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Full text of "Anthologie des poètes du Divan. Avec une introduction par Pierre Lièvre"

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ANTHOLOGIE 

DES 

?OÈTES  DU  DIVAN 

AVEC  UNE  INTRODUCTION 

PAR 

PIERRE    LIEVRE 


PARIS 
LE    DIVAN 

37,  Rue  Bonaparte,  37 


MCMXXIII 


A? 

4gù 


.^î^==^RA^ 


APR     6  1967 


LES  POETES  DU  DIVAN 

Conférence  faife   au   Caméléon 

le  2^  mai  tgiS 

Sous  ta  présidence  de  M""®   Henri   de  Régnier 

Mesdames,  Messieurs, 

Vous  avez  l'incomparable  fortune  de  vous  trouver 
réunis  ce  soir  autour  de  l'une  des  plus  séduisantes 
figures  du  monde  littéraire  contemporain.  Gérard 
d' Hou  ville,  M"^e  Henri  de  Régnier,  a  consenti  à 
descendre  en  ces  lieux. 

Elle  ne  se  trouve  cependant  liée  à  la  revue  dont 
je  vous  parlerai  tout  à  l'heure  par  rien  d'autre 
que  l'admiration  unanime  de  ceux  qui  la  rédigent. 
Elle  a  bien  voulu  considérer  que  c'était  là  un  lien 
en  effet,  et  avouer  que  notre  admiration  lui 
créait  un  devoir  envers  nous.  Ce  qui  prouve  une 
fois  de  plus  qu'on  est  toujours  l'esclave  de  ses  propres 
bienfaits. 

Si  les  écrivains  du  Divan  se  trouvent  particuliè- 


2  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

rement  heureux  de  la  voir  parmi  eux,  c'est  qu'ils  se 
plaisent  à  reconnaître  une  sorte  de  parenté  spirituelle 
entre  son  art  et  celui  auquel  ils  s'efforcent.  Le 
mélange  de  malice  émue  et  de  sagesse  mélancolique 
qui  se  remarque  en  des  livres  tels  que  U  Inconstante 
et  que  Tant  pis  pour  toi  I  la  fantaisie  capricieuse 
et  l'irréprochable  pureté  de  forme  composent  un 
idéal  esthétique  qui  ressemble  à  celui  que  j'essaierai 
de  vous  montrer  chez  la  plupart  des  auteurs  dont 
je  vous  parlerai. 

Il  semblait  donc  que,  depuis  toujours,  depuis  que 
Le  Divan  existe,  sa  place  y  fut  marquée  et  l'attendit. 
Il  ne  lui  manquait  que  de  se  voir  occupée. 

Le  hasard  me  réservait  le  privilège  inattendu  de 
la  saluer  au  moment  où  elle  prend  possession  de 
ce  qui  lui  appartient.  Je  me  sens  tout  à  fait  inégal 
à  cet  honneur,  mais  je  suis  fier  de  me  trouver  choisi 
pour  lui  offrir  les  hommages  de  tous  les  auteurs  du 
Divan. 


Mesdames,  Messieurs, 

Je  n'ai  jamais,  jusqu'à  cette  minute  pris  la  parole 
en  public.  Je  ne  le  dis  pas  pour  m'en  vanter,  mais 
plutôt  pour  constater  que  jamais  l'occasion  ne  s'en 
est  offerte  à  moi  (jamais  personne  ne  m'a  prié  de 
faire  une  conférence),  et  que  d'autre  part,  jamais, 
de  mon  côté,  je  n'ai  recherché  cette  occasion.  C'est 
que  je  ne  crois  pas  être  orateur.  Je  suis  même  sûr 
que  je  ne  le  suis  pas.  J'ai  toujours  peur  de  devoir 
parler,  d'avoir  à  improviser.  Je  redoute  le  trou 
noir  dans  lequel  la  parole  et  la  pensée  viennent 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  3 

s'engloutir  au  milieu  d'une  belle  phrase  et  vous 
voyez  que  je  m'apprête  à  vous  faire  lecture  d'un 
texte  que  j'ai  rédigé  par  avance.  Pourtant  je  ne  suis 
pas  même  sûr  de  savoir  lire  à  haute  voix.  C'est  très 
difficile  de  lire  à  haute  voix.  C'est  déjà  tout  un 
travail  que  de  se  faire  entendre  distinctement. 
Et  Ton  n'est  jamais  sûr  d'éviter  la  fâcheuse  psalmodie 
qui  plonge  l'auditoire  le  plus  favorable  dans  la 
torpeur,  puis  dans  le  sommeil. 

Vous  allez  donc  avoir  à  supporter  tous  les  incon- 
vénients d'un  début.  Si  je  vous  le  fais  remarquer 
avec  insistance  ne  croyez  pas  que  ce  soit  pour  réclamer 
votre  indulgence.  J'ai  horreur  de  l'indulgence.  J'y 
vois  une  des  formes  du  mépris  et  par  conséquent 
je  la  trouve  aussi  fâcheuse  à  obtenir  que  désobligeante 
à  accorder.  Au  reste,  quand  on  a  cessé  d'être  des 
enfants  on  doit  être  de  force  à  supporter  la  vérité 
même  désagréable  à  entendre,  de  caractère  aussi 
à  envisager  les  conséquences  de  ses  actions,  à  mesurer 
les  responsabilités  que  l'on  encourt  et  à  savoir  que 
si  l'on  fait  quelque  chose  de  répréhensible  —  par 
exemple  une  conférence  très  ennuyeuse  —  on  mérite 
un  blâme  et  une  condamnation  sans  aucune  cir- 
constance atténuante. 

Si  je  me  risque  à  cette  éventualité  cruelle,  si 
vous  me  voyez  rompre  avec  mes  habitudes  et  venir 
sur  cette  estrade  m' exposer  à  être  jugé  durement, 
ou  à  endormir  —  ce  qui  est  beaucoup  plus  grave  — 
c'est  que  j'en  ai  été  prié  par  Martineau  qui  est  l'une 
des  rares  personnes  à  qui  je  ne  sais  rien  refuser, 
et  c'est  aussi  parce  que  le  sujet  qu'il  me  proposait 
se  trouve  être  de  ceux  qui  me  sont  le  plus  agréables 
à  considérer. 


4  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

J'ai  passé  de  très  bons  moments  à  préparer  cette 
conférence.  J'ai  dû  rouvrir  des  livres  que  j'aime, 
relire  des  poèmes  qui  m'ont  touché  il  y  a  déjà  bien 
longtemps  et  qui  conservent  à  peu  près  intacte  leur 
ancienne  puissance  de  séduction.  J'ai  dû  feuilleter 
dans  son  ensemble  la  collection  du  Divan.  Elle  est 
rarissime,  et  je  ne  me  doutais  pas  du  plaisir  que  me 
réservait   cette   occupation, 

Avez-vous  remarqué,  Messieurs,  la  façon  sin- 
gulière que  nous  avons  de  nous  comporter  avec  les 
revues  quand  nous  les  avons  une  fois  lues.  Les  plus 
soigneux  d'entre  nous,  qui  les  gardent,  les  entassent 
dans  des  cabinets  obscurs  ou  sur  les  bas  rayons  de 
leurs  bibliothèques.  Ils  disent  avec  mauvaise  humeur  : 
Ce  que  ça  prend  de  la  place,  les  revues  I  et  ils  les  con- 
servent avec  une  sorte  de  fétichisme  pour  ne  jamais 
plus  les  reprendre,  ni  les  ouvrir. 

C'est  un  grand  tort.  Si  d'aventure  vous  veniez 
à  toucher  leurs  anciennes  livraisons,  vous  auriez 
la  surprise  ém.ou vante  d'en  voir  jaillir  une  partie 
de  votre  passé.  Les  revues  ont  un  remarquable 
pouvoir  d'évocation.  Rien  ne  fait  plus  exactement 
revivre  des  heures  qui  ne  sont  plus.  Les  numéros 
violets  du  Mercure,  capucine  des  Marges,  gris, 
rouges  ou  bleus  du  Divan  —  qui  change  de  couleur 
comme  un  caméléon  —  vont  rallumer  avec  netteté 
la  lumière  des  jours  où  pour  la  première  fois  vous 
dûtes  les  recevoir  et  les  découper.  D'anciennes 
réactions  de  votre  sensibilité  vont  se  reproduire 
identiques  à  elles-mêmes.  Ceci  qui  vous  avait  irrité, 
cela  qui  vous  avait  charmé  va  recommencer  de  vous 
charmer  ou  de  vous  irriter  —  à  moins  que  vous  ne 
soyez  amené    à    mesurer    une    évolution    de  votre 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  5 

goût.  D'où  venait  l'agrément  qu'avait  à  vos  yeux 
telle  page  qui  vous  semble  insipide  aujourd'hui  ? 
Allez- vous  retrouver  son  charme  évaporé...  Peut-être 
entre  deux  feuillets  allez- vous  simplement  retrouver 
un  antique  ticket  de  métro...  tout  le  mécanisme  du 
souvenir,  quoi  !  Vous  connaissez  ça  aussi  bien  que 
moi. 

La  lecture  de  la  collection  m'a  ramené  à  l'époque 
où  paraissaient  les  premiers  numéros  du  Divan.  Le 
titre  que  portaient  ces  minces  livrets  faisait  rêver  — 
ou  tout  au  moins  sollicitait  l'esprit.  Il  signifiait 
beaucoup  de  choses,  car  il  n'en  signifiait  aucune 
exactement,  et  il  en  promettait  d'autant  plus  qu'il 
n'avait  rien  d'un  programme. 

Tel  quel  il  était  chargé  de  littérature.  Il  l'est 
encore.  On  ne  peut  le  lire  des  yeux  sans  entendre 
l'écho  de  tel  vers  fameux  : 

Nous  aurons  des  lits  pleins  d'odeurs  légères. 
Des  divans 


OU  tel  autre 


Gœthe  au  son  du  canon  brutal 
Fit  le  divan  occidental 
Fraîche  oasis 


C'est  du  Gautier  que  je  viens  de  citer  là.  On  l'a 
bien  reconnu.  Je  sais  qu'il  y  a  quinze  jours,  et  c'est  un 
poète  du  Divan  qui  l'a  fait,  on  a  décidé  que  Gautier 
n'était  plus  un  bon  poète  (1).  Je  suis  toujours  un  peu 
lent  à  m'accoutumer  aux  modes  nouvelles  et  n'ai 
pas  encore  adopté  celle-ci.  Je  m'en  excuse  auprès 

(1)  Roger  AUard  :  La  Nouvelle  Revue  Française,!^'  mai  1923 


6  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

de  ceux  de  mes  auditeurs  qui  m'ont  devancé,  et 
qui  n'estiment  plus  que  l'on  puisse  faire  cas  de  ce 
poète  en  qui  le  mois  dernier  personne  n'hésitait 
à  reconnaître  un  maître. 

Pour  ce  qui  est  de  ce  mot  :  Divan  ;  de  ce  titre  : 
Le  Divan,  plus  encore  que  de  littérature  c'est  de 
poésie  qu'il  est  chargé,  et  la  revue  l'était,  pour  le 
moins  autant  que  son  titre.  Elle  faisait  aux  œuvres 
poétiques  une  place  considérable.  Je  n'ai  pas  voulu 
faire  de  statistique,  compter  des  pages,  mesurer 
leur  surface  ni  leurs  lignes,  mais  j'ai  l'impression 
que  cette  jeune  revue  réservait  alors  —  ce  qui  est 
énorme  —  un  bon  quart  de  ses  forces  à  la  présentation 
des  poètes. 

C'est  des  poètes  qui  ont  bénéficié  de  cette  géné- 
reuse hospitalité  que  je  vais  avoir  le  plaisir  de  vous 
parler. 

Je  dis  le  plaisir.  On  a  beau  faire  comprendre 
aux  critiques  qu'ils  n'entendent  rien  à  la  poésie  — 
en  connaissez- vous  un  seul.  Messieurs,  dont  on  n'ait 
pas  dit  qu'il  se  mêlait  d'en  parler  mais  qu'il  ne  savait 
seulement  pas  ce  que  c'était  —  eh  bien,  malgré  cela, 
ou  peut-être  à  cause  de  cela,  ils  ont  un  penchant 
très  accusé  à  s'en  occuper.  Je  suis  comme  eux  tous. 
Le  seul  fait  de  m' occuper  de  poésie  me  cause  un  vif 
plaisir.  On  dira  probablement,  on  dira  certainement 
que  je  n'y  entends  rien,  je  suis  toujours  heureux  de 
pouvoir  quand  même  suivre  mon  penchant. 

Faut- il  justifier  ce  penchant  que  nous  montrons 
tous,  nous,  les  critiques.  Tout  bêtes  que  nous  soyons, 
l'art  que  nous  cultivons,  ou,  si  l'on  préfère  le  métier 
que  nous  exerçons  implique  une  certaine  curiosité 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  7 

du  mystère  des  autres  arts  littéraires.  Or  c'est 
précisément  dans  la  poésie  que  ces  mystères  sont  les 
plus  obscurs,  les  moins  saisissables,  les  plus  secrets  — 
les  plus  attirants  par  conséquent.  La  poésie  est 
vraiment  ce  qui  oppose  le  plus  de  résistance  à  l'ana- 
lyse. On  ne  parvient  jamais  à  savoir  comment  ni 
de  quoi  c'est  fait.  Et  c'est  pourquoi  l'on  revient 
toujours  s'acharner  sur  cette  impossible  dissection, 
sur  cet  hallucinant  problème. 

En  outre  du  plaisir  peut-être  un  peu  morbide 
qu'en  tant  que  critique,  et  comme  tous  les  critiques, 
j'éprouve  à  parler  poésie,  je  suis  content  d'avoir 
à  parler  des  poètes  du  Divan  parce  qu'ils  me  plaisent 
presque  tous.  Et  puis  il  y  en  a  plusieurs  qui  sont 
mes  amis,  et  c'est  toujours  charmant  d'avoir  à 
parler  de  ses  amis.  Non  pas  que  je  me  sente  obligé 
de  trouver  bien  tout  ce  qu'ils  font.  J'ai  quelquefois 
le  regret  de  ne  pas  les  approuver.  Alors  je  le  leur 
dis.  Mais  c'est  toujours  un  moment  extrêmement 
désagréable  que  celui  où  l'on  doit  dire  à  un  ami 
qu'on  n'aime  pas  ce  qu'il  fait.  C'est  très  ennuyeux. 
Je   m'en   dispenserai   peut-être   ce   soir.    Peut-être. 

Les  poètes  du  Divan,  Messieurs,  ne  forment  pas 
une  école,  et  c'est  une  singularité.  Généralement 
en  effet,  les  Revues,  —  je  veux  dire  les  petites  revues 
littéraires,  celles  qui  dans  l'histoire  des  lettres 
comptent  essentiellement,  —  naissent  presque  uni- 
quement pour  faire  la  propagande  d'une  école  qui 
est  née  en  même  temps  qu'elles,  et  qui  mourra  de 
même  après  six  semaines  ou  deux  mois  d'existence. 
Parmi  celles  qui  ont  eu  une  vie  plus  longue  et  une 
importance  plus  réelle,  on  peut  dire  que  le  Mercure^ 
la  Revue  Blanche,  VErmitage  ont  défendu  et  illustré 


8  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

le  symbolisme.  Que  la  Nouvelle  Revue  Française 
est  née  en  recueillant  les  débris  de  ce  même  sym- 
bolisme et  qu'elle  a  grandi  en  servant  l'unanimisme  — 
auquel  il  ne  faut  pas  croire,  parce  que  j'en  parle 
après  le  symbolisme,  que  j'attache  une  même  impor- 
tance. Nord- Sud,  Les  Soirées  de  Paris  du  pauvre 
Apollinaire  furent  les  organes  du  futurisme  et  du 
cubisme  littéraire,  et  divers  papiers  périodiques 
dont  j'ai  oublié  les  noms  —  dont,  à  vrai  dire,  je  n'ai 
jamais  retenu  les  noms  —  furent  les  organes  de  cette 
chose  sans  nom  qui  a  pourtant  porté  celui  de  dadaïsme. 
Au  Divan  rien  de  pareil  et  cela  s'explique  par 
les  conditions  mêmes  dans  lesquelles  il  naquit.  Ce  ne 
fut  point  pour  servir  les  ambitions  d'un  groupe  ni 
pour  aider  à  celle  d'un  homme,  ce  ne  fut  point  par 
stratégie  que  cette  discrète  revue  vit  le  jour.  Vous 
connaissez  les  circonstances  de  ses  origines.  Un 
lettré  isolé  en  province,  très  loin  de  Paris,  encore 
plus  loin  du  monde  littéraire  et  de  ses  agitations,  se 
plût  à  consacrer  ses  loisirs  au  service  des  belles- 
lettres.  Il  avait  le  goût  sûr  et  délicat.  Il  n'aimait 
ni  le  tapage  ni  la  singularité  forcée.  Il  distingua 
quelques  esprits  qui  lui  convenaient  et  publia  leurs 
écrits.  Vous  savez  que  dès  qu'une  revue  existe, 
une  masse  de  copie  bénévole  s'offre  à  elle  et  vient 
gonfler  le  courrier  de  son  directeur.  Elle  s'offrit  au 
Divan  comme  aux  autres,  plus  qu'aux  autres  peut- 
être  si  l'on  en  croit  Jean  Giraudoux,  qui  prétendait 
de  Coulonges-sur-l'Autize  où  vivait  Martineau  que 
tous  les  employés  de  la  poste  en  France  ont  V ordre  rf'z/ 
envoyer   les  poèmes  égarés  ou  anonymes  (1).   Dans 

^1)  Arnica  america. 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  9 

cette  masse,  Martineau,  directeur,  choisissait  ce  qui 
s'accordait  à  ses  préférences,  ce  qui  rentrait  dans 
ses  vues,  et  c'est  ainsi  que  se  forma  une  sorte  de 
rédaction.  On  le  voit  donc,  le  Divan  ne  révéla  pas 
un  groupe  qui  existait  auparavant  en  silence,  ce 
fut  son  existence  qui  occasionna  un  groupement. 
Il  n'y  a  donc  rien  qui  ressemble  moins  que  ce  début 
à  la  naissance  ou  à  la  constitution  d'une  école. 

Et  d'ailleurs,  qu'est-ce  qu'une  école  ?  On  emploie 
continuellement  ce  mot.  On  le  voit  écrit,  on  l'entend 
prononcé  à  tous  les  coins  de  journaux  et  de  courriers 
littéraires.  Il  est  très  commode,  je  n'en  disconviens 
pas.  Mais  l'abus  que  l'on  en  fait  pourrait  laisser 
supposer  que  la  chose  est  de  réalité  courante.  Il 
n'en  est  rien,  car  il  ne  faut  pas  admettre  que,  lorsque 
trois  jeunes  gens  de  lettres  se  réunissent  autour  d'une 
table  de  café  une  école  littéraire  soit  née.  Sans 
même  nous  attarder  à  blaguer  la  charmante  manie 
des  enfants  qui  pensent  avec  ingénuité  —  comme 
nous  avons  tous  fait  —  qu'ils  vont  en  paraissant 
bouleverser  l'univers  littéraire  —  l'existence  même 
d'une  doctrine  ne  suffit  pas  à  assurer  l'existence 
d'une  école.  L'unanimisme  que  j'ai  déjà  nommé 
tout  à  l'heure  possède  un  corps  de  doctrine  cohérent. 
Une  doctrine  assez  nette  sert  de  soutien  à  l'école 
qui  se  décore  d'une  manière  aussi  obscure  qu'orgueil- 
leuse du  nom  de  romane.  Il  existe  aussi  une  théorie 
je  dirai  presque  un  dogmatisme  de  la  fantaisie 
On  sait  ce  que  c'est  :  Il  s'agit  d'avaler  ses  larmes, 
de  souffrir  en  riant,  de  ne  pas  attacher  d'importance, 
à  ce  qui  en  a,  et  réciproquement.  Eh  bien,  Messieurs, 
malgré  cela  je  ne  pense  pas  que  l'on  puisse  dire 
qu'il    existe    une   école    unanimiste,    une   romane. 


10  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

une  fantaisiste.  Trois  écoles  qui  coexisteraient  I  Ça  ne 
se  serait  jamais  vu. 

A  vrai  dire,  dans  l'histoire  entière  de  la  litté- 
rature française  —  et  par  ces  exemples  je  vais  pré- 
ciser ma  pensée  —  je  ne  reconnais  l'existence  que 
de  deux  écoles.  L'une  fut  la  pléiade  de  Ronsard, 
l'autre  le  cénacle  de  Victor  Hugo.  Assurément  la 
pléiade  et  le  cénacle  avaient  chacun  une  doctrine 
cohérente  et  bien  conditionnée.  Mais  ils  avaient 
aussi  et  surtout  un  poète  d'une  taille  démesurée 
en  qui  cette  doctrine  s'incarnait  avec  éclat.  Un 
maître  au  plein  sens  du  mot.  Autour  du  maître 
des  disciples  constituaient  essentiellement  l'école. 
Ils  reconnaissaient  son  éminence,  sa  supériorité  et 
ne  nourrissaient  qu'une  ambition  :  non  pas  de  l'égaler 
ni  de  le  surpasser,  mais  simplement  de  marcher  sur 
ses  traces,  de  lui  ressembler,  et  d'être  aussi  grands  que 
possible,  —  à  quelque  distance  que  ce  soit,  proche 
ou  lointaine,  de  ce  génie  héroïque  qui  les  condui- 
sait et  les  entraînait. 

Messieurs,  si  l'on  considère  avec  l'attention  et  le 
respect  dont  ils  sont  dignes,  de  semblables  phéno- 
mènes —  auxquels  on  ne  trouve  d'analogues  que  dans 
l'histoire  des  religions  —  on  doit  se  montrer  plus 
ménager  du  mot  école  qui  est  un  grand  mot. 

Jules  Romains  a  beau,  je  le  reconnais  volontiers, 
détenir  une  sorte  de  génie.  Notre  ami  Fernand  Fleuret 
{je  choisis  à  dessein  le  nom  d'un  vivant  pour  sym- 
boliser l'école  romane),  Fernand  Fleuret,  dis- je,  a  beau 
être  un  artiste  incomparable.  On  a  beau  voir  avec 
raison  en  notre  très  cher  Tristan  Derème  un  des 
tout  premiers  poètes  de  ce  temps,  rien  ne  me  déter- 
minera  jamais   à   reconnaître   pour   l'amour   d'eux 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  11 

l'existence  d'une  école  unanimiste, d'une  école  romane, 
d'une  école  fantaisiste.  A  moins  bien  entendu  que  je 
n'y  sois  contraint,  comme  Galilée  à  confesser  que 
la  terre  ne  tournait  pas.  Ne  riez  pas,  Messieurs,  du  train 
dont  vont  les  choses,  ça  peut  venir. 

Messieurs...  Mesdames,  Messieurs,  je  parais  m' être 
écarté  de  mon  sujet.  Je  ne  l'ai  pas  tant  fait  qu'on 
le  pourrait  croire. 

D'une  part  en  effet  selon  moi,  c'est  faire  un  sin- 
gulier éloge  du  Divan,  de  sa  sagesse,  de  sa  juste  appré- 
ciation des  valeurs  littéraires,  que  de  bien  souligner 
le  fait  qu'il  n'a  jamais  constitué  une  école,  qu'il  n'a 
jamais  eu  ni  cette  ambition,  ni  cet  aveuglement. 
D'autre  part,  et  comme  pour  me  contredire,  je  vais 
donner  bien  de  la  gravité  à  tel  épisode  de  son  existence 
en  indiquant  qu'à  une  certaine  époque  il  faillit  devenir 
l'organe  de  quelque  chose  qui  ressemblait  à  une  école. 

Il  fut  un  temps  où  Le  Divan  s'honora  de  la  colla- 
boration d'un  poète  qui,  sans  être  un  Ronsard  ou  un 
Victor  Hugo,  sans  avoir  d'autre  part  une  doctrine 
très  nettement  formulée,  eut  quelque  chose  d'un 
maître  tant  par  sa  valeur  propre  que  par  son  autorité 
spirituelle.  C'est  à  Toulet  à  qui  je  fais  ici  allusion. 

Toulet  sans  conteste  est  jusqu'à  présent  le  plus 
éminent  des  auteurs  qui  aient  collaboré  au  Divan, 
le  plus  grand  des  poètes  du  Divan,  et  l'on  trouvera 
bon  qu'il  soit  le  premier  dont  je  parle  nommément 
au  sortir  de  ces  généralités. 

D'ailleurs  je  n'en  ai  pas  fini  avec  les  généralités. 
On  n'en  a  jamais  fini  avec  les  idées  générales.  Je  vais 
cependant  tâcher  d'en  terminer  avec  elles  vme  bonne 
fois,  et  je  sais  bien  à  l'avance  que  c'est  à  Toulet  qu'elles 
me  ramèneront. 


12  .  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Quoiqu'ils  ne  forment  pas  une  école,  les  poètes 
du  Divan  présentent  cependant  des  traits  communs. 
On  pourrait  dire  qu'ils  appartiennent  à  une  même 
famille  d'esprits.  Tout  au  plus  à  deux  ou  trois  familles 
d'esprits  très  voisines  les  unes  des  autres  —  et  même 
un  peu  alliées  entre  elles. 

Ils  n'ont  point  de  doctrine,  mais  ils  obéissent 
inconsciemment  aux  mêmes  directions  intellectuelles. 
Tous  se  rattachent  au  rameau  traditionnel  de  la  litté- 
rature contemporaine,  mais  ils  n'ont  pas  le  tradi- 
tionalisme agressif  de  l'école  romane.  (Je  continue 
à  employer  cette  expression  pour  la  commodité  du 
langage.)  Pour  parler  plus  exactement,  ils  ne  sont 
point  passéistes.  La  poésie  qu'il  leur  plait  de  faire 
reproduit  les  traits  de  la  poésie  française,  comme  une 
jeune  femme  peut  représenter  naturellement  les 
traits  de  l'une  de  ses  anciennes  aïeules,  tandis  que 
la  poésie  que  j'appelle  passéiste,  est  figurée  par  la 
jeune  femme  qui  adopte  le  chignon  et  la  crinoline  de 
sagrand'mère,  ou  bien,  plus  férue  encore  d'ancienneté, 
la  fontange  et  le  vertugadin  de  sa  plus  qu'arrière 
grand'mère.  L'une  de  ces  ressemblances  tient  à 
l'essence  des  choses,  mais  l'autre  qui  tient  à  ce 
qu'elles  ont  de  plus  accidentel,  n'est  qu'un  dégui- 
sement. 

Le  traditionalisme  des  poètes  du  Divan  s'atteste 
par  leur  attachement  aux  formes  régulières  de  la 
poésie.  Peut-être  se  permettent-ils  quelques  licences 
poétiques,  peut-être  s'afîranchissent-ils  des  exi- 
gences de  la  métrique  qui  furent  acceptées  à  peu 
près  sans  trêve  depuis  Malherbe  jusqu'à  Banville, 
du  moins  n'ont-ils  jamais  renoncé  à  ce  qui  constitue 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  13 

essentiellement  le  vers  français,  à  savoir  :  la  rime 
et  la  numération  des  syllabes. 

Autrement  dit,  on  ne  voit  pas  de  vers  libre  au 
Divan,  si  ce  n'est  tout  à  fait  accidentellement,  et 
de  la  part  d'un  des  poètes  qui  devait  ultérieure- 
ment fournir  une  carrière  de  poète  traditionnel 
aussi  caractérisée  que  fatalement  interrompue  ; 
Jean-Marc  Bernard. 

Je  dois  aussi  vous  signaler  une  autre  exception. 
Le  premier  numéro  du  Divan  s'ouvre  sur  un  petit 
poème  de  Francis  Jammes.  La  jeune  revue  avait 
eu  la  coquetterie  naïve  de  vouloir  orner  son  premier 
sommaire  d'un  nom  déjà  célèbre.  Francis  Jammes 
avait  eu  la  bonne  grâce  de  lui  donner  un  petit  poème 
intitulé  Fumée  : 

Mon  cœur  dans  la  saison  du  vent  et  de  la  brume 

est  comme  un  pot  de  terre  un  peu  fêlé  qui  fume. 

Une  vieille  femme  y  trempe  son  pain 

et  aux  sanglots  de  l'eau  qui  bout  mêle  les  siens. 

Une  jeune  femme  y  trempe  son  pain 

et  aux  rires  de  l'eau  qui  bout  mêle  les  siens. 

Au  dehors  l'arbre  se  courbe  et  le  vent  emporte 

une  fumée  entrecoupée  et  torte. 

—  Quelle  est  cette  fumée  qui  sort  du  toit  : 
Femmes  aimées, 

Dites-le  moi  ? 

—  C'est  celle  que  le  cœur  qui  passa  par  le  feu 
jette  à  Dieu. 

Et  selon  que  la  vieille  ou  la  jeune  se  penche 

sur  ce  cœur  pauvre,  la  fumée  est  noire  ou  blanche. 

Ce  petit  morceau  est  très  agréable  n'est-ce  pas  ? 
On  ne  peut  pas  dire  le  contraire.  Il  n'est. ni  tout  à 
fait  régulier  ni  tout  à  fait  libre,  mais  plutôt  libre  que 
régulier.  Il  caractérise  parfaitement  l'art  de  Francis 


14  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Jammes,  mais  on  ne  peut  en  somme  point  dire  que 
cette  collaboration  momentanée  fasse  de  M.  Jammes 
un  poète  du  Divan.  Non  plus  qu'à  cause  de  lui  le 
vers  libre  ait  ici  droit  de  cité. 

Je  ne  ferai  point  le  procès  du  vers  libre.  C'est  un 
soin  superflu.  A-t-il  encore  des  défenseurs  ?  On  les 
ignore,  —  exception  faite  pour  Tristan  Klingsor 
qui  parvient  à  tirer  de  ce  faux  instrument  des 
chansonnettes  et  des  mélodies  délicieuses. 

Ce  fut  une  mode  absurde  et  passagère  que  celle 
du  vers  libre.  Maintenant  que  sa  défaite  nous  a 
libérés  de  l'animosité  que  l'on  nourrissait  à  son 
endroit,  je  consentirais  à  dire  que,  telle  mainte  chose 
absurde,  il  fut  charmant.  Et  puis  non.  Rien  ne  saura 
me  faire  admettre  qu'il  ait  été  charmant.  Il  fut  pas- 
sager, c'est  sa  seule  excuse.  Contemporain  des 
meubles  laqués  blancs  de  Liberty,  des  étoffes  à 
fleurs  stylisées  de  Moriss,  très  modem- style  de  1900, 
très  vieux  modem- style  il  disparut  avec  ces  choses 
éphémères  et  ridicules. 

A  quoi  pouvait-il  servir  en  effet  ?  Ou  bien  abso- 
lument dépouillé  de  rythme  il  se  résolvait,  se  dis- 
solvait en  une  prose  énervée  et  énervante,  ou  bien 
rythmé  il  déguisait  en  lui  les  rythmes  ordinaires, 
car,  tout  ce  qui  est  plus  court  que  l'alexandrin 
existe  valablement  d'autre  part,  et  tout  vers  qui  se 
prétend  plus  long  que  l'alexandrin  n'est  que  la 
succession  dissimulée  de  deux  vers  moins  longs  que 
lui.  On  l'a  par  ailleurs  abondamment  démontré. 

Ennemis  de  ces  extravagances  hasardeuses,  on 
pourrait  dire  que  les  poètes  du  Divan,  si  l'on  veut 
en  tracer  une  sorte  de  portrait  composite,  se  remar- 
quent d'abord...  tout  simplement  par  une  certaine 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  15 

distinction  d'esprit.  La  grâce,  la  décence,  l'harmo- 
nieuse discrétion  sont  leur  propre,  et  ces  vertus 
moyennes  empêchent  les  moins  importants  d'entreeux 
d'être  jamais  vulgaires  comme  elles  permettent  aux 
plus  remarquables,  pour  s'élever  aux  plus  hautes 
sphères  de  la  poésie,  de  prendre  leur  vol  sur  une  ter- 
rasse déjà  haute,  bien  architecturée,  solidement  cons- 
truite. Achèverais-je  de  les  peindre  d'ensemble,  ajou- 
terais-je  qu'ils  sont  pour  la  plupart  des  élégiaques  ou 
des  épigrammatistes  ?  Qu'en  outre  ce  ne  sont  jamais 
des  raseurs.  Non,  cette  notion  de  raseurs  m'entraî- 
nerait à  elle  seule  trop  loin.  Pour  bien  vous  montrer 
que  les  poètes  du  Divan  n'en  sont  point,  je  devrais 
vous  expliquer  avec  des  exemples,  à  l'appui  ce  que 
c'est  que  les  raseurs.  Je  serais  peut-être  amené  à 
faire  des  personnalités.  De  toute  façon  c'est  une 
histoire  dont  il  me  faudrait  longtemps  pour  sortir, 
et  j'ai  hâte  à  présent  de  vous  les  présenter  indi- 
viduellement pour  ne  point  retarder  davantage 
le  plaisir  que  vous  prendrez  aux  récitations  qui  vous 
seront  faites  de  leurs  œuvres  (I). 


Mesdames,  Messieurs, 

Je  vous  ai  annoncé  qu'au  terme  de  ces  généra- 
lités nous  retrouverions  Toulet.  Nous  le  retrouvons 
en  effet,  d'abord  en  sa  technique.  Vous  savez  que 
c'est  un  versificateur  régulier,  si  régulier  même  qu'il 

(1)  Le  plus  sûr  agrément  de  cette  conférence  fut  un  cer- 
tain nombre  de  lectures  et  de  récitations  faites  avec  talent 
par  M™"  Dussanne,  Claire  Magnus,  Régine  le  Quéré,  Vellini 
et  MM.  Audel,  Barthus  et  Dodeman. 


16  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

a  pu  nous  enrichir  d'une  nouvelle  forme  de  strophe  en 
qui,  dès  qu'on  l'a  vue,  on  a  cru  reconnaître  un 
mode  ancien,  au  passé  déjà  riche.  C'est  le  quatrain 
aux  rimes  embrassées,  mais  aux  vers  alternés  de 
huit  et  de  six  pieds  : 

Un  jurançon  93 

Aux  couleurs  du  maïs, 
Et  ma  mie  et  l'air  du  pays, 

Que  mon  cœur  était  aise. 

Cette  strophe  n'est  pas  des  plus  frappantes  qu'ait 
agencées  Toulet,  mais  c'est  la  première  que  l'on 
puisse  au  Divan  lire  de  lui.  Elle  y  parut  en  novembre 
1910,  et  c'est  pourquoi  je  l'ai  choisie  pour  vous 
rappeler  comment  sonne  la  forme  chère  entre  toutes 
à  ce  poète. 

Je  lui  ai  attribué  l'invention  de  cet  ingénieux 
arrangement  rythmique,  dont  la  singularité  tient 
moins  à  ce  que  les  rimes  ne  sont  point  supportées 
par  des  vers  de  même  mètre,  qu'à  la  succession  de 
ces  deux  mètres  qu'on  fait  rarement  voisiner.  Un 
plus  érudit  aurait  su  peut-être  lui  trouver  dans 
le  passé  des  précédents,  sinon  des  titres  de  no- 
blesse, car  des  titres  de  noblesse  tout  le  monde  les 
connaîtrait  —  mais  nul  ne  pourrait  contester  que 
Toulet  se  soit  approprié  cet  instrument  délicieux 
par  l'usage  qu'il  en  a  fait,  par  la  musique  qu'il 
en  a  tirée. 

Je  vous  ai  dit  que  les  poètes  du  Divan  sont  essen- 
tiellement des  élégiaques  et  des  épigrammatistes. 
Toulet  fut  l'un  et  l'autre  à  la  fois,  si  l'on  veut  bien 
entendre  par  épigrammatiste  un  poète  qui  compose 
des   pièces   brèves   et   polie*^,   plus   spirituelles  que 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  17 

passionnées,  et  si  par  élégiaque  on  veut  définir  celui 
qui  exhale  des  plaintes  lyriques  quel  que  soit  le  cadre 
prosodique  dans  lequel  il  les  enferme. 

Qui  voudrait  étudier  de  manière  approfondie 
le  talent  de  Toulet  pourrait  trouver  dans  ce  double 
aspect  la  base  de  son  étude.  Je  n'essaierai  point  de 
la  faire  devant  vous.  Comme  la  plupart...  comme 
tous  les  poètes  dont  je  vais  avoir  à  parler,  Toulet 
à  lui  seul  pourrait  faire  l'objet  d'une  vaste  étude, 
de  toute  une  conférence.  C'est  un  grand  sujet. 
C'est  une  figure  de  premier  plan.  J'ai  eu  l'occasion 
déjà  de  dire  que  les  poètes  les  plus  considérables 
qui  aient  paru  chez  nous  depuis  la  mort  de  Mal- 
larmé sont  avec  lui  :  Moréas,  M"^®  de  Noailles  et 
Henri  de  Régnier. 

Non  seulement.  Madame,  j'ai  exprimé  cette  opi- 
nion, mais  je  l'ai  imprimée  noir  sur  blanc.  Ce  n'est 
point  parce  que  j'ai  l'honneur  de  vous  voir  dans 
mon  auditoire  que  je  le  dis,  et  que  je  mets 
M.  de  Régnier  à  cette  place  éminente.  Si  à  ces  quatre 
grands  noms  je  n'ai  pas  joint  celui  de  Gérard  d'Hou- 
ville  c'est  que  nous  sommes  toujours  à  attendre  le 
recueil  de  ses  vers.  C'est  à  peine  hélas  si  nous  les 
connaissons. 

Toulet,  quant  à  lui,  est  une  figure  beaucoup  trop 
complexe  pour  pouvoir  être  définie  d'un  mot  014 
même  de  deux.  Alors  même  qu'en  veine  de  formule 
on  viendrait  dire  que  c'est  l'Horace  français  ou  même 
l'Horace  moderne,  on  ne  l'expliquerait  pas.  Les 
nuances  de  sa  sensibilité  sont  tellement  variables 
qu'on  ne  peut  les  saisir.  Elles  ne  se  répartissent 
pas   entre   les   différentes   sortes   de    poèmes   qu'il 


18  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

produisit.  Elles  se  suivent  avec  tant  de  promptitude 
qu'elles  se  mélangent  et  se  confondent  à  l'intérieur 
d'un  même  poème.  Ses  larmes  ont  à  peine  coulé,  — 
ou  pour  parler  d'une  façon  moins  romantique  et 
pour  user  d'expressions  plus  conformes  à  sa  vraie 
nature,  —  à  peine  sa  tristesse  s'est  elle  exprimée 
qu'un  sourire  ironique  naît  sur  ses  lèvres  comme 
une  raillerie  de  soi-même,  et  ce  sourire  en  général 
ne  peut  faire  autrement  que  de  s'achever  en  grimace 
d'amertume. 

Ce  qu'on  aime  en  lui,  en  Toulet,  c'est  sa  liberté 
et  sa  contention,  ce  que  l'observance  d'une  règle 
très  stricte  ajoute  à  l'étincellement  de  l'expression, 
et  ce  que  l'éclat,  le  miroitement  de  l'expression 
confère  de  vigueur  à  la  pensée.  Car  il  y  a  une  pensée 
chez  Toulet,  ce  n'est  pas  un  creux  rhétoriqueur, 
un  enfileur  de  mots  retentissants,  ce  n'est  pas  une 
cigale,  même  ivre  de  rosée  au  renouveau,  c'est  un 
homme  qui  a  vécu,  qui  est  plein  d'expérience  sinon 
de  sagesse  et  de  sérénité.  C'est  un  moraliste  en  même 
temps  qu'un  poète. 

