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Full text of "Annam et Indo-Chine française"

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ARTES SCIENTIA VERITAS 



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ARTES SCIENT1A VERITAS 








ANNAM 



ET 



INDO-CHINE FRANÇAISE 



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DU MEME AUTEUlt 



LES ANNAMITES 
SOCIETE — COITI'MES — RELIGIONS 



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I volume in-8 u , avec 43 photogr., 1900 7 fr. 50 

(A. GIIALLAMEL, Éditeur). 



ÉLÉMENTS DE GRAMMAIRE ANNAMITE 

(Ouvrage dédié à M. le Général Brière de l'isle) 1 volume in-8°, 
3 e édition, 1901 3 fr. 

(A. GIIALLAMEL, Éditeur). 



Méthode d'enseignement mutuel Franco -Annamite (Schneider, éditeur, 
Hanoï, 1894). 

Étude de la langue Taï (Schneider, éditeur, Hanoï, 1895). 



Colonel E. D1GUET 



DR L'INFANTERIE COLONIALE 



ANNAM 



ET 



INDO-CHINE FRANÇAISE 



I. — Esquisse de l'histoire annamite 
H. — Rôle de la France en Indo-Chine 



Ouvrage dédié à M. Gaston DOUMERGUE 

Ministre du Commerce, 
ancien Ministre des Colonies. 



PARIS 
Augustin Cil ALL AMEL, Editkuh 

Rue Jacob, 17 
Librairie Maritime et Coloniale 

1908 

Traduction et reproduction même partielles interdites. 



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INTRODUCTION 



Dans un livre publié au mois de septembre de Tannée der- 
nière, j'ai essayé de dépeindre le peuple annamite qui constitue 
plus des trois quarts de la population de l'Indo-Chine. J'ai 
décrit son organisation sociale telle qu'elle existait avant l'in- 
tervention de la France dans ce pays, ses coutumes, sa manière 
de vivre, j'ai guidé le lecteur au milieu de l'imbroglio de ses 
idées religieuses, je me suis introduit avec lui dans ses pagodes 
et j'ai évoqué quelques-unes de ses vieilles légendes. C'était 
un livre de vulgarisation destiné, non pas à faire faire un pro- 
grès quelconque à l'ethnographie, mais tout simplement à 
répandre parmi ceux qui s'intéressent à l'Extrême-Orient les 
connaissances que j'ai acquises, tant par mes lectures que par 
mon observation personnelle, sur une des races les plus inté- 
ressantes du monde entier. 

L'accueil favorable qui a été fait aux « Annamites » dans la 
presse et dans le monde savant m'a encouragé à publier 
« Annam et Indo-Chine Française », qui peut en quelque 
sorte lui servir de complément. Sa première partie est une 
esquisse de l'histoire annamite, très rapidement exposée au 
début jusqu'à l'intervention de la France, puis décrite avec 
plus de détails en traitant de la conquête de la Cochinchine 
et de celle du Tonkin. Au sujet de cette dernière, il m'a 
paru intéressant de mettre en lumière la méthode sûre et 
rationnelle avec laquelle peu à peu, au cours des six phases de 



VI INTRODUCTION 

cette occupation, nous avons su assouplir nos moyens de péné- 
tration pour arriver en 18% à la pacification complète de 
toutes les régions troublées jusqu'alors. 

Dans la seconde partie j'ai essayé de donner une idée exacte 
du rôle de la France en Indo-Chine. J'ai décrit la situation 
politique qui résulte pour elle des traités conclus avec la 
Chine, l'Annam, le Siam, etc., l'organisation du gouverne- 
ment général de l'Indo-Chine et des gouvernements locaux des 
cinq pays qui la composent, le fonctionnement de ses ser- 
vices généraux. J'ai montré ce qui a été fait pour l'extension 
de l'influence française par l'instruction publique, par les 
œuvres de bienfaisance créées en Indo-Chine et par leur pro- 
pagation dans les pays nvoisinants. J'ai donné un aperçu du 
développement économique que nous avons imprimé au pays 
et de l'organisation budgétaire que nous y avons instituée. 
Enfin, pour conclure, je me suis demandé quels sont les 
moyens à employer pour conserver cette magnifique colonie 
qui nous a coûté tant d'efforts et qui fait l'admiration de tous 
ceux qui la visitent. Les convoitises qu'elle excite sont grandes 
et nous ne devons négliger aucun sacrifice pour défendre un 
bien aussi précieux. L'accord franco-japonais, signé le 10 juin 
1907, est venu, il est vrai, ajourner les menaces dont elle était 
l'objet, puisque « les deux gouvernements ayant un intérêt 
à voir l'ordre et un état de choses pacifiques garantis, notam- 
ment dans les régions de l'Empire Chinois voisines des terri- 
toires où ils ont des droits de souveraineté, de protec- 
tion ou d'occupation, s'engagent à s'appuyer mutuelle- 
ment pour assurer la paix et la sécurité dans ces régions ». 
Mais si ce traité écarte momentanément toute crainte d'agression 
delà part du Japon, nous ne devons pas oublier, ainsi que nous 
le montrerons plus loin, que la Chine est en voie de réorga- 
nisation et que dans une dizaine d'années elle sera une puis- 
sance militaire redoutable. J'ai dit quelques mots des mesures 



INTRODUCTION VU 

à prendre pour la défense de l'Indo-Chine sur terre et sur mer 
contre ses ennemis extérieurs, mais j'ai insisté tout particu- 
lièrement sur l'attitude toute nouvelle que doit prendre la 
France vis-à-vis des Annamites, si elle veut reconquérir leur 
affection qu'elle a laissée lui échapper. Le dilemme est inéluc- 
table : ou bien nous perdrons V Indo-Chine, ou bien nous ren- 
drons aux Annamites, dont il nous faut l'amitié' à tout prix, 
le rang social qui leur revient comme individus, l'exercice 
réel de l'administration et de la justice de leurs concitoyens, 
et la tranquillité que leur a enlevée notre système fiscal. 
Et telle est ma conclusion. 

E. DlGUET. 



PREMIÈRE PARTIE 



ESQUISSE 
DE L'HISTOIRE ANNAMITE 



CHAPITRE I er 



AVANT I/INTERVENTION DE LA FRANCE 



L'Annam, royaume vassal de l'empire chinois 

(d'environ 3800 avant J.-C. à 114 avant J.-C). 

Pour faire connaissance avec le peuple annamite il nous a semblé 
utile de remonter jusqu'aux origines, un peu fabuleuses, de son his- 
toire et de donner un aperçu de son développement, jusqu'à l'époque 
actuelle. Nous le verrons ainsi successivement lié avec la Chine 
par des liens de vassalité, ensuite, pendant les dix premiers siècles 
de notre ère, soumis à la domination des gouverneurs de cet empire, 
puis, reprenant sa liberté à la faveur de révolutions sanglantes, et 
enfin, une fois débarrassé de l'oppression chinoise, partant à la 
conquête de nouveaux pays et descendant le long de la côte d'Annam 
pour absorber le Ciampa et le Cambodge et en faire des provinces 
annamites, allant ainsi, grâce à sa prodigieuse vitalité, faire la tache 
d'huile jusqu'aux grands lacs du Mékong. 

En voyant ce peuple, après dix siècles d'asservissement, songer 
encore à son émancipation et la poursuivre avec courage et témé- 
rité, nous nous ferons une idée de la vigueur et de la persistance 
de son amour de la liberté. En le suivant dans ses conquêtes har- 
dies nous lui reconnaîtrons une humeur belliqueuse que son appa- 
rence pacifique et soumise ne fait pas soupçonner ; mais par la même 
occasion nous ne manquerons pas de nous expliquer certains de 



_ 4 — 

ses défauts tels que la duplicité et la ruse qui naissent dans l'op- 
pression d'un long asservissement. 

Il est difficile de préciser les limites de l'Empire Chinois au 
xxix e siècle avant notre ère, c'est-à-dire à l'époque quasi-fabuleuse 
ou le peuple annamite commence à avoir une existence vague- 
ment reconnue par les historiens. On sait simplement que 
l'Empire chinois occupait les deux grands bassins du fleuve Jaune 
et du fleuve Bleu, et qu'il existait sur ses confins des régions excen- 
triques, habitées par des peuples presque entièrement ignorés des 
Chinois et auxquels ils avaient donné la dénomination commune de 
Qui (diables). Nous voyons parla que l'orgueil chinois, qui qualifie 
de nos jours de diables tous les peuples étrangers, remonte à la 
plus haute antiquité. 

Parmi les quatre tribus vivant sur les confins de l'Empire et dont 
l'emplacement était vaguement indiqué sur les cartes chinoises par 
le caractère Qui, se trouvait la race des Giao Chi (croisés-doigts 
de pied) qui n'est autre que la race annamite. Ce nom très carac- 
téristique lui venait d'une particularité physiologique qu'elle est 
seule à posséder avec quelques Chinois du Sud, les Malais et les 
Manillais, et consistant en un écartement exagéré du gros orteil 
du doigt de pied voisin auquel il est pour ainsi dire opposable 
comme le pouce à l'index. 11 n'est pas rare en effet de voir un 
Annamite utiliser cette conformation spéciale, soit pour ramasser 
par terre un objet très petit avec son pied nu, soit pour tenir 
adroitement avec ses doigts de pied un objet à façonner. 

Les Giao Chi habitaient le pays constitué à peu près par les val- 
lées du Si Kiang et du fleuve Rouge, c'est-à-dire les contrées 
actuellement désignées sous le nom de Yunnan, Quang Si, Quang 
Tong et Tonkin. 

C'est, disent les Annales, au xxix e siècle avant notre ère qu'un 
prince chinois du nom de De Minh, envoya son second fils, Lôc 
Tue, régner sur cette immense région à laquelle il donna le nom 
de Xich Qui (rouges-diables) ou Royaume des Diables Rouges. Le 
premier roi de ce pays prit le nom de Kinh Duong et fonda cette 
dynastie des Hong Bang qui devait régner sur le pays des Giao Chi 
pendant plus de deux mille ans. 



— 5 — 

Pendant le cours de ces vingt siècles les Annales Annamites 
affectent un caractère légendaire et les faits précis sont fort rares. 

Hung, petit-fils de Kinh Duong, donna à son royaume le nom de 
Van Lang (policé-turbulent) ou Royaume des turbulents policés, 
dénomination qui semble indiquer que ce prince eut tout au moins 
la volonté de donner à ses sujets, d'humeur un peu indépendante, 
des institutions régulières. Il établit sa capitale dans le voisinage 
■ de Son Tây et divisa le pays en quinze provinces. 

Sous la dynastie chinoise des Ha qui englobe les xxi e , xx e et 
xix e siècles avant notre ère, les Annales Chinoises comptent le 
Royaume de Van Lang comme formant une des neuf provinces de 
l'Empire et lui donnent le nom de Duong Châu. 

Plus tard, sous la dynastie chinoise des Chu, le même pays est 
compris parmi les neuf provinces concentriques sous le nom de 
Phiên (frontière). 

Ces deux faits montrent que les Chinois considéraient toujours le 
Van Lang comme faisant partie de l'Empire ; mais ce qui indique 
bien que ce royaume lui-même reconnaissait son état de vassalité, 
c'est que vers Tannée H 00 avant J.-C, il en voyait des ambassadeurs 
porter des présents au Fils du Ciel qui leur fit don d une boussole 
pour faciliter leur retour. 

Au in e siècle avant J-.C, le royaume de Van Lang comprenait 
les peuplades fixées dans le delta du fleuve Rouge. Les conditions 
faciles de leur existence au milieu de ces terres fertiles, les relations 
de voisinage que leur procuraient les communications sur mer avec 
la Chine et l'émigration chinoise qui en était résultée avaient peu a 
peu amené chez ces peuples une organisation civilisée et le royaume 
avait été divisé en provinces avec une administration centrale 
émanant d'une capitale située dans la région de Son Tây. 

Au contraire les montagnards Thaï qui habitaient les hautes 
régions du Nord, privés de toute communication avec le dehors, 
n'avaient subi aucun perfectionnement. Ils constituaient, un royaume 
qui comprenait probablement le Yunnam, le Koueï Tchéou et la 
Province de Cao Bang actuelle et dont le nom était Thuc ou Ba 
Thuc. 

Le roi de ce pays recherchait depuis longtemps l'alliance de son 



— 6 — 

voisin du Sud, mais celui-ci ne craignait pas d'afficher un certain 
mépris pour les barbares de la montagne. Aussi un beau jour, an 
257 avant J.-C, An Duong, roi des Thuc, vexé des airs de supé- 
riorité que prenait à son égard le roi du Van Lang, envahit son 
royaume et réunit les deux pays sous sa domination, sous le nom 
de Royaume de Au Lac. Il fît ériger dans le pays de Bac Ninh une 
citadelle dont les remparts s'enroulaient en forme de spirale et qui 
fut appelée Cô Loa Thanh (vieux-coquillage-citadelle). Ainsi le 
chef de la deuxième dynastie annamite était de race Thaï. 

C'est à cette époque que régna en Chine le grand empereur Tan 
Thi qui détruisit à la fois la puissance des seigneurs féodaux et des 
lettrés. Il employa à l'œuvre vigoureuse de la reconstitution de 
son empire des moyens qui ont jeté sur sa mémoire une juste répro- 
bation, car il ne craignit pas de faire brûler tous les livres et mas- 
sacrer tous les lettrés. 

Mécontent de sentir au sud du Céleste Empire un royaume 
presque indépendant, il voulut y affermir son autorité et y envoya 
une armée sous les ordres des généraux Triêu Da et Nham Ngao, 
qui s'établirent d'abord à Canton puis vinrent menacer la capitale 
du royaume de Au Lac jusque vers Phu Lang Thuong. L'empereur 
Tân Thi étant mort sur ces entrefaites ainsi que Nham Ngao, le 
général chinois Triêu Da s'empara du royaume de Au Lac pour son 
propre compte, puis, établissant sa capitale a Canton, il fonda le 
grand royaume de Nam Viêt (Midi-séparé), qui comprenait, outre 
le royaume de Au Lac (ancien royaume de Ba Thuc et de Van 
Lang), les provinces actuelles du Quang Si et du Quang Tông, 
puis plus tardlePhuoc Kiên et l'île de Hai Nam, dont il fit la con- 
quête. Triêu Da régna 71 ans sur cet immense royaume qui étendait 
ses rivages sur la mer de Chine, de Formose à Tourane, et était 
peuplé par des Thaï et des Giao Chi. Son règne fut heureux et 
prospère, et malgré son origine étrangère il fut considéré comme un 
prince originaire du pays. Son arrière-petit-fils, qui fut son deuxième 
successeur, ayant épousé une femme chinoise, celle-ci n'hésita pas 
à trahir son pays d'adoption et à offrir à l'Empereur de Pékin son 
entremise pour lui faciliter l'envahissement du Nam Viêt. 

Quatre armées venues par terre et une flotte vinrent mettre le 



— 7 — 

siège devant Canton, sa capitale, et malgré la courageuse défense 
du vieux maréchal Lu Gia, en Tan 111 avant J.-C, le royaume fut 
incorporé à l'Empire. 

Il fut divisé en neuf provinces, dont deux dans le Quang Tông 
actuel, deux dans la Quand Si, une dans le delta tonkinois, une à 
Thanh Hoa, une à Quang Nam et deux dans l'île de Hai Nan. 

Depuis cette époque jusqu'en 931 de notre ère, le pouvoir resta, 
sauf de courtes interruptions, entre les mains de gouverneurs chi- 
nois. 

L'Annam, province chinoise 

(de 111 avant J.-C. à 931 après J.-C). 

Pendant ces onze siècles de domination, l'Empire Chinois est loin 
d'exercer sur les Giao Chi une autorité incontestée et de maintenir 
dans le pays une paix permanente, mais son influence se fait sentir 
de jour en jour. Les insurrections elles-mêmes contribuent à faire 
pénétrer chez ces peuples encore barbares l'influence du peuple 
civilisateur, car elles sont généralement suivies d'un long campement 
des troupes chinoises dans le pays et d'une véritable colonisation 
militaire. 

Les gouverneurs généraux ont quelquefois des semblants de 
dynasties. C'est ainsi que les Hoang administrent le pays pendant 
quatre générations, entre le n e et le iv e siècle de notre ère. Quel- 
ques-uns se montrent de véritables hommes de gouvernement, 
mais ils sont l'exception. La plupart ne songent qu'à pressurer le 
peuple conquis et à lui faire rendre le plus d'argent et de produits 
précieux qu'il est possible. Leurs maladresses sont la cause de 
nombreuses rébellions. C'est ainsi qu au i cr siècle de notre ère, la 
grande héroïne annamite Trung Trac lève l'étendard de la révolte. 

Le gouverneur chinois, assassin de son mari, est mis k mort, et 
les Annamites, électrisés par son courage, chassent les Chinois et la 
reconnaissent pour leur reine. Malheureusement cette belle épopée 



— 8 — 

guerrière ne devait rendre le pays aux Annamites que pour trois 
ans, de l'année 39 à Tannée 42. Le général Ma Viên reconquit le 
pays, et la pauvre reine, toujours accompagnée de sa sœur Trung 
Nhi, se fit tuer glorieusement à la tête de ses troupes. 

L'Annam retomba pour un siècle et demi sous la férule des gou- 
verneurs généraux qui ne se faisaient pas faute de traiter ses pauvres 
habitants en serfs taillables et corvéables à merci. 

En Tannée 186, TEmpire Chinois était tiraillé entre les trois 
dynasties des Han, des Thucet des Ngô qui se disputaient le trône. 
C'est à la faveur de ces divisions qui affaiblissaient la couronne que 
Si Vuong put se faire proclamer roi d'Annam. Il fut élevé plus tard 
au rang des génies pour avoir introduit en Annam la littérature 
chinoise et la morale confucianiste. Après sa mort, un général chi- 
nois ne tarda pas à ressaisir la domination de ce malheureux pays 
et une nouvelle période d'asservissement s'ouvrit de Tannée 226 à 
Tannée 540. 

La dynastie chinoise qui régnait sur les provinces méridionales 
de la Chine et sur le gouvernement du Giao Châu, ainsi qu'on 
appelait alors Tancien royaume de Nam Viêt, s'inquiéta bientôt de 
Timmense étendue de ce territoire. Elle procéda en Tan 240 aune 
scission entre la partie septentrionale qui comprenait les deux pro- 
vinces actuelles du Quang Si et du Quang Tông et la partie méri- 
dionale qui n'était autre que le Tonkin actuel, prolongé jusqu'à Tou- 
rane. La limite qui fut établie entre les deux gouvernements était 
sensiblement la frontière actuelle du Tonkin. Elle était toute con- 
ventionelle puisqu'elle ne tenait compte ni des divisions géogra- 
phiques, ni des dissemblances des races. De part et d'autre, le pays 
était habité alors comme aujourd'hui par des Thô et des Nung. 
Ces peuples ont conservé les mêmes traditions, la même manière 
de vivre, et la même langue thaï. L'influence de 18 siècles d'admi- 
nistration chinoise, l'infusion du sang des soldats, des vagabonds 
et des déportés, ont légèrement modifié le type dans le sens chinois 
au nord de la frontière, tandis que l'influence annamite se faisait 
sentir au sud. 

C'est au iv e siècle que vient prendre place dans l'histoire de TAn- 
nam un petit peuple qui, pendant plusieurs siècles, se mêlera dune 



— 9 — 

manière importante aux luttes qui se dérouleront le long de la 
mer de Chine. C'est le peuple du Lâm Ap ou Ciampa qui fera sen- 
tir son voisinage par des incursions au Tonkin et jusqu'à Canton. 
Les représailles de la Chine commencèrent en 353 par l'envoi d'un 
prince de la dynastie chinoise à la tête d une armée nombreuse qui 
envahit le Lâm Ap et détruisit ses fortifications. 

A partir de ce moment et pendant plusieurs siècles, aux incur- 
sions maritimes des Ciampois succèdent des invasions terribles, 
conduites par les envoyés impériaux ou les Gouverneurs généraux 
chinois de TAnnam. 

En 541, nous assistons à un nouveau réveil du sentiment national 
annamite. Les chefs indigènes chassent les Chinois et reconstituent 
le royaume de Nam Viêt qui peut durer une soixantaine d'années 
grâce au désordre qui règne à la cour de Chine. Trois rois de la 
dynastie antérieure des Ly se succèdent sur le trône. 

Mais en 602 une armée considérable réoccupe le pays, et en 618 la 
Chine crée le gouvernement d , Annam (paix-sud) ou du Midi pacifié \ 
qui comprend le Tonkin et la côte d'Annam jusqu'à la province de 
Quang Nam. 

En 722, un chef indigène, Mai Thuc Loan, se fait proclamer roi 
sous le nom de Hac De (l'empereur noir), et fait alliance avec le 
Lâm Ap (Ciampa) et le Chon Lap (Cambodge). Il remonte le long 
de la côte avec trois cent mille hommes ; mais la victoire finale reste, 
encore une fois, aux mains du général envoyé par la Chine et du 
Gouverneur de l'Annam. 

Une invasion malaise venue des îles Philippines est également 
repoussée en 767. Le général chinois fait bâtir la citadelle de La 
Thanh pour résister aux nouvelles incursions. 

Au commencement du ix e siècle, le royaume de Ciampa, toujours 
entreprenant, a osé porter ses frontières jusqu au delà du Nghê An. 
Une nouvelle expédition lui fait rendre gorge après un terrible mas- 
sacre de ses troupes. 

Cependant, les gouverneurs chinois, non contents de pressurer le 
peuple annamite, en vinrent à mécontentera leur tour les peuplades 
sauvages qui vivaient dans les montagnes, sur les confins du 
royaume. L'un d'eux ayant imposé des corvées trop pénibles aux 



— 10 — 

Moïs, ceux-ci servirent de guides aux habitants du royaume de 
Nam Chiêu pour envahir le pays. 

Le royaume de Nam Chiêu était une principauté qui s'était fondée 
au début du vm c siècle dans la haute vallée du fleuve Rouge et 
qui comprenait le Yunnam actuel, habité par des tribus de race 
thaï et lolo. Cette principauté avait remplacé les anciens royaumes 
lolo qui avaient existé au commencement de l'ère chrétienne. » 
Après des alternatives de lutte et de bonne entente avec les gouver- 
neurs chinois, le roi de Nam Chiêu avait fini par être reconnu par 
la Chine comme Seigneur du Yunnam. Il allait bientôt descendre 
la vallée du fleuve Rouge pour venir jouer un rôle prépondérant 
dans les affaires du gouvernement du Giao Châu (Annam). 

Comme nous l'avons déjà constaté, les administrateurs chinois 
se montraient généralement fort maladroits avec le peuple conquis 
qu'ils considéraient comme taillable et corvéable à merci. Une pré- 
fecture avait été créée à la fin du viii c siècle à Phong Châu, vers 
l'embouchure de la rivière Noire, afin d'administrer les populations 
thaï et moi* des montagnes qui bordent sa vallée et celle du fleuve 
Rouge. C'est son chef nommé Ly Trac qui, par ses exigences mala- 
droites, mécontenta les Moi* et les amena à demander du secours au 
roi du Nam Chiêu. Celui-ci ne se fit pas prier et descendit bientôt 
le long de la vallée du fleuve Rouge avec les hordes Yunnannaises. 
En 860, il réussit même à s'emparer de la capitale et il fallut 
recourir à l'envoi d'une armée de 30.000 Chinois pour repousser les 
envahisseurs ; mais ceux-ci revinrent assiéger de nouveau la capi- 
tale l'année suivante. Le pays tomba enfin aux mains des Nam 
Chiêu et les gouverneurs chinois eurent la honte de leur laisser le 
pouvoir pendant dix ans (860-870). Enfin Cao Bien, envoyé spécial 
des Duong, réussit à chasser les envahisseurs, se proclama roi 
d' Annam et bâtit la superbe citadelle de Dai La. Parmi les fortifi- 
cations dont il couvrit le pays, nous citerons la citadelle de Phuc 
Hoa (province de Cao Bang). 

Mais bientôt après, Cao Bien ayant été appelé au gouvernement 
de Thuc, les Nam Chiêu revinrent encore s'installer dans la capi- 
tale. Les Duong ne purent s'en débarrasser qu'en envoyant à leur 
roi Tu Phap une princesse impériale et en faisant empoisonner les 
trois généraux qui allèrent la chercher. 



— 11 — 

Ainsi, les Annamites voyaient de toutes parts le flot des invasions 
venir battre les murs de leur capitale, ils constataient que les gou- 
verneurs chinois étaient impuissants à leur en interdire l'accès, ils 
sentaient leur pays épuisé par toutes ces luttes soutenues au profit 
de l'étranger, ils savaient la Chine elle-même en proie aux luttes 
fratricides. Le moment était venu de secouer le joug qu'ils subis- 
saient depuis onze siècles. L'insurrection éclata partout à la fois et 
chassa devant elle les Chinois en 931 . 

Le peuple annamite avait donc rejeté le pouvoir oppresseur de 
l'étranger, mais il en garda une empreinte qui ne devait plus jamais 
s'effacer. La civilisation et les coutumes de la Chine ont pénétré 
dans le cœur des Annamites avec sa littérature et sa morale con- 
fucianiste, et tant qu'un autre peuple n'aura pas su faire goûter une 
autre littérature et une autre morale, ils conserveront pour la Chine 
une admiration exclusive. C'est à nous Français qu'il appartient, 
par une lente et insensible pénétration intellectuelle et morale, de 
leur enlever le bandeau qu'ils gardent obstinément devant les yeux 
et qui leur cache ce qu'il y a de beau et de grand dans nos œuvres 
littéraires, artistiques, scientifiques et philosophiques. 



Le royaume d'Annam indépendant sous les dynasties des Dinh 

(968 à 980), des Le antérieurs (981 à 1010), des Ly postérieurs 
(1010 à 1226), des Tràn (1226 à 1402) et des Hô (1 402 à 1407) 
jusqu'à V occupation chinoise de 1407 . 

Le pays d'Annam avait été divisé en treize départements par les 
gouverneurs chinois. Aussi chacun des chefs de district voulut-il 
profiter de l'émancipation du pays pour proclamer son indépen- 
dance, et la guerre civile succéda aux guerres avec les Ciampois et 
aux révoltes contre l'autorité chinoise. Il fallut qu'en 968, Dinh, 
ancien bouvier des montagnes de Ninh Binh, vînt renverser ces 
treize tyrannaux et fondât la première dynastie annamite de notre 



— 12 — 

ère. Il établit sa capitale dans les environs de Phu Nho Quan et 
réorganisa l'administration et la justice du pays auquel il donna le 
nom de Dai Cu Viêt. Il fut assassiné au bout de quelques années 
de règne et eut comme successeur Le Hoan, le général en chef de 
l'armée, qui fonda la dynastie éphémère des Le antérieurs et se 
signala en repoussant l'armée chinoise envoyée h la conquête du 
pays. Bientôt après, en Tan 1010, le pouvoir passa aux mains de la 
dynastie des Ly postérieurs, dont le fondateur, fils d'un bonze et 
généralissime de l'armée, établit sa capitale h Thang long, situé à 
remplacement actuel de Hanoï et qui avait Dai La Thanh comme 
citadelle. Ses successeurs montrèrent de brillantes qualités d'admi- 
nistrateurs et de guerriers : les armées chinoises furent plusieurs 
fois tenues en échec, et les généraux annamites, allant de succès en 
succès sur l'armée ciampoise, descendirent le long de la côte jus- 
qu'au Quang Nam. ( 

Au moment où le royaume d'Annam venait de se fonder, les 
peuplades qui habitaient les régions montagneuses du nord conti- 
nuaient depuis plusieurs siècles soit à guerroyer les unes contre 
les autres, soit à porter la guerre dans les provinces méridionales 
de la Chine. On avait même vu à la fin du vm c siècle la famille des 
Hoang entraîner à sa suite toutes les tribus Thô de la frontière 
jusqu'au Hou Nan. Il est vrai que ces conquêtes étaient toujours 
éphémères et toujours suivies k bref délai du rétablissement de l'au- 
torité chinoise ou annamite. 

Parmi les tribus de la race thai qui habitaient la région de Cao 
Bang, se trouvait celle des Nung qui occupait le pays de Quang 
Uyen, comprenant les plateaux des Ba Châu et le Chau de Ha Quang 
jusqu'à la source du Song Bang Giang. C'est sous le règne de Thai 
Ton (1028-1058), de la dynastie annamite des Ly, que se fonda et 
disparut le royaume éphémère des Nung de Quang Uyên. En 1039, 
Nung Ton Phuc se proclame empereur de Truong Sanh et est battu 
et décapité par le roi annamite. Son fils Nunc Tri Cao auquel le 
châtiment de son père n'avait pas servi de leçon, se déclare quelques 
années après roi de Dai Lich. Il est vaincu également par les troupes 
royales. Néanmoins, afin d'en finir avec cette rébellion, le roi le 
reconnaît comme chef de la région de Quang Uyên, mais cet acte de 



— 13 — 

bienveillance ne gagne pas le cœur du bouillant chef nung. En 1052, 
poussé par une soif intarissable de conquêtes, il envahit le Quang 
Si et le Quang Tông et se proclame empereur de Dai Narn (grand 
empire du Sud). Ses succès sont si glorieux que le roi d'Annam lui 
a envoyé des secours. Mais les revers succèdent bientôt aux vic- 
toires et le général chinois Dich Thanh a enfin raison de son adver- 
saire. Nung Tri Cao, battu, est obligé de se réfugier dans le phude 
Dai Ly, de la province de Yunnam (1053). 

Trois ans après, un envoyé de l'empereur allait le chercher dans 
sa retraite, et après l'avoir décapité rapportait sa tête à son maître. 
La famille était anéantie, et c'est ainsi que se terminait une fois de 
plus cette rébellion des tribus de race thaï de la frontière. Nous 
avons donné dans Les Annamites, à propos de la pagode Ky Sâm, 
les curieuses légendes de cette épopée, qui constitue le mouvement 
de rébellion le plus important qui ait jamais ensanglanté les régions 
frontières. 

En 1225, le pouvoir, qui était exercé par une femme, ChiêuHoang, 
tomba entre les mains de son mari, Trân Canh, qui la répudia et 
fonda ainsi la dynastie des Trân. Sans négliger la défense de son 
royaume contre les Ciampois et les Chinois dont il repoussa victo- 
rieusement les attaques, il marqua son passage sur le trône par de 
sages réformes et des travaux d'utilité publique importants, comme 
l'élévation de hautes digues le long des fleuves. 

Sous le règne de Nhàn Tông, l'Annam fut menacé par une ter- 
rible invasion. Koulibaï ou Nguyên Thaï Tô, le fameux envahisseur 
mongol, venait de renverser la dynastie chinoise des Tông; Furieux 
de voir le roi d'Annam refuser de reconnaître la dynastie mongole, 
il chargea son fils Thoat Hoan, le fameux guerrier Ma Nhi et 
Toa Dô, d'envahir le pays par terre et par mer. Pendant que les 
deux premiers battent le généralissime annamite Tran Quôc Tuân et 
s'emparent de la capitale Thang long, le chef mongol Toa Dô, 
débarqué au Nghê An, menace de venir faire sa jonction avec les 
premiers, mais le brave prince Nhân tông électrise ses généraux et 
ses soldats qui refoulent les deux armées. Une seconde invasion 
tentée quelques années plus tard se termine également par une 
défaite dans les environs de Haï Phong, au cours de laquelle Ma 
Nhi est fait prisonnier. 



— 14 — 

Sous les successeurs de Nhân tông, les incursions des Ciampois 
continuent et deviennent de plus en plus audacieuses. Ils en arrivent 
jusqu'à ravager le pays sous les murs mêmes de la capitale. 

Les derniers rois de la dynastie régnent sous l'influence presque 
tyrannique du généralissime Le Qui Ly, qui profite du répit que 
lui laissent momentanément les corsaires ciampois pour faire des 
réformes budgétaires destinées à enrichir le trésor et construire des 
forteresses pour résister aux envahisseurs. Tay Dô (ouest- capitale) 
est bâti à l'entrée des montagnes du Thanh Hoa, tandis que Thang 
Long (Hanoï) prend le nom de Dông Dô (est-capitale), puis Da 
Ban s'érige dans la province de Son Tây . Entre temps, Le Qui Ly 
a usurpé le trône sous le nom de Hô Qui Ly et donné au royaume 
le nom de Dai Ngu. Mais en 1406 une formidable invasion chinoise 
se rue sur le pays en deux masses qui s'y introduisent par le Yun- 
nam et le Quang Si et balayent sur leur passage toutes les forteresses, 
toutes les armées et toutes les flottes qu'elles rencontrent. 

Après une résistance opiniâtre de Ho Qui Ly et de son fils qui 
régnait en même temps que lui, les généraux chinois Truong Phu 
et Môc Thanh sont partout victorieux. 

La Chine ressaisit une dernière fois les rênes du gouvernement 
et domine encore le pays pendant vingt et un ans. 



§4 

Nouvelle occupation chinoise (1407 à 1428), guerre de V indépen- 
dance (1418 à 1428). — Dynastie des Le postérieurs (1428 à 

1527). — Dynastie usurpatrice des Mac (1527 à 1592). — 

Rétablissement des Le postérieurs, les rois fainéants (1600 à 
1791) qui régnent sur VAnnam pendant que leurs maires du 
palais gouvernent, les princes Trinh au Tonkin et les seigneurs 

Nguyên en Cochinchine. Conquête définitive du Ciampa par les 
Annamites (1650). — Absorption du Cambodge par les Anna- 
mites (1658 à 1 758). 

Les gouverneurs envoyés par la dynastie des Minh semblent 



— 15 — 

d'ailleurs se douter que leur pouvoir sera éphémère, car ils sont 
surtout préoccupés de faire produire au pays son maximum de ren- 
dement. Pendant que les fonctionnaires augmentent la quotité de 
l'impôt personnel et foncier en divisant la population en groupes 
de dix familles formant un giap et de dix gi&p formant une com- 
mune, et en faisant mesurer les rizières, les Chinois venus à la 
suite des armées envahissantes mettent toutes les industries et le 
commerce du pays en coupe réglée. L'Annamite est redevenu 
le serf taillable et corvéable. Aussi, lorsque Le Loi cherche à 
secouer encore une fois le joug de l'étranger, trouve-t-il pour le 
seconder de nombreux partisans. Après avoir lutté pendant dix 
ans, il peut enfin reconduire les Chinois jusqu'à la frontière du 
Tonkin en 1428. Le Loi, rendu très populaire par la bienveillance 
qu'il sut avoir pour le peuple, rallia sous ses bannières tous les 
patriotes, et s'empara successivement de toutes les citadelles où les 
Chinois s'étaient enfermés. 

Cette année 1428 marque une date mémorable dans l'histoire 
annamite, car elle est celle de son émancipation définitive de la 
domination chinoise et de la fondation de la seconde dvnastie des 
Le qui gardera le trône jusqu'à la fin du xvm c siècle. 

C'est surtout sous le quatrième monarque de cette lignée, Le Tu 
Thanh, dont le titre dynastique était Thanh Tông, que le royaume 
d'Annam connut les bienfaits d'une sage administration, et sut en 
même temps affirmer la puissance de ses armes en châtiant sévè- 
rement les insolences de ses turbulents voisins. Au dedans, ce 
roi réorganise la division du pays en 13 xu, ou provinces, et crée les 
6 hô, ou ministères d'Etat; il refond le Code pénal et réforme ren- 
seignement, fait creuser des canaux et favorise la création de nou- 
velles rizières. Au dehors, il porte la guerre jusque sous les murs 
de Binh Dinh, la capitale du Ciampa, où il extermine et capture 
l'armée tout entière. Le Ciampa est démembré et sa région sep- 
tentrionale forme désormais la province annamite de Quang Nam. 
Il châtie aussi une incursion venue du royaume de Nam Chiêu 
(Yunnam) et s'empare également de leur capitale. Mais ses succes- 
seurs furent très loin d'avoir la même valeur et la même fermeté, et 
leur faiblesse permit à une race d'usurpateurs de s'emparer de la 



—.16 — 

couronne pendant presque tout le cours du x\T* siècle et du pouvoir sur 
certaines provinces jusqu'à la fin du xvu e . 

En 1527, Mac dang Dong* après avoir fait assassiner successive- 
ment deux rois Le, dont il était le premier ministre, s'empare du 
trône et fonde cette dynastie des Mac. Celle-ci ne réussit à se main- 
tenir au pouvoir que grâce à des luttes continuelles qui laissèrent 
le pays dans un état d'agitation constant jusqu'en 1592. 

C'est ainsi que sous le deuxième roi de cette dynastie, Mac dang 
Dinh (1530 à 1510), en 1553, un roi Le est restauré et le Tonkin 
reste divisé en deux parties, Tune soumise au Mac qui occupe 
encore la capitale, et l'autre restée fidèle aux Le. On voit régner 
d'un côté Le duy Ninh (1533 à 1540), Le Huyen (1540 k 1557), 
Le duy Bang (1557 k 1572) et Le Duy Dam (1572 à 1600), et de 
l'autre Mac Phuc Hai (1541 à 1546) Mac Phuc Xguyen (1546 à 
1561) et Mac Mau Hiêp (1561 à 1592). Puis en cette année 1592 
on assiste k l'expulsion de Dong Kinh (Hanoï), de ce dernier roi 
Mac. 

Pendant toute cette période la lutte entre les deux maisons avait 
été acharnée. C'est k Nguyên Kim que la maison des Le dut sa res- 
tauration sur le trône. C'est lui qui, réfugié dans la province de 
Thanh Hoa, avait réorganisé son armée et réussi k asseoir sur le 
trône le jeune roi Le Duy Ninh en lui donnant comme capitale Tây 
Kinh (Thanh Hoa). En récompense de ses services il fut nommé 
Chua ou seigneur du royaume, institution qui rappelle les maires 
du palais des rois mérovingiens. Gouvernant au nom du roi il réus- 
sit k rétablir son pouvoir sur les deux provinces du Ngê An et du 
Thanh Hoa. Il mourut empoisonné en 1546. 

A sa mort, son gendre Trinh Kiêm hérite de son titre de chua et 
continue la lutte contre les Mac qui régnent sur le Nord et l'Ouest 
du Tonkin et ont encore pour capitale Dông Kinh. Le général Mac 
Kinh Dièn tient la campagne contre Trinh Kiêm qui succombe k la 
peine en 1570. Son fils Trinh Tungqui lui succède montre la même 
ardeur k la lutte. Les Mac résistent cependant k ses assauts, mais la 
mort de leur vaillant défenseur Mac Kinh Kiêm, porte k leurs suc- 
cès un coup fatal. Enfin en 1592, après un combat acharné, la capi- 
tale de l'Est, Dong Kinh est enlevée d'assaut par Trinh Tung, et Mac 
Mau Hiêp expie sa défaite dans le supplice du pal. 



- 17 — 

Les Mac se réfugient alors dans leur province d'origine, Hai 
Dzuong à Co Trai, et gardent sous leur domination les provinces 
de Thai Nguyên et de Cao Bang. Leur princes Mac Hoan (1592) 
et Mac Kinh Chi (1592 à 1593) n'ont qu'un règne très éphémère. A 
partir de ce moment les Mac sont réduits à la principauté de Cao 
Bang et l'histoire ne relate que leurs noms: Mac King Cung (1593 
à 1624 ou 1625), Mac King Khoan (1623 à 1626 ou 1638), et Mac 
King Hoan (1638 à 1660 ou 1677). 

On voit encore, près du marché de Cao Binh, à dix kilomètres 
au N.-O. de la ville actuelle de Cao Bang, les ruines d'une grande 
citadelle qui fut le dernier refuge de la dynastie. 

Pendant ce temps le jeune Nguyên Hoang, fils de Nguyên Kim, 
et qui avait été envoyé par Trinh Kiêm comme gouverneur des 
provinces de la côte où Dang Trong (côté-dedans) s'était revêtu 
lui aussi du titre de chua à la mort de son beau-père, et obtint même 
ensuite du roi fainéant de la maison des Le le titre de vuong 
(prince). 

C'est ainsi que régnèrent en même temps sur le pays d'Annam 
quatre dynasties : celle des Le qui continue à régner nominalement 
sur l'Annam tout entier, celle des Trinh qui gouverne le Tonkin 
avec le titre de chua ou seigneur, celle des Nguyên qui gouverne 
la Cochinchine (Annam Central actuel) avec le titre de vuong ou 
prince et Hué pour capitale, et enfin la dynastie usurpatrice des 
Mac qui dispute aux Le le pouvoir suprême. 

C'est au cours du xvu e siècle que les premiers missionnaires 
catholiques et les premiers commerçants portugais et hollandais 
s'introduisirent en Annam. Pendant la première partie de ce siècle 
les Tonkinois et les Cochinchinois se font la guerre et c'est de cette 
époque que date la muraille qui forme la limite du Ngê An au sud. 
Mais bientôt ils se ressaississent et, abandonnant ces luttes intes- 
tines, ils se retournent contre leurs ennemis de l'extérieur, les Ton- 
kinois contre les Mac qu'ils chassent enfin de Cao Bang en 1705, 
les Cochinchinois contre le Ciampa qu'ils conquièrent définitive- 
ment vers 1650. 

Ce malheureux royaume était enfin absorbé par l'Annam qui, à 
la puissance de ses armes, joignait une prodigieuse force d'exten- 
sion due à sa grande natalité. 



— 18! - 

Mais derrière cette victime il y avait encore un royaume à en- 
gloutir, c'était le royaume Khmer ou Cambodge, qui comprenait la 
Cochinchine française actuelle, le Cambodge et les provinces de 
Battambanget d'Angkor. Sa puissance avait été grande et la magni- 
ficence des ruines de son ancienne capitale Angkor atteste tou- 
jours à l'heure qu'il est sa splendeur passée ; mais la famille qui 
régnait alors sur ce malheureux pays, livrée aux intrigues et aux 
crimes de toute sorte, devait le mener promptement à l'anéantisse- 
ment. 

L'Annamite, avec son esprit remuant, ambitieux, envahisseur et 
habitué qu'il était aux conquêtes, épiait les faiblesses de son voi- 
sin. 

En 1658, sous prétexte d'une violation de frontière, une armée 
d'Annamites et de Ciampois livre bataille a Baria au roi de Cam- 
bodge qui est fait prisonnier et reconnaît la suzeraineté de l'Annam. 
Les événements se précipitent, facilitant l'invasion annamite, et les 
années qui suivent marquent les dernières étapes de l'envahisse- 
ment du pays par l'étranger. Ce sont d'abord les vagabonds de la 
côte d'Annam qui viennent s'établir à Bien Hoa. Puis, à la suite 
d'une révolte, les Annamites pacifient le pays et fixent la résidence 
des deux rois du Cambodge, le premier à Oudong et le deuxième à 
Saigon. En 1680, c'est un général cantonnais partisan de la dynastie 
chinoise des Minh qui quitte son pays pour échapper au joug des 
Mandchous et vient avec 7.000 hommes s'établira Bien Hoa et aux 
environs de Mytho. L'un de ses lieutenants se révolte quelques 
années après et c'est pour les Annamites une nouvelle occasion 
d'intervenir avec fruit : le premier roi est fait prisonnier, le 
deuxième se tue et l'empereur d'Annam fait couronner le fils du 
deuxième roi sous la tutelle d'un commissaire général de l'Empire 
qui continue la colonisation des provinces conquises à l'aide des 
vagabonds de la côte d'Annam. 

Après les provinces de l'Est ce sont bientôt celles de l'Ouest qui 
vont se détacher du Cambodge. En 1715, le chinois Mac Cuu s'em- 
pare de Ha Tien et en fait don au roi de Hué. Au milieu du siècle 
les Annamites poussent leurs conquêtes jusqu'à Chaudôc pendant 
que les citadelles de Rachgia et de Ca Mau sont construites. 



— 19 — 

Ainsi il avait suffi de cent années pour que cette race annamite 
étendît sa tache d'huile sur tout le territoire de la Gochinchine 
actuelle et en 1758 le nouveau roi qui fut imposé au Cambodge 
n'avait plus qu'à ratifier le fait accompli. 

Il est hors de doute que si les événements n'étaient pas venus trou- 
bler cette marche en avant, le Cambodge tout entier n'aurait pas 
tardé à être incorporé à l'Empire. Mais l'attention des Annamites 
allait être détournée de leurs conquêtes par les dissensions intes- 
tines, qui devaient préluder à l'occupation française de leur pays. 

§s 

Révolte des Tay Son [4177-1801). — Reconstitution de l'Empire 

d'Annam sous la dynastie des Nguyên [1801). — Révolte des 
Tay Ping [1856). — Difficultés qui amènent notre intervention 

en Gochinchine en 1859. 

A la suite de désordres à la Cour de Hue qui avaient mécon- 
tenté le peuple et suscité des plaintes à la cour impériale des Le, 
le Chua du Tonkin, Trinh, crut le moment venu de renverser ses 
rivaux du midi, les Nguyên, et une armée tonkinoise vint ravager la 
côte d'Annam. C'est alors, en 1777, que deux frères, Nguyên Van 
Nhac et Nguyên Van Huê, levèrent l'étendard de la révolte sur 
lequel ils inscrivirent « Tây Son Thuong Tac » (ouest-montagnes- 
hautes-guerre) ou Guerre des hautes montagnes de l'Ouest, à 
laquelle on donne souvent le nom de Révolte des Tây Son. 

Au cours de cette lutte, les Tonkinois, qui avaient pu tout d'abord 
s'emparer de Huê, furent battus. Les princes de la maison Nguyên 
se réfugièrent à Saigon et l'un des chefs de la révolte, Nhac, se fit 
couronner roi de Huê, pendant que son frère cadet, Huê, s'emparait 
de Ré Cho ou Hanoï, capitale du Tonkin. 

11 s'y faisait proclamer successivement seigneur à la mort du 
Chua de la dynastie des Trinh et roi à la mort de l'empereur de la 
dynastie des Le. Ainsi les Tây Son avaient placé leur deux chefs 
sur les trônes de Ké Cho et de Huê. Il ne leur restait plus à réduire 



— 20 — 

que la Basse Cochinchine où étaient réfugiés les princes de la dynas- 
tie desNguyên, parmi lesquels Nguyên Ành qui devait régner plus 
tard sous le nom de Gia Long. 

La lutte se termina en 1783 par l'envoi d'une armée importante 
sous le commandement du roi du Tonkin, Huê, qui avait pris le 
nom de Long Nhuong. Nguyen Anh, qui était réfugié à Mytho, 
sentit la résistance impossible et s'enfuit au Siam. 

11 ne resta que cinq ans en exil grâce au dévouement de Mgr 
Pigneau de Behaine, évêque d'Adran, vicaire apostolique en Cochin- 
chine, qui réussit à faire venir de Pondichéry quelques officiers des 
armées de terre et de mer, Chaigneau, Vannier, Ollivier et 
Dayot. . 

C'est grâce à leurs efforts intelligents que le jeune prince put, 
après avoir quitté la cour du Siam, venir débarquer à Ca Mau, 
prendre Saigon en 1789, Hué en 1801 et Ké Cho en 1802. L'empire 
d'Annam était reconstitué entre les mains d'un seul homme qui 
pouvait ainsi prendre comme chiffre le nom de Gia Long ou « Sou- 
veraine extension ». Son règne fut heureux et florissant, et il sut ne 
jamais oublier ce qu'il devait aux officiers français dont le concours 
lui avait donné la couronne impériale. La Révolte des TâySon avait 
donc eu ce résultat imprévu de reformer l'unité nationale entre les 
mains de la dynastie cochinchinoise des Nguyên. 

Minh Manh, fils de Gia Long et qui lui succéda en 1820, était 
loin d'avoir la largeur de vues de son père. Nos officiers durent 
quitter le pays pour échapper aux tracasseries dont ils étaient 
l'objet et les persécutions religieuses recommencèrent pour se con- 
tinuer sous les règnes suivants. Thiêu Tri succéda à son père, 
régna de 1841 à 1848 et céda le trône à son fils Tu Duc. Pendant 
la première moitié du xix e siècle les régions montagneuses du Haut 
Tonkin avaient joui d'une paix relative après les guerres terribles 
qui les avaient dévastées pendant des siècles. A la faveur de cette 
tranquillité les commerçants chinois avaient peu k peu descendu 
les fleuves et étaient venus s'installer dans les centres tels que Ha 
Giang et Tuyên Quang sans qu'aucune mesure fût prise contre cette 
infiltration d'un élément dangereux. Mais ce n'est pas seulement à 
l'aide d'une conquête pacifique que les Chinois devaient venir s'im- 
planter dans le pays. 



