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PROKFSSOR T.S.WILL
HANDHOLND
AT THE
UN1VI RSITY OF
TORONTO PRESS
411
ANTOINE DE BOURBON
ET
JEANNE D'ALBRET
IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR, A NOGENT-LE-ROTROU.
ANTOINE DE BOURBON
ET
JEANNE D'ALBRET
SDITE DE
LE MARIAGE DE JEANNE D'ALBRET
P A R
LE BARON ALPHONSE DE RUBLE
TOME QUATRIÈME
PARIS
ADOLPHE LABITTE
LIBRAIRE DE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE
4, RUE DE LILLE, 4
1886
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ANTOINE DE BOURBON
ET
JEANNE DALBRET
CHAPITRE SEIZIÈME.
Séparation du roi et de la reine de Navarre.
La reine mère passe au parti réformé. — Elle modifie,
au profit de ses nouvelles tendances , V éducation de
ses enfants.
Assemblée de Saint-Germain (3 janvier 1o()2). — Êdit
de janvier (17 janvier). — Opposition du parlement.
— 17 se résigne à V enregistrement de Védit (5 mars).
Colloque de Saint-Germain au sujet du culte des images
(27 janvier-^ février) .
Le roi de Navarre passe au parti catholique. — Reprise
des négociations avec le roi d'Espagne au sujet de la
Sardaigne. — Philippe II demande le renvoi des chefs
du parti réformé. — Projet d'envoyer le prince de
Condé en Guyenne. — Philippe II exige Vexil des
Cliastillons. — Le duc d'Albe offre la Tunisie au roi
de Navarre (1 8 janvier). — Rivalité de la reine mère
iv 1
2 ANTOINE DE BOURBON
et du roi de Navarre. — Retraite du connétable
(2G janvier). — Antoine demande à la reine le renvoi
des Chastillons (12 février). — Retraite volontaire
de Coligny (22 février). — Renvoi du maréchal Saint-
André.
Retour d'Antonio d'Almeida à Madrid (5 mars). — Les
chefs du parti catholique recommandent le roi de
Navarre à Chantonay.
Querelles de Jeanne d'Albret et du roi de Navarre au sujet
de la religion. — État de santé de la princesse. —
L 'ambassadeur dEspagne demande l'expulsion de
Jeanne dAlbret. — Jeanne quitte la cour (fin mars). —
Henri de Réarn reste auprès de son père; sa résistance
au catholicisme. — Jeanne dAlbret à Vendôme. —
Pillage de la collégiale de Vendôme et des tombeaux
de la maison de Rourbon-Vendôme (mai). — La reine
de Navarre se retire en Réarn.
La tentative d'enlèvement du duc d'Orléans par le
duc de Nemours, au mois d'octobre 1 561 , avait affaibli
les liens qui retenaient la reine mère dans le parti
catholique *. La retraite des Guises hors de la cour l'ai-
dait à se désintéresser de leur parti*. L'alliance du
roi de Navarre avec les catholiques porta le dernier
coup à sa politique d'équilibre. Celui qu'elle avait
essayé d'opposer aux triumvirs s'associait lui-même
aux triumvirs et laissait la dynastie des Valois sans
défense devant les tracasseries du connétable, les
l. Bèze, Eut. aras., 1841, t. [, p. i20 el 121.
:. Lettre de Chantonay A Philippe Œ, du .,v: octobre (Orig.
espagnol; Arch. mit., K. 1494, a* 105).
ET JEANNE DALBRET. 3
perfidies du maréchal de Saint-André et les exigences
insondables du duc de Guise. Le danger, aggravé
par l'ambition des Bourbons, de rester seule avec
ses enfants mineurs parut imminent à la reine. Cette
situation fut étudiée dans le plus grand secret par
ses conseillers intimes, Jean de Monluc, évêque de
Valence, le chancelier, la dame de Crussol. Après de
nombreuses hésitations, que Monluc eut l'adresse de
dissiper, la reine résolut de suivre le mouvement, qui,
depuis l'ouverture du colloque de Poissy, entraînait la
cour et le royaume vers le triomphe du parti réformé,
et, dit Davila, « de se liguer avec l'amiral et le prince
« de Condé, de fomenter leurs entreprises, pour se
« faire un bouclier de leurs forces, et de rajuster et
« contrebalancer de ceste sorte la puissance des deux
« factions1. »
Ce changement ne se fit pas en un jour. A mesure
que le roi de Navarre penchait davantage dans le sens
de la politique espagnole, la reine se rapprochait des
réformés. Le premier acte de Catherine fut une enquête
sur les forces de ses nouveaux défenseurs. Informée que
les églises calvinistes étaient organisées en vue d'une
résistance armée, elle demanda à Coligny l'état de ses
soldats. La demande parut suspecte à la plupart des
religionnaires, mais Coligny sentit qu'elle cachait une
avance. Il produisit une liste de 21,150 églises, plus
ou moins nombreuses, plus ou moins bien assises,
mais toutes capables d'offrir des soldats au roi2.
1. Davila, Hist. des guerres civiles, in-fol. , t. I, p. 96. —
Mémoires de Tavannes, coll. PetitoL, p. 324. — Davila mérite du
crédit pour l'histoire de la politique de la reine mère.
2. Les éditeurs de la Biographie protestante des frères Haag onl
4 ANTOINE DE BOURBON
A l'aide de cette liste, Catherine fit courir secrètement
d'église en église, sans se compromettre, une sorte
d'appel, où le royaume de France était représenté
comme menacé d'une invasion espagnole ou catho-
lique1. Le prince de Coudé et Coligny, au nom de leur
parti, lui promirent une armée de cinquante mille
hommes , moyennant une alliance cimentée par des
pactes formels et par des gages réciproques2.
Il est impossible d'évaluer, môme approximative-
ment, les forces du nouveau culte. Les ambassadeurs
vénitiens, les seuls qui présentent des vues d'ensemble,
se contentent d'affirmer que toutes les villes étaient
troublées par les réformés3, mais ces accusations
n'établissent pas le nombre des séditieux. Le nonce
du pape, Prosper de Sainte-Croix, estime que les reli-
gionnaires étaient dans la proportion de trois ou quatre
pour cent catholiques4. Dans le gouvernement du
maréchal de Saint-André, en Lyonnais, on comptait à
peine, dit Chantonay, cinquante hérétiques sur une
population de 4,000 bourgeois ou chefs de maisons5.
Les réformés ou calvinistes (on commençait alors
à leur donner ce nom1') étaient donc peu nombreux,
essayé de refaire cette liste (t. X, p. 52). Leur travail, quoique
très incomplet, fournil de précieuses indications.
1. Bèze, llisi. ecclês., 1841, t. i, p. 120. L'appel de la ivine est
imprimé par de Bèze. — Dupleix, Hist. de France, t. III. p. (>17.
2. Mémoires de Tavannes, dans la coll. Petitot, p. ;U7.
3. Relations des amb. /■<////., par Tmuaseo, t. I, p. 111 et èl7,
t. II, p. 17, de la Coll. des doc. inédits.
4. Lettres de Sainte-Croix, dans les Archives curieuses de Gimbei
el Danjmi, i. VI, p. 38.
5. Lettre de Ghantonaj à I Mu lippe 11, du 5 janvier (Orig. espa-
gnol . Arch. nai ., k. 1 i'.)7, h" 3).
il. Mémoires de Gauffreteau, t. I, p. 97.
ET JEANNE D ALBRET. 5
mais ils se recrutaient dans les masses militantes, parmi
les hommes avides de nouveauté, de bruit et de sédi-
tion.
Le premier gage que Catherine donna à ses alliés
fut de modifier l'éducation de ses enfants. Le roi
avait pour gouverneur Philibert de Marcilly, sei-
gneur de Cypierre, gentilhomme catholique, étran-
ger aux partis. Il était difficile de le renvoyer sans
cause; le hasard en fournit l'occasion. Un jour la
reine donna au roi une traduction des psaumes, popu-
larisée par de Bèze à la cour, en lui recommandant de
cacher le volume à son gouverneur. A la première
visite de Cypierre, Charles IX lui montra avec orgueil
le cadeau de la reine. Cypierre le fit aussitôt dispa-
raître et dit au roi qu'un homme ne devait pas obéir
aux femmes, conseil qui tlattait l'orgueil de l'enfant
royal. Cypierre eut l'imprudence de révéler le fait au
connétable, qui blâma publiquement la reine1. Cathe-
rine saisit ce prétexte pour disgracier Cypierre. La
dame de Roye, belle-mère du prince de Condé, et la
dame de Crussol, qui pratiquaient la réforme, furent
chargées, d'assister au lever et au coucher du roi
« et de luy faire la leçon2. » Cypierre fut remplacé
par le prince de la Roche- sur -Yon. Le nouveau
gouverneur tenait par sa naissance à la maison de
Bourbon et par ses opinions religieuses au parti catho-
lique le plus modéré. Mais son âge et ses infirmités
(il avait la goutte) le rendaient incapable d'accom-
1. Lettre de Tornabuoni, du 6 janvier (Négoc. delà France avec
la Toscane, t. III, p. 471).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa-
gnol; Arch. mit., lv. 1497, n° 8).
6 ANTOINE DE BOURBON
pagncr un enfant de douze ans à la chasse, à cheval,
aux armes, à la paume4. Cypierre au contraire avait
su entrer dans les bonnes grâces de son jeune maître
en prenant part à tous ses jeux. Quand il quitta la cour,
le roi montra plus de chagrin qu'on n'aurait pu l'at-
tendre de son âge.
Le vendredi soir, dit Shakerley (le jour où ce gouverneur a
élé nommé), le roi n'a presque pas mangé. La reine apprenant
cela a été pour le consoler, à quoi il n'a rien répondu, mais il
a demandé pourquoi M. Sipiere n'était plus son gouverneur, et
qu'il n'en voulait pas d'autre, à quoi la reine n'a rien répondu.
Le matin suivant, le nouveau gouverneur, après avoir salué le
roi, lui demanda de venir jouer dans la grande salle, comme il
est accoutumé de le faire, à quoi il a répondu qu'il ne voulait
pas jouer ; el il est allé à la messe 2.
Le duc d'Orléans, que le parti catholique avait rêvé
de prendre pour chef, fut confié aux prêcheurs de la
reine de Navarre. Élevé, ainsi que son plus jeune frère,
« à prier Dieu en langue vulgaire3, » il embrassa la
réforme avec une passion inattendue. Languet écrit
qu'en pleine cour il demanda un jour à sa mère de ne
pas lui donner « d'autres ecclésiastiques » que des
Luthériens1. De tous les enfants de Catherine, Mar-
guerite seule conserva sa gouvernante catholique.
Les querelles de religion N qui mettaient en feu le
royaume, pénétraient ainsi dans les chambres des
1. Lettre de Ghantonayà Philippe 11, 'lu 30janvie] 1562 I
espagnol ; A.rch. aat., K. 1 197, u" 7).
2. Lettre de Shakerley, agenl anglais à la cour, à l'ambassa-
deur Throckmorton (nov. 1561) (Calendars, 1564, p. 384).
3. Tocsin contre lis massacreurs, 1579, in-8°, p. 15.
i. Lettres de Languet, citées dans Hubert Languet, par M. Che-
vreuil, p. 50.
ET JEANNE d'aLBRET. 7
fils de France. Marguerite raconte dans ses Mémoires
l'obstination enfantine de son frère, le duc d'Orléans,
à la convertir à la religion nouvelle.
Mon frère d'Anjou, depuis roy de France, de qui l'enfance
n'avoit peu esviler l'impression de la malheureuse hugueno-
terie, qui sans cesse me crioit de changer de religion, jettoit
souvent mes heures dans le feu, et au lieu me donnoit des
psalmes et prières huguenotes, me contraignant les porter; je
luy respondis, à telles menaces, fondante en larmes, comme
l'aage de sept à huit ans, où j'estois lors, y est assez tendre,
qu'il me fist fouetter et qu'il me fist tuer s'il vouloit ; que je
souffrirois tout ce que l'on me sçauroit faire, plustost que de me
damner ' .
Les nouvelles tendances de la reine ne restèrent pas
longtemps inaperçues. Chantonay prit l'éveil avant
même que l'évolution fut un fait accompli. Dans ses
nombreuses conférences avec Catherine, il essaya en
vain de lui démontrer que le triomphe de la réforme
serait le triomphe de la maison d'Albret. La régente
restait incrédule ; elle croyait encore au dévouement
du roi de Navarre et attachait du prix aux égards d'éti-
quette que Gondé et Coligny lui prodiguaient en retour
de sa tolérance2. Chantonay crut faire reculer la reine
en agitant encore une fois le fantôme de l'intervention
espagnole. Il conseilla à son maître de prendre une
attitude plus impérieuse. Philippe II envoya le comte
de Horn3 à Saint -Germain et proposa à la reine
1. Mémoires de Marguerite de Valois, édit. Lalanne, dans la Biblio-
thèque elzévirienne, p. 6 et 7. — Ce fait est confirmé par un
mémoire rétrospectif d'Ala va (Arch. nat., K. 1527, n° 67).
2. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 10 septembre (l h
espagnol : Arch. nat., K. 1 194, n<> 100).
3. Lettre de Throckmorton, du 14 novembre [Calendars, 1561,
8 ANTOINE DE BOURBON
une armée, des capitaines, de l'argent pour exter-
miner les hérétiques, propositions qu'il aurait été
fort embarrassé de tenir. Le 28 novembre, il adressa
à la reine des conseils qui ressemblent à des menaces1.
Chaque sommation avait la vertu d'effrayer Catherine,
mais n'effrayait qu'elle. « Les avis de Votre Majesté,
« écrit Chantonay, causent de prime abord quelque
« appréhension, qui dure ordinairement deux ou trois
« heures, jusqu'à l'arrivée des consolateurs, qui apla-
« nissent les choses; et celles-ci continuent leur train
« ordinaire 2. » Les consolateurs étaient les politiques
avisés qui connaissaient la pénurie de la monarchie
espagnole. Dès le 23 octobre, par une lettre fermement
motivée, le roi et la reine déclinent les propositions de
secours du roi d'Espagne3. La môme déclaration est
signifiée à Chantonay à Saint-Germain1. Le 26 décembre,
le roi, informé que les chefs du parti catholique multi-
pliaient auprès du roi d'Espagne les demandes d'inter-
vention et de secours et que Philippe 11 leur prêtait une
oreille favorable , écrit sèchement à son ambassadeur :
« 11 fault que le roy catholique, mon bon frère, considère
« que chacun veult estre maistre en sa maison et se
« faict servir à sa guyse ; et n'appartient pas au sub-
« ject, quand son maistre luy commande chose rai-
p. 396). Le comte de Horn passa à Saint-Germain Le 30 octobre
(Lettre de Chantonay à Philippe II, du 31 octobre; Orig. espa-
gnol, Aivh. N. h., k. 1 194, h0 106).
1. Copie du temps; f. IV., vol. 16103, f. 106.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 24 octobre (Orig. espa-
gnol ; K. 1495, ii" 86).
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 240, cote, et 241.
4. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 28 aovembre (Orig.
espagnol . A.rch. nal ., K. I 194, w" 114).
ET JEANNE DALBRET. 9
« somiable, de s'en plaindre ou recourir ailleurs pour
« se desvoyer de l'obéissance qui luy doibt1. »
Jusqu'à la fin de décembre, l'alliance de la reine
avec les réformés ne se manifesta que par des actes de
tolérance. A cette date, l'accord du roi de Navarre avec
le roi d'Espagne et avec le triumvirat, sa rentrée dans
les rangs du parti catholique inspirent à Catherine
une politique plus active.
Le colloque de Poissy avait échoué par la violence
et l'éclat des querelles de ses membres, mais la plupart
des conseillers de la reine et la reine elle-même,
malgré les leçons de l'expérience, croyaient à la pos-
sibilité de réconcilier les deux cultes. Le chancelier
de l'Hospital était l'àme de ces tentatives d'accom-
modement. Il persuada à la reine qu'une assemblée
religieuse, où domineraient les gens de robe, tien-
drait plus de compte des difficultés politiques qu'un
concile de théologiens de l'un ou de l'autre culte,
enflammés de passions implacables. Le projet de renou-
veler la conférence de Poissy, admis par la reine, fut
discuté au conseil et souleva mainte opposition. Un
jour, à propos d'une question accessoire, le conné-
table et le chancelier se prirent de querelle. Montmo-
rency, piqué de ne pouvoir faire prédominer son opi-
nion, vantait l'expérience qu'il avait acquise sous le
règne de quatre rois. L'Hospital répondit « qu'il n'es-
« toit plus temps de gouverner en criant garde !
« garde ! » appels habituels du connétable, « mais
« qu'il falloit gouverner par la raison. » Le cardinal
de Tournon lui coupa la parole en disant « que on
I. Lettres de Catherine <l< Médicis, t. T, p. 266, note.
10 ANTOINE DE BOURBON
« devait chastier cette canaille. » A ce mot le prince
de Condé se leva furieux, comme s'il eût été désigné
personnellement. Il dit « qu'il ne savait pas que la
« noblesse de France pût être aussi cruellement outra-
« gée, grande comme elle était ; qu'il était de ceux
« que l'on insultait et que on verrait qu'il le prendrait
« mal. » Condé avait le verbe haut et ferme ; chez lui
l'acte suivait de près la parole. Ses menaces inspi-
rèrent plus de modération aux catholiques du conseil
du roi1.
Malgré l'opposition du triumvirat, la reine mère
commanda à tous les parlements de désigner deux
conseillers par cour et de les envoyer à Saint-Germain
dans les premiers jours de janvier2. Le chancelier
convoqua des ministres, Théodore de Bèze et Mario-
rat, et quelques docteurs catholiques. La reine aurait
désiré être assistée du cardinal de Ferrare, dont l'es-
prit souple et conciliant se prêtait à toutes les tran-
sactions, mais il déclina à l'avance toute invitation, « de
« peur, dit-il, qu'il m'arrivât de rechef d'être mis en
« butte à la censure d'autrui, comme il advint en ce
« prêche malencontreux qui fit tant de bruit, » allu-
sion au sermon protestant que Jeanne d'Albret lui
avait fait entendre pendant le colloque de Poissy 3.
La première réunion eut lieu le 3 janvier dans une
salle du château de Saint-Germain , en présence du
roi, de la reine, du roi et de la reine de Navarre et
1. Loi i iv de Tornabuoni, du :i janvier [Négoc. de la France avec
la Toscan, , I. III. p. 170).
-.'. Fragmenl de la grande histoire du président Montagne (f. IV..
vol. 15494, T. 001).
'<. Négoc. du card. d< Ferrare, p. S.
ET JEANNE d'aLBRET. 11
des princes. Les assistants étaient au nombre de vingt
ou vingt-deux, sans compter les membres du conseil.
Les cardinaux, qui n'avaient pas été appelés comme
dignitaires ecclésiastiques, se présentèrent comme
conseillers du roi pour faire nombre contre les enne-
mis de la foi catholique. Le chancelier ouvrit la séance
par un discours sur les troubles du royaume. Il dit
aux députés que le roi les avait réunis « non pour
« délibérer laquelle des deux religions était la meil-
« leure, mais si les assemblées devaient être permises
« ou non1. » Il soumit aux délibérations de l'assem-
blée une modification de l'édit de juillet dans le sens
de la liberté des prêches, mais en obligeant les réfor-
més à rendre les églises. Ces propositions furent com-
battues par les docteurs catholiques2.
La discussion s'ouvrit dès la seconde séance, le
mercredi 7 janvier. Onze conseillers opinèrent, cinq
pour le maintien des stipulations les plus sévères de
l'édit de juillet, trois en faveur de la tolérance ; trois
autres « avec tant de froideur qu'on ne comprit pas
« bien ce qu'ils voulaient conclure. » A la fin de la
séance, le prévôt des marchands, suivi de deux cents
bourgeois de la ville de Paris, demanda à être entendu.
11 parla du désaccord religieux qui troublait les familles
et supplia l'assemblée d'y porter remède. Le lende-
main, 8 janvier, sept conseillers motivèrent leur vote
1. Fragment de la grande histoire du président Montagne (f.
f'r., vol. 15494, t'. 201). — Le discours de l'Hospital a été analysé
par Pasquier (Lettres dans les OEuvrcs complètes, t. II, col. 91 et
suiv.) ot imprimé ou du moins analysé par de Thou (1740, t. 111.
|t. 118) et dans uni' pièce <\<>a Mémoires de Gondé, i. 11. p. 606.
'. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 5 janvier r><',;' (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. I 197, a
12 ANTOINE DE BOURBON
dans des sens tellement différents que le nonce hésite
à les classer dans l'un ou dans l'autre parti. Pendant
la délibération, les docteurs de Sorbonne se présen-
tèrent à la porte et l'un d'eux, choisi comme orateur,
se plaignit que les officiers du roi avaient laissé sans
punition le sacrilège d'un fanatique, qui avait foulé aux
pieds la sainte hostie. Le 14, sept autres conseillers
exprimèrent leur avis1 . Les jours suivants, le connétable,
le maréchal Saint- André et les chevaliers de l'ordre,
présents à la cour, furent appelés à se prononcer. La
délibération, élaguée des points accessoires, se concen-
trait sur deux questions. La première, celle de la
liberté des prêches, fut tranchée en faveur de la tolé-
rance après un discours d'Arnaud du Ferrier-, à la
majorité de 24 voix3. La seconde, celle de l'autorisa-
tion de bâtir des temples dans les villes, donna lieu
à un débat passionné. Le cardinal de Chastillon fit
une déclaration que le nonce trouva irréprochable.
L'évêque de Valence débita un discours inspiré à la
fois par le désir de plaire aux réformés et par l'am-
bition de garder sa mitre. Le chancelier se prononça
en faveur des libertés calvinistes, mais avec une modé-
ration respectueuse pour les dogmes catholiques4. En
général les gens de robe longue « tenaient » pour la
1. Lettre du nonce Prosper de Sainte -Croix, du 15 janvier
(Cimber el Danjou; Arch. cur. pour servir à Vhist. de France,
t. VI, p. 20).
2. Ce discours esl reproduil dans l'histoire du présidenl Mon-
tagne (f. fr., vol. L5494, f. 203).
3. Lettre de Pasquier dans les Œuvres complètes, t. II, col. 91,
92 e1 suivantes.
i. Lettre de Ghantona^ à Philippe El, du 23 janvier 1562 (Orig.
espagnol Arch. nat., K. 1 197, n° 6).
ET JEANNE D'ALBRET. 13
religion nouvelle et les membres du conseil pour l'an-
cienne. Malgré cet appoint, écrit Chantonay, « nous
« estions en bien grande apparence de perdre par la
« pluralité des voix et les adversaires eussent eu des
« temples, avec permission de vivre comme en un
« intérim, » quand le roi de Navarre et la reine
mère assurèrent la majorité au parti catholique '.
Antoine parla de manière à contenter son nouvel allié
d'Espagne. L'assemblée attendait avec curiosité les
conclusions de la régente. Catherine opina la dernière
et « de telle façon qu'on dit n'avoir jamais entendu
« aucun orateur qui se soit exprimé avec plus d'éner-
« gie et de succès2. » Sans doute elle n'osa pas avouer
ses nouvelles tendances, se réservant de les faire pré-
dominer dans ses actes. A peine la délibération était-elle
achevée qu'une violente querelle s'éleva entre le con-
nétable d'une part, Condé et l'amiral de l'autre. Mont-
morency dit aigrement à son neveu Goligny « que le
« plus grand péché dont il se sentait coupable était
« de lui avoir fait du bien jusqu'alors 3. »
Le parti catholique avait eu le crédit de faire repous-
ser l'autorisation d'élever des temples, mais la tolé-
1. Lettre de Chantonay, du 22 janvier, dans les Mémoires d"
Condé, t. II, p. 20.
2. Lettre du card. de Ferrare [Négoc. du card. de Ferrare, p. 13,
14 et 15). Le cardinal est tellement satisfait du roi de Navarre
qu'il invite le pape à lui écrire une lettre de félicitations. —
Lettres de Prosper de Sainte-Croix (Arch. cur. de Gimber el
Danjou, t.. VI, p. 29). — Lettre de Tornabuoni [Négoc. de la
France avec la Toscane, t. III, p. 471).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 janvier (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. li'.iT, n° 6). — Lettre de, Sainte-Croix
{Arch. curieuses, t. VI, \>. 29). — Lettre du card. de Ferrare
{Négoc. du card. de Ferrare, p. 12).
14 ANTOINE DE BOURBON
rance n'en triomphait pas moins. Le 17 janvier, la
reine promulgua l'édit quelle tenait en réserve comme
le gage de son alliance avec les Réformés. Les lois
pénales, édictées depuis le commencement du règne de
François 1er contre les progrès de la religion nouvelle,
étaient suspendues. La liberté des prêches et des céré-
monies du culte était reconnue, mais seulement de
jour et hors des villes. Les religionnaires devaient resti-
tuer les temples usurpés aux catholiques et n'avaient
pas le droit d'en élever de nouveaux; mais aucune
clause ne les empêchait de se réunir dans les maisons
particulières. Les ministres ne devaient compléter
l'organisation de leurs églises qu'avec l'autorisation du
roi et ne prêcher que « la pure parole de Dieu, » dis-
positions trop vagues pour être gênantes ' . C'étaient les
principes de la législation que la France, après un
demi-siècle de guerre et de crimes, devait accepter
avec reconnaissance de la main du plus grand de ses
rois.
L'édit du 1 7 janvier fut salué par les applaudisse-
ments unanimes du parti réformé. Cinq jours après,
de Bèze en envoya l'analyse à Genève avec des anno-
tations triomphantes2. Les ministres recommandèrent
aux fidèles de se contenter des libertés qui leur
1. Gel édil a cela de particulier qu'il a'esl pas formulé en
articles comme les autres édits du roi. Il a été très souvent
imprimé el se trouve aotammenl dans les Mémoires de Gondé,
i. lll, p. s.
2. Cette pièce esl imprimée dans les Mémoires d t. III,
p. 93. La minute autographe de de Bèze, qui contiiMit, quelques
différences de rédaction, a été retrouvée aux archives de Genève
par M. Dardier et publiée dans la Revue historique, i. MX.
1 1 . 147.
ET JEANNE D ALBRET. 15
étaient octroyées et d'obéir aux restrictions de l'édit4.
Les meneurs travaillèrent à en tirer parti. Reconnus
par le pouvoir royal, investis de l'autorisation de se
produire au grand jour, les Huguenots se sentaient
le droit et la force de développer leur action. Les
prêches pullulèrent. Tout moine défroqué, tout clerc
chassé de l'église se crut appelé à réformer l'église.
« Les ministres prêchèrent plus hardiment, qui çà
« qui là, les uns par les champs, les autres en des jar-
« dins et à découvert, partout où l'affection ou la pas-
ce sion les guidoit et où ils pouvoient trouver du cou-
ce vert, comme es vieilles sales et masures, etjusques
« aux granges ; d'autant qu'il leur estoit défendu de
« bâtir temples et prendre aucunes choses d'esglises2.»
Aucune question ne paraissait étrangère à leur compé-
tence. A Orléans, le consistoire discuta la question de
la monarchie élective ou héréditaire. Ce débat, que le
parti était disposé à transporter sur le terrain des
faits, déplut beaucoup à la reine3.
Au premier bruit de l'assemblée de Saint-Germain,
le 7 janvier, Ghantonay s'était plaint à la reine de la
« proposition que y avoit faite M. le chancelier, tendant
1. Cette circulaire est reproduite par la Popelmièrc (Hist. de
France, in-fol., 1581, t. I, f. 281 v), et par de Bèze {Hist. ecclcs.,
1841, t. I, p. 428).
2. Mémoires de Castelnau, liv. III, chap. v.
3. Lettre de Sainte-Croix (Arch. curieuses, t. VI, p. 25). — Ce
principe, dont on a voulu faire honneur au parti réformé, est
renouvelé du droit romain. Au xvic siècle, Languet et Bodin le
reprireut. Languet surtout est précis : « Dicimus jam populum
reges constituere, régna tradere, electionem suo suffi-agio coni-
probare, etc. » {Vindiciae contra tyrannos. Amsterdam, 1660,
in-12, p. lOi.) L'ouvrage, dans cette édition, est attribué à de
Bèze.
Ni ANTOINE DE BOURBON
« à mettre dans le royaume une forme d'intérim et
« laisser vivre tout le monde à sa discrétion. » Cathe-
rine reçut d'autant plus mal la plainte qu'elle la sentait
fondée. Elle demanda à l'ambassadeur sur un ton
hautain comment il avait connu le discours du chance-
lier. Chantonay répondit que « c'était le bruit des
« pages. » Elle répliqua que les pages ne connaissaient
pas les secrets d'état, et, prenant l'offensive à son tour,
elle reprocha à l'ambassadeur l'espionnage qu'il sou-
doyait à la cour. Elle ajouta, d'une voix tremblante de
colère, « qu'elle voyoit qu'il estoit bien adverty, non
« pas véritablement, mais bien curieusement, et que,
« si elle cognoissoit ces advertisseurs , qui calum-
et nient ainsy toutes ses actions, elle leur feroit sentir
« combien ilz s'oublient de parler aussi peu révérem-
« ment et véritablement d'elle. » A l'issue de l'audience,
elle écrivit au roi d'Espagne que Chantonay cherchait
à brouiller les deux rois1. Catherine ignorait que
l'ambassadeur agissait d'après les ordres de son maître
et que ses menées secrètes étaient encouragées par
Philippe II : « Si la réunion n'est pas dissoute, écrit le
« roi d'Espagne, quand vous recevrez cette lettre,
« vous me ferez plaisir en essayant par tous les moyens
« possibles d'empescher qu'on ne prenne une résolu-
ce tion aussi préjudiciable que celle dont il est ques-
« tion 2. »
Aussitôt après la clôture de l'assemblée, le roi
de Navarre envoya son favori, François d'Escars,
1. La minute de la dépêche à l'Aubespine es! imprimée dans
les .1/1 moires de Condé, 1. Et, p. 601 .
2. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 18 janvier Arch.
nui., k. 1496, 11" 34).
ET JEANNE DALBRET. 17
à Chantonay. L'Espagnol se méfiait de l'ordonnance
avant de la connaître * ; il s'y opposa bien davan-
tage quand elle fut publiée. Assisté du nonce, Pros-
per de Sainte-Croix, il vint à la cour et protesta
auprès de la reine. Les deux ambassadeurs s'accor-
daient à dire que les concessions faites à la Réforme
étaient claires et de grande portée, tandis que les
clauses restrictives étaient ambiguës ou inutiles. La
défense de bâtir des temples était en contradiction
de fait avec la liberté des prêches. Troublée par ces
reproches, Catherine eut la faiblesse de rejeter la res-
ponsabilité sur le chancelier de l'Hospital, et répondit
que l'édit pourrait être amélioré par de nouvelles
déclarations du roi2. La plus importante réforme à y
apporter, disait Chantonay, serait de l'annuler, et, en
attendant, de n'accorder de charges publiques qu'aux
catholiques3. En sortant de l'audience de la reine, il
rencontra par hasard le cardinal de Ferrare et lui pré-
dit qu'il serait bientôt obligé de fermer sa chapelle,
« car on pourrait oublier le respect dû à un légat4. »
La complicité du roi de Navarre dans l'édit de jan-
vier jetait une ombre défavorable sur sa conversion
récente. Mais il fut reconnu qu'il avait agi de bonne foi,
\. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 janvier (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 14'JT, n° 6). On s étonne que, six jours après
là signature de l'édit, Chantonay n'en connût pas encore la
teneur.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 7).
3. Résumé de lettres de Chantonay de la lin de janvier (Arch.
nat., K. 1496, n» 48).
4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 3).
IV
18 ANTOINE DE BOURBON
sans peser la valeur des coups qu'ii laissait porter à
l'omnipotence catholique. Aussi Chantonay engagea son
maître à ménager le lieutenant général et à lui épar-
gner ses doléances « alin de ne pas le décourager dans
« le bon chemin qu'il pense suivre1. » Philippe 11
goûta le conseil et se contenta de protester auprès de
Sébastien de l'Aubespine « contre le grand préjudice
« de la religion2. »
La consternation du parti catholique égala la joie
triomphante des réformés. Le pape reçut des dépêches
qui représentaient la religion comme sacrifiée et le
royaume de France à la veille de sa ruine3. Cependant
les catholiques n'avaient rien perdu ; l'édit de janvier
sanctionnait seulement par une disposition législative
l'état de choses antérieur. Le cardinal de Ferrare, le
plus indépendant des observateurs postés à la cour de
France, écrivit au pape que ceux qui considéraient « la
« maladie du royaume comme une maladie incurable
« se trompaient de beaucoup4. »
Il était d'usage, lorsque le roi rendait un édit, de le
présenter d'abord au parlement de Paris, qui avait le
devoir de l'étudier et le privilège d'adresser des
remontrances. L'édit, modifié, s'il y avait lieu, d'un
commun accord , était enregistré et transmis aux
cours de province. C'est ainsi qu'il devenait exécu-
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espa-
gnol ; Arch. n;it.. K. I i'.lT, n" 7).
•j. Lettre de Philippe II à, Chantonay, du 9 février (Arch. aat.,
k. 1496, n- 49).
3. Lettres de Prosper 'le Sainte-Croix [Arch. au'iiiises de
Gimber el Danjou, t. VI, p. 16). Il proteste contre U> décourage-
nii'iii général.
i. Négociations du card. deFerrare, p 24. Lettredu ?? janvier.
ET JEANNE d'aLBRET. 19
toire dans toutes les sénéchaussées. Le chancelier
suivit une autre voie. Informé que le parlement de
Paris refusait de « savourer » l'édit de janvier1, il le
communiqua à la fois à toutes les cours de France2.
L'ordonnance fut acceptée dans chaque ressort judi-
ciaire. Seul, le parlement de Dijon le repoussa obsti-
nément par l'influence de Tavannes 3.
Restait le parlement de Paris, le plus influent et le
plus éclairé de tous les parlements. Le 20 janvier, la
reine fit présenter le nouvel édit à l'enregistrement par
le maréchal François de Montmorency4. Les conseillers
se montrèrent d'abord blessés de n'avoir pas été con-
sultés pendant les délibérations de l'assemblée de Saint-
Germain ; ils désignèrent, pour examiner l'ordonnance,
une commission animée de passions hostiles. Le premier
président Le Maistre, à peine remonté sur son siège, le
procureur général Bourdin, et quelques vieux magis-
trats, « accoustumés de brusler ou rôtir ceulx de la reli-
« gion, » enflammaient leurs collègues de leur esprit
d'intolérance. Ils étaient appuyés par l'université de
1. De Serres, Le véritable inventaire de l'histoire de France, 1648,
t. I, p. 689.
2. Ces détails sur la promulgation des lois sont précisas par
Ghantonay (Lettre à Philippe II, du 23 février 1562; Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 11).
3. Extrait des registres du parlement, dans les Mémoires de
Condé, t. III, p. 84. — Pasquier dit par erreur que ce fut le par-
lement de Provence qui refusa de publier l'édit (Lettres dans les
OEuvres complètes, t. H, col. 91 et suiv.). — Sur le refus du par-
lement de Bourgogne de publier l'édit de janvier, voyez, deux
lettres du chancelier de l'Hospital, du 16 et du 19 juin (Bouchier,
Commentaire sur la coutume de Bourgogne, t. I, f. 14).
4. Extrait des registres du parlement de Paris, publié dans les
Mémoires de Condé, I. III, p. 23.
20 ANTOINE DE BOURBON
Paris et le clergé, par le prévôt des marchands, Merle,
et le bourgeois Marcel , orfèvre opulent et favori de
la reine1. Le mot d'ordre de la résistance était : Non
possumus née debemus2. L'état de la ville justifiait
l'opposition de la cour suprême. La multitude des
prêches calvinistes accroissait chaque jour l'agitation
et donnait un prétexte à la violence des prédicateurs
catholiques. En vain la reine et les lieutenants du roi
avaient renouvelé les ordonnances qui défendaient aux
deux partis de s'injurier ; la passion des orateurs était
plus forte que la prudence3.
Le 23 janvier, le roi et la reine adressèrent au par-
lement une première injonction4 et lui envoyèrent. le
roi de Navarre. Antoine se présenta en solliciteur et
reçut du premier président de vagues promesses
d'obéissance5. Mais trois jours après, le parlement,
informé que le libraire Charles Langelier, sur l'ordre
du maréchal de Montmorency, devait publier le texte
de l'édit de janvier, fit saisir et détruire les douze cents
1. La Popelinière, in-fol., t. I, p. 282. — De Bèze, 1841, t. 1,
p. 431. Les deux historiens se copienl textuellement. — Pendant
que le parlemenl délibérait, dit du Boulay, le 24 janvier, l'uni-
versité île Paris, représentée par le recteur, et le clergé, repré-
senté par le chancelier de l'église Notre-Dame, apportèrent au
parlemenl leur opposition à l'enregistrement de l'édit (Hist. unir.
Paris., t. VI, p. 548 et 549).
2. Journal de Bruslard, dans les Mémoires de Gondé, t. I, p. 69
et sui\.
3. Mémoires de Castelnau, liv. III, chap. \i.
4. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, p. 272. — La lettre du roi
est publiée d'après les registres du parlement, dans les Mémoires
de Gondé, t. M, p. 26.
5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 81. —
M aoii < s di ("lut, . t . III, p. 21.
ET JEANNE D'ALBRET. 21
exemplaires imprimés. Langelier, vertement répri-
mandé, fut menacé de perdre son privilège1.
L'opposition du parlement tenait l'exécution de
l'édit en suspens. Déjà le bruit se répandait que la
nouvelle ordonnance ne recevrait aucune suite, comme
les mesures coercitives des règnes précédents2. Les
chefs du parti réformé, d'autant plus irrités qu'ils
avaient conçu de plus grandes espérances, adressèrent
au roi une requête, pour demander, comme une
faveur, ce qui leur avait été concédé par l'édit
de janvier3. On fit courir une prétendue remontrance
de la reine au pape, sur le nombre des calvinistes et la
justice de leur cause4. La régente accabla le parlement
de sommations. Le 27 janvier, elle lui envoya Jean de
Saint-Marcel, s. d'Avanson, membre du conseil, avec
l'ordre de ne faire aucune réserve sans l'autorisation
du roi. Le 29, nouvelle lettre. Le 30 janvier, la cour
demande au roi le temps de délibérer. Le 1er, le 1 1 , le
1 2 février, le roi et la reine répondent à cette requête
par des reproches. Le même jour, le parlement
adresse au roi des remontrances sur le fond de l'édit5.
Les magistrats étaient enflammés d'une telle ardeur
de résistance que plusieurs déclarèrent, dit Sainte-
1. Extrait des registres du parlement, publié dans les Mémoires
de Coudé, t. III, p. 21 et suivantes.
2. Lettre de Throckmorton, du 28 janvier (Calcndars , 1561,
p. 507).
3. Cette requête, sans date, ;i été conservée par la Popelinière
il. I, f. 282 v°). — Cf. Mémoires de Condé, t. II, p. 575.
4. Cette pièce se trouve en copie dans La coll. Moreau, vil. Tin,
f. 33.
5. Extrait des registres du parlement, publié dans les Mémoires
de Condé, t. III, p. 34 et suivantes.
22 ANTOINE DE BOURBON
Croix, que le roi « pourrait bien les priver de la vie,
« mais non pas les faire consentir à une pareille
« lâcheté1 . » Ils étaient soutenus par les gens de l'hôtel
de ville. Dans les premiers jours de février, le prévôt
de Paris, porteur d'un acte de protestation du corps
des notables2, vint demander à la reine l'ajournement
de la publication de l'édit, au moins à Paris, pour
épargner à la ville les horreurs de la guerre civile.
Bafoué par les seigneurs protestants, qui occupaient
déjà en maîtres les salles du château, il ne put même
obtenir une audience de la reine3.
Le 1 4 février, le roi formula un avis sur l'inter-
prétation à donner au mot officiel' dans les clauses de
l'édit. Le même jour, il adressa de nouvelles injonc-
tions au parlement. Le lendemain, la cour hasarda
encore une remontrance par l'entremise des présidents
de Thou et Viole. La reine les écouta sèchement et
répondit que la volonté du roi n'était pas de recon-
naître les deux cultes au môme titre, mais seulement
de soumettre les religionnaires à la justice4. Les magis-
trats délégués rapportèrent de Saint-Germain des
lettres du roi, de la reine mère, du roi de .Navarre et
du chancelier, encore plus impératives que les précé-
dentes5. La faiblesse, tant de fois reconnue, de la reine
1. Lettre de Sainte-Crois (Arch. curieuses, i. VI, p. 35).
2. Ce manifeste esl imprimé dans le Bulletin de la Soci
l'histoire 'lu Protestantisme français, i. W 11. p.
3. Le ii re de Ghantonaj à Philippe II, <lu 3 février (Orig. espa-
gnol ; Aivh. nai., K. 1497, n° 8).
4. Négociations du card. de Ferrare, p. 85.
5. Extrail des registres du parlement, publié dans les Mémoires
de Condr, i. 111. p. 15, 60 el suivantes. — Lettres de Catlierine de
V: dicis, û. ;'7-i el ;>75.
ET JEANNE D'ALBRET. 23
et du roi de Navarre laissait les ambassadeurs indécis
sur l'issue du débat. « La politique, écrit Throck-
« morton, est si variable en France, que, lorsque cette
« lettre arrivera, il y aura peut-être quelque chan-
« gement1. »
Le 1 9 février, sur le conseil du chancelier, Cathe-
rine de Médicis, accompagnée de la dame de Grussol,
du roi et de la reine de Navarre, se rendit à l'impro-
viste au parlement. L'Hospital refusa de suivre la
régente à Paris, s'excusant, dit Chantonay, sur la pau-
vreté de sa maison. En vain le grand écuyer mit à
sa disposition les chevaux, les mules, les litières et les
coches du roi ; le chancelier se dit malade et s'enferma
en son logis. « J'aurais voulu le voir, dit l'ambassa-
de deur d'Espagne, s'expliquer publiquement au sujet
« de l'édit. » Informé du voyage, Chantonay envoya
prier le roi de Navarre de traverser secrètement les
efforts de la reine et de laisser toute liberté à la cour
suprême. Antoine, flatté, répondit « qu'il y travaille-
« rait. » Catherine prit la poste et entra à cheval
dans la cour du palais de justice. Peu s'en fallut, dit
Claude Haton, qu'elle ne pénétrât en cet équipage
jusques dans la chambre dorée. Elle « commença
« à plaider et crier comme femmes font quand elles
« sont courroucées, injuriant et menaçant lesd. s.
« du parlement au possible. » La cour laissa couler
avec patience le flot des emportements de la reine.
Catherine « persévéra en ses menaces. » Un des
magistrats lui répondit : « Madame, vous et voz
« enfans, vous repentirez les premiers ; c'est le moyen
1. Calendars, 1561, p. 524. Lettre du 16 février 1562.
24 ANTOINE DE BOURBON
« de vous et eux faire perdre la couronne et royaume
« de France, si aultre que vous ne s'en mesle4. » Le
19 au soir, la régente convoqua au Louvre les prési-
dents de chambre et quelques conseillers2. Le premier
président Le Maistre, menacé d'un nouvel exil, avait
promis sa neutralité et se tenait enfermé chez lui sous
prétexte qu'il avait « vuydé une pierre assez grosse. »
Le président Saint-André se disait atteint « d'une
« iluxion de sang par le nez3. » Catherine en personne
engagea une négociation avec les magistrats les plus
hostiles, tandis que le roi de Navarre, obéissant aux
suggestions de l'ambassadeur d'Espagne , s'était
volontairement éloigné. Elle leur dit « qu'elle avoit
« tant prié etfaict prier Dieu, et n'avoict peu trouver
« autre moyen que celuy contenu en l'ordonnance, que
« la cour n'avoit voullu vérifier. » Les conseillers pré-
sents, intimidés par le prestige de l'autorité royale,
n'osaient se prononcer. Elle les interrogea sur les
causes des troubles, sur les moyens de pacifier le
royaume, et leur demanda, puisqu'ils repoussaient
l'édit de janvier, de lui indiquer un autre « remède. »
Tous lui conseillèrent de chasser les ministres. Cathe-
rine leur répondit avec humeur « qu'ils y pensassent
« un peu mieux. »
Le lendemain, %0 février, la reine mère et le roi de
Navarre firent célébrer une messeà la sainte chapelle en
I. Mémoires de Claudt Eaton, t. I, p. 1ST.
.'. Lettre de Chantonaj ;'i Philippe 11, du 23 février 1562 (Orig.
espagnol; A.rch. nat.; K. 1497, n° II). — Cette démarche est plus
sommairemenl racontée dans les lettres de Sainte-Croix (Archives
curieuses, i. VI, p. 37).
:!. Extraits des registres du parlement, publiés dans les Mémoires
de Condé, t. 111. p. T:i.
ET JEANNE D'ALBRET. 25
grande pompe. La foule, attirée par la curiosité, sui-
vait le cortège et l'accompagnait de ses acclamations.
Après la messe, Antoine se rendit à la séance du par-
lement avec le maréchal Saint-André. Malgré ses
promesses, dit Chantonay, il parla en faveur de l'édit
de janvier pour obéir à la reine. Au sortir du palais,
le prince se fît conduire à la cathédrale Notre-Dame ;
il y rencontra plusieurs notables, les accueillit avec sa
grâce ordinaire et les enchanta par ses déclarations
catholiques1 . La régente était rentrée au Louvre et don-
nait audience à Coligny et à d'Andelot quand le prince
revint de l'église. Les courtisans remarquèrent qu'elle
leur parlait avec une bienveillance affectée, en signe de
faveur, tandis que Antoine les traitait en ennemis. Les
deux Ghastillons venaient inviter la reine aux prêches
de la porte Saint-Antoine, où une cérémonie solennelle
avait été habilement préparée. La veille et le matin, dit
Chantonay, les chefs du parti réformé avaient convo-
qué tous leurs coreligionnaires et enrôlé à prix d'or
une foule d'indifférents. Ils avaient promis un réal à
chaque assistant et dépensé 800 à 1 ,000 ducats. Le
chanoine Bruslard ajoute qu'ils avaient convié « toute
« sorte de gens à aller à la presche, revêtus de leurs
« beaux habillemens, avec cornettes, afin de donner
« entendre à la royne que, en leur assemblée, ce sont
« tous gens de respect et de réputation. » Le célèbre
du Moulin et l'avocat Ruzé assistaient au prêche2. La
démonstration manqua son but ; Catherine dédaigna le
spectacle. La régente et la reine de Navarre, déguisées
I . Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 7).
?. Journal de Bruslard, dans les Mémoires deCondé, t. I, p. 7;'.
26 ANTOINE DE BOURBON
en bourgeoises, coiffées d'un simple chaperon, visi-
tèrent les boutiques du palais et celle du pont Saint-
Michel. Elles parcoururent ainsi une partie de la ville,
interrogeant les marchands et demandant des nouvelles
de la cour. Elles recueillirent, dit un chroniqueur ano-
nyme, « beaucoup de propos contre les grands, même
« contre la royne de Navarre présente1. » Seuls de la
cour, le cardinal de Chastillon, l'évêque de Valence et
la dame de Grussol étaient allés au prêche. Le soir,
lorsque les courtisans se trouvèrent réunis dans la
chambre de la reine, Antoine reprocha à l'évêque de
Valence son équipée du jour. Monluc répondit qu'il
avait été attiré par la curiosité et demanda au prince
« quelle idée il avait de lui. Vendôme lui répondit
« qu'il était un grand hérétique. Valence se récria et
« dit que c'était lui faire insulte. Vendôme lui riposta
« que son intention n'avait pas été telle, mais qu'il lui
« disait la vérité2. »
La reine, en demandant conseil au parlement, l'avait
engagé, avant de lui répondre, « d'y penser un peu
« mieux. » Le %% février, aussitôt après son retour à
1. Journal de 1562, dans la. Revue rétrospective, t. Y, p. Si. G'esl
p. ir erreur que ce chroniqueur, trompé par le bruit commun, dit
que la reine alla voir passer les Huguenots.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 février 1562 (Orig.
espagnol; A.rch. nui., K. 1497, u° 11). — Les sentiments reli-
gieux de Jean de Monluc, évêque de Valence, variaient souvent.
On a vu que, pendant le colloque de l'oissy, il ..mueuait le plus
souvent la politique >\<>< ministres. Quelque temps auparavant,
dans son diocèse, il faisait montre d'orthod ixie. Garle, évêque de
Riez, écrit à la reine, le 11 juin 1561 : » Je ne trouvay M. de
o Vallon ce à Vallenrc, car il eslovi allé l'aire sa visite, niais à ce
« que je peus entendre démons, de la Mothe el d'autres, il y faict
« bien son debvoyr. » (F. fr., vol. 3186, t. 148.)
ET JEANNE d'aLBRET. 27
Saint-Germain , elle lui dépêcha le conseiller d'état
d'Avanson1, et, le 23, la cour entra en délibération.
Après une discussion approfondie, la cour arrêta de
proposer au roi le renouvellement de l'édit de juillet, la
plus sévère mesure de l'année précédente, l'expulsion
des ministres ou leur renvoi au concile de Trente et la
prédominance du culte catholique en attendant la déci-
sion œcuménique2. Ce programme fut mal reçu au con-
seil privé. La reine montra plus d'humeur qu'elle n'en
laissait voir dans les déceptions politiques et décida que
le prince de la Roche-sur- Yon se rendrait au parlement
avec la charge de forcer l'opposition des magistrats3.
Le prince se présenta le 3 mars et prononça une sorte
de harangue sur le thème Salus populi suprema lcxA.
Le lendemain, à l'ouverture de l'audience, le président
Saint-André raconta avec terreur que près de dix mille
personnes étaient venues lui demander en son logis
l'enregistrement de l'édit, qu'il avait été averti par le
maréchal de Montmorency que « cinq ou six mille
« hommes viennent en diligence en ceste ville, et qu'il
« falloit craindre une sédition et un sac, et que lors il
« seroit trop tard pour se repentir. » Les magistrats,
effrayés par ce récit, réclamaient les conseils du pre-
1. Extrait des registres du parlement, publié dans les Mémoires
de Condé, t. III, p. 75.
2. Journal deBruslard, «huis les Mémoires de Condé, t. I, p. 72.
— La délibération du parlement est conservée en copie dans le
vol. 4017, pièce 1. — Autre copie dans la coll. Brienne, vol. 205,
f. 243.
3. Lettre de jussion du 1er mars {Mémoires de Condé, t. III,
p. 19). — Néfjoc. du card. de Ferrare, p. 101.
i. Extrail des registres du parlement, dans les Mémoires d*
Condé, t. III, p. 82.
28 ANTOINE DE BOURBON
mier président Le Maistre. Il « se mourait en son logis
« d'une suffocation qui l'avoit assailly ceste nuit » et
prenait de la rhubarbe. L'audience du matin fut levée
au milieu d'une vive agitation. Pendant la séance du
soir, les portes de la salle furent assiégées par une
bande d'écoliers, la plupart armés, qui demandaient à
grands cris la publication de l'édit. Le maréchal de
Montmorency dissipa l'émeute ; mais les capitaines
déclarèrent qu'ils seraient bientôt débordés si le par-
lement résistait aux exigences de la foule. Enfin, le
5 mars, la cour suprême, intimidée par les menaces
du dehors et par la présence des gens d'armes du
maréchal, se résigna à accepter l'édit1. Le soir même,
le président de Thou en donna avis à la reine2. Le 6,
le parlement rendit son arrêt d'enregistrement « sans
« approbation toutefois de la nouvelle religion, le tout
« par manière de provision3. » L'édit fut publié à son
de trompe le lendemain. Déjà les réformés s'étaient
mis en mesure de lui obéir. Ils avaient fermé les
prêches de l'intérieur de la ville et n'avaient conservé
que celui de Popincourt4.
Tandis que le parlement de Paris luttait pied à pied
contre l'édit de janvier, Catherine de Médicis, encou-
1. Extrait des registres du parlement (Mémoires de Condé, t. III,
p. 82 et suivantes).
2. Lettre à la reine, du 5 mars, autographe, vendue le 26 mai
1877 par M. Gabriel Charavay.
3. Mi-moires de Condé, t. III, p. 20. — Malgré l'arrêl d'enregis-
trement, le parlement trouva le moyen de retarder l'exécution.
L'édil ne fui vérifié que I'1 26 mars suivant. L'arrêt de vérifica-
tion est reproduit dans les Mémoires du clergé de Gentil, t. VI,
p. 512.
4. Journal de l'an 1562, dans la Revue rétrospective, t. V. p. 83.
ET JEANNE D'ALBRET. 29
ragée par le succès de l'assemblée de Saint-Germain,
réunissait une nouvelle conférence. Elle convoqua
« trois manières de gens, assavoir : des prêtres
« insignes et renommez de la Sorbonne, quelques
« autres personnages indifférens et assez bien affectez
« à la pureté et ré formation de la doctrine (c'est-à-
« dire des membres du conseil privé choisis par elle),
« et les ministres des esglises réformées ' . » Elle leur
soumit certaines dispositions du culte catholique, sur
lesquelles les théologiens de l'un et de l'autre parti
paraissaient moins éloignés d'une transaction2, « pour
« aviser, dit-elle, aux causes pour lesquelles ceux de
« la nouvelle opinion se tiennent séparés de nous et
« regarder s'il y aura moyen de les réunir et ramener
« à nostre esglise3. » Le premier point concernait le
culte des images. La reine se flattait qu'un premier
accord sur une question secondaire serait le prélude
d'un rapprochement général. L'évêque de Valence
s'agitait en faveur du nouveau colloque. Il s'excuse,
le 23 janvier, auprès du duc de Wurtemberg, de ne
pas avoir examiné un formulaire luthérien : « Nous
« sommes icy tellement pressés de prendre quelque
1. Lettre du roi de Navarre au comte Palatin, du 7 février
1561 (1562) (Mémoires de Condé, t. ni, p. 98).
2. Voici le programme de ce nouveau colloque, qui est passé
complètement inaperçu, d'après l'ambassadeur d'Espagne : « De
imaginibus ; de baptisma et ejus furma ; de cœna; de sacrificio
missae ; de invocatione sanctorum ; de vocatione ; de doctrina ; de
communione sub utraque specie ; de precibus in idiomate vulgari ;
de imaginibus ex altaribus, seu locis eminentioribus, tollendis. »
(Lettre de Ghantonav, du 3 février ; Mémoires de Condé, t. II,
p. 22.)
3. Lettre de Catberine, du 16 février [Mémoires de Castelnau,
17:11 , t. I, p. 735).
30 ANTOINE DE BOURBON
« résolution qu'il ne nous reste aucune partie de loisir
« pour l'employer en autres affaires4. » L'ambassadeur
d'Espagne se donnait autant de mouvement pour
entraver l'assemblée que l'évêque de Valence pour la
faire réussir. Il demanda une audience au roi de
Navarre, et, avec mille précautions, le pria de ne pas
renouveler le concile national de Poissy. Antoine lui
répondit que le nouveau colloque était « un amuse-
« ment pour les hérétiques, qui n'aurait aucun résul-
« tat et qu'avant deux ou trois jours il se dissoudrait
« et qu'il n'y aurait plus ni colloque ni ministre2. »
Ghantonay adressa aussi des remontrances à la reine
et lui remit de nouvelles lettres de Philippe II, pleines
de reproches et de conseils impérieux. Catherine se
piqua d'amour-propre et répondit à l'ambassadeur
qu'elle ne voulait pas être traitée « comme une petite
« fille :î. »
La conférence s'ouvrit le 27 janvier, au château de
Saint-Germain, dans une salle dite salle de Madame, en
présence du roi, de la reine mère, du duc d'Orléans, de
la reine de Navarre et du légat4. Le père Laynez,
1. Bulletin de la Soc. de l'hist. du Protest, français, t. XXIV,
p. 117.