Malheureusement  pour  bien  saisir  le  moraliste 
il  faudrait  sortir  de  l'œuvre  poétique  de  Toulet, 
aborder  ses  romans,  ses  contes,  ses  maximes  et  ce 
serait  rompre  le  cadre  qui  nous  a  été  assigné.  Je  ne 
veux  pas  le  faire  et  c'est  par  un  autre  chemin  que 
je  vous  montrerai  son  importance,  peut-être  direz- 
vous  avec  moi,  sa  grandeur.  Le  mot  n'est  pas  trop 
fort  car  il  sut  faire  vibrer  lui  aussi  ce  que  l'on 
appelle  la  corde  d'airain.  —  A  l'appui  de  cette  asser- 
tion entendez  ce  court  poème  particulièrement 
pathétique  : 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  19 

Ce  pavé  que  l'Europe  foule 
Est  gras  encor  du  suif  des  morts. 
Leurs  os,  qui  n'ont  plus  de  remords, 
Y  dorment  au  pas  de  la  foule. 
D'un  sommeil  noir,  à  pleins  paniers. 
—  Dors-tu,  Cathau,  loin  des  charniers 
Où  tes  crapauds,  sous  l'herbe  verte, 
Enchantaient  le  cœur  des  passants  : 
Toi  qu'un  jour  l'aube,  aux  Innocents, 
Trouva  nue,  et  la  gorge  ouverte  ? 

D'un  poète  dont  la  voix  trouve  sans  efforts  de 
pareils   accents 

Ce  pavé  que  l'Europe  foule 

Est  gras  encor  du  suif  des  morts 

d'un  tel  poète,  Messieurs,  on  n*a  pas  le  droit  de  dire 
comme  l'ont  fait  certains  critiques  que  c'est  un 
poète  mineur. 

Je  vous  ai  dit  tout  à  l'heure  qu'à  un  moment 
donné  sous  l'influence  de  Toulet  Le  Divan  s'était  vu 
presque  au  point  de  devenir  une  école,  ou  du  moins 
l'organe  d'une  école.  En  effet,  à  la  veille  de  la  guerre, 
le  succès  de  Toulet  était  si  considérable  —  je  parle 
de  son  succès  auprès  des  jeunes  poètes,  non  pas 
auprès  du  gros  et  grand  public  qui  suit  lentement 
à  dix  ans  de  distance,  ce  succès  était  si  considérable 
qu'il  lui  suscitait  des  disciples. 

Or,  Messieurs,  chacun  le  sait,  ce  sont  les  disciples 
qui  font  les  maîtres,  et  c'est  les  maîtres,  j'ai  eu  l'avan- 
tage de  vous  le  dire,  qui  sont  le  symbole  des  écoles. 

Nombre  de  jeunes  poètes  séduits  par  la  déchirante 
musique  de  cette  petite  strophe  de  huit-six  que 
Toulet  mettait  en  lumière  l'essayèrent.  Et  dans  ce 
cadre  singulier  ils  enfermaient  une  poésie  qui  avait 
de  l'analogie  avec   celle  du  poète  dont  ils  faisaient 


20  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

leur  maître.  Sourires  pinces,  larmes  avalées  comme 
j'ai  dit  précédemment,  raillerie  de  soi-même  et  de 
sa  propre  mélancolie,  air  de  ne  se  point  prendre  au 

sérieux Voilà  ce  que  ces  jeunes  gens  s'exerçaient 

à  infuser  dans  leur  poésie. 

A  ce  signalement,  à  cette  brève  profession  de  foi 
que  je  leur  «suppose,  vous  reconnaissez  qu'il  s'agit 
des  poètes  fantaisistes  puisqu'il  faut  les  appeler 
par  leur  nom.  Les  poètes  fantaisistes  sont  des  dis- 
ciples de  Toulet.  Toulet  a  failli  se  voir  promu  chef, 
grand  maître  ou  président  —  tel  titre  qu'il  vous 
plaira  de  choisir  —  de  l'école  fantaisiste.  Mais  il  était 
d'esprit  trop  fin  :  on  sait  bien  qu'il  aurait  échappé 
ce   ridicule. 

Vous  voyez.  Messieurs,  que  je  raille  l'école  fan- 
taisiste. Je  la  raille  en  tant  qu'école,  et  d'autant  plus 
librement  que  je  fais  le  plus  grand  cas  des  écrivains 
qui  la  composent.  S'il  y  a  là  une  contradiction  je 
tenterai  de  l'élucider  tout  à  l'heure. 

La  suite  naturelle  de  mon  discours  me  conduit 
ainsi,  après  vous  avoir  parlé  de  Toulet,  à  vous  entre- 
tenir des  poètes  fantaisistes.  Or  ce  n'est  pas  cela 
du  tout  que  je  voulais  faire. 

Mon  dessein  était  de  m'occuper  à  présent  des 
écrivains  dont  Le  Divan  est  en  deuil.  Au  Divan  comme 
partout.  Messieurs,  il  y  a  des  morts  du  fait  de  la 
guerre.  C'est  un  destin  aussi  commun  que  déplo- 
rable. Vous  me  dispensez  je  l'espère  des  dévelop- 
pements dont  on  pourrait  orner  cette  proposition  : 
il  n'y  a  qu'une  seule  pensée  sur  ce  sujet  tragique. 
Chacun  la  sent  en  lui  et  préfère  assurément  sa 
propre  méditation  faite  à  son  heure  à  toutes  les 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  21 

amplifications,  même  sublimes,  qu'il  pourrait  lui 
être  donné  d'entendre. 

La  seule  chose  qu'il  nous  appartienne  de  faire 
aujourd'hui  c'est  de  laisser  à  ces  disparus  la  première 
place  parmi  nous.  Personne  ne  penserait  à  la  leur 
disputer. 

Les  poètes  du  Divan  morts  pour  la  France  s'ap- 
pellent, vous  le  savez,  André  Lafon,  Marcel  Droûet, 
Gérard  Mallet,  Paul  Drouot  et  Jean-Marc  Bernard. 

Paul  Drouot  était  le  plus  tendre  et  le  plus  plaintif. 
C'était  si  on  le  juge  sur  ses  poèmes  une  âme  dou- 
loureuse et  quelque  peu  morose.  Un  désespéré 
semble- 1- il.  De  longues  plaintes  parcourent  ses 
livres  comme  des  frissons.  Il  est  bien  de  ces  élégiaques 
que  je  vous  ai  dit  que  vous  rencontreriez  ici.  L'idée 
de  la  mort  hante  ce  jeune  homme  mélancolique  et 
délicat,  et  son  anxiété,  ses  appréhensions,  sa  souf- 
france intime  s'exhalent  en  poèmes  brefs  à  l'ordi- 
naire, au  lyrisme  un  peu  haletant  et  saccadé.  Il 
a  quelque  chose  de  hagard  et  d'halluciné.  On  croirait 
une  voix  qui  s'étouffe  et  ce  qu'elle  dit  est  déchirant, 
et  son  accent  est  pathétique. 

Jean-Marc  Bernard,  de  tempéramment  plus 
ardent  —  plus  fortement  en  possession  de  la  vie, 
et  c'est  ce  qui  rend  la  disparition  de  tels  hommes 
si  mal  tolérable  —  a  laissé  une  œuvre  plus  achevée. 
On  a  l'impression  qu'il  s'était  réalisé  et  qu'il  avait 
mis  au  jour  un  certain  nombres  de  pages  dont  il 
pouvait  s'estimer  satisfait  —  quand  bien  même 
il  aurait  été  difficile  juge  de  lui-même.  On  peut 
légitimement  mettre  le  mot  «  Œuvres  Complètes  » 
en  titre  du  recueil  que  l'on  constitue  de  ses  ouvrages. 

Tels  de  ses  poèmes  donnent  une  exacte  impression 


22  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

de  perfection.  On  croit  sentir  que  le  poète  a  réel- 
lement fait  ce  qu'il  se  proposait  de  faire.  L'ins- 
trument qu'il  avait  façonné  pour  lui  était  d'une 
merveilleuse  précision  et  la  musique  qu'il  en  tirait 
était  vraiment  délicieuse.  En  outre  je  sais  peu 
d'écrivains  contemporains  qui  se  soient  montrés 
traditionalistes  dans  un  meilleur  sens  du  mot. 
Nourri  du  passé  sans  trace  de  pédanterie,  ron- 
sardisant  sans  affectation,  gai,  allègre  sans  faire  la 
théorie  de  sa  gaieté  et  de  son  allégresse,  c'était  ce 
que  les  gens  qui  parlent  roman  appellent  un  gentil 
esprit,  et  ce  que  nous  appelons  plus  simplement 
dans  notre  langage  d'aujourd'hui  :  un  esprit  char- 
mant. Un  homme  charmant  en  vérité  que  l'on  aurait 
voulu  connaître  et  dont  on  jalouse  les  amis. 

Il  avait  un  sentiment  exquis  et  frais  de  la  nature, 
un  épicurisme  délicat,  une  sensualité  frémissante. 
Il  goûtait  l'univers  par  ses  saveurs,  il  avait  de 
l'éternel  écoulement  des  choses  un  sentiment  à  la 
fois  profond  et  délicat  :  le  sentiment  que  doit  en 
avoir  un  grand  poète. 

En  outre  il  avait  égalé  le  tragique  des  événements 
dans  lesquels  il  était  emporté  et  ses  derniers  vers 
sont   bien    d'un    grand    poète. 

Avant  de  reprendre  l'ordre  normal  que  j'aurai 
dû  suivre  dans  cet  exposé,  je  dois  encore  vous  parler 
d'un  mort.  La  guerre  a  beau  être  finie,  Messieurs, 
les  hommes  continuent  à  mourir  injustement.  Un 
deuil  considérable  a  frappé  les  lettres  l'an  dernier 
quand  Jean  Pellerin  a  disparu.  Lui  aussi  était  un 
poète  charmant.  Ne  me  reprochez  point  ce  mot 
charmant  que  je  répète.   Je  crois  que  c'est  celui 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  23 

qui  caractérise  le  mieux  les  poètes  qui  s'appellent 
fantaisistes.  Jean  Pellerin  était  l'un  d'eux  —  et 
d'ailleurs  si  vous  me  le  permettez,  maintenant 
que  j'ai  marqué  mon  dessein  de  lui  rendre  un  hom- 
mage particulier  —  parce  qu'il  n'est  plus  — laissez 
moi  le  réunir  à  ses  condisciples  pour  les  étudier 
conjointement. 

Pellerin,  Derème,  Carco,  et,  plus  jeune  que  ces 
hommes  pourtant  très  jeunes,  Chabaneix  forment 
à  eux  quatre  l'essentiel  de  ce  petit  groupe  qui  a 
eu  la  bizarre  fantaisie  de  s'établir  à  l'enseigne  de 
la   fantaisie. 

Ils  sont  charmants,  vous  ai-je  dit,  et  je  crains 
que  ce  mot  ne  vous  fasse  l'effet  que  d'une  demi- 
louange,  ou,  tout  au  plus,  que  d'un  très  petit  éloge. 
Charmant,  cela  se  dit  des  chapeaux  de  femmes, 
cela  se  dit  des  clowns.  De  quoi  encore  ?  Je  ne  sais, 
mais  de  rien  d'extrêmement  sérieux.  N'est-ce  donc 
rien  pourtant  que  charmer  ?  Fragonard  n'est-il 
pas  charmant  avant  tout  ?  Ne  faut- il  point  pour 
parvenir  à  charmer  mettre  en  œuvre  de  rares 
qualités  :  la  bonne  grâce  avenante,  l'agrément, 
une  certaine  complaisance,  de  la  bonne  humeur 
et  de  l'amabilité  d'esprit  ? 

Enfin  pour  achever  de  réhabiliter  ce  mot  un  des 
écrivains  de  ce  temps  en  qui  l'on  se  plaît  —  même 
au  Divan  —  à  reconnaître  un  maître,  n'a-t-il  pas 
jugé  le  mot  Charmes  suffisant  pour  désigner  un 
recueil  à  coup  sûr  fort  digne  de  considération,  mais 
assurément  le  moins  charmant  qui  soit. 

Nos  fantaisistes  ont  beaucoup  de  charme.  La 
bonne  grâce,  l'agrément,  l'avenante  bonne  humeur, 
l'amabilité  d'esprit  fleurissent  dans  leurs  ouvrages. 


24  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

C'est  le  trait  commun  de  leur  talent.  Je  vais  rechercher 
avec  vous  leurs  traits  particuliers,  pour  marquer 
par  quoi  ils  se  différencient  les  uns  des  autres  : 
quel  est  l'apport  personnel  de  chacun  d'eux. 

Des  quatre  je  crois  bien  que  Jean  Pellerin  était 
le  plus  réellement  mélancolique.  Mais  je  n'en  suis 
pas  absolument  sûr.  Il  est  très  difficile  d'apprécier 
au  juste  l'œuvre  d'un  mort  récent,  surtout  si  c'est 
un  jeune  mort.  L'événement  ajoute  une  résonance 
particulière  à  leurs  propos.  Il  leur  confère  une  puis- 
sance d'émotion  qu'ils  n'ont  peut-être  pas  d'eux- 
mêmes.  Tout  ce  qui  nous  fait  sentir  leur  goût  de  la 
vie  nous  déchire  par  le  sentiment  de  la  privation 
où  ils  en  sont.  Tout  ce  qui  nous  montre  leur  pré- 
vision ou  leur  inquiétude  de  la  mort  sonne  comme 
un  lugubre  avertissement.  N'oublions  pas  cependant 
que  ce  sont  là  de  grands  lieux  communs  poétiques, 
et  qu'il  n'y  a  pas  de  poète  qui  ne  songe  à  la  mort  — 
et  ne  parle  d'elle.  Sully- Prudhomme  dans  sa'jeunesse 
prévoyait  sa  mort  prochaine  et  demandait  qu'on 
allât  chercher  sa  vieille  nourrice  pour  l'ensevelir. 
Ce  n'est  un  peu  ridicule  que  parce  qu'il  a  vécu 
octogénaire. 

Si  Chénier  avait  été  sauvé  de  l'échafaud,  son 

Je  ne  veux  pas  mourir  encore 

ne  susciterait  pas  en  nous  les  mêmes  vibrations. 
Nous  avons  beau  nous  dire  tout  cela,  nous  sommes 
toujours  émus  par  ces  impressionnantes  rencontres, 
et  voici  deux  petites  strophes  qui  projettent  sur 
toute  l'œuvre  de  Jean  Pellerin  une  ombre  dispro- 
portionnée : 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  25 

Quand  mon  fil  se  cassera  sous 

Les  ongles  de  la  Parque, 
Quand  ma  bouche  aura  les  deux  sous 

Pour  la  dernière  barque, 

Où  serez-vous  ?  Dans  le  jardin 

Où  je  devrai  descendre  ? 
Que  serez-vous  ?  Charme,  dédain, 

Douce  chair  ou  bien  cendre  ?... 

Aujourd'hui  le  destin  a  répondu  à  cette  interro- 
gation. Et  c'est  à  cause  de  cela  que  les  plus  allègres, 
les  plus  vifs  des  poèmes  de  Pellerin  semblent  avoir 
des  dessous  d'une  funèbre  tristesse. 

Si  j'en  viens  maintenant  à  Francis  Carco  je  m'aven- 
turerai à  dire  que  de  cette  petite  bande,  c'est  peut- 
être  le  plus  spontané  et  le  plus  ingénu.  Le  moins 
savant  assurément.  Il  ne  se  préoccupe  pas  d'avoir 
une  technique  extraordinaire.  Il  ne  recherche  ni 
les  rimes  assourdissantes,  ni  même  seulement  les 
rimes  très  rares.  Son  vers  de  très  bonne  qualité 
est  uni,  simple  et  souple.  Il  est  quant  à  lui  tout 
premier  mouvement,  tout  effusion,  et  c'est  ce  qui 
donne  un  accent  si  particulier  et  si  rare  à  sa  poésie. 
Je  ne  vois  personne  —  je  ne  dirai  pas  dans  sa  géné- 
ration, car  auprès  de  sa  génération  Verlaine  n'avait 
déjà  plus  beaucoup  d'audience  —  mais  parmi  ses 
aînés  je  ne  vois  pas  beaucoup  de  poètes  qui  aient 
ressemblé  plus  naturellement  à  Verlaine  —  non 
point  par  imitation  préméditée,  mais  par  conformité 
de  tempérament  et  de  sensibilité.  Je  sais  que  ce  n'est 
pas  un  médiocre  éloge  que  j'adresse  là  à  Carco, 
mais  c'est  en  pleine  connaissance  de  cause  que  je 
le  fais.  Je  fais  de  ses  petits  recueils  de  vers  plus  de 
cas  que  du  restant  de  son  œuvre,  et  quand  je  les 
relis,  je  me  reporte  au  temps  où  j'avais  le  plaisir 


26  LES    POÈT*iS    DU    DIVAN 

d'approuver  tout  ce  qu'il  produisait.  J'avoue  que 
ses  récents  ouvrages  ne  me  satisfont  pas  tous  éga- 
lement. Ils  méritent  cependant  toujours  qu'on  y 
fasse  attention.  Ils  ne  sont  jamais  indifférents  — 
et  plaisent  précisément  dans  la  mesure  où  ils  con- 
servent quelque  chose  de  ce  premier  souffle  poé- 
tique. Jusque  dans  ses  plus  récents  romans  on  retrouve 
d'espace  en  espace  cette  sensibilité  à  la  fois  trouble 
et  naïve,  ce  charmant  regard  de  provincial  grand 
ouvert  sur  l'enfer  parisien,  cette  perversité  candide, 
surtout  un  sentiment  si  particulier  de  la  nature, 
une  vision  réellement  pathétique  des  paysages, 
une  façon  si  individuelle  d'avoir  conscience  de 
l'inimitié   des   choses   et   de   les  aimer   cependant. 

Ah  I  certes,  Carco,  comme  tout  auteur  d'une 
œuvre  complexe,  prête  à  la  critique  —  et  d'ailleurs 
qui  n'y  prête  point  ?  —  mais  on  ne  peut  contester 
que  ce  soit  une  personnalité  exceptionnellement 
attachante,  un  talent,  ou  comme  on  dit  une  nature. 

Arrivons  maintenant  à  Tristan  Derème.  En  ce 
qui  le  concerne  j'ai  l'intention  de  me  montrer 
extrêmement  circonspect  et  réservé.  Chaque  fois 
que  je  le  rencontre  il  profère  à  mon  endroit  d'épou- 
vantables menaces.  Sans  doute  le  fait-il  sur  un  ton 
riant  et  cordial  —  mais  je  ne  pense  pas,  comme  fait 
le  commun  des  mortels,  que  ce  soit  le  ton  qui  fasse  la 
chanson  et  il  ne  me  plairait  pas  du  tout  d'être  décer- 
velé  —  fut-ce  de  la  main  d'un  ami,  surtout  de  la 
main  d'un  ami.  Au  reste  est-ce  peut-être  la  bonne 
façon  d'imposer  silence  à  la  critique  que  de  lui 
annoncer  qu'on  aura  sa  peau. 

Derème  ne  se  contente  pas  de  l'admiration  très 
sincère  que  je  porte  à  ses  ouvrages,  ni,  vous  l'avez 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  27 

VU,  à  ceux  de  ses  émules,  il  veut  encore  que  je  les 
admire  tous  en  tant  que  fantaisistes.  Il  veut  que  je 
confesse  la  vérité  fantaisiste.  Cette  exigence  me 
paraît  monstrueuse.  Et  d'ailleurs  si  l'on  y  prend 
garde  je  crois  qu'il  y  a  dans  Tristan  Derème  quelque 
chose  de  monstrueux  en  effet.  J'entends  monstrueux 
au  sens  le  plus  noble  de  ce  mot,  et  prie  qu'on  se 
souvienne  qu'il  définit  les  centaures,  les  sirènes 
et  les  chimères  étranglées  ou  non.  Comme  ces  créa- 
tures fabuleuses  notre  Tristan  participe  d'une  double 
nature.  Il  tient  de  l'un  des  dons  extrêmement  rares. 
IJ  en  tient  de  l'autre  qui  le  sont  moins  à  mes  yeux. 
Jamais  je  n'ai  vu  pareille  alliance  d'une  sensibilité 
des  plus  fines,  véritablement  exquise,  et  d'un  esprit... 
assurément  plein  de  sel  —  mais  plein  d'un  très  gros 
sel.  Derème  ne  dédaigne  ni  le  calembour  ni  la  calem- 
bredaine et  il  sait  les  marier  à  la  plus  suave  rêverie. 
N'est-ce  pas  monstrueux  ?  Monstrueux  comme  une 
sirène. 

Telles  de  ses  petites  élégies  sont  pour  l'oreille 
bercée  et  pour  le  cœur  qu'elles  touchent  un  sou- 
verain enchantement.  Telles  autres  pièces  par  leur 
cocasserie  un  peu  trop  voulue  déterminent  chez 
nous  une  gaieté  forcée.  Entre  ces  deux  extrêmes 
on  rencontre  enfin  une  poésie  souriante  et  trempée 
de  pleurs  qui  est  le  meilleur  et  le  plus  personnel 
de  ce  qu'il  a  produit.  Ajoutons  pour  terminer  le 
portrait  de  ce  poète  qu'il  est  d'une  insurpassable 
habileté  technique  et  qu'il  connaît  son  métier  comme 
personne.  Il  en  possède  tous  les  moyens;  je  dirai 
tous  les  trucs.  C'est  un  prodigieux  virtuose.  Il 
rejoint  Banville  et  Glatigny  par  dessus  Rostand. 
Je  ne  lui  ferai  qu'un  reproche    en    cette  matière, 


28  LES  poèTass  du  divan 

son  goût  trop  marqué  pour  cette  catégorie  d'asso- 
nance qu'il  appelle  contre-assonance.  Je  ne  connais 
rien  de  plus  dur  à  supporter  ni  qui  inflige  un  malaise 
pire  à  une  oreille  sensible. 

(Ici  M^^  de  Régnier  interrompit  le  conférencier  : 

—  Je  ne  suis  pas  du  tout  de  cet  avis,  dit- elle,  et 
je  trouve  cela  charmant.) 

—  Puisque  Gérard  d'Houville  trouve  la  contre- 
assonance  charmante,  je  vous  engage  à  vous  ranger 
à  son  avis,  mais  pour  ma  part,  je  ne  puis  la  sup- 
porter longtemps.  Elle  me  procure  l'impression 
d'être  conduit  sur  une  route  mal  entretenue  dans 
une  voiture  mal  suspendue.  Toutefois  ce  n'est  là 
qu'un  détail,  et  cela  mis  à  part  —  je  crois  n'avoir 
pas  trop  maltraité  devant  vous  M.  Derème  au  cœur 
trop  tendre  et  j'espère  pouvoir  passer  tranquillement 
au  suivant  de  ces  messieurs. 

Le  suivant  c'est  Philippe  Chabaneix.  C'est  le 
dernier  venu  des  fantaisistes.  Il  n'a  publié  encore 
que  deux  très  minces  plaquettes,  mais  qui  sont 
d'une  telle  qualité,  d'un  tel  agrément  qu'elles  ont 
immédiatement  installé  sa  jeune  réputation  sur 
de  solides  assises.  Un  début  d'enfant  prodige,  quoi  I 
On  voit  traduites,  dans  ces  petits  livres  les  émotions 
d'un  cœur  juvénile  qui  s'exalte  sans  être  tout  à  fait 
dupe  de  sa  propre  griserie.  On  leur  choisirait  volon- 
tiers pour  épigraphe  cette  strophe  de  Verlaine  : 

Ce  fut  le  temps  sous  de  clairs  ciels 
Vous  en  souvenez-vous,  madame, 
Des  baisers  superficiels 
Et  des  sentiments  à  fleur  d'âme. 

C'est  superficiel,  c'est  à  fleur  d'âme  en  effet, 
mais  ce  n'est  ni  vain,  ni  passager.  Tout  ce  qui  est 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  20 

léger  n*est  pas  nécessairement  éphémère.  On  peut 
dire  au  contraire  qu'il  est  possible  de  rencontrer 
par  la  légèreté  le  chemin  de  certaines  choses  éter- 
nelles. Il  y  a  une  légèreté  impérissable.  C'est  la 
légèreté  des  roses  de  l'anthologie,  de  telles  ou  telles 
amours  de  Ronsard,  c'est  la  légèreté  des  villanelles 
de  du  Bellay,  et  de  ses  jeux  rustiques,  celle  aussi  des 
improvisations  que  j'ai  déjà  citées  de  Fragonard, 
du  cruel  Fragonard  comme  aimait  à  dire  Toulet. 
C'est  dans  cette  aimable  compagnie  qu'il  faut  ranger 
les  œuvres  de  début  de  Chabaneix.  Je  ne  prévois 
pas  du  tout  la  physionomie  de  celles  qui  suivront. 
Je  m'attends  à  tout  de  la  part  de  ce  garçon,  et  ce 
que  je  puis  seulement  prophétiser  à  coup  sûr,  c'est 
que  ses  œuvres  à  venir  seront  de  haut  prix. 

J'en  ai  fini  avec  les  fantaisistes.  Je  les  quitte  ici. 
Si  je  les  ai  un  peu  égratignés,  ils  me  le  pardonneront, 
j'espère,  car  ils  connaissent  mes  sentiments  pour 
eux.  Je  ne  veux  pourtant  pas  les  abandonner  sans 
rendre  sur  un  point  justice  à  leur  groupe.  Ils  ont  eu 
le  sentiment  profond  que  l'ennui,  quel  que  soit 
son  prestige,  n'est  pas  indispensable  à  l'art.  Ils 
ont  entrepris  de  rire,  ou  tout  au  moins  de  sourire, 
tout  en  demeurant  des  artistes  au  sens  le  plus  vrai 
du  mot.  C'est  un  mérite  considérable  et  dont  on  doit 
en  tout  état  de  cause  leur  tenir  compte. 

Mesdames,  Messieurs,  les  figures  que  j'ai  dû  vous 
présenter  jusqu'ici  se  sont  rangées  elles-mêmes  dans 
un  cadre,  artificiel  en  vérité,  mais  singulièrement 
commode.  On  a  beau  dire  tout  ce  qu'il  y  a  à  dire 
contre  les  écoles,  assurer  qu'elles  n'en  sont  pas, 
qu'elles  nourrissent  les  défauts  de  leurs  membres. 


30  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

et  bien  d'autres  choses  encore,  il  n'empêche  qu'elles 
offrent  à  l'esprit  des  divisions  extrêmement  pratiques. 
C'est  des  cases  où  ranger  les  auteurs  :  une  facilité 
de  classification.  On  sort  de  ces  compartiments  les 
gens  qui  y  sont  logés,  on  les  rapproche,  on  les  oppose, 
on  les  compare,  on  organise  des  parallèles,  Une  étude 
se  trouve  tout  de  suite  faite.  C'est  aussi  avantageux 
pour  celui  qui  l'entreprend  que  pour  ceux  qui  en 
sont  les  objets.  Les  isolés  ne  bénéficient  point  d'un 
pareil  privilège,  à  moins  qu'on  ne  se  préoccupe 
avec  diligence  d'établir  ou  de  rétablir  en  leur  faveur 
d'autres  divisions  dans  lesquelles  on  parvient  avec 
un  peu  de  ruse  et  d'astuce  à  faire  rentrer  qui  l'on 
veut. 

On  n'est  jamais  en  peine  de  faire  des  classifications. 
C'est  un  jeu  d'esprit.  Il  y  en  aurait  une  première 
qui  serait  tout  à  fait  simple  :  c'est  celle  qui  sépa- 
rerait les  bons  poètes  des  mauvais.  Mais  celle-ci, 
je  n'ai  pas  à  m'en  préoccuper.  Martineau  lui- 
même  se  charge  de  l'effectuer,  il  ne  laisse  rien  paraître 
au  Divan  qui  vienne  des  mauvais  poètes. 

Plus  utile,  dans  le  cas  qui  nous  occupe  serait  le 
partage  que  l'on  pourrait  faire  entre  les  écrivains 
objectifs  et  les  subjectifs.  Ceux  à  qui  la  poésie  sert 
d'un  moyen  de  s'analyser  eux-mêmes,  d'exprimer 
l'impression  qu'ils  reçoivent  individuellement  des 
choses,  et  ceux  qui  s'oubliant  davantage  en  présence 
de  l'objet  de  leur  art,  cherchent  surtout  à  restituer 
ce  qu'il  peut  contenir  de  beauté  essentielle,  de 
puissance  d'émotion  générale.  Mais  je  m'aventure 
à  vous  donner  ici  des  explications  assez  confuses. 
Ce  soin  est  superflu.  Vous  savez  tous,  comme  moi 


LES   POÈTES    DU  DIVAN  31 

ce  qu'il  faut  entendre  par  poésie  objective  et  par 
poésie  subjective. 
Si  j'applique  cette  division  très  simple  aux  poètes 

du  Divan  qu'il  me  reste  à  vous  présenter non, 

pas  à  vous  présenter,  car  vous  les  connaissez,  mais 
dont  il  me  reste  à  vous  parler,  je  dirai  que  Jean- 
Louis  Vaudoyer,  Emile  Henriot,  Albert  Erlande 
sont  des  poètes  objectifs,  tandis  que  Guy  Lavaud, 
Alphonse  Métérié,  Jean  Lebrau,  Francis  Éon  sont 
des  poètes  subjectifs. 

La  poésie  de  Francis  Éon,  par  exemple,  est  une 
sorte  de  confidence  perpétuelle,  la  confidence  d'un 
cœur  grave  et  délicat.  Il  chante  presqu' uniquement 
l'amour  et  la  nature,  d'une  voix  discrète  et  réfléchie. 
C'est  un  solitaire,  un  bucolique,  qui  a  de  la  gravité 
et  qui  exprime  avec  une  passion  contenue  l'amitié 
fervente  qu'il  porte  à  son  pays  natal,  aux  sites  qui 
ont  environné  son  existence.  Il  pourrait,  semble-t-il, 
mener  aussi  près  que  possible  de  la  perfection,  si 
le  dessein  lui  en  venait,  la  décevante  entreprise 
d'écrire  des  Géorgiques  françaises,  et  l'on  croit 
véritablement  voir  réalisé  un  fragment  de  cet  ouvrage 
que  personne  encore  n'a  réussi  en  lisant  des  vers 
tels  que  ceux-ci  : 

J'ai  des  ceps  bien  feuillus  qui  seront  vendangés 

Dans  la  joie  exaltée  et  saine  de  l'automne. 

Les  fermiers  prévoyants  cerclent  déjà  les  tonnes. 

Le  forgeron  trapu  lève  son  grand  marteau. 

Et  dans  les  bois  souffrants  qu'elles  blessent  trop  tôt 

Les  bûcherons  nerveux  abattent  leurs  cognées. 

De  tels  vers,  Messieurs,  sont  de  très  beaux  vers. 
Outre  qu'ils  peignent  avec  largeur  et  simplicité  le 


32  LES    POÈTES    DU   DIVAN 

tableau  qu'ils  se  proposent  de  représenter,  ils  sont 
d'une  harmonie  heureuse  et  pleine.  Ils  sont  bien  faits. 
Je  me  permets  de  le  dire  car  la  poésie  est  heureu- 
sement encore  un  art  dont  il  est  permis  d'apprécier 
la  technique,  — car  un  poète  est  un  homme  à  qui  l'on 
fait  un  compliment  valable  en  disant  qu'il  est  bon 
ouvrier.  La  technique  de  Francis  Éon  est  aisée. 
Conservant  le  cadre  immuable  de  l'alexandrin  il 
l'assouplit  par  le  jeu  des  enjambements  et  des  coupes 
intérieures  et  il  en  fait  une  matière  ductile,  qui 
traduit  les  moindres  frémissements  de  la  sensibilité, 
qui  peut  rendre  les  plus  subtiles  nuances  de  la 
pensée. 

Non  loin  de  Francis  Éon  je  crois  qu'on  peut  placer 
Alphonse  Métérié  et  Jean  Lebrau.  Eux  aussi  sont  des 
confidents  de  soi-même,  et  il  y  a  dans  tout  leur 
discours  une  grâce  touchante  à  laquelle  nul  ne 
saurait  demeurer  insensible.  Ce  mot  :  touchant, 
me  semble  pour  le  moment  celui  qui  caractérise  le 
plus  exactement  Alphonse  Métérié  dont  le  talent 
plein  de  promesses,  ne  s'est  pas  encore  complètement 
affirmé.  Il  atteint  le  cœur  de  la  sensibilité  d'autrui 
par  je  ne  sais  quel  moyen  où  n'entre  aucun  artifice. 
Ecoutez-le.  Un  cœur  va  trouver  le  chemin  de  votre 
cœur,  sans  vain  subterfuge,  sans  pompeux  inter- 
médiaire, de  la  façon  la  plus  directe  qui  soit. 

Les  vers  de  Jean  Lebrau  sont  peut-être  plus 
intimes  encore  que  ceux  de  Métérié,  et  ses  petits 
recueils  semblent  constitués  de  pages  arrachées  au 
carnet  sur  lequel  il  note  ses  impressions  au  jour  la 
journée. 

En  écoutant  ce  langage  si  fluide  et  si  musical^ 
il  me  vient  à  l'esprit  que  j'aurais  dû  choisir  une  autre 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  33 

classification  pour  ranger  les  poètes  dont  je  vous 
entretiens  à  présent.  En  effet,  rien  n'était  si  juste 
et  si  facile  que  de  les  partager  en  poètes  plastiques, 
et  en  poètes  musiciens,  et  l'avantage  de  cette  di- 
vision, c'est  que  dès  l'abord  elle  m'aurait  permis 
de  définir  Guy  Lavaud,  puisqu'il  est  celui  qu'avant 
tout  j'aurais  placé  parmi  les  musiciens. 

En  effet  il  y  a  dans  sa  poésie  quelque  chose 
de  musical.  Je  ne  parle  point  seulement  de  cette 
musique  même  qui  est  l'une  des  particularités 
essentielles  du  vers  —  qui  se  dégage  d'un  harmonieux 
agencement  de  syllabes  bien  choisies,  qui  tient  à  la 
complaisance  des  mots  entre  eux,  et  qui  —  lorsque 
la  poésie  se  dégrade  peu  à  peu  pour  devenir  entre 
les  mains  de  certains  écrivains  de  la  mauvaise  poé- 
sie —  est  peut-être  le  caractère  qu'elle  conserve 
le  plus  longtemps,  sinon  jusqu'au  bout.  La  musicalité 
à  laquelle  je  fais  allusion  ici,est  chose  moins  matérielle. 
Il  semble  que  la  sonorité  des  poèmes  prise  en  elle- 
même  soit,  par  l'artifice  de  certains  artistes  très 
subtils,  un  moyen  d'exprimer  et  de  faire  saisir  un 
sens  secret  qui  ne  coïncide  pas  nécessairement  avec 
la  signification  littérale  des  mots.  Je  ne  suis  pas 
absolument  sûr  de  me  faire  parfaitement  comprendre  ; 
vous  avez  dû  cependant  reconnaître  que  j'usais  de 
quelques  mots  qui  font  partie  du  vocabulaire  mal- 
larméen.  Ce  problème  de  la  musicalité  des  poèmes 
va  s'élucider  pour  nous  grâce  au  souvenir  de 
Mallarmé.  C'est  un  des  points  bien  définis  de  son 
esthétique. 

Je  parle  devant  vous.  Messieurs,  depuis  déjà 
bien  longtemps,  et  je  n'ai  pas  encore  eu  l'occasion 
de  nommer  Mallarmé.  Je  vous  avouerai  que  je    le 


34  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

constate  sans  plaisir.  Je  demeure  toujours  fidèle 
à  son  culte.  En  dépit  de  certaines  apparences  je 
crois  son  influence  toujours  active  et  féconde,  et 
je  m'étonne  d'avoir  pu  étudier  un  si  grand  nombre 
de  poètes  sans  avoir  eu  à  la  noter.  Je  sais  bien  que 
j'aurais  pu  la  relever  dans  les  ouvrages  de  Toulet, 
et  par  conséquent  chez  les  écoUers  de  ce  dernier. 
J'ai  eu  mes  raisons  pour  ne  pas  le  faire.  Ne  revenons 
pas  en  arrière. 

Je  rends  grâce  à  Guy  Lavaud  d'être  mallarméen. 
En  le  lisant  on  croit  reconnaître  un  des  disciples 
immédiats  du  maître,  une  sorte  de  Rodenbach 
mieux  portant  et  plus  sain.  Le  nom  de  Rodenbach 
ne  vous  choquera  point  et  ne  vous  paraîtra  point, 
je  l'espère,  le  terme  d'une  comparaison  sans  éclat. 
De  Rodenbach  aussi  je  fais  beaucoup  de  cas.  Je  crois 
qu'il  a  eu  plus  d'influence  qu'on  ne  le  suppose. 
C'est  un  oublié  qu'on  a  tort  d'oublier.  On  y  reviendra, 
j'imagine. 

La  poésie  de  Guy  Lavaud  se  rapproche  de  celle 
que  je  viens  de  dire  par  sa  fluidité  et  par  l'impétuo- 
sité de  son  épanchement.  Elle  s'accommode  mal  de 
la  strophe  et  des  formes  fixes.  Une  force  intérieure 
conduit  son  effusion  et  l'étend  sur  un  nombre  indé- 
terminé de  vers.  La  voix  ne  se  repose  que  lorsque 
le  souffle  est  passé. 

On  n'aurait  pas  encore  dépeint  dans  ses  grandes 
lignes  cette  poésie  immatérielle,  si  l'on  n'avait 
pas  indiqué  son  caractère  allusif.  Lavaud  est  un 
peintre  que  la  réalité  sensible  ne  borne  point.  Tantôt 
il  la  dépasse,  et  la  montre  environnée  d'un  halo  de 
clarté  surnaturelle.  Tantôt  il  l'évoque  précisément, 
mais  par  de  tout    autres    moyens  que    ceux    dont 


LES    POÈTES    DU  DIVAN  35 

use  un  réaliste.  Je  pense  en  disant  ces  mots  à 
certains  poèmes  où  le  jeu  des  vagues  est  décrit 
et  dépeint  par  un  enchevêtrement  de  compa- 
raisons inachevées,  par  un  mélange  de  notes  qui 
se  chevauchent,  qui  se  superposent,  et  qui  font 
irrésistiblement  songer  aux  allusions  que  contiennent 
eux  aussi  tel  nocturne  ou  telle  symphonie  de  Debussy. 
Debussy,  Mallarmé,  vous  voyez  qu'on  est  toujours 
dans  l'intérieur  du  même  cercle  quand  on  s'occupe 
de  Guy  Lavaud. 

Pour  ne  point  quitter  la  catégorie  des  poètes 
musiciens,  j'en  viendrai  maintenant  à  Daniel  Thaly, 
encore  que  ce  soit  une  autre  musique  qu'il  nous 
fasse  entendre.  Ici  ce  sont  les  grandes  orgues  baude- 
lairiennes  qui  déferlent.  Elle  ne  sont  pas  mises  au 
service  d'une  âme  aussi  cruellement  blessée  que 
celle  qui  est  évoquée  par  ce  nom  sublime,  mais  elles 
bercent  de  leur  musique  souveraine  une  inguérissable 
mélancolie.  Daniel  Thaly  est  un  exilé.  Comme  Ovide, 
comme  du  Bellay,  il  se  souvient  de  sa  patrie  et  il  la 
pleure.  Autrefois,  je  m'étonnais  qu'un  homme  qui 
avait  le  bonheur  prodigieux  de  vivre  sous  le  ciel 
des  Antilles  —  que  je  ne  verrai  jamais,  hélas  I  — 
n'y  connut  point  le  parfait  bonheur  et  qu'il  put 
souffrir  de  l'absence  de  quoi  que  ce  fût.  Aujourd'hui 
l'harmonieuse  lamentation  du  poète  m'a  mieux 
pénétré  et  quelle  que  soit  la  splendeur  des  paysages 
qu'il  sait  nous  dépeindre,  je  compatis  à  sa  nos- 
talgie française  et  vous  invite  à  faite  de  même. 