— 21 — 

En 1856, la Rébellion des Tây Ping, étouffée en Chine, trouva un 
exécutoire favorable dans les provinces limitrophes du Tonkin qui 
avaient regagné une situation prospère à la faveur de cette période de 
paix. Aussi, un de leurs chefs, Ngô Lôn, les entraîna-t-il à la conquête 
des provinces de Tuyên Quang, Cao Bang, Lao Cai et Thai Nguyên, 
qu'ils mirent au pillage avec la dernière sauvagerie. Leur chef fut 
tué et battu dans la province de Bac Ninh et eut pour successeur 
Luu Vinh Phuoc qui devait devenir au moment de la conquête 
française notre adversaire le plus célèbre comme chef des Pavillons 
Noirs. Ce terme venait de ce que les Tay Ping étaient organisés en 
quatre bannières, noire, rouge*, blanche et jaune, qui avaient pour 
missions respectives de tuer, de brûler, d'approvisionner l'armée et 
d'organiser les régions conquises. Pendant que Luu Vinh Phuoc, qui 
avait sa résidence à Ha Giang, organisait le pays et étendait sa domi- 
nation jusqu'à Hung Hoa et vers Cao Bang, son lieutenant, Hoang 
Sinh Anh, le chef de la bannière jaune ou des Pavillons jaunes se 
révolta contre lui. La lutte qui s'ensuivit ensanglanta la Rivière 
Claire et donna naissance à de nouveaux pillages dont la malheu- 
reuse province de Tuyên Quang fut encore le théâtre. Les pauvres 
habitants de race Thô ou Man qui échappèrent à ces hécatombes 
n'eurent d'autre ressource que de se réfugier, les uns au fond de 
leurs cavernes, les autres au plus haut des montagnes. 

Comme on le voit, l'autorité du roi Tu Duc ne s'étendait au 
Tonkin que sur le delta du fleuve Rouge, tandis que les hautes 
régions étaient tiraillées entre les Pavillons Noirs et les Pavillons 
Jaunes. Encore le Delta lui-même était-il ensanglanté par les persé- 
cutions religieuses et nos bâtiments de guerre étaient-ils obligés de 
croiser sur les côtes du golfe du Tonkin pour essayer de protéger 
les chrétiens par la menace de leurs canons. Lorsque la duplicité 
ou l'insolence des mandarins dépassaient les bornes, nos officiers 
de marine leur infligeaient de sévères leçons. Mais une fois le 
moment de terreur passé et les excuses faites, ils recommençaient 
de plus belle. 

Le meurtre de Mgr Diaz., évêque espagnol de l'ordre des Domi- 
nicains, vicaire apostolique au Tonkin, fut la goutte d'eau qui fit 
déborder le vase. La France et l'Espagne se décidèrent à agir de 



— 22 — 

concert contre la cour d'Annam, et l'amiral Rigault de Genouilly 
se présenta le 31 août 1858 devant Tourane avec plusieurs bateaux 
de guerre et des transports chargés de troupes françaises et espa- 
gnoles. Une fois la baie en notre pouvoir, les difficultés d'une 
opération sur Hue se présentèrent à l'amiral qui, abandonnant son 
premier projet, se dirigea sur Saigon le 2 février 1859 en laissant 
une garnison à Tourane. Le 17 du même mois, Saigon tombait en 
notre pouvoir. 



CHAPITRE II 



CONQUÊTE DE LA COCHINCHINE 
Notre première intervention au Tonkin 



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Conquête de la Basse Cochinchine par la France (1859-1867). — 
Lutte d'influence entre VAnnam et le Siam au Cambodge avant 
rétablissement de notre protectorat. — Mission d J études de Bou- 
dard de Lagree au Yunnan (1866). — État troublé du Tonkin 
sous le roi Tu Duc qui demande l'appui de la Chine. — Arrivée 
de M. Dupuis en 1872. 



L'amiral Rigault de Genouilly et l'amiral Page qui lui succéda 
avaient assuré notre domination à Tourane, mais au moment de la 
guerre de Chine, force nous fut de l'abandonner. A Saigon, le capi- 
taine de vaisseau d'Ariés resta avec 700 hommes qui eurent fort à 
faire pendant une année pour défendre notre base d'opération contre 
les entreprises de l'armée annamite. 

Celle-ci, forte de 20.000 hommes et retranchée dans les lignes de 
Kihoa, tentait de faire brèche dans notre ligne de défense qui s'éten- 
dait sur les deux villes de Saigon et de Cholon, distantes de quatre 
kilomètres. 

Le traité de Pékin mit fin à cette lutte épuisante et rendit dispo- 
nibles les forces de l'amiral Charner. 3.000 hommes venus du Pet- 
chili apportèrent un précieux renfort à notre petite garnison de 
Cochinchine. Les lignes de Kihoa furent enlevées le 25 février 
1861 et l'armée annamite dispersée. 



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La lutte se réduisit ensuite à des escarmouches, et deux ans après 
un des derniers patriotes annamites, Quang Dinh, était vaincu à son 
tour et la cour de Hué reconnut le 15 avril 1863 notre souverai- 
neté sur les trois provinces orientales de la Basse Cochinchine. 

Pendant les règnes de Gia Long et de Minh Manh la lutte entre 
l'empire d'Annam et le Cambodge avait repris toute son intensité. 
Elle se compliqua de plus d'une guerre acharnée contre le Siam qui 
élevait depuis longtemps des prétentions sur les derniers vestiges 
du malheureux royaume Khmer. A la fin du xvm° siècle, à la suite 
de l'invasion d'un Malais qui avait mis le Cambodge à feu et à sang, 
le petit roi Ang Eng s'était réfugié à BangKok. Les Siamois profi- 
tant alors de la révolte des Tày Son qui agitait le pays d'Annam 
amenèrent au Cambodge le jeune roi en installant un régent près de 
lui et des gouverneurs siamois à Battamhang et Ang Kor : c'est là 
l'origine des prétentions du Siam sur ces deux provinces. 

Plus tard Ang Chan, fils et successeur du précédent, effrayé par 
la protection vraiment envahissante de ses amis les Siamois, se 
réfugia à Gia Dinh (Saigon), en Cohinchine, et les Siamois en profi- 
tèrent pour occuper Ou Dong et Phom Penh. L'entremise de Gia 
Long permit au jeune roi de reprendre possession de ses états, 
mais bientôt après, en 1835, l'armée siamoise envahissait encore le 
Cambodge qui avait une fois de plus recours à la protection des 
Annamites pour mettre en déroute les envahisseurs. Cette lutte 
d'influence par les armes et par la diplomatie continua jusqu'en 
1847, date à laquelle les deux pays finirent par reconnaître comme 
leur commun vassal le roi Neac Ong Duong, le père de Norodom. 

C'est la trêve des armes, mais pour les Siamois les intrigues poli- 
tiques continuent, Le roi Mongkuk invite le roi du Cambodge à lui 
confier son fils aîné afin qu'il vienne prendre à Bangkok l'empreinte 
siamoise, puis, lorsque Napoléon III envoie au Siam et au Cam- 
bodge M. de Montigny avec une mission diplomatique, il s'em- 
presse de passer avec lui un traité d'amitié perpétuelle. Mais, 
comme pour donner à cet acte un démenti immédiat, il empêche 
par des moyens déloyaux l'envoyé français de parvenir à la cour 
du Cambodge. 

Enfin le vieux roi Ang Duong, sentant sa fin prochaine, fit venir 



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son fils Norodom qui monta sur le trône à sa mort en 1860. Il n'y 
a pas lieu de s'étonner que les enseignements qu il avait reçus à 
Bangkok dussent l'amener plus tard à essayer de nous trahir. 

Quoi qu'il en soit, à son avènement, notre récente conquête de la 
Cochinchine instituait la France protectrice de son pays aux lieu et 
place dé l'Annam. 

En 1863, l'amiral de la Grandière, gouverneur de la Cochin- 
chine, signa avec lui un traité qui ratifiait nos droits sur son 
royaume, et le 20 juin 1867 il s'emparait pacifiquement des trois 
provinces occidentales de la Cochinchine. 

C'est ici que se placent les événements qui devaient amener la 
France à intervenir au Tonkin. 

En 1866, l'amiral gouverneur dirigeait vers le Yunnam, sous le 
commandement du capitaine de frégate Doudart de Lagrée, une 
mission d'études qui devait explorer le cours du Me Kong. 

En envoyant cette mission il avait en vue d'étudier les communi- 
cations de la Cochinchine avec les provinces méridionales de la 
Chine par le Me Kong et en même temps de rechercher leurs in- 
dustries et les richesses de leur sous-sol ; mais obligés, dès leur 
sortie du Cambodge, de remonter péniblement le fleuve sur d'étroites 
pirogues, les explorateurs se rendirent compte bientôt qu'il leur 
fallait chercher mieux que la route du Me Kong. Une fois entrée 
au Yunnam, la mission prit bientôt la voie de terre pour se diriger 
sur Lin Ngan. 

Après avoir traversé les villes de Szemao et Talang elle arriva au 
fleuve Rouge à Yuan Kiang. Là, Francis Garnier obtint l'autorisa- 
tion de descendre le fleuve ; mais les nombreux rapides qu'il dut 
franchir l'empêchèrent d'atteindre Manhao et Mon tzé. Il n'en 
démontra pas moins avec une sagacité remarquable que c'était là 
la voie par laquelle les produits du Yunnan et du Setchuen devaient 
arriver à la mer. Il fallait donc que cette vallée du fleuve Rouge ou 
Song Koi appartint à son pays. Et ce patriote aux rêves audacieux 
devait déjà entrevoir la brillante conquête à laquelle il allait bientôt 
participer si puissamment. 

Cependant le roi Tu Duc se débattait au milieu de difficultés 
sans nombre, parmi lesquelles la conquête de la Cochinchine par les 



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Diables d'Occident et leur intrusion intempestive au Tonkin n'était 
pas une de ses moindres préoccupations. Du côté des hautes régions 
du Tonkin la situation ne s'améliorait pas. 

Luu Vinh Phuoc qui gouvernait toujours le Haut Tonkin de sa 
résidence de Ha Giang avait été appelé à Lao Cai par un chef chi- 
nois du nom de Hoang than Loi et en avait chassé les Pavillons 
Jaunes en 1870. 

Tu Duc se tourna alors vers la Chine et lui fît acte de vassalité 
en demandant son appui contre les bandes rebelles en même temps 
qu'il demandait aux chefs Tay Ping leur soumission à l'Annam. Des 
garnisons de réguliers chinois furent installées dans les citadelles 
annamites, et Luu Vinh Phuoc fît sa soumission et fut investi du 
titre de de doc, ou général de l'armée annamite avec la mission de 
réorganiser l'administration de la région de Lao Cai. Un autre chef 
des Pavillons Noirs, Diêp thanh Lanh, s'installa à Ha Giang et cher- 
cha à rétablir Tordre dans la province de Tuyên Quang ; mais les 
anciennes bandes tenaient toujours la campagne et une révolution 
musulmane survenue au Yunnam jeta encore sur le Tonkin un sur- 
croît de fauteurs de désordres. 



§2 

Notre première intervention au Tonkin. — Épopée de Francis Gar- 
nier (1873). — Convention Philastrc (1874). — Nouvelle inter- 
vention de la France qui envoie en 1879 le commandant Henri 
Rivière. — Désastre du Pont de Papier le 19 mai 1883. 

Voilà donc quels étaient les embarras dans lesquels se débattait 
ce malheureux pays, lorsqu'en 1872, M. Jean Dupuis remonta le 
fleuve Rouge avec une flottille pour aller faire du commerce au 
Yunnam. A son retour à Hanoï en 1873, il se prit de querelle avec 
les autorités annamites et finit, à la suite de discussions qu'il sen- 
tait insolubles, par occuper militairement avec les Chinois qu'il 
avait ramenés, une grande partie de la ville en enfermant les man- 
darins dans la citadelle. Ce furent ces conflits qui amenèrent l'ami-r 



— 27 — 

rai Duperré, gouverneur de la Gochinchine, à envoyer au Tonkin 
un officier pour y procéder à une enquête. 

Francis Garnier partit donc de Saigon avec deux canonnières et 
83 hommes d'infanterie de marine. Dès son arrivée à Hanoï il s'em- 
ploya à défendre les intérêts du commerce français au Tonkin, mais 
il s'aperçut bien vite qu'aucune négociation n'était susceptible 
d'aboutir en présence de la fourberie des mandai ins annamites. Il 
leur proposa donc un traité de commerce sous la forme d'un ulti- 
matum dont la teneur était la suivante : 

« A partir du 15 novembre le fleuve Rouge restera ouvert au 
commerce français, espagnol et chinois, toutes les douanes anna- 
mites seront supprimées et les négociants ne relèveront plus que 
de l'autorité française . » C'était la guerre . 

C'est alors que ce jeune et bouillant officier de marine se lança 
sans arrière-pensée avec sa poignée de braves à la conquête des plus 
riches provinces du Delta Tonkinois. La citadelle de Hanoï, défen- 
due par 7.000 Annamites, fut rendue à une troupe de 180 marsouins 
et marins. En six semaines, secondé par des officiers entreprenants 
et des troupes intrépides, il s'empara de toutes les places fortes. 
Nam Dinh et ses S. 000 défenseurs ouvrit ses portes à 30 hommes 
résolus. Ninh Binh, suivant son exemple, se rendit à une poignée 
de marins. 

On croit rêver lorsqu'on lit de pareils prodiges et on demande si 
ces hommes n'étaient pas des héros de légende. Pour les Anna- 
mites ils étaient bien la reproduction vivante de ces génies guer- 
riers qu'ils honorent dans leurs pagodes et qu'ils ont coutume de 
parer des vertus les plus belles : courage indomptable, loyauté 
absolue, force surhumaine, succès ininterrompu. C'était assez pour 
que ce peuple crédule ne vît plus en ses ennemis que des êtres sur- 
naturels devant lesquels tous les obstacles devaient tomber. Des 
armées d'indigènes catholiques devenaient nos partisans et nous 
aidaient à assurer nos succès. La cour d'Anna m tremblait, mais 
elle faisait venir de Lao Cai le chef soumissionnaire Luu Vinh Phuoc 
qui descendait à Son Tay et venait se joindre aux troupes qui en- 
touraient. Hanoï. Francis Garnier était en train de négocier un 
traité qui eût été des plus glorieux pour la France lorsqu'il fut tué 
en repoussant une attaque ennemie contre la citadelle de Hanoï. 



— 28 — 

Pour notre malheur et celui des indigènes qui avaient mis en 
nous leur confiance, la liquidation de cette belle épopée fut dévo- 
lue à celui qui l'avait le plus ardemment critiquée, le lieutenant de 
vaisseau Philastre, inspecteur des affaires indigènes en Cochinchine. 
Officier intelligent et travailleur, il s'était admirablement assimilé 
les mœurs et les coutumes annamites et rendait des services émi- 
nents comme administrateur. Mais il était tombé dans une telle 
admiration de nos nouveaux sujets qu'il se laissa aller, en signant 
la Convention de 1874, jusqu'à méconnaître les intérêts de la France 
et consentit à une piteuse reculade. Le premier effet de l'applica- 
tion de cet acte diplomatique fut d'abandonner à la vindicte des 
lettrés, nos pires ennemis, les malheureux catholiques qui avaient 
eu foi en notre étoile et nous avaient prêté leur appui. 

L'abandon des citadelles que nous avions conquises avec un 
entrain si glorieux, la dévastation et l'incendie des chrétientés, 
regorgement de nos anciens auxilliaires, tel était le dénouement 
inattendu de cette brillante campagne. 

Nous obtenions sur l'Annam un semblant de protectorat, mais 
nous lui offrions un don gratuit d'armes, de munitions et de bateaux 
et nous lui faisions remise de l'indemnité de guerre se montant k 
six millions. 

L'Annam consentait à ouvrir trois ports au commerce de toutes 
les nations : Hanoï, Haïphong et Qui Nhon, et nous pouvions y 
entretenir des Résidents avec une garde de cent soldats. Enfin le 
fleuve Rouge était ouvert au commerce jusqu'à la frontière du 
Yunnam. 

Quant aux intérêts financiers de M. Dupuis ils étaient complète- 
ment sacrifiés et la- confiscation de son matériel par les autorités 
annamites le ruina sans retour. Il est pénible de constater que cet 
explorateur qui avait si énergiquement fait faire un grand pas au 
commerce* français ne trouva même pas auprès de nos gouverneurs 
de l'époque l'appui qui lui eût été nécessaire pour obtenir la resti- 
tution de ses biens. 

Mais cette Convention de 1874 elle-même, si avantageuse qu'elle 
fût pour l'Anam, devait être bientôt considérée par le roi Tu Duc 
comme un document sans importance. En effet, la navigation des 



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jonques chinoises était favorisée aux dépens des barques euro- 
péennes, les pirates infestaient les côtes, et pour maintenir Tordre 
Tu Duc ne craignait pas de continuer à solliciter l'intervention de 
l'empereur de Chine dont il s'était déclaré le vassal. De plus, les 
troupes chinoises se réinstallèrent dans les places fortes, pendant 
que nos soldats restaient enfermés à Hanoï et Haïphong, entourés 
par des bandes de Réguliers chinois, de Pavillons Noirs et de 
malandrins de toute espèce. Nos gouverneurs de Cochinchine signa- 
laient cette situation à la Métropole depuis plusieurs années lors- 
qu'en 1879, M. Le Myre de Villers, après avoir protesté vainement 
auprès de la cour de Hue, obtint enfin l'envoi au Tonkin d'un corps 
expéditionnaire . 

Le capitaine de vaisseau Henri Rivière qui en prit le comman- 
dement réédita aussitôt l'exploit de Francis Garnier, prenant d'as- 
saut la citadelle de Hanoï. Ce coup de force destiné à humilier les 
orgueilleux mandarins annamites n'était pas du goût du Céleste 
Empire qui avait établi sur l'Annam un véritable protectorat. 

Les protestations du marquis de Tseng, embassadeur de Chine à 
Paris, ne furent d'ailleurs accueillies par M. de Freycinet, notre 
ministre des Affaires Etrangères, que par l'invitation à la Chine 
d'avoir à se mêler de ses affaires. Le gouvernement chinois n'in- 
sista pas et continua même à élaborer avec notre ministre de 
France à Pékin un projet de traité pour l'établissement d'une zone 
neutre entre le Tonkin et la Chine, pendant qu'à notre insu il fai- 
sait passer la frontière à de nouveaux Réguliers, à des armes et à 
des munitions qui vinrent renforcer et ravitailler l'armée annamite 
et les troupes chinoises déjà installées dans les citadelles du 
Tonkin. 

Le commandant Rivière ordonna la prise de la citadelle de Nam- 
Dinh qui coûta la vie au lieutenant-colonel Carreau. Le comman- 
dant d'infanterie de marine Badens mit en fuite l'armée annamite 
qui occupait la place et l'occupa avec son bataillon (23 mars 1883). 
Cependant les Pavillons Noirs se rapprochaient d'Hanoï et resser- 
raient de plus en plus leur investissement. 

Le commandant Rivière résolut de faire une sortie, et le 19 mai 
une compagnie d'infanterie de marine avec les compagnies de débar- 



— 30 — 

quement du Villars et de la Victorieuse et trois pièces de cam- 
pagne se mirent en route sur Son Tây, sous les ordres du chef de 
bataillon Berthe de Villers. Cette petite colonne fut arrêtée au Pont 
de Papier où son chef fut mortellement blessé. Le commandant 
Rivière qui accompagnait la troupe fut atteint à son tour en déga- 
geant sous une grêle de balles un canon tombé dans un fossé. 
Autour de lui, quatre officiers, des soldats et des marins étaient 
tombés. Tous furent après leur mort décapités et mutilés. Un 
monument marque encore remplacement de cet épisode qui allait 
être le signal d'une intervention plus énergique de la France au 
Tonkin. 



CHAPITRE III 



CONQUÊTE DU TONKIN 



M 



En 1883. — Commencement de Vexpédition du Tonkin. — Phase 

de la guerre contre la Chine {1883 à 1885). — Formation d'un 

corps expéditionnaire. — La Chine déclare la guerre à la France. 
— Prise de Son Tay. — En 1884 : Prise de Bac-Ninh,de Hung- 
Hoa et de Tuyên Quang. — Guet-apcns de Bac Lé. — En 1885 : 
Succès de l'amiral Courbet à Formose et aux Pescadores. — 
Prise et retraite désastreuse de Lang-Son. — Débloquement de 
Tuyên Quang. — Traité de Tien Tsin reconnaissant notre protec- 
torat sur l Annam. 



L'émotion causée en France par ce désastre fut assez grande pour 
décider les pouvoirs publics à entreprendre une expédition. M. Har- 
mand fut nommé commissaire général du Gouvernement français 
au Tonkin, le général Bouet prit la direction des opérations mili- 
taires et le commandement du corps expéditionnaire, composé de 
3.700 hommes environ, pendant que l'amiral Courbet s'emparait 
avec son escadre des forts de Thuan An, et nous donnait ainsi l'entrée 
de la rivière de Hue. 

Sur ces entrefaites, l'Empereur d'Annam, Tu Duc, était mort et 
avait été remplacé par Hiêp Hoa, sous la régence de Nguyên Van 
Thuong qui négocia avec M. Harmand un traité avantageux pour 
la France et aux termes duquel, notamment, son protectorat s'éten- 
dait sur l' Annam. Des résidents français étaient installés dans toutes 
les provinces. 



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Mais le temps des traités n'était pas encore venu et la lutte conti- 
nuait plus acharnée que jamais entre nos troupes et les Pavillons 
Noirs, de plus en plus soutenus par les Réguliers chinois. 

En vain le général Bouet, admirablement secondé par le comman- 
dant Coronnat, son chef d'état-major, avait livré les deux combats 
de Vong et de Phung, sur la route de Son Tay : cette place' semblait 
toujours irréductible. 

Au général Bouet succéda pendant quelques mois le colonel Brchot, 
qui fut lui-même remplacé à la (in d'octobre dans la direction des 
opérations militaires par l'amiral Courbet. La Chine ne voulant pas 
reconnaître le traité signé par M. Harmand venait de déclarer la 
guerre à la France et par suite tous les pouvoirs furent concen- 
trés entre les mains de l'autorité militaire. Le premier .soin de l'ami- 
ral fut de diriger sur Son Tây deux colonnes conduites par les colo- 
nels Bichot et Belin. Cette place forte, qui était le centre le plus 
important de la résistance, fut brillamment enlevée d'assaut parles 
9.000 hommes du corps expéditionnaire, le 19 novembre 1883. 

L'hostilité de la cour d'Annam, soigneusement excitée par la 
Chine, se manifestait par l'empoisonnement de l'empereur Hîêp Hoa, 
signataire d'un traité avantageux pour la France, et son remplace- 
ment par son parent Kiên Phuc, mis sur le trône en décembre 

1883, sans l'assentiment de notre résident de Hue, M. Cham- 
peaux. 

Malgré le beau succès qu'il venait de remportera Son Tay, l'ami- 
ral Courbet fut remplacé dans le commandement des troupes et ne 
garda que le commandement de l'escadre. Le général de division 
Millot, arrivé au Tonkin lé 11 février 1884, avec les généraux de 
brigade Brière de l'Isle et Négrier, prit le commandement des 
troupes. 

• Le corps expéditionnaire, organisé en deux brigades, s'éleva dès 

lors au chiffre respectable de 16.000 hommes, et se trouva en 

. mesure d'attaquer, successivement les citadelles du Delta où les 

Annamites avaient concentré leurs moyens de défense. Le 7 mars 

1884, la première brigade quittait Hanoï sous les ordres du général 
Brière de l'Isle, passait le canal des Rapides, au delà du marché de 
Chi, le 11, et arrivait le 13 devant la citadelle de Bac Ninh. Elle 



— 33 — 

avait mis six jours à parcourir un immense circuit pour éviter les 
défenses accumulées sur les 24 kilomètres qui séparent Hanoï de 
Bac Ninh et que Ton parcourt maintenant en chemin de fer en 1 h. 13. 
Mais au moins ses troupes espéraient-elles participer à l'attaque de 
la citadelle qui devait être combinée avec celle de la deuxième bri- 
gade. Le général de Négrier qui la commandait, parti de Hai Duong 
pour venir donner la main à la première, était arrivé un jour à 
l'avance et avait pris la citadelle, cueillant ainsi pour lui seul tous 
les lauriers que promettait cette capture. De Bac Ninh, la première 
brigade continuait sa route sur Yen Thê qui était enlevée presque 
sans coup férir le \ 7, puis sur Thai Nguyên qui tombait entre les 
mains du général Brière de Tlsle le 18. 

La première brigade quitta de* nouveau Hanoï le 8 avril pour aller 
mettre le siège devant la citadelle de Hung Hoa, qui fut évacuée 
par Luu Vinh Phuoc le 13, en même temps que la petite citadelle 
de Don Vang était occupée par le bataillon Coronnat où je servais 
comme lieutenant. Revenue ensuite à Hanoï, la brigade occupait 
sjans combat les citadelles de Phu Ly le 29 avril, de Ninh Binh le 
3 mai, puis de Nam Dinh où s'installait le général Brière de 
l'Isle. 

Pendant ce temps, la brigade de Négrier marchait sur Tuyên 
Quang. Les Réguliers chinois reculaient devant la colonne et pres- 
crivaient aux populations de faire le vide devant nos troupes en 
évacuant et en incendiant leurs villages. Les centres urbains de 
Tuyên Quang, de Phu Doan et de Ha Giang furent rasés, les mai- 
sons en briques et les pagodes elles-mêmes furent démolies, et cette 
malheureuse province fut transformée en un véritable désert devant 
la marche de nos troupes qui occupèrent la citadelle de Tuyên Quang 
sans coup férir au mois de juillet. Au mois d'octobre, Luu Vinh- 
Phuoc avec ses Pavillons Noirs et les réguliers du Yunnan, qui 
formaient une force de 4.000 hommes, vint mettre le siège devant la 
citadelle, et se livra jusqua la mi-novembre a des attaques presque 
journalières, que supporta vaillamment la petite garnison comman- 
dée par le brave lieutenant-colonel Dominé. Le 19 novembre, le 
colonel Duchesne, à la tête d'une colonne de secours, battit l'armée 
assaillante et ravitailla la place ; mais une fois qu'il eût le dos tourné, 



— 3i - 

le siège reprit de plus belle et la vaillante petite garnison continua 
à faire des prodiges de valeur. 

C'est le 23 juin 1884 qu'avait lieu le guet-apens de Bac Lé, qui 
faillit nous coûter la destruction de la colonne Dugenne. La conduite 
des Chinois fut dans cette circonstance aussi hypocrite qu'à l'ordi- 
naire. Li Hong Chang, le vice-roi du Petchili, désireux de s'entendre 
avec les étrangers, avait négocié avec le capitaine de frégate Four- 
nier un traité aux termes duquel les troupes chinoises évacueraient 
le Tonkin, à condition que la France respecterait les frontières méri- 
dionales de la Chine. Malheureusement, ce traité fut désavoué par 
le parti xénophobe, et le colonel Dugenne, qui montait occuper 
Langson sur la foi des traités, se heurta à des bandes chinoises très 
fortes et bien établies à Bac Le, et perdit le huitième de son effectif 
en voulant forcer le passage quand même. 

C'est grâce k l'intrépidité du sous-lieutenant Bailly, de l'infan- 
terie de marine, qui traversa les lignes chinoises pour établir son 
appareil optique sur un mamelon, que Hanoï put être prévenu et 
envoyer le général de Négrier au secours de la colonne. 

L'amiral Courbet se chargea de venger cette insulte. Il occupa 
les ports de Kelung et de Tamsui dans l'île de Formose, détruisit 
l'arsenal de Foutchéou à l'embouchure de la rivière Min, et dispersa 
la flotte chinoise. Ce résultat fut obtenu en 8 jours grâce aux hautes 
qualités de l'amiral et à. l'intrépidité de son escadre et des troupes de 
terre et de mer. 

L'amiral se faisait fort, en portant la guerre dans le Petchili, 
d'amener la Chine k demander grâce, mais il reçut Tordre de borner 
son ambition k occuper Formose et y employa aussitôt tous ses 
efforts avec l'aide du contre-amiral Lespés et du lieutenant-colonel 
Duchesne, puis lorsque le gouvernement se décida k considérer le 
riz comme contrebande de guerre, il établit une croisière, attaqua les 
Pescadores et se rendit maître du port de Makung. 

C'est là qu'au moment où il préparait une nouvelle campagne 
contre les ports du Nord, il apprit la signature des préliminaires de 
la paix et reçut l'ordre de suspendre les hostilités et d'évacuer For- 
mose et les Pescadores. 

La Chine s'était sentie menacée et venait k résipiscence. Les 



— 35 — 

efforts de l'amiral Courbet n avaient donc pas été sans résultat, mais 
ses vues étaient plus hautes et il aurait voulu voir la Chine plus 
sévèrement punie de sa duplicité. Aussi fut-il profondément affecté 
par la décision du gouvernement. Un travail acharné et constant, 
la conscience d'une lourde responsabilité et l'amère déception de se 
voir contraint d'abandonner des avantages conquis au prix de tant 
d'efforts, avaient profondément altéré sa santé. 11 fut atteint par le 
choléra et mourut le 14 juin 1884, en rade de Ma Kung, à bord du 
Bayard. 

Le ministre de France en Chine, M. Patenôtre, avait obtenu des 
mandarins annamites qu'en échange des provinces méridionales du 
Tonkin qu'on restituait à l'Annam, un Résident français habiterait 
avec une escorte dans l'intérieur même de la citadelle de Hue. Le 
résultat immédiat de cette nouvelle concession fut la mort du roi 
Kiên Phuc qui avait apposé son sceau à ces dispositions jugées trop 
avantageuses pour la France. Mais la cour ayant osé installer sur le 
trône son successeur Ham Nghi, sans même en informer notre rési- 
dent, le lieutenant-colonel Rheinard, le général Millot lui adressa un 
ultimatum. La mission envoyée par lui fut reçue au palais par le 
roi et les mandarins et notre protectorat fut reconnu officielle- 
ment. 

Pendant ce temps, au Tonkin, les bandes de pirates, si elles n'étaient 
plus ouvertement renforcées par l'armée chinoise, continuaient à 
compter dans leurs effectifs un certain nombre de Réguliers et à 
recevoir les encouragements des régents de Huê. Le général en chef 
Brière de l'Isle, qui venait de succéder au général Millot, envoya 
contre les pirates qui ravageaient la vallée du Loc Nam les 
colonnes Négrier et Donnier, qui enlevèrent en octobre les forteresses 
de Kep et de Chu. Au commencement de 1883, le général de Négrier 
battait brillamment une troupe de 12.000 Chinois à An Chau. Enfin, 
deux brigades formées sous les ordres du général de Négrier et du 
colonel Giovanninelli furent dirigées sur la citadelle de Lang Son 
qu'elles prirent aux Chinois après plusieurs combats et l'enlèvement 
des lignes de Ki Lua. 

De là, le général Brière de l'Isle emmenant la brigade Giovanninelli 
se porta au secours de la place de Tuyên Quang, où le lieutenant- 
colonel Dominé, avec quelques centaines d'admirables soldats, tenait 



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en échec une armée de 15.000 Chinois depuis plus de trois mois. 
Déjà le tiers de la garnison avait été mis hors de combat ; les brèches 
du rempart étaient nombreuses et la petite garnison s'était réfugiée 
dans le réduit où elle continuait son opiniâtre résistance aux assauts 
ennemis, lorsque la brigade de secours arriva, et après une dure 
victoire remportée à Hoa Moc les 1 er et 2 mars 1883, sur les Pavil- 
lons Noirs, put donner la main à l'héroïque garnison qu'elle sau- 
vait. 

Cependant le général de Négrier avait dépassé Lang Son et donné 
lâchasse à l'armée chinoise jusqu'à la porte de Chine de Nam Quan. 
Il crut pouvoir aller encore au delà et enlever Bang Bo le 24 mars; 
mais le franchissement de la frontière par nos troupes avait infligé 
aux Chinois une humiliation qui leur donna un regain de courage. 
Le général Sou Kong Pao, connu plus tard sous le nom de Maréchal 
Sou, fit, à la tête de forces considérables, un retour offensif acharné, 
et la colonne dut battre en retraite sur Ki Lua où elle essaya encore 
de tenir tête à l'ennemi. Le général de Négrier, blessé, passa le 
commandement au lieutenant-colonel Herbinger, et celui-ci, qui se 
trouvait très loin de son chef et n'avait pas été mis au courant de la 
situation, se sentit écrasé par une responsabilité à laquelle il n'était 
pas préparé. 11 ordonna une retraite qui dégénéra en panique et 
causa des pertes importantes d'argent et de matériel. En effet, faute 
de moyens de transport, on dut abandonner le trésor et une grande 
partie des bagages et du ravitaillement de la colonne. Le nouveau 
chef de la colonne était un ancien professeur de l'Ecole de Guerre. II 
avait dû maintes fois y développer l'importance du service de sûreté 
et notamment du contact qui doit être maintenu avec l'ennemi ; 
mais, pris au dépourvu, il ne sut pas mettre en pratique cette pré- 
caution élémentaire. S'il avait laissé un détachement aux abords de 
Lang Son pour surveiller l'ennemi, il se fût rendu compte que les 
Chinois ne nous poursuivaient pas et se contentaient de s'installer 
tranquillement dans la place. Le général de Négrier, grièvement 
blessé, ne put malheureusement pas faire intervenir sa haute 
autorité pour empêcher la retraite de prendre le caractère d'un 
désastre. 



— 37 — 

Quoi qu'il en soit, la nouvelle de cette défaite, transmise au mini- 
stère par le général Brière de l'Isle sous une forme trop alarmante, 
causa en Erance un tel énervement, qu'elle entraîna la chute du cabi- 
net Ferry. Et cependant notre situation en Extrême-Orient n'était 
nullement compromise, puisque la Chine, sous l'impression des succès 
de l'amiral Courbet, venait de signer le traité de Tien Tsin. Cet 
acte, élaboré par M. Patenôtre et le mandarin Ly Hong Tchang, 
relevait TAnnam de la suzeraineté du Céleste Empire, prévoyait la 
délimitation des frontières et réglait les rapports de bon voisinage entre 
la Chine et le Tonkin. 



Guet-apens de Hué contre le général de Courcy (1885). — La rébel- 
lion éclate partout et le corps expéditionnaire riposte sur tous les 

points. — Phase dès colonnes en coup de lance (1885 à 1888). 

Comme suite aux dispositions de ce traité, une délégation de 
mandarins vint sur le fleuve Rouge présider au départ des troupes 
impériales. 

Le Parlement français, rendu inquiet par la retraite de Langson, 
avait voté les crédits nécessaires à l'entretien d'un corps expédition- 
naire de 30.000 hommes, et le gouvernement avait envoyé le géné- 
ral de Courcy comme commandant en chef et représentant de la 
France. Il voulut être reçu à la cour d'Annam avec tous les honneurs 
dus au représentant d'un état suzerain et vint à Hué dans ce but, 
accompagné d'une escorte de zouaves et de chasseurs à pied. Le 
4 juillet 1885 au soir, au milieu d'une fête donnée en son honneur 
à la résidence, on entendit un coup de canon dont le bruit venait de 
la citadelle. C'était le signal du guel^-apens qui avait été ménagé à 
nos troupes par les mandarins. L'Hôtel de la Résidence fut enve- 
loppé et les soldats annamites se précipitèrent sur les cantonnements 
qu'occupaient nos troupes dans la citadelle. Mais les assaillants 
avaient compté sans les habiles dispositions qu'avait prises d'avance 
le colonel Pernot de l'infanterie de marine, qui, toujours méfiant de 
la duplicité des mandarins annamites, avait depuis longtemps pris 



— 38 — 

l'habitude d'envoyer ses soldats explorer les détours de la citadelle, 
soi-disant pour se promener, mais en réalité pour se pénétrer de la 
topographie des lieux, et pouvoir, le cas échéant, servir de guides à des 
troupes d'attaque. 

C'est grâce à cette intelligente précaution que les troupes françaises, 
guidées par nos marsouins, purent aisément repousser les assaillants et 
occuper la citadelle. Le roi Ham Nghi, patronné par le régent Tân 
Thàt Thuyêt, qui avait organisé le guet-apens, s'enfuit dans les mon- 
tagnes de l'Annam et se réfugia tout d'abord à Cam Lô. L'autre 
régent Nguyên Van Truong, chef du parti des lettrés, homme fort 
intelligent, resta à Hué et, désavouant le complot, invita les Anna- 
mites à se soumettre à la France. Telle fut du inoins la comédie 
qu'il joua, car, en réalité, il continua à entretenir des relations avec 
les fugitifs, et fut déporté a Tahiti au mois de septembre de la même 
année. 

Le nouveau roi Dong Khanh (accord consenti), fils adoptif de 
Tu Duc, fut proclamé le 14 septembre 1885. Tân Thât Thuyêt et 
Ham Nghi continuèrent à fomenter la révolte et s'installèrent dans 
la haute vallée du Song Giang. Pour résister a l'insurrection qui 
devenait générale, des troupes furent installées dans tous les postes 
de la côte et des colonnes furent organisées sur tous les points du 
territoire de l'Annam. Au sud de Hue eurent lieu des colonnes dans 
le Binh Dinh et le Phu Yen, dirigées par les commandants Prud- 
homme, Dumas et Chevreux, et dans le Quang Nam par les com- 
mandants Boilève et Cavelot. De plus, on fit partir du Tonkin une 
grosse colonne sous les ordres du commandant Mignot, avec mission 
de suivre la côte et de prêter son concours a chaque poste pour 
déblayer le terrain autour de lui. Cette colonne participa à l'attaque 
du repaire de Diên Lêu sur le Song Ma, sous la direction du lieute- 
nant-colonel Boilève, contre le chef pirate Cai Mao, et à plusieurs 
opérations qui partirent de Vinh sous la conduite du lieutenant- 
colonel Metzinger. Elle arriva à Hué en mars 1886. 

En octobre 1886, l'ex-régent Tuyêt qui allait être le grand chef 
de la rébellion, se rendit en Chine et en ramena par le Yunnam et le 
Song Ma des bandes chinoises fortes et bien aguerries. Une véritable 
forteresse fut établie à Ba Dinh, au milieu des rizières, et les efforts 



— 39 — 

des lieutenants-colonels Doods et Metzinger vinrent s'y briser le 
18 décembre 1886 et le 6 janvier 1887. La position ne fut enlevée 
que le 20 janvier, après un véritable siège conduit par le colonel 
Brissaud. Les Annamites, exaltés par un souffle ardent de patrio- 
tisme, résistèrent jusqu'à la dernière extrémité. 

Sur ces entrefaites, le Cai "Mao, aidé du De Soan qui avait été 
battu sur le SongCa (avril 1887) par le commandant Langlade, avait 
repris une nouvelle audace et rétabli son ancien repaire de Diên Lêu 
d'où il descendait faire des razzias dans les plaines du Thanh Hoa. 
Mais ces deux chefs de bandes furent bientôt poursuivis par le colo- 
nel Metzinger à Diên Lêu et Niên Ky, et enfin chassés de ce dernier 
repaire en août 1887. 

Au sud de l'Annam, dans le Binh Thuân, des insurrections impor- 
tantes avaient été vigoureusement réprimées en 1886. Depuis le 
mois de juin; nos troupes poursuivaient la rébellion avec acharne- 
ment, aidées de colonnes de police. Lune d'elles opérait dans le 
Quang tri, sous la direction personnelle du roi Dong Khanh. 

Pendant que ces opérations se déroulaient le long de la côted'An- 
nam, amenant chez la population une fatigue très grande et un 
désir d'apaisement, le général de Courcy était rentré en France en 
janvier 1886 et avait cédé son commandement au général Warnet. 
Puis, dans le courant de la même année, Paul Bert avait pris la 
direction de la Colonie, pendant que le général Jamont prenait le 
commandement des troupes. Enfin le gouverneur, mort en novembre 
de la même année fut remplacé par M. Bihourd. 

Quittons la côte d'Annam pour faire un tour d'horizon sur les 
différents points du Tonkin où la rébellion tenait tête à nos armes. 
En 1885, de grosses colonnes combattaient l'insurrection sur tous 
les points du Delta tonkinois : le colonel Mourlan opérait au nord du 
canal de Phu Ly entre le fleuve Rouge et le Day, le général Munier 
et le commandant Braccini entre le canal des Bambous et le Tra 
Ly, le général de Négrier et le colonel Donnier dans le Bay Say, le 
commandant Neny dans le Phu NamSac, le capitaine Falcon et le 
commandant Faure dans la province de Hai Duong. Enfin, au mois 
d'août 1885, le colonel Brionval organisait dans les environs de 
Keso une série de colonnes partielles sous les ordres des capitaines 



— 40 — 

Didamian et Amstut et du lieutenant Diguet qui avaient pour mission 
de châtier des villages rebelles dont la plaine était parsemée. 

Grâce à ce déploiement de forces, Tannée 1885 ne fut pas perdue 
pour la pacification et le peuple annamite sembla comprendre 
bientôt que les Français étaient décidés à rétablir Tordre et qu'ils 
en avaient les moyens. Il cessa dès lors de donner aux bandes pirates 
les mêmes encouragements et le même appui. En 1886, des colonnes 
de faible effectif continuèrent à donner des coups de lance à 
travers le quadrilatère formé par le fleuve Rouge de Hanoi a 
Hung Yen, le canal des Bambous, le Thai Binh et le canal des 
Rapides. 

L'effet de ces colonnes, qui opérèrent surtout dans la région du 
Bai Say, fut de faire reculer la rébellion, dont le principal chef était 
le Doc Tich, jusque dans les environs de liai Duong. 

En 1888, apparut dans cette région un nouveau chef pirate, le Doi 
Van. 11 parcourut les rives du canal des Rapides et y commit de 
nombreux méfaits, entre autres le massacre du détachement Tessan- 
dier Laubaréde à Quan Bô. Les colonnes Spitzer, Monguillot et 
Servières le pourchassèrent sans réussir à le réduire. 

Quittons le Delta central ponr remonter vers le Nord-Est. Dans 
le massif du Dong Triêu, des bandes nombreuses étaient cantonnées. 
Leur poursuite fit Tobjet des colonnes Nény sur Quinh et Mai Xu 
en avril 1885, de la colonne Brissaud sur le Song Ki en juin 1886, 
et de la colonne Dugenne qui créa le poste de Yen Châu en octobre 
1886. 

En remontant encore le long de la côte du Golfe du Tonkin vers 
TEst, nous trouvons la baie d'Along dont les nombreuses îles, et 
en particulier la plus grande, la Cac Ba, étaient le repaire de bandes 
de pirates. La Cac Ba ainsi que les postes de Ac Koi et Tien Yen 
sur la côte du Tonkin furent occupés par le capitaine de vaisseau 
de la Bodinière de Beaumont de janvier à juillet 1886, et la ville de 
Moncay le fut elle-même en décembre. 

Non loin de là, la commission de délimitation, qui opérait sous la 
direction de M. Saint- Chaffray et après lui sous celle de M. Dillon, 
avait à souffrir constamment de la perfidie des mandarins de la com- 
mission chinoise. Deux fois en 1886 elle fut attaquée par des ban- 
dits à la solde des autorités chinoises : la première attaque eut pour 



— 41 — 

victimes les lieutenants Geil et Henry, la seconde l'interprète Haïtce, 
qui fut assassiné près de Mon Cay. 

Suivons maintenant la frontière de Chine en partant de ce point vers 
l'ouest. 

En décembre 1885, Lang Son avait été réoccupé parle comman- 
dant Servière, qui partit de là en suivant la frontière et occupa 
Dong Dang et That Khê le même mois. Cao Bang fut occupé le 
30 octobre 1886 par le général Mensier qui fit installer par le lieute- 
nant-colonel Servière des postes à Nuoc Hai, Mo Sat et Tra Linh en 
janvier 1887, à Phuc Hoa en juillet, etàTrung Khanh Phu en octobre 
de la même année. 

En décembre 1887, le lieutenant-colonel Servière fondait les 
postes de Bao Lac et de Bac Mé, puis venait faire sa jonction avec la 
colonne Michaud aux lacs Ba Bê, et revenait ensuite par Chora à 
Cao Bang où il recevait la soumission du chef chinois A Coc Thuong, 
qui devait plus tard tenir contre nous la campagne dans le Dong 
Quang. 

Plus à l'ouest, la colonne Michaud part en 1886 de Tuyên Quang, 
pour occuper Bac Mue et Vinh Thuy sur la rivière claire, et Chiem 
Hoa sur le Song Gam, puis à la fin de Tannée nous nous avançons 
jusqu'à Ha Giang. 

Au centre du Tonkin, le massif du Nui Tarn Dao, qui s'étend 
entre le Song Dai à l'ouest, le Song Ca Lo au sud et le Song Con 
à Test, était aussi un repaire inviolé pour de fortes bandes qui fai- 
saient des incursions jusqu'à Bac Ninh et sur la route même de Hanoï. 
En 1885, plusieurs colonnes furent dirigées contre elles : ce furent 
la colonne Mourlan en juillet, qui installa un poste à Lien Son sur 
le Song Dai, une colonne sur Dong Ve et une colonne sur Phu Hay. 
L'année suivante d'autres colonnes fondèrent les postes de Huong 
Son et de Cai Vong. 

Non loin de là, le Yen Thê était aussi dans un état d'agitation 
continuelle. Depuis la prise de la citadelle de ce nom. en mars 
1884, les bandes pirates n'avaient pas évacué la région, et pour les 
contenir le colonel Dugenne avait dû fonder sur le même emplacement 
le poste de Tin Dao en décembre 1885. 

Pour attaquer le mal dans sa racine il s'efforça de joindre le Cai 



- 42 — 

Kinh, chef pirate chinois dont le quartier général était le massif 
montagneux de Bac Son (près Pho Binh Gia), auquel on a maladroi- 
tement donné son nom. Il tenta donc en 1887 de l'atteindre par 
Than Moi et Van Linh, mais il dut v renoncer. Enfin en décembre 
1888, quatre colonnes partant de ThaiNguyên, Lang Son, That Khê 
et Tin Dao allèrent occuper des points qui menaçaient la position 
et devaient servir de base d'opérations. Sur ces entrefaites, le chef 
pirate Gai Kinh fut mis à mort par ses propres partisans. 

Partant du Delta tonkinois, remontons maintenant vers le N.-O. 
la vallée du fleuve Rouge jusqu'au poste frontière de Lao Cai. 

L'occupation de la vallée du fleuve Rouge s'est faite par bonds 
successifs : le premier fut le combat important de Than Mai en 
octobre 1885, dirigé par le général Jamont, et auquel prirent part 
de nombreuses troupes. Le second fut celui de Than Quan, près de 
Yen Bai, en février 1886, dirigé par le général Jamais, le troisième 
fut la belle colonne du colonel de Maussion qui entra a Lao Gai au 
mois de mai de la même année. 

L'année suivante le commandant Pelletier quittait ce poste et 
poussait dans la direction de la haute Rivière Noire jusqu'à Phong 
Thô qu'il atteignait le 1 er février 1887. 

Notre principal ennemi dans ces combats de Than Mai et de Than 
Quan dont nous venons de parler avait été le Bo Giap. Après ces 
échecs il s'installa au milieu des lagunes de Run Gia dans le Huyen 
de Yen Lâp et y créa le repaire de Tien Dong qui fut détruit à deux 
reprises différentes dans le courant de l'année 1886. 

Il s'enfonça alors au sud du fleuve Rouge et s'installa à Dai Lich 
(d'où le colonel Brissaud le délogea en janvier 1887), puis à Deo Hat 
près de Dong Banh et de la plaine de Nghia Lô. 

En 1888, deux colonnes furent dirigées contre le col du Deo Hat, 
de Ba Khê et de Trai Hut. Pendant que la colonne venue de Trai 
Hut sous les ordres du commandant Bosc était assaillie par toute 
la bande du Bo Giap, celle de Ba Khé, conduite parle commandant 
Berger, occupait la position. Dans cette circonstance comme dans 
presque toutes les opérations de cette époque nous commîmes la 
faute de ne pas rester sur nos positions et de nous retirer après la 
victoire. Malgré cela, le Bo Giap comprit que la situation n'était pas 
sûre pour lui et évacua le pays le 28 avril 1888. 



— 43 — 

L'occupation définitive du Tanh Hoa Dao (région de Nghia Lô) 
eut lieu en 1889 et fut consacrée par la fondation des postes de Nghia 
Lô et Tu Le. 