2. Loi ire de Ghantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa-
gnol ; Arcli. mit., K. 1497, n° 8).
3. Résumé de chancellerie de lettres de Chantonay (lia janvier
1562) (Arch. nat., K. ti%, n° 48).
i. Récit du temps [coll. Moreau, vol. 740, 1'. 15] Ce récit, très
détaillé, esl sans nom d'auteur, mais ou peut l'attribuera un des
docteurs catholiques qui prenaienl pari à la conférence, peut-
rliv à Despence. Il t'-numère tous les assistants de la séance
d'ouverture. A ce récit, il faut en ajouter un autre, égalemenl
très Important, et du temps, mais plus exclusivement théologique,
conservé dans la coll. Dupuy, vol. 309, f. 25.
ET JEANNE d'ALBRET. 31
général des jésuites, retenu à Paris par l'organisation
du collège de Clermont1, aidé de quelques Sorbon-
nistes, Despence, Salignac, Bouteiller et Pecherel,
devait soutenir la discussion au nom du parti catho-
lique. Le roi leur faisait donner un écu par jour pour
leur entretien. Théodore de Bèze, Marlorat, Perrocel
et Barbaste, ministre gascon, prêcheur de la reine de
Navarre, défendaient les innovations du culte réformé-.
Le chancelier parla le premier et demanda aux doc-
teurs de Sorbonne de formuler par écrit leur thèse sur
le culte des images, afin de la soumettre au concile de
Trente 3. De Bèze attaqua le symbole de la croix, parce
que l'église, disait-il, n'en avait fait aucun usage dans
les premiers siècles, jusqu'au règne de Constantin.
Laynez lui répondit. « Secutus est jesuita, ille his-
« trio, écrit amèrement de Bèze à Calvin, qui in con-
« ventu quoque Possiacensi intervenerat , nec minus
« se lepidum praestitit quam antea4. » L'évêque de
Valence prétendit les accorder et prononça un discours
dont les conclusions se rapprochaient de celles de de
Bèze 3.
1. Le P. Laynez n'est pas nommé dans le récit de la collection
Moreau, non plus que dans celui de la collection Dupuy, cités
dans la note précédente, mais il est expressément désigné dans
la correspondance de de Bèze. Voyez plus bus.
2. Récit du temps (coll. Moreau, vol. 740, f. -56).
3. Journal de 1562, contenu dans la Revue rétrospective, t. V.
p. 82. Le discours du chancelier est presque entièrement repro-
duit dans le récit de la coll. Moreau, vol. 740, 1'. '16.
4. Lettre de de Bèze, du 1er l'év. (Bauin, Theodor Beza, Preuves,
p. 161). — Le discours de de Bèze est analysé avec détails dans
les récits de la coll. Moreau et de la coll. Dupuy.
5. Lettre de Sainte-Croix, du 5 février {Archives curieuses, t. VI.
p. H
32 ANTOINE DE BOURBON
La reine et le cardinal de Ferrare assistaient généra-
lement aux séances, mais le prélat ne prenait aucune
part aux délibérations1. Le roi de Navarre, fidèle à
ses nouveaux engagements, proposait, à chaque ques-
tion douteuse, d'en référer au concile de Trente. Le
cardinal de Tournon, d'abord très assidu à la con-
férence, cessa bientôt de s'y rendre2. Après plusieurs
jours de discussion, les évoques de Valence et de Séez,
appuyés secrètement par la reine, présentèrent un
formulaire qui supprimait presque complètement le
culte des saints3. Catherine aurait désiré l'imposer aux
deux partis. Malade, blessée au genou à la suite d'une
chute, elle quitta son lit pour conférer en personne
avec le cardinal de Ferrare; mais elle ne put le tirer de
sa réserve4. Les docteurs catholiques, sur les obser-
vations de Nicolas Maillard, repoussèrent la transac-
tion 5. La reine renvoya les députés le 6 février6. Gel
échec mit fin aux tentatives d'accommodement. On a
« consommé 12 ou 15 jours, écrit-elle à l'évêque de
« bennes, en disputes sur une simple chose, qui est
« l'usage des images. Il n'en est résulté que une dureté
1. Cependant, à l'ouverture de la conférence, il prononça
quelques paroles dans le sens de l'entente commune (Récit du
tcin|is; coll. Moreau, vol. 740, 1'. 46).
2. Lettres de de Bèze et de Sainte-Croix, citées dans les notes
précédentes.
3. Ce formulaire est reproduit textuellement nu analysé par
de Thou (Ilist. unir., 1740, t. III, p. 125). — Le récit de la coll.
Dupuy donne quelques détails sur l'intervention de l'évêque de
Valence (coll. Dupuy, vol. 309, f. 25).
i. .Xnjor. du cavil. de Ferrare, p. 61. Lettre du 6 février.
5. Le discours ou les conclusions de Maillard ont été imprimés
ci sont ajoutés au récil de la collection Dupuy (vol. 309, f. 25).
Quant au récil de la coll. Moreau, il est incomplet ou inachevé.
6. Négociations du card. de Ferrare, p. 59 e1 60.
ET JEANNE d'ALRRET. 33
« et obstination des uns et des autres, qui ont plutôt
« combattu pour ne se laisser vaincre, que disputé et
« conféré pour ne se soumettre à la vérité et à la
« raison l. » Huit jours après la dissolution de l'assem-
blée, le 1 4 février, les ministres protestants publièrent
un Advis touchant les images, qui fixait leur doctrine
fort près des propositions de la reine. Ils proscrivaient
les croix, les madones, les statues des saints, les
emblèmes multiples, qui depuis le moyen âge entrete-
naient la dévotion des fidèles, comme entachés d'ido-
lâtrie2.
Pendant que la partialité de la reine en faveur des
réformés préparait le triomphe du culte nouveau, le roi
de Navarre rétablissait l'égalité de la balance en pen-
chant de plus en plus vers le parti catholique. « Ainsi,
« par un changement soudain et qu'on n'aurait jamais
« cru auparavant, le roy de Navarre passa du costé des
« catholiques et la roine Catherine prit ou fit semblant
« de prendre le party des Huguenots3. » Le retour de
Jacques d'Auzance et les vagues promesses qu'il
apportait de la part du roi d'Espagne avaient déter-
miné la conversion religieuse et politique du lieutenant
général. Jamais revirement n'avait été plus rapide et
plus complet4. « C'est une chose extraordinaire à
« voir, écrit Chantonay, que le changement qui
« s'opère tous les jours chez Vendôme, grâce aux
1. Lettre de Catherine à l'évêque de Rennes, du 16 février
1561 (1562) {Mémoires de Castelnau, t. I, p. 735).
2. Cette pièce est publie*1 dans les Mémoires de Gondé, t. III.
p. 101.
3. Davila, in-fol., t. I, p. 98. — Tavannes s'exprime presque
dans les mêmes tenues (M n >, coll. Petitot, p. 324
4. Ncgoc. du card. de Ferrare, p. i.
iv ;;
34 ANTOINE DE BOURBON
« exhortations de ses nouveaux amis ' . » Il ne voulait
d'autres conseillers que le cardinal de Tournon et le
connétable2. Le duc de Guise, ce rival maudit, tant de
fois anathématisé dans les conseils de la maison de
Bourbon, était absent de la cour; Antoine attendait
son retour, disait-il, pour s'allier au parti lorrain3. Au
conseil du roi, il adoptait avec empressement les
mesures dirigées contre ses anciens partisans et don-
nait la préférence aux plus sévères i. Le 27 décembre,
à Paris, les séditieux avaient pillé l'église Saint-Médard.
Le procès menaçait de traîner en longueur. Le prince
voulut aller lui-môme au Parlement afin de presser la
condamnation 5.
Le premier effet de la conversion du roi de Navarre
fut d'éloigner ses anciens partisans. Déjà les tergiver-
sations de ce prince en matière religieuse avaient
ébranlé son influence sur le parti réformé. La mission
de François d'Escars à Rome, en août 1 561 , avait « faict
« rougir, pleurer et gémir et quasi crever de despit
« tous bons zélateurs de la gloire de Dieu6. » Depuis
que le prince avait perdu la confiance des réformés, le
1. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 5 janvier I5G2 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, d
-.'. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 janvier (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. I i97, n" 6).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 3).
i. Galcndars, 1561, p. 502. Lettre du 24 janvier.
5. Extrail des registres du parlement, publié dans les Mémoires
de Condc, t. III, p. 21. La visite du prince au parlemenl est du
22 janvier.
6. Lettre de Calvin au roi de Navarre [Lettres de Calvin, t. II,
p. 444). — Voyez aussi la lettre anonyme adressée à la reine de
Navarre, dont nous avons publié une partie (t. 111, p. 134) (Arch.
des Basses-Pyrénées, E. 58 i).
ET JEANNE d'aLBRET.
pouvoir réel tendait à passer à Coligny et l'autorité
nominale au prince de Gondé1. D'ailleurs, le dévoue-
ment de l'amiral appelait une comparaison qui n'était
pas favorable au roi de Navarre. Rempli de désintéres-
sement pour lui-même, Coligny consacrait toutes ses
forces au triomphe de la Réforme. Antoine au con-
traire n'avait jamais usé, qu'au profit de ses intérêts
personnels, du pouvoir royal déposé entre ses mains
ni de la suprématie que les Huguenots lui recon-
naissaient2. Après le retour de Jacques d'Auzance à
Saint-Germain, au milieu de ses premiers transports
de nouveau converti, le roi de Navarre s'efforçait
encore de dissimuler sa défection et de retenir dans
les rangs de son parti les seigneurs qui pouvaient
le servir. Le 7 janvier 1562, il proteste auprès du
comte Palatin, Frédéric III de Ravière, l'un des
champions du Luthéranisme en Allemagne, « de
« la continue intencion et dévotion que vous et
« moy avons à ce que les choses qui peuvent
« avancer le cours de l'évangile et l'union de la reli-
« gion soient favorisées » Il combat la méfiance
que ses anciens alliés pourront garder de son incons-
1. Lettres de Throckmorton, du 14 nov. et du 20 décembre
(Calendars, 1561, p. 396).
2. Voyez, outre les documents publiés ou analysés dans Lettres
d'Ant. de Bourbon et de Jeh. d'Albret, par M. If marquis de
Rochambeau, les lettres d'Antoine à Bordillon, du i octobre, el
à la vidame d'Amiens, du 7 décembre (f. fr., vol. 15542, I'. 47, el
3188, f. 16). Ces lettres, qui sont inédites, figureront aux Pièces
justificatives de ce volume. — Voyez aussi une déclaration du mi
qui concède au roi de Navarre la jouissance des baronnies de
Ghasteauneuf, Senonchiv, Uiampron, Brezolles, etc., confirmée
par une autre déclaration du 12 févrierl561 (1562) (Copie; Arch.
nat., P. 2312, f. 147).
36 ANTOINE DE BOURBON
tance : « Vous priant, monsieur mon cousin, estre
« tellement persuadé de mon intention, quelque chose
« que les envieux publient au contraire, que je ne
« aye autre but que de joindre et accommoder, s'il est
« possible, l'establissement et consentement delà vraie
« religion avec la concorde publique et la tranquillité
« de Testât de ce royaume i . »
Les chefs du parti réformé connaissaient le peu de
fermeté du roi de Navarre, mais ils savaient que sa
qualité de premier prince du sang éblouissait la masse
du peuple. Coligny entreprit de le ramener. Instruit
que François d'Escars était l'agent principal de sa
désertion, il révéla secrètement au prince que d'Escars,
pendant son ambassade à Rome, avait tenté de le trahir
au profit du roi d'Espagne. Antoine ne fut pas aussi
crédule qu'à l'ordinaire ; il demanda une preuve ou
un témoignage et apprit de Coligny lui-môme qu'il
tenait ce récit de l'évèque d'Auxerre. Blessé d'être pris
pour dupe, il fit une sorte d'enquête ; il réunit à l'im-
proviste Coligny, l'évèque d'Auxerre, d'Escars, les
interrogea séparément et en présence les uns des
autres. Goligny fut convaincu de calomnie et se retira
confus2. D'autres efforts furent tentés par l'intermé-
diaire de; la reine d'Angleterre, que le roi de Navarre
avait toujours écoutée comme sa protectrice. Paul
île Foix, un parent de la maison d'Albret, conseiller au
parlement de Paris, représentait la France à Londres3.
1. Lettre du 7 janvier 1561 (1562) (La Popelinière, t. I, f. 278.
— Mémoires de Gondé, t. III. p. 98).
I. Lettre 'If Chantona} à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. aat., K. 1 i'.»7, u° 3).
3. Il fut remplacé par le comte de Garmain vers le commen-
cement de février 1562 [Calendars, 1561, p. 518)
ET JEANNE D'ALBRET. 37
Throckmorton conseilla à la reine Elisabeth de dire
à l'ambassadeur « qu'elle se demandait avec éton-
« nement ce que signifiait le changement du roi de
« Navarre pour la religion1. »
Le parti huguenot, qui s'était flatté de vaincre
sous la conduite d'un tel chef, déçu dans ses espé-
rances les plus constantes, accablait le déserteur
d'anathèmes. « Miser ille, écrit Théodore de Bèze à
« Calvin, jam prorsus est perditus et omnia secum
« perdere constituit. Uxorem amandat ; Posidonium-,
« cui omnia débet, vix instituerisustinet. Àccersuntur
« Lotharingi, denique extrema omnia in nos compa-
ct rantur ; ita placet Domino gaudium nostrum tempe-
« rare3. » Quelques jours après, de Bèze le stigmatise
d'un surnom infamant, du surnom de Julien, en sou-
venir de Julien l'Apostat : « Ille quem minimum
« oportuit, de quo si deinceps scripsero, Julianum
« vocabo4. »
Les catholiques au contraire se réjouissaient de la
recrue d'un prince dont le nom seul valait une armée5,
mais ils ne se défendaient pas d'un reste de méfiance.
Chantonay, bien qu'il le tint captif, tremblait de le
laisser échapper. Il pria le maréchal Saint-André de
le pousser à des engagements qui le lieraient pour
1. Lettre de Throckmorton, du 16 février [Calendars, 1561,
p. 528).
2. Posidonius est Coligny.
3. Baum, Theodor Beza, Preuves, p. 163.
4. Baum, Theodor Beza, Preuves, p. 166. Lettre de de Bèze à
Calvin, du 26 février. De Bèze lui donne le même surnom dans
ses lettres du 22 h du 28 mars (ibid., p. 171 et 176).
5. Calendars, 1561, p. 537. — Lettre de Chantonay à Philippe II,
du 30 janvier (Orig. espagnol; Arch. mit.. K. 1497, n
38 ANTOINE DE BOURBON
toujours au parli catholique, ou au moins de lui
conseiller une démonstration solennelle qui le com-
promettrait définitivement avec les Huguenots1. La
méfiance dura longtemps, surtout chez les ministres
du roi d'Espagne. Le duc d'Albuquerque, qui avait
souvent reproché au prince la faveur qu'il prêtait
à Charles de Coucy, s. de Burie, lieutenant du roi
en Guyenne, l'accuse de vouloir déplacer ce capi-
taine, vieux et incapable de conduire une campagne,
et en tire pour conséquence que le prince prépare
l'invasion de l'Espagne2. Au commencement d'avril,
après avoir signalé les armements du roi de Navarre
contre le prince de Gondé, Chantonay ajoute « qu'il
« sera bon d'être sur ses gardes, au sujet des frontières
« de Navarre, contre le piège que ces armements
« pourraient cacher3. » Trois mois après, à la fin de
juin, en pleine guerre civile, un espion espagnol écrit à
Juan Govarin, domestique du confesseur du roi d'Es-
pagne, que le roi de Navarre est à la tête d'une armée
de quarante mille hommes, que ces troupes vont
s'embarquer dans les ports de l'ouest et débarqueront
à l'improviste à Bilbao, à Saint-Sébastien et à Fonla-
rabie. Chantonay transmet gravement cette nouvelle
à la chancellerie espagnole4. Jamais politique ne
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol; A.rch. aat., K. li'JT, îr 3).
2. Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe ii, du 10 Février
(Copie; A.rch. de la secret. d'Étal d'Espagne, leg. 358, f. 52). —
Autre du même au même, eu date du Ier mars (Copie, ibid.).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 2 et du i avril 1562
i» >rig. espagnol . \n-h. nat, K. 1 197, a0 18
i. Lettre non signée ni datée (vers le 22 juin 1562), écrite de
Paris (Copie espagnole; Arch. nat., K. 1569, a° l).
ET JEANNE D ALBRET. 39
s'égara sur plus de chimères à force d'être soupçon-
neuse. Les agents de Philippe II savaient que le meilleur
moyen de plaire à leur maître était de pousser la
méfiance au delà de toute limite *.
La métamorphose religieuse du roi de Navarre ouvrait
de nouveaux horizons à la politique espagnole. Cepen-
dant Philippe II accueillit la nouvelle avec une sorte de
doute ; il craignait qu'un changement si subit ne cachât
un piège. La première lettre de félicitations venue de
Madrid est signée du duc d'Albe ; le favori complimente
Ghantonay du triomphe de sa politique et le prince de
sa conversion ; mais à chaque trait revient le correctif
s'il le fait de vrai2. Lorsque le roi d'Espagne apprit
que le lieutenant général avait renvoyé ses anciens
favoris, qu'il avait installé auprès de lui, en conseil
permanent, les chefs du parti catholique, le connétable,
le cardinal deTournon, le maréchal de Saint-André et
l'évêque d'Auxerre, il daigna déclarer « qu'il était
« satisfait et que Vendôme suivait le meilleur chemin
« pour mériter sa bonne grâce3. » Dès ce jour, les
encouragements ne manquèrent pas au prince. Le
1er février, Chantonay dîna chez lui en compagnie de
Saint-André et le « loua de continuer ses bonnes
« œuvres4. » Le 11, l'ambassadeur accepta un nou-
1. Malgré le zèle du duc d'Albuquerque, le bruit courail en
Navarre que Philippe II n'était pas satisfait de sa vigilance et que
le duc de Feria allait être nommé vice-roi de la Navarre (Calen-
dars, lettres du 9 et du 28 février, 1561-1562, p. 519 et 539).
2. Lettre du duc d'Albe à Ghantonay, du 23 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1496, n° 31).
3. Lettre de Philippe II à Chantonav (Arch. nat., K. 1496,
n° 34).
'i. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 3 février (Orig.
gnol; Arch. nat., K. 1Î97. q° 8).
40 ANTOINE DE BOURBON
veau festin chez le lieutenant général, et, au sortir de
table, écrivit à son maître que « Vendôme avait donné
« des preuves de son désir de vivre et de mourir dans
« la vraie religion1. » A cette date, Philippe II est sorti
de sa première incertitude. Il charge son ambassadeur
« d'exhorter toujours Vendôme à suivre le chemin
« qu'il a pris. » Il ne demande qu'à faire de son ancien
adversaire l'ouvrier principal de sa politique. « C'est
« lui, dit-il, qui doit nous contenter2. » Philippe II
redoutait, s'il laissait périr la cause catholique en
France, de fortifier les réformés de Flandre de toutes
les forces perdues par la religion orthodoxe. Tel est,
dit Sébastien de l'Aubespine, le secret de ses ménage-
ments pour le roi de Navarre3. Le roi d'Espagne avait
d'autant plus besoin d'un allié que la reine mère
s'écartait davantage de la politique espagnole. Depuis
son union avec les religionnaires, elle fermait les yeux
sur la violation des édits. Le mot d'ordre du roi
à ses officiers était d'inviter les « gens de la nouvelle
« religion à s'accomoder dextrement pour leurs prêches
« de quelque lieu hors les villes, comme ils font à
« Paris afin qu'il semble que ce soit plus une con-
« nivence qu'une permission4. »
La satisfaction de Philippe II n'allait pas jusqu'à
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 février (Orig. espa-
gnol ; Arch. liai.., k. 1497, n" 9).
2. « Es fi que nos ha. de <lar contentamiento » (Lettre de
Philippe 11 à Ghantonay, du 9 Février 1562; Orig. espagnol;
Arch. aat., K. 1496, q° i9).
3. Lettre de l'Aubespine à la reine, du 25 février 1562 (Copie
du temps; f. IV., vol. 1610*3, f. 171). — M. Gachard a analysé
cette Lettre dans la Bibliothèque nationale à Paris, t. II, p. 136.
i. Lettre du roi à Grussol, du 8 janvier 1561 (1562); f. IV.,
vol. 3186, f. 16, minute originale
ET JEANNE D'ALBRET. 11
lui faire oublier les subterfuges que, depuis l'avène-
ment de Charles-Quint , la cour d'Espagne opposait
aux revendications du roi de Navarre. Aussitôt que
d'Auzance fut revenu à la cour, au commencement de
janvier, Antoine voulut renvoyer Antonio d'Almeida à
Madrid. D'Almeida reçut une instruction, où le prince
multipliait les assurances de son dévouement et priait
Philippe II de lui en payer le prix1. Catherine y ajouta
une lettre de recommandation2. Il n'était encore ques-
tion que de l'abandon de la Sardaigne. Ce que valait
cette île, un historien protestant l'exprime en un trait,
« un rien entre deux plats3. » Les chefs du parti catho-
lique ne la prisaient pas davantage. Le nonce écrit, le
1 o janvier, que Philippe II ne serait pas « fort éloigné »
d'accorder la Sardaigne, à la condition de garder les
places fortes4, et plus tard que le roi de Navarre
obtiendra la Sardaigne, « parce qu'elle ne rend pas
« beaucoup au roi catholique5. » Galland prétend que
le duc d'Albe, au nom de son maître, présenta le
duché de Milan 6 et Prosper de Sainte-Croix que Phi-
lippe II accorderait peut-être la Franche-Comté. Mais
ces bruits ne reposent sur aucun document officiel.
Antoine de Bourbon avait cessé de réclamer la resti-
tution du royaume patrimonial de la maison d'Albret,
1. Orig. sans date (fin décembre 1561) (f. t'r., vol. 15877, f. 13).
— Le bruit de cette négociation était venu jusqu'en Navarre
(Lettre du duc d'Alluiquerque àErazzo; copie; Arch. de la secret.
d'État d'Espagne, leg. 358, ï. 52).
;'. Lettres de Catherine de Mcdicis, t. I, p. 262.
3. Histoire des quatre rois, in-8°, 1595, p. 67.
4. Archives curieuses, t. VI, p. 25.
5. Lettre de Sainte -Croix, du 28 février (Archives curieuses,
t. VI, p. 44).
6. Galland, Mémoires sur la Navarre, p. Kl.!, in-fol., lr0 partie
42 ANTOINE DE BOURBON
la partie de la Navarre qui s'étend au delà des Pyrénées.
Chantonay lui avait démontré qu'elle importait trop
à la sûreté de la monarchie espagnole pour que
Philippe osât s'en dessaisir. D'après le Laboureur, il
y renonçait d'autant plus facilement qu'il n'avait sur la
Navarre d'autres droits que ceux de Jeanne d'Albret1.
Ce changement donnerait à penser qu'il n'était pas
éloigné de répudier sa femme.
Non seulement Philippe II ne se décidait pas à des
concessions nouvelles, mais il attendait que Antoine
eût donné des gages plus positifs que de simples enga-
gements. Sébastien de PAubespine écrit au lieutenant
général : « Le roy catholique persiste jusques à pré-
« sent à vous faire le premier déclarer et monstrer
« quelques œuvres2. » La condition était bien imaginée,
car, le roi d'Espagne étant seul juge de la valeur des
« œuvres » du roi de Navarre, il gardait l'avantage
d'être à la fois juge et partie. Le président de l'Isle
obsédait le pape au nom du roi de Navarre. Pie IV
répondit que Philippe II n'accorderait rien « jusqu'à
« ce qu'il ait meilleure opinion du gouvernement du
« royaume3. » Antoine envoya Lansac à Rome; il
n'obtint que de vagues assurances1. Le pape, mieux
informé qu'au temps de la mission de don Pedro d'Al-
1. Mémoires de Castelnau, I. I, p. 745.
2. Lettre de l'Aubespine au roi do. Navarre, du 3 janvier 1562
(Orig.; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 585). Il y a une copie de
cette lettre dans le l'omis français (vol. 16103, f. 132 v°)> —
Précis de chancellerie, sans date ir.ni.ii> ou minute; Arch. nat.,
k. L496, n° 31).
3. Lettre du président de l'Isle au roi, du 4 janvier 1561 (1562);
Copie du temps, I'. IV., vol. 3955, f. 'il v.
i. Calendars, 1561 . p. 533 <'i 555.
ET JEANNE D'ALBRET. 43
bret, s'obstinait à traiter, malgré les avertissements
du cardinal de Ferrare , les démarches du prince « de
« dérisoires et suspectes1. » Ces incertitudes trou-
blaient la confiance du roi de Navarre ; quelquefois il
cédait au découragement et se prenait à craindre que
le roi d'Espagne « l'amusât2. » Mais la moindre pro-
messe ranimait ses espérances.
Cependant l'ambassadeur d'Espagne sentait que les
offres de Philippe II ne compensaient pas le sacrifice
qu'il imposait au roi de Navarre. Il lui avait demandé
de changer de religion et de parti ; Antoine avait obéi ;
et Philippe II ne lui concédait aucune compensation
précise en retour de ses exigences. Chantonay craignait
que le lieutenant général ne se lassât d'être dupe. N'osant
exposer toute sa pensée à son maître, il tâchait de
convertir les ministres en faisant l'éloge du prince.
« Le s. de Vendosme, écrit-il au chancelier des Pays-
« Bas, monstre de se vouloir ranger de tout en
« faveur des catholiques, dont les adversaires sont
« en merveilleusement grand peine. Si le roy (d'Es-
« pagne) luy vouloit donner quelque espoir, nous
« l'aurions gaigné en tout, qui seroit ung grand bien
« pour toute la Chrétienté. Toutesfois je m'en rapporte
« aux plus sages et ne m'y advanceray plus avant que
« l'on m'enverra commission3. » Le 30 janvier, il
donne encore une bonne note au roi de Navarre4. Le
1. Lettre de Vurgas à Granvelle, <lu "22 février (Papiers d'État de
Granvelle, t. VI, p. 516).
2. Lettre de Sainte-Croix, du 5 janvier (Arch. curieuses, t. VI,
p. 15).
3. Lettre de Chantonay, dans les Mrmoires de Gondé, i . Il, p. 20.
i. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 30 janvier (Orig. espa-
gnol ; Arch. nal., K. 1497, a
44 ANTOINE DE BOURBON
3 février, il confie au chancelier ce qu'il n'osait dire
au roi d'Espagne : « Vendôme continue à montrer
« beaucoup de bons signes que son intention soit de
« demeurer catholique : mais, pour l'entretenir en ce
« bon chemin, il faudrait que le roy lui donnât un petit
« peu plus d'espoir de traiter avec luy1. »
Ces conseils revinrent de Bruxelles à Madrid avec
plus d'autorité en passant par la bouche de la duchesse
de Parme et décidèrent Philippe II à un sacrifice en
faveur de son nouvel allié2.
Le \ 8 janvier 1 562, le duc d'Albe adresse au roi de
Navarre de nouvelles propositions. Le gouvernement
espagnol s'était avisé que la présence d'un prince fran-
çais au milieu de la Méditerranée mettrait en péril ses
possessions italiennes. D'ailleurs la Sardaigne était
inaliénable, comme propre de la couronne d'Aragon3.
En conséquence Philippe II offrait la Tunisie en place
de la Sardaigne. Il exigeait que ce don fut reçu à titre
de libéralité et que le nouveau roi de Tunis s'engageât
à rester tributaire de l'Espagne ; enfin il imposait
l'expulsion immédiate des chefs de la Réforme et sur-
tout du prince de Gondé, du cardinal de Chastillon et
de Coligny. Sur ces bases, le duc d'Albe invitait le
prince à envoyer un nouveau plénipotentiaire en
1 . Lettre de Ghantonay, dans les Mémoires de Condê, t. II, p. 21.
— Dans une lettre écrite le mémo jour à Philippe II, Ghantonay
est beaucoup moins précis (Orig. espagnol, K. 1 497, n° 8). — Il
revient, non moins faiblement, sur la même pensée le 11 février
(( ) r- i lt espagnol : ibid., n° 9).
2. Ghantonay avail déjà employé cette tactique (t. III, p. :iO."»i.
3. Lettre de l'Aubespine à la reine, du 31 janvier (Copie; f.
IV., vol. 1 6103, f. 156 v°). — Lettre du dur d'Albe à Chantonay,
du 5 février (Orig. espagnol; Arch. oat., K. 1496, n° 40).
ET JEANNE d'aLBRET. 45
Espagne1. Antonio d'Almeida, alors à Madrid, fut
chargé d'apporter la proposition à la cour de France2,
niais elle fut dissimulée à l'Aubespine, peut-être dans
la crainte qu'il ne la prit pas au sérieux3. Le duc d'Albe
confia deux lettres à d'Almeida; l'une pour Chantonay,
qui énumère les avantages du traité ; l'autre pour le
roi de Navarre, simple lettre de créance et d'amitié \
Antonio d'Almeida arriva à Saint-Germain le 6 février
à midi, et entra immédiatement en conférence avec le
roi de Navarre. Après avoir passé une partie de la
journée avec lui, il se rendit auprès de l'ambassadeur
d'Espagne. Le lendemain, Chantonay accourut au châ-
teau. Sa première parole fut de recommander au
prince de tenir la négociation secrète, même vis-à-vis
de la régente et de la reine de Navarre, qui se seraient
hâtées, dit l'ambassadeur, de la révéler au cardinal
de Chastillon et à Goligny. Il le priait de n'en parler
qu'au cardinal de Tournon, au maréchal de Saint-
André et à d'Escars. Antoine promit de garder le
silence et engagea la discussion sur le fonds. Les nou-
velles propositions du roi d'Espagne lui causaient
plus de surprise que de mécontentement. La Tunisie,
habitée par des peuplades barbares, habituées à vivre
1. Lettre du duc d'Albe à Chantonay, du 18 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1496, n° 35).
2. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 18 janvier (Arch.
nat., K. 1496, n° 34).
3. Lettre de Philippe II, citée \Au< haut. — Lettre de l'Aubes-
pine, du 20 janvier (Copie, f. fr., vol. 16103, f. 139). —Autre du
même à la reine, du 27 janvier (ibid., f. 1 i~). — Autre du même
au roi de Navarre, de même date (ibid., f. 153).
4. Lettre du duc d'Albe à Chantonay, du 23 janvier (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1496, n° 31). — Lettre du même au roi de
Navarre, de même date (Minute en français; ibid., n° 36).
46 ANTOINE DE BOURBON
de pillage, sans commerce, sans villes, sans port, ne
làisait pas partie du royaume d'Espagne. Charles-
Quint, dans le cours de son règne, avait vainement
essayé d'y fonder un établissement durable. Difficile à
conquérir, elle était plus difficile à conserver et impos-
sible à gouverner suivant les mœurs des états chré-
tiens. Chantonay combattit ces critiques. Le don de
la Tunisie lui paraissait tellement avantageux qu'il
ne doutait pas de l'acceptation du prince. Antoine,
feignant de se laisser convaincre, demanda la Sardaigne
jusqu'au jour prochain de la conquête de la Tunisie.
Sa présence, dit-il, était nécessaire à la cour pour le
triomphe de leurs idées communes, et il pourrait
régner en Sardaigne sans quitter le continent. En
attendant le rétablissement de la paix religieuse, Phi-
lippe II parachèverait la conquête de la Tunisie et
l'échange des deux royaumes s'opérerait sans fraude.
La réponse mettait l'ambassadeur dans l'embarras. Il
s'en tira en louant la générosité de son maître. Antoine
aurait pu lui observer que son maître ne s'appauvrissait
pas en donnant ce qu'il ne possédait pas. Les deux
parties se réservèrent le temps de la réflexion et se
séparèrent avec force démonstrations d'amitié1.
Deux jours après, le roi de Navarre réunit en con-
férence l'ambassadeur d'Espagne, le cardinal de Tour-
non, le maréchal Saint-André et d'Escars. Chantonay
tit ressortir les richesses et les ressources de la Tunisie.
Les conseillers du lieutenant général V écoutaient avec
attention. Le cardinal avait entendu parler de Tunis du
l. Lettre de Ghanl may à Philippe II, du II février \b&2 (Orig.
espagnol; Arch. uni., K. 1 i'.iT, u 9). — Résumé de chancellerie,
sans date (ibid., K. 1 196).
ET JEANNE DALBRET. 47
vivant de François Ier. Le maréchal n'avait que de vagues
notions géographiques et demanda si la Tunisie était une
île. Tous les trois confondaient le littoral de l'Afrique avec
les grandes Indes. Après uneassez longue délibération,
le roi de Navarre conclut : il acceptait en principe le don
de la Tunisie, mais il se réservait de solliciter du roi
d'Espagne le don de la Sardaigne en attendant la con-
quête de la Tunisie. Cette décision déchargeait la res-
ponsabilité de l'ambassadeur et lui permettait de traîner
la négociation en longueur. Chantonay se soumit donc
aux désirs du prince, mais il réclama le secret avec
instance, sous prétexte que l'amiral, s'il était informé,
trouverait les moyens d'entraver la conquête future.
On convint de dire à la cour que Philippe II avait
promis la Sardaigne au roi de Navarre, « à moins qu'il
« lui donnât autre chose4. »
Malgré le secret juré par les conseillers du roi de
Navarre, la reine mère avait deviné l'ouverture de
propositions nouvelles sans pouvoir en pénétrer l'objet.
Depuis quelque temps elle était jalouse du crédit du
lieutenant général à Madrid et s'en cachait si peu qu'il
s'en avisa. Elle avait demandé au roi d'Espagne une
entrevue pour le mois de mai. Antoine avait voulu la
retarder afin de se concerter sur tous les points avec
son allié2, et l'avait emporté. Ce premier échec la tenait
en éveil. Le mystère dont le prince et Chantonay entou-
raient leurs conférences depuis le retour de d'Almeida,
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 lévrier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 9).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 février (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 11). — Presque toutes les
lettres de cette période traitent plus ou moins de cette entrevue.
La lettre du 23 février est celle qui contient le plus de détails.
48 ANTOINE DE BOURBON
le silence gardé vis-à-vis d'elle et vis-à-vis de Sébas-
tien de l'Aubespine à Madrid lui faisaient craindre un
refroidissement de Philippe II1. Elle pensa que les
deux rois « machinaient » de la dépouiller du titre
de régente et elle envoya à Madrid un messager,
le (ils de son maître d'hôtel, avec une instruction que
l'Aubespine communiqua au duc d'Albe2. Elle se
plaignit elle-même à Chantonay des intrigues du roi
de Navarre et lui signifia que, si le prince poursuivait
un traité à son insu, elle « ferait tout son possible
« pour y mettre obstacle3. » Antoine fut blessé des
soupçons de la reine. L'ambassadeur espagnol, confi-
dent des deux parties, eut l'adresse de pacifier le dif-
férend en témoignant à la reine du dévouement du roi
de Navarre et au roi de Navarre de la confiance de la
reine4.
Philippe II, si jaloux de cacher ses offres, était fort
l. Lettre de Chantonay àPhilippe IL, du 1 i février lOrig. espa-
gnol; Arch. nai., K. 1497, n° 10). — Lettres de l'Aubespine au
roi, au roi île Navarre, du 16 lévrier, à la reine, du 20 février
(Copie du temps, l'. tr., vol. 16103, 1'. 161, 168 v° et 170). A cette
dernière date, l'Aubespine ne connaissait pas encore l'offre delà
Tunisie, car il écrit à. la reine que Philippe II ne s'esl pas encore
expliqué sur le dédommage ni qu'il réserve au roi deNavarre.
— Le mystère donl Philippe II entourait ses propositions vis-à-
vis de la reine est aussi constaté par le cardinal de Sainte-Croix
(Lettre du 22 février; Archives curieuses, t. VI, |>. 42).
;'. Lettre du duc d'Albe à Chantonay, du ■> février (Orig. espa-
gnol; Arch. nai., K. 1496, n° 40). Le messager c'est pas nommé
dans la lettre.
3. Lettre de Chantonay à Philippe il. du 28 février (Orig. espa-
gnol ; Arch. aat., K. li'.iT, w 13).
4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du :! février (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, a" 8). — Lettre du même au même,
du Os l'e\ rier (< hig. espagnol ; ibid., u° 13).
ET JEANNE D'ALBRET. 49
empressé de présenter ses exigences. Dans toutes ses
lettres, de la fin de décembre et du commencement de
janvier, il énumère les services qu'il attend du roi de
Navarre, l'épuration de la cour, qui était une des con-
ditions du marché, l'exil des ministres et des princes
huguenots, la disgrâce de personnages qui, à différents
titres, traversaient la politique espagnole, du chance-
lier et de l'évêque de Valence, hostiles au concile de
Trente1, de la dame de Grussol, favorite de la reine,
accusée d'avoir préparé l'accord de sa maîtresse avec
le parti réformé2, et surtout des trois Chastillons,
promoteurs de négociations en Allemagne que Phi-
lippe II redoutait pour les Flandres 3. Il exprima même
officiellement ses désirs à l' Aubespine 4 . La charge don-
née au prince était plus difficile qu'on ne le supposait
à Madrid, car le crédit de Condé et des Chastillons
était lié au pouvoir même de la reine mère.
Le roi de Navarre était d'autant plus disposé à ren-
voyer son frère qu'il le redoutait davantage. Catherine
1. Lettre de Chantonay, du 23 janvier, à Philippe II (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 6). — Résumé de chancellerie
(Ibid., K. 1496, n° 48). — Autre du 3 février à Philippe II (Orig.
espagnol ; ibid., n° 8).
2. Lettre de Chantonay, du 23 janvier, à Philippe II (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 6). — Autre du 3 février (Ibid.,
il" 8). —Autre du 11 février (Ibid., n° 9).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier 15G2 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 7). — Autre du 11 février
(Orig. espagnol; ibid., n° 9). — Autre du 14 février (Orig. espa-
gnol; ibid., n° 10). — Résumé de chancellerie, sans date (Ibid.,
K. 1496).
i. Lettre de l'Aubespine à la reine mère, du 20 février (Copie
du temps; f. fr., vol. 16103, f. 170). — Voyez aussi toutes les
lettres de Chantonay, des mois de janvier et de février, que nous
avons citées.
iv 4
50 ANTOINE DE BOURBON
avait laissé prendre aux chefs de la Réforme une part
prépondérante dans le gouvernement. Chacun d'eux
usait de son crédit suivant ses aptitudes. Le prince de
Coudé, plus propre à compromettre qu'à servir ses
coreligionnaires, l'employait à troubler lapaix publique.
Le lendemain de la sédition de saint Médard, il s'était
rendu à Paris et avait pris ouvertement parti pour les
agresseurs de l'église. Il n'obtint rien de la reine ni du
parlement, mais il ne se fit faute d'encourager les
séditieux. Le roi de Navarre lui adressa justement le
reproche « de ne pratiquer la nouvelle religion qu'en
« fomentant des troubles et des soulèvements dans le
« royaume1. » Le danger de laisser à la cour, dans un
moment de crise, ce chef de parti aventureux fit
goûter à la reine l'idée de l'éloigner sous un prétexte
honorable. La Cuyenne et le Languedoc étaient, de
toutes les provinces du royaume, celles que les sédi-
tieux déchiraient avec le plus d'acharnement. La reine
conlia au prince de Gondé la mission de visiter la
Guyenne en pacificateur, et, pour ne pas donner
à cette charge une importance exceptionnelle, elle
envoya le seigneur de Crussol avec des pouvoirs
analogues en Languedoc et en Provence2. Philippe II
aurait préféré y employer le roi de Navarre en per-
sonne , mais la reine ne voulut pas se séparer du
1. Lettre de Chantona^ à Philippe II, du 5 janvier 156-2 (Orig.
espagnol ; Ajrch. nat., K. 1 197, a" 3).
2. L'instruction donnée à Grussol est conservée en minute dans
le vol. 15875 du f. IV., f. 434. — En même temps le roi écrivit à
Joyeuse (Ibid., f. 153), pour lui commander d'aider Crussol dans
son œuvre. — - Autre lettre au même (Ibid., f. 263). — Lettre de
Chantona} à Philippe H, du 25 février (Orig. espagnol; A.rch.
uni., K. 1497, u" 12).
ET JEANNE D'ALBRET. 51
lieutenant général et Antoine lui-même refusa de
quitter la cour1.
L'instruction remise à Condé porte que le prince
devait visiter les villes, procéder au désarmement du
peuple, restituer aux ecclésiastiques les églises et les
bénéfices usurpés par les réformés, remettre en charge
les officiers chassés par les séditieux, punir les auteurs
des pillages et leur mettre « tant de prévosts, de
« mareschaux au cul qu'on en puisse despescher le
« pays. » Deux points attirent particulièrement l'at-
tention du conseil : le premier concerne « les mille
« escripts scandalleux et diffamatoires qu'on faitimpri-
« mer sans permission du roy. » Le prince était chargé
« d'advertir ceux de la relligion, afin que de leur part
« ils travaillent d'empescher cela parmy eux, et, s'il
« se peult trouver quelques ungs, tant des autheurs
a que des imprimeurs, il ne sauroit faire chose plus
« agréable au roy que de les faire bien chastier. » Le
second point révélait l'incurable faiblesse qui paralysait
les plus sages déterminations : aux réformés qui se
plaindraient de « n'avoir point de lieu pour prier
« Dieu, » le prince de Condé « fera doulcement entendre
« que, s'ilz trouvent de s'accomoder hors les villes de
« quelque place, pourvu que ce ne soit esglise ou
« temple, » il donnera ordre aux officiers du roi
« d'y cligner les yeux. » Ce paragraphe, qui con-
tient en abrégé toute la politique de la reine mère, ne
sortit pas de premier jet du cerveau des secrétaires
d'état; les innombrables ratures de la minute prouvent
combien il a été travaillé. La mission de Condé s'éten-
1. Lettre de Philippe II à Ghantonay, du 18 janvier (Arch.
nat., K. 1496, n° 34).
52 ANTOINE DE BOURBON
dait sur une partie de la France, Orléans, Blois, Bor-
deaux, Grenade, Fumel , Gahors et autres villes1.
Consulté d'avance, le prince avait accepté la mission ;
il avait présenté au conseil un mémoire que les secré-
taires d'état avaient seulement développé2.
L'instruction du roi au seigneur de Grussol fait res-
sortir l'importance de la charge du prince. Après avoir
parlé des soulèvements qui ensanglantaient les villes de
Provence et de Languedoc, de la fuite de l'évêque de
Nîmes, le roi ajoute : « Au demeurant je vous advise
« que j'ay envoyé mon cousin le prince de Condé en
« Guyenne, pour les adviz que j'ay euz de tant de
« désordres qui s'y commectent, qu'il est nécessaire d'y
« employer quelque grande personne pour y remédier.
« Et pour ce, s'il a besoing de vos forces, vous l'en
« secourrez et l'advertirez de tout ce que vous enten-
« drez, faisant au demeurant tout ce qu'il vous ordon-
« nera pour le bien de mon service, soit pour le venir
« trouver, s'il vous mande, soit s'il veult aller là par
« où vous serez 3 . »
La nouvelle de la prochaine arrivée de Condé en
Guyenne ne satisfit pas Philippe II. Il redoutait la pré-
sence du prince à la cour, mais il ne redoutait pas
1. Minute originale datée du mois de décembre (f. fr., vol.
15875, f. 'il 1). — Copie de la même pièce nu autre minute (Ibid.,
!'. 85). — Peu d'historiens, même parmi les contemporains, ont
coiiuu le projel mort-né d'envoyer Condé en Guyenne. La
Popelinière est un des soûls qui en fassent mention (in-fol., t. I,
f. 283 v i.
2. Cette pièce esl conservée en minute ou copie avec correc-
tion dans le vol. 15875 du tonds français, !'. 109.
3. Minute charg le ratures on date du 8 janvier 1561 (1562)
(f. fr., vol. 3186, I'. 16). Catherine écrivil aussi dans le même sens
à Crussol [Lettres i>< Gatherine, t. 1, p. "263).
ET JEANNE d'aLBRET. 53
moins de le voir chevaucher sur les frontières d'Es-
pagne à la tète d'une armée, bien que Sébastien de
l'Aubespine lui assurât que, pour un soldat huguenot,
les compagnies du prince compteraient dix catho-
liques1. Le duc d'Albuquerque feignit de croire que
Antoine de Bourbon envoyait son frère à la conquête
de la Navarre. En ce moment, Biaise de Monluc assem-
blait à grand bruit des gens de pied pour punir les
meurtriers du baron de Fumel. Le duc d'Albuquerque
écrivit à Philippe Iï qu'une armée d'invasion se formait
sur la frontière2. Le roi d'Espagne prit l'alarme au
sérieux, et, le 18 janvier, le duc d'Albe somma le roi
de Navarre de retenir le prince de Gondé en Picardie.
L'injonction dissimulait assez bien les appréhensions
des Espagnols, car elle avait pour but d'écarter à la
fois un prince entreprenant et courageux des fron-
tières de la Guyenne et des conseils de la reine mère.
A la fin de sa lettre, le duc d'Albe signifie que son
maître ne poursuivra les négociations avec le roi de
Navarre, alors en pleine activité, qu'au prix de la
retraite de Gondé en Picardie3.
Antoine, qui avait été le premier à approuver la
mission de Condé en Guyenne, fut aussi le premier à
proposer à la reine de se déjuger. Catherine hésitait
1. Lettre de Philippe II à Ghantonay, du 18 janvier (Arch. nat.,
K. 1496, n° 34). — Ghantonay n'avait pas attendu la lettre de
Philippe II et avait protesté auprès de la reine le 7 janvier (Lettre
de la reine à l'Auhespine, du 8 janvier, dans les Mémoires de
Condé, t. II, p. 601).
2. Lettre, du duc d'Albuquerque à Philippe II, du 24 janvier
1562 (Copie; Arch. de la secret, d'état d'Espagne, leg. 358, f. 52).
3. Lettre du duc d'Albe à Chantonay,du 18 janvier 1562 (Arch.
nat., K. 1496, n° 35).
54 ANTOINE DE BOURBON
par crainte de blesser le prince. Celui-ci s'emportait
contre les tergiversations de son frère dont il ne
connaissait pas les secrets mobiles. Son dépit donna
naissance à un bruit recueilli par les espions de la reine
d'Angleterre : qu'il allait rassembler des troupes en
Guyenne pour tenter un coup de main sur Avignon1.
La rivalité de la reine et du roi de Navarre était près
d'éclater à l'occasion de Condé, quand le prince tomba
malade d'une fièvre tierce, suivant les uns2, « d'un apos-
« thume dans un endroit très dangereux, » suivant les
autres3, et si gravement que sa vie fut en danger. Son
voyage en Guyenne fut contremandé et il s'éloigna de la
cour pendant plusieurs semaines. Une fois seulement,
pendant la durée de sa maladie, il se fit transporter en
litière à Saint-Germain pour encourager ses coreligïon-
1. Calendars, 1561, p. 504. — C'est dans ce desseiD que La reine lui
aurait subordonné le sire de Grussol. — Les projets de campagne
de Condé en Provence sont invraisemblables. Cependant il est
Certain qu'on avait parlé de lui donner la ville d'Avignon ou le
Gomtat-Venaissin. Sainte-Croix raconte que l'ambassadeur
d'Espagne lui a dit qu'il était probable que Philippe II désinté-
resserait li' roi de Navarre et qu'il était du devoir du pape d'offrir
le Gomtat-Venaissin ou la ville d'Avignon à Condé. Cette propo-
sition n'eut aucune suite. (Lettre de Sainte-Croix, du 22 février;
Archives curieuses, t. VI, p. 39.) Bordenave [Histoire de Foix et de
Navarre, p. U3 el 114), historiographe de la maison d'Albret,
présente autremenl les projets du prince de Condé sur Avignon.
D'après cci historien, le parti huguenol avail conseillé au roi de
Navarre de mettre la main sur le Gomtat-Venaissin par l'inter-
médiaire <!c son frère, et, nanti de ^' gage, d'obliger le roi d'Es-
pagne à lui rendre la Navarre nu à lui donner la Sardaigne.
2. Lettre il'' Sainte-Croix, du 5 ch. curieuses, t. VI,
p. 36).
.:. Lettre de Tbrockmorton, 'lu lôfévriei [Calendars, 1561-1562,
p. 524). -Quelques jours après, dit Throckmorton, ■ l'aposthume »
se creva ci le prince guérit.
ET JEANNE D'ALBRET. 55
naires l. Son état « taisait tellement pitié, » même aux
chefs du parti catholique, que l'ambassadeur espagnol
renonça pour le moment à requérir l'exil du prince en
Picardie2. Le sire de Grussol remplit seul sa mission
de pacification en Languedoc, en Provence et en Dau-
phiné3. La Guyenne fut laissée aux propres forces de
ses officiers. A défaut du prince de Gondé, la reine
mère y accrédita Biaise de Monluc et plus tard le duc
de Montpensier.
Restaient les trois Ghastillons, les vrais adversaires
de Philippe II. Tandis que le prince de Condé se dépen-
sait en fanfaronnades, les trois Chastillons, sans se
perdre en démonstrations futiles, travaillaient au
triomphe de la Réforme avec une fermeté calme.
L'ambassadeur anglais traitait avec Goligny presque
de puissance à puissance k , et Calvin lui écrivait
d'humbles lettres comme au seul homme dont il subît
la supériorité5. Habilement guidé par l'amiral, le
parti huguenot marquait chaque jour par un progrès.
Les lieutenances, les charges de province, les capitai-
neries des places fortes et des villes ouvertes tombaient
peu à peu entre ses mains. Le maréchal de Brissac était
malade, le maréchal de Thermes très âgé ; des intrigues
se nouaient pour choisir leurs successeurs parmi les
hommes de la religion. Montmorency cumulait deux
fonctions, celles de connétable et de gouverneur du
1. Calendars, 1561, p. 524. Lettre deThrockmorton, du 16 février.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 février 1562 H >rig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, ii" 9).
3. Histoire du Languedoc, t. V, p. 216 et suiv.
•i. Lettre du 29 avril au sujet du concile national (Calendars,
1561, p. 82).
5. Lettres de Calvin, t. 11, p. 397.
56 ANTOINE DE BOURBON
Languedoc ; Condé cherchait à l'en dépouiller. Coli-
gny, comme amiral, disposait du commandement
des côtes de l'Océan ; il briguait celui des côtes de la
Méditerranée et celui des galères qui appartenait au
grand prieur de Lorraine1. Les trois Chastillons, dit
Chantonay, étaient l'àme du parti réformé ; les
chasser de la cour eût été pour le parti catholique la
moitié de la victoire. Le difficile était de les atteindre.
La reine les soutenait comme ses meilleurs conseillers2,
et le roi de Navarre, par suite d'une longue confrater-
nité dans leur lutte commune contre les Guises, par le
souvenir de tant de services rendus dans les mauvais
jours du règne de François II, semblait uni aux Chas-
tillons par des liens indissolubles. Mais Philippe II
n'entendait pas laisser un simulacre de liberté au roi de
Navarre. Antoine était son homme-lige et ne paraissait
à l'ombrageux souverain que propre à le servir. Il s'en
prit d'abord à Coligny. Quant au cardinal de Chastillon,
homme de conseil, non d'action, quant à d'Àndelot,
homme de guerre, non de conseil, il semblait les dédai-
gner encore.
Philippe II avait déjà prétendu exiger de la reine
l'expulsion de Coligny et sa retraite à Chastillon sous
prétexte que, en qualité d'amiral, il favorisait les
déprédations des corsaires huguenots, afin de se venger
des mauvais traitements qu'il avait subis de la part
des Espagnols pendant son emprisonnement à Gand.
I. Lettre de Chantonay, du 13 novembre, à Philippe II (Orig.
espagnol; Arch. nat., k. 1494, n° 108). — Lettre de Throckmor-
ton, du I ï novembre (Calendars, I56t, p. 396).
ï. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig.
es] agnol , A.rch. nat., K. 1 i'.iT, n°
ET JEANNE D'ALBRET. 57
Cette étrange prétention fut signifiée officiellement à
l'Aubespine à Madrid. Portée au conseil de la reine,
elle y fut discutée comme une affaire d'état. Chacun
s'étonnait de voir un souverain étranger prendre
à partie le simple sujet du roi de France i . L'étonne-
ment fut bien plus grand quand le roi de Navarre
appuya la demande d'expulsion. Coligny protesta, le
5 janvier, auprès de l'Aubespine, contre les imputations
de Philippe II : « L'on me feroit grand tort par delà de
<r m'estimer homme de vengeance et qui se voulust
« ressentir des choses qui m'ont esté faictes durant le
« temps de la guerre, car je n'eus oncques telles pen-
« sées. » Catherine confirma les protestations de Coli-
gny « pour l'amitié, écrit-elle, que je porte aud. s.
« admirai et la cognoissance que j'ay du contraire2. »
On attendit la réponse. La négociation se traitait comme
s'il se fût agi de la confirmation de la paix de Càteau-
Cambrésis. Pendant que les dépêches volaient d'une
cour à l'autre, Chantonay poursuivait son œuvre à
Saint-Germain. Chaque audience de la reine était l'oc-
casion d'un nouveau réquisitoire contre Coligny et son
frère le cardinal'. Catherine, surprise de l'acharne-
ment de Philippe II, pria la duchesse de Savoie de
s'interposer ; Chantonay écrivit au duc de Savoie dans
le sens opposé1. Pour décider le roi de Navarre à se
1. Lettre de Throckmorton, du 6 mars (Calendars, 1561-1562,
p. 545).
2. Documents cités dans la Vie de Coligny, t. II, p. H à 15, par
M. le comte Delaborde.
3 Lettres du 5 et du 8 janvier, à Philippe II (Orig. espagnol;
\i' li. nat.. K. 1 197, ir,s 3 ol i).
4. Lettre de Chantonay à Philippe JŒ, du II février (Orig. espa-
gnol; Arch. mu., K. 1 197, q° 9).