Jean- Louis  Vaudoyer,  Emile  Henriot,  Albert 
Erlande  dont  je  vais  vous  parler  à  présent  sont  ces 
poètes  plastiques  que  l'on  peut  opposer  aux  poètes 
musiciens,  comme  ils  sont  aussi  des  poètes  objectifs, 


36  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

que  dans  mon  autre  classification  j'aurais  opposés 
aux  subjectifs.  Je  n'ai  point  l'intention  de  les  expli- 
quer par  ces  mots  d'une  précision  relative.  D'ailleurs 
les  mots  n'expliquent  rien,  mais  ils  sont  au  contraire 
l'occasion  de  toutes  les  confusions. 

J'appelle  plastique  un  écrivain  qui  abonde  en 
images  et  qui  suggère  des  visions  précises,  aux  formes 
et  aux  couleurs  desquelles  il  se  complait  de  manière 
évidente.  Un  homme  qui  éprouve  de  la  volupté  à 
utiliser  des  mots  sonores  pour  des  descriptions  de 
belles  choses,  qui  les  choisit  significatifs  et  reten- 
tissants avec  le  même  soin  qu'il  apporterait  à  choisir 
et  soupeser  un  fruit  mûr  dans  une  corbeille. 

Comme  tout  poète  plastique  Emile  Henriot  est 
un  descriptif.  Il  goûte  un  visible  plaisir  à  restituer 
l'aspect  et  la  physionomie  des  choses,  et  certains 
de  ses  poèmes  ne  sont  qu'une  description  prolongée 
que  le  poète  évite  de  commenter. 

La  route  monte.  Un  grillon  chante.  L'air  sourit. 
C'est  l'été,  sa  lourde  paresse.  Un  lézard  gris 
Frissonne  et  s'engloutit  au  creux  d'un  tas  de  pierre. 
Le  vallon  courbe  et  bleu 

Non,  ce  poème  a  trop  d'agrément  pour  que  je 
l'abîme  en  vous  le  lisant  mal  et  je  vais  plutôt  vous 
indiquer  ce  qui,  dans  la  poésie  d'Emile  Henriot, 
s'ajoute  à  ce  tempérament  de  peintre  et  le  com- 
plète. C'est  une  sensibilité  délicate,  une  passion 
contenue,  et,  trait  particulier,  qui  s'analyse.  Dans 
tout  ce  qu'il  écrit  on  reconnaît  la  main  du  roman- 
cier, du  psychologue  très  fin  qui  nous  a  déjà 
donné  quelques  romans  si  distingués. 

En  outre,  et  c'est  la  première  fois    que  chez  un 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  37 

poète  du  Divan  nous  apercevons  ce  point,  ses  poèmes 
ont  fort  souvent  quelque  chose  de  mondain  qui 
n'est  pas  sans  agrément.  Cela  sent  le  bal,  —  pas  le 
dancing,  mais  le  bal  —  les  élégances,  la  fréquentation 
des  jeunes  filles,  et  cela  donne  à  cet  art  délicat  sans 
être  maniéré  un  caractère  de  bourgeoisie  raffinée  — 
je  ne  dis  pas  de  grande  bourgeoisie,  parce  que  l'expres- 
sion évoque  une  autre  idée,  surtout  depuis  la  guerre  — 
mais  ce  caractère  de  haute  bourgeoisie,  dis-je, 
qui  existait  déjà  chez  Musset  et  qui  se  retrouve 
chez  plusieurs  de  ses  petits-neveux. 

Chez  Albert  Erlande,  nous  ne  retrouverons  pas 
ce  dernier  trait. 

C'est  un  poète  abondant  et  sonore.  Lui  aussi 
ressent  une  magnifique  volupté  à  composer  avec 
des  mots  éclatants  une  description  dont  on  se 
souvient  comme  d'une  chose  visible,  comme  d'une 
chose  vue.  Peut-être  est-il  plus  romantique  que 
les  poètes  du  Divan.  Mais  on  peut  facilement 
passer  pour  romantique  lorsque  l'on  est  éloquent 
et  imagé.  Au  reste  je  ne  trouve  pas  que  ce  soit  un 
péché  que  d'être  romantique.  Tout  le  monde  l'est 
un  peu  aujourd'hui.  Le  romantisme  se  reconnaît 
à  une  certaine  façon  de  draper  les  lieux  communs. 
D'ailleurs  c'est  presque  toujours  par  la  façon  dont 
ils  restituent  une  originalité  nouvelle  aux  éternels 
lieux  communs  que  les  poètes  s'individualisent. 
Albert  Erlande  le  fait  avec  une  ampleur  et  une 
magnanimité  qui  ne  laisseront  pas  de  vous  charmer. 

Nul  ne  saurait  s'étonner  que  Jean- Louis  Vaudoyer 
soit  un  artiste  plastique,  car  chacun  le  connaît 
pour  un  esthéticien.  J'imagine  volontiers  que  chez 
lui  la  faculté  poétique  est  parente  du  plaisir  qu'il 


38  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

a  tant  de  fois  montré  qu'il  prenait  à  goûter  les  arts  — 
tous  les  arts.  Nul  n'a  su  comme  lui  montrer  qu'il 
se  dévouait  à  eux  avec  tant  de  ferveur  !  Tous  ceux, 
entre  autres,  qui  flattent  les  yeux  l'ont  tellement 
subjugué  que  l'on  ne  peut  s'étonner  de  voir  sa 
poésie  servir  à  peindre  des  formes,  à  organiser  des 
décors,  à  y  voir  abonder  les  mots  qui  restituent  une 
couleur  pour  les  yeux.  Parcourez  seulement  la 
table  des  matières  de  son  premier  recueil,  vous  serez 
frappé  de  l'abondance  de  ces  derniers,  en  notant 
des  titres  comme  ceux-ci,  tous  charmants  d'ailleurs  : 
Le  manteau  cramoisi,  la  péotte  verte,  la  nuit  au 
Divan  (Tébène,  Mercure  aux  ailes  bleues,  la  musique 
sous  V arceau  noir...  J'ai  été  quelquefois  tenté  de 
faire  une  comparaison  de  Vaudoyer  aux  Goncourt. 
Eux  aussi  avaient  été  tellement  conquis  par  les 
arts  dont  ils  étaient  amateurs  passionnés,  qu'ils 
ont  pu  dire,  quelque  part,  dans  leur  journal  je  crois, 
que  la  nature  ne  savait  plus  les  impressionner  direc- 
tement et  que,  ce  qu'elle  évoquait  en  eux  c'était 
des  réminiscences  d' œuvres  d'art.  Ils  étaient  d'ailleurs 
très  fiers  de  cela,  qui  nous  paraît  à  nous  une  sorte 
de  monstrueuse  difformité. 

Chez  Jean- Louis  Vaudoyer  aussi,  les  spectacles  du 
monde,  qui  le  trouvent  cependant  très  directement 
sensible,  évoquent  souvent  des  souvenirs  de  musée 
et  de  culture.  On  a  pu  le  lui  reprocher.  Je  crois  même 
l'avoir  fait  moi-même  lors  de  ses  débuts,  comme 
si,  à  l'époque  où  nous  vivons  on  avait  le  droit 
de  reprocher  à  qui  que  ce  soit  d'être  trop  cultivé. 

Ce  qui  suffirait  à  le  séparer  des  Goncourt  plus 
que  par  un  abîme,  c'est  que,  tandis  que  ceux-ci 
furent  menés  par  leurs  inclinations  et  leur  tempe- 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  39 

rament  à  T impressionnisme,  il  fut,  quant  à  lui,  par  ses 
goûts  et  ses  admirations  choisies,  ramené  à  ce 
classicisme  vers  lequel  tout  l'art  moderne  se  retourne 
d'un  si  puissant  mouvement. 

Soit  qu'en  ses  vers  aisés  et  tranquilles  il  se  soit 
mis  à  l'école  de  Chénier,  d'Alfred  de  Musset  ou  de 
Théophile  Gautier,  soit  qu'il  ait  subi  l'influence 
des  poèmes  les  plus  décoratifs  d'Henri  de  Régnier, 
soit  que,  plus  ambitieux,  en  son  entreprise,  il  ait, 
en  un  temps  où  Paul  Valéry  ne  l'avait  pas  encore 
remise  dans  le  domaine  commun,  tenté  de  reprendre 
la  strophe  malherbienne,  la  grande  strophe  du  modèle 
«  Apollon  à  portes  ouvertes  »,  quoi  qu'il  fasse,  quoi 
qu'il  ait  fait  c'est  toujours  à  des  canons  très  purs 
qu'il  a  voulu  conformer  son  effort. 

Vous  savez.  Messieurs,  que  Jean- Louis  Vaudoyer 
est  un  des  rares  critiques  d'art  dont  on  puisse  lire 
les  écrits  spéciaux  avec  intérêt  et  avec  fruit.  Une 
idée  qu'il  a  toujours  développée  avec  insistance, 
c'est  celle-ci  :  qu'il  existe  une  hiérarchie  des  genres. 
J'ai  eu  d'autant  plus  de  satisfaction  à  lui  voir  défendre 
cette  thèse,  que  je  l'ai  toujours  fermement  soutenue 
moi  aussi,  et  je  m'aperçois  que  tout  en  conduisant 
au  hasard  les  propos  que  je  viens  de  tenir  devant 
vous  j'ai  mis  obscurément  cette  théorie  en  pratique, 
puisque  Toulet  et  les  morts  mis  à  part,  je  suis  parti 
des  fantaisistes  frivoles  et  badins  pour  arriver  à 
cet  art  que  je  me  plais  à  personnifier  ici  dans  Vau- 
doyer qui  occupe  dans  la  hiérarchie  des  genres,  un 
degré  tellement  plus  élevé.  En  effet  ces  visions 
sereines  ou  pathétiques,  ces  nobles  cadences  dépendent 
d'une  esthétique  très  haute. 

Je  me  dspeinserai  toutefois  de  dire  à  quelle  place 


40  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

il  faut  ranger  le  poète  parmi  ceux  qui  font  voir  des 
tendances  analogues  aux  siennes.  Contrairement 
à  bien  des  écrivains  qui  jettent  le  meilleur  de  leur 
feu  dans  leurs  premiers  écrits  —  et  que  l'on  voit 
ensuite  rapidement  s'abaisser,  ceux  qui  comme  moi 
suivent  depuis  ses  débuts  la  carrière  de  Jean- Louis 
Vaudoyer  ont  eu  la  satisfaction  de  noter  que  dans 
toutes  les  branches  de  son  activité,  comme  critique, 
comme  essayiste,  comme  romancier  ou  comme  poète, 
sa  production  devenait  toujours  plus  valeureuse  à 
mesure  qu'il  approchait  de  la  maturité.  Ce  serait 
donc  faire  injure  à  un  artiste  dont  on  peut  encore 
tant  attendre  que  de  le  définir  trop  tôt.  On  sent  qu'il 
n'est  pas  de  ceux  qui  perdent  pour  attendre. 

Je  termine. 

Vous  savez,  Messieurs,  que  lorsque  les  orateurs 
annoncent  qu'ils  terminent,  ils  en  ont  encore 
pour  trois  quarts  d'heure  au  moins.  Je  ne  suis 
pas  un  orateur  et  cependant  je  vous  demande 
de  supporter  que  moi  aussi  je  termine  avec  quelques 
longueurs.  Je  vous  promets  toutefois  que  cela  ne 
durera  plus  trois  quarts  d'heure. 

Ce  que  je  veux  faire  en  ces  dernières  minutes  c'est 
exprimer  mon  regret  de  n'avoir  pu  m' occuper 
malgré  mon  dessein  de  tous  les  poètes  du  Divan. 
Je  n'ai  parlé  que  trop  brièvement  de  ceux  dont 
je  me  suis  occupé.  Il  y  en  a  malheureusement  d'autres 
dont  je  n'ai  pas  parlé  du  tout.  Ce  sont  cependant 
aussi  de  très  bons  poètes,  mais  j'aurais  abusé  de 
votre  patience  si  j'avais  entrepris  de  le  faire.  Quoi- 
qu'une énumération  soit  une  chose  bien  vaine 
laissez  moi  les  nommer  devant  vous,  pour  qu'on  ne 
puisse  pas  croire  qu'ils  ont  été  oubUés.  Il  y  a  d'abord 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  41 

le  pauvre  Deubel  qui  eut,  vous  vous  en  souvenez, 
une  fin  si  tragique.  Le  malheur  et  l'adversité  tirèrent 
de  lui  quelques  remarquablement  beaux  vers.  Il  y  a, 
mort  aussi,  hélas,  Pierre  Fons.  Ce  poète  hermétique 
ne  manquait  ni  de  charme  ni  de  distinction.  Puis 
parmi  les  vivants,  parmi  les  heureusement  bien 
vivants,  il  y  a  Louis  Thomas,  dont  l'esprit  est  si 
ingénieux,  si  agile  et  qui  publia  jadis  un  si  frais 
recueil.  Les  douze  livres  pour  Lily,  que  je  n'ai  jamais 
vu  mettre  à  sa  place.  Il  y  a  Jacques  Noir,  Louis 
Pize,  Henri  Duclos,  Marcel  Martinet,  Lucien  Fabre. 

Il  y  a  enfin  le  délicieux  Gilbert  Charles  dont  les 
débuts  heureux  et  chargés  de  promesses  nous  ont 
tous  séduits.  Et  puis  parmi  d'autres,  il  y  en  a  encore 
un  à  qui  un  assez  bel  avenir  semble  réservé,  et  dont 
il  n'est  pas  impossible  d'ailleurs  que  vous  ayez 
déjà  entendu  prononcer  le  nom.  C'est  Pierre  Benoit. 
Vous  savez  que  Pierre  Benoit  est  un  poète  et  c'est 
un  poète  du  Divan.  Je  vous  en  aurais  volontiers  dit 
quelques  mots,  car  c'est  un  écrivain  qui  m'intéresse 
beaucoup  et  dont  je  parle  toujours  avec  plaisir. 
Mais  par  suite  d'engagements  spéciaux  je  n'ai  pas 
le  droit  d'en  rien  dire  cette  année,  ni  l'année  pro- 
chaine, ni enfin  je  ne  peux  pas  en  parler  avant 

1931  ou  32. 

Maintenant  donc  je  devrais  conclure.  Mais  que 
pourrais- je  dire  pour  conclure  que  je  n'ai  dit,  pour 
commencer.  Je  m'aperçois  que  j'aurais  dû  réserver 
pour  cet  instant  une  partie  des  généralités  que  j'ai 
énoncées  tout  à  l'heure.  Il  est  trop  tard  pour  y  prendre 
garde.  Trop  tard  aussi  pour  remarquer  que  j'aurais 
pu  inscrire  cette  conférence  dans  un  tout  autre  cadre. 

Il  y  a  en  elîet  au  Divan  un  poète  encore  dont  je 


42  LES    POETES    DU    DIVAN 

me  suis  retenu  de  parler.  C'est  Henri  Martineau 
lui-même.  Vous  connaissez  les  vers  dont  il  est 
l'auteur,  leur  inspiration  harmonieuse  et  contenue, 
leur  ton  grave  et  voilé  de  mâle  douceur.  J'aurais 
pu  le  placer  au  centre  du  petit  travail  que  j'ai 
esquissé  pour  vous,  et  montrer  les  correspondances 
qui  le  relient  aux  ouvrages  des  autres  poètes,  ses 
collaborateurs.  Ainsi  j'aurais  à  la  fois  étudié  Mar- 
tineau et  ses  amis,  puisque  les  poètes  du  Divan 
sont  ses  amis.  Il  aurait  été  possible  de  faire  aper- 
cevoir un  lien  intime  et  certain  entre  chacun  des 
poèmes  qui  a  paru  dans  la  revue  et  le  tempérament 
de  notre  ami.  Ce  sont  des  faces  de  sa  propre  sensi- 
bilité, de  son  goût,  de  son  intelligence  que  mettent 
en  lumière  les  auteurs  qui  écrivent  chez  lui.  Il  aurait 
été  facile  et  amusant  de  montrer  que  Le  Divan,  qui 
est  une  autre  de  ses  œuvres,  est  une  sorte  de  miroir 
magique  au  fond  duquel  nous  apercevons  mis  à 
nu  le  cœur  et  la  pensée  de  Martineau,  et  je  suis 
certain  que  si  j'avais  organisé  cette  conférence 
pour  faire  la  démonstration  de  cette  vérité,  elle 
aurait  gagné  en  intérêt  et  en  vie  profonde.  Mais  je 
suis  bien  certain  aussi  que  si  je  l'avais  fait,  j'aurais 
été  amené  à  lui  adresser  des  louanges  que  sa  modestie 
n'aurait  pas  toléré  de  recevoir  publiquement. 

Quoi  qu'il  en  soit  je  pense  que  vous  estimez  avec 
moi  qu'il  a  droit  à  un  large  tribut  d'hommages. 
Je  suis  sûr  d'être  votre  interprète  en  les  lui  adressant 
ici.  Et  après  l'avoir  fait,  messieurs,  je  n'ai  plus  rien 
à  dire,  j'ai  fini. 

Pierre  Lièvre. 


ANTHOLOGIE 

DES    POÈTES    DU     DJVAN 


ROGER  ALLARD 
Né  à  Paris  le  22  janvier  1885. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  2,  mars-avril  1909. 

Bibliographie.  —  Poésies  :  La  Féerie  des  Heures, 
Taillandier,  1902.  —  La  Divine  Aventure,  «  Le 
Beffroi  »,  Lille,  1905.  —  Les  Noces  de  Léda.  «  Le 
Beffroi  »,  Lille,  1905.  —  Vertes  Saisons.  L*Abbaye, 
1908.  —  Le  Bocage  amoureux  ou  Le  Divertissement 
des  amants  citadins  et  champêtres.  Eug.  Figuière, 
1911.  — •  Les  Elégies  martiales,  illustrées  de  gra- 
vures sur  bois  par  Raoul  Dufy.  Camille  Bloch, 
1917.  • —  L'Appartement  des  Jeunes  Filles,  orné  de 
gravures  au  burin  par  J.-E.  Laboureur.  Camille 
Bloch,  1919.  —  Les  Feux  de  la  Saint- Jean,  poème, 
orné  de  cinq  dessins  de  Luc-Albert  Moreau. 
Camille  Bloch,  1919.  —  Critique  et  divers  autres 
OUVRAGES  :  Baudelaire  et  l'Esprit  nouveau.  «  Carnet 
Critique  »,  1918.  —  Luc- Albert  Moreau.  1  vol. 
illustré.  «  Nouvelle  Revue  Française  »,  1920.  — 
Marie  Laurencin.  «  Nouvelle  Revue  Française  », 
1921.  —  R.  de  la  Fresnaye.  «  Nouvelle  Revue  Fran- 
çaise »,  1922.  —  Maître  Pierre  Pathelin,  adaptation 
en  vers  français  modernes.  «  Nouvelle  Revue  Fran- 
çaise »,  1922.  —  En  préparation  :  Poésies  légères. 
«  Nouvelle  Revue  Française  ».  —  Paul  Verlaine, 
Garnier. 

Bourse  nationale  de  voyage,  1918. 


44  LES    POÈTES    DU    DIVAN 


PETITE  FUGUE    d'ÉTÉ 


Moi  qu'enchantèrent  les  regrets 
Et  les  romans  et  les  romances 
Maintenant  je  souhaiterais 
Des  yeux  où  rien  ne  recommence. 

Quand  le  goût  des  baisers  anciens 
Remonte  à  deux  bouches  offertes, 
Chacune  entend  garder  les  siens 
Et  veut  l'autre  nue  et  déserte  ; 

Mais  ce  qu'un  jour  on  a  donné 
Où  donc  irait-on  le  reprendre  ? 
Gomme  on  dit  au  Pays  du  Tendre 
C'est  macache  et  midi-sonné. 


II 


Enfant  I  prête-moi  ton  bandeau, 
Que  je  me  dérobe  à  moi-même  I 
Il  n'est  pas  vrai,  je  le  sais  trop, 
Qu'on  soit  aveugle  quand  on  aime. 

Ne  quittez  pas  mes  yeux  mortels 
Retenez-les  contre  les  vôtres. 
Qu'ils  ne  voient  plus  terre  ni  ciel 
Ni  ces  destins  où  je  me  vautre. 

Faites  que  leurs  feux  obstinés 
A  votre  ingrat  et  doux  service. 
Meurent  enfin  comme  ils  sont  nés 
Rebelles,  et  pleins  de  caprices. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  45 

NICOLAS  BEAUDUIN 
Né  à  Amiens  le  10  septembre  1883, 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  20,  avril  1911. 

Bibliographie  :  Le  Chemin  qui  monte.  Sansot,  1908.  — 
Les  Triomphes.  Edit.  Rubriques  Nouvelles,  1909.  — 
La  Divine  Folie.  Rubriques  Nouvelles,  1910.  — 
Les  Cités  du  Verbe.  Rubriques  Nouvelles,  1912.  — 
Les  Sœurs  du  Silence.  Basset,  1913.  —  Les  Cam- 
pagnes en  Marche.  Basset,  1913.  • —  Rythmes  et 
Chants  dans  le  Renouveau.  Povolozky,  1920.  — 
Signes  Doubles,  poèmes  sur  plusieurs  plans.  Povo- 
lozky, 1921,  —  L'Homme  Cosmogonique,  poèmes 
sur  plusieurs  plans.  Povolozky,  1922.  —  Les  Enfants 
des  Hommes.  Povolozky,  1923. 

Depuis  1912  Nicolas  Beauduin  dirige  La  Vie  des  Lettres 


POÈME 

Le  crépuscule  est  au  jardin. 
L'odeur  des  sureaux  monte  et  grise. 
Huit  heures  sonnent  au  lointain 
Au  cadran  de  la  vieille  église. 

La  chatte  traverse  la  cour, 

Le  chien  jappe  vers  son  écuelle. 

C'est  l'ultime  baiser  du  jour 

Au  front  d'or  des  grappes  nouvelles. 

Le  serin  frappe  à  petits  coups 
Le  bois  vernissé  de  sa  cage. 
Là-bas  la  plaine  est  à  genoux 
Dans  la  ferveur  du  paysage. 

Instant  de  repos  et  d'espoir  I 
La  terre  humide  et  grasse  fume,   • 
Et  dans  la  douce  paix  du  soir 
Meurt  le  son  grave  d'une  enclume. 


46  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

Silence.  Vois,  l'oiseau  s'endort... 
J'aime  l'adieu  divin  des  choses. 
Et  dans  l'ombre  où  flotte  la  mort 
Tes  lèvres  ont  un  goût  de  roses. 

Cher  bonheur,  mais  sitôt  passé  I... 
Les  frelons  rentrent  sous  les  treilles. 
Tu  suis  d'un  regard  angoissé 
Le  pesant  départ  des  abeilles. 

Déjà  la  dernière  s'enfuit  !... 

Mais  dans  le  grand  ciel  qui  se  voile 

S'ouvre  la  ruche  de  la  nuit 

D'où  vont  s'envoler  les  étoiles. 

(Inédit) 


•  PIERRE  BENOIT 
Né  à  Albi,  le  16  juillet  1886. 
Collaboration  poétique  au  Divan  ;  n»  65,  mai-juin  1920. 

Bibliographie.  ■ —  Poésie  :  Diarfumène,  1914.  —  Les 
Suppliantes.  Albin  Michel,  1920.  —  Romans  : 
Kœnigsmark.  Emile-Paul,  1918.  —  L'Atlantide. 
Albin  Michel,  1919.  • —  Pour  Don  Carlos.  Albin 
Michel,  1920.  —  Le  Lac  Salé.  Albin  Michel,  1921.  — 
La  Chaussée  des  Géants.  Albin  Michel,  1922.  — 
Mademoiselle  de  la  Ferté.  Albin  Michel,  1923. 

A  consulter  :  Henri  Martin  eau  :  Pierre  Benoît,  «  Le  Divan  » 
1922.  —  Pierre  Lièvre  :  Pierre  Benoit,  «Les  Marges», 
15  septembre  1922.  —  Paul  Souday  et  iM°'^  Gharasson- 
Johannet,  passim. 

CHARLES    IX 

Nous  aurons  moins  chéri  les  clairs  jours  de  victoire, 

Les  victoires  des  plus  illustres  de  nos  rois, 

Que  la  nuit  où  tu  fis,  ô  prince  expiatoire, 

Gémir  sous  son  bourdon  Saint- Germain-l' Aux errois. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  47 

L'histoire  aura  bien  pu  flétrir  sous  Tanathèine 
Les  lys,  les  fleurs  de  lys  de  ton  manteau  royal... 
Ils  t'offriront  toujours  leurs  rouges  chrysanthèmes 
Ceux  que  tu  délivras  des  gens  de  l'Amiral. 

Ils  savent  que  sans  toi,  doux  enfant  sanguinaire, 
On  n'aurait  jamais  vu  de  cygnes  à  Cambrai 
Et  les  Nymphes  de  Vaux,  Mancini  ou  Néère, 
Auraient  voilé  de  voiles  noirs  leurs  corps  ambrés. 

Qui  donc  aurait  connu  ces  belles  libertines  ?... 
Le  Grand  Siècle  eût  été  blafard  et  ténébreux, 
Et  j'aurais  préféré  aux  chants  purs  de  Racine 
Les  hurlements  hagards  des  prophètes  hideux. 


JEAN-MARC  BERNARD 

Né  à  Valence  le  4  décembre  1881.  Tué  à  la  guerre,  entre 
Souchez  et  le  Cabaret  Rouge,  le  9  juillet^l915. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  5,  septembre-oc- 
tobre 1909  ;  —  n"  10,  avril  1910  ;  —  n»  22,  juin  1911  ;  — 
n»  30,  avril-mai  1912  ;  —  n"  39,  mai  1913  ;  —  n«  89,  mai  1923. 

Bibliographie  :  Savinien  de  Cyrano  et  Edmond  Ros- 
tand. Valence,  1903.  ' —  La  Mort  de  Narcisse.  Va- 
lence, 1904  et  Bruxelles,  1905.  —  L'Homme  et  le 
Sphinx.  Valence,  1904.  —  Quelques  Essais,  poèmes 
1904-1909.  Nouvelle  Librairie  Nationale,  1912.  — 
Pages  politiques  des  Poètes  français.  Nouvelle  Librai- 
rie Nationale,  1912.  —  Charles  d'Orléans  :  Rondeaux 
choisis.  Sansot,  1913.  — Sub  tegmine  fagi.  Éditions 
du  Temps  Présent,  1913.  —  François  Villon. 
Larousse,  1918.  —  Haut  Vivarais  d'Hiver.  Collection 
du  Pigeonnier,  Saint- Félicien-en- Vivarais,  1921.  — 
Œuvres  de  Jean- Marc  Bernard,  suivies  des  Reli- 
quiœ,  de  Raoul  Monier.  «  Le  Divan  »,  2  volumes, 
1923. 

A  consulter  :  Charles  Maurras  :  Tombeaux,  Nouvelle  Librairie 
Nationale,  1921.  —  Henri  Martineau  :  Jean-Marc  Bernard, 
«  Les  Ecrits  Nouveaux  » ,  n«>  «23  et  24,  nov.-déc.  1919.— Henri 


4S  LES    POÈTES    DU   DIVAN 


Clouard  :  Jean-Marc  Bernard.  ^  Le  Divan  »,no  51,  octobre 
1915,  —  Fagus  :  L'âme  et  la  destinée  d'un  poète.  —  Henri 
Martineau  :  Jean-Marc  et  Raoul  Monter  —  Maurice  de 
Noisay  :  Les  Guêpes.  «  Revue  critique  des  Idées  et  des 
Livres»  .novembre  1919. — La  Revue  Fédéraliste, n°  consacré 
à  Jean-Marc  Bernard.  —  Paul  Souday  :  Le  Temps,  23  août 
1923. 


POÈMES 


Qu*ai-je  à  faire,  bavards,  de  vos  préceptes  vains  ? 
Apprenez-moi  plutôt  à  goûter  de  ces  vins 
Qui  réjouissent  l'âme  et  parfument  la  bouche  ; 
Ou  mieux,  enseignez-moi  les  déduits  inconnus 
Auxquels  s'abandonnaient  Adonis  et  Vénus 
Sur  les  épais  gazons  qui  leur  servaient  de  couche. 
Raoul,  emplissez  donc  la  coupe  que  je  tiens  ; 
Et  toi,  souple  amoureuse  aux  fraîches  lèvres,  viens  î 
Puis,  tes  voiles  tombés,  permets  que  je  te  touche. 
Endormons  notre  cœur  dans  les  plus  doux  plaisirs  : 
La  mort,  bien  assez  tôt,  calmera  nos  désirs, 
En  posant  sur  nos  fronts  sa  caresse  farouche. 


Que  l'aube  est  froide  après  une  nuit  d'insomnie  I 
Beau  souvenir  d'amour,  ah  1  pourquoi  me  blesser  ? 
Sans  doute,  avec  le  jour,  qu'ils  vont  enfin  cesser 
Mes  soupirs,  mes  regrets  et  ma  peine  infinie... 

Mais  voici  s'élever,  sous  les  treilles  épaisses, 
Le  râle  continu  des  pigeons  palpitants. 
Et  j'évoque  aussitôt  son  image  et  j'entends 
Son  lent  gémissement  sous  les  lentes  caresses. 


O  corps  tant  caressé,  d'autres  mains  que  les  miennes. 

Ce  soir,  s'alanguissent  sur  toi. 
Oublieux,  je  le  crains,  des  caresses  anciennes, 

Tu  frémis  d'un  pareil  émoi. 


LES   POÈTES    DU   DIVAN  49 

Je  n'aurai  point  pour  toi  de  jalouse  colère  : 
Je  saurai  contenir  mon  cœur  ; 

Car  je  redoute,  ô  mon  amour,  de  te  déplaire 
En  découvrant  trop  ma  douleur. 

Tu  ne  sais  repousser  l'attrait  d'une  caresse  ; 

Toujours  tu  cèdes  au  désir. 
Il  faut,  à  ta  chair  tiède  et  souple,  la  paresse 

Qui  suit  l'étreinte  et  le  plaisir. 

Vois  :  je  suis  calme,  et  je  souris  au  doux  sourire 

Offert  à  ton  nouvel  amant  ; 
Mais  cependant,  parfois  encore,  je  soupire... 

Et  je  suis  triste  infiniment. 


Lorsque  tu  lèveras,  tendrement,  veî-s  mes  yeux 
—  Etirant  la  langueur  de  ta  chair  lasse  et  moite  - 
Le  doux  remerciement  de  ton  regard  heureux. 
Je  ferai  mon  étreinte  à  tes  flancs  plus  étroite. 

Sans  nous  dire  un  seul  mot  nous  resterons  ainsi. 
Indolents  et  rêveurs  dans  les  bras  l'un  de  l'autre. 
Et  berçant  notre  amour,  étonnés,  comme  si 
Nous  bercions  un  amour  qui  ne  fut  pas  le  nôtre. 


A  Carco  comme  à  Derème, 

A  moi-même. 
On  nous  reproche  aujourd'hui 
De  chanter  notre  maîtresse 

Et  l'adresse 
D'un  beau  corps  qui  nous  séduit  I 

On  va  jusqu'à  prendre  en  grippe 

Cette  pipe 
Qui  console  notre  cœur 
Des  mensonges  de  la  femme 

Et  du  blâme 
Infligé  par  un  censeur. 


50  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Mais  ceux  que  nos  livres  blessent, 
Qu'ils  les  laissent  : 

Nous  n'écrivons  pas  pour  eux  I 

Seuls  nous  plaisent  les  suffrages 
De  ces  sages 

Que  l'on  nomme  paresseux. 

Assis  non  loin  de  la  route, 

Sous  la  voûte 
D'un  hêtre  au  feuillage  épais, 
Nous  célébrons  ensemble 

L'eau  qui  tremble. 
Sa  fraîcheur,  l'ombre  et  la  paix... 


Ce  soir  encore  tu  te  lèves, 

O  lune,  amicale  clarté  : 

Et,  dans  le  jardin  enchanté. 

Tu  viens  nourrir  mes  tendres  rêves. 

Plus  tard,  dans  ce  même  jardin, 
O  lune,  que  de  soirs  encore. 
Tu  chercheras,  jusqu'à  l'aurore, 
A  me  revoir  —  hélas  I  en  vain... 

DE    PROFUNDIS 

Du  plus  profond  de  la  tranchée, 
Nous  élevons  les  mains  vers  vous. 
Seigneur  !  ayez  pitié  de  nous 
Et  de  notre  âme  desséchée  I 

Car  plus  encor  que  notre  chair. 
Notre  âme  est  lasse  et  sans  courage. 
Sur  nous  s'est  abattu  l'orage 
Des  eaux,  de  la  flamme  et  du  fer. 

Vous  nous  voyez  couverts  de  boue. 
Déchirés,  hâves  et  rendus... 
Mais  nos  cœurs,  les  avez-vous  vus  ? 
Et  faut-il,  mon  Dieu,  qu'on  l'avoue  ? 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  51 

Nous  sommes  si  privés  d'espoir, 
La  paix  est  toujours  si  lointaine, 
Que  parfois  nous  savons  à  peine 
Où  se  trouve  notre  devoir. 

Eclairez-nous  dans  ce  marasme, 
Réconfortez-nous,  et  chassez 
L'angoisse  des  cœurs  harassés  ; 
Ah  1  rendez-nous  l'enthousiasme  I 

Mais  aux  Morts,  qui  tous  ont  été 
Couchés  dans  la  glaise  ou  le  sable. 
Donnez  le  repos  ineffable, 
Seigneur  I  ils  l'ont  bien  mérité  I 


FRANÇOIS  BERTHAULT 
Né  au  Mans  en  1889. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  no  81,  juillet    1922. 
Bibliographie  :  Des  heures  sous  le  ciel  :  I.  La  Beauté. 
«  Le  Divan  »,   1920.     —  Des  heures  sous  le  ciel  : 
IL  Le  drame.  «  Le  Divan  »,  1921. 

A  consulter  :  Le  Divan,  i\°  68,  novembre  1920.  —  Les  Marges, 
janvier  1921.  —  Le  Mercure  de  France,  janvier  1921.  — 
Le  Feu,  !«'  août  1921.  —  Le  Divan,  n°  74,  novembre  1921  ^ 

LES     MORTS    ET   LES    VIVANTS 

Vos  yeux,  —  ces  lacs  éteints  et  ces  éclairs  de  lune 
Pleurent  de  l'ombre,  ô  Morts,  divinement. 
Et  la  nuit  large,  c'est  tout  l'amoncellement 
De  cet  ombre  qui  choit  de  votre  sang  nocturne. 

La  nuit  —  6  Morts  divins  1  c'est  votre  monument. 

Mais  si  l'humain  désir,  encor,  sous  vos  paupières, 
O  Morts,  —  pleure  de  l'ombre  et  fait  la   nuit  : 
C'est  en  vous  que  mes   barques  vivantes  s'enfuient 
Pour  saigner  leurs  grands  trous  percés  par  les  lumières  !.. 

(Inédit.) 


52  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

FRANCIS  CARGO 

Né  à  Nouméa  (Nouvelle  Calédonie)  le  3  juillet  1886. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  4,  juillet-août 
1909  ;  —  no  8,  février  1910  ;  —  n"  18,  février  1911  ;  — 
n»  30,  avril-mai  1912. 

Bibliographie.  —  Poèmes  :  Instincts.  «  Le  Feu  », 
1911.  —La  Bohème  et  mon  cœur,  1912.  —  Chansons 
aigres-douces,  1913.  —Petits  Airs.  R.  Davis,  1920.  — 
Romans  :  Jésus-la- Caille.  «  Mercure  de  France  », 
1914.  A.  Fayard,  1922.  • — Les  Innocents.  La  Renais- 
sance du  Livre,  1917.  • —  Scènes  de  la  vie  de  Mont- 
martre. A.  Fayard,  1919.  ■ —  Bob  et  Bobette  s'amusent. 
Albin  Michel,  1918.  ^L'Equipe.  Emile-Paul,  1919. 
—  L'Homme  traqué.  Albin  Michel,  1922.  —  Verot- 
chka  l'étrangère  ou  le  goût  du  malheur.  Albin  Michel, 
1923.  —  Contes  et  récits  :  Au  Coin  des  Rues. 
Georges  Grès,  1921.  < —  Maman  Petitdoigt.  Georges 
Grès,  1921.  —  Panam.  Stock,  1922.  —  Critique  : 
Les  Humoristes.  Ollendorfï,  1921.  ■ —  Vlaminck. 
«  Nouvelle  Revue  Française  »,  1921.  ■ —  Utrillo. 
«  Nouvelle  Revue  Française,  »  1921.  —  Le  dernier 
état  de  la  poésie.  Ghiberre,  1919.  ■ —  Editions  de 
LUXE  :  Promenades  pittoresques  à  Montmartre. 
L.  Delteil,  1922.  • —  Les  Innocents.  La  Renaissance 
du  Livre,  1921.  • —  L'Ami  des  Filles.  R.  Davis, 
1921.  —  Jésus-la-Caille.  R.  Davis,  1921.  —  Rien 
qu'une  femme.  Georges  Grès,  1923.  —  Maman 
Petitdoigt.  R.  Davis,  1920.  —Au  Coin  des  Rues, 
Kundig,  1919. 

Francis   Garco   a    obtenu    le    prix    du   Roman    de 
TAcadémie  française  en  1922. 

A  consulter  :  Francis  Carco  (Ceux  dont  on  parle).  1  pla- 
quette. Chiberre,  1921.  —  Joseph  Peyre  :  Francis  Carco» 
1  plaquette.  «  Pau-Pyrénées» ,  1922. — 'Fortunat  Strowski  : 
La  Renaissance  littéraire,  1  vol.  Pion.  —  Jacques  Boulenger  : 
Mais  l'art  est  difficile,  3"  série.  Pion,  1922.  —  Henri  Marti- 
neau  :  Francis  Carco.  n  Le  Divan» ,  n^  61,  septembre  1919, 
no  63,  janvier  1920,  no  72,  juillet  1921. 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  53 

ADIEU 

Si  l'humble  cabaret  noirci 

Par  la  pluie  et  le  vent  d'automne 

M'accueille,  tu  n'es  plus  ici... 

Je  souffre  et  l'amour  m'abandonne. 

Je  souffre  affreusement.  Le  jour 
Où  tu  partis  j'appris  à  rire. 
J'ai  depuis  pleuré,  sans  amour, 
Et  vécu  tristement  ma  vie... 

Au  moins,  garde  le  souvenir, 
Garde  mon  cœur,  berce  ma  peine, 
Chéris  cette  tendresse  ancienne 
Qui  voulut,  blessée,  en  finir... 

Je  rirai  contre  une  autre  épaule. 
D'autres  baisers  me  suffiront, 
Je  les  marquerai  de  mes  dents  : 
Mais  tu  resteras  la  plus  belle. 


