  souveraineté  ne  repose  que  sur  une 
convention  humaine? 

«  Pour  la  rendre  plus  sacrée  et  plus  inviolable,  il  faut  un  prin- 
cipe plus  relevé  ;  que  l'autorité  des  princes  soit  de  droit  divin 
aussi  bien  que  de  droit  humain....  la  droite  raison  fait  voir  que 
l'établissement  des  sociétés   civiles  était    absolument    nécessaire 

'  Pufendorf,  III,  20g,  et  aussi  III,  407.  Il  y  a  dans  Locke  des  idées 
similaires  (Gouvernement  civil,  263,  265,  275)  :  mais  il  distingue  la 
conquête  juste  de  l'injuste.  Ce  texte  est  cité  par  Barbeyrac,  III,   p.  407. 

2  Discours,  p.  117. 

3  En  désaccord  avec  Locke,  Gouvernement  civil,  p.  134,  qui  admet 
une  royauté  primitive  :  Barbeyrac  approuve  Locke.  Mais  Pufendorf  le 
contredit,  III,  p.   i56-i57. 

12 


I  "8  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  .1.  ROUSSEAU 

pour  l'ordre,  la  tranquiliie  et  la  conservation  du  genre  humain...  » 
Mais  il  «  faut  rapporter  à  Dieu  les  établissements  que  les  hommes 
ont  inventés  eux-mêmes  par  les  liunières  de  la  droite  raison^.» 

La  théorie  de  Rousseau  sur  le  droit  divin  rappelle 
celle-là  :  pour  éviter  les  désordres,  il  faut  quelque  chose 
de  plus  solide  que  la  seule  Raison  ;  la  volonté  divine 
doit  donner  à  l'autorité  un  caractère  sacré  et  inviola- 
ble.  Au  fond,  pour  l'un  et  Fautre,  le  droit  divin  n'est 
qu'un  moyen  de  gouvernement  :  il  achève  plus  qu'il  ne 
constitue  la  souveraineté. 

D'ailleurs.  Pufendorf  est  moins  absolutiste  qu'il  le 
paraît  :  il  établit  fortement  la  souveraineté,  mais  il  v 
admet  des  «  modifications.  »  Toutes  les  promesses  des 
rois  n'emportent  pas  une  limitation  de  leur  souverai- 
neté, écrit-il  -;  mais  il  reconnaît  qu'ils  sont  sujets  à  des 
pt^omesses  parliculières^  c'est-à-dire  celles  <(  qui  renfer- 
ment un  engagement  particulier  de  gouverner  selon  cer- 
taines règles  prescrites,  que  l'on  appelle  les  Lois  fonda- 
meiilales  de  l'Etat  y).  Et  le  souverain  est  soumis  à  ces 
lois  si  ((fortement»  que  ((tout  ce  qu'il  fait  contre  les 
statuts  et  les  lois  fondamentales  est  entièrement  nul 
par  lui-même  et  n'oblige  en  aucune  façon  les  sujets.  >« 
Ces  lois  fojidatueiilales  leparaissent  dans  Rousseau,  et 
obligent  tous  les  membres  de  l'Etat,  sans  exception". 

Et  Rousseau  ^  pour  appuyer  cette  théorie  cite  un 
long  passage  d'un  écrit  cùlèbvc  publié  en    lôO-j  au  nom 

'  Pufendorf,  111,  p.   ilii,  et  Discours,  p.   i'ji. 

^  Pufendorf,  III,  p.    i()5-uj6. 

3  Discours,  p.    120. 

*  Voyez  Discours,  p.  inj.  C'est  le  Traité  des  droits  de  la  Reine  très 
chrétienne  sur  divers  états  de  la  monarchie  d'Espagne,  1667,  4°,  Imp. 
royale.  Sidney,  Discours  sur  le  f^ouverjiement  (t.  Il,  p.  2^8,  édit.  de 
1702,  4*)  faisait  allusion  à  cet  ouvrage  sans  citation.  Barbeyrac,  dans 
Pufendorf,  III,  p  uj6,  rappelle  ce  passage  de  Sidncy  et  complète  ces 
allusions  par  des  citations  intégrales. 


SOURCES    nu    DISCOURS   DE   L  INEGALITE  IJi) 

et  par  les  ordres  de  Louis  XIV.  La  citation  est  de  se- 
conde main.,  et  confirme  l'usage  que  Rousseau  a  fait  du 
commentaire  de  Barbeyrac  :  ce  juriste,  en  effet,  cite  pré- 
cisément en  note,  —  au  moment  où  Pufendorf  parle  de 
ces  lois  fondamentales  de  l'Etat,  qui  ont  reparu  dans  le 
Discours,  —  le  passage  du  «  Traité  des  Droits  de  la 
Reine»  qui  est  dans  Rousseau. 

IV 

De  l'Information  scientifique  du  Discours. 

Nous  avons  montré  Rousseau  poussé  par  Diderot  à 
l'application  d'une  méthode  scientifique,  et  préparé  à 
tenir  compte  dans  sa  description  de  l'homme  naturel 
des  observations  et  des  expériences.  Sur  elles,  il  s'efforce 
d'appuyer  ses  vues.  Quelle  est  donc  son  info?ynation 
scientijique? 

L'histoir,e  naturelle  de  Buffon  en  constitue  le  fond  le 
plus  solide,  mais  non  pas  unique^.  La  Théorie  de  la  terre, 
si  ardue,  et  en  apparence  étrangère  au  sujet  de  Rous- 
seau est  mise  à  contribution.  Il  y  prend  une  vision  de 
la  terre   primitive,  bouleversée   par  des    «  révolutions, 

'  Cf.  les  notes  où  il  y  a  des  citations  textuelles.  La  note  (*2)  i Discours, 
p.  127),  reproduit  Buffon,  IV,  p.  1 5 1,  De  la  nature  de  l'homme  ;  la  note  (*a) 
(Discours,  p.  129)  la  Théorie  de  la  terre,  Preuves,  article  VII,  tome  I, 
p.  354-55.  On  est  renvoyé  à  ce  passage  par  le  texte  même  de  la  Théorie 
de  la  terre,  I,  p.  108.  La  note  (*d)  1  Discours,  p.  i'-Î2)  est  tirée  de  l'histoire 
naturelle  du  chevai,  tome  VIL  D'après  la  réponse  donnée  par  Rous- 
seau lui-même  à  la  note  (*2)  (Hachette,  p.  127),  Rousseau  a  lu  V His- 
toire naturelle  générale  et  particulière,  avec  la  description  du  cabinet 
du  roy,  1752,  Paris,  Imp.  royale  (ss.  n.  d'à.)  édit.  in-12.  Nous  nous  y  re- 
porterons dans  nos  références.  En  1793,  4  tomes  in-4*,  8  tomes  in-12, 
ont  paru  (cf.  Corr.  de  Grimm,  II,  p.  285.)  Je  donne  pour  les  notes 
le  numérotage  de  l'édition  princeps  du  Discours. 


l8o  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  J.   ROUSSEAU 

inondations  et  tremblements  de  terrée»  Dans  les 
Prieures  de  la  Théorie  de  la  terre^^  il  est  question  de 
(c  révolutions  arrivées  à  la  surface  de  la  terre»,  un  peu 
plus  bas,  du  a  globe  terrestre»  (p.  411),  et  on  lit  : 

«  Il  Y  a  grande  apparence...  que  l'Ile  de  la  Grande-Bretagne 
était  autrefois  jointe  à  la  France  et  faisait  partie  du  continent  ; 
on  ne  sait  si  c'est  par  un  tremblement  de  terre,  ou  par  une  irrup- 
tion de  rOcéan...  (p.  423)  ...  Il  arriva  une  grande  inondation  dans 
une  partie  de  la  Flandre  par  une  irruption  de  la  mer  (p.  424).  » 

Le  chapitre  est  plein  d'exemples  du  même  genre. 
Ailleurs  c'est  un  renseignement  sur  la  durée  de  la  vie 
que  Rousseau  puise  dans  Butfon  :  la  vie  moyenne  de 
l'homme  est  constante  à  l'état  sauvage  et  à  l'état  civilisé  ^. 
Buffon  s'efforce  de  prouver  qu'à  «  prendre  le  genre  hu- 
main en  général  il  n'y  a  aucune  différence  dans  la  du- 
rée de  la  vie...»  et  que  «  rien  ne  peut  changer  les  lois 
de  la  mécanique  qui  règlent  le  nombre  des  années.»  Il 
cherche  des  détails  anatomiques.  Rousseau,  qui  tient 
pour  la  thèse  de  l'homme  bipède,  utilise  cet  argument: 
<c  aucun  quadrupède  n'a  le  sein  placé  comme  la  fem- 
me*. »  On  trouve  dans  Buffon  (De  l'âge  piril)  une 
douzaine  de  lignes  sur  la  place  des  mamelles  chez  les 
animaux.  Rousseau  veut-il  documenter  l'hypothèse  de 
l'homme  «frugivore^»,  il  s'adresse  à  Butfon": 

«  Comme  l'herbe  et  les  végétaux  suffisent  à  leur  nourriture...  les 
chevaux  ne  se  font  pas  la  guerre  entre  eux  ;  ils  ne  se  disputent 
pas  leur  subsistance.  Ils  n'ont  jamais  l'occasion  de  ravir  une  proie, 

'  Discours,  p.   108. 

-  l^uffon,  II,  p.  410  et  sq .  Je  classe  I^ufVon  parmi  les  influences  livres- 
ques parce  que  Rousseau  n'a  guère  pu  subir  l'action  de  sa  conversa- 
tion. 

•'  Discnuis,  p.  87,  et  Butfon,  IV,  p.   3<)4  et  sq. 

*  Discours,  p.    1 28. 

•''  Discours,  p.  1 3o. 

«  Buffon,  VU,  p.  253. 


SOURCES  nu  DISCOURS  DE  l'inégalité  l8l 

ou  de  s'arracher  un  bien,  source  ordinaire  de  querelle  et  de  com- 
bat parmi  les  animaux  carnassiers  ;  ils  vivent  donc  en  paix.  » 

Rousseau,  dans  sa  note  4,  montre  que  la  proie  et  les 
disputes  qui  s'en  suivent  n'existent  pas  pour  l'homme 
primitif,  s'il  est  frugivore  ^  Mais  l'est-il  ?  Buffon  dit 
bien  que  «  l'homme  pourrait  comme  le  bœuf  vivre  de  vé- 
gétaux»^, mais  les  considérations  anatomiques  sur  quoi 
il  s'appuie  sont  assez  obscures.  Rousseau  relève  un  ar- 
ticle du  Journal  économique  de  janvier  1754,  qui  rend 
compte  d'une 

«  dissertation  entre  le  docteur  Wallis  et  le  docteur  Tyson  sur 
l'usage  où  sont  les  hommes  de  manger  la  chair  des  animaux.  Le 
docteur  Wallis  soutient  la  thèse  de  Gassendi,  qui  insiste  sur  la 
structure  des  dents  de  l'homme,  qui  sont  pour  la  plupart  incisives 
ou  molaires...  Le  docteur  Wallis  ajoute  que  les  cochons,  les 
bœufs,  la  plupart  des  quadrupèdes  qui  se  nourrissaient  d'herbes  et 
de  plantes  ont  un  long  colon...  au  lieu  que  les  loups  et  les  re- 
nards et  différents  animaux  carnassiers  n'ont  pas  ce  colon...  Or 
on  sait  que  ce  colon  se  voit  distinctement  chez  l'homme.  » 

Rousseau  se  souvient  de  cette  page  lorsqu'il  écrit': 
«  Quant  aux  intestins,  les  frugivores  en  ont  quelques- 
uns,  tels  que  le  colon,  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  les 
animaux  voraces...  »  Or  l'homme  a  les  intestins  «  com- 
me les  ont  les  animaux  frugivores^.  » 


'  Discours,  p.   128  et  sq. 

2  Buffon,  VIII,  p.  89  et  sq.  (Le  bœuf.) 

•''  Discours,  p.  i3o. 

*  Dans  les  mêmes  intentions,  Rousseau  lisait  les  Observations  sur 
l'histoire  naturelle,  la  physique  et  la  peinture  de  Gautier.  Cette  com- 
pilation, qui  devint  à  partir  de  1755  le  Journal  de  physique,  contient 
des  descriptions  anatomiques  et  médicales,  des  études  de  physique 
(théorie  de  la  terre),  des  polémiques  de  savants  et  des  études  sur  les 
procédés  techniques  des  beaux-arts  ;  après  une  monographie  sur  le 
«loir»  se  trouve  un  chapitre  «  sur  l'adresse  de  l'homme  contre  la  force 
et  les  ruses  des  animaux  les  plus  terribles  et  les  plus  féroces»  (I,  p.  246 
et  sq.)  L'article  débute  par  une  description  des  courses  de  taureaux  en 


l82  ANNALES    DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  -1.    ROUSSEAU 

Buffon  a  donné  une  théorie  de  la  nature  humaine. 
Faut-il  rapprocher  le  paragraphe  de  Rousseau  sur  la 
Perfectibilité  de  ces  lignes  de  Buffon^? 

«  Si  les  animaux  étaient  doues  de  la  puissance  de  réfléchir, 
même  au  plus  petit  degré,  ils  seraient  capables  de  quelque  espèce 
de  progrès;  ils  acquerraient  plus  d'industrie;  les  castors  d'aujour- 
d'hui bâtiraient  avec  plus  d'art  et  de  solidité,  que  ne  bâtissaient 
les  premiers  castors.  Pourquoi  chaque  espèce  ne  fait-elle  jamais 
que  la  même  chose  et  de  la  même  façon?  et  pourquoi  chaque  in- 
dividu ne  le  fait-il  ni  mieux,  ni  plus  mal  qu'un  autre  individu? 
Tous  travaillent  sur  le  même  modèle,  l'ordre  de  leurs  actions  est 
tracé  dans  l'espèce  entière:  il  n'appartient  point  à  l'individu.  » 

Le  rapprochement  porte  sur  deux  points  :  la  «  perfec- 
tibilité »  selon  Rousseau,  «  réside  dans  l'homme,  tant 
dans  Tespèce  que  dans  Tindividu...  un  animal  est  au 
bout  de  quelques  mois  ce  qu'il  sera  toute  sa  vie,  et  son 
espèce  au  bout  de  mille  ans  ce  qu'elle  était  la  pre- 
mière année  de  ces  mille  ans  2,  ^>  Relation  entre  l'espèce 
et  l'individu,  comparaison  de  deux  moments  dans  la  vie 
d'une  espèce  animale.  Mais  quelle  différence!  Pour 
Buffon,  c'est  l'œuvre  qui,  chez  l'animal,  ne  se  perfec- 
tionne pas;  pour  Rousseau,  c'est  l'ouvrier-^  Buffon  n'a 
en  vue  que  les  acquisitions  extérieures  à  la  nature  de 
l'être  ;  pour  Rousseau,  la  nature  même  de  l'homme  est 
acquise  ;  on  sent  ici  se  greffer  l'inliuence  de  Condillac\ 
Et  par  elle  Rousseau  se  sépare  de  Bulfon^  pour  qui 
('  l'homme  est  un  être  raisonnable,  l'animal  un  être  sans 

Espagne,  «  pour  faciliter  l'intelligence  de  ce  fait  d'histoire  naturelle.  » 
Rousseau,  dans  sa  note,  a  copie  la  page  262-26;^  avec  de  légères  va- 
riantes. 

'  Bulïon,  IV,  p.   167. 

-  Discours,  p.    190. 

3  J.  de  Castillon  (op.  cit.,  p.  35),  ne  conçoit  pas  que  la  perfectibilité 
puisse  «  s'appliquer  à  la  raison  »,  qui  est  une  «  faculté  »  ;  une  (.  faculté 
artificielle  »  est  une  contradictio  in  terminis. 

*  Cf.  supra. 

i  Cf.  Discours,  p.  Sij.  Cl  l'.ufFoii,  V\l,  p.  76  et  TV,  171. 


SOURCES    [)U    DISCOURS    DE    l'iNÉGAMTÉ  i83 

raison  »,  pour  qui    «on  ne    peut  descendre  insensible- 
ment et  par  nuances  de  l'homme  au  singe.  » 

Buffon  tenait  trop  à  la  Raison  pour  ne  pas  faire  le 
procès  de  la  passion  ^  :  «  il  n'}-  a  que  le  physique  de  l'a- 
mour qui  soit  bon»  :  c'est  que,  a  malgré  ce  que  peuvent 
dire  les  gens  épris,  le  moral  n'en  vaut  rien.  »  A  peine 
écrite,  cette  phrase  devient  célèbre  :  Grimm  l'a  relevée; 
on  dit  que  M'"*^  de  Pompadour  protesta.  Rousseau,  à 
qui  les  théoriciens  de  r«  état  de  guerre  »  apportent  l'ob- 
jection des  luttes  pour  la  femelle  ^  en  fait  son  profit.  Il 
distingue  aussi  le  moral  du  physique  dans  le  sentiment 
de  l'amour'.  Pour  Buffon,  le  moral  de  l'amour  est  la 
vanité,  et  Rousseau  y  a  substitué  l'idée  plus  psycholo- 
gique de  préférence  exclusive.  Mais  voici  cette  «  imagi- 
nation, qui,  selon  Rousseau,  fait  tant  de  ravages  parmi 
nous,  et  ne  parle  point  à  des  cœurs  sauvages  »  : 

«  Les  animaux,  dit  Bufll'on,  ne  sont  point  sujets  à  toutes  ces  mi- 
sères ;  ils  ne  cherchent  pas  des  plaisirs  où  il  ne  peut  y  en  avoir  ; 
guide's  par  le  sentiment  seul,  ils  ne  se  trompent  jamais  sur  leur 
choix  :  leurs  désirs  sont  toujours  proportionnés  à  la  puissance  de 
jouir...  L'homme,  au  contraire,  en  voulant  inventer  des  plaisirs 
ne  fait  que  gâter  la  nature;  en  voulant  se  jouer  sur  le  sentiment 
il  ne  fait  qu'abuser  de  son  être  et  creuser  dans  son  cœur  un  vide 
que  rien  n'est  capable  ensuite  de  remplir.  » 

Chez  l'homme  sauvage,  dit  Rousseau,  «  le  besoin 
satisfait,  tout  le  désir  est  éteint.  » 

Mais  c'est  le  chapitre  de  Buffon  sur  les  Var^iétés  dans 
l'espèce  humaine  qui  a  le  plus  inspiré  Rousseau*.  Dès 

'  Buffon,  VII,  p.   1 1  I  et  sq . 
-  Cf.  supra. 

*  Discours,  p.   i o i . 

*  II  s'agit  de  ce  chapitre  où  Buffon  passe  en  revue  toute  l'humanité. 
'Voici  quelques  détails  qui  prouveront  avec  quel  soin  Rousseau  l'avait 
lu.  Sur  la  petitesse  des  Lapons  et  surtout  des  Groënlandais  (Discours, 
p.  i38),  voyez  Buffon,  VI,  p.    loi  :  «  Les   Lapons    sont  très   petits...  la 


184  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  .1.   ROUSSEAU 

son  premier  Discotn^s  le  Sauvage  l'avait  attiré;  Mon- 
taigne avait  tourné  ses  idées  de  ce  côté.  Maintenant, 
c'est  pour  reconstituer  l'état  de  nature  qu'il  va  étudier 
les  primitifs.  Cette  étude  avait  déjà  servi  à  plusieurs 
fins  :  la  critique  des  religions  avait  cherché  à  savoir 
s'il  existait  des  peuples  n'ayant  aucune  idée  de  Dieu  ; 
puis  les  idolâtries  particulières  à  ces  peuples  servirent 
à  attaquer  le  «  fanatisme.  »  On  avait  aussi  placé,  dans 
le  cadre  de  tribus  lointaines,  des  Salentes  idéales  et  des 
critiques  politiques  et  sociales  ;  la  fiction  du  «  bon  sau- 
vage »  se  créait  peu  à  peu,  et  les  relations  des  voya- 
geurs «  imbues  de  ces  dispositions  nouvelles,  furent 
pleines  d'éloges  attendris  du  sauvage  et  le  représentè- 
rent... comme  un  être  exceptionnellement  bon,  inno- 
cent et  heureux  ^  »  Mais  chez  Rousseau  il  ne  paraît  pas 
y  avoir  d'effort  pour  idéaliser  le  sauvage.  Il  considère  la 
relation  de  voyage  comme  un  document  historique, 
qu'il  critique^.  Il  accorde  croyance  à  celles  qui  lui  four- 
nissent des  «  exemples  de  la  force  et  de  la  vigueur  des 
hommes  sauvages,  parce  qu'il  ne  faut  que  des  yeux  pour 
observer  ces  choses»  :  ce  sont  des  u  témoins  oculaires^» 
qu'il  croit  à  propos  des  singes  «  anthropoformes.  »  Ici 
encore  le  document   de  première  main  et  la  valeur  du 

plupart  n'ont  que  quatre  pieds  de  hauteur.  Les  Borangiens  sont  encore 
plus  petits  que  les  Lapons. . .  Les  femmes  du  Groenland  sont  de  lort  pe- 
tite taille.  »  Si  Roussea»  (Discours,  p.  1 39)  parle  de  «  peuples  entiers  qui  ont 
des  queues  »,  c'est  qu'on  lit  dans  BulTon  (VI,  p.  i  12-1 13)  :  «  Des  .lésuites 
très  dignes  de  foi  ont  assuré  que  dans  l'île  de  Mindoro,  il  y  a  une  race 
d'hommes  appelés  Manghiens  qui  ont  des  queues  de  quatre  ou  cinq 
pouces  de  longueur.  »  Ailleurs  Rousseau  écrit  :  «  Les  Patagons,  vrais  ou 
faux  »,  et  on  lit  dans  Buffon  (VI,  p.  3oi  et  sq.)  une  longue  dissertation 
sur  ces  peuples  dont  on  rapportait  qu'ils  avaient  une  taille  énorme. 

'  Lichtenberger,  Le  socialisme  au  XVIII"  siècle,  p.  6. 

'  Cf.  supra. 

■•  Discours,  p.  i3i . 


SOURCES   DU   DISCOURS   DE   l'iNÉGAI.ITÉ  i8d 

témoignage  mesurée  !  La  valeur  de  toute  l'histoire  des 
voyages  est  aussi  contestée.  Il  faudrait  un  voyageur  phi- 
losophe ^  Ces  documents  ainsi  interprétés  Taideront  à 
préciser  ce  que  furent  les  premiers  hommes  et  les  pre- 
miers groupements. 

Or  voici  la  première  «  nation  particulière  »  selon 
Rousseau.  «Elle  est  unie,  de  mœurs  et  de  caractères, 
par  le  même  genre  de  vie  et  d'aliments  et  par  l'influence 
commune  du  climat-.»  C'est  exactement  la  solution  de 
Buffon  au  problème  des  Variétés  dans  l'espèce  humaine. 
J'admettrais,  dit-il,  trois  causes  qui  concourent  à  pro- 
duire ces  variétés:  «l'influence  du  climat,  \ii  nour?-i- 
tuî^e,  les  fnœurs:»^  et  qui  toutes  dépendent  de  la  pre- 
mière^. C'est  le  principe  qui  domine  son  chapitre  :  il 
explique  l'uniformité  que  l'on  constate  entre  les  peupla- 
des de  l'Amérique^,  par  l'uniformité  du  climat  et  de  la 
nourriture  :  il  complète  sa  démonstration  en  y  ajoutant 
l'idée  de  la  durée  et  de  la  continuité  de  ces  influences  : 

«  Les  Américains  se  ressemblent  tous  parce  qu "étant  nouvelle- 
ment établis  dans  leur  pays,  les  causes  qui  produisent  des  varié- 
tés n'ont  pu  agir  assez  longtemps  pour  opérer  des  effets  bien  sen- 
sibles^. » 

Voici  la  même  argumentation  chez  Rousseau".  Il  n'i- 
gnore pas  «les  puissants  effets  de  la  diversité  des  climats^ 
de  l'air,  des  aliments.,  de  la  manière  de  vivre,  des  habitu- 
des en  général,  ni  surtout  la  force  étonnante  des  mêmes 
causes,    quand   elles    agissent   continuellement   sur   de 

'  Discours,  p.    143-144. 
2  Discours,  p.    108-109. 
='  Buffon,  VI,  p.  209  et  sq. 
*  Buff'on,  VI,  p.  309  et  sq. 
^  Ibid,  p.  3o5 . 

''•  Discours,  p.  139.  Toute  la  note  est   très  directement  inspirée  de  ce- 
chapitre  de  Buffon. 


l86  ANNALES    DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.   J.    ROUSSEAU 

longues  suites  de  générations.  »  Ces  causes  entraînent 
((  les  variétés  les  plus  frappantes  »  dans  la  «  figure  et 
l'habitude  du  corps.  » 

Ces  «nations»  ne  constituent  pas  l'état  initial  des 
sociétés  ^  «  La  partie  nord  de  l'Amérique,  dit  Buffon, 
est  si  déserte  que  M.  Fabr}'  a  fait  souvent  cent  ou  deux 
cents  lieues  sans  trouver  une  face  humaine»  ...et  lors- 
qu'il rencontrait  des  «habitations»,  «c'était  toujours  a 
des  distances  extrêmement  grandes  les  unes  des  autres» 
«  ...Dans  chacune  il  n'y  avait  souvent  qu'une  famille... 
et  rarement  plus  de  vingt  personnes  ensemble...  »  Ainsi 
Rousseau  groupe  sous  la  première  hutte  la  première 
famille,  «petite  société-»,  et  ces  familles  sont  séparées 
sur  le  continent:  ce  n'est  que  dans  les  îles  qu'elles  sont 
«  rapprochées,  et  forcées  de  vivre  ensemble  »  ;  ce  n'est 
qu'ensuite  que  la  «  nation  »  se  forme.  Et  pour  Butfon 
les  premières  sociétés  participent  plus  encore  de  l'indé- 
pendance naturelle,  que  pour  Rousseau.  Tout  s'y  fait 
par  '<  caprice  »  :  il  n'y  a  «  ni  règles,  ni  maîtres,  ni  lois»; 
ce  sont  des  «assemblages  tumultueux  d'hommes  barba- 
res et  indépendants»  :  ils  se  «  réunissent  on  ne  sait  pour- 
quoi», «se  séparent  sans  raison»,  «n'obéissant  qu'à 
leurs  passions  particulières-''.  »  Du  moins  pour  Rousseau 
les  premières  «  troupes  »  d'hommes  ont  «  une  assiette 
fixe»;  le  «voisinage  est  permanent»  entre  les  familles*. 

C'est  ainsi  que  le  naturaliste  Bufibn  est  amené  à  né- 
gliger ces  «prétendues  nations»  et  déclare  «nécessaire 
d'examiner  la  nature  de  l'individu.  »  Le  savant  confirme 


'   Buflon.  VI,  p.  272. 
-'  Discours,  p.  107-108. 
'  Buffon,  VI,  p.  275  et  sq. 
*  Cf.  Discours,  p.   108. 


SOURCES    DU    DISCOURS    !)(•;    I.IXHCAF.ITK  I  87 

la  thèse  du  politique  :    un  état  purement  individualiste 
a  précédé  l'état  v  civil  »  : 

«  L'homme  sauvage  est  de  tous  les  animaux  le  plus  singulier, 
le  moins  connu  et  le  plus  difficile  à  décrire  :  mais  nous  distin- 
guons si  peu  ce  que  la  nature  nous  adonné,  de  ce  que  l'imitation, 
l'éducation,  l'art  et  l'exemple  nous  ont  communiqué,  qu'il  ne  se- 
rait pas  étonnant  que  nous  nous  méconnussions  totalement  au 
portrait  d'un  sauvage,  s'il  nous  était  présenté  avec  les  vraies  cou- 
leurs et  les  seuls  traits  naturels  qui  doivent  en  faire  le  caractère. 
Un  sauvage,  absolument  sauvage,  tel  que  l'enfant  élevé  avec  des 
ours  dont  parle  Conor,  ou  la  petite  fille  trouvée  dans  les  hois  en 
France  serait  un  spectacle  curieux  pour  un  philosophe  :  il  pour- 
rait, en  observant  son  sauvage,  évaluer  au  juste  la  force  des  ap- 
pétits de  la  nature:  il  v  verrait  l'àme  à  découvert,  il  en  distingue- 
rait tous  les  mouvements  naturels,  et  peut-être  v  reconnailrait-il 
plus  de  douceur  et  de  calme  que  dans  la  sienne  ;  peut-être  verrait- 
il  clairement  que  la  vertu  appartient  à  l'homme  sauvage  plus  qu'à 
l'homme  civilise,  et  que  le  vice  n'a  pris  naissance  que  dans  la 
société  '.  " 

Ailleurs,  il  laisse  entendre  que  le  sauvage  est  heu- 
reux. ((  Une  espèce  de  sauvages  de  l'Ile  de  Cevlan  », 
qui  vivent  «dans  les  bois»  armés  d'arc  et  de  flèches,  n'est 
peut-être^  que  la  descendance  d'Européens  naufragés; 
ils  continuent  à  mener  la  vie  de  sauvages  qui  peut-être 
a  ses  douceurs  lorsqu'on  }•  est  accoutumé  -.  Le  chapitre  de 
Buffon  est  contemporain  de  la  composition  du  premier 
Discouf^s  de  Rousseau  (1749J.  Rousseau  dut  y  trouver 
une  justification  scientifique   de  ses  vues  personnelles. 

I  Buftbn.  VI,  p.   277-278. 

-  Buffon,  VI,  p.  164.  Ailleurs  (VI,  p.  20g)  Buffon  fait  un  parallèle  en- 
tre les  peuples  sauvages  et  les  citoyens  d'une  nation  heureuse  et  poli- 
cée; il  le  conclut  à  l'avantage  de  ces  derniers  :  mais  il  écrit  :  «  Si  les 
peuples  sauvages  avaient  quelque  avantage,  sur  les  peuples  policés,  ce 
serait  par  la  force  ou  plutôt  par  la  dureté  de  leur  corps.  Dans  un  peu- 
ple sauvage,  comme  chaque  individu  ne  subsiste,  ne  vit  et  ne  se  dé- 
fend que  par  ses  qualités  corporelles,  son  adresse  et  sa  force,  ceux  qui 
sont  malheureusement  très  faibles,  défectueux...  cessent  bientôt  défaire 
partie  de  la  nation.»  Rousseau  (Discours,  p.  87)  constate  que  la  nature 
se  conduit  à  l'égard  des  enfants  sauvages  comme  la  loi  de  Sparte. 


l88  ANNALES    DE    LA   SOCIÉTÉ  .1.    .1.    ROUSSEAU 

Mais  l'information  ethnologique  de  Rousseau  dépasse 
Buffon.  Le  chapitre  de  Montaigne  sur  les  cannibales  est 
utilisé.  «  Les  Caraïbes,  dit  Rousseau,  sont  paisibles 
dans  leurs  amours,  peu  sujets  à  la  jalotisie.  »  Ce  ne  sont 
pas  ceux  de  Buffon.  «qui  ne  pardonnent  jamais  à  ceux 
qui  ont  débauché  leurs  femmes.  »  Montaigne,  au  con- 
traire, insiste  plaisamment  sur  le  peu  de  jalousie  que 
ressentent  les  femmes  caraïbes.  C'est  à  une  boutade 
du  Cannibale  de  Montaigne  qu'il  faut  rapporter  la  der- 
nière page  du  Discoms  : 

«  Ils  dirent,  écrit  Montaigne,  qu'ils  trouvaient  en  premier  lieu 
fort  étrange  que  tant  de  grands  hommes  portants  barbe.  Torts  et 
armés...  se  soumissent  à  obéir  à  un  enfant,  et  qu'on  ne  choisis- 
sait plutôt  quelqu'un  d'entre  eux  pour  commander.  Secondement 
(ils  ont  une  façon  de  langage  telle  qu'ils  nomment  les  hommes 
moitiés  les  uns  des  autres)  qu'ils  avaient  aperçu  qu'il  v  avait 
parmi  nous  des  hommes  pleins  et  gorgés  de  toute  sorte  de  com- 
modités, et  que  leurs  moitiés  étaient  mendiants  à  leur  porte  dé- 
charnés de  faim  et  de  pauvreté,  et  trouvaient  étranges  comment 
ces  moitiés  ici  nécessiteuses  pouvaient  souffrir  une  telle  injustice 
qu'ils  ne  prissent  les  autres  à  la  gorge  ou  ne  missent  le  feu  à  leurs 
maisons'.  » 

Mais  il  connaît  les  sauvages  mieux  que  par  Montai- 
gne. Il  a  lu  l'ouvrage  du  P.  Dutertre  sur  les  Caraïbes-. 
11  lui  prend  l'histoire  du  Cara'ïbe  imprévoyant  qui 
pleure  le  soir  son  lit  vendu  le  matin  ^,. 

'Comme  nos  français,  dit  Dutertre,  sont  plus  adroits  qu'eux,  ils 
les  dupent  assez  facilement:  ils  ne  marchandent  jamais  un  lit  au 
soir,  car  comme  ces  bonnes  gens  voient  la  nécessite  qu'ils  en  ont 

'  Montaigne,  I.  XXX.  Cf.  Discours,  p.  i  2Ô  :  «un  enfant  qui  commande 
à  un  vieillard...)),  et  Discours,  p.  82:  «la  dureté'  des  uns  et  l'aveuglement 
des  autres.»  Un  jugement  de  Cannibale  est  au  fond  du  Discours. 

'  Discours,  p.  l'.U.  Histoire  générale  des  Anlilles habitées  par  les  Fran- 
çais composée  par  le  P.  Dutertre  Jacobin,  Paris,  Jolly,  2  vol.  in-4°. 
Cf.  J.  des  Sav.,  1067.  Rousseau  a  été  mis  sur  la  voie  par  BuHon  qui 
signale  le  tome  II,  p.  453-482  de  cet  ouvrage. 

•''  Discours,  p.  91 . 


SOURCES   DU    DISCOURS   DE   I.'iNÉGAMTK  I  8() 

toute  présente,  ils  ne  donneraient  pas  leur  lit  pour  quoi  que  ce 
fût  ;  mais  le  matin  ils  le  donnent  à  bon  compte,  sans  penser  que 
le  soir  venu  ils  en  auront  autant  à  faire  que  le  soir  précédent: 
aussi  ils  ne  manquent  point,  sur  le  déclin  du  jour  de  retourner  et 
de  rapporter  ce  qu'on  leur  a  donné  en  échange,  disant  tout  sim- 
plement qu'ils  ne  peuvent  coucher  à  terre.  Et  quand  ils  voient 
qu'on  ne  leur  veut  pas  rendre,  ils  pleurent  presque  de  dépit*.  » 

Du  P.  Dutertre  encore,  les  petits  Caraïbes  qui  cou- 
rent à  quatre  pattes^,  et  les  haches  de  pierres  à  creuser 
des  canots'.  (En  appUquant  aux  primitifs  cette  industrie 
de  sauvages,  Rousseau  devance  de  beaucoup  les  Epo- 
ques de  la  Nature*".)  Nous  n'avons  trouvé  qu'approxima- 
tivementdans  Dutertre  le  détail  donné  par  Rousseau  sur 
l'odorat  si  fin  des  sauvages  de  l'Amérique^.  Dans  V His- 
toire des  Antilles.,  ce  ne  sont  pas  les  Espagnols  que  les 
sauvages  sentent  à  la  piste,  ce  sont  les  nègres  et  les  Fran- 
çais". Dès  lors,  ou  la  mémoire  de  Rousseau  a  été  infidèle, 
ou  il  y  a  une  autre  source.  Toutefois  il  est  possible  que 
Rousseau  ait  seulement  utilisé  un  souvenir  lointain. 
Depuis  l'apparition  du  livre  du  P.  Dutertre  le  détail 
était  deven'u  courant  :  le  Joiirnal  des  savants  le  relevait 
déjà  en  1667  '^. 

1  Dutertre,  II,  p.  385. 

^Discours,  p.  127,  et  Dutertre,  II,  p.  liyS. 

"•  Discours,  p.  107,  iio.  Dutertre  384-87.  II  est  vrai  que  le  même  détail 
est  dans  Coréal,  Voyage  aux  Indes  occidentales,  2  vol.  in-12. 

*  Nous  n'avons  trouvé  nulle  part  mention  des  haches  préhistoriques, 
ces  pierres  de  foudre  que  l'on  a  cru  tombées  des  nues  et  formées  par 
le  tonnerre,  et  qui....  ne  sont  que  les  premiers  monuments  de  l'art  de 
l'homme  dans  l'état  de  pure  nature  (Buff'on,  Epoques,  édit.  Lacépède, 
1817,  II,  p.  56i)  (1777). 

*  Discours,  p.  89. 

8  Dutertre,  I,  p.  5oi. 

'  Le  livre  [de  César  de  Rochefort]  sur  VHistoire  morale  des  Antilles, 
I  vol.  in-4*,  qui  est  une  des  sources  du  P.  Dutertre,  donne  ce  renseigne- 
ment d'une  manière  qui  se  rapproche  beaucoup  plus  du  texte  de  Rous- 
seau :  «  On  assure  que  les  Brésiliens  et  les  Péruviens  ont  l'odorat  si 
subtil  qu'au  flair  ils  discernent  un  Français  d'avec  un  Espagnol  »  (p.  457). 


IQO  ANXAl.ES    DE    LA    SOCIETE   .1.    .1.    ROUSSEAU 

Certains  détails  de  Rousseau  s'éclairent  si  on  les  rap- 
proche de  certains  passages  de  Dutertre.  ButFon  dit  que  les 
Caraïbes  «assaisonnent»  leurs  mets  «avec  du  piment». 
Le  P.  Dutertre  dit  plus  fortement:  «ils  pimentent  si 
étrangement  leurs  mets  qu'il  n'y  a  qu'eux  qui  puissent 
en  user^  »  Et  Rousseau  tire  de  là  des  conclusions  sur 
la  grossièreté  du  goût  chez  les  sauvages.  «Tous  les  hom- 
mes »,  dit  Butîbn,  «  tendent  à  la  paresse...  »  et  les  Ca- 
raïbes «  particulièrement  aiment  mieux  se  laisser  mou- 
rir que  de  travailler  »  :  Rousseau  écrit  plus  précisément 
que  les  sauvages  ont  l'horreur  du  «  travail  continu  -  >>. 
C'est  qu'il  a  lu  Dutertre  :  «  Ils  ne  travaillent  que  par  bou- 
tades et  en  tous  ouvrages  n'emploient  qu'une  heure  le 
jour^».  Enfin,  est-ce  Dutertre  qui  a  suggéré  à  Rousseau 
cette  image  de  l'agriculture  primitive:  «...avec  des  bà- 
loîts  poi?ilus*i>,  ils  cultivèrent  des  «  racines»  autour  de 
leur  cabane?  «Après  cela,  dit  le  père  Dutertre,  elles  s'en 
vont  cultiver  la  terre  avec  un  gros  bâton  poinlii  et 
ne  se  servent  point  du  tout  de  nos  houes -^  » 

L'Histoire  générale  des  voyages  est  encore  un  livre 
auquel  Rousseau  doit  beaucoup".  Il  le  cite^  dans  la  note 

Mais  il  n'y  a  aucun  rapprochement  précis,  autre  que   celui-là,  qui  per- 
mette de  conclure  que  Rousseau  l'a  lu. 

'  Dutertre,  II,  p.  ^îSy. 

~  Discours,  p.  ()2. 

2  Dutertre,  II,  p.  3S2  et  38o. 

*  Discours,  p.   i  i  i . 

*  Dutertre,  II,  p.  '383. 

^  L'Histoire  générale  des  voyages. ..  C.ollcctiiui  de  toutes  les  relations 
de  voyages  par  terre  et  par  mer. . .  avec  les  mœurs  et  les  usages  des 
habitants,  leur  religion,  leur  gouvernement,  leurs  arts  et  leurs  scien- 
ces paraissait  chez  Didot  in-4"'  depuis  1746.  Le  tome  XI  paraît  en  1754  ; 
c'est  le  dernier  que  Rousseau  a  pu  connaître.  En  1765,  il  ne  parut  pas 
de  volume  de  cette  collection. 

^Discours,  p.  i  38.  Rousseau  ccrit  (p.  141)  :  «  Il  est  encore  parle  de  ces  espè- 
ces d'animaux  dans  le  3*  tome  de  la  même  histoire  des  vo^af^es».  Il 
donne  donc  à  croire  qu'il  s'est  reporté  à  cet  autre  texte.  En  fait  il   s'est 


SOURCES    DU    DISCOURS    DE   I.  INP:GAL1TK  I9I 

sur  les  singes  «  anthropoformes  ».  On  trouvera  le  texte 
dansVHistowe  des  Voyages,  tome  V,  p.  (S7-88.  A  la  fin  de 
ce  volume  se  trouve  une  planche  où  est  représenté  cet 
animal  moitié  singe,  moitié  homme  ;  la  ressemblance 
avec  l'homme  est  très  accusée  ^  Quant  à  l'anecdote  de 
la  note  (*  12)-,  et  qui  a  inspiré  le  frontispice  de  l'édition 
de  M.  M.  Rey,  Rousseau  lui-même  nous  en  donne  la  ré- 
férence: tome  V,  p,   175. 

Rousseau,  dans  la  note  (5),  fait  une  longue  citation  de 
Kolben^  voyageur  hollandais  qui  connaît  le  cap  de  Bonne- 
Espérance.  Ce  n'est  pas  dans  Huffon  qu'il  a  pu  la  trou- 
ver :  le  naturaliste  est  très  vague  sur  les  Hottentots, 
dont  il  vante  l'agilité  et  la  force  ;  il  note  aussi  sans  pré- 
cision qu'ils  sont  «  errants,  indépendants,  et  très  Jaloux 
de  leur  liberté^.»  Rousseau  a-t-il  donc  lu  la  Descriplioji 
du  cap  de  Bomie-Espérance  par  Kolbe,  Amsterdam  (Ca- 
tuffe),  3  vol.  in-i2,    1741?  Non.  Car  il  est  évident  que 

borné  à  recopier  une  note  du  tome  V  qu'il  citait.  En  eft'et,  c'est  par  une 
faute  d'impression  que  la  note  du  tome  V  renvoyait  au  tome  III.  II  faut 
lire  tome  IV, -et  Rousseau  aurait  pu  chercher  longtemps  au  tome  lit 
(Voyez  Hist.  des  Voyages,  t.  IV,  p.  240-41.) 

1  La  curiosité  publique  s'était  portée  sur  ces  animaux  si  proches  de 
l'homme.  Pons  Augustin  AUetz,  un  polygraphe  curieux  d'actualités,  est 
l'auteur  d'un  petit  livre  intitulé  Histoire  des  singes  et  autres  animaux 
curieux  dont  l'instinct  et  l'industrie  excitent  l'admiration  des  hommes, 
Paris,  1752,  in-i2.  Il  faut  lire  le  chapitre  IX,  p.  36:  «Des  singes  se  rap- 
prochant le  plus  de  l'espèce  humaine,  et  appelés  par  quelques-uns  hom- 
mes sauvages.  »  On  y  trouve  cité  tout  au  long  le  texte  de  l'Histoire  des 
Voyages,  cité  par  Rousseau  dans  sa  note.  Il  n'est  pas  probable,  cepen- 
dant, que  Rousseau  l'ait  lu.  Car  Alletz  cite  aussi  le  passage  du  tome  IV 
relatif  à  ces  animaux,  passage  qui  est  indiqué  inexactement  par  Jean- 
Jacques. 

-  Discours,  p.   1  5  I . 

*  Discours,  p.  i3i.  Ce  n'est  pas  seulement  dans  cette  note  que  Rousseau 
parle  des  Hottentots.  On  lit  (Disc.  p.  89),  un  détail  très  précis  sur  leur 
vue  exceptionnellement  perçante.  Où  Rousseau  l'a-t-il  pris?  Je  ne  sau- 
rais le  dire.  En  tous  cas  ce  détail  n'est  pas  dans  la  relation  de  Kolben. 
Butlon  donne  à  propos  des  Hottentots  une  bibliographie  assez  abon- 
dante. J'ai  commencé  un  dépouillement  qui  n'a  pas  été  heureux. 


ig2  ANNALES   DE   LA  SOCIÉTÉ  J.    J.    ROUSSEAU 

la  citation  de  la  note  (*d)  est  entièrement  empruntée  à 
y  Histoire  des  Voyag-es^  tome  V,  p.  146  et  sq.  Les  pas- 
sages cités  par  Rousseau  sont  épars  dans  le  livre  de 
Kolbe,  et  réunis  de  la  même  manière  dans  VHistoire 
des  Voyages.  Les  variantes  du  texte  de  Rousseau  sont 
très  peu  nombreuses. 

François  Coréal  est  cité  à  deux  reprises  dans  le  Dis- 
cours'^. Mais  la  question  de  son  influence  est  des  plus 
obscures^, 

Rousseau  ne  l'a-t-il  lu  qu'à  travers  Buifon?  Cela  ne 
paraît  pas  probable.  Buffon  puise  dans  la  relation  de 
Coréal  des  détails  sur  les  habitants  de  la  Floride  :  «  ils 
se  peignent  le  corps  de  diverses  couleurs»;  les  femmes 
«grimpent  avec  agilité  aux  arbres  les  plus  élevés'.» 
Rousseau  peut  avoir  fait  son  profit  de  ces  deux  rensei- 
gnements :  son  homme  primitif  vit  sur  les  arbres;  il  le 
dit  par  deux  fois*,  et  ses  sauvages  de  l'a  âge  d'or»  se  pei- 
gnent le  corps  de  diverses  couleurs^.  Or  Rousseau 
ajoute    immédiatement  après  :    «  ils    perfectionnent    et 

*  Discours,  p.  86  et  i3o. 

-  Voici  les  volumes  où  Rousseau,  à  notre  connaissance,  a  pu  le  con- 
sulter : 

a)  Buflbn  qui  le  compile. 

b)  Voyages  de  François  C.orcal  aux  ItiJcs  occidentales,  traduits  de 
l'Espagnol.  Avec  une  relation  de  la  Guyane  de  W.  Ralcigh...  212,  Pa- 
ris, D'Espilly,  1722. 

c)  Autre  édition  de  cet  ouvrage  avec  de  très  légères  modifications:  Re- 
cueil de  Voyages  dans  l'Amérique  méridionale,  traduits  de  l'espagnol  et 
de  l'anglais,  Amsterdam  (Bernard),   lySS. 

ti)  Comme  les  citations  de  Coréal  n'apparaissent  qu'en  1782  dans  le 
texte  du  Discours,  il  est  possible  que  Rousseau  ait  consulté  l'Histoire 
générale  des  Voyages,  tome  XIII  (1757),  où  la  relation  de  Coréal  est 
analysée. 

^  BuH'on,  VI,  p.  281. 

*  Discours,  p.  86  et  104.  II  faut  dire  que  cette  idée  était  suggérée  à 
Rousseau  par  son  rapprochement  de  l'homme  de  la  nature  avec  le  singe 
<i  anthropoforme.  » 

*  Discours,  p.    i  10. 


SOURCES   DU    DISCOURS   DE   l'iNÉGALITÉ  ig3 

embellissent  leurs  arcs  et  leurs  flèches»  ;  ce  détail,  qui 
n'est  pas  dans  Buffon,  est  dans  Coréal,  une  page  après 
la  description  du   tatouage:    «ils   se  peignent  le   corps 

de  plusieurs  couleurs Ils  sont  armés  de  l'arc  et  des 

flèches,  et  rien  n'est  mieux  peint  que  leurs  arcs^»  D'au- 
tre part  Rousseau  fait  allusion  à  ces  ais  que  les  habi- 
tants des  rives  de  l'Orénoque  appliquent  sur  la  tête 
de  leurs  enfants.  Ce  détail  est  partout^,  mais  le  seul 
Coréal  le  donne  dans  les  termes  de  Rousseau': 

«  Les  peuples  qui  vivent  entre  rOrenoque  et  l'Amazone  ont  la 
coutume  ridicule  d'aplatir  la  tête  et  le  visage  de  leurs  entants.  Ils 
mettent  pour  cela  leur  tête   entre  deux   ais  destinés  à  cet  usage.  » 

Rousseau  paraît  donc  avoir  lu  la  relation  de  Coréal. 

Mais  voici  qui  complique  le  problème.  D'abord  les 
deux  citations  de  Coréal*  ne  peuvent  se  trouver  ni  dans 
Buflfon,  ni  dans  les  éditions  de  Coréal  de  1722  ou  lySS, 
ni  enfin  au  tome  XIII  de  VHistoire  des  Voyages.  L'édi- 
tion de  1722  parle  des  «indigènes  de  Venezuela))  mais 
reste  muette  sur  leur  immunité  particulière  relativement 
aux  bêtes  féroces.  Voudrait-on  réduire  la  citation  aux 
premiers  mots  de  la  phrase  de  Rousseau  :  a  Quoiqu'ils 
soient  presque  nuds,  dit  François  Coréal»,  le  reste  étant 
une  induction,  la  citation  serait  encore  inexacte,  car 
Coréal  ne  mentionne  pas  la  nudité  de  ces  peuples.  On 
trouve  bien  dans  Coréal  des  renseignements  sur  les 
Iles  Lucayes;  mais  le  détail  donné  par  Rousseau  sur  les 
effets  pernicieux  de  la  chair  chez  les  habitants  de  ces 
îles,  ne  se  trouve  nulle  part.   D'autre  part,  ces  deux  ci- 

1  Coréal,  I,  p.  26-27,  édition  de  1722. 

*  Nous  avons  relevé  le  détail  dans  Buflon  et  dans  La  Condamine, 
Relation  abrégée,  p.  70. 

3  Coréal,   Voyages,  I,  p.  261-62. 

*  Disco  urs,  p.  66  et  i3o. 

13 


1  Q4  ANNALES   DE    LA    SOCIKTK  J.    .1.    ROUSSEAU 

talions  ne  sont  pas  dans  l'édition  de  ]'jbb:  elles  n'appa- 
raissent dans  le  texte  du  Discoin\s,  que  dans  l'édition  de 
Du  Pe3'rou.  Dès  lors  e]ue  conclure?  Sont-ce  là  des  cita- 
tions de  seconde  main,  qui  se  trouvaient  fausses  dans 
l'intermédiaire^?  Rousseau  a-t-il  attribué  à  François 
Coréal  des  détails  puisés  dans  d'autres  relations,  que 
nous  n'avons  pu  retrouver,  et  dont  lui-même  ne  se  sou- 
venait plus  quand  il  a  fait  ces  additions.  Faut-il  met- 
tre en  cause  Du  Peyrou  ?  Ou  peut-être  ai-je  laissé  échap- 
per une  édition  de  Coréal  ? 

Enfin,  il  est  probable  que  Rousseau  a  lu  la  Relalioii 
du  j'oyage  de  La  Condamine"-.  Le  jugement  qu'il  en 
porte  parait  formulé  en  connaissance  de  cause  ^.  et  voici 

'  Venues  peut-être  par  Diderot  r  Sont-elles  inventées  par  Rousseau  ? 

-Relation  abrégée  du  voyage  fait  à  l'intérieur  de  l'Amérique  méri- 
dionale, lue  à  l'Académie  des  sciences,  1745,  in-8. 

•'  Cf.  Discours,  p.  144,  et  La  Condamine,  p.  7  et  8:  «  Ils  ont  [ces  académi- 
ciens] visité  [ces  régions]  plus  en  géomètres  qu'en  philosophes.  Cependant 
...  ils  étaient  à  la  t'ois  l'un  et  l'autre  ».  Les  observations,  dit  La  Condamine, 
«  qui  concernent  les  mœurs  et  les  coutumes  singulières  des  diverses  na- 
tions qui  habitent  les  bords  [de  l'Amazone]  seraient  beaucoup  plus  pro- 
pres à  piquer  la  curiosité,  mais  j'ai  cru  qu'en  présence  d'un  public  à  qui 
le  langage  des  physiciens  et  des  géomètres  est  familier,  il  ne  métait 
guère  permis  de  m'ctendre  sur  des  matières  étrangères  à  l'objet  de  cette 
académie.  » 

La  Condamine  est  soupçonné  d'avoir  mis  la  main  à  un  livre  curieux 
sur  une  fille  sauvage  trouvée  dans  les  bois.  Ce  livre  paru,  avec  pour 
nom  d'auteur  M""  H....t,  en  1755,  a  peut-être  été  lu  par  Rousseau,  mais 
le  Discours  éx.&\\.  fini  à  cette  époque:  Voici  ce  qu'en  dit  Raynal:  o...  Elle 
montait  sur  les  arbres  avec  une  agilité  surprenante,  elle  attaquait  le  gi- 
bier à  la  course...  elle  ne  se  nourrissait  que  de  viandes  crues...  elle  ne 
parlait  pas,  mais  poussait  des  cris  de  la  gorge,  elle  n'avait  aucune  idée 
morale  et  ne  pensait  que  relativement  k  ses  besoins.»  Raynal  ajoute  un 
trait  «humiliant  pour  la  pauvre  humanité  et  qui  montre  combien  l'état 
de  pure  nature  serait  le  despotisme  des  passions»:  la  petite  fille  assas- 
sine sa  compagne  pour  ramasser  avant  elle  un  chapelet  qu'elles  aper- 
çoivent en  même  temps.  "  Gardons-nous  de  croire  que  les  hommes  livrés 
aux  seuls  mouvements  de  la  nature  fussent  meilleurs  qu'ils  ne  sont  au- 
jourd'hui.» Mais  Raynal  oublie  de  dire  qu'à  peine  eut-elle  frappé  sa  com- 
pagne, «  touchée  apparemment  de  compassion  pour  sa  camarade  dont  la 
plaie  saignait  beaucoup»,  elle  «banda  sa  plaie  avec  une  écorce  d'arbre.» 


SOURCES    DU    DISCOUKS    DK   l'iNKC ALITÉ  igb 

le  portrait  d'un  dt  ces  sauvages  observés  par  La  Con- 
damine  : 

«  Ils  ont  tous  un  même  fond  de  caractère.  L'insensibilité  en 
fait  la  base.  Je  laisse  a  décider  si  on  la  doit  honorer  du  nom  d'a- 
pathie, ou  l'avilir  de  celui  de  stupidité.  Elle  naît  du  petit  nombre 
de  leurs  idées,  qui  ne  s'étend  pas  au-delà  de  leurs  besoins.  Glou- 
tons jusqu'à  la  voracité,  quand  ils  ont  de  quoi  se  satisfaire;  so- 
bres, quand  la  nécessité  les  y  oblige, ennemis  du  travail,  in- 
différents à  tout  motif  de  gloire,  d'honneur  ou  de  reconnaissance; 
uniquement  occupés,  de  l'objet  présent  et  toujours  déterminés 
par  lui,  sans  inquiétude  pour  l'avenir;  incapables  de  prévoyance 
et  de  réflexion;  se  livrant,  quand  rien  ne  les  gêne,  a  une  joie  pué- 
rile... ils  passent  leur  vie  sans  penser,  et  ils  vieillissent  sans  sor- 
tir de  l'enfance,  dont  ils  conservent  tous  les  défauts...  on  ne  peut 
voir  sans  humiliation,  combien  l'homme  abandonné  à  la  simple 
nature  diffère  peu  de  la  béte»  Quant  à  leurs  langues,  elles  sont 
«fort  pauvres»;   toutes   manquent    de   termes    pour    exprimer  les 

idées   abstraites  et  universelles Temps,    durée,    espace,    être, 

substances,  matière,  corps;  tous  ces  mots  et  beaucoup  d'autres 
n'ont  point  d'équivalents  dans  leur  langue  ;  non  seulement  les 
noms  des  êtres    métaphvsiques,    mais   ceux  des  êtres  moraux...'  » 

Est-il  Utile  de  marquer  combien  cette  description, 
qui  est  pleine  de  la  psychologie  sensualiste  de  l'époque, 
se  rapproche  des  théories  de  Rousseau  sur  l'homme  sau- 
vage^? 

A  vrai  dire  nous  n'avons  jusqu'ici  tenu  compte  que 
des  détails  précis  qui  pouvaient  déterminer  les  livres 
dont  Rousseau  s'est  servi.  Les  autres  sont  partout.  Par- 
tout ce  sont  les  mêmes  renseignements  sur  la  parure 
des  sauvages,  plumes  et  tatouages.  Partout  est  signalée 
leur  gourmandise  ellVénée  pour  les  c.  liqueurs  européen- 
nes. »  «  Les  Jalofs  boivent  de  l'eau  de  vie  comjiie  de 
l'eau.»  C'est  l'expression  même  de  Rousseau^.  Partout 
des  descriptions  des  chants,  des  danses,  des  assemblées 

1  La  Condamine,  p.  5o-5i. 

2  Cf.  Discours,  p.  gi,  i25,  8(),  98,  95,  96. 

*  Cf.  Hist.   des  Voyages,  III,  p.    140.  Discours,  p.  89. 


iqii  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.   .1.    ROUSSEAU 

de  sauvages,  de  leurs  instruments  de  musique  ;  par- 
tout la  vie  primitive,  la  chasse,  la  pèche,  la  hutte.  Par- 
tout des  détails  sur  la  force  physique,  l'endurance  et 
la  santé  des  peuples  non  civilisés.  F.  Coréal  dit  par 
exemple  des  Brésiliens  «  qu'ils  sont  plus  robustes  que 

nous    et    peu    sujets    aux    maladies ils    vivent    très 

vieux...  ^  w 

Politiquement,  ils  sont  dans  l'w Egalité  naturelle». 
Le  P.  Dutertre  écrit  ^: 

«  Ils  sont  tels  que  la  nature  les  a  produits...  ils  sont  tous  égaux, 
sans  que  l'on  connaisse  parmi  eux  presque  aucune  sorte  de  supé- 
riorité ni  de  servitude...  Nul  n'est  plus  riche,  ni  plus  pauvre  que 
son  compagnon,  et  tous  unanimement  bornent  leurs  désirs  à  ce 
qui  leur  est  utile  et  précisément  nécessaire  et  méprisent  tout 
ce  qu'ils  ont  de  superflu,  comme  une  chose  indigne  d'être  pos- 
sédée... » 

Le  P.  Labat  dit  «qu'ils  sont  entièrement  libres  et  in- 
dépendants, et  personne  n'a  droit  de  commander  aux 
autres...  Leur  délicatesse  sur  ce  point  est  inconcevable... 
ils  sont  tous  égaux... ^))  Rousseau  écrit  que  chez  les  pre- 
miers hommes  «les  vengeances  sont  terribles»  et  «tien- 
nent lieu  du  iVcin  des  lois.'*»  Buffon  avait  écrit  que  les 
Caraïbes  étaient  «terribles  pour  leurs  ennemis^.»  Co- 
réal et  la  plupart  des  auteurs  de  relations  expliquent 
par  la  «passion  de  :1a  vengeance  •"' «  l'anthropophagie. 
Quant  à  leur  amour  de  la  liberté  '^,  il  est  partout  indiqué  : 

'  Cordai,  Voyages  aux  Indes  occidentales,  trad.  de  l'espagnol  2/12, 
Paris,  1722,  tome  I,  p.    l'U-   Dutertre,  loc.  cit.,  II,  p.  IÎ97. 

-  Dutertre,  loc.   cit.,  p.  11,  p.   397.  Coréal,  loc.  cit.  I,  p.   241. 

^  Le  P.  Labat,  Nouveaux  voyages  aux  Iles  d'Amérique^  6  vol.  iii-12, 
1722,  IV',  pp.  32  1   et  329. 

*  Discours,  p.    i  lo. 

*  ButVon,  VI,  p.    282. 
«  Coréal,  I,  p.    iS.S. 

'  Discours,  p.   118  et  p.    i3i. 


SOURCES    DU    DISCOURS    DE    L  INEGALITE  I  97 

Buffon  dit  qu'il  n'y  a  rien  «dont  ils  ne  soient  capables 
pour  se  remettre  en  liberté  ^w  Tout  le  premier  in- 
quarto  de  Dutertre  est  consacré  à  l'histoire  des  luttes 
que  les  sauvages  soutinrent  contre  les  Européens.  INous 
avons  vu  des  détails  sur  leur  paresse^. 

Mais  surtout  tous  ces  êtres  primitifs  sont  bons.  Les 
Hottentots,  tant  décriés,  ont  beaucoup  de  vertus^: 
ils  «  ne  respirent  que  la  bonté  et  l'envie  de  s'obliger 
mutuellement...  un  autre  implore-t-il  leur  assistance  : 
ils  courent  l'accorder.  »  Coréal  dit  que  les  Brésiliens  ne 
«laissent  soutfrir  personne:  ils  ont  compassion^  des 
étrangers.  » 

Buffon  décrit  que  les  Caraïbes  sont  «compatissants  ». 
en  quoi  il  copie  le  P.  Dutertre^: 

«  Ils  sont  d'un  naturel  doux  et  compatissant  bien  souvent,  même 
jusqu'aux  larmes,  aux  maux  de  nos  Français,  n'étant  cruels  qu'à 
leurs  ennemis  jurés.  » 

Ainsi  Rousseau  parait  être  assez  fondé  à  dire  :  «  C'est 
la  pitié  qui  détournera  tout  sauvage  robuste  d'enlever 
à  un  faible  enfant  sa  subsistance  acquise  avec  peine."» 
Coréal  s'indigne  des  mauvais  traitements  qu'on  fait  su- 
bir aux  sauvages  :  Kolbe  fait  une  longue  apologie  des 
Hottentots.  Et  Dutertre  pourrait  être  le  missionnaire 
qui  regrette  le  temps  passé  chez  ces  peuples  sauvages'  : 

«  Si  nos  sauvages  sont  plus  ignorants  que  nous,  ils  sont  beau- 
coup moins  vicieux...  ils  ne  savent  presque  de  malice  que  ce  que 
nos  Français  leur  en  apprennent...  Ne  se  lèveront-ils  pas  avec  su- 
jet contre  les  chrétiens  au  jour  du  jugement...  et  ne  condamne- 

1  Buffon,  VI,  p,   282. 

-  Cf.   encore  Hist.  des  Voyages,  V,  p.   146. 

'•  Hist.  des  Voyages,  V,  p.  147. 

*  Coréal,  I,  p.  2 il-!. 

^  Dutertre,  II,  p.  411. 

•5  Discours,  p.    100. 

~'  Discours,  p.   i3o  et  Dutertre,  11,  p.  3.^8  et  414. 


\gH  AN'XAr.ES    de    I..\    société  .I.    .1.    ROUSSEAU 

ront-ils  pas  avec  justice  leur  ambition,  leur  avarice,  leur  luxe, 
leur  dissolution,  leurs  trahisons,  leurs  en\  ies  et  mille  autres  pé- 
chés qui  ne  sont  même  pas  connus  parmi  eux.  " 

Ainsi  Rousseau  a  constamment  essayé  de  remplir  de 
faits  précis  empruntés  aux  meilleures  sources  les  don- 
nées abstraites  que  les  politiques  lui  transmettaient  sur 
l'état  de  nature.  Il  n'obéissait  pas  seulement  au  besoin 
de  son  esprit  qui  était  de  se  représenter  les  choses  sous 
une  forme  imagée  et  vivante.  Il  y  a  certainement  chez 
Rousseau  une  tendance  marquée  à  l'expérience,  une 
recherche  du  fait  scientifique  ^  Le  Discours  est  moins 
logique,  m.oms  a  p^'iori  que  tous  les  traités  qui  l'ont 
précédé.  Ce  n'est  pas  un  roman.  Ce  n'est  pas  «  un 
poème  épique.  »  Rousseau  a  voulu,  utilisant  les  moyens 
que  lui  fournissait  la  science  de  son  époque,  écrire  la 
réelle  histoire  des  sociétés  humaines. 

.lean  Mokki.. 


>  Certaines  gens  de  son  temps  l'avaient  remarqué.  Dans  une  Bibliogra- 
phie médicinale  raisonnée  ou  essai  sia-  l'exposition  des  livres  les  plus 
utiles  à  ceux  mi  se  destinent  à  l'étude  de  la  médecine  (Paris,  lySô),  le 
Discours  de  Rousseau  est  signalé  avec  éloges:  «Je  crois  qu'on  y  re- 
connaîtra pi;  s  de  rapport  à  l'Histoire  naturelle  de  l'homme  que  le  titre 
ne  paraît  l'annoncer.  » 
seau  à  Raynal,  de  juillet  1 753,  sur  l'emploi  des  métaux  dangereux  :  on  y 

Il  faudra!    aussi  comparer  Z)/5C0Hr5,  p.  i35-i36,  avec  la  lettre  de  Rous- 
voit  Rousseau  chimiste  et  hygiéniste. 


