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MISSION SCIENTIFIQUE
G. DE CRÉQUI MONTFORT ET E. SÉNÉCHAL DE LA. GRANGE
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ANTIQUITÉS
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D E LA R É G ION ANDINE
DE LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
ET DU DÉSERT D'ATACAMA
PAR
.ERIC ROMAN
TOME PREMIER
NANT 2 CARTES, 32 PLANf. JES ET 28 FIGURES DANS LE TEXTE
PARIS
IMPRIMERIE NATIONALE
LIBRAIRIE H. LE SOUDIER, BOULEVARD SAINT -GERMAIN, il h
MDCGCCVIII
ANTIQUITÉS
DE LA RÉGION ANDINE
DE LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
ET DU DÉSERT D'ATACAMA
PUBLICATIONS DE LA MISSION.
Rapport siir une Mission scientifique en Amérique du Sud (Bolivie, République
Argentine, Chili, Pérou), par G. de Créqui Moxtfokt et E. Séxéchal de la Grange.
Carte des régions des Hauts-Plateaux de l'Amérique du Sud (Bolivie, Argentine.
Chili, Pérou), parcourues par la Mission française. Carte dressée par V. Hugt, d'après
les travaux des membres de la Mission, les sources originales inédites et les documents
les plus récents, à l'échelle de 1/750000.
Les lacs des Hauts-Plateaux de l'Amérique du Sud, par le D' M. Neveu-Lemairk
avec la collaboration de MM. Bava y, E.-A. Birge, E. Chevreux, E. Marsch, J. Pelle-
GRiN et J. Thoulet.
Anthropologie bolivienne , par le D' Chervin.
Tome l". Ethnologie , Démographie , Photographie métrique.
Tome II. Anthropométrie.
Tome III. Cranioiogie.
Linguisticfue comparée des Hauts-Plâteaux boV;--' ^ns et des régions circonv
sines, par G. de Créqui Montfort '^f *-. K!r.-T.
Explorations géologiques dans l'Amérique du Su«i, suivi de tableaux météo
logiques, par G. Courty.
Antiquités de la région andine de la République Argentine et du Désert
d'Atacama , par Eric Boman.
Tome I". Vallées in vjrandines de la République Argentine.
Tome II. Puna argentine , Désert d'Atacama et province de Jujuy.
Fouilles archéologiques à Tiahuanaco , par G. Courty et Adrien de Mortillet.
Faune mammalogique des Hauts - Plateaux de l'Amérique du Sud, par le
D' M. Neveu-Lemaire et G. Graxdidier.
Notes physiologiques et médicales concernant les Hauts-Plateaux de l'Amérique
du Sud, par le D"^ M. Neveu-Lemaire.
Études paléontologiques , par M. Boule.
Géographie des Hauts-Plateaux des Andes , par V. Huox.
MISSION SCIENTIFIQUE
G. DE CRÉQUI MONTFORT ET E. SÉNÉCH VL DE L\ GRANGE
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ANTIQUITÉS
DE LA RÉGION ANDINE
DE LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
ET DU DÉSERT D'ATACAMA
PAR
ÉRIC BOMAN
TOME PREMIER
CONTENANT 5 CARTES, j-i PLANCHES ET 28 FIGURES DANS LE TEXTE
PARIS
IMPRIMERIE NATIONALE
LIBRAIIIIE H. LE SOlJDIER, BOULEVARD SAllNT-GERM VIN, ^^^
MDGGCCVIII
PRÉFACE.
Le présent ouvrage est surtout un exposé des recherches
efFectuées au cours d'un voyage que j'ai fait dans l'extrême
nord-ouest de la République Argentine, en iQoS, comme
membre de la Mission G. de Créqui Montfort - E. Sénéchal
de la Grange. Un récit sommaire de mon voyage a été pu-
y M. le comte de Créqui Montfort (iio)^'), dans son
rappos l officiel sur les résultats scientifiques de la Mission.
Je me suis rendu par chemin de fer de Buenos-Aires
à Salta, chef-lieu de la province argentine de ce nom, où
j'arrivai le 18 mai. Après quelques jours de préparatifs,
acquisition de mulets, engagement de personnel, etc., j'ai
commencé, le 28 mai, mes recherches archéologiques dans
la Vallée de Lerma. Du 7 au 2 3 juin, j'ai fait des fouilles
dans la Quebrada del Toro et dans la Quebrada de ias
Guevas, étroites vallées qui donnent accès au haut plateau.
Après une excursion dans la partie occidentale de ce haut
plateau, laPuna de Atacama, j'en ai visité la partie orientale,
la Puna de Jujuy, presque tout entière ; puis je suis des-
cendu du haut pays par la Quebrada de Humaimaca qui
aboutit à la ville de Jujuy, où je suis arrivé le 2 septembre.
Ce voyage est le second que j'ai effectué dans ces régions.
En 1901, faisant partie de la Mission Suédoise dirigée par
mon ami et compatriote M. le baron Erland Nordenskioid ,
'') Pour les renvois bibliographiques, voir la bibliographie, à la lin (hi lumc II.
M PREFACE.
j'avais parcouru une partie de la Puna de Jujiiy et aussi
Test de cette province et le sud de la Bolivie. Auparavant,
j'avais déjà voyagé dans les provinces de Cataniarca et de
ïucuman. Naturellement, les observations et les études
de ces divers voyages ont contribué au résultat de ma der-
nière expédition.
Les recherches archéologicpes ont été le but principal de
mon voyage ; cependant à Susques, dans la Puna de Ata-
cama, j'ai fait des études sur les Indiens actuels. Dans les
anciennes sépultures, j'ai recueilli une collection de crânes
et de squelettes qui ne sont pas étudiés ici ; leur description
paraîtra dans l'ouvrage du D'' Arthur Chervin (99, i. s .1 sur la
collection de crânes rapportés par la Mission. Je me borne
donc ici à donner les numéros que portent dans cet ouvrage
les crânes que j'ai réunis.
L'un des grands problèmes de Tai^héologie dans 1
nord-ouest de la République Argentine était de détermine
l'étendue géographique de l'ancienne culture que l'on a pri;
l'habitude de dénommer « civihsation calchaquie » et les rap-
ports entre cette culture et la civilisation ando-péruvienne
en général. Mais les renseignements historiques sur ces
questions sont difficiles à retrouver dans les volumineux
ouvrages des historiographes de l'ancien Pérou et des chro-
niqueurs jésuites du Tucuman. D'autre part, les données
archéologiques que l'on possède sont éparpillées dans un
grand nombre de petites brocliures, peu à portée de tous et
écrites dans une langue peu usuelle, l'espagnol. Comme
un aperçu général de ces données n'existe pas, j'ai cru
rendre service aux Américanistes en commençant mon tra-
vail par une étude ethnogéographique de la région inter-
andine de la République Argentine et par un résumé de nos
PREFACE. vn
connaissances sur cette région , au point de vue de Tarchéo-
loo-ie. J'y ai ajouté la description et les figures de quelques
pièces intéressantes appartenant à la collection de la Mission
Française. Vient ensuite la description d'une importante
trouvaille faite à Lapaya , dans la Vallée Calchaquie.
Dans le rapport sur mes recherches personnelles effec-
tuées lors de mon dernier voyage, j'ai choisi f exposition
par ordre géographique, en suivant mon itinéraire. Bien
que cette méthode occasionne des redites, c'est celle qui
cependant donne fidée la plus nette des vestiges laissés par
les habitants préhistoriques d'un pays.
Mes recherches sur le haut plateau de la Puna de Jujuy
m'ont amené à la conviction que les anciens habitants de
ce haut pays appartenaient à un peuple distinct des Dia-
guites dits « Calchaquis » , des vallées interandines. D'autre
part, le matériel archéologique de f ouest de la Puna de
Jujuy est identique, jusqu'aux moindres détails, aux nom-
breux objets exhumés par fun des chefs de la Mission
Française, M. E. Sénéchal de la Grange, dans le cimetière
de Calama, qu'il fut assez heureux de découvrir au cours de
ses voyages dans le Désert d'Atacama. M. Sénéchal de la
Grange a bien voulu me confier la description de la collec-
lion fort importante qu'il y a recueillie. Le cimetière de Ca-
lama, ainsi que d'autres sépultures du Désert d'Atacama,
comme celles de Chiuchiu, etc., proviennent sans doute
des anciens Atacamas, et fanalogie parfaite du matériel
ethnographique de cette région avec celui que j'ai rapporté
de la Puna de Jujuy permet d'établir fétendue géogra-
phique des Atacamas qui, par conséquent, occupaient jadis
toute la vaste zone allant de la Puna de Jujuy jusqu'à f océan
Paciliaue.
VIII PREFACE.
A l'exposé des résultats scientiliques de mon dernier
voyage j'ai ajouté un aperçu sur les découvertes archéo-
logiques faites par la Mission Suédoise dans l'est de la pro-
vince de Jujuy, sur les bords du Grand Ghaco.
Mon ouvrage a certainement des lacunes. Le manque de
temps et les ditïlcultés matérielles que présentent les voyages
dans ces déserts en sont la cause. L'extrême réserve des
Indiens du haut plateau , qui refusent obstinément de four-
nir au voyageur tout renseignement, n'a pas été fune des
moindres difficultés de mon voyage. Cependant je crois
qu'il ne reste plus beaucoup à faire, au point de vue des
recherches archéologiques, dans la Puna de Jujuy et dans
la Quebrada del Toro. La carte archéologique insérée à la
fin du tome II est, je crois, une carte assez complète des
endroits habités à fépoque préhispanique. Pour les signes
archéologiques de cette carte, j'ai pris pour base la légendv^
internationale établie sur f initiative du Congrès international
d'archéologie et d'anthropologie préliistoriques de Stock-
holm, 187/i, publiée par la Revue de l'Ecole d'anthropologL
de Paris (209), mais avec les modifications que j'ai dû y in-
troduire en raison des différences que présentent les anti-
quités préhistoriques de fAmérique et celles de TEurope.
J'ai essayé d'éviter de longues et ennuyeuses descriptions
détaillées des objets composant les collections que j'ai rap-
portées. Je laisse autant que possible les figures remplacer
les descriptions et j'emploie la méthode descriptive seule-
ment pour les détails que f on ne peut voir sur les figures.
Au contraire, j'ai attaché de fimportance à la comparaison
de mes collections avec des objets analogues trouvés dans
d'autres régions de fAmérique, surtout avec ceux des di-
verses parties de la région ando-péruvienne. Sans négliger
PREFACE. IX
]a littérature ancienne, les «chroniqueurs », j'en ai fait un
usage prudent en examinant avec soin leurs renseignements
en pénéral si obscurs et souvent contradictoires.
Une description géographique sommaire est donnée pour
chacune des régions dont il est question , ainsi qu'un aperçu
de ce qui peut intéresser dans la flore et dans la faune, au
point de vue de l'ethnographie.
Je saisis cette occasion pour dire combien je reste obligé
envers les personnes qui, d'une manière ou d'une autre,
m'ont aidé à accomplir ma mission. Ce sont, dans la Répu-
blique Argentine, M. Domingo T. Pérez, sénateur de Jujuy
au Congrès argentin, M. le Ministre du Gouvernement de
Jujuy, le D'' Octavio Iturbe, actuellement député au Congrès
argentin, MM. les Gouverneurs de Salta, M. Angel Zerda,
et du Territoire des Andes, M. le lieutenant-colonel Nicolas
Menéndez. Ces hommes, qui étaient à la tête des provinces
que j'ai parcourues, m'ont donné les recommandations les
plus efficaces pour leurs subordonnés, et c'est spécialement
grâce à M. Menéndez que j'ai pu effectuer mon voyage assez
difïicile chez les Indiens de Susques. Mon ami le D"" Jus-
liniano L. Arias, juge à Salta, s'est mis très aimablement
à ma disposition, avec ses nombreuses relations, pendant
mon dernier voyage aussi bien que lors de mon premier
séjour dans cette ville au temps de la Mission Suédoise.
A MM. Nicolas Arias Cornejo et Domingo Torino je dois
une charmante hospitalité dans leurs domaines de la Vallée
de Lerma et de la Quebrada del Toro. A Buenos- Aires,
m'ont aidé de différentes manières MM. le D' Francisco P.
Moreno et le D"^ Florentino Ame^rhino, threcteurs du Musée
de La Plata et du Musée national de l^uenos-Aires; MM. le
D"" R. Lehmann-Nitsche et J. B. Ambroselli. .rcvpriiiic égale-
X PRÉFACE.
ment toute ma oratitude à mon ami M. Eduardo A. Holm-
berg fils pour le travail artistique qu'il a bien voulu faire
pour Texécution définitive de mes croquis.
Le maître des études ethnographiques en France, M. le
D'" E.-T. Hamy, m'a guidé de ses conseils pendant la rédac-
tion de mon ouvrage et m'a donné toutes les facilités néces-
saires pour les études comparatives que j'ai dû entreprendre
au Musée d'ethnographie du Trocadéro. Je tiens à lui en
témoigner ma profonde reconnaissance. De même je re-
mercie cordialement le nouveau conservateur du Musée du
Trocadéro , M. le D'^ R. Verneau , de faide qu'il m'a prêtée ,
et f inspecteur du Musée, M. Jules Hébert, de toute fobli-
geance dont il a fait preuve envers moi.
Mon regretté ami, M. le professeur Léon Lejeal, du
Collège de France, est mort récemment. Je garderai toujours
le meilleur souvenir de l'amabilité qu'il n'a cessé de me té-
moigner pendant mon séjour à Paris et de tous les services
qu'il m'a rendus.
Enfin je suis fort obligé à plusieurs spécialistes pour le
concours qu'ils m'ont prêté en effectuant des études et des
déterminations du domaine de leurs spécialités. Ce sont
MM. les professeurs du Muséum d'histoire naturelle A. La-
croix, L. Vaillant et G. Maquenne; MM. Jules Poisson et le
D" A.-T. de Rochebrune, assistants au Muséum; M. le pro-
fesseur G. Pouchet, de la Faculté de médecine; mon col-
lègue de la Mission Française , M. Georges Courty ; M. le
D' Walther Lehmann, du Musée royal d'ethnographie de
Berlin; M. le conseiller intime L. Wittmack et M. le D'
L. Plate, professeurs à TEcole royale des hautes études
d'agriculture de Berlin; M. le professeur G. V. Callegari,
de Padoue; M. E. Visto, préparateur au laboratoire d'ana-
PREFACK. XI
tomie comparée du Muséum d'histoire naturelle. M. Victor
Huot, du service géographique de la maison Hachette, a
exécuté avec beaucoup de précision et de goût les cartes el
les plans qui accompagnent mon ouvrage.
Paris, Février 1908.
E. BOMAN.
CARTE ETHNIQUE
DE LA RÉGION ANDINE DE L'AMÉHKU E DU SUD
ENTRE LE 2r ET LE 33"^ DEGRÉ LATITUDE SUD
AU XVr SIÈCLE
CAUTE ETHNIQI E
DK L:V RÉGION AISDIÎSE DE L'AMÉUIQUE DU SUD
E>TRK LI-: 22 I-:T LE 33" DEGRÉ LATITUDE SUD
AU XVr SIÈCLE.
Les recliercbes contemporaines, anssi bien dans le domaine
de rarchéologie que dans celui de Fanlliropologie physique,
démontrent nettement l'existence réelle de cette race auto-
chtone de l'Amérique du Sud qu'on s'est habitué à nommer
la race ando-péruvienne, et qui équivaut plus ou moins au
rameau péruvien de la race ando-péruvienne de d'Orbigny
(274,1, p. 11). Les peuplades qui, à l'époque de la conquête
espagnole, habitaient le haut plateau et les vallées des Andes
ont toutes, en dehors de leurs affinités somatologiques, une
civilisation, des mœurs et une industrie aiialo<»ues, depuis la
r»épul)lique de l'Equateur jus([u'à la République Ar^^entine
et au (Ihili. Tout ce territoii'c forjne ce que nos confrères
allemands appellent un kulliirlireis bien homogène, une zone
ethnique bien distincte de celles du Nord et du Sud, et sur-
tout de celles constituées par les peuples habitant les régions
basses à l'est de la Cordillère.
La conquête espagnole s'eirectua presque entièrement du
côté du Pacifique. Ce n'est qu'à des dates postérieures que les
Espagnols réussirent à prendre pied sur quelques j)oint,s isolés,
sur les bords des grandes rivières appartenant au bassin du Rio
de la Plala. Dans les Andes, les conquérants trouvèrent des
J'Aals solidement établis avec des systèmes de gouvernement
admiiables par leur organisation aussi sinq^le qu'efficace; ces
peuples, d'une civilisation ancienne assez avancée, étaient très
dociles à leurs souverains, ce f[ui facilita réiahlissement de la
domiiialion espagnole (uii n'était, au début, ([uim change-
ment de régime. Au contraire, les plaines, couvertes de lorêts
4 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
vierges jusqu'au 3o'' dcgi'é, dénudées au sud de ce parallèle,
étaient peuplées de tribus sauvages, pour la plupart nomades,
qui, aidées par la nature de leur territoire, opposèrent une
résistance désespérée aux invasions. Ce n'est qu'en exterminant
presque complètement ces tribus que la race blanche parvint
à prendre possession de leur sol, alors que depuis longtemps
les Indiens de la Cordillère, habitués à un gouvernement ré-
gulier au temps de leur indépendance, bon gré ou mal gré
s'étaient soumis aux Blancs, s'étaient mélangés à eux et contri-
buaient ainsi à la formation d'un important élément ethnique
de l'Amérique espagnole. Un Etat comme la République Ar-
gentine, où l'organisation moderne est relativement avancée,
fournit un exemple de la résistance opposée à l'invasion par
les tribus des plaines. Jusqu'au milieu du xix'^ siècle, les In-
diens ont dominé la plus grande partie de la province de
Buenos- Aires; les tribus du Grand Chaco sont encore au-
jourd'hui absolument indépendantes.
La partie montagneuse de la République Argentine CO'
prend, du Nord au Sud, les provinces suivantes: Jujuy; Sait»! ;
Catamarca; une partie de Tucuman, au nord-ouest de Cata-
marca, sur les pentes orientales de la Sierra de Aconquija; La
Rioja; l'ouest de Côrdoba occuj^é par ]a Sierra de Côrdo])a; et
enliu San Juan. Au point de vue de l'archéologie, le sud de
Salta, l'ouest de Tucuman et Catamarca sont les parties les
mieux connues. La Rioja et San Juan n'ont pas été explorées,
elles sont presque inconnues archéologiquement. Cependant les
antiquités qui y ont été trouvées démontrent une analogie par-
faite avec celles de Catamarca et de Salta. La province de Men-
doza ne paraît pas avoir fait partie de la civilisation andine;
elle send3le constituer la limite méridionale de celle-ci. Sur la
Sierra de Cordoba, il n'existe que très peu de données archéo-
logiques. Ces montagnes étaient, nous aurons à le redire, ha-
bitées, à l'époque de la conquête, par un peuple dont on ne sait
presque rien, mais qui était, tout au moins linguistiquement,
différent du reste de la population de la région interandine.
CAiriK ETHNIQUE.
A l'époque (]q la conquête, presque toute la région était,
comme nous le verrons, habitée par un peuple appelé Dia-
aiiites, et la concordance de la zone archéologique dont nous
avons parlé avec le territoire alors occupé par ces Diaguites
justifie l'attribution à ce peuple de la plupart des vestiges pré-
hispaniques qui s'y trouvent, bien qu'il y ait aussi des débris
provenant d'époques et de peuples antérieurs, que l'on n'a
pas réussi jusqu'à présent à distinguer de ceux de la culture
(haguite.
Sur le haut plateau et dans le Désert d'Atacama, au nord des
Diaguites, nous trouvons les vestiges d'une culture inférieure
à la leur, au point de vue industriel et artistique : celle des an-
ciens Atacamas. A l'est de ceux-ci, dans l'étroite vallée nommée
la Quebrada de Humahuaca et dans les montagnes environ-
nantes, habitait une peuplade très guerrière, les Omaguacas,
qui semblent différents aussi bien des Diaguites que des Ala-
camas.
En me basant sur les documents historiques qui nous sont
restés et dont les informations ne sont malheureusement pas
très explicites, j'ai essayé de délimiter géographiquement ces
peuples, et dans ce but j'ai dressé la carie fig. 1, où sont indi-
quées aussi les peuplades voisines. Cette carie, qui compreud
toute la région occupée par la Cordillère des Andes depuis
le 22*^ jusqu'au 33*^ parallèle Sud, montre la distribution des
peuples américains dans cette région au wi*^ siècle, c'esl-à-dire
à l'époque de la conqucle de ces pays par les Espagnols, .l'y
ai tracé des limites pour les Diaguites, les Atacamas et les
Omaguacas seulement, car il serait aventureux d'essayer de le
faire pour les peuplades de la plaine, les renseignements (pie
nous en possédons étant trop vagues. Afin de rncililcr la com-
paraison avec les cai-tes courantes, j'ai doimé les limites des
lépubliques et des provinces actuelles. Les chefs-lieux dont ces
d(M'nières tirent leurs noms sont marqués en gros caractères.
Plus loin sont insérées deux aulres caries à des ('clielles plus
6 ANTIQl ITKS DE LA REGION ANDINE.
i^randes. La première, fi(j. 10, représente la partie la plus
importante de la région des Diaguites et indique les localités
intéressantes au point de vue de l'archéologie et de Tethno-
graphie. La deuxième de ces cartes, qui se trouve k la fin du
présent ouvrage, est une carte archéologique détaillée des
légions de Jujiiv, de Salta et de la Puna de Atacama que j'ai
i^arcourues. Ces deux cartes doivent être consultées pour les
détails des régions qu'elles comprennent, tandis que, pour le
reste du territoire, les localités que je nomme au cours de ce
travail se trouvent sur la carte générale, ^^. 1.
Sources historiques de la Carte ethnique. — Pour la déli-
mitation géographique du territoire des anciens Diaguites et
pour la localisation des peuples qui les entouraient, deux do-
cuments puhliés dans les Rclaciones Gcogràficas de Induis sont
d'une grande importance. Ce sont la Reîacion de las provincias de
Tiiciiman, par Don Pedro Sotelo Narvaez (253), écrite en iSS*^
et la lettre du P. Alonso de Btirzana (55) au Provincial des .h
suites, datée à l'Assomption-du-Paraguaydu 8 septembre 1^)94-
Pedro Sotelo Narvaez, habitant de la capitale de l'ancienne
province espagnole de Tucuman, la ville de Santiago del
Estero, v était un citoven notable. 11 fut condamné à mort par
le gouverneur Don Hernando de Lerma, comme un dange-
reux partisan de Don Gonzalo de Abreu, prédécesseur et rival
de Lerma, et acquitté ensuite par VAudiencia de los Charcas. Cet
épisode, raconté par le P. Lozano (220, iv, p. 35i-352), est le seul
renseignement biographique que je connaisse sur Narvaez. Sa
relation, écrite avec précision, clarté et concision, dénote une
connaissance approfondie du territoii'e qu'il décrit et des In-
diens qui y habitaient. Cette relation correspond en général
au questionnaire du Gouvernement espagnol intitulé : Ccdida,
Instruccion y Memoria para la formacion de las rclaciones y dcs-
cripciones de los pueblos de Indias , circiiladas en 1577 , question-
naire qui a suscité tant de documents importants pour la con-
naissance de l'Amérique préhispanique.
CARTE ETHNIQUE. 7
Alonso de Bârzana^'', «l'apôtre de Tiicmnan», naquit à
Cordoiie^""^ en i5'i8, fut l'ec^u dans la (Compagnie de Jésus eu
i565 et envoyé eu Amérique eu iSGg. Les Jésuites avaient
divisé, à cette époque, l'Amérique du Sud eu deux provinces :
le Brésil et le Péiou. \.e Provincial de cette dernière résidait à
Lima. Ce fut dans cette ville que Bârzana commença à dé-
ployer son activité. La connaissance des langues indigènes était
naturellement de première importance pour la conversion des
Indiens. Barzana se fit remarquer par son exceptionnel talent
de linguiste en composant des grammaires et des vocabulaires
des langues péruviennes. En i586, il passa en Tucuman avec
les premiers jésuites qui y furent appelés par Don Francisco
de Victoria, premier évoque du nouveau diocèse de Tucuman.
Depuis cette époque, il ne cessa de visiter les sauvages; nous
le trouvons tantôt à Santiago del Eslero, à Côrdoba, ta Es-
teco, dans la Vallée Galchaquie, tantôt dans le Grand Chaco et
au Paraguay, où il passa en 109.3 comme premier commis-
saire de rinquisition. Le P. Nicolas del Techo (341; 1. i,r. wn,
XXVI, XXVII, xxxvni, XLiii, xliv; l. 11, c. xi, xv, etc. ; p. 18, 20, 26, 3o, 3i , /|3, /17)
nous donne beaucoup de renseignements sur les voyages de
Bârzana et rend également compte de ses travaux linguis-
tiques. On a raconté des merveilles de son endurance dans les
voyages et il semble qu'il avait appris onze langues américaines.
''' Son nom est généralomont ('"crit
Jiârzena , ([uolquorois liûrcena ou liârsena.
Mais, en piihliani la lettre ([lie nous avons
mentionnée, M. Mârcos Jiménez de la
Espada emploie l'orthographe Bârzana,
sans doute parce (pie le nom est ('-erit ainsi
dans cette lettre, et B;'irzana signe de
même, d'après Sommervogel (44, 1 , p. 997),
plusieurs documents conserv(;s à la Bihlio-
lh('(pie nationale de liima. Fray Luis-
Geionimo Ore (275), dont B;irzana avait
6[à le collaborateur, et le P. liartolomé
Alcazar (7, n, |>. ay"?), dans sa Chrono-
Historia de la Compania de Jeans en la Pro-
vincin de Tnledn , ainsi que le P. Ijozano
(219) dans la Dcscripcîon chovocjraphiea del
gran Cluico, écrivent aussi Bârzana. Pour
ces motifs, j'adopte cette (lerni(*re orllio-
g'"
phe.
<"' Selon les PP. Hihadeneira ci Ale-
gambe (309, p. 17]. .Mais le P. Alcazar
(7, ii,p 273) dit (pie Bilrzana — d'apn^'s
un catalogue conservé dans les archives du
Collège impérial des Jésuites de Madrid
— était enrej'islré comme né à Vêlez
(Malaga). l'inlin, suivant Don Maitiii
Ximena Jurado, dans les Anales del nbU-
padn de Jaen , le lieu de naissance de B;ir-
zana serait Baeza (province de Jaen).
8 ANTIQUITÉS DK LA RÉGION ANDINE.
Bârzaiia momul à Giizco en 1598, à Fâge de 70 ans. 11 y avait
été apporté sur une litière, ayant élé frappé d'une attaque de
paralysie lojs de son dernier voyage. Malheureusement pour
la science, très peu de ses ouvrages linguistiques ont été con-
servés jusqu'à nos jours. Sa lettre, dont nous nous servons,
contient une description sommaire des pays où Barzana avait
passé, très claire et très précise.
l\armi les Relaclones Geocjràficas se trouvent deux autres rap-
])()rls sur l'ancienne province de Tucuman : l'un très court,
de Don Diego Pacheco (282); l'autre consiste en une descrip-
tion de l'expédition qu'effectua le général Don Geronimo Luis
de Cabrera, depuis Santiago del Estero jusqu'à Gordoba. Une
lettre du licenciado Juan de Matienzo (232) au roi d'Espagne
contient aussi de précieuses informations géographiques et
ethniques, sur le nord du territoire andin de la République
Araentine. Enfin , sur le sud de la Bolivie et sur le Désert d'Ata-
cama, une autre lettre, celle de Don Juan Lozano Machuca
[222), factor de Potosi, au vice-roi du Pérou, donne des ren-
seignements intéressants.
Tous ces documents, contenus dans les Relaciones Geofjrà-
fcûs de Ind'ias, doivent être considérés comme les informations
les plus authentiques sur le territoire que nous étudions, car
ils ont été écrits peu d'années après la conquête du Tucuman,
lorsque ses habitants autochtones étaient encore dans leur
état primitif. Ces documents sont tous presque contemporains
entre eux et ils ont pour auteurs des Espagnols qui connais-
saient personnellement le pays et décrivaient d'api'ès ce qu'ils
avaient vu et entendu, indépendamment les uns des autres, ce
qui permet de contrôler la véracité de leurs récits. Ainsi on
ne peut supposer que Narvaez et Barzana se soient emprunté
des renseignements, et cependant leurs rapports concordent.
Les historiographes ])Ostérieurs de fancienne province de
Tucuman furent tous des jésuites qui ont écrit l'histoire de la
province jésuite du Paraguay, séparée en 1607 de celle du
l^'M•()u et (le ]nqii(>ll(^ faisaient partie le Tucuman et le Rio
CAUTK ETHNIQUE. 9
de la Plata. Un Français, le P. del 1'echo, occupe la première
place parmi ces historiens.
Nicolas del Techo, né à Lille en 1611, entra en i63o au
noviciat de la Compagnie de Jésus. Il partit en 16/19 P<>^"* le
Paraguay, où il fut plus tard le Provincial de l'ordre. Il mou-
rut en i685, à Apostoles, dans le territoire actuellement ar-
gentin de Misiones. Son nom était du Toict ou du Toit, mais,
comme antérieurement Jean du Toit ^^\ le franciscain apôtre du
Mexique, il l'avait traduit en espagnol, el c'est sous le nom de
del Techo qu'il est connu. Son Historia provinciœ Paraxjuaviœ fut
imprimée à Liège en 1673. Selon le P. Lozano, (221, 1, prologue),
Techo a pris une grande partie de ses renseignements sur le
Tucuman d'une histoire manuscrite du P. Juan Pastor cpii n'a
jamais été imprimée. Si cette information est exacte, la valeur de
l'ouvrage du P. Techo, loin d'être diminuée, en serait augmen-
tée, car le P. Pastor avait été recteur du collège des jésuites à
Santiago del Estero dans la première moitié du xvii** siècle, et il
devait connaître très bien le pays où il avait été missionnaire.
Techo peut être accusé de partialité en faveur des jésuites,
chose toute naturelle, mais ses renseignements sur les Indiens
semblent être véricliques; sa méthode d'exposition et sa clii-o-
nologie sont supérieures en précision à celles de la plupart
des écrivains de son époque. L'ouvi'age de Techo est, après
les documents du xvr siècle, la meilleure source d'informa-
tions cpie nous possédons sur l'ancien Tucuman.
Pedro Lozano naquit à Madrid en 1697, entra au noviciat
de la Compagnie de Jésus en 1711 et arriva au Rio de la Plata
en 1717 environ. L'année de sa mort est inconnue^'-^l En Amé-
rique, il résidnit liabiluelleuient à Côrdoba, étant professeui*
(le philosophie (;t de théologie à l'université de cette ville. H a
fait aussi des voyages dans l'ancienne province de Tucuuian,
'"' Fray Juan del Tcclin, airivé à lu '"' Suivant M. Lamas. D'apn's Soin-
Nouvelle-I'iSj)a<,Mic en i.Mis, élail d'ail- nieivof^e! (44, v, |). i.loK Lo/ano seiail
leurs, roniMie son lioinonvun^, originaire ])arli <l(> i'Ks|)agn(' pour le Hio de la iMala
des l'Mandres. en 1 ■y 1 > el mort vers \''i^">\)-
10 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
au Paraguay et dans le Rio de la Plata. M. Andrés Lamas , éditeur
de Tun de ses ouvrages historiques, donne de lui, dans l'intro-
duction de cet ouvrage (220), une biographie assez complète,
bien que trop favorable. Lozano a beaucoup écrit. Les trois
ouvrages principauN: qui nous intéressent sont indiqués dans la
liste bibliographique à. la hn du second volume, sous les nu-
méros Q 1 9 , 2 20 et 2 2 1 . Il est clair que Lozano tient de Techo
la plus grande partie des renseignements sur les Indiens qu il
i:)ublie, et il l'avoue lui-même dans le prologue de son Historia
(le la Compania de Jésus en el Paraguay. Cependant Lozano a
ajouté quelques nouvelles informations recueillies auprès de
ses collègues missionnaires. Il a aussi examiné personnelle-
ment les archives de Santiago del Estero, de Tucuman et de
Salta, mais les renseignements qu'il a pu obtenir des docu-
ments conservés dans ces archives se rapportent plutôt à l'his-
toire des concjuistaclores espagnols qu'aux Indiens. Lozano a
de grands défauts. On s'aperçoit, en le lisant, qu'il commet
à chaque instant des erreurs géographiques et que ses connais-
sances personnelles du territoire qu'il décrit et de ses habitants
autochtones étaient très limitées. Il semble moins connaître les
Indiens et le territoire des provinces diaguites que les indi-
gènes et le pays du Paraguay et du Ghaco. Un autre défaut
de Lozano est la confusion et le manque de clarté dans ses
informations; on y trouve aussi souvent des contradictions.
Malgré tout, Lozano, compilateur de documents et savant de
cabinet, reste indispensable pour étudier fhistoire de la con-
quête de ces pays. Une histoire du Paraguay, de Buenos-Aires
cl du Tucuman, très connue, publiée au commencement du
XIX' siècle par Gregorio Funes (139), doyen de la cathédrale de
Cordoba, n'est guère qu'une rej^roduction servile de Lozano.
José Guevara, né à Recas, près de Toledo, en 1720, habi-
tait Gordoba à la même époque que Lozano. Il a écrit aussi une
histoire du Paraguay (154), mais cet ouvrage est un simple ré-
sumé de Lozano. Suivant Azara (42, i; p. 26), les jésuites de Gor-
doba avaient chargé le P. Guevara d'une revision des ouvrages
CARTE ETHNIQUE. H
(1o Lozano, et il aurait profité de cette circonstance pour écrire
son liistoire,(lont on trouva le manuscrit dans les arcliiv(\s des
jésuites après leur expulsion en 1767, par le gouvernenr Don
Francisco de Paula Bucarelli y Ursua. Guevara fut aloj-s em-
barqué pour TEurope à bord de la frégate la Vénus, et on ne
sait ce qu'il advint de lui, comme c'est aussi le cas de Lozano.
Pierre -François -Xavier de Charlevoix, jésuite français,
naquit à Saint-Quentin en i68*i. Il fit, de 1720 à 1722, un
voyage très accidenté et très périlleux à travers le Canada et
descendit le Mississipi ; il s'embarqua ensuite pour Saint-Do-
mingue, mais fit naufrage et dut retourner, en longeant à pied
la côte delà Floride, cà fembouchure du Mississipi; il rentra
enfin en Europe en passant par Saint-Domingue. Le P. Cliarb^-
voix consacra le reste de sa vie à écrire fhistoire du Japon,
de Saint-Domingue, de la Nouvelle-France et du Paraguay. Il
mourut à la Flèche en 1761. Ses ouvrages sont des recueils
très complets de tout ce que Ton savait, à son époque, sur les
pays dont il s'est occiq^é, et leurs nombreuses éditions témoi-
gnent de fintérêt qu'ils ont suscité. h'Histoire du Paracjaaj fut
imprimée en 1767, deux ans à peine après la dernière œuvre
de Lozano, V Histoire de la Compagnie de Jésus an Paraguay.
L'ouvrage du P. Charlevoix est une récapitulation de ce qui a
été écrit par les auteurs antérieurs sur cette province jésuite,
et contient un bel ensemble des principaux faits historiques
de la conquête espagnole de ces pays, des descriptions de sa
flore, de sa faune et des Indiens, surtout de ceux du Cliaco
et du Paraguay. L'histoire de Charlevoix nous montre la ])ro-
fonde érudition de son auteur et son talent d'historiographe,
mais, au rebours de son livre sur le Canada, il n'ap|:)()rte |)as
de laits nouveaux et ne dit rien que n'aicmt déjà fait connaiire
les auteurs antérieurs, ce qui est tout naturel puisciu'il ne con-
naissait pas personnellement FAmérique méridionale.
Voyons maintenant ce que nous apjorennent ces aiilems, en
premier lieu sur les Diagiiites et les Atacamas (jui nous inlc-
ressent tout spécialement, et aussi sur les peuplades voisines
12 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
qu'il nous est nécessaire de connaître afin de nous rendre
compte de la limitation géographique de ces deux peuples.
Diaguites. — Ce peuple occupait, à l'époque de la conquête
espagnole, toute la région montagneuse du territoire argentin
actuel, depuis le Nevado de FAcay et la Vallée de Lerma au
Nord, probablement jusqu'à la province de Mendoza au Sud;
il faut exce^Dter toutefois la Sierra de Cordoba où vivaient les
Comechingons, dont la culture, de même que celle des Dia-
guites, paraît avoir eu des affinités avec le type andin, mais qui
ne parlaient pas la langue générale des Diaguites, le cacan.
Aucun document ne mentionne des Diaguites au noi'd de
TAcay, excepté la relation de Narvaez (253, p. i/i8), d'après laquelle
les Indiens de Casabindo, sur le haut plateau de la Puna de
.Tujuy, «parlaient la langue des Diaguites». Mais, nous le ver-
j-ons en nous occupant des Atacamas, il résulte des découvertes
archéologiques et des documents écrits qu'ils n'étaient pas des
Diaguites. Quant à la Vallée de Lerma comme limite nord
des Diaguites à fépoque de la conquête, Narvaez (253, p. i5o)
(lit que cette vallée était habitée par des Lules, et que les
Diaguites de la Vallée Galchaquie s'y rendaient seulement
pour leur commerce. Le D'" Francisco P. Moreno (245, p. n),
qui connaît bien ces régions, donne aussi l'Acay comme la
limite des Diaguites, ou, ainsi qu'il le dit, de la «civilisation
calchaquie » , vers le Nord.
Narvaez (253, p. 1/17-1/18) rapporte « qu'il y avait dans les mon-
tagnes des Indiens qui dépendaient de Santiago [(jue scrvian à
Saiit'uKjo) , habillés comme les Diaguites et parlant leur langue »;
plus loin, «que les vallées, grandes et petites, depuis Santa
Maria jusqu'au Chili, étaient habitées par des Diaguites belli-
(rueux» et que, parmi les Indiens dépendant de Tucuman,
il y avait aussi des Diaguites. Dou Diego Pacheco (282, p. 137)
conhrme cette dernière information en disant que les Indiens
que « servian à Tucuman » étaient des Diaguites et des Juris.
Le P. Bârzana (55,p. uv) donne la Vallée Calchaquie, la Vallée
CARTE ETHNIQUE. 13
(le Catamarca, une grande paiiie de La Rioja et une partie de
Santiago del Estero comme habitées par des Diagiiiles. Le
même Bârzana [ihid., p. lvi) alllrme que les Calchcuiius élaient des
Diacjaites.
Antonio de Herrera (164; déc. vm, i. v, c. ix; t. iv, p. 107) mentionne,
en i6oo environ, des Diaguites clans La Vallée de Quinmivil,
qui fait partie du département actuel de Belen (Catamarca).
Techo (341) applique, dans plusieurs chapitres de son ou-
vrage, le nom de Diaguites aux Indiens des provinces actuelles
de Salta et de Catamarca. Ainsi il dit que le lieutenant gouver-
neur de Salta avait des Diaguites dans le territoire qu'il com-
mandait (1. II, c. xix; p. /jcj), et qu'il en existait aussi dans la région
située entre San Miguel de Tucuman et Londres : la « Vallée de
Aconguinca » (Aconquija), et dans la Vallée de Yocavil (1- iv,
c. VI; p. 102).
Lozano (220; i, p. 177) définit le territoire des Diaguites comme
comprenant \esjiirisdicciones de la Ciudad delValle (Catamarca)
et de La Rioja, jusqu'à leurs limites avec le Chili, et aussi une
partie de lnjunsdiccion de la ville de San Miguel de Tucuman.
Lozano mentionne d'ailleurs partout dans son ouvrage des Dia-
guites habitant dilïerentes parties interandines de ce territoire.
Ainsi, pour ne citer que deux exemples, il j^arle {il)i<l., n, p. /n'.».)
des (( Diaguites de La Rioja»; à un autre endroit {ibid.. iv, p. /i7o),
il rapporte que les Abaucans et les Huai fins des Vallées d'Abau-
can cl de Hualhn, dans les départements actuels de Tinogasla
et (le Belen (Catamarca), parlaient la langue des Diaguites, l<'
cacau, par conséquent ils étai(;nt des Diaguites.
\a\ proviiwia de Tacunian, promneia del Taeainaii on pronneias
de Tnciunati, c(>mj)r(;uait les provinces argentines actuelles de
Jujuy, Salta, Catamarca, Tucuman, Santiago del Estero, La
rdoja et Cordoba''^. Le gouverneur résidait à Santiago. On
''^ Ces territoires relevaient du gouvcr- Nievas. Il faut distinguer cette ancienne
nenient espagnol du Chili iu?([n'cn ir)(i3, province du Tucuman , d'une aussi vaste
année où fut créée la province du Tucu- étendue, de la province argentine aclucllc
nian , par le vice-roi du Pérou, comte de du même nom.
14 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
voit souvent donner à cette ancienne province de Tucuman
différents noms, dont l'un, celui de gobernacion de Tucuman,
Juries y Diaguitas, signifie «gouvernement de Tucuman, des
Indiens de la plaine (Juris) et des régions montagneuses (Dia-
guites)». Ce terme est fréquemment employé par Lozano et
également par Herrera (164; dec. vm, i. v, c. vm; t. iv, p. i35). Lozano
(220, IV, p. )o3) dit aussi : provincia de los Diacjuilas. En i6o4i
un gouverneur, Don Francisco de Barraza y de Cârdenas,
s'intitule capitan (jeneral y justicia major de estas provincias
de Tucuman, Juries y Dlacjuitas y ComecMmjones , en signant deux
concessions de terres d'Esteco , dont des co2:)ies ont été publiées
par M. M. -R. Trelles (352, i, p. 111-117). Le i^om « Comechingons »
se rapporte aux Indiens de Cordoba.
Nous le voyons donc : tous ces renseignements des anciens
historiens établissent de la manière suivante les limites du ter-
ritoire occupé, à fépoque de la conquête, par les Diaguites :
la partie montagneuse de la province actuelle de Salta, au sud
de fAcay et de la Vallée de Lerma; les provinces entières de
Catamarca et de La Rioja; la partie montagneuse de la province
de Tucuman, c'est-cà-dire les pentes orientales de la Sierra de
Aconquija.
Au nord des montagnes et des vallées des Diaguites s'étend
le haut plateau — d'environ 3,4oo mètres d'altitude moyenne
au-dessus du niveau de la mer — dont la partie orientale se
nomme la Puna de Jujuy, et la partie occidentale, la Puna de
Atacama. Les habitants de la première de ces régions n'étaient
pas des Diaguites : les documents historiques et les recherches
archéologiques le démojitrent. Mais, dans la Puna de Atacama,
il est difficile d'établii* la limite entre les Diaguites et les an-
ciens Atacamas. Sur la carte ethnique, j'ai attribué provisoire-
ment le sud de la Puna de Atacama, où sont situées Anto-
lagasta de la Sierra et Antofalla, aux Diaguites, parce que la
plupart des débris archéologiques du premier de ces lieux
offrent une analogie remarquable avec les vestiges des vallées
des Diaguites. Cependant, je le sais, ces antiquités n'ont été que
CARTE ETHNIQUE. 15
très sommairement étudiées par M. Juan B. Amlirosetti (28),
qui n'a pas visité personnellement cette région et se base sur
des objets d'une autlienticilé douteuse. Mais les communica-
tions de la Vallée Calcbaquie ou de Belen, anciens domaines
des Diaguites, avec Antofagasta de la Sierra sont relativement
faciles, tandis que d'immenses déserts séparaient ce dernier
endroit des Atacamas de la Puna de Jujuy et des environs du
Salar de Atacama. Bien que les Diaguites ne se soient pas, en
général, étendus sur le haut plateau, il n'est donc pas invrai-
sendjlable qu'ils aient eu des colonies à Antofagasta de la
Sierra et aux environs.
En dehors des territoires où les historiens placent les Dia-
guites, il est une autre région dont les vestiges archéologiques
ont une analogie 2:)arfaite avec ceux de la région diaguite en
général : c'est la partie montagneuse de la province de San
Juan. Les auteurs que nous avons cités ne s'occupent pas de
San Juan , car ils étaient les historiens du « Tucuman » ; or San
Juan, après la conquête, appartenait à une province espagnole
très didérente, celle de Cuyo, placée sous la dépendance des
gouverneurs du Chili. Les historiens du Chili ne nous donnent
pas non plus des renseignements suffisants sur San Juan. Le
P. Alonso de Ovalle (278) est presque le seul auteur que l'on
puisse consulter; nous reparlerons de lui à propos des Iluarpes.
Il ne nomme pas les Diaguites, ce qui cependant ne doit pas
nous étonner, car il est très possible que les Espagnols du Chih
et ceux de Tucuman aient donné des noms diflérents aiiv
mêmes Indiens. Peut-être aussi le P. Ovalle n'a-t-il pas voyagé
dans les vallées de la Cordillère de San Juan, la roule du
Chili passant par Mendoza, c'est-à-dire ])lus au Sud : il ne
paraît pas connaître les Indiens de ces vallées. San Juan n'a
pas encore été exploré aichéologiquement, mais, pour au lai il
qu'on puisse; émettre un avis sur des collections laites par des
amateurs^'^ ces collections et les pièces isolées que j'ai eu l'oc-
'■' L'un d'eux, M. Dcsiderio S. Aguiar c olleclion. Os piiMiciilions n'oiil pas de va-
(5 cl 6), a publié deux opuscules sur sa leur scienliiiquc, niais les figures sont iule-
16 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
casion de voir montrent nne analogie parfaite avec les vestiges
préhispaniques de la région des Diagiiites en généra] : il n'y a
pas une seule pièce qui puisse être considérée comme carac-
téristique à San Juan; on les retrouve toutes en Salta, Gata-
marca ou La Piioja. Les ruines préhispaniques de la Tamheria
de Calingasta ^^^, en San Juan, ressemblent aussi, d'après mes
données, à celles de la région des Diaguites. D'ailleurs le
D' H. F. G. ten Kate (343, p. 61) a étudié un grand nombre de
crânes et de squelettes provenant de sépultures préhispaniques
de Jachal, de Galingasta et des environs de la ville de San
Juan, et il a trouvé que la plupart de ces crânes « ressemblent
tellement cà certains crânes calchaquis (diaguites), qu'il y a lieu
de se demander si nous n'avons pas affaire Là à de véritables
Galchaquis (Diaguites) ». Tout ce qui précède semble indiquer
que la zone montagneuse de la province de San Juan faisait
partie du territoire diaguite.
Les Diaguites constituaient une unité ethnique, non seule-
ment au point de vue de leur culture, mais aussi linguistique-
ment. Ils parlaient tous une langue commune, le cacan, caca
ou kakan. Le P. Barzana (55, p. liv) nous donne sur ce point
des renseignements très précis : «Le cacan est parlé par tous
les Diaguites, dans toute la Vallée Galchaquie, dans la Vallée
de Gatamarca et dans une grande partie de la Nueva Rioja. »
Lt plus loin {ilnd., p. Lviii) il ajoute que le cacan était en usage
«dans La Rioja et à Famatina». Narvaez (253, p. làA) rapporte
que les Indiens de la province de Tucuman «parlaient nue
langue générale qui s'appelait le diagidte, bien qu'il y en
eut quatre auti-es : le tonozote (tonocoté), l'indama, le sana-
viron et le Iule». Le diaguite de Narvaez est évidemment
le cacan des Diaguites, tandis que les quatre autres langues
ressantes, parce qu'elles établissent celte ''' Tamheria yienidumotqnichuatambo,
grande analogie entre la partie monlagneu- stations ou relais qui se trouvaient le
se de San Juan et le reste du territoire des long des routes péruviennes à l'époque
Diaguites, au point de vue arclicologique. incasique.
CARTE ETHNIQUE.
17
concernent les peuples de la plaine que nous mentionnerons
ensuite. Le P. Bârzana [ibid, p. nv) avait composé un Arie y vo-
cabnlario cacan. Il dit lui-même : « Hay liée ho artc y vocahalario
desta lengiiay^, et Teclio (341; 1. 1, c. xun; p. 3o) '^^ nous informe
^'' ^iltaque sesqiiicnnali spatio Alfonsus
Barseiia, sexaginla quinqae annorum senex ,
iiimliahili aidmarum Christo lucrandaruin
desiderio Jlagrans , coininunicatis ciim Petro
Agnasco stndiis, Guavanicam, Naticam,
Qiiisoqiiinam, Ahipomcaiii , Quiranguicam j
lingnas didicit , Vocahulariis , Riidimenlis ,
Catechismis et Concionibus , ad earuin usuin
composids : cum tamen, antequam uterqiie e
Tuciimania discederent, Tonocotanam , Ka-
kanain, Paquinam, Quirandicam , ad prœ-
ccpla et lexica eo fuie reduxissent , ut Sociis
in parlein laboriim ventuvls facilitatein ad
cas perdiscendas adfenent. Atque ut latUis
ulililas Sicrperet , Petrus Agnascus pleraque,
omnia ab Alfon.w Barsena prœsertim
compoiita , eleganlissimo caractère plnries
transcripsit, transcriptaque publici jnris
fecit. »
Tous les auteurs modernes rapportent
qu'un ouvrage de Bârzana aurait été im-
primé à Lima, ouvrage contenant des vo-
cabulaires, des principes de grammaire,
la doctrine chrétienne et le catécliisme en
puquina, tonocoté, cacan , guarani et en
mogosna, langue des Indiens Mogosnas
habitant la partie orientale du Chaco ar-
gentin , prcs de Rio Paraguay, d'après ce
qu'on ])eut voir dans les documents pu-
bliés par M. M.-R. TroUes (352, , , ,,. 353-:;:)/. )•
Le désir de découvrir l'ouvrage.de Bâr-
zana sur le cacan m'amena à une en-
quête bibliographique qui m'a convaincu
que cet ouvrage n'a jamais été imprimé
et que ce ne serait que comme manuscrit
que l'on pourrait avoir l'espoir de retrou-
ver un jour l'étude sur le cacan.
Dans la Bibliothcca scriplorum Societniis
Jesu , les PP. Ribadeneira et Alegambe
(309, [)• 17) donnent sur Bârzana nia oticc
suivante :
nScripsil hic TacunianCiisiuin Aposlulu.t
i.
[quonwdo cum passini appcUanl) in niul-
tariini gentiuin utilitatein :
« Lexica ;
« Prœcepla graniinalica;
«Doctrinam Christianam ;
« Catechismum;
u Libruni de confessionis rulione , niullis
additis prccationibus sernionibusque qiiinqne
Indorum lingais, quarum longe lateque per
Americœ Australis mediterranea usns est,
Puquinica, Tenocotica , Catamareana, Gua-
ranica , Nalixana, qnam ctiam Mogazna-
nam vocant ad quas phirimœ aliœ reduc-
lantur. »
Dans la nouvelle édition de la même
Bibliothcca (Rome, 1676) parle P. South-
well (310, p- 33), cette notice se trouve
reproduite textuellement. 11 y a deux er-
reurs d'impression : Tenocotica pour To-
nocoticaei Catamareana pour Catamareana.
Bien que la première édition de la Bi-
bliotheca ait été imprimée trente ans avant
l'ouvrage de Techo, celui-ci n'a pas em-
prunté aux PP. Riljadeneira et Alegambe
ses renseignements sur les langues étu-
diées par Bârzana, car les deux notices
sont bien différentes.
Antonio de Léon Pinelo (214), dans la
première édition de son Epitome, en
163g, ne monlionne pas Bârzana, mais,
dans la deuxième édition de cet ouvrage
par A. Gonzalez Barcia (215, n, toi. t^^),
en 17^7, nous trouvons la notice de Riba-
deneira et Alegambe traduite en espagnol
de la manière suivante : « El P. Alonso de
Bûrccna, nnlural de Vêlez, escribiô Voca-
bnlarios, Gramâtica , Doctrina Christiana .
Calecismo, en lengua de Tnciiman, i nn
libro del modo de conjharw , cou muchas
Oraciones i Sermoncs , en ciuco Icnguas In-
dianas, Puquinica, Truccolica , Catama-
reana, Guaniuica i Natixana 6 Moguna , û
1
■•rriurmr niTinititt.
18
ANTIQUITfiS DE LA REGION ANDINE.
d'ailleurs que Bârzana avait appris, en Tucunian, le tonocoté,
le cacan, le paqui(?) et le quirandi(?), dont il avait composé,
aidé en partie par le P. Pedro Anasco, des grammaires et des
A'ocabulaires. Ce dernier a copié ces ouvrages en plusieurs
exemplaires, mais les copies semblent être toutes perdues.
La perte de l'ouvrage du savant P. Barzana sur le cacan
nous laisse dans une obscurité complète sur les affinités
ethniques des Diaguites : tout ce que l'on a écrit et tout ce
que l'on pourrait écrire sur cette question n'est et ne sera que
théories, jusqu'à ce que quelque américaniste soit assez heu-
reux pour découvrir un exemjilaire de ce manuscrit, égaré ou
las cnales se reducen olras de la Tierra
adeniro del Pcni, Tiiciunan i otras partes,
secjiin el P. Alcàçar, toin. 2 ,fol. 273 , i Alc-
gaiiibe, fol. 17.» — Barcla semble croire
que la «langue de Tucuman » est une
autre langue que le calainarcana ou cacan ,
alors qu'en réalité ces trois noms ne
peuvent correspondre qu'à une seule
langue, celle des Diaguites. Barcia a pro-
bablement pris ses renseignements dans
l'ouvrage du P. Alcazar (7, ii,p. 270), im-
primé en l'y 10.
Nicolas Antonio (35, i, p. i3), dans la
Bibliolheca Uispana nova, 1783, reproduit
la notice de la Bibliotheca scriptorirn S. J.
de la manière suivante : li Alphonsiis de
Barcena scripsit Indiarum quinqne
linguis , qiianin per ca loca iisus est : Lexica,
Prœcepta fjrainmatica , Doctrinam Christia-
nam , Catcrliisiiniin , Libriim de Coiifessionis
ralionc. »
Ainsi, les bibliograpbes anciens ne
disent rien d'un ouvrage imprimé de
Barzana; ils se bornent à constater que
celui-ci avait écrit des études sur diverses
langues indiennes.
Mais, en 1802, M. G. Peignot (283,
I, p. 3Go), bibliotbécaire delà Haute-Saône
et auteur d'un intéressant Dictionnaire de
bibVologie , commence à parler d'un vo-
lume imprimé. Il dit : «Alphonse Barzena
de Cordoue a publié : Lexicon et prœcepta
(jranimatica , it. lib. coiifessionis el precuni
in qainc. indorum lingais , quariint nsas per
Ainericani australem nempe puqninicà , teno-
colicâ , catamareanâ , rjuaranicâ , natixanâ,
s. marjusnanâ, Periiviœ, 1590, in-fol.n
Peignot a été suivi par M. J.-Ch. Brunet
(82) , dans le Manuel du libraire et de l'anui-
tenr de livres. Les première et deuxième
éditions de ce recueil ne mentionnent pas
Bârzana, mais, dans la troisième édition,
de 1820, nous trouvons le titre du soi-
disant volume imprimé reproduit presque
au pied delà lettre, sous la forme suivante :
« Lexica et prœcepta (jrammatica item
liber confessionis et precuin in quinqne In-
doru:n linguis, quurum usas per Americani
Australem, nempe Pnquinica, Tenocotica,
Catamareanâ, Guaranica , Nalixana sive
Mogaznana. Peruviœ , 1590. Infol. »
Brunet ajoute: «Livre très rare cité par
Sotwel , Biblioth, Soc. Jesu, page 33 , qui
n'en marque ni la date ni le lieu d'im-
pression, et par M. Peignot , Dict. bibliol.,
tome I", page 36o. C'est la plus ancienne
impression faite à Lima que l'on con-
naisse Le P. Alphonse Barzena ,
surnommé r« apôtre du Pérou», n'a point
d'article dans la Biographie universelle. «
La notice de Brunet est reproduite en
abrégé dans la Biographie universelle de
Felier (127, i, p. 377), de i838.
Il est de toute évidence que ce titre a
CARTE ETHNIQUE.
19
oublié peut-être dans de vieilles archives quelconques. Jusque-
là nous n'aurons que les vagues renseignements des auteurs
de relaciones, des chroniqueurs jésuites, et les données archéo-
logiques, pour identifier ce peuple qui a occupé une partie
si considérable de la région andine de l'Amérique du Sud.
Je démontrerai dans un autre chapitre comment tous ces do-
cuments indiquent une aiïinité complète entre la civilisation
des Diaguites et celle des anciens Péruviens.
Tout ce qui reste actuellement du cacan consiste en quelques
noms de lieux, mais il faut remarquer que la toponymie; de
la région des Diaguites est, presque en totalité, du phis pui-
été composé d'après la notice de Ribadc-
neira et Aleganibe , en gardant même les
erreurs d'Impression des mots Toiiocotica
et Catainarcuna. D'ailleurs le mot Pe-
riiviœ , employé comme nom de lieu de
publication , confirme le fait que le litre
a été arbitrairement composé. Il est sur-
prenant {[ue l'auteur de celte adaplation
n'ait pas remarqué que Ribadeneira et Ale-
gambe disent clairement scripsit et qu'ils
indiquent au moyen d'un numérotage
spécial les ouvrages imprimés, comme le
fait aussi Barcia en donnant toujours pour
ces ouvrages l'année et le lieu d'impression.
M. Charles Weiss, auteur de l'article
(I Bârzena » dans la Biographie univer.selle
de Michaud (237) [éd. de 1842], présente,
de même que Brunet, les travaux du P.
Bilrzana dont nous nous occupons, comme
un ouvrage inq)rimé. 11 reproduit le même
titre : <i Lcxica cl prœcepla», etc., y com-
pris les bévues typographiques plus haut
signalées; mais il change le lion d'impres-
sion en mettant : En Los Reyes , apiid
Antonio Ricardo, 1590, in-fol., au lieu de
Peruriœ, 1590, in-fol., connue dans Pei-
gnol et Brunet. Dans la Biofjrapliie univer-
selle publiée antérieurement, en i84i,
par le même M. Weiss (375, i, p. 270), le
prétendu livre de Bàrzana portait encore,
comme lieu d impression , Peruviœ , 1590.
Les PP. de Backer(43, in, p. luj), dans
leur Bibliotlicqne des ccrirains de la Com-
pagnie de Jésus (i85/i-i86i), répètent le
faux litre ; « Lexica et prœcepla » , etc. , avec
la date d'impression : Pernriœ, 1590, don-
nés, par lirunet. Ils ajoulent que «le P.
Bârzena a encore écrit d'autres opuscules
d'après l'indication de nos bibliographes»,
après quoi ils copient la notice de Ribade-
neira et Alegambe : « Scripsil liic Tucunia-
nensiuni Apostolus » , etc. 11 est étonnant que
les PP. de Backer n'aient pas remarqué la
sinirulière coïncidence entre le titre du
soi-disant ouvrage imprimé et celle der-
nière notice.
Dans la nouvelle édition (1890-1900)
de la Bibliothèque des PP. de Backer,
l'éditeur C. Sonunervogel (44, 1, p- 097)
persiste à transcrire et le litre ^i Lexica
et prœcepla » comme celui d'un ouvrage
inqirimé, et la notice de Ribadeneira et
Alegambe.
Enfin le comte de la Vinaza (371 ,p. /i5),
dans son érudite bibliographie des langues
américaines, reproduit le tilre "Lexica
et prœcepla ... Peruviœ , 1590», comnae
s'il s'agissait d'un ouvrage imprimé; mais
il est évident (pi'il l'a pris de Brunel,
qu'il cite.
Toutes ces circonstances démontrent
que le litre donné par Peignol , et repro-
duit [)ar lanl d'autres, est laclicc-, el nous
n'avons aucun indice que les études de
20
ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
quicliiia et que les noms qui n'appartiennent pas à cette langue
sont rares; ce sont ces derniers que Ton suppose être cacans.
M. Samuel A. Lafone-Quevedo (199) a dressé une liste très
complète de noms de lieux et de termes d'origine indienne
encore en usage chez les habitants de la province de Catamarca ,
et il classe ceux qui ne sont pas quichuas comme « probable-
ment cacans ». Le cacan existait encore comme langue vivante
au XVII*' siècle. Ainsi Lozano nous apprend que le jésuite Her-
nando de Torreblanca était, en iGôy, le seul Espagnol «qui
savait la langue des Galchaquis ». Le mot cacana, d'après l'abbé
Lorenzo Hervas (165, i, p. 170), n'appartiendrait pas, du reste,
à cette langue, mais serait dérivé du quichua racrt = montagne.
Bârzana sur les langues énumérées dans
ce titre aient jamais été imprimées. Les j
renseignements de Ribadeneira et Ale-
gambe et de Techo indiquent également
que Bârzana, selon toute probabilité, avait
écrit un ouvrage spécial sur chaque langue .
au lieu de réunir les diverses langues dans
un seul ouvrage , comme le faux titre men-
tionné le fait croire.
M. .1. G. Th, Graesse (151,t. i, p. 3o5) a
été le premier à attirer l'attention sur ce
livre imaginaire, mais il donne une autre
indication qui semble erronée. Il dit que la
« Bll)llofhèque impériale de Paris possède
un Vocabiilario de Bârzena, imprimé à
Los Reyes en i586». J'ai fait des re-
cherches soigneuses pour trouver ce Voca-
bulario à la Bibliothèque nationale, mais
il n'y existe pas. Probablement M. Graesse
se réfère- l-il à un vocabulaire anonyme
de quichua qu'il attribue par erreur à Bâr-
zana. Cet ouvrage porte , à la Bibliothèque
nationale, la cote Rés. Inv. X2îi3,et son
titre est le suivant : Aiie, y vocahvlario en
la leiigva gênerai del Peiv llamada Quichua
y en la lencjca Espai'iola. El mas copioso y
élégante que hasta agora se ha impresso. En
los Reyes por Antonio Ricardo. Aiio de
M .D.LXXXVi. La préface est de l'impri-
meur Ricardo, qui dédie le livre au vice-
roi comte del Villar. M. de la Viiiaza
371 , p. ^3) donne quelques extraits des
Préambules de ce vocabulaire.
Pour terminer cet aperçu bibliogra-
phique sur les œuvres du P. Bârzana,
M. Joseph Sabin (319, i, p. k'x^), dans son
grand dictionnaire de bibliographie amé-
ricaine, ne mentionne d'autre ouvrage
imprimé de Bârzana qu'un Arte y Vocaha-
pris le titre de Lude\vig(223, p. 210), qui,
lario de la Lengua de los Indios Abiponcs y
Quiranguis , 210 pages, dont M. Sabin a
de sa part, dit l'avoir pris de Lozano. Ce
titre, sans lieu ni date d'impression, me
semble très suspect, et la publication du
travail sur les Ablpons et Quiranguls reste
pour moi extrêmement douteuse. Lozano
(219 , p. 116) dit que B;lrzana avait écrit un
arte de ces deux langues, mais sans ajouter
que cet ouvrage avait été Imprimé. C'est
là proljablement l'origine du titre.
Il semble que les seuls ouvrages lin-
guistiques du P. Bârzana, connus au-
jourd'hui, sont les textes en puquina,
publiés par l'évèque Ore (275), et peut-
être VArte de la lengua toha (56) qu'a fait
connaître M. S. A. Lalone-Quovedo, mais
([ui. paraît-il, ne peut être avec certitude
altiilmé au P. Bârzana. M. Enrique Torros
Salamando (351), qui cependant connaît
bien les archives de Lima, n'apporte rien
de nouveau à ce sujet.
(:\I\TE ETHNIQUE. 21
Les Diagiiites étaient divisés en de nombreuses tribus dont
nous retj-ouYons aujourd'hui les noms désignant des localités
ou des districts du territoire qu'ils ont habité. Lozano surtout
donne de longues listes de ces tribus dont nous citerons quel-
ques-unes : Tolombons, Pacciocas, Quilmes, Acalians, Hua-
chipas, Tafis, Anfamas, Andalgalàs, Mallis, Huasans, Huachas-
cliis, Pipanacos, Hualhns, Famayfds^ Abaucans, Gatamarcas,
Capavans, Copayampis, Paccipas, Guandacols, Famatins, etc.
Parmi les tribus des Diaguites, les Calchaquis ont attiré plus
qu'aucune autre l'attention des historiens, à cause de leur ré-
sistance opiniâtre aux Espagnols, résistance qui dura plus d'un
siècle après l'arrivée des premiers conquérants. Ils habitaient
la partie sud de la Vallée Calchaquie, les départements actuels
de San Carlos et de Gafayate, et on voit aussi désigner comme
Galchaquis les Indiens de la Vallée de Yocavil, prolongation de
la Vallée Galchaquie vers le Sud. Lozano nomme quelquefois,
dans ses énumérations des nations indigènes, les Galchaquis
de telle façon que l'on peut supposer qu'ils formaient une
nation indépendante à côté des Diaguites; mais plusieurs au-
teurs plus anciens nous apprennent d'une manière catégoi'ique
que les Galchaquis étaient bien des Diaguites, parlant leur
langue, le cacan. Bârzana (55,p. i.vi), le premier missionnaire
qui pénétra dans la Vallée Calchaquie en iôSq, le déclare très
nettement, et les jésuites Juan Romero et Gaspar de Monroy le
confirment d'une manière qui ne laisse aucun doute. D'après
Techo (341, 1. II, c.xvi-xviii; p. 47-/18), ces jésuites continuèrent, en
1601, l'œuvre de Bârzana et ils rendent compte eux-mêmes
de leurs travaux dans une lettre adressée à leur Provincial,
le P. Diego deTorres^^\ où ils désignent le territoire sous le
nom de Valle Calcliaclii , mais en appelant toujours ses habitants
des Diacjuui, sans employer une seule fois le nu)t « Galcha-
''' Cette lettre est insérée dans une re- Pndri Gio. Romero e Gnspuio di Monroy di
lallon (lu P. Torres (350) , publiée en italien Tiiciiinan. [Édhiou italiiimc, p. 22-3o; tWlition
et en français. l'Ule porto, dans l'édition française, fol. l'i-ig.)
originale italienne, le titre : Lctlera dclli
22 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
quis ». Ce témoignage prouve que cette dernière dénomination
lut tirée, à une date postérieure, du nom de la vallée. Techo
{ibid. ; l wu , c. m; p. .iôi) dit également que les Diaguites d'Andal-
galâ,Belen, etc., étaient sanguine et hncjua Calchacjmnis affines.
Romero et Monrov, dans la lettre citée, mentionnent aussi
des Indiens nommés Pulares qui habitaient une partie de la
\ allée Galcliaquie, et Lozano parle souvent de ces Indiens,
qu'il localise dans la partie nord de la vallée. Bien que Lozano
donne une certaine autonomie à ces Pulares en les énumérant
quelquefois parmi les principales nations de l'ancienne pro-
vince du Tucuman, parallèlement aux Diaguites, aux « Ju-
ris » , etc. , il me semble probable qu'ils n'étaient qu'une tribu
des Diaguites et même qu'ils faisaient partie intégrante des
Calcliaquis. Ils devaient parler le cacan, car aucun auteur ne
mentionne une langue qui leur fut spéciale. Lozano (220, v, p. Gi,
160, 2i3) cite des Pulares près de l'Acay, ta Chicuana, située
entre Gaclii et Molinos, et à Luracatao, dans les montagnes à
l'ouest de Molinos. Ces renseignements précisent l'étendue de
leur territoire.
Tous les auteurs donnent aux Diaguites les épithètes de bel-
liqueux, guerriers, terribles, grands tireurs d'arc, etc. Techo
(341; p. 147-148) nous a laissé quelques renseignements curieux
sur leurs mœurs et leurs coutumes. Dans le xxii^ chapitre du
v° livre de son Ilistoria, après avoir défini géographiquement
la Vallée Galchaquie, en y comprenant aussi, semble-t-il, la
Vallée de Yocavil, il décrit les habitants de cette vallée comme
fort guerriers et très vaillants, toujours en rébellion contre
les Espagnols, et défenseurs opiniâtres de leur liberté. Les
femmes, portant des torches allumées, excitaient leurs maris
au combat, et, si ceux-ci voulaient fuir, elles les obligeaient, en
brandissant les torches, à retourner à la bataille. Ces femmes,
lorsqu'elles voyaient la bataille perdue, se jetaient du sommet
des rochers en bas, pour ne pas tomber entre les mains du
vainqueur. Les jésuites eurent beaucoup de difficultés j^our
CARTE ETHNIQUE. 23
convortir los Galcliaquis. Enfin en i64i furent déllnitivenient
établies les missions de San Carlos et de Santa Maria, fondées
déjà en 1617, mais souvent détruites pendant les rébellions
des Indiens et toujours restaurées avec cette ténacité carac-
téristique aux fds d'Ignace de Loyola. San Carlos et Santa
Maria sont aujourd'hui des chefs-lieux de départements, ap-
partenant l'un à la province argentine de Salta, et l'autre à celle
de Catamarca.
Techo consacre le chapitre suivant, le xxiii'' du v^ livre,
tout entier aux coutumes et aux cérémonies des Calrhaqnis.
Le texte de ce chapitre mérite d'être reproduit :
De Calchaquinorum moribus. — Calchaqiiinos ah Jiidœis onfjincm diiccrc
indc prima orta siispicio est, qiiod siih priimim HispanoruDi iiujrrssum ah non
paacis Davidis et Salomonis nnmina usuipari in hâc valle rrprrtani sit; et asse-
rcvent (jcntis anlicjiiissimi , majores siios olini circumcidi solere. Defnnctorum fra-
triim semen siiscitare : vestis ad tcrramjluxa, et ad siniim cimjiilo collecta, aliipiod
Jiidaici moris indiciiim hahet. Siispicionem liane aiujet quonimdam opinio apud
Josephiim Acostam et alios aatlwres Americanorum orifjinem adJndœos referentinm.
Gens omnis, nt Jiidœi, ad insaniam siiperstitionihiis dedita est. Arbores plnmis
ornatas passim adorât, adeo ut in illani jactari possit (jiiod olini in Sinagocjam ,
sub omni arbore frondosâ prosternebaris millier. Soleni pro primario Numine, pro
feciindariis Diis tonitriiiun et fulgiir colit. Acervis lapidiim, Majoriim suoriim
monumentis [nt ex eo ctiam Jiidœos agnoscas) sims est honor. Magos pro medicis
ac sacerdotibiis vcteralionihiis insignes veneralur. Hi in semotis sacellis decjnnt,
Dœmonem consultantes, aut abs se consultari fmgenles. Hiijusmodi Sacerdotiim
ojficiuni est, alios nefandis prosus execralionihus initiare. Apud initiatos pleriun-
(pie puhlicas debacchationes exercent : finariim dehacchationum tanta est frrocitas
et tarpitudo, (juanUim mctiias ah projligatissimis morlalihus ebrielate (juolidiana
acfnrore corriiptis. Ubi vino incalnere, in miituam prœteritarum injuriarnin rin-
dictam in sese tiimiiUuose involant, capita inviccm arciibiis ferienles. In Itis bac-
chanalibiis prœliis declinarc ictum, aut manu averlere , perpelun dedecori est :
ruinera vero accepisse , sancjuinem large Judisse faciem dejormari, inler piimaria
décora computant. Calenlc jam debacchatione , Sacerdos multa verba deblaterans
cciDW calvam sagitlis hirsutam Soli consecrat, aqris fertilitatem deprccans :
exccrandam mox calvam allcri tradlt, (put acceplala, deharchalionis se(iuenlis
indupcralor constituitur. Sic per orhcm (jenlis primores Irsserd accepta, tolain
vitani inler furibiinda hilaria transigunt. la sacrificiis a Mago animalium san
gnine expin(junlur. Scd nus(iuam alihi insaniiinl mugis, (juam m funerihus. Ad
24 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
moribundi domuin coiicurruut consamjiiiiiei omnes ac amici, diii noctaqiie morbi
temporc compolilalnri : œcjroti liomims stratuni innumcris scujitis solo injîxis cir-
cumdant; ne mors scilicct, sagittanim metii, accedcrc aiidcat. Rcccnlcr inoiiuuin
quanta possunt vociim conlentione lamentantiir. Circa cadavcr scdi iwposiliini ,
omnis gcneris cibos et vinuni depomint, focos excitant, thiiris loco nescio (juas
frondes concremant. Ad commovendam commiserationeni viri fœnimœcjue snpel-
lectilcm defancti nniltitudini ostentant; aliis intcr insanas clwreas ac saltitationes
cri cadaveris , quasi cornes tari, cibos admoventibiis , et frustra admotos pro mortao
decjlutieniibns. Octiduo in liis et aliis insaniis transacto cadaver sepeliunt , canes,
arma, eqnos et defnncli cœteram supeUectilem , variasque vestes ab aniicis oblatas,
in camdeni cum eo fossam conjicientes. Subinde domum mortmdem , ne scilicct
mors eo iterum redeat, concremant. Anno integro in luctuposito, anniversarium
iisdem cerimoniis célébrant. Pro veste lugabri corpus nigrore inficiunt. Ne quid in
his omnibus peccetur, magistrum ccrimoniarum adliibcnt. Nullum morte natarali,
sed omnes violenter mori aatumant ex quel hacresi mutuis suspicionibus perpétua
livescunt aut prœlianiur . Dœmone, ut bella seminet, vere aut mendaciter mor-
tium authores per Magos quandoque dilvugante. Animas suorum post mortem
existimant in stellas converti, eo splendidiores , quo invita fucre aut gradu aut
facinoribus insignores. Festis diebus plumis versicoloribus se coronant. Capillos ad
cingulum usque promissos vittisque discriminatos muliebriter innodant. Brachia
cubito tenus argenteâ œneave lamina ad usum sagittandi, et ad adliquod corporis
ornamentum , vestiunt. Gentis primores orbe argenteo œneove diademati inferto
frontem cingunt. Pueri usu veneris interdicuntur, donec ab veteratoribus nefando
prorsus rita emancipentur. Virgules pictis vestibus utuntur, quas prostato pudore
in simplices vertunt. Calcliaquinorum factiones contimiis ferme bellis sese confi-
ciunt. Nihil potentius focmiius ad pacem inter utramque armatorum partem indu-
cendam, Barbarissimis morlalium sexui, a quo lac ac alimoniam sumpserunt,
omnia facile concedentibus. Triginta millia Indigenarum inpagis oppido plurimis
incolentium sub id tempus esse perhibebantur : quamquam de hoc numéro discon-
venire reperio etiam illos, qui gentem excoluere. Sed in hoc convcniunt omnes,
quod Calchaquini tam facile Christianorumfidem approbent, quam postea nulla
causa execrentur. Ex his, quiolim baplismum susceperant, nullus Christianorum
more vivebat. Promiscue cum Ethnicis avitos ritus omnes sine discrimine usur-
pabant. Quare Socii communi consilio decrevere, nullum imposterum ex hac
gente baptizandum, nisi in mortis articula, aut multorum annorum experimento
probatum. Infantes liberius sacris undis immergebantur. Quia igitur projliqandœ
prius erant Barbarorum inveteratœ consuetudines , quam Christianœ leges induci
passent. Patres imlli labori parcebant. Spreto mortis periculo ubique idola distur-
babant. In perversas sepeliendi ritus acri sermone invehebanlur, et si quid hujus-
madi erga baptizata corpora Christiani agere vellent, ne hid sieret fortiter pro-
hibebant. Prœterca maqnam vim adhibebant in ainovcndd plerorumquc opinione,
CAiriK K/niMOUE. 25
arhjtrantium se millâ in rc pcccarc, et proiiide millâ Exhomolo(jcsi indicjerc. Cuni
vevo in recjione perversd fructus non respondebat opcri, lutc se Sncii cfxjitdtione
solabantiir qnodJre(juenlibus nwricnlium puerorum et snbinde adaltonun hdptlsniis
minierwn Cœlestium cmgerent, obstaculoque essent ne pcdam (jens in Hispdnos
rebellaret, mit bella doniestica exercevet. Cœtciuni (juani ApostoUca esset liœc
expeditio, inde collecji potest, (juod bini in singulis sedibus Socii, barbaro cibo
contenti, miUo per alùjiwt annos Eiiropœorani consortio, sala cœlcstinni rernni
suavitate pascerentur. Singulis sedibus, prœter annucun stipeni, campanœ et orna-
menta sacra, Régis Catholici beneficentia , transmissa sunt : tanto Rege Bar-
baroruni miserrimos ad uUinins uscpie Orbis angulos libcraliter prosecpienfe.
On le voit, le P. Teclio commence ce chapitre en se de-
mandant si les Calchaquis descendaient des Jnifs, la théorie
de la descendance Israélite des Indiens en général étant très en
vogue chez les auteurs qui ont écrit sur T Amérique aux pre-
miers temps de la conquête. Mais Acosta (2;l.i, c.xxin; t.i, i).7o),
que Techo cite comme partisan de cette théorie, est justement
d'opinion contraire. A l'appui de la descendance israélite des
Calchaquis, Techo nous fait connaître plusieurs particularités
de ce peuple, intéressantes au point de vue ethnographique.
Ainsi il nous apprend que les ancêtres des Calchaquis, d'après
ce que racontaient les individus les plus âgés, pi-atiquaient la
circoncision. Le vêtement principal des Calchaquis était une
longue rohe retenue par une ceinture, probahlement la «che-
mise » péruvienne [camiseta des chroniqueurs) que nous décri-
rons plus loin, mais descendant au moins jusqu'aux genoux,
comme on le voit sur la fresque de la grotte de Carahuasi,
pvd^liée par M. .1. B. Ambrosetti (13), et aussi s ni- celle de
Pucarâ de Rinconada, dans la Puna de Jujuy, i-eprodiiile
plus \om,fi{j. Iâ7. Un frère survivant se mariait avec la vcMive
de son fj-ère défunt. Les Calchaquis adoraient des arbres
ornés de plumes. Le Soleil était leur dieu princij)al et ils ado-
raient aussi le tonnerre et les éclairs, cultes dans lesquels nous
constatons l'influence incasique, car les Incas inlroduisaieul
l'adoration du Soleil chez Ions les ])eu])les qu'ils .'iniiex.'ilenl à
leui" enqiire. Comme monuments ruiMMiiires, les Cnl(ha(piis
26 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
érigeaient des monceaux de pierres sur les sépultures. Ils véné-
raient des médecins et des prêtres fameux qui habitaient des
lieux secrets où ils consultaient les puissances surnaturelles.
L'enseignement des rites religieux par les prêtres était accom-
pagné d'orgies se terminant dans l'ivresse la plus absolue et
ayant comme conséquence des rixes générales, quelquefois
même de vraies batailles où les arcs et les flèches jouaient un
rôle principal. On considérait comme un honneur d'y recevoir
des blessures et d'en conserver des cicatrices sur la figure. Au
milieu de l'orgie , le prêtre , en demandant la fertilité des champs ,
offrait en sacrifice au Soleil une tête de biche hérissée de flèches.
Cette tête était ensuite remise à un sorcier qui, s'il facceptait,
devait présider l'orgie prochaine. Les principaux personnages
célébraient souvent de ces orgies tumultueuses. Lorsqu'un Gal-
chaqui était atteint d'une maladie mortelle, tous ses parents et
amis se rendaient chez lui, et, aussi longtemps que durait la
maladie, ils buvaient jour et nuit et plantaient des flèches dans
le sol autour du lit pour que la mort n'osât pas s'en approcher.
Immédiatement après la mort, les personnes présentes com-
mençaient à se lamenter à haute voix. Elles plaçaient auprès
du cadavre des mets et des boissons, allumaient des feux et
brûlaient comme encens certaines herbes. Pour inspirer de la
compassion à la foule, des hommes et des femmes lui mon-
traient les vêtements du défunt; d'autres dansaient et sautaient
autour de celui-ci et lui offraient des mets; lorsqu'ils voyaient
qu'il n'y touchait pas, il les mangeaient eux-mêmes. Ces cérémo-
nies duraient huit jours, après quoi on enterrait dans une fosse
le cadavre revêtu des vêtements donnés par ses amis; on brûlait
ensuite sa maison afin d'empêcher la mort d'y revenir. Le deuil,
qui durait un an, se portait avec des vêtements noirs, et à la fin
on répétait les mêmes cérémonies. Les Calchaquis croyaient
qu'il n'y avait pas de mort naturelle, mais que tout le monde
mourait de mort violente; cette croyance avait pour résultat
des souT)çons, des inimitiés fréquentes entre les familles. Les
sorciers contribuaient à inspirer ces soupçons et incitaient ta la
CARTK ET II M OLE.
27
discorde. Les Calcliaqiiis croyaient aussi que les morts étaient
convertis en étoiles, d'autant plus brillantes que leur situation
avait été plus élevée. Les jours de fête, les Calcliaqiiis ornaient
leur tcte de plumes multicolores. Ils avaient des cheveux longs
jusqu à la ceinture et réunis en tresses fixées au sommet de la
tête en forme de nœud. Ils portaient à favant-bras des lames ou
des bracelets en argent ou en cuivre, pour faciliter le manie-
ment de l'arc ou comme parure. Les chefs entouraient leur front
d'un bandeau en argent ou en cuivre. Le commerce avec les
femmes était défendu aux jeunes gens jusqu'à ce qu'ils fussent
déclarés pubères par les sorciers à la suite de cérémonies spé-
ciales. Les jeunes fdles portaient des vêtements multicolores
qui.prostrato piidore, étaient échangés contre de plus simples.
Les Galchaquis, toujours divisés en factions, étaient continuel-
lement en guerre. Les femmes avaient une grande autorité pour
séparer les combattants, et ceux-ci les respectaient. On évalue
à trente mille les Galchaquis de la campagne et des villages,
mais les difiPérents auteurs de l'époque ne sont pas d'accord
en ce qui concerne cette évaluation ^'^. Ces Indiens se laissaient
très facilement convertir au catholicisme, mais ils oubliaient
avec une égale facilité la religion et retournaient à leurs an-
ciennes coutumes païennes. Pour ce motif, les Pères s'étaient
vus obligés de les baptiser seulement in articiilo mortis, ou
quand leur fidéhté au christianisme avait été éprouvée pen-
dant plusieurs années. Ces informations du P. Techo sont don-
nées d'une façon si simple et si sincère, que l'on est convaincu ,
f'' Les évaluations des individus compo-
sant les diverses nations et tribus indiennes,
faites par les auteurs anciens , sont toujours
h peu près sans valeur lorsqu'elles ne sont
pas i)asées sur les recensements réf,^uliers
(jue les Espagnols dressaient quelquefois des
Indiens soumis au payement d'un tribut
dansun certain territoire. Comme exemple ,
nous citerons Narvaez (253, i>- i 'i8) qui éva-
lue les Indiens de la Vallée Calcliaquie à
2,5oo, se référantsansdoute aux guerriers
seulement. L'évèque deTucuman , MeK lior
INlaldonado de Saavedra (227), évalue, en
i6r)8, les mêmes Indiens à 20,000 indi-
vidus, dont 6,000 guerriers. Actuellement
la N'allée (^alcliacpiie et les montagnes
environnantes, c'est-à-dire les départe-
ments de La Ponia, Cachi, Molinos, San
Carlos et Cafayatc, contiennent 2 2,000 ha-
bitants, d'après le recensement de la Ué-
publi(|ue Argentine de i8<)5. La Vallée de
Yocavil en contient (j.ooo environ.
28 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
en les lisant , qu elles ont été obtenues des Indiens eux-mêmes
ou de personnes qui les connaissaient Lien. Elles sont d'autant
plus précieuses que nous possédons très peu de renseignements
ethnographiques sur les anciens Diaguites.
Techo termine, comme on le voit, son chapitre en rendant
compte des difficultés que rencontrèrent les premiers mission-
naires jésuites de la Vallée Calchaquie. Plus loin {ihid; 1. xn, c. xi;
p. 326), il décrit les coutumes funéraires des Diaguites delà
région de Londres. Ils laissaient les yeux des morts ouverts,
pour que ceux-ci jDUssent voir leur chemin dans l'autre vie.
Pour les funérailles, il y avait des pleureuses (^laudatrices) qui
avaient pour mission de proclamer les mérites du défunt et
de se lamenter à haute voix auprès du cadavre, coutume en-
core en usage aujourd'hui chez les métis de l'ancien territoire
des Diaguites. D'après Techo, les Indiens de Londres n'enter-
raient pas leurs morts, mais ils les gardaient dans un «sarco-
phage » placé à un endroit élevé au-dessus du sol. Il me semble
que cette information doit être inexacte, car les données ar-
chéologiques ne fournissent pas d'indices de cette coutume,
tandis que toute la région est pleine de tondues sous terre.
Peut-être les cadavres étaient-ils, avant d'être enterrés,
exposés pendant quelque temps dans le « sarcopliage » élevé que
mentionne Techo. Une autre habitude des Indiens de Londres
était d'asperger les plantes naissantes avec du sang, afin d'ob-
tenir une moisson al)ondante.
Lozano (220, i, p. /lacj/iSo) répète tout ce que dit Techo sur les
coutumes des Indiens de Londres. Quant à l'habitude de placer
les cadavres au-dessus de la terre, à celle de laisser leurs
yeux ouverts et à celle des pleureuses, qu'il dénomme préficas,
on ne peut douter que Lozano ait copié Techo directement.
En ce qui concerne les cérémonies pour obtenir une bonne
moisson, il donne des informations complémentaires. H ra-
conte que, pour semer, on attendait f apparition de certaines
étoiles. Lorsque les nouvelles plantes sortaient du sol, on
organisait une chasse et on gardait le sang du premier hua-
CARTE ETHNIQUE. 29
naco OU du premier lièvre (agouti) tué, pour eu asperger les
fruits de la terre. Les premiers fruits de la terre étaieut sus-
pendus à un arbre et olFerts aux dieux : cette cérémonie s'ap-
pelait pilla-jacica. Je parlerai plus loin des cérémonies cpii
ont lieu encore aujourd'hui dans la Puna à l'occasion des
semailles.
Dans la lettre des PP. Romero et Monroy publiée par le
P. Diego de Torres, et que nous avons déjà mentionnée, ces
missionnaires donnent la description suivante des vêtements
et des armes de quelcpies Diaguites qu'ils virent au cours de
leur voyage dans la Vallée Calchaquie en 1601. Nous transcri-
vons cette description de l'édition française de la relation du
P. Torres (350, fol. 16) :
Ayant achevé de dîner, vinrent pour nous visiter deux Curaqiies avec dix
hidicns diaquitcs d'un autre peuple voisin dont l'aspect et l'habit est si fier
et si bizarre, qu'il épouvante. Ils portent les cheveux longs et avec tresse,
retroussés sur les épaules, et à i'entour de la tête un cordon de laine filée,
là où ils y mettent plusieurs plumes colorées. Ils peignent leur front de noir
jusqu'aux yeux, et le reste du visage ils se despeignent de mille couleurs.
Ils y sont de grand corsHge''^ et d'un regard terrible : depuis les cils des
yeux jusqu'à la ceinture, il leur pend deux cordons de laine ou poil df
chèvre [sic) de couleur d'escarlate. Ils se vêtent d'une chemise qui leur va
jusqu'au col du pied, tant homme que femme, laquelle ils ceinturent quand
ils vont à la chasse, à la guerre et en voyage. En aucun temps qui soit ils ne
laissent l'arc, ni le carquois chargé de plus de cinquante flèches, et ont un
grand renom d'èlrc vaillants et adroils pour tirer de l'arc. Ils portent au
bras des bandes en façon de laserans, qui sont de laine rouge reluisante,
ce pendant demeurant tout le reste découvert jusqu'au coude, et ont des
patins dans les pieds.
On trouve sans doute de légères conlracbclioiis dans ces
])assages des PP. Romero et Monroy et du P. Techo. Cepen-
dant ces relations constituent presque les seules données an-
ciennes et aulhenliques des couliimes des Diagiiiles. Vu leur
inqwrtance [)()ur l'ethnograpliie préhispaiiicpic de ce |)('Uj)le,
''' Corsage .la taille ou le busle, clc[)uis les hanches jus(ju'au\ éj)aules; de l'ancien
français cors (= corps).
30 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
j'ai cru intéressant de les citer, sans toutefois entrer dans Tliis-
toire de la conquête espagnole.
Pour cette histoire de la concjuista, les ouvrages de Techo, de
Lozano et de Guevara sont les principales sources à consulter;
on peut trouver aussi des détails dans les documents inédits
conservés dans les archives coloniales d'Espagne, dans celles
de Buenos-Aires, de Santiago-du-Chih, de Lima, et enhndans
les archives puhliques et particulières , surtout familiales , des
provinces argentines. M. Lafone-Quevedo a fait des recherches
soigneuses dans les archives provinciales , surtout en Catamarca ,
et il a mis au jour heaucoup de détails inconnus jusqu'alors.
Gomme histoire générale de la conquête espagnole du pays des
Diaguites, l'ouvrage du clianoine Funes (139) est intéressant.
Martin de Moussy (230, t. m) et Burmeister (85, p. 84-107) ont donné
des aperçus de cette histoire.
Don Diego de Almagro fut le premier des comjii'isladores qui
pénétra dans le pays des Diaguites, en i536; mais il ne fit
que passer par la Vallée Galchaquie pour se rendre au Chili.
En i5/io, Diego de Rojas, venu du Pérou, tenta de conquérir
la région diaguite; mais il y trouva la mort. Son compagnon,
Francisco de Mendoza, arriva jusqu'au Rio Paranâ, où il fut
assassiné par ses propres soldats. La deuxième tentative eut
lieu en i549, ^c>us les ordres de Juan Nunez del Prado, qui
était parti du Pérou. D'autres expéditions suivirent, comman-
dées par des Espagnols venant du Chih : Francisco Villagran ,
Francisco de Aguirre (i553), Juan Pérez de Zurita (1558),
Gregorio Castaneda (i56i). Ces généraux ne faisaient pas
seulement la guerre aux Indiens, ils semblent avoir autant
combattu les uns contre les autres, excités par fambition et la
jalousie.
J'ai indiqué sur la carte fuj. 10 les dates de fondation des
])rincipales villes et de quelques « missions » des jésuites. Ces
dates, à elles seules, découvrent, étape par étape, rétablisse-
ment des Espagnols dans les différentes régions. Mais les
CARTE ETHNIQUE. 31
premières villes furent presque imiuécliatement détruites. Ces
villes disparues sont marquées sur la carte avec un point noir
et des caractères spéciaux. L'emplacement de certaines autres
villes changea souvent, jusqu'à ce que l'on eût rencontré un
endroit où les ressources fussent suffisantes et la défense contre
les Indiens possible. La première ville fut Ciudad del Barco,
fondée en 1550, par Nunez del Prado, et, d'après Teclio (341;
i. I, c. xx;p. i4), sur le Rio de Escava. Cette ville connut plusieurs
emplacements. M. Lafone-Quevedo (197), qui a étudié son his-
toire, doute de la position primitive sur le Rio de Escava. La
deuxième ville, fondée par le rival de Prado, Francisco de
Aguirre, en i553, fut Santiago del Estero, pendant longtemps
capitale de toute l'ancienne province de Tucuman , et aujour-
d'hui encore chef-lieu de la province argentine de Santiago del
Estero. Pérez de Zurita fonda Londres^^^ en i558. Un village
du même nom existe encore à la place du premier Londres,
mais l'ancienne ville fut, elle aussi, souvent déplacée. Ainsi,
en 1607, la «ville de Londres», rejuadada, se trouvait près du
village actuel de Belen, et, en i633, elle était à l'endroit du
Poman actuel. M. Lafone-Quevedo (196) a fait aussi une étude
intéressante sur l'histoire de cette ville ambulante. En i559,
Zurita fonda encore les deux « villes » de Côrdoba de Calcliaqui
etde Canete.GràceàMatienzo(232, p. xLiv), nous connaissons la
jDOsition précise de la première , qui fut détruite par les Calcha-
qiiis en i562. Quanta la seconde, Canete, abandonnée égale-
ment en i562, il est impossible de la localiser, les divers au-
teurs donnant des renseiji^nements contradictoires à cet é^ard
et le même nom étant, paraît-il, employé pour désigner des
villes différentes. M. Lafone-Quevedo (197) a émis des hypo-
thèses à ce sujet. Sur la carte, j'ai placé Canete suivant le ren-
seignement de Matienzo [ibid.). Si cette position est celle du
Canete de Zurita, l'endroit coïncide presque avec le [)r('mi('r
emplacement de San Miguel de Tucuman, fondé en i56,> et
''' Apjiclce îiinsi cii riioiiiunir de de Philippe, iiil'aiil (rEsp;ignc, le lulur
Marie Tudor, reine d'Anglelcrrc, liancée roi IMiilippc II.
32
ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
dépiacé en i685. San Miguel de Tucnman serait, dans ce cas,
la continuation de Canete. Après les villes de Zurita suivirent :
San Juan en i56i, Esteco en i566, la ville actuelle de Cor-
doba — souvent dite « Côrdoba del Tucuman » pour la distin-
guer d'autres villes du même nom — en i oyS, Salta en i582 ,
La Rioja en 1 69 1 , Jujuy en 1 ôgS , Catamarca en 1 683. On voit
que la conquête ne peut être considérée comme un fait acquis
avant l'année 1600, la domination esj)agnole ayant été tout à
fait précaire au xvi^ siècle.
Araucans. — Vers l'Ouest, les Diaguites étaient séparés du
territoire chilien actuel ]yar la Grande Cordillère des Andes^'\
De l'autre côté de ces hautes montagnes habitaient les Araucans
qui occupaient presque tout ce territoire, leur langue étant
parlée « dejDuis Coquimbo jusqu'à Chiloë» d'aj)rès Antonio de
Léon (214), et ils s'étendaient probablement aussi sur une partie
de la Patagonie. Il n'entre pas dans le plan de cet ouvrage de
discuter l'étendue géograj^hique des Araucans à l'éj^oque de la
conquête, car ils n'appartiennent pas à la civilisation ando-
péruvienne^'-^^ Ils se trouvaient à un degré de civilisation très
inférieur à celui des Diaguites, mais leur affinité ethnique
avec ceux-ci constitue toujours un problème. Des recherches
somatologiques modernes, par exemple celles de Virchow (373,
'"' Je nomme « Grande Cordillère » la
haute chaîne occidentale des Andes qui
forme d'aboi'd la limite ouest du haut pla-
teau bolivien et ensuite la frontière entre
la République Argentine et le Chili. Dans
ces derniers pays, on a l'habitude de nom-
mer celte chaîne la Cordillera Real, mais
j'évite l'emploi de cette dénomination ,
car, en Bolivie, une autre chaîne, celle
qui passe à l'est du lac Titicaca, porte le
même nom de Cordillera Real, tandis que
l'on nomme la chaîne occidentale Cor-
dillera de las Andes.
''' L'ouvrage classique sur les Arau-
cans • Los Aborigènes de Cliile, par M. José
Toribio Médina (234), est une excellente
compilation des renseignements histo-
riques sur ce peuple. Les travaux récents
du D' R. Lenz , basés sur de longues études
parmi les Araucans eux-mêmes, ont jeté
beaucoup de lumière sur leur folklore,
leur linguistique et leur ethnographie.
Ses Estudios Araiicanos (213) contiennent
une riche collection de folklore araucan.
Suivant M. Lenz, M. Médina, dans la pré-
face d'un texte du P. Luis de Valdivia
(364) a publié dernièrement une biblio-
graphie complète de la langue araucane.
Malheureusement , je n'ai pu consulter cet
ouvrage.
CARTE ETHNIQUE. 33
p. 4o3), du D"* ten Kate (343, p. 61) et du D"" R. Verneau (368) ont
signalé certaines analogies crâniennes entre les Araucans et
les anciens habitants du Pérou, de la Bolivie et de la région
andine de la République Argentine.
Je veux seulement rappeler quaucommencement du xiv'' siècle
le Chili fut conquis jusqu'au Rio Maule (35** 20' latitude Sud,
plus au Sud que Mendoza qui est situé au 3 2° 53') parl'Inca
Yupanqui et par son général Sinchi-Roca. Les vestiges laissés
par les anciens Araucans démontrent qu ils n'en étaient qu'à
l'« âge de pierre » , et il est facile de voir que les instruments
en métal et la céramique perfectionnée que l'on a trouvés au
Chili ne proviennent pas d'eux, mais bien de leurs conquérants
péruviens. M. R. A. Philippi (286), ancien directeur du Musée
national de Santiago-du-Chili, certainement expert en anti-
quités chiliennes, considère aussi toute la poterie de fabrica-
tion et d'ornementation supérieures trouvée au Chili comme
de provenance péruvienne , ou , si elle a été faite au Chili, imitée
des modèles péruviens.
Un problème intéressant serait de savoir s'il y a eu com-
munications, commerce ou migrations à travers les Andes
entre les Diaguites et les Araucans. Les cols pour traverser la
Cordillère sont très rares, depuis la Puna de Atacama jusqu'à
Mendoza, et d'ailleurs situés à une altitude considérable; le pas-
sage en est extrêmement dilFicile et périlleux. Suivant une tra-
dition, répétée par Lozano (220, t. iv, p. 9), la tribu des Quilmes,
qui habitait la Vallée de Yocavil, aurait émigré du Chili au
pays des Diaguites, mais rien ne prouve la véracité de cette
tradition. Probal)lement, ce sont les Incas qui ont établi les
relations entre les Araucans du Chili et les Diaguites.
Huarpes. — Comme il a été dit déjà, on a voulu attribuer
les ruines et les débris préhispaniques des vallées andines de la
province de San Juan, que je considère comme jjrovenant des
Diaguites, à des Indiens nommés Huarpes.
Le P. Alonso de Ovalle (278; 1. m, c. vu; i. r, p. 175 et suiv.) nous
I. 3
lUPIIIMCIII KATIOSiLt.
34 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
donne une description très précise de ces Indiens, qu'il appelle
Guarpes. Ovalle a écrit en i64o environ, quatre-vingts ans
seulement après la conquête de l'ancienne province de Cuyo,
comprenant les provinces argentines actuelles de Mendoza,
San Juan et San Luis, conquête effectuée par les Espagnols
du Chili. Ovalle fait remarquer les différences très marquées
existant entre les Araucans et les Huarpes : ceux-ci avaient la
peau beaucoup plus foncée que les premiers; ils étaient d'une
taille beaucoup plus élevée et très minces, tandis que les Arau-
cans étaient moins grands, mais robustes et trapus, ce qui est
également le cas des Araucans de nos jours; les Huarpes par-
laient une langue tellement différente de l'araucan du Chili,
qu'il n'y avait pas un mot semblable dans l'une et l'autre langue.
D'autre part, les HuarjDes construisaient leurs maisons sans
aucun soin, se contentaient de huttes misérables, et ceux qui
vivaient auprès des lagunes (celles de Huanacache) habitaient,
comme des troglodytes, dans des trous creusés dans la terre.
Les Huarpes couraient avec une vitesse extrême et ils étaient
d'une endurance extraordinaire. Ils chassaient les nandous en
les jDOursuivant à pied pendant un jour ou deux, sans s'arrêter,
jusqu'à ce que le nandou, brisé de fatigue, se laissât prendre
avec les mains. Techo (341; i. in, c. xxm; p. 82) donne la même des-
cription des Huarpes qu'Ovalle. Il les représente aussi vivant
sur les bords des lagunes, habitant des terriers creusés dans le
sol ou menant une vie errante et se nourrissant de la pêche, de
la chasse, des racines de plantes aquatiques. Techo, dans ce
chapitre, les nomme des Ciiyoémes, mais dans un autre cha-
pitre {ibid.;\. vu, c. xv; p. 188) il racoute que le jésuite Domingo
Gonzalez, missionnaire en Cuyo vers 161 5 environ, savait la
lingiia cjuarpana.
Ces descriptions ne peuvent en aucune façon correspondre
aux anciens habitants de la Tamberia de Calini>asta et antres
villages en ruines des vallées andines de San Juan, habités par
un peuple qui bâtissait des maisons en pierre, était très avancé
dans l'art de la céramique et dans celui de fondre le cuivre
CARTE ETHNIQUE. 35
pour en faire des inslriimenls, qui, eu uu mol, avait alleiul
uu assez haut degré de civilisation. D'ailleurs, comme nous
l'avons vu, les squelettes des anciennes sépultures de Calin-
gasta et de Jachal, étudiés par M. ten Kate (343, p. 61), ne cor-
respondent pas à ces Huarpes minces et de haute taille; ils
sont au contraire identiques aux Diaguites des Vallées Calcha-
quie et de Yocavil. M. ten Kate a examiné aussi une autre
catégorie d'anciens squelettes conservés au Musée de la Plata
étiquetés comme provenant de San Juan ; or ces derniers sque-
lettes correspondent bien, paraît-il, aux Huarpes décrits par
Ovalle.
11 résulte de tout ceci que les Huarpes étaient un peu])le sau-
vage vivant en dehors des montagnes de San Juan, dans les
plaines autour des grandes lagunes de Huanacache, probable-
ment jusqu'aux pentes occidentales de la Sierra de Côrdoba;
ils n'avaient aucun rapport avec les habitants des vallées an-
dines.
Vers le Sud, les Huarpes s'étendaient jusqu'aux parties sej)-
tentrionales de San Luis et de Mendoza, où ils se trouvaient en
contact avec d'autres Indiens que le P. Ovalle nomme des
Pampas, nomades sans aucune espèce de domicile, construi-
sant chaque nuit \in abri rudimentaire à l'endroit même où ils
se trouvaient, habillés de peaux, chassant avec la holeadora et
mangeant des sauterelles grillées. Ces Indiens, différents aussi
des A raucans, venaient quelquefois jusqu'à la ville de San Luis
(«Punta de los Veuados»). Les Pampas décrits par Ovalle
sont probablement les Puelches.
Les Huarpes, appelés aussi « Allentiac », parlaient la langue
de ce nom, dont le missionnaire jésuite, le P. Luis de \ aldivia
(363) , a composé une grauimaire et un vocabulaire. Il avait étudié
cette langue en catéchisant quelques Huarpes des environs des
Lagunas de Huanacache, venus au Chili où résidait Valdivia.
M. Bartolomé iVlitrc (239) a fait une analyse de la grammaire
de Valdivia, el il n'a lroiiv<'' aucune aninil('' ciilit' r.illciiliar ,
S.
36 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
d'un côté, et les langues de la Patagonie : araucan, j^uelche et
tehuelche, de l'autre. En comparant Tallentiac avec le qui-
chua et l'aymara, M. Mitre a obtenu le même résultat : il n'a
rencontré dans Tallentiac que le inoi pat aca [pacJiaj «cent»),
mot commun à l'aymara et au quichua, et qui doit y avoir été
introduit jDar des relations commerciales ^^l M. Mitre {ibid.,^. 52)
arrive à la conclusion que l'allentiac est une langue isolée, sans
analogie lexique avec aucune des langues qui géograpliique-
ment l'entouraient, et complètement différente de celles-ci par
son système grammatical. M. Raoul de la Grasserie (153) a lait
une autre analyse de l'allentiac de Valdivia. Le distingué lin-
guiste américain, M. D. Brinton (77, p. 323), ne paraît pas s'être
beaucoup occupé des Huarpes, car il confond l'allentiac avec le
millcayac, que nous mentionnerons ensuite; il donne ces deux
langues comme des dialectes parlés par les Huarpes, et localise
ceux-ci en Mendoza au lieu de San Juan; il cite enfin, comme
source d'information au sujet de ces langues, YArlede la Icngaa
de Claie (araucan) de Valdivia (362), où il n'en est pas question.
Les noms Hiiarpe et Allentiac ne semblent pas appartenir à
la langue allentiac ; ces noms paraissent avoir été donnés aux
Huarpes par des étrangers : on peut dériver « Allentiac » du
mot tehuelche : allen = homme, gens; et « Huarpe » serait ay-
mara. La position isolée de la langue allentiac et les différents
noms donnés aux Huarpes et provenant du Sud et du Nord
peuvent faire supposer que ceux-ci seraient les derniers restes
d'un peuple qui, à. des éj^oques antérieures, aurait habité les
vastes territoires de la partie méridionale de l'Amérique du
Sud. Fait intéressant à noter, les Huarpes employaient, pour
naviguer dans les Lagunas de Huanacache , la même sorte de
balsas en totora que les Uros du Titicaca et du Desaguadero.
L'allentiac est maintenant complètement éteint; il n'en reste
rien, pas même des noms de lieux, car la toponymie de San
<"' Il y avait des mots quichuas en usage les langues des Araucans et des Puelchcs.
chez, plusieurs nations de ces régions. M. Siemiradsky (331, p. i36) mentionne
D'Orbigny (274, i, p. 258) en trouva dans à tortjoaiaca comme étant un mot guarani.
CARTE ETHNIQUE. 37
Juan est pour la plupart quicliua, comme dans les autres pro-
vinces andines de la République Argeuliue.
Après avoir publié son arle de rallenliac, le P. Valdivia écrivit
une grammaire et un vocabulaire d'une autre langue parlée
par des Indiens de Mendoza et nommée millcayac, qu'il ne
faut pas confondre avec l'allentiac des Huarpes, ni considérer
comme un dialecte de cette dernière langue. Cet ouvrage a été
perdu, sans avoir jamais été imj)rimé. Lozano (221), en donnant
une notice biographique de son confrère Valdivia, dit que le
millcayac était la langue des Puelches de la Patagonie.
Don Antonio de Léon (214), relator del Supremo i Real Consejo
de las Indias, antérieur à Valdivia et à Ovalle, confirme ce que
nous avons exposé sur les rapports entre l'araucan, l'allenliac
et le millcayac, et établit nettement la différence entre les
Araucans, d'un côté, et les Allentiac (Huarpes) et Millcayac
(Puelches?) de l'autre. 11 dit de l'araucan : [Lemjna clàlena)
assise llama la lengua (jcncral, a dijerencia de la Millcayac, i de la
Allentiac, (jne usan los piichlos de Cuyo, (jiic auiKjiie sujeios oy al
mismo Reyno (Chili) estanfiicra dcl, i son ullramonianos.
Comechingons. — La seule partie de la région montagneuse
non habitée par les Diaguites était la Sierra de Cordoba, sys-
tème de montagnes d'une assez grande étendue, séparée des
autres échelons des Andes par de vastes plaines semi-désertiques.
Don Pedro Sotelo Narvaez (253, p. i5i) cite les Comechin-
gons comme habitant les domaines de la ville de Cordoba; il
les décrit comme étant d'une civilisation assez élevée, portant
des vêtements de laine de lama, de longues tunic[ues et des
mantes ornées de c]ia(faira''^\ Ils possédaient aussi des brnrelets,
*'' Les chaquiras étaient de petits dis- aujourd'hui ces petits distjucs poui' oincr
ques ou houlons faits en cocpiille, (pie leurs ceintures et d'autres elTi'ls d'IuiMlle-
les Péruviens et beaucoup d'autres In- ment et de parure. Antonio de Ilcrrera
diens portaient cousus sur leurs vêle- (164; «le.-, iv, I. i\, r. nr ; i. n, p. aaG) délinit
iMcnIs, fonnanl des parements et d'autres les clin<i(iir(is connue étant «des perles
ornements. Plusieurs tribus du (iliaco, et blanches tenues en grande valeur parles
[larmi elles les Mata(t)s, emploient encore Indiens».
38
ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
des aigrettes frontales et d'autres objets de cuivre. Ils parlaient
deux langues : le comechingon et le sanaviron.
Le général Don Geronimo Luis de Cabrera (88, p. i/|o), fon-
dateur de la ville de Côrdoba, décrit dans une relacion le voyage
qu il fit en 1672 et au cours duquel il choisit fendroit où il
allait placer cette ville. Il mentionne là des Indiens monta-
gnards, portant des vêtements ornés de chacjiilra. Les indica-
tions géograj^liiques qu'il donne sur sa marche sont assez
vagues '^^, mais on j^eut parfaitement se rendre compte qu'il
s'agit des Indiens de la Sierra de Côrdoba, c'est-à-dire des
Comechingons. Cabrera donne des renseignements intéressants
sur les villages et les habitations de ces Indiens. Leurs vil-
lages étaient petits, a de dix à quarante maisons», et entourés
d'une clôture de cactus et d'arbres épineux. Chaque village
était habité seulement par les familles alliées entre elles et
qui constituaient un clan. Les « maisons » étaient très grandes,
basses et creusées dans la terre jusqu'à la moitié de leur hau-
teur; chacune d'elles abritait quatre ou cinq Indiens mariés.