58 ANTOINE DE BOURBON
mettre en mouvement à sa suite, il lui fit dire d'abord
par d'Escars, puis par d'Almeida, que « s'il vouloit
« resjouir Sa Majesté Catholique il n'avoit qu'à faire
« tout son possible pour chasser de la cour l'amiral et
« ses frères 1 . »
Tandis que le roi d'Espagne assiégeait les Chastillons
dans leur crédit comme dans une place forte, la reine
mère leur accordait de nouvelles faveurs. Elle fit entrer
d'Andelot au conseil privé du roi2, sans prendre l'avis
du roi de Navarre3. Antoine, n'osant pas protester
ouvertement contre un acte qu'il aurait approuvé en
d'autres temps, pria Philippe II d'être l'interprète de
leur déplaisir commun auprès de la reine4. Bientôt le
bruit se répandit que le grand écuyer Boisy et plusieurs
autres officiers de la maison du roi, connus comme,
catholiques, allaient être remplacés par des seigneurs
au choix de Monluc de Valence, que l'amiral serait
attaché à la personne de la reine en qualité de lieute-
nant général de la régente. Cette dignité, de création
nouvelle, aurait fait glisser peu à peu toutes les affaires
entre ses mains. Antoine, à cette nouvelle, montra un
chagrin puéril, que Chantonay lui-même raconte avec
ironie; il accusa la reine d'ingratitude, fit le mécontent,
confia son découragement à tous les courtisans, feignit
de tomber malade et pendant plusieurs jours ne sortit
1. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 23 janvier (Orig.
espagnol; Arch. tiat., K. 1497, n° 6). — Autre .la 30 janvier à
Philippe II (Orig. espagnol ; ibid., q° 7).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, «lu 5 janvier (Orig. espa-
gnol ; Aicli. nai., k. 1 i'.iT, n" 3).
3. I î < • s 1 1 1 1 1 r> de lettres de Chantonay (Arch. aat., K. 1496,
n° 48).
4. Il.i.l.
ET JEANNE u'ALBRET. T.! l
pas de son logis1. Son dépit fut habilement entretenu
par l'ambassadeur d'Espagne. Antoine était combattu
dans l'intérieur de sa maison par Jeanne d'Albret;
Chantonay lui prouva par une foule de remarques que
la maison de Chastillon était le foyer de résistance de
la reine de Navarre. Il irrita son amour-propre par
des railleries. La jalousie du prince s'aigrit de cette
découverte2. La faveur de la reine pour les Chastil-
lons et l'inimitié du roi de Navarre pour ces favoris de
la reine devinrent peu à peu, par suite de la pression
du roi d'Espagne, l'occasion de la lutte entre la régente
et le lieutenant général. Déjà leur double revirement les
condamnait à se combattre. Les événements de chaque
jour amenaient des incidents qui envenimaient leur
rivalité latente. Antoine travaillait à se faire un parti
parmi les membres du conseil, les chevaliers de l'ordre,
parmi les courtisans jusqu'alors attachés à la reine, le
connétable, les cardinaux de Bourbon et de Tournon,
les maréchaux de Brissac et de Thermes. Il s'était
réconcilié avec le maréchal de Saint-André, le seigneur
le plus en crédit auprès de l'ambassade espagnole3. Il
imposait à la reine ses nouveaux conseillers et cîiassait
les anciens4. Les Rohan, les Crussol, l'évêque de
Valence, qu'il avait autrefois comblés de faveurs,
1. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 30 janvier 1562
. espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 7). — Autres lettres de
Chantonay (Mémoires de Condé, t. II, p. 22).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 février 1562
(Orig. espagnol; Arch. nat.. K. 1497, n° 9).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 3).
4. Lettre de Chantonay à Philippe IL du 23 janvier (Orig
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 6).
60 ANTOINE DE BOURBON
furent éloignés1. A Paris, ses partisans, dirigés par
François d'Escars ou par Pévêque d'Auxerre, circon-
venaient les membres du parlement. Plus d'un cour-
tisan, de ceux qui avaient contribué à l'élévation
de Catherine, plus d'un prélat, sous prétexte de
religion, se montraient assidus auprès du prince. En
vain Catherine s'efforçait de reconstituer son parti.
Elle songea, dit Chantonay, à rappeler le duc de
Guise. Mais le danger de ces revirements désespérés
la ramenait chaque jour à l'alliance des réformés2.
Incertaine de l'avenir et prévoyant vaguement le
triomphe du premier des Bourbons, elle tenta de
diminuer au moins la durée de sa servitude. Elle fît
décider par le conseil que le roi serait majeur à l'âge
de quatorze ans, malgré l'opposition du roi de Navarre,
qui voulait prolonger sa minorité jusqu'à sa vingtième
année3. Le parti catholique accepta cette décision sans
protester, parce que la prépondérance du lieutenant
général pouvait, avant l'échéance, modifier la compo-
sition du conseil du roi et faire ajourner la déclaration
de majorité4.
1. Lettre de Chantonay à. Philippe II, du 11 février (Orig. espa-
gnol ; Arrh. nat., K. 1 497, n" 9).
.'. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 8). — Autres du 14 et du23février
(il)id., nos 10 et 11). Lettre de Throckmorton, du 16 février (Galen-
dars, 1561, p. 524). — Les bruits de la rivalité d'Antoine et de
Catherine coururenl jusqu'en Navarre (Lettre du duc d'Albu-
querqueà Philippe El, du 1" mars, et de Pampelune; copie; Arch.
de la secret, d'étal d'Espagne, leg. 358, fol 52 .
3. Lettre de Chantonay à Philippe H, du 23 février (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., k. 1497, n" 11). — Résumé de chancellerie
sans date (ibid., K . I 196, 0 18 -
i. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 22 mars 1562 (Orig.
espagnol , Arch. nal ., K. 1 197, q° 17).
ET JEANNE D'ALBRET. 61
Le seigneur le plus empressé à soutenir le roi de
Navarre dans sa lutte contre la reine était le conné-
table. Montmorency se laissait emporter par son ani-
mosité contre les Chastillons. Il leur reprochait de se
séparer de lui en religion et en politique et de s'allier
à ses ennemis. Condé briguait le gouvernement du
Languedoc, qui appartenait au connétable ; La Roche-
sur-Yon était en procès avec lui ; les Chastillons
avaient pris parti pour les deux princes au conseil :
deux griefs inexcusables aux yeux de l'avide conné-
table1. Il n'était pas moins jaloux de leur faveur.
Plusieurs fois il avait blâmé la confiance que la reine
réservait à Coligny dans les affaires graves, les mis-
sions confidentielles du cardinal de Chastillon auprès
des seigneurs de la cour, les conseils secrets qu'elle
tenait avec les trois frères. Le hasard fit éclater son
dépit. Un jour qu'il était en tiers dans le cabinet de
Catherine avec le lieutenant général, celui-ci se plai-
gnit que la reine ouvrait certaines dépêches et y répon-
dait sans lui en faire part et sans communiquer ses
réponses à d'autres conseillers qu'aux Chastillons.
Catherine nia ; Antoine insista et fut appuyé en termes
très vifs par le connétable. Son intervention blessa la
reine. Elle lui reprocha de l'avoir toujours combattue
depuis l'avènement de François II. Montmorency répli-
qua sur le même ton « qu'il voyait bien que le seul
« désir de la reine était qu'il partit de la cour. » Elle
lui répondit très sèchement « qu'il pouvait s'en
« aller s'il en avait envie. » Il sortit à l'instant, et,
le lendemain, 26 janvier, de bonne heure, il monta
1. Lettre du 5 janvier à Philippe II (Arch. uat., K. 1497, n" 3).
62 ANTOINE DE BOURBON
à cheval sans prendre congé du roi et se retira à
Chantilly1.
La retraite du connétable fit grand bruit. Sa clien-
tèle était si nombreuse et si puissante, ses quatre fils
si bien placés qu'il avait l'état d'un prince du sang.
Depuis qu'il était l'allié du roi de Navarre, il avait
pris du crédit sur lui2. Chantonay accourut à Saint-
Germain et conseilla au lieutenant général de pro-
tester auprès de la reine, à la fois contre le renvoi
du plus ancien officier de la couronne et contre la
faveur des Chaslillons1. Sur le premier point, Antoine
déclina la mission. La reine, dit-il, avait d'anciens
griefs qui s'étaient fait jour dans un accès de colère ;
il fallait lui donner le temps de se calmer. Sur le second
point, il promit de saisir une occasion favorable. Mais
l'imminence de la guerre civile ne permettait plus
d'attendre. Chantonay rappela au prince que les dons
de Philippe II étaient subordonnés à la retraite des
Chastillons l. Antoine était sur le point d'écrire au duc
d'Albe au sujet de la Tunisie. Chantonay lui promit
que la bonne nouvelle de leur départ, ajoutée au mes-
sage, ménagerait un accueil plus favorable au mes-
sager5. Ainsi pressé par l'ambassadeur, le prince
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier i< >riu-. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, q°7). — Autredu 3 février [M
de Gondé, i. H,p. 21).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1 197, q° 7).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 j an a - espa-
gnol , Arch. u;il ., I\. 1 197, n " 7).
i. Lettre du dur d'Albe à Chantonay, du I8janvier (< >rig. espa*
gnol ; An h. nat., k. 1 196, □ 35).
5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 IV-vrier ir>r>-2 (Orig.
espagnol ; Arch. na1 ., K. 1 197, d 9).
ET JEANNE D'ALBRET. 63
s'engagea à faire partir les Ghastillons dans dix jours1 .
Le 12 février, à l'issue du conseil, le roi de Navarre
prit la reine à part et lui demanda impérieusement le
renvoi du chancelier et des Chastillons. Il ne motivait
pas sa demande en ce qui concernait le chancelier,
mais les Chastillons, disait-il, étaient indispensables
dans leurs provinces pour faire exécuter l'édit de
janvier. Catherine s'attendait à l'attaque ; elle répondit
que, si les réformés étaient exclus du conseil, il était
équitable d'éloigner également les chefs catholiques ;
et elle nomma le connétable, le duc de Guise et le
maréchal de Saint-André, le triumvirat tout entier. Les
deux premiers étaient absents, mais ils pouvaient
revenir. Antoine répliqua que le duc de Guise,
le connétable et Saint-André étaient nécessaires au
conseil; la reine, que les Chastillons et le chancelier
ne l'étaient pas moins ; ils se séparèrent sans conclure.
Catherine pressentait que le lieutenant général était
l'écho de l'ambassade espagnole. Le soir même de
cette conférence, elle envoya un courrier à Madrid, afin
de protester contre les exigences de Chantonay2.
Quelques jours après, irrité peut-être de cette dénon-
ciation, l'ambassadeur vint en personne au secours
du roi de Navarre. Il demanda à la reine l'expulsion
des trois Chastillons, du prince et de la princesse de
Condé, de la dame de Roye, de Jean de Monluc, évêque
de Valence, et de Jean de Saint-Romain, archevêque
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du :! février (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 8). — Autre du 11 février i1 >rig.
espagnol; ibid., n° 9).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 14 février (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 10). — Résumé de chancellerie
(ibid.,K. 1496).
64 ANTOINE DE BOURBON
d'Àix. La reine parut étonnée de voir « son fils bien-
ce aimé, » Philippe II, lui imposer la proscription de
quelques-uns de ses conseillers. Chantonay, s' exaltant
à froid, signifia qu'il fallait opter entre les Ghastillons
et le roi d'Espagne et qu'il avait reçu l'ordre de quitter
la cour si les Ghastillons y restaient. Son langage impé-
rieux offensa la reine ; elle lui commanda de se retirer.
La scène fut si vive que le bruit courut, parmi les
ambassadeurs étrangers, que Chantonay ne pourrait
conserver son poste à la cour de France et qu'il serait
remplacé par son frère, le s. de Ghampagny4.
Cependant les efforts réunis du roi de Navarre et de
l'Espagnol avaient ébranlé la fermeté de la reine. « Avec
« des princes qui ont peur d'ombres, dit judicieusement
« Throckmorton, le roi d'Espagne osera beaucoup entre-
« prendre2. » Informée de la ligue qui se nouait chaque
jour entre les triumvirs et les catholiques, sous les
auspices du lieutenant général, tremblante pour « son
« autorité qui lui était aussi chère qu'aucune religion, »
elle se décida à quelques concessions apparentes, afin
d'arrêter les défections qui grossissaient le parti du
roi de Navarre3. Elle fit signer au roi une ordonnance
qui prohibait le transport, en Espagne et en Portugal,
des livres signalés par l'autorité ecclésiastique comme
suspects d'hérésie4. Le remplacement de Cypierre par
1. Lettres de Throckmorton du 16 février et du 6 mars (Calen-
dars, 1561-1562, p. 524 el 545).
2. Ibi.l.
3. Lettre de Throckmorton, du 16 février [Galendars, 1561,
p. 524). — Lettre de Chantonay à Philippe II du 11 février (Orig.
espagnol ; A.rch. aat., K. 1 197, n" 10).
4. Ordonnance du roi datée du 10 février 1561 (1562) (Copie;
coll. Brienne, vol. 205, f. 249).
ET JEANNE D'ALBRET. 65
le prince de la Roche-sur-Yon, en qualité de gouverneur
de Charles IX , était deven u une affaire entre les deux rois .
Philippe II avait demandé à la reine que le roi « enten-
« dit seulement des prédications catholiques, » et avait
déclaré à Antoine de Bourbon qu'il le rendait respon-
sable de l'éducation religieuse de Charles IX1. Cathe-
rine sacrifia la Roche-sur-Yon et rappela Cypierre2.
Elle renvoya de la maison de ses enfants les maîtres
qui pratiquaient la réforme3. Elle défendit les prêches
à la cour et ne permit qu'à un docteur du tiers parti,
Me Bouteiller, de conserver sa chaire4. Elle commanda
à ses filles d'honneur de pratiquer le catholicisme
sous peine de disgrâce5. Le 4 février, elle assista à
une grand'messe , communia et suivit une proces-
sion. Elle ratifia les expulsions de ministres que le roi
de Navarre avait ordonnées dans sa propre maison
malgré la volonté de Jeanne d'Albret6. Enfin elle se
résigna à écarter momentanément l'amiral du conseil
et à le laisser partir de son plein gré, s'il avait la
générosité de se sacrifier.
L'amiral fut bientôt informé de la faiblesse de sa
1. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 18 janvier 1562 (Arch.
nat., K. 1496, rr 34).
2. Lettre du 16 février (Calendars, 1561, p. 524).
3. Lettre de Sainte-Croix, du 5 février (Archives curieuses, t. VI,
p. 35).
4. Lettre de Sainte -Croix, du 28 février (Archives curieuses,
t. VI, p. 44). — Négoc. du card. de Ferrare, p. 93. — Sur Bouteil-
ler, voyez un résumé des lettres de Chantonay (Arch. nat., K.
1496, n° 48). — Lettres de Chantonay à Philippe II du 3 février,
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 8).
5. Lettre de Chantonay, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 'M .
6. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 février 1561 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, ti° 9).
iv 5
66 ANTOINE DE BOURBON
protectrice, et, reconnaissant que sa présence était
une cause de gène, même pour son parti, il annonça
publiquement que les prochaines couches de sa
femme lui imposaient un voyage à Chastillon ' . Le
22 février, Coligny et d'Andelot prirent congé de
la reine ; le cardinal de Chastillon se retira quelques
jours plus tard2. Le jour de leur départ, Catherine
paraissait honteuse et afiligée ; elle dit à l'amiral
« qu'elle le cognoissoit tant iidèle serviteur et tant
« affectionné envers sa majesté que, si le besoing l'y
« rappeloit, il ne seroit paresseux à employer tous
« ses moyens à la garantir d'une conspiration des
« Guises3. » En quittant l'audience de la reine, l'amiral
dit au roi de Navarre « qu'il se retirait satisfait de
« lui-même devant Dieu et devant sa conscience, mais
« que, devant les hommes, il avait été plus outragé
« qu'aucun gentilhomme de France, qu'on n'avait eu
« aucun motif pour lui faire cet affront, car il avait
« toujours été le fidèle serviteur du roi et de M. de
« Vendôme lui-même. » Ces paroles laissèrent le
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa-
gnol ; An-îi. mit.. K. 1497, n" 8).
2. Lettre de Sainte-Croix, du 22 février [Arch. curieuses, t. VI,
p. 39). — Journal de Bruslard {Mémoires île Co/idi, t. I, p. 71). —
Lettre du card. de Ferrare, du 24 février (Négoc. du card. dt Fer-
rare, p. 90). — Lettre de de Bèze à Calvin, du 26 février (Baum,
Thcodor Bcza, Preuves, p. 166).
3. Ces paroles sonl rapportées dans une déclaration postérieure
du prince de Condé [Mémoires dt Gondé, i. 111. p. 587). — Torna-
buoni raconte, dans une lettre du 24 mars, une entrevue de la
reine avec Coligny, qui modifierait notablement le récit de son
départ (Négoc. <i< la I /' cane, t. 111. p. 172). Mais
un exi attentif de cette lettre nous a convaincu qu'elle appar-
tient à l'année 1 r»< > 1 e1 non à 1 562.
ET JEANNE D'ALBRET. 67
prince sans réponse. Coligny ajouta la prédiction sui-
vante, que tous les politiques avisés redisaient au roi
de Navarre : « ... que avant trois mois il (Vendôme)
« reconnaîtrait les tromperies du gouvernement espa-
ce gnol et pourrait juger lequel de ses conseillers lui
« avait donné de meilleurs avis, lui, Coligny, ou ceux
« à qui le prince s'était livré. » Antoine ne sentit pas
la leçon ; il raconta cette scène à Chantonay et se
réjouit avec lui d'être débarrassé d'un rival l. Après
l'avoir salué, Coligny et d'Andelot montèrent à
cheval et quittèrent le palais de Saint- Germain. Ils
rencontrèrent à la porte l'ambassadeur d'Espagne.
Chantonay constata avec plaisir qu'ils avaient <r bien
« petite suyte, car celle qu'ils avoient autrefoys estoit
« pour respect de leur crédit avec led. s. de Ven-
« dosme2. » Quelques jours avant de se retirer devant
les menaces de l'étranger, l'amiral avait exécuté une
grande entreprise, qui aurait pu, si le roi l'avait sou-
tenue, déplacer au profit de la France la puissance
coloniale de l'Espagne. Le 18 février, Jean Ribaut
avait mis à la voile pour la Floride. L'expédition avait
été préparée avec tant de mystère qu'à l'heure même
où Jean Ribaut voguait à la conquête d'un monde
nouveau, le gouvernement espagnol en était encore
aux enquêtes sur ses desseins3.
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 février (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 13).
2. Lettre de Chantonay, du 23 février {Mémoires deCondc, t. II,
p. 25). — Il raconte au>si le départ de Coligny dans sa lettre du
28 février à Philippe II (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1 i97, n" 18).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 février (Orig. espa-
gnol; Arch nat., K. 1497, n° 9). Cette expédition esl justement
célèbre. M. Gaffarel l'a racontée d'après les documents nouveaux
68 ANTOINE DE BOURBON
Le cardinal de Chastillon resta quelques jours à la
cour après la retraite de Coligny. Plus modéré dans
la forme, mais aussi passionné que ses frères, il se
déguisait, disait-on, pour assister aux sermons de
Théodore de Bèze 1 . Le roi de Navarre attendait son
départ pour expédier Antonio d'Almeida en Espagne2,
et le pressait de suivre ses frères avec une insistance
que la reine combattait secrètement. Un jour, le
% mars, au milieu d'une foule de courtisans, Antoine
dit tout haut que les troubles religieux s'étaient accrus
de la faiblesse des pouvoirs publics, et « qu'une bonne
« inquisition, » à l'exemple de l'Espagne, aurait sauvé
le royaume. Le cardinal de Chastillon, qui avait contri-
bué à l'échec du saint -office pendant le règne de
dans VHistoire de la Floride française, in-8", 1875. L'ambassadeur
espagnol avait été mis en éveil par les préparatifs des naviga-
teurs, mais il ivstaii incertain sur l'objet de l'expédition. Le
15 décembre 1561, il écril au roi d'Espagne : « La reine mère,
« Vendôme, Grussol, l'amiral et le prince de Gondé ont arrêté
« deux ou trois navires français, chargés déjà de marchandises,
« pour naviguer vers le Brésil, et ils mit promis aux marchands
ci de leur payer ce qu'ils on1 dépensé pour les préparer. La reine,
o Vendôme el les autres veulent envoyé!- ces navires avec des
« troupes, afin de découvrir la cote, plages et positions qui se
« trouvent entre le cap et. ia Floride, parce qu'en l'année \ \ \ I \ ,
« Vincent Tirou et G-randgean Bucier apportèrent île là, dans un
x navire, appelé Delphino, vingt-neuf livres d'or. On pense qu'ils
« veulenl aller à la rivière du Canada et à Xalaqua,où toucha le
« capitaine Etoberval. de crois cependanl que pour le moment ils
« n'onl aucun projet arrête. Le chef de cette entreprise est le
«capitaine Fiquinville. La reine et ces autres seigneurs pré-
« tendent se partager entre eux ce qu'on découvrirait. Il paraît
o que les navires m' partiront que vers la lin de janvier. 0 (Orig.
espagnol; A.rch. nat., I\. 1495, n* 97.)
1. Lettre de Sainte-Croix, du 13 mars 1562 (Gimber el Danjou,
t. VI, p. 17).
2. Négociations du card, </< Ferrare, p. 90, lettre du 24 février.
ET JEANNE d'aLBRET. 69
Henri II1, répondit qu'un partisan de l'inquisition ne
saurait être bon Français. Antoine repartit vivement
que les intérêts de la France le touchaient plus que
personne. Odet de Chastillon garda le silence. Le
prince, encouragé par la réserve du cardinal, « se
« mit à le traiter de rechef en termes pleins de mépris
« et encore plus piquants2. » Cette scène, que chaque
seigneur pouvait commenter au gré de ses passions,
fit sentir au cardinal que l'heure de la retraite avait
sonné pour lui. Il partit peu de jours après sans éclat
et se rendit à Paris3. Avant de rejoindre ses frères à
Chastillon, il envoya demander au connétable la liberté
de prendre congé de lui. Le vieux Montmorency lui
fit répondre « qu'il ne le verrait point jusqu'à ce qu'il
« ait changé de sentiment 4. »
La nouvelle de l'exil des trois Chastillons ne désarma
pas la colère du roi d'Espagne. Dans une audience,
qu'il donna peu de jours après à Sébastien de l'Au-
bespine, il s'exprima sur leur compte « avec une ani-
« mosité extraordinaire, » et chargea l'ambassadeur de
France d'écrire à la reine mère qu'il espérait qu'elle
ne les rappellerait jamais5.
Le départ de Coligny rendit la reine inébranlable
sur le renvoi des triumvirs. Le connétable boudait la
1. Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t. I, p. 231.
2. Négociations du card. de Ferrare, p. 102.
3. Il était parti à la date du 9 mars (Lettre de Tbrockmnrt<in
de cette date; Calendars, 1561-1562, |>. 552).
4. Lettre de Sainte-Croix, du 13 mars (Cimber et Danjou, t. VI,
p. 47). — Lettres de Tornabuoni [Négoc. entre la France et la Tos-
cane, t. III, p. 172 et 475).
5. Lettre de Sébastien de l'Aubespine à la reine, du 25 mars
1562 (Copie du temps; f. IV., vol. 16103, fol. 201 v |.
70 ANTOINE DE BOURBON
cour à Chantilly, le duc de Guise en Lorraine. Seul, le
maréchal de Saint-André assistait régulièrement aux
séances du conseil. Catherine lui avait retiré sa faveur
à cause de sa partialité pour le roi de Navarre4. Elle
le fit venir de Paris et lui commanda de regagner sans
délai son gouvernement du Lyonnais. Le roi de Navarre
était absent et apprit cette nouvelle par un courtisan
indiscret. Elle le toucha d'autant plus que Saint-André
était son intermédiaire habituel auprès de Chantonay 2.
Le soir même il accourut à Saint-Germain, la menace
à la bouche, et reprocha à la reine « son éloignement
« pour les gens de bien. » Catherine lui répondit que
le renvoi des gouverneurs de province avait été
demandé par lui-même plusieurs mois auparavant3.
Antoine critiqua en termes amers la politique de la
reine, qui reléguait en province des capitaines comme
Saint-André et le duc de Guise4. Il parlait sur un ton
si menaçant que tous les seigneurs présents restèrent
interdits. Seul, le prince de Condé approuvait les
expulsions ordonnées par la reine, mais en réservant
les droits des princes du sang. Antoine se retourna
contre son frère et fit l'éloge du duc de Guise, du
maréchal de Saint-André, du cardinal de Tournon.
« Lorsque je serai accompagné par ces hommes
1. Lettre du card. de Ferrare,du3 mars (Négociations <Ut rm-ii.
de Ferrare, p. 104).
2. Lettre de Chantonay A Philippe 11. 'lu 5 janvier (Orig. espa-
gnol ; Ai-ch. mil., k. ! 197, Q° 3).
;î. Cette résolution lui arrêtée .tu conseil vers le milieu d'oc-
tobre (Lettre de Suriano du 19 octobre; Dépêches vénit., iil/.a
4 bis, T. 96 v).
\. Celle appréciation lui avail été suggérée par L'ambassadeur
d'Espagne il, eu ce de Chantonay ;'i Philippe II. du ".'S février;
I >rig. espagnol . Arch. aat., K. 1 197, □ 13).
ET JEANNE DALBRET. 71
« honorables, dit-il à la reine et à Gondé, d'une voix
« tremblante de colère, vous n'aurez même pas avec
« vous des personnes qui vaudront les domes-
« tiques de leurs domestiques. » La reine se contenta
de hausser les épaules. Comme il était tard, Antoine
se retira et commanda à son frère de l'accompagner
« pour montrer à la reine que ce prince le suivait, lui,
« plutôt qu'elle. » Condé eut la faiblesse d'obéir.
Antoine appela un des gens du maréchal Saint-André
et l'envoya dire à son maître et au maréchal de Brissac
qu'il voulait « vivre et mourir » dans leur compagnie.
Il sortit en déclarant aux courtisans, qui assistaient à
cette explosion de dépit, « qu'il avait toujours été
« chrétien, malgré les stimulations et les importunités
« de quelques courtisans intéressés à faire penser le
« contraire1. »
La reine ne se laissa pas intimider par la colère du
roi de Navarre, et, pour rétablir la balance dans les
délibérations du conseil, elle s'occupa de renvoyer de
la cour les adversaires les plus compromis du parti
huguenot. Les catholiques n'avaient rien perdu tant que
le cardinal de Tournon demeurait à la cour. Confident
de Chantonay et du nonce, supérieur à tous les courti-
sans par le souvenir de sa grandeur passée, le car-
dinal, malgré son âge, dirigeait le roi de Navarre.
Catherine lui donna sèchement l'ordre de quitter la
cour en même temps que le cardinal de Chastillon2.
Il obéit sans se plaindre. Depuis le colloque de Poissy
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 25 février 1 r, i > [< i :
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 12). — Résumé de chancellerie
(Ibid., K. 1496, n° 48).
2. Négoc. du card. de Ferrare, p. 106; lettre du 3 mars.
72 ANTOINE DE BOURBON
« il ne portoit onc santé, ains prioit Dieu qu'il luy
« pleust l'oster de ce inonde, affin qu'il ne vist la
« profanation du sanctuaire par les mains des héré-
« tiques 1 . » D'après le cardinal de Ferrare, au contraire,
il éprouva un violent dépit, qu'il sut dissimuler à ses
ennemis. Trop malade pour se faire transporter hors
de Saint-Germain, il s'enferma dans son logis et ne
reparut plus au conseil'. Il mourut moins de deux
mois après sa disgrâce, « chargé d'ans et plein d'ennuis,
« voyant la religion ainsi ébranlée au royaume où il
« l'avoit vue fleurir par sus toutes les provinces de la
« Chrétienté3. » La reine partagea ses bénéfices entre
le légat, le cardinal de Bourbon, le duc d'Àngoulème,
tils naturel de Henri 11, et un des neveux du cardinal
de Tournon 4.
Depuis le commencement de février, Antonio d'Al-
meida, prêt à revenir à Madrid, attendait que la cour
fût « nettoyée des ennemis du roi d'Espagne '. » Aus-
sitôt après le départ des Ghastillons, le roi de Navarre
lui commanda de se mettre en route. Le prince lui
adressa la lettre suivante qui devait lui servir d'intro-
duction auprès de la cour de Madrid :
Seigneur d'Almeida, ayant entendu ce que vous m'avez apporté
1. Belleforest, t. II, fol. 1628 v°.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 20 mars 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1 197, ii° 16).
'. Yégoc. du card. de Ferrure, p. 106. ■ — Belleforest, t. II,
i. 1628 v*. — Ce passage a été littéralemenl copié par Piguerre,
llisi. il, nostr ' temps, f. 105.
i. Lettre de Sainte-Croix, du 28 avril (Àrch. curieuses, t. VI,
p. 95).
5. Lettres de Sainte-Croix, du 22 février (Cimber el Danjou,
t. VI, p. 10). — Négoc. du card. de Ferrure, p. 90 el 97.
ET JEANNE d'âLBRET. 73
de la part du roy catholique et congnu par là et le raport que
vous m'avez fait la bonne volunté qu'il me porte et l'envie qu'il
a de faire pour moy, je vous ay voulu renvoyer vers Sa Majesté
pour luy faire entendre l'obligation que je luy en ay et le désir
en quoy je suis de la mériter par chose qui luy soit agréable.
Et î'asseurerez que, quant au contentement qu'il a de mes
actions au faict de la religion, j'espère avec l'aide de Dieu y
persévérer, de façon qu'il ny trouvera aulcun changement, mais
plustot augmentation de jour à aultre. Et, quant au faict de ma
récompense, par le mémoire que je vous donne et responce que
vous m'avez aporté, se verra mon intention, en laquelle il ne se
trouvera jamais faillie, comme je masseure que Sa Majesté
catholique ne deffaudra de son côté à la promesse qu'il m'a fait
par son mémoire.
Escript et signé de ma main 1 .
A cette lettre soumise, à peine digne d'un vassal,
Antoine ajouta une instruction détaillée, où il renou-
velait officiellement ses protestations précédentes. Il
jure à Philippe II de le servir avec dévouement et ne
veut toucher une récompense que quand il l'aura
méritée ; il demande l'appui du duc d'Albe et du prince
d'Eboli et leur promet sa reconnaissance sur le ton du
plus humble sujet du roi catholique2.
Antonio d'Almeida, nanti de ces instructions et de
chaudes recommandations de la reine mère pour
Sébastien de l'Aubespine3, partit de la cour pour
1. Minute autographe du roi de Navarre, sans date (Arch. des
Basses-Pyrénées, E. 585).
2. Minute sans date; f. IV., vol. 15877, f. 13.
3. Nous n'avons pas l'instruction du roi de Navarre. La lettre
de la reine est imprimée dans Lettres de Catherine, 1. 1, p. 280. —
L'Aubespine à cette date ne croyait pas que le roi de Navarre
obtint jamais un dédommagement (Lettre du 05 février 1562
adressée à la reine; copie du temps ; f. IV., vol. 16103, f. 174).
74 ANTOINE DE BOURBON
Madrid vers le 5 mars. Sa mission était appuyée par
Chantonay et par les chefs catholiques. Chantonay
écrit à Philippe II : « Quant à l'obéissance que Ven-
« dôme professe envers Votre Majesté, il cherche à me
« convaincre qu'elle est sans restriction et que celui
« qui dit le contraire à Votre Majesté ne fait que le
« tromper1. » Un peu plus tard, dans une nouvelle
lettre, l'ambassadeur présente le triomphe de l'an-
cienne religion comme lié au succès de la négociation
et se permet presque d'accuser son maître de manquer
d'équité vis-à-vis du roi de Navarre2. Les chefs du
parti catholique à la cour, n'osant pas s'adresser direc-
tement à Philippe II de crainte d'indisposer la reine,
recommandèrent collectivement le prince à l'ambassa-
deur. Le 1 8 mars, Melchior de Lottes, seigneur de
Montpesat, lieutenant de la compagnie du duc de
Guise, apporta à Chantonay une lettre signée du duc
et du cardinal de Guise, du connétable, du duc d'Au-
male et des maréchaux de Saint-André, de Brissac et
de Thermes.
Monsieur l'ambassadeur, nous retrouvant tous ensemble en
cette ville, nous n'avons esté d'advis d'en partir sans vous faire
ce mot de lettre par M. de .Mmilpezal, que nous avons prié d'aller
devers vous pour vous faire entendre que, pour la conservation
de noire saincte et ancienne religion catholique, nous recepvons
tous les jours tant de bien et de faveur du roy de Navarre, qu'à
vous en parler franchement cl ,i l,i \ériié, nous ne saurions
désirer de luy de meilleurs ny plus louables offices que ceulx
qu'il làil en toutes les occasions qui se présentent, ayanl à colla
I Lettre de Chantonay à Philippe II, du Os février 1562 (Orig.
espagnol . Arch. aal ., k. 1 197, a! 13).
2. Lettre de Chantonay à Philippe 11. du 20 mars (Orig. espa-
gnol . Arch. mit., K. 1 197, n° 16).
ET JEANNE D'ALBRET. 75
tellement levé le masque qu'il ne fault plus craindre ni doubter
qu'il puisse estre diverty du bon et vray chemin, en quoy il est.
Et pour estre asseurez du plaisir que vous recepvrez d'un si
grantbien, non seulement pour ce roiaume, mais aussi pour toute
la Chrétienté, nous n'avons voullu faillir vous en donner advis
et par même moyen vous supplier, Monsieur l'ambassadeur, le
vouloir faire entendre au Roy, votre maistre, affm que Sa Majesté
congnoisse le bon zèle dud. s. roy de Navarre, et combien il
s'est rendu digne d'un bon et favorable traictement de Sa Majesté,
qui mettra, s'il luy plaist, en considération le bien qui dépand
du contanlement qui recepvra d'elle et de la continuation de ses
bons offices. Vous faisant tous ensemble affectionnée requeste
d'y tenir la main et de voulloir de nostre part très humblement
supplier Sa Majesté que, par sa libéralité et bonté, il luy plaise
donner occasion à ce prince de continuer et augmenter la bonne
voullonté en quoy il est1.
Chantonay reçut la recommandation avec honneur
et dit à Montpezat que les seigneurs de la cour « trou-
ai veraient toujours son maître disposé à favoriser les
« bons Catholiques, » qu'il était satisfait de la poli-
tique de M. de Vendôme et qu'il espérait « qu'en
« continuant ces bonnes œuvres et d'après le témoi-
« gnage de telles personnes, le roi d'Espagne répon-
« drait en peu de temps, de façon à satisfaire led.
« Vendôme2. » Le lendemain, il écrivit aux chefs
catholiques :
Messeigneurs, j'ay receu les lettres qu'il vous a pieu m'es-
cripre, du 18 de ce mois, et me les a apportées M. de Montpezat.
1. Copia de la carta scripta a M. de Chantonay de parte do los
senores duque de Guisa, card. de Guisa, condestable , duque
d'0mala,mar. de Saint-André, Brissac, de Thermos (Arch. nal.,
K. 1496, n° 49).
2. Lettre de Chantonay à, Philippe II, du 20 mars 1562 (Orig.
espagnol; Arch. mit., K. 1497, n" 16).
70 ANTOINE HE BOURBON
Je receoy plus de faveur que je ne sçauroys mériter de la sou-
venance qu'il vous plaict avoir de moj et de la qualité du per-
sonnage a qui vous .nez donne la commission.
Je voy les choses encheminées a ce que de long temps j'ay
désire, qu'il y eut une bonne et seure intelligence entre les
principaux princes et seigneurs de ce royaulme pour la conser-
vation île la religion, bien et repos de la France, desestats
sins et généralement de toute la Chrétienté. Et, congno -
le pied duquel le roy de Navarre chemine à la fin que dessus,
j'en loue Dieu, espérant qu'il luy donrra la uràcede continuer de
bien en mieux. Et ne fauldray de mon coustel d'en donner
advertissement au Roy. mon maistre, et faire l'office que je
doibs pour le bien des affaires dud. s. r<>\ de Navarre; les
œuvres duquel et le tesmoignage de vous. Messeigneurs, seront
en telle considération vers Sa Majesté catholique que j'espère,
avec fayde de Dieu, que led. s. roy de Navarre aura en brief occa-
sion de raisonnable contentement ; et sera cogneu de vous et
de tout le monde le désir du Roy, mon maistre. estre conforme à
vos bonnes et sainctes intencionsde conserver l'honneur et ser-
vice de Dieu, la grandeur du Roy très chrestien et procurer le
s et la tranquillité de ce royaulme.
lespescheray dans deux jours pour Fspaigne. suyvant ce
que vous me commandez, pour asseurer toujours de la bonne
intencion du roy de Navarre, selon que i'ay fait toutes les fois
qu'il est venu quelque chose à ma eongnoissance, que m'a
semble estre pour l'avancement de ses affaires et correspondant
à la tin que dessus, tant désirée par tous les gens de bien.
A tant. Messeigneurs , je présentera) mes très humbles
recommandations a vus bonnes grâces, suppliant le créateur
vous donner en santé et prospérité très longue el 1res heu-
reuse vie f
Ces flatteries gonflaient d'orgueil et d'espérance le
cœur du roi de Navarre. Mais les éloges et les encou-
!u temps, datée du 19 mars. E ; lit ce titre en
chitTresA avec la traduction Es es la respuesta de mus. de Chan-
tone a lus senores que le scrivieron de Paris >> (Arch. nat., K.
ET JEANNE d'aLBRET. 77
ragements des Catholiques ne le dédommageaient pas
du blâme et des réprimandes qu'il recevait dans l'inté-
rieur de son logis. Chaque jour il essuyait de violentes
querelles de la part de Jeanne d'Albret. Profondément
irritée contre la désertion de celui qu'elle avait voulu
élever sur deux trônes, pénétrée d'une conviction
qu'aucune considération cl" intérêt humain ne pouvait
fléchir, elle portait dans ses reproches une passion
ardente qui tranche avec le scepticisme intéressé de-
là cour des Valois. Son opiniâtreté est expliquée par
ce jugement de Le Laboureur :
S'il est vrai que le roy de Navarre, son mary. l'ait attirée à la
nouvelle opinion sous prétexte de la réforme des mœurs, il faut
confesser qu'il ne prit pas le moyen de la regagner à la véri-
table religion de la vouloir contraindre, de se dégoûter d'elle,
d'entendre en même temps les propositions d'un autre mariage,
de prendre une maîtresse à la cour et de donner sujet aux
Huguenots de mal parler d'une vie qui déplaisait encore davan-
rtage à une femme généreuse, qui ne pouvoit être que du parti
qui la plaignoit le plus et duquel en apparence elle recevoit plus
de consolation ' .
Ce jugement est impartial et bien fondé; la passion
de Jeanne d'Albret tenait à la fois du fanatisme du
sectaire et de la jalousie de la femme outragée. La
reine de Navarre n'était pas seulement l'âme du parti
huguenot; elle en personnifiait la morale austère. Le
roi de Navarre au contraire, « oubliant toute chose,
« n'avait plus en tète que la Sardaigne et les femmes,
« entre lesquelles une certaine tille de la roine com-
« mença a avoir fort bonne part-. »
1. Mémoires de Castelaau, t. I. p. 857, in-fol., 1731.
2. Bèze, Hist. ecclés., 1841, t. I. p. 132. De Bèze désigne pro-
78 ANTOINE DE BOURBON
Convaincu que l'utilité de plaire à Philippe II primait
toute prudence, le roi de Navarre, aussitôt après le
colloque de Poissy, avait tenté de ramener sa femme
de force aux pieds des autels catholiques. Il préparait
dès lors une conversion éclatante et se posait en
arbitre de la religion à la cour. Le premier gage à
donner à l'ambassadeur d'Espagne était de lui prouver
qu'il était le maître dans sa maison. Il voulut conduire
sa femme à la messe, mais il se heurta à une fermeté
supérieure à la sienne. Elle lui signifia qu'on la tuerait
plutôt que de la conduire à l'église et le prince n'osa
pas insister1. Théodore de Bèze, le prêcheur favori
de la reine de Navarre, retrace en termes émus la
constance de sa néophyte :
La Roy ne de Navarre cependant, comme princesse très sage
et vertueuse, taschoit de réduire (son mari), supportant tout ce
qu'elle pouvoit et luy remonstrant ce qu'il devoità Dieu et aux
siens. Mais ce fut en vain, tant il estoit ensorcelé. Quoy voyant,
elle n'avoit recours qu'aux larmes et aux prières, faisant pitié à
tout le monde, fors au s. dit Roy. La Ruyne mère, en ces entre-
faites, taschoit de luy persuader de s'accommoder au Roy son
mary ; à quoy finalement elle fit ceste réponse que plus tost que
d'aller jamais à la messe, si elle avoit son royaume et son fils à
la main, elle les jetterait tous deux au fond de la mer, pour ne
luy estre un empeschement, ce qui fut cause qu'on la laissa en
paix de ce costé'-.
bablement, dans ce passage, Louise du Rouet. Cependant les
correspondances ne parlent d'elle, comme la maîtresse du roi de
Navarre, qu'au mois de mai. Voyez les chapitres suivants.
1. Lettres de Chant onay dos 18, -.M, -20 novembre et 3 décembre,
.ï Philippe 11 (Orig. espagnol; Aivh. nat., K. 1 i'.i'i, nos 109, 110,
1?0 et. 115).
■2. Bèze, Hist. ecclés., 1882, t. 1, p. 372. Ce passage a été cité
par M. B ie1 [Lettres <l> Calvin, t. II. p. 158
ET JEANNE d'aLBRET. 79
Obligé de renoncer à mener sa femme librement
à l'église, Antoine voulut l'empêcher de faire prêcher
chez elle et même d'assister au prêche1. Ce fut l'occa-
sion de luttes dont il ne sortait pas toujours victorieux.
Faible de raisonnement, sans élévation de caractère,
toujours prêt à se contredire, il était battu par la
logique inflexible d'une femme sans reproche, qui
l'attaquait par ses propres maximes et par ses exemples
passés2. Le maréchal de Saint-André, souvent témoin
de ces querelles, les racontait à l'ambassadeur d'Es-
pagne3 et Chantonay n'épargnait aucun encouragement
pour entretenir le zèle du roi de Navarre4. Enfin,
cédant à la violence, Jeanne fut « contrainte de se
« désister des prêches qui se souloient faire en
« son quartier à Saint-Germain5. » Elle se soumit,
pourvu que son mari ne la forçât pas d'aller à la
« messe. » Cette négociation fut conduite par d'Escars
au gré de l'ambassadeur d'Espagne0. Mais la paix
ne rentra pas dans le logis du roi de Navarre.
Chantonay écrit que, lorsque le prince eut chassé les
ministres de sa maison, Jeanne d'Albret prit l'habitude
d'assister aux prêches du prince de Condé. Après
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 7). — Le môme au même, du
3 février (Ibid., n° 8).
2. Lettre de Chantonay, du 14 février (Mémoires de Castelnau,
t. I, p. 747).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1502 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n"3).
4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 8).
5. Mémoires de Condé, t. II, p. 22.
G. Lettre de Chantonay ;'i Philippe U, du 11 février 15G2(Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 9).
80 ANTOINE DE BOURBON
une assez longue tolérance, Antoine, un jour, s'avisa
de le lui défendre. Jeanne résista et refusa d'obéir.
Le jour du prêche, elle donna des ordres aux servi-
teurs qui devaient l'accompagner. La discussion entre
les deux époux devint si bruyante que tous les habi-
tants du château en furent informés. Enfin Jeanne
contremanda ses équipages1. Quand le roi de Navarre
conduisait sa femme à Paris, il occupait l'hôtel de son
confident, Philippe de Lenoncourt, évoque d'Auxerre,
et la retenait presque de force au logis. Quelquefois
elle échappait et courait au prêche de Popincourt
avec le prince de Gondé, mais le plus souvent la pri-
sonnière était obligée de céder à la violence2.
Les documents originaux reviennent si souvent sur
l'état de santé de la princesse qu'il faut peut-être
chercher une corrélation entre ses souffrances phy-
siques et l'àpreté maladive qu'elle apportait à la lutte
religieuse. Le 21 novembre, Antoine confie à l'ambas-
sadeur d'Espagne que sa femme est si malade qu'il
craint de lui faire violence pour la mener à la messe.
Chantonay justifie cette prudence : « La dame de
« Vendôme est vraiment malade, écrit-il, et les méde-
« cins assurent qu'elle ne se rétablira pas3. » A la fin
de novembre, le cardinal de Bourbon commande au
secrétaire Victor Brodeau, s. de la Chassetière, de se
rendre auprès d'elle « pour la tenir tousjours, dit-il,
« et monsieur mon nepveu en la bonne grâce du roi
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 14 février 1562 (Orig.
espagnol . Arch. aat., K. 1 197, d 10).
2. Journal de l'année 1562, dans la Revue rétrospective, t. V,
p. s',.
3. Lettre de Chantonay à Philippe II. 'lu 21 novembre 1561
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n° 110).
ET JEANNE D'ALBRET. 81
« et aussy que par votre moyen je pourray tousjours
« avoir de ses nouvelles ' . » Ces derniers mots semblent
contenir une mission de garde-malade. Au commence-
ment de janvier, un affidé de l'ambassadeur d'Angle-
terre écrit à Throckmorton que la reine de Navarre est
malade et en danger2. Une lettre de la princesse à
Marguerite de Bourbon, duchesse de Nevers, sa belle-
sœur, contient des indications qui confirment les
renseignements des témoins.
Ma sœur, je suis bien aise de avoir sceu les premières nou-
velles de vostre lettre. Quant aux dernières, nous en deviserons
s'il vous plest venir demain disner avecques moy. Je prens ce
matin de la casse et demain de la thérébantine pour cestc fas-
cheuse doulleur de rains et fais mon compte aller coucher à
Jully3 jeudy pour y mener ma fille et ma cousine. Et, sy le roy
vient icy, je reviendray avecques lui ; s'il ne bouge de delà où il
est, je prendray congié de luy pour m'en aller trouver le roy mon
mary, car je crains qu'il soit ou malade ou marry contre moy
ou sy amoureux qu'il ne luy convient de moy, car il y a trois
sepmaines et plus que je n'ay eu de ses nouvelles ni de pas ung
de ses gens. Sy vous savés que le roy devient après ces festes,
je vous prie de me le mander. Priant Dieu, ma sœur; vous
donner aultant de contentement que vous en désire.
Vostre bien bonne sœur et parfaicte amie,
Jehanne.
Je n'ay encore eu de nouvelles de monsieur le cardinal vers
lequel j'ay envoyé. J'en atans demain, vous priant ne faillir à
me venir voir ; je vous attenclray à disner4.
1. Lhermitte Soulier, Noblesse de Touraine, in-fol., 1669, p. 121.
2. Calendars, 1561, p. 483.
3. Juilly, abbaye de chanoines, appartenait à Nicolas Dangu,
évêque de Monde, ci passa plus tard aux Oratoriens. Le cœur
do Henri d'Albret, père de Jeanne, y fut déposé en 1">67 et y est
encore conservé (Note publiée dans le Pohjbiblion d'août 1883,
p. 180).
4. Autographe sans date (f. fr., vol. 4711, I'. 2).
iv 6
82 ANTOINE DE BOURBON
Plusieurs historiens racontent que le cardinal de
Ferrare proposa au roi de Navarre de répudier Jeanne
d'Albret, avec dispense du pape, comme « manifeste-
« ment entachée d'hérésie, » et de demander aux Guises
la main de Marie Stuart. Antoine, dit-on, repoussa la
proposition non par amour pour sa femme, mais au
souvenir de ses petits enfants. Ce récit ne repose que
sur des bruits répandus à la cour, mais il est présenté
par trois historiens bien informés et de trois partis
différents, par Davila, l'annaliste du parti catholique,
favori de la reine mère, par Bordcnave, serviteur et
historiographe de la maison d'Albret, et par Brantôme,
courtisan bavard mais sagace, et chroniqueur sans
parti pris ' .
Quelle que fût la défaveur de la reine de Navarre
auprès de son mari, les chefs du parti catholique
redoutaient la sourde inimitié de la princesse. Cette
âme ardente, capable de tous les dévouements, était
aussi susceptible de ressentiments implacables. Dans
la crainte d'un retour de fortune, l'ambassadeur d'Es-
pagne demanda le renvoi de la princesse en Béarn. Son
appréhension de l'avenir se déguisa d'abord sous le
voile de la sollicitude. Il écrit à Philippe II, le %\ no-
vembre, qu'il espère que « Madame de Vendôme par-
oi tira avant peu à cause des douleurs qu'elle éprouve
« pour aller à certains bains2. » La volonté de la
politique espagnole s'accordait avec les passions liber-
1. Davila, Ln-fol., i. I. y. 94. — Bordenave, Hist. il'' Béarn,
p. I lu. — Brantôme, i. VII, p. 120. — Il est à remarquer que
ces trois historiens, publiés longtemps après ces événements,
n'oni pu se copier mutuellement.
2. Lettre de Ghantonaj à Philippe II. du 21 Qovembre 1561
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 110).
ET JEANNE D'ALBRET. 83
tines du roi de Navarre. Le prince eut bientôt pris son
parti, et, au commencement de janvier, après l'arrivée
de d'Almeida, comme complément de sa transforma-
tion politique, il proposa à Chantonay l'expulsion de
Jeanne d'Àlbret. L'ambassadeur l'encouragea vive-
ment, mais la reine, la clame de Crussol et tout l'en-
tourage de Catherine intercédèrent si bien en faveur
de la reine de Navarre que Antoine lui permit de pro-
longer son séjour à Saint-Germain1. Trois jours après,
les reproches de Chantonay le ramenèrent à sa pre-
mière résolution et il parut déterminé, aussi ferme-
ment qu'il pouvait l'être2. Les prochains, états du
Béarn ouvraient un prétexte pour décider la princesse
à quitter la cour de son plein gré. Les instances des
courtisans procurèrent un nouveau répit à Jeanne
d'Albret3. Ils avaient beau jeu à représenter au prince
que d'Auzance n'apportait de Madrid que des pro-
messes et qu'il était imprudent d'obéir aux sommations
du roi d'Espagne avant, d'en toucher le prix. Tiraillé
par ses conseillers , anciens et nouveaux , par les
huguenots et par les catholiques, il ne se pronon-
çait ni pour le départ, ni pour le séjour de la reine
de Navarre. Enfin il ajourna sa décision jusqu'au
printemps, « soit pour la rigueur de la saison d'hiver,
« soit pour l'indisposition de sa personne (de la
« princesse) 4. » Il expédia, avec la signature de
la reine de Navarre, à Louis d'Albret, évêque de
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du ô janvier (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 3).
2. Négoc. du card. de Ferrure, p. 11.
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 janvier (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., k. 1497, n" i).
4. Négoc. du card. de Ferrare, \>. 11.
84 ANTOINE DE BOURBON
Lescar, et, à Arnauld de Saint-Geniez, seigneur d'An-
danx, les pouvoirs nécessaires pour présider les états
de l'année 1562 1.
Jeanne d'Albret était soutenue par le prince de Gondé
et par les hommes de la religion. Pendant la durée
de son séjour à la cour, Coligny avait été son principal
appui. Point de conseil et d'encouragement qu'elle ne
reçût de lui2. L'ambassadeur d'Espagne ne dissimulait
pas qu'un des motifs de l'acharnement de son maître
contre l'amiral était le désir d'atteindre Jeanne d'Albret,
dont il était le chevalier. « Les Ghastillons chassés, dit-il
« dans une lettre à Philippe II, il ne sera pas difficile de
« faire partir madame de Vendôme3. » Les frères de
Coligny n'étaient pas moins serviteurs de la reine de
Navarre et ne perdaient aucune occasion de lui prouver
leur dévouement. Chantonay raconte qu'un jour le
légat et le roi de Navarre étaient en conférence dans
un coin du cabinet de la reine; ils encourageaient le
prince à résister à sa femme. Pendant qu'ils le haran-
guaient tour à tour, le cardinal de Ghastillon et l'amiral
s'approchèrent pas a pas. Le légat, s'apercevant qu'ils
prêtaient l'oreille, éleva la voix et se livra à de violents
anathèmes contre les colloques, les huguenots et les
prêches des princes. Les Ghastillons recueillaient chaque
parole sans mot dire. Enfin le légat acheva son dis-
cours en disant que, « s'il élevait la voix, c'était pour
1. Pouvoir daté du 20 janvier 1561 (1562), signé du roi et delà
reine de Navarre, contresigné par Brodeau (Copie du temps ; coll.
Dupiiy, \ol. I.".,i, f. 73).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II. du II février 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. aat., K. 1 197, q° 9).
3. "ibid.
ET JEANNE D'ALBRET. 85
« éviter de la peine à ceux qui cherchaient à écouter1. »
Les chefs du parti huguenot, témoins du courage
de la reine de Navarre, parlent d'elle avec admiration.
Throckmorton la recommande à la reine Elisabeth
comme la plus noble incarnation de la Réforme2. Théo-
dore de Bèze écrit à Calvin : « Uxorem (Navarreni)
« autem tibi affirmo duplo fortiorem esse quam
« unquam antea3. » Calvin s'efforce de la consoler, et,
pour ménager cette àme fîère, feint d'attribuer la
« trahison » du roi de Navarre à de perfides conseils :
Le roi, vostre mari, a déjà esté longtemps assiégé de deux
cornes du diable, d'Escars et l'évêque d'Auxerre. Non seule-
ment il s'en est laissé abattre, mais luy-mème s'arme contre
Dieu et les siens. Je parle comme d'une chose notoire : je sais,
Madame, que les premiers arts se dressent contre vous. Mais
quand il y auroit cent fois plus de difficultés, la vertu d'en
haut, quand nous y aurons notre refuge, sera victorieuse. Seu-
lement, Madame, ne vous lassez point de tenir bon4.
La faveur que la reine mère prêtait aux hugue-
nots s'était étendue à Jeanne d'Albret. Les deux
reines, marchant dans la même voie, semblaient
unies dans la même politique. Lorsque la régente
donnait une audience solennelle, elle recevait dans sa
chambre, entourée de ses enfants. La reine de Navarre
s'asseyait auprès du roi et presque sur le même rang,
ce qui intimidait les ambassadeurs catholiques, sou-
vent porteurs de plaintes contre les Réformés. Plu-
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 3 février 1562 (< Irig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 8).
2. Calendars, 1561, p. 518.
3. Lettre de de Bè/.e, du 26 février (Baum, Theodor Ikza,
Preuves, p. 166).
i. Lettres de Calvin, t. II, p. 160.
86 ANTOINE DE BOURBON
sieurs fois, Ghantonay essaya de parler à voix basse à
la reine ; mais les sièges étaient si rapprochés que la
précaution était inutile. Un jour, pendant qu'il chucho-
tait avec elle, le cardinal de Ghastillon et d'Andelot
s'approchèrent de la reine de Navarre et tous trois se
mirent en conférence secrète. Ce fut un grand scandale
et chaque courtisan sentit la leçon indirecte qui était
donnée à l'ambassadeur1.
Le renvoi d'une princesse étrangère, malade, sans
amis à la cour, sans armée dans son royaume, devenait
l'affaire capitale de la chancellerie espagnole. Le cardi-
nal de Ferrare aidait ses alliés du parti catholique. Il
obtint de la reine mère et du roi de Navarre la promesse
que pendant l'absence de Jeanne d'Albret « il ne se
« parleroit plus de prêches à la cour2. » A la fin de jan-
vier, le duc d'Albe écrivit à Ghantonay que son maître
approuvait l'éloignement de la reine de Navarre3, et
Chanto'nay communiqua au lieutenant général, par l'in-
termédiaire de d'Escars, cette précieuse approbation4.