JUIN 

Une  lune  :  croissant  doré, 
Le  silence  de  la  campagne... 
Chante  une  voix  qui  s'accompagne 
D'un  violon  énamouré. 

Entends  comme  la  voix  se  brise 
Et  comme  l'instrument  gémit. 
La  nuit  attend,  paisible  et  grise. 
Ta  souffrance,  ô  cœur  endormi  I 

Souffre  avec  cette  voix  qui  chante. 
Cette  douleur  qui  s'enfle  et  crois  — 
Tellement  l'ombre  est  émouvante 
—  Que  c'est  la  tienne,  cette  voix  I 


54  les  poètes  du  divan 

l'heure  du  poète 

La  fillette  aux  violettes 
Equivoque,  à  l'œil  cerné, 
Reste  seule  après  la  fête 
Et  baise  ses  vieux  bouquets. 

Ce  n'est  ni  la  nuit,  ni  l'aube. 
Mais  cette  heure  où,  dans  Paris, 
Les  rôdeurs  et  les  chiens  maigres 
Errent  dans  un  brouillard  gris... 

L'heure  amère  des  poètes 
Qui  se  sentent  tristement 
Portés  sur  l'aile  inquiète 
Du  désordre  et  du  tourment. 

Et  ma  lampe  qui  charbonne 
Luit  sur  ce  pauvre  cahier 
D'où  se  lèvent  des  fantômes 
Que  je  croyais  oubliés. 


MONTMARTRE 

Montmartre  a  connu  d'autres  jeux. 
D'autres  voix,  d'autres  rires  jeunes  ; 
Mais  cela  n'importe  :  le  jaune 
Matin  brille  dans  les  carreaux. 

Hélas  I  l'Amour  nous  trompe  et  pleure. 
Nous  l'accueillons  et  le  fêtons. 
Le  matin  bleuit  tristement, 
L'horloge  ne  marque  pas  l'heure. 

Ceux  qui  nous  ont  quittés,  sont  là  ; 
L'un  chante  et  l'autre  est  près  du  feu, 
Ils  boivent  et  se  rient  entre  eux 
Du  jour  et  de  son  mauve  éclat. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  55 

Voici  Mimi,  Blanche  et  Germaine, 
La  plus  sévère  a  les  yeux  faits. 
Le  jour  envahit  tout  à  fait 
Les  carreaux  encrassés  et  blêmes. 

Et  toi,  butée  contre  mon  cœur, 

Pauvre  petite  abandonnée. 

Tu  te  plains   à   la   dérobée 

De  quel   cruel  et   doux  malheur  ? 

Tais-toi,  mes   souvenirs  blessés 
Dorlotent  tes  mauvais  sourires, 
Je  t'adorais  sans  te  le  dire. 
Tu  pleuras  quand  j'en   eus  assez. 

O  Moreau,  poète  1  Hégesippe  I... 
Parle-lui,  tu   sais  consoler.- 
Moi,   dans  le  matin  violet, 
(Jaune,  bleu,  mauve,  violet), 
Je  descends  en  fumant  ma  pipe... 

(La  Bohême  et  mon  Cœur.) 


POÈME    FANTAISISTE 

A    Tristan  Derème. 
Cette  enfant  qu'on  voit  dans  des  bars 
Qui  souvent  donnent  de  la  bande, 
N'aime  d'amour  que  Zanzibar. 

Elle  en  parle,  elle  vous  demande 
A  l'aube,  alors  qu'il  se  fait  tard, 
Si  tout  y  a  vraiment  le  parfum  de  la  mangue 
Et  ce  goût  malheureux  des  objets  de  bazar. 

—  Or,  Zanzibar  —  lui  dit  le  petit  nègre 
Qu'on  trouve,  au  vestiaire,  endormi  — 
N'est  qu'un  affreux  et  chaud  pays 
Où  les  magistrats  blancs  ne  sont  pas  plus  intègres 
Que  ceux  que  l'on  trouve  à  Paris... 


56  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Mais  allez  donc  empêcher  une  femme 
De  s'ennuyer  d'amour  au  fond  d'un  bar 
Où  tout  est  fait  pour  compliquer  sa  flamme 
Jusques  au  jeu  du  Zanzibar  I 

(Inédit.) 


PHILIPPE  CHABANEIX 

Né   sur   VAuatrnlien   des    Messageries    Maritimes    en    rade 
d'Albany  (Australie)  le  20  mai  1898. 

Collaboration  poétique    au  Divan  :  n°     72,  juillet-août 
1921  ;  —  no  80,  juin  1922. 

Bibliographie  :  Les  Tendres  Amies.  Librairie  des 
Lettres,  1922.  • —  Le  Poème  de  la  Rose  et  du  Baiser. 
«  Le  Divan  »,  1923. 

A  consulter  :  Tristan  Derème,  Ere  Nouvelle,  3  mars  1922.  — 

Hector  Talvart,  Petite    Gironde,  27  juillet  1922.  —  André 

Gaillard  :    Le    Feu,    1"  mars   1923.    —  Noël    Ruet  :  La 

Wallonie  en  Fleurs,  mars  1923.  —  Marc  Lafargue.  La  Revue 

'  Universelle,  15  avril  1923. 


LES    QUATRE    SAISONS 

Hélène,  cette  ville  et  le  printemps  sur  elle, 

Tes  bras  nus,  tes  beaux  yeux  mouillés  de  jeunes  pleurs. 

Tes  robes,  nos  aveux,  ta  fraîcheur  éternelle 

Et  le  parc  au  soleil  qui  prenait  ses  couleurs. 

Jacqueline,  l'été  devant  l'assaut  des  vagues, 
Souvenirs  de  jardins  et  souvenirs  de  bars, 
Tes  roses,  tes  colliers,  tes  fourrures,  tes  bagues, 
Notre  bonheur  à  deux  et  tes  brusques  départs. 

Madeleine,  la  neige  et  la  pluie  et  le  givre. 
L'hiver  auprès  du  feu  dans  l'ombre  du  salon, 
Nos  visages  penchés  sur  les  pages  d'un  livre, 
Et  le  temps  qui  fuyait  et  qui  nous  semblait  long. 


LES    POÈTiiS    DU    DIVAN  57 

Mais  les  automnes  d'or  c'est  toi  qui  me  les  portes 
Dans  ton  sourire  clair  et  pensif,  ô  Manon, 
Et  dans  tes  cheveux  roux  comme  des  feuilles  mortes, 
Et  c'est  dans  la  douleur  que  je  redis  ton  nom. 


LE   VERT- GALANT 

A  Henri  Martineau. 

Vers  les  cyprès  de  l'Italie 

Notre  amour  s'en  allant 
Ne  fera  pas  que  je  t'oublie. 

Pointe  du  Vert- Galant, 

Où  sous  le  feuillage  du  saule 

Dans  l'onde  reflété 
J'ai  vu,  penché  sur  son  épaule. 

Mourir  un  soir  d'été. 

(Le  Poème  de  la  Rose  et  du  Baiser.) 
PARENTHÈSES 


Si  l'un  fidèle  au  rendez-vous 
T'appelait  son  cher  ange. 

L'autre  disait,  parlant  de  vous 
Quel  animal  étrange  1 

Ils  avaient  tous  les  deux  raison. 

L'amour,  sage  folie, 
Du  bel  été  fait  la  saison 

De  ma  mélancolie. 

Je  revois  au  quartier  latin 
La  sœur  de  mon  amie 

Jusqu'à  dix  heures  du  matin 
Dans  mes  bras  endormie. 


58  LES    POÈTxiS    DU    DIVAN 

Avant  que  sèche  ce  bouquet 
Si  frais  chez  la  fleuriste, 

Confiera-t-elle  au  perroquet  : 

«  Je  l'aime  et  je  suis  triste  ? 

II 

Suzanne,  Suzon  ou  Suzette, 
Viens  ;  les  colombes  de  Vénus 
Roucouleront  au  bal-musette. 
Les  tendres  jours  sont  revenus. 

Baisers  d'une  jeune  maîtresse, 
Printanière  et  charmante  ivresse, 
Dons  pour  moi  les  plus  précieux.. 

Déjà  reverdit  la  nature 

Et  quelle  amoureuse  aventure, 

Se  dessine  dans  tes  beaux  yeux  ? 

(Inédit.) 


GILBERT  CHARLES 
Né  par  hasard  à  Toulouse  le  26  mars  1901, 

Collaboration  poétique    au    Divan  :   n»  82,  septembre 

1922.  ^ 

Bibliographie  :  Appren/issap-e.    «Le  Divan  »,  1923. 

PÉGASE 


I 


Glorieuse  volupté. 
J'ai  recherché  ton  visage 
Dans  les  ivresses  du  sage 
Et  les  parfums  de  l'été. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  59 

Mais  je  connais  ta  beauté 
Qui  rayonne  sous  Toutrage 
Et  le  lumineux  passage 
De  ta  sourde  impureté. 

Sanglant  rubis  dans  le  sombre 
Secret  de  silence  et  d'ombre 
Tu  dispenses,  gerbe  d'or, 

Les  fruits  mortels  de  la  honte, 
—  Froide  horreur  où  sonne  encor 
Cette  chaîne  qui  te  dompte. 


II 


Renaissance  de  la  lumière  ' 
Splendeur  vivante  de  la  chair, 
Ton  doux  sang  frais,  ton  sang  si  clair 
Où  vibre  la  ferveur  première. 

Et  jaillissant  de  ce  mystère 
Gomme  Amphitrite  de  la  mer, 
Beau  corps  déchiré  par  le  fer, 
De  cette  astreinte  se  libère. 

O  lune  errante,  dans  ton  cœur 
Source  inflexible  de  douleur  I 
Le  soleil  a  lui  sur  le  monde    ' 

Et  frémissant  à  sa  clarté, 
Pourpre  délire  de  son  onde, 
Tu  défailles  de  volupté. 

III 

Dans  l'eau  fuyante  et  dans  l'azur,. 
Lourdes  fleurs,  froides  pierreries. 
Souffles  des  vents  sur  les  prairies, 
J'ai  tout  désiré  d'un  cœur  pur. 


go  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Si  j'ai  songé  parfois  d'un  sûr 
Délice  à  tes  lèvres  meurtries 
De  plaisirs  et  de  rêveries, 
Je  suivais  le  principe  dur 

Issu  des  nombres  et  des  sphères 
Où,  jeu  d'aurore  et  de  lumières. 
Le  monde  a  trouvé  sa  raison. 

Vaine  gloire  des  apparences, 
J'ai  dépassé  tout  horizon, 
Ivre  de  vie  et  de  cadences. 

(Inédit.)  (Août  1922) 


PENSIVE... 

Pensive,  supportant  le  poids  de  ton  plaisir. 
Ame  ardente  soumise  à  l'afflux  du  désir, 
Quel  étrange  destin  te  hante  et  te  consume 
Et  quel  goût  remâché  de  cendre  et  d'amertume 
Donne  à  ta  bouche  un  pur  dégoût  de  toute  chair  ? 
Ah  1  comme  aux  jours  premiers  il  souriait  le  clair 
Délice  d'un  présent  tout  parfumé  de  roses 
Où,  silences  unis,  chant  des  métamorphoses. 
Tout  ton  corps  épousait  l'aurore  et  le  printemps 
Et  tes  seins  se  miraient  aux  fleuves  inconstants. 
Mais  le  sable  a  crié  sous  ta  marche  nocturne 
Et  l'eau  de  la  fontaine  a  fait  déborder  l'urne 
Où  les  roses  mouraient  à  l'approche  du  soir. 
Voici  fleurir  au  fond  du  mystère  le  noir 
Iris  dont  la  corolle  a  frémi  sur  ta  bouche... 
O  Nymphe,  dont  l'amour  est  cruel  et  farouche 
Et  dont  la  chair  enfante  un  ténébreux  souci, 
La  mort  est  comme  toi  divine  et  sans  merci. 

(Inédit.)  (Août  1923.) 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  61 

HENRY  CHARPENTIER 

Né  à  Paris  le  15  juin  1889. 

Collaboration  poétique  au  Divan:  n°  34,  novembre  1912 
(sous  le  pseudonyme  de  Henry  de  Verneuse). 

Bibliographie  :  La  mer  fabuleuse,  poèmes.  Messein, 
1909.  —  Le  Tombeau  de  Stéphane  Mallarmé,  1910, 
H.C.  —  Le  Poème  d' Armageddon.  «  La  Connais- 
sance »,  1920. 


LE  PAVILLON    FERMÉ 

Nos  serments  oubliés  dorment  dans  les  tiroirs 
De  la  chambre  d'amour  mystérieuse  et  close 
Où  l'éventail  fané  des  bouquets  s*ankylose 
Et  rien  n'y  vit  que  l'eau  magique  des  miroirs. 

O  miroirs  I  Les  ardeurs  des  anciennes  luxures 
En  votre  complaisance  ont,  bien  des  fois,  uni 
Des  couples  enlacés  la  joie  et  les  blessures 
Et  de  déUre  emph  votre  double  infini. 

—  Ressuscite,  Célie,  ombre  d'un  soir  morose  1 
Toute  nue,  apparais,  par  l'iris  et  la  rose. 
Adorant  ton  beau  corps  sur  leur  onde  penché. 

...Naguère,  tu  venais,  impudique  et  mignonne. 
Lorsque  l'allée  ôtait  sa  perruque  d'automne 
Multiplier  en  eux  les  jeux  de  ton  péché... 

(Inédit.) 


LUCIEN  CHRISTOPHE 
Né  à  Verviers  (Belgique)  en  1891. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  no  30,  avril-mai  1912. 


62  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Bibliographie  :  Les  Jeux  ei  la  Flamme,  poèmes. 
«  Flamberge  »,  Mons,  1913.  —  La  Rose  à  la  lance 
nouée...  poèmes.  «  Vivre  »,  Paris,  1917.  —  Aux 
Lueurs  du  brasier,  proses.  «  La  Vie  Intellectuelle  », 
Bruxelles,  1921. 

CIGARETTE 

AbduUa,  Muratti,  fumées 
Egyptiennes,  charmez-moi. 
Trompez  ce  cœur,  battant  d'émoi, 
Où  gémit  ma  peine  enfermée. 

Abdulla,  Muratti,  fumées 
D'un  instant  que  l'oubli  reçoit... 
Ah  I  que  ma  peine  entre  mes  doigts 
N'est-elle  aussitôt  consumée. 

(Inédit.) 


TRISTAN  DERÈME 

Philippe  Hue,  connu  en  littérature  sous  le  nom  de  Tristan 
Derème,  est  né  à  Marmande  le  13  février  1889. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  15,  novembre 
1910  ;  n°  25,  novembre  1911  ;  n»  38,  avril  1913  ;  n^  61, 
septembre-octobre  1919  ;  n»  76,  février  1922  ;  n"  78,  avril 
1922  ;  n°  89,  mai  1923. 

Bibliographie  :  Le  Renard  et  le  Corbeau,  poème 
comique,  1905.  ■ — Le  Tiroir  Secret,  poèmes,  1906.  — 
La  Chimère  vaincue,  poèmes,  1907.  —  Le  Parfum 
des  Roses  fanées,  poèmes,  1908.  ■ —  Les  Ironies 
sentimentales,  poèmes.  Aux  éditions  de  la  revue 
«  Poésie  »,  1909.  —  Petits  Poèmes.  Lecène  et  Oudin, 

1910.  —  Erène  ou  l'Eté  fleuri,  1910.   —  Discours, 
à  l'occasion  du  centenaire  de  Théophile  Gautier, 

1911,  H.C.   —  La  Flûte  fleurie,  poèmes,  1913.    — 
Le  Poème  de  la  Pipe  et  de  l'Escargot.  Emile-Paul 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  63 

frères,  1920.  —  Le  Poème  des  Chimères  étranglées. 
Emile-Paul  frères,  1921.  —  La  Verdure  dorée. 
Emile- Paul  frères,  1922.  —  En  préparation  : 
L'Enlèvement  sans  clair  de  lune.  —  La  Chasse  au 
Lièvre  ou  V Arquebuse  fleurie. 

On  trouve  encore  des  vers  de  Tristan  Derème  dans  : 
Almanach  des  Muses.  Bernouard,  1910.  > —  Antho- 
logie des  Poètes  français.  Verviers,  1922.  • —  Antho- 
logie poétique  du  xx®  siècle.  Grès,  1923.  ■ —  Antho- 
logie des  matinées  poétiques  de  la  Comédie  Fran- 
çaise. Delagrave,  1923.  ■ — On  trouve  des  pastiches 
de  ses  vers  dans  :  La  Grande  Anthologie.  Michaud, 
1914,  et  dans  Jean  Pellerin  :  Le  Copiste  Indiscret. 
A.  Michel,  1919.1 


PETITS    POÈMES 


Dans  le  calme,  la  barque  se  balance 
Comme  un  vers  que  je  dis. 

Dors,  mon  amour,  aux  vagues  de  silence 
Des  golfes  attiédis. 

Pour  toi,  j'ai  déserté  l'ombre  des  grèves, 

Le  lac  et  les  roseaux  ; 
Tes  larges  yeux  ont  reflété  mes  rêves, 

La  mer  et  les  oiseaux. 

J'ai  mis  ma  vie  au  chaton  de  ta  bague 

Sous  la  lune  d'un  soir. 
Dors,  mon  amour,  il  n'est  pas  une  vague 

Aux  nappes  de  l'espoir. 

N'écoute  pas  siffler  sur  toutes  choses  . 

Les  merles  que  j'entends  ; 
Et  que  pour  toi  les  heures  soient  des  roses 

Sur  la  tige  du  temps. 


64  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

II 

Regarde,  la  glycine  a  jauni  sur  la  porte. 

Et  voici  que  l'automne  aux  tempes  couronnées 

De  lierre  caduc  et  de  roses  fanées 

S'avance  et  d'un  pied  lourd  foule  les  feuilles  mortes. 

Il  marche  et  son  manteau  de  pourpre  au  crépuscule 

Se  dénoue  et  se  mêle  aux  nuances  champêtres. 

Mon  cœur,  voici  l'octobre  ;  et  les  joueurs  de  flûte 
Commencent  à  siffler  sous  la  voûte  des  hêtres. 
Veux-tu,  nous  quitterons  pour  la  ville  prochaine 
Les  parterres  flétris  et  l'ombrage  des  chênes, 
Et  la  maison  rustique  au  milieu  du  feuillage 
Qui  sut  nous  accueillir  au  retour  du  voyage, 
Et  la  source.  Mon  cœur,  partons  ;  voici  l'automne 
Et  la  dernière  abeille  aux  troènes  bourdonne. 

III 

Reste  étendue  sous  la  chaude  verdure 
Et  dors  dans  le  parfum  des  hêtres  et  du  buis  ; 
Là-bas,  l'herbe  roussit  dans  la  lumière  dure. 
Mais  sur  nous,  plein  d'oiseaux,  feuillage,  tu  bruis. 

Dors,  pendant  qu'au  zénith  le  soleil  rude  forge 
Le  cuivre  de  l'automne  et  lance  les  essaims. 
Tandis  que  je  regarde  incliné  sur  ta  gorge 
L'escargot  jaune  et  bleu  qui  glisse  entre  tes  seins. 

IV 

La  vie  est  douce  encore  à  ceux  qui  savent  vivre 
Et  tirent  de  leurs  maux  de  puissantes  liqueurs  ; 
Suspendez  ce  fracas,  ce  tambour  et  ce  cuivre  ; 
Il  n'est  besoin  de  cris  pour  émouvoir  nos  cœurs. 

Ne  me  reprochez  pas  de  vivre  solitaire  ; 
Mais  dans  ce  bleu  jardin  au  feuillage  léger 
Où  la  rose  fleurit  près  de  la  serpentaire 
Pour  un  songe  amical  j'ai  de  quoi  vendanger. 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  65 

Je  fume  sagement  ma  vieille  pipe  à  l'ombre 
D'un  arbre  blanc  et  vert,  sonore  et  japonais  ; 
Eh  1  pourquoi  penserais-je  à  quelque  heure  plus  sombre, 
A  d'anciens  printemps  qui  sont  déjà  fanés  ? 

Celui-ci  me  déchire  et  cet  autre  me  loue  ; 
Mais  qu'importe  ?  Demain,  les  grappes  mûriront. 
Laissez- moi  dans  ces  jours  que  le  destin  m'alloue 
De  funèbres  rameaux  ne  pas  ceindre  mon  front. 

Dois-je  encore  pleurer  ?  Qui  faut-il  que  j'envie  ? 
Cette  glycine  en  fleur  s'enroule  au  cyprès  noir  ; 
Amie  aux  beaux  cheveux  dont  l'amour  est  ma  vie, 
N'ai-je  pas  tes  bras  nus  qui  m'enivrent  le  soir  ? 


CHARLES  DERENNES 
Né  à  Villeneuve-sur-Lot,  le  4  août  1882. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  26,  décembre 
1911  ;  —  11°  67,  septembre-octobre  1920  ;  —  n»  91,  juillet- 
août  1923. 

Bibliographie.  —  Poèmes  :  L'Enivrante  Angoisse. 
Ollendorff,  1904.  —  La  Tempête.  OUendorff,  1906. 

—  La  Chanson  des  deux  Jeunes  Filles.  Bemouard. 

—  Le  Livre  d'Annie.  Bemouard.  —  Perséphone. 
Garnier.  — La  Princesse.  Champion.  — La  Fontaine 
Jouvence.  —  Œuvres  en  Prose  :  L'Amour  Fessé. 
Mercure  de  France.  —  Le  Peuple  du  Pôle.  Mercure 
de  France.  —  La  Guenille.  Louis  Michaud.  —  Le 
Miroir  des  Pécheresses.  Louis  Michaud.  —  Nique 
et  ses  Cousines.  Louis  Michaud.  —  M.  de  Tournèves. 
Bernard  Grasset.  —  Les  Caprices  de  Nouche.  Renais- 
sance du  Livre.  — Le  Béguin  des  Muses.  Renaissance 
du  Livre.  —  Les  Enfants  sages.  Renaissance  du 
Livre.  —  Leur  tout  petit  Cœur.  Renaissance  du 
Livre.  —  Cassinou  va-t-en  Guerre.  G.  Crès.  — 
Le  Pèlerin  de  Gascogne.  G.  Crès.  —  Les  Conquérants 


56  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

d'idoles.  G.  Grès.  —  La  Nuit  d'été.  L'Edition.  — 
La  Petite  Faiinesse.  L'Edition.  —  Les  Bains  dans 
le  Pactole.  Albin  Michel.  —  Le  Renard  bleu.  Albin 
Michel.  —  Le  Beau  Max.  Férenczi.  —  Vie  de  Grillon. 
Albin  Michel.  —  La  Chauve- Souris.  Albin-Michel. 

A  consulter  :  E.  Gaubert  et  Rigal  :  Les  poètes  du  Midi.  — 
Gabriel  Boissy  :  Les  plus  beaux  poèmes  d'amour.  —  Henri 
Martineau  :  Charles  Derennes,  poète.  «  Le  Divan  »,  n»  67, 
septembre-octobre  1922. 


I.   LA    HALTE 

Ame  d'enfant  qui  fut  la  mienne  quinze  jours  I 
Plaisir  de  tout  ;  grands  bois  aux  mousses  de  velours 
Où  le  soleil  tombait  des  branches  goutte  à  goutte  ; 
Paysans  qui  passiez  dès  l'aube  sur  la  route, 
Bruit  rythmé  de  sabots  lourds  et  laborieux  ; 
Prés  humides  remplis  de  vaches  aux  beaux  yeux, 
De  grillons  et  du  goût  mouillé  des  joncs  qu'on  mâche  ; 
Bêlements  dans  la  nuit  d'une  chèvre  à  l'attache  ; 
Et  vous,  surtout,  douces  maisons  aux  toits  moussus 
Avec  vos  rauques  girouettes  par-dessus, 
Vos  placards  qui  sentaient  les  pommes  et  les  miches, 
Vos  murs  que  bénissaient  des  Vierges  dans  leurs  niches. 
Vos  seuils  bas  où  les  soirs  étaient  pleins  de  tilleuls, 
Et  vos  vergers  que  j'aurais  cru  que  pouvaient  seuls 
Avec  leurs  choux  bleutés  et  leurs  pois  verts  en  rames. 
Rêver  Madame  de  Noaille  ou  Francis  Jammes... 
Pour  le  bonheur  que  manquait-il  à  tout  cela  ? 
L'amour  ?  Que  venez-vous  me  dire  ?  Il  était  là. 

{La  Tempête.) 

II 

Beaux  arbres,  elle  était  — vous  souvenez-vous  d'elle? — 
Malgré  son  ventre  lisse  et  malgré  ses  seins  durs. 
Plus  vaine  pour  mon  cœur  et  presque  moins  réelle 
Que  votre  ombre  dressée  en  noir  contre  nos  murs. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  67 

C'est  pourquoi,  cet  an-là,  je  vous  revis  encore 
Avec  un  cœur  pareil,  rempli  d'ombre  et  d'amour, 
O  pins  de  qui  les  fûts,  dressés  contre  l'Aurore, 
Semblaient  les  noirs  soldats  d'un  prince  hostile  au  jour. 

Plus  tard,  lorsque  midi  vibrait  de  feux  et  d'ailes, 
Chacun  de  vous,  blessé,  sanglant,  pourpre  ou  vermeil 
Exhalait  la  chanson  des  cigales  fidèles 
—  Cri  du  guerrier  frappé  par  les  traits  du  Soleil. 

Mais  la  nuit  survenait  ainsi  qu'une  revanche, 
Et  vous  faisiez  alors  retentir,  ô  vainqueurs 
Frémissants  et  laurés  d'astres  à  chaque  branche. 
L'écho  du  vent  marin  sonnant  dans  vos  grands  cœurs. 

Donc,  même  auprès  d'Annie,  et  lourd  du  vin  des  rêves, 
J'ai  pu  soumettre  encor  mon  vertige  d'amant, 
Dans  l'héroïque  odeur  du  flot  et  de  vos  sèves, 
A  votre  magnifique  et  fruste  enseignement. 

O  pins  du  sol  natal,  ô  guerriers,  ô  poètes, 

O  blessés,  ô  chanteurs  qui  dominiez,  devant 

La  maison  dont  les  airs  craquaient  dans  les  tempêtes. 

L'impétuosité  du  soleil  et  du  vent, 

O  héros  que  l'hiver  lui-même,  en  sa  colère. 
D'une  sombre  splendeur  ne  dépouille  jamais, 
Votre  conseil  reste  le  seul  qui  put  me  plaire 
Quand  ma  bouche  était  jointe  aux  lèvres  que  j'aimais. 
(Le  Livre  d'Annie.) 

III 

O  Béatrice,  toi  qui  le  long  de  ma  route 
Comme  une  ombre  de  flamme  es  liée  à  mes  pas, 
Ne  crois  pas,  faible  cœur,  esprit  enclin  au  doute, 
En  voyant  mes  amours,  que  je  ne  t'aimais  pas. 
Durant  plus  de  dix  ans,  de  l'enfance  à  la  vie, 
Nulle  heure  n'est  passée,  angoissée  ou  ravie. 
Sans  que  fût  en  mon  cœur  ton  nom  crié  tout  bas. 


68  LES   POÈTES    DU    DIVAN 


Tu  fus  l'image  unique  aux  feuillets  du  beau  livre 

Où  —  consolation  de  mon  précoce  ennui  — 

Je  relisais,  sans  fin,  le  conte  bleu  de  vivre 

Pour  l'amour  d'un  amour  qui  m'étonne  aujourd'hui. 

D'un  amourqui  m'eût  fait,  moi  l'homme  et  moi  le  maître. 

Asservir  mon  destin  au  destin  d'un  autre  être 

Et,  pour  vivre  ou  mourir,  ne  compter  que  sur  lui. 

Mais,  toujours  au  zénith  de  mon  ciel  située, 

Etoile  qui  guidas  mon  espoir  enfantin. 

Ta  lueur  que  les  ans  n'ont  point  diminuée 

Fait  de  mon  existence  un  éternel  matin  ; 

Et  ton  nom,  si  mon  âme  humaine  était  mortelle. 

Jusque  dans  le  néant  resplendirait  sur  elle 

Gomme  un  nuage  d'or  sur  un  soleil  éteint. 

Tout  ce  par  quoi  la  vie  est  belle,  ample  et  féconde, 

L'enthousiasme,  et  la  douleur,  et  la  fierté 

Voilà  ce  qu'en  t'aimant  j'ai  conquis  dans  le  monde  ; 

Quand  tu  repris  l'amour,  ce  trésor  m'est  resté. 

On  n'aliène  pas  un  pareil  héritage  ; 

Ce  ne  sont  pas  des  biens  que  l'on  peut  mettre  en  gage 

Ni  vendre  chez  des  Juifs  un  jour  de  pauvreté. 

C'est  pourquoi,  sur  le  sol  de  ces  longues  allées. 
Tes  doux  pieds  à  jamais  ont  marqué  leurs  contours  ; 
Ton  nom  demeure  inscrit  sur  tous  les  mausolées, 
Ta  statue  est  debout  dans  tous  les  carrefours  ; 
Jadis,  tu  t'es  penchée  au  bord  de  la  fontaine, 
Et  tu  t'en  es  allée,  et  cette  heure  est  lointaine, 
Mais  les  fidèles  eaux  te  reflètent  toujours. 
(Perséphone.) 


HENRY  DÉRIEUX 

Né  à  Le  Passage  (Isère)  le  15  avril  1892. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  14,  septembre- 
octobre  1910  ;  —  no  20,  avril  1911  ;  —  n»  52,  février  1916  ;  — 
no  55,  novembre  1917  ;  —  n»  71,  mai-juin  1921. 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  69 

Bibliographie  :  Le  Sable  d'or,  poèmes.  «  L'art  libre  », 
Lyon,  1911.  —  Le  Regard  derrière  l'épaule.  Grasset, 
1912.  —  Gilbert  de  Voisins,  essai.  «  Le  Divan  », 
1912.  « —  En  ces  fours  déchirants.  Payot,  1916.  — 
Le  Livre  d'heures  de  la  guerre.  «  Le  Divan  »,  1918.  — 
Baudelaire,  trois  essais  précédés  d'un  poème.  «  Nou- 
velle Librairie  littéraire  »,  Bâle,  1918. 

A  consulter  :  A.-M.  de  Poncheville,  La  Semaine  littéraire, 
octobre  1917. 

LA    BACCHANTE 

Dans  la  chambre  bien  close  où  nous  cloître  l'hiver 
Tu  viens  jusqu'au  grand  feu  qui  ronfle  sous  la  trappe 
Et,  lui  tendant  tes  mains  qu'il  rougit,  tu  as  l'air 
De  presser  sous  tes  doigts  le  sang  chaud  d'une  grappe. 

Un  large  flot  de  pourpre  enveloppe  ton  corps 
Et  le  feu,  comme  un  dieu  de  la  fable,  écarquille 
Dans  sa  face  écarlate,  et  qui  rit  et  qui  mord. 
Ses  yeux  où  le  désir  en  flamboyant  grésille. 

Tes  cheveux  sont  défaits,  ton  visage  est  en  feu 
Et  je  vois  peu  à  peu,  monter,  ivre  et  dansante. 
Dans  cette  chambre  tiède  et  familière,  —  au  lieu 
D'une  amante  frileuse,  —  une  antique  Bacchante  1 
(Inédit.) 


LÉON  DEUBEL 


Né  à  Belfort  le  22  mars  1879  ;  mort,  noyé  dans  la  Marne,  en 
1913. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  12,  juin  1910. 

Bibliographie  :  La  Lumière  natale.  «  Le  Beffroi  », 
1905,  «  Mercure  de  France  »,  1922.  —  Régner, 
«  Mercure  de  France  »,  1913. 


70  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

SONNET 

Tous  mes  soleils  couchés  sous  l'éclatante  nue  : 
Beauté,  Puissance,  Amour,  humides  de  mes  pleurs, 
A  l'occident  fouetté  de  verges  de  couleurs 
Comme  une  chair  d'enfant  mystérieuse  et  nue  ; 

Tous  mes  départs  sombres  sur  des  mers  inconnues, 
Toutes  mes  Ophélies  errantes  sous  les  fleurs, 
Je  suis  resté,  ce  soir,  seul  avec  ma  douleur 
Et  quand  elle  a  parlé,  mon  cœur  l'a  reconnue. 

Je  la  retrouve  ainsi  depuis  maintes  années, 
Ariane,  un  matin  d'ivresse  abandonnée, 
Dont  le  rire  est  mauvais  et  l'étreinte  perfide 

Et  vers  qui  nul  oubli  ne  tend  ses  bras  profonds, 
Car  ma  douleur  revient  par  la  route  des  rides 
Que  ses  pas  autrefois  ont  creusées  sur  mon  front. 


FERNAND  D IVOIRE 

à 
Né  à  Bruxelles  le  10  mars  1883. 

Collaboration  poétique  au  Divaa  :  n»  7,  janvier  1910. 

Bibliographie  :  Cérébraux,  prose,  1906.  —  Poètes,  vers, 
1908.  —  Faut-il  devenir  mage  ?,  1909.  —  Flandre, 
poème,  1909.  —  La  Danseuse  de  Diane,  prose  avec 
des  dessins  de  Dunoyer  de  Segonzac.  La  Belle 
édition,  1911.  —  Metchnikoff  philosophe,  1911.  — 
L'Amoureux,  vers.  La  Belle  édition,  1912.  —  Intro- 
duction à  l'étude  de  la  Stratégie  littéraire.  Sansot, 
1912.  —  Les  Rubriques  littéraires,  étude.  La  Renais- 
sance contemporaine,  1914.  —  Exhortation  à  la 
Victoire,  chœur  tragique,  représenté  le  3  juin  1917 
à  la  Comédie  des  Champs-Elysées.  —  Naissance  du 
Poème,  prose  symphonique,  représenté  par  Art  et 
Action  à  Paris  à  différentes  reprises  et  à  Genève. 
Figuière.  —  Ames,  vers.  Renaissance  du  livre,  1918. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  71 

—  Isadora  Duncan  fille  de  Prométhée,  prose  avec  des 
dessins  de  Bourdelle.  «  Les  Muses  françaises  », 
1919.  —  Le  Grenier  de  Monijoiey  étude.  «  Le  Gamet 
critique  »,  1920.  —  Gabriel- Tristan  Franconi,  étude. 
«  Les  Amis  d'Edouard  »,  1922.  ■ —  Rapport  sur  les 
tendances  nouvelles  de  la  poésie.  «  La  Revue  mon- 
diale »,  1921.  —  Le  discours  des  enfants ,  vers.  «  La 
Revue  mondiale  »,  1923.  —  Orphée,  vers.  «  La 
Renaissance  du  livre  »,  1922.  —  Ivoire  au  soleil, 
vers.  Povolozky,  1923. 


(La  première  voix 
rappellera  par  sa 
diction  l'air  popu- 
laire «  Savez-Dous 
planter  les  choux  ?) 


LABYRINTHE 


{La  parenthèse  se  lira  d'une  voix  très 
blanche.) 


On  se  jette  à  corps  perdu 
Dans  les  jeux  du  labyrinthe 


On  erre.  On  erre.  On  désespère. 
«  Espère  encor...  Bientôt  la  paix. 
L'espoir  s'amuse  d'un  jouet. 
C'est  le  jeu  du  labyrinthe. 


On  se  cogne  à  ses  mirages 


On  se  cogne  au  fond  des  impasses. 
Tiens  1  Tiens  !  Ce  n'était  qu'une  glace. 
Bosse  au  front.  C'était  une  glace. 
C'est  le  jeu  du  labyrinthe. 


Route  ouverte  I  Par  ici  I 


On  appelle  des  compagnons. 
On  les  regarde.  On  a  tout  prêt* 
Un  bon  couteau  à  cran  d'arrêt. 


Par  ici  1  une  compagne  I 


Amour  î  amour  I  amour  1  amour  I 
En  route  pour  d'autres  détours. 
On  a  frappé.  On  est  frappé. 


72 


LES   POETES    DU    DIVAN 


Une  victoire  ?  On  s'est  repu, 
On  a  souffert  d'orgueil  vaincu. 
On  a  souffert  de  jalousie 
Comme  si  le  sexe  d'un   autre 
S'enfonçait  dans  le  cœur,  et  le  crevait. 
Des  étreintes  ?  Ah  !  des  étreintes 
C'est  le  feu  du  labyrinthe. 


Ah  1  s'arrêter  1  et  fonder  1 


On  a  eu  l'espoir  de  fonder. 

On  a  fondé.  On  a  fondé. 

Mis  tout  en  place...  Et  puis...  Et  puis... 

On  a  senti  l'odeur  de  sa  maison  brûlée. 

Odeur  d'une  maison  brûlée.. 

On  n'en  délivrera  plus  jamais  ses  narines. 

Pas  de  plaintes,  pas  de  plaintes. 

C'est  le  jeu  du  labyrinthe. 


Et  des  murs...  Et  des  impasses... 


Encor  des  murs,  et  des  détours 

Et,  finalement,  des  impasses. 

Et  des  luttes  pour  arriver 

—  Guêpes,  guêpes  dans  leur  cai*afe  — 

Au  pesant  bouchon  d'une  impasse. 


Vos  jeux  sont  faits  ?...  Et  perdus 


Et  perdus 

On  nous  a  laissé  jouer. 

Et  tourner.  Et  retourner. 

Plus  d'espoir,  donc  plus  de  crainte. 
C'est  le  jeu  du  labyrinthe. 


Nous  tournons  autour  de  Toi. 


Les  jeux  sont  finis.  On  arrive. 
On  arrive  une  marque  au  front. 
Une  marque  rouge  ou  noire 
C'est  le  Jeu  du  labyrinthe. 


Si  longtemps  ayant  tenté 
de  T'atteindre  et  de  Te  fuir, 
Nous  arrivons  à  ton  centre, 
Solitude 


A  ton  centre  où  il  y  a 
Une  place  toute  creusée. 


(Inédit,) 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  73 

MARCEL  DROUET 

Né  à  Sedan,  le   19   août   1888,  mort  à  la  guerre  devant 
Verdun  le   5  janvier  1915. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  43,  novembre- 
décembre  1913  ;  —  n»  51,  octobre  1915. 

Bibliographie  :  Quelques  feuillets  du  livre  juvénile^ 
«  Pan  »,  1911.  —  L'Ombre  qui  tourne,  poèmes. 
Dorbon  aîné,  1912.  —  Le  Tombeau  de  Marcel 
Drouety   «  Le  Divan  »,  1923. 

A  consulter  :  Henri  Martin  eau  et  Eugène  Marsan,  Le 
Divan,  n^Sl,  octobre  1915.  —  Maurice  Barrés  :  Le  cahier 
rouge  de  Marcel  Drouet,  V  «  Echo  de  Paris»,  13  mars  1915.  — 
Georges  Ducrocq  :  Le  Bulletin  des  Ecrivains,  mars  1915. 
—  Charles  Maurras  :  Tombeaux,  Nouvelle  Librairie  Natio- 
nale, 1922. 


SOMMEIL 

Tu  dors.  Ta  tête  fine  indolemment  s'allonge 
Sur  l'oreiller,  creusé  du  poids  de  tes  cheveux, 
Qui  parmi  la  dentelle  éparpillent  leurs  feux  ; 
Et  le  silence,  ami  de  l'ombre  qui  prolonge 
Mon  rêve  doux  et  tendre,  incite  encore  mes  yeux 
A  te  contempler  nue  au  travers  de  leur  songe. 