Ces Indiens étaient agriculteurs et se servaient de l'irrigation
artificielle, par canaux, pour leurs cultures. Selon Rui Daiz
de Guzman (116; 1. n, c.vi;p. 77), Don Francisco de Mendoza
avait déjà en i543 traversé Côrdoba, le pays des Comechin-
aons. Diaz de Guzman mentionne aussi leurs habitations
demi-souterraines. Cependant cette manière de construire les
maisons ne justihe pas fépithète de «troglodytes» qui a été
appliquée aux Comechingons j^ar plusieurs auteurs.
Le P. Bàrzana (55, p. mv) n'emploie le nom Comechingon ni
pour les Indiens de Côrdoba, ni pour leur langue. Il dit que
''^ Le général Cabrera n'était pas fort
on géographie. Il dit qu'il est parti de la
ville de Santiago en direction Sud et néan-
moins qu'il a marché longtemps dans des
montagnes limitrophes du Chili qui sont
situées à l'ouest de Santiago. Mais il abou-
tit à l'endroit , qu'il délinit très clairement ,
où est située la ville actuelle de Côrdoba
et où il n'aïu'ait pu parvenir s'il avait suivi
vraiment les montagnes de Catamarca et
de La Rioja. D'ailleurs Cabrera parle aussi
d'une grande p'aine, propre à l'élevage
du bétail européen, qui ne correspond
pas aux déserts de ces provinces, mais
])Iutùt aux plaines de Côrdoba. Les mon-
tagnes parcourues par Cabrera ne peu-
vent donc être que celles de la Sierra de
Côrdoba.
CARTE ETHMQUE. 39
ces Indiens parlaient plusieurs lang^ues différentes; il men-
tionne cependant le sanaviron de Cordoba comme Tune des
principales langues de Tancienne province de Tucuman.
Teclîo (341; 1. II, c. XV ; p. 46) ne donne pas, lui non plus, le nom
de Comechingons aux Indiens de Cordoba, mais il raconte
qu'en 167 3, année de la fondation de la ville de ce nom, il y
avait dans le territoire en dépendant 4o,ooo Indiens guer-
riers, sans compter les vieillards, les femmes et les enfants,
et que les Espagnols les ayant tellement exterminés, il n'en
restait que 8,000 en 1600. Cette information nous édifie sur
la disparition rapide des Indiens qui ne voulaient pas se sou-
mettre aux conquérants.
Les historiens postérieurs, Lozano et Guevara, parlent tou-
jours des Comechingons comme habitant Cordoba. Le P. Gue-
vara (154, p. 107) dit qu'ils occupaient la Sierra de Cordoba et
que leur nom , en langue sanaviron , signifie « cavernes soutex^-
raines ».• On voit souvent les historiens, par exemple Lozano
(220,1, p. 176), donner au territoire de Cordoba le nom de pro-
vincia de Comechingones.
Je ne connais pas d'antiquités provenant de la Sierra de
Cordoba et aucune publication n'a été faite sur les vestiges que
doivent y avoir laissés ses habitants préhispaniques. On ne peut
donc établir, par voie archéologique, les affinités ou les dilfé-
rences de ceux-ci avec les Diaguites ou avec d'autres peuples.
Les rochers à cupules, que je mentionne page 109, situés à
Capilla del Monte, se trouvent dans l'ancien domaine d(\s
Comechingons, ainsi que des fresques peintes dans des abris
sous roche du département de Rio Seco, dans la partie nord de
la Sierra de Cordoba. M. Leopoldo Lugones (224) a donné des
figures de ces peintures représentant des hommes qui semblent
coiffés de plumes et dont quelques-uns sont armés de flèches
et de haches. H y a aussi des figures d'aniinaii\, doiil il csl
impossible de déterminer les espèces. M. Lugones a mi, d;ms
ces abris sous roche, plus de deux cents figun^s peintes eu
blanc, rouge, noir. A en juger par ses reproductions, hî style
40 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
de ces peintures difFère de celui des fresques rupestres et des
pétrogiyphes de la région des Diaguites , et se rapproche plutôt
du style des peintures sur rochers de la Patagonie ; mais au-
cune indication ne permet de les attrihuer avec certitude aux
Comechingons. C'est également le cas des pierres à cupules,
qui peuvent parfaitement être plus anciennes que ce peuple.
Dans la ville de C6rdoha,un musée provincial dirigé par fabhé
Geronimo Lavagna, que je n'ai pas eu l'occasion de visiter,
doit contenir des antiquités de la région. Elles pourraient peut-
être aider à établir des comparaisons avec l'archéologie de la
région diaguite. M. E. H. Giglioli (144, p. 24/O possède, dans sa
grande collection générale d'objets lithiques, sept haches de
pierre à gorge, de San Marcos (département de Cruz del Eje),
San Vicente, Cosquin et Punilla, tous endroits situés dans la
Sierra de Côrdoba. M. Giglioli croit que les Comechingons
étaient apparentés aux Diaguites, mais un fait s'y oppose : les
Comechingons ne parlaient pas le cacan.
Sanavirons et Indamas. — D'après Narvaez (253, p. i5i), les
Indiens de Côrdoba « j^arlaient deux langues : le comechingon
et le sanaviron», et, suivant Barzana (55, p. liv), il y avait en
Côrdoba deux nations : les Sanavirons et les Indamas. Narvaez
{ibid.,\^.iii6) dit aussi que,2Darmi les Indiens au service des Es-
pagnols de Santiago del Estero, se trouvaient des Sanavirons.
Techo (341; 1. IX, c. i; p. 235) mentionne des Sanavirons, en 1629,
sur le Pùo Dulce. Ce sont là tous les renseignements que nous
possédons sur ces Indiens, et, suivant ces informations, il faut
les placer entre Côrdoba et Santiago, c'est-à-dire à l'est et au
sud des Salinas Grandes de Côrdoba.
Sur leurs langues nous ne savons rien, les jésuites, d'après
Barzana [ibid.), ne les avant pas apprises, car les Sanavirons
et les Indamas avaient appris le quichua que savaient les
missionnaires. Barzana dit que les Indiens de Côrdoba par-
laient beaucoup de langues différentes, mais il est difficile de
comT)rendre si ces « Indiens de Côrdoba » étaient les Come-
CARTE ETHNIQUE. 41
chingons de la Sierra ou d'autres tribus de la plaine à l'est
des montagnes. Quoi qu'il en soit, il paraît que le coniechin-
gon, le sanaviron et l'inrlama étaient les trois langues princi-
-pules de Cordoba, si toutefois le comecliingon et le sanaviron
ne sont pas une même langue, question qui me semble assez
obscure. Lozano (220, i,p. 19) dit que la langue la plus parlée
par les Indiens du « vaste district de C6rdol)a » était le sana-
viron. Toutes ces langues sont maintenant éteintes.
«Juris.» — Nous trouvons souvent ce nom dans les documents
et dans les chroniques des premiers siècles après la conquête.
Ce n'est pas le nom d'une nation, mais bien une dénomination
générale donnée à tous les Indiens plus ou moins sauvages,
d'une civilisation inférieure à la culture péruvienne des In-
diens des montagnes, et habitant la plaine couverte de forêts,
à l'est des cliaînes de l'Aconquija et d'Ancasti, c'est-à-dire la
plaine formée par les provinces actuelles de Salta, Tucuman
et Santiago. Les «Juris», d'après les chroniqueurs, étaient
(jeiile desniida (nus), au contraire des Diaguites des montagnes
qui étaient ^<?/i/e vestula, « gens vêtus ». Ils sont dépeints comme
des sauvages et, quant à leur asjDect physique, comme étant
d'une haute taille, extrêmement maigres, avec des jambes très
longues et très minces, ce qui a fait dire à Gonzalo Fernândez
de Oviedo y Valdez (280; l. xi.vn.c. m; t. n, p. 26I) que leur nom
dérivait de sari «autruche» (nandou), en quichua.
D'après la relacion de Don Diego Pacheco (282, p. 137), la ville
de Santiago del Estero était située «dans les Juris», voire sur
le territoire des Juris, et il y avait aussi des Juris qui dépen-
daient (h^ Tucuman. Le générai Cabrera (88), (|iii résidait à
Sanliago, '^\n\\\.n\ini (joheniador de los Jiiries ou (johcniador de las
prnvincias de los Jades. Cabrera [Uml, p. 1 V)) dit que le Rio Dnice,
(liTil nomme « Puo del l'^slei'o», arrose la |)ro\lii(»' des.liiris,
du Nord au Sud^^l
''' H ne l;iut pas coufoiulic cos Jiiiis par Spix ol von Marlius (333. 1, |>. mii),
avec les Juiis ilu Brésil qui lurent étudies dans la ré^'ion du Iud lapina.
42 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Sous la ])lume de Narvaez et de Bârzana on ne trouve j^as
le nom de Juris, sans doute parce qu'ils connaissaient les vrais
noms des tribus indiennes et n'avaient pas besoin d'employer
un terme qui ne désignait pas une nation déterminée, mais
était la dénomination générale des Indiens de beaucoup de
tribus différentes, ce qui d'ailleurs est confirmé par le fait
qu'aucun auteur ne parle d'une langue jurie.
Lozano, fex^plorateur d'archives de fancienne province de
Tucuman, sans expérience pratique des populations et des
choses, emploie le mot « Juris » de diverses manières, quelque-
fois comme nom d'une nation, d'autres fois pour désigner en
général les Indiens habitant la plaine et les distinguer de ceux
des montagnes. Cependant, dans un passage de son ouvrage,
Lozano (220,1,1x177,178) défmit nettement ce qu'il considère
comme la « province des Juris » : il dit qu'elle était traversée
par deux rivières, le Rio Dulce et le Rio Salado, et à la page
suivante que « la province des Juris est le territoire de San-
tiago del Estero». Lozano oppose cette «province des Juris»
à la « province des Diaguites » qui comprenait les territoires
de Catamarca, de la Rioja et la partie montagneuse de celui de
San Miguel de Tucuman.
Suivant Oviedo y Valdez, dans le chapitre cité, Almagro
rencontra dans la «province de Xibixuy » (Jujuy) des Juris
très guerriers qui entravèrent fort sa marche. Ces Juris,
nomades comme les Arabes, avaient dévasté et pillé tout,
depuis Jujuy jusqu'à la «province de Chicoana » (probable-
ment la Vallée Calchaquie, comme nous le démontrerons plus
loin).
Les Juris de Santiago del Estero devaient être les Tonocotés
qui habitaient cette province à fépoque de la conquête. Les
Tonocotés de Tucuman et de Salta sont peut-être aussi des
Juris dans quelques auteurs, mais on appliquait plus encore
ce nom, paraît-il, aux Lules nomades qui, avant la conquête
espagnole, avaient envahi ces régions. Les Juris de Jujuy
dont parle Oviedo y Valdez pourraient être des Omaguacas,
CARTE ETHNIQUE. 43
et ceux qui avaient désolé le territoire entre Jujuy et « Clii-
coana » , des Lules.
En résumé, le nom « Juris » était plus ou moins employé
comme le mot Cliiinchos dont on se sert au Pérou et dans le
nord de la Bolivie pour désigner toutes les tril)ns sauvages
habitant les lorêts au pied de la Cordillère, sans distinction de
race ou de langue, comme les Tacanas, les Panos, les Campas,
les Guarayos, les Araunas, les Cavinas, etc.
Tonocotés. — Les noms « Tonocoté » et « Lule » ont été con-
fondus aussi bien par les auteurs anciens que par les modc'rnes.
Le premier de ces deux noms est cependant bien défini. Nar-
vaez (253, p. i/i6, 148-1/19) nous dit cpi'à la fin du xvi'' siècle les
Tonocotés servian à Santiago, à Tucuman et à Esteco , c'est-à-
dire qu'ils dépendaient de ces villes et habitaient des territoires
de leur ressort. D'après Bârzana (55, p. uv), contemporain de
Narvaez, la langue tonocoté était parlée par « toutes les nations
dépendant de Tucuman et d'Esteco , par presque toutes celles du
Rio Salado^'^et par cinq ou six nations du Rio del Estero (Rio
Dulce) ». Techo (341; 1. 1, cxxiv, xxv, xxxi; p. 18-19, 23) confirme les
renseignements de Narvaez et de Barzana^Ce dernier, dit-il,
catéchisait les Indiens d'Esteco en langue tonocoté en i586.
Le tonocoté était également la langue des Indiens des envi-
rons de la ville de Santiago del Estero et des Indiens habitant
les rives du Rio Salado. Ainsi les Tonocotés occupaient, à la
fin du xvi'' siècle, toute la plaine formée par les provinces
actuelles de Salta, Tucuman et Santiago, excepté l'extrémité
'"' Il faut (lislinguor ce Rio Salado de
tant d'autres rivières du même nom. Ce
fleuve commence sur les pentes méridio-
nales du Nevado dol Acay, suit la Vallée
Calchaquie du Nord au Sud, reçoit près
de Cafayale le Rio Santa Maria venant de
la Vallée de Yocavil , se dirige ensuife
vers le Nord par la Qiichrada de las Cou-
chas ou de Guachipas, entre dans la Vallée
de Lerma , tourne vers l'Est, traverse la
chaîne qui sépare cette vallée de la plaine
et va enfin se jeter dans le Rio Paranâ, à
proximité de la ville de Santa Fé, après
avoir traversé une paitie de Salta et les
jirovinces de Sanlia;^^) del Estero et Santa
Fé. En sortant de la \'all('(» de Lerma, la
rivière prend d'ahoid li> nom de Rio Pa-
satrc et ensuite celui de Uio Juramento.
Le nom de Rio Salado lui est donné dès
qu'elle entre dans la province de Santiago.
44 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
sud de cette dernière où vivaient, comme nous l'avons vu, les
Sanavirons. C'est le même territoire dont les habitants ont reçu
d'auteurs contemporains de Narvaez et de Bârzana le nom ou
plutôt le sobriquet de Juris dont nous venons de parler. Les
Tonocotés s'étendaient jusque dans le voisinage immédiat des
montagnes, car Narvaez dit qu'ils « eurent beaucoup à soulTrir
des attaques des Diaguites de guerre, de Calchaqui ».
Suivant le P. Antonio Maclioni (226, p. 32), les Tonocotés des
environs d'Esteco abandonnèrent cette région lors du tremble-
ment de terre qui, en 1692 , détruisit la ville. Cette nation ^^^ se
comjDOsait alors, toujours d'après Maclioni, de cinq tribus : les
Lules, les Isistinés, les Toquistinés , les Oristinés et les Tono-
cotés. Les quatre premières avaient habité près d'Esteco et le
long du Piio Salado; la cinquième, près de la ville de Concep-
cion^""\ dans le Chaco, d'où elle s'était retirée vers le Nord, sur
les rives du Piio Pilcomayo et du Piio Yabibiri, pour échapper
aux mauvais traitements que faisaient subir à ces Indiens les
encomenderos espagnols de Concepcion. Ce peuple était si nom-
breux qu'à Esteco seulement v'^o,ooo individus payaient tribut,
et cela sans compter les femmes et les enfants. Les quatre tribus
'*' Machoni n'emploie pas le nom «To- celui que mentionne Techo, et je n'ai pas
nocotéi) pour la nation en général, et ne entendu parler non plus cVun lac de cette
lui donne pas non plus d'autre nom gé- étendue. Sur la carte de d'Anville (36),
néral. *■ Concepcion est située beaucoup plus à
'^^ Cette ville de Concepcion de Buena Tintérieur, au confluent du Rio Bennejo
Esperanza, cpil a disparu sans laisser au- et d'une autre rivière qui ne peut être que
cune trace, fut fondée, d'après Techo le Rio Teuco.
(341; 1. I, c. xii; p. 28), en 1670, par Don 11 est remarquable que les Espagnols
Alonso de Vera y Aragon, et, suivant de celte époque aient pu maintenir la
Lozano (219, p. 92, 107) détruite par les communication ouverte entre le Tucu-
Indiens soixante ans après sa fondation. man et le Paraguay en passant par Con-
Selon Techo, Concepcion était située près cepcion , alors qu'aujourd'hui ce voyage,
d'un lac de 8 lieues de circonférence, sur prcs([ue impossi])le , ne pourrait être el-
les rives du Rio Bermejo, à 00 lieues fectué que sous forme d'expédition armée,
(sans doute des lieues coloniales de 8 ki- Une expédition de ce genre occasionne-
lomètres chacune) de son embouchure rait des frais élevés et n'empêcherait pas
avec le Rio Paraguay. J'ai remonté le les voyageurs de risquer leiu- vie par
Bermejo jusqu'à cette hauteur sans avoir suite de la présence d'Indiens hostiles et
vu aucun lac qui puisse correspondre à à cause de la sécheresse.
CARTE ETHNIQUE. 45
qui avaient fui Esteco auraient erré dans le Cliaco jusqu'en
1710, époque à laquelle elles revinrent — sauf les Oristinés
qui s'étaient « perdus dans les forêts » — vers les régions se
trouvant sous la domination des Espagnols, et se soumirent au
gouverneur de Tucuman, Don Esteban de Urizar y Arespaco-
chaga, qui chargea les jésuites de les prendre sous leur tutelle.
On fonda alors dans ce but les missions de Miraflores et de
Valbuena sur le Rio Salado^'\ près de remplacement oii avait
été situé Esteco. Les Indiens qui s'étaient soumis se groupèrent
autour de ces missions, et celle de Miraflores, dont le P. Ma-
choni était chargé, reçut la tribu nommée «les Lules». C'est
ainsi que Maclioni (226) fut amené à écrire une grammaire et
un vocabulaire de la langue parlée par cette tribu. L'ouvrage
porte ce titre : Arte y vocahiilario de la lencjua Liile y Tonocote,
et a été imprimé en ij732. Maclioni applique à cette langue,
ainsi qu'on le voit, deux noms synonymes: Iule et tonocote,
et il dit qu'elle était commune aux cinq tribus citées.
Maclioni était recteur du Colecjio Màximo des jésuites, à Cor-
doba, où Lozaiio était professeur. La Descripcion cJioro(jraphica
(Ici cjraii Chaco, de ce dernier, parut en 1 ySS , presque en même
temps que Y Arte lule-tonocoté de Maclioni, et celui-ci en a
écrit la préface. Lozano (219, 11. 5i , 54, 94 et suiv.) y confirme ce que
rapporte Maclioni sur l'émigration des Tonocotés-Lules dans
les forêts du Chaco, et il dit avoir eu cette information d'une
bonne source : une relacion conservée dans les archives des
jésuites de Cordoba, laquelle contenait des déclarations d'iii-
'■^ Les missions des jésuites sur le Rio Orlega (Omoampas : triini Je Vilclas),
Salaclo sont désignées sur la carie Jlg, i. fondée en 1763;
Ces missions, d'après Tahljé Hervas (165, Macapillo ou. Nucstra Senora de la Co-
I, p. 192), étaient les suivantes : lumna (Pasains : tribu de Vilelas), fondée
San Estéhan de Miraflores (Indiens en 17^3;
Luios), fondée en 1711, puis abandon- San José de IVlacas (Vilelas), fondée
née et rétablie en 175^; en 1705, déplacée en 1761;
San Juan Baulista de Valbuena (Isisti- Dans la \'allée de San Francisco (Ju-
nés, 'Jocpiislinés), fondée en 1751, dé- juy), les jésuites avaient aussi une ntission :
placée en 1765 ; San Ignacio de Ledesma (Tobas et M.i-
Nuestra Senora del Buen Consejo de taguayos), fondée en 1756.
46 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
diens Guaycurus aux jésuites du Paraguay et d'autres déposi-
tions faites au Pérou par des Espagnols qui avaient voyagé dans
le Gliaco. Lozano consacre tout le paragraphe XVI (p. 94 eisuiv.)
aux « Lules ou Tonocotés » qu'il divise en deux catégories : les
« Grands Lules » et les « Petits Lules » , les premiers correspon-
dant à la tribu des Lules de Machoni, les derniers aux trois
tribus des Isistinés, Toquistinés et Oristinés. Lozano emploie
le nom « Tonocotés « comme nom général de la nation com-
posée par toutes ces tribus.
Le P. Bârzana avait déjà, comme nous l'avons signalé, écrit
une grammaire et un vocabulaire tonocotés, résultat de ses
études chez les Tonocotés d'Esteco et de Santiago, au cours
de sa première tournée dans le Tucuman, lorsqu'il y arriva
venant du Pérou, en i586. Cet ouvrage a malheureusement
été i^erdu, comme celui qu'il avait fait sur le cacan. Machoni
alFirme que son « Iule et tonocoté » serait la même langue que
le tonocoté de Bârzana.
Or, en 1784-1800, l'abbé Lorenzo Hervas (165; i, p. 165-171)^'^,
dans son grand ouvrage de linguistique universelle, soutient
que les renseignements donnés par Machoni, dans la préface
de son Arte, sur les Lules parlant son lule-tonocoté , ne corres-
pondent pas à ce que rapportent Techo, Lozano et Charlevoix
(96) sur les Lules, et il nie par conséquent que la langue étu-
diée par Machoni soit le tonocoté de Bârzana. Hervas avait de-
mandé des renseignements à ce sujet au P. José Ferragut qui
avait été à la tête de la mission de Miraflores après 1762, cette
mission ayant été abandonnée pendant quelque temps et réta-
blie à cette époque. Les arguments de Hervas sont les suivants :
l'existence des Tonocotés du Rio Pilcomayo et du Rio Yabi-
biri est une simple supposition de Machoni; les Espagnols
de Guadalcâzar^"^^ qui auraient du connaître les Tonocotés de
''^ Ilorvas écrit Toconolc , au lieu de il faut supposer cpi'il s'agit d'une simple
Tonocoté; mais , comme Téminent linguiste métalhèse.
Bârzana et le grand connaisseur du pays '^' La ville de Santiago de Guadalci'izar,
Narvaez adoptent cette dernière forme, dans le Chaco, fut fondée en 1628 parle
CARTE ETHNIQUE.
47
CCS fleuves, les ignoraient. Les Lules, dont la langue a été
étudiée par Maclioni à Mirailores, ne seraient pas, comme ce-
lui-ci le suppose, une tribu des Tonocotés qui s'était enfuie
d'Esteco, car d'anciens missionnaires des Lules auraient dit à
Hervas n'avoir jamais entendu les Lules parler de leur parenté
avec ces Tonocotés, ni avec les Matarâs qui sentaient les vrais
Tonocotés dont la langue a été étudiée par Bârzana. Les Ma-
tarâs auraient habité d'abord les environs de Concepcion (sur
le Bermejo), et de là ils se seraient transportés dans la région
du Salado, à cause des continuelles attaques des Abipons, Mo-
covi's et Tobas, auxquelles ils étaient ex23osés dans le Chaco^^^.
Après Hervas, les linguistes, aussi bien les anciens, par
exemple Adelung (4, t. m, 2= part., p. 5o6 etsuiv.), que les modernes
comme Brinton (77, p. on) et Lafone-Quevedo, se sont beau-
coup occupés de cette question.
M. Lafone-Quevedo (194) a pul^lié un vocabulaire Iule-espa-
gnol basé sur celui de Machoni et précédé d'une étude gram-
maticale. Dans un autre travail (193), le même auteur essaie,
d'une manière très ingénieuse, de prouver que le tonocoté de
Bârzana n'est autre que le mataco actuel. M. Lafone-Quevedo
gouverneur de Tucuman, Don Martin de
Lcdesma Valderrama. Elle fut bientôt dé-
truite et n'a pas laissé de trace. Suivant
un renseignement de Don Flliberlo de
Mena, publié par M. M.-R. Trclles (352,
m, p. 25), cette ville était située sur les
rives du Rio Bermejo, à l'est de Zenta.
Ce renseignement est conOrmé par la
carteded'Anville(36),sur lacjucllc (iuadal-
Ci'izar est placé au nord-est de Jujuy , au
confluent de deux rivières, qui paraissent
être le Rio Bermejo et le Rio San Fran-
cisco, (niadalcazar était donc pr()l)able-
mcnt situé au sud-est de l'actuel bourg
d'Oran.
'"' Les Matarâs avaient été convertis
parle P. Bârzana on i.^Hy. En i^i/ji, !<'
P. Juan Paslor partit de Santiago del
Eslero pour faire chez eux une nouvelle
mission. D'après Techo (341; 1. i, c. .\lii;
I. Mil, r. IV ti v; p. 19 cl 353) , ces deux mis-
sionnaires se faisaient comprendre dos
Malanis on employant la langue (onocolé.
En quittant les Matanis, Pastor continua
son voyage jus([ue chez les Abiponcs, qui
étaient à Go lieues des premiers. Cette
distance pormol de localiser les Matarâs à
rotto opocpie sur lo Rio Sahido, et, en
lait, doux dopartoiiionts do la prn\inoo
de Santiago dol Estoro sur la rive gauche
du Salado portent encore aujourd'hui les
noms do Matarâ I et Matai;! II. (iopen-
dant, sur les cartes de Eozauo (219) vl
do d'Anville (36), les Matarâs figurent à
l'est do la Sierra Santa Barbara, c'ost-à-
dirc au nord de ces dopartomonls.
48 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
raisonne ainsi : Le tonocoté de Barzana ne j^ouvait être le
lule-tonocoté de Machoni, car celui-ci ne connaissait j)as les
Tonocotés qu'il suppose avoir habité sur le Rio Pilcomayo,
c'est-à-dire loin de sa mission de Mirailores. Une nation aussi
nombreuse à la fin du x\i° siècle que celle des Tonocotés n'a
pu disparaître totalement, et pourtant aucune langue, aucune
tribu de ce nom ne sont connues, pas plus aujourd'hui qu'au
xviii'' siècle, car les voyageurs de cette époque, comme le
colonel Matorras (1774) (233) et le colonel Fernândez Cornejo
(1780) (128), en donnant des listes des tribus du Chaco, ne
nomment jDas les Tonocotés. Au contraire, les Matacos consti-
tuent, de nos jours encore, une nation très nombreuse, peu-
plant de grandes étendues dans le Chaco, et cej^endant Techo
et Lozano ne mentionnent pas la langue mataco, tandis qu'ils
j^arlent beaucoup de la langue tonocoté. Ni Hervas, ni Ade-
lung, ni Azara, ajoute M. Lafone (i7»iV/.,p. 202), ne citent aucune
langue du groupe mataco- mataguayo, bien que les langues
de ce groupe soient parlées aujourd'hui j^ar un plus grand
nombre d'Indiens que celles d'aucun autre grouj)e linguistique
du Chaco. La langue mataco a dû pourtant exister déjà au
xvi° siècle et aurait été alors le tonocoté. De plus, la langue
des Mataràs était, d'après Techo, le tonocoté étudié par Bar-
zana, et les Mataràs étaient, suivant M. Lafone, des Matacos. Si
donc le tonocoté de Bàrzana est le mataco moderne, ce tono-
coté ne peut être le lule-tonocoté de Machoni, car cette der-
nière langue n'a rien de commun avec le mataco : le système
grammatical de f une et de f autre est bien différent. Le mot
« Iule )) signifierait en mataco « indigène » , « fils du JDays » , et ce
seraient les Tonocotés qui auraient donné ce nom aux Lules
lorsqu'ils sont arrivés dans leur pays. M. Lafone propose,
d'autre part, une étymologie mataco du nom «Tonocoté»,
pour le cas où la manière de Hervas d'écrire ce mot (JYoconoié)
serait la véritable forme. Le mot signifierait alors en mataco
« Notenes rouges » , les Notenes ou Noctenes étant une trilni
de Matacos crui habite actuellement les rives du Pilcomavo.
CARTE ETHNIQUE. 49
L'idenlificatiou des Toiiocotés et des Matacos esl acceptée par
M. Ehreiireicli (122, p. 60).
Contre rargumentation de M. Lafone-Qiievedo, je me per-
mettrai les ()l)jections suivantes. Je yeux bien croire que les
Matarâs ap2)artenaient aux Tonocotés, car Teclio (341; 1. i,
c. xi.ii; p. 19) dit clairement qu'ils avaient tous été convertis loiw-
cotanœ liiKjaœ beneficio, d'où Ton peut conclure qu'ils parlaient
tous le tonocoté (de Bârzana) qui doit avoir été leur propre
langue. Mais je ne sais sur quoi se fonde M. Lafone pour dire
que les Matarâs sont des Matacos. Quant aux étymologies des
mots « Lule » et « Tonocoté », dérivées de la langue mataco, la
première nie semble un peu rechercliée et la deuxième est
basée sur la forme Toconoté de Hervas qui, comme je l'ai déjà
dit, ne peut prévaloir contre l'autre forme, employée par Bâr-
zana, Narvaez, Techo et Machoni.
D'autre part, il est inexact que la langue mataco n'ait point été
mentionnée par Techo, Lozano, Hervas et Adelung. En effet,
nous trouvons une lengua de los Matagaayos citée dans la relation
du P. Gaspar Osorio^*^, missionnaire dans le Cliaco, de i63o
environ, relation transcrite littéralement par Lozano (219, p. 172-
176), et il faut remarquer qu'Osorio distingue parfaitement
les Mataguayos (Matacos) des Tonocotés. Hervas (165; i, p. 16/1)
nomme aussi la lengua matagiiaya en énumérant les tribus qui
la parlaient, entre autres les Matacos et les Palomos. 11 cite
également («7»»^., p. 192) la mission de Mataguayos, de San Igna-
cio deLedesina, fondée en 1766, et il indique enfin la gram-
maire et le vocabulaire matacos écrits par le P. Joseph Araoz,
ancien missionnaire des Mataguayos, que Hervas avait con-
sultés. Bien que celui-ci ait dû avoir des informations très
précises du P. Araoz et des autres jésuites, an sujet de ces
Mataguayos, il n'a pas le moins du month^ ïn\vv (fidenlirier
ces derniers aux Tonocotés. Si une tradition (pHdcoïKpie de
Mataguayos avait qualifié les Tonocotés de leurs ancèlres,
^ ' Belacion del niii'ia (Icsciihiunicnlo de lu Vadrc (laspar Ossorio (adressée au Général
Pvnvincin dcl Cl nu Chacn (iiKtlandxi , par cl des ji-siiilcs, le I'. Mii/id \'illclcsclii ).
I. /,
50 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
Hervas ravirait su, et il l'aurait mentionnée dans son ouvrage
où il s'occupe tout spécialement des Tonocotés et de leur
langue. A tout ceci nous devons ajouter que Teclio (341; I. m,
c. xwiii; et 1. VIII, c. xv; p. 87 ei 216) et Lozauo (219, p. 5i , 53, 119) dis-
tinguent toujours les Touocotés des M^taguavos ou Matacos;
le premier de ces auteurs donne à ceux-ci le nom de Mataguœ.
Le P. Jolis (182, p. 392), missionnaire desVilelas à Ortega en
17 63, en énumérant les principales nations du Chaco, distingue
aussi nettement les Matacos et les Mataguayos des Matarâs.
Enfin une autre raison milite encore contre Tidentification
des Tonocotés et des Matacos : les premiers sont décrits
comme de bons traA ailleurs, intelligents et faciles cà gouver-
ner, tandis que les Matacos sont au contraire, comme j'ai
eu f occasion de m'en convaincre j^ersonnellement, très peu
aptes aux travaux agricoles, paresseux, sales, faux, vagabonds
et se trouvent, au point de vue moral, à fun des derniers
degrés de féchelle bumaine. Ce n'est pas à tort que Hervas
dit qu'ils sont la nacion la màs vil de todas. En outre, les Ma-
tacos ont un caractère physique qui leur est tout à fait propre
et que mentionne Lozano (219, p. 73) : ils n'ont presque pas de
mollets, ce qui attire immédiatement fattention et permet
de les distinguer d'autres Indiens. J'ai moi-même toujours joré-
sente fimpression curieuse que m'ont faite ces Matacos, pe-
tits, mais d'un squelette très fort, lorsque j'ai vu leurs jambes
décharnées, presque dépourvues de muscles, supportant un
corps aussi trapu et aussi robuste. Si les Tonocotés avaient été
des Matacos, cette particularité physique aurait certainement
été relevée par les auteurs qui ont parlé d'eux. Lozano (219,
p. 95) dit au contraire que les Tonocolés étaient de grande taille
et avaient le corps bien développé.
Je ne conqjrends pas d'ailleurs que fou aille chercher les
descendants des Tonocotés aussi loin que chez les Matacos. Il
faut rappeler que ces Tonocotés problématiques, qui s'étaient
enfuis jusqu'aux rives du Pilcomayo, n'étaient qu'une partie
de la nation tonocotée : celle qui avait été attachée au service
CARTE ETII.MOUK. 31
des Espa«^iiols (rEstcco. Que lait-oii de tous les Touocotés de
Tucuinaa et de Santiaj>o, a|)]^art(Miant à la uièiiie uatiou et
parlant la même langue, selon Ik'uzana et Narvaez? La poi:)ula-
tion de ces provinces se compose actuellement de mrtis avant
une pro])ortlon insi«^niflante de sang blanc et qni descendent
certainement des Indiens habitant le pays au temps de la
conquête, Indiens au service des Espagnols, cncomcndados^^^
de ceux-ci, et, par conséquent, protégés par eux contre les at-
taques des tribus sauvages du (iliaco. Il n'existe aucun indice
d'une émigration en masse ou d'une extermination de ces
Touocotés du XV!*" siècle, que tous les auteurs dépeignent
comme des Indiens dociles et parfaitement assimilés au non-
veau genre de vie et aux travaux ([ne leur inq:)osaient lenrs
maîtres européens. Ces Tonocotés se sont, sans aucun clou le,
perpétués dans la population actuelle de ces provinces, et il
doit en avoir été de même pour ceux d'entre eux qui |)()rliii('iil
le nom de Matarâs. Leur nom et leur langue ont disparu
comme tant d'autres noms de peuples et de langues indigènes.
C est précisément le cas des Diaguites : leur nom n'est con-
servé que pai* les chronique uis, et leur langue avait été étu-
diée par Bârzana, mais son ouvrage a été perdu. Nous avons
une longue liste de ces langues éteintes, par ex('uq)l(* : rallcn-
tiac, le comechingon, le sanaxirou, le cacan, poui' n'en ciliM'
que quelques-unes.
Le tonocoté de Barzana était-il la même langue que le lidc-
tonocoté de Machoni:^ Et, dans le cas conhaiic, comuu'iil doil-
on considérer cette dernière langue? (ic (pii est absoluiucnl
^'^ Encomcnderos : ainsi s'apjiclaicnl , le dntit (l\'\ig('r un liihnl de ses f/Ho;;i(//-
comnie on le sait , les jK-rsonncs (|iii , jiac iladus. Ecs cnoimuiulas , au contraire df
un acle royal, avaient la protection d'un ce qu'elles auraient dû cMre, n"»''laient en
certain n(»uil)re d'Indiens, avec la charge réalilé ((u'une sorte de glèi»' ou d'es< ja-
de veiller sur leurs intérêts et de leur \a;,'e, les ciimmcndcrus cherrlianl à Im-r
enst'i^'uer le calérliisme. dette cliarj^e, il' leurs Indiens liiul le [irolil (|u'ils |i(iu-
avec les privilèges (jui y appartenaient, vaient. Cliarlevoix liaduit lU Iraneais cii-
|)orlait le nom iVcncomieiida et les Indiens comciidcin par commamUilnirc.
relui iVciirnmnidddos. \.'riiciinicndi'rtt avait
52 ANTIQUITES DE LA REGION ANOINE.
certain, c'est que les Lules de la mission de Mlraflores, les Isis-
tinés et les Toquistinés de celle de Valbuena, parlaient cette
langue, et ce sont eux qui ont déclaré au P. Maclioni qu'ils
appartenaient à cette nombreuse nation des Tonocotés ayant
habité aune époque antérieure les environs d'Esteco, les rives
du Rio Salado et les territoires de Tucuman et de Santiago. Il
est difficile d'admettre que cette information est inexacte, car
Maclioni vivant parmi ces Indiens devait pouvoir contrôler la
véracité de leurs affirmations. Jolis (182, p. 392) considère les Lules
(de Miraflores) , les Isistinés, les Toquistinés et les Tonocotés
non comme des « nations » , mais comme des tribus d'une même
nation qu'il dénomme les « Lules ». Adelung (4, t. m, 2'= part., p. 5o8)
émet aussi l'opinion qu'ils devaient faire partie d'une nation com-
posée de tribus parlant toutes la langue de Machoni. En ejfet,
aucun argument sérieux ne s'oppose à l'hypothèse que ces trois tribus
n'appartenaient pas à la grande nation tonocoté nommée par Bàrzana,
Narvaez, Techo, et dont les Mataràs étaient aussi une tribu. En
somme, c'est surtout le nom «Lule», porté au tenq)s de Ma-
choni par l'une de ces tribus, qui est la cause de ces incerti-
tudes, et nous verrons ensuite que ce nom a été appliqué par
différents auteurs à des nations et des tribus très différentes.
On invoque, du reste, un autre argument pour nier l'identité
du lule-tonocoté et du tonocoté de Bârzana : c'est l'information
négative donnée par le P. Ferragut à Hervas sur l'existence des
Tonocotés du Rio Pilcomayo et confirmée par Jolis (182, p. 090).
Mais la question de fexistence de cette tribu ne peut pas fournir
de preuves pour la solution du problème, à savoir si la langue
j)rimitive des autres tribus a été ou non le tonocoté de Bàrzana.
Que si, cependant, les Lules de Maclioni n'étaient pas des
Tonocotés, on peut en ce qui les concerne formuler trois hypo-
thèses : 1° Ils seraient l'une des nombreuses tri])us de Lules
nomades qui sont mentionnées, comme nous le verrons, jiar
Narvaez et Bârzana, mais assimilée k la nation des Tonocotés
et ayant adopté leur langue ; 2" Comme dans la première
hypothèse, les Lules de Maclioni seraient une tri])u de Lules
C \r«TE KTHNIQl K. 53
nomades, mais n'auraient pas adopte la langue tonocoté (de
Bârzana). Leur « lule-tonocolé » serait alors l'un des dialectes
des Lules nomades dont joarle Bârzana dans sa lettre. Les ren-
seignements nécessaires manquent pour vérifier ces deux hypo-
thèses; 3" On pourrait, à cause du nom, être tenté de voir
dans le lule-tonocoté de Machoni un(^ relation avec les Lules
de l'Aconcprija décrits par Teclio, mais ces derniers sont diflé-
rents des Lules de Machoni, ainsi que nous le démontrerons
ensuite. Il est prohahle que les Lules montagnards de Teclio
étaient une trihu diaguite parlant le cacan, et, dans ce cas, le
lule-tonocoté de Machoni serait le cacan, ce cfui est impossible,
car la première de ces langues n'a aucune de ces inflexions
gutturales que tous les auteurs attribuent à la dernière.
Si nous cherchons des affinités du lule-tonocoté de Machoni
dans les autres langues indiennes, nous voyons quelles en
difl^èrent toutes, excepté celles de deux tribus du Chaco, les
Vilelas etles Ghunupis (Chulupisou Sinipis). Lozano (219, p. 85
ei suiv.) parle en 1 78 3 des Vilelas et des Ghunupis, « deux tribus
diiïerentes, mais appartenant à la même nation », habitant dans
le Chaco, sur le Rio Bermejo, et, d'après Hervas (165, i, p. 17/1),
il y en avait en 1767 dans les missions de Petacas, d'Ortega
et de Macapillo, en dehors de ceux errants dans le Chaco. Ils
ont été étudiés dernièrement par M. Giovanni Pelleschi, qui
a fait un vocabulaire de leur langue. Ce vocabulaire, ainsi
qu'un autre de M. And)rosetti (11) et les données plus anciennes
de Hervas et d'Adelung- ont servi de matéri:\u\ à M. Lafone-
Quevedo (195) pour un travail contenant des observations his-
toriques, des notes grammaticales et un vocabulaire du vilela
et du chunupi, qui paraissent presque identiques. M. Pelles-
chi avait observé des Vilelas sur le Bermejo et des Ghunupis sur
le Pilcouiayo. Hervas (165, i, p. 175) avait déjà signalé la grande
affinité existant entre le vilela vl le lule-tonocoté (h* Machoni.
J^'a])bé Gilij (146, m, p. ;i(3;i et suiv.) ])ublie des vocabulaires com-
parés (\v ces deux langues. Adehing (4, t. m, ?/ part., p. 507) déclare
54 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
qu'elles ont une «grande analogie. Brinton (77, p. 3i3) croit que le
\ilela est une «représentation moderne du lule-tonocoté , mais
très corrompue par des emprunts ». Lafone-Quevedo (195, p. /lo)
estime que «le vilela a une affinité assez grande avec le Iule
de Machoni, mais ce^^endant avec certaines diilérences mar-
quées "^^l Les Vilelas et les Chunupis devaient être sans doute
des tribus du Chaco appartenant, au moins au point de vue
linguistique, au même groupe que les Lules de Machoni,
c'est-à-dire au groupe des Tonocotés, si l'on admet que ces
Lules en faisaient partie.
En conclusion, il est parfaitement établi que la plaine des
provinces argentines actuelles de Salta, Tucuman et Santiago
del Estero était, à l'époque de la conquête espagnole, peuplée
par une nombreuse nation, les Tonocotés, qui avaient une
langue commune, le tonocoté, aujourd'hui éteinte, sur laquelle
Bârzana a écrit l'ouvrage linguistique qui est maintenant perdu,
et leurs descendants sont les métis actuels de ces provinces.
Quant aux Lules de Miraflores et à la langue lule-toconoté
de Machoni, la longue discussion commencée par Hervas en
i8oo et continuée jusqu'à nos jours n'a pas prouvé à l'évi-
dence que cette langue n'est pas le tonocoté de Bàrzana, mais
elle n'a pas non plus prouvé le contraire. La seule chose mise
C' Suivant le D' Francisco Xarque (381), cher aucune importance à ces traditions,
cité par Lozano (219, p. 86), les Yilelas et en entendant un vieux Mataco, qui était
les Cliunupis du xvii" siècle conservaient présent lorsque je fouillai un cimetière
une Iradition d'après laquelle ils auraient ancien dans le Chaco,- me raconter que
habité la région andine, d'où ils se seraient ses aïeux étaient enterrés dans des urnes
enfuis dans le Chaco pour se soustraire sur le haut plateau (Puna de Jujuy), ce
aux rudes travaux que les Espagnols leur ([ui est impossible parce (jue les Matacos
imposaient. Cette tradition, à laquelle ont habité le Chaco depuis la conquête
M. Lafone-Quevedo paraît attacher une espagnole, parce qu'ils n'enterrent jamais
certaine importance, est d'après moi sans leurs morts dans des urnes, et enfin parce
aucune valeur réelle, comme tant d'autres qu'il n'existe pas de sépultures dans des
traditions des tribus indiennes sur leur urnes dans la Puna de Jujuy.
origine, par exemple celle relative àla P^'rancisco Xarque avait appartenu à la
provenance chilienne des Quilmes dont Compagnie de Jésus et voyagé en Jujuy
parle Lozano (220, iv, p. 9). J'ai eu l'occa- en i63g, d'après le P. Lozano (219,
sion de me convaincre qu'il ne faut atta- p. i^^i).
CAUTE ETHNIQUE, 55
en évidence par cette discussion, c'est que les Lnles monta-
gnards décrits par Teclio n'étaient pas les ancêtres des Lules
de Miraflores. Si la langue de ceux-ci n'est pas le tonocoté de
'Bârzana, elle ne peut être que l'un des dialectes des Lules
nomades, dont nous allons nous occuper.
Lules. — Plusieurs auteurs décrivent sous ce nom unique
des peuplades qui sont évidemment différentes. Narvaez et Bâr-
zana parlent de Lules nomades et sauvages habitant la plaine;
Teclîo nomme d'autres Lules sédentaires des montagnes, et,
comme nous l'avons vu, Machoni nous présente une troisième
sorte de Lules, ceux de la mission de Miraflores, qui, d'après
lui, seraient une tribu des Tonocotés.
Lules nomades. — Selon Narvaez (253, p. 148-1^19), des Lules
habitaient les domaines d'Esteco et de Tucuman, c'est-à-dire le
territoire occupé par les Tonocotés, ceux-ci pacifiques et bons
serviteurs des Espagnols, tandis que les Lules étaient au con-
traire des nomades, se nourrissant de la chasse et de la pêche,
et pas du tout pacifiques : no estàn del lodo de paz, dit le texte.
Bârzana (55, p. lu) confirme cette information et ajoute que les
Lules étaient des Alàrabes et n'avaient ni domicile, ni propriété,
mais étaient très nombreux, grands guerriers, et qu'ils auraient
exterminé les Tonocotés, si la conquête espagnole n'était pas
survenue. Ces Lules, bien qu'ils appartinssent tous à la même
nation, parlaient différentes langues (dialectes) qu'il fut im-
possible aux jésuites d'étudier pour en faire des grammaires
et des vocabulaires. Les Lules connaissaient en général le lono-
coté, qui paraît avoir été la leiKjua (jenend dans celte région,
comme le guarani au Brésil, le quichua dans les pays andins
et le nahuatl au Mexique. En se servant du tonocoté, les mis-
sionnaires catéchisèrent et convertirent beaucoup de Lules.
Narvaez [Und., p. i^o) place aussi des Lules dans la Vallée de
Lerma, dont les habitants soni appelés des Juris par Oviedc) y
Valdez, ainsi qu'il a été vu.
Lules de l'AcONQIMA. Techo (341: 1. i, r. xwix; p. 0,7; otl. n,
5()
ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
c. XX, p. 49) rend compte de la conversion au catholicisme d'une
j)euplade qu'il nomme des Lules, mais ceux-ci ne paraissent
pas devoir être confondus avec les Lules nomades de Barzana
et de Narvaez, car Teclio les dépeint comme étant sédentaires
et habitant des villages (^oppida) dans les montagnes. En par-
lant du voyage de Bârzana, qui fut le premier à pénétrer dans
les domaines de ces Lules, en 1689, Techo fait une longue
description des montagnes escarpées, des profondes vallées et
des torrents impétueux qui y entravèrent sa route. L'habitat
de ces Lules devait être situé près de la ville de Tucuman^'^,
puisque cette ville fut toujours exposée à leurs attaques et
qu'ils tentèrent même de l'incendier. La Sierra de Aconquija
étant la seule région montagneuse aux environs de Tucuman,
ce sont sans doute ces montagnes qu'habitaient les Lules nom-
més j)ar Techo ^"^\ Douze ans après Bârzana, les jésuites Fer-
nando Monroy et Juan Viana visitèrent ces Lules qui avaient
déjà presque abandonné la religion chrétienne, et les conver-
tirent de nouveau. Les missionnaires pouvaient se faire com-
prendre de la plupart d'entre eux au moyen du quichua et
du tonocoté, mais ils devaient employer des interprètes au-
près de ceux qui ne savaient que le cacan. 11 paraît donc que
les Lules de l'Aconquija parlaient, à cette époque, le quichua
parce qu'ils avaient été sujets des Incas, le tonocoté parce
([u'ils avaient des relations commerciales avec les Tonocotés, et
'*' San Mignei de Tucuman , comme
nous l'avons dit, ne se trouvait pas, à
l'origine, à l'endroit où est situé actuelle-
ment Tucuman. La ville fut fondée en
1 r)65 par Don Diego de Villaroel , près
du Rio Monteros; mais, en i685, le gou-
verneur Don Fernando de Mendoza Mate
de Lima la transporta là où elle se trouve
maintenant, c'est à-dire l^eaucoup plus au
Nord que son premier emplacement.
'"' Près de la ville actuelle de Tucuman
est un village Lules oh Los Lules, ainsi
nommé sans doute en mémoire d'un lait
cjuelconcpie se rapportant aux Lules. Il
serait cependant aventureux de tirer du
nom de ce village la conséquence que des
Lules y auraient habité à une certaine
époque. Le D' Adan Quiroga (299, p. SScj)
a publié la figure d'une très intéressante
« idole » en terre cuite , trouvée dans cette
localité , mais il n'y a aucune raison pour
attribuer cette idole aux anciens Lules,
comme le fait le D' P. Ehrenreich (122,
p. Co), probablement par suite d'une er-
reur d'impression dans la jmblication
de Quiroga : Idoh de los Lules, au lieu de
1(1 ni 0 de Los Lules,
CARTE KTIIMQUE. 57
le cacan, prol)ablement parce que c'était leur propre langue;
dans ce cas, ces Lules de Techo ne seraient c[u'une tri])u des
Diaguites, ce qui me paraît assez vraisemblable^^'. M. Lafone-
Quevedo (193, p. 198) partage cette opinion, qu'il apj^uie de
bons arguments. Toutefois remarquons que Techo distingue
les Lules des Diaguiles en énumérant Tonocotani, Diagiut(c et
LiiUi, et ajoutons que son récit sur la mission de Bârzana chez
les Lules sédentaires des montagnes ne concorde pas avec la
description donnée par ce dernier, dans sa lettre, des peu-
plades qu'il appelle Lules.
Lules (Tonocotés?). — Nous avons déjà longuement discuté
sur la troisième catégorie de Lules, ceux dont la langue a été
étudiée par Machoni dans la mission de Miraflores; mais reste
toujours à savoir s'ils formaient une des tribus des Lules no-
mades de Narvaez et de Bàrzana, ou bien une tribu des Tono-
cotés. Ce qui est certain , c'est qu'ils ne sont pas les descendants
des Lules de Techo (de l'Aconquija). Hervas (165, i, p. 170), le
premier, l'a démontré. Il nomme les Lules de Techo «anciens
Lules » et ceux de Machoni « Lules modernes ». Lozano les con-
fond toujours : il cite (219, p. 106), en parlant des derniers, la
description que fait Techo des premiers, ceux-ci montagnards
belliqueux et indomptables, ceux-là, les Lules de Machoni,
Indiens de la plaine, dociles et soumis. Si l'on admet que les
Lules de Techo composaient une peuplade diaguite, la dilïé-
reuce entre les uns et les autres devient plus nette encore,
caria langue des Lules de Machoni ne peut pas être le cacan,
on le sait déjà.
Sur la carte ethni([ue fi(j. 1, les Lules l^de TeclioY'^ sont j)lacés
dans les limites des Diaguites, et je désigne, avec le mol Jjtles,
''* Lozano (221; 1. III , c. xviii; t. I, p. /iSO) , (jiii cciivil cent ans avant Lo/.ano cl <|iii
en reproduisant la narration de Techo sur csl l'iiirorniatcurdc celui ci. Lo/.ano scnii)lt'
la mission des PP. Monroy et Viana, dit que avoir rcmpl.icé le mot «cacan » par celui de
les Ijules parlaient le (piicluia, le tonocoté « Iule », simplement parce cpi'il mira cru cpie
cl le Iule, au lieu du (piicliua, du lonocoté les Lules devaient parler le m Init'».
et du rrtc«/i, mais il faut plutôt croire Techo ^'' Fiules de l'AcoïKpiija.
58 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
en dehors de ces limites, les Liiles iioiiiades de Narvaez et de
Bàrzana. Les Lules de Maclioni n'ont pu, naturellement, être
localisés.
Atacamas. — Le haut plateau de la Puna de Jujuy, au
nord des Diaguites, a été habité par un peuple jusqu'à pré-
sent sans nom dans l'ethnographie, mais qui a laissé des ruines
et des sépultures en bon état de conservation. L'étude de ces
vestiges a été le but principal de mon dernier voyage, et une
grande partie de cet ouvrage est destinée à rendre compte des
recherches que j'ai effectuées à ce sujet. En. même temps,
l'un des chefs de notre mission, M. E. Sénéchal de la Grange,
faisait, dans le Désert d'Atacama, des découvertes archéolo-
giques, que je décris aussi dans le présent ouvrage. Il résulte
de mes recherches et de celles de M. Sénéchal de la Grange,
ainsi que l'on peut s'en convaincre en lisant les chapitres cor-
respondant à nos explorations respectives, que les vestiges
laissés par les anciens habitants de la Puna de Jujuy et par
ceux du Désert d'Atacama sont identiques : un même peuple
aurait donc habité la vaste zone comprise entre la Puna argen-
tine et le Pacifique.
Les vestiges du Désert d'Atacama ne peuvent être attribués
qu'aux anciens Atacamas qui, d'après les données historiques,
à l'époque de la conquête esj)agnole, occupaient le désert
depuis plusieurs siècles. Par conséquence, à ces Atacamas ap-
partenaient aussi les anciens habitants de la Puna de Jujuy :
Santa Catalina, Rinconada, Cochinoca et Casabindo.
Les documents écrits ne parlent pas beaucoup des Ata-
camas du Désert d'Atacama, encore moins de ceux delà Puna
de Jujuy. hefactoràe Potosi, Don Juan Lozano-Machuca (222,
p. xxv), dans une lettre adressée en i58i au vice-roi du Pérou,
donne aux Indiens habitant «la Vallée d'Atacama», c'est-à-dire
le bassin du Salar d'Atacama, le nom d'Atacamas; ils étaient
au nombre de 2,000 et avaient été concédés en encomlenda
à Don Juan Velâsquez Altamirano, de La Plata (Chuquisaca).
CARTE ETHNIQUE. 59
Selon Macliuca, Velâsqiipz ne tirait pas ^rand bénéfice de ses
Atacamas,. qui ne lui donnaient que 1,000 pesos par an, et en-
core payaient-ils ce tribut d'une manière irrégulière. Machuca
])ropose au vice-roi d(^ les placer directement sous la dépen-
dance de la couronne, de les concentrer dans un village, de
leur faire payer un tribut au roi et, de plus, de les faire tra-
vailler dans les mines de cuivre des environs du port d'Ata-
cama (Cobija). Macbuca propose aussi qu'on les emploie pour
faire la guerre aux Indiens de Omaguaca (Quebrada de Hu-
mahuaca). Les historiographes postérieurs ne disent presque
rien sur les Atacamas. Suivant Garcilaso de la Vega (140-, I. vn,
c. xvni; fol. i84), des Atacamas et des Indiens du Tucuman avaient
donné au gouvernement de l'inca des renseignements sur le
Chili, et ils furent employés comme guides de l'armée que
rinca dirigea contre ce pays et qui s'en empara. Presque tous
les chroniqueurs espagnols désignent Atacama comme quartier
général des armées envoyées de Cuzco à la conquête du ChiH,
au commencement du xiv'' siècle. Oviedo y Valdez (280; 1. xlmi,
r. v; t. IV, p. 280), décrivant la conquête espagnole du Chili par
Almagro, en i536, rapporte que «la province d'Atacama a
une longueur (probablement du Nord au Sud) de quarante
lieues, non compris le désert inhabité, et compte environ
sept cents guerriers, Indiens belliqueux et «vicieux», vêtus
comme les Yuncas. Ils récoltent assez de maïs pour leur
nourriture et possèdent des lamas en abondance. Ils ont aussi
dans leur pays de Valgarroha et une sorte de petites noix que
l'on mange après les avoir moulues et qui existent égaleiUiMit
à Copiapô » .
D'après Garcilaso de la Vega (140; 1. iv, c x\; fol. ()G), le Désert
d'Atacama lut annexé à l'empire incasique vers la fin (hi
XII 1" siècle par Mayta-Inca, général de l'inca Yahuar-lluacac,
r|iii «conquit toute la côte depuis Arequipa jusqu'à Tacama »,
un territoire «long et étroit, peu peuplé». Au temps de la
conquête espagnole, les Atacamas étaient de fidèles vassaux
des Incas, car Oviedo y Valdez nous informe, dans le même
60 AMIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
chapitre, qu Almagro étant revenu du Chili, ils se révohèrent
contre les Espagnols, «par ordre deTInca».
Encore j)lus vagues sont les renseignements sur les Ata-
camas de la Puna de Jujuy. Les Espagnols paraissent ne pas
s'être aperçus que c'étaient des Atacamas. Le pays qu'ils habi-
taient était d'ailleurs si aride, si froid, si désert et si bien caché
dans le labyrinthe des montagnes du haut plateau, qu'il oflVait
sans doute peu d'attrait à la convoitise des Espagnols. On a dû
surtout oublier ces Indiens parce qu'ils étaient pacihques et
n'attiraient pas l'attention par des rébellions ou des guerres;
ils se sont soumis sans doute sans résistance. On ignore en
effet l'époque à laquelle les Espagnols ont pris possession du
pays. Lozano-Machuca (222, p. xxiv) avait envoyé un certain Pedro
Sande pour explorer les mines et étudier, au point de vue
pratique, les Indiens de Lipez. Sande rapporta que des In-
diens « voisins des Indiens de guerre de Omaguacas et de Casa-
bindo » venaient à Potosi sous le nom d' Atacamas pour y
échanger leur «bétail» (lamas) et d'autres produits contre des
marchandises, probablement de la coca, Potosi étant alors un
centre de commerce de cet article si recherché par les Indiens
du haut plateau. Cette information ne peut correspondre k
d'autres Indiens qu'à ceux de Rinconada, Cochinoca et Casa-
bindo. Il est vrai que Lozano-Machuca dit : « Indiens voisins
d'Omaguacas et de Casabindo » , en comprenant ceux de Casa-
bindo parmi les « Indiens de guerre » et non parmi leurs voi-
sins pacifiques; mais ce doit être là une confusion, très expli-
cable chez un homme qui tenait ses renseignements de seconde
main et encore d'une personne, Sande, qui n'avait pas été
sur les lieux, mais avait obtenu ces renseignements loin de
là, en Lipez. Au surphis, nous retrouvons ces confusions à
chaque instant dans les anciens rapports espagnols et surtout
celles occasionnées par l'emploi de la conjonction et, spécial
à l'espagnol de cette époque. Les Indiens de Casabindo sont
bien identifiés à ceux de Cochinoca, Piinconada et Santa Cata-
hna par les vestiges qu'ils ont laissés, et ces mêmes vestiges
CARTE ETHNIQUE. Gl
prouvent qu'ils étaient différents des Oniaguacas. On peut
facilement tirer des informations de Sande, répétées par Lo-
zano-Machuca, la conclusion que les Indiens de la Puna de
Jujuy se nommaient eux-mêmes des Atacamas.
Le hcenciado Juan de Matienzo (232) est fauteur d'un
j^rojet de route stratégique et commerciale de Chnquisaca à
Santiago del Estero, à travers la Puna de Jnjuy et la Vallée
Calchaquie. J'ai essayé plus loin de reconstituer fitinéraire
qu'il avait proposé; cette reconstitution est indiquée sur la
carte archéologique insérée à la fin de cet ouvrage. Matienzo
donne les noms des Indiens habitant près de chacune des
stations de la route. Jusqu'à Moreta, en venant du Nord, il y
place des Chichas, mais il ne donne pas le nom des habitants
de la région de Casabindo; puis ii cite de nouveau ceux des
stations de la Vallée Calchaquie qui étaient des « Calchaquis ».
Matienzo connaissait bien, on le voit, et les Calchaquis (Dia-
guites) et les Chichas. Si nos Atacamas de Cochinoca et de
Casabindo avaient appartenu aux uns ou aux autres, il leur
eût certainement donné leur nom. La nomenclature de Ma-
tienzo indique aussi indirectement que Narvaez (253, p. i48)
commet une erreur en disant que les Indiens de Casabindo
«parlaient, en dehors de la langue des Chichas, la leur qui
était le diaguite » (cacan), voire qu'ils étaient des Diaguitcs.
Du reste Narvaez, si bieu renseigné sur les provinces de Tu-
cuman, ^Santiago, Catamarca, Côrdoba, La Rioja et Salta, fest
naturellement beaucoup moius en ce qui concerne la géo-
graphie des déserts du haut plateau, presque inconnus à son
époque.
Les historiens postérieurs nous apprennent peu de choses
sur les Indiens de la Puua de Jujuy. Le P. Pedro Lozano (220)
les nomme plusieurs lois, mais toujoui-s sous les nonis (hî
leurs villages : Cochinocas, Casabindos, etc., sans leur ap])h-
quer de désignation spéciale ^'^. Guevara (154) imite Lozano.
^') Lozano (220, i, p. 179) non plus ne phie de la Puna de Jnjuy. Pour lui, «les
paraît pas connaître beaucoup la géojrra- montagnes de la Vallée (]alclia(piie sont
02 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
Aucun des deux auteurs ne dit rien d'intéressant sur ces In-
diens, sauf qu'ils prirent seulement une très faible part aux ré-
bellions des Calchaquis et des Omaguacas contre les Espagnols.
Ilerrera (164; déc vm, 1. v, c ix; t. iv, p. i36) paraît donner aux In-
diens de la Puna de Jujuv le nom d'Atacamas. En parlant des
avantages qu'offrit la fondation d'une ville dans la vallée de
Salta (Lerma), il dit que cette ville serait le rendez-vous des
Indiens de Casabindo, Cochinoca, Moreta et des Indiens Apa-
lamas (Atacamas), qui y viendraient pour échanger leurs pro-
duits contre des marchandises. Il semble commettre la même
erreur que tant d'autres écrivains de fépoque : il emploie à
faux la conjonction et, et considère comme différents des noms
qui probablement ne sont que des synonymes. Ses Apatamas
ne peuvent être les Atacamas du Désert d'Atacama, séj^arés de
la Vallée de Lerma par la Grande Cordillère et par 6oo kilo-
mètres de désert; il ne peut donc s'agir que de nos Atacamas
de la Puna de Jnjuy, auxquels appartenaient les Gasabindos et
les Gochinocas.
En fait, les informations des historiens sur les iVtacamas
ne sont pas suffisantes pour en tirer des conclusions en ce qui
concerne l'identité des Indiens de la Puna avec les anciens
Atacamas du Désert d'Atacama, mais, ainsi que je l'ai dit, les
découvertes archéologiques de la Mission Française démontrent
que les uns et les autres formaient un seul peuple.
Des survivants de ces Atacamas préhispaniques, les Ataca-
menos, existent encore dans le bassin du Salar de Atacama.
D'Orbigny (274, i, p. n) les a étudiés en i8oo, et il en fait l'une
des quatre nations de sa branche péruvienne de la race
andopéruvienne, les trois autres nations étant les Quichuas,
continuées par colles de Lipez qui est une le chef-lieu de la province de Lipez. Sur
mine très riche de la province de San sa carte, Lozano (219) laisse et la Vallée
Antonio». Il laisse donc de côté toute la Calchaquie et la Puna presque en blanc.
Puna et semble croire que la vaste pro- Dans cette dernière région seulement, les
vince de Lipez est une mine qu'il place localités Casabindo, Cochinoca et Yavi sont
dans la «province de San Antonio», alors indiquées. Les Salinas Grandes n'y figu-
que San Antonio de Lipez est, en réalité, rent pis.
CARTE ETHNIQUE. 63
les Aymaras et les Cliaiigos. D'Orbigiiy (liid., p. o3o) veut les
identifier aux Li2:)es de la lettre de Lozano-Machiica (222),
mentionnés également par Garcilaso de la Vega (140; I. iv, c. w,
fol. (j6). Mais celui-ci distingue parfaitement le territoire des
Lllpi (Lipes) de celui de Tacama, et raconte que les Lipes et
les Gliiclias furent soumis à fempire incasique par Yahuar-
Huacac, dans une guerre j^ostérieure à celle qui eut pour
résultat la conquête de la côte jusqu'à Atacama. D'ailleurs les
Lipes actuels parlent le quichua, n'ont pas les vêtements et
les coutumes particuliers aux Atacamenos et ne semblent pas
avoir de rapports ethniques avec ceux-ci.
Les Atacamenos ont une langue complètement diflerente
de toutes les autres langues américaines. On a pris flia])i-
tude de lui donner le nom d'« atacameno » , mais eux l'appellent
le clmnza, ce qui signifie «notre», c'est-à-dire «notre langue».
MM. Philippi (285, p. G7), von Tschudi (356, v, p. 82), Th. H. Moore
(242), F. J. San Roman (321) ont publié des petits vocabulaires
d'atacameno; Moore y a ajouté aussi des principes de gram-
maire. Mais ce sont surtout MM. Vaïsse, Hoyos et Echevarria
(361) qui en ont donné dernièrement un vocabulaire très com-
plet, comprenant 1,100 mots dont il faut cependant écarter
beaucoup de mots quichuas introduits dans fatacameno. Ils
ont ainsi sauvé de foubli cette langue qui est sur le point de
disparaître. Elle n'est maintenant plus parlée qu'à San Pedro
de Atacama et dans les petites localités voisines : Toconao,
Soncor, Camar, Socaire et Peine. Selon M. Vaïsse et ses colla-
borateurs [ihid., p. 53o), il n'y a actuellement qu'une vingtaine
de personnes qui possèdent bien fatacamefio, l'espagnol pre-
nant peu à peu sa place. D'après M. von Tscbudi, on parlait
encore l'atacameno dans la deuxième moitié du dernier siècle
à Calama, ([ui ])()rlait jadis le nom de «Atacama Baja», à
Chiuchiu et à Antolagasta, mais à présent il n'v est plus du tout
en usage. Au rapport de M. Moore (242, p. h-]), on pcul siii\re
les traces de celte langue par les noms de lieux, depuis (iobija
64 ANTIQUITES DE LA UEGION ANDINE.
sur la côte jusqu'à Piirilari (^)«n = eau, /a//-- rouge) dans Tin-
térieur, et en effet beaucoup de noms dans la partie sud de
la province de Tarapacâ proviennent de Tatacameno. Les Ata-
canieîïos se nomment eux-mêmes Lickan-Antai «le peuple
du village ». Lickan « le village » , comme en latin urbs « la ville »
par excellence, est surtout San Pedro de Atacama; pour dési-
gner des localités étrangères, les Atacamefïos disent IcrL
La toponymie du nord de la Puna de Atacama, c'est-à-dire
du désert qui séj^arait les Atacamas du Salar de Atacama
de ceux de la Puna de Jujuy, est presque totalement tirée de
l'atacameno, sauf quelques mots pris du quicliua et, naturel-
lement, quelques noms esj^agnols^^l Dans la Puna de Jujuy,
les noms dont on peut dire avec certitude qu'ils dérivent de
l'atacameno sont rares, mais il y en a pourtant quelques-
uns. Ainsi le nom indigène de l'Al^ra de Cobres est Abra de
Cabi, et Ckabi est un nom d'Indien qui figure sur les registres
de féglise de San Pedro de Atacama, en Tannée i6i3. Près de
Cobres, il y a aussi une localité appelée Potor, ce qui veut dire
en atacameno « avalanche de terre ». Beaucoup de noms de lieux
dans la Puna de Jujuy ne dérivent pas du quichua et pro-
viennent d'autres langues indiennes, peut-être de fatacameno,
mais, en général, les Incas semblent avoir imposé la nomen-
clature quichua dans cette partie du haut plateau, ce qui
est tout naturel, car fune de leurs jDrincipales routes traversait
ce territoire.
D'Orbigny (274, i,i). 33o) a évalué le nond3re des Atacamenos
(le son temps à 7,^00 individus environ, dont y, 000 dans la
'"> Citons quelques exemples : Catua anus); Caurchari [ckuhur = haute mon-
(cAa/H = roche); Puripica, près de Catua tagne, ckari = vert); Z:ipaleri [Ischapnr
(pfj(7 = eau, picka = frais: eau fraîche); = renard); Mucar [iinickar == mort);
Pairique (pajVi^ mouche) ; La ri, près de Pultur (peut-être de piilcklur = svm-
Susques (/arî= rouge); Salar de Arlzaro vrer), etc. C'A", suivant l'orthographe adop-
(/;rt«ri = vautour, ara ou aro = demeure : tée par MM.Vaïsse, Hoyos et Echeverria,
demeure des vautours) ; Olaroz (peut-être représente un son guttural spécial à l'ata-
de /io?or = quinoa); Salar de Jama (peut- camcno et resseml)lant au ch allemand
être de ckumai = petit-fds); Toro [toro — suivi d'une sorte de r.
CARTE ETHNIQUE. 65
province crAtacama et 5,4oo dans celle de Tarapaca. Ces
derniers sont maintenant complètement absorbés par les
Aymaras. A San Pedro de Atacama, les Atacamenos paraissent
s'être conservés très purs. Lors du passage de M. von Tschudi,
il n'y avait parmi eux aucun blanc. M. Alejandro Bertrand
(60, p. 277) estime, en i884, la population indigène du Désert
et de la Puna de Atacama à 4, 000 individus, dont la moitié
environ auraient été des Atacamenos et le reste des Changos
et des Indiens de la Bolivie.
AI. Pliilippi (285, p. 65) décrit les Atacamenos comme ayant
une taille peu élevée (i m. 60 en moyenne, d'après d'Orbi-
gny), le front bas, le nez jAat et large, les pommettes assez
saillantes.
Les Atacamenos ont conservé beaucoup d'anciennes tradi-
tions qu'il serait d'un grand intérêt de colliger le plus tôt pos-
sible, avant qu'elles ne soient perdues pour toujours, ce à quoi
il faut s'attendre d'ici peu d'années, car elles seront oubliées
avec la laniifue. La tache de recueillir ce folklore est loin d'être
facile, les Atacamenos étant fort réservés sur ces choses. J'ai
rencontré à Cochinoca, dans la Puna de Jujuy, une femme
Atacamena, mais il me fut impossible de rien tirer d'elle sous
ce ra]3port.
Les hommes Atacamenos sont plus ou moins vêtus à l'euro-
péenne, comme les Indiens de la Puna; mais les femmes por-
tent des vêtements spéciaux composés, d'après M. von Tschudi
(356, V, p. 78), du coton, de Vackso et de la Uicla.
Coton, c'est une longue robe en laine de couleur brun ioncé,
pourvue de manches et descendant jusqu'aux chevilles.
Aciiso : vêtement ouvert d'un côté, couvrant la partie (boite
du buste, et ramené par deriûère et par-dessus fépaule gauche
sur la poitrine où il forme poche, pour s'attacher enhn à la
ceinture du côté droit. L'ac/f50 est toujours rayé de couleurs
criardes: jaune, ronge, noir; vert, ronge, jaune; verl, l'onge,
noir, etc., rappelani les lissns rayés des anciennes sépultures
de Calama el de l;i INina.
IC 7<AT10^ALr.
66
ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Llicla^^ : sorte de châle jeté sur les épaules, généralement
d'un tissu grossier et poilu, rouge ou vert pour la plupart.
Je ne dois pas laisser ici passer, sans la mentionner, une
théorie de M. von Tschudi (356, v,p. d>'v, et 357, p. 71), ou plutôt
une su])position , car il ne ra])puie pas de raisons plausihles.
A son a>is, les Atacamenos seraient les derniers survivants
des anciens « Calchaquis » et, par con'séquent, leur langue
serait l'ancien cacan. Lorsque l'inca Yupanqui fit la con-
quête du Chili, les Calchaquis lui auraient opposé une résis-
tance téméraire dans leurs forteresses, et une partie d'entre
eux se seraient réfugiés dans le Désert d'Atacama pour ne pas
se soumettre aux Péruviens. Or la situation des vestiges du
chemin incasique démontreraient que les Incas n'ont jamais
pénétré dans les oasis de San Pedro de Atacama et de Toconao,
et que ces endroits n'auraient jamais appartenu à l'empire
incasique. La rareté relative de mots quichuas dans l'atacameho
confirmerait ce fait. Ces arguments sont tout à fait contraires
à ce que nous apprend l'histoire. Aucun document ne donne
des informations sur une résistance opiniâtre des Calchaquis
ou Diaguites contre les Incas, et, si nous en croyons Garcilaso
de la Vega, cité plus haut, la soumission des Calchaquis fut
plutôt volontaire ; le même auteur rend compte de la conquête
d'Atacama sous l'empire de Yahuar-Huacac, et, d'après lui, ce
lurent des Indiens d'Atacama et de Tucuman (des Diaguites,
f'^ Le mot llich ou ïïiclla est quichna.
La lUcla était aussi en usage chez les In-
diennes du Pérou, mais le colon et Vackso ,
tels qu'ils sont décrits par von Tschudi,
diffèrent du vêtement préhispanique des
lénimes péruviennes , Vunacu, sorte de long
sac sans fond qui couvrait le corps depuis
les aisselles jusqu'aux pieds et dont les
bords supérieurs étaient ramenés au-dessus
des épaides pour y être agrafés au moyen
d'épingles [topos). Cependant les femmes
des Yuncas employaient aussi Vacso ou
a/s«, connue le démontre une ordonnance
du vice-roi Don Francisco de Toledo (48,
fol. i't6), signée à Arequipa en i575. D'ail-
leurs, comme nous l'avons dit, les anciens
Atacamas étaient, suivant Oviedo, vêtus
comme les Yuncas.
Suivant le P. Cobo (103, n , p. 162), les
Péruviennes se ceignaient avec le chu m pi ,
large bande d'étoffe à laquelle elles lai-
saient faire plusieurs tours autour du
ventre. Suivant des renseignemenls qui
m'ont été donnés, les femmes atacamenas
emploient aussi le cliiiinpi, quoique von
Tschudi ne le menlionne pas.
CARTE ETHNIQUE. 67
peut-être justement des Calchaquis) qui servireuL de guides
à Tarmée de l'Inca, Yupanqui. Suivant M. Philippi, la route
dite « de l'Inca » jDasse par San Pedro de Atacama et par Toco-
nao, et, même s'il n'en a pas été ainsi, cette route traversait
certainement le bassin du Rio Loa où l'on parlait l'atacameno
il y a moins d'un siècle. D'ailleurs il est impossible de sup-
poser que les Incas n'aient pas soumis à leur enq:)ire l'oasis de
San Pedro de Atacama et ses environs, seuls endroits dans ces
régions désertiques pouvant fournir des provisions aux nom-
breuses troupes péruviennes allant au Cbili ou retournant
au Pérou. Quant au fait que la langue des Atacamenos s'est
maintenue assez pure de mots qnichuas, il ne prouve rien.
Et d'ailleurs on y retrouve plusieurs de ces mots, parmi les-
quels certains désignent des croyances religieuses nettement
péruviennes. Au contraire, dans la toponymie de la région
diaguite, où l'on rencontre les seuls restes connus du cacan,
on ne trouve pas de mots atacamenos. L'hypothèse de M. von
Tschudi, d'après laquelle les Atacamenos seraient des survi-
vants des « Calchaquis», n'est donc justifiée par aucun fait.
Les peuj)les voisins des Atacamas à l'époque de la conquête ,
en étendant ceux-ci à la Puna de Jujuy, comme les découvertes
archéologiques findiquent, sont : au Sud, après des déserts, les
Araucans et les Diaguites; à l'Kst, les Omaguacas; au Nord,
les Ghichas bien connus comme appartenant à renq:)ire inca-
sique, les Lipes, et, en Tarapaca, les Yuncas. On ne peut ris-
quer une opinion en ce qui concerne fextension des Atacamas
vers le Nord, dans cette dernière province, avant que celle-ci
ait été explorée archéologiquement.
Uros (Changos). — Le long de la côte (Ui i\u'i(iqiie, sur le
territoire même des Atacamas, et dépenchuit probablement de
ceux-ci, habitait une peuplade de pêcheurs, les Uros, qui se
trouvaient au degré le plus bas de la civilisation. Don Juan
J^ozano-Machuca (222, p. wv-xwn) donne sur les Uros (f \tacama
5.
68 ANTIQUITES DE LA HEGIOM ANDINE.
le renseignement suivant : « Dans la baie crAtacama (Cobija) où
est situé le port, il y a /ioo Indiens Uros, pêcheurs qui ne sont
pas baptisés et qui sont incapables de servir à quoi que ce
soit; cependant ils donnent du poisson aux caciques d'Atacama
en signe de soumission. Ces Indiens sont très brutes : ils ne
cultivent pas la terre, ils n'en récoltent pas les produits, ils se
nourrissent exclusivement de poisson. » D'après Lozano-Ma-
chuca, il y avait aussi des Uros ])êclieurs sur la côte de la
province actuelle chilienne de Tarapacâ, depuis Pisagua jus-
qu'à l'embouchure du Rio Loa , et plus d'un millier sur la côte
d'Arequipa.
Les Changos qui habitent actuellement la côte du Pacifique
de Cobija au Nord, jusqu'càHuasco au Sud, ne peuvent être que
les descendants des anciens Uros de la côte, mentionnés par
Lozano-Machuca. Frézier (137, p. i3o), qui visita Cobija en 1712,
dit que ce village était alors composé d'une cinquantaine de
cases d'Indiens faites de peaux de loups marins. Ces Indiens, qui
étaient des Changos, ne vivaient ordinairement que de poisson,
d'un peu de maïs et de pommes de terre qu'ils obtenaient à
Atacama en échange de leur poisson. D'Orbigny (274, i, p. 333
et suiv.) a étudié les Changos en i83o. D'après lui, ils habi-
taient à cette é|3oque la côte entre le 2 2"^ et le 2 4'' degré, j^i'inci-
palement les environs du port de Cobija. Il les évalue à mille
âmes. Leurs maisons étaient faites de trois ou quatre piquets
fichés en terre sur lesquels ils jetaient des peaux de loups
marins et des algues. Leur mobilier consistait en quelques
coquilles, quelques vases et en instruments de pêche, petits
harpons ingénieusement confectionnés. La pêche, la chasse des
loups marins étaient leur seul moyen d'existence. Leurs bateaux
étaient formés de deux outres en peau de loup marin soufflées
et attachées ensemble. Ils savaient tisser. Leurs femmes por-
taient les fardeaux en se servant de hottes coniques formées
de six bâtons et soutenues par une sangle qu'elles avaient sur
le front. Philippi (285, p. 22, /i2, 43) a vu les Changos en i853.
Il les a surtout étudiés au sud de Taltal. Ils avaient alors des
CAKTK ETH.MQl K. 69
chèvres et des ânes. Leiu's liuttes, faites de cotes de baleines et
de pieux en bois de Cereus, étaient couvertes de peaux de loup
marin, de peaux de chèvre ou de vieilles voiles. Ils étaient
vêtus de haillons, restes de vêtements européens. Ils se nour-
rissaient de molluscpies, de poissons, d'œuls d'oiseaux marins
et de viande de chèvre. Leurs halsas ou radeaux étaient tou-
jours construits en peaux de loup marin. Bollaert (66, p. 171)
donne aussi une description desChangos, mais moins détaillée.
Vers 1860, il en avait observé environ deux cent cinquante
disséminés en plusieurs endroits de la côte, de Paposo au sud
jusqu'au nord de Cobija.
D'Orbi<»nY (274, i, p. 33/i) paraît avoir été en rapport avec des
Changos qui parlaient encore leur ancienne langue indienne,
mais il ne put malheureusement recueillir des sj)écimens de
cette langue; les Changos eux-mêmes lui assurèrent qu'elle
différait de l'atacameno, du quichua et de l'aymara. Lors du
voyage de M. Philippi, les Changos avaient totalement oublié
leur langue et ne parlaient que l'espagnol, ce que M. Fran-
cisco J. San Roman (321, p. /i) afFirme comme Philippi. M. Bol-
laert (66, p. 171) dit que les Changos qu'il a vus « comprenaient
un peu d'espagnol, mais que leur propre langue était pr()])a-
blement un mélange d'atacameno et d'aymara». Ce rensei-
gnement ne laisse pas d'être une simple supposition formulée à
la légère et ne peut être opposé aux informations de (rOrbigny,
de Philippi et de San Roman.
Ces Changos de 1 7 1 2, de i83o, de 1853, de 1860, ainsi que
ceux de notre époque, ne peuvent être que les Uros de i58i,
ceux de Lozano-Machuca, habitant les mômes localités et al)-
solument identiques dans les différentes descriptions. Le nom
Clicmgo, d'une étymologie douteuse et d'une signihcation mé-
]:)i'isante, paraît d'ailleurs avoir été employé par les Espagnols
à une époque relativement récente. Il est à nolei- que Frézier,
le plus ancien des voyageurs qui aient visité les Changos, ne se
sert pas de cette expression. Ce mêm(» mot cliaiHjo est (Muployé
par les métis delà région andinc de l'Argentine, notamnienl en
70
ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Catamarca, dans le sens de « gamin », ce qui peut avoir un rap-
port avec le nom des Indiens Gliangos, car ceux-ci sont d'une
très petite taille.
Les Changos ont été souvent confondus avec les Atacamenos.
M. Elirenreicli (122, p. 65) se demande si les Atacamas et les
Changos ne sont pas un même peuple. M. José Toribio Polo
(292, p. i5) les confond, dans son travail sur les Uros. Cepen-
dant il est tout à fait certain que les Atacamas et Atacamenos
n'ont aucun rapport etlmique avec les Changos et les Uros.
Lozano-Machuca (222,p. xxv) les distingue parfaitement. D'Or-
higny (274, i, p. 333)^^' fait des Changos une «nation» spéciale,
parallèle aux Quichuas, Aymaras et Atacamas, et, pour von
Tschudi (356, V, p. 78), les Atacamenos «forment une tribu tout
à fait différente aussi bien des Indiens de la côte, les Changos,
que de ceux du haut plateau bolivien ».
Sur la côte du Pacifique où habitent les Changos, on trouve
souvent des sépultures anciennes qui proviennent très vrai-
send)lablement de leurs ancêtres, c'est-à-dire des Uros préhis-
paniques. M. Philippi (285, p. 33) a fouillé quelques-unes de ces
sépultures aux environs de Taltal et de Paposo. Elles étaient
indiquées par des cercles de pierres de l\ pieds de diamètre, à
la surface du sol. M. Philippi y a trouvé beaucoup de pointes
de flèches et de harpons en silex. Nous décrirons plus loin
une de ces sépultures, fouillée à Chimba, sur la baie d'Antofa-
gasta, par M. E. Sénéchal de la Grange.
Les Changos ou Uros de la côte semblent être les derniers
(') D'Orbigny (274, i, p. SSy) exhuma
à Cobija plusieurs squelettes de Changos.
Deux crânes provenant de ses fouilles ont
été étudiés par Quatrefages et Hamy (293,
p. /175). Leur étude établit une notable dil-
iérence soniatologique entre les Changos
et les autres races de l'Amérique du Sud :
«Les Changos de l'Atacama, dont d'Orbi-
gny avait recueilli deux crânes, no renlront
ni dans l'une, ni dans l'autre des séries
que nous venons de mesurer. Ils sont plus
volumineux , aussi longs , mais plus larges
et surtout plus hauts que ceux des cavernes
des Andes, et présentent une dilatation
notable de la face qui devient sensiblement
plus large que dans les autres groupes. »
L'indice céphaiique de ces deux crânes
est de 76.66 et 76.77; diamètre basilairc-
bregmatique, 137; largeur frontale maxi-
mum, 109; largeur frontale minimum,
93; capacité crânienne, i,48o centimètres
cubes, etc.
CARTE KTIlMOriv 71
vestiges d nn ancien peuple qui a habité le pays avant les
Yiincas, les Quicliuas et les Ayaiaras. Sir (Uem<Mits Markhaiii
(229, p. 321) fait, comme nous, remarquer les probal^ilités de
cette manière de voir.
Autour du lac Titicaca et du Rio Desaguadero se trouvaient
aussides « Uros «.DonPedrodeMercadodePenaloza (236,p.54-56),
dans sa relacwn sur la province des Pacajes, énumère les Uros
vivant dans ce territoire. H y en avait 270 aux environs de San-
tiago de Mamaneca, sur le Desaguadero , plus de 100 dans le
district de Tialiuanaco et d'autres à Huaqui, sur le ^Fiticaca.
Tous ces Uros étaient des pêcheurs, d'un degré de civilisation
très bas; ils se nourrissaient de poissons, de racines de joncs
et de totora [Malachochœte Totora,Meyen) , haute cypéracée aqua-
tique, dont ils faisaient aussi et font encore aujourd'hui leurs
halsas ou radeaux. Ces Uros sont également nommés par plu-
sieurs des chroniqueurs : Garcilaso de la Vega (140; 1. vu, c iv;
fol. 169); Acosta (2; 1. II, c. VI ; t. I, p. 86); Balboa (47; c xi; p. i43);
Herrera(164; dec. v, i. m, c xm; t. m, p. 73); Calancha (89; 1. n, c vm;
p. 353). Tous qualifient les Uros de la même manière : telle-
ment sauvages et tellement incultes « qu'ils se rapprochaient
davantage des animaux que des hommes», vivant exclusive-
ment de la pêche, employant la totora à tous les usages : ils
en faisaient des abris et des radeaux, s'en servaient comme
com])ustible et en mangeaient les racines.
Les descendants de ces Uros, disparus des environs du lac
Titicaca, habitent encore les bords du Piio Desaguadero. Ils
n'ont rien changé à leurs anciennes habitudes et se tieniicut
toujours au même degré inhme dans la civilisation. Ils n'onl
lait aucun progrès, d'après M. Polo (292), qui a recueilh de leur
bouche et publié un certain nombre de mots et de phrases. Mon
coUèg^ue le D'^Neveu-Lemaire (257, p. i3) avait cru rencontrer des
Uros dans l'île Panza du lac Poopo, mais il trouva cette île habitée
par quarante Indiens parlant l'aymara. Néanmoins il n'est pas
impossible que les hal)itantsde l'ilc Panza soient des Uros, soit
79
ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
qu'ils aient remplacé leur propre lan<^ue par ïiw niara, soit cpi'ils
la conservent encore, mais qu'ils l'aient cachée à mon collègue
selon leur habitude d'extrême réserve vis-à-vis des étrangers.
On a voulu identifier avec la langue des Uros l'ancien
puquina , dont nous possédons des spécimens avec traduction
[Pater Noster, Ave Maria, les Articles de la Foi, etc.), rédigés
par le P. Bârzana et publiés par Fr. Luis Jerônimo Ore (275,
p. 4oo-4o3). Le Pater Noster a été reproduit par Adelung (4, m,
2= part., p. 549); dernièrement M. Raoul de la Grasserie (152) a édité
ces textes entiers, copiés d'après l'original. Ore [ihid. p. 1 1) com-
prend le puquina parmi les « quatre langues générales » du
Pérou, les trois autres étant le quichua, l'aymara et leyunca-
mochica; mais l'évoque de Cuzco, Don Antonio delà Raya, dans
un préambule du livre d'Ore [ibid, p. 7), classe seulement le qui-
chua et l'aymara comme lengnas cjenerales. Suivant Hervas (165,
i,p. 2/i5), la langue puquina était, à son époque, parlée dans la
mission des PP. Mercenaires près de Pucarani, dans les îles du
lac Titicaca et dans quelques localités appartenant au diocèse
de Lima. Comme, à une certaine époque, il y a eu des Uros dans
les îles du lac Titicaca, M. Brinton (77, p. 221) en a déduit que le
puquina était la langue des Uros, quoique ni Ore, ni Hervas,
ni Adelung ne le disent. Au contraire, Hervas cite Garcilaso
de la Vega (140;1. vu; c. iv;fol. 169) qui distingue parfaitement les
Puquinas des Uros. D'ailleurs il est difficile de supjDOser que
la langue de ces Uros sauvages ait pu être qualifiée comme
fune des «langues oénérales du Pérou». Enfin le vocabulaire
uro de M. Polo, contenant quatre cents mots en dehors de
phrases, etc., démontre à févidence que la langue uro n'a rien
de commun avec le puquina. Cette dernière langue était pro-
bablement parlée par d'autres Indiens des îles du Titicaca,
mais certainement pas par les Uros.
Les Uros du Desaguadero sont peut-être les mêmes que les
Uros ou Changos du Pacifique : les descriptions des uns et des
autres sont en effet parfaitement concordantes et les deux au-
CAUTE ETHNIQUE. 73
teiirs de relaciones, Lozano-Macliuca et Mercado de Penaloza,
contemporains (if^Si et 1082), mais écrivant indépendam-
ment l'un de l'autre, leur donnent le même nom : Uros. Sir
Cléments Markham (229,p. 3o5), cejDendant, les distingue dans
sa classification géographique des tribus apj^artenant à l'em-
pire incasique : il place les Uros du Titicaca dans sa « région
du Collao )^ et les Changos dans la «région Yunca», sans éta-
blir d'affinités entre les uns et les autres. Mais M. Markham
n'avait pas lu les relations de Lozano-Machuca et de Mercado
de Penaloza, et il a d'ailleurs négligé la partie sud de l'empire
en désignant les Changos comme la tribu la plus méridionale
et en ne nommant pas les Chichas qui, sans aucun doute, se
trouvaient sous la domination incasique. 11 me semble très
possible que les Uros du Titicaca et du Desaguadero soient
identiques à ceux de la côte. On pourrait objecter l'éloignement
géographique entre les uns et les autres, mais il faut se rappeler
que le Titicaca n'est pas loin d'Arequipa ou d'Arica.
Omaguacas '^^ — La Quebrada de Humahuaca, à l'est de la
Pnna (l(* '^^\j^i}% et les montagnes des deux côtés de cette que-
brada étaient, à l'époque de la conquête, habitées par une peu-
plade à laquelle les auteurs donnent les noms d'Omaguacas,
Humahuacas ou Humaguacas. On les voit aussi dénommés
Omaguas, mais à tort, car aucun des auteurs anciens n'enmloie
ce nom. Ainsi Techo dit toujours Omaguacœ, quoique M. Juan
B. Ambrosetti (23, p. 3) dise avoir pris de lui le non) d'Oma-
guas. J'ai même vu des auteurs qui mettent les Omaguacas en
ra])port avec les Omaguas, Tn])is de la région équatoriale à
l'est de la CordiUère et avec lesquels naturellement les Oma-
guacas n'ont rien à voir.
Narvaez (253,p. iSi) mentionne el vallc de ()ma(/nara, licrra
rua, (listante de SaUa d(* trente lieues et de Jujnv de \ingl en-
viron. Cette dernière distance semble (h'Miionlici- (iiic NarNac/
'"' Voir, en dehors de la rarlo fuj. i , la rarlo archcolog^irpK^ à la lin fin Idino M.
7'j ANTIQUITÉS DR LA RÉGION ANDINE.
veut indiquer la parHo supérieure fie la Ouebrada de Huma-
luiaca, c est-à-dlre les environs du village actuel de llumaliuaca.
Lozano-Macluica (222,p. x\iv) caractérise les Omaguacas comme
(les Indiens belliqueux. Selon Teclio (341 ; 1. n, c. vi-vm; p. Sg/lo), les
Omaguacas babitaient « la partie du Tucuman qui s'étend vers
le Pérou » [Oniacjiiacœ Tuciimaaiœ fines , cjua Pernviœ ohtencUtiir,
hahitant). Il les décrit comme des Indiens belliqueux et rebelles
et il rend compte des eiTorts continus du P. Gaspar de Monroy
r)0\\v les convertir à la religion catbolique. Enfin les deux
caciques principaux des Omaguacas, Piltipico et Teluy, furent
faits prisonniers et baptisés par force, en iSgS. Ainsi les Esj:)a-
gnols réussirent à dominer les Omaguacas qui, depuis le pas-
sage d'Almagro en i536, n'avaient cessé d'attaquer les troupes
espagnoles se rendant du Pérou en Tucuman et de détruire
leurs établissements en Jujuy. Lozano (220, iv, p. no, 2^7, 2G6,
/io2, 4ii, etc.) décrit en détail plusieurs de ces combats, et, dans
sa description du Cliaco (219, p. 1 22-180), il fait, d'après Teclio,
le récit de la conversion de Piltipico. M. Ambrosetti (23, p. 6-12)
a publié un résumé des principaux renseignements que donne
Lozano à ce sujet.
Tous les auteurs dénomment Jiijuys les Indiens qui s'oppo-
sèrent à la marche de Don Diego de Almagro; ces Jujuys, très
vraisemblablement, n'étaient qu'une tribu des Omaguacas.
Quoique aucun auteur ne désigne la localité exacte où fut atta-
quée l'avant-garde d'Almagro, les Jujuys étaient probablement
l'une des tribus habitant la Quebrada de Humahuaca. Lozano
(220, IV, p. /io2) énumère les tribus suivantes qui furent assujetties
par les fondateurs de la ville de Jnjuy : Purumamarcas, Osas,
Paypayas, Tilians, Ocloyas et Fiscaras. Toutes ces tribus étaient
probablement des Omaguacas, quoique Lozano nomme ceux-ci
cà part pour signaler les Omaguacas des environs du village actuel
de Humahuaca. Les « Purumamarcas » , nommés aussi Puquiles
par le même auteur {ihid.,\\ 24s) , étaient la tribu habitant la Que-
brada de Purmamarca. «Fiscaras» doit être Tilcaras, la tribu
de Tilcara, village situé au nord de Purmamarca. Quant aux
CARTE ETHNIQUE. 75
Ocloyas, ils hal)itaieot les moiitagiips au nord-est de la ville de
Jujiiy, oii une localité porte encore leur noni^'^. D'après Nar-
vaez (253, p. i5o), ils étaient « à dix lieues de distance de la vallée
(le Jujuy». Suivant Techo (341; 1. xn, c xn etxxvm; p. 327 et 33G), les
PP. Gaspar Osorio et Antonio Ripario firent, vers i638, un
voyage chez les Ocloyas et baptisèrent 600 de ces Indiens. Ces
missionnaires « devaient traverser le pays des Ocloyas pour aller
au Chaco ». Par conséquent, les Ocloyas devaient occuper une
grande ]:)artie des montagnes qui séparent la Quebrada de
Humabuaca de la Vallée de San Francisco, et, du côté de cette
vallée, ils devaient sVlendre jusqu'à la Sierra de Calilegua on
peut-être plus au nord encore. Gomme les Ocloyas, les Osas ont
donné leur nom à un endroit appelé Osas, dans la Sierra de
Sapla, et les Paypayas, le leur au village de Palpalà, ancienne-
ment Paypaya, près de la ville de Jujuy.
Il est difficile de donner les limites exactes des Omaguacas,
mais leur centre était sans doute aux environs du a illage actuel
de Humabuaca, et les dilTérentes tribus occupaient probable-
ment les montagnes des deux côtés de la quebrada de ce nom;
peut-être s'étendaient-elles aussi sur des parties des départe-
ments actuels d'Iruya et de Santa Victoria. Par la similitude
des vestiges archéologiques du département de Yavi, sur le
haut plateau, avec ceux de la Quebrada de Humabuaca, j'ai
également compris, sur la carte fi(j. 1 , ce département dans la
région des Omaguacas. Ce qui est curieux, c'est qu'il y a un
autre endroit portant le nom de Yavi, dans la i-égion (l(*s
Ocloyas, au nord-ouest de San Pedro.
De la langue des Omaguacas nous ne savons rien. Cepen-
dant les Ocloyas paraissent avoir eu une langue spéciale^ à (mi\,
*'' Sur la carto do Lo/.ano (219), ily a San Francisco. Sur la raric de (r\n\ille
un «Rio (le Ocloyas» où l'uront assassinés (36), l<* Rio de Ocloyas est placé hoauconp
par les Indiens les PP. Osorio et Ripario, cl plus au Nord. Celte rivière y li{,Hue connue
(|ui correspond plus ou moins au Rio Nof^Mo \u\ alllucnl du Rio Berniejo de Tarija cl
actuel ou peut-être au Rio San liorenzo, pourrait correspondre au Rio de Zcnla qui ,
lous deux ailluents du Rio San Francisco, venant dlruNa, se jette dans le Rio Rer-
auquel il se réunissent dans la Vallée de inejo jirès dOran.
76 ANTIQUITÉS DE LA RFÎGION ANDINE.
car le P. Osorio, suivant Teclio (341; 1. xn, c. xxvm; p. 336), avait
rédigé un vocabulaire en langue ocloya qu'il possédait ainsi
que le toba, le tonocoté et le quicliua. Peut-être cette langue
ocloya serait-elle la langue générale des Omaguacas.
Le P. Ovalle (278, i, p. 25i ) caractérise, à propos de la marche
d'Almagro, les Indiens de Jujuy comme étant un peuple très
belliqueux, que les Incas redoutèrent toujours beaucoup (///-
jiiy es un hujar 6 provincia de (jente mny helicosa, à cjuien los Incas
tnvieron siempre temory II est presque certain que le P. Ovalle
se réfère ici aux Omaguacas, et cette phrase indiquerait — si
nous l'en croyons — qu'ils auraient su se maintenir indépen-
dants de la conquête incasique, comme leurs voisins du Nord,
les Chiriguanos. Cependant il peut se faire qu'Ovalle ait voulu
simplement dire que les Omaguacas se révoltaient souvent
contre les Péruviens.
M. Ambrosetti (23, p. 3-5) soutient que les Omaguacas, comme
tous les Indiens de la province de Jujuy, notamment ceux de
la Puna, seraient des « Calchaquis » , c'est-à-dire des Diaguites.
Comme arguments à l'appui de cette thèse, il invoque la simi-
litude des objets d'industrie et d'art préhispaniques trouvés
dans la région diaguite et en Jujuy, et, d'autre part, le fait que
les Indiens de Jujuy, dans certaines occasions, se sont alliés
aux Diaguites pour secouer le joug des Espagnols. Je dois
d'abord remarquer qu'il ne faut pas englober les Indiens préliis-
paniques de la Puna (Casabindo, Cochinoca, Rinconada, etc.)
avec ceux de la Quebrada de Humahuaca. Sur les premiers,
j'ai déjà consigné les renseignements historiques que je pos-
sède, et plus loin j'analyserai en détail l'archéologie de cette
région. Sur la base de ces éléments, je classe ces Indiens,
comme je l'ai déjà dit, parmi les anciens Atacamas. Je répon-
drai ici aux arguments de M. Ambrosetti en ce qui concerne
les Omaguacas. Quant au premier argument, il ne hgure
dans les collections décrites par Al. Ambrosetti qu'un seul objet
provenant de la Quebrada de Humahuaca : c'est une sorte
de crapaud en terre cuite {ibid.^i^ 66) qui avait formé un orne-
CARTE ETHNIQUE. 77
ment en relief sur un vase. Je ne peux rien trouver de « style
calchaqui » dans ce crapaud, et, d'après ce que j'ai vu du ma-
tériel archéologique de la Quebrada de Hunialiuaca, ce maté-
riel diffère autant de celui de la région diaguite que de celui de
la Puna de Jujuy. Si l'on veut comparer les objets exhumés
dans la région de Humahuaca avec les débris préhispaniques
d'autres régions, ce serait de ceux de Chiclias qu'ils se raj)-
procheraient le plus, mais nullement de ceux de la Puna et
moins encore de ceux de la région des Diaguites. Au sujet du
deuxième argument, nous ne devons pas nous étonner que
les Omaguacas fissent cause commune avec les Diaguites dans
certaines rebellions contre les Espagnols; nous savons que
tous les Indiens se confédéraient contre l'envahisseur, l'ennemi
commun, quand ils le pouvaient. Suivant Lozano (219, p. 120)
et Gorrado (105, p. 19), les Omaguacas dans d'autres occasions
se sont alliés aux Chiriguanos contre les Espagnols, mais j^er-
sonne ne voudrait en conclure une parenté quelconque entre
ces deux peuples, d'une culture si différente. Enfin la preuve
linguistique manque pour rapporter les Omaguacas aux Dia-
guites, aucun auteur n'ayant lait mention que les premiers
parlassent le cacan. La toponymie de la Quebrada de Huma-
huaca est, comme partout dans la région andine de fArgentine,
tirée pour la plupart du quichua : il n'y a que peu de noms
dérivés d'autres langues indigènes. Ces derniers ne ressemblent
pas aux noms de la région diaguite considérés comme prove-
nant du cacan.
Tobas. — Comme nous favons vu, les Ocloyas, qui élaient
selon toute probabilité une tribu des Omaguacas, occupaient
]('s montagnes portant actuellement les noms de Sierra de
Sapla, Sierra de Calilegiia, elc, qui s'élèvent entre Jujuy et
la Quebrada de Humahuaca, d'un côté, et la Vallée de San
Francisco, de l'autre. Les Ocloyas, suivant Narvaez (253, p. if)!)
qui écrivait en i583, avaient pour voisins les Tobas (pii fai-
saient continuellement des invasions dans leur pnvs {(lonfiiian
78 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
con otra (jente (fue Ilaman los Tohas, (jenle hdicosa mas alla y des-
proporc tonada, los cucdes los van apocando y rohando cada dlii). En
1628, le P. Gaspar Osorio, Tapôtre des Ocloyas, écrivit au
Provincial des jésuites du Paraguay, le P. Duran (120, p. 23),
([u'il pensait « rester parmi ces Tobares » et que « leur rivière
l)elle et fort large se nomme Taricha». Ce Rio de Tarija ou
Rio Bermejo de Tarija est la rivière qui, unie au Rio San Fran-
cisco à l'ouest de Humahuaca et au nord de la Sierra Santa
Barbara, forme le Rio Bermejo^^^. Près de la jonction se trouve
actuellement le petit bourg d'Oran. Plus tard , en 1766, suivant
Hervas (165, i, p. 176) fut fondée par les jésuites une « réduction »
ou « mission » de Tobas à Ledesma, dans la Vallée de San Fran-
cisco. Enfin, en 1 79 1 , il y avait une autre « réduction » de To-
bas sur le Rio Negro, près de San Pedro, dans la même vallée,
selon le colonel Don Adrian Fernândez Cornejo (128) qui tra-
versa, à cette époque, tout le Cliaco jusqu'au Rio Paraguay. 11
y existe encore une localité appelée Reduccion.
Tous ces faits démontrent que les Tobas, pendant les xvi%
wii*" et xviii'' siècles, occupaient les forêts qui remplissent la
Vallée de San Francisco et la région de Cliaco où est main-
tenant situé Oran. Les Tobas étaient alors, de toutes les tri])us
nomades du Cliaco, la plus proche des montagnes du Jujuy.
A la fin du xv!!!*" siècle, il parait que les Matacos ont envahi
ces régions, car, en 1800, Fray Antonio Comajuncosa (349),
préfet des Franciscains de Tarija, écrit à propos de la mission
de Zenta, située dans les montagnes à l'est de Humahuaca, que*
cette mission était « entourée de trois côtés par des barbares
infidèles : au nord les Chiriguanos, au sud les Matacos et à
l'est les Tobas; à l'ouest se trouvaient les chrétiens de Huma-
huaca ». Les Matacos auraient donc à cette époque remplacé les
Tobas près des montagnes, et ceux-ci se seraient retirés plus à
fintérieur du Chaco. Les Matacos sont encore aujourd'hui les
maîtres des forêts environnant le cours supérieur du Bermejo.
'"' Sur la carie de Lozaiio, les Tobas sont placés justement aux environs de la
jonction de ces rivières.
CARTE ETHNIQUE. 79
Les Tobas appartiennent au groupe des Guaycurùs et sont
actuellement assez nombreux dans la partie orientale du
Cliaco, depuis le Pilcomayo au nord jusqu'au Rio Salado au
sud, surtout aux environs du cours inférieur du Rio Bermejo.
11 y a aussi des Tobas sur les bords du cours supérieur du Pil-
comayo, jDrès des jnontaqnes boliviennes, mais la partie occi-
dentale du Cbaco argentin et les rives du Bermejo supérieur
sont, au contraire, babitées par les Matacos. Je ne veux pas
m'étendre ici sur les Tobas modernes, lesquels oui été rol)jet
d'un grand nombre d'études etbnograpbiques et linguistiques.
Le D*" Tli. Koch-Grunberg (186), dans son précieux ouvrage
sur le groupe des Guaycurùs, a donné un aperçu très complet
de l'état actuel de nos connaissances au sujet des Tobas. J'ai
été en contact et avec des Tobas du cours supérieur du Pilco-
mayo et avec ceux de la région du Rio Paraguay. Les premiers
ne se considèrent pas comme «compatriotes» des derniers,
mais M. Koch-Grûn])erg a démontré que les deux fractions
j^arlent la même langue. Une bonne compilation des rensei-
gnements bistoriques sur les Tobas et sur les autres tribus chi
Cbaco a été publiée récemment par M. L. Kersten (185). Cet
ouvrage est acconq^agné de deux cartes liistorico-etb niques du
Cbaco; l'une montre la distribution géograpbique des tribus à
l'époque de 1750-1767, l'autre vers l'année 1800.
lARIELIHMytT' Dh L.\ RK ION \>DINf
entre les 22 et 33 degrés
IXNT- Si,-i-le.)
■.P„,,.l.,f„l„^,„...,„r. zzrr-z L,^,.'.. ,fi;,..h ./,/,«,.
r
ANTIQUITES DE LA RÉGION DiAGlITE
DITE "RÉGION CALCHAQUIE»
G
iHrntuLnic xatiuïialr.
DESCUIPTION SOMMillîK
DU TKRRIÏOIRE DES ANCIENS DIAGUITES.
l^e versant oriental de la Cordillère des Andes forme, dans
la rK'puJjlique Argentine, une série de chaînes secondaires,
presque toutes parallèles à la chaîne principale. Entre ces
chaînes s'intercalent de grandes plaines dont la végétation
consiste en hroussailles : arbustes et petits arbres épineux, à
leuilles dures, coriaces, d'un teint grisâtre. Alternant avec les
])roussailles, on trouve d'immenses landes de sable mouvant
ainsi que des sciUnas d'une grande étendue, couches horizon-
tales de chlorure de sodium mélangé à de petites quantités
d'autres sels.
L'aspect de ces plahies est profondément désolant; on s'en
rend compte en traversant ce pays par les chemins de fer qui
unissent Buenos-Aires aux chefs-lieux des provinces andines.
Dès que l'on entre sur le territoire andin , les heures s'écoulent
sans que le paysage change : toujours les mêmes broussailles
grises et poussiéreuses dont la monotonie n'est interrompue
que par les silhouettes vagues des montagnes qui se dressent à
distance.
C'est au manque de pluie qu'il faut attribuer une végétation
aussi mesquine. La terre est très fertile, et, partout où l'irri-
gation est possible, de petites oasis se forment où fleurissent
toutes les cultures des pays tempérés et subtropicaux.
C'est surtout au pied des montagnes qu'il faut chercher ces
oasis, dans l'étroit espace fertilisé par le mince volume d'eau
des torrents i^arroyos^ à leur débouché de la monlagne. La vé-
gétation est également luxuriante dans les étroites vallées creu-
sées par les torrents et par les rivières à même les sierras. Ces
vallées sont appelées dans le j^ays (juebradas; lorsqn'elles sont
d'il ne l;n-g(Mir relativement considérable, on les nomme vallcs.
Par exemple, l;i \ allée Calchaqnie (e/ VaJlc Cdlchmini) n'est en
6.
84 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
réalité qu'une longue (jnehrada, atteignant jusqu'à 5 kilomètres
de largeur. Cependant le mot espagnol valle, comme on le
comprend en général dans l'Argentine, signifie autre chose que
quehrada. El Valle de Lerma ou el Valle de Catamarca sont des
plaines entourées de montagnes, d'une étendue de quelques
dizaines de kilomètres dans un sens et dans l'autre. Les histo-
riographes esjDagnols de l'époque de la conquête appliquent
quelquefois le nom valle même aux grandes plaines qui s'éten-
dent entre les différentes sierras. Le mot (jnebrada, qui revient
à chaque instant dans toute description des pays andins de
l'Amérique du Sud, n'a pas d'équivalent en français ^^^.
Dans un pays de pluie tout à fait insuffisante pour la culture,
l'eau des rivières est naturellement f élément vital des habitants.
Partout où coule une petite rivière, si mince soit-elle, on ren-
contre des demeures humaines; où l'eau manque, le territoire
est désert. Actuellement les droits de prise d'eau sont les mo-
tifs les plus fréquents de différends, de procès, de querelles,
même de meurtres. Quelquefois les habitants d'un village
livrent de vraies batailles à ceux d'un autre village plus rap-
j)roché de la source de la rivière, ces derniers ayant pris plus
d'eau qu'ils n'en avaient le droit; le sang coule , et les vainqueurs
détruisent les canaux des vaincus.
La quantité d'eau des rivières et des torrents andins semble
diminuer peu à peu. J'ai souvent eu l'occasion de m'en con-
vaincre pendant mes voyages. Je me souviens particulière-
ment de trois villages dans la Vallée de Catamarca : Miraflores,
Villaj^ima et Capayan, où les habitants les plus âgés m'ont fait
voir les traces de culture du temps de leur enfance, cultures
maintenant abandonnées par suite de la diminution des cours
d'eau qui arrosent ces villages. En effet, la limite des terrains
susceptibles d'irrigation a, pendant un siècle, graduellement
''' Les vallées et les quebradas clant à — des ValUslos, et leur pays, Los Vallès
peu près les seuls endroits habités dans (Les \ allées). Ces termes sont en usage
les provinces iaterandines de la Repu- dans les provinces voisines des plaines et
blique Argentine, on nomme les métis surtout en Bolivie,
de ces provinces — en mauvais espagnol
RECION DIAGLITK. 85
reculé vers la ]nontai»ne. Le même fait s'o])servc partout dans
les provinces andines. Il est très probal^le aussi que la pluie a
été j^lus abondante jadis : les arbres sécidaires des espèces qui
ont besoin d'eau sèchent et meurent sans être remplacés; les
broussailles racbitiques prennent la place des forêts d'autrefois.