ROMANTIQUE 


à  M.  Gustave  Lanson. 

'armi  les  lecteurs  de  Rousseau,  en  est-il  un 
seul   qui  n'ait  présente   à    la   mémoire  la 
célèbre    description     du    lac    de     Bienne 
dans    la     cinquième    Rêverie    du    prome- 
neur solitaire  : 

Les  rives  du  lac  de  Bienne  sont  ^lus  sauvages  et  plus  romanti- 
ques que  celles  du  lac  de  Genève,  parce  que  les  rochers  et  les 
bois  y  bordent  l'eau  de  plus  près;  mais  elles  n'en  sont  pas  moins 
riantes,  etc. 

Chose  curieuse  on  ne  rencontre  nulle  part  ailleurs 
chez  Rousseau  ce  mot  romantique  qui  paraît  si  étroite- 
ment lié  à  la  destinée  de  son  œuvre.  C'est  pourquoi, 
depuis  longtemps  déjà,  Tattention  des  critiques  s'est 
tout  naturellernent  fixée  sur  ce  passage.  Voici  comment 
l'un  d'eux,  M.  E.  Bourciez,  s'exprimait  à  son  sujet  dans 
la  Revue  critique  du  5  octobre   i  qoS  : 

Personne  que  je  sache  ne  s'est  encore  préoccupé  d'eclaircir  son 
histoire  et  ses  origines  [du  mot  roynantique].  Chez  nous,  c'est 
Rousseau  qui  en  est  le  père,  semble-t-il,  le  père  du  mot  et  de 
la  chose  :  l'exemple  qu'a  cité  Littré,  tiré  des  Rêveries  du  prome- 
neur solitaire,  reste  bien  jusqu'à  nouvel  ordre  le  plus  ancien  en 
date.  Les  i^ever/e^  écrites  en  1777  n'ont  été  publiées  qu'en  1782,  et 
là  d'ailleurs  Rousseau,  après  avoir  parlé  des  rives  du  lac  de  Bienne 
«  plus  sauvages  et  romantiques  que  celles  du  lac  de  Genève  »,  ajoute 
un  peu  plus  loin  qu'il  laisse  errer  ses   yeux  «  sur  les  romanesques 


"200  ANNALES    DE   LA   SOCIFITE  J.   .1.    ROUSSEAU 

rivages»:  c'est  donc  que  le  sens  des  deux  ëpithètes  était  encore  un 
peu  flottant  pour  lui,  et  qu'il  ne  les  distinguait  pas  nettement.  Je 
crois  que,  pour  trouver  cette  distinction  absolument  établie,  il  faut 
franchir  un  espace  d'une  vingtaine  d'années,  et  arriver  jusqu'au 
passage  bien  connu  qui  se  trouve  dans  la  préface  de  \s.  Néologie  de 
Mercier*.  N'importe,  c'est  Jean-Jacques  qui  a  employé  le  mot  le 
premier.  Mais  l'avait-il  inventé  ?  Je  ne  le  pense  point,  et  le  Dic- 
tionnaire général  ne  nous  apprend  pas  grand  chose  en  disant  que 
cet  adjectif  est  tiré  de  roman.  Pour  moi  le  mot  n'est  pas  d'origine 
française,  il  est  tout  bonnement  emprunté  à  l'anglais,  et  nous 
avons  là  une  trace  fort  curieuse  de  ce  cosmopolitisme  dont  on  a 
commencé  à  écrire  l'histoire.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  certain  c'est 
que,  dès  le  début  du  XVIIIe  siècle,  Addison  et  un  peu  plus  tard 
Thomson  ont  employé  une  épithète  romantic,  signifiant  «qui  res- 
semble aux  héros  de  romances,  plein  de  mélancolie.  »  C'est 
de  là,  on  ne  peut  guère  en  douter,  qu'est  venu  le  mot  destiné 
chez  nous  à  une  si  brillante  fortune.  En  avait-on  fait  déjà  la  re- 
marqvie  ? 

Il  serait  exagéré  de  prétendre  que  les  découvertes 
faites  depuis  par  les  érudits  ont  entièrement  confirmé 
la  note  d'ailleurs  si  perspicace  de  M.  Bourciez,  mais 
elles  ne  Font  pas  ruinée  dans  sa  partie  essentielle, 
l'origine  anglaise  du  mot  français  i^omanlique^  au  con- 
traire. Presque  en  même  temps  que  M.  Bourciez,  un 
peu  avant  lui  même,  et  sans  qu'il  paraisse  s'en  être 
douté.  M,  Gustave  Lanson,  dans  la  Revue  universitaire 
du  i5  juin  iqo^,  fournissait  un  premier  témoignage 
décisif  : 

Je  crois  bien,  écrivait-il  à  propos  du  mot  romantique,  qu'on  le 
rencontre  pour  la  première  fois,  et  non  francisé  encore,  dans 
l'abbé  Leblanc  {Lettres  d'un  Français  à  Londres,  1745).  Il  écrit  à 
BufTon  sur  les  jardins  qu'il  a  vus  dans  son  voyage:  «Plusieurs 
Anglais  essaient   de  donner  aux  leurs  un   air  qu'ils  appellent  en 

'  J'ignore,  je  l'avoue,  à  quel  passage  «  bien  connu  »  de  la  préface  de  la 
Néologie,  M.  Bourciez  fait  allusion.  Le  mot  romantique  n'apparaît  pas 
aine  seule  fois  dans  cette  préface,  ni  dans  le  texte  courant,  ni  dans  les 
notes.  Mais,  à  la  vérité,  il  figure  en  bonne  place  dans  le  corps  même 
du  dictionnaire  (voyez  plus  loin,  p.  234.) 


ROMANTIQUE  201 

leur    langue  Romantic,   c'est-à-dire   à   peu  près  piuoresque,  ei  le 
manquent  faute  de  goût.  »  ^ 

En  citant  ce  passage,  M.  Lanson  se  rencontrait  avec 
M.  Bourciez  pour  souhaiter  une  monographie  détaillée 
sur  ce  mot  «  littérairement  considérable  »  :  «  Faire 
l'histoire  de  son  introduction  et  de  ses  applications  au 
XVI IP  siècle,  disait-il,  serait  esquisser  un  chapitre  de 
rhistoire  du  goût.  »  C'est  cette  histoire  si  intimement 
unie  à  l'influence  de  Rousseau,  que  je  voudrais  essayer 
de  tracer  dans  les  pages  qui  vont  suivre,  à  l'aide  des 
matériaux  réunis  en  partie  par  moi,  en  partie  par 
d'autres  érudits  que  j'aurai  soin  de  nommer  en  leur 
lieu.  Parmi  ces  érudits,  je  désire  toutefois  dès  mainte- 
nant rendre  hommage  à  M.  Daniel  Mornet  dont  le 
monumental  ouvrage  sur  le  Sentijnent  de  la  nature  de 
Jean-Jacques  Rousseau  à  Bejviardiu  de  Saint-Pierf^e 
enveloppe,  pour  ainsi  dire,  cette  notion  du  «  roman- 
tique», la  fait  circuler  dans  le  grand  courant  des  idées 
du  temps —  outre  qu'il  fournit  quelques  renseignements 
essentiels  sur  l'histoire  du  mot.  - 


I 


Les  origines  du  mot  anglais  n'ont  point  été  encore 

complètement    élucidées,    que    je    sache.    On   vient   de 
> 

'  Voir  abbé  J.-B.  Leblanc,  Lettres  d'tin  François  concernant  le  gou- 
vernement, la  politique  et  les  mœurs  des  Anglois  et  des  François,  La 
Haye,  Paris,  1745,  t.  II,  p.  2o5.  Le  même  passage  a  été  signalé,  mais 
postérieurement,  par  M.  Eugène  Ritter,  Les  Quatre  dictionnaires  fran- 
çais, igoS,  p.  21 5. 

2  Voyez  p.  244.  J'avoue  cependant  n"avoir  pu  découvrir  ni  à  la  page  in- 
diquée, ni  aux  alentours,  même  en  recourant  à  l'obligeance  de  M.  Mor- 
net lui-même,  l'exemple  signalé  dans  le  Journal  de  Linguet,  t.  I  de 
1777- 


•202  ANNALES    DE   LA    SOCIET!-;   .1.    .1.    ROUSSEAU 

voir  M.  Bourciez  les  chercher  dans  Thomson  et  dans 
Addison  qui  c  ont  employé  une  épithète  roniantic 
signifiant  qui  rassemble  aux  héros  de  rojjianccs,  plein  de 
mélancolie^.  »  Les  lexicographes  anglais,  en  effet,  John- 
son, Latham,  Ogilvie  iMurray  n'en  est  pas  encore  à  la 
lettre  R),  ne  remontent  guère  plus  haut,  ni  les  critiques 
anglais  les  plus  récents.  ^  L'un  deux  pourtant,  Havelock 
Ellis.  dans  un  article  du  Contemporary  Reî'iew,  février 
looo.  intitulé  The  lope  of  jpild nature^  vient  de  signaler 
un  exemple  sensiblement  plus  ancien  du  mot  romantic 
appliqué  précisément,  dans  une  intention  favorable, 
aux  spectacles  de  la  nature  sauvage.  L'exemple  est  tiré 
du  Diary  bien  connu  de  Samuel  Pepys  (i633-i7o3), 
commencé  en  i(>6o,  publié  seulement  en  i823.  Pepys  vi- 
sitant Windsor  en  !()()()  manifeste  ainsi  son  enthou- 
siasme dans  son  journal  :  «  It  is,  s'écrie-t-il.  the  most 
romantic  castle  that  is  in  the  world.» 

Havelock    Ellis   ne  dissimule  pas  la  satisfaction  que 
lui  cause  cette  découverte  fort  intéressante  en  effet.  Tou- 


'  Le  passage  d'Addisoii  qu'on  cite  généralement  à  ce  sujet,  est  tiré 
du  début  de  son  ouvrage  Remarks  on  scvcral  parts  of  Italy,  etc.,  in  the 
Years  ijoi,  ijo'j,  i~i)3,  i"  édit.  1705.  Dans  la  traversée  de  Marseille 
à  Gènes,  il  touche  au  petit  port  de  Cassis,  non  loin  de  Sainte-Baume; 
là,  il  note  ainsi  ses  impressions  :  «  We  were  herc  shovvn  at  a  distance  of 
the  Déserts,  which  h  ave  been  rendered  so  famous  by  the  Penance  of 
Mary  Magdalene,  who,  aftcr  her  Arrivai  with  Lazarus  and  Joseph  of 
Arimathea  at  Marseillcs,  is  said  to  hâve  wept  away  the  rest  of  her  Life 
ainong  thèse  solitary  Rocks  and  Mountains.  It  isso  roniantic  a  Scène,  that 
il  has  ahvays  probably  given  occasion  to  such  chimerical  Relations.» 

-  Cf.  H. -A.  Bcers,  A  history  of  Englisch  romanticism  m  the  /.V"" 
Ccntury,  London,  1S99,  p.  6:  «The  adjective  romantic  is  much  later 
[than  romance'^^,  implying,  as  it  dœs,  a  certain  degree  of  critical  attention 
to  the  spccies  of  fiction  which  it  describes  in  ordcr  to  a  generalizing  of 
its  peculiaritics.  It  first  famé  into  gênerai  use  in  the  latter  half  of  the 
seventccth  century  and  the  early  ycars  of  the  iS"";  and  naturally,  in  a 
pcriod  which  considered  itself  classical,  was  marked  from  birth  with  the 
shade  of  disapproval  which  has  been  noticed  in  popular  usage.  » 


ROMAN  rit,) ur;  20J 

tefois  ce  n'est  pas  à  kii,  si  l'on  peur  dire,  que  revient 
rhonneur  d'avoir  atteint  le  pôle.  En  i883,  déjà,  TAmé- 
ricain  M.  T.  S.  Perry  —  nom  prc-destiné  — .  dans  son 
excellente  English  Liierature  in  the  eighteenth  Cenlurf, 
parue  à  New-York,  citait^  un  exemple  plus  ancien  et 
plus  caractéristique  si  possible,  extrait  d'un  autre 
Diarw  celui  de  John  Evel^m  (  1620-1 706),  publié  en 
181 8  et  18 u).  John  Evelyn  parcourant  l'Angleterre  en 
T6S4,  note  sur  ses  tablettes  : 

What  was  most  stupendious  to  me  was  the  rock  of  St  Vincent,  a 
little  distance  from  the  town.  the  précipice  whereof  is  equal  to 
anvthing  of  that  nature  I  hâve  seen  in  the  most  confragose  cata- 
racts  of  the  Alps,  the  river  gliding  between  them  at  an  extra- 
ordinary  depth.  There  is  also  on  the  side  of  this  horrid  Alp  a 
very  romantic  seat. 

Notons  cette  première  application  du  mot  anglais 
romantic  à  un  pavsage  d'un  caractère  alpestre.  C'est 
une  preuve  de  la  fascination  exercée  déjà  à  cette  époque 
par  les  Alpes  sin"  l'àme  européenne,  en  particulier  sur 
les  Anglais  "'.  Cela  seul  rendrait  le  témoignage  de  John 
Evelvn  plus  précieux  que  celui  de  S.  Pepys,  même  s'il 
n'était  pas  antérieur.  Mais  d'ailleurs  ils  se  cotiiplètent  : 
tous  deux  attestent  l'emploi  courant  au  XVIP  siècle, 
par  les  vo3'ageurs  anglais,  du  mot  7^omantic  pour  carac- 
tériser les  aspects  les  plus  impressionnants  de  la  na- 
ture sauvage. 

On  peut  se  demander,  après  cette  constatation,  jus- 
qu'à quel  point  le  lexicographe  néologue  Phillipps  avait 
le  droit  de   citer   romantic   (écrit   romantick)    dans   son 

1  Voyez  p.   148. 

*  Sur  cette  fascination,  voyez  fouvrage  de  M.  J.  Grand-Carteret,  La 
Montagne  à  travers  les  âges,  iqo3,  t.  I,  p.  322  et  suiv.,  où  d'ailleurs  il 
■  est  fait  une  large  place  au  voyage  de  John  Evelyn  eu  Suisse. 


/ 

204  ANNALES   DE    LA   SOCIÉTÉ  .1.    .1.    ROUSSEAU 

New  world  of  words,  édition  de  Londres.  lyoi).  ^  Sans 
doute  le  mot  lui  apparaissait-il  sinon  tout-à-fait  nou- 
veau, du  moins  dans  sa  toute  première  fraîcheur  ;  il 
n'avait  pas  encore  reçu  la  suprême  consécration  des 
grands  écrivains,  d'un  Pope  et  d'un  Thomson  notam- 
ment, qui  ont  achevé  de  le  populariser  et  de  l'imposer  à 
Tattention.  des  lettrés.  Il  n'était  point  encore  enveloppé 
non  plus  dans  cette  faveur  des  jardins  naturels  qui  ne 
date  guère,  en  Angleterre  même,  que  du  second  quart 
du  XVIIP  siècle,  à  laquelle  les  Saisons  de  Thomson 
donnent  la  première  impulsion  -,  et  dont  l'abbé  Le- 
blanc, dans  le  passage  cité  par  M.  Lanson,  se  fait  le 
témoin  en  1745.  Que  ce  soient  bien  là,  Je  veux  dire  l'au- 
torité d'un  Thomson  et  d'un  Pope  et  la  vogue  des  jar- 
dins anglais,  que  ce  soient  bien  là  les  raisons  essentielles 
de  la  vulgarisation  du  mot  romantic  en  Angleterre  et  à 
l'étranger,  c'est  ce  qu'on  ne  manquera  pas  de  constater, 
en  ce  qui  concerne  la  France,  dans  la  suite  de  cette 
étude.  Toutefois  pareille  diffusion  ne  s'est  pas  faite 
en  un  jour. 


II 


Si  l'on    veut   être    persuadé  que  dans   le  passage  de- 
l'abbé  Leblanc,  le  mot  roniaiilic  est  encore    bien   loin 
d'être   français,   il   sufllit   d'interroger   les    plus    anciens 
traducteurs    de    Pope,    de    Thomson    et    de    Whately. 
Aucun  n'ose  se   servir  du   mot   romantique  ;   tantôt  ils 

'  Cf.  Skeat,  Htvmolopical  dictionary  of  F.nglish  Language,  Oxford 
1H82. 

2  Voyez  Alicia  Aniherst,  History  of  Gardeuing  in  Kngland,  i8(|6,  et 
H.-A.  Bcers,  op.  cit.,  p.  118  et  suiv. 


ROMANTIQUE 


2o5 


traduisent  le  mot  anglais  par  romanesque  \  tantôt  ils  le 
traduisent  par  pittoresque  (Téquivalent  fourni  déjà  par 
labbé  Leblanc),  tantôt  enfin,  ils  ne  le  traduisent  pas 
du  tout,  ils  Tesquivent.  Voici  les  preuves  tirées  de  la 
traduction  de  Pope  par  Silhouette,  Amsterdam,  lySS, 
de  Thomson  par  M"^*"  Bontems,  1739,  de  Whately  par 
François  de  Paul  Latapie,  Paris  1771  (L'art  de  former 
les  jardins  modernes)  : 


Pope  ^ 

Whether  the  charmer  sinner  it, 

or  saint  it, 
If  Folly  grow  romantic,  I  must 

paint  it. 

V.  i5i6. 

Thomson  ^ 

...Sudden  he  starts, 
Shook  from  his  tender  trance, 

and  restless  runs 
To     glimmering     shades,     and 

sympathetic  glooms, 
Where    the    dun  umbrage    o'er 

the  falling  stream 
Romantic  hangs... 

Spring,  V.  938-942. 

...  and  hère  a  while  the  muse 
High-hovering  o'er    the    broad 
cerulean  scène, 


Silhouette. 

Quelques  caractères  qu'une 
belle  emprunte,  soit  qu'elle  les 
profane  ou  qu'elle  les  sanctifie, 
la  folie  devient-elle  romanes- 
que't  II   faut  la  peindre  (p.  97I. 

Mme  Bontems. 

Réveillé  tout  à  coup  et  sortant 
de  sa  léthargie,  il  cherche  les 
ténèbres  qui  sympathisent  avec 
l'état  de  son  cœur.  Guidé  par 
un  reste  de  lueur,  l'ombre  vague, 
qui  lui  dérobe  le  ruisseau  cou- 
lant, plaît  aux  fantômes  roma- 
nesques qui  l'agitent  (p.  G2). 

Ici  ma  Muse  revoit  en  ima- 
gination sa  chère  Calidonie 
[sic],  ses   montagnes  aériennes. 


1  C'est  déjà  par  romanesque  que  le  traducteur  des  Remarks  d'Addison 
en  1722,  rend  le  romantic  du  passage  cité  plus  haut  :  «  Les  déserts  si 
fameux  par  la  pénitence  de  Marie  Madelaine,  qui...  passa  le  reste  de  ses 
jours,  à  ce  que  l'on  dit,  à  pleurer  ses  péchés  dans  les  rochers  et  dans  la 
solitude  de  ces  montagnes,  qui  forment  une  scène  si  romanesque, 
qu'elle  a  toujours  probablement  donné  lieu  à  de  semblables  fables.  » 
I Remarques  sur  divers  endroits  de  l'Italie  par  Mons.  Addison,  pour 
servir  au  voyage  de  Mons.  Misson,  Utrecht,  1722,  in-12,  p.  2). 

*  Moral  Essays,  Epistle  II  (i735). 

3  The  Season,  édit.  de  Londres,  lySo. 


2o6 


AXXAI.ES  DE  I.A  SOCIETE.!.  .1.   ROUSSEAU 


Secs    Caledonia.     in     rouuntic       sortant   des    vagues  de  la   mer. 

view  :  entourées  d'un  firmament  eten- 

Her    airv   mountains,    from  the       du  et  piquant  (p.  23il. 

gelid  main, 
Invested  whh  a  keen,  diffusive 

sky, 
Breathing  the  soûl  acute... 

AlltllUlU,   V.    Si2-827. 


Whatelv  1 

W'hen  in  a  roiujiiiic  situa- 
tion... (p.  40). 

...Or  hurrying  along  a  devions 
course,  add  splendor  to  a  gay, 
and  extravagance  to  a  romantic 


L.atapic. 

Lorsque  dans  une  situation 
pittoresque...  (p.  34). 

...Ou  se  précipitant  avec  fra- 
cas dans  leur  cours  irrégulier 
elles  ajoutent  au  brillant  et  à  la 


situation  [en  parlant  du  rôle  des       vivacité  d'une  situation  ijaie,  et 


eaux  dans  un  paysage]  (p.  (3i.) 

The  woods  concur  with  the 
rocks  to  render  the  scènes  of 
Pcrsfield  romantic  <p.  240). 


au  merveilleux  d'une  scène  pit- 
toresque (p.  Si  ). 

Les  hois  groupés  avec  les 
rochers,  contribuent  beaucoup  à 
rendre  les  scènes  de  Persfield 
cWrC'memenx pittoresques  [p.  3o.i 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  chez  les  traducteurs, 
c'est  aussi  chez  les  écrivains  originaux  que  romanesque 
et  pittoresque  servent  à  caractériser  l'irnpression  nou- 
velle, à  mesure  qu'elle  s'insinue  dans  Tàme  française. 
Rien  n'est  plus  instructif  que  de  suivre  sur  ce  point  le 
progrès  de  l'expression  chez  les  bons  auteurs.  Où  Fé- 
nelon,  par  exemple,  dans  les  Dialoi^iies  des  luoj-ts  171  2  ;, 
en  est  encore  réduit  à  recourii"  au  je  ne  sais  quoi  poiii" 
traduire  son  sentiment,  d'ailleurs  très  moderne,  en  lace 
de  la  nature  sauvage  : 

Voici  le  plus  beau  désert  qu'on  puisse  voir.  N"admirez-vous  pas 
ces  ruisseaux  qui  tombent  des  montagnes,  ces  rochers  escarpés 
et  en  partie   couverts  de    mousse,  ces  vieux  arbres  qLii  paraissent 


'  Observaliotis  uu  modem  (îardcniiifç,  4'  édit.,    Londres   1777    1"  cdit.. 
1770]. 


ROMANTIQUE  207 

aussi  anciens  que  la  terre  où  ils  sont  plantés  :  La  nature  a  ici  /t' 
ne  sais  quoi  de  brut  et  d'affreux  qui  plait  cl  qui  fait  rêver  agréa- 
blement. ^ 

OÙ  Fénclon,  dis-je.  en  est  encore  réduit  au  />  ne  sais 
quoi,  Diderot,  lui,  dans  ses  lettres  à  Sophie  Volland, 
dit  soit  pittoresque  (mot  relativement  neuf  dans  la  lan- 
gue; : 

A  irauche  de  la  maison,  nous  avons  un  petit  bois  qui  la  Jetend 
du  vent  du  nord  ;  il  est  coupé  par  un  ruisseau  qui  coule  naturel- 
lement à  travers  les  branches  d'arbres  rompues,  à  travers  des 
ronces,  des  joncs,  de  la  mousse,  des  cailloux.  Le  coup  d'œil  est 
tout-à-fait  pittoresque  et  sauvage  (20  octobre  173g).* 

soit  romanesque  : 

Le  village  [de  Champignv]  couronne  la  hauteur  en  amphithéâ- 
tre. Au-dessous,  le  lit  tortueux  de  la  Marne  forme,  en  se  divisant, 
un  groupe  de  plusieurs  iles  couvertes  de  saules.  Ses  eaux  se  pré- 
cipitent en  nappes  par  les  intervalles  étroits  qui  les  séparent.  Les 
paysans  y  ont  établi  des  pêcheries.  C'est  un  aspect  vraiment 
romanesque  (3o  octobre  17591,  ^ 

Quand  Diderot  emploie  ainsi  le  mot  romanesque,  il 
est  visible  qu'il  a  déjà  dans  l'esprit  romantique,  la  chose 
sinon  le  mot,  le  mot  restant  seul  désormais  à  découvrir 
ou  à  hasarder.  iMais  il  ne  le  dit  pas.  C'est  à  Rous- 
seau—  pour  en  arrivera  lui  —  qu'il  est  réservé,  parmi 
les  écrivains  de  race,  de  franchir  une  étape  nouvelle  et. 
finalement,  d'arriver  au  but.  Toutefois,  Rousseau  com- 
mence par  être  en  retard  sur  Diderot,  en  retard  pour 
l'expression  s'entend,  car  pour  le  sentiment  il  a  bientôt 
fait  de  le  rattraper  et  même  de  le  dépasser.  Dans  les 
célèbres  pages  de  la  description  du  Valais  (Nouj^elle 
Héloïse,    I,   23)   qu'on   donne  généralement  comme    la 

Léger  et  Ebroin.  Cité  par  M.  Jules  Lemaitre,  Jean  Racine,  p.  33. 
*  Œuvres,  édit  Assézat  et  Tourneux,  t.  XVIII,  p.  416. 
■■  Ibid.  p.  41 7. 


208  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  J.   ROUSSEAU 

première  éclosion  du  sentiment  romantique  dans  la 
littérature  française,  nous  en  sommes  encore,  tout 
comme  chez  Fénelon,  au  je  ne  sais  quoi: 

Les  méditations  y  prennent  [sur  les  hautes  montagnes]  je  ne 
sais  quel  caractère  grand  et  sublime,  proportionné  aux  objets  qui 
nous  frappent,  je  ne  sais  quelle  volupté  tranquille  qui  n'a  rien 
d'acre  et  de  sensuel...  Tout  cela  fait  aux  yeux  un  mélange  inex- 
primable, dont  le  charme  augmente  encore  par  la  subtilité  de 
l'air...  Enfin  ce  spectacle  a  je  ne  sais  quoi  de  magique,  de  sur- 
naturel qui  ravit  l'esprit  et  les  sens,  etc.> 

Qu'on  veuille  bien  se  reporter  au  texte  complet,  que 
je  juge  inutile  de  reproduire  ici  :  à  coup  sur  on  ne 
saurait  imaginer  définition  plus  émouvante  et  plus  com- 
plète du  sentiment  romantique  en  face  de  la  nature  alpes- 
tre, d'autant  plus  émouvante  qu'elle  jaillit,  pour  ainsi 
dire,  d'un  contact  direct  avec  cette  nature,  qu'elle  re- 
présente un  éveil  quasi  spontané  du  sentiment  nouveau 
dans  l'àme  d'un  grand  écrivain.  De  telles  pages,  si  l'on 
considère  leur  retentissement,  autoriseront  toujours  à 
considérer  Rousseau  comme  le  principal  «inventeur» 
de  l'émotion  romantique  en  France.  Toutefois  ce  n'est 
encore  là  que  la  chose  couchée  vivante  et  palpitante 
sur  le  papier:  le  mot  même  mettra  encore  beaucoup 
de  temps  à  paraître  sous  la  plume  de  Rousseau,  beau- 
coup plus  de  temps  que  chez  Diderot,  même  sous 
sa  forme  équivoque  et  indécise  romanesque.  Ce  sera, 
nous  l'avons  vu,  aux  environs  de  1777,  lorsqu'il  rédi- 
gera ses  Rêveries,  et  encore  l'écrivain  parfait  de  ce  chef- 
d'œuvre,  hésitera-t-il  :  il  ne  sera  pas  très  sur  de  ce  qu'il 
fait  : 

'  O.  IV,  3i.  Cf.  encore  la  lettre  sur  le  pèlerinage  de  Meillcrie  (IV,  17 
—  <).  IV,  362)  :  «  Ce  lieu  solitaire  formoit  un  réduit  sauvage  et  désert, 
mais  plein  de  ces  sortes  de  beautés  qui  ne  plaisent  qu'aux  âmes  sensi- 
bles, et  paroissent  horribles  aux  autres.  » 


ROMANTIQUE  209 

Laissant  errer  mes  yeux  au  loin  sur  les  romanesques  rivages  qui 
bordoient  une  vaste  étendue  d'eau  claire  et  cristalline,... 

écrira-t-il  d'une  part  comme  l'ami  de  Sophie  VoUand  ; 

mais  un  peu  plus  haut,  dans  le  même  morceau  et  dans 

une   phrase   presque  identique,    il  lâchera  enfin  le  mot 

nouveau,  le  grand  mot  : 

Les  rives  du  lac  de  Bienne  sont  plus  sauvages  et  plus  romanti- 
ques que  celles  du  lac  de  Genève. 

C'est  le  but  atteint,  l'expression  finale  aussi  exacte 
que  possible,  qui  reprend,  condense  et  fixe  en  un  mot 
saisissant  toutes  les  définitions,  tous  les  développements 
antérieurs.  Pareil  résultat  n'est  pas  obtenu  sans  peine. 
Dans  l'intervalle  de  la  Nom^elle  Hélo'ise  et  des  Rêveries 
que  s'est-il  au  juste  passé  qui  nous  y  ait  conduits  ?  Il 
s'est  passé  que  le  grand  courant  de  l'influence  anglaise 
dont  les  infiltrations  ont  commencé  depuis  si  longtemps, 
a  achevé  de  pénétrer  et  de  se  répandre  en  France  :  ce 
courant  est  venu  tout  naturellement  se  joindre  au  cou- 
rant créé  par  le  génie  de  Rousseau  :  il  s'est  fondu  avec 
lui  pour  en  augmenter  si  possible  l'irrésistible  puis- 
sance. ^  Il  s'est  passé  en  particulier  que  ce  courant 
étranger  a  déposé  sur  la  terre  de  France  un  mot  nou- 
veau qui  doit  y  faire  fortune  parce  qu'il  vient  au  devant 
d'un  sentiment  déjà  profond.  Dans  ce  mot,  semble-t-il, 
l'àme  française  et  l'àme  anglaise  se  sont  étreintes,  car 
Rousseau,  avant  même  de  le  connaître,  l'avait  glorifié 
dans  sa  Nouvelle  Héloïse  aux  yeux  des  Anglais  eux- 
mêmes,  et  d'autre  part,  l'Angleterre,  avec  sa  longue 
expérience  de  la  nature  sauvage,  la  lointaine  tradition  de 
ses  voyageurs,  venait  renforcer  par  un   mot  précis  le 

1  Cf.  Mornet,  Sentiment,  p.  214  et  suiv.,  et  par  delà  Mornet  la  thèse 
mémorable  de  feu  Joseph  Texte  à  laquelle  d'ailleurs  il  se  réfère. 

14 


-2  10  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  J.    ROUSSEAU 

sentiment  qui  bouillonnait  depuis  quelque  temps  déjà 
dans  la  littérature  française. 

Dans  cet  échange,  il  y  eut  des  intermédiaires.  Ce  ne 
fut  pas  précisément  Rousseau,  ou  plutôt  ce  ne  fut  pas 
Rousseau  tout  seul,  comme  on  a  pu  le  croire.  Il 
demeure  après  tout  incertain  où  il  l'a  pris,  ce  mot 
romantique  qu'il  emploie  pour  la  première  fois  vers 
1777,  si  c'est  aux  Anglais  directement,  comme  son 
séjour  en  Angleterre  permettrait  de  le  supposer,  ou  si 
c'est  en  France  même,  autour  de  lui,  où  d'autres,  ainsi 
qu'on  va  le  voir,  commençaient  à  se  servir  du  mot 
d'Outre-Manche.  C'est  ici  que  nous  allons  rencontrer 
ces  artisans  plus  modestes  du  ^'-cosmopolitisme  litté- 
raire »  dont  l'œuvre  de  Rousseau  fut  à  la  fois  environ- 
née et  soutenue,  et  qui,  ceux-là,  puisèrent  à  coup  sûr 
directement  à  la  source  anglaise. 


III 


On  a  vu  que  le  traducteur  de  Whately,  Latapie.  en 
1771,  rend  encore  systématiquement  romanlic  par 
pilioresqiw.  Autant  que  j'ai  pu  m'en  rendre  compte  par 
un  rapide  examen,  J.-M.  Morel,  dont  la  Théorie  des 
jardins^  ]\iris  177*),  s'inspire  également  dans  une  très 
large  mesure  de  Whately,  n'emploie  pas  davantage  le 
mot  romantique  pourtant  assez  fréquent  chez  l'écrivain 
anglais.  C'est  un  terminus  ad  quem.  A  ce  moment  même,. 
romantique  pénètre  par  deux  ou  trois  portes  dans  la 
langue  française  :  ce  sont  notamment  les  vulgarisateurs 
de  la  littérature  anglaise  en  France  et  les  amateurs  de 


jardins  anglais. 


ROMANTIQUE  2  1  1 

Les  vulgarisateurs  :  en  1776,  le  principal  d'entre  eux 
peut-être.  Letourneur,  lance  sa  célèbre  traduction  de 
Shakespeare  en  vingt  volumes.  Elle  est  précédée  d'un 
Discours  extrait  des  différentes  préfaces  que  les  éditeurs 
de  Shakespeare  ont  mises  à  la  tête  de  leurs  éditions. 
On  y  peut  lire  ceci  (p.  cxvni  et  suiv.)  : 

Ce  n'est  pas  seulement  au  sein  d'une  ville,  et  sur  le  sopha  de  la 
mollesse,  qu'il  faut  lire  et  méditer  Shakespeare.  Celui  qui  voudra 
le  connoitre,  doit  errer  dans  la  campagne,  le  long  des  saules  qui 
avôisinent  le  hameau,  s'enfoncer  dans  l'épaisseur  des  forêts, 
gravir  sur  la  cime  des  rochers  et  des  montagnes  :  que  de-là  il 
porte  sa  vue  sur  la  vaste  mer,  et  qu'il  la  fixe  sur  le  paysage 
aérien  et  Romantique  des  nuages,  alors  il  sentira  quel  fut  le  génie 
de  Shakespeare,  ce  génie  qui  peint  tout,  qui  anime  tout.  Tout 
dans  la  nature,  depuis  la  voûte  immense  du  firmament  jusqu'à  la 
fieur  isolée  dans  la  bruyère,  reçoit  de  lui  le  trait  et  la  forme  qui 
le  caractérisent... 

Dans  cette  phrase  mémorable,  romantique  est  impri- 
mé en  italique  avec  une  majuscule,  et  accompagné  de  la 
note  importante  que  voici  : 

Nous  n'avons  dans  notre  langue  que  deux  mots,  peut-être  même 
qu'un  seul,  pour  exprimer  une  vue,  une  scène  d'objets,  un  paysage 
qui  attachent  les  yeux  et  captivent  l'imagination.  Si  cette  sensa- 
tion éveille  dans  l'âme  émue  des  affections  tendres  et  des  idées 
mélancoliques,  alors  ces  deux  mots,  Romanesque  et  Pittoresque 
ne  suffisent  pas  pour  la  rendre.  Le  premier  très  souvent  pris  en 
mauvaise  part,  est  alors  synonyme  de  chimérique  et  de  fabuleux  : 
il  signifie  à  la  lettre,  un  objet  de  Roman,  qui  n'existe  que  dans  le 
pays  de  la  féerie,  dans  les  rêves  bizarres  de  l'imagination,  et  ne  se 
trouve  point  dans  la  nature.  Le  second  n'exprime  que  les  effets 
d'un  tableau  quelconque,  où  diverses  masses  rapprochées  forment 
oin  ensemble  qui  frappe  les  yeux  et  le  fait  admirer,  mais  sans  que 
l'àme  y  participe,  sans  que  le  cœur  y  prenne  un  tendre  intérêt. 
Le  mot  Anglois  est  plus  heureux  et  plus  énergique  :  En  même 
tems  qu'il  renferme  l'idée  de  ces  parties  grouppées  d'une  manière 
neuve  et  variée,  propres  à  étonner  les  sens,  il  porte  de  plus  dans 
l'àme  le  sentiment  de  l'émotion  douce  et  tendre  qui  naît  a  leur 
vue,  et  joint  ensemble  les  effets  phvsiques  et  moraux  de  la  pers- 
pective. Si  ce  vallon  n'est  que  pittoresque,  c'est  un  point  de  l'éten- 


212  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  ,1.  J.   ROUSSEAU 

due  qui  prête  au  Peintre  et  qui  mérite  d'être  distingué  et  saisi  par 
l'art.  Mais  s'il  est  Romantique,  on  désire  de  s'y  reposer,  l'œil  se 
plaît  à  le  regarder  et  bientôt  l'imagination  attendrie  le  peuple  de 
scènes  intéressantes  :  elle  oublie  le  vallon  pour  se  complaire  dans 
les  idées,  dans  les  images  qu'il  lui  a  inspirées.  Les  tableaux  de 
Salvator  Rosa,  quelques  sites  des  Alpes,  plusieurs  Jardins  et 
Campagnes  de  l'Angleterre  ne  sont  point  Romanesques  ;  mais  on 
peut  dire  qu'ils  sont  plus  que  pittoresques,  c'est-à-dire,  touchans 
et  Romantiques.  ' 

Ce  texte  de  Letourneur  si  important,  si  précis  déjà 
par  la  définition  qui  accompagne  le  mot  romantique^  ne 
devait  pas  rester  longtemps  isolé  dans  la  littérature 
française.  L'année  suivante,  1777,  venait  au  jour  un 
ouvrage  qui,  au  témoignage  de  l'éditeur,  attendait 
depuis  plusieurs  années  pour  paraître.  Dans  une  sphère 
plus  modeste,  il  devait  avoir  un  aussi  grand  retentisse- 
ment que  le  Shakespeare  de  Letourneur;  de  1777  à 
i8o5,  il  n'a  pas  été  imprimé  moins  de  quatre  fois.  La 
première  édition  porte  le  titre  suivant  :  De  la  Composi- 
tion des  paysages,  ou  des  moyens  d'embellir  la  Nature 
autour  des  habitations,  en  joignant  l'agréable  à  l'utile^ 
par  R.  L.  Gérardin  (s/c),  Mestre  de  Camp  de  Dragons, 
Chevalier  de  l'ordre  Royal  et  Militaire  de  S.  Louis 
Vic*^  d'Ermenonville,  Genève  et  Paris,  in-8,  xiv- 
160  pp.;  R.  L.  Gérardin,  c'est-à-dire  comme  nous 
avons  pris  l'habitude  de  désigner  le  même  personnage, 
le  marquis  René-Louis  de  Girardin,  celui-là  même  chez 
qui  Rousseau  est  mort  en  1778  ;  nous  sommes  en  plein 
pays  de  connaissance.  Ouvrons  donc  la  Composition  des 
paysages  :  au  chapitre  XV,  intitulé  Du  pouvoir  des 
paysages  sur  nos  sens,  et  par  contre-coup  sut^  notre  ânie^ 

1  Le  passageet  la  noie  sont  signales  par  M.  F.  Baldensperger,  FAudes 
d'histoire  littéraire,  Paris,  1907,  p.  70.  M.  Gustave  Rudler,  docteur  ès- 
lettres,  professeur  au  lycée  Louis  Le  Grand,  a  eu  l'obligeance  d"en  pren- 
dre copie  pour  moi  à  la  liibliothèque  Nationale. 


ROMANTIQUE  2l3 

l'auteur  s'attache  à  distinguer  ce  qu'il  appelle  la  beauté 
«pittoresque»  et  la  beauté  «de  convention»,  la  beauté 
pittoresque  comportante  son  tour  trois  sortes  de  situa- 
tions, pittoresques,  poétiques  et...  i^onianiiques.  ^ 

»  Cette  distinction  n'est  pas  précisément  nouvelle.  Watelet,  dans  son 
Essai  sur  les  jardins,  1774,  p.  55  distingue  déjà  «  trois  caractères  qui 
peuvent  servir  de  base  à  la  décoration  des  nouveaux  parcs»:  \t  pitto- 
resque, le  poétique  ci  le  romanesque .  Watelet  recule  donc  devant  la  néo- 
logisme. Toutefois  sa  définition  du  romanesque  n'en  mérite  pas  moins 
d'être  rapprochée  de  celle  que  Girardin  nous  donne  du  mot  romantique . 
C'en  est  en  quelque  sorte  une  première  épreuve.  C'est  pourquoi  nous 
n'hésitons  pas  à  la  donner  ici  en  note  : 

«  Le  romanesque  paroît  oft'rir  un  champ  plus  vaste  que  le  poéti- 
que dont  je  viens  de  parler  :  il  embrasse  en  effet  tout  ce  qui  a  été  ima- 
giné, et  tout  ce  qu'on  peut  inventer  encore.  Mais  par  cette  raison  l'effet 
en  est  plus  incertain.  Dans  le  nombre  infini  d'inventions  romanes- 
ques, il  n'en  est  qu'un  petit  nombre  qui  soient  généralement  répan- 
dues ;  au  lieu  que  les  idées  poétiques,  dont  la  lecture  des  auteurs  anciens 
instruit  la  jeunesse,  et  qui  sont  continuellement  reproduites  par  les  arts, 
deviennent  des  conventions  adoptées,  et  communes  à  tous  ceux  qui  ont 
quelque  instruction. 

«  Les  idées  romanesques  auxquelles  il  faut  joindre  la  plupart  des  idées 
allégoriques,  n'ont  pas  cet  avantage  :  elles  sont  plus  vagues,  plus  per- 
sonnelles ;  elles  appartiennent,  pour  ainsi  dire,  à  chacun  en  propre  ;  et 
elles  tendent  par  ces  raisons  plus  directement  au  dérèglement  de  l'ima- 
gination, et  aux  ég'aremens  du  goût.  Car  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue 
ce  principe  applicable  à  tous  les  arts  :  que  leurs  productions  sont  d'au- 
tant plus  sujettes  aux  atteintes  du  mauvais  goût,  qu'elles  sont  consa- 
crées à  des  usages  et  des  intentions  plus  personnelles.  En  effet  il  est 
certain  que  quiconque  destine  un  ouvrage  des  arts  à  être  vu  et  apprécié 
par  d'autres  que  lui  ;  quiconque  a  pour  objet  d'obtenir  une  approbation 
générale,  tend  naturellement  à  se  rapprocher  de  la  raison,  de  la  nature 
et  de  cette  perfection  qui  réunit  le  plus  de  suffrages. 

«Mais,  pour  revenir  à  mon  sujet,  je  conviendrai  que  des  dispositions 
extraordinaires,  fondées  sur  des  idées  même  assez  puériles,  peuvent 
produire  quelques  momens  d'une  illusion  piquante. 

«  Tel  serait,  par  exemple,  un  lieu  très  sauvage  où  des  torrens  se  pré- 
cipiteraient dans  des  vallons  creux  ;  oit  des  rochers,  des  arbres  tristes, 
le  bruit  des  eaux  répété  par  les  antres  multipliés,  porteraient  dans 
l'âme  une  sorte  d'effroi  *  ;  où  l'on  appercevroit  des  fumées  épaisses,  des 
feux  sortant  de  quelques  forges,  de  quelques  verreries  cachées,  où  l'on 
entendroit  les  bruits  de  plusieurs  machines,  dont  les  mouvements 
pénibles  et  les  roues  gémissantes  rappelleroient  les  plaintes  et  les  cris 
des  esprits  mal-faisans.  Ces  images  d'un  désert  magique,  d'un  lieu  pro- 

*  C'est  moi  qui  souligne. 


214  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.   J.  ROUSSEAU 

Si  la  situation  pittoresque,  dit-il,  enchante  les  yeux,  si  la  situa- 
tion poétique  intéresse  l'esprit  et  la  mémoire,  retraçant  les  scènes 
arcadiennes  en  nous,  si  l'une  et  l'autre  composition  peuvent  être 
formées  par  le  peintre,  et  le  poète,  il  est  une  autre  situation  que 
la  nature  seule  peut  offrir  :  c'est  la  situation  Romantique.  [En 
note  :  J'ai  préféré  le  mot  anglois.  Romantique,  à  notre  mot  fran- 
çois.  Romanesque,  parce  que  celui-ci  désigne  plutôt  la  fable  du 
roman,  et  l'autre  désigne  la  situation,  et  l'impression  touchante 
que  nous  en  recevons].  Au  milieu  des  plus  merveilleux  objets  de 
la  nature,  une  telle  situation  rassemble  tous  les  plus  beaux  effets 
de  la  perspective  pittoresque,  et  toutes  les  douceurs  de  la  scène 
poétique  ;  sans  être  farouche,  ni  sauvage,  la  situation  Romantique 
doit  être  tranquille  et  solitaire,  afin  que  l'âme  n'y  éprouve 
aucune  distraction,  et  puisse  s'y  livrer  toute  entière  à  la  douceur 
d'un  sentiment  profond. 

A  travers  les  ombrages  noirâtres  des  sapins,  et  les  amphithéâ- 
tres de  rochers,  la  rivière  limpide  descend  de  cascades  en  casca- 
des, jusques  dans  la  vallée  tranquille  ;  c'est-là  qu'elle  semble 
s'étendre  avec  plaisir  pour  former  un  lac  entre  la  chaîne  des 
rochers  majestueux,  dont  les  intervalles  laissent  appercevoir  dans 
le  lointain  ces  respectables  montagnes,  dont  les  cimes  couvertes 
de  glaces  et  de  neiges  éternelles,  ressemblent  à  cette  distance  à 
d'énormes  masses  d'agathe  et  d'albâtre,  qui  réfléchissent  comme 
autant  de  prismes,  toutes  les  couleurs  de  la  lumière '.    Les  eaux 

pre  aux  évocations,  auxquelles  se  joindroient  les  accidens  et  les  sons 
qui  leur  conviennent,  présenteraient  un  romanesque  auquel  la  panto- 
mime même  ne  serait  pas  nécessaire.  En  effet  l'imagination  émueseroit 
prête  à  la  suppléer;  et  dans  l'instant  où  le  jour  s'obscurcirait,  où  les 
ombres  de  la  nuit  répandraient  la  tristesse  qui  leur  est  propre,  et  les 
illusions  qui  les  accompagnent,  peu  s'en  faudroit  qu'on  ne  crût  voir 
dans  ce  désert  des  Démons,  des  Magiciens  et  des  Monstres. 

L'usage  que  l'Art  pourroit  faire  de  ces  sortes  de  scènes,  seroit  sur- 
tout d'ajouter  par  une  préparation  adroite,  et  une  opposition  forte  aux 
charmes  d'une  disposition  absolument  différente  :  et  ce  contraste  ren- 
droit  plus  délicieux,  sans  doute,  un  tableau  dont  la  volupté  auroit 
choisi,  et  composé  tous  les  objets:  mais  ce  caractère  est  un  de  ceux  qui 
peuvent  entrer  dans  la  disposition  des  lieux  de  plaisance,  dont  je  vais 
m'occuper  »  (p.  86-89). 

>  Paysage  alpestre  de  la  Nouvelle-Héloise  (IV,  17)  ;  les  rochers  de 
Meillerie  avec  les  «glacières»  dans  le  fond.  Le  paysage  a  été  vu  par 
Girardin,  mais  à  travers  l'enthousiasme  de  Rousseau.  Un  seul  détail 
plus  imaginaire  que  réaliste:  la  rivière  «limpide»,  au  lieu  de  l'eau 
«  bourbeuse  »  du  torrent  «  formé  par  la  fonte  des  neiges  «  dans  Rous- 
seau. On  peut  également  évoquer  à  cette  place  les  strophes  fameuses 
de  Haller  dans  son  poème  des  Alpes  qui  eut,  comme  on  sait,  un  reten- 


ROMANTIQUE  2  I  5 

du  lac  sont  d'une  couleur  bleu-céleste  tel  que  l'azur  du  plus  beau 
jour  ;  et  transparentes  comme  le  cristal  le  plus  pur,  l'œil  y  peut 
suivre  jusques  au  fond  les  jeux  de  la  truite  sur  des  marbres  de 
toutes  couleurs*.  Une  Isle  s'élève  au  milieu  des  eaux,  comme 
pour  servir  de  théâtre  aux  plaisirs  champêtres  ;  cette  Isle  char- 
mante est  entremêlée  de  vignes  et  de  prairies,  et  de  distance  en 
distance  des  ombrages  variés  y  forment  d'agréables  bocages  ; 
la  vache  y  pâture  la  fraise  qui  rougit  la  pelouse  ;  d'heureux  époux 
que  l'intérêt  n'a  point  unis,  y  sont  assis  sur  l'herbe  tendre  au 
milieu  de  tous  leurs  enfans-^;  c'est  là  qu'ils  font  un  souper  déli- 
cieux avec  la  crème  qui  a  la  saveur  de  la  fraise  et  la  couleur  de  la 
rose*.    Plus  loin,  au  clair  de  la  lune  argentée*,  l'eau  du  lac  frémit 

tissement  européen:  Dort  senkt  ein  kahler  Berg  die  glatten  \\  andc 
nieder,  Den  ein  verjâhrtes  Eiss  dem  Himmel  gleich  gethûrmt.  Sein 
frostiger  Krystall  schickt  aile  Strahlen  wieder... 

1  Evocation  aussi  précise  que  possible  (cadre  alpestre,  couleur,  trans- 
parence, île),  dans  un  paysage  de  ce  genre  intentionnellement  fictif  et 
anonyme,  des  lacs  chers  à  Rousseau,  le  lac  de  Genève  et  le  lac  de 
Bienne.  11  ne  fait  aucun  doute  que  Girardin  avait  visité  également  le 
second;  peut-être  en  avait-il  entendu  parler  par  Rousseau  lui-même 
dont  c'était  un  des  sujets  de  conversation  favoris  (cf.  B.  de  Saint-Pierre, 
J.  J.  Rousseau,  édit.  Souriau,  p.  93).  Quelques  lignes  plus  loin  nous 
allons  retrouver  la  trace  certaine  des  conversations  de  Jean-Jacques 
dans  la  prose  de  Girardin. 

2  Des  vignes,  des  prairies,  des  bocages,  c'est  tout-à-fait  le  signalement 
de  l'Ile  de  Saint-Pierre,  lîle  «aux  plaisirs  champêtres  y  par  excellence, 
avec  son  pavillon  de  danse.  Ce  qui  suit  ne  le  dément  pas. 

3  L'ombre  du  couple  Wolmar,  qui  passe,  avec  son  désintéressement, 
ses  vertus  rustiques  et  familiales,  son  escorte  d'enfants  et  son  goût 
pour  le  laitage.  Le  contact  des  Idylles  de  Gessner  l'a  d'ailleurs  légère- 
ment affadi. 

*  Cf.  B.  de  Saint-Pierre,  Vie  et  ouvrages  de  J.  J.  Rousseau,  édit.  Sou- 
riau, p.  52  :  «  Il  aimait  à  se  rappeler  les  bons  laitages  de  la  Suisse,  entr'au- 
tres  de  celui  qu'on  mange  en  quelques  endroits  des  bords  du  lac  de  Ge- 
nève. La  crème  en  été  y  est  couleur  de  rose,  parce  que  les  vaches  y 
paissent  quantité  de  fraises  qui  croissent  dans  les  pâturages  des  monta- 
gnes. »  Il  y  a  là  une  mystification  générale  bien  curieuse  des  amis  de 
Rousseau,  dont  on  aimerait  savoir  l'origine.  Jamais  crème  n'a  été  «  cou- 
leur de  rose»  qu'artificiellement  ou  par  suite  du  mauvais  état  de  la 
vache  dont  le  lait  conserve  des  traces  de  sang.  En  tout  cas  voici,  sem- 
ble-t-il,  la  trace  irrécusable  des  conversations  de  Rousseau  dans  l'esprit 
de  Girardin  et  dans  sa  prose. 

*  Le  lovely  moon  des  Anglais,  comme  Girardin  l'intitule  lui-même  {Com- 
position, p.  I  ig),  mais  aussi  les  nombreux  eftèts  de  lune  des  Idylles  de 
Gessner,  et,  qui  sait?  un  peu  Rousseau  également.  Nouvelle  Héloise,  W, 
1-]  :  «Le  frémissement  argenté  dont  l'eau  brillait  autour  de  nous...  » 


2l6  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.    J.    ROUSSEAU 

SOUS  la  barque  légère  qui  porte  les  jeunes  filles  du  voisin  ha- 
meau :  un  corset  blanc  marque  leur  taille  bien  proportionnée,  de 
longues  tresses  flottent  sur  leurs  épaules,  un  joli  chapeau  de 
paille,  orné  des  plus  belles  fleurs  de  la  saison,  est  la  parure  d'un 
visage  riant  où  brille  l'éclat  de  la  santé,  et  la  sérénité  de  l'inno- 
cence '  ;  leurs  voix  sonores  n'eurent  jamais  de  maîtres  que  les 
oiseaux,  et  la  consonnance  de  l'harmonie  naturelle  ;  et  les  échos 
de  ces  cantons  qui  ne  connurent  jamais  les  charivaris  de  la 
musique  chromatique  2,  n'y  répètent  que  les  cris  de  la  gaieté,  les 
chants  de  la  nature,  et  les  sons  naïfs  du  haut-bois. 

La  rivière  en  sortant  du  lac,  s'enfonce  dans  un  vallon  resserré 
et  profond;  de  hautes  montagnes,  et  des  rochers  sourcilleux, 
semblent  séparer  cet  asvle  du  reste  de  l'Univers^.  Les  cimes  en 
sont  couronnées  de  sapins  où  ne  toucha  jamais  la  coignée  ;  sur  les 
pelouses  de  thym  et  de  serpolet,  des  chèvres  blanches  s'élancent 
gaiement  de  rochers  en  rochers  ;  leur  sécurité  dans  un  lieu  aussi  dé- 
sert, rassure  sur  la  crainte  des  animaux  farouches,  et  bannit  la  pen- 
sée d'un  abandon  total,  en  annonçant  le  voisinage  d'une  habitation 
tranquille.  Après  quelques  chutes  précipitées  par  l'opposition  des 

*  L'estampe  de  Freudenberger.  Nous  sommes  en  plein  «  helvétisme 
littéraire.»  Donc  Rousseau,  Rousseau  flanqué  de  Gessner  et  de  Haller. 

2  C'est-à-dire  les  charivaris  de  la  musique  française.  Encore  l'estam- 
pille irrécusable  de  Jean-Jacques,  et  jusqu'à  ses  propres  termes  («Figu- 
rez-vous un  charivari  sans  fin  d'instrumens  sans  mélodie...  »  Nouvelle 
Héloïse,  II,  23 -O.  IV,  p  197.  Cf.  dans  les  Consolations  des  misères  de 
ma  vie,  1781,  p.  199  :  «En  France  on  se  plaît  à  dénaturer  le  caractère 
de  chaque  instrument.  Aussi  chacun  peut  entendre  à  quels  abominables 
charivaris  ils  donnent  le  nom  de  musique.»)  Girardin  était  jusque  là  le 
disciple  de  Rousseau.  Pour  faire  la  conquête  du  philosophe,  il  a  soinde 
lui  porter  à  copier  de  la  musique  italienne  (Stanislas,  Mémoires,  l, 
p.  19);  plus  tard,  à  Ermenonville,  il  lui  offre  des  concerts  selon  ses 
goûts:  «  Dans  le  calme  de  la  soirée,  où  la  musique  champêtre  a  tant  de 
charmes,  il  aimait  à  entendre,  sous  les  arbres  voisins  des  rivières,  le 
son  de  nos  clarinettes.  Cette  mélodie,  bien  plus  touchante  encore  lors- 
qu'elle est  placée  sur  le  théâtre  même  de  la  nature,  lui  rendit  bientôt 
le  goût  de  la  musique,  à  laquelle  le  tintamare  actuellement  à  la  mode 
l'avait  fait  renoncer,  etc.  »  {Ibid.  p.  27,  dans  la  lettre  de  René  Girardin  à 
Sophie,  comtesse  de***). 

3  Changement  de  décor  ;  nous  sommes  transportés  dans  la  terres  ima- 
ginaire de  l'âge  d'or,  l'Arcadie  des  poètes  (cf.  le  paysage  arcadien  d'Er- 
menonville dans  Stanislas  de  Girardin,  Itinéraire  des  Jardins  d'Erme- 
nonville, 1788,  p.  3o.)  Donc  influence  de  Shenstone  (At  Leasowes  he 
lay'd  Arcadian  greens  rural...  Inscription  d'Ermenonville,  dans  Stanis- 
las, Itinéraire,  p.  35),  mais  aussi,  et  dans  une  très  large  mesure,  de  Gess- 
ner, le  Gessner  des  Idylles,  si  cher  à  Girardin  (voyez  plus  loin,  p.  222.) 


ROMANTIQUE  217 

rochers  qui  se  croisent  sur  son  cours,  la  rivière  trouve  enfin  dans 
ce  vallon  étroit,  un  petit  espace  où  ses  eaux  écumantes  et  con- 
trariées, peuvent  jouir  d'un  moment  de  repos.  Un  bois  de  chênes 
verts  antiques  s'avance  sur  les  rives  adoucies  :  sous  leurs  ombra- 
ges mystérieux  est  un  tapis  d'une  mousse  fine.  Les  eaux  limpides 
et  peu  profondes  s'entremêlent  avec  les  tiges  tortueuses,  et  leurs 
ondes,  qui  se  jouent  sur  un  gravier  de  toutes  les  couleurs,  invi- 
tent à  s'y  rafraîchir;  les  simples  aromatiques,  les  herbes  salu- 
taires, et  la  résine  des  pins  odorants,  y  parfument  l'air  d'une 
odeur  balsamique  qui  dilate  les  poulmons.  A  l'extrémité  du  bois 
de  chênes,  à  travers  un  verger  dont  les  arbres  sont  entortillés  de 
vignes  et  chargés  de  fruits  de  toutes  espèces,  on  entrevoit  une 
cabane^;  son  toît  de  chaume  y  met  à  l'abri,  sous  une  grande 
saillie,  tous  les  ustensiles  du  ménage  rustique.  La  cabane  est 
formée  de  planches  de  sapin  assemblées  par  son  maître;  au  lieu 
d'ordre  d'architecture,  une  treille  en  forme  le  péristile  et  les  porti- 
ques ;  mais  l'intérieur  en  est  plus  propre  que  le  palais  du  Prince". 
Si  les  mets  n'y  sont  pas  apprêtés  avec  les  poisons  de  l'Inde^,  ils 
y  sont  d'une  qualité  exquise,  et  d'un  goût  pur  et  salutaire  :  cette 
retraite  fut  trouvée  par  l'amour,  elle  est  habitée  par  le  bonheur. 
C'est  dans  de  semblables  situations,  que  l'on  éprouve  toute  la 

1  La  cabane  de  Philémon  et  Baucis  (Girardin,  Compositio)!,  p.  71  et 
Stanislas,  Itinéraire,  p.  3o),  mais  aussi  toutes  les  cabanes  (Hutte)  des 
Idylles  as  Gessner,  et  qui  sait?  peut-être  aussi  le  chalet  de  Julie  (cf.  sa 
description,  Nouvelle  Hél.  I,  36). 

2  Phraséologie  de  Rousseau  :  «  C'est  une  idée  plus  grande  et  plus  noble 
de  voir  dans  une  maison  simple  et  modeste  un  petit  nombre  de  gens 
heureux  d'un  bonheur  commun,  que  de  voir  régner  dans  un  palais  la 
discorde  et  le  trouble  »  [Xouvelle  Héloise  V,  2  -  O.  IV,  p.  382);  «Bien 
sûr,  Madame,  d'habiter  avec  plus  de  plaisir  votre  chalet  dans  un  désert 
que  les  palais  des  rois  dans  les  villes»  (L.  à  M"«  Boy  de  la  Tour,  7  mai 
1763.  Edit.  Rothschild)  — qui  est  aussi  la  phraséologie  du  temps:  «Ah! 
si  l'amour  ou  la  philosophie  vous  porte  dans  cette  solitude,  vous  y  trou- 
verez un  asyle  plus  doux  à  habiter  que  le  palais  des  rois»  (B.  de  Saint- 
Pierre,  Etudes  de  la  Nature,  I  -  O.,  Bruxelles,  1820,  II,  61). 

s  Je  ne  sache  pas  que  Rousseau  ait  nulle  part  condamné  formellement 
l'usage  des  épices;  toutefois  cette  condamnation  est  implici'.ement  conte- 
nue dans  ses  conseils  sur  l'alimentation  rationnelle  (cf.  Emile,  II  et  Nou- 
velle Héloise,  V,  2  -  O.  II,  122  sq.  et  IX,  37g  et  384).  Sa  Julie  ne  va-t-elle 
pas  jusqu'à  repousser  l'usage  du  sel  [Ibid.  IV,  10-  O.  IV,  p.  3i5)  ?  On 
reconnaîtra  encore  ici  l'énergie  du  style  de  Rousseau  quand  il  oppose 
l'alimentation  raffinée  des  riches  à  la  simplicité  d'une  nourriture  saine 
et  naturelle,  tout  entière  empruntée  au  terroir  natal  :  «  Ma  table  ne  se- 
rait point  couverte  avec  appareil  de  magnifiques  ordures  et  de  charo- 
gnes lointaines»  (Emile,  IV-  O.  11,  p.  Sig). 


2l8  ANNALES   DE    l./V    SOCIÉTÉ  .1.  .f.    ROUSSEAU 

force  de  cette  analogie  entre  les  charmes  physiques,  et  les  im- 
pressions morales.  On  se  plait  à  y  rêver  de  cette  rêverie  si  douce, 
besoin  pressant  pour  celui  qui  connoît  la  valeur  des  choses,  et  les 
sentiments  tendres  ;  on  voudroit  y  rester  toujours,  parce  que  le 
cœur  y  sent  toute  la  vérité,  et  l'énergie  de  la  nature. 

Tel  est  à  peu  près  le  genre  des  situations  Romantiques  :  mais 
•on  n'en  trouve  guères  de  cette  espèce  que  dans  le  sein  de  ces 
superbes  remparts,  que  la  nature  semble  avoir  élevés  pour  offrir 
encore  a  l'homme  des  asyles  de  paix,  et  de  liberté*. 

Tel  est  le  paysage  romantique  de  Girardin,  aussi 
complet,  aussi  représentatif  qu'on  peut  le  désirer. 
On  Taura  sans  doute  remarqué  chemin  faisant  :  ce 
paysage  n'est  pas  simple.  Le  lecteur  a  sous  les  yeux 
non  pas  un  seul,  mais  une  série  de  tableaux  ou  de 
«  scènes  ».  comme  on  disait  alors,  emboîtées  les  unes 
dans  les  autres  à  la  façon  des  vieux  imagiers,  et  qui  le 
transportent,  non  seulement  en  divers  lieux,  mais  en- 
core à  divers  moments  de  la  journée.  De  la  sorte,  Gi- 
rardin évoque  en  une  saisissante  synthèse  tout  ce  qui  le 
faisait  rêver,  tout  ce  qui  faisait  rêver  le  XVIIP  siècle  en 
contemplation  devant  la  nature  :  les  montagnes,  les  ro- 
chers, les  forêts,  les  lars,  les  torrents,  les  ruisseaux, 
les  prairies  et  les  fleurs,  les  arbres  et  les  cascades,  la 
lumière  du  jour  et  le  claii  de  lune,  et,  en  outre,  dans 
le  cadre  de  cette  nature  romantique,  la  vie  rustique 
poétisée,  l'idylle   prinntive,   l'humanité    de  l'âge    d'or. 


'  M.  Mornet,  qui  reproduit  ce  passage  de  la  Comyosition  presqu'en 
entier,  laisse  tomber  dans  sa  citation  ce  dernier  paragraplie  qui  projette 
cependant  une  vive  lumière  sur  tout  le  morceau.  On  y  voit  clairement  que 
c'est  à  la  Suisse  que  Girardin  pense  presque  tout  le  temps  et  qu'il  est 
sous  l'influence  immédiate  des  grands  artisans  de  1'  «helvétisme  littc- 
téraire  »,  pour  me  servir  des  termes  désormais  consacrés  par  M.  de 
Reynold,  c'est-à-dire,  Rousseau,  Gessner  et  Haller.  Sur  la  Suisse, 
théâtre  des  vertus  idylliques  depuis  la  Lettre  sur  le  Valais  de  Rous- 
seau, les  Idylles  de  Gessner  et  les  Alpes  de  Haller,  voyez  notamment 
Mornet,  Seyitiynent,  p.  71  et  stiiv. 


ROMANTIQUE  219 

C'est  ce  qui  suffirait  déjà  à  donner  au  témoignage  de 
Girardin  plus  de  prix  qu'à  celui  de  Letourncur. 