Tu  dors.  Tes  seins  menus  sous  la  baptiste  à  jour 
Soulèvent  minutieux  leur  pointe  blanche  et  rose, 
Et  sur  ton  cou  gracile  où  mon  baiser  se  pose 
L'ombre  a  gUssé  ses  doigts  et  sa  lèvre.  A  mon  tour. 
Dans  le  creux  parfumé  de  ton  épaule  j'ose 
M'enivrer  des  senteurs  de  chair,  d'aube  et  d'amour. 

Tu  dors.  Ton  bras  si  pur,  posé  sur  la  cour^ine, 
Semble  en  s'abandonnant  se  baigner  dans  la  nuit  ; 
Ton   soufïle  égal  et  doux   s'envole  à  petit  bruit 
Et  sur  les  yeux  baissés  tes  longs  cils  se  dessinent, 
Faisant   plus  langoureux   le  sourire  qui  luit 
Entre  les  lèvres,  où  le  baiser  se  devine... 


74  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

Amoureuse  lassée  et  câline,  tu  dors  ; 

Ton  épaule  parfois  dans  sa  blondeur  frissonne 

Gomme  si  tu  vibrais  au  désir  qui  talonne 

Cette  ardeur  galopant  parmi  ton  songe  encor, 

Et  qui,  close  aux  parois  de  ton  front  clair,  bourdonne 

Comme  Tabeille  ardente  au  creux  des  ruches  d'or. 

Enfant  frêle  et  docile  et  tendre,  qui  sommeilles 
Parmi  la  floraison  de  tes  cheveux  épars, 
Tu  ne  devines  pas  que  pour  toi  mes  regards 
S'adoucissent  dans  l'aurore  qui  s'ensoleille  ; 
Dors,  car  voici  le  jour  et  tous  ses  cauchemars 
Qui,  dansant  sur  le  lit,  veulent  que  tu  t'éveilles... 
{L'Ombre  qui  tourne.) 


PAUL  DROUOT 

Né  à  Vouziers,  le  21  mai  1886  ;  mort  à  la  guerre,  le  8  juin 
1915  devant  Lorette. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  2,  mars-avril 
1909  ;  —  n»  59,  mai-juin  1919. 

Bibliographie  :  La  Chanson  d'Eliacin.  «  Psyché  », 
1906.  —  La  Grappe  de  Raisin.  «  La  Phalange  », 
1908.  —  Sous  le  vocable  du  Chêne.  Dorbon  aîné, 
1910.  —  Derniers  vers.  La  Belle  Edition,  1920. 
—  Eurydice  deux  fois  perdue.  Société  littéraire  de 
France,  1921.   —  Poèmes  choisis.   Fayard. 

A  consulter  :  Paul  Régnier  :  Paul  Drouot.  «  Le  Divan  », 
1923  (Ce  livre  donne  l'indication  des  principaux  articles 
publiés  à  ce  jour  sur  Drouot).  —  Henri  Massis,  Bulletin  des 
Ecrivains^  août  1915.  —  Jane  Clouzot  :  Paul  Drouot. 
«  Le  Divan  »,  n»  51,  octobre  1915.  —  Emile  Henriot  :  Lettre 
sur  deux  amis  morts.  «  Le  Divan  >,  n»  52,  février  1916. 

I.    MA    GAITÉ 

Tu  es  mouvante,  et  jaune  d'or,  et  imprévue 
Comme  une  fleur  qui  pousse  au  sommet  d'un  beffroi. 
Amie  entrée  par  la  fenêtre,  ô  inconnue 
Dont  la  venue  me  remplit  de  trouble  et  d'efîroi. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  75 

Toi  qui  me  dis  :    «  Voici  l'emploi  de  ta  nuitée  : 
Sais-tu  danser  ?  Nous  danserons.   Sortant  du  bal 
Nous  irons  voir  tomber  —  d'où  ?  du  ciel  —  la  rosée 
Et  naître  devant  nous  le  soleil  matinal.    » 

II.    SÉRÉNADE 

Le  soleil  tourne  sur  lui-même 
La  terre  tourne  autour  de  lui  ; 
Et  leur  double  tour  nous  ramène 
L'aube  qui  à  nouveau  reluit. 

Si  le  sommeil  encor  t'enchaîne, 
J'irai  faire  un  tour  dans  ton  lit, 
Et  changerai,  teint  de  ma  reine. 
Toutes  vos  roses  en  des  lys  I 


III.    LES    FEUILLES    MEURENT 

Détourne  de  ton  front  l'exemple  des  feuillages  ; 
Ce  sont  des  cœurs  légers  qu'a  séparés  l'hiver. 
Nos  pas  remonteront  le  cours  glacé  des  âges. 
Nous  retiendrons  les  lys  avec  des  nœuds  de  fer. 

Et  nous  enchaînerons  l'automne  aux  mains  sanglantes. 
Et  nous  clouerons  le  bois  des  rosiers  dans  le  mur. 
Et,  par  nos  doigts  liées,  leurs  mânes  expirantes 
Chercheront  dans  nos  yeux  la  trace  de  l'azur. 
{La  Grappe  de  raisin.) 

IV.    CORPS    A    CORPS 

Opiniâtrement  luttent  en  moi  la  Forme 
Et  la  Pensée,  ainsi  que  deux  forces  énormes 
Projetées  dans  mon  front  de  l'un  et  l'autre  bouts 
Du  chœur  universel  des  dieux  toujours  debout  I 
Je  les  sens  :  elles  sont  le  marteau  et  l'enclume  ; 
Le  bûcher  que  la  flamme  même  qui  l'allume. 


76  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Consume  ;  le  torrent  qui  se  mesure  au  roc, 

Qui,  sur  soi-même  ramassé,  soutient  le  choc 

Continuel  et  la  perpétuelle  masse 

De  la  fonte  éperdue  d'inaccessibles  glaces  ; 

Et  les  deux  parts  du  ciel  brandies  par  l'ouragan. 

Noires,  courantes,  précipitées  l'une  dans 

L'autre,  au  bruit  formidable  et  cassant  du  tonnerre  ! 

Non,  mes  vers  ne  sont  point  parfaits,  mais  la  lumière 
Et  les  ténèbres  tour  à  tour  jaillissent  d'eux 
Comme  d'un  incendie  la  fumée  ^et  le  feu  I 
Hélas  1  mes  vers  n'ont  rien  de  pur  ni  d'impassible  : 
L'astre  qui  les  sillonne  et  l'éclair  qui  les  crible 
Jettent  sur  leurs  fronts  blancs  de  farouches  lueurs 
Qui  font  briller,  parmi  leurs  lauriers,  la  sueur 
Des  combattants,  le  sang  des  vainqueurs  et  les  larmes 
Des  vaincus  descendant  de  leurs  joues  sur  leurs  armes 
Brisées,  car  tout  un  peuple  est  en  proie  dans  mes  vers 
Au  désespoir  de  ne  point  survivre  à  ma  chair  1 

Et  pourtant  je  voudrais  d'une  ardeur  insensée, 
Je  voudrais  qu'une  fois  ma  Forme  et  ma  Pensée 
Connussent  cet  instant  de  suprême  beauté 
Où,  corps  à  corps,  le  soir  du  sac  d'une  cité. 
Deux  amants  ennemis,  nus  et  tordus  de  haine, 
Dans  le  déchaînement  de  leur  rage  inhumaine 
Par  le  plaisir  aux  rets  l'un  de  l'autre  surpris, 
Etouffent  d'un  brusque  baiser  un  même  cri  ! 

(Sous  le.  vocable  du  chêne.) 


HENRI  DUCLOS 
Né  à  Limoux  en  1902. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  77,  mars  1922. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  77 

POÈME 

Les  lauriers  sont  coupés  et  les  roses  aussi, 
L'amour  n'est  que  fumée  et  la  gloire  que  cendre. 
Si  je  rêve  toujours  d'un  jardin  vieux  et  tendre 
C'est  pour  mon  cœur  transi. 

La  menthe  et  le  tilleul  donneront  leurs  tisanes, 
Juillet  la  passerose,  octobre  les  citrons  ; 
Alors  je  goûterai  le  parfum  des  saisons 
Et  les  fleurs  paysannes. 

Puis  dans  le  verger  clair  où  jaunissent  les  coings 
Vers  les  prés  que  le  froid  rend  à  la  solitude, 
Je  vais  pour  satisfaire  une  douce  habitude 
Sentir  les  derniers  foins. 

Si  quelque  ancienne  amour  veut  une  sérénade 
Ma  flûte  chantera  le  désir  de  l'oubli. 
Et  je  consacrerai  sur  l'autel  démoli 
Du  miel,  une  grenade. 


II 


Celui  qui  n'a  senti  par  sa  terre  natale 
Darder  sur  un  gerbier  le  soleil  méridien 
Ni  dans  le  peuplier  qu'on  nomme  carolin 
Entendu  crisser  la  cigale, 

Ignore  ce  qu'un  champ  de  notre  Languedoc 
Peut  avoir  de  grandeur  et  de  mélancolie 
Quand  le  Cers,  vent  du  Nord,  rase  le  sol  et  plie 
Un  fenouil  épargné  du  soc. 

Quand  les  foins  sont  coupés  et  les  vignes  heureuses, 
Quand  l'air  est  habité  par  des  milliers  d'essaims 
Et  que  luttent  aussi  les  ruches  des  jardins 
Avec  le  fredon  des  batteuses.' 


78  LES    POÈTES    DU    DIVAN 


III 

La  Pinde  a  moins  de  charme  et  THymette  de  miel 
Que  tes  coteaux,  rousse  Magrie, 

Et  ton  ruisseau  qui  prend  la  pureté  du  ciel 
Est  ma  fontaine  Gastalie. 

Sur  le  sol  de  lavande  et  rarement  foulé 

J'enivre  une  Muse  sévère 
Tandis  qu'une  poussière  d'or  monte  de  l'aire 

Où  les  hommes  battent  le  blé. 

Le  clocher  de  Magrie  est  une  leçon  brève 

D'adorable  réalité  ; 
Je  veux  pour  mieux  comprendre  et  chérir  la  beauté, 

A  la  Saint- Jean  brûler  mon  rêve. 


JACQUES  DYSSORD 

Edouard  de  Bellaing,  en  littérature  Jacques  Dyssord,  né 
à  Oloron  (Basses-Pyrénées)  le  4  janvier  1880, 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  91,  juillet-août 
1923. 

Bibliographie  :  Le  Dernier  chant  de  V Intermezzo. 
Grasset,  1909.  —  A  paraître  :  La  Paroisse  du 
Moulin- Rouge.  Albin  Michel.  —  La  Confrérie  de 
la  dernière  heure.  «  Le  Monde  Nouveau  ».  ■ —  On 
frappe  à  la  porte,  poèmes. 

A  consulter  :  Les  Veillées  du  lapin  agile.  L'Edition  Fran- 
çaise illustrée,  1919.  —  L'Ami  du  lettré.  Grès,  1923. 


L  ELOGE    DE    PARIS 

Je  te  salue,  expressément 
De  voir,  du  bleu  de  tes  terrasses, 
Gomme  une  écharpe  dans  le  vent 
Dont  chaque  geste  est  une  grâce, 
La  molle  Seine  aux  fils  d'argent. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  79 

Je  te  salue,  ô  frénétique, 

—  Athénienne  cependant  — 
A  cause  du  miracle  unique 
De  tous  ces  désirs  discordants 
Dont  tu  sus  faire  une  musique. 

Surtout,  Paris,  je  te  salue 
Pour  ce  sourire  impertinent 
Où  Voltaire  se  continue 
Et  qu'ouata  le  gros  Renan 
D'une  tendresse  retenue. 

Pour,  quand  s'éteint  à  l'Orient 
L'étoile  qui  veille  et  surveille 
Les  péchés  de  tes  suppliants. 
Quand  la  pâle  mort,  à  l'oreille. 
Vous  dit  ses  mots  balbutiants. 

Pour  cette  fleur  du  bon  courage 

—  Celui  de  sourire  toujours 
Et  que  tu  mis  à  ton  corsage 

—  O  la  ville-de-trop-d'amour, 

De  pas  d'assez  —  et  de  notre  âge... 
(Inédit.) 


ANDRÉ-MARIE  ÉON 

Né  à  Fontenay-le-Comte,  le  19  juillet  1889. 

Mort  pour  la  France,  à  Troyes,  le  23  octobre  1918. 

Collaboration  poétique   au  Divan:  n»  18,  février  1911, 
A  consulter  :  Achem  :  Revue  des  Revues^  t  Le  Divan  » ,  mai 
1910. 


FRANCIS  ÉON 

Né  à  Fontenay-le-Comte  le  17  juillet  1879. 

Collaboration  poétique   au  Divan  :  n°  î,  janvier  1909 
—  n»  4,  juillet  1909  ;  —  n»  9,  mars  1910  ;  —  n»  16,  décembre 
1910  ;  —no  19,  mars  1911  ;  —  n»  26,  décembre  1911  ;  —  n»  29, 
mars  1912  ;  —  n°  30,  avril  1912  ;  —  n»  35,  janvier  1913  ;  — 


80  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

n«>58.  avril  1913  ;— no41,  juillet  1913  ;  —  no68,  novem- 
bre 1920  ;  —  11°  72,  juillet  1921  ;  —  n»  76,  février  1922  ; 
—  n°  79,  mai  1922. 

Bibliographie  :  La  Promeneuse.  «  Le  Beffroi  »,  Lille, 
1905.  —  Trois  Années,  «  Le  Divan  »,  1909.  -- 
La  Vie  Continue.  «  Le  Divan  »,  1919. 

A  consulter  :  Henri  Martineau  :  Francis  Éon.  «  Le  Divan  », 
1909.  —  Francis  Carco,  Les  Guêpes,  juillet  1909.  —  Maurice 
Gauchez,  Revue  de  Belgique,  septembre  1909.  —  Pierre 
Quillard,  Mercure  de  France,  l^r  avril  1910.  —  Orion, 
L'Action  Française,  19  janvier  1920.  —  Marius  André, 
La  Minerve  Française,  1^'  février  1920.  —  André  Fontainas, 
Mercure  de  France,  !«'  mars  1920. 

POÈMES 


Ils  m'ont  dit  :    «  Admirez  ce  paysage  miique. 
Voyez.  Est-il  ailleurs  un  horizon  plus  beau  ?  » 
—  Je  regarde  une  longue  ligne  de  coteaux 
Que  rompent  de  pesants  rochers  couleur  de  brique. 
Je  regarde  au  frisson  menu  d'un  fleuve  étroit 
Trembler  l'image  en  gris  d'une  église  romane  ; 
Mais  nul  trouble  de  joie  ou  de  peine  n'émane 
De  ce  pays  à  mes  yeux  vide,  à  ma  chair  froid. 
Aucune  émotion  déjà  ne  t'a  sacrée. 
Nature  qu'on  prétend  magnifique.  Je  viens 
En  étranger  jaloux  de  mes  rythmes  anciens  ; 
Et  ton  air  indulgent,  ta  lumière  dorée 
Peut-être  existeront  pour  moi,  si  je  les  crée. 
Et  si  tes  différents  visages  sont  les  miens  I 
Mais  aujourd'hui  je  ne  sais  rien  de  toi.   J'ignore 
Le  sens  du  mouvement  qui  t'anime  en  secret  ; 
Et  tout  mon  inutile  effort  s'épuiserait. 
Malgré  le  glorieux  soleil  dont  tu  t'honores. 
Malgré  le  vent  levé  dans  tes  hauts  pins  sonores, 
A  chercher  ta  pensée  éparse  et  sans  attrait. 
En  vain  le  soir  ouvert  comme  un  vaste  calice 
S'exprime  en  lents  parfums  faciles  à  saisir. 
Clair  pays,  tu  n'es  pas  encore  mon  complice  : 
Nulle  femme  avec  moi  n'a  suivi  cette  eau  lisse. 
Ce  ciel  n'a  pas  connu  l'aveu  de  mon  désir. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  81 


II 


C'est  mon  infirmité  douloureuse,  et  chérie. 
Je  demeure  insensible  à  votre  flatterie, 
Spectacle  harmonieux,  musical  horizon 
Qu'épouse  la  lumière  et  qu'éveille  le  son, 
Parce  qu'en  cet  éclat  soudain  qui  vous  révèle 
Vous  étonnez  mes  yeux  d'une  image  nouvelle. 
Rien  ne  m'appelle  à  vous,  rien  ne  relie  encor 
Ma  mémoire  muette  à  votre  grand  décor. 
Et  je  ne  peux  vraiment  décider  si  je  l'aime. 
Puisque  je  ne  sais  pas  m'y  surprendre  moi-même. 
Mais  sans  doute  oserai-je  en  vous  m'interroger, 
Si  demain  je  reviens  ici  moins  étranger  ; 
Si  mes  yeux  avertis  vous  possèdent,  peut-être 
Aurai-je  le  charmant  émoi  de  reconnaître 
Votre  âme  plus  semblable  à  la  mienne,  surtout 
Si,  son  frais  collier  bleu  ruisselant  à  son  cou. 
Pour  une  joie  enfin  certaine  et  préparée, 
Plie  à  mon  bras  l'absente  aujourd'hui  désirée. 


ALBERT  ERLANDE 

Né  à  Marseille  le  30  août  1878. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  2,  mars  1909  ;  — 
n°  5,  septembre  1909  ;  —  n»  9,  mars  1910  ;  —  no  24,  sep- 
tembre 1911  ;  —  no  66,  juillet  1920  ;  —  no  88,  avril  1923. 

Bibliographie.  —  Poèmes  :  Euphorion.  Raybaud 
Marseille,  1896.  —  Le  Chant  d'amour.  Raybaud,  1898. 

—  Odes  et  Poèmes.  «  Mercure  de  France  »,  1899.  — 
Le  Cœur  errant.  «  Mercure  de  France  »,  1900.  — 
Hélène.  «  Mercure  de  France  »,  1902.  —  Fehl  Yas- 
min,  avec  Gilbert  de  Voisins.  Floury,  1905.  ' —  Les 
Hommages  divins.  Sansot,  1906.  —Le  Titan.  «  Mer- 
cure de  France  »,  1911.  — La  Tragédie  des  Empires. 
«  Le  Monde  Nouveau  »,  1920.  —  Niobé.  Gamier, 
1921.  —  Le  Poème  royal.  Librairie  de  France,  1922. 

—  Prose  :  La  Tendresse.  Ollendorfî,  1902.  —  Jolie 
Personne.  «  Mercure  de  France  »,1905.  —Le  Paradis 


82  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

des  Vierges  sages.  «  Mercure  de  France  »,  1906.  — 
Le  défaut  de  V armure.  Sansot,  1909.  —  L'Enfant  de 
Bohème.  «  Le  Feu  »,  Aix- en-Provence,  1910.  — 
//  Giorgione.  Grasset,  1911.  • —  En  campagne  avec  la 
légion  étrangère.  Payot,  1917.  • —  Vivre  et  mourir  là. 
Pion- Nourrit,  1920.  —  Stella  Lucente.  Albin  Michel, 

1921.  —  La  Vipère  dorée.   «  Œuvres  libres  »,  n^  10, 

1922.  ' —  L'Immortelle  bien-aimée.  Albin  Michel, 
1923. 

A  consulter  :  E.  Sicard  :  Films.  Edit.  du  «  Feu  »  ,  1912.  — 
F.  de  Miomandre  :  Figures  d'hier  et  d'aujourd'hui.  Dorbon. 
—  E.  Jaloux,  Le  Feu,  mars  1907. 

ALACIEL 

(Fragment.) 

Heureux  celui  qui  sent  les  spectres  des  années 
S'assembler  en  silence,  autour  de  lui,  le  soir. 
Quand,  par  les  souvenirs,  les  âmes  entraînées, 
En  parlant  du  passé  ressuscitent  l'espoir  I 
Il  conçoit  la  grandeur  de  la  vie  et  du  songe. 
Et  le  cortège  ému  de  la  suite  des  jours. 
En  échos  et  reflets  évocateurs  prolonge 
La  lumière  et  les  voix  des  premières  amours  ! 
...C'est  vous,  ô  rossignols  dans  les  nuits  phébéennes  ; 
Vous,  désirs  plus  changeants  que  les  vapeurs  de  l'air  ; 
Toi,  Lampe,  sous  les  vols  d'esprits  et  de  phalènes, 
Vous,  livres  médités  près  d'Elle  et  de  la  mer  I 

—  Revenez  I  Revenez,  beaux  instants  de  ma  vie  1 
Tous  également  chers,  mais,  cependant,  ce  soir. 
Laissez  l'ombre  d'une  heure  à  peine  évanouie, 
Toute  ardente  et  peureuse,  auprès  de  moi,  s'asseoir  1 

—  Voyez,  comme  elle  semble,  à  souffrir,  obstinée  1 
Quelle  mansuétude  adorable  ont  ses  mains  1 

Des  fleurs  de  vos  jardins,  sa  tête  est  couronnée. 
Et  sa  bouche  est  humide,  encor  de  mots  humains  1 
Laissez-moi  lui  donner  l'instant  qu'elle  réclame  I 
Spectres,  comprenez-moi  1  Ne  soyez-pas  jaloux... 
Cette  ombre,  hier,  hélas  1  la  force  de  mon  âme. 
Vient  garder,  aujourd'hui,  mon  secret,  parmi  vous  I 
(Inédit.) 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  83 

LUCIEN  FABRE 

Né  à  Pampelonne  en  1889. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  11,  mars  1922  ; 
—  no  86,  février  1923. 

Bibliographie  :  Connaissance  de  la  déesse.  Société 
littéraire  de  France,  1919.  —  Les  Théories  d'Eins- 
tein. Payot,  1921.  —  Vanikoro.  «  Nouvelle  Revue 
Française  »,  1923. 

LÉDA 

L'ombre  des  myrtes  tremble  au-dessus  du  limon, 

Quelle  nymphe  couchée, 
Dans  son  rêve,  ou  d'un  dieu  peut-être  visitée. 

Se  meurt  ?...  Lève  ton  front. 

Nymphe,  vois,  dans  ces  prés,  les  faunes  te  font  signe  1... 

Elle  ne  répond  pas  ; 
Elle  ne  répond  pas,  Léda  1  tordant  ses  bras 

Elle  appelle  le  cygne... 

«  O  toi,  dit-elle,  ô  toi,  seul  objet  de  mes  vœux, 

Garde-moi  de  ces  mâles. 
Je  suis  si  faible,  hélas  1  tant  d'ardeurs,  tant  de  râles.. 

J'ai  peur  1...  »  Mais,  dédaigneux. 

Sur  le  double  que  l'onde  indulgente  aux  caprices 

Vient  offrir  à  son  œil. 
Le  bel  oiseau  effeuille  une  rose  d'orgueil 

Et  vogue  avec  délices. 

{Inédit.) 


FAGUS 

Georges  Faillet,  connu  en  littérature  sous  le  nom'  de  Fagusj 
né  à  Bruxelles,  de  parents  français,  le  22  janvier  1872. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  no  89,  mai  1923. 


g4  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Bibliographie  :  Testament  de  sa  vie  première,  vers. 
Vanier,  Paris,  1898.  —  Colloque  sentimental,  vers. 
Société  libre  d'Editions,  1898.  —  Ixion,  poème. 
«  La  Plume  »,  1903.  —  Jeunes  fleurs,  vers.  «  Revue 
de  Champagne  »,  Reims,  1906.  —  Aphorismes. 
Sansot,  1908.  —  Discours  sur  les  Préjugés  ennemis 
de  l'Histoire  de  France.  «  L'Occident  »,  1909.  — 
Politique  de  l'Histoire  de  France.  «  L'Occident  », 
1910.  — La  Prière  de  Quarante  Heures.  Gallus,  Paris, 
1920.  — Le  Jeu  Parti  de  «  Futile  ».  La  Belle  édition, 
1920.  —La  Danse  macabre,  poème.  Malfère,  Amiens, 
1920.  —  Jonchée  de  fleurs  sur  le  pavé  du  Roi.  Nou- 
velle Librairie  nationale,  1921.  —  La  Guirlande  à 
l'Epousée,  poème.  Malfère,  Amiens,  1921.  —  Frère 
Tranquille,  poème.  Malfère,  Amiens,  1922.  —  Essai 
sur  Shakespeare,  Amiens,  1923. 

LES    SPECTRES 

Hodie  tibi,  cras  mihi. 

—  Grands  frères  qui  dormez  sous  la  calme  bruyère 
Tandis  que  les  fourmis  vous  travaillent  les  yeux  ; 
La  chair  pleine  de  plomb,  plein  la  bouche  de  terre 
Où  tremble  la  poussière  auguste  des  aïeux. 

Dormeurs  de  la  guerre. 

Dormez,  les  heureux  1 

Dans  les  plis  sinueux  des  vieilles  capitales 

Où  tout,  même  l'horreur,  tourne  aux  enchantements. 

Je  suis,  obéissant  à  mes  humeurs  fatales. 

Des  êtres  singuliers,  sublimes  et  navrants. 

Ces  spectres  dont  plus  tard  on  fera  des  statues 
Ont  un  nom  dérisoire  à  force  d'être  grand  : 
Poètes  1  leur  génie  les  soulève  et  les  tue. 
Demi-dieux  égarés  dans  des  cerveaux  d'enfants. 


J'ai  vu  Alfred  Jarry  dans  la  rue  Mazarine 
Dîner  de  quatre  sous  de  schnick  et  pas  toujours  ; 
Laforgue  par  morceaux  qui  crache  sa  poitrine, 
Samain  agonisant  et  Guérin  à  son  tour. 


LES    POÈTES    DU   DIVAN  85 

J'ai  vu  Jean  Lorrain  mort  ;  vu  Charles  Baudelaire 
Retroussant  en  avare  un  pantalon  limé, 
Et  Paul  Verlaine,  hélas,  ivre  à  rouler  par  terre, 
Que  soutenait,  pleurant,  Stéphane  Mallarmé  : 

Dormants  de  la  guerre. 

Dormez,  nos  aimés  ! 

J'ai  vu  Léon  Deubel  sur  la  dalle  gluante 
Que  baisa  le  front  blanc  de  Gérard  de  Nerval, 
J'ai  vu  Francis  Latouche,  amas  de  chair  fumante, 
Aplati  contre  un  mur  par  l'autobus  trivial. 

Albert  Fleury  traîner  jusqu'à  Dieu  son  squelette, 
Moréas  accueillant  la  mort  parmi  les  fleurs, 
Charles-Louis  Philippe,  Henri  Degron,  Lafayette, 
Et  tous  ceux  que  j'oublie  ou  qui  sont  morts  ailleurs  : 

Dormants  de  la  guerre, 

Bercez  les  dormeurs  1 

Signoret  lapidé  par  le  voyou  des  rues, 
Barbey  d'Aurevilly  risée  du  cocodès, 
Rimbaud  en  quarantaine  ainsi  qu'un  incongru, 
Villiers  de  l'Isle-Adam  tutoyé  par  Mendès  1 

Et  je  me  suis  vu,  moi,  hagard  et  famélique, 
Qui  racle  son  génie,  ulcère  après  son  flanc. 
Me  complaire  au  métier  de  la  fille  publique 
Pour  apporter  du  pain  à  mes  petits  enfants  : 

Dormeurs  angéliques, 

Soyons  vos  enfants  I 

Qu'importe  1  ridicules  martyrs  que  nous  sommes. 
Cœurs  infirmes  d'amour  dévorés,  dieux  proscrits, 
Pour  tous  saigne  au  delà  de  la  ruée  des  hommes, 
La  face  pleine  de  rayons  de  Jésus-Christ. 


86  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

PIERRE  FONS 

Né  à  Toulouse  le  16  juillet  1880,  mort  pour  la  France  le 
23  avril  1917. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  3,  mai  1909  ;  — 
n»  28,  février  1912. 

Bibliographie.  Les  Songes  pâles,  fantaisie  en  un  acte 
en  vers,  Toulouse.  Brun-Rey,  1900.  —  Crépuscule 
d'automne,  poésie.  1  plaquette.  H.G.  Toulouse, 
Privât,  1901.  —  La  Double  Guirlande,  poésies  en 
collaboration  avec  J.-R.  de  Brousse.  H.G.  Toulouse, 
«  L'Ame  latine  »,  1902.  —  Inscriptions,  sonnets. 
H.G.  «  L'Ame  latine  »,  Toulouse,  1903.  —  L'Heure 
amoureuse  et  funéraire,  poème  avec  préface  d'Emile 
Pouvillon.  Stock,  Paris,  1904.  —  Estampes,  sonnets. 
1  plaquette.  «  Revue  des  Pyrénées  »,  1904.  — 
Reliques  de  Bernard- Irma  Fons,  Toulouse,  1905.  — 
Eloge  de  Clémence  Isaure,  ode.   Toulouse,  Privât, 

1905.  —  Le  Réveil  de  Pallas,  essais.  Sansot,  Paris, 

1906.  —  Sully- Prudhomme,    étude.  Sansot,   Paris, 

1907.  — Le  Décor  du  Quattrocento,  essai  d'esthétique. 
Sansot,  Paris,  1907.  —  La  Divinité  quotidienne, 
poèmes.  Sansot,  Paris,  1908.  —  Œuvres  choisies  de 
François  de  Maynard.  Sansot,  Paris,  1909.  — 
L'Offrande  au  mystère.  Sansot,  1911. 

A  consulter  :  J.-R.  de  Brousse  :  Pierre  Fons  et  l'Heure 
amoureuse  et  funéraire.  «  L'Ame  latine  »,  Toulouse,  15  février 
1904.  —  Louis  Théron  de  Montangé  :  L'Heure  amoureuse 
et  funéraire.  «  L'Art  méridional  » ,  l^r  avril  1904.  —  Paul 
d'Armon  :  Ames  anxieuses.  «  Le  Signal  »,  22  avril  1904.  — 
Olivier  de  la  Fayette  :  Les  Poètes  du  mois.  «  La  Revue  Foré- 
zienne  »,  avril  1904.  —  Ernest  Gaubert  :  Poètes  mystiques 
et  païens.  «  Anthologie-Revue  »,  septembre  1904.  —  Armand 
Praviel  :  Le  Réveil  de  Pallas.  «  L'Ame  latine  »,  Toulouse, 
septembre  1906.  —  J.-R.  de  Brousse  :  Notes  de  Littérature 
Toulousaine.  «  Le  Télégramme  »,  16  octobre  1906.  — 
François  Tresserre  :  L'Enclos  des  Poètes.  «  L'Ame  latine  », 
Toulouse,  avril  1908.  —  Pierre  Quillard  :  Les  Poèmes. 
«  Mercure  de  France  »,  15  mars  1908.  —  Jean  de  Gourmont  : 
Littérature.  «  Mercure  de  France  »,  15  juin  1909.  —  G.  Casella 
et  E.  Gaubert  :  La  Nouvelle  Littérature.  Sansot,  Paris,  1906. 
—  Henri  Rigal  et  Raoul  Davray  :  L'Anthologie  des  Poètes 
du  Midi.  Ollendorf,  1908.  —  Henri  Martineau  :  Pierre 
Fons.  Editions  du   «  Divau  »,  1909. 


LES    POÈTES    DU   DIVAN  87 

POÈMES 


Ils  t'ont  menti,  ceux  qui  proclament  le  néant 
Et  prévoient  le  Hasard  maître  immortel  des  mondes  I 
Si  les  matins  s'éploient  sur  les  collines  blondes, 
La  vie  a  dans  son  sein  quelques  secrets  plus  grands. 

Les  livres  t'ont  fait  mal,  ô  trop  pensif  enfant  I 
Ne  les  écoute  plus  ;  car  à  ton  cœur  répondent 
Sans  cesse  les  amours  dont  les  ardentes  rondes 
En  ton  sang  ont  ému  de  plus  forts  battements. 

Entends,  entends  le  guide  éternel  qui  t'appelle  ; 
Il  faut  vivre  tes  jours  :  toute  la  vie  est  belle. 
Même  à  travers  les  pleurs,  même  4  travers  la  nuit  ; 

Et  quand  la  mort  bientôt  étreindra  les  collines, 

Epie  à  l'horizon  se  répandre  le  bruit 

Que  nouent  dans  l'infini  les  étoiles  divines. 

II 

Le  soleil,  au  sommet  d'un  jour  de  février 

En  présageant  le  printemps  proche, 

Rassemble  les  douceurs  d'une  douceur  de  cloche 
Sur  un  jardin  ivre  en  laurier. 

Et  cette  rumeur-là  tiède  et  comme  hésitante 
Simule  qu'un  bonheur  d'amour  brusquement  vient, 
Et  fait  fleurir  dans  le  mystère  de  l'attente 
L'Avenir  qui,  songeant  au  Passé,  se  souvient  I 


CHARLES  FOROT 


Né  au  Pigeonnier  par  Saint-Félicien  (Ardèche)  le  20  mai 
1890. 

Collaboration  poétique    au    Divan  :     n»  68,  novembre 
1920. 


88  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Bibliographie  :  La  Ronde  des  Ombres.  «  Le  Divan  », 
1922. 

A  consulter  :  Paul  Garcin,  Nouveau  Mercure,  janvier  1923. 
—  Jacques  Reynaud,  Revue  Fédéraliste,  août  1922.  —  Henri 
Rambaud  :  Carnet  Critique,  décembre  1922. 

VERS 

Plus  tard,  en  cette  heure  d'or 

Où  tu  te  recueilles, 
Quand  les  châtaigniers  encor 

Verront  choir  leurs  feuilles, 

Sous  la  coupe  de  cristal 

D'un  ciel  gris  et  rose 
Où  cède  au  destin  fatal 

La  dernière  rose. 

Où,  coureur  des  champs,  le  vent 

Hérisse  la  meule, 
Tu  sentiras  l'émouvant 

Regret  d'être  seule. 


HENRI  GADON 

Né  à  Limoges  le  2  octobre  1884. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  3,  mai  1909  ;  — 
n°  40,  juin  1913  ;  —  n»  46,  mars  1914. 

Bibliographie  î  Le    Chalumeau   de    Pan.     «  Psyché  », 

1906. 
A  consulter  :  Louis  Thomas,  Le  Divan,  n»  40,  juin  1913. 

LA    LUNE    AU    MIROIR 

Un  miroir  près  de  ma  fenêtre 
Me  jette  les  pâles  rayons 
De  la  lune  qui  vient  de  naître 
Au  bord  lointain  de  l'horizon. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  89 

Avec  la  douceur  de  ton  charme, 
Tu  captives,  trop  doux  miroir, 
Ces  yeux  qui  s'emplissent  de  larmes, 
Et  ce  cœur  plein  de  nonchaloir. 


MAURICE  GAUCHEZ 
Né  à  Chimay  (Hainaut  belge)  31  juillet  1884. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»16,  décembre  1910. 

Bibliographie  :  Essai  d'étude  sur  le  symbolisme.  «  La 
Jeune  Revue  »,  Bruxelles,  1902.  —  Charles  Guérin. 
«  Le  Thyrse  »,  Bruxelles,  1907.  —  André  F  intainas. 
«  Vers  et  Prose  »,  Paris,  1908.  —  Emile  Verhaeren. 
M  Le  Thyrse  »,  Bruxelles,  1908.  —  Le  Livre  des 
Masques  belges.  3  volumes,  5^  édition.  La  Société 
nouvelle,  Paris-Mons,  1908-1909-1910.  —Les  Poètes 
des  Gueux,  anthologie.  Louis  Michaud,  Paris,  1912. 
—  Les  Poètes  de  Cape  et  d'Epée,  anthologie.  Louis 
Michaud,  Paris,  1912.  —  Histoire  des  Lettres  fran- 
çaises de  Belgique  des  origines  à  nos  jours.  «  La 
Renaissance  d'Occident  »,  Bruxelles,  1922.  — 
Poèmes  :  Jardin  d'adolescent.  Sansot,  Paris.  — 
Les  Symphonies  voluptueuses.  «  La  Belgique  Artis- 
tique et  littéraire  »,  Bruxelles,  1908.  • —  A  la  louange 
de  la  Terre.  Lamertin,  Bruxelles,  et  Librairie  des 
Sciences  et  des  Arts,  Paris,  1908  et  1912.  —  Images 
de  Suisse.  Illustrations  de  Amédée  Lyren  et  dePol 
Vandebroeck,chez  Lamberty  à  Bruxelles,  1912.  — 
Les  Rafales,  1914-1916.  Figuière,  Paris,  1917.  — 
Ainsi  chantait  ThyU  1914-1918.  G.  Crès,  Paris, 
1918.  —  L'Hymne  à  la  Vie,  1909-1920.  «  La  Renais- 
sance d'Occident  »,  Bruxelles.  —  Les  Rafales  et 
Ainsi  chantait  Thyl,  1914-1918.  «  La  Renaissance 
d'Occident  »,  Bruxelles,  1922. 

A  consulter  :  Charles  Tardieii  :  Un  poète.  «  Indépendance 
belge  ».  Bruxelles,  7  mars  1907.  —  Paul  Cornez,  La  Revue 
Funambulesque,  octobre  1907.  —  M.  Wilmotte  :  Un  poète. 
«  Revue  de  Belgique»,  15  octobre  1907.  —  L.  Bocquet  : 
Les  Poètes.  «  Le  Beffroi  » ,  1908,  mars.  —  Emile  Verhaeren  : 


90  LES    POÈTES    DU    DIVAN 


Die  Belgische  DicIUers.  «  Die  Woche  »,  Berlin,  janvier 
1910.  —  Léon  Bocquet,  Belles  -  Leltres^  mars  1923.  — 
Rémy  de  Gourmont  :  La  Belgique  littéraire  (Ed.  Grès,  1917). 
—  Philéas  Lebesguc  :  Maurice  Gauchez.  «  La  Revue  », 
3  août  1922. 

POÈMES 

J'ai  cueilli  du  soleil  pour  en  faire  un  bouquet 
Puis  j'ai  posé  ces  fleurs  de  vibrantes  lumières 
En  offrande  d'amour  au  seuil  de  ce  bosquet 
Où  j'ai  fermé  souvent  en  rêve  mes  paupières. 

J'ai  cueilli  du  soleil,  j'en  ai  gerbe  les  fleurs  : 
C'était  une  splendide  et  brillante  brassée, 
Un  émoi  de  rosée  y  mélangeait  ses  pleurs 
Et  j'ai  tenu  ces  fleurs  longuement  embrassées. 

J'ai  cueilli  du  soleil  à  l'aube  du  matin 
Et  mes  mains  ont  gardé  l'odeur  de  ces  pétales 
Et  mon  cœur  a  dans  lui  de  l'or  clair  et  divin, 
Et  mon  âme  est  une  âme  en  robe  de  Vestale. 

J'ai  cueilli  du  soleil,  j'ai  cueilli  la  clarté, 
J'en  ai  jeté  dans  l'ombre  et  l'ombre  est  lumineuse, 
J'en  ai  jeté  par  terre,  et,  vois-tu,  c'est  l'été  ; 
J'en  ai  gardé  pour  moi  :  ma  vie  est  radieuse. 

J'ai  cueilli  du  soleil  aux  parterres  du  ciel, 
J'en  ai  fait  des  bouquets,  des  gerbes  de  lumières, 
J'ai  cueilli  du  soleil,  de  l'or  doux  et  réel, 
Et  j'en  ai  plein  le  cœur  et  tout  plein  mes  paupières. 
(Inédit.) 