Le D"^ H. F. G. ten Kate (343, p. 18) a fait à ce sujet les mêmes
observations que moi. 11 dit, en parlant de Salta et de Cata-
marca : «En effet, on rencontre des ruines de villages et des
vestiges de cliamps cultivés situés près des lits de rivières
taries où il n'y a plus actuellement de traces d'eau. En d'autres
termes, il est évident que le climat était jadis plus humide et
le pays, par cela même, plus habitable. » M. ten Kate compare
ces phénomènes avec ceux qu'il a observés dans l'Amérique
du Nord, et il ajoute : « Il est certain que le Sud-Ouest nord-
américain, la péninsule californienne et les autres régions
avoisinantes du Mexique ont passé et passent encore par un
processus physico-climatologique analogue, qui a également
influencé le dépeuplement ou le déplacement des populations
indigènes. »
Les cultures actuelles sont l(*s mêmes que celles du sud de
TEurope : Italie et Espagne. Au temps préhispanique, le maïs
était naturellement la plante cultivée par excellence et la base de
l'alimentation, comme il l'est encore pour les métis de nos jours.
Tous les chroniqueurs et tous les auteurs de relacioncs nomment
le maïs. En dehors de Tesj^èce commune Zea Mays, Lin., il y
en avait peut-être d'autres comme Zea cryptosperma , Bonafous
(syn. Zea Mays tunicata, A. St.-llil.) qui existe encore aujour-
d'hui à Bucnos-Aires sous le nom de maiz pimicjallo, ou Zea ros-
Irala, Bonafous, que le D"" A.-T. de lloclK^brune (313, p. 1 1) a trouvé
en grande quantité j)armi des graines provenant des sépultures
du ciniclièrc d'Ancon, ou encore Zea Mays (juasconensis , Bona-
fous, dont M. Sénéchal de la Grange a exhumé des graines
dans les sépultures de l'ancien cimetière de Galama, silu('* dans
le Déserl d'Atacamn. Don Pedro Solelo Narvaez (253, p. i/i4, ir)i)
8C) ANTIQUITÉS DE LA IIKCION ANDINK.
parle des frisoles'^^^ (haricots) commo d'une plante alimentaire
importante des Indiens du Tucuman préhispanique, et dit qu'il
y avait desfrisoles de muclias marieras, c est-à-dire de plusieurs
sortes. Il est probable que ces haricots étaient une espèce du
genre Phaseolus auquel appartient notre haricot commun, Pha-
seohis viilfjaris, Savi, car on ne trouve pas dans ces régions
d'autres légumineuses à graines comestibles ressemblant sulTl-
samment aux haricots j^our que les Es2:)agnols leur aient donné
le nom àefrisolcs. L'espèce péruvienne, Phaseolus miihljîonts,
WUld., est encore de nos jours cultivée dans la Répu!)lique
Argentine. De CandoUe (92, p. 275) n'est pas sûr de l'origine du
Phaseolus vulcjaris, mais il admet la possibilité que cette plante
soit originaire de l'Amérique. La plupart des espèces du genre
Phaseolus sont américaines et ])lusieurs d'entre elles ont été,
d'après les chroniqueurs, cultivées dans l'Amérique du Sud
avant l'arrivée des Européens. Ainsi, selon Herrera (164; dcc, iv,
1. IX, c. m; t. II, p. 226), on cultivait sur une vaste échelle les fnsoles
dans le ])as pays du Pérou. Comme on le sait, des haricots figu-
rent aussi , modelés avec beaucoup de naturel , sur de nond^reuses
poteries péruviennes. M. Léon de Cessac et MM. Reiss et Stub(>l
ont rencontré des graines de Phaseolus dans les sépultures d'Au-
con. Le D'" de Rochebrune (313, p. 8, 12, 18) en a reconnu Irois
espèces dans la collection rapportée par M. de Cessac, et le
professeur L. Wittniack (380), deux espèces, Phaseolus vuhjavis
et Ph. Pallar, Moliiia, dans les collections de MM. Reiss et
Stûbel. Tous ces faits démontrent que plusieurs espèces de
Phaseolus étaient cultivées au Pérou, et il est fort probaljle que
les haricots des anciens Diaguites appartenaient k ce genre.
Selon Narvaez (253, p. i/i8) , les pommes de terre, ^( papas, como
turmas de t'ierra^)^ abondaient dans la région diaguite. Parmi
les plantes qu'il énumère figurent aussi les courges ^:apaUos;
Cucurhita Pepo, Lin.), que l'on cultive encore partout dans la
République Argentine. Mais on ne sait si cette espèce est ori-
('' Frijoles en espagnol moderne.
REGION DIAGllTE. 87
i>inaire de rAiicien ou du Nouveau Moude et il est diiïicile de
dire à quelle cucurbitacée appartenaient les zapallos que men-
tiouue Narvaez. En dehors des plantes alimentaires dont nous
venons de parler, les Indiens des vallées interandines avaient
de nombreuses plantes tinctoriales et médicinales.
La végétation naturelle de l'ancienne région des Diaguites
comprend plusieurs arbres à fruits comestibles. Le ])rinci])al
de ces arbres est une sorte de caroubier, Yalcjanoho hîanco
(^Prosopis alba, Grlseh.)^ de la famille des légumineuses, très
commun, formant parfois de véritables forets, bien qu'elles
disparaissent peu à peu par suite de la sécheresse résultant
du changement climatérique. Cependant le fruit de Valcjarroho,
Y alfjarroha , qui forme de longues gousses d'un goût sucré, est
encore aujourd'hui l'un des aliments importants des ]ial)itanls
de la région diaguite. Lorsque Wdcjarroha est mûre, des villages
entiers émigrent dans les forêts et on y fait une récolte abon-
dante pour toute l'année. Pendant le séjour dans ces forêts, on
ne mange que ce fruit et on se livre à des bacchanales conli-
nuelles en buvant de VaJoja, boisson alcoolique pré]:)arée avec
Val(jarroba. Dans l'industrie sucrière de Tucuman, très déve-
loppée, la plus grande partie de la main d'œuvre comprend des
Indiens et des métis de Santiago del Estero où al)ondent les
forêts (VaJgarrobos. A la saison où ces fruits mûrissent, il est im-
possible, même en leur ollrant des salaires extraordinaires, (\o
retenir ces ouvriers et de les empêcher de retourncu- dans leur
pays où ils ont alors suffisamment à manger sans être obligés
de travailler. L\dgarrobo necjro (^Prosopis nujra , Ilieron.) donne
aussi des fruits comesrd)les bien qu'inférieurs à ceux de Vahjar-
robo blanco. Le chahar {^Gowiiea decoiticans , (idl.'j^ de la lamllle
des légumineuses, le molle (^Lilhrœa Gdlesii, Griscb. et Sc/unus
Molle, Lin. p] , dv la famille des anacardiacées) (;t le niislol
[ZizypJuis Mlslol, Gmeh.)^ une rhamnacée, sont égalemiMit
des arbres à fruits comestibles, aujoui'd'hui encore d'une cer-
taine importance alimentaire et qui en avaienl cerlainmicnl
une plus grande à l'époque préhispanicpie. Des Iriiils de ces
88 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
arbres on prépare aussi des boissons alcooliques. Les Indiens
du Cbaco se nourrissent toujours, à une certaine époque de
l'année, uniquement des fruits du chahar. D'autres arbres et
arbustes de la région diaguite donnent également des fruits
bons pour l'alimentation, comme par exemple le picjailhn [Con-
dalia lineata, Asa Gray). H y a aussi plusieurs cactées, spéciale-
ment des espèces du genre Opuntia , dont les fruits ont certaine-
ment servi d'aliments aux anciens habitants. De nos jours, les
indigènes mangent beaucoup les tunas , fruits d'Opuntia Ficus
indica, Haw. Cette espèce, malgré son nom, est d'origine améri-
caine et se trouvait à l'état à la fois spontané et cultivé au
Mexique, avant la conquête, mais on ignore si cette cactée a été
importée par les Espagnols dans la région diaguite ou si
elle y existait auparavant. Narvaez (253, p. lâA, lA-j) raconte que les
Indiens de Santiago del Estero, avant l'arrivée des Espagnols,
avaient des fruits de différentes sortes de cactées (^cardones et
tunas), de Valcjarroba et du chahar, et que le pays des Dia-
guites possédait de grandes forêts d'algairodo (^algairobales) et
de chahar l^cliaharales) . Le P. Bârzana (55,p. lvi) nous informe
que les Diaguites vivaient surtout de maïs qu'ils semaient en
grande quantité; «ils se nourrissaient aussi en grande partie
à'alcjarroha qu'ils recueillaient tous les ans à l'époque où ce
fruit mûrit et dont ils faisaient d'amples réserves. Lorsque la
pluie n'était pas suffisante pour la culture du maïs et que les
rivières n'avaient pas assez d'eau pour l'irrigation , ils vivaient
exclusivement de cette alcjarroba. Elle ne leur servait pas seule-
ment d'aliment; ils en préparaient aussi une boisson très forte,
et jamais on ne voyait autant de rixes et de guerres entre eux
qu'au temps où ils possédaient de Valgarroba en abondance.
Des missionnaires de la Compagnie de Jésus ont suivi les Dia-
guites dans les forêts où ils récoltaient Valgarroba, et là ils ont
catéchisé, baptisé et confessé de nombreux infidèles; ils y
ont j)rêché et pratiqué leur saint ministère. »
Selon Narvaez (253, p. i45), les Indiens des « provinces de Tu-
cuman » se servaient de cabuya comme chanvre, c'est-à-dire
REGION DIAGUITE. 89
pour en faire des tissus et des cordes. Cette cahiiya est proba-
blement l'une des broméliacées qui existent dans la région. Les
Espagnols du temps de la conquête paraissent avoir appliqué,
dans n'importe quelle région de l'Amérique espagnole, le nom
caraïbe cahnya cà toutes les plantes textiles à feuilles épineuses,
des broméliacées en général. Oviedo y Valdez (280; 1. vu, c ix; 1. 1,
p. 277) parle de la calmya « de Tierra firme » , qui avait « des feuilles
comme celles du chardon », et raconte que les Indiens prison-
niers et enchaînés coupaient leurs chaînes en une seule nuit en
les limant avec un fil de cahuya mouillé et passé continuelle-
ment sur du sable fin. Le nom quichua correspondant à cabnya
est chahuar, et le nom guarani, caracjiiatà.
Actuellement les animaux domestiques sont ceux qui ont été
importés d'Europe : chevaux, mulets, ânes, bœufs, chèvres,
moutons et la volaille ordinaire européenne.
Le lama n'existe guère que sur le haut plateau de la Puna
de Atacama et à la lisière de ce plateau , dans les vallées les
plus élevées, entre les montagnes septentrionales des départe-
ments de Belen et de Tinogasta. Le nord de la province de
Gatamarca est, en effet, d'après ce que j'en connais, la limite
méridionale actuelle de cet animal, ce qui est d'accord avec la
distribution géographique que lui assigne M. von Tschudi (358),
de l'Equateur à Catamarca. Mais, à fépoque de la conquête, le
lama était répandu beaucoup plus au sud. Techo (341; 1. 1, c xi\;
p. i5) rapporte que les indigènes de l'ancien Tucuman se ser-
vaient de lamas comme bêtes de somme. Cabrera (88, p. i/io) et
Narvaez (253, p. i5i) disent que les Indiens de Côrdoba avaient
des lamas, et ce dernier ajoute que ces lamas étaient moins
grands que ceux du Pérou. Ce renseignement de Narvaez est
intéressant, car j'ai trouvé, dans les ruines de la Quebrada (Ici
Toro et de la Puna de -hijuy, beaucoup d'os plus analogues,
quant à. leur forme, à ceux du lama actuel qu'à ceux du lui;i-
naco, mais moins grands. Ce fait scMubh^ indicpiei* (ju'll v a
eu jadis une race de lamas de taille iniï'iicuic .1 la \\\cr (l';iu-
90 ANTIQUn ES DK LA RKCilON ANDINE.
jourd'Iuli. En ce qui concerne la distribution géo^i^rapliique
du lama, nous voyons qu'il était répandu sur tout l'ancien
territoire des Diaguites. Nous remarquons aussi que cet ani-
mal, actuellement confiné sur le haut plateau au-dessus de
3,000 mètres d'altitude, vivait, k l'époque préhispanique, dans
des terres beaucoup plus basses, l.e pic le plus haut de la
Sierra de Cordoba n'a, en effet, que 2,35o mètres d'altitude
et les hautes vallées de l'intérieur de cette chaîne doivent
avoir environ 1,000 cà i,5oo mètres.
Comme animaux domestiques des indigènes de l'ancien
Tucuman, Narvaez (253, p. 144) mentionne des autruclies (nan-
dous) , des poules et des canards. Les nandous [Rhea americana,
Lat/iam) sont encore assez communs dans la région andine de
la République Argentine, aussi bien dans la plaine que sur les
montagnes, mais on ne les apprivoise plus de nos jours dans
la région montagneuse. Les « poules » ne pouvaient être les
poules européennes, mais très probablement des pavas del monlc
[PcnelQpeohsciira, Vieil, p]), gallinacés sauvages communs dans la
Répuldique Argentine et que l'on rencontre encore quelquefois
domestiqués dans ce pays et aussi en Bolivie. Quant aux ca-
nards, il en existe plusieurs espèces sauvages qui peuvent avoir
été également domestiquées par les Diaguites, de même que
les Indiens préhispaniques du Pérou, selon Garcilaso de la Vega
(140; 1. vin, c. xix; fol. 9.17), élevaient des canards, probablement
Y Allas nioscata, Lin., comme le suppose M. A. Nehring (255).
Un animal qui probablement aussi a été élevé par ces Indiens
est le petit sanglier américain, ou pécari (^Dicotyles tonfiiatus,
Cnv., et D. labiatas, Cav.), nommé dans le pays jahali ou
chancho del monte. On le trouve encore fréquemment dans les
quebradas de la région diaguite et, d'après ce qu'on raconte,
il était jadis luuiucoup plus commun qu'aujourd'hui. Je ne
connais pas de renseignements historiques concernant son
élevage par les Diaguites, mais j'en ai vu chez des métis ha-
bitant à fest de la Sierra Santa Barbara, en Jujuy. Il était, à
fépoque préhispanique, domestiqué dans plusieurs parties de
HKCilON 1)1 ACUITE. 91
r\ni(''rifjn(' du Sud. Ainsi Lozano (220, i, p. /uf)) raconte cruo
les Ciuaranis avaient des jabalis domestiqués, et Cieza de Léon
(101, c.vi, p. ;>Gi) rapporte que les Indiens d'Uraba (Colombie) les
élevaient pour les vendre à d'autres tribus. Il est regrellal)le
qu'aucun des archéologues qui ont fait des recherches dans la
région andine n'ait songé à recueillir les os d'animaux qui se
trouvent toujours, plus ou moins nombreux, parmi les débris
des anciennes habitations. Ces os, dûment déterminés, auraieul
pu nous donner la solution de maint problème intéressant cnie
nous ne pouvons résoudre à présent.
Quant aux animaux sauvages, le gibier principal des an-
ciens Diaguites devait être le huanaco, qui est encore très
commun dans toutes les provinces interandines de la Répu-
blique Argentine. De nos jours on le trouve surtout dans les
montagnes, mais on rencontre aussi souvent des petits trou-
peaux de ces animaux dans la brousse des plaines où on les a
cependant beaucoup poursuivis. A l'époque préhispanique, les
huanacos étaient sans doute plus nombreux.
La vigogne, qui n'ha])ite que les hautes montagnes, devait
être alors également plus fréquente qu'aujouid'luii, de même
que les cerfs [Cervus chilensis, Gay [syn. ou var. Cerviis auli-
sicnsis, d'Orh., et Furcljer antisiensis, Gray^^\ (Icrviis ruj'us, Jllin-
r/e/'),]es pécaris, les l'ïscrtc/ms (^La(ji(Uum pcrurianiun , (jiv.y^\ les
agoutis ou maras [DuJicliotis palagonica, Wacjner, a[)pelé « lièvre »
dans le J^'^iys), les cochons d'Inde [Cavia leucohlep/iara, Burin.),
les tatous (7J<:/5j/;«5" viîlosus, Desmar., D. miiniliis, Dcsmar. el /).
conurus, Is. St.-lfiL), les nandous, etc.
De nondjreux échassiers et oiseaux aquali(ju(vs, ainsi (|ue,
d'autre part, des perdreaux et d'autres gallinacés, des co-
'*' 11 ne faul pas confondro le LfUjUiinii Aires juscpi'à Tmiimaii. — Ta' nom vi^cii-
{viscacha de la sierra) avec la viscaclia cita [litiiscarlut) esl (piicliua. Par oonsé-
de la plaine [LcKjostomus tricli(yd((clyliis , (pient, les Kspa<;nols doivent avoir ap|>li-
Jhookes) qui est un animal loul à l'ail cpié re nom au La(jostoiuus , parce ipiils
diiïérent, beaucouj) plus grand, et qui l'auraient trouvé S'uihlahle an Lagiiliitm
habite les pampas de la Répul)li(jnc Ar- qu'ils avaient \u an l'tiou.
gcntine, depuis la province de Buenos-
92 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
lombes, des perroquets, augmentaient l'ahondance de gibier.
Parmi les bêtes féroces, les seules redoutal)les étaient le
jaguar et le puma, dont le premier a presque totalement dis-
paru aujourd'hui.
LITTERATURE ARCHEOLOGIQUE
SUR LA RÉGION ANDINE DE LA RÉPURLIQLE ARGENTINE.
LE NOM «CALCHAQUI».
A dater de 1890 on a beaucoup écrit, dans la République
Ar<>entine, sur l'arcbéologie de la région andine de ce pays.
Le D"" Francisco P. Moreno, l'infatigable fondateur, organisa-
teur et directeur du Musée de La Plata, a été le promoteur de
ce mouvement scientifique, en organisant des missions archéo-
logiques, en mettant les publications de son musée à la dispo-
sition du monde scientifique international, en encourageant
par tous les moyens possibles l'étude du passé préhispanique
de son pays. Depuis, de nombreux ouvrages ont été publiés et
l'on connaît maintenant, dans leurs grandes lignes, les anti-
quités des provinces andines. C'est un beau début pour le
développement de la science préhistorique chez une nation
jeune, où le goût des études qui n'ont pas une application
pratique immédiate semble enfin s'éveiller peu à peu.
Mais beaucoup reste à faire et à refaire. Les descriptions et
les figures d'un certain nombre d'objets de l'industrie préhispa-
nique nous olfrent un élément d'étude déjà précieux, mais, en
général, les collections décrites proviennent d'achats faits à des
paysans ou à des trafiquants en antiquités qui n'ont pu donnei'
aucun renseignement sur les circonstances dans lescjuelles ces
objets ont été trouvés. On ne connaît même pas les localités de
provenance pour beaucoup de pièces composant la plus grande
partie de ces collections, (l'est que très pvu de recherches
furent exécutées sur les lieux mêmes; les fouilles méthodiques
sont encore moins nombreuses. 11 est vrai, les descriptions et
les plans de ([uelques-unes des ruines préhisj)ani(|ues ont été
faits sur place, mais il est impossible (fétablir avec ([uelque
certitude un rapport (îiitre ces ruines et les objets cpii pro-
94 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
viennent de la région où elles sont situées. Il laudrait donc des
missions scientifiques bien organisées, composées d'archéolo-
gues compétents, munies de ressources pécuniaires suirisantes,
et qui puissent effectuer des études sur place. Ainsi, et seule-
ment ainsi, on pourra jeter quelque lumière sur les questions
encore si obscures de rethnographie préhispanique du pays
des Diaguites, dont Thistoire ne nous dit presque rien.
A propos de la littérature argentine sur rarchéologie de la
région andine, nous ne pouvons passer sous silence une erreur
dans laquelle sont tombés quelques auteurs : nous voulons
])arler des dissertations purement spéculatives sur la mytho-
logie des Indiens préhispaniques et sur la portée symbolique
de leurs sculptures sur pierre, de leurs décors céramiques, des
figures peintes ou gravées par eux sur les outils et sur les ro-
cliers^'l Certains de ces savants prétendent même fixer la va-
leur symbolique des plus simples figures géométriques, ])arlois
communes à presque tous les peuples primitifs de la terre, et
cela sans alléguer le moindre argument à l'appui de leurs
interprétations. En lisant les ouvrages auxquels nous faisons
allusion, il est difficile de dégager les faits intéressants de
tant de fantaisies. L'étude d'une mythologie n'est possible que
chez des peuples qui ont laissé des documents, comme les
codices des anciens Mexicains, ou chez des peuples qui ont con-
servé des restes du culte et des cérémonies de leurs ancêtres,
tels les Pueblos. Quant au folklore obscur et d'origine péru-
vienne que nous rencontrons chez les habitants actuels des
pays andins de la République Argentine, il ne fournit aucun
élément pour interpréter les tentatives artistiques des auto-
chtones de cette région. Ces productions ne sont d'ailleurs le
plus souvent que de sim|)les ornements sans aucune tendance
s\ mJjolique ou mythologique.
Il serait aussi k désirer que l'on ne compliquât pas f archéo-
''' Dans In bibliographie du présont de renseignements concrets concernant
ouvrage, je fais abstraction de ces pubb- l'archéologie ou l'ethnographie des pays
calions cpiand elles ne contiennent pas cjue nous étudions.
REGION DIACriTE. U5
logie (lu pays desDiaguites, en donnant aux diverses catégories
d'objets trouvés des noms quicliuas, empruntés sans discerne-
nient aux chroniqueurs péruviens du xvT et du xvii' siècle. En
général, les historiographes de la concjiusla ne définissent pas
suIFisam ment les objets qu'ils désignent par un certain nom,
et les diiîérents auteurs se contredisent à ce sujet. 11 est jDré-
lérable, dans ce cas, de se servir de terjnes enq)runtés aux
langues modernes et délinissant la forme ou f usage de fol^jcl
(pie fon veut désigner. On est en droit de s'étonner que des
arcliéologues soutenant f autonomie de la culture « ca]clia(piie »
adoptent ces anciennes dénominations péruviennes douteuses
pour des objets provenant de la région diaguite.
La littérature archéologique de la République Argentine
emploie les noms « Calchaquis » , «région calchaquie » , «ci-
vilisation calchaquie » , etc. , en parlant de toute la région
diaguile. Nous avons déjà vu que les Calchaquis habitaient
la partie sud de l'une des nond^reuses vallées interandines, la
longue et étroite Vallée Calchaquie qui court du Nord au Sud,
près de la limite ouest de la province de Salta, au pied
de la chaîne qui séjwre cette province de la partie méridionale
de la Puna de Atacama. D'après les témoignages de Bârzana,
Romero, Monroy et Techo, que nous avons cités page 21, les
Calchaquis parlaient sans aucun doute le cacan, et par con-
séquent ils doivent être considérés comme une peuplade dia-
guite. Les Calclia(piis se rendirent célèbres, parmi tous l(!s
Diaguites, par leur esj^rit d'indépendance, par leur résistance
opiniâtre aux Espagnols et par leurs continuelles rebellions.
Les premiers liistoriogni])lies, Teclu) par exemple, ne dési-
gnent jamais comme «Calchaquis» d'aulres Indiens (jue cette
peuplade de la Valh'^c CalclKupde, tout en la classant parmi
les Diaguites. Mais Lozano, il est vrai, avec son manque de
précision dans les définilions g(^ograplii(pies et teclniiques,
emploie le nom « C;dclia([ui » A lort et à travers. Quelquefois
il s(Mnble indiquer sous ce nom seulement l(\s lndi(Mis de la
96 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
Vallée Galchaquie, daiitres fois il l'ajDplique à plusieurs autres
tribus, particulièrement à certaines tribus de la province ac-
tuelle de Catamarca. Mais nous avons déjà fait remarcpier
Tignorance de Lozano en ce qui concerne la géographie du
pays qu'il décrit, et nous citerons comme exemple une de
ses erreurs géographiques (220, i, p. 178), qui démontre qu'il ne
connaissait pas la Vallée Galchaquie : il place la ville de Gôr-
doba (de Galchaqui) dans la vallée de Quinmivil (Belen), alors
que cette ville, d'après tous les documents de l'époque, était
située dans la Vallée Galchaquie.
Quand la région diaguite commença à être l'objet d'études
historiques et archéologiques, les ouvrages de Lozano furent
])ris pour base de ces études et les auteurs argentins étendirent
l'usage du nom « Galchaqui » à tous les Diaguites. M. J. B. Am-
brosetti va encore plus loin : pour lui, les habitants de la Puna
de Jnjuy et de la Quebrada de Humahuaca sont des « Galcha-
quis » ; il parle même de « Galchaquis du Ghili ».
Get emploi si large et si vague du nom « Galchaqui » rend
difficiles les études archéologiques, donne lieu à des concep-
tions erronées de la géographie ethnique du territoire andin
la République Argentine et amène une confusion regrettable
des peuplades de cette région. Bien que le nom « Galchaqui »,
dans le sens inexact que nous avons signalé, se soit implanté
dnns la littérature, je crois nécessaire de passer outre à cet
usage et je me propose d'employer l'expression « région dia-
guite » pour tout le territoire où habitaient les Diaguites, en
réservant le nom «région calchaquie » pour la Vallée Galcha-
quie et la Vallée de Yocavil, sa continuation vers le Sud.
RUINES.
En trailant dans les chapitres suivants des antiquités pré-
hispaniques de la région diaguite, je ne me propose pas de les
décrire en détail , car il y faudrait plusieurs volumes. Mon in-
tention est de dire seulement quelques mots des caractères
généraux que présentent les débris de cette ancienne civilisa-
tion et de donner un aperçu sommaire des publications qui
ont paru sur des sujets concernant l'archéologie diaguite. Je
crois cet aperçu indispensable comme base de comparaison
entre l'archéologie du haut plateau de la Puna que j'ai exploré,
et celle de la région située immédiatement au sud de ce haut
plateau.
Tous les lieux mentionnés au cours de cet aperçu sont indi-
qués sur la carie fig. iO^^\ insérée en face de la page 2 i 2 , et qui
comprend toute la région diaguite, excepté sa partie la plus
méridionale, pour laquelle on peut consulter la cârieficj. 1.
La région est riche en ruines préhispaniques. Ces ruines
n'ont d'ailleurs rien de commun avec les merveilleux monu-
ments mégalithiques de la belle époque de l'ancien Pérou.
Mais les ruines de la région andine de l'Argentine ressemblenl
aux vestiges subsistants de la construction vulgaire chez les
habitants ])réhispaniques du haut plateau du Pérou et de la
Bolivie, sur laquelle le P. Cobo (103, iv, p. iGO) nous donne des
'"' Cette carte représente, à une
échelle plus lorle, une grande partie du
territoire compris sur la carte ellini([ue
firj. 1. La division administrative actuelle,
en provinces et en départements, y est
indi(piée, étant donnée l'habitude de rap-
porter géographiquement les découvertes
archéologiques à ces déparlements. Pour
la |irovinre de T. a Rioja, imc; nouvelle di-
vision en d(''p;iilemen(s a été établie il y a
quelques années, mais j'ai préféré garder
l'ancienne division qui est plus connue.
Pour éviter une confusion avec les
chiffres indicpiant les dates de fondation
des villes et des missions es|)agnoles l(>s
plus anciennes, seules les cotes d'alliliide
des principaux pics sont données sur la
carie fi(j. 10, mais d'autres cotes indi-
(piées sur la car(<* pij. I donnent ime idét;
générale du relief du pays.
mniiictic >tTio«ii.e,
98 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
renseignements très précis. Ce sont en général des restes de
murs en pierres sèches^^^ bien choisies et encastrées les unes
entre les autres sans aucun mortier. Ces murs ont une épaisseur
de o"'5o à i"\ et ce cpii en reste debout ne dépasse presque
jamais i"" de hauteur. Un grand nombre même ne paraissent
pas avoir été beaucoup plus hauts primitivement. Parmi les
plus élevés qui aient été observés, nous pouvons citer certains
murs de la forteresse de Pucarâ de Aconquija, de 2°' 7 5 de
hauteur sur i™5o d'épaisseur à la base et o'"6o au sommet,
d'après M. G. Lange (206), et d'autres, les plus hauts des ruines
de Loma Jujuy, de ^"'So de hauteur et 2"'3o d'épaisseur, me-
surés par le docteur ten Kate (342, p. 33/i). Les constructions
à étages n'ont jamais existé. Les pircas des ruines de la
région des Diaguites forment les parois de constructions rec-
tangulaires et rondes de différentes dimensions, mais les
Indiens n'ont presque jamais ^u arriver à faire des lignes très
droites, des angles droits, des cercles ou des ellipses parfaits.
Ils ne traçaient pas d'abord les lignes sur le sol; ils commen-
çaient leur mur où il leur semblait bon, et le continuaient à
vue d'œil, sans l'aide de l'équerre ou de la corde. C'est pour
cela qu'ils pèchent toujours contre la régularité des figures
géométriques et contre la symétrie. Une particularité de leurs
enclos, chambres, cours ou compartiments, selon le nom qu'on
préfère leur donner, c'est que la plupart d'entre eux n'ont pas
de portes.
Il est difficile de se faire une idée du système de toiture
employé par les constructeurs de ces demeures. Ils n'ont pu
vivre dans des maisons de i"" de hauteur seulement, quoique
le P. Cobo dise qu'une certaine sorte de maisons au Pérou
'"' Ces murs s'appellent clans le pays de formes el de dimensions les plus dif-
des pircas, nom cpie j'adopterai. 11 y a férentes et font ainsi des murs si compacts
encore parmi les indigènes de ces régions et si solides, qu'une construction moderne
des constructeurs habiles de pircas cpii en brique et mortier n'est guère supérieure
forment un corps de métier spécial. J'ai à leurs pircas. Le mot pirca est quichua.
souvent admiré l'adresse de ces pirca- 11 est encore en usage à Cuzco.
dores. Ils assemblent si bien des pierres
REGION DIAGUITE. 99
n'avaient qu'un eslado de hauteur. Dans cerlains cas, on pour-
rait supposer que le sol de riiabitalion se Irouvait au-dessous
du niveau du sol extérieur. Cabrera (88, p. i/n) mentionne dans
la Sierra de Cordoba des maisons semblables, à moitié souter-
raines. Il dit que « las casas son hajas c la inilad del altara mw
tieneii eslà hajo de licrra y enlran à ellas coma à sôlanos y cslo
hâcenlo por el ahrujo para cl ticmpo frio y par falta de madcra nue
en alfjnnos higarcs por alU ticncn)K Je reviendrai plus longue-
ment sur ces questions en décrivant les ruines de la Vallée de
Lerma, de la Quebrada del Toro et de la Puna de Jujuy.
On voit exceptionnellement des murs bâtis en pierre avec
de la terre comme mortier; mais ces constructions sont très
rares. Le mortier à la chaux élait inconnu dans la région dia-
guite, à l'époque préhispanique. Les anciens murs en briques
crues — adohes — sont rares.
Beaucoup de villages préhispaniques s'élevaient sur des
collines d'un accès plus ou moins difficile. L'eau manquait sur
ces collines, à peu d'exceptions près. Leurs anciens habitantes
ont dû apporter l'eau qui leur était nécessaire des ruisseaux
qui coidaient au pied, et quelquefois même d'une distance
considérable, comnie le font encore, avec beaucoiqj de dilU-
culte, les Zunis et d'autres tribus habitant les mcsas de l'Ari-
zone et du Nouveau-Mexique. Lorsqu'on craignait un siège,
il fallait faire de grandes provisions, ce qui semble conhrmé
])ar les nombreux fragments d'énormes récipients en terre
cuite que l'on trouve partout dans les ruines.
On rencontre très communément une autre sorte de con-
structions. (]e sont des rangées de pierres de dimensions in-
égales qui n'ont pu servir de soubassements de murs. Ces
alignements forment aussi des enclos ronds ou rectangulaires
de différentes grandeuis. La couche de débris (prou v trouve
souvent démontre cjue rpielques-uns de ces enclos ont de
aussi des emplacements d'habitations, mais probablcnient les
rangées de pierres ne formaient (pie la limit<' (\[\ l('ir;iin
aj)partenant à une huile ou à un hangar conslruil m peaux
7-
100 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
OU en chaume sur des poutres en bois. Ces alignements de
pierres renferment aussi parfois des superficies trop grandes
pour avoir pu être des « cours » autour d'habitations et ne
peuvent être expHquées non plus comme des cultures, car
leur situation et la qualité du sol rendent cette explication
impossible. Leur but est alors une énigme. M. Cari Lumholtz
(225, 1, p. 8, etc.) décrit des alignements de pierres, très nom-
breux en Sonora, dans l'extrême nord du Mexique. «Ces
pierres, qui ont une longueur d'environ un pied, sont soli-
dement enterrées dans le sol. Seule leur partie supérieure
apparaît à la surface, à peu près comme les pierres-bordures
que l'on voit quelquefois autour des pelouses et des massifs
dans les parcs et les jardins. Les pierres alignées forment
des cercles et des rectangles. J'ai vu deux cercles se tou-
chant, chacun de 6 pieds de diamètre. Un rectangle mesurait
5o pieds de longueur et la moitié de largeur. Il n'y avait jamais
de soubassements de murs au-dessous des pierres apparaissant
à la surface du sol. » Cette description de Sonora correspond
tout à fait aux alignements de pierres de la région diaguite.
Quelquefois les alignements sont en position transversale sur
les pentes des montagnes. Leur but était alors, sans doute, de
retenir la terre qui recouvre ces pentes, bien que celles-ci
n'aient probablement pas été utilisées ]30ur l'agriculture. J'ai
observé des alignements de cette sorte, parallèles, avec un
écartement de lo"' environ entre chacun, sur la pente par
laquelle on descend au village de Poman , dans la province de
Catamarca, en venant du haut de la Sierra del Ambato. On
marche pendant quelques kilomètres à travers ces alignements
de pierres, dont chacun atteint parfois une longueur de Sog"" et
même davantage.
Sur les hauteurs de cette même chaîne de montagnes, j'ai vu
des vestiges d'un autre genre, très remarquables. En effectuant
du côté est l'ascension du pic le plus haut, le Manchao,
4,o5o"' d'altitude, on rencontre de distance en distance,
le long du chemin le plus praticable j^our cette ascension,
UEf.lON DlACiUlTI':. 101
dÏMiormes blocs de quartz l)lanc, ayant quelquefois plus d'un
mètre de diamètre, posés sur le sommet des rochers les plus
saillants. Ces blocs , dont la blancheur se détache sur le mica-
schiste gris foncé de la montagne, ne peuvent avoir eu d'autre
but que de jalonner le chemin. Il a fallu un travail considérable
pour les transporter depuis leurs gisements, rares et situés à de.
longues distances, jusqu'aux altitudes où ils se trouvent.
Je passe maintenant à l'énumération des ruines connues,
à propos desquelles je citerai les publications contenant des
plans, des descriptions ou des notices.
C'est dans la Vallée Calchaquie, et surtout dans la Vallée de
Yocavil, que l'on trouve en grand nombre des vestiges de vil-
lages préhispaniques, presque tous occupant, au moins en par-
tie, des positions stratégiques sur des hauteurs. I^es ruines de
la Vallée de Yocavil sont les plus connues, car cette région seule
a été visitée ])ar des archéologues. Par contre, les ruines de la
Vallée Calchaquie, au nord de Cafayate, n'ont pas été étudiées.
Lapaya, dans cette dernière vallée, près de (]achi, est une
grande agglomération de vieilles constructions en pirca qui
démontre l'existence ancienne d'un grand village. Aucun plan,
aucune description n'ont été pu])liés sur ces ruines, mais je
dirai plus loin ce qu'on en connaît, en décrivant une collection
qui provient de cet endroit.
A l'ouest de Mohnos, la Quebrada de Luracatao paraît,
d'après les renseignements qui m'ont été donnés, i-cnh^'mer
beaucoup de ruines.
HuRViNA est situé j)rès d'Amblayo, dans les montagnes, à
70*"" au nord-est de San Carlos. Le D"" ten Kate (342, p. 3/|:i)
donne le plan d'un grand rectangle en pirca de celte localilé,
mesurant i38 pieds de longueur et 48 pieds de largeur. L'in-
térieur renferme plusieurs murs de séparalioii cl deux pelilcs
chambres adossées au mur extérieur. Des ouverhires dans les
murs intérieurs servent de portes, mais on n'en voil iiiicunc
dans le niurde circonvallation.
102 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
De la Qiiebrada de las Couchas ou de Guacbipas, parallèle à
la Vallée Calchaquie et courant à l'est de celle-ci, de Cafayate
à la Vallée de Lerma, M. ten Kate (342, p. 3M) cite, d'après les
renseignements qu'il a recueillis, des ruines à Gurtiembre, à
Carrizal et à INIorales.
Pampa Grande est une localité du département de Guachi-
pas, dans les montagnes à l'est de la Quebrada de las Concbas.
M. Ambrosetti (30, p. 169-184) décrit des ruines situées sur deux
plateaux aux environs de Pampa Grande, dont l'un porte le
nom de La Pedrera. Les deux plateaux sont entourés d'une
clôture en pirca et, dans l'intérieur de ces clôtures, existent les
débris de certaines petites constructions circulaires et de pircas
formant des arcs ouverts.
QuiLMES. Dans la partie nord de la Vallée de Yocavil appar-
tenant à la province de Tucuman sont les ruines de l'ancien
grand village de Quilmes, énorme agglomération de milliers de
constructions en pirca, au sommet et au pied d'une montagne.
M. Ambrosetti (18) donne de cette ancienne ville une description
générale accompagnée de plusieurs figures montrant les détails
de différentes sortes de constructions. Quilmes est peut-être le
village préhispanique le plus grand que l'on connaisse dans la
région des Diaguites, et présente un intérêt tout spécial comme
ayant été longtemps habité par les Indiens, à l'époque histo-
rique, après l'arrivée des Espagnols. Lozano (220, v, p. igietsuiv.
et 233 etsuiv.) décrit le siège et l'assaut de Quilmes en i665 par
Don Alonso de Mercado y Villacorta, qui l'avait déjà vainement
attaqué en 1669.
Anjuana, un peu au nord de Quilmes, près de Colalao del
Valle, possède aussi, suivant M. ten Kate (342, p. 346), des ruines
d'une étendue considérable , de « nombreuses pircas comme à
Quilmes». Aucune description, aucun plan n'existent de ces
ruines.
Dans la Vallée de Yocavil, on rencontre beaucoup d'autres
ruines de grands villages dont les principales sont : Loma Rica,
Fuerte Quemado, Loma Jujuy, Cerro Pintado et Andahuala.
I^EGION DIAGUITE. 103
LoMA Rica sont les premières ruines de la région où l'on
ait pratiqué des fouilles. MM. I. Liberani et R. Hernàndez
(217) ont publié, sous forme d'album et en reproductions photo-
giaphiques, les plans qu'ils ont dressés de ces ruines. Bur-
meister(86)a donné une description sommaire des résultats
de leurs recherches. Le D"" Florentino Ameghino (32, i,p. 535 et
suiv , pi. X, fig. 33 3, 428) reproduit en partie la description et les
figures. Loma Rica est un village préhispanique avec des habi-
tations assez nombreuses et un vaste cimetière.
Loma Jujuy, Cerro Pfntado et Fuerte Quemado sont trois
anciens villages fortifiés, situés sur des montagnes escarpées.
Le D" ten Kate (343, pi. A) en a publié des plans dressés avec
beaucoup de soin, les meilleurs que nous possédions, mais il
n'en donne pas de description et il n'en détermine pas la po-
sition géographique. Loma Jujuy et Fuerte Quemado sont
connues, mais il est impossible de trouver Cerro Pintado sur
aucune carte. Le D"" Adân Ouiroga (302) a donné une descrip-
tion de Fuerte Quemado.
Andahuala. m. Moreno (244, p. 19) publie, d'après un dessin
de M. Methfessel, une vue de ruines composées d'enclos rectan-
gulaires et situées près de la localité de ce nom.
Au sud d'Andahuala, les pentes occidentales de la Sierra de
Aconquija sont également parsemées de ruines. M. ten Kate en
a observé à Arenal et à Rio Blanco.
La Ciénega et Anfama. A l'est de Santa Maria, sur le ver-
sant 0])posé de la Sierra de Aconquija, dans le déparlement
du Tafi, se trouvent La Ciénega et AnFama, décrits par M. Qni-
roga (300). Ces ruines semblent composées en grande ])nrli(^
d'alignements de pierres du genre de ceux dont j'ai parle, cl
ne formant que des enclos circulaires. M. Qniroga a doinié
les croquis de plusieurs groupes de ces enclos. (Certaines cir-
constances semblent indiquer qu'ils sont ]ilus aiu iciis (jiic les
ruines de la Vallée de Yocavil.
San Antonio del Cajon. A l'ouest de la Vallée de Yocavil el
parallèlement à celle-ci se li'onve l'élroile N'alh'e du (i.ijoii, où
lOi ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
est situé le village actuel de San Antonio del Cajon, auprès
duquel on voit des ruines dont M. ten Kate (342, p. 339) a dressé
le plan. Elles comprennent une rangée d'enclos presque car-
rés, placée sur la crête d'une colline allongée, et deux autres
rangées au pied de cette colline, de chaque côté, contenant
chacune onze compartiments presque carrés, sans portes de
communication entre eux ou avec l'extérieur, tandis que. entre
quelques-uns des compartiments de la rangée située sur la
colline, on trouve des portes.
La Hoyada, au sud de Cajon : un enclos rectangulaire d'en-
viron lô'^xS™ sur le sommet d'une colline; à l'intérieur, sept
petites chambres adossées au mur de circonvallation. Plan
dressé par M. ten Kate (342, p. 34o).
GuASAMAYO , au sud-ouest de La Hoyada : ruines d'un village
assez important, composé de soixante-dix enclos ou maisons,
tous rectangulaires, assez irréguliers et situés sur le plateau
formé par le sommet d'une colline à flancs escarpés. Le plan
de M. ten Kate (342,p. 3/n) montre un grand enclos rectangu-
laire, une sorte de «place publique» au milieu du village.
M. ten Kate donne les mesures suivantes de quelques enclos
choisis au hasard : 1 5°" 1 o X 1 4" 4o ; 1 1 X 6"^ 5o ; 1 o™ X 9'" 3o ;
6"'3ox3"'9o; 6"' 30X5"" 70; 4"" 50X4°" 20. Le mur le mieux
conservé avait 1^62 de hauteur et 0°" 9 2 d'épaisseur.
En continuant vers le Sud-Ouest, nous rencontrons aux
environs de Hualfm, dans le département de Belen (Cata-
marca) , beaucoup d'anciens vestiges.
Gerro Colorado de Hualfin. M. Carlos Bruch (80) a donné
une bonne photographie et un plan de quelques-unes des
ruines situées dans les environs de cette montagne.
Batungasta. Encore plus à l'Ouest, dans le département de
Tinogasta, le plus occidental de la province de Catamarca, se
trouve Batungasta, à l'entrée de la route qui conduit au Chili
par le col de San Francisco. Ces ruines, d'une assez grande
étendue, sont intéressantes par suite de la présence, sur les
hauteurs, d'espèce de tourelles rondes bâties en pisé {^lapia
REGION DIAGUITE. 105
M. G. Lange (205) en a dressé un plan accompagné d'une des-
cription faite par M. Lafone-Quevedo (192).
PucarA de Aconquija. Dans le département d'Andalgala, au
sud de Santa Maria, il y a de nombreuses ruines, mais elles
n ont pas été décrites et paraissent d'ailleurs être de peu d'im-
portance, excepté Pucarâ de Aconquija, dont M. Lange (206)
a donné une bonne description et des plans détaillés, dressés
avec soin. C/est une montagne formant plateau, lequel est en-
touré par une muraille en pirca, très bien conservée encore
jusqu'à près de 3°" de bauteur, pourvue de bastions et de
meurtrières. L'intérieur offre beaucoup de maisons en pirca
formées d'un ou jDlusieurs compartiments. L'espace renfermé
dans le mur de circonvallation a environ ],'ioo'" de longueur
sur 660*" de largeur, et le mur lui-même a plus de 3, 000'°" de
longueur totale. On remarque, dans l'intérieur de ce camp
fortifié, des traces très nettes d'une source d'eau jaillissante,
tarie maintenant. Pendant l'un de mes voyages dans cettc^
région, j'ai pu examiner personnellement cette forteresse, ad-
mirable par sa position, par sa construction et par l'instinct
stratégique démontré par ses constructeurs: c'est, en effet, une
forteresse presque inexpugnable. Déjà von Tschudi (355, p. i5-i(j)
avait visité les ruines de Pucara de Aconquija, qu'il décrit
d'une manière un peu fantaisiste.
Dans le département de Poman, au sud d'Andalgalà, sub-
sistent aussi, au pied des pentes occidentales dr la Sierra del
Ambato, beaucoup de ruines. ■
Sur l^AJANCO et Tuscamayo, M. Lafone-Quevedo (201) a donné
une courte notice, sans plan ni croquis.
CiUDARGiTA, près du village actuel de Saujil, au nord dt»
Poman , est un ancien village en ruines assez bien conservées.
Je l'ai examiné sommairement; il est composé de conslriic-
tions rectangulaires en pirca formant une agglomération com-
pacte avec des ruelles presque droites. M. Quiroga (295, [>.:)o^)
a donné une description très sommaire de ces l'uines.
Nous ne savons absolument rien des ruines ])réliispani(pies
106 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
(le la province de La Rioja, et pourtant il doit y avoir, dans
les vallées andines de cette province, autant de vestiges qu'en
Catamarca. De vagues renseignements qui m'ont été donnés
confirment cette supposition que j'étends à la province de San
Juan, où une grande agglomération de constructions en pirca
est connue, à la Tamberia de Calingasta^'I
Comme je l'ai déjà dit page i4, je ne sais si l'on doit consi-
dérer comme appartenant à la région des Diaguites le sud de
la Puna de Atacama qui touche les provinces de Catamarca et
de Salta. Sur la carte ethnique [fig. î) j'ai rapporté provisoi-
rement ce territoire à la région des Diaguites. Là se trouvent,
à 3,500°" au-dessus du niveau de la mer, les ruines d'ANTO-
FAGASTA DE LA SiERRA , d'une grande étendue, divisées en deux
groupes, d'après des renseignements recueillis et publiés par
M. Ambrosetti (28, p. i3). L'un des groupes est situé à lo''" au
sud du hameau actuel d'Indiens, Antofagasta, et se compose
d'un grand labyrinthe de constructions en pirca, très irrégu-
lières et séparées par des ruelles, suivant M. Ambrosetti qui
cependant n'a pas vu ces ruines. L'autre groupe, à S*^"" au sud-
ouest du village actuel, est situé sur une colline, et au pied
de celle-ci il y a beaucoup de vestiges d'anciennes cultures.
Ces dernières ruines sont également mentionnées par le D"" L.
Darapsky (113, p. m) qui les considère comme une fortification
[piicarà] et croit avoir vu des traces de canaux d'irrigation
dans les anciennes cultures au pied de la colline. Le D'^Moreno
(245, p. i5) a aussi visité les ruines d'Antofagasta de la Sierra.
Dans la même région de la Puna de Atacama, on trouve
d'autres ruines à Antofalla, au pied du volcan de ce nom; ces
ruines sont mentionnées par M. Moreno (245, p. i5). Botijuela
est situé à ^o''"' au sud d'Antofalla, sur le bord de la saline
qui porte ce nom. D'après M. Ambrosetti (28, p. a), il y a ]à
encore d'anciennes constructions en pirca, circulaires et rec-
tano'ulaires.
(1)
Pour la situation géographique de ces endroits, voir la carte fuj. 1.
REGION DIAGUITE. 107
Enfin un croquis des petites ruines de la Vega del Cerro
GoRDO, sur la frontière de la Puna de Atacama et du dé]:)arte-
ment de Molinos (Salta), a été dressé par M. Eduardo A. Holm-
berg. Ce croquis est inséré dans fun des travaux de M. And)ro-
setti (28, pi. IV, iig. 3). Les ruines se composent de constructions
en pirca arrondies et carrées.
Ce sont là toutes les ruines de la région diaguite mention-
nées dans la littérature. Quelques-uns des plans ont été dressés
avec soin et les descriptions sont satisfaisantes, mais on n'y a
jamais fait de fouilles méthodiques.
En ces localités on voit très fréquemment, dans chaque
habitation, une ou plusieurs pierres longues, plantées debout
dans le sol, à l'intérieur ou près des murs. M. Ambrosetti (*t
d'autres auteurs ont applicpié à ces pierres le nom de menhirs.
Elles ne semblent pas avoir eu un but pratique, ou du moins il
est impossible d'expliquer lequel. Elles étaient probablement
destinées à un usage religieux ou cérémonial. Ce sont, en gé-
néral, des pierres portant peu de traces d'un travail artificiel;
elles ont, pour la plupart, été formées d'une pierre schisteuse
plate, dont on a détaché certaines parties pour lui donner la
forme voulue. Elles ont, le plus souvent, de petites dimensions,
leur longueur ne dépassant presque jamais un mètre.
Je décrirai plus loin des pierres de la même catégorie qui
se trouvent dans les ruines de Taslil (Quebrada del Toro) et de
Pucara de; Piinconada (Puna de Jujuy).
Dans la Vallée de Tafi, à un endroit nommé El Mollar,
M. Ambrosetti a découvert d'autres «menhirs» sculptés, de
grandes dimensions. La plus intéressante de ces pierres a
3'" 10 de hauteur et présente à sa partie supérieure une face
humaine rudimentaire; au-dessous de celle-ci, la pierre est
couverte d'ornements géométriques, très réguliers, composés
de lignes combinées avec des cercles à point central. Dans le
même endroit, de chaque côté du petit Rio d<'l Rincon, il y a
plusieurs autres pierres de la même loîigu(Mjr ([iie cette (1er-
108 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
nière. Ces pierres présentent à leur extrémité supérieure des
figures humaines dont les yeux, le nez et la bouche sont
grossièrement taillés dans la pierre. Le sol, aux environs des
«menhirs», est couvert d'alignements de pierres du même
genre que celui décrit plus haut, formant en général des
enceintes circulaires ou ovales. A Rio Blanco, près d'El Mollar,
il existe aussi un « menhir » avec des ornements géométriques
rectilignes très artistiquement sculptés. Ces monuments ont été
décrits par M. Ambrosetti (17) et une courte description en a
également été publiée par le D' Hamy (159 et 155, déc. v, n" xlvh,
p. ki\ etsuiv.), qui les rapproche de certaines formes observées au
Mexique par M. D. Charnay.
Parmi les ruines de La Ciénega, dans la même Vallée de
Tafi, M. Quiroga (300, p. 118-119) a trouvé aussi deux « menhirs »
sculptés. Sur f un d'eux, le nez et les yeux d'une figure humaine
sont indiqués dans la partie supérieure; f autre porte près
de sa base une concavité circulaire assez profonde , une sorte de
cupule. M. Quiroga {ibid.,ix 120) décrit des «dolmens» du même
endroit, mais je suis tout à fait convaincu que ces « dolmens »
ne sont que des pierres tombées les unes sur les autres, natu-
rellement, sans l'intervention de l'homme. Je ne crois pas qu'il
existe de vrais dolmens dans ces régions.
Les mortiers {nietates") en pierre sont communs dans les
ruines. Celui que j'ai trouvé à Carbajal, dans la Vallée de
Lerma [ficj. 47), offre l'exemple de l'une des formes les plus
fréquentes de ces mortiers. M. Ambrosetti (30, p. 160-163) repro-
duit un bon nombre de mortiers grossièrement travaillés, pro-
venant de Pampa Grande (Salta).
Aux environs des anciennes demeures humaines, des cu-
pules sont souvent creusées dans les rochers. Leur cavité est
quelquefois presque cylindrique, mais en général elle est plus
étroite au fond qu'à l'ouverture. Elles sont de différentes di-
mensions; les plus grandes que j'aie vues avaient à peu près
o'" 5o de profondeur et un peu moins de diamètre. On voit
parfois de grands rochers tout couverts de ces cupules. Ce sont
REGION DIAGUITE. 109
des rochers horizontaux; les rochers verticaux portent rare-
ment des cupules. M. Ambrosetti (28, p. n) mentionne trois
grandes cupules sur un rocher vertical, situé à Penas Blancas,
près du Cerro Ratones, sur la limite de la Puna de Atacama
et du département de Molinos. Les cupules creusées dans les
rochers horizontaux sont très communes dans toute la réiiion
diaguite, et j'en ai même vu dans la Sierra Santa Barbara, entre
Jujuy et le Grand Chaco. Le D'" R. Lehmann-Nitsche (211) dé-
crit un grand nombre de cupules qu'il a étudiées à Capilla del
Monte, dans la Sierra de Cordoba. M. And^rosetti (30, p. i/i) repro-
duit une pierre avec trois cupules qu'il a découverte récemment
à Pampa Grande. Suivant M. Florentine Ameghino (32, i, p. 5i/i),
il existe aussi des cupules dans les provinces de San Luis et
de Mendoza, et, selon MM. Fonck et Kunz (134), elles ne sont
pas rares dans la partie centrale du Chili. M. R. Lenz (213, p. 423)
mentionne un bloc avec des cupules, la « Piedra Santa de Re-
tricura», situé dans un défilé de la Cordillère près du volcan
Lonquimav, au nord-est de Valdivia. Les Indiens Araucans
y lont des sacrifices pour le bon succès du voyage, quand ils
passent du Chili en Patagonie. Les habitants des provinces
interandines de l'Argentine nomment les cupules des morteros
(mortiers). Il ne me paraît pas invraisemblable qu'elles aient
été employées dans ce but, car beaucoup d'Indiens de l'ouest
des Etats-Unis emploient encore de nos jours les cupules
comme mortiers. Les formes combinées de cupules avec cercles
extérieurs, dont M. Garrick Mallery (228, p. i8y et sulv.) décrit
beaucoup de variétés dilférentes, sont inconnues dans la Ré-
publique Argentine.
Les pentes des montagnes de la région diaguite offrent, hlcii
qu'assez rarement, des restes d'audenes, ces terrasses si com-
munes au Pérou, construites ])ar les Indiens préhispaniques
pour y cultiver le maïs. J'en parlerai longuement en décrivant
les andcnes que j'ai trouvés à Sayate, dans la Puna de .Iiiju\.
M. ten Kate (343, p. 17, fig. 22, 2/1) donne des figures re|)résentant
un autre genre de champs cuhivés, liorizontanx, limités par
110 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
des alignements de pierres semblables à ceux que nous avons
décrits page loo. Cependant je ne crois pas qu'il s'agisse vrai-
ment de champs de culture, surtout en ce qui concerne la
figure 2 2 de M. ten Kate. Il existe pourtant des vestiges de
chamjjs horizontaux enfermés dans des bordures de pierres, et
on peut constater quelquefois que de la terre y a été rapportée
pour augmenter l'épaisseur de la couche de terre végétale.
On entend souvent parler des grandes routes du temps pré-
historique dites « routes incasiques », construites sur les pentes
des montagnes de la Cordillère, mais je n'en ai jamais vu
dans la région diaguite. L'une d'elles, dont nous reparlerons
page 2o5, suivait toute la Cordillère jusqu'à Mendoza, où elle
passait au Chili. M. Moreno {245, p. 8) confirme l'existence des
vestiges de cette route. Je décrirai plus loin une route pré-
hispanique de la Ouebrada del Toro.
On voit aussi dans la région diaguite des apachetas, grands
monticules de pierres entassées par les Indiens aux points les
plus élevés où les chemins traversent la crête des montagnes.
L'Indien y dépose encore, en passant, de la coca et d'autres
offrandes pour le bon succès de son voyage. M. Ambrosetti
(15, p. 76) a donné une description des coutumes relatives aux
apaclietas. M. ten Kate (342, p. 337) mentionne un de ces autels
au sommet de la chaîne de montagnes qui sépare Quilmes,
dans la Vallée de Yocavil, de la Vallée del Cajon, et M. Quiroga
(295,p. 5o5) a vu une autre apacheta, entre Aymogasta et Alpa-
sinchi, sur la frontière des provinces de Galamarca et de La
Rioja. Les apaclietas sont d'origine péruvienne. Suivant Calan-
cha (89; 1. II, c. xi; p. 372), Ics Péruvieus « adoraient des monceaux
de pierres que les Indiens du Cuzco et les Collas dénommaient
apachitas)K Le Père Arriaga (39, p. i3o) les nomme parmi les
« idolàlries » des Indiens du Pérou, et l'on trouve dans les ques-
tionnaires pour la confession de ces Indiens, formulés par Ar-
riaga en 1621, et par farchevêque de Lima, Don Pedro de
Villa Gômez (370, fol. 37), en 1649, la question suivante : «^;^f
ciiando van camino an eçhado 6 echan en las cuinhres alias ô apaclietas
REGION DIAGUITE. 111
à dunde llccjan ô en piedras (jvandcs hendidas, coca mascada 6 maiz
mascado 6 oiras cosas cscupicndolas , 6 pidiciidolcs (jae les (jiiitan el
cansancio ciel camino? )) M. von Tschudi (356,v, p. 62) donne une
description générale très intéressante des apachetas actuelles
du Pérou et de la Bolivie, ainsi que des renseignements dé-
taillés sur le culte que les Indiens actuels de ces pays rendent
à ces autels. Les cérémonies qui ont lieu auprès des apachetas
de la République Ai-gentine sont presque identiques à celles
du Pérou et de la Bolivie. Nous reproduisons plus \(nn,fi(j. 8S,
une apacheta de la Puna de Jujuy.
INDUSTRIE.
Céramique. — Peu de pays sont aussi riches en débris d'an-
cienne poterie que le pays des anciens Diaguites. Partout de
grandes étendues sont couvertes de fragments de poterie;
partout où les bords d'un ruisseau s'ellondrent apparaît de la
poterie; partout où l'on creuse la terre dans un but quelconque
surgissent de vieux vases, de vieilles écuelles, toutes sortes de
débris de céramique.
Mais l'art du céramiste préhistorique de ces régions était loin
d'être aussi perfectionné que celui du Pérou. On n'y voit pas
ces figures humaines des anciens vases péruviens, si admira-
blement modelés, si vivants dans leur raideur, si parfaitement
semblables aux descendants actuels des artistes. Le modelage,
la peinture et la gravure des céramiques de la région diaguile
sont plus rudimentaires; les ligures ont toujours quelque
chose de grotesque, d'enfantin.
Et cependant le style est le style péruvien, les procédés sont
ceux du Pérou. Seulement, c'est do la polcrie péruvienne or-
dinaire; les chefs-d'œuvre, la poterie très fine, très arlislique,
manquent.
f.a ])olerie préliispanicpie de la région diaguile esl , couune
celle de toute rAuiéri(|ue, faite sans l'aide du lour, sim|)lemeiit
avec les mains et des instruments rudiuientaires pour façonner.
112 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
aplanir et polir. Le procédé paraît avoir été celui qui est en
usage chez la plupart des peuples sauvages de nos jours : l'agré-
gation par petites portions de la matière en formant des cercles
superposés. Je décris plus loin ce procédé tel cpie je l'ai vu
employé par une vieille Indienne de la Puna.
La pâte est très variée , selon le soin mis à sa préparation et
la qualité de la terre. Toutefois on ne trouve pas ces pâtes du
Pérou, fines, homogènes, presque aussi compactes que la por-
celaine. Comme dégraissant, on se servait de vieille poterie
moulue, ou de pierre pulvérisée.
Les roches feldspathiques étaient souvent employées à cette
fin; dans d'autres poteries on trouve quantité de petits frag-
ments de mica enfermés à même la pâte et qui prouvent que
le dégraissant a été du micaschiste ou d'autres roches riches en
mica, réduites en poudre. Le mica blanc (muscovite) est assez
commun dans la région , à fétat jxir, sous forme de cristaux
de G™ 20 de diamètre. Quelquefois la pâte, surtout celle des
grands pots grossiers d'une couleur noirâtre, est tellement riche
en mica, que l'on est tenté de se demander si, par hasard, le
dégraissant n'a pas été du mica pur : mais le minerai pur
n'aurait pas donné l'elfet désiré, c'est-à-dire rendre la poterie
plus résistante. D'ailleurs, la structure de ces pots démontre
que le dégraissant emj^loyé a été du micaschiste très riche en
mica, roche très commune dans tout le pays.
Beaucoup de vases sont engobés, quelquefois seulement à
fextérieur ou à l'intérieur, quelquefois des deux côtés. Pour
colorer fengobe, on a employé de l'ocre rouge ou jaune et de
la plombagine, quelquefois de la chaux.
Le décor des vases engobés avec de la plombagine est tou-
jours formé par des traits gravés, tandis que ceux à engobe
ocreuse sont ornés de figures peintes. 11 n'y a jîresque pas
d'exception à cette règle. On ne voit que très rarement de la
poterie rouge gravée, bien qu'il n'y ait pas de raison pour que
l'on ne grave pas sur cette couleur aussi bien que sur la poterie
engobée avec de la plombagine. M. Lafone-Quevedo (202, p. 8, 10),
RfXiION DIACUITE. 113
dans un travail tout récent, a tenté de classer la j)oterie d'An-
dalgalâ en trois catégories, d'après l'ornementalion : poterie
grise gravée, poterie noire gravée et poterie peinte. La diffé-
rence ne me paraît pas très grande entre la poterie gi'avée , noire
et grise, l'engobe de ces deux variétés étant de la plomljagine
plus ou inoins foncée. M. Lafone a rencontré des fragments
des trois sortes partout sur la surface du sol, mais, dans les
sépultures d'un ancien cimetière qu'il a fouillées, il n'y avait
pas de poterie gravée; cette poterie manque dans les andenes
des environs, où l'on trouve seulement de la poterie peinte.
M. Lafone en veut tirer la conséquence que la poterie des deux
catégories est différente etlmographiquement et chronologi-
quement. Ce serait .là un fait fort intéressant si l'on pouvait en
prouver l'évidence. Cependant, dans d'autres régions, comme
la Quebrada del Toro, j'ai trouvé ensemble, en place, ces deux
sortes de poterie.
La couleur la plus commune des ornements peints de la
céramique est le noir, probablement à base de charbon. Mais
il y a aussi d'autres couleurs : rouge, jaune , violet, brun, pro-
venant de terres ocreuses ou qui contiennent du magnésium.
Le blanc est produit avec des matières calcaires; quant au
vert, je n'en ai jamais vu.
L'usage de la vannerie comme moules à pousser les vases
en terre cuite a existé, bien que très rarement, dans la région
des Diaguites. Un vase, formé de cette manière et portant les
impressions très nettes du panier dans lequel il a été moulé,
jDrovient de Santa Maria et a été figmé par M. Ambroselti
(21, j). i32). Dans la collection faite par le comte Henri de La
Vaulx à El Banado (Quilmes), et donnée au Musée du Tioca-
déro, existe une grande écuelle, cataloguée sous le n" 47828,
de o™38 de diamètre et o^ao de liauteur. A l'extérieur, elle
offre les traces très manifestes de la corbeille en vannerie qui
a servi à la mouler, et la partie déprimée du fond montre très
nettciuient la forme carrée de fainorce pour la ronlection de
cette corbeille. Cette écuelh", (pii Icrniail rofidcc d'iine nrnc
I. s
■ MPIIIirilll! IIITIOKILS.
114 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
funéraire d'enfant, a été décrite par M. de La VauLx (366, p. 173),
mais il n'en a pas donné de ligure. Pour faire connaître ce rare
spécimen de poterie, je le reproduis ici ^fig. 3. La pâte est assez
fine, rougeàtre. Dans la collection de Lapaya, décrite plus loin,
se trouve une autre écneWe.fig. 28 cet 30, dont les impressions
au fond démontrent qu'elle a été posée , j)endant sa confection ,
sur une claie en vannerie. A Puerta de Tastil (Quebrada del
Toro), j'ai trouvé aussi un fragment de poterie avec des im-
pressions de vannerie. M. A. de Mortillet a rapporté de Tarija
(Bolivie) d'autres fragments de poterie poussée en vannerie.
L'usage de la vannerie pour mouler des vases paraît avoir été
rarement pratiqué dans l'Amérique du Sud. Le D'" Verneau
(367, p. i54) décrit et figure des fragments provenant d'une sé-
j)ulture contenant des urnes avec des ossements humains, du
Rio Arauca, affluent de fOrénoque. M. Erland Nordenskiôkl
(269, p. 22) mentionne un fragment de poterie poussée en van-
nerie qu'il a trouvé dans une grotte de la Vallée de Queara,
au nord du lac Titicaca. M. de La Vaulx (366, p. 17^) parle de
fragments de poterie avec des impressions de vannerie qu'il
aurait recueillis à San Gabriel et à Choele-Choel , dans la Pata-
gonie; mais M. Verneau (368) ne dit rien de ces fragments, dans
son étude sur les collections patagoniennes de M. de La Vaulx.
Dans l'Amérique septentrionale, spécialement dans le nord des
Etats-Unis, les poteries portant des impressions textiles sont
assez communes, mais ce sont surtout des empreintes de tissus,
de cordes, etc., qui ont été employés en formant les vases ou
pour leur décoration. Au contraire, les empreintes de vannerie
y sont rares, selon M. Holmes (172, p. 69), et les corbeilles n'ont
guère été employées que comme support ou pour y mouler
le fond du vase. Parmi les milliers de poteries des Etats-Unis
qu'a manipulées le distingué chef du Bureau d'ethnologie, il
dit n'avoir vu aucun spécimen ayant été entièrement poussé
dans une corbeille, comme c'est le cas de l'écuelle de la col-
lection de La Vaulx. Cependant M. Holmes {ibid., p. 58-59) cite
des renseignements historiques suivant lesquels ce mode de
REGION DIA(JUITE. 115
fabricalioii (Hail en noj^uc parmi les Indiens du Missouri et du
Haut Mississipi, au conimencenient du xix'' siècle. La corbeille
était détruite par le feu en cuisant le vase.
Les objets les plus Iréquents dans la région diaguite sont les
vases et les écuelles, de formes et de décors les plus variés.
Parmi les vases, les grandes urnes funéraires ont, lout
d'abord et naturellement, attiré l'attention des auteurs qui ont
étudié l'ai'chéologie de la région diaguite ; j'examinerai cett(^
catégorie de vases plus loin, en parlant des cimetières de la
région.
Les urnes décorées contenant des squelettes ou des osse-
ments ont sans doute été fabriquées pour cette destination
funéraire spéciale, et c'est peut-être aussi le cas de la plupart
des plats qui servent de couvercles à ces urnes. Au contraire,
il n'y a aucune raison pour appliquer, d'une façon générale, la
même bvpotbèse aux autres vases que l'on rencontre dans b^s
sépultures, et qui ne sontque de la polerie de ménage, pbis ou
moins simple ou artistique, ayant contenu les aliments, les
boissons et autres provisions que l'on donnait au défunt pour
l'autre vie.
On a publié un certain nond)re de figures de cette polei ie
de ménage. Voici celles qui se trouvent dans les ouvrages de
M. \nil)i()selli : si\ pièces assez intéressantes «de Tucninau » ,
et une j)iece de Jaclial (San Juan) (10, \>. 5 ci suh.); sej)t [)elils vases
antbroj^onïorpbesde Molinos (Salta),Belen (Catamarca), feules
( rucuman) et Calayate (Salla) (19, p. 47 oi suiv.); deux vases 01-
nilliomor|:)bes provenant de Seclantâs (Vallée (ialcbaquie) (19,
|).6ioisuiv.); deux vases re])rései lia ni des animaux, de Tali cl de La
Vina(Salta) (19, p. 78); un très iiiléressant vase peiiil d' \iHl;ili;;il;i
(19,]). 84), repiodiiil aussi par M. Lalone-QucNedo 191. p. i(i cl
par M.Quiroga (299, p. .'^«7); un vase avec une cniiciisc représen-
tation bumaine (19, p 9^1); un vase aulliroj)oin()rplie d'Andabuala
(Sanla Maria) (19, p. lof)]; un pelit vase de Vipos ( rucumaii)
(19, |). ia8]; un \asc janiciix poilanl une (igiirc liimiainc iiiodc'<'e
8.
116 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
et couvert d'une ornementation peinte très compliquée, décou-
vert par M. Quiroga à Amaicha (Vallée de Yocavil, au nord de
Santa Maria) (19, p. 169); ce vase est aussi figuré par M. Quiroga
(299, p. 3i6, et 303, p. 169); d'autres petits vases ornés (19, p. 218, 235);
un petit vase peint de Santa Maria (19 lis, p. 171); un grand vase
peint de Santiago delEstero (19 ifs p. 17/i); trois vases, dénommés
vasos ceremoniales , de La Vina et de Cafayate (Salta) (21, p. 126,
128, 129); une série d'écuelles de Santa Maria peintes avec des
ornements géométriques en rouge sur fond blanc (26); enfin
plusieurs vases de Lapaya (Vallée Calchaquie) (22) et de Pampa
Grande (département de Guacliipas, Salta) (30). On remarque
parmi ces derniers un énorme vase (30,p.5i), de i"i8 de hau-
teur et i'"2 5 de diamètre maximum, que M. Ambrosetti croit
avoir été employé comme dépense pour le grain, ce qui est
assez vraisemblable. M. Quiroga publie souvent, dans ses
travaux sur le syml^olisme et la mythologie , les mêmes figures
que M. Ambrosetti. Cependant nous trouvons dans ses ou-
vrages quelques vases intéressants qui n'apparaissent pas
chez M. Ambrosetti. Les j^lus remarquables sont : un vase de
la Sierra de Ambato (Gatamarca) (301, p. 433 et 303, p. 80); un autre
de Santa Maria (301, p. 4/14); un petit vase d'Amaicha (301, p. 445);
un vase ornithomorphe avec une figure humaine fantastique,
gravée (301,p. 43i); un vase peint de Capayan (Gatamarca)
(301, p. 425 cl 303, p. 99-100). M. Lafone-Quevedo, en dehors de
plusieurs poteries trouvées dans des sépultures à Ghanar-
Yaco (191) et à Batungasta (Tinogasta) (192), nous donne de
bonnes phototypies de deux vases peints et de deux vases gra-
vés des environs d'Andalgalâ (202, pL xn-xv). M. Bruch (80) figure
une série de poteries de Ilualfin (Beleii). Enfin fallnim de
MM. Liberani et Hernândez (217) contient un certain nombre
de poteries de Loma Rica; leurs figures ont été reproduites
par M. Ameghino (32, 1. 1). Voilà donc une liste, que je crois
assez complète, sur les vases de la région diaguite dont nous
avons des figures. 11 est toutefois à regretter que nous ne possé-
dions que sur très peu de ces pièces des indications relatives aux
REGION 1)1 ACUITE. 117
circonstances dans lesquelles elles ont été trouvées; les rensei-
gnements se bornent à donner le département d'où elles pro-
viennent. Le Musée de La Plata possède une collection très
riche d'objets inédits.
Nous avons déjà parlé des fragments de différentes sortes
de poterie d'Andalgalà, récemment publiés par M. Lafone-
Quevedo (202). Dans un autre ouvrage du même auteur (201),
on trouve aussi une planche de fragments de poterie peinte,
de Tuscamayo et de Pajanco, en Poman , au sud d'Andalgalà,
très semblable ta celle de ce dernier département. M. Ambrosetti
(19 ti.?, p. i66) publie également une planche de fragments de
poterie peinte de Santiago del Estero et plusieurs planches
(30, p. i/u, i43, i46, i/i8) de fragments de poterie gravée, de
Pampa Grande. Mais le plus curieux fragment connu de la
région diaguite est une partie de vase provenant du Rio del
Inca, en Tinogasta (Catamarca). Sur ce fragment est gravé
un Indien armé et, à côté, une grande hache très curieuse.
M. Lafone-Quevedo (191, p. 25, et 202, p. lA) en donne une figure,
reproduite plusieurs fois par MM. Ambrosetti et Quiroga.
Tous ces vases sont décorés de figures modelées ou d'or-
nements peints. Gomme au Pérou, le vase entier est souvent
la représentation grotesque d'un homme ou d'un animal. Ge
sont naturellement les pièces de formes rares ou d'ornemen-
tation compliquée qu'on a publiées. Les auteurs se sont donné
beaucoup de peine pour imaginer, généralement à faide de la
mythologie péruvienne, si obscure et si variable, ce que signi-
fiaient ces figures. En ce qui concerne la poterie commune
des anciens habitants des vallées interandines du territoire ai-
gentin, sa technique et ses formes, presque rien n'a été écrit.
Ges pièces n'attirent pas l'attention des paysans et des clicr-
cheurs de trésors qui ont déterré la pluplarl des objets décrits
dans les pubhcations citées, à fexception toutelois des ()l)jels
qni proviennent des fouilles de M. Lalbne-Qnevedo. Gependant
une élude scieiilidque de cette poterie commune serait d'une
grande importance pour l'archéologie de ces re'gions.
118 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE. '
Un autre genre de productions assez caractéristique de la
céramique diagnite est constitué par les petites statuettes hu-
maines, modelées d'une manière assez rudimentaire. M. Am-
brosetti les appelle des «idoles funéraires», bien quil n'ait
été constaté nulle part qu'on en trouve dans des sépultures.
M. Lafone-Onevedo leur a appliqué le nom péruvien de compas
ou canopas en prenant ce mot dans le sens de dieux pénates,
d'après la définition de plusieurs auteurs anciens, et parmi eux
Antonio de la Calancha (89; 1. n, c xi; p. 373). Cependant, d'après
Joseph de Arriaga (39,p. i5-i6), les conopas des Péruviens n'étaient
pas des statuettes, mais des pierres de formes ou de couleurs
exceptionnelles, et quelques-unes de ces pierres avaient «la
forme d'un carncro (lama)». Ces pierres étaient, suivant Ar-
riaga, conservées comme une sorte de mascottes, et dans ce
cas les conopas seraient les illas dont nous parlerons plus loin.
Il y a des statuettes argentines qui ressemblent parfaitement
à des statuettes en terre cuite rencontrées au Pérou dont
MM. Stûbel et Pieiss (340) publient plusieurs spécimens.
Les premières figures de ces « idoles » , publiées par M. La-
-fone-Quevedo (191, p. 19), ont été reproduites par M. Ambrosetti
(19, p. 10-2/1, 106-108, 112, 116, 126, 128, 210-214, 217, 239), qui en pu-
blie beaucoup d'autres, soit en tout une trentaine. M. Qui-
roga en a aussi publié quelques-unes. Dans d'autres travaux
de M. Lafone-Quevedo (192, p. 10; 201, p. 8 [planche], et 202, pl.xvi-xvn),
il y a encore cinq statuettes, et, dans son dernier ouvrage,
M. Ambrosetti (30, p. 53,97) reproduit quatre nouvelles «têtes
d'idoles». Plusieurs statuettes montrent des coiffures très
compliquées. Ces « idoles » proviennent de Santa Maria, Andal-
galâ, Belen, Poman, Ambato et Capayan en Catamarca ; Tafi
et Famaillâ (Lules) en Tucuman; Molinos, Cafayate, Gua-
cliipas et La Vina en Salta; Los Sauces en La Rioja.
Il y a aussi des animaux et des têtes d'animaux modelés en
terre cuite. M. Ambrosetti (19, p. 57-59) nous montre des têtes
de jaguars, très faciles à reconnaître bien qu'elles soient sty-
lisées. Une tête de chauve-souris (//^ù/., p. 176) est très distincte,
RKf.lON DIAGUITE. 110
mais l'autre figure que M.Ambrosetti [ihid., p. 175) doune comme
«tête de chauve-souris» n'a rien de commun avec cet animal.
Ce même objet, actuellement dans la coUeclion de la Mission
Française, est reproduite icifig- 2 h. Dans ses dernières fouilles,
à Pampa Grande, M. Ambrosetti (30, p. iSG, 1 38) a trouvé d'autres
têtes d'animaux, dont il donne des figures. Sur les vases de la
région diaguite, surtout sur les petits plats et écuelles, fappli-
cation de têtes modelées d'oiseaux et de lama, comme anses,
est assez commune. Les têtes de canard sont très fréquentes.
Pour donner quelques exemples de fart du modelage en
céramique des anciens habitants de la région diaguite, je re-
produis, fi(j. 2, un certain nombre de statuettes humaines et
de têtes d'animaux appartenant à la collection de la Mission
Française. Voici leur description :
a. Amaigha (Vallée de Yocavil, partie appartenant à la province de Tucu-
nian). — Grande tête ressemblant à celle d'un jaguar. Yeux, nez, narines
et bouche assez accentués, bien que maintenant un peu effacés parfactiGn
du temps. Il ne reste que la trace d'une des oreilles , modelée de façon à
imiter celles du jaguar. La tête est presque sphérique, de o™ 09 de diamètre,
creuse à l'intérieur; elle a fait partie de la paroi d'un grand vase de o"'oi5
d'épaisseur. Pâte couleur rose, grossière, à dégraissant feldspathique. Cette
tête est figurée à i/3 grandeur naturelle, tandis que les autres pièces le sont
aux 2/3.
h. Amaicha. — Tête humaine. Face presque plate; yeux et bouche pro-
fondément creusés. Cheveux séparés par une raie au milieu et peignés sur
les deux côtés, comme la coiffure des Indiennes actuelles de la région. Cette
tête a servi d'anse à un vase ou à une écuelle. Pâte scmblal)le à celle d(^ la
pièce précéflente.
c. Amaicha. — Mêmes caractères que b.
d. Amaicha. — Tête d'un animal monstrueux, à quatre cornes et à deux
oreilles, actuellement cassées, ainsi que les pointes (1(> trois des cornes. Nez
aquilin; lèvre supérieure fendue au milieu. Celte tête était placée sur la paroi
d'un vase de o'" 008 d'épaisseur. Pâte grossière, couleur rose; dégraissant
contenant du mica.
r. Amaicha. — Tête de puma qui se trouvait en relief sur un vas(>. Très
analogue aux têtes de puma cpie l'on rencontre très souvent sur des vases
péruviens, principalement sur les vases dits aijhalles, dont nous traiterons
longtemps pages 2g5 et suiv. On peut parfaitement suivre, sur les ixilcrics
120 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
de Tiahuanaco, la transition entre les te tes de puma modelées d'une ma-
nière complète et naturelle et les têtes stylisées dont notre figure est un
exemple, et qui ont les oreilles et la bouche simplement indiquées au
moyen de dépressions allongées. Ces têtes de puma schématiques, d'une
forme si simple et si caractéristique, que l'on trouve partout dans les
limites de f ancien empire péruvien, depuis l'I^quateur jusqu'à la République
Argentine, sont une preuve indéniable de filiation péruvienne de fart
diaguile. Cette manière si originale de rendre la tête du puma ne peut avoir
été inventée séparément dans un pays et dans un autre. Pâte grossière, cou-
leur rose.
f. « Vallées Calchaquies », sans indication plus précise sur la provenance
(pièce obtenue par échange avec le Musée de La Piata). — Tête d'un ani-
mal fantastique, en relief sur la paroi d'un vase. Yeux, narines et bouche
creusés assez profondément; les dents marquées j)ar des raies creusées dans
les lèvres. Représente peut-être un jaguar et ressemble beaucoup à une tête
en terre cuite provenant de Pampa Grande et figurée par M. Ambrosolti
(30, p. i38). La tête est creuse, d'une pâte grossière, rouge; dégraissant feld-
spathique ; recouverte d'une patine calcaire blanchâtre.
g. PoMAN (Catamarca). — Tête que f on pourrait prendre pour celle d'un
pécari [Dicotyles). Creuse, presque sphérique, cette tête a été placée en reliel'
sur un vase. Le museau est cassé. Les lignes arquées qui, partant des oreilles,
arrivent au museau, représentent peut-être les bandes blanches de la tète
du Dicotyles. Pâte fine, jaunâtre.
h. Capayan (Catamarca). — Tète d'un mammifère dont il est impossible
de définir f espèce. En relief sur un vase. Cette pièce est celle que M. Am-
brosetti (19, p. 175) a décrite et figurée comme « tête de chauve-souris »; mais
il n'existe pas de chauve-souris avec un museau de cette forme. Pâte rou-
geâtre, grossière.
i. Santa Maria (Vallée de Yocavil). — Tête de lama ayant formé l'anse
d'un vase ou d'une écuelle. Pâte grisâtre, grossière.
/. \inghina (La Rioja). — Tête de canard reproduite avec beaucoup do
fidélité. Ces tètes sont très communes comme anses d'une certaine sorte
de petits plats. Nous les retrouverons, plus ou moins bien modelées, à
Lapaya, ficj. 28 g et 29, et à Pucarâ de Lerma, fig. 4'J a. Pâte rouge, fine;
cngobe d'ocre rouge.
k. Amaicha. — Tête de serpent , probablement anse d'un vase. Yeux et
bouche bien marqués; derrière les yeux sont modelées des oreilles. Pâte
jaunâtre, fine.
/. Cafayate (Vallée Calchaquie, Province de Salta). — Tête d'animal
fantastique. Paraît avoir été placée perpendiculairement sur le bord d'un
vase, comme anse. La cavité de la bouche est très profonde; sur le front il y
REGION DlAGllTE. 121
a trois raies horizontales. L'envers de la figure est plat. Pâte grossière , gri-
sâtre et dure; dégraissant contenant du mica; engobe d'ocre rouge.
m. Santa Maria. — Une autre tête fantastique. Il est difficile de savoir
s'il s'agit d'une tête humaine ou de celle d'un animal. Sous les yeux et sous
le menton, on voit des raies verticales; le nez est aquilin et très prononcé.
L'envers de la figure est presque plat, modelé sans aucun soin. Cette tête a
probablement fait partie d'une figure entière, car le cou, à l'endroit de la
cassure, est trop gros pour que l'on puisse croire qu'il ait, comme dans
la précédente, continué le bord d'un vase. La pièce est presque identique à
une tête provenant de Pampa Grande et publiée par M. Ambrosetti (30, p. 9-,
fig. 102). Seulement, dans celle-ci, manquent les raies sur le menton. Pâte
assez grossière, couleur rose.
71. PiPANACo (Andalgalâ, province de Catamarca). — Face humaine,
rappelant beaucoup certain style péruvien. L'envers est légèrement concave
et lisse, sans traits gravés. L'épaisseur de la pièce est presque uniforme :
o"' ili au milieu, s'amincissant jusqu'à o^ooS aux bords. Cette tête, d'après
ce que démontre la cassure, a fait partie du bord d'un vase, formant un
quadrilatère irrégulier qui surpassait ce bord dont elle formait la continua-
tion vers le haut. Pâte fine, jaunâtre; dégraissant contenant des grains très
fins de mica.
0. Amaicha. — Statuette humaine, plate, de o^oiB d'épaisseur sur
g"' o65 de longueur et o'" o35 de largeur maximum. La poitrine et le
ventre sont légèrement concaves, les mains et les pieds sont indiquées par
un certain nombre de petites incisions. Pâte assez fine, couleur rose. Trace
de peinture noire sur le front et le ventre.
p. Amaiciia. — Statuette humaine. Les bras sont rudimentaires, mais les
jambes sont bien développées. La jambe droite et le pied gauche manquent ,
la pièce a été cassée. Un trait curieux de cette petite statuette, ce sont deux
tresses de cheveux qui pendent devant les épaules. L'envers de la figure est
légèrement concave. Pâte rouge, fine.
q. « Vallées Calchaqliies », sans indication plus précise sur la pro\enanre
(pièce obtenue par échange avec le Musée de La Plata). — Statuette huniaine
beaucoup plus grande que les deux précédentes : o'" 1 1 5 de longueur. Des
lignes indiquent les cheveux peignés des deux côtés avec une raie au milieu.
l^a bouche manque, à moins qu'elle n'ait été placée sur une partie du men-
ton qui est cassée. Les bras sont posés sur la poitrine; les mains et les doigts
sont bien indiqués; on ne voit pas les doigts de la main droite, car celle
partie de la pièce est détériorée. A l'envers, les hanches sont indiquées par
des parties saillantes. Pâte assez grossière, couleur rose.
r. MoLiNOS (Vallée Calchaquie, province de Salta). — Statuette Immaine,
les mamelles démontrent le sexe li-tniniu. Les jambes sont tout à lait rudi-
122 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
mentaires : la figure n'est pas cassée à cet endroit, comme on pourrait le
croire. A l'envers de la tête sont gravées des lignes oblic{ues et une raie cen-
trale indiquant le mode de la coiffure. Le front très fuyant de cette statuette
comme des trois précédentes semble représenter la déformation artificielle
du crâne dite « déformation aymara ». Pâte rouge, très fine.
Les fiisaïoles en terre cuite ornées de différentes manières
sorit communes. M. Ambrosetti (19, p. 190-192) et M. Lafone-
Quevedo (202, pi. vin et wi) en présentent quelques exemples.
Des objets dont la présence dans la région diaguite est très
intéressante à constater, ce sont les pipes. M. Ambrosetti (19,
p. 225-327) en donne cinq figures. L'une de ces pipes est en
pierre, trois en terre cuite; l'auteur n'indique pas la matière
dont est faite la cinquième. Deux d'entre elles sont de Capayan
(Catamarca), deux d'Amaicha (Vallée de Yocavil, partie de
Tucuman) et une de Los Sauces (La Rioja). Dans le nord
de l'Argentine , en dehors de la région des Diaguites , la Mission
Suédoise a trouvé à Palo a Pique (Vallée de San Francisco,
Jujuy) une pipe en terre cuite , à long tuyau et à fourneau per-
pendiculaire, qui a été reproduite par M. Erland Nordenskiold
(262, pi. 5, fig. 1). On n'a pas rencontré au Pérou de pipes du
temps préhispanique ; c'est un fait connu que les anciens
Péruviens ne s'en servaient j)as. Au Brésil, où beaucoup de
tribus sauvages actuelles fument le tabac dans des pipes, on
en a trouvé dans des tumulus préhistoriques à Bahia et à Sào
Lourenço (Rio Grande do Sul), d'après le D"" IL von Ihering
(180, p. 553). M. Médina (234, p. 209, fig. 85, 87-91) nous fait con-
naître des pipes préhistoriques du Chili. Le D'" Verneau (368,
p. 287, fig. 63) et M. F.-F. Outes (276, p. .463 eisuiv.) en décrivent
plusieurs, en pierre, de la Patagonie. Celles-ci ressemblent
parfaitement à celles du Chili et aussi, du moins comme forme
de fourneau, à certaines pipes des Araucans modernes. Il est
probable qu'elles proviennent toutes des Araucans. M. von
Ihering(177, p. 80) niait autrefois l'usage des pipes avant l'arrivée
des Européens en Amérique du Sud, mais, devant les pipes de
Bahia et celles de la i-égion diaguite, il a changé d'opinion. Le
Pl. t.
l'x'^iim ili;i^uili'. Sl.ililrllcs liiimniili's ri li'lrs <r;iiiiin,iii\ inoih
(I, 1 ;'. ; A-r. •.' .') lie hi i,'raii(lriir ii:il uni le.
■Il Iri'CC Cllllc
REGION DIAGUITE.
123
(listiof^iK» arcliôologue de Sào l\iulo insinue (180, p. 563, 575) que
la (lislril)ution géographique des pipes préhistoriques et cer-
taines autres analogies entre rarchéologie des vallées interan-
(lines de la République. Argentine et celle du Brésil méridional
démontrent l'influence de la civilisation préhistorique de cette
première région sur celle du Brésil. Pourquoi ne pas admettre
riiypothèse inverse, c'est-à-dire que l'habitude de fumer avec
des pipes aurait été introduite du Brésil dans la région diaguite
et, de là, peut-être même dans la Patagonie et au sud du (Ihili?
Je décrirai plus loin des cimetières des Vallées de Lerma et de
San Francisco qui me semblent prouver un courant migratoire
tupi-guarani du Brésil vers la partie iuterandine de l'Argentine.
La distribution géographique des pipes sert aussi d'appui à
cette thèse.
Pierre sculptée et taillée. — Commençons par les haches en
pierre. La Mission Française possède une trentaine fie haches
de la région diaguite (provinces de Gatamarca et de Salta,
surtout Vallée de Yocavil). Je reproduis, y?//. 5 , dix spécimens
de cette collection que j'ai choisis de manière à représenter
les formes et les dimensions les plus communes. Voici les
détails de leurs dimensions et de leurs poids :
NUMÉHOS.
LONG UK un.
LAUGEUU
MAXIMUM.
ÉPAISSEUR
MAXIMUM.
POIDS.
1
■nilllin.
i53
12 1
i38
100
170
i/,r>
1/.7
121
.nUIim.
77
62
82
7/.
05
/i/i
/iC.
72
milliiii.
5/,
5G
Ml
58
70
60
59
3o
52
^raniinps.
912
775
705
5 5 9
1,690
1.12',
1,00.4
2 05
22 1
7/.3
2
3
/|
5
0
7
H
'J
10
Ces haches sont faites de roches (hircs cl lourdes, <'u gén(''ral
des ([uarlzites, des grès ou des roches gr;inili(pies. Files sont
124 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
assez bien polies. Toutes sont bien aiguisées, leur tranchant
formant biseau atténué, excepté les n"' i et 7. Le premier de
ces deux spécimens ne semble jamais avoir eu de tranchant;
c'est plutôt un marteau qu'une hache. Le n° 7, au contraire,
paraît avoir eu un tranchant, qui probablement a été lésé et
émoussé par le travail. La plupart des haches en pierre de la
région diaguite présentent le tranchant en biseau, comme ceux
de nos spécimens. Quant à la forme, deux de nos haches, les
n°' 4 et 10, sont plus courtes que les autres, si Ton compare la
longueur avec la largeur. Ces haches courtes ne sont pas rares
dans la région diaguite, quoique moins fréquentes que les
haches dont la longueur est environ le double de la largeur.
Les petits spécimens n°^ 8 et 9 semblent trop légers pour avoir
été employés dans un but pratique. Peut-être étaient-ce des
jouets. Le n** 9 présente cette particularité que le revers est
plat, la rainure n'existant que du côté qui est visible sur la
figure.
Toutes ces haches sont entourées d'une rainure ou gorge
servant à fixer le manche. Mais la "orse ne fait le tour com-
plet de toute la hache que dans deux spécimens, le n" 5 — le
plus grand — et le n"" 2. Sur les autres, la rainure comprend
seulement trois côtés : elle laisse le dos de la hache intact. La
première catégorie est rare au pays des Diaguites; presque
toutes les haches de pierre qu'on y a rencontrées sont de la
deuxième catégorie : ce sont les haches caractéristiques de la ré-
gion. Elles sont, en général, de dimensions semblables à celles
des spécimens que nous avons reproduits. Les renseignements
sur les haches de pierre n'abondent pas dans la littérature
archéologique de la République Argentine, et les reproductions
sont moins nombreuses encore. M. Moreno (244, p. i5) donne la
ligure d'une hache à gorge entourant toute la pièce, provenant
de Singuil (Gatamarca). De la deuxième catégorie, à gorge in-
complète, M. Quiroga (300, p. ii5) reproduit un spécimen qu'il
a exhumé d'une sépulture à La Ciénega (Tafi). D'autres haches
de cette sorte, provenant de Loma Rica, ont été représentées
REGION DIAGUITE. 125
par MM. Liberam et Hernândez (217, pi. xxi, n" 3,4); leurs figures
out été reproduites par le D'" F. Ameghino (32, i, pi. x, fig. 3/|/|).
liécemment, M. Anibrosetti (30, p. ib-j) a publié des photogra-
phies dViue douzaine de haches trouvées à Pampa Grande et à
Churcal (Guachipas, Salta). La plupart ressemblent beaucouj),
comme forme et comme dimensions, à nos spécimens de la
deuxième catégorie.
Les haches dont la gorge comprend seulement trois côtés
de la hache peuvent être regardées comme typiques pour la
région diaguite. Ce type est rare, même exceptionnel, dans les
autres j)arties de FAméricpie du Sud, tandis cpie les haches
d'autres formes sont rares dans la région diaguite. MM. Stid3el
et Reiss (340, i, pi. i5, fig. i8, 19) figurent cependant deux haches
de notre type diaguite, de Riobamba et de Quito. En Amé-
rique du Nord, ce type se trouve surtout dans la région des
Pueblos; M. Charles C. Abbott (1, p. i3) en représente aussi un
spécimen du New-Jersey, et M. Holmes (171) plusieurs spéci-
mens des environs de la baie de Chesapeake, mais qui diffèrent
cependant un peu de notre type. En Europe, cette forme de
hache en pierre existe aussi.
Quelle a été la destination de ces haches en pierre « néo-
lithiques », de formes diverses, mais ayant toujours les mêmes
caractères essentiels, et que fou rencontre dans le monde
entier, partout où sont découverts les vestiges de fhomme
préhistorique? Ce problème ne peut être résolu qu'en étudiant
les peuples actuels qui ne connaissent pas les outils en mêlai
et qui se servent encore de haches en pierre. Dans TAmérique
du Sud, quelques voyageurs ont été assez heureux de pouvoir
faire des observations personnelles sous ce rapport. Le pn^uiier
(fenlre eux est le D' Karl von den Steinen (335, p. 88, 2o3). Aux
bords du Rio Culisehu, l'une des rivières qui forment le liio
Xingù, dans le nord du Matto Grosso, il a vu de vastes éten-
dues de forêt vierge, dont les arbres avaieni élé abattus au
moyen de haches en pierre, comme le démontraient les traces
(pie ces haches avaient laissées sur les troncs et, d'autre j)art,
12(3 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
le fait que les haches en acier étaient complètement inconnues
autant des Bacaïris qui y habitent que de toutes les autres
tribus de la région des sources du Xingû. M. von den Steinen
a rapporté des haches en pierre emmanchées, provenant de
plusieurs tribus du Matto Grosso. Ces haches étaient faites en
diabase , roche dure et lourde qui, dans la région du Culisehu,
ne se trouve que dans le territoire de la tribu des Trumais.
Ceux-ci détenaient, par conséquent, le monoj^ole de la fabri-
cation et de la vente des haches en pierre dans toute la région
des rivières qui donnent naissance au Rio Xingù. Suivant
M. von den Steinen, les Indiens de cette région exécutaient
avec ces haches tous leurs travaux de défrichement de la forêt,
de construction de maisons et de canots, etc. Le D"" E. A. Gôldi
(147) décrit d'une manière un peu différente le travail avec la
hache de pierre, d'après des renseignements provenant de per-
sonnes qui connaissent bien les Indiens du cours supérieur de
FAmazone. Suivant ces renseignements, les Indiens formeraient
d'abord un anneau autour de l'arbre qu'ils ont fintention
d'abattre, en broyant l'écorce et le bois avec la hache; la circu-
lation de la sève interrompue, l'arbre se sèche et meurt. L'in-
cision annulaire serait alors approfondie au moyen de la hache ,
puis on y appliquerait de nouveau le feu. Le travail avec la
hache et avec le feu serait continué alternativement jusqu'à ce
que farbre tombe. Le baron Erland Xordenskiold (264, p. 282) a
recueilli des renseignements analogues à propos de l'emploi
de la hache de pierre chez les Yamiacas du Rio Inambari,
l'un des affluents du Rio Madré de Dios, au nord du lac
Titicaca.
Quoique leurs descriptions varient un peu , ces auteurs nous
ont donné la solution du problème concernant la destination
des haches en pierre des peuples sud-américains : ces haches
étaient sans doute surtout des outils de charj)enterie , pouvant
aussi, le cas échéant, servir d'armes.
Pour nous. Européens, il est difficile de nous imaginer
comment on pouvait travailler le bois, spécialement les bois
^
>t^
Fig. Ô. ■ — l'x'i^ioli (li.i^'iiilr. IImcIm's ni |iicn-c. — a/ô i;i'. liai.
REGION DIAGUITE. 127
durs de rAiiiérique du Sud, avec des instruments aussi peu
tranchants, mais nous devons nous déclarer convaincus devant
les renseignements des voyageurs que nous avons cités. Quant
à nos haches de la région diaguite, la description de celles du
Matto Grosso, par M. a on den Steinen, est spécialement inté-
ressante , car les haches diaguites ont en général à peu près les
mêmes dimensions que celles du Xingù : la longueur de ces
dernières est de o"'ii à o'°i2, et la longueur générale des
haches diaguites, de o'"i2 à o"'i5. Les unes et les autres se
ressemhlent aussi parfaitement, et comme forme générale, et
comme tranchant et comme matière. Seulement les haches du
Xingu n'ont pas de gorge, ce qui indique une méthode diffé-
rente d'emmanchement pour les haches diaguites. Mais fana-
logie générale de celles-ci avec celles que décrit M. von den
Steinen démontre que les haches de la région diaguite étaient
aussi, avant tout, enq:)loyées pour travailler le ])ois.
M. Amhrosetti (19, p. iGSetsuiv.) hgure huit haches en ])ierre
de forme exceptionnelle. Quelques-unes ne sont pas, étant don-
nées leurs petites dimensions, d'un usage pratique; elles ont dû
prohablement être des insignes ou peut-être des jouets. Deux
d'entre elles sont ornées de figures humaines sculptées sur le
talon. M. Lafone-Quevedo (202, pi. m) donne aussi les figures
de deux haches de pierre à talon sculpté.
Les pointes de flèches en roches siliceuses sont communes
dans la région des Diaguites, mais aucun auteur ne s'est oc-
cupé de les décrire, et cependant les différentes formes de ces
petites pointes peuvent souvent donner des indications pré-
cieuses sur l'âge relatif des ruines où elles ont été trouvées et
sur les rap])orts des anciens habitants de ces ruines avec ceux
d'autres villages préhispaniques voisins. Les indications 2:)récises
manquent sur la provenance de presque txmtes les |)()inles
de flèche des collections de Bu(uios-Air(\s. D(^ sa colleclion
d'objets en pierre, M. E. IL Ciiglioli (144, p. ■i/r?.) mentionne six
jDointes en silex, dont une pédonculée et les cinq autres sans
128 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
pédoncule, provenant de Cochagasta, près de la vilie de La
Rioja, et de Vargas, au pied de la Sierra de Malanzan, égale-
ment dans la province de La Rioja.
Les anciens habitants de la régfion diai>uite étaient très ha-
biles dans l'art de sculpter la pierre. On trouve de vrais chefs-
d'œuvre dans ce genre, surtout des mortiers ou bassins en
pierre, ornés de lézards et de grenouilles ou crapauds sculptés,
admirablement rejDroduits d'après nature. Sans exagérer, on
peut dire que la région diaguite n'a rien à envier aux anciens
Péruviens dans cet art ; on y voit des pièces dont le Pérou pour-
rait à peine montrer l'équivalent. Les meilleures pièces ne sont
pas parvenues aux collectionneurs de Buenos -Aires; elles
sont gardées dans le pays, et leurs propriétaires ne veulent
les céder à personne. Dans certaines églises de la campagne de
Catamarca, j'ai vu de ces bassins en pierre sculptée employés
comme fonts baptismaux ou comme bénitiers. Dans l'église de
Bolson, département d'Ambato, en Catamarca, il y avait une
très jolie pièce de ce genre. Je fis de mon mieux pour con-
vaincre le curé qu'un objet aussi païen, provenant des infieles,
n'était pas à sa place dans ime église chrétienne; mais mon
éloquence n'eut pas de succès. Le bon curé ne voulut à aucun
prix se défaire de ses fonts baptismaux qui étaient ornés sur les
l^ords de trois lézards admirablement sculptés. MM. Liberani
et Hernândez (217, pi. 25) figurent un mortier en pierre sculptée
de Loma Rica(.^). Leur dessin a été reproduit par M. Ameghino
(32, 1. pi. M, fig. 3/lG). M. Lafone-Quevedo (202, pi. i\-\i) rej^résente
trois autres mortiers sculptés d'Andalgalà, dont fun ressemble
comme décor à celui de MM. Liberani et Hernândez. M. Am-
])rosetti (19, p. 95-98) en figure six; M. Quiroga (299, p. 329-000)
deux, dont fun est orné de quatre figures sculptées dans
lesquelles fauteur veut voir des « figures phalliques » , mais qui
ressemblent très nettement cà des cigales. L'autre pièce, repré-
sentant un lama, ne doit pas être considérée comme un mortier :
c'est sans doute un de ces petits lamas en pierre ayant un creux
dans le dos, très communs au Pérou, et qui probablement ont
REGION DIAGUITE. 129
servi pour des cérémonies religieuses. Je ne crois pas que cette
pièce provienne de la « région calchaquie »; elle y a plutôt été
importée du Pérou. On peut la rapprocher des illas, dont nous
parlerons ensuite.
Les petites figures humaines en pierre sculptée sont très
fréquentes. Parmi ces «idoles», de formes les plus variées et
souvent très fantastiques, M. Ambrosetti (19, p. 3i-/i:i, ii3, 120,
201, 219, 221-22/i) et M. Lafone-Quevedo (202, pi. x) en publient
une vingtaine. Le premier les appelle quelquefois «idoles»,
d'autres fois « fétiches » , « amulettes d'amour » , etc. M. Quiroga ,
dans divers travaux, reproduit quelques-unes de ces figures.
M. ten Kate (342, p. 345) figure aussi une intéressante petite
statuette, de Molinos. Leur provenance est très diverse : depuis
la province de Salta, au Nord, jusqu'à celle de La Piioja, au
Sud. Les auteurs qui ont étudié farchéologie argentine, parti-
culièrement MM. Quiroga et Ambrosetti, prétendent voir dans
])eaucoup de ces ligures des représentations phalliques, rémi-
niscences d'un culte phallique. H y a sans doute de rares objets,
surtout en pierre, auxquels leurs auteurs ont donné intention-
nellement la forme d'un phallus, mais de là à considérer une
statuette comme une « idole phallique » parce qu'on y voit les
organes génitaux, ce n'est guère raisonnable. Presque tous
les peuples sauvages, p)lusieurs peuples d'une haute civilisation
même, ont une autre conception de la pudeur que nous, et
ils trouvent tout naturel d'indiquer sur les images ces organes
aussi bien que les autres organes du corps. D'ailleurs, en ce qui
concerne les pièces en pierre sculptée, uiainles fois la forme
naturelle de la pierre roulée, choisie pour fœuvre artisti([U(',
a obligé le sculpteur à donner sans le vouloir un aspect « j)1kiI-
lique » à sa création qui n'avait pourtant dans son dessein d'autre
but que de représenter un homme ou un animal quelconque.
Le tatou, cjuircjuincho dans le pays (^Dasyjms minuliis, Desmar.) ,
est très souvent représenté en pierre, quelquefois avec un cicux
dans le ventre formant ainsi un petit mortier. M. And^ro-
setli (19, p. i()(j) donne les figures de trois (inirriuinrhos en ])i(M-re
130 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
provenant de Catamarca et de Vinchina (La Rioja). Le même
auteur (19,p. i63) représente un curieux objet composé de
deux animaux monstrueux s'étreignant, dont Tun paraît un
(imrcjuincho par sa carapace, mais un alligator par sa tête et ses
dents. M. Lafone-Quevedo (202 , pi. xvm) présente une très bonne
figure d'un tatou sculj^té en pierre, de Poman (Catamarca),
ayant dans le ventre une cavité qui communique avec un canal
se terminant à la pointe de la queue. L'auteur considère cette
pièce comme une pipe, ce qui me paraît vraisemblable, bien
que ce grand ciiùrcjuincho en pierre ait dû être lourd et peu
facile à manier. Qo, cjiuromncho a une certaine analogie avec des
pierres sculptées enigmatiques, traversées par des canaux, que
publie M. C. Gay (142,pl. i,%. 3, 5). Le tatou sculpté de Poman
serait un nouvel exemj^laire de pipe en pierre de la région dia-
guite. J'ai déjà mentionné une autre t^ipe en pierre figurée par
M. Ambrosetti (19, p. 225). Le (juircjaincho jouait certainement un
rôle dans les superstitions ou dans les anciens rites du pays des
Diaguites. M. ten Kate (342, p. 342) a trouvé, à Fuerte Quemado,
un squelette complet de Dasypiis miniUiis dans une urne funé-
raire contenant un squelette d'enfant. L'urne était parfaitement
boucbée par une petite écuelle; le Dasypiis y avait donc été
introduit par ceux qui avaient enterré fenfant : il n'était pas
entré dans Furne à une époque postérieure.
On rencontre souvent des objets en pierre représentant des
animaux entiers ou simplement leurs têtes, mais sans qu'il
soit possible de reconnaître fanimal figuré. Quelquefois, sans
doute, le sculjDteur a imaginé un être tout à fait fantastique,
mais d'autres fois la forme et la dureté de la pierre l'ont obligé
à donner un aspect bizarre à l'objet qu'il voulait imiter. Les
objets en pierre particulièrement, mais aussi ceux modelés
en céramique, ont souvent leurs extrémités raccourcies, dé-
formées, atropliiées. M. Ambrosetti (19, p. 80, 126, 170, 19/i, 200-201,
2o/i-2o5) présente une dizaine de sculptures en pierre difficiles
à interpréter; plusieurs d'entre elles figurent des animaux
fantastiques.
REGION DIAGUITE. 131
Un masque en pierre, le seul connu de toute la région dli-
guite, trouvé à Fuerte Queniado (Santa Maria), est reproduit
par M. Quiroga (304, p. 7).
M. Ambrosetti (19, p. 190, 192) donne les figures de cinq lu-
saïoles en pieri-e, ornées de gravures plus ou moins conqoli-
quées.Deux fusaïoles grossières, sans décor, sont figurées dans
un autre travail du même auteur (30, p. ir)o,fig. i5o, n"'4,5). Les
fusaïoles en pieri-e,pour la plupart en forme de disque, sont
communes.
Sur les emplacements d'anciennes lial)itations de la région
diaguite, on trouve souvent des petites pierres sphéroïdales,
oblongurs ou fusiformes, d'un travail plus ou moins achevé.
M. Ambrosetti (30, p. i5o, i53) reproduit quelques-unes de ces
pierres, provenant de Pampa Clrande. Il explique les pierres
oblongues et fusiformes comme des projectiles destinés à être
lancés avec la fronde, ce qui ne me paraît pas possible, car on
ne se serait pas donné tant de peine pour fabriquer des pro-
jectiles qui ne servent qu'une seule fois. La forme, d'ailleurs,
n'est pas avantageuse pour la fronde. Des pierres de cette forme
existent dans les gisements archéologiques de beaucoup de
l'égions dans le monde entier, et l'on n'est pas encore arri\é à
donner une explication satisfaisante de leur usage. Les pierres
sphériques ont probablement fait partie des armes nommées
boleadoras.
Les auteurs se sont rarement occupés de constater la pré-
sence des petites perles, presque toutes faites de turquoises ou
d'autres minéraux verts, si abondantes (huis loute la région.
Récemment M. Ambrosetti (30, p. 37 et i5o, n^,'. i5o, n" 1) a publié la
figure d'un collier, qui est intéressant, parce qu'il a été trouvé
en place autour du cou d'un enfant , à Pampa Grande. De petites
pendeloques perforées, triangulaires ou en forme (faniniaux,
faites de la même matière, accompagnent très souvent les perles
qui ont dû former des colliers. M. Ambrosetti (19, p. :>.oi , uo^)
ligure cin([ de ces pendeloques dont trois en forme d'oiseaux
eluneaulre i-ej)i-ésenl<'iiil un niamniilérc. M. Lidonc (hievedo
y-
132 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
(202, pi. xvii) en donne deux autres, de forme triangulaire.
D'autres petits objets en pierre taillée, qui n'étant pas per-
forés ne sont peut-être pas des pendeloques, sont figurés par
M. Lafone-Quevedo (202, pi. xvi).
On trouve souvent en possession des métis habitant ac-
tuellement la région diaguite de petites figures sculptées en
pierre blanche. Ces figurines, dites illas, représentent des ani-
maux domestiques : des lamas, des moutons, des bœufs. Ce
sont des talismans jDOur protéger les troupeaux contre toutes
sortes de dangers et pour favoriser leur reproduction. Une autre
illa, assez fréquente, consiste dans une main fermée qui em-
paume un objet en forme de petit bâton. Quelquefois il y a un
cercle gravé à fin té rieur de la main et représentant une pièce
de monnaie. Cette main, dite mcicjui, est considérée comme un
précieux talisman pour acquérir la fortune et faire de bonnes
affaires. M. Ambrosetti (19, p. 67-68, 76) donne les figures de ces
deux sortes (ï illas provenant de la région diaguite, et aussi
d'une autre sorte de forme triangulaire, que j'ai vue en usage
en Salta, mais sans avoir pu m'instruire des vertus qu'on lui
attribue. M. Lafone-Quevedo (190) a voulu identifier ces illas
avec certaines figurines des Zunis du Nouveau -Mexique.