Etudions maintenant le rôle joué parle chef Dieu Van Tri, sous 
les ordres duquel une partie des bandes du Bô Giap étaient allées 
se placer après Than Mai et qui dès lors tint les deux hautes vallées 
du Fleuve Rouge et de la Rivière Noire et s'y montra contre nous 
un ennemi redoutable. 

Avant la marche du commandant Pelletier sur Phong Thô, ce 
chef rebelle nous avait opposé une sérieuse résistance dans l'occupa- 
tion du Chiêu Tân, région située au sud de Lao Cai. Un autre chef 
héréditaire du pays, le Quart Phong, ennemi personnel de Dieu Van 
Tri, fut notre allié dans cette lutte. Il occupait en 1886 le poste de 
Thanh Huyen, entre le fleuve Rouge et la Rivière Noire, dont il fut 
chassé par Dieu Van Tri, mais il revint à la charge avec une petite 
colonne française qui réoccupa ce point ainsi que Thanh Qui et 
Binh Lu. Retour de Dieu Van Tri qui reprend Binh Lu, puis nou- 
velle colonne française qui le lui enlève de nouveau et lui inflige 
de plus un échec à Hiêu Trai (près Van Bu). Mais sitôt que la 
colonne a le dos tourné l'ennemi reprend ses avantages. Une troi- 
sième série de colonnes dut venir à la rescousse et les capitaines 
Olive et Janet reprirent Binh Lu et battirent Dieu Van tri à Thanh 
Qui et à Lang Tien. Notons encore une fois l'effet absolument insi- 
gnifiant de ces colonnes en coups de lance, derrière lesquelles les 
choses reviennent à leur état primitif. Le moment était venu de 
profiter de notre expérience pour ne plus abandonner nos conquêtes 
à mesure qu'elles étaient faites. C'est vers l'année 1888 que les 
colonnes commencèrent à laisser des traces de leur passage en fon- 
dant des postes militaires qui constituaient pour l'avenir des points 
d'appui sérieux. 

En 1888, deux colones opérèrent encore dans la haute Rivière 
Noire : l'une, sous les ordres du Colonel Pernot, marche de Phong 
Thô sur Diên Bien Phu, bat Dieu Van tri à Bach Tan Trai et à 
Chinh Nua, et arrive à Diên Bien le 26 janvier, l'autre sous les 
ordres du commandant Oudry, part de Bao Ha et vient faire sa 
jonction avec la première à Son La. 



— 44 — 

La colonne Pernot avait eu pour résultat de décourager la résis- 
tance de Dieu Van Tri et de montrer nos armes dans un pays où 
l'influence siamoise tentait de s'infiltrer. Elle permit aussi à M. Pavie 
notre consul à Luang Prahang, de faire reconnaître par le général 
Phia Surissa nos droits sur les vallées de la Rivière Noire et du 
SongMa. L'occupation effective de Diên Bien eut lieu le 21 décembre 
1 888 sur l'ordre du commandant Pennequin qui prit le commande- 
ment de la région de Son La. 

Il fallait maintenant obtenir la soumission de Dieu Van tri, dont 
nos colonnes incessantes n'avaient fait jusqu'ici qu'ébranler la 
puissance. 

Souverain incontesté d'un fief dont le chef-lieu était Lai Châu 
sur la Haute Rivière Noire, en possession d'une autorité considé- 
rable que détenait sa famille depuis deux générations sur tout le 
pays environnant, doué personnellement dune intelligence et d'une 
énergie remarquables, le seigneur des Thais blancs pouvait encore 
nous porter des coups dangereux. M. Pavie et le commandant Pen- 
nequin comprirent que nous avions tout à gagner à en faire, au 
prix de concessions raisonnables, un auxilliaire de nos armes. C'est 
à l'habile entremise de ces deux éminents pionniers de la colonisa- 
tion française que nous devons la soumission définitive de cet adver- 
saire redoutable. Dieu Van Tri restait le chef de son ancienne 
principauté avec le titre de Quan Dao et recrutait pour la garde de 
la frontière du Laos une troupe de 300 partisans armés et entrete- 
nus aux frais de la colonie. 

Enfin sur la Basse Rivière Noire notre première installation avait 
été le poste de Bat Bach, fondé à son confluent avec le Fleuve Rouge 
dans les premiers mois de 1885. La même année on installa plu- 
sieurs postes entre ce point et Cho Bo et, pour relier le Fleuve 
Rouge au SongMa, le général Brissaud fonda plus au sud les postes 
de Mai Châu, Phu Le et Yen Lang. 

Ainsi entre 1885 et 1888 nous venons de voir le corps expédi- 
tionnaire se débattre contre des ennemis qui se levaient dans toutes 
les directions. Ses coups sont bien assénés et font reculer l'ennemi, 
mais la retraite de celui-ci n'est que momentanée parce que nous 
n'avons pas le temps d'assurer nos succès en occupant les positions 



— 45 — 

conquises, et aussi, il faut bien le dire, par ce que notre expérience 
n'est pas encore affermie. 

Nous avons vu plus haut que M. Paul Bert était arrivé au Tonkin 
en 1886 avec le général Jamont. Il s'était de plus entouré d'un 
certain nombre de collaborateurs qui formaient une véritable mis- 
sion. Nous étudierons rapidement ci-dessous quelles ont été les 
grandes lignes de sa politique pendant les quelques mois qu'il put 
consacrer aux affaires de la colonie. 

Ses rapports avec le roi Dong Khanh furent des plus cordiaux 
mais malheureusement ce jeune prince était trop notre ami pour con- 
server la moindre autorité sur le pays. Le Go Mat, ce conseil qui 
inspirait la politique de la cour de Hué, continua à rester tout 
puissant et à user à notre égard de la même duplicité. 

Le nouveau Résident général, effrayé de toutes les haines qu'il 
sentait s'accumuler autour du nom de français, essaya par tous les 
moyens d'orienter notre administration vers la bienveillance. Il 
diminua les corvées, subventionna les régions que la guerre, les 
inondations ouïes incendies avaient appauvries, fournit des pensions 
aux indigènes blessés dans les rangs de notre armée, fonda un 
hôpital indigène, répara les digues et protégea les missionnaires et 
les indigènes catholiques en même temps qu'il montrait la plus 
grande tolérance pour les idées religieuses des indigènes. Pour com- 
battre l'orgueil et l'hostilité des lettrés annamites il fonda l'acadé- 
mie tonkinoise. Dans le but de relâcher les liens qui unissaient les 
mandarins à la cour de Hué, il créa au Tonkin une sorte de vice- 
roi annamite sous le titre de Kinh Luoc. L'instruction publique 
commença à s'organiser sous l'impulsion de M. Dumoutier. Enfin 
Paul Bert créa les chambres de commerce de Hanoï et de Haïphong. 
Mais le travail acharné auquel il s'astreignit sous un climat qu'il 
ne faut pas affronter pour la première fois quand on touche à la 
cinquantaine, ne devait pas tarder à avoir raison de sa santé. Il 
succomba à un accès de dysenterie en novembre 1886. 

Il fut remplacé par M. Bihourd qui lui-même ne resta que quelques 
mois dans des fonctions de Résident général. 

C'est en 1887, après sa magistrature, que se place une réforme 
importante dans l'administration de notre nouvelle colonie. L'unité 



— 46 — 

indo-chinoise est créée, réunissant sous la seule autorité d un Gou- 
verneur Général, la Cochinchine française et les Protectorats du 
Tonkin, de l'Annam et du Cambodge. Ce haut fonctionnaire, qui a 
presque les attributions d'un Vice-Roi, a la gérance d'un budget 
général qui englobe les recettes et les dépenses des services géné- 
raux de Tlndo-Chine : Postes et Télégraphes, Douanes et Régies, 
Travaux Publics. 

M. Constans, ministre plénipotentiaire en Chine, occupa ce poste 
pendant quelques mois, puis fut remplacé en avril 1888 par 
M. Richaud, qui lui-même n'exerça ces hautes fonctions que pen- 
dant une année. 

A la suite de la vigoureuse action de nos colonnes militaires 
poussées le long de la cote d'Annam comme dans le Delta et sur 
les frontières du Tonkin, l'année 1888 avait amené chez le peuple 
annamite un moment de lassitude. Mais le mécontement et l'oppo- 
sition n'avaient pas désarmé chez les hauts mandarins. Le Co Mat 
avait sollicité de M. Bihourd le rétablissement dans leurs fonctions 
des mandarins renvoyés par nous et l'évacuation par nos troupes de 
l'Annam central qui, d'après le traité de 1884, devait rester à la 
couronne. Le roi Dong Khanh adressa une réclamation à ce sujet au 
Gouvernement français par l'intermédiaire de M. de Lanessan. Ses 
protestations restèrent d'ailleurs lettre morte et le mécontentement 
qui s'ensuivit à la cour s'était traduit par de nouveaux encourage- 
ments à la rébellion. 

Au commencement de 1889, le roi Dong Khanh mourut d'un 
accès pernicieux et fut remplacé par le candidat indiqué par 
M. Rheinard, résident général à Hué. C'était un prince de la famille 
des Nguyên, fils du roi Duc qui n'avait régné que quelques jours. 
Ce jeune roi de dix ans prit le nom de règne de Thanh Thai (Boa- 
heur absolu et succès universel) et monta sur le trône d'Annam le 
1 er février 1889. On lui donna un Conseil de régence dans 
lequel on ne fit entrer que des mandarins d'un loyalisme éprouvé 
à Tégard de la France. 



— 47 — 

§3 
Avènement de Than Thai en 1889. 

Phase de l'occupation militaire (1889 à 1891). 

La mort du roi Dong Khanh avait inspiré au gouvernement la 
crainte d'un soulèvement général ayant pour objet le rétablissement 
sur le trône du prince dépossédé Ham Nghi, et un léger renfort, 
une C ie commandée par le capitaine Diguet, fut envoyé de Saigon 
à Tourane pour parer à toute éventualité, mais l'Annam avait 
effectivement recouvré sa tranquillité et ne montra aucune velléité 
de la troubler. 

On savait que le jeune roi en fuite et l'ex-régent Thuyêt se tenaient 
cachés dans la vallée de Song Giang, et la préoccupation de tous 
était alors de découvrir leur retraite. Une colonne dirigée vers cette 
région en mars 1888 avait échoué dans ses recherches, et les deux 
fugitifs vivant dans les bois, tels des bêtes traquées, passaient leur 
misérable existence à fuir d'un repaire à un autre. 

Enfin, en novembre 1889, l'ancien roi Ham Nghi fut capturé par 
le capitaine Boulangier et le lieutenant Lagarrue et envoyé en 
Algérie où il fut interné. J'eus l'occasion d'aller lui rendre visite à 
son passage à Saigon où il occupait à la caserne un modeste loge- 
ment d'adjudant. 11 avait conservé, malgré son existence précaire 
et misérable, des allures de distinction et même de hauteur. 

Il habite maintenant un superbe palais à Alger et jouit de la 
pension fort honorable que. lui octroie la France. 

La région du Tonkin qui préoccupait le plus le commandement 
au commencement de 1889 était celle du Nui Tarn Dao sur le Song 
Cau, où de fortes bandes chinoises étaient toujours solidement 
installées sur la ligne reliant les positions de Cho Chu et de Cho 
Moi. Une importante colonne fut organisée par le général Borgnis- 
Desbordes qui s'empara le 17 janvier 1889 de Cho Moi, et le 
17 février suivant de Cho Chu. Les deux chefs de ces bandes étaient 
Bac Ky et Luong Tarn Ky. Le premier se retira de Cho Moi à Ké 
Thuong où il fut laissé sans être inquiété jusqu'en 189S. Le second 
se retira à Linh Danh, et loin de le poursuivre plus avant on lui 
rendit Cho Chu Tannée suivante. 



— 48 — 

En avril 1889, M. Richaud, gouverneur général, rappelé en France 
à la suite d un désaccord avec le gouvernement, mourut subitement 
du choléra entre Singapour et Colombo. Son successeur fat 
M. Piquet, ancien directeur de l'intérieur a Saigon. C'est sous son 
administration que Ton vit les troupes régulières obligées de rester 
enfermées dans leurs postes pendant que des colonnes de miliciens 
parcouraient le pays à la poursuite des bandes pirates. Cette méthode 
aussi anormale que dangereuse avait d'ailleurs été mise en pratique 
dès Tannée précédente. Elle s appuyait sur la crainte de voir les 
troupes régulières agir sans s'être entourées de renseignements suf- 
fisants, et leur substituait l'action de troupes placées dans la main 
des résidents qui, par leur situation, étaient plus directement en 
rapport avec les indigènes et pouvaient, par suite, être mieux ren- 
seignés. Mais elle avait l'inconvénient de donner la direction d'opé- 
rations militaires à des fonctionnaires qui n'étaient pas préparés à 
un tel rôle. Les postes de la province de Haï Duong furent passés 
à la garde civile, et le Tông Dôc de la province se mit à la tête d'une 
colonne de police destinée à poursuivre le Doi Van et le Doc Tich. 
Ce système aboutit à de graves revers, tels que l'enlèvement du 
poste de Yen Lêu par le Doc Tich, l'échec du Résident à Trai Son, 
puis du Tông Dôc qui dut être dégagé des coups du Doi Van par le 
capitaine Pariguet aux Pins Parosols. Quoi qu'il en soit, les deux 
chefs pirates, harcelés, finirent par faire leur soumission. 

D'un d'eux, le Doc Van, après avoir repris la campagne et s'être 
retiré dans le Yen Thê où il eut affaire aux colonnes Picquet et 
Dumont, fut exécuté à Hanoï en novembre 1889. 

Dans la région du Thanh Hoa Dao, entre le fleuve Rouge et la 
rivière Noire, la disparition du Bô Giap n'avait pas entraîné celle de 
ses bandes. Le lieutenant-colonel Pennequin dut aller leur donner 
la chasse et leur infligea un échec à Ban Co en novembre 1889. Mais 
elles restèrent dans le pays et continuèrent à inquiéter nos garnisons 
de Nghia Lo et Tu Le. Ce dernier poste dut même être évacué. Le 
lieutenant-colonel revint rétablir l'ordre, et grâce à sa politique 
pleine de finesse et à son sens des affaires indigènes, il sut remettre 
les choses au point et rallier à nous une population mécontentée 
par les exactions d'un chef indigène. En même temps, il infligeait 



- 49 - 

un nouvel échec aux pirates en leur enlevant le repaire de, Lang 
Buong le 27 décembre 1889. Depuis ce jour, si des bandes pénétrèrent 
encore dans la région on peut affirmer qu'elles n'y furent pas appe- 
lées par la population. 

La région de Mon Cay a toujours été une des plus troublées au 
Tonkin. En 1888, après les colonnes Dugenne, elle avait joui cepen- 
dant d une certaine tranquillité ; mais le 29 décembre de cette année, 
la citadelle fut prise par une bande. Le commandant Baudard opéra 
pendant tout l'hiver dans le massif situé entre Moncay et Tien Yen, 
et ramena dans la région une paix relative jusqu'en 1892. 

Dans la région de Cao Bang, dont l'occupation avait été faite en 
1886 par le général Mensier et le colonel Servière, la tranquillité' 
ne pouvait être que de courte durée, Car les chefs chinois que nous 
avions dépossédés de leur prébende n'attendaient que le moment 
opportun" pour la ressaisir. Us s'étaient retirés dans les rochers des 
Ba Châu, dans les cirques du Luc Khu et dans la région de Ngan 
Son. Quelques petites opérations eurent lieu en 1 886 et 1 887 à Nakéo, 
à Tra Linh, à Mo Sat et à Phuc Hoa, et eurent pour effet de «rendre 
la tranquillité au pays jusqu'à la fin de 1888. 

C'est alors que l'ancien régent Thuyêt, dont l'influence s'éten- 
dait du Thanh Hoa à Cao Bang, excita de nouveau l'ardeur des 
bandes chinoises de la frontière. En 1889, elles s'installèrent à An 
Lai (à 16 kilomètres au nord-est de Cao Bang), d'où elles furent 
délogées par deux colonnes parties de Cao Bang et Quang Uyên, 
puis poursuivies par le lieutenant-colonel Servière dans les Ba Châu 
et dans le Luc Khu. C'est à la suite de ces opérations que fut fondé 
le poste de Soc Giang le 31 octobre 1889. 

Les pirates se tinrent tranquilles pendant quelque temps, mais 
leur séjour dans la région donna lieu, dans les années qui suivirent, 
jusqu'en 1892, à des colonnes dirigées par nous contre leurs 
repaires. 

Sui le moyen Fleuve Rouge, la région de Hung Hoa n'avait pas 
échappé en 1889 aux entreprises de Thuyêt. Il y fut tout à coup 
représenté par le De Kiêu qui s'établit dans les lagunes de Rung 
Gia et vint inquiéter nos troupes jusque sous les murs de Hung Hoa. 
Le lieutenant-colonel Pennequin organisa des colonnes de police 

4 



— 50 - 

pour le réduire. En 1891 apparut le Doc Ngu qui massacra la gar- 
nison de Cho Bo et surprit le poste de Yen Lang. Le lieutenant- 
colonel Pennequin reçut la mission d'en finir avec ce pirate dange- 
reux et se mit à sa poursuite : il subit d'abord un très grave échec 
à Niên Ky, puis, profitant de ce que les bandes du Doc Ngu étaient 
composées de deux éléments bien distincts, annamite et muong, il 
sema habilement parmi eux des éléments de discorde, et le Doc 
Ngu fut mis à mort le 7 août 1892 par les muong de la bande. 

La soumission du De Kieu et du Quan Ao, son beau-frère, s'en- 
suivirent, et le pays environnant recouvra un calme qu'il n'avait pas 
connu depuis plusieurs années. 

Dans le Thanh Hoa, l'influence de Thuyêt se fit sentir en octobre 
1889, par l'intermédiaire de Dé Soan, qui vint y rallumer la rébellion. 
L'attaque du poste de Nong Gong par le chef montagnard Tam Ba 
Thuoc mit le feu aux poudres et nécessita la mise en mouvement de 
trois colonnes successives. L'une d'elles, commandée par le lieute- 
nant-colonel Lelevre, livra au chef pirate deux durs combats dans 
les environs de Van Lai et eut son chef blessé. Après ces opérations 
les garnisons de troupes régulières ne furent plus laissées en Annam 
qu'à Huê, Thuan An et Tourane. 

Le Yen Thé, à partir de la disparition du chef chinois Cai Kinh, 
resta occupé par des bandes annamites sous les ordres des chefs 
De Nam, Ba Phuc, puis De Tham. En 1889, le poste de Tinh Dao 
fut abandonné, et sa garnison transférée à Bo Ha sur le Song 1 
Thuong. La piraterie se ralluma autour des postes de Cao Thuong 
et de Huu Thuê. C'est alors qu'eurent lieu les colonnes Dumont et 
Picquet contre le Doi Van. Puis pendant les cinq années suivantes, 
le commandement, impuissant à déloger les pirates de leur camp 
retranché, admirablement organisé au fond des forêts, dut consti- 
tuer contre eux des colonnes importantes. La première, sous les 
ordres du général Godin, prit Cao Thuong (janvier 1889) et fonda 
Nha Nam sur un emplacement voisin de Tin Dao. La deuxième, 
sous les ordres du colonel Frey, fit le siège du fort de Huu Thuê et 
l'occupa le 11 janvier 1891. La troisième, sous les ordres du géné- 
ral Voyron, s'empara du camp retranché du De Nam. La quatrième 
eut lieu en 1 894 contre le De Tham, qui était parvenu à s'emparer 



— 51 — 

de MM. Chesnay et Loggiou, et obtint de la part du Protectorat 
un traité très avantageux. 

Revenons maintenant aux bandes du Haut Fleuve Rouge. Après la 
soumission de Dieu Van Tri, elles eurent pour chef Hoang Tanh 
Loi et se divisèrent en deux groupes, l'un sur la rive droite avec 
Hoang M an comme chef secondaire, et l'autre sur la rive gauche 
sous les ordres de Nguyên Triêu Trong. Celui-ci était installé en 
1890 au repaire de Kê Dinh qui fut enlevé en janvier 1891 par le 
commandant de Beylié. Les bandes se retirèrent ensuite au repaire 
de Movio d'où elles furent encore débusquées par le lieutenant- 
colonel de Beylié. Elles s'y réinstallèrent et en furent de nouveau 
chassées en janvier 1892 pour aller se retrancher à Ngoi Cai; mais 
ce repaire fut détruit quelques jours après. Elles remontèrent alors 
au Phong Niên jusqu'au moment où le lieutenant-colonel Penne- 
quin prit le commandement du quatrième territoire. 

Sur la rive droite, les bandes de Hoang Man occupaient le Phong 
Du et furent l'objet, en 1891 et 1892, des poursuites des capitaines 
Lasalle et Cassin de la Loge qui les attaquèrent à Ké Ket et à Ké Hot. 

Dans le massif de Dông Triêu, en 1888, les bandes furent con- 
centrées entre les mains du chef chinois, Luu Ky, véritable repré- 
sentant au Tonkin d'une entreprise commerciale de piraterie, ayant 
ses bureaux et ses marchés en Chine. Après avoir subi de leur part 
quelques petits échecs dans nos différents postes ou au cours de nos 
reconnaissances, il nous devint nécessaire de conduire contre ces 
bandes des opérations d'ensemble. Elles débutèrent par l'attaque du 
repaire de Deo Gia par le lieutenant-colonel Servière. Luu Ky se 
retira dans la plaine de Phu Lang Thuong et dans le Bao Day où il 
fut rejoint en 1889 par plusieurs colonnes. 

En janvier 1890, de retour au Deo Gia, Luu Ky parvint à captu- 
rer à Ben Châu les frères Roques qui ne furent relâchés que contre 
une forte rançon. Aussitôt après, le commandant Prétet occupa le 
Deo Gia et y installa un poste. 

En 1891, le colonel Dominé occupa Trai Son et l'île des deux 
Songs, puis subit un échec dans le Nui Cao Bang. Enfin, à la fin 
de la même année, le colonel Terrillon fit à ces bandes une chasse 
méthodique qui eut pour résultat de les repousser dans le Bao Day 
et sur le Song Ba Che, et de dégager ainsi les abords du Delta. 



— r»2 — 



84 



Arrivée de M. de Lanessan en 1891 - — Sa politique. — Création 

des territoires militaires. — Phase de la Pacification des 
régions frontières par l'Administration militaire (1891-1895). 



Pendant que ces opérations militaires se déroulaient, le gouver- 
nement général avait reçu un nouvel hôte. M. Picquet avait donné 
sa démission en 1891 et avait eu pour successeur M. de Lanessan, 
député de la Seine, qui arriva au Tonkin avec le général Reste, 
nommé général en chef, et le contre-amiral Fournier, commandant 
la marine. Les études qu'il avait faites précédemment en Indo- 
Chine et un grand sens des choses coloniales préparaient le nouveau 
gouverneur général à ses hautes fonctions. Dès son arrivée, il pro- 
céda à une réforme qui devait avoir les effets les plus heureux sur 
la pacification de nos régions montagneuses, la création des terri- 
toires militaires. 

Il avait compris que tant que nous bornerions notre action à 
donner des coups de sonde à travers les régions troublées et en y 
envoyant des colonnes qui ne faisaient que passer, tant que nous nous 
contenterions de nous fixer dans ces régions par des postes mili- 
taires, sans entrer en relations avec la population par l'administra- 
tion du pays, nous épuiserions nos forces en une œuvre stérile. 

En créant les territoires militaires, sous le commandement de 
colonels, et divisés eux-mêmes en cercles commandés par des chefs 
de bataillon, il dotait d'une administration très économique un pays 
trop pauvre pour subvenir aux charges d une organisation compli- 
quée. En mettant entre les mains de l'autorité militaire l'adminis- 
tration du pays, il lui donnait les moyens de se renseigner utile- 
ment auprès des autorités indigènes sur lesquelles elle pouvait 
prendre le plus grand ascendant. 

M. de Lanessan s'attacha aussi à augmenter et à améliorer nos 
voies de communication terrestres et le pays fut bientôt sillonné de 



— 53 — 

routes qui, tout en favorisant les relations commerciales, permet- 
taient aux troupes de se porter plus facilement et plus rapidement 
en un lieu troublé et devaient par suite concourir à la pacification 
du pays. Leur construction entreprise un peu hâtivement eut le 
tort cependant d'imposer de lourdes charges à la population. 

Dans Tordre administratif il rendit aux mandarins annamites une 
grande partie de l'autorité* que nos Résidents, chefs de province, leur 
avaient enlevée et ne réserva à ceux-ci que la surveillance de leurs 
actes, l'impulsion générale à donner à leur administration et la 
recherche ainsi que la répression de la petite piraterie. Cette 
méthode d'administration a l'avantage d'être conforme aux traités 
conclus avec l'Annam, et est de nature à nous attirer la sympathie 
de nos protégés: elle permet, en effet, à l'élite du peuple vaincu de 
prendre part à la direction des affaires, et lui donne, par suite, une 
consolation de son état de vassalité. Elle utilise, tout en les canali- 
sant les qualités indiscutables que possèdent les mandarins anna- 
mites pour l'administration. Elle fait supporter à des individus de 
la race conquise une part des responsabilités qui incombent à la 
nation protectrice dans les mesures qui constituent une charge pour 
le peuple. C'est pour avoir voulu s'écarter de ces principes que la 
Cochinchine, comme le faisait observer récemment son lieutenant- 
gouverneur M. Rodier, traverse en ce moment une sorte de crise 
causée par Y administration directe dont elle a abusé en écartant le 
concours des indigènes éclairés, et en démolissant l'admirable 
édifice de la commune annamite. 

La piraterie, quoique bien refoulée, n'avait pas encore désarmé. 
Un tour d'horizon autour de notre frontière de Mon Cay à Lao Cai 
nous permettra de nous rendre compte des progrès accomplis. 

A l'ouest de Mon Cay, dans la région du Song Ba Che, les bandes 
chinoises s'étaient installées en nombre au commencement de 1892. 
C'est alors qu'eurent lieu les opérations des capitaines Messier de 
Saint-James et Freystatter, à Lang Con et à Lang Ra. 

A la mort deLuuky, dans le Dông Trcêu, une partie de ses parti- 
sans vinrent dans la région de Tien Yen installer le repaire de Bin 
ho qui fut bientôt détruit par le commandant Courot. Le même 
repaire, réinstallé par le chef Tien Duc, fut enlevé de nouveau en 



— 54 — 

novembre par le lieutenant-colonel Courot lui-même, qui fît repas- 
ser en Chine les pirates et installa sur place le poste de Ly Sai. 

Ce nettoyage porta ses fruits pendant une année entière, mais 
au commencement de 1891, un petit chef de bande appelé Lo Man 
fut chargé par le haut négoce chinois d'exécuter sur notre territoire 
quelques entreprises lucratives. Les Chinois n'étaient pas sans avoir 
remarqué que l'enlèvement d'un Européen leur rapportait plus 
d'argent que celui d'un poste, puisque le gouvernement s'était mis 
sur le pied de payer des rançons de trente à cinquante mille piastres. 
Lo Man commença par installer à Keo Dzo un repaire qui [fut détruit 
au mois d'avril puis réinstallé aussitôt. 

De là il exécuta un premier enlèvement au cours d'une surprise 
du poste de Mon Cay et emmena en Chine M m0 Chailley et sa 
fille. La bande prit aussitôt une importance considérable, provenant 
sans doute de ce que les capitalistes chinois qui l'entretenaient 
avaient trouvé l'affaire excellente, et Lo Man enleva bientôt après, à 
Port-Wallut, la famille Lyaudet, composée du père, de la mère et 
d'une petite fille. Le gouverneur général commença à se lasser de 
payer des rançons qui n'étaient que des encouragements donnés à 
la piraterie, et obtint la reddition de cette famille par voie diplo- 
matique. Quant à Lo Man, après un court séjour en Chine, il revint 
installer un puissant repaire au mont Pan Ai. 

Dans le Dong Triêu, nous avons vu que le chef chinois Luu Ky 
avait été relégué vers le Bao Day. Le voisinage de la route man- 
darine de Hanoï à Lang Son lui donna l'occasion d'opérer plusieurs 
enlèvements d'Européens et de se livrer à de fructueuses embuscades 
tendues aux convois. Mais l'attaque du convoi où le commandant 
Bonneau et le capitaine Charpentier trouvèrent la mort coûta 
aussi la vie a Luu Ky le 9 juillet 1892. La bande se divisa en deux 
parties qui allèrent successivement se réfugier dans le massif de 
Bac Son, improprement appelé Cai Kinh [(au S.-O. de Lang Son). 

La première devait rester sous les ordres de la veuve de Luu Ky 
jusqu'en 189i, puis prendre comme chef Hoang Tai Ngan. Elle se 
retira tout d'abord au repaire de Luong Day, puis elle dut l'évacuer à 
la suite de plusieurs combats qui lui furent livrés en 1892 par le 
colonel Servière. 



- 55 — 

Les postes de Tri Le et de Van Linh furent créés de chaque côté 
du repaire et la bande se réfugia à Lung Lat avec un poste avancé 
vers la ligne de chemin de fer à Len Day. Ce dernier repaire fut 
pris Tannée même de sa création, et en janvier 1894 le repaire prin- 
cipal tomba entre les mains du colonel Galliéni. Le chef Hoanh Tai 
Ngan fut tué au cours de la poursuite qui s'ensuivit. 

En continuant notre tour d'horizon vers l'ouest sans nous arrêter 
à Lang Son, qui n'a jamais été le refuge de bandes pirates impor- 
tantes, nous arrivons à That Khê, où les bandes furent soutenues et 
encouragées en 1892 par les mandarins de Quang Si. 

Leur tactique était de nous créer le plus d'embarras possibles 
afin de nous rendre moins exigeants à la commission (Tabornement. 
Après les échecs de Bac Phiêt et de Na Lan en août 1892, les bandes 
de pirates chinois renforcés de Réguliers prirent, comme objectif, le 
poste de That Khê, dont leur chef A Kanh Sinh était l'ancien 
seigneur, et en coupèrent les communications avec l'intérieur du 
Tonkin. Il fallut pour la dégager que le colonel Servière vint de 
Lang Son et leur donnât la chasse jusque dans le cercle de Cao Bang. 
Là aussi, ils trouvèrent à qui parler dans la personne du comman- 
dant Famin qui, avec une activité inlassable et une habileté con- 
sommée, les traqua dans les Ba Chau, où furent livrés au mois de 
novembre les combats de Lung Noi, du Song.Quay Thuan, de Keo 
Mac et de Lung Po. Après quelques mois de tranquillité la campagne 
fut reprise en fin 1893 par le commandant Lamary, qui livra aux 
bandes les combats de Gia Heo et de Na Luong. 

Enfin le lieutenant-colonel Vallière entreprit d'étendre notre 
influence de proche en proche en partant de Cao Bang et en mar- 
chant vers l'O. Il s'empara tout d'abord de vive force de deux 
repaires du massif de Lung Sung (à l'ouest de la route Soc Giang à 
Mo Sat) et de celui de Phia Ma, puis redescendit vers le S.-O. et 
commença l'occupation méthodique du pays jusqu'au sud de Cho 
Ra. 

Pour compléter la constatation de nos progrès vers 1895 il nous 
faut maintenant jeter un coup d'œil vers le S.-E. Aussitôt après 
l'évacuation du massif de Bac Son (montagne du Nord) par les ban- 
des, le colonel Galliéni, commandant le premier territoire militaire, 



— 56 — 

s'efforça en s'appuyant sur la population d'étendre notre influence 
vers les régions encore soumises à celle des pirates. La création des 
territoires militaires nous avait permis de faire connaître aux popu- 
lations des montagnes les bienfaits d une sage et bienveillante 
administration. Peu à peu les bandes perdaient leur crédit et nous 
nous étendions vers l'O. dans la direction de Kê Thuong et Cho 
Moi. Le nœud de communication de Cuc Duong au S. du premier 
point et à TE. du deuxième fut occupé en novembre 1894 par le 
capitaine Rémond, puis le commandant Tournier occupa Tong Hoa 
Phu à la suite du combat de Na Ma, et enfin en mars 1895 le com- 
mandant Gérard s'avança jusqu'à Na Ri et Ban Tinh, tout près de 
Kê Thuong. 

Ainsi la pacification faisait de jour en jour la tache d'huile, et au 
début de l'année 1895 notre domination incontestée s'étendait sur la 
route qui part de Bo Gai sur la frontière du Quang Si pour descendre 
vers le sud en passant par Nguyen Binh, Cho-Ra, Tong Hoa Phu, 
Bac Kan et Na Ri. Le seul obstacle à la libre communication entre 
Thai Nguyen et Cao Bang était donc le chef pirate Bac Ky, à l'é- 
gard duquel nous observions une sorte de trêve depuis 1889. 

L'occasion de la rompre nous fut donnée par un attentat commis 
par ses compagnons sur deux Français, et le colonel Galliéni ne la 
laissa pas échapper. Une colonne fut organisée par lui le 24 avril 
1895 et en quelques semaines le chef pirate fut chassé de Kê Thuong 
et les communications furent dégagées comme par enchantement 
entre Gho Moi et Tong Hoa Phu. Ce résultat brillant avait été 
obtenu à l'aide de quatre colonnes dont les bases d'opération étaient 
respectivement Cho Moi à l'O. pour le commandant Moreau, Ban 
Tinh au S. pour le commandant Gérard, Na Ri à l'E. pour le lieu- 
tenant-colonel Ciamorgan, et Tong Hoa Phu au N. pour le lieutenant- 
colonel Vallière. 

Aussitôt le pays évacué par les bandes de Bac Ky, il fut organisé 
administrativement sur le modèle des territoires militaires ainsi que 
les contrées qui s'étendaient vers Bac Kan et Chiêm Hoa. Cette 
organisation qui rejoignait le deuxième territoire au troisième sans 
solution de continuité, isolait la région encore occupée par Luong 
Tarn Ki de la frontière de Chine et c'était là un résultat important. 



— 57 — 

Si nous continuons vers l'O. notre étude de la pacification, nous 
trouvons entre Ha Giang et Lao Kay une région qui est restée pen- 
dant longtemps en dehors de notre influence. Le poste de Yen Binh 
Xa, fondé en septembre 1887, avait été bientôt supprimé puis rétabli 
en 1893. C'était un premier jalon posé dans la direction de Hoang 
Thu Bi, mais qui laissait au nord une vaste région encore inexplorée. 
C'est en 1894 que le colonel Servière l'occupa définitivement en 
fondant les postes de Hoang Thu Bi et de Xing Man. 

Poussons maintenant notre examen en descendant vers le S.-O. 

Nous avons laissé Hoang Man dans le Phong Du en 1892. En 
janvier et février 1893, le lieutenant-colonel Pennequin reprit la 
chasse contre lui et le battit dans plusieurs rencontres dans les 
montagnes qui environnent la belle vallée de Tu Le. La population 
de Phong Du, armée par ses soins, se chargea ensuite de chasser 
elle-même les bandes pirates qui furent forcées de se retirer à l'ouest 
de Bat Xat. 

L'autre bande de Hoang Thanh Loi, sous les ordres de Nguyên 
Triêu Trong, attaquait à la même époque, le 31 mars, le petit poste 
de Muong Mai, qui, mal situé et défendu par une poignée de tirail- 
leurs et de partisans, sous les ordres du lieutenant Perrignon, ne 
dut son salut qu'à l'arrivée de la compagnie du capitaine Canivet 
qui le dégagea. Nguyên Triêu Trong passa le Fleuve Rouge et se 
retira alors au repaire de Lang Mac, non loin de Pho Rang. Le lieu- 
tenant-colonel Pennequin organisa une opération pour le débusquer, 
et le 20 avril le repaire fut attaqué par deux colonnes, l'une sur les 
ordres directs du lieutenant-colonel et composée de la compagnie 
Diguet du 2° Tonkinois, du peloton Fesch de la Légion et d une 
section d'artillerie, l'autre commandée par le commandant Prétet et 
composée de la compagnie Delval du 2 e Tonkinois et d'un peloton de 
légion. Après un combat qui dura jusqu'à la nuit les pirates aban- 
donnèrent la position. 

Les bandes de Hoang Thanh Loi, à la fin de l'année 1893, se 
retirèrent toutes les deux dans le canton de Tu Long. Nous avons 
vu que le colonel Servière procéda en 1 894 à son occupation par la 
création du poste de Hoang Thu Bi. 

Chassées de cette région les bandes revinrent vers le Chiêu Thanh 



— 58 — 

que nous n'avions pas encore songé à organiser administrativement. 
elles y trouvèrent un refuge assez sûr et essayèrent même d'appro- 
cher de nos postes de Tu Le et de Van Bu. Elles furent surveillées 
dans le courant de Tannée 189i par de petites colonnes fournies par 
les Cercles de Van Bu (commandant Bertin) et Nghia Lô (capi- 
taine Diguel) et qui eurent avec elles quelques rencontres 
à Ma Dinh, Ta Phinh, Kim Noi (où la colonne Bullier fut 
surprise) et Pa Chè. Des colonnes plus importantes opérèrents 
ensuite pendant l'hiver 9i-9o, sous les ordres des commandant 
d'Aubignosc et Gouttenègre, du général Servière et du lieutenant- 
colonel Vimard. Enfin, après avoir eu des engagements très sérieux 
avec la colonne légère du capitaine Bailly, les bandes repassèrent 
en Chine et vinrent s'installer en face de nos postes de Hoang Thu 
Bi et de Xin Man qu'elles attaquèrent sans succès au mois d'avril. 



«5 

Phase de l'Association de la population armée à l'achèvement de 
la pacification des régions frontières (1895-1896). 

En somme, si l'on jette un coup d'œil d'ensemble sur notre œuvre 
de pacification du Tonkin, on se rend compte que nous avons su 
profiter peu à peu des enseignements de l'expérience et affiner de 
jour en jour nos moyens d'action. Au début, en effet, nous ne son- 
geons qu'à répondre aux coups par d'autres coups, frappant un peu 
à tort et à travers : nous manquons de temps et de monde pour 
poursuivre l'ennemi dans une direction et nous installer à sa 
place parce que nous avons à répondre aussitôt à d'autres attaques 
sur d'autres points du territoire. C'est la période des colonnes en 
coup de lance (1885-1888). La leçon ne profite pas parce que l'en- 
nemi panse ses blessures quand nous avons le dos tourné et revient 
à la charge le lendemain. 

Puis, entre 1887 et 1888, nous commençons à nous cramponner 
au terrain conquis, nous fondons des postes sur les positions enlevées 
aux bandes pirates et, nous servant d'eux comme points d'appui, 



— 59 — 

nous poursuivons l'œuvre d'assainissement par l'action de nos armes 
sans songer encore à entrer en relation étroite avec la population 
des régions montagneuses que nous occupons et cette faute permet 
en 1889 et 1890 à notre ennemi acharné, l'ex-régent Thuyêt, de 
rallumer la révolte sur tous les points du territoire du Tonkin et de 
TAnnam. C'est la période d'occupation militaire qui dure de 1888 à 
1891. 

Enfin, par la création des territoires militaires, nous entrons en 
communion d'idées avec la population. L'officier se double d'un 
administrateur et peut tirer des fonctionnaires indigènes dont l'avenir 
est entre ses mains, des services plus dévoués et des renseignements 
plus complets sur la situation politique du pays et l'esprit de la popu- 
lation. C'est la phase delà pacification par l ' administration militaire. 

Mais si nous sommes mieux renseignés, nous ne pouvons pas être 
partout et la nature accidentée du pays donne un abri facile aux 
pirates qui continuent à installer leurs nids d'aigles dans les rochers 
et en descendent au moment propice pour razzier les villages paisibles, 
attaquer les postes ou les convois et se livrer à des enlèvements 
lucratifs. Faut-il étendre indéfiniment le réseau de nos postes et dis^ 
séminer par suite nos forces sur le territoire pour faire face aux 
bandes sur tous les points ? Il ne peut en être question. 

Le temps est venu pour nous de nous apercevoir que la confiance 
réciproque est née de nos relations avec la population et qu'elle 
nous offre par suite un instrument merveilleux pour la défense du 
sol sur tous ces points. Le montagnard des hautes régions est fatigué 
de se voir rançonner par les bandes, il commence à sentir que fina- 
lement nous avons toujours le dessus. Déjà quelques essais timides 
d'armement de la population ont donné de bons résultats. Le général 
en chef Duché min et le colonel Galliéni, commandant du premier 
territoire, entrent résolument dans cette voie et bientôt toute la 
frontière du Quang Si est munie d'une barrière de villages armés. 
Cette expérience qui avait trouvé au début des détracteurs crai- 
gnant de donner à nos protégés des verges pour nous battre, a 
maintenant réussi au delà de toute espérance. Nos partisans, orga- 
nisés par communes et par cantons et armés de fusils 74, sont 
maintenant la meilleure garantie de l'intégrité de la frontière. 

Nous entrons dans la phase de Y association de la population armée 



— 60 — 

à la répression de la piraterie. Solidement établis dans nos postes, 
administrant la population et pouvant par suite compter sur des 
renseignements sûrs de la part de nos fonctionnaires indigènes, 
nous pourrons désormais mener nos opérations avec plus de méthode 
et par suite refouler peu à peu les chefs de bande chinois de l'autre 
côté de la frontière, ne laissant derrière nous que cette région toujours 
inquiétante de Cho Chu et du Nui Tarn Dao ou Luong Tarn Ki et le 
De Tham continuent à troubler le pfiys. 

Au mois de septembre 1893 il devenait urgent d'attaquer la bande 
de Lo Man qui s'était installée sur le mont Pan Ai, dans le cercle 
de Mon Cay, sur une très forte position et où Ton croyait trouver 
la famille Lyaudet toujours prisonnière. Le colonel Chaumont forma 
deux colonnes sous les ordres du lieutenant-colonel Riou et du 
commandant Mondon. Pendant que la seconde tombait dans une 
embuscade, la première réussissait à occuper la position de Mai Lu 
Lang. Certain papier trouvé quelques jours après sur un chef tué 
dans une embuscade établissait la complicité des autorités chinoises 
avec la bande pirate. C'était le projet de contrat à passer avec le 
Protectorat pour Féchange des prisonniers contre une rançon. Les 
autorités chinoises qui avaient favorisé l'entreprise devaient toucher 
20 °/ de rançon. Cette intéressante découverte nous permit de 
réclamer encore plus énergiquement l'entremise du gouvernement, 
et, grâce aux efforts du maréchal Sou, qui opérait dans le Quang 
Tông, la famille Lyaudet fut délivrée un mois après. 

Le repaire de Pan Aï était tombé entre nos mains le 21 août et la 
bande était repassée en Chine. 

Dans la province de Thai Nguyên, la présence du De Tham et de 
Luong Tarn Ky continue à être un élément de désordre. En septembre 
1895 les partisans du premier vont piller des villages jusque dans 
le voisinage de Phu Lang Thuong et malgré la soumission de Luong 
Tam Ky, le général en chef se décide à agir et le colonel Galliéni 
est chargé d'occuper le Yen thê. 11 forme les colonnes Hoblinger, 
Rondony et Roget qui prennent les forts du De Tham. Celui-ci 
s'enfuit poursuivi par le commandant Roget vers Quinh Dong. La 
soumission de ce chef pirate, poursuivie pendant toute Tannée 1896, 
n'aboutit pas et au mois de juillet il semble s'être allié avec le sou- 



— 61 — 

missionnaire Luong Tam Ky pour continuer en commun l'exploita- 
tion des populations paisibles de la région jusqu'à la fin de 97, moment 
où il fait à son tour sa soumission. 

Une autre partie des territoires remis à l'administration civile 
fait aussi parler d'elle, c'est le Dông Triêu. Au mois de décembre 
1895, le lieutenant-colonel Riou, chargé de la poursuite de la bande 
du Doc Thii) l'attaque avec une colonne de 300 hommes munie d'artil- 
lerie et réussit à la disperser. . 

Pendant les années 1895 et 1896, la piraterie sévit encore dans 
dans les troisième et quatrième territoires entre Bao Lac et Lao 
Cai. Tout d'abord en 1895, l?s chefs pirates A coc Thuong, Mac Que 
An et Le Chi Tuân, pillent le cercle de Ha Giang. Une colonne de 
partisans poursuit le premier sous la conduite du chef Thuong Van 
Tho. Le commandant Briquelot empêche les deux autres de mena- 
cer Ha Giang, mais il faut des forces plus considérables pour en 
venir à bout. 

Au mois de janvier 1896, le lieutenant-colonel Vallière forme 
trois colonnes sous les ordres du lieutenant-colonel Audéoud et des 
commandants Nouvel et Betboy dans le but de refouler les bandes 
au nord de la ligne Ha Giang, Bac Me, Bao Lac. 

A ce moment le chef pirate HoangCau, qui tenait aussi la campagne 
dans la région de Ha Giang, s'étant dirigé vers le sud, le comman- 
dant Brenot, commandant du Cercle de Bac Quang, veut s'opposer 
à son mouvement et dirige une reconnaissance contre Tham Thuy, 
mais il essuie un échec complet et est obligé de battre en retraite sur 
Bac Mue, après avoir éprouvé de graves pertes. 

Les trois colonnes débouchent dans le TongBaXa attaquent Khan 
Coc qu'elles enlèvent, puis débloquent le poste de Ban Micb, investi 
depuis trois mois. Les bandes pirates remontent vers le N. et le 
colonel Vallière s'efforce de leur opposer une barrière au S. En 
février, le colonel Audéoud enlève sans coup férir les positions de 
Coc Rau et de Ban Van, puis poussant une pointe vers le N.-E., il 
attaque le massif du Lung Mên avec de l'artillerie et prend posses- 
sion des ouvrages pirates. Pendant ce temps, le commandant Nouvel, 
avec le chef de partisans Thuong Van Tho, occupe le plateau de Quan 
Ba (au N.-E. de lia Giang), qui était en possession de A Coc Thuong 
depuis un an. 



— 62 — 

En août 1896, le commandant Nouvel, commandant le Cercle de 
Ha Giang, déloge le chef Le Chi Tuân de Lung Than et le refoule 
en Chine. 

Les pirates d'A Coc Thuong se sont réfugiés dans le Dông Quan, 
mais les Méos de cette région montagneuse ne tardent pas à vouloir 
secouer leur joug et offrent au capitaine Messier de Saint-James, 
commandant le secteur de Bao Lac, de lui donner leur appui. Celui- 
ci, puissamment aidé par le Quan Phu de Bao Lac (actuellement 
Quan dao) et ses partisans, déloge la bande de Meo Vac et s V 
installe à sa place. Les pirates, traqués par nos partisans à Mèo Vac 
et à Sa Phinh, se réfugient à Lung Cam, à trois kilomètres de Phô 
Bang. A Coc Thuong fortifie solidement cette position et y est assiégé 
par les partisans du Dông Quan jusqu'au mois d'août, époque à 
laquelle il abandonne la lutte et se réfugie en Chine. Puis il fait trois 
mois après sa soumission au général Sou. 

Au mois d'octobre, le commandant Nouvel, voulant occuper Tien 
Phong sur la frontière au nord de Meo Vac, se butte a la résistance 
des Réguliers chinois qui refusent d'évacuer le poste dominé par trois 
petits fortins. Un poste provisoire français est installé en face et est 
appelé Chang Poung, qui n'est qu'une prononciation défectueuse de 
Tien Phong. Depuis lors, ce poste provisoire est devenu un poste fort 
bien construit qui, après avoir été conjugué du poste chinois voisin, 
a été abandonné par nous au mois d'août 1905. 

Pendant que ces opérations se déroulaient dans les régions de 
Ha Giang et de Bao Lac, plus à l'O., le chef Mac Que An, lieute- 
nant de Le Chi Tuân, avait au mois de février 1896, traversé le Song 
Chay et investi le poste de Lang Co Lum, commandé par l'adju- 
dant Dubois. Le commandant Bailly, après avoir délogé les pirates 
du col de Ma Que, fît pénétrer la nuit dans le poste un renfort 
d'Européens avec des vivres et provoqua la dispersion de l'ennemi 
en petites bandes. 