Mais  il  y  a  plus.  Sans  doute  les  deux  témoignages  se 
complètent  à  bien  des  égards.  Des  deux  côtés  nous 
constatons  l'emprunt  direct  du  mot  romantique  à  l'an- 
glais, emprunt  avoué  et  qu'on  croit  être  le  premier  à  se 
permettre.  Des  deux  côtés  même  soin  de  distinguer, 
dans  une  note,  romantique  de  ses  substituts  habituels, 
romanesque  et  pittoresque,  ou  encore  poétique,  même 
volonté  d'exprimer  par  un  mot  spécial  parfaitement 
clair  un  sentiment  nouveau,  d'une  nature  particulière, 
d'enrichir  la  langue  d'une  notion  précise  au  moven 
d'un  terme  qui  dépasse  tout  ce  qu'elle  a  été  en  état 
d'exprimer  directement  jusque-là,  même  insistance 
enfin  sur  la  part  de  rêverie  sentimentale  que  comporte 
la  contemplation  romantique  de  la  nature  sauvage.  On 
sent  que  l'esprit  français  achève  ici  de  parvenir  à  la  par- 
faite conscience  de  ce  qui  l'obsède  depuis  si  longtemps 
déjà  et  que  l'Angkterre  lui  permet  de  faire  surgir  en 
pleine  lumière. 

Pourtant,  entre  les  témoignages  de  Letourneur  et  de 
Girardin,  si  conformes  à  tant  de  points  de  vue,  il  n'est 
pas  impossible  de  distinguer  une  nuance,  nuance  fort 
expressive  même,  et  que  nous  autres  rousseauistes  en 
parculier  nous  ne  saurions  omettre  dénoter  au  passage,. 
Letourneur  nous  apparaît  plus  exclusivement  placé 
sous  l'intiuence  anglaise.  A  n'en  pas  douter,  c'est  le 
traducteur  d'Young,  d'Ossian  et  aussi  de  certains  pas- 
sages de  Thomson  qui  tient  ici  la  plume.  Les  traits 
épars  de  la  nature  qu'il  évoque,  sinon  les  saules,  qui 
pourraient  cependant  nous  servir  d'indice,  du  moins  la 
bruyère    nommée    deux  lignes  plus   loin    (a  jusqu'à    la 


220  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  J.  ROUSSEAU 

fleur  isolée  dans  la  bruyère  »).  mais  surtout  la  mer  et 
les  nuages  «  le  paysage  aérien  et  romantique  des 
nuages  ^  »  nous  ramènent  irrésistiblement  au  paysage 
«  calédonien  »  de  Thomson  et  d'Ossian.  Dans  sa  note, 
il  pourra  bien  ensuite  énumérer  «  les  tableaux  de  Sal- 
vator  Rosa,  quelques  sites  des  Alpes,  plusieurs  jar- 
dins et  campagnes  de  l'Angleterre  »,  nous  sentons  que 
de  tels  rapprochements  ne  se  font  chez  lui  qu'à  la  ré- 
flexion, et  traditionnellement,  pour  ainsi  dire,  à  tra- 
vers les  Anglais  eux-mêmes  qui  les  ont  dès  longtemps 
consacrés.  Allons  plus  loin:  c'est  un  rien  de  plus  mé- 
lancolique («  Si  cette  sensation  éveille  dans  l'àme  émue 
des  affections  tendres  et  des  idées  inélancoliques...  »), 
de  plus  farouche  aussi  peut-être,  sans  vouloir  insister 
trop,  que  je  pressens  dans  le  romantique  de  Letour- 
neur,  plutôt  qu'il  ne  l'exprime,  et  où  l'on  retrouve  la 
couleur  d'Ossian,  de  Young,  et  aussi  de  Thomson  dans 
le  fameux  épisode  de  l'amant  inquiet  errant  dans  la 
campagne,  au  clair  de  lune: 

Sudden  he  starts, 
Shook  from  his  tender  trance,  and  restless  runs 
To  glimmering  shades,  and  sympathetic  glooms, 
Where  the  dun  umbrage  o'  er  the  falling  stream, 
Romantic,  hangs  ;  there  thro'  the  pensive  dusk 
Strays,  in  heart-thrilling  méditation  lost, 
Indulging  ail  to  love...- 

C'est  cela  même  qui  est  concordant  au  génie  de  Shakes- 
peare auquel  Letournetir  fournit  ici  son  décor  naturel. 

>  A-t-on  remarqué  que  les  nuai:es  sont  totalement  absents  de  l'œuvre 
descriptive  de  Rousseau  ? 

-  Sur  ce  passage,  H. -A.  Beers,  op.  cit.,  p.  ii6,  observe  :  «  This  is  from  a 
passage  in  which  romantic  love  once  more  cornes  back  into  poetry,  after 
its  long  éclipse  ;  and  in  which  the  lover  is  depicted  as  wandering 
abroad  at  «  pensive  dusk  »,  or  by  moonlight,  through  grèves  and 
«long  brooksides  ». 


ROMANTIQUE  221 

Au  contraire,  si  le  romantique  de  Girardin  m'appa- 
raît  légèrement  adouci,  je  n'ose  dire  en  vérité  plus 
anodin,  mais  plus  aimable  ou  plus  souriant  («  sans 
être  ni  farouche  ni  sauvaf;e^  la  situation  romantique 
doit  être  tranquille  et  solitaire»),  prêt  en  un  mot  à 
servir  de  cadre  à  une  société  idyllique,  c'est  non  pas 
certes  qu'il  échappe  à  l'influence  anglaise,  mais  c'est 
qu'il  l'unit  à  une  autre  influence  tout  aussi  décisive, 
l'influence  du  romantisme  helvétique,  représentée  chez 
lui  principalement  par  Rousseau,  mais  aussi,  n'allons 
pas  l'oublier,  par  Gessner  très  certainement  et  par 
Haller  probablement.  Rousseau  et  Gessner,  Gessner  et 
Rousseau,  voilà  ce  que  l'on  trouve  à  chaque  instant 
superposé  aux  Anglais,  chez  Girardin.  De  là  l'helvé- 
tisme général  de  son  morceau  souligné  par  les  der- 
nières lignes  et  l'allusion  transparente  aux  «  superbes 
remparts,  que  la  nature  semble  avoir  élevés  pour  offrir 
encore  à  l'homme  des  asiles  de  paix  et  de  liberté  »;  de 
là  cette  substitution  significative  d'un  paysage  nettement 
«  alpestre  »  au  paysage  «calédonien»,  et  maint  autre, 
trait  où  l'on  reconnaît  aussitôt,  soit  la  griffe  du  génie 
de  Rousseau,  soit  l'empreinte  plus  molle  de  Gessner. 
Je  les  ai  notés,  chemin  faisant,  dans  les  notes  qui  ac- 
compagnent la  citation;  je  n'y  reviens  pas.  Il  suffit,  en 
résumant,  de  reconnaître  ici  dans  l'auteur  de  la  Com- 
position des  paysages  ce  qu'il  a  été  réellement:  au 
second  plan  un  des  hommes  les  plus  représentatifs  de 
son  époque  au  point  du  vue  du  goût,  en  relation  di- 
recte, en  contact  immédiat  avec  les  deux  principales 
sources  du  grand  courant  romantique  qui  traverse  alors 
l'Europe,  la  source  anglaise  et  la  source  helvétique.  Il 
.avait  voyagé  en  Angleterre,  il  avait  visité   les  grands 


•212  ANNALES   DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  ,1.   ROUSSEAU 

parcs  créés  par  Kent  et  Brown  ^,  il  avait  pénétré  au 
cœur  de  la  littérature  anglaise,  assidûment  fréquenté 
ses  poètes,  Thomson  et  Shenstone  entre  autre.»  -,  sans 
compter  Milton  auquel  est  emprunté  l'épigraphe  de  la 
Composition  des  paysages.  Mais,  anglomane  avéré,  il 
n'en  reste  pas  moins  en  communication  étroite  avec  la 
vie  littéraire  du  continent.  Or  cette  vie  littéraire  du 
continent  est  surtout  représentée  pour  lui  par  deux 
hommes,  deux  Suisses,  Gessner  et  Rousseau,  avec 
lesquels  il  entretient  des  relations  personnelles. 

Il  correspond  avec  le  premier,  Gessner,  auquel  il  ne 
manque  pas  de  rendre  visite  quand  il  vo3^age  en 
vSuisse^:  il  est  un  admirateur  passionné  des  fameuses 
Idylles.,  qu'on  lit  dans  le  texte  à  Ermenonville,  comme 
un  classique*;  à  l'occasion,  il  se  plaît  même  à  les  pas- 
ticher d'une  de  ces  «id\iles))  de  Girardin  fut  même  gra- 
vée sur  un  chêne  d'Ermenonville,  Stanislas  dans  son 
Itinéraire  nous  l'a  transmise  ainsi  que  la  musique  qui 
devait  l'accompagner^);  il  grave  avec  amour  le  nom  de 
l'auteur  sur  l'obélisque  des  poètes  de  la  vie  pastorale, 
dressé  dans  un  coin  du  célèbre  parc: 

Dem  Salomon  (îessner. 
Er  hat  gemahlet  was  er 
Gesagt  hat"  : 

et  tout  le  parc  d'ailleurs  est  plein  de  monuments  évo- 

'  Cr.  .Vndrc  Martin-Decacn,  Les  Jardins  paysagers  d' Ermenonville 
[La  vie  a  la  campagne,  i3  août  1907,  p.   i  12-1  16.) 

*  Voyez  Jes  inscriptions  de  robélisque  d'Ermenonville,  dans  Stanis- 
las, Itinéraire,  p.  34-35,  et  d'autres  inscriptions  (p.  16). 

'■''  Cf.  A}inales,  III,  p.  243. 

*  Cf.,  outre  la  lettre  publiée  par  les  Annales,  les  Mémoires  de  Sta- 
nislas, 1828,  i,  p.  i3  :  «J'ai  traduit  avec  une  grande  facilité  les  idylles- 
de  Gessner...  » 

*  Itinéraire,  p.  3  i  .   La  musique  est  à  la  fin  du  volume. 
*'  Itinéraire,  p.  34. 


ROMANTl(.UïK  223 

quant  la  vie  des  Idylles:  c'est  Tautel  de  la  Rêverie  où 
Rousseau  vint  s'arrêter  un  jour^  ou  c'est  encore  le  chêne 
de  Palémon,  die  grosse  Eiche  des  Palemon,  pour  em- 
ployer le  langage  de  Gessner  '\ 

Pour  Rousseau,  les  témoignages  sont  plus  nombreux 
et  plus  décisifs  encore.  La  fascination  date  de  loin:  elle 
remonte  au  moins  à  la  querelle  de  Palissot  (décembre 
i/DD  ,  quand  celui-ci  «  Jouait  «  Jean-Jacques  devant  le 
roi  Stanislas,  à  Lunéville,  et  qut.-  Girardin,  alors  colonel 
de  dragons,  prenait  la  défense  de  la  victime  illustre  ^. 
Mais  elle  fut  singulièrement  renforcée  par  la  lecture  de 
la  Nouvelle  Héloïse.  C'est  à  partir  de  ce  moment-là  sur- 
tout, on  peut  Taffirmer,  que  Girardin  fait  de  Rousseau 
son  idole.  Aussi  quand  Stanislas  enfant  entreprend  sa 
grande  tournée  de  Suisse  et  d'Italie,  en  compagnie  de 
son  père,  du  peintre  Chàtelot.  et  du  bizarre  domestique 
Théodore,  on  commence  par  un  pèlerinage  à  Métiers. 
oij  l'on  s'arrête  assez  longtemps  pour  permettre  aux  ar- 
tistes de  la  troupe,  à  Stanislas  et  à  Chàtelet.  de  prendre 
de  nombreuses  vues  du  pays"*.  Au  retour^,  on  entre  en 

1  Ibid.  p.  21. 

2  Ibid.  p.  33.  Cf.  l'Idylle  intitulée  Idas,  Mycon,  t.  Il,  p.  19,  des  Sal. 
Gessners  Schriften,  Zurich.   1788. 

3  Cf.  Musset-Pathay,  Histoire,  1821,  II,  p     99. 

*  Cf.  conte  de  Girardin,  Iconographie  de  J.  J.  Rousseau,  1907,  n°  1088 
et  suiv.,  et  les  Mémoires  de  Stanislas,  J,  p.  20. 

*  Si  l'on  se  fie  au  souvenir  de  Stanislas  :  «  C'est  au  retour  d'Italie  que 
mon  père  fit  connaissance  avec  J.  J.  Rousseau»  (p.  19).  Par  malheur 
la  date  précise  de  ce  voyage  ne  nous  est  pas  connue  (Stanislas  se  borne 
à  dire  qu'il  le  fit  «  fore  jeune.  »)  La  lettre  de  Girardin  à  Gessner,  du 
29  juillet  1778,  publiée  par  nos  Annales.  111,  243,  semble  indiquer  qu'il 
n'a  pas  dû  précéder  de  beaucoup  la  mort  de  Rousseau:  Girardin  y  fait 
allusion  comme  a  une  chose  assez  récente.  Mettons  1777  ou  1778;  Sta- 
nislas aurait  eu  i5  ou  16  ans  (il  était  né  en  1762);  c'était  être  à  la  fois 
rt  fort  jeune  »  et  avoir  l'âge  requis  pour  prendre  son  vol  à  travers  le 
monde.  En  suivant  ce  raisonnement,  on  arrive  à  trouver  que  la  con- 
naissance  de  Rousseau   et  Girardin    n'irnrait  précédé  que  de  quelques 


2  24  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  J.  ROUSSEAU 

relations  suivies  avec  le  grand  homme,  on  escalade  les 
étages  de  la  rue  Plàtrière,  on  s'installe  de  force  dans 
la  petite  chambre  au  canari  et  à  l'épinette.  ^ 

C'est  le  temps  où  les  Jardins  d'Ermenonville  achèvent 
de  s'embellir;  l'inspiration  de  Rousseau  s'y  révèle  en 
maint  endroit.  Quand  le  philosophe  vient  se  réfugier,  en 
mai  1 778,  dans  cette  retraite  qui  semblait  l'attendre,  avoir 
été  faite  pour  lui,  il  y  trouve  tout  un  «  verger  de  Julie  » 
où  l'on  voit  ((  des  arbres  antiques  couverts  de  mousse  et 
de  lierre,  et  formant  des  guirlandes  au-dessus  des  ga- 
zons, des  fleurs  et  des  eaux  qui  s'étendent  sous  ces  om- 
brages rustiques  ^  »;  et  il  y  trouve,  dans  un  lieu  appelé 
le  ynonitment  des  ancieimes  atnoin^s,  «  une  cabane  prati- 
quée dans  le  roc,  avec  quelques  inscriptions  gravées  sur 
des  rochers  qui  s'avancent  jusque  sur  le  bord  d'un  lac 

nt  la  situation  a  quelque  ressemblance  avec  celle 
do 

^°is  au  plus  le  séjour  du  premier  à  Ermenonville.  Que  devient  alors 
le  témoignage  forme!  de  Le  Bègue  de  Presle,  Relation...,  Londres  1778, 
p.  5:  «  Ensuite  je  lui  offris  de  la  part  de  Mons.  le  Marquis  de  Girardin, 
dont  il  avoit  reçu  plusieurs  visites  [«  visites  éloignées  0,  est-il  précisé 
d'ailleurs  à  la  page  suivante,  et  qui  n'ont  pu  lui  faire  connaître  «inti- 
mement» les  Girardin]  depuis  quelques  années,  une  habitation  pour  le 
reste  de  ses  jours.  »  On  le  voit,  la  date  de  l'entrée  en  relation  de  Rous- 
seau avec  Girardin  reste  incertaine.  11  appartient  aux  possesseurs  des 
précieuses  archives  du  second,  de  nous  fixer  à  ce  sujet.  En  attendant, 
j'en  croirais  plutôt  Le  Bègue  de  Presle  que  Stanislas.  Le  témoin  est 
plus  immédiat,  plus  direct.  J'en  croirais  aussi  plutôt  Le  Bègue  de  Presle, 
mieux  à  même  d'être  informé,  que  Corancez,  témoin  d'ailleurs  passionné 
et  qui  en  veut  à  Girardin  de  lui  avoir  soufflé  Rousseau.  Cf.  sa  Relation 
dans  Musset-Vath'dy,  Histoire,  1827,  p.  416:  «M.  Girardin...  qui  con- 
naissait peu  Rousseau  et  depuis  peu  de  temps...  »  A  vrai  dire  les  argu- 
ments dont  Musset-Pathay  corrobore  dans  une  note  le  témoignage  de 
Corancez  (absence  de  lettres  adressées  à  Girardin  dans  la  correspon- 
dance imprimée,  réponse  favorable  aux  ouvertures  du  comte  Duprat 
le  i5  mars!  sont  tout  le  contraire  de  décisifs. 

•  Mémoires  de  Stanislas,  I,  p.  19-20. 

2  Lettre  de  R.  de  Girardin  à  la  contesse  de  "*,  datée  d'Ermenonville, 
le...  juillet  1778,  reproduite  par  Stanislas  dans  ses  Mémoires.  Voyez 
p.  26. 


ROMANTIQUE  22  D 

du  lac  de  Genève  w  ;  les  yeux  du  philosophe  se  mouil- 
lent; il  croit  revoir  «  les  situations  romantiques  du  pays 
bien  aimé  de  son  enfance»,  «  les  heureux  rivages  de  Ve- 
vai,  et  les  rochers  amoureux  de  Meillerie^j).  Enfin  quand 
Rousseau  meurt,  il  n'a  qu'à  faire  un  signe,  à  exprimer 
un  vœu  ^,  on  l'enterre  au  milieu  de  ces  merveilles  qui 
lui  sont  en  quelque  sorte  consacrées  désormais,  dans 
une  île  «  espèce  de  sanctuaire,  dit  Girardin,  qui  semble 
formé  par  la  nature  même  pour  recevoir  son  favori  *.  » 

Qu'après  cela,  la  Composition  des  paysages^  le  mani- 
feste artistique  amoureusement  caressé  par  Girardin, 
soit  tout  plein  de  Rousseau,  on  n'en  est  guère  sur- 
pris. On  s'étonnerait  plutôt  du  contraire.  Aussi  bien 
Rousseau  y  est-il  sans  cesse  présent,  quoiqu'il  ne  soit 
jamais  désigné  par  son  nom.  Deux  fois  ses  ouvrages, 
notamment  la  Noupelle  Héloise^  sont  cités  *.  Ce  sont 
même  les  seules  citations  du  livre.  En  outre,  à  deux 
reprises,  il  est  fait  allusion  au  philosophe,  d'une  ma- 
nière aussi  transparente  que  possible,  mais  assez  inat- 
tendue et  qui  pose  même  un  petit  problème.  Je  de- 
mande la  permission  de  m'y  attarder  un  peu  :  nous  ne 
nous  écartons  de  notre  sujet  qu'en  apparence  comme 
on  le  verra  plus  loin.  Il  s'agit,  en  effet,  de  la  date 
même  du  livre,  et  par  conséquent  de  la  citation 
du  mot  romantique. 

Au  chapitre  VI  de  la  Composition  des  paysages.,  l'au- 
teur décrit  ce  qu'il  appelle  les  «  détails  »  d'un  parc  que 

1  Ibid.,  p.  20.  Cf.  Stanislas,  Itinéraire,  p.  5o. 

-  Voyez  plus  loin,  p.  226. 

3  Dans  les  Mémoires  de  Stanislas,  t.  I.  p.  36. 

*  P.  55  {Nouvelle  HéloïselV,  11),  et  p.  10:  «  La  Nature  (dit  un  homme 
dont  chaque  mot  est  un  sentiment),  la  nature  fuit  les  lieux  fréquentés, 
etc.»  (même  lettre,  O.  IV,  p.  334.)  Ce  passage  est  également  cité  par 
Stanislas  dans  Vltiyiéraire,  p.  52. 

15 


220  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  .1.   ROUSSEAU 

l'on  n'a  pas  de  peine  à   identifier    avec  Ermenonville  : 

Ici,  dit-il,  dans  un  terrein  profond  et  retire,  une  eau  calme  et 
pure,  forme  un  petit  lac,  la  Lune  avant  de  quitter  l'horizon  se 
plaît  long-tems  à  s'y  mirer.  Les  bords  en  sont  environnés  de 
peupliers  ;  à  l'abri  de  leurs  ombrages  tranquilles,  on  apperçoit 
dans  l'éloignement  un  petit  monument  philosophique.  Il  est  con- 
sacré à  la  mémoire  d'un  homme  dont  le  génie  éclaira  le  monde; 
il  y  fut  persécuté,  parce  qu'il  voulut  par  son  indépendance  se 
mettre  au-dessus  de  la  vaine  grandeur.  Un  caractère  de  silence 
et  de  tranquillité  règne  dans  cette  douce  retraite,  etc..  (p.  ^q). 

C'est  sans  doute  à  ce  passage  que  fait  allusion  Sta- 
nislas quand  il  dit  :  «Mon  père,  dans  un  ouvrage  clas- 
sique sur  l'art  de  composer  les  jardins-paysages,  avait 
parlé  d'une  île  de  peupliers,  au  milieu  de  laquelle  on 
élèverait  un  mausolée  à  Rousseau.  C'est  positivement 
dans  cette  île  que  Jean-Jacques  a  été  enterré  à  la  lueur 
des  flambeaux  ^  »  En  d'aiitres  termes,  d'après  Stanis- 
las de  Girardin,  l'auteur  de  la  Composition  des  paysa- 
ges aurait  annoncé  bien  avant  la  mort  de  Rousseau  que 
celui-ci  serait  enterré  dans  l'île  des  Peupliers.  Mais 
outre  que  cela  ne  s'accorde  guère  avec  le  vœu  exprimé 
par  Jean-Jacques  au  dernier  moment,  selon  Girardin 
lui-même  -,  il  paraît  difficile  d'interpréter  le  passage 
ci-dessus  dans  le  sens  d'une  indication  anticipée  ou  d'une 
sorte  de  prophétie.  (Girardin  parle  de  Jean-Jacques  au 
passé,  comme  d'un  homme  mort;  c'est  bien  plutôt 
une  manière  d'oraison  funèbre  qu'il  lui  consacre  en  ces 
quelques  lignes.  Cette  impression  se  confirme  encore  à 
la  page  suivante  ibo): 

'  Mémoires,  I,  p.  :<(). 

-  «  Dites-leur  que  je  les  prie  de  pernielire  que  je  sois  enterré  dans 
leur  jardin  »  {Lettre  à  Sophie,  comtesse  de  ***,  dans  les  Mémoires  de 
Stanislas,  I,  p.  33).  Cf.  plus  loin  (p.  3.5)  «  Le  samedi  4  juillet,  nous 
l'avons  porté  dans  Tîle  des  l^eupliers,  où  on  lui  a  érigé  sur  le  diamp 
un  tombeau  avec  cette  inscription...  » 


ROMANTIQUE  227 

Ici  s'offre  un  vallon  étroit  et  solitaire;  un  petit  ruisseau  y  coule 
tranquillement  sur  un  lit  de  mousse,  les  pentes  des  montagnes 
sont  couvertes  de  fougère,  et  des  bois  enferment  de  tous  côtés 
cette  solitude:  c'est  là  que  se  trouve  un  petit  hermitage;  un  phi- 
losophe en  fit  sa  retraite  paisible. 

II  y  a  là  encore,  à  n'en  pas  douter,  une  allusion  à 
Rousseau  et  à  cette  cabane  de  chaume  dans  la  partie 
du  parc  appelée  le  Désert^  popularise'e  par  la  gravure, 
et  où  Rousseau,  selon  Stanislas,  aimait  à  se  reposer 
et  à  arranger  les  plantes  qu'il  venait  de  recueillir  ^ 
Mais  alors  une  question  se  pose,  celle  que  je  faisais 
pressentir  tout  à  l'heure:  la  première  édition  de  la 
Composition  des  paysages  ne  serait-elle  pas  en  réalité 
postérieure  à  la  mort  de  Rousseau  et  à  la  date  de  son 
titre  :  mdcclxxvh  ? 

A  ne  considérer  que  VAiùs  de  rEditeu7\  nous  serions 
au  contraire  renvoyés  à  deux  ans  en  arrière  : 

Ces  Feuilles,  y  peut-on  lire,  étoient  imprimées  des  le  commen- 
cement de  l'année  1775  ;  elles  allaient  paroitre,  lorsque  les  circons- 
tances en  suspendirent  alors  la  publication.  Plusieurs  ouvrages 
ont  paru  depuis  sur  plusieurs  sortes  de  Jardins;  mais  ici  on 
traite  principalement  des  Campagnes,  de  leur  embellissement,  de 
leur  culture,  et  de  leur  subsistance;  et  si  l'on  se  détermine  à 
réimprimer  aujourd'hui  ces  mêmes  Feuilles,  c'est  que  le  plus  beau 
spectacle  de  la  Nature  seroit  sans  doute  celui  des  campagnes 
heureuses. 

Voilà  certes,  en  admettant  que  le  texte  de  la  «  réim- 
pression» tut  identique  au  texte  primitif,  qui  vieilli- 
rait singulièrement  l'emploi  du  mot  romantique  par 
Girardin,  qui  le  ferait  même  plus  vieux  que  l'exem- 
ple de  Letourneur.  Mais  sans  doute  le  texte  de  1 777 
ne  saurait  faire  foi  pour  celui  de  1775,  pas  plus 
en  ce  qui   concerne  romantique  que  touchant  les  pas- 

'  Mémoires,  I,  p.  2].  Cf.  Itinéraire,  p.  5o 


228  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.   J.    ROUSSEAU 

sages  où  il  est  fait  allusion  à  Rousseau.  Reste  donc  seu- 
lement la  question  de  savoir  si  cette  impression  de  1777 
est  bien  de  1777  et  non  pas  de  1778,  de  la  seconde 
moitié  de  1778,  pour  plus  de  précision,  quand  Rous- 
seau avait  déjà  son  monument  dans  l'île  des  Peupliers, 
Or  sur  ce  point  nous  avons  au  moins  un  témoignage 
quasi-décisif.  C'est  celui  de  Girardin  lui-même  dans 
sa  lettre  à  Gessner  datée  du  29  juillet  1778  et  publiée 
ici-même,  t.  III,  p.  243: 

Je  profite,  Monsieur,  de  Toccasion  de  plusieurs  de  vos  conci- 
toyens qui,  en  revenant  du  palais  de  Chantilly,  sont  venus  aujour- 
d'hui voir  ma  campagne,  pour  vous  faire  parvenir  le  petit  ou- 
vrage dont  je  vous  ai  parlé  à  Zurich,  et  qui  a  été  imprimé  pen- 
dant mon  absence. 

Le  petit  ouvrage,  c'est-à-dire  la  Composition  des  pay- 
sages'^ pendant  mon  absence^  c'est-à-dire  pendant  le 
voyage  de  Girardin  en  Suisse  avec  Stanislas,  voyage 
qui,  au  dire  de  Stanislas,  précéda  les  relations  de 
Rousseau  avec  les  Crirardin  (mais  cela  n'est  pas  très 
sur),  antérieur  en  tout  cas  à  la  mort  de  Rousseau,  que 
Stanislas  fit  «  fort  jeune  »  (il  était  né  en  1762)  et  qui 
doit  avoir  eu  lieu  précisément  en  1  777,  au  plus  tard  dans 
les  premiers  mois  de  1778,  ainsi  qu'il  a  été  dit  plus 
haut  dans  une  note.  Il  n'y  a  donc  pas  à  en  douter  jusqu'à 
nouvel  ordre  :  la  Composition  des  paysages  a  été  pu- 
bliée en  1777  (mettons  vers  la  fin  de  1777),  les  passages 
oij  il  est  si  directement  fait  allusion  au  souvenir  de  Rous- 
seau demeurant  par  là  même  tout  à  fait  énigmatiques^. 

Ainsi  que  je  l'ai  dit,  la  solution  de  ce  petit  problème 
n'est  point  négligeable  pour  l'histoire  du  mot  i^oman- 

'  Je  n'ai  trouvé  nulle  mention  de  la  Composition  des  paysages  soit 
dans  l'Année  littéraire,  soit  dans  le  Journal  Encyclopédique  pour  les 
années  1777  et  1778. 


ROMANTIQUE  "229 

iique^  puisque,  s'il  fallait  en  croire  l'éditeur  de  la  Co>n- 
positon  des  paysages^  l'exemple  de  Girardin  serait  le 
plus  ancien,  étant  même  antérieur  à  celui  de  Letour- 
neur;  si  la  Composition  est  de  1777,  conformément  à 
la  date  du  titre,  il  est  contemporain  de  l'exemple  des 
Rêveries;  si  au  contraire  la  Composition  est  de  1778, 
comme  le  donneraient  à  supposer  les  allusions  au  sé- 
jour et  au  tombeau  de  Rousseau,  il  ne  lui  est  que  pos- 
térieur. De  toute  manière  cependant  le  texte  de  la  Com- 
position garde  une  certaine  supériorité  sur  le  texte  de 
Rousseau,  parce  qu'il  est  plus  net,  plus  décisif  et  c.sse 
de  confondre  i^omantique  avec  romanesque.  Qui  sait, 
même,  si  ce  n'est  pas  des  lèvres  de  Girardin,  dans  leurs 
conversations,  que  Rousseau  a  recueilli  ce  mot  nouveau 
qui  fait  irruption  dans  les  dernières  pages  qu'il  ait  écri- 
tes? Cela  n'aurait  à  coup  sur  rien  d'impossible,  Girar- 
din ayant  dû  se  servir  souvent  du  mot  romantique,  y 
réfléchir  beaucoup  avant  de  le  glisser  avec  autant  de 
précautions  dans  son  grand  ouvrage.  Très  peu  après 
d'ailleurs,  il  en  faisait  un  nouvel  usage  caractéristique. 
C'est  dans  sa  lettre  déjà  citée,  adressée  en  juillet  1778 
à  Sophie,  comtesse  de  **'  et  où  il  retrace  les  derniers 
jours  de  Rousseau  à  Ermenonville^: 

Les  rochers,  les  sapins,  les  genévriers  tortueux  y  rappelaient  de 
plus  près  à  sa  féconde  imagination  les  situations  romantiques  du 
pays  bien  aimé  de  son  enfance,  et  lui  remettaient  sous  les  yeux 
les  heureux  rivages  de  Vevai,  et  les  amoureux  rochers  de  Meil- 
lerie.  ^ 

>  Cette  lettre  a  été  publiée  pour  la  première  fois  comme  pièce  justi- 
ficative à  la  suite  de  la  Lettre  de  Stanislas  de  Girardin  à  M.  Musset- 
Pathay  sur  la  mort  de  J.  J.  Rousseau  [1824],  p.  3i  et  suiv.  Stanislas 
en  a  reproduit  les  fragments  les  plus  importants  dans  ses  Mémoires, 
1828,  I,  p.  23-36,  au  texte  desquels  nous  nous  référons. 

-  Mémoires  de  Stanislas,  I,  p.  25. 


•2J0  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.   J.   ROUSSEAU 

Ne  semble-t-il  pas  que  dans  ce  second  exemple,  où  il 
emploie  déjà  le  mot  nouveau  avec  beaucoup  plus 
d'assurance,  Girardin  fasse  hommage  en  quelque  sorte 
de  l'adjectif  rowj/z//^«e  à  Rousseau  lui-même,  du  moins 
aux  lieux  qu'il  a  rendus  célèbres  et  qui  resteront 
longtemps,  aux  3'eux  des  contemporains,  le  type  achevé 
de  la  situation  romantique  ?  Il  y  a  là  comme  un  suprê- 
me témoignage  de  cette  fusion  des  deux  grands  courants 
du  romantisme,  le  courant  anglais  et  le  courant  helvé- 
tique, que  Girardin  nous  aide  à  saisir  et  à  comprendre, 
mieux  que  personne  peut-être  à  cette  époque. 


IV 


Assurément  ni  la  note  de  Letourneur,  ni  celle  de 
Girardin,  n'ont  passé  inaperçues;  leurs  ouvrages, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit,  sont  de  ceux  qui  ont  fait  du 
bruit  à  leur  époque.  Toutefois  leur  retentissement,  et 
surtout  l'autorité  des  deux  écrivains,  n'ont  pas  été  tels 
qu'ils  dussent  entraîner  irrésistiblement  le  public  fran- 
çais dans  la  voie  si  nettement  tracée.  Il  s'agit  de  deux 
voix  concordantes  sans  doute,  fort  curieuses  à  enregis- 
trer comme  telles,  mais  de  deux  voix  perdues  dans  la 
foule  après  tout.  Aussi  arrivera-t-il  encore  fréquem- 
ment, en  dépit  de  Letourneur  et  de  Girardin,  que  Ion 
confonde  romantique  et  romanesque^  tout  comme  Rous- 
seau. 

En  outre,  quelque  séduisant  qu'il  soit  avec  sa  phy- 
sionomie anglaise,  le  mot  romantique  est  long  à  s'im- 
poser au  bon  usage  d'une  manière  définitive.  En  1779, 
dans  le  premier  volume  de  ses  Vovage':^  dans  les  Alpes ^ 


ROMANTIQUE  23 1 

H.-B.  de  Saussure  n'ose  encore  qualifier  que  de  «  roma- 
nesque  retraite  »  le  charmant  petit  lac  de  Flaine,  entre 
Cluse  et  Sallenche  (Haute-Savoie)  ^  En  1796,  dans  le 
quatrième  volume  du  même  ouvrage,  encouragé  par  le 
progrès  de  Topinion,  il  écrit  hardiment  : 

On  entre  de  là  dans  une  autre  petite  enceinte,  dont  le  fond  plat 
est  une  belle  prairie  que  traverse  le  ruisseau  du  Mont-Cervin,  avec 
un  chalet  et  des  troupeaux  sur  ses  bords,  et  une  chapelle  dans  le 
haut,  situation  vraiment  romantique.' 

Sur  ce  point  le  témoignage  d'un  écrivain  puriste 
comme  l'abbé  Delille  a  encore  plus  de  poids,  et  il  se 
présente  aussi  d'une  façon  plus  frappante.  En  1782, 
dans  la  première  édition  de  son  poème  Les  jardms, 
chant  III,  il  ne  se  permet  que  romanesque^  même  au 
■cours  d'un  passage  inspiré  directement  de  Whately  : 

Loin  de  ces  froids  essais  qu'un  vain  eti'ort  étale, 
Aux  champs  de  Midleton,  aux  monts  de  Dovedale, 
Whateli,  je  te  suis*;  viens,  j'y  monte  avec  toi. 
Que  je  m'y  sens  saisi  d'un  agréable  effroi  ! 
Tous  ces  rocs  variant  leurs  gigantesques  cimes 
Vers  le  ciel  élancés,  roulés  dans  des  abîmes, 
L'un  par  l'autre  appuyés,  l'un  sur  l'autre  étendus. 
Quelquefois  dans  les  airs  hardiment  suspendus. 
Les  uns  taillés  en  tours,  en  arcades  rustiques. 
Quelques-uns  à  travers  leurs  noirâtres  portiques 
Du  ciel  dans  le  lointain  laissant  percer  l'azur, 

'  Voyage  dans  les  Alpes,  I,  p.  3g3. 

2  IbU.  IV,  p.  408. 

■'•  Whately  parle  de  Middleton  dale  et  de  Dove  dale  dans  la  partie  de 
ses  Observations  on  modem  Gardening  intitulée  Of  Rocks  embrassant 
les  chapitres  XXXV  fOf  the  accompaniments  of  rocks.  Description  of 
Middleton  dale),  XXXVI,  XXXVII  et  XXXVIII  lOf  rocks  characterised 
by  fancy.  Description  of  Dove  dale).  On  y  rencontre  les  phrases  sui- 
vantes :  ((  Middleton  dale  is  a  cleft  between  rocks  ascending  gradually 
■from  a  romantic  village...  m  (chap.  XXXV,  p.  g?)  ;  «  Sometimes  a  spot, 
remarkable  for  nothing  but  its  wildness,  is  highly  romatitic...^^  (chap. 
XXXVIII,  p.  III). 


232  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  J.   ROUSSEAU 

Des  sources,  des  ruisseaux  le  cours  brillant  et  pur. 
Tout  rappelle  à  l'esprit  ces  magiques  retraites. 
Ces  romanesques  lieux  qu'ont  chantes  les  poètes. 

Dix-neuf  ans  plus  tard,  dans  Tédition  retouchée  de 
Paris,  Levrault,  1801,  in-12,  et  dans  toutes  celles  qui 
lui  font  suite,  on  trouve  ce  dernier  vers  ainsi  modifié  : 

Ces  romantiques  lieux  qu'ont  chantés  les  poètes. 

L'année  d"avant,  1800,  dans  V Homme  des  champs, 
3me  chant,  v.  3o6,  Delille  a  déjà  laissé  courir  le  terme  : 

Ensemble  remontons  aux  lieux  de  leurs  berceaux 
Vers  ces  monts,  de  vos  champs  dominateurs  antiques. 
Quels  sublimes  aspects,  quels  tableaux  romantiques! 

On  peut  être  certain  que  le  prudent  Delille  ne  s'est 
pas  laissé  entraîner  à  Taventure  par  la  vulgaire  tenta- 
tion du  néologisme.  De  fait  son  témoignage  et  celui  de 
Saussure  permettent  de  fixer  avec  une  quasi  certitude 
Tépoque  où  i^omantique  a  définitivement  pris  racine  en 
France  :  ce  sont  les  trois  derniers  lustres  du  XVIII''  siè- 
cle. Mais  alors,  il  fait  plus  que  de  s'implanter:  il  est  très 
en  faveur,  il  devient  «à  la  mode»  ^  Un  curieux  passage 
d'une  comédie  contemporaine,  signée  du  prince  de 
Ligne,  Les  Ejilèi'emeuts,  ou  la  rie  de  château  eu  i  yc^S 
(acte  I,  se.  3),  nous  le  montre  en  train  de  faire  la  conquête 
du  public  élégant,  du  «bel  usage»  ^: 

Ambroise  :  ...Un  homme  du  village,  qui  a  passé  un  an  à  Paris, 
dit  qu'il  faut  arranger  encore  vos  places  d'une  manière  dont  je  ne 
puis  retenir  le  nom,  Pitt... 

'  Il  ne  faut  certainement  pas  prendre  au  sérieux  le  témoignage  con- 
traire de  la  duchesse  d'Abrantès,  Mémoires,  Paris,  i83i,  I,  p.  154: 
«  Du  restc^  j'ai  connu  la  reine  de  Suède  aimant  prodigieusement  tout 
ce  qui  était  mélancolique  et  romantique.  Alors  [sous  le  Directoire]  le 
mot  était  inconnu  ;  depuis  qu'on  sait  ce  que  c'est,  cela  ressemble  un 
peu  moins  à  de  la  folie.  » 

*  Signalé  par  .Mornet,  Sentiment  de  la  Nature,  p.  244,  note  a. 


ROMANTIQUE  233 

Le  Chevalier  :  Pittoresque. 

Ambroise  :  Oui,  pittoresque,  et  pour  que  cela  soit  rom... 

La  Marquise  :  Romanesque. 

Ambroise:  Oui,  mais  encore  un  autre  rom... 

Le  Chevalier  :  Romantique.  Qu'il  est  bête  1 1 

Le  mot,  dans  sa  première  faveur,  tend  même  à 
usurper  la  place  de  romanesque  dans  tous  ses  sens. 
Ainsi  M'"^  Roland,  dans  ses  Méritoires .  parlera  de  ses 
«  idées  grandes  et  romantiques  »,  de  sa  «  tète  romanti- 
que»-'^ Marmontel,  de  même,  dans  ses  Mémoires, 
parle  d'une  «beauté  romantique»,  de  «l'âme  ardente 
et  de  l'imagination  romantique  »  de  M"^  de  Lespinasse  ^. 
On  ne  saurait  imaginer  triomphe  plus  complet  du  mot 
nouveau  sur  un  ancien  rival  qui  lui  avait  longtemps 
barré  la  route.  Après  cela  il  ne  restait  plus  à  l'Acadé- 
mie lou  à  ceux  qui  avaient  pris  sa  place)  qu'à  s'incliner 
devant  l'autorité  de  l'usage  et  à  enregistrer  au  plus  tôt 
romantique  dans  son  Dictionnaire.  C'est  ce  qu'elle  fait 
en  1798,  à  sa  manière  qui  est  nécessairement  un  peu 
sèche  : 

Romantique,  adj.  des  2  g.  Il  se  dit  ordinairement  des  lieux,  des 
paysages,  qui  rappellent  à  l'imagination  les  descriptions  des 
poëmes  et  des  romans.   Situation  romantique.  Aspect  romantique. 

Une  telle  consécration,  qui  passe  généralement  pour 
l'estampille  officielle  d'un  mot  français,  aurait  dû 
paraître  suffisante  :  aussi  est-on  surpris  de  voir  î^oman- 
tique  recueilli  encore  dans  la  A^^'o/o^ze  de  L.-S.  Mercier, 
en  180 1  : 

'  Cf.  du  même  prince  de  Ligne,  dans  un  passage  de  son  Coup  d'œil 
sur  Belœil,  édition  de  1786,  p.  i5  (également  signalé  par  Mornet),  où  il 
décrit  «les  sources  que  j'ai  dans  ma  faisanderie»:  «Tout  ce  que  je  dis 
ici  est  peut-être  Romancier  ou  Romantick,  comme  disent  à  présent  les 
Anglomanes...  » 

-  Métnoires  de  Madame  Roland,  édit.  Perroud,  II,  p.  ?q  et  164. 

^Mémoires  de  Marmontel,  édit.  de  1804,  t.  I,  p.  34?  et  t.  II,  p.  5oi. 


-234  ANNALES    DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.    .1.    ROUSSEAU 

Romantique.  Les  rives  du  lac  de  Bienne  sont  plus  sauvages  et 
plus  Romantiques  que  celles  du  lac  de  Genève...  (/.  /.  Rousseau.) 

Romantique.  La  Suisse  abonde  en  points  de  vue  Romantiques  : 
je  les  ai  bien  savourés.  Une  forêt  Romantique  (celle  de  Fontaine- 
bleau] :  un  vieux  château  Romantique  (celui  de  Marcoussisl.  Je 
salue  tout  ce  qui  est  Romantique  avec  une  sorte  d'enthousiasme. 

On  sent  le  Romantique,  on  ne  le  définit  point  ;  le  romanesque, 
dans  les  arts,  est  faux  et  bizarre. 

Sans  doute,  Mercier  fait-il  ici  comme  l'anglais 
Philipps  en  1706,  dans  son  New  world  of  words.  Il 
enregistre  comme  néologisme  un  mot  qui  n'est  en 
réalité  que  dans  sa  toute  première  fraîcheur,  mais  que 
Ton  emploie  couramment  depuis  un  certain  temps.  Le 
premier  des  lexicographes  français,  il  montre  en  tout 
cas  par  des  exemples  nombreux  les  divers  aspects  ou 
les  divers  emplois  du  mot,  il  le  suspend  comme  un 
trophée  a  la  plume  de  Rousseau,  enfin,  par  son  enthou- 
siasme même,  il  nous  le  fait  voir  parvenu  à  Tapogée  de  sa 
brillante  fortune.  Nous  n'avons  pas  de  raison  de  suivre 
plus  loin  romantique  dans  son  histoire.  Cette  histoire 
en  ertét  entre  désormais  dans  une  nouvelle  phase. 
Le  mot  va  être  emprunté  par  le  français  une  seconde 
fois,  non  plus  à  TAngleterre,  mais  à  l'Allemagne,  pour 
caractériser  non  plus  l'impression  produite  par  la  na- 
ture sauvage,  mais  un  genre  littéraire,  une  grande  école 
d'art. 

Je  ne  voudrais  pas  cependant  clore  cette  enquête  sans 
citer  encore,  au  moins  en  partie,  ne  iut-ce  qu'à  titre  de 
conclusion,  les  célèbres  pages  où  l'Obermann  de  Sénan- 
cour  définit  à  son  tour  Taexpression  romantique»,  en 
la  distinguant  avec  soin  de  romanesque,  et  cela  par  le 
même  procédé  que  Girardin,  c'est-à-dire  en  évoquant 
sous  nos  yeux  le  paysage  type  auquel  s'attache  de  pré- 
férence sa  rêverie.  On  mesurera  mieux  la  distance  par- 


ROMANTIQUE  235 

■•courue  de  1777,  date  de  la  Composition  des  paysages, 
-à  1804,  date  de  l'apparition  à'Obermaun,  à  travers  les 
Rêveries  d'un  promeneur  solitaire  : 

Le  romanesque  séduit  les  imaginations  vives  et  fleuries  ;  le 
romantique  suffit  seul  aux  âmes  profondes,  à  la  véritable  sensibi- 
lité. La  nature  est  pleine  d'effets  romantiques  dans  les  pays  sim- 
ples; une  longue  culture  les  détruit  dans  les  terres  vieillies,  sur- 
tout dans  les  plaines  dont  l'homme  s'assujettit  facilement  toutes 
les  parties. 

Les  effets  romantiques  sont  les  accents  d'une  langue  que  les 
hommes  ne  connaissent  pas  tous,  et  qui  devient  étrangère  à  plu- 
sieurs contrées.  On  cesse  bientôt  de  les  entendre  quand  on  ne  vit 
plus  avec  eux  ;  et  cependant  cette  harmonie  romantique  est  la 
seule  qui  conserve  à  nos  cœurs  les  couleurs  de  la  jeunesse  et  la 
fraîcheur  de  la  vie... 

Imaginez  une  plaine  d"eau  limpide  et  blanche.  Elle  est  vaste,  mais 
■circonscrite  ;  sa  forme  oblongue  et  un  peu  circulaire  se  prolonge 
vers  le  couchant  d'hiver.  Des  sommets  élevés,  des  chaînes  majes- 
tueuses la  ferment  de  trois  côtés.  Vous  êtes  assis  sur  la  pente  de  la 
•montagne,  au-dessus  de  la  grève  du  nord  que  les  flots  quittent  et 
recouvrent.  Des  rochers  perpendiculaires  sont  derrière  vous;  ils 
s'élèvent  jusqu'à  la  région  des  nues  ;  le  triste  vent  du  pôle  n'a  ja- 
mais soufflé  sur  cette  rive  heureuse.  A  votre  gauche,  les  monta- 
gnes s'ouvrent,  une  vallée  tranquille  s'étend  dans  leurs  profon- 
deurs, un  torrent  descend  des  cimes  neigeuses  qui  la  ferment;  et 
quand  le  soleil  du  matin  paraît  entre  les  pics  glacés,  sur  les  brouil- 
lards, quand  des  voix  de  la  montagne  indiquent  les  chalets,  au- 
dessus  des  près  encore  dans  l'ombre,  c'est  le  réveil  d'une  terre 
primitive,  c'est  un  monument  de  nos  destinées  méconnues  ! 

Voici  les  premiers  moments  nocturnes;  l'heure  du  repos  et  de 
la  tristesse  sublime.  La  vallée  est  fumeuse,  elle  commence  à  s'obs- 
curcir. Vers  le  midi,  le  lac  est  dans  la  nuit;  les  rochers  qui  le  fer- 
ment sont  une  zone  ténébreuse  sous  le  dôme  glacé  qui  les  sur- 
monte, et  qui  semble  retenir  dans  ses  frimas  la  lumière  du  jour. 
Ses  derniers  feux  jaunissent  les  nombreux  châtaigniers  sur  les 
rocs  sauvages;  ils  passent  en  longs  traits  sous  les  hautes  flèches 
du  sapin  alpestre;  ils  brunissent  les  monts;  ils  allument  les  nei- 
ges; ils  embrasent  les  airs;  et  l'eau  sans  vagues,  brillante  de  lu- 
jnière  et  confondue  avec  les  cieux,  est  devenue  infinie  comme  eux 
et  plus  pure  encore,  plus  éthérée,  plus  belle.  Son  calme  étonne, 
sa  limpidité  trompe,  la  splendeur  aérienne  qu'elle  répète  semble 
creuser  ses  profondeurs  ;  et  sur  ces  monts  séparés   du  globe  et 


236  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.   J.    ROUSSEAU 

comme  suspendus  dans  les  airs,  vous  trouvez  à  vos  pieds  le  vide 
des  cieux  et  l'immensité  du  monde.  Il  y  a  là  un  temps  de  prestige 
et  d'oubli.  L'on  ne  sait  plus  où  est  le  ciel,  où  sont  les  monts,  ni 
sur  quoi  Ton  est  porté  soi-même;  on  ne  trouve  plus  de  niveau, 
il  n'y  a  plus  d'horizon  ;  les  idées  sont  changées,  les  situations  in- 
connues; vous  êtes  sorti  de  la  vie  commune.  Et  lorsque  l'ombre 
a  couvert  cette  vallée  d'eau,  lorsque  l'œil  ne  discerne  plus  ni  les 
objets  ni  les  distances,  lorsque  le  vent  du  soir  a  soulevé  les  on- 
des, alors,  vers  le  couchant,  l'extrémité  du  lac  reste  seule  éclairée 
d'une  pâle  lueur;  mais  tout  ce  que  les  monts  entourent  n'est  qu'un 
gouffre  indiscernable,  et  au  milieu  des  ténèbres  et  du  silence  vous 
entendez,  à  mille  pieds  sous  vous,  s'agiter  ces  vagues  toujours  ré- 
pétées, qui  passent  et  ne  cessent  point,  qui  frémissent  sur  la  grève 
à  intervalles  égaux,  qui  s'engouffrent  dans  les  roches,  qui  se  bri- 
sent sur  la  rive,  et  dont  les  bruits  semblent  résonner  d'un  long 
murmure  dans  l'abîme  invisible...  i 

Quel  émoi,  quelle  langueur  profonde  dans  ces  lignes, 
malgré,  ici  et  là,  un  peu  trop  d'insistance,  quelle  ouver- 
ture et  quel  enrichissement  de  la  sensibilité  révélés 
par  ces  variations  éloquentes  sur  le  thème  désormais 
consacré,  mais  surtout  quel  retentissement  lointain, 
quel  écho  prodigieux  d'un  mot  dans  le  C(tur  d'un 
homme,  ramenant  toujours,  irrésistiblement,  sous  ses 
yeux  la  vision  traditionnelle,  le  grand  décor  helvéti- 
que, le  lac  de  Julie  et  Saint-Preux  ! 

Alexis  François. 


1  Obermann,  lettre  38,  3*  fragiTient  :  De  l'cxprc&sion  romantique  et  du 
«  Ran;^  des  vaches  ». 


UNE  LETTRE  INÉDITE 

DE  JEAN-JACQUES  ROUSSEAU 

A  M.  DE  BONAC 


?A  lettre  qu'on  va  lire  appartient  au  Musée 
Condé,  à  Chantilly  (série  V,  tome  IV,  f°  32, 
or.)  Nous  en  devons  la  connaissance  à  no- 
tre savant  et  obligeant  ami  M.  Edouard 
Rott,  correspondant  de  l'Institut,  à  Paris.  Le  document, 
dont  l'authenticité  est  certaine,  porte  la  mention  sui- 
vante, inscrite  au  haut  de  la  lettre  :  Chambérj',  M.  Jean- 
Jacques  Rousseau.    ij36;  t^eç[ue]  le  i6. 

Cette  missive  ne  porte  pas  d'adresse,  mais  elle  était 
évidemment  destinée  à  M.  de  Bonac,  qui  était  ambas- 
sadeur de  France  à  Soleure  quand  Rousseau  y  arriva 
(avril  lySi)  avec  l'archimandrite  rencontré  à  Boudry. 
Nous  n'avons  pas  besoin  de  rappeler  les  détails  de  cette 
affaire,  narrée  dans  le  livre  IV  des  Confessions. 

On  savait  que  Jean-Jacques  avait  eu,  après  cette 
aventure,  des  rapports  avec  l'ambassadeur  qui  lui 
avait  rendu  un  si  grand  service  :  cela  ressort,  comme 
nous  le  fait  remarquer  M.  Théophile  Dufour,  du  Mé- 
moire au  gouvernement  de  Savoie  [i-]?)^).  Mais  jusqu'au- 
jourd'hui, aucune  des  lettres  qu'il  a  dû  lui  adresser 
n'était  connue.  Celle  que  nous  publions  a  d'autant 
plus  de  prix,  que  les  lettres  de  cette  époque  sont  fort 


238  ANNALES    DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.    J.    ROUSSEAU 

clairsemées  et  qu'il  n'en  existe  point  de  1736.    «  Celles 
qu'on  a  classées  à  cette  date  dans  la   correspondance, 
nous   écrit    M.    Th.    Dulour.    appartiennent   à  d'autres- 
années»,  Philippe  Godet. 

Monseigneur, 

Je  ne  sais  si  Vôtre  Excellence  agréera  la  liberté  que  Je  prends 
de  lui  écrire,  mais  J"ai  lieu  d'espérer  tout  de  son  indulgence  après 
tant  de  bontés  que  J'ai  éprouvé  de  sa  part  dans  un  temps  ou  Je  les 
meritois  si  peu.  Je  suis,  Monseigneur,  ce  jeune  homme  que  vous 
daignâtes  sauver  d'une  perte  inévitable  il  v  a  quelques  années  en 
le  tirant  des  mains  de  ce  misérable  prêtre  Grec.  Votre  Excellence 
eut,  de  plus,  la  bonté  de  m'envoier  à  Paris  ;  ou,  soit  imprudence, 
ou  malheur.  Je  ne  pus  agréer  à  Monsieur  de  Sourbeck  a  qui  Mon- 
sieur de  la  Martiniere  m'avoit  recommandé  par  ordre  de  Votre 
Excellence'.  La  perte  de  ce  bon  protecteur  me  mit  au  désespoir: 

'  Nous  rappelons  le  passage  des  Confessions  relatif  «i  ce  personnage: 
«  M.  de  La  Martiniere,  secrétaire  damhassade,  fut  en  quelque  i'açon 
chargé  de  moi.  En  me  conduisant  dans  la  chambre  qui  m'était  destinée, 
il  me  dit:  Cette  chambre  a  été  occupée  sous  le  comte  du  Luc  par  un 
homme  célèbre  du  même  nom  que  vous:  il  ne  tient  qu'à  vous  de  le 
remplacer  de  toutes  manières,  et  de  faire  dire  un  jour:  Rousseau  pre- 
mier, Rousseau  second.  » 

M.  Edouard  Rott  a  eu  l'obligeance  de  nous  communiquer  les  rensei- 
i<nements    suivants  qu'il  a  recueillis  sur  La  Martiniere. 

La  Martiniere  (Laurent  Corentin  de)  né  en...  ?,  mort  en  i/l^i,  arriva 
en  Suisse  (1698)  avec  Puysieux,  dont  il  était  le  secrétaire  particulier, 
puis  devint  bientôt  secrétaire-interprète  de  l'ambassade  à  Soleure.  Il  ht 
l'intérim  entre  les  ambassadeurs  Du  Luc  et  Avaray  (juin  171  3  -  novem- 
bre 17 16).  Du  Luc  dit  de  lui:  «  11  parle  latin  comme  un  cordelier»,  et 
encore:  «C'est  un  bon  scribe,  mais  il  manque  de  lumières  et  d'un  cer- 
tain poids  qui  ne  se  trouve  qu'au  caractère  que  le  roy  veut  bien  luy  don- 
ner». Cependant,  à  son  départ  pour  Vienne,  Du  Luc  le  recommande  au 
ministre  :  «  M.  le  M'"  d'Avaray  n'aura  point  à  essuyer  un  noviciat  pour  peu 
qu'il  veuille  écouter  ce  secrétaire.  »  (18  janvier  171.'').  La  fin  soudaine 
de  La  Martiniere  arriva  peu  après  le  passage  de  J.-J.  Rousseau  àSuleurc, 
et  c'est  à  cette  mort  qu'il  fait  allusion  en  parlant  de  «la  perte  de  ce  bon 
protecteur».  M.  de  Bonac  écrit  à  Chauvelin  le  19  novembre  173  1  :  «  Le  S' de 
I^a  Martiniere  fut  emporté  sous  mes  yeux  vendredy  dernier  en  sortant  de 
Table  par  une  attaque  d'appoplexie  si  violente,  qu'elle  ne  lui  permit  pas 
de  proférer  une  parole  ».  Il  laissait  sa  veuve  et  ses  enfants  dans  une 
misère  noire;  mais,  comme  observe  Bonac  (à  Chauvelin,  5  juin  1731). 


LETTRE  INÉDITE  A  M.  DE  BONAC  23q 

ne  connaissant  personne  dans  la  maison  de  Votre  Excellence,  une 
mauvaise  timidité  m'empêcha  de  m'adresser  directement  à  elle  : 
ainsi  Je  me  laissai  baloter  a  mon  infortune  et  à  ma  mauvaise 
conduitte  :  Cependant,  Monseigneur.  Madame  de  Warens.  cette 
charitable  et  vertueuse  protectrice  dont  J'ai  eu  l'honneur  de  par- 
ler à  Votre  Excellence,  daigna  me  pardonner  mes  égaremens 
passés  aussitôt  que  Je  revins  a  elle  ;  c'est  par  le  moïen  de  ses 
bienfaits,  et  de  ceux  de  feu  Monseigneur  l'Eveque  d'Annessi  que 
Je  jouis  depuis  quelques  années  dans  la  maison  de  cette  Dame 
d'une  douce  tranquillité  que  J'ai  taché  de  mettre  a  profit  en  tra- 
vaillant sérieusement  à  devenir  honnête  homme  et  bon  Chrétien. 
Je  me  suis  fait  un  plan  d'études  propres  à  former  mon  cœur,  et  a 
cultiver  mon  esprit,  et  Je  les  suis  régulièrement  autant  qu'une 
santé  délicatte  et  une  langueur  qui  m'ôte  l'espérance  d'une  lon- 
gue vie  peuvent  me  le  permettre  ;  J'ai  réglé  ma  conduitte  d'une 
manière  que  J'ai  jugé  convenable  a  ma  situation  et  a  mes  senti- 
ments, et  J'ose  me  flatter  d'avoir  fait  quelque  progrès  dans  l'estime 
des  honnêtes  gens. 

Pardonnes  moi  tant  de  liberté.  Monseigneur,  Je  sais  que  tous 
ces  détails  blessent  le  respect  que  Je  dois  à  Votre  Excellence  ; 
mais  ils  sont  les  effets  d'une  effusion  de  cœur  dont  Je  ne  suis 
point  le  maitre.  Quand  je  réfléchis  que  sans  les  soins  charitables 
de  Votre  Excellence,  Je  ne  serois  apparemment  qu'un  malheureux 
vagabond  ;  quand  Je  réfléchis  que  si  J"ai  fait  quelque  chemin  dans 
les  sentiers  de  l'honneur,  si  J'ai  pris  quelque  amour  pour  la  vertu. 
C'est  a  Votre  Excellence  que  J'en  suis  redevable  ;  soit  par  son 
opposition  a  mes  résolutions  étourdies,  soit  par  ses  sages  exorta- 
tions  ;  En  vérité,  Monseigneur,  il  s'en  faut  peu  que  Je  ne  me 
figure  de  parler  à  un  bon  Père  dans  le  sein  duquel  Je  verse  touttes 
mes  confidences,  et  les  plus  secrettes  dispositions  de  mon  cœur. 
Je  viens  donc.  Monseigneur,  avec  un  cœur  attendri,  et  plein  de 
reconnoissance  faire  a  Votre  Excellence  l'hommage  que  Je  lui 
dois  comme  a  l'auteur  de  tout  le  bonheur  que  Je  puis  espérer  ;  Je 
me  reconnois  redevable  aux  bienfaits  de  Votre  Excellence  des 
avantages  qui  me  sont  les  plus  précieux.  Agrées,  Monseigneur. 
que  J'aie  quelquefois  l'honneur  de  vous  en  présenter  mes  remer- 

«  sa  pauvreté  prouve  son  honnêteté».  La  .Martinière  avait  envinm  ?4  ans 
de  service  en  Suisse. 

Son  fils,  Jean-Victor- Léonce  Corentin.  ne  en  170?,  «  bon  et  sage  gar- 
çon »,  fut,  à  la  mort  de  son  père,  recueilli  par  M.  de  Bonac.  Bachelier  en 
Sorbonne  en  1727,  il  apprit  l'allemand  à  Strasbourg  en  17.^6  et  obtint 
{14  octobre  1740)  le  brevet  de  secrétaire-interprète.  Il  rrourut  à  Soleure 
en  aotit  1767. 


240  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  J.   ROUSSEAU 

cimens  pleins  de  zèle  et  de  soumission.  Trop  heureux,  si  Jamais 
Je  puis  apprendre  que  ces  témoignages  d'un  cœur  sincère  et 
reconnoissant  n'ont  pas  déplu  a  Votre  Excellence  et  qu'elle  veut 
bien  agréer  le  très  profond  respect  avec  lequel  Je  suis  Monseigneur, 

De  Votre  Excellence 

Le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

Jean-Jacques  Rousseau. 
Chambéri  3'  Xbre  ijSb. 


MENUS  DÉTAILS 
SUR  JEAN-JACQUES  ROUSSEAU 


f'AUTEUR  des  quatre  lettres  dont  je  vais  citer 
quelques  fragments  est  Mademoiselle  Ma- 
rianne de  Marval.  Elle  avait  un  frère, 
^^s^mrs^À  François,  capitaine  au  régiment  suisse  de 
Boccard,  et  lui  contait  les  menus  incidents  de  la  vie 
neuchâteloise.  Le  propriétaire  de  ces  lettres,  M.  Louis 
Thorens,  avocat  à  Neuchàtel,  a  bien  voulu  me  permet- 
tre d'en  extraire  pour  les  Annales  les  passages  qui  se 
rapportent  à  Jean-Jacques.  L'importance  n'en  est  point 
considérable,  mais  rien  ne  nous  est  indifférent  de  ce 
qui  touche  le  grand  écrivain,  et  les  détails  notés  par 
M"^  de  Marval  montrent  au  moins  quel  intérêt  de 
curiosité  s'attachait  à  tous  ses  pas. 

Saint-Biaise,  23  juillet  iy64.  —  Nous  voici  enfin  à  Saint- 
Biaise,  mon  cher  frère.  ^  Et  rien  ne  nous  y  manque  que  vous.  Mon 
cher  père  se  porte  très  bien,  à  un  mal  de  dents  près,  mais  qui  ne 
l'a  pas  empêché  d'aller  dîner  à  Voën  avec  Manette  et  Louise... 
J'ai  été  au  Val-de-Travers  ;  j'ai  vu  la  maison  de  Rousseau.  Je  fus 
l'autre  jour   au  Bied  ^,  chez  Mme  Deluze,  où  je   manquai  le  voir 

1  La  famille  de  Marval  résidait  à  Neuchàtel,  et  passait  la  belle  saison 
à  Saint-Biaise  (propriété  actuelle  de  la  famille  Terrisse,  où  se  trouve 
le  tilleul  gigantesque,  bien  connu  dans  toute  la  contrée,  dont  il  sera 
question  plus  loin).  Elle  possédait  aussi,  et  possède  encore,  non  loin  de 
Saint-Biaise,  une  «campagne»  dans  le  hameau  de  Voëns. 

î  Près  Colombier.  On  sait  que  Rousseau  y  fit  plusieurs  visites  et  qu'il 
aimait  fort  Mme  Deluze.  Notons  qu'il  y  a,  non  loin  du  Bied,  dans  la 
plaine  d'Areuse,  un  arbre  vénérable  abritant  un  banc,  qui  passe  pour 
avoir  été  particulièrement  aimé  du  «  promeneur  solitaire  ». 

16 


242  AXXALES   DE   I.A   SOCIÉTÉ  J.  .1.    ROUSSEAU 

en  personne.  11  y  avait  passé  quelques  jours  la  semaine  que  nous 
y  fûmes.  Et  le  jour  que  nous  y  étions,  il  y  revenait  :  mais  quand  il 
vit  bien  du  monde  de  loin,  il  disparut  ;  et  nous  n'eûmes  que  le 
regret  de  savoir  qu'il  ne  voulait  pas  nous  voir.  On  lui  courut  après, 
et  on  ne  le  retrouva  pas. 

M'"'-'  Deluze  me  dit  qu'il  avait  été  aimable  au  possible,  pendant 
qu'il  avait  été  chez  elle.  Mm*;  la  colonelle  Sandoz  y  était,  et  Jean- 
Jacques  la  goûta  beaucoup  ^  Mme  Deluze  me  conta  que  pendant 
qu'il  avait  été  chez  elle,  il  dit  un  jour  qu'il  voulait  jouer  à  la  lote- 
rie. Mme  Deluze  dit  qu'elle  ne  jouait  pas  de  l'argent,  mais  qu'elle 
en  ferait  une.  On  v  mit  bien  des  bagatelles  pour  tous  ceux  qui  y 
étaient.  Et  elle  lit  tomber  a  Rousseau  une  boette  à  bonbons,  au 
haut  de  laquelle  était  ce  billet  : 

Air  :  Sur  la  petite  posle  de  Puris. 