EMILE  HENRIOT 

Né  à  Paris  le  3  mars  1889. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  16,  décembre 
1910  ;  —  n»  21,  mai  1911  ;  —  n»  27,  janvier  1912  ;  —  n«  33, 
septembre  1912  ;  —  n»  44,  janvier  1914  ;  —  n»  51.  octobre 
191o  ;  —  no  54,  mars  1917  ;  —  n»  55,  novembre  1917  ;  — 
no  63,  janvier  1920. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  91 

Bibliographie.  — Poèsib:  Poèmes  à  Sylvie.  «Psyché  » 
1906.  —  Eurynice.  «  Mercure  de  France  »,  1907. — 
XI  Portraits  dont  I  de  femme.  «  Mercure  de  France  », 
1909.  —  Petite  suite  italienne.  Dorbon,  1909.  — 
Jardins  à  la  française.  «  Marches  de  l'Est  »,  1910.  - — 
Deivae  Sacrum.  «  Le  Divan  »,  1913.  —  Vignettes 
romantiques  et  Turqueries.  «  Le  Divan  »,  1912.  — 
Eglogues  imitées  de  Virgile.  «  Amis  d'Edouard  », 
1912.  ' —  La  Flamme  et  les  Cendres.  «  Mercure  de 
France  »,  1914.  —  Bellica.  «  Le  Divan  »,  1915.  — 
Divinités  nues  et  quelques  autres.  Société  littéraire  de 
France  »,  1920.  —  Aquarelles.  Emile-Paul,  1922.  — 
Romans  :  L'Instant  et  le  Souvenir.  Emile- Paul,  1912. 
—  Valentin.  Albin  Michel,  1919.  —  Carnet  d'un 
Dragon.  Hachette,  1918.  — -  Le  Diable  à  l'Hôtel. 
Emile-Paul,  191 9. — Les  Temps  innocents.  Emile- Paul, 
1921.  ' —  Aventures  de  Sylvain  Dutour.  Emile- Paul, 
1923.  —  Histoire  littéraire  :  A  quoi  rêvent  les 
jeunes  gens,  enquête.  Champion,  1912.  —  Duclos, 
Histoire  de  M™e  de  Selve,  introduction.  Grasset, 
1911.  - —  Lettres  de  la  Religieuse  Portugaise,  intro- 
duction. Grasset,  1909.  —  Léonard,  idylles  et  poésies 
champêtres,  introduction.  Sansot,  1910.  — Stendhal, 
De  l'amour,  introduction.  Garnier,  1923. —  Courrier 
littéraire,  V^  série.  Renaissance  du  Livre  1922.  < — 
Livres  et  Portraits,  Courrier  littéraire  2®  série.  Pion, 
1923,  sous  presse. 


l'attente 

Bientôt  tu  seras  là,  je  le  sais,  je  t'attends. 
L'horloge  à  pas  menus  précipite  le  temps. 
Au  dehors  la  tempête  souffle.  Dans  ma  chambre 
Brille  le  mol  éclat  des  lampes  de  décembre. 
Et,  pour  ta  nudité  prochaine,  l'âtre  clair 
Crépite  et  d'un  rayon  de  flamme  chauffe, l'air... 

Je  t'attends.  Quelle  fièvre  est  en  moi  I  Je  suis  ivre. 
Mes  doigts  impatients  ont  laissé  choir  le  livre 


92  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

OÙ  pour  tromper  l'attente  et  calmer  mon  ennui 
J'essayai  de  chercher  le  bonheur  qui  me  fuit. 
Mais  qu'importe  à  mon  cœur  ce  qui  n'est  pas  lui-même? 
Quel  livre  en  ce  moment  mérite  que  je  l'aime  ? 
La  douleur  qui  n'est  pas  la  mienne  me  surprend 
Et  tout  autre  héros  me  laisse  indifférent... 

Bientôt  tu  seras  là.   Je  t'aurai,  ma  chère  âme, 
Serrée  entre  mes  bras  avec  toute  ma  flamme. 
Tu  m'auras  regardé  jusques  au  fond  des  yeux 
Pour  y  chercher,  hélas  !  ce  mal  silencieux 
Qui  parmi  nos  baisers  t'inquiète  et  t'étonne.,. 

Et  tandis  que  le  vent,  au  dehors,  monotone, 
Continue  à  pousser  son  sourd  gémissement, 
Pour  la  vingtième  fois  nous  serons  des  amants. 
D'une  tremblante  main  j'aurai  défait  ta  robe 
Et  cherché  de  nouveau  ce  bien  qui  se  dérobe. 
Je  tiendrai  contre  moi  ton  corps  passionné 
Et  frémissant  encor  de  s'être  tant  donné, 
Je  jouirai  de  voir  l'amour  que  j'ai  fait  naître 
Et,  sans  le  partager,  combien  il  te  pénètre, 
Combien  ce  que  je  donne  est  plus  grand  que  la  part 
Que  je  prends  à  ce  jeu  de  dupe  et  de  hasard... 
Et  sur  le  lit  défait,  ô  ma  belle  maîtresse, 
Je  songerai  combien  est  vaine  ta  tendresse, 
Combien  peu  de  bonheur  je  tire  d'elle,  hélas  1 
—  Mais  toi,  dans  ton  néant,  tu  ne  comprendras  pas. 
Et  courbé  sur  ton  sein,  gémissante  mandore 
Dont  après  le  plaisir  la  corde  vibre  encore. 
Je  goûterai  l'amer  et  sec  contentement 
De  ta  soumission,  —  de  mon  isolement... 
{La  Flamme  et  les  Cendres.) 

JE   vous    DIRAI    l'odeur 

Je  vous  dirai  l'odeur  de  la  campagne  après 
Que  la  pluie  a  trempé  l'herbe  épaisse  des  prés. 
Le  doux  balancement  des  roses  sur  leur  tige, 
La  forme  du  nuage  au  vent  qui  le  dirige, 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  93 

L*hirondelle  et  son  jeu  de  navette,  et  l'azur, 
Et  l'avoine  qui  tremble  au  faîte  du  vieux  mur 
Je  vous  dirai  l'heure  dorée,  et  l'ombre  lente, 
Et  la  source  où  bruit  la  Nymphe  diligente. 
Et  la  cloche  qui  sonne,  égale,  et,  chaque  instant, 
Mesure  nos  plaisirs  et  notre  part  de  temps... 
(Aquarelles.) 

l'automne 

Adieu  I  Voici  l'automne  et  son  triste  présage. 
On  a  coupé  les  fleurs,  on  a  cueilli  les  fruits, 
Et  dans  le  pâle  ciel  que  l'hirondelle  a  fui 
Déjà  monte  un  néfaste  et  ténébreux  nuage. 

Adieu  I  L'été  n'est  plus.   Son  doux  sourire  a  lui. 
Le  regard  éclatant  s'éteint  dans  le  visage. 
Et  le  cœur  qui  se  calme,  hélas  1  et  devient  sage 
S'abandonne  aux  langueurs  du  monotone  ennui. 

Hélas  1  Rien  ici-bas  ne  dure.  Tout  s'efface. 

Seule  une  éternité  de  rêve  prend  la  place 

Des  chers  biens  qu'on  croyait  jamais  ne  voir  finir  I 

Mais  non  1  L'amour  n'eût-il  bâti  que  sur  le  sable. 
De  nos  bonheurs  passés  le  reste  impérissable 
Ta  cendre  nous  le  garde,  ô  brûlant  souvenir  1 
(Aquarelles.) 


JACQUES-NOIR 


Armand    GeofFrit,   connu    en   littcralurc    sous  le  nom  de 
Jacques-Noir,  né  à  Niort  (Deux-Sèvres),  13  janvier  1881. 

Collaboration   poétique  au   Divan  :  n«  2,  mars  1909  ;  — 
n°  21,  mai  1911  ;  —  n»  29,  mars  1912. 

Bibliographie  :  L'Ame  inquiète,  poésies.  Editions  du 
«  Beffroi  »,  1909.  —  Aux  Morts,  poème.  H.G.,  1918. 
—  Les  Malédictions,  poésies.  Figuière  et  G'e,  1919. 
Couronné  par  la  Société  des  Poètes  français. 


94  LES    POÈTES    DU    DIVAN 


A    consulter  :    André   Delacour   :    Le   poète   Jacques-Noir^ 
décembre  1922. 

MINUIT 

Mon  cœur,  mon  cœur,  déjà  minuit  1 
Pas  un  astre  ne  nous  éclaire  ; 
L'orgueil  a  masqué  ma  misère, 
Le  rire  a  masqué  mon  ennui  I 

J'ai  fait  cingler  les  beaux  navires 
De  mes  chers  rêves  ingénus 
Vers  de  chimériques  empires  : 
Ils  ne  sont  jamais  revenus. 

L'amour  m'a  crié  de  le  suivre. 
Oh  I  mon  cœur,  —  quelle  lâcheté  I  — 
Nous  qui  n'avons  pas  osé  vivre 
Dans  sa  joie  et  sa  vérité  l 

Pour  peupler  tant  de  solitude, 
Les  autres,  qui  croyaient  savoir, 
M'ont  proposé  leur  certitude  ; 
Mais  rien  n'est  monté  dans  le  soir. 


Mon  cœur,  il  n'est  pas  d'aube  humaine 
Sur  l'éclatant  Jour  éternel  ; 
Les  mots  sont  vains,  la  gloire  est  vaine  ; 
Nous  n'avons  que  l'envers  du  ciel. 

Et  puis,  demain,  l'homme  et  la  terre 
Cesseront  d'être  un  souvenir... 
Ah  1  Comme  il  vaudrait  mieux  se  taire 
Et  se  contenter  de  mourir  I 

(Inédit.) 


ANDRÉ  LAFON 

Né  à  Bordeaux  le  17  avril  1883,  mort  à  Bordeaux  le  4  mai 
1915,  d'une  scarlatine  contractée  au  camp  de  Souge. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  95 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  3,  mai  1909  ;  — 
n°  f),  novembre  1909. 

Bibliographie  :  Poèmes  provinciaux.    «  Le  Beffroi    », 

1910.  —  La  Maison  pauvre.  «  Le  Temps  présent  », 

1911.  —  L'Elève  Gille.  Perrin,  1912.  —  Poèmes. 
«  Le  Temps  présent  »,  1913.  —  La  Maison  sur  la 
Rive.  Perrin,  1914. 

A  consulter  :  Robert  Vallery-Radot  :  André  Lafon.    «  Le 
Divan  »,  n°  51,  octobre  1915. 

POÈMES 

I 

Lourd  sommeil  des  maisons  dans  les  sous-préfectures, 
Quand  dix  heures  ont  plu  du  clocher  sur  les  toits  ; 
Sommeil   que   vient   veiller   la    lune   quelquefois. 
Et  que  seuls  les  grillons  bercent  de  leur  murmure. 
Silence  de  la  rue  angoissante,  mystère 
Des  volets  refermés  où  nul  rayon  ne  luit, 
Seuils  ombreux  et  sournois  d'où  soudain  le  chat  fuit 
Au  bruit  dur  de  mon  pas  que  la  nuit  exagère. 
Les  massifs  endormis,  par  la  lèvre  des  fleurs. 
Exhalent   des  parfums  ;   de  la  campagne  proche 
Viennent  ceux  de  la  vigne  et  des  foins...  Les  senteurs 
Se  mêlent  enivrant  l'air  nocturne.   Les  loches 
Doivent  monter  aux  murs  verdis  par  la  fraîcheur. 
Mais  voici,  tout  au  fond  d'un  jardin  d'ermitage, 
Qu'une  fenêtre  s'ouvre  aux  langueurs  de  juin  ; 
L'accord  d'un  piano  s'élève,  le  feuillage 
A  frémi,  et  mon  cœur  s'est  ému  sentant  bien 
Quel  tendre  aveu  dans  la  romance  pèse  et  n'ose... 
Et  mon  front  s'est  posé  sur  la  grille  où  mes  mains 
Effeuillent  sans  savoir  les  rosiers  et  leurs  roses  1 

II 

Pour  retrouver  les  soirs  où  laissant  tes  mains  lentes 
En  repos  sur  la  nappe  blonde  tu  songeais  ; 
Le  doux  éclat  des  fruits  sous  la  lampe  dormante 
Dont  la  flamme  pourtant,  quelquefois,  s'étirait  ; 
Tes  yeux  pâles  cherchant  par  la  porte  vitrée. 
Au  delà  du  jardin  rafraîchi,  le  ciel  clair  ; 


96  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

La  senteur  de  la  terre  humide  après  l'ondée 
Quand,  l'orage  passé,  tu  rouvrais  la  croisée 
Et  te  penchais  pour  boire  au  pur  fleuve  de  l'air. 
Pour  retrouver  l'émoi  douloureux  de  ma  vie 
A  sentir  ton  cœur  proche  à  la  fois  et  lointain, 
Je  donnerais  cette  heure  où  la  plus  sûre  amie, 
La  solitude,  est  là  qui  pleure  sur  ma  main. 


JULES  LAROCHE 

Né  à  Paris  le  4  novembre  1872.  S'est  fait  connaître  aussi 
sous  le  nom  de  Jacques  Sermaize. 
Collaboration  poétique    au  Divan   :    n°  25,  novembre 

1911  ;  —  n»  31,  juin  1912  ;  —  n»  35,  janvier  1913  ;  —  n"  42, 

septembre  1913. 

Bibliographie  :  L'Heure  qui  passe,  sous  le  pseudonyme 
de  Jacques  Sermaize.  «  Le  Temps  présent  »,  1910.  — 
La  Voie  sacrée.  Grasset,  1913. 


GUY  LAVAUD 

Né  à  Terrasson  (Dordogne)  le  9  août  1883. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n"  6,  novembre 
1909  ;  —  n»  12,  juin  1910  ;  —  n»  22,  juin  1911  ;  —  n»  57, 
janvier  1919  ;  —  n»  70,  mars  1921. 

Bibliographie  :  La  Floraison  des  Eaux.  «  L'Occident  », 
1907.  —  Du  Livre  de  la  Mort.  La  Phalange,  1909.  — 
Des  Fleurs  pourquoi.  Gornély,  1910.  —  Sur  un  vieux 
livre  de  marine.  «  Les  Marges  »,  1918,  bois  de  André 
Lhote.  • —  Imageries  des  Mers.  Emile-Paul,  1919.  — 
Six  Poèmes  d'Automne.  H.G.  Bois  de  Ch.  Hamonet. 
—  Le  Dit  du  vieux  Marinier,  traduction.  Emile- 
Paul,  1919.  ■ — Images.  Galerie  André,  six  bois  gravés 
de  G.  Gharlopeau,  1921.  —  Marines,  illustré  par 
André  Lhote.  «  Le  Divan  »,  1923. 

A  consulter  :  Henri  Martineau  :  Guy  Lavaud.  1  plaquette. 
«Le  Divan  »,  1911.  —  Anthologie  des  poètes  nouveaux, 
Figuière.  —  Diez  Canedo  :  Anthologie  de  la  poésie  moderne, 
Madrid.  —  Robert  de  la  Vayssière  :  Anthologie  de  la  poésie 
française  du  xx^  siècle.  Grès. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  97 

POÈMES 
I 

Hier  encor  tu  disais  :    «  Jamais  vous  reverrai- je, 
O  roses  de  la  chair  sur  mon  corps  consumé 
Et  refleurirez-vous,  ô  fleurs  de  rose  neige 
Sur  les  faibles  rameaux  de  ces  bras  dépouillés.  » 
Tu  doutais...  et  voici  qu'elles  sont  revenues 
Toutes  les  frêles  fleurs  que  jadis  tu  portais. 
Voici  comme  autrefois  des  lys  dans  tes  mains  nues 
Et  des  camélias  sur  ton  corps  reposé. 
En  sorte  que  ta  mort  ressemble  à  ta  jeunesse 
Et  que  devant  ton  lit  si  largement  fleuri 
Me  penchant  sur  ton  front,  ma  Morte  aux  belles  tresses, 
Je  cesse  de  pleurer  croyant  que  tu  souris. 
(Des  Fleurs,  pourquoi...) 

II 

O  proues,  ô  diamants  qui  coupez  cette  mer, 
Qu'ils  sont  beaux  voschemins, que  leur  neige  nous  tente 
Qui  semble  un  reste  encor  de  quelque  bel  hiver, 
Un  blanc  gel  oublié  dans  l'herbe  renaissante. 

III 

Mais  nous,  cinglant  toujours  vers  la  lointaine  gloire, 
Le  rencontrerons-nous,  comme  un  beau  voilier  blanc, 
Le  vers  qui  s'en  irait,  de  mémoire  en  mémoire. 
Traversant,  sans  molHr,  l'immensité  des  ans. 

(Imageries  des  Mers.) 

IV 

Une  femme  passait  dans  ta  douceur,  septembre. 
Du  fruit  qu'en  élevant  ses  doigts  elle  cueillit 
Parmi  les  froissements  et  le  soupir  des  branches 
Une  abeille  soudain  s'envola...  C'est  ainsi 
Que  bientôt,  nous  aussi,  peut-être,  irons  vers  Dieu 
Quand  la  Mort  nous  aura  pris  de  sa  main  dans  l'ombre 
Et  que  s'envolera,  pour  son  vol  lumineux. 
Notre  âme  retenue  comme  une  abeille  blonde. 
(Inédit.) 


98                                  LES    POÈTES    DU    DIVAN 
V.   ART    POÉTIQUE 

Ainsi  que  lentement  s'écrivent  les  poèmes 
Cet  homme,  brin  par  brin,  ajoutait  de  la  laine 
Jusqu'à  ce  qu'ait  fleuri  une  fleur  neuve  et  fraîche. 

Je  voudrais  être  un  jour  l'artiste  qui  s'entête 
A  nouer  sur  la  trame,  une  à  une,  les  teintes 
Et  qui  finit  par  faire  une  fleur  éternelle. 
(Inédit.) 

VI.  —  A  l'ombre  des  bouleaux 

A  l'ombre  des  bouleaux,  des  saules  et  des  aulnes 
Une  eau  dort,  en  quel  songe  oubliée  ?  Les  automnes 
L'emplissent  chaque  année  de  leurs  feuillages  morts. 
Ils  pourrissent,  légers  esquifs,  parmi  ce  port, 
Puis  chavirent.  Et  lents,  on  peut  les  voir  descendre, 
Squelettes  qui  s'en  vont  où  vont  toutes  les  cendres. 
Mais  l'eau,  qui  les  reçoit,  de  ces  alluvions 
Qui  furent  les  printemps  et  les  étés,  au  fond 
D'elle-même,  en  refait,  ô  retour,  cette  vie  : 
La  fleur  d'un  nénuphaT  sur  elle  épanouie  ! 
(Inédit.) 


PHILÉAS  LEBESGUE 

Né  à  La  Neuville-Vault,  près  Beauvais  (Oise)  le  26  novembre 
1869. 

Collaboration    poétique    au  Divan  :   n°   2,    mars    1909. 

Bibliographie.  — .  Poésie  :  Décidément.  Plaquette. 
Librairie  Universelle,  Paris,  1891.  ■ — La  Tragédie  du 
Grand  Ferré,  trilogie  dramatique.  Libraires  associés, 
Paris,  1892.  ■ —  Les  Folles  Verveines.  Plaquette. 
«  Le  Beffroi  »,  Lille,  1903.  • —  Monsieur  de  Boufflers, 
sonnets  héroïques.  Edition  de  «  La  Phalange  », 
Paris,  1908.  —  Le  Buisson  Ardent.  H.C.,  1910.  — 
A  plein  vol.  Plaquette.  Beauvais,  1911.  — Les  Servi- 
tudes. Soc.  du  «  Mercure  de  France»,  Paris,  1913.  — 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  99 

Le  Char  de  Djaggernaih,  proses  lyriques.  «  Le 
Savoir- Vivre  »,  1919.  • —  La  Grande  Pitié.  Sansot 
éditeur,  Paris,  1920.  —  Les  Tisons  en  fleur.  «  La 
Revue  de  l'Epoque  »,  Paris,  1922.  • —  Romans  et 
NOUVELLES  :  Le  Sang  de  l'Autre.  Société  d'Editions 
littéraires,  Paris,  1900.  —  L'Ame  du  Destin.  Sansot, 
Paris,  1904.  —  Le  Roman  de  Ganelon.  Sansot,  Paris, 
1906.  —  La  Nuit  Rouge.  Sansot,  Paris,  1908.  —  Les 
Charbons  du  Foyer.  «  La  Phalange  »,  Paris,  1908.  — 
Eugamistès.  «  La  Phalange  »,  1908.  —  Outre-Terre. 
«  La  Phalange  »,  Paris,  1 909.  —  Le  Lien  de  Deuil,  nou- 
velle en  feuilleton  dans  «  Le  Septentrional  de  Paris  ». 
—  Kolochore,  roman  crétois  en  feuilleton  dans 
«  La  République  de  l'Oise  ».  —  Philologie,  philo- 
sophie, CRITIQUE,  HISTOIRE.  —  Les  Lois  de  la 
Parole.  Beauvais,  1899.  —  L'Au  delà  des  Gram- 
maires. Sansot,  Paris,  1904.  -^  Le  Pèlerinage  à 
Babel.  Sansot,  Paris,  1904.  —  Essai  d'expansion 
d'une  Esthétique  :  L'Inspiration.  «  La  Province  », 
Le  Havre,  1910,  en  collaboration  avec  Gossez  et 
Strentz.  —  Le  Portugal  littéraire  d'aujourd'hui. 
Sansot,  Paris,  1904.  • —  La  Grèce  littéraire  d'aujour- 
d'hui. Sansot,  Paris,  1916.  —  Le  Portugal  et  sa 
mission  civilisatrice.  1  plaquette,  Typographie  uni- 
verselle, Lisbonne,  1912.  —  La  Question  des  Races 
dans  la  Littérature  universelle.  1  plaquette,  Paris, 
1913.  —  La  République  portugaise.  Sansot,  Paris, 
1913,  —  Le  Songe  d'Enfer  et  la  Voie  de  Paradis, 
de  Raoul  de  Houdenc.  Sansot,  1908.  —  Six  Lais 
d'Amour  de  Marie  de  France.  Sansot,  1908.  • —  Les 
Chants  Féminins  Serbes,  traduction  et  commentaires. 
Sansot,  Paris,  1919.  • —  Traductions.  ■ —  Histoire 
d'un  mort,  nouvelle  traduite  du  portugais  de  Paulo 
Osorio.  Sansot,  Paris,  1904.  —  Le  Feredji,  du  grec 
moderne  de  Pol  Arcas  en  collaboration  avec  P.-M. 
Gahisto.  Juven,  Paris,  1908.  • —  Les  Perses  de 
l'Occident,  drame  traduit  du  grec  moderne  de 
Sotiris  Skopis.  Figuière,  Paris,  1917.  -^  Anthologie 
des  poèmes  de  Sotiris  Skopis,  traduit  du  grec  moderne 
avec  André  Castagnou.  Figuière,  Paris,  1908.  Cou- 
ronné par  l'Académie  Française.  —  Anthologie  de 


100  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

la  poésie  yougoslave  conlemporaine.  «  Les  Humbles  », 
Paris,  1918.  —  Macambira,  en  collaboration  avec 
P.-M.  Gahisto.  L'Edition  française  illustrée,  1920.  • — 
La  Relique,  roman  portugais  de  Querroz,  en 
feuilleton  à  «  Noticias  »,  1922,  en  collaboration 
avec  P.-M.  Gahisto.  ' —  L'Evangile  de  l'Amour, 
traduit  de  l'espagnol  de  Gomez  Carrillo.  Fasquelle, 
Paris,  1923. 

:  A.-M.  Gossez  :  Poètes  du  Nord,  1880-1902. 
Ollendorf,  Paris,  1902.  —  Florian  Parmentier  :  Toutes  les 
Lyres.  Gastein-Serge,  Paris,  1907.  —  Ad  van  Bever  : 
Les  Poètes  du  Terroir,  t.  III.  Delagrave,  1913.  — Ernest- 
Charles  :  Samedis  littéraires,  3«  série.  Sansot,  Paris,  1905. 
—  Ernest  Gaubert  :  La  Nouvelle  Littérature,  Sansot,  1906. — 
Martin-Mamy  :  Les  Nouveaux  Païens,  Sansot,  1913.  — 
Philéas  Lebesgue  «  Les  Humbles»,  1918.  —  Pages  choisies 
de  Ph.  Lebesgue,  par  Manuel  Coulon,  Beauvais,  1923. 

l'ombre  hivernale 

L'ombre  hivernale  autour  de  mon  vieux  seuil  s'allonge  : 
Ne  me  demande  pas,  femme,  pourquoi  je  songe. 

La  vigne  au  bord  de  ma  fenêtre  perd  ses  feuilles  ; 
Les  abeilles  au  creux  des  ruches  se  recueillent. 

Il  vient  dans  le  brouillard  des  corneilles  qui  crient  ; 
En  moi  le  souvenir  anime  ses  féeries. 

Certains  échos  crispent  d'effroi  les  âmes  veuves  ; 
J'ai  vu  couler  les  eaux  puissantes  des  grands  fleuves. 

Il  y  a  des  amours  infernales  qui  pèsent  ; 

J'ai  vu  tomber  les  lourds  marteaux  près  des  fournaises. 

Il  y  a  des  ferveurs  qui  distancent  la  terre  ; 
J'ai  goûté  la  mer  vaste,  impuissante  à  se  taire. 

Il  y  a  des  sommeils  pareils  à  des  fanfares  ; 
J'ai  vu  le  tournoiement  prestigieux  des  phares. 

J'ai  entendu  crisser  le  cuir  sur  les  poulies  ; 
Ma  cervelle  a  tourné  sous  le  vent  des  folies. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  101 

J'ai  senti  la  beauté  merveilleuse  du  monde  ; 
Je  l'ai  vue  incarnée  en  ta  nudité  blonde, 

Et  cela  me  suffît  pour  prolonger  le  rêve, 

De  mes  jours,  du  côté  par  où  rien  ne  s'achève. 

(Inédit.) 


JEAN  LEBRAU 


Né  à  Moux  (Aude)  le  20  octobre  1891.  Prix  de  poésie  de 
la  Pléiade,  1923. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  73,  septembre 
1921  ;  —  no  84,  décembre  1922. 

Bibliographie  :  L'Humble  Levée,  1909.  ■ —  La  Voix  de 
Là-bas,  préface  d'Henry  Bataille.  Crès,  1914.  — 
Six  Morceaux  de  Buis,  1918.  —  Poésie,  1919.  — 
Les  Quinze  Tonnelles  de  Marie,  1920.  < —  Le  Cyprès 
et  la  Cabane.  «  Le  Divan  »,  1922.  —  Sous  presse  : 
Le  Ciel  sur  la  Garrigue.  Prix  de  la  Pléiade.  Librairie 
de  France. 

N.-B.  —  Six  Morceaux  de  Buis  et  Les  Quinze  Ton- 
nelles de  Marie  seront  prochainement  réédités  avec 
quelques  autres  poèmes  inédits  d'inspiration  reli- 
gieuse sous  ce  titre  :  Témoignage. 

A  consulter  :  Guy  Lavaud,  La  Vie,  du  1«'  mars  1921.  — 
Tristan  Derème,  Les  Pyrénées,  de  Tarbes,  des  15,  16,  17, 
18  et  19  juin  1918,  Jean  Lebrau  ou  le  Roman  d'une  âme. 

PRINTEMPS    BÉARNAIS 

A  Edmond  Pilon. 

Il  est  cinq  heures  sur  la  ville  printanière. 

Du  ciel  un  peu  brumeux  que  teinte  le  couchant 

Se  répand  une  douce  et  suprême  lumière  ; 

Aux  bambous  du  faubourg  s'attarde  quelque  chant. 

Les  neiges  sont  tout  près  ;  on  dirait  des  glycines. 
Satisfais-toi,  cœur  inquiet,  de  ce  bonheur  ; 
Goûte  sans  amertume  et  le  soir  des  collines 
Et  ces  reflets  partout  comme  un  songe  de  fleur  1 


102  LES    POÈTES    DU    DIVAN 


Au  vent  qui  t'arrachait  tes  bouquets  nuptiaux 
Précocement  fleuris,  vieux  verger  de  village, 
Pour  en  répandre  la  dépouille  sur  les  eaux. 
Une  enfant  s'amusait  à  tendre  son  visage. 

Et  plus  fraîches  encore  en  étaient  les  couleurs. 
Ah  I  qu'il  eût  été  doux  de  trouver  sur  sa  joue, 
O  vieux  verger,  le  goût  d'amande  de  tes  fleurs 
Dont  l'ouragan  de  mars  brutalement   se  joue  I 


J'ai  vu  déjà  le  papillon  des  cardamines 
Flâner  sur  la  rosée,  arc-en-ciel  des  talus, 
Et  des  pruniers  fleuris  comme  des  aubépines. 
Jours  pluvieux,  enfin  seriez-vous  révolus  ? 

Le  vieil  arbre  neigeux,  tout  bourdonnant  d'abeilles 
Dans  l'azur  où  fléchit  la  ligne  du  coteau. 
Le  papillon-aurore  et  tant  de  fleurs  vermeilles 
M'auraient  fait  chanceler,  ivre  de  renouveau. 


L'église  aux  trois  cyprès  que  les  astres  couronnent 
S'éclaire  dans  la  nuit  odorante  d'avril. 
L'autel  n'est  qu'un  bouquet  de  rouges  anémones. 
Hier  encore  aux  vitraux  crépitait  le  grésil. 


Aimons  ce  chemin  creux  où  les  rameaux  fleuris 
Des  vergers  séparés  sur  nos  têtes  se  mêlent  ; 
Et,  dans  le  clair  lacis  de  leurs  nudités  frêles, 
L'azur  comme  un  oiseau  chatoyant  semble  pris. 

Une  fille  aux  seins  lourds  gagne,  portant  des  seilles, 
La  ferme  au  colombier  si  drôlement  coiffé. 
On  entend  des  pigeons  le  langage  étouffé. 
Le  Gave  luit  là-bas  aux  saligues  vermeilles. 
(Inédit.) 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  103 

GASTON  LUGE 

Né  à  Le  Heinan  (Indre-et-Loire)  le  3  mars  1880. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  5,  septembre 
1909  ;  —  no  11,  mai  1910  ;  —  n»  28,  février  1912  ;  —  n»  46, 
mars  1914  ;  —  no  68,  novembre  ;  —  no  87,  mars  1923. 

Bibliographie  :  Ma  Touraine.  «  Le  Divan  »,  1913. 
Prix  Archon-Despérouses.  — -  Des  lumières  s'éteignent, 
Figuière,  1919. 


LA    ROSE    DU    POÈTE 

Emergeant  du  corset  qui  gardait  sa  jeunesse, 
La  rose  virginale,  au  seuil  du  jardin  clair, 
S'entr'ouvre,  et  le  Printemps,  à  son  beau  pourpoint  vert 
L'agrafe  et  doucement  la  flatte  et  la  caresse. 

Si  candide  et  si  frêle,  en  sa  tendre  couleur, 
Dressant  sur  le  rameau,  par  la  nuit  reposée, 
Sa  coupe  merveilleuse  où  tremble  la  rosée. 
Elle  cache  sa  joie  au  secret  de  son  cœur. 

Pour  la  prendre  au  réveil,  en  sa  fraîcheur  première, 
Dès  l'aube,  son  ami  le  poète  est  venu. 
Avant  que  sa  splendeur  fragile  ne  connût 
L'implacable  baiser  de  la  fauve  lumière. 

Il  contemple,  ravi,  son  sourire  plus  doux. 

Plus  pur  et  plus  loyal  que  toute  chose  humaine. 

EUe  naît,  et  déjà  sa  grâce  souveraine 

A  désarmé  les  fronts,  de  sa  gloire,  jaloux. 

La  pervenche  et  l'œillet  s'effacent  devant  elle. 
On  rêve,  la  voyant,  de  bonheur  infini  ; 
Et  le  bon  jardinier,  dans  son  âme,  bénit 
Ce  radieux  matin  qui  l'a  faite  si  belle, 

{Inédit.) 


104  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

EDGAR  iMALFÈRE 

Né  à  Hergnies  (Nord)  le  24  juillet  1885. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n^  2,  mars  1909  ;  — 
11°  17,  janvier  1911  ;  —  n°  71,  mai  1921. 

Bibliographie  :   Le    Vaisseau  solitaire^   poèmes.    «  Le 

Beffroi  »,  1905. 


GÉRARD  MALLET 

Né  à  Jouy-en-Josas  (Seine-et-Oise)  le  20  septembre  1877  ; 
mort  à  la  guerre  le  7  août  191M. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  47,  avril  1914. 
Bibliographie  ;  Heures  et  Rêves,  «  La  Nouvelle  Revue 

Française  »,  1913.  —  Poèmes  de  Guerre  et  Souvenirs 

de  voyage,  poèmes  en  prose.   Société  littéraire  de 

France,  1921. 
A  consulter  :    Jean-Louis  Vaudoyer.    «  Le  Divan  »,  n»  50. 

décembre  1918. 

GUERRE    MORNE 

Laids  comme  leurs  déserts  de  boue  aux  mornes  teintes 
Les  combats  d'à  présent  ontpour  seuls  bruits  guerriers 
Des  détonations,  des  sifflements,   des  plaintes. 

Ils  n'ont  point.  Magenta  I  tes  clairons  pour  crier, 
Ne  lancent  pas  au  ciel,  léna  I  tes  fanfares. 
Leurs  assauts  se  sont  faits  silencieux  et  rares. 

Leur  tuerie,  Austerlitz,  ignorera  toujours 

Le  bruit  tonitruant  de  tes  deux  cents  tambours 

Mêlés  au  chœur  des  voix  et  des  fifres  hilares. 

Gomme  deux  ennemis  trop  las,  trop  haletants 
Pour  proférer  un  mot,  s'enlacent  près  d'un  gouffre. 
Allemands  et  Français  luttent  depuis  longtemps. 

Mais  un  son  grave  emplit  le  cœur  qui  peine  et  souffre. 
Entendu  de  lui  seul,  il  grise  mieux  que  font 
La  trompette  argentine  ou  le  tambour  profond, 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  105 

Ou  le  hennissement  du  cheval  qui  se  cabre, 
Ou  le  drapeau  qui  claque  avec  ses  lettres  d'or. 
Ou  le  fourreau  froissé  laissant  jaillir  le  sabre. 

Diminuant,  croissant,  jamais  il  ne  s'endort. 
C'est  le  murmure  sourd  ou  c'est  la  clameur  forte 
De  notre  résistance  orgueilleuse  de  soi 

Au  point  d'en  oublier  tant  d'espérance  morte, 
Tant  d'adieux  éternels,  de  deuil,  de  désarroi, 
Dans  l'exaltation  toujours  neuve  et  robuste 

Du  respect  reconquis  en  cette  guerre  juste. 


LOUIS  MANDIN 
Né  à  Paris  le  14  avril  1872. 

Collaboration  poétique   au  Divan  :  n"   1,  janvier   1909. 

Bibliographie  :  Etude  sur  les  Ballades  françaises,  de 
Paul  Fort.  Figuière,  1909.  —  Ariel  esclave,  poèmes. 
«  Mercure  de  France  »,  1912.  —  Les  Saisons  fer- 
ventes, poèmes.  «  Mercure  »,  1914.  —  Notre  Passion, 
poèmes  et  proses.   Renaissance  du  Livre,  1920. 

A  consulter  :  Léon  Deubel,  Nouvelle  Athènes,  avril  1907.  — 
T.  de  Visan,  Vers  et  Prose,  mars  1912.  —  Henri  Ghcon, 
Nouvelle  Revue  française,  juin  1912.  —  Jean  Florence, 
Comme  il  vous  plaira,  mai-juin  1912.  —  Francis  Carco, 
Le  Feu,  juillet  1912.  —  Tristan  Derème,  L'Ile  Sonnante, 
août  1912.  —  J.-A.  Nau,  La  Vie,  septembre  1916.  • — 
Georges  Le  Cardonncl  :  Courrier  du  Centre,  2  avril  1920.  — 
André  Fontainas  :  Mercure,  V^  mai  1920.  —  S.-Ch.  Leconte  : 
Belles-Lettres,  mai  1920.  —  Guy  Lavaud,  La  Vie,  15  mai 
1920.  —  Henriette  Charasson,  Le  Rappel,  3  août  1920.  — 
Jean  Royère,  Carnet  critique,  décembre  1920. 

A  l'intérieur  du  divan 

L  —  l'étoile  du  soir  d'amour 

Voici  ma  main  qui  vient  dans  le  grand  ^oir  limpide, 
Et  vous  apporte,  calme,  après  l'ardeur  torride 
Du  jour  que  l'épuisant  soleil  incendia. 
L'étoile  qui  première  en  l'azur  scintilla. 


106  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Oh  I  prenez  son  baiser,  sa  lumière  profonde  I 
Si  dans  le  ciel  et  dans  mon  âme  elle  est  un  monde, 
Tremblante,  elle  se  fit,  pour  se  donner  à  vous. 
Petite,  et  dans  ma  main  ce  n'est  plus  qu'un  bijou. 
Sur  votre  cœur,  hélas  1  mettez-là,  mon  amie  ; 
Car  cette  perle,  c'est  un  don  secret  :  ma  vie. 

IL —  LA  VOIX  ENFERMÉE  DANS  LE  CŒUR 

Tout  mon  cœur  vous  appelle,  et  ma  lèvre  l'ignore. 
C'est  le  verbe  d'amour,  et  qui  voudrait  sonore 
Crier,  mais  pur  attend,  bien  reclus  dans  mon  sein, 
D'en  sortir  et  d'entrer  en  vous,  un  soir  divin. 
D'entrer  tout  bas,  si  vierge  en  vous  priant  sans  bouche 
Qu'il  fuit  le  souffle  extérieur.  Humble  et  farouche. 
Il  s'écoute  dans  l'ombre  en  mon  être  fleurir, 
Et  si  vous  ne  daignez,  muet,  le  recueillir, 
Je  l'enterrerai  vif  et  vierge  au  souvenir, 

Au  cœur  sans  voix,  au  cœur  sans  fond  du  souvenir. 
(Inédit.) 


HENRI  MARTINEAU 

Né  à  Coulonges-sur-rAutize  (Deux-Sèvres)  le  25  avril  1882. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  no  7,  janvier  1910  : 
—  no  72,  juillet  1921  ;  —  n»  76,  février  1922. 

Bibliographie Poésie  :  Les  Vignes  mortes,  1905.  — 

Mémoires,  1906.  —  Acceptation,  1907.  —Ouvrages 
EN  PROSE  :  Le  roman  scientifique  d'Emile  Zola  : 
la  médecine  et  les  Rougon-Macquart,  1907.  —  Les 
Itinéraires  de  Stendhal,  1912.  — La  Vie  de  P.-J.  Tou- 
let,  1921.  —  Monographies  :  Francis  Éon,  1909.  — 
Pierre  Fons,  1909.  —  Edmond  Jaloux,  1911.  — 
Guy  Lavaud,  1911.  —  Eugène  Montfort,  1913*.  — 
François  Porche,  1914.  —  Jean-Louis  Vaudoyer, 
1919.  —  Francis  Carco,  1921.  —  Pierre  Benoît, 
1922.  —  Pierre  Lièvre,1922.  --Louis  Thomas,  1922. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  107 


Qu'est-ce  que  l'amour 
sans  solitude  ? 

(Stendhal.) 