Le mois suivant, une nouvelle bande de 200 hommes entrait au 
Tonkin sous les ordres de Hoang Man et venait rejoindre Mac Que 
An. Le commandant Bailly prenait position a Luc An Châu et le 
commandant Betboy se mettait à la poursuite de Mac Que An et de 
Nguyên Triêu Trông. La poursuite continue en avril sous la direc- 



— 63 — 

tion du colonel de Badens qui dirige les deux colonnes Betboy et 
Bailly. Enfin, au mois de mai, le général de Badens, continuant à 
pourchasser les pirates, les débusque deMuongChuanet deNamLuoc. 
Le lieutenant-colonel Vimard, commandant le quatrième territoire, 
vient lui donner la main. La colonne Bailly attaque la position de 
Ba Lam et les pirates, en s'enfuyant devant elle, viennent tomber 
sur la colonne Betboy qui les met en déroute. Le lieutenant-colonel 
Vimard continue la poursuite jusque sur Lung Mo, mais au mois 
de juin les mêmes bandes sont revenues à leurs emplacements 
antérieurs et poussent même jusqu'à deux kilomètres du poste de 
Vinh Thuy. Au mois d août Hoang Man est dans le quatrième terri- 
toire. Les capitaines Maurandy et Colonna lui donnent la chasse. 
Il remonte vers le nord après le combat de Pho Rang et rentre en 
Chine au mois de septembre où il rejoint à Song Phong (près Lao 
Cai) les partisans de Nguyên Triêu Trong. 

Pendant ce temps Mac Que An passe le commandement de sa 
bande à son lieutenant Van con Hinh qui de Ban Quen (à l'ouest 
de la route de Yen Binh xa à Luc an Chau) se porte à Lan Tinh 
d'où, après plusieurs engagements, il se retire à Lang Ve. De là, en 
octobre, il se dirige vers le S.-O., occupe Ban Diem et Xa Man et 
tâche de rejoindre Hoang Man en traversant le Fleuve Rouge ; 
mais il n'y réussit pas et se retire en Chine dans les environs de 
Song Phong, sous l'œil bienveillant des autorités chinoises. 

A la même époque une bande envoyée de Chine par Hoang Man, 
sous les ordres d'un certain An Hue, se dirige vers le village de Ban 
Manh. Le commandant Virgitti et le capitaine Colonna lui infligent 
une défaite à Ban Thuong, puis au mois de novembre la colonne Kolb 
la force à repasser en Chine. 

En décembre, une nouvelle bande de 300 pirates, commandée 
par Ly A Vinh, lieutenant de Mac Que An, pénètre dans le qua- 
trième territoire, à Ma Long Tang, au nord-est de Lao Cai, mais pour- 
suivie par les capitaines Lhermite et de Bechevel et le lieutenant 
Lemoine, puis par les commandants Ecorsse et Virgitti, elle est 
obligée de repasser la frontière. 

Pendant les quatre premiers mois de 1897, on signale encore 
quelques petites incursions des bandes chinoises dans le 4 e territoire, 



— 61 — 

mais les autorités chinoises paraissent enfin vouloir nous aider dans 
notre œuvre de pacification et il n'en faut pas plus pour que celle- 
ci soit définitivement établie dans les territoires militaires. 

Un règlement venait en effet d être élaboré pour l'exécution d'une 
police mixte sur la frontière sino-annamite et pour l'application de 
l'article premier de la « Convention complémentaire de commerce 
du 20 juin 189;î ». D'après ce document, la frontière était divisée 
en trois parties correspondantes aux provinces du Quang Tông, 
du Quang Si et du Yunnam. Dans chacune de ces parties, le 
service de la police frontière est dirigé par une commission 
mixte composée d'un commissaire français et d'un commis- 
saire chinois. Chacun d'eux a autorité sur les commandants 
des postes frontières de sa nationalité, conjugués chacun avec 
des portes militaires placés en face d'eux de l'autre côté de la 
frontière. Les officiers commandant les postes conjugués doivent se 
renseigner mutuellement sur la présence des rassemblements de 
pirates qui leur sont signalés. I^es commissaires des deux pays 
donnent des ordres et instructions, d'un commun accord, aux postes 
sous leurs ordres, au sujet des mesures de police à prendre contre 
les rassemblements signalés. Les commandants de ces postes 
doivent se communiquer réciproquement leurs instructions. Dans 
le cas où une bande pirate passe la frontière, avis en est donné 
par le poste le plus voisin appartenant au pays d'où elle vient à 
son poste conjugué, afin que la poursuite soit continuée par les 
postes du pays où elle va. 

Grâce à la sagesse de ce règlement qui, en somme, a été appliqué 
dans ses grandes lignes, la grande piraterie avait complètement 
déserté la frontière depuis 1897. Malheureusement elle continua à 
sévir dans la province de Thai Nguyên et dans les cercles de Bac 
Kan et de Yen Thê, où la présence du De Tham, de Ma Man et 
du chef soumissionnaire Luong Tarn Ky, lui donnerait un aliment 
constant. 

A part cette région centrale du Tonkin, les années qui s'écoulent 
de 1897 à 1900 ne sont troublées que par des affaires sans gravité que 
f Ton peut qualifier d'incidents de frontière. 



— 65 -r- 

§6 
Phase de la police mixte franco-chinoise (1897 à 1905). — Sujets 

d'inquiétude pour la tranquillité intérieure du pays. 

Ainsi, l'Empire du Milieu, qui tout d'abord n'avait vu en nous que 
des diables étrangers, pris subitement du mal de conquête, auxquels 
il suffirait d'une résistance de quelques années pour leur faire lâcher 
prise, avait suivi d'un œil étonné notre conquête méthodique de 
Tlndo-Chine. Il venait de nous voir tout d'abord répondre un peu 
à tort et à travers aux coups qui nous étaient portés, puis entrer 
successivement dans la phase de l'occupation militaire du pays faite 
pied à pied, dans celle de l'organisation administrative des régions 
frontières et enfin dans celle de l'association de leur population à 
l'œuvre de pacification en lui distribuant des armes. Des voisins 
qui agissaient avec une méthode aussi sûre n'étaient certes pas à 
négliger, et les Célestes s'étaient décidés à s'associer à nous pour 
une œuvre commune de police de la frontière. Nous entrions donc 
dans la phase de lu police franco-chinoise de la frontière. 

Les incidents de frontière les plus importants eurent lieu en 1901, 
dans le deuxième territoire militaire. 

Au mois d'avril, une bande pourchassée par le maréchal Sou 
incendie le poste de Lung Lan, au N.-O. de Bao Lac, et oblige sa 
petite garnison commandée par le lieutenant Debain à se disperser. 
Le capitaine Trioreau vient à son secours de Dong Van et fait repas- 
ser la bande en Chine. Ajoutons que ce coup de main était bien 
tentant pour une bande voulant nous infliger un échec, carie poste 
était installé dans une situation déplorable au point de vue de sa 
défense. 

Au même moment une bande de 500 hommes entre dans le Cercle 
de Cao Bang, près de Soc Giang, et attaque le petit poste de 
Nuoc Hai, défendu par 13 linhCo, mais elle échoue dans sa ten- 
tative et recule devant l'arrivée d'un peloton de légion envoyé de 
Cao Bang au secours du poste. La bande se retire dans le massif du 
LungSung, après avoir incendié le marché de Tap Na. Le lieutenant- 
colonel Riou, commandant le territoire, constitue des groupes mobiles 
chargés de procéder autant que possible à une sorte d'investissement 

5 



— 66 — 

du massif du Lung Sung. Refoulés de Bo Gai les pirates reviennent 
sur Trung Trang vers le S. , mais ils rencontrent à Ta Xa un détache- 
ment qui les repousse dans le massif. Fuis ils cherchent à sortir de 
ce chaos de rochers presque inhabité et où par suite ils ne peuvent 
trouver aucune ressource. Ils parviennent à franchir le Song Bang 
Giang et à se jeter dans le massif du Luc Khu placé sur la rive 
gauche. Le lieutenant Dubois, commandant le poste deNamNhumg, 
part en reconnaissance pour leur couper les routes du S. 11 est rejoint 
à Na Giang par le lieutenant-colonel Riou au moment où il était engagé 
avec une partie de la bande. Les pirates battent en retraite vers 
le N. Le capitaine Ibos poursuit une autre partie de la bande et l'atteint 
vers San Sien. Cette incursion avait duré du 22 avril au H mai. 
En 1902 un petit chef pirate soutenu par les sociétés secrètes 
opère dans la zone frontière du Quang Si, entre la ville chinoise de 
Long Ghâu et notre frontière du cercle de Gao Bang. C'est Hoang 
BaoChai, qui, pour augmenter la terreur qu'il inspire aux pauvres 
habitants de cette région, se fait suivre d'un panier d'oreilles coupées 
à ceux dont il a eu à se plaindre. Il se risque rarement sur notre 
territoire, mais cependant, pour montrer aux gens du Tonkin qu'il 
ne nous craint pas, il assassine le lieutenant Weisgerber de la légion 
étrangère, sur la route frontière entre Talung et Na lan, au mois de 
février 1902, et au mois de juin de la même année il incendie le 
marché de Talung, à cent mètres du poste du même nom. Hoang 
Bao Chai a expié en 1903 tous ses forfaits, et sa tête a été apportée 
au poste de Talung par le mandarin de Thuy Khau ainsi que celle 
de neuf de ses acolytes. 

Faut-il signaler une attaque du convoi de Cao Bang à Dong Dang 
survenue le 29 août 1902 au col du Lung Kun et dont les auteurs 
étaient au nombre d'une douzaine ? De pareils incidents sont plutôt 
du domaine de la police que de celui des opérations militaires. Leurs 
auteurs n'ont plus pour but de renverser l'ordre de choses établi 
mais bien de s'enrichir par le brigandage. 

C'est encore dans cette catégorie qu'il faut ranger la bande qui a 
été poursuivie par les troupes du cercle de Ha Giang au mois de 
mars 1903 et qui venait de Cho Chu, résidence de notre soumis- 
sionnaire Luong Tarn Ky. 



— 67 — 

Enfin on peut citer un dernier incident de frontière qui s'est 
passé en avril 1903. Une bande de 50 pirates tentant d'enlever le 
poste de Bac Phong Tinh dans le cercle de Mon Cay. 

Il ne nous reste plus aucun ennemi déclaré, si petit qu'il soit, et 
contre lequel nous ayons à faire usage de nos armes d'une façon 
immédiate ; mais nous avons trois objets sur lesquels notre surveil- 
lance ne doit à aucun moment se relâcher. Le premier est la rébel- 
lion au QuangSi, qui pourrait amener sur notre frontière des bandes 
considérables que nos effectifs de plus en plus réduits des territoires 
militaires auraient de la peine à arrêter. Encore ce péril a-t-il beau- 
coup diminué dans ces deux dernières années. 

Le second objet qui doit tenir en éveil notre attention de tous les 
instants est la Triade ou Société des Trois Points [Tam Diêm], dont 
les centres de propagande sont en Chine, mais dont les agents sont 
nombreux sur notre territoire et particulièrement dans le cercle de 
Cao Bang. A la fin de 1902 son action dans cette région et dans 
celle de That Khé avait pris une telle extension que certaines 
communes avaient adhéré en masse à la Société et s'engageaient 
par suite à prêter leur appui contre nos armes aux bandes pirates 
qui auraient réussi à franchir la frontière. Cet état de choses deve- 
nait alarmant et, après de longues enquêtes, quelques dizaines 
d'agents provocateurs choisis parmi les plus actifs furent envoyés 
en exil à Poulo Condor par mesure administrative au mois de jan- 
vier 1903. 11 était grandement à souhaiter que la loi française sur 
les Sociétés secrètes fût promulguée dans la colonie. Cette étape a 
été franchie à la fin de l'année 1904. 

Le troisième objet de notre méfiance constante doit être la con- 
duite de nos deux chefs soumissionnaires Luong Tam Ky et De Tham, 
dont les quartiers généraux sont Cho Chu dans la province de 
Thai Nguyên et Phu Lang Thuong sur la ligne du chemin de fer 
de Langson. Si leur présence sur les confins mêmes du Delta tonki- 
nois n'est plus pour notre autorité une menace directe depuis qu'ils 
ne peuvent plus donner asile, ravitailler et soutenir des chefs pirates 
dangereux, tout le monde sait cependant que les vagabonds chinois 
qui ont un mauvais coup sur la conscience trouvent souvent chez 
eux un refuge discret et bienveillant, et qu'un courant ininterrompu 
de contrebande d'opium, dont des convois sont souvent protégés par 



— 68 — 

des Chinois armés, est établi entre différents points de la frontière 
chinoise et Cho Chu. Il paraît dangereux d'entretenir dans une 
région aussi centrale un de nos anciens ennemis, qui nous a donné 
maintes preuves de sa duplicité, et de lui donner une sorte de fief 
qui peut devenir un jour venant un foyer d'insurrection d'autant 
plus menaçant qu'il est resté en relations continuelles avec la Chine. 
Et que dire du De Tham ? Sa présence à Phu Lang Thuong, tout en 
présentant les mêmes dangers à cause de l'ascendant qu'il a su con- 
server sur la population environnante, est de plus un défi con- 
stant jeté à la face de notre administration, dont il se moque ouverte- 
ment. 

Heureusement, cette générosité un peu débonnaire ne constitue 
dans l'ensemble de notre œuvre qu'une légère fêlure qui ne menace 
pas sérieusement la solidité de l'édifice. Nos protégés ont pour nous 
juger des éléments d'appréciation qui sont tout à la gloire de la 
France. Ceux de Cochinchine ont vu a l'œuvre depuis 1860 nos 
amiraux gouverneurs et cette brillante pléiade d'administrateurs 
qui ont su sous ce climat débilitant donner à la France la plus 
belle de ses colonies et lui bâtir une capitale que l'on appelle la 
perle de l'Extrême-Orient. Leurs frères du Tonkin ont assisté au 
développement de la méthode sûre et rationnelle appliquée par nous 
pour parcourir les six étapes de la pacification de leur pays. Enfin, 
ils sont témoins des efforts si énergiques déployés chaque jour par 
nos colons pour le mettre en valeur au point de vue économique. 

Si, comme nous le montrerons plus loin, l'œuvre entreprise par 
la France en Indo-Chine a encore besoin d'être améliorée au point 
de vue de nos rapports avec les indigènes, si la défense de son terri- 
toire n'est pas encore assurée d'une façon suffisante, il n'en est pas 
moins vrai qu'elle dénote de la part de notre pays une aptitude 
colonisatrice remarquable. Les crédits votés par le Gouvernement 
n'ont pas été gaspillés, le sang de nos soldats n'a pas été 
perdu, car la France a maintenant une Inde Française digne de rem- 
placer celle des Dupleix et des La Bourdonnais. Elle a fait sortir de 
terre comme d'un coup de sa baguette magique des villes merveil- 
leuses comme Saigon et Hanoï, des travaux gigantesques comme le 
pont Doumer. 



DEUXIÈME PARTIE 



ROLE DE LA FRANCE EN INDO-CHINE 



CHAPITRE I er 
SITUATION POLITIQUE DE L'INDO-CHINE 

§1 
Considérations générales. 

La population des plaines, des deltas du Mékong, du Fleuve 
Rouge et de la côte d'Annam, c'est-à-dire l'immense majorité des 
habitants de l'Indo-Chine, est uniquement composée d'Annamites, 
de ce peuple intelligent, à l'humeur aventureuse, au caractère 
souple et docile, mais capable aussi, lorsqu'il rencontre des chefs 
habiles et entreprenants de secouer le joug de l'étranger, fidèle à la 
tradition de ses ancêtres, respectueux de toute culture intellectuelle, 
aimant les lettres mais inapte aux travaux scientifiques, doué enfin 
d'une civilisation assez affinée d'origine chinoise et d'une religion 
tellement compliquée que les prêtres seuls en connaissent les 
arcanes. Quant aux montagnards, par leur origine chinoise et par 
la situation de leur habitat au milieu du pays annamite, ils sont 
tous plus ou moins imprégnés de la même forme de civilisation. 
Leurs coutumes et leurs idées religieuses puisent à la même source, 
leurs langues sont soumises à des règles analogues. Enfin, si leur 
degré de civilisation est très variable, aucune de leurs peuplades, 
sauf peut-être celles des Moï qui habitent la chaîne annamitique, ne 
mérite le qualificatif de sauvage ou de barbare que les Chinois et 
les Annamites leur octroient si peu généreusement. 

Nous avons parcouru rapidement dans la l re partie de cet 
ouvrage l'histoire du peuple annamite jusqu'à notre établissement 
dans son pays. Il nous reste à voir dans cette deuxième partie quel 
a été le rôle de la France dans l'organisation de sa conquête, com- 
ment elle a observé les traités qui la liaient au Céleste Empire et 



— 72 — 

à l'Annam, quelle direction elle a donnée à la politique du pays, 
quelles modifications elle a apportées aux institutions annamites 
dans Tordre administratif, judiciaire ou militaire, quelle impulsion 
elle a donnée à l'activité économique, enfin quelle organisation 
budgétaire elle a établie en Indo-Chine. Et nous serons tout natu- 
rellement amené à dire notre humble avis sur les mesures qui ont 
été prises par l'administration française et à énoncer sous forme 
de conclusion les réformes qui pourraient être entreprises avec profit 
pour l'avenir de notre colonisation en Indo-Chine. 

Traités qui définissent les relations politiques de la France 
avec l'Annam. — Manière dont la France les a observés. 

Voyons tout d abord quels sont les traités sur lesquels reposent 
les relations entre la France et l'empire d'Annam. Nous avons vu 
en étudiant l'histoire de la conquête que le premier fut signé le 
15 mars 1874 par M. Philastre. Ce malencontreux document recon- 
naisait la souveraineté du roi d'Annam et l'indépendance absolue de 
son pays avec cette seule réserve qu'il devait conformer sa politique 
extérieure à celle de la France, qui le garantissait contre toute 
attaque du dehors. Il prévoyait l'entretien à Hué d'un Résident 
français ayant la mission de veiller à l'observation du contrat. Cet 
instrument diplomatique, quoique ne reconnaissant à la France 
qu'un protectorat très restreint, malgré la remise de l'indemnité de 
guerre et le don gracieux d'armes et munitions qu'il stipulait, et en 
dépit du massacre de nos partisans qu'il devait déchaîner, avait le 
tort aux yeux du Céleste Empire de ne pas reconnaître sa suzerai- 
neté sur l'Annam, qui remontait à la plus haute antiquité. Aussi 
fut-il dénoncé par le marquis de Tseng, ambassadeur de Chine. 
Cette puissance ne tarda pas d'ailleurs à entrer ouvertement en lutte 
avec la France. 

Un second traité fut signé le 23 août 1883 entre M. Harmand, 
commissaire général du gouvernement français au Tonkin, et le roi 
d'Annam Hiêp Hoa, aux termes duquel l'Annam ne pouvait plus 



— 73 — 

avoir de relations diplomatiques avec aucune puissance étrangère que 
par l'intermédiaire de l'Etat Protecteur, la France. D'autre part, le 
roi ne conservait plus qu'une autorité nominale sur le Tonkin, 
auquel on adjoignait les trois provinces côtières de Thanh Hoa, 
Nghé An et Ha Tinh, pendant qu'on attribuait au sud celle du Binh 
Thuan à la Gochinchine. 

Mais après la signature du traité de Tien Tsin entre la France et 
la Chine, un nouveau contrat fut élaboré à Hué par M. Patenôtre 
et le nouveau roi d'Annam, Kiên Phuoc, le 6 juin 1884. Ce docu- 
ment, tout en consacrant d une façon définitive le principe du Pro- 
tectorat de la France avec des dispositions différentes pour le Ton- 
kin et TAnnam central, rendait à ce dernier les quatre provinces que 
le traité de M. Harmand lui avait enlevées. Les articles 3, 6 et 7 
sont à citer en entier parce qu'ils marquent bien la distinction éta- 
blie entre les deux systèmes de Protectorat, et aussi, parce qu'à 
notre avis, ils délimitent avec sagesse la part d'ingérence que notre 
Gouvernement n'aurait jamais dû dépasser sous peine de faire de 
l'administration directe en un Protectorat, c'est-à-dire de commettre 
un non-sens : 

« Article 3. — Les fonctionnaires annamites, depuis la frontière 
« de la Gochinchine jusqu'à celle de la province de Ninh Binh, con- 
« tinueront à administrer les provinces, sauf en ce qui concerne les 
« douanes, les travaux publics et en général tous les services exi- 
« géant une direction unique ou l'emploi d'ingénieurs ou d'agents 
« européens. 

« Article 6. — Au Tonkin, des Résidents seront placés par le Gou- 
« vernement de la République dans les chefs-lieux où leur présence 

« sera jugée utile. Ils seront sous les ordres du Résident Général de 
« Hué. Ils habiteront la citadelle et en tout cas dans l'enceinte 
« même réservée au mandarin : il leur sera donné, s'il y a lieu, une 
« escorte française ou indigène. 

« Article 7. — Les Résidents éviteront de s'occuper des détails de 
« l'administration intérieure des provinces. Les fonctionnaires indi- 
ce gènes de tout ordre continueront à gouverner et à administrer sous 
« leur contrôle, mais ils devront être révoqués sur la demande des 
« autorités françaises ». 



— 74 — 

La Convention du 30 juillet 1885, signée par le général de 
Couny, à la suite du guet-apens de Hué, imposa à TAnnam un 
Protectorat aussi direct que celui du Tonkin ; mais Paul Bert qui 
prit quelque temps après les fonctions de Commissaire Général 
revint à l'esprit du traité de 188t en cherchant à isoler le Tonkin de 
la Cour d'Annam. Dans ce but il réussit à faire signer une ordon- 
nance royale par laquelle le roi déléguait ses pouvoirs sur les pro- 
vinces du Tonkin k un haut fonctionnaire annamite auquel il don- 
nait le titre de « King luoc » ou contrôleur royal. Dans la réalité, 
cette délégation de pouvoirs entre les mains d'un mandarin dont la 
nomination ou la révocation était soumise à l'assentiment du Rési- 
dent Général français, équivalait à l'abandon du Tonkin entre 
les mains de la France. D'autre part, Paul Bert n'abandonnait pas 
les dispositions de la convention de 1 88o puisqu'il laissait des Rési- 
dents français dans les provinces de l'Annam central, se conten- 
tant de leur donner par sa circulaire du 30 août 1886 une autorité 
moins directe qu'à ceux du Tonkin sur les mandarins anna- 
mites. 

La création de l'unité indo-chinoise, qui eut lieu le 17 octobre 
1887, eut pour effet d'aggraver encore la tendance du gouvernement 
français à considérer les deux pays, Tonkin et Annam central, comme 
devant être soumis au même régime de protectorat, et, dans la pra- 
tique, nos Résidents portèrent de plus en plus leur ingérence dans 
les détails de l'administration provinciale, réduisant peu à peu les 
mandarins annamites au rôle peu brillant de simples agents d'exé- 
cution et de renseignement. Enfin, M. de Lanessan, qui fut nommé 
Gouverneur Général de l'Indo-Chine par décret du 21 avril 1891 
avec des pouvoirs très étendus, comprit heureusement d'une manière 
toute différente la position que devait prendre l'administration 
française vis-à-vis du peuple protégé. Comme nous l'avons vu en 
étudiant l'histoire de notre établissement au Tonkin, il restitua 
aux fonctionnaires indigènes le gouvernement et l'administration 
des provinces, il fit rentrer les Résidents dans leur rôle normal, 
rôle de contrôle et de haute surveillance des actes du chef de pro- 
vince, près duquel ils étaient placés, rôle d'organisation de la police 
et de la répression de la petite piraterie. Cette politique indigène 



— 75 — 

avait le grand avantage d'utiliser les réelles qualités administra- 
tives que possèdent les Lettrés en les faisant participer à l'adminis- 
tration du pays, de donner satisfaction au désir de la population, 
heureuse de voir les plus distingués des siens s'occuper de ses 
affaires. Elle avait aussi l'heureux résultat de faire partager aux 
mandarins annamites la responsabilité de toutes les mesures impo- 
pulaires et de toutes les charges qu'entraîne notre domination par 
la force même des choses. 11 est à craindre que plus nous nous 
éloignerons de cette politique prudente, plus nous susciterons le 
mécontentement, tant chez les Lettrés que chez le Peuple, et cela, 
pour le plaisir un peu enfantin de toucher au mécanisme de leurs 
institutions. 

8 3 

Traités qui définissent 
les relations politiques de la France avec la Chine. 

Le premier traité qui soit intervenu entre la France et la Chine, 
au sujet des relations de voisinage à définir sur la frontière Tonki- 
noise, fut signé par M. Fournier le H mai 1884 ; mais le guet-apens de 
Bac Lé dont nous fûmes victimes presque aussitôt fut pour lui un 
sujet d'annulation immédiate. Parle second, œuvre de M. Patenôtre, 
daté du 9 juin 1883, et approuvé par le Roi le 17 juillet de la même 
année, la Chine renonce à ses droits de suzeraineté sur l'Annam et 
reconnaît notre protectorat au Tonkin. Il contient en germe la créa- 
tion d'une commission de délimitation de la frontière des deux 
pays. 

Par la convention commerciale du 25 avril 1886 et la convention 
additionnelle du 26 juin 1887, la Chine ouvre au commerce fran- 
çais les deux villes de Long Châu, située au confluent du Song 
Bang Giang et du Song Ki Kong dans la province du Quan Si, et 
de Mong Tsé, au Yunnam, avec annexe à Man hao. Le même jour, 
26 juin 1887, une convention de délimitation mettait fin aux tra- 
vaux de la commission mixte qui avait fixé d'un commun accord la 
frontière sino-annamite. 



— 76 — 

Enfin le 20 juin 1895 intervenait la convention complémentaire 
de commerce, qui substituait à la ville de Man hao celle de Ho 
Kuéou, ouvrait encore au commerce une troisième ville du Yunnam, 
Sze Mao, et autorisait la France à entretenir des agents consulaires 
à Tong Hing, en face de Mon Cay. Elle était accompagnée d'un 
règlement pour l'exécution de son article premier concernant la 
police mixte à installer sur la frontière. Nous avons vu, en étudiant 
l'histoire de la conquête, quel a été Y heureux effet de cette associa* 
tion des deux nations dans un but commun de pacification. 

Après le traité de Simonosaki (octobre 1895) qui mit fin à la 
guerre sino-japonaise, les puissances européennes virent dans l'affai- 
blissement de la Chine une occasion favorable pour en obtenir des 
concessions. En 1898, la baie de Kiao Tchaou fut accordée à l'Al- 
lemagne par un bail de 99 ans, et dans les mêmes conditions, Port- 
Arthur et Taliênwan à la Russie. L'Angleterre, pour la simple 
satisfaction de faire comme les autres, exigeait la cession de Vei 
Hai Wei. Enfin la France, par une convention du 10 avril 1898, fut 
mise en possession de la baie de Quang Tcheou Wan située au 
nord de l'île de Hai Nan et reçut la promesse que celle-ci ne serait 
jamais donnée à une autre puissance, ainsi qu'aucune partie des 
trois provinces du Quang Tong, du Quang Si et du Yunnam. Cette 
dernière clause a d'ailleurs été violée peu de temps après par la 
cession à l'Angleterre de la presqu'île de Koun Lown qui complète 
d'une façon si heureuse la formidable installation de cette puissance 
dans l'île de Hong Kong située en face. 

Quant aux limites de notre nouvelle possession, elles ont été 
fixées par la convention de délimitation du 14 novembre 1899. Le 
territoire de Quang Tcheou Wan, placé sous l'autorité du Gouverneur 
Général de l'Indo-Chine par le décret du 5 janvier 1900, a été l'objet 
de toute la sollicitude de M. Doumer qui y a fait faire de superbes 
installations pour les services civils et la garnison. 

Nos deux derniers Gouverneurs Généraux MM. Doumer et Beau 
n'ont pas cessé, depuis 1896, d'entretenir avec la Chine une poli- 
tique de bonne entente qui a largement contribué à faciliter notre 
situation en Extrême-Orient, en même temps qu'elle a étendu 
l'influence française dans les régions voisines de l'Indo-Chine. C'est 



— 77 — 

par Tenvoi de riz qui fut fait à plusieurs reprises aux provinces 
chinoises qui en manquaient, qu'ils ont su gagner à notre pays la 
sympathie de nos voisins. C'est par la création d'écoles et d'hôpi- 
taux français qu'ils nous ont fait favorablement connaître d'eux. On 
ne saurait trop les féliciter d'avoir si bien compris que notre inté- 
rêt bien entendu en Extrême-Orient, est de marcher avec le Céleste 
Empire la main dans la main . 

§4 
Politique de la France au Cambodge. 

Nons avons vu, dans la première partie de cet ouvrage, que 
l'amiral de la Grandière, gouverneur de la Cochinchine avait signé 
en 1863 avec le roi Norodon un traité qui ratifiait nos droits sur 
son royaume. Mais le Protectorat, ainsi établi, avait le grand défaut 
de laisser à ce prince, peu soucieux des intérêts de ses sujets, une 
autorité dont il abusait. Son attitude, vis-à-vis de notre gouverne- 
ment, était fuyante et équivoque. En 1884, M. Thomson, alors Gou- 
verneur de la Cochinchine, trouva qu'il était grand temps d'inter- 
venir dans les affaires du Cambodge d'une façon plus directe et il 
élabora un nouveau traité qui fut signé par le roi le 17 juin et 
approuvé par le parlement français le 17 juillet de l'année suivante. 
La France prenait en mains la direction du budget du royaume, 
l'exécution des réformes de tout ordre qu'elle jugerait utile d'entre- 
prendre, le contrôle des administrations indigènes par des Résidents 
français, installés dans les principaux centres, et le gouvernement 
effectif du pays qui est confié au Résident Supérieur, installé à Pnom 
Penh. Quant au roi, il ne lui reste que les sceaux qui constituent le 
symbole de son autorité, mais avec lesquels il ne pourra que con- 
tresigner les décisions prises par le Protectorat, et une liste civile 
de 300.000 piastres. Quelle que fût l'incapacité du monarque auquel 
on voulait enlever la direction des destinées de son peuple, on con- 
viendra qu'un bouleversement aussi radical du système antérieur 
constituait un de ces sauts trop brusques dont la politique ne s'ac- 
commode jamais. 



— 78 — 

Les événements se chargèrent d'ailleurs de démontrer qu'il eût 
mieux valu procéder par étapes successives pour arriver au but qu'on 
voulait atteindre, car le mécontentement produit par l'apparition 
du nouveau traité, et qui semblait entretenu par le souverain lui- 
même, fut tel que son application, même partielle, dut être ajour- 
née jusqu'en 1891. Quelques années plus tard, le Résident Supé- 
rieur, M. de Verneville, considérant le roi comme désormais inapte 
à conserver même le symbole de la puissance royale, lui avait fait 
enlever les sceaux. Il fallut l'intervention du Gouverneur Général, 
M. Doumer, pour les lui faire rendre en 1897. Il profita d'ailleurs 
de son voyage à Pnom Penh pour achever la réalisation des der- 
nières réformes dont l'application était toujours restée en suspens. 
L'ordonnance royale du 11 juillet 1897, fixait la nouvelle organisa- 
tion du gouvernement. Celui-ci est constitué par les six ministres 
cambodgiens et présidé par le Résident Supérieur français. Les déci- 
sions du conseil des ministres sont signées par le roi et contresi- 
gnées pour exécution par le Résident Supérieur. Ce haut fonction- 
naire a d'ailleurs sous ses ordres, dans chaque groupe de provinces, 
un Résident chargé d'exercer un contrôle très étroit sur les fonction- 
naires cambodgiens. L'organisation judiciaire est également modifiée 
et fait passer les étrangers et notamment les Chinois, des tribunaux 
indigènes à la juridiction française. L'esclavage pour dettes est aboli. 
Les jeux, qui était presque une institution d'Etat, sont interdits. 
Enfin les Français sont admis à posséder des terres soit par achat, 
oit par l'octroi de concessions faites par le Gouverne ment. 

Norodom I er est mort en 1905 et a été, conformément aux insti- 
tutions du royaume, remplacé sur le trône par l'ancien Obarach, 
le second roi, son frère cadet, qui règne sous le nom de Sisowath. 
L'incinération- du corps du monarque défunt a eu lieu en 1906 et 
le nouveau roi a pu être enfin couronné. Le loyalisme qu'il a tou- 
jours professé à l'égard de la France peut nous être un sûr garant 
de l'avenir de notre Protectorat au Cambodge. 



— 79 — 



§5 



Politique de la France au Laos. 
Traités avec le Siam et l'Angleterre. 

Le Laos est un pays qui est arrosé dans toute sa longueur du nord 
au sud par le magnifique fleuve Mékong et confine au N.-E. au 
Tonkin, à TE. à l'Annam Central, au S. au Cambodge, à l'O. au 
Siam et à la Birmanie, au N. à la Chine. 

Cette situation intermédiaire entre le Siam d'une part et TAnnam 
de l'autre, a été depuis des siècles une cause de conflits. Nous avons 
vu, au cours de notre esquisse de l'histoire, que les Siamois avaient 
profité de ce que notre attention était détournée de ce pays pour 
l'occuper méthodiquement jusqu'aux frontières mêmes du Tonkin. 
Ce fut M. Pavie, notre consul à Luang Prabang qui, en 1888, 
signala ce danger le premier et arrêta les envahisseurs dans leur 
marche progressive. Mais le mouvement continua d'un autre côté 
et en 1893, encouragés par notre inaction, les Siamois étaient arrivés 
jusqu'à 80 kilomètres de Hué. Il était temps d'agir avec énergie 
contre cet empiétement systématique. Aussi des colonnes furent-elles 
envoyées de Cochinchine au Laos. Elles occupèrent quelques points 
d'appui et refoulèrent progressivement les envahisseurs sur la rive 
droite du Mékong. C'est au cours de ces expéditions que nos enne- 
mis, obligés de céder à nos armes, usèrent de fourberie en procé- 
dant à l'arrestation du capitaine Thoreux et en faisant assassiner 
lâchement l'inspecteur de milice Grosgurin. En 1893, deux canno- 
nières françaises, l'Inconstant et la Comète, qui remontaient la Mei 
Nam furent reçues à coups de canon par les différents forts qui s'y 
échelonnent et arrivèrent à Bang Kok après avoir bravé la flotte 
siamoise et les lignes de défense accumulées sur leur route. Cette 
attaque pouvait être considérée par nous comme un guet-apens, car 
le traité de 1856 nous donnait le droit de pénétrer dans la Mei Nam. 
Aussi le gouvernement Français, à bout de patience, adressa-t-il le 
20 juillet 1893 un ultimatum exigeant l'évacuation immédiate par 
les troupes siamoises de toute la rive droite du Mékong. Le Siam 
après avoir manifesté d'abord sa volonté de garder des droits sur 



— SO- 
les régions de la rive droite, situées au Nord du 18 e degré de lati- 
tude, et en particulier sur tout le royaume de Luang Prabang, 
céda devant la menace d'une rupture diplomatique et M. Le Myre 
de Vilers signa avec le gouvernement siamois, le 3 octobre 1893, 
un traité de paix. Le Siam renonçait à toute prétention sur les 
régions situées sur la rive gauche du Mékong et s'engageait à n'en- 
tretenir aucune force militaire dans les provinces de Battambang et 
de Siem Reap ainsi que sur la bande de 25 kilomètres de large bor- 
dant la rive droite du Me Kong. Il s'interdisait aussi la circulation 
de tout bateau armé dans les eaux du Fleuve et du Grand Lac. 
Enfin, comme gage de la fidèle exécution de ces dispositions, la 
France était autorisée à installer à Chantaboun et au petit port de 
Pac Nam, situé à l'embouchure de la rivière du même nom, un petit 
corps d'occupation composé de deux compagnies de tirailleurs 
annamites, un peloton d'Infanterie de Marine et une section d'artille- 
rie. A la vérité ce point était fort mal choisi, car il était situé à 
16 heures de mer de Bang Kok et n'était relié à la capitale par au- 
cune route praticable. Il eût mieux valu créer la même installation à 
l'île de Ko Si Chang, située à l'embouchure même de la Mei Nam, 
d'où on aurait pu surveiller l'entrée de la rivière et menacer plus 
directement le cœur du pays. Aucune compensation ne nous était 
d'ailleurs donnée pour nos dépenses d'occupation et la province de 
Chantaboun versait son impôt dans les caisses du trésor comme 
toute autre région du royaume. L'entretien du corps d'occupation, 
qui coûtait donc assez cher à l'Indo-Chine, n'avait comme seul 
avantage que d'être pour les Siamois une humiliation intolérable. 

Pendant ce temps l'Angleterre avait conquis la Birmanie en 1885, 
avec l'intention de pénétrer en Chine à l'aide d'un chemin de fer. 
Obligée de renoncer à la vallée de l'Iraouaddy qui amenait son iti- 
néraire a traverser l'Himmalaya, elle étudia un autre tracé dans la 
direction de Sze Mao. Elle établit en 1892 son protectorat sur les 
Etats Shans et provoqua la réunion d'une commission mixte à la- 
quelle prirent part MM. Pavie, pour la France, et Scott, pour l'An- 
gleterre, chargée d'étudier la création d'un Etat Tampon entre les 
possessions anglaises et françaises. Mais cette solution ne put abou- 
tir et le statu quo fut maintenu jusqu'en 1896. Un traité fut alors 



— 81 — 

conclu entre la France et l'Angleterre qui définissait très nettement 
leurs situations respectives au nord du Siam et leurs zones d'in- 
fluence à l'intérieur même de ce royaume. 

Au Nord, la Birmanie et le Laos Français sont séparés par le 
cours du MéKong. Au Sud les deux puissances contractantes s'in- 
terdisent réciproquement toute action individuelle dans la partie 
centrale du Siam, formée de la vallée de la Mei Nam, et qu'ils con- 
sidèrent comme un Etat Tampon entre elles. Elles se réservent d'y 
exercer une action commune en cas de nécessité. La partie du Siam, 
située à l'Est de cette région, et la partie du Laos, située sur la rive 
droite du MéKong, constituent la zone d'influence réservée à la 
France et dans laquelle elle conserve toute sa liberté d'action. La 
partie du Siam située à l'Ouest, comprenant la vallée de la Salouenet 
la presqu'île de Malacca sont dans les mêmes conditions laissés sous 
l'influence Anglaise, Cette déclaration signée à Londres le 5 janvier 
1896 a été confirmée par la convention signée à Londres le 8 avril 
1904 et qui a donné une solution aux questions coloniales en sus- 
pens entre les deux puissances. 

Le 7 octobre 1902, M. Delcassé, notre Ministre des Affaires Etran- 
gères, signa avec le Siam un nouveau traité aux termes duquel la 
France évacuait Chantaboun, abandonnait le bénéfice de la zone 
neutre dans laquelle le Siam, d'après le traité de 1893, ne pouvait 
avoir ni fortifications ni troupes et abandonnait une partie de ses 
protégés. En retour de ces trois concessions, elle n'obtenait qu'une 
rectification de la frontière du Cambodge lui adjoignant les pro- 
vinces de Bassac et de Melouprey. Cette convention fut considérée 
par le groupe colonial de la Chambre comme une reculade par 
rapport au traité antérieur et il fut décidé qu'elle ne serait pas rati- 
fiée par le Parlement. Elle est par suite devenue caduque le 31 mars 
1903. 

Un nouveau traité Franco-Siamois a été signé par M. Delcassé le 
13 février 1904, dont les dispositions étaient plus acceptables, sans 
toutefois représenter la limite des prétentions que nous aurions pu 
avoir. La frontière est rectifiée de manière à donner à la France 
les provinces de Bassac, Melouprey et Muong Krat. Le gouverne- 
ment siamois renonce à toute prérogative de suzeraineté sur les terri- 

6 



— 82 — 

toires de Luang Prabang situés à l'Ouest du Mékong. Au Sud, c'es^ 
ce fleuve qui constitue la frontière entre les deux puissances contrac^ 
tantes. Les troupes entretenues dans le bassin siamois devront êtr 
de nationalité siamoise et commandées par des officiers siamois. 
Dans les provinces de Siem Reap, Sisophon et Battambang, voisines 
du Cambodge, le gouvernement siamois ne pourra entretenir que les 
troupes de police nécessaires au maintien de Tordre et exclusi- 
vement recrutées surplace parmi les indigènes. Elles seront instruites 
par des officiers français. Pour les grands travaux tels que la cons- 
truction des chemins de fer à exécuter dans le bassin siamois 
du Mékong, il devra y avoir entente avec la France, toutes les 
fois qu'ils ne pourront pas être exécutés par un personnel et des 
capitaux siamois. Des concessions seront données à la France en 
plusieurs points importants situés sur le cours du Mékong et sur la 
rive siamoise. Les deux gouvernements s'entendront pour la cons- 
truction le long de ce fleuve des lignes ferrées nécessaires. Ils faci- 
literont la construction d'un chemin de fer entre Pnom Penh et 
Battambang. Plusieurs articles règlent la question des protégés 
français et des juridictions auxquelles ils rassortissent, ainsi que les 
Français établis au Siam. Les Asiatiques, nés dans un pays soumis 
à la France ou protégé par elle, seront reconnus comme protégés 
français, ainsi que leurs enfants, mais à l'exclusion de leurs petits- 
enfants. Enfin, les troupes françaises occupant Chanlaboun devront 
quitter ce point aussitôt que la délimitation de la frontière aura été 
arrêtée par une commission mixte. 

Ce traité, bien qu'avantageux à certains égards, ne pouvait cons- 
tituer une solution définitive, car il laissait aux deux puissances con- 
tractantes des sujets de mécontentements. Du côté siamois on nous 
voyait d'un mauvais œil prendre pied sur le golfe de Siam avec le 
port de Muong Krat et couper la route de Luang Prabang à Bang Kok 
par la possession de l'enclave de Dan Sâï, d'autant plus que ces 
deux points étaient habités par des populations purement siamoises. 
De plus l'orgueil siamois souffrait cruellement de nous voir exer- 
cer sur son territoire et dans sa capitale même un droit de juridic- 
tion sur certains asiatiques protégés français. Le Siam brûlait du 
désir de suivre le Japon dans son émancipation et de voir aboli le 
le régime humiliant de Vexterritorialisalion. 



— 83 — 

Du côté français, l'occupation par le Siam des anciennes provin- 
ces cambodgiennes de Battambang, Siem Reap (Ang Kor) et Siso- 
phon étaient pour la nation protectrice une humiliation intolérable 
et un dommage matériel considérable. Les trois provinces ont en 
effet une population de 250.000 habitants et paient des impôts assez 

élevés. 

Par un traité qui vient d'être signé à Bang Kokle 23 mars 1907, 
tous ces desiderata viennent de recevoir satisfaction. En le signant 
la France renonce du même coup à toute velléité future d'empiéte- 
ment, qu'aurait pu amener, le cas échéant, l'attitude toujours un 
peu hostile du Siam à notre égard. Elle renonce à la zone d'influence 
que constituait pour elle la rive droite du Mé Kong et aux avan- 
tages que lui donnait la convention de 1896 signée avec l'Angleterre. 
Elle renonce dans un autre ordre d'idées à l'influence considérable 
qu'elle pouvait exercer, même à BangKok, par suite de sa protection 
sur un grand nombre de Chinois. 

Dans l'état actuel de la politique asiatique, ce renoncement est 
un acte de sagesse qui ne doit nous laisser aucun regret. Le traité 
du 23 mars 1907 se distingue par une franchise sans arrière-pensée. 
Il donne l'impression d'un marché fait avec une bonne balance et 
de bons poids. Espérons que les Siamois apporteront la même fran- 
chise dans leurs rapports avec nous et nous donneront chez eux la 
place qui nous revient. 

Nos nationaux sont encore en infime minorité dans les services 
publics tandis que les Anglais, les Belges, les Danois, les Alle- 
mands et les Japonais y sont légion. 



CHAPITRE II 

ORGANISATION DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL. 
DES GOUVERNEMENTS LOCAUX ET DE 

LEUR ADMINISTRATION. 

s 1 

Gouvernement local et administration de la Cochinchine. 

L'organisation administrative de la Cochinchine rencontra au 
lendemain de la conquête une difficulté capitale. Il fallut remplacer 
les mandarins qui avaient pris la fuite par des administrateurs 
nommés au pied levé et qui étaient tout naturellement très igno- 
rants des choses indigènes. L'amiril Bonnard, le premier gouver- 
neur de la colonie, nommé en novembre 1861, eut la main heureuse 
dans la désignation d'un certain nombre d'officiers aux fonctions 
à! Inspecteurs des affaires indigènes. Quant à l'administration cen- 
trale installée à Saigon, elle fut copiée sur celle de nos vieilles colo- 
nies avec une Direction de l'Intérieur créée en 1864 et un Conseil 
Privé créé en 1869. 

Jusqu'en 1873, l'Inspecteur qui était placé à la tête d'un Arron- 
dissement avait rempli à la fois les fonctions administratives et ju- 
diciaires et ce système avait l'avantage de procéder des coutumes 
annamites elles-mêmes. On crut utile de séparer ces attributions en 
trois parties distinctes d'ordre judiciaire, administratif et financier. 
Un décret organisa le corps des Affaires Indigènes de la manière sui- 
vante: à Saigon des inspecteurs chargés d'aller procéder dans les 
arrondissements à un contrôle et à des enquêtes, le cas échéant, 
sur les actes des fonctionnaires ; dans les arrondissements un admi- 
nistrateur-juge relevant du Procureur général, un administrateur 
placé sous les ordres du Directeur de l'Intérieur et un administrateur 



— 86 — 

percepteur correspondant avec le trésorier-payeur. Les jeunes gens 
ou les officiers qui se destinaient à ce corps des Affaires Indigènes 
suivaient le cours du Collège des Stagiaires dont l'inspecteur Luro 
fut l'éminent fondateur. Outre les beaux émoluments que la colo- 
nie payait aux administrateurs, elle versait chaque année à leur 
(laisse de prévoyance une certaine somme et le total des annuités et 
des intérêts était remis entre leurs mains au bout de douze ans de 
services effectifs. 

Sous le gouvernement des amiraux qui dura jusqu'en 18/9, grâce 
à leur habile et sage direction, secondée par un corps d'aministra- 
teurs très distingués, la Gochinchine était devenue une florissante 
colonie. M. le Myre de Villers, le premier gouverneur civil, réalisa 
des réformes, dont quelques-unes peuvent sembler critiquables. Il 
fondit en un seul corps les administrateurs et les commis de la Di- 
rection de l'Intérieur qui n'avaient, ni la même origine, ni la même 
préparation à remplir leurs fonctions, et supprima le Collège des sta- 
giaires qui avait déjà donné au personnel administratif d'excel- 
lentes recrues et était entrain de se perfectionner de jour en jour. Il 
remplaça les administrateurs-juges, qui avaient le mérite de con- 
naître la langue annamite et les coutumes indigènes, par des 
magistrats de carrière ignorant tout des choses et des gens du pays. 

Outre les rouages administratifs que nous venons de décrire, la 
Gochinchine possède une représentation à la Chambre des Députés 
de la Métropole et un Conseil Colonial, tous deux élus par le suffrage 
universel. Voici ce qu'il faut entendre par le suffrage universel de 
la colonie : Les Annamites n'étant que des sujets et non des citoyens 
français, en sont exclus. Il ne reste donc comme électeurs que les 
deux ou trois mille français qui habitent la colonie et les quelques 
centaines de Malabares venus des établissements français de l'Inde. 
Parmi les premiers, les 3/4 sont fonctionnaires des diverses admi- 
nistrations, quant aux seconds leurs voix sont faciles a influencer. 
Ce système conduit à cet étrange résultat d'envoyer à la Chambre 
un député, élu par un nombre infime de français, et de faire élire 
une assemblée législative qui vote les recettes et les dépenses de la 
colonie par une majorité de fonctionnaires payés par la même 
colonie. Cette organisation a l'inconvénient de diminuer l'autorité du 



— 87 — 

gouverneur de la Cochinohine, qui est trop dans la dépendance' dé 
ses propres subordonnés. 

La mainmise partielle du Conseil Colonial sur l'administration 
et sur le budget de la colonie a été considérablement amoindrie par 
la réalisation de l'Unité Indo-Chinoise et par la création du budget 
général, qui sont l'œuvre de M. Doumer. Le gouverneur de la 
Çochinchïne, devenu lieutenant gouverneur soiis les ordres du gou- 
verneur général de l' Indo-Chine, ne conserve que la préparation du 
budget local qu'il soumet à l'approbation du conseil colonial et 
dont il assure ensuite l'exécution. Ses arrêtés doivent être pris en 
conseil privé dont la composition est la suivante : Le lieutenant- 
gouverneur président, le général commandant les troupes de la 
Cochinchiné, le commandant de la marine, le procureur général, 
le chef du Service administratif, deux conseillers titulaires, trois 
suppléants nommés par décret tous les quatre ans et deux membres 
indigènes. Ce conseil se transforme le cas échéant en conseil 
du contentieux administratif. 

* 

§2 
Gouvernement local et administration au Cambodge. 

Avant notre intervention, le Cambodge avait comme gouverne- 
ment un roi assisté de cinq ministres et un obarach ou second roi, 
n'ayant aucune autorité, mais héritier présomptif de la couronne* 
Ang Duong, le père de Norodom, divisa le pays en 55 provinces 
dont les chefs étaient sous ses ordres directs. 