Nous  possédons  dans  ces  beaux  lieux 

Un  esprit  émane  des  cieux  ; 

Il  est  aimable,  il  est  charmant. 

Il  possède  tous  les  talents. 

A  tous  ces  traits  de  mon  pinceau, 

Ne  reconnait-on  pas  Rousseau  .■' 

Il  ouvrit  la  boette  et  parut  surpris  d'y  trouver  ce  papier.  On  lui 
dit  de  le  lire  tout  haut.  Il  le  fit,  et  mit  Sando^  en  place  de  Rousseau. 
Et  à  Mme-  Deluze  il  chanta  celui-ci  siu'  le  même  air  : 

Nous  sommes  dans  une  maison 
Où  les  biens  pleuvent  à  foison. 
Bonbons  sucres,  jeunes  appas, 
Propos  joveux,  mets  délicats, 
Et  la  maîtresse,  avec  un  mot. 
De  tout  billet  fait  un  bon  lot. 

Saint-Biaise,  lundi  1  <j  novembre  i-ù4-  —  J<->  voudrais  avoir 
quelque  chose  d'intéressant  a  vous  marquer.  Je  ne  sais  rien,  sinon 
que  Jean-Jacques  a  ete  à  (h-essier  chez  iM.  Du    l\-yrou.  Je   l'ai   vu. 

ï  II  s'agit  sans  doute  de  hi  femme  de  Claude-Auguste  Sandoz,  qui 
était  entré  en  lyjy  au  service  de  Hollande,  où  il  Ht  une  brillante  car- 
rière. Son  brevet  de  colonel  date  de  1748.  11  devint  en  1779  lioutcnant- 
général.  11  avait  épouse  Henriette,  fille  de  M.  de  Bada,  comte  de  Chau- 
moni.  Cette  dame,  qui  passait  pour  fort  aimable  et  distinguée,  iut  liée 
avec  Sophie  de  Laroche  et  Julie  de  Bondeli  ;  c'est  chez  elle  que  cette 
dernière  mourut  en  1778.  (Voir  André  Giadcs,  Mademoiselle  de  Bondelir 
Semaine  littéraire,  1907.} 


MENUS  DÉTAILS  SUR  .1.  J.  ROUSSEAU         240 

mon  cher  frère  :  il  est  parlant  avec  son  habit  à  Tarménienne  ; 
quand  vous  avez  vu  son  estampe,  vous  l'avez  vu.  Pendant  qu'il 
était  à  Cressier,  il  a  reçu  une  lettre  de  Corse,  du  général  Paoli, 
chef  des  rebelles,  qui  le  priait  instamment  de  se  rendre  en  Corse 
pour  les  gouverner,  et  que  s'il  ne  voulait  pas,  il  devait  leur 
envoyer  un  code  de  lois.  Rousseau  a  été  très'  fîatté  de  cela,  et  on 
dit  qu'il  est  indéterminé  d'y  aller.  11  doit  lui  avoir  répondu. 

Cet  épisode  de  la  vie  de  Rousseau  est  bien  connu,  et 
Ton  se  rappelle  le  passage  du  Contrat  social  qui  avait 
attiré  sur  lui  l'attention  et  la  sympathie  de  Paoli  et  de 
ses  amis  :  «  Il  est  en  Europe  un  pays  capable  de  légis- 
lation, c'est  l'ile  de  Corse.  La  valeur  et  la  constance 
avec  laquelle  ce  brave  peuple  a  su  recouvrer  et  défendre 
sa  liberté  mériterait  bien  que  quelque  homme  sage  lui 
apprît  à  la  conserver.  J'ai  quelque  pressentiment  qu'un 
jour  cette  petite  île  étonnera  l'Europe».  La  Corse  fut 
conquise  par  la  France,  ce  qui  lui  épargna  la  peine  de 
se  donner  une  constitution,  et  à  Rousseau  d'en  être  le 
Lycurgue.  Constatons  que  la  demande  adressée  à  Jean- 
Jacques  avait  produit  à  Neuchàtel  une  certaine  sensa- 
tion, puisque  les  demoiselles  même  en  parlaient... 

L'année  suivante.  M"''  de  Marval  écrit  encore  : 

Saint-Biaise,  i3  mai  tjhS.  —  11  fait  un  temps  des  dieux 
depuis  vendredi  que  nous  sommes  ici.  Il  n'est  pas  possible  d'ima- 
giner rien  de  plus  beau.  Les  jardins  sont  superbes...  II  v  a  une 
apparence  de  fruit  prodigieuse.  L'allée  des  tilleuls  est  d'une  beauté 
ravissante  ;  elle  est  touffue  comme  un  bois,  de  même  que  les  ver- 
gers. Je  crois  que  la  campagne  n'a  jamais  été  si  belle.  Devinez  qui 
mon  cher  père  vient  de  voir  passer  sous  le  Tilleul!  Rousseau,  avec 
Mr  Du  Peyrou,  tous  les  deux  à  pied,  qui  allaient  en  ville.  Mon 
père  ne  l'avait  jamais  vu... 

Le  vénérable  tilleul,  aujourd'hui  enclos  dans  la  pro- 
priété Terrisse  et  qui  faisait  alors  partie  du  domaine 
public,    s'élève   à   l'entrée    nord-est   de  Saint-Biaise,   à 


244  ANNALES    DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.   J.    ROUSSEAU 

Tendroit  où  bifurque  la  route  descendant  de  Voëns. 
La  voie  principale  conduit  à  la  gare  de  St-Blaise  ; 
Tautre  voie  (la  rue  du  Tilleul)  se  dirige  vers  le  haut  du 
village,  en  franchissant  sur  un  pont  la  ligne  du  che- 
min de  fer,  construite  en  tranchée.  A  qui  connaît  les 
lieux,  il  apparaît  que  Rousseau  et  son  compagnon, 
pour  venir  de  Cressier,  avaient  suivi,  non  la  route  de 
la  plaine,  mais  le  pittoresque  chemin  qui  monte  de 
Cressier  au  hameau  de  Frochaux,  puis  redescend  vers 
le  vignoble  par  le  solitaire  et  verdoyant  vallon  de 
Voëns.  Cet  itinéraire,  qui  sera  toujours  le  chemin  des 
écoliers  —  et  celui  des  poètes  —  devait  avoir  toutes  les 
préférences  de  Jean-Jacques.  ^ 

On  sait  que  Du  Peyrou  avait  une  maison  dans  le 
village  de  Cressier  et  que  Rousseau  y  séjourna.  ^  A  un 
quart  d'heure  du  village,  sur  un  coteau  escarpé,  est 
située  Tesplanade  de  Bellevue,  où  Du  Peyrou  possédait 
un  pavillon  qui,  agrandi  plus  tard,  est  aujourd'hui  la 
propriété  de  la  famille  Pury.  C'est  à  une  promenade  au 
pavillon  que  se  rattache  le  souvenir  célèbre  consigné 
dans  les  Confessions^  celui  de  la  pervenche  qui  tout  à 
coup  lui  rappela  les  Charmettes  : 

«  En  17(34,  étant  à  Cressier  avec  mon  ami  M.  Du 
Peyrou,  nous  montions  une  petite  montagne  au  sommet 
de  laquelle  il  y  a  un  joli  salon  qu'il  appelle  avec  raison 
Bellevue.  Je  commençais  alors  d'herboriser  un  peu.  En 
montant  et  regardant  parmi  les  buissons,  je  pousse  un 
cri  de  joie:  Ah!  voilà  de  la  pervenche!  ...Du  Peyrou 
s'aperçut  du  transport,    mais  il  en  ignorait  la  cause  :  il 

'  La  course  de  Cressier  à  Neuchàtcl  est  ainsi  de  deux  heures  et  demie. 
-  C'est  la   maison  appelée  le   Clos-'R^ousxeau,  où   est  installé    le  pen- 
sionnat Quinche. 


MENUS  DÉTAILS  SUR  J.  .1.  ROUSSEAU         24D 

l'apprendra,   je  l'espère,   lorsqu'un  jour  il  lira   ceci»... 

Notons  que  la  pervenche  continue  de  foisonner  sur  les 
bords  du  vieux  chemin  très  ardu  qui  grimpe  à  Bellevue. 

Recueillons  enfin  ce  détail   que  nous  donne   encore 

Mlle  de  Marval  : 

Saint-Biaise,  le  j  h  mai  lyOS.  —  On  m'écrit  de  la  ville  que 
Rousseau  vient  s'établir  à  la  Coudre,  à  la  maison  de  feu  le  lieute- 
nant Peter. 

Rousseau  était  alors  au  plus  fort  de  sa  querelle  avec 
le  pasteur  de  Môtiers,  et  parlait  déjà  de  quitter  ce  vil- 
lage. Il  songea  à  diverses  retraites  :  Cressier,  le  Chanet 
sur  Neuchàtel,  la  Coudre,  village  situé  à  une  demi- 
lieue  à  Test  de  la  ville...  Puis  vint  la  catastrophe  :  il  se 
réfugia  hors  de  la  Principauté,  à  Tlle  de  Saint-Pierre, 
qu'il  avait  visitée  avec  enchantement  pendant  un  nou- 
veau séjour  à  Cressier^,  mais  où,  hélas  !  il  demeura  si 

peu  de  temps. 

Philippe  Godet. 


'  Voir   lettres   à    Du    Peyrou,    de    Môtiers,   2y    juin,   et  de  riîe  de  la 
Motte,  4  juillet  1765. 


ROUSSEAU 


A    I.A 


GRANDE  CHARTREUSE- 

(epitre  inédite) 


N  lit  le  nom  de  J.  J.  Rousseau  au  bas  de 
la  pièce  suivante,  que  je  crois  inédite, 
et  qui  a  été  conservée  par  un  manuscrit 
du  XVIIP  siècles 


Vers 
à  la  louange  des  Religieux  de  la  grande  Chartreuse. 

Illustres  habitans  de  ces  demeures  saintes, 
D'où  n'approchent  jamais  ni  les  pleurs,  ni  les  plaintes  ! 
Que  vos  chastes  plaisirs  surpassent  les  douceurs 
Du  jus  dont  le  poison  enyvre  tant  de  cœurs •'^! 

'  Sauf  indication  contraire,  les  citations  de  Rousseau  qu'on  trouvera 
dans  cet  article  sont  empruntées  à  l'édition  Hachette  en  i3  vol.  in-i6. 

■-  C'est  un  double  feuillet  de  4  pages  in-4".  Le  texte  occupe  le  recto 
et  le  verso  du  premier  feuillet.  J'en  dois  la  communication  à  l'obli- 
geance de  M.  l'abbé  E.  Levesque,  bibliothécaire  de  l'Ecole  supérieure 
de  théologie  de  Paris.  Qu'il  veuille  bien  trouver  ici  tous  mes  remer- 
ciements. 

3  On  serait  tenté  de  croire  que  ce  «  jus  »  désigne  la  liqueur  des  Pères, 
mais  la  distillation  de  «la  Chartreuse»  n'a  commencé  qu'en  1840.  Si 
donc  le  texte  est  exact,  ce  «jus»  me  paraît  être  celui  de  la  vigne. 


248  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.   J.    ROUSSEAU 

Que  de  mortels  fondroient  dans  vos  déserts  affreux, 

S'ils  connoissoient  combien  vos  pareils  sont  heureux! 

Au  plus  vives  douleurs  mon  cœur  semble  être  en  proye, 

Et  vous  nages  toujours  dans  la  plus  pure  joye. 

Tranquilles  sur  le  sort  de  votre  Eternité, 

Vous  voyés  commencer  votre  félicité  ; 

Et  de  mille  remords  mon  àme  déchirée, 

Aux  flammes,  aux  Démons  craint  d'être  un  jour  livrée. 

Vous  fuyés  le  grand  monde,  et  lui-même  vous  fuit  ; 

Mais  plus  je  m'en  éloigne,  et^  plus  il  me  poursuit. 

L'or,  rhonneur,  le  plaisir,  tout  tend  à  me  surprendre, 

Je  ne  sçais,  je  ne  veux,  ni  ne  peux  m'en  défendre. 

J'aime  ce  qui  me  nuit,  je  hais  ce  qui  m'est  bon. 

Sans  cesse  je  combats  la  grâce  et  la  raison. 

Hélas  !  que  n'ai-je  vu  le  monde  par  vos  j^eux. 

Ou  que  n'ai-je  plutôt  approché  de  ces  lieux! 

Vous  en  avés  banni  la  fraude  et  l'imposture, 

La  grâce  seule  y  règne  et  la  simple  nature. 

Là,  chacun  consultant  la  raison  et  la  Foi, 

Fuit  le  mal,  fait  le  bien,  et  vit  selon  la  Loi. 

O  mœurs  !  ô  saintes  mœurs  !  qu'une  vertu  si  rare 

Mérite  le  bonheur  que  le  Ciel  vous  prépare! 

Occupés  de  Dieu  seul  auprès  de  ses  Autels, 

Vous  vives  inconnus  au  reste  des  mortels. 

Votre  ennemi  vaincu,  honteux  de  sa  défaite, 

Ne^  revient  plus  troubler  cette  douce  retraite. 

On  ne  voit  point  ici  la  molle  oisiveté 

1  et  en  surcharge.  Cette  correction  et  les  suivantes  reproduisent-elles 
des  «  variantes  »  du  texte  original,  ou  témoignent-elles  simplement 
des  distractions  du  copiste,  il  est  difficile  de  le  décider  avec  certitude, 
quoique  la  première  hypothèse  soit  peut-être  plus  vraisemblable  : 
cf.  plus  loin  la  discussion  sur  les  circonstances  de  la  composition. 

2  Ne  barre,  puis  rajouté  en  marge. 


ROUSSEAU  A  LA  GRANDE  CHARTREUSE         249 

Dans  les  bras  du  sommeil  nourrir  la  volupté  : 

Ni  l'avide  fureur  de  quelque  bien  fragile, 

Faire  tout  entreprendre,  et  rendre  tout  facile. 

Tout  est  changé  pour  vous,  les  biens  sont  sans  appas, 

La  gloire  et  les  plaisirs  comme  s'ils  n'etoient  pas; 

La  faim,  le  froid,  le  chaud,  le  silence,  les  larmes. 

Les  veilles,  les  travaux  ^  n'ont  pour  vous  que  des  charmes. 

Quels  hommes,  Juste  Ciel  !  qui  n'ont  plus  rien  d'humain  ! 

Seroient-ils  devenus  ou  de  bronze,  ou  d'airain? 

Vieux  sapins,  qui  voyés  revivre  l'innocence, 

Que  le  monde  autrefois  connut  dès  sa  naissance. 

Cachés  moi  tellement  sous  un  feuillage  épais  ^, 

Que  mon  guide  égaré  ne  me  trouve  jamais  : 

Que  moi-même  écarté  dans  vos  routes  perdues, 

Je  n'en  puisse  jamais  retrouver  les  issues  : 

Oui,  je  consacre  à  Dieu^  le  reste  de  mes  jours. 

Qu'il  en  règle  à  son  gré  l'heureux,  ou  triste  cours; 

Trop  heureux  si  je  puis,  en  vivant  comme  vous, 

Obtenir  ses  faveurs,  et  calmer  son  courroux. 

J.   .T.    ROUSSEAU. 

Ces  vers  ne  sont  pas  autographes.  M.  Th.  Dufour 
qui  a  bien  voulu  les  examiner  ne  garde  aucun  doute 
à  ce  sujet  ;  et  quiconque  comparera  le  manuscrit  avec 
des  autographes  de  Rousseau,  avec  ceux  surtout  qui 
appartiennent  à  l'époque  probable  où  ont  été  rédigés 
ces  vers,  arrivera,  je  crois,  à  la  même  conviction.  Mais, 
à  défaut  de  cette  garantie  qui  lui  manque,  YEpitre  aux 

1  Texte   primitif  du  manuscrit  :   les  veilles  et  les   travaux  ;   et  barré 
d'une  autre  encre. 

2  Texte  primitif  du  manuscrit:  sous  vos  feuillages  épais  ;  vos  et  Ys  de 
feuillage  barrés,  un  en  surcharge,  et  d'une  autre  encre. 

s  Texte  primitif  du  manuscrit:  à  mou  Dieu;   mon  barré  d'une  autre 
encre. 


2DO  ANNALES    DE    I.A    SOCIPriK  .1.   .1.    ROUSSEAU 

Religieux  de  la  Grande  Chartreuse  apporte  avec  elle  des 
preuves  d'authenticité  qui  me  paraissent  suffire  pour 
Taccepter, 

En  tête  de  la  copie,  d'une  autre  écriture,  et  d'une 
encre  plus  foncée  et  plus  récente,  on  lit  :  par  j.  Jac- 
ques Rousseau.  [Vers]  envoyés  comme  tels  par  le  P. 
gênerai  i~8o.  Cette  note  est  de  la  main  du  cha- 
noine Dupinet.  chanoine  parisien  de  la  fin  du  XVIÏP 
siècle,  qui  occupait,  semhle-t-il,  ses  loisirs  à  réunir 
des  pièces  curieuses  sur  les  philosophes  de  son  temps. 
La  relation  sur  les  derniers  jours  de  Voltaire,  dont 
M.  Frédéric  Lachèvre  a  récemment  retrouvé  une  copie, 
et  qu'il  a  publiée  sous  le  titre  de  Voltaire  mourant  \ 
est  de  lui;  le  texte  original,  qui  existe  encore  -,  et  où  les 
sources  sont  soigneusement  notées,  indique  chez  ce 
chanoine  un  souci  d'information  exacte.  Sur  sa  de- 
mande peut-être,  ou  plutôt  parce  qu'on  savait  que  ce 
genre  de  documents  l'intéressait,  le  P.  général  des 
Charti'eux  lui  envoya  copie  de  cette  épître,  que  les  reli- 
gieux conservaient  sans  doute  avec  un  certain  plaisir 
dans  les  archives  du  couvent^. 


'  Paris,  Champion,   lyoS,  i  vol.  in-8. 

-  M.  l'abbé  Levesque.  qui  la  possède,  se  propose  de  lui  consacrer  pro- 
chainement une  étude. 

^  On  sait  que  presque  toutes  ces  archives,  attribuées  à  l'État  dès  1790, 
ont  été  transportées  en  i8o3,  à  la  Bibliothèque  de  Grenoble.  11  ne  sem- 
ble pas  que  la  pièce  de  Rousseau  se  trouve  égarée  dans  l'un  des  dos- 
siers du  fonds  des  Chartreux.  Si,  comme  je  le  crois,  elle  a  été  écrite  par 
.lean-Jacques  sur  l'album  des  visiteurs,  l'original  est  également  perdu, 
car  cet  albun  a  été  supprimé  au  XIX*  siècle,  ou  du  moins  les  Char- 
treux ne  l'ont  pas  conservé:  cf.  [dom  Boutrais],  La  Grande-Chartreuse, 
par  un  Chartreux,  Grenoble,  Côte,  1881,  i  vol.  in-iô,  p.  263,  note.  — 
Le  P.  Général  a  bien  voulu  me  faire  savoir  que  les  Chartreux  d'aujour- 
d'hui ne  possédaient  pas  l'original  de  l'épître  de  Rousseau  et  qu'ils 
n'en  connaissaient  pas  le  texte. 


ROUSSEAU   A    LA   GRANDE   CHARTREUSE  2  D  I 

L'origine  de  cette  pièce  semble  donc  être  déjà  favora- 
ble à  son  authenticité:  mais  le  texte  lui-même  fournit 
d'autres  arguments  en  sa  faveur. 

Nous  connaissons  par  la  correspondance  de  Rous- 
seau une  excursion  qu'il  fit  à  la  Grande  Chartreuse. 
Dans  une  lettre  à  Du  Peyrou.  datée  de  Lyon,  le  6  juil- 
let 1768,  il  écrit  :  «  Prêt  à  partir  pour  aller  herboriser 
à  la  Grande  Chartreuse  avec  belle  et  bonne  compagnie 
botaniste  que  j'ai  trouvée  et  recrutée  en  ce  pays,  je 
n'ai  que  le  temps  de  vous  envoyer  un  petit  bonjour  à 
la  hâte  ^  ».  C'est  sans  doute  lors  de  cette  excursion 
-qu'il  inscrivit  sur  l'album  des  Pères  cette  réflexion,  où 
le  botaniste  et  le  moraliste  font  fraterniser  leur  admi- 
ration :  «  J'ai  trouvé  ici  des  plantes  rares  et  des  vertus 
plus  rares  encore  -  ».  Ce  n'est  pas  d'ailleurs  la  seule 
fois  que  Rousseau  se  sentit  ému  dans  un  monastère  : 
et  Bernardin  de  Saint-Pierre  nous  a  raconté  le  pieux 
attendrissement  -de  son  ami  en  entendant  les  moines 
du  Mont-Valérien  chanter  les  Litanies  de  la  Provi- 
dence^. Les  «  Vers  à  la  louange  des  Religieux  de  la 
Grande  Chartreuse»  n'ont  donc  rien  qui  contredise  sur 
ce  point  les  sentiments  de  Rousseau.  Il  n'est  guère 
possible  cependant  de  les  rattacher  à  cette  excursion 
de  1768.  Outre  que,  sur  la  fin  de  sa  vie,  Rousseau 
n'avait  plus  qu'un   goût   très  médiocre  pour   la  poésie, 

1  Œuvres,  édit.  cit.  XII,  S- ;  cf.  lettre  à  la  duchesse  de  Portland,  Lyon, 
2  juillet  1768,  VI,  74:  «...les  montagnes  de  la  Grande  Chartreuse,  où 
je  compte  aller  herboriser  la  semaine  prochaine»;  cf.  encore  quelques 
souvenirs  botaniques  de  cette  excursion  dans  une  lettre  à  M.  de  La 
Tourette,  Monquin,  17  octobre  1769,  VI,  82-3. 

-  La  grande  Chartreuse,  par  un  Chartreux,  op.  cit.  p.  263,  note. 

3  La  Vie  et  les  ouvrages  de  ./.  J .  Rousseau,  édition  Maurice  Souriau, 
Paris,  Société  des  textes  français  modernes,  1907,  1  vol.  in-i6,  p.  107-8; 
cf.  Études  de  la  nature,  3""  édition,  Paris,   1788,  t.  III,  p.  526. 


232  ANNALES   DE  LA   SOCIETE  J.    J.    ROUSSEAU 

et  n"a  plus  écrit  en  vers  aucune  pièce  de  cette  lon- 
gueur, —  le  Rousseau  des  dernières  années,  réconci- 
lié avec  le  protestantisme  sinon  avec  les  pasteurs,  et 
guéri  depuis  longtemps  de  la  peur  de  l'enfer^,  ne 
craint  plus  ni  les  «  remords  »,  ni  la  résistance  à  «  la 
grâce  »,  ni  le  «  courroux  »  du  Ciel,  ni  les  «  ilammes  », 
ni  les  «  Démons  ». 

On  sait,  au  contraire,  et  par  Rousseau  lui  même, 
qu'il  a  traversé  dans  sa  période  catholique,  sous  Tin- 
Huence  de  ses  lectures  jansénistes,  une  crise  religieuse 
très  pénible,  où  la  pensée  de  Tenfer  devenait  une  pho- 
bie de  malade  :  «  Les  écrits  de  Port-Royal  et  de  TOra- 
toire,  raconte-t-il  au  VP  Livre  des  Confessions,  en 
rappelant  sa  vie  aux  Charmettes,  étant  ceux  que  je 
lisais  le  plus  fréquemment,  m'avaient  rendu  demi-jan- 
séniste, et,  malgré  toute  ma  confiance,  leur  dure  théo- 
logie m'épouvantait  quelquefois.  La  terreur  de  l'enfer 
que  j'avais  jusque  là  très  peu  craint,  troublait  peu  à  peu 
ma  sécurité...  Je  me  demandais  :  «  En  quel  état  suis- 
je  ?  si  je  mourais  à  Tinstant  même  serais-je  damné  »  ? 
Selon  mes  jansénistes  la  chose  était  indiscutable,  mais 
selon  ma  conscience,  il  me  paraissait  que  non.  Tou- 
jours craintif,  et  flottant  dans  cette  cruelle  incertitude, 
j'avais  recours,  pour  en  sortir,  aux  expédiens  les  plus 
risibles...  Un  jour,  rêvant  à  ce  triste  sujet,  je  m'exer- 
çais machinalement  à  lancer  des  pierres  contre  les 
troncs  des  arbres,  et  cela  avec  mon  adresse  ordinaire, 

'  Cf.  Confessions,  VIII,  i63  :  Les  âmes  aimantes  et  douces  n'y  croient 
guère;  et  l'un  des  ctonnements  dont  je  ne  reviens  points  est  de  voir  le 
bon  Fénelon  en  parler  dans  son  Télcmaque  comme  [s'il  y  croyait  tout 
de  bon  »  ;  Lettre  à  Voltaire  du  /A'  août  rj56,  X,  i3o:  «  L'éternité  des 
peines,  que  ni  vous,  ni  moi,  ni  jamais  homme  pensant  bien  de  Dieu  ne 
croirons  jamais  »  ;  cl.  encore  Emile,  11.  2xS. 


ROUSSEAU   A   LA   GRANDE   CHARTREUSE  20 Ù 

c'est-à-dire  sans  presque  en  toucher  aucun.  Tout  au  mi- 
lieu de  ce  bel  exercice,  je  m'avisai  de  m'en  faire  une 
espèce  de  pronostic  pour  calmer  mon  inquiétude.  Je 
me  dis  :  «  Je  m'en  vais  jeter  cette  pierre  contre  l'arbre 
qui  est  vis-à-vis  de  moi:  si  je  le  touche,  signe  de  salut; 
si  je  le  manque,  signe  de  damnation  ».  Tout  en  disant 
ainsi,  je  jette  ma  pierre  d'une  main  tremblante  et  avec 
un  horrible  battement  de  cœur,  mais  si  heureusement 
qu'elle  va  frapper  au  beau  milieu  de  l'arbre...  Depuis 
lors  je  n'ai  plus  douté  de  mon  salut  ^  ».  Le  testament 
du  27  juin  lySy,  qu'on  trouvera  reproduit  dans  le  livre 
de  Mugnier  sur  Madame  de  Warens  et  J.  J.  Rousseau^, 
montre  encore  très  présente  chez  Jean-Jacques  la  pensée 
du  jugement  et  du  salut  éternel.  On  peut  donc  admettre 
avec  vraisemblance  qu'il  faut  placer  VEpitre  aux  Char- 
treiix  entre  les  années  lySô  et  1740. 

Il  serait  difficile  de  la  dater  plus  précisément.  Pen- 
dant ces  quatre  arnnées,  Rousseau  alla  plusieurs  fois  à 
Grenoble  ^.  En  se  rendant  à  Montpellier,  il  y  resta  trois 
jours  du  12  au  14  septembre  1737,  mais  le  programme 
de    ces  journées,  tel  qu'il    Fexpose   dans   une    lettre   à 

1  VIII,  [73-4. 

-  Paris,  Calmann-Lévy,  i8gi,  i  vol.  in-8,  p.  149-150  :  «Considérant  la 
certitude  de  la  mort  et  l'incertitude  de  son  heure  et  qu'il  est  prêt  d'aller 
rendre  compte  à  Dieu  de  ses  actions,  a  fait  son  testament  comme  ci- 
après.  Premièrement  s'est  muni  du  signe  de  la  sainte  croix  sur  son 
corps,  en  disant  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  recom- 
mandé son  âme  à  Dieu,  son  Créateur,  le  priant  par  les  mérites  de 
N.  S.  Jésus-Christ  et  l'intercession  de  la  très  sainte  Vierge  et  des  saints 
Jean  et  Jacques  ses  patrons,  de  luy  faire  miséricorde  et  de  recevoir  son 
âme  dans  son  saint  paradis,  et  proteste  de  vouloir  vivre  et  mourir  dans 
la  sainte  foy  de  l'Eglise  catholique...  Donne  et  lègue  le  dit  testateur  aux 
R*" Pères  Capucins,  aux  K^'  Pères  Augustins  et  aux  dames  de  S'«  Claire 
■dans  ville,  à  chacun  des  dits  couvents  la  somme  de  i6  livres  pour  célé- 
brer et  faire  célébrer  des  messes  pour  le  repos  de  son  âme  ». 

'  Confessions,  VIII,  i53. 


2:^4  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.   J.    ROUSSEAU 

M"^'-"  de  Warens.  est  déjà  si  chargé  qu'il  semble  à  peu 
près  impossible  d"v  intercaler  encore  une  excursion  à 
la  Grande  Chartreuse  ^  Peut-être  rit-elle  partie  d'un 
autre  voyage  à  Grenoble.  Peut-être  encore  y  alla-t-il 
directement  de  Chambéry.  sans  passer  par  Grenoble. 
La  chose  reste  incertaine.  M.  Eugène  Ritter  me  sug- 
gère que  Jean-Jacques  a  pu  aussi  composer  son  épître 
sur  de  simples  oui-dire,  sans  avoir  jamais  vu  ni  les 
moines  ni  le  monastère.  L'hypothèse  n'est  pas  en  soi 
inadmissible,  mais,  si  Ton  se  rappelle  que  la  réputa- 
tion de  Jean-Jacques  était  nulle  alors,  il  paraîtra  peu 
vraisemblable  que  quelqu'un  eût  pris  la  peine  d'en- 
voyer cette  épître  aux  Pères  et  que  ceux-ci  l'eussent 
conservée.  J'admettrais  plutôt,  quant  à  moi,  que 
Rousseau  a  écrit  lui-même  ces  vers  sur  «  le  grand 
livre  que  le  P.  hospitalier  présentait  aux  visiteurs  au 
moment  du  départ,  et  où  chacun  était  libre  d'écrire  ce 
que  lui  dictaient  la  politesse  et  la  religion-». 

'  Lettre  du  i3  septembre,  X,  18-20. 

2  Tracy,  Vie  de  saint  Bruno,  Paris,  Berton,  1785,  p.  382,  et  [le  P. 
Mandar,  de  l'Oratoire],  Voyage  à  la  Grande  Chartreuse,  ap.  Journal  de 
Verdun,  janvier  1776,  t.  CXIX,  p.  64.  Dans  la  note  qui  précède  ce 
«  Voyage  »  en  vers,  le  P.  Mandar  raconte  qu'à  lui  aussi,  «suivant  l'usage», 
on  lui  apporta  le  livre  des  visiteurs;  et  il  ajoute  :  «avec  un  peu  plus 
de  loisir,  voici  des  vers  qu'on  aurait  pu  peut-être  y  insérer».  Le  poème 
du  Père  oratorien,  écrit  à  Juilly  le  i"  décembre  1775,  est  beaucoup  plus 
long  que  celui  de  Rousseau;  mais,  dans  quelques  passages,  il  est  si 
voisin  de  l'Épitre  aux  Cliartreux,  par  l'accent  et  même  par  les  mots, 
qu'on  peut  se  demander  si  le  touriste  de  1775  n'avait  pas  lu  les  vers  de 
Jean-Jacques  sur  le  grand  livre  du  P.  hospitalier.  Après  avoir  dit  son 
admiration  pour  ces  religieux  austères,  qui, 

. . .  nuit  et  jour,  anéantis  pour  nous. 
Nous  rendent  Dieu  propice,  apaisent  son  courroux, 

—  le   P.  Mandar  s'adresse   à  la    Chartreuse  même  dans  une  invocation- 
qui  rappelle  beaucoup  celle  de  Rousseau  : 

Ah  !  du  moins,  saint  désert,  séjour  pur  et  paisible, 
Solitude  profonde  au  vice  inaccessible. 


ROUSSEAU    A    LA   GRANDE    CHARTREUSE  2d5 

La  rapidité  de  composition,  imposée  par  les  circons- 
tances, expliquerait  peut-être,  chez  un  travailleur  aussi 
lent  que  Rousseau,  les  négligences  de  st3de  et  les 
fautes  de  métrique  :  mots  répétés,  pieds  en  trop  ou  en 
moins,  rimes  masculines  se  succédant  au  début  et  à  la 
fin  ^  Sauf  ces  quelques  détails  d'exécution,  qui  té- 
moignent seulement  d'une  rédaction  trop  hâtive,  on  re- 
trouve dans  VEpitre  aux  Chartreux  la  manière  habi- 
tuelle de  Rousseau,  quand  il  s'essaie  à  versifier;  et  cela 
encore  achève  d'en  confirmer  l'authenticité.  Le  voca- 
bulaire de  Rousseau  poète  est  fort  restreint  ;  son  dic- 
tionnaire de  rimes  est  particulièrement  indigent. 
M.  Eugène  Ritter  me  fait  observer  très  justement  que 
dans  les  trois  grandes  épîtres  approximativement  con- 
temporaines de  VEpitre  aux  Chartreux  :  Verger  des 
Charmettes^  Épitî^e  à  Bordes^  Epitre  à  Parisot,  qui 
forment  en    tout   666  vers,   seize  couples  de  rimes    se 

Impétueux  torrents,  et  xous.  sombies  forêts, 
Recevez  mes  adieux,  comme  aussi  mes  regrets. 
Toujours  épris  de  vous,  respectable  retraite, 
Piiissé-je  dans  le  cours  d'une  vie  inquiète, 
Dans  ce  flux  éternel  de  folie  et  d'erreur, 
Oii  flotte  tristement  notre  malheureux  cœur, 
Puissé-je,  pour  charmer  mes  ennuis  et  mes  peines, 
Souvent  fuir  en  esprit  au  bord  de  vos  fontaines, 
Egarer  ma  pensée  au  milieu  de  vos  bois, 
Par  un  doux  souvenir  rappeler  mille  fois 
De  vos  saints  habitants  les  touchantes  images. 
Pénétrer  sur  leurs  pas  dans  vos  grottes  sauvages, 
Me  placer  sur  vos  monts,  et  là,  prenant  l'essor, 
Aller  chercher  en  Dieu,  ma  joie  et  mon  trésor. 

(Journal  de  Verdun,  p.  68-q.) 

A  moins  que  Rousseau  et  le  P.  Mandar  n'aient  puisé  à  une  source 
commune,  il  ne  paraîtra  peut-être  pas  impossible  que  le  Père  ait  feuil- 
leté à  la  Chartreuse  le  livre  des  visiteurs,  et  qu'attiré  par  la  signature 
devenue  célèbre  de  Jean-Jacques,  il  ait  lu  et  retenu  ses  vers. 

1  Cf.  les  notes  de  l'épître. 


256  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  J.   ROUSSEAU 

trouvent  répétés,  quelques-uns  même  trois  ou  quatre 
fois.  Si  Ton  relit  ces  trois  épîtres,  et  qu'on  y  joigne 
même,  —  malgré  la  différence  des  sujets  et  la  diffé- 
rence 'des  vocabulaires  qui  en  résulte,  —  les  poésies 
badines,  les  comédies  ou  opéras  en  vers  composés  par 
lui  environ  à  la  même  époque,  on  remarquera  cer- 
tainement que  plusieurs  couples  de  rimes  et  la  plu- 
part des  mots  mis  à  la  rime  dans  VEpitre  aux  Cliar- 
tî'eux  sont  repris  ailleurs  par  Rousseau,  tant  sa  pau- 
vreté verbale  le  rend  peu  exigeant,  dès  qu'il  écrit  en 
vers. 

Couples  de  7-imes  :  douceurs-cœurs,  cf.  V,  204,  VI,  i5, 
35.  27;  yeux-lieux,  VI,  7,  8;  imposture-nature,  VI,  26; 
foi-loi,  V,  171,  207;  autels-mortels,  V,  212;  appas-pas, 

V,  197,  VI,  7;  larmes-charmes,  V,  146,  VI,  3;  jours- 
cours,  V,  190,  192,  198,  23i  ;  vous-courroux,  V,  187, 
210,  219,  VI,  4. 

Mots  mis  à  la  rime:  plaintes,  VI,  11  ;  douceurs,  VI, 
i5,  etc;  cœurs,  VI,  3,  4,  11,  14,  i5,  16,  17,  etc;  af- 
freux, V,  192,  VI,  3;  heureux, VI,  i5;  félicité,  V,  202, 

VI,  19,  21  ;  surprendre,  V,  211;  défendre,  V,  207,  210; 
bon,  V,  170;  raison  VI,  19,  24  ;  yeux,  V,  189,  VI,  4, 
etc.;  lieux,  V,  i9<),  199,  etc.;  imposture,  VI,  2(3;  na- 
ture, VI,  6,  10,  etc.;  foi,  V,  171,  207,  22(3;  loi,  VI,  4, 
12,  i3,  16,  19,  etc.;  rare,  V,  170;  prépare,  V,  2i3; 
autels,  V,  212;  mortels,  V,  189;  oisiveté,  VI,  10;  vo- 
lupté, V,  202,  VI,  18;  facile,  VI,  2,  4;  appas,  V,  197, 
VI,  7;  pas  VI,  14;  larmes,  VI,  3,  6,  1  3,  etc.  ;  charmes, 
VI,  3,  20,  etc.;  humains,  VI,  4,  19;  innocence,  V,  191, 
193,  VI,  2,  24;  naissance,  VI,  12,  i5;  jamais,  VI,  2,  3; 
jours,  VI,  16;  cours,  V,  190,  etc.;  vous,  VI,  10,  etc.; 
courroux,  VI,  14,  etc. 


ROUSSEAU   A   LA  GRANDE   CHARTREUSE  257 

Ainsi  sur  25  couples  de  rimes,  9  lui  ont  déjà  servi  ou 
lui  serviront  bientôt;  sur  5o  mots  mis  à  la  rime,  36  se 
retrouvent,  —  et  beaucoup  à  plusieurs  reprises,  — dans 
les  autres  oeuvres  versifiées  de  la  même  période.  Il  y  a 
là,  je  crois,  si  toutefois  il  était  nécessaire,  un  dernier 
argument  d'authenticité. 

Mais  le  meilleur  de  tous,  n'est-ce  pas  encore  les  sen- 
timents exprimés,  les  désirs  du  cœur  qui  se  révèle, 
leur  émotion,  et,  pour  ainsi  dire,  leur  accent?  h'Epître 
aux  Chartreux  rend  bien  le  son  de  Rousseau,  du  Rous- 
seau encore  jeune,  hanté  déjà  par  son  rêve  de  retour  à 
la  nature,  avide  de  solitude  et  de  calme,  travaillé  par  ses 
efforts  de  relèvement  moral  et  l'inquiétude  de  sa  pen- 
sée religieuse.  A  ce  point  de  vue,  et  quoiqu'elle  soit 
d'un  ton  moins  «  laïque  »,  elle  est  toute  voisine  de 
VEpître  à  M.  T^orde  ou  du  Verger  des  Charmettes: 

Verger,  cher  à  mon  cœur,  séjour  de  l'innocence, 
Honneur  des  plus  beaux  jours  que  le  ciel  me  dispense, 
Solitude  charmante,  asile  de  la  paix, 
Puissé-je,  heureux  verger,  ne  vous  quitter  jamais  '  ! 


O  vous,  qui,  dans  le  sein  d'une  humble  obscurité. 

Nourrissez  les  vertus  avec  la  pauvreté, 

Dont  les  désirs  bornés  dans  la  sage  indigence 

Méprisent  sans  orgueil  une  vaine  abondance. 

Restes  trop  précieux  de  ces  antiques  temps. 

Où  des  moindres  apprêts  nos  ancêtres  contents. 

Recherchés  dans  leurs  mœurs,  simples  dans  leur  parure, 

Ne  sentaient  de  besoins  que  ceux  de  la  nature. 

Illustres  malheureux,  quels  lieux  habitez-vous'  ? 

Voilà  des  vers  de  Rousseau  qui  ressemblent   comme 
des  frères  à  ceux  que  je  viens  de  publier.  Ce  sont  les 

»    Verger  des  Charmettes,  VI,  2. 
'  Epitre  à  M.  Borde,  VI,  9-10. 

IT 


2  58  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.    .1.    ROUSSEAU 

mêmes  aspirations  à  la  vie  innocente  et  apaisée,  les 
mêmes  regrets  de  la  simplicité  primitive,  s'exprimant 
en  des  formules  de  cadence  analogue,  presque  avec  les 
mêmes  mots.  Il  y  a  pourtant  dans  VEpitre  aux  Chaf- 
treux  une  angoisse  religieuse  et  comme  des  remords, 
qui  semblent  bien  ne  pas  être  de  purs  développements 
littéraires,  et  qui  en  font  davantage  une  confession.  Est- 
ce  parce  qu'il  ne  s'adressait  plus  cette  fois  à  des  gens  du 
monde  comme  M"^''  de  Warens,  Borde  ou  Parisot, 
mais  à  des  moines  qui  l'avaient  édifié,  que  la  confes- 
sion de  Jean-Jacques,  encore  catholique  croyant,  s'est 
faite  plus  intime  et  plus  douloureuse?  Telle  qu'elle  est, 
en  dépit  de  la  médiocrité  du  style,  elle  reste  un  docu- 
ment qui  n'est  point  négligeable  dans  l'histoire  des 
idées  religieuses  de  Rousseau. 

Pierre-Maurice  Masson. 


CONTRIBUTION 

A  LÈTUDE  DE  LA  PROSE  MÉTRIQUE 


DANS    LA 


NOUVELLE    HÉLOÏSE 


Lv  prose  métrique  de  La  Nouvelle  Héloïse 
mériterait  toute  une  étude.  Je  n'en  veux 
même  point  tenter  ici  l'esquisse.  Je  vou- 
drais seulement  signaler  à  celui  qui  Ten- 
treprendra  un  rapprochement,  qui,  à  ma  connaissance. 
n'a  pas  encore  été  fait,  et  qui  permettra  peut-être 
d'analyser  avec  plus  de  précision  Tart  du  style  chez 
Rousseau, 

La  Nouvelle  Héloïse^  on  Ta  bien  des  fois  remarqué., 
abonde  en  couplets  lyriques  :  lyriques,  non  pas  seule- 
ment par  les  thèmes  qu'ils  développent,  —  car,  à  ce 
point  de  vue,  on  pourrait  considérer  la  Julie  comme  le 
bréviaire  du  romantisme  qui  se  prépare  et  déjà  s'orga- 
nise, —  mais  lyriques  aussi  par  Tordonnance  mesurée 
des  phrases,  qui  se  groupent  fréquemment  en  véritables 
strophes,  tantôt,  semble-t-il,  selon  une  loi  d'instinct. 
tantôt,  et  plus  souvent  peut-être,  comme  je  vais  essayer 
de  le  montrer,  selon  une  loi  consciente.  On  se  rappelle 
cette  recommandation  de   Rousseau  à  Malesherbes  en 


200  ANNALES    DE    LA    SOCIÉTÉ    J.    ,1.    ROUSSEAU 

vue  de  Tédition  française  de  son  roman.  Malesherbes 
lui  demandait  de  supprimer  un  a  par  haiard  »  qui 
pouvait  sembler  irrévérencieux  pour  le  christianisme  : 
«  S'il  ne  tient  qu'à  sacrifier  ce  mot-là,  lui  répond 
Rousseau,  j'y  consens.  Qu'on  en  mette  un  autre,... 
pourvu  que  ce  mot  substitué...  ne  gâte  pas  l'haivnonie 
de  la  phrase'^ y)  ;  et,  dans  une  lettre  à  Coindet,  à  propos 
d'une  «  horrible  faute  d'impression  »  qui  déparait  les 
Sujets  d'estampes  de  la  Julie:  «Je  ne  saurais  vous 
dire,  lui  écrit-il,  combien  cette  faute  me  chagrine,  moins 
pour  elle-même  que  jcjrce  qu'elle  gâte  l'harmonie  d'une 
phrase,  qui,  sans  cela,  serait  fort  coulante^ y).  C'est  là  un 
scrupule  musical  qui  ne  surprendra  point  chez  l'auteur 
du  Devin  du  village.  Au  reste,  les  habitudes  de  compo- 
sition de  Rousseau  entretenaient,  en  l'affinant  encore,  ce 
goût  inné  d'harmonie.  Stérile  devant  la  table  et  le  papier, 
il  lui  fallait  la  promenade  ou  les  insomnies  de  la  nuit 
pour  trouver  l'équilibre  de  sa  phrase  et  la  faire,  en  quel- 
que sorte,  chanter  :  «  Il  y  a  telle  de  mes  périodes,  écrit-il, 
que  j'ai  tournée  et  retournée  cinq  ou  six  nuits  dans  ma 
tête,  avant  qu'elle  fût  en  état  d'être  mise  sur  le  papier'». 
Cette  recherche  douloureuse  «  du  nombre  et  de  l'har- 
monie »,  qu'il  a  poursuivie  dans  tous  ses  autres  ouvra- 
ges'*, c'est  dans  La  Nouvelle  Héloïse  qu'il  l'a  surtout  ten- 
tée. Plus  il  y  mettait  de  son  cœur,  plus  l'émotion  confuse 
qui  l'agitait  avait  besoin  de  s'organiser,  et  mieux  aussi 

1  Notes  à  M .  de  Malesherbes  à  l'occasion  de  «  La  Nouvelle  Héloïse  », 
Œuvres  de  J.  J.  Rousseau,  édition  Hachette,  i'^  voL  in-if),  t.  V,  p.  8g. 
Sauf  indication  contraire,  toutes  les  autres  citations  de  cet  article  sont 
empruntées  à  cette  édition. 

'  Lettre  du  i8  février  1761,  dans  Œuvres  et  correspondance  inédi- 
tes, publiées  par  Ci.  Streckeisen-Moultou,  Paris,  Lévy,   1861,  p.  38o. 

•'  Confessions,  VIII,  80;  cf.  encore  Ibid.,  VIII,  24(). 

-«  Ibid.,  VIII,  25o. 


LA   PROSE   MÉTRIQUE   DANS   LA   NOUVELLE  HÉLOISE        26 1 

la  cadence  s'insinuait  entre  les  mots,  pour  les  répartir 
en  groupes  harmonieux,  savamment  disposés  et  coupés. 
Qu'on  relise,  par  exemple,  Tadieu  de  Saint-Preux  aux 
deux  cousines,  avant  de  s'embarquer.  ^  L'élargissement 
progressif  du  mètre  y  rend  d'abord  sensible  cette  émo- 
tion du  départ  qui  va  croissant  jusqu'à  la  tristesse  re- 
cueillie du  dernier  adieu  ;  puis,  après  quelques  phrases 
d'un  dessin  moins  sûr,  où  il  semble  que  des  rythmes  nou- 
veaux s'essaient,  l'élégie  se  termine  avec  ampleur  sur  une 
strophe  de  six  vers,  admirablement  équilibrée,  où  cinq 
alexandrins  égaux  et  lents  préparent  et  prolongent 
l'impression  d'incertitude  inquiète  que  laisse  le  dernier 
décasyllabe  : 

Il  faut  finir,  je  le  sens. 
Adieu,  charmantes  cousines. 
Adieu,  beautés  incomparables. 
Adieu,  pures  et  célestes  âmes. 
Adieu,  tendres  et  inséparables  amies, 
femmes  uniques  sur  la  terre. 

Daignez  vous  rappeler  quelquefois  la  mémoire 
d'un  infortuné  qui  n'existait 
que  pour  partager  entre  vous 
tous  les  sentimens  de  son  âme. 


J'entends  le  signal  et  les  cris  des  matelots; 
je  vois  fraîchir  le  vent  et  déployer  les  voiles  : 
il  faut  monter  à  bord,  il  faut  partir.  Mer  vaste, 
mer  immense,  qui  dois  peut-être  m'engloutir 
dans  ton  sein,  puissé-je  retrouver  sur  tes  flots 
le  calme  qui  fuit  mon  cœur  agité  ! 


Nombreuses  seraient  les  lettres  de  La  Nouvelle 
Héloïse,  où  l'on  trouverait  des  couplets  analogues,  dis- 
posés de  place  en  place,  et  comme  à  dessein,  en  groupes 

>  Nouvelle  Héloise,  IV,  276. 


202  AN'NALES  DE  I.A  SOCIÉTÉ  ,T.  J.   ROUSSEAU 

métriques,  groupes  d'ailleurs  très  habilement  irréguliers 
pour  la  plupart,  et  dont  la  sinueuse  liberté  enlève  à 
tous  ces  vers  bien  définis  la  monotonie  lassante  des 
vers  blancs.  Sans  doute,  pour  un  musicien  comme 
Rousseau,  qui  aurait  rêvé  de  traduire  le  mouvement  de 
la  passion  par  le  rythme  quantitatif  de  la  phrase,  le 
procédé  était  encore  grossier  ;  mais,  écrivant  en  fran- 
çais, ayant  fait  dans  sa  jeunesse  l'apprentissage  de  nos 
différents  mètres,  il  ne  pouvait  se  défendre  de  chercher 
à  exprimer  le  rythme  véritable  qu'il  sentait  en  musicien 
par  le  pseudo-rvthme  syllabaire  où  il  s'était  exercé  en 
poète.  ^  De  tous  les  vers  qu'il  avait  jadis  pratiqués, 
celui  qui  lui  resta  le  plus  longtemps  familier,  ce  fut, 
semble-t-il,  l'octosyllabe.  L'Allée  de  Sylvie  est  écrite 
tout  entière  sur  ce  mètre,  qu'il  jugeait  sans  doute  le 
plus  lyrique  des  vers  français. 

Passions,  source  de  délices. 
Passions,  source  de  supplices, 
Cruels  tyrans,  doux  séducteurs, 
Sans  vos  fureurs  impétueuses, 
Sans  vos  amorces  dangereuses, 
La  paix  serait  dans  tous  les  cœurs  ^. 

Ce  couplet  est  emprunté  à  L'Allée  de  Sylvie,  et  ne 
détonerait  point  dans  La  Nouvelle  Héloïse.  Les  octosyl- 

•  Il  ne  saurait  être  question,  à  proprement  parler,  de  «  rythme  » 
dans  la  poésie  ou  la  prose  française:  «  Il  y  a  cette  différence  entre  la 
métrique  et  la  rythmique,  écrit  Rousseau  dans  le  Dictionnaire  de 
musique  (VU,  i63),  que  la  première  ne  s'occupe  que  de  la  forme  des 
vers,  et  la  seconde  de  celle  des  pieds  qui  les  composent  :  ce  qui  peut 
même  s'appliquer  à  la  prose.  D'où  il  suit  que  les  langues  modernes 
peuvent  encore  avoir  une  musique  métrique,  puisqu'elles  ont  une  poésie, 
mais  non  pas  une  musique  rythmique,  puisque  leur  poésie  n'a  plus  de 
pieds  ».  11  reste  néanmoins  dans  les  divers  mètres  français  un  certain 
mouvement  qui  leur  est  propre,  et  qui  peut  être  considéré  comme  une 
manière  de  rythme  ;  cf.  encore  Essai  sur  l'origine  des  langues,  chap. 
XII  (I,  396). 

2  L'Allée  de  Sylvie,  VI,  ly. 


LA  PROSE  MÉTRIQUE  DANS  LA  NOUVELLE  HÉLOISE   263 

labes  y  abondent  :  aux  heures  de  tristesse  ardente  et  de 
trépidation  sentimentale,  ils  apparaissent  aussitôt,  sou- 
tenus et  élargis  ça  et  là  par  un  décasyllabe  ou  un 
<ilexandrin  : 

Tout  m'alarme  et  me  décourage  ; 


je  ne  lis  pas  dans  l'avenir 

des  maux  inévitables, 
mais  je  cultivais  l'espérance, 
et  la  vois  flétrir  tous  les  jours.  ;" 

Que  sert,  hélas  !  d'arroser  le  feuillage, 
quand  l'arbre  est  coupé  par  le  pied  !  ^      ^ 

Ou  bien  : 

On  n'aperçoit  plus  de  verdure, 
l'herbe  est  jaune  et  flétrie, 

les  arbres  sont  dépouillés  ; 

Le  séchard  et  la  froide  bise 

entassent  la  neige  et  les  glaces  ; 
toute  la  nature  est  morte  à  mes  yeux 
comme  l'espérance  au  fond  de  mon  cœur  ^. 

Ou  encore  : 

Rends-moi  ce  sommeil  enchanteur, 

rends-moi  ce  réveil  plus  délicieux  encore, 
et  ces  soupirs  entrecoupés, 


et  ces  gémissemens  si  tendres, 
durant  lesquels  tu  pressais  sur  ton  cœur 
ce  cœur  fait  pour  s'unir  à  lui  -^ 


Etc.,  etc. 

La  méditation  de  Saint-Preux  dans  le  cabinet  de  toi- 
lette de  Julie,  méditation  toute  lyrique,  qui  pourrait  se 
transcrire    presque    entière    en    phrases    mesurées,    a 

1  Nouvelle  Héloise,  IV,  58. 

2  Ibid.,  IV,  59. 
î  Ibid.,  IV,  99. 


264  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  J.   ROUSSEAU 

comme  rythme  de  base,   si   l'on  peut   ainsi  parler,  le 
rythme  de  l'octosyllabe. 

Me  voici  dans  ton  cabinet, 
me  voici  dans  le  sanctuaire 
de  tout  ce  que  mon  cœur  adore. 


Lieu  charmant,  lieu  fortuné,... 
sois  le  témoin  de  mon  bonheur, 
et  voile  à  jamais  les  plaisirs 
du  plus  fidèle  et  du  plus  heureux  des  hommes. 

Tout  y  flatte  et  nourrit  l'ardeur  qui  me  dévore. 

O  Julie,  il  est  plein  de  toi, 

et  la  flamme  de  mes  désirs 

s'y  répand  sur  tous  tes  vestiges. 
Oui,  tous  mes  sens  y  sont  enivrés  à  la  fois. 

Julie,  ma  charmante  Julie, 

je  te  vois,  je  te  sens  partout. 

Oh  !  viens,  vole,  ou  je  suis  perdu. 

Il  me  semble  entendre  du  bruit. 
Serait-ce  ton  barbare  père  ? 


Mon  cœur,  mon  l'aible  cœur, 
tu  succombes  à  tant  d'agitations. 
Ah  !  cherche  des  forces  pour  supporter 

la  félicité  qui  t'accable*. 


Est-ce  là  un  rythme  conscient  et  volontaire?  Je  le 
crois,  et  vais  essayer  de  le  montrer  par  le  rapproche- 
ment suivant.  On  connaît  l'admirable  invocation  à  la 
femme,  que  Saint-Preux  envoie  à  Julie  dans  sa  dernière 
lettre,  comme  son  testament  d'amoureux.  Cette  invo- 
cation sans  hiatus-,  d'un  dessin  à  la  fois  très  libre  et 
très  défini,  est  un  véritable  poème  ;  et  je  ne  crois  pas 
être  infidèle  aux  intentions  de  Rousseau  en  le  présen- 

1  Nouvelle  Héloise,  IV,  98-9. 

*  Rousseau  a  mis  ime  coqueuerie   de  poète   à   éviter  les   hiatus  dans 


LA  PROSE  MÉTRIQUE  DANS  LA  NOUVELLE  HÉLOISE   26S 

tant    de   nouveau     au    lecteur    sous    cette    forme    mé- 
trique : 

Femmes  !  Femmes  !  objets  chers  et  funestes, 
que  la  nature  orna  pour  notre  supplice, 
qui  punisse:^  quand  on  vous  brave, 
qui  poursuive^  quand  on  vous  craint, 
dont  la  haine  et  l'amour  sont  également  nuisibles', 
et  qu'on  ne  peut  ni  rechercher 

ni  fuir  impunément, 
beauté,  charme,  attrait,  sympathie, 
être  ou  chimère  inconcevable 
abîme  de  douleurs  et  de  voluptés, 
beauté  plus  terrible  aux  mortels 
que  l'élément  où  l'on  t'a  fait  naître, 
malheureux  qui  se  livre  à  ton  calme  trompeur  ! 
c'est  toi  qui  produis  les  tempêtes 
qui  tourmentent  le  genre  humain. 
O  Julie  !  O  Claire  !  Que  vous  me  vendez  cher 
cette  amitié  cruelle, 
dont  vous  osez  vous  vanter  à  moi. 
J'ai  vécu  dans  l'orage, 
et  c'est  toujours  vous  qui  l'avez  excité. 
Mais  quelles  agitations  diverses 
vous  avez  fait  éprouver  à  mon  cœur  ! 
Celles  du  lac  de  Genève 
ne  ressemblent  pas  plus 
aux  flots  du  vaste  océan. 

La  Nouvelle  Héloise;  cf.   sa  remarque  sur  la  fin  de  ce   «  couplet»  dans 
'  e  discours  de  Julie  mourante  : 

Le  pays  des  chimères  est  en  ce  monde 

le  seul  digne  d'être  habité. 
Tel  est  le  néant  des  choses  humaines 

qu'hors  l'Etre  existant  par  lui-même 
il  n'y  a  rien  de  beau  que  ce  qui  n'est  pas. 

«  Il  fallait  que  hors,  écrit  Rousseau  en  note  ;  et  sûrement  M""*  de  Wolmar 
ne  l'ignorait  pas.  Mais  outre  les  fautes  qui  lui  échappaient  par  ignorance 
ou  par  inadvertance,  il  paraît  qu'elle  avait  l'oreille  trop  délicate  pour  s'as- 
servir  toujours  aux  règles  mêmes  qu'elle  savait.  On  peut  employer  un  style 
plus  pur,  mais  non  plus  doux  ni  plus  harmonieux  que  le  siens*.  (V,  41.) 

'  Ce  vers  de  treize  pieds,  comme  plusieurs  autres  dans  La  Nouvelle 
Héloise,  devient  un  alexandrin  très  satisfaisant  pour  l'oreille,  si,  au  lieu 
de  compter  les  syllabes,  on  laisse  la  prononciation  supprimer  l'e  muet 
Les  vers  de  onze  et  neuf  pieds  appelleraient  une  observation  analogue.. 


26b  AXXALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  J.   ROUSSEAU 

L'un  n"a  que  des  ondes  vives  et  courtes, 

dont  le  perpétuel  tranchant 
agite,  émeut,  submerge  quelquefois, 

sans  jamais  former  de  long  cours. 
Mais  sur  la  mer,  tranquille  en  apparence, 

on  se  sent  élevé,  porté  doucement  et  loin 

par  un  flot  lent  et  presque  insensible. 

On  croit  ne  pas  sortir  de  la  place, 
et  l'on  arrive  au  bout  du  monde  ^ 

Sur  ces  trente-quatre  vers,  —  je  les  appelle  ainsi, 
faute  de  terme  adéquat,  —  onze  sont  des  octosyllabes  : 
ce  sont  eux  qui  donnent  à  l'invocation  son  accent,  et 
déterminent  son  allure.  Or,  parmi  les  «  Poésies  diver- 
ses »  de  Rousseau,  je  trouve  ces  Vers  sur  la  femme ^'^ 
qui  nous  aideront  à  mieux  comprendre  et  goûter  l'art 
très  raffiné  de  ce  petit  poème  en  prose  : 

Objet  scdiiisanl  et  funeste, 
Que  j'adore  et  que  je  déteste  ; 
Toi  que  la  nature  embellit 
Des  agrémens  du  corps  et  des  dons  de  l'esprit, 
Qui  de  l'homme  fais  un  esclave. 
Qui  t'en  moques  quand  il  se  plaint. 
Qui  l'accables  quand  il  te  craint. 
Qui  le  punis  quand  il  te  brave, 
Toi  dont  le  front  doux  et  serein 
Porte  le  plaisir  dans  nos  fêtes  ; 
Toi  qui  soulevés  les  tempêtes, 
Qui  tourmentent  le  genre  humain  ; 
Être  ou  chimère  inconcevable. 
Abîme  de  maux  et  de  biens. 
Seras-tu  donc  toujours  la  soiu-ce  inépuisable 
De  nos  mépris  et  de  nos  entretiens  ? 

Au  point  de  vue  de  la  technique  métrique  et  du  sen- 
timent, il  est  impossible  de  contester  la  parenté  évi- 
dente de  ces  deux  morceaux  :  ce  n'est  pas  seulement  le 

»  Nouvelle  Héloise,  V,  28  (Partie  VI,  lettre  VU). 
-  Poésies  diverses,  VI,  28. 


LA  PROSE  MÉTRIQUE  DANS  LA  NOUVELLE  HÉLOISE   267 

même  thème,  c'est  le  même  rythme,  le  même  mètre,  le 
même  balancement  antithétique,  et  souvent  les  mêmes 
mots.  Pour  marquer  avec  sûreté  et  précision  l'exact 
rapport  entre  cette  «  prose  »  et  ces  »  vers  »  si  étroite- 
ment apparentés,  il  serait  utile  de  connaître  la  date  et 
Torigine  de  ces  derniers.  On  lit  dans  Tédition  Furne 
des  Œuvres  complètes  de  Jean-Jacques  Rousseau^  Paris, 
i835,  in-4°,  t.  III,  p.  3(5q,  la  note  suivante,  relative 
aux  Vers  sur  la  femme  :  «  Publiés  pour  la  première 
fois  en  1824  dans  Tédition  donnée  par  M.  Musset- 
Patha}'».  Cette  note  est  inexacte;  non  que  ces  vers 
soient  absents  de  l'édition  Musset^,  mais  l'édition  Belin 
les  avait  déjà  publiés  en  1817^,  Dans  Tune  comme 
dans  l'autre  d'ailleurs,  nulle  indication  d'origine  n'est 
fournie.  Je  ne  les  ai  lus  dans  aucune  des  éditions  anté- 
rieures à  181 7  que  j'aie  pu  consulter,  ni  dans  l'édition 
de  Genève  de  1781,  ni  dans  celle  de  Didot  de  1796. 
M.  Théophile  Dufour  veut  bien  me  signaler  qu'il  les 
a  découverts  dans  la  Correspondance  secrète,  dite  de 
Métra.  Ils  y  ont  été  insérés  dès  1783,  sous  ce  titre,  et 
sans  autre  indication  : 


VERS 

IBUÉS 

A   .1 

.    .1. 

ROUSSEAU 

SUR 

LA 

FEMME  ^. 

Avaient-ils  déjà   paru   dans   quelque  autre  recueil  ?  Je 
l'ignore.  Mais,  s'il  faut  se  fier  ici  à   la  seule  Correspon- 

'  Paris,  P.  Dupont,  t.  X,  1824,  in-8,  p.  464. 

2  Paris,  Belin,  t.  V.,  1817,  in-8,  p.  686. 

^  Correspondance  secrète,  politique  et  littéraire,  on  Mémoires  pour 
sei-vir  à  l'histoire  des  cours,  etc..  depuis  la  mort  de  Louis  XV,  Londres, 
John  Adamson,  1787-1790,  18  voLin-12,  t.  XV,  p.  134.  L'édition  origi- 
nale, très  rare,  de  cette  Correspondance  avait  paru  à  Neuwied,  Société 
typographique,  1 775-1  793,   19  vol.  petit  in-8. 


208  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.   J.  ROUSSEAU 

dance  secrète,  on  sait  que  le  témoignage  de  Métra  ne 
saurait  y  être  allégué,  et  que,  comme  tant  d'autres  feuil- 
les de  ce  genre  au  dix-huitième  siècle,  «  elle  était  Tœu- 
vre  d'un  bureau  de  nouvellistes^»,  M.  Dufour  me  fait 
remarquer  très  justement  qu'un  texte  posthume,  ainsi 
publié  sans  garantie  d'aucune  sorte,  et  «  attribué  »  seu- 
lement à  l'auteur,  est  d'une  authenticité  suspecte  :  «  Le 
mot  attribué,  m'écrit-il,  est  pour  moi  la  preuve  que  les 
vers  ne  sont  pas  de  Rousseau;  s'ils  étaient  de  lui,  on 
n'aurait  pas  employé  cette  expression,  d'ailleurs  assez 
bien  trouvée,  le  poète  anonyme  reconnaissant  ainsi,  en 
quelque  manière,  la  paternité  de  Rousseau  à  l'égard  de 
la  rédaction  primitive  en  prose».  Je  serais  peut-être 
moins  affirmatif  que  l'éminent  critique.  Je  considère 
Tauthenticité  de  cette  pièce  comme  douteuse  ;  je  ne  con- 
sidère pas  son  inauthenticité  comme  certaine  ;  car,  pour 
laisser  de  côté  tout  autre  argument,  pourquoi  ce  poète 
anon3'me  qui  prenait  plaisir  à  mettre  en  vers  un  frag- 
ment de  La  Nouvelle  Héloïse,  se  serait-il  arrêté  à  mi- 
chemin,  pourquoi  aurait-il  coupé  en  deux  cette  invoca- 
tion qui  forme  un  tout  si  harmonieux,  pourquoi  n'au- 
rait-il pas  versifié  les  derniers  couplets,  d'une  beauté 
plus  séduisante  et  plus  émue  encore  que  les  premiers? 
Acceptons  donc  —  provisoirement  du  moins  — 
«Tattribution  »  de  ces  vers  à  Rousseau,  non  pas  même 
comme  probable,  mais  comme  possible.  Pour  le  cas  où 
ils  seraient  de  lui,  il  resterait  à  se  demander  s'ils  ont 
été  tirés  du  roman,  ou  s'ils  Tont  précédé.  Dans  la  pre- 
mière hypothèse  le  rapprochement  aurait  encore  son 
intérêt.  Il  montrerait  que  Rousseau,  en  relisant  sa  prose 

'  Frant/:  P'unck-Bremano   et    Paul    d'Estrée,    Figaro    cl    ses    devan- 
ciers, III,  Revue  des  Deux-Mondes,  du  i"  août   njoo,  p.  644. 