A la suite de cette lettre, le 1er février, Antoine promit
à l'ambassadeur d'Espagne, en présence du cardinal
de Bourbon et du maréchal de Saint-André, de faire
partir la reine de Navarre le 8 ou le 9 de ce mois5.
Elle était à Saint-Germain. Le prince, décidé à brus-
quer des procédés dont il était honteux, lui signifia par
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 février (Orig. espa-
gnol; Arch. liai., I\. 1 197, ii' 9).
2. Négoc. ducard. de Ferrare, p. 11.
3. Lettre du 23 janvier (Arch. nat., K. 1 196, n° 31).
i. Lettre de Ghantonay à Philippe U, du 30 janvier (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1 197, n ;
.".. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, a» 8).
ET JEANNE I)'aLBRET. 87
lettre l'ordre de se rendre à Vendôme1. Cependant la
princesse était encore à la cour le 1 6 février, mais elle
préparait son « voyage » et ses amis considéraient les
derniers délais comme des délais de grâce2. Throck-
morton révèle à la reine d'Angleterre la cause de ces
retards ; Catherine pressentait que la guerre civile était
proche et craignait d'éloigner les chefs du parti réformé,
surtout le prince de Condé et la reine de Navarre, au
moment de la prochaine arrivée du duc de Guise3. Le
1 0 mars, Jeanne d'Albret écrit à la seigneurie de Genève
une lettre de recommandation en faveur du s. de
Saint-Germier. Cette lettre renferme des allusions à la
retraite de la princesse.
Messieurs et bons amys, le s. de Saint-Germier s'en retour-
nant de delà où les affaires de sa maison l'appellent, apprès ung
si long séjour qu'il a faict près de ma personne, me faisant
service, je ne l'ay voulu laisser partir sans par luy me ramen-
tevoir à vos bonnes grâces et vous prier affectueusement que,
lors qu'il aura donné ordre à son petit mesnage, vous luy per-
mectezme venir me trouver incontinent; le vous recommandant
et ses dictes affaires, que vous prandrez, s'il vous plaist, en
vostre protection, comme de très bon cueur j'auray tousjours
les vostres et ce qui me sera présenté de vostre part; le tenant
pour si saige et vertueux personnaige que je m'asseure que vous
serez bien ayse de le favoriser et tenir aussy cher que l'ung de
vos confrères et bons citadins, dont il est de ce nombre.
Me recommandant, Messieurs et bons amys, ci vos bonnes
1. Détails rétrospectifs contenus dans la lettre de Chantonay
du 25 mars, adressée à Philippe II (Orig. espagnol; Arch. nat.,
K. 1497, n" 17).
2. Lettre de Throckmorton, du 1G février [Galendars, 1561-1562,
p. 524).
3. Calendars, 1561-1562, p. 545. Partie de cette lettre a été tra-
duite et publiée par M. le comte Delaborde [Coligny, t. II, p. 570).
88 ANTOINE DE BOURBON
grâces; pryant nostre bon Dieu vous donner les siennes très
sainctes.
A Paris, ce xme jour de mars \ 564 .
Vostre bonne amie et aliée,
Jehanne.
Machault*.
Un incident accrut encore l'inimitié personnelle
que l'ambassadeur d'Espagne portait à Jeanne d'Al-
bret. Au commencement de mars, Cliantonay eut
un fils et demanda à Charles IX de servir de par-
rain au nouveau-né. Le roi y consentit à l'insti-
gation du roi de Navarre. La cour devait quitter
Saint-Germain le jeudi, 5 mars; la reine ajourna le
départ au lendemain, à cause de la cérémonie2. Le
jeudi, dans l'église de Poissy, l'enfant fut tenu sur les
fonts baptismaux par le roi de France, le roi de
Navarre et la princesse Marguerite, sœur du roi.
Antoine n'avait pu décider Jeanne d'Albret à assister
au baptême ; elle refusa même d'y laisser conduire son
fils. Cliantonay fut dédommagé de cette offense par un
présent d'argenterie de la valeur de deux mille cou-
ronnes donné par le roi3. Mais son dépit se fit jour dans
une scène violente. Il courut chez la reine et prétendit
lui imposer l'expulsion immédiate de Jeanne d'Albret.
1. Original; Arch. de Genève, extrait des portefeuilles histo-
riques, dossier n° 1713. — Reçue au conseil le 30 mars 1561
(1562). — On lit sur la suscription : « A Messieurs bons amys
les syndiques ei conseil de Genève, uoz voisins et alliez. » —
Nous croyons que le s. de Saint-Germier n'est autre que Théo-
dore de l'.è/.e.
2. Négoc. du card. de Ferrare, p. 103. Lettre du 3 mars L562.
3. Lettres de Throckmorton, du 6 el du 11 mars [Calendars,
1561-1562, p. 549 el
ET JEANNE D'ALBRET. 89
Comme la reine se révoltait contre ses exigences, il
éleva par degrés le ton de ses instances jusqu'aux
menaces qui lui avaient si bien servi pour obtenir
l'exil des Ghastillons. A la fin de l'audience, il signifia
à la régente qu'il avait ordre de quitter la cour de
France si la reine de Navarre y prolongeait son
séjour1.
Le 6 mars, Jeanne d'Albret suivit la cour à Monceaux,
puis à Fontainebleau, laissant à Paris, à la tête de ses
ennemis, le roi de Navarre qu'elle ne devait jamais
revoir. La guerre civile débutait sur tous les points du
royaume par des massacres, et les Réformés prenaient
les armes. Chantonay, convaincu qu'il n'aurait jamais
raison de la reine mère tant qu'elle serait soutenue par
la reine de Navarre, pressait Antoine de Bourbon
d'exiler sans délai sa femme à Vendôme. « Il est vrai,
« écrit-il à Philippe II, que, si la cour se rend à Blois,
« Mme de Vendôme n'en sera éloignée que de treize ou
« quatorze lieues, mais il suffit qu'elle ne soit pas pré-
« sente à la cour pour qu'avec le temps les affaires
« religieuses marchent mieux. » Le prince suivit le
conseil sans prendre le temps d'aller à la cour. De
Paris, il adressa à Jeanne d'Albret une injonction qui
ne comportait pas de remise2. Il était alors tout-puis-
sant par ses nouvelles alliances et montrait à son
ancien parti les plus menaçantes dispositions. Le
prince de Condé venait de quitter Paris et réunissait à
JVleaux l'armée des religionnaires. Jeanne d'Albret
1. Lettre de Throckmorton, du 6 mars (Calondars, 1561-1562,
p. 545). D'après l'ambassadeur d'Angleterre, Chantonay aurait
même renouvelé plusieurs fois la même déclaration.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 25 mars 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nal., K. 1 i(J7, n» 17).
90 ANTOINE DE BOURBON
s'enfuit secrètement de Fontainebleau, en petit équi-
page, dans les derniers jours de mars, et se réfugia
auprès de son beau-frère, à Meaux, sans autre com-
pagnie que celle de Théodore de Bèze1.
Antoine avait pris des mesures encore plus pénibles
pour la reine de Navarre. Elle ne put obtenir la conso-
lation d'emmener son fils. Depuis que le départ de la
princesse était arrêté, Antoine avait fait venir l'enfant
à Paris, auprès de lui2. Ghantonay avait donné ce
conseil par crainte de l'autorité nominale que ce prince
de huit ans pouvait prendre sur le parti réformé3.
Jeanne entourait son éducation de soins maternels.
Elle avait choisi un gouverneur, la Gaulcherie, et
faisait élever son fils dans le culte de la réforme. La
Gaulcherie était un calviniste sans passion4, d'autant
plus désintéressé qu'il avait souffert de la fureur de
ses coreligionnaires. Sa maison avait été pillée par les
séditieux, sa femme et sa famille odieusement traitées.
« Ce qu'on a fait à ce gouverneur est bien mérité, dit
« Chantonay, car c'est un hérétique forcené5. » Le roi
de Navarre le chassa de sa maison et donna à son fils
un gouverneur catholique, Jean de Losses, ancien
1. Lettre tlt> do Bèze à Calvin, du 28 mars (fiaum, Thcodor lleza,
Preuves, p. 176). I ^^ départ de la reine de Navarre n'est men-
tionné que I»1 s avril par le cardinal de Ferrare (Négoc. du card.
de Ferrare, p. 136), et le même jour par Ghantonay (Lettre orig.
à Philippe li, du 8 avril; Arch. mil., K. li'.i?, u° 21).
2. Négoc. du card. de Ferrare, y. 136.
;'.. Lettre de Ghantonay ;ï Philippe II, du S avril (Orig. espa-
gnol; Arch. nat.,K. 1497, n° 21).
i. La Gaulcherie avail exercé une mission pacifique auprès de
l'Église réformée do Loudun [Lettres de Calvin, i. 11, p. 'iU8).
5. Lettre do Ghantonay .'i Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol , Arch. nat., W. 1 197, n° 3).
ET JEANNE D ALBRET. 91
lieutenant du roi à Marianbourg, plus tard capitaine
des gardes et lieutenant en Guyenne1. Depuis la défec-
tion du roi de Navarre, Jeanne d'Albret s'était efforcée
de prémunir le jeune prince contre les faiblesses de
son père et de demeurer fidèle au Calvinisme2. Péné-
tré des conseils de sa mère, l'enfant montrait une
fermeté au-dessus de son âge. Après une longue lutte,
Antoine n'avait encore rien obtenu3. A la fin de
février, il en est encore à promettre à l'ambassadeur
d'Espagne qu'il aura raison de l'obstination de son fils4.
Philippe II encourageait les efforts du roi de Navarre
et avait recommandé à Chantonay de veiller à la conver-
sion du jeune prince5.
Avant de quitter la cour, Jeanne d'Albret ne demanda
qu'une seule faveur au roi de Navarre, celle d'em-
brasser son fils. Elle lui adressa, dit le cardinal de
Ferrare, « une longue et sévère remontrance pour luy
« persuader de n'aller jamais à la messe, en quelque
« façon que ce fust; jusques à luy dire enfin que, s'il
« ne luy obéissoit en cela, il pouvoit s'asseurer qu'elle
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 février 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 11). — Résumé de chancellerie
sans date (ibid., K. 1496, n° 48). — Le choix de Jean de Lusses
était un bon choix. On sait que le prince de Béarn était capi-
taine d'une compagnie d'ordonnance. Sur le paiement de ses
gages à cette date, voyez la lettre du roi de Navarre, du 8 mars
[Lettres d'Ant. de Bourbon et de Jeanne d'Albret, p. 250).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 3).
3. Lettre de Throckmorton du 16 février (Calendars, 1561-1562,
p. 524).
i. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 février (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 11).
5. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 30 mars 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1496, n° 52).
92 ANTOINE DE BOURBON
« le déshériteroit, ne voulant pas qu'on la tînt à l'ad-
« venir pour sa mère1. » Les regrets maternels de la
reine de Navarre et l'énergie de sa résolution frap-
pèrent les courtisans et les ambassadeurs étrangers.
Cette scène n'émut pas moins l'enfant. « Je ferai mon
« possible pour qu'il aille à la messe, » dit Ghantonay
sur un ton de doute2.
Dès ce jour commença entre le père et le fils une
lutte inégale. Privé des exemples et des encourage-
ments de sa mère, Henri de Béarn n'en obéissait pas
moins à ses derniers conseils. En vain le gouverneur
du jeune prince, les enfants de son âge et les frères du
roi le pressaient de se soumettre. Châtiments et
récompenses glissaient sur cette âme héroïque3. A la
date du 19 mai, près de deux mois après le départ de
Jeanne d'Àlbret, Chantonay constate amèrement que
le roi de Navarre n'a rien obtenu et que son fils refuse
encore d'aller à la messe. Antoine avait trouvé un
singulier détour pour tirer parti de la résistance de son
fils. Il affirma sérieusement à l'ambassadeur que
l'enfant se convertirait quand le roi d'Espagne aurait
desintéressé la maison d'Albret et que la reine de
Navarre acceptait cette condition. Chantonay transmit
cette clause à son maître avec l'ironie qu'elle méritait.
Cependant les courtisans s'étonnaient de la résistance
du jeune Henri de Béarn. Sa constance, comparée
1. Nègoc. du card. de Ferrure, p. 136.
2. Lettre de Ghantonaj à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 14'.)7, u° -Jli.
;'.. Bordenave, historiographe de la maison d'Albret, raconte
« qu'il le falut foeter pour le fere aler à La messe; el y ayant esté
« mené une fois par force, tomba malade. » [Hist. de Béarn et de
Navarre, p. 115.)
ET JEANNE d'aLBRET. 93
à la mobilité ordinaire des enfants de son âge, fai-
sait présager une âme d'une fermeté peu commune.
Ghantonay lui-même se défend mal d'un sentiment
d'admiration : « Tout ceci, écrit-il à Philippe II, reste
« dans le même état. D'après le dire des gens, le
« jeune homme est encore très enfant, bien qu'il
« soit vif, intelligent et fort joli, et montre être ferme
« dans l'opinion de sa mère jusqu'à ce que son père
« la lui fasse quitter par son autorité1. » L'enfant
royal lutta encore pendant deux mois, mais, au com-
mencement de juin, le bruit des armes, le sanglant
spectacle de la guerre civile, peut-être un sentiment
naturel de répulsion contre la révolte du prince de
Gondé , impressionnèrent défavorablement pour la
cause protestante la droiture de son âme. Le lundi
1er juin, le jeune prince se laissa conduire à la messe
par son père, jura entre ses mains de garder la foi
orthodoxe et de mourir pour elle et reçut l'accolade
de chevalier de l'ordre de Saint-Michel, en compagnie
de quelques autres seigneurs catholiques2.
Deux mois auparavant, le 29 mars, le jour même
où le prince de Gondé s'était mis en campagne, Jeanne
d'Albret était sortie de Meaux et avait pris la route de
Vendôme en fugitive3, abandonnée même par Théo-
dore deBèze qui suivit le prince de Gondé à Orléans4.
1. « ... muchacho es muy nino, aunque vivo, agudo y muy
bonito... » (Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 19 mai 1562 ;
Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 33.)
2. Lettre de Ghantonay, du 3 juin 1562, à Philippe II (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1498).
3. La lettre de Théodore de Bèze, du 13 mai, que nous citons plus
loin, constate que la reine de Navarre n'était pas accompagnée
{Mémoires de Condé, t. II, p. 359).
4. Baum, Thcodor Dcza, Preuves, p. 177.
94 ANTOINE DE BOURBON
Le roi de Navarre lui avait enlevé, en le rappelant à la
cour* le secrétaire Victor Brodeau, s. de la Chassetière,
dont elle aimait les services. Arrivée à Vendôme4, elle
s'adonna avec passion à la propagande calviniste.
Les habitants ne s'y montraient pas favorables2.
Entraînées par le mouvement général qui poussait la
France à la guerre civile, des bandes de partisans
huguenots s'organisèrent autour de la princesse. Le
pillage des églises catholiques fut leur premier exploit.
Dans les premiers jours de mai3, la chapelle du château
de Vendôme, les tombeaux de la maison de Bourbon4,
t. Jeanne arriva à Vendôme dans le courant d'avril, mais nous
ignorons la date exacte. Elle y était le 3 mai (Lettres d'Antoine de
Bourbon et de Jehanne d'Albrct, p. 251).
2. Le bruit se répandit à Paris que les catholiques de Vendôme
avaient été pilles, massacrés en masse ou mis en fuite. « Lesdits
« Huguenot/., dit un rapport anonyme qui paraît un extrait de
« lettre missive, ont l'ait à Vendôme toutes les meschancetez
« dont il/, se sont peu adviser, et, pour ce que la pluspart des
a femmes el enffantz s'en estoient enfouyz au bois et se cachoient
« parmy les bledz, lesdietz Iluguenotz avoient de grands dogues
« d'Angleterre, lesquelz ilz laissoient et faisoient courir par tout
« pour descouvrir ceulx qui se pensoient sauver ; et là ont esté
« dévorez beaucoup d'hommes, enffantz et femmes. » Ce récil
n'est confirmé par aucun témoignage. Le dossier de la reine de
Navarre est assez, chargé sans y joindre i\r> contes invraisem-
blables. L'historien doit seulement les reproduire afin de prouver
à quel degré de passion les esprits étaient montés. Du reste, le
narrateur a'esl poinl révolté par le procédé. Il ajoute qu'en
retour « ne fault qu'on parle icy de la huguenoterie pour la favo-
« riser, à peine de la vie el d'estre sacagé sur le champ, o
(Copie du temps; sans date ni signature ; f. IV., vol. 20153, f. 95.)
3. La preuve que ces profanations eurent lien dans les com-
mencements de mai résulte «le la lettre de (le Bèzedu 13 mai que
nous citons plus loin.
i. Quelque temps auparavant, le cardinal de Bourbon, dans une
lettre du 24 novembre, avait vainemenl prescrit des mesures pour
ET JEANNE D'ALBRET. 95
les statues et les autels de la collégiale de Vendôme,
aux yeux mêmes de Jeanne d'Albret, tombèrent sous
les coups de ces sectaires1. La collégiale contenait
une relique vénérée depuis le XIe siècle, une des
larmes que le Christ avait versées sur le tombeau de
Lazare2; heureusement, le cardinal de Bourbon, au pre-
mier bruit des troubles, l'avait envoyée à l'abbaye de
Chelles , près de Paris3 , puis à l'abbaye de Saint-Germain-
des-Prés4. Les autres reliques furent profanées par la
soldatesque huguenote. D'après une tradition, Jeanne
d'Albret les fit ramasser dans un linge et ordonna à un
Suisse de son escorte de les jeter dans le Loir. En des-
cendant l'avenue du château, le soldat rencontra un
bourgeois de la ville, nommé Dupont, lieutenant par-
ticulier du bailliage, et les vendit pour quelques
deniers. Dupont les cacha en son logis et les rendit
après la guerre au chapitre de Saint-Georges5.
La preuve que Jeanne d'Albret se sentit troublée
dans son équité naturelle par ces odieuses profana-
conserver les archives et les monuments de sa maison (Lhermitte
Soulier, Noblesse de Touraine, p. 121).
1. Lettre de Ghantonay, du 23 mai 1562 (Mémoires de Condé, t. II,
p. 42).
2. Sur cette relique voyez le Voyage à la sainte Larme de Ven-
dôme, par le marquis de Rochambeau, in-8*, 1874. Tout ce qui
intéresse l'histoire de ce pieux monument de la foi du moyen âge
y est savamment présenté.
3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 169
et 172.
4. Cette relique, apportée le 28 juin à Saint-Germain-des-Prés,
dont le cardinal de Bourbon était abbé depuis la mort du cardinal
de Tournon, y resta jusqu'au 26 juillet (Félibien, Histoire de Paris,
t. II, p. 1082).
5. Rochambeau, Galerie des hommes illustres du Vendômois,
Antoine de Bourbon et Jchanne d'Albret, p. 83.
96 ANTOINE DE BOURBON
lions, c'est qu'elle consulta Théodore de Bèze ; elle
reçut de son ancien prêcheur de sévères reproches :
« Je ne puis dire autre chose de cet abatis d'images
« sinon ce que j'en ay toujours senty et presché ; c'est
« à sçavoir que ceste manière de faire ne me plaist
« aucunement, d'autant qu'elle me semble n'avoir
« aucun fondement en la parole de Dieu Mais ce
« brisement de sépultures est entièrement inexcusable,
« et vous puis asseurer, Madame, que M. le prince1
« est du tout délibéré non seulement d'en faire inqui-
et sition jusques au bout, mais aussi punition telle que
« les autres y puissent prendre exemple ; et de ma
« part je m'en rends solliciteur, espérant que nous
« verrons Peffect de ma diligence2. »
Cependant le prince de Condé réclamait à ses core-
ligionnaires de l'argent et des armes. Le 19 mai,
Jeanne d'Àlbret arracha de force au chapitre ou se fît
livrer par les chanoines les vases sacrés, les reliquaires,
les chandeliers, les croix, tous les trésors de la collé-
giale. Deux prêtres, André Chevalier et Lucas Tessier,
en dressèrent l'inventaire et tirent estimer par deux
orfèvres les métaux précieux3. La reine de Navarre en
donna quittance le 27 mai et fit fondre l'or et l'argent. Le
creuset rendit seize marcs d'or et cent vingt-neuf d'ar-
1. Le prince de Coudé, alors chef de l'année huguenote à
< Orléans.
2. Lettre de de Bèze, du 13 mai L562. Cette Lettre a été impri-
mée plusieurs t'ois d'après une copie contenue dans la coll. Dupuy
et toujours sous la date erronée de 1561 [Mt moires de Condé, t. II,
p. 359. - Mayer, Galerie philosophique, t. 111, p. 226. — Lettres
d'Antoine de Bourbon il de Jehanne d'Albret, p. J33).
3. Cet inventaire, longtemps perdu, a été retrouvé par M. l'ahhé
Métais et publié dans le Bulletin de la Société archéologique, scien-
tifique et littéraire du Vendômois, 1882.
ET JEANNE d'ALBRET. 97
gent, estimés trente mille livres1. Après avoir pris
l'argent, la reine de Navarre confisqua les armes. Le
20 mai, deux officiers municipaux, Duvau et Lacaze,
intimèrent aux échevins l'ordre de conduire au château
les pièces d'artillerie et les arquebuses. Le 25, la reine
de Navarre en « donna quittance2. » Il est probable que
la somme et les armes furent livrées à l'armée protes-
tante d'Orléans et que Jeanne d'Albret ne garda pas un
écu pour ses besoins personnels, car, vers le même
temps, elle se plaint de sa pénurie à la reine mère.
C'est la seule considération qui puisse atténuer des
actes de fanatisme, d'autant plus odieux que la prin-
cesse responsable avait l'esprit plus élevé.
Les nouvelles du pillage de la collégiale de Vendôme
arrivèrent à la cour le 21 mai. Le roi de Navarre fut
profondément irrité de la dévastation des tombeaux
de sa maison3. Il résolut de se venger sur Jeanne
d'Albret et consulta l'ambassadeur d'Espagne. Son
plan était de faire mettre sous le séquestre, en
vertu d'un arrêt du conseil du roi, le royaume de
Béarn comme biens de mineur et de s'en réserver
l'administration. Quant à Jeanne d'Albret, il ne lui
laissait que la vie. La princesse dépossédée serait
emprisonnée dans une forteresse et entretenue aux
frais de sa propre succession. Chantonay ne fait pas
1. Bull, de la Soc. arch. du Vendôrnois, 1882.
2. Rochambeau, loc. cit., p. 82. — Abbé Métais, mémoire cité
plus haut. — Il y a un peu de doute sur les dates de ces actes.
3. Journal de Bruslard, dans le t. I des Mémoires de Condé,
p. 86. — Lettre de Chantonay, du 23 mai (ibid., t. II, p. 42). —
Lettre de Chantonay à Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. nat.,
K. 1497, n» 36).
rv 7
98 ANTOINE DE BOURBON
connaître sa réponse, mais sans cloute elle ne fut pas
défavorable ; il écrit au roi d'Espagne : « Ce serait
« un grand exemple pour les grands du royaume, et,
« en voyant cette manière de procéder, beaucoup se
« corrigeraient1. »
Théodore de Bèze avait conseillé à Jeanne d'Albret
de se retirer en Béarn2. Les projets menaçants du
roi de Navarre commandaient une fuite rapide 3.
Avant de se livrer aux hasards des grands chemins, à
travers une partie du royaume ensanglantée par la
guerre civile, Jeanne demanda à la reine mère les
subsides nécessaires à son voyage.
A la royne, ma souveraine Dame.
Madame, l'envie que j'ay de vous aller faire très humble révé-
rence me rand importune [envers] vous pour m'en donner le
moyen. Et pour ce, Madame, que je ne trouve point de faveur
au Roy, mon mary, il fault que je vous supplie très humble-
ment de luy dire de puissance de maistresse et luy commander,
comme ce porteur en porte des mémoires, sur lesquelz, Madame,
je vous supplie très humblement me faire donner cinquante
mille francs, qui sera peu pour Sa Majesté et beaucoup pour
moy. Vous asseurant, Madame, que n'ayant eu les cent mille
qu'il vous avoit pieu me faire donner, cela m'a esté retarde-
mant de plus de cinquante qu'ilz m'eussent vallu au temps de
ma nécessité. Vous suppliant très humblement, Madame, vou-
loir voir ce porteur sur ce fait; car, sans cela, je suis attendue
chez moy, qui m'est un regret incroyable de n'estre près de
1. Lettre de (Ihanlonav, du G juin, à Philippe II (Orig. espa-
gnol ; Airli. ual., K. 1 i98, u° 6).
2. Lettre du 13 mai déjà citée [Mémoires de Condc, t. II,
p. 359).
3. Bordenave parle des projets du roi de Navarre contre Jeanne
d'Albret, ce qui prouve qu'ils n'étaienl pas ignorés dans la mai-
sou de la princesse [Hist. de Foix et de Navarre, p. 110).
ET JEANNE d'ALBRET. 99
vous pour vous faire service très humble. Et sur ce, je prierez
le Seigneur, Madame, vous donner ce que je désire.
Vostre très humble et très obéissante sœur et subjecte,
Jehavne1.
Il est peu probable que, au milieu des graves événe-
ments du mois de juin 1562, Catherine ait eu le pou-
voir de gratifier la reine de Navarre d'une somme de
cinquante mille francs. Cependant le temps pressait.
Jeanne d'Albret quitta Vendôme vers la fin de juin
et traversa à grandes journées la vallée de la Loire, le
Poitou et la Saintonge. Biaise de Monluc, lieutenant du
roi de Navarre en Guyenne, avait reçu l'ordre de l'ar-
rêter au passage. Heureusement pour la princesse,
l'ordre arriva trop tard. Armand de Gontaut, seigneur
d'Andaux, avait armé une compagnie de cinq à six
cents arquebusiers à cheval béarnais et attendait sa
souveraine sur les bords de la Garonne. Lorsque
Monluc se mit en campagne, la princesse avait trouvé
un refuge au château de Caumont, seigneurie de la mai-
son de la Force, depuis le %% juillet2. Elle y tomba
malade et y séjourna quelques semaines sous la garde
de deux capitaines de la troupe de d'Andaux3. Les
mouvements militaires de Biaise de Monluc la chassèrent
bientôt de sa retraite. Elle reprit sa route, évitant les
villes closes et les lieutenants du roi, passa à Bor-
1 . Autographe tirée de la collection des autographes de Saint-
Pétersbourg (vol. LIII, f. 68). Nous publions cette copie telle que
nous l'avons reçue.
2. Bordenave* p. 111. — Olhagaray, p. 530. — Rochambeau,
Galerie des hommes illustres du Vendômois, Antoine de Bourbon
etJehanne d'Albret, p. 82 et suiv. Voyez surtout la note suivante.
3. Bordenave, Ilist. de Béarn et Navarre, p. 411. Note de
M. Raymond.
100 ANTOINE DE BOURBON
deaux1 et arriva à Pau au prix de mille dangers2. Elle
se trouvait en sûreté au milieu de ses braves Béar-
nais3, dont le dévouement traditionnel avait tant de
fois défié les forces ennemies. La Navarre jouissait
d'une paix profonde, que troublait à peine l'écho loin-
tain des combats de la Guyenne. Malheureusement,
Jeanne d'Albret apportait à ses sujets un cœur altéré
de vengeance contre le parti catholique et une passion
religieuse qui devait la pousser aux derniers excès4.
1. Calendars, 1562, p. 252.
2. Quatre comptes de dépense, principalement applicables à la
campagne de d'Andaux au-devant de la reine de Navarre; un de
1085, un de 137, un de 00 et un de 48 livres (tome IV des Esta-
blissements de Béarn; Arch. des Basses-Pyrénées, G. 682, f. 88).
3. Le premier acte officiel de la reine de Navarre, daté de Pau,
est du 19 aoûl 1562 [Etablissements de Béarn, t. VI; Arch. des
Basses-Pyrénées, G. 684, f. 117 v°).
4. On trouve dans le Report of the royal commission, t. II, p. 82,
l'analyse .d'une lettre d'Antoine de Bourbon à Jeanne d'Albret,
écrite « au moment de son départ, » qui nous parait un docu-
ment apocryphe.
CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.
Massacre de Vassy (1er mars). — Prise d'Orléans (2 avril).
Négociations du duc de Guise en Allemagne. — Entre-
vue de Saverne (15 février 156*2). — Massacre de
Vassy (Ier mars). — Conférences de Nanteuil entre
Guise, le connétable et Saint- André (12 mars). —
Nouvelles de la cour. — Entrée du duc de Guise à
Paris (16 mars). — Lettres de la reine à Coudé
(16 au 26 mars). — La cour est conduite à Fontai-
nebleau par le roi de Navarre (18 mars). — Le roi
de Navarre vient à Paris (21 mars). — Procession
du dimanche des Rameaux (22 mars).
Condé sort de Paris et se rend à Meaux (23 mars). —
Enlèvement du roi par le triumvirat (26-31 mars).
— Le connétable arrive à Paris (4 avril) . — Condé
se met en campagne (29 mars). — Condé sous les
murs de Paris (31 mars). — Prise d'Orléans
(2 avril).
Lorsque le duc de Guise quitta la cour, au mois
d'octobre 1561, le lendemain de la tentative d'en-
lèvement du duc d'Orléans, il n'obéissait pas, comme
le connétable, à un dépit de jalousie puérile contre
l'amiral de Coligny. François de Lorraine avait
102 ANTOINE DE BOURBON
de grands desseins. Il se disposait à faire aux réfor-
més une guerre sans quartier, et, avant d'entamer la
lutte, il cherchait des alliés. Toutes les forces espa-
gnoles lui étaient acquises. Restait l'Allemagne, pays
immense, sans culture, peuplé de princes pauvres et
mendiants, de soldats grossiers et courageux, toujours
prêts à s'enrôler sous la cornette du capitaine le plus
riche. Pendant l'été de 1 5G1 , il avait entamé les pour-
parlers par des protestations d'amitié. A la fin du col-
loque de Poissy, le 11) octobre, avant de quitter Saint-
Germain, il écrivit au duc de Wurtemberg et au comte
Palatin deux lettres, dans lesquelles il se montrait
favorable à la confession d'Augsbourg1. Dès ce jour
s'ouvrit, entre François de Lorraine et Christophe de
Wurtemberg, une sorte de rapprochement. Le 1o no-
vembre, Rascalon, secrétaire du duc de Guise, écrit
au prince allemand que son maître se dirige vers la
frontière lorraine dans l'espoir de l'y rencontrer.
Le %% novembre, le duc de Wurtemberg répond au
duc de Guise et lui donne rendez-vous à son choix
dans les terres du comte de Bitch, à Ingueiler ou à
Saverne. Il tient à son nouvel allié le langage d'un
ministre.
M'a esté une grande joye d'avoir entendu par voz lettres
qu'en matière de iby ne désirez aullre chose plus que vostre
conscience soiL bien instruite par la parole de Dieu Espé-
rant que vous trouverez que ce n'a esté que pour l'extresme
nécessité de aostre salut éternel (pie moy et les autres estais du
saint Empire et ailleurs nous sommes séparés des anciennes
coustumes de la religion Si est ce que nous savons bien que
1. Ces deuxlettres ont été publiées dans le Bulletin delà Société
de l'histoire du Protestantisme français, i. XXIV, p. 77 et 7'J.
ET JEANNE d'âLBRET. 103
la claire et manifeste vérité de la parole de Dieu doibt estre pré-
férée à toutes anciennes coustumes et usances, quelque lon-
gueur du temps que l'on y vueille alléguer1.
Le duc de Wurtemberg hésitait à s'engager dans
une négociation sans l'assentiment du roi de Navarre.
Il lui fit part, le 15 décembre 1561, de sa future
entrevue avec le duc de Guise2 et de son projet
d'arracher François de Lorraine à l'influence du cardi-
nal, « préférant, dit-il, l'honneur et la gloire de Dieu
« à toutes choses mondaines, mettant aussy peinne à
« trouver et faire une bonne concorde et union entre
« les estats pour la paix et tranquilité de tout le
« royaume de France, considérant les maux, troubles
« et confusions qui par telles discordes legierement
« s'en peuvent ensuivre3. » Telle était la simplicité
de ses desseins. Le duc de Guise, beaucoup plus
habile, ne livrait pas les siens.
Le 30 décembre, François de Lorraine écrit au duc
de Wurtemberg en néophyte qui cherche la vérité reli-
gieuse et accepte le rendez-vous. L'entrevue souffrit
quelques retards4. Enfin les deux princes se rencon-
trèrent le dimanche, 15 février, à Saverne. Le duc de
Guise arriva le premier avec ses frères, les cardinaux
de Lorraine et de Guise, le grand prieur, et son fils, le
1. Les lettres de Rascalon et du duc de Wurtemberg sont
publiées dans le Bulletin de la Société de l'histoire du Protestan-
tisme français, t. XXIV, p. 82 et 113.
2. Il lui envoya l'original de la lettre du duc de Guise, du
19 octobre, car cette pièce se trouve actuellement aux Archives
des Basses-Pyrénées, E. 584.
3. Lettre originale (Arch. des Basses-Pyrénées, E. 584).
4. Lettre du duc de Guise au duc de Wurtemberg, du 30 dé-
cembre; lettre du duc de Wurtemberg au duc de Guise du 10 jan-
104 ANTOINE DE BOURBON
prince de Joinville. Il était accompagné d'un cortège
de cinq cents chevaux. Le duc de Wurtemberg arriva
le même soir suivi de son fils, des docteurs Brentius
et Andréas Faber et de deux cents chevaux. Il occupa
le château de Saverne, qui appartenait à l'évêque de
Strasbourg, tandis que le duc de Guise et ses somp-
tueux équipages s'entassaient dans une maison, dite
de la chancellerie, près de la cathédrale. Érasme de
Limbourg, évêque de Strasbourg, faisait les honneurs
de la conférence. Chaque jour les Allemands et les
Français dînaient chez lui, mais le soir les Guises sou-
paient seuls en leurs logis. Gomme on était en carême,
l'évêque imposa la règle de l'abstinence à ses hôtes.
Seuls, les valets allemands reçurent de la « chair vive. »
Les pages et les serviteurs du duc de Guise, pendant
toute la durée de la conférence, se nourrirent de
« viandes de caresme1. »
Le lendemain, 16 février, à sept heures, le duc de
Guise fit une visite solennelle au duc Christophe et
l'invita à un sermon du cardinal de Lorraine. Dans la
journée, les deux princes curent une première confé-
rence. François de Lorraine se montra conciliant sur
vier; lettre du duc de Guise nu duc de Wurtemberg, du 14 février
1562 [Bulletin de lu Société de l'histoire du Protestantisme français,
i. XXIV, \k 115, U6 el 119).
1. Rapport d'un s. Fournery, espion du baron de Polweiler,
sur l'entrevue de Saverne (Orig. ; Arch. nat., K. 1496, n° 39).
Le baron de Polweiler, que nous avons déjà vu mêlé aux plus
secrètes négociations du roi d'Espagne, avail été chargé de sur-
veiller l'en ire vi io de Saverne. Il envoya Fournerj à Saverne, se fit
adresserun rapporl el l'expédia au eard. de Ciran\elle Lettre de
Polweiler au card. de Granvelle, du 18 février 1562; Orig.; Arch.
uiit.. K. 1496, q° 13). M. de Houille a connu le rapport île Four-
aery el en cite quelques mots [Histoin des Guises, t. II, p. 168).
ET JEANNE d'aLBRET. 105
les doctrines, mais sévère pour les docteurs du calvi-
nisme. Habile à flatter les manies théologiques de son
interlocuteur, il lui demanda des consultations, feignit
de se laisser convaincre, critiqua les arguties de la
secte calviniste et posa les bases d'une alliance poli-
tique entre les partis luthérien et catholique. Le len-
demain matin, le duc de Wurtemberg assista de nou-
veau au sermon du cardinal de Lorraine. A midi, le
duc de Guise l'avertit officiellement que dans la journée
le cardinal aurait l'honneur de le visiter. Christophe
de Wurtemberg, déjà séduit par la déférence des sei-
gneurs français, se hâta de le prévenir et se rendit au
logis du prélat avec le docteur Brentius, un de ses
prêcheurs. Charles de Lorraine l'attendait au milieu de
ses frères et lui donna la place d'honneur. Un colloque
s'ouvrit entre le prélat et Brentius. Le cardinal dirigeait
habilement le débat et ne le laissait pas dévier des
vérités communes aux deux cultes. Le duc de Wur-
temberg était charmé d'entendre l'orateur le plus auto-
risé du parti catholique s'accorder avec son docteur
favori. Il prenait acte des concessions du cardinal sur
le culte des saints, sur les processions et sur le con-
cile de Trente. Les Lorrains se montrèrent si accom-
modants qu'ils jurèrent, « sur leur foy de prince et sur
« le salut de leur àme, de ne persécuter ni ouverte-
« ment ni en secret les partisans de la nouvelle doc-
« trine. »
Le mercredi 18 février, le duc de Guise et le cardi-
nal de Lorraine proposèrent au duc de Wurtemberg
la présidence « d'une conférence amicale » entre les
docteurs luthériens d'Allemagne et les catholiques de
France. Le cardinal se faisait fort de prouver que les
106 ANTOINE DE BOURBON
deux cultes n'étaient séparés que par des formes exté-
rieures et que ie calvinisme était l'ennemi commun.
Le plan répondait aux rêves du prince ; mais le col-
loque allemand importait peu aux Guises. La conclu-
sion des débats se dégageait en évidence sans avoir
même été formulée. Puisque le luthérianisme et le
catholicisme étaient si près de s'entendre, les luthé-
riens devaient secourir les catholiques contre les calvi-
nistes. L'entrevue finit sur ces projets de conciliation.
A Saverne comme à Poissy, le cardinal de Lorraine
l'avait emporté sur ses adversaires 4 en utilisant habi-
lement leurs divisions. Jamais l'esprit pesant d'un
prince allemand n'avait été joué avec plus de dexté-
rité par le génie d'un homme d'état français. Le duc
de Wurtemberg et les Guises se séparèrent le soir
même2. Le premier rendit compte au roi de Navarre,
qu'il regardait encore comme son coreligionnaire, du
dévouement des Lorrains au service du roi et de la
1. Le cardinal de Lorraine, probablement pour démontrer au
baron de Polweiler qu'il n'étail pas dupe de. ses espions, lui écri-
vit lui-même, le 18 février, le jour de la clôture de la conférence.
8a lettre contient un compte-rendu qui, malgré sa réserve,
mérite de u'être pas néglige (Copie du temps; Arch. nat. ,
K. 1496, n° 43). Cette lettre, de même que le rapport de Fournery,
fut communiquée par Polweiler au cardinal de G-ranvelle el par
Granvelle à Philippe II.
2. Récil de l'entrevue de Saverne par le duc de Wurtemberg
[Bulletin de la Soàétéde l'histoire du Protestantisme français, t. IV,
p. is'i el suiv.). Ce document capital avail été | blié en 1771
par Sattler [Geschichl von Wurtemberg unter den Herzxgen, t. IV.
p. 215). — Compte-rendu de Fouraery au baroD de Polweiler
(Arch. nai., K. 1496, a' 39). — Noos avons tiré de ces deux
récits originaux unis les détails ci-dessus. Mais Le fonds était
connu depuis longtemps. Voyez, pour ne citer que les anciens,
Théodore de Bèze, t. 1, p. 434, el Dupleix, t. 111. p. 650.
ET JEANNE D'ALBRET. 107
tolérance du cardinal4. Il rapportait à Stuttgard, avec
une grande admiration pour ses nouveaux alliés2, une
confiance qui résista quelque temps aux enseignements
de la guerre civile.
Les projets d'entrevue du duc de Guise avec les
autres princes allemands échouèrent. Le landgrave de
Hesse et Wolfgand de Veldens, duc de Deux-Ponts,
moins naïfs que le duc de Wurtemberg, ne cédèrent
pas aux avances des Lorrains3.
Au sortir de Saverne, le duc de Guise et ses frères
prirent la route de Joinville. A Blamont en Lorraine,
le duc reçut deux lettres de la reine mère et du roi de
Navarre qui l'appelaient au conseil et qui l'informaient
de graves désordres survenus dans son gouvernement
du Dauphiné. Il répondit quelques jours après, le
221 février, de Charmes-sur-Moselle, et promit d'arri-
ver à la cour en passant par Joinville, Reims et Nan-
teuil4. A mesure qu'il se rapprochait de la France, il
recevait des messages plus alarmants de la cour. Tous
les partis voulaient s'attacher un puissant prince, aussi
grand homme de guerre qu'habile politique. Les chefs
catholiques surtout l'appelaient à leur secours pour le
triomphe de la religion5. Throckmorton raconte que
1. Lettre du 27 février (Bulletin de la Société de l'histoire du Pro-
testantisme français, t. XXIV, p. 121).
2. Surtout pour l'éloquence du card. de Lorraine (Ibid.).
3. Sattler, loc. cit., note de la page 100. — Lettre de Rascalon, du
8 novembre 1561; lettre du duc de Guise du 10 février 1562 (Bul-
letin de la Société de l'histoire du Protestantisme français, i . XXIV,
p. 81 et 120).
4. Lettre citée par le marquis de Bouilli' [Histoire des Guises,
t. H, p. 170).
5. Lettre de Pasquier dans les Œuvres complètes (t. II, col. 95,
108 ANTOINE DE BOURBON
pendant le voyage du duc de Guise, Claude de Lorraine,
duc d'Aumale, arriva par hasard à Saint-Germain.
Aussitôt il fut entouré et les chefs catholiques le sup-
plièrent de presser la marche de son frère1.
Le duc de Guise s'avançait à petites journées. A la
fin de février, il était à Joinville auprès de sa mère,
Antoinette de Bourbon. Le dernier jour du mois il
coucha à Dammartin-le-Franc. De là, il envoya à Biaise
de Pardaillan de la Mothe-Gondrin, son lieutenant en
Dauphiné, l'ordre de faire un exemple du ministre de
Romans « comme autheur des séditions ou tumultes »
de la ville, en le faisant « tout soudain pendre et
« estrangler2. » Le duc était déjà loin des déclarations
conciliantes de Saverne. Le 1er mars, il devait s'arrê-
ter à Vassy et y rallier une partie de sa compagnie
d'ordonnance. La ville de Vassy, aux confins du Bar-
rois, dépendante du douaire de Marie Stuart, était
administrée par le duc de Guise. Les réformés y avaient*
organisé une église et s'y réunissaient légalement, aux
termes de l'édit de janvier, dans une grange. La
nouvelle église était évangéliséc depuis l'année précé-
dente par un ministre inconsidéré dans son langage,
lettre 14). — La Popelinière , in-fol., t. I, f. 283 v°; DavHa,
in-fol., t. [, p. 100; Mathieu, t. I. p. 255.
1. Lettre de Throckmorton, du 16 février (Calendars, 1561-1562,
p. 524).
2. Cette Lettre a été publiée par de Bèze [Hist. ccclcs., 1882,
i. II, p. 402). D'après de Thou,qui admel l'authenticité du docu-
ment, elle fui surprise par des partisans huguenots et causa la
mort de la Mothe-C.oiulrin (voyez le chap. suivant). On pourrait
soupçi er qu'elle a été fabriquée pour excuser les meurtriers de
ce capitaine, si elle a'étail rappelée dans une autre lettre du duc
de Guise, citée par M. le marquis de Bouille (Hist. des Guises, t. II,
p. 171 , donl l'original appartenail à M. Champolion.
ET JEANNE d'aLBRET. 109
nommé Léonard Morel. Plusieurs fois l'audacieux pré-
dicant avait insulté du haut de sa chaire la vieille
duchesse de Guise, en l'appelant mère des tyrans. Ces
injures rapportées, envenimées par des serviteurs trop
zélés, troublaient le repos d'Antoinette de Bourbon.
A la fin de décembre, elle avait essayé de dissoudre la
nouvelle église et envoyé à Vassy Jérôme de Burges,
évêque de Chàlons. L'évêque avait été injurié et chassé
de la ville. Premier grief de la maison de Lorraine.
Le dimanche matin, 1 er mars, le duc de Guise arrive
à Vassy. Il amenait avec lui sa femme, Anne d'Est,
grosse de plusieurs mois, son frère, le cardinal Louis
de Guise, dont la poltronnerie était célèbre, son fils
aîné, un autre de ses jeunes enfants, ses pages et les
femmes de la duchesse. Un cortège ainsi composé
témoignait d'intentions pacifiques. Il était accompagné,
il est vrai, de sa compagnie d'hommes d'armes, mais
un prince de son rang ne voyageait pas au xvie siècle
sans un grand équipage de guerre1. Malheureusement
ses gens, animés de passions ardentes, rapportaient
de Joinville le désir de venger la duchesse des injures
de Léonard Morel.
Le duc se rend à la messe ; il apprend du prieur
de Vassy que dans ce moment les réformés vont
célébrer leur office ; il entend même la cloche d'appel
du prêche. L'occasion d'adresser une réprimande à
l'impertinent ministre lui paraît opportune et il députe
1. Sur le train ordinaire du duc de Guise, voyez les comptes
de ce seigneur pour l'année 1562 (Copie ; f. fr., vol. 22437, f. 65
. ceux de la duchesse de Guise pour la même année [ibid.,
f. 69), et enfin les comptes généraux de Guillaume de Champagne,
trésorier ordinaire de la maison de Guise, pour les années 1562
et 1563 (Orig.; f. fr., vol. 22433).
110 ANTOINE DE BOURBON
au temple un de ses gentilshommes, Jacques de la
Brosse, et deux pages allemands. Comment les trois
messagers s'acquittèrent-ils de la mission ? C'est un des
points obscurs de cette sanglante histoire. D'après les
annalistes protestants, ils heurtent violemment aux
portes, se poussent dans l'enceinte avec insolence et
interrompent le service religieux. D'après les catho-
liques, ils sont accueillis à leur entrée au prêche par
des injures et chassés sans avoir pu formuler leur mes-
sage. Aux injures ils ripostent par des menaces. Refou-
lés par le grand nombre des fidèles, ils mettent l'épée
à la main. Les pages et les valets qui les suivaient, et
qu'attirait une curiosité certainement malveillante,
volent à leur secours. D'après les uns, Jacques de la
Brosse, debout sur le seuil, est renversé au pied de
la porte ; d'après les autres, retenu prisonnier. On
dit à son père, lieutenant de la compagnie, qu'il a été
tué. Déjà un combat s'engage et les cris des combat-
tants arrivent au duc de Guise. François de Lorraine
accourt à l'instant et trouve ses gens en proie à une
irritation violente. La porte du temple était barri-
cadée et les réformés se défendaient avec des pierres
accumulées sur un échaffant au-dessus du porche.
Le duc de Guise s'approche sans armes et tache de
parler aux assiégés. Le tumulte couvre sa voix. Les
projectiles pleuvent autour de lui. Le seigneur de la
Brosse, le père, est atteint. Un caillou frappe le duc
lui-même au bras ; un autre; à la joue gauche et couvre
son visage de sang. A cette vue, les hommes d'armes,
malgré ses efforts pour les retenir, se précipitent en
avant. Les portes volent en éclats et les coups de feu
retentissent dans la salle du prêche. Hommes, femmes
ET JEANNE D'ALBRET. 111
et enfants tombent indistinctement sous les arquebu-
sades ; l'arme blanche achève les victimes. Les
religionnaires fuient de toutes parts, les uns par les
fenêtres, les autres par la toiture ; des pistoliers, pos-
tés au dehors du temple, abattent les fuyards ou les
poursuivent jusque dans leurs logis en présence du
duc de Guise et de ses lieutenants.
Au bruit des arquebusades, la duchesse de Guise sor-
tit de sa litière et envoya un messager à son mari pour
demander la grâce des femmes enceintes. Le duc arrêta
le massacre et rallia ses gens. Toute sa fureur tomba
alors sur le ministre, Léonard Morel, qui était resté
entre les mains des soldats. Blessé de plusieurs coups
de feu ou de dague, le malheureux fut traîné devant
le duc de Guise. « Viens çà, lui dit le duc, es-tu le
« ministre d'icy? Qui te fait si hardi de séduire ce
« peuple? — Monsieur, répondit le ministre, je ne suis
« point séditieux, mais j'ay prêché l'évangile de Jésus-
« Christ. » Cette réponse irrita le duc : « Mort-Dieu,
« dit-il, l'évangile prêche-t-il sédition ? Tu es cause de
« la mort de toutes ces gens. Tu seras pendu tout
« maintenant. Çà, prévôt, qu'on dresse une potence
« pour pendre ce bougre. » 11 se ravisa cependant et
envoya le ministre, sanglant et mutilé, aux prisons de
Saint-Dizier 1 .
Le premier mouvement passé, le duc, honteux peut-
être de la férocité de ses gens, et, suivant les chroni-
queurs protestants, blâmé par le cardinal de Guise,
réfléchit aux conséquences de la cruelle exécution com-
1. Pour les sources historiques de notre récit du massacre de
Vassy, nous renvoyons le lecteur à une note que nous avons
rejetée à la Un du volume.
112 ANTOINE DE BOURBON
mise sous ses yeux. Il s'en prit au gouverneur de la
ville, Claude Tondeur, lui reprocha d'avoir autorisé
les prêches de Vassy, le qualifia de traître et l'emmena
prisonnier. Avant de monter à cheval, il prescrivit
une enquête et écrivit à la reine mère et au roi de
Navarre. Le soir même il s'éloigna de ce sanglant
théâtre et alla coucher à Éclaron. Inquiet de l'impres-
sion que le massacre causerait à la cour, il passa deux
jours dans l'incertitude et l'inaction. Le récit du car-
nage de Yassy, aggravé par la rumeur publique, volait
de bouche en bouche, accueilli avec joie par les uns,
avec rage ou terreur par les autres l . François de Lor-
raine apprit que les gens de Vitry-le-François avaient
fermé leurs portes et l'attendaient les armes à la
main. Cette nouvelle lui fit modifier son itinéraire. Il
refusa d'entrer à Châlons-sur-Marne de peur de sur-
prise et campa dans un village, hors la ville, comme
en pays ennemi. En passant près de la Fère, ses cour-
riers rencontrèrent une troupe armée. Le duc rangea
sa compagnie en ordre de bataille et manœuvra pour
éviter une rencontre2. Ce serait mal juger ce grand
homme de guerre que d'attribuer ces précautions à la
crainte. Le duc de Guise aimait à braver ses ennemis.
Mais le sentiment de la responsabilité que les événe-
ments faisaient peser sur lui glaçait son audace natu-
relle. Chaque jour il expédiait un courrier à Saint-Ger-
main et attendait les réponses aux courriers précédents.
Il arriva ainsi, vers le 12 mars, à petites étapes, au
1. Lettre de Throckmorton du 1 i mars [Galendars, 1562, p. 553).
2. Discours prononcé par le duc de Guise au parlement, publié
d'après les registres du parlement, dans l'Histoire de France
de Pierre Mathieu, t. I, p. 257 et 258.
ET JEANNE d'aLBRET. 113
château de Xanteuil et y reçut le lendemain ses col-
lègues du triumvirat, le connétable de Montmorency
et le maréchal de Saint-André * .
Le duc de Guise recueillit de ces deux seigneurs les
plus graves informations. Le roi était aux portes de
Paris, mais le prince de Condé y commandait en maître.
Chargé par la reine de faire publier et exécuter l'édit
de janvier, le prince avait usurpé l'autorité du lieute-
nant du roi. Dans l'intérieur de la ville, la méfiance
était générale ; la guerre civile s'annonçait par des
rixes. Certains corps de métier étaient « bandés »
contre les autres. Les habitants s'armaient en troupes
contre leurs voisins. Au faubourg Saint-Marceau, les
catholiques, plus nombreux, menaçaient de mettre
le feu au prêche de la maison du patriarche 2. Des
quartiers entiers étaient occupés par des bandes
errantes de calvinistes aux ordres du prince, « bel-
« listres, dit Bruslard, se disans sans son aveu gen-
« tilshommes, » parmi lesquels se distinguaient
cependant deux chevaliers de l'ordre, François de
Genlis et Guy Chabot de Jarnac3. Les officiers du roi
s'étaient retirés à la cour ; les gens de justice avaient
pris la fuite ; les bourgeois paisibles se cachaient au
fond de leurs maisons. La populace était agitée par
une de ces rumeurs superstitieuses, qui saisissent les
foules comme un pressentiment aux approches des
grandes commotions. Pendant plus de quinze jours,
dit gravement Belleforest, on avait vu du côté de Meu-
don « une armée en l'air, qui paroissoit tous les soirs,
t. Lettre de Sainte-Croix (Arch. curieuses, t. VI, p. 47).
2. Lettre de Sainte-Croix {Arch. curieuses, t. VI, p. 48).
3. Journal do Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 47G.
rv 8
114 ANTOINE DE BOURBON
« à grands escadrons de cavalerie et d'infanterie, com-
<r battans pesle-mesle ensemble1. »
Les chefs du parti réformé avaient reconnu dès le
premier jour le parti qu'ils pouvaient tirer du « forfait »
de leurs ennemis. « Sans le massacre de Vassy, dit
« un chroniqueur protestant, le prince et l'amiral
« eussent esté contraints de tout quitter ou même de
« sortir du royaume, attendu qu'ils n'avoient paravant
« pensé ni à défensive ni à chose qui approchast, moins
« encore à offensive. L'édit de janvier et les promesses
« de la reine leur tenoient les mains2. » L'irritation
des calvinistes était habilement entretenue par les
meneurs. L'église de Paris demanda aux églises de
province des prières pour les martyrs3. Théodore de
Bèze se rendit à Gaen et fit imprimer secrètement un
libelle qui racontait, en les aggravant, les scènes de
carnage de Vassy4. Il écrivit à lord Gecil une lettre
suppliante et lui demanda l'appui de la reine d'Angle-
terre en faveur des victimes survivantes5. Toutes ces
lettres étaient écrites sur un ton ardent de récrimi-
nation, malheureusement justifié, qui sonnait l'appel
I. Belleforest, Les grandes Annales, l"i79, t. II, f. 1627. Ge pas-
sage ;i été textuellemenl reproduil par Piguerre [Hisinire fran-
çaise de noslre temps, 1581, f. iOl).
.'. Histoire des quatre rois, 1595, I'. 69 v°.
3. Lettre à l'église d'Angers, du I" mars (Histoire de Bretagne,
i. III, Prouves, ml. l;ia-ji. - Leiiro à. l'église de Nantes, du
13 mars [Ibid., col. 1303).
4. Ge libelle, le premieren date, e si imprimé dans les Mémoires
de Gondè (t. HI,p. 111), dans les Archives curieuses (t. IV, p. 105)
ei enfin dans les Mémoires de Guise (p. 171). Voir la note sur lo
massacre de Vassy, placée à la fin du volume.
5. Lettre du la mars (Bulletin de la Société de l'histoire du Pro-
testantisme français, t. VIII, p. 510).