Le Protectorat Français a divisé le royaume en onze grandes pro- 
vinces dont les chefs sont placés sous le contrôle d'un Résident 
Français. Ceux-ci sont, comme nous l'avons vu, placés sous les 
ordres du Résident Supérieur qui préside le Conseil des Ministres^ 
Ils président le Conseil de Résidence, qui est appelé à délibérer sur 
les budgets régionaux. 

Le haut fonctionnaire, placé à la tête du Protectorat, prépare et 
assure l'exécution du budget local et est investi, auprès du roi du 
Cambodge, des attributions de représentant de la France. Il soumet 



— 88 — 

le budget à un Conseil de Protectorat dont il est le président et qui 
comprend en outre le délégué du service judiciaire, le chef du ser- 
vice des Travaux publics, le chef du service des Douanes et Régies, 
deux délégués de la chambre consultative mixte de commerce et 
d'agriculture du Cambodge, deux notables indigènes, et le chef de 
cabinet du Résident Supérieur, secrétaire du Conseil. 

L'organisation judiciaire comprend des Tribunaux Indigènes, des 
Tribunaux de Résidence, une Cour Supérieure et enfin le Conseil 
des Ministres qui remplit le rôle de Cour de Cassation. 

Gouvernement local et administration au Laos. 

Le Laos doit à la médiocrité de son sol, à l'insouciance et à l'indo- 
lence de ses habitants et à la difficulté des communications de son 
immense territoire d'être resté le frère pauvre dans la famille indo- 
chinoise. 

Aussi ce pays ne jouit-il jusqu'ici que d'une organisation rudi- 
mentaire. Les impôts très faibles qui y sont perçus sont loin de 
pouvoir couvrir les dépenses que nécessite son administration et sa 
garde, et le budget général est obligé de lui allouer tous les ans une 
forte subvention. 

C'est M. Pavie qui a guidé les premiers pas de notre intervention 
au Laos. Pendant quinze années de son existence, ce vaillant explo- 
rateur a sillonné en tous sens ces régions si pittoresques mais par- 
fois insalubres, dirigeant avec son adresse et sa bonhomie si con- 
nues ces phalanges d'officiers distingués qui se disputaient l'hon- 
neur de faire partie des « Missions Pavie » . Son nom est resté là- 
bas comme le synonyme de droiture et de bonté, et la France y sera 
aimée pendant longtemps encore pour y avoir été représentée tout 
d'abord par un tel homme. 

Le Laos avait été divisé depuis 1 895 en deux commandements supé- 
rieurs du Haut et du Bas Laos, ayant leurs centres respectifs àLuang 
Prabang et à Khong. Cette séparation en deux parties d'un pays 
absolument un au point de vue géographique comme au point de vue 



- 89 — 

ethnique ne répondait à aucun besoin. Aussi un décret du 19 août 
1899, inspiré par les propositions de M. Doumer, a-t-il unifié le Laos 
en un Protectorat, ayant à sa tête comme les autres états de l'Union 
Indo-Chinoise, un Résident Supérieur et sa capitale à Viên Tiane. 
Les postes administratifs sont occupés par des commissaires du 
gouvernement, placés sous les ordres de ce haut fonctionnaire. 

§ 4 

Gouvernement local et administration au Tonkin. 

La réforme la plus importante apportée au fonctionnement de 
l'administration au Tonkin a été la suppression des fonctions 
de « Kinh Luoc ». M. Doumer s'aperçut en 1897 que le titulaire 
de cette charge, Hoang Cao Cai, n'apportait pas dans son adminis- 
tration du Tonkin toute l'intégrité désirable. C'était là un fâcheux 
exemple dont les Annamites n'ont pas besoin, et le Gouverneur 
Général se montra indulgent et politique en faisant nommer Hoang 
Cao Cai Régent de l'Empire d'Annam. Dans le même ordre d'idées 
M. Doumer rappela à plusieurs reprises aux mandarins annamites 
que la concussion sous toutes ses formes serait sévèrement punie 
et qu'ils ne devaient pas accepter de cadeaux de leurs administrés 
et de leurs justiciables. 

C'est l'ordonnance royale du 26 juillet 1897 qui supprima les 
fonctions de Kinh Luoc. Dès lors ce fut le Résident Supérieur qui 
en eut les attributions. Il a sous ses ordres les résidents chefs de 
provinces. Ceux-ci, au lieu de contrôler les actes de l'administra- 
tion des tông doc ou tuân phu, gouverneurs indigènes des provinces 
selon les termes du traité de 1884, en assurent eux-mêmes le gou- 
vernement et ne se servent des mandarins que comme d'agents 
exécutant leurs ordres de détail et chargés de leur fournir les ren- 
seignements nécessaires. Mais, non contents de déposséder de leurs 
attributions les gouverneurs annamites nous avons été jusqu'à 
attenter à l'autorité des phu (préfets) et des huyên (sous-préfets). 
Afin de pouvoir administrer directement jusqu'au fond des pro- 
vinces, nous avons créé des postes, appelés délégations, dans les 



— 90 — 

centres éloignés du chef-lieu, et nous y avons installé des adminis- 
trateurs, des commis ou des gradés européens de la garde indigène 
sous le titre de délégués. Il paraît bien imprudent de détacher loin 
des centres de jeunes fonctionnaires, n'ayant pas encore l'expé- 
rience et la pondération qu'exige le gouvernement du peuple, ou 
des gardes principaux qui manquent de préparation à une telle 
fonction et auront une tendance à mener la population comme leur 
section de gardes civils. Pourquoi donc imposons-nous à l'Annamite 
un mode d'administration qui le froisse dans son amour-propre et 
qui le gêne dans ses affaires? C'est que nous craignons que les man- 
darins livrés à eux-mêmes ne fassent de la concussion. Et d'abord 
est-on bien sûr que le peuple annamite ne préférerait pas payer ses 
mandarins et être administré selon ses coutumes et ses aspirations 
et par les siens que de payer, tout aussi cher d'ailleurs, pour être 
administré par des étrangers qui ont naturellement une moins 
grande compétence à mener ses affaires. En somme, les manda- 
rins, sauf de rares exceptions, ne demandent à leurs administrés 
que le casuel nécessaire à élargir dignement leur existence. Qui 

nous empêche d'augmenter leur solde de manière à combler cette 
lacune et de poursuivre ensuite la concussion avec la dernière sévé- 
rité. L'administration française gagnerait à n'être plus représentée 
que par des inspecteurs de province qui seraient plus souvent à 
cheval ou en bateau qu'au chef-lieu. La seule manière efficace de 
contrôler est celle qu'emploient les fonctionnaires du « Civil Ser- 
vice »> des Indes Anglaises. Ils se transportent avec leur secré- 
taire et tout le confort auxquels ils sont accoutumés en différents 
points de leur circonscription et font savoir aux habitants que 
toute réclamation et toute demande sera entendue par eux et sans 
témoins. Et comme ils ne sont accompagnés d'aucun fonctionnaire 
sous leurs ordres, les habitants viennent en foule leur dévoiler les 
injustices dont ils ont pu être victimes. 

Le Résident Supérieur soumet les questions budgétaires à un 
Conseil de Protectorat du Tonkin dont il est le président et dont 
les autres membres sont : le général commandant les troupes sta- 
tionnées au Tonkin, le commandant de la Marine, le chef des ser- 
vices administratifs, le chef du service judiciaire du Tonkin, le 



— 91 — 

représentant du contrôle financier, un délégué de chacune des 
chambrés de commerce de Hanoï et de Hai Phong, un délégué 
de la chambre d'agriculture du Tonkin, deux notables indigènes 
et deux suppléants nommés chaque année par le Gouverneur Géné- 
ral, le chef de cabinet du Résident Supérieur, secrétaire. 

Le conseil peut être transformé en conseil du contentieux admi- 
nistratif par le remplacement de deux membres indigènes par deux 
magistrats désignés par le Gouverneur Général. Il connaît des 
affaires concernant TAnnam comme de celles concernant le Tonkin. 

Gomme le Lieutenant Gouverneur de la Gochinchine, le Rési- 
dent Supérieur du Tonkin est placé sous les ordres du Gouverneur 
Général de l'Indo-Chine. Il n'en a pas moins l'initiative des mesures 
d'administration générale et de police. Il est chargé d'assurer dans 
toute l'étendue du Protectorat l'exécution des lois, décrets et 
arrêtés du Gouverneur Général et le maintien de l'ordre public. Il 
a sous ses ordres directs le personnel des services locaux, pour les- 
quels il fait à celui-ci des propositions d'avancement et de récom- 
penses. Sa haute surveillance s'étend au personnel de toijs les ser- 
vices, sauf les services militaires, des Postes et Télégraphes et des 
Douanes et Régies. 

§ S 

Gouvernement local et administration de l'Annam. 

Pendant la minorité de Tanh Thai, le gouvernement impérial 
avait été dirigé par un conseil de régence et un conseil secret ou 
comat. En 1897, au moment où le jeune souverain atteignit sa 
majorité, M. Doumer profita de l'occasion pour procéder à l'élabo- 
ration d'une nouvelle constitution de l'empire. Il lui fit signer, le 
27 septembre, une ordonnance qui supprimait le Conseil de Régence 
et transformait le Comat en Conseil des Ministres. Le Résident Supé- 
rieur en Annam, en avait la présidence et les anciens Régents 
devenaient les présidents des ministères les plus importants. 

De plus, les Français étaient reconnus aptes à posséder des terres 
sur le sol de l'Annam, et le gouvernement français pouvait leur 



— 92 — 

accorder en concession les biens vacants et sans maître. Enfin le 
Protectorat fut chargé de la gestion du budget qui était resté jusque 
là entre les mains des mandarins annamites. 

Un Conseil de Protectorat de VAnnam a également été institué 
par arrêté du 8 juin 1900 avec une composition analogue à celui 
du Tonkin : le Résident Supérieur, président, le directeur des tra- 
vaux publics, le commandant des troupes de TAnnam, le chef du 
service des Douanes et Régies, un délégué du directeur du contrôle 
financier, un délégué de la chambre mixte d'agriculture et du com- 
merce de T Anna m, deux membres du comat désignés par le Rési- 
dent Supérieur, et le chef du cabinet du Résident Supérieur, secré- 
taire. 

Enfin, le Résident Supérieur est, par délégation du Gouver- 
neur Général, le représentant de France auprès de la cour d'An- 
nam. 

En Annam comme au Tonkin, M. Doumer a rétabli en 1898, les 
commissions covsultatives de notables indigènes, que Paul Bert avait 
créées en 1886 et dont l'institution était tombée en désuétude. Cette 
manière d'entrer directement en relations avec les délégués de la 
population, n'est évidemment pas du goût des mandarins, qui 
peuvent y voir un acte de méfiance et de dédain à leur adresse. Elle 
peut cependant être admise comme moyen de contrôle utile aux 
autorités françaises, mais il serait désirable que le nombre des délé- 
gués fût porté au chiffre de un par canton K 

§6 
Organisation du gouvernement de l'Indo-Chine. 



Au moment de la conquête du Tonkin, les divers Etats de l'Indo- 
Chine étaient répartis en deux groupes : le Protectorat de l'Annam- 

1. Par arrêté du 1 er mai 1907, M. Beau a réglementé ie fonctionnement des Commis- 
sions provinciales, qui donnent leur avis sur la préparation des budgets provinciaux 
et sur les travaux publics à entreprendre. Leurs membres sont élus par les chefs et 
sous-chefs de canton et les principaux notables. Elles délibèrent hors de la présence 
de l'administrateur, qui se contente do leur soumettre les questions à étudier. 

De plus, par un autre arrêté du 4 mai, il a été créé une Chambre Consultative, dont 



— 93 — 

Tonkin, administré par un Résident Général relevant du Ministère 
des Affaires Etrangères, et le Gouvernement de la Cochinchine qui 
entretenait un Résident Général au Cambodge et dont le Gouver- 
neur était sous les ordres du Ministère des Colonies. 

L'unité indo-chinoise fut créée par décret du 17 octobre 1887, 
sous l'autorité du Gouverneur Général de l'Indo-Chine. Le Lieute- 
nant-Gouverneur de la Cochinchine, le Résident Général du Cam- 
bodge et le Résident Général de FAnnam-Tonkin, relevèrent tous 
de sa haute direction, sans cependant que son action pût s'exercer 
sur eux d'une façon matérielle. Le Gouverneur Général était assisté 
d'un Conseil Supérieur et relevait du Ministre des Colonies. 

Une autre étape fut franchie en 1889. Le décret du 9 mai de cette 
année supprima les Résidents Généraux de l'Annam-Tonkin et du 
Cambodge et ne laissa plus subsister, outre le Lieutenant-Gouver- 
neur de la Cochinchine, que trois Résidents Supérieurs au Tonkin, en 
Annam et au Cambodge. 

Enfin, comme nous l'avons plus haut, une nouvelle Résidence 
Supérieure a été créée au Laos en 1897. 

Les attributions du Gouverneur Général avaient été successive- 
ment étendues et augmentées par les décrets du 12 novembre 1887 
et du 21 avril 1891. Son.autorité était celle d'un vice-roi, revêtu de 
la confiance absolue du Gouvernement, pouvant entreprendre des 
expériences avec la plus large initiative et ne devant être jugé que 
sur les résultats obtenus. 11 lui manquait encore les moyens pra- 
tiques pour faire sentir son action sur les cinq pays dont il avait le 
gouvernement. C'est à M. Doumer que devait revenir l'honneur 
d'avoir organisé d'une façon effective l'unité indo-chinoise par la 
création du budget général et la reconstitution du Conseil Supérieur 
de l'Indo-Chine. 

Au moment de son arrivée dans la colonie il trouva le Gouverneur 
Général administrant directement le Tonkin et n'exerçant qu'une 

la mission est d'éclairer le gouvernement sur les vœux de la population relativement 
à certaines questions importantes qui seront soumises à ses délibérations. Elles 
est divisée en 3 sections : la première représente la population rurale, la deuxième 
la population urbaine, la troisième les montagnards. Seuls les membres de cette 
•dernière section ne sont pas élus mais désignés par les chefs de province. Cette 
exception ne semble nullement justifiée et il est à croire qu'elle ne sera pas maintenue. 



— 94 — 

autorité nominale sur le Lieutenant Gouverneur de la Cochinchinè 
et les Résidents Supérieurs. Il fit tout d'abord combler cette lacune, 
estimant que son rôle était de « gouverner partout et n'administrer 
nulle part ». Après quoi il procéda à la création du Conseil Supé- 
rieur et des différents services généraux de l'Indo-Chine, qui 
devaient lui servir à exercer sur ces services une action personnelle 
dans les différents pays de l'Union ; enfin il obtint par le décret du 
31 juillet 1898, la création du Budget Général. 

Voici quels sont les rouages du mécanisme du Gouvernement Géné- 
ral : 

Le Gouverneur Général, dépositaire des pouvoirs du Gouverne- 
ment de la République et représentant tous les Ministères de la 
Métropole, avec lesquels il correspond, donne son impulsion à tous 
les services de la colonie, par l'intermédiaire, soit des directeurs 
généraux techniques, soit des chefs des cinq Protectorats ou Gouver- 
nements Locaux placés sous ses ordres. 

Il est assisté par un Secrétaire Général, spécialement chargé des 
affaires civiles, des rapports avec les administrations locales et de 
l'ordonnancement du budget général. Ce haut fonctionnaire est 
appelé à remplacer le chef de la Colonie, en cas d'absence ou de 
départ. 

L'autorité de celui-ci est renforcée et étayée par le Conseil Supé- 
rieur, dont le rôle est d'arrêter en séance plénière et annuelle le 
budget général et les budgets locaux, et de donner son avis sur les 
mesures importantes k lui soumises par le Gouverneur Général. Il 
se compose du Lieutenant-Gouverneur de la Cochinchinè et des Rési- 
dents Supérieurs, des Directeurs des différents services généraux, 
des Présidents des chambres de commerce et d'agriculture et de deux 
grands fonctionnaires indigènes. Outre la cession ordinaire, le Con- 
seil Supérieur peut être réuni pour étudier des questions importantes 
et urgentes. Il délègue de plus une commission permanente qui 
statue sur les questions financières de service courant. 

Le chef de la colonie a près de lui un cabinet qui se divise en 
bureaux politique, administratif, militaire, du personnel et du secréta- 
riat. 

Les services militaires sont concentrés dans la main d'un général 



— 95 — 

de division, commandant supérieur des troupes du groupe de V Indo- 
Chine et ayant sous ses ordres les généraux commandant les divisions, 
le général commandant l'artillerie, l'Intendant, le Médecin Inspec- 
teur, Directeur du Service de santé. 

Les services maritimes étaient scindés en deux parties, l'une com- 
prenant, la Division Navale de Cochinchine et l'Arsenal de Saigon, 
et l'autre comprenant la Station Locale du Tonkin. Nous verrons 
plus loin que ces deux commandements on été réunis en un 
seul. 

Le service judiciaire a pour chef le Procureur Général de la Cour 
d'appel de Saigon. Celle-ci comprend trois chambres, dont deux 
siègent à Saigon et une à Hanoï. 

La Direction du Contrôle Financier exerce sa surveillance sur les 
finances de la Colonie et sur l'exécution de tous les budgets. 

La Direction Générale des Douanes et Régies veille à la perception 
des droits de douane et des contributions indirectes. Au Tonkin et 
en Cochinchine, le service est sous les ordres d'un sous-directeur, 
en Annam et au Cambodge, d'un chef de service. 

La Direction Générale des Postes et Télégraphes est représentée 
dans chaque pays de Tlndo-Chine par un chef de service. 

La Direction Générale des Travaux Publics est devenue avec la 
construction des chemins de fer un des service les plus considérables 
de la colonie. Elle comprend des services techniques, tels que celui 
des chemins de fer, des ports maritimes et des directions locales 
dans les différents pays. Ce service exécute des travaux pour le 
compte du budget général, des budgets locaux et même des budgets 
provinciaux. 

La Direction de V Agriculture et du Commerce comprend les ser- 
vices zootechnique et vétérinaire, des forêts, des mines et météoro- 
logique. Elle entretient les jardins d'essai et d'acclimation, dresse 
les statistiques et coordonne les renseignements nécessaires aux agri- 
culteurs. 

Le Service de la Trésorerie est dirigé par. un Trésorier Payeur 
Général ayant sous ses ordres, dans chaque pays de l'Union, des 
Trésoriers Payeurs Particuliers, et dans chaque province un per- 
cepteur. 



CHAPITRE III 

FONCTIONNEMENT DES PRINCIPAUX 
SERVICES GÉNÉRAUX DE L'INDOCHINE 

Fonctionnement actuel du service judiciaire en Indo-Chine. 

Nous avons vu plus haut qu'à la tête du service judiciaire de 
l'Indo-Chine se trouve placé le procureur général de la cour 
d'appel. Celle-ci comprend trois chambres. L'ensemble des deux 
chambres siégeant à Saigon se compose d un président, d'un vice- 
président et d'une douzaine de conseillers. Elles statuent en appel 
sur tous les jugements rendus par les tribunaux de première ins- 
tance et justices de paix à compétence étendue de la Cochinchine 
et du Cambodge, et par les tribunaux des consulats français de 
Chine, du Japon et du Siam. Elles jugent les crimes commis par des 
Français dans ces pays étrangers. Elles examinent, toutes chambres 
réunies, les pourvois en cassation. Au parquet de Saigon sont 
attachés le procureur général, deux avocats généraux et des sub- 
stituts et attachés. 

La troisième chambre siège à Hanoï. Elle comprend un vice- 
président et trois conseillers. Son parquet est dirigé par un avocat 
général. 

En Cochinchine, les Annamites comme les citoyens français, sont 
justiciables des tribunaux français. Il existe dans chaque arrondis- 
sement, soit un tribunal de première instance, ayant un président 
et un procureur de la République, soit une justice de paix à com- 
pétence étendue. 

A Saigon , le tribunal de première instance comporte deux chambres, 
l'une connaissant des affaires où sont mêlés des Européens, l'autre 
des affaires indigènes. Son président siège également au tribunal de 



— 98 — 

commerce avec deux juges et trois suppléants choisis par les électeurs 
de la chambre de commerce. 

Au Cambodge, il n'y a qu'un tribunal avec juge-président et pro- 
cureur à Pnom Penh et des tribunaux de résidence dans les différents 
postes administratifs. 

Enfin, il existe dans le ressort judiciaire que constituent la Gochin- 
chine et le Cambodge, des cours criminelles à Saigon, Mytho, Vinh 
Long, Long Xuyen et Pnom Penh. Elles sont composées d'un con- 
seiller à la cour d'appel, président, de deux juges français pris 
dans le tribunal où la Cour siège et de deux assesseurs annamites, 
pour juger les crimes commis par les indigènes. Lorsque leurs 
auteurs sont européens ils sont jugés par la cour d'assises de 
Saigon qui se compose de trois magistrats et de quatre assesseurs 
français. 

Le Tonkin forme avec l'Annam un deuxième ressort. Outre la 
troisième chambre de la cour d'appel, il comprend deux tribunaux 
de première instance à Hanoï et Haï Phong, dont la compétence ne 
s'étend qu'aux Européens et Asiatiques étrangers. Il en est de même 
des justices de paix à compétence étendue de Namdinh (Tonkin) et 
Tourane ( Annam) . Dans tout le Tonkin et l'Annam les Résidents 
chefs de province et les Commandants de territoire exercent les 
fonctions de juges de paix à compétence étendue, mais ne connais- 
sent que des affaires européennes ou concernant des Asiatiques 
étrangers, ou les affaires civiles des indigènes qui se réclament de 
la juridiction française. Les affaires indigènes sont toutes de la 
compétence des tribunaux d'arrondissement [phu et huyênj et des 
tribunaux du juge provincial [quan an] de chaque province qui 
fonctionnent suivant l'ancienne procédure annamite. 

Au Tonkin et en Annam, pays de protectorat, nous avons laissé 
subsister celle-ci dans ses grandes lignes, tout au moins en théorie. 
Le Quan Phu ou Quan huyen continue comme par le passé 
à rendre un jugement emportant la peine de tant de coups de truong 
[bâton] ou de roi [rotin] mais cette peine est d'ores et déjà commuée 
en tant de mois ou d'années de travail pénible. On ne peut que se 
féliciter d'un pareil résultat et les indigènes sont très reconnaissants 
à notre intervention protectrice de la suppression des châtiments 



— 99 — 

corporels auxquels une loi barbare les assujettissait. Le jugement 
est ensuite envoyé au quan an qui doit le réviser et rendre une 
nouvelle sentence. En fait, dans la pratique, ce mandarin provincial 
ne rend un jugement important qu'après avoir consulté l'Adminis- 
tra teur-résident, chef de province. De là ce jugement, après une 
étape au parquet général, aboutit à une commission d'appel, où 
des jurisconsultes, plus versés dans la connaissance des lois françaises 
que des mœurs indigènes, exposés par leur ignorance de la langue 
annamite à des interprétations inexactes ou incomplètes, sont for- 
cément conduits à des erreurs d'appréciation en contradiction avec 
l'idée que nos sujets se font de la justice. 

Quant à la justice relative aux Européens (auxquels sont assimilés 
les Japonais) et aux Chinois, elle est rendue par des tribunaux 
français et suivant la loi française. Ces tribunaux connaissent égale- 
ment des affaires civiles lorsque les parties en cause se réclament 
de leur juridiction. Dans les centres où la magistrature n'est pas 
représentée, l'Administrateur chef de province est juge de paix à 
compétence étendue. Il juge les affaires civiles jusqu'à concurrence 
de 150 francs et les affaires correctionnelles, et instruit les affaires 
criminelles. Ses jugements sont transmis au Procureur Général qui 
fait reviser les jugements civils et correctionnels et transmet les 
instructions criminelles à la cour d'assises. 

Nous venons de voir qu'en Cochinchine, pays d'annexion, tous, 
Européens, Asiatiques étrangers et indigènes sont soumis aux tri- 
bunaux et aux lois françaises. La justice est rendue partout par des 
magistrats de carrière auxquels jusqu'ici a parfois manqué la con- 
naissance des choses et du langage du pays. De cette inexpérience 
a découlé la nécessité des interprètes et les graves dangers de leur 
inévitable intervention. Intermédiaires obligés entre le plaideur et 
la justice, comment ne seraient-ils pas amenés à des abus et à des 
complaisances ? Quelle que soit sa volonté de bien faire, le juge, 
ainsi séparé par la force des choses du véritable aspect de la vérité, 
est quelquefois amené à des décisions que l'indigène ne peut s'expli- 
quer et qui sont loin de lui inspirer confiance dans notre justice. 

C'est ainsi que l'on est amené à se demander si le progrès qui 
marche, dit-on, si lentement n'a pas été poussé ici trop vite au 



— 100 — 

point de manquer son but. Certes, nous devons tendre à améliorer 
la civilisation de nos protégés et de nos sujets, mais il ne faut pas 
oublier que les mœurs ne se refont pas du jour au lendemain et que 
les lois, qui en sont la sanction, doivent elles-mêmes se transformer 
avec prudence et au fur et à mesure des progrès constatés. Là où, 
par exemple, des peines presque féroces sont infligées pour des 
fautes avec lesquelles elles ne sont pas proportionnées, il serait 
aisé d'apporter un adoucissement ou de l'obtenir du gouvernement 
de l'Annam. Pour ne citer qu'un cas, il nous paraît exorbitant qu'une 
jeune fille soit punie de 80 coups de bâton pour avoir accordé ses 
faveurs à un amoureux. De pareilles sévérités, qui sont maintenues 
dans toute leur rigueur dans certains pays thô comme Cao Bang, 
n'ont comme résultat que de pousser les délinquantes à effacer la 
trace de leur péché par tous les moyens. Les avortements et les 
infanticides sont aussi nombreux que les filles mères, car aucune 
d'elles ne consent à endurer les châtiments qui l'attendent si sa faute 
devient publique. 

C'est ainsi que l'œuvre des années, sinon des siècles, devrait 
amener l'acceptation d'un état nouveau pénétrant peu à peu les 
vieilles institutions sociales, qui tendraient au contraire à se resserrer 
et à se raidir jusqu'à la rupture, si l'on prétendait précipiter outre 
mesure leur transformation. 

C'est ainsi qu'à Rome, la justice des préteurs a fait au cours des 
âges, par un travail quotidien, fléchir les rigueurs du jus civile, et 
que, partis de la Loi des XII tables, les jurisconsultes et les législa- 
teurs ont abouti Corpus juris. 

C'est ainsi qu'à son tour le droit romain a pénétré en Gaule, non 
pas en se substituant brutalement aux coutumes locales, mais en 
s'infiltrant doucement de peuplade en peuplade, de commune à com- 
mune à l'aide d'adaptations successives. 

C'est ainsi que ce droit romain lui-même s'est fondu dans l'œuvre 
législative de la Révolution française, qui fut si bien acceptée parce 
qu'elle était à son heure un heureux compromis et aussi parce qu'elle 
laissait subsister sur tous les points non tranchés les usages et 
règlements locaux. 

C'est ainsi qu'au contact d'une civilisation qui pourra lui sembler 
supérieure à la sienne, l'indigène pourra sentir le besoin de modifier 



— 101 — 

ses institutions. Laissons-lui l'initiative de ces changements ou 
laissons venir à nous ceux qui se sentiront attirés vers nos institu- 
tions en conférant la naturalisation à ceux qui s'en rendront dignes 
par leurs services et leur valeur morale. En un mot laissons l'assi- 
milation s'opérer d'elle-même dans la suite des siècles, mais 
gardons-nous d'essayer de la provoquer par des mesures adminis- 
tratives. 

En résumé le code annamite peu à peu modifié et amélioré, des 
magistrats annamites pour les Annamites, des magistrats français 
pour les Français, des tribunaux mixtes pour juger les affaires où 
les deux éléments sont intéressés, telle, nous semble-t-il, doit être 
la formule qui résumerait notre système de juridiction. 11 est vrai 
que notre imprévoyance a tari en Gochinchine le recrutement des 
bons mandarins et que, par suite, ce principe ne pourrait y recevoir 
son application du jour au lendemain. Il nous appartient de com- 
bler cette lacune par un choix scrupuleux du personnel judiciaire 
indigène et une surveillance destinée à empêcher les abus. 

Que si notre confiance n est pas assez grande dans les magistrats 
indigènes, il nous sera facile de surveiller plus ou moins étroitement 
leurs actes et de réprimer sévèrement tout écart. Un des moyens de 
contrôle les plus pratiques est de soumettre les jugements importants 
à une commission d'appel, mais là encore il ne faut pas retomber 
dans les mêmes erreurs. La commission d'appel instituée à Hanoï 
par décret du 1 er novembre 1901 était composée de conseillers à la 
cour et de mandarins annamites. Un nouveau décret a transformé 
cette juridiction en une quatrième chambre de la cour d'appel de 
Tlndo-Chine dans laquelle deux assesseurs indigènes seront adjoints 
aux conseillers. L'association de l'élément indigène à l'élément euro- 
péen marque une heureuse tendance mais il est à craindre que le 
nombre des annamites introduits dans cette assemblée ne soit pas 
suffisant pour y compenser, avec l'autorité qui serait nécessaire, 
l'incompétence des magistrats français en matière d'affaires indigènes. 
Il nous eût semblé préférable de composer cette commission avec 
des magistrats indigènes réunis sous la présidence d'un fonctionnaire 
européen choisi parmi ceux qui se sont signalés dans leur carrière 
administrative par leur connaissance des mœurs et de la langue du 
pays. 



— 102 — 

§2 
Fonctionnement actuel des services militaires. 

Organisation des troupes du groupe de VIndo-Chine. 

Améliorations désirables. 

Les troupes qui ont la garde de l'Indo-Chine sont placées sous 
les ordres d'un général de division qui porte le titre de comman- 
dant supérieur des troupes du groupe de VIndo-Chine. Son quar- 
tier général est à Hanoï et son état-major comprend quatre bureaux 
et un service géographique. 

Les troupes comprennent, au Tonkin : 

1° La l pe division à 2 brigades composées chacune de régiments 
européens et de régiments de tirailleurs tonkinois. 

2° Des troupes non embrigadées : le 4 e régiment d'artillerie 
coloniale, une compagnie d'ouvriers d'artillerie, une compagnie du 
Génie, un peloton de remonte et une section de télégraphistes. 

En Cochinchine : 

1° Une brigade, comprenant un régiment d'infanterie coloniale 
et un régiment annamite. 

2° Des troupes non embrigadées : le 5 e régiment d'artillerie colo- 
niale,une compagnie d'ouvriers d'artillerie et une compagnie du génie. 

Il est fortement question depuis la signature de l'accord franco- 
japonais, de réduire encore les troupes de l'Indo-Chine. Les promo- 
teurs de ces mesures mettent en avant le système de la défense des 
colonies par la diplomatie. Ils semblent avoir perdu de vue que la 
diplomatie elle-même n'a de valeur que lorsqu'elle s'appuie sur des 
forces matérielles. 

Outre les corps de troupes, le général commandant supérieur a 
sous ses ordres les grands services militaires de l'artillerie, de 
l'intendance et de santé. Les services de l'artillerie sont placés 
comme les troupes de cette arme sous l'autorité d'un général com- 
mandant l'artillerie. Ils sont répartis entre les deux directions d'ar- 
tillerie de la Cochinchine et du Tonkin ,qui ont leurs sièges respec- 
tifs à Saigon et à Hanoï. Chacune d'elles, placée sous les ordres 



— 103 — 

d'un colonel directeur est chargée de la garde, de l'entretien et de 
la réparation des armes et munitions et en outre de la construction 
et de l'entretien des bâtiments et des postes militaires permanents. 
En un mot, elles réunissent les attributions des services qui 
incombent en France aux directions d'artillerie et du génie. Elles 
se subdivisent en sous-directions placées sous les ordres d'officiers 
supérieurs et en annexes dirigées par des capitaines d'artillerie. 

Le service de santé de l'Indo-Chine a comme chef un médecin 
inspecteur des troupes coloniales, directeur du service de santé de 
l'Indo-Chine, résidant à Hanoï. Deux médecins principaux de pre- 
:wiière classe exercent sous son autorité les fonctions de sous-direc- 
"teurs à Hanoï et à Saïgon. Des médecins du même corps dirigent 
les formations sanitaires, reparties dans les différents postes et por- 
tant suivant leur importance les dénominations d'hôpitaux, d'infir- 
meries-ambulances, d'infirmeries de garnison ou de salles de visite. 
Ils sont aidés dans leur service par des infirmiers européens et 
indigènes qui sont recrutés dans les différents corps des troupes 
coloniales. 

Le corps des commissaires coloniaux vient d'être remplacé par 
un corps de l'Intendance des troupes coloniales dont l'organisation 
se rapproche autant que possible de celle du corps de l'Intendance 
militaire. 

Nous disposions encore en 1906 au Tonkin d'un effectif de 
12.000 hommes environ de troupes européennes et de 15.000 
hommes de troupes indigènes, soit au total 27.000 hommes sur le 
pied de paix. 11 faut y ajouter pour obtenir les effectifs du pied de 
guerre 2.000 réservistes européens, 10.000 réservistes indigènes et 
7.000 gardes civils, soit 19.000 hommes. On arrive ainsi à un total 
approximatif de 46.000 hommes. Si on consacre 5.500 hommes à 
la défense de la frontière de Chine, on peut espérer que ces troupes 
aidées dans leur tâche par les partisans que nous avons armés, 
pourraient arrêter pendant quelque temps l'envahisseur. On vient de 
procéder à l'organisation de deux groupes destinés à défendre notre 
frontière du côté de la Chine, le premier faisant face au Quang Si 
et au Quang Tông, le second faisant face au Yunnam. Il serait fort 
désirable que les troupes qui sont appelées à'entrer dans ces for- 



— lOi — 

mations fussent placées à tous les points de vue sous l'autorité 
des commandants de ces groupes au lieu d'être détachées des régi- 
ments du delta. Un moyen de réaliser ce desideratum serait que 
chacun de ces groupes autonomes fût composé d'un bataillon 
européen formant corps et d'un régiment indigène à trois batail- 
lons. Les indigènes entrant dans la composition de ce dernier 
pourraient être fournis partie par les régiments de tirailleurs 
tonkinois du Delta, partie par le contingent des populations de la 
haute région. Le mélange des éléments annamites et montagnards 
que nous préconisons ici est justifié par le succès d'une expérience 
qui a été faite dans les territoires militaires en 1904 et 1905. Un 
contingent des races thô, nung, man, meo et lolo a été introduit 
dans les compagnies de tirailleurs tonkinois tenant garnison dans 
les postes de la zone frontière. Les montagnards ainsi incorporés 
se sont montrés supérieurs aux Annamites par leurs qualités de 
vigueur, d'endurance et d'entraînement, mais ils se se sont affinés 
à leur contact et ont acquis l'esprit de corps, les qualités militaires 
dont nos tirailleurs ont fait preuve sur les champs de bataille du 
Tonkin, et l'esprit de subordination qui fait du troupier annamite 
le soldat du monde le plus facile à commander. La constitution de 
compagnies mixtes a encore cet avantage de placer l'Annamite, 
qui, étant dépaysé dans la haute région, ne peut avoir aucune 
accointance avec les Chinois, et présente par suite autant de garan- 
ties de loyalisme que le Français lui-même, côte à côte avec le 
montagnard, qui, au contraire de par son habitat est appelé à avoir 
des relations de l'autre côté de la frontière, et peut le cas échéant, 
entretenir des intelligences avec l'ennemi. De plus, le montagnard 
se montre très flatté de se trouver placé sur un pied d'égalité abso- 
lue avec l'homme de la plaine qu'il se reconnaît supérieur pas l'in- 
telligence et le savoir, et d'être appelé, lui aussi, à faire partie des 
troupes régulières qui ont la charge de défendre la frontière. Enfin 
on ne peut songer à constituer, avec les habitants de la haute 
région seuls, les corps indigènes qui entreront dans la composition 
des groupes du Quang Si et du Yunnam parce que sa population 
est insuffisante pour fournir un pareil contingent. 
. Le chiffre de 5,500 hommes que nous avons indiqué ci-dessus 



— 105 — 

i pouvant être appelé à la défense de la frontière de Chine 
représente précisément l'effectif des deux régiments indigènes à 
trois bataillons et de deux bataillons européens. Ce prélèvement, 
une fois fait, il resterait encore pour la garde des places fortes, la 
constitution d'un corps mobile destiné à opérer au Tonkin et la 
garde de l'Annam central un effectif d'environ 40.000 hommes. 
Ces ressources semblent suffire à protéger notre colonie du Nord 
contre un débarquement, à la condition expresse que nos troupes 
indigènes nous restent loyalement fidèles et que la population elle- 
même soit de cœur avec nos armes. Nous verrons plus loin, au 
cours de notre conclusion, que nous ne pourrons compter d'une 
façon certaine sur le concours dévoué des Annamites que le jour 
où nous leur aurons manifesté par des actes notre volonté d'appe- 
ler la classe éclairée à participer d'une manière effective à l'exer- 
cice de l'administration et de la justice et de remanier dans un 
sens moins vexatoire et moins compliqué notre régime fiscal. 

Eu Cochinchîne nous disposions en 1906 sur le pied de paix 
d'un effectif de 4.600 hommes de troupes européennes et de 
5.300 hommes de troupes indigènes, soit un total approximatif de 
10.000 hommes. Si on y ajoute 4.000 réservistes indigènes qui 
viendraient porter ce chiffre a 14.000 sur le pied de guerre, on se 
trouve en présence d'un sérieux déficit. En effet, la seule garde 
des places fortes de Saigon et du cap Saint-Jacques dont la réu- 
nion forme le point d'appui de la flotte en Cochinchine et dont les 
périmètres totalisés donnent le chiffre de 20 kilomètres, exige un 
effectif de 20.000 hommes : c'est donc 6.000 hommes qu'il faut 
trouver. Mais comme nous l'avons dit plus haut, nos effectifs 
de 1906 viennent au contraire d'être sérieusement réduits tant au 
Tonkin qu'en Cochinchine. 

Pour terminer cette étude de l'organisation militaire de notre 
colonie nous dirons quelques mots des améliorations que nous 
jugeons utile d'y apporter. 

I. — Renforcement du corps d'occupation. — Au premier rang 
de celles-ci nous plaçons pour mémoire le renforcement du corps 
d'occupation d'après les effectifs préconisés par le Comité consul- 
tatif de défense des colonies et que nous avons indiqués plus haut 



— 106 — 

et la constitution des 2 groupes de défense de la frontière de 
Chine d'après les bases que nous venons de poser. 

II. — Diverses mesures de natuke a augmenter la valeur et 

LE LOYALISME DE NOS TROUPES INDIGÈNES. 

A. Relèvement de la solde des sous-officiers européens qui servent 
dans ces troupes, à taide du rétablissement de l'indemnité spéciale 
qui leur a été enlevée, — Il est en effet indubitable que les indi- 
gènes doivent être encadrés par nos meilleurs sous-offiiciers. 
Comme d'autre part il est impossible de leur donner un avance- 
ment ou des distinctions honorifiques plus avantageuses qu'à ceux 
des troupes européennes, le seul moyen de les attirer dans les 
troupes indigènes où le service est plus pénible est de leur offrir 
une situation pécuniaire meilleure. 

B. Relèvement de la solde des tirailleurs, — Le vieil adage « Pas 
d'argent, pas de Suisses » est de tous les temps et de tous les 
pays. Si nous voulons des soldats indigènes attachés à leur régi- 
ment et aimant leur métier, il faut subvenir largement à leurs 
besoins. Puisque nous les tenons éloignés de leur foyer pendant 
trois ans en Cochinçhine et cinq ans au Tonkin, nous sommes ame- 
nés à tolérer près de nos camps militaires la présence de leur 
femme et de leurs enfants. Et dès lors nous sommes moralement 
obligés de subvenir à l'entretien de cette famille. La solde men- 
suelle de six ou sept piastres que nous leur donnons actuellement 
est notoirement insuffisante. 

C. Institution en Cochinçhine du tirage au sort comme système 
de recrutement. — Pour justifier cette mesure absolument con- 
traire aux usages annamites, nous sommes obligés de signaler la 
faute que l'administration française a commise en s 'immisçant dans 
le fonctionnement de la commune annamite. Cette intrusion a eu 
pour, résultat de diminuer considérablement l'autorité des notables 
qui la dirigeaient et étaient notamment chargés de désigner les 
hommes à recruter pour l'armée. A l'heure qu'il est, ils sont 
forcés de choisir les soldats parmi les sujets les plus pauvres qui 
sont aussi les plus malingres et à leur faire des promesses d'ar- 



— 107 — 

gent qu'ils ne tiennent pas ou à les amener à la commission de 
recrutement par la force. De là des désertions nombreuses qui 
s'élèvent jusqu'à 16 % de l'effectif. Un tirage au sort fait au grand 
jour aurait le double avantage de satisfaire le besoin de justice 
dont les indigènes sont avides et de fournir au contingent la 
moyenne même de la population comme intelligence et comme 
vigueur. 

Ce mode de recrutement, qui semble désormais s'imposer en 
Cochin chine, n'a pas sa raison d'être au Tonkin où la commune 
annamite a gardé son autonomie et où d'ailleurs l'état civil n'est 
pas encore institué. 

Mais là, rien ne nous empêche d'exiger que, conformément à la 
loi annamite, les sujets qui nous sont présentés au recrutement 
soient choisis dans la classe des inscrits au lieu de l'être dans celle 
des non inscrits parmi les vagabonds et les misérables. Cette amé- 
lioration du contingent nous permettrait d'avoir un cadre de sous- 
officiers sortant de la classe des lettrés et relèverait du même coup 
le niveau moral de nos troupes indigènes. 

D. Amélioration de la valeur de nos sous-officiers indigènes par 
le maintien et Vextension des écoles d'enfants de troupe. — Ces 
écoles, placées dans tous les centres sous la surveillance d'un offi- 
cier et d'un sous-officier européens bien choisis, ont déjà donné 
d'excellents résultats et fourniront les meilleurs éléments de nos 
cadres indigènes. Leurs élèves qui auront grandi et étudié dans un 
milieu français et militaire seront pour nous des collaborateurs 
dévoués et précieux. 

E. Création d'écoles de sous-officiers indigènes. — Cette institu- 
tion, tentée à Sept Pagodes en 1905 à titre d'essai, est appelée à 
augmenter l'instruction de nos cadres indigènes. 

F. Nomination, à titre exceptionnel au début, d'un certain nombre 
d'officiers indigènes. La création d'un adjudant indigène par com- 
pagnie en 1904, a été une très bonne mesure. Si elle n'a pas donné 
les excellents résultats qu'on aurait pu en attendre, c'est que leur 
nomination n'a pas eu lieu progressivement à mesure que des sujets 
qualifiés à tous les points de vue auraient mérité cette distinction. 



- 108 — 

Il n'en est pas moins vrai que, outre les services rendus par ces 
vieux sous-officiers, leur élévation à ce grade a stimulé le zèle de 
tous les sergents, qui s'endormaient jusque-là sur leur bâton de ma- 
réchal. Il semble qu'on puisse aller plus loin dans la même voie en 
appelant quelques-uns de nos sous-officiers, choisis parmi les plus 
distingués, les plus lettrés et les plus dévoués, à porter les galons 
d'officier. L'expérience a été tentée en Cochinchine dès la création 
des tirailleurs annamites. Elle a échoué parce que le choix s'est 
porté sur de bons sous-officiers, sans doute, mais sans tenir aucun 
compte de leur origine, de la situation de leur famille, de leur ins- 
truction en caractères et de leur éducation. Sachons éviter de retom- 
ber dans les mêmes erreurs et nommons à titre exceptionnel 
quelques sujets d'élite au grade de sous-lieutenant. Il sera facile, 
par quelques mesures sages et avisées, d'éviter les froissements qui 
pourraient se produire entre eux et nos sous-officiers français. Cette 
création est, plus que tout autre, de nature à nous attirer l'affection 
de nos soldats indigènes, qui verront là de notre part le sincère 
désir de les rapprocher de nous. 

G. Nominations dans le mandarinat militaire des meilleurs sujets 
après r accomplissement de leur service militaire. — Nos tirailleurs se 
plaignent constamment qu'une fois rentrés dans leurs foyers après 
leur service militaire terminé, ils sont l'objet du dédain de leurs con-r 
citoyens, auxquels ils ne peuvent montrer aucun titre indiquant 
l'accomplissement de leur service militaire et le grade qu'ils ont 
atteint dans l'armée. Les institutions annamites conféraient aux 
anciens soldats certains grades dans le mandarinat militaire qui 
leur procuraient la considération de leurs compatriotes. Pourquoi 
donc renonçons-nous à donner à ceux qui nous ont servis avec 
dévouement une satisfaction qui ne nous coûte rien et flatte tant 
leur vanité ? Il serait très facile lorsqu'un gradé ou tirailleur atteint 
ses quinze ans de services, de le proposer à l'autorité supérieure 
pour un grade de mandarinat militaire correspondant au grade qu'il 
occupe au moment de sa libération, à condition toutefois qu'il eût 
donné toute satisfaction à ses chefs par sa manière de servir. 
La demande serait transmise par les autorités hiérarchiques et 
accordée par le Gouverneur Général par délégation de Tempe-r 



— 109 — 

reur d'Annam. Les officiers indigènes pourraient être nommés cai 
dôi du 5 e degré, 2 e classe ; les adjudants suât dôi du 6° degré, 2 e 
classe; les sergents dôi truong du 7 e degré, l re ou 2 e classe; les 
caporaux et brigadiers, ngu truong, du 8 e degré, l ro ou 2 e classe; 
et les simples tirailleurs ou canonniers ha hô, du 9 e degré, 1™ ou 
2° classe. Après dix ans de services seulement on pourrait conférer 
aux intéressés le degré correspondant au grade inférieur k celui qu'ils 
occupaient dans l'armée ; après cinq ans de services ils ne pour- 
raient prétendre qu'au degré correspondant au grade placé à deux 
échelons au-dessous du leur. 

III. — Approvisionnement en munitions. — Au point de vue de 
l'approvisionnement en munitions il y a lieu de combler le plus tôt 
possible le déficit considérable qui a été signalé parle rapport de 
M. Deloncle chargé de mission en Indo-Chine, et celui de M. Le 
Hérissé, rapporteur du budget des Colonies en 1905. Peut-être 
serait-il moins coûteux d'envoyer de France les ingrédients néces- 
saires à la fabrication des cartouches, et de créer des cartoucheries 
dans la colonie. 

IV. Mitrailleuses. — Il serait à désirer que les mitrailleuses 
actuellement en service en Indo-Chine fussent remplacées à bref 
délai par un modèle complètement mis au point, que notre artillerie 
fût dotée d'un canon de 75 mm. à tir rapide et d'un canon de mon- 
tagne perfectionné. 

V. — Sanatoria. — La question des sanatoria est une question 
vitale pour nos troupes européennes. En Cochinchine pendant l'an- 
née entière, et au Tonkin pendant la moitié de l'année, nos soldats 
sont soumis k une température d'étuve, qui les déprime moralement 
et physiquement, compromet leur santé et cause parmi eux d'assez 
nombreux décès. On a recherché depuis plusieurs années des 
emplacements favorables à rétablissement de sanatoria, où la grande 
majorité de nos troupes européennes pourrait séjourner en perma- 
nence. Des camps y seraient établis dans des 'conditions d'hygiène 
et de confort telles que nos soldats pussent y passer une grande 
partie de leur séjour colonial. Pour les troupes de Cochinchine on 
a étudié cette installation au plateau de Lang Bian qui présente les 



— 110 — 

deux altitudes de 1000 et de 1.500 mètres et sera relié à Saigon 
par le chemin de fer. On ne peut que souhaiter de voir ces projets 
réalisés le plus tôt possible. 

Pour les troupes du Tonkin, c'est le plateau du Tran Ninh qui a 
été choisi, mais la question est encore plus loin de sa solution que 
celle du sanatorium du Lang Bian. 

§ 3 
Fonctionnement actuel des services maritimes. 

Etablissements de la marine et de l'industrie privée pouvant 
concourir à la défense. Arsenal de Saigon. 