LA   PROSE   MÉTRIQUE   DANS    LA  NOUVELLE   HÉLOISE       269 

lyrique,  aurait  su  en  dégager  lui-même  le  rythme  essen- 
tiel qui  la  gouvernait  ;  et  les  Vers  sur  la  femme  demeu- 
reraient comme  une  affirmation  indirecte  de  tout  ce 
qu'il  y  a  de  conscient  et  d'intentionnel  dans  le  style  de 
Rousseau  et  dans  ses  procédés  rythmiques.  Mais  on 
admettra,  j'imagine,  comme  plus  vraisemblable,  que, 
si  Rousseau  en  est  l'auteur,  il  a  dû  les  écrire  avant  le 
roman.  L'invocation  de  Saint-Preux  dans  La  Nouvelle 
Héloïse,  sans  être  certes  hors  de  place,  forme  une  en- 
clave très  nettement  circonscrite  parmi  les  développe- 
ments personnels  qui  l'entourent  :  c'est  une  envolée 
d'un  lyrisme  tout  universel  à  l'occasion  d'un  cas  parti- 
culier. Aussi  J'admettrais  volontiers  que  le  morceau  au- 
rait été  inséré  après  coup  dans  la  lettre,  ou  du  moins, 
qu'en  écrivant  la  lettre.  Rousseau  aurait  retrouvé  dans 
sa  mémoire  cette  Méditation  amoureuse,  reprise  plus 
ample  et  mieux  orchestrée  des  Veî^s  sur  la  femme.  Si 
au  contraire  Rousseau  avait  emprunté  à  la  lettre  de 
Saint-Preux  un  thème  à  versifier,  on  comprendrait  mal 
pourquoi  il  aurait  tronqué  le  développement  primitif, 
et  sacrifié  cette  double  comparaison  finale,  dont  il  ne 
pouvait  pas  ne  pas  sentir  toute  la  mélancolique  beauté. 
«  J'ai  fait  de  temps  en  temps  de  médiocres  vers,  avoue- 
t-il  dans  les  Confessions;  c'est  un  exercice  assez  bon  pour 
se  rompre  aux  inversions  élégantes  et  apprendre  à  mieux 
écrire  en  prose ^».  Rousseau  semblerait  donc  nous  invi- 
ter lui-même  à  reconnaître  dans  sa  prose  un  second  état 
de  ses  vers.  Ayant  écrit  jadis  cette  petite  pièce,  où  il 
aurait  exprimé,  sous  une  forme  encore  un  peu  grêle, 
un  sentiment  douloureux  et  profond,  il  y  serait  revenu 

1  VIII,  m. 


270  ANNALES    DE   LA    SOCIETE  .1.  J.    ROUSSEAU 

plus  tard,  quand  il  composait  cette  Julie,  où  il  déversait 
tout  son  cœur;  et.  supprimant  quelques  fadeurs,  «pros- 
crivant »  surtout  l'ornement  «  barbare  de  la  rime^w.  — 
il  aurait  conservé  dans  sa  prose  cadencée,  comme  rythme 
directeur,  ce  rythme  octosyllabique  qui  le  séduisait  tou- 
jours-; mais,  pour  en  élargir  ou  en  assouplir  le  mouve- 
ment, il  en  aurait  coupé  la  monotonie  par  des  mètres 
divers,  dont  il  aurait  pu  déjà  apprécier  l'heureux  effet 
dans  le  premier  état  versifié. 

Ainsi,  en  renonçant  aux  «vers»,  Rousseau  n'aurait 
pas  renoncé  à  la  «  poésie  ».  Les  analyses  précédentes,  — 
qui  ne  veulent  être  encore  une  fois  que  l'amorce  d'une 
étude  à  faire.  —  permettraient  dès  à  présent,  si  je  ne  me 
trompe,  de  mieux  admirer  dans  La  Nouvelle  Héloïse 
une  oeuvre  très  travaillée  de  poésie  consciente  ;  et  par 
là,  je  ne  veux  pas  dire  seulement  cette  poésie  qui  est  en 
quelque  sorte  latente  dans  toutes  les  tristesses,  toutes 
les  ardeurs,  tous  les  grands  rêves  idéalistes  ou  pas- 
sionnés de  l'homme,  jnais  cette  poésie  soumise  à  un 
dessein,  et  organisée,  si  Ton  peut  dire,  par  l'art,  qui 
trouve  l'un  de  ses  charmes  les  plus  vifs  dans  l'adapta- 
tion réfléchie  de  ces  tristesses,  de  ces  ardeurs,  de  ces 
rêves  à  une  loi  intérieure  qui  les  discipline  en  les 
harmonisant. 

Sans  doute,  les  conclusions  que  je  propose  n'auront 
toute    leur  valeur  que    si   les   vers    sont  de    Rousseau. 

1  Dictionnaire  de  musique,  VII,  25/. 

2  Ne  serait-ce  pas  pour  conserver  ce  rythme  de  l'octosyllabe,  qu'il  aurait 
transposé  ces  deux  vers  : 

Toi  qui  soulèves  les  tempêtes 
Qui  tourmentent  le  genre  humain, 

en  cette  phrase  de  la  lettre:  «c'est  toi  qui  produis  les  tempêtes,  qui. 
tourmentent  le  genre  humain  »  ? 


LA  PROSE  MÉTRIQUE  DANS  LA  NOUVELLE  HÉLOISE   27 1 

Cependant,  quand  bien  même  leur  inauthenticité  serait 
définitivement  démontrée,  elles  pourraient  subsister 
presque  en  entier.  Qu'un  poète  de  la  fin  du  dix-huitième 
siècle  ait  su  dégager  d'une  lettre  de  La  Nouvelle  Héloïse 
les  vers  qu'elle  contenait,  n'v  a-t-il  pas  là  une  preuve 
que  ce  rythme  de  l'octosjdlabe.  que  j'ai  cru  reconnaître 
si  souvent  dans  les  parties  h^riques  de  l'œuvre,  s'y  ma- 
nifeste en  effet  pour  toute  oreille  familière  avec  les 
rythmes  de  la  poésie  française  ?  Et  les  Vers  sur  la  femme, 
quel  qu'en  soit  l'auteur,  pourraient  encore,  je  crois, 
servir  d'illustration  à  toute  étude  sur  la  prose  métrique 
de  La  Nouvelle  Héloïse. 

Pierre-Maurice  Masson. 


Note  de  la  Rédaction.  —  Le  renseignement  de  M.  Th.  Dufour  concer- 
nant la  première  apparition  des  Vers  sur  la  femme  (cf.  supra  p.  267) 
demande  à  être  complété  comme  suit:  Ces  vers  ont  également  paru 
dans  le  Journal  encyclofédique  de  178?,  t.  VII,  p.  488-48C)  (i"^''  novem- 
bre) (Titre  :  Vers  sur  la  femme,  attribués  à  J.-J.  Rousseau.  Var.  :  quand 
il  te  plaint,  Abyme  des  maux  et  des  biens.)  Il  faudrait  savoir  si  l'inser- 
tion dans  la  Correspondance  de  Métra  —  que  nous  n'avons  pas  sous  la 
main  —  est  antérieure  ou  postérieure  à  cette  publication.  Dans  le  se- 
cond cas,  l'emprunt  serait  évident. 


LE  PEINTRE  G.  F.  MAYER 


UR  cet  artiste  auquel  on  doit  la  gracieuse  silhouette 
de  Jean-Jacques  herborisant  à  Ermenonville,  si 
souvent  reproduite,  et  dont  nous  donnons,  en  tête 
de  ce  volume,  une  des  plus  authentiques  épreuves 
—  Jean-Jacques  s'y  détache  sur  le  décor  du  petit 
pont  et  du  pavillon  qu'il  habita  à  Ermenonville, 
—  notre  distingué  confrère,  le  comte  de  Girardin,  l'auteur  de  la 
monumentale  Iconographie  de  J.  J.  Rousseau  dont  il  est  rendu 
compte  d'autre  part,  a  bien  voulu  nous  communiquer  les  rensei- 
gnements suivants  qui  complètent  en  partie  ceux  de  Stanislas  de 
Girardin  dans  ses  Mémoires,  1828,  I,  p.  16-17  : 


Paris,  28  décembre  1909. 


Mon  cher  collègue, 


Vous  me  demandez  une  note  sur  le  peintre  Mayer  qui  repré- 
senta si  bien  Jean-Jacques  Rousseau,  auprès  duquel  il  vécut  pen- 
dant les  derniers  jours  de  la  vie  du  philosophe.  Je  puise  tous  les 
renseignements  qui  suivent  sur  lui  dans  mes  archives  de  famille 
contenant  sur  cet  artiste  de  nombreuses  notes  de  René  de  Girar- 
din et  de  son  fils  Stanislas. 

Mayer  ou  Meyer,  car  il  signait  tantôt  d'une  façon,  tantôt  de 
l'autre,  (je  possède  des  aquarelles  de  lui  signées  des  deux  façons) 
était  né  suivant  les  uns  en  lySy,  suivant  les  autres  en  1740,  à 
Manheim  suivant  les  uns,  à  Strasbourg  suivant  les  autres.  Sui- 
vant mon  arrière-grand'père  Stanislas,  il  était  né  à  Strasbourg. 
C'est  là  où  il  commença  à  dessiner.  Il  vint  à  Paris  pour  se 
perfectionner  et  c'est  là  qu'il  fut  admis  parmi  les  élèves  de  Ca- 
sanova chez  lequel  il  resta  huit  ans.  Il  peignait  si  bien  qu'en 
retouchant  un  peu  ses  tableaux,  Casanova  les  faisait  passer  pour 

18 


2  74  ANNALES    DE   LA   SOCIÉTÉ  J.    .).    ROUSSEAU 

être  de  lui  et  plusieurs  de  ceux-ci,  qu'on  prend  pour  des  œuvres- 
de  Casanova,  sont  de  Mayer. 

En  quittant  Casanova,  il  entra  comme  peintre  chez  Tancien  duc 
des  Deux-Ponts.  Il  fit  alors  surtout  du  paysage  et  des  fêtes  fla- 
mandes. C'est  le  peintre  qui  approche  le  plus  de  Téniers. 

Il  a  dit  a  mon  arrière-grand'pere  qu'il  n'avait  copie  dans  sa  vie 
que  deux  tableaux.  Il  n'avait  jamais  appris  l'anatomie  et  cepen- 
dant dessinait  fort  correctement  le  corps  humain. 

Après  la  mort  du  duc  des  Deux-Ponts,  il  ne  resta  pas  avec 
son  successeur  qui  voulait  ne  lui  faire  peindre  que  des  têtes  de 
cerfs. 

Il  revint  à  Paris  où  il  eut  alors  beaucoup  de  réputation.  11 
entra  chez  le  marquis  René  de  Girardin  comme  peintre.  11  v 
vécut  deux  ans  et  v  mourut,  à  Ermenonville,  le  5  juin  177Q.  Il  v 
fut  enterré  dans  une  petite  ile  aux  environs  du  château,  ile  qui 
se  trc^uvait  lL-us  le  petit  étang  prés  de  celle  des  Peupliers  où 
reposa  Rousseau  ^  Son  corps  s"v  trouve  encore. 

Il  était  luthérien,  d'humeur  facile  et  gaie.  Il  était  très  aime  de 
tous  ceux  qui  le  connaissaient.  Il  était  complaisant  avec  tout  le 
monde.  Il  dessinait  fort  bien  et  avait  un  très  joli  coloris.  Il  n'était 
pas  de  l'Académie  quoiqu'avant  une  très  grande  réputation.  11 
allait  en  être  :  il  travaillait  à  son  tableau  de  réception  lorsqu'il 
mourut. 

Il  mourut,  dans  des  souffrances  atroces,  d'une  maladie  qu'il  avait 
contractée  dans  sa  jeunesse  «  pour  ne  s'être  pas,  dit-on,  d'après 
Stanislas  Girardin,  contente  toujours  de  dessiner  ses  modèles  >'. 
Pendant  les  derniers  huit  jours  de  sa  vie,  enferme  dans  sa 
chambre,  ne  voulant  voir  personne,  on  l'entendait  crier  de  eiou- 
leur  dans  tout  le  château. 

11  exposa  plusieurs  fois  et  entre  autres  un  tableau  représentant 
«  l'Ile  où  est  enterré  .lean-.lacques  Rousseau  à  Ermenonville  » 
(au  Salon  de  la  Correspondance,  en  ijy»)!.  Ce  tableau  appartient  à 
Monsieur  le  vicomte  de  Vauloge  qui  le  tient  de  famille.  Monsieur 
le  Vicomte  de  Vaulogé  possède  aussi  un  fort  beau  pastel  qui  lui 
vient  de    famille    et    qui,   d'après  la  tradition,    est    le   portrait   de 

'  «...Sur  la  pointe  d'une  île  qui  s'avance  dans  ses  eaux  [du  lac],  vous 
apercevez  un  petit  monument,  dont  une  partie  est  cachée  par  les  buis- 
sons; il  porte  cette  inscription  : 

»  Hier  liegt  Georgc-l-'riderich  Mayer,  aus  Strassburg  treburtig,  er  war 
ein  gcschickter  niahler  und  ein  rcdlicher  maïui. 

»  Ci-gît  George-Frédéric  Mayer,  né  à  Strasbourg;  c'était  un  peintre 
liabile  et  un  honnête  homme»  (Itincraivc  des  Jardins  d'h^rmcnonville, 
1788,  p.  28.) 


!.E    PEINTRE   G.    F.    MAYER  2']D 

Mayer.  Mayer  était  aussi  un  fort  bon  graveur  à  reau-fortc.  Il  a 
gravé  entre  autres  :  «  Le  saut  de  Borzelbaum  «,  «  La  nouvelle 
troupe  de  danseurs.  » 

Voici,  mon  cher  collègue,  tout  ce  que  je  puis  vous  dire  sur  le 
peintre  Mayer;  j'espère  que  cela  vous  suffira. 

Rece\ez,  je  vous  prie,  mon  cher  collègue,  les  assurances  de 
mes  sentiments  les  plus  distingués. 

Comte    DE    GiRARDIN. 


BIBLIOGRAPHIE 

COMPLÉMENT  POUR  LA  BIBLIOGRAPHIE 
DE  L'ANNÉE  1907 

FRANCE 

Le  Gaulois  du  Dimanche,  Supplément  hebdomadaire,  littéraire  et 
illustré,  i3-i4  avril  1907  :  Baron  Morano,  Mes  vieux  papiers. 
La  mort  de  J.  J.  Rousseau . 

L'auteur  de  cet  article  publie  des  notes  de  son  trisaïeul, 
M.  Chariot,  commissaire-priseur  à  Paris,  —  qui  fut  «l'ami  et  le 
conseiller  »  de  Thérèse  Levasseur,  —  notamment  une  requête 
signée  par  elle  pour  solliciter  la  faveur  d'être  placée  «  sur  la  liste 
des  protégés  »  de  Catherine  de  Russie.  Doubrowsky,  secrétaire  de 
l'ambassade  russe  à  Paris,  promit  d'envoyer  cette  supplique  à 
l'impératrice.  Dans  l'entretien  qu'il  eut  à  cette  occasion  avec 
Thérèse,  au  mois  d'octobre  1790,  en  présence  de  M.  Chariot,  qui 
en  rédigea  «  un  compte  rendu,  certifié  par  lui  véritable,  »  Dou- 
browsky prétendit  que  sa  souveraine  possédait  seulement  deux 
portraits  d'hommes  célèbres,  dont  l'un  était  celui  de  Rousseau. 
11  ajouta  :  «  Vous  ignorez,  Madame,  qu'il  existe  à  Pétersbourg 
une  Société  de  J.  J.  Rousseau:  que  cette  Société  s'occupe  de 
rechercher  à  grands  frais  les  manuscrits  des  grands  hommes  ; 
qu'elle  m'a  chargé  de  lui  procurer  tous  ceux  de  votre  époux  que 
je  pourrai  découvrir.  J'ai  été  chez  un  libraire  de  Paris,  que  Ton 
m'a  indiqué  et  chez  lequel  j'en  ai  trouvé  un,  qui  a  servi  à  l'im- 
pression et  qui  est  absolument  perdu  par  la  malpropreté  des 
ouvriers.  Si  vous  en  avez  quelqu'un,  je  traiterai  avec  vous  à  un 
prix  dont  vous  serez  très  contente.  » 

Bien  que  Thérèse  détînt  encore  les  Confessions  et  peut-être 
d'autres  papiers,  elle  déclara  n'avoir  plus  aucun  manuscrit.  Puis, 
sur  la  demande  de  Doubrowsky,  elle  consentit  à  dicter,  «  pour  lui 
et  pour  la  Société  de  J.  J.  Rousseau  à  Pétersbourg,  »  une  relation 
détaillée  des  derniers  moments  du  philosophe.  M.  Morand  en 
donne  le  texte,  daté  du  3o  octobre  1790.  C'est  une  version  iné- 
dite, qu'il  est  intéressant  de  comparer  avec  celles  qu'on  connais- 
sait déjà,  notamment  avec  la  lettre  de  Thérèse  à  Corancez,  du 
27  prairial  an  VI  (i5  juin  1798). 

Mais  pour  admettre  l'existence,  en  1790,  d'une  «  Société  de 
J.  J.  Rousseau»  à  Saint-Pétersbourg,  il  faudrait  qu'elle  fût  attes- 


278  ANNALES    DE    LA   SOCIÉTÉ  .1.   .1.    ROUSSEAU 

tée  par  ailleurs,  car  si  la  bonne  foi  de  M.  Chariot  paraît  incontes- 
table, on  peut  conserver  des  doutes  légitimes  sur  celle  de  Pierre 
Doubrowskv.  Ce  dernier  est  connu  pour  avoir  été  à  Paris,  de 
1780  a  1800,  un  collectionneur  insatiable,  qui  sut  profiter  des 
nombreuses  occasions  que  la  Révolution  mettait  à  sa  portée.  Il 
emporta  en  Russie  et  vendit  au  gouvernement  une  série  impor- 
tante de  volumes  et  de  documents  anciens,  comprenant  entre 
autres  des  manuscrits  précieux  de  Saint-Germain-des-Prés,  des 
recueils  de  dépêches  royales  ou  diplomatiques,  des  papiers  pro- 
venant de  la  Bastille,  etc.  On  est  donc  fonde  à  supposer  qu'en 
s'adressant  à  Thérèse  Levasseur,  il  agissait  tout  simplement  pour 
son  propre  compte.  [Th.  D.| 

HONGRIE 

.1.  .1.  Rousseau.  .4  bcs^cd  KelethCyése  [L'origine  de  la  langue], 
forditotta  Dr  Rédei  Rezsii,  bevezetés  gvanânt:  Miert  dalla- 
nios  a  magyarnyelv  [magyar  onomatopoeia),  irta  Drum.îr  Jà- 
nos,  Debreczen,  Sz.  kir.  Vàros  Konyonyomda-vàllalata  1907, 
in-8,  i38  pp. 

Préface  de  M.  Jânos  Drumar  (p.  3-i8),  et  dissertation  introduc- 
tive  du  même  sur  «  une  onomatopée  hongroise  «  (Pourquoi  la 
langue  magyare  est  mélodique)  où  l'auteur  applique  à  un  cas  spé- 
cial les  idées  de  Rousseau  sur  la  langue. 


Rivista  di  Jilosofia  e  science  jffini,  Padova,  ottobre-dicembre  1907: 
R.  MoNDoi.KO,  //  Contralto  sociale  c  la  lenden^a  comunista  in 
J.  J.  Rousseau. 


BIBLIOGRAPHIK  DE  L'ANNÉE  11K)8 

ALLEMAGNE 

Jean-Jacques  Rousseals  Glaubensbekenntnis  des  savovischen 
Vikars,  ins  Deutsche  iibertragen,  mil  einer  Vorrede  und 
einem  Anhange  versehen,  von  Dr  J.  Reinke,  prof.  a.  d. 
Universitat  Kiel,  Verlag  von  Eugen  Salzer  in  Heilbronn, 
1908,  in-8,  1 19  pp. 

Cette  traduction   de   la  Profession   de  foi  du   Vicaire  savoyard, 
due  à  un  professeur  de  botanique,  se  présente  elle-même  comme 


biblio{;raphie  279 

une  profession  de  foi,  la  protestation  d'un  savant  contre  l'athéisme 
du  jour,  une  manière  d'antidote  proposée  au  grand  public 
«  contre  l'insanité  des  écrits  de  Nietzsche  et  de  Hàckel  ».  C'«st 
dire  qu'elle  est  écrite  dans  un  sentiment  de  sympathie  profonde 
et  d'admiration  pour  le  génie  toujours  vivant,  toujours  actif  de 
Rousseau.  Le  traducteur  reconnaît  lui-même  qu'elle  n'est  pas 
tout-à-fait  complète,  en  ce  sens  qu'il  a  négligé  certains  passages 
qui  faisaient  répétition,  ou  inutiles  dans  une  publication  détachée 
de  ce  genre.  En  appendice,  des  pages  d'Adolf  l^^ick  intitulées 
Religion  et  Sciences  naturelles,  et  un  fragment  d'un  discours  pro- 
noncé récemment  par  le  professeur  Reinke  à  la  chambre  prus- 
sienne des  seigneurs,  le  tout  ayant  trait  également  à  la  querelle 
du  monisme.  [A.  F.] 

Jean-Jacques  Rousseau.  Kiiltiirideale,  eine  Zusammenstellung 
aus  seinen  Werken  mit  Einfûhrung  von  Eduard  Sprangkr, 
ûbersetzt  von  Hedwig  Jahn,  verlegt  bei  Eugen  Diedrichs, 
lena,  1908,  in-8,  333  pp.,  un  portrait  frontispice. 

Ce  nouveau  choix  très  copieux  et  fort  bien  présenté  par  l'édi- 
teur (sauf  la  couleur  criarde  de  la  couverture),  se  divise  en 
quatre  rubriques  :  1°  Caractère  et  Biographie,  -i'-'  Etat  et  Civilisa- 
tion, 3°  Morale  et  Pédagogie,  4^'  Religion  et  Philosophie,  chaque 
partie  se  terminant  par  un  certain  nombre  de  pensées  détachées 
ou  «  aphorismes  ».  L^introduction,  très  soignée,  part  de  la  donnée 
d'un  Rousseau  «philosophe  de  la  nostalgie»  (SehnsuchtI,  dont 
l'àme  vibrante  renouvelle  les  idées  et  les  sentiments  de  son  époque 
—  raconte  sa  vie,  dont  la  seconde  partie  n'est  qu'un  long  regret 
de  la  première  —  enfin  caractérise  son  œuvre  dans  le  double 
champ  de  la  psychologie  et  de  l'histoire,  le  tout  d'une  manière 
qui  dénote  la  familiarité  de  l'auteur  avec  les  ouvrages  du  philoso- 
phe et  une  haute  idée  du  rôle  joué  par  celui-ci  :  «  Ce  que  Rous- 
seau a  été  pour  la  vie  intellectuelle  allemande,  aucune  description 
ne  réussirait  aujourd'hui  à  le  rendre  d'une  manière  complète.  » 
Ainsi  s'achève  l'introduction,  au  moment  où  elle  vient  de  signaler 
l'appui  fourni  par  l'Allemagne  à  notre  Société.  [A.  F.] 

Jean-Jacques  Rousseaus  Briefe,  in  Auswahl  herausgegeben  von 
Friedrich  M.  Kircheisen,  Greinerund  Pfeifïer,  Stuttgart,  s.  d. 
[1908],  in-8,  i6q  pp.  (Collection  des  Biicher  der  Weisheit  itnd 
Schônheit.) 

Le  dernier  choix  de  lettres  de  Rousseau,  traduites  en  allemand, 
par  Fr.  Wiegand,  a  été  publié  en  1872.  Celui  qu'a  fait  M.  Friedrich 
M.  Kircheisen  s'en  distingue  par  le  souci  d'éclairer  la  biographie 
de  Rousseau  au  moyen  de  sa  correspondance,  en  variant  autant  que 


28o  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  .1.   ROUSSEAU 

possible  les  correspondants,  en  empruntant  des  lettres  à  tous  les 
moments  de  la  vie  de  Rousseau  et  en  les  répartissant.  selon  les  prin- 
cipales périodes  de  cette  vie,  en  cinq  chapitres  :  I,  Jeunesse  et 
années  nomades  (4  lettres)  ;  II,  Débuts  de  la  célébrité  (i5);  III, 
l'Ermitage  et  Montmorency  (22)  ;  IV,  l'Exil  en  Suisse  et  en  Angle- 
terre (17);  V,  Soir  de  la  vie  (12]. 

Chacune  de  ces  cinq  portions  de  la  correspondance  est  précé- 
dée d'un  court  résumé  biographique.  Le  volume  se  termine  par 
quelques  pages  de  notes  explicatives,  mais  il  y  manque  un  index 
des  lettres  reproduites,  qui  permettrait  au  lecteur  de  retrouver 
aisément  les  plus  intéressantes. 

Si  le  traducteur  s'est  en  général  heureusement  acquitté  d'une 
tâche  malaisée,  on  doit  signaler  à  l'éditeur  plusieurs  erreurs  dont 
quelques-unes  sont  graves.  Il  les  eût  évitées  en  consultant  de  plus 
prés  les  érudits  genevois  et  savoisiens.  Au  tome  II  des  Aniurles 
(p.  179;  p.  181,  note  3)  il  aurait  par  exemple  trouvé  l'indication  de 
la  date  exacte  de  la  lettre  de  Rousseau  à  son  père  (p.  12  du  recueil) 
qui  est  de  1736,  et  de  celle  de  MH"-"  Serre  (p.  17)  qui  est  de  juin  1735, 
et  aurait  donc  dû  passer  avant  la  précédente.  Un  assez  grand  nom- 
bre des  dates  attribuées  aux  lettres  de  Rousseau,  dans  l'édition  Ha- 
chette, que  M.  K.  a  suivie,  doivent  de  même  être  contrôlées.  Faut-il 
une  fois  encore  marquer  la  vraie  époque  du  séjour  aux  Charmettes, 
qui  est  de  l'année  1738  et  non  de  1732?  Cette  chronologie  des  pre- 
miers livres  des  Confessions  est  maintenant  définitivement  établie 
(voyez  Annales,  I-III,  passim  ;  Mugnier,  Mme  de  Warens  et  Jean- 
Jacques  Rousseau;  Ritter,  La  famille  et  la  jeunesse  de  J.  J.  Rous- 
seau, travaux  trop  souvent  négligés  par  les  érudits  allemands). 
Parmi  les  notes  explicatives  (p.  i63  et  suiv.),  dont  quelques-unes 
manquent  de  clarté,  voici  celles  qui  doivent  être  rectifiées  : 
note  5,  Mme  de  Warens  s'appelait  réellement  Louise-Françoise  de 
la  Tour,  dame  Loys  de  Vuarens.  Sa  famille  était  vaudoise.  Elle 
est  née  en  1699  —  non  en  1700 —  et  morte  en  1762  —  non  en  1764. 
—  Note  II,  Jean-Baptiste  Rousseau  est  né  en  1701,  non  en  1760. — 
Note  21,  Jacob  Vernes  est  mort  en  1791,  non  en  1781.  Ce  n'est  pas 
lui,  quoique  Rousseau  l'en  ait  d'abord  soupçonné,  qui  fut  l'auteur  de 
l'ignoble  Sentiment  des  citoyens,  dont  le  véritable  auteur  —  qui 
l'ignore  encore  aujourd'hui  ?  —  était  Voltaire.  —  Note  48,  l'Esca- 
lade, c'est-à-dire  l'attaque  perfide  de  Genève  par  le  duc  de  Savoie, 
eut  lieu  le  11  décembre  1602.  —  Note  54,  M.  K.  abrège  de  qua- 
rante-sept années  la  vie  de  Jacques-Antoine  Roustan,  qui  mourut 
non  en  1761  (année  où  il  fut  nommé  régent  de  la  4e  classe  du 
collège  de  Genève)  mais  en  1808!  —  Note  66,  c'est  en  1766  que 
Rousseau  passa  en  Angleterre,  en  compagnie  de  Hume,  tandis 
que   1770  est  la  date  de  son  établissement  définitif  à  Paris. 


BIBLIOGRAPHIE  2S1 

Il  me  reste  à  louer  l'élégance  de  ce  recueil  de  lettres,  imprimé 
sur  beau  papier  et  orné  de  frontispices  et  de  culs  de  lampes  dont 
quelques-uns  sont  charmants.  [B.  B.] 

J.  J.  Rousseau  in  seinen  Werken.  Bearbeitet  von  P>iedrich 
M.  KiRCHEisEN.  Verlag  von  Robert  Lutz,  Stuttgart,  s.  d.  (1908), 
in- 16,  282  pp.  (Tome  12  de  la  collection  Ans  der  Gcdanken- 
welt  grosser  Geister.  1 

Voici,  à  l'adresse  du  grand  public  allemand,  un  choix  de  frag- 
ments de  Rousseau  qui  se  présente  en  un  joli  volume,  nettement 
distribué,  élégamment  imprimé,  agréable  à  manier,  facile  à  con- 
sulter. A  la  table  des  matières,  divisée  en  sept  chapitres  :  Philoso- 
phie et  religion  ;  Pédagogie  ;  Politique  et  économie  politique  ; 
Théâtre,  littérature,  musique  et  science;  Amour  de  la  nature;. 
Femmes,  amour  et  mariage  ;  Vie  journalière,  un  index  détaillé  ré- 
pond, qui  permet  d'apprécier  la  richesse  variée  des  morceaux  choi- 
sis. M.  K,  n'a  négligé  aucune  des  parties  de  l'œuvre  de  Rousseau. 
Il  a  fait  des  emprunts  même  à  Mon  Portrait,  au  Projet  d'éduca- 
tion pour  M.  de  Ste-Marie,  a  la  Fiction  sur  la  Révélation.  Seule  la 
correspondance  de  notre  auteur  est  négligée,  et  c'est  une  lacune 
dans  un  recueil  qui  doit  évoquer  la  physionomie  complète  de 
l'homme  et  de  l'écrivain.  Quant  aux  «  Fragments  posthumes  »  et 
surtout  aux  «  Pensées  »  de  Rousseau,  l'éditeur,  puisqu'il  accompa- 
gne les  textes  cités  de  notes  explicatives,  aurait  dû  en  faire  pour 
expliquer  ces  références  arbitraires. 

M.  K.  est  un  bon  traducteur.  Son  texte  allemand  ne  déconcerte 
même  pas  celui  à  qui  sont  familiers  le  rythme  et  l'élégance  de  la 
phrase  de  Rousseau.  Quant  à  la  netteté  et  à  cette  force  du  style 
original  plus  concentrée  à  mesure  qu'on  approche  de  la  fin  d'une 
période,  il  est  bien  difficile  de  les  reproduire  en  allemand.  Au 
moins  la  traduction  est-elle  scrupuleuse  sans  servilité. 

Une  notice  biographique  de  quarante  pages  ouvre  le  volume. 
Signalons  à  son  auteur  quelques  inexactitudes:  —  p.  8,  il  parle  de 
la  «  patrie  suisse  »  de  Rousseau;  —  16,  l'aventure  du  ruban  vole  ne 
s'est  pas  passée  dans  la  maison  du  comte  de  Gouvon,  et  ce  n'est 
pas  à  cette  époque  de  la  vie  de  Rousseau  qu'il  convient  de  parler 
de  «son  caractère  extrêmement  fier»;  —  19,  c'est  à  Lausanne  et 
non  à  Nyon  que  «  Vaussore  »  donnait  des  leçons  de  musique  ;  — 
20,   incertitude  sur  la  date   exacte   du  séjour  aux  Charmettes  ;  — 

33,  la  Dédicace  du  Discours  sur  l'Inégalité  est  de  l'année  1754;  — 

34,  on  ne  saurait  parler  d'une  «  correspondance  active»  [lebhafter 
Briefwechsel)  entre  Voltaire  et  Rousseau  ;  —  46,  le  maréchal  de 
Luxembourg  était  mort  quand  Rousseau  rentra  en  France. 


282  AXXALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J.  ,1.   ROUSSEAU 

Il  y  aurait  lieu  de  reviser  quelques-unes  des  notes  explicatives. 
Ainsi,  p.  104,  note  7,  à  propos  de  la  science  livresque,  ce  n'est 
pas  au  chapitre  iv  du  livre  m  des  Essais  de  Montaigne,  qu'il  faut 
renvoyer  le  lecteur,  mais  au  chapitre  xxiv  du  livre  i;  —  ijS,  la 
note  sur  Molière  en  dit  trop  ou  pas  assez  :  —  206,  d'Ivernois 
n'était  pas  un  ami  de  Genève,  mais  de  Motiers-Travers. 

(les  quelques  indications  aideraient  M.  K.  à  rendre  tout-à- 
fait  bonne  une  seconde  édition  de  son  ouvrage.  Nous  souhaitons 
qu'elle  voie  le  jour  et  nous  remercions  M.  K.,  au  nom  des  rous- 
seauistes,  des  efforts  qu'il  tait  pour  répandre  la  connaissance  des 
œuvres  de  Rousseau  parmi  ce  public  allemand  qui  ne  les  lit  pas 
dans  l'original  et  ne  connaît  pas  beaucoup  plus  de  lui  que  quel- 
ques idées  sur  l'éducation.  [B.  B.] 

^^'alther  Kùchler,  Privat-dozent  an  der  Universitiit  Giessen. 
FraUjOsisch  Romantik,  Heidelberg,  Cari  Winter's  Universi- 
tatsbuchhandlung,  xoo8,  in-8,  ni-118  pp. 

Chap.  I  :  Rousseau.  Saint-Pierre.  Madame  de  Staël.  Dans  cette 
histoire  du  romantisme  retracée  d'une  plume  ingénieuse  et  rapide 
en  neuf  chapitres  (auxquels  s'ajoute,  sous  forme  de  conclusion,  une 
discussion  serrée  du  livre  de  M.  P.  Lasserre),  Rousseau  marque 
naturellement  le  point  de  départ.  C'est  lui  qui  ronipl  avec  l'idcal 
classique  de  l'homme  raisonnable  et  sociable,  et  qui  restaure 
dans  leurs  droits  la  nature  et  le  sentiment.  M.  K.  montre  avec 
justesse  le  rôle  prépondérant,  exagéré  même  à  certains  égards,  de 
l'imagination  et  du  sentiment  chez  Rousseau:  »  De  la  sorte,  ce 
qu'il  put  donner  à  son  temps  et  aux  générations  qui  l'ont  suivi,  ce 
ne  fut  ni  la  force  ni  l'unité  de  la  conscience,  mais  un  divorce  in- 
time. Toutefois  ce  qu'il  donna  était  grand  en  soi  et  nécessaire. 
Ce  fut  un  ébranlement  et  une  secousse,  la  profondeur  après  un 
temps  de  superlicialité.  Renouvellement  au  prix  d'ameres  souf- 
frances intimes,  existence  intérieure  profonde  au  prix  de  la  fai- 
blesse en  présence  de  la  dure  realite.  L'importance  de  son  action 
sur  la  culture  générale  ne  saurait  être  amoindrie  par  le  déchire- 
ment de  son  être,  auquel  est  indubitablement  due  la  grande  déchi- 
rure dans  le  code  moral  de  la  postérité.  La  révolution  dont  Rous- 
seau fut  la  cause,  doit  être  mise  en  lumière  par  l'historien  penseur 
dans  toute  sa  légitime  puissance  et  indépendamment  du  malheur 
personnel  de  l'initiateur.  »  C'est  ce  que  M.  K.  s'efforce  de  faire 
dans  une  revue  rapide  de  l'œuvre  de  Rousseau,  envisagée  du 
point  de  vue  de  la  glorification  de  l'idéal  romantique,  c'est-à-dire, 
en  dernière  analyse,  de  la  glorification  du  sentiment.  On  prendra 
beaucoup  de  plaisir  à  lire  ces  pages  pénétrantes  et  celles  qui  sui- 
vent,   où  la    postérité   de    Rousseau    se    trouve    dénombrée.  On 


BHiLIOCRAPHlI-:  2'S3 

est  seulement  surpris  de  n"v  pas  voir  figurer  George  Sand 
.au  premier  rang,  en  compagnie  de  Bernardin  de  Saint-Pierre, 
Mme  de  Staël,  Chateaubriand,  V.  Cousin,  Lamartine,  Victor  Hu- 
go, Musset  et  Vigny.  [A.  F.| 

Odo  TwiEHAUSEN  (Dr  TheodoT  Krausbauer,  Kreisschulinspektor 
in  Wreschen).  Roiisseaiis  Pàdagugik  iind  ihre  Nachivirkiingen 
bis  auf  die  Neii-^eit,  dritte  durchgesehene  Auflage,  Minden  i. 
W.,  1908,  Alfred  Hutelands  Verlag  i Lehrer-Prufungs-und  In- 
fonnations-Arbeilcn,  Heft  10),  in-8,  71   pp. 

Dans  un  premier  chapitre,  l'auteur  étudie  la  théorie  pédago- 
gique de  Rousseau.  Il  distingue  dans  cette  théorie,  une  partie 
«  téléologique  »,  a  laquelle  il  ne  consacre  que  deux  pages,  et  une 
partie  «  méthodologique  ".  A  propos  de  cette  deuxième  partie,  il 
nous  parle  successivement  des  idées  de  Rousseau  sur  l'éducation 
physique,  sur  l'instruction  et  sur  le  gouvernement  des  enfants.  — 
Un  second  chapitre,  beaucoup  plus  important  que  le  premier,  étu- 
die l'influence  que  les  idées  pédagogiques  de  Rousseau  ont  exer- 
cée en  Allemagne.  Signalons  les  paragraphes  consacrés  à  Pesta- 
lozzi,  à  Diesterweg,  et  aux  décrets  («  Regulative  »  et  «  AUgemeine 
Bestimmungen  »)  qui  ont  marqué,  pendant  le  XIX*;  siècle,  l'évo- 
lution de  l'enseignement  dans  les  écoles  prussiennes.  |Ch.  W.l 

Oberlehrer  Dr  Ernst  Zabel.  Die  sociale  Bedeutuug  von  J.  ./.  Roiis- 
seau's  Erjiehungstheorie,  Beilage  zum  Programm  des  Konigl. 
Gymnasiums  zu  Quedlinburg,  Ostern  kjo.S,  H.  Kloppel,  Que- 
dlinburga.  H.,  in-40,  22  pp. 

Critique  d'actualité:  la  pédagogie  de  Rousseau  passée  au  crible 
de  la  pédagogie  »  sociale  »  des  Natorp,  Bergmann,  etc.,  ou  la 
pédagogie  allemande  amenée  par  son  évolution  a  se  retourner 
contre  son  premier  inspirateur  et  son  idole,  c'est  à  peu  près  ce 
que  signifie,  avec  d'autres  que  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de 
signaler,  le  travail  du  Dr  E.  Z.  Les  22  pages  de  cette  docte  dis- 
sertation aboutissent  à  la  conclusion  que  c'est  au  point  de  vue 
social  précisément  que  la  pédagogie  de  Rousseau  se  montre  la 
plus  insuffisante,  en  quoi  d'ailleurs  elle  est  de  son  temps,  du 
siècle  orgueilleux  du  rationalisme  pur.  Nous  avons  vu  naguère 
un  jeune  pédagogue  allemand,  M.  Gorland,  soutenir  à  ce  sujet 
l'opinion  contraire  (Vovez  Annales  1907,  p.  255).  [A.  F.| 


284  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  J.   ROUSSEAU 

Geschlecht  und  Gesellschaft.  herausgegeben  von  Karl  Vanselow, 
Verlag  der  Schonheit,  Berlin,  Leipzig,  W'ien,  III  Band,  Heft 
4  (avril  1908I:  Dr  méd.  Otto  Adler,  Berlin,  Weib  und  Emp- 
jïndung,  Sexualstudien  ;  III,  Frau  von  Warens.  La  femme  de 
glace,  Die  Kalte  Freundin  J.  J.  Rousseau's  (avec  trois  repro- 
ductions d'estampes). 

Reproduction  sous  une  forme  remaniée  de  l'étude  parue  sous 
le  même  titre  dans  l'ouvrage  du  Dr  Adler,  Die  mangelhafte  Ge- 
schlechtsempfindung  des  Weibes,  Berlin,  1904,  in-8,  chapitre  XII 
et  dernier,  p.  191-207.  Mme  de  Warens  y  est  étudiée  comme  type 
d'un  certain  tempérament.  Il  paraît  que  pour  les  «  psychologues 
sexuels  »,  il  v  a  un  grand  intérêt  à  savoir  si  la  locataire  des  Char- 
mettes  était  frigide  «  en  soi  »  ou  seulement  par  rapport  à  Rousseau, 
grave  problème  que  d'ailleurs  le  Dr  A.  renonce  à  résoudre.  [A.  F.] 

Neue  Bahnen,  Zeitschrift  fur  Erziehung  und  Unterricht,  Leipzig, 
février  1908:  O.  Karstaedt  (Magdebourg),  Jean-Jacques  Rous- 
seau auf  der  Anklagebank. 

«  J.  J.  Rousseau  au  banc  des  accusés  »,  défendu  avec  beaucoup 
d'énergie,  par  M.  O.  K.  contre  MM.  Lemaître  (lequel,  entre  paren- 
thèse, n'a  pas  fait  ses  fameuses  conférences  dans  le  grand  amphi- 
théâtre de  la  Sorbonne,  mais  à  la  Société  de  géographie,  Boule- 
vard Saint-Germain),  Lasserre  et  C'*^.  M.  O.  K.  oppose  avec  raison 
à  ce  misérable  réprouvé  de  la  critique  française  actuelle,  le  Rous- 
seau glorieux  qui  est  devenu  l'âme  de  la  pédagogie  allemande 
au  XVI IL-  et  au  XIX»  siècles,  et  dont  l'action  reste  de  l'autre  côté 
du  Rhin  plus  elTicace  que  jamais.  |A.  V .]. 

Badische  Schu^eitung,  Vereinsblatt  des  Badischen  Lehrervereins, 
des  W'itwen-  und  Waisen-Stifts  und  des  Pestalozzi-Vercins, 
i(3  mai  1908  :  Eduard  Oppki.,  GœtJic  und  Rousseau  a!s  Botj)jiker. 

Encore  un  pieux  hommage  rendu  au  pcre  de  la  pédagogie  alle- 
mande, à  propos  de  l'activité  spéciale  du  botaniste.  A  vrai  dire, 
dans  ce  domaine,  Jean-Jacques  n'a  guère  laissé  la  trace  que  d'un 
dilettante,  mais  d'un  dilettante  de  génie.  M.  O.  s'exagère  beau- 
coup le  rôle  de  Rousseau  dans  la  mode  des  jardins  anglais,  qui  ne 
lui  ont  pas  été  révélés  d'ailleurs  par  son  séjour  en  Angleterre,  puis- 
qu'il en  parle  déjà  longuement  dans  la  Nou-l'elle  Heloïse.  |A.  i''.| 

Dr  méd.  Gaston  Vorberg,  Hannover.  Neue  Betrachtungen  ïtber 
Jean-Jacques  Rousseaus  Leiden  mil  besonderer  Beritcksichti- 
gting  seines  iffoj  gefundenen  l'cstjmcnts,  sexualpsycholo- 
gische  Studie,  Separat-Abdruck  ans  der  Zeitschrift  fiir 
Sexuahvissenschajt,  1908,  Heft  \'l,  p.  3ii-334,  in-S. 


BIBLIOGRAPHIE  285 

M.  G.  V.  revient  sur  le  sujet  délicat  traité  avant  lui  par  le 
Dr  Roussel  (voyez  Grand-Carterel,  /.  J .  Rousseau  jugé  par  les 
Français  d'aujourd'hui)  des  causes  sexuelles  de  la  neurasthénie  de 
Rousseau,  par  laquelle,  de  même  que  le  Dr  Régis,  il  explique 
toutes  les  incommodités  physiques  du  philosophe.  Le  testament, 
traduit  intégralement  d'après  l'original  publié  par  M.  Th.  Dufour 
(voyez  Annales  1908,  p.  384),  n'est  ici  qu'un  prétexte,  car  il  n'en 
est  plus  question  dans  la  suite  de  l'article.  Bornons-nous  à  noter 
que  le  Dr  V.  soutient  la  thèse  aventureuse  de  l'impuissance  de 
Rousseau.  On  pourrait  lui  reprocher  de  n'être  pas  suffisamment 
au  courant  de  la  littérature  du  sujet,  puisqu'il  ignore  précisément 
le  mémoire  du  D''  Roussel  qui  aurait  dû  le  frapper  cependant.  Il 
lui  échappe  aussi  des  étourderies.  Ainsi  ce  n'est  pas  sur  la  tren- 
tième, mais  sur  la  vingt  et  unième  année  de  Rousseau,  en  lyBS, 
que  tombe  son  initiation  par  Mme  (^q  Warens.  Celle-ci  avait  alors 
non  pas  42  ans,  mais  34,  étant  née  en  1699.  [A.  F.] 


ANGLETERRE 


J.  J.  Rousseau.  Emile,  or  Concerning  Education,  with  an  Intro- 
duction and  Notes  by  Jules  Steeg,  translated  by  E.  Wor- 
THiNGTon,  Londres,  George  G.  Harrap  and  C°,  in-8. 

Jean-Jacques  Rousseau.  The  humane  philosophy.  Maxims  and 
principles  selected  and  classified  by  Frederika  Macdonald, 
MCMVIII  (19081,  London,  J.  M.  Dent  &  Go,  in-8,  x-284  pp., 
avec  un  portrait. 

Recueil  de  609  pensées  ou  fragments,  empruntés  pour  la  plu- 
part à  la  Nouvelle  Heloïse,  à  VEmile  et  au  Contrat  social,  et  ré- 
partis en  16  chapitres  qui  peuvent  se  ramener  aux  rubriques  sui- 
vantes :  de  l'excellence  de  la  nature  humaine  ;  —  des  fausses  et 
des  vraies  méthodes  du  bonheur  :  —  de  la  liberté  naturelle  et  ci- 
vile ;  —  de  l'homme,  de  la  femme,  du  célibat,  du  mariage  ;  —  des 
obligations  des  pères  et  des  mères  ;  —  de  l'éducation  ;  —  de  la 
religion  naturelle  et  surnaturelle.  Ce  plan  ressemble  à  celui 
qu'avait  conçu  l'abbé  de  la  Porte  quand  il  publia,  en  1768,  à 
Amsterdam,  Les  Pensées  de  J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève. 
Mais  les  intentions  des  deux  éditeurs  sont  différentes.  L'éditeur 
anglais  a  pris  le  soin  d'indiquer  dans  un  index  la  provenance  de 
chaque  fagment  ou  de  chaque  série  de  fragments.  Enfin  il  a  com- 


28(S  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.   ,1.   ROUSSEAU 

mente  en  des   notes  instructives  (p.  273-281)  le  sens   et  la  portée^ 
véritables  de  quelques-unes  des  plus  fameuses  théories  de   Rous- 
seau, ainsi  sa  théorie  des  droits,   sa  doctrine  de  la  volonté  géné- 
rale, l'évolution  de  sa  pensée  sur  le  rôle  du  père  dans  l'éducation 
et  quelques-uns  des  préceptes  de  sa  pédagogie. 

Pour  établir  les  cadres  d'un  pareil  recueil  et  pour  les  remplir 
exactement,  pour  n'oublier  aucun  des  points  essentiels  de  la 
pensée  de  Rousseau  sans  sortir  des  limites  de  sa  philosophie  de 
l'homme  naturel,  pour  échapper  enhn.  dans  le  choix  des  frag- 
ments, au  parti-pris  ou  au  caprice,  il  fallait  cette  connaissance 
étendue  et  ce  lovai  amour  de  l'œux  rc  de  Rousseau  dont  Mme  m.  a 
donné  bien  des  exemples.  Nous  nous  demandons  seulement  pour- 
quoi Mme  M.  a  si  souvent  morcelé  en  petits  paragraphes  distincts 
et  même  parfois  séparés  par  d'autres  paragraphes  glissés  au  tra- 
vers, des  pages  de  Rousseau  qui  eussent  gagné  à  être  Hdelement 
reproduites  dans  leur  suite.  On  doit  néanmoins  souhaiter  que  ce 
livre  se  répande  largement  dans  le  public  anglo-saxon  auquel  il 
est  d'abord  destiné,  et  qui  connaît  mal,  qui  juge  sommairement 
et  souvent   injustement   l'auteur  de  VEmile  et  du  Contrat  social. 

Mais  M'ne  jM.  a  une  ambition  plus  vaste  que  sa  préface  expose 
sans  réticences  :  ce  recueil  doit  prouver,  par  les  paroles  mê- 
mes de  Rousseau,  que  le  jugement  des  plus  connus  des  criti- 
ques français  ou  anglais  est  sans  valeur,  en  dépit  de  tout  leur 
talent,  puisqu'ils  lui  ont  attribué  des  doctrines  qui  ne  sont  pas  les 
siennes  ;  il  doit  en  même  temps  restaurer  dans  ses  grandes  lignes 
sa  véritable  «  philosophie  de  la  vie  »,  que  cinquante  années  d'une 
critique  fausse  ont  défigurée.  Mme  M.  a  raison  de  protester  con- 
tre les  erreurs,  les  jugements  superficiels,  les  commentaires  mal 
informés  de  tant  d'écrivains  du  XIX»  siècle.  Il  est  certain  que  ses 
efforts  contribueront  à  les  redresser.  Il  est  certain  aussi  que  les 
érudits  et  les  critiques  savoisiens  et  suisses  romands  travaillent  de- 
puis longtemps  à  remettre  dans  le  vrai  le  caractère,  la  vie  et  la 
pensée  de  Rousseau'.  Leur  œuvre,  faite  de  science  et  de  con- 
science commence  à  porter  ses  fruits.  Ceux  qui  s'inspirent  de 
leur  exemple  applaudissent  Mme  M.  quand  elle  conseille  l'étude 
directe,  sans  intermédiaires  intéressés,  des  écrits  de  Rousseau, 
et  leur  ambition  est,  comme  la  sienne,  de  les  rendre  tous  plus 
accessibles  au  lecteur  affranchi.  |B.  B.] 


'  Voyez  par  exemple,  le  recueil  trop  peu  connu  de  conférences  adres- 
sées au  public  cultivé  :  ./.  ./.  Kousseju  ju^c  par  les  Genevois  d'aujour- 
d'hui, Genève,  [878. 


BIBLIOGRAPHIE  'i-S-y 

Jean  Jacques  Roussp:ai:.  772e  inorals  of  Rousseau,  London,  Sis- 
lev's,  L  T  D,  s.  d.  [iqoS],  in-12,  xx-265  pp. 

Symptôme  intéressant  d'un  éveil  d'attention  de  la  part  des  let- 
tres anglais  pour  Rousseau,  ce  choix  de  courts  fragments  de  son 
œuvre  et  de  pensées  détachées  doit  présenter  l'ensemble  de  ses 
idées  morales.  Il  est  précédé  d'une  notice  biographique  par  M. 
Claude  Mortemart,  où  l'on  voudrait  rencontrer  moins  d'erreurs 
de  fait  et  de  jugement,  et  d'une  «  liste  des  principaux  écrits  de 
Rousseau  >>  dressée  non  sans  fantaisie  (ainsi:  Les  Thèses  galantes 
pour  Les  Muses  galantes).  Quant  aux  fragments,  au  nombre  de  72. 
ils  sont  groupés  en  deux  parties  sous  les  rubriques  Dieu  (53)  et 
Homme  (19),  sans  qu'on  se  rendre  bien  compte  pourquoi,  par 
exemple,  l'article  «  Coquetterie  »  est  rangé  dans  la  première.  Si 
l'éditeur  avait  respecté  Tordre  chronologique  et  s'il  avait  pris  le 
soin  d'indiquer  après  chaque  fragment  sa  référence,  il  eût  permis 
au  lecteur  de  suivre  l'évolution  de  la  pensée  morale  de  Rous- 
seau. [B.  B.] 

J.  Churton  Collins.  Voltaire,  Montesquieu  and  Rousseau  in  En- 
gland,  London,  Eveleigh  Nash,  Fawside  House,  1908,  in-8, 
vni-292  pp.,  portraits. 

Rousseau  in  England  [p.  182-271  ;  portrait  de  Rousseau  par 
Wright,  de  Derby  ;  vue  de  Wooton  Hall  ;  vue  de  la  grotte  de 
Rousseau  à  Wooton].  —  Le  séjour  de  Rousseau  en  Angleterre  est 
le  point  central  de  sa  vie;  les  persécutions  qui  le  chassèrent  du 
continent,  autant  que  ses  écrits,  lui  avaient  valu  dans  ce  pays 
une  haute  estime  et  une  curiosité  sympathique;  elles  le  décidèrent 
à  accepter  les  offres  réitérées  de  Lord  Keith  et  à  profiter  de  l'ama- 
bilité de  Hume.  Son  arrivée  à  Londres,  à  peine  signalée,  lui  attire 
mille  visites  et  attentions  que  ne  découragent  point  ses  façons 
excentriques.  Hume  se  prodigue  :  il  veut  obtenir  une  pension  du 
roi  pour  son  ami  et  lui  trouver  une  résidence  selon  son  cœur. 
Dans  leurs  entrevues  fréquentes,  une  scène  étrange  rappelle  à 
Rousseau  une  autre  scène,  non  moins  bizarre  et  pénible,  dont 
Hume  aussi  fut  le  triste  auteur,  en  France,  au  cours  du  voyage 
en  commun.  Fortifiée  par  la  publication  de  la  lettre  de  Walpole, 
la  défiance  devient  certitude  ;  Rousseau  se  croit  victime  d'un  vaste 
et  infernal  complot  dont  Hume  est  le  sbire  en  Angleterre  :  la 
célèbre  querelle  éclate.  Retentissement  prodigieux  en  Europe  I 
polémique  des  deux  prinpaux  intéresses  et  de  leurs  partisans  ! 
Cette  affaire  gâtait  pour  Jean-Jacques  le  séjour  champêtre  à  Woo- 
ton et  exagérait  encore  sa  susceptibilité  :  la  folie  approchait  ;  un 
rien  le  décida  à  quitter  le  royaume. 


^88  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.    J.    ROUSSEAU 

Plusieurs  pages  de  conclusion  sont  consacrées  à  analyser  le 
caractère  de  Rousseau,  à  dépeindre  les  conditions  favorables  de 
son  installation  et  l'agrément  de  ses  relations,  à  l'opposer  à  Vol- 
taire anglomane,  à  souligner  l'ennui  irréductible  de  sa  corres- 
pondance, à  esquisser  l'influence  médiate  et  peu  sensible  des 
écrivains  anglais  sur  son  génie. 

Des  nombreux  articles  consacrés  à  cet  ouvrage,  aucun  n'atteint 
l'ampleur  ni  l'exactitude  d'analyse  de  celui  de  M.  de  Wyzewa 
dans  la  Revue  des  Deux-Mondes,  juin  1908.  Tous,  sauf  ce  dernier, 
vantent  les  détails  inédits  dont  l'auteur  anglais  enrichit  ce  cha- 
pitre de  la  vie  de  Rousseau.  Pourtant,  à  la  lecture,  on  s'étonne  de 
l'absence  de  recherches  sérieuses  dans  les  bibliothèques  du 
Royaume-Uni,  absence  d'autant  moins  excusable  que  cet  ouvrage 
resta  dix  ans  sur  le  métier.  Nous  paraissent  inédits  deux  noms  : 
White  Hart,  auberge  où  Rousseau  logea  à  Spalding,  Jessop, 
docteur  de  la  même  ville  qui  fut   son  correspondant  occasionnel. 

M.  Collins  l'indique  lui-même:  Burton  et  M.  Morley  ont  fourni 
des  indications  considérables  et  intéressantes  sur  la  Querelle,  à 
l'exclusion  du  séjour  à  Wooton  où  Howitt  avait  recueilli  (en 
1840)  les  dernières  traditions  relatives  à  Ross  Hall.  —  M.  Birbeck 
Hill,  dans  ses  notes  aux  lettres  de  Hume  à  Strahan,  donne  plu- 
sieurs détails  complémentaires  que  M.  Collins  semble  ignorer. 
Ici,  notre  auteur  aurait  été  bien  avisé  de  signaler  l'erreur  una- 
nime des  biographes  qui  placent  tous  Wooton  en  Derbyshire  et 
non  en  Staffordshire,  et  font  résider  Rousseau  à  Chiswik  chez  un 
fermier.  Autre  erreur  de  détail  :  Garrick  ne  joua  pas  trois,  mais 
deux  rôles  dans  la  soirée  de  gala  du  23  janvier  (p.  2o3)  ;  ce  sont 
là  des  points  que  nous  traiterons  plus  longuement  dans  une  autre 
occasion. 

La  partie  la  plus  intéressante  du  travail  de  M.  Collins  étudie 
les  causes  de  la  bizarre  conduite  de  Rousseau.  Il  arriva  en  An- 
gleterre déséquilibré  et  en  repartit  irresponsable  de  ses  actes  et  de 
ses  paroles,  l'esprit  et  le  cœur  torturés  de  chimères,  le  caractère 
amoindri  et  morbide.  Le  monde  a  de  telles  obligations  à  Rous- 
seau qu'en  bonne  justice  il  appréciera  son  activité  selon  qu'elle 
se  déploya  avant  1766  ou  après  cette  date  fatale.  Malheureuse- 
ment pour  Rousseau,  il  est  connu  et  jugé  surtout  par  la  Que- 
relle et  par  les  Confessions,  œuvre  de  dégénérescence  (p.  i83- 
184)  —  Il  nous  semble  qu'il  eût  fallu  prouver  que  cette  œuvre-ci 
et  cette  circonstance-là  ont  valu  à  Rousseau  sa  renommée,  affir- 
mation qu'une  enquête  rigoureusement  conduite  eût  annulée,  ou 
nommer  les  gens  qui,  pour  prononcer  une  condamnation,  consi- 
dèrent deux  éléments  d'information  alors  qu'il  y  en  a  cent,  ou 
encore   dire  quand  et  où  vécurent  ces  juges;  serait-ce  dans  l'An- 


BIBLIOGRAPHIE  28q 

gleterre  éprise  de  Julie,  admiratrice  de  la  Lettre  sur  les  specta- 
cles, étonnée  de  V Emile,  choquée  du  Contrat  social}  (p.  194, 
195).  —  Comment  donc  expliquer  Rousseau?  Au  lieu  de  faire  de 
son  caractère  après  ijGG  le  simple  aboutissant  de  son  naturel, 
ce  qui  serait  vouer  Jean-Jacques  à  une  infamie  éternelle,  M.  Col- 
lins  V  voit  le  résultat  d'une  maladie  mystérieuse  :  la  gloire  du 
philosophe  est  intacte  (p.  i85.)  Pourquoi,  dès  lors,  demanderons- 
nous  à  l'auteur,  blâmer  le  pauvre  grand  homme  de  vouloir  exalter 
son  génie  par  le  «  truc  »  d'une  vie  extérieurement  dénuée  de  con- 
fort (p.  20(3)  ;  pourquoi  relever  dédaigneusement  ses  inconsé- 
quences (p.  209),  dont  plus  d'une  ne  prouve  rien  sinon  la  toute 
puissance  de  l'émotion  sur  l'intelligence,  au  point  d'en  faire  «  un 
égoïste  morbide,  hystérique  et  sentimental,  »  |p.  2(k)),  un  logicien, 
un  maniaque  dont  les  accès  puisent  une  intensité  poignante  dans 
une  absolue  sincérité  (p.  23i).  A  contempler  Rousseau,  M.  CoUins 
éprouve  l'embarras  d'un  honnête  homme  en  face  d'une  énigme 
intellectuelle  et  morale,  et  d'un  patriote  à  l'égard  d'un  étranger 
qui  refuse  d'apprendre  à  connaître  ses  hôtes  (p.  265-269). 

L'ouvrage  de  M.  Collins  réunit  en  un  tout  de  lecture  agréable 
des  faits  déjà  connus  et  expose  avec  aisance  au  grand  public  ce 
que  fut  Rousseau  durant  ce  séjour  mémorable.  [L.-.l.  C] 

Gabriel   Compayré.   Jean-Jacques  Rousseau   and  Education   froni 

Nature,  translated  by  R.  P.  Jago,   l.ondon.   George    G.    Har- 

rap  and  Company  [ou  New-York,  Thomas  Y.  Crovvell  and  C»], 

1908,  in-8,  vin-120  pp.,  un  portrait  frontispice. 

Le   traducteur  exact  de  ce  petit  ouvrage  paru  en  1901,  chez  De- 

laplane,  aurait   pu   mettre    au    moins  la  bibliographie  au  courant 

des  publications  plus  récentes.  [A.  F.] 

Francis  Gribble.    Rousseau  and  the    Women   lie   loved,  London, 
Eveleigh  Nash,  Fawside  House,  1908,  in-8,  xxi-443  pp. 

M.  Francis  Gribble,  qui  a  écrit  un  livre  sur  les  amants  de  Ma- 
dame de  Staël  et  un  livre  sur  les  amants  de  George  Sand,  ne 
pouvait  manquer  d'étudier  surtout  en  Rousseau  «  les  femmes 
qu'il  aima  ».  A  vrai  dire,  on  chercherait  en  vain  dans  ce  fort  vo- 
lume, imprimé  avec  soin,  sur  beau  papier,  avec  sept  portraits 
hors  texte,  des  détails  biographiques  inédits  sur  les  amies  de 
Jean-Jacques,  ou  une  analyse  psychologique  affinée  et  neuve  des 
sentiments  qu'elles  inspirèrent  à  Rousseau  ou  qu'elles  éprouvèrent 
pour  lui. 

Le  livre  que  nous  annonçons  est  simplement,  sous  un  angle 
spécial  et  peu  accentué,  une  esquisse  biographique  puisée  à  la 
source  des  Confessions  contrôlées,  rectifiées,  et  quelquefois   con- 

1;) 


2QO  ANNALES   DE   LA   SOCIETE  J.  ,(.    ROUSSEAU 

tredites  à  tort,  par  les  recherches  récentes,  de  valeur  si  diverse, 
de  MM.  E.  Ritter,  A.  de  Montet,  A.  de  Montaigvi,  Léo  Claretie, 
A.  Jansen,  et  de  feu  F.  Mugnier  et  Fritz  Berthoud. 

Ecrivain  brillant,  dont  la  prose  élégante  et  vive  entraîne  et 
charme  le  lecteur,  M.  F.  Gribble  ne  nous  parait  doué  ni  d'un 
sens  critique  bien  sûr,  ni  d'un  souci  exagéré  de  l'exactitude  his- 
torique. Une  critique  minutieuse  relèverait  dans  son  séduisant 
exposé  maintes  petites  erreurs  de  fait  qu'une  lecture  plus  atten- 
tive de  ses  auteurs  lui  eût  aisément  épargnées. 