ET JEANNE d'ALBRET. 115
aux armes. Théodore de Bèze, accompagné de Ger-
vais Barbier de Francourt et d'autres huguenots
notables, demanda audience à la reine. Catherine le
reçut en présence du roi de Navarre, de Prévost de
Sansac et de la Chapelle-des-Ursins. De Bèze lui porta
ses plaintes, et, dans le cours de la harangue, qua-
lifia le duc de Guise de « meurtrier du genre
« humain. » A ces mots le roi de Navarre prit vive-
ment la défense « de son bon frère de Guise » et dit
que « qui le toucherait du bout du doigt, le toucherait
« à luy à tout le corps. » Le cardinal de Ferrare arriva
pendant l'audience et prétendit excuser les excès de
Vassy par les crimes de Saint-Médard. La discussion
s'aigrit. De Bèze parlait avec « autant d'animosité que
« s'il eût eu la dague dans le sein. » La reine lui répon-
dit que les huguenots avaient été les provocateurs,
le roi de Navarre « qu'il méritoit d'estre pendu. » —
« Sire, repartit de Bèze, c'est à l'église de Dieu, au
« nom de laquelle je parle, d'endurer les coups et non
« pas d'en donner. Mais aussi vous plaira-il vous sou-
« venir que c'est une enclume qui a usé beaucoup de
« marteaux1. »
Ces nouvelles, rapportées au duc de Guise par
ses collègues du triumvirat, s'aggravaient de celles
de la cour. Catherine de Médicis, effrayée de l'état de
Paris depuis le jour de sa conférence avec le parlement,
avait quitté Saint-Germain le 7 mars et s'était retirée
1. Négociations du card. de Ferrare, p. 112. — Lettre de Sainte-
Croix (Arch. curieuses, t. VI, p. 51). — Histoire ecclésiastique de
de Bèze, t. I, p. 490 (édit. de Toulouse, 1881). — La Popelinière,
1. 1, f. 286 y* (De Bèze et La Popelinière se copienl textuelle-
ment). — P. Mathieu, t. I, p. 254. — Scipion Dupleix, t. III,
p. 652.
116 ANTOINE DE BOURBON
à Monceaux-en-Brie avec le roi, son fils, le roi de
Navarre et le cardinal de Ferrare1. Sa politique favo-
rite était toujours « d'accommoder les voiles de son
« vaisseau suivant le vent et de jouer plusieurs per-
« sonnages sur le théâtre2. » C'est ainsi qu'elle avait
rappelé les trois Chastillons auprès d'elle et rendu à
Coligny tout son crédit'. Informée des conférences que
le chancelier tenait habituellement avec le prince de
Condé et le cardinal de Chastillon, elle le chassa de la
cour4; quelques jours après, elle lui permit de
reprendre sa place au conseil 5. Le 6 mars, Throckmor-
ton écrit qu'elle favorise « les papistes, » mais que
l'amiral répond d'elle; le 9 et le 14, il constate qu'elle
penche vers le parti réformé0. Nulle part on n'aper-
çoit, dans le gouvernement, cette ligne droite et ferme
qui, à défaut de convictions, aurait dû guider la reine.
L'approche du duc de Guise la troublait profondément.
Pas un de ses conseillers qui ne sentit que l'arrivée
des Lorrains allait précipiter la crise7. Le duc de Guise,
écrit Théodore de Bèze, est attendu à la cour, « unde
« conjicio nondum fînitam tragœdiam8. » Un seigneur
1. Lettre <lo Sainte-Croix [Archives curieuses, i. VI, p. 41)). —
Lettre de Throckmorton du (.i mars (Galendars, 1562, p. 551). —
Nëgoc. du card. de Ferrare, p. in:!.
■J. Mol de M;illii<Mi (t. I, p. 2.7.1).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 16 mars (Orig. espa-
gnol; Arch. nai., K. 1 197, a0 I i).
'i. Lettresde Sainte-Croix [Archives curieuses, t VI, p. .M. 52
ri 54).
.7 Mémoires de Smibise, publias par M. Bonnet, in-8°, p. 51 et
suivantes.
6. Galendars. 1.7V?, p. .74."), .75?, .753.
7. Lettre du 0 mars [Galendars, 1562, p. 545).
s. Baum, Theodor /•'•;</, Preuves, p. 169.
ET JEANNE D'ALBRET. 117
de grande naissance, appartenant au parti réformé,
Jean Larchevêque, seigneur de Soubise, avait obtenu
depuis quelque temps un grand crédit. Chaque jour,
à l'aide du chancelier, il conférait avec la reine et la
sollicitait de se mettre à la tête du parti réformé.
Catherine hésitait. A l'approche du duc de Guise,
Soubise prit congé d'elle et lui demanda congé pour
Philippe Strozzi, qu'il voulait emmener au secours
du prince de Condé. La reine refusa, parce que, dit-
elle, « il ne luv seroit pas possible de persuader à ceux
« de Guise qu'elle ne feust de la partie, quand même il
« n'en seroit rien1. » Tandis que le connétable et le
maréchal Saint-André exposaient l'état de la cour au
duc de Guise, arriva de Monceaux à Nanteuil une lettre
de la reine, qui révélait le secret de ses appréhensions.
Catherine commandait à François de Lorraine « de
« venir droit en cour sans armes, attendu que tout
« estoit en paix2. »
Le dimanche I 5 mars, le duc de Guise coucha à
Nantouillet. Le 16, à trois heures de l'après-midi, il
entra à Paris, accompagné du connétable, du maréchal
de Saint-André, du duc d'Aumale, d'une foule de sei-
gneurs et d'une troupe armée que l'ambassadeur d'An-
gleterre évalue à trois mille hommes3. Son fils, le
prince de Joinville, était entouré des fils du connétable
1. Mémoires de Soubise, p. 51 et suiv.
2. La Popelinière, t. II, f. 283. — Mémoin s de Castelnau, in-
fol., t. I, p. 83. — De Thou, 1740, t. III, p. 132. — Cette lettre
n'a pas été retrouvée.
3. Lettre publiée dans le Bulletin de laSocièté du Protestantisme
français, t. XUI, p. 15. — Lettre de Throckmorton, du 20 mais
(Calendars, 1562, p. 558). Cette lettre est, de tous les documents,
celle où les événements sont racontés avec le plus de détails.
118 ANTOINE DE BOURBON
comme un seigneur d'un rang plus élevé. Le cortège
prit la rue Saint-Denis, bien que la rue Saint-Martin
fût plus directe, sans doute parce que la première,
réservée aux entrées du roi, était « plus belle et peu-
« pléc de riches marchands1. » Une foule immense
l'attendait à la porte. Quand le duc eut franchi la herse,
les cris de vive Guise sortirent de toutes les bouches.
A mesure qu'il descendait la rue Saint-Denis, l'alllucnce
du peuple devenait plus nombreuse. Dans la rue, aux
fenêtres, sur des échafaudages élevés à la hâte, se
pressait une foule enthousiaste qui fêtait par des accla-
mations l'arrivée du « défenseur de la foi. » Le duc,
vêtu de satin blanc, suivant sa coutume, saluait de la
main avec grâce. Jamais roi de France n'avait fait une
entrée plus superbe. François de Lorraine allait entrer
à l'hôtel de Guise2 quand une troupe armée parut
à l'extrémité du pont Saint-Michel. C'était l'escorte
du prince de Gondé qui, au sortir du prêche, ren-
trait à son hôtel de la rue de Grenelle-Saint-IIonoré 3
avec 800 cavaliers, suivant les uns, 400 arque-
busiers , suivant les autres , au milieu desquels
chevauchait Théodore de Bèze, armé et cuirassé de
I. l)ii|il(M\, i. 111, p. 1)53. — Lettre de Throckmorton , du
20 mars.
•J. Claude Haton di1 que le duc do Guise alla droit à son hôtel
près la rue du Temple (Mnnaifrs, i. I, p. -JUS). L'hôtel de Guise
('Mail situé rue du Chaume, là où sonl maintenant les Archives
nationales. On eu voit encore la porte rue des Ai. . s.
3. La Popolinière it. I. !'. ;'S7i dit que le prince de Condé
demeurail rue de G-renelle. H indique certainement la rue de
Grenelle-Saint-Honoré, où Louis Guillart, évêque de Chartres,
devenu huguenot, possédait un hôtel que les Bourbons protes-
tants, uotammenl Jeanne d'Albret, ont quelquefois habité (Étal
de répartition d'un emprunt Forcé eu 1571 ; f. fr., vol. L1692).
ET JEANNE DALBRET. 119
pied en cap1. Un combat paraissait imminent, mais les
deux rivaux arrêtèrent leurs partisans. Les troupes
se croisèrent en silence et les princes se saluèrent
froidement du pommeau de leur épée2.
Le prévôt des marchands, Guillaume de Marie, atten-
dait François de Lorraine à l'hôtel de Guise. Il le haran-
gua et lui offrit au nom de la ville une garde de vingt
mille hommes et un prêt d'argent de deux millions
d'or pour rétablir la paix religieuse, même au prix des
armes. Le duc répondit modestement que la reine
mère et le roi de Navarre sauraient rétablir l'ordre,
et que, en sa qualité de sujet du roi, il mettait son
honneur à leur obéir. Ces paroles furent accueillies
par de nouveaux applaudissements3. A peine des-
cendu de cheval, il envoya le capitaine René d'An-
glure, seigneur de Givry, enseigne de sa compagnie,
au prince de Gondé, pour témoigner de ses inten-
tions pacifiques et lui dire « qu'il n'estoit accompagné
« que pour se garder. » De son côté, le connétable
chargea son fils de porter la même déclaration au
prince. Pendant la nuit, par crainte d'un retour offen-
sif des huguenots, François de Lorraine concentra
secrètement ses gens dans les rues voisines; de son
1. Lettre de Chantonay, du 25 mars (Mémoires de Gondé, t. II,
p. 27).
2. Lettre de Sainte-Croix {Archives curieuses, t. VI, p. 55). —
Lettre publiée dans le Bulletin de la Société de l'histoire du Proies-
tantisme français, I. XIII, p. 15. — Lettre de Throckmorton, du
20 mars. — Tous les historiens du lemps racontent de la même
façon L'entrée tin duc de Guise. La Popelinière (t. 1, f. 287) est
peut-être celui qui donne le plus de détails.
3. Journal de 1562 (Revue rétrospective, t. V, p. 85). — Lettre
de Sainte-Croix (Archives curieuses, i. VI, p. 55). — Voyez sur-
toui l,i lettre de Throckmorton, du 20 mars.
120 ANTOINE DE BOURBON
côté, le prince de Condé convoqua le ban et l'arrière-
ban de ses partisans. Des compagnies entières se
massèrent par groupes autour de leurs chefs. Au
lever du jour, toute la rive droite de la Seine était
occupée par deux armées ennemies qui ne rêvaient
« que de piller et de saccager la ville1. »
Dès ce moment l'hôtel de Guise devint le centre du
gouvernement. La reine mère, informée à Monceaux
de l'entrée des Lorrains, envoya chercher en poste,
après avis du roi de Navarre, le cardinal de Bourbon.
Le cardinal avait voulu rentrer dans son diocèse pour
y faire ses pàques et chevauchait déjà sur la route de
Rouen. Il rebroussa chemin et reçut, à son retour à
Paris, des lettres de la reine, qui le chargeait du gou-
vernement de la ville avec des pouvoirs illimités. Le
coup était habile. Charles de Bourbon, prélat borné,
mais inoffensif, bon catholique, ne pouvait donner de
l'ombrage au duc de Guise, son coreligionnaire, ni au
prince de Condé, son frère. II s'installa au Louvre
le 17 mars et s'entoura des maréchaux de Brissac
et de Thermes, des conseillers d'Avanson et de
Selve2. Le duc de Guise renouvela ses protesta-
tions de fidélité au roi. Le soir, le cardinal appela
au conseil les présidents du parlement. La ville ne
1. La Popelinière, in-fol., i. I, f. 287. — Lettre publiée dans le
Bulletin </< la Socù I de l'histoire du Protestantisme français, t. XIII,
p. 15. — Discours du connétable au parletnenl repro luil d'après
les registres de la c< ur, pur P. Mathieu, t. [, p. 257. — Lettre
de Throckmorton, du 20 mars.— Lettres de Catherine à Condé,
du 16 au 26 mars [Lettres de Gallierine, i. I. p. 281 el suiv.).
2. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 75.
— Journal de l'année 1562 dans la Revue rétrospective, t. V,
p. 85 ''i 86. — Lettrede Throckmorton, du 20 mars.
ET JEANNE D ALBRET. 121
pouvait être occupée à la fois par deux princes enne-
mis, que l'ardeur de leurs partisans poussait à la guerre
civile. On décida que le prince de Gondé et le duc de
Guise seraient invités à s'éloigner de Paris, l'un par
la route de Meaux, l'autre par celle de Chartres4. Tor-
nabuoni assure même que le cardinal avait reçu la
mission d'offrir à son frère une pension de trente mille
livres, à la condition qu'il se retirerait en Picardie2.
Condé promit de battre en retraite deux heures après
le départ du triumvirat ; les triumvirs, de sortir de la
ville à la même heure que le prince. Mais le prévôt
des marchands et les officiers municipaux assaillirent
de tant d'instances le duc de Guise que la proposition
ne fut pas appuyée. Les deux princes continuèrent à
se fortifier dans leur logis et leurs armées à se retran-
cher dans leurs quartiers3.
Le même jour, 1 7 mars, les triumvirs, le cardinal
de Guise, le duc d'Aumale, les maréchaux de Saint-
André, de Brissac et de Thermes écrivirent une lettre
collective au roi pour s'excuser de ne pas aller à Mon-
ceaux.
Sire, nous pensions aujourd'hui partir de cesle ville pour
aller baiser les mains de Vostre Majesté sans les raisons que
nous escripvons bien amplement à la Royne, avecq ce qui nous
semble estre nécessaire pour le repos et la tranquilité de ccste
ville et pour le bien de vostre service qui nous (effacé par l'hu-
midité)... Nous supplions très humblement Vostre Majesté de
croire que nous n'avons rien devant les veux que l'honneur de
Dieu, la conservation de vostre couronne et de l'autorité de la
t. Belleforest, t. II, p. 1628. — Voyez aussi les notes suivantes.
2. Négociations entre la France cl la Toscane, t. lit, p. 474.
3. Discours du connétable au parlement, dans I'. Mathieu,
t. I, p. 257.
122 ANTOINE DE BOURBON
I!d> ne. Et pour ce, Sire, que, par les lettres de Sa Majesté, nous
luy faisons ample discours de toutes choses, nous finerons ceste
lettre après avoir supplié le Créateur, Sire, donner à Voslre
Majesté perfète santé et très longue vie.
De Paris, ce 17e jour de mars.
Françoys de Lorraine, Loys, cardinal de Guyse, Montmo-
rency, Claude de Lorraine, Sainct-André, Brissac, Paule de
Termes'.
Cette lettre, où l'injonction impérative des vainqueurs
se dissimule sous l'obséquiosité des termes, était accom-
pagnée d'un mémoire à la reine. Les triumvirs y fai-
saient un effrayant tableau de l'agitation de Paris, énu-
méraient les violences commises par les aventuriers qui,
pendant la domination du prince de Condé, avaient
terrorisé la ville, et convoquaient le roi de Navarre au
secours des bourgeois paisibles 2. Le maréchal de Cossé-
Brissac fut chargé de porter la double déclaration à
Monceaux.
Le maréchal trouva la reine en proie à de nouvelles
perplexités. Catherine n'espérait plus rien du roi de
Navarre et redoutait tout des empiétements du parti
catholique. Condé, les Chastillons, l'évêque de Valence,
du Mortier et le chancelier l'engageaient à veiller à sa
sûreté personnelle et à échapper au duc de Guise3.
Coligny lui conseillait de fuir jusqu'à Blois le foyer
catholique de Paris el de se rapprocher des provinces
de l'ouest, où dominait la réforme4. Le projet souriait
]. Original; f. fr., vol. 6609, F. 19.
.'. Original; f. fr., vol. 6611, f. 20.
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II. du 16 mars (Orig. espa-
gnol ; Aivh. ual., K. 1 197, ir 1 i .
i. Lettre de Sainte-Croix, du 15 mars (Arch. curieuses, \. VI,
p. :,.; m :>i). — Cettre <l<i Ghantonay, 'lu 25 mars, à Philippe il
i< >rig. espagnol : Arch. aat., K. 1 197, n° 17).
ET JEANNE d'aLBRET. i"-^.".
à la reine. Débarrassée du roi de Navarre, prisonnier
du triumvirat, du cardinal deTournon, des maréchaux
de Brissac et de Thermes, que leur âge retenait à
Paris, protégée par son éloignement, elle visait, dit
Chantonay, à renouer à distance les trames italiennes,
dont elle expérimentait la faiblesse à Monceaux, à
séparer les ambitieux en convoquant les plus dange-
reux à la cour, à annuler les autres en leur donnant des
missions 1 .
Le sentiment du danger que les meneurs du parti
catholique pouvaient faire courir au pouvoir éphémère
qu'elle exerçait encore lui fit oublier les règles de la
prudence. Elle avait déjà invité le prince de Condé à
sortir de Paris et à donner l'exemple du désarmement
aux seigneurs catholiques. Dans une seconde dépêche,
elle le pria d'avoir « seulement souvenance de conser-
« ver les enfants et la mère et le royaume. » Elle lui
adressa deux autres lettres de teneur confuse, que le
prince interpréta ou feignit d'interpréter comme une
capitulation de la royauté entre ses mains2. Cette
démarche accomplie dans l'effarement de la première
heure, Catherine résolut de se réfugier, en compagnie
du roi, dans une ville forte. Le prince de la Roche-sur-
Yon, gouverneur de Charles IX, seigneur indépendant
et serviteur dévoué de la régente, était lieutenant du
roi à Orléans; elle se remit entre ses mains. Elle était
1. Lettre de Chantonay, du 16 mars, à Philippe II (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 14).
2. Ces quatre lettres prirent plus tard une grande importance
par l'usage (pue le prince de Condé en tira. Voyez le chapitre
suivant. Elles ont été souvenl imprimées. Le comte de Laferrière
les a réimprimées dans lo tome premier des Lettres de Catherine
de Médicis (p. 281 et suiv.) avec les notes.
124 ANTOINE DE BOURBON
prête à partir lorsque le maréchal de Brissac arriva à
Monceaux1.
La présence du maréchal, l'empressement du roi de
Navarre à souscrire aux propositions secrètes qu'il
apportait de la part du triumvirat, enlevèrent toute
liberté à la reine. Goligny fut exilé à Ghastillon avec
ses frères, le voyage d'Orléans ajourné, et, le lende-
main, le roi et la reine traînés presque en prisonniers
par le roi de Navarre à Fontainebleau2. Telles étaient
les instructions du duc de Guise. Le connétable et le
maréchal Saint-André y avaient déjà envoyé leur
maison3.
Cependant le roi de Navarre se sentait éclipsé par
le duc de Guise. Trahir ses amis, déserter son parti,
donner l'exemple de toutes les palinodies religieuses,
et n'obtenir, en retour de tant de sacrifices, que le
second rang dans l'armée catholique, c'était un échec
pour un premier prince du sang. Le maréchal de Saint-
André devina les souffrances de son orgueil et s'en-
tremit pour rétablir l'harmonie entre les Bourbons et les
Lorrains4. II suffit de quelques honneurs d'apparat. Le
1. Lettre de Throckmorton , du 20 mars [Calendars, ir>r>2,
p. 558).
2. Lettre de Sainte-Grois [Arch. curieuses, t. VI, p. 50). —
Lettre de Ghantonay, du ;'0 mars, à Philippe II (Orig. espagnol ;
Arch. nai., K. 1497, n° 16). — La reine arriva à Fontainebleau
le jour même de son dépari de Monceaux, le 18 mars {Lettres de
Catherine de Médicis, t. [, p. 284). — De Thou dit que la reine
vint à McIiiii avant de se rendre à Fontainebleau (t. III, 1740,
p. 134). C'est une des rares erreurs de ce grand historien.
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 16 mars 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1 197, a' 1 1).
4. Lettre orig. de Ghantonaj à Philippe Œ, du s avril 1562
(Arch. liai., K. 1497, n° 21).
ET JEANNE DALBRET. 125
%\ mars, après avoir conduit le roi à Fontainebleau,
Antoine courut à Paris1. Le duc de Guise avec trois
de ses frères, le maréchal de Saint-André, une foule
d'autres seigneurs l'attendaient à la porte. Le prince
de Gondé ne sortit pas de ses retranchements, soit
qu'il se tint sur ses gardes, soit qu'il craignît de mettre
ses partisans en comparaison du brillant cortège du
duc de Guise. Il se fit excuser, sur un prétexte d'in-
disposition, par un simple gentilhomme2. Antoine
reçut à peine le messager et refusa d'entendre ses
explications. Mais il accueillit avec empressement les
hommages de François de Lorraine. Le soir, il assista
à un grand festin chez le connétable, dont les trium-
virs lui firent les honneurs3. Il accepta l'hospitalité
à l'hôtel de Montmorency, rue Vieille-du-Temple.
Le duc de Guise était établi dans son propre logis
de l'ancienne rue du Chaume. Réunis par le voi-
sinage, les trois seigneurs, pendant le séjour du roi
de Navarre, prenaient leurs repas en commun et con-
féraient ensemble à l'abri des espions de la reine4. De
grandes résolutions furent prises dans ces réunions et
le prince se mit au service de ses alliés pour les
exécuter.
Le lendemain, dimanche des Rameaux, suivant
1. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. Tti.
— Journal de l'année 1562, dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 87.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 25 mars (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1197, n° 17).
3. Négociations du card. de Ferrure, p. 118. Cette lettre porte
l'étiquette du 16 mars, mais nous parait mal datée. Elle ne peut
être que du 18. — Lettre de Sainte-Croix [Arch. curieuses, t. VI,
p. 59).
4. Lettre do Chantonay, du 25 mars (Orig. espagnol; Arch.
nat., K. 1497, n° 17).
12f) ANTOINE DE BOURBON
l'usage, les paroisses de Paris, rassemblées à l'église
Sainte-Geneviève, devaient aller en procession à la
grand'messe de la cathédrale. Princes et ambassadeurs,
seigneurs et gens de robe avaient été convoqués la veille
au soir par le roi de Navarre à l'hôtel du connétable
et se rendirent en corps à l'église Sainte-Geneviève.
Antoine prit la première place derrière le dais. Le
connétable, malade de la goutte, chevauchait en avant,
monté sur sa mule. Il disait à la foule : « Mes amis,
« reniiez grâces à Dieu de ce qu'il vous a délivrés de
« plusieurs maux en vous envoyant le roi de Navarre.
« Vous voyez la bonne union qu'il y a entre luy et
« M. de Guise pour vous maintenir en paix, en ser-
« vaut Dieu et procurant le bien de la religion, avec
« tout ce qui peut contribuer à l'honneur et à l'éléva-
« tion de nostre Roy1. » La foule se pressait sur les
pas des princes, mais les acclamations étaient réservées
au duc de Guise et ne s'adressaient au chef de la maison
de Bourbon que pour applaudir à la concorde du prince
et des Lorrains. « La joie était grande parmi le peuple,
« dit Chantonay avec son emphase espagnole. Tous éle-
« vaient les mains au ciel et un grand nombre pleu-
« rait de joie2. » Les calvinistes préparaient, pour le
dimanche des Rameaux, une cérémonie solennelle et
avaient convié leurs (idèles de Rouen à Orléans. Us vou-
laient, dit Chantonay, « y commectre leurs abomina-
1. Lettre de Sainte-Croix, du 22 mars (Arch. curi uses, t. VI,
p. 59).
2. Lettre do, Ghantonav à Philippe 11, du 25 mars (Orig.
gnol; Ai'di. nat., K. I497, n" 17). - La popularité du roi de
Navarre avail fail des progrès depuis que l'on connaissait à Paris
son accord avec les Guises (Lettre de Chantonaj à Philippe II,
du 16 mars ; Orig. espagnol; Aivli. nat., I\ 1497, n° li .
ET JEANNE d'ALBRET. 127
« tions en public1. » Les dispositions menaçantes du
roi de Navarre et des triumvirs tirent échouer la
manifestation. Les religionnaires se réunirent en deux
groupes, dans un jardin particulier avec Théodore de
Bèze, dans un coin obscur des fossés de la ville avec
le ministre Rivière2. Tandis qu'ils célébraient la cène
presque secrètement, les catholiques, à l'ombre de
l'autorité du lieutenant général, comptaient leurs
forces. La procession fut le triomphe du parti des
Guises. Une foule immense s'était rassemblée sur le
parvis de Notre-Dame. Les étudiants, les gens du
pauvre peuple brandissaient des rameaux verts en
guise de ralliement ; les femmes les portaient au cha-
peron. Les passants dépourvus de ce signe étaient
supposés huguenots, bafoués et chassés par la popu-
lace. La procession fut plusieurs fois troublée par de
sanglantes rixes. Après la messe, le connétable réunit
à sa table les ambassadeurs étrangers et les principaux
seigneurs catholiques. Tous les honneurs furent pour
le roi de Navarre. Assis sur une « chaire » à la pre-
mière place, il parla avec enthousiasme des splendeurs
de la fête du jour et prit les assistants à témoin de son
dévouement au catholicisme3.
4. « ... hacer las abominaciones publicamente... » (Lettre de
Ghantonay à Philippe II, du 25 mars; Arch. nat., K. 1407, n° 17.)
— Lettre Je Throckmorton, du '20 mars {Calendars, 15G2, p. 558).
2. Journal de 1 56*2 dans la Revue rétrospective, t. V, p. ST.
3. Sur cette procession qui fut un véritable événement, voyez
la lettre de. Ghantonay, du 25 mars, que nous avons déjà citée.
— Lettre de Ghantonay, du 24 mars {Mémoires de Condé, t. II,
p. 27). — Lettre de Sainte-Croix [Arch. curieuses, t. VI, p. 59).
— Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 77. —
Journal de. l'année 1563 dans la Revue rétrospective, t. \, p. <s7. —
128 ANTOINE DE BOURBON
Le même jour, il adressa au parlement une déclara-
tion solennelle : « Ma venue par deçà estoit bien
« nécessaire pour le désordre que j'y ay trouvé tel
« que sy on n'y eust pourveu de bonne heure, toutes
« choses tumboyent en bien grand danger. » 11 ajou-
tait ces paroles qui scellaient son accord avec les trium-
virs : « Nous sommes en voye de les restablir en bon
« état 1 . »
Cependant les hésitations de Catherine troublaient
les chefs catholiques2. Après le repas offert par le con-
nétable, Antoine prit le nonce en particulier et lui
demanda de visiter la reine à Fontainebleau, afin de
la rassurer « comme de son propre mouvement »
sur les intentions du duc de Guise, de lui dire que le
duc avait sauvé Paris du pillage et de l'inviter à ne pas
s'éloigner, « parce que son absence ruinerait tout. »
Le cardinal de Sainte-Croix trouva la reine inquiète et
disposée à chercher un refuge sous les murs d'Or-
léans3. Il rapporta ses impressions au triumvirat. Les
triumvirs envoyèrent alors à Fontainebleau Charles de
la Rochefoucauld, comte de Randan, aussi bon catho-
lique, dit Chantonay, que son frère aîné était hérétique,
puis le cardinal de Guise, puis enfin Charles de Cossé-
Gonnor, frère du maréchal de Brissac, pour la con-
vaincre « qu'ils ne traiteraient rien à son préjudice,
« si ce n'est pour la conservation de la religion et
Lettre de Tornabuoni, du 25 mars [Négoc. entre la France et la
Toscan'-, l. III. p. 17 l).
1. Original .lui,' du 22 mars; f. IV.. vol. 3241, f. 2.
2. Lettre delà reine ;'i Boisy [Lettres de Gatherine, t. I, p. 284).
3. Lettres de Sainte-Croix [Archives curieuses, t. AT, p. 61
ri 63).
ET JEANNE D'ALBRET. 129
« l'obéissance à l'autorité royale1. » Randan, le car-
dinal et Gonnor trouvèrent la reine prête à leur échap-
per. Elle leur répondit que la santé de son fils lui
interdisait tout déplacement, que sa présence était
inutile à Paris et qu'elle n'avait aucun conseil à don-
ner aux habiles défenseurs du roi2. Les incertitudes
de la reine n'étaient pas un secret, mais cette affecta-
tion de modestie politique fit craindre une surprise.
La personne du roi pouvait donner une si grande
autorité morale à ses défenseurs que les deux partis,
catholiques et huguenots, résolurent de prévenir sa
fuite3.
Le lendemain de la procession des Rameaux, le
prince de Condé, malgré les conseils de ses lieutenants,
rassembla secrètement la tleur de sa compagnie, et,
escorté d'une troupe de mille hommes bien équipés,
sortit de Paris à l'improviste. Son départ, que nul
n'avait prévu, frappa la ville et les triumvirs d'éton-
nement. Il avait dit si haut « qu'il ne bougeroit jamais
« de Paris que le duc de Guise n'en fust parti4. » Il
passa à la Ferté-sous-Jouarre, visita sa femme malade,
et campa à Meaux, en attendant le reste de ses par-
tisans. Sa retraite fut généralement blâmée. Les
ministres s'étaient vainement efforcés de le retenir.
Pasquier et de Bèze le comparent à Pompée, qui eut
l'imprudence de laisser Rome à César5; cette com-
1. Lettre de Ghantonay, du 25 mars, à Philippe II (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 17).
2. Lettre de Throckmorton, du 31 mars (Calcndars , 1562,
p. 571).
3. Davila, t. I, p. 104.
4. Journal de l'année 1562 {Revue rétrospective, t. V, p. 88).
5. Lettre de Pasquier dans les OEuvres complètes, t. II, col. 96.
rv 9
130 ANTOINE DE BOURBON
paraison a fait le tour des historiens protestants. Fran-
çois de la Noue, meilleur juge dans les questions de
guerre que de Bèze et Pasquier, reconnaît que la grande
disproportion des forces du duc de Guise et du parti
réformé condamnait le prince de Gondé à s'éloigner :
« Son armée, dit-il, consistoit en trois cens gentils
« hommes et autant de soldats expérimentés aux armes,
« plus en quatre cens escholiers et quelques bourgeois
« volontaires, sans expérience. Et qu'estoit que cela
« contre un peuple comme infini, si non une petite
« mousche contre un grand éléphant. Je cuide que, si
« les novices des couvents et les chambrières des prêtres
« seulement se fussent présentées à l'impourveu avec
« des bastons de cotterets à mains, que cela leur eust
« faict tenir bride * . » Le prince avait demandé dix mille
écus à ses partisans pour tenir tête au duc de Guise
dans Paris. Il n'avait obtenu que 1 ,600 écus, « car
« ceux qui avoient moyen d'en fournir ne vouloient
« ouir parler de la guerre tant qu'ils seroient mainte-
« nus en l'exercice de leur religion 2. » Arrivé à Meaux,
il perdit plusieurs jours à attendre Coligny, d'Andelot,
Soubise et les principaux seigneurs de son parti. Puis,
au lieu « d'aller droit à Fontainebleau sans marchan-
de der, » il écrivit à la reine et lui demanda ses ordres3.
Pendant que Gondé ralliait péniblement ses coreli-
gionnaires à .Meaux, le parti catholique, bien dirigé,
obéissait à cette maxime de Tavannes : « La prise du
— Lettre de de Bèze à Calvin, du 28 mars (Baum, Theodor Beza,
Preuves, p. 176).
1. Mémoires de La Noue, éd. Petitot,t. XXXIV, p. 128.
2. La Popelinière, i. I, L 287. -- Pierre Mathieu, t. I, p. 255.
3. La Popelinière, t. I, I'. 287 v°.
ET JEANNE D'ALBRET. 131
« roy ou de Paris est la moitié de la victoire en guerre
« civile. L'on fait parler l'un comme l'on veut et
« l'exemple de l'autre est suivy de grande partie des
« villes du royaume ! . » Le roi de Navarre commença
par prendre un fort point d'appui à Paris. Il leva
1,500 hommes et les divisa en quinze compagnies; il
donna au maréchal de Thermes une compagnie de
40 cavaliers et partagea la ville en quatre quartiers,
sous la surveillance de quatre chevaliers de l'ordre et
du cardinal de Bourbon 2. Restait à obtenir de gré ou
de force la participation de la reine. Le 26 mars, il
partit à franc étrier pour Fontainebleau avec le conné-
table, en grand équipage de guerre, suivi d'une troupe
de mille cavaliers. Ils couchèrent à Gorbeil et arrivèrent
le lendemain à la cour. Le roi et surtout la reine mère,
étonnés de ce déploiement de force, « leur firent une
« étrange mine3. » Les deux seigneurs entrèrent en
explications. Après avoir rappelé les incidents des
derniers jours, ils signifièrent à la reine que l'état du
royaume leur imposait des mesures de défense et que
1. Mémoires de Tavanncs, coll. Petitot, t. XXIV, p. 329. —
Cette même pensée est reproduite dans les lettres de Pasquier
(OEavres complètes, t. II, col. 96).
2. Avis remis au roi de Navarre en date du 24 mar- 1561 (1502)
par les principaux seigneurs du parti catholique, les cardinaux
de Bourbon et de Guise, les ducs de Guise et d'Aumale, le con-
nétable, les maréchaux de Saint- André et de Brissac, Chavigny,
Candale, Bonnivet, d'Avançon, de la Brosse, Nemours, Randan,
Odot de Selve, Montpezat, Sansac, d'Escars et Givrv (Orig.;
Arch. des Basses-Pyrénées, E. 584). — Lettre de Sainte-Croix
[Archives curieuses, t. VI, p. G4|. Cette levée, dit Sainte-Croix, lit
fuir Théod. de Bèze.
3. Lettre de Throckmorton, du 31 mars (Calendars, 1562, p. 571).
— Journal de l'année 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 88.
— Lettre de Sainte-Croix [Archives curieuses, t. VI, p. 64).
132 ANTOINE DE BOURBON
la cour devait les suivre à Paris. La reine essaya de ses
subterfuges ordinaires, mais le prince et le connétable
insistèrent impérieusement, firent montre de leurs
forces, et Catherine se remit entre leurs mains. Cepen-
dant elle exigea un délai. Dans la soirée, elle eut de
secrètes conférences avec le lieutenant général et lui
parla si habilement de ses négociations au sujet de la
Navarre, du triomphe qu'il ménageait au duc de Guise
en se mettant à la remorque du triumvirat, qu'il fut
ébranlé. Chantonay et le nonce expliquent autrement
les nouvelles hésitations du prince ; ils disent qu'il
était satisfait de voir le parti huguenot prospérer sous
les ordres de son frère, parce qu'il se flattait de le
diriger sous son nom, et que, à aucun prix, il ne vou-
lait l'accabler avant d'avoir reçu les réponses défini-
tives du roi d'Espagne ' .
L'indécision du prince paralysait le connétable,
vieux courtisan, qui craignait de se compromettre. Le
duc de Guise en fut informé. Il accourut aussitôt à
Fontainebleau, laissant Paris au cardinal de Bourbon,
aux maréchaux de Thermes et de Brissac. Son arrivée
rendit le courage à Montmorency et le zèle au roi de
Navarre. Antoine signifia durement à la reine qu'il
allait conduire immédiatement le roi à Melun « pour
« la sûreté d'iceluy et qu'elle suivit puis après si elle
« vouloit. » Le connétable donna l'ordre de préparer
les équipages. Comme les serviteurs hésitaient, il s'em-
1. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 20 mars (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, q° 16). — Lettre de Sainte-Croix,
dans les Archives curieuses, t. VI, p. 68. — Lettre il<> Chantonay
à. Philippe II, du 25 mars lOrii:. espagnol ; Aivli. nat., K. 1497,
n» 17).
ET JEANNE D'ALBRET. 133
porta et « menaça de coups de bâton ceux qui ne
a. vouloient destendre le lit du roy par crainte de la
« royne. » Forcée d'obéir, Catherine écrivit au prince
de Gondé de ne pas perdre courage1. Antoine de
Bayancourt, s. de Boucha vannes, lieutenant de la com-
pagnie du prince de Gondé, venait d'arriver à la cour
avec un message de son maître et se tenait caché loin
des yeux du duc de Guise. Catherine le fit appeler
secrètement et lui confia sa lettre. François de Lor-
raine le rencontra par hasard à la porte et le chassa
avec tant de violence que Bouchavannes prit la fuite
au risque de la vie2. Maître du roi, le duc de Guise
lui fit signer une déclaration qui proscrivait les prêches
établis dans les villes du royaume depuis l'édit de
janvier3.
La cour se mit en route le 31 mars, jour de Pâques,
le roi et la reine en litière, les seigneurs de l'escorte à
cheval, armés en guerre comme en pays ennemi. Des
cavaliers, lancés dans toutes les directions par le duc
de Guise, exploraient la forêt de Fontainebleau et les
1. C'est une des quatre lettres que nous avons signalées plus
haut, p. 123, note 2.
2. Lettre de Ghantonay, du 20 mars, à Philippe II (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 1G). — Lettre du même au môme,
du 2 avril (Orig. espagnol; ibid., K. 1498, n° 18). — Lettre d'un
ambassadeur florentin dans les Mémoires de Gondé, t. II, p. 29. —
Lettre de Chantonay, du 4 avril (Résumé <le chancellerie en
espagnol; Arch. nat., K. 1496, n° 54). — Lettre de Sainte-Croix
{Arch. curieuses, t. VI, p. 67). — Mémoires de Tavanncs, colL.
Petitot, t. XXIV, p. 328. — Hist. ecclés. de de Bèze, t. I, p. 492,
éd. di> 1881. — La Popelinière, t. I, p. 288. — Lettre de Throck-
morton du 31 mars [Calendars, 1561, p. 571). — Davila, 1. 1, p. 104
à 107. — Dupleix, t. III, p. 655.
3. Copie ; coll. Moreau, vol. 740, f. 99. Cette déclaration manque
au savant recueil des Mémoires de Gondé.
134 ANTOINE DE BOURBON
campagnes voisines. Le roi, témoin depuis la veille de
scènes menaçantes, se croyait prisonnier et versait
d'abondantes larmes. La reine ne prononçait pas une
parole. Le duc de Guise ne s'en « mettoit nullement en
« peine et disoit tout haut qu'un bien qui venoit
« d'amour ou de force ne laissoit pas d'estre toujours
« un bien. » Cependant les chefs catholiques se mon-
traient soumis et respectueux. A Melun, par une ruse
inattendue, Catherine faillit recouvrer sa liberté. Le
duc de Cuise avait fait préparer des logements dans la
ville, mais la reine voulut coucher au château, forte-
resse du moyen âge, inhabitée et réservée depuis
longtemps à la garde des prisonniers. Il fallut obéir.
Le capitaine du château, Tristan de Rostaing, ouvrit
les portes et ne laissa entrer que le roi, la reine et
leurs serviteurs personnels. Le duc de Guise se crut
trahi. Déjà les soldats menaçaient les gardes de la
forteresse et faisaient mine d'entamer un siège, quand
le prévôt des marchands, venu de Paris à la rencontre
du roi, demanda une audience à la reine. Il lui certifia
que, « si elle ne ramenoit le roy à Paris, il y avoit dan-
« ger qu'il y arrivât quelque horrible sédition. » Cette
menace détermina la reine à faire ouvrir les portes
du château aux chefs catholiques, « tellement qu'eux,
« voyans là où ils estoyent, se raccommodèrent avec
« elle 1 . »
Ces négociations durèrent quatre jours, quatre jours
{.Mémoires de Tavannes, édit. Petitot, t. XXXV, p. MS. —
Davila, t. I, p. 107 et 108. — La Popelinière, i. I, !'. -288. — De
Bèze, Hist. ccclés., 1881, t. I. p. 192. — Lettre de Sainte-Croix
dans les Arch. curieuses, i. VI, p. TH. — Journal de 1562 dans la
Revue rétrospective, t. V, p. 90. — Mémoires de Castelnau, ('dit. in-
fol., (. 1, p. 85.
ET JEANNE D'ALBRET. 135
précieux, qui faillirent faire perdre au duc de Guise
le bénéfice de son hardi coup de main. Pendant ce
délai, Catherine écrivit plusieurs lettres comme pour
éloigner l'idée qu'elle était prisonnière : « Les choses
« sont plus troublées en ce royaume, mande-t-elle à
« d'Humières, gouverneur de Picardie, qu'elles ne
« furent jamais1. » Le roi de Navarre lui commanda
aussi de l'informer « s'il y aura chose qui se meuve ou
« remue, soyt du costé de vos voisins ou d'ailleurs, à
« quoy vous aurez l'œil ouvert pendant toutes ces
« folyes2. »
Le 4 avril, le connétable arriva à Paris à huit heures
du matin, sous le prétexte de préparer l'entrée du
roi. Sans descendre de cheval, il se rendit au prêche
de Jérusalem, entre les portes Saint-Marcel et Saint-
Jacques, et fit abattre la chaire et les bancs des fidèles.
Dans la journée, il détruisit également le prêche de
Popincourt, près de la porte Saint- Antoine. Un ministre,
Jean Malo3, et l'avocat Ruzé, qui se faisait appeler le
chancelier des huguenots, furent jetés en prison. La
populace, encouragée par l'exemple du connétable, se
rua sur la maison du prêche de Popincourt, traina les
restes du mobilier devant l'hôtel de ville et y mit le
feu au chant des cantiques. Les passants qui refusaient
d'applaudir à l'exécution étaient pris pour hérétiques
et frappés ; plusieurs furent égorgés. Cette expédition,
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 288. — Autre lettre à
Senarpont, Ibicl., p. 289.
2. Original, daté du i avril (f. fr., vol. 3187, f. 10).
3. On le recherchait surtout, dit La Popeliniùrc, parce qu'il avait,
été vicaire à Saint-André-des-Arcs (t. I, f. 289). Trois jours
auparavant, un bourgeois qui lui ressemblait avail été lui' par la
populace (Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 90i.
136 ANTOINE DE BOURBON
peu glorieuse pour un capitaine qui avait fait la guerre
aux Espagnols pendant un demi-siècle, excita les rail-
leries des écrivains réformés et mérita au connétable
le surnom de capitaine brûle-bancs1.
Le 5 avril, le roi et la reine quittèrent enfin Melun
et se rendirent au château de Vincennes. Le 6, le roi
fit son entrée à Paris sans apparat. Le prévôt des
marchands et les échevins l'attendaient à la porte
Saint-Lazare, vêtus « de leurs bons habits seulement
« sans autre solemnité ne triomphe, réservant les
« autres solemnités accoustumées à autre meilleur
« temps2. » Le connétable et le cardinal de Bourbon
ouvraient le cortège. Le roi, accompagné de peu de
courtisans et d'une simple garde, était à cheval. La
reine, entourée de ses deux autres fils, puis le roi de
Navarre suivaient le roi. L'empressement du peuple
et les applaudissements qui accueillirent la famille
royale prouvèrent à la reine les sentiments catholiques
de la ville. Le roi descendit la rue Saint-Denis, prit la
rue de la Ferronnerie et alla droit au Louvre3. Le
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa-
gnol; Arch. nal., K. 1497, n° 20). — Lettre de Tliroekmorton,
du 10 avril (Calendars. 15112, p. 595). — Journal de 1562 dans la
Revue rétrospective, t. V, p. 91. — Journal de Bruslard dans les
Mémoires de Condé, t. I, p. 80. — Lettre de Sainte-Croix dans les
Arch. curieuses, I. VI, p. 73. — Lettre de Pasquier (Œuvres com-
plètes, t. II, col. 96). — Belleforest, t. 11. i. L628. — La Popeli-
nière, t. I, f. 289.
2. Registres originaux de. la ville de Paris cités par M. Robi-
quet, Hist. mun. tir Paris, p. 542.
3. Lettre de Ghantonav à Philippe IL du s avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. L497, n" 20). — Robiquet, Hist. mun.
de Paris, p. 542, d'après les registres du conseil de ville. Voyez
aussi les documents eiies dans les deux unies précédentes.
ET JEANNE d'âLBRET. 137
même soir, Chantonay demanda une audience au roi
de Navarre et le félicita du triomphe remporté par le
parti catholique, comme de son œuvre personnelle.
Il me répondit, écrit Chantonay à Philippe II, « que
« cela n'étoit rien à côté de ce qu'il espéroit encore
« faire pour le service de Dieu ; et, afin que Votre
« Majesté pût le juger à fond, quoiqu'il eût fait plus
« que Votre Majesté lui avoit demandé, qu'il avoit
a appelé à la cour des hommes vertueux et en avoit
« chassé les méchants; qu'il avoit accrédité les pre-
« miers de telle façon que chacun pût les comparer
« avec les autres, qui, s'il plaît à Dieu, seront punis.
« Il me parla, en outre, de ses affaires propres, en
« me suppliant de ne pas le faire trop attendre... Je
« le contentai tant que je pus en le flattant toujours
« et en lui promettant que Votre Majesté ne l'oublie-
« roit pas1. »
Les chefs de la réforme étant campés à Meaux, les
triumvirs à Paris, commence une comédie politique qui
ne fait honneur à aucun des deux partis. Tandis que
huguenots et catholiques se préparent ouvertement
à la guerre, chacun d'eux proteste de ses intentions
pacifiques. Le roi de Navarre se fortifie dans Paris
et le prince de Gondé convoque le ban et l'arrière-
ban de l'armée calviniste. Le triumvirat s'empare de
la personne du roi et le prince arme ses partisans
sous les murs de Meaux. Goligny était à Chastillon
avec François de Hangest de Genlis, Antoine de Bou-
card, François de Briquemaut, et d'autres qui le pres-
saient de se mettre en campagne. Mais il se refusait à
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa-
gnol; Arch. mit., K. 1497, n" 20).
138 ANTOINE DE BOURBON
donner le signal de la guerre. De graves scrupules
agitaient sa conscience. D'Aubigné a tracé un éloquent
tableau des incertitudes de cette àme élevée, trop
ardente pour se soumettre, trop clairvoyante pour
s'aveugler sur les dangers et les crimes de l'avenir4.
L'amiral hésitait encore quand son frère, François
d'Andelot, échappé de Paris en même temps que le
prince de Condé, le rejoignit à Ghastillon. Bientôt les
deux frères reçurent l'appel aux armes du prince.
Aussitôt, sans mesurer le danger, ils partirent pour
Meaux ; ils y arrivèrent le 27 mars avec une troupe
de soldats qu'ils avaient ralliée en route2. Quelques
jours auparavant, le roi de Navarre, informé de la
réunion des capitaines à Chastillon, s'était plaint à la
reine des armements des huguenots, et la reine, peut-
être pour gagner du temps, avait interrogé l'amiral.
Le jour même de son arrivée à Meaux, Goligny répon-
dit aux accusations du lieutenant général : « Je ne
« scay d'où le roy de Navarre a eu advertissement que
« je faisois levée de gens, mais je vous respons sur
« mon honneur, Madame, que je n'y ai pas seulement
« pensé ; bien ay-je adverty quelques ungs de mes
« voisins et amys et prié de me faire compagnie
« pour venir trouver mons. le prince; que si d'ad-
« venture il s'en est veu dans ma compagnie d'armés,
« il me semble qu'il ne doit estre trouvé non plus
« est range que de ceulx qui vont trouver M. de
« Guize avec armes descouvertes et dont je puis par-
1. D'Aubigné, Hisl. unir., Hi-Jt», i. I, col. 185.
2. Lettre de de Bèze à Calvin, du 28 mars (Baum, Thcodor
B^ .'-', Preuves, p. 176).
ET JEANNE D'ALBRET. 139
« 1er comme les ayant veus * . » Nier ses intentions
belliqueuses à l'heure même où il entrait en campagne,
est une fourberie indigne du caractère de Coligny.
De mensonge en mensonge, les deux partis en étaient
arrivés, les uns à donner le signal de la guerre civile,
les autres à être prêts à la soutenir.
Le 29 mars, jour de Pâques, Gondé divisa sa cava-
lerie en deux corps. Le premier, sous le commande-
ment de François d'Andelot, se porta sur Orléans à
marches forcées. Le second se mit en campagne avec
le prince et prit la route de Paris. Les dames, qui
avaient suivi le prince à Meaux, cherchèrent un
refuge hors du théâtre de la guerre. Jeanne d'Albret
partit pour Vendôme. Léonor de Roye, princesse de
Gondé, alors dans un état de grossesse avancé, se
dirigea sur Muret en Picardie avec ses femmes, son
fils aîné et une petite escorte. En passant à Vau-
dray, elle rencontra une procession catholique que les
gens de son cortège refusèrent de saluer. Aussitôt les
villageois, excités par le prêtre qui portait le saint
sacrement, assaillirent la princesse. Elle fut menacée,
insultée et son coche criblé de coups de pierre. Elle
échappa cependant et se retira à Gandelu, à quelques
lieues de là. Mais elle avait été si troublée par cette
attaque qu'elle y accoucha le lendemain avant terme
de deux jumeaux, dont un seul survécut2. Ce fut le
1. Cette lettre est publiée d'après l'original, par M. le comte
Delaborde (Gaspard de Coligny, t. II, p. 48), et réimprimée par
M. le comte de Lafcrrière {Lettres de Catherine de Mcdicis, t. I,
p. 285, note).
2. La Popelinière, t. I, f. 289. Celui de ces enfants qui survé-
cut se lit catholique et devint plus tard le cardinal de Bourbon.
— M. le comte Delaborde a établi son récit d'après un document
140 ANTOINE DE BOURBON
premier malheur de la guerre civile ; il tomba sur une
maison dont le chef devait payer de sa vie la coupable
prise d'armes du 29 mars.
Pendant sa marche sur Paris1, le prince de Condé
rencontra en route un de ses espions et apprit que le
triumvirat s'était emparé du roi. A cette nouvelle, il
« s'arrêta tout court dessus son cheval. » Bientôt
arriva l'amiral. « Le prince, après un souspir qui lui
« eschappa : c'en est fait, dit-il, nous sommes plongés
« si avant dans l'eau qu'il faut boire ou se noyer2. »
Le soir il campa à Saint-Cloud et se présenta le lende-
main à la porte Saint-Honoré, suivi de l'amiral, de
d'Andelot, des ducs de Bouillon et de Nevers, de
500 cavaliers et de 1,000 hommes de pied. La ville,
avertie de sa présence, était préparée à un siège. Le
maréchal de Thermes parut sur les murs en parlemen-
taire. Le prince demandait à entrer. Le maréchal lui
répondit qu'il serait reçu avec honneur, lui douzième,
mais que sa suite serait repoussée par la force. Un
messager du cardinal de Bourbon, Christophe d'Alegre,
vint prier le prince de respecter la ville. Condé pro-
mit de ne pas attaquer s'il n'était attaqué lui-même
dans la position qu'il avait prise au pont de Saint-Cloud.
Les pourparlers cachaient une surprise. Un capitaine
hardi, le s. de Bussy, accompagné de 600 chevaux,
avail tourné rapidement la ville par Yaugirard. Aidé
du temps (Éléonore de Roye, p. 115. — Gaspard </, Uoligny, t. II,
p. 62).
1. Ghantonay raconte que le prince, mal informé des moyens
de défense des triumvirs, croyait encore pouvoir prendre Paris
(Lettre à Philippe II, «lu 2 el du i avril 1562; Orig. espagnol;
Arch. oat., K. 1 197, n- L8).
2. Davila, 1. 1, p. 108.
ET JEANNE D'ALBRET. 141
de quelques-uns de ses coreligionnaires du quartier,
il essaya de forcer la porte Saint-Jacques. Aux pre-
mières arquebusades, les murs se couvrirent de sol-
dats. Bussy fut obligé de battre en retraite au galop
et rejoignit son maître à Saint-Cloud 1 .
Le soir, les chefs huguenots tinrent conseil. Pendant
la nuit, ils reçurent un renfort de 300 argoulets. Le
lendemain matin, Gondé invita ses compagnons d'armes
à le suivre à Orléans. L'armée traversa la Seine en bon
ordre et marcha sur Palaiseau, Longjumeau et Mont-
Ihéry d'un pas assez lent pour permettre aux troupes
retardataires de rallier le corps principal. A Étampes,
elle reçut un nouveau renfort de 200 cavaliers. Le
prince campa à Augerville le soir de la première étape.
Deux heures avant le jour, arriva en poste Artus de
Gossé-Gonnor, frère du maréchal de Brissac, accom-
pagné du secrétaire d'état Robertet de Fresne, porteur
de deux lettres du roi et de la reine. La lettre du roi
enjoignait au prince de déposer les armes et de se
rendre à la cour avec sa suite ordinaire. Condé pro-
mit de se soumettre quand le duc de Guise, son ennemi
personnel, aurait licencié ses troupes. Gonnor répon-
dit que François de Lorraine suivait les ordres du roi.
Gondé riposta qu'il n'ignorait pas que les Lorrains
avaient emprisonné le roi dans son château de Fontai-
nebleau. Ainsi se révélait dès le premier jour la poli-
tique du prince; il ne faisait la guerre, disait-il, que
1. Lettre de Throckmorton , du 1er avril (Calcndars , 1562,
p. 577). — Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I,
p. 78. — Lettre de Sainte-Croix dans les Arch. curieuses, t. VI,
p. 69. — La Popelinière, 1. 1, f. 288. — Lettre de Chantonay dans
les Mémoires de Condé, t. II, p. 30.
142 ANTOINE DE BOURBON
pour délivrer le roi des mains du duc de Guise. Tan-
disque la conférence se prolongeait, Jean Larchevèque
de Soubise s'avisa que Gonnor n'avait d'autre mission
que celle de « l'amuser pendant une partie de la mati-
« née » et le pressa de hâter sa marche. Soubise avait
deviné la vérité. Jean d'Estrées, grand maître de l'ar-
tillerie, se portait sur Orléans à marches forcées, afin
de défendre la ville. Le prince perdit trois heures à
répondre à la reine et se remit en route. A Artenay,
il fut avisé que d'Andelot combattait aux portes d'Or-
léans. Moitié par persuasion, moitié par violence, le
frère de Goligny gagnait peu à peu du terrain dans la
ville. Mais l'infériorité de ses forces vis-à-vis d'une
population nombreuse et très divisée mettait sa com-
pagnie en danger. A cette nouvelle, dit d'Aubigné,
« les plus avancés se mettent à toute bride et tout le
« reste les suit sans ordre, tellement que plusieurs,
« allant le chemin de Paris, voyoient chapeau et
« manteau par terre qu'on ne daignoit amasser, les
« prenoient ou pour fols venant de Saint-Mathurin, ou
« pour gens qui jouoient à l'abbé Mogouverne jusqu'à
« ce que, trouvant une si grosse troupe, on jugea que,
« bien qu'il y eust beaucoup de fols en France, ils ne
« pouvoient tant ensemble s'unir à un dessein1. »
{. D'Aubigné, t. I, col. 188. — Lettre de Sainte-Croix dans les
Arch. curieuses, t.. VI, p. 69. — Journal de Bruslard dans les
Mémoires de Condé, t. I, p. 78. — La Popolinière, t. I, f. 288. —
Mémoires de Soubise, édit. Bonnet, p. 55. — Il est à remarquer
que Mergey el La Noue racontenl la marche de Condé sur
Orléans de la même fanon et. presque avec les mêmes termes
[Mémoires de Mergey, édit. Petitot, t. KXXTV, p. 16. — Mémoires
de La Noue, ibid., p. 132. — Journal de L"i62 dans la Revue
rétrospective, t. Y, p. 90. — Lettre de Throckmorton, du 10 avril
(Calcndars, 1562, p. 595).
ET JEANNE D'ALBRET. 143
Cette précipitation réussit à l'armée huguenote. « Un
« bon ordre, dit encore d'Aubigné, n'eust pas valu ce
« désordre. »
Les réformés étaient en minorité à Orléans, mais
assez nombreux pour exercer publiquement leur culte.