Ce dernier paraît croire que les illas en question sont des
produits de findustrie ancienne ou moderne de la région
diaguite. M. Ambrosetti exprime la même opinion dans fou-
vrage cité, mais dans un autre travail il dit que les illas sont
importées de la Bolivie. Celles que Ton trouve dans la Répu-
blique Argentine sont, en effet, toujours fabriquées en Bo-
livie, par certains Indiens Aymaras, dits C allai luay as , et qui
habitent les villages de Charazani et de Curva,dans la province
de Munecas, au nord- est du lac Titicaca. Ces Indiens font de
longs voyages commerciaux dans les pays voisins; ils arrivent
quelquefois k pied jusqu'à Buenos -Aires en vendant le long
du chemin leurs marchandises consistant en herbes médici-
nales, en remèdes secrets et en talismans de toutes sortes.
J'ai vu personnellement à Salta les illas que possédait dans son
nE(]iON DIAGUITK. 133
sac fie voyage un de ces Indiens, dénommés vulgairement
dans TArgentine des Collas. D'autres membres de la Mission
Française ont acquis des Aymaras,à la grande foire de Copa-
cabana (Titicaca), des illas identiques à celles que vendent
les Collas dans la République Argentine. MM. Stûbel et lieiss
(340, II, pi. 27, fig. 16, 17) figurent deux de ces illas, une main et
un mouton, provenant de La Paz. On en fabrique aussi au
Pérou. M. Wiener (377, p. 578) rapporte que les Indiens d'Aya-
cucho «sculptent, dans la jolie pierre de Huamanga, espèce
d'albâtre blanc et transparent, des lamas, des moutons, etc. ».
M. Wiener donne la figure d'un de ces moutons. Le mot illa
est quicliua et signifie au Pérou lesbézoards de divers animaux
considérés par les Indiens comme des talismans puissants. Le
même mot illa, comme adjectif, signifie «vieux», «conservé
pendant longtemps». Dans l'Argentine, illa veut dire «talis-
man» ou «mascotte» en général. M. Ambrosetti donne, dans
les travaux cités, une liste des différentes catégories (Villas.
Dans la collection de la Mission Française se trouvent deux
spécimens d'une sorte de barres en pierre, presque cylindri-
ques, que je reproduis^?^. 4 [PLU)., car aucune de ces pièces
n'a jamais été publiée. La première de ces barres, en baut de
la figure, a o'^Sô/i de longueur et 0^046 à o™o35 de dia-
mètre; la seconde a ©""ôiô de longueur et o"o/i2 à o^oSy de
diamètre. La plus courte a été trouvée à Andalgalâ, dans les
mines de Las Capillitas, exploitées depuis le temps préliis-
panique. L'autre a été acquise par échange avec le Musée de
La Plata et porte seulement findication «Vallée Calcbaquie »
comme provenance. J'ai entendu dire à des personnes connais-
sant bi(;n la région diaguite que ces pièces se renconli-cnl
toujours dans d'anciennes mines. H est fort proba])le que ces
instruments étaient employés dans les mines préliispaniques,
bien qu'il soit difficile de s'imaginer dans quel but. Ces bâtons
en pierre sont presque trop fragiles pour avoir servi de leviers
ou pour avoir été employés comme les mèches ou fleurets
d'aujourd'hui.
134 ANTIQUITFÎS DE LA. RÉGION ANDINE.
Métaux. — Les objets en or et en argent, du temps préhis-
iDaniqiie, sont rares clans la région diagnite.
En or, je ne connais que les ornements de tète de Lapaya,
dont quelques-uns ont été décrits par M. Ambroselti (22, p. i?.i ),
et d'autres, dans le présent travail , page 2 1 8 etfi(j' 13. Mais ces
objets sont trj^ vraisemblablement, comme je l'exposerai en
les décrivant, d'origine péruvienne. Comme argent, je ne
trouve, parmi tous les objets figurés par M. Ambrosetti, qu'une
petite plaque (19, p. 201) provenant d'Encalilla (Tucuman). Un
renseignement de M. Quiroga (295, p. 506) semble pourtant dé-
montrer que les anciens liabitants de la région diaguite exploi-
taient l'argent natif qui se trouve dans bur pays. M. Quiroga a
recueilli, à Rio del Inca (Tinogasta) , un spécimen de ce métal,
placé dans une petite écuelle qui était renfermée dans une
urne contenant des os bumains. Le P.'I'cclio (341; 1. 1, c. xix; p. i5),
en parlant des métaux des Calcliaquis, mentionne l'argent et
le cuivre, mais non pas l'or : jEris et arcjcnli, cjiio non carcnl,
exujiiiis nsus.
Le cuivre est fréquent. M. Ambrosetti (29) a réuni dans l'un
de ses derniers travaux toutes les figures d'objets de cuivre de
la région diaguite, publiées jusqu'en i9o4- Ce travail est un
recueil très complet de ce que l'on conn:iit sur le cuivre de
cette région. 11 contient les catégories suivantes : poinçons,
couteaux, ciseaux, liacbes à oreilles, baclies plates rectangu-
laires emmancbées comme nos berminettes, spatules, liacbes
à pédoncule central (les tuniis d'Ambrosetti) , aiguilles, tojws,
bagues, bracelets, plaques diverses et objets de parure, clo-
cbettes, épiloirs, petites boules de formes variées, casse-tète,
« baclies de cérémonie » , « sceptres » , manopîas (sortes de cestes),
cloches, plaques «pectorales et frontales», disques. Dans le
présent travail sont décrits des objets de la plupart de ces
catégories, trouvés pendant mon voyage ou provenant de
Lapaya.
Le cuivre est presque toujours allié à une petite quantité
d'étain, comme le montre notre tableau d'analyses. M. Am-
REGION DIAGUITE.
135
brosetti, pour celte raison, nomme ce métal du «bronze».
Mais ce terme est généralement employé pour désigner un
alliage où il y a environ lo p. loo d'étain. Or la plupart des
pièces sud-américaines en contiennent beaucoup moins. Je
préfère donc conserver le nom de « cuivre ».
11 n'existe presque aucun renseignement sur les mines dont
l'exploitation date authentiquement de l'époque préhispa-
nique. Celles que cite M. Ambrosetti sont d'un âge très dou-
teux. Les seuls vestiges authentiques de l'industrie minière
préhispanique sont les marays et les débris de hiiairas que
j'étudierai plus loin, à propos des anciennes mines de Cobres,
sur le haut plateau de la Puna. Il est presque certain que tout
le cuivre de la région diaguite a été fondu dans des huairas,
comme le cuivre du Pérou. Les minerais d'argent étaient aussi
fondus dans cette sorte de fourneaux. Quant à l'or et l'argent
natifs, peut-être employait-on la méthode que décrit Gieza
(101, c. Gxiv, p./i52), suivant lequel les Indiens fondaient ces métaux
dans de petits fours en terre cuite, où ils soufflaient avec des
chalumeaux. Benzoni (58, fol. /tg, 169) donne deux figures repré-
sentant des Indiens fondant de for dans une écuelle où ils
soufflent avec des chalumeaux ^'l
Presque tous les objets en cuivre ont leurs équivalents parmi
('' M. Ambrosetti (30, p. i33) décrit un
objet énigmatique provenant de Pampa
Grande (Salta), sorte de capsule fermée en
terre cuite , d'environ o"" 2 3 de diamètre et
o"' 1 5 de hauteur maximum. Cette capsule
ne présente d'autres ouvertures que quatre
trous circulaires de o'"02 5 de diamètre.
Quoiqu'il n'y ait pas de traces que la pièce
ait été soumise au feu, M. Ambrosetti sup-
pose que c'est un creuset pour fondre des
métaux, notamment du enivre, ce qu'il est
fort dillicile de comprendre, car la mani-
pulation de cette capsiJe avec son contenu
de métal fondu semble impossible. En tout
cas, s'il s'agit en efl'et d'une sorte de creu-
set, il n'aurait certainement servi que pour
fondre des métaux purs, jamais des mi-
nerais, et l'air y aurait été introduit au
moyen de chalumeaux. xMais l'auteur sup-
pose encore que c'est une hiiaira que l'on
plaçait sur les collines pour que le vent
entrât par les trous et fournit ainsi l'air
nécessaire pour Ibndre le minerai. Ceci est
absolument impossible. Nous connaissons
les huairas, dont je reproduis plus loin la
figure d'après le P. Barba. Quelle ressem-
blance peut-on trouver entre ces fourneaux
et la poterie que décrit M. Ambrosetti ?
D'ailleurs, comment pourrail-on s'imaginer
que les Indiens eussent construit un four-
neau de dimensions si minimes pour le
mettre sur le sommet d'une montagne
afin que le vent fit fondre le minerai (pi'il
contenait?
136 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
ceux découverts au Pérou. S'il y avait des objets spécifiques de
cette dernière région, ce seraient les manoplas, les cloches et les
disques. Les manoplas sont une sorte de cestes, adaptables à
la main et pouvant être employées comme les coups de poing-
nord-américains modernes, en fer. Elles se composent d'une
partie droite, plane et relativement étroite, sans ornements,
destinée à être saisie par la main , à suj)poser toutefois que la
manopla était prise comme ces coups de poing. L'autre partie
de finstrument, celle qui, dans ce cas, devait couvrir fexté-
rieur de la main, est plus large, courbée, bien polie; trois
exem23laires sur huit connus sont pourvus de petits perroquets,
formant une sorte de boutons, qui correspondraient aux
pointes que Ton voit à f extérieur des couj)s de poing nord-
américains. Sur le côté du petit doigt, les manoplas ont toutes
des appendices qui, toujours dans le cas où elles étaient des
armes, pouvaient être employés pour donner des coups en
levant la main. M. Lafone-Quevedo (200), se basant sur des
passages de Cobo et d'Acosta, prétend expliquer ces manoplas
comme attributs tenus en main pendant certaines prières au
dieu Huiracocha; mais cette explication ne me jDaraît pas fon-
dée sur des raisons satisfaisantes. M. Ambrosetti (29,p. 25i-256)
donne les figures des huit manoplas de la région diaguite. Elles
proviennent de Salta et de Catamarca. M. D. S. Aguiar (6, p. A9)
en reproduit une autre, provenant du département d'Igiesia,en
San Juan. Jusqu'ici on ne connaissait pas fexistence de ces
manoplas dans d'autres régions de fAmérique du Sud, mais
au Congrès international des Américanistes tenu à Stuttgart
en août 190^, j'ai vu entre les mains du D"" A. Plagemann, de
Hambourg, une manopla typique qu'il avait trouvée à Taltal,
sur la côte du Pacifique ^^l
On connaît une dizaine de cloches en cuivre de la forme de
'"' Ayant mal interprété les renseigne- Brouce en la Rcrjioii CalcJuui ni, ^a.v i.-B. Am-
ments de M. Plagemann, j'ai donné na- nnosioTTi, dans le Journal de la Société des
guère cette m«nop/a comme trouvée dans Aniéi-icaiiislca de Pari<; , n. série, t. Il,
la province de Tarapacâ, alors quelle a p. i5i, njoT)).
été rencontré à Taltal (Analyse de El
REGION DIAGUITE. i;i7
celle de Lapava,y?</. là a-d, la plupart trouvées dans la Vallée
Calchaquie. Des cloches de cette Ibrme, en métal, n'ont pas
encore été rencontrées hors de la rég^ion dont nous nous occu-
pons, mais la cloche en bois de Calama, de cette même forme si
particulière, décrite et reproduite plus loin, fait supposer que
des cloches semblables en cuivre seront exhumées en Bolivie,
lorsque ce pays sera exploré archéologiquement.
Comme spécialité de la région diaguite, il ne nous reste
donc que les disques fondus, si richement décorés de figures
humaines, de serpents, etc. Mais des disques en cuivre ont été
rencontrés aussi en Bolivie et au Pérou. Provenant du pre-*
mier de ces pays, la Mission Française en possède plusieurs
dans sa collection. Il est vrai que le décor des disques de la
région diaguite est très spécial, mais l'ornementation par'i-
culière de certaines pièces archéologiques ne suffît pas à dé-
montrer fautonomie de la « culture calchaquie » par rapport à
celle de fancien Pérou.
M. Ambrosetti prétend aussi que les haches qu'il nomme des
« sceptres» sont caractéristiques de la région diaguite. En fait,
elles ne représentent qu'une des* innombrables manières de
décorer les haches de guerre, dont nous trouvons une si grande
variété dans toute la partie andine de fAmérique du Sud.
Bois sculpté. Os sculpté. — Le climat de la région des Dia-
guites n'a permis que dans des cas exceptionnels la conserva-
tion des objets ]:)réhistoriques en bois.
Une petite figure humaine en bois, de Santa Maria, a él(''
publiée par M. Lafone-Quevedo (191, p. 20) et reproduite par
M. Ambrosetti (19, p. 23), qui donne aussi (19, p. 43, et 23, p. 28) l(^s
figures des deux tablettes en bois, ornées de sculptures, d(^
Quilmes (Vallée de Yocavil) et de Calingasta (San Juan). Je
parlerai de ces tablettes en décrivant des pièces de la même
catégorie trouvées à Pucara de Rinconada, à Calama el à Chiii-
chiu. M. Ambrosetti (22, p. i3o) représenle égal(>ment d(^ petites
pièces en bois, de Lapaya, qui étaient pi'obnhlciiienl les hches
138 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
de quelque jeu. Une cuillère en bois, de Hualfin (Belen), est
publiée parM.Bmch (80, p. ii),et une autre, trouvée à Amaicha,
dans une urne funéraire, par M. Ambrosetti (19, p. 200).
Les paysans qui recueillent les antiquités détruisent natu-
rellement les fragiles objets en bois. Lorsque des archéologues
étudieront sur place les gisements de la région diaguite , nous
en connaîtrons davantage.
Les pointes de flèches en os sont communes dans toute la
région. M. Ambrosetti (22, p. 128, et 23, p. 4649) donne les figures
de quelques-unes d'entre elles, de Santa Maria, de Lapaya et
de Calingasta (province de San Juan). Trois pointes en os, de
Lapaya, sont reproduites ^g. 13 et décrites page 2 35.
Les objets très variés, taillés et sculptés en os, ne sont pas
rares non plus, mais les seules figures connues sont une grande
épingle, portant une figure humaine, et une petite plaque
avec deux figures humaines gravées, publiées par M. Ambro-
setti (19, p. 127,34).
Les calebasses pyrogravées se trouvent dans la région dia-
guite, de même que dans les diverses parties du haut plateau
andin, mais on peut rarement en recueillir, car elles ont
presque toujours été détruites par faction du temps. M. Am-
brosetti (23, p. 70-71, 79) publie des dessins sur calebasses, de
Molinos (Salta) et de Santa Maria (Catamarca).
Industrie textile. Vêtements. — Le climat des vallées des
Diaguites n'a pas, aussi bien que celui du haut plateau ou de
la côte du Pérou, conservé les tissus dans les sépultures. Cepen-
dant on trouve quelquefois des fragments d'étofPes qui peuvent
donner une idée de fart textile des habitants préhispaniques.
M. ten Kate (343, p. 17) a rencontré, à Fuerte Quemado, «des
restes, encore en bon état, de ponchos''^\ en laine d'une espèce
iVAuc/ienia , avec lesquels les cadavres avaient été inhumés».
'"' Le poncho est, comme on le sait, le siste en une pièce d'étoffe carrée, au mi-
vêtement encore aujourd'hui en usage lieu de laquelle est ménagée une ouverture
dans toute TAmérique espagnole : il con- (fente) pour passer la tête.
RÉGION DIAGUITE. 139
M. Quiroga (304, p. 34 et suiv.) dit avoir exhumé de nond)reiix
fragments de tissus, de cordes, de fds, au cours des fouilles
qu'il a effectuées à Quilmes, à San Fernando (Belen) , à Ilualfiii ,
et dans l'ancien cimetière de l'Apaclieta, près d'Amaicha. En
ce dernier endroit, les cadavres étaient ensevelis dans du sable.
M. Quiroga « y trouvait à chaque instant des fragments de tissus,
de dix à soixante centimètres de longueur, mais très détériorés
par le temps». Il lui parut «qu'il s'agissait de fragments de
chemises [caiivsetas) , de ponchos, de tuniques [iûnicas) , de cein-
tures, etc. Le tissu était très fin, tellement fin que quelques-
unes de ces étoffes ressemblaient à des tissus de fabrication
européenne. Le jaune, le rouge et le brun étaient les couleurs
les plus communes. On voyait peu de spécimens de deux ou
plusieurs couleurs, et, dans ce cas, le décor formait des raies,
des lignes brisées avec des appendices en forme de languettes,
des bordures composées de grecques. Les étoffes étaient en laine
de lama, de huanaco ou de vigogne. Il y avait deux ou trois
échantillons en laine de mouton [?) , ce qui prouverait que fou
avait continué à enterrer les cadavres dans ce cimetière après
l'arrivée des Espagnols ».
Les tissus de Quilmes, déterrés par M. Quiroga, avaient un
décor plus compliqué que ceux de l'Apacheta.
H est à regretter que M. Quiroga n'ait pas gardé tous ces
fragments; il en est de même pour les collectionneurs d'anti-
quités diaguites en général : ils ne trouvent pas que ces frag-
ments de vieilles étoffes vaillent la peine d'être conservés.
Cependant ce matériel serait indispensable pour une étude
comparative de fancienne industrie textile de la région diaguite
avec celle du Pérou et des différentes régions du haut plateau.
En ce qui concerne les échantillons de tissus en laine de mou-
ton, il est en effet, comme le dit M. Quiroga, assez probable
que plusieurs cimetières préhispaniques ont continué à servir
de lieu de sépulture pour les Indiens pendant un certain temps
après la conquête. Ce n'est qu'après leur conversion au christia-
nisme que les Indiens ont abandonné ces cimetières pour être
140 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
enterrés dans nn terrain consacré par le rite catholique. Mais,
d'autre part, la distinction entre la laine de mouton et celle des
diverses espèces (VAiicheniaipeiii difficilement être faite sans un
examen microscopique, et il ne faut accepter ces classifications
que sous réserve.
Dans fouvrage cité, M. Quiroga (304, p. 44 et suiv.) donne une
description intéressante, accompagnée de bonnes figures, des
procédés actuellement en usage chez les métis pour la con-
fection de leurs jolis tissus en laine de vigogne et de huanaco.
Les femmes de Belen sont renommées dans le pays pour cette
industrie. Les procédés de confection et le décor de ces tissus
sont une tradition surtout préhispanique , quoique les tisseuses
aient aussi beaucoup appris depuis la conquête espagnole.
A propos de Texcellente qualité des tissus en laine de lama
de fancien Tucuman, Techo (341; l.i, c. xix;p. i5) nous dit que
quelques-uns de ces tissus paraissaient être en soie : lanamni
vero longe major, qiiam nostratibus tenuitas : ex his omnis generis
vestis sericas maxime rejerentes , texiintiir.
Au contraire, il n'est pas très certain que les Diaguites culti-
vaient du coton, bien que Garcilaso de la Vega (140; 1. vm, c. wm;
fol. i84) cite des tissus de coton parmi les cadeaux que les Indiens
de Tucma offrirent à flnca Yupanqui. Il semblerait plutôt que
le coton fut introduit en Tucuman par les Espagnols.
Le vêtement principal des Diaguites était la tunique ou
chemise péruvienne, mais en général plus longue, paraît-il,
que celle en usage au Pérou. Cette camîseta, uncii en quichua,
sans manches ou avec des manches très courtes, est toujours
mentionnée par les chroniqueurs comme une caractéristique
des peuples appartenant à la civilisation péruvienne. Bârzana
(55,p. Lvii) dit que les Indiens qui dépendaient de Santiago et
de Tucuman étaient «vêtus comme les PéruAiens». Il fait allu-
sion, naturellement, aux Indiens des montagnes, les Diaguites,
car ceux de la plaine — d'Esteco — étaient au contraire « cou-
verts de plumes de nandou, et les femmes avaient des pagnes
très petits». Narvaez (253, p. 147) nous informe que les Diaguites
REGION DIAGUITE. 141
des vallées de Catamarca portaient des camisetas muy larcjas
(très longues) , mais qu'ils n'employaient pas de manias (mantes)
« pour être plus libres de leurs mouvements pendant les ba-
tailles». Nous avons cité, page 29, la description des PP. Pio-
mero et Monroy d'a^^rès laquelle les Diaguiles de la Vallée Cal-
chaquie « se vêtaient d'une chemise qui leur allait jusqu'au
cou-de-pied ».
Bien que Narvaez dise que les Diaguites n'employaient pas
de mantes [ponchosj , il est probable cependant qu'ils en avaient,
comme c'était le cas des Comechingons de Cordoba, dont
quelques-uns, d'après le même Narvaez [ibid, p. i5i), avaient des
camiseta:< , d'autres des mantas.
Les Diaguites aussi bien que les Comechingons ornaient leur
tête dej^lumes, fixées dans une Jiuincha (bandeau fronlal), géné-
ralement en laine. Piomero et Monroy (350, fol. 16) et Cabrera
(88, p. i4o) mentionnent ces décors de plumes.
Ces vêtements : tunique longue et plumes sur la tête, se
voient sur les figures peintes dans la grotte de Carahuasi (voir
page 170).
Ajoutons que les Diaguites portaient des usiitas, sandales en
cuir, d'après Piomero et Monroy. Les «patins» qui figurent
dans la traduction française de leur lettre, page 29, sont des
saiidah dans f édition italienne originale. Des sandales de même
sorte se retrouvent dans les tombeaux anciens du haut pla-
teau, et ces usutas sont toujours les chaussures habituelles des
Indiens du haut pays et aussi des métis des vallées argentines,
où cependant les chaussures européennes, surtout les bottes,
les ont supplantées en partie. Les Diaguites devaient être habiles
dans f emploi de la peau, particulièrement pour reher les divers
morceaux de leurs armes ou de leurs instruments, comme le
font si bien encore de nos jours les métis, leurs descendaiils.
Mais tous les débris des anciens ouvrages en ])eau semblent
perdus; du moins n'en ai -je pas vu (féchantillons dans les
musées ou dans les collections.
142 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
SEPULTURES.
Les fouilles méthodiques qui ont été faites dans les sépul-
tures préhistoriques de la région diaguite sont rares. Les prin-
cipales sont celles de M. Lafone-Quevedo (191) à Ghanar-Yaco,
près d'Andalgalâ, et de M. Carlos Bruch (80) dans les environs
de Hualfin (Belen). Ces auteurs donnent de bons plans et de
bonnes figures des sépultures qu'ils ont examinées. Un peintre,
M. Adolphe Methfessel, qui a accompli un voyage pour le
compte du Musée de La Plata, a exécuté aussi des fouilles
dans un grand nombre de sépultures, principalement en Santa
Maria. Les esquisses de ces tombes ont été publiées par
M. ten Kate (343, p. 1 1 et suh.). Récemment, en 1 906 , une mission
envoyée par la Faculté de philosophie et de belles-lettres de
Buenos-Aires, sous la direction de M. Ambrosetti, a étudié un
très intéressant cimetière et d'autres séj^ultures aux environs de
Pampa Grande, dans le département de Guachipas (Salta).
Les modes funéraires de la région diaguite 23résentent une
très grande variété. Comme caractères généraux, on n'en j^eut
citer que deux : les jambes, sans exception, et le plus souvent
aussi les bras du mort, sont plus ou moins repliés en avant vers
le corps, les genoux touchant quelquefois la poitrine; avec le
cadavre, il y a toujours des objets enterrés, spécialement des
poteries, dont les plus communes sont les écuelles dénommées
par les métis actuels pucos, mot quichua [piicu) qui signifie
simj)lement « écuelle » ou «assiette». Et ces caractères sont
communs à presque toutes les sépultures de la région andine
de fAmérique du Sud, pour ne pas dire à la plupart des séjiul-
tures anciennes du continent américain.
Les squelettes, avec les jambes re23liées comme il est dit
ci-dessus, se trouvent souvent couchés sur le dos ou sur le
côté. Cependant j'en ai trouvé dans une position verticale.
Le crâne qui figure sous le numéro 1 dans l'ouvrage du
D"" Cbervin (99, i. m) appartenait à un cadavre enseveli dans
REGION DIAGUITE. 143
cette dernière position, exhumé par moi à Piedra Blanca, près
de la ville de Catamarca. Auprès de lui était une écuelle avec
ornementation peinte. Cette position verticale des cadavres est
générale dans la Quebrada del Toro, comme nous le verrons
plus loin. Quelquefois le crâne est séparé du corps et enterré
à quelque distance. Ten Kate (343, p. 12) donne la figure d'une
de ces sépultures, et M. Ambrosetti (30, p. 43, 106, 108) a observé
le même fait à Pampa Grande.
Quant aux poteries trouvées dans les sépultures, elles ont
probablement contenu des aliments destinés au mort. Les vases,
de différentes dimensions, quelquefois très grands, ne sont pas
rares. Il faut distinguer ces vases — qui étaient selon toute pro-
])abilité des récipients pour les aliments ou les boissons — des
urnes funéraires, dénomination sous laquelle je comprends
seulement celles qui contiennent des ossements. Les auteurs
parlent toujours d'« urnes funéraires » , mais il faut accepter ce
terme avec une certaine réserve, parce que, en général, il n'est
pas du tout certain que les vases ainsi dénommés aient servi de
cercueils. Les vases et les écuelles rencontrés auprès des cada-
vres sont quelquefois décorés, et leur décor a été pris pour des
« figures symboliques». Lorsqu'il s'agit de simples poteries de
ménage enterrées avec le mort, cette théorie n'est pas admis-
sible : rien de plus rationnel, en effet, que cette ornementation
ait simplement eu un but esthétique.
Chaque sépulture contient un ou deux individus, rarement
trois ou quatre. Les sépultures se trouvent isolées, forment
de petits groupes ou constituent des cimetières consicférables.
M. Ambrosetti (18, p. 53-54) a découvert à Quilmes des tombes
dans le sol des habitations. Des grottes ou abris sous roche
naturels ayant servi de sépulcres sont mentionnés par M. Mo-
reno (244, p. 17) et par M. ten Kate (343, p. i3).
Souvent aucun signe extérieur ne dénonce les sépultures;
d'autres sont signalées par la présence de pierres rassend)lées
(Ml tas ou disposées en lignes; quelquefois ces pierres forment
une simple ligne droite, d'autres fois des carrés, des rectangles,
144 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
(les cercles simples ou deux cercles concentriques, des demi-
cercles, des ellipses, etc. Très rarement, un petit tumulus en
terre marque Tenq^lacement de la tombe.
Les cadavres gisent à peu de profondeur, de o"" 5o à 2 mètres.
Ils sont généralement déposés dans une fosse sans revêtement;
mais quelquefois les parois de celle-ci sont garnies de murs en
pirca formant des puits funéraires cylindriques ou rectangu-
laires, ou Lien le cadavre est entouré d'alignements souterrains
de pierres en forme de cercles, ellipses, rectangles ou carrés.
On trouve aussi, d'un côté du squelette seulement, une pirca,
un alignement de pierres droites, un demi-cercle de pierres, un
simple monceau de j^ierres ou enfin un entassement de pierres
formant une pyramide renversée souterraine. Des pyramides
de cette sorte sont placées quelquefois au-dessus des cadavres
après qu'ils ont été recouverts d'une couche de terre.
Il existe des tombes souterraines voûtées qui, à en juger
parleur mobilier funéraire, paraissent avoir été en usage pour
les personnages de distinction. M. ten Kate (342, p. 339) décrit
et figure une de ces tombes, de Pena Blanca, près de San
Antonio del Cajon, en Santa Maria. Cette chambre mortuaire
a G™ 80 de hauteur, o'" 70 de largeur. M. Ambrosetti (18, p. 54)
décrit d'autres tombes voûtées, de Quilmes.
A Antofagasta de la Sierra , dans le sud de la Puna de Ata-
caina, il y a, d'après des informations recueillies par M. Ambro-
setti, des tombes souterraines dont les parois et la toiture sont
formées par de grandes dalles de schiste placées verticalement
j^our les premières et horizontalement pour la toiture.
Les urnes funéraires trouvées dans la réiiion diaouilo con-
tiennent surtout des squelettes d'enfants en bas âge et forment
ces cimetières spéciaux, si caractéristiques à la région, et que
je décrirai ensuite. Des urnes servant de cercueils aux adultes
existent aussi : on en a trouvé à Chanar-Yaco et à Pampa
Grande.
L'enterrement dans des urnes n'appartient pas à la race an-
REGION DIACUÎTE. 1^5
dine de rAmérique du Sud. De l'ancieu Pérou, on ne connaît
que des exemples isolés et tout à fait spéciaux de ce mode d'en-
terrer. Parmi les régions appartenant à la civilisation péruvienne,
celle des Diaguites est la seule où Ton trouve, généralement
j^arlant, des urnes servant de cercueils. Cette coutume est donc
due à des influences autres que celles du Pérou.
Le cimetière de Cliafiar-Yaco était composé de cinq sépul-
tures dont l'emplacement est désigné à la surface du sol par
des cercles de pierres. Chaque sépulture renferme un squelette
introduit dans une grande urne, sans décor, à une excej^tion
près. Autour des urnes, M. Lafone-Quevedo trouva de nom
breuses poteries décorées.
Clianar-Yaco olfre un exemple d'un cimetière où tous le?
cadavres sont enterrés dans des urnes ; il y avait quatre adultes
et un enfant. M. Lafone-Quevedo croit que ces cimetières ne
proviennent pas du peuple qui enterrait les morts directement
dans la terre. Le D*" F. P. Moreno est du même avis. D'aj)rès
lui, les urnes contenant des adultes remontent à une époque
plus reculée et sont de types plus primitifs que les urnes d'en-
lants. Je suis de la même opinion. Cependant je crois qu'on doit
distinguer en deux catégories les sépultures d'adultes dans des
urnes : celles du type Clianar-Yaco, qui contiennent de la cé-
ramique fine, décorée, et celles qui ne contiennent que de la
poterie grossière, où manque conq:)lètement la céramique d'arl.
J'attribue cette dernière catégorie de sépultures à des Tiipis-
Guaranis venus de l'Est et qui, à une certaine époque, doivent
avoir occupé une j^artie de la région diaguite. Je développ(M'ai
cette théorie en décrivant les cimetières d'El Carmen et de
Providencia. En étudiant ces cimetières, je me demandai si
Chafiar-Yaco ne devrait pas être considéré comme appartenant
à cette dernière catégorie, mais la poterie décorée ([ui y a été
trouvée s'oppose à cette conclusion.
Le cimetière de Pampa Grande a été d(''c lil par M. Vndii-osclli
(30, p. 69 eisuiv.); sa description estacconipagnée d'un plan, d'une
coupe verticale {Und., p. ()(>) et de nond)r<Mis;vs |)li()l()grapliies. Les
146 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
sépultures sout rangées en ligne presque droite le long d'un
affouillement naturel du terrain , une « barranca » formée par un
torrent. On n'a fouillé que le bord de cette barranca, mais yrai-
semblal)lement le cimetière continue en s'éloignant du torrent.
Le cimetière de Pampa Grande comprend des sépultures de ca-
tégories les plus diverses : i" Adultes enterrés directement dans
la terre , avec de la j^oterie grossière ou sans avoir auprès d'eux
d'objets d'aucune sorte. 2" Adultes enterrés directement dans
la terre, ayant auprès d'eux de la poterie du type commun
de la région diaguite. Les cadavres de la première catégorie
ont été, dans deux cas, remués en creusant les fosses pour les
cadavres de la deuxième catégorie. S*' Urnes contenant des
squelettes de petits enfants qui, selon M. Ambrosetti [ibid, p. 191),
avaient tous « des dents de lait , dont la plu2)art n'étaient pas
sorties des alvéoles ». Une partie de ces urnes sont du type des
urnes décorées des cimetières d'enfants de la Vallée de Yocavil,
dont nous parlerons ensuite; d'autres sont grossières, mais
contiennent quelquefois de petites écuelles décorées , du style
de la céramique de la région diaguite. En général, les urnes
grossières se trouvent au-dessous des urnes décorées, et jamais
le contraire. Cej)endant les deux sortes d'urnes proviennent
prol)ablement du même peuple ; peut-être les urnes grossières
sont-elles d'une époque où il n'y avait pas dans la localité d'ar-
tiste assez babile pour confectionner des urnes spéciales, de
décor compliqué. 4" Une urne grossière renfermant un sque-
lette d'adulte qui, à en juger par la jDOsition des os, y avait été
enseveli immédiatement après sa mort. Cette urne, qui porte
le n" 201 dans l'ouvrage de M. Ambrosetti {ibid., p. 89, fig. 89), était
couverte d'un autre vase renversé et formait, avec ce couvercle,
un espace intérieur d'environ i"" de hauteur et 0^76 de dia-
mètre maximum. Auprès de l'urne il n'y avait qu'un petit vase
en céramique grossière, sans décor. L'urne se trouvait au-des-
sous d'une série d'urnes décorées contenant des enfants; mais
rien n'indique qu'elle soit contemporaine de celles-ci. Dans
divers endroits aux environs de Pampa Grande , M. Ambrosetti
REGION DIAGUITE. IM
et ses collègues ont exhumé d'autres urnes grossières analogues,
contenant également des os d'adultes.
M. Ambrosetti [ibid., p. 19/1-196) se déclare convaincu que les
sépultures de Pampa Grande proviennent d'époques et de
]:)euples différents. 11 distingue deux types de céramique, l'ini
constitué seulement j^ar de la poterie grossière, l'autre com-
prenant des urnes et d'autres objets du style général de la
région diaguite (« calchaquie «). Les deux types ont été rencon-
trés séj^arément ou, quand ils se trouvaient mélangés, certaines
circonstances démontraient que ce mélange était accidentel. La
jjoterie grossière se trouvait toujours au-dessous de la poterie
du second type. 11 est en effet de toute évidence que les trou-
vailles de Pampa Grande proviennent de diverses époques. La
lecture du rapport de M. Ambrosetti m'amène à en distinguer
trois. A l'époque la plus reculée apj)artiendraient l'urne conte-
nant un adulte et les autres urnes semblables rencontrées dans
divers endroits. Ces urnes présentent des analogies avec celles
que j'ai exhumées à El Carmen. Les cadavres enterrés directe-
ment dans la terre, ou au n:>oins une partie de ces cadavres,
constitueraient la seconde catégorie. Quant aux urnes contenant
des enfants, je crois qu'elles sont indépendantes des autres
sépultures et qu'elles forment l'un de ces cimetières spéciaux
d'enfants dont nous parlerons ensuite : aucune de ces urnes ne
se trouvait au-dessous d'une sépulture d'adidle, et rien ne dé-
montre que l'on ait enterré une urne d'cnlant dans l'une de
ces dernières sépultures. D'autre part. Pampa Grande est une
petite vallée fertile et bien pourvue d'eau. 11 n'existe pas ])eau-
coup de localités dans ce district montagneux qid olïrent ces
avantages; l'endroit a dû être habité à toutes les époques par
différents peuples qui s'y sont succédé.
Aucune répartition géog raphique n'est possible des sépultures
si variées (h^ In légion diaguite : comme à Pauq^a Grande, on
renconire j^arlout des t()ml)es d(^ cah'goiies les plus opposéi^s
et quelcpielois très près les unes des autres. Ces (bllerences cor-
148 ANTIQUITES DE LA REGIOxN ANDINE.
respondent-elles à divers peuples, à diverses époques, à diverses
tribus, à diverses classes sociales? Ce sont là des questions que
seule pourrait résoudre une longue série de fouilles métho-
diques.
Les Incas et les Espagnols imposaient très fréquemment aux
tribus leur déplacement d'une région à Tautre, souvent à drs
distances énormes. Ces migrations forcées ont naturellement
contribué à diversifier les sépultures, chaque tri])u apportant
avec elle ses coutumes funéraires.
CIMETIERES
D'ENFANTS ENTERRÉS DANS DES URNES.
Passons maintenant à une autre catégorie de cimetières qui
existent exclusivement dans la réi>ion diaii^uite : les cimetières
spéciaux d'enfants en bas âge, ensevelis dans des urnes de
formes particulières, couvertes de dessins symboliques poly-
chromes. Ces cimetières appartiennent probablement, à en juger
par la j)oterie trouvée avec les urnes funéraires, au peuple qui
a enterré ses cadavres directement dans la terre, et non à celui
qui se servait des urnes comme cercueils pour les enterrements
ordinaires, ainsi qu'à Chanar-Yaco par exemple.
Le comte de La Vaulx (366) est le premier voyageur qui ait
fouillé l'un de ces cimetières d'une manière méthodique. Ce
cimetière est situé à ElBanado, près des ruines de Quilmes.
M. Ambrosetti (18, p. 55 et suiv.) en a fouillé un autre, situé aussi
dans les environs d'El Banado; mais, en dehors de descriptions
d'urnes et de spéculations sur la signification symbolique de
leur décor, le seul renseignement qu'il nous fournisse sur ce ci-
metière, c'est que les urnes contenaient des squelettes de j)etits
enfants. Il ne dit rien de la manière dont elles étaient groupées,
rien non plus sur les objets qui devaient être placés autour ou
à l'intérieur de ces urnes. A ces fouilles il faut ajouter celles
de Panq^a Grande dont nous venons de parler.
RKGION DIAGUITE. 149
J'ai été assez heureux pour découvrir i'un de ces cime-
tières d'eulants, assez loiu de la région calchaqule, à Arroyo
(\e\ Medio, dans la province de Jujuy, à la lisière du Grand
Chaco. Une description de ce cimetière est insérée à la lin de
cet ouvrage.
Les fouilles d'El Banado, de même que tous les renseigne-
ments que j'ai pu recueillir à ce sujet, démontrent que les
urnes contenant des enfants forment généralement, dans la ré-
gion diaguite, des cimetières sj^éciaux où il n'y a pas d'adultes.
Les trouvailles de Pampa Grande semblent peut-être s'opposer
à cette thèse, mais, comme nous l'avons dit, il est probable ([ue
la série d'urnes d'enfants qui y ont été découvertes est indé-
pendante des autres sépultures. Même si ces urnes étaient
contemporaines des cadavres enterrés directement dans la
terre, le nombre des urnes et celui de ces derniers indiquent
qu'il s'agit d'un cimetière destiné spécialement à l'enterrement
de petits enfants ensevelis dans des urnes. Il n'y a que sept
cadavres d'adultes, dont il faut écarter quelques-uns qui mani-
festement appartiennent à une époque dilï'érente. Les urnes
contenant des enfants sont beaucoup plus nombreuses : il en
existe plus de vingt. Cette proportion n'est pas normale : un
cimetière ordinaire ne contiendrait pas vingt enfants pour
seulement trois ou quatre adultes. La série d'urnes de Pampa
Grande doit donc être considérée comme un cimetière spécial
d'enfants. Quant aux cimetières d'El Banado, autant M. de La
Vaulx que M. Ambroselti aiïirment qu'il n'y avait pas d'adultes.
M. de La Vaulx décrit très clairement comment il y a trouvé les
urnes : par groupes, dont chacun se composait d'une grandi»
urne de forme particulière entourée de quatre ou cinq ])his
petites. La première aussi bien que les dernières conlenaienl
(h's restes d'enfants. Les groujoes étaient 2:)eu éloignés Tun de
l'autre.
On rencontre quelquefois, il est vrai j^ar e\c<»plion, une
ou deux de ces urnes lyj)iques hors d'un cinu^lière, mais en-
terrées dans un endroit isolé. M. de La Vaulx (366. p. 176) men-
150 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
tioniie un de ces cas, à Quilmes : trois urnes déposées dans une
sorte de grotte, l'une contenant deux squelettes d'enfants, une
autre des cendres, et la troisième des résidus d'aliments décom-
posés. Je dois aussi parler, comme se rapportant à cette ques-
tion, de quelques urnes contenant des squelettes d'enfants et
provenant de la Quebrada del Toro et de la Puna de Jujuv,
reliions situées immédiatement au nord de la région diaguite.
Ce sont quatre cadavres d'enfants enterrés dans des urnes
d'une céramique grossière que j'ai trouvés dans le cimetière
de Morohuasi (voir p. 344) ^ivec un grand nombre de cadavres
d'adultes, non enterrés dans des urnes, et un autre squelette
d'enfant, de Paerta de Tastil, aussi enterré dans une urne
(voir p. 362). D'autre part, un enfant enseveli dans une urne
sans décor a été trouvé j^ar la Mission Suédoise de 1901, à
Casabindo, dans la Puna de Jujuy. Cette urne était déposée,
avec des cadavres d'adultes, dans l'une des grottes funéraires
si communes dans cette région. Enfui M. Ambrosetti (23, p. ir>)
reproduit une «momie d'enfant avec son urne funéraire, de
Rinconada .) (Puna de Jujuy), cette dernière également gros-
sière, sans décor. L'auteur ne donne pas d'autres renseigne-
ments.
Personne jusqu'à présent ne s'était donné la peine de déter-
miner l'âge des enfants contenus dans les urnes de la région
calcliaquie. Parmi les enfants de la Quebrada del Toro (Moro-
liuasi et Puerta de Tastil), quatre étaient des fœtus, le cin-
quième avait deux ans; deux d'Arroyo del Medio avaient plus
d'un an, un était plus âgé encore, et le dernier était un fœtus à
terme. Le D*" Verneau, à qui je dois la détermination de fâge
des enfants de la Quebrada del Toro, a bien voulu déterminer
aussi l'âge des deux crânes trouvés par M. de La Vaulx dans la
grotte de Quilmes et actuellement conservés dans la galerie
d'anthropologie du Muséum d'histoire naturelle. Ces enfants
ont l'un et l'autre 3o à 32 mois, en supposant toutefois que le
développement de la dentition soit le même chez ces peuples
REGION DIAGUITE. 151
que chez les Européens. Les deux crânes présentent nne défor-
mation occipitale artificielle. Il existe beaucoup d'urnes funé-
raires « calcliaquies » dans les musées et les collections, mais
nous en avons peu de renseignements. La détermination de
l'âge des enfants que fon trouve dans les urnes serait extrê-
mement intéressante. D'ajDrès les restes que j'ai eu foccasion
de voir, je crois que la plupart de ces enfants sont des fœtus
à terme ou des nouveau -nés.
M. de La Vaulx (366,p. 170) dit n'avoir rencontré que des
crânes dans les urnes du cimetière d'enfants fouillé par lui à
El Banado; il assure qu'il n'a pu découvrir aucune trace des
autres os du squelette. Cependant j'incline plutôt à croire que
ces urnes, comme c'est le cas en général dans les cimetières
d'enfants de la région diaguite et aussi dans celui d'Arroyo del
Medio, ont contenu des squelettes entiers, mais que ceux-ci ont
été détruits par la décomposition, qui n'a respecté que des par-
ties de crânes. D'après ce que j'ai observé sur les squelettes
anciens d'enfants, le crâne, en effet, est toujours la partie qui
résiste le plus longtemps; il est même plus résistant que les
fémurs et les humérus.
Les auteurs argentins ont publié un grand nombre de bons
dessins d'urnes funéraires, dus à la plume habile de M. Eduardo
A. Holmberg, qui a rendu de grands services à l'archéologie
argentine : c'est lui qui a illustié, d'une manière consciencieuse
et avec beaucoup d'exactitude, tous les travaux parus,' presque
sans exception.
Pour que fon puisse se faire; une idée des principaux types
d'urnes funéraires, je donne ici deux séries des formes les plus
communes. La première série, y?^. 6 a, b, c, cl, représente les
formes générales des urnes des cimetières spéciaux d'enfants.
Les deux premières sont des variétés de la forme que M. Lafone-
Quevedo(191, p. 28) a dénommée «type Santa Maria». M. Am-
brosetti (18, p. 58) a vouhi faire, des urnes de la forme c et d, un
type s])écial, «type Amaiclia», qui se (h'stiuguerait (\o celui de
152
ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
Santa Maria par le goulot qui est plus court que le corps de
l'urne. Mais cette distinction ne me semble pas avoir de raison
d'être, car la hauteur du goulot varie énormément; il y a des
urnes avec des goulots de toutes les hauteurs, dun extrême à
l'autre, fig. 6 a, jusqu'à 6 c. 11 serait impossible, par exemple,
de classer les urnes qui sont au milieu de ces extrêmes, c'est-
à-dire celles dont le goulot a à peu près la même hauteur que le
corps. La hauteur du goulot ne dépend certainement que des
FijT. 6. — Principales formes d'urnes funéraires de la région diaguite. i" série : Urnes avec des
pciiiLures symboliques, a. h. type Santa-Maria ; c, d, type dit «Amaicl.a» ; c. type Andaluiala ;
J , type sans nom.
Fiï. '7. — Formes d'urnes funéraires, a' série : Urnes sans déror. n. h. c, urnes d'enfants
d'El Banado (Amhrosetti) ; d. c, urnes de Clianar-Yaco (Lai'one-Quevedo).
caprices du potier. D'ailleurs les deux sortes d'urnes, celle à
iroulot lonof et celle à c:oulot court, coexistent dans les mêmes
o o o
cimetières ^^^. M. Amhrosetti veut distinguer plusieurs autres
types d'urnes, mais il les définit d'une manière confuse.
La forme de la ^v^. 6 f n'est pas commune dans les col-
lections. M. de La Vaulx a rapporté d'El Banado une urne de
''' Les urnes du « type Auiaicha » se-
raient aussi caractérisées par leur ornc-
menlalion exclusivement « j,'éométri(jue » ,
mais ce mode d'ornementation ne con-
stitue pas non jjlus une définition accep-
table, car toutes les urnes en général pré-
sentent la plus grande variété sous ce
raj)port.
REGION DIAGUITE. 153
ce type ayant contenu un squelette d'enlant, et qui est con-
servée actuellement au Musée d'etlinogiapliie du Trocadéro,
où elle porte le n" 47827. En haut de cette urne se trouve
l'esquisse d'une face humaine semblahle à celles qui sont carac-
téristiques des urnes d'enfants de la région diaguite, figure
composée de deux yeux, d'une bouche, d'un nez rufliinentaires
et de grands «sourcils» arqués, en relief. Toute l'urne est
ornée de serpents enroulés peints en noir, décor habituel des
urnes funéraires. M. Moreno (244, p. n) donne la figure d'une
urne très semblable, de Santa Maria, sans autres renseigne-
ments.
Des urnes cylindriques, sans goulot, ayant la forme de la
fi(j. 6 e et dénommées par M. Ambrosetti (19, p. 23o) « type Ancla-
huala», ont été rapportées de Santa Maria comme étant des
« urnes funéraires ». Je crois que cette indication, bien que très
vague, est authentique, car ces urnes portent souvent l'orne-
mentation si caractéristique des urnes d'enfants. Mais ont-elles
contenu des adultes, comme le dit M. Ambrosetti, ou des en-
fants.^ C'est là une question à résoudre. La Mission Française
possède dans ses collections deux urnes de ce type, dont l'une
a o" 64 de hauteur et o™ 3o de diamètre intérieur à l'ouverture,
et l'autre représentée ici par \3ificj. g d, o'" 56 et o"" 286 respec-
tivement. Dans aucune de ces deux urnes on n'aurait pu (mi-
foncer le cadavre accroupi d'un adulte de taille ordinaire, c'est-
à-dire de i"6o à i™5o minimum. A cette taille correspondent
des épaules de o"'35 à o"/io de largeur, et le diamètre antéro-
postérieur de la tête avec fépaisseui- de la jambe et du mollet
donnent la même mesure, au moins, si serrées que soient les
jambes repliées auprès du corps. Pour contenir un corps
accroupi, une urne doit avoir comme minimuui o™8o de hau-
teur, car la hauteur moyenne (\\\\\ liomme assis, d'une lallle
(\v i"'6o à l'^Bo, est de o°* 76 y conq:)ris la tète. Les 2 1 Indiens
(hommes adultes) de Siiscpies (pie j'ai meusurés assis don-
naient en moyenne, dans celte position, une liauleur de o"'88'i
pour une taille d(> i"'6i2. Cinq lioinnuvs de la Vallée du Cajou
15^1 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
(Santa Maria) mensurés par M. ten Kalc (342,p.337) étaient
d'une taille plus élevée, 1^676 en moyenne, et devaient par
conséquent avoir des épaules en proportion. H aurait fallu
pour eux des urnes ayant de plus grandes dimensions encore
que celles que je cite comme minimum. L'inclinaison de la tête
en avant aurait permis, il est vrai, de diminuer un peu la
hauteur de l'urne; on peut supposer aussi que la tête dépassait
peut-être les bords; mais la diminution de hauteur provenant
de ces circonstances ne pouvait pas être considérable.
La série de ^^fig- 7 représente des urnes sans décor. Les
spécimens a, b et c ont été trouvés par M. Ambrosetti dans le
cimetière d'enfants d'El Banado qu'il a fouillé. C'est un fait
curieux qu'au milieu d'un très grand nombre d'urnes décorées,
de la forme typique, il en ait rencontré d'autres sans décor. Ce
sont probablement des vases communs de ménage, faits pour
contenir des boissons et employés comme cercueils d'enfants
uniquement parce que, dans ces occasions, on n'avait pas
d'urnes spéciales.
hes fi(j. 7 d,e sont des urnes sans décor du cimetière d'adultes
de Chanar-Yaco.
Les urnes caractéristiques pour les enfants ont les formes
indiquées par la Jig. 6 a, h, c, d. Pourtant il existe exception-
nellement dans les cimetières d'enfants d'autres formes d'urnes
décorées, parmi lesquelles les urnes j)yriformes méritent d'être
mentionnées. M. Ambrosetti (18, p. 61) en figure une.
Le décor des urnes d'enfants est assez varié, mais presque
toutes se ressemblent par un détail. A la partie supérieure
près du bord, presque toujours un nez se prolonge vers le haut
par deux « sourcils » arqués se continuant le long du bord et
formant généralement une bordure. Au-dessous de ces arcs,
on voit des yeux, et quelquefois une bouche au-dessous du
nez. Ces organes sont parfois modelés en relief, mais, le plus
souvent, ils sont peints et fréquemment enlacés avec l'en-
semble des lignes qui forment le décor très comj^liqué du vase.
REGION DIAGUIÏE. 155
Il y a en général une de ces faces liumaines de chaque côté de
l'urne.
Au-dessous de cette face rudimentaire, toute l'urne est cou-
verte de peintures en noir ou en plusieurs couleurs prouvant
une grande puissance d'imagination chez les artistes et un goût
artistique remarquable, bien que très particulier. Ces lignes,
entrelacées de la façon la plus surprenante, forment des com-
binaisons de grecques, d'escaliers, de volutes, de triangles, de
carrés et mille autres figures géométriques; entre celles-ci, oti
voit des représentations de serpents, de crapauds et d'une sorte
d'oiseaux, des nandous probablement. H y a aussi quelquefois
des personnages habillés de vêtements ornés de différents des-
sins et coiffés de panaches. Dansfun de ses ouvrages, M. Aui-
brosetti (19, p. ii4) reproduit une série de ces personnages. Les
nandous et les crapauds ont souvent une croix au milieu du
corps. Les serpents ont une ou deux têtes, d'une forme plus ou
moins triangulaire généralement. Voilà les éléments principaux
du décor des urnes funéraires; mais il faut remarquer qu'aucun
de ces éléments n'est commun à toutes les urnes : tout au con-
traire, on en trouve rarement plusieurs réunis sur le même
vase. Cette circonstance rend difficile toute conjecture sur la
signification de ces dessins qui cependant, sans doute, sont
symboliques. Si le même animal ou la même ligure était tou-
jours dessiné sur les urnes, ou pourrait émettre des théories,
mais quand une urne représente des nandous et fautre des ser-
pents, etc., toute théorie devient impossible.
Sur quelques-unes des urnes on remarque un décor très
spécial : elles présentent sur la panse deux petits bras couibes
en relief, dont les mains se rencontrent et soutiennent une
petite coupe également en relief. Ce même décor se relrouNc
sur des poteries péruviennes ^'\
'"' M. (le Monlessus de Ballore décrit vase provicnl du Pitou cl a rli' Irans-
ct figure [Le Salvador jn'ccolonibii'n, Paris, poilé i'i .San Salvador par des uiarcliands
i8()0, |)1. X, fif^. 9.0) un vase avec ce d'anlicjuilés, roinuu' égaleuient l)caucou|)
même décor, qu'il a rapporté de San d'autres poteries reproduites dans l'ou-
Salvador, mais il semble prouvé cpie ce vrage mentionné.
15() ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
Je reproduis ici, ficj. 8 et P, six urnes du type Santa Maria et
une urne du type Andahuala, provenant toutes de la Vallée de
Yocavil et appartenant à la collection de la Mission Française.
Fin. 8 a. Hauteur, o'" 535. Diauiètres intérieurs miniuia du goulot,
o"'2 2o et g'" 2 10*''. Décor peint en noir et en rouge sur fond blanc; le
rouge n'a été employé que pour la partie supérieure du goulot, notamment
pour la ligne qui forme le nez de la face humaine. Au-dessous de ce nez, la
liouclie est indiquée au moyen d'un rectangle , dans lequel on remarque des
dents irrégulières. Les yeux sont pourvus de longs appendices du côté exté-
rieur et de deux petits appendices dirigés obliquement en bas. L'urne fuj. 8 c
a deux appendices semblables aux derniers, pour chaque œil; Yurnc ficj. 8 h
en a trois, mais ils manquent sur les urnes jf?^. 8 d, 9 a-b et 9 c. Ces petites
lignes existent souvent sous les yeux peints sur le goulot des urnes funéraires
d'enfants et aussi sur d'autres représentations anthropomoi plies de l'art
(liaguite. Certains auteurs y ont voulu voir des larmes. Le décor de l'urne
juj. 8 a est composé d'ornements géométriques, excepté deux figures fort
stylisées représentant des serpents bicéphales à têtes triangulaires. L'un de
ces serpents se trouve à gauche sur la moitié inférieure du goulot ; l'autre ,
qui est placé à droite au-dessous de l'œil, ne paraît pas entier sur la figure
h cause de la position oblique de l'urne. Les taches noires que l'on voit
sur la panse sont des « coups de feu » provenant de la cuisson du vase. De
l'autre côté de l'urne, la même ornementation est répétée avec des modifica
lions insignifiantes : il Y ^^ quelques lignes rouges de plus sur le goulot, et la
« bouche » de la face humaine manque. L'une des anses a été cassée,
Fig. 8 h. Hauteur, o"'5Zio. Diamètres intérieurs minima, o'"2 3o et
o'" 2 10. Ornementation toute géométrique, peinte sur fond blanc en noir
et en brun violacé, cette dernière couleur ayant été employée pour la partie
intérieure de certaines figures dont les bords sont noirs. Sur les photogra-
phies des urnes, on distingue bien les couleurs brun, rouge, etc., du noir,
qui est la couleur principalement employée pour leur décoration. A la base
du goulot de Wwnefuj. 8 h , on voit, quoique presque effacé, un rectangle
représentant la bouche appartenant à la face humaine. Le côté opposé de
celle urne est identique à celui qui est reproduit sur la figure.
F/V/. 8 c. Hauteur, o"'55o. Diamètres intérieurs minima, o'" 2 i o et
'•' Les virnes du type Sanla Maria ne grand axe et le petit axe de la partie
sont pas rondes ; leur section horizontale la plus étroite du goulot. Ces mesures sont
présente la forme ovale. Les anses sont intéressantes pour déterminer la gran-
placées aux extrémités du grand axe de deur et, par conséquent, l'âge des petits
cet ovale, près de la base de Turne. Les cadavres qui ont pu être introduits dans
i< diamètres intérieurs minima » sont le l'urne.
REGION DIAGUITE. 157
o'" i85. Drcor peint en noir sur fond blanc; quelques-uns des ornenienls
du goulot et du pied sont de couleur brun violacé avec des bords noirs.
En debors des ornements géométriques, composés de greccpies, etc., sont
esquissés deux oiseaux sur la partie supérieure de la panse. A en juger
par le long cou, on a probablement voulu représenter des nandous [Rlwa
amencana). Ces figures rendent parfaitement certaine position de cet oi-
seau prêt à se coucber par terre. Au-dessous de la queue du nandou, à la
droite, il y a un cercle noir que l'on pourrait être tenté d'interpréter comnie
un œuf qui aurait été déposé par l'animal. Sur la base du goulot, au-
dessous du nez, est esquissée la bouche y appartenant. Autour des nandous
passent deux lignes en relief représentant probablement les bras du person-
nage dont les yeux, le nez et la bouche figurent sur le goulot. Ces lignes
partent de la base du goulot, «au-dessus de chacune des anses, et, après
avoir circonscrit les nandous, elles se réunissent au milieu, oii elles forment
une agglomération arrondie de petites bandelettes en terre appliquées par la
j^ression des doigts sur la surface du vase. Ce relief pastillé est sans doute
une substitution de la petite coupe tenue entre les mains des bras en ri'licf
qui existent sur beaucoup d*autres urnes de la même catégorie et dont nous
avons parlé j)lus haut.
Fi(j. 8 cl. Hauteur, o"'55o. Diamètres intérieurs minima, o™ 226 et
o'" 2 10. Décor peint en noir et en brun violacé sur fond blanc. Les parties
peintes en brun , comme les grands escaliers sur la panse et certaines par-
ties du goulot, ont des bords noirs. Ornementation géométrique, excepté
les serpents dessinés en zigzag sur le goulot. L'un de ces serpents que l'on
voit sur la figure, dans la partie inférieure du goulot, est pourvu de deuv
têtes triangulaires. L'autre est placé au-dessous de l'appendice extérieur de
l'un des yeux de la face humaine. Ce dernier serpent n'a pas de tète. Les
deux serpents sont répétés sur le revers du vase, mais sans tête ni l'un ni
l'autre. Dans le coin, en haut à droite, du rectangle blanc où se trouve le
serpent bicéphale, est placé un petit carré représentant la bouche de la
figure humaine du goulot. Dans celte bouche se trouvent trois dents supé-
rieures et trois inférieures. L'ornementation du revers de l'urne est idenlicjue
à celle du côté visible, excepté la bouelie (|ni nian([ue, et le serpent (|ui n'a
pas de tête.
Fuf. 9a, h. Ihrileiir, ()"'5'i5. Diamèlres intérieurs inininia, o"' 220 et
o'" 210. Lcsjicj. a et h montrent les deux côtés de cette urne. L'ornemenla-
tion est exclusivement i;éoinétri([ue et présente quelques différences sur un
côté et sur l'autre. A remar(|uer les croix, dont l'une est ])larée sur le Iront
de l'une des faces humaines, et d'autres au-dessous des arcs (|ni snrmonlent
les yeux. Le fond est blanc; la ])lupai'! d(>s ornements sont de coiiieiii- bnni
violacé, avec des bords noirs.
158 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Fig. 9 c. Hauteur, o'"6io. Diamètres intérieurs niinima, o"" 220 ol
o'" 2 1 o. Ornements en relief : les yeux et les arcs qui forment, h leur jonc-
tion, le nez de la face humaine du goulot. La bouche de cette face n'existe
pas. Décor peint exclusivement en noir sur fond blanc. Ornementation géo-
métrique, excepté peut-être les deux figures rondes placées sur le goulot et
composées de lignes enchevêtrées. Ce sont probablement des figures sché-
matiques ornithomorphes, représentant peut-être des nandous. Dans ce
cas, l'œil de la face humaine formerait simultanément la tête de foiseau;
les pattes seraient indiquées par les lignes formant des angles en bas de la
figure. Le revers de l'urne présente un décor identique.
Fig. 9 cl. «Type Andahuala». Hauteur, o" 56o. Diamètre intérieur à la
bouche de l'urne, o"* 285. Décor géométrique, très sinqjle, dessiné par une
main peu experte. Tout l'extérieur de l'urne •est divisé en huit zones verticales
dont quatre peintes en blanc alternent avec les quatre autres qui sont peintes
en rouge foncé. Sur la figure, on voit au milieu l'une des zones blanches,
une autre est située en face, au côté opposé, et les deux restantes traversent
les anses. Sur ce fond , les lignes c[ui sentent d'ornementation sont peintes en
noir. Les deux côtés de l'urne se ressemblent parfaitement.
La pâte de ces urnes est rouge ou jaunâtre, excepté celle de \uy\w fuj. 9 d
(type Andahuala), qui est de couleur grise. On voit dans la pâte de toutes
les urnes des particules de feldspath blanc provenant du dégraissant. La
cuisson est assez parfaite; seule dans une urne on remarque, dans une cas-
sure, une couche grisâtre entre deux couches rouges et qui démontre que
la cuisson n'a pas atteint d'une manière égale toute l'épaisseur du vase.
Les urnes funéraires d'enfants ont, en général, de o"5o à
o"" 60 de hauteur. Elles sont recouvertes d'écuelles qui souvent
portent des dessins analogues à ceux des urnes. Ces écuelles
sont généralement renversées sur la bouche de l'urne, ou, par
exception , placées le fond en bas ; quelquefois, au lieu d'écuelles
comme couvercle, le fond d'une urne brisée ou une dalle de
schiste.
On a exhumé plusieurs centaines de ces urnes. Dans falbum
de MM. Liberani et Hernândez (217, pi. 5-io), nous trouvons les
premières reproductions qui en ont été publiées. Ce sont six
urnes dont l'une provient de Fuerte Quemado et cinq de
Loma Rica, probablement, quoique les auteurs n'indiquent
Pl. IV.
Fisr. 8. — l rues rim(''raii'('s de
\allri' (le Yoravil, ayant conlciiii ilrs -.(|iicl(
Knviron i/() <i\\ iial.
ilaiils
Pl. V
Fi.r. f). Lrnos fiiiu'i'aii'i's de la \ nllro de Vocavil , ayant roiilciiu des .s(iiiclollc>i driiranls.
Kiiviroii i/G gr. iial.
REGION DTAGUITE. 159
pas de localité. M. Aniegliino (32, i, pi. xi, fig. 3-.i3-326, 429, oi pi. x,
lig. 029) reproduit les ligures de MM. Liberani et Hernâudez.
Plus tard, environ quarante urnes ont été dessinées par
M. Holmberg, et les dessins de ce dernier ont été publiés par
MM. Ambrosetti (16, p. 222-223, 226-227; 18, p. 56-Go; 19, p. no, ii5,
162, 172-175, 180-186, 231-233) et Quiroga (297, p. 552-557; 299, p. 3i3-
3i/i; 303, p. 128-135, 139-1^4, i5d-i55, 187-189, 225, 228, 23i). Prescpie
toutes les figures apparaissent chez les deux auteurs et sont
répétées dans leurs divers travaux; (dles comprennent les urnes
suivantes :
3i urnes du type Sanla Maria (voir ll(j, 6 a, h) : Santa Maria [U urnes),
San José (y), Loiiia Ilica (3), Fuerte Quemado (3), Andahuala (2),
Quilmes et El Banado (6), Ainaicha (1), talï (/j), Calayate (1 urne)'''.
1 1 urnes du « type Aniaicha » (voir Jtg. 6 c, d) : Santa Maria (1 urne),
Lonia Rica (i), Fuerte Quemado (1), Quilmes et El Banado (3), Amaiclia ( 3),
Cafayate ( 1 ) , Colonie près de Molinos ( 1 ).
k urnes du type Andaliuala [\oirJi(j. 6 c): 1 de Loma Rica, -i de San José
(Santa Maria) et 1 d'Andalgalâ.
On voit que toutes ces urnes proviennent d'un territoire très
limité : la partie méridionale de la Vallée Calchaquie, sa conti-
nuation vers le Sud, la Vallée de Yocavil, et sa ramification en
Tucuman, la Vallée de Tafi. Cependant rien ne s'oppose aux
découvertes futui'es de ces cimetières d'enfants dans d'autres
j^ai'ties de la région diaguite. Le D'^Hamy (155; déc iv, n°xxxiv;p. 174
cipl. iv) a piil)lié déjà en 1896 la ])hotogi-aphie d'une urne du
type Santa Maria, provenant du département de Guachipas,
dans la province de Salla, et les dernières découvertes à Pampa
Grande indiquent que ce département est très riche en urnes
'"' Les photographies de cpialre autres Grande. Cepentlanl, sur ces figures, les
urnes du l\pe Sanla Maria, sans iudicatiou desshis ne sont en général jias visiMes.
de localités, sont publiées par M. Amhro- Parmi les urnes de Pani|)a (irande, il >
selli (25 , p. i5) , dans le /i»//c/m (/c /a iS'o- en a plusieurs d'un type nouveau »pii
cièlè de géographie italienne. Au nombre .s'écarte un |)eu de celui déiionuné «type
des figures d'urnes qui ont été |)ubliées, Sanla Maria».
il laul aussi ajouter celles de Pampa
160 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
décorées analogues à celles de la Vallée Calcliaquie et de la
Vallée de Yocavil. M. Lafone-Quevedo, dans la préface d'un
ouvrage de M. Quiroga(303, p. xvi), mentionne deux autres urnes
du type Santa Maria, exhumées à Choya, à 2 kilomètres d'An-
dalgala, c'est-à-dire dans un endroit qui est séparé de la Vallée
de Yocavil par les vasles landes du Campo de Pozuelos et i)ar
la haute Sierra de las Capillitas.
Dans le but de comparer mes connaissances sur les enten-e-
ments d'enfants dans des urnes, dans la région diaguite, avec
celles d'un voyageur qui a effectué une belle exploration an-
thropologique et archéologique dans cette même région, j'ai
demandé à M. ten Kate de me dire ce qu'il pense à ce sujet.
M. ten Kate, se trouvant en mission scientifique en Ceylan et
n'ayant pas sous la main les carnets de son voyage , m'écrit :
« Je ne puis donc vous répondre que d'après mes souvenirs
un peu vagues. Je crois avoir rencontré les urnes funéraires
du «type Santa Maria» dans des endroits spéciaux, non mê-
lées d'autres tombeaux. J'incline à croire que ces petits enfants
étaient sacrifiés dans un but religieux quelconque. »
Cependant le fait que des restes d'enfants ont été recueilfis
dans les urnes des cimetières et des grottes funéraires des
contrées immédiatement au nord de la région diaguite : la Que-
brada del Toro et la Puna de Jujuy, constitue une exception à
la règle que les urnes funéraires d'enfants soient toujours en-
terrés dans des cimetières spéciaux. Mais notons que les urnes
de ces dernières régions n'ont jamais de décor spécial; ce sont
des vases communs, grossiers, sans ornementation. D'ailleurs,
en ce qui concerne la Puna de Jujuy, c'est-à-dire Casabindo
et Rinconada, les enfants momifiés trouvés dans des urnes et
mentionnés 23las haut étaient beaucoup plus âgés que les
enfants des cimetières spéciaux de la région diaguite; peut-être
s'agit-il ici de sépultures ordinaires .i^ Quant à Morohuasi (Que-
brada del Toro) , j'ai en effet constaté qu'on y enterrait certains
enfants dans des urnes grossières, parmi les autres morts, dans
RÉGION DIACUITK. 161
le cimetière général du village. Peut-être faut-il, dans ce fait,
voir une modification des coutumes de la région diaguite.
Les cimetières d'enfants de la région diaguite, ou plutôt de
la région calcliaquie — car c'est surtout dans la partie calcha-
quie du pays des anciens Diaguites qu'on les connaît jusqu'à
présent — sont particuliers à cette région. Nulle part ailleurs
en Amérique, on ne constate l'enterrement habituel des fœtus
et des nouveau-nés dans des urnes spéciales. Ce mode d'enter-
rement d'enfants n'est connu que sporadiquement et dans des
cas tout à fait excej^tionnels et isolés. Ainsi M. J. T. Médina
(234, p. /i23, fig. 3o8) donne la figure d'un grand vase, presque
globulaire, sans décor, provenant de Patagûilla, province de
Curicô (Chili), et qui aurait contenu «des os d'un enfant et
plusieurs sortes de graines». De l'Amérique septentrionale, on
peut citer un certain nombre de cas, mais toujours des cas
isolés. M. J. W. Fewkes (129, p. 179), par exemple, mentionne un
grand vase contenant le squelette d'un enfant et trouvé à Pueblo
Viejo (Arizone), dans une ancienne habitation, avec beaucoup
d'autres grands pois grossiers , vides , qui avaient servi sans doute
à conserver de l'eau ou des boissons quelconques. Nous pour-
rions citer d'autres cas exceptionnels, mais nos cimetières ad
hoc, d'où sont exclus les adultes et qui se composent seulement
d'urnes d'un décor spécial et ne contenant que des fœtus et des
nouveau-nés, ces cimetières ne se trouvent que dans la région
diaguite.
Les historiographes jésuites des Diaguites ne parlent pas de
ces sépultures d'enfants ni des rites qui devaient être en usage
pour ces enterrements. Ce silence des historiens ne doit pas
nous étonner, car, ainsi que nous l'avons vu, leurs infoiinations
sur le culte et la religion des aborigènes sont des plus précaires.
Sans doute, la réserve extrême des indigènes sur ces questions
a empêché les missionnaires d'oblenir d'eux (hvs renseigne-
ments.
En général, l'usage d'urnes comme cei-cueils élail élranger
aux peuples andins et surtout n'existait pas dans la région ando-
1G2 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
péruvienne en dehors du pays des Diaguites. Les recherches
archéologiques ont, jusqu'à ce jour, conhrmé l'ahsence de cette
coutume dans la zone de l'ancienne civilisation péruvienne.
Seuls, deux ou trois renseignements, tirés des auteurs espagnols
de la conquête, sembleraient, à la grande rigueur, contredire
ce fait. Zârate (383, 1. 1, c. xi; 1. 1, p. 63)^^^ d'abord, raconte que « les
Espagnols trouvèrent, dans les temples consacrés au Soleil,
lîlusieurs grands pots en terre pleins d'enfants secs que l'on
avait sacrifiés ». Gomara (148, c. cxxi, fol. i58), de son côté, dit que
les Indiens sacrifiaient leurs propres enfants, mais «ceux qui
agissaient ainsi n'étaient pas nombreux (bien qu'ils fussent
tous cruels et d'instincts bestiaux dans leur religion). Ils ne
mangeaient pas, d'ailleurs, ces enfants, mais les faisaient
sécher et les gardaient dans de grands vases en argent».
D'après Arriaga (39, p. i6, 17, iSa), les jumeaux, chiichos ou curls ,
et les enfants qui venaient au monde les pieds en avant et que
l'on nommait chacpas, étaient conservés, lorsqu'ils mouraient
en bas âge, dans des pots à l'intérieur des maisons. Le clergé
catholique avait brûlé en autodafé public de nombreuses urnes
contenant les corps de ces enfants. Certaines superstitions
étaient attachées iinx clnichos et dLiixchacpas. On croyait que l'un
des jumeaux était le fils de la foudre. Un chacpa, s'il vivait,
portait pendant toute sa vie ce mot accolé à son nom, et ses
enfants étaient désignés par des appellations spéciales : masco
pour les fils et chachi pour les filles. L'archevêque Villa Gômez
(370, c. Lviii, fol. 37, 38) confirme les renseignements du P. Arriaga.
Son questionnaire pour la confession des Indiens est, en grande
partie, formulé d'après ces renseignements. Sa So*" question, à
('' Ce chapitre de Zôrate : « Des céré- de manière que les chapitres originaires
nionies religieuses et des sacrifices des In- xiii , xiv et xv portent les numéros x , xi
diens du Pérou», existe seulement dans et xii. La figure des éditions françaises,
la première édition de son ouvrage , impri- représentant le sacrifice d'un jeune homme
mée à Anvers en i555, et dans la tra- et reproduite par M. Ambrosetti (19, p. 90),
duction française (383). Dans l'édition es- n'est pas prise dans l'édition d'Anvers,
pagnole de la Biblioteca de Au tores Espa- mais dessinée spécialement pour ces tra-
fioles (382), les chapitres x, xi et xii ont ductions. Cette figure n'a donc aucune va-
été supprimés et le nvimérotage changé, leur documentaire.
REGION DIAGUITE. 1G3
propos des chuchos et des chacpas, est la suivante : « Quand un
de ces petits enfants meurt, l'ont-ils conservé ou le conservent-
ils en une quelconque jarre ou autrement, suivant la coutume
de leur gentilité ? » Cette question est précédée de bien d'autres
qui démontrent un ensemble de superstitions cohérentes à
l'égard de ces enfants : La femme accouchée de jumeaux a-t-elle
« par coutume de sa gentilité» observé des jeûnes, certaines
abstinences (de sel, cVaji ou piment), certaines continences,
une retraite plus ou moins longue, loin des regards de tous,
dans sa maison ou ailleurs? La naissance de ces chuchos ou de
ces chacpas a-t-elle donné lieu à une procession où les nouveau-
nés furent promenés au son du tambour ?
C'est là tout ce que j'ai pu trouver dans les documents
écrits sur l'usage des urnes comme cercueils de petits enfants.
Mais les faits rapportés par Zârate et par Gomara devaient être
exceptionnels, car on ne trouve pas au Pérou d'urnes conte-
nant des squelettes d'enfants. En ce qui concerne la coutume
mentionnée par Arriaga et par Villa Gômez, elle est encore
plus exceptionnelle, car elle ne se rapporte qu'aux jumeaux
et aux chacpas morts en bas âge. D'ailleurs, les quatre au-
teurs cités visent clairement la conservation à domicile des
urnes contenant les corps, et non leur enterrement.
La sépulture des enfants en bas âge et des fœtus dans des
cimetières spéciaux, où il n'y a ni adultes, ni enfants au-dessus
de deux ans, est une coutume très particulière sans doute. En
présence de ce fait, on entrevoit très naturellement la possil)iHlé
de sacrihces provenant d'un rite qui exigeait fliolocausle des
petits enfants pour obtenir la clémence et la Ixiveur des dieux.
S'il n'en était pas ainsi, il serait en elfet bien étonnant que
l'on eût enterré uniquement ces petits enfants de cette manière
toute spéciale, dans des endroits ad hoc et dans des urnes si
particulières couvertes de dessins symbohques. S'il ne s'agissait
pas de sacrifices, pourquoi rendre de pareils honneurs aux
fœtus et aux enfants d'un ou de deux ans seulement, honneurs
104 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
qiioii n accordait pas aux adultes et aux enfants plus âgés?
En admettant — ce qui est invraisemblable — que ces urnes
si bien décorées aient été un hommage de l'amour paternel,
pourquoi ne pas avoir enterré ces enfants aimés avec leurs
parents? Pourquoi y aurait-il des enfants inhumés de la manière
ordinaire avec les adultes, et d'autres enterrés d'une façon
particulière et dans des cimetières à part? Il me semble que
tout plaide en faveur de la théorie du sacrifice qui expliquerait
ces cimetières si spéciaux.
A l'appui de cette théorie , on peut citer de nombreux ren-
seignements historiques sur les sacrifices d'enfants , aussi bien
dans les diverses régions de l'empire péruvien qu'au Mexique.
Je parlerai des principaux de ces renseignements en ce qui
concerne le Pérou; je dois toutefois faire remarquer qu'il n'y
est pas question de sacrifices de fœtus et d'enfants d'un ou de
deux ans, comme dans la région diaguite, mais d'enfants plus
âgés. Les auteurs ne disent rien de l'enterrement dans des
urnes, ni d'un enterrement particulier quelconque, d'un autre
genre. Pour commencer par Cieza de Léon (101; c.iv,l\iii, lxwix;
p. 337, 416, 435), il parle beaucoup de sacrifices humains et éga-
lement de sacrifices d'enfants, mais c'est seulement dans le
dernier des chapitres cités qu'il rapporte que, dans la province
de Bilcas, on sacrifiait aux dieux des nihos tiernos, des enfants
en bas âge. Pioman y Zamora (315, i, p. 226) dit que «les sacri-
fices généraux » (pour tout l'empire du Pérou) « étaient accom-
plis dans les cas d'une grande nécessité, comme famine, é2:)i-
démies et autres ; dans ces cas , on sacrifiait des enfants mâles
et femelles qui n'avaient encore commis aucun péché». Le
P. Cristobal de Molina (240, p. 54, 58) rapporte qu'un ou deux
enfants âcfés d'environ dix ans étaient sacrifiés à foccasion de
la fête Capac-cocha, instituée par Pachacuti-Inca-Yupanqui.
On étranglait ces enfants et on les enterrait avec des statuettes
en argent, etc. On sacrifiait aussi, aux Jiaacas princijDaux de
toutes les provinces, des enfants qui, à une certaine époque
de l'année , étaient envoyés de Cuzco dans tous les endroits où
REGION DIAGUITE. 165
avait lieu le culte de ces liuacas. Parmi les victimes, il devait y
avoir des enfants en bas âge, car « ceux qui le pouvaient allaient
à pied à leur destination, les autres étaient portés par leurs
mères ». Une fois arrivés, on les étranglait et on brûlait ensuite
leur corps. Suivant Acosta (2; 1. v, c. xix;t. n, p. /ly), « il était d'usage
au Pérou de sacrifier des enfants de quatre à dix ans ». A l'occa-
sion du couronnement de l'Inca (lorsqu'il ceignait la borla), on
sacrifiait deux cents enfants de cet âge. On les étranglait et
on les enterrait ensuite avec certaines cérémonies; d'autres
fois, on leur coupait la gorge et les Indiens s'enduisaient la face
de leur sang, d'une oreille à l'autre. Lorsqu'un Indien était ma-
lade et que le sorcier prédisait sa mort, on sacrifiait son fils au
Soleil ou au dieu Huira cocha, en leur demandant de se conten-
ter de l'enfant et de ne pas prendre la vie du père. Garcilaso
de la Vega (140; 1. 1, c xi; fol. lo) dit que chez quelques-unes des
nations qui composaient fempire incasique, les parents sacri-
fiaient leurs propres fils dans certaines circonstances critiques,
mais il ne parle pas de l'âge de ces enfants et encore moins de
leur enterrement dans des urnes. D'après Garcilaso, ces enfants
étaient sacrifiés en leur ouvrant la poitrine et en leur arrachant
le cœur. Herrera (164; dec. v, 1. iv, c. v; t. m, p. 1 15) cite aussi l'immo-
lation des enfants, mais ne dit rien non plus de leur enterrement
dans des urnes; selon lui, c'étaient des enfants de quatre à dix
ans que l'on sacrifiait pour obtenir la guérison de l'Inca lorsqu'il
était malade, ou à foccasion de son couronnement ou encore
pour remporter une victoii-e en temps de guerre. Ces enfants
étaient quelquefois étranglés et enterrés, d'autres fois décapi-
tés. On sacrihait le fils pour obtenir la guérison du père, lorsque
celui-ci était gravement malade. Dans le chapitre suivant,
Herrera raconte que les Indiens immolaient des enfants pendant
les grandes fêtes qu'ils organisaient à l'époque de la moisson,
et pour implorer également la clémence divine dans les grands
malheurs et les adversités. Calanclia (89; I.ii,c. xn;p. 375) réj:)èle le
lait rapporté par Acosta, qu'on sacrifiait deux cents enfanls âgés
de quatre à dix ans, à foccasion du couronnement de l'Inca.
166 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Si de l'Amérique du Sud nous passons au Mexique, nous y
trouvons les sacrifices d'enfants très en vogue. Sahagun (320; 1. n,
c. I, III, IV, XX ; 1. 1, p. 5o, 52, 55, 84) nous décrit de vraies hécatombes
faites annuellement en l'honneur de Tlaloc et de Chalchiuht-
licué, les divinités des montagnes, des orages qui s'y forment
et des eaux qui en descendent. Dans le premier mois de l'année ,
Athcahualco , on achetait un grand nombre d'enfants en bas
âge à leurs mères et on « les sacrifiait dans certains endroits
situés sur les sommets des montagnes, en leur arrachant le
cœur, en l'honneur des dieux de l'eau , afin d'obtenir d'eux une
pluie alDondante ». Ces sacrifices d'enfants en masse continuaient
jusqu'au Uei Toçoztli, le quatrième mois de Tannée, c'est-à-dire
que « Ton sacrifiait des enfants dans toutes les fêtes jusqu'à ce
que les eaux devinssent abondantes ». Les enfants ainsi sacrifiés
jDaraissent avoir été enterrés dans des cimetières spéciaux sur
les hautes montagnes, considérées comme résidence de Tlaloc.
M. Désiré Charnay a fouillé, en i88o, un de ces cimetières à
Tenenepanco, sur les pentes du Popocatepetl, à /i,ooo mètres
au-dessus du niveau de la mer. Ce cimetière contenait seu-
lement des enfants, ensevelis dans la terre au hasard, sans
aucune méthode, les corps paraissant avoir été jetés pêle-mêle
dans les fosses, tantôt seuls et tantôt groupés, dans toutes les
attitudes et à toutes les profondeurs. Les petits cadavres étaient
accompagnés de poteries dont les motifs de décoration se rap-
portaient le plus souvent à TlalocetàChalchiuhtlicué. M. Char-
nay (97, p. iSg et suiv.) a j^ublié la description de ses fouilles dans
le cimitière de Tenenepanco, et le D"" Hamy (155; dec.n, n''xi;p. 69
et suiv.) a fait une étude complète de ce cimetière et des sacrifices
d'enfants au Mexique.
Comme nous le voyons, il existe peu d'informations sur
fusage des urnes, au Pérou, comme cercueils de petits enfants,
et ces urnes étaient alors conservées dans les maisons et n'étaient
pas enterrées. Quant aux sacrifices d'enfants, ils étaient communs
au Pérou et au Mexique , mais on sacrifiait des enfants de tous
les âges et on ne les enterrait pas dans des urnes. L'enterre-
RÉGION DIAGUITE. 167
inen des fœtus et des nouveau-nés dans des urnes spéciales
et dans des cimetières ad hoc reste toujours particulier à la ré-
gion diaguite. Il est probable que ces fœtus et ces nouveau-nés
étaient immolés en sacrifice aux dieux.
En terminant ce chapitre, je dois rappeler une cérémonie
des métis actuels que M. Ambrosetti et d'autres auteurs ont
voulu rattacher aux cimetières d'enfants et aux rites spéciaux
d'inhumation infantile dans la région diaguite. C'est la cérémonie
de Vangelito : lorsqu'un petit enfant meurt, il est habillé de
blanc, paré de papier peint et de rubans de couleurs criardes;
on lui fixe au dos des ailes en papier doré ; on l'assoit sur une
table et on f entoure de bougies allumées. Le soir, forgie com-
mence dans la maison mortuaire : on danse autour du « petit
ange», et les libations continuent jusqu'à ce qu'il n'y ait plus
rien à boire. On transjDorte alors Xamjellto dans une autre
maison, forgie recommence, et le corps est ainsi mené d'une
maison à fautre jusqu'à ce qu'il se trouve dans un état tel de
décomposition qu'il faut fenterrer d'urgence. Quelquefois on
met le corps dans falcool ]30ur le conserver plus longtemps,
et des cabaretiers entrepreneurs louent ce corps pour con-
tinuer la fête chez eux et vendre ainsi de grandes quantités
d'eau-de-vie. Les métis donnent comme prétexte de cette céré-
monie que Xancjelito étant innocent, il faut se réjouir de sa mort
parce qu'il va auprès de Dieu prier pour les vivants. Comme
nous le verrons, cette cérémonie existe aussi chez les Indiens
de Susques, dans la Puna de Atacama. M. Wiener (377, p. 95) a
trouvé la même cérémonie en usage au Pérou parmi les
nègres de Trujillo. Elle existe également chez les indigènes
du Mexique; le D' Hamy (40, p. 76, note) dit, en parlant de ce
pays : « La mort d'un enfant au-dessous de sept ans, considéré
comme un saint, un protecteur, donne lieu à des réjouissances.
Autour du cadavre, lavé, parfumé, costumé en ange et couvert
de fleurs, s'ouvrent des danses et commence une orgie qui
durent jour et nuit et que la déconq)osilion du corps n'arrête
1G8 ANTIQUITES DE LA REGION ANDTNE.
pas. Des industriels louent, achètent le cadavre qu'ils trans-
portent dans un lieu plus aéré, suivant les proportions qu'ils
veulent donner à la fête appelée velor'io au Mexique et velatono
en Espagne. »
Les auteurs argentins prétendent que la cérémonie de
Vangehto est une réminiscence lointaine des anciens sacrifices
d'enfants; mais cette thèse est tout à fait insoutenable, car des
coutumes semblables existent parmi les paysans de certaines
parties de fEurope méridionale : cette cérémonie est donc
d'origine européenne et chrétienne.
Sur ma demande, M. le D*' G. V. Callegari, de Padoue, a
bien voulu recueillir des informations à cet égard en Italie.
11 a consulté, entre autres savants de ce pays , le folkloriste bien
connu, le D'" G. Pittré, et le comte A. de Gubernatis.
Voici ce que m'écrit M. Callegari : « M. de Gubernatis me
dit qu'il croit avoir vaguement entendu parler d'une coutume
semblable à celle de l'Argentine , et il pense qu'elle a été trans-
portée en Amérique par des émigrants de fEurope méridio-
nale. M. de Gubernatis m'informe, et M. Pittré m'assure, que
dans la campagne toscane f enfant mort est habillé en petit ange
[angiolino] et entouré d'un ruban auquel les personnes présentes
font des nœuds, croyant que tous les vœux adressés ainsi seront
exaucés. Un usage identique existe également en Sicile. Dans
laCalabre, d'ajDrès les renseignements d'un de mes élèves de
Catanzaro, f enfant est habillé en amjioUno et considéré comme
tel, mais aucune cérémonie n'est faite autour de son corps. »
La coutume des paysans de Toscane est analogue à la cérémonie
hispano-américaine de Xangelito, seulement elle n'est pas suivie
d'orgie. Je n'ai malheureusement guère pu obtenir de ren-
seignements concernant cette coutume en Espagne. Le seul
que je possède de ce pays provient d'une dame française de
mes relations qui a habité les environs de Barcelone. Elle m'a
raconté qu'un petit enfant étant mort dans une maison de
paysans voisins de la sienne, il fut habillé en ange. Et, comme
en Amérique, on buvait et on dansait toute la nuit autour de
REGION DIAGUITE. 169
son corps. Une enquête sur ces cérémonies en Espagne serait
très intéressante. Même en France, les paysans se réjouissent
de la mort d'un petit enfant au lieu de le pleurer. A ce sujet,
M. le professeur Jules Humbert m'écrit : « Ce que vous me
dites de cette cérémonie m'a rappelé ce qui se passait encore
il y a quelques années dans mon pays, en Franche-Comté :
Quand un enfant mourait, les parents et amis qui le veillaient
laisaient des (jaiifres pendant la nuit; et Ixiire des gaufres dans
les campagnes de la Franche-Comté, c'est un des plus grands
signes de réjouissance. On pensait qu'il ne fallait pas s'attrister
de la mort d'un enfant, puisqu'il allait directement au paradis.
Je vous signale ce détail qui a son importance, car la Franche-
Comté, qui fut très attachée à l'Espagne jusqu'à la (in du
xvii^ siècle, a gardé nombre de coutumes espagnoles. »
Ces coutumes ont leur origine dans la théologie catholique
même. D'après cette théologie, les enfants au-dessous de sept
ans n'ont pas encore atteint l'âge de raison , c'est-à-dire , au point
de vue eschatologique , l'âge de responsabilité. Quand ils se con-
fessent, le prêtre ne les absout pas, il les bénit simplement,
puisqu'ils sont censés avoir agi sans discernement. Lorsqu'ils
meurent, l'église ne célèbre pas pour eux, à leur enterrement,
la messe ou l'office des morts, mais des offices spéciaux : une
messe dite « messe d'anges». Le prêtre y revêt des ornements
])lancs. Le sens général de ces cérémonies est la joie, (^ar l'en-
fant est mort sans avoir perdu l'innocence baptismale, et son
âme, sans jugement, va grossir le nombre des anges. Les sur-
vivants doivent donc se réjouir de son bonheur. Parallèlement
à cette particularité liturgique, on sait qu'en France la formule
lial)ituelle De Profiindis des billets de faire-part mortuaires est
remplacée pour les enfants par les mots Laiidatc pucii Domuinm.
Ceci indique bien que la mort d'un enfant avant l'âge de raison
doit inspirer au chrétien catholique des prières d'actions dv
grâces et non des sup|)lications pour ie re]X)s de l'ànie du
défunt. A noter encore que, dans certains pays catiioliques, on
ne porte pas le deuil des enfants au-dessous de sept ans.
170 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Toutes ces traces européennes de réjouissance pour la mort
d'un petit enfant « parce qu il va directement au paradis » dé-
montrent l'origine européenne de la cérémonie hispano-amé-
ricaine de Xangelito, et ce fait nous apprend combien il laut se
tenir sur ses gardes pour ne pas confondre les éléments améri-
cains avec les éléments européens en étudiant le folklore des
métis et même des Indiens de l'Amérique du Sud.
PÉTROGLYPHES.
Les inscriptions sur les rochers sont très fréquentes dans la
région diaguite. Je me bornerai ici à énumérer les pétrogiyphes
publiés, qui ne sont pas nombreux quand on considère que
M. Adan Quiroga, en peu d'années, d'après ce qu'il m'a écrit
en 190/i, a pu réussira former une collection de dessins de
287 pétrogiyphes inédits de Catamarca, Salta, Tucuman et La
Piioja. M. Quiroga est mort sans avoir publié ces pétrogiyphes,
et il serait regrettable que cette grande collection fût perdue
pour la science.
Pour fixer leurs inscriptions et leurs ligures sur les rochers ,
les Indiens avaient deux procédés : la peinture et la gravure.
Quelquefois ils réunissaient les deux, en gravant d'abord les
figures et en remplissant ensuite les traits gravés avec des cou-
leurs. Ce dernier procédé mixte est cependant peu commun
dans la région diaguite.
Pour commencer par les pétrogiyphes peints, nous avons
d'abord la superbe fresque découverte par M. Ambrosetti dans
la grotte de Carahuasi (département de Guachipas, Salta). Ce
tableau représente un grand nombre de personnages peints en
quatre couleurs : jaune, bleu-gris, brun et blanc. 11 est surtout
intéressant en ce qu'il donne, avec une assez grande clarté, les
vêtements, les coiffures et les armes très variés de ces person-
nages. On y voit aussi beaucoup de ces boucliers ou écus, d'une
forme et d'un décor particuliers , qui se retrouvent sur plusieurs
REGION DIAGUITE. 171
pétroglyphes et dans rornementation des disques en cuivre
et de la poterie de la région diaguite. Une planche en couleurs
de cette fresque a été dessinée sur place par M. Holmberg et
publiée par M. Ambrosetti (13). Il y a beaucoup d'analogie entre
cette fresque et celle que j'ai découverte à Pucarâ de Rinco-
nada, et qui est reproduite ^^. iâ7 .
Près de Carahuasi, M. Ambrosetti a trouvé deux autres
grottes peintes, dont l'une, celle de Ghurcal, avait des fres-
ques tellement effacées qu'il était impossible de les recopier.
Ambrosetti (13, p. 33i-333) donne, de l'autre grotte située dans la
QuEBRADA DEL Rio Pablo, quelqucs ligures rej)résentant des
boucliers décorés, semblables à ceux de Carahuasi, mais sur-
montés de têtes humaines, et aussi des jaguars et des lamas.
Dans l'un de ses derniers travaux, M. Ambrosetti (27) publie
des figures de quatre autres fresques : f une , d'une grotte de la
Quebrada de las Conchas (Salta); deux de la Quebrada de la
BoDEGA, dans les montagnes qui bordent la Vallée de Lerma au
Sud; et la dernière , d'un rocher dans la Quebrada del Ghuzudo,
près de Quilmes. Ces figures ont été fournies à M. Ambrosetti
par un ancien employé du Musée de La Plata; je crains que
mon collègue n'ait ici bien mal placé sa confiance, à en juger
par le plan des ruines de Pucarâ de Rinconada soi-disant levé
par le même collaborateur d'occasion , et également publié par
M. Ambrosetti. Je reviendrai plus loin sur ce dernier point.
Ces quatre fresques représentent principalement des hommes,
des lamas et ces curieux boucliers dont nous avons parlé.
J'ai appris qu'il existe des pétroglyphes dans la Quebrada
de la Boflega; aussi les ai-je indiqués sur ma carte archéo-
logique.
D'autres fresques rupestres ont été publiées par M. Am-
brosetti (13, p. 334-336). Ce sont : une figure de nandou, de San
IsiDRO (Cafayate); un mammifère douteux et des figures géo-
métriques du môme endroit; une série de figures humaines
très particulières de Tolombon, au sud de Cafayate.
Du sud-ouest de la Puna de Atacama on a publié une fresque
172 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
peinte sur un rocher près de la Laguna de Infieles, située au
pied du pic portant le nom, sur la frontière chilienne. Cette
fresque représente cinq personnages armés de lances et dont
les têtes sont ornées de raies perpendiculaires représentant
peut-être des plumes. Les figures ont environ un pied de
hauteur. M. L. Darapsky (113, pi. xn) les reproduit et M. Amhro-
setti (28, pi. IV, 2) en donne aussi une figure, mais qui diffère de
celle de M. Darapsky. D'après ce dernier auteur, la fresque
dlnfieles est peinte en rouge ; suivant M. Amhrosetti, en hlanc.
Les premiers dessins de pétrogiyphes de la région diaguite
ont pour auteurs MM. Liherani et Hernàndez (217), dont les
figures ont été reproduites deux fois par M. Ameghino (31 et 32),
Plus tard, MM. Quiroga et Amhrosetti ont puhlié un certain
nomhre de pétrogiyphes gravés. La plupart de leurs figures
ont été dessinées sur place par de bons dessinateurs, comme
MM. Eduardo A. Holmherg et F. Voltmer. Au contraire, je
crains que les figures de MM. Liherani et Hernàndez ne laissent
à désirer comme exactitude.
Voici la liste des pétrogiyphes gravés qui ont été publiés. Je
commencerai par ceux de la Vallée Calchaquie et de la Vallée
de \ocavil :
San Lucas (San Carlos) : Trois pétrogiyphes : des lignes
courbes enlacées d'une manière irrégulière, combinées avec
des cercles simples ou concentriques et avec des croix. Quel-
ques-unes de ces lignes se terminent par trois petits rayons
comme celles d'un pétroglyphe de la Puerta de Rinconada,
reproduit ficj. Iâ9. 11 y a également des lamas formés de
lignes droites, comme presque toutes les figui'es de lama des
pétrogiyphes de la Puna de Jujuy. (Quiroga: 303, p. 210, 211.)
Las Fléchas (San Carlos) : Une figure humaine schéma-
tique faite d'une ligne droite représentant le corps, de lignes
horizontales courbes pour les bras, de deux lignes droites pour
les jambes; enfin, d'un cercle pour la tête, d'où sortent deux
lignes droites, ressemblant à des cornes. D'autres ligures repré-
REGION DIAGUITE. 173
sentent des mammifères, parmi lesquels un animal, une Inche
peut-être, allaitant son petit dans la même attitude que le lama
femelle de la grotte de Chulin, qui est reprodidte plus loin.
On voit aussi des cercles à point central. (Ambroseiti : 13, p. 338, 339.)
San Isidro (Cafayate) : Une figure humaine, à demi effacée,
deux signes en forme de 8, deux cercles, dont un à point cen-
tral, deux autres signes. Publié par M. ten Kate (342, p. 3/i6) et
reproduit par M. Ambrosetti (13, p. 335).
Anjuana : Un pétroglyphe présentant des lignes courbes,
irrégulières, et des signes. Un autre, de 4'"X/|"', avec des
ligures géométriques assez compliquées, mais composées ex-
clusivement de lignes droites. Ces figures sont très grandes,
gravées sur les deux côtés d'un bloc de pierre. H y a aussi une
ligne serpentine, se terminant par un cercle. Les deux pélro-
giyphes se trouvent à 7 kilomètres au nord-ouest de la localité
dénommée Anjuana, sur la frontière entre les provinces de
Salta et de TuCUman. (Liberani : 217, pi. i8 et 20. Ameghino : 31, pi. i, fig.5;
pi. II, fig. 12 ; et 32, i; pi. xi , fig. 358 ; pi. xii, fig. 364.)
LoMA Rica, sur le bord du « Piio Seco », au pied de la colline
où sont situées les ruines : divers signes, assez variés, composés
de lignes courbes. (Liberani : 217, pi. 20. Aineghino : 31, pi. 11, lig. 10, 11 ;
et 32 , 1, pi. XII, fig. 362, 363.)
QuiLMES : Des lamas, des signes en forme de points d'in-
terrogalion, des cercles, un signe en forme de 8. (Anibroseiil: 18.
p. 68-6(j.)
QuiLMES : Des concavités circulaires, de d(;ux cenlimèlres
de profondeur, quelques-unes unies par des lignes gravées.
(Quiroga : 303, p. 210.)
Las Canas (près de Quilmes) : Une figure humaine. (Ambrosetti:
18, p. 66.)
Las Chilcas (près de Quilmes) : Des lignes en zigzag, une
grecque, des lignes serpentines dont l'une se termine par un
cercle. (Ambroscui : 18, p. 67.) Cc pétrogl vplie a aussi été dessiné
par MM. Liberani et Hernandez, mais leur figure dillère beau-
coup de celle de M. Ambrosetti. Cette dernière, qui a pour
174 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
auteur M. Voltmer, est sans doute la plus exacte. (Liberani : 217,
pl. 19, Ameghino : 31, pi. ii, i'ig. 9, et 32, i, pi. xii, fig. 061.)
LoMA CoLORADA (EucaliUa) : Des figures humaines rudimen-
taires, un mammifère. (Quiroga : 303, p. ai/i.)
Andahuala (Santa Maiia) : Lignes courbes, irrégulièrement
enlacées, d'un côté de la pierre. De f autre côté, un lama formé
par des lignes droites, analogue aux lamas des pétroglyplies
de la Puna; un écu surmonté d'un T et ayant exactement la
même forme qu'un autre écu, gravé sur le pétroglyphe d'Anto-
fagasta de la Sierra. Cet écu ressemble aussi à ceux de la grotte
de Carahuasi. (Liberani : 217, pl. 17. Ameghino : 31 , pl. i, fig. 3, A, et 32, i,
pl. XI, fig. 356, 357.)
Ampajango (Santa Maria) : Trois pétroglyphes : des lignes,
irrégulières comme celles de San Lucas; des croix, des figures
rudimentaires d'hommes dont le tronc et les extrémités sont
très semblables aux représentations humaines du pétroglyphe
de Puerta de Rinconada que nous avons mentionné. (Quiroga :
303, p. 215-217.) MM. Liberani et Hernândez reproduisent égale-
ment trois pétroglyphes, de la Vallée du Morro, près d'Ampa-
jango, composés principalement de lignes courbes enlacées et
formant les figures les plus irrégulières. Il v a aussi beaucoup
de petits cercles, dont un avec un point central. Enfin, une
figure de mammifère. (Liberani : 217, pL i4, i5, 16. Ameghino : 31; pl. i,
fig. 1, 2; pl. II, fig. 6; et 32, i; pl. XI, fig. 353, 354, pl. xii, fig. 355.)
MiNASYACO et Chapi (Santa Maria) , dans la Vallée de Cajon :
Deux pétroglyphes représentant principalement des lamas et
aussi des figures formées de trois ellipses concentriques. Le
pétroglyphe de Minasyaco est gravé sur la surface horizontale
d'un bloc, celui de Chapi sur un rocher vertical. Mentionnés
par M. ten Kate (342, p. 338).
San Pedro de (^olalao, sur le versant oriental de fAcon-
quija : des figures humaines dont la tête est entourée de raies
qui forment des rayons. (Quiroga:298, 41, 43.) MM. Liberani et
Hernândez reproduisent un pétroglyphe avec, pour légende,
seulement : Piedra pintada, sans indiquer la localité. Ce pétro-
REGION DIAGUITE. 175
glyplie est certainement le même qu'a ligure Quiroga, de San
Pedro de Colalao, quoique les deux reproductions présentent
des différences. (Liberani: 217, pi. oo. Aiueghino: 31, j.l. a, lig. 7, 8; et 32,
I, pi. XII, fig. 359, 36o.)
San Pedro de Colalao : Un autre pétroglyphe avec des
cercles à point central et d'autres signes. (Quhoga : 298, p. 45.)
De la province de Calamarca, en dehors de la Vallée de
Yocavil, on a publié les pélrogiyplies de :
San Fernando (Belen) : Une croix, des grecques, des S.
(Quiroga : 303, p. 219.)
Cerro Negro (Tinogasta) : Des croix encadrées de la même
manière que celles du pétroglyplie d'Incahuasi,^?^. 86, et des
lignes serjDentines. (Quiroga : 303, p. 218.)
CoNDORHUASi (département d'Alto) : Lignes courbes enlacées,
plusieurs lignes serpentines se terminant par des cercles. (Qui-
roga : 303, p. 2 12.)
Les pétroglyplies suivants ont été publiés, provenant du
haut plateau de la Puna de Atacama (Territoire des Andes), au
nord de la province de Catamarca :
Antofagasta de la Sierra : Un grand pétrogly]3he représen-
tant surtout des lamas et ces écus ou boucliers particuliers dont
nous avons déjcà parlé. Photographié par M. Francisco J. San
Pioman, publié par M. Karl Stolp (338) et reproduit par M. Am-
brosetti (28, p. 8).
Penas Blancas (près du Cerro Ratones) : Principalemenl
des combinaisons de lignes droites et de points, mais aussi des
lamas. Décrit par M. llolmberg (166, p. 44), dont le dessin a été
publié par M. Ambrosetti (28, pi. n).
De la province de Mendoza, M. Moreno (244, p. 8) publie uu
pétroglyplie de Bajo de Canota. Il présente les mêmes lignes
courbes enlacées irrégulièrement que l'on voit sur un grand
nombre des pétroglyphes de Catamarca et de Salta. M. Mallery
(228, p. 167) a repr()(biit ce pétroglyplie dans son gr-and ouvrage
sur les inscriptions rupestres de l'Amérique.
M. Ameghino (31, pL i, fig. 16, et 32; i, p. 5ii, pi. i\, fig. 3(ii) publie
176 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
le dessin d'un pétroglyphe de la Sierra de San Luis, représen-
tant des hommes, un lama, un nandou, un autre animal et
un soleil. A première vue, on aperçoit que ce dessin, commu-
niqué à M. Amegliino par M. 0. Nicour, a été fait d'une façon
par trop fantaisiste, sans aucune exactitude. Cependant ce
dessin est intéressant, car il démontre l'existence de pétro-
glyphes dans la jDrovince de San Luis.
En général, les divers pétroglyphes de la région diaguite jiré-
sentent de grandes différences : le style, les signes, les figures
ne montrent aucune unité ; les auteurs de ces inscriptions ont
suivi chacun leur inspiration personnelle. La même combi-
naison de lignes droites ou courbes est très rarement répétée
sur plusieurs pétrogiyj)hes. Les signes d'une inscription ne
se retrouvent pas dans une autre, excepté les plus simples
qui sont universels, comme le cercle à point central, la croix,
le S, etc. Quant aux figures de lamas ou de huanacos, si com-
munes sur le haut plateau, elles sont assez rares dans la
région diaguite; au contraire, les pierres gravées avec des
lignes courbes irrégulièrement entrelacées sont très fréquentes.
M. Quiroga m'a donné des renseignements très intéressants
au sujet des figures les plus fréquemment représentées sur les
pétrogiyphes de sa grande collection. Parmi les 287 pétro-
giyphes de cette collection, 81 présentent des lignes courbes,
21 des lamas ou des huanacos, 5 des autruches (nandous),
4 des jaguars, 4 d'autres animaux, etc.
On a voulu voir dans les signes des pétrogiyphes une écri-
ture idéographique comme celle qui est encore en usage chez
les Indiens de l'Amérique du Nord, mais la variété même de
ces signes rend cette théorie impossible. On ne peut admettre
en effet que l'idéographie de chaque pierre soit différente. S'il
s'agissait de signes idéographiques, ils devraient se répéter sur
plusieurs pierres. Je crois que les pétrogiyphes sont des essais
d'un art primitif et que les signes qui ne sont pas des représen-
tations réalistes d'objets réels sont des ornements et non des
RÉGION DIAGUITE. 177
signes idéographiques conventionnels. Toutefois, il est invrai-
senii3lable que l'on se soit donné autant de peine pour un
aimple passe-temps; il est très possible que quelques-uns des
pétroglyplies aient eu une lin religieuse.
Quant à la contemporanéité des pétrogiyphes du pays des
Diaguites et des anciens cimetières et ruines de la région, je
pense qu'un bon nombre au moins sont de la même époque.
On retrouve plusieurs figures de pétrogiyphes sur les objets
d'industrie préhispanique rencontrés dans les ruines et dans
les cimetières, et d'ailleurs l'emplacement des pétrogiyphes est
le plus souvent proche de ceux-ci. M. Moreno (245, p. 3), dans
une conférence qu'il a faite à la Société de géographie de Lon-
dres, émet la théorie que tous les pétrogiyphes sud-américains
appartiennent à une race qu'il nomme «tupi-caraïbe». Cette
hypothèse ne me paraît pas vraisemblable, car les types ru-
pestres des diverses régions de l'Amérique du Sud sont très
différents. A mon sens, les inscriptions doivent plutôt être rap-
portées à des peuplades d'origine et d'époques variées.
Des pétrogiyphes de types analogues à ceux que nous avons
déjà énumérés sont répandus jusque dans la province de San
Juan, c'est-à-dire jusqu'à l'extrême limite sud de la région dia-
guite. J'ai toujours recueilli des renseignements sur l'existence
des pétrogiyphes chaque fois que je me suis trouvé en relations
avec des personnes ayant voyagé dans ces contrées; j'espère
donc pouvoir relever un grand nombre de pétrogiyphes, s'il
m'est donné de faire de nouveaux voyages dans ces régions si
intéressantes pour l'archéologue.
FOLKLORE.
La population métisse actuelle du pays des anciens Diaguites
est catholique, mais sa religion consiste principalement dans
l'observance des cérémonies extérieures du culte : la messe, la
confession, les fêtes religieuses. Le pouvoir moral des prêtres,
très grand il y a un siècle, a beaucoup diminué aujourd'hui.
lUi-MVi itii; •lArlo^Al.r..
178 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Le culte catholique n'est pas, dans le territoire andin de
l'Argentine, aussi intimement lié et mélangé aux éléments
païens que sur le haut plateau de la Puna, en Bolivie et au
Pérou. Cependant les croyances d'origine préhispanique sur-
vivent surtout dans les vallées lointaines où les communications
avec les villes sont difficiles. Mais ces croyances sont beaucoup
plus indépendantes du catholicisme que sur le haut plateau :
les métis gardent les pratiques catholiques et la foi aux miracles
de la Vierge et des Saints , mais en même temps ils croient à
Pachamama et au Chiqui, tout en faisant une certaine distinc-
tion entre les uns et les autres. Cet état de choses rappelle le
polythéisme des anciens Péruviens.
Pachamama est le principal personnage du folklore, ici
comme sur le haut plateau bolivien.
Pachamama est d'origine péruvienne. Arriaga (39. c ii,p. n)
dit qu'au Pérou «Mamapacha, la Terre, était adorée surtout
par les femmes à l'époque des semailles; elles lui demandaient
une bonne récolte et lui offraient de la chicha ou de la farine de
maïs ». Calancha (89; 1. n. c x; p. 071) répète presque au pied de la
lettre ce que dit Arriaga. Il ajoute que les Indiens du haut pla-
teau appelaient la Terre, personnifiée comme divinité, Pacha-
mama ou Mamapacha, tandis que les \uncas lui donnaient
le nom de Vis. Parmi les offrandes dédiées à cette divinité,
Calancha nomme la coca. Montesinos (241, c. xm, p. 78) rapporte
que, sous le règne de Huaman-Tacco-Amauta, le Gi*" roi du
Pérou , d'après sa chronologie, « on faisait de grands sacrifices à
la mère de tous, la Terre, qu'on nommait Pachamama ». Selon
Garcilaso (140; 1. 1, c. x; fol. 10), quelques-unes des tribus péru-
viennes « adoraient la Terre et la nommaient Mère, parce qu'elle
leur donnait ses fruits ». D'autres historiens du Pérou parlent
aussi de Pachamama.
Pacha, dans le quichua actuel du Pérou, signifie « la Terre » ,
«le Monde», et aussi «jour» ou «temps». Dans la Puna, les
Indiens donnent à ce mot un autre sens, d'après les explica-
tions qu'ils m'ont fournies maintes fois et en différents lieux :
RÉGION DIAGUITE. 179
Pacha veut dire «déitc», «être surnaturel». C'est sans doute
dans le premier sens qu'il faut prendre ce mot dans le nom
Pachamama. Marna signifie « mère ».
Pachamama est, d'après les métis comme d'après les Indiens
du haut plateau, « la Sainte-Terre, la mère de tous et de tout ».
Pachamama est toujours un être féminin; c'est une bonne
et bienveillante déité; d'elle tout est né : hommes, animaux et
plantes; elle protège tout et spécialement les hommes.