Certains  de  ses  jugements  détonnent  comme  une  fausse  note 
dans  l'ensemble  peu  original,  mais  assez  juste  de  son  exposé. 
Ainsi  nous  avons  un  peu  de  peine  à  admettre  que  l'idylle  de 
Chambéry  soit  peinte  par  Rousseau  dans  la  manière  et  dans  le 
sentiment  de  Watteau.  On  aura  plus  de  peine  encore  à  comprendre 
pourquoi  l'écrivain  anglais  s'eflbrce  de  démontrer  que  Mme  de  Wa- 
rens  n'a  pas  été  la  maîtresse  de  Jean-Jacques,  ou  à  peine.  Le  séjour  à 
Venise  est  interprété  dans  le  sens  le  plus  défavorable  à  Rousseau, 
sur  l'autorité  du  livre  récent  de  M.  A.  de  Montaigu,  dont  M. 
Théophile  Dufour  à  fait,  ici-même,  bonne  et  prompte  justice. 
L'importance  du  séjour  de  Rousseau  à  Genève  en  1754  a  com- 
plètement échappé  à  notre  auteur.  Enfin  et  surtout,  on  doit 
regretter  qu'en  toute  occasion,  quand  deux  interprétations  sont 
possibles,  M.  F.  Gribble  choisisse  toujours  la  moins  favorable  à 
la  conduite  et  au  caractère  de  Jean-Jacques.  En  revanche,  sur  cer- 
tains points  particuliers,  spécialement  sur  la  vraie  nature  des  re- 
lations qui  attachèrent  Jean-Jacques  à  Thérèse,  et  sur  les  théo- 
ries récentes  émises  par  le  Dr  Roussel  ou  Mme  Macdonald  sur  les 
enfants  de  Rousseau,  M.  F.  Gribble  nous  semble  avoir  vu  juste  et 
parlé  avec  bon  sens. 

Son  livre,  qui  n'ajoute  rien  à  ce  que  nous  savions  et  à  ce  que 
nous  pouvions  supposer  de  l'histoire  sentimentale  de  Rousseau, 
sera  sans  doute  accueilli  avec  faveur  en  Angleterre,  tant  par  ses 
qualités  de  forme  que  par  l'attitude  plutôt  malveillante  pour  Jean- 
Jacques  que  l'auteur  a  cru  devoir  adopter  à  la  suite  de  Morley  et 
de  tant  d'autres  critiques  d'Outre-Manche.  [G.  V.] 


The    Fortnighlly  Reviens  Londres,  août   lyoS:  l'^rancis  Gribble, 
Rousseau  at  Venice. 

L'auteur  de  cet  article,  qui  nous  juge  de  très  haut,  ne  paraît 
pas  trop  bien  nous  connaître,  non  plus  que  nos  publications.  Et 
cela  est  encore  plus  regrettable  pour  lui   que   pour  nous,  car  son 


BIBLIOGRAPHIE  29 1 

sens  critique  a  visiblement  besoin  d'être  éveillé.  Par  exemple,  s'il 
avait  lu  la  note  de  M.  Th.  Dufour  parue  dans  le  t.  I  de  nos 
Annales,  p.  3o5,  sans  doute  se  serait-il  moins  aveuglément  fié  à  la 
brochure  de  M.  Aug.  de  Montaigu,  qui  lui  a  fourni  toute  la  ma- 
tière de  son  article,  transformé  en  une  manière  de  réquisitoire 
sans  mesure,  partant  sans  valeur,  contre  Rousseau.  [A.  F.] 

BELGIQUE 

Het  Boek,  Maandschrift  voor  Boekenvrienden,  Bruxelles,  mai-juin, 
igo8:  Jan  van  den  Arend,  Jean-Jacques  Rousseau. 

Nous  rendrons  compte  de  ce  premier  article  écrit  par  un  ami 
de  notre  œuvre  et  un  lecteur  éclairé  de  nos  Annales,  quand  la  suite 
aura  paru. 

ESPAGNE 

Rafaël  Altamira.  Cosas  del  Di'a,  crônicas  de  literatura  y  arte, 
F.  Sempere  y  Compaiiia,  editores,  Galle  del  Palomar  nùm. 
10,  Valencia,  s.  d.  (1908),  in-8,  vi-241  pp. 

P.  134-144:  Rousseau.  —  Dans  cet  article  écrit  à  propos  de  la  sous- 
cription ouverte  pour  le  monument  de  Montmorency,  le  distingué 
professeur  de  droit  à  l'Université  d'Oviedo  met  en  lumière  l'im- 
portance de  l'œuvre  de  Rousseau  pour  notre  époque,  et  signale 
les  manifestations  récentes  qui  la  confirment  aux  yeux  du  grand 
public:  les  conférences  J.  Lemaitre,  les  travaux  des  principaux 
juristes  allemands  sur  le  Contrat  social,  enfin  la  fondation  de  la 
Société  J.  J.  Rousseau.  L'article  se  termine  par  un  vœu  auquel 
nous  nous  associons  de  tout  cœur,  c'est  que  quelque  érudit  espa- 
gnol —  pourquoi  ne  serait-ce  pas  M.  Altamira  lui-même?  —  en- 
treprenne une  étude  approfondie,  accompagnée  d'une  bibliogra- 
phie, sur  la  diffusion  des  idées  de  Rousseau  en  Espagne  au  XVIIIe 
siècle  et  dans  la  première  moitié  du  XIX^.  M.  Altamira  signale 
dans  le  domaine  pédagogique,  comme  un  témoin  important  de 
l'influence  de  Rousseau  au  delà  des  Pyrénées,  VHistoria  de  la  vida 
del  hombre  du  Jésuite  Hervâs  y  Panduro.  [A.  F.] 

Ateneo,  Madrid,  janvier  igoS,  p.  22-89:  Andrés  GonzÂlez- 
Blanco,  La  Mùsica,  d  proposito  del  libre  de  un  musicôgrafo 
espanol. 

Le  début  de  cet  important  article  fait  de  larges  emprunts  aux 
écrits  de  Rousseau  qu'il  appelle  en  témoignage.  [A.  F.] 


2q2  ANNALES   DE    LA    SOCIETE  J.    .1.    ROUSSEAU 


FRANCE 

Edmond  Parisot,  docteur  es  lettres,  et  F^élix  Henry,  directeur 
d'Ecole  normale.  Les  vieilleures  pages  des  écrivains  péda- 
gogiques, de  Rabelais  au  XX^  siècle.  Préface  de  Jules  Payot, 
recteur  de  l'Académie  d'Aix,  Paris,  1908,  A.  Colin  édit.,  in-i6,. 
xu-364  pp. 

P.  iio-iii,  124-127,  143.  147,  162-164,  171-173,  183-184,  ex- 
traits de  VEviile.  —  P.  36i,  courte  notice  sur  Rousseau  pédago- 
gue. [L.  P.] 

L'Esprit  de  J.  Barbey  d'Aurevilly,  dictionnaire  de  pensées,  traits, 

portraits  et  jugements  tirés  de  son  œuvre  critique,  préface  par 

Octave    l'z.^NNE.    Paris,    edit.    de   la    Société   du  Mercure  de 

France,  1908,  in-i(j. 

P.    28()-287  :    Jugements    sur    Rousseau.  Cf.  p.  ii3:  Un  mot  sur 

Mme  d'Epinav.  [L.  P.] 

Albert  Bazaili.as.  professeur  de  philosophie  au  Ivcée  Condorcet, 
docteur  es  lettres.  Musique  et  Inconscience,  introduction  à  la 
psychologie  de  l'inconscient.  Paris,  Félix  Alcan  édit..  1008, 
in-8,  VI-320  pp. 

P.  254-258,  dans  le  chapitre  intitulé  La  psychologie  de  l'inconscient, 
l'auteur  est  amené  à  s'occuper  de  Rousseau  qui  lui  semble  «offrir 
le  tableau  du  moi  subconscient  parvenu  au  point  culminant  de  la 
finesse  et  de  l'acuité.  »  Après  avoir  relevé  dans  les  Confessions. 
et  surtout  dans  l'ouvrage  intitulé:  Rousseau  juge  de  Jean-Jacques, 
des  analvses  pénétrantes  du  moi  inconscient,  l'auteur  résume  sa 
pensée  dans  une  page  qui  annonce  une  façon  nouvelle  d'envisa- 
ger l'art  de  Rousseau,  considéré  >■  au  même  titre  que  la  musique  », 
comme  un  art  de  l'inconscient.  «  Rousseau  renverse  le  système 
convenu  du  moi  de  la  réflexion  pour  se  transporter  jusqu'au 
point  redoutable  ou  la  conscience  se  fond  avec  les  éléments  sau- 
vages et  spontanés  de  la  nature.  Ce  qu'un  tel  art  nous  révèle  de 
capricieux  et  de  fantasque,  son  exaltation,  son  délire,  son  ivresse, 
cette  superposition  continuelle  de  la  rêverie  au  réel,  ne  sont  que 
les  procédés  de  la  vie  inconsciente  quand,  saisie  au  delà  du  tour- 
nant où  elle  s'infléchit  vers  la  pensée,  elle  présente  encore  la 
forme  d'une  puissance  élémentaire  qiii  nous  renouvelle  et  nous 
enchante.  Ce  ravissement,  qui  fait  le  charme  si  insinuant  de 
Rousseau,  ne  serait  point  compris,  si  on  l'envisageait  au  point  de 
vue  d'un   art  de  l'intellectualité  svmetrique   et  froid.   Aussi    bien. 


BIBLIOGRAPHIE  29.") 

est-ce  le  moi  de  rinconscient  que  Rousseau  vient  déchaîner  et 
qu'il  soulève  par  un  magique  appel.  Il  restera  toujours  celui  qui 
a  vu  en  l'homme  une  vie  sourde  et  comprimée,  souffrant  de  ne 
pouvoir  formuler  son  rêve.  Il  a  pratiqué  le  dédoublement  redou- 
table des  forces  affectives  et  des  forces  intellectuelles.  En  affran- 
chissant les  premières,  pour  nous  permettre  d'en  jouir  dans  ce 
qu'elles  ont  de  vertigineux  et  de  charmant,  il  aura  soulevé  du  fond 
de  la  nature  humaine  une  énorme  vague  de  sensibilité,  et  l'équili- 
bre ordinaire  de  l'homme  en  est  encore  ébranlé.  Mais  si  l'ordre 
social  a  peut-être  à  redouter  les  conséquences  d'une  telle  disso- 
ciation, elle  ne  saurait  que  profiter  à  la  psychologie,  mise  ainsi 
en   mesure    de    soupçonner    un    nouveau   champ    d'expérience.  » 

|MaX.    BUFFENOIR.] 

Paul  BoNNARDOT.  Mélkodc  d'éducation  susceptible  de  former  les 
élites,  accompagnée  de  citations  de  tous  nos  auteurs  critiques 
français  et  étrangers  des  XVII I^,  X/A'«  et  XX<^  siècles,  avec 
fac-similé  d'une  lettre  autographe  inédite  de  J.  J.  Rousseau,  et 
sa  Statue  à  Genève,  Librairie  ancienne  et  moderne  George 
Cres,  Paris,  1908,  in-iS,  xni-ioj  pp. 

Ce  petit  volume  d'une  composition  un  peu  déconcertante,  mais 
qui  dénote  un  véritable  culte  pour  la  personne  et  l'œuvre  de 
Rousseau,  renferme,  p.  40-70.  une  ample  collection  de  jugements 
anciens  ou  récents  sur  Je  philosophe  de  Genève,  p.  71-107,  un 
certain  nombre  de  documents  concernant  la  manifestation  du 
Censeur  à  la  Sorbonne  en  iqo7,  les  conférences  de  J.  Lemaître, 
l'inauguration  de  la  statue  de  Montmorency,  et  la  souscription  du 
monument  d'Ermenonville.  La  lettre  à  la  marquise  de  Verdelin 
du  5  novembre  1760,  dont  le  fac-similé  ouvre  le  volume  et  qui,  à 
nos  yeux,  en  fait  presque  tout  le  prix,  n'est  pas  «  absolument 
inédite  »,  puisque  Rousseau  lui-même  en  a  transcrit  le  début 
dans  les  Confessions,  livre  X  ;  mais  elle  n'en  constitue  pas  moins 
telle  quelle  un  document  nouveau  dont  on  ne  saurait  assez  féli- 
citer l'heureux  propriétaire.  [A.  ¥.] 

Hippolyte  Buffenoir.  Causeries  familières  sur  Jean-Jacques  Rous- 
seau. A  propos  du  monument  d'Ermenonville,  Paris,  aux  bu- 
reaux de  l'Athénée.  1008,  in-S.  44  pp. 

Ces  causeries  écrites  de  la  plume  autorisée  que  l'on  sait,  ont 
pour  objet  :  10  J.  J.  Rousseau  et  la  haute  société  de  son  temps, 
2°  J.  J.  Rousseau  et  les  femmes,  3"  Les  derniers  jours  de  J.  J. 
Rousseau,  Ermenonville.  La  partie  la  plus  nouvelle,  le  récit 
d'une  visite  de  Rousseau  à  l'aubereiste  des  Deux  Anses,  à  Dom- 


2q4  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.   J.    ROUSSEAU 

martin.  fait  par  le  petit-fils  de  l'aubergiste,  M.  Victor  Offroy 
(cf.  Annales,  III,  3o2),  en  a  été  resservie  par  M.  B.  lui-même  aux 
lecteurs  du  Journal  de  Genève,  19  octobre  1908,  dans  un  article 
intitule  Jean-Jacques  Rousseau  à  Ermenonville.  [A.  F.] 

Gabriel  Compayré.  L'éducation  intellectuelle  et  morale,  Paris, 
Paul  Delaplane  édit.,  s.  d.  (1908),  in-i6,  x-456  pp. 

Au  début  de  cet  ouvrage,  M.  G.  se  pose,  à  propos  de  J.  J.  Rous- 
seau et  de  son  contradicteur  récent,  M.  J.  Lemaitre,  la  question 
de  «  l'éducation  générale  et  l'éducation  professionnelle.  »  Faut-il 
sacrifier  la  seconde  à  la  première,  comme  Rousseau  semble  nous 
y  inviter,  ou  la  première  à  la  seconde,  comme  le  suggère  M.  J. 
Lemaitre?  Ni  l'un,  ni  l'autre.  Elles  sont  toutes  deux  nécessaires. 
Rousseau  notamment  a  eu  raison  de  «  rappeler  à  l'homme  qu'il  a 
une  destinée  personnelle  >>  ;  mais  il  a  eu  tort  de  se  «  trop  canton- 
ner dans  l'absolu  »,  r«  homme  en  soi  »,  n'étant  qu'une  chimère. 
[A.  F.] 

Duchesse  de  Dino.  Souvenirs,  publiés  par  sa  petite-fille,  la  com- 
tesse Jean  de  Gastellane.  Paris,  Calmann-Lévy  édit.,  s.  d. 
(mai  1908),  in-8,  363  pp. 

P.  134:  La  jeune  princesse  Dorothée  de  Gourlande,  future  du- 
chesse de  Dino,  est  soumise,  par  sa  gouvernante  allemande,  pas- 
sionnée pour  VEmile,  au  régime  sanitaire  de  VEmile,  à  quoi  elle 
dut  le  rétablissement  de  ses  forces  et  une  excellente  santé.  P. 
276-290,  en  appendice,  reproduction  de  la  partie  du  livre  II  de 
VEmile  où  ce  régime  se  trouve  exposé.  [A.  F.] 

Louis  DucRos,  doyen  de  la  Faculté  des  Lettres  d'Aix.  Jean-Jac- 
ques Rousseau.  De  Genève  a  l'Hermitage  (  i  j  i  2- 1  j5- ),  Paris, 
Fontemoing  édit.,  1908,  in-8,  418  pp. 

Exceptionnellement,  il  sera  rendu  compte  seulement  dans  les 
Annales  de  1910,  de  cet  important  ouvrage  sur  lequel  M.  Eugène 
Ritter  a  bien  voulu  se  charger  de  préparer  une  étude  appro- 
fondie. 

L'Ecole  d'Art  (Ecole  des  hautes  études  sociales).  Histoire  du 
paysage  en  France,  Paris,  librairie  Renouard,  H.  Laurens, 
édit.,  1908,  gr.  in-8,  viii-323  pp. 

P.  153:  Le  paysage  au  XVIII<^  siècle  après  Walleau.  par 
M.  Léon  Deshairs.  Le  §  2  qui  traite  du  «  sentiment  de  la  nature 
dans  la  seconde  moitié  du  XVIIIe  siècle:  la  littérature  pittores- 
ques, les  jardins  anglais,  les  voyages»,  fait  intervenir  R.  de  Gi- 


BIBLIOGRAPHIE  2q? 

rardin,  disciple  de  Rousseau  à  Ermenonville  (p.  yg),  et  Rousseau 
lui-même  dont  l'influence  sur  les  peintres  et  paysagistes  de  l'épo- 
que est  caractérisée  en  quelques  lignes  (p.  177).  Les  livrets  des  Sa- 
lons témoignent  que  pour  eux  aussi  l'île  des  Peupliers  est  devenue 
un  lieu  de  pèlerinage.  [A.  F.] 

Emile  Faguet,  de  l'Académie  française.  Le  Pacifisme,  Paris, 
Société  française  d'imprimerie  et  de  librairie,  1908,  in- 16, 
400  pp. 

P.  28-3i.  Rousseau  critique  avec  bon  sens  le  projet  de  «  Paix 
perpétuelle  »  de  l'abbé  de  Saint-Pierre.  —  3i-35.  Son  avis  sur  le 
fond  de  la  question.  La  guerre  est  inévitable.  Une  «  république 
confédérative  des  petits  Etats  »  pourrait  quelquefois  l'arrêter. 
IL.  P.] 

Abel  Faure.  U Individu  et  l'esprit  d'autorité  du  Moyen-Age  à  la 
loi  Falloux.  Paris,  Stock  édit.,  in-i6.  320  pp. 

P.  125-142.  Action  de  Rousseau  sur  son  siècle.  Il  le  reflète  tout 
entier  dans  le  domaine  du  sentiment,  comme  Voltaire  l'exprime 
tout  entier  dans  le  domaine  des  idées.  Individualisme  du  siècle  : 
sentiment  violent  d'indignation  contre  les  inégalités  sociales, 
consacrées  par  les  institutions.  Ce  sentiment  crée  théoriquement 
l'égalité  sociale.  Par  une  -fausse  déduction,  il  conclut  à  l'égalité 
naturelle,  et  se  rencontre  avec  l'erreur  initiale  de  la  philosophie 
sensualiste.  Rousseau  rend  au  siècle  ce  qu'il  en  a  reçu,  mais  il  le 
domine.  Il  pose  la  base  de  l'éducation  individualiste,  négative, 
progressive.  Analyse  de  VEviile.  La  partie  générale  du  svsteme 
de  Rousseau,  c'est  l'éducation  négative  de  l'enfant  de  cinq  à 
douze  ans.  Rousseau  a  posé  les  bases  indestructibles  de  l'éduca- 
tion rationnelle.  Il  se  rattache  ainsi  a  Rabelais  :  avec  l'un  comme 
avec  l'autre,  c'est  le  naturel  qui  se  substitue  à  l'artificiel.  Dans  la 
deuxième  phase  de  l'éducation,  l'Educateur  remplace  la  Nature, 
et  c'est  Montaigne  que  Rousseau  rappelle  alors.  Influence  de 
Rousseau  éducateur.  En  France,  V Emile  fut  admiré  ou  combattu, 
mais  ne  fut  pas  mis  en  pratique.  Il  le  fut  en  Allemagne  :  les  idées 
de  Rousseau  ont  présidé  à  l'établissement  des  Instituts  pédagogi- 
ques de  Basedow  et  de  Pestalozzi.  —  P.  144.  Rousseau  est  le 
plus  grand  des  écrivains  philosophes.  Tout  le  XYIII^  siècle  tourne 
dans  le  cercle  de  ses  idées  pédagogiques.  [L.  P.] 

Baron  de  Frénilly,  pair  de  France.  Souvenirs  1 1  -68-1 828),  pu- 
bliés avec  introduction  et  notes  par  Arthur  Chuquet,  Paris, 
Plon-Nourrit  &  C'e  édit,.  1908,  in-8,  xix-558pp. 


•296  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.    ,1.    ROUSSEAU 

P.  20,  le  X  trio  »  des  Girardin  aux  Tuileries;  —  21,  le  mot  de 
Rousseau  «  Adieu,  rôti  !  »  à  propos  d'une  occasion  semblable  ;  — 
26,  l'allaitement  des  «  pauvres  victimes  de  Rousseau  »  dans  les 
salons;  — 43,  pèlerinage  à  Ermenonville;  mot  de  Gustave  III 
sur  le  tombeau  :  «  J'achèterais  bien  volontiers  ces  peupliers-là 
pour  Stockholm  pourvu  qu'on  ne  me  donne  pas  le  tombeau  par 
dessus  le  marche  »  :  —  44,  éducation  inspirée  de  Locke  et  de 
Rousseau,  «  dont,  en  somme,  je  me  suis  bien  trouvé  »  ;  —  54, 
voyage  en  Suisse,  en  commençant  par  Motiers-Travers  ;  —  177  à 
179,  visite  à  Chenonceaux  ;  l'allée  de  Sylvie;  la  galerie  du  petit 
château  habitée  par  Rousseau  et  ses  élèves  ;  mot  de  Mme  Dupin  : 
«  C'était  un  vilain  coquin  »  ;  silence  de  M^e  d'Houdetot  ;  cf. 
p.  214,  sur  Mme  Dupin  ;  —  232  à  235,  25o  à  254.  277  à  280,  la  so- 
ciété de  Mme  d'Houdetot  sous  le  Directoire  et  le  Consulat,  dans 
le  Marais  et  à  Sannois  ;  —  289  à  240,  pèlerinage  a  l'Ermitage  de 
Montmorency;  —  334,  niort  de  Mme  d'Houdetot.  Nota:  le  baron 
de  F.  est  un  témoin  passionné,  fort  sujet  à  caution.  L'index  à  la 
fin  du  volume  est  incomplet.  [A.  F".] 

Henrv  Gaillard  de  Champris,  professeur  à  l'Ecole  préparatoire 
Sainte-Geneviève  et  à  l'Ecole  Massillon.  Sur  quelques  Idéa- 
listes, Essais  de  Critique  et  de  Morale.  Paris,  Bloud  &  C'"^ 
édit.,  1908,  in-i6,  283  pp. 

P.  83- 108:  La  Philosophie  religieuse  de  J.  J.  Rousseau.  Religio- 
sité de  Rousseau.  Il  est  croyant.  Sur  quel  fondement?  Il  faut  le 
demander:  i"  à  la  Profession  de  foi  du  Vicaire  savoyard;  2»  à  la 
Correspondance.  —  Les  mouvements  cosmiques  attestent  une 
volonté  première,  nécessairement  intelligente.  Apologétique  ora- 
toire et  lyrique.  Harmonie,  ordre  universels.  Optimisme.  L'ob- 
jection du  mal  physique  n'embarrasse  pas  Rousseau  :  il  le  nie,  ou 
le  déclare  nécessaire  à  l'ordre  général.  (L'auteur  signale  en  pas- 
sant, p.  93,  note,  une  curieuse  analogie  entre  la  théorie  de  Rous- 
seau sur  le  «  mal  particulier  »,  et  une  opinion  émise  par  un  per- 
sonnage du  Torrent,  de  M.  Maurice  Donnay).  Quant  au  malmoral, 
il  est  le  gage  de  la  liberté.  Spiritualité  et  immortalité  de  l'âme,  sim- 
plement établies  sur  le  «  jugement  interne  «  ou  bon  sens  ;  valeur 
du  sentiment  opposé  à  la  raison  raisonnante.  Mais  cette  «  reli- 
gion naturelle  »  est  ennemie  des  religions  positives,  de  la  révéla- 
tion, de  toute  autorité  dogmatique.  Pourtant  Rousseau,  esprit 
libéral,  s'est  montré  favorable  au  christianisme,  même  au  catho- 
licisme. Lacunes  et  faiblesses  de  sa  philosophie  religieuse.  Elle 
vaut  par  le  sentiment  de  l'infini,  la  défiance  à  l'égard  de  l'enten- 
dement humain,  la  sincérité  et  la  charité.  [L.  P.] 


lîIBI.IOC.RAPHIK  297 

'i^e  comte  de  Girardin.  Iconographie  de  Jean-Jacques  Rousseau; 
portraits,  scènes,  habitations,  souvenirs.  Préface  du  vicomte 
Eugène-Melchior  de  Vogué,  de  l'Académie  française.  '  Paris, 
Ch.  Eggimann  édit.,  s.  d.  |  looS],  in-8,  xvi-344  pp..  avec  16  plan- 
ches hors  texte. 

Il  est  déjà  intéressant,  pour  un  rousseauiste,  de  voir  associés, 
sur  la  couverture  d'un  livre,  les  noms  de  J.  J.  Rousseau  et  du 
comte  Fernand  de  Girardin.  descendant  direct  du  marquis  René 
de  Girardin,  qui  accueillit  Rousseau  à  Ermenonville.  L'intérêt 
augmente  quand  on  sait  avec  quelle  conscience  et  au  prix  de 
quelle  recherche  l'auteur  a  composé, en  y  donnant  ses  soins  pen- 
dant de  nombreuses  années,  le  gros  volume  que  voici.  Possédant 
dans  ses  archives  de  famille  des  documents  curieux  et  inconnus, 
dont  la  description  eût  déjà  présenté  de  l'intérêt  pour  l'étude  du 
philosophe  de  Genève,  M.  de  Girardin  ne  s'est  pas  contenté  de 
publier  le  catalogue  de  ce  trésor  domestique  ;  il  a  voulu  connaître 
tous  les  portraits  de  J.  J.  Rousseau  qui  se  trouvent  soit  au  devant 
de  toutes  les  éditions  de  ses  œuvres  ou  dans  tous  les  ouvrages  où 
il  est  parlé  de  lui.  soit  dans  les  collections  publiques  ou  particu- 
lières. Plus  de  six  mille  effigies  de  Rousseau,  nous  dit-il,  ont 
ainsi  passé  devant  ses  yeux  !  C'est  le  résultat  de  cette  formidable 
enquête  qu'on  soumet  aujourd'hui  à  notre  attention  ;  —  entre- 
prise qui  n'était  pas  sans  modèle,  mais  qui,  je  pense,  n'aura  point 
d'imitateur,  en  ce  qui  concerne  Rousseau.  Je  m'explique  :  un  tra- 
vail de  ce  genre  n'est  jamais  définitif;  peut-être  indiquera-t-on  à 
l'auteur  quelques  additions,  apparemment  de  peu  d'importance, 
quelques  découvertes  nouvelles  à  signaler,  quelques  erreurs  de  dé- 
tail à  rectifier  ;  ces  corrections  et  ces  enrichissements,  j'imagine  que 
l'auteur  est  le  premier  à  les  souhaiter  et  à  les  solliciter.  Mais  voici, 
en  tout  cas,  un  Corpus  iconum  auquel  devront  toujours  se  référer  les 
dévots  de  Rousseau  et  les  travailleurs,  et  que  personne  ne  songera 
à  refaire.  Remercions  donc  le  comte  de  Girardin  de  nous  l'avoir 
donné.  Et  qu'il  y  a  loin  de  cette  Iconographie,  si  copieuse  et  si 
touflTue,  à  l'ébauche,  si  déplorablement  incomplète,  qu'Auguste 
Bachelin  avait  tentée  à  l'occasion  du  Centenaire  !  Accordons  tou- 
tefois à  Bachelin,  puisque  son  nom  se  trouve  évoqué  ici,  un  sou- 
venir sympathique.il  ne  faut  pas  sourire,  même  après  que  d'autres 
ont  fait  beaucoup  mieux,  des  efforts  de  ceux  qui  ont  ouvert  une 
voie. 

La  division  de  l'ouvrage,  si  elle  n'a  pas  de  prétention  scienti- 
fique, a  l'avantage    incontestable   de   favoriser   les  recherches   et 

'  Préface  reproduite  par  le  Journal  des  Débats  du  17  juin  190S, 


2q8  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.    J.    ROUSSEAU 

d'en  favoriser  la  rapidité.  L"auteur,  pour  se  reconnaître  dans  cette 
quantité  de  documents,  s'est  attaché  à  ce  qui  frappe  tout  d'abord 
en  eux  dans  leur  premier  aspect.  D'où  quatre  parties  :  I.  Portraits 
(p.  17-104),  divisés  en  portraits  en  pied,  debout  et  assis,  —  portraits 
demi-corps,  —  portraits  en  buste,  tête  découverte  ou  tête  coiffée 
du  bonnet  d'Arménien,  —  portraits  d'après  la  sculpture,  soit  en 
pied,  debout  ou  assis,  soit  en  buste.  —  II.  Porlri.iits-f;roiipes. 
Estampes  dans  lesquelles  Jean-Jacques  Rousseau  Joue  un  rôle,  et 
estampes  allégoriques  (p.  io5-iqoi.  En  effet,  ce  sont  là  de  véri- 
tables portraits  de  Rousseau,  d'une  valeur  documentaire  parfois 
très  grande.  —  III.  Les  Habitations  (p.  191-246),  depuis  la  nais- 
sance jusqu'à  la  mort.  Une  légère  critique  en  passant.  Pourquoi 
ne  pas  avoir  observé  l'ordre  chronologique?  On  nous  parle 
d'abord  (p.  194I  de  Trie-le-Chàteau,  puis  (p.  iqb]  de  la  maison 
natale.  Simple  inadvertance.  Une  étude  très  complète  sur  le  tom- 
beau d'Ermenonville,  un  dernier  chapitre  sur  le  tombeau  du 
Panthéon  complètent  cette  troisième  partie.  —  IV.  Peintures. 
Pastels.  Aquarelles  Miniatures.  Dessins.  Sculptures.  Médailles  et 
médaillons.  Objets  divers.  Souvenirs  (p.  247-294).  Soit  un  total  de 
i3o6  numéros,  auxquels  s'ajoute  un  addendum  ÇimA  (p.  295-311), 
41  numéros  complémentaires,  destinés  à  compléter  ce  qui  a  déjà 
été  dit,  ou  à  reparer  des  omissions.  Des  tables  détaillées  |p.  3i3- 
344I  terminent  le  volume. 

Ce  que  je  ne  saurais  assez  dire,  c'est  combien  cet  ouvrage  est 
autre  chose  et  plus  qu'un  catalogue  et  une  simple  nomenclature. 
Je  dois  insister  sur  son  caractère  critique.  A  chaque  pas,  on  nous 
dit:  cet  état  est  des  plus  rares,  cette  épreuve  est  de  toute  rareté. 
Et,  chemin  faisant,  certaines  questions  se  trouvent  traitées  avec 
un  ensemble  de  renseignements  qui  forment  comme  de  petites 
dissertations  ou  des  articles  de  revue  en  raccourci.  J'en  indique 
quelques-unes  à  titre  d'exemple.  Voici  (p.  17  sq.)  l'étude  sin-  la, 
série  des  portraits  en  pied  par  Mayer  ou  d'après  Mayer,  série  qui 
découle  d'une  silhouette  de  Despréau  jusqu'ici  inconnue  et  appar- 
tenant à  l'auteur.  Voici  (p.  4Ô-49)  toute  la  série  des  portraits 
gravés  par  FMcquet,  avec  l'indication  d'un  état  jusqu'ici  inconnu 
dans  l'œuvre  du  graveur.  De  même,  à  propos  des  planches  dessi- 
nées par  Gavarni,  on  nous  signale  une  planche  du  célèbre  artiste 
qui  a  été  omise  dans  la  description  de  son  œuvre.  A  signaler 
aussi  ce  qui  est  dit  des  portraits  par  La  Tour  ip.  3o8-3i()).  Sur 
leur  chronologie,  sur  la  destinée  et  l'identification  de  tel  d'entre 
eux,  M.  de  Girardin  n'est  pas  d'accord,  —  et  il  semble  bien  qu'il 
ait  raison  de  ne  pas  être  d'accord  —  avec  ce  qui  avait  été  dit  jus- 
qu'à présent  par  la  critique  artistique. 


BIBLIOGRAPHIE  299 

Une  élégante  et  parfois  éloquente  préface  de  M.  le  vicomte  de 
Vogué  se  garde  également  du  panégyrique  et  du  dénigrement  : 
«  qu'il  faille  aimer  Rousseau  ou  le  détester,  c'est  une  autre  affaire. 
Les  deux  sentiments  se  succèdent  ou  se  combattent  dans  nos 
cœurs,  selon  l'angle  sous  lequel  nous  considérons  le  monstre...  » 

Les  seize  planches  hors  texte  reproduisent  un  portrait  du  mar- 
quis René  de  Girardin  par  Greuze,  des  portraits  de  Stanislas  de 
Girardin  et  du  «  Petit  gouverneur»,  l'élève  de  Rousseau,  ce  der- 
nier d'après  Mayer,  des  vues  d'Ermenonville,  des  portraits  ou 
des  bustes  de  Rousseau,  des  objets  lui  ayant  appartenu,  le  tout 
provenant  des  collections  particulières  des  marquis  et  comte  de 
Girardin. 

L'auteur  de  cet  intéressant  ouvrage  en  prépare,  paraît-il,  un 
autre  qui  sera  consacré  aux  vignettes  ou  illustrations  diverses  des 
œuvres  de  Jean-Jacques.  Il  faut  souhaiter  que  cette  nouvelle  ico- 
nographie paraisse  bientôt,  pour  l'honneur  et  le  profit  des  études 
concernant  Rousseau,  son  entourage  et  son  temps.  ^  [L.  P.J 

1  P.  26,  1.  i5  en  rein.  :  Ch'  III.  vers  4i3,  ajoutez:  de  VHomme 
des  Champs  on  les  Géorgiques  françaises,  par  J.  Delille,  Strasbourg, 
Levrault,  igoo  (édition  in-i6).  —  P.  162,  n°  686:  lithographie  dessinée 
pour  le  Cabinet  de  Lecture,  novembre  1837.  —  P.  177,  1.  4:  Roumiel-, 
lise^:  BoNNiEu  (selon  la  gravure  achevée),  ou  plutôt  Bounieu  (Michel- 
Honoré,  1740-1814).  —  P.  17g,  1.  3:  Johonnot,  lisez:  Johannot.  —  P. 
207,  1.  9  en  rem.:  Lo>-;g-,  lisez  :  Lory. —  P.  32 1,  col.  i,  1.  3o  :  C.  Motte, 
ajoutez:  52,  2i3.  Les  index  d'ailleurs  ne  sont  pas  complets;  de  plus,  ils 
contiennent  des  indications  vagues  on  fausses,  ainsi,  p.  32i,  Orio,  gra- 
veur, fin  du  XVIP  s.  [!],  p.  323,  Tavernier,  dessinateur  et  graveur,  né 
«en  1742  ou  1787  »  (sic).  Dans  le  corps  de  l'ouvrage  également  les  ré- 
férences sont  souvent  insuffisantes  ;  ainsi,  p.  i52,  1.  17,  on  aimerait 
savoir  de  quelle  livraison  de  V Artiste.,  il  s'agit,  et  p.  204,  n"  811,  l'indi- 
cation «  récemment  paru  »,  pour  l'article  de  M.  Pinvert  sur  Auguste 
Bachelin,  est  beaucoup  trop  vague.  Enfin,  l'on  est  surpris  de  certaines 
omissions;  par  exemple,  sous  le  n'  883,  nous  trouvons  mentionnée  la 
planche  25  du  recueil  Valois  et  comté  de  Sentis,  alors  que  nous  ne  trou- 
vons nulle  part  la  planche  26  :  Vue  de  l'Isle  des  peupliers  à  Ermenon- 
ville, avec  le  Tombeau  de  ./.  J .  Rousseau.  De  même,  sous  le  n'  65, 
l'une  des  planches  de  Guërin  pour  les  Géorgiques  françaises  de  Delille, 
édition  in-i6,  devrait  être  accompagnée  du  frontispice  de  l'édition  in-12, 
non  signalé,  représentant  Rousseau  apostrophant  Paris:  Paris,  ville 
de  bruit,  etc.  (Chant  IV,  vers  406).  De  même  encore,  p.  2o5,  le  n»  8ig 
demande  à  être  complété  par  le  signalement  d'autres  planches  des 
Tableaux  pittoresques  de  la  Suisse,  de  La  Borde,  par  exemple  la 
Grotte  de  Aloutiers,  près  la  maison  du  philosophe  de  Genève,  dessiné 
par  Châtelet,  gravé  par  Duparc  {Tableaux,  t.  II.  p.  160,  planche  xcn), 
la  Vue  d'une  cascade  de  Moutiers-Travers,  à  peu  de  distance  de  la  mai- 
son de  J.  J.  Rousseau,  Châtelet  del.,  Née  direx.   [Tableaux,  t.  III,  en 


.■>00  ANNALES    DE   LA   SOCIETE  .1,   J.    ROUSSEAU 

Marat.  Correspondance,  recueillie  et  annotée  par  Charles  Vel- 
LAY,  docteur  es  lettres,  Paris,  Charpentier  et  Fasquelle  éJit., 
iqo8,  in- 12,  xxiii-291  pp. 

P.  2i3:  lettre  à  René  de  Girardin,  4  juillet  ijqi  (parue  dans 
Y  Ami  du  peuple)  en  réponse  à  une  lettre  de  Girardin  où  celui-ci 
se  plaignait  d'avoir  été  traité  par  Marat  de  «  spoliateur  des 
(tuvres  posthumes  de  J.  J.  Rousseau  aux  dépens  de  sa  veuve  »  ; 
—  217,  lettre  au  même  (parue  dans  VAnii  du  peuple],  2  sept.  1791, 
pour  l'engager  à  s'opposer  au  transfert  des  cendres  de  Rousseau 
d'Ermenonville  au  Panthéon.  [A.  F.] 

Edmond  Pilon.  F^rjncis  Jammes  et  le  Sentiment  de  la  Nature, 
avec  un  portrait  et  un  autographe,  Paris,  Société  du  Mercure 
de  France,  MCMVIII   [hjoS],   in-i6,  77  pp.   (Collection  «  Les 

hommes  et  les  idées  »). 

P.  24-2Ô:  E^vocation  de  Rousseau,  le  «  triste  botaniste»,  dans 
les  méditations  de  M.  Jammes.  L'auteur  du  Roman  du  lièvre  est 
hanté  par  ><  son  singulier  souvenir  »  ;  son  «  livre  ami»,  ce  sont  les 
Rêveries.  Pèlerinage  aux  Charmettes,  et  rencontre  avec  M.  Henry 
Bordeaux  [cï  Annales,  III,  285,  IV,  296),  d'où  résulte  la  méditation 
Sur  J.  J.  Rousseau  et  Mme  de  Warens  aux  Charmettes  et  à  Cham- 
bery,  dans  le  Roman  du  lièvre  (iqoS).  [A.  P.] 

Henry  Roujon.  La  galerie  des  bustes.  .1.  Ruelf,  édit.,  Paris,  iqoS, 
gr.  in-18,  324  pp. 

P.  189-193  :  Le  respect  des  nwrls  ;  à  propos  du  fameux  mani- 
feste de  M.  .1.  Finot,  Laissons  les  morts  en  paix!  (voyez  Annales, 
III,  p.  287)  et  des  articles  de  M'ik:  Macdonald,  auxquels  il 
servait  de  préface.  M.  R.  ne  voit  dans  toute  l'affaire  dramatisée 
par  le  génie  de  Mme  Macdonald  qu'une  querelle  d'écrivains  sans 
grande  portée.  C'est  pousser  un  peu  loin  les  droits  du  critique 
à  planer  au-dessus  de  la  pauvre  humanité. 

P.  2i5-22r  :  Vieilles  querelles;  c'est-à-dire,  la  dispute  de  Voltaire 
et  de  Rousseau  sur  la  Providence,  à  propos  du  tremblement  de 
terre  de  Lisbonne.  M.   Roujon  veut  que  dans  cette  affaire,  Rous- 

face  du  frontispice,  planche  cxxvii),  le  Torrent  du  Val-Travers,  Vue 
à  peu  de  distance  de  la  maison  du  Philosophe  de  Genève,  dans  le  comté 
de  Neiichâtel,  dessiné  par  Châtelet,  gravé  par  Masquelier  [Tableaux, 
t.  III,  p.  223,  planche  cxxxiv).  Toutes  ces  pièces  n'ont  pu  être  omises 
que  par  un  défaut  de  méthode.  On  ne  peut  admettre  qu'elles  aient 
échappé  à  l'attention  d'un  chercheur  comme  l'auteur  de  V Iconographie. 
11  faut  donc  qu'il  les  ait  oubliées  tout  simplement  dans  sa  rédaction 
ou  dans  son  classement  final.  [A.  F.] 


BIBLIOGRAPHIE  3o  I 

seau  ait  été  l'instrument  des  «  ministres  »  genevois:  à  cela  il  n'eut 
que  trop  d'entrain  :  «  Toutes  les  vieilles  rancunes  secrètes  de 
Jean-Jacques  à  l'égard  de  Voltaire,  l'envie  du  parasite  contre  le 
richard,  la  haine  de  l'obscur  pour  l'illustre,  la  gloriole  surtout  de 
se  mesurer,  David  de  la  religion  naturelle,  contre  ce  (ioliath  du 
blasphème,  lui  dictèrent  sa  lettre  du  i8  août.  »  Ici  l'on  trouvera 
que  la  critique  de  M.  R.  ne  plane  plus  assez.  [A.  F.l 

Michel  Salomon.  Charles  Nodier  et  le  L!;roiipe  romantique,  d'après 
des  documents  inédits.  Ouvrage  orné  de  deux  portraits,  Pa- 
ris, Perrin  et  G'-  édit.,  1908,  in-iô,  xii-3i4  pp. 

P.  3.  Charles  Nodier  élevé  par  son  père  dans  les  principes  de 
l'Emile.  —  47.  Influence  de  la  Nouvelle  Heloïse  dans  un  opus- 
cule de  jeunesse,  Le  peintre  de  Salt^bourg  (i8o3).  —  230-237.  Pa- 
rallèle entre  la  Nouvelle  Héloïse  et  Candide,  dans  le  cours  de  lit- 
térature (inédit)  que  Nodier  professa  à  Dôle  en  1828.  —  243.  Son 
jugement  sur  les  «  types  »  de  la  Nouvelle  Héloïse.  — 253.  De  Vol- 
taire ou  de  Rousseau,  Nodier  serait  embarrassé  pour  dire  qui  aie 
plus  contribué  à  l'anéantissement  des  vieilles  doctrines  monarchi- 
ques. —  258,262,268.  Influence  ou  réminiscences  de  Rousseau 
dans  son  œuvre.  —  3o5.  Nodier  revenu  du  Contrat  social  après 
s'en  être  grisé.  |L.  P.]. 

Ernest  Seillii^re.  La  Philosophie  de  V Impérialisme:  IV.  Le  mal 
romantique,  Essai  sur  Vimpérialisme  irrationnel,  Paris,  Plon- 
Nourrit  &  Ci<^  édit.,  1908,  gr.  in-8,  lxxvii-3q()  pp. 

Nous  avons  parlé  en  leur  temps  des  derniers  ouvrages  consa- 
crés par  l'auteur  à  la  «  philosophie  de  l'impérialisme  «  (Annales^ 
1906,  p.  283-284;  1908,  p.  321-322).  Celui-ci  en  est  la  conclusion  et 
le  couronnement.  Rousseau  s'y  trouve  mentionné  incidemment  : 
et  comment  serait-il  absent  d'une  étude  sur  la  pathologie  du  ro- 
mantisme, l'auteur  faisant  le  procès  de  celui-ci  en  tant  qu'il  le 
considère  comme  une  exaltation  d'égotisme  et  de  mysticisme, 
c'est-à-dire  comme  une  exaltation  de  la  sensibilité  au  détriment 
du  jugement,  finalement  comme  une  pure  insurrection  de  l'instinct 
contre  la  raison  ?  (Remarquons  en  passant  combien  l'expression 
stendhaliennne  d'égotisme  convient  à  M.  Seillière.  L'egoïsme,  c'est 
l'impérialisme  normal  et  sain  ;  l'égotisme,  c'est  l'impérialisme  mor- 
bide ;  Rousseau  est  un  grand  égotiste).  —  P.  xii.  La  prédication 
morale  de  Rousseau  est  une  régression,  non  une  réaction  contre 
les  excès  du  rationalisme  philosophique.  —  xix-xxvn.  Des  cinq 
générations  romantiques  distinguées  par  l'auteur,  Rousseau  est 
le  père  de  la  première,  «  le  Messie  de  l'âge  romantique,  le  pseudo- 
Christ  des  temps  modernes.»  Individualisme  sans  frein,  psycho- 


J02  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  J.  J.  ROUSSEAU 

logie  mystique,  morale  romantique  avec  des  velléités  pompeuses 
de  morale  stoïcienne  :  tous  les  caractères  de  sa  postérité  intellec- 
tuelle. (A  signaler,  p.  xxvi,  note  i,  ce  que  l'auteur  dit  en  passant 
du  romantisme  de  Kant).  —  xxviii.  Schiller  et  Rousseau.  Goldsmith 
est  déjà  une  sorte  de  Rousseau  anglais.  —  xxxviii.  Tolstoï  est  une 
réincarnation  de  Jean-Jacques.  —  xlvii.  Rousseau  et  les  Encyclo- 
pédistes; Condorcet,  Volney.  —  lx,  note.  Traditionalisme  de  Rous- 
seau; cf.  Lemaître. 

Fourier  et  Rousseau.  —  P.  i.  Babeuf,  Saint-Simon,  Owen, 
Fourier  procèdent  de  Rousseau.  —  26.  Fourier,  sous  prétexte  de 
corriger  les  théories  morales  de  Rousseau,  les  exagère  follement 
dans  le  sens  romantique  et  mystique.  —  54.  Conception  follement 
égotiste  de  la  vie  sociale  dans  Fourier;  différence  avec  le  Cotitrat 
social.  —  60-61.  Mysticisme  social.  Le  phalanstère  et  les  «  habi- 
tants »  des  Dialogues  de  Rousseau.  —  63,  note  i.  Une  réminis- 
cence des  Rêveries  du  promeneur  solitaire.  —  64.  Fourier  four- 
nit une  caricature  du  rousseauisme.  —  81.  La  bonté  naturelle.  — 
i38.  Fourier  raille  le  moralisme  de  Jean-Jacques.  —  177.  Conclu- 
sion. En  exagérant  la  pensée  de  Rousseau,  Fourier  l'a  adaptée 
aux  aspirations  économiques  de  son  temps,  par  la  prédication  du 
luxe. 

Stendhal  et  Rousseau.  —  P.  i8().  Beyle  a  parlé  de  lui-même 
plus  complaisamment  encore  que  Rousseau.  —  224,  227,  245.  Sen- 
sibilité à  la  Rousseau,  c'est-à-dire  vulnérabilité  nerveuse,  timi- 
dité passionnée,  affinement  émotif.  —  233.  Comment  Beyle 
«  payait  son  écot  ».  —  236.  Il  se  reconnaît  porté  à  la  «  masca- 
rade »,  c'est-à-dire  au  mensonge,  comme  Rousseau  s'avouait 
«  fabuleux  ».  —  25f.  Il  préfère  au  plat  bonheur  le  malheur  pas- 
sionné de  Rousseau.  —  254-257.  Mysticisme  esthétique.  Influence 
de  Rousseau  ;  anecdotes.  Rousseau  dans  la  correspondance, 
l'œuvre  et  le  Journal  de  Beyle;  tentative  de  réaction.  —  166. 
Tentative  de  conciliation  entre  Helvétius  et  Jean-Jacques.  |L.  P.| 

Stendhal.  Correspondance  (  i  Sou- i  842},  publiée  par  Ad.  Paupe 
et  P.-  A.  Cheramy  sur  les  originaux  de  diverses  collections. 
Préface  de  Maurice  Barrés,  de  l'Académie  française  |avec 
trois  portraits  inédits  photogravés.]  Paris,  Ch.  Bosse,  1908, 
3  vol.  gr.  in-8  de  xxrv-448,  viii-5(k)  et  vi  11-378  pp. 

T.  I,  p.  2.  '<  La  lecture  de  Plutarque  a  formé  le  caractère  de 
l'homme  qui  eut  jamais  la  plus  belle  âme  et  le  plus  grand  génie, 
J.  J.  Rousseau.»  —  27.  '«Je  relis  sans  cesse  Virgile  et  Jean-Jac- 
ques. »  —  52.  Beyle  conseille  à  sa  sœur  de  lire  la  vie  de  Rousseau. 
—  89.  Influence  de  Jean-Jacques  sur  «  ce  qu'on  appelle  la  bonne 


BIBLIOGRAPHIE  3o3 

.compagnie.» —  94.  Rousseau  et  tous  les  grands  hommes  ont  com- 
mencé par  le  regret  du  bonheur.  —  loi.  «  Rousseau  malheureux 
toute  sa  vie  parce  qu'il  cherchait  un  ami  comme  il  en  a  existé 
peut-être  une  dizaine  depuis  Homère.  »  —  107.  Bonne  foi  de  Rous- 
seau dans  ses  erreurs.  —  109-110.  Il  s'est  ennuyé  dans  le  monde; 
il  était  toujours  de  mauvaise  humeur.  —  129.  Influence  de  Jean- 
Jacques  sur  Beyle  enfant. —  141-142.  En  i8o5,  il  lit  les  Confessions 
et  les  Rêveries.  —  i58.  Mélancolie,  inspiratrice  de  Rousseau  com- 
me de  tous  les  grands  génies  sensibles.  —  160.  Services  qu'il  a  ren- 
dus à  la  société  moderne  comme  destructeur  des  préjugés.  —  184. 
Rousseau  «philosophe  chagrin  pour  n'avoir  pas  pris  le  monde  du 
bon  côté.  »  —  109.  Voltaire  et  Rousseau  ne  seront  bien  connus 
qu'après  la  publication  de  toutes  leurs  lettres  et  celles  des  mémoi- 
res des  contemporains.  —  2o3.  Rousseau  a  «une  tête  commune 
et  un  cœur  inimitable.  »  —  286.  Faute  d'hypocrisie  mondaine,  «  il 
est  mort  enragé.  »  —  287.  Beyle  recommande  pour  un  de  ses  jeu- 
nes cousins  la  lecture  du  Contrat  social.  — 288.  Le  monde  nuisi- 
ble à  qui  le  néglige,  comme  Rousseau.  —  244.  Beyle  conseille  à  sa 
sœur  Pauline  la  lecture  du  Contrat  social.  —  259.  Erreur  de  Rous- 
seau quand  il  a  pris  les  arts  pour  les  causes  de  la  corruption  qui 
les  accompagne  toujours.  —  260.  «  Rousseau  et  les  autres  philoso- 
phes ont  eu  d'excellentes  choses,  mais  il  faut  bien  prendre  garde 
d'admettre  par  dessus  le  marché  leurs  erreurs.  »  —  385.  Bevle  lit 
les  Confessions  (à  Moscou,  en  1812).  C'est  faute  de  beylisme  que 
Jean-Jacques  a  été  si  malheureux.  —  385-386.  Idée  de  Rousseau 
sur  la  musique. 

T.  II,  p.  77,  107  et  226.  Beyle  se  fait  envoyer  à  Milan,  en  1818  et 
1820,  des  ouvrages  de  Rousseau.  —  272.  Rousseau  a  donné  aux 
bords  du  Léman  une  célébrité  exagérée.  —  286.  Oriele,  0  lettere 
di  due  amanti,  roman  publié  à  Paris  en  1822,  est  une  imitation 
de  la  Nouvelle  Héloïse.  —  358.  Beyle  signale  (en  1825)  l'appa- 
rition d'une  édition  des  œuvres  complètes  de  Rousseau.  — 
5o5.  «  Un  homme  comme  J.  J.  Rousseau  n'a  pas  trop  de  dix-huit 
heures  par  jour  pour  songer  à  tourner  les  phrases  de  son  Emile. 

—  522.  Ascendant  de  Thérèse  Levasseur  sur  Rousseau,  d'après 
Brissot. 

T.  III,  p.  95.  Beyle  (en  i832)  écrit  ses  Confessions,  «  au  style 
près,  comme  Jean-Jacques  Rousseau,  avec  plus  de  franchise.  »  (Il 
veut  parler  de  la  Vie  de  Henri  Brulard).  —  102.  Il  a  découvert  à 
Rome  (en  i833)  le  manuscrit  de  Confessions  comme  celles  de 
Rousseau,  écrites  par  un  jeune  abbé,  Don  Ruggiero,  au  XVII<-^  siècle. 

—  166.  Il  vient  d'écrire  (en  i836)  ses  confessions  «  avec  moins  de 
talent  et  plus  de  franchise  que   Rousseau.  »  (Il  désigne  ainsi  son 


304  ANNALES   DE    LA    SOCIÉTÉ  .1.    .!.    ROUSSEAU 

Napoléon).  —  260.  Voltaire  et  Rousseau  donnent  de  Teloignemenr 
pour  la  France  (à  Rome,  en  1841.)  [L.  P.]. 

Julien  TiERSOT.  Les  Fêtes  et  les  Chants  de  la  Révolution  fran- 
çaise, Paris,  Hachette  &  Cie  édit.,  1908,  in-i6,  xxxviii-323  pp.. 

P.  XXVI,  Nécessité  des  fêtes  populaires  d'après  Rousseau;  la 
page  où  il  a  traité  ce  sujet  a  peut-être  inspiré  la  Marseillaise.  — 
3.  Mauvais  état  des  musiques  militaires  françaises  au  XVI II*  siècle, 
d'après  Rousseau.  —  94-95-  Le  programme  de  la  fête  de  la  P'édé- 
ration  du  10  août  i7q3  était  tout  pénétré  de  l'esprit  de  Rousseau, 
et  V Hymne  a  la  nature  de  Gossec,  exécuté  au  lever  du  soleil,  est 
une  paraphrase  musicale  de  la  description  qui  précède  la  Profes- 
sion de  foi  du  vicaire  savoyard:  n  Les  ravt)ns  du  st)leil  levant  ra- 
saient déjà  les  plaines...  >,  —  lyo.  Le  5  flt)real  an  II,  ouverture 
d'un  concours  pour  Texécution  de  la  statue  en  bronze  de  Jean- 
Jacques  Rousseau.  —  201-204.  Fêtes  en  son  honneur.  Translation 
de  ses  cendres  au  Panthéon,  le  20  vendémiaire  an  III  (11  octobre 
1704). —  229.  Fêtes  des  dernières  annnées  de  l'ère  révolutionnaire; 
influence  de  Rousseau.  —  235.  Les  fêtes  décadaires  en  l'honneur 
de  l'Ftre  suprême.  |L.  P.] 

Léon  Vallas.  La  musique  a  l'Académie  de  Lyon  au  dix-huitième 
siècle.  (Thèse  de  doctorat  ès-lettres.  Université  de  Lvon.i 
Edition  de  la  Revue  musicale  de  Lfon,  s.  1.  [Lyon],  novembre 
i()o8,  gr.  in-8,  xx-243  pp. 

M.  V.  exagère  peut-être  un  peu  lorsqu'il  pense  (p.  i3S)  qu'ail 
v  aurait  tout  un  ouvrage  à  écrire  sur  Rousseau  et  les  musiciens 
lyonnais.  »  Mettons  un  mémoire  solide,  tout  le  monde  sera 
d'accord.  (]elui  qui  écrira  ce  mémoire  ne  pourra  se  dispenser 
de  recourir  au  présent  travail  fortement  documenté,  en  partie 
de  première  main,  mais  en  se  prémunissant  contre  le  parti  pris 
de  l'auteur  et  son  ignorance  manifeste  de  tout  ce  qui  a  été  écrit 
hors  de  Lyon  sur  le  sujet.  Ainsi,  en  ce  qui  concerne  la  partition 
du  Pygmalion  et  le  méchant  rôle  qu'on  prête  à  Rousseau  dans 
cette  affaire,  le  dernier  mot  n'a  certainement  pas  été  dit  par  MM. 
Antoine  Salles  (Horace  (^oii^nel  cl  le  Pygmalion  de  Rousseau 
dans  la  Revue  musicale  de  Lyon,  24  et  3i  décembre  1903),  et  F.  Z. 
(>ollombet  (./.  ./.  Rousseau  à  Lyon.  Revue  du  Lyonnais,  i838,  VIll, 
3),  non  plus  qu'en  ce  qui  concerne  la  musique  du  Devin  du  village. 
il  n'a  été  dit  par  (^lastil  Blaze...  Mais  écartons  les  sujets  de  polé- 
mique et  bornons-nous  à  dépouiller: 

P.  12.  n.  4:  la  (lùte  à  bec  de  Rousseau  ;  —  42  :  renseignements 
sui'  le  musicien  David,  mentionné  par  Rousseau  dans  les    C'.onfes- 


BIBI.IOC.RAI'HIE 


3o5 


5/o«i'  (séjour  à  Lvon  en  1741);—  102  :  les  «  folies  de  violon  de 
M.  Mondonville  »  (Dicl.  de  mus.,  art.  Sonate);  cf.  sur  ce  person- 
nage, p.  84,  85,  86,  97,  106,  etc.  ; —  [24:  au  concert  du  3  juillet  1765, 
Mlle  Fargues  interprète  la  cantate  de  la  Naissance  de  Vénus  de 
Rousseau;  —  iSg  et  suiv.  :  Rousseau,  de  passage  à  Lyon  en  1770, 
assiste  à  des  représentations  du  Devin  du  Village,  organisées  en 
son  honneur,  et  à  quelques  concerts  de  l'Académie,  notamment 
un  concert  spirituel  du  Vendredi-Saint  (n,  ou  il  fait  la  connais- 
sance d'H.  Coignet.  Composition  de  la  musique  du  Prgmalion. 
L'affaire  du  motet  racontée  par  Coignet  (dans  un  récit  quelque 
peu  suspect,  veut  bien  reconnaître  M.  V.)  ;  —  173  et  221  :  lecture 
des  discours  de  Bordes  contre  Rousseau,  les  11  mai  1751,  l'-'f 
août  et  II  décembre  1732  à  FAcadémie  des  Sciences  et  Belles- 
Lettres  :  le  troisième  n'est  connu  que  par  le  résume  du  procès- 
verbal  dont  M.  V.  reproduit  le  texte:  —  178:  l'académicien 
Charles  Bordes  (1711-1781),  l'ami,  puis  l'adversaire  de  Rousseau; 
—  182:  lecture,  le  ib  janvier  1754.  de  la  lettre  de  démission  de 
Montucla,  avocat  au  parlement,  contenant  de  curieuses  allusions 
au  bruit  causé  par  la  Lettre  sur  la  musique  française  ;  l'auteur  se 
donne  pour  être  '<  du  coin  de  la  reine  »  ;  —  204:  l'académicien 
Cheisset  apprend  par  la  lettre  de  Rousseau  publiée  dans  le  Mer- 
cure de  juin  1751,  l'existence  du  mode  nouveau  inventé  parBlain- 
ville.  |A.  F.| 

Teodor   de    Wvzewa.    (Quelques   figuix's  de   femmes  aimantes   ou 
malheureuses,  Paris,  Perrin  &  C"--  edit.,  i()o8,  in-8,  418  pp. 

P.  3o2  :  Mary  Wollstonecraft,  la  «  mère  du  féminisme  »,  à  dix- 
huit  ans,  lit  une  traduction  de  V Emile  et  finit  par  l'apprendre  par 
cœur;  Rousseau  devient  «son  auteur  favori,  Tinspirateur  de  tous 
ses  sentiments  et  de  toutes  ses  pensées  »  ;  —  3ot),  rencontre  le 
peintre  suisse  Fuseli,  admirateur  de  Rousseau  ;  —  3i6,  discute 
les  idées  du  philosophe  sur  la  femme  (très  intéressant).  [A.  F".J 


Revue  des  Deux  Mondes,  l'-i  septembre  et  it"'"  octobre  1908:  Jean- 
Jacques  Roi:ssE.\u,  Lettres  inédiles,  yiuhWtdcs  par  M.  Philippe 
Godet. 

Quarante-huit  lettres,  véritable  trésor,  publiées  d"après  les  ori- 
ginaux ou  copies  d'originaux  appartenant  à  la  baronne  Bartholdi, 
née  de  Lessert,  à  Paris.  Elles  vont  du  9  avril  1766  au  8  mars 
1776,  et  sont  adressées  à  Mm^  de  Lessert,  née  Bov  de  la  Tour,  sauf 
une  lettre  à  Thérèse  Le  'Vasseur  et  deux  lettres  à   M^e  Bov  de  la 

20 


:)00  ANNALES   DE   LA  SOCIÉTÉ  .(.    J.    ROUSSEAU 

Tour,  née  Roguin.  Aug.  Ducoin,  dans  sa  brochure  Trois  mois  Je 
la  vie  de  Jean-Jacques  Rousseau,  Paris,  i852,  p.  io3-io4,  avait 
déjà  publié  d'après  les  papiers  Rozières  à  Grenoble,  un  texte  des 
Sentiments  du  public  sur  mon  compte  à  peu  de  chose  près  con- 
forme à  celui  que  M.  G.  restitue.  Nous  regrettons  que  dans  une 
publication  de  ce  genre,  tut-elle  faite  par  la  Revue  des  Deux 
Mondes,  on  n'ait  pas  cru  devoir  conserver  l'orthographe  de  l'ori- 
ginal, comme  l'a  fait  M.  de  Rothschild  pour  les  lettres  à  Mme  Boy 
de  la  Tour.  [A.  F.] 

La  Grande  Revue,  lo  octobre   1908  :  Georges  Audigier,    Les  por- 
traits originaux  de  Jean-Jacques  Rousseau. 

M.  A.  n'en  reconnaît  que  quatre  :  ["  le  pastel  de  Latour,  du  mu- 
sée de  Saint-Quentin,  et  sa  réplique  du  Musée  de  Genève;  20  la 
lithographie  du  dessin  de  F.  Houel  fait  à  Montmorency,  «  dans  la 
petite  maison  de  l'orangerie  du  maréchal  de  Luxembourg,  le  di- 
manche de  l'octave  de  la  Fête-Dieu,  l'an  1764  »  (date  fort  sus- 
pecte, aurait  dû  observer  M.  A.);  3°  le  portrait  à  l'huile  de  Ram- 
say,  conservé  au  Musée  d'Edimbourg;  5°  les  deux  bustes  de  Hou- 
don,  et  surtout  la  lithographie  de  Marins  Lavigne  représentant  le 
masque  moule  sur  le  cadavre  du  philosophe  par  l'illustre  sculp- 
teur. Cet  article  intéressant,  quoique  un  peu  hâtif,  appellerait  une 
discussion  serrée  dans  l'ensemble  comme  dans  le  détail.  |A.  F.] 

Louis  AuRENCHE.  Madame  de  Larnage  au  Bourg-St-Andéol,  Pri- 
vas, imprimerie  centrale  de  l'Ardèche,  1908,  in-8,  34  pp. 

Cet  article  ajoute  quelques  renseignements  a  l'étude  publiée 
par  notre  confrère  dans  nos  Annales,  t.  III,  p.  (39  et  suiv.  Ce  sont 
toujours  des  documents  d'archives  qui  en  fournissent  la  matière; 
on  peut  dire  qu'après  les  derniers  coups  de  sonde  de  M.  A. 
nous  connaissons  et  au-delà  tout  ce  qu'il  est  important  de  savoir 
sur  la  famille  et  l'héroïne  du  livre  VI  des  Confessions.  La  notice 
nouvelle  est  accompagnée  de  deux  vues,  l'une  du  Bourg-Saint- 
Andéol,  l'autre  de  la  maison  de  Madame  de  Larnage  au  Bourg- 
Saint-Andeol.  A  propos  du  doublet  Torignan-Taulignan  dont  il  a 
été  question  déjà  dans  l'article  des  Annales,  disons  qu'il  n'a  rien 
d'étonnant  dans  un  région  où  l'échange  de  Vr  (lingual)  et  de  /  est 
particulièrement  fréquent.  On  en  trouverait  sans  doute  beaucoup 
d'autres  exemples  dans  les  documents  d'archives.  [A.  F".] 

Revue  des  Deux  Mondes,    i5  novembre    190S  :  Vicomte   Georges 
d'AvENEL,  Honoraires  des  gens  de  lettres. 

De  cette  captivante  étude  nous  extrayons  les  renseignements 
suivants   concernant    Rousseau.  Au   contraire    de    Voltaire,  fort 


BIBLIOGRAPHIE  Soy 

désintéressé  en  ce  qui  concerne  le  rendement  de  ses  ouvrages, 
Rousseau  s'applique  sans  cesse  à  vendre  les  siens  le  plus  cherpos- 
sible,  «  pour  se  délivrer,  dit-il,  de  la  crainte  de  mourir  de  faim.  » 
11  repoussa  les  pensions  et  les  places  et,  certes,  l'obstination  de 
cet  insensé  de  génie  à  tirer  de  son  cerveau  seul  son  maigre  bud- 
get ne  manque  pas  de  grandeur.  Jean-Jacques,  que  l'on  a  cru 
souvent  dupé  par  les  libraires,  déploya  au  contraire  dans  ses  rap- 
ports avec  eux  l'esprit  le  plus  pratique  ;  il  fit  preuve  d'une  téna- 
cité prudente,  d'un  esprit  de  suite  et  de  méthode  qu'il  ne  porta 
nulle  part  ailleurs  dans  sa  vie  décousue  et  tourmentée. 