A la nouvelle du massacre de Vassy, ils avaient pris
les armes. Le lieutenant du roi, Innocent Tripier, sei-
gneur de Monterud, disciplina les séditieux en les
employant à la garde de la ville. Mais, quelques jours
plus tard, il ouvrit les portes à une partie de la com-
pagnie de Philibert de Marcilly de Cypierre, en garni-
son dans le voisinage. Le 1er avril, l'édit de janvier
fut publié à Orléans. Les ministres, appelés à prêter
serment, montrèrent au lieutenant du roi des disposi-
tions douteuses. Il appela alors d'autres gens de pied
campés à Beaugency. Monterud se flattait de conserver
la ville. La veille au soir, d'Andelot était arrivé en
poste de Cercottes avec un seul serviteur. Ses cava-
liers le suivaient à de longs intervalles et se grou-
paient sans bruit à quelque distance des murs. Pendant
la nuit et à la première heure du jour, entrèrent pêle-
mêle des soldats des deux partis, des gens de pied de
Beaugency et des cavaliers de d'Andelot. Les hugue-
nots, recueillis par des guides avertis à l'avance, se
cachaient aux environs de la porte Saint-Jean ; les
catholiques se rendaient auprès du lieutenant du roi.
Le matin du % avril, les corps de garde calvinistes,
qui avaient passé la nuit aux portes, furent relevés,
sur l'ordre de Monterud, par des compagnies catho-
liques. Une rixe s'élève entre les soldats. Monterud
accourt, ferme la porte et prend les clefs. D'Andelot
arrive bientôt, suivi de trois cents cavaliers cachés
144 ANTOINE DE BOURBON
aux abords de la porte Saint-Jean. Monterud et les
siens, chassés et mis en fuite, se retirent dans l'in-
térieur de la ville. D'Andelot s'empare de la porte, la
fait ouvrir à coups de marteau, donne passage aux
soldats qui l'avaient suivi depuis Cercottes et se bar-
ricade dans les maisons du voisinage1.
Le prince de Condé, averti par des messages de
d'Andelot qui se renouvelaient d'heure en heure, arriva
à une lieue d'Orléans dans la matinée du % avril.
D'Andelot avait peu à peu gagné toute la ville. A
onze heures du matin, le prince franchit les portes
en compagnie de l'amiral et descendit de cheval sur
la place de l'Étape, devant un logis connu sous le
nom de la Grand'Maison. Monterud lui présenta ses
hommages et lui demanda la permission de se retirer.
Condé lui répondit qu'il était venu à Orléans pour le
service du roi et s'efforça vainement de le retenir. Les
gens de justice, les officiers de la ville vinrent le saluer
et lui demander sa protection. Au moment où le
prince allait se mettre à table, Jean d'Estrées entra
dans la ville. Il était trop tard. Condé commandait en
maître au nom des huguenots dans la ville même où
il avait été condamné à mort au nom du parti catho-
lique seize mois auparavant. D'Estrées s'en retourna
le même jour à la cour avec des lettres du prince à
l'adresse de la reine2.
1. La Popelinière, t. I. f. 288 v. — Davila, t. I, p. 109. —
D'Aubigné, t. I, col. 188.
2. La Popelinière, t. II, f. 288 v°. — Journal de Bruslard
dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 7'.'.
CHAPITRE DIX-HUITIÈME.
Avril et mai 1562.
Effet de la prise d'Orléans à la cour. — Dispositions
de la reine et du roi de Navarre.
Armements des huguenots. — Condé et Coligny à
Orléans. — Le comte de La Rochefoucault. — Acte
de confédération du 11 avril 1562.
Négociations de la reine et du triumvirat avec le prince
de Condé. — Exigences du parti réformé. —
Catherine propose une entrevue au prince de Condé.
— Premier manifeste du prince (8 avril). — La
reine embrasse le parti catholique. — Second mani-
feste du prince (25 avril). — Requête du triumvirat
au roi (4 mai). — La cour à Monceaux. — Réponse
de Condé à la requête du triumvirat (19 mai). —
Pillage des églises a" Orléans .
Armements des catholiques. — Prépondérance du roi de
Navarre à la cour. — Négociation de d'Almeida en
Espagne. — Philippe II promet le royaume de Tunis
au roi de Navarre et lui accorde la Sardaigne en
attendant la conquête de la Tunisie.
La nouvelle de « l'entreprise » des huguenots sur
Orléans saisit la cour à Melun, pendant le voyage de
iv 10
146 ANTOINE DE BOURBON
Fontainebleau à Paris, et tomba sur le triumvirat
comme un coup de foudre. Jean d'Estrées, le grand
maître de l'artillerie, avait cependant été envoyé à
Orléans pour organiser la défense de la ville4. Com-
ment un capitaine diligent, voyageant en poste,
s'était-il laissé devancer par une armée entière? On
savait qu'il pratiquait la réforme, et les accusations
de trahison sortaient de toutes les bouches 2.
La reine mère dissimulait ses espérances. Traitée
en prisonnière par les triumvirs, offensée par l'enlè-
vement du roi, elle voyait sans regret l'autorité
échapper, avec les villes du royaume, au roi de
Navarre, qui se posait en maître, au duc de Guise,
déjà trop grand pour ne pas être à craindre, au con-
nétable, protecteur brutal et impérieux, au maréchal
Saint-André, soldat sans conscience et sans dévoue-
ment. Entourée d'une petite cour de familiers plus ou
moins hostiles au parti catholique, Jean de Moulue,
évèque de Valence, le chancelier de l'Hospital, la
dame de Grussol, la dame de Thermes, elle hési-
tait à se livrer au parti réformé. En attendant les
événements, elle se flattait de conserver le pouvoir
suprême et même la direction du parti catholique,
quand elle surprit les menées du triumvirat pour la
dépouiller de la régence nominale qu'elle exerçait
encore. Un gentilhomme lorrain, le s. du Parck,
majordome de la duchesse de Lorraine, avait été
1. Lettres deGhantonay à Philippe II, du ? et du i avril ir>(ï2
(Orig. espagnol ; Airh. nat., K. 1497, a0 18). — Autre du mémo
au même, du i avril (Résumé de chancellerie; Arch. nat., K.
1496, a1 54).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe 11. du 28 avril (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1 197, n° 26).
ET JEANNE DALBRET. 147
chargé d'intéresser Philippe II à une révolution de
palais en faveur du roi de Navarre. La mission de du
Parck coïncidait avec un changement d'attitude du
lieutenant général vis-à-vis de la reine. Depuis le retour
d'Almeida, Antoine avait renoncé à son ancienne défé-
rence. Catherine chargea Sébastien de l'Aubespine de
sonder le roi d'Espagne ; Philippe II s'efforça de dissi-
per les soupçons de la reine, mais démentit faiblement
cette intrigue1. Les craintes de la reine s'accrurent à
la nouvelle que le duc d'Albe protégeait le s. du Parck
et l'avait recommandé à Chantonay 2. Dans cette grave
circonstance, Catherine eut recours à la duchesse de
Savoie, Marguerite de France, la sœur de Henri II,
la princesse de l'ancienne cour qui lui inspirait
le plus de confiance. Elle lui écrivit, dit Tavannes,
« qu'elle soupçonnoit le roy de Navarre de vouloir
« osier la couronne à ses enfants, » et qu'elle avait
résolu de favoriser les réformés contre le triumvirat.
« Et prioit mad. de Savoie d'aider lesd. huguenots de
« Lyon, Dauphiné et Provence, et qu'elle persuadast
« son mary d'empescher les Suisses et levées d'Italie
« des catholiques. » Cette lettre compromettante fut
confiée à un joueur de luth, un de ces agents obscurs
que Catherine aimait à employer. Les lieutenants du
roi, mis en garde par les nouvelles de la cour, redou-
blaient alors de surveillance. En traversant Chalon-
sur-Saône, le joueur de luth fut arrêté, conduit à
Tavannes et fouillé. Les lettres furent ouvertes et
1. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 30 mars 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat.. K. 1 1%, n
2. Lettre du duc d'Albe à Chantonay, du 21 mars 1 .")•/.' i< ni-,
espagnol; Arch. nat., k. 1496, n° 51).
148 ANTOINE DE BOURBON
lues. A la vue de la signature de la reine, ïavannes
lui rendit la liberté, mais il voulut « s'esclaircir davan-
« tage » auprès de la reine. Il en reçut « maigre res-
te ponce. » Cette imprudence l'empêcha, dit-il, d'être
maréchal de France dix ans plus tôt « par l'offence
« qu'en reçut la royne1. » La démarche de Catherine
n'obtint pas le succès qu'elle espérait. Le duc de
Savoie lui répondit qu'il la soutiendrait de toutes ses
forces, jusqu'à lui sacrifier « sa propre vie; » mais il
lui conseilla de chasser les dames de Roye et de
Crussol, le chancelier et l'évêque de Valence, qui
déshonoraient la cour2. Ainsi, Catherine était blâ-
mée par ses plus fidèles amis. D'après Brantôme,
elle aurait été menacée d'un autre danger. Un jour,
en écoutant à une ouverture creusée dans le plan-
cher de la chambre du roi de Navarre, elle entendit
le maréchal de Saint-André opiner qu'il fallait mettre
la reine mère dans un sac et la jeter à l'eau. Seul, le
duc de Guise s'opposa à cette exécution sommaire3.
De ces anecdotes racontées par ïavannes et par Bran-
tôme, il se dégage un fait, c'est que le parti catho-
lique se préparait à agir sans la reine, malgré sa
volonté et peut-être contre elle. Tel est le jugement
de Chantonay : « Les seigneurs catholiques, dit-il,
« montrent avoir peu de crainte et pensent être les
« plus forts. Je crois que, si la reine voulait être d'un
1. Mémoires de Tavannes, édit. Petitot, t. KXIV, p. 341. Si ce
récil a'étail pas rapporté par un historien de la valeur de
Tavannes, qous aous permettrions de le révoquer en doute.
2. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 67.
3. Brantôme, t. VII, p. 356, édit. de la SociéU <l< l'Histoire dt
France.
ET JEANNE d'âLBRET. 149
« autre côté (ce que Dieu ne permettra pas), ils ne le
« souffriraient pas1. »
Le roi de Navarre « se pavanait » au milieu de ses
nouveaux alliés. Aveuglé par les promesses de Phi-
lippe II, il restait insensible aux « pasquils » injurieux
des réformés2. Le duc de Guise ne rêvait que ven-
geance. Throckmorton le dépeint comme un soldat
fanatique, d'autant plus dangereux qu'il ne savait
« comment se faire absoudre de son exploit de
« Vassy Il devient chaque jour plus forcené, de
« sorte que la reine mère, le roi de Navarre et le
« connétable ont peur et n'osent lui déplaire en rien,
« car tout ici dépend de son commandement3. »
Le jour même de son arrivée à Orléans, le prince
de Gondé organisa un conseil des principaux seigneurs
qui avaient suivi sa fortune. Bientôt une foule de
cavaliers, qui n'avaient pu suivre la « course folle »
de la noblesse, se joignirent à l'armée huguenote. Le
o avril, trois jours à peine après la prise d'Orléans,
Théodore de Bèze écrit à Calvin que l'armée compte
déjà deux mille cavaliers. Elle n'avait pas encore
de gens de pied, mais elle en attendait de tous
les points du royaume1. Le mouvement fut accéléré
par les appels aux armes. Des émissaires furent
envoyés aux églises, aux capitaines, aux seigneurs du
parti réformé. Aux églises, le prince demandait
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 2 et du 4 avril 1562
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, a' 18).
•?. Théodore do Bèze écrit à Calvin le 28 mars : « La perfidie
« de Julien a dépassé tous les exemples des anciens. » (Baum,
Theodor Beza, Preuves, p. 176.)
3. Lettre de Throckmorton. du 24 avril [Calendars, 1562, p. 619).
4. Baum, Theodor Beza, Preuves, \>. 177.
150 ANTOINE DE BOURBON
« hommes aguerris et armez. Pour le moins, disait-il
« dans sa lettre, mettez-vous en devoir de subvenir
« d'argent pour en soudoyer1. » Aux seigneurs et
aux capitaines, le prince adressait des convocations
personnelles. Nul ne fut pris au dépourvu, comme
l'ont écrit les annalistes protestants2. La plupart des
réformés, depuis le massacre de Vassy, se préparaient
à la guerre et s'étaient mis en campagne sans attendre
le signal.
Aucuns ont pensé, dil la Noue, qu'on avoil prémédité ceci de
longtemps, ou qu'il estoit avenu par la diligense des chefs :
mais je puis affirmer que non, pour avoir esté présent et
curieux d'en rechercher les causes. Il est certain que la plus-
part de la noblesse, ayant entendu l'exécution de Vassy, pous-
sée d'une bonne volonté, et partie de crainte, se délibéra de
venir près Paris, imaginant, comme à l'aventure, que leurs
protecteurs pourroyent avoir besoin d'elle. Et enceste manière
partoycnt des provinces ceux qui estoyent les plus renommez,
avec dix, vingt ou trente de leurs amis, portans armes cou-
vertes et logeans par les hostelleries, ou par les champs en
bien payant, jusques à ce qu'ils rencontrèrent le corps et l'oc-
casion tout ensemble. Plusieurs d'entre m'ont assuré que rien
ne les fit mouvoir que cela : et mesmes j'ay ouï confesser plu-
sieurs fois à messieurs les princes et admirai, que sans ce
bénéfice ils eussent esté en hazard de prendre un mauvais parti 3.
A Paris, et dans le voisinage, des agents soudoyés
embauchaient des volontaires. Les premiers, dit le
nonce, furent levés à Longjumeau4. La Popelinière
1. Lettre datée du 7 avril 1562 (La Popelinière, t. [, f. 299 v°.
— Mémoires de Gondé, t. 111, p. 221).
.'. Nbtammenl de Bèze (Ilist. ccclisiasliqur, issi, i. I, p. 491).
3. Mémoires de La Noue, édit. Petitot, t. \\\I\ ', p. 122.
4. Lettre de Sainte-Croix, du 11 avril (Archives curieuses, t. VI,
p. 77).
ET JEANNE D'ALBRET. 151
reconnaît que l'armée réformée se recruta, dans le
premier moment, parmi les aventuriers sans aveu
qui traînaient dans les hôtelleries de la ville. Il nomme
les capitaines Coupé, Pâté, la Madeleine, le rebut des
compagnies de gens de pied, et autres, dit-il, « qui
« avoient toujours vécu fort scandaleusement et en
« vrais enfants de la Mate1. » D'autres agents, dit
Belleforest, s'efforçaient de débaucher les soldats
catholiques dans les carrefours de Paris. L'un se
nommait Chrétien et était d'Auxerre, « cruel, sangui-
« naire et grand meurtrier de prêtres. » Un autre,
de la compagnie de Noailhan, connu sous le sobriquet
de capitaine Gascon, était de Toulouse. Ils subornèrent
la compagnie de Forcez, chef de la garde de Charles IX,
et l'amenèrent au prince de Condé2. Les armements
étaient complétés en secret et dissimulés aux officiers
de la ville, tous dévoués au duc de Guise. Malheur
aux agents huguenots pris sur le fait. Un bourgeois,
nommé Baza, cordonnier au service du roi de Navarre,
dénonça plusieurs raccoleurs aux affidés du trium-
virat et les fit passer par les armes3. Il n'en était pas
de même hors de Paris ; le désordre général , la
difficulté d'organiser l'armée royale laissaient le champ
libre aux recruteurs huguenots. « Je sais, écrit
« Chantonay à Philippe II, que tous les jours il leur
« arrive des cavaliers et des fantassins, soit de ce
« côté, soit de la Guyenne. Beaucoup passent à quatre
1. La Popelinière, t. I, f. 303. — Les enfants de la Math1, dit
Brantôme, étaient « les plus fins et meilleurs couppeurs de
« bource et tireurs de laine. » Charles IX en fit venir un jour
quelques-uns à la cour (Brantôme, t. V, p. 279).
2. Belleforest, t. II, f. 1630.
3. La Popelinière, t. I, f. 303.
152 ANTOINE DE BOURBON
« lieues de Paris, sur la grande route d'Orléans, de
« quatre en quatre, de six, de huit et même de
« vingt à la fois, sans cacher leurs armes. Et, si on
« leur demande où ils vont, ils répondent qu'ils vont
« à Orléans avec autant de hardiesse que s'ils disaient
« qu'ils se rendent au service de leur roi1. »
Dans les provinces éloignées, les principaux sei-
gneurs du parti, aidés par les ministres, le comte de
la Rochofoucault, beau-frère du prince de Gondé, le
vicomte de Rohan, le comte de Gramont, les seigneurs
d'Esternay et de Genlis, levaient des soldats. Au
moment de l'entrée du duc de Guise à Paris, François
de la Rochefoucault était à Verteil en Poitou. Il
dépêcha son lieutenant, Jean de Mergey, à la reine et
lui demanda ses ordres. La reine était sous le coup de
l'irritation que lui causaient les menaces du trium-
virat. Elle lui répondit, assure Mergey, « qu'il ne fist
« point de difficulté de se joindre avec M. le prince,
« et que ce qui estoit bon à prendre estoit bon à gar-
ce der. » Cette réponse étonna si fort la Rochefoucault
qu'il renvoya son lieutenant au prince de Coudé.
Mergey arriva à Paris le 29 mars, au moment où le
prince venait de se mettre en campagne, et sut falsi-
fier la signature du cardinal de Bourbon pour obtenir
des chevaux de poste. Il rejoignit Coudé à Claye, près
de Meaux, prit ses ordres et repartit pour Verteil.
François de la Rochefoucault n'était pas un ambitieux
vulgaire. Comme Coligny, il entrevoyait l'abîme dans
lequel pouvait sombrer la monarchie et où il devait
1. Lettre de Ghantona^ à Philippe II, du 11 avril (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1 197, q° 22).
ET JEANNE D'ALBRET. 153
perdre la vie. Mergey raconte en termes saisissants
les hésitations de ce seigneur :
Estant arrivé à Verteil, je trouve M. le comte en la salle,
avec compagnie de dames, lequel me voyant entrer fut comme
tout transi, et se levant me fit signe que je le suivisse, ce que
je fis. Il entra en la gallerie qui regarde sur la rivière, ferma
la porte par derrière, où je luy rendis compte de tout mon
voyage; lequel, ayant entendu le tout, s'appuya sur l'une des
fenestres qui regardoient sur la rivière, où il demeura un gros
quart d'heure sans dire un seul mot, puis, se tournant vers
moy, me demanda ce qu'il debvoit faire, auquel je fis response
que je n'avois pas l'esprit capable ny l'expérience suffisante
pour le conseiller en affaire de telle importance, et qu'il falloit
qu'il prist conseil de luy mesme. Lequel me répliqua qu'il
estoit bien résolu de ce qu'il debvoit faire, mais qu'il vouloit
que je luy en dise mon advis ; alors je luy dis, puisqu'il me le
commandoit, que mon advis estoit qu'il debvoit faire ce que la
royne et M. le prince luy mandoient, puisque il y alloil du ser-
vice de Leurs Majestés et de leur liberté. Il me dist alors que
telle estoit aussi sa volonté et résolution ; et quant et quant
retourna en la salle trouver la compagnie avec un visage riant ' .
Le parti catholique avait espéré que le comte de la
Rochefoucault, ancien lieutenant de la compagnie du
duc de Guise, refuserait de prendre les armes contre
son ancien capitaine, et que le vicomte de Rohan,
cousin germain de Jeanne d'Albret, n'oserait désobéir
au roi de Navarre 2. Mais, moins de huit jours après la
prise d'Orléans, la cour apprit que ces deux seigneurs
s'avançaient, l'un du Poitou, l'autre de la Bretagne,
chacun à la tête d'un corps de troupes que les lieute-
1. Mémoires de Mergey, coll. Petitot, t. XXXIV, p. 'iT.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 21).
154 ANTOINE DE BOURBON
nants du roi ne pouvaient arrêter1. Le 20 avril, le
comte de la Rochefoucault arriva sous les murs d'Or-
léans avec trois ou quatre cents gentilshommes mon-
tés et armés2. Quelque temps après, l'armée hugue-
note reçut à Orléans un renfort de gens de pied de
4,000 Gascons, que le comte de Gramont avait levés
en Béarn et en Gascogne, malgré les efforts du roi de
Navarre3, et de 1 ,200 soldats du Languedoc, comman-
dés par divers capitaines, entre autres par Peyraud et
Gondorcet4.
La plupart des seigneurs, qui avaient marché d'ac-
cord avec le prince de Condé, prirent parti pour la
cause de la réforme, plutôt par hostilité contre les
Guises que par passion religieuse. Plusieurs cependant
refusèrent de faire la guerre au roi. De ce nombre,
Ghantonay cite le duc de Longueville, bien qu'il fût
huguenot et éloigné des Lorrains par un ressentiment
implacable, et le duc de Nevers, qui, le 29 mars, avait
osé suivre Condé à Meaux5.
Le prince de Condé et Coligny recevaient ces
troupes qui « avolaient » de tous côtés au secours
d'Orléans ; ils les divisaient en compagnies, leur dis-
tribuaient des armes et s'efforçaient de les discipliner.
Il fallait donner un nom et un signe de ralliement
1. Lettre de Throckmorton, du 10 et du 24 avril {Calendars,
1562, p. 595 et 619).
2. Mémoires de Mergey, coll. Petitot, t. XXXIV, p 47. — La
Popelinière, I. 1, f. 303.
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II. du 11 el «lu -28 mai 1562
(Orig. espagnol; Arch. aat., K. L497, qos 30 el 36).
'k D'Aubigné, 1626, t. I, col. 197.
5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa-
gnol; Arch. uat., K. 1497, u° 21).
ET JEANNE d'aLBRET. 155
à une armée en désordre, composée en partie de
déserteurs. Les chefs adoptèrent comme un honneur
la qualification de huguenot, jusqu'à ce jour consi-
dérée comme une injure, et prirent les couleurs de la
maison de Condé, la casaque et l'enseigne blanches1,
qui devaient devenir, sous le commandement du
Béarnais, les couleurs de la monarchie des Bour-
bons.
Les munitions arrivaient aussi rapidement que les
soldats. Jean de Paz, seigneur de Feuquières, fut
envoyé à Tours et s'empara, malgré les protestations
des gens de la ville, d'une quantité considérable de
poudre, de balles d'arquebuse, de boulets de canon et
de quelques pièces d'artillerie. Il les chargea sur un
bateau ; mais la Loire était défendue à Amboise par
un pont fortifié. Il prit les devants, et seul, en parle-
mentaire, il visita Jean Babou de la Bourdaisière, qui
occupait le château avec les plus jeunes enfants de la
reine. Il fit si bien « le bon apôtre » que la Bourdai-
sière accorda l'autorisation demandée. Son arrivée à
Orléans fut saluée par des acclamations. Déjà le prince
de Condé avait dépouillé les églises de leurs cloches et
établi une fonderie de canons, requis toutes les armes
de la ville, transformé le couvent des Gordeliers en
arsenal, et organisé un hôtel des monnaies sous la
direction d'Abel Foulon, savant et poète, ancien valet
de chambre de Henri II2.
Pour lier ses compagnons d'armes, le prince de
Condé leur fit signer, le 1 1 avril, un acte d'associa-
1. Mémoires de Castelnau, t. I, p. 89, in-fol.
2. La Popelinière, t. I, t'. 305 v°. — D'Aubigné, 1626, t. I,
col. 189.
156 ANTOINE DE BOURBON
tion en quatre articles, dans lequel les confédérés
juraient « d'employer corps et bien et jusques à la
« dernière goutte de leur sang... à la délivrance du
« Roy et de la Royne, la conservation des édits et
« ordonnances faictes par eux et finalement la juste
« punition et correction des contempteurs d'icelles l. »
On sait quelles passions ambitieuses se dissimulaient
sous ce verbiage. Les rebelles reconnaissaient pour
chef le prince de Condé et devaient rester unis
jusqu'à la majorité du roi : « c'est assavoir jusques
« à ce que Sa Majesté, estant en aage, ait pris en per-
ce sonne le gouvernement de son royaume2, » terme
vague qui laissait le champ libre aux interprétations
de l'avenir.
La rapidité de l'organisation de l'armée huguenote
étonna les ambassadeurs étrangers. Chantonay en tira
mauvais augure pour l'avenir. Heureusement, dit-il,
les catholiques sont beaucoup plus nombreux3. Moins
aveuglé par ses haines, l'ambassadeur aurait reconnu
dans cet ordre méthodique l'influence d'un capitaine
t. Cet acte, rempli de protestations contre la prétendue déten-
lidii du roi, lit, donner aux réformés, d'après La Popelmière, le
nom de protestants, qu'ils onl gardé depuis (La Popelinière, t. I.
p. 302 v).
2. Cette pièce fui imprimée en 1562 in-4°e1 in-12avec lasigna-
ture seule du princo de Condé. Elle a été reproduite dans les
Mémoires de Condé, t. III, p. 258. L'original que M. le comte
Delaborde a vu aux archives de Berne contient, outre la signa-
ture de Condé, celles de Jean de Rohan, de La Rochefoucault, de
Goligny, du prince de Porcian, de d'Andelot, de Piennes, de
Soubize, d'Yvoy, de Morviliers, de Genlis, de Gany, etc. (Goli-
gny, i. II, p. 69, aote 2).
3. Lettre de Chantonay à Philippe 11. du II avril 1562 (Orig.
espagnol; A.rch. uat., K. 1497, n" 22).
ET JEANNE D ALBRET. 157
supérieur au prince de Condé, l'influence de Coligny.
Poussé par une passion ardente, qu'il cachait sous
un front de marbre, l'amiral, soit au conseil, soit dans
les rangs de l'armée, s'imposait de lui-même par son
courage, son dévouement et sa sagesse. « Omnia
« geruntur, écrit Languet, consilio admiralli, hominis,
« ut mihi videtur, sapientissimi et moderatissimi1. »
En même temps qu'il réunissait une armée, le
prince de Condé adressait aux princes étrangers des
demandes de secours ou des mémoires justificatifs.
Ses espérances se tournèrent d'abord du côté de l'Al-
lemagne, d'où la cause de la réforme avait reçu tant
d'encouragements. Le massacre de Vassy, le soulève-
ment des huguenots de France y avaient eu un grand
retentissement. Avant la prise d'Orléans, le prince de
Condé et Coligny avaient envoyé à l'électeur palatin et
au duc de Wurtemberg un gentilhomme, Louis de Bar,
chargé de demander du secours2. Le 9 avril, Coligny
invoque de nouveau l'appui du duc Auguste de Saxe3.
Le 1 0, le prince de Condé supplie les princes de la ligue
luthérienne de refuser leur aide aux chefs du parti
catholique, qu'il représente comme les ennemis du roi4.
Dans une lettre confiée au même messager, il accuse
le triumvirat de s'être « violentement emparé de la
1. Lettre citée par M. le comte Delaborde {Coligny, t. II, p. 74).
— Etienne Pasquier porte le même témoignage (Lettre du
6 avril dans les OEuvres complètes, t. II, col. 98).
2. Lettre de Frédéric III au duc Christophe, du 25 mais, citée
par le comte Delaborde (Gaspard de Coligny, t. II, p. 37, notes 1
et 2).
3. Ebeling, Geschichte Franckrcichs unter Karl IX, p. 1.
4. L'instruction est publiée dans les Mémoires de Condé, t. III,
p. 271.
158 ANTOINE DE BOURBON
« personne de nostre roy et de la royne sa mère
« pour plus facillement par après exécutter sur les
« pauvres fidèles leurs furieux desseins et poursuyvre
« le piteux commencement de la tragédye de Vassy l. »
Le 20, il renouvelle ses actes d'accusation contre les
Guises2. Les princes allemands reçurent froidement
ces déclarations. Ils n'étaient disposés à intervenir
en France qu'au prix de subsides bien payés. Encore
ne montraient-ils de préférence, entre les partis qui
déchiraient le royaume, qu'au parti le plus riche et le
plus généreux. Pour toute faveur à ses coreligion-
naires, l'électeur palatin recommanda au roi l'exécu-
tion des édits qui assuraient la liberté de conscience3,
et au prince de Gondé de « ne laisser en arrière une si
« belle occasion de procurer le bien et profit, non
« seulement de la France, mais aussi de toute la chré-
« tienté4. » Le 20, il s'avança jusqu'à assurer le
prince que personne ne désirait autant que lui « l'ad-
« vancement de l'évangile en France, et, dit-il, la pro-
« tection et assurance de vostre personne avec la paix
« et tranquillité des églises réformées en France5. »
Mais aucune troupe de soldats, aucun subside d'argent,
aucun secours d:armes n'accompagna ces protestations.
1. Cette lettre es! publiée par La Popelinière, t. I, f. 301.
2. Coi h' lettre, en latin, esl publiée dans 1rs Mémoires de i
i. III, p. 309.
3. Lettre du 11 avril citée par le comte Delaborde (Goligny,
i. Il, p. 38, note .
i. Lettre 'lu 1'.' avril publiée dans les Mémoires de Gondé, t. III,
p. 272. — Voyez ;i ussi la lettre de Frcdt'rie d<> Haviôro au prince
de Condc, du 11 avril [Lettres de, Frédéric le Pieux, 1868, Munich,
i. [,p. 280).
5. Mémoires de Gondé, t. 111. p. 308.
ET JEANNE d'aLBRET. 159
Il en fut de même des cantons suisses, malgré l'ap-
pui de Calvin1.
La reine d'Angleterre se montra favorable à la prise
d'armes du 1 er avril. Elle feint de regretter les troubles
du royaume, écrit l'ambassadeur de France, Paul de
Foix, à la reine, mais, au fond du cœur, elle s'en
réjouit; elle désire ardemment le succès des réformés,
afin d'écraser par le contre-coup le parti de Marie
Stuart2. Le 31 mars, Elisabeth démasque sa poli-
tique ; elle commande à Throckmorton d'encourager
à la constance la reine mère, qu'elle traitait encore
en alliée des huguenots, la reine de Navarre, Condé
et Coligny, parce qu'elle avait l'intention de les
soutenir3.
Le prince de Condé s'adressa même aux puissances
catholiques et prétendit leur prouver qu'en prenant les
armes contre le roi, il faisait acte de fidèle sujet. Le
11 avril, il dépêcha au duc de Savoie Charles de Thé-
ligny, jeune capitaine de la plus grande espérance,
1. Lettre du prince de Condé aux cantons suisses, du 12 avril
(Mémoires de Condé, t. III, p. 210). — Lettre de Calvin citée par
le comte Delaborde {Coligny, t. II, p. 37, note 2).
2. Lettre de Paul de Foix à la reine, du 29 mars 156-2 (Copie
du temps; f. f'r., vol. 6612, f. 34). Cette lettre est très importante
et fait connaître des faits nouveaux. L'ambassadeur écrit que le
n,i de Suède est à Londres et que la reine d'Angleterre l'.iii toul
ce qu'elle peut pour le retenir, dans la crainte qu'il n'aille visi-
ter Marie Stuart. En conséquence, il conseille à la cour de
France de favoriser le mariage de ce prince avec la reine
d'Ecosse, afin de fortifier l'ennemie naturelle de la reine d'An-
gleterre.
3. Calendars, 1562, p. 590. Cette lettre a été traduite et publiée
par le duc d'Aumale (Hist. des Condé, t. I, p. 351) et par le comte
Delaborde (Gaspard de Coligny, t. II, p. 36).
160 ANTOINE DE BOURBON
plus tard gendre de l'amiral1. Le 20, il envoya à l'em-
pereur Ferdinand2, et vers le même temps au roi
d'Espagne3, deux longs mémoires sur les actes de
violence des catholiques, depuis la tentative d'enlè-
vement du duc d'Orléans par le duc de Nemours,
au mois d'octobre précédent, jusqu'à « l'arrestation »
du roi à Fontainebleau par les triumvirs. Ces mani-
festes, surtout le dernier, contiennent nombre de
ces affirmations effrontées que les chefs de partis ont
toujours à leur service quand ils parlent, non pour
convaincre les étrangers, mais pour entretenir les
passions de leurs sectaires.
L'ardeur des huguenots laissait peu d'espérance aux
amis de la paix. Théodore de Bèze jugeait très bien
les dispositions de son parti lorsqu'il écrivait, le
6 avril, à Calvin : « Pneter bellum nihil audeo spe-
« rare4. » Cependant les courtisans ne prenaient pas
encore la guerre civile au tragique. La plupart, à qui
la légèreté de Condé était connue, espéraient que le
roi de Navarre saurait ramener le prince. Le trium-
virat n'annonçait de sévérités que pour Goligny 5,
le véritable chef des réformés. Le connétable, dit
Chantonay, était surtout ardent contre ses neveux0.
1. Instruction de Condé à Théligny (f. IV., vol. 10190, f. 151 v",
copie du temps)'.
2. Cette pièce esl publiée dans les Mémoires de Condé, t. III,
p. 305.
3. Copie du temps, sans date (Arch. nat., k. 1500, u° 27).
4. Baum, Thcodor Deza, Preuves, p. 177.
5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 24 avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., k. 1497, a* 25).
6. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du S avril 1562 (Orig.
espagnol ; A.rch. uni., K. 1497, q° 21).
ET JEANNE d'aLBRET. 161
On parlait de traduire Coligny et d'Andelot à la barre
du parlement, de les dégrader, l'un de la charge
d'amiral, l'autre de celle de colonel général de l'in-
fanterie, et de les priver de leurs biens. Le titre
d'amiral serait donné à Jacques de Savoie, duc de
Nemours, pour prix de son mariage avec Françoise de
Rohan, et celui de colonel général au marquis d'El-
beuf, frère du duc de Guise 1 . Ainsi les deux chefs du
parti catholique auraient bénéficié de la dépouille de
la maison de Ghastillon, le roi de Navarre en faisant
épouser au duc de Nemours sa cousine germaine par
alliance, le duc de Guise en élevant le seul de ses
frères qui ne fût pas encore gorgé d'honneurs.
Avant d'en arriver aux armes, le triumvirat consentit
à essayer des moyens de conciliation. Malheureusement
les huguenots étaient encouragés par la prise d'Orléans.
Gharles de Gossé, s. de Gonnor, celui môme qui avait
été chargé de retarder le prince à Augerville, fut
envoyé à Orléans avec des lettres du roi, qui enjoi-
gnaient à Condé de déposer les armes. Le prince
répondit qu'il viendrait à la cour si le roi de Navarre
lui donnait son tils en otage. Il se posait ainsi en bel-
ligérant et prétendait traiter d'égal à égal avec les sei-
gneurs qui parlaient au nom du roi. Les triumvirs
chargèrent Jean Pot, seigneur de Rhodes, maître des
cérémonies de l'ordre Saint-Michel, de citer à la barre
du conseil l'amiral, d'Andelot, de Piennes, Soubise et
Genlis, chevaliers de l'ordre et complices de Condé,
comme prévenus de félonie. La citation ne portait pas
le nom du prince, que le roi de Navarre se flattait de
1. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, I. VI, \>. 72.
v iv 11
162 ANTOINE DE BOURBON
ramener par d'autres mesures. L'intimidation ne réus-
sit pas. Gondé écrivit au nom de ses compagnons
d'armes qu'il n'avait pris les armes « que pour mettre
« le roy en liberté et la royne mère, qui, comme pri-
« sonniers, estoient détenus par ceux qui gouver-
« noient4. »
La réponse du prince fut apportée par un gentil-
homme flamand, vers quatre heures du soir. Aussi-
tôt la reine appela le roi de Navarre. Dès qu'il fut
entré, elle le pria avec instance de ne pas lui refuser
ce qu'elle allait lui demander. Le prince répondit
qu'il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour
le service du roi et pour elle, mais qu'il ne fallait
pas exiger davantage. Catherine lui confia que, malgré
l'avis de ses conseillers, elle désirait entrer elle-même
en conférence avec le prince de Gondé. Antoine
approuva le projet et promit à la reine de l'escorter
avec une troupe de vingt cavaliers2. Il invoqua alors
le témoignage du messager de Gondé : « Madame,
« dit-il à la reine, vous ne parlez pas comme une pri-
« sonnière, car vous allez où bon vous semble, quoique
« cela puisse avoir des dangers plus tard. » Et se tour-
nant vers le gentilhomme huguenot : « Vous rappor-
« terez au prince de Gondé et à ses amis ce que vient
« de dire la reine et vous serez témoin qu'elle n'est
« pas prisonnière, non plus que le roi, comme on le
1. Lettre de Ghantona} à Philippe II, du 1 avril 1562 (Résumé
de chancellerie ; Arch. nat., K. 1496, n° 54). — Journal de Brus-
lard dans li'- Mémoires dt Gondé, t. I, p. 79.
2. Ghantonaj constate que les catholiques trouvaient cette
entrevue indigne de la majesté royale, mais lui-même ne la
désapprouve pas (Lettre du 12 avril dans les Mémoires de Gondé,
i. Il, p. 33).
ET JEANNE D'ALBRET. 163
« dit chez vous1. » L'entrevue se termina sur ces
paroles, et la reine, sans révéler ses desseins, envoya
chercher l'évêque de Valence2.
Après l'audience du gentilhomme flamand, les
triumvirs se réunirent en conseil, avec le maréchal de
Brissac, le nonce et l'ambassadeur d'Espagne. On agita
les moyens de frapper un grand coup. Le chancelier
émit un avis en faveur de la paix. A ce mot, le conné-
table l'interrompit et lui dit que les questions de
guerre ne regardaient que les capitaines. L'Hospital
riposta que, « malgré que ceux de sa robe ne se con-
« nussent à manier les armes, ils ne laissoient toute-
ce fois à connoître quand et pourquoy il en falloit
« user3. » Il sortit et ne fut plus admis aux conseils
secrets. A la place du chancelier, le triumvirat appela
Claude Gouffîer de Boisy, grand écuyer, le comte de
Villars, beau-frère du connétable, d'Escars et l'évêque
d'Auxerre. On décida de renvoyer une seconde fois
Gonnor à Orléans avec les deux frères Robertet.
Leur mission était de demander au prince le dernier
mot de ses exigences. Gonnor partit le lendemain,
7 avril. Le parti huguenot avait eu le temps de pré-
parer sa réponse. Condé promit de se soumettre à
la condition que le duc de Guise, le connétable et le
maréchal de Saint-André, qui avaient donné l'exemple
des armements, déposeraient les armes et se retire-
raient de la cour. A ce prix, le roi et la reine ayant
repris leur liberté, il rendrait Orléans et viendrait à la
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 0 avril (Orig. espa-
gnol; Arcli. Liât,, K. 1497, n° 21).
2. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 33.
3. Lettre de l'asquier dans ir- OEucres complètes, t. II, col. 97.
104 ANTOINE DE BOURBON
cour avec son train ordinaire1. Voici l'ultimatum du
prince :
L'intention de M. le prince de Coudé et la responce qu'il fait
sur ce que le roy et la royne lui ont mandé par M. de Gonnort
est que, pour faire perdre au peuple l'opinion qu'il a conçue de
la captivité de Sa Majesté et la royne sa mère, fault que ceulx
qui sont venuz armés devers eulx et qu'il a ci-devant nommés
s'en voysent en premier lieu en leurs maisons et gouvernementz.
Que le roy deppule commissaires pour faire départir les
forces d'une part et d'aultre, et lesquels ayent charge de ne
partir des deux costés jusqu'à ce qu'ilz ayent veu tous leurs
seigneurs, et mesmes mond. s. le prince et mond. s. de Guise,
réi lui Iz à leur train ordinaire.
Cependant et affin que l'on ne présume que led. s. prince
veuille riens attenter, il offre de bailler entre les mains de la
royne ses enfans pour en faire ce que bon luy semblera, et que,
estant ceste obéissance rendue par led. seigneur, il est prest à
venir trouver Leurs Majestés et faire ce qu'il leur plaira luy
commander quant il sera mandé.
Demande que par mesmes moyen Mons. de Guyse Jaysse
entre les mains de la royne ses enfants durant ce temps-là,
tout ainsy que luy, et après qu'il revienne à la court quand il
plaira à la royne luy mander.
Requiert aussi que l'édit de janvier soyt entretenu et que
ceste restrinction pour la ville de Paris, faubourgs et banlieue
d'icelle, soyt ostée2.
1. Lettres de Chantonayà Philippe H, du G el du 11 avril 1562
(Orig. espagnol; Aiv.h. aat., K. 1497, aos 21 et 22). — Négoc. du
card. de Ferrare, p. 128 et 152. — Lettre de Throckmorton, du
17 avril (Calendars, 1562, p. 603). — Journal do 1562 dans la
Revue rétrospective, t. V, p. 92, 93 el 95. — Journal do Bruslard
dans les Mémoires de Gondé, t. 1. \>. T'.i. — La Popelinière, t. 1,
I'. 289 V.
2. Copie du temps, sans date m signature (!'. fr., vol. 6617,
l'. V.i). — Nous croyons que cette pièce doil être datée du 11 avril,
car elle lut accompagnée d'une lettre de cette date de Gondé à la.
reine (Copie; coll. Brienne, voi. 205, !'.
ET JEANNE d'ALBRET. 165
Catherine, au risque de contrecarrer la mission de
Gonnor, avait donné suite à son projet de négociation
personnelle. La proposition d'entrevue fut apportée
au prince de Gondé par Jean de Mon lue, évêque de
Valence, prélat habile et insinuant, de religion dou-
teuse, « un digne ministre, dit Chantonay, pour une
« telle entreprise, » que les réformés pouvaient regar-
der comme un défenseur au conseil. Le roi de Navarre
laissait à son frère le soin de déterminer le lieu de la
conférence et lui proposait de s'y rendre, chacun avec
une escorte de vingt cavaliers seulement. Monluc partit
de Paris le 6 avril avec un des Gondi et deux secré-
taires de commandement. Il vit le prince de Condé,
l'amiral, les principaux seigneurs, protesta de la bonne
volonté de la reine en leur faveur et fît goûter au
prince le projet d'une entrevue avec elle. Il avait reçu
l'ordre de rapporter une réponse immédiate, mais il
jugea que sa négociation ne pouvait se parfaire en un
jour. Pour prolonger sa mission à Orléans, il feignit
de tomber malade. Les uns disaient qu'il était mort,
d'autres qu'il avait embrassé la réforme. 11 revint enfin
le \% avril à Paris, courut au Louvre, et, sans vouloir
répondre aux questions des courtisans, s'enferma
avec la reine dans le jardin du château. Les triumvirs
considéraient l'évêque comme un agent de la reine
plutôt chargé de trahir le parti catholique que de le
servir. Dépité de ne pas être appelé, Antoine s'avisa,
par manière de passe-temps, de faire « sonner les
« cornets à bouquin à une fenêtre qui répondait sur
« le jardin... La royne montra ne prendre grand
« plaisir à la musique 1 . »
\. Lettre de Throckmorton, du 10 avril (Calendars, 1 562, p. 595) .
166 ANTOINE DE BOURBON
Les deux partis en étaient là de leurs négociations,
quand le prince de Condé rompit les pourparlers par
un coup d'éclat. Le 8 avril, il lance un manifeste solen-
nel « pour monstrer les raisons qui l'ont contraint
« d'entreprendre la défense de l'autorité du roy, du
« gouvernement de la royne et du repos de ce
« royaume1. » Après avoir rappelé l'édit de janvier,
le massacre de Vassy, l'entrée menaçante du duc de
Guise à Paris, l'emprisonnement du roi à Fontaine-
bleau, à Melun, à Paris, le prince proteste « que la
« seule considération de ce qu'il doit à Dieu, avec le
« devoir qu'il a particulièrement à la couronne de
« France, sous le gouvernement de la royne, et tina-
« lement l'affection qu'il porte à ce royaume, le con-
« traignent à chercher tous moyens licites selon Dieu
« et les hommes, et selon le rang et degré qu'il tient
« en ce royaume, pour remettre en liberté la personne
« du roy, la royne et Messieurs ses enfants. » Il demande
à la reine de se retirer « en telle ville de ce royaume
« qu'il luy plaira, pour de ce lieu commander par le
<i moindre de sa maison à toutes les deux parties de se
« désarmer. » Et si la reine veut rester à Paris, il la
supplie de chasser de la cour le duc de Guise et ses
frères, le connétable et le maréchal de Saint-André, et
— Lettres de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 76, 78 el 83. — Journal de 1562 dans la Revue rétrospective,
i. Y. p. 96. — Lettre de Throckmorton, du 17 avril {Calendars,
1562, p. 603). — Lettre de Ghantonay, du 8 avril 1562, à Phi-
lippe Il (Orig. espagnol; 4r'ch. aat., K. 1497, a" 21).
I. Tel est le titre de l'édition originale, 1562, in-8*. Cette pièce
importante a été réimprimée dans toutes les éditions des Mi moires
de Courir. Dans l'édition de Secousse, elle se trouve au t. III,
p. 222.
ET JEANNE D'ALBRET. 167
promet à ces conditions « de se retirer volontiers et
« faire désarmer toute sa compaignie qui est avec luy1 . »
Le parti huguenot donna la plus grande publicité à
cette déclaration. Elle fut imprimée, adressée aux sou-
verains étrangers2, répandue à profusion dans toutes
les villes du royaume 3. Nul huissier ne fut assez hardi
pour la signifier officiellement au parlement de Paris.
Mais le 1 3 avril, à l'ouverture de l'audience du matin,
un huissier, du nom de David, remit un pli cacheté au
président Christophe de Thou. L'enveloppe portait en
suscription : « A Messeigneurs de la cour du parle-
« ment de Paris, pour les très expresses affaires du
« roy, de la part de Messieurs du parlement de Tou-
« louse. » Le paquet contenait une lettre d'envoi, datée
du 1 1 , et le manifeste du prince4, dont le texte, depuis
la veille, volait de bouche en bouche. On appela David.
L'huissier, sommé de révéler l'origine du message,
répondit sous la foi du serment « qu'un homme inconnu
« l'avoit baillé à sa servante, lorsque, estant prête à
« s'aller coucher, elle ferma l'huis. Et ne l'avoit veu
« ni parlé à luy5. » Sur cette déposition invraisem-
1. Cette pièce est datée du 8 avril; mais elle est signalée dans
une lettre de Throckmorton, du 7. Peut-être était-elle connue la
veille de sa publication. Peut-être y a-t-il erreur de date dans les
Cakndars, 1562, p. 587.
2. Lettre du prince de Condé aux gens île Genève, du 11 avril
(Duc d'Aumale, Histoire des Condé, 1. 1, p. 345). — Lettre du
au duc de Savoie, du 12 avril (Delaborde, Goligny, t. II, p. 84).
3. Mémoires de Condé, t. III, p. 301.
4. Elle était accompagnée d'une lettre au parlement de Paris,
qui est conservée dans la coll. Brienne, vol. 205, f. 375.
5. Registres du parlemenl de Paris reproduits par Mathieu
{Hist. de France, t. I, p. 256), et dans les Mémoires-journaux du
duc de Guise, p. 488, e1 dans les Mémoiresde Condé, t. 111, p. 273.
168 ANTOINE DE BOURBON
blable, l'huissier David fut emprisonné 4 . La déclaration
de Gondé fut acceptée comme émanant d'un prince du
sang et communiquée au roi. Peu après le parlement
répondit au prince2.
Le même jour, à l'ouverture de la séance du soir,
le duc de Guise, le connétable et son fils se présen-
tèrent au parlement. François de Lorraine refusa
d'user de son droit de préséance. Montmorency remer-
cia le duc « de vouloir honorer son vieil âge » et
remit à la cour une protestation du roi , datée du
(S avril, contre « la calomnie » de sa captivité3. Puis
il s'efforça de réfuter le récit mensonger des événe-
ments, qui faisait le fond du manifeste du prince. Il
assura que le duc de Guise n'avait fait que se dé-
fendre à Vassy, qu'aucun des seigneurs n'avait pris les
armes et que le roi et la reine jouissaient de toute
leur liberté. Le duc de Guise prit la parole après lui,
remercia le connétable de son témoignage et l'approuva
en tous points. Le président de Saint-André leur donna
acte et la cour, après avoir entendu les avocats géné-
raux, enregistra les lettres du roi4.
1. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, i. VI,
ji. su. — Extrail des registres du parlemenl de Paris dans les
Mémoires de Gondé, i. III, p. 279. — Il lui relâché le lendemain
sur parole (Ihiil., p. 280).
1. La réponse du parlement, datée du 21 avril, est dans les
Mémoires de Gondé, (. III, p. ;!ll ; dans La Popelinière, t. I, f. 303,
et ailleurs.
3. (les lettres sonl conservées dans La coll. Brienne, vol. 205,
l'. :!7T. — Le roi écrivit aux souverains dans le même sens
(voyez sa lettre au die' de Wurtemberg dans le- Mémoires <l
Gondé, i. III. p. 281).
i. Registresdu parlementde Paris dans les Mémoires-journaux
</// dur tir liuisr. p. 489.
ET JEANNE d'aLBRET. 169
Le manifeste du prince de Condé offensa la reine.
Ce ton hautain, cette violence dans les termes, mise
au service d'une rébellion ouverte, ces appels aux
armes sonnés dans les villes du royaume et auprès
des gouvernements étrangers, révélaient les desseins
ambitieux d'un prince qui visait au pouvoir plutôt que
la passion sincère d'un confesseur prêt à combattre
pour sa foi. Cependant Catherine hésitait encore,
quand un incident imprévu rompit les liens qui la
rattachaient encore au parti huguenot.
En même temps qu'il lançait son manifeste, Condé
écrivit à du Mortier, un de ses partisans secrets au
conseil, et lui communiqua les lettres que la reine
avait écrites dans les jours d'angoisse qui avaient
précédé la surprise d'Orléans. Ces lettres ne conte-
naient aucune mission précise, sauf « d'avoir sou-
« venance de conserver les enffans et la mère et
« le royaume, comme celluy à qui touche, » et plus
loin « de l'aider à conserver ce royaume et le service
« du roy. » Ces phrases vagues n'excédaient pas la
portée des recommandations que la reine adressait
journellement à ses officiers. Mais le prince de Condé
prétendait en tirer la preuve que la reine avait voulu
se remettre entre ses mains, qu'elle en avait été empê-
chée par la marche audacieuse du triumvirat sur
Fontainebleau et qu'elle lui avait conseillé la prise
d'armes du 29 mars1.
1. Le parti huguenot, nanti de la possession de documents
aussi importants à ses yeux, envoya au mois de novembre
Jacques Spifame, évêque défroqué de Nevers, à la diète de
Francfort pour justifier la, guerre civile. Spifame prononça, le
A novembre, en présence de l'empereur, une harangue qui a été
publiée à pari el réimprimée successiveme.nl dans le Sommaire-
170 ANTOINE DE BOURBON
La dépêche de Condé à du Mortier fut interceptée par
les batteurs d'estrade du parti catholique et livrée au
triumvirat. On apprit en même temps que le prince,
s'exagérant la valeur de l'arme que la reine avait lais-
sée tomber entre ses mains dans un jour d'égarement,
voulait communie] uer ces lettres à tous les souverains
étrangers pour justifier sa rébellion. A la nouvelle que
ses prétendues promesses étaient divulguées, le pre-
mier mouvement de la reine fut de nier l'authenticité
de ses lettres. Elle « se troubla beaucoup, écrit Chan-
ce tonay, et dit que les ennemis du roi étaient si per-
« vers que, pour sauver leur responsabilité, ils avaient
« falsifié sa signature1. » Son second mouvement fut
de maudire l'indiscrétion du prince. Qu'espérer d'un
chef de parti qui abusait des épanchements de sa sou-
veraine, et qui, sans être acculé aux dernières néces-
sités, livrait, à ceux que la veille encore il appelait leurs
ennemis communs, les secrets confidentiels de son
alliée ? « La reine, dit Sainte-Croix, s'est mise telle-
ce ment en colère de l'affront qu'on lui fait en la
« calomniant de cette sorte, qu'elle a dit publiquement
« que ces gens-là sont des fous et des atrabilaires et
recueil des choses mémorables advenues depuis 1560 jusqu'à présent,
in-8", 1564, p. 137, dans les Mémoires de Gastelnau, t. II, p. 28,
el dans 1rs Mémoiresde Condé, t. IV, p. 56. Catherine de Médicis,
informée de la mission de Spilame, \ ivpoïKlit par une apologie
solennelle de sa propre conduite, datée du 5 décembre el adres-
sée à la duchesse douairière, Christine de Lorraine, pièce impri-
mée dans les Mémoires de Castelnau, t. Il, p. 13, et ilaus les
Lettres de Catherine de Médicis, t. 1. p. 141. La réponse de la
duchesse de Lorraine à la reine mère est imprimée à la suite de
ce document (ibid., p. 143, aote).
1. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 11 avril 1562 (Orig.
espagnol»; A.rch. oat., k. 1497, a° 22).
ET JEANNE d'aLBRET. 171
« qu'elle les traitera comme tels1 . » Le maréchal Saint-
André comprit que le prince de Condé avait perdu
plus de crédit en un jour dans l'esprit de Catherine
qu'il n'en avait gagné depuis le commencement des
troubles. Il engagea l'ambassadeur d'Espagne à la voir,
à lui conseiller, au nom de Philippe II, de se séparer
d'amis qui la trahissaient2. Chantonay avait déjà prié
son maître d'adresser un ambassadeur extraordinaire
à la reine3. En attendant l'arrivée du messager, il
s'acquitta lui-même de la mission. Il trouva la reine
dans l'incertitude, mais fermement décidée à user de
tous les moyens pour éviter l'effusion du sang. Comme
l'ambassadeur lui recommandait la rigueur, elle invo-
qua l'exemple de Charles-Quint, qui avait apaisé sans
prendre les armes le soulèvement de Gand en 1539.
Chantonay lui riposta aigrement que ses souvenirs per-
sonnels ne lui rappelaient que les nombreux supplices
ordonnés par le grand empereur4. Mais les leçons de
Chantonay étaient inutiles. Catherine, encore plus
mécontente de ses anciens alliés que satisfaite des
encouragements de l'Espagnol, s'était déjà résignée
à la tutelle du triumvirat. Elle envoya chercher Anne
d'Esté, duchesse de Guise, et lui confia que jusqu'à
ce jour elle s'était méfiée de l'alliance des chefs du parti
catholique avec le roi de Navarre, mais que les der-
1. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 89.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 avril (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n» 22).
'■>. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril 1562 (Arch.
nat., K. 1497, .r 21).
4. Lettre de Chantonay à Philippe IL du 13 avril 1562 (Orig.
-nol; Arch. nat., K. 1497, n° 'ISj.
172 ANTOINE DE BOURBON
niers événements lui avaient ouvert les yeux, et que,
moyennant l'assurance que sa dignité de régente serait
sauvegardée, elle embrasserait résolument leur cause.