Les métis font des prières, des invocations à Pachamama
dans toutes les circonstances de la vie. La plupart de ces prières
sont dites en quichua, ou en quichua mélangé de mots et de
phrases espagnols. M. Ambrosetti (15) a publié un travail inté-
ressant sur le folklore de la Vallée Calchaquie, et, dans un autre
travail (19, p. i8, 70, i33, 189, igS-igS, 216), le même auteur donne
une bonne collection d'invocations à Pachamama qu'il a re-
cuellie dans cette vallée. Cette collection comprend des prières
à l'occasion des semailles afin d'obtenir une abondante moisson;
pour le travail de filer la laine, afin que le fil ne se casse pas
et que le travail marche vite; lors de la marque des moutons et
des chèvres, pour que les troupeaux se reproduisent; lorsqu'on
chasse les vigognes et les huanacos, pour avoir beaucoup de gi-
bier; afin que les troupeaux ne se perdent pas quand ils paissent
dans les montagnes; pour éviter le soroche et d'autres maladies
pendant les voyages; quand on tue des animaux domestiques,
probablement à cause de l'analogie qui existe entre les sacri-
fices et faction de tuer un animal pour le manger. D'autres
invocations doivent être prononcées chaque fois que Ton ab-
sorbe des boissons alcooliques ou quand on mâche de la coca.
Enfin certaines prières demandent à Pachamama de faire
« rentrer fesprit » dans une personne qui a été efl rayée : les In-
diens croient en effet que, dans ce cas, l'esprit s'enfîiit; si Pacha-
mama ne le fait revenir, la personne reste privée de sa raison.
Les métis font, dans toutes les circonstances inqiortantes ou
banales de leur vie, des offrandes à Pachamama plus ou moins
semblables à celles des habitants de la Puna et de la Bolivie.
180 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Dans la Puna, surtout à Susques, j'ai moi-même recueilli
nombre d'invocations à Pachamama. Elles sont analogues à
celles publiées par M. Ambrosetti et provenant de la Vallée
Calchaquie.
Le Chiqui est une autre déité péruvienne. Montesinos (241,
c. XIV, p. 80) nomme ainsi «la fortune adverse» qui poursuivit
certains Incas dont il raconte l'histoire. C'est la déité ennemie
des hommes, d'où proviennent tous les malheurs, tous les
revers de fortune.
Or, dans la province de Catamarca, on célèbre encore une
fête en l'honneur du Chiqui, ou plutôt pour apaiser sa colère.
Cette curieuse fête a lieu à l'ombre d'un vieil alcjarrobo. On
coupe les têtes d'animaux sauvages : huanacos, agoutis, nan-
dous, chassés pour cette occasion; on les fait rôtir et on danse
en agitant ces têtes tenues en mains. M. Quiroga (297, p. 553-557)
décrit la fête du Chiqui, et M. Lafone-Quevedo (189, p. 378)
donne une curieuse chanson , mélange d'espagnol et de quichua
impossible à traduire, chantée à la fête du Chiqui dans le
Valle Vicioso (La Rioja).
Selon toute apparence , la fête du Chiqui devait être primi-
tivement une fête de sacrifices; de nos jours elle a j^erdu ce
caractère, elle n'est j)lus qu'un prétexte à libations et à orgies.
Llastay est peut-être une personnification ou un attribut de
Pachamama, mais il est masculin et son pouvoir ne s'étend que
sur les animaux sauvages : le gibier. Il en est le maître et le
protecteur. Il se fâche quand on en tue trop. De lui dépendent
les chasses heureuses. Llastay a certaines analogies avec Co-
quena, que nous décrirons plus loin, qui est le génie des
Indiens du haut plateau, et également le maître des animaux
sauvages. Llastay est pourtant plus bienveillant envers les
hommes que Coquena.
Le mot llastay, en quichua , est un verbe qui signifie « saisir
quelque chose», «se cramponner à quelque chose». Suivant
la légende, Llastay, en effet, «saisit» les chasseurs qui lui en-
lèvent trop de gibier.
RÉCION DIAGUITE. 181
HuAiRAPUCA OU LA Mère DU VENT est la déité qui règne dans
l'air; elle paraît être hermaphrodite. Elle est maléhque poui'
les hommes; elle empêche toujours la pluie bienfaisante en
chassant les nuages. M. Quiroga (301) a publié sur ce person-
nage des légendes provenant de la Vallée Calchaquie et de la
Vallée de Tafi.
Ilaaira en quichua signifie « vent » , puca « rouge » : « le vent
rouge ».
PucLLAY, ou PujLLAY, n est j)as une déité ou un être mytho-
logique comme le suppose M. Quiroga. C'est simplement un
personnage de carnaval, travesti d'une manière spéciale et qui
amuse par son badinage et ses bouffonneries. C'est l'arlequin
des Indiens. Il hgure dans le carnaval de la Bolivie comme
dans celui de la région diaguite , auquel , dans la province de
la Rioja, on donne le nom de Chaya. Nous devons à M. Qui-
roga (297, p. 56i etsuiv.) une bonne description de cette «fête de
la Chaya » , qui a beaucoup de ressemblance avec le carnaval
bolivien. On y voit représenter des coutumes et des cérémonies
de provenance préhispanique, mélangées à d'autres d'origine
européenne.
Le verbe pujUay, en quichua, signifie «jouer», « s'amuser».
Comme on le voit, le folklore, la mythologie païenne des
métis de la région diaguite est, presque en totalité, nettement
péruvienne.
Une collection de folklore de la province de San Juan serait
d'un grand intérêt, car elle permettrait de savoir si les mêmes
mythes existent dans la partie méridionale de la région andine
de la République Argentine et de reconnaître l'homogénéité de
l'ancienne culture dans toute cette région.
PRETENDUE DESCENDANCE COMMUNE
DES «CALCHAQUIS» ET DES INDIENS PUEBLOS.
M. Ambrosetti , défenseur de Tautonomie de la « civilisation
calcliaquie » par rapport à la civilisation péruvienne , a préco-
nisé une curieuse théorie de descendance commune des « Cal-
chaquis » et des Indiens Pueblos (Shiwis) de l'Amérique du
Nord. Dans trois de ses travaux (20, 24 et 25), il développe cette
théorie. Mais c'est surtout dans une communication à la So-
ciété de géographie italienne (25, p. 12) qu'il la formule. D'après
lui , les « Calchaquis » et les Pueblos seraient les derniers restes
d'une race très ancienne qui aurait, à une certaine époque,
occupé toute la région andine des deux Amériques, mais qui
aurait disparu partout, laissant des vestiges seulement dans ces
deux régions.
M. Ambrosetti appuie sa théorie sur les coïncidences existant
entre certains faits archéologiques et ethnographiques communs
à l'une et à l'autre région. Quelques fétiches animaux et sta-
tuettes humaines en terre cuite ont, dans les deux régions, une
certaine ressemblance. Dans la région diaguite on a trouvé des
figurines à coilîure en forme de houppes latérales; les jeunes
lilles des Hopis ont encore aujourd'hui une coiffure semblable.
L'usage de « tuer la poterie » au moyen d'un trou intentionnel a
été observé dans les sépultures des deux régions. Parmi les cou-
tumes funéraires actuelles de l'une et de l'autre région figurent :
la cérémonie du lavage des objets ayant appartenu à un mort;
le bain cérémoniel donné au veuf ou à la veuve ^^^; l'habitude de
tuer un chien pour qu'il aide son maître décédé à passer le
fleuve de la mort. En dehors de ces faits, M. Ambrosetti cite
'"' Ces coutumes ont certainement été duisons plus loin , à propos de la céré-
introduites du Pérou, comme le démontre monie du lavage des effets du délunt telle
le passage de la Carlu pastoral de l'ar- qu'elle est pratiquée par les Indiens de
chevéque Villa Gômcz que nous repro- Susques.
IS'i ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
aussi, comme preuves, ses propres hypothèses mytliologiques,
comme par exemple son identification du tJninder-bird nord-
américain avec certaines hgures peintes sur la poterie de la ré-
gion diaguite, etc. On ne peut vraiment fonder sur de pareils
arguments une théorie comme celle que nous venons d'expo-
ser. M. Ambrosetti s'appuie d'autre part sur l'autorité du dis-
tingué anthropologiste M. ten Kate, qui a voyagé et dans la
région diaguite et chez les Pueblos. M. ten Kate (3^2, p. 347) at-
tire en effet l'attention sur des analogies archéologiques entre
ces deux régions. Son opinion est que « certaines analogies
mythico-religieuses ont dû exister entre ces deux j^opulations
américaines » , et il cite comme exemples « la similitude des
pétrographies en partie probablement rituelles » , la ressem-
blance de certains fétiches en pierre de la région diaguite avec
d'autres exhumés dans les ruines shiwiennes, la présence de
certaines petites ardoises gravées dans les deux pays , fliabitude
de « tuer la poterie » en la perforant d'un coup de foret, ou en
cassant d'une autre manière les vases destinés à être enterrés
dans les séjDultures. La forme des poteries diaguites diffère,
suivant M. ten Kate, de celle des Shiwis, mais la couleur et la
décoration offrent quelquefois des analogies. Dans son grand
ouvrage sur l'anthropologie physique des anciens habitants de
la région « calchaquie », M. ten Kate (343, p. 62) fait aussi remar-
quer des ressemblances entre les crânes de ces Indiens et ceux
qui ont été exliumés des anciennes sépultures du Mexique cen-
tral, de l'Arizone et du Nouveau -Mexique, mais surtout avec
les crânes de Santiago de Tlaltelolco étudiés par le D'' Hamy
(158, p. i5 et suiv. et pi. i).
Cependant M. ten Kate est loin d'adopter l'hypothèse d'une
descendance commune ou d'une parenté ethnique. Il se borne
simplement à faire remarquer, entre les deux races et entre les
deux cultures, certains points de contact provenant peut-être
des milieux désertiques très semblables où évoluaient Diaguites
et Pueblos. M. ten Kate me dit d'ailleurs, dans une lettre datée
à Ceylan du 21 avril 1905 : « J'ai été le premier à appeler l'at-
REGION DI ACUITE. 185.
tention sur les analogies de la civilisation calcliaquie avec la cul-
ture shiwienne, sans vouloir prétendre pour cela que l'une et
l'autre s'étaient fait des emprunts, si l'on peut s'exprimer ainsi,
au sujet des idées religieuses et des coutumes qui en résultent. »
D'ailleurs, la meilleure raison contre la théorie de M. Am-
brosetti se trouve dans la question suivante : Pourquoi cette
ancienne race, dont les « Calchaquis » et les Pueblos seraient
les derniers restes, n'a-t-elle pas laissé de vestiges dans les
immenses contrées qui se trouvent entre l'une et l'autre ré-
gion? 11 est impossible qu'elle ait passé sur toute l'Amérique
andine ou qu'elle ait occupé toute cette vaste étendue sans y
laisser de traces.
RAPPORTS
ENTRE L'ANCIENNE CIVILISATION PÉRUVIENNE
ET LA CULTURE PRÉHISPANIQUE
DE LA RÉGION DIAGUITE.
Cette question a été discutée par tous les auteurs , historiens
ou archéologues qui, chacun à leur point de vue spécial,
étudièrent la région interandine de la République Argentine.
C'est le P. Lozano qui a inauguré cette discussion en niant
que les Incas aient jamais dominé le territoire des Diaguites, en
quoi Lozano se sépare des chroniqueurs antérieurs qui tous
avaient accepté cette domination comme un fait. Après Lozano,
les auteurs européens du xix'' siècle, comme Martin de Moussy
(230, III, p. A33 etsuiv.) et Burmeister (85), devaient revenir à la
première tradition, suivis plus récemment en Argentine par
le D"" Florentino Ameghino (32, i, p. 507 et suiv.), par l'abbé So-
prano (332, p. 87 etsuiv.) et par le D'' Vicente G. Quesada (294).
Mais M. Ambrosetti (19, p. i/ii et suiv.) a repris les arguments
de Lozano pour défendre ses théories personnelles sur l'auto-
nomie de la culture diaguite ou « calchaquie » , comme il la
nomme, par rapport à la civilisation péruvienne.
Pour moi, mes études des antiquités de la République Ar-
gentine m'ont amené à la profonde conviction que cette culture
diaguite fait partie intégrante de la civilisation ando-péru-
vienne, qu'elle émane presque entièrement de l'ancien Pérou,
sans plus de différence entre les deux civilisations que celle
qui existe entre l'ethnographie des diverses autres parties de
l'empire des Incas, par exemple entre l'Entre-Sierras du Pérou
et la région des Collas. La région yunca présente même des
différences ethnographiques plus marquées par rapport à ces
deux régions que celle des Diaguites.
Remarquons-le : l'origine péruvienne de la culture diaguite
n'implique pas nécessairement une domination des Incas sur
188 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
le pays des Diaguites, mais raiïiiiité ethnograpliique rend cette
domination vraisemblable au jdIus haut degré. 11 y a, d'ail-
leurs, des arguments d'un autre ordre en faveur de cette pro-
babilité .
Les preuves du caractère péruvien de la culture diaguite et
de la subordination politique de la région des Diaguites à l'an-
cien Pérou émanent de trois sources : i" l'archéologie; 2" l'ex-
pansion de la langue quichua et du folklore péruvien dans la
région diaguite; S"* les renseignements historiques.
Archéologie. — Les résultats des recherches archéologiques
réalisées sur le territoire diaguite viennent d'être passés en
revue. Les ruines de ce territoire nous offrent des construc-
tions en pirca, tout à fait semblables aux demeures anciennes
de la Bolivie et du Pérou : pircas basses et irrégulières comme
celles qui ont abrité tous les sujets de l'empire incasique. Dans
les montagnes de l'Argentine aussi bien que sur les hauts pla-
teaux du Pérou et de la Bolivie , les tribus préhispaniques se
défendaient de la même façon, en temps de guerre, par des
piicaràs placés sur des collines escarpées et offrant partout les
mêmes dispositions.
Les andenes du pays des Diaguites évoquent une agriculture
tout à fait identique au système péruvien. Seules les grandes
constructions : les temples, les palais et les forteresses faits de
blocs taillés, gigantesques, manquent dans l'Argentine comme
dans presque toute la Bolivie. Mais il est à croire que l'on ne
construisait ces édifices monumentaux que dans la partie cen-
trale de fempire. Quant aux habitations populaires, elles étaient
plus ou moins les mêmes partout.
Dans aucune de ses branches, l'industrie de la région dia-
guite ne présente de différence notable avec findustrie pré-
hispanique du Pérou. Pour la céramique d'abord : technique ,
procédés, formes et décors sont les mêmes. Le style péruvien
est aussi caractérisé, aussi facile à reconnaître que le style
gothique ou le style mauresque, par exemple. Et ce style péru-
REGION DIAGUITE. 180
vieil se retrouve toujours dans les figures humaines et ani-
males, dans la forme et dans les ornements de la céramique
(liaguite. Au contraire, le style des vases de la Colombie, du
nord de f Equateur et de la côte du Pacifique où habitaient les
Yuncas, est tout autre. Nous avons reproduit, y/^. 2 e, cette
tête schématique de puma, caractéristique de la céramique
péruvienne et qui est aussi commune dans la région diaguite.
Un autre exemple très convaincant de la connexité entre Fart
du potier dans ces deux régions nous est fourni par les vases
dits aryhalles, si fréquents dans les limites de f empire in-
casique , mais que Ton ne trouve pas en dehors de ces limites.
Plus loin, pages 296 et suiv. , en décrivant un aryballe que j'ai
trouvé dans la Vallée de Lerma, j'énumérerai les vases de ce
type qui ont été publiés.
En ce qui concerne les objets en pierre sculptée, ils sont
aussi tout à fait de style péruvien. Les pipes à fumer sont une
exception, car d'après ce que je connais, on n'en a pas trouvé
au Pérou et en Bolivie. Mais f origine péruvienne de la cul-
ture diaguite n'exclue point, bien entendu, d'autres influences
venues d'ailleurs.
La forme typique des haches en pierre de la région diaguite
n'est pas, ainsi que nousfavons dit, la forme la plus commune
des haches péruviennes, mais ce type de haches existe aussi,
quoique exeptionnellement, au Pérou, et Ton retrouve en
outre, dans la région diaguite, presque toutes les formes de
haches connues du Pérou.
Les objets en cuivre de la région diaguite sont, comme je
fai remarqué, presque tous identiques aux objets correspon-
dants du Pérou. La forme, les procédés métallurgiques sont
les mêmes. Les fourneaux péruviens, les hnairas qui utilisaient
le vent comme soufflet, ont été en usage aussi bien dans les
montagnes des Diaguiles que sur le haut plateau du Pérou et
de la Bolivie. I^'orneuientation de certains ol)j('ts est particu-
lière, il est vrai, mais c'est une circonstance insignifiante en
vérité et qui ne suffit nullement à attribuer aux Diaguiles hi
190 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
plus légère originalité dans l'art de travailler les métaux.
Enfin, preuve plus évidente encore des origines péruviennes
de cette métallurgie préhispanique de l'Argentine : la com-
position des alliages métalliques. A la lin du présent travail,
j'ai donné un tableau d'analyses d'objets préhispaniques en
cuivre de toute la région andine de l'Amérique du Sud. Ce
tableau démontre clairement que ce métal est mélangé avec une
petite quantité arbitraire d'étain, dans tout le haut plateau du
Pérou et de la Bolivie comme dans les vallées interandines de
l'Argentine. Au contraire, dans la République de l'Equateur
et sur la côte péruvienne du Pacifique, cet alliage n'était pas
usité. C'est là une différence essentielle qui nous permet
d'établir une région métallurgique bien définie comprenant
la Bolivie, le Pérou et le pays des Diaguites, parfaitement sé-
parée de celle qui se trouvait au nord de ces limites et s'éten-
dait au sud, le long de l'Océan.
L'industrie textile de la région des Diaguites, je fai indiqué
aussi, a donné, pour autant qu'on la connaît, des produits
ayant une grande analogie avec les tissus péruviens. Et, de part
et d'autre, la forme des vêtements se ressemblait. Le lama,
f animal domestique par excellence et pour ainsi dire spécial
des autochtones du Pérou, en fournissait la matière, aussi bien
dans la région diaguite que dans tous les autres pays de fem-
pire des Incas.
Les coquilles marines provenant du Pacifique et trouvées
dans les sépultures de fArgentine donnent une autre preuve
des rapports de ce dernier pays avec le Pérou.
Les sépultures de la région des Diaguites présentent des
types très variés, mais sans aucune originalité foncière par
rapport aux habitudes funéraires des diverses parties de la zone
ando-péruvienne. Certains de ces pays possédaient même des
modes de sépulture beaucoup plus caractéristiques. Je citerai
par exemple la région des Collas, avec ses to*mbeaux si particu-
liers, les petites maisons sépulcrales dites chulpas ou chiiUpas,
dont la distribution vers le Nord-Est a été déterminée récem-
REGION DIAGUITE. 191
ment par M. Erland Nordenskiôld (265, p. 69-71), de même que
mon collègue de la Mission Française, le D"" M. Neveu-Lemaire,
croit avoir rencontré leur limite méridionale à la hauteur
d'Oruro. Toutefois la région diaguite possède une sorte de sé-
pulture qui ne se constate que par exception sur d'autres points
de la région ando-péruvienne : ce sont les urnes funéraires.
Je démontrerai plus loin, pages 262 et suiv. , que certaines de
ces sépultures proviennent d'un peuple, probablement guarani ,
immigré du Brésil et qui habitait la région diaguite sans doute
avant l'introduction de la culture péruvienne. Une autre caté-
gorie de sépultures dans des urnes est probablement indigène.
Il s'agit des urnes exhumées de ces cimetières spéciaux qui ne
contiennent exclusivement que des restes d'enfants en bas âge.
Jusqu'alors, les cimetières d'enfants paraissent limités à la ré-
gion calchaquie proprement dite. Mais admettons, comme les
faits nous y invitent, que la coutume des Diaguites fût d'en-
terrer les enfants nouveau- nés d'une manière spéciale; ce fait
ne prouve pas l'autonomie de la culture diaguite par rapport
à la civilisation péruvienne, car les Incas avaient l'habitude
de laisser aux peuples soumis par eux une liberté complète
quant à leur religion et aux cérémonies du culte qui leur étaient
propres. Restent les enterrements d'adultes dans des urnes dé-
corées et accompagnées d'un matériel de poterie funéraire plus
ou moins analogue au type général de la céramique diaguite.
De ces sépultures le cimetière de Chanar-Yaco est un exemple.
Ce mode de sépultures et ces urnes funéraires ne sont pas
d'origine péruvienne , mais nous les expliquerons aussi par des
influences étrangères, peut-être antérieures à celle de la culture
péruvienne.
Lespétrogiyphes de la région diaguite présentent une certaine
variété de ligures et de signes. Ceux du Pérou sont peu connus,
mais un essai de classification géographique des pélrogiyphes
sud-américains amènerait certainement à grouper cnsend)]e
ceux du Pérou, de la Bolivie et de la région andine de l'Argen-
tine, à les séparer nettement des pétroglyphcs du Venezuela, du
192 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
Brésil, de la Patagonie; le Chili olIVirait aussi des spécimens
différents qui ne se retrouvent pas dans d'autres pays , particu-
lièrement les gigantesques pintados de Tarapacâ.
La langue quichua et le folklore péruvien. — La topo-
nymie de toute la région andine de la République Argentine
est, comme nous l'avons dit, à très peu d'exceptions près, dé-
rivée du quichua, et cette langue était encore, à la lin du
XVII*' siècle, parlée par les indigènes de tout ce territoire.
M. Lafone-Quevedo (189, p. 93,9/i) donne à ce sujet d'intéres-
santes informations relatives à la province de Catamarca. En
1705, les Indiens d'Andalgalâ avaient besoin d'interprètes pour
converser avec les Espagnols et, en 1810, on parlait exclusive-
ment le quichua à Huaco, petit village près d'Andalgalâ. Encore
aujourd'hui, des personnes très âgées parlent le « Cuzco », terme
par lequel la population métisse désigne le quichua. M. Lafone
donne des exemples concernant Andalgalâ et les petits villages
situés au pied de la Sierra del Ambato, comme Mutquin,
Colpes, etc. En ce dernier endroit, j'ai entendu moi-même une
vieille Indienne parler le quichua; de même, j'ai toujours re-
marqué que les métis de La Rioja, du sud-ouest de Salta, de
Catamarca et de San Juan mélangeaient leur espagnol de mots
du plus pur quichua , parfois si nombreux qu'il était difficile de
comprendre un langage ainsi altéré. M. Lafone-Quevedo [ibid.)
donne un curieux échantillon de cette langue mixte.
Dans une province entière, située cependant en dehors des
montagnes, Santiago del Estero, les paysans indiens, à peu
2)rès purs, parlent entre eux presque exclusivement le quichua;
il en est même qui ne comprennent pas l'espagnol.
Une particularité de la toponymie nous démontre combien
intimement le quichua s'est incorporé à fhabitude linguistique
des indigènes dans la région andine. C'est la formation de mots
espagnols selon les lois de la langue quichua, bien que cette
dernière soit une langue synthétique et fespagnol une langue
analytique. Quelquefois, ces mots sont composés d'un vocable
RECION DIAGUITE. 193
espagnol et d'un autre vocable quichua, comme Burriiyaco, de
hnrro, espagnol = âne, eiyaco, quichua= eau: « L'eau de l'âne ».
D'autre fois, les deux vocables sont espagnols, par exemple
Leonpozo, au lieu de P020 del Leon^ de leon= iion (pimia) et
pozo= mare : « La mare au lion ».
En ce qui concerne le lexique de la grammaire, le quicliua
de la République Argentine ne dilïère guère de celui du Pérou.
La différence consiste surtout dans la prononciation de certains
sons et n'est du reste pas très considérable. Le dialecte de la
République Argentine se rapproche du quichua de la Bolivie.
L'abbé Miguel-Angel Mossi (248) est l'auteur d'une étude inté-
ressante sur le quichua de Santiago del Estero, et nous avons
déjà mentionné l'ouvrage de M. Lafone-Quevedo (199) sur les
mots de quichua et d'autres langues indiennes en usage parmi
les ha])itants de Gatamarca.
Nous avons inventorié les principaux éléments du folklore
des provinces diaguites et démontré que toutes ces légendes,
toutes ces anciennes croyances sont d'origine péruvienne.
Techo (341; 1. II, c. XVIII, et 1. v, c. xxiii; p. A8, i48) affirme également
que les Diaguites adoraient le soleil et les étoiles , et il est bien
connu que les Incas imposaient toujours aux peuples qu'ils
avaient annexés à leur empire le culte du Soleil, tout en per-
mettant aux vaincus de conserver, à côté de ce culte principal,
leurs religions et rites particuliers. Le culte du Soleil a été cer-
tainement importé chez les Diaguites de cette manière. Nous
pouvons ajouter qu'en 1611, les Indiens d'Andalgalâ possé-
daient, semble-t-il, des (luipiis. Lozano (221; 1. vi,c. v, t. n, p. 292)
raconte qu'à cette date, ces Indiens, baptisés auparavant |)ar
d'autres jésuites, se présentèrent, à l'occasion d'une visite des
PP. Dario et Boroa, pour se confesser et énumérèrent leurs
péchés à l'aide de (fuipiis. Le voyage des PP. Dario et Boroa est
confirmé par Techo (341; 1. iv, c vi; p. 102) d'après lef[uel ces mis-
sionnaires l^aplisèrent en la circonstance^ cincj cents ïlnasans,
Mallis, Hnacliaschis et Andalgalàs, tous Diagnltes, habitant les
environs de l'actuel Andalgalà.Orles Péruviens seuls, du moins
194 ANTIQUITES DE LA REGION AN DINE.
dans l'Amérique du Sud, employaient ces combinaisons de
cordelettes et de nœuds comme appareils compteurs et mné-
moniques.
Les défenseurs de rautonomie de la culture diaguite essaient
d'expliquer la toponymie et la langue quicliuas dans la région
comme un résultat de la conquête européenne : dans cette
hypothèse, conquérants et missionnaires auraient essayé d'im-
poser aux vaincus le quichua pour instituer ainsi une lengiia
gênerai, comme il fut fait du guarani au Brésil, du nahuatl au
Mexique ou du maya dans l'Amérique centrale, afin de pouvoir
par là régir les Indiens ou les catéchiser sans avoir à apprendre
les différentes langues locales.
Contre cette théorie s'élèvent d'abord plusieurs données
historiques concrètes qui démontrent de toute évidence que
le quichua était connu et parlé, à côté des langues indigènes,
avant farrivée des premiers Espagnols. Ainsi Techo (341; Lu, c.xx;
p. 5o) affirme, comme nous favons vu page 56, que les Indiens
des montagnes de fAconquija, qu'il dénomme des Lules, par-
laient le quichua , en dehors du cacan et du tonocoté , lors de
la visite des PP. Monroy et Viana. Le P. Bârzana étant le seul
Européen qu'ils eussent vu auparavant, ce dernier, en quelques
jours ou même quelques semaines, aurait-il pu vraisemblable-
ment implanter parmi ces Lules la langue quichua, s'ils ne
f avaient sue déjà.^ Le même Techo [ibid; l. ix, c. xxxiv; p. 258) cite le
fait qu'en 1 6 3 i les Indiens parlaient le quichua et le « calchaqui »
(cacan) dans les « montagnes de Quimilpa » et dans la Vallée de
Catamarca. Or, à cette époque, les Espagnols n'avaient fait que
des incursions accidentelles dans ces parages. Donc, en toute
certitude, ils n'avaient pas eu le temps d'y porter le quichua.
Enfin, si nous en croyons Garcilaso de la Vega (140; L vu, cm;
fol. 167), le quichua «était, à fépoque des Incas, parlé depuis
Quito jusqu'au royaume du Chili et jusqu'au royaume de
Tumac (Tucma, Tucuman) ».
Ces exemples démontrent que le quichua était parlé par les
Diaguites avant la conquête espagnole. Cependant, on ne peut
REGION DIAGUITE. 195
le nier, ceux-ci ont contribué à répandre cette langue dans
certaines régions de la République Argentine actuelle. A ce
sujet, il faut d'abord remarquer que l'action hispanique,
dans ce cas, a été très exagérée. Certains auteurs prétendent
que les autorités et les encomenderos espagnols auraient imposé
le quiclîua aux indigènes, et que les yanaconas péruviens,
amenés par les conquérants, auraient été les instruments de
cette « quichuisation » des Indiens. Or c'est plutôt le contiaire
qui est vrai : les Espagnols essayaient de répandre partout leur
propre langue, et non le quichua dans le monde indigène,
et ceci d'après le témoignage de plusieurs chroniqueurs. Ainsi
le P. Blas Valera, cité par Garcilaso (140; 1. vu, c. i;fol. i66), dit
clairement que le quichua, après la conquête, « se perdit dans
plusieurs provinces » , et Don Antonio de Léon Pinelo (214)
rapporte, en 1629, que le quichua, à cette époque, « était très
altéré par des éléments espagnols et s'était perdu dans quelques
provinces, par suite de la négligence des gouverneurs espa-
gnols ». Ces renseignements démontrent que les autorités espa-
gnoles ne faisaient rien pour la conservation du quichua. En ce
qui concerne \e,^ yanaconas, les conquérants, d'après les données
historiques, n'ont jamais amené dans les provinces diaguites
un nombre considérable de ces auxiliaires, si l'on excepte Don
Diego de Almagro qui ne s'arrêta pas dans cette région, mais la
traversa seulement pour se rendre au Chili. Les conquérants
du Tucuman n'eurent, à aucun moment, àç^s yanaconas assez
nombreux pour que ceux-ci aient pu même contri])uer à la
diffusion du quichua. Engénéral, les immigrations ou introduc-
tions d'Indiens du Pérou dans le territoire argentin acluel, à
l'époque espagnole, ne méritent pas d'être prises en considéra-
tion. Bien plus, un décret du vice-roi (hi Pérou, Don Francisco
de Toledo, daté de La Plata (Chuquisaca), 2 novend3re lôyS,
et publié en partie par le D' Quesada (294, p. iS) démoiilic (juc
les Espagnols du Pérou avaient pris l'habitude d'amener du
l'ucuman des Indiens pour les employer, en Bolivie et au
Pérou, sur leurs pr{)]:>riélés, pour les \(uidr(* comme esclaves ou
196 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
les louer à des tiers. Cette opération se faisait sur une si grande
échelle que le vice-roi, craignant le dépeuplement du Tucuman ,
se vit obligé de défendre, sous des peines sévères, l'espèce de
traite en question.
Reste la possibilité d'une introduction du quichua par les
missionnaires et par les membres du clergé espagnol qui tous
l'avaient appris au Pérou. Nous avons quelques raisons de croire
que le clergé a travaillé dans ce sens afin de s'éviter la nécessité
d'apprendre les diverses langues indiennes. Mais, d'après les
chroniqueurs, cette action des ecclésiastiques se serait exercée
plutôt en dehors des limites des Diaguites que parmi ces der-
niers Indiens. L'abbé Mossi (248, p.7) croit que l'introduction et
la persistance du quichua en Santiago del Estero sont dues en
partie à une résolution du Concile de Lima de i583, par
laquelle il aurait été ordonné au clergé d'enseigner, seulement
en langue quichua, la doctrine et le catéchisme aux indigènes,
et de n'employer d'autres textes pour les prières et le catéchisme
que ceux qui avaient été approuvés par le Concile , et qui étaient
rédigés en quichua et en aymara. Mais, suivant l'édition d'Ila-
roldus (161 bis; aciioi", c. m; p. 6) des actcs de ce Concile, celui-ci,
au contraire, ordonne aux évêques de faire traduire les textes
approuvés dans les diverses langues de leurs diocèses. Cepen-
dant, d'autre part, le P. Jolis (182, p. 45 1) rapporte que les Mata-
râs, habitant à l'est de la ville de Santiago del Estero, ne
parlaient plus leur langue propre, le tonocoté, à la fin du
xv!!!*" siècle, mais seulement le quichua. Or les Matarâs, à
l'époque de la visite du premier missionnaire, Barzana, ne
savaient encore que le tonocoté et paraissent avoir appris le
quichua postérieurement. Barzana (55,p. uv) dit aussi que les
Sanavirons, les Indamas et d'autres Indiens qui dépendaient de
Santiago, de San Miguel de Tucuman, de Côrdoba, de Salta
et d'Esteco, «avaient appris la langue de Ciizco ». Mais ces
Indiens ne peuvent avoir été des Diaguites qui, d'après le témoi-
gnage de Techo que nous venons de citer, savaient déjà le qui-
chua avant l'arrivée des Esj^agnols. H ne peut s'agir que des
REGION DIXGUITE. 197
Indiens de la plaine, chez lesquels on ne peiil nier Tinfluence
des missionnaires pour la dilïïision du quichua.
En résumé, les faits énumérés le prouvent, les Diaguites
parlaient le quichua, concurremment avec le cacan avant la
conquête, et l'influence des missionnaires, si elle s'exerça sous
ce rapport, s'est simplement bornée à maintenir la langue. Com-
ment, du reste, admettre que quelques prêtres aient pu, chez
un peuple d'un assez haut degré de culture, implanter une
langue étrangère assez profondément pour avoir supprimé tout
à fait la langue originelle et même changer du tout au tout la
toponymie? Dernier argument décisif : ce n'est j)as seulement
l'introduction du quichua, c'est aussi celle des idées mytholo-
gicjues et religieuses du Pérou — les seules reliques de l'ancien
paganisme conservées par les descendants des anciens Diaguites
dans leur folklore — qu'il s'agit d'expliquer. Faudrait-il donc
attribuer aussi ce dernier phénomène au clergé espagnol , comme
le veut la logique, mais comme s'y refuse le simple bon sens.^
Renseignements historiques. — Comment ont été introduits
chez les Diaguites, d'une manière si large, si profonde, l'art
péruvien, la métallurgie péruvienne, la langue quichua, les
croyances péruviennes, le culte incasique du Soleil.»^ Les rela-
tions commerciales, des déplacements fréquents de Diaguites
au Pérou et de Péruviens au pays des Diaguites, des guerres
avec l'échange consécutif de prisonniers, ne suffiraient pas à
expliquer ce développement de la culture péruvienne dans les
vallées argentines. Seule fliypothèse d'une longue domination
péruvienne peut nous donner la solution du problème. Mal-
heureusement, les renseignements donnés à ce sujet par les
historiens généraux du Pérou et ceux de la province jésuite du
Paraguay sont obscurs et incertains.
Trois historiens seulement du Pérou préhispanique ont, à
notre connaissance, parlé du Tucuman antérieur à la conquête
européenne : Montesinos, Garcilaso et Pachacuti. Les autres
historiographes du Pérou ne font que les reproduire.
198 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
Le llcenciado Fernando de Montesinos (241) passa une douzaine
d'années à voyager dans les difFérentes régions du Pérou, où il
s'occupait spécialement d'entreprises minières et de l'appren-
tissage métallurgique des Espagnols. Il arriva au Pérou en 1629
et le manuscrit de ses Memorias antiguas y poUticas porte la date
de 1642. C'est un des ouvrages les plus critiqués de l'ancienne
historiographie. Plusieurs auteurs mettent même en doute
l'authenticité des légendes qu'il rapporte. Cependant Monte-
sinos est le seul qui se soit occupé de l'époque préincasique,
on peut même dire qui en ait eu la notion, notion pourtant
naturelle, historiquement et logiquement nécessaire, car la
civilisation péruvienne ne peut avoir eu le temps de se déve-
lopper pendant la courte durée — un peu plus de quatre cents
ans — de l'empire des Incas. D'autre part, des monuments
mégalithiques, comme ceux de Tiahuanaco, d'époque anté-
rieure — tout l'atteste — à cette dynastie, ne peuvent avoir
été construits que par des souverains, maîtres d'un grand
Etat régulièrement organisé et sans doute autocratique. C'est
l'histoire de ces souverains, les Pyrhuas et les Amautas, qu'a
écrite Montesinos. Il a dressé une chronologie de l'antiquité
péruvienne comprenant environ 4 ,000 ans et commençant cinq
cents ans après le « diluve ». Il énumère 1 o 1 rois du Pérou, tan-
dis que Garcilaso en nomme seulement i/i, et Acosta, 7. Nous
ignorons de quelle source Montesinos a tiré ses récits préinca-
siques, mais certainement ils ne peuvent être l'œuvre de son ima-
gination. Ils ont une saveur tellement indienne, qu'au temps de
Montesinos nul Espagnol n'aurait été capahle de fahriquer
de toutes pièces de pareilles légendes avec la connaissance du
monde indigène qu'il pouvait avoir. La simple lecture du livre
dit la sincérité de l'écrivain, instruit vraisemhlahlement du
passé préincasique par les derniers amautas qui conservèrent,
comme en dépôt, la tradition et la science nationales. Les dy-
nasties préincasiques et la chronologie de Montesinos viennent
de trouver aujourd'hui un appui dans les théories formulées
par le D"^ Max Lhle, à la suite de ses dernières recherches au
REGION DTAGUITE.
199
Pérou. M. Ulile altri])ue à la civilisation de Tialiuanaco, anté-
rieure à l'ère incasique, une durée de i,5oo ans, et il classe
des vestiges découverts à Ica et à Nazca comme provenant
d'une civilisation encore plus reculée.
Voici les passages de l'ouvrage de Montesinos qui mention-
nent le «Tucuman», c'est-à-dire la région diaguite :
C. VIII, p. AS, Gobernà Manco Capac Yupaïujiii su reino cou todapaz auiujue
sus capitanes tuvieron algunas guerras contra los del Tucuman que habian entrado
por los Chichas. (« Manco-Capac-Vupanqui^^' régnait dans une paix par faite,
quoique ses capitaines eussent quelques guerres avec les habitants du Tucu-
man qui étaient entrés par la province des Chicbas. »)
C. XI, p. 6/i. Déjà Paullu Toto Capac por heredero à Cayo Manco Amauta,
scgundo deste nombre. En tiempo deste liubo grandes alborotos en el reyno por las
nuevas que vinieron de que por Tucuman, Ckiriguainas y Cliile habia venido gente
ferocisima y guerrera. (« Paullu-Toto-Capac laissa comme héritier Cayo-
Manco -Amauta ^^^ le deuxième de ce nom. Dans son temps il y eut de grandes
inquiétudes dans le royaume, à cause de la nouvelle arrivée que des gens
très féroces et guerriers étaient entrés de Tucuman , de Chiriguainas et du
Chili. »)
C. XIII, p. y 5. Tupac Curi Amauta dejô por heredero à Huillcanota Amauta.
En tiempo de este rey vinieron mâchas tropas de génies por el Tucuman y sus
gobernadores se vinieron retirando al Cuzco. (« Tupac-Curi- Amauta laissa
comme héritier Huillcanota-Amauta^^'. Au temjjs de ce roi, de grandes mul-
titudes de gens vinrent du Tucuman et leurs [ses?] gouverneurs furent obligés
de se retirer à Cuzco »^^U
'*' De la dynastie des Pyihuas , 6° roi du
Pérou, selon Montesinos. Jl aurait régné
environ i,5oo ans avant Jésus-Christ.
'^^ 24° roi du Pérou. Il régnait , suivant
Montesinos, plus de /joo ans après. Manco-
Capac-Yupanqui.
('^ 55* roi du Pérou. Selon Montesinos,
on peut calculer qu'il aurait régné environ
700 ans après Cayo-Manco-Amaula, c'est-
à-dire un peu plus d'un siècle avant l'ère
chrétienne, en se rapportant au « dchige »
de Montesinos. Naturellement, la chrono-
logie de celui-ci n'est basée que sur des
légendes, et il faut la prendre sous héné-
fice d'inventaire.
(*' M. J. B. Ambroselti (19, p. 88)|ran-
scrit dans l'un de ses travaux les mêmes
passages de Montesinos d'après une édition
des McDiorias , insérée dans la Revisla de
Biicnos-Airex, t. XXI et XXII. Le texte
de celte édition présente des dilTérences
avec l'édition espagnole, mais on ne peut
hésiter entre les deux, la dernière ayant
été l'aile par les soins de l'érudit Marcos
Jiinénez de la Espada, d'après un manu-
scrit en partie autographe de Montesinos.
M. Ambrosetti cite aussi d'autres passages
de celui-ci, où il est parlé d'invasions de
los Andes au Pérou. L,os Andes n'ont rien à
voir avec le Tucuman, connue semble le
croire M. Ambrosetti. Los Andes de Monte-
sinos sont naturellement les Antis des
200 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Analysons ces passages. Les deux premiers nous parlent
d'invasions des Indiens du Tucuman dans le Haut Pérou,
c est-à-dire dans la Bolivie actuelle. Il semble, d'après Monte-
sinos , que la région diaguite, à cette époque reculée, n'avait pas
encore été conquise par les Péruviens, mais que ceux-ci domi-
naient déjà la partie méridionale du haut plateau bolivien,
le pays des Chichas. Quant au troisième passage, sur l'invasion
au temps de Huillcanota-Amauta, le texte espagnol n'est pas
clair, le motsHS {^(johernadores) pouvant être traduit par «leurs»
ou par « ses ». Dans le premier cas, ce seraient les gouverneurs
péruviens du Tucuman qui se virent obligés de se retirer de-
vant la révolte de leurs sujets; dans le second cas, ce seraient
les gouverneurs péruviens de Huillcanota dans les Chichas,
qui durent s'enfuir, leur pays ayant été envahi par les Indiens
du Tucuman. Quoi qu'il en soit, Montesinos nous apprend
que, plusieurs siècles déjà avant les Incas, le Pérou avait des
relations, belliqueuses ou non, avec le Tucuman. En tout cas,
le Tucuman, dès ces temps lointains, était bien connu des
Péruviens. Nous sommes donc loin des affirmations de certains
défenseurs de l'autonomie de la « culture calchaquie » , quand
ils prétendent que les Incas ne connaissaient même pas la
région diaguite.
De Montesinos passons à Garcilaso de la Vega (140). Fils du
gouverneur espagnol de Guzco et d'une nusta, princesse du
sang des Incas, sa naissance le mettait, plus que tous les autres
écrivains de l'époque, à même de recueillir les traditions indi-
gènes. 11 eut aussi l'avantage d'écrire au premier temps de la
conquête : il était né à Cuzco en iBSg et mourut à Cordoue
en i6i6. La première édition de ses Comentarios Reaies fut
imprimée à Lisbonne en 1609. On l'a accusé, non sans raison, .
de s'être efforcé de peindre ses ascendants, les Incas, aussi favo-
rablement que possible, parfois aux dépens de la vérité. Mais
prétendre, comme M. Ambrosetti (19,p. idi) que la soumis-
anciens Péruviens, c'est-à-dire les pentes Titicaca, y compris la Montana forestière,
orientales des Andes au nord-est du lac au pied de la Cordillère.
REGION DIAGUITE. 201
sion des Indiens du rncunian, racontc'e par Gai'cilaso, est une
pure invention de celui-ci, destinée à rehausser la grandeur des
Incas, c'est aller un peu trop loin.
Voici ce que dit Garcilaso sur cette soumission :
L. V, c. XXV, fol. )2h. Estando el Inca (i'Inca Yupanqui, surnommé
Huiracocha-Inca, fils de I'Inca Yahuar-Huacac , 97" roi du Pérou d'après
Montesinos , 8" Inca selon Garcilaso; il régnait probablement au commen-
cement du xiv" siècle '^^) en la provincia de Charcas, vinieron embajadores dcl
Rey 110 l lama do Tue ma, que lo s Espafioles llaman Tucuman, (jue esta doscienlas
léguas de los Charcas al sudeste j puestos aiite él le dijeron : Capac Inca Hui-
racoclia, la fama de las hazanas de los Incas tus progenitores , la rectitud e
igualdad de su justicia, la hondad de sus leyes, el gohierno tan en favory bene-
ficio de los sdbditos, la excelencia de su religion, la piedad, clemencia y manse-
dumbre de la real condicion de todos vosotros, y las grandes maravillas que tu
padre el Sol nuevamente ha hecho por ti, ha penetrado hasta los àltimos fines de
nuestra tierra y aun passan adelante, de las cuales grandesas aficionados los
Caracas de todo el reyno Tucma envian à suplicarte hayas por bien recibirlos de-
bajo de tu imperio y permitas que se llamen tus vasallos, para que goccn de tus
beneficios, y te dignes de darnos Incas de tu sangre real que vayan con nosotros
à sacarnos de nuestras bârbaras leyes y costumbres y à ensenarnos la religion que
debemos tener y los fueros que debemos guardar. Para lo cual en nombre de todo
nustro Reyno te adoramos por hijo del Sol y te recibimos por Rey y senor nuestro
en testimonio de lo cual te ojrecemos nuestras personasy losfrutos de nuestra tierra,
para quesea sefialy muestra de que sonios tuyos. (« L'Inca étant dans la province
de Charcas , des ambassadeurs arrivèrent du royaume dit Tucma , que les
Espagnols appellent Tucuman et qui est situé à deux cents lieues au sud-
est de Charcas. Une fois devant I'Inca, ils lui dirent : Capac-Inca-Huiracocha,
le renom des prouesses des Incas, tes ancêtres, est arrivé jusqu'aiLx ultimes
frontières de notre pays; nous avons eu connaissance de leurs rectitude et
impartialité en justice, de la bonté de leurs lois, de leur gouvernement si
favorable et bienfaisant à leurs sujets, de l'excellence de leur religion, de la
piété, de la clémence et de la mansuétude de toutes vos royales personnes
*'^ Suivant la liste des Incas donnée reprendre la discussion sur les dilTérentes
par Garcilaso et acceptée par la plupart chronologies incasiques, mais je reniar-
des auteurs, tant anciens que modernes. querai toulelbis que le bon sens s'oppose
Montesinos supprime des Incas après Ilui- à rhypolhèse que cette con([U(Me eût eu
racocha et avance de celte manière, en un lieu seulement un siècle avant la con([uête
siècle environ, la conciuèle du Chili (et espagnole. Huiracocha ligure dans Monfe-
du Tucuman). Il ne convient pas ici de sinos sous le nom de Tupac-'ïupanqui.
202 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
et des grands miracles que ton père ie Soleil récemment a faits pour toi. Les
Curocas de tout le royaume de Tucma, épris de ces grandeurs, nous en-
voient pour te supplier de vouloir bien les accepter dans ton empire et de
leur permettre qu'ils se disent tes vassaux, pour pouvoir jouir de tes bien-
faits. Daigne nous donner des Incas de ton sang royal tpii nous accompagne-
ront pour nous délivrer de nos lois et de nos usages barbares et pour nous
enseigner la religion que nous devons suivre et les coutumes que nous devons
garder. C'est pourquoi, au nom de tout notre royaume, nous t'adorons
comme fds du Soleil , et nous t'acceptons pour notre Roi et Seigneur. En té-
moignage de quoi nous t'offrons nos personnes et les fruits de notre terre,
c[ui seront signe et preuve que nous sommes tiens. »)
Les ambassadeurs donnèrent à l'Inca «des tissus de coton,
du miel d'une qualité supérieure, du maïs et d'autres grains
et légumes de leur terre». L'Inca Huiracoclia accepta la sou-
mission des habitants de Tucma et leur fit de superbes ca-
deaux, entre autres des vêtements sacrés confectionnés pour sa
propre personne impériale par les mamaconas ; il ordonna à des
Tncas, ses parents, de partir pour Tucma pour y enseigner sa
religion; il y envoya également de ses officiers pour instruire
les Indiens dans fart de faire des canaux d'irrigation et dans
fagriculture , « afin d'augmenter les biens du Soleil et du Roi ».
Les ambassadeurs, avant de retourner à Tucma, annon-
cèrent à finca «que, non loin de leur pays, entre le Sud et
l'Occident, il y avait un grand royaume nommé Chili, très
peuplé, avec lequel le Tucma n'avait pas de relations commer-
ciales à cause d'une grande cordillère neigeuse qui séparait les
deux pays. Ils tenaient de leurs ancêtres des renseignements
sur le Chili et ils les communiquèrent à flnca pour qu'il
ordonnât la conquête et fannexion de ce royaume à son
empire ».
Plus loin, Garcilaso {ibid.; 1. vn, c. xvm; fol. i84), en parlant de
la conquête du Chili par le même Inca Huiracoclia, dit qu'il
donna comme guides aux chefs de l'armée envoyée contre ce
pays des indios de los de Atacama y de los de Tucma, por los
ciiales como atras dijimos habia alcjiina nolic'ia del reyno de Chili
(« Indiens d'Atacama et de Tucma par lesquels, comme nous
RÉGION DIAGUITE. 203
l'avons dit anlrrieureinenl, on avait des renseignements sur le
royaume du Chili »).
Le noble Indien Don Joan de Santacruz Pacliacuti Yamqui
(281, p. 292) était, d'après ses propres déclarations, le descen-
dant d'une famille de caciques des Gollahuas, qui faisaient
partie des Rucanas et habitaient au nord d'Arequipa. Dans
sa Relacwn de antujiïedadcs dcl Perû, écrite, d'après M. Jiménez
de la Espada, vers 16 13, Pacliacuti conhrnie le fait, rapporté
par Garcilaso , d'une domination incasique dans le Tucuman ,
sous l'empire de Yupanqui (Huiracocha). Voici le passage
intéressant de cette relation :
A esta saxon vicne la micha como los Chillcs hazian (jcntc de guerra para contra
el ynga, y entonces despacha un capitan con veinte mil hombres y otros veinte à
los Gaarmeoaucas , los cuales dos capitanes llegail hasta los Coquimhos y Chilles
y Tucuman, muyhien, trayendoles muclio oro; y los ennemigos no liacen tanto
dafio en los de acà, unies on poca fazelidad fueron sujetados, y los Guarmeaucas
lo mismo, y en donde los déjà una compahia para que servieran de garafwnes, y
de alli irae grau cantidad de oro l'inisimo para el Cuzco. (« A cette époque on
reçoit des nouvelles, suivant lesquelles les Chilles préparaient des gens de
guerre contre l'Inca [Yupanqui] et celui-ci expédia contre eux un capi-
taine avec Adngt mille hommes et vingt mille autres contre les Guarnieo-
aucas(?). Les deux capitaines arrivèrent à Coquimho, au Chili et à Tucuman
où ils prirent beaucoup d'or. Les ennemis ne firent pas grand mal aux Péru-
viens; au contraire, ils furent facilement vaincus, de même que les Guar-
meaucas. Les capitaines y laissèrent une compagnie d'hommes pour servir
d'étalons*^' et rapportèrent à Cuzco une grande quantité d'or très fin. »)
Les relations écrites après la conquête, suivant les traditions
verbales, sont naturellement toujours vagues, et on pourrait
se demander si, dans le cas présent, il s'agit d'une attaque des
Indiens du Chili et du Tucuman contre l'Inca ou d'une rébel-
lion de CCS Indiens contre le pouvoir d('')à étal)li dans leur
pays par le Cuzco. Mais le fait que les capitanes incasiques lais-
''^ Garaûon , littôralcmont : âne non peul s'inlerpnHor ([uVn faisanl a[»|H*l à 1V\-
chàtré, propre à la reproduction. Ce pas- pression rabelaisienne «porter sa graine
sage de Pachacuti, si curieux pour félude chez le voisin ».
des procédés incasiques d'assimilation, ne
204 ANTIQUITES DE LA RECION ANDINE.
sèrent une « comj^agiiie » en garnison, après avoir réduit la
révolte, confirme l'existence de la domination incasique dans
le Tucuman, rapportée par Garcilaso. Cette confirmation est
d'autant plus significative que Pachacuti probablement n'a pu
consulter Garcilaso.
Un autre auteur, le capitaine Rui Diaz de Guzman (116; l. m),
c. xii;p. i35), presque contemporain de Pachacuti, mais habitant
Assomption-du-Paraguay, confirme aussi le fait de la domi-
nation des Incas dans le Tucuman. Diaz de Guzman écrit que
San Miguel de Tucuman fut fondé « dans une contrée de quatre
ou cinq mille Indiens dont une partie, ceux qui habitaient les
montagnes, avaient reconnu jadis finca du Pérou comme leur
roi. Les autres avaient des caciques qu'ils respectaient».
Don Juan de Matienzo (232, p. xliu-xliv) donne un témoignage
concret que la Vallée Calchaquie , et tout au moins certaines
parties de Catamarca, comme Belen et Tinogasta, se sont trou-
vées sous la domination régulière des Incas. Nous reproduisons
plus loin f itinéraire proposé par Matienzo pour la jonction de
la Bolivie avec le Piio de la Plata. Matienzo dit clairement que
le « chemin des Incas » vers le Chili passait par la Vallée Cal-
chaquie , par Londres (Belen) et parla « Cordillera de Almagro »
(c'est sans doute la j)artie de la Grande Cordillère où le col
de San Francisco sert de passage entre Tinogasta et le Chili).
Plus loin, Matienzo rajDporte qu'à toutes les étapes de cette
route il y avait des tamhos del Inca, c'est-à-dire des auberges
qui étaient en même temps des relais pour les courriers impé-
riaux. A fépoque incasique, dans le voisinage de ces stations,
les Indiens étaient tenus à prêter tous les services qu'on exigeait
d'eux, au nom de fInca. Narvaez (253, p. i/iy), en parlant des
A allées situées entre Santa Maria et le Chili, confirme f exis-
tence du chemin incasique mentionné par Matienzo. Il dit :
Vapor acjui elcamino real del incja del Pirii à Cliile (« Le chemin
royal de f Inca , du Pérou au Chili , jDasse par là » ) . L'établissement
d'un service régulier de postes, par la Vallée Calchaquie et à
travers la province de Catamarca, avec les obligations qui en
REGION DIAGUITE. 205
étaient la conséquence et qui étaient imposées aux habitants
du pays, démontrent que les Incas exerçaient une souverai-
neté absolue sur les régions attenantes à ce chemin. L'autorité
d'un homme comme Matienzo, ayant des connaissances aussi
approfondies sur l'Amérique espagnole de son époque, donne
à ses renseignements une très grande valeur. Lozano (220, iv,
p. 77), quoiqu'il nie la domination incasique dans la région dia-
guite, confirme pourtant les renseignements de Matienzo et
de Narvaez, en disant que « le chemin royal des Incas, de Cuzco
au Chili, passait par les plaines de Salta » [los Uanos de Salta,
por donde iba el camino Real de los Incas desde el Ciizco al reiiio
de Chile). Ces «plaines de Salla » ne peuvent être que la Puna
de Jujuy, d'où le chemin devait nécessairement continuer par
la Vallée Calchaquie. Selon le capitaine Miguel de Olaverrj'a
(273 bis, p. 23), qui écrivait vers 169/^, ce chemin continuait
jusqu'à Mendoza, d'où il traversait la Cordillère pour se ter-
miner au Chili. Jusque-là il y avait des tambos le long du che-
min. A la fin du xv*' siècle, une armée péruvienne faurait suivi
en se dirigeant sur le sud du Chili. Olaverria semble avoir eu
ces renseignements des Araucans de ce pays. Il dit avoir vu des
ruines de tambos jusque dans les passages les plus élevés de la
Cordillère.
Le P. Bàrzana (55, p. lv) parle d'un manière très Aague de la
domination incasique sur les Diaguites. Des régions appar-
tenant à f ancienne province de Tucuman, il semble croire
que seule la Vallée Calchaquie ait eu un « gouvernement géné-
ral» [cabeza (jeneraï) et il ne dit pas si ce «gouvernement gé-
néral» avait été, d'après son opinion, f empire incasique.
Techo (341; 1. I, c. XIX ; p. i5) commeuce par définir ainsi les
limites du Tucuman : Tacumania inter Paraguarinm et C/nlennni
refjniim média, ab Oriente partim ipsl Paracjuario, partim Arcjenteo
JJiiimni adjacentes terras respicit, ab Occidente Pernviœ monldxis
terminatur. Le Tucuman déterminé de cette iiiaLiiérc est donc
pris dans le sens le plus vaste du mot. Techo décrit ensuite»
les habitants de ce territoire, parmi lesquels il compte les no-
206 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
mades des déserts de San Juan — les Huarpes — et les tribus
sauvages des plaines à l'est de la région montagneuse. Enfin
Techo dit des Indiens des montagnes : Ullim'i in cxujius pagis
ver vallcs et montium aspen taies oh Peruviœ vicinUatein, et commer-
ciiim, aliciiaiito ciiltius ac latins decjiint. Ces derniers Indiens, —
les Diaguites — « voisins du Pérou « , relevaient, suivant Techo,
de l'empire incasique : Qiia Peniviœ contermuii erant, Incjœ Recji
parehant. Au contraire , les Indiens des plaines se répartissaient
en tribus gouvernées par des caciques : Cœtcr'i in factiunciilas
dieisi, Casimius aclhœrehant, non tam monbus , cjuam diversitate
linguarum notahiles. Or Techo, sans aucun doute, considérait
tous les Diaguites comme « voisins du Pérou » , et par consé-
quent, d'après lui, tous les Diaguites s'étaient trouvés, avant
la conquête espagnole, sous la domination des Incas. En ce
qui concerne les Calchaquis, Techo [ibid, 1. v, c. xn; p. 1^7) s'ex-
prime avec plus de clarté encore : CalcJiacininos Imjis Periiviœ
Recjihns oUm pariiisse docent miilta victœ (jentis monumenta : persé-
vérante adhuc in indicjenariim aninus ercja Imjaruni nomen venera-
tione.
Ainsi, selon Techo, les Calchaquis et, en général, les Dia-
guites, après la conquête espagnole, continuèrent à vénérer les
Incas. La confirmation de ce fait nous est fournie par la célèbre
révolte qui eut pour chef Pedro Chamijo, connu sous le nom
de Pedro Bohôrquez. Lozano (220, v, p. 13-179) s'occupe très en
détail de cette rébelhon. Bohôrquez était un aventurier espa-
gnol qui avait commis au Pérou de nombreuses escroqueries
et autres délits. Il fut déporté au Chili et enfermé dans la prison
de Valdivia, mais il put s'échapper et traverser la Cordillère,
se rendant d'al^ord à San Juan, ensuite à La Rioja, où il ar-
riva en i6v56. Bohôrquez avait passé de longues années parmi
les Indiens du Pérou et il s'était parfaitement assimilé leurs
coutumes. Dans la Vallée de Guandacol et parmi les Capayans
deFamatina, il se présenta comme fun des descendants des
Incas. Il obtint crédit et les Indiens facclamèrent comme Mes-
sie libérateur. Sous le nom de Huallpa-lnca et accompagné de
REGION DIAGUITE. 207
sa concubine, une métisse aiFublée du titre de Colla, la femme
de rinca, Taventurier se rendit dans la Vallée de Catamarca,
dans les montagnes de l'Aconquija et enlin dans la Vallée Cal-
cliaquie. Sa tournée fut une vraie marche triomphale : partout
les Indiens l'acclamaient et lui rendaient les honneurs que
Ton rendait jadis aux Incas. Le gouverneur de Tucuman, Don
Alonso de Mercado y Villacorta, craignant peut-être finfluence
de Bohôrquez sur les Indiens et peut-être aussi séduit par la
promesse de partager avec Bohôrquez les trésors cachés des
Incas, se laissa aller à signer un traité d'alliance avec faven-
turier. H donna même à Bohôrquez la permission de porter
le titre que celui-ci avait usurpé. Le faux Inca, accompagné
d'une suite de 1 17 caciques, eut à Poman une entrevue avec
le gouverneur, qui l'accueillit en grande pompe. Mais le gou-
verneur Mercado reçut du vice-roi du Pérou l'ordre d'arrêter
Bohôrquez et de le remettre prisonnier à Lima. L'exécution d'un
tel ordre ne fut pas facile. Le faux Inca souleva, en 1657, ses
fidèles Indiens qui attaquèrent Mercado, dans la Vallée (le
Lerma, où celui-ci avait rassemblé des forces considérables.
Avec beaucoup de difficulté Mercado réussit à repousser leur
attaque. Mais, pour s'emparer de Bohôrquez, il fallut lui donner
un sauf-conduit. Enfin, contre la promesse formelle qu'il aurait
la vie sauve, Bohôrquez se livra et fut conduit à Lima, où il
demeura emprisonné jusqu'en 1666. Son pouvoir sur les Cal-
chaquis était si grand, qu'il put de sa prison, par émissaires,
préparer une nouvelle révolte; il fut, pour ce motif , condamné
à mort et exécuté. On n'en peut douter : c'était comme Inca
que les Indiens suivaient Bohôrquez. Plusieurs de ses contem-
porains l'affirment. Ainsi le P. Eugenio del Sancho, mission-
naire à Santa Maria pendant le séjour de l'aventurier dans la
Vallée Galchaquie, écrivit au gouverneur Mei'cado — la lettre
a été publiée ])ar Lozano {ibid.. v, p. 35) — que les Indiens « tai-
saient fête à Bohôrc[uez et facclamaient, comme s'il avait été
un de leurs anciens Incas». L'évêque de Tucuman, Fr. Mel-
chor Maldonado de Saavedra (227, [>. 4G) dit aussi avoir averti
208 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Mercado des dangers que créait la présence parmi les Indiens
d'un individu «portant le nom d'Inca». L'imposteur aurait-il
pu s'imposer d'une manière telle aux Diaguites, si ces derniers
n'avaient pas appartenu, avant la conquête, à l'empire des
Incas ?
L'évêque Maldonado, dans une autre lettre adressée à
Bohôrquez même, et reproduite par Lozano (220, v, p. 69 70), dit
clairement que les « Calchaquis » avaient été jadis soumis et
maintenus sous la domination des Incas au moyen de forte-
resses. Les Calchaquis, ajoute l'évêque, n'aimaient point ces
souverains qui les gouvernaient seulement par la force. On ne
peut en douter : Maldonado présente ainsi les choses afin de
persuader Bohôrquez d'abandonner ses plans ambitieux et son
rôle de soi-disant Inca. Dans son commentaire de la lettre du
prélat, Lozano (i7»îW., p. 71) se fait l'écho, tout en la contestant,
d'une tradition en vogue parmi les Espagnols de son époque.
D'après ce récit, farmée des Incas aurait deux fois conquis la
Vallée Calcliaquie, mais les habitants se seraient par deux fois
révoltés contre les vainqueurs. A la seconde de ces rébellions,
une armée aurait été envoyée de Guzco avec l'ordre de détruire
tous les villages de la vallée, ordre scrupuleusement exécuté.
Le nom Galchaqui viendrait du verbe quichua calchani « abattre
le maïs » ^'', et ce nom aurait été donné à la vallée parce que ses
maisons et ses habitants furent abattus comme des chaumes.
Une nouvelle j)reuve de la domination des Incas dans la
région des Diaguites.nous est fournie par la tradition d'après
laquelle ces souverains du Pérou auraient exploité les liches
mines d'argent du Cerro de Famatina, dans La Rioja. Lozano
(220, 1, p. i85), au premier volume de son ouvrage historique,
répète cette tradition en rapportant que « les officiers des Incas
extrayaient du Cerro de Famatina de très grandes richesses d'or
et d'argent » (e/ altisimo y miiy fainoso cerro de Famatina, de ciiyas
entranas sacaban los jnimstî'os de los Ingas (jrandisimas rinuecas de
''^ En quichua moderne, de Cuzco, le verbe callchny, que Lozano écrit calchani,
signifie en effet « faucher » , « moissonner ».
REGION DIAGUITE. 209
oro Y plata), que les Incas faisaient travailler là des milliers
d'Indiens voisins de la montagne et que plusieurs forteresses
assuraient la sécurité de l'exjiloitation. Lozano continue en di-
sant que les Espagnols ont vainement cherché ces mines, con-
nues des temps incasiques, car il leur a été impossible de tirer
aucun renseignement des Indiens obstinément muets sur les
secrets de ce genre qu'ils se transmettaient de père en fils.
Or, plus loin, au premier chapitre de son quatrième volume
(220, IV, p. 5-12), consacré à prouver que fancien Tucuman n'a
jamais connu la domination incasique, Lozano revient sur ces
mines de Famatina. Cette fois il nie que les Incas les aient
jamais exploitées et, sous prétexte que de son temps les Espa-
gnols n'en faisaient rien, il nie même l'existence des gisements
rendus fameux par la tradition indigène. Or les mines d'argent
dont il s'agit sont, en réalité, les plus riches et les plus pro-
ductives de la République Argentine actuelle, et si prospères
sont les compagnies propriétaires qu'on a pu établir, à frais
considérables, pour faciliter fextraction, un chemin de fer
aérien jusqu'au sommet de la montagne, qui a une altitude de
6, COQ mètres au-dessus du niveau de la mer. En somme, si,
malgré les traditions relatives à la richesse de Famatina, les
Espagnols n'en avaient pas encore , au temps de Lozano , com-
mencé la mise en valeur, c'est justement à cause du mutisme
des indigènes au sujet de l'existence et de l'emplacement des
veines. Et, dès lors, les récits relatifs à une exploitation inca-
sique deviennent infiniment probables.
Les autres arguments de Lozano contre la domination inca-
sique sont d'ordre tout à fait dialectique, et d'ailleurs assez
confus. Les Incas, dit-il en substance, avaient en effet réussi à
soumettre les vaillants Diaguites, mais ils n'avaient pas étendu
leur conquête aux plaines du Tucuman. Et Lozano s'étonne,
car, selon lui, les Indiens de la plaine leur auraient opposé une
résistance assurément beaucoup moins opiniâtre, puisqu'ils ont
été si facilement vaincus par les Es2:)agnols. C'est là naïvement
oublier que les Péruviens étaient, par délinition, en quelque
210 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
sorte un peuple montagnard et, comme leurs lamas, ne pou-
vaient vivre dans les forêts des plaines. Ils n'ont jamais étendu
leurs conquêtes sur les régions basses autour du cours supé-
rieur des affluents de l'Amazone, ni dans le Grand Chaco, et
il est, par suite, tout naturel qu'ils ne se soient jamais préoc-
cupés des plaines de Tucuman et de Santiago del Estero.
Lozano s'efforce aussi de réfuter les arguments linguistiques
qui pèsent d'un si grand poids en faveur d'une ancienne suze-
raineté incasique sur la région diaguite , à savoir la prépondé-
rance de la langue quicha et le caractère quichua de la topo-
nymie dans cette région. Nous avons déjà discuté ces points.
Il nous faut seulement ajouter ici que, pour expliquer en
dehors d'une conquête péruvienne l'existence des noms de lieux
quichuas, Lozano se borne à examiner deux cas particuliers
dont il rend compte à sa façon. D'abord celui du nom Chicoana
(( dans la Vallée Calchaquie ». Ce nom pourrait, suivant Lozano,
avoir été donné à cette localité par quelques Indiens originaires
de Chicoana , près de Cuzco , qui se seraient enfuis de leur vil-
lage natal, par crainte d'être punis pour un délit quelconque
I^Pudiera ser (jue algunos chicoanos discjnstados del nnperio de su
soherano o fugitivos del miedo jwr ahjiin delito , se hubiesen
refiigiado à Calcliacjiii . . . . , j ellos diesen el nombre de Chicoana
para recuerdo de su ahandonada patria . . .). Le deuxième nom de
lieu expliqué par Lozano est celui d'une autre localité située
également dans la Vallée Calchaquie , qui s'aj)pelait « Tambo
del Inca ». L'explication la plus naturelle de cette dénomination,
c'est que l'endroit aurait servi de relais aux courriers incasiques
à l'époque préhispanique. Lozano préfère admettre que l'Inca
Paulin s'y serait arrêté en escortant Almagro dans son expédi-
tion au Chili. Et voici les justifications de cette hypothèse : Les
serviteurs de Paulin faisaient rouler devant lui , pour aplanir le
chemin, un cylindre de pierre. Or ils se seraient vus obligés
de l'abandonner à « Tambo del Inca » , la route devenant trop
pas mauvaise , et la localité aurait porté depuis lors le nom de
Piumusaicué, «pierre fatiguée» en quichua. Je ne comprends
REGION DIAGUITE, 211
pas bien le rapport pouvant exister entre les noms Rumisaicué
et Tambo del Inca. Mais admettons que le premier prouve que
ce Tambo fiel Inca date seulement du temps d'Almagro et de
Paulin, il y a un grand nombre d'autres « Tambo del Inca » et
« Incahuasi » (« maison de l'Inca ») , distribués sur tout le terri-
toire diaguite et qui ne peuvent s'expliquer par la marche de
Paulin à travers la Vallée Galchaquie. D'ailleurs les renseigne-
ments de Matienzo constatent l'existence de plusieurs tamhos le
long du chemin incasique qui traversait cette vallée.
En une autre partie de son livre, Lozano (220, i, p. 175) voit
dans la « quichuisation » du pays diaguite l'œuvre d'un parti
d'Orejones qui se seraient enfuis de Cuzco au temps de la con-
quête espagnole , pour s'établir dans les montagnes du Tucuman.
Cette hypothèse, comme les autres, n'est fondée sur rien; elle
est, en elle-même, tout à fait invraisemblable.
M. Ambrosetti (19, p. 1/1 1-1 5o) transcrit in extenso l'argumenta-
tion de Lozano contre l'hypothèse d'une domination incasique.
De son cru, il n'y ajoute rien. H n'y a joint que d'autres cita-
tions de Lozano. D'après ces derniers passages, les « Galcha-
quis » avaient, à l'époque de leurs rebellions contre les Espa-
gnols, l'habitude d'envoyer de village en village et de maison
en maison une flèche pour convoquer à la guerre. Quelle
analogie y a-t-il entre cette coutume et l'ancienne soumission
des Diaguites aux Incas, ou avec leur autonomie par rapport
au royaume de Cuzco .►^ Je ne le comprends pas bien.
Enlin, je dois le remarquer, Lozano (220, i,p. 175) reconnaît
lui-même que les Incas avaient conquis la partie du Tucuman
qui était sur la frontière du Pérou (Los In(jas poderosos enipera-
dores de la América no concjidstaron de esta provuicia — Tucu-
man — sino solo sas cxtrenios hacia el Perûy
En résumé : les Diaguites sont peut-être, comme l'insinue
M. Ehrenreiclî (122, p.d/i), (piant à leur ethnogénie, un mélange
de différents éléments, mais les études archéologiques el histo-
riques démontrent que leur culture est nettement péruvienne,
i4.
212 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
sans autres éléments hétérogènes que quelques coutumes ri-
tuelles et funéraires. Quant à la question de savoir si, politi-
quement, les Diaguites ont été ou non subordonnés à l'ancien
Pérou , il faut d'abord avouer que l'existence dans leur pays de
la civilisation péruvienne, des arts et industries du Pérou, de la
langue quichua et du folklore péruvien, ne serait guère expli-
cable sans cette subordination politique. Les documents écrits
ne sont pas tout à faits décisifs à ce sujet, mais tous les historio-
graphes qui ont traité des Diaguites s'accordent quant à la sou-
mission de ceux-ci à l'Inca Yupanqui, excepté un compilateur
relativement moderne, le P. Lozano. Montesinos a d'ailleurs
constaté le contact qu'il y a eu entre le Pérou et le pays des
Diaguites, en des temps beaucoup plus reculés, circonstance
en effet fort vraisemblable.
JVtê d £L n
& r a. n d e
jts d'Aljga.'
A kp:(;i()> des diagi rri:s
ocalites dun intérêt archeologiaue
/v,^,/VAv„ ,,,-/;;.-...
M I SSION aPE CREQUI MOWTFORT irE SENECHAL DE U GRANGE
(ARTK DK LA KKCIO.N DES DIAGLTl'ES
indiquant les -ocalites dun intérêt archéologique
O
LAPAYA
(VALLÉE CALCHAQUIE
LAPAYA^''.
Après avoir essayé de résumer nos connaissances sur l'ar-
chéologie de la région des anciens Diaguites et avant de com-
mencer le compte rendu des résultats de mon voyage, je
donnerai ici la description d'une intéressante trouvaille faite
dans la Vallée Galchaquie.
En 1902, en rentrant à Buenos-Aires, après mon premier
voyage à la Puna et en Bolivie, je rencontrai dans le train deux
personnes : Tune était M. Piafael Martinez, propriétaire de la
hacienda Carbajal, près de Salta, chercheur infatigable de
mines d'or et de trésors cachés; l'autre, qui remplissait les
fonctions de conseil «technique» de M. Martinez, avait toutes
les professions : il était maître d'école, pharmacien, médecin,
expert en mines, et je ne sais quoi encore. Ces messieurs me
racontèrent avec beaucoup de mystère que, dans un voyage, ils
avaient trouvé un trésor caché « par les Incas » à Lapaya, dans
la Vallée Galchaquie. Ils me montrèrent quelques pièces pro-
venant àe ce trésor, et particulièrement une sorte de diadème
en or qu'ils appelaient « la couronne du roi Inca » , enfin quelques
poteries très intéressantes, le tout d'origine préhispanique. Ils
voulurent me vendre leur collection à un prix exorbitant et,
sans doute pour en augmenter la valeur, me dirent les histoires
les plus fantastiques et les plus contradictoires sur son origine
et la manière dont ils l'avaient trouvée.
La collection fut acquise par le Musée national fle Buenos-
Aires, et M. J. B. Ambrosetti (22) l'a décrite dans les Anales de
ce musée, sous le titre de El Scpulcro de La Paya.
A mon dernier séjour à Salta, je fus assez heureux d'ac-
quérir pour la Mission Française une nouvelle collection de
Lapaya, de M. Manuel Delgado, receveur d'impôts dugouver-
<■) Voir los {)lanclics VI-XV, inscréos après la pac^e a/jG.
216 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
nement de Salta dans le département de Gachi, où est situé
Lapaya.
M. Delgado avait continué les fouilles de M. Martinez, le
lendemain de la visite de ce dernier. M. Delgado m'a donné des
renseignements très précis sur les circonstances dans lesquelles
M. Martinez et lui-même ont déterré les objets des deux col-
lections; ces renseignements sont complètement différents de
ceux fournis par M. Martinez et son « conseil » à M. Ambrosetti,
et que celui-ci a publiés dans son ouvrage. M. Delgado m'a paru
un homme sérieux; de plus, en le questionnant sur le sujet,
j'ai posé mes questions de façon à pouvoir contrôler ses infor-
mations; je n'ai donc aucun doute sur leur véracité.
D'après M. Martinez et son « conseil » , M. Ambrosetti men-
tionne leur trouvaille comme ayant été faite dans une tombe
voûtée, construite en pierre, à 2™ de profondeur, «entre les
ruines d'une fortification indigène à fendroit dit Puerta de La
Paya ». Dans cette tombe on aurait aussi rencontré deux sque-
lettes que les chercheurs de trésors n'avaient pas emportés. Les
contradictions entre les récits faits respectivement à M. Am-
brosetti et à moi par M. Martinez d'une part, et les renseigne-
ments de M. Delgado d'autre part, m'ont convaincu que cette
tombe n'a jamais existé. M. Ambrosetti accompagne ses expli-
cations d'une ligure représentant « une tombe voûtée de la ré-
gion calchaquie», reproduction, au moyen du même cliché,
d'un dessin schématique que M. Ambrosetti (18, p. 5d) a publié
dans un autre ouvrage, pour expliquer la construction de cer-
taines tombes voûtées de Quilmes. Cette figure n'a aucun rap-
port avec Bapaya, et il me semble que, même si les objets de
cette collection avaient été trouvés dans une tombe voûtée, la
présence de ce dessin, au lieu d'éclairer le lecteur, lui ferait
plutôt croire que c'est là le soi-disant « sépulcre de Lapaya ».
Lapaya ^^^ est situé à lo*"" au sud de Cachi. Le D*" ten Kate
(342, p. 344) y a fait une courte visite en 1 898. 11 dit qu'il y a des
''' Voir la carte de la région diaguite, fi(j. 10, et aussi la carte archéologique à la fin
du présent ouvrage.
LA PAYA,
217
ruines sur une vaste étendue de terrain. Il a exhumé, au point
le plus élevé, une grande urne contenant un squelette d'en-
fant, un petit vase et deux écuelles ; ces trois pièces, ornées de
peintures. Le sol, entre les ruines, est parsemé de fragments
de poterie et de pierres travaillées. Au dire d'un habitant du
pays, à quelque distance des ruines se trouveraient des « roches
peintes « , c'esl-à-dire des pétroglyphes.
Fig. 11. — Plan de \a ruine où ont étr faites les trouvailles de Lapaya.
D'après M. Delgado aussi, les ruines, d'une grande étendue,
consistent en des restes de constructions en pirca, rectangu-
laires et rondes. Au milieu de ces ruines, on voit une maison
bâtie avec beaucoup plus de soin que les autres, avec des
pierres spéciales, j^lates, apportées d'un endroit situé à 7 kilo-
mètres des ruines, alors que le matériel des autres construc-
tions du village a été pris sur place. Je donne fig. ii le plan
de cette maison, d'après le croquis que m'en fit M. Delgado;
c'est une construction rectangulaire avec deux annexes eu
forme de triangles.
La présence d'une maison si spéciale parmi les ruines d'un
village préhispanique n'est pas un fait unique dans ces régions.
A Pucarâ de Rinconada, j'en ai trouvé une autre dans les mêmes
conditions, mais elle avait une annexe semi-circulaire au lieu
des annexes triangulaires de Lapaya.
218 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
C'est à Tendroit désigné B^ dans un coin de la maison, que
M. Martinez a fait sa trouvaille. L'excavation de M. Delgado a
été faite en A^ au centre de la maison, où apparaissait, d'après
lui, l'extrémité d'un pieu enfoncé perpendiculairement. En
suivant ce pieu, à 3°" de profondeur, M. Delgado a trouvé les
pièces que je vais décrire.
J'ai dû céder au Musée national de Buenos-Aires, en échange
d'autres objets ethnographiques, quelques-unes des pièces
provenant des fouilles de M. Delgado, et je regrette de ne pou-
voir donner ici leur description. Voici la liste de la collection,
ces pièces exceptées :
Objets éh or. — Une aigrette en or laminé [fig. 13 e) de
o™2 'j8 de longueur; poids, 8 grammes. Deux bandeaux [ficj. 13
f, g) de G™ o 1 3 de largeur et de o™ 2 7 2 et o™ 2 3 5 de longueur
respectivement; ils pèsent ensemble 9 grammes. Cette aigrette
et ces bandeaux faisaient sans doute partie d'une coiffure. Les
bandeaux sont pourvus de trous, destinés à les coudre sur une
haincha (bandeau en tissu ou en peau). Ces trous devaient
exister aux deux extrémités; mais j'ai été forcé de couper le
bout de l'un des bandeaux pour fanalyser, et l'autre n'était pas
entier quand je l'ai acquis. L'aigrette fixée dans le bandeau par
sa partie inférieure aiguë devait produire un joli effet brillant
lorsque les deux branches oscillaient au-dessus de la tête. Les
extrémités supérieures de l'aigrette représentent deux têtes de
serpents dont les contours et les yeux sont indiqués en travail
repoussé.
M. Ambrosetti décrit et figure une aigrette d'or, de la col-
lection Martinez, de même forme que la nôtre, mais sans les
lignes pointillées sur les têtes des serpents. Cette aigrette est
pourvue d'un trou, à la base de la pointe, sans doute pour
coudre faigrette au bandeau. Notre aigrette n'a pas de trou,
mais elle pouvait facilement être fixée au moyen d'un fil entou-
rant la base de chacune des branches. Le diadème appelé par
Martinez « la couronne du roi Inca » est aussi reproduit dans
LA PAYA. 219
ToLivrage de M. Ambrosetti : c'est une mince lame d'or sur-
montée de deux appendices perpendiculaires. La lame et les
appendices se terminent en croissants. Sur ces croissants se
trouvent des faces humaines formées de lignes repoussées ana-
logues à la face humaine de la plaque de Golgota [fuj. 53 a).
Il est en effet très probable que cette lame d'or a été employée
comme diadème, car elle est pourvue de quatre petits trous
servant à la coudre sur un bandeau. Le Musée national de
Buenos-Aires possède une aigrette ayant presque la même
forme que celles que nous avons décrites, mais en cuivre. Elle
diffère de celles de Lapaya seulement quant à ses extrémités
qui sont arrondies au lieu d'avoir la forme de têtes de serpent.
Cette pièce provient de Santa Maria, et M. Ambrosetti (29, p. 229)
en donne une figure. Selon Narvaez (253, p. i5i), les Comechin-
gons de Côrdoba ornaient la tête de plumas de cohre y otros
metalcs (plumes en cuivre ou autres métaux); ces «plumes»
étaient sans doute des aigrettes analogues aux spécimens que
nous venons d'énumérer. MM. Stûbel et Reiss (340, i, pi. 1^, n^. 1)
reproduisent une aigrette semblable, en cuivre, contenant
i5 p. 100 d'argent, de Caiïar, dans la République de l'Equa-
teur. Dernièrement, le D*^ Paul Rivet a rapporté de ce dernier
pays une superbe couronne en or, trouvée dans une sépul-
ture et composée d'un bandeau et de plusieurs aigrettes ana-
logues à celles que nous avons décrites.
Le P. del Techo (341; l. v, c xxm; p. i48) rappelle fliabitude
des chefs calchaquis de porter des diadèmes en argent ou en
cuivre^^^ : Geiitis pnmores orbe argentea œneove diademati infcrlo
frontcm cincjunt. Mais les diadèmes en or devaient être rares
et étaient probablement importés du Pérou. Les Péruviens,
suivant Herrera (164; déc. iv, 1. ix, c. m; t. n, p. 226), «avaient des
ornements en laine pour la tête ; les riches garnissaient
ces ornements avec de l'or ou de l'argent, ou avec des chu-
niiiras. »
^'^ M. Ainbroselli (22, p. i^a) Iraduil ;'i lorl « DiadriiH's en ari,'fnt on on or».
220 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
L'aigrette et les ])anfleaux de Lapaya ne sont pas en or pur.
L'or est allié à la moitié d'argent environ (53. gS p. loo d'or et
4d.8o p. loo d'argent pour les bandeaux). La plaque de Gol-
gota a donné 58. 80 p. 100 d'or et 4o.io p. 100 d'argent. Cet
alliage est probablement intentionnel, car l'or natif de ces
régions contient seulement une toute petite quantité d'argent.
Par exemple, l'analyse d'une pépite d'or que j'ai recueillie
moi-même à Colquimayo (Rinconada) a donné 98. 5o p. 100
d'or et 6.10 p. 100 d'argent^^^. Il est difficile de dire si c'est la
rareté de l'or qui poussait les Indiens à le mélanger avec l'ar-
gent ou si leur but était d'obtenir un métal plus dur.
Objets en cuivre. — La fig. 13 c représente une épingle
pour attacher les vêtements. La tête, pourvue d'un trou de sus-
pension, forme une lame dont le bord supérieur est tranchant,
bien aiguisé. La Mission Française a rapporté de plusieurs
parties de la Bolivie, comme Tiahuanaco, la Vallée de Panagua
(Porco) et Tarija, des épingles de la même forme. M. Erland
Nordenskiôld (269, %. 10, id et pi. 2) décrit et reproduit une dou-
zaine d'épingles très analogues, rencontrées dans des tombeaux
dans la Vallée de Queara et à Pelechuco (Bolivie), dans les
Vallées d'Ollachea et de Quiaca (Pérou), au nord du lac Titi-
caca. Quelques-uns de ces spécimens ont été trouvés dans des
chuUpas, mausolées qu'on attribue généralement aux anciens
Aymaras ou Collas. En dehors des épingles à tête plate,
M. Nordenskiôld y trouva aussi des spécimens d'autres formes,
notamment des épingles ornées de têtes d'animaux, etc. Wiener
(377, p. 167) donne la figure d'une épingle tout à fait du même
type que la nôtre, mais en argent; elle provient de Marca-
Huamachuco, au nord du Pérou. MM. Stiibel et Reiss (340, i,
pl. 24, fig. 5, 6) en représentent deux spécimens, en cuivre, de
Canar (Equateur), et M. Anatole Bamps (50, p. i33, pl. xxvi),
d'autres, provenant de la Répubhque de fÉquateur. M. Am-
0)
Pour les analyses complètes, voir le tableau à la fia du présent ouvrage.
LA PAYA. 221
brosetti (29, p. 217, fig. 3i) publie des figures de plusieurs de ces
épingles à tête plate avec un trou, appartenant à la collection
du Musée national de Buenos-Aires et provenant de « la région
calchaquie » , sans autre indication de localité. Cependant la
tête de notre épingle de Lapaya s'en rapproche moins que des
formes bolivienne et péruvienne. Une épingle en or, exacte-
ment de la même forme que celle de Lapaya et provenant de
Copiapo (Chili), est figurée par M. J. T. Médina (234, i.g. i3i).
Le nom quichua de ces épingles est topo ou topa. Zârate
(383; 1. 1, c. Yiii; 1. 1, p. 4i) parle de ces topos en décrivant les vête-
ments des « femmes des Indiens qui habitent les montagnes du
Pérou» : «Elles ont par-dessus certains mantelets de laine,
à peu près comme des peignoirs quelles attachent au cou
avec des grandes épingles d'or ou d'argent, selon qu'elles les
peuvent avoir; elles les nomment dans leur langue topos; ces
espèces d'épingles ont des têtes fort grandes et fort plates et
si tranchantes, qu'elles peuvent s'en servir à couper plusieurs
choses. » Comme Zârate, le P. Cobo (103, iv, p. 162) nous apprend
que les têtes plates de ces topos servaient d'instruments tran-
chants. En effet, les anciens topos de cuivre, de la forme de
notre spécimen de Lapaya, peuvent très bien avoir été em-
ployés à cette fm. De nos jours encore, toutes les Indiennes de
la Puna et de la Bolivie portent des topos dans leurs mantes
dites llicllas, mais, excepté certaines pièces de grand luxe, les
topos actuels sont en laiton et leur tête est en forme de cuillère
tout à fait de la forme de nos cudlères à thé. Cette forme de
cuillère n'est pas fantaisiste : le topo sert en effet de cuillère et
d'épingle tout à la fois^^'.
Une autre épingle est donnée dans la/^/. 13 l Cette épingle,
beaucoup plus petite que le topo que nous venons de décrire,
a pour tête le corps d'un oiseau qui ressemble beaucoup à un
perroquet. Les petites épingles semblables, avec lêles en foniu»
<') Ces épingles à cuillère sont peiiU-lrc en existe de nonihieux s|)('-(im(Mis prove-
d'originc européenne. Au Musée hislnii(pie nani de la France el picscpie identiipies
de la Ville de Paris (Musée Carnavalet), il aux lopos modernes de la liolivie.
222 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
d'oiseaux ou d'autres animaux, sont aussi très communes dans
l'archéologie de la Bolivie et du Pérou.
La petite boule en cuivre en forme de sphère aplatie , repré-
sentée d'en haut et de côté par ^àfig. 13 o et n, était destinée à
être attachée à une corde, comme on le voit sur la coupe /i^. J2.
C'est une merveille de l'art du fondeur pratiqué par les anciens
habitants des vallées andines. 11 est difficile de se rendre compte
de la méthode employée pour fondre des pièces aussi petites en
y ménageant le canal circulaire qui se trouve à l'intérieur et
en laissant au milieu la petite barre qui sert d'attache pour la
corde. Trois de ces petites boules ont été trouvées par M. Del-
gado; c'est justement là le nombre nécessaire pour former des
Fig. 12. — Lapaya. Coupe verticale de la boule en cuixrefuj. 13 n, o.
Grandeur naturelle.
libes^^\ comme sur le haut plateau on nomme la petite holcadora
dont on se sert pour chasser les vigognes. L'une de ces boules
pèse 46 grammes, une autre 4 7 grammes. Leur poids est infé-
rieur au poids des libes en pierre des Indiens actuels, dont
nous reproduisons //^. 96 un spécimen provenant de la Puna.
Les trois boules en pierre de ces derniers libes pèsent respec-
tivement 176, 170 et 95 grammes, y compris les fourreaux en
peau, c'est-à-dire beaucoup plus que les boules de cuivre que
nous venons de décrire. Les libes des Indiens de la Cordillère
sont maniés de la même manière que la boleadora des Gau-
chos des Pampas : les trois boules sont attachées au bout de
cordes d'une même longueur dont les autres extrémités sont
reliées ensemble. En prenant Tune des boules dans la main, on
fait tourner les deux autres au-dessus de la tête. Lorsqu'elles
^'^ Liluii dans le quichua du Pérou.
LA PAYA. 223
ont acquis une vitesse aussi grande que possible, on les lâche.
Mues par la force centrifuge, elles entravent les pattes du
gibier qui, alors, tombe enveloppé par les cordes.
Lapaya a fourni deux sortes de haches en cuivre. La pre-
mière catégorie, les haches lourdes à oreilles, est représentée
ficj. là e. Cette hache a o"" i 5o de longueur totale, o°'o34
de largeur immédiatement au-dessous du talon et o°*o2 5
d'épaisseur au même endroit, c'est-à-dire que la section de la
hache à sa partie supérieure est presque carrée. La longueur
du talon est de o™ 080. La hache pèse 1 ,06 5 grammes. Le tran-
chant est symétriquement cunéiforme et a été corrigé à l'aide
de coups de marteau après la fonte. Cette hache est l'une des
rares pièces en cuivre où ce métal ne soit pas allié à une petite
quantité d'étain. J'ai cédé au Musée national de Buenos-Aires
une autre hache à oreilles de Lapaya, de tranchant plus large
que le spécimen que je viens de décrire. Les haches à oreilles
sont communes dans la région diaguite et dans toute la région
andine. M. Ambrosetti (29,p. 206-215, fig. 20-29) en publie un bon
nombre, provenant des provinces de Salta et de Catamarca.
Quatre d'entre elles (Kg. 26 a, h,c, etfig. 27), ainsi qu'une autre
de la Vallée de Catamarca, figurée par M. Moreno (244, p. i3),
sont presque identiques comme forme à notre spécimen de
Lapaya. Au Chili, on a rencontré aussi des haches à oreilles;
un spécimen en a été publié par M. Thomas Ewbank (125, p. 112,
pl. viii), dans le rapport de la Mission navale et astronomique
des États-Unis, de 1849-1 852. M. Médina (234) reproduit la
figure de ce spécimen. La pièce provient du Cerro de Très
Puntas, près de Copiapô, sur le «Chemin de l'Inca » qui se
dirige sur San Pedro de Atacama. Elle est certainemenl (l'ori-
gine péruvienne, comme tant d'autres antiquités dn Chili. On
trouve aussi, dans toutes les régions de la Cordillère, des
haches en pierre de la même forme. M. Ambrosetti (29, p. 212)
donne la figure d'une de ces haches, de Molinos, dans la Vallée
Calchaquie, et M. Erland Nordenskiold (262, pl. 5, (ig. 3) en repré-
224 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
sente une autre, d'Agua Blanca, clans la Vallée de San Fran-
cisco (Jujuy). La Mission Française possède une hache à
oreilles, en pierre, provenant de Tarija (Bolivie), et au Musée
du Trocadéro on en conserve une de Tiahuanaco (n° 4 06 8 du
catalogue). Plusieurs spécimens à oreilles, un peu modifiés et
provenant de la République de l'Equateur, ont été reproduits
par M. Bamps (50,pl. xxviii,xxxi, xxxn). Un autre encore, de la
Colombie, est figuré par Stiibel (340, i, pi. i3). Dernièrement,
M. Nordenskiold (266, p. 93 et 269, pi. v) a trouvé ensemble, dans
les Vallées de Quiaca et de Sina, au nord du Titicaca, des
haches à oreilles en pierre et d'autres en cuivre. L'une de
ces haches en pierre, dont il donne la figure, est d'une forme
identique à celles en cuivre qui paraissent être une imitation
de celle-ci.
Quel était fusage de ces lourdes haches de cuivre.»^ Sans
doute, elles étaient employées comme armes en temps de
guerre. Ainsi Don Juan de Ulloa MogoUon (359, p. 45) raconte
que les Collahuas se battaient avec des haches en cuivre. Mais
elles devaient avoir aussi un autre but : celui, par exemple, de
couper du bois. M. Ambrosetti (29, p. 208) donne des figures
très intéressantes de deux haches à oreilles, de la Vallée Cal-
chaquie, dont le tranchant est plus usé vers l'un des coins que
vers l'autre, comme c'est également le cas de la hache décrite
par M. Ewbank et que nous avons déjà mentionnée. Cette usure
inégale du tranchant ne peut avoir été produite que par un
long usage de ces instruments à la façon dont nous employons
nos haches en acier, c'est-à-dire pour hacher. Le tranchant de
la jDlupart des haches dont nous nous occupons prouve, par
de certains signes, qu'on avait l'habitude de les aiguiser à
coups de marteau.
La fi(j. 16 représente un moule pour couler les haches à
oreilles. L'original de ce moule en terre cuite se trouve au
Musée de la Plata, et la Mission Française possède un moulage
de cette intéressante pièce qui provient de San Fernando, dans
le département de Belen (Catamarca).
LAPAYA. 225
Je ne connais pas d'exemplaires emmanchés de ces haches
à oreilles. Cependant le Musée du Trocadéro (n° 2 6533 du
catalogue) possède le moulage d'une pièce, dont l'original existe
à Madrid et fut présenté au Congrès international des Amé-
ricanistes à Paris, en 1890. C'est un petit modèle de hache à
oreilles emmanchée, tout en cuivre, provenant du Haut Pérou.
J'en donne la photographieriez. 15 b. Comme on peut le voir,
la hache est attachée à un manche cylindrique au moyen de
liens en corde ou en peau, je ne sais au juste; ces liens forment
une croix au dos du manche. De chaque côté du talon on a
placé au-dessous des liens un morceau de bois pour remplir
les interstices et pour donner plus de solidité à la hache. La pièce
entière n'a que a o"" 2 55 de longueur : ce n'est donc pas une
véritable hache, mais un petit modèle, comme nous l'avons
dit, qui a peut-être servi de jouet à un enfant, ou plus pro-
bablement ce devait être l'insigne d'une dignité, car la pièce
a été exécutée avec trop de soin pour un jouet. La partie
antérieure du manche est incrustée d'argent et de cuivre plus
rouge que celui dont est formée toute la pièce. Le décor ainsi
obtenu consiste en croix et losanges. Le Musée du Trocadéro
possède aussi un vase figurant un homme porteur d'une hache
à oreilles, emmanchée de la même manière que celle que
nous venons de décrire. Ce vase a été figuré par le D'' Hamy
(160, pi. xxxiv, fig. 107). Les deux pièces établissent d'une ftiçon
certaine comment étaient emmanchées les haches à oreilles.
Elles démontrent aussi qu'il ne faut pas faire des recon-
structions de fantaisie, comme le manche dont M. Ambrosetti
(29, p. 2\à, fig. 26 a) a muni une de ces haches. D'ailleurs des
Indiens actuels ont encore des haches de pierre à oreilles,
emmanchées comme le démontre la pièce du Musée du Tro-
cadéro, et portant même de petites cales de chaque côté du
talon ainsi que cette dernière. M. Erland Nordenskiold (264,
p. •.>.82,et 269, p. /|/i) reproduit une de ces haches, moderne^ (h\s
Indiens Huachipairi, de la région supérieure du Rio Madré
de Dios.
226 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
Une deuxième sorte de haches est rejDrésentée par trois
spécimens [fuj. là j , (j , h). C'est une sorte de tranchet qui
ressemble assez, pour la forme, à certains outils cpie les cor-
donniers modernes emploient pour couper le cuir. Ce sont
des lames de cuivre à tranchant bien affilé pourvus de pédon-
cules. En /et (j ces pédoncules sont lamelliformes, c'est-à-dire
qu'ils constituent une continuation de la lame. En //, au con-
traire, le pédoncule est rond. Ce dernier exemplaire a l'extré-
mité de son pédoncule contournée, formant une sorte d'œillet,
tandis que les extrémités en/ et cj sont simplement coupées.
La longueur du tranchant des différentes pièces est de o"' i 29
en /, o'"i45 en ^, et o"" 099 en //. Epaisseur maximum
de la lame : /, o'"ooi; (j, o°'oo4; A, o"ooi5. Poids :
f, io5 grammes; ^, 2i3 grammes; A, 4 2 grammes. Les trois
spécimens portent des traces démontrant qu'ils ont été forgés
ta faide d'un marteau.
Ces outils sont communs depuis la région diaguite jusqu'au
Mexique. La forme du tranchant varie peu : parfois il est cur-
viligne ou bien presque droit. Mais le pédoncule peut se pré-
senter sous deux aspects. Dans la catégorie à laquelle appar-
tiennent nos trois spécimens, le pédoncule est mince, sans
décor et se termine souvent en forme d'œillet, comme notre
exemplaire h. Dans l'autre catégorie, le pédoncule, beaucoup
plus éj)ais, cylindrique, se termine en bouton ou en jDetites
figures représentant des têtes d'animaux, etc. Il est souvent
incrusté d'ornements en argent ou en cuivre d'une couleur dif-
férente de la couleur générale de l'instrument. Le pédoncule
forme alors un véritable manche adapté à la main, étonne
peut pas douter que l'outil ait été employé comme tranchet,
ce qui ne paraît pas être le cas pour la première catégorie.
M. Wiener (377, p. 167, 583-584) donne des figures de pièces de la
seconde catégorie provenant de Marca-Iiuamachuco et M. Ew-
bank (125, p. ii4, pi. vm) publie une de ces pièces exhumée d'un
tombeau de San José sur le Rio Maipù (Chili). Le manche,
relativement éjDais, porte des ornements gravés et se termine
LA PAYA. 227
par une patte d'oiseau, imitée avec beaucoup de naturel.
M. J. T. Médina (234, fig. iH) reproduit la même figure. Je ne
connais pas de ces tranchets à manche épais et décoré pro-
venant de la région diaguite. Du Pérou, un spécimen est figuré
dans l'atlas de MM. Rivero et von Tschudi (311, pi. xxxiv, fig. 5) et
plusieurs autres dans l'ouvrage récent de M. Bœssler (45) sur
les objets en métal de l'ancien Pérou.
Quant à l'autre catégorie de ces instruments, ceux à pédon-
cule mince et simple, comme nos exemplaires de Lapaya,
c'étaient des haches et non des tranchets. Cela est démontré
par le spécimen trouvé avec son emmanchure dans un tombeau
de Chiclayo, au nord de Trujillo, sur la côte du Pérou, et
publié par M. E. H. Giglioli (145), dont je reproduis la figure
[fi(j. 15 a). Le pédoncule de cette hache traverse verticalement
la hampe en bois qui est renforcée par une ligature en fil de
coton. Cette hache ressemble beaucoup aux haches de guerre
des Zoulous et des Basoutos de l'Afrique méridionale dont le
Musée du Trocadéro possède une bonne collection : celles-ci
ont la même forme et sont emmanchées de la même façon,
bien qu'elles soient faites en fer. M. Ambrosetti (29, p. 2o5, fig. 19)
représente douze haches, de la catégorie que nous sommes en
train de décrire, apjiartenant aux collections du Musée national
de Buenos-Aires. Ces haches ont des pédoncules minces comme
nos spécimens de Lapaya; quelques-unes ont l'extrémité re-
courbée en œillet, d'autres non. 11 y a aussi un exemplaire dont
le pédoncule se termine en un tout petit bouton en forme de
disque, mais il est mince et sans décor, et doit par conséquent
être considéré comme appartenant à notre deuxième catégorie.
Dans la collection Martinez, de Laj^jaya, il existe encore une
pièce de cette forme, figurée par M. Ambrosetti (22, p. 127, fig. 8).
Pour une de ces haches, Ambrosetti a fait construire un manche
court couvrant le pédoncuh; longiliidiiialement, emmanchure
qui n'est pas réelle et qui n'a aucune raison d'être, d'autant
plus que la figure de M. Giglioli nous montre un dispositif
tout à fait différent.
228 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
A tous ces instruments, sans distinguer ceux à manche
épais de ceux à manche mince, M. Ambrosetti apphque le
nom de tumi. Il l'a pris de Montesinos (241, c. xxvi, p. i53) : Tumi
era un instrumento de cobre al modo de trinchante de zapatero cjue se
enhastaba en un palo. Montesinos donne cette définition pour
expliquer le nom de Tumipampa, localité située à l'endroit
où se trouve actuellement la ville de Cuenca, dans la Répu-
blique de l'Equateur. L'un des Incas y gagna une bataille et ht
tuer tous ses prisonniers à coups de couteau {j)asarlos à cucJidlo).
A la suite de cet événement, l'endroit reçut le nom de Tumi-
pampa qui signiherait Llano del cuchûlo, c'est-à-dire la « Plaine
du couteau». Mais asta, en espagnol, désigne «hampe» d'une
lance, d'une hallebarde, etc., et non le manche court d'un
couteau ou d'un tranchet. Les tumis de Montesinos auraient
donc été emmanchés comme la hache de M. Giglioli. Cepen-
dant M. von Tschudi (358, p. loi) donne une autre explication du
mot tumi; il ajDpelle ainsi des couteaux en pierre ou en cuivre
employés pour ouvrir le poitrail des lamas qu'on sacrifiait aux
dieux. M. von Tschudi ne désigne pas l'auteur auquel il a pris
ce renseignement. M. E. W. MiddendorlF (238, p. 825) traduit le
mot tumi d'une troisième manière : d'après lui, ce serait «une
sorte de couteau employé par les Indiens pour hacher la viande
ou les légumes en petits morceaux ». A propos de ses pièces de
Marca-Huamachuco, M. Wiener emploie les noms champi et
tulpo qui lui ont été probablement fournis par les gens du lieu.
Je laisse de côté tulpo, nom aussi employé par M. Médina, mais
dont je n'ai pu arriver à déterminer la signification. Quant
à champi, le sens général en quichua moderne est : alliage
de cuivre avec for ou f argent, et encore : bijoux faits de ces
alliages. Pour M. Middendorfif (iTnU, p. 342), ce serait aussi une
« arme des Indiens, sorte de lourd bâton, avec une petite hache
fixée à son extrémité». D'autre part, Garcilaso de la Vega dit
que les cliampis étaient des haches de guerre que l'on maniait
avec une seule main. Suivant Cristobal de Molina (240, p. 6),
le champi était fun des insignes des Incas, et, d'après Cobo
LA PAYA. 229
(103, IV, p. 196), ce serait là le nom des casse-tête en forme
d'étoile, « armes particulières des Incas». Selon Molina [ibid.,
p.4o), il y avait aussi une autre arme, leyauri, « bâton à l'extré-
mité supérieure duquel était attaché un couteau » ; or Midden-
dorir [ibid., p. 101) donne ce nom de yauri à une sorte d'aiguille
de grande dimension , « généralement faite d'une épine » , les
ciraciinas de Cobo (103, iv, p. i63). En somme, de cette nomen-
clature il résulte que le sens précis de ces différents termes
est très confus, que tous ces mots ont plusieurs significations
et que le nom original quichua de nos haches et de nos tran-
chets peut aussi bien avoir été tumi, tiilpo , champi ou yaiiri,
ou, après tout, peut-être s'appelaient-ils d'un tout autre nom.
Aussi aimé-je mieux pour les instruments à pédoncule mince la
désignation «haches à pédoncule central», et pour les autres
l'expression « tranchets à manche central ».
M. Ambrosetti (29, p. 20/i), à propos de nos haches à pédon-
cule central, invoque de plus un passage de la relation du
général Cabrera (88, p. Mo), d'après lequel certains Indiens de
l'ancien Tucuman portaient un couteau suspendu à la main
droite au moyen d'une courroie [un cuchillo colcjado cou iinfiador
de la mano derecha). Mais quelle raison y a-t-il pour supposer
que ces cuchillos — qui d'ailleurs, suivant Cabrera, étaient en
fer, obtenus probablement par échange avec les Espagnols —
fussent les instruments en question.^ Dans d'autres parties de
l'Amérique andine , il y avait des armes tout à fait différentes
qui se portaient suspendues à la main. Ainsi le célèbre vase
« Sécrestan » (Musée du Trocadéro, n° 21 261 du catalogue),
provenant du Grand -Chimu et figuré par M. Hamy (160,
pi. xu), représente en peinture un personnage tenant dans la
main une lame de hache sans manche, avec à la base un trou
où passe une courroie servant à l'atlacher au poignet. Un autre
vase du Trocadéro (n" du catalogue 7282), de Chiclayo, offre
des personnages avec la même sorte de haches attachées à la
main. Ces haches n'ont aucune ressemblance avec celles que
M. Ambrosetti appelle des tiimis; elles ressemblent plutôt à ces
230 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
lourdes haches de cuivre, à large tranchant semi-circulaire et
à talon perforé que Ton rencontre surtout dans l'Equateur. De
plus, nos haches en forme de tranchet n'ont pas toutes des
trous de suspension , il n'y a donc aucune raison pour les iden-
tifier au caclnllo dont parle Cabrera.
Les cloches en cuivre constituent des objets très intéressants
de l'archéologie de la région diaguite. Une de ces cloches, re-
produite sous différentes faces j^ar ^^fi(j- ià a, h, c, cl, se trou-
vait parmi les objets déterrés j^ar M. Delgado à Lapaya. Cette
cloche a o™i85 de hauteur, son ouverture est ellij)soïde et a
0™i85 de diamètre maximum et o'^oyo de diamètre minimum.
La partie supérieure correspondante, c'est-à-dire celle qu'on
peut appeler le « fond » de la cloche, a o""! i5 de longueur sur
o^oSg de largeur maximum. Le poids est de i,4oo grammes.
La cloche a été fondue dans un moule fait avec beaucoup de
soin pour donner à ses parois la même épaisseur partout. A la
partie supérieure, on voit deux ouvertures carrées qui devaient
2:)robablement servir à susjDendre la cloche et peut-être aussi à
fixer le battant. Ces trous ne paraissent pas avoir été faits au
ciseau, mais semblent résulter de la fonte même. La surface
supérieure de la cloche montre en trois endroits des aspérités.
Ce sont sans doute les marques laissées par les jets de fonte;
on les distingue bien sur la^?^. là a. La cloche donne un son
fort, agréable et profond quand on la frappe avec un objet
métallique. C'est une vraie œuvre d'art du fondeur, et la fa-
brication du moule n'a certainement pas été la chose la plus
facile, étant donnés les éléments dont disposaient les auteurs.
Le moule extérieur a été divisé en deux valves, comme on
peut le voir par les traces de leurs joints sur la cloche. Il est très
probable que ce moule et son noyau étaient faits en terre cuite,
comme le moule de la hache à oreilles que nous avons repro-
duit y?^. 16.
On connaît une vingtaine de ces cloches, toutes provenant
de la région diaguite, particulièrement de la Vallée Calchaquie
LA PAYA. 231
et de la Quebrada de las Conchas. Ambrosetti (29, p. 260) en men-
tionne une qui avait élé achetée à bijuy, mais, comme il le dit,
il est probable qu elle avait dû y être apportée. J'ai acquis
d'un Indien d'Abrapampa (Puna de Jujuy) un grand fragment
d'une cloche de ce genre ^'^ dont la partie supérieure intacte a
o"2 0 de longueur sur o'^oy de largeur maximum, presque
le double de la cloche/^. 14. La moitié inférieure, y compris le
bord, avait été séparée à coups de ciseau pour en extraire de l'or,
car les Indiens croient que le cuivre des antujiios contient tou-
jours beaucoup d'or. Je fus tout surpris de rencontrer sur le haut
plateau une de ces cloches caractéristiques des Vallées Calcha-
quies, et je fis une enquête pour savoir le lieu exact où elle avait
été trouvée. D'après les renseignements des habitants de l'en-
droit, elle avait servi pendant longtemps de cloche à fécole du
village et elle proviendrait d'un emplacement de vieux murs
en j)irca qui existe près d'Abrapampa. Mais un vieil Indien,
s'étant alors présenté , me raconta que son père l'avait trouvée
à Molinos, dans la Vallée Calchaquie, au cours d'un voyage
qu'il y avait fait; les Indiens avaient pris leur repas près de
cette localité, non loin de la haute berge d'une rivière dont
l'eau avait emporté des blocs de terre, mettant ainsi la cloche à
découvert. Cet incident prouve qu'il ne faut jamais se lier aux
renseignements donnés par les paysans sur les objets archéo-
logiques qu'ils vendent; l'authenticité de la provenance des
pièces ainsi acquises est toujours suspecte et peut parfois causer
de grandes confusions dans les études archéologiques.
La cloche de Lapaya est ornée d'une bordure composée de
C' Ce fragment porte sur le tableau On voit que cette analyse coïncide
d'analyses chimiques le n" 2 3, et la cloche prescpie avec celle faite à Paris , et les
de Lapaya, le n° 24. Un morceau du frag- petites diiïérences peuvent s'expliquer
ment que j'avais donné à M. Ambrosetli parfaitement par le manque d'homogé-
(29, p. ^6/1) a été analysé par le D' .1. J. néité du métal des diflérentes parties do
Kyle, de Buenos-Aires ; l'analyse a donné : la cloche.