Les  deux  ouvrages  de  Rousseau  qui  lui  ont  rapporté  le  plus 
furent  le  Devin  du  Village  et  le  Dictionnaire  de  musique.  Le  Devin 
valut  à  Jean-Jacques  un  présent  royal  de  5,400  francs  ;  il  en  reçut 
un  autre  de  2,700  francs  de  la  part  de  Mme  de  Pompadour,  qui  fit 
jouer  la  pièce  à  Bellevue.  Avec  les  représentations  de  l'Opéra  et 
la  gravure,  on  arrive  au  total  de  11,925  francs.  Le  Dictionnaire  de 
Musique  fut  offert  par  Rousseau  à  Duchesne  pour  10,460  fr.,  ou  à 
son  choix,  5,400  francs  payés  comptant  et  une  pension  viagère  de 
660  francs.  Le  libraire  préféra  ce  dernier  mode  de  payement  (1765) 
et  servit  la  pension  durant  douze  ans  jusqu'à  la  mort  de  l'auteur. 

Quant  aux  autres  livres  de  Jean-Jacques,  ses  lettres  nous  ap- 
prennent que  la  Nouvelle  Héloïse  fut  payée  4,860  francs,  le  Con- 
trat social  2,200,  les  Lettres  de  la  Montagne  2,200,  la  Lettre  sur  les 
spectacles  1,620  francs  ;  le  tout  après  de  minutieux  débats  avec 
ses  éditeurs.  Il  les  excite,  les  caresse  et  les  menace  tour  à  tour. 
Pour  les  réimpressions  de  ses  œuvres,  les  prétentions  de  Jean- 
Jacques  nous  semblent  fort  modestes:  réfugié  dans  le  canton  de 
Neuchàtel  en  1765,  il  s'efforçait  de  céder  la  propriété  intégrale  de 
ses  œuvres  moyennant  une  rente  viagère  de  3, 600  francs,  —  1,600 
livres  —  «  qui  est  la  somme  que  je  dépense  annuellement  depuis 
que  je  vis  dans  mon  ménage,  c'est-à-dire  depuis  dix-sept  ans  ». 
L'affaire  manqua  ;  il  réduisit  ses  prétentions  à  2,200  francs,  s'en- 
gageant  en  outre  à  donner  à  ses  acquéreurs  ce  qu'il  pourrait  pu- 
blier par  la  suite.  Il  finit  par  traiter  pour  1,400  francs  par  an  qui, 
joints  à  une  pension  de  660  francs,  constituée  par  l'éditeur  d'Ams- 
terdam sur  la  tête  de  Thérèse  Le  Vasseur,  et  à  la  rente  de  pa- 
reille somme  payée  par  la  librairie  Duchesne,  lui  fit  un  revenu  de 
2,720  francs  par  an. 

M.  D'Avenel  observe  justement  qu'il  n'y  a  nul  rapport  entre  de 
telles  sommes  et  le  bruit  fait  par  les  livres  de  Rousseau  déjà  de 
son  vivant.  Ajoutons  aux  renseignements  ci-dessus  que  dans  ses 
conversations  avec  Bernardin  de  Saint-Pierre  (édit.  Souriau, 
p.  60-61)  Jean-Jacques  déclare  qu'il  n'a  pas  tiré  20  mille  livres  de 
-ses  ouvrages,  et  qu'il  a  vendu  V Emile  7000  livres.  [A.  F.] 


3o8  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  J.   ROUSSEAU 

Revue  Bleue,  4  janvier  1908:  Fernand  Caussy,  Voltaire  pacifi- 
cateur de  Genève  :  —  suivi  des  Propositions  |de  Voltaire] 
a  c.vjiniiier  pour  apaiser  les  divisons  de  Genève. 

Intéressante  contribution  à  l'étude  de  "  l'affaire  J.  J.  Rousseau». 
[L.  P.] 

Revue  bleue,  11  avril  i()o8:  Edme  Champion,  Deu.v  conversions  de 
J.  J.  Rousseau. 

(Chapitre  détache,  comme  le  précédent,  d'un  livre  en  prépara- 
tion sur  J.  J.  Rousseau  et  la  Révolution  française.  Bornons-nous 
à  dire  ici  qu'il  s'agit  de  deux  conversions  «  politiques  »  de 
Rousseau,  l'une  conservatrice,  concordant  avec  YEpitre  à  Parisol, 
l'autre,  fort  subversive  déjà,  même  rérolutionnaire,  dont  le  pre- 
mier Discours  serait  le  point  de  départ.  [A.  F.] 

Revue  bleue,  -ib  juillet  i()n8  :  Edme  Champion,  Rousseau  et  Maral. 

M.  E.  Ch. proteste  contre  les  efforts  faits  par  certains  historiens 
tendancieux  pour  «accoupler  Rousseau  avec  Marat».  D'abord,  il 
n'est  pas  vrai  de  dire  que  Marat  a  été  purement  et  simplement  l'a- 
pôtre du  Contrat  social,  qu'il  lui  est  arrivé  de  commenter  peut-être 
en  1788,  selon  le  témoignage  de  Mallet  du  Pan,  mais  dont  il  n'a 
pas  adopté  toujours  toutes  les  idées,  qu'il  a  même  parfois  ouver- 
tement contredit.  Ensuite,  la  Révolution  elle-même  n'a  pas  con- 
fondu ces  deux  hommes  :  leurs  deux  panthéonisations  notam- 
ment, entre  lesquelles  Nisard  tente  d'établir  une  relation  logique, 
s'opposent  en  réalité  l'une  à  l'autre.  On  se  sert  de  Rousseau  pour 
désavouer  Marat,  pour  renverser  l'idole  infirme  de  son  trône. 
|A.   F.| 

Annales  Révolutionnaires,  janvier-mars  1908:  Arthur  Chi-qiet,  Aa 
jeunesse  de  Camille  Desjnoulins. 

P.  13-17:  Sentiments  peu  bienveillants  de  Cam.  Desmoulins 
envers  Rousseau,  à  qui  cependant  il  doit  beaucoup  dans  ses  écrits. 
[L.  P.] 

Annales  Révolutionnaires,  janvier-mars,  1908,  (rubrique  :  Notes  et 
Glanes):  A.  (^|hl"quet|.  Bilder  aus  Sievekings  Leben. 

P.  i23-r24:  A.  Sieveking,  a  l'occasion  d'une  excursion  à  Mont- 
morency faite,  en  1810,  avec  Overbeck,  se  félicite  de  connaître 
tous  les  séjours  de  Rousseau.  |L.  1-*.| 


BIBLIOGRAPHIE  Sog 

Ad.  D'EspiNK,  membre  correspondant  de  TAcademie  de  méde- 
cine. Jean-Jacques  Rousseau  et  Desessart^.  Extrait  du  Bulle- 
tin de  l'Académie  de  médecine,  séance  du  2  juin  1908.  In-8, 
8  pp. 

Il  n'était  pas  inditierent  pour  nous  de  connaître  l'avis  d'un 
homme  du  métier  —  M.  D'Espine,  professeur  à  l'Université  de 
Genève,  s'est  fait  une  juste  réputation  dans  la  médecine  de  l'en- 
fance —  sur  ces  soi-disants  plagiats  dont,  au  dire  de  dom  (>ajot 
et  de  Desessartz  lui-même,  Rousseau  se  serait  rendu  coupable  en 
pillant  la  Traite  de  l'éducation  corporelle  des  enfants  en  bas  âges, 
publié  par  le  médecin  Desessartz  en  1760.  M.  D'Espine  prouve: 
loque  Rousseau  n'a  pas  pu  connaître  cet  ouvrage  au  moment  où  il 
rédigeait  le  livre  premier  de  VEmile\  1"  qu'en  effet  les  indications 
fournies  par  Rousseau  diffèrent  sur  des  points  importants  J.e  la 
thérapeutique  de  Desessartz.  Si  nous  ajoutons  qu'à  sa  propre 
science,  M.  D'E.  joint  l'érudition  intelligente  puisée  aux  meilleu- 
res sources,  nous  aurons  achevé  de  faire  sentir  le  prix  de  son 
petit  travail.  [A.  P.] 

Revue  thérapeutique  des  alcaloïdes,  2e  série,  icS'-^  année,  n«>  42,  43, 
44,  juin-septembre  1908  :  Dr  Fernel,  La  médecine  légale  dans 
l'histoire:  J.  J.  Rousseau  s'est-il  suicidé? 

Ces  articles  lucides  et  documentes  sont  probablement  ce  qu'on 
a  écrit  jusqu'ici  de  plus  judicieux  et  de  plus  complet  sur  la  mort 
de  Rousseau.  Nul  n'était  mieux  qualifié  pour  aborder  un  pareil 
sujet  que  le  D""  Cabanes,  qui  se  cache  sous  le  pseudonyme  du 
Dr  Fernel.  La  question  du  suicide  est  ici  résolue  une  fois  de 
plus  négativement,  avec  beaucoup  de  force.  L'auteur  rappelle 
d'abord  l'exhumation  du  cercueil  de  Rousseau  au  Panthéon  en 
1897,  sans  exagérer  la  valeur  du  témoignage  fourni  par  cette  en- 
quête, témoignage  secondaire  selon  lui  ;  puis  il  retrace  minu- 
tieusement, d'après  les  meilleures  sources  contemporaines,  les 
circonstances  de  la  mort  de  Rousseau.  La  suite  de  son  étude  dis- 
cute et  réduit  à  néant  les  diverses  versions  de  la  mort  violente  de 
Rousseau:  suicide  par  empoisonnement  (M"ie  de  Staël,  Dubois 
d'Amiens),  suicide  par  une  arme  à  feu  (Corancez),  homicide  par 
imprudence  commis  par  Thérèse  (Raspail).  L'auteur  établit  enfin 
la  mort  naturelle  du  philosophe  et  confirme,  à  cent  trente  ans  de 
distance,  le  diagnostic  du  certificat  d'autopsie,  l'apoplexie  séreuse. 
Au  fond,  comme  il  le  fait  observer,  rarement  mort  de  grand 
homme  fut  enveloppée  de  moins  de  mystère,  et  l'on  a  peine  à 
s'expliquer  la  persistance  d'une  légende  qui  témoigne  surtout  de 


JIO  ANNALES   DE    LA   SOCIETE  J.    J.    ROUSSEAU 

l'imagination  romanesque  de  ses  auteurs,  et  qui  n'a  pas  pour  elle 
l'ombre  d'un  fondement  solide.  Disons  à  ce  propos  qu'un  dossier 
manuscrit  très  complet  des  pièces  du  débat,  réuni  par  les  soins 
de  M.  Ernest  Naville,  se  trouve  aujourd'hui  déposé  aux  Archives 
J.  J.  Rovtsseau.  [A.  F.] 

Annales  des  maladies  des  organes  génito-nrinaires,  Paris,  26e  an- 
née, vol.  I,  no  9,  iQoS:  Yy^P .Hy.ky.sco,  Etude  sur  les  rétrécisse- 
ments congénitaux  de  l'urètre  à  propos  de  la  maladie  urinaire 
de  J.  J.  Rousseau. 

Cette  étude  confirme  le  diagnostic  des  docteurs  Poncet  et  Le- 
riche  (Annales,  IV,  p.  323),  sauf  en  ce  qui  concerne  le  siège  du 
rétrécissement  que  l'auteur  place  avec  Mercier  (Recherches  sur  la 
nature  et  le  traitement  d'une  cause  fréquente  et  peu  connue  de  ré- 
tention d'urine,  Paris,  1844)  non  pas  dans  la  portion  bulbo-mem- 
braneuse,  mais  dans  la  portion  prostatique  de  l'urètre,  tout  près 
du  col  de  la  vessie.  Le  travail  du  docteur  H.  emprunte  une 
grande  partie  de  son  intérêt  à  l'observation  de  cas  analogues  ou 
semblables  faite  par  lui  dans  les  hôpitaux.  [A.  F.] 

Journal  du  magnétisme,  Paris,  no  36  (  igcS)  :  D'  H.  Labonne,  Pe- 
tit problème  sur  la  maladie  de  J.  J.  Rousseau. 

Cette  note  ajoute  quelques  observations  au  diagnostic  des  doc- 
teurs Poncet  et  Leriche  (voyez  Annales,  IV,  p.  325),  notamment 
en  ce  qui  concerne  l'existence  d'une  hernie  et  d'un  phimosis 
congénital  chez  Rousseau.  [A.  F.| 

Mercure  de  France,  i"-*'  juin,  i(j  juin  iyo8:  Marius-Ary  Leblond. 
Le  Rêve  du  bonheur;  Rousseau,  Bernardin  et  le  XIX<^  siècle. 

Ces  articles  ont  ete  depuis  groupés  en  un  volume  dont  il  sera 
rendu  compte  en  son  temps. 

Revue  des  cours  et  des  conférences,  28  mai  iqoS  :  Maurice  Masson, 
professeur  à  l'I'niversité  de  Fribourg,  Rousseau  expliqué  par 
Jean-Jacques. 

Fn  d'autres  termes  la  vie  et  l'œuvre  expliqués  par  le  tempéra- 
ment, dont  les  grands  traits  sont  :  l'ouvrier  —  l'artisan  raté,  le 
paresseux  —  l'homme  agité  par  la  maladie,  le  sensitif  et  le  pas- 
sionné qui  finit  par  rapporter  tout  à  soi.  Cette  dernière  leçon 
d'un  cours  professé  pendant  trois  semestres  a  été  également  re- 
produite dans  la  Revue  de  Fribourg,  juin  igo8,  p.  423-453,  sous  ce 
litre  :  Le  rapport  de  la  vie  au  système  de  J.  J.  Rousseau.  [A.  F".] 


BIBLIOGRAPHIE 


3ll 


L'ami  des  monuments  et  des  arts  parisiens  et  français,  it^  partie  du 
tome  XXI  (n"  119),  s.  d.  (1908):  Ch.  N.,  Idées  de  Jean-Jacques 
Rousseau  sur  la  conservation  des  monuments,  Arènes  de 
A'îmes. 

Cette  note  s'inspire  d'un  passage  des  Confessions  où  Rousseau 
oppose  l'état  de  délabrement  des  Arènes  de  Nîmes  au  XVIIIe  siè- 
cle, au  soin  avec  lequel  on  veille  sur  les  arènes  de  Vérone. 
[A.  F.l 

Mario  Schiff.  Editions  et  traductions  italiennes  des  Œuvres  de 
Jean-Jacques  Rousseau,  Paris,  Honoré  Champion  édit., 
1908,  in-8,  69  pp.  (extrait  de  la  Revue  des  bibliothèques,  juil- 
let-septembre iqoj,  janvier-mars  1908). 

Dans  ce  travail,  M.  S.  ne  s'est  pas  contenté  de  décrire  minu- 
tieusement chaque  pièce,  manuscrite  ou  imprimée,  d'après  les 
formules  les  plus  exigeantes  de  la  science  bibliographique.  Il  y  a 
joint  de  larges  extraits  des  préfaces  ou  des  introductions,  qui 
dispenseront  les  travailleurs  de  recourir,  désormais,  aux  origi- 
naux, dont  quelques-uns  sont  très  difficilement  accessibles.  De 
la  sorte,  une  bonne  part  des  éléments  essentiels  d'une  étude  sur 
l'influence  de  Rousseau  en  Italie,  sont  réunis  dans  ces  69  pages. 
Il  n'y  a  plus  qu'à  mettre  la  matière  en  œuvre.  D'un  premier  coup 
d'œil  jeté  sur  ce  répertoire,  il  ressort  que  le  plus  en  vogue  des 
ouvrages  de  Rousseau  au  delà  des  monts  a  été  Pygmalion  17  ver- 
sions, 20  éditions,  1773-1894),  à  cause,  dit  M.  S.,  de  la  ressem- 
blance de  cet  ouvrage  avec  les  productions  de  Métastase.  Puis 
viennent  le  Contrat  social  (7  versions,  i3  éditions  dont  2  fran- 
çaises, 1796-1903),  les  Discours  sur  les  sciences  (3  v.,  3  éd.,  1760- 
1892),  sur  l'inégalité  14  v.,  5  éd.,  dont  une  française,  1797-1892),  sur 
l'Economie  politique  (4  v.  4  éd.,  1797-1892),  sur  les  héros  (i  éd.), 
sur  l'origine  du  langage  (1  éd.,  1892),  \e  Projet  de  Paix  perpétuelle 
(2  v.,  I  éd.,  1892),  la  Nouvelle  Héloïse  (2  v.  3  éd.,  1813-1898),  des 
fragments  de  cet  ouvrage,  notamment  8  éditions  de  la  lettre  de 
Saint-Preux  sur  l'économie  domestique  dans  le  ménage  Wolmar, 
sous  le  titre  //  buon  governo  degli  affari  domestici  (à  partir  de 
1762),  VEmile  (2  v.,  2  éd.  dont  une  d'extraits,  1887-1907),  les  Con- 
fessions (1  V.,  1  éd.,  1884),  ces  deux  derniers  ouvrages  traduits  fort 
tard,  comme  on  voit,  etc.,  etc.  Dans  son  introduction,  M.  S. 
s'est  bien  gardé  de  remercier  le  Comité  de  la  Société  .1.  J.  Rous- 
seau qui  lui  avait  donné  l'idée  de  son  travail,  et  qui  s'y  était  inté- 
ressé pour  le  moins  autant  que  MM.  Morpurgo  et  Papa,  et  avant 
eux.  [A.  F.] 


:)12  ANNAI.KS    DK    I. A    >OCli;i'K   .1.    .1.    ROUSSivVU 

Le  Ménestrel,  Paris,  ]3  aoùi  moS:  .lulien  Tikrsot,  Soixante  ans 
de  la  vie  de  Gluck  (1714-17741. 

Poursuivant  une  série  d"etudes  sur  le  grand  musicien  d'Orfée 
et  d'Alceste,  M.  T.  apprécie,  chemin  faisant,  dans  cet  article,  le 
rôle  joué  par  Rousseau  dans  le  débat  sur  la  musique  française.  11 
pense  que  «  ce  n'est  pas  aux  écrits  nés  dans  l'ardeur  du  combat 
qu'il  faut  demander  la  vraie  pensée  de  Jean-Jacques  »,  mais  au 
Dictionnaire  de  musique,  ou  se  trouvent  exposées  des  idées  parti- 
culièrement justes  et  teconJes  slh^  la  musique  et  en  particulier 
sur  l'opéra.  [A.  F.| 

HONGRIE 

Rousseau,  J.  J.  Valloniasaini  [Mes  Confessions|,  francziàb(')i  (01- 
ditotta  BogdÂnfy  Odon,  Budapest,  Franklin-Tàrsulat  edit., 
1908,  2  vol.  in-8,  278  et  394  pp. 

Annotation  combinée  de  Musset-Pathav,  de  Petitain  et  du  tra- 
ducteur. 

ITALIE 

Gian-Giacomo  Rousseau.  Etuilio  o  dell  educa^ione,  lraduzit)ne  di 
Almerico  Ribera,  con  prefazione  di  l-uigi  Credaro,  Milano, 
Société  éditrice  Sonzogno,  s.  d.  |i(io8).  in-8,  402  pp.  1  Biblio- 
teca  classica  ecnnoiuica,  w  1  kh. 

Continuation  d'une  série  de  traductions  de  Rousseau  que  nous 
avons  eu  déjà  l'occasion  de  signaler  a  nos  lecteurs  (cf.  Annales, 
t.  II,  p.  288).  L'excellente  préface  de  M.  (l.  donne  ime  biographie 
sommaire  de  Rousseau  (débutant  par  un  résume  de  l'histoire  de 
de  Genève  où  cette  ville  est  qualifiée  de  "  centre  le  plus  vivant 
de  la  spiritualité  française  après  Paris  "I,  une  analyse  et  ime 
critique  judicieuse  de  VJiiuile,  a\ec  cette  conclusion  intéressante 
à  relever  sous  la  plume  d'wn  spécialiste  de  la  pédagogie  :  «  Fmcore 
aujourd'hui,  il  n'v  a  pas  d'inirodLiction  meilleure  ni  plus  efficace  à 
la  science  de  l'éducation  que  V/\>niledc  Rousseau,  quoique  r«  évan- 
gile de  la  nature  de  l'éducation  ■•.  comme  Gœthe  appelait  VEmile, 
n'ait  jamais  été  adopte,  .le  voudrais  que  tous  ceux  qui  ont  des  enfants, 
tous  ceux  qui  enseignent,  le  lussent  et  le  relussent,  écartant  ce  qui 
est  faux,  s'appropriant  ce  qui  est  vrai  et  bon  ».  Une  ou  deux  taches 
à  faire  disparaître  dans  l'édition  suivante.  P.  7.  l'abbé  de  Govivon 
n'est  pour  rien  dans  le  vicaire  savoyard:  c'est   l'abbé   (îàtier  qu'il 


lilBLIOCRAl'Hii:  3i3 

faut  lire  ;  quant  a  l'abbc  Gaimc,  Kousscau  n'a  pas  fait  sa  connais- 
sance à  Annecy,  mais  à  Turin.  I\  n,  c'est  en  mai  1778  let  non 
1777)  que  Rousseau  se  lixe  a  Ermenonville  :  et  il  meurt  âge,  non 
de  62,  mais  de  66  ans,  étant  ne  en  1712.  Kntin,  p.  h,  il  n'est  pas 
exact  de  dire  que  c'est  la  critique  allemande  qui  a  surtout 
éclairci  la  biographie  de  Rousseau:  c'est  la  critique  suisse  et 
française.  [A.  F.] 

Giorgio  Del  Vecchio,  prof,  nella  R.  Università  di  Sassari:  // 
concetto  délia  Natiifa  e  il  principio  del  Diritto,  Milano,  To- 
rino,  Roma,  fratelli  Bocca  edit.,  iqocS,  gr.  in-8,  174  pp. 

Ce  nouvel  ouvrage  de  notre  savant  confrère  nous  intéresse 
surtout  pour  deux  notes.  Dans  l'une  |p.  73»,  M.  D.  V.  montre 
qu'il  y  a  déjà  chez  Rousseau,  notamment  dans  la  Profession  de 
foi,  des  traces  de  l'antithèse  kantienne  entre  le  caractère  intelli- 
gible et  méthaphysique  de  la  personne  et  son  caractère  sensible 
et  physique.  Dans  l'autre  (p.  61),  Rousseau  lui  sert  de  preuve  que 
le  culte  de  la  nature  est  étroitement  uni  dans  l'histoire  a  l'huma- 
nisme, c'est-à-dire  à  la  conscience  de  l'infinie  valeur  de  l'homme. 
[A.  F.| 


Scena  illiistrjla,  Florence.  1  mars  i()o8  :  Mario  Foresi,  Madame 
de  Warens. 

Reproduction  en  grande  partie  textuelle  de  l'article  du  même 
auteur  sur  G.  G.  Rousseau  luusicista  paru  dans  Ars  el  labor  {cf. 
Annales,  IV,  p.  3321  [A.  F.| 

La  Maschera,  cronaca  del  teatro,  anno  1\',  n.  4,  ih  janvier  1Q08: 
G.  Pagliara,  La  prima  com>nedia  di  ./.  ./.  Rousseau  ^ 

La  première  comédie  représentée,  soit  L'engagement  téméraire, 
dont  M.  P.  raconte  agréablement  l'histoire,  de  sa  composition 
à  Chenonceaux.  en  1747.  à  sa  représentation  à  la  Ghevrette,  en 
1748.  |A.  F.] 

RUSSIE 

Jan-Jak  Russo.  O  Bogue  [Sur  Dieu],  perevod  s  fran/.uskago  L.  N., 
Saint-Pétersbourg.  Senatorskaïa  tvpographia,  rqoS,  in-8, 
III  pp. 

Traduction  de   la  Profession  de  foi  du  vicaire  savoyard,   des- 
'  Reproduit  dans  //  Pcnsiero  latinu.  Milan,  2  août  1908. 


3  14  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .T.  .T.  ROUSSEAU 

tinée  à  combler  dans  la  traduction  d'Emile  de  P.  Perrof,  Mos- 
cou, 1896,  un  vide  naguère  encore  justifie  par  Texistence  de  la 
censure.  [A.  F.] 

Grey  Graham.  J.  J.  Rlisso,  ego  ji^n  proip'edeuia  i  okriijaioiichaia 
sreda  [J.  J.  Rousseau,  sa  vie,  ses  œuvres,  son  milieu],  s.  por- 
tretom  Russo,  2e  édit.,  Moscou,  V.  N.  Marakuief  édit.,  1908. 
in-8,  25 1  pp.,  un  portrait  hors  texte  [d'après  la  reproduction 
de  l'original  de  Friley  donnée  par  Le  Livre]. 

Sans  doute,  bien  qu'on  ne  le  dise  pas,  traduction  du  Rousseau 
d'Henry  Grey  Graham,  paru  en  1882,  à  Londres  et  à  Edimbourg 
chez  Blackwood  and  Sons,  dans  la  collection  des  Foreign  Clas- 
sics  for  English  readers,  edited  by  Mrs.  Oliphant.  [A.  F.] 


SUISSE 

Jean-Jacques  Rousseau.  Jour  après  jour,  [par  Adèle  de  Saussure|. 
Genève,  Alex.  Jullien  édit,  1908,  in-i6,  382  pp. 

«  Jour  après  jour  une  parole  de  Jean-Jacques,  cherchée  et 
transcrite  par  une  Genevoise  pour  faire  mieux  aimer  et  connaître 
le  citoyen  de  Genève  »,  tel  est  l'avant-propos  de  ce  recueil  qui 
fait,  avec  une  grâce  et  un  tact  parfaits,  les  honneurs  de  l'esprit  et 
du  cœur  de  Jean-Jacques.  L'intention,  le  sentiment  et  l'ambition 
d'une  admiratrice  très  intelligente  du  philosophe,  du  moraliste  et 
de  l'écrivain  sont  indiqués  en  ces  quelques  mots,  que  complètent 
et  la  dédicace:  ><  à  la  Société  Jean-Jacques  Rousseau  je  dédie  ce 
petit  volume  »,  et  le  nom  d'une  famille  genevoise  illustre  dans  les 
sciences  et  les  lettres. 

Depuis  les  Pensées  de  J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève,  un 
choix  de  maximes  que  leur  auteur  anonyme  (l'abbé  De  la  Porte) 
présentait,  en  1763,  comme  «  dictées  par  l'humanité,  l'honneur  et 
la  sagesse  »,  et  où,  laissant  dans  l'ombre  le  «  sophiste  hardi  »,  il 
ne  voulait  offrir  que  «  l'écrivain  brillant  et  mâle,  l'homme  sen- 
sible ei  le  penseur  »;  depuis  V Esprit,  maximes  et  principes  de 
M.  Jean-Jacques  Rousseau  de  Genève,  que  les  libraires  associés 
publiaient  en  1764,  bien  des  recueils  anonymes  ont  paru  qui  sont 
des  imitations  ou  des  rééditions  de  ces  deux-là.  Le  Jour  après 
jour  de  Madame  de  Saussure  s'en  distingue  par  l'absence  d'in- 
tention polémique  ou  apologétique  '.  11  est  l'ceuvrc  d'une   lectrice 

'  Voir  par  exemple  :  Sabatier  de  (lastres,  Le  véritable  esprit  Je  ./.  •/. 
Rousseau . 


BIBLIOGRAPHIE 


3l 


qui  n'a  suivi  d'autres  guides,  dans  son  voyage  à  travers  l'œuvre 
de  Rousseau,  que  sa  sympathie  et  une  sorte  de  candeur  avisée  qui 
ignore  les  parti-pris. 

Chez  un  écrivain  dont  la  pensée  est  si  fermement  enchaînée  et 
qui  remplit  tous  ses  livres  de  sa  personne,  si  bien  que  le  «  je  » 
n'est  Jamais  absent,  même  de  ses  discours  en  apparence  les  plus 
abstraits,  il  est  malaisé  de  choisir  de  courtes  réflexions,  appro- 
priées à  tous  les  lecteurs  et  dont  chacune  s'explique  d'elle-même. 
Mme  A.  de  S.  y  a  réussi.  Dans  ses  éphémérides  rousseauistes,  les 
jours  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  pas.  Rien  de  plus  divers, 
par  l'inspiration  et  par  l'application.  Et  pourtant,  la  sève  cachée 
qui  court  dans  les  fleurs  et  les  épis  de  cette  gerbe,  c'est  bien 
l'âme  passionnée,  douloureuse,  clairvoyante,  tendre  et  victo- 
rieuse du  promeneur  solitaire.  Et  la  piété  de  celle  qui  les  a 
cueillis  et  assemblés,  c'est  bien  celle  d'une  Genevoise  qui  aime 
Jean-Jacques  à  cause  de  sa  patrie  et  sa  patrie  à  cause  de  Jean- 
Jacques.  «  Ne  dis  donc  pas:  que  m'importe  où  je  suis?  Il  t'im- 
porte d'être  où  tu  peux  remplir  tous  tes  devoirs  ;  et  l'un  de  ces 
devoirs,  c'est  l'attachement  pour  le  lieu  de  ta  naissance.  « 

Des  pervenches  pâles  ornent  la  couverture  de  Jour  après  jour  ; 
un  portrait,  d'après  l'un  des  pastels  de  La  Tour,  ouvre  le  volume; 
l'Ile  des  Peupliers  le  ferme,  avec  le  quatrain  naïf  de  Ducis  gravé 
sur  une  estampe  du  tombeau  d'Ermenonville.  Chaque  page  est 
encadrée  d'un  fllet  rouge  qui  enveloppe  la  pensée  comme  d'une 
vibration  de  vie.  Ainsi  Rousseau  traçait-il  de  sa  main  d'artiste  gra- 
veur un  cadre  à  l'encre  rouge  autour  des  feuillets  de  ses  herbiers. 
Tant  de  soins  délicats  sont  un  hommage  déplus.  Jean-Jacques  les 
eût  appréciés,  lui  qui  aimait  tant  les  beaux  manuscrits,  une  table 
joliment  servie,  la  lingerie  fine,  la  netteté  scrupuleuse  dans  l'ex- 
pression, une  parure  simple  et  soignée,  l'art  et  la  nature  si  bien 
associés  que  la  nature  en  parait  plus  vraie,  et  l'art  plus  intime  et 
vivant.  [B.  B.] 

Louis  WiTTMER,  docteur  es  lettres.  Charles  de  Villers  (ij65- 
i8i5},  un  intermédiaire  entre  la  France  et  l Allemagne  et  un 
précurseur  de  Mme  de  Staël,  Genève,  Georg  &  C''^,  Paris,  Ha- 
chette &  C'e,  édit.,  in-8.  vi-473  pp. 

P.  12,  dans  son  premier  ouvrage  politique.  De  la  liberté,  son 
tableau  et  sa  définition,  ce  qu'elle  est  dans  la  société,  inspiré  par 
l'horreur  de  la  Révolution  sanglante,  V.  s'attaque  aux  théories 
rousseauistes  de  l'homme  né  bon  et  de  la  liberté  des  passions, 
dont  il  prend  le  contre-pied  ;  —  35,  et  plus  tard  encore,  dans  le 
Spectateur  du  Nord,  il  triomphe  quand  le  Voyage  de  La  Perouse 


.->!()  ANNALES   DE  LA  SOCIETE  .1.  .1.    ROUSSEAU 

vieni  démentir  la  croyance  au  c.  bon  sauvage":  —  [(ji.  Influence 
forte  et  durable  de  Rousseau  sur  Jacobi,  qui  initie  Villers  à  la  phi- 
losophie de  Rousseau,  dont  la  signification  morale  et  religieuse 
lui  avait  jusqu'alors  complètement  échappé;  Villers  déiste  comme 
Rousseau.  [A.  F.] 


La  Revue  verte,  Fribourg,  i3  mars  kjoS  :  Bibliophii.on,  /.  ./. 
Rousseau  revu  et  corrigé  par  lui-même. 

Etude  analogue  à  celles  de  V.  Cousin  dans  le  Journal  des  Sa- 
vants de  septembre  et  novembre  184S,  et  d'Antoine  Albalat  dans 
Le  travail  du  style  enseigné  par  les  corrections  manuscrites  des 
grands  écrivains,  iqo3.  Celle-ci  prend  pour  base  les  fac-similés  du 
manuscrit  d'Ejuile  publiés  en  1878  à  très  petit  nombre  par  le  li- 
braire Rouveyre.  [A.  F.| 

Maurice  Boy  dp.  la  Tour.  La  maison  Rousseau  à  Môtiers.  Extrait 
du  tome  III  (1907)  des  Annales  de  la  Société  Jean-Jacques 
Rousseau,  Genève,  1908,  in-8,  4  pp. 

Schweijer  Frauenheini,  Zurich,  4  juillet  1908,  p.  368-3Ô9  :  Hed- 
wig  CoRREvoN,  Jean- Jacques  Rousseau,  Zur  /.Vo.  ll'ù"- 
derkehr  seines  Todestages  i 3.  [sic]  Juli). 

Article  et  jugement  de  circonstance,  comme  l'indique  le  litre. 

Prof.  A.  D'FIspiNK,  président  du  Congres.  Rousseau  et  iallailenicnl 
maternel,  discours  prononcé  le  3  septembre  }f)o6'  a  Fouver- 
ture  du  dixième  Congrès  français  de  médecine  réuni  à  Genève, 
Extrait  de  la  Revue  médicale  de  la  Suisse  romande,  XXVIII'iif 
année,  n'»  9,  20  septembre  1908,  Genève,  Société  générale 
d'imprimerie,    i()o8,  in-8,  11  pp.,  une  planche  hors-texte. 

11  faut  regretter  que  cette  étude  captivante  ait  été  réduite  aux 
proportions  d'un  discours.  Elle  méritait  mieux  par  les  matériaux 
abondants  mis  en  œuvre  et  par  la  compétence  de  l'auteur.  H 
aurait  valu  la  peine  de  la  pousser  davantage,  notamment  en  ce  qui 
concerne  l'époque  de  Rousseau*.  M.  D'E.  n'en  a  pas  moins  trace 
là  une  excellente  histoire  sommaire  de  l'allaitement  maternel  de 
l'antiquité  jusqu'à  nos  jours,  histoire  où  Ivousseau  doit  naturel- 
lement tenir  la  place  d'honneur.  (A.  F.| 

'  On  est  surpris  de  n'y  pas  voir  mentioniice  la  Dissertation  sur  l'édu- 
cation physique  des  enfants,  Paris,  1762,  du  Genevois  Jacques  Balexsert, 


BIBLIOGRAPHIE  .^  1  7 

Musée  neiichâtelois,  recueil  d'histoire  nationale  et  d'archéologie, 
XLV'^  année,  mars-avril  1908.  p.  56-58  :  Aug.  Dubois,  Un  billet 
inédit  de  J.  J.  Rousseau  a  Isabelle  d'Ivernois. 

Billet  sans  adresse,  sans  date  et  sans  signature,  faisant  partie 
de  la  collection  des  lettres  de  Rousseau  remises  récemment  à  la 
Bibliothèque  de  Neuchâtel  par  la  famille  d'Alph.  Petitpierre. 
Selon  M.  D.,  il  doit  être  daté,  à  un  ou  deux  jours  près,  du  27  mai 
1764.  Dans  une  note,  l'éditeur  nous  renseigne  sur  Fétat  actuel  du 
fameux  lacet  offert  par  Jean-Jacques  a  sa  jeune  amie.  [A.  F".] 

La  Semaine  littéraire.  Genève,  2  et  q  mai    1Q08:  Philippe  Godet. 
Un  jour  a  Montmorency. 

Encore  un  de  ces  pèlerinages  dont  le  récit,  sinon  le  thème,  se 
renouvelle  indéfiniment  au  gré  des  narrateurs  !  M.  P.  G.  s'y  est 
pris  de  la  bonne  manière  puisqu'il  a  eu  pour  guide  M.  J.  Ponsin, 
l'homme  dvi  monde  qui  connait  le  mieux  le  Montmorencv  de 
Rousseau.  [A.  F.| 

Musée  neuchàtelois,  mai-juin  1908,  p.  82-100:  Philippe  Godet, 
Lettres  inédites  de  Mrlord  Maréchal. 

Plusieurs  de  ces  dix-neuf  lettres  adressées  au  colonel  Chaillei 
sont  à  verser  au  dossier  de  l'histoire  des  événements  qui  ont  dé- 
terminé Rousseau  à  quitter  Môtiers,  événements  auxquels,  comme 
on  sait,  Mylord  Maréchal  et  le  colonel  Chaillet  furent  directement 
mêlés.  A  noter,  p.  97,  le  plaisant  Brouillon  d'un  rescript  que  je 
ferl>is  si  j'éiois  Pritice  de  Neufchâtel,  à  propos  des  menaces  de 
mort  dont  les  magistrats  enquêteurs  dans  l'affaire  de  la  lapidation 
furent  l'objet  dans  le  pays.  P.  100,  il  est  fait  allusion  à  un  por- 
trait donné  par  Rousseau  à  son  protecteur  et  dont  celui-ci  fait 
faire  des  copies.  Serait-ce  le  second  pastel  de  La  Tour  offert  par 
le  peintre  à  son  modèle  en  1764,  et  que  l'on  hésite  à  identifier 
avec  le  portrait  du  Musée  de  Genève  légué  par  Coindet  (Vovez 
Annales,  II,  p.  1461  ?  Rousseau  s'en  serait  ainsi  débarrasse  au  mo- 
ment de  fuir  le  comté  de  Neuchâtel.  [A.  F.] 


que  Rousseau  a  accusé  de  plagiat,  mais  à  tort,  semble-t-il,  non  plus 
que  le  concours  de  l'Académie  de  Haarlem  auquel  elle  était  destinée  : 
«  Quelle  est  la  meilleure  direction  à  suivre  dans  rhabillement,  la  nour- 
riture et  les  exercices  des  enfants,  depuis  le  moment  où  ils  naissent, 
jusqu'à  leur  adolescence,  pour  qu'ils  vivent  longtemps  en  santé?» 
(Cf.  Musset-Pathay^  Histoiie,  II,  i5-i6.) 


3l8  ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  J,  J.   ROUSSEAU 

Revue  de  F?-ibourg,  juin  1908  :  Maurice  Masson,  Le  rapport  de  la 
vie  au  sj'Stè7ne  de  J.  J.  Rousseau. 

Vovez  plus  haut  p.  3 10. 

Revue  de  Fribourg,  1908,  p.  170:  G.  de  Reynold,  Jean-Jacques 
Bodmer  et  Jean-Jacques  Rousseau,  caractères  de  l'écrivain 
suisse. 

Chapitre  détaché  d'un  ouvrage  en  préparation  dont  nous  ren- 
drons compte  en  son  temps. 

Musée  neuchâtelois.  XLV^  année,  septembre-octobre  1908,  p.  169, 
***  Promenades  neuchâteloises  en  France  (avec planches):  Trie. 

Description  et  histoire  de  cette  localité  où  Rousseau  a  laissé 
comme  marques  de  son  passage  son  nom  sur  une  tour  et  la 
signature  de  Thérèse  au  bas  d'un  acte  de  baptême  (fac-similé  de 
l'acte).  [A.  F.] 


REVUE  DES  BIBLIOGRAPHIES 

Annales  Jean-Jacques  Rousseau,  igoj. 

Semaine  littéraire,  Genève,  2  mai  (G.  Vallette,  La  vie  en  Suisse). 
—  Journal  de  Genève,  3o  avril  (G.  Vallette).  —  Patrie  suisse,  24 
juin,  (J.  Cougnard).  —  Bibliothèque  universelle,  Lausanne,  juin 
1908  {Chronique  suisse).  —  Neue  Zilrcher  Zeitmig,  28  juin  (Tj. 
Vallette). 

Frankfurter  Zeilung,  4  oct.  (A.  Buchenau).  —  Herrig's  Archiv, 
Bd.  CXX  |XX)  juillet  1908,  p.  478. —  Mïmchner  neueste  Nachrich- 
ten,  Beilage,  2  août.  (L.  Geiger,   Neue  Rousseau  Litcratur). 

Journal  des  Débats,  i'^'^  mai  (Ph[ilippe]  G[odet])  —  Revue  criti- 
que, 3  sept.  (L.  R.)  —  Journal  de  Tournon,  10  mai  (XXX). 

Aurenche,  Mme  de  Larnage. 

Le  Temps,  27  juil.  ((H.  Roujon]  En  marge).  —  Journal  de  Va- 
lence, i3  mai  (M.  V.) 

Ch.   Collins,    Voltaire,   Montesquieu  and  Rousseau  in  England. 

Glascow  News,  7  mai. —  The  Graphie,  Londres,  6  juin.  —  Daily 
Telegraph,     Londres,    10    avril.   —  \Daily    Chronicle,    Londres, 


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Mail  Galette,  Londres,  29  juil.  —  T.  P'.s  Weekly,  Londres,  10 
avril.  —  Daily  News,  Londres,  7  avril.  —  The  Times,  Londres, 
9  avril  —  Vossische  Zeitung,  Berlin,  14  oct.  —  New  York  He- 
rald, Paris,  3  mai  —  Revue  des  Deux  Mondes.  i5  mai  et  i5  juin 
(T.  de  Wyzewa).  —  Semaine  littéraire,  Genève,  i3  juin  (A.  Fi- 
Jon.) 

Compavré,  J.  J.  Rousseau  (trad.  angl.  de  Jago). 

Scotsman,  Edimbourg,  27  fév. 

Del  Vecchio.  Teoria  del  Contratto  sociale  (suite.) 
Literarisches  Zentrablatt,  27  juin. 

D'Espine,  J.  J.  Rousseau  et  Des  Essarts. 

Chronique  médicale,  Paris,  i^r  sept.  —  Journal  de  Genève,  7 
juin. 

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Journal  de  Geiîève,  3o  nov.  (P.  Seippel)  —  Semaine  littéraire, 
Genève,  5  déc.  (G.  Vallette).  —  La  Cultura,  Rome,  i3  dèc.  (G. 
de  LoUist. 

Fernel  [Cabanes],  /.  /.  Rousseau  s'est-il  suicidé? 
Liberté,  Naples,  17  oct. 

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Le  Genevois,  4  mai  (R.)  —  Revue  savoisienne,  1908,  p.  63  (J.  Dé- 
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Rousseau  Literatur).  —  Literarisches  Zentralblatt,  23  mai  (F.  Bau- 
mann).  —  Zeitschrift  fiir  die  œster.  Gymnasien,  1908,  p.  239  (Ph. 
A.  Becker).  —  Frankfurter  Zeitung,  16  fév.  (A.  Buchenau).  — 
Revue  germanique,  mai-juin  1908  (J.  Dresch).  —  Journal  de  Ge- 
nève, 14  mars  (S.) 

Girardin,  Iconographie  de  J.  J.  Rousseau. 

Revue  d'hist.  litt.  de  la  France,  octobre -décembre  1908  (P. 
B[onnefon]). —  Le  Temps,  2  juil.  ([H.  Roujon]  En  marge).  —  Fi- 


320  AXNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  .1.  .1.  ROUSSEAU 

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New-York  Herald,  Paris.  7  juil.  —  La  Suisse  libérale,  Neuchà- 
tel,  20  juil.  —  Galette  de  Lausanne.  18  août  (G.  V[allette]).  — 
National  Suisse,  18  août.  • —  Journal  de  Genève,  2  août  (P.  Scip- 
pel). 

(jribble,  Rousseau  and  the   \Vo}}ien  he  loved. 

The  Times,  Literary  Supplément,  Londres,  12  nov.  —  West- 
minster Galette,  Londres,  10  oct.  —  Daily  Chronicle,  Londres,  i3 
oct.  (Tighe  Hopkinsi.  —  Daily  Express.  Londres,  23  oct.  — 
Daily  Graphie,  Londres,  2  oct.  —  Daily  Telegraph,  ib  sept.  — 
Evening  Standard.  Londres,  20  oct.  —  The  Standard,  Londres, 
26  déc.  —  Public  Ledger.  Philadelphie.  24  oct.  —  New  York  He- 
rald. Paris.  2?  oct. 

Griinherc.  Rousseau  joueur  d'échecs. 
Galette  de  Lausatvie,  11  juin.  —  Le  Genevois.  !■-■'  juin  iR.i 

Hensel.  ,/.  ./.  Rousseau. 

Kolnische  Zeitung,  23  juil.  —  Zeitschrift  fiir  die  tester.  Gym- 
nasien.  iqo8,  p.  230  iPh.  A.  Beckerl.  —  Literarisches  Central- 
blatt.  7  mars  (F.  Baumann).  —  Miinchner  neuste  Nachrichten, 
2  août  iL.  Geiger,  N eue  Rousseau  Lileratur). 

Heresco.  }Liladie  ui-niaire  de  Rousseau. 
Chronique  médicale,  i3  août. 

i-asserre,  Romantis)ne  tsuitcl. 

Revue  germanique,  juillet-août  1008  (L.  (^azamian).  —  L'Otr/- 
^CHf,  Paris,  sept.  i<)o8  (L.  Rouartl. 

.L  Lemaitre,  /.  ./.  Rousseau  isuiteK 

L'année  philosophique,  p.  p.  !•'.  Pillon,  i()o8,  p.  272  |L.  D.)  — 
Mïmchner  neuste  Nachrichten,  2  août  (L.  Geiger,  Neue  Rousseau 
Literalur).  —  La  Cultura,  Rome,  i5  déc.  |C.  de  LoUis).  —  Schwei^e- 
risches  Evang.  Schulblatt,  nj  sept.  (H.  Weimer).  —  Westminster 
Ga:;ette.  Londres,  10  oct.  —  Daily  Telegraph.  Londres,  i(5  oct. — 
Daily  Chronicle,  Londres,  i3  oct.  (Tighe  Hopkins).  —  The  Stan- 
dard, Londres,  lù  déc.  —  The  Times.  Literary  Supplément.  12  nov. 
—  Ne^y  York  Herald,  Paris,  23  oct. 


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12  nov.  —  The  Humanitarian,  Londres,  novembre  igo8.  —  The 
Standard,  Londres,  26  déc. 

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Miinchner  neueste  Nachrichten,  Beilage,  2  août  (L.  Geiger, 
Neue  Rousseau  Literatur).  —  Deutsche  Tages-Zeitung,  Berlin,  1 1 
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Revue  germanique,  novembre-décembre  1908  (F\  Baldensperger). — 
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avril  (G.  Lanson).  —  Revue  pédagogique,  Paris,  i5  sept.  (P.  Ha- 
sard). —  Mercure  de  France,  i"  nov.  (.1.  de  Gourmont).  —  Revue 
latine,  ib  sept.  (E.  Faguet).  —  Revue  critique,  11  juin  (F.  Baldens- 
perger) —  Revue  d'hist.  litt.  de  la  France,  1908,  p.  168  (G.  Lan- 
son). —  Bibliothèque  universelle,  Lausanne,  juin  iqoS  ([P.  Godet], 
Chronique  suisse).  —  Journal  de  Genève,  5  avril  (G.  Vallette).  — 
Suisse  libérale,  Neuchàtel,  29  fév.  —  Revue  de  Fribourg,  nov. 
1908  (P.  H.)  —  Semaine  littéraire,  Genève,  9  mai  (G.  V(allette]|. 
—  Literarisches  Zentralblatt,  20  juin  (N.  S.l 

Poncet  et  Leriche,  Maladie  de  J.  J.  Rousseau. 

Revue  d'hist.  litt.  de  la  France,  XV,  1908,  p.  100.  —  Chronique 
médicale,  i5  janv.  (La  maladie  J.  J.  Rousseau  devant  l Académie 
de  médecine).  —  Le  Temps,  6  janv.  ||H.  Roujon],  En  marge).  — 
La  quinzaine  médicale,  Paris,  i3  fév.  (Chronique).  —  Minerva, 
Rome,   K""  mars. 

G.  Rency,  J.  J.  Rousseau  (suite). 
La  Cultura,  Rome,  i5  dec.  (C.  de  Lollis). 

.L  J.   Rousseau,  Emilio  (trad.  Ribera). 

Berico,  Vicenza,  25  oct.  (A.  G.)  —  //  Secolo,  Milan,  i3  oct.  (C. 
E.  Aroldi,  Per  un  libro  vecchio,  ma  sempre  nuovo). 

21 


322  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.    .1.    ROUSSEAU 

J.  .[.  Rousseau,  Bekenntnisse  (trad.  Hardt)  (suite). 

Mûnchncr  neuestc  Nachrichten,  Beilage,  2  août  (L.  Geiger, 
Neue  Rousseau  Literaturi. —  Xenien,  Leipzig,  1908,  Heft  5,  p.  32i 
(A.  Franke)  —  Die  Gegemvart,  28  mars.  —  Annales  révolution- 
naires, janvier-mars  1908,  p.  134.  (L.  M.) 

J.  .).  Rousseau,  Glaubensbekenntnis  des  s.  V.  (trad.  Reinke). 

Breslauer  Morgen  Zeitung,  10  sept,  et  21  oct.  —  Neue  Ziircher 
Zeitung,  6  janv.  (B.  Fn.) 

J.  J.  Rousseau,  Briefe  (trad.  Kircheisen). 

National  Zeitung,  Bàle,  3  nov.  —  Padagogische  Reform,  Ham- 
bourg, 23  déc. 

J.  J.  Rousseau,  Kulturideale  (éd.  Spranger). 

Neues  Tagblatt,  Stuttgart,  3o  dec.  (H.  P.)  —  Strassburger  Post, 
i5  déc.  —  Basler  Nachrichten,  24  déc.  (M.) 

.1.  J.  Rousseau,  Jour  après  jour  (éd.  A.  de  Saussure). 

Patrie  suisse,  Genève,  le''  avril  (J.  Cougnard).  — Journal  de  Ge- 
nève, 23  mars  (P.  S[eippelJ).  —  Semaine  littéraire,  Genève,  28 
mars  (G.  Vallette,  La  vie  en  Suisse). —  Tribune  de  Genève,  3i  mars. 
—  Galette  de  Lausanne,  18  déc.  —  Suisse  libérale,  12  déc. — Basler 
Zeitung,  12  déc.  —  Neue  Zitrcher  Zeitung,  16  déc.  —  Revue  d'his- 
toire littéraire  de  la  France,  octobre-décembre  1908  (P.  B[onne- 
fon]) —  Gil  Blas,  22  avril. —  Journal  des  Débais,  21  avril  (Ed. 
Rod,  Au  jour  le  jour). 

B.  de  Saint-Pierre,  ./.  J.  Rousseau,  edit.  Souriau  (suite). 
Modem  Language  Notes,  XIII,  8  décembre  1908  (A.  Schinz). 

Schiil",  Lditions  italiennes  de  Rousseau. 
Il  Marjocco,  Florence,  28  juin. 


CHRONIQUE 

Extrait  des  procks-verbaux  des  séances  du  Comité 

Séance  du  28  novembre  1Q08.  —  Le  président  propose  au  Co- 
mité l'envoi  de  circulaires  spéciales  aux  bibliothèques  anglaises 
ou  américaines.  Comme  conclusion  du  débat  qui  s'engage  à  ce 
sujet,  il  est  décidé  de  consacrer  chaque  année  100  francs  à  la  pro- 
pagande en  faveur  de  la  Société  Jean-Jacques  Rousseau. 

Le  précédent  bureau  est  confirmé  purement  et  simplement 
dans  ses  fonctions.  Il  en  est  de  même  des  différentes  commissions, 
sauf  celle  des  Archives,  où  M.  A.  François  prend  la  place  de  M. 
H.  Aubert. 

Séance  du  i5  juin  iqoq.  —  Le  président  annonce  la  mort 
de  M.  Albert  Jansen,  membre  étranger  du  Comité.  Il  exprime  les 
regrets  du  Comité.  M.  H.  Morf,  professeur  à  Francfort,  ayant 
accepté  une  candidature,  son  nomsera  proposé  à  l'assemblée  gé- 
nérale pour  remplacer  celui  de  M.  Jansen. 

Demandes  de  subventions  présentées  pour  des  travaux  biblio- 
graphiques par  deux  membres  de  la  Société.  Le  Comité,  sans 
prendre  d'engagement  formel,  verra  à  utiliser  ces  propositions  le 
moment  venu. 

M.  A.  François  fait  savoir  que  l'étiquetage  (par  numéro)  de  la 
bibliothèque  des  Archives  est  terminé. 

Assemblée  générale  du  i  y  juin  igog. 

Le  rapport  du  président  mentionne  le  retard  considérable  de  la 
publication  du  tome  IV  des  Annales,  les  acquisitions  des  Archives 
en  livres,  manuscrits,  estampes  (notamment  un  choix  fait  avec  la 
Bibliothèque  publique  dans  la  collection  Paul  Strœhlin),  les  pré- 
cieuses fiches  bibliographiques  envoyées  par  la  Bibliothèque  de 
l'Université  d'Harvard,  l'équilibre  qui  se  maintient  dans  le  recru- 
tement des  membres,  en  dépit  des  morts  et  de  quelques  démis- 
sions, l'inauguration  du  monument  d'Ermenonville,  enfin  diver- 
ses représentations  du  Devin  du  village  qui  ont  eu  lieu  récemment, 
en  Suisse  ou  à  l'étraneer  : 


324  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.  .1.    ROUSSEAU 

«  Le  Devin  du  village  a  son  secret,  conclut-il.  Les  spectateurs 
se  partagent,  à  Vienne  ou  à  Neuchâtel,  en  braves  gens  qui  n'en 
savent  que  le  titre  et  la  renommée,  et  en  gens  informés  et  même 
savants,  musicographes  et  historiens  littéraires,  qui  ont  l'esprit  en- 
combré des  gloses,  des  commentaires  et  des  polémiques  qu'a  pro- 
voqués le  petit  opéra  né  dans  le  cœur  et  la  tête  de  Jean-Jacques, 
tandis  qu'il  passait  huit  à  dix  jours  chez  l'ami  Mussard,  à  prendre 
les  eaux  de  Passy  et  à  se  prélasser  dans  «  sa  maison  très  agréable 
et  son  très  joli  jardin  ».  Les  érudits  se  remémorent  la  querelle  sur 
la  musique  italienne  et  la  musique  française,  la  vogue  de  l'opéra 
bouffe,  et  les  insinuations  de  la  coterie  Holbachique,  et  les  colè- 
res des  musiciens  de  l'Opéra...  Cependant  le  rideau  se  lève.  Colette 
paraît  et  se  met  à  chanter:  «  J'ai  perdu  mon  serviteur,  j'ai  perdu  tout 
mon  bonheur  >>,...  et  aussitôt  le  charme  opère.  Un  souffle  frais  des- 
cend de  cette  scène  de  feuillage  sur  le  parterre  ;  il  dissipe  la  pous- 
sière des  controverses  et  les  dissertations  fumeuses  et  les  propos 
chagrins,  il  éclaire  le  cerveau  et  fait   battre  le   cœur  plus  à  l'aise. 

La  tendre  et  puérile  aventure  des  amours  de  Colette  et  de  Co- 
lin, la  ruse  innocente  du  Devin,  la  ronde  joyeuse  des  filles  à  ma- 
rier, ces  jolis  airs  limpides,  ces  récitatifs  langoureux,  ces  accords 
de  caresse  et  de  danse,  tout  évoque  le  Jean-Jacques  aimable,  fa- 
cile, souriant  et  confiant,  gai  compagnon  sous  la  tonnelle,  char- 
mant causeur  sur  les  chemins  de  la  campagne,  tout  plein  de  lu 
poésie  des  choses  rustiques.  C'est  lui  qui  fit  courir  un  frisson  in- 
connu, une  volupté  ravissante  dans  les  nerfs  fatigués  des  cour- 
tisans de  F"ontainebleau.  Sa  musique  naïve  et  cordiale  réveille 
des  émotions  et  ressuscite  un  temps  que  l'on  croyait  mort. 

Ecoutez  cet  enseignement,  MM.  et  chers  confrères  !  C'est  dans 
l'homme  et  dans  son  cœur  ardent  à  la  joie  comme  à  la  souffrance 
qu'est  la  vérité.  Que  tous  nos  travaux,  nos  critiques  scrupuleuses, 
nos  savantes  discussions,  nos  enquêtes  bibliographiques,  nos  la- 
beurs d'éditeurs  et  d'historiens  aient  pour  fin  dernière  et  pour 
souci  constant  de  rendre  la  vie  au  vrai  Jean-Jacques,  comme  il 
pensa,  comme  il  vécut,  comme  il  souffrit,  comme  il  aima.  » 

Le  trésorier  rend  ensuite  compte  de  la  situation  financière  au 
3i  décembre  i<)o8,  qui  se  résume  par  les  chiffres  suivants  : 

Recettes.     .     .     .     fr.     7876  85 
Dépenses    .     .     .      »      i3i7  i5 

Solde  créancier  .     fr.    (J55o  70 

Cet  excédent  des  recettes  inusité  est  dû  au  fait  que  le  tome  1\' 
des  Annales  n'a  pas   encore  été  publié.   Décharge  est  donnée  au 


CHRONIQUE  323 

Trésorier    par    les  vérificateurs  des  comptes,    MM.    (^hapuisat  et 
Fatio,  qui  veulent  bien  accepter  un  nouveau  mandat. 

L'Assemblée  appelle  le  professeur  Heinrich  Morf,  de  Francfort, 
à  représenter  dans  le  Comité  les  rousseauistes  de  langue  alle- 
mande, en  remplacement  de  M.  Albert  Jansen,  décédé.  Puis 
M.  Eugène  Ritter  lit  une  notice  biographique  sur  son  ami  M.  Jan- 
sen, notice  qu'on  trouvera  plus  loin  dans  la  Chronique. 


Etat  des  Archives  J.  J.  Rousseau  au  3i  décembre  1908  :  731 
numéros;  augmentation  de  l'année  :  160  numéros,  dont  87  acquis 
par  la  Société  J.  J.  Rousseau,  73  donnés  par:  MM^^s  Th.  de 
Saussure  et  Ch.  Spiess,  MM.  Bernard  Bouvier,  Al.  F'rançois,  F. 
Kircheisen,  Ad.  D'Espine,  Eug.  Ritter,  Th.  Dufour,  F.  Raisin, 
Alex,  .fullien,  à  Genève:  P.  Usteri,  à  Zurich;  P.  P.  Plan,  H.  Buf- 
fenoir,  à  Paris;  L.  Aurenche,  à  Pierrelatte  ;  Aug.  Castellant,  à 
X'illers-Cotterets:  P.  Bonnardot,  à  Suresnes  ;  Ch.  François,  a 
Lyon;  R.  Bonnard,  a  Rennes;  Alb.  Metzger,  à  Chambéry  ;  Fr. 
<iribble,  a  Londres;  J.-F.  Rotton,  à  Frith  Hill  (Godalmingi  ;  H. 
Mac  Lellan,  à  New-York;  V.  Sqmmerfelt,  à  Larvik  (Norvège); 
G.  Vorberg,  à  Hanovre;  Alf.  Schulze,  a  Kœnigsberg  ;  E.  von 
Sallwûrk,  à  Karslsruhe  ;  A.  Stoppoloni,  à  Ancone;  G.  Del  Vec- 
chio,  à  Sassari  ;  Raf.  Altamira,  à  Oviédo  ;  les  éditeurs  Hachette, 
H.  Champion,  à  Paris;  Sonzogno,  à  Milan;  F".  Dietrich,  Ph.  Re- 
clam junior,  B.-G.  Teubner,  a  Leipzig  ;  J.  Klinkhardt,  Tro- 
witzsch,  à  Berlin;  F.-G.-L.  Gressler,  à  Langensalza;  la  direction 
de  la  Maschera,  à  Naples,  de  la  Nuox'a  Antologia,  à  Rome;  de  la 
Hilfe,  à  Berlin-Schoneberg;  de  la  Grande  Revue,  de  la  Revue 
thérapeutique  des  Alcaloïdes,  des  Annales  des  maladies  génito- 
urinaires,  à  Paris  ;  la  Bibliothèque  publique  et  universitaire  de 
Genève  ;  la  Commission  executive  du  monument  d'Ermenon- 
ville. 

Parmi  les  acquisitions  les  plus  importantes,  citons  une  lettre 
autographe  de  J.  J.  Rousseau  a  Moultou,  11  juin  [1763  ?],  une 
note  autographe  du  même  adressée  au  libraire  Néaulme.  non 
datée,  l'original  du  contrat  de  mariage  de  Mm«  de  Larnage,  un 
beau  portrait  de  Gauffecourt,  peint  par  Nonnotte,  gravé  par  Da- 
villé  en  1754,  l'édition  in-4f  des  Œuvres  de  Rousseau,  Genève, 
1782-1789,  etc.,  etc. 

Le  trésor  des  fiches  bibliographiques  s'est  accru  notamment  de 
47  fiches  envoyées  spontanément  par  la  bibliothèque  de  l'Université 
d'Harvard.  Il  serait  à  désirer  que  beaucoup  d'autres  bibliographes 


326  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  .1.   J.    ROUSSEAU 

des  deux  mondes  imitassent  leurs  zélés  et  intelligents  collègues 
des  Etats-Unis  d'Amérique.  Il  y  a  quelques  années  déjà,  le  di- 
recteur du  Deutsches  Schulmuseum,  à  Berlin,  le  Dr  A.  Rebhuhn, 
nous  avait  adressé  le  catalogue  manuscrit  complet  de  tout  ce  que 
le  musée  possède  concernant  Rousseau.  Nous  l'en  avons  remercie 
en  son  temps. 


ALBERT  JANSEN  ^ 
(1833-1909) 

Au  printemps  de  1881,  la  librairie  Garnier  se  proposait  de  faire 
paraître  une  éditon  des  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau^  pour  faire 
suite  à  celles  de  Voltaire  et  de  Diderot,  qu'elle  venait  de  publier. 
M.  Brunetiere  avait  accepté  la  direction  de  cette  entreprise,  et 
désirant  avoir  la  collaboration  d'un  érudit  genevois,  il  s'était 
adressé  à  M.  Adert,  qui  avait  lui-même  nourri  pendant  quelque 
temps,  et  ensuite  abandonné,  faute  de  loisir,  le  projet  de  publier 
la  correspondance  de  Rousseau. 

M.  Adert,  qui  avait  lu  avec  intérêt  mes  premiers  travaux  sur 
Jean-Jacques,  avait  aussitôt  pensé  à  moi,  et  l'accord  s'était  fait 
rapidement.  M.  Brunetiere  vint  au  mois  de  juin  passer  quelques 
jours  à  Genève,  et  dans  un  dîner  chez  M.  Adert,  auquel  avaient 
pris  part  MM.  Charles  Berthoud  et  Marc  Monnier,  on  but  à  la 
santé  des  futurs  éditeurs,  et  au  succès  de  leur  œuvre. 

Dans  les  premiers  jours  de  septembre,  j'allai  faire  des  recher- 
ches à  la  bibliothèque  de  Neuchâtel,  et  compulser  la  riche  col- 
lection des  papiers  de  Rousseau,  que  Du  Peyrou  lui  a  léguée.  Je 
trouvai  là  M.  Albert  Jansen,  qui  y  était  venu  dans  le  même  but; 
nous  logions  dans  la  même  pension  ;  il  connaissait  déjà  mes 
publications,  et  aussi  celles  de  M.  Théophile  Dufour,  qui  arriva 
a  Neuchâtel  au  moment  où  j'allais  en  partir.  M.  Jansen  m'écrivait 
le  22  septembre,  quelques  jours  après  mon  retour  à  Genève: 
«  Vous  devinez  ma  satisfaction  d'avoir  fait  la  connaissance  de 
M.  Dufour.  Son  nom  était  depuis  longtemps,  dans  mes  senti- 
ments, intimement  réuni  avec  le  vôtre.  Je  pense  avec  joie  au  mo- 
ment où  je  vous  reverrai  à  Genève.  » 


'  Notice  nécrologique  lue  à  VAsscmblcc  générale  du  17  juin   1909. 

2  (>cuc  entreprise  a  traîné  Irtnjitenips,  et  a  fini  par  être  abandonnée. 


CHRONIQUE  327 

M.  Jansen  vint  en  effet,  au  mois  d'octobre,  passer  quelques 
jours  à  Genève,  et  repartit  ensuite  pour  TAllemagne.  Je  ne  l'ai 
pas  revu  depuis;  mais  notre  correspondance  qui  s'est  ralentie 
quelquefois,  ne  s'est  jamais  interrompue.  Elle  n'avait  qu'un  uni- 
que objet  :  Jean-Jacques  Rousseau. 