L'amour  sans  solitude,  eh  I  bien,  ce  serait  vous  I 
Je  sais,  dans  le  silence  on  exalte  son  âme, 
Et  le  feu  qui  couvait  s'élève  et  devient   flamme 
Je  sais,  mais  le  rayon  du  désir  ne  m'est  doux 
Que  si  je   m'imagine  ici  votre  présence... 
Et  je  ne  voudrais  plus  nourrir  des  rêves  vains  I 
Le  jour  que  j'aurai  pris  votre  main  dans  ma  main 
Nous  verrons  des  jours  tels,  je  le  sais.  L'espérance 
A  ma  bouche  déjà  met  le  goût  chaud  des  fruits. 
Quand  votre  bouche  me  sourit  et  me  dit  :    «  oui  ». 
Et  mon  cœur  ose  enfin  recommencer  à  vivre. 
Mais,  ô  lointaine  encor,  je  suis  seul  aujourd'hui, 
Et  sans  rien  qui  saurait  me  distraire  :  mon  livre, 
Echappé   de  mes  doigts,  est  là   sur  mes  genoux  ; 
Une  abeille,  enfermée  avec  moi  dans  la  chambre, 
Revient  obstinément  aux  roses  de  septembre  ; 
Et  ma  pensée  ainsi  ne  se  pose  qu'en  vous, 
Ma  pensée  est  à  vous  et  mon  inquiétude  I 
Que  fait  es- vous  si  loin  de  moi,  ce  soir  d'été, 
Où  mon  amour  timide  et  seul  voudrait  goûter 
Ce  que  sera  pour  nous  l'amour  sans  solitude  ? 

II 

Ce  jour  était  de  brume  attristé 
Quand  un  regard  déchira  la  nue 
Du  bel  été. 

Mais  si,  passante  vite  apparue, 
D'un  tel  éclat  habille  la  rue 
Votre  beauté 

Quel  triomphe  attend  la  bienvenue 
De  qui  vous  courbe  de  volupté, 
Heureuse  et  nue  1 


108  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

III 

C'est  au  soir  de  l'été  qu'elle  poussa  ma  porte 
Et  dit,  en  se  laissant  tomber  sur  le  divan  : 
«  Cette  course  en  auto  fut  folle,  je  suis  morte, 
Et  mes  cheveux  défaits  se  souviennent  du  vent. 

Puis  elle  rattacha  qui  toujours  se  dénoue 
Sa  jarretelle  jaune,  épingla  son  chignon. 
Et  poudra  son  menton  volontaire  et  ses  joues 
Que  le  soleil  avait  hâlés  comme  un  brugnon. 

Mais  le  plaisir  fardait  d'aurore  son  visage 
Quand  elle  reposa  son  front  sur  les  coussins 
Et  que,  par  l'échancrure  offerte  du  corsage. 
On  voyait  palpiter  dans  l'ombre  un  de  ses  seins. 


JEAN  iMARTINEAU 
Né  à  Coulonges-sur-rAutize  le  10  décembre  1880. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n*»  i,  janvier  1909  ; 
—  n"  11,  mai  1910  ;  —  n»  24,  septembre  1911. 

Bibliographie  :  La  Chanson  de  la  mer,  La  Rochelle, 
1905.  —  La  Route  au  Soleil.    «  Le  Beffroi  »,  1907. 

VERS 

Languissante  saison,  automne  pâle  et  frêle. 

Te  voici  de  retour  déjà  sur  nos  coteaux 

De  Gironde  que  baigne  un  fleuve  aux  lourdes  eaux. 

J'entr'ouvre  ce  matin  les  volets  des  fenêtres 

Sur  le  premier  brouillard  moite  et  silencieux 

D'octobre.  Le  jardin  n'est  plus  qu'un  rêve  bleu 

Où  tintent  lentement,  goutte  à     goutte,  une  à   une. 

Avec  un  bruit  brisé  de  cristal  ou  de  pleurs. 

Les  gouttes  d'eau  tombant  des  feuilles  et  des  fleurs 

Penchantes  et  jaunies.  Les  arbres  dans  la  brume 

S'éloignent  en  fumée  immobile...  O  mon  jardin. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  109 

Quel  étroit  horizon  t'encercle  de  mystère 
Et  d'isolement  I  Tout  est  donc  mort  ce  matin 
Que  mes  yeux  ne  voient  plus  les  choses  coutumières  ? 
Pourtant  l'heure  a  sonné.   Sur  le  sentier,  au  long 
Du  mur,  des  vendangeurs  à  la  vigne  s'en  vont, 
Et  des  groupes  d'enfants  arrivent  à  l'école. 
Et  soudain,  par  deux  fois,  déchirant  l'air  pesant, 
Quelque  lointain  vapeur  égaré  sourdement 
Hulule  vers  le  port  et  longuement  sanglote... 
(Inédit.) 


RENÉ  MARTIN  EAU 

Né  à  Tours  le  20  décembre  1866. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  78,  avril  1922  ;  — 

n°  90,  juin  1923. 

Bibliographie.  Un  Vivant  et  deux  Morts,  biblio- 
graphie, 1901.  —  Tristan  Corbière,  biographie, 
«  Mercure  de  France  »,  1904.  —  Emmanuel  Chabrier, 
biographie.  Dorbon,  1910.  —  Un  Vivant  et  deux 
Morts,  2«  édition.  Lettres  françaises,  1914.  — 
Promenades  biographiques.  Librairie  de  France. 
1920.  —  Léon  Bloy,  souvenirs  d'un  ami.  Librairie  de 
France,  1921.  —  Le  Musicien  de  Province,  roman. 
Librairie  de  France,  1922.  —  La  Girouette  de  bronze, 
poèmes.  «  Le  Divan  »,  1923.  —  Préface  aux  Amours 
jaunes.  Ed.  Grès.  Les  Maîtres  du  Livre,  1919. 

VENDREDI    SAINT 

A  Adolphe  Retté. 

Mon  ventre  a  faim  de  nourriture 
Mon  cœur  est  bas,  mon  esprit  dort 
Mon  corps  a  faim  de  pourriture 
Et  c'est  pour  moi  que  Dieu  est  mort  I 

Mon  Dieu  est  mort  pour  que  je  vie 
Il  me  l'a  dit  et  je  le  crois 
Mais  le  plus  souvent  je  l'oublie 
Tout  en  y  pensant  quelquefois. 


110  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

L'avenir  me  semble  stupide 
Triste  décor,  triste  destin 
Tout  mon  passé  me  paraît  vide 
Et  je  mourrai  demain  matin  I 

Vanité,  paresse,  avarice 

De  la  douleur  pour  réconfort 

Pour  me  distraire  un  peu  de  vice 

Et  c'est  pour  moi  que  Dieu  est  mort  I 

L'amour  est  là,  plein  de  promesse 
Ramenant  le  cœur  défaillant 
Sa  présence  à  la  sainte  messe 
Me  fait  rougir  en  bégayant 

Bégayant  de  béatitude 

Tout  en  me  disant  que  j'ai  tort 

Heureux,  honteux  de  certitude 

Et  c'est  pour  moi  que  Dieu  est  mort  1 


MARCEL  MARTINET 

Né  à  Dijon  le  22  août  1887. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n"  10,  avril  1910. 
Bibliographie  :  Le  Jeune  Homme  et  la   Vie,  poèmes. 

Edition    de   Paris,   1910.    —  Les    Temps   maudits, 

poèmes,    l^e    édition.     «  Demain  »,    Genève,    1917. 

Nouvelle  édition  complétée.  Paris,  Ollendorfî,  1920. 

• —  La  Maison  à  l'abri,  roman.  Ollendorfî,  1919.   — 

Pages    choisies    de    Romain    Rolland.    2    volumes. 

Ollendorfî,  1921.   —  La  Nuit,  pièce  en  cinq  actes. 

«  Clarté  »,  1922. 

SOURCE 

Eternelle  et  fraîche  coulée 
Dont  le  cristal  aérien 
Vibre  et  danse  glissade  ailée 
Sous  l'air  méditerranéen. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  111 

Ton  chant  qui  bondit  et  qui  tinte 
Cascat elles  sur  cent  rochers 
Réveille  dans  la  pierre  éteinte 
Le  rire  clair  des  dieux  cachés. 

Et  quand  la  lumière  qui  joue 
A  mêler  ses  jeux  à  tes  jeux 
Dans  tes  miroirs  noue  et  dénoue 
Ses  scintillements  onduleux, 

Ses  reflets  sur  l'ombre  des  rives 
Frémissante  de  leur  lueur 
Insaisissablement  inscrivent 
Les  jeux  fluides  du  bonheur. 

(Inédit.) 


FERNAND  MAZADE 

Né  à  Château-de-Monac,  près  d'Anduze,  en  1863. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n^  41,  juillet  1913. 

Bibliographie  :  Des  Pages.  Bérard,  à  Marseille,  1882. — 
Ariette  pour  Arabelle.  Marseille,  chez  Urbain  Coste, 
1886.  • —  Arbres  d'Hellade.  Aux  éditions  du  docu- 
ment du  Progrès,  1912.  —  Athéna.  Documents  du 
progrès,  1912.  —  Dionysos  et  les  Nymphes.  Aux  édi- 
tions de  Pan,  1913.  —  Apollon.  Documents  du 
progrès,  1913.  — ■  L'Ardent  Voyage.  Librairie  de 
France,  1921.  —  De  sable  et  d'or.  Garnier  frères,  1921. 

A  consulter  :  Les  Poètes  de  demain  (Fernand  Mazade,  Jean 
Tribaldy,  Jean  Lombard),  par  Etienne  Bellot.  Librairie 
socialiste,  1887.  —  L'Anarchie  littéraire,  par  Anatole  Baju. 
Vanier,  1889.  —  Florilège  normand.  Librairie  normande, 
1890.  —  Anthologie  de  Robert  de  la  Vayssière.  Grès,  1923. 

LA    FENÊTRE 

Vous  plaît-il  qu'on  prenne  un  sentier  que  je  sais  ? 

Il  mène  à  la  cime 
De  ces  coteaux  bleus  en  faisant  des  lacets 

Au  bord  de  Tabîme. 


112  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Vous  serait-il  doux  de  suivre  le  chemin 
Qui,  par  les  genièvres, 

Conduit  jusqu'au  seuil  de  l'antique  moulin 
Où  couchent  des  chèvres  ? 

Voulez-vous,  le  long  de  ce  ruisseau  couvert 
D'un  fidèle  ombrage. 

Aller  du  côté  que  palpite  la  mer 

Fantasque  et  sauvage  ? 

Si  vous  aimez  mieux  dans  le  ciel  voyager, 

Il  suffit  peut-être 
De  lever  les  yeux  sous  le  rideau  léger 

De  cette  fenêtre. 

(Inédit) 


REGRETS 

Parmi  l'enclos  où  le  soleil  traîne 

Ses  chèvres  d'or  et  ses  moutons  blancs, 

Parmi  l'enclos  de  cyprès  dolents. 

De  noirs  cyprès  sveltes  et  tremblants, 

Vous  avez  vu  fluer  la  fontaine. 

Bien  que  rapide,  elle  a  le  cœur  doux. 
Bien  que  limpide,  elle  a  le  cœur  sombre. 
Des  arbres  noirs  son  onde  aime  l'ombre  ; 
Mais  leurs  rameaux  sont  en  si  grand  nombre 
Qu'elle  ne  peut  les  refléter  tous. 

Je  n'ai  pas  su  réfléchir  vos  charmes  : 
Et,  belle  enfant,  vous  pardonnerez 
A  qui  se  meurt  d'innocents  regrets. 
Une  fontaine  entre  des  cyprès. 
C'est  mon  amour  entouré  de  larmes. 

(Inédit.) 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  113 

ALPHONSE  MÉTÉRIÉ 

Né  à  Amiens  en  septembre  1887. 
Collaboration  poétique  au  Divan:  nJ74,  décembre  1921. 
Bibliographie  :   Le  Livre  des   Sœurs,  poèmes,   1907- 

1913.   Malfère,  1922.    —  Le  Cahier  Noir,  poèmes, 

1914-1920.  Malfère,  1923.   —  Cophetuesques,  vers.  A 

paraître. 

TRISTESSE    AUX    YEUX    D* ARGENT... 

Je  parle  de  l'amour  avec  un  cœur  paisible. 
Hélas  I  et  l'on  voit  bien  que  je  ne  subis  pas 
Le  bienheureux  pouvoir  de  ce  maître  invisible 
Qui  viendra  me  surprendre  au  jour  qu'il  choisira. 

Alors,  je  n'aurai  plus  de  paroles  peut-être 
Pour  accueillir  chez  moi  l'Etranger  dangereux. 
Et,  sans  voix,  je  verrai  que  les  dieux   veulent   être 
Plus  beaux  encor  que  tout  ce  qu'on  rêva  sur  eux. 

Alors  je  goûterai  les  choses  véritables 

Que  mes  lèvres  d'enfant  ne  savent  que  nommer, 

Et  je  posséderai  les  trésors  redoutables 

Qui  me  hantent  de  loin  malgré  mes  yeux  fermés. 

Et  la  Douleur  viendra  —  car  l'amour  l'y  convie  — 
Et  prendra  votre  chère  place  à  mon  chevet, 
O  protectrice  pure,  ô  mon  unique  amie 
A  qui  mon  cœur  fidèle  avait  tout  réservé. 

Tristesse  aux  yeux  d'argent  qui  veillez  sur  ma  vie. 

NOTRE   PAIN    QUOTIDIEN 

Peu  sensible  aux  plaisirs  que  la  terre  lui  laisse, 
A  ses  chagrins  humains  indifférent  aussi, 
Le  poète  est  semblable  à  ce  roi  sans  richesses 
Qui,  souriant  et  grave,  à  l'auberge  est  assis  : 
Avec  le  miel  des  jours  il  nourrit  sa  tristesse, 
Et  sa  faim  de  tendresse  avec  leur  pain  rassis. 
(Le  Livre  des  Sœurs.) 


114  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

SEIGNEUR,    JE    NE    SAIS    PLUS... 

Seigneur,  je  ne  sais  plus  mentir  à  ma  misère  : 
Je  VOUS  parle  à  genoux  sans  croire  à  mes  discours, 
Puisqu'enfin  ce  n'est  pas  une  simple  prière 
Qui  peut  rassasier  ce  cœur  mourant  d'amour. 

J'ai  trop  erré,  j'ai  soif  d'une  eau  qui  désaltère, 
Et  j'ai  trop  attendu  :  les  temps  humains  sont  courts. 
Si  je  suis  votre  enfant,  si  vous  êtes  mon  père. 
Laissez-moi  chercher  seul  un  terrestre  secours. 

Dans  un  trop  grand  désastre  on  ne  peut  plus  combattre, 
Et  tout  cédant  alors,  on  faiblit  tout  d'un  coup  : 
J'ai  besoin  d'un  ami  qui  soit  moins  loin  que  Vous... 

Car  je  vis  I  car  j'entends  mon  cœur  gémir  et  battre, 
Hélas  I...  Et  délaissant  vos  pensives  hauteurs. 
Je  rêve  à  d'imparfaits  et  doux  consolateurs... 

(Le  Cahier  tioir.) 


CLAUDE  ODILE 

Jean  Gentzbourger,  directeur-fondateur  de  La  Renais- 
sance alsacienne  et  de  La  Vie  en  Alsace,  a  publié  des  vers  sous 
le  pseudonyme  de  Claude  Odile. 

Né  à  Strasbourg  le  27  novembre  1887. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n"  29,  mars  1912  ;  — 
n»  34,  novembre  1912  ;  —  n«  39,  mai  1913  ;  —  n»  43,  no- 
vembre 1913  ;  —  no  47,  avril  1914  ;  —  n»  64,  mars  1920  ;  — 
no  71,  mai  1921. 

Bibliographie  :  Claude  Odile  :  Prélude.  «  Le  Divan  » 
1912.  —  Chants.  «  La  Phalange  »,  1912.  —  Les 
Noces  d'Ariel,  Brian  Hill,  Bruxelles,  1914.  —  Jean 
Gentzbourger  :  La  Fiancée  de  Zellenberg.  «  La  Mé- 
sange »,  Strasbourg,  1922. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  115 

LUNAIRES 

Le  clapotis  léger  des  barques  et  des  branches 
Se  mêle  à  la  douceur  des  parfums  du  tilleul. 
Les  mouvements  du  vent  dans  les  frondaisons  blanches 
Sont  si  lents,  qu'on  s'étonne  et  se  plaint  d'être  seul. 

Je  ne  sais  plus  les  noms  des  fleurs  ni  des  villages. 
Je  ne  sais  plus  les  bruits  des  feuilles  ni  des  pas. 
Je  me  souviens  des  nuits  auprès  des  mers  sauvages, 
Et  je  guéris  d'un  mal  que  je  ne  connais  pas. 

ÉTREINTE 

Laissez,  et  dénouons  l'étreinte  que  renoue 
Le  soir  qui  veille  seul  dans  la  chambre  de  mort. 
Car  je  sens  que  des  pleurs  ruissellent  sur  vos  joues, 
Délices  et  désirs  meurtris  de  votre  corps. 

Lorsque  le  vent  des  nuits  dans  la  plaine  circule 
Le  silence  se  plaint  comme  un  cœur  exilé. 
J'aime  cette  ombre  douce  où  pleure  un  crépuscule 
Vers  la  lune  qui  neige  et  les  fleuves  gelés. 


MARCEL  ORMOY 

Marcel   Prouille,   connu    sous   le   pseudonyme   de   Marcel 
Ormoy.  Né  à  Paris  le  3  septembre  1891. 

GoUahoration  poétique  au  Divan  :  n»  29,  mars  1912  ;  — 
no  36,  février  1913  ;  —  n"  87,  mars  1923. 

Bibliographie  :  Les  poésies  de  Makoko  Kangourou, 
en  collaboration  avec  Charles  Moulié.  Dorbon  aîné, 
1910.  " —  Impressions.  Dorbon  aîné,  1911.  —  Le 
Jour  et  VOmbre.  Basset,  1912.  —  Votifs,  1913.  — 
Marquise.  1919.  ■ —  La  Conquête,  roman.  Bernard 
Grasset,  1921. 


116  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

POÈME 

Un  nuage  passe.  L'oiseau 

Qui  le  traverse 
En  a-t-il  fait  sourdre  l'averse 
Qui  chante  amoroso 

Dans  les  branches  des  peupliers 

Et  sur  l'eau  lente 
Dont  la  molle  course  indolente 
Tient  nos  deux  cœurs  liés, 

Chère,  et  l'un  de  l'autre  si  près 

En  cette  barque. 
Que  nous  réunirait  la  Parque 
Sous  le  même  cyprès. 

(Inédit.) 


JEAN  PELLERIN 

Né  à  Pontcharra  (Isère)  le  24  avril  1885.  Mort  le  9  juillet 
1921,  à  Chatelard  (Savoie). 

Collaboration  poétique  au  Divan  :   n°  13,  juillet  1910  ; 

—  no  28,  février  1912  ;  —  n»  37,  mars  1913  ;  —  n»  60,  juillet 
1919  ;  —  n»  76,  février  1922. 

Bibliographie  :  —  Poèmes  :  La  Romance  du  Retour, 
«  Nouvelle  Revue  Française  »,  1921.  - —  Le  Bouquet 
inutile.  «  Nouvelle  Revue  Française  »,  1923.  — 
Prose  :  La  Jeune  Fille  aux  pinceaux.  Edition  fran- 
çaise illustrée,  1919.  — L'Evadé  de  l'Enfer,  Ferenczi. 

—  La  Mégère  amoureuse.  Ferenczi,  1921.  ■ —  Le 
Dîner  des  bons  ménages.  Grès,  1921.  —  La  Dame  de 
leurs  pensées.  Albin  Michel.  —  Sous  le  règne  du 
Débauché.  Albin  Michel.  ■ —  Cécile  £t  ses  amours. 
Albin  Michel,  1923.  —  Fantaisies  :  Le  Copiste 
indiscret.  Albin  Michel    1919. 

A  consulter  :  Le  Divan,  n°  76,  février  1922,  consacré  entiè- 
rement à  Jean  Pellerin.  —  Tristan  Derème,  La  Revue 
Fédéraliste,  mai  1923. 


.ES    POÈTES    DU    DIVAN  117 


LA    NUIT    D  AVRIL 


Je  ne  me  suis  pas  fait  la  tête  de  Musset, 

Je  tartine  des  vers,  je  prépare  un  essai, 

J'ai  le  quart  d'un  roman  à  sécher  dans  Tarmoire. 

..Mais  que  sont  vos  baisers,  ô  filles  de  mémoire  1 

Vous  entendre  dicter  des  mots  après  des  mots, 

Triste  jeu  I 

...Le  loisir  d'été  sous  les  ormeaux, 
Une  écharpe  du  soir  qui  se  lève  et  qui  glisse... 
Des  couplets  sur  ce  bon  monsieur  de  la  Palice 
Que  répète  un  enfant  dans  le  jardin  couvert. 
Ce  crépuscule  rouge,  et  puis  jaune,  et  puis  vert... 
Une  femme  passant  le  pont  de  la  Concorde... 
Le  râle  d'un  archet  pâmé  sur  une  corde, 
La  danse,  la  chanson  avec  la  danse,  un  son, 
La  flûte,  sur  la  danse  entraînant  la  chanson. 
Ce  geste  d'une  femme  et  celui  d'une  branche... 
Ah  1  vains  mots  1  pauvres  mots  en  habits  du  dimanche,. 
Ah  I  vivre  tout  cela,  le  vivre  et  l'épuiser  I... 
Muse,  reprendsmon  luth  et  garde  ton  baiser  1 


PIPE 

La  Marguerite  à  l'écheveau 

Penche  sa  gorge  nue  ; 
Faust  que  le  diable  rend  dévot 

Regrette  sa  cornue  ; 

Don  Juan,  devant  un  seuil  galant, 
Huile  quelque  serrure  ; 

Masoch  fait  jaillir  en  tremblant 
Deux  seins  d'une  fourrure  ; 

La  maquerelle  met  des  bas 

A  la  Vénus  pudique  ; 
L'enfant  latin  parle  tout  bas 

De  lever  sa  tunique  ; 


118  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

Barbe-Bleue  est  l'amant  repu 

De  ses  assassinées  ; 
Le  succube  prit  ce  qu'il  put 

De  deux  hallucinées... 

Mais  toi,  qui  gardera  ta  bouche 

Et  vaincra  ton  baiser, 
Ta  bouche  où  le  baiser  se  couche 

Et  meurt  sans  s'apaiser  ? 

BOHÈME 

—  Nous  n'entendrons  plus  ta  chanson. 

Marchande,   «  belles  fraises  », 
Ni  ta  trompette  à  l'aigre  son, 
Doux  rempailleur  de  chaises  I 

—  Prépare  l'omelette  au  lard. 

Je  vais  plier  les  nappes. 

—  Oh  1  ces  écharpes  de  brouillard 

Sur  mon  quai  de  Jemmapes. 

—  Où  sont  les  restes  du  pâté  ? 

—  Où,  tes  rires,  faunesse  ? 

—  J'ai  perdu  la  passoire  à  thé. 

—  J'ai  perdu  ma  jeunesse. 

Nos  premières  heures  d'amants. 
Ses  baisers  d'étourdie, 

Rêve  I...  —  Deux  déménagements 
Valent  un  incendie. 


CÉCILE  PÉRIN 

Née  à  Reims  le  29  janvier  1877. 

Collaboration  poétique  au  Divan:    n»  24,septembre  1911. 

Bibliographie:    Vivre  !  «  Revue  littéraire  de  Paris  et 
de  Champagne  »,  1906.  —  Les  Pas  légers.   San  sot 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  119 

1907.  —  Variations  du  Cœur  pensif.  San  sot,  1911.  — 
La  Pelouse.  San  sot,  1914.  Prix  national  de  Poésie 
1914.  —  Les  Captives.  Sansot,  1919.  —  Les  Ombres 
heureuses.  «  Le  Divan  »,  1922. —  Finistère  (à  paraître). 

CHANT    A    BOIX    BASSE 

Chante.  La  mer  s'écrase  au  bord  des  rochers  noirs  ; 

Même  en  dormant  elle  palpite. 
Chante  à  mi-voix.  Le  vent  frais  et  léger  du  soir 

Ramène  les  vagues  en  fuite. 

Sur  l'immensité  bleue  et  laiteuse,  au  couchant, 
S'allongent  des  reflets  de  cuivre. 

Et  de  son  grand  vol  courbe  une  mouette  fend 
Le  ciel  limpide  et  le  fait  vivre. 

Tout   est  souple,  le  vent,  la  vague,  les  oiseaux. 
Devant  tes  yeux,  contemplative  I 

Sois  vibrante  et  sensible  aux  plus  faibles  échos, 
Ne  demeure  jamais  passive. 

(Inédit.) 


EDMOND  PILON 

Né  à  Paris  le  19  novembre  1874. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  69,  janvier  1921. 

Bibliographie  :  Les  Poèmes  de  mes  soirs,  poésies.  Vanier 
Paris  1896.  — La  Maison  d'Exil,  poésies.  «  Mercure 
de  France  »,  1898.  ■ —  Portraits  français,  2  séries. 
Sansot,  Paris,  1904-1907.  —  Le  dernier  jour  de 
Watteau.  Sansot,  Paris,  1907.  —  Muses  et  Bour- 
geoises de  jadis.  «  Mercure  de  France  »,  Paris, 
1908.  —  Francis  Jammes  et  le  sentiment  de  la  nature. 
«  Mercure  de  France  »,  1908.  —  Chardin.  Les 
Maîtres  de  l'Art.  Pion,  1909.  —  Portraits  tendres  et 
pathétiques.   «  Mercure  de  France  »,  1909.  —  Dans 


120  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

les  Jardins  et  dans  les  Villes.  Sansot,  Paris,  1910.  — 
Sites  et  Personnages.  Bernard  Grasset,  Paris,  1912.  — 
Watteau  et  son  Ecole.  Van  Oest,  Bruxelles,  1912.  — 
Portraits  de  sentiment.  «  Mercure  de  France  »,  Paris, 
1913.  —  Jean- Baptiste  Greuze,  peintre  de  la  femme. 
Piazza,  Paris,  1913.  —  Pèlerinages  de  guerre.  Perrin, 
Paris,  1917.  —  Sous  l'Egide  de  la  Marne.  Bossard, 
Paris,  1919.  —  Aspects  et  Figures  de  femmes.  Renais- 
sance du  Livre,  Paris,  1920.  —  Figures  françaises  et 
littéraires.  Renaissance  du  Livre,  Paris,  1921.  — 
Mademoiselle  de  la  Maisonfort.  Pion,  Paris,  1922. 

A  consulter  :  André  Hallays,  préface  à  Sites  et  Personnages, 
1912.  —  Camille  Mauclair  :  préface  à  Aspects  et  figures  de 
femmes,  1920.  —  René  Boylesve  :  préface  à  Figures  fran- 
çaises, 1921.  —  Manoël  Gahisto  :  Edmond  Pilon.  Coll. 
«Les  Célébrités  d'aujourd'hui  »,  Sansot,  1921. 


LISSE    COMME    UN    ROSEAU... 

Lisse  comme  un  roseau  le  corps  des  jeunes  filles 
S'élance  du  bassin  dans  la  lueur  qui  brille. 
Un  doux  éclat  de  lune  envahit  le  mystère 
Où  le  ciel  mi- voilé  le  dispute  à  la  terre  ; 
Une  ombre  peu  à  peu  décroît  sur  la  colline. 
Cependant  qu'au  zénith  une  étoile  s'incline 
Et  semble,  sur  le  front  vivant  de  la  plus  belle, 
Mêler  à  ses  cheveux  le  feu  d'une  étincelle. 
Puis  l'azur  lentement  le  cède  à  l'or  lunaire  ; 
Chaque  astre  qui  s'allume  au  divin  lampadaire 
Scintille  dans  le  ciel  au-dessus  des  baigneuses. 
A  peine  si  le  soufïle  du  vent,  dans  les  yeuses. 
Dans  les  roseaux,  dans  les  iris  et  sous  les  saules. 
Caresse  les  doux  fronts  et  baigne  les  épaules  : 
C'est  une  fresque  où  tout  s'estompe,  où  tout  recule. 
Vision  faite  de  l'ombre  et  du  crépuscule, 
Une  sorte  de  doux  tableau  dans  lequel  brille. 
Lisse  comme  un  roseau  le  corps  des  jeunes  filles. 
(Inédit.) 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  121 

LOUIS  PIZE 
Né  à  Bourg-Saint- An déol  (en  Vivarais)  le  16  mai  1892. 

Collaboration    poétique    au  Divan  :    n^    55,    novembre 

1917  ;  —  no  64,  mars  1920  ;  —  n»  81,  juillet  1922. 

Bibliographie  :  Petits  poèmes  des  jardins  et  de  la  mon- 
tagne. Bibliothèque  de  T Amitié  de  France,  1913.  — 
La  Couronne  de  Myrtes,  poèmes,  1914-1918.  «  Les 
Essaims  nouveaux  »  et  chez  Emile-Paul,  1919.  — 
Le  Cantique  de  Notre-Dame  d'Ay,  Editions  du 
Pigeonnier,  1921.  — Les  Pins  et  les  Cyprès.  Collection 
poétique  de  la  Librairie  Garnier,  Paris,  1921.  — 
Vivarais.  Aubenas,  1922. 

A  consulter  :  Tristan  Derème  :  Chronique.  «  Les  Pyrénées», 
24  avril  1913.  —  Henri  Marlineau  :  Les  Poètes.  «  Le'  Divan  », 
novembre-décembre  1919.  —  Henri  Rambaiid  :  Louis 
Pize,  Vivarois.  «Revue  Fédéraliste»  , 'septembre  1921.  — 
P.  Hervelin  :  Chronique  des  Poèmes.  «  La  Revue  Française», 
9  octobre  1921.  —  Paul  Champagne  :  Chronique  des  Poèmes. 
«  La  Terre  wallonne  »,  15  novembre  1921.  —  Henri  Ghéon  : 
Poètes  ca^/jo//gues.  «  Les  Lettres» ,  janvier  1922.  —  Charles 
Baussan  :  Le  Vivarais  vu  par  Jean-Marc  Bernard  et  Louis 
Pize.  «  La  Croix»  ,22  avril  1923. — Paul  Garcin  :La  Poésie  de 
Louis  Pize.   «  La  Muse  Française» ,  n»  du  19  juillet  1923. 

LE   VOYAGEUR 

Beau  jour  d'été,  remplis  de  lumière  bleuâtre 
Les  ravins  à  nos  pieds  longuement  découverts  I 
Pose  sur  la  prairie  et  le  chemin  du  pâtre 
Ton  voile  qui  s'étend  jusqu'aux  plateaux  déserts. 

Couvre  les  bois  et  les  montagnes  de  silence. 
Jour  trop  calme  et  trop  clair  quand  il  nous  faut  soufîriri 
Le  dieu  qui  nous  dirige  aime  la  violence. 
Et  mon  cœur  poursuivi  ne  peut  te  contenir. 

Ta  gloire  et  ta  douceur  me  sont  indifférentes. 
Je  sens  tout  près  de  moi  ton  paisible  sommeil. 
Si  tu  retiens  le  cours  des  heures  transparentes, 
Pourquoi  me  laisses-tu  dans  un  trouble  pareil  ? 


122  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Ne  cesserai-je  pas,  sous  Tazur  sans  nuage, 
Quand  le  jour  se  répand  comme  un  bonheur  parfait, 
D'entendre  les  sanglots  de  ce  cœur  plein  d'orage 
Que  les  plus  beaux  pays  n'auront  point  satisfait  ? 
(Inédit.) 

THIERRY  SANDRE 

Charles    MouUé,    connu    sous    le    pseudonyme    de    Thierry 
Sandre.  Né  le  19  mai  1890  à  Rayonne  (Basses-Pyrénées). 
Collaboration  poétique  au  Divan    :  n°  18,  février  1911; 

—  n°  51,  octobre  1915. 

Bibliographie  :    Les    Mignardises.    Le   Nain    Rouge, 

1909.  — Les  Poésies  de  Makoko  Kangourou.  Dorbon, 

1910.  — Le  Tombeau  de  Renée  Vivien.  Sansot,  1910. 

—  Al  Abbassa,  roman  traduit  de  l'arabe.  Fonte- 
moing,  1912.  —  La  Pourpre  et  le  crêpe.  «  Le  Divan  », 
1917.  — Le  Fer  et  la  flamme.  Perrin,  1919.  —  Apologie 
pour  les  Nouveaux- Riches.  Messein,  1920.  —  Les 
Epigrammes  de  Rufin.  Messein,  1921.  —  Fleurs  du 
Désert.  Messein,  1921.  —  Le  Livre  des  Baisers,  de 
Jean  Second.  Malfère,  1922.  — Les  Amours  de  Faus- 
tine,  de  Joachim  du  Bellay.  Malfère,  1923.  — 
Tablettes  d'une  amoureuse,  de  Sulpicia.  Les  Amis 
d'Edouard,  1923.  —  Sous  presse:  Mienne,  roman. 
Allah  veuille  !...  roman  traduit  de  l'arabe.  —  Le 
Purgatoire,  souvenirs.  —  La  Touchante  Aventure  de 
Héro  et  Léandre. 

COMPLAINTE 

Nuit  perfide,  nuit  féminine,  nuit  trop  belle, 
Nuit  si  lente,  si  loin  de  celle  que  j'appelle. 
Nuit,  cours  vers  ton  aurore  et  ne  sois  pas  complice. 
Je  ne  sais  quelle  crainte  en  mon  âme  se  glisse. 
Elle  devait  venir,  elle  n'est  pas  venue. 
Je  ne  sais  quel  soupçon  en  mon  cœur  s'insinue. 
Elle  devait  venir,  doux  espoir,  vaine  attente. 
Toi  donc,  si  tu  la  vois  et  qu'elle  est  inconstante, 
Vole  vers  ton  aurore,  ô  nuit,  venge-moi  d'elle 
Et  ne  sois  pas  si  lente  et  ne  sois  pas  si  belle. 
{Inédit.) 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  123 

PÉAN    MINEUR 

A  ton  triomphe,  automobile, 
Sur  Tantiquaille  des  chevaux. 
Tel  poète,  s'il  en  jubile, 
Dressera  les  autels  nouveaux. 

Tu  n'as  plus  qu'à  mourir  de  honte. 
Amour  des  vieilles  fictions, 
Quand  notre  temps  si  riche  compte 
Tant  de  quadruples  Ixions. 

On  dira  votre  ivresse,  roues. 
De  tourner  éternellement 
Et  pour  toi,  moteur  qui  t'ébroues, 
L'ardeur  de  ton  bourdonnement. 

Mais  qui,  dominant  la  folie 
Dont  tout  le  monde  semble  atteint. 
Chantera,  moineaux  qu'on  oublie, 
Votre  chasse  vaine  au  crottin  ? 
(Inédit.) 


JEAN  TENANT 


Né  à  Rive-de-Gier  (Loire)  le  8  octobre  1885. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  10,  avril  1910  ;  — 
no  17,  janvier  1911  ;  —  n»  43,  novembre  1913  ;  —  n»  60, 
juillet  1919  ;  —  no  78,  avril  1922. 

Bibliograpbie  :  La  Bonne  Tâche.   «  Le  Divan  »,  1918 

INGRATITUDE 


—  O  Femme,  diligente  et  favorable  hôtesse. 
Lorsque  sur  le  chemin  paraît  le  bien-aimé. 
Votre  cœur  toujours  prêt  déborde  de  tendresse, 
Et  l'amour  est  debout  sur  le  seuil  parfumé. 


124  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Car  vous  êtes  l'accueil,  le  repos  sous  l'ombrage, 
Le  rafraîchissement  à  nos  lèvres  offert, 
La  corbeille  de  fleurs  sur  la  table  du  sage, 
Le  sein  tiède,  le  nid  berceur,  les  bras  ouverts. 

Mais  tant  de  promptitude  et  tant  de  complaisance 
Par  quoi  l'orgueil  de  l'homme  est  trop  tôt  satisfait, 
Dans  les  âmes  de  feu  laissent  un  vide  immense 
Que  vos  soins  les  plus  doux  ne  combleront  jamais. 

Ne  vous  verrai-] e  point,  par  un  coup  de  génie. 
Ajouter  à  vos  dons  l'impérieux  désir  ? 
Et  ne  pourrai- je,  enfin,  sentir  la  tyrannie 
D'un  amour  exigeant  sur  moi  s'appesantir  ? 

Ah  I  rejeter  le  faix  d'une  royauté  vaine  ; 
Sous  votre  loi,  sombrer  ou  voguer  vers  le  port, 
Et  gagner,  en  servant  les  ardeurs  d'une  reine. 
L'oubli  d'avoir  été  si  longtemps  le  plus  fort  I 

II 

—  Les  dieux  t'ont  fait  puissant,  et  leur  faveur  t'accablel 
Pourtant,  vois  ta  malice  et  ton  aveuglement  : 
Tu  réclames  encore,  ô  maître  insatiable. 
Le  poids  de  ma  faiblesse  et  de  mon  dénûment. 

Laisse  à  l'enfant  divin  le  choix  de  nos  blessures, 
Poursuivons  le  combat  sans  lui  désobéir  ; 
Il  a  mis  dans  nos  mains  les  armes  les  plus  sûres  : 
A  toi  de  commander,  à  moi  de  consentir. 

A  moi  d'enguirlander  le  vaisseau  du  pilote, 
A  moi  d'offrir  ma  bouche,  et  ma  vie,  et  mon  chant, 
Heureuse  quand,  meurtri  par  le  sort,  mon  despote 
Sur  mon  cœur  maternel  gémit  comme  un  enfant. 

(Inédit) 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  125 

DANIEL  THALY 
Né  à  Roseau,  Dominique  (Antille  anglaise)  le  2  décembre  1879. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  7,  janvier  1910  ; 

—  no  9,  mars  1910  ;  —  n»  14,  septembre  1910  ;  —  n»  23, 
juillet  1911  ;  —  n^  31,  juin  1912  ;  —  no  34,  novembre  1912  ; 

—  no  36,  février  1913  ;  —  no  66,  juillet  1920  ;  —  n»  69, 
janvier  1921  ;  —  n"  85,  janvier  1923. 

Bibliographie  :  Lucioles  et  Cantharides.  Ollendorfï, 
Paris,  1900.  —  La  Clarté  du  Sud.  Société  provin- 
ciale d'éditions,  Toulouse,  1905.  —  Le  Jardin  des 
Tropiques.  «  Le  Beffroi  »,  1911.  —  Chansons  de  mer 
et  d'outre-mer.  «  La  Phalange  »,  1911.  —  Nostal- 
gies  Françaises.  «  La  Phalange  »,  1913. 

l'inutile  paradis 

Beaux  pays  reflétant  le  triomphe  suprême 
D'une  riche  nature  aux  vibrantes  couleurs, 
Océans  toujours  blancs,  forêts  toujours  en  fleurs. 
Paysages  heureux,  ce  n'est  plus  vous  que  j'aime  I 

Je  préfère  à  présent  aux  arbres  toujours  verts 
Ceux  des  cieux  tempérés  dont  l'éclat  s'humanise 
Quand  aux  jours  vaporeux  où  sanglote  la  bise 
L'azur  prend  la  couleur  des  yeux  qui  me  sont  chers. 

Ce  soir  pour  apaiser  la  peine  dont  je  souffre, 

Au  lieu  de  ces  palmiers  coupant  un  ciel  de  soufre 

Sur  qui  flambent  les  feux  de  l'éther  aveuglant, 

Que  ne  puis-je  en  un  parc  où  rêve  le  silence 
Suivre  des  yeux  sur  l'eau  rêveuse  d'un  étang 
Le  vol  des  feuilles  d'or  d'un  peuplier  de  France  ! 

CHANT    dans    la    TEMPÊTE 

Ecoutons  la  chanson  du  mât, 

La  chanson  du  mât  de  misaine, 

Qui  fut  sous  un  autre  climat 

Un  grand  arbre  bleu  dans  la  plaine. 