- . M, Ambrosetti donne l'échantillon ana-
Cuivro qi.2n. loo i ^ i- i-
Y^^\^ C lysé comme provenant de Lachi, au lieu
Fer.. . ! ........... ..^. traces. ^le Molinos, et je saisis cette occasion pour
OxygÎMi(> anhydre rlp.itrs. 2.8 p. 100 rectifier l'erreur.
232 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
lignes courbes formant une rangée d'ellipsoïdes, dont chacune
contient un autre ellipsoïde plus petit. Au Musée national de
Buenos-Aires , on voit une autre cloche avec le même décor,
figurée par Ambrosetti (29, p. 259, 264, fig. 66 e), mais tous les
autres spécimens connus portent une ornementation diffé-
rente, dont le motif principal est cette face humaine rudimen-
taire faite de lignes courbes et droites, décor très commun
des objets préhisjDaniques de la région diaguite et du Pérou, et
dont la plaque d'or de Golgota, fig. 53 a, et le fragment de
poterie, y?^. 2n, donnent des exemples.
Comme nous l'avons déjà dit, tous les spécimens connus de
ces cloches en cuivre proviennent des vallées calchaquies.
Ils se ressemblent tous comme forme et comme fabrication, et
aussi dans le style de leur décor, excepté les deux spécimens
à bordure d'ellipsoïdes. Seules les dimensions varient dans de
notables proportions : de o°'32 à o™i 1 de hauteur. Ces cloches
seraient donc exclusivement propres à la région diaguite, ce
qui donnerait l'indice d'une industrie spéciale à cette région.
Mais M. Sénéchal de la Grange a trouvé à Calama, loin des
vallées diaguites, plusieurs cloches en bois du même modèle
que nos cloches en cuivre. Une de ces cloches en bois est
figurée plus loin, dans le chapitre consacré à la description de
la collection de Calama. Les habitants des confins du Chili et
de la Bolivie avaient donc des cloches tout à fait de la même
forme, et très probablement dans un avenir prochain on trou-
vera aussi des cloches en métal en Bolivie ou au Pérou.
Outre les objets déjà décrits, notre collection de Lapaya
comprend trois de ces petits ciseaux en cuivre, si communs
dans toute l'Amérique. L'un d'eux est donné par lâfig. 13 h; il
a o^ilxi de longueur, o"'oo3 d'épaisseur maximum, et son
tranchant, qui est bien affilé, a o"oi4 de largeur.
A la collection exhumée par M. Martinez appartiennent deux
objets en cuivre dont on ne trouve pas d'équivalents dans la
LA PAYA. 233
collection de la Mission Française. Le premier est une superbe
hache emmanchée, d'une forme assez rare. L'extrémité du
manche cylindrique en bois est adaptée à la hache de la même
manière que nos haches communes, c'est-à-dire que l'extré-
mité du manche passe par un trou laissé dans la masse de la
hache lorsqu'on l'a fondue. M. Ambrosetti (22, p. 120) reproduit
cette hache qu'il prétend être une « hache de commandement » ,
uniquement par suite de la présence d'une sorte d'appendice
en forme de crochet que l'on voit sur son bord antérieur.
M. Ambrosetti a donné aux pièces qu'il considère comme
des « haches de commandement » le nom araucan toki, parce
que les haches servant d'insignes aux chefs araucans portaient
ce nom. Il me semble tout à fait arbitraire d'appliquer des
noms araucans à des objets qui n'ont aucun rapport avec les
Araucans. La seconde des pièces particulières à la collection
Martinez, figurée aussi par M. Ambrosetti (22, p. 126; 29, p. 255,
i'ig. 62 e), est une de ces curieuses manoplas dont nous avons parlé
page i36.
Le tableau inséré à la fin du présent ouvrage donne des
analyses chimiques de la cloche, de la hache à oreilles, d'un
ciseau, de l'une des petites boules de libes, d'un fragment de
plaque et d'un autre fragment de couteau, tous appartenant à la
trouvaille de Lapaya. Le premier des fragments provient d'une
plaque fondue, de forme rectangulaire, et le deuxième d'une
pièce mince à tranchant un peu courbe, peut-être un couteau
ou une hache à pédoncule central.
Objets en bois. — Une timbale en bois est représentée en
photographie à gauclie sur \3if1g. 17 ; k droite, elle a été dessinée
pour montrer son décor, trop effacé pour être visible sur la
photographie, mais assez clair cependant pour m'avoir jx'rinis
d'en reconstituer tous les détails. Ce vase a o'" 108 de hauteur,
o"" 1 20 de diamètre maximum et son fond o'" 092 de diamètre.
Il est laqué en trois couleurs; il a d'abord été peint tout entier
en brun; cette première couche est représentée sur le dessin
23't ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
par un ton grisâtre. Sur cette couleur on a appliqué le noir et
le blanc qui forment l'ornementation; celle-ci est uniforme
autour du vase, c'est-à-dire que sa partie inférieure aussi bien
que sa partie supérieure se composent chacune de six carrés de
deux différents dessins qui alternent. A Lapaya on a trouvé
deux timbales exactement pareilles.
Le D"" Hamy (160, pi. xi., fig. ii5, 116) représente deux de ces
timbales,des grottes sépulcrales de Pisac, à cinq lieues au nord
de Cuzco. Elles sont un peu plus grandes que celles de Lapaya
et décorées aussi de laques polychromes, mais elles représen-
tent principalement des fleurs et des personnages avec peu de
motifs géométriques. La Mission Française a rapporté de Tiahua-
naco une autre timbale en bois laqué, avec des dessins poly-
chromes du même style que ceux des vases de Pisac. Sur cette
timbale, on a peint, outre des ornements géométriques et des
fleurs, deux Indiens, l'un avec trois plumes dans sa coiffure et
l'autre portant un bouclier carré. Les vases exactement de la
même forme, mais en terre cuite, sont communs àTiahuanaco;
la Mission Française en a rapporté plusieurs spécimens avec le
décor si typique de cette localité. Au Musée royal d'ethnographie
de Berlin, il existe un exemplaire de bois laqué, de Casabindo
(Puna de Jujuy), rapporté par le D"" Max Uhle. Dans une grotte
funéraire de ce même endroit, la Mission Suédoise de 1901
trouva deux timbales en bois avec des ornements géométriques
gravés, au lieu de décorations en laque. Le comte von Rosen
(316,pl. ix) donne la figure de l'une d'elles. M. Ambrosetti (23,
p. 67, 68,%. 5i) figure aussi trois timbales en bois provenant de
Cochinoca, près de Casabindo. Elles ont la même forme que
notre timbale de Lapaya, bien que plus petites, mais ne sont
pas laquées; fune d'elles est décorée de bordures gravées
comme les petits Ynsesficj. 18. Les timbales ornées de fleurs sont
probablement plus modernes que celles qui portent un décor
géométrique de style péruvien.
Les \a.sesfig. 18 , également en bois, ont o"' o65 de hauteur
eto"o5o de diamètre maximum. Celui qui est marqué a n'a
LA PAYA. 235
aucun décor, mais ceux qui portent les lettres h et c ont les
bordures inférieure et supérieure gravées, très simjolement
comme les figures le démontrent; ils sont parfaitement égaux
et forment une paire.
Parmi les autres objets en bois provenant de Lapaya sont
de grands outils en forme de couteaux, d'un type que j'ai ren-
contré dans la Quebrada del Toro. L'un de ces couteaux, bien
conservé, a presque la forme et les dimensions de celui de
Morohuasi représenté par ^Sifig. 74 e.
Un fuseau en bois très dur est donné par la ficj. 13 d. La
fusaïole ressemble comme forme aux fusaïoles du Pérou, dont
M. Wiener (377, p. 45) donne une série de figures, mais diifère
des fusaïoles communes dans la région diaguite qui ont presque
toutes la forme d'un disque ou d'un cône.
Objets en os. — Un topo, très bien travaillé, orné d'une tête
d'oiseau, à bec très grand, est donné par Isl/kj- i»5 a. 11 a o"' 1 5 i
de longueur, sans compter la pointe qui est brisée. La tête est
semblable des deux côtés. Les yeux sont formés d'un cercle
avec un point au centre; à la base de la tête, de chaque côté,
se trouvent huit autres cercles avec points centraux. Les cercles
et les points sont gravés et noircis au feu. Parmi les objets de
Lapaya que j'ai cédés au Musée national de Buenos-Aires se
trouve un autre topo en os, exactement pareil au spécimen
que nous venons de décrire, excepté la tête qui représente une
effigie humaine sculptée, de style tout à fait péruvien.
La pointe de ùèchefifj. ie5 /f a o"" i 27 de longueur et elle est
formée de la partie centrale, face antérieure, d'un métatarsien
de lama. L'os a été coupé longitudinalement et a été gratté
jusqu'à ce qu'il eût la forme voulue. Mais on peut toujours re-
connaître sa surface naturelle sur l'axe cenlrnl , des deux côtés.
Le côté de la flèche qui correspond à la moelle est plat; celui
correspondant à l'extérieur de l'os est courbe. Ces flèches en os
sont assez communes dans la l'égion diaguite, et le D'MaxUhle
en a rencontré, d'après M. Seler (327), à Gasabindo, Puna de
236 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Jiijuy. M. Uhle a trouvé ensemble fies flèches à jDointes en os
et à pointes en silex, ce qui démontre que les deux sortes sont
contemporaines. M. E.-H. Gigiioli (144, p. 2^2) mentionne aussi
deux grandes jDointes de flèche en os, de sa collection, qui
probablement sont de même sorte que celles que nous avons
décrites. Elles proviennent de Sanagasta (La Rioja).
hdifig. 13 i, j montre deux pointes de flèches en os d'une
autre forme, très rare. Ces pointes, de o°'o65 de longueur et
3 millimètres d'épaisseur seulement, sont faites d'un os très dur
et sont polies d'une manière très spéciale. Elles sont presque
identiques comme forme à certains os des grands siluriens du
Rio Paranâ, et j'ai cru d'abord que c'étaient en effet des os de
poisson, importés de la région fluviale. Je fus ainsi amené à
soumettre l'une de ces pièces à l'examen microscopique de
M. le professeur Vaillant, mais il obtint un résultat tout autre :
le microscope démontra que ces pointes étaient faites d'un os
long de mammifère, probablement de lama. Les Indiens ont dû
exécuter un travail de longue haleine pour pouvoir obtenir de
l'un de ces os des flèches aussi minces.
M. Ambrosetti (22, p. 128) a figuré sept flèches en os de la
collection Martinez. Elles sont larges et plates comme celles
que nous avons décrites, mais elles varient quant à leur forme
et à leur longueur. M. Ambrosetti les suppose fabriquées de
côtes de huanaco, de lama ou de vigogne, ce qui n'est guère
vraisemblable, car la structure spongieuse des côtes rend ces
os peu aptes à fabriquer des pointes de flèches. Sans doute,
ces pointes sont faites, comme les nôtres, avec des os longs.
Objets en pierre. — La hache, y?^. 19, en grès très dur,
bien polie, a, comme les haches typiques de la région diaguite
[fixj. 5), sa gorge formée par une rainure qui n'entoure pas
toute la hache, mais cesse sur l'une de ses faces étroites. Cette
hache a o"" i3o de longueur, o^^oS/i de largeur maximum,
o°°0/45 d'épaisseur maximum et pèse 896 grammes.
Le petit vase en stéatite,^^. 13 m, a o'"o44 de hauteur et
LA PAYA. 237
o™o33 de diamètre; il est d'une couleur blanc jaunâtre et pro-
fondément creusé.
La ficj. 13 h représente une série de perles cylindriques de
turquoise, couleur vert pomme. La perforation de ces pièces
d'enfdage a été, d'après la méthode générale des peuples primi-
tifs pour perforer les pierres, opérée des deux côtés, probable-
ment en faisant tourner sur la pierre un petit bâton avec du
sable mouillé au bout. Le trou est plus étroit au milieu et
forme deux cônes qui se rencontrent par leurs sommets.
Céramique. — La poterie de Lapaya est très variée comme
forme, qualité, pâte, style et décor. On peut y distinguer :
i'' grands vases à parois très minces, d'une pâte fine, grisâtre
ou rouge pâle, décorés avec de la peinture noire; 2° poterie
fine, compacte, rouge, lustrée, absolument identique à un cer-
tain type de poterie péruvienne; 3" poterie noire, engobée avec
de la plombagine, très bien lustrée; 4° poterie mince, de pâte
noirâtre, riche en mica; 5° poterie grossière de diiférentes
pâtes. Il est rare de trouver dans une même fouille autant de
différentes sortes de poterie.
A la première catégorie appartiennent plusieurs vases d'une
forme se rapprochant plus ou moins de celle de ces vases dits
« aryballes » , qui caractérisent la céramique péruvienne et sur
lesquels je reviendrai page 296.
Le \asefi(j. 22 est d'une pâte rouge pâle, àpatine rouge foncé,
presque brune. Les ornements peints en noir commencent à
la base du goulot par une bande réticulée diagonalement; la
zone qui suit est composée de grecques alternant avec d'autres
dessins très effacés; dans la troisième et la quatrième zone, on
a formé, au moyen de triangles peints en noir, des bandes
ondulées de la couleur du vase; la première de ces bandes
ondulées est couverte de petites figures, surtout d'une espèce
de trident. Une tête de lama, de o™02 5 de hauteur, en relief,
est placée d'un côté du vase au-dessous du goulot. Au lieu de
238 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
se terminer en pointe comme les vrais aryballes, ce vase a un
fond plat de 0^07 de diamètre, de sorte qu'il peut se tenir
debout sans support. Il a ©""SgÔ de hauteur et o"" 2o3 de dia-
mètre maximum à la panse.
Un autre vase, dont je ne donne pas la figure, est de la même
pâte et de la même couleur, presque de mêmes forme et di-
mensions, mais il n'a pas de tête de lama en relief et les zones
horizontales sont ornées de spirales ressemblant à celles des
xâsesfig. 23 et 24, bien que tracées avec des lignes plus fines.
Ce vase se termine dessous en pointe. Un vase exactement de la
même forme, avec une tête de lama en relief et provenant de
Tarija (Bolivie) , est figuré par M. von Rosen (316, pi. vu).
Les deux vases ^^. 23 et 2â sont en pâte grisâtre très fine,
mélangée de mica très pulvérisé. La patine est jaunâtre; le
décor peint en noir forme, sur le premier de ces vases, deux
et, sur le deuxième, trois bandes horizontales composées de
volutes assez compliquées, bien qu'elles ne soient pas tracées
avec beaucoup de régularité. Le premier vase a o™385 de
hauteur et 0°" 290 de diamètre maximum à la panse , le second
o"" 3 75 et G™ 290 respectivement.
Le \3ise fig. 21 se rapproche davantage des aryballes. Il a
0°" 38 de hauteur et o'"2 6 de diamètre maximum à la panse.
Sa patine est jaunâtre, sa pâte rouge pâle, avec beaucoup de
mica. Il se termine dessous en pointe, et il est pourvu d'un côté
d'un petit mamelon au-dessous du goulot. Des ornements géo-
métriques peints en noir occupent un côté du vase seulement;
l'autre côté n'a, en fait de peinture, que celle du goulot.
Dans la collection de Lapaya publiée par M. Ambrosetti (22,
p. i33- 139) , plusieurs vases ressemblent comme forme et comme
décor à ceux que je viens de décrire. La poterie de ce style
occupe la première place à Lapaya, ce qui est curieux, parce
que le décor n'appartient pas du tout à la région dioguite.
A la même catégorie de poterie que les vases décrits ci-dessus
appartiennent aussi plusieurs petits plats ou écuelles. La mieux
décorée est celle de la ficj. 25 qu'on voit d'en haut et de côté.
LA PAYA. 239
Cette écuelle a o™2 0 de diamètre; elle est d'une pâte fine,
rouge pâle, à patine rouge. Le décor peint en noir montre
les mêmes petites figures tridentées que le vase fuj. 22 et, à
l'extérieur, les volutes du vase ficj. 24. Les mêmes volutes se
rencontrent dans quatre petites écuelles, dont deux sont
données par les ficj. 27 h et 28 h, mais elles n'ont aucun décor
intérieur; la pâte defune d'elles est jaunâtre, celle des autres,
rouge pâle.
Dans la première catégorie se range encore le platy?^. 29 de
o'" 1 70 de diamètre, en pâle rouge pâle et patine jaunâtre, dé-
coré de peintures noires et d'une tête rudimentaire de canard
formant anse. Le petit plat /^. 28 j, de o^^ogy de diamètre,
est d'une couleur rouge vif avec une bordure intérieure de
grecques en noir et une bordure extérieure composée d'une
sorte de points d'interrogation horizontalement renversés.
L'anse est une tête de lama bien modelée avec cou perpendi-
culaire, garni d'un collier peint en noir. Le petit \a.sefig. 28 f
est d'un ton plus brun que les autres, très brillant, avec des
ornements géométriques en noir. Deux petits vases presque
de mêrnes (orme et décor, fun provenant de Fuerte Quemado
et l'autre de Loma Rica (Vallée de Yocavil), sont figurés par
MM. Liberani et Hernândez (217, pi. 22, ^?.?^) et par M. Ameghino
(32,1, p. 539,fig. 333, 336).
La deuxième catégorie de poterie de Lapaya est représentée
seulement par la tasse dont un grand fragment est donné fi(j. 26.
Elle a o"'o75 de hauteur et le diamètre a été de o'" 120. La
pâte est très hne et compacte, très rouge, et fengobe égale-
ment d'un rouge brillant. Le décor est une borduie en trois
couleurs : blanc, noir et vermillon. Cette bordure est com-
posée d'une bande blanche en haut, puis d'une bande noire
ornée d'une lii»ne blanche brisée, et enfin (fune troisième
bande divisée en carrés de deux sortes alternant entre eux : des
carrés remplis de triangles noirs et blancs et des carrés blancs
avec des raies perpendiculaires couleur vermillon. Cette pièce
240 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
est identique comme forme, dimensions, pâte, couleur, décor,
à une tasse du Musée national de Montevideo, provenant de
Guzco. Les deux tasses sont tellement pareilles qu'on les confon-
drait, si notre tasse de Lapaya était entière. Il n'est guère pos-
sible que cette pièce ait été fabriquée à Lapaya; certainement
elle y a été introduite du Pérou.
A notre troisième catégorie correspondent les deux vases
fig. 21 (j et h; le premier a o"" 1 3o de hauteur et o°' 1 20 de dia-
mètre maximum à la panse; le deuxième, o™i5o et o""! 26 res-
pectivement. Ces vases sont très bien engobés avec de la plom-
bagine fort noire, ce qui leur donne un joli aspect très brillant.
Les vases de cette forme ne sont pas rares dans toute la région
andine. Le Musée du Trocadéro en possède un , de couleur rouge
brun, de la République de l'Equateur (n*' 9766 du catalogue).
Les vases à piedy?^. 28 aei c forment notre quatrième caté-
gorie. Ils sont d'une poterie noirâtre , riche en mica, bien cuite,
de pâte homogène, sans patine. Chacun de ces vases présente,
du côté opposé à l'anse, près du bord, deux petits mamelons
circulaires avec un petit creux au centre. On les voit bien sur
^^jî(]' 28 a. Le vase a a o"'i35 de hauteur et o™o85 de dia-
mètre intérieur à l'ouverture; le vase c, respectivement o™i8o
et 0°" 1 12. Notre collection de Lapaya comprend un troisième
vase de cette forme, et M. Ambrosetti (22, p. 132) en mentionne
trois autres trouvés par M. Martinez. M. Ambrosetti (23, p. 56,
lig. /i3fl) ligure aussi un de ces vases originaire de Cochinoca,
sur le haut plateau, et M. Ameghino (32; i, p. 538; pi. xf,%. 33o),
d'après MM. Liberani et Hernândez (217, pl. i3), un autre, de
Loma Rica. M. Médina (234,%. 182) en donne un autre de Frei-
rina, entre Copiapé et Coquimbo (Chili). Le D"" Hamy (160;
pl. XXXIV, fig. 108) représente un vase de la même forme, avec un
couvercle, trouvé à Copacabana par M. Théodore Ber. Ce vase
a cependant une petite anse à l'endroit où sont situés les ma-
melons sur ceux de Lapaya. D'autres vases de la même forme.
LA PAYA. 241
d'ïnfaiîtas (Pérou) et de l'île de La Plata (Equateur), sont
figurés par MM. Wiener (377, p. 597) et G. A. Dorsey (119, p. -^58.
lig. /n). Celui de l'île de J^a Plata est pourvu d'un couvercle.
Deux autres spécimens de la République de l'Equateur ont été
publiés par M. Anatole Banips (50 . [). 1 1 7. 1 u5 : pi. vm , fi-, -i , ii xvi, % 5).
L'un de ces vases provient d'Imbabura, au nord de Quito.
Enfin un dernier spécimen a été rapporté récemment par le
D' Rivet, de Cuenca (Equateur). Les spécimens deCopacabana
et de l'Equateur sont d'une fabrication plus perfectionnée que
ceux de la République Argentine.
La cinquième catégorie de poterie de Lapaya consiste en
pièces de différentes formes et structure, toutes d'une fabrica-
tion plus ou moins grossière. Les pâtes, noires, grises, rouges,
plus ou moins riches en mica, sont différentes dans les diverses
pièces, ce qui semble démontrer qu'elles ont été fabriquées
en des localités distinctes. Les vases fi(j. 27 a et cl offrent les
striures très visibles d'un racloir à dents, tandis que les écuelles
ficj. 281), d, c,cj, i sont relativement lisses; une ou deux d'entre
elles ont f intérieur engobé avec de la plombagine. L'écuelle </
est pourvue d'une anse en forme de tête d'oiseau.
L'écuelle y?^. 28 c et ,9(^ a o"" 2 20 de diamètre maximum; son
fond plat, de o'"ioo de diamètre, a été posé sur une claie de
vannerie pendant le moulage. La fnj. 28 e montre cette écuelle
au tiers de sa grandeur naturelle; la//^. ^W reproduit la même
écuelle à la moitié de la grandeur naturelle et vue du dos, pour
montrer les empreintes de la vannerie sur le fond.
Le gobelet à une anse, Jig. 27 c, mérite une mention spéciale.
11 a o™ i5o de hauteur et o'" io3 de diamètre à l'ouverture. La
pâte est grisâtre, sans engobe et sans patine; la surface est lisse.
Cette forme, tellement rapprochée de celle de certains objels de
poterie moderne, est rare dans farchéologie sud-américaine.
M. Ambrosetti (23, p. 57-68, fig. 43 a) donne la figure d'un gobelel
de cette forme, de Cocbinoca, et j'ai vu dans les groltes funé-
raires de Sayate des fragments de vases semblables. Le Musée (bi
I. 16
242 ANTIQUITÉS ])E LA RÉGION ANDINË.
Trocadéro ne possède pas de spécimens de ce type d'aucune
localité de l'Ainérique.
A la poterie gi'ossière nous devons ajouter aussi la petite
pièce y?^. 27 f, qui a peut-être servi de lampe. Son diamètre
maximum est de o" i o5 , et celui de l'ouverture, de o"'02 5 ; elle
est d'une pâte rougeâtre, jaune à l'extérieur, avec une bordure
peinte, maintenant presque effacée. La pièce //</. 27 c est faite
de la même sorte de poterie. Ayant, comme la précédente, des
bords recourbés vers le centre, elle est peinte avec une rangée
de grecques noires, d'une exécution très imparfaite, d'ailleurs.
L'ouverture, de o"'o63 de diamètre, s'entoure de deux bras
humains en relief, rudement modelés, et se terminant chacun
par trois doigts. Au milieu de la ligne en relief formée par ces
bras, il y a une cassure où devait être j)lacée une tête qui sûre-
ment correspondait aux bras. Les deux pièces que nous venons
de décrire ont beaucoup d'analogie avec la céramique commune
du département de Sauta Alaria.
Coquillage. — Une valve de Pecten piirpiiratus , Lmck. [fig. 20 ) ,
a été trouvée avec les objets que nous avons énumérés. C'est
une espèce marine qui vit dans le Pacifique. Comme les autres
coquillages, par exemple les Oliva, que livrent les tombeaux
(le ces régions, ce Pecten est une nouvelle preuve des rela-
tions entre les divers peuples préhispaniques de l'Amérique
du Sud.
Une monnaie romaine. — Parmi les objets que M. Delgado a
déterrés à Lapaya, il se trouve une monnaie romaine en bronze,
à l'effigie de l'empereur Constantin le Grand(3o7-337 de notre
ère)^'^ D'après Delgado, cette monnaie fut rencontrée à i*" de
''' La monnaie porte le buste casqué sur lequel sont inscrits les mots : VOT '
de l'empereur à droite et autour Tinscrip- P • R* ( Vola Popiili Romani). A l'exergue,
tion : IMP- CONSTANTINVS AVG- la m.arque d'atelier. M. Babolon, membre
Au revers : VICTORIAE LAET* de l'Institut et conservateur du Cabinet dos
PRINC' PERP* avec deux Victoires médailles de la Bibliothèque nationale, a
tenant, au-dessus d'un autel, un bouclier bien voulu déterminer cette monnaie.
LA PAYA. 243
profondeur, cesi-à-dire à. 2°" au-dessus des objets que nous
\enons de décrire. Bien que la présence de cette monnaie soit
tout à fait surprenante, je n'ai aucune raison de douter de la
véracité des informations de M. Delgado sur les circonstances
dans lesquelles elle a été trouvée, Delgado n'avait pas les con-
naissances nécessaires pour comprendre la valeur de la monnaie
trouvée au cours de ses fouilles dans des ruines préhispaniques.
Il n'y attachait aucune importance, et il me l'a jnontrée tout
naïvement comme une monnaie des gcntiles, en exprimant
son regret que ceux-ci n'aient pas enterré aussi des monnaies
d'or. Les paysans, d'ailleurs, ont en général la croyance que
les Indiens préhispaniques avaient de la monnaie. On trouve
quelquefois dans ces régions des pots, remplis d'anciennes
monnaies d'or et d'argent, enterrés par les premiejs Espagnols,
et les paysans croient toujours que ces trésors ont appartenu
aux (jenliles.
De nos jours, il n'y a sûrement personne dans la Vallée
Calchaquie qui fasse des collections numismatiques. Il est im-
230ssible qu'une monnaie romaine soit arrivée à Lapaya du lait
d'une collection.
La patine de la monnaie est semblable à celle des outils pré-
hispaniques en cuivre que nous avons décrits, ce qui confirme
la déclaration de M. Delgach) (ju'il l'avait trouvée enterrée au
même endroit que les outils.
Naturellement je suis loin de croire que cette monnaie
romaine soit arrivée dans la Vallée Calchaquie avant la con-
(juête espagnole et (ju'elle ait appartenu aux propriétaires pré-
hispaniques des trésors de Lapaya. Vraisemblablement, c'est
un des premiers Espagnols parvenus dans la région qui l'a
perdue en fouillant le sol de la maison de Lapaya. Elle y est
restée jusqu'à ce que les chercheurs modernes de trésors l'aient
découverte. En tout cas, la trouvaille de cette moiiiKiic n'est
pas dépourvue d'intérél, parce qu'elle constitue un souvenir
de la présence des Européens dans la Vallée CalclKupiic à une
épofjue reculée.
iG.
244 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
Résumé. — Les renseignements de M. Delgado consignés au
commencement de ce chapitre démontrent que les pièces exliu-
mées dans la construction princij^ale des ruines de Lapaya ne
faisaient point j^artie d'une sépulture. Ces nombreux et beaux
objets en métal et en poterie fine constituaient sans doute, à
répoc[ue prélîisjjanique , pour teur valeur intrinsèque et pour
leurs mérites artistiques, un Yérital)le trésor. Mais ce trésor,
pourquoi fa-t-on enterré dans cette maison ? Je ne peux m'ex-
pliquer ce fait que par fliypotlièse d'une cachette. Les pro-
priétaires auraient dissimulé leurs richesses sous le sol de leur
habitation, pendant quelque rébellion des Diaguites contre
leurs sauverains péruviens ou peut-être à fentrée des Espagnols
dans le pays.
Plusieurs pièces appartenant à ce trésor sont nettement pé-
ruviennes. Ainsi les aigrettes en or et un bon nond3re de pote-
ries, parmi elles la tasse y?^. 26 , les vases aryballoïdes , les vases
à ipiedficj. 28 a, c et les vases noirs lustrés y?^. 27 (j , h. Au
contraire, la cloche est une pièce caractéristique de la métal-
lurgie diaguite, et quelques pièces de poterie, des moins im-
j)ortantes, comme celles représentées y/^/. 27 c, f, rappellent
la céramique commune de la Vallée de Yocavil. Mais les pièces
de type péruvien offrent un ensemble si bien défini, qu'on
est tenté de se demander si elles n'ont pas été importées de
Cuzco dans la Vallée Calchaquie. Cette hyj)othèse est cor-
roborée par la position de Lapaya sur la route incasique cpii
menait au Chili. Il n'est pas du tout invraisemblable que le
trésor de Lajoaya ait appartenu à fun des représentants de
rinca qui aurait apporté avec lui, du Pérou, un certain nombre
de bijoux et d'ustensiles, et qui aurait acquis, pendant son
séjour en pays diaguite, d'autres objets de valeur provenant
de findustrie locale.
M. Ambrosetti attire fattention sur la similitude existant
entre j)lusieurs poteries de Lapaya et d'autres exhumées à
Freirina, entre Copiapô et Cocjuimbo (Cliili). En effet, comme
nous l'avons dit, un vase à j)ie(\, pareil à ceux de Lapaya, a
LA PAYA. 245
été trouvé à Freirina, et l'on constate aussi des analogies frap-
pantes entre rornementation de quelques-unes des poteries de
Lapaya et celle d'un petit vase de Freirina, figuré par M. Mé-
dina (234, fig. i65) et reproduit par M. Ambrosetti (22, p. 189, iig. 35).
Les volutes doubles de nos pièces fuj. 23 , 24, 25 et 27 b se
retrouvent à l'extérieur de ce vase qui, à l'intérieur, présente
les mêmes petites ligures tridentées que nos poteriesy?^. 22 et
25 et que plusieurs pièces reproduites par M. Ambrosetti [ibid.,
fig. 20-26). Le signe noir terminé des deux côtés par des cornes
recourbées qu'on remarque sur le platy/(/. 25, dans le secteur
à droite en bas, se retrouve aussi sur la pièce de Freirina. Ce
signe se voit encore sur trois des poteries de Lapaya publiées
par M. Ambrosetti (fig. 20, 22. 20), où il se complète de manièi-e
à former une sorte de ligure d'oiseau. Eidin la pièce de l''n;i-
rina montre un autre genre d'oiseau que répètent deux des pote-
ries publiées par Ambrosetti (fig. 21, 2/1). Ces analogies si notables
dans le décor de certaines céramiques de Laj)aya et d'une
poterie du Chili ne peuvent pas être l'œuvre du hasard. Toutes
ces pièces furent sans doute fa])riquées au même endroit et
peut-être par le même artiste. Dans cette rencontre, M. Ambro-
setti veut voir une preuve, même une évidence, que les do-
maines des « Calchaqiiis » s'étendaient jusqu'à la partie centrale
du Chili. Cette hypothèse est vraiment trop subtile. Nous pré-
férons admettre que quelques-unes des poteries péruviennes
de Lapaya furent transportées le long de la route des Incas jus-
qu'à leurs possessions chiliennes. Du reste, presque toutes les
pièces provenant de Freirina sont de pur type péruvien. Toutes
concourent à justifier l'opinion du D"" R. A. Philippi 286) sui-
vant lequel « toutes les poteries décorées ou de formes arlisti-
(pu's trouvées au (]hili sont d'origine péruvienne ou au moins
(les imitations de modèles ])éru\iens ». f^es statuettes eu or
et en argfMit, exhumées des sépultunvs de Freii'ina et figurées
par M. Vledina (234, fig. i38-x42), sont aussi absolument caracté-
risticpics (le l'art péruvien, soit comme forme et comme traits
des j^jersounages repré.sentés, soit comme tcchnicpie. Ces sta-
2'4r) ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
tuettes prouvent jusqu'à l'évidence l'origine péruvienne des
sépultures de Freirina.
M. Martinez et son Maître-Jacques avaient présenté à M.Am-
brosetti une molaire de cheval actuel, qui d'après eux accom-
pagnait les objets qu'ils ont exhumés. Si cette dent figurait
vraiment dans le matériel de Lapaya, elle indiquerait que la
cachette n'est pas 23réhispanique, ce qui est possible. Mais
l'authenticité de cette dent est extrêmement douteuse. Mes com-
pagnons de voyage de 1902 m'assuraient que c'était « une dent
du cheval de Don Diego de Almagro, tombé dans la bataille
de Chicoana » !
Pi.. VT
I-'ig. ,;•,. — Lii|)iiy;i. 01)jols en or (c, /", </) ; en cuivre (/'. C /, n, n]; on os [a, i. j. h]
cil bois ((/); en pierre (A. m). — i/i gr. nal.
Pl. vn.
F.Lr. ./,.-
liipaya. C.loclie, liaclic à oi'cilli's ri liacli
1,.) irr. liai.
|ic(lcini'lllr irlilrjil ; en cillM
Pl. vm.
l'Ii;. iT). — a. Ilaolio on cuivre, à pcdonciilfi roiUral , Pininimclirc. Cliiclayi) (riiiim'i ,. —
.■')/i 1 m'. liai. — /). Modèle ancien, on ciiivi'C, do liadio à oreilles, emnianclié. liaiil-Péron.
()ri^inal à Madrid; moulage au Trocadéro. — 1/2 gr. nal.
Kii:. il'.. —
San {''ernando ( Relen , (',alainarca\ ironie en lerre mile pmir cniil
des liaclios à oreilles. — \ ■> iri". nal.
Pl. L\.
Fig. 17. — Lapaya. Tiinhalr en l)ois laqué et rpronsliliilion de smi dessin. — i/'j <j,v. nat.
a b
Fig. 18. — Lapaya. Pclitcs (inihales en l)oi.s
3 o «jr. nal.
Fig. 1 (J. — I,a|)a\;i. Iliiclic ilc j>
1/2 gr. nal.
Fig. 20. — • l^apaya. (i<i(|iiillc marine Pcctcn pur-
puralus Liiik.) trouvée dans les iiiines.
1/2 gr. nal.
Pl. X.
Fig. 2 1. — Lapaya. N'ase arybalhjïde. — i/4 gr. iia(
Fig. 22. — Lapaya. \ aso en Inic ciiile. — i/3 gr. nal.
Pl. XI.
)
Fig. 23. — Lapaya. Vase en terre ciiile. — 1//1 gr. nal.
Fig. 24. — Lapaya. \ ase on Icrrc ciiile. — i/'i g
V. liai.
Pl. XII.
Fig. 2 5. — Lapaya. Plal en terre cuite. — 1/2 t,n-. iial.
Fig. 2(). — Lapava. Tasse en leri'e mit
•iiite. — 1/2 gr. liai.
Pl. XIII.
'il,'. •}.-. — Lapava. l'olcrics. — i/3 gr. iial.
I^i.. M\
Fig. '(S. - [.;i|)a\;i. Poteries. — i/'.\ gr. iial.
Pi.. XV
Fig. 29. — Lapaya. Plat en l(M-ri' mile. — 1/2 gr. nal.
rig. 3o. — Lapaya. ilriicllc de la //</. 2S <■ . \nrscnlvc, par \r d"^ pour niciiilni- 1rs ciuprcinlc
(le. vamici'ic du Ibiul. — 1/2 gr. iial.
VALLÉE DE LERMA
LA VALLEE DE LERMA.
J'ai pris comme point de départ de mon voyage la ville
de Salta où je suis arrivé de Buenos-Aires par chemin de fer.
Cette ville est située dans la partie boréale de la Vallée de
Lerma, à 24" àCV 20" latitude Sud et Gy" f\\' 33" longitude
Ouest de Paris, à environ 1 ,200"' d'altitude au-dessus du niveau
de la mer.
La \ allée de Lerma a quelque 60"^'" de longueur du Nord
au Sud et une largeur de gô"^"" dans sa joartie la plus large. Elle
est encaissée de tous côtés entre d'assez hautes montagnes , der-
niers contreforts orientaux de la Cordillère; à quatre ou cinq
endroits seulement, ces montagnes sont traversées par d'étroits
défilés permettant l'accès flans la vallée. Le plus large de cesdé-
fdés est la Puerta de San Bernardo de Di'az, par laquelle on
entre dans la Quehrada de las Couchas ou de Guachipas. Cette
quebrada se dirige vers le Sud et aboutit dans la Vallée Calclia-
quie près de Cafayate.
Le sol de la Vallée de Lerma, comjDosé d'alluvions, est tout
à fait plat, excepté dans les environs du village de Cerrillos,
où quelques collines dressent leurs sommets d'une centaine de
mètres de hauteur.
Plusieurs petites rivières et torrents descendent des mon-
tagnes dans la vallée où ils se réunissent et foiment le Puo
Pasaje ou Juramento, qui quitte la Vallée de Lerma par une
gorge, traverse les plaines argentines et va se jeter dans le Rio
Paranâ sous le nom de Rio Salado. Les petites rivières creusenl
parfois d'assez profonds ravins dans l'alluvion, formant ainsi de
hautes berges nommées dans la langue du pays des barranras''^\
'"' Collo (oriTialion flo fondrières est lui a|)|)li<|uor un mol de la ferniinolo<,Me
très particulière aux plaines irallnvions de géo(^Ma|)lii(|ui' ou <,'éolof,M(|ue française.
rAmérique du Sud, et, en raison de ses Pour ce niolif, j a(l()|>lcrai donc le nom
caractères particuliers, il est dilVKilc de du |>aN>: humuHii.
250
ANTIOI ITÉS DE LA RÉGION ANDTNE.
Partout s'allongent d'anciens lits (le rivières, aujourd'hui à sec,
renfermés entre des barrancas. On voit que les eaux ont souvent
changé de cours, ce qui est très naturel étant données la sur-
face plate et horizontale et la friabilité du sol.
Le tableau suivant donne une idée du climat de la Vallée de
Lerma. 11 est dressé d'après dix ans d'observations faites à Salta
pour le Bureau central de météorologie de la République Ar-
gentine, et publiées par son directeur, M. W.-G. Davis (114,p.2i i
cl SUIV.
MOIS.
TEMPÉr.ATUR
E C)
aiMSllM.
PRESSION
BAr.O-
MÉTnltJUE
moyenne.
HUMIDITÉ
ATMO-
SPHÉRIQUE
moyenne.
l'I.UIE
MOÏE>NE.
MOÏEKNE.
MAXIMIU.
degrés.
2 2
2 1 5
20
'7
l'i
10 5
11 5
i4
17
19
21 5
22 5
degrés.
'i3
38
35
3o
3n
29
28
33
35
35
38
38
degrés.
10
I 2
10
:)
-'1
-G
—0
—2
1
5
8
I I
millini.
660 58
660 89
661 l3
661 90
66 1 96
663 20
662 85
662 22
662 23
661 \i
660 29
669 90
661 55
78 1
80 8
82 1
78 5
76 5
7' 9
66 3
62 h
62 2
63 2
66 8
71
milUm.
1-Vl
l38
117 5
22 5
9
0 5
0
2
7 5
11 5
'17 5
7''
Mars
Avril
Mai
Juillet
Septembre
Octobre
Novembre
Décembre
Toute l'année
17 5
43
-6
7' 7
57/.
(') Les maxima et les miniina
cliiffres ne représentent donc pa
sont ceux qui ont été enregi
s les vrais maxiina et minima.
très aux lieure
s des observât!
Dns , trois fois
lar jour. Ces
Ainsi la temj)érature, qui présente de grandes variations,
est assez élevée, sans être excessivement chaude. Le climat est
sec; la pluie peu abondante. Pendant les trois mois d'hiver :
juin, juillet et août, elle est presque nulle, et ce n'est qu'en
décembre, janvier, février et mars qu'il y a des pluies dont
il faut tenir compte. Cependant il est probable, comme nous
favons déjà remarqué en parlant de la région diaguite, que la
pluie était jadis |)his abondnntc
VALLEE DE LERMA. 251
La terre est très fertile, mais elle ne peut être cultivée sans
irrigation artificielle, car la pluie n'est pas suffisante par elle-
même pour la culture. Le territoire de la vallée est divisé entre
un petit nombre de propriétaires. Leurs propriétés, relative-
ment grandes, sont appelées des haciendas. On y cultive du
maïs, du tabac, du blé, et surtout de la luzerne. Celle-ci sert à
engraisser le bétail élevé dans les estancias''^^ des montagnes,
qui doit passer cpielques mois dans les champs de luzerne de
la vallée afin de pouvoir supporter le long voyage à travers les
déserts du haut plateau et les chaînes neigeuses de la Cordillère
avant d'être vendu au Chili , où la production de viande est
presque nulle dans les provinces du Nord. Cette exportation
du bétail, pratiquée sur une grande échelle, constitue fune des
principales ressources de la Vallée de Lerma. Les chevaux et
mulets sont élevés aussi dans les haciendas depuis les premiers
temps de la colonisation espagnole. Lozano (220, i, p. 181) dit que
tous les ans on exportait de Salta au Pérou des milliers de
mulets provenant des provinces de Tucuman et du Rio de la
Plata. Ces mulets devaient rester un hiver dans la Vallée de
Lerma ou aux environs de Jujuy pour être remis en bon état
avant d'être envoyés sur le haut plateau aride du Pérou , où ils
étaient soumis à de rudes travaux.
Dans les parties non cultivées du sol, la végétation est pauvre.
Elle consiste en arbustes et en de rares graminées. Cà et là, il
y a aussi une végétation arborescente composée d'arbres peu
élevés et d'arbustes disséminés dans la plaine. La plupart de
ces arbres sont des Cccsalpinées, entie autres plusieurs espèces
(\' Acacia et de Prosopis. Les ai-bustes appartenant au genre Ccllis
sont communs, ainsi que le churqni (^Prosopis ferox, Griseh.).
Parmi les arbres non cultivés, le cochiicho i^ZanthoxyJum (lovo,
'"' Les cstunrids sont les |ii()|)ii(''l('s où s|)onlan(''(> est moins pauvre en licrhcs (|iic
il n'y ii pas de ciillnic, niais (pii scMvcnt dans la terre hasse. Le mol lunicmin , en
exclnsivemont ponr rdeva^^c à hase de français «^'ran<,'0», osl en iisaj^e en lioli-
lonrraj^o j)rodnit spontanément par le sol. vie, en .'njny et en Salta; en Catainaiva
En Salta, les eatamids sont tonjonis si el pins .m Snd , on emploie plutcM le hhiI
Inées dans les nionlai^nes où la véi^élalion fiiitn.
252 ANTIQUITES DE E\ REGION ANDINE.
GUI.) est celui qui atteint la pins grande hauteur, quelquefois
jusqu'à huit ou dix mètres.
La population actuelle de la Vallée de Lerina est composée
pour la plus grande partie de métis dont la proportion de sang-
indien est de beaucoup supérieure à celle de sang blanc. Mais
leur origine n'est pas du tout homogène. Ils descendent de
métis immigrés de toutes les provinces de l'intérieur de la Ré-
publique Argentine, d'Indiens de la Puna et d'Indiens et métis
boliviens. Ces descendants de tant d'éléments ethniques diffé-
rents présentent naturellement des types très divers. L'espagnol
est la seule langue parlée; le quichua est tout à fait oublié, sauf
des personnes immigrées, par exemple les Boliviens, qui l'ont
appris dans leur pays. La population de la Vallée de Lerma, cal-
culée d'après le dernier recensement général de la République
Argentine (37), en 1890, s'élève à 3 2,000 habitants environ
dont 16,672 pour la ville de Salta. Parmi les personnes recen-
sées, 1,280 sont nées en Bolivie, 5^2 dans la province de Cata-
marca, 5o3 dans celle de Tucuman et 496 dans celle de Jujiiy.
Je donne ces chiffres pour que l'on puisse se faire une idée de
l'immigration actuelle, mais il faut se rappeler qu'une grande
partie des habitants de la vallée, nés dans la province de Salta,
sont des descendants d'immigrants d'autres régions. L'élément
européen est si peu nombreux, qu'il ne mérite pas d'être pris
en considération. 11 n'y a de sang blanc en grande proportion
que dans les veines de la classe dirigeante et propriétaire, la-
quelle conserve beaucoup des traits caractéristiques des anciens
hidalgos espagnols.
L'hétérogénéité de cette population a sa cause dans le
commerce actif de transit entre les provinces argentines et la
Bolivie qui, depuis les premiers temps de la colonisation espa-
gnole, a été exercé par la ville de Salta. Le chemin de fer nord-
argentin, qui a maintenant -Tujuy pour terminus, et celui qui
unit Antofagasta sur le Pacifique avec le centre de la Bolivie,
ont presque anéanti ce commerce; mais, avant la construction
de ces lignes, Salta était l'entrepôt de toutes les marchandises
VALLEE DE LE RM A. 253
allant en Bolivie et de tous les |)roduils qui en venaient. Plus
de 5o,ooo mulets chargés étaient continuellement en route
entre Salta et la Bolivie.
Don Pedro Sotelo Narvaez (253, p. i5o) nous apprend que les
Indiens de la Vallée Calchaquie et « de la Cordillère », cest-
à-dire delà Puna, à l'éjDoque de la conquête, venaient Iréquem-
ment dans la Vallée de Lerma, sans doute pour y échanger
leurs produits. Cette vallée en efl'et a dû être, à l'époque préhis-
panique déjà, un centre de commerce par suite de sa situation
au milieu de tant de régions différentes. Les (inebradas, seuls
chemins de la région montagneuse, y aboutissent de tous
côtés : au Sud, elle communique avec les Vallées Calchaquie et
de Yocavil par les Quebradas de las Couchas et d'Escoipe; à
rOuest, la Quebrada del Toro mène à la Puna; au \ord, le
chemin de Caldera met la Vallée de Lerma en communication
avec JLijuy et, par la Quebrada de Humahuaca, avec le haut
plateau; enfin à TEst, les quebradas de Mojotoro et du Rio Ju-
ramento donnent passage à la grande plaine argentine et au
Chaco.
La Vallée de Lerma était d'abord placée dans \a jiinsdiccion
de la ville de Nuestra Seiiora de Talavera ou Esteco. Mais Es-
teco était trop éloigné des sauvages de la Vallée de Lerma pour
pouvoir les maintenir en paix, et, en 168:2, le gouverneur de
Tucuman, Don Hernando de Lerma, fonda la ville de Salta
sous le nom de Ciiidad de Lerma en el Valle de Salta, provincla de
Tacunian, nom cpii fut changé en celui de San Felipe de Lerma
en el Valle de Salta. Maintenant c'est la ville qui s'a[)pelle Salta,
et la vallée, Lerma. Don Hernando de Lerma, un homme éner-
gicpie, d'une volonté de fer, a beaucoup lait pour la conquête
de ces régions et pour la soiiinission des indiens. Lo/ano f220.
IV, p. ;ir)7) l'attaque violemment et lui re|)roche d'avoir été tyran
et despote, mais on voit bien que Lozano n'est pas inq^artial;
la raison de ses attaques est sans doute ([iie Lerma n(^ laissa pas
les jésuites gouverner comme ils le voulaienl. Suivant Lo/auo,
Lerma avait d'abord l'intention de fonder sa nouvelle ville dans
254 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
la Vallée Calchaquie, où les Indiens avaient détruit la première
ville fondée par les Espagnols, Côrdoba de Calchaqui; mais il
se décida pour l'emplacement actuel de Salta, parce que de là
on j)ouvait combattre en même temps les Calchaquis et les
Pulares du Sud et de l'Ouest, les Cochinocas et les Omaguacas
du Nord, «qui faisaient continuellement la guerre aux Espa-
gnols et qui étaient toujours en rébellion contre le service de
Sa Majesté ». Salta eut, au début, beaucoup à soufTrir des belli-
queux Indiens qui l'entouraient de tous côtés.
ARCHEOLOGIE DE LA VALLEE DE LERALL
EL CARMEN,
CIMETIKUb: PUOBIBLEMENT DOUIGINE (iUARANIE.
La Vallée de Lertna est très riche en restes préliispaniques
dont l'hétérogénéité révèle Torigine de peujDles et d'époques
dllFérents. J'ai pratiqué des fouilles principalement en deux
endroits de la vallée : aux environs de Pucarâ*'^ et d'El Carmen,
à l'est de l'embouchure de la Quebrada del Toro, et sur les
domaines de la hacienda de Carbajal, au pied des montagnes
qui bornent la vallée au sud du village de Rosario de Lerma.
En 1901, lorsque je lis partie de la Mission Suédoise, mes
amis, le D"^ Justiniano L. Arias et M. Nicolas Arias Cornejo
m'offrirent d'occuper, pour les préparatifs du voyage que cette
mission entreprenait au haut plateau de la Puna , leur hacienda
El Carmen. Cette propriété est située à environ 2 5*^™ au sud-
sud-ouest de la ville de Salta et à 5''°' à l'ouest de la ligne de
chemin de fer de Salta à Zuviria, entre les stations de Cer-
rillos et de La Merced.
Pendant mon dernier séjour à Salta, j'ai joui de nouveau
de l'hospitalité de MM. Arias et je passai une dizaine de jours
à El Carmen où j'avais été attiré par de nombreux restes pré-
hispaniques que l'on trouve aux environs. J'y ai fait des lo ailles
intéressantes et je commencerai par une trouvaille archéolo-
^'' Le mot (juichua pucarâ slgnKîc, carâ de Aconquija. J'ai fait, pondant mon
comme on le sait, « forteresse ». Dans la voyage, des fouilles dans deux endroits
région diaguite. comme également au portant le nom de Pucani, celui de la
Pérou et en Bolivie, il y a de nombreuses Vallée de Lerma, et un autre dans le dé-
localités qui portent le nom de Pucani, et partement de l^inconada (Puna de .lujuv).
où il existe toujours des vestiges d'an- Pour éviter une confusion, je les désignerai
ciennes places fortes. Nous avons doimé, respectivement sous les noms de Viinirà
page io5, une courte description de Pu- de Lrrina et de Piirnrâ tic Wnroiindd.
256 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
gique de catégorie différente des autres, faite par un hasard
la veille de mon départ pour le haut plateau. J'avais achevé
mes préparatifs et je devais jjartir le lendemain, lorsque fun
des péons '^ métis de la hacienda m'apporta quelques grands
fragments de poterie grossière. 11 ajoutait qu'il y avait beau-
coup de vilciucs'-'' contenant des ossements et enterrés à moins
de 1*"" à f ouest de l'habitation de la hacienda.
Je me rendis à 1 endroit indiqué, et je vis les excavations
faites par le métis qui, en voulant exhumer trois ou quatre des
vases, avait naturellement tout cassé. Un ruisseau avait miné
le bord du chemin et mis au jour ces urnes; son bord formait
une harrauca; les urnes se trouvaient à o"5o de profondeur
au-dessous du niveau actuel du sol.
Je commençai à fouiller, mais avec un médiocre résultat,
car la poterie humide et ramollie par le temps tombait en mor-
ceaux au seul contact de l'air. De plus, je n'avais guère de
temps, devant partir le lendemain, ma caravane étant prête
et mon temps juste suffisant pour pouvoir remplir le pro-
gramme de mon voyage. Si j'avais eu cinq ou six jours à ma
disposition, peut-être eussé-je réussi, par des méthodes spé-
ciales, à extraire quelques urnes entières.
Cependant j'ai pu examiner trois urnes, et je donne ici le
croquis de fune d'elles [fi(j. SI). Sa forme est, je le crois,
reproduite fidèlement, moins les contours du couvercle qui
recouvrait l'urne jusqu'à la moitié de sa hauteur environ,
car il n'en restait que les bords; le fond avait été détruit par
la pression de la terre. La ligne pointillée qui marque sur la
ligure cette partie du couvercle est donc conventionnelle.
Cette urne, comme toutes les autres, était d'une terre assez
mal cuite, couleur rouge brique, et grossièrement modelée,
sans décor d'aucune sorte. Elle était pourvue de deux grandes
''^ Peoii est le nom que l'on donne aux ^^^ ViUjuc [Innrqni) est un mot quichua
travailleurs indigènes des haciendas et des dont se servent les Indigènes et qui signi-
cstancias. Il sert aussi à désigner, en gé- lie « grand pot en terre cuite » ancien ou
néral, les ouvriei's sans métier spécial. moderne.
VALLEE DE LERMA.
257
anses latérales, horizontales, placées un peu au-dessous de sa
mi-hauteur. Les parois avaient environ o™ oi d'épaisseur. La
ficj. 32 montre quelques fragments de la panse de l'urne (a),
de son bord (/>, c) et du bord du couvercle [d). vSur le grand
fragment, on aperçoit très clairement les stries laissées par
leracloir_qui a servi à lisser la poterie. L'ouverture de l'urne
était de o'"8o, et sa hauteur de o'"55. Le fond était perforé
au centre, le diamètre du trou était d'environ o^oaS.
I''ig. .'îi. — L'rnc [mu'rairo du riinclièro d'I'Jl (iarmcri. — i/io
nal.
IVuriK! était remplie de terre qui avait dû pénétrer quand
le couvercle s'était brisé. En examinant cette terre, j'y trouvai
les débris du crâne et de la phipart des^_o^s d'un squelette
d'adulte. Bien que ces os fussent dans un état de décomposilion
presque compléter, je pus constater qu'ils se trouvaieni /// sila
et que le cadavre avait été placé entier dans l'urne, dans une
positioii_accrmipie , les jambes et les bras repliés sur la poi-
trine, la tète inclinée en avant.
Deux autres urnes que j'ai cviiumées étaient ])resque de la
ATIOXILL.
/^
258 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
même forme et en tout point analogues à celles que je viens de
décrire.
Les urnes du cimetière étaient placées très près les unes
des autres, espacées. d'environ i mètre. J'ai vu des débris d'une
dizaine d'urnes sous le bord du chemin où j'effectuai mes
fouilles; beaucoup d'urnes doivent avoir été emportées par le
ruisseau, et, de l'autre côté du chemin, dans une excavation
faite pour le réparer, j'ai également trouvé des fragments
d'urnes, à une distance de lo"" des premières. Le cimetière
continuait sûrement au-dessous du chemin, et, en calculant sa
superficie, on peut estimer à une centaine le nombre d'urnes
enterrées là.
Avec les urnes d'El Carmen, je n'ai trouvé d'autres objets
qu'une curieuse pièce de poterie en forme de tonneau sans
fond, de la même qualité de céramique que les urnes, et striée
sur la surface comme l'urne que je viens de décrire. Cette
pièce est représentée par l^fg- 33. Elle a o"" 16 de hauteur et
o™ 17 de diamètre maximum. Il n'est pas facile de formuler
une théorie sur sa destination. A ma connaissance, c'est le pre-
mier objet en terre cuite de cette forme rencontré par l'archéo-
logie de l'Amérique.
En deux autres localités de la Vallée de Lerma, il existe des
cimetières d'urnes funéraires en tous j)oints analogues à celui
d'El Carmen. A Carbajal, j'ai entendu parler d'un grand nombre
d'urnes de cette même catégorie, et à La Canada, au pied des
montagnes qui bornent la vallée à l'Est, on en avait découvert
deux autres. Un de ces cimetières d'urnes paraît avoir existé là
même où se trouve la principale place de la ville de Salta. Don
Filiberto de Mena (235, p. 26) raconte qu'en 1791 on apercevait
au ras du sol, sur cette place, à côté de l'ancienne église des
jésuites, les goulots de quelques urnes que l'on disait être
des «sépultures de (lentlles^^^ n. Cependant Mena n'en avait pas
vu le contenu : pendant les trenle-six ans qu'il vécut à Salta,
^'' Gentiles : nom que l'on donne, clans les provinces andines, aux Indiens païens qui
y vivaient avant la conquête. On dit aussi ant'ujnos.
Pl. XVI.
Fi g. Sa. — CiiiK'lièro (VVA Caiinoii. Kni^mcnls d'iiiK^ iirru- I'iiik rairo cl (K; son couvercle
i/'i gr. Mal.
ri;;. .').'î. — CimcliiTC (l'FJ ('.armcu. ('.\Iiii(lrc en Icnr ciilli'. - i/'i gr. nal.
VALLEE DE LERMA. 259
« personne n'avait eu la curiosité de faire des excavations pour
examiner ces sépultures ».
Le cimetière d'El Carmen fut pour moi une découverte très
intéressante, car aucun autre cimetière de ce genre n'a été
décrit de la région andine de l'Argentine, et la trouvaille en
était d'autant plus notable que j'avais examiné, en 1901 , des
sépultures tout à fait analogues dans la Vallée de San Fran-
cisco, en Jujuy. La Mission Suédoise séjourna alors pendant
trois semaines à San Pedro, situé dans cette vallée. Bien que
nous fussions surtout occupés d'études ethnographiques sur
les Indiens Matacos du Chaco qui, au nombre de i,5oo envi-
ron, travaillaient dans la récolte des grandes plantations de
canne à sucre de ces parages, j'ai pu cependant employer
quelques heures disponibles à examiner sommairement les
urnes funéraires anciennes qu'on exhumait accidentellement
pendant le labourage des terrains.
A Providencia, près de San Pedro, j'ai vu dans des localités
difierentes huit ou dix de ces urnes funéraires, semblables à
celles d'El Carmen, faites de terre assez mal cuite, façonnées
d'une manière grossière, sans aucun décor. Les parois avaient
environ o"'oi d'épaisseur; les dimensions étaient d'environ
0^80 de hauteur sur o*" 5o à o"* 60 de diamètre. Le contenu
était toujours un squelette d'adulte, mais en si mauvais état
de conservation, en raison de l'humidité, que les os tombaient
en poussière aussitôt qu'on les touchait. D'ailleurs les urnes
elles-mêmes se séparaient en petits morceaux, une fois ex-
posées à l'air. Chaque urne funéraire était toujours surmontée
d'une autre urne renversée qui lui sei*vait de couvercle, ayant
peu près la même forme que celle qui contenait les restes
humains. Le croquis de la Jicj. 3â montre approximativement
la forme de quelques-unes de ces urnes.
Elles se trouvaient toujours au nombre de deux ou de plu-
sieurs ensemble, et parfois la grande quantité de morceaux
de poterie épars dans leur voisinage démon Ir.iit f[ue les tra-
»7-
260
ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
vailleiirs avaient brisé joliisieurs urnes en ouvrant la trancliée.
En quelques endroits, une dizaine d'urnes avaient été certai-
nement inhumées ensemble. Ainsi qu'à El Carmen, on ne
rencontrait jamais dans ces urnes, ou aux alentours, ni de la
poterie décorée comme celle qui se trouve toujours dans les sé-
pultures de la région diaguite, ni d'autres ol^jets.
Fig. 3'i. — llrne funéraire de Providencia (San Pedro). — i/io gr. nat.
Ces cimetières de la Vallée de Lerma et de la Vallée de San
Francisco se caractérisent par leurs sépultures. L'enterrement
dans des urnes est exclusif. Ces unies sont de facture grossière,
sans aucun décor. Les cadavres y ont été introduits entiers,
placés dans la position accroupie. Aucune poterie, aucun objet
ne les accompagnent démontrant chez le peuple d'où pro-
viennent les cimetières un quelconque développement des
aptitudes artistiques. En région diaguite, les cimetières d'urnes
VALLÉE DE LERMA. 261
funéraires, cimetières d'enfants en bas cage ou cimetières
d'adultes (tel gelui de Ghanar-^aco], livrent des poteries, des
objets de parure qui impliquent une relative culture artistique.
Parfois, il est vrai, dans le domaine de l'arcbéologie diaguite,
cà El Banado par exemple (voir page iv^)4), des cimetières spé-
ciaux d'enfants ont fourni quelques urnes grossières, au milieu
des urnes décorées. Mais le fait s'explique parfaitement par le
manque accidentel d'une céramique appropriée à l'usage fu-
néraire, qui a obligé à employer momentanément des pote-
ries vulgaires. Et d'une circonstance très exceptionnelle on ne
peut, en aucune façon, conclure à une parenté ethnique entre
les découvertes d'El Carmen et de Providencia, d'un côté, et
celles du pays diaguite, de Fautre.
Si nous exceptons la région diaguite et quelques cas isolés
d'enterrements d'enfants dans des urnes, de la Quebrada del
Toro et de la Puna de Jujuy, ce mode de sépulture était tout
à fait inconnu dans toute la région appartenant à la culture
ando-péruvienne. La riche littérature archéologique de cette
région explorée avec soin ne m'a présenté que deux rensei-
gnements relatifs à des cadavres ensevelis dans des vases, et
l'un de ces cas seulement est assez bien défini pour pou-
voir être pris en considération : M. Th. J. Hutchinson (174, t,
p. iiO) mentionne une urne d'environ deux pieds de hauteur,
« contenant tous les os d'un être humain », qui fut exhumée
à Ica. Quant à M. Bastian (57, n, p. ()i()), qui cite des « urnes avec
os humains» de Ganete, au sud de Lima, il ne donne pas la
source d'où il a tiré cette information. La nécropole d'Ancon,
suivant MM. Reiss et Stûbel (308, i, pi. 8, 9), n'a pas révélé de
cadavres ou d'ossements ensevelis dans des urnes. Tout au
plus, en quelques cas seulement, a-t-on trouvé des fragments
ou fonds de grands vases placés au-dessus des momies, dans la
même position que les pierres horizontales qui couvrent la tête
des morts dans maints cimetières piéhispaniques de toute la
région andine. Nous avons déjà, page i()'.^, analysé les pas-
sages de /iârale, Gomara, Arriaga et Villa (lomez, d'après les-
262 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
quels certains enfants, dans des cas tout à fait spéciaux, étaient
conservés dans des vases, ceux-ci d'ailleurs n'étant pas en-
terrés. Mais de telles exceptions ne peuvent pas infirmer la
règle générale que fusage d'urnes comme cercueils n'appar-
tient pas à la civilisation ando-péruvienne, et qu'il était en
général inconnu à tout le domaine de cette civilisation. Nous
pouvons donc considérer comme un fait établi que nos cime-
tière des Vallées de Lerma et de San Francisco ne proviennent
pas d'un peuple de la race andine.
Il faut chercher forigine de ces cimetières parmi les peuples
de moindre culture qui avaient l'habitude d'enterrer leurs
morts dans des urnes grossières. Us sont nombreux dans toute
la partie orientale de l'Amérique du Sud, à l'est de la Cor-
dillère des Andes. Parmi eux nous notons deux variétés d'en-
terrements dans des urnes. Certaines tribus plaçaient, dès la
mort, le cadavre entier dans le vase. Chez d'autres, le corps
était d'abord déposé à même la terre, et, quand la putréfaction
avait accompli son œuvre, les os étaient ramassés et définitive-
ment déposés dans l'urne. En fétat actuel de nos connais-
sances ethnographiques sur le Brésil, le premier de ces modes
funéraires peut être, en Amérique du Sud, presque exclusive-
ment attribué aux peuples de la race tupi-guaranie , le second,
à peu d'exceptions près, était pratiqué par d'autres, comme
Nu-Aruacs, Caraïbes, Tapuyas.
Dans toutes les fractions de la grande race tupi-guaranie
régnait ou règne encore la coutume d'employer des urnes en
terre cuite comme cerceuils et, dans ces urnes, de placer,
immédiatement après la mort, le cadavre entier, les jambes
repliées, les genoux appuyés sur la poitrine, les bras croisés
et également repliés sur la poitrine, le tout formant un paquet
d'un volume aussi réduit que possible. Vu finfériorité des
Tupis dans l'art de la céramique, les urnes sont d'une facture
grossière, sans décor ou avec une ornementation très simple.
En général, les vases ne paraissent pas avoir été fabriqués
expressément pour servir de cercueils, mais l'on employa et
Ton emploie encore à cette fin de grands pots faits pour con-
tenir de la c/iicha ou de l'eau.
Pour commencer par les « Tupis orientaux», ceux qui à
l'époque de la conquête étaient répandus sur toute la côte bré-
silienne, jusqu'à l'Amazone, l'un des premiers voyageurs euro-
péens, le célèbre cosmographe André Thevet (345, fol. 9.>.r)), dit
sur les Tupinambâs du Cap Fri'o : « Ils le courbent (le mort)
en un bloc et monceau, dans le lict où il est decedé : tout ainsi
que les enlans sont au ventre de la mère, puis ainsi enveloppé,
lié et garrotté de cordes de cotton, ils le mettent dans un
grand vase de terre, qu'ils couvrent d'un plat aussi de terre . . .
Ce fait ils le mettent dans une fosse ronde comme un puits,
et profonde de la hauteur d'un homme ou environ, avec ung
peu de feu et de farine, de peur, disent-ils, que le maling
esprit n'en approche , et que si l'ame a faim qu'elle mange : puis
après couvrent le tout de la terre qui a esté tirée de cette fosse.
Si c'est un père de famille, il est enterré dans la maison à
l'endroit propre où il couchoit : et si c'est un enhuit, il est mis
hors et derrière la maison dont il estoit. Autres sont enterrez
dans leurs jardins et autres lieux où les delYuncts auront prins
plus de plaisir en leur vivant. » Les Tupis orientaux se répan-
daient avant la conquête, vers le Nord le long de la côte,
jusque sur les îles formant le delta de l'Amazone. A Pacoval
et à Os Camutins, sur l'île Marajô, ont été faites d'intéres-
santes découvertes de cimetières composés d'urnes funéraires,
mais les opinions diffèrent sur la provenance de ces nécro-
poles. Martius (231, i, p. 178) et Brinton (77, p. ?M) les considèrent
comme des vestiges des anciens Tupis, tandis que, pour
d'autres ethnologues, ces cimetières proviennent de l ri bus
aruacs. Les urnes décrites sont d'ailleurs, en général, de di-
mensions trop petites pour avoir contenu des cadavres entiers
d'adultes. Ainsi une ui-ne figurée par le D' llamy (160, pi. i.vi),
de forme très semblable à notre urne d'El Carmen, n'a que
o'"2C) de hauteur et o'"43 de diamètre à l'ouvcrlure. Elle
264 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
n'aurait pu contenir un adulte entier que si le cadavre avait
dépassé le bord, sa partie supérieure étant abritée par un
dôme formé par un autre vase en guise de couvercle. Suivant
M. Hamy {ibid.i). hj), «un troisième vase nous est aussi resté
(à Paris), à la suite de l'Exposition de 1889. Cette grosse mar-
mite (diamètre, o"'3o) avait été sciée horizontalement, de
façon à montrer les ossements d'un adulte vus en coupe dans
la terre durcie ». D'autre part, M. G. F. ffartt (162, p. 0.2) a ren-
contré dans une urne de l'île Marajo des parties de corps hu-
main avec les os encore articulés. Plusieurs urnes du delta de
l'Amazone sont de dimensions suffisantes pour avoir contenu
des cadavres entiers, et la région n'est pas assez explorée pour
qu'on puisse distinguer entre les différentes catégories de sé-
pultures qui probablement y existent. Il se pourrait bien que
quelques-unes de ces sépultures provinssent des Tupis, et
d'autres sépultures de races différentes.
En suivant la côte brésilienne vers le Sud, nous trouvons les
provinces de Sào Paulo, de Santa Catharina et de Rio Grande
do Sul, dans le territoire desquelles on a souvent découvert de
grandes urnes contenant des squelettes ; mais les premières
de ces trouvailles et les renseignements y relatifs proviennent
d'amateurs. M. Cari Nehring (256) rend compte à la Société
d'anthropologie de Beilin de ses fouilles dans un grand cime-
tière d'urnes près de Piracicaba (Sào Paulo). H y a exhumé
quatre urnes : deux contenant des squelettes d'adultes, et deux
des squelettes d'individus jeunes. Les premières étaient assez
grandes pour contenir «trois himptcn (environ i5o livres) de
pommes de terre ». Les squelettes, suivant M. Nehring, parais-
saient y avoir été ensevelis entiers. Les urnes étaient couvertes
de deux à quatre pieds de terre. Elles étaient de diverses formes
et, en général, placées avec l'ouverture en haut et pourvues
d'un couvercle. Cependant quelques urnes occupaient une posi-
tion renversée. Aux environs on ne trouvait « pas d'armes, pas
de pointes de flèches, pas de haches, seulement beaucoup de
fragments de poterie, la tête d'une statuette en terre cuite et
VALLEE DE LERMA. 265
une pierre à aiguiser». M. Th. BischoIT (62) dit avoir trouvé,
également dans le Sào Paulo, des vases grossiers contenant des
ossements, mais de dimensions trop petites pour avoir pu con-
tenir des cadavres entiers. Les renseignements de M. BischofT
sont d'ailleurs assez obscurs. Il attribue ces urnes à une sorte
d'Indiens qu'il appelle « Campos-Bugres », race qui, d'après
lui, en aurait remplacé une nommée « Sambaquy-Bugres » (?),
Un manuscrit poslluime de M. Carlos Ratli (307) sur les dilïé-
rents modes d'enterrement dos sauvages du Brésil a aussi été
publié dans les actes de la Société d'anthropologie de Berlin.
M. Rath avait voyagé surtout en Sâo Paulo et dans les pro-
vinces environnantes. Il dit avoir vu maintes fois des sépul-
tures où les morts étaient enterrés dans des urnes, auxquelles
on donne le nom (Vujarahas et qui ont environ 2 pieds à
3 pieds 1/2 de hauteur, la partie la plus large de la panse ayant
3 à 4 pieds de diamètre et l'ouverture 2 à 3 pieds. Les parois
ont 1 pouce à 1 pouce 1/2 d'épaisseur, et l'extérieur de l'urne
porte un décor simple qui consiste en des lignes et des carrés
peints. Ces icjaçabas sont généralement pourvues d'un cou-
vercle. M. Rath a examiné soigneusement une icjaraba conte-
nant un squelette ])ien conservé, en position accroupie, les
bras et les jambes repliés sur la poitrine, les genoux ramenés
aussi haut que possible. Pour maintenir le cadavre dans cette
position, qui seule permet de l'introduire dans l'urne, on le
lie avec des lianes. M. Rath paraît attribuer ces sépultures
surtout à des tribus Tapuyas, mais sa terminologie ethnique
est trop vague pour accepter ses classifications : il se rend cou-
pable de contradictions, et sa note posthume, d'ailleurs, n'était
peut-être pas destinée à être publiée dans la forme qu'il lui
avait donnée. Enfm, de Rio Grande do Sul, M. P. A. Kunert
(188) publie une autre note sur des urnes funéraires. Une urne
de la Vallée de Forromecco « était si grande, que Ton y aurait
bien pu enfoncer un individu corpulent en j)osilion accroupie ».
Une autre uiiie avec couvercle, piovenant de Lomba (ïrande,
près de Sào Leopoldo, contenait, d'après ce qu'on avait raconté
266 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
à M. Kunert, des ossements en désordre. Le crâne était placé
au-dessus de ces ossements, dans une écuelle spéciale. 11 s'agit
donc, dans ce cas, d'un second enterrement.
Ces renseignements sont en partie fort vagues; d'autre
part, ils émanent de personnes qui n'ont fait que des observa-
tions locales dans la contrée qu'ils habitaient et qui se fondent
aussi sur des données empruntées à des tierces personnes,
de colons sans instruction suffisante pour apprécier les faits.
Cependant il semble constaté que, dans le sud du Brésil,
existaient les deux variétés de sépultures dans des urnes, outre
plusieurs sortes d'enterrements directs de la terre. Cette diver-
sité de modes funéraires est d'ailleurs très explicable par la
grande variété de races indiennes qui ont habité les provinces
méridionales du Brésil. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à jeter
un coup d'œil sur les deux intéressantes cartes publiées par
le D'' von Ihering (181), qui montrent la distribution ancienne
et actuelle des Indiens dans ces provinces. Nous y trouvons
nombre de tribus différentes des groupes des Tupis-Guaranis,
des Tapuyas et d'autres encore. Mais de quels Indiens pro-
viennent les urnes funéraires.^ M. von Ihering (178, p. ]5,etl81,
p. 3i) qui connaît si bien l'ethnographie du sud du Brésil,
attribue nettement aux Tupi-Guaranis fenterrement des icja-
rahas. Il dit que « les Guaranis et les TujDis enterraient en
général leurs morts dans des urnes funéraires, en position
assise ». On trouve ces urnes très nombreuses en Piratinin"a
o
et en d'autres districts voisins de la ville de Sào Paulo, jadis
habités par les Tupinaquins. Seulement, dans le cas où un
guerrier mourait loin de chez soi, on fenterrait provisoirement
et l'on transportait plus tard les os du mort dans son village.
Des Cayuâs, Guaranis du Rio Paranapanema, le même auteur
(181, p. 7) rapporte qu'ils employaient jadis des urnes comme
cercueils pour leurs morts, mais qu'aujourd'hui ils les en-
sevelissent directement dans le sol de leurs cases, qui alors
sont brûlées. Dans une publication antérieure, M. von Ihering
(177, p. 78) avait déjà fait remarquer la différence entre les Gua-
VALLÉE DE LERMA. 267
ranis et les autres races dlndiens : les premiers ensevelissenl
leurs morts dans des urnes, tandis que les « Crens » (Gès), par
exemple, les enterrent simplement à même la terre. Le Musée
de Sào Paulo possède deux de ces urnes décorées extérieure-
ment avec des lignes rouges et noires sur fond blanc. Dans la
collection de la Commission de géographie et de géologie de
l'Etat de Sào Paulo se trouvent deux autres urnes, dont Tune
a 0°* 65 de hauteur, i'"02 de diamètre maximum (panse) et
o°'4o de diamètre à l'ouverture^''.
D'après M. von Ihering-, les icjaçahas sont recouvertes par
d'autres vases plus petits, renversés. 11 croit que les ujaçahas
n'ont pas, en général, été destinées exclusivement à un usage
funéraire, mais qu'elles ont servi à l'origine pour y conserver
le cauim^^^ que les Tupis préparent et consomment en grande
quantité.
Avec l'opinion de M. von Ihering, attribuant les ujaçahas aux
Tupis-Guaranis, concorde celle de M. Ehrenreich (121), qui,
pendant une visite à Sào Paulo, en i885, écrivait : «Je crois
que ce sont les Tupis qui ont laissé les innombrables frag-
ments de poterie, les urnes funéraires, les haches de pierre et
les pipes, car nous trouvons ces objets partout où ce peuple
a passé, depuis le Paraguay et le Brésil méridional jusqu'à
l'Amazone. Ce ne sont pas, comme on le croit souvent ici, les
Puris, qui au commencement du siècle présent se trouvaient
à un degré très bas de civilisation. Aussi la céramique des
Coroados est relativement très primitive. »
Passons aux Guaranis du Paraguay. Les missionnaires jé-
suites nous renseignent que ces Tupis enterraient dans des
^'^ Cette urne, comme celles dont ser que le cadavre dépassait quelquefois le
M. Rath donne les mesures, est sulllsani- hord de l'urne et que sa partie sujit'rioure
ment grande pour contenir le corj)s d'un se trouvait alors dans le dôme lormé par
adulte. Voir ce (pie nous avons dit à ce le vase qui servait de couvercle.
sujet, page 1 53. Môme (piand il s'agit '*' Nom guarani de la rliichu [azua vu
d'urnes de o" 5o seulement de hauteur, (piichua), boisson alcoolicpie préparée avec
elles ont pu servir pour des personnes du mais fermenté à l'aide de la salive hu
adultes, car l'on peut parfaitement suj)po. maine. Le mol chirha est caraïbe,
268 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
urnes. Le P. Ruiz de Montoya (318, fol. i/i), en décrivant au
commencement du xvii" siècle les «Rites des Guaranis», dit
qu'ils « enterraient leurs morts dans de grands vases couvrant
leur ouverture avec un |)lal Ces vases étaient enfoncés
dans la terre jusqu'au goulot». De son côté, le P. Martin
DobrizbofFer (118, i, p. 7;'>) donne le même renseignement à
propos des Indiens de Mbaeverâ, sur le Rio Acaray, affluent
delà rive droite de l'Alto Paranà, dans la jDartie orientale de
l'actuelle Répidjlique du Paraguay. Dobrizhoffer ajoute que
ce mode de sépulture «était un rite des anciens Guaranis » :
Suoriwi cadavera uujcnlihus cant/ians ex arcjilla fictis , el ad iaiiem
excoctis claiidnnt Qiutraniorum velerum rUu. Très ejusmodi caii-
tharos, sed inanes, hoc in itinere per sylvam depreJiendimus. 11 ne
peut y avoir de doute que ces Indiens fussent des Guaranis,
car le nom de leur dieu était, selon Dobrizhoffer, Tupa. Les
renseignements de ces jésuites sont corroborés par les récentes
découvertes archéologiques de M. Ambrosetti (12) qui a exhumé
de grandes urnes funéraires grossières sur les rives de l'Alto
Paranâ, autant sur le territoire du Paraguay que sur territoire
argentin, en Misiones. J'ai vu moi-même, au Musée national
de Buenos-Aires, quelques-unes de ces urnes qui présentent
beaucoup d'analogie avec celles des Vallées de Lerma et de
San Francisco. Le D' von Ihering (177, p. 77) mentionne aussi
le même mode d'enterrement chez les anciens habitants du
Paraguay. L'un des amis de M. von Ihering avait eu l'occasion
d'examiner, pendant la guerre fin Paraguay aux environs de
1867, une de ces grandes urnes contenant un squelette entier
et recouverte d'un autre pot renversé. M. J. Koslowsky (187, p. 8)
mentionne des cimetières d'urnes analogues qu'il a examinés
sur les bords du Rio Paraguay, beaucoup plus au Nord, dans
les environs de Descalvados (Matto Grosso, au nord de la ville
de Corumbâ). Ces cimetières ])roviennent aussi, très vraisem-
blablement, de Guaranis.
Au sud du Paraguay, le long du Rio Paranâ et sur les îles
formées par son delta, habitaient jadis en r)lusieurs endroits
VALLÉE DE LERMA. 269
des tribus giiaranies. Suivant Pmi Diaz de Guzman (116; 1. m,
c. XVIII ; |). 149), ces Guaranis occupaient, à Tépoque de la conquête,
les îles entre Baradero et le Rio de las Palnias, dans le delta.
A eux correspondent très vraisemblablement les urnes funé-
raires mentionnées par le D*' H. Burmeister (84, p. 196), trouvées
dans les îles du delta du Rio Paranà. Selon M. Burmeister, ces
urnes sont assez grandes pour contenir des cadavres d'adultes
en position accroupie. Quelques-unes d'entre elles contenaient
encore, lorsqu'elles furent déterrées, des squelettes entiers
dans cette position, quoique comi^lètement eilrités. Une urne
conservée entière avait environ 2 pieds de hauteur et autant
de diamètre; ses parois avaient un demi-pouce d'épaisseur et
l'extérieur était orné de quelques simples lignes gravées.
Les Guaranis qui, de nos jours, sont les plusjoroches voisins
des Vallées de San Francisco et de Lerma sont les Clîirii»ua-
nos, établis au nord du Rio Pilcomayo, sur les pentes du haut
plateau bolivien vers le Chaco. Une partie des Chiriguanos ha-
bitait cette région longtemps avant la conquête, dès le temps
de rinca YujDanqui, d'après Garcilaso (140; 1. vu, c. wn; fol. i83),
mais une autre partie, suivant Rui Diaz de Guzman (116, p. 20),
paraît être immigrée du Paraguay en i5'j6. Les Chiriguanos
enterrent encore aujourd'hui leurs morts comme jadis, dans
de grands vases en terre cuite, grossiers et surmontés d'un
autre vase renversé, formant couvercle, absolument comme
dans nos cimetières d'El Carmen et de San Pedro. Le premier
auteur qui ujentionne cette coutume chez les Chiriguanos est
probablement l(î P. Lozano (219, p. 69), suivant lequel ces Inchens
«ensevelissent leurs morts dans de grands pots, dans lesquels
ils sont assis; on couvre ces vases après y avoir mis quelques
mangeailles ». Dans les Lettres édifiantes est insérée une lellre
du père jésuite Ignace Chômé (100, p.oii^), de 1735, qui écrilsur
les Chiriguanos : « Quand quel([u'un de leur famille (\st décédé,
ils le mettent dans un jiot de [vvvv ])r()portionné à la grandeur
du cadavre, et l'enterrent dans leurs propres cabanes. C'est
jDOurquoi tout autour de chaque cabane on voit la terre élevée
270 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
en espèce de talus, selon le nombre de pots de terre qui y sont
enterrés. » Don Francisco de Viedma (369, p. 181) dit des Cliiri-
ofuanos habitant la région entre Santa Cruz de la Sierra et
Parapiti : « Ils ont la coutume d'enterrer leurs morts dans leurs
maisons, placés dans de grands pots, avec les objets qui leur
avaient appartenu et avec des provisions de comestibles et de
boisson. » D'Orbigny (274, n, p. 339) : « A la mort de l'un d'eux,
on reploie ses membres, on j^lace le corps dans un grand vase
de terre avec tout ce qui lui a appartenu, on l'enterre dans sa
propre maison. » H. A. Weddel (374, p. 3i 1) : « Lorsque l'un d'eux
vient à mourir, on place son cadavre dans un pot de chicha,
avec ses armes, ses ornements, du maïs, une cruche d'eau et du
bois pour faire du feu; on le recouvre ensuite avec un autre pot
ou une dalle, et on le dépose dans le sol même de sa maison. »
FrayAlejandro Maria Gorrado (105,p.52), du collège franciscain
de Tarija, donne une description détaillée des enterrements
des Chiriguanos. Selon lui , l'urne est d'abord placée dans la terre
et le cadavre y est mis ensuite, habillé de ses plus beaux vête-
ments et orné de ses bijoux , la figure peinte comme pour une fête.
Les Chiriguanos appellent les grands vases en terre cuite des
yamhuis, et un yamhui renversé sert, d'après Gorrado, de cou-
vercle à celui qui contient le cadavre. M. Thouar (348, p. 62), qui
a visité le cours sujDérieur du Rio Pilcomayo à la recherche
des vestiges du massacre de Grevaux, décrit la cérémonie funé-
raire des Ghiriguanos de la manière suivante : « Trente heures
après la mort, le plus proche parent commence à creuser la
fosse dans un coin de la case, près du mur. Il fait un trou d'un
mètre de diamètre environ. Pendant ces ])réparatifs, la veuve
fend par le milieu le grand vase en terre appelé yamhin qui lui
servait à j^réparer la chicha. On glisse la partie iidérieure du
yamhui au fond de la fosse, jDuis le corps qu'on recouvre aus-
sitôt de la partie supérieure. » Il doit y avoir une erreur dans
le récit de cet auteur, car les vases des Ghiriguanos pour j^ré-
parer la chicha sont largement ouverts : ils n'ont 23as de goulot
et leurs bords ne sont que légèrement incurvés, de sorte que
VALLÉE DE LERMA. 271
rorifice a un diamètre presque aussi grand que le diamètre
maximum du vase. La partie supérieure ne peut donc servir à
recouvrir le cadavre. Si quelquefois on fend les vases horizon-
talement pour y faire entrer le cadavre, on doit alors employer
deux vases, et le cadavre doit être déposé dans Tun d'eux,
tandis que le fond de l'autre forme couvercle. M. Domenico
del Campana (90, p. 98), d'après des renseignements fournis par
des franciscains italiens qui ont passé de longues années parmi
les Ghiriouanos, décrit très minutieusement les enterrements
de ces Indiens et les cérémonies qui y sont célébrées. Selon
lui, on agrandit d'abord l'orifice ànyamhui, on y met ensuite le
cadavre; l'urne est descendue dans la fosse et recouverte par
un 'autre y amhiii après y avoir déposé, au préalable, une écuelle
pleine d'eau ou de cliicha, de la braise afin que le défunt ne
manque pas de feu dans l'autre vie, et quelquefois un perroquet
vivant. Si le mort est un jDetit enfant, on met dans son urne
une écuelle remplie du lait de sa mère. Enfin M. Erland Nor-
denskiold (258, p. 456; 261, p. joi; 268,p. 18) a trouvé en 1902 , près
de Caiza, à l'issue du Rio Pilcomayo de la Cordillère, un ca-
davre de Chiriguano, encore en décomposition, enterré dans
un grand vase de i'"'-2 0 de hauteur, recouvert par un second
vase. Le cadavre était placé dans l'urne en position accroupie.
Il portait des vêtements européens qui doivent avoir été don-
jiés à cet Indien par les Blancs. Autour de la tête, on voyait le
bandeau frontal, de couleur rouge, que portent tous les Chi-
riguanos. Il y avait par-dessus cette urne funéraire i"" de terre.
D'a2:)rès des renseignements recueillis sur place, ce Chiriguano
avait été enterré en 1899.
Sur les « Tupis occidentaux », dont différentes tribus habi-
taient dès avant la conquête espagnole à proximité de la Cor-
dillère, les renseignemenis quant à leurs habitudes funéraires
nous manquent complètement. Cependant M. Baslian (57, 11,
p. 775) rapporte, malheureusement sans indiquer sa source
d'information, que la plus septentrionale de ces tribus, les
Omaguas, du territoire à l'est des Andes équatoriennes, « enter-
272 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
raient leurs morts dans leurs huttes, ensevelis dans des vases ».
Ce renseignement est confirmé, mais aussi sans indication
de provenance, par M. Hartt (162, p. 27), suivant lequel «les
Omaguas enterraient dans des urnes le corj^s entier, sans le
préparer d'une manière spéciale ».
Exceptionnellement, certains Tupi-Guaranis n'employaient
les urnes que pour un second enterrement des os, après la
décomjDOsition de la chair. Mais les exemples connus provien-
nent de tribus de Textrême nord de l'Amérique méridionale,
considérées comme Tupis pour des raisons linguistiques. Ainsi
les Oyampis et les Palicurs de l'OyajDoc. Les premiers ont été
décrits par Crevaux (111, p. iM, iSy), et une urne qu'il a rapportée
est figurée par le D"" Hamy (160, pi. lmi). Sur les usages funé-
raires des Palicurs, le P. Fauque (126, p. 383) s'exprime ainsi :
« J'entrai dans une Case haute que nous appelons Soura en
langage Galiln : m'entretenant avec ceux qui fhabitoient, je fus
tout-à-coup saisi d'une odeur cadavérique, et comme j'en
témoignai ma surprise, on me dit qu'on venoit de déterrer les
ossements d'un mort qu'on devoit transporter dans une autre
Contrée, et l'on me montra en même temps une espèce d'Urne
qui reiifermoit ce dépôt. Je me ressouvins alors que j'avois vu
ici, il y a trois ou quatre ans, deux Palicours, lesquels étoient
venus chercher les Os d'un de leurs parens qui y étoit mort.
Comme je ne pensai pas alors à les questionner sur cette pra-
tique, je le fis en cette occasion, et ces sauvages me ré2:)ondirent
que l'usage de leur Natioji étoit de transporter les ossements
des Morts dans le lieu de leur naissance, qu'ils regardent
comme unique et vérital^le patrie. » 11 sem])le, d'après ce récit,
que les Palicurs mentionnés pratiquaiiMith^ second enterrement
dans une urne pour transporter le cadavie d'un individu mort
loin de son pays; mais Fauque ne dit j^as si cette mode funé-
raire leur était hal^ituelle. Fauque laisse d'ailleurs comjirendre
que d'autres Indiens de la région, non Tupis, comme les Ga-
libis, avaient la même coutume. Il n'est j)as du tout invrai-
VALLEE DE LERMA. 273
semJ3lable que les Palicurs aussi bien que les Oyampis aient
emprunté ce second enterrement des peuples voisins.
On a aussi, par exception, constaté l'enterrement direct
dans des urnes, immédiatement après la mort, chez des In-
diens qui n'appartiennent pas à la race tupie, tels les Goytacâs
du Rio Parahyba, au nord de Rio de Janeiro. Le P. Ayres de
Gazai (41, II, p. 5/i) dit que ces Indiens « enterraient jadis leurs
caciques dans de grands vases cylinrlriques en terre, nommés
cammiicis et dont on trouve parfois quelques-uns contenant des
ossements». Le prince de Wied-Neuvvied (376, i, p. i3i) donne
le même renseignement. Le voyageur français J.-B. Debret
(115, p. 20, pi. iv) donne une figure d'une urne funéraire dans
laquelle on voit la momie, et il répète les renseignements
d' Ayres de Gazai. Spix et von Martius (333. i, p. 383) visent pro-
bablement les mêmes Indiens en parlant des « Goroados du
Rio Xipoto ') qui habitaient aux environs des sources du Rio
Doce, dans l'Etat de Minas Geraes, au sud-est d'Ouro Preto.
Ges « Goroados » enterraient leurs morts « en position accrouj)ie,
ou dans de grands vases en terre cinte, ou directement dans
la terre, ensevelis dans des tissus de coton ou d'autres fibres
végétales». D'après Ayres de Gazai et Debret, les Goytacâs
enterraient dans des urnes seulement les chefs, et, dans ce
cas comme dans d'autres cas exceptionnels où dçs peuples non
tupi s pratiquent un mode funéraire qui est propre aux Tupis-
Guaranis et général chez eux, il est parfaitement permis de
supposer que cette coutume a été transmise aux premiers par
les derniers. Nous connaissons les migrations des Tupis à
fépoque de la conquête européenne. Le P. Gristôbal de Acuna
(3, p. i66-i()7) nous a donné uu exemple j)ar celle des Tupi-
nambâs de la région de Pernambuco (pi'il av.iit rencontrés,
en 16.39, ^^^^ ^^^ ^^^ ^ ^^ lieues de rembouchure du Rio Ma-
deira dans TAmazone, bien loin de leurs anciennes habitations.
A l'époque de Spix et von Martius (333, m, p. lofîi), au commen-
cement (kl xiK*^ siècle, les Tupinand)âs existaient encore dans ces
régions : au sud-ouest d'Obydos, près de rembouchure du Rio
MAT1<I!VAI.C.
274 AM'IOLITES DE LA REGION ANDINE.
Mauhé dans l'Amazone , et à Villa de Boim , près de rembouchure
du Tapajoz dans l'Amazone. D'autre part, nous savons comment
les Tupis ont imposé leur langue à d'autres tribus, et il n'y
aurait rien d'étonnant que leurs coutumes funéraires aient aussi
été adoptées par des peuples avec lesquels ils étaient en contact.
Beaucoup d'aulres voyageurs parlent d'urnes funéraires
qu'ils ont trouvées dans diverses parties du Brésil, mais ils ne
donnent pas d'indications d'après lesquelles on pourrait for-
muler des conclusions quant aux Indiens d'où proviennent ces
sépultures. Pour citer l'un de ces auteurs, M. Keller-Leuzinger
(184, p. 26) décrit des icjarahas contenant des squelettes entiers,
en position accroupie, et qu'il a exhumées près de Manàos.
M. Keller-Leuzinger donne une figure représentant une de ces
trouvailles.
Nous ne devons pas passer sous silence la découA^erte d'urnes
grossières contenant des squelettes entiers, dans l'ile Aruba,
l'une des Petites Antilles, située au large de la côte vénézué-
lienne, au nord de la presqu'île deParaguanâ. Le D^C Leemans
(208, p. 1 5 , pi. VIII , fig. 1) donne la description et deux figures de
ces urnes. L'île d'Aruba était probablement, comme Curaçao
et d'autres îles voisines, habitée d'abord ]:)ar des Aruacs et
postérieurement envahie par des Caraïbes; l'on pourrait tirer
de ces faits la conséquence que les Caraïbes ou les Aruacs
auraient répandu sur le continent sud-américain la coutume
de l'enterrement direct dans des urnes. Mais la sépulture décrite
23ar M. Leemans ne constitue qu'un fait isolé, puisque la plu-
part des urnes funéraires qui ont été exhumées aux Antilles
ne contiennent que des os provenant d'un second enterrement.
D'ailleurs, ni les Caraïbes, ni les Aruacs du Venezuela ne sui-
vaient la coutume de l'enterrement direct dans les urnes, et,
comme ce sont les Tupis qui la pratiquaient partout sur le
continent, une telle conclusion n'est ^^as logique.
Je suis naturellement loin de prétendre^ f[ue les renseigne-
ments consignés dans les j)ages précédentes constituent une
VALLEE DE LEHMA. 275
monographie sur les eiiterieiiieiits dans des urnes en Amérique
du Sud; je crois simplement avoir prouvé que nos connais-
sances actuelles de l'ethnographie sud-américaine inrhquent
l'enterrement immédiat dans des vases en terre cuite comme
caractéristique pour toutes les branches de la race tupi-guaranie
et que, chez les peuples andins, les urnes n'étaient qu'exception-
nellement et dans des cas spéciaux employées comme cercueils.
Pour appuyer encore plus la première de ces thèses, je me per-
mettrai d'ajouter les opinions de quelques ethnologues éminenls
qui ont voyagé au Brésil et font autorité en ce qui concerne ce
pays. Déjà d'Orhigny (274, n, p. 3io) disait que, chez les Guara-
nis, « à la mort d'un homme, on le pare de ses vêtements, de ses
peintures de fête; il est enterré dans un vase de terre ou dans
un fossé de clayonnage au milieu même de sa maison ». Martius
(231,1, p. 177) note que les « Tupis enterraient leurs morts en
position verticale, assise ou accroupie. . ., ensevelis directe-
ment dans la terre ou bien renfermés dans des vases en terre
cuit(» ». Ces urnes, nommées ùjarahas ou camotms, ajoute-t-il,
étaient fabriquées très simplement et sans ornementation, de
terre rougeàtre, et on les enterrait à très peu de profondeur
sans se soucier de leur conservation, f^es deux auteurs admet-
tent la concomitance de deux usages : sépultures directes dans la
terre et enterrement dans des urnes; mais cette circonstance ne
peut pas ôter au dernier des deux modes funéraires sa situation
d'habitude carastéristique chez les Tupis-Guaianis. iNous le
savons, en elfet, des tribus qui jadis enterraient dans des urnes
ont maintenant al^andonné cette coutume et placent les cadavres
directement dans la terre. D'un autre côté, les naturels n'avaient
certainement pas toujours à leur disposition des vases de gran-
deur sulhsaute. Ils étaient, dans ce cas, forcés de s'en passer.
Ainsi j'ai vu des Çhiiiguanos qui temporairement travaillaient
comme ouvriers dans les plantations à la récolle de la canne à
sucre, en Jujuy, enterrer les morts sans urnes, tandis cjuils les
employaient ])our les sépultures (huis leur pays, sur le Pilco-
mayo. Elirenreich (122, p. 47) écrit : « Gomme les ancieus Tuj)is
18.
276
ANTIQUITES DE LA UEGION ANDINE.
avaient ia coutume d'enterrer leurs morts clans des urnes gros-
sières, de dimensions colossales, les trouvailles de ces urnes
offrent des bonnes indications pour déterminer la distribution
ancienne de cette race. » Enfin MM. Brinton (77, p. 23A) et von
Siemiradzki (331, p. if)-?) tiennent aussi l'enterrement dans des
urnes comme caractéristique pour les Tupis.
En conclusion : les cimetières d'El Carmen et de Providencia
n'appartiennent pas à la civilisation diaguite dite « calchacpiie »,
ni à aucune autre civilisation andine. Ces cimetières sont des
vestiges d'un peuple de culture notablement inférieure , lequel
à une certaine époque occupait une partie des vallées inter-
andines de la République Argentine et qui y était arrivé du
Brésil. Ce peuple, pour les raisons exposées, doit avoir appar-
tenu à la race tupi-guaranie. La j^artie de la grande plaine
sud-américaine la plus proche des Vallées de Lerma et de
San Francisco, le Grand Chaco, était au temps de la conquête
habitée par des tribus guaycurues. C'est donc à une époque
antérieure que les Guaranis avaient occupé les vallées en
question ^^\
''^ Sur les découvertes d'El Carmen et
de Providencia , j'ai formulé dans une com-
munication faite, en igoS, à la Société
des Américanisles de Paris (70) les con-
clusions que je viens d'exposer. Cette pu-
blication a été l'objet d'une étude critique
de la part de M. Félix-F. Outes (277) , étude
assez volumineuse où l'auteur s'elTorce
surtout de donner une bibliographie dé-
taillée, d'ailleurs incomplète et en partie
étrangère à la question en cause, c'est-à-
dire les migrations précolombiennes in-
diquées par ces cimetières qui proviennent
d'une culture à première vue totalement
différente de la « civilisation calchaquie »
et de toute l'ancienne culture andine.
Il me déplairait d'attarder ici le lecteur
dans une polémique. Je crois du reste avoir
suffisamment développé la matière dans
ce présent chapitre. Cela n'était pas pos-
sible dans le temps nécessairement res-
treint d'une communication préliminaire.
J'v ai donc considéré comme un principe
établi, inutile à discuter et accepté d'ail-
leurs par tous les ethnographes qui se sont
occupés du Brésil, le caractère essentiel-
lement tupi-guarani de l'enterrement di-
rect dans des urnes. L'argument principal
opposé par M. Outes, c'est-à-dire les cas
exceptionnels des Goytacâs, des Oyampis
et des Palicurs, ne peut modifier la règle
générale. M. Outes remarque aussi que
les Tupinambâs, les Tupinaquins et les
Munduruciis, d'après certains auteurs, en-
sevelissent les cadavres directement dans
la terre. Nous avons vu que les Tupinani]);is
de Thevet employaient des urnes comme
cercueils , et de même , d'après von Ihering,
les T(q)inaquins de Sào Pauh^ Si ces
Indiens, dans certaines circonstances, se
VALTJIK l)K LKliMA.
277
•obal)l(
^11(
res proDai)ieineiu, on découvrira encore (h' nouvelles
traces des Guaranis ^[uë> à l'intérieur de la région diaguite.
M. Lafone-Quevedo m'a dit avoir vu, à Andalgalâ (Catamarca),
il y a quelques années, des débris de grandes urnes grossières
sans aucun décor, contenant des squelettes d'adultes vêtus en- \
core de lambeaux de vêtements. Ces urnes avaient été exliumées j ///^
par un habitant d'Andalgalâ, mais elles étaient complètement /
en morceaux lorsque M. Lafone les a vues. Il ne sait pas si '
elles avaient eu des couvercles ou non. Peut-être ces urnes
provenaient-elles aussi d'un cimetière guarani. Quant à un ci-
metière découvert « dans la Cordillère » par M. Octavio Nicour,
voyaient forcés de se passer d'urnes, ce
fait n'a aucune importance. Quant aux
Mundurucûs modernes, ils peuvent très
bien, comme beaucoup d'autres Tupis,
avoir abandonné leurs anciennes coutumes
funéraires.
Enfin M. Outes ajoute un autre argu-
ment contre la ibéorie de la provenance
tupi-guaranie des cimetières d'Kl Carmen
et de Providencia : les découvertes de
M. Ambrosetti à Pampa Grande que nous
avons sommairement décrites page i46.
M. Outes, lorsqu'il écrivit sa criti((ue,
n'avait jeté qu'un coup d'œil sur les col-
lections de Pampa Grande , et il supposait
que toutes les trouvailles faites dans ce ci-
metière appartiennent à la même époque.
On y a trouvé de grandes urnes gros-
sières contenant des cadavres d'adultes
entiers et, d'autre part, des cadavres in-
bumés directement dans la terre, ayant
auprès d'eux de la poterie du typecomnuui
de la région diaguite; enfin, une série
d'urnes décorées, du type d(^ celles de
la Vallée de Yocavil et contenant des
.squelettes de petits enfants. De ces laits
M. Outes déduit (pu; les urnes grossières
contenant des adultes, celles d'VA (jarnien
et de Providencia y comprises, appartien-
draient, comme les autres sé|)ullures, à
la culture diaguite. Mais M. Outes igno-
lait (pi'on a constaté à Pamj)a Grand*;
une superposition d'au moins deux cul-
tures diffénMites et (pie, selon les laits
observés par M. Ambrosetti (30, p. ig'iji
les sépultures ne contenant que de la po-
terie grossière proviennent d'une épixjue
différente, plus reculée, (pie les sépul-
tures contenant des objets du style dia-
guite. L'argument de M. Ouïes est donc
dénué de tout fondement , et il est fort
vraisemblable que les grandes urnes fu-
néraires grossières de Pampa Grande,
comme celles des vallées de Lerma et de
San Francisco, proviennent d'un peuple
émigré du centre de l' Américpie du Sud
et appartenant très probablement à la
race tupi-guaranie.
Il faut convenir (|ue les déductions
de M. Outes ne sulllsent même jias à
diminuer la probabilité de l'origine tupi-
guaranie des cimetières d'El Carmen et
de Providencia. Au sujet de la brochure
de M. Outes, M. Erland Nordenskiold
(268, p. 19) écrivait réceunnent : « [ihypo-
thèse de Boman me semble d'un baut
degré de ])rol)abilité, car la seule tiibu
habitant |)rès de la Vallée de Salla et
pratiquant ce mode de sépulture, sont les
CMiiriguanos , coni[)ris dans les Tupis. Si
(les tribus non Inpies, dans des régions
brésiliennes éloignées (\ii nord de l'Ar-
gentine , avaient la uuMue coutume Inné-
ce fait ne peut pas, d'après iikmi
des (on-
l'aire
opinion, modifier l'exaclitud
clusions de lioman. »
278 ANTIQUITES DE LA RECTON ANDÎNE.
dont les renseignements ont été pii])liés ])ar le D' Aniegliino
(32, 1, p. 5i5), ces renseignements sont Irop vagues pour cpi'on
en tienne compte. I^a localisation même de ce cimetière fait
défaut. 11 s'agit peut-être diin cimetière du type Chanar-
Yaco.
M. Moreno (244, p. 12), en parlant de la région diaguite, s'ex-
prime ainsi : « Il semble que l'habitnde d'enterrer dans des
urnes, à l'époque de la conquête, était en usage seulement pour
les cadavres d'enfants en bas âge, en Catamarca. Il est très rare
de trouver des adultes enterrés de cette manière, et, quand
on en rencontre, les urnes sont de types plus primitifs et pro-
viennent sans doute d'une époque antérieure. »
En ce qui concerne l'existence de ces cimetières guaranis
dans les plaines à l'est des derniers contreforts des Andes, on
n'a que des renseignements vagues. Dans le Chaco, à l'est et au
nord-est de Jnjuy, il est probable qu'il doit en exister, car les
anciens Guaranis des vallées de Salta et de Jujuy ont traversé le
Cbaco pour se retirer dans les territoires qu'ils habitent actuelle-
ment. Dans le département d'Anta (province de Salta) , qui fait
partie du Chaco et qui est situé à l'est de la Sierra de la Lum-
brera, il y a des cimetières du même genre que ceux de Provi-
dencia et d'El Carmen, c'est-à-dire des sépultures d'adultes dans
des urnes grossières, sans décor, ayant pour couvercles d'autres
urnes. Je tiens ces informations d'habitants de la ville de Salta
qui possèdent des propriétés en Anta. M. Moreno (244, p. n) a
trouvé, plus au Sud, dans la province de Santiago del Estero,
sur les bords du Rio Dulce, un cimetière avec des urnes gros-
sières contenant des ossements humains. Ce cimetière est peut-
être de la même catégorie que ceux dont nous nous occupons.
M. Giovanni Pelleschi (284, p. 204) raconte aussi avoir vu, près
de la ville de Santiago del Estero, un cimetière contenant un
grand nombre d'urnes, mais de dilfé rentes dimensions. Ces
urnes, dont quelques-unes étaient sans décor et d'une facture
grossière, d'autres ornées de «lignes entrelacées» et de «des-
sins (le lignes disposées géométriquemeut », conleiiaient des
VALLEE DE LEP^LX. 279
ossemeiils hmiianis. M. I liilcliiiison (174, i, [.. i iGj a é'>al(Mii('iit i
vu un cimetière (ruines à '(Bi-aclio» (Quebraclios?) , en San- \ '
tiai>o (le! Esteio. Jl mentionne «une urne contenant un corps
humain ». J^e D"^ Juan A. Dominguez, de Buenos-Aires, m'a
parlé d'un cimetière encore plus au Sud, à Ambargasta, sur la
limite entre les provinces de Santiago del Estero et de Côrdoba;
il y avait là environ quarante grandes urnes qui apparaissaient
à la surface du sol dont la couche supérieure avait été em-
portée par les eaux. Par curiosité, M. Dominguez fit exhumer
deux ou trois de ces urnes grossières qui contenaient des os.
Il est très ])ro])al)le qu'il s'agissait également d'un cimetière
guarani. Des fouilles en Santiago del Estero donneraient sans
doute des résultats intéressants.
PUCARA DE LERMA. - GROUPES DE Tl MULUS.
La région siluée immédiatement à l'ouest de la hacienda lA
Carmen se nomme « Campo del Pucarâ » (Champ du Pucarâ).
Tout à fait plate, cette partie de la vallée est partagée entre
plusieurs haciendas qui toutes sont nommées «Pucarâ»; on
ne les distingue entre elles que par le nom de leurs proprié-
taires. Le terrain à l'ouest des domaines d'El Carmen appar-
tient à M. Félix Usandivaras; au sud de sa propriété se trouve
la hacienda de M. Ricardo Isasmendi, et, au nord, celle du
colonel Torena.
En 1901, MM. Arias, dont j'ai déjà parlé, attirèrent mon
attention sur une curieuse «cité» de petits tunuilus artificiels
qui existait dans la propriété d(; M. Usandivaras. La Mission
Suédoise se rendit à cet endi'oit et nous y trouvâmes le groupe
de tumulus que je désigne ici par A (^fùj. /)*6') et (pii est situé
à i"""' à l'ouest du cimetière d'urnes funéraires que je viens de
décrire. Nous exécutâmes quel([ues louilles dans les tumulus et
dans les environs, mais la date fixée pour notre dépai't ne nous
permit pas d'en faire une étude soigneuse.
En igo.H, j'ai découvert les gi'oupes /> et C [fuj. .'>/ et /)<V),
280 ANTIQUITES DE LA REGION ANDÏNE.
situés sur ie terrain de M. Torena, j'y fis des fouilles métho-
diques et je dressai des plans des trois groupes ^'l
Les tumulus, dont j'ai compté un total de 1,668, sont tous
identiques, circulaires, régulièrement arrondis, mesurant ac-
tuellement de ()"'4o à o"'5o de hauteur au-dessiis du sol
naturel.
Le diamètre de ceux du groupe A est de 2^60 k 2'" 70;
celui des tumulus des groupes i^ et C un peu plus grand, de
2°" 80 à 2^90, quelquefois jusqu'à S"". On voit que les faibles
variations de diamètre des tumulus d'un môme groupe ne
sont pas volontaires, mais qu'elles ont été causées par des ir-
régularités dans l'exécution de la construction, les construc-
teurs ayant voulu les faire tous égaux.
Les tumulus sont entourés d'une ou deux rangées circu-
laires de pierres roulées, ayant toutes plus ou moins les mêmes
dimensions, i5xioXio à 20Xi5x iS'^"'. Dans les environs
immédiats il n'y a pas de pierres; elles ont été apportées d'un
lit de rivière, d'au moins un kilomètre du groupe A, mais plus
près des groupes B et C. Une j^ai'tie de ce lit de rivière est
signalée sur ^^fi(j- 39.
hdijicj. 35 donne faspect général (a) et la coupe verticale [d)
d'un des tumulus, ainsi que le plan d'un tumulus à un cercle
de pierres (è) et celui d'un autre à deux cercles (c). Il faut
avertir qu'il n'existe aucune relation entre les diamètres diffé-
rents des tumulus et le nombre des cercles de pierres; les tu-
mulus, qu'ils soient à un ou à deux cercles, ne sont pas placés
d'une manière particulière les uns par rapport aux autres.
Tout au contraire , les deux sortes sont distribuées irrégulière-
ment, ceux à un cercle étant plus communs que ceux à deux
cercles.
Les tumulus des trois groupes sont disposés en rangées par-
'*' J'ai publié un travail préliminairo résultats de la Mission, et les plans des
sur les tumulus de Pucarâ de Lernia groupes sont insérés dans une coninuini-
(69). Une courte notice à ce sujet a au«si cation qu'il a faite au Congrès interna-
été donnée par M. de Créqui Montfort tional des Américanistes, à Stuttgart, en
(110) dans son rapport oiïlciel sur les i()o/i(109).
VALLÉE DE LRP.M \.
281
faitement droites, avec des intervalles réguliers et toujours
égaux, dans une direction comme dans l'autre. Les rangées se
dirigent strictement du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouesl. La
largeur des rues qui séparent, dans la direction de l'Est <à
l'Ouest, les tumulus du groupe A, est d'environ 5°"; celle des
rues allant du Nord au Sud, de 5"" 5o avec de petites irrégula-
rités par déplacement de quelques tumulus de la ligne droite.
a
Fin. 3;
Tiimnliis de Piicaiâ de. Leima.
a. Aspect j^énéral ; h, r. Plans de deux liimidus; (/, (loiij»- verticale d'im tuiiudiis.
licliell(! : 1 /(')o.
ces irrégularités ne dépassant guère o"'5o. Dans les groupes B
et C, les rues sont également régulières, mais plus étroites;
elles ont 3" de largeur seulement.