Quand  j'ai  connu  M.  Jansen,  il  avait  déjà  48  ans;  je  n'ai  rien  su 
de  toute  la  première  moitié  de  sa  carrière.  C'est  à  l'obligeance  de 
son  neveu,  M.  Jean  Boas,  que  je  dois  une  esquisse  de  son  curri- 
culiim  vitae. 

Albert  Jansen  est  ne  le  29  avril  i833,  à  Zeitz,  petite  ville  prus- 
sienne située  sur  TElster,  au  sud  de  Leipzig  ;  son  père  était  maî- 
tre tanneur.  Il  fit  ses  études  au  gymnase  de  Schulpforta  et  à 
l'Université  de  Berlin;  en  i858,  à  la  tète  des  étudiants  et  délégué 
par  eux,  il  eut  l'honneur  d'adresser  un  discours  à  S.  A.  R.  le 
prince  Frédéric-Guillaume. 

L'année  suivante,  il  fut  nommé  professeur  au  gymnase  de 
Landsberg  sur  la  Wartha.  C'est  dans  cette  ville  qu'il  épousa  en 
1862  mademoiselle  Louise  Boas;  mais  après  une  année  de  ma- 
riage, il  eut  la  douleur  de  la  perdre. 

Il  quitta  alors  l'Allemagne,  ayant  été  appelé  à  la  cour  de  Saint- 
Pétersbourg  pour  y  être  le  précepteur  de  S.  A.  I.  la  grande- 
duchesse  Olga;  elle  avait  douze  àtreize  ans.  M.  Jansen,  qui  était 
un  homme  d'un  caractère  sûr,  d'une  intelligence  lucide  et  droite, 
et  de  beaucoup  de  cœur,  fut  apprécié  par  la  famille  impériale  à 
sa  juste  valeur.  Aussi  la  jeune  princesse,  après  son  mariage  avec 
le  roi  de  Grèce,  n'oublia  point  son  ancien  précepteur,  et  jusqu'à 
la  fin  elle  resta  en  correspondance  avec  lui.  Les  lettres  de  S.  M. 
la  reine  Olga  ont  été  léguées  par  M.  Jansen  à  la  bibliothèque  de 
Berlin,  comme  ses  autres  papiers.  ' 

Après  sa  tâche  terminée,  M.  Jansen  était  revenu  à  Berlin  (1867) 
et  pendant  vingt  ans,  il  s'y  voua  à  l'enseignement;  il  avait  été 
nommé  professeur  d'histoire  à  l'Ecole  de  guerre  (Kriegs-Aka- 
demie).  Comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  je  ne  l'ai  connu  que  près  de 
la  fin  de  cette  période  de  sa  vie. 

Je  ne  sais  à  quelle  époque  il  s'est  épris  de  Jean-Jacques  Rous- 
seau; mais  déjà  en  1881,  le  philosophe  genevois  était  devenu  le 
centre  de  toutes  ses  préoccupations,  de  ses  études,  de  ses  recher- 
ches; il  lui  avait  voué  sa  vie  :  c'est  un  exemple,  plus  rare  de  nos 
temps  qu'autrefois,  mais  qui  n'est  pas  unique,  de  ce  charme  sou- 
verain qu'a  possédé,  que  possède  encore  l'auteur  d'Emile,  de  ce 

1  M.  Dufour  et  moi,  nous  avions  reçu  de  M.  Jansen  un  certain  nom- 
bre de  cahiers  de  notes,  qui  ont  pris  place  dans  les  Archives  J.  J.  Rous- 
seau. 


3*28  ANNALES    DE    LA    SOCII'/l'É  .1.   .1.    ROUSSEAU 

don  de  gagner  les  cœurs,  et  d'être  pour  quelques  âmes  celui 
qu'on  aime  par-dessus  tout.  Fccrivain  qu'on  relit  sans  cesse. 

Depuis  i88r,  j'ai  pu  suivre  d'assez  près  la  vie  de  M.  Jansen;  on 
V  compte  d'abord  quelques  années  heureuses  et  fécondes,  1882-87, 
pendant  lesquelles  sa  santé  lui  permettait  de  travailler  beaucoup; 
nous  allons  voir  qu'il  les  a  employées  avec  fruit.  La  maladie  est 
venue  ensuite,  et  il  a  vécu  encore  plus  de  vingt  ans,  sans  que  ses 
forces  lui  aient  permis  de  continuer  l'œuvre  qu'il  avait  entreprise 
avec  ardeur,  avec  amour;  sa  destinée  a  trompé  ses  espérances. 

Dans  sa  retraite  de  Gries-Bozen,  au  pied  méridional  des  Alpes 
du  Tyrol,  où  il  s'était  établi  dans  l'automne  de  1888,  et  où  il  a 
demeuré  jusqu'à  sa  mort,  il  continuait  à  prendre  intérêt  à  tout  ce 
que  M.  Théophile  Dufour  et  moi,  nous  lui  apprenions  de  nos 
recherches  et  de  nos  publications  sur  J.  J.  Rousseau. 

Je  ne  suis  pas  en  mesure  de  donner  la  liste  de  tous  les  articles 
qu'il  a  fait  paraître  çà  et  là;  mais  ses  principales  publications 
sont  les  suivantes  : 

a)  en  langue  française: 

i.  Jean- Jacques  Rousseau.  Fragments  inédits,  recherches  bio- 
graphiques et  littéraires.  Paris,  1882,  84  pages  in-8'^'. 

Cette  brochure  contient  deux  morceaux  inédits  de  Rousseau' 
et  quelques  lettres  et  billets,  également  inédits  ;  —  et  une  his- 
toire de  la  rédaction  des  Confessions. 

2.  Documents  sur  Jean-Jacques  Rousseau  1  ijli-j  à  ijh5)  recueil- 
lis dans  les  Archives  de  Berlin.  Genève,  i885,  92  pages  in-80.  C'est 
un  tirage  à  part  des  Mémoires  de  notre  société  genevoise  d'his- 
toire, tome  22=.  Ce  travail  lui  avait  été  communique  dans  sa 
séance  du  i3  novembre  1884;  on  y  remarque  le  texte  inédit  des 
dépositions  de  J.  J.  Rousseau  et  de  Thérèse  Le  Vasseur,  faites  le 
7  septembre  1763.  sur  Tattaquc  dont  ils  avaient  ete  l'objet  pendant 
la  nuit  précédente. 

b)  en  langue  allemande  : 

3.  Jean-Jacques  Rousseau  als  Musiker.  Berlin,  1S84,  xn  et  482 
pages  in-8". 

4.  Jean-Jacques  Rousseau  als  Bolanikcr.  Berlin.  i883,  viii  et  3(>8 
pages  in-80. 

Ces  deux  volumes  avaient  ele  publies  par  M.  Jansen  pour  dé- 
lester, comme  il  disait,  la  grande  Histoire  de  la  vie  et  des  œuvres 
de  J.  J.  Rousseau,  qu'il  avait  en  vue,  et  à  laquelle  il  put  travailler 
encore  pendant  les  années  suivantes,  jusqu'au  mois  de  janvier 
1888,  où  la  maladie  vint  cruellement  arrêter  son  activité,  sans 
qu'il  ait  pu  rien  rédiger  qui  soit  prêt  pour  l'impression:  si  bien 
que  ces  deux  ouvrages,  qui  n'étaient  pour  lui  que  des  travaux 
accessoires,   se   trouvent  aujourd'hui    constituer  l'essentiel  de  ce 


CHROMQUF.  32() 

qu'il  aura  laisse.  Ce  sont  des  œuvres  solides,  et  il  faudra  les  con- 
sulter toutes  les  fois  qu"on  voudra  parler  de  Rousseau  musicien 
ou  de  Rousseau  botaniste. 

5  et  6.  Deux  articles  dans  Ic-s  J')'cii.ssi.sclic  Jalirbiichcr  :  Zur  Lil- 
teratur  ûber  Rousseau's  Politik.  Tome  4<)'-\  —  Die  Bildnisse  Jean- 
Jacques  Rousseau's,  tome  b2^. 

Pendant  vingt  ans,  M.  Jansen  a  vécu  paisiblement  dans  le  site 
calme  et  tiède  qu'il  avait  choisi  pour  sa  demeure;  il  y  devenait, 
en  vieillissant,  toujours  plus  ami  de  la  solitude.  Sa  santé  était 
restée  assez  bonne  jusqu'en  1907.  Quand  il  entra  dans  sa  soixante- 
quinzième  année,  un  affaiblissement  progressif  se  fit  sentir,  et 
mon  ami  ne  se  dissimula  pas  que  sa  fin  était  proche.  Il  était  en- 
touré de  soins  presque  filiaux  par  son  hôte,  M.  Obermûller.  qui 
nous  a  retracé  en  termes  touchants  l'histoire  de  ses  derniers 
jours;  il  est  mort  d'un  coup  de  sang,  le  i5  mars  1909. 

Il  avait  pris  des  dispositions  testamentaires  pour  être  enterré 
dans  le  cimetière  de  Landsberg.  où  reposait  la  dépouille  mortelle 
de  sa  femme. 

On  le  voit  :  la  destinée  de  notre  collègue  a  eu  quelque  chose 
de  mélancolique  :  il  est  un  de  ceux  devant  la  tombe  desquels  on 
répète  le  mot  de  Virgile  :  Pendent  opéra  interrupta.  Il  a  été  un 
de  ces  savants  modestes,  plus  nombreux  peut-être  en  Allemagne 
qu'ailleurs,  qui  ne  travaillent  pas  pour  se  faire  un  nom,  et  qui 
n'ont  en  vue  que  la  vérité,  occupés  uniquement  a  la  rechercher  et 
^i  la  mettre  au  jour. 

Eugène  RiTTER. 


—  Outre  la  perte  de  M.  A.  Jansen.  délègue  étranger  de  notre  Co- 
mité, dont  on  vient  de  lire  les  brillants  états  de  service,  nous  avons 
encore  à  déplorer  le  décès  de  ti'ois  de  nos  membres  qui  emportent 
tous  nos  regrets: 

Georges  Baud.  à  Genève. 

L.-L.  Brédif,  recteur  d'Académie  honoraire,  à  Sceaux,  France, 
mort  le  21  août  1909.  M.  Brédif  avait  pris  une  part  active  aux 
études  rousseauistes.  ainsi  qu'en  témoigne  son  grand  ouvrage 
Du  caractère  intellectuel  et  moral  de  J.  J .  Rousseau,  étudié  dans 
sa  vie  et  dans  ses  écrits,  paru  en  1906,  dont  il  a  été  rendu  compte 
dans  nos  Annales,  t.  III,  p.  269. 

Edouard  Rod,  l'écrivain  bien  connu,  décédé  le  28  janvier  1910, 
à  Grasse  (France),  critique  et  romancier,  à  qui  Jean-Jacques  a 
permis  d'ajouter  à  ceux  qu'il  avait  déjà,  le  titre  d'écrivain  dra- 
matique.  Son  Réformateur  (vovez   Annales,  t.   III,  p.  282)  n'était 


330  ANNALES    DE   LA   SOCIÉTÉ  J.   J.    ROUSSEAU 

pourtant  pas  sa  première  pièce,  mais  c'est  la  seule  sans  douie 
que  la  postérité  retiendra.  Comme  critique,  Edouard  Rod  lais- 
sera une  trace  profonde  dans  le  champ  de  nos  études  par  son 
heau  livre,  L'affaire  J.  J.  Rousseau  (voyez  Annales,  t.  III,  p.  2801, 
préparé  avec  un  soin  infini,  fondé  sur  une  documentation  prodi- 
gieuse et  toujours  exacte,  écrit  avec  amour,  d'une  plume  singu- 
lièrement souple  et  mesurée.  De  cette  souplesse  et  de  cette  me- 
sure témoignent  encore  nombre  d'articles  consacrés  à  Jean-Jac- 
ques ou  à  son  entourage,  dans  diverses  revues,  et  notamment  celui- 
là  même  qu'il  publiait  très  peu  de  jours  avant  sa  mort  sur  Thérèse 
Levasseur,  dans  la  Revue  hebdomadaire.  Enfin  nous  devons  à 
Edouard  Rod  la  reconnaissance  qui  s'attache  à  l'ami  de  la  pre- 
mière heure  :  il  fut,  en  etïet,  l'on  s'en  souvient,  un  de  ceux  qui 
tinrent  notre  société  naissante  sur  les  fonds  baptismaux,  le  jour 
de  la  séance  inaugurale  (vovez  Annales,  I,  p.  i«)  et  23). 

—  Quoiqu'il  n'ait  pas  fait  partie  de  notre  association,  nous 
devons  signaler  la  mort  de  M.  Louis  Dufour-Vernes,  archiviste 
d'Etat  à  Genève,  survenue  en  juillet  1909.  M.  Louis  Dufour  peut 
être  en  effet  rangé  au  nombre  des  plus  actifs  généalogistes  de  Rous- 
seau. Il  a  consigné  le  résultat  de  ses  recherches  dans  deux  mé- 
moires qui  font  autorité,  intitulés,  l'un  Recherches  sur  J.  J.  Rous- 
seau et  sa  parente,  accompagnées  de  lettres  inédites  de  Mallet-du 
Pan,  J.  J.  Rousseau  et  J.  Vernes,  Genève,  1878,  in-8,  46  p.,  l'autre 
Les  ascendants  de  J.  J.  Rousseau,  Genève,  1890,  in-8,  3o  p. 

Nous  signalerons  de  même  la  mort  du  D''  Richard  Mahrenholz 
survenue  à  Dresde  le  14  mars  1909.  Il  avait  donné  en  1889,  à 
Leipzig,  une  étude  intitulée  Jean-Jacques  Rousseau,  Lehen,  Geis- 
tesentu'ickelung  und  Hauptyverke,  qui  fait  époque. 

—  La  carte  de  membre  annuel  pour  i()0()  représente  le  portrait 
de  Rousseau  peint  par  Frilev  et  reproduit  par  Le  Livre  [Icono- 
graphie (iirardin,  n"  2701. 

—  Le  catalogue  de  la  bibliothèque  du  professeur  Hewet,  Ithaca, 
New-York,  vendue  en  février  1909  par  les  soins  du  libraire  G.  G. 
Bœrner,  à  Leipzig,  mentionnait  sous  le  n"  1918,  une  ^  silhouette 
peinte  de  J.  J.  Rousseau  tournée  vers  la  droite,  d'une  grandeur 
5,5  X  9  "-'m-i  ^'n'-'!"-h'emeni  peint,  petit  in-folio  "  (reproduction  en 
tète  du  catalogue I. 

—  Dans  la  Petite  chronique  du  Musée  neuchàtelois,  numéros  tle 
janvier-février  et  mars-avril  i<)o8,  p.  38  et  71.  M.  (^h.  K.  nous  i-en- 
seigne  sur  les  dons  faits  récemment  a  la  liibliotheque  tle  Neuchà- 


CHRONIQUE  33  I 

tel  par  les  hoiries  Pury-Sandoz  et  Alphonse  Petitpierre.  de  28 
lettres  de  Rousseau,  autographes  ou  copies,  dont  treize  adres- 
sées au  colonel  Abram  de  Pury,  trois  à  Daniel  de  Pury,  douze  à 
Isabelle  d'Ivernois,  le  tout  en  partie  inédit. 

—  Le  14  décembre  ic)oS,  il  a  passé  dans  une  vente  d'autogra- 
phes, à  l'Hôtel  de  la  rue  Drouot,  à  Paris,  un  manuscrit  de  musi- 
que autographe  signé  trois  fois  J.  J.  R.  ;  7  p.  in-folio  oblong,  relie 
parchemin  blanc,  dentelle  ;  copie  de  trois  chansons  dont  deux  ont 
pour  titre  :  Las  mon  pauvre  cœur;  Ce  n'est  point  en  offrant  des 
fleurs  (Catalogue  Noël  Gharavay).  Ce  manuscrit  a  été  vendu 
2  5o  francs. 

—  Le  catalogue  d'autographes  périodique  Noël  Charavay, 
n»  383  (juillet  1908I  mettait  en  vente,  au  prix  de  3o  francs,  sous  le 
no  62783,  un  manuscrit  autographe  de  J.  .T.  Rousseau,  2  pages 
in-40.  Cette  pièce,  acquise  par  les  Archives  J.  J.  Rousseau,  est 
la  minute  autographe  fort  curieuse  de  la  lettre  à  d'Ivernois,  du 
3i  janvier  1767,  publiée  dans  la  Correspondance. 

De  même  ont  encore  passé  dans  des  ventes  spéciales,  les  5  fé- 
vrier, 25  et  26  mai  1908,  les  originaux  des  lettres  à  M.  de  Graffen- 
ried,  20  octobre  1765,  et  à  Duchesne,  3o  octoble  1761  (no*  98  et  281 
des  catalogues  N.  Charavay).  adjugées  la  première  pour  38o  francs, 
la  seconde  pour  175  francs. 

— -  La  vente  de  la  bibliothèque  de  Ferdinand  Brunetiere,  du 
6  février  au  6  mars  1908,  a  vu  passer  un  assez  grand  nombre  d'ou- 
vrages de  ou  concernant  Rousseau.  Citons  dans  le  nombre  les 
Œuvres  complètes,  édition  Auguis,  1823,  exemplaire  avec  les 
figures  sur  papier  de  Chine,  contenant,  notamment  au  tome  L  de 
nombreuses  notes  marginales  de  la  main  de  M.  Brunetiere.  et  les 
Œuvres  complètes,  Paris,  Poinçot.  1793,  exemplaire  avec  la  plu- 
part des  figures  avant  la  lettre,  provenant  de  la  bibliothèque  du 
M''^  de  Biencourt.  Ces  deux  ouvrages  ont  atteint  respectivement 
200  et  460  francs. 

On  peut  citer  encore,  comme  exemple  du  prix  qu'atteignent  cer- 
taines éditions  de  Rousseau,  un  exemplaire  des  Œuvres  complètes, 
édition  de  Paris,  Poinçot,  1788-1793,  33  tomes  en  37  volumes  in-8, 
«  exemplaire  exceptionnel,  dit  le  catalogue,  tiré  in-40  sur  grand 
papier  velin  fort  et  bien  complet,  46  figures  et  38  frontispices,  la 
plupart  en  épreuves  avant  la  lettre,  soit  84  pièces.  »  Prix  :  4000  fr. 
(Catalogue  Th.  Belin,  Paris,  avril  1908,  no  Soq.) 

—  M.  L[ouis]  U[lmo|  a  retrouvé  «  dans  des  archives  de  fa- 
mille )>,  présenté  et  publié  dans  le  Peuple  genevois  des  3i  octobre, 


33'2  AXNALES    DE  LA   SOCIÉTÉ  .1.    .1.    ROUSSEAU 

4,  II,  18,  2?  novembre,  9,  16  et  19  décembre  1908,  de  forts  cu- 
rieuses Observations  sur  le  style  de  J.  J.  Rousseau  dues  au  juris- 
consulte et  orateur  genevois  Etienne  Dumont.  Mais  il  se  trompe 
lorsqu'il  donne  ce  travail  pour  inédit.  Les  Observations  d'Ktienne 
Dumont  ont  en  effet  paru  pour  la  première  fois  dans  la  Biblio- 
thèque universelle  de  Genève,  n>^  d'avril  i83(i. 

—  Dans  le  Journal  des  Débats  du  4  août  1908,  M.  Jules  Couët  a 
publié  une  lettre  inédite  de  Barbey  d'Aurevilly,  du  11  août  [i858], 
ayant  trait  à  un  article  sur  Jean-Jacques  Rousseau  et  son  clapier, 
que  Barbey  d'Aurevilly  fit  paraître,  à  cette  époque,  dans  le  Réveil. 

—  A  l'appui  des  opinions  qu'elle  professe,  la  revue  Fides  de 
Rome,  numéro  de  juillet  1908,  p.  52-53,  a  reproduit  les  célèbres 
pages  de  Rousseau  sur  le  duel. 

—  La  Stratégie,  journal  d'échecs,  Paris,  42'-'  année,  41»^  volume, 
no  h,  juin  1908,  a  reproduit  intégralement  l'article  de  notre  con- 
frère, M.  1.  Grùnberg,  Rousseau  joueur  d'échecs,  publié  dans  le 
tome  III  de  nos  Annales. 

— Nous  annonçons  avec  plaisir,  conformément  au  vœu  de  l'auteur, 
le  nouveau  volume  de  notre  confrère  M.  Hippolyte  Buffenoir,  Le 
prestige  de  Jean-Jacques  Rousseau,  souveniis,  documents,  anec- 
dotes, un  vol.  in-8,  illustré,  Emile-Paul  éditeur,  Paris,  recueil  de 
mémoires  et  d'articles  sur  divers  sujets,  dont  il  sera  plus  complè- 
tement rendu  compte  dans  notre  prochain  v(^lume. 

—  Le  Conteur  )>judois  du  17  octobre  i()o8  a  publié  une  anec- 
dote fantaisiste,  .4  la  vôtre  M.  Jean-Jacques  !,  où  Rousseau  appa- 
raît «  sous  un  nover.  près  des  murs  du  château  de  Glérolles,  dans 
l'automne  175*)  "  (  1  !  ). 

—  The  Times,  Londres,  4  juin  1908,  à  propos  de  la  translation 
des  cendres  d'E.  Zola  au  Panthéon  (The  Panthéon  and  Zola), 
trace  un  parallèle  de  circonstance  entre  la  destinée  de  cet  ccri- 
vain  et  celle  de  Rousseau. 

—  Dans  la  (iajelle  de  France  du  25  avril  1908,  sous  ce  titre  In- 
dividualisme et  Nation,  Dom  Besse  s'cfTorce  de  prouver  le  mal 
qu'a  fait  «  l'individualisme  de  Rousseau  devenu  par  la  Révolution 
l'individualisme  de  la  France  contemporaine  ». 

—  Dans  la  revue  Berner  Rundschau,  i5  juillet  1908,  p.  718,  Jules 
Coulin  s'élc-ve  contre  le  ridicule  usage  adopté  par   certaines  pu- 


CHRONIQUE  333 

blicalions  allemandes,   de  germaniser  les  prénoms  de  Rousseau  : 
«  Johann  Jakob  »  Rousseau. 

—  Dans  le  Dpennik  Popianski  de  Posen,  sous  ce  titre  Jan  Ja- 
kob Rousseau  w  swietle  majnows:^ej  Krytyki francuskiej,  un  chro- 
niqueur, Teodor  Jeske-Choinski,  a  longuement  apprécié  en  deux 
articles  (27  et  28  mars  1908)  la  vie  et  l'œuvre  de  J.  J.  Rousseau, 
si  malmenées  par  la  critique  des  .1.  Lemaître  et  des  Lasserre. 

—  Dans  le  Heraldo  de  Madrid,  5  octobre  1908,  article  de  Ma- 
nuel Bueno  sur  les  «  deux  rivaux»,  Rousseau  et  Voltaire,  Veranet) 
errante  :  Dos  rivales. 

—  Dans  la  Libre  parole,  20  juillet  1908,  article  de  polémique 
d'Edouard  Drumont,  intitulé  De  Rousseau  à  Tolstoï. 

—  Sous  ce  titre  significatif:  Catholicisme  et  Libre  pensée,  leurs 
saints  et  les  nôtres,  le  Bulletin  catholique  neuchàtelois  du  17  octo- 
bre 1908,  poursuit,  dans  un  but  apologétique,  un  curieux  parallèle 
entre  Jean-Jacques  Rousseau  et  saint  Vincent-de-Paul,  qui  n'est 
guère  à  l'honneur  du  premier,  comme  on  peut  s'y  attendre. 

Au  reste  Jean-Jacques  doit  sembler  fort  menaçant,  à  l'heure 
qu'il  est,  aux  militants  du  catholicisme,  si  l'on  en  juge  par  le  fré- 
quent retour  de  son  nom  dans  les  feuilles  de  propagande,  telle  la 
France  chrétienne,  à  qui  Le  monument  de  J.  J.  Rousseau  à  Erme- 
nonville inspire  des  propos  d'une  violence  inouïe  (20  août  1908), 
ou  encore  Der  Schwei^er  Katholik  de  Soleure  où  le  «  chapelain  » 
Laub  consacre  cinq  laborieux  articles  (18  septembre,  2,  16,  23  oc- 
tobre, 4  décembre  1908)  à  dénoncer  l'exemple  pernicieux  de  Rous- 
seau, sous  ce  titre  ironique:  Beriihmie  "  Leuchten  »  unter  alter  und 
neuer  Beleuchtung . 

—  La  correspondance  de  J.  J.  Rousseau  avec  Mn^^  de  Lesseri 
publiée  par  M.  Ph.  Godet  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes  (voyez 
d'autre  part,  p.  3o5)  a  excité  au  plus  haut  point  l'intérêt  du  public. 
Les  journaux  de  tous  les  pays  en  ont  entretenu  leurs  lecteurs.  Ci- 
tons au  hasard  dans  le  nombre  : 

Le  Rappel,  Paris,  10  septembre  1908  [J.  J.  Rousseau  inédit,  son 
mariage,  son  délire,  par  Georges  Dangon).  —  Le  Savoyard  de  Pa- 
ris, 26  septembre  1908  [Jean-Jacques  Rousseau  inédit,  avec  illus- 
trations, par  Céo  Mamby).  —  Le  Courrier  suisse  de  Buenos- 
Ayres,  17  octobre  1908  [Le  mariage  de  Jean-Jacques  Rousseau,  par 
Paul  Besson).  —  //  Mar^jocco,  Florence,  6  septembre  1908  {Let- 
tere  inédite  di  Rousseau).  —  Ga^etta  del  Popolo,  Turin,  17  octo- 
bre 1908  (G.  Giacomo  Rousseau  e  Giorgio  Bi^et  nei  loro  carteggi^ 
par  Alfredo  Vinardi),  etc.,  etc. 


:>':>4  ANNALES   DE   LA   SOCIÉTÉ  J.   J.    ROUSSEAU 

—  En  son  volume  de  vers.  Le  clavier  des  harmonies,  Paris, 
Pion  édit.,  1908,  où  il  célèbre  la  musique  et  les  musiciens,  les 
formes  musicales  et  les  instruments,  M.  Henry  Allorge  consacre 
un  sonnet  à  Rousseau. 

—  Dans  une  soirée  de  V  «  Art  social»,  à  Genève,  le  7  avril  1908, 
puis  à  la  Fête  des  musiciens  suisses,  à  Baden,  le  i^r  juin  de  la 
même  année,  le  compositeur  Joseph  Lauber  a  fait  entendre  une 
fantaisie  de  sa  composition,  écrite  pour  deux  pianos  sur  un  motif 
du  Devin  du  village. 

—  Une  troupe  itinérante  a  donné,  en  septembre  1908,  une  série 
de  représentations  du  Devin  du  village  de  Rousseau  et  de  la  Ser- 
vante patronne  de  Pergolese,  dans  les  principales  localités  du 
canton  de  Neuchâtel  et  du  Jura-Bernois,  St-Imier  (10  septembre), 
La  Chaux-de-Fonds  (i3  septembre).  Neuchâtel  (i5  septembre), 
Bienne  (16  septembre).  Chacune  de  ces  représentations  était  pré- 
cédée d'une  conférence  littéraire  et  musicale  sur  J.  J.  Rousseau, 
faite  par  M.  Jules  Carrara,  professeur  à  Genève. 

—  De  septembre  iqoj  à  juin  1908,  d'après  la  Zeitschrift  der  in- 
ternationalen  Musikgesellschaft,  soit  le  Miisikverein  de  Bamberg, 
soit  la  Stadtkapclle  d'Iena,  ont  exécuté  l'ouverture  du  Devin  du 
village. 

—  A  la  réunion  des  néo-philologues  suisses,  du  3  octobre  1908, 
à  Baden,  M.  Bernard  Bouvier  a  répété  sa  conférence  sur  le 
Voyage  de  Rousseau  autour  du  lac  de  Genève  (cf.  Annales  III, 
3o3).  Compte  rendu  dans  V Academia  de  Zurich,  23  octobre    1908. 

—  A  la  26'^  réunion  annuelle  de  la  Modem  Languagc  Associa- 
tion of  America,  tenue  à  Princeton,  N.  J.,  les  28,  29  et  3o  décem- 
bre 1908,  le  professeur  A.  Schinz,  de  Bryn  Mawr  Collège,  a  fait 
une  communication  sur  Les  résultats  des  découvertes  de  Mrs 
Macdonald  concernant  Jean-Jacques  Rousseau. 

—  Le  critique  danois  (îeorges  Brandes  a  fait  une  conférence 
sur  Jean-Jacques  Rousseau  et  Voltaire,  le  29  février  1908,  à  la  Sing- 
academie  de  Berlin.  La  National  Zeitung  du  i^'  mars  1908  a 
rendu  compte  de  cette  conférence,  dans  un  article  intitulé  Brandes 
liber  Voltaire  und  Rousseau. 

Le  même  critique,  répondant  à  une  invitation  de  la  Freie  lite- 
rarische  Gesellschaft,  avait  fai-t  quelques  jours  auparavant,  à 
Francfort  s.  Mein,  une  conférence  sur  Rousseau  contre  Voltaire. 
La  Frankfurter  Zeitung  du  28  février  1908  en  a  rendu  compte. 


CHRONIQUE  335 

—  Le  26  avril  1908,  M--'  Georges  Laguerre  a  fait  au  théâtre  de. 
■Clermont  dans  l'Oise  une  conférence  sur  J.  J.  Rousseau,  au  pro- 

rit  du  monument  d'Ermenonville. 

—  Le  Christianisme  au  XX-^  siècle  du  19  juin  1908  a  annoncé 
que  M.  Philippe  Godet  venait  de  donner  a  la  Faculté  de  théologie 
protestante  de  Montauban  une  série  de  cinq  leçons  sur  J.  J. 
Rousseau. 

—  M.  Jules  Carrara,  professeur  à  Genève,  a  fait  le  22  octobre 
1908,  à  Porrentruy,  et  le  29  octobre,  à  Tavannes  (Jura-Bernois), 
une  conférence  sur  L'œuvre  politique  du  XVIII^  siècle  étudiée 
dans  r  «  Esprit  des  lois  »  de  Montesquieu  et  le  «  Contrat  social  » 
de  Rousseau  (analyse  dans  le  Petit  Jurassien  de  Moutiers,  i"-''  no- 
vembre 1908). 

—  Dans  la  séance  d'ouverture  du  X^  Congrès  français  de  méde- 
cine tenu  à  Genève  les  3  et  4  septembre  1908,  le  président,  Df 
Adolphe  d'Espine,  de  l'Université  de  Genève,  a  fait  une  commu- 
nication sur  l'allaitement  maternel  et  l'importance  du  rôle  joué 
à  ce  propos  par  J.  J.  Rousseau  (voyez  plus  haut,  p.  3i5.) 

—  Le  9  décembre  1908,  au  «  Comité  d'études  historiques  et  ar- 
chéologiques sur  la  Montagne  Saiaie-Geneviève  et  ses  abords  »^. 
M.  Alex.  Schurr  a  fait  une  communication  intitulée  Le  passage 
de  J.  J.  Rousseau  sur  la  Montaigne  de  Ste-Genevieve  (!|. 

—  Le  10  mars  1908,  M.  Georges  Hervé  poursuivant,  à  l'Ecole 
d'anthropologie  de  Paris,  son  cours  sur  l'histoire  de  l'ethnographie, 
a  fait  une  leçon  sur  L'ethnologie  au  XVI IL  siècle  :  J.  J.  Rousseau. 

—  A  Mannheim,  le  6  novembre  1908,  M"-^  Anna  Ettlinger  a  ou- 
vert le  cycle  de  ses  conférences  littéraires  par  une  leçon  sur  Rous- 
seau et  Tolstoï.  Huit  jours  plus  tard,  i3  novembre,  leçon  sur  les 
Œuvres  de  Rousseau.  Compte-rendu  dans  la  Neue  Badische  Lan- 
ies-Zeitung  des  i3  et  20  novembre  1908. 

—  Pendant  le  semestre  d'été  de  l'année  1908,  M.  Gaspard  Val- 
lette  a  fait  à  l'Académie  de  Neuchâtel  un  cours  sur  Jean-Jacques 
Rousseau.  Dans  sa  leçon  d'ouverture,  qui  a  eu  lieu  le  ki  mai,  il 
s"est  efforcé  de  démontrer  que  Rousseau,  dans  ses  idées  et  dans 
ses  sentiments,  fut  et  resta  toute  sa  vie  un  Genevois,  protestant  et 
individualiste,  rebelle  à  la  tradition  classique  de  la  France. 

—  Dans  le  semestre  d'hiver  1907- 1908,  M.  Louis  Aguettant,  pro- 
fesseur de  littérature  française  à   l'Institut  catholique  de  Lyon,  a 


:>:)b  ANNALES  DE  LA  SOClIiTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

fait  une  série  de  conférences  qui  ont  eu  pour  sujet  :  La  Aouvellc 
Héloïse  et  la  vie  de  J.  J.  Rousseau  ;  le  lyrisme  dans  la  Nouvelle 
Heloïse  :  Rousseau  et  l'art  des  jardins  ;  le  "  verger  de  Julie  y^. 

—  Une  partie  du  cours  de  iM.  Izoulet,  professeur  de  philosophie 
sociale  au  Collège  de  France,  a  été  consacrée,  dans  l'hiver  1908- 
iqoc),  à  Rousseau  aristocrate. 

—  Les  articles  suivants  touchant  les  lieux  que  Rousseau  a  illus- 
trés d'une  manière  ou  d'une  autre,  ont  paru  dans  l'année  1908: 

Ga:fette  des  étrangers.  Genève,  20  juin  iqoS  :  Emile  Gaidan. 
L'Ile  Rousseau. 

Journal  de  Genève.  28  novembre  igo8  :  Henry  Correvon,  L  Ile 
Rousseau  (entretien  et  végétation). 

The  Continental  Weekly,  édition  de  Montreux,  8  août  1908:  H, 
Villiers  Barnett,  Rousseau  and  M^e  ^(>  Warens  at  Annecy  —  her 
Housenear  the  Hôtel  d'Angleterre  —  the  n  petite  maman's  n  Flight 
from  Vevey  —  authentic  Portraits  of  the  Lovers  [notamment  ce- 
lui de  Rousseau  jeune,  resté  longtemps  en  possession  de  la  fa- 
mille Favre,  appartenant  aujourd'hui  au  D'  Caillies  d'Annecy]  — 
qiieer  Doings  at  the  Couvent  of  the  Visitation. 

Tribune  de  Genève.  29  novembre  1908:  Philippe  Jamin,  Prome- 
nades genevoises,  La  gentilhommière  de  Thônes  (état  actuel). 

L'Opinion,  Paris,  29  août  1908  :  C/ze^  Madame  de  Warens 
(par  X.)  (description  des  Charmettes,  le  registre  et  les  inscriptions 
des  visiteurs). 

Le  Savoyard  de  Paris,  12  septembre  1908:  Joseph  Blanc,  Le  Re- 
venant des  Charmettes,  nouvelle  d'outre-tombe  (fantaisie,  avec  4 
illustrations). 

Le  Rappel,  Paris,  7  novembre  1908:  Georges  Dangon,  Chei 
Madame  de  Warens,  une  heure  aux  Charmettes. 

Le  Figaro,  Pdrh,  i5  septembre  1908:  Henri  Roujon,  Rêverie 
vénitienne  (où  l'on  cherche  à  se  représenter  ce  que  Rousseau 
serait  devenu,  si  Montaigu  l'avait  retenu  et  fixé  à  Venise). 

L'A:^ione,  Lugano,  6  août  igo8  :  Tullio  Ferrari,  J.  J.  Rousseau 
air  isola  S.  Pietro. 

L'Echo  de  Paris,  17  octobre  1908:  Henri  d'Alméras,  Ermenon- 
ville ou  les  Jardins  du  Philosophe  (description  du  parc  créé  par 
Girardin.( 

—  Les  plaintes  qu'im  de  nos  membres  a  fait  entendre  à  notre 
assemblée  générale  de  1908,  au  sujet  du  mauvais  entretien  des 
(xharmettes,  n'ont  point  été  vaines.  Elles  ont  ému  le  présent  con- 
servateur de  la  maison  historique,  M.  Mars-Vallet.  Dans  une 
lettre  au   Journal  des  Débats,   (voyez   le   n"  du  4  janvier  1909),  il 


CHRONIQUE  337 

rappelle  qu'il  v  a  trois  ans,  la  municipalité  de  Chambéry,  con- 
sultant plutôt  son  désir  de  sauver  de  la  ruine  cette  vieille  de- 
meure chère  à  tous  les  lettrés,  que  les  ressources  de  son  budget, 
et  n'ayant  pas  hésité  à  s'en  rendre  acquéreur,  une  somme  de 
4,400  fr.  a  depuis  lors  été  votée  par  le  Conseil  municipal  et  sur  la 
proposition  du  maire,  pour  parer  aux  plus  urgentes  restaurations. 
Ces  travaux  ont  d'ailleurs  été  exécutés  sur  les  avis  de  M.  Berton, 
architecte  des  monuments  historiques,  après  l'approbation  du  sous- 
secrétaire  d'Etat  aux  beaux-arts,  et  ils  se  poursuivent  avec  le  seul 
souci  de  respecter  et  de  ne  changer  en  rien  le  caractère  rustique 
des  Charmettes.  M.  Mars-Vallet  ajoute  enfin  qu'étant  lui-même 
un  rousseauiste  fervent,  il  n'est  personne  venant  visiter  les  Char- 
mettes qu'il  ne  tienne  à  guider  en  personne  dans  son  pèlerinage. 

—  A  Montpellier,  dans  le  milieu  de  la  rue  Jean-Jacques  Rous- 
seau, en  face  du  Jardin  des  Plantes,  se  dresse  une  bâtisse  a  trois 
étages,  blanchie  à  la  chaux,  aux  fenêtres  étroites,  maison  an- 
cienne où,  en  1737,  habita  Jean-Jacques  Rousseau.  Le  souvenir 
du  philosophe  dans  la  ville  universitaire  de  Montpellier  était,  il  y 
a  peu  de  temps  encore,  rappelé  par  une  planchette  de  bois  avec 
mention,  appendue  à  la  façade.  Montpellier  a  pensé  qu'il  fallait 
commémorer  de  façon  plus  digne  le  séjour  de  Jean-Jacques  Rous- 
seau. Le  20  décembre  1908,  sur  la  vieille  maison,  la  pancarte  en  bois 
a  été  remplacée  par  une  large  plaque  commémorative  en  marbre. 
Ola  fut  fait  au  cours  d'une  cérémonie  très  simple  à  laquelle  assis- 
taient M.  Alby,  conseiller  de  préfecture,  représentant  le  préfet; 
le  maire  de  Montpellier,  docteur  Pezet;  le  recteur  de  l'académie, 
M.Benoist;  M.  Bernard,  proviseur  du  lycée  ;  des  conseillers  géné- 
raux et  municipaux,  des  chefs  d'administration,  etc.  Le  soin  de 
prononcer  le  discours  de  circonstance  (intégralement  reproduit 
par  Le  Midi  mondain  et  la  vie  méridionale  du  17  janvier  1909)  avait 
été  confié  à  M.  Pierre  Brun,  docteur  es  lettres,  professeur  au  lycée. 
Voir  notamment  à  ce  sujet  dans  le  Journal  de  Genève  du  18  jan- 
vier 1909,  l'article  de  M.  Jean-Joseph  Duproix  intitulé  Le  souve- 
nir de  Jean-Jacques  Rousseau  à  Montpellier. 

—  Le  18  octobre  iqo8,  on  a  inauguré  à  Ermenonville  le  monu- 
ment du  sculpteur  Gréber  (cf.  Annales,  t.  III,  p.  3o6).  Notre  co- 
mité, prévenu  trop  tard,  n'avait  pu  se  faire  représenter,  mais  il 
avait  affirmé  sa  sympathie  par  une  lettre.  La  cérémonie  s'est  dé- 
roulée sous  la  présidence  du  ministre  du  travail,  M.  René  Vi- 
viani,  en  présence  des  notabilités  de  la  région.  Des  discours  ont 
été  prononcés  par  le  docteur  Chopinet,  député,  président  du 
comité  d'organisation,  MM.  Auguste    Castellant,  secrétaire  géné- 

22 


338  ANNALES  DK  l.A  SOCIÉTÉ  .1.  .1.   ROUSSEAU 

rai  du  même  comité,  Grand-Carteret,  délégué  de  l'Institut  natio- 
nal genevois,  R.  Viviani  ministre.  Au  banquet  qui  a  suivi,  ont 
encore  pris  la  parole  le  docteur  Chopinet.  MM.  Steinbilder  (pour 
le  président  de  la  Chambre  des  députés),  Buffenoir,  G.  Laguerre. 
H.  Bazaud,  Dr  Pauthier,  Castellant,  Gabriel  Faure.  Lafargue, 
sous-préfet  de  Senlis,  etc.  La  fête  a  été  complétée  par  une  visite 
a  File  des  Peupliers,  un  bal  et  une  illumination.  L'Echo  républi- 
cain de  Senlis,  que  dirige  notre  confrère  M.  Castellant,  en  a 
rendu  compte  en  détail  et  a  publie  intégralement  le  texte  des 
principaux  discours  dans  ses  numéros  du  25  octobre  et  diman- 
ches suivants.  Le  discours  de  M.  Viviani  a  été  donné  par  Le 
Siècle  du  19  octobre,  la  photographie  du  monument  par  les 
Annales  politiques  et  littéraires  du  18  octobre  et  par  V Illustra- 
tion du  24  octobre.  Fmfin,  outre  la  plaquette  de  M.  Buffenoir, 
Causeries  familières  sur  J.  J.  R(nisseau  signalée  dans  notre  Biblio- 
f^raphie  (p.  293),  des  aiticles  de  circonstance  sur  ,/.  ,/.  Rousseau  à 
Ermenonville  ont  été  publies  par  MM.  Félicien  Pascal.  Galette  de 
France,  23  octobre,  llippolyte  Buffenoir.  Journal  de  Genève, 
If)  octobre.  Revue  illustrée,  20  octobre,  J.  Lemaitre,  Annales  poli- 
tiques et  littéraires,  18  octobre,  Edmond  Pilon,  Revue  bleue,  3i  oc- 
tobre, etc.  Voyez  encore,  dans  la  Neue  Ziircher  Zeilung àuj^  novem- 
bre, un  article  de  M.  R.  Kaufmann  intitulé  f'f'n  Rousseau-Denkmal. 

—  Dans  VEcho  républicain  de  Senlis  du  i^r  novembre,  notre 
confrère,  M.  Aug.  Castellant,  a  annoncé  que  la  tombe  de  Thérèse 
Levasseur,  au  Plessis-Belleville,  venait  de  recevoir  une  décora- 
tion digne  de  la  femme  de  Rousseau.  Cette  tombe,  M.  Castellant 
était  seul  à  en  connaître  l'emplacement  exact.  Parles  soins  du  co- 
mité du  monument  d'Ermenonville,  une  grille  en  fer  forge  en- 
tourera désormais  le  terrain  de  la  concession  et  le  simple  monu- 
ment de  pierre  dû  à  la  générosité  de  M.  Michel,  (^e  monument 
porte  les  inscriptions  suivantes  :  Sur  une  face  : 

Ci-gît    la   dépouille    mortelle   de 

Thkrksk   levasseur 

Compagne  de  J.-J.    ROUSSEAL' 

Née  à  Orléans  en  1721,  decedée  au  Plessis  en  1801. 

Sur  l'autre  face  : 

Erigé  par  les  soins  du  filomite  du  Monument 
.i.-.I.  Rovisseau  d'Ermenonville. 

Gttncession  perpétuelle. 


CHRONIQUE  339 

L'inauguration,  dans  Pintimité  des  amis  de  Rousseau,  a  été  remise 
au  printemps  1909. 

Au  sujet  de  Thérèse  et  de  ce  mcmument,  il  a  paru  des  chroni- 
ques documentées  dans  VUnione  de  Milan,  5  novembre  1908  [Te- 
resa  e  Giangiacomo],  et  dans  VEclair  de  Paris,  \^^  novembre  1908 
(sous  la  signature  de  Georges  Montorgueil). 

—  Un  comité  vient  de  se  former  dans  l'Oise  dans  le  but  d'éle- 
ver sur  le  territoire  de  la  commune  de  Trie-Château  un  monu- 
ment à  l'auteur  du  Contrat  social.  Il  y  a  quelques  années,  on 
avait  déjà  songé  à  gloritier  dans  ce  pays  le  souvenir  de  Rousseau 
qui,  durant  un  an,  sous  le  nom  de  Renou,  vécut  avec  sa  femme, 
Thérèse  Levasseur,  dans  le  château  du  prince  de  Conti.  Mais  en 
raison  de  la  souscription  pour  l'érection  dvi  monument  d'Er- 
menonville, on  dut  ajourner  la  réalisation  de  ce  projet.  Le  sculp- 
teur beauvaisien  Henri  Gréber,  l'auteur  du  monument  d'Erme- 
nonvdle,  a  été  chargé,  une  fois  de  plus,  de  faire  revivre  dans  une 
œuvre  d'art  les  traits  de  Jean-Jacques. 

—  Dans  VEclair  du  19  octobre  1908,  M.  Georges  Montorgueil 
a  raconté  l'histoire  des  sabots  que  Rousseau  se  serait  confection- 
nés lui-même  à  Ermenonville.  Ces  sabots,  conservés  pieuse- 
ment par  l'aubergiste  Giard,  M.  Montorgueil  prétend  les  avoir 
vus,  il  y  a  une  quinzaine  d'années  chez  un  de  ses  descendants, 
couverts  d'inscriptions  par  les  fervents  de  Rousseau  et  même 
assez  endommagés  par  certains  disciples  trop  zélés  du  philosophe 
qui  en  auraient  détaché  des  morceaux  en  guise  de  reliques. 
Une  attestation  officielle  du  Conseil  municipal  d'Ermenonville 
les  accompagnait.  M.  J.  Grand-Carteret  a  écrit  à  VEclair  du  21  oc- 
tobre pour  signaler  que,  selon  lui,  ces  sabots  avaient  eu  une  toute 
autre  destinée,  et  qu'un  académicien  lui  avait  offert  de  les  prêter  à 
l'Exposition  iconographique  de  Rousseau  en  i883.  Cette  discus- 
sion a  été,  pour  la  Chronique  médicale  du  i^r  novembre  1908, 
l'occasion  de  publier,  d'après  la  Mosaïque  de  1874,  une  gravure 
représentant  les  fameuses  chaussures.  Cf.  également  Vlntermé- 
diaire  du  10  novembre  1908. 


ERRATA  DU  TOME  IV  (1908)^ 


P.  34,  n.  4:  une  heure,  lisez:  une  heure. 

P.  i56,  1.  6:  de  son,  lise\  :  sur  son. 

P.  277,  1.  II  :  J.  L.  Goncerut,  lisej:  I.  H.  Goncerut. 

P.  281,  1.  25:  preussichem,  lisez:  preiissiscliem. 

P.  282,  1.  26:  Suzanna  Rousseau,  lise:^  :  Susanna  Bernard. 

P.  283,  1.  27:  après  traduction,  ajoute:;  :  abrégée. 

P.  286,  1.  25  :  Nietzche,  lise^  :  Nietzsche. 

P.  291,  1.  21  ;  293,  1.   14;  336,  1.  33:  Bookmatui,  lisez:  Bookman. 

P.  294,  1.  17  :  portrait,  lise-;:  portraits. 

P.  294,  1.  33  ;  XVI,  lise;:  xx. 

P.  295,  1,  24:  centres,  lise:;  :  cendres. 

P.  299,1.  3i-32.  Article  paru  précédemment  dans  la  Revue  hebdo- 
madaire du  28  décembre  1901,  p.  385-40o,  sous  ce  titre:  A  propos 
d'un  testament  de  J.-J.  Rousseau.  Il  était  alors  signé  du  pseudonyme 
«M.  Guilland  »  et  accompagné  de  deux  portraits. 

P.  299,  1.  36:  7  juin,  lise:;:  27  juin. 

P.  3 14,  1.  32  ;  du,  lise:;:  de. 

P.  3x4,  1.  35-36:  bourgeois  de  Genève,  lise:;:  bourgeois  de  Lyon. 

P.  3x4,  1.  38:  livre  III,  lise;:  livre  VII. 

P.  3i5,  1.  4.  Ajoute:;:  34.  Notice  sur  Camille  Basset  de  Ghâteaubourg, 
nommé  dans  une  lettre  (7  janvier  ijjo;  Œuvres,  t.  VI,  p.  94)  à  M.  de 
la  Tourrette,  dont  il  était  le  neveu.  —  i28-x35.  Notices  sur  divers  mem- 
bres de  la  famille  Claret  de  la  Tourrette  de  Fleurieu  qui  furent 
en  relation  avec  Rousseau.  (Cf.  Annales,  II,  172.)  —  170-171.  Notice 
sur  ctienne  Delessert,  mari  de  Madeleine-Catherine  Boy  de  la  Tour, 
«  l'adorable  Madelon,  »  la  «  chère  cousine  »  de  J.J.  (Cf.  Annales,  II,  x88- 
189.)  —  285-287.  Notice  sur  Claude  Gros  de  Boze,  secrétaire  de  l'Aca- 
démie des  inscriptions  et  belles-lettres,  membre  de  l'Académie  fran- 
çaise, etc.,  pour  lequel  Rousseau,  allant  se  fixer  à  Paris,  avait  une 
recommandation.  A  l'époque  (1742)  où  Jean-Jacques,  «  campagnard  » 
intimide,  dînait  quelquefois  chez  l'académicien,  celui-ci  était  âgé  de 
soixante-deux  ans,  et  sa  femme,  née  Imbert  de  Cangc,  qui  «  aurait  été 
sa  fille  »  (Confessions,  VII),  «  brillante  et  petite-maîtresse,  »   n'en   avait 


>  La  plus  grande  partie  de  cet  errata  est  due  à  M.  Théophile  Dufour, 
à  qui  nous  exprimons  nos  remercîments.  Nous  continuerons  à  accueil- 
lir avec  reconnaissance  toutes  les  menues  corrections  ou  additions  que 
nos  confrères  veulent  bien  nous  proposer.  (Commission  des  publicatiojjs.j 


ERRATA 


341 


que  trente-deux.  —  344-346.  Notice  sur  Charles-Jacques  Le  Clerc  de 
Frêne,  seigneur  de  la  Verpillière,  prévôt  des  marchands  de  Lyon  de 
1764  à  177 1,  marié  à  Catherine  Boesse,  petite-fille  du  «  noble  et  géné- 
reux »  Camille  Perrichon.  D'après  H.  Coignet,  il  fit  représenter,  en 
1770,  à  l'Hôtel-de-Ville,  Pygmaliun  et  le  Devin  du  village,  en  présence 
de  l'auteur,  et  M"'«  de  la  Verpillière,  «  femme  très  spirituelle,  »  échan- 
gea des  lettres  avec  Rousseau. 

P.  3i5,  1.  36:  en  i\^ l'a,  ajoute :{:  ti  i8ig. 

P.  3i6,  1.  38:  Thône,  lise:{:  Thônes. 

P.  317,  1.  i3:  Études,  XIII,  lisez:  Études,  XII. 

P.  317,  1.  16  :  une  heure,  lise:[:  une  demi-heure. 

P.  317,  1.  3i  :  Étude  XIII,  lisez:  Étude  VIII. 

P.  3ig,  1.  6  et  suiv.  Dès  1826,  Aimé  Martin  introduisait  dans  VEssai 
le  véritable  texte  du  second  billet  de  Rousseau,  daté  du  vendredi  3 
\corrige:{  :  vendredi  2]  août  1771,  et  il  donnait  aussi  en  note  [Œuvres, 
t.  XII,  p.  41)  le  premier  billet,  «  ce  vendredi  matin,  très  à  la  hâte,  » 
que  Bernardin  s'était  borné  à  mentionner  en  quelques  mots.  Ces  deux 
lettres  sont  publiées  d'après  les  originaux,  «  retrouvés  depuis  la  pre- 
mière édition»  [18 19]  de  V Essai. 

P.  3ig,  1.  24:  je  vous  rernercie,  //se^  :  je  vous  en  remercie. 

P.  3 19,  note,  1.  3  :  lettre  à  M...,  7  déc.  1763,  lise:{:  lettre  à  Dom 
Deschamps,  25  juin  1761  (Emile  Beaussire,  Antécédents  de  l'hégélia- 
nisme  dans  la  philosophie  française,  i865,  p.   i5i-i54). 

P.  322,  1.  27:  Darciaux,  lise^  :  Darcusux. 

P.  322,  1.  27  :  Au  titre,  lise^:  Sur  la  couverture. 

P.  322,  1.  28:  au  faux-titre,  lise^:  au  litre. 

P.  324,  I.  18:  Paris,  lisez:  Paris. 

P.  324,  1.  3o  :  Dec.ïn,  lise^  :  Decaen. 

P.  325,  note,  1.  2  :  Ajoute^  :  et  dans  le  Lyon  médical  du  12  janvier 
1908;  tirage  à  part,  Lyon,   Association  typographique,  1908,  [ii-]i2pp. 


P.  326, 
P.  326, 
P.  33o, 
P.  332, 
P.  333, 
334, 
334, 
335, 
335, 
335, 
335, 
335, 
P.  335, 
P.  335, 
P.  335, 
P.  335, 
P.  336, 
P.  336, 


9:  a;7;-è5  spasmodique,  ay'oM/e^  ;  obsédante. 
29:  Philomatique,  lisez  :  Philomathiquc. 
8  :  Heines,  lise:[  :  Heine. 
14:  i5  avril,  lise:{:ib  août. 
10  :  Ponverre,  lisez  :  Pontverre. 
8:  i85i,  lise:^:   1846. 
25:  i3  avril,  lise:{  :  20  avril. 
7  :  1767,  lise^:  1768. 

i2-i3;  337,  1.  i5  :  languages,  lisez:  language . 
i5,  17  ;  344,  1.  3o  :  Valette,  lise:[  :  Vallette. 
17-18:  après  Bibliothèque  universelle,  ajoutez  :  avril. 
20:  Allegemenen,  lisez:  Allgemeinen. 
25:  Niewe,  lisez:  Nieuwe. 
28:  janv.-mars,  //sef  :  janvier. 
29  :  Ch.  G.,  liseï:  Ch.  G[ideJ. 
3i  :  oct.-nov.,  lise:^:  oct.-déc. 
6  :  D'  S.  J.,  lise^  :  D'  S.  Jankelevitch. 
i^:  après  14  avril,  ajoute^:  (A.  Aulard). 


042  ANNALES  DE  LA  SOCIETE  .1.  .1.   ROUSSEAU 

P.  337,  1.  27  :  28  avril,  lisc^  :  q  mai. 

P.  342,  1.  3-8.  On  connaissait  depuis  longtemps  la  lettre  «  inédite  » 
à  De  Luc,  du  29  mars  1/38.  l-^llc  avait  été  déjà  en  grande  partie  pu- 
bliée, à  deux  reprises,  lorsque  le  journal  L'Ordre,  du  21-22  avril  i85i, 
la  donna  intégralement,  a\ec  quelques  inexactitudes.  Dans  le  texte, 
meilleur,  de  la  Chronique  médicale  (i^''  février  1907,  p.  88),  il  manque 
un  paragraphe.  —  Le  fac-similé  du  g  3,  inséré  dans  la  même  revue 
(i"  janvier  1900),  est  suivi  d'une  signature  <(  .1.  J.  Rousseau  »,  qui 
n'existe  pas  à  la  fin  de  cette  lettre  et  a  été  prise  ailleurs. 

P.  342,  1.  9:  BoUetino,  lisez  :  Bollettino. 

P.  342,  1.  20:  1493, //ir^:  1493-1496. 

P.  342,  1.  3i.  Notre  confrère,  le  docteur  0.  Adler,  de  Berlin,  veut  bien 
nous  informer  qu'il  possède  un  exemplaire  de  la  même  plaquette,  relié 
avec  différents  libretti  ayant  servi  pour  des  représentations  royales.  Le 
Devin  y  est  imprimé  à  partir  de  la  page  23,  à  la  suite  de  Zclindor,  roi 
des  Sylphes,  musique  de  Rebel  et  Francœur,  qui  fut  représenté  le  même 
jour  devant  le  roi  et  dont  M'"*  de  Pompadour  tint  également  le  principal 
rôle,  celui  de  Zelindor. 

P.  343,  1.  24-33.  Sur  cette  manifestation,  voy.,  dans  \q  Journal  de  Ge- 
nève du  II  juillet  1878,  un  article  de  M.  Eug.-A.  Poney,  qui  contient 
le  discours  prononcé  alors  par  le  prof.  Bâillon  :  "  .1.  .L  Rousseau  bota- 
niste» et  une  note  de  M.  J.  Grand-Carteret,  dans  son  ./.  ./.  Rousseau  jugé 
par  les  Français  d'aujourd'hui,  Paris,  1890,  p.  xix. 

P.  343,  1.  34:  Bletton,  lise^ :  Bleton. 

P.  344,  1.  6,  ajoute::;:  Le  docteur  Adler  a  aussi  publié  dans  le  même 
journal,   14  mai  1907,  un  article  intitulé:  ./.  ./.  Rousseau  als  Mtisiker. 

P.  344,  1.  19  :  p.         ,  lise:{  :  p.  299. 

P.  344,  1.  20:  23  mars,  lise:{  :  23  mars. 

P.  345,  1.  35-36:  la  phase,  lise^:  le  phare. 

P.  347,  1.  19:  p.        ,  lise\:p.  323. 

P.  347,  1.  24:  le  Recueil,  lisez:  les  Séances  el  travaux. 

P.  347,  1.  33  :  16  février  au  21  mars,  lise:^:  16  janvier  au  20  mars. 

P.  348,  1.  4-3  :  Résumé,  lise:^  :  Résumés. 

P.  349,  1.  17:  de  Vogué,  lise^:  de  Vogué. 

P.  33o,  1.  29:  commençons,  lise:;  :  commençons  donc. 

P.  35o,  1.  35  :  à  sa  patrie,  lise:;  :  à  la  patrie  (texte  de  Rousseau.  H,  3). 

P.  35o,  1.  36  :  il  leur  fait,  lise^:  il  lui  fait  (id.) 

P.  35o,  1.  38  :  périr,  lise:;  :  mourir  (id.) 

P.  35o,  1.  40:  l^es  grâces  trop  fréquentes,  lise;:  Les  fréquentes  grâ- 
ces (id.) 

P.  33  I,  1.  Il  ;  chapitre  Vlil,  ajoute:;:  du  livre  IV. 

1*.  33 1,  1.   17  :  ou  sujet,  lise:;  :  ni  sujet. 

P.  35i,  1.  3o-3i  :  5  janvier  1907,  lise:;:  5  janvier  1906. 

P.  352,  1.  T  :  le  Matin,  ajoutez  :  (de  Bruxelles). 

P.  352,  1.  16  :  P.  Carrier- Belleusc,  lise:^  :  Louis  Carrier-Hellcuse. 

P.  36o,  1.  9:  281,  lise:;:  282. 

P.  36o,  1.  II,  17:  324,  lise:;:  323, 

P.  36o,  \.  35  :  359,  lise:;  :  354. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages 

Le    texte    de     la     Nouvelle    Heloïse    cl     le>    éditions    du 

XVII1=  siècle,  par  Daniki.  Mornet i 

Recherches   sur  les  sources  du  Discours  de  V Inégalité,  par 

Jean  Morel 119 

Romantique,  par  Alexis  François 109 

Une    lettre    inédite    de    Jean-Jacques    Rousseau    à    M.    de 

Bonac,  par  Philippe  Godet 237 

Menus   détails  sur   Jean-Jacques    Rousseau,    par    Philippe 

Godet 241 

Rousseau    à    la    Grande    Chartreuse    (epitre    inédite),    par 

Pierre- iMaurice  Masson 247 

(Contribution  à  l'étude  de   la   prose  métrique  dans  la  A'oz/- 

ve//e //e7oJ'5e,  par  Pierre-Maurice  Masson.      .  .       239 

Le  peintre  G.  F.  Maver,  par  le  Comte  dk  Girardix   .      .      .       278 

BIBLIOGRAPHIE 

Complément  pour  la  bibliographie  de  1907 277 

Bibliographie  de  Tannée  1908 278 

Allemagne,  p.  278  —  Angleterre,  p.  283  —  Belgique, 
p.  291  —  Espagne,  p.  291  —  France,  p.  292  —  Hon- 
grie, p.  3i2  —  Italie,  p.  3 12  —  Russie,  p.  3i3  — 
Suisse,  p.  314. 

Par  B[ernard|  B|oL'Vier|,  MaxjimilienI  Bukkenoir, 
L.-J.C[ourtois],Th|è;ophile|  D[ukoijr],  A|lexis1  P'|ran- 
çois],  L[ucien]  P[invert|,  G|aspard|V|allette],  Ch[ar- 

LES]    W[eRNER|. 

Il  est  parlé  des  ouvrages  de  O.  Adler,  284  —  R.  Alta- 
mira,  291  —  J.  \an  den  Arend,  21)1  —  G.  Audigier, 
3o6  —  L.  Aurenche,  3o() —  G.  d'Avenel,  3o()  —  J.  Bar- 
bey d'Aurevilly,  292 —  A.  Bazaillas,  292  —  Bibliophi- 
lon,  3 16  —  O.  Bogdànt'y,  3i2  —  P.  Bonnardot,  293  — 
M.  Boy  de  la  Tour,  316  —  H.  Buffenoir,  293  —  F. 
Caussy.  3(»8  —  E.  (Champion,  3o8  —  A.  Ghuquet,  3o8 
—  J.  Ch.  (CoUins,  287  —  G.  Compayré,  289,  294  — 
H.  Correvon,  3i6  —  L.  Credaro,  3i2  —  (J.  Del  Vec- 
chio,  3i3  —  L.  Deshairs,  294  —  A.  D'Espine,  3o<).  3iG  — 


.->44  TABLE   DES    MATIERES 

Duchesse  de  Dino,  294  —  J.  Drùmar,  278  — A.  Du- 
bois, 317  —  L.  Ducros,  :î94  —  E.  Faguet,  2g5  —  A. 
Faure,  2q5  —  D'  Fernel,  Soq  —  M.  Foresi,  3i3  — 
Baron  de  Frénilly,  295  —  H.  Gaillard  de  Ghampris, 
29(5 —  Gomte  de  Girardin,  297  —  Ph.  Godet,  3o5,  317 

—  H.  Grev  Graham,  3i4  —  ¥.  Gribble,  289,  290  — 
P.  Heresco,  3io  —   R.  P.  Jago,  289  —  H.   .lahn,   279 

—  O.  Karstaedt,  2S4  —  M.  Kircheisen,  279,  281  — 
\V.  Kûchler,  282 — H.  Labonne,3io  —  M.  A.  Leblond, 
3 10  —  F.  Macdonald,  285  —  Marat,  3oo  —  M.  Mas- 
son,  3 10,  3i8  —  R.  Mondolfo,  278  —  Baron  Morand, 
277  —  Gh.  N.,  3i  1  —  L.  N.,  3i3  —  E.  Oppel,  284  — 
G.   Pagliara,  3i3  —  E.  Parisot,  292  —  E.  Pilon,  3oo 

—  J.  Reinke,  278  —  G.  de  Reynold,  3i8—  A.  Ribera, 
3i2  —  H.  Roujon,  3oo  —  M.  Salomon,  3oi  —  Ad.  de 
Saussure,  3i4  —  M.  Schill,  3ii  —  E.  Seillière,  3oi  — 
.1.  Steeg,  283  —  Stendhal,  3o2  —  J.  Tiersot,  3o4,  3i2 

—  O.  fwiehausen,  283  —  E.  Vallas,  3o4  —  Ch.  Vel- 
lay,  3oo  —  E.  M.  de  Vogué,  297  —  Voltaire,  3o8  -- 
G.  Vorberg,  284  —  L.  Wittmer,  3i5  —  E.  Worthing- 
ton,  285  —  T.  de  Wvzewa,  3o5  —  E.  Zabel,  283. 

Revue  des  bibliographies 3 18 

GHRONIQUE 

P^xtrait  des  proces-verbaux  des  séances  du  Comité    .      .      .       323 

Archives  Jean-Jacques  Rousseau 325 

Albert  Jansen  (1833-1909),  notice  nécrologique,  par  EuGiiNK 

RiTTER 32(3 

(Chronique  générale 329 


Errata  du  tome  iv  (1908) 340 


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20^2 
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Société  Jean-Jacques 
Rousseau,   Geneva 
Annales 

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