Il existait jusqu'à ces derniers temps en Indo-Chine deux com- 
mandements distincts de la marine, l'un en Cochinchine, et l'autre 
au Tonkin. Un décret de 1906 a mis fin à cette anomalie en créant 
la division navale de V Indo-Chine sous les ordres d'un contre-amiral. 
Les bâtiments qui la composent sont : un cuirassé, d'escadre deux 
canonnières cuirassées, 4 canonnières non cuirassées de l ro classe 
4 canonnières non cuirassées de 2 e classe et un aviso. Les défenses 
mobiles comprennent en Cochinchine : un contre-torpilleur, 12 tor- 
pilleurs, 8 torpilleurs vedettes et 4 sous-marins ; au Tonkin : un 
contre -torpilleur et 6 torpilleurs de l re classe. La défense mobile 
de notre colonie du Nord commence à s'installer à Port-Courbet, 
sur la côte qui borde la baie d'Along. 

On ne peut que se féliciter de voir réalisée la constitution en 
Indo-Chine d'un commandement naval autonome, indépendant du 
commandant de la Division Navale de l'Extrême Orient, et placé 
sous l'autorité du Gouverneur Général au même titre que le 
commandant supérieur des troupes. 

La Division Navale de l'Extrême Orient qui est appelée à coopérer à 
la défense de la colonie est placée sous les ordres directs du ministre 
de la marine. Elle comprend des croiseurs et des cannonières. 

Les établissements de la marine comprennent : un arsenal à 
Saigon et des ateliers de réparation à Hai Phong. L'arsenal de 
Saigon qui suffisait jusqu'ici aux besoins des Divisions Navales de 
l'Indo-Chine et de l'Extrême Orient, doit être mis à même dans le 



— ni — 

plus bref délai possible de parer aux éventualités d'une guerre contre 
une puissance maritime amenant dans les eaux de la mer de Chine 
d'importantes forces navales. Il doit être aménagé en vue de la 
réparation de plus d un grand bateau à la fois. Son grand bassin de 
radoub de 158 mètres de long et son petit bassin sont insuffisants 
et la nécessité s'impose de construire d urgence un deuxième grand 
bassin et plus tard un troisième. Un grand dock flottant a bien été 
commandé à l'industrie mais l'exemple de l'ancien dock flottant 
qui coula à Saigon il y a de nombreuses années et ne put être ren- 
floué incite à ne considérer cet organe que comme un complément 
très utile, mais présentant beaucoup moins de garanties qu'une 
forme sèche. Il y a lieu aussi d'agrandir et de compléter les ateliers 
de l'arsenal de Saigon, de les éclairer à l'électricité et de faire venir 
un plus grand nombre de machines outils. L'arsenal doit être mis 
à même de construire des sous-marins du type Lynx, des submers- 
sibles du type Aigrette et des cannonières de rivière. Il devrait tout 
au moins construire tous ses bateaux de servitude tels que chalands, 
chaloupes et bateaux citernes, le bon marché de la main-d'œuvre 
indigène nous permettrait de réaliser par ces travaux faits sur 
place d'importantes économies. L'ouvrier annamite montre une 
grande habileté manuelle et s'assimile facilement le fonctionnement 
des mécanismes les plus compliqués, mais il est porté à la paresse 
et a besoin par suite d'être constamment stimulé. De là la nécessité 
d'augmenter beaucoup l'effectif des surveillants européens qui est 
très insuffisant. 

En cas de guerre, un certain nombre d'établissements de l'indus- 
trie privée pourraient rendre à la marine d'importants services. Tels 
sont la maison Graf, les ateliers Charlety, la Société Levallois- 
Perret, la fonderie Dupont et Bron, et la compagnie de navigation 
des Messageries Fluviales de Cochinchine. 

Le stock de matériel d'armement des navires et de matières con- 
sommables est logé encore dans des magasins trop exigus malgré 
la construction assez récente de deux magasins à fers. En 1904, le 
stock de charbon a été porté de 13.000 à 40.000 tonnes, M. Deloncle 
souhaitait dans son rapport de le voir porter au chiffre de 100.000 
tonnes. 11 faisait observer que les briquettes de Hongay contenant 



— 112 — 

du charbon japonais, nécessaire pour assurer leur consommation, on 
ne peut compter sur cette ressource en temps de guerre avec cette 
puissance. Il émettait le vœu que le stock de réserve des vivres 
permette d'approvisionner pour quatre mois nos forces navales appe- 
lées à être réunies dans la mer de Chine. Il considérait enfin comme 
très désirable l'autonomie du port de Saigon, qui dépend actuelle- 
ment du port de Toulon et doit souvent, de ce chef, attendre de longs 
mois l'exécution d'une commande. 

Nous ne pouvons que le suivre encore dans les desiderata qu'il a 
formulés dans son rapport au sujet du recrutement des indigènes 
pour la marine de guerre. Nous obtenons actuellement à grand' 
peine et aux prix de sacrifices pécuniaires sérieux, le contingent qui 
nous est nécessaire pour augmenter l'équipage de nos canonnières. 
M. Deloncle préconise la levée du contingent nécessaire dans les 
villages maritimes. Peut-être y aurait-il lieu de tenir un plus grand 
compte de la répulsion qu'inspire à l'indigène l'internement sur un 
navire de l'Etat et la régularité immuable de l'existence qu'il est 
contraint d'y mener. Il semblerait alors plus équitable, si Ton 
adopte le tirage au sort pour le recrutement de l'armée, de prendre 
simplement les plus mauvais numéros pour la marine. L'indigène, 
toujours un peu fataliste, se soumettrait de bonne grâce à la dési- 
gnation du sort. 



CHAPITRE IV 
EXTENSION DE L'INFLUENCE FRANÇAISE 

§1 

Instruction publique. Anciens examens littéraires. 

Organisation nouvelle de l'enseignement. École Pavie. 

Ecole française d'Extrême-Orient, 

Les Annamites attachent à l'instruction une très grande impor- 
tance. L'accès aux grades du mandarinat et aux charges pnbliques 
n'est possible qu'aux lauréats des concours littéraires, dont les 
études ont été couronnées par l'obtention des titres de bachelier ou 
tu taij licencié ou eu nhon, docteur ou tien si. 

Il y a trois sortes d'examens. Les plus faciles sont les examens 
semestriels qui ont lieu au chef-lieu de chaque province et sont pré- 
sidés par le dôchoc ou directeur de l'enseignement. Les candidats y 
sont envoyés par les giao thu et les huan dao qui font d'abord une 
sélection parmi les étudiants de leurs circonscriptions respectives. 
Ils ne comportent qu'une seule séance qui dure depuis le lever 
du jour jusqu'à minuit. Les sujets comprennent: une composition 
sur l'interprétation d'un passage des ngu king ou des tu thu, deux 
compositions en vers, un discours sur un passage des quatre livres, 
enfin une quatrième composition sur trois sujets au choix du candi- 
dat et qui sont : une communication royale, une lettre de félicita- 
tions des mandarins au roi, et une dissertation sur un sujet quel- 
conque. Parmi ces quatre genres de sujets les candidats peuvent 
n'en traiter qu'un seul ou les traiter tous les quatre. Toute compo- 
sition notée « excellente » octroie à l'étudiant qui en est l'auteur, 
l'exemption delà milice ou de la corvée pendant. une année. Ces 
examens semestriels ne donnent aucun titre universitaire. 

Au contraire, les examens régionaux ou huong thi. appelés aussi 
triennaux, servent à désigner les bacheliers et les licenciés. Ils ont 
lieu tous les trois ans au dixième mois dans la capitale universi- 

8 



— 114 — 

taire de chaque grande région de l'empire, à Hué pour FAnnam, et 
à Nam Dinh pour le Tonkin. Les candidats sont examinés à l'avance 
par les huan dao, les giao thu et les dôc hoc. Ces derniers ne pré- 
sentent à l'examen que ceux de leur province, qui leur paraissent 
aptes à y réussir et sont notés par leur commune comme étant de 
bonne vie et mœurs. De hauts mandarins envoyés par le ministère 
des rites composent le jury. Examinateurs et candidats sont enfer- 
més dans le Camp des Lettrés, qui est entouré de sentinelles et ne 
peuvent communiquer avec le dehors pendant toute la durée des 
séances. Les uns sont juchés sur de hauts miradors dominant le 
camp, et les autres accroupis dans de petites niches en paillottes 
qu'ils se sont fait construire pour leur usage. L'entrée et l'appel 
nominal ont lieu à minuit, et les étudiants terminent leur nuit sur 
une natte étendue dans leur petite case. Au jour, une affiche est éle- 
vée qui porte le sujet des épreuves de la séance. Les compositions 
sont ramassées k minuit. Les séances ont lieu à quelques jours d'in- 
valle les unes des autres. Elles portent sur des sujets analogues à 
ceux des examens semestriels. Sous le régime annamite, il suffisait 
d'obtenir la note « excellent » pour les quatre épreuves pour être 
reçu d'emblée licencié, et la note « bien » ou « passable » pour être 
reçu bachelier. Ce dernier grade conférait l'exemption des examens 
semestriels et la dispense perpétuelle de la corvée et de la milice. 

Les examens du doctorat ou hôi thi ont lieu également tous les 
trois ans, mais à la capitale. Les compositions sont les mêmes qu'aux 
examens régionaux mais les sujets en sont plus difficiles. L'examen 
comporte deux degrés. Les candidats, admissibles à la suite du 
hôi thi, passent ensuite le dinh thi ou examen de la cour qui a lieu 
dans le palais impérial. Les premiers classés sont nommés docteurs 
du premier degré et peuvent être d'emblée nommés à la fonction de 
quan an ou juge provincial, les suivants sont nommés docteurs du 
deuxième degré et ne peuvent prétendre qu'à un emploi de tri phu 
ou préfet. 

Depuis quelques années les épreuves des examens régionaux com- 
prennent des compositions françaises. L'obligation de connaître 
notre langue, ainsi imposée par nous, à tous les candidats aux fonc- 
tions de l'administration indigène était, à notre avis, d'une utilité 



— us — 

fort discutable. Elle a évidemment l'avantage de faciliter les rela- 
tions entre les mandarins et les Résidents chargés de les contrôler, 
lorsque ceux-ci ne connaissent pas la langue du pays, maïs n'aurait 
aucune raison d'être s'ils la connaissaient, ce qui semble éminem- 
ment" préférable. Elle a, d'autre part, le tort d'écarter des fonctions 
publiques toute une catégorie de lettrés qui ne sont plus d'âge à 
apprendre avec succès une langue étrangère et parmi lesquels 
peuvent se trouver des sujets d'élite. 

En Cochinchine, où la plupart des institutions annamites ont 
sombré devant cette manie d'assimilation à outrance, il n'est plus 
question d'examens littéraires. 

. Nous allons d'ailleurs passer en revue l'organisation actuelle de 
l'enseignement public dans les diverses grandes régions de l' Indo- 
Chine. 

Pour apprécier l'œuvre de la France en Cochinchine nous ne 
saurions citer de meilleur jugement que celui de son ancien Lieute- 
nant Gouverneur, M. Rodier, qui chercha chaque fois qu'il en eut 
l'occasion à arrêter la colonie dont il avait la direction sur la dangereuse 
pente de « l'assimilation » sur laquelle elle est si fortement enga- 
gée. Dans un remarquable discours qu'il prononça à une des der- 
nières sessions du Conseil Colonial, il qualifia de vaine et chimé- 
rique la tentative d'assimilation morale et intellectuelle poursuivie 
depuis vingt ans en Cochinchine. Il constata avec peine que les 
produits hybrides de cette éducation ne sont ni Français ni Anna- 
mites. Pas Français, parce qu'ils n'ont pu digérer les notions de 
notre morale, de notre science et de notre littérature, qui auraient 
besoin pour pénétrer jusqu'à leur mentalité, si différente de la nôtre, 
de leur être enseignées par des professeurs les comprenant et les 
connaissant bien. Pas Annamites, parce que nous les avons frustrés 
des moyens qui leur permettaient de se tenir en communication 
avec la pensée de leurs ancêtres en abolissant l'enseignement des 
caractères chinois. M. Rodier n'hésite pas à conclure qu'il faudrait 
revenir à cet enseignement. Nous avons actuellement en Cochin- 
chine, tant dans les collèges provinciaux: que dans les écoles can- 
tonnales, seize mille élèves indigènes. 11 nous paraît tout à fait 
inutile de leur apprendre à tous le Français tandis qu'il est indis- 



— 116 — 

pensable de leur enseigner à tous les caractères sino-annamites. Si 
on ne trouve pas en Gochinchine assez de professeurs de caractères 
qu'on en fasse venir du Tonkin, auquel on enverra en retour des 
professeurs indigènes de français. 

Outre les écoles provinciales et cantonnales, on a créé dans chaque 
province une école de filles et dans certains centres, tels que Saigon, 
Bien Hoa et Thu Dau Mot, des écoles professionnelles qui fourni- 
ront d'habiles contre-maîtres à nos industries dans un avenir 
prochain. Les écoles de Saigon sont le collège Chasseloup Laubat 
et l'école municipale des filles. Les élèves boursiers indigènes sont 
répartis entre le collège Chasseloup Laubat et les collèges de Bien 
Hoa et Mytho. 

Dans les autres pays de l'Indo-Chine, l'administration française 
avait jusqu'à ces dernières années peu encouragé l'enseignement de 
la langue française. Au Tonkin, il existait pour les indigènes quatre 
écoles à Hanoï et une au chef-lieu de chaque province. Ces établis- 
sements scolaires étaient dirigés par des instituteurs français et 
annamites mais les résultats obtenus étaient peu satisfaisants. 
M. Beau, Gouverneur Général actuellement en fonctions, a amé- 
lioré cet état de choses au cours de ces quatre dernières années. Pour 
l'instruction des enfants européens on a transformé l'école munici- 
pale de Hanoï en Collège et fondé un cours commercial à Hai phong. 
On a ouvert de plus des écoles mixtes dirigées par des instituteurs 
à Hanoï et dans les centres où le besoin s'en est fait sentir. L'ensei- 
gnement y est dirigé d'une façon pratique. Les langues vivantes et 
en particulier la langue annamite y tiennent une grande place. Ces 
tendances auront l'heureux effet de préparer pour l'avenir de jeunes 
français à l'œuvre d'extension coloniale que la France a entreprise 
en Extrême-Orient. 

Mais c'est surtout de l'année 1906 que datent les grandes 
réformes de l'enseignement en Indo-Chine. Un décret du 14 
novembre 1905 avait déjà créé la direction générale de V Instruction 
Publique. Afin de procéder à l'organisation de l'enseignement 
indigène en s'entourant de toutes les garanties possibles, le gou- 
verneur général a institué un conseil de perfectionnement de rensei- 
gnement indigène, composé des personnalités ayant le plus de corn- 



— H7 — 

pétence et d'expérience en la matière et des comités locaux de 
renseignement dans chacun des cinq pays de l'Union. Il a été 
ouvert un concours public pour la rédaction de manuels d'ensei- 
gnement destinés aux écoles indigènes. Une médaille de l'Instruction 
publique a été créée en vue de récompenser les instituteurs indigènes 
des écoles publiques. 

L'enseignement indigène a été divisé en trois degrés, chacun 
d'eux comprenant une section chinoise et une section annamite : 

Celui du 1 er degré (section chinoise) comprend l'étude des carac- 
tères chinois usuels et de la morale traditionnelle. Le manuel qui 
servira à cet enseignement sera rédigé dans les mêmes termes que 
des classiques chinois, mais en éliminant les caractères d'un emploi 
rare et en y introduisant des exemples empruntés à l'histoire 
moderne. La section annamite se servira du même manuel rédigé 
en quoc ngu et aura de plus comme livre de lecture un autre 
manuel contenant des notions rudimentaires sur l'Indo-Chine, l'ad- 
ministration, les coutumes et les règles de la politesse, l'arithmé- 
tique, l'explication des phénomènes naturels, l'hygiène, etc. Un 
examen de fin d'études sanctionnera cet enseignement. Celui-ci est 
à la charge des communes qui doivent entretenir un instituteur pour 
60 élèves. 

L'enseignement du 2 e degré est donné dans les écoles des phu et 
des huyên. La section chinoise aura à étudier un manuel en carac- 
tères sur l'histoire de la Chine, un autre sur l'histoire de l'Annam 
et sur l'administration, la législation, le régime fiscal de l'Indo- 
Chine, etc. La section annamite étudie un manuel en quoc ngu sur 
l'histoire et la géographie des cinq parties du monde, de la France 
et de l'Indo-Chine, un autre donnant des notions de calcul, d'arpen- 
tage, de culture, d'hygiène et sur les phénomènes naturels, enfin 
une grammaire élémentaire de la langue annamite. 

Cet enseignement sera sanctionné par un examen de fin d'études 
qui aura la forme d'un concours provincial et et sera passé chaque 
année au chef-lieu de chaque province. 

L'enseignement du 3 e degré est donné dans les écoles officielles 
instituées au chef-lieu de chaque province. La section chinoise étu- 
die : 1° la morale et la littérature classiques ayant pour base l'étude 



— H8 — 

des cinq canons (ngu king) et autres ouvrages classiques de la 
littérature chinoise, 2° l'histoire et l'administration annamite, fondée 
sur l'étude des Annales et Biographies et sur un résumé du règle- 
ment des six ministères. La section annamite étudiera plus spécia- 
lement l'histoire, la géographie et les sciences. Dans l'enseigne- 
ment de l'histoire une place importante sera faite à l'histoire diplo- 
matique et constitutionnelle, et dans celui de la géographie, à la 
géographie économique. L'enseignement scientifique comprendra 
des notions de mathématiques, de physique, de chimie, d'histoire 
naturelle, d'anatomie et de médecine pratique. 

Les meilleurs élèves de ces écoles vont terminer leurs études dans 
les (( écoles complémentaires indigènes ». Celle de Hanoï prépare 
des interprètes et des instituteurs, celle de Nam Dinh prépare des 
agents pour les Travaux publics, le cadastre, les chemins de fer, 
les Postes et Télégraphes, le Commerce, l'Industrie et l'Agricul- 
ture. L'Ecole Professionnelle de Hanoï a été réorganisée et ouverte 
aux élèves européens. 

L'enseignement supérieur n'a pas été oublié dans cette réorgani- 
sation. Il a été iustitué en Indo-Chine sous le nom Y Université 
un ensemble de cours d'enseignement supérieur à l'usage des étu- 
diants originaires de la colonie et des pays voisins. Cette institution 
a pour but de répandre en Extrême-Orient par l'intermédiaire de 
la langue française la connaissance des sciences et des méthodes 
européennes et de former des agents indigènes pour les diverses 
administrations de la colonie. Elle comprend cinq écoles supérieures 
ayant leur siège à Saigon ou à Hanoï, quelques-unes dans ces 
deux villes à la fois. On y étudie respectivement : 1° le Droit et 
l'Administration, 2° les Sciences, 3° la Médecine, 4° le Génie Civil, 
5° les Lettres. 

Une école à laquelle a été donné le nom du sympathique explo- 
rateur Pavie a été fondée à Hanoï en 1905 pour l'instruction des 
fils de mandarins chinois. Ses élèves, après deux années passées 
à notre contact, seront à leur retour chez eux les meilleurs propa^ 
gatturs de notre influence et de nos idées, 

Nous citerons enfin comme étant destinée à faire le plus grand 
honneur à l'œuvre française en Extrême-Orient, Y Ecole Française 



— 119 — 

d' Extrême-Orient fondée par M. Doumer et placée tout d'abord 
sous l'habile direction de M. Finot. Cette institution, malgré la 
date récente de sa création, a déjà au par les intéressants travaux 
de ses savants membres, attirer sur elle de hauts témoignages 
d'approbation. L'inventaire des monuments du Cambodge et des 
monuments Chanis et les travaux de linguistique chinoise et thibé- 
taîne notamment, sont des travaux qui se recommandent à l'atten- 
tion parce qu'ils concourront à pénétrer le problème si intéressant 
et si difficile de l'origine et des migrations des races asiatiques. 

§2 

Œuvres philanthropiques fondées en Indo-Chine. — Œuvres 
sanitaires. — Vaccine. — - Ecole de médecine indigène. — 
Maternités et écoles de sages-fer. 



C'est surtout en Cochinchine que les œuvres philantropiques ont 
pris depuis quelques années une extension vraiment considérable 
et c'est en grande partie à l'assistance privée que l'on doit les insti- 
tutions de bienfaisance qui viennent soulager les misères physiques 
de la population indigène. L'administration n'a d'ailleurs pas failli 
à sa tâche de direction, d'encouragement et de secours pécuniaire. 
A Cholen, M. Drouhet, l'administrateur-maire a pris l'initiative de 
provoquer chez les Chinois et les Annamites de la ville un courant 
d'idées charitables et il a pu fonder en 1899, grâce aux cotisations 
de l'assistance privée une Association Maternelle doublée d'une 
École de Sages-femmes et de Médecins Accoucheurs Indigènes. Cette 
institution fonctionne, depuis lors, sous l'impulsion d'un conseil 
directeur. Celui-ci délivre des diplômes aux élèves sortant de l'école et 
fait circuler des brochures, qui répandent dans la population quelques 
notions d'hygiène pratique. Le nombre des entrées à l'association 
Maternelle de Cholen est passé de 431 en 1904 a 610 en 1905 et à 
890 en 1906. Pendant ces trois mêmes années le nombre des enfants 
nés viables, a été de 335, 526 et 796. La mortalité dans l'établis- 
sement a diminué de 2,08 %, à 1,14 et à 0,75. Mais l'heureuse 
influence des nouvelles méthodes d'accouchement s'est aussi 
répandue au dehors, et dans la ville de Cholen on a pu constater 



— 120 — 

que le pourcentage de la mortalité infantile a fléchi de 1898 à 1906 
de 68 °/ à 32 °/ , c'est-à-dire de plus de moitié. Enfin ces superbes 
résultats ne sont pas les seuls qu'ait produit cette œuvre philanthro- 
pique. Tous les ans, des sages-femmes sortent de l'école et retour- 
nent dans leur province propager les méthodes européennes et com- 
battre les ineptes pratiques des anciennes Ba mu. 13 élèves sont 
sorties munies du diplôme en 1905, 17 en 1906, 27 autres suivent 
les cours cette année. 

Cet exemple a été suivi dans d'autres centres, et notamment à 
Bên tré où une maternité a également été créée. Des cliniques gra- 
tuites ont été ouvertes aux indigènes à Vinh Long, Go Cong, Châu 
Dôc, etc. Les lépreux, qui auparavent se répandaient dans les 
marchés pour y vivre de la charité publique, sont maintenant ras- 
semblés dans une léproserie qui a été fondée dans une île du 
Mékong. Un asile de vieillards a été créé à Cholen ainsi qu'une 
école pour les jeunes aveugles. A Châu Dôc une société s'est for- 
mée pour subvenir à l'entretien d'un hôpital indigène, concurremment 
javec les subventions des communes. 

L'administration supérieure n'est pas restée étrangère à la créa- 
tion de ces institutions de bienfaisance, auxquelles elle a accordé 
des encouragements et des subventions. Elle a créé l'Institut Anti- 
rabique de Saigon. Elle a de plus fondé en 1905 une Ecole Pratique 
de Médecine Indigène destinée à former des infirmiers vaccinateurs 
et des accoucheuses indigènes, les premiers à l'hôpital de Cho Quan 
et les secondes à la Maternité de Cholen. Les élèves de cette école' 
y font trois stages de six mois pendant trois ans, puis vont se 
mettre à la disposition des administrateurs sous la direction du 
médecin attaché au chef-lieu de la province, s'il en existe un. Les 
infirmiers apprennent à vacciner, à donner les premiers soins aux 
malades et aux blessés et des conseils d'hygiène aux habitants. 
Les sages-femmes ou Ba mu, apprennent à pratiquer un accouche- 
ment selon les méthodes françaises et à donner les soins néces- 
saires à la mère. Le jour où la colonie sera dotée d'un nombre de 
ces matrones diplômées, suffisant pour en établir une dans chaque 
gros village, le nombre des enfants viables sera doublé et les , 
terres en réserve auront des bras pour les cultiver, et la Cochin- 
chine sera de plus en plus le grenier de l'Extrême-Orient. 



— 121 — 

Au Tonkin un petit nombre de provinces ont créé des postes 
de médecins de colonisation dirigeant un hôpital indigène et don- 
nant gratuitement leurs soins à la population. Si les œuvres de 
bienfaisance n'ont pris dans aucune autre partie de l'Indo-Chine la 
même extension qu'en Cochinchine, l'administration a créé cepen- 
dant au Tonkin des iBuvres utiles telles que le Service Vaccinogène* 
et Bactériologique de Thaï Ha et de nombreux lazarets. 

Le Gouverne tu eut Général a d'ailleurs pris certaines mesures qui 
sont appelées à donner des résultats utiles. La création de VÊfioU de 
Médecine Indigène de Hanoï a été le premier pas fait dans cette 
voie. Cette institution a pour but de former un corps de médecins 
indigènes capables d'assurer le service de santé dans toute l'Indo- 
Chine avec les médecins français. Ce ne sont plus de simples infir- 
miers qui ne peuvent que prêter leur concours au médecin européen, 
comme les élèves de l'école pratique de Saigon, mais bien des 
médecins exerçant eux-mêmes quoique sous le haut contrôle de 
praticiens français. De plus l'administration supérieure prévoit la 
création d'une 'centaine de postes de médecins de colonisation et se 
propose de faire appel au concours de jeunes médecins de la métro- 
pole. 

Ces sages mesures nous font entrevoir dans un avenir prochain 
l'organisation rationnelle d'un Service Médical de Colonisation dont 
les bases pourraient être les suivantes : au chef-lieu de chaque pro- 
vince un médecin chef de l'hôpital indigène et du service médical 
de colonisation de la province ; dans chaque arrondissement phu 
ou huyên un médecin indigène diplômé de l'école de Hanoï ayant 
sous sa direction des infïrmiers-vaccinateurs et des accoucheuses 
indigènes. 

Œuvres de propagation de l'influence française en Extrême-Orient. 

Hôpitaux. Bureaux de postes et télégraphes, — 
Services maritimes subventionnés. 

Mais il ne suffit pas de faire aimer la France à l'intérieur de nos 

1. L'insLitut vaecinogène a disLribuu pour lus d«us drnui-ius années plus d'un mil- 
lion de doses de vaccin aux i médecins vaccin a leurs qui parcourent constamment le 
Tonkin et l'Anna m. 



— 122 — 

Possessions et Protectorats, il faut encore étendre son influence au 
dehors, au milieu des populations avoisinantes. Cette politique a 
été celle de MM. Doumer et Beau. Tous deux ont pensé que l'ar- 
gent dépensé en Chine ou au Siam, soit pour aider nos légations 
et consulats k accomplir leur mission d'une façon plus fructueuse, 
soit pour créer, soutenir et entretenir des institutions de bienfai- 
sance ou d'utilité publique telles que hôpitaux, écoles, bureaux de 
postes et télégraphes, lignes maritimes ou chemins de fer, n'était 
pas de l'argent perdu. 

Il existe maintenant des écoles françaises subventionnées par le 
budget général et quelquefois même entretenues par lui à Canton 
et Pac Hoi sur la cote du Quang Tông, à Hoi Kow dans l'île de 
liai Nam, à Long ChAu et Ou Châu au Quang Si, à Yunnam Senet 
Mong tsé au Yunnam et k Bangkok au Siam. 

Des hôpitaux indigènes pourvus de médecins français ont été 
fondés k Canton, Yunnam Sen, Mongtsé, Tchong King (au fond du 
Setchouen) et Bang Kok. D'autres postes médicaux existent à 
Sse Mao au Yunnam, Long Châu au Quang Si, Hoi Kow, Pac Hoi 
«iu Quang Tông, Bang kok et Oubone au Siam. 

Des bureaux de postes et télégraphes s'échelonnent le long des 
côtes de la mer de Chine et dans le fond des provinces les plus 
reculées. On en trouve k Tientsin, Shanghai, Canton, Hoi Kow, 
Pac Hoi, Tchong King, Yunnam Sen et Montze. 

De nombreuses subventions du budget général de lTndo-Chine 
facilitent les communications maritimes avec les pays environnants : 
un service postal existe entre Haiphong et Hong Kong avec escales 
à Pac Hoi, Hoi Kow et Quang Tcheou Wan, un autre de Hong Kong 
k Canton et k Ou Tcheou Fou, au-delk de la limite du Quang Si, 
un autre de Shang Hai k Han Kéou et Itchang en remontant le 
Yantsé, un autre de Bang Kok k Singapour, un autre de Saigon k 
Poulo Condore et Singapour. 

Enfin, le service postal des Messageries Maritimes entre Saigon 
et Haiphong est devenu hebdomadaire grâce au doublement par 
l'Indo-Chine de la subvention primitive. 



CHAPITRE V 

DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 
DE L'INDOCHINE 



Travaux publics. — Construction des routes, canaux 

et chemins de fer. 



Les travaux d'utilité publique les plus importants sont la cons- 
truction ou l'ouverture des voies de communication, routes, voies 
navigables ou chemins de fer. 

A. — Routes. — En Cochiiichine, les routes n'ont qu'une impor- 
tance secondaire puisque la population dispose pour ses transports 
et sa circulation des nombreux cours d'eau qu sillonnent en tous 
sens le delta du Mékong et que l'on a pu appeler des « routes qui 
marchent ». Ils présentent en effet cette heureuse particularité, due 
à ce que la marée se fait sentir jusqu'à Pnom Penh même, de cou- 
ler soit dans un sens, soit dans l'autre, suivant que les eaux 
montent ou descendent. Aussi l'Annamite, qui n'aime pas l'effort 
inutile, préfère-t-il se laisser aller au fil de l'eau, que de s'imposer 
les fatigues d'un voyage par terre. Il n'existe de réseau routier 
qu'aux environs de Saigon et des centres administratifs et dans les 
provinces orientales de la Gochinchine, où les rivières ne sont pas 
soumises au même régime, et dont le relief du sol est plus accen- 
tué. On peut citer notamment la belle route de Saigon à Tây Ninh 
et à la frontière du Cambodge et la route mandarine qui se dirige 
tout d'abord de Saigon vers Baria. 

Elle se prolonge tout le long de la côte d' Annam jusqu'au Ton- 
kin, empruntant quelquefois le rivage même de la mer. Assez mal 



— 124 — 

entretenue dans certaines contrées, elle a dû être solidement 
reconstruite dans les régions les plus habitées de son parcours. Sur 
cette grande artère viennent s'embrancher des routes de pénétra- 
tion vers le Laos, qui permettent à notre administration d'entrer en 
relations avec les peuplades sauvages de la chaîne annamitique. Il 
faut citer parmi elles la route de Phan Ranh au plateau du Lang 
Biang qui a été désigné comme devant être plus tard le sanatorium 
de la Cochinchine, la route de Hué à Savannaket par Quang tri, la 
route de Vinh à Xiên Khoanh sur le plateau du Tran Ninh, où l'on 
projette de créer le futur sanatorium du Nord. 

Au Tonkin, des routes en terre battue, munies de ponts en 
maçonnerie ou en bois existaient déjà avant l'occupation française. 
Les rivières du delta étaient toutes bordées sur leurs deux rives de 
digues d'un haut relief destinées à la fois à empêcher les inonda- 
tions et à permettre la circulation. Des routes mandarines reliaient 
les grands centres. Celle de Saigon venait aboutir à Hanoï et repar- 
tait de là vers Lang Son et Gao Bang. Dès l'année 1886, l'autorité 
française se préoccupa d'entretenir les voies existantes et d'en ouvrir 
de nouvelles. En 1892, M. de Lanessan exigea encore un gros 
effort de la population dans le même sens. Depuis lors, le réseau 
routier n'a pas cessé de s'améliorer de jour en jour. Une route car- 
rosable a été ouverte de Hanoï à Gao Bang par Thai Nguyen et 
Bac Kan, une autre de Viétri à Tuyen Quang, une autre de Lang 
Son à Cao Bang. Celle-ci, d'après un plan d'ensemble élaboré par 
l'État-Major des troupes de l'Indo-Chine, doit être prolongée tout 
le long de la frontière sino-annamite. Enfin, une route reliera 
Hanoï à Cho Bo sur la Rivière Noire et suivra le cours de cette 
rivière. 

Au Laos, les routes sont fort peu nombreuses. Encore celles qui 
existent sont-elles de construction toute récente et fort mal entre- 
tenues : celle de Vinh à Xiên Khoanh entreprise en 1903 et 1904 a 
été abandonnée avant son achèvement et tend à devenir imprati- 
cable, faute d'entretien de la partie exécutée. Celle de Savanaket à 
Hué par Quang Tri est désormais carrossable sur toute la partie 
laotienne, mais n'a pas été continuée à partir de la frontière de 
F Anna m. Une troisième voie de communication est en ce moment 



— 123 — 

à l'étude. Elle a été indiquée par la mission du capitaine Billes 
comme pouvant être un tracé de chemin de fer dont le coût serait 
de 30 millions. Elle suit le cours du Ngan San et du Song Giang 
en Annam et celui de la Se Bang Fai au Laos et aboutit sur le 
Mékong en face de La Khon. Elle traverse la chaîne annamitique 
au col de Meu Gia dont l'altitude est de 435 mètres. On étudie en 
ce moment une rectification qui ferait passer le tracé par le Gui 
Hop. Pour le moment ces deux tracés ne sont suivis que par des 
pistes de contrebandiers. 

Enfin, le chemin de Vinh à Pak Hin Boun par Ha Trai, dont les 
pentes sont trop raides, qui manque de ponts et a été défoncé par 
les éléphants de la Société de Transports Laotienne aurait grand 
besoin d'être rectifié et réparé. 

A l'intérieur du Laos, de Pac Hin Boun à Vien Tiane il n'existe 
que le mauvais sentier de la ligne télégraphique, très souvent 
obstrué. 

Les communications terrestres entre Vien Tiane, Xiêng Khouang 
et Luang Prabang sont inabordables, pendant cinq mois de l'an- 
née. 

On voit par cet exposé que la situation des voies de communica- 
tions au Laos aurait grand besoin d'être améliorée, tout au moins 
par la réfection des routes déjà ouvertes et l'achèvement de celles 
qui ont été entreprises. 

Il faut signaler enfin que, tant au Tonkin qu'en Cochinchine, les 
voies terrestres commencent depuis quelques années à être utili- 
sées par des lignes de tramways. Des sociétés particulières cons- 
truisent même des chemins de fer régionaux comme celui de Nam 
Dinh à Haïphong. 

B. — Voies navigables. — L'ouverture des voies navigables est 
une question vitale pour la Cochinchine. Avant notre occupation 
des canaux existaient déjà qui facilitaient les transactions, tels que 
le grand canal du Vinh Tê qui relie le Mékong au golfe dé Siam 
de Ghâu doc à Hâ Tien, le canal de Rach Gia, le canal de Gho Gao, 
etc. Malheureusement pendant une certaine période de notre domi- 
nation, leur entretien a été négligé à tel point que la navigation y 



— 126 — 

devenait difficile. C'est en 1898 que des entreprises de dragage ont 
été faites pour approfondir les voies d'eau existantes et en creuser 
de nouvelles. Cette œuvre utile s'est continuée depuis, pour le plus 
grand bien de la colonie. Des canaux agricoles sillonnent mainte- 
nant les provinces de Cantho, Rach Gia, Mytho, Tanan, Bac Lieu 
et autres. Les provinces riches telles que Cantho et Châu Dôc n'hé- 
sitent pas à s'imposer des dépenses de dragages qui vont à un mil- 
lion pour une seule d'entre elles. En 1904 les dragages de Cochin- 
chine ont été adjugés pour une période de huit années à la Société 
Française industrielle d' Extrême Orient. Ses premiers travaux ont 
été l'amélioration du Rach Mang Thit, du canal de Tra On et du 
Rach Lap Vo. Viennent ensuite le creusement du canal de déri- 
vation de YArroyo Chinois et l'approfondissement du canal de Cho 
Gao qui réunit Saigon au Mékong. Ces travaux qui vont se pour- 
suivre progressivement sur tout le territoire de notre riche colo- 
nie, sont appelés a donner a son développement économique un 
essor de plus en plus puissant. 

Dans le delta du Tonkin les nombreux bras du Fleuve Rouge 
constituent un réseau de routes fluviales qui est tellement serré 
que le voyageur aperçoit parfois les voiles des jonques annamites 
tout autour de son horizon. La construction des canaux n'est pos- 
sible qu'aux abords immédiats de la mer. Elle sert à dessaler les 
bandes de vase que la mer abandonne sur certains points de la 
côte. Dans l'intérieur, le lit des rivières, bordé de chaque côté par 
de hautes digues depuis des siècles, s'est exhaussé peu à peu en rai- 
son du colmatage et est devenu plut haut que le niveau de la plaine 
environnante. De là l'impossibilité d'ouvrir des canaux dans ces 
régions. D'autre part cette situation est un danger perpétuel pour 
le pays, constamment tenu sous la menace d'une inondation. 
Certains esprits se demandent s'il ne vaudrait pas mieux répandre 
méthodiquement les eaux du Fleuve Rouge dans tout le pays qui 
bénéficierait ainsi du colmatage et en même temps verrait son sol 
enrichi de l'engrais alluvionnaire, que de voir les fleuves s'exhaus- 
ser et devenir de plus en plus menaçants d'année en année. Une 
solution rationnelle se présente, c'est d'établir dans le delta supé- 
rieur des prises d'eau permettant de distribuer les eaux du fleuve 



— 127 — 

daps de grands canaux d'irrigation. Ces dérivations serviraient à 
diminuer le débit du fleuve lorsqu'il serait trop abondant et à 
mettre en réserve de grandes quantités d'eau qui pourraient fertili- 
ser les hautes terres lorsque la saison sèche les prive de toute 
humidité. 

Au Laos, les seules voies de communication fluviale sont le 
Mékong et ses affluents. Malgré les nombreux rapides dont son 
lit est encombré en certains endroits, il présente cependant de 
grandes ressources pour les transports commerciaux. Le cours du 
fleuve se compose d'un certain nombre de biefs, séparés les uns des 
autres par des seuils parsemés de nombreux rapides. Le bief infé- 
rieur va de la mer à Kratié et est navigable en toute saison aux 
bateaux à vapeur de 50 mètres de long, calant un mètre et chargés 
de 100 tonnes. Ces bateaux peuvent même remonter jusqu'à l'île 
de Khône aux hautes eaux. Pendant la saison des eaux moyennes, 
avant et après les crues, les bateaux de 15 à 20 tonnes sont arrêtés 
à Kratié et leur cargaison transbordée en pirogue. Aux basses 
eaux les rapides de Sambor qui s'échelonnent sur 45 kilomètres ne 
peuvent être franchis qu'en pirogue. Cet obstacle pourra se tourner 
par l'établissement d'une ligne ferrée de 28 kilomètres qui ira de 
Thmacred à Sambor. — Le second bief s'étend de Sambor à Khone. 
Une voie ferrée de 5 kilomètres déjà construite permet d'éviter les 
chutes de Khone. Son prolongement dans les deux sens est en voie 
de construction et permettra d'aboutir en toute saison en eau pro- 
fonde. — Le 3 e bief est situé entre Khone et Keng y a Peut et 
mesure 200 kilomètres. 11 aboutit aux rapides de Kemmarat qui 
s'échelonnent sur un parcours de 130 kilomètres. Grâce à des tra- 
vaux de balisage récents il peut être considéré comme praticable aux 
hautes eaux. Il sera nécessaire de recourir à la construction dune 
voie ferrée, car malgré la réussite de quelques voyages heureux 
effectués aux basses eaux, ces entreprises restent toujours pré- 
caires. — Le 4 e bief s'étend de Savannaket à Vien Tiane. 11 a un 
parcours de 515 kilomètres navigable en toute saison. De Vien 
Tiane à Luang Prabang les bateaux à vapeur de faible tonnage et 
de faible tirant d'eau peuvent effectuer le voyage aux hautes eaux. 
Le Lagrandière a pu notamment remonter jusqu'à la frontière de 
Yunnam. 



— 128 — 

On voit donc que sauf un transbordement nécessaire à Khone, le 
Mékong est entièrement navigable aux vapeurs à la saison des hautes 
eaux jusqu'à la frontière du Yunnam, c'est-à-dire sur une longueur 
de 2600 kilomètres. Si Ton veut faire les quelques sacrifices qu'exi- 
gera la construction de tronçons de voies ferrées, dans les inter- 
valles qui séparent les biefs navigables, on aura fait de la vallée du 
Mékong une voie de communication praticable en toute saison et 
on aura détourné vers Saïgon le courant commercial qui s'écoule 
vers Bang Kok par la Mei Nam. 

C. — Voies ferrées. — La troisième espèce de voies de commu- 
nication, celle dont on a nié longtemps l'ulilité en Indo-Chine où 
l'on se contentait des « routes qui marchent », est le chemin de 
fer. C'est à M. Doumer que revient l'honneur d'avoir entrepris le 
grand réseau de lignes ferrées qui mettra l'Indo-Chine en valeur. 
Le 14 septembre 1898 le Conseil supérieur, auquel il avait soumis 
ses projets, émettait l'avis que les lignes à construire dans le plus 
bref délai possible étaient : 

1° Le chemin de fer de Haïphong à Hanoï et à Lao Cai. 

2° La ligne de pénétration en Chine de Lao Cai à Yunnam Sen. 

3° La ligne de Hanoï à Nam Dinh et Vinh. 

4° La ligne de Tourane à Hué et Quang Tri. 

5° La ligne de Saïgon au Khanh Hoa et au plateau de Lang Bian. 

6° La ligne de Mytho à Vinh Long et Can Tho. 

Le 25 septembre de la même année une loi autorisait le Gouver- 
nement Général de l'Indo-Chine à emprunter 200 millions, avec 
garantie de l'Etat Français pour les employer exclusivement à la 
construction de ces lignes, dont le développement total n'atteignait 
pas moins de 1.700 kilomètres. 

Depuis 1906, la première ligne est terminée. Elle active la 
circulation et le commerce le long du Fleuve Rouge et avec le 
Yunnam, en même temps qu'elle facilite la construction de la 
deuxième. La troisième est livrée à la circulation depuis les pre- 
miers mois de 1905. La quatrième n'est terminée que de Tourane à 
Hué. La cinquième est livrée à l'exploitation dans la section Saï- 
gon-Pham Rang, sur un parcours de 132 kilomètres. C'est de 



— 129 — 

Pham Rang (321 kîl. de Saïgon), que partira l'embranchement 
vers le plateau de Lang Biang. Enfin, la sixième, considérée comme 
moins urgente, en est encore à la période d'études. 

Pour la construction de la ligne de Haïphong à Lao Cai et de ce 
dernier point à Yunnam Sen, le gouvernement général a été amené 
a passer avec la Société de construction des chemins de fer du Yun- 
nam un contrat dont les termes essentiels sont les suivants : « La 
concession de toute la ligne de Haïphong à Yunnam Sen est 
octroyée à la société pour une durée de 75 ans. Le gouvernement 
s'est engagé à lui livrer en 1905 la ligne Haïphong-Lao Cai (soit 
385 kilomètres) gratuitement, et elle doit à son tour faire à ses 
frais la ligne Lao Gai- Yunnam Sen (soit 468 kilomètres). Les béné- 
fices que pourra donner l'exploitation des deux tronçons seront 
totalisés et partagés entre le gouvernement et la société. » Celte 
ligne de Lao Cai à Yunnam Sen est en bonne voie d'exécution. 

Les autres lignes sont exploitées par la Société des chemins de fer 
indo-ckinois. 

Si au réseau Doumer qui comprend 1514 kilomètres actuellement 
construits, on ajoute la ligne de Hanoï à Lang Son (160 kilomètres) 
et celle de Saigon a Mytho (70 kilomètres), qui existaient avant son 
arrivée, et enfin la ligne du Yunnam (468 kilomètres), on arrive à 
un total de 2212 kilomètres de lignes ferrées qui serait prochaine- 
ment terminées. Presque toutes ces lignes en exploitation donnent 
des excédents considérables. Il ne reste plus à construire que la 
ligne de 95 kilomètres de Mytho à Cantho et à terminer les tron- 
çons de Hué à Quan Tri et de Saigon à Phan Rang. 

Il restera alors : 1° à souder entre eux les tronçons du trans 
indo-chinois de la Côte en reliant Khanh Hoa avec Tourane au Sud 
et Quang Tri avec Vinh au Nord. La construction de ces deux 
lignes de 300 kilomètres chacune permettra d'aller en chemin de 
fer de Saigon à Hanoï, distantes l'une de l'autre de t600 kilo- 
mètres, 2° à relier Saigon à Pnom Penh et plus tard à Battambang 
par Pursat, 3° à pénétrer au Laos en embranchant sur le trans 
indo-chinois des lignes ferrées à savoir : A. De Qui Non à Attopeu 
pouvant joindre ensuite Bassac ou Strung Trang. B, de Quang Tri 
à Savannaket pour mettre en communication le grand bief de 
Savannaket a Vién Tiane sur le Mékong avec le port de Tourane. 



— 130 — 

C. De Vinh à Xieng Khoang et à Luang Prabang. Cette dernière 
ligne donnerait accès au plateau de Tranninh, qu'elle mettrait en 
communication avec le Tonkin par le chemin de fer de Vinh k 
Hanoï. Le problème du sanatorium où les troupes du Tonkin pour- 
raient au moins en grande partie passer la saison chaude serait dès 
lors résolu. De plus, le jour où cette région fertile et saine serait 
reliée à la côte par une voie ferrée, les colons entreprenants pour- 
raient venir s'y établir sans crainte pour leur santé, et on peut 
entrevoir dans un avenir, assez lointain, il est vrai, le plateau de 
Tran Ninh donnant asile à des stations d'altitude analogues à celle 
de Simla dans les Indes. 

Mais une question de la plus grande importance s'est posée. Ne 
vaudrait-il pas mieux, au lieu de construire les lignes de Qui 
Nhon et de Quan tri au Mékong, entreprendre l'établissement 
d'un autre trans indo-chinois qui traverserait le Laos du Sud au 
Nord. Ce tracé aurait l'avantage de comporter beaucoup moins de 
difficultés d'exécution que les lignes qui traversent la chaîne anna- 
mitique. Au point de vue économique, il résoudrait mieux la ques- 
tion puisqu'il parcourrait la partie la plus populeuse du Laos et 
relierait entre eux les différents biefs navigables de ce fleuve. Enfin, 
au point de vue stratégique, il doublerait le trans indo-chinois de 
la côte pour relier la Cochinchine au Tonkin par Pnom Penh, 
Xieng Khoang et Vinh. Le chemin de fer de la côte peut être bom- 
bardé de la mer en beaucoup de points. La destruction de quelques- 
uns de ses travaux d'art suffira pour le rendre inutilisable pendant 
des semaines et rendre ainsi très précaires nos communications 
entre le Sud et le Nord. Ajoutons de suite qu'il faudra encore de 
nombreuses années avant que l'Indo-Chine ne dispose des res- 
sources nécessaires à la réalisation d'une œuvre, aussi coûteuse, qui, 
pour bien longtemps encore ne peut être envisagée que sous la 
forme d'un rêve séduisant. 

La construction des chemins de fer de Tlndo-Chine qui au début 
a rencontré des détracteurs n'en a plus maintenant. Tout le monde 
peut se rendre compte de visu de l'empressement avec lequel les 
Annamites utilisent les chemins de fer. Les wagons de quatrième 
classe, dans lesquels ils sont parqués avec leurs paniers de légumes, 



— 131 — 

leurs volatiles qui piaillent et leurs cochons qui grognent, sont tou- 
jours littéralement combles. Tous les marchés qui s'échelonnent le 
long de nos lignes ont vu leurs affaires accrues considérablement. 
Pour quelques sous les gens qui ont quelques denrées à vendre 
peuvent se transporter chaque jour à la localité la plus voisine, 
dont c'est le jour de marché. Malgré la modicité du prix du par- 
cours pour les indigènes, les recettes ont dépassé les prévisions au 
delà de toute espérance. C'est dire qu'au point de vue économique 
la réussite est complète. 

La création d'un réseau ferré a aussi ouvert à beaucoup de 
jeunes annamites, connaissant notre langue, des débouchés que l'ad- 
ministration ne peut suffire à leur procurer. Elle leur a donné des 
emplois de chefs de gare, d'employés de bureau, de surveillants, 
de mécaniciens, etc. L'indigène montre dans ces différents emplois 
une réelle aptitude au commandement (gâtée, il est vrai, par une 
certaine morgue), une ponctualité et un sentiment du devoir qu'on 
est étonné de trouver chez celte race d'allure enfantine, une grande 
aptitude à s'assimiler les choses nouvelles, et enfin une adresse très 
réelle a tous les travaux manuels. Dans la construction des tra- 
vaux d'art, si la direction est toujours restée dans des mains euro- 
péennes, le travail manuel a toujours été opéré par des mains anna- 
mites. Ce sont elles qui ont doté l'Indo-Chine d'une quantité de 
ponts, dont quelques-uns sont des ouvrages d'art d'une importance 
considérable. 11 faut citer en première ligne le pont Doumer à 
Hanoï, qui a 1680 mètres de long et dont les vingt culées ou 
piles reposent sur des fondations descendant à trente mètres au- 
dessous du niveau des plus basses eaux, le pont Thanh Thai sur 
la rivière de Hué, et le pont de Binh Loi sur la rivière de Saigon, 
sur lequel passe le trans indo-chinois, ceux de Haïphong, de Lang 
Son, de Hai Duong, de Vietry, de Lao Cai et de Thanh Hoa. 