La duchesse de Guise porta ces ouvertures à son
mari. Aussitôt le roi de Navarre, suivi des triumvirs,
accourut dans le cabinet de la reine et protesta de
ses bonnes intentions. Catherine les accueillit avec
empressement et leur tendit la main. Cependant elle
leur demanda de s'associer à une dernière tentative
de conciliation, sur la base de l'édit de janvier4, jurant
que, si la nouvelle mission échouait, elle abandonne-
rait le parti huguenot à sa destinée de rebelle2. Le
même jour, elle adressa à Sébastien de l'Aubespine
une profession catholique qui dut combler les vœux
du roi d'Espagne 3, et au cardinal de Chastillon une
lettre de reproche 4 ; elle y énumère ses ordres paci-
fiques et reproche à Condé d'avoir répondu à chaque
ordre par de nouveaux armements5. Le lendemain,
\% avril, jour de Quasimodo, comme pour accentuer
l'union catholique de la cour de France, la reine et
tous les princes assistèrent à une messe solennelle à
l'église Notre-Dame r'.
1. Lettre de Throckmorton , du 17 avril (Calendars, 1562,
p. 603). — L'avant-veille, le II avril, la reine avail fait signer
au roi une confirmation de l'édit de janvier [Mémoires de Condô,
t. III, p. 256).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 avril i()rig. espa-
gnol; Areh. nai.. K. 1497, n- 22).
3. Lettres de Catherine de Médias, t. I. p. 293.
4. Le cardinal de Chastillon étail le négociateur en titre du
parti huguenot. Voir sa lettre à la reine, du 7 avril (Delaborde,
Goligny, i. Il, p. 571).
5. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1. p. 290.
6. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V. p. 96.
ET JEANNE DALBRET. 173
Artus de Cossé, seigneur de Gonnor, repartit pour
Orléans le 13 avril, en compagnie de Jean de Beau-
lieu, seigneur de Losse, et du secrétaire d'état, Ro-
hertet, s. d'Alluye '. Dans l'intervalle un massacre
épouvantable avait ensanglanté la ville de Sens. La
populace catholique s'était ruée sur les habitants qui
passaient pour hérétiques, avait égorgé les uns
et précipité les autres dans l'Yonne2. Presque en
même temps on apprit que les réformés de Tours
avaient été victimes d'un guet-apens aussi sanglant
que celui de Vassy, mais qui avait tourné à leur
triomphe. A Sens, à Auxerre, à Cahors, à Aurillac, à
Carcassonne, à Avignon, dans beaucoup d'autres villes,
d'après d'Aubigné, trois mille personnes avaient été
« poignardées, lapidées, précipitées, étranglées, assom-
« mées, brûlées, éteintes de faim, enterrées vives,
« noyées et étouffées3. » Le « coup de Vassy » sem-
blait un signal donné aux fanatiques de toutes les pro-
vinces pour anéantir les religionnaires4. Gonnor trouva
les huguenots d'Orléans en proie à l'exaltation la plus
vive. Ils accusaient du massacre de Sens le cardinal de
Lorraine comme archevêque de Sens, bien que ce titre
appartint au cardinal de Guise, et rapprochaient ces
1. Lettre de Ghantonay, du 13 avril, à Philippe II (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, n° 23). — Journal de 1562 dans la
Revue rétrospective, t. V, p. 96.
2. Mémoires de Claude Haton, 1. 1, p. 189 et suivantes. Cet histo-
rien est celui qui donne le plus de détails sur ces événements.
— Voyez aussi un article de M. Maury sur {Histoire des guerres
du calvinisme dans l'Auxerrois, par M. Ghalle, dans le Journal des
Savants de 1870.
3. D'Aubigné, 1626, t. I, col. 183 et 18i.
4. Lettre de Throckmorton, du 14 mars [Calendars, 1562, p. 553).
174 ANTOINE DE BOURBON
meurtres du forfait de Vassy1. Condé avait demandé
justice à la reine mère 2 et n'avait pas obtenu de
réponse. La passion de la vengeance enflammait
tous les esprits. Coligny se fit l'écho du sentiment
des réformés en écrivant à la reine : « Madame, on
« voit de telles cruautés s'exercer en plusieurs endroits
« de ce royaume et fraîchement à Sens que l'on ne
« peut attendre que une totale ruine de tous ceux qui
« font profession de la religion réformée, avec les
« langages qui se tiennent ordinairement que l'on
« n'attend autre chose que de nous voir désarmés,
« pour puis après nous couper à tous la gorge3. »
Les sages, les modérés n'auraient pu, sans être accu-
sés de trahison, prêter l'oreille à des négociations.
Condé formulait des exigences inacceptables, le désar-
mement du parti catholique, le renvoi des Guises et du
connétable, des indemnités pour le passé, des garanties
pour l'avenir4. Le roi de Navarre avait chargé de Losse
de remettre une lettre à son frère, dans laquelle il lui
reprochait d'être « tombé dans la boue. » Condé lui
répondit en se faisant honneur de sa conduite et en
1. Mémoires de Castelnau, in-fol., t. I, p. 89. Gastelnau nomme
le cardinal de Lorraine comme archevêque de Sens, mais il se
trompe. Le siège de Sens appartenait au cardinal de Guise, qui
avait été témoin du massacre de Vassy.
2. Lettre île Gondé, du 19 avril [Mémoires de Condé, t. III,
p. 300). Le duc d'Aumale, en réimprimanl cette lettre, y a ajouté,
d'après l'original autographe, un post-scriptum ires important
(Duc d'Aumale, Histoire des Condé, t. [, p. 347).
::. Lettre de l'amiral de Goligny à la reine, sans date (Copie;
coll. Brienne, vol. 205, f. 498).
i. Lettre de Sa iute-( Jroix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 88. — Lettre de Throckmorton, du 17 avril [Calendars, 1562,
p. 603). — Négoc. du card. dt Ferrari , p. 152
ET JEANNE d'aLBRET. 175
glorifiant sa prise d'armes4. Gonnor revint à Paris le
14 avril sans avoir pu remplir sa mission2.
Quelques jours après, le 19 avril, Catherine réunit
le roi de Navarre, le duc de Guise, le connétable, les
maréchaux de Saint-André et de Brissac, « et leur dit
« qu'en considérant les intérêts du royaume et les
« menées des ennemis du roi, elle voyait clairement la
« gravité des événements et les mauvais conseils qui
« lui avaient été donnés par ceux auxquels elle s'était
« fiée. En conséquence, elle les priait de mettre de
« côté toute animosité et de chercher un remède effi-
« cace, leur promettant de suivre leurs conseils. Elle
« dit que jusqu'à ce jour elle n'avait pu se résoudre à
« suivre une autre voie que celle de la douceur, mais
« que, à cette heure, voyant la hardiesse des ennemis,
« elle voulait mettre cette affaire aux mains des capi-
« taines. Elle promit de leur laisser tous les pouvoirs
« du roi, de leur remettre l'argent nécessaire, d'agir
« elle-même de son côté. Et elle ajouta qu'elle avait
« l'espoir que c'était pour le service de Dieu et le bien
« du royaume3. » Elle pria le nonce de recommander à
Philippe II la demande de secours du roi très chrétien4.
Son langage se modifia ; elle « parla avec plus de
« hauteur et de fierté. » Son crédit s'accrut ; le roi
1. La lettre de Gondé est imprimée par le duc d'Aumale (Hist.
des Condé, t. I, p. 347).
2. Lettre du cardinal de Ghastillon à la reine, du 15 avril
(Delaborde, Coligny, t. II, p. 573). Cette lettre fut répandue à la
cour. On en trouve des copies dans plusieurs recueils manuscrits
du temps.
3. Lettre de Cliantonay à Philippe II, du 24 avril 1562 (Orig.
espagnol; Arcli. nat., k. 1497, u° 25).
\. Ibid.
176 ANTOINE DE BOURBON
signifia aux courtisans « que, si quelqu'un n'avoit pas
« autant de respect pour sa mère qu'il luy en estoit dû,
« il ne l'oublieroit jamais et qu'il lui en feroit paroitre
« son ressentiment quand il seroit dans un âge plus
« avancé. » Ces reproches étaient la revanche des
scènes de Fontainebleau. Aussi, dit Sainte-Croix, les
triumvirs parlaient à la reine avec déférence. Un jour,
au conseil, sur un mot déplaisant du maréchal de
Saint-André, Catherine « luy fit une si grande rebuf-
« fade qu'il faillit verser des larmes1. » Les Guises
informèrent Philippe II du changement de la reine ;
ses hésitations précédentes, disaient-ils, étaient inspi-
rées par le « regret de différer l'exécution de ce
« qu'elle a toujours plus que nulle autre chose dési-
« rée. » Le roi de Navarre ajouta son témoignage :
« J'ay bien voullu vous témoigner pour vérité le
« contenu en ceste lettre comme celluy qui a la prin-
« cipale connoissance et des effets et de l'intention
« d'icculx2. »
La prise des villes de Tours, de Blois, du Mans et
d'Angers (30 mars au 5 avril) avait allumé les espé-
rances des huguenots; la prise de Rouen (16 avril)
mit le comble à leur enthousiasme3. La prise de Lyon
(30 avril) accabla, dit Throckmorton, la fermeté des
catholiques4. Le duc de Guise lui-môme était près de
céder au découragement. Le roi de Navarre avait
1. Lettre de Sainte -Croix, du 'J'.t avril, dans les Archives
curieuses, t. VI, p. 94.
2. Lettre du 2i avril 1562, publiée par le comte Delaborde
(Coligny, t. II, p. 85).
3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 97.
i. Sur la prise de Lyon voyez une série de pièces dans Les
Mémoires île Condé, i. III, p. 339.
ET JEANNE d'aLBRET. 177
« l'esprit fort perplexe1; » il tomba malade « d'une
« grosse fièvre » qui dura plusieurs jours2. Seule,
Catherine garda toute son énergie. Elle renforça le
conseil du roi de huit chevaliers de l'ordre, afin
de balancer l'autorité des conseillers du tiers parti,
suspects au parti catholique. Les nouveaux élus étaient
le maréchal François de Montmorency, secrètement
dévoué à la réforme, mais dont le connétable pouvait
répondre, le comte de Villars, le grand écuyer de Boisy,
Louis de Lansac, Jacques de la Brosse, lieutenant du
duc de Guise, Charles de la Rochefoucault-Randan et
le comte de Carces3. La reine mère interdit à Renée de
France , duchesse de Ferrare , l'exercice de la réforme
à Montargis, sous peine d'être renfermée dans un
couvent 4, et fit crier à Paris la défense de procéder
aux cérémonies calvinistes qui avaient été tolérées
jusqu'alors. « Ceux qui autrefois, dit Sainte-Croix,
« n'entraient jamais dans les églises s'y tiennent
« maintenant avec de belles apparences de dévotion 5. »
Aux dispositions militaires du roi de Navarre Cathe-
rine ajouta des mesures équitables, qui pouvaient
séduire les hommes modérés. Le roi publia la liste des
1. Lettre du 47 avril (Galendars, 1562, p. 603).
2. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 89.
3. Lettre de Throkmorton, du 24 avril [Galendars, 1562, p. 619).
4. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. \ 1 -,
p. 74. M. Jarry a raconté, avec les pièces à l'appui, parmi les-
quelles se trouve une curieuse enquête datée de 1608, le pillage
des '-lises de Montargis, qui eut lieu le 9 mai 1562, el les excès
de tout genre commis par les huguenots dans cette ville si m- les
yeux et avec la complicité de Renée de France, duchesse de
Ferrare (Renée de France à Montargis, Orléans, 1868).
5. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 86 et 93.
iv 12
178 ANTOINE DE BOURBON
villes où serait toléré l'exercice de la religion nouvelle,
afin de délimiter les prescriptions de l'édit de janvier1.
Le parlement de Paris entama une information sur les
massacres de Sens2. Le roi commit la grand'chambre
du parlement pour connaître « des excès faits à Vassy
« le 1er mars3. »
Les triumvirs ripostèrent à l'accusation de tenir le
roi en captivité par une calomnie non moins invrai-
semblable. Le roi de Navarre feignit de croire que
son frère était prisonnier des huguenots et qu'ils le
retenaient de force à Orléans4. Le 1(.) avril, fut crié
dans les rues de Paris à son de trompe « que les
« armes que l'on tenoit estoient pour recouvrer M. le
« prince de Condé, qui estoit détenu par les hugue-
« nots5. » Le « pauvre peuple » accepta le prétexte
avec autant de confiance que la plèbe de la réforme
croyait à l'emprisonnement du roi. Pasquier constate
que les uns faisaient la guerre pour délivrer le roi, les
autres le prince de Condé. « C'est bien, à la vérité,
<r troc pour troc, » dit-il0.
Le 2!3 avril, le parti catholique reçut un aide impor-
tant. Le cardinal de Lorraine, qui s'était éloigné de la
cour à la suite du colloque de Poissy, entra à Paris.
1. Mémoires de Condé, t. IV, p. 333.
2. Mémoires de Condé, i. III, p. 315.
3. Mémoires de Condé, t. III, p. 31»"» el 354.
4. Lettres de ChailtOIiay, du 1;' avril, dans les Mémoires de Condé,
t. II, p. 33. — Lettre <ln même à Philippe II, du 13 avril 1562
(Orig. espagnol; A.rch. nat., K. I i'.'T, n° 23). — Lettre de Throck-
morton, du 24 avril (Calendars, 1562, p. 619).
5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, i. Y, p. 99. —
Lettre de Sainto-Croix dans les Archives curieuse*;, t. VI, p. 91.
6. Lettre de Pasquier dans les OEuvi ■ complètes, t. II, cul. 100.
ET JEANNE d'aLBRET. 179
Le roi de Navarre avait envoyé son fils au-devant de
lui. Le cardinal de Bourbon et le cardinal de Guise,
accompagnés d'une troupe de seigneurs de 2,000 che-
vaux, s'étaient joints au cortège. La reine le reçut avec
un empressement affecté, afin de lui faire oublier ses
précédentes hésitations. Charles de Lorraine fut logé
au Louvre auprès du roi. Catherine le pria d'enseigner
la religion chrétienne à ses enfants. Avec l'éducation
qu'ils ont reçue, dit malignement Chantonay, « ils ne
« peuvent avoir l'intelligence bien développée, » sur-
tout le duc d'Orléans1. Le lendemain et les jours sui-
vants, le cardinal de Lorraine prêcha à Notre-Dame,
puis à Saint-Germain-l'Auxerrois. Chaque jour le zélé
prélat montait en chaire, « chose toute nouvelle pour
« moi, » observe Pasquier. Il était suivi « d'une
« incrédule affluence d'auditeurs » et les encourageait
à « plustot mourir et se laisser épuiser jusqu'à la
« dernière goutte du sang que de permettre, contre
« l'honneur de Dieu et de son église, qu'autre religion
« eut cours en France que celle que nos ancestres
« a voient si estroitement et religieusement observée2. »
Pendant les armements, les négociations se ravi-
vaient en secret. Le 20 avril, le prince de Condé
envoya dire à la reine 3 par son secrétaire « que, ayant
« appris que ni le roi ni elle n'estoient prisonniers, il
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 avril 1502 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 26). — Journal de 156-2 dans
la Revue rétrospective, t. V, p. 99. — Lettre de Sainte-Croix iJans
les Archives curieuses, t. VI, p. 95. Cette pièce parait inexacte-
ment datée par l'éditeur.
2. Lettre de Pasquier dans les OEuvr es complètes, t. II, col. 100.
:'. Journal de 1502 dans la Revue rétrosp., t. V, p. 99. — Lettre
de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 95.
180 ANTOINE DE BOURBON
« désiroit recevoir ses ordres de sa propre bouche1. »
Le cardinal de Chastillon recommandait l'entrevue du
prince et de la reine2. L'ambassadeur d'Espagne encou-
rageait le roi de Navarre à y prendre part. Antoine
chargea le secrétaire de Condé de proposer à son
maître une conférence à Étampes. Les chefs catho-
liques voulaient détacher Condé de son parti et infliger
à ses complices un châtiment éclatant3. Catherine
aurait voulu comprendre l'amiral et d'Andelot dans
« l'appoinctement , » mais le lieutenant général s'y
refusa, parce que, disait-il, ils étaient les vrais inspi-
rateurs de la rébellion de son frère4. Le 24 avril, Jean
de Morvillier, évoque d'Orléans, et Claude de l'Au-
bespine, secrétaire d'état, furent députés à Orléans
avec les réponses de la reine mère et du roi de
Navarre 5 .
Les pourparlers paraissaient en bonne voie, quand
le prince de Condé lança, le %b avril, un nouveau
manifeste plus offensif que le premier. Sans rien
abandonner de ses précédentes exigences, il y pré-
sente l'apologie de son parti ; il accuse les triumvirs
et les chefs du parti catholique des troubles actuels ;
il s'attribue le soin de la défense des édits royaux
1. Lettre »lc Ghantonay, du 24 avril 1562, à Philippe II (Orig.
espagnol ; Arch. nat., k. 1497, q° 25).
2. Lettre du card. de Chastillon à la reine, du 20 avril (Dela-
borde, Goligny, t. Il, p. 573).
3. Lettre de Ghantonay, du 24 avril, citée plus haut.
i. Lettre de Ghantonay, du 2 mai, dans les Mémoires de Condé,
i. 11, |». 35.
5. Journal de 1562 dans la Bévue rétrospective, t. V, p. 100. —
Lettre de Ghantonay à Philippe 11, du 28 avril 1562 (Arch. nat.,
K. 1497, ii 26). — Nègoc. du card. de Ferrure, p. 179.
ET JEANNE d'aLBRET. 181
et somme les bons sujets du roi, les cours souveraines,
les officiers de justice de « luy prester aide, faveur
« et assistance en une cause si juste et si sainte. » Ce
factum laisse tomber en oubli la fable de la captivité
du roi, mais il reproduit les accusations contre le
parti catholique, avec lesquelles les seigneurs hugue-
nots entretenaient les passions de l'armée1. Le prince
adressa son nouveau manifeste aux parlements de
Paris2, de Rouen3 et d'Aix4. La cour de Paris com-
muniqua la pièce au roi et chargea l'huissier Acarie
de signifier sa réponse au prince. L'huissier remplit sa
mission au prix de dangers qu'il relate dans son pro-
cès-verbal5.
Cette nouvelle bravade aigrit encore les esprits.
Jean de Morvillier et Claude de l'Aubespine revinrent
à Paris le % mai 6 et eurent une conférence avec la reine
dans le jardin du Louvre. La reine avait imaginé de
réconcilier le prince de Condé et le duc de Guise sur
la base d'un mariage à contracter entre le fils aîné du
prince et la fille du duc. Les futurs époux n'étant encore
que des enfants, Condé avait répondu avec mépris « que
« c'estoit paroles perdues". » Cependant, Catherine
1. Mémoires de Condé, t. III, p. 319.
2. Mémoires de Condé, t. III, p. 333.
3. Gopio, du temps, f. fr., vol. 4053, f. 6.
4. Lettre du prince de Condé au parlement d'Aix, du 1er mai 1562
(Copie du temps; f. fr., vol. 10190, f. 170).
5. Mémoires de Condé, t. III, p. 334 et 335.
i.. Ils apportaient à la reine une lettre du prince datée du
24 avril, et au roi une lettre du 29 avril 1562 (Coll. Brienne,
vol. 203, f. 399, et vol. 205, f. 119). Ces deux lettres sont pleines
de protestations pacifiques.
7. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 83.
— Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. lui.
182 ANTOINE DE BOURBON
cherchait, à défaut de l'évêque de Valence, suspect aux
triumvirs, un négociateur plus souple que des secré-
taires d'état ou des capitaines, tous plus ou moins com-
promis dans leurs partis respectifs. Elle jeta les yeux
sur Madeleine de Roye, belle-mère du prince, dame
d'un grand caractère et considérée parmi les rebelles
comme « une mère de l'église. » La dame de Roye refusa
la mission. Catherine choisit alors un personnage sans
notoriété politique, l'abbé de Saint-Jean de Laon,
familier du cardinal de Lorraine, et l'expédia à
Orléans avant même le retour de Jean de Morvillier1.
Il revint à Paris le 3 mai et n'apporta à la reine de la
part du prince que de vagues protestations pacifiques2.
Rien n'était modifié dans la situation des belligé-
rants, mais les conseils de Jean de Morvillier et de
Claude de l'Aubespine portaient des fruits. La dame
de Roye et le cardinal de Chastillon s'employaient
activement en faveur de la paix. Le bruit courut
que le cardinal de Bourbon et le prince de la
Roche - sur - Yon étaient partis secrètement pour
Orléans3. La reine répondit au prince de Condé sur
un ton de conciliation4. Le môme jour, le roi publia
une déclaration favorable à l'exécution de l'édit de
janvier5. Les dispositions du prince lui-même présa-
1. La Popelinière, t. I, !'. 305 v°.
2. Mémoires de Condé, i. 111, p. 3S7 . Lu lettre du prince est
accompagnée d'un mémoire qui se trouve dans le même recueil,
p. 384, 'M dans La Popelinière, i. [, f. 306.
3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 101.
i. La lettre, datée du i mai, est imprimée dans les Mémoires
tir Condé, i. III, p. W'.ï. — Le roiécrivil aussi au prince. Sa lettre
esl dans La Popelinière, t. 1, f. 307 v°.
5. Le frère de Laval, Hist. des troubles, t. I. f. 153 v°.
ET JEANNE D'ALBRET. 183
geaientune détente. Il adressa à la reine un mémoire
raisonné, qui s'élevait au-dessus des entraînements de
ses partisans1. Pour la seconde fois la paix semblait
probable, quand les bas sectaires du parti huguenot
engagèrent la lutte en province par un crime odieux,
qui imposa silence aux négociateurs. Le duc de Guise,
comme gouverneur du Dauphiné, avait pour lieute-
nant Biaise de Pardaillan, seigneur de la Mothe-Gon-
drin, capitaine gascon, qui s'était illustré dans les
guerres d'Italie. A la nouvelle de la prise d'Orléans, la
Mothe-Gondrin leva deux enseignes de gens de pied et
se mit en campagne, serré de près par François de
Beaumont, baron des Adrets. Le roi de Navarre comp-
tait faire, de l'armée de la Mothe-Gondrin, le pivot de
ses opérations militaires dans l'Est2. Le 25 avril, la
Mothe-Gondrin s'était rendu à Valence pour veiller
aux élections consulaires de la ville. Il y fut reçu avec
méfiance. Quelques jours auparavant, dit de Thou, des
coureurs huguenots avaient intercepté des lettres du
duc de Guise, qui contenaient des ordres sangui-
naires3. Le bruit courut que la Mothe-Gondrin venait
les mettre à exécution. Le 26, les réformés prirent les
armes et engagèrent la lutte dans l'intérieur de la ville.
La compagnie de la Mothe-Gondrin fut bientôt débordée .
1. Ce mémoire, daté du 2 mai, avant que l'on connût à la cour
les événements du 27 avril, est imprimé par La Popelinière (t. I,
p. 306) et dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 384.
2. Lettre du roi de Navarre au s. de la Mothe-Gondrin, du
28 avril; Copie du temps; Arch. de Lyon, AA. 2i, n° 125. —
Voyez aussi la lettre de la reine de même date [Lettres de Cathe-
rine de Médicis, t. [, p. 299).
3. Cette lettre, écrite au lendemain du massacre de Vassy, esl
publiée par de Bèze (1881, t. II, y. 402).
184 ANTOINE DE BOURBON
Dans la nuit du 26 au 27 avril, le baron des Adrets parut
sous les murs à la tête d'une armée de 8,000 hommes,
s'empara d'une des portes, livra bataille aux troupes
catholiques et les mit en déroute. La Mothe-Gondrin
battit en retraite dans son logis et y fut bientôt forcé.
D'après les uns, il capitula sur la parole du baron des
Adrets ; d'après les autres, il fut pris les armes à la
main. Un gentilhomme, nommé Jean de Vise deMont-
joux, se précipita sur lui le poignard à la main et le
frappa dans l'aîne au défout de la cuirasse. Le cadavre
du lieutenant du roi, traîné dans les rues aux accla-
mations de la plus vile multitude, fut pendu aux
fenêtres de la maison de Gaspard de Saillans, où la
victime avait perdu la vie1. La Mothe-Gondrin avait
longtemps servi en Italie et dans le Nord sous les
ordres du connétable et du maréchal de Saint-André ;
il était le compagnon d'armes de presque tous les capi-
taines de l'armée catholique. Sa mort était une menace
personnelle à l'adresse de tous les gens de guerre
fidèles au roi. La nouvelle arriva à la cour le 3 mai2.
Le lendemain, 4 mai, le triumvirat lança, en réponse
au manifeste du prince de Condé, une requête reten-
tissante, qui demandait au roi, sur un ton impérieux,
« de n'approuver, ne souffrir en son royaume aucune
« diversité de religion3. » Dans une seconde déclara-
1. De Thou, i. III, p. 218 h suiv. — Histoire ecclésiastique,
i. Il, p. iO'i. — Mémoires de Condé, t. III. p. 444. —Le baron des
Adrets écrivil à la reine, pour se disculper du meurtre, une lettre
qui lui imprimée en 1562 e1 qui se retrouve dans les Mémoiresde
Cm,!,, I. III, p. 348.
I. Lettre du roi de Navarre à Laurenl de Maugiron, «lu i mai
(Copie du temps; Arch. de Lyon, A.A. 24, n* lv*6).
.:. i lette pièce importante a été plusieurs fois imprimée, notam-
ET JEANNE D'ALBRET. 185
tion du même jour, les triumvirs offraient de se reti-
rer à la condition que le prince de Condé mettrait
bas les armes4. Les deux pièces furent immédiatement
publiées, lues en chaire, placardées dans les carrefours
de Paris aux applaudissements de la multitude, adres-
sées à toutes les villes, aux officiers du roi et aux sou-
verains étrangers.
Cette démonstration rompit les pourparlers. L'abbé
de Saint-Jean revint le 5 mai à Orléans et ne put dissi-
muler l'ardeur vindicative des triumvirs. Goligny écrivit,
le 6 mai, à son oncle le connétable, avec lequel il était
en hostilité depuis longtemps. Après lui avoir reproché
de se laisser traîner à la remorque de ses ennemis
et de travailler à la ruine de sa propre maison :
« Toute la compaignie qui est icy, dit-il, n'est pas déli-
ai bérée de se laisser prendre au piège, et tout ainsy
« que l'on ne veult point donner la loy à ceulx de
« l'église romaine, aussy ne veult l'on point recevoir
« la loy d'eulx2. » Le prince de Condé répondit
au roi de Navarre que la requête du triumvirat
l'avait « tellement diverty de ma première délibéra-
it tion, dit-il, qu'il ne m'a esté possible me résouldre
« à faire responce à ce que leurs Majestés et vous
ment par La Popelinière (t. I, t'. 306) et dans les Mémoires de
Condé, t. III, p. 388. L'original, signé de François de Lorraine,
de Montmorency et de Saint-André, est conservé dans le f. fr.,
vol. 6611, f. 2?/
1 . dette seconde requête est imprimée dans les Mémoires de
Condé, 1. III. p. 392. L'original, signé des triumvirs, est conservé
le f. fr., vol. 6609, f. 52.
2. La lettre de Goligny ;i été publiée par Le Laboureur dans
les Mémoires de Castelnau (t. I, p. 7.">7i et dans les Mémoires de
Condé (t. III, p. '1 il 1. L'original est conservé dans les Ve de Gol-
bert, vol. 21, pièce 11!.
180 ANTOINE DE BOURBON
« m'avez mandé 4 . » L'abbé de Saint-Jean porta cette
lettre, le 9 mai, à Paris et repartit le lendemain2 avec
un billet de la reine, qui informait Gondé que le roi
ne permettrait pas au triumvirat de quitter la cour3.
L'amiral signifia au nom de son parti que la prétention
des triumvirs de supprimer le protestantisme en
France équivalait à une déclaration de guerre à mort*.
L'évèque de Valence, qui se tenait de sa personne à
Orléans, afin de faire mouvoir les intrigues dont il avait
le secret, écrivit à la reine que les chefs huguenots
étaient devenus intraitables, que « tout le mal procé-
« doit d'un double de requête qu'on disoit avoir été
« présentée par MM. de Guise, connétable et maréchal
« de Saint-André, » et demanda à la reine de mettre
fin à sa mission5. L'abbé de Saint-Jean revint le 12 à
Paris et rapporta à la cour de nouvelles récriminations
contre le triumvirat, qui rajeunissaient l'ancienne fable
de la captivité du roi6.
Cette calomnie, popularisée par le parti huguenot,
faisait le tour du royaume. La délivrance du roi
était le mot d'ordre des rebelles. Le bruit s'était
répandu que les triumvirs avaient séparé le roi de sa
mère et l'avaient enfermé dans une chambre, où il
1. Original, daté du S mai 1562; i". fr., vol. 6607, f. 20.
2. Journal de 1502 dans la Revue rétrospective, i. V, p. 103.
3. La lettre «le la reine, datée du 9, est dans Lettres de Cathe-
rine de Màlicis, l. I, p. oO'.l.
i. Cette lettre esl publiée par le e.nnue Delabonle, Goligny,
t. Il, i». 102.
f,. Original, daté du 11 mai 1562; f. fr., vol. 0007, f. 23.
0. Journal de 1.">02 dans la Revue rétrospective, [. V, p. 104. —
Lettre du prince de Gondé à la reine, du H mai 1562. Cette lettre
appartenait à. M. Ratherj el figure sur le catalogue de vente de
ses autographes sous le u" 778.
ET JEANNE D'ALBRET. 187
pleurait sans cesse, « disant qu'il voulait être sous la
« tutelle de sa mère et non d'aucune autre personne1 . »
On conseilla à Catherine de conduire le roi hors de
Paris, afin de prouver à tous, amis et ennemis, que la
famille royale n'était pas retenue sous les verrous du
triumvirat2. Le 12 mai, la cour se rendit à Meudon et
prit part à une fête offerte par le cardinal de Lor-
raine3. Le 13, la reine partit pour Monceaux-en-Brie
avec les cardinaux de Bourbon et de Ferrare, le prince
de la Roche-sur-Yon, tous les Lorrains, le connétable,
le maréchal de Saint-André et le chancelier4. Mon-
ceaux était une habitation de plaisance, que la reine
aimait à cause de ses jardins. Les princes et les sei-
gneurs s'y établirent difficilement, les uns dans le châ-
teau, les autres dans des maisons particulières. Mais
la crainte de laisser la reine à ses anciennes inspira-
tions rendait les triumvirs peu exigeants sur le choix
du logis5. Le roi de Navarre, le connétable et les Guises
furent bientôt rappelés à Paris par les soins de leurs
armements6. Le 18, le roi de Navarre, informé par le
secrétaire Bourdin que la reine était malade « d'un flux
« de ventre qui lui donne un mauvais goust à la bou-
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 6 avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 21).
2. Lettre de Chantonay, du 19 et du 28 mai, à Philippe II,
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, nos 33 et 36). — Lettre du
même dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 41. — Négoc. du card.
de Ferrare, p. 198.
3. Journal de 1562 dans la lierue rétrospective, t. V, p. !04.
4. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 104. —
Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 99.
5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 19 mai L562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. '1497, n° 33).
I). Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 106.
188 ANTOINE DE BOURBON
« che1, » revint en poste à Monceaux2. La reine était
déjà rétablie et avait écrit au connétable que « les enfans
« et la mère faisaient très bonne chère3. » Le 20 mai, le
prince repartit pour Paris, où régnait une agitation
dangereuse. L'absence du roi et de la reine mère était
une cause de terreur pour la ville*. Catherine s'ex-
cusa au parlement d'avoir emmené le roi à Monceaux,
« parce qu'il estoit nécessaire de luy faire changer d'air
« pour le bien de sa santé et afin aussy de donner à
« connoître à chacun, dit-elle, que nous ne sommes
« point prisonniers comme aucuns l'ont voulu dire5. »
La reine espérait que les huguenots diminueraient
leurs exigences en apprenant qu'elle n'était plus sous la
pression du duc de Guise. Elle se flattait d'exercer de
Faction sur le prince de Gondé et le prince lui-
même n'épargnait ni égards ni serments pour entre-
tenir cette illusion. Quelques jours auparavant,
elle l'avait prié de sauver du pillage les haras de
Meung-sur-Loire, où le roi, depuis le règne de Henri II,
entretenait une écurie de chevaux de prix. Condé
lui répondit le 11 mai : « Tant s'en fault, Madame,
« que , non - seulement en cella mais en moindre
« chose, je voulsisse souffrir qu'il fust en rien entre-
« prins, il n'y aura personne en ma trouppe qui
t. Lettre de Bourdin au roi de Navarre, du 17 mai 1562 (Orig.,
f. fr., vol. 15876, f. 63).
2. Lettre de Ghantonay, du 19 mai, dans les Mém ' 'es de Condé,
t. 11, i». il.
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 317.
'i. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, i. V, p. 106. —
Anvt du 21 mai [Mémoires de Gondé} t. 111. p. i49 el 150). —
Lettre de Ghantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 43.
5. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, p. 321.
ET JEANNE d'aLBRET. 189
« contreviegne à voz commandements1. » Convaincue
de son influence, la reine reprit les négociations en
son nom personnel. Villars et Vieilleville, deux capi-
taines du plus haut rang, furent députés à Orléans avec
des propositions nouvelles2 : les triumvirs quitteraient
la cour sans attendre le licenciement de l'armée hugue-
note; les forces du roi resteraient entre les mains du
roi de Navarre, qui ne pouvait être suspect aux com-
pagnons d'armes du prince de Condé3. L'armée pro-
testante accueillit les deux ambassadeurs par des
railleries. Le s. de la Mothe, capitaine des aven-
turiers, écrit à un de ses coreligionnaires : « Hier
« sont arrivés le comte de Villars et de Vieilleville
« pour une paix fourrée, c'est que les s. du
« triumvirat partiront de la cour, mais les forces
« demeureront entre les mains du roi de Navarre. Par
« ainsi, nos forces dissipées, nos ennemis reviendront
« incontinent et puis grand chère de nos têtes. Mais,
« Dieu merci, ils ont affaire à des entendeurs4. » Condé
répondit officiellement qu'il ne déposerait les armes
que si les églises jouissaient de toute liberté5, et les
1. F. fr., vol. GG07, f. 21. Malgré ces protestations, le prince
de Condé s'empara du haras de Meung et y prit vingt-deux
étalons qui servirent à monter ses capitaines (Brantôme, t. IX,
p. 348).
2. Lettre de la reine au parlement, du 21 mai Mcmoùrs de
Condé, t. III, p. U'.'i. — Lettre de la même au roi de Navarre
{Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 314).
3. L'instruction confiée à Villars et à Vieilleville a échappé
aux recherches de Secousse. Elle est conservée dans la coll.
Brienne, vol. 205, f. 459.
4. Lettre du capitaine La Mothe, du 21 mai (Copie du temps;
1. fr., vol. 10190, f. 173).
5. Lettre de Condé à la reine, du ?"2 mai 1562 (Copie du temps;
190 ANTOINE DE BOURBON
deux négociateurs s'en retournèrent le 26 mai à Paris
avec cet ultimatum1. Les seigneurs, réunis à Orléans
sous le commandement du prince, confirmèrent par
un acte collectif la déclaration de leur chef2. Le
cardinal de Chastillon écrivit à la reine qu'il n'avait
pu tempérer leurs exigences3. Chaque parti offrait
de poser les armes, mais nul ne se souciait de
donner l'exemple dans la crainte d'être accablé par
l'ennemi. Peut-être étaient-ils également fondés dans
leurs soupçons. Tout se préparait à la guerre, dit de
Bèze, mais « on ne laissoit de plaider par escrit, fust
« qu'une partie taschat d'endormir l'autre, fust que
« quelques-uns taschassent à la vérité de pacifier ces
« troubles par quelque bon et doux moyen4. »
Pendant que la reine était à Monceaux, le prince
de Gondé avait répondu le 1 9 mai à la requête du
triumvirat. Son manifeste, plus développé que les pré-
cédents, n'est pas seulement un réquisitoire contre les
actes du parti catholique ; il anathématise la direction
donnée à l'éducation du roi, l'usurpation des triumvirs,
la bassesse des Guises devant le nonce et l'ambassadeur
d'Espagne, leurs violences à Paris, la trahison dont ils
s'étaient rendus coupables au profit de Philippe II vis-
coll. Brienne, vol. ".'05, f. 494). Cette lettre est une répétition des
précédentes. — Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé,
t. I, p. 86. — Lettre de Tornabuoni (Ncgoc. île la France avec la
Toscane, t. III, p. 'iTTL
1. Journal de I.M1;' dans la Revue rétrospective, t. V, p. 108.
2. La réponse de la noblesse est dans les Mémoires de Gondé,
i m, p. ï;,s.
3. heure datée du 22 mai (Delaborde, Coïigny, t. II, p. 574).
4. Histoire ecclésiastique, loc. cit.
ET JEANNE d'aLBRET. 191
à-vis du roi de Navarre1. Ce factum ne paraît rédigé
ni par de Bèze ni par les secrétaires ordinaires du
prince de Gondé. On pressent un rédacteur plus habi-
tué aux secrets de la haute politique et mieux informé
de la mystérieuse ambition de la maison de Guise. Le
cardinal de Ferrare dit que le manifeste fut attribué à
l'évêque de Valence 2, et cette attribution a d'autant plus
de fondement que l'évêque était en ce moment même à
Orléans3. Le prince adressa sa déclaration au parlement
de Paris, qui refusa de la recevoir et la renvoya au roi.
Il l'adressa aussi à la reine en la suppliant « de la faire
« attentivement lire devant elle4. »
La réponse du prince de Condé à la requête du
triumvirat fut reçue comme une déclaration de guerre.
« Il ne fut plus question, dit de Bèze, de débattre par
« écrit, mais fut résolu de sortir de Paris et de faire la
« guerre5. » L'ardeur belliqueuse des religionnaires,
entretenue par les nouvelles qui arrivaient coup sur
coup à Orléans, poussait Condé à prendre une revanche
éclatante des massacres de Vassy et de Sens. Son pre-
mier exploit fut de piller les églises d'Orléans. Les
1. Cette pièce est imprimée dans les Mémoires de Condé, t. III,
p. 395.
2. Lettre du 20 mai; Négoc. du card. de Ferrare, p. 197.
3. L'évêque de Valence était encore à Orléans le 21 mai (Lettres
de ce personnage aux consuls de Valence et à l'abbé de Malloc ;
Copies du temps; f. fr., vol. 10190, f. 163).
4. Lettre de Condé au Parlement [Mémoires de Condé, t. III,
p. 417). — Arrêt du Parlement (Ibid., p. 446). L'arrêt du Parle-
ment porte la date du 14 mai par erreur. — Autre arrêt du Par-
lement du 26 mai (Ibid., p. 418). — Procès-verbal de Jean du
Tillet (Ibid., p. 446). — Lettre de Condé à la reine (Ibid., p. 416).
5. Histoire ecclésiastique, 1840, t. II, p. 46.
192 ANTOINE DE BOURBON
restes de saint Agnan, premier évêque de la ville au
Ve siècle, les reliques des églises, le cœur de Fran-
çois II, enseveli dans le chœur de la cathédrale Sainte-
Croix, furent brûlés et jetés au vent ; les châsses des
saints , les vases précieux , les ornements d'or et
d'argent fondus au profit de l'armée. Les églises
des environs n'échappèrent pas aux fanatiques.
L'oratoire de Notre-Dame de Cléry, célèbre par
la dévotion de Louis XI, la chapelle sépulcrale des
seigneurs de Longueville , descendants du grand
Dunois, furent saccagés de fond en comble ; le mau-
solée de Louis XI détruit, les tombeaux violés, les
monuments brûlés ' . Théodore de Bèze raconte ces
crimes en termes pleins d'indulgence. « Le 21 avril,
« quelques églises se trouvèrent avoir esté ouvertes la
« nuit et quelques images abbattues, et de là en avant
« il n'y eust ordre de pouvoir empescher qu'en moins
« de rien il ne s'en fit une merveilleuse exécution,
« combien que le prince, avec l'admirai et autres de
« leur suite, accourans au grand temple Sainte-Croix,
« y donnassent coups de baston et d'espée2. »
Le pillage d'Orléans fut un signal pour les hugue-
nots de France. Dans les villes du royaume, partout où
1. Sur le pillage des églises d'Orléans voyez l'ouvrage de
Claude de Sainctes, Discours sur le saccagement des églises catho-
liques, l."ili;\ peut iu-S°, réimprimé en partie dans les Archives
curieuses, i. IV, p. 359. C'est, un livre très passionné, mais auquel
le nom de l'auteur donne du crédit. — Voyez aussi le récil de
['Histoire françoise de noslrc temps, attribuée à Piguerre, in-fol.,
1581, t. 1, f. 106. — Voyez au>si les Mémoires de Claude Haton,
i. 1, p. 250. — En racontanl ces pillages, Tornabuoni ne peut,
dissimuler son horreur (Lettre du 6 juillet 1562; Nègoc. de lu
France avec la Toscane, t. III, p. i88).
;!. Histoire ecclésiastique, 1881, I t, p. 506.
ET JEANNE d'aLBRET. 193
ils se sentaient les plus forts, à Caen, au Mans, à Rouen,
ils se ruaient sur les églises et sur les monastères, sur
les autels et sur les tombeaux avec une rage qui
excuse les représailles de leurs ennemis. La plupart des
historiens huguenots justifient ces actes de barbarie ou
les passent sous silence. Cependant les chefs en rougis-
saient1. Calvin accuse ses propres ministres de com-
plicité2. « Encore n'étoit-ce pas assez si on eust couru
« les champs pour lever butin et pillage des vaches et
« autre bestial Insolence dont ceux qui se vantent
« d'estre ministres de la parole de Dieu n'ont point eu
« honte de se mêler. Maintenant ces vieilles plaies
« nous ont été rafraîchies quand nous avons ouï que
« les rapines que l'on avoit tirées de Saint-Jean ont
« été exposées en vente au dernier offrant et despé-
« chées pour 1 1 % écus, mesme qu'on a promis aux
« soudarts de leur en distribuer à chacun sa por-
« tion3. » Ni prince, ni seigneur, ni capitaine, ni
ministre n'avait le courage de s'opposer aux vio-
lences des bas sectaires du parti. Le 23 mai, Condé
et Coligny commandent au baron des Adrets de
tempérer par humanité les rigueurs de la guerre
civile4. Deux jours après, le %'ô mai, le prince de
1 . Voir la lettre de de Bèze àla reiae de Navarre, du 1? mai 1562
[Mémoires de Condé, t. II, p. 359). Cette lettre est datée de 1561,
mais ne peut être que de 1562.
2. La ville d'Orléans était le refuge de tous les ministres fugi-
tifs. Le 25 avril eut lieu le troisième synode national sous la pré-
sidence de Antoine de Ghandieu (Haag, La France prolestante,
t. X, p. 58).
3. Lettres de Calvin, ledit. Bonnet, t. II, p. 467.
4. Ces deux lettres sont publiées par le comte Delaborde [Coli-
gny, t. II, p. 112 et 113).
IV 13
194 ANTOINE DE BOURBON
Gondé donne officiellement commission à La Roche-
foucault, Gcnlis et autres capitaines de saisir les lingots
d'or et d'argent qui provenaient des châsses de Saint-
Martin de Tours et des autres églises de la ville1.
Quatre jours après, un des lieutenants de Gondé, usur-
pateur du gouvernement de Ghinon, le s. de Graon,
s'empare au même titre du trésor de l'église2. La
profanation des tabernacles devient le mot d'ordre des
capitaines huguenots. Les vases sacrés étaient saisis et
les reliques jetées à la voirie. « Quant aux reliques,
« écrit le capitaine La Mothe, nous en avons fait de
« beaux écus au soleil. Je crois qu'il y aura plus de
« quatre ou de cinq cens mille francs3. »
Les évèques, les prêtres, les moines, qui refusaient
d'abjurer, tombaient sous les coups des factieux quand
ils n'avaient pu trouver leur salut dans la fuite. A
Orléans, dit de Bèze, le lendemain de l'arrivée de
l'armée huguenote, malgré les promesses du prince de
ne pas troubler leurs offices, la plupart des prêtres
sortirent de la ville4. Les autres furent victimes de
leur confiance. Claude llaton raconte avec d'horribles
détails le supplice du curé de Saint-Paterne. Le
1. Commission du prince do Gondé, du 25 mai (Gervaise, Vie
de saint Mari in, 1699, p. 415). — Voyez surtout le Procès-verbal
du pillage de Saint-Martin, in-8°, 181)3, publié pur M. Grandmai-
son. De Bèze énumère une partie de ces reliques (Hist. ccclés.,
1881, t. II, p. 129).
2. Ordre du s. de Graon daté du 29 mai [Mémoires de Gondé,
i. m, p. 47i).
;!. Lettre du cap. La Motte au s. Holbrac (Copie du temps;
f. fr., vol. 10190, l. 173).— Une lettre évalue à plus de 300,000 écus
li' butin ramassé dans les églises (Lettre anonyme sans date;
copie du temps; I'. fr., vol. 20153, t. 95).
•'i. Histoire ecclésiastique, 1881, t. 1, p. 506.
ET JEANNE d'aLBRET. 195
malheureux était resté caehé dans la ville et y célébrait
secrètement la messe. Arrêté et livré aux soldats, il
fut pendu comme séditieux en présence du prince de
Condé et de Goligny1. Plusieurs autres prêtres furent
« tués par pandaison, coups de hallebardes, laissés
« mourir de faim, sciés et fendus avec des cordes,
« brûlés à petits feux2. »
Les prélats du plus haut rang n'échappaient que
par le nombre de leurs gardes au supplice des
pauvres prêtres. Le roi de Navarre avait mandé à la
cour le cardinal Georges d'Armagnac3. Le cardinal
n'osa se mettre en route qu'après avoir réuni une
nombreuse compagnie. A chaque ville, presque à
chaque étape, capitaines, gens d'armes et de pied
s'ajoutaient à sa suite. Lorsqu'il approcha de Paris,
son cortège ressemblait à une armée. Partout il trou-
vait les villages sous les armes. « Arrivant à Villeneuve-
ce Saint-Georges, fut sonné le tocsin, pensant que son
« train fut une troupe de huguenots, ce qui lui fut fait
« en plusieurs villages. Et estoit contraint d'envoyer
« un homme au-devant pour dire et déclarer qui il
\. Goligny, sur un ton dégagé, écrit à d'Andelot le 3 août :
« Le curé de Saint-Paterne a esté trouvé caché dans ceste ville,
« faisant des pratiquer, quia esté pendu eu la place du Martroy. »
(Kervyn de Lettenhove, Documents inédits relatifs à l'histoire du
XVI6 siècle, p. 9, in-8°, 1883.)
2. Mémoires dr Claude Haton, t. I, p. 250 et suiv. — Claude de
Sainctes, Discours sur le saccagement des églises catholiques dans
les Archives curieuses, t. IV, p. 359. — Théâtre des cruautés des
hérétiques dans le même recueil, t. VI, p. 299. — Ces récits con-
tiennent des détails invraisemblables, mais sont dignes de créance
pour le fond.
3. Le cardinal d'Armagnac était à Villefranche de Rouergue
avec Burie et Monluc (Commentaires de Monluc, t. 11, p. 381).
196 ANTOINE DE BOURBON
« estoit. Mais pourtant il ne pouvoit faire que les
« villages ne s'assemblassent pour voir et connoître
« qui il estoit ' . »
L'évêque de Poitiers, Charles d'Escars, un des favo-
ris du roi de Navarre, courut plus de dangers.
Il fut arrêté par la compagnie du s. de Mouy, conduit
à Orléans et jeté en prison. « J'oubliois à vous mander,
« écrit Antoine à la reine, que ceulx d'Orléans ont prins
« l'évesque de Poitiers, frère de M. d'Escars, comme il
« me venoit trouver, qui est une terrible façon de faire.
« Je vous supplie très humblement, Madame, leur en
« vouloir escripre, comme je fais, de ma part, à ce
« qu'ils ayent à le laisser aller2... » On agitait, dans le
parti huguenot, de supplicier cet évêque inoffensif
ou au moins de le retenir jusqu'à la paix, quand on
observa que les enfants du prince de Condé étaient
sans défense en Picardie. « Quant aux ecclésiastiques,
« écrit La Mothe, on ne peut faire ce que mandés seu-
« lement pour un inconvénient merveilleux, qui est
« que les enfans de Monseigneur, excepté l'aisné, sont
« tous à Muret, et que l'on les peut prendre et mal-
« traiter. Sans cela, M. de Mouy, qui avoit pris l'évêque
« de Poictiers, frère d'Escars, ne l'eust laissé aller3. »
La nouvelle des armements du prince de Condé
arrivait chaque jour à la cour, amplifiée par la
crainte générale et par les amis du prince. Il ne res-
tait au parti catholique qu'à opposer les armes aux
armes. Dans les rangs des jeunes courtisans, la guerre
1. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 107.
V. Minute originale de mai 1562 (F. fr., vol. 15876, f. 60).
3. Lettre du s. La Motte, capitaine d'aventuriers, au s. Hol-
brac, du 21 mai 1562 (Copie du temps; t. IV., vol. 10190, f. 173).
ET JEANNE d'aLBRET. 197
civile prenait chaque jour plus de faveur. « On ne parle
« plus que de guerre, écrit Etienne Pasquier le 6 avril,
« chacun fourbit son harnois. Le chancelier s'en con-
« triste. Tous les autres y prennent plaisir. Dulce bel-
ce lum inexpertis1. »
Le génie d'organisation du duc de Guise était aussi
bien à la hauteur de sa tâche que celui de Coligny.
Dès les premiers jours du règne de Charles IX,
il avait prévu que l'épouvantable drame, noué
par les « muguets » de la cour en chantant les
psaumes de Alarot, aboutirait à une conflagration
générale. Les réformés étaient mieux préparés, mais
les catholiques étaient plus nombreux2. Le % avril,
par ordre du roi, au premier bruit de la marche de
Condé sur Orléans, la ville de Chartres fut avertie de
se tenir en défense3. Le 11, le roi de Navarre et
les triumvirs visitèrent les abords de Paris et firent
élever des tranchées sur le chemin d'Orléans4. Le
duc de Guise réunit une nombreuse artillerie. Vingt
pièces arrivèrent de Compiègne 5. Il leva aux environs
de la ville « force terraillons » pour les traîner6.
Le %%, le roi, suivi de la cour, soupa à l'arsenal,
visita ses canons et les fit tirer. « M. de Ronsard et
1. Lettres d'Etienne Pasquier dans les OEuvrcs complètes, t. II,
col. 96, lettre XV.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 22).
3. Merlet, Lettres des rois de France, p. 50. Cette lettre est mar-
quée comme étant du 11, mais (die ne peut être que du 2 avril,
car elle est datée de Melun.
4. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 95.
5. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 28 avril 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 26).
6. Journal de 1562 dans la Ikv ue rétrospective, t. V, p. 99.
198 ANTOINE DE BOURBON
« moy, dit un chroniqueur anonyme, pensasmes y
« perdre les oreilles1. » Le connétable porta à
300 hommes les quinze compagnies de gens de pied
chargés de la garde de Paris et les organisa pour entrer
en campagne2. Le 27 avril, il présida, au Pré-aux-
Clercs, sur les bords de la Seine, une montre de douze
enseignes de gens de pied. La foule se pressait sur
les pas des chefs catholiques et les accompagnait de
ses acclamations. Pendant la durée de la montre, le
peuple curieux fut témoin d'un spectacle qui dut
refroidir son enthousiasme. La Seine charriait des
cadavres ; « et estoient ceux que les papistes avoient
« tués et jetés dans la rivière à Sens en Bourgogne3. »
Le trésor du roi était vide, malgré les emprunts
volontaires et forcés que les officiers de finances men-
diaient à toutes les portes. Le cardinal de Ferrare cite
un exemple curieux de cette détresse, il eut l'impru-
dence de dire à la cour qu'il désirait envoyer une
somme de deux mille écus à Fabricio Serbelloni, neveu
du pape, à Avignon. Aussitôt la reine et le duc de
Guise le supplièrent de confier cette somme au s. de
Suse, que le triumvirat envoyait en Dauphiné. En vain
le cardinal, prévoyant que l'argent n'arriverait pas à
son adresse, résista aux instances. Il fut obligé de
l'émettre la moitié de cette somme et signa une lettre
\ . Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 99. —
Malgré nos recherches, nous n'avons pu percer l'anonyme de ce
chroniqueur. La phrase citée ci-dessus es1 la se:1" qui puisse
aidera découvrir sa personnalité. G'étail probablement un des
hommes de letl res qui suivaienl la cour.
2. Lettre de Chantônay à Philippe II, du s avril 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. nal ., K. I i'.»7, n° 21 1.
3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 100.
ET JEANNE DALBRET. 199
de change pour l'autre moitié1. Le connétable, chargé
de demander au nonce un don de deux cent mille
écus, fit valoir que la cour romaine était aussi inté-
ressée que le roi d'Espagne au triomphe des catho-
liques. Le cardinal de Sain te -Croix reçut froidement
la requête. Mais le connétable et la reine pressèrent
tellement le nonce qu'il promit, au nom du pape,
« tout le secours qu'il luy seroit possible2. » En
attendant, Pie IV adressa à la reine mère, au conné-
table et au duc de Guise plusieurs lettres d'encou-
ragement3. Plus tard, il envoya par lettre de
change 100 mille écus en pur don et prêta les
1 00 mille autres, à la condition que le roi rétablirait
la religion catholique, punirait les hérétiques et
chasserait le chancelier de la cour. Cette dernière
clause déplut à la reine. Elle écrivit au pape que, « s'il
« aimait véritablement le roi, il ne devait pas impo-
« ser de telles exigences. » Cependant, elle accepta
les 200 mille écus4. Le duc de Savoie, poussé par sa
femme, Marguerite de France, et par le désir de plaire
à la reine, promit 10,000 Italiens qu'il se réservait
d'employer en Provence au mieux de ses intérêts5.
1. Nègoc. du card. de Ferrare, p. 128 et 201.
2. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 86. — Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 100.
— Querelle entre le roi de Navarre et le connétable au sujet de
cet emprunt [Négoc. du card. de Ferrare, p. 223). — Journal de
Bruslard dans les Mémoires de Condè, t. I, p. 84.
3. Annal. Rainaldi, t. XXI, ann. 1562, nos 142, 143 et 156.
4. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 30 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1198, n° 6). — Lettre anonyme ans
date (lin juin) (f. fr., vol. 20153, f. 95).
5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective , t. V, p. 100. —
Négoc. du card. de Ferrare, p. 14!). — Le duc de Savoie fut assez
200 ANTOINE DE BOURBON
Le duc de Guise n'avait pas attendu l'échec des
négociations pour rechercher des alliances. A la fin de
mars, au commencement d'avril, il avait demandé au
duc de Wurtemberg l'exécution des promesses scel-
lées à Saverne. Mais le prince allemand était fort
refroidi depuis la catastrophe de Vassy. Il écrivit au
duc de Guise de permettre aux pauvres fidèles et
chrétiens « le prêche et ouïe de la parole de Dieu, et
« de ne souffrir qu'ils soient doresnavant, comme
« jusques à présent, mis en proie et pillage d'un cha-
« cun1. » Le duc lui répond, le 10 avril, de ne pas
« ] (rendre offence » des nouvelles de Vassy : « Vous
« jugerez, s'il vous plest, et tous princes vertueux et
« bien nez, que d'offendre il est blâmé et permis de se
« défendre, mesmement uzant de toutes les pas-
« siences que l'on peut2. » Le 15 avril, le duc de
Wurtemberg adresse à la reine et au roi de Navarre
de longs sermons en style biblique, où les éloges des
« pauvres chrestiens confesseurs de la foy » se
mêlent à des anathèmes contre « l'abominable idolà-
« trie papistique3. » La correspondance se prolonge
sur le même ton pendant plus d'une année. Le duc
habile pour obtenir dos lettres patentes par lesquelles le roi
l'autorisait à prendre les villes de Lyon, Valence el autres sur
le Rhône, afin de les enlever aux rebelles (Orig. sur parchemin
sans date; A.utog. de Saint-Pétersbourg, vol. 34, ;', !'. Î0).