126  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

Lui  qui  charmait  Fair  du  vallon, 
Il  est  nu  sur  la  mer  sauvage. 
Il  a  pour  fleur  le  pavillon  1 
Il  a  les  agrès  pour  feuillage  I 

Se  souvient-il  des  grands  étangs 
Où  se  miraient  les  pâles  Ourses  ? 
Se  souvient-il  des  courts  printemps 
Où  riaient  les  nymphes  des  sources  ? 

Ecoutons  le  large  soupir 
Du  mât  de  misaine  en  détresse. 
O  mon  cœur,  que  va  devenir 
L'arbre  vert  de  notre  jeunesse  ? 
(Inédit.) 


LOUIS  THOMAS 

Né  à  Perpignan  le  21  avril  1885. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  n»  61,  octobre  1919. 

Bibliographie  :  Les  dernières  Leçons  de  Marcel  Schwob 
sur  François  Villon.  «  Psyché  »,  Paris,  1906.  — 
Lily.  «  Psyché  »,  1906.  —  Les  Flûtes  vaines.  «  Psy- 
ché »,  Paris,  1906.  — Les  Cris  du  Solitaire.  «  Psyché  », 
Paris,  1906.  —  La  Maladie  et  la  Mort  de  Maupas- 
sant.  Arthur  Herbert,  Bruges,  1906.  Une  seconde 
édition,  complètement  remaniée,  de  ce  travail,  a  été 
publiée  à  Paris,  chez  Messein,  en  1912.  —  Yette, 
fragment  de  mes  mémoires.  Sansot,  Paris,  1907.  — 
Tablettes  d'un  Cynique.  Editions  de  «  La  Société 
Nouvelle  »,  Paris  et  Mons,  1908.  —  L'Esprit  de 
Monsieur  de  Talleyrand.  Les  Bibliophiles  Fantai- 
sistes, Paris,  1909.  —  Le  Général  de  Galliffet.  Dorbon 
aîné,  1909.  —  Les  douze  Livres  pour  Lily.  Les  Biblio- 
philes Fantaisistes,  Paris,  1909.  — La  Promenade  à 
Versailles.  Dorbon  aîné,  1910.  — L'Espoir  en  Dieu. 
Les  Bibliophiles  Fantaisistes,  Dorbon  aîné,  Paris, 
1910.  —  Vingt  Portraits.  Messein,  Paris,  1911.  — 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  127 

Souvenirs  sur  Moréas.  Sansot,  Paris,  1911.  —  André 
Rouveyre.  Dorbon  aîné,  Paris,  1912.  —  Curiosités  sur 
Baudelaire.  Messein,  Paris,  1912.  —  Avec  les  Chas- 
seurs. Grès,  Paris,  1916.  — Les  Diables  Bleus  pendant 
la  Guerre  de  Délivrance,  1916-1914.  Perrin,  Paris, 
1916.  —  Voyage  au  Goundafa  et  au  Sous.  Payot, 
Paris,  1919.  —  Souvenirs  d'un  Chasseur,  août  1914- 
mars  1916.  Perrin,  Paris,  1919.  —  Les  Etats-Unis 
inconnus.  Perrin,  Paris,  1920.  —  L'Esprit  d'Oscar 
Wilde.  Grès,  Paris,  1920.  —  Sur  un  Gratte-Ciel. 
Messein,  Paris,  1922.  —  Confession  de  la  Mort. 
«  Le  Divan  »,  1923.  —  Musiques.  «  Le  Divan  », 
1923.  —  Le  Songeur.   «  Le  Divan  »,  1923. 

A  consulter  :  Henri  Martineau  :  Louis  Thomai.  «  Le  Divan  », 
1922. 

VERS    l'azur 
I 

Je  marchais  dans  la  rue,  je  voyais  des  enfants 
Qui  jouaient,  des  femmes  qui  riaient,  des  amants. 
Je  suis  rentré.  Près  d'eux  j'étais  un  vieillard  ivre 
Qui,  saisissant  entre  ses  lourdes  mains  un  livre, 
Ne  sait  plus  y  trouver,  comme  il  le  fit  jadis, 
Le  parfum  mystérieux  qui  s'exhale  des  lys. 

II 

Et  vous,  mon  triste  cœur,  que  nul  ne  peut  connaître, 
Tandis  que  travaillés  par  un  obscur  émoi 
Les  vergers,  les  moissons,  les  peuples  et  les  bois 
Déchirent  pour  grandir  les  tissus  de  leur  être. 
Pourquoi  venir  encor  si  faiblement  gémir  ? 

Une  pure  beauté  sort  des  plus  hauts  désastres. 
Redressez-vous,  mon  cœur,  et  dans  ces  vastes  cieux 
Où  gisent  les  pensers  des  hommes  et  des  dieux, 
Que  la  courbe  où  s'inscrit  la  volonté  des  astres 
Vous  apprenne  l'orgueil  de  monter  pour  mourir. 


128  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

III 

Tout  passe,  le  vent  même  abandonne  les  flots  ; 
Toi  seul,  ami,  tu  vas,  cherchant  d'autres  sanglots, 
Vers  la  mer,  vers  l'azur,  vers  l'espace  sans  bornes  ; 
Et  dans  ton  cœur  désert  qu'emplit  un  vide  énorme 
Tu  écoutes  mourir  peu  à  peu  cette  voix 
Qui  t'enchantait  jadis  et  qui  ne  renaît  pas. 

(Inédit) 


P.-J.  TOULET 


Né  à  Pau  le  5  juin  1867.  Mort  le  6  septembre  1920  à  Gué- 
thary. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°   15,  novembre 
1910  ;  —  n»  45,  février  1914  ;  —  n»  50,  juillet  1914  ;  —  n»  51, 
octobre  1915  ; — n» 58, mars  1919  ;    — n» 63,  janvier  1920  ;  — 
n» 75, janvier  1922  ;  — n°  86, février  1923. 

Bibliographie  :  Monsieur  du  Paur,  homme  public. 
Simonis  Empis,  1898.  Emile-Paul,  1921.  — Le  Grand 
dieu  Pan,  traduit  d'Arthur  Machen.  «  La  Plume  », 
1901. — Le  Mariage  de  Don  Quichotte.  Ju\ en,  1902. 
La  Renaissance  du  Livre,  1923.  —  Les  Tendres 
Ménages.  «  Mercure  de  France  »,  1904.  «  Le  Divan  », 
1923.  —  Mon  amie  Nane.  «  Mercure  de  France  », 
1905.  «  Le  Divan  »,  1922,  —  Comme  une  fan- 
taisie. «  Le  Divan  »,  1918,  Emile-Paul  1921.  — 
La  Jeune  Fille  verte.  Emile-Paul,  1921.  —  Les 
Contes  de  Behanzigue.  Kundig  et  Grès,  1920.  Le 
Hérisson,  1921.  —  Les  Contrerimes.  Emile-Paul, 
1921.  —  Les  Trois  Impostures.  Emile- Paul,  1922. 
—  Le  Souper  interrompu.  «  Le  Divan  »,  1922.  — 
Correspondance  avec  un  ami  pendant  la  guerre.  «  Le 
Divan  »,  1922.  —  Les  demoiselles  La  Mortagne.  «  Le 
Divan  »,  1923. 

A  consulter  :  Le  Divan,  n»  50,  juillet  1914,  consacré  entiè- 
rement à  Toulet.  —  Henri  Martineau  :  La  Vie  de  P.-J.  Toulet. 
«  Le  Divan  »,  1921.  (On  trouvera  dans  ce  petit  volume  l'indi- 
cation à  peu  près  complète  des  principaux  articles  parus  sur 
Toulet  jusqu'à  sa  date  d'édition.  Aussi  nous  n'indiquerons 


LES   POÈTES   DU   DIVAN  129 


ici  que  les  études  parues  ultérieurement.)  —  Emmanuel 
Berl  :  La  Vie  de  P.-J.  Toulet  et  les  Tendres  Ménages.  <  L'Europe 
Nouvelle  »,  1"  septembre  1923.  —  Emmanuel  Buenzod  : 
P.-J.  Toulet.  «  Gazette  de  Lauzanne  »,  17  octobre  1921.  — 
André  Castagnou  :  La  Poesia  di  Paul-Jean  Toulet.  «  La 
Ronda  »,  mars-avril  1922.  —  Clément  Charoux  :  P.-J.  Toulet 
eiV  Ile  Maurice,  a  Le  Cyméen  »,  Port-Louis,  16  février  1923. 

—  André  Chaumeix  :  Entretiens  littéraires  :  P.-J.  Toulet. 
t  Le  Gaulois  »,  17  juin  1922.  —  Léon  Daudet  :  A  Propos 
de  P.-J.  Toulet.  «  L'Action  Française  »,  22  septembre  1922. 

—  Tristan  Derème  :  Tarbes  et  les  Poètes.  «  Pau-Pyrénées  », 
novembre  1922  ;  P.-J.  Toulet,  poète,  t  Les  Nouvelles  Litté- 
raires »,  14  juillet  1923.  — Chartes  Derennes  :  Les  Bonnes 
Lettres  et  les  Mauvaises,  t  Bonsoir  »,  19  juin  1922.  —  Charles 
Du  Bos  :  Les  Trois  Impostures,  a  La  Nouvelle  Revue  Fran- 
çaise »,  octobre  1922.  —  L.  Dumont-Wilden  :  La  Vie  litté- 
raire à  Paris  :  Les  Nouvelles  tendances  littéraires  ;  les 
influences  secrètes  :  P.-J.  Toulet.  «  La  Nation  belge  »,  février 
1923.  —  Jacques  Dyssord  :  Au  pays  de  P.-J.  Toulet.  «  Le 
Figaro  »,  3  juillet  1921  ;  Un  petit  neveu  de  Swift  :  P.-J.  Tou- 
let. «  Les  Nouvelles  littéraires  »,  6  janvier  1923.  —  A.-M. 
Gaillard  :  Sur  P.-J.  Toulet.  «  Le  Feu  »,  janvier  1922.  — 
René  Groos  :  Paul-Jean  Toulet.  «  Pour  le  Plaisir  »,  15  juil- 
let 1923.  —  C.  Guyot  :  La  Poésie  de  P.-J.  Toulet.  Editions 
de  la  Renaissance  d'Occident,  Bruxelles,  1923.  —  Emile 
Henriot  :  Un  Moraliste.  «  Paris-Midi  »,  14  juin  1922.  — 
Jean  Lebrau  :  Toulet  et  le  Béarn.  «  Pau-Pyrénées  »,  18  février 
1922.  —  Paul  Leclercq  :  Avec  Jean  de  Tinan.  «  Le  Mercure 
de  France  »,  15  mars  1923.  —  Eugène  Marsan  (sous  le 
masque  d'Orion  dans  «  l'Action  Française  »)  :  Les  Contrer imes, 
13  mai  1921  ;  La  Vie  de  Toulet,  22  mai  1921  ;  Le  Bouclier 
de  l'ironie,  18  juin  1922  ;  Deux  Dialogues  de  Toulet, 
23  novembre  1922.  —  Henri  Martin  eau  :  Toulet.  «  Le 
Larousse  mensuel  illustré  »,  avril  1922  ;  Sur  la  tombe  de 
P.-J.  Toulet.  «  Le  Figaro  »,  17  septembre  1922.  —  Georges- 
Armand  Masson  :  La  Fantaisie  et  les  Fantaisistes.  «  La 
Revue  Mondiale  »,  15  décembre  1921.  —  Edmond  Pilon  : 
La  Vie  de  Toulet,  le  créole  de  l'Ile  Maurice.  «  La  Vie  »,  mars 
1922.  —  Henri  de  Régnier  :  La  Vie  littéraire.  «  Le  Figaro  », 
8  mai  1921.  —  G.-M.  Rodrigue  :  Paul-Jean  Toulet.  «La 
Renaissance  d'Occident  »,  janvier  1923.  —  André  Rous- 
seaux  :  Le  Tombeau  de  Toulet.  «  L'Eclair  »,  19  août  1922.  -^ 
François  Ruchon  :  P.-J.  Toulet.  «  La  Semaine  littéraire  », 
Genève,  28  avril  1923.  —  Noël  Ruet  :  P.-J.  Toulet.  «  La 
Wallonie  en  fleurs  »,  mai  1923.  —  Paul  Souday  :  Pensées 
de  P.-J.  Toulet.  «  Le  Temps  »,  juin  1922  ;  Les  Livres. 
■  Le  Temps  »,  1"  février  1923.  —  Louis  Thomas  :  De 
Toulet.  «  Revue  critique  des  Idées  et  des  Livres  »,  10  juin 
1921.  —  J.-L.  Vaudoyer  :  La  Poésie.  «  La  Revue  Hebdo- 
madaire »,  11  juin  1921. 


130  LES   POÈTES    DU  DIVAN 

POÈMES 


D'une  amitié  passionnée 

Vous  me  parlez  encor, 
Azur,  aérien  décor, 

Montagne  Pyrénée, 

Où  me  trompa  si  tendrement 

Cette  ardente  ingénue 
Qui  mentait,  fut-ce  toute  nue, 

Sans  rougir  seulement. 

Au  lieu  que  toi,  sublime  enceinte. 

Tu  es  couleur  du  temps  : 
Neige  en  mars  ;  roses  du  printemps  ; 

Août,  sombre  hyacinthe. 

II 

Le  temps  irrévocable  a  fui.  L'heure  s'achève. 
Mais  toi,  quand  tu  reviens,  et  traverses  mon  rêve, 
Tes  bras  sont  plus  frais  que  le  jour  qui  se  lève, 
Tes  yeux  plus  clairs. 

A  travers  le  passé  ma  mémoire  t'embrasse. 
Te  voici.  Tu  descends  en  courant  la  terrasse 
Odorante,  et  tes  faibles  pas  s'embarrassent 
Parmi  les  fleurs. 

Par  un  après-midi  de  l'automne,  au  mirage 
De  ce  tremble  inconstant  que  varient  les  nuages, 
Ah,  verrai- je  encor  se  farder  ton  visage 
D'ombre  et  de  soleil  ? 

III 

Cet  huissier,  qui  jetait,  l'été, 

Toute  autre  odeur  que  l'ambre. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  131 

Avait  le  nom  d'un  pot  de  chambre 
Et  la  fétidité. 

L'autre,  et  noir,  que,  sous  les  lanternes. 

On  vit  à  ses  leçons 
Avarier  les  beaux  garçons, 

Est  charognard  aux  Temes. 

Celui-là,  qui  fut  président 

De  ses  jolis  compères, 
A  Tair  de  suer  ses  affaires 

Par  son  fanon  pendant. 

Mais  l'autre  (ô  père  de  famille, 

Poète  méconnu) 
Ne  me  laissa  qu'un  lit  tout  nu  — 
Telle  y  couchait  sa  fille. 

IV 

En  souvenir  des  grandes  Indes, 

Harmonieux  décor, 
La  Rafette  nourrit  d'accord 

Un  paon  et  quatre  dindes. 

Et  l'on  croirait  —  tous  ces  échos 
Gloussants,  l'autre  qui  grince  — 

D'un  préfet  d'or,  dans  sa  province. 
Borné  de  radicaux. 


«  Ce  tapis  que  nous  tissons  comme 
Le  ver  dans  son  linceul 

Dont  on  ne  voit  que  l'envers  seul: 
C'est  le  destin  de  l'homme. 

«  Mais  peut-être  qu'à  d'autres  yeux, 

L'autre  côté  déploie 
Le  rêve,  et  les  fleurs,  et  la  joie 

D'un  dessin  merveilleux.  » 


132  LES   POÈTES    DU   DïVAN 

Tel  Fô,  que  l'or  noir  des  tisanes 
Enivre,  ou  bien  ses  vers, 

Chante,  et  s'en  va  tout  de  travers 
Entre  deux  courtisanes. 

VI 

O  mer,  toi  que  je  sens  frémir 
A  travers  la  nuit  creuse, 

Comme  le  sein  d'une  amoureuse 
Qui  ne  peut  pas  dormir  ; 

Le  vent  lourd  frappe  la  falaise... 

Quoi  I  si  le  chant  moqueur 
D'une  sirène  est  dans  mon  cœur  — 

O  cœur,  divin  malaise. 

Quoi,  plus  de  larmes,  ni  d'avoir 
Personne  qui  vous  plaigne... 
Tout  bas,  comme  d'un  flanc  qui  saigne, 

Il  s'est  mis  à  pleuvoir. 
(Les   Contrer imes.) 

VII 

Des  pommes  que  l'automne  a  peintes 
Aux  plus  riches  couleurs, 

La  plus  charmante  a  des  gauleurs 
Evité  les  atteintes. 

Et  le  papillon,  qu'un  enfant 
Poursuit  de  rose  en  rose, 

Il  s'envole  et  là-haut  se  pose. 
C'est  le  plus  triomphant. 

Mais  la  femme  en  mes  bras  tenue 
Et  si  douce  à  mon  cœur, 

Ce  fut  par  un  matin  vainqueur 
Que  je  l'ai  mise  nue. 


LES    POÈTES    DU    DIVAN  133 

VIII 

D'entendre  sur  les  cèdres  noirs  craquer  le  givre, 
Que  tes  bras  m'étaient  doux,  et  l'auberge  et  l'hiver  I 
Plus  doux  encor  d'entendre,  au  bord  du  chemin  vert. 
Le  chant  de  la  rainette,  et  la  source  revivre. 


O  silence  attentif  d'un  soir  couleur  de  miel  ; 
Mélancolie,  et  toi  musique,  voix  du  ciel. 


Bocages  où  s'est  tu  le  bec  du  pic  morose. 
Où  la  fleur  n'a  d'arôme  et  le  fruit  de  liqueur. 
Jardin  où  meurt  l'abeille  et  se  fane  la  rose, 
Tels  vous  a  fait  l'automne  et  tel  aussi  mon  cœur. 


IX 

Mon  âme  paisible  était  pareille  autrefois 

A  quelque  ville  assurée  de  ses  murs  antiques. 

Avec  des  jardins,  des  palais  et  de  riches  boutiques, 

Et  de  pâles  pigeons  qui  se  posent  au  bord  des  toits. 

Mais  après  les  jours  de  joie  et  de  calmes  fêtes 
La  ruine  est  venue,  les  heures  de  peine  et  de  pleurs  ; 
La  ville  a  connu  (ainsi  qu'il  est  dit  aux  gazettes) 
La  pioche  du  démolisseur. 

Et  la  pioche  c'est  vous  qui  l'aurez  brandie,  ô  funeste 
Faustine,  aimée  sur  les  plages  et  dans  les  bois  ; 
Ou  vous  encore,  étrangère  prudente  de  gestes. 
Aux  yeux  étroits. 


134  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

PAUL  VALÉRY 

Né  à  Cette  le  30  octobre  1871. 
Collaboration  poétique  au  Divan   :  n°  79,  mai  1922. 

Bibliographie  :  Introduction  à  la  méthode  de  Léonard  de 
Vinci.  «  La  Nouvelle  Revue  »,  1895.  «  Nouvelle 
Revue  Française  »,  1919.  —  La  Jeune  Parque. 
«  Nouvelle  Revue  Française  »,  1917.  —  Le  cime- 
tière marin.  Emile-Paul,  1919.  —  Odes,  a  Nouvelle 
Revue  Française  »,  1920.  —  Album  de  vers  anciens. 
Monnier,  1920.  —  La  Soirée  avec  M.  Teste.  «  Nou- 
velle Revue  Française  »,  1920.  —  Le  Serpent. 
«  Nouvelle  Revue  Française  »,  1920.  —  Charmes. 
«  Nouvelle  Revue  Française  »,  1922.  —  Eupalinos. 
«Nouvelle  Revue  Française  »,  1923. 

A  consulter  :  Le  Divan,  n°  79,  mai  1922,  entièrement  consacré 
à  Paul  Valéry.  —  Albert  Thibaudet  :  Paul  Valéry.  «  Les 
Cahiers  Verts  »,  n^  25.  Grasset. 

HÉLÈNE 

Azur  I  C'est  moi...  Je  viens  des  grottes  de  la  mort 
Entendre  Tonde  se  rompre  aux  degrés  sonores, 
Et  je  revois  les  galères  dans  les  aurores 
Ressusciter  de  l'ombre  au  fil  de  rames  d'or. 

Mes  solitaires  mains  appellent  les  monarques 
Dont  la  barbe  de  sel  amusait  mes  doigts  purs  ; 
Je  pleurais.  Ils  chantaient  leurs  triomphes  obscurs 
Et  les  golfes  enfuis  aux  poupes  de  leurs  barques. 

J'entends  les  conques  profondes  et  les  clairons 

Militaires  rythmer  le  vol  des  avirons  ; 

Le  chant  clair  des  rameurs  enchaîner  le  tumulte, 

Et  les  dieux,  à  la  proue  héroïque  exaltés 
Dans  leur  sourire  antique  et  que  l'écume  insulte 
Tendent  vers  moi  leurs  bras  indulgents  et  sculptés. 
(Vers  anciens.) 


LES   POÈTES   DU   DIVAN  135 

INTÉRIEUR 

Une  esclave  aux  longs  yeux  chargés  de  molles  chaînes 
Change  l'eau  demes  fleurs,  plonge  aux  glaces  prochaines, 
Au  lit  mystérieux  prodigue  ses  doigts  purs  ; 
Elle  met  une  femme  au  milieu  de  ces  murs,  . 
Qui  dans  ma  rêverie  errant  avec  décence, 
Passe  entre  mes  regards  sans  briser  leur  absence, 
Comme  passe  le  verre  au  travers  du  soleil. 
Et  de  la  raison  pure  épargne  l'appareil. 
(Charmes.) 

NARCISSE 

(Fragment.) 

Quand  le  feuillage  épars 
Tremble,  commence  à  fuir,  pleure  de  toutes  parts. 
Tu  vois  du  sombre  amour  s'y    mêler  la   tourmente, 
L'amant  brûlant  et  dur  ceindre. la  blanche  amante. 
Vaincre  l'âme...  Et  tu  sais  selon  quelle  douceur 
Sa  main  puissante  passe  à  travers  l'épaisseur 
Des  tresses  que  répand  la  nuque  précieuse. 
S'y  repose,  et  se  sent  forte  et  mystérieuse  ; 
Elle  parle  à  l'épaule  et  règne  sur  la  chair. 
Alors  les  yeux  fermés  à  l'éternel  éther 
Ne  voient  plus  que  le  sang  que  dorent  leurs  paupières  ; 
Sa  pourpre  redoutable  obscurcit  les  lumières 
D'un  couple  aux  pieds  confus  qui  se  mêle,  et  se  ment 
Ils  gémissent...  La  Terre  appelle  doucement 
Ces  grands  corps  chancelants  qui  luttent  bouche  à  bouche, 
Et  qui,  du  vierge  sable  osant  battre  la  couche. 
Composeront  d'amour  un  monstre  qui  se  meurt... 
Leurs  souffles  ne  font  plus  qu'une  heureuse  rumeur. 
L'âme  croit  respirer  l'âme  toute  prochaine. 
Mais  tu  sais  mieux  que  moi,  vénérable  fontaine. 
Quels  fruits  forment  toujours  ces  moments  enchantés  I 
Car,  à  peine  les  cœurs  calmes  et  contentés 
D'une  ardente  alliance  expirée  en  déhces. 
Des  amants  détachés  tu  mires  les  malices. 
Tu  vois  poindre  des  jours  de  mensonges  tissus. 
Et  naître  mille  maux  trop  tendrement  conçus  1 


136  LES    POÈTES    DU    DIVAN 

THÉO  VARLET 

Né  à  Lille  (Nord)  le  12  mars  1878. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°  6,  novembre  1909. 

Bibliographie  :  Heures  de  Rêve.  Nuez  et  Lecoq,  Lille, 
1898.  —  Notes  et  Poèmes.  «  Le  Beffroi  »,  Lille, 
1905.  —  Notations.  «  Le  Beffroi  »,  Lille,  1906.  — 
Poèmes  choisis.  1911.  — La  Bella  Yenere,  contes.  Le 
Hérisson,  1920.  —  Les  Titans  du  Ciel^  roman.  Le 
Hérisson,  1921.  —  L'Agonie  de  la  Terre,  roman.  Le 
Hérisson,  1921.  —  La  Belle  Valence,  roman.  Le 
Hérisson,  1922.  —  Aux  Libres  Jardins,  poèmes. 
Le  Hérisson,  1923.  —  Le  Dernier  Satyre,  contes. 
Le  Hérisson,  1923.  —  Traductions  de  l'anglais: 
R.  L.  Stevenson  :  L'Ile  au  Trésor,  1919  ;  Les 
Marquises  et  les  Paumotus,  1919  ;  Les  Gilberts, 
1919  ;  Les  Gais  Lurons,  1920  ;  Les  Veillées  des 
Iles,  1920;  Le  Maître  de  Ballantrae,  1921.  —  J.-K. 
Jérôme  :  Trois  Hommes  dans  un  Bateau,  1921.  — 
S.  J.  Weyman  :  La  Cocarde  Rouge,  1922. 

A  consulter  :  Pan,  juillet-août  1909.  Etude  de  Ch.  Cla- 
risse. —  Anthologie  des  Poètes  nouveaux,  Lanson,  1912.  — 
Poètes  du  Nord,  A.-M.  Gossez,  1902.  —  Lumière,  Anvers, 
janvier  1922.  Etude  de  J.  Billiet. 

AMŒNITATES    HELVETICyE 

Raquette  au  poing,  torchon  au  front,  teint  de  crevette, 
Nul  monstre  délirant  aux  cerveaux  papouas. 
Nul  du  grotesque  enfer  où  Breughel  s'ébroua, 
Ne  vaut  l'épouvantail  de  ces  houris  helvètes  I 

Oui  I  j'ouïs  sans  frémir  la  magique  tempête 

Des  derviches- tourneurs  et  des  Aïssaouas  : 

Mais  je  meurs  consterné  du  sombre  brouhaha 

Qui  font  tous  ces  battoirs  sur  ces  vieilles  carpettes. 

Qu'importe  un  rôt  qui  brûle,  un  marmot  non  torché. 
Et  les  maris  en  fuite  ?...  Aux  fenêtres  penchées 
Sur  maint  drap  pavoisant  leurs  pissats,  ces  mégères 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  137 

Enflammées  d'une  ardeur  que  l'exemple  exaspère, 
Cognent  à  tour  de  bras,  sur  mes  tympans  hachés. 
Le  poudreux  paradis  des  Bonn  es- Ménagères  I 


JEAN-LOUIS  VAUDOYER 

Né  au  Plessis-Piquet  (Seine)  le  10  septembre  1883. 

Collaboration  poétique  au  Divan  :  n^  20,  avril  1911  ;  — 
no  24,  septembre  1911  ;  —  n»  27,  janvier  1912  ;  —  n«>  37, 
mars  1913  ;  —  n^  51,  octobre  1915  ;  —  n»  52,  février  1916  ;  — 
n«  54,  mars  1917  ;  —  n°  62,  novembre  1919  ;  —  n°  83, 
novembre  1922. 

Bibliographie  :  Les  Compagnes  du  Rêve.  1  plaquette, 
essais  et  poèmes  en  prose.  Sansot,  1906.  —  Quarante 
petits  Poèmes,  1907.  —  L'Amour  masqué,  roman. 
Calmann-Lévy,  1908.  —  La  Commedia,  sonnets, 
préface  de  Henri  de  Régnier.  Edités  à  Venise,  1908. 
Stances  et  Elégies,  Floury,  1908.  —  La  Bien- 
Aimée,  roman.  Calmann-Lévy,  1909.  —  Suzanne 
et  l'Italie,  lettres  familières.  Floury,  1909.  —  Le 
Bronze,  étude  sur  les  collections  du  musée  des 
Arts  décoratifs,  en  collaboration  avec  Louis  Met- 
man.  Longuet,  1910.  —  La  Maîtresse  et  l'Amie, 
roman.  Calmann-Lévy,  1912.  —  Poésies,  1906-1912. 
Calmann-Lévy,  1913.  —  Propos  et  Promenades. 
Hachette,  1914.  —  Album  dédié  à  Thamar  Karsavina, 
illustrations  de  G.  Barbier.  Corrard,  1914.  —  La 
Stèle  d'un  Ami,  poésies  à  la  mémoire  de  Paul  Drouot. 
«  Le  Divan  »,  1916.  —  Les  Permissions  de  Clément 
Bellin,  roman.  Calmann-Lévy,  1918.  — Les  Papiers 
de  Cléonthe.  Albin  Michel,  1919.  —  Le  Dernier 
Rendez-Vous,  roman.  Calmann-Lévy,  1920.  — 
Rayons  croisés,  poésies,  1913-1921.  Société  litté- 
raire de  France,  1921.  —  L'Album  Italien,  poésies. 
Librairie  de  France,  1922.  —  Ombres  Portées.  Les 
Soirées  du  Divan,  1923.  —  La  Reine  évanouie, 
roman.  Pion,  1923. 


138  LES    POÈTES    DU    DIVAN 


A  consulter  :  Etudes  et  articles  :  Jacques  Boulenger  : 
Mais  l'art  est  difficile,  2'  série.  —  Jules  Bertaut  :  Le  roman 
d'aujourd'hui.  —  Emile  Henriot  :  J.-L.  Vaudoyer,  poète. 
«  Le  Divan  »,  n"«  42  et  43,  septembre  et  novembre  1913.  — 
Henri  Martineau,  La  Minerve  française,  1"  août  1920. 


POÈMES 


Pose  la  flèche  et  l'arc  sur  la  pierre  qui  tremble  ; 
Accueille  les  parfums  de  la  fleur  et  du  fruit  ; 
Et  que  tes  belles  mains  daignent  nouer  ensemble 
Tes  cheveux  de  soleil  à  mes  cheveux  de  nuit. 

L'eau  coule  en  gémissant  sur  l'herbe  nonchalante  ; 
L'oiseau  pique  en  sautant  le  terreau  velouté  ; 
Consens  à  desceller  ta  lèvre  étincelante 
Pour  aspirer  l'aurore  et  célébrer  l'été  1 

Je  t'appelle  l'Amour,  mais  crains  que  l'on  te  nomme 
Déception,  Tristesse,  ou  bien  encore  :  Ennui. 
Si  je  souris  pour  toi,  c'est  par  prudence,  comme 
Au  héros  Dalilah,  cachant  sa  peur,  sourit. 

Et  pourtant,  si  ton  nom  était  :  Amour  ?  La  flamme 
Qui  brûle  sous  tes  cils  peut  être  un  feu  volé 
Au  foyer  tout  puissant  que  nul  mortel  n'entame 
Et  qu'attise,  en  criant,  sur  son  roc,  Prométhé. 

—  Tu  te  tais  quand  je  viens  ;  je  n'ai  point  vu  tes  larmes. 
Le  baiser,  sur  ta  chair,  enivre  sans  nourrir... 
Sur  la  pierre  qui  tremble,  ah  1  pose  enfin  tes  armes  : 
Sans  elle  dans  tes  bras  je  puis  encor  mourir. 

(Poésies.) 


LES   POÈTES    DU    DIVAN  139 

II 

LE    CONCERT 

(de  Léonardesques.) 

On  jouait  près  de  lui,  dit-on,  pour  Monna  Lise, 
Des  morceaux  où  la  fraîche  et  tendre  vocalise 
D'une  femme  chantant  s'unissait  au  concert 
Des  nombreux  instruments  dont  l'orchestre  se  sert 
Il  aimait  l'éphémère  et  sonore  édifice. 
Pour  son  art  la  musique  était  une  complice  : 
Avec  elle,  il  entrait  dans  un  monde  sacré. 
Mais  il  ne  cherchait  pas  l'hymne  désespjéré, 
L'hymne  où  le  cœur  humain  se  perd  et  se  déchire. 
Léonard  méprisait  les  charmes  du  délire. 
Il  voulait  seulement  que  les  purs  violons, 
Les  théorbes,  les  luths,  les  flûtes  aux  beaux  sons 
Donnassent  à  ses  yeux,  à  ses  mains,  à  son  âme 
Non  le  frémissement  et  l'éclair  d'une  flamme, 
Mais  la  sérénité  d'un  long  rayon  jeté 
Par  un  astre  puissant  au  soir  d'un  jour  d'été. 
Il  peignait,  clairvoyant,  grave,  attentif  et  libre, 
Ayant  trouvé  les  lois  du  divin  équilibre 
Qui,  d'un  visage  humain,  d'un  concert,  d'un  tableau, 
Font  un  seul  univers,  volupté  du  cerveau. 
(Rayons  croisés.) 

III 

STANCES 

Les  ombres  dans  ton  cœur  s'éveillent  et  gémissent, 
Les  lignes  du  passé  assiègent  l'horizon 
Et  celle  qui  partit  comme  une  Bérénice 
Revient  avec  son  fol  trésor  de  déraison. 

Tu  reprends  des  chemins  raturés  par  les  ronces. 
Tu  te  penches  au  bord  des  réservoirs  taris. 
Pareil  à  l'écolier  qui  raiUe  les  semonces 
Tu  railles  les  leçons  que  les  ans  t'ont  appris. 


140  LES   POÈTES    DU    DIVAN 

Une  rose  d'avril  égarée  en  automne 

Palpite  dans  l'or  lourd,  flamme  sur  le  tison. 

Tu  ne  veux  plus  bercer  près  d'un  feu  qui  chantonne 

Les  débiles  enfants  de  l'arrière-saison. 

Tu  quittes  ta  langueur,  ta  paix,  ta  complaisance, 
Ce  havre  somnolent  que  l'on  ne  drague  plus  ; 
Et  tu  jettes  aux  dieux  voraces  de  l'absence 
Les  trésors  clandestins  que  tu  croyais  perdus  ; 

Ton  œil  suit  dans  le  temps  les  jeux  de  la    mémoire; 
Sous  des  bosquets  jaunis,  sur  des  seuils  délaissés, 
Tu  retrouves,  roulés  dans  une  étoffe  noire. 
Quelques  gages  riants  comme  des  nouveaux-nés. 

Ta  mémoire  est  l'amie  exacte  des  fantômes  ; 
Elle  force  ton  cœur  avec  ces  visions  ; 
Des  philtres  condensés  vacillent  dans  leurs  paumes... 
Accueille  les  présents  de  ces  vieux  échansons. 

Enivre-toi,  hélas,  à  ce  festin  d'une  heure 
Car  déjà  ta  Jouvence  est  dans  l'eau  du  Léthé. 
Tu  ne  garderas  pas  longtemps  dans  ta  demeure 
Ces  voyageurs  épris  de  leur  pays  hanté. 

Ce  soir  tu  seras  seul  avec  ta  solitude, 
Foulant  des  fruits  amers  et  des  restes  de  fleurs. 
Regardant  sans  son  fard  ta  reine,  l'Habitude, 
Que  les  sages  vaincus  appellent  le  Bonheur. 

(Inédit.)  1920. 


LÉON  VÉRANE 


Né  à  Toulon  (Var)  le  21  décembre  1885. 
Collaboration  poétique  au  Divan  :  n°   23,  juillet  1911  ; 
—  no  32,  juillet  1912  ;  —  n°  56,  décembre  1918. 

Bibliographie  .La  Flûte  des  Satyres  et  des  Bergers, 
vers  et  prose,  1909.  —  Terre  de  Songe.  Edit.  des 
«Facettes»,  1912. — Dans  le  jardin  des  Lys  et  des 


LES    POÈTES    DU    DTVAN  141 

Verveines  rouges.  Edit.  des  «  Facettes  b,  1913. — 
Quelques  tendances  de  la  jeune  poésie.  Edit.  des 
t  Chroniques  de  Provence»,  1913. — La  Gardeuse  de 
paons  ou  le  tombeau  de  Stuart-Merrill  avec  M.  Mar- 
tin et  E.  Dalichoux.  Edit.  des»  Facettes «,1917. — 
Images  au  Jardin.  Edit.  des  «Facettes»,  1922. 

A  consulter  :  Tristan  Derème,  L'Ere  Nouvelle^  24  février 
1922.  —  A.  Fontainas,  Mercure  de  France,  1"'  juin  1922.  — 
H.  Pourrai  :  La  Vie,  15  janvier  1923.  —  Saint-Georges 
de  Bouhélier,  Comœd/a,  23  mai  1921.  —  F.  Carco,  Le  Feu, 
mai  1912  et  mars  1913.  —  Louis  Pize,  La  Revue  Fédéra- 
liste, janvier  1922.  —  Valmy  Baysse,  Comœdia,  12  février 
1922. 

POUR   ALBERT    MARCHON 

Quand  septembre  fera  la  vigne  verte  et  rousse 
Et  qu'un  faix  de  fruits  murs  chargera  l'espalier  ; 
Mon  Marchon,  avec  toi  je  veux  faire  carousse 
En  un  port  provençal  encombré  de  voiliers. 

Sous  d'antiques  mûriers  que  le  Mistral  rebrousse 
Voici  pour  le  déduit  l'auberge  des  rouliers. 
Que  des  goulots  étroits  le  vin  s'échappe  et  mousse  ; 
Servante,  ouvre  pour  nous  l'armoire  et  le  cellier. 

Qu'on  apporte,  en  un  plat  fleurant  le  thym  et  Thuile, 
L'ardente  bouillabaisse  où  dans  l'or  du    safran 
Près  du  congre  en  tronçons  la  langouste  rutile. 

Et,  si  d'un  noir  civet  l'hôte  va  nous  offrant. 
N'est-ce  pas  qu'il  convient,  ô  Marchon  tendre  ivrogne, 
De  nous  en  barbouiller  et  la  barbe  et  la  trogne  ? 

(Inédit,) 


LES  POETES   DU  DIVAN 


Roger   Allard 
Nicolas  Beauduin 
Pierre    Benoit 
Jean-Marc  Bernard 
François   Berthault 
Francis    Cargo 
Philippe  Ghabaneix 
Gilbert  Charles 
Henry    Charpentier 
Lucien  Christophe 
Tristan  Derème 
Charles    Derennes 
Henry  Dérieux 
Léon  Deubel 
Fernand  Divoire 
Mafrcel  D ROUET 
Paul  Drouot 
Henri  Duclos 
Jacques    Dyssord 
André-Marie   Éon 
Francis  Éon 
Albert  Erlande 
Lucien  Fabre 
Fagus 

Pierre   Fons 
Charles   Forot 
Henri  Gabon 
Maurice  Gauchez 
Emile  Henriot 
Jagques-Noir 


André  Lafon 
Jules   Laroghe 
Guy    Lavaud 
Philéas  Lebesgue 
Jean  Lebrau 
Gaston   Luge 
Edgar  Malfère 
Gérard  Mallet 
Louis  Mandin 
Henri  Martineau 
Jean  Martineau 
René   Martineau 
Marcel   Martinet 
Fernand    Mazade 
Alphonse  Métérié 
Claude  Odile 
Marcel  Ormoy 
>  Jean   Pellerin 
Cécile   PÉRiN 
Edmond  Pilon 
Louis  PizE 
Thierry  Sandre 
Jean    Tenant 
Daniel  Thaly 
Louis   Thomas 

P.-J.     TOULET 

Paul   Valéry 
Théo  Varl^t 
Jean-Louis  Vaudoyer 
Léon  YÉRANE 


Cette  Anthologie  des  Poètes  du  Divan  précédée 
d'une  étude  par  Pikrre  Lièvre  constitue  le  nu- 
méro 92  (septembre-octobre  1923)  du  Divan, 

Il  en  a  été  tiré  en  outre,  avec  une  pagination 
indépendante,  500  exemplaires  sur  alfa  et  25  sur 
pur  fil  Lafuma. 


LE  DIVAN 

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6 


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PQ      Anthologie  des  portes  du  Divan 

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