Outre ces grands travaux concernant les voies de communica- 
tion, le Gouverneur Général s'est préoccupé de l'amélioration de nos 
ports de Haïphong et de Tourane. En ce dernier point, on procède a la 
construction d'un superbe appontement à l'Ilot de l'Observatoire 
et on a mis en adjudication la drague nécessaire pour établir une 
communication entre la rivière de Tourane et cet îlot, près duquel 



— 132 — 

mouillent les grands navires. Une voie ferrée de 60 centimètres de 
large relie depuis le 29 avril 1907 l'Ilot de l'Observatoire et le port 
important de Faïfoo. Des quais du port de Haïphong ne tarderont 
pas à être livrés à l'exploitation . Des travaux d'amélioration des 
voies d'accès de ce port ont été poursuivis de manière à faire du 
Cua Nam Triêu, l'entrée provisoire des navires d'un tirant d'eau 
moyen. D'autre part il a été reconnu que le bras de Lac Huyên est 
celui qui s'envase le moins facilement et qui présente les garanties 
les plus sérieuses au point de vue de la défense côtière. Il faut sou- 
haiter que la drague entame le plus tôt possible la barre de Lac 
Huyên. Les sacrifices pécuniaires qu'entraînera le creusement d'un 
chenal pour les grands navires seront largement compensés par le 
développement économique que prendra le port de Haïphong, le 
seul port du Tonkin, et par les garanties de sécurité données à la 
défense de la colonie. 



§2 

Situation du commerce 
dans les différentes régions de l'Indo-Chine. 

Donnons tout d'abord une idée du commerce général de l'Indo- 
Chine avec l'extérieur et particulièrement avec la Métropole. 

Si l'on prend l'année 1904 comme année typique, la commerce 
extérieur de l'Indo-Chine est représenté 
par 185.013.000 fr. pour l'importation 
et 1S2.796.000 fr. pour l'exportation, 
soit 32.217.000 de différence en faveur de l'importation. 
D'autre part le commerce extérieur entre l'Indo-Chine et la 
Métropole seule donne : 

86.600.000 fr. pour l'importation de France 
40.901.000 fr. pour l'exportation en France. 

Soit 45.609.000 fr. de différence en faveur de l'importation. 

Ces chiffres montrent qu'il n'y a pas équilibre entre les importa- 
tions et les exportations, surtout en ce qui concerne le commerce avec 



— 133 — 

la métropole. L 'Indo-Chine achète beaucoup plus en pays étranger et 
surtout en France qu'elle ne vend. Il s'ensuit que les bateaux qui 
lui apportent ses marchandises d'achat manquent en grande partie 
du fret de retour. Il y a là un grave inconvénient au bon fonction- 
nement des échanges, auquel il importe de remédier en favorisant 
en France l'achat de certains produits de la colonie. On peut espé- 
rer que l'exposition de Marseille en mettant sous les yeux du 
public commerçant un échantillonnage complet des productions 
annamites, aura eu l'heureux effet de combler l'écart signalé plus 
haut. 

Si nous voulons maintenant donner une idée de l'essor prodi- 
gieux qu'a pris notre commerce entre la Métropole et la colonie 
dans les 15 dernières années, il nous suffira de mettre sous les 
yeux du lecteur les moyennes des importations d'une part, et des 
exportations d'autre part pour des séries de 4 années successives. 

Importations françaises Exportations 

Année de moyenne de 1893 à 1896 24.494.000 11.452.000 
_ _ _ 1897 à 1900 52.358.000 25.148.000 

_ _ _ 1901 à 1904 98.046.000 35.035.000 

De tous les produits indo-chinois, le plus important est incontes- 
tablement le riz, qui est pour l'Annamite ce que le pain est pour le 
Français. On trouve des rizières sur toute la surface du pays, mais 
surtout dans les immenses plaines du delta du Mékong et du Don- 
nai en Cochinchine, dans les belles plaines du delta du Fleuve 
Rouge et du Thai binh au Tonkin et dans quelques deltas de 
moindre importance que forment les rivières de la côte d'Annam 
On peut évaluer les superficies cultivées en rizières en Cochin 
chine et au Tonkin à un million et demi d'hectares pour la pre- 
mière et à un million d'hectares pour le second. Mais tandis 
qu'au Tonkin la presque totalité des terrains disponibles a déjà 
été employée à la culture intensive de la précieuse céréale, tandis 
qu'au Tonkin les habitants du Delta pullulent dans certaines pro- 
vinces jusqu'à dépasser 350 âmes par kilomètre carré, ne laissant 
par suite qu'une faible partie de la récolte disponible pour l'expor- 
tation, au contraire en Cochinchine il reste encore à mettre en 



— 134 — 

valeur d'immenses déserts marécageux ou Plaines des Joncs que les 
Annamites viendront peu à peu habiter et cultiver et qui double- 
ront au moins la production du pays. La Gochinchine est après la 
Birmanie le pays qui exporte le plus de riz du monde entier, 
800.000 tonnes dans les bonnes années. 

En 190i, l'Indo-Chine a exporté 965.100 tonnes de riz, dont : 

870.800 tonnes provenant de Cochinchine, du Cambodge et de 
Battambang , 

92.700 provenant du Tonkin, 
2.100 provenant de l'Annam. 

Ce stock a été expédié : 

En France pour 224.000 tonnes 

Pays d'Europe 34.000 — 

Colonies françaises 19.000 — 

Hong Kong 345.000 — 

Chine et Japon 76.000 — 

Autres pays d'Asie 84.000 — 

On voit par ces chiffres que c'est en Extrême-Orient que nous 
trouvons nos meilleurs clients. La Chine, le Japon, les Philippines 
pour quelque temps encore, les Indes Néerlandaises nous offrent 
des débouchés très sûrs. En Europe, le chiffre très respectable de 
nos exportations n'a pas beaucoup de chances d'augmenter, car on 
donnera toujours la préférence aux beaux spécimens de riz que 
produisent l'Italie, Java, le Japon et la Birmanie. 

Les marchés importants de l'intérieur de la Cochinchine sont les 
ports de Mytho, Rach Gia et Camâu, mais c'est à Cholen que tout 
le paddy qui n'est pas consommé dans la colonie vient se concentrer 
pour être livré aux nombreuses rizeries échelonnées le long des 
rivières avoisinantes. Saigon et Cholen, distants de quatre kilomètres 
l'un de l'autre sont les deux gros centres commerciaux de la 
Cochinchine, 

Rach Gia, placé sur la côte du golfe de Siam et relié au Mékong 
par un beau canal, s'est développé beaucoup dans ces dernières 
années comme centre rizicole. Ha Tien, situé plus au nord et pourvu 
d'un port sûr et d'accès facile, s'est vu déserté par les affaires par 



— 135 — 

suite de l'ensablement progressif du canal de Vinh Tê qui le relie 
■ Chau Dôc. Sa prospérité reviendra après le passage de la drague. 

A part le commerce des bois de construction qui viennent de 
Chaudôc, Mytho et Sadee et du bois à brûler que le chemin de fer 
de Bien Hoa amène des provinces orientales, les transactions sont 
généralement réduites dans les provinces au troc des objets néces- 
saires mt besoins de la population indigène. 

Les exportations de Cochinchine consistent en riz, poissons salés, 
coton, poivre, cardamone, gomme-gutte, indigo, cornes, peaux, soie, 
coprah, etc. Les importations consistent en farines, vins et liqueurs, 
tissus, huiles, savons, ouvrages en fer, machines, quincaillerie, 
articles de Paris. 

En Annam, au commerce de riz et au troc que nous venons de 
signaler, vient s'ajouter celui du poisson salé. Signalons dans cet 
ordre d'idées l'installation à Cam Ranh de la société de Barthélémy 
et de Pourtalès qui y a installé des usines pour la préparation des 
salaisons et des saumures, ainsi qu'un dépôt de charbon pour 
l'approvisionnement de la navigation côtière. 

Les Annamites font du commerce avec les Moi de la chaîne anna- 
mitique. 11 faut souhaiter que leurs relations s'accentuent de plus 
en plus, afin que ces sauvages, rétifs à toute civilisation, finissent par 
être absorbés par la race annamite. L'administration doit encourager 
cette pénétration pacifique, dont le résultat plus ou moins lointain 
sera de remplacer une population improductive par une race métisse, 
apte à faciliter nos communications avec la côte d'Annam et le 
Laos. 

Les exportations comprennent la soie grège et filée, les tissus et 
déchets de soie, le coton égrené, la canelle, la cardamone, les bois 
précieux, etc.. Les importations consistent en produits de consom- 
mation, en ouvrages de fer et articles de luxe. 

Au Tonkin la production du riz arrive à peine à nourrir sa popu- 
ation dont la densité à certains points du delta dépasse celle des 
régions les plus peupléee de l'Europe. L'exportation de cette denrée 
est donc sans grande importante. Elle se fait par le port de Haïphong 
et tout le long de la frontière de Chine. Le troc des denrées de 
consommation indigène est très actif et se fait dans des multitudes 



— 136 — 

de marchés, qui se tiennent tous les cinq jours sur toute l'étendue 
du Delta et de la Haute région. L'ouverture des voies ferrées a 
donné à ce petit commerce un nouvel essor et les trains sont pris 
d'assaut tous les jours par des foules d'hommes et de femmes allant 
écouler leurs produits. Les trois grandes villes commerciales du 
Tonkin sont : Hanoi, Nam Dinh et Haïphong. Outre les maisons 
européennes qui ouvrent leurs importants comptoirs dans ces trois 
places, les deux premières ont, à côté de la ville française, une grande 
cité annamite et chinoise où s'ouvrent des marchés grouillants de 
monde et des multitudes de rues bordées de boutiques de toute 
espèce. Leurs noms indiquent la profession exercée par leurs habi- 
tants et on lit sur les plaques indicatrices : rue du Cuivre, rue des 
Bambous, rue de la Poterie, rue des Cercueils, rue du Coton, rue de 
la Soie, etc. Rien de plus commode pour l'étranger qui a des achats 
à faire. Veut-il se procurer de la soie? et, sans connaître la ville, il 
se fera conduire par son pousse-pousse dans la rue de la Soie, où 
allant de boutique en boutique, il finira par trouver l'objet qui lui 
convient. 

Les principales productions du Tonkin sont le riz, dont on fait 
deux récoltes par an, l'une en mai, l'autre en novembre, la soie dont 
l'industrie est très répandue chez les indigènes et qui constitue un 
important produit d'exportation, le coton, la canne à sucre, le café, le 
thé etc.. Les forêts abondent en essences précieuses mais difficile- 
ment exploitables. Le sous-sol est appelé à un bel avenir et on trouve 
notamment sur la côte un bassin houiller dont la superficie mesure 
près de 1000 kilomètres carrés. 

Au Cambodge, le commerce de riz et le troc habituel s'augmentent 
des transactions provenant des pêcheries du Grand Lac. De grandes 
quantités de poisson salé et de saumure sont vendues en Cochin- 
chine par les pêcheurs du Cambodge. Les principales productions 
du pays sont : abaca ou chanvre de Manille, bétel, bois, cacao, 
caféier, cannelle, cardamone, coton, indigo, maïs, mûrier, nénuphar, 
ortie de Chine, poivre, sucre de palme et tabac. 

Au Laos, les habitants ne font de commerce qu'avec le Laos 
Siamois et Bang Kok. Les courants commerciaux au Nord passent 
par Paklay, Outaradit et la Mei Nam, au centre et au Sud par Oubone 



— 138 — 

à Soctrang et une briquetterie mécanique installée à Vinh Long par 
des Européens n'ont pas prospéré. Les scieries de long qui existent 
dans les différents centres sont très florissantes. On trouve aussi 
dans les provinces de petites industries locales telles que la fabri- 
cation des nattes à Châu Doc, des engins de pêche à Rach Gia et des 
paniers à Thu Dau Mot et Bien Hoa. Le nuoc marn de l'île de Phu 
Quoc et de Baria sont renommés chez les Annamites. La fabrication 
de cette sauce de poisson, du poisson sec et salé et de la saumure 
constituent Tunique occupation de la population maritime de Hâ 
Tien et Baria. On trouve dans diverses provinces des carrières de 
pierre de Bien Hoa, de granit et de sable qui prospèrent. Enfin l'in- 
dustrie séricicole est assez florissante à Cu Lao Giêng (île du Mékong 
située dans la province de Long Xuyên) entre les mains des sœurs de 
Portrieux,et dans trois villages de la province de Châu Doc. 

En Annam, on trouve à Tourane la « Société des Docks et Houil- 
lères » qui exploite la mine de charbon de Nang Son et a établi des 
docks à Tîlot de l'Observatoire. Ses affaires sont assez florissantes pour 
lui permettre de relier ses différents établissements au port de Fai Fo 
par une ligne à voie étroite. On peut citer encore une usine installée 
à Phu Phong, dans la province de Binh Dinh, pour la filature et le 
tissage de la soie, une scierie mécanique installée à Bên Thuy, et 
enfin une exploitation fondée à Bông Miêu sous la raison sociale de 
« Société des Mines d'Or de Bông Miêu », enfin une usine établie 
dans les environs de Hué pour la fabrication de la chaux hydrau- 
lique et du ciment. 

Au Tonkin, on voit prospérer dans les villes industrielles telles 
que Hanoi, Nam Dinh ou Hai Duong, des distilleries, une verrerie, 
des filatures, des scieries, des fabriques de céramique, etc.. 

D'autre part, l'industrie minière est en train de prendre un grand 
essort au Tonkin : la production des houillères de Quang Yen et de 
Dông Triêu, de Ha Tou, exploitée par la société française des char- 
bonnages du Tonkin, et de Hon Gay, donnent de jour en jour un 
rendement plus considérable. 

Les recherches des prospecteurs se portent en foule depuis 1903 
vers les métaux précieux tels que l'or, l'argent, létain et le wolfram, et 
les anciennes mines chinoises sont soumises à de nouvelles études. 



— 139 — 

Des demandes de recherches en périmètre réservé ont été faites dans 
les provinces de Bac Kan, de Hanoi, de Hai Duong, de Hung Yen 
et de Hoa Binh, mais c'est surtout le cercle de Gao Bang qui a 
attiré les investigations des sociétés minières. 

Cette région, comme beaucoup de contrées de la zone monta- 
gneuse du Tonkin, est constituée de formations calcaires et schis- 
teuses, avec d'assez nombreux pointements de porphyre, mais ce qui 
la distingue des autres, au point de vue de la richesse minière de son 
sous-sol, c'est l'existence du massif du Phia Ouac, situé à 50 kilo- 
mètres à l'ouest de Cao Bang et dont la composition géologique, 
riche en granulite, annonce l'existence de minerais d'or, d'argent, 
d'étain et de fer. Actuellement tout le massif est couvert de con- 
cessions et de périmètres de recherches dont le centre est marqué 
par un poteau indicateur. Leur nombre est si grand qu'un plaisant 
a pu dire « que le pays se reboisait avec des poteaux centres de 
périmètres ». La mine de Tinh Toc (pierre-tombée), ancienne mine 
chinoise, est exploitée par un français depuis 1899. Son rendement 
en étain, au moment où il n'était obtenu que par des moyens rudi- 
mentaires, c'est-à-dire jusqu'en 1905, atteignait deux tonnes de 
minerai par mois. — La mine de Beau Site, que les indigènes 
appellent Bo Sich [mine-étain], est entrée dans la période d'exploi- 
tation en 1903. L'étain s'y trouve mélangé au wolfram. Cette exploi- 
tation qui appartient à la « Société des Mines du Haut-Tonkin », 
donnait en 1905 de deux à quatre tonnes de minerai complexe par 
mois. — La mine de Ganymède qui donne les mêmes produits a été 
ouverte en juin 1905. — La mine Marie, au village de Binh Duong 
près de l'ancien poste de Tong Tinh, appartient au « Syndicat Fran- 
çais Indo-chinois ». Elle donne plus de wolfram que les précédentes, 
mais manque un peu d'eau pour ses lavages. — Toutes ces conces- 
sions sont entre les mains de sociétés qui se sont décidées à faire 
des sacrifices pour amener l'eau dans leurs mines et y monter les 
machines perfectionnées qui ont manqué jusqu'en 1905. 

Outre les petites quantités d'or en paillettes qui se trouve mélangé 
à l'étain dans les mines dont nous venons de parler, ce minerai 
existe dans la vallée du Song Hiên en assez grande proportion pour 
être l'objet de recherches spéciales. Citons la mine de Tinh Da entre 



— 140 — 

la source du Song Hiên méridional et l'ancien poste de Pac Boc et 
celle de Phu Noi, en aval de ce dernier point. De plus les autorités 
indigènes signalent deux mines d'or dans la délégation de Dong Khê, 
l'une dans la comrtiune de GiangNgô, llautre sur la route même de 
Dong Khê et au Sud de ce poste. Dans les environs immédiats de Cao 
Bang on trouve plusieurs gisements de lignite qui seraient d'ailleurs 
inutilisables pour le traitement des minerais et sont par suite sans 
avenir. 

Enfin, il a existé jusqu'en 1888, près de l'ancien poste de Mo Sat 
[mine-fer] une mine de fer exploitée par le chinois Liou Tan Tou, 
un chef pirate qui exerçait un commandement très important dans 
la région. Aucune exploitation régulière n'a pu être reprise depuis, 
la région étant désormais déboisée et la lignite de Cao Bang étant 
trop sulfureuse pour traiter le minerai. 

En somme la région située à l'ouest et au sud-ouest de Cao-Bang 
est sans contredit la plus intéressante de tout le Tonkin au point de 
vue minier. Si l'on en juge par le nombre considérable d'ingénieurs 
et de colons qui sont venus la visiter depuis Tannée 1903 et par les 
sociétés qui se sont formées pour mettre en exploitation quelques- 
unes des concessions accordées, il est permis d'espérer que dans 
quelques années le développement économique de la région de Cao 
Bang aura amené la construction d'une voie ferrée pour la relier au 
Delta. 

§ 4 

Développement de l'Agriculture 
dans les cinq grandes régions de l'Indo- Chine. 

La Cochinchine, ce « grenier de l'Extrême-Orient », ainsi qu'on 
l'a souvent appelée, laisse cependant en friche de vastes territoires, 
d'immenses plaines marécageuses dont les animaux féroces sont les 
seuls habitants. C'est la Plaine des Joncs qui s'étend au nord de la 
province de Mytho, ce sont les plaines inondées et incultes que l'on 
rencontre dans les provinces de Cantho, de Bac Lieu, de Tanan, de 
Vinh Long, de Rach Gia. Partout l'appropriation à la culture des 



— m — 

terres en friche se poursuit. Partout on creuse des canaux agricoles 
pour assécher le sol, et la population annamite, toujours si vivace, 
s'accroit à mesure pour aller peupler toutes ces plaines plantées de 
joncs et les transformer à la sueur de son front en belles et plantu- 
reuses rizières. Mais malgré cette extension de la population et de 
la culture, il reste et restera encore longtemps des terres incultes où 
les générations futures pourront déployer leur activité. On peut 
supputer que la population de la Gochinchine est appelée à être 
doublée dans cinquante ans et à produire un rendement en riz double 
du stock actuel. 

Chose curieuse, beaucoup de colons des provinces de l'ouest ont 
abandonné les cultures riches, telles que celle du café, pour s'adon- 
ner à celle moins aléatoire du riz. La seule province de Gantho 
compte une quarantaine d'agriculteurs français sérieux et travail- 
leurs. A Thu Dau Mot on cultive la canne à sucre, le tabac et les 
arachides avec succès. A Trang Bang (province de Tay Ninh) on 
est revenu au tabac que les vexations douanières avaient fait aban- 
donner. Enfin, les poivrières Hong Chong, près de Ha Tien, donnent 
des produits qui font prime sur les marchés de France, par suite de 
la demi-détaxe des droits de douane. 

En Annam les colons français mettent en valeur 50.000 hectares de 
concessions. Il faut signaler au Khanh Hoa la plantation d'un 
Annamite naturalisé Français qui fait travailler pour son compte 
un grand nombre de familles Moï. Cet exemple mérite d'être encou- 
ragé, parce qu'il tend à l'absorption des sauvages de la chaîne anna- 
mitique. Comme au Tonkin, au Cambodge et au Laos, l'élevage 
des bêtes à corne serait une des exploitations les plus fructueuses 
s'il n'était pas constamment menacé par des épizooties dévastatrices. 
La peste bovine, que l'administration décore souvent du nom de 
septicémie hémorragique, fait des apparitions fréquentes dans toute 
l'Indo-Chine. Il est grand temps que les vétérinaires indigènes 
sortent de nos écoles et aillent propager dans les campagnes des 
méthodes qui peuvent permettre de mettre le bétail en partie à 
l'abri du fléau. Les thés de l'Annam ont acquis depuis quelques 
années une certaine notoriété et donnent lieu à des transactions 
prospères. 



— 142 - 

Au Tonkin, depuis plusieurs années, l'attention des administra- 
teurs s'est portée avec juste raison vers les travaux d'hydraulique 
agricole qui sont si appréciés du peuple annamite. Daus toutes les 
provinces, des crédits ont été affectés à ces travaux, auxquels la popu- 
lation a concouru avec empressement en fournissant des coolies 
gratuits. Des canaux ont asséché des arrondissements entiers dans 
les régions de l'intérieur, tandis que d'autres, creusés dans les ter- 
rains bas qui avoisinent les rivages de la mer, servaient à les des- 
saler, d'autres encore ont pour but de colmater des lagunes et des 
marécages. 

Notons aussi que l'ouverture des voies ferrées à la circulation des 
indigènes va permettre à la population trop dense du delta de peu- 
pler les régions du moyen Tonkin où elle est très clairsemée. 
Malgré la répugnance des Annamites pour les climats des mon- 
tagnes boisées dont ils craignent les émanations fébrifères, les 
plus pauvres d'entre eux sont amenés peu à peu à y aller tenter la 
fortune. Ils commencent par aller couper des bois et des bambous 
le long du fleuve Rouge pour en former des trains qu'ils viennent 
vendre dans le Delta, puis il y trouvent un petit coin de rizière à 
leur convenance et s'y installent avec leur famille. Et voilà com- 
ment se fera peu à peu la colonisation de la haute région par les 
Annamites. On ne saurait trop encourager cet exode. 

Voyons maintenant quel a été le succès des entreprises agricoles 
de nos compatriotes. D'assez nombreuses concessions ont été données 
à des Français, mais malgré les efforts sérieux dépensés par nos 
compatriotes depuis de nombreuses années, fort peu d'entre elles 
ont donné les résultats qu'on en attendait. Il faut en chercher la 
cause dans la difficulté de trouver et de fixer la main-d'œuvre indi- 
gène. L'Annamite est très fortement attaché à son foyer et il 
redoute de s'employer chez un Français, qui exigera de lui un travail 
réglé et soutenu. Il aime à travailler à ses heures et à se reposer le 
plus souvent possible. Celui qui appartient à une famille honorable 
et estimée dans son village n'ira jamais se mettre au service d'un 
européen. Il n'y a guère que les vagabonds, les gens sans feu ni 
lieu qui consentent à quitter le groupe si consistant que forme la 
commune. Dès lors il ne faut pas s'étonner qu'ils ne fournissent 




— 143 — 

qu'un travail irrégulier et précaire. De plus, si le colon a recours 
à des moyens de répression trop sévères, ils disparaissent dans la 
grande masse, où il est bien difficile d'aller les retrouver. 

Certains colons ont essayé du métayage, qui, lui, permet de 
s'adresser à des gens ayant une famille et partant plus recomman- 
dables, mais là encore, quoiqu'à un degré moindre, ils ont ren- 
contré des difficultés. Le métayer emploie toutes sortes de ruses pour 
ne pas payer et, lorsque la situation devient trop tendue, il disparaît 
à son tour. 

La mauvaise volonté de l'indigène à payer le loyer de sa terre a 
d'ailleurs le plus souvent une excuse très sérieuse. C'est qu'à la 
vérité il en est quelquefois le véritable propriétaire. Et voici com- 
ment : après les troubles causés par la grande piraterie et les expé- 
ditions qu'elle a amenées de notre part, le moyen Tonkin s'est 
trouvé presque complètement dépeuplé. Une partie de sa popula- 
tion était tombée sous les coups des pirates et l'autre s'était enfuie 
vers le delta. C'est alors que le gouvernement, dans le but fort 
louable de ramener et la vie et la confiance dans ces régions rui- 
nées, encouragea les colons entreprenants à y prendre des con- 
cessions. Ceux-ci reçurent ainsi des terrains allant quelquefois jus- 
qu'à 20 ou 30.000 hectares sur lesquels ils essayèrent d'attirer 
des métayers. Le calme étant revenu, les anciens habitants des 
villages abandonnés revinrent habiter sur leurs terres. De là des 
tiraillements continuels entre l'ancien propriétaire et le nouveau, 
qui prétend lui demander un loyer pour la terre qui lui appartenait 
jadis. L'administration, en présence des nombreuses difficultés sou- 
levées, a trouvé un compromis qui est accepté par les parties. 
C'est de faire racheter leurs biens par les communes qui en 
revendiquent la possession, la somme à payer étant fixée au prix 
des dépenses utiles faites par le concessionnaire pour la mise en 
valeur des terres. 

De plus, dans le but de réprimer dans la mesure du possible la 
violation des engagements pris par les indigènes envers leurs 
employeurs européens, la Cour d'appel de l'Indo-Chine réunie en 
assemblée générale le 26 juillet 1906, a disposé que, pour se rap- 
procher le plus possible de l'article de la Loi annamite, qui punit 



— 144 — 

l'indigène lorsqu'il manque à ses engagements envers un autre 
indigène : 

« Tout indigène ou asiatique assimilé qui, engagé sur une exploi- 
tation agricole, aura sans motif légitime abandonné le service de 
son engagiste européen, indigène ou asiatique assimilé, qui lui a 
fait des avances en numéraire, non productrices d'intérêts, sans 
avoir rempli les obligations en vue desquelles ces avances lui ont 
été faites, sera puni de 8 jours à 9 mois d'emprisonnement. Il devra 
être justifié de ces avances par leur inscription sur un double livret 
dont l'un restera entre les mains de F engagiste et dont l'autre sera 
remis à l'engagé; les remboursements effectués par ce dernier y 
seront aussi mentionnés. » 

La Direction de l'Agriculture, des Forêts et du Commerce est un 
puissant adjuvant pour le développement des entreprises agricoles. 
Il existe dans chaque province des jardins d'essai qui sont sous sa 
direction technique. Des champs d'essai ont également été installés 
dans quelques régions pour y faire certaines cultures telles que le 
jute, la canne à sucre, le maïs, le tabac, etc. 

Au Cambodge on cultive, outre le riz, le coton, le poivre, le 
tabac, le palmier à sucre, l'indigo, le maïs, le mûrier, etc. On 
récolte dans les montagnes de la cardamone, etc. 

Au Laos, l'élevage peut donner d'excellents résultats et il pré- 
sentera une grande ressource lorsque les voies de communication 
seront d'un accès plus facile. Une station agricole a été créée en 
1904 sur le plateau du Tran Ninh, où l'on a pu planter des arbres 
fruitiers de France. On cultive au Laos le riz ordinaire, le riz nêp 
qui y est particulièrement riche en alcool, le tabac, le coton, le 
pavot à opium. On y trouve aussi la cardamome et l'ortie de Chine. 
Le cocotier y pousse en abondance sans que ses fruits soient com- 
plètement utilisés. Des moyens de transport à prix modérés pour- 
ront dans l'avenir faciliter leur utilisation. 

En résumé nous pouvons considérer dans son ensemble le déve- 
loppement économique qui a été imprimé à F Indo-Chine sous la 
direction de la France sans avoir à rougir de notre œuvre. Notre 
pays n'a pas failli à son mandat de nation protectrice, car il a fait 
entrer à sa suite l'Empire d'Annam dans la voie du progrès. Il lui 



— 148 — 

reste encore pour parfaire ce beau résultat à convier le peuple con- 
quis à une association plus intime à nos entreprises. Pour cela, il 
faut lui ouvrir, encore plus largement que nous ne l'avons fait jus- 
qu'ici, des écoles professionnelles où seront enseignées scientifique- 
ment nos méthodes industrielles et agricoles. En ce faisant nous 
nous préparerons d'utiles collaborateurs, nous ouvrirons un nouveau 
champ à l'écoulement des produits de la métropolole et nous canali- 
serons normalement les énergies de la classe intelligente du peuple 
annamite qui encombre nos administrations ou est prête à grossir 
la masse des lettrés, mécontents des situations trop subalternes que 
nous leur laissons dans la direction des affaires du pays. 



lô 



CHAPITRE VI 
ORGANISATION BUDGÉTAIRE DE L. INDO-CHINE 

Fonctionnement du budget général et des budgets locaux. 

Jusqu'en 1898, date de la création du budget général de l'Indo- 
chine, la situation financière de la colonie et en particulier du 
Tonkin et de TAnnam avait toujours été assez précaire. En 1887 
**n budget autonome avait été créé pour l'Annam-Tonkin, mais dès 
l'année 1890 il présentait déjà un déficit de 13.100.000 francs qui 
<lut être comblé par une subvention de la Métropole. En 1892, le 
Parlement fut encore obligé de voter un crédit de douze millions 
pour permettre à l'Annam-Tonkin de liquider sa situation. A comp- 
ter du 1 er janvier 1892, les dépenses militaires furent rattachées au 
budget colonial de la Métropole. Mais les finances de la colonie 
continuèrent à manquer d'équilibre et le budget de 1895, ayant 
encore présenté un fort déficit par suite de mauvaises récoltes, le 
Parlement autorisa le 10 février 1876 le Tonkin à contracter un 
emprunt de 80 millions de francs. Cette mesure a mis fin aux 
embarras financiers dans lesquels se débattait la colonie depuis la 
création de son autonomie budgétaire, mais la période de prospé- 
rité économique n'a été ouverte que par la création du budget 
générai. 

C'est M. Doumer qui en 1898 créa le budget général de l'Indo- 
Ghine. Il pensa avec juste raison que certaines dépenses de souve- 
raineté ou de politique générale, ou touchant à des intérêts écono- 
miques communs h tout notre empire indo-chinois, devaient être 
dans la main du représentant de la France, chargé par elle d'en 
diriger les destinées. C'est ainsi que les dépenses relatives à la 
défense de la colonie, à l'administration de la justice française, à 



— 148 — 

l'extension du commerce et de l'influence française en Extrême- 
Orient, aux travaux des chemins de fer ou aux voies de communi- 
cation reliant deux pays de l'Union, à la navigation maritime et 
fluviale, furent incorporées au budget général ; tandis que les dépenses 
locales, telles que frais d'administration française et indigène, cons- 
truction et entretien des voies de communication intérieures et des 
bâtiments, instruction publique, police, assistance publique, devaient 
tout naturellement être laissées à la charge des budgets locaux de 
chaque pays. Quant aux ressources qui devaient alimenter chacun 
de ces budgets, il fut décidé que le budget général bénéficierait de 
toutes les recettes produites par les contributions indirectes, tan- 
dis que les budgets locaux continueraient à percevoir comme par le 
passé les impôts directs de toute nature. 

Ce système budgétaire, on peut l'affirmer hautement après une 
expérience de 9 années, a eu pour effet de cimenter l'union des 
diverses parties de l' Indo-Chine par la création, rendue possible, 
de ces directions générales, qui ont imprimé aux divers services 
l'unité de vues indispensable à la bonne marche des affaires. Un 
autre résultat, aussi précieux, de cette institution a été de doter 
notre grande colonie asiatique de ce réseau de voies ferrées et de 
canaux qui assurereront sa mise en valeur. Enfin, cette initiative 
de M. Doumér a donné à i'Indo-Chine les moyens d'étendre dans 
tout l'Extrême-Orient le rayonnement de l'influence française et 
d'être ainsi comme une sorte de mandataire de la Métropole auprès 
des populations asiatiques. 

C'est en 1899 que les finances de l'Indo-Chine ont été restaurées. 
Malgré les dépenses faites pour doter la colonie d'un grand outil- 
lage économique et pour décharger la Métropole d'une partie des 
dépenses militaires qu'elle lui imposait, malgré le paiement de la 
première annuité de l'emprunt autorisé par la loi du 25 décembre 
1899, pour une somme de deux cents millions à employer à la cons- 
truction d'un réseau ferré, soit une somme de plus d'un million et 
demi de francs, l'excédent des recettes sur les dépenses n'a pas été 
moindre de 1.160.327 piastres pour le seul budget général. Les 
budgets locaux ne furent pas moins florissants et oet état de choses 
n'a pas cessé de se continuer jusqu'à l'année 1901 incluse. Depuis 



— 149 — 

lors, sauf un léger excédent en 1903, le bilan des budgets géné- 
raux a marqué un déficit croissant d'année en année. 

Voici d'ailleurs le tableau des budgets généraux de l'Indo-Chîne 
de l'année 1899 à l'année 1906 : 

Excédents Déficits 



1.160.327 
392.375 
505.280 



Années 


Montant des prévis. 




en pus très 


1899 


17.100.000 


1900 


19.300.000 


1901 


21.000.000 


1902 


23.850.000 


1903 


25.000.000 


1904 


27.630.000 


1905 


27.230.000 


1906 


31.312.000 



21.350 



38.509 

1.742.148 

3.520.394 
286.494 

Les chiffres ci-dessus montrent que depuis sept ans il a été 
demandé aux contributions indirectes une augmentation de recettes 
d'une moyenne de 2 millions de piastres chaque année, mais qu'à 
partir de 1903 on semble avoir atteint la limite des ressources bud- 
gétaires puisque les années 1904 et 1905 donnent des déficits assez 
considérables. C'est ce dont notre ministre des colonies a sans 
doute été frappé puisqu'il a prescrit de limiter désormais les 
dépenses aux capacités contributives du pays. 11 y a tout lieu 
d'espérer que si l'on ramène le budget à un chiffre établi sur 
des bases aussi sages, son équilibre sera facile à réaliser. Des excé- 
dents considérables viendront dans les bonnes années, alimenter 
la caisse de réserve qui doit lui permettre de faire face aux déficits 
qu'entraînent les mauvaises récoltes ou les sinistres. 

La situation financière de l'Indo-Chine, qui pourrait sembler 
précaire si l'on ne considère que le chiffre du passif de 1905 qui 
s'élevait à 3.520.394 piastres est cependant loin d'être aussi mau- 
vaise qu'elle avait paru l'être tout d'abord. En effet, ce passif se 
compose pour sa plusgrosse part d'unesommede2. 997. 568 piastres, 
représentant le solde de la subvention de l'Indo-Chine dans les 
dépenses de construction du chemin de fer du Yunnam. 

|, Ce chiffre « été ramené à 27,516,238 piastres de dépenses, 



— 150 — 

Mais il faut tenir compte de ce fait que la caisse de réserve du 
budget général possède encore un actif de 5.423.830 piastres, dépas- 
sant le passif d'une somme de 1.903.436 piastres. 

Quant aux opérations du budget de 1906, qui menaçaient de se 
solder avec un déficit de 2,680.000 piastres, grâce aux mesures 
prises pour la diminution des dépenses, au bénéfice du change de 
la piastre, etc., elles se soldent en réalité par un déficit de 286.494 
piastres. La caisse de réserve du budget général possédera donc 
par suite encore un actif d'environ 1.700.000 piastres. 

Les débuts de l'année 1907 sont d'ailleurs très rassurants. Les 
recettes du mois de janvier sont supérieures de 464.000 piastres 
aux recettes de janvier 1906. Cette augmentation notable est due à 
un accroissement des droits d'exportation du riz résultant de la 
bonne récolte de la Cochinchine et d'une récolte assez bonne au 
Tonkin. 11 y a tout lieu de supposer qu'aux mauvaises années 
que vient de traverser l'Indo-Chine, va succéder une ère de pros- 
périté. 

En arrêtant le budget pour Tannée 1907, le Conseil supérieur 
de l' Indo-Chine s'est inspiré des directives du ministre en atté- 
nuant les prévisions de recettes d'une somme de 1.600.000 piastres 
et en réduisant les dépenses d'une somme correspondante. 

Les budgets locaux pour l'année 1907 sont arrêtés aux chiffres 
suivants : 

Pour la Cochinchine 5 . 105 . 833 piastres 

Pour le Tonkin 5.896.130 — 

Pour l'Annam. 2.894.150 — 

Pour le Cambodge. 2.505.875 — 

Pour le Laos 1.083.734 — 

Soit au total pour les 5 budgets locaux : 1 7 . 485 . 722 — 

Outre les budgets locaux il existe également dans les provinces 
des différents pays de l'Union, des budgets provinciaux. Ces budgets 
entretenus par certaines taxes spéciales telles qu'une partie du 
rachat des corvées servent aux chefs de province à parer à certains 
travaux d'intérêt local. 



§2 
Des impôts directs. 

Les impôts directs qui constituent les recettes des budgets locaux 
de chaque pays de l'Union Indu chinoise sont perçus à l'aide de 
rôles d'impôts, de marchés, de baux ou fermages et d'ordre de 
recette. Ils comprennent diverses catégories : 

!• L'impôt foncier européen, concernant les terrains qui ne sont 
pas possédés par des sujets ou protégés annamites, à savoir les 
Européens et les Chinois. 



2" L'impôt des patente». Au Tonkin il comprend 10 i 
varie de 300 piastres à p. 50. En Cochinchine, les patentes com- 
prennent un droit fixe et un droit proportionnel dans les villes de 
Saigon et de Cholen. Au Laos, toute boutique doit acquitter un 
droit fixe de 2 piastres. 

3° Les droits d'immatriculation des Asiatiques étrangers ou 
impôt de capitalion, concernant les Chinois. Au Tonkin, ils com- 
prennent cinq classes dont les tarifs varient entre 88 p. et 1 p. 5. Les 
ouvriers des exploitations agricoles ou minières et en général de 
toutes les entreprises dirigées par des colons européens sont toujours 
inscrits dans la dernière catégorie. En Annam les tarifs sont les 
mêmes. En Cochinchine ils varient de 400 p. à 1 p. pour six caté- 
gories. Au Cambodge le droit d'immatriculation pour les Chinois et 
les Indiens est de 88 p., 33 p. et 7 p. suivant la classe. Au Laos 
ils paient uniformément 6 p. 

4° L'impôt foncier annamite, qui frappe en premier lieu les 
rizières, divisées en trois classes suivant leur fertilité et payant au 
Tonkin respectivement 1 p. 50, 1 p. 10 ou p. 80, en Cochinchine 
1 p. 50, 1 p. et p. 50, et en second lieu les terrains de cultures 
divisés en quatre catégories, suivant la richesse de ces cultures. La 
première comprend le tabac, le bétel, les aréquiers, la canne à 
sucre, le pavot à opium, et paie au Tonkin 2 p. par mâu de 3.G00 



— 152 — 

mètres carrés. La deuxième concerne le mûrier, le thé, le coton, la 
ramie, etc., et paie p. 50. La troisième concerne le maïs, les 
patates, légumes, arbres fruitiers et les terrains d'habitation et 
paie Op. 30. La quatrième comprend les terrains incultes, mares et 
salines et ne paie que Op. 10. 

En Cochinchine, les cultures diverses paient 2 p. 76, Op. 96 ou 
p. 48 suivant la classe. 

Au Cambodge l'impôt foncier est remplacé par une série de 
taxes portant sur les produits de la terre, paddys, palmiers à sucre, 
poivre, cardamones. Au Laos il n'y a pas encore d'impôt fon- 
cier. 

En Annam il est institué sur les mêmes bases qu'au Tonkin et 
divisé en deux espèces. Les rizières de quatre catégories sont impo- 
sées de 1 p. 50 à p. 60 par mâu et les terrains divers de six caté- 
gories de 1 p. 50 à p. 10 par mâu. 

6° L impôt personnel annamite, qui vise tous les Annamites âgés 
de 18 à 60 ans. Au Tonkin, la population de chaque commune est 
divisée en quatre classes pour chacune desquelles le taux de cette 
imposition est différent : -4) Les « inscrits » , dont la classe devrait com- 
prendre tous les hommes valides, ne comprennent en réalité que les 
hommes originaires du village et y possédant des propriétés. Leur 
impôt personnel est au Tonkin de 3 piastres. B) Les « non inscrits » 
qui paient p. 50. C) Les « dispensés » qui paient p. 40. Ce sont 
les pères et fils des mandarins, maires et adjoints des communes, 
gardiens de pagode, étudiants, etc. D) Les « exemptés » qui 
reçoivent une carte gratuite. Ce sont les mandarins en fonctions ou 
titulaires d'un brevet mandarinat, employés subalternes de l'admi- 
nistration indigène, employés du gouvernement français, chefs et 
sous-chefs de canton, bonzes, infirmes, etc. 

Au Tonkin et en Annam l'impôt foncier annamite et l'impôt 
personnel annamite sont perçus sur des rôles où ne figurent que les 
communes. C'est la commune considérée comme personne morale 
qui est chargée de collecter les impôts dans l'étendue de son terri- 
toire. Il appartient à l'administration de faire les recensements 
nécessaires pour contrôler les déclarations des maires et fixer 1^ 



— 153 — 

* 

quotité de l'impôt total due par la commune sous les deux rubriques 
« impôt foncier » et « impôt personnel ». Les communes tiennent 
en vue de leur perception trois registres, qui sont : le dinh bô ou 
registre d'inscription de la population, le diên bô ou registre d'in- 
scription des terrains et le dia bô ou registre de description des ter- 
rains. 

En Cochinchine l'impôt personnel annamite et de 1 p. par homme 
valide. 

Au Cambodge l'impôt personnel des Cambodgiens et des Chams 
est de 2 p. 50 pour les inscrits de 21 à 50 ans, p. 80 pour ceux de 
51 ans à 60 ans, 1 p. 20 pour les domestiques de 21 à 50 ans et 
p. 50 pour ceux de 51 ans à 59 ans. Celui des Annamites résidant 
au Cambodge est de 3 p. 10 pour les hommes valides et 2 p. 10 pour 
les domestiques. 

Au Laos l'impôt personnel est de 2 p. pour les Laotiens, les 
autres indigènes et les Annamites. 

6° L'impôt par famille, qui n'est en vigueur que dans les pays 
d'administration rudimen taire tels que les 3 e et 4 e territoires mili- 
taires du Tonkin et dans les parties montagneuses de certaines 
provinces civiles. Dans ce système, chaque famille acquitte une 
imposition variant entre 3 p. 50 et 1 p. 50, suivant qu'elle cultive 
des rizières de plaine ou des rizières de montagne ou qu'elle s'adonne 
au commerce. 

1° Le rachat des corvées. Sous l'administration annamite les 
impôts étaient presque exclusivement fournis en nature. Si la popu- 
lation versait peu d'argent dans les caisses de l'Etat, en revanche 
elle était toujours sous la menace d'une réquisition de l'autorité 
mandarinale pour exécuter pour le compte de l'Etat des travaux 
d'utilité publique, des transports à dos d'homme, ou des corvées de 
toute nature. Les citadelles du Tonkin, les digues qui bordent les 
fleuves du delta du Tonkin et les voies navigables telles que le 
Canal des Rapides ou celui des Bambous sont des vestiges de ce 
système. Nous avons continué ces errements jusqu'à ces dernières 
années, en exigeant d'abord 30 journées de prestations que nous 
avons réduites progressivement jusqu'à dix, rachetables à raison de 
p. 15 l'une. Les corvées en nature constituent un régime vexa- 



— 151 — 

toire et impopulaire qu'il faut faire disparaître complètement. Les 
populations ne s'y soumettent qu'avec la plus grande répulsion, 
parce qu'elles y voient une source d'injustices pour la classe pauvre 
obligée de fournir de force les corvées qui incombent à la classe 
aisée. Dans la pratique, en effet, les notables de chaque commune, 
auxquels l'autorité supérieure réclame un nombre fixe de journées 
de travail, se gardent bien de désigner leurs parents et amis, et ce 
sont toujours les déshérités qui paient pour les autres. En Annam, 
les corvées ont été complètement supprimées ainsi qu'en Cochin- 
chine et au Cambodge. Au Laos les indigènes doivent 20 journées 
de prestations, rachetables à raison de p. 10 la journée. 

8° L'impôt sur les barques de rivière, qui est payé par toutes les 
jonques et sampans, numérotés à cet effet et enregistrés au chef-lieu 
de chaque province. 

9° Les redevances de port d'armes. Tout indigène désireux de pos- 
séder une arme doit se faire délivrer un permis, qui donne lieu à la 
perception d'une taxe. 

1 0° Les taxes urbaines qui sont variables suivant les centres urbains 
auxquels elles s'appliquent. 

11° Les droits d'affermage de marchés, bacs, abattoirs, etc. 

Il existe au chef-lieu de chaque province un agent du trésor qui 
porte le titre de percepteur et qui est chargé d'encaisser toutes les 
recettes inhérentes aux différents budgets et notamment les impôts 
directs qui lui sont versés directement par le maire de chaque com- 
mune et de payer également les mandats qui lui sont présentés au 
titre des divers budgets. 

Si on additionne le montant des divers budgets locaux qui sont 
alimentés par les impôts directs on trouve une somme d'environ 
44 millions de francs. La population entière de l'Indo-Chine étant 
d'autre part évaluée à 19 millions d'habitants, il en résulte que la 
moyenne de la quotité de l'impôt direct par habitant est sensiblement 
de 2 fr. 30. 



— 15S — 



Contributions indirectes, douanes et régies. 

C'est l'administration des Douanes et régies, avec ses 1300 em- 
ployés, qui est chargée de percevoir et de centraliser les droits de 
douane et les différentes taxes et contributions indirectes constituant 
la plus grosse part des recettes du budget général de l'Indo-Chine. 
On peut répartir ces diverses taxes sous trois rubriques distinctes : 

1° Les droits de douane, perçus dans les ports et sur les frontières 
à l'importation et à l'exportation. Pour la fixation /de ces droits, 
l'administration divise nos importations en deux catégories : d'un 
côté, les marchandises qui ne sont pas susceptibles d'être importées 
de France et qui par suite ne doivent pas être taxées de droits trop 
élevés, de l'autre, celles qui peuvent venir de la Métropole et pour 
lesquelles les importations étrangères doivent être frappées de droits 
assez élevés pour favoriser la production française. Les premières 
ont donné en 1903 un total de 95 millions environ. Ce sont des pro- 
duits chinois consommés par les indigènes, ou des produits pour 
lesquels la France est tributaire de l'étranger, tels que le pétrole, la 
houille, etc. On peut espérer que le développement économique de 
notre colonie lui permettra peu à peu de produire elle-même un 
certain nombre de produits qu'elle achète en Chine et dans les pays 
voisins. C'est ainsi que l'essor que prendra l'élevage nous dispen- 
sera de nous procurer au dehors les animaux vivants. 11 en est de 
même pour les industries de la poterie, des tissus de coton et de 
soie, des allumettes, de la verrerie, de la tabletterie, de la vannerie, 
des plantes tinctoriales et médicinales etc. Les droits dont est frap- 
pée leur importation ont donc pour effet d'encourager le progrès écono- 
mique de la colonie. 

Les produits de la deuxième catégorie, qui viennent d'Europe 
s'élevaient en 1903 à 117 millions parmi lesquels 12 millions seule- 
ment étaient originaires d'autres pays que la France. Ce résultat 
est déjà satisfaisant mais il peut s'améliorer encore si nos produc- 
teurs consentent à s'enquérir des besoins des indigènes et à 



— 156 — 

baisser leurs prix dans une certaine mesure pour faire concurrence 
aux étrangers. 

Outre les droits de douane il existe encore un certain nombre de 
taxes accessoires : taxe de statistique, droits de phare et d'ancrage 
pour les grands bateaux, taxes de navigation pour les bateaux au- 
dessous de 160 tonneaux, droit d'entrepôts sur les huiles minérales, 
droit de flottage, droit de plombage sur les colis transitants. 

2° Sous cette seconde rubrique il faut placer les trois régies de 
Vopium, de V alcool et du sel. Nous les étudierons séparément. 