1. Mémoires-journauâ du duc de Guise, p. 193. — Lettre de
Mundt, du 7 avril (Calend/ns, \~>\Y1, p. 591).
2. Bulletin de la Sociétt de l'histoire du Protestantisme français,
i. XXIV, p. 501.
3. Bulletin de la Société de l'histoire du Protestantisme français,
t. \\IY, p. 304 el 507. — Voyez aussi la lettre de Frédéric de
Bavière, du 11 avril [Lettres de Frédéric le Pieux, 1868, Munich,
t. I,p. 277).
ET JEANNE D'ALBRET. 201
de Guise se plaint des « obstinations de quelques-
« uns qui, à la poursuite de leur dessein, se sont tou-
« jours voulu servir de manteau de religion, combien
« qu'ils en soient totalement si esloignés qu'il ne
« se connoit en eux chose qui en approche1. » Le
roi de Navarre jure au prince allemand, le 20 mai,
sans plus de profit, qu'il n'est pas moins dévoué
que lui « à la conservation de la religion. » Le
duc de Wurtemberg répond par des apologies de la
réforme ; il compare les séditieux aux martyrs des
premiers siècles et refuse de concéder que les auteurs
de la surprise d'Orléans soient coupables de rébel-
lion2.
Il était dans la destinée des deux partis d'avoir des
chefs réels autres que leurs chefs nominaux. Les
catholiques et les huguenots avaient mis à leur tète,
les uns le roi de Navarre, les autres le prince de
Gondé, et ils obéissaient en réalité au duc de Guise et
à l'amiral Coligny. Etienne Pasquier, témoin sceptique,
mais clairvoyant, constate que le roi de Navarre est
par son sang le premier des catholiques. « Toutefois,
« dit-il, monsieur de Guise a la plus grande part au
« gâteau3. » Un jour, les échevins de Paris vinrent
demander du secours au lieutenant général. « En par-
« lant à luy, ils ne se pouvoient tenir d'adresser leurs
« propos à M. de Guise, qui estoit joignant le roi de
« Navarre. Quoy voyant, M. de Guise leur disoit modes-
1. Lettre du duc de Guise au duc de Wurtemberg, du 22 mai 1 562
[Mémoires-journaux de Guise, publiés par M. Ghampollion dans la
collection Michaud et Puujouku, p. 491).
2. Mémoires de Gondé, t. III, p. 372, 284, 286, 148, 151, 452.
3. Lettre du 6 avril dans les OEuvres complètes, I . II, col. 97 el 98.
202 ANTOINE DE BOURBON
« tement que ce estoit au roy de Navarre et non à luy
« que se falloit adresser. Sur quoy le roy de Navarre
« répondit à tous qu'eux d'eux n'estoient qu'un, et qui
« parloit à l'un parloit bien à l'autre1. »
Le duc de Guise, par un calcul habile, s'effaçait
devant le roi de Navarre et lui laissait les privilèges
honorillques du commandement, comme la signature
des ordres envoyés aux gouverneurs de province et
les correspondances diplomatiques. Ainsi, le 4 et le
15 avril, le prince recommande au seigneur d'IIu-
mières, gouverneur de Péronne2, de faire bonne
garde et d'aider les armées royales. Le 21 juin, il
adresse au cardinal de Lorraine l'ordre de procéder
au paiement des Suisses3. Le 26 juin, les 6, 8 et
25 juillet et le 4 août, il adresse à Joyeuse, au duc
d'Estampes, au comte de Lude des instructions,
et aux habitants de la Rochelle des reproches4. Dans
les provinces déjà ensanglantées par la guerre civile,
Antoine dirigeait les lieutenants du roi5. Le 8 avril,
il réclame à l'ambassadeur de France à Berne une
levée de Suisses et les convoque, avec l'autorisation
de Marguerite de Parme, à Dijon par le chemin de la
Franche-Comté ,;. Le même jour, il signe une conven-
1. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, i>. 93.
2. Orig., f. fr., vol. 3187, f. 10 et 11.
3. Orig., f. fr., vol. 3219, f. 125.
4. Orig. ou minutes; f. fr., vol. 15876, f. 161, 205, 355, 216 et
327. Toutes ces lettres figureront, en analyse ou en texte, aux
pièces justificatives.
5. Voyez le chapitre suivant. On y trouvera un assez grand
nombre de lettres du roi de Navarre que nous ne mentionnons
pas ici.
6. Lettres du roi de Navarre aux s. Goignetel Pasquier, ambas-
sadeurs en Suisse, des s. 26 el 30 avril 1562 (F. fr., vol. 17981,
ET JEANNE D'ALBRET. 203
tion avec le comte Christophe de Roggendorf, capitaine
allemand, qui avait fidèlement servi le roi Henri II,
pour la levée de 1 ,300 pistoliers à cheval et de quatre
cornettes de gens de pied, chacune de 300 hommes1.
Comme Chantonay s'inquiétait de la possibilité d'en-
gager des soldats catholiques dans un pays protestant,
le roi de Navarre lui répondit qu'on les trouverait
parmi les vassaux des évêques. « En définitive, dit-il,
« les Allemands se battent pour qui les paye2. » Son
zèle et sa diligence sont signalés, dès le 8 avril, dans
les lettres de Chantonay. Le roi de Navarre, dit l'ambas-
sadeur espagnol, « concentre les forces du parti du roi et
« tous les hommes armés dont les catholiques peuvent
« disposer. Il a aussi enjoint à tous ceux qui ont suivi
« le prince de Condé de quitter les places fortes qu'ils
« occupaient et y a envoyé d'autres capitaines, en leur
« fournissant les moyens de se procurer des chevaux
« et des armes3. »
Philippe II était l'allié naturel des catholiques. L'adage
célèbre A France huguenote Flandre libre ne lui permet-
tait pas de marchander ses secours. Le roi d'Espagne
en était d'autant plus pénétré que, dès la fin de février,
son ambassadeur lui signalait les ramifications du parti
huguenot dans les Pays-Bas : « On dit et on assure que
i'. 70, 70 v° et 72 v°. Copies du temps). — Lettre du roi aux
mêmes (Ibid., f. 69). — Lettres de la reine mère aux mêmes, des
8, 26 et 30 avril (Lettres de Catherine de Mcdicis, t. I, p. 289, 297,
299 et 300).
1. Cm le pièce est conservée aux archives des Basses-Pyré-
nées, I, 585.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril 1562 (Orig.
espagnol; K. 1197, u" 80).
3. Lettre de Chantonay, du 8 avril 1562, à Philippe II (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 20).
204 ANTOINE DE BOURBON
« l'amiral a de nombreuses intelligences dans les Pays-
« Bas, et, quoique ce soit les hérétiques qui le publient,
« ils en sont très fiers. Madame la duchesse de Parme
« est avertie, et je pense qu'elle surveillera ces menées,
« afin d'y porter remède4. » Le jour même de l'entrée
du duc de Guise à Paris, Chantonay conseille à son
maître un « pronunciamento » contre la politique de
tolérance de la reine2. Philippe II usa d'un nouveau
mode d'action. Depuis longtemps, Catherine deman-
dait une entrevue à son gendre3. Philippe II ne repous-
sait pas la proposition, mais l'ajournait indéfiniment.
Le 30 mars, il écrivit enfin à Chantonay qu'à la fin de
l'été ou au commencement de l'hiver, il lui serait pos-
sible de se rapprocher des frontières de France ; mais
il exigeait que cette entrevue auguste ne fût souillée
de la présence d'aucun mécréant. « La reine, écrit-il,
« ne pourra amener aucune personne de religion dou-
« teuse, car je ne veux rien avoir de commun avec
« elles, ni les voir, ni les entendre. Je veux au con-
te traire les fuir, comme si c'était des diables; car
« elles sont en réalité ses ministres4. »
Les déclarations de Philippe II ne laissaient aucun
doute sur son empressement à secourir le roi de
France. Malheureusement, un point noir assombrissait
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 février 1562 (Orig.
espagnol; Arch. aat., I\. L497, n° 13).
'2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 16 mars 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 14).
3. La question était en instance depuis longtemps. La reine y
réuni à la lin de février i Lettre de Chantonay, du 22 février 1562,
dans les Mémoires de Condé, t. Il, p. 26).
i. Lettre de Philippe II à Chantonay, datée du monastère de
Guitando (Orig. espagnol; Arch. aat., K. 1496, q° 52).
ET JEANNE D'ALBRET. 205
l'entente cordiale des deux cours. Vers le mois de
décembre, au temps où la reine cherchait un point
d'appui en dehors du parti catholique, Nicolas d'An-
gennes, seigneur de Rambouillet, avait été envoyé en
Allemagne. Cette démarche, rapprochée des relations
fréquentes du roi de Navarre avec le duc de Wurtem-
berg, fit craindre à Philippe II que la négociation de
l'ambassadeur français ne menaçât les Flandres. Il se
plaignit à Sébastien de l'Aubespine, et l'Aubespine,
avant de répondre, demanda des instructions au
prince1. Antoine, terrifié par la crainte de perdre la
faveur de Philippe II, écrivit à la reine d'Espagne qu'il
était « trop homme de bien pour faire office maveze
« et user d'acte indigne envers celuy dont je cherche,
« dit-il, la bonne grâce, et de qui j'espère tant d'hon-
« neur et tant de bien2. » Catherine répondit en toute
hâte que Rambouillet n'avait reçu d'autre mission que
celle de saluer les princes allemands3. Elle envoya
Rambouillet en Espagne, afin de lui donner les moyens
de se disculper lui-même*. La mission réussit, écrit
l'Aubespine, et Philippe II, satisfait de la déférence de
la reine, ne garda plus aucun soupçon de la politique
du roi de Navarre en Allemagne5.
1. Lettre de l'Aubespine au roi de Navarre, du 3 avril 1562
(Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 213).
2. Lettre du roi de Navarre à la reine d'Espagne, du 22 avril
{Négociations sous François II, p. 886).
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 301, 614 et 615. —
Ncgoc. du card. de Fer rare, p. 156.
4. Dépêches vénit., filza 4, f. 354, lettre de Barbaro, du
22 avril 1562.
"'. Mémoire de l'Aubespine au roi, de mai 1562 [Lettres de
Catherine de Médicis, t. I, p. 614, note).
206 ANTOINE DE BOURBON
A mesure que la guerre civile devenait plus immi-
nente, l'importance du roi de Navarre grandissait à
la cour. Chantonay constate avec douleur, le % avril,
que le lieutenant général est le chef du parti catholique
dont le duc de Guise n'est que le premier soldat1,
qu'il se montre d'autant plus pressant que les hugue-
nots paraissent plus redoutables, d'autant plus exi-
geant que les catholiques ont plus besoin de lui2.
Aigri par une longue attente, Antoine avait des accès
d'humeur qui faisaient tout craindre aux triumvirs.
Il avait perdu une partie de sa confiance et se méfiait
d'être dupe. Un jour, il avoua ses doutes au cardinal
de Lorraine3. Il écrit à Sébastien de l'Aubespine dans
les premiers jours de mai : « Ayant singulier désir de
« scavoir par où j'en dois passer, je vous prie, tant
« que je puis regarder, d'emploier tous les moiens
« pour y voir clair4. » A la cour, il ne manquait pas
de conseillers disposés à lui remontrer que le roi
d'Espagne « lui tenait le bec dans l'eau. » Le prince
de Gondé se lamentait des tromperies dont son frère
était victime, et Coligny en haussait les épaules. La
reine mère, jalouse des éloges que Philippe II lui pro-
diguait, observait discrètement que le roi d'Espagne
\. Lettre de Chantonay à Philippe II, «lu 0 avril (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1497, q° 18). — Ncgoc. du card. de Ferrarc,
p. 152.
2. Il revienl sur ce sujet le 17 juin, lorsque les opérations mili-
taires étaient presque engagées (Lettre de Chantonay à. Phi-
lippe II, du 17 juin 1562; Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498,
n° 5).
3. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 28 avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1 197, n° 26).
i. Lettre du roi de Navarre à Sébastien de l'Aubespine, du
ii mai 1562 (Orig.; I'. IV., vol. 6606, l'. 3).
ET JEANNE I)'ALBRET. 207
pourrait être un allié solide, mais non pas empressé1.
La France entière était aux pieds du lieutenant géné-
ral2. La reine d'Angleterre, les souverains allemands
briguaient sa faveur. Chantonay assure que le sultan,
séduit par sa renommée, lui offrit un royaume du côté
de la Grèce. Antoine eut la sagesse de le refuser,
parce que, dit-il, le premier prince du sang de France
ne pouvait devenir le vassal d'un infidèle3. Enorgueilli
du crédit que les événements accumulaient autour de
son nom, il se montrait à la cour en maître absolu.
Marguerite de Bourbon, sa sœur, était veuve du duc
de Nevers depuis le 13 février. Il voulait la donner au
marquis de Mantoue, et le duc de Guise à son frère, le
grand prieur de France. Antoine objecta qu'il avait fait
venir le marquis à la cour pour épouser la duchesse ;
François de Lorraine, qu'il avait fait défroquer son
frère4. « Et moi, pour votre respect , riposta le prince,
« j'ai abandonné le mien. » La querelle s'échauffa. Les
1. Lettres de Chantonay à Philippe II, du 18 et du 28 avril 1562
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, nos 24 et 2G).
2. Vers cette époque, un s. Léonard de Montrauson, considé-
rant le roi de Navarre comme un réformateur universel et tout-
puissant, lui adressa une sorte de mémoire contenant tout un
système de gouvernement. L'auteur conseille la confiscation de
toutes les espèces monnayées au profit du roi, qui resterait
chargé des dettes de ses sujets et pourrait procéder à une meil-
leure répartition de la fortune mobilière du royaume. Cette idée
a été reprise de nos jours par des rêveurs aussi fous que Mon-
trauson. Le mémoire est intitulé : La Fontaine d'or et d'argent, et
est conservé en original dans le f. fr., vol. 692.
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n" 26).
4. Le cardinal de Ferrare s'était employé pour autoriser le
grand prieur à quitter l'habit de chevalier de Rhodes {Néijoc. du
card. de Ferrare, p. 159).
208 ANTOINE DE BOURBON
deux seigneurs en vinrent aux menaces. Le prince,
étonné qu'on osât lui résister, se mit dans une telle
fureur qu'il en tomba malade. Le cardinal de Lorraine
eut de la peine à les réconcilier1.
Antonio d'Almeida, le messager ordinaire du roi de
Navarre, était parti le 5 mars pour Madrid, chargé des
recommandations du roi et de la reine, et des requêtes
du prince. Il trouva la cour d'Espagne peu disposée à
l'écouter. Sébastien de l'Aubespine écrit, le 9 mars,
pendant que le négociateur cheminait encore, qile le
roi, le duc d'Albe, le prince d'Eboli, sommés par lui
de se prononcer, refusent d'accorder la Sardaigne au
roi de Navarre, malgré les déclarations de Chantonay,
et qu'il regarde les promesses du roi catholique comme
un leurre2. Quelques jours après, il renouvelle ses
instances auprès du roi catholique et n'obtient que
des réponses évasives3. Le 30 mars, Philippe II
approuve formellement la politique de « Vendôme, »
mais il ne précise pas la récompense qu'il lui réserve4.
Dans les premiers jours d'avril, d'Almeida arriva à
Madrid, et le roi d'Espagne sortit du monastère de
Guitando, où il s'était retiré en cellule pendant le temps
pascal5. L'ambassadeur de France se rendit à l'au-
1. Loi lie île Chantonay citée plus haut.
2. L'Aubespine écrivit ce jour-là trois lettres à la reine et une
au roi de Navarre. Ces quatre lettres sont conservées en copie
.lu temps dans le f. fr., vol. 16103, !'. 181, 187, 189 et 191.
3. Lettres du 25 mars 1562 à la reine (Copie du temps; f. fr.,
vol. 16103, F. 198 et 201). — Lettre du même au roi «le Navarre,
de même date (Ihid., f. 204).
\. Lettre de Philippe 11 à Chantonay, du 30 mars, datée du
monastère de Guitando (Orig., Arch. uat., K. 1496, n° 52).
5. Lettre du roi de Navarre à l'Aubespine, du 10 avril 1562
ET JEANNE D'ALBRET. 209
dience du roi le 15 avril. Philippe II l'accueillit froi-
dement et ne voulut même pas admettre en sa
présence Antonio d'Almeida, malgré les pressantes
sollicitations de la reine d'Espagne1. Cependant, il
laissait dire autour de lui qu'il concéderait au prince la
ville d'Avignon et ses dépendances et qu'il indemnise-
rait le pape dans le royaume de Naples, nouvelle invrai-
semblable que l'Aubespine communiqua avec ses doutes
au roi de Navarre2. Le crédule prince la prit cepen-
dant comme une communication officielle et consulta
Chantonay. Le comté d'Avignon, disait-il, était une
possession précaire ; d'ailleurs, il méritait un royaume
et n'accepterait rien de moins. Chantonay calma cet
excès d'orgueil en conseillant au prince d'attendre les
rapports de d'Almeida3. Tandis que Antoine faisait
sonner si haut sa dignité de roi, la chancellerie espa-
gnole cherchait un biais pour permettre à Philippe II
de répondre, sans lui donner ce titre, à une décla-
ration des triumvirs apostillée par le lieutenant
général4. Après avoir bien réfléchi, Chantonay
conseilla à son maitre d'adresser une lettre collec-
(Orig., f. fr., vol. 6606, f. 2). — Lettre de la reine au même, du
11 avril (Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 295).
1. Lettres de Sébastien de l'Aubespine à la reine et au roi de
Navarre, du 15 avril 1562 (Copies du temps; f. fr., vol. 16103,
f. 217 et 223 v).
2. Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, du
23 avril 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 229 v°).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arcli. nut., K. 1497, n° 28). — Autre du 18 avril (Ibid.,
K. 1498, n- 24).
'i. Lettre, collective des triumvirs, du 21 avril 1562 (Orig., Arch.
nat., K. 1497, n" 61). Cette pièce est imprimée dans le Musée des
Archives.
vi 14
240 ANTOINE DE BOURBON
tive au duc de Guise, au connétable et au maréchal
de Saint-André, et d'ajouter de sa propre main
en forme de post-seriptum : « Mon cousin, j'ai été
« satisfait de savoir, après l'avoir appris par votre
« propre lettre, à laquelle je réponds, le soin que vous
« vous donnez pour faire face aux affaires de ce
« royaume. J'en suis véritablement satisfait, et je
« saurai faire ce qui est juste. » Ravi de son inven-
tion, Ghantonay ajoute : « De cette façon, il sera con-
« tent sans qu'il y ait eu besoin de l'appeler roi ni
« monsieur de Vendôme ' . »
Ces vaincs déclarations ne pouvaient abuser le
roi de Navarre. Qu'arriverait-il de la religion catho-
lique, si le lieutenant général, mettant à exécution
les menaces qu'il avait tant de fois formulées,
passait avec ses partisans dans les rangs du parti
réformé? Vers le 15 avril, Chantonay eut une confé-
rence avec le maréchal Saint-André et parcourut avec
lui la carte des possessions espagnoles. La Sardaigne
ne pouvait être sacrifiée contre la volonté des Gortès;
la Flandre était trop riche ; le Milanais, le royaume de
Naples ne pouvaient être démembrés. Ghantonay pro-
posait la régence de Tunis et suggérait d'employer à
cette conquête l'activité des capitaines, qui, depuis la
paix de Gâteau- Cambrésis, s'étaient jetés dans les
rangs de l'armée rebelle. Ils conclurent d'attendre le
retour de d'Almeida. Le maréchal était inquiet du
succès de la mission. « Je vois, écrit Ghantonay, qu'il
« est en défiance, disant que, si cette planche du salut
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du L2\ avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nul., lv. 1497, n" 25).
ET JEANNE D'ALBRET. 211
« vient à manquer, son parti et lui sont perdus1. »
Les premières lettres de d'Almeida arrivèrent à la
cour vers le milieu de mai. Elles racontaient au prince
qu'il avait été bien reçu à la cour d'Espagne, qu'il était
entré en conférence avec le duc d'Albe et avec le prince
d'Eboli, que les ministres du roi lui avaient paru
bien disposés, mais que l'accident survenu à l'infant
Don Carlos imposait un ajournement2. Le dimanche
19 avril, au château d'Alcala, l'infant avait fait une
chute au pied d'un escalier obscur, en allant retrou-
ver dans un jardin une jeune fille qu'il aimait. Atteint
d'une lésion au crâne et peut-être au cerveau , Don
Carlos fut pris d'une fièvre ardente et tomba dans
le délire. On le trépana, on lui arracha la peau du
crâne; il fut soigné, suivant l'empirisme du xvie siècle,
avec tant de barbarie, que son état s'aggrava3. Cepen-
dant, la chancellerie espagnole affectait une confiance
immuable. Le 15 mai, Philippe II commanda à ses
secrétaires d'écrire à Chantonay que l'état de l'infant
s'améliorait et qu'il allait répondre à la mission d'An-
tonio d'Almeida4. Mais le bruit de sa mort courut à
Paris5 et inspira au roi de Navarre un de ses desseins
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 18 avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1198, n° 24).
2. Original autographe daté de Madrid, du 5 mai 1502 (Arch.
des Basses-PyréniMV, E. 585).
:!. Les documents abondent sur ce funeste événement. Nous
citerons seulement une lettre de l'Aubespine, du 11 mai, 5 la
reine (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 242), et surtout le
savant ouvrage de M. Gachard, Don Carlos et Philippe II, in-8°,
1865, p. 65 et suiv.
i. Notes do chancellerie, du 15 mai 1562 (Arch. nat., K. 1496,
M' 7 II.
5. Journal de 1502 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 106.
212 ANTOINE DE BOURBON
les plus chimériques. Il conseilla à la reine mère de
négocier le mariage du roi Charles IX avec Juana
d'Autriche, sœur de Philippe II1. Charles IX n'avait
pas encore douze ans, et la princesse Juana, veuve
du roi de Portugal , en comptait plus de trente.
II est vrai que, en cas de mort de Don Carlos, elle
devenait héritière du trône d'Espagne. Catherine
adopta avec empressement ce mariage et ordonna à
Sébastien de l'Aubcspine de demander la main de la
princesse2. Quanta Marguerite de Valois, que Cathe-
rine avait successivement promise à Henri de Béarn et
à Don Carlos, elle fut promise une seconde fois au
fils du roi de Navarre3. En même temps, la reine
accueillait avec faveur pour sa fille la candidature du
prince Sébastien de Portugal l. Le rétablissement de
l'infant ne mit pas à néant ces négociations matrimo-
niales. Môme après sa guérison, la reine, pour flatter
Philippe II, feignait de désirer également le mariage
de Charles IX avec la princesse de Portugal, et celui
de sa fille avec Don Carlos5.
Ce fut au milieu de ses soucis de père de famille
que le roi d'Espagne reçut la demande officielle de
4. Lettre du roi de Navarre à la reine (Lettres d'Antoine de Bour-
bon et de Jeanne d'Albret, p. 253).
2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 349.
3. Négoc. du card. de Ferrure, p. 203.
4. Lettre de Barbaroà la république de Venise, du 22 avril 1502
(Dép. vénit., filza 4, f. 354). Cette négociation, dil Barbaro, était
conduite à l'insu du roi de Navarre. Mais il la soupçonnail sans
doute, car nous le voyons souvent en têteà tête avec les ambas-
sadeurs portugais. Voyez notamment le Journal de 1562 dans la
Bévue rétrospective, i. V, p. 94 el 95, et ailleurs.
5. Lettre, de Ghantonay à Philippe IL du 30 juin 1562 (Orig.
espagnol ; A.rch. nat., K. 1498, n° G).
ET JEANNE D'ALBRET. 213
secours de la part du roi de France. Malgré le mécon-
tentement du roi de Navarre, et ses menaces déguisées
sous forme de réclamations1, l'alliance de Philippe II
était assurée. Le 23 avril, il commande à la reine
sa femme et à Sébastien de l'Aubespine de faire
savoir à la cour de France qu'il offre au parti catho-
lique les troupes et les trésors de ses royaumes2. Le
1 5 mai, il trace de sa propre main le plan d'une lettre
à écrire à Chantonay : « Sa Majesté a la volonté de
« secourir le roi de France contre les rebelles héré-
« tiques. Qu'on avise s'il faudra de l'infanterie et com-
« bien d'hommes, et dans quel délai ; car, quoiqu'on
« soit prêt, il faudra en avoir l'avis pour la dépêcher.
« Que cela soit écrit avec empressement3. » Cet
« empressement » même inquiétait la reine ; elle crai-
gnait l'intervention de Philippe II comme celle d'un ami
dangereux4. Seuls à la cour, les triumvirs imploraient
sans arrière-pensée l'appui du roi catholique. Les
Guises passaient déjà pour avoir des accords particu-
liers avec lui5. Ils demandèrent à la duchesse de
Parme le libre passage des Suisses à travers la Franche-
1. La correspondance de Chantonay prouve que l'on redoutait
toujours à Madrid une invasion béarnaise. Voir la lettre du
4 avril à Philippe II (Résumé de chancellerie ; Arch. nat., K. 1 i96,
n- 54).
2. Lettre de Sébastien de l'Aubespine à la reine, du 23 avril
(f. fr., vol. 16103, f. 227, copie du temps).
3. Décision du roi sur ce qui doit être écrit à son ambassadeur
en France (Minute avec ratures et corrections autographes, datée
d'Alcala et du 15 mai ; Arch. nat., K. 1496, n° 74).
4. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 330, Lettre du 13 juin
adressée ;'i S.'luslieu de l'Aubespine.
5. Lettre de Granvelle à Philippe II, du li juin (Papiers d'état,
t. VI, p. 569).
214 ANTOINE DE BOURBON
Comté1 et la facilité de lever en Flandre une troupe
de 1 ,500 cavaliers en cas de besoin2. Toutes ces auto-
risations furent accordées, et Philippe II, malgré
le délabrement de ses finances, s'occupa de masser
aux pieds des Pyrénées une armée d'invasion. L'am-
bassadeur d'Angleterre pressentait l'intervention et
conseillait à sa maîtresse de créer des embarras au roi
d'Espagne pour l'entraver3.
Le 4 mai, la requête du triumvirat au roi dissipe
les dernières hésitations de la reine. Le 8 mai,
Charles IX écrit à Philippe II :
Monsieur mon frère, aiant entendu par la despèche de Tévesque
de Limoges, mon ambassadeur, l'honneste offre qu'il vous
plaisL me faire en ce besoing que j'en ay, je n'ay voulu faillir
vous en remercier par la présente et vous asseurer que n'ay
chose en ma puissance que je n'emploie pour la conservation
de vous et voz estats, quand vous trouveriez en pareille néces-
sité. Et, encore que j'espère que Dieu me fera la grâce d'en
venir à bout sans incommoder nul de ceux qui me monstrent
bonne voullenté en mon endroit, si est-ce que, pour avoir l'as-
seurance que j'ay en vous, et vous vouloir monstrer par offert
comme je m'y fie, je vous supplie commander que, ce que j'ay
prie à vostre ambassadeur vous demander pour mon secours,
bientost le puisse avoir, ainsi que mon ambassadeur vous fera
aussi entendre. Et vous pouvez en recompense promettre tout
ce que ha et aura jamais de puissance et en son pouvoir pour
vostre service
Vostre bon frère,
Charles4.
1. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 8 avril 1562 (Orig.
espagnol ; Air.li. nal ., K. I 197, a" 20).
.'. Lettre de Chantonaj à Philippe II. du II avril 1562 (Orig.
espagnol ; Airh. nat., K. 1 197, d° 22).
3. Lettre de Throckmorton à lord Gecil, du 17 avril 1562 (Duc
'I A 1 1 1 1 1 ;i le. Histoire des Condé, i . I, p. 354).
i. Autographe, s;m> date, mais de même date que la lettre 'lu
ET JEANNE d'aLBRET. 215
Le roi demandait à « sou bon frère 1 0,000 hommes
« de pied et 3,000 chevaux ; c'est assavoir 3,000 Espa-
ce gnolsqui viendront par le costé de la Guyenne,
« 3,000 Italiens qui viendront du costé du Piémont,
« la solde de 4,000 lansquenets, 2,000 chevaux
« des Pays-Bas et 1 ,000 reistres1 . » La même demande
fut présentée à Ghantonay à Paris par la reine mère et
par le roi de Navarre2.
La réponse de Philippe II fut aussi favorable que la
cour de France pouvait l'espérer. Dans les derniers
jours de mai, la reine fut informée que le roi d'Espagne
accordait le secours de 10,000 hommes de pied et de
3,000 cavaliers3. Philippe II écrivit au maréchal de
Bourdillon, gouverneur du Piémont, qui devait être
chargé du commandement des compagnies italiennes *.
Le 8 juin, il ordonna au comte d'Aremberg de se pré-
parer à entrer en France à la tête de 2,000 hommes
d'armes5. Ce fut la dernière négociation à Madrid de
roi ù FAubespine que nous citons dans la note suivante. Au dos,
on lit : Recibida en Alcala a 20 de mayo (Arch. nat., K. 1496,
n° 68). — Lettre de Catherine à Philippe II {Lettres clc Catherine
de Médicis, t. I, p. 303).
1. Partie de cette lettre a été publiée par le comte Delaborde
(Coligny, t. II, p. 107).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 7 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 29). — Autre lettre du même
dans les Mémoires de Gondé, t. II, p. 41.
3. Mémoire de Saint-Suplice au roi, sans date (Ve de Golbert,
vol. 480, f. 5). — La date de l'arrivée de ce mémoire est donnée
par une ment ion du journa I de 1 562 (Revue rétrospective, t. V, p. 109).
4. Cette pièce est publiée en espagnol dans les Annales de
Bellcforest, t. II, f. 1629 v°, et traduite dans Y Histoire de France
de Piguerre, p. 409.
5. Lettre de Philippe II à la duchesse de Parme (Corresp. île
Philippe II, t. II, p. 218)
216 ANTOINE DE BOURBON
Sébastien de l'Aubespine. Le 3 avril, la reine mère lui
avait écrit qu'elle le remplaçait, suivant ses vœux,
par Jean Ébrard de Saint-Suplice ' , chevalier de l'ordre,
conseiller du roi, plus tard capitaine de cinquante
hommes d'armes. Saint-Suplice arriva le 15 mai près
de Madrid2, pendant que le roi d'Espagne était à
Alcala, et obtint sa première audience le 27 mai 3.
Peu de jours après, le roi de Navarre reçut la
réponse de Philippe II à la mission d'Antonio d'AI-
meida. Le 7 juin, le roi d'Espagne commanda à Chan-
tonay de dire au prince qu'il s'engageait à lui accorder
le royaume de Tunis aussitôt qu'il l'aurait conquis, et,
en attendant, la Sardaigne. Il exigeait seulement le
secret le plus absolu vis-à-vis de la cour de France4.
Tel était le mystère de la négociation que, le 11 juin,
lorsque Sébastien de l'Aubespine prit congé de la cour
d'Espagne, le roi lui dit que, la veille, il avait dépêché
au roi de Navarre un courrier sans s'expliquer
sur la nature de ses propositions. Saint-Suplice et
l'Aubespine ne purent obtenir d'éclaircissements.
Seulement, le duc d'Albe parut surpris de l'insis-
tance du prince à revendiquer la Sardaigne5. Le
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 288.
■?. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 2i mai I562(0rig.,f. fr.,
vol. 15870, ('. 78). — Saint-Supliee (d'après sa signature, et non
Saint-Sulpiee) fut ambassadeur à Madrid jusqu'au 20 octobre 1565.
3. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du Ier juin 1562 (Copie-;
f. IV., vol. 3161, f. 4).
4. Mémoire adressé à Gbantonay, daté d'Aranjuez et du
7 juin 1562 (Copie de chancellerie ; Arcb. uat., K. l'i'.Hi, u" 85).
Lettre d'envoi à Chantonay de même date (Ibid., n° 86, orig.
signé de Philippe II). — Mémoire de chancellerie, daté du
1.; pin, 1562 (Ibid., a» 90).
5 Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 12 juin 1562 (Copie;
ET JEANNE D'ALBRET. 217
16 juin, le duc d'Albe et le prince d'Eholi remirent à
Antonio d'Almeida un mémoire signé de leur main :
« Sa Majesté veut offrir au prince de nouveau le
« royaume de Tunis avec toutes les prérogatives que
« l'on énoncera dans l'acte de possession, afin qu'il
« puisse avoir le titre de roi et être un des principaux
« souverains de la chrétienté. Pendant que l'on se
« préparera à faire la conquête du royaume de Tunis,
« afin de le lui remettre, Sa Majesté veut le mettre en
« possession du royaume de Sardaigne, mais avec des
« sûretés, afin que de cette île on ne puisse causer de
« préjudice aux États de Sa Majesté catholique. » Les
délais de la donation n'étaient pas stipulés. « S'il veut
« envoyer un ambassadeur pour traiter des particu-
le larités, il peut le faire quand il voudra ; s'il préfère
« attendre que Sa Majesté se rapproche des frontières,
« ce qui sera bientôt, l'un et l'autre parti sont à son
« choix. » Le roi d'Espagne avait tant de fois promis
de dédommager le chef de la maison d'Albret après
l'anéantissement de la réforme, que cette date pouvait
être considérée comme implicitement contenue dans
sa donation. Cependant, l'acte confié à Antonio
d'Almeida ne contenait pas d'engagement, et, sur
ce point comme sur celui des garanties à récla-
mer, le donateur restait juge et partie ; cette réserve
équivalait à un ajournement indéfini. Le secret gardé
vis-à-vis de l'ambassadeur de France pouvait aussi
inspirer des soupçons. Les ministres de Philippe II
cachaient la concession du roi et disaient que d'Al-
meida avait charge de remettre à Ghantonay ou à un
f. IV., vol. 3161, f. 13). Cette lettre a été analysée par M. Gachard
(la Bibliothèque nationale à Paris, t. II, p. 143).
218 ANTOINE DE BOURBON
ambassadeur extraordinaire le soin de parachever la
négociation1. Les derniers mots du mémoire du duc
d'Albe contiennent une ironie amère : « D'après cela,
« il (Vendôme) pourra comprendre que l'on ne cherche
« pas à gagner du temps, mais que l'on veut aller droit
« au but avec franchise et loyauté2. »
Le roi d'Espagne ne put se résigner à compléter sa
concession en rendant hommage à la dignité royale de
son allié. Plutôt que de lui donner le titre de roi, il
aima mieux écrire à d'Almeida :
Antoine d'Almeida, vous direz à mon cousin le plaisir que
j'ai eu d'entendre, par voire rapport et par le mémoire qu'il
vous donna de sa main, les services qu'il rend à la religion, et
son intention de continuer suivant mon désir; ce que j'estime
grandement. Ainsi, j'espère qu'il poursuivra en avant, comme
il le dit, de sorte que In lionne volonté que j'ai pour lui s'aug-
mentera ; et je ferai promptement ce qui lui est promis dans
l'écrit qui vous a été donné à part. De même, je le prie de hâter
les affaires qu'il a entre les mains, parce que il ne peut m obli-
ger davantage en rien sur tout ce qui le regarde3.
1. Malgré le secret, le 26 juin, I»1 légat, informé de la négocia-
tion, écrit .m cardinal Borromée que le roi d'Espagne donne au
roi de Navarre l'île île Sardaigne en attendant un autre royaume
« qui vaille colle isle. » Mais il ne sait lequel (Négoc. du card. de
Ferrare, p. 256).
2. Original espagnol, daté du 16 juin; Arch. des Basses-Pyré-
nées, E. 585. — On conserve une copie de cette pièce aux
Archives nationales, k. 1-496, u° 89. — Du reste, elle est presque
la copie textuelle du mémoire adressé à Ghantonay sous la date
du 7 juin. Voyez plus haut.
3. Autographe espagnol su us date ; Arch. des Basses-Pyrénées,
E. 585. -Hue copiede cette pièce est conservée aux Arch. aat.,
K. 1496, ir 89.
CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.
Avril, mai, juin 1562.
Commencement de la guerre civile. — Dauphiné. —
Le baron des Adrets. — Prise de Lyon (1 er mai 1 562) .
— Le s. de Maugiron. — Provence. — Les s. de
Tende et de Sommerive. — Bourgogne. — Gaspard
de Saulx-Tavannes.
État de V armée royale. — Mesures de défense prises à
Paris. — Suite des négociations de la reine et du roi
de Navarre avec le prince de Condé. — Entrevue de
Toury (9 juin).
Reprise des négociations (13 juin). — Trêve de six
jours. — Conférence du roi de Navarre et du prince
de Condé à Beaugency [%\ et %% juin). — Manifeste
des huguenots (24 juin) . — Entrevue de la reine et
des seigneurs réformés à Saint-Simon (29 juin). —
Rupture définitive des négociations.
Avant qu'aucun des capitaines du triumvirat ou du
prince de Condé eût tiré l'épée sous les murs d'Or-
léans, la guerre civile avait commencé en Dauphiné.
Le 27 avril, à Valence, le lieutenant du duc de Guise,
Biaise de Pardaillan, seigneur de la Mothc-Gondrin,
220 ANTOINE DE BOURBON
avait été assassiné par les gens du baron des Adrets
et presque sous ses yeux. La nouvelle surprit la reine
au milieu de ses négociations pacifiques. Le roi de
Navarre envoya en toute hâte Laurent de Maugiron en
Dauphiné avec la charge de « donner si bon ordre de
« réduire et remettre toutes les choses que vous ver-
ce rez mal aller audit gouvernement par le moyen de
« voz amyz et voysins, et du crédict que vous avez
« par delà, que l'on aura grande occasion de s'en
« contenter et se reposer cy-après sur vous1. »
La prise de Valence et l'assassinat de la Mothe-
Gondrin obligeaient le baron des Adrets à vaincre ou à
mourir. Le 28 avril, il marche sur Lyon. Le maréchal
de Saint-André, gouverneur du Lyonnais, avait pour
lieutenant François d'Agout, comte de Saulx, seigneur
huguenot2, mais fidèle au roi. Le 30 avril, au milieu
de la nuit, les réformés lyonnais, conduits par les
affidés du baron des Adrets, se saisissent des prin-
cipaux postes. L'hôtel de ville, le couvent des Corde-
liers, les portes et les murailles tombent presque
sans défense entre leurs mains. Les capitaines catho-
liques sont arrêtés dans leur lit; les prêtres, les
chanoines de Saint-Jean, les principaux catholiques
jetés hors des murs sans violence. Au matin, les
chefs complètent la surprise de la ville en plaçant des
canons sur les places, aux carrefours des rues, par-
tout où un combat pouvait s'engager. Ces mesures
1. Lettre du 3 mai 156? (Copie du temps; Archives de Lyon,
\ \ M, il» 126).
2. Il fut tué à la bataille de Saint-Denis (Brantôme, t. V,p. 16).
— De Thou dit qu'il ne prit aucune pari à la guerre ; c'esl une
drs rares erreurs de ce grand historien
ET JEANNE D'ALBRET. 221
prises, ils se rendirent au logis du comte de Saulx et
lui signifièrent qu'ils avaient agi par ordre du prince
de Condé. Ils lui proposèrent même de conserver sa
charge; de Saulx refusa, et, quelques jours après, se
retira en Provence4.
Le baron des Adrets entra le lendemain avec ses
troupes et prit le commandement au nom du prince
de Condé. Le prince lui adressa les plus chaudes féli-
citations. Le 18 mai, il lui recommande surtout de se
garder des surprises. N'ajoutez aucune foi, lui dit-il,
« à pas une des choses qui vous seront écrites, dites
« ou mandées, non pas mesme quand vous en aurez
« vu une lettre signée en mon nom, dont ils (les
« catholiques) se vouldroient aider en la contrefai-
« sant » Ne vous effrayez « pour les menaces,
« confiscations, proscriptions, bannissemens et autres
« telles choses Les armes nous feront raison de
« cela2. » La ville de Lyon n'était pas seulement la
seconde ville du royaume, elle était la plus riche. Les
marchands y avaient créé des maisons de banque avec
lesquelles, depuis le règne de François Ier, le roi était
en compte courant. Condé n'a garde de négliger ces
ressources. En même temps qu'il écrit au baron des
Adrets, il demande à un s. Aubrèche, marchand ou
1 . Sur la prise de Lyon, voyez deux récits du temps réimprimés
dans les Archives curieuses, t. IV, p. 195 et 215. Le second, dû à
Gabriel de Saconay, est surtout complet et détaillé. — Autre
pièce du temps dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 339. — Voyez
aussi le récit de de Bèze (Histoire ecclésiastique, t. II, p. SOI ,
édit. de 1881).
2. Copie du temps; f. fr., vol. 10190, f. 164. — Autre lettre du
prince de Condé au baron des Adrets, du 21 mai 1562 (Copie du
temps, ibid., f. 165).
222 ANTOINE DE BOURBON
banquier de la ville, un emprunt de 100,000 écus.
Aubrèche était protestant, et Condé fait appel à ses
sentiments religieux1. Le prince avait d'autres moyens
de remplir ses coffres. Il ordonne au baron des Adrets
de saisir les châsses, les reliquaires d'or et d'argent
de Lyon et des villes voisines, de les transformer en
lingots, de les faire monnayer ou de les vendre au
plus offrant2.
Victorieux presque sans avoir tiré l'épée, le baron
des Adrets édicta de sévères règlements en faveur des
habitants inoffensifs et des églises catholiques. Mais la
violence des sectaires de son parti rendit ces mesures
impuissantes. Les églises, les monastères, les maisons
catholiques furent saccagés, les couvents de filles livrés
aux soldats. Condé adressa des reproches au baron des
Adrets, le 20 mai : « Que personne ne soit travaillé sans
« grande occasion, et que chacun vive en repos et tran-
« quillité, autant que faire se pourra, sans mesmement
« gêner nv forcer les consciences, comme de nostre
« part nous ne voudrions point qu'on forçast les nostrcs,
« laissant à ceulx qui ne sont de la religion réformée,
« et principalement aux marchands et banquiers,
« quelques lieux et temples pour l'exercice de la leur,
« sans leur donner aucun empeschement » Cette
lettre, où s'étalent de nobles sentiments d'humanité,
1. Lettre du 18 mai 1562 (Copie du temps; f. IV.. vol. 10190,
f. 165 v*). — M. Kervyn de Lettenhove a publié dans Documents
inédits relatifs à l'histoire du XVIe siècle, p. '.'. une lettre de Goli-
j_ti i y à d'Andelot, du •'> août, sur les emprunts du parti huguenot
à Lyon.
2. Lettre du is mai 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 10190,
f. 164). —Lettre de Spifame aux huguenots de Lyon,du "2 1 mai 1562,
datée d'Orléans (Copie du temps; ibid., f. 173).
ET JEANNE D'ALBRET. 223
fut lue par ordre à l'assemblée générale de la maison
de ville. Coligny écrivit le même jour, dans le même
esprit, au baron des Adrets1. Malheureusement, ces
belles déclarations étaient démenties par les faits. Le
lendemain du jour où Gondé et Coligny avaient recom-
mandé aux huguenots de Lyon le respect de leurs
adversaires, ils laissaient les soldats de l'armée se ruer
sur les églises de la ville d'Orléans.
A la nouvelle de la surprise de Lyon, la reine essaya
de traiter avec des Adrets. Le baron n'était pas de
ceux que l'on jugeait à la cour incapables d'accepter
des conditions avantageuses. Il pouvait se vendre, et
Catherine ne demandait qu'à l'acheter. Elle chargea
un capitaine, nommé Murât, d'entrer en pourparlers
avec lui. La négociation fut découverte par le prince
de Gondé, qui se hâta d'en prévenir le conquérant
de Lyon : « On vous envoie ou on vous enverra
« bientôt Murât, que vous connaissez, avec charge
« expresse et sous belle promesse de faire ou plutôt
« feindre un appointement avec vous pour les choses
« advenues par delà. Et ne fault doubter que pour
« parvenir à cela on ne vous fasse les plus belles pro-
« messes du monde, et mesme de vous faire entendre
« que telle est mon intention2. » La reine commanda
à Jean de Monluc, évêque de Valence, de se rendre à
Lyon et en Dauphiné. L'évêque passait pour réformé.
Peu empressé d'essuyer le feu de diocésains emportés,
1. Lettre de Gondé au baron des Adrets, du 20 mai 1562 (Copie
du temps ; f. fr., vol. 10190, f. 157). — Lettre de Goligny au même,
de même date (Copie du temps; ibid., f. 158).
2. Lettre du 18 mai 15112 (Copie du temps; f. fr., vol. 10190,
1'. 164).
224 ANTOINE DE BOURBON
qui assassinaient les lieutenants du roi, il jugea pru-
dent de rester à Orléans et se contenta d'expédier
à Valence un messager1. Le roi de Navarre envoya
à Laurent de Maugiron le comte de Suze, avec une
lettre et un mémoire détaillé sur la conduite à tenir
vis-à-vis des rebelles2. Maugiron s'était déjà mis en
campagne. Le 20 mai, le roi de Navarre compléta les
instructions qu'il lui avait précédemment adressées.
Monsieur de Maugiron, j'ay veu ce que vous avez escript au
roy, mon seigneur, et à moy, du xne de ce moys, par ce por-
teur, que j'ay bien voullu vous renvoyer présentement avec
cesle responce à vostre dicte dépesche, pour vous dire que vous
avez fort bien faict de vous mectre dans la ville de Quirieu
pour estre de quelque force et seureté, et d'avoir receu les gen-
tilz hommes du pays qui se sont venus offrir à vous pour vous
faire service, lesquelz vous regarderez d'entretenir et d'en reti-
rer d'autres, le plus que vous pourrez, affin que, avec eulx et
les gens de guerre que nous doibt envoyer Mons. de Savoye,
comme vous aurez veu par la dépesche que vous a portée le
s. de Suze, et autres moyens qui vous sont baillez par ladicte
dépesche, joint aussi le secours que vous pouvez avoir de vingt
cinq enseignes de Provence soubz la charge du comte de Som-
merive, après qu'il aura donné ordre aux troubles de Provence
et comtat de Venysse, suivant ce qui luy est présentement
escript, vous regardez à vous faire le plus fort pour faire rendre
l'obéissance au roy, mon seigneur, etnccloyerce pays de toutes
ces rébellyons et insolences qui se y usent, pour après vous en
venir à Lyon en faire de mesmes, secourant aussy par vous
ledit s. de Sommerive s'il en a besoing. Et à cest effect vous
vous aiderez des xxv"' livres que Messieurs les légat et duc de
Guise doibvent faire fournir. Et, si cella ne peult vous soulïiiv,
1. Le messager apportail deux lettres qui sont conservées on
copies du temps dans le vol. 10190 du I'. fr., f. 163 et 163 v°.
2. Lettre du l"2 mai L562 (Copie du temps; Archives de Lyon,
A A. 24, f. 127).
ET JEANNE DALBRET. 225
11 fauldra que vous regardez de prendre pour y employer ce que
vous pourrez tirer des deniers des décimes et des trésors des
églises, selon l'instance que vous en pourrez faire aux gens
d'église de delà. Et m'asseurant que, pour le singulier zelle et
affection que vous portez au service au Roy, mon seigneur,
vous n'oublierez aucune chose de tout ce qui y sera requis de
faire en cest endroit, je me remectray du surplus sur la dicte
dépesche du s. de Suze et prieray Dieu qu'il vous ayt, Monsieur
de Maugiron, en sa saincte et digne garde.
Escript à (la localité manque), le xxe jour de may 4 562.
Vostre meilleur amy,
Antoine1.
Le roi de Navarre, informé que Maugiron ne pou-
vait tenir la campagne, lui ordonna, le 9 juin, de munir
d'artillerie, de munitions et de vivres le château Dau-
phin, place imprenable, mais en mauvais état, qu'il
importait de ne pas laissera l'ennemi2. Bientôt Mau-
giron apprit que le baron des Adrets était parti pour
la Provence. Il quitta la Savoie, où il levait des
troupes, et se rapprocha de Grenoble. Il préparait
un coup de main quand il reçut une députation du
parlement du Dauphiné et des consuls, qui le sup-
pliait de ne pas entrer dans la ville3. Maugiron
répondit qu'il ne pouvait transiger avec le devoir de
1. Copie du temps; Archives de Lyon, AA. 24, f. 128.
2. Lettre du 9 juin 1562 (Copie du temps; Arch. de Lyon,
AA. 24, f. 129). — Comparez la lettre de la reine mère à Mau-
giron (Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 327).
3. De Thou, d'après de Bèze (Hist. ecclés., 1881, t. II, p. 411),
a écrit que cette démarche était simulée et avait pour objet réel
de s'entendre avec Maugiron sur les conditions de la livraison
de la ville (De Thou, t. III, 1740, p. 229). De Thou et de Bèze
se trompent, ainsi que le prouve la lettre du roi de Navarre que
nous citons plus loin, lettre dans laquelle le prince blâme éner-
giqucment la démarche des gens de Grenoble.
iv 15
226 ANTOINE DE BOURBON
restaurer l'autorité royale partout où la fortune des
armes lui donnait la victoire, mais que les habitants,
catholiques ou réformés, seraient garantis de tout dam
par la discipline de ses troupes. Le roi de Navarre
blâma sévèrement la requête des députés. Il écrivit
à Tavannes de marcher au secours de Maugiron et de
l'aider « à nectoyer le pays de cette vermine de
« rebelles. » Dans la crainte d'une rivalité entre les
deux capitaines, il stipula que Maugiron laisserait à
Tavannes le commandement général1. Le 14 juin,
l'armée catholique, forte de 200 cavaliers et de
1 ,200 hommes de pied, entra dans Grenoble en grande
pompe, tabourins sonnants. Aussitôt les soldats se
débandent et courent au pillage avec plus d'ardeur
qu'à l'ennemi. En vain Maugiron s'efforce de les rap-
peler ; en vain il fait élever à la hâte, dans les lieux
les plus apparents, des potences destinées aux pillards.
Il dut laisser ses gens assouvir leur avidité, et ne put
les rassembler que le lendemain. Le baron des Adrets,
rappelé par les plaintes de ses coreligionnaires, reve-
nait en Dauphiné avec une armée victorieuse. A son
approche, Maugiron décampa secrètement et se retira
en Savoie. Il n'en sortit que pour rejoindre Tavannes
en Bourgogne, laissant le Dauphiné aux mains du plus
féroce chef de partisans dont l'histoire du xvie siècle
ait gardé le souvenir.
La fortune, pendant toute la campagne, resta fidèle
au baron des Adrets. Tournon, Grenoble et Vienne lui
ouvrirent leurs portes. Bientôt toutes les villes du Dau-
1. Copie du temps, datée du 12 juin 1562 (Arch. de Lyon,
AA. 2i, f. 130). — Conférez la lettre de la reine à Maugiron de
même date (Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 329).
ET JEANNE d'ALRRET. 227
phiné, excepté Embrun et Briançon, tombèrent entre
ses mains. Partout, le chef de la réforme portait le fer et
la flamme, pillait et quelquefois démolissait les églises,
massacrait les prêtres, dépouillait les catholiques de
leurs biens, écrasait d'emprunts et d'impôts les villes
mêmes qui se donnaient librement à lui, faisait pendre,
noyer, arquebuser, égorger les garnisons qui osaient
lui résister. Les historiens du temps racontent de ce
capitaine des traits de barbarie qui semblent inspirés
par une ivresse sauvage. A Montbrison1, il fit passer
tous les habitants au fil de l'épée. Fatigué de tuer, il
obligea les derniers défenseurs de la ville à se préci-
piter du haut d'une tour élevée. Un soldat hésitait et
s'y prit à deux fois. Le baron lui cria qu'il lui faisait
perdre le temps : « Monseigneur, répondit-il, je vous
« le donne en dix. » Ce bon mot lui fit obtenir sa
grâce2. C'est le seul acte de générosité qu'on lui
attribue. Les violences du baron des Adrets lui ont
mérité un renom de bourreau qui s'est prolongé d'âge
en âge et qui se perpétue encore dans les souvenirs du
Dauphiné par des contes et des chansons populaires3.
La réforme, triomphante en Dauphiné et à Lyon,
était battue en Provence et en Bourgogne. La Pro-
vence avait pour gouverneur Claude de Savoie, comte
de Tende, et pour lieutenant Honoré de Savoie, comte
1. La marche du baron des Adrets sur la ville de Montbrison
donna au roi de Navarre l'idée d'envoyer le maréchal de Saint-
André en Lyonnais contre lui. Le projet ne fut pas exécuté
(Lettre du roi de Navarre à la reine, du 22 juillet 1562 ; Orig.,
f. fr., vol. 15876, f. 301).
2. De Thou, 1740, t. III, p. 232.
3. Voyez la Réforme en Dauphiné, par Long, in-8", 1850.
228 ANTOINE DE BOURBON
de Sommerive, fils du comte de Tende. Le comte de
Tende était un capitaine âgé, d'opinions indécises, dési-
reux avant tout d'éviter la guerre civile. Le roi de
Navarre le félicita de ses efforts pour arrêter les sédi-
tions locales l . Le comte de Sommerive avait embrassé
le parti des Guises. Il accusait son père de tiédeur et
presque de trahison. Animé d'une ardente jalousie
contre un frère d'un autre lit, auquel il se disait sacrifié,
il s'était rangé, dès les premiers troubles, parmi les
ennemis de son père2. Aussitôt après la prise d'Orléans,
sans attendre les ordres de la cour, il entra en campagne
et se mit à traquer les protestants de ville en ville. Le
comte de Tende leva de son côté des troupes, s'allia
aux huguenots et courut sus à son fils. Ainsi, la guerre
civile naquit en Provence d'une inimitié de famille,
et, au rebours de ce qui s'était passé ailleurs, débuta
par le soulèvement des catholiques. Le père et le fils
se faisaient personnellement la guerre, armaient des
troupes, pillaient successivement les villes opposantes,
tous deux au nom du roi. Cette lutte attira l'attention
du roi de Navarre. Mais, à mesure que le comte de
Tende inclinait du côté des huguenots, et Sommerive
dans le sens des catholiques, le parti de la tolérance
perdait de son crédit à la cour. Vers le milieu du
mois de mai, la reine appela le comte de Tende à la
cour et lui commanda de laisser le gouvernement de
la Provence à son fils3. Le comte de Tende sentit que
4. Minute originale, d'avril 1561 (1562); coll. Dupuy, vol. 588,
f. 83.
2. Le comte de Laferrière a réuni [Lettres de Catherine de Médi-
cis, i. I, p. 304, note) plusieurs citations de documents originaux
sur la rivalité du comte de Tende el du comte de Sommerive.
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, p. 304.
ET JEANNE d'aLBRET. 229
cet ordre équivalait à une disgrâce. Il licencia ses
troupes et se retira en Savoie. Le roi de Navarre
adressa à Sommerive