Le groupe C présente une particularité qu'on ne rencontre
pas chez les autres : il est entouré d'un rempart en terre
(^ffj. 38 a) qui est actuellement d'une élévation de i'" et d'une
largeur de 2'" environ. On doit supposer que ce renq^art a été
282 ANTIQUTTExS DE LA REGION ANDINE.
beaucoiij) ]Aiis élevé, parce que les pluies ne peuvent que
l'avoir réduit. Du côté intérieur du rempart, il y a un fossé
[fi(j. 38 h^ de i"'5o de largeur; la terre extraite du fossé a été
employée pour la construction du rempart. L'un et l'autre de
ces ouvrages ne peuvent avoir été destinés à la défense des
tumulus, parce que, dans ce cas, le fossé serait situé en dehors
du rempart et non du côté intérieur. H y a, parallèlement à
l'une des rangées extérieures du groupe C , un soubassement
de mur en pirca [ji(j. 38 c) , lequel est actuellement rasé jusqu'à
terre. Ce n'est qu'un mur droit, et les fouilles que j'y ai pra-
tiquées m'ont convaincu qu'il ne faisait nullement partie de
quelque enclos rectangulaire ou autre sorte de construction,
comme on aurait pu le supposer.
Les trois groupes sont situés sur un sol dur et parfaitement
plat. Pensant que les tumulus pouvaient être des sépultures,
nous avons, pendant la visite de la Mission Suédoise, pratiqué
des excavations dans deux ou trois d'entre eux, mais sans rien
trouver. Dans mon voyage pour la Mission Française, j'ai fait
des fouilles dans six tumulus pris au hasard, jusqu'cà i"'8o de
profondeur, où j'ai atteint le niveau de feau, et deux exca-
vations en forme de croix dans les intervalles situés entre les
tumulus, toujours sans trouver ni squelettes, ni aucun vestige
humain. Au contraire, mes fouilles démontrèrent toujours que
la terre se trouvant au-dessous des tumulus n'avait jamais été
remuée, et que ceux-ci étaient simplement superposés au sol,
dont la terre est à première vue différente de celle des tumulus.
Généralement la terre de la surface est plus noire que celle
qui se trouve à une certaine profondeur, car la première est
toujours plus mélangée de débris organiques. Mais ici c'est le
contraire : la terre des tumulus est plutôt l'ougeâtre, et celle
du sol plus noire. Ce fait indique que les tumulus ont été for-
més avec de la terre prise à une certaine distance de l'endroit
qu'ils occupent. M. le professeur Maquenne en a bien voulu
examiner deux échantillons, l'un piis au-dessus du niveau du
sol naturel, au milieu d'un tumulus et à ()"''io de i:)rofondeur
VALLEE DE LERMA.
283
au-dessous du soinmel; l'autre daus le sol sous le même tu-
mulus et à o'"8o de proloudeur. Le premier échantillon, celui
du tumulus, contient plus de gros cailloux que celui du sol,
mais les éléments constitutifs sont les mêmes, quoiqu'ils se
présentent en des propoitions dillérentes dans chacun des
deux échantillons. Selon M. Maqiienne, la terre des tiimulus
n'est ni plus ni moins propre pour la culture que celle (Ui
sol. Je dois à M. le j^rofesseur Lacroix une analyse minéra-
logique du sable, tamisé et lavé, des deux échantillons. Cette
analyse a donné le même résultat : les deux sables sont com-
posés de fragments des mêmes roches ^^\ mais le sable du tu-
mulus est composé de grains beaucoup plus fins que celui
du sol. On aurait attendu le contraire, car les éléments fins de
la terre superficielle auraient pu être enlevés par la pluie au
cours des siècles, ce qui ne pouvait être le cas pour la terre se
ti'ouvant à o" 80 au-dessous du sol. Les analyses ne prouvent
pas jusqu'à l'évidence l'origine diverse des deux sortes de terre,
mais les dilïérences sont néanmoins assez grandes pour être
considérées comme un indice que la terre formant les tumulus
a été apportée d'un autre endroit. L'identité des deux échan-
tillons, quant à leurs éléments constitutifs, ne s'oppose pas à
cette hypothèse, car le sol de grandes étendues de la vallée
est homogène, l'alhivion étant formée de matériaux d'érosion
provenant de montagnes d'une constilution géologique très
homogène.
Un autre fait m'a convaincu que la terre formant les tumulus
a été apportée de loin^'^^ : il n'y a pas, dans les environs, de creux
^'^ Les éléments des sables, tous très
roulés, comprennent : i " quartz; :i" l'eld-
spaths acides (de roches granitiques? :
orlliose microcline, plagioclases acides);
'y quart/.ite Ibrniée luiiqueinent de petits
grains de quartz auxquels parfois se joi-
gnent des paillettes de niuscovilo dans les
ternies île passage aux roches suivantes;
/;" phyllade-muscovite en liiics paillettes,
avec ou sans quartz.
''^^ Ce fait rappelle ce que disent
MM. Squier et Davis (334, p. /iH) sur les
mounds (pii forment les «Enclos sacrés»
de rAméri(pie du ISord : Tliey me iisikiIIy
composed of eiirtli taken iij) evciily froin ihc
surface , or froin large pil< in ihe neighhor-
hood. Evident rare appears in ail casex to hâve
been exerciscd , in procuring tlw inatcrial,
la pirscrve llie surface of llic adjacent plane
snioolli , and as far as possible unbroken.
28'i ANTIQUITKS DE LA REGION ANDTNE.
d'où elle aurait pu être tirée. Le sol et les tumulus sont si
bien conservés dans leur état originaire, que ce serait très facile
d'apercevoir ces cavités s'il y en avait eu , d'autant plus que la
végétation ne se compose que de rares graminées basses et de
quelques petits arbustes épineux.
Je ferai, au sujet des plans des groupes de tumulus, les re-
marques suivantes :
Les tumulus sont, comme nous l'avons déjà dit, en général
très bien conservés; la seule détérioration dont ils ont eu à
souftVir est que leur élévation a sûrement été réduite un peu
par la pluie et que quelquefois des parties de leurs bords de
pierres ont été déplacées. Cependant il y a des exceptions. Au
coin nord-ouest du groupe A [fig. 36 a) passe un chemin. Les
cavaliers et les rares charrettes qui parcourent le pays ont
détruit quelques-uns des tumulus qui se trouvaient en cet
endroit. Au nord de la rangée qui, du point e, se dirige vers
l'Est, il existe un champ cultivé et clos; il est possible que les
tumulus se continuaient jadis dans ce champ. Du côté Est du
même groupe (dans les environs des points / et //), plusieurs
tumulus paraissent avoir disparu, tandis que, dans la même
direction, à environ 200™ plus loin, on voit encore des traces
de tumulus. De ce côté, il n'est pas possible de définir avec
certitude où ils s'arrêtent.
Mais au contraire, dans plusieurs autres endroits où man-
quent des tumulus nécessaires pour achever la parfaite régu-
larité des groupes, comme en m, d, n, cj du groupe A [fuj. 36),
au coin nord-ouest du groupe B [ficf. 37) et du côté sud du
groupe C [ficj. 38), le sol n'est pas touché, et Ton est con-
vaincu que les tumulus qui y semblent manquer n'ont jamais
existé.
Dans le groupe A , les deux tumulus isolés en k, les dix en / ,
lesquels semblent occuper un lieu qui devait rester libre pour
compléter la grande rue entre c-d et c-f\ le tumulus isolé en A,
tous ces tumulus ne sont pas, comme on pourrait le croire,
des restes de rangées détruites, mais véritablement des tumulus
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280
ANTIQUITES DE LA REGION AN DINE.
isolés, placés hors du plan général, quoique dans la même
direction et aA^ec les mêmes intervalles que les autres.
Enfin, en étudiant ces groupes de tumulus, on arrive aux
résultats suivants : i° Le plan de leur conslmction a été dressé avant
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Fig. 37. — Tumiiliis (k' Piicarà do Lerma. Plan du grouj)c B (i58 tiiiniilns).
Eclielle : 1/2.000.
de commencer les travaux et l'on a pris pour base certaines lujnes
droites, qui sont, dans le groupe A : a-b, b-f-m et e-f; 2" La
construction des tumuhis ne paraît pas avoir été réalisée en une seule
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Fig. 38. — Tumulus de Pucarâ de Lcrma. Plan du groupe C (/|(53 tuiiuilus).
a. Rempart; b. Fossé; c. Mur. — Echelle : i '^.ooo".
fois, mais peu à peu, selon le besoin qu'on a pu avoir, par suite
de certaines circonstances, d'ajouter de nouveaux tertres à
ceux déjà existants; 3" En commençant, on a voulu laisser des
VALLEE DE LEHMA. 287
liu'(j(s rues libres cnlrc les différenles séchons du groupe /l, mais,
par la suite, on s'esl décidé à y placer certains tumulus,
comme ceux situés en i et ceux qui sont placés dans la rue (j-h
{fuj.36).
Les trois groupes de tumulus sont situés k G*"", plus ou
moins, à Test de l'eml^oucliure dans la Vallée de Lerma de la
Quebrada del Toro.
Le groupe A contient 1,0^7 tumulus, en dehors de ceux
qui sont disparus; les groupes B et (J, où tous les tumulus se
sont bien conservés, en contiennent respectivement 1 58 et 463.
Le groupe B est situé à 2'"" environ de distance à Touest-nord-
ouest du groupe A , le groupe C à 300*" à peu près au nord du
groupe B^ dont la dernière rangée de tumulus à l'est forme la
continuation de la ligne du rempart du côté ouest du groupe C.
Le croquis y/^. 39 montre les environs des groupes B et C.
A 100'" à l'est de ces groupes il existe les restes d'un camp
retranché rectangulaire d'à peu près 600'" d'extension de
l'Ouest à l'Est et 35o"' du Nord au Sud. Ce camp est limité
par des remparts en terre avec un fossé extérieur, en ligne
droite, et assez bien conservés des cotés nord et est, tandis
qu'il ne m'a pas été possible de suivre leur tracé du côté ouest,
où ils ont probablement disparu par suite du passage d'un
chemin moderne. Du côté sud, il n'y a ]:)as de lempart, mais
le camp est borné ]^ar le lit d'une rivière aujourd'hui à sec,
dont les bords perpendiculaires ont de 2 à 3"' de hauleur.
C'est peut-être ce lit de rivière qui a fourni les ^pierres qui
bordent les tumulus. L'endroit paraît avoir été fréquemment
habité aux temps pi'éhispaniques, car on y trouve, sur le
sol, beaucoup de fragments de poterie ancienne, presque tous
d'une céramique grossière, sans décor, mais très rarement des
fragments gravés, engobés avec de la plombagine, du type de
la //</. 53 b, c, cl àc Golgota.
Piesque au centre de ce camp i-etranché exisie un giand
tertre artificiel de 6"" de hauteur dont il est dilllcile maintenant
288
ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
de mesurer les dimensions j^rimitives, la terre des côtés s'étant
éboulée et le tertre étant entièrement couvert de vieux arbres
dont les racines ont contribué à en altérer la forme originaire.
Il reste encore une surface supérieure plate de 1 3" de longueur
(Nord-Sud), sur 6™ de largeur (Est-Ouest); la terre éboulée
comprise, le tertre couvre une superficie de 28" dans le pre-
mier sens sur 3 2°" dans la dernière direction. Si l'on suppose
que les flancs du tertre ont été, à Torigine, plus ou moins
perpendiculaires, il aurait eu 20"" de longueur sur 1 5"" de
largeur environ. La terre éboulée a mis à découvert, sur les
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Tumulue
Groupe C
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J)irectiony de !
de U'QuebraJi,
embouchure
^dellono.Syi '^-
IIII.IIMIIIHILILIW l.mi.]ULL.IL..HI.llUllHIIIIIIII
Rempart en. terre avec fossé ejctériear
EtaTi^ I
actuel'
EioTig ax±uel
v^, , Tertre tzrtifzcict
Tumulus Groupe B
"h
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AncsUrv etcm^
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». J Ander, ctctn^
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de
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Fig. 39. — Tumulus Je Puçarâ de Lerma. Environs des groupes B et C.
Echelle : i/io.ooo.
flancs, des murs cpii paraissent avoir servi à consolider ce
grand monticule artificiel. Partout où l'on fouille dans le
tertre, ^particulièrement près de ces murs, on trouve des frag-
ments de poterie ancienne en abondance, la plupart — comme
sur le sol du camp retranché — d'une céramique grossière,
quelques-uns gravés et même un fragment peint à la manière
des urnes funéraires de la région diaguite. Ces fragments gra-
vés ou jDeints sont cependant trop peu nondDreux pour qu'on
puisse s'aventurer à vouloir en tirer quelques conclusions en
ce qui concerne le synchronisme du tertre avec d'autres ruines
VALLEE DE LE KM A. 289
Ou antiquités de la Vallée de Lerma. Dans le tertre, j'ai trouvé
d'assez nombreux os de lama et de huanaco, espèces qui
n'existent pas actuellement dans cette vallée.
Sur le plan y^ry. 39, près du tertre artificiel, on voit deux
étangs, l'un assez grand et l'autre plus petit; ce sont des étangs
modernes construits par les propriétaires de l'hacienda comme
réservoirs d'eau pour l'irrigation de leurs cultures.
Près des tumidus 1^ il y a aussi les restes de deux étangs,
l'un de Bo'^X 40"' et l'autre de 54'" X 35'". On voit, de jilus, les
traces d'un canal se dirigeant de ces étangs vers le camp re-
tranché, mais ces traces se perdent avant d'y arriver. Les habi-
tants actuels de l'hacienda ne connaissent aucune tiadition sur
ces étangs et sur ce canal; ils attribuent leur construction aux
(jentUes, mais il est difficile de se prononcer sur leur âge.
En résumé, le tertre et ]:)robablement aussi le rempart et le
fossé du camp retranché sont sans doute préhispaniques, et je
crois qu'il faut les considérer comme contemporains des tumu-
lus. Quant aux étangs et au canal, leur origine est douteuse;
cependant il ne serait pas impossilîle que les constructeiu^s des
tumulus, du tertre, du camp retranché, des étangs et du canal
ne soient les mêmes. Le tertre et le fossé sont mentionnés dans
la relation de Don FiliJ)erto de Mena (235, p. 27), déjà citée,
sur les monuments et les vestiges des liabitants primitifs de la
région de Salta et de Jujuy. Mena dit avoir vu, en 1760, «à
un endroit nommé Pucarâ, à sept ou lui il lieues de Salta », un
pe(jucno cerro (fiie se recoiioce s in csjaerzo scr obra del homhre, Icvan-
tado con tierra y cou un foso cjue lo rodea. Mena suppose que ce
tertre a servi de iortification aux Indiens païens [los indios
injicles).
D(» quelles l'uines et (l(* quels {]él)ris j)r(''liispaMi(pies de la
Vallée de Lei'ina ou des régions voisines les luinulus sonl-ils
contemporains? Il est difficile de répondre à cetf(» question.
Dans les tumulus ou autour d'eux, 011 ne Iroiivc^ aucun indice
pour résoudre ce problème; les fragmeuLs de j^olerie du iiwup
290 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINË.
retranché et du tertre n'ont, en général, pas de décor et ne
peuvent être considérés comme argument accepta]3le. Le seul
indice serait l'urne funéraire y?^. âl trouvée, comme on le voit
sur le plan fuj. 39 , au nord du camp retranché. Cette urne
ressemble assez à celles de Santa Maria et à certaines urnes de
Pampa Grande; elle indiquerait que les tumulus appartieinient
à la civilisation diaguite, mais le synchronisme de cette urne
avec les tumulus est loin d'être sûr, et nous avons aux environs
tant d'autres débris de différentes éjDoques, qu'il serait osé de
formuler une conclusion sur cette base.
Dans quel but ont été élevés ces nombreux tumulus, uniques
comuie forme, dimensions, disposition régulière, non seule-
ment dans l'Amérique du Sud , mais , d'après mes connaissances,
dans le monde entier. 11 fallait un but important pour qu'on se
soit donné la peine d'effectuer ce travail long et onéreux, même
avec les moyens dont disposent les ingénieurs de nos jours.
Mes fouilles ont suffisamment démontré que ces tumulus ne
sont pas des sépultures.
Ils ne représentent pas non plus des emplacements de huttes
d'Indiens; outre leur petite dimension, l'absence a]:)solue de
morceaux de poterie, d'os ou d'autres débris humains prouve
que cela n'est pas possi])le. D'ailleurs on voit clairement que
les bordures de pierres ont été posées simplement pour limiter
le tumulus et qu'elles n'ont jamais servi de soubassement à
des constructions de quelque nature que ce soit.
Serait-ce des amas de terre végétale pour la culture ? H est
certain que les habitants préhispaniques des Andes amassaient
de la terre végétale en terrasses sur les flancs des montagnes,
les andenes. Mais la construction de ces terrasses avait un motif
qui n'existe pas dans la Vallée de Lerma : le défaut, dans les
étroites vallées entre les montagnes, de terrain plat qui puisse
être cultivé. J'ai aussi vu, dans la province de Gatamarca, d'an-
ciennes cultures sur terrain plat entourées de pierres ou de
pircas, mais jamais surélevées sur le sol et n'ayant pas la forme
et la disposition régulière des tumulus de Pucarâ. G'était sim-
VALLEK l)i; I.KRMA. ^91
plement des (lél)ris de vieux murs ou de vieux aliguements,
sans aucune symétrie, servant de clôture à un espace de ter-
rain d'une forme et de dimensions quelconques qui avait été
cultivé. M. len Kate (343, ilg. i-x et ilv) donne deux ligures de ces
anciennes cultures.
En Europe, nous avons, en Bavière et en Wurtemberg,
d'anciens amas de terre végétale, disposés d'uue manière assez
régulière. Ce sont les hochàcker, sur lesquels M. II. von Ranke
(306) a écrit une monographie très complète. Les hochàcker sont
des es|)èces de plates-bandes de terre végétale, longues de 170
à 3oo'", quelquefois même de 1,200'", larges de 8 à 10'" et d'une
hauteur moyenne de o'" 5o à ©"'go. Ces longs amas de terre
qui out chacun loujouis la même largeur sur toute leur éten-
due, sont droits ou presque droits, placés en groupes, quelque-
fois trente ou quarante ensemble, parallèles entre eux, mais
sans aucun raj^port en ce qui concerne la direction d'un groupe
relativement à celle d'un autre. Pour former les hochàcker, on a
enlevé la terre végétale des sillons qui les séparent au milieu,
évidemment dans le but d'améliorer la fertilité du sol qui, dans
ces régions, est fort maigre et n'a qu'une couche superficielle
très mince de terre végétale. Les hochàcker se trouvent répandus
dans la partie méridionale de la l^avière et du Wurtemberg,
entre le Danube et les Alj^es. M. von Ranke les allrlhue aux
anciens Vindeliciens, peuple celtique qui habitait le pays avant
sa conquête par les Romains.
J'ai mentionné les hochàcker \y<\vc,c que ce sont les anciennes
cultures les plus propres à conq^arer à nos tumulus; mais, en
faisant cette comparaison, j'arrive à finqx^ssihilité de consi-
dérer les tumulus comme lieux de culture. En (^llet, dans les
hochàcker nous voyons, comme dans les andencs , des lra\au\
pratiques qui ont été exécutés sans aucun autre point de \ue
([ue l'agricultuie; tandis qu'on ne peut conq)ren(he ])ourqu()i
les constructeurs des tumulus de Pucarâ se sont donné tant
de peine pour obtenir une régidarité géométrique et j^ourquoi
ils ont transpoi-té d'aussi loin l'énorme quantité de picM-res
292 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
nécessaires pour former les ])or(ls des luimiliis, si leur but était
simplement la culture. Avec des amas de terre plus étendus,
ils n'auraient eu besoin que d'une petite quantité de pierres
pour les bords; en tous cas, des cultures plus grandes auraient
été certainement beaucoup plus pratiques. D'autre part, l'ana-
lyse de M. Maquenne démontre que la terre des tumulus n'est
pas meilleure pour la culture que celle du sol.
Enfin le sol de la \ allée de Lerma est trop fertile pour
rendre nécessaire de tels amas de terre spéciale. Ce qui manque
dans la région, ce n'est pas une épaisse couche de terre végétale ,
mais la pluie; or la forme et le relief des tumulus auraient
rendu impossible femploi de l'eau par des canaux d'irrigation.
D'ailleurs il n'existe pas de trace de ces canaux, et, si les tumulus
avaient été des cultures, la seule manière de les irriguer eût
été de les arroser à la main avec de l'eau apportée d'une grande
distance. J'en conclus qu'il ne faut pas considérer les tumulus
comme des terrains de culture.
Il ne nous reste pas d'autre hypothèse que de supposer que
ces cités de tumulus ont dû servir dans de grandes cérémo-
nies ou dans des assemblées d'Indiens; chaque tumulus de-
venait peut-être alors le siège ou l'autel d'un individu ou d'un
chef de famille'''.
Cette interprétation , bien qu'elle puisse paraître assez aven-
tureuse, n'est pas cependant tellement invraisemblable. Nous
devons rappeler que les Indiens des régions andines avaient,
et ont encore l'habitude d'organiser, dans toutes les occasions
possibles, des fêtes avec des cérémonies. Dans l'ancien Pérou,
chaque mois, chacun des événements périodiques comme les
semailles, la moisson, etc., avaient leurs fêtes. Les Indiens de
la Puna ont encore devant leurs huttes le liiiin, autel pour
les cérémonies qui accompagnent l'apposition de la marque de
^'' M. Félix-F. Ouïes (277, p. li-S) oh- le groupe A. Naturellement, ii n'y a au
jerte contre celte hypothèse que l'on ne cune raison de supposer qu'on ait fait
pourrait pas entendre les allocutions des des discours dans ces assemblées, qui
orateurs de l'assemblée à 200 mètres de doivent avoir été rituelles, si elles ont
distance, comme ce serait le cas dans existé.
VALLEE DE LERMA. 293
propriété sur les lamas et les moulons : cet autel se compose
d'un amas de pierres. Dans l'archéologie argentine, nous avons
deux exemples de sièges ou d'autels situés en grand nombre
dans un même endroit et dans une disposition plus ou moins
géométrique. L'un de ces exemples consiste en un groupe de
grandes pierres, disposées symétriquement dans une enceinte
entourée de murs, à Loma Rica (Vallée de Yocavil); ces ruines
figurent dans l'album j^ublié j^ar MM. Liberani et Hcrnâiulcz,
(217, 1)1. 12). L'autre exemple est donné par un grand nombre de
monceaux de pierres que j'ai trouvés à Puerta de Tastil, dans
la Quebrada del Toro, et qui sont décrits page 369 et indiqués
sur le plan de ces mines, Ji(j. 61 E. Ces monceaux de pierres
ne peuvent avoir eu aucune fin pratique; ils étaient alors
probablement destinés à un but religieux ou à quelque céré-
monie.
Si nous cherchons des analogies en dehors de l'Amérique,
nous remarquons, chez plusieurs peuples, que les endroits où
avaient lieu de grandes cérémonies étaient pourvus d'un grand
nombre d'autels, un pour chaque famille ou clan. Ainsi les
Maoris de la Polynésie avaient, il y a peu de temps encore, des
autels nommés marae, destinés à y célébrer des repas sacrés de
tortue et aussi, (Lins certaines îles, des sacrifices humains. Ces
marae étaient des entassements de blocs de coraux renfermés
entre des dalles de calcaire corallien, formant rectangle, et le
tout couvert d'autres dalles de la même pierre. Les marae ont
1"° à 1"* 5o de larjifeur sur une loni»ueur variable. M. L.-G. Seurat
(330) a publié dernièrement un travail sur les marae, spéciahi-
ment sur ceux de file Fakahina, de farchipel des Tuamolu,
qu'il a examinés, et il dit que, dans celte île et dans certaines
autres, les marae sont tellement nombreux relativement aux
hal)itants que contiennent et que pouvaient contenir ces îles,
que chaque famille doit avoir eu son marae spécial. J'ai cité cet
exemple pour démontrer que l'explication des tumulus comme
autels pour les grandc^s fêtes n'esl pas aussi in\ raisemhlable
qu'on pourrait le penser.
294 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDTNE.
FOIILLES DANS LKS ENVIRONS DE PUCARA DE LERMA
ET DEL CARMEN "\
Comme nous l'avons vu, l'emplacement des tumulus et celui
(lu cimelière d'urnes funéraires d'El Carmen sont à peu de dis-
tant l'un (le l'autre. Aux environs, le sol livre partout des ob-
jets d'origine préhispanique. Les propriétaires, les régisseurs
ou intendants, les péons des haciendas m'ont parlé de nom-
breuses trouvailles faites en labourant ou en creusant la terre.
Il est regrettable que tous ces objets soient perdus pour la
science : ou bien ils sont gardés pendant cjuelque temps dans
les chaumières des paysans, comme curiosités, et ils finissent
alors par se casser ou se perdre; ou bien les paysans en font
cadeau à quelque personnage politique qui les égare. La Mission
Suédoise acheta divers objets aux paysans, particulièrement de
la poterie.
Nous avons fait des fouilles en 1901, dans un monticule de
terre, à Soo"" à l'est du groupe A des tumulus, près d'un mou-
lin, et nous y avons exhumé un certain nombre d'objets, spé-
cialement de la poterie du type de la région diaguite. Ces objets
sont maintenant au Musée d'ethnographie de Stockholm.
Je décrirai ici les pièces les plus intéressantes découvertes
dans mes dernières recherches, en 1908, aux environs de
Pucarâ.
Urne funéraire (?), — La Jicj. 41 montre une grande urne
de terre cuite de o"' 4o5 de hauteur et o" 4oo de diamètre ta
l'ouverture. La panse n'est pas tout à fait circulaire; dans sa
partie la plus large, elle a o™ 275 de diamètre dans un sens et
o"'2 6(^ dans l'autre. L'urne a deux paires d'anses de forme dif-
férente et elle est d'une poterie jaunâtre assez fine. Comme
anses et comme forme, elle ressemble beaucoup à deux urnes
'■^ Voir 1 os planchos W II , XVIII, XIX, insc-rcos oprôs la pago 3io.
VALLEE DE LERMA. 29f.
exliiuiiées par M. Aiiibrosetti (30, p. 9^1, 100) à Pampa Grande et
qui contenaient des ossements (Veillants. Elle a été trouvée à
une cinquantaine de mètres au nord du rempart du camp
retranché {yoir fi(j. '39); elle n'était qu'à 10 centimètres de
profondeur. Un essaim d'abeilles, d'une de ces espèces sud-
américaines qui vivent dans la terre, y avait fait son nid. Les
indigènes me dirent qu'ils avaient trouvé plusieurs urnes sem-
blables da s le voisinage immédiat de celle-ci. Cette urne est
d'une forme ([ui ressemble à celle des urnes funéraires d'enfants
si car.ictéristiques de la région diaguite. Elle a probablement
aussi contenu le cadavre d'un enfant dont le squelette a du
disparaître complètement sous l'action du temps. L'urne a été
ornée de peintures comme celles de la région diaguite, mais le
décor s'est elïacé, excepté quelques fail3les traces au bord supé-
rieur, où l'on peut encore observer le nez, les grands « sourcils »
en forme d'arc et les yeux du personnage qui apparaît presque
constamment sur les urnes funéraires déniants de la région
diaguite. Ces traces sont trop faibles pour apparaître sur la
pliotograj^liie.
Aryballe. — Le vase représenté de deux côtés par \^ /kj- àS
fut exhumé dans les champs de luzerne de la hacienda de M. Isas-
mendi, à i'^"' environ au sud du groupe A des tumulus. Ce vase
est d'une poterie jaune assez fine, sans engobe. Il a o'"32 5 de
hauteur, non com]:)ris une partie du goulot qui manque. La
panse a o"" o.lxo de diamètre maximum, sans les anses. L'un des
côtés du vase est orné de lignes horizontales peintes en noir et
composées de petits triangles, alternant avec d'autres lignes
d'où pendent des dessins en forme de crochets. Au milieu, cette
ornementation est interrompue par une rangée verticale de
losanges triplés également peints en noir, renfermée entre deux
lignes verticales. Immédiatement au-dessous de la naissance
du goulot se trouve une cassure qui démontre qu'il y a eu, à
cet endroit, un ornement saillant modelé sur la panse du vase.
Il s'agit probablement d'une léle de puma, comme celle des
296 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
vases que nous allons énuniérer. Le côté opposé d-u vase n'est
pas peint, mais il a, comme décor, un serpent en relief très
artistiquement modelé.
Ce vase est une tron\ aille extrêmement intéressante, car c'est
un type caractéristique j)(mi' toute la région où jadis domi-
naient les Incas,si carastéristique même qu'il se retrouve dans
tous les pays ayant appartenu à l'empire incasique, mais jamais
en dehors des limites de cet empire. On peut presque dire que
la découverte d'un vase de ce genre constitue une preuve de
l'influence péruvienne immédiate dans le pays où la trouvaille
a été faite.
Ces poteries ont une ressemblance frajopante avec certains
vases antiques de l'Italie auxquels on donne le nom à'aryhalles.
Adrien de Longpérier, dans son catalogue de l'ancienne col-
lection d'antiquités américaines au Louvre, aujourd'hui trans-
férée au Musée d'ethnograj^hie du Trocadéro, fut le premier
à attirer l'attention sur cette ressemblance et à appliquer aux
vases américains le nom d'aryballes. Longpérier (218, p. m) dit,
à propos d'une de ces poteries provenant d'Ollantaytand^o :
« Ce vase pourrait être facilement confondu avec ceux que l'on
trouve à Gorneto et dans quelques autres localités au nord de
Rome. »
Le D'' Hamy (160, texte de la pL xxxmi) douue des aryballes la
définition suivante : «Col haut, s'élance en forme de long
tuyau évasé; l'épaule est étroite, la panse peu dilatée; les anses
épaisses et plates sont attachées très bas; deux j^etits anneaux
évidés viennent de plus s'accrocher symétriquement de chaque
côté, sur la bouche même du vase. On voit constamment saillir
en haut relief, sur la face la plus ornée, au niveau de la base
du col, une petite tête d'animal, d'un travail simplifié et géné-
ralement fort laide. La base a presque constamment la forme
d'un cône large et court. » J'ajouterai à cette définition que
les anses sont toujours verticales et que la petite tète en relief
à la base du col est presque sans exception cette tète stylisée
VALLEE DE LERMA. 297
de piiina dont nous axons reproduity^ry. 2 un spécimen prove-
nant d'Aniaiclia (Vallée de Yocavil),déciit pa^e 1 19. Les têtes
de puma des aryballes péruviens ne se distin<»uent de ce spé-
cimen que ])ar l'exécution plus nette et plus parfaite et par les
contours pins rectilignes. Il est plus que probable que notre
aryballe de Pncara a élé pourvu d'une de ces têtes, dont deux
lignes ci'eusées verticalement indiquent les oreilles et une li<j^ne
liorizonlale la boucbe. I^resque tous les arvl^alles présentent
cette léte de puma en reliel; rarement la léte est pins arrondie,
et alors les yeux sont lormés par des dépressions circidaires;
par exception la tête est remplacée par un simple bouton, ana-
logue à celui du vase de Lapaya, ^y. 21. Sur la panse, en
général d'un coté seulement — celui de la tête en relief, —
les aryballes présentent presque toujours un décor peint qui,
à peu jDrès constamment, consiste dans des ornements géomé-
triques. Très fréquemment, dans les régions les plus dilîérenles ,
cette ornementation peinte des aryballes est celle de notre
spécimen de Pucarâ, c'est-à-dire une rangée verticale de lo-
sanges au milieu, et, des deux cotés, des lignes horizontales
renfermant d'autres figures géométriques, comme de petits
triangles, etc. Quelquefois cette dernière ornementation latérale
est remplacée par une peinture en échiquier, d'autres fois par
des figures pinnées, composées d'une ligne droite, perpendi-
culaire, de laquelle sortent, des deux cotés, d'autres lignes
formant un angle de 4^ degrés, dirigées vers le haut et souvent
terminées par des cercles ou par des points, (le dessin lait
fimpression de la reproduction schématique d Une plante à
nond)reuses branches terminées en fleurs. Les ligures curvi-
lignes ou représentant des hommes ou des animaux sont rares
sur les aryballes. La dimension des arybalb^s varie de 10 centi-
mètres jusqu'à plus {\a\\\ mètre de hauteur, mais la phipartonl
de 20 à 35 centimètres.
Etant donnée rimj)orlance des aiyballes comme caractéris-
tifpies de rarchéologic de fancien empire iiicasicpie, il con-
298 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
vient de présenter ici un aperçu de leur distri])ution géogra-
phique.
Commençons par le Nord, avec la République de l'Equa-
teur. Dans ce pays, on a trouvé des aryballes dans tout l'Entre-
Sierras, mais surtout au sud de Quito. MM. Stûbel et lleiss
(340, I, |)1. 7, liy. 1, 5) reproduisent un aryballe de Quito, de f)'" <5
de hauteur, et un autre d'Achupallas, de o'^'icS de hauteur.
Les deux sont pourvus de la tête de puma stylisée en relief
et d'ornements géométriques peints : losanges en bandes ver-
ticales. L'abbé (îonzâlez Suarez (149; atlas pi. xl,!!^. i, et texte p. 16.))
doiuie la figure d'un autre aryballe typique de la province
d'Azuav. M. G. A. Dorsey (119, p. ^58, pi. xlh) exhuma deux de
ces vases dans une sépulture de lile de La Plata. 11 repro-
duit l'un, de forme typique, à ornementation géométrique
peinte consistant en bandes verticales et en figures pinnées;
tête de puma en relief, typique. Le D" Seler (326, pi. 48, fig. 20)
figure également un aryballe typique, d'ibarra, au nord de
Quito. Sur ce vase sont peintes, au milieu, plusieurs bandes
verticales, contenant de petits losanges, et, des deux côtés de
ces bandes, les ornements pinnés que nous avons mentionnés.
M. Anatole Bamps (50; p. 1 13, 1 \\, ^ 17, 1 18, 124; pi. n ùg. 1 , m, iv fig. 4
et 6, VIII fig. A et 6, XV fig. 5) reproduit, en couleurs, sept aryballes
de la République de fEquateur. Le spécimen le plus grand
provient de Quinjeo (province d'Azuay) et a o"'6i de hau-
teur. Ce spécimen n'a pas de dessins peints, mais il est engobé
en rouge jusque près de la naissance (hi goulot. La partie supé-
rieure du vase est de couleur jaune. Cet aryballe est tout à fait
typique quant à sa forme et pourvu d'une tête de puma en
relief et de petits anneaux évidés de chaque côté de la bouche
du vase. Un spécimen (pi. m) provenant de Chordeleg (Aziiay),
de o'^SSS de hauteur, présente un décor peint très analogue
à celui de notre aryballe de Pucara de Lerma. Les autres ary-
balles que figure M. Bamjijs sont de petits spécimens, de o"'i4
à o'" 2 5 de hauteur. L'un provient de la province de Quito et
quatre de la province d'Azuay. Tous sont des aryballes typi-
VALLEE DE LERMA. 299
ques,a\ec des tètes de puma en relief et avec les pelils.aiiueaux
évidés dont nous avons parlé. Deux de ces aryballes sont déco-
rés, du côté de la tète de puma, avec des dessins géométriques
(<»recques et losanges), formant une bande horizontale. Trois
spécimens n'ont pas de décor peint. Enfin M. Bamps {ibi<l,[)\. a,
fig. a) figure aussi la nioitié (fun grand aryballe cassé, lequel
présente des ornements pinnés verticaux. M. Bamps décrit les
aryballes sous les noms espagnols de càntaro ou càntaro malta;
le grand spécimen de o"'6] de hauteur est dénommé càntaro
ijiiallo. Ce sont là probablement des noms que Ton donne à
ces vases dans fEquateur. Récemment, en 1906, le D'' Rivet
a rapporté de l'Equateur de nombreux aryballes. Excepté
un vase de Ganar, ils proviennent tous d'Azuay qui est,
après Loja, la province andine la plus méridionale de la répu-
blique. Cinq aryballes de la province d'Azuay ont de o"' 18
à g"" 20 de hauteur, trois autres de o'" 1 3 à o"' 1 5. Ces huit spé-
cimens proviennent des localités suivantes : Incapirca, Intipata
(près Azogues), Biblian, Sinincay (près Cuenca), Guatana (près
Cuenca), Sigsig, Cumbe. Trois de ces vases portent des tèles
de puma typiques, la bouche et les oreilles étant formées par
des lignes creuses; sur trois spécimens, ces organes, ou du
moins les yeux, sont désignés par des (léj)ressions formant des
points; sur un autre spécimen, Ils ne sont pas du tout mar-
qués. Seule, sur un de ces aryballes, la tête de puma est rem-
placée par un simple bouton. Ea plupart présentent les deux
petits anneau V évidés au-dessous de la bouche du vase et dont
parh' M. Hamy dans sa définition des aryballes que nous ve-
nons (h; transcrire; dans faiybahe de Biblian, ces anneaux
sont remplacés par de petits boutons. L'ornementation peinte
existe seulement du côté où se trouve la tête de puma, saul
un vase, i\\\\\ (h'cor peint excej^tionnel, et un autre cpii n'a
pas de décor peint. Les ornements peints consistent en figures
géométriqiK^s : des grecques, des méandres, des losanges, des
rectangles, etc. Sui- raryl)alh^ de Gimd)e, on voil h's ornements
pinnés doni nous avons hiil niciilioii. L'ai-\l)all(' (h' Ganar a
300 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
o'"i7 de hauteur; les yeux et la bouche de la tête de puma
ne sont pas marqués; il n'y a pas d'ornementation peinte, mais
le devant est engobé en rouge et la tête de puma peinte en
blanc; les petits anneaux évasés existent. En dehors de ces
vases, M. Rivet a rapporté cinq énormes aryballes, tous de la
province d'Azuay (Caldera, Taday, Sajil, Zhumir, Rio Paute);
les quatre premiers ont de o™8o à o"'9o de hauteur, celui de
Rio Paute, r"io. Tous ont une tête de puma typique. Orne-
meutation peinte (seulement sur le devant) : losanges, grec-
ques, méandres, échiquier, etc. Le spécimen de Taday est
orné de figures pinnées; celui du Rio Paute est simplement
peint, la moitié supérieure du vase en blanc et la moitié infé-
rieure en rouge. Le spécimen de Sajil présente sur le goulot
exactement la même ornementation que notre vase aryballoïde
de Lapaya, fuj. 21. Le Musée du Trocadéro possède trois
petits aryballes typiques, provenant de Guano, près de Rio-
bamba, dans la province de Ghimborazo. Ges pièces sont cata-
loguées sous les n°* 9761-9763 et appartiennent à la collection
Gûnzbourg.
Au PÉROU, c'est aussi surtout dans l'Entre-Sierras que nous
trouvons les aryballes. Cependant nous connaissons quelques
vases de cette catégorie, provenant de la terre basse, c'est-à-
dire de la CÔTE du Pacifique. Quelques-uns correspondent
dans presque tous les détails aux aryballes typiques dont nous
avons donné la description : ainsi, ceux qui sont catalogués au
Musée du Trocadéro sous les n°' 29966, 29967 et 3oo47-
3oo49, appartenant aux collections Ouesnel et Wiener. Pour-
tant deux de ces pièces s'écartent du type général par une face
humaine formée par des lignes en relief et appliquée d'un coté
du goulot, les bras de ce même personnage étant également
esquissés en relief sur la panse du vase. Mais la plupart des
aryballes de la cote du Pérou présentent des difTérences plus
remarquables encore avec le type général. Le Musée du Troca-
déro en possède deux, n"' 7061 et 706 3, provenant de Moclie,
près de Trujillo, et appartenant à la collection Drouillon.
VALLEE DE LERMA. 301
L'un d'eux est plus <»lo])uleux que les aryballes eu général,
et l'autre est d'une forme fort modifiée. Deux autres aryballes
du littoral péruvien, de la collection Lemoine, n"* 21 o44 et
2 1 08 1 , noirs, bien lustrés, sont de la forme typique et ont des
têtes de puma typiques en relief, mais le décor peint de la
panse est renq^lacé par une ornementation curvilij^ne, gravée.
M. Seler (326, pi. i5, lig. i/i, et pi. 37, %. 4) reproduit deux ary-
balles de la côte, appartenant au Musée d'etlinograpliie de
Berlin. Le premier, provenant de Supe, au nord de Callao, a
la panse décorée d'ornements horizontaux, peints, formant
des méandres. Le second, en terre noire, provient de Lam-
bayeque, au nord de Trujillo. 11 présente la même face en
relief sur le goulot et les mêmes bras esquissés sur la panse
que les aryballes des collections Quesnel et Wiener que nous
venons de mentionner. M. Seler {ibid., pi. 36, fig. 9, n) donne aussi
deux aryballes noirs de Hiiaras, dans la Cordillère Maritime,
assez irréguliers, avec des ornements gravés au lieu d'orne-
ments peints. Une partie de cette ornementation consiste en
ligures d'oiseaux. Au contraire, un aryballe provenant de la
côte de Huarmey, situé justement à l'ouest de Huaras, corres-
pond au type général. Ce vase, de o'"4o de bauteur, est repro-
duit par MM. Stûbel et Reiss (340, i, pi. 10, llg. 9). Les mêmes
auteurs [ihid.,\, pi. 10, fig. 10) représentent un autre aryballe,
provenant de « Pueblo Muevo », de o'" 2 1 de hauteur, sans tête
(h» puma, mais orné d'un serpent en relief qui roule sa queue
autour du goulot du vase. Des figures pinnées, de la sorte que
nous avons déciite, y font partie de l'ornementation peinte. Il
y a au Pérou plusieurs localités dénommées Pueblo Nuevo;
il s'agit probablement de celle (pii est située dans la province
de Pacasmayo, au nord de trujillo.
Les nombreux aryballes de l'ENTRK-SiKniws du Pkrou cor-
respondent presque sans exception dans tous leurs détails à la
description qu'on a lue plus baut. La ])lu])art des sj^écimens
ont été exhumés aux environs de Cuzco et du lac Tilicaca.
Le D' Hamy (160, pi. xwvn) reproduit un grand aryballe, de
302 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
o™88 de liauteur, provenant d'une grotte funéraire de San
Sébastian, près de Cuzco. Ce vase, pourvu de la tête de puma
typique, est d'une fal)rication très supérieure à celle de notre
spécimen de Pucani de Lerma, mais l'ornementation j^einte
est presque identique dans l'un et dans l'autre. Un second ary-
])alle, fif^uré dans l'ouvrage de M. Hamy (i7»iU,pl. xxxvm.fig. hj),
j)rovient de Sacsaïluiaman. 11 a o'" 33 de liauteur et correspond
tout à fait à la description des aryl^alles tyjiiques, excej^té la
tète de puma, aux yeux ronds. En dehors de ces deux ary-
balles, le Musée du Trocadéro en possède plus de vingt autres
provenant de l'Entre-Sierras du Pérou. Les spécimens les plus
anciens ont été trouvés par Léonce Angrand à Yucay,à quatre
lieues au nord-ouest de Cuzco, et donnés au Musée du Louvre.
Longpérier (218, p. cjd, 109-110) les a décrits sommairement.
Une douzaine d'ary]3alles du haut pays, de o'" 1 o à o"' 35 de hau-
teur, furent rapportés par M. Wiener. Un spécimen de Cuzco,
n" 4o38, provient de la collection Macedo. Enfin deux de
Cumana, sur le Titicaca, n**' 36 35o et 3635 1, de ©"''i^ et
de o"' 1 7 de hauteur, y furent trouvés par le comte de Sartiges.
Tous ces spécimens correspondent au tyj)e général; le seul
détail qui présente quelque variation remarqual)le est la tète
de puma, remplacée parfois par un simple bouton. L'aryl^alle
le plus notal)le du Musée du Trocadéro est un grand vase de la
collection Sartiges, également trouvé à Cumana. Cet aryl^alle
a o"'6'i de hauteur, non compris le col, qui est cassé. M, Léon
Lejeal (212, p. 80 et suiv.) en donne une description détaillée et
une bonne figure. La forme est celle des aryballes typiques,
mais il y a deux tètes de puma au lieu d'une seule, et le décor
est vraiment remarqua])le, composé de 29 coquilles imitées en
relief sur la panse du vase. Ces coquilles sont des reproduc-
tions très fidèles d'un bivalve marin , Spondyhis pictonim , C/iemtz. ,
originaire de la côte du Pacifique dans la région équatoriale.
Le grand ary])alle de Cumana se distingue aussi par une richesse
peu commune quant aux couleurs enq^loyées dans son orne-
mentation. M. Seler (326; pî. 2, fig. 1,2; pi. 3; pi. 5, (ig. /n pi. 6, %. n,
VALLKE DE LERMA. 303
i5; pi. 07, fij;. /i, 7) reproduit huit aryhallcs de (luzco, deux des
environs de Puno (Nasacara et Ichii) et deux de Gajamarca,
tous appartenant aux collections du Musée d'ethnographie de
Berlin. Tous ont la forme typique des aryhalles. Seulement
l'ornementation ])einte varie, mais deux spécimens de Cuzco et
celui deXasacara présentent une oi'nementalion peinte presque
identique à celle de l'aryhalle de IHicarâ de Lerina; dans le
décor d'un autre se trouvent ces ligures pinnées que nous avons
décrites. Un autre spécimen de Cuzco a son goulot pourvu
d'une face humaine formée par des lignes en relief, semhlahle
à celle de faryhalle de Lamhayeque, mentionné plus liaiil.
Dans ini aryhalle, également de Cuzco, les ornements peints
de la panse sont remplacés par des ornements gravés. Les deux
spécimens de Cajamarca sont noirs, mais toujours de formes
parfaitement lypiques. Tous ces aryhalles sont pourvus de la
tête de jouma caractéristique, à deux exceptions près, où elle
est remplacée par des houtons. Au Musée national de Monte-
video, j'ai aussi vu ])lusieurs aryhalles typiques, provenant de
Cuzco. Enfin, dans l'atlas de MM. Rivero et von Tschudi (311,
pl. wxvi), nous voyons un vase aryhalloïde avec des figures peintes
représentant des oiseaux, des insectes, etc. Ces peintures sont
(fun style si différent de celui du décor des autres aryhalles,
qu'il n'est pas impossihle qu'elles soient relativement modernes,
appliquées récemment sur un aryhalle ancien, comme c'est le
cas (fiin spécimen rapporté de la Répuhlique de fEquateur
j)ar le D' Rivet.
En Bolivie, c'est surtout dans la région (hi fiticaca qu'on a
trouvé des aryhalles. Déjà Castelnau (94, pl. \u) a donné la ligure
(Vun de ces vases, avec la légende : «Vase conservé dans le
Musée de La Paz (Bolivie) ». Il n'y a pas d'indication sur la
localité, mais prohahlement ce spécimen ])r()vient de la Bolivie.
C'est un aryhalle |)arlallement tv])i(pie, dans lequel les lignres
pinnées font ])arlie de fornenienlalioji peinte. Le Musée du
Trocadéro possède deux aryhalles de Copacahana, ])rès de
Tialîuanaco, n"' 4o'i5 et 4026, rapportés par M. Ber. fous
304 ANTIQUITÉS 1)K LA RFXtION ANDINÊ.
deu\ ont environ o'^So de hauteur et sont de formes et décor
typiques, mais le n** 4oy5 présente sur le col une face hu-
maine esquissée au moyen de lignes en relief, comme les S2:)é-
cimens de Guzco, Lambayeque, etc., décrits plus haut. Ce
dernier arvhalle a été figuré et décrit parM. ffamy (160,pl\\xviii,
fig. ii3). La Mission Française a rapporté un aryballede Tiahua-
naco, d'une céramique très fine, avec des ornements peints
sur fond jaune, surtout en noir, mais comprenant aussi quel-
ques lignes rouges. Ce vase a o"" 38 de hauteur, non compris
le goulot qui manque. Il présente la tète de puma lial)ituelle,
en relief, et, du même côté, un décor peint en échiquier,
interrompu au milieu par une rangée verticale de losanges,
encadrée de lignes verticales rouges. A fenvers, il n'y a pas de
décor. La partie méridionale de la Bolivie est archéologique-
ment presque inconnue; quand ce j^avs sera exploré, très pro-
bablement on y trouvera aussi des aryballes.
Passons à la Républioue Argentine. De Suru^-â, localité de
la Puna de Jujuy, mais dont je ne connais pas la situation
précise, le D' R. Lehmann-Nitsche (210, p. 45, pi. v B i3) décrit
et figure un vase qui doit être classé comme aryballe, quoiqu'il
soit d'une facture plus grossière que les aryballes péruviens, et
l'ornementation peinte est différente, présentant cependant
cela de commun avec la plupart de ces vases, que ce décor
existe seulement d'un côté. La forme du vase et des anses est
la même que celle des aryballes en général. La tête de puma
est remplacée par un bouton. Le vase a o™ 22 de hauteur, non
compris une partie du col qui manque. En avançant vers le
Sud , vient ensuite notre S2:)écimen de Pucarâ de Lerma, typique,
mais d'une fabrication un peu plus grossière que celle des
aryballes ])éruviens. Nous avons également décrit, page 287,
fuj. 27-24, plusieurs vases provenant de Lapaya, dans la Vallée
Calcliaquie, plus ou moins aryballoïdes, quoique présentant
certaines modifications, \irchow (372, p. 375, pi. vu, fig. 1) décrit et
reproduit un aryballe de o"' ^o de hauteur, « de la région cal-
cliaquie » , sans indication plus précise de localité. Ce vase est
VALLEE DE LERMA. 305
un aryl)aUe parfaitement typique, dont rornenientatiou j)einte
comprend des Ijandes verticales et aussi des figures pinnées.
M. Ambrosetti (28, p. 21, pi. n, {]<;. 37) reproduit un fragment d'arv-
haWe, d'Antofagasta de la Sierra, et dit avoir trouvé un autre
de ces vases à Golomé (Molinos). M. de La Vaul\ (366, p. 176)
a trouvé un petit aryballoïde grossier, sans décor, à Kl Ba-
nado, près de Quilmes, dans la Vallée de Yocavil. (le vase
porte au Musée du Trocadéro le n" 47 ^'^7- Jusqu'à la province
de San Juan, on trouve des vases ressemblant au\ arvl^alles,
quoique modifiés. L'un de ces vases, à fond conique, mais
plus globuleux que les aryballes en général et dépourvu de la
tête de puma en relief, est figuré par M. D. S. Aguiar (6, p. 45).
Au Chili, on a aussi découvert des aryballes. M. J. T. Mé-
dina (234, fig. 211) en reproduit un spécimen exbumé à Freirina,
localité qui a fourni tant d'objets de style péruvien. C'est un
aryballe bien typique, dont le décor peint est presque iden-
tique à celui de l'aryballe décrit par M. Virchow.
Tous les vases que nous avons énumérés ont exactement la
même forme et le décor est analogue, souvent identique, sur
des spécimens exhumés dans des pays si éloignés l'un defaulre
comme la République Argentine et l'Equateur. On n'en saurait
douter : les aryballes sont caractéristiques de l'archéologie de
l'ancien empire des Incas, et les vases de ce genre qui ont été
découverts dans la région diaguite constituent une nouvelle
|)reuve en faveur de fopinion que la culture diaguite faisait
partie intégrante de la civilisation péruvienne.
Quant à la destination des vases auxquels nous avons aj)|)li(jué
le nom d'aryballes, une pièce conservée au Musée du Troca-
déro nous fournit un renseigiiciiKMit précieux. C'est un gr()Uj)e
en argent catalogué sous le n" /jojG et trouvé j)ar M. V\'i(Mier
dans une grotte à Sacsaïl maman. Wiener (377, p. 588) eji donne
une figure très réduite, et llamy (160, pi. i.m, lîg. i5(>), une belle
pliototypie en grandeur naturelle. Cette pièce porle comme
étiquette : «Groupe en argent. Un Inca et deux serviteurs qui
lui présentent à boire et à manger». En effet, fun des servi-
300 AMI (H ITKS DE LA 1', KG ION AN 1)1 MO.
leurs porlc dans la main un ar\ balle typique, tandis que l'autre,
une femme, présente un plat qui devait contenir un mets. La
i)résence de l'aryballe dans ces circonstances semble bien dé-
montrer que ces vases étaient simplement destinés à contenir
des boissons. Ils doivent avoir fait partie de la vaisselle de luve
des i^cns riches, dans tous les dilFérents pays où s'étendait
feuinire incasique. Seulement les grands aryballes, d'environ
1"' (le hauteur, ne peuvent pas avoir été employés pour le ser-
vice courant; ces énormes vases servaient probablement à con-
server les boissons et spécialement la chicha.
Autres objets. — Dans un autre endroit de la hacienda de
M. Isasmendi se trouvaient les trois pièces représentées par la
fig. 45. Leurs diamètres respectifs sont : r/, o" i35; h, o'" 226;
c, o™ 161. Elles sont d'une poterie rouge, lisse, bien cuite. Les
cassures de l'écuelle b montrent une pâte fine, grisâtre, et l'on
voit que la belle couleur rouge de la pièce a été obtenue en
ensobant la surface, avant la cuisson, avec une matière conte-
nant probablement de focre rouge. La tête de canard qui forme
l'anse du plat a est bien modelée; les yeux et les narines sont
assez prononcés.
L'objet y?^. ââ a, en quartzite gris verdatre assez dur, s'est
rencontré non loin de ces poteries; c'est la moitié d'un instru-
ment ayant servi à broyer du maïs ou d'autres grains sur une
pierre plate. La longueur du fragment est de o^'^aô; celle de
l'instrument entier devait être d'environ o"5o. La hauteur
de la surface cassée est de o"" 1 1 o , la largeur maximum o"" 097 .
La coupe [cl) de ce broyeur n'est pas tout à fait symétrique, ce
qui devait faciliter son em23loi, qui consistait à en faire alter-
nativement monter et descendre les extrémités. On voit encore,
dans les chaumières, broyer le maïs de la même façon, mais
les Indiens actuels ne travaillent plus la pierre comme leurs
ancêlres, ils se contentent d'une pierre roulée quelconque prise
dans le ruisseau voisin; cependant ils se servent des broyeurs
anciens lorsqu'ils en trouvent. L'instrument de la même espèce
\ AI.LKK l)K L KIWI A. .'iOT
ac([viis à Hiiicoiiada et reproduit y/y. 155 était en usage daus
la hutte d'un Indien. Ces broyeurs de pierre existent dans les
parties les plus différentes de l'Amérique du Sud. Le Musée du
Trocadéro en possède un beau spécimen (n" iMO'i du cata-
logue ayant prescpie la même forme et provenant du Rio Iça
(Colombie).
ha Jig. 44 b, c représente deux poteries trouvées sur un
autre point de la propriété de M. Isasmendi. La première est
d'une terre cuite noirâtre; elle a o"* i5 de longueur. Le dia-
mètre intérieur du goulot est de ©'"09. L'ornementation con-
siste en trois lignes en relief interrompues par des traits graves
transversalement. Dans la Puiia, les Indiens fabriquent encore
en terre cuite des récipients de cette forme, mais plus grands;
ils sont employés pour griller le maïs jusqu'à ce qu'il devienne
parfaitement dur et sec. Ce maiz tostado est l'une des princi-
pales provisions de voyage des Indiens.
La /uj. 44 c est une écuelle noire en terre cuite très bien
lustrée, engobée de plombagine. Son diamètre maximum est
de o^^iSS.
Près de ces dernières poteries a été trouvée une autre pe-
tite écuelle contenant un ciseau et un 23oinçon(?) en cuivre
{fuj.â2aeib).
Le régisseur de la hacienda de M. Isasmendi m'a assuré que
l'on découvrait fréquemment des ossements humains dans les
champs, ce qui est très vraisemblable.
A quelques mètres de la maison d'haljitalion de la hacienda
El Carmen, j'ai fouillé, en 1901, quelques tombes formées
de murs circulaires en pierre sèche, de quelques décimètres de
profondeur et d'un j)eu plus d'un mètre de diamètre. Chaque
sépulture contenait un ou deux squelettes dans un état tel,
qu'il n'était pas possible de retirer les os do la terre sans qu'ils
tombassent en poussière.
308 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
CARBAJAL'''.
Quelque temps avanl ma visite à cette hacienda, son proprié-
taire, que j'ai déjà nommé en décrivant la collection de Lapaya,
avait fait des fouilles sur l'emplacement d'une vieille construc-
tion, à quelques centaines de mètres à l'est de sa maison. H y
avait remué 4oo à 5oo mètres cubes de terre pour chercher
des trésors imaginaires.
Les murs en pierre de cette ruine, tracés en lignes trop
droites pour être indiens, sont disposés de la même manière
que ceux des haciendas du pays au temps de l'occupation espa-
gnole : une grande cour entourée d'un mur; d'un côté, un bâ-
timent contenant neuf chambres dont cinq formant façade et
quatre disposées en deux ailes, deux de chaque côté. Pour une
personne habituée à voir des ruines préhispaniques, cette con-
struction a un air tellement espagnol que je sids convaincu
qu'elle n'est pas indienne.
Le croquis y?^. 40 montre la disposition des ruines et les
tranchées de 2 mètj'es de profondeur, ouvertes par les cher-
cheurs de trésors. Ceux-ci m'ont donné des renseignements
précis sur les trouvailles faites, et j'ai pu, en continuant les
fouilles, recueillir quelques objets.
11 est vraiment extraordinaire de rencontrer dans cette con-
struction d'une apparence si espagnole un atelier d'objets en
pierre sculptée, sans nul doute d'origine indienne.
A fendroit marqué A, à plus d'un mètre de profondeur, on
avait trouvé une trentaine de pierres de diverses dimensions,
travaillées suivant une forme cvlindrique, les bords arrondis
comme le sont certains fromages. Une de ces pierres de dimen-
sions moyennes, o" i64 <^le diamètre et o^'ogo d'épaisseur au
milieu, est représentée par ^'à fig. 46 e. H y en avait du double
de cette grandeur et de plus petites. MM. Stûbel et Reiss (340, i,
''^ Voir la planche XX, insérée après la page oio.
VAI.LKK DE LERMA.
309
pi. 18, fig. 2^) reproduisent une pierre de Tarapacâ, de la même
forme, en granit, mais de dimensions plus petites : o"" 1 3 de
diamètre. J'en ai trouvé une semblable à Sayate (Puna de Ju-
juy), voir l^fifj- US h. M. von ih(U'ing(179, p. 4, %. 6) représente
une autre pierre de la même forme, moderne, provenant de
Itanalîem (Rio Grande do Sul) et qui y était employée par les
Indiens pour broyer du sel, du poivre et des drogues. D'après
M. B. G. de Almeida Nogueira (9), le nom donné en guarani
à ces pierres est ila-yeré «pierre tournante», ce qui démontre
qu'elles étaient employées comme broyeurs. Il existe aussi des
pierres de cette forme en Amérique du Nord. M. G. G. Abbott
(l,p. 342) en figure une, du New-Jersey.
Fig. 4o. — Plan de la ruine de Carbajal. — Echelle : i/i.ooo. (Trancliées en gris.)
En B, contre les fondations du mur, à 0'°' 5o de profondeur,
ont été trouvés une vingtaine de petits mortiers taillés, dont
l'un est représenté fuj. âG c; il a o'" 10 de diamètre extérieur.
Rivero et von Tscbudi (311, atlas, pi. wx) re])r()duisent une pièce
péruvienne semblable, en «marbre jaspé». Les objets en
pierre de cette forme sont communs au Pérou et en BoHvie.
Les pierres en forme de «fromage» et les ])('tits mortiers
proviennent tous de la même roclie : un calcaire zone couleur
blanc jaunâtre, translucide, com])act, d'un assez joli aspect.
En B, il y avait beaucoup de morceaux de cette roche où
l'on voyait encore les traits d'nnc taille romnicncée [fuj. ^16 j,
310 ANTIQUrr?:S DE LA REGION ANDFNE.
h, a). Tout ceci clciiionlre donc que nous nous trouvons en
présence de l'atelier d'un Indien peut-être au service des Espa-
gnols, habitants de la maison au premier temps de l'arrivée des
Européens dans la vallée.
La petite jDierre à surface concave, y?fy. âO d, a été trouvée au
même endroit cjue les mortiers et provient de la même roche.
En C [[kj. 40) se trouvait le grand mortier en grès rouge,
ficj. 47, de ©""/iS de longueur. C'est un bloc naturel où l'on a
creusé une concavité qui présente une surface lisse et j^olie.
Deux grands mortiers de la même sorte se trouvaient à côté de
celui-ci.
Dans la cour, près du mur, au fond (Z) sur ^^fi(j- 40)^ les
chercheurs de trésors avaient trouvé un squelette, ayant la
position étendue, avec un A^ase en terre cuite auprès de lui, ce
qui semble démontrer que c'était un Indien, caries Espagnols
n'enterraient pas de vases avec leurs morts.
Mais la trouvaille la plus curieuse faite par le projoriétaire de
Garbajal dans ces ruines est un énorme dépôt de petits cailloux
roulés qui se trouvait au point E, à o™3o ou o'"4o au-dessous
du sol. Ces petits cailloux, choisis avec soin comme ceux dont
les enfants se servent pour jouer, étaient de toutes les couleurs,
blancs, jaunes, roses, verts, bruns, la plupart en quartz, tous
<à peu près de la même grandeur : de 3 à ô'^'" de diamètre.
Mon hôte me ht voir huit grands sacs de ces cailloux qu'il avait
recueillis et qui devaient bien peser ensemble 2,000^^ au moins.
Il croyait que c'étaient des pierres précieuses et il avait l'inten-
tion de les emjoorter à Buenos-Aires, pensant en retirer un prix
élevé. Il était si épris de ses cailloux, qu'il ne voulut pas m'en
donner un seul, et, lorsque je lui dis que c'étaient des pierres
très communes, il crut que je parlais ainsi poui- le tromper.
Plusieurs années de travail avaient dû être nécessaires au
collectionneur primitif pour réunir cette énorme quantité de
cailloux, car les roches de presque toute la région sont des
roches métamorphisées d'une couleur grisâtre; les hlons de
quartz sont rares et les rivières ne contiennent que très rare-
VALLEK I)K LERMA. 31 I
ment des cailloux quarlzeux de jolies couleurs. Le but dans
lequel cette collection avait été faite est une énigme. C'est la
première fois que j'ai entendu j^arler d'un tel dépôt dans des
ruines de l'Amérique du Sud.
On pourrait cependant, à ce sujet, citer un passage de Gar-
cilaso (140; 1. I, c. ix; fol. g), suivaut lequel certains habitants de
l'empire incasiqne « adoraient les cailloux de diverses couleurs
qu'il y aA^ait dans les rivières et les ruisseaux » [Asi adorahan . . .
(juijarros y picdrecitas , las (jue en los rios y arroyos hallahan de
diversos colores conio cl jaspe).
TINTI.
A 7 kilomètres environ du sud-ouest du village actuel de
Rosario de Lerma, et à peu près à la même distance au nord-
ouest de l'habilalion de la hacienda de Carhajal, se trouvent
les ruines d'un village préhispanique, appelé Tinti par les in-
digènes.
Dans une plaine, fermée au sud par de hautes montagnes
et au nord par des collines et des barrancas qui la séparent
du reste de la Vallée de Lerma, on voit les emplacements de
i5o habitations environ. Une petite rivière sillonne cette
plaine : c'est elle qui a formé les barrancas. 11 n'y a qu'un seul
accès facile à la petite plaine de Tinti : du coté est. Dans toule
antre direction, les montagnes, les collines et les l)arranc;is
lacilitent la défense du village contre finvasion d'un ennenn.
Les habitations de Tinti sont composées de chambres et de
grands enclos que nous pouvons apj)eler des « cours ». Le ])lan
/î(j. 4(S montre la disposition d'une de ces constructions doni
chacune devait former la demeure d'une famille. On y voit deux
grandes chambres, presque carrées, de 8'"X 7'" ('l de 9'"X T)'",
accédant sur une cour plus ou moins rectangulairede 25'"X 1 6'".
Ces chambres sont pourvues de ])ortes vers la cour, mais celle-ci
ne piésente aucune onverhire c()ninHini(|nant avec l'iîxtéiieur.
Un petit mur isolé forme nnc soric de loge à côté de la clunubie
312
ANTIQUITÉS DE LA REGION AN DINE.
située au coin ouest de la cour. Les murs qui entourent cette
cour continuent vers le Nord-Ouest. Dans le plan , ils sont in-
terrompus en a et en i, mais leur tracé continue beaucoup ])lus
loin, et ils semblent avoir formé un autre grand enclos, qui
arrivait jusqu'à Thabitation suivante, conq^osée, comme celle
qui nous occuj^e, d'une cour et de cliamjires.
Fig. 48. — Tinli. Plan criino habitation du village préliispanique. — Echelle : ij^oo.
Les murs sont construits en pierre sèche. Leurs restes attei-
gnent actuellement un peu plus de o™5o de hauteur. Il est dif-
ficile de discerner leur largeur originelle, car on ne distingue
pas les pierres écroulées de celles qui occupent encore leur
place primitive. Cependant on peut deviner que la largeur a été
de plus de o™ 5o, mais de moins de i™. Les fondations peu pro-
fondes ne dépassent pas o"'5o. Les pierres employées dans la
construction proviennent du lit de la rivière voisine.
Ces murs ne peuvent de toute façon avoir été très hauts. Le
terrain ne contient pas de matériaux de même taille que celle
Pi.. XVII.
^■!f. %
Fig. Al. — l'ucara de Lnnna. Urne liiiicrairc. — i/4 gr. nul.
lffl'i~ " ^ïïl'lt'^''''- r.J!.'iâ!f^j^:v»iif)J>^^
Fif. Ii2. — Piicafù (le Lri-ma. C-iscaii cl iioinron on ciiivro. — 2/3 gr. nat.
Pl. xmii.
FIg. (^3. I*ur;u'à ilr I^cnna. Arsliallr. iy"i j^r. iial.
Pl. XIX.
b
Fig. /|/|. — Pucarâ dn Lcrma. liroyniii- cm |)iciir cl jHilcrics d, coupe dd Ijroycnr
1/3 gr. nal.
Fig. 'i'». - l'iicarà Ai- Lciniii. I^)lc|•|cs. — i/3 i^r. m;iI.
Pl. XX.
Fig. 4(3. — Carijajul. l'clil moiliri' ri autres pièces eu calcaiic /(iiié. Pierres a laille commenrée
(le la ini'ine roche. — i/.') gr. nal.
Fig. /17. Carhajal. Mortier en ij;rès roiij,'!-. — i//| gr. nal
VALLEE DE LERM \. 313
des constructions, et les pierres écroulées ont du, ])our la plu-
part, rester près des murs auxquels elles appartenaient. Dans le
voisinage n'existe aucune maison moderne pour l'édification
de laquelle on pourrait avoir recueilli les pierres des ruines. Par
conséquent, il est facile de calculer le nombre de pierres par-
semées sur le sol aux environs de chaque construction. Or ce
calcul donne comme résultat que les murs ne doivent avoir
eu qu'environ un mètre de hauteur. On en arrive, par suite,
à snp])oser que seule la partie inférieure des murs aurait été
bâtie en pierre, tandis que la partie supérieure était construite
en bois recouvert de chaume ou de 2:)eaux. La toiture devait
être également faite de fun ou fautre de ces matériaux. L'exa-
men des ruines préhispaniques de ces régions suggère , du reste,
presque toujours des réflexions semblables.
A Tinti , ce qui attire surtout fattention , ce sont les sépultures
ou chambres mortuaires à demi souterraines, annexées à la
plupart des habitations. Sur le jÀanfuj. 48 on voit deux de ces
chambres, A et B, cylindriques, bâties en pierre sèche, avec
plus de soin, semble-t-il, que les murs des habitations et de la
cour. Le sol est pavé de pierres plates. Les murs sont revêtus
intérieurement d'autres dalles en schiste, formant un autre
cylindre, dans lequel se trouvent les cadavres. Ce cylindre est
couvert d'une dalle également en schiste. La hauteur des cy-
lindres intérieurs est de 0^70 environ; le diamètre intérieur
de la chambre A est de 0^65, celui de la chambre B de 1™.
Les pierres plates qui servent de couvercles sont à quelques cen-
timètres au-dessus du niveau du sol. La chambre A contenait
un squelette, la chambre B, deux; mais ils étaient si mal con-
servés, qu'il m'a été impossible de les recueillir. Les cadavres
avaient certainement été placés dans la position assise, étant
données les dimensions des sé])ultures. De nombreux fragments
de poterie grossière, avec quelques traits gravés comme seul
décor, les accompagnaient. Cette poterie avait probablenuMit été
fracturée par la pression de la terre; je n'ai pu avoir entière
qu'une petite écnelle, Ji(j. à9. Elle est de o'" i^iT) de diamètre
314 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
maximum, poterie grisâtre, un peu plus (iue que les autres
débris.
Le village de Tinti est traversé, de l'Est à l'Ouest, par une
large rue courbe, bordée de chaque côté de constructions sem-
blables à celle que je viens de décrire. Derrière ces deux ran-
gées de maisons s'étendent encore beaucoup de ruines d'autres
maisons situées à quelque distance l'une de l'autre, tandis que
celles de la rue principale se touchent presque. Toutes ces con-
structions présentent les mêmes chambres, parfois trois ou
quatre, groupées autour d'une coui" plus ou moins trapézoïdale;
presque toujours des chambres mortuaires cylindriques y sont
annexées.
Fig. /|Ç). — Tinti. Ecuélie en terre ciiile. — i/") gr. nat.
La petite rivière traversant Tinti descend des montagnes
nommées Cumbres del Obispo. Elle forme dans ces montagnes
la (}uebrada de los Manzanos, dans laquelle se trouve un autre
village préliispanique. Je n'ai pas eu l'occasion de le visiter,
mais on m'a informé qu'il occupe des hauteurs inaccessibles
de manière à former une place forte. Peut-être ce village a-t-il
appartenu aussi aux anciens habitants de Tinti. Ceci nous don-
nerait un exemple de ces doubles résidences des Indiens andins :
l'une fortifiée, sur les hauteurs; l'autre près des cultures, dans
la vallée. Dans la région diaguite, on constate souvent ce cas qui
est également mentionné par les historiens de l'ancien Pérou.
Ainsi, suivant Cieza de Léon (101; c. xcix, c; p. 44^ ^3), les Collas
avaient des villages avec des cultures dans la plaine, et des
places fortes sur la montagne, où ils se retiraient en temps de
guérie. Sur les Pacajes spécialement, Don Pedro de Mercado
de Penaloza (236, p. 62) donne des renseignements identiques.
VALLIiE DE LKiniA. 315
RUINES PRÉHISPArVIQUES
DANS D'AUTRES PARTIES DE LA VALLEE DE LERMA.
De Salta , j'ai fait une excursion à un endroit nommé El Prado ,
situé au pied des montagnes, à environ i o""" au sud-ouest de
la ville. On voyait là, sur une colline, de nombreux vestiges
de murs en pirca dans un très mauvais état de conservation, et
presque rasés. Quelquefois il était même presque impossible
d'en restituer le tracé. Ces murs formaient des clôtures rec-
tangulaires de lo à So"" de côté, alternant avec d'autres traces
d'enclos circulaires ayant jusqu'à lo'" de diamètre. Les ruines
d'El Prado présentent quelque analogie avec celles de Tinti,
mais elles sont beaucoup moins bien conservées. Les fouilles
que j'y pratiquai ne donnèrent aucun résultai.
A Silleta, au pied des montagnes, un joeu au nord de l'em-
boucliure de la Oue])rada del Toro, on voit de nombreuses
traces de pircas, mais très mal conservées. La population de
cet endroit était certainement très nombreuse au temps pré-
hispanique.
Sur le sommet de l'une des montagnes qui bornent la vallée,
au nord-est de la ville de Salta, à une distance de 6 ou y"^'" de
celle-ci, il y a aussi des traces de murs en terrasses.
D'api'ès des informations dignes de foi, il existe des ruines
d'une grande étendue à Vinaco, à S""'" au sud de Zuviria, point
terminus du chemin de fer de la Vallée de Lerma. Je n'ai pu
visiter ces ruines, mais, d'après les descriptions qui m'en ont
été faites, elles doivent provenir d'un village ancien assez
considérable, à peu près dans le genre de Tinti.
A La Canada, j'ai vu beaucoup de traces de pircas rasées.
Dans les montagnes, derrière (îhicoana, est également situé
un village ancien, sorte de place foilc, d'après les descriptions
données.
316 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
RESUME.
Les vestiges préliispaniques de la Vallée de Lerma sont très
hétérogènes. Ils proviennent sans doute de plusieurs épocpies
et de plusieurs peuples différents. La plupart des objets exhumés
dans les environs de Pucarâ et d'autres pièces que j'ai vues,
provenant de Silleta et de Rosario de Lerma, dénotent la môme
origine que les antiquités appartenant à l'ancienne culture de la
région diaguite. Mais aucune des ruines que j'ai examinées ne
peut avec certitude être rapportée à cette culture. Tinti y appar-
tient peut-être, mais la poterie rencontrée dans les deux tom-
beaux que j'y ai fouillés est inférieure à celle de la région dia-
guite, et, comme je n'y ai pas trouvé de pièces décorées, il est
impossible d'en tirer des conclusions. Je n'ai puvisiterles ruines
de Vinaco et de Chicoana, et je ne sais pas si elles peuvent être
classées comme diaguites. Les ruines d'El Prado sont plus pri-
mitives et proba])lement plus anciennes que celles de Tinti et
qu'également celles de la région diaguite en général. Quant
aux tumulus de Pucarâ, il est impossible de les classer, car ils
sont uniques dans l'archéologie sud-américaine et ne présen-
tent pas de poteries ni d'objets quelconques qui permettent
une comparaison avec d'autres antiquités de ces régions. Si
V urne fi(j. âl, exhumée près de ces tumulus, provenait de leurs
constructeurs, les tumulus seraient diaguites, mais le rapport
qui existe entre cette urne et les tumulus n'est pas du tout
déterminé. Enfin les sépultures dans des urnes, d'El Carmen,
de La Canada et de Carbajal, sont, comme nous l'avons dé-
montré, d'une origine tout à fait différente des autres vestiges
de la vallée.
Suivant Don Pedro Sotelo Narvaez (253, p. i5o), la ^ allée de
Lerma était, à l'époque de la conquête espagnole, habitée par
i,5oo Indiens, dont la plupart étaient des «Lules, quoiqu'ils
cultivassent la terre et eussent des trou])eaux)). Narvaez [iUd.,
p. i48, 1/19) applique en général le nom « Lules » à certaines tribus
VALLEE DE LERMA. 317
nomades et sauvages (^^i alàrahes n) des plaines de Santiago del
Estero et de Tuciiman. Nous devons par suite supposer que
ses Lules de la Vallée de Lerma appartenaient à ces mêmes
Lules nomades et s'étaient établis dans cette vallée, ayant adopté
la culture et l'élevage. Selon le même auteur, des Indiens de la
Vallée Calchaquie et de la « Cordillère » , c'est-à-dire de la Puna,
descendaient (^bajahan) aussi dans la Vallée de Lei-ma, proba-
blement pour échanger leurs produits contre ceux de cette
vallée et contre d'autres provenant des plaines voisines. Les
renseignements de Narvaez paraissent confirmés par un passage
d'Oviedo y Valdez (280-, l. xr,vii, c. m; t. n, p. 263), suivant lequel
AlmagTO trouva, en i536, tout le territoire dévasté, depuis
Jujuy jusqu'aux limites « d'une autre province dite Chicoana »,
sans doute l'actuelle Vallée Calchaquie , comme nous le démon-
trerons plus loin, en traitant les itinéraires d'Almagro et de
Matienzo Selon Oviedo, des «Juris alàrahcs)) avaient dévasté
cette contrée, située entre Jujuy et la Vallée Calchaquie et qui
ne pouvait être autre que la Vallée de Lerma ^'l Nous avons
déjà signalé, pages /il et 55, le sens que les dilTéreiits auteurs
anciens donnent aux noms « Juris » et « Lules » et l'ambiguïté
de leurs définitions. Les Lules de Narvaez sont sans doute
identiques aux Juris d'Oviedo, et ainsi les renseignements de
ces auteurs nous apprennent que la Vallée de Lerma aux temps
de la conquête était habitée par des Indiens sauvages et no-
mades des |)laines qui , peu de temps auparavant, avaient chassé
de cette vallée les habitants antérieurs, fiuliens j)lus civilisés,
lesquels ne peuvent être que les Diaguites cpii y ont laissé de
'"' Oviedo no s'oxprimc pas avec- l)caii- vaicnt hoauconp <lo maïs et avaient de
coup d'exacliliidc. J)'al)(»id (page ;'.G3), il nombreux Iroupeaiix de lamas, li est donc
semble comprendre la «province de Chi- certain cpie la Vallé(î (]al(Iiaqui(> n'était
coana II ou Vallée Calchatpiie parmi les ré- pas coni[)lée parmi les régions désolées
gions dévastées et dépeuplées par les inva- par les Juris. Fi'aml)iguilé d'Oviedo a in-
sions des «Juris»; mais plus loin (p. aO'i) duit en erreur le D' ten Kale (343, p- 5),
il dit expressément cpie ee n'était (pie jus- qui semble croire que les ruines de la
qu'à la l'rontière de cette province que \c région diaguito en général se trouvaient
pays était dévasté et (p. 2(i5) (juc les liabi- déjà dans cet état quand les Espagnols y
tauts de la «province de Chicoana» culti- arrivèrent.
318 AiNTlOMTÉS DE LA RÉGION ANDINK.
nombreux vestiges. Mais, avant les Diaguites, la vallée a été
occujîée par un autre peuple, d'un développement artisticpie
beaucoup inférieur aux Diaguites, peuj)le qui enterrait ses
morts dans des urnes grossières et qui était, je crois l'avoir
démontré, un peuple tupi-guarani ou, en tous cas, un peuple
immiirré du centre du Brésil. Ces faits et la situation de la
Vallée de Lerma qui l'indique naturellement comme centre de
commerce entre tant de régions différentes nous donnent l'ex-
plication de l'hétérogénéité des vestiges archéologiques qu'on
y trouve.
QUEBRADA DEL TORO
LA QUEBRADA DEL TORO.
La Quebrada del Toro est un long- et étroit ravin qui conduit
des Salinas Grandes, dans la partie sud du haut plateau de la
Puna de Jujuy, à la Vallée de Lerina. Cette quebrada a une lon-
gueur de i5o''"' et une largeur variable de loo à 1,000"". Les
montagnes qui servent de parois au ravin sont tantôt escar-
pées, presque perpendiculaires, tantôt arrondies j)ar l'érosion,
toujours tellement à pic qu'il est difficile d'y monter, excepté
aux endroits où des torrents ont formé des ravins latéraux. La
ficf. 77 montre une des parties les plus larges de In Quebrada
del Toro, immédiatement au sud de sa jonction avec la Que-
brada de las Cuevas, à Puerta de Tastil. La wiefuj. 76 est prise
du même point, mais vers le Nord. On y voit la jonction même,
avec l'embouchure de la Quebrada de las Cuevas à gauche et la
continuation de la Quebrada del Toro à droite. Les montagnes
de cette partie de la quebrada sont arrondies. Les photographies
fi(]. 50 et 5i sont prises à un autre endroit, Golgota, on les
montagnes sont presque à pic.
Les montagnes des deux côtés de la Quebrada del Toro, et
aussi celles de la Quebrada de las Cuevas, sont composées
d'un quartzlte schistoïde très plissé dont les couches tordues
démontrent la forte pression qu'elles ont dû subir, lorsque
fétat actuel du relief du pays s'est formé. Du côté ouest de
la Quebrada del Toro, de Golgota à Tastil, le quartzite est
en partie couvert de couches puissantes d'nii grès feriugineuv
tendre, se rapprochant presque de ce que fou appelle (hi grès
j)sammite.
Le col, au pied du Nevado del Chani, où commence la Que-
])rada del Toi-o, nommé l'Abra del Palomar, est silué à 3, 600'"
(f altitude, et Rio Blanco, endjouchure de la quebrada dans
la Vallée de Lerma, à i,/|5o"'. Les eaux venant du Chani et
d'autres montagnes environnantes se réunissent (fabord dans
322 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
un grand marais [ciénega), à Très Cruces, et vont de là dans
trois petits lacs, les Lagunas del Toro, à 3,334"" d'altitude. Les
eaux s'infdtrent ensuite et passent sous terre jusqu'à un endroit
appelé Ojo de Agua, non loin des ruines préhispaniques de
Morohuasi. Là commence le Rio del Toro qui coule au fond
de la quebrada jusqu'à la Vallée de Lerma où il se jette dans le
Rio Arias, affluent du Rio Pasaje ou Juramento qui, sous le nom
de Rio Salado, traverse les plaines et rejoint le Rio Paranâ. Le
Rio del Toro n'est qu'un torrent presque à sec; seulement, à
ré2:)oque des crues, la rivière franchit les boids, recouvre une
bonne jDartie de la quebrada et empêche le passage des voya-
geurs, quelquefois pendant plusieurs jours.
La végétation spontanée du sol est composée de quelques
arbustes, de plantes aquatiques, et même, en quelques en-
droits, de petits gazons près de l'eau. C'est à peine si un trou-
peau d'ànes ou de lamas y trouve de quoi brouter pendant
une halte. Les pentes des montagnes ont une végétation très
pauvre : des touffes de graminées au milieu des pierres et de
broméliacées grisâtres qui adhèrent comme des lichens aux
rochers. On ne voit pas d'arbres au nord de Golgota, excepté
quelques saules cultivés [Salix Hiimboldtiaiia , W^illd.). Les arbres
entourant la maison de Golgota, y?^. 50, sont des saules de cette
espèce. Les derniers se trouvent à Candelaria, au nord de
Puerta de Tastil. Dans les quebradas latérales de la partie infé-
rieure de la Quebrada del Toro, la végétation suffrutescente est
un peu plus prospère; par exemple, dans la Quebrada de las
Cuevas, entre Puerta de Tastil et Tastil, il y a d'assez nom-
breux arbustes et quelques arbres ayant jusqu'à 3 ou 4™ de
hauteur. Dans la Quebrada de las Capillas, il y a même des
viscotes (^Acacia Visco, Giiseb.), arbres de 8"" de hauteur et dont
le tronc a Go*"" de diamètre. Ces arbres donnent un assez bon
bois de construction; plus en amont de la Quebrada del
Toro, le seul bois de construction est celui des hauts cactus-
cierges (probablement Cereus Pasacana , [RiimpL] Weh.). On cul-
tive, notamment entre Golgota et Tambo, de la luzerne qui est
QUEBRADA DEL TUUO. 823
veiulue pour les mulets qui passent. L'irrigatiou artificielle est
nécessaire à cette culture. A Las Cuevas, clans la partie supé-
rieure de la quebrada du même nom, sont aussi des cultures
de luzerne assez importantes. M. Domingo Torino, proprié-
taire de la Quebrada del Toro, depuis Golgota presque jus-
qu'à Puerta de Tastil, et d'une autre partie, à Gandelaria, a dé-
montré ce que l'on peut faire dans ces ravins stériles, si l'on
sait bien ménager l'eau d'irrigation et si l'on emploie des mé-
tliodes rationnelles pour la culture. Ses chanq:)s de luzerne
sont superbes et il y élève même des moutons Rambouillet et
Lincoln. Je suis très reconnaissant à M. Torino de l'aimable
hospitalité dont j'ai été l'objet de sa part les deux fois que j'ai
passé par la Quebrada del Toro.
Les habitants actuels des Quebradas del Toro et de las
Cuevas, y compris ceux des montagnes de chaque côté de
ces quebradas, sont au nombre de 1,800 environ, si l'on se
base sur le recensement de 1896 (37). Cependant ce chiffre me
semble exagéré. La plus grande partie est conq^osée d'Indiens;
il y a très j^eu de métis. Beaucoup de ces Indiens sont d'origine
bolivienne, d'autres de la Puna de Jujuy; on n'y trouve presque
pas de métis des vallées interandines. Une partie des habitants
sont les péons des propriétaires des cultures de luzerne, d'autres
ont eux-mêmes de petits champs de cette plante fourragère.
Ceux des montagnes élèvent de petits troupeaux de moutons,
des ânes et même ([uelques mulets. On ne voit plus de lamas;
ils ont été remplacés par les moutons et par les ânes. Les In-
diens savent tous l'espagnol , mais ils parlent souvent le quichua
entre eux.
La Quebrada del Toro est l'une des deux routes praticables
entre la République Argciutine et la Bolivie; l'autre est la Que-
brada de flumahuaca. En laissant ces ravins, on Iraverse la
Puna de Jujuy du Sud au iVord jusqu'à la frontière bolivienne.
Presque tout le commerce emprunte actuellement la dernière
route. Dans la Quebrada del Toro, tout le trafic se réduit à
présent à l'exportation du borate de chaux des Salinas (Iraudes,
324 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
au transport du sel de ces salines à Salta et à l'exportation du
bétail de la Vallée de Lerma à San Pedro de Ataeama, où il est
vendu aux nombreux établissements miniers et aux salitreras
(gisements de nitrate de soude) des provinces cbiliennes
d'Antofagasta et de Tarapacâ. Si Ton y ajoute les courriers, les
soldats du gouvernement du Territoire des Andes et quelques
voyageurs isolés, cest tout ce que l'on peut rencontrer sur
cette route.
L'exportation du borate, commencée il y a quelques années,
se fait au moyen de charrettes, tirées chacune par six mulets.
Le chemin est à peine carrossable. Pendant la plus grande
partie du trajet, les charrettes avancent lentement dans le
sable du lit de la rivière, mais elles arrivent quand même.
Le transport du bétail au Chili est une entreprise hardie
dans laquelle les conducteurs s'exposent à perdre la vie, et les
propriétaires leur bétail. Celui-ci est envoyé par troupeaux
d'environ soixante bœufs chacun. Les animaux sont ferrés pour
pouvoir marcher dans les montagnes. Us avancent à une faible
allure, de i 5 à '20^"' par jour, et derrière eux marchent les trois
ou quatre gauchos conducteurs. Ils laissent, à Puerta de Tastil ,
la Quebrada del Toro et prennent celle de las Cuevas allant sur
le haut plateau par la Cuesta de Munano, passent par la Que-
brada de Chorillos la haute chaîne qui sépare la Puna de Jujuy
de laPunade Atacama, traversent tout ce territoire absolument
déj^ourvu de fourrage et arrivent enfin au pied de la Grande
Cordillère. Là est le passage difficile. En général, le trou-
peau y est décimé par le « vent blanc » , la redoutable tempête
de neige de la Cordillère. Les bœufs et les hommes meurent de
froid, et leurs cadavres restent intacts j^endant plusieurs années
conservés par la neige et par la sécheresse de l'atmosphère.
Lorsque j'ai remonté la dernière fois la quebrada, j'ai rencon-
tré un métis conducteur de bœufs qui revenait de la Cordillère
où il avait perdu tout son troupeau et aussi tous les doigts
d'une main; il craignait également d'avoir la gangi'ène dans
une jambe. Deux de ses compagnons étaient morts de froid, un
QUEBP.ADA DEL ÏORO. 325
troisième avait réussi à arrivera San Pedro de Atacania après
avoir erré dans les montagnes plusieurs jours. Le métis appoi-
tait aussi des nouvelles de deux autres troupeaux de bœufs (jui
avaient voulu traverser la Grande Cordillère avant lui. Deux
des conducleurs avaient péri, Tim des troupeaux était totale-
ment perdu et la moitié seulement de l'autre était arrivée à
Atacama.
Sur l'extraction el le transport dn sel des salines, je revien-
drai plus loin.
Je n'ai trouvé, dans les documents et les cliroiiiques de la
première époque de la conquête, aucun renseignement sur
la QueLrada del Toro, ni sur les Indiens y habitant à l'arrivée
des Espagnols. Ceux-ci paraissent avoir suivi, en général, le
chemin de Humahuaca ou de l'Acay. Peut-être les nombreux
Indiens de la Quebrada del Toro, par leurs villages si straté-
giquement situés dont je décrirai ensuite les ruines, bar-
raient-ils si bien le chemin que les Espagnols n'osaient pas le
prendre.
ARCHEOLOGIE DE LA QUEBRADA DEL TORO
ET DE LA QUETÎRADA DE LAS CUEVAS.
GOLGOTA.
En quittant la Vallée de Lerma, c'est à Golgota^'^ qu'on
trouve les premiers vestiges préhispaniques de la Quebrada del
Toro. Da côté sud de la maison du propriétaire, M. Torino,
les crues des eaux provenant d'une petite quebrada latérale ont
profondément raviné le sol et formé un véritable dédale de
barrancas. ha. fig. 50 montre la maison de M. Torino et l'entrée
de ce ravin vues de la Quebrada del Toro; la fuj. 51 représente
la barranca principale, prise du Nord.
Dans cette barranca, on voit apparaître Çcà et là des ossements
humains. Chaque année, la crue enq:)orte de nouveaux mor-
ceaux de terrain mettant au jour de nouveaux squelettes. Le
cimetière en a certainement contenu plusieurs centaines. Trois
crânes que j'ai rapportés de ce cimetière sont décrits par le
D"" Chervin (99, t. m), sous les n"' y à i i.
Les cadavres ont tous été inhumés dans la position accroupie,
les jambes et les bras repliés sur la poitrine. Ils sont à o"\m)
ou o'" 70 au-dessous de la surlace du sol; presque immé-
dialenient au-dessus du cadavre, on trouve une ])ierre plaie
(^eu^ll•on ()'"4oXo"'4o ou o'"5o. A l'origine, les cadavres ont
dû être enterrés dans une position verticale, la pierre placée
horizontalement sur la tête. J'ai rencontré plusieurs squelettes
dans cette position, mais beaucoup d'autres étaient d<'j)lacés
par la pression et les mouvements de la terre, par le glissemcnl
('' Cette hacienda porte le nom de ressomhlait au f!ol<,M)llia où .Irsus- Christ
Golgota, parce qu'une ancienne proprié- subit son supphce. Mlle y lit ériger Irois
taire, je ne sais pourquoi, avait trouvé croix en commémoration du Calvaire,
que l'iino des monlagnos des enviions
328 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
de la hairanca et par l'action de l'eau. Cependant le tibia est
toujours sur le fémur, le radius et le cubitus sur l'iiumérus, en
paquet sur la poitrine, ce qui démontre que les jambes et les
bras ont constamment été repliés sur le corps.
Nous retrouvons cbez beaucoup de peuples sud-américains,
anciens et modernes, l'babitude* de placer une pierre ou un
autre objet plus ou moins plat dans la sépulture, au-dessus
de la tête des cadavres, pour les protéger en quelque sorte,
semble-t-il, de la pression de la terre. Les sépultures de Ga-
lama, décrites plus loin, en donnent un exemple, et les cime-
tières des environs de Tiabuanaco, décrits par M. de Créqid
Montfort (109, p. 542), en fournissent un autre. Dans certaines
sépultures d'Ancon, selon MM. Reiss et Stid3el (308, i, pi. 9 et 10,
lig. 8), les pierres sont remplacées par de grands fragments
de poterie ou par un clayonnage. Dans les Singularités de la
France antarcticfue de Tbevet (345, p. 218), une curieuse gravure
sur bois représente l'enterrement d'un Indien. Le corps est
déjà placé dans la fosse que d'autres Indiens sont en train de
remplir avec de la terre. On tient, au-dessus de la tète du ca-
davre, une écuelle renversée qui, dans ce cas, doit remplacer
les pierres, etc., dont nous avons parlé. La même gravure est
répétée dans la CosmocjrapJiie de Tbevet (346, fol. 926).
Quelquefois trois ou quatre morts étaient enterrés ensemble,
d'autres fois la sépulture n'en contenait qu'un seul. Les distances
entre les différentes sépultures sont très variables, de 1°" à 10™.
Le nombre des cadavres enterrés dans le cimetière de Golgota
doit être très grand, car M. Torino me racontait que les ava-
lanches d'eau, depuis son enfance, enlevaient chaque année
plusieurs squelettes.
Les sépultures renfermaient peu de poteries ou d'autres ob-
jets; même les petites écuelles en terre cuite se rencontraient
rarement, ha. Jicj. 52 en représente une, de o™ 10 de diamètre,
d'une poterie noirâtre. L'intérieur et l'extérieur de cette pièce,
jusqu'à 0^020 du bord, sont bien lustrés et engobés avec de
la plombagine avant la cuisson; le fond n'est pas engobé. Sur
Pl. XXI.
'^ .a»-,.
-.-mm^i^-:
l'ig. 5o. — Golgola. Ilaciciula il riinclicn' |)r(liis|i;nii([ii(' ; \iir pii'^i' de la (hi('l)ra(la di'l Toro.
Fig. .') 1 . — (iiiL'iila. \ lie (li> la li(n-r(nicii cnnlriiaiil Irs s,|iiilliins |)iilil-.|)aMii|i
Pl. XXU.
Fig. 52. — Golgota. l'^ciiclle on Icrro ciiilc. — 1/2 gr. nal.
,' /v^"^:n \
I"'ig. 5,'). — Ciolgola. l'laqn<> en oi' cl (Vaginciils de iiolciic gravée. — 2/0 gf. n;il
Fig. S'i. — Golgola. linici'l.ls CM ciiivic. — 1/2 gr. nal.
QUEBR\I)A DEL TORO. 320
les parties lustrées, on leconnaît très bien les petites raies pro-
duites par l'outil qui a servi pour fixer Tengobe; ces raies man-
quent sur la partie non lustrée.
Des fragments d'une poterie grossière, sans décor, d'environ
un centimètre d'épaisseur, étaient assez communs. Dans trois
endroits, j'ai trouvé enterrés de grands vases grossiers. Ce
n'était pas des urnes funéraires, puisqu'ils ne contenaient pas
d'ossements. Les fragments de céramique décorée étaient ti-ès
rares. La fuj. 5S, h, c, d en montre trois, qui sont d'une poterie
grise brillante et leur ornementation appartient à l'un des types
les plus communs dans la région diaguite. Le fragment b ne
porte aucun décor à l'extérieur, mais, sur la face concave, on
voit une combinaison de lignes droites ainsi que l'indique le
dessin.
Auprès de plusieurs squelettes, on rencontrait des perles et
des pendeloques en turquoise. Ces pièces d'enfdage gisaient
presque toujours près du cou des cadavres. Elles doivent cer-
tainement avoir formé des colliers. Les perles sont taillées en
forme de disque, un peu irrégulières, polies et perforées au
centre. Leur diamètre varie de o°'oi à o"' 002 ; leur épaisseur,
dans le sens de Taxe du cylindre, est de o'^ooi à o'"oo5. Les
pendeloques sont triangulaires ou ovoïdes. Sur la fuj. 129,
n"' i, 2, 3 , sont représentées trois séries de perles, de diffé-
rentes sépultures, et, au bout de la série n" 2, on voit aussi une
pendeloque.
Un squelette était particulièrement remarquable pour ses
ornements. La pierre plate qui recouvrait la tête était de di-
mensions extraordinaires : ©""ôS X o"" 35xo™ 18. Auprès des
vertèbres cervicales se rencontraient les perles et la pendeloque
désignées sous le if 2. Derrière focciput étaient amoncelées
les petites perles de la série 11" 3 qui constituaient peut-étic une
parure pour les cheveux. Le bras gauche éljiit entouré de trois
bracelets de cuivre, ovales, ouverts d'un coté, de o"o63 de
diamètre maximum, o'"o55 de diamètre minimujn, o'"oir)
de largeur et o^'ooS d'épaisseur. Sur la//^. 5^/ on voit ces bra-
330 ANTIQUITÉS DE LA RP:GI0N ANDINE.
celets placés autour du cubitus et du radius, comme ils ont
été rencontrés. La bande de métal qui forme le bracelet est lé-
gèrement courbe dans le sens de sa largeur, présentant la con-
cavité vers l'extérieur. La longueur du radius est de o"'3or),
ce qui donne, d'après la méthode de Manouvriei*, une taille d'en-
viron i"'5o. Probablement ce squelette est celui d'une femme
adulte, assez robuste.
Des bracelets identiques à ceux que nous venons de décrire
ont été trouvés à Tarija (Bolivie) par M. Adrien de Mortillet,
membre de la Mission.
Un autre squelette, orné aussi d'un collier en perles de
turquoise, avait près de lui la petite plaque d'or fuj. 53 a,
en travail repoussé, représentant une figure liumaine avec ses
contours, le nez, les yeux et la bouche formés de lignes droites.
Cette plaque avait été brisée et son dernier propriétaire y avait
percé un trou, sur le nez de l'effigie, de façon à la porter encore
au moyen d'un fd.
Enfin j'ai ti'ouvé également des pendeloques en os, sans
décor, avec un trou pour pouvoir les suspendre.
Ces trouvailles ne constituent pas un butin bien considérable,
si l'on songe que j'ai fouillé environ une quinzaine de tombes,
11 est vrai que l'état dans lequel se trouvaient les squelettes
])rouvait que des objets en bois ne pouvaient pas s'être con-
servés, ce qui n'a d'ailleurs rien d'étonnant vu l'altitude relati-
vement faible de Golgota : 2,35/i'". Ce qui est plus surprenant,
c'est la rarelé de la poterie, alors que dans les cimetières pré-
hispaniques de ces régions, chaque mort a toujours auprès de
lui au moins un vase rempli d'aliments pour son voyage dans
l'autre vie.
Près du cimetière, on voyait les traces de plusieurs murs
en pirca descendant de la montagne vers le cimetière. Peut-être
étaient-ce les divisions des différentes sections de celui-ci.-^
Plus haut, dans la petite quebrada latérale, il y avait aussi des
vestiges d'enclos rectangulaires. Mais, bien que j'aie examiné
attentivement les environs, je n'ai pas trouvé de ruines d'un
QUEBRADA DEL TORO. 331
village préhispaniqiie assez important pour expliquer la pré-
sence de ce grand cimetière. Peut-être ce village était-il situé
à l'endroit où sont actuellement la maison de M. Torino et ses
champs de luzerne. On trouve, en effet, dans ces champs,
beaucoup de fragments de poterie ancienne qui proviennent
probablement des demeures des anciens habitants de Golgota.
MOROHUASl'".
En continuant, à partir de Golgota, le voyage par la Que-
brada del Toro, nous trouvons, 5""" plus au Nord, à Lam-
pazar, sur une harranca de quelques mètres de hauteur, des
restes de pircas, mais en si mauvais état qu'il est difficile de
reconnaître leur forme et leur tracé primitif.
A 1 S""" encore plus au Nord , à Puerta de Tastil , se réunissent ,
ainsi que je l'ai déjà dit, la Quebrada del Toro et la Ouebrada
de las Cuevas, cette dernière orientée Nord-Ouesl. A la jonction
je fus assez heureux pour découvrir d'importantes ruines pré-
hispaniques, mais je laisse pour le moment leur descriplion
de côté et je poursuis mon voyage. A Candelaria, à l'ouest de
la route, il y a aussi des ruines, mais de peu d'imj^ortance,
d'après la description qui m'en a été faite.
A 2 5""" de Puerta de Tastil, nous arrivons à Morohuasi, bul
de mon voyage vers le Nord. J'avais déjà visité cet endroit <'n
1901 et nous avions alors exécuté, dans le cimetière de ce
vaste village ])réhispanique, des fouilles étendues. Les belles
collections qui en furent le résultat se trouvent au Musée
d'ethnographie de Stockholm. J'espère qu'elles seront publiées
tôt ou tard. Le comte E. von Rosen (316, p. 10 1 1) a donné quel-
ques renseignements sommaires sur ces fouilles. 11 appelle cet
endroit Ojo de Agua, du nom de deux cases (rindiens qui y
existent actuellement^'^ Je préfère la dénomination de Moro-
huasi, car les Indiens nomment encore ainsi les ruines; la
'"' Voir les planches XXlli-WVlI, insérées après la pa^^o 378. — ''' On noinnio ojn
de aijna tous les endroits où Peau jailli I de la Nmi-c, (orninnt une source on ini ruisseau.
332 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
montagne snr le flanc de laqnelle elles sont sitnées porte ce
même nom, et la rivière qui passe par là pour se jeter clans le
Piio del Toro s'appelle TArroyo Morohnasi.
J'avais peu d'espoir de réunir des collections dans ce cime-
tière que nous avions presque épuisé en 1901; le but de ma
visite à Morohnasi était principalement de dresser un plan des
ruines. Le croquis que j'en ai fait est donné par la fuj. 55^^\
Comme on le voit, le Cerro Morohnasi, qui a environ 5oo'"
de hauteur au-dessus du niveau de la Quebrada del Toro,
détache un contrefort parallèlement à son massif et qui se
termine près de la quebrada, après une bifurcation. La mon-
tagne et son contrefort renferment une petite vallée d'environ
100"' de largeur sur 600 à 700"' de longueur. Le fond de
celte vallée est presque plat, mais avec une assez forte incli-
naison de l'Est à l'Ouest. Les flancs du contrefort ont subi une
forte érosion ; il est presque en dos d'àne et sa surface supé-
rieure plate n'atteint pas lo"' de largeur. Cependant il est in-
terrompu par de petits plateaux. A sa bifurcation , le contrefort
se divise en deux branches; celle du Nord descend graduelle-
ment par gradins. La branche Sud a toujours la même hauteur
et aboutit à une petite montagne très à pic et beaucoup plus
haute C|ue le contrefort en général. Du côté sud de celui-ci se
trouve le lit sablonneux de l'Arroyo Morohnasi, la plupart du
temps à sec. Ce n'est qu'à l'époque des crues que les eaux des
montagnes y passent pour aller se jeter dans le Rio del Toro.
Le flanc du contrefort, vers l'Arroyo Morohnasi, est complète-
ment à pic.
Ruines. — La plus grande partie des ruines de Morohnasi
consistent en des enclos en pierre, prescpie carrés, de 8 à
10°' sur 6 à 8'". Mais les murs, en pierre sèche, sont tombés;
'*' Ce plan, comme les autres plans de sant pas pour lever des plans absolument
ruines qui figurent dans le présent travail , exacts, je me suis borné à fixer la forme
a été dressé simplement à l'aide de la et la distribution générales des ruines
boussole et d'une cbaîne d'arpenteur. Le ainsi que la topographie de leurs envi-
temps dont je pouvais disposer ne sudl- rons.
m'iÊm^,
•?
WM'm
^. ,1 ~
MWkWhii! ,nuwl s sxwv^
Fig. 55. — Plan du village préhispaniqiie do. Moroliuasi. — Éclicllo aiiproxinialivc : i/ô.ooo.
334 ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
on ne voit que leurs traces, qui démontrent la forme des con-
structions. Les photographies/?^. 68 ("ijifj- 69, prises par le
comte von Rosen, donnent une idée de ces restes de murs,
qui, seulement dans des cas très rares, ont une hauteur de
o™5o. Comme à Tinti, les murs n'ont jamais dû être très
hauts. Ces enclos carrés, d'une si grande suj)erhcie, n'ont pu
être recouverts entièrement par une toiture, étant donnés les
matériaux dont disposaient les Indiens et qui consistaient en
poutres formées du bois de Cereus Pasacana. Lorsqu'on fouille
le sol des enclos, on trouve de grandes quantités de débris de
ce bois. Peut-être les enclos n'étaient-ils pas recouverts et ser-
vaient-ils de cour; les Indiens auraient alors habité une hutte
en adohes ou en bois de Cereus couverte de peaux ou de chaume
et construite dans cette cour. 11 faut cependant rappeler que
Ton connaît aussi des maisons de grandes dimensions de
certains Indiens de la région andine de la République Argen-
tine. Ainsi, Don Geronimo Luis de Cabrera (88,p. i/u) décrit les
habitations des Indiens de Cordoba comme étant «basses, en-
fouies à moitié au-dessous du sol, de manière qu'on y entrait
comme dans une cave; ce mode de construction est motivé par
le froid et par le manque de bois. » Cabrera avait trouvé des
maisons très grandes, « où l'on pouvait faire entrer dix hommes
avec leurs chevaux )>. Dans chaque maison habitaient quatre
ou cinq Indiens avec leurs familles.
Les enclos se rencontrent surtout dans la petite vallée décrite
plus haut i^E-F). Certains, situés au milieu, ont de plus grandes
dimensions que les autres; d'autres forment des terrasses, au
pied du Cerro Morohuasi (de D à TEst).
Sur la crête du contrefort (de A vers le Nord) on voit une
rangée presque continue d'enclos, et sur les jietits plateaux il
en existe d'autres. A la bifurcation du contrefort, les Indiens
ont fait des terrasses [B-C) si solidement construites avec de
la pierre, que les eaux n'ont pu les détruire. Ces terrasses sont
entièrement occupées par des enclos. Le flanc de la branche
sud du contrefort (la pente au sud de B-C) possède également
QUEBUADA DEL TOKO. 335
des terrasses avec des enclos. Enfin, sur la montagne qui ter-
mine cette branche vers la quebrada, il y en a quelques-uns.
Le nombre total des enclos carrés est d'environ 3oo. J'ai pra-
tiqué des fouilles dans plusieurs d'entre eux, par exemple aux
endroits marqués par les lettres A, B, C, D, E, F. Toutes les
fouilles donnèrent une couche très épaisse, de o™ 5o à i*", de
débris : bois pouri'i de Cereiis, charbon, cendres, laine de lama,
fragments de fil et de cordes en laine de lama, quelques os de
lama et l^eaucoup de huanaco^^^; un grand nombre des os longs
avaient été fendus pour en extraire la moelle. Il y avait égale-
ment des os de Lagidium et d'oiseaux. Les fragments de cale-
basses étaient assez communs.
Enfin j'ai trouvé, dans le sol des enclos, une grande quantité
de fragments de poterie grossière, rouge, épaisse, et aussi de
la poterie plus fine, lisse, engobée avec de la plombagine. Les
objets recueillis entiers étaient, en général, de petites écuelles
ressemblant à celles de la ^^. 7i. L'art de décorer la céra-
mique avec des ornements peints paraît avoir été peu ])rati-
qué par les anciens habitants de Morohuasi, car les fragments
de poterie peinte sont extrêmement rares.
Parmi les outils dont des fragments ont été mis à découvert
dans la couche de débris des enclos de Morohuasi, il faut
mentionner des tronçons de hampes de flèches comme celles
dont nous traiterons plus loin en décrivant le cimetière du
même village, ensuite des «couteaux» semblables à ceux de
lay/^. 7â c et e, des crochets en bois identiques à ceux de la
'"' Grâce à la collaboration do M. Eimle rieuse en ce (ju'aujounrimi . au conlraire.
Visio, préparateur au laboratoire d'anato- lo huanaco est peu Iréquonl, tandis (jue la
uiie comparée du Muséum d'histoire natu- vij^og^ne est couuuune dans la Puna. .le
relie, j'ai pu comparer tous les os d'ani- n'ai pas trouvé d'os pouvant être attribués
maux exhumés pendant mon voyage dans à l'alpaca.
les ruines et dans les sépultures de la Que- Il y avait jadis (leu\ races dillVrenles
brada del Toro et de la l'ima de .bijuy, de lamas, fi'une ('lail plus robuste cl plus
avec les collections du Muséum. La plu- élevée de (aille ([iic les lamas actuels. Au
part de ces os proviennent des différentes contraire, la laee la plus couuuune était
espèces iVAucheiii<t. Le huanaco était par- plus petite et plus faible (pie ces derniers,
tout [)lus Irécpient ipie le lama. Les os Le s([uelette de huanaco ancien est iden-
dc vigogne étaient rares, circonstance eu- titpie au stpielelle actuel.
330 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
Juj. 75 d-f, k-n, des ciseaux et des poinçons de cuivre. Pendant
mon voyage de 1901, j'avais trouvé, dans l'un des enclos, un
poinçon à section carrée comme celui de Tastil, représenté par
la fi(j. 67 a, mais beaucoup plus long et pourvu d'un manche
en bois recouvrant, dans le sens longitudinal, la moitié de
l'instrument. Un autre enclos offrit le manche en bois d'un
ciseau. M. von Rosen (316, p. n, et pi. ix,5) reproduit un ciseau
de Morohuasi, emmanché de la même manière. Ces faits prou-
vent que ces instruments, communs dans toute la région ando-
péruvienne, étaient en effet une sorte de ciseaux, emmanchés
comme tels. Cependant on connaît aussi des pièces de la même
forme, emmanchées et employés comme une sorte de haches.