A. Opium. — En ce qui concerne l'opium, l'administration des 
douanes et régies a la charge d'acheter cette drogue à l'état brut, 
dans l'Inde ou au Yunnam, de la rendre consommable dans sa bouil- 
lerie de Saigon, puis de la vendre au public ou aux débitants dans 
ses propres bureaux. 11 peut paraître bizarre de voir ainsi une nation, 
qui s'est donné le mandat d'en guider une autre vers une meilleure 
civilisation, charger ses fonctionnaires de débiter au peuple protégé 
un produit nuisible. La seule excuse du gouvernement dans cette 
opération, est qu'en vendant cette drogue très cher, il atteint ce 
résultat doublement avantageux de remplir les caisses du trésor 
public et de dégoûter les opiomanes d'une passion aussi ruineuse que 
funeste. 

Le pavot à opium est cultivé au Tonkin dans la zone qui avoisine 
le Yunnam et dans certaines parties du Laos. Il y a tout intérêt de 
la part de l'administration à acheter aux cultivateurs leur récolte 
afin de les encourager dans cette culture et de diminuer ainsi les 
sommes que nous sommes obligés de payer à l'étranger pour ces 
achats. 

L'entrée de l'opium de Chine au Tonkin donne lieu à une contre- 
bande assez active, sur lequelle les préposés des douanes exercent 
une surveillance de tous les instants. L'administration des terri- 
toires militaires, aidée des commandants des postes frontières, prête 
son concours le plus énergique aux agents de cette administration 
pour l'arrestation des délinquants. 

B. Alcool. — Etudions maintenant la régie de l'alcool. Les alcools 



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européens paient un droit de 2 fr. 50 par litre et les alcools indi- 
gènes fr. 25 par litre d'alcool pur. Le gouvernement donne le 
monopole de la fabrication à un certain nombre de distillateurs qui 
doivent alimenter la consommation de la région où ils se trouvent 
et qui opèrent sous la surveillance des agents du fisc. Malheureu- 
sement, l'alcool fabriqué est de couleur brune, alors que l'Anna- 
mite fabriquait lui-même un produit incolore, de plus il na pas le 
même arôme. Ainsi, l'indigène, au lieu d'avoir à sa disposition une 
eau-de-vie qu -il fabriquait à sa convenance avec le riz de son propre 
champ, est obligé d'aller acheter très loin et très cher un liquide 
qu'il ne trouve pas bon et ne lui rappelle pas l'alcool qu'il avait 
coutume d'offrir à ses ancêtres. Le résultat est qu'il en boit moins ou 
qu'il en fabrique clandestinement. Dans le premier cas, si la morale 
y trouve son compte il n'en est pas de même du fisc dont les recettes 
diminuent. La seconde alternative a pour effet de diminuer les res- 
sources du budget si la fraude n'est pas découverte, ou d'attirer sur 
les délinquants des peines hors de proportion avec la faute dans le 
cas contraire. En effet, le malheureux chez lequel les douaniers 
découvrent un alambic ou une trace quelconque de fabrication d'al- 
cool est condamné à 500 francs d'amende au minimum. Or, pour la 
grande majorité des cultivateurs c'est la ruine, c'est l'écroulement 
de toute une vie de travail, c'est la vente des biens et la dispersion 
de la famille. Aussi, lorsque les agents des douanes pénètrent dans 
un village avec la hâte que nécessite leur désir de surprendre les 
fraudes, lorsqu'ils s'introduisent dans le domicile des habitants pour 
en fouiller les coins les plus intimes, l'indigène affolé par la menace 
qu'il sent suspendue sur son avenir, ignorant de nos règlements 
compliqués, ne voit pas, comme il le devrait, dans ces Français des 
fonctionnaires qui accomplissent leur devoir, mais des étrangers qui 
violent son domicile et ont juré sa perte. Parfois, il ameute ses 
voisins, bat le tam-tam du village, et tout le monde accourt k la 
rescousse pour lui prêter main-forte. Et voilà un acte de rébellion 
que les paysans paieront cher. Le respect dû à l'administration fran- 
çaise aura été assuré, mais la rancune aura pris racine dans le cœur 
des habitants sévèrement punis, et il faudra des années de bons trai- 
tements pour les reconquérir à notre cause. Pourquoi s'obstiner à 



— 158 — 

maintenir un mode de perception qui produit de tels résultats ? Ne 
serait-il donc pas possible d'apprécier la recette que chaque province 
apporte au budget du fait de la taxe sur les alcools et de faire payer 
à chaque commune une taxe proportionnelle à sa population pour 
avoir le droit de distiller à sa guise de l'alcool sur son territoire ? 
Craint-on devoir les populations réclamer contre cette augmentation 
plus apparente que réelle de leurs impositions ? Que l'administra- 
tion les consulte et le résultat du plébiscite ne peut faire de doute. 
Le meilleur mode de perception des impôts est celui qui inspire au 
contribuable le minimum de répugnance. Le seul énoncé de ce prin- 
cipe d'économie politique devrait nous dicter notre ligne de con- 
duite. 

C. Sel. — La troisième grande régie est celle du sel qui a été 
instituée en 1897. Les salines sont exploitées librement par des par- 
ticuliers qui sont tenus d'en faire la déclaration, à charge de vendre 
à l'administration toute leur récolte. Celle-ci vend ensuite le sel au 
consommateur en majorant le prix d'une taxe de fr. 04 le kilo- 
gramme. Ici encore le mode de réglementation n'est pas encore tout 
à fait au point, car dans certaines régions les salines ont été aban- 
données. Il y a lieu de penser cependant que cette contribution sera 
supportée volontiers par les indigènes à condition que les dépôts 
de ravitaillement soient judicieusement installés et que les formalités 
à la vente soient supprimées. / 

3° Nous rangeons sous la troisième rubrique certaines contribu- 
tions indirectes portant sur les pétroles, les allumettes, les bois 
flottés et les tabacs, et dont les tarifs sont d'ailleurs assez faibles. 
Le mode de perception de ces taxes est tel qu'il permet à tout agent 
du fisc d'arrêter à tout instant un indigène pour vérifier sa pacotille. 
La population, ignorante de nos règlements et portée à se croire 
toujours en faute, ne se livre plus qu'avec crainte aux transactions 
courantes. Elle ne se plaint pas de payer, mais elle voudrait savoir 
exactement pourquoi et combien il faut payer, quels sont ses droits 
et ses devoirs. Le moyen de lui donner satisfaction paraît être de 
reporter toutes les recettes sur les trois grandes régies qui font l'objet 



— 159 — 

de notre deuxième rubrique et de supprimer toutes les autres contri- 
butions dont notis venons de parler. 

Les autres impôts indirects sont du ressort de l'administration de 
l'enregistrement. Ils ne portent que sur les actes passés par les 
Européens et ne sont pas applicables aux actes passés sous l'empire 
de la loi annamite. 

En résumé, les impôts indirects qui constituent les plus grosses 
recettes du budget général sont les deux grandes régies de l'opium 
et de l'alcool. 

Le Ministre des Colonies s'est ému tout récemment du carac- 
tère peu moral de ces monopoles et a prescrit l'étude de mesures 
tendant à leur abolition et à la création d'impôts nouveaux destinés 
à combler l'énorme déficit qu'amènerait la suppression des ressources 
qu'ils produisent. 

Nous ne pouvons qu'accueillir avec reconnaissance la promesse 
d'une réforme qui aura le double résultat de relever le prestige de 
la France aux yeux des indigènes et de mettre fin à des procédés 
fiscaux qui nous ont attiré bien des inimitiés. 

En ce qui concerne le monopole de l'alcool, nous avons donné 
plus haut la solution du problème : paiement par les communes 
d'un droit de distillation proportionnel au chiffre de leur popula- 
tion. 

Quant au monopole de l'opium , la réforme à opérer nous semble 
devoir se faire par étapes successives et après les études approfon- 
dies que comporte une question aussi complexe. 



CHAPITRE VII 

CONCLUSION 

DES MOYENS A EMPLOYER 
POUR CONSERVER L'INDOCHINE 

§ * 
Menaces extérieures pour notre domination en Indo-Chine. 

Les événements de la guerre Russo-Japonaise nous ont fait sau- 
ter aux yeux les dangers sérieux qui menacent notre domination en 
Indo-Chine. Le rapport du général Kodama, apocryphe ou non, a 
mis en lumière d'une façon très nette ce fait indéniable, que si nous 
ne prenons pas les mesures les plus sérieuses pour parer aux événe- 
ments qui nous menacent, notre superbe colonie nous sera enlevée 
au moment même où l'achèvement de son réseau ferré la mettrait en 
«tat d'être encore plus florissante. 

L'Indo-Chine a été dotée jusqu'ici de forces militaires suffisantes 
pour résister à un soulèvement de la race conquise ou aux incursions 
de bandes de pirates, ou même aux attaques de la Chine, armée à 
la mode ancienne, mais un fait nouveau a surgi en Extrême- 
Orient : 

Le Japon était considéré jusqu'ici comme un pays dont l'éducation 
militaire était en bonne voie, mais auquel il faudrait encore un cer- 
tain temps pour s'assimiler les méthodes de guerre et le maniement 
% des engins de toute espèce qui constituent le matériel militaire. On 
savait que la race guerrière des Nippons devait produire de bons 
soldats, mais on regardait comme impossible que dans l'espace de 
cinquante ans, elle eût pu former un état-major général et un corps 
d'officiers capables de mener une campagne contre une nation euro- 
péenne. Aussi, sans préjudice de la malechance qui semble avoir 

11 



— 162 — 

accompagné les entreprises des Russes sur terre et sur mer, et, 
il faut bien l'avouer, de leur manque de préparation, de décision et 
d'habileté, avons-nous été obligés de saluer l'apparition dans le 
monde d'une nouvelle grande puissance militaire et maritime. 

Et voilà le fait nouveau qui est venu modifier l'équilibre des forces 
en présence en Extrême-Orient. 

Si l'on admet que l'accord Franco- Japonais nous mette pour quelque 
temps à l'abri des attaques des Nippons, il n'en faut pas moins tenir 
compte de ce fait que la victoire japonaise amène après elle une 
conséquence d'une portée incalculable pour l' Indo-Chine : c'est le 
réveil chez le colosse chinois, qui semblait assoupi dans l'ignorance 
de sa force latente, du sentiment militaire et du sentiment natio- 
nal. 

On sait que les Saints et les Génies que les Célestes vénèrent 
avec le plus de dévotion, de ferveur et de foi, sont les guerriers, qui 
par leur courage et leur habileté dans lart militaire, ont su le mieux 
défendre le sol de leur patrie contre les envahisseurs étrangers, ou 
protéger le trône de leurs empereurs contre les assauts de la rébel- 
lion. 11 est impossible de ne pas voir une race guerrière dans un 
peuple dont l'admiration et le culte va tout d'abord aux gloires mili- 
taires. 

Et le culte de Confucius, dira-t-on ? Le culte de Confucius est un 
culte discret auquel le peuple ne prend d'ailleurs aucune part. C'est 
le culte des lettrés, des fonctionnaires, le culte officiel et obligatoire 
dont les hauts mandarins sont les prêtres. Il n'a rien de comparable 
aux manifestations populaires et spontanées auxquelles donnent lieu 
les processions des Génies Guerriers. 

On peut objecter encore que les grades du mandarinat militaire 
sont dévolus en Chine à ceux qui se montrent les plus adroits à tirer 
de l'arc ou à manier la lance. Il est vrai que le métier des armes a 
manqué depuis l'avènement de la dynastie Mandchoue, de tout pres- 
tige, mais il ne faut voir là qu'un état de choses volontairement 
institué par un gouvernement qui avait tout à craindre du réveil du 
sentiment militaire. En choisissant les chefs de l'armée parmi les 
illettrés, il a cherché à en ruiner le prestige aux yeux de ce peuple qui 
honore les lettres, et son but a été atteint : rendre l'armée méprisable 



— 163 — 

et pur suite inoffensive. Mais au fond de son cœur le Chinois a con- 
servé le culte des Guerriers Antiques. 

Depuis l'intervention internationale des Puissances au Petchili en 
1900, 11' vice-roi de cette province, Yuan Chi Kai, a entraîné son 
Mys dans une voie nouvelle : c'est la réorganisation de l'armée sous 
la direct ion d'instructeurs japonais, c'est-à-dire suivant les méthodes 
européennes déjà adaptées à la race jaune. Les novateurs se sont 
rendu compte que les armées provinciales étaient vouées à l'impuis- 
sance et ont commencé l'organisation d'une armée nationale. Dans 
ce but on a créé, en 1303, le « lien ping chou », un conseil supé- 
rieur Ji; la guerre ayant une autorité réelle, contrôlant et dirigeant 
à la fois le ministre de la guerre lui-même et les vice-rois, en ce 
qui touche aux questions d'ordre militaire. L'empire a été divisé 
en 18 régions militaires correspondantes aux 18 provinces. Dans 
chacune de ces circonscriptions, on projette de créer successive- 
ment deux divisions mixtes comprenant chacune deux régiments 
d'infanterie à 3 bataillons, un régiment de cavalerie à 3 escadrons, 
un régiment d'artillerie à 9 batteries, un bataillon du génie et un 
bataillon du train, soit au total 12.000 hommes par division, et 
430.000 hommes pour les 36 divisions. Les Chinois espèrent avoir, 
vers 1 920, une armée d'un effectif de paix égal au nôtre et possédant 
une organisation copiée sur celle de l'armée japonaise. Cette armée 
remplacera peu ù peu l'armée de la bannière verte qui se compose 
des diverses troupes de style archaïque qui subsistent encore dans 
chaque province de l'Empire, comme pour servir de repoussoir aux 
belles unités constituées à l'européenne. Quant à l'armée des hait 
bannières, qui se compose d'un contingent de 2;i0. 000 mandchous et 
dont le but est de défendre la dynastie régnante, il est fort probable 
qu'elfe sera soumise à son tour à une réorganisation et constituera 
un ou deux corps d'armée dans la région de Pékin. Une division de 
cette armée existe déjà à Pao Ting Fou et d'autres se forment en 
plusieurs points du Petcbili. 

Comme éléments de l'armée nationale dont nous avons parlé plus 
haut, il existait déjà en 1905 : 1° Sous les ordres de Yuan Chi Kaï, 
le créateur de l'armée du Nord, 4 divisions de l'Anhouei', du Huan, 
du Chantoung et du Petchili, formant un effectif de plus de 100.000 



— 164 — 

hommes. 2° Sous les ordres de Tchan Chi Tong dans le moyen 
Yangtsé, à Outchang, 4 autres divisions formant un effectif de 
50.000 hommes. 3° A Nankin, 2 autres divisions dont l'effectif est 
de 25.000 hommes. On peut déjà supputer qu'à l'heure qu'il 
est, la Chine dispose d'une armée constituée à l'européenne, 
d'un effectif dépassant 200.000 hommes. Ces troupes ont exécuté, 
en 1905 et 1906, des grandes manœuvres qui démontrent très nette- 
ment que ce serait folie que de continuer à refuser aux Chinois des 
aptitudes militaires très sérieuses. 

Le corps d'officiers était à créer de toutes pièces. Aussi les écoles 
militaires qui existaient déjà ont-elles reçu un grand développement. 
Outre les anciennes écoles de Han Keou, Tien Tsin et Nankin, on a 
décidé, en 1905, d'ouvrir une école du 1 er degré par province, 4 écoles 
du 2 e degré à Pao ting fou, Ou Tchang, Singan Fou et Nankin. 
On créera à Pékin une école supérieure de guerre, une école spéciale 
militaire pour les fils de famille riche et distinguée, une école d'ar- 
tillerie et de génie, et même une école de musique militaire. D'une 
manière générale, les candidats officiers doivent être de bonne 
famille et lettrés. La durée des cours est de quatre ans, pendant 
lesquels on leur enseigne en même temps que les sciences militaires, 
la géographie, l'histoire, le calcul et la topographie. Quelques-uns 
apprennent aussi une langue étrangère. 

De plus, des milliers d'officiers ou sous-officiers chinois font 
des stages dans les troupes ou écoles japonaises, en même temps 
que de nombreux militaires japonais instruisent les troupes chinoises. 
Enfin des émissaires japonais parcourent les provinces les plus recu- 
lées du Céleste Empire, répandant par le journal et par la parole, la 
renommée des exploits accomplis sous les plis du drapeau du Soleil 
Levant. 

Outre les anciens arsenaux qui existaient déjà à Tien Tsin, Shang 
hai, Nankin, Han Yang, Foutcheou, etc., on a décidé de créer 
d'autres centres de construction à Pin Siang dans le Kiang si, et 
peut-être à Pao ting fou. En attendant de pouvoir se suffire à eux- 
mêmes dans la constitution de leur armement, les Chinois font de 
grosses commandes en Europe. 

En somme, la réorganisation est très active et très complète. Les 



1 



163 ■ 



nouveaux corps de troupes dressés et habillés à l'européenne, que 
nous ;i vous vus sur la frontière du Tonkin, venant du Hou Nan et du 
Hou Pé, ii'ont plus aucune ressemblance avec les hordes de Régu- 
liers qui constituaient jusqu'ici l'armée de la frontière. Ce sont des 
soldats propres, disciplinés, rompus à la manœuvre, commandés par 
des officiers qui semblent avoir les qualités de l'officier européen. 
Quant au* qualités militaires du chinois, nous savons quelle est la 
résistante des pirates de cette race que nous avons eus à combattre 
sur les frontières du Tonkin et qui, privés de toute ressource, mal 
vêtus, mal nourris, savaient exécuter des marches forcées par tous 
les temps, et se montraient de bons soldats sous le feu. 

Quoi qu'il en soit, ces projets de réformes fondamentales, qui ne 
sont nullement du goût de la vieille impératrice, auraient fort bien 
pu ne pas aboutir, grâce au morcellement de l'Empire en une sorte 
agglomérat de vice-royautés. On aurait pu penser que les vice-rois, 
menacés dans leur toute puissance par une centralisation gênante, 
auraient dû devenir pour ce nouvel état de choses autant d'adver- 
saires dangereux. Mais, une brise vivifiante souille de l'Est sur le 
patriotisme du colosse chinoiset les succès des Japonais, remportés 
sur une puissance européenne , ont réveillé chez lui le vieux guerrier 
qui sommeillait sous la robe du lettré. Voilà pourquoi rien ne vien- 
dra arrêter la réorganisation militaire du Céleste Empire, 

Ainsi, nous constatons d'une part la qualité des éléments dont 
dispose la Chine au point de vue physique comme au point de vue 
moral et d'autre part la ferme volonté d'en tirer un bon parti, qui 
semble animer ses gouvernants, et le réveil du sentiment militaire 
qui anime l'âme chinoise. Nous en tirons cette conséquence que 
dans quelques années nous aurons comme voisine immédiate de 
notre Indo-Chine, une puissance militaire d'une force imposante, et 
plus loin, à une distance de 8 jours de mer avec une sentinelle avan- 
cée, Formose, placée à 5 jours seulement de Haï Phong, une autre 
grande puissance militaire et maritime qui s'appelle l'Empire du 
Soleil Levant. 

En admettant que les Nippons, trouvant, en Corée et en Mand- 
chourie, un exutoire suffisant pour leur besoin d'expansion et fidèles 
à l'accord qu'ils viennent de signer avec nous, ne songent plus aux 



— 166 — 

belles rizières de T Indo-Chine, il est évident que le guerrier chinois, 
tout frais équipé et dont les muscles bien exercés seront tendus pour 
la lutte, piétinera d'impatience derrière la frontière du Tonkin et 
brûlera du désir d'essayer ses armes toutes neuves contre ce soldat 
français qui l'a mis à la porte du Tonkin en 1885. 

Les événements de Tannée 1906, dont le développement a ensan- 
glanté les rues de Shang Haï, viennent encore ajouter aux considé- 
rations qui précèdent un nouveau sujet de perplexité. Les Chinois, 
sous l'inspiration japonaise, voient avec une mauvaise humeur de 
plus en plus marquée les Européens installés sur leur territoire dans 
des concessions où ils prétendent faire la loi, ou occupés à construire 
des lignes de chemin de fer pour la mise en valeur de leur pays. Un 
esprit nouveau semble souffler sur les côtes du Céleste-Empire. Il a 
pour devise « La Chine aux Chinois ». 

Mais ce n'est pas tout. Menacés au Nord sur notre frontière sino- 
annamite, menacés à l'Est et au Sud sur nos côtes, nous avons 
encore à l'Ouest un voisin dont l'hostilité toujours en éveil est prête 
à favoriser toute entreprise japonaise ou chinoise ayant pour objet 
la ruine de notre prestige en Extrême-Orient. C'est le Siam, le rival 
séculaire de l'Annam pour la possession du Cambodge et du Laos, 
qui est devenu pour notre domination en Indo-Chine un antagoniste 
envieux de nos succès, acharné à notre perte et furieux de ne pouvoir 
la consommer tout seul. Les Japonais ont bien senti tout le parti 
qu'ils pouvaient tirer de cet état d'esprit et depuis quelques années 
ils se sont attachés à pénétrer au Siam sous toutes les formes. Ils 
se sont introduits dans l'armée comme instructeurs et dans les diffé- 
rents services publics comme employés. Sous leur impulsion Chu la 
long Korn a réorganisé son armée, créé une vingtaine de régiments 
d'infanterie et quelques batteries d'artillerie. Les manœuvres, l'uni- 
forme, le fusil lui-même, tout est emprunté au Japon. Enfin, à l'heure 
qu'il est, notre voisin de l'Ouest est en mesure de mettre en ligne 
sur la frontière du Cambodge un corps mobile de 1 5 à 20.000 hommes. 
Si l'on songe que la garnison de guerre de la Cochinchine ne s'élè- 
vera qu'à une dizaine de mille hommes on comprend qu'une pareille 
menace, venant s'ajouter aux autres, soit de nature à nous inspirer 
de graves inquiétudes. 



— 1H8 — 

l'ennemi et de rendre son débarquement très précaire. D'ailleurs si 
l'ennemi arrive à remonter les rivières ou à tourner leurs défenses, 
il se trouvera encore en présence d'un système de défense assez 
sérieux pour l'arrêter. Au Nord de la ville l'Arroyo de l'Avalanche 
constitue un fossé dont il sera facile d'interdire le passage. A l'Est 
la rivière de Saigon et au Sud TArroyo Chinois présentent des 
obstacles encore plus importants. Reste donc le front Ouest dont la 
défense par des ouvrages de fortification permanente est en bonne 
voie d'organisation. 

La défense de la Cochinchine est complétée par un centre impor- 
tant de défense mobile maritime composé de torpilleurs et de sous- 
marins. Il sera également nécessaire de créer quelques postes de 
refuge pour la défense mobile en certains points remarquables du 
réseau fluvial voisin de la côte et à Poulo Condore. 

La situation de cette île à quelques heures du Gap, attirera cer- 
tainement l'attention de l'escadre chargée d'opérer le blocus de nos 
côtes, comme présentant pour elle une bonne base d'opérations, un 
abri et un refuge pour ses navires. Elle cherchera à s'en emparer 
pour en faire un point d'appui provisoire. C'est pourquoi il serait bon 
d'y construire dès le temps de paix les ouvrages permanents qui 
permettraient d'en interdire l'approche à l'ennemi. 

Nous n'avons pas parlé du rôle de notre escadre de l'Extrême- 
Orient au début des hostilités. Sa faiblesse, comparée à la flotte 
ennemie, lui imposerait probablement la retraite vers le port de 
Saigon. Elle s'y réfugierait jusqu'au moment de la reprise de l'offen- 
sive, qui sera déterminée par l'arrivée des escadres venues de la 
Métropole. 

Après Saigon, le second objectif de nos ennemis sera le Tonkin, 
qui peut être menacé à la fois sur ses côtes par le Japon et sur sa 
frontière du Nord par la Chine. Dans l'état actuel de nos voies de 
communication, il est malheureusement impossible de faire con- 
courir les mêmes troupes à la défense de nos deux colonies du Nord 
et du Sud. Il se passera encore plusieurs années avant que les diffé- 
rents tronçons existant du trans indo-chinois soient soudés entre 
eux de manière à permettre la communication complète entre Saïgon 
et Hanoï. Encore cette ligne côtière, exposée aux entreprises de 
l'ennemi, ne sera-t-elle toujours que d'un usage précaire. 



— 16!> — 

Nous sommes donc amenés à considérer la défense du Tonkin 
comme devant être indépendante de celle de la Cochinchine. Des 
débarquements peuvent être tentés a Vinh, à Thanh Hoa, à l'em- 
bouchure du Day, mais en tous ces points les transports ennemis et 
les navires de guerre qui les protégeraient se trouveraient le long 
d'une côte dénuée de tout abri et où les mauvais temps sont fréquents. 
Ces opérations trouveraient des circonstances plus favorables à 
Haïphong et à Hon Gay, d'où l'ennemi pourrait facilement marcher 
sur Hanoi, et ii Tien Yen d'où il pourrait se porter vers Lang Son 
pour y donner la main à un corps chinois franchissant la frontière. 
Il ne semble pas utile de prévoir un débarquement japonais a Canton, 
car il est inadmissible que les Anglais tolèrent sans intervenir une 
telle opération en un point si voisin de Hong Kong. 

D'autre part sur la frontière de Chine, nous avons vu que 
nous devons nous attendre à une attaque sérieuse. Il appartiendra 
au Commandant Supérieur des troupes de faire face, d'une part à 
cette attaque en faisant renforcer les troupes des deux groupes du 
Quang Si et du Yunnan et d'autre part aux corps de débarquement 
a mesure qu'ils se présenteront ; mais certains points du territoire 
doivent être organisés à l'avance afin de pouvoir servir de points 
d'appui aux troupes de défense. C'est ainsi que Lang Son, Cao Bang, 
Ha Yang et Lao Cai semblent devoir être des points de résistance 
de première ligne, que Yen Bay, Tuyên Quang, Thai Nguyên et 
Lang Son pourraient être fortifiés de manière à servir de base à des 
mouvements offensifs vers la frontière, qu'une série de positions 
défensives seraient à préparer dans le delta et qu'enfin un réduit de 
la défense devrait être choisi et organisé. Sera-ce Hanoi ou Haïphong 
ou un point à désigner vers le mont Bavi ? Rien n'est encore décidé 
à ce sujet, mais il semblerait cependant logique de placer ce réduit 
à notre port d'embarquement, Hai Phong. N'avons-nous pas montré 
plus haut que la période de défensive qui nous est imposée au début 
par notre faiblesse locale doit être suivie d'un retour offensif au 
moment où nos escadres viendront reprendre la maîtrise de la mer, 
nous amener des renforts et isoler nos ennemis de tout secours 
maritime. Mais que nous servirait alors d'avoir conservé intacte 
une parcelle de notre territoire, si elle était éloignée du point d'où 



— 170 — 

nous viendront les secours et séparée d'elle par un pays occupé par 
l'ennemi. Il semblerait donc préférable de placer le réduit de la 
défense il Hai Phong, qui sera toujours en communication avec la 
baie d'Along où viendra mouiller notre escadre. C'est en ce point 
que doit être organisé le camp retranché dans lequel viendront 
se réfugier les défenseurs du Tonkin. C'est en ce point que doivent 
être accumulés les approvisionnements de toute espèce, et c'est 
lui aussi qui doit servir de base secondaire de la flotte. Il a d'ailleurs 
été substitué au port de Hon Gay qui devait tout d'abord remplir ce 
rôle. 

Une autre question importante se pose et celle-ci est d'ordre à la 
fois économique et stratégique. Le port de Hai Phong est séparé de 
de la haute mer par trois bras de mer qui ne permettent pas l'accès 
des gros navires surtout k marée basse. Ce sont le Lac Huyên à l'Est, 
le Cua Nam Trièu au milieu et le Cua Cam à l'Ouest. Le premier a 
l'avantage de communiquer directement avec la baie d'Along et dé 
forcer les bâtiments qui le suivent à raser l'île de la Cac Ba. C'est 
de cette situation que devrait découler, d'une part le choix du Lac 
Huyên comme devant être le bras à approfondir ainsi que l'ouver- 
ture d'une coupure dans l'île de Ha Nam pour rendre le port de Hai 
Phong accessibles aux grands bateaux, et d'autre part la nécessité 
de construire sur le front Est de l'île de la Cac Ba les batteries 
nécessaires pour interdire à l'ennemi le passage du Lac Huyên. 

Nous avons vu plus haut quelles étaient les grandes lignes de 
la défense terrestre du Tonkin. Il nous reste maintenant à indiquer 
sommairement par quels moyens pourra s'effectuer la défense des 
côtes. Elle se fera à laide d'une défense fixe et d'une défense mobile. 
La première sera assurée par des lignes de torpilles judicieusement 
placées. La défense mobile commence h installer son centre à Hon 
Gay. C'est de là que ses torpilleurs, ses sous-marins et ses submer- 
sibles pourront rayonner au milieu du labyrinthe que forment les 
îles de la baie d'Along et de la baie de Fai si Long. Les navires 
ennemis n'y trouveront qu'un refuge précaire lorsque chaque rocher 
de ces archipels pourra être soupçonné de dissimuler l'arme mortelle 
qui se prépare à venir sournoisement les frapper au cœur. 

Un autre centre de défense mobile pourrait être créé à Tourane à 



— 171 — 

300 kilomètres plus au Sud sur la côte d'Annam, un troisième à Cam 
Ranh à 290 kilomètres plus bas et qui ne sera séparé de celui du Cap 
St Jacques que par 170 kilomètres. Ces distances n'ont rien d'exa- 
géré puisque le rayon d'action des submersibles est de 400 kilo- 
mètres et celui des contre-torpilleurs de 800. Il sera nécessaire 
d'augmenter le nombre de nos canonnières cuirassées, qui rendraient 
de grands services dans la surveillance de nos côtes, de créer des 
centres de ravitaillement secondaires pour permettre aux torpilleurs 
et aux submersibles, surpris par un mauvais temps, de venir s'y 
ravitailler avant de rejoindre leur centre de défense mobile, d'établir 
un certain nombre de postes de refuge. Ceux du golfe du Tonkin 
pourraient être placés par exemple à Tien Yen, à la Cac Ba et à 
l'embouchure du Dai ou à Vinh. 

Une précaution s'impose encore pour rendre plus difficiles les débar- 
quements de l'ennemi sur les côtes du Golfe du Tonkin, c'est de 
lui interdire l'accès de la baie de Quang Tchéou Wan dont il aurait 
tout avantage à faire, dès le début des opérations, un point d'appui 
provisoire de sa flotte. Il faut donc y prévoir pour plus tard, après 
l'exécution des travaux plus urgents, quelques batteries appropriées 
pour la défense des passes. 

La côte d'Annam offre aux débarquements ennemis plusieurs 
points favorables tels que Vinh, les baies de Tourane, de Qui Nhon, 
de Hone Cohe et de Cam Ranh. Il est impossible de songer à forti- 
fier les abords de tous ces points vulnérables. Il semble suffisant de 
fortifier solidement Tourane qui est sans contredit le plus important 
et donne accès par voie de terre à la capitale annamite Hué, et d'in- 
terdire Cam Ranh à l'ennemi par quelques batteries. Les troupes 
qui débarqueraient entre ces deux points, à Qui Nhon ou à Hone 
Cohe, seraient obligés de passer ensuite par Tourane ou Can Ranh 
pour se diriger soit vers le Tonkin, soit vers la Cochinchine. 

Le système défensif maritime devra être complété par des postes 
de surveillance échelonnés le long de la côte et communiquant par 
télégraphe électrique ou optique avec les ouvrages fortifiés et avec 
les centres de défense mobile. La télégraphie sans fil pourra égale- 
ment rendre d'importants services pour communiquer les rensei- 
gnements obtenus sur les allées et venues des navires ennemis. Des 



— 172 — 

postes radio-télégraphiques vont être installés incessamment dans 
les phares de la côte d'Annam. 

Voici exposé dans ses grandes lignes le système défensif que nous 
pouvons opposer aux entreprises du Japon et de la Chine. Nous 
avons vu plus haut que le Siam pouvait, non pas nous attaquer seul, 
mais faire sur notre frontière du Cambodge une importante diver- 
sion. Dans l'état actuel de notre organisation, nous serions dans 
l'obligation de lui opposer une partie de la garnison du point d'appui 
Saïgon-Cap St-Jacques qu'il peut être dangereux de dégarnir. Aussi, 
sommes-nous amenés à penser que la création d'un régiment Cam- 
bodgien et d'un groupe de trois batteries, s'impose pour parer aux 
éventualités venant du côté du Siam. 

Quant à la défense mobile des côtes du golfe de Siam, elle aurait 
son centre soit à Hà Tien, soit à l'Ile de la Baie. 

Nous avons déjà laissé entrevoir que nos moyens de défense, qui 
peuvent être suffisants pour attendre trois ou quatre mois l'arrivée 
de nos escadres et de nos renforts, ne pourront résister à la pression 
des deux ou trois cents mille hommes qui peuvent nous être oppo- 
sés, que si toutes les énergies sont bandées comme un ressort vers la 
résistance opiniâtre qui est notre seul salut pendant ce laps de temps. 
Si nous avons pu atteindre ce but, nos escadres arrivant de France 
reprendront aisément la maîtrise de la mer et les ennemis débar- 
qués se trouveront pris entre nos troupes renforcées par les trans- 
ports venus de la métropole et nos navires de guerre qui empêche- 
ront leur rembarquement. Ce sera l'offensive succédant à la défen- 
sive et, fussions-nous un contre deux, si la population nous aidé et 
que nos tirailleurs marchent loyalement avec nous, notre succès est 
possible. Ce sont ces deux conditions qu'il faut réaliser à tout prix 
et nous allons étudier dans le § suivant le moyen d'y parvenir. 



Réformes à faire sans hésitation ponr appliquer sincèrement la 
politique d'association qui doit noua faire regagner les sympa- 
thies des Annamites. — L'Indo-Chine Franco-Annamite. 

A l'heure qu'il est nos protégés ne feraient aucun effort pour éviter 
de changer de maîtres. Ils préféreraient fort probablement entre 
deux suzerains, celui de qui les rapproche leur origine, leur civilisa- 
tion, leur religion, leur langue et dont la domination aurait de plus 
quelque chance de les blesser moins dans leurs traditions et leur 
amour- propre. 

Le problème est donc le suivant : Nous ne pouvons garder l'Indo- 
Chine qu'avec l'appui loyal et unanime du peuple annamite. Nous 
n'aurons cet appui que si la comparaison qu'établiront nos protégés 
entre nous et de nouveaux conquérants est sans conteste à notre 
avantage. Il faut qu'ils se disent que jamais aucun peuple ne leur 
donnera un joug plus léger et moins humiliant que notre Protectorat. 
Pour cela il faut entrer résolument et sans retard dans la voie que 
nous ont tracée nos derniers ministres des Colonies, en préco- 
nisant lu politique d'association. Il faut faire la conquête morale du 
peuple annamite. Il faut combler le fossé que nous avons creusé de 
nos propres mains entre les deux races. Il faut descendre du haut 
de notre orgueil de conquérants et voir chez nos protégés des 
hommes libres et non des esclaves. Il faut cesser de juger une race 
sur la lie de sa population, qui consent à nous fournir nos domes- 
tiques et à nous traîner dans des petits véhicules à deux roues, ou 
bien, pour être logiques avec nous-mêmes, admettre que notre race 
soit également jugée sur ses plus mauvais éléments. 

De grandes réformes doivent être accomplies dans le régime 
douanier comme dans le régime administratif. 

Il paraît urgent d'améliorer le mode de perception des impôts 
indirects et de supprimer les visites domiciliaires des agents des 
Douanes dont la forme est souvent si vexatoire qu'à elle seule elle 
suffirait pour nous faire détester de la population annamite. 



— 174 — 

Quant au régime administratif actuellement en usage au Tonkin et 
en Annam, qui sont des pays de Protectorat, le voici : Chaque province 
est administrée par un Résident français qui porte le titre de Chef 
de Province, assisté d'un administrateur adjoint, de délégués qui 
le représentent dans les centres éloignés du chef-lieu, de commis, 
d'un percepteur, d'un inspecteur et de gardes de milice, etc.,. 
Parallèlement à ce personnel européen il existe aussi un personnel 
de fonctionnaires indigènes : il y a un tông dôc ou un tûan phu, 
qui porte le titre de gouverneur de la province, mais qui en réalité 
n'est que l'exécuteur des ordres et quelquefois le conseiller du 
Résident, un quan an ou juge provincial qui ne prononce ses juge- 
ments importants qu'après avoir consulté le Résident, des phu et 
des huyên qui reçoivent le plus souvent des ordres directs, soit du 
Résident, soit d'un de ses délégués. Il y a en un mot deux admi- 
nistrations, Tune toute puissante, l'autre subordonnée à la pre- 
mière dont elle n'est que la doublure et l'humble assistance, sans 
qu'il lui soit réservé aucune part d'initiative. 

Nous avons donc foulé aux pieds de la façon la plus catégorique 
les traités qui ont placé un Résident à côté du chef de province 
dans le but de s'assurer que son administration était loyale envers 
la France. Nous avons enlevé sans vergogne à ces hauts manda- 
rins leurs véritables attributions pour les remplir en leur lieu et 
place. Mais avons-nous au moins ménagé leur amour-propre en 
les plaçant à un rang honorable et en ayant pour eux les égards 
correspondant à leur grade? Non. La vérité est que la façon dont 
ils sont traités par les Européens est de nature à leur faire perdre 
la face aux yeux des indigènes ; la vérité est que le moindre Fran- 
çais, une fois débarqué en Indo-Chine, se drape dans sa dignité de 
conquérant et, quelle que soit la modestie de sa condition, regarde 
de haut un mandarin annamite. 

Que doivent penser ces hauts fonctionnaires dont les prédéces- 
seurs ne sortaient que suivis d'un cortège de satellites courant 
derrière leur cheval et abrités sous leurs parapluies d'honneur? Ils 
pensent que nous sommes injustes et maladroits. La haine s'accu- 
mule dans leur cœur contre ces Français qui leur prennent au 
mépris des traités leur charge et la considération qui y est attachée. 



— 173 — 

Il est souverainement maladroit de notre part d'empêcher la classe 
des lettrés d'accéder au gouvernement des provinces dont elle 
s'acquittait si bien avant l'occupation française. M. de Lanessan le 
leur avait rendu en 1891 en ne laissant aux Résidents qu'un rôle 
de haute surveillance et pendant trois ans la classe des lettrés a 
ouvert son cœur à l'espérance de diriger enfin l'administration des 
provinces, le peuple s'est senti plus fier de voir à sa tête des gens 
sortis de son sein. Puis tout à coup le ciel s'est obscurci de nou- 
veau et l'Annamite s'est senti retombé dans l'humiliante condition 
qui lui est réservée. 

On peut se demander quelle est la conception qui nous a amenés 



proiît 



d'administration directe et d'assimilation d'un 



peuple dont la mentalité est si éloignée et qui possède une civili- 
sation beaucoup plus ancienne que la nôtre. N'avions-nous pas 
l'exemple de l'Empire romain qui est resté un maître en matière 
de colonisation. Rome envoyait ses proconsuls conquérir et admi- 
nistrer ses Provinces sans leur donner d'instructions sur les 
méthodes à employer a priori. Ils adoptaient une réglementation 
expérimentale appropriée à chaque région et au caractère des races 
subjuguées, conservaient l'autonomie communale des cités et fai- 
saient une place prépondérante à l'aristocratie, ils maintenaient 
scrupuleusement les lois et l'administration de chaque pays ainsi 
que les institutions qui n'étaient pas en opposition directe avec les 
intérêts de Rome. Au-dessus des administrateurs et des juges indi- 
gènes, se tenait le proconsul romain rattachant par des liens plus 
ou moins tendus le pays conquis à la métropole conquérante, 
tenant dans ses mains les forces qui assuraient la sûreté publique 
et dirigeant ses grands travaux publics et la gestion des finances. 
Une fois par an, le gouverneur parcourait le pays et séjournait 
dans les centres importants afin de solutionner les questions qui 
sortaient des compétences des magistrats indigènes et de contrôler 
les actes de leur administration. En un mot, Rome se contentait 
de la possession des Provinces qu'elle considérait toujours comme 
terres étrangères et qu'elle ne cherchait jamais à assimiler à l'Em- 
pire. Voilà quelles étaient les méthodes qui ont servi aux Romains 
à assurer la conquête du monde. Voici maintenant quel est le 
résultat de nos procédés administratifs ou fiscaux : 



— 176 — 

Les Annamites ne nous aiment pas et ne répugneraient pas, 
semble-t-il, a changer de maîtres. Ils ne se révolteront pas parce 
qu'ils n'ont personne pour réunir les bonnes volontés en un fais- 
ceau, mais s'il ne s'agissait que d'aider l'étranger en nous oppo- 
sant la force d'inertie, on peut se demander, avec une certaine 
inquiétude, si nous pourrions compter sur eux et si nos tirailleurs 
eux-mêmes, travaillés par la classe des lettrés marcheraient avec 
nous. 

En admettant même que le groupement des alliances nous mette 
à un moment donné à l'abri d'une intervention japonaise, chinoise, 
ou autre, nous est-il possible de supporter la pensée que nos pro- 
tégés ne nous restent soumis que faute d'occasion de se libérer de 
notre domination ? 

Au point de vue de l'intérêt même de notre occupation 
comme au point de vue de la justice et de l'observation de la 
parole donnée, comme enfin au point de vue des principes 
d'humanité et de générosité dont nous avons toujours été les 
champions, notre devoir est de réaliser immédiatement les 
réformes qui sont de nature à faire la conquête morale de nos 
protégés. Nous devons unir nos efforts pour atteindre ce but 
patriotique et humanitaire. Dans Tordre social, montrons plus 
d'égards pour les individus, donnons à ceux qui occupent une 
fonction la considération qui y doit correspondre, cessons 
surtout dans les articles de certains journaux de rendre res- 
ponsable toute une race des méfaits de quelques mauvais 
sujets. Dans Tordre fiscal remplaçons la plupart des impôts 
indirects, vexatoires et impopulaires, par des impôts directs 
produisant le même revenu pour le fisc. Dans Tordre adminis- 
tratif, revenons à l'observation des traités ; laissons les Anna- 
mites s'administrer et se juger librement eux-mêmes et 
n'exerçons notre souveraineté qu'à Taide d'un haut contrôle. 
Le véritable chef de province doit être le tông doc ou le tuân 
phu auquel nous donnerons une solde lui permettant de tenir 
une situation honorable avec tous les égards dus à son rang. 



— \n — 

Qu'il administre sa province suivant son inspiration et cor- 
responde directement avec ses phu et ses hayên. Que le quun 
an rende ses jugements librement. Un Résident, inspecteur de 
chaque province, aura assez à faire à parcourir le pays pour 
s'assurer que les mandarins gardent le loyalisme qu'ils doivent 
a la France et ne pressurent pas le peuple parla concussion. Il 
aura sous ses ordres le percepteur qui restera au chef-lieu de 
la province et la moitié des effectifs de milice actuellement 
existants. L'autre moitié sera mise à la disposition des man- 
darins provinciaux sous le nom de linh co. 

Je ne me dissimule pas que de pareilles réformes soulèvent de 
graves questions de personnel. Elles nécessitent une grande dimi- 
nution d'électifs. Il est évident par exemple que le nombre des 
fonctionnaires des douanes qui est de 1300, pourrait être réduit 
dans les mêmes proportions que les taxes indirectes dont ils ont a 
poursuivre la perception. De même le nombre des administrateurs 
et des commis de résidence serait considérablement réduit. Ce 
sont là des questions de personnes très intéressantes. Elles sont de 
nature à émouvoir la sollicitude de nos gouvernants qui auraient à 
chercher des compensations pour les intérêts lésés. Toutefois ces 
considérations soat d'un ordre secondaire quand il s'agit de l'inté- 
rêt, de l'existence même de notre domaine colonial. 

Mais ces mandarins, dira-t-on. qui auront dans la main l'admi- 
nistration des provinces, n'auront-ils pas la tentation de susciter 
un soulèvement général? Je n'en crois rien car ils auront une 
situation ima indépendante que sous l'administration annamite 
elle-même et seront les derniers à vouloir en changer. D'autre 
part l'armée m- -«-ait-elle pas là pour parer à toute éventualité de 
ce genre. 

Si gf&ee à ces importantes réformes nous voulons bien 
ouvrir h l'Annamite l'accès des plus hautes fonctions el lui 
montrer les égards qui lui sont dus. en même temps que nous 
mettrons en valeur par des travaux publics le sol de son pays, 
le conviant à participer à nos travaux, si. en un mol. nous 



— 178 — 

pratiquons la « politique d'association » au lieu de celle de 
« vexation et d'humiliation », nous pouvons espérer trouver en 
lui un protégé prêt à nous aider, le cas échéant, de tous ses 
efforts dans la défense de la liberté que nous lui aurons spon- 
tanément rendue. Marchant avec nous la main dans la main, 
il retrouvera alors contre nos ennemis communs les beaux 
élans qu'il a maintes fois montrés pour reconquérir son indé- 
pendance. 

En un mot, puisque nous n'avons pas eu la générosité de 
convier nos protégés à participer à notre œuvre civilisatrice, 
puisque nous n'avons pas eu l'honnêteté de leur laisser dans 
le gouvernement de leur propre pays la part qui leur revient 
de par les traités, ayons au moins le bon sens de reconnaître 
qu'il est de notre intérêt bien entendu d'être pour eux des 
protecteurs tels qu'ils ne puissent pas en désirer de meilleurs. 
Notre attitude actuelle à l'égard du pauvre Annamite pourrait 
prêter à un caricaturiste l'idée de nous peindre sous les traits 
d'un gendarme qui débite d'un geste noble et dédaigneux à un 
client humblement prosterné de l'opium et de l'alcool qui lui 
font faire la grimace. Il faudrait que désormais la France ne 
puisse plus être représentée autrement que guidant d'une main 
le peuple annamite ôur lequel elle jette un regard de bonté 
fraternelle tandis que de l'autre elle tient haut et ferme le 
flambeau de la civilisation. 

Et pour symboliser cette image dans une formule, cessons 
de vouloir une Indo-Chine exclusivement française en faisant 
une ridicule abstraction de ses 19 millions d'habitants anna- 
mites, mais adoptons nettement la formule de V Indo-Chine 
Franco- A nnamite . 

Si l'Indo-Chine n'est pas franco-annamite, elle redeviendra 
chinoise. 






OUVRAGES ET DOCUMENTS CONSULTES 



La Quinzaine coloniale. 

Arthur Girallt. — Principes de colonisation et de législation 

coloniale. 
Annales chinoises et annamites. 

Capitaine d'ÛLONNE. — La Chine novatrice et guerrière, 
Deloncle, député, chargé de missions en Indo-Chine en 1905. 

Son rapport. 
1,6 Hébisse, député, Rapporteur du budget des colonies en 1905. 

Son rapport. 
Paul Doumer. — Indo-Chine française. 






; 






TABLE DES MATIERES 

DE 

« ANNAM ET INDO CHINE FRANÇAISE » 



PREMIÈRE PARTIE 

ESQUISSE DE L'HISTOIRE ANNAMITE 



CHAPITRE I 



AVANT L INTERVENTION DE LA PHANCK 



§ 1. — L'Annam, royaume vassal de l'Empire chinois (de 2800 à 111 avant 
Jésus-Christ) 3 

§2. — L'Annam, province chinoise (de 111 avant J.-C. à 931 après J.-C). 7 

3. --Le royaume d'Annam indépendant sous les dynasties des Dinh 
(968 à 980), des Le antérieurs (981 à 1010), des Le postérieurs (1010 à 
1226), des Trân (1226 à 1402) et des Hô (1402 à 1407) jusqu'à l'occupa- 
tion chinoise de 1407 {{ 

§4. — Nouvelle occupation chinoise ^1407 à 1428). Guerre de l'Indépen- 
dance (1418 à 1428). Dynastie des Le postérieurs (1428-1527). Dynastie 
usurpatrice des Mac (1527-1592). Rétablissement des Le postérieurs. 
Les rois fainéants (1600 à 1791) qui régnent sur l'Annam pendant que 
leurs maires du Palais gouvernent, les princes Trinh au Tonkin et les 
seigneurs Nguyên en Cochinchine. Conquête définitive du Ciampa par 
les Annamites (1650). Absorption du Cambodge par les Annamites 
(1658 à 1758) 14 

$ 5. — Révolte des Ta y Son (1777 à 1701). Fondation de l'empire d'An- 
nam sous la dynastie dos Nguyên (1801). Révolte des Tay Pinh (1856). 
Difficultés qui amenèrent notre intervention en Cochinchine en 1859. 19