En effet, M. E. H. Giglioli (145) figure un de ces « ciseaux », de
o™ i35 de longueur, provenant de Trujillo, et appliqué per-
pendiculairement, comme la haicheficj. 15 a, sur un manche
de o'" 5 1 de longueur.
Dans l'enclos marqué D sur le plan a été trouvé, à o'" 5o de
profondeur, le grand vase grossier Jig. 73 a, de 0°" 60 de hau-
teur, qui contenait des grains de maïs assez bien conservés.
A un seul endroit des ruines j'ai rencontré des os humains:
dans f enclos F, j'ai mis au jour un crâne d'homme et la plu-
part des os du squelette, mais brisés et disséminés.
Les dé])ris contenus dans le sol des enclos prouvent que
ceux-ci ont servi d'habitations. La ressemblance des frai^ments
o
d'outils de la couche de débris avec ceux qui ont été exhumés
dans le cimetière de l'autre côté de la Quebrada del Toro dé-
montre que ce cimetière appartenait aux anciens habitants du
village.
Le mortier Ji(j . 71 e provient des ruines de Morohuasi. Il
est fait d'une pierre roulée naturelle; son creux forme une
ellipse régulière dont faxe majeur est de o°'095 et faxe mi-
neur de 0°' 070 ; la profondeur du creux est de o"'o20, et son
fond plat.
Partout, sur le sol, on rencontre des pointes de flèches en
obsidienne noire; la/^. 112, n!" 10 à 15, en montre six; la der-
QUEBR VI) A DKL TORO. 337
nière, par exception, est taillée en cpiartz (cachelong) blanc.
Ces pointes de flèches, comme celles de la Quebrada del Toro
en général, n'ont pas de pédoncule, tandis que celles du haut
plateau sont presque toujours pédonculées. Les flèches sont
minces, taillées avec un très grand soin; leur base est concave,
formant des ailerons; leurs bords sont légèrement arqués. Les
pointes en obsidienne sont tellement nombreuses à Mosohuasi,
qu'on peut en ramasser des centaines en quelques heures; on
trouve aussi beaucoup d'éclats d'obsidienne, restes de la fabri-
cation des flèches.
Je ne sais d'où peut provenir cette obsidienne; je n'en ai
jamais trouvé de gisements; s'il y en a, ils doivent être très
rares, ou très éloignés de ma route, car pendant tout mon
voyage j'ai vainement interrogé les Indiens et d'autres per-
sonnes capables de donner des explications à. ce sujet.
Tous les enclos rectangulaires se ressemblent quant à leur
forme et à la structure des murs, mais, sur les plateaux de la
partie est du village, il y a un autre genre de constructions :
des enclos circulaires d'environ /i*" de diamètre. Leurs murs,
sans portes, actuellement conservés jusqu'à o™ 5o, parfois jus-
qu'à 1°' de hauteur, sont bâtis d'une manière beaucoup plus
solide et avec plus de soin ([ue ceux des enclos rectangu-
laires. Ces enclos circulaires forment trois groupes qui por-
tent la lettre G sur le plan. Le premier contient sept enclos,
les autres, chacun cinq. Je n'ai pas eu le temps de faire des
fouilles à l'intérieur de ces enclos et il est diflicile d'expliquer
leur destination; peut-être servaient-ils pour des cérémonies,
ou bien encore comme magasins. Analogues à ces construc-
tions semblent être les « tourelles cylindriques » de Kuertc Que-
mado, en Santa Maria, mentionnées par M. Lalone-Quevedo
(189, |). 1, :?, ()). Ces constructions circulaires sont également dé-
pourvues de portes. En ce qui concerne les diverses formes de
constructions, on trouve au Pérou des villages préhispaniques
]^résentant des analogies avec celui de Moroliiiasi : ainsi l(\s
ruines de Sausa (Jauja), suivant un ])lnn inédil, (b-essé par
338 ANTFOLITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
J^éonce Angraiidet conservé à la Bibliotlièque nationale^'l Cette
ancienne ville péruvienne est composée d'un gi-and nombre (le
petites maisons carrelas, groupées en (errasses. Mais, du côté
Sud, séparées du resie de la ville par un ravin, il y a une cin-
quantaine de constructions circulaires disposées sur trois ran-
gées et avant, rVaprès une annotation d'Angrand, « sept pas de
diamètre, li'ois pas de distance de l'une à l'autre et dix pieds
de hauteur». M. Wiener (377, p. 1/12) publie aussi un plan des
ruines de Sausa. Ce plan est plus rudimentaire que celui d'An-
grand; on y voit cej^endant les constructions circulaires sépa-
rées des maisons carrées. Le P. Cobo(103, iv, p. 166) rapporte que
les Indiens du haut plateau du Pérou, surtout ceux du Collao,
avaient des maisons circulaires aussi ])ien que des maisons rec-
tangulaires cà deux versants. Pourtant il ne me semble pas que
les constructions circulaires de Morohuasi aient été des habita-
tions communes. lime paraît dilFicile d'expliquer de cette ma-
nière la présence d'un petit nom]3re d'enclos circulaires parmi
autant de grands enclos rectangulaires.
Sur la pente de la montagne H, il y a une troisième sorte de
constructions faites également avec plus de soin que les enclos
rectangulaires. Sur cette pente, d'une inclinaison assez forte,
on a élevé des murs verticaux de quelque 6 mètres de lon-
gueur, reliés à la pente au moyen de murs, de sorte que le
tout, vu d'en haut, forme un 1 j. Ces murs ont actuellement
jusqu'à 1'" de hauteur environ.
Le village de Morohuasi est inaccessible de presque tous
les côtés. Seule, dans la petite vallée renfermée entre le Cerre
Morohuasi et son contrefort, une entrée est possible par la
Quebrada del Toro. Du côté de l'Arroyo Morohuasi, toute ten-
tative d'escalade est inqjraticable; même de la petite vallée, où
''' (le plan rorinc le folio oo d'un à la Bibliothèque nationale : P. Angrand
album contenant de jolis dessins au Eft. 8, et porte le litre : Lima 1838. -
crayon représentant des villes, des églises, Viaje à la Sierra 1838. — Viajc de Lima
des ruines, des paysages, des scènes de la à Caha 1839. — Havana y Santiago de
vie populaire, etc., de l'Amérique du Cuba 1839-18ii y 18U2. - Album n" 9.
Sud et de Cuba. Cet album est catalogué 81 Jeuillcls.
QUEBRADA DKL TOUO. 339
la j^lupart des enclos sont situés, une ascension à la crête du
contrefort est difllcile.
Les collines et les montagnes autour de Morohuasi ne por-
tent pas de ruines. La population ne doit pas s'être étendue
au delà de Tendroit que nous avons décrit. La colline mar-
quée K , K, K sur le plan fait cependant exception ; on y
trouve çà et là de rares vestiges de murs en pirca.
Cimetière. — Le cimetière de fancien village de Morohuasi
est, comme nous favons dit, situé en face des ruines, de
fautre côté de la Quebrada del Toro.
Ce cimetière est formé d'une colline en terre grasse d'allu-
vion d'environ 1 5™ de hauteur et une cinquantaine de mètres
de diamètre. La colline a été arrano^ée en terrasses ou gradins
consolidés et soutenus de distance en distance par de petits
murs en pirca. Les sépultures se trouvent sur ces gradins, à
peu de distance l'une de l'autre, environ un mètre en général.
M. ten Kate (343, p. i5, %. 17, 18) décrit un cimetière de Loma
lUca (Vallée de Yocavil) disposé d'une manière analogue, sur
un monticule conique, sans gradins, mais avec les sépultures
placées en rangées concentriques autour du monticule.
En dehors du cimetière, quelques sépultures isolées exis-
tent sur des échelons formés par la montagne voisine, mar-
qués ./, J sur le ])lan.
Les morts sont enterrés dans la ])osition habituelle : accrou-
pis, les jambes et les bras repliés sur la poitrine. Les sque-
lettes étaient en si mauvais état, que je n'ai pu recueillir un
seul crâne entier. Chose curieuse : beaucoup d'objets en bois
étaient au contraire bien conservés.
Voici la description de quelques objets (hi inobiher funé-
raire que j'ai mis à jour :
Avec chaque cadavre se trouvaient au moins une ou deux
écuelles en terre cuite. Ces écuelles ont du contenir des ali-
ments. La^?^. 71 a, b, f/,/ montre quatre d'entre elles; les deux
premières ont été engobées avant la cuisson avec de l'ocre rouge
3'i() ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
mélangé prol^al^lcniciil (l(^ tcrie grasse. L'éciielie ^ est noire,
engobée avec de la plombagine. Le contenu de cette écuelle a été
examiné par le D"" A. -T. de Rochebrune qui a constaté la pré-
sence d'une terre imprégnée de matière organique très grasse.
La juj. 70 représente la seule écuelle décorée d'ornements
peints : ce sont des losanges et des triangles, quadrillés au
moyen de lignes noires. Seule la surface extérieure a été en-
gobée avant la cuisson avec de l'ocre rouge. Le décor, fort ru-
dimentaire, est semblable à celui des fragments de poterie de
Tastil,y/^. 85, et aussi à l'ornementation de la grande écuelle
de Pucarâ de Rinconada,y?^. lâl.
Dans le cimetière de Morohuasi on trouve très peu d'objets
en cuivre; ^^fig- 56 a, h, c représente deux ciseaux, de o"" 167
et o"o46 de longueur respectivement, et une plaque rectan-
gulaire avec trou de suspension.
Du cimetière de Morohuasi proviennent les objets en bois
dont voici la description :
Un instrument en forme de couteau, reproduit de deux côtés
fi(j. 7â e et e'. 11 a o™ 5/^ de longueur; sa lame o'" 078 de lar-
geui- maximum et o'"oi7 d'éj^aisseur maximum. Le manche,
très lourd, a la forme d'un cône tronqué de o'" 07 4 de diamètre
maximum. Cet instrument est très j^ointu, d'un bois très dur,
mais la lame n'est pas affilée. M. E. Seler (327) donne à ces
instruments le nom de liandpjlug (« charrue de main »), mot qui
ne me paraît pas juste, même si l'on admet qu'il s'agit d'outils
de culture. Si ces «couteaux» ne sont pas des outils d'agri-
culture, ils i^ourraient avoir été employés comme armes à
pointe, mais non comme armes tranchantes. M. Ambrosetti
(23, ]). \cj) prétend que ce serait des boomerangs, ce qui est im-
possible. La forme et le manche lourd s'opposent à ce que
l'instrument ait été employé de cette manière. D'ailleurs, Ton
n'a qu'à jeter un coup d'œil sur une figure quelconque de
boomerangs employés par les Zuiïis, par les Hopls ou par les
Wolpis, flans leurs « chasses sacrées», ])nr e\(unple sui- celles
données par M. James Stevenson (336; ir 2o5i oi ao54, lig. r)^i8 fi 549),
QUEBRADA DEL TORO.
341
citées par M. Ambrosclti, ou sur celle de M. John G. Bourke
(72, p. 36i), pour se convaincre que nos « couteaux » n'ont rien de
commun avec ces boomerangs. Ceux de l'Australie ne leur res-
semblentpas non plus. Ces « couteaux » sont assez communs dans
la Que])rada del Toro et dans la Puna de Jujuy. J'ai rapporté
des instruments de cette catégorie de Lapaya, de Morohuasi, de
Fig. 56. — Morohuasi. Ciseaux et plaq ii ciiiMv. ,/, Ol.jrl on huis. — 2/3 gr. naU
Tastil, de Savate et de Purnra de liinconada. M. Aiii('i>hi,io
(32,1, p. 520, li- ;;i7) représenle un de ces « couteaux », d'fnca-
Imasi, près de Salta. M. Sénéchal fie hi (Irauge eu a IrouNé
d'autres à Calaina.
La/ry. 74 d représente un aiiliv oulil eu bols, de scclion
carrée, enjployé peut-être pour lalic des Irons dans la Irrrc
3'42 ANTIQUITES DE LA REGION ANDTNE.
Le long' bois plat,y<"^. 74 a, a o"" SyS de longueur, o'" oSy
de largeur niaximuui et o™ oi d'épaisseur maximum. Les bords
sont arrondis. M. Lehmann-Nitsche (210, p. 44, pi. v B G) décrit
une pièce analogue, d(» la Puna de Jujuy. Il croit que ce serait
là un outil pour tisser, ce qui est probable en eiïet, car deux
pièces exactement de la môme forme, rencontrées auprès
d'une momie d'Ancon, faisaient partie d'une trousse complète
d'outils à tisser. Cette momie, avec tous les objets qui l'accom-
jwgnaient dans le tondDeau, est figurée par MM. Reiss et Slid^el
(308, I, pi. 2.^).
La ficj. 56 d j'eprésente un petit objet en bois sculpté; il
ressemble à celui de Tastil,y/^. 75 i.
L'écuelle fig. 75 a est taillée d'une seule pièce de bois
blanc. La petite timbale ou èixxi ficj. 75 h est très habilement
sculptée.
Les sépultures renfermaient fréquemment des faisceaux de
hampes de flèches en bois de chilca, arbuste à tiges droites et
à bois très léger, qui pousse sur les bords des rivières et des
ruisseaux des vallées interandines et que je crois correspondre
ta la synanthérée Baccharis salici/oha, Pers. Pendant mes der-
nières fouilles à Morohuasi, je n'ai pas rencontré de flèches con-
servant leurs pointes, mais, au cours des fouilles de 1901, j'ai
recueilli quelques spécimens avec des jDointes en obsidienne,
encore en place, identiques à celles qui sont si communes
dans les ruines et que l'on trouve aussi dans les tond3es du
cimetière. Plusieurs sépultures olfi'aient aussi des arcs, mais
toujours cassés, h^ficj. 57 reproduit les coupes transversales de
deux de ces arcs.
Les crochets représentés par la fuj. 75 /.-, /, m, n sont très
communs dans tous les cimetières préhispaniques de la Que-
])rada del Toro, de la Puna de Jujuy et dans les cimetières de
Calama et de Chiuchiu. Auprès de la plupart des cadavres on
rencontre un, deux ou trois de ces crochets. Plusieurs archéo-
logues les ont pris pour des « mors de lama », ce qui est tout
à lait impossible, car le lama n'a jamais été monté j^ar les
QUEBR\DA DEL TORO. .Ti3
Indiens, ni conduit avec des hrides. Je re\ien(lrai sur cette
question à propos des grottes lunéraires de Sayate, où j'ai trouvé
un grand nond)re de ces crochets. Ceux de Moroluiasi ont res-
pectivemenl o"'io, o'"i i, o"'o7 et o'"or)5 d'ouverture entre les
extrémités de leurs deux branches. Dans les trois premiers,
les fibres du bois suivent la pièce dans toute son étendue, ce
cpi démontre que les pièces, droites à l'origine, ont été coui-
bées artificiellenu^nt par la pression, peut-être en les trenqjani
dans de l'eau pour les rendre plus flexibles. Le crochet // esl
fait de la fourche uaturelle d'un arbre, façonnée au moyen d'un
instrument tranchant.
Fig. 67. — Morohuasi. — Deux arcs en covipc. — rirancleup naturelle.
Dans fune des sépultures, j'ai rencontré une quantité consi-
dérable de bois de niienoa {^Polylepis lomenlella, JFcdd,), f arbre
qui, de tous les arbres de ces régions, pousse à f altitude la
plus élevée au-dessus du niveau de la mer. Un morceau de ce
bois est représenté y?(/. 71 c. Le Polylepis est actuellement très
rare dans les montagnes des environs de la Quebrada del Toi'o.
Les calebasses, généralement coupées par la moitié pour
servir d'écuelles, sont très communes dans les sépidlui-es de
Morohuasi ^'l
''^ M. Jules Poisson, assistant au Mu- cerlaincnuuil d'une cncarbitacée , mais il
séum , a bien voulu sounicltrc à un examen a été im[)ossil)l(' de déterminer la(|uellc.
anatomi(jue de nombreux échantillons de Selon M. Poisson, «le tissu des parties
calebasses que j'ai trouvées dans les ruines |)<''ri|)héri(|U('s du Iruil esl formé de col-
et les sépultures de la Quebrada delToro, Iules rclallvenKMit jurandes, à parois minces
ainsi ([ue d'autres échantillons de la Puna et ponctuées légèrement; elles sont allon-
de Jujuv et de Calama. De cet examen il gées dans le sens perpendiculaire de la
résulte que toutes ces calebasses provien- surface, et plus raccourcies vers la portion
neni de la même espèce, et (pi'il s'agit cpidcrmicpie".
344 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
On y rencontre aussi des morceaux de pâte d'ocre rouge qui
doit avoir servi pour peindre la poterie et peut-être aussi le
corps humain.
Dans plusieurs sépultures, il y avait des os de lama et
de huanaco, le plus souvent brisés ou fendus par la main de
l'homme. On trouvait aussi des os entiers, surtout des méta-
carpiens et des métatarsiens. Ces os proviennent peut-être
de la viande déposée dans les tombeaux comme aliment pour
ie mort.
La découverte la plus intéressante que j'ai faite dans le cime-
tière de Morohuasi a été celle de petits enfants enterrés dans
des urnes, comme dans la région diaguite, surtout en Santa
Maria, etc. Mais j'ai déjà fait remarquer la différence entre
ces sépultures dans l'une et l'autre région. Dans la région
diaguite, les urnes sont pourvues de riches peintures symbo-
liques et généralement réunies dans des cimetières spéciaux,
où il n'y a pas d'adultes. A Morohuasi, au contraire, les enfants
sont enterrés dans des vases grossiers quelconques, sans décor,
déposés dans le cimetière général parmi les cadavres d'adultes.
La. Ji(j. 72 représente une des urnes du cimetière de Moro-
huasi, contenant le squelette d'un fœtus à terme. Cette urne a
les dimensions suivantes: hauteur, o™4i; diamètre de fouver-
ture, o'"2 55; diamètre minimum intérieur du goulot, o"" i65;
diamètre maximum de la panse, o°'27o. L'urne est engobée
extérieurement et intérieurement avant la cuisson, avec une
terre grasse, de couleur brune violacée, qui lui donne un
aspect assez brillant. A côté de l'urne était enterré un adulte
qui avait auprès de lui fécuelle en terre cuite ficj. 7 1 a ci celle
en hois fi g. 75 a, une noix [Jiujhns australis, Griseh.), des
hampes de flèches, des crochets en bois, un morceau d'ocre
rouge.
Ldificj. 73 h donne une autre urne funéraire trouvée non
loin de la précédente; une écuelle renversée couvrait l'ouverture
de cette urne. L'urne et l'écuelle, grossières, en terre cuite
QUEBRADA DKL T01\0. 345
rouge, sans engobe, étaient en si mauvais état qu'elles tom-
baient en morceaux. Je n'ai pu en conserver que les contours
montrés par ie dessin, mais j'ai recueilli des parties du sque-
lette d'un fœtus à terme et une petite écuelle en terre cuite
[fuj. 7 1 f^ qui se trouvait également dans l'urne. La hauteur
de l'urne est de o°'45, le diamètre de l'ouverture, o^^iô, le
diamètre maximum de la panse, o°'4o. La petite écuelle, qui
était contenue dans l'urne, a o*" i3 de diamètre maximum.
J'ai exhumé deux autres urnes funéraires d'enfants dans le
cimetière de Morohuasi; l'une est presque semblable à celle
de lay/^. 72 et contenait un squelette de fœtus un mois avant
terme. Cette urne était renversée, l'ouverture se trouvait en bas
et quelques-uns des os étaient tombés en dehors, ce qui dé-
montre que l'urne avait été déplacée après la transformation en
squelette du cadavre qu'elle contenait. L'autre urne, en poterie
grossière, contenait le squelette d'un enfant de 26 mois, à en
juger par la dentition.
Je dois faire observer que les enfants d'un âge plus avancé
étaient enterrés sans urnes comme les adultes. J'ai rapporté le
squelette d'un enfant de trois ans et demi environ qui était
enterré dans la position accroupie, comme tous les cadavres en
général.
CHAUSSÉES PRÉIIISPAMQUES
DE MOROHUASI À INCAHUASI ET À PAYOGASTA.
PÉTROGLYPHES.
LA PARTIE NORD DE LA QUERRADA DEL TORO. - CHAINL
Chaussées préhispaniques. — Morohuasi est h», point de dé-
part de deux de ces admirables routes préhispaniques sem-
blables à celles que les Incas du Pérou faisaient construire poui-
entretenir les communications entre leui' capitale et les ])ro-
vinces de leur empire, et dont Cieza de Léon (102, rw, p. 51 eisuiv.)
nousa donné une l)oini(^ desci-ipiioii, Nalurelldnciil , j(> ne\(Mi\
;V4() ANTIQUITES DE LA REGION AN DINE.
pas affirmer que les chemins de Morohuasi aient été construits
par ordre des Incas, mais les Indiens les appellent encore ca-
juinos del Inca.
De Morohuasi j'ai pu suivre, j^endant une dizaine de kilo-
mètres, l'une de ces voies qui se dirige vers le Sud-EsL Elle est
construite sur les flancs des collines, en général ta mi -hauteur
au-dessus des petites vallées qui les séparent. Ce qui est vrai-
ment admirable, c'est l'art qu'avaient les Indiens pré hispa-
niques de toujours trouver le chemin le plus court en même
temps que la rampe la plus douce.
La route est large d'environ 3". Elle n'est pas dallée comme
la chaussée incasiquede Guzco à Quito, mais elle est très soli-
dement construite avec des pierres naturelles, sans aucun mor-
tier et presque sans interstices entre les pierres. C'est grâce
à la patience et à l'habileté des Indiens à choisir les pierres et à
les joindre que cette chaussée s'est conservée pendant des siècles
sans que personne ait songé à l'entretenir. Le chemin, dont le
talus extérieur a une hauteur de o'^ôo à i"", se trouve, dans
la partie que j'ai parcourue, dans un état de conservation tel
qu'il suffirait d'étendre un peu de gravier sur la surface pour
le rendre praticable k des voitures d'une largeur de 2"" entre les
roues. Seuls les ponts sont écroulés. Les Indiens suivent encore
aujourd'hui cette ancienne chaussée dans leurs voyages.
Une coupe schématique de cette chaussée est donnée y/^. ^8.
Le Gouvernement argentin a fait, ces derniers temps, con-
struire cà grands frais des chemins pour le passage des charettes à
travers ces territoires montagneux et sillonnés de profonds ravins;
les torrents, à l'époque des crues, y rendent toute circulation
impossible et arrêtent pendant des semaines même les voya-
geurs à cheval. Mais, bien qu'il y ait des ingénieurs compétents,
la construction de chemins carrossables est très difficile dans
ces pays. Souvent la première grande crue en emporte des par-
ties considérables; certaines routes mêmes doivent être recon-
struites chaque année et sont toujours détruites à la fonte des
neiges du printemps suivant par les torrents d'eau qui des-
QUEBRADA DKI. lORO. 3'i7
cendeiît des nionlagnes. Si nous comparons les travaux des
Indiens précolombiens avec les ouvrages modernes, nous de-
vons reconnaître que les premiers sont supérieurs en solidité
aux derniers; en ellet, il n'y a que les ponts de la chaussée
préhispanique qui soient démolis.
D'après mon guide, qui connaissait très bien le ])ays, la
chaussée de Morohuasi va jusqu'à Incahuasi près de la Vallée
de Lerma, en passant ]:)ar Pascha, où l'on voit les ruines d'un
village préhispanique. A Incahuasi, il y a aussi des ruines très
importantes; malheureusement je n'ai pas eu l'occasion de les
visiter; on y a trouvé des objets très intéressants concernant
l'industrie préhispanique.
l'ig. 58. — Coupft verticaie de la route prchispaniquc de Moroliuasi à Iiiraliiiasi.
Echelle : i/ioo.
Je n'ai pas vu la seconde chaussée, mais mon guide en qui
j'ai pleine confiance m'assurait que cette route, semblable à
celle que nous venons de décrire, part (\{i Morohuasi dans la
direction du Sud-Ouest, en traversant les montagnes jus([u'au
village préhispanique de Tastil, pour continuer, parles j)eutes
du Nevado dv\ Acay jusqu'à Payogasta, où elle aboutit à la
Vallée Calchaquie. A Capillas où passe ce chemin se trouvent
les ruines d'un village préhispanique assez important. Phi-
sieurs Indiens de la région m'ont conhrmé l'existence de cette
chaussée, et je n'ai pas hésité à la iaiie ligurer sur ma caite
archéologique.
D'ailleurs cette route paraît avoir été, longtemps encore
a]:)rès la conquête, le chemin employé de prélérence par l<'s
348 ANTIQUITES DE LA RÉGION ANDINE.
Indiens se rendant de la Vallée Calchaquie au Pérou. Suivant
Lozano (220, v, p. iSg), ce devait être par ce chemin que le célèbre
aventurier Bohôrquez envoya un messager demander à VAu-
chencia de los Charcas grâce pour les délits de rébellion qu'il
avait commis dans la Vallée Calchaquie. Ce messager devait
passer por cl despohlado del Acay, Tambo dcl Toro y Casahindo;
le Tambo del Toro est probablement l'endroit appelé encore
aujourd'hui El Tambo, situé à 2''"" au sud de Morohuasi.
Pétroglyphes de la Quebrada del Rosal. — A environ 3''"' de
Morohuasi, à un endroit où la chaussée préhispanique de Mo-
rohuasi à Incahuasi traverse un ravin large et profond, nommé
Quebrada del Rosal, j'ai découvert deux pétroglyphes (^fig. 59
et 60).
Les lignes formant ces inscriptions rupestres ont peut-être
un demi-centimètre de profondeur aux endroits où les pierres
ont moins soulïert de férosion. La coupe de ces traits forme
un arc de cercle. Tous les pétroglyphes que j'ai relevés dans
la Quebrada del Toro, dans la Puna et dans la Quebrada de
Humahuaca présentent ces mêmes caractères, ce qui est aussi
le cas de la plupart des pétroglyphes de la région diaguite.
Quant au procédé employé pour tracer les lignes dans la
pierre, il me semble tout à fait impossible qu'elles aient été
gravées avec un instrument analogue à nos burins.
M. Ambrosetti (18, p. 69-70) suppose que la plupart des ])étro-
glyphes de la région diaguite ont été faits avec un instrument
de percussion, c'est-à-dire qu'où a frappé le rocher continuelle-
ment avec une pierre jusqu'à creuser les lignes. Exceptionnel-
lement, certains pétroglyphes à lignes très profondes seraient
gravés au moyen de ciseaux en cuivre, ce qui ne me paraît
pas vraisemblable. Pour moi, certains pétroglyphes indiquent
que le procédé par percussion, nommé peckincj par M. Gar-
l'ick Mallery (228, p 218), a été employé, mais pas seul, car on
n'aurait ])u, de cette manière, produire des lignes à courbes
si régulières, et le creux n'aurait pas pris non plus la forme
QUEBRADA DEL TORO. 3V.)
d'arc légulier qu'il a. Mon collègue M. G. (Joiiily (106, p. •?.
oi 107, p. ^) décrit et ligure un outil dont il a exhumé de nom-
breux spécimens au pied du pétroglyphe de Gillevoisin, dans
le département de Scine-et-Oise. Ce sont des fragments de
grès grossièrement taillés en biseau et fort usés par un long
frottement sur l'arête ])iseautée. M. Courty su])pose que c'est
avec ces morceaux de grès qu'on a gravé les lignes de ce pétro-
glyphe, ce qui est très proba]:)le. On aurait frotté pemhint long-
temps avec ces pierres pour produire enfin les lignes voulues,
peut-être eu faisant agir les pierres biseautées sur du sable fin
mouillé. C'est le procédé que Mallery [ihid.) mentionne sous le
nom de nibhiiKj, et, suivant son opinion, un grand nond3re
d'inscriptions rupestres des Etats-Unis, comme celles d'Owens
Valley (Cahfornie), de Conowingo (Maryland) et de Machias-
port (Maine), ont été tracées ou au moins achevées de cette
manière. 11 me semble très probable que les pétroglyphes de
la région andine de l'Argentine ont été gravés d'après cette
même méthode et qu'on y a aussi employé le pecking, mais
seulement comme procédé auxiliaire, pour produire des figures
à surface étendue comme celles décrites plus loin, de Rodero,
pour corriger les angles et peut-être aussi pour commencer le
travail. En tout cas, on voit clairement qiiele peckiiuj n'a jamais
été employé seul pour les pétrogly])hes que j'ai étudiés. Pour
s'en convaincre, il n'y a qu'à les comparer avec les pétrogly-
phes exclusivement pechcd, comme ceux de f Afrique du Sud,
dont des S2)écimens rapportés par le Rév. F. Christol existent
au Musée d'ethnographie du Trocadéi'O. Ces ])étroglyplies ont
leurs figures, de surface assez étendue, percutées sans prolon-
deur, tandis que les anciens habitants de la Puna et de la région
diaguite, au contraire, formaient leurs figures et leurs signes
lupestres surtout avec des traits assez profonds.
Le pétroglyphe y/^. 59 consiste en un grand bloc roulé, de
granit amphiholique altéré, fractionné en deux parties; il a en
à l'origine '^"' l)0 de longueur, r"r)0 d'épaisseur et !'"'.>() de
haui(uir. Ce bloc se trouve à mi-côte, près de la chaussée qui,
350 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
à cet endroit, descend de la colline vers le fond duVavin. L'eau
a miné Tune des extrémités du bloc en la laissant suspendue
Fi^. 09. — Qiiebrada de! Rosal. P("tro<îly|)lic.
(i) côté est du bloc; b, côté ouest diuie partie du Jdoc; c, cxtiéuiité sud du bloc.
i/3o gr. nat.
dans le vide. La pierre ellritée s'est alors divisée en deux parties
par suite de son propre poids, et la partie se trouvant sans sup-
port a glissé quelques mètres plus bas. La^/^. 59 a représente
QUEBRADA DEL TOP.O.
351
tout Je bloc vu fl'un coté; l'autre côté du morceau le ])lus
i>rand — celui qui se voil à (li-oite en a — est repi'oduit
fi(j. 59 h; c est l'extréniité de la partie figurant à gauche en a,
c'esl-à-dire de la partie ([ui a glissé.
Toute la pierre est couverte d'inscriptions, mais sur le dessus
elles sont tellement ellacées, qu'il est imj)ossible de rien dis-
tinguer, de même que sur les autres parties du bloc qui ne
sont pas reproduites. Les inscriptions représentent des lamas
Fig. 60. — Quchrada (Ici Rosal. Pélroglyplic. — 1/50 gr. nal.
de toute grandeui-, des croissants, des cercles avec ou sans
point central, et une ligure rudimentaire d'homme. Les lamas
sont tracés au moyen de traits droits, manièie très caractéris-
tique; des anciens habitants d(î ces régions de dessiner leur
principal aninial (lomesti([ue. dépendant la direction des lignes
l'cprésentant le cou, la tête, les oi'eilles et la cpieue Vcnie dans
les dillérentes (igures : on a certainement voulu représenter
ainsi l'animal dans diverses attitudes. Les lamas (pii [)ortent au
cou une corde teiininée ])ar une boucle en spirale sont lemar-
quables. Pour les croissants et pour trois lamas présentant des
352 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
siirtaces si considérables qu'elles ne peuvent plus être considé-
rées comme des traits, le pechuicj doit avoir été le procédé prin-
cipalement employé.
Le deuxième pétroglyphe [fi(j. 60) se trouve au fond de la
Ouebrada del Rosal. Cest aussi un bloc roulé du même <>ranit
altéré que le premier, mais de dimensions plus réduites : euvi-
ron i"* 20 dans tous les sens. D'un côté de ce bloc, on voit des
lignes courbes, irrégulièrement ondulées, parfois formant
des esj^aces fermés. Ces lignes courbes irrégulières sont très
caractéristiques pour les pétrogiyphes de la région diaguite,
comme nous l'avons déjà dit page 176. Sur fautre côté de la
pierre, les inscriptions sont presque effacées; les seules figures
que j'aie pu distinguer représentent un lama et des cercles
avec point central, donnés en h de la même figure.
Le nord de la Quebrada del Toro. — En 1901, j'ai suiAi trois
fois la Quebrada del Toro, de Morohuasi au Nord, jusqu'à El
Moreno, sur le haut plateau. Je n'ai pas vu de ruines préhispa-
niques, et, s'il y en a, elles doivent être de peu d'importance.
D'après des renseignements dignes de foi, il existe des pétro-
giyphes représentant des lamas et des hommes dans une petite
quebrada latérale nommée Pancho Arias, à fouest du ])remier
des trois lacs qui portent le nom de Lagunas del Toro. Il y
aurait aussi cinq autres pétrogivphes au nord du deuxième de
ces lacs, du côté est de la Quebrada.
Presque immédiatement avant d'arriver à l'Abra del Palo-
mar, col qui, de la Quebrada del Toro, donne accès sur le haut
plateau, on voit les ruines d'un village assez grand qui doit,
sans aucun doute, être un ancien village espagnol abandonné;
la construction des maisons le démontre clairement. L'endroit
porte le nom de Pueblo Viejo et est situé à 0,600™ au-dessus du
niveau de la mer.
Chani. — A propos des antiquités de la Quebrada del Toro,
je dois mentionner une découverte que firent deux de mes col-
QUEBUADA DEL TORO. 353
lègues (le la Mission Suédoise, le D' Rob. E. Fiies et M. (iiistai
von llofsLén. Us cntrepiirenl les premiers l'ascension du Nevado
del Cliafii^^^ le plus haut des pics de ces régions, 6,100™ au-
dessus du niveau de la mer. Au sommet même de ce pic, ils
découvrirent deu\ constructions enpirca, en forme de U, c'est-
à-dire des murs en rectangle avec un côté ouvert. Dans l'inté-
jieur de ces constructions, MM. Pries et von Holstén trouvèrent
des fragments de poterie ancienne dont fun avec ornement
peint, une perle en turquoise polie et perforée, et un dépôt de
bois de Cereiis Pasacana et d'une es])èce de tola. La première
de ces deux espèces fournit le seul bois de construction existant
sur le haut plateau, et la seconde est un des rares arbustes
pouvant servir de conrbustible. L'une et fautre ne poussent
pas à une altitude supérieure à 41000""; elles ont donc été
apportées du pied du Chani à son sommet.
Quel pouvait être le but de cette station à 6,100" d'alti-
tude, où la respiration est 1res difficile et où les Indiens de
nos jours ne peuvent accéder? Peut-être était-ce un lieu
consacré à des cérémonies leligieuses, peut-être une station
de signaux.
Cette découverte a été décrite par M. Erland Nordenskiold
(260) et par moi-même (68).
Sur le versant nord -ouest du Chani, mes collègues trou-
vèrent deux villages en ruines, à différentes altitudes; d'aj)rès
leur descrij)tion , j'incline à croire que ce sont simplement des
ruines d'habitations de mineurs espagnols. A titre de curiosité,
j'ajouteiai que ces mêmes voyageurs ont rencontré, ])rès de
l'un de ces villages, une pièce de monnaie française à l'c^ffigie
de Louis XIV, qui probablement avait été perdue par l'un de
ces mineurs.
*'' Ïa' nom «Chani» n'élail pas connu zano (219) in(lii[U(' <o [)ic .soulcnuMil sous
des missionnaires jésuites au commence- la dénoiniualion de » (À'iro i^iandc ». Sur la
ment du wiii" siècle, car la carte de Le- carte de d'Anville (36) il n'est pas in(li([ué.
33
ît MTIOIIILC
354 A-M'IQLITES DE LA RÉGIOÎS ANDlNK.
PUERTA DE TASTIL"'.
Revenons à la jondion des Quebradas del Toro et de las
Cuevas.
Les eaux y ont formé, à une époque géologique antérieure,
un énorme dépôt de matériaux d'érosion consistant surtout
en terre et menues pierres; ce dépôt formait alors le fond de
la vallée. A une époque postérieure, les rivières provenant des
deux quebradas ont creusé leur lit, jusqu'à une profondeur
de oo"", dans le terrain formé par ce dépôt; seule une langue de
terre en forme de plateau triangulaire reste entre les deux ravins.
Sur la partie extrême de ce plateau sont situées, comme on
le voit sur le plan^?^. 61 , les ruines des demeures des Indiens;
ceux-ci, aAant la conquête espagnole, ont commandé de cette
position stratégique le passage des deux quebradas. Ils ne ])0u-
vaient choisir une position plus avantageuse, pour établir leur
forteresse.
La photogra])hiey?^. 76 , prise du vSud, montre le plateau
au milieu où sont situées les ruines; à droite, on voit la conti-
nuation de la Quebrada del Toro vers le Nord; à gauche, feu-
trée de la Quebrada de las Cuevas. La ficj. 77 est une vue de la
Quebrada del Toro vers le Sud, prise d'une petite hacienda
qui se trouve près de la jonction des deux quebradas.
L'ascension des flancs du plateau où est situé le village pré-
hispanique est très chiïîcile : ils sont presque à pic et la terre
s'éboule sous les pieds. Les jours de vent, fascension est im-
possible, au dire des Indiens qui habitent la petite hacienda
située à quelques centaines de mètres au sud des ruines.
Comme j'ai eu foccasion de le constater moi-même, faccès
n'en est possible, quoique assez difficile cependant, que d'un
seul côté et cela seulement par un temps calme. Cet accès se
trouve à fendroit portant la lettre G sur le plan.
*'^ Voir les planches XXVII-XXIX, insérées aj)rès la page 378.
Fig. G 1. — Plan du village préhispanique de Puerta de ïastil. — Échelle approximative : i/5.oo.
a3.
350 ANTIQUITES DE LA UÉGION ANDINE.
Sur le plateau j'ai trouvé (les enclos rectangulaires en pirca,
comme à Morohuasi, mais mieux conservés. Les enclos en B
et C étaient certainement des habitations. Leurs dimensions
sont en général ô'^X 5™, mais il y en a exceptionnellement de
plus longs; j'ai mesuré un enclos ayant ly'^xG'", un autre
de 1 l'^xB"", un troisième de S'^'xS'". Ces enclos sont séparés
])ar de petites ruelles, mais il y eu a aussi qui sont séparés seu-
lement par un mur commun. Le terrain s'incline des deux
côtés vers le ravin qui sépare les groupes B et C et les ran-
gées d'enclos de ces groujoes forment une sorte de gradins.
Les enclos en D sont plus grands que ceux en B et C et plus
séparés les uns des autres.
Les murs de ces enclos sont mieux construits que ceux de
Morohuasi. Les pierres brutes qui les forment ne sont pas très
grandes et sont très bien encastrées les unes dans les autres.
Souvent le mur est double, l'intervalle entre les deux parois
étant rempli de terre. Les murs sont généralement conservés
jusqu'à o™ 5 G de hauteur, quelquefois plus encore.
Les enclos en A sont beaucoup plus grands que ceux que
nous venons de décrire; j'en ai mesuré de iS'^Xio'", de
1 2"" X 8"' et le plus petit était de i o"" X 6°". Les murs aussi sont
différents, de construction beaucoup plus sommaire. Ces en-
clos ne doivent pas avoir servi d'habitation. Peut-être étaient-
ils destinés à renfermer les lamas.
Le nombre actuel des enclos de la première catégorie est
d'environ i5o, mais on voit que les crues et les eaux de pluie
ont emporté une grande partie du plateau, et tous les ans
encore de grands morceaux des flancs s'écroulent et sont en-
traînés. Sur les bords du plateau, il y avait partout des enclos
qui ne subsistent plus aujourd'hui que partiellement, leurs
murs étant en partie tombés au fond du ravin. Les eaux du
petit ravin entre B et C ont aussi englouti beaucoup d'enclos.
A la pointe sud du plateau, il ne reste qu'une étroite langue
de terre isolée déjà par une crevasse, de sorte qu'il est impos-
sible d'arriver jusqu'au bout.
QUEBRADA DEL TORO. :i57
Sur le sol j'ai Irouvé beaucoup de frai»ments de poterie,
grossière, mais, chose étonnante, il n'y avait ])as de pointes de
flèches, tandis que le sol des ruines des deux villages voisins,
Morohuasi et Tastil, en est couvert. A Puerta de Tastil, après
beaucoup de recherches, j'ai rencontré seulement deux petits
éclats d'obsidienne. Cette absence de pointes de flèches est dif-
ficile à exphquer, mais, dans un ancien village de la Puna,
Pucarâ de Piinconada, j'ai observé la même chose. Dans ces
ruines, situées aussi sur un plateau inaccessible, je n'ai pas
trouvé non plus de pointes, tandis qu'il y avait de nombreuses
flèches à pointe en silex dans les sépultures. Le cimetière de
Puerta de Tastil reste encore à découvrir, et peut-être trouve-
rait-on là des flèches, comme dans les grottes funéraires de
Pucarâ de Rinconada.
Je n'ai pas eu beaucoup de temps à ma disposition pour
fouiller les enclos; dans l'un d'eux cej^endant, appartenant au
groupe C, j'ai exhumé la petite écuelle f(j. 79 h, el d'autres
poteries grossières de différentes formes et dimensions, mais
complètement détériorées et cassées. La pierre ronde //</. 79 c
provient du même endroit. Ces pierres sont assez communes
dans les couches de débris de Morohuasi et de Puerta de Tastil;
elles doivent problablement avoir été (employées comme holea-
doras, enfermées peut-être dans de la peau. Enfin , comme pièce
intéressante, cette fouille a donné une urne identique, comme
forme, dimensions et eiigobe, à furne funéraire de Morohuasi,
fifj. 72. Ces deux urnes sont tellement ressemblantes, (jik" Ton
est presque tenté de croire qu'elles ont été faites par la menu;
main et cuites dans la même fournée. Cette découverte prouve
à l'évidence (jue Morohuasi et Puerta de Tastil étaient contem-
porains.
Dans le sol de l'un des enclos du groupe B, donl tiiie piulic
avait déjà été enlevé(; ])ar les eaux, se trouvaient : le petit
plat //ry. 62, le bois de cerf (^(a'itus chilensis, (îay, ou (atciis
aulisiciisis, lYOïh. [i*]) fuj. 78 f, des fragments de poterie, de
358 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
bois travaillé et de calebasses. L'un des fragments de poterie
portait des em]3reintes textiles bien marquées, de la catégorie
qui corres])ond au premier groupe de la classification de
M. Hobues (167), publiée dans son excellent ouvrage sur les
empreintes textiles de la poterie des Etats-Unis. Au même en-
droit, j'ai houvé un fragment de vannerie d'un travail très
Fig. To. — Piicria do Tastil. Potoric. — i/3 gr. iial.
délicat, formée de tiges minces, cylindriques, lisses '^^, unies
par les fd3res d'une autre plante [fuj. 63). l^Sifig. 75 c reproduit
un autre fragment de vannerie, provenant aussi d'un enclos
de Puerta de Tastil, confectionnée de la même manière, mais
Fig. 63. — Puerta de Tastil. Vannerie. — Grandeur natureHe.
beaucou]^ moins régulière. Dans un autre enclos j'ai exhumé
un crochet de bois, identique à ceux qui ont été décrits au
sujet de Morohuasi.
Dans les enclos fouillés, il y avait beaucoup d'os de hua-
nacos et de lamas; ceux des premiers s'y trouvaient en plus
grande quantité.
l'^ D'une monocotylcdone, suivant M. VViltinnck.
QUEBRADA DEL TORO. 359
Au nord des ruines du village (en E sur le plan), il y a de
soixante-dix à quatre-vingts monceaux de pierres distribués
sur une surface presque carrée d'environ 80°' de côté. Ces
amas de pierres, qu'on pourrait appeler cairns suivant la ter-
minologie archéologique européenne, ne sont pas rangés en
lignes régulières, mais distribués plus ou moins en quinconce.
Chaque monceau, couvrant un espace presque régulièrement
circulaire de 2'" à 2'" 80 de diamètre, est formé de pierres
brutes, roulées, amoncelées sans ordre. J'ai effectué des louilles
au-dessous de trois de ces cairns jusqu'à l'^So de profondeur,
mais je n'ai rien trouvé qui pût expliquer leur raison d'être :
la terre, au-dessous d'eux, semblait n'avoir jamais été remuée.
Sans prétendre que ce soit là le but de ces amas de pierres, je
ne peux que les comparer aux kiiiris que les Indiens actuels
du haut plateau élèvent derrière leurs maisons et dont je par-
lerai plus loin. Ceux-ci, en effet, ont chacun leur kiurl der-
rière leur hutte, mais il ne serait pas impossible que les anciens
habitants de Puerta de Tastil eussent eu les leurs situés tous
ensemble à quelque distance du village. Peut-être serait-on dis-
posé à considérer ces cairns comme ayant été formés avec des
pierres provenant du nettoyage d'un champ destiné à fagri-
culture, mais cela me paraît invraisemblable, car le sol ne
révèle aucune trace de culture et ne semble même pas a\oir
été remué; d'ailleurs, en cas de culture, on aurait emporté les
pierres plus loin au lieu de les dé{DOser sur une grande éten-
due de terrain utile. Enhn, d'autre part, une irrigation arti-
ficielle de ce terrain par des canaux eut été impossible.
M. José H. Figueira (132) donne une description de cairns
analogues, situés sur le Cerro Tupambaé, dans la Piépublicjue
de l'Uruguay. Sur un plateau que forme cette montagne il y a,
d'après M. Figueira, environ deux cents monceaux de pierres,
de forme circulaire ou elliptique, de 2 à !^'" de diamètre sur
1™ à o'" 5o de hauteur, placés immédiatement sur la roclie (jui
forme la montagne ou sur un sol cpii n'a pas été remué. Ces
nionceaux sont disposés régulièrenient en plusieurs rangées.
360 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Dans les monceaux se trouvaient quelques pierres sphéroïdes,
probablement des pierres de holeadoras qui devaient se trouver
là accidentellement. M. Figueira suppose que ces cairns seraient
d'anciennes sépultures, où les cadavres auraient été placés sur
le sol, puis couverts avec un monceau de pierres; mais je ne
vois pas sur quoi s'appuie cette liypotbèse, puisque , suivant l'au-
teur même, on n'y a rencontré aucun fragment d'ossements;
or les squelettes ne pourraient pas s'èlre totalement anéantis.
A l'ouest des cairns de Puerta de Tastil, de l'autre côté d'un
ravin profond qui divise l'extrémité du plateau en deux, il
existe six constructions circulaires qui portent sur le plan la
lettre F; Idifig- 64 en donne les détails.
Ces enclos circulaires sont composés de murs en pirca peu
solides, presque sans fondement, de o"' 60 d'épaisseur et ac-
tuellement d'environ o"' 5o de hauteur. Ils n'ont jamais dû
être beaucoup plus hauts, et probablement n'ont jamais eu de
toiture : ce sont des enclos et non des maisons ou des huttes.
Enfin, comme la phqDart des constructions de ces régions, ils
n'ont pas d'ouverture servant d'entrée. Les cercles n" 1, II, V
et VI ont 2" 20 de diamètre intérieur, le n"" 111, i"'9o, et le
jjo jY^ l'^yo. Le n° 1 est pourvu d'une sorte d'antichambre,
également presque circulaire et de 1'" de diamètre.
J'ai fouillé entièrement tous les cercles jusqu'à o"" 60 ou
o*" 80 de profondeur. Je suis sûr de n'y avoir rien laissé, car
j'ai toujours continué les fouilles plus bas que les derniers
objets trouvés, là où le sol était encore intact. Je donnerai ici
la description de ce que contenaient les cercles.
N" I. Au sud- ouest, sous le mur, se trouvait le squelette
d'un enfant âgé de trois ans et demi à quatre ans, assis, les
bras et les jambes repliés sur la poitrine, assez détérioré par la
pression de la terre. Auprès de cet enfant, il y avait un fais-
ceau de hampes de flèches et quatre écuelles en terre cuite
dont Tune est représentée fùj. 79 e. Dans cette écuelle était
placée une autre écuelle plus petite. Près de fenfant se trou-
OUEBRVDV DFJ. lORO.
30 1
vait aussi le tube en os, probablement un étui, repi'oduit
fia. 78 (j. Ce tube a été fait en sciant les deux articulations de
riiumérus d'un lama et en grattant l'intérieur pour rendre la
cavité plus grande. I^e tube provient d'un lama extrêmement
grand et robuste; il serait diiïicile de trouver de nos jours un
Echelle. 'A
a Scjueletle dénfanl
b Scjuelellc d'aàilte
c Urne funéraire contencr.t un fœtus
d Squelette de lama
Echelle '/loo
Fig. G/|. — Puerla do Taslil. Conslriirlioiis cirrulaircs. (Voir /'' sur le plan m'iiôral des iMiinos.)
de ces animaux d'une taille aussi lorte. Le tube ])résente, à
l'extrémité la pkis étroite, une incision destinée à altaclier \v
morceau d'étoile ou de peau (jui servait à le fernnM'. l^'enlaul
avait aussi avec lui rastragaie d'un lauia très jeune *'^ cl un
crâne de /^
«^
ul
mm
peniv
laïuun.
^'* Dans [on sépnllnrcs. j'ai souvcnl
trouvé des astragales ili- lama isolés, sans
être accompagnés d'autres os do cet ani-
mal. .!(! iiif suis sdiivciil demande si ce lail
n'indi([uorail pas l'origine préliis|iani(pie
d'un jeu dOsselels nommi* labu, très ré--
pandn parmi les gauchos et les anires
iiielisde la l*iepnl)iiinie \rgentM)e counni;
362
ANTIQUITÉS DE LA REGION ANDINE.
Dans ce même cercle, le n" I, au nord-est, il y a une sorte
de pavé à environ o"' 3o au-dessous du sol actuel. Ce pavé
forme un segment dans le cercle. Auprès, était un squelette
d'adulte en position accroupie, étendu sur le côté et dont le
crâne est décrit par le D"^ Chervin (99, i. m) sous le n" i •?. Près
du crâne était le petit tube en os^fig. 78 e.
Au pied du squelette, j'ai trouvé une urne funéraire, com-
plètement écrasée par la pression de la terre, contenant le
squelette d'un fœtus à terme. A côté de l'urne, on voyait le tube
fin. 78 h , fait d'un humérus de lama comme celui décrit plus
haut, dont il se distingue seulement par la grandeur et la
fente d'incision qui manque. Près de l'urne étaient déposées
deux écuelles dont l'une est représentée y?^. 79 a.
Devant la partie du mur qui sépare le cercle n° 1 de son
«antichambre» se trouvait un squelette de lama adulte, mais
sans tète. Le sol de 1'» antichambre » ne contenait rien.
parmi les Indiens de la Bolivie. Ce jeu
consiste à jeter un astragale de bœuf à
une certaine distance. On gagne le coup
si l'os tombe en présentant le côté con-
cave, mais on perd si le côté convexe
paraît. Les métis ont une grande passion
pour ce jeu; ils y perdent jusqu'au che-
val, jusqu'à la selle et jusqu'aux éperons,
et, on le sait, la plus grande humiliation
pour un gaucho est d'être obligé d'aller à
pied. Même les membres de l'aristocratie
des provinces argentines sont passionnés
pour la taha. On voit des personnes occu-
pant les positions les plus hautes de la
contrée mettre des sommes considérables
sur un coup de taba et quelquefois se rui-
ner à ce jeu. On racontait, à propos d'un
gouverneur de la province de Côrdoba,
il Y a quelques années , qu'il avait un as-
tragale imité en or et incrusté de dia-
mants; avec cette tuba, l'enjeu minimum
était, pour chaqtie coup, de mille piastres
or (5,ooo francs).
Le nom taha est employé dans la Répu-
blique Aigentine et pour le jeu et pour
l'os, 11 y a un mol espagnol lahu qui signifie
astragale, mais, d'autre part, le jeu s'ap-
pelle en Bolivie lahiia (« quatre » en qui-
chua). L'on ne saurait dire duquel de
ces deux mots provient le nom du jeu.
Chose curieuse, les Indiens Papagos (Pi-
mas), de l'Arizone, ont un jeu identique,
suivant M. Stewart Culin [Gaines of the
Norlli American Indians , p. i/i8, in 2i"'
Anniial Report of the Bureau of American
Ethnology, Washington, 1907). Ce jeu,
dénonuué lunwan par les Papagos, se joue
avec un astragale de bison , d'après les
mêmes règles que la taha de l'Argentine
et de la Bolivie, seulement avec celte dif-
férence que, quand on tire dans ces der-
niers pays, l'os est placé dans la main ou-
verte, tandis que les Papagos le prennent
entre le pouce et l'index, tournant le re-
vers de la main en haut.
Le jeu est connu en Espagne, mais il
serait intéressant de vérilier s'il a été in-
troduit de l'Amérique du Sud, ou si ce
sont au contraire les Espagnols qui l'ont
introduit en Amérique.
QUEBRADA DEL TORO. 363
X" II. Dans ce cercle 11 y avait iiii squelette (radiilte étendu
le long du mur, du coté est. Un autre squelette, celui d'un
enfant de 12 à i5 ans, se trouvait sous le mur, du côté sud,
avec beaucoup de fragments d'outils en bois. Près du mur, du
côté ouest, étaient deux écuelles, une grande et une petite.
N*"* III et IV. Le sol ne contenait absolument rien, ni os,
ni objets d'industrie humaine. J'ai fouillé ces cercles comme
les précédents jusqu'à o'"6o de profondeur.
X"* V. Beaucoup d'os de huanaco; une côte avait été dé-
pouillée de la chair au moyen d'un instrument tranchant dont
on voyait encore très bien les marques. Il n'y avait pas d'os
humains, mais des hampes de flèches, le petit tube fuj. 78 c,
faite avec la partie centrale du fémur d'un jeune lama ou d'une
vigogne, et trois morceaux d'une pâte verte contenant, en forte
proportion, du carbonate de cuivre. Enfin, le petit sàcjîg. 75 j,
fait avec la peau de la patte ou de la queue d'un animal, cousue
dans sa partie inférieure, et contenant une poudre blanche.
N" \1. Un squelette humain très détérioré, sous le mur, du
côté est.
Le résultat de mes fouilles dans les six constructions cir-
culaires de Puerta de Tastil est très remarquable. Ce sont les
seules constructions de ce genre qui existent près des ruines
de ce village et elles doivent sans doute avoir joué un rôle im-
portant dans la vie des anciens habitants. Sur les six cercles,
trois contenaient des squelettes humains, un des restes de repas
et des objets d'inckistrie humaine, les trois derniers étaient
vides. Les cercles ne constituent pas le cimetière général du
village; cette hypothèse tombe d'elle-même. Seraient-ce des
tombeaux de chefs ou des endroits pour célébrer des cérémo-
nies religieuses.'* peut-être des sacrifices humains .'^
Dans les environs immédiats de Puerta de Tastil, on ne»
trouve pas de ruines; la population devait avoir été concentrée
dans le village même. Il n'y a qu'une seule exception, ce sont
les ruines d'une dizaine d'enclos i-eclangulaii-es en pirca silu(''s
364 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
à moins d'un kilomètre au Sud, sur un petit ]:)lateau bornant la
Quebrada del Toro à TEst.
La position stratégique de Puerta de Tastil est, comme nous
l'avons vu, excellente; mais une question s'impose : c'est la
provision d'eau nécessaire au village. Sur le petit plateau où
celui-ci. est situé, il n'y a pas d'eau; ce plateau se prolonge vers
le Nord et ce n'est qu'à un kilomètre des cairns qu'il est inter-
rompu par de hautes montagnes. Tout ce plateau est complète-
ment plat, sa végétation se borne à de rares graminées et à de
petits arbustes disséminés. Les sources et les cours d'eau man-
quent absolument ; la constitution géologique du sol et la
conformation de la surface les rendent impossibles. Il n'existe
même pas de dépression où l'eau de pluie puisse séjourner
pendant quelques temps. Les habitants du village ont donc dû
apporter leur provision d'eau de l'une des rivières qui coulent
dans les quebradas. Les nombreux fragments de grands vases
en poterie grossière que l'on trouve partout sur le sol du village
et dans la couche de débris doivent provenir en grande partie
de récipients d'eau.
Je n'ai pas trouvé de restes d'ancienne culture dans les envi-
rons de Puerta de Tastil.
Pétroglyphes. — Dans une petite quebrada qui, ta l'Ouest, se
réunit à la Quebrada del Toro, à 3'''" environ au sud de Puerta
de Tastil, il y a des pétroglyphes, d'après les renseignements
qui m'ont été donnés.
Dans la Quebrada de las Guevas, à lo*^"' de Puerta de Tastil,
à mi-chemin entre cet endroit et Tastil, j'ai trouvé un pétro-
glyphe que j'ai dessiné, mais malheureusement mon dessin
s'est égaré et je dois me borner à le décrire ici. Cette pierre est
lui bloc roulé de grès dur, d'environ 1'" So de longueur, d'une
surface assez lisse. Elle se trouve à côté du chemin, à un en-
droit où la quebrada très étroite forme une gorge. Le bloc est
couvert de dessins à contours gravés, représentés, fuj. 65.
Ces dessins reprochiisent très exactement la forme des iisutas
QUEBRADA DEL TOHO. .lOf)
OU sandales t'ii peau que portent les Indiens actuels de ces
régions et qui ont été également portées par les Indiens préco-
lombiens de toute la région andine, d'après ce que nous voyons
sur les cadavres des tombeaux. Les asulas gravées sur le l)loc
sont de toutes grandeurs, depuis les dimensions d'un j)i('d
d'eidant jusfju'à celles d'un pied d'adulte. Le pied droit et h;
picnl gauche sont représentés tous deux, mais les marques des
usiitas ne sont pas disposées par paires, ni dans aucune din.'c-
tion précise; elles s'entre-croisent de toutes façons et souvent
une usula est placée au-dessus du dessin d'une ou de j)lu-
sieurs autres. L'âge reculé de ces dessins est démontré par les
l^'ii;. (i5. — Forme des empreintes tliisutas j^ravées sur le jiéU<)L;lyj)lic
près de l'ueiia de Tastil.
effets de la pluie sui* la pierre. A quelques endroits, en effet,
l'eau a effacé certaines parties des traits gravés, ce qui n'a ])u
se produire qu'après un grand laps de temps, élaiil donnée la
dureté de la roche.
En Patagonie, on connaît des pétroglyphes représentant des
empreintes de pieds liumains, mais juis, laissant voii" les
orteils. M. Carlos Bruch (79) nous donne la description et de
très bonnes figures d'im de ces pétroglyphes (pi'il a découNeil
à Vaca Mala, près du lac Nahuel Huapi.
Je ne connais pas d'autres dessins publiés de pétroglyphes de
l'Amérique méridionale représentant des empreintes de pieds
humains; mais les chroniqueurs jésuites en citetH un bon
nombre à l'appui de la légende guaranie de Pay Zuuk'',
r» homme blanc voyageur », dans hnpu'l les jésuites veulent voir
366 ANTIQUITÉS DE LA RÉGION ANDINE.
rapotre saint Tlioiiias, qui aurait laissé Tempreiiite de ses pieds
en beaucoup d'endroits au cours d'un voyage qu'il aurait fait
longtemps avant la découverte de l'Amérique, pour prêcher
aux Indiens la foi de Jésus-Christ! Le P. Ruiz de Montoya (318,
fol. 3o-32) mentionne des « empreintes de pieds de l'apôtre saint
Thomas» sur un rocher de la plage de San Vicente (Brésil),
sur un autre tout près de la ville d'Assonq:)tion-du-Paraguay
et sur un troisième à deux lieues du village de San Antonio,
dans la province de Chachapoyas (Pérou septentrional). Le
P. Piuiz dit avoir vu ce dernier rocher, une grande pierre hori-
zontale sur laquelle se trouvaient les empreintes de deux pieds ,
« de quatorze points [pinitos) de longueur chacun », et, devant
eux, deux « concavités », sans doute des cupules. Fiuiz décrit un
quatrième pétrogiyphe de Calango (près de Gaiiete, au sud
de Lima); c'est une pierre horizontale « avec des empreintes de
pieds d'un homme de grande taille » et autour desquelles se
voient « des caractères d'une langue qui devait être de l'hébreu
ou du grec» : par conséquent, un pétrogiyphe composé d'em-
preintes de pieds gravées et de signes. Calancha (89, t. n, 1. m;
p. 325-328) donne une curieuse figure, en forme d'écu, de la
pierre de Calango. C'est probablement la première reproduc-
tion qui ait été faite d'un pétrogiyphe américain. On y voit
une empreinte de pied et des signes en forme de H, X, Y, etc.
Calancha dit avoir remis des copies de l'inscription à tous les
couvents augustins du Pérou , pour obtenir une interprétation
des signes; mais il semble que les frères augustins ne savaient
ni le grec, ni l'hébreu, car ils déclarèrent que « c'étaient bien
des lettres hébraïques et grecques, et un frère qui connaissait
ces langues ne put pas les interpréter, quelques lettres étant
presque elfacées et d'autres confuses». Techo (341, 1. vi, c. iv;
p. i56) cite, d'après le P. Orlandini, un autre pétrogiyphe
avec des empreintes de pieds, près de Guaira, dans l'Etat ac-
tuel de Paranâ (Brésil). Lozano (220, i, p. ^1-445, 453456, /i6i), en
dehors des pétrogiyphes mentionnés par Ruiz et par Techo,
en énumère d'autres, représentant aussi des empreintes de
QUEBRADA DEL TORO. 367
pieds, aux endroits suivants : Itoco («province de Muso, Nou-
velle Grenade»), Ubaque (près de Bogota), Pueblo Hondo
(près de Grita, province de Mérida, Colond3ie), Itapuâ (à deux
lieues de Baliia) et dans un autre endroit de la Baie de Todos
os Santos. M. Jiniénezdela Espada (183), d'après des documents
inédits, ajoute à cette liste encore d'autres rochers à empreintes
de pieds (Frias, près de Piura du Pérou) et de l'Equateur
(Gonzanamâ, dans la province de Loja; Callo, dans la province
de Latacunga; Ambato). Les empreintes sur les l'ocliers ])aignés
par la mer des côtes brésiliennes pourraient être des forma-
tions naturelles, mais celles de la Cordillère sont certainement
des pétroglyplies.
En Europe, les pierres avec des enq3reintes de pieds gra-
vées ne sont pas rares. En France, elles sont assez communes.
M. Louis Schaudel (324), en décrivant le «Rocher aux pieds»
de Lans-le-Villai'd , en donne une liste. Dans certains pays de
l'Asie (Java, Ceylan, etc.), il y a, dans plusieurs localités, des
empreintes gravées de ce genre attribuées par la religion à
Bouddha. Dans l'Afrique du Nord, on trouve aussi cette caté-
gorie de pétrogiyphes.
ÏASTIL ''.
La Quebrada de las Cuevas est plus étroite que la Quebrada
del Toro. Elle forme souvent de véritables gorges à parois per-
pendiculaires. Au fond coule une petite rivière, le llio de las
Cuevas, qui apporte les eaux du versant nord-est (bi xNevado
del Acay.
J'ai souvent entendu appliquer à la Quebrada de las Cuevas
le nom de Qnebrada del Tastil, mais à tort, car ce dernier nom
appartient à une quebrada latérale, par la([uelle TViioyo del
Tastil, allluent du Rio de las Cuevas, vient se jelei- à dioile
dans ce dernier.
(') Voir les planches XWI, XXVii , XXlX-XXXil, insérées apr.'s la page ^78.
.'ÎGS ANTIQUITES DE LA RÉGION AN 1)1 NE.
A cet endroit, la Quebrada de las Guevas s'élaigil jusqu'à
atteindre environ 4oo'". C'est là que se trouve le village pré-
hispanique de Tastil; il occupe, comme on le voit sur le plan
ficj. 66 y une position semblable à celle des ruines de Puerta de
Tastil. L'ancien village de Tastil est une énorme agglomération
d'enclos reclangulaires en pirca, qui s'étendent par la partie
exlronie des monlagnes séparant la Quebrada de las Guevas
de celle de Tastil. Sept collines rocheuses, de la hauteur d'une
centaine de mètres, très escarpées du côté des quebradas,
lorment au centre une sorte de plateau concave, mais assez
plat pour avoir permis la construction des enclos. Geux-ci,
comme on le voit par la y?^. 80 et par la coupe A-B,fig. 81,
sont (lisjîosés sur le plan incliné en terrasses irrégulières, c'est-
à-dire chaque rangée d'enclos étant un peu plus haute que la
suivante.
L'ascension du plateau n'est possible que par les points K,
L et M, entre les différentes collines, du coté de la Quebrada
de las GucAas, et même ces accès sont assez diiïlciles. En face de
la maison indiquée sur le plan comme « maison moderne d'In-
dien», on peut monter aussi, mais plus dilïicilement encore.
Les pentes du côté de l'Arroyo de Tastil sont tout à fait à pic,
même dans fangle qui, sur le plan, porte la lettre ./.
Les collines ne sont pas, comme presque toutes les mon-
tagnes autour des quebradas c[ue nous avons parcourues, com-
posées de quartzites schistoïdes plissés : elles forment un îlot
de granit ^^^ entre les grands massifs de schiste. Des pierres du
même granit ont servi à élever les murs du village.
Toute la dépression entre les sept collines est couverte d'en-
clos; l'aggiomération d'enclos couvre également les sommets
et descend sur les flancs des collines G, H, [, au Sud. Les colli-
nes du Nord sont plus escarpées que celles du Sud; néanmoins
.les enclos s'étagent sur leurs lianes aussi haut que possible.
Les enclos ne sont pas isolés l'un de l'autre, comme c'est
'"' Ce granit a été tlëterminé par M. Lacroix comme «granit normal à biotlte, le gra-
nilile des pétrographes allemands».
QIJKBRADA DEL TORO. 369
généraleiiienl le cas à Moroliiiasi et à Puerta de Taslil; ils ne
sont séparés que par un mur commun. Les murs atteignent
encore i*" de hauteur, souvent davantage; leur épaisseur est
de o™5o à o"'6o.
Les dimensions intérieures de la pluj^art des enclos sont
io'"x4 ou 5'". Cependant il y en a aussi cjui ont d'autres di-
mensions, par exemple : G'^XÔ'", S^xd'", etc. Exceptioinielle-
ment, on rencontre des enclos d'une longueur extraordinaire,
jusqu'à 'jÔ"" sur 5 à 6"' de largeur. Ces enclos longs se trouvent
particulièrement sur le versant sud des collines H et I , tandis
que les petits enclos de 6™ X 5™ sont plus communs sur les
sommets des collines.
J'ai évalué à 8oo enviion le nombre total des enclos, et j'es-
time la surface occupée jDar les ruines à environ 200,000 mètres
carrés.
ha. fi(j. 80 donne une idée de Tasj^ect de cette mer de pircas,
La vue est prise du centre du village, vers les collines G, II, I;
sur la colline du milieu, on voit un gigantesque Cereus.
Les enclos sont, en général, rangés de telle sorte que leur
transversale la plus courte suive la pente du sol, les murs plus
longs lestant par conséquent horizontaux; le sol de chaque
enclos est aplani de façon à être horizontal, quand le terrain
a permis de le faire ''l La différence de niveau d'un enclos à
''' La terre des enclos contient une
quantité considérable de salpêtre qui est
recueilli par l'un des Indiens du voisinage
pour en fabriquer de la poudre, il met la
terre dans un récipient dont le Ibnd esl
remplacé par une sorte de tamis ou filtre.
Au-dessus il verse de l'eau qui dissout le
salpêtre et passe dans un récipient infé-
rieur. Celte eau une fois bouillie, la terre
et d'autres impuretés se déposent au fond
de ce récipient. On la passe alors dans un
troisième récipient où on la laisse pendant
une nuit. \jv matin suivant , on trouve le
salpêtre cristallisé au fond. Cin([ livres
de ce salpêtre, mélangées avec une livre de
I.
cbarbon de bois quelconque et une livre
de soufre, ce dernier aclieté à la ville,
donnent une poudre qui n'est pas bonne
j)Our charger des fusils, mais qui esl em-
ployée pour laire des tirs en l'honneur
des saints aux lèles religieuses, où l'on
en fait une grande consommation. Nous
reproduisons, p'jj. 100 a, un mortier ser-
vant pour ces tirs. Cette lahrication pri-
mitive (le poudre est également répan-
due dans certains endroits de la Puna,
où la terre contient du salpêtre. La mé-
thode doit être très ancienne et a élé
introduite probablement par les premiers
l'jS[)agnols.
2.1
370 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Tautre varie suivant riiiclinaison du terrain. La moyenne de
cette différence peut être estimée à o'"'jo ou o'"3o.
J'ai représenté dans la^</. 81 une j)etite partie de Tagglomé-
ration d'enclos au i//ioo, c'est-à-dire à une échelle suffisante
pour montrer les détails, ce qu'il n'était pas 230sslble de faire
sur le plan.
Dans chaque enclos, on observe des cercles en pierres d'en-
viron 'j™ de diamètre. Ces cercles ne sont pas des nuirs, ce ne
sont que de simples alignements circulaires de pierres brutes
du même granit que les murs. Généralement il y a deux ou
trois rangées de pierres superposées; seule la rangée supérieure
est visible au-dessus de la terre. Ce sont des cercles funéraires,
indiquant des sépultures; à l'intérieur on trouve toujours, en
effet, des cadavres enterrés. Il y a dans presque tous les enclos
un de ces cercles, le plus souvent dans un coin de l'enclos.
Il est très rare de trouver le cercle au milieu de celui-ci et
plus encore de trouver deux cercles funéraires dans un même
enclos. Dans deux ou trois cas, le cei'cle remj^lissait tout l'en-
clos, lequel n'avait alors pas beaucoup plus de 'j"'X2"' de
surface.
Outre les cercles, on trouve aussi de grands mortiers en
pierre brute, ressemblant à cehii de Carbajal,^?^. 47. Enfin,
dans la plupart des enclos, il y avait des pierres en forme de
dalles j^lates, plus ou moins rectangulaires, fichées verticale-
ment dans le sol. Il est difficile d'expliquer le but de ces j^etits
« menhirs ». Ils ne sont pas faits du granit commun des con-
structions, mais d'un quartzite Aert noirâtre, très dur et à grain
très fin, qui ne fait pas partie des collines sur lesquelles sont
situées les ruines. D'après mon guide, cette sorte de roche
existe de fautre coté de la petite Quebrada de Tastil, et c'est
de là probablement que les dalles ont été a23portées. Les « ineii-
hii-s » avaient de o'"4o jusqu'à i"" de longueur; leur largeur
était de o™3o à o'^-jo, rarement plus.
Le village de Tastil est traversé par un système de rues sur-
élevées sur le sol en forme de chemin de ronde, construites en
Ql'EBli \l)\ !)KI. ToUu. 371
pierre sèche, comiiie les murs des enclos. Ces rues ont de i"" à
i"5o au-dessus du sol, quelquefois un peu plus; leur largeur
est de i"" à i'"5o. Sur la y?^. 81 on voit une de ces rues qui
passe entre deux rangées d'enclos; sa coupe verticale est égale-
ment donnée. Sur le plan, je n'ai pu faire figurer que les rues
])rincipales DDD qui conduisent de l'entrée M-F aux diffé-
rentes collines. Ces rues ont beaucoup de ramifications qui
n'ont pas été notées sur le plan. Cependant il faut remarquer
que tous les enclos ne donnent pas sur une rue : pour entrer
dans la plus grande partie d'entre eux, il faut traverser plusieurs
enclos voisins. Dans V Entre-Sierras du Pérou, il existe des vil-
lages préhispaniques ayant des rues surélevées comme celles
de Tastil.
En E et F, il y a des sortes de grandes places entourées de
clôtures en pierre faites avec moins de soin que les murs des
enclos. La place Fa 34" X 22"'; celle en F, SS'^X 20°".
A TEst, la ville est défendue par un long mur construit avec
de très grands blocs de pierre, pour la plupart tond)és à terre
actuellement.
Le sol est plein de fragments de poterie grossière, de pointes
de flèches et d'éclats de la loche qui a servi à la fabrication
de ces dernières. Dans les environs delà place E, particulière-
ment, et entre cette place et le mur de défense, les flèches
étaient très nondjreuses. hafig. 112, rf' 1 à 9, repi'oduit neuf
de ces pointes. J'en ai recueilli, sur le sol des ruines, environ
quatre-vingts en une heure, toutes en silex vei't de la même
couleur et qualité, provenant toujours, selon toute apparence,
du même gisement. Cependant deux pointes en obsidienne
noire font exception. L'une est représentée par le n" 6 de la
figure. Ces deux pointes sont tout à fait semblables à celles de
Morohuasi. 11 y avait aussi, comme dans presque tous les
endroits où Ton trouve des flèches, quelques rares pointes en
f|Mnrtz laiteux ou hyalin et en calcédoine.
Les pointes de llèches de Tastil sont ii ail(M-ons ])rolongés;
o72
AM'IOll TES DE LA RKCION ANDINE.
à fie rares exceptions près, comme la j)oiiile n" 8, elles n'ont
])as de pédoncule non plus que celles de Morolmasi. Elles
durèrent de celles-ci seulement parce qu'elles sont en général
un peu plus grandes, à bords plus droits, et d'une taille moins
achevée, ce qui dépend peut-être de la matière plus difîicile à
travailler que l'obsidienne.
Les flèches ont certainement été fal^riquées à Tastil uïême,
ce qui est démontré par les jiond^reux éclats de silex vert,
fléchets de la taille, qu'on trouve sur le sol; j'ai ramassé aussi
quelques éclats d'obsidienne et de quartz blanc.
rig. 6-j. — Tastil. Puiiiron et ciseaux eu cuivre («-c). Pendeloque en argent (J").
Pendeloques en pierre [g , A). — 2/3 gr. nat.
La dilTérence de la matière employée pour la fabrication des
flèches, obsidienne à Morohuasi et silex vert à Tastil, démon-
trent que ces deux villages, bien que très voisins et sans aucun
doute contemporains, avaient chacun leur industrie pro23re en
ce qui concerne les flèches.
Sur le sol de Tastil, j'ai recueilli encore les deux petites
pendeloques^^/. 67 g , li , taillées, en quartzite Aerdàtre, et quel-
ques fragments très oxydés de cuivre. L'analyse de l'un de ces
fragments, partie d'un disque fondu, est donnée sur le tableau
inséré à la fin du présent ouvrage (analyse n" 3 i ).
J'ai eflectué des fouilles dans quinze des enclos du village;
elles ont démontré que ces enclos avaient en effet servi d'habi-
tations et que les cercles en pierre marquaient des sépultnres.
Le sol des enclos présentait tonjours une couche de débris
QUEBRADA DEL TORO. 373
de o"' 1 o à o'"3o (IV'j)aisseiir, contenant des os lendus on Ijrisés,
la plupart de liuanaco, quelques-uns de lama, de vigogne
et de Lagidiiim, du charbon , des cendres, du fd et des fiagnients
de tissus en laine de lama, des morceaux de poterie grossière,
des restes de bois de Cereus.
Les seuls objets entiers de cette couche dignes d'être men-
tionnés sont : le vase^?^. 82, en poterie gi'ossière, le poinçon en
cuiwefig. 67 a, et la pendeloque en argent fi(j. 67 f. La seule
]wi'\e de turquoise que j'aie trouvée à Tastil lut rencontrée au
milieu d'un enclos. Il est à remarquer que toutes mes fouilles
n'ont donné que cette seule perle, alors que celles-ci sont si
communes à Morohuasi et surtout à Golgota.
Les cercles examinés contenaient tous des squelettes, la plu-
part dans un très mauvais état de conservation. Ils avaient été,
comme ils le sont en général dans toute la région, enterrés
accroupis, les jambes et les bras repliés sur le corps. Mais, à
Tastil, il n'y avait pas de cadavres placés dans une position ver-
ticale; ils étaient posés horizontalement, en général à une pro-
fondeur de o"'5o au-dessous de la surface du sol. Les cadavres
se trouvaient presque toujours près du mur de l'enclos; il y
avait rarement des squelettes dans la partie du cercle funéraire
opposée au mur. Chaque cercle funéraire contenait de un à
quatre squelettes.
Les crânes décrits par le D"^ Chervin (99. i. m), sous les n**" i .3
et i4, proviennent de Tastil.
f)eu\ cercles, dont run au centre (bi \illage, sont remar-
quables; ce dernier contenait un squelette d'afbdte et les sque-
lettes d'un enfant d'un an environ , d'un enfant ])his âgé et d'un
hetus à terme, le seul foetus que j'aie trouvé hors d'une urne
funéraire. L'autre cercle fnn(''raire, près (bi soninicl de la col-
line (t, servait de. sépulture à un enlanl de (junirc à ciiHi ans,
enterré au pied du mur, à ()"'(S() de profondeur, avcîc les
deux vases ficj. S'i , une petite écu(ille en polerie grossière, la
fusaïole(.^) en hoisfiif. 75 i, une auliv fusaïoli* en hois, plusimirs
37'! ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
outils également en bois, dont il ne restait que (les fragments,
des morceaux d'une pâte de carbonate de cuivre, enfin beau-
coup d'os de liuanaco provenant sans doute de la viande qu'on
avait déposée comme aliment auprès de l'enfant.
Les deuxAases de ce tombeau [ficj. 83) méritent d'être men-
tionnés tout sj^écialemeiit, car ils étaient parmi les mieux dé-
corés de tous ceux que j'ai trouA'és dans les Quebradas del
Toro et de las Cuevas. Ils portent des ornements peints dont la
grecque est le motif princi2:)al. Le vase à droite sur la figure est
peint en trois couleurs : les grecques en brun violacé, le fond
en gris clair, et les espaces entre les grecques et les lignes on-
dulées en jaune orangé. Le vase à gauclie a des grecques et des
triangles j^eints en brun violacé, le fond est gris clair; le gou-
lot a été engobé intérieurement et extérieurement avec une pâte
à l'ocre rouge, ainsi que tout fextérieur du vase. Le vase de
gauche a o™ i 2 de hauteur et o'" 2 1 5 de diamètre maximum ;
celui de droite, o"i5 et ©"'iSS. Les vases de mêmes forme
et dimensions et presque toujours décorés avec des grecques
peintes sont communs dans la région diaguite.
Un autre cercle, au centre du village, contenait quatre sque-
lettes d'adulte avec deux petites écuelles pour tout mobilier
funéraire; un autre, sur la pente sud de la colline G : trois
aduUes , un enfant de trois ans à trois ans et demi et un second
enfant plus jeune.
Les objets enterrés le plus communément auprès des ca-
davres étaient des petites écuelles en poterie grossière, dont la
fi(j. 79 d donne un exemple.
J'ai exhumé aussi beaucoup d'outils en bois ressemblant à
ceux de Morohuasi; nous citerons parmi eux : des (< couteaux»
(^fi(j. là b, c) et des petits crochets y?^. 75 d-J'. Le couteau h
devait avoir, lorsqu'il était entier, environ ©""SS de longueur;
le couteau c, o™5o. La distance entre les pointes extrêmes des
crochets figurés est de ©""gS (c?), o'^qo (e), o™55 (/). Pour le
crochet /j on a employé une fourche d'arbre naturelle, comme
pour le crochet y/^. 75 n de Morohuasi.
QUE13I\ \l)\ DKL TORO. 375
h^xfig. 75 h représente le fragment d'nn lacloir en l)oi.s qui
a peut-être servi à travailler la poterie. En <y de la même
figure, on voit un autre petit outil en bois de l'emploi durniel
je ne puis me faire aucune idée.
Les tubes en os n'étaient pas rar^s; celui de la fcj. 78 d, de
o^'ogS de longueur, est fait d'un bumérus d'oiseau.
La fi(j. 67 h-c montre quati'e petits ciseaux en cuivre trouvés
dans difféientes fouilles.
Les couleurs les plus fréquemment employées par les an-
ciens babitants de Tastil étaient l'ocre rouiie et le carbonate
de cuivre; la//^. 78 a-h représente deux morceaux d'une pâte
ocreuse rouse. Le carbonate de cuivre se trouvait en "énéral
o o
aussi à fétat de pâte; cependant, à un endroit, j'ai trouvé celte
couleur métallique en poudre dans une petite calebasse.
Auprès des cadavres des cercles funéraires de Tastil, il y
avait beaucoup de calebasses coupées par la moitié et servant
de récipients. Lixji(f.84 en montre deux sj^écinjens gravés d'or-
nements géométriques assez compliqués. C'est de la pyrogra-
vure comme celle que ])ratiquent encore aujourd'lud beaucoup
de peuples sauvages. Les traces des pointes incandescentes em-
ployées pour la gravure se voient nettement snr la figure.
L'art de décorer la ]:)oterie d'ornements peints n'était pas
plus avancé à Tastil qu'à Morobuasi. Si nous en exceptons les
deux vases y/^. 83, qui peul-élre sont importées d'ailleurs,
les seules peintures sur polerie que j'ai trouvées sont (bi mo-
dèle//<y. 85, décor qne nous avons déjà rencontré à Morobuasi
et dont un exemplaire est donné fi(j. 70. Les ornements qua-
drillés sont peints sur une poterie engobée avanl la cidsson
avec de focre rouge.
Les enclos de Tastil sont des babitations; la coucbe de débris
couvrant leur sol met ce fait en évidence. Mais, comme dans
les deux autres villages j^rébispaniques de laQuebrada del Toro,
il est difficile de savoir de quelle sorte de loilnre ces demeures
luimaines étaient recouvertes. Sur le sol, on ne voit pas assez
370 ANTIQUITES DE TA REGION ANDINE.
de pierres écroulées pour admettre que les murs aient eu une
hauteur supérieure à i'"5o. A Tastil, nous nous trouvons en
outre en présence d'un lait extraordinaire que j'ai déjà signalé :
la plujDart des enclos n'ont j^as d'issue sur les rues ; il faut
quelquefois traverser un grand nombre d'enclos pour atteindre
une rue. Les murs n'ont pas de portes : ils sont assez bien
conservés pour que je jouisse assurer qu'ils n'en ont jamais eu.
Pour passer d'un enclos à l'autre, peut-être les anciens habitants
de Tastil ont-ils employé le système d'escaliers en bois comme
les Pueblos de l'Amérique du Nord. Pour arriver aux enclos
éloignés des rues, ils ont du marcher sur les murs.
Cette curieuse façon de construire les habitations se tenant
entre elles dans une agglomération compacte, sans espaces
libres, a pu être en partie motivée par l'exiguïté du terrain
disponible sur le plateau dont nous avons plus haut signalé les
avantages stratégiques. On voit en effet, sur le plateau de Tastil ,
chaque parcelle de terrain utilisable occupée par les enclos.
Il y a là une diflerence avec Puerta de Tastil et surtout avec
Morohuasi , où l'on a laissé des intervalles libres entre les enclos.
Dans les ruines de la région diaguite, nous trouvons des
analogies partielles avec celles de Tastil, mais nulle part une
analogie complète. Ainsi les ruines de Quilmes présentent
une agglomération également grande et compacte. Al. Lafone-
Quevedo (189, p. 2-3) compare les habitations de Quilmes aux
alvéoles d'un rayon d'abeilles ; mais M. Ambrosetti (18), dans
une descrij)tion plus détaillée, démontre qu'il y existe des dif-
férences assez notables entre une habitation et l'autre. Si des
ruines peuvent être comjiarées aux cellules en cire des abeilles,
ce seraient certainement celles de Tastil, où l'uniformité est par-
faite, et où la dimension constitue la seule variation d'une habi-
tation à l'autre. Les sépultures dans les maisons sont connues
pour plusieurs ruines diaguites, par exemple pour celles de
Quilmes, et, suivant MM. Liberani et Hernândez (217) , Burmeis-
ter (86), Ameghino (32, i, p. 53G), pour celles de Loma Rica, mais
seulement par excejotion, landis ([u'à Tastil il n'y a presque
QUEBRADA DEL TORO. 377
pas une seule « maison » qui n'ait son cercle funéraire. Dans le
r3ésert d'Atacama nous trouvons, à « Lasana » (Caspana?), im
village préhispanique où les sépultures dans les habitations
paraissent être aussi communes qu'à Tastil. Selon M. W. Bol-
laert (66, p. 170) «on y marche littéralement sur des crânes et
des ossements, qui remplissent tous les coins des construc-
tions». En ce qui concerne l'absence absolue de portes entre
les enclos de Tastil, nous rencontrons souvent, dans les ruines
de la région diaguite, des constructions sans portes, mais
cependant les différentes chambres d'un même logement ayant
appartenu probablement à une famille communiquent parfois
entre elles. M. Moreno (244, p. 18) fait cette observation au sujet
des ruines diaguites en général. Quant au système des rues,
qui laisse la plujoart des enclos sans accès direct, le même fait
s'observe dans certaine ruines diaguites, et M. Bollaert {Und.) dit
à propos de Caspana qu'il y fallait souvent, pour ai-river de
la rue à certaines maisons, en traverser dix ou quinze autres.
Cependant ces maisons avaient des portes. Enfui on retrouve,
dans les villages préhispaniques de la région diaguite, des
«places» entourées de murs, comme celles qui portent les
lettres E et F sur le plan de Tastil. Les ruines de Guasamayo,
dont un plan a été publié par le D"" ten Kate (342, p 3/n), nous
en donnent un exemple.
Une description que fait Cieza de Léon (101, c. xcix, p. H^) des
anciens villages (hi Collao s'applique parfaitement aux ruines
de Tastil : « Les villages des indigènes sont très ra])prochés et
les maisons en sont collées les unes aux autres, pas très grandes,
bâties en pierre avec le toit de chaume qu'ils enq)l()ienl Ions au
lieu de tuiles. Jadis toute cette région était très peuplée par les
Collas, et il y avail de grands villages tont près les nns des
antres ^'^ ».
'"' Le texio es[)agnol dit : Los puchlos que lodos en liufav de lejn sueleii iisar. Y fiic
lieiieii Ins iKtliirnles jinilos , perjddas Ids rasas aiiluiiuiinriile inny j)i)lilada rsUt veifion jior
nnas con olras , 110 inny (fraudes, lodas lie- las Collas \ adoinle lin ho (fraudes jiiiehlos
chas de picdru , y fior coherlura f>af(i , de la todos jiinlos.
378 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
Gieza nous ajDprend que la toiture des Collas était en chaume;
c'était probablement aussi le cas pour Tastil.
L'ancien village de Tastil a eu une population très nom-
breuse. Si nous supposons une famille de quatre individus
seulement ayant habité chacun des 800 enclos, ce calcul nous
donne au moins 3, 000 habitants. Actuellement, aux environs
de Tastil, il n'y a qu'une cinquantaine d'Indiens qui y mènent
une existence misérable en cultivant un peu de maïs et en gar-
dant quelques maigres troupeaux de moutons et quelques ânes.
Tout le district ne pourrait pas nourrir un nombre beaucoup
plus grand d'habitants. Or on se demande nécessairement de
quoi vivaient les 3, 000 habitants de l'ancien village. Peut-être
étaient-ils agriculteurs, bien que je n'aie pas vu de traces d'an-
cienne culture. Peut-être, à cette époque, le climat était-il meil-
leur et permettait-il une culture intense. Les hidiens de Tastil
ne possédaient pas beaucoup de lamas, ainsi que cela est dé-
montré par la couche de débris qui contient beaucoup plus d'os
de huanaco que de lama. La présence de ces os de huanaco en
aussi grande quantité nous montre que ces hidiens vivaient
en grande partie de la chasse. Une autre industrie pourrait
également les avoir aidés : le commerce de sel des salinas de
la Puna, où l'extraction s'est effectuée sur une grande échelle
à l'époque préhispanique. Il est possible que les Indiens de
Tastil allaient chercher ce sel aux Salinas Grandes et le por-
taient sur le dos de leurs lamas dans les vallées, pour l'échanger
contre du maïs, comme le font encore aujourd'hui les Indiens
de ces régions. Cependant l'archéologie de Tastil n'a pas donné
beaucoup d'objets de provenance étrangère attestant que ses
habitants aient exercé un commerce extérieur florissant et actif.
En dehors du plateau où est situé l'ancien village, il n'y a
presque pas de ruines. Les seuls restes de pircas que j'aie vus
sont ceux qui portent la lettre A sur le plan et qui sont situés
sur les montagnes de la Quebrada de las Cuevas.
Pi.. XXIII.
Fig. (iS. — Moi'olmasi. llcslcs de iniiis des rnrlos |)i'i''liis|>aiii(|Mrs.
^#^
^:.\'
Fig. 6f). — Miii(iliii;i-i. IU'sIps (le iniir>; des ciiclus ])ivlii>-|>niiir]iics.
Pl. XXIV
Fig. 70. — Morolluasi. J-^cuelle à décor |H'iiit. — r '2 gr. nal.
Fig. •^1. — Mofiiliiiasi. l'oloi'it's , morlicr en incnc cl Ixiis de iinifiod. — i/3 <rr. nal.
Pl. XXV.
Fig. 72. — Moroliuasi. Urne funéraire d'enfant. — 1/4 cr. ual.
Kig. 73. — M()i-(.liiiasi. r/, (ir.-ind \asc ,<m I.tiv nnle, <lii \illai,'.' pivhispanùii
/'. l rue fnni'i-aiic dViifaMl, du rinielièrc. — i/io "r. iial.
Pl. xxvl
Fig. 7^. — Oiilils en bois do IVIoroliiiasi [a. d. c) et de Taslil (/), c). — i/5 gr. nat.
Pl. xxvn.
ig. 70. — Oiilils (Il l)(iis lie Moi'oliiinsi [a. h, 1,-n) cl de T;i.slil ((/-/). \ :iniiiiii' il |>i'lil sar
(Il [)cau (le PiKM'la (le Tasiil [c.j).
Pl. XXVIII.
1
É
ti^^^^^
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^^^r^" ...••'..j^i^^fl^^b
II»
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:sn"="
Fig. 76. — P*iierta de Tastil. Plateau où est situé le village préhispauique.
Fi
g- 77-
Piierla de Taslil. \ ne mit la Oiirliiada dri 'l'oro \eis Ir Sud.
Pl. XXIX.
Fig. 78. — Piiorla (le Tas(il [r , c-h) el Tastil [a, h. d). Tiihos on os de lama ; l)()is de rrrf;
ocre rouge. — i/3 gr. nal.
I' ri.s (le l'iKTla (Ir Tasiil {a. h. r] ol de Taslil (r/). l'icriv nm,l,
«le Taslil [(•.). — i/;5 gr. Mal.
lie riici'la
Fig. 80. — Tiislil. l'aitic (le l'agglfjrnéralion d'enclos du vdiage |)i'éliisj)ani(jt
ti H ue %)aJj Cerclas /f//tcr'a.i/'cs
3«3ajKaiI& JFuj-s en „ pli-ca" "^ J/orù'efS
B
Coupe suivant ^\-B
Fig. 81. — Ruines de Tasiil. IMaii d'uni' iiailie do raggli)tnéi-alii)n (I'(>iirlos. — Erhelle : i/'ioo.
Pl. xxxi.
Fig. 82. — Tastii. V
asc PU [cru
' niile. — 1/3 gr. nat.
Fig. H.'}. — Taslil. Va:
poiiils en Iroi- couiciir.s. — i/3 gr. nal.
Pl. XXXII.
l'ig. 8'i. — 'l'aslil. Calebasses pyrogravées. — 5/6 <^v. nat..
l'ig. 85. — Taslil. IVaLjnunl-; dr ikiIiti'i' à dvrov pcin
•j.r. liai.
QUEBRADA DEL ÏORO.
379
Sur la coHine B, il y aurait, ni'a-t-on dit, quelques pircas.
Sur la peute marquée C existent, d'après les Indiens du
pays, plusieurs pétroglyplies représentant principalement des
lamas. Sur cette même pente passe la route préliispanique
qui , comme nous l'avons vu plus haut, mène de Moroliuasi, par
Tastil et Capillas, à Pavogasta, dans la Vallée Calchaquie.
Pétroglyphe d'Incahuasi. — En poursuivant mon chemin
vers le Nord-Ouest, par la Quehiada de las Cuevas, je n'ai
j)as rencontré d'autres ruines préhispaniques avant Cuesta de
FIl,'. <S6. — Iiicaliuasi (Acay). Pétroglyphe. — i/io i;r. iial.
Munano, déhlé très escarpé qui donne accès au haut plateau
de la Puna. Au pied de ce défilé et également au pied du Cerro
Bola, montagne qui fait partie du Nevado del Acay, se trouve
un assez grand village préliispanique en ruines, très mal con-
servées d'ailleurs. Les indigènes donnent à ces ruines le nom
d'Incahuasi. Le peu de temps dont je disposais ne m'a permis
que d'y jeter un coup d'œil. Les ruines ressemblent à celles
de Morohuasi.
A côté du chemin actuel, en face de Incahuasi, j'ai trouvé le
pétroglyphe /?</. 86. Le dessin de ce pélroglyphe est d'un ty]:)e
différent de toutes les autres inscriptions rupestres que j'ai
vnes dans les régions parcourues pendant mon voyage. Ce
380 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
dessin est composé de figures presque géométriques qui for-
ment une bande diagonale sur un coté du bloc de quartzite
où se trouve le pétroglyplie. Quatre croix, dont f une entourée
d'un encadrement également en forme de croix, font partie de
finscription.
La croix encadrée de cette façon est un ornement très
simple qui fait partie de fart décoratif de beaucoup de peuples
primitifs. Nous la trouvons sur des pétroglyphes de la ré-
gion diaguite, comme ceux de San Lucas (département de
San Carlos, Vallée Galchaquie) et de Gerro Negro (Tinogasta en
Gatamarca), reproduites par M. Quiroga, (303, p. 211 , 9.iS). Dans
le décor des urnes funéraires de Santa Maria, ce signe est
fréquent. La croix encadrée de cette manière existe sur des
pétroglyphes de toute fAmérique. M. Mallery (228, p. 48, 686)
figuie deux de ces joétrogiyphes, de San Francisco Mountain,
dans l'Arizone, et d'Ometepec, en Guatemala.
D'après les Indiens habitant Incahuasi, il y a d'autres pétro-
glyphes aux environs.
RÉSUMÉ.
Les trois villages préhispaniques que j'ai examinés dans la
Quebrada del Toro ont, sans doute, chacun leurs particularités.
Il y a des variantes dans la construction. A Morohuasi, les ha-
bitations sont en général isolées fune de fautre, à Puerta de
Tastil elles sont aussi séparées par des ruelles, mais à Tastil
elles forment une agglomération compacte sans autre sépara-
tion que les murs toujours communs (fune habitation avec
l'habitation voisine. Beaucoup de murs à Puerta de Tastil sont
doubles, ce qu'on ne trouve pas dans les deux autres villages.
Ges différences de construction sont peut-être motivées ])ar la
to])ographie locale. Les modes d'enterrer les morts présentent
aussi des différences. A Tastil, les cadavres sont constamment
ensevelis dans le sol des habitations. A Morohuasi, le sol du
village n'offre^pas d'ossements humains; tous les morts ont été
QUEBRADA DEI. TOUO.
381
enterrés dans un cimetière spécial, à une certaine distance des
ruines. Enfin, à Puerta de Tastil, je n'ai pas découvert de ci-
metière, qui jiourtant doit exister, car les sépultures des con-
structions circulaires décrites plus haut étaient certainement
exceptionnelles. Mais, malgré ces variantes, les villages sont
certainement contem])orains entre eux, car les ojjjets trouvés
dans les louilles démontrent une identité pai'laiie d'industrie
des trois villages.
J'incline à croii'e (pie ces villages datent approximativement
de l'époque de la conquête espagnole, puisque la Quebrada
del Toro^^^ était certainement peuplée à cette époque, et il n'y
existe pas de vestiges d'habitants autochtones postérieurs à
ceux que nous avons décrits. Il est très possil)le que les vil-
lages aient continué à être habités un certain temj^s après la
conquête.
A quelle nation appartenaient les anciens habitants de la
Quebrada del Toro? Comme je l'ai déjà dit, les historiens et
les documents des archives ne nous fournissent pas de ren-
seignements à ce sujet, du moins à ma connaissance^^^. Si
ces Indiens appartenaient à quelqu'un des peuples voisins, ce
serait aux Pulares, les Diaguites du noj'd de la Vallée Calcha-
quie, aux Atacamas de la Puna de Jnjuy ou aux « Lules » de la
Vallée de Lerma. Parmi les objets rencontrés au cours de mes
fouilles dans la Quebrada del Toro, ])lusieurs sont analogues
à des objets trouvés dans les sépultures de la région diaguite
ou de la Puna, ou, jdIus souvent encore, communs aux trois
'"' Au commencement du xviii' sircle,
le nom « Quebrada del Toro » ne seml)le
pas avoir été en usage parmi les Espagnols,
car, sur les caries de d'An ville (36) et de
Lo/.ano (219), toulos deux de J733, la
rixière qui y passe est dénommée «Hio
Quebrada I), sans «pi'il soit ajouté «del
Toro». lia (picbiadn, selon toute proba-
bilité, a pris son nom des trois « Lagunas
del Toro», mais il est douteux que leur
nom «Toro» soit l'écpiix aient espagnol du
mot français « laureau » ou (ju'il s'agisse
du mot alacameno loro — anus. Le village
Toro, dans le nord de la Puna de Ata-
cama, prend très probablement son nom
(le ce dernier mot.
'^' Je ne connais pas, il esl \ rai , l'ou-
vrage de M. Manuel Zorreguiela : ApniUcs
hisinricos de la l^roviucùi de Salla ; Salla,
1876. Pcul-éire y trouvera- Ion quehpies
rcnseignemenls sur les Indiens de la Que-
brada del Toro.
382 ANTIQUITES DE LA REGION ANDINE.
régions. Ces analogies ne sont pourtant pas assez importantes
pour permettre fie classer les anciens habitants de la Quebrada
ni parmi les Diaguites, ni parmi les Atacamas. Au contraire,
riiabileté industrielle et artistique des Indiens préhispaniques
de la Quebrada del Toro démontre un degré de développement
très inférieur à celui des Diaguites en général. En ce qui con-
cerne les Atacamas, il y a autant de différences que d'analo-
gies ethnographiques, et Ton peut alléguer beaucoup d'autres
raisons contre de ])rétendues affinités de ce côté, surtout des
raisons géographiques. Des « Lules » des chroniqueurs il n'y a
pas à parler, car ils étaient des nomades, et les Indiens de la
Quebrada étaient bien sédentaires. Comme conclusion, nous
n'avons pas d'éléments pour résoudre la question de l'affuiité
ethnique des anciens habitants de la Quebrada del Toro.
TABLE DES FIGURES.
ri. l'ig. Pages.
1. Carte etlinicjue de la région andine entre les 22* et 33" degrés
(xvi" siècle) 80
I, 2. Région diagnite. Statuettes humaines et tètes d'animaux mode-
lées en terre cuite 122
II. 3. El Banado (Quilmcs). Ecuelle poussée dans de la vannerie. . . 122
II. 4. Capillitas (Andalgala) et « Vallée Calcliaquie ». Barres en pierre. 122
m. 5. Région diaguite. Haches en pierre 12G
0. Principales lormes d'urnes l'unéraires de la région thaguite.
1 '■'' série 162
7. Idcin. 2" série i52
IV. 8. Urnes funéraires de la Vallée de Vocavil ayant contenu des
squelettes d'enfants 1 58
V. 9. Idem i58
10. Carte de la région des Diaguites indicpiant les localités d'un
intérêt archéologique 212
11. Pian de la ruine où ont été faites les trouvailles de Lapaya ... 217
12. Lapaya. Coupe verticale de la boide en cuivre fuj. 13 u , 0. . . . 'l'i'i
VI. 13. Lapaya. Objets en or, en cuivre, en os, en bois, en pierre. . . 2/16
VII. 14. Lapaya. Cloche, hache à oreilles et liacbes à j)édoncule central,
en cuivre 2^0
VIII. 15. Hache en cui\re, à [)édoncule central, emmanchée, de Chiclayo
(Chimu). Modèle ancien, en cuivre, de hache à oreilles,
emmanchée, du Haut-Pérou 2/i(i
Mil. I(). San Fernando (Belen, Catamarca). .Moule en terre cuite pour
coulei' des haches à oreilles 2/16
l\. 17. Lapa)a. Timbale en bois laqué et reconstitution de son dessin. a/iO
LX. 18. Lapaya. Petites tind)ales en bois 2 4(1
l\. 19. Lapaya. Hache de pierre 2^0
L\. 20. Lapaya. Co([uille marine [Pecleii i)uij)uratus , Ltnh.) 2^0
X. 21. Ijapaya. Vase aryballoide 2 ^i()
X. 22. Lapaya. Vase en terre cuite 2/i()
XI. 23. Lapaya. Vase en terre cuite 2 ^|()
XI. 24. Lapaya. Vase en terre cuite 2 i()
XII. 25. Lapaya. Plat en terre cuite 2/16
XII. 26. Lapaya. Tasse en terre cuite 2'i()
XIII. 27. Lapa\a. Poteries 2 1()
XIV. 28. Lapaya. Poteries 2l(i
W. 29. Lapaya. Plat en terre cuile 2'|()
X\ . 30. Lapaya. Kcuell<' de la //<y. "28 c présentée |)ar le dos |)oiir mon-
trer les empreintes de vanneiie du fond 2/|()
31. Urne funéraire du cimetière d'Kl Carmen 267
384 TABLE DES FIGURES.
XVI. 32. Cimetière d'Ei (^iarnieii. Fragments d'une urne funéraire et de
son couvercle 268
XVI. 33. Cimetière d'Ei Carmen. Cylindre en terre cuite 2 58
3'i. Urne lunéraire de Providencia (San Pedro) 260
35. Tumuius de Pucarâ de Lerma. Aspect général; plans de deux
tuniulus; coupe verticale 281
36. Tumuius de Pucarâ de Lerma. Plan du groupe A (10/17 t'"iin-
lus conservés 285
37. Tumuius de Pucarâ de Lerma. Plan du groupe B ( i58 tumidus). 28G
38. Tumuius de Pucarâ de Lerma. Plan du groupe C (465 tuniulus). 286
39. Tumuius de Pucarâ de Lerma. Environs des groupes B et C. . 288
^lO. Plan de la ruine de Carbajal 309
XVII. il. Pucarâ de Lerma. Urne funéraire 3 10
XVII. 42. Pucarâ de Lerma. Ciseau et poinçon en cuivre 3 10
XVIII. 43. Pucarâ de Lerma. Aryballe 3 10
XIX. kk. Pucarâ de Lerma. Broyeur en pierre et poteri( s 3io
XIX. 45. Pucarâ de Lerma. Poteries 3io
XX. 46. Carbajal. Petit mortier et autres })ièces en calcaire zone. Pierres
à taille commencée, de la même roche , 3io
XX. 47. Carbajal. Mortier en grès rouge 3io
48. Tinti. Plan d'une habitation du village préhis])anique 3i2
49. Tinti. Ecuelle en terre cuite 3 i/i
XXI. 50. Golgota. Hacienda et cimetière pi éhispanicpie ; vue prise de la
Quebrada del Toro 328
XXI. 51. Golgota. Vue de la barranca contenant les sépultures préhispa-
niques 328
XXII. 52. Golgota. Ecuelle en terre cuite 328
XXU. 53. Golgota. Plaque en or et fragraenls de poterie gravée 328
XXII. 54. Golgota. Bracelets en cuivre 328
55. Plan du village préhispanique de Morobuasi 333
56. Morobuasi. Ciseaux et plaque en cuivre. Objet en bois 34 1
57. Morobuasi. Deux arcs en coupe 343
58. Coupe verticale de la route préhispanique de Morobuasi a Inca-
huasi 347
59. Quebrada del Bosal. Pétroglyphe , 35o
60. Quebrada del Rosal. Pétroglyphe 35i
61. Plan du village prébispanicjue de Puerta de Tasiil 355
62. Puerta de Tastil. Poterie 358
63. Puerta de Tastil. Vannerie 358
64. Puerta de Tastil. Constructions circulaires 36 1
65. Forme des empreintes cViisulas gravées sur le pétroglyphe^ [)rès
de Puerta de Tastil 365
66. Plan du village préhispanique de Tastil et de ses environs 368
67. Tastil. Poinçon et ciseaux en cuivre. Pendeloque en argent.
Pendeloques en pierre 372
TABLE DES FIGURES. 385
XXIII. 68. Morohuasi. Restes de murs des enclos préhispaniques 878
XXm. 69. Idem 878
XXIV. 70. Morohuasi. Écueiie à décor peint 378
XXIV. 71. Morohuasi. Poteries, mortier en pierre et bois de qiierioa. . . 878
XXV. 72. Morohuasi. Urne funéraire d'enfant 878
XX.V. 73. Morohuasi. Grand vase en terre cuite, du village préhispa-
nique. Urne funéraire d'enfant, du cimetière 878
XXVI. 74. Outils en bois de Morohuasi et de Tastil 878
XXVII. 75. Outils en bois de Morohuasi et de Tastil. Vannerie et petit
sac en peau de Puerta de Tastil 878
XXVIII. 76. Puerta de Tastil. Plateau où est situé le village préhispa-
nique 878
XX VIII. 77. Puerta de Tastil. Vue sur la Quebrada del Toro vers le Sud. 878
XXIX. 78. Puerta de Tastil et Tastil. Tubes en os de lama ; bois de cerf;
ocre rouge 878
XXIX. 79. Puerta de Tastil et Tastil. Poteries 878
XXX. 80. Tastil. Partie de l'agglomération d'enclos du village préhispa-
nique 878
XXX. 81. Ruines de Tastil. Plan d'une partie de l'agglomération d'en-
clos 878
XXXI. 82. Tastil. Vase en terre cuite 878
XXXI. 83. Tastil. Vases peints en trois couleurs 878
XXXU. 84. Tastil. Calebasses pyrogravées 878
XXXII. 85. Tastil. Fragments de poterie à décor peint 878
86. Incahuasi (Acay). Pétroglyphe 879
33
IP. KATIOHALR.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME PREMIER.
Pages.
(]arte ethnique de la région andine de l'Amérique du Sud entre le 22^ et
LE 33^ degré latitude Sud, au xvi* siècle ^
Sources historiques de la Carte ethnique G
Diaiïuites
12
32
Huari
Araucans.
'Pes 33
Comechingons 3„
Sanavirons et Indamas /.q
« Juris » L
Tonocotés ^-^
Luies 55
Atacamas , r: o
Uros (Changos) (j„
Omagnacas „3
Tobas __
77
Antiquités de la région diaguite dite « région calchaquie » 81
Description sommaire du territoire des anciens Diaguites 83
Littérature archéologique sur la région andine de la République Ar-
gentine. Le nom « Calchaqui » q3
Ruines '
Industrie ^ ^ ^
Céramique ^ ^ j
Pierre sculptée et taillée , o3
Métaux ^ ■^/
Bois sculpté. Os sculpté ,3.7
Industrie textile. Vêtements i38
Sépultures ^ /p,
Cimetières d'enfants enlenés dans des urnes 1 /|8
Pétroglyphes ^^o
Folklore. ,^_
, w7
Prétendue descendance commune des « Calchacpifs » et des Indiens
Pueblos 1^3
Rapports entre l'ancienne civilisation péruvienne cl la ciildirc |)iV'-
hispanique de la région diaguite 187
Archéologie ^88
La langue quichua et le Iblkiore péruvien 192
Renseignements historiques 107
388 TABLE DES MATIÈRES.
f.APAVA (Vallée Calciiaquie) 2 i3
Lapaya 2i5
Objets en or 218
Objets en cuivre 220
Objets en bois 233
Objets en os 2 33
Objets en pierre 2 36
Céramique 237
Coquillage 2^2
Une monnaie romaine 2/12
Résumé 2I1I1
Vallée de Lerma 2/17
La Vallée de Lerma , 2/19
Archéologie de la Vallée de Lerma. 255
El Carmen, cimetière probablement d'origine guaranie 2 55
Pucarâ de Lerma. Groupes de tumulus 279
Fouilles dans les environs de Pucarâ de Lerma et d'El Carmen. 294
Urne funéraire 29/1
Aryballe 295
Autres objets 3o6
Carbajal 3o8
Tinti 3ii
Ruines préhispaniques dans d'autres parties de la Vallée de Lerma . 3 1 5
Résumé 3i6
QUEBRADA DEL ToRO 3l9
La Quebrada del Toro 32i
Archéologie de la Quebrada del Toro et de la Quebrada de las Cuevas. 327
Golgota 327
Morohuasi 33 1
Ruines 332
Cimetière 339
Chaussées préhispaniques de Morohuasi à Incahuasi et à Payo-
gasta. Pétroglyphes. La partie nord de la Quebrada del Toro.
Chani 345
Puerta de Tastil 35A
Pétroglyphes 36d
Tastil .' 367
Péti'oglyphe d'Incahuasi 379
Résumé 38o
La bibliographie sera insérée à la fin du tome II.
3 3125 00033 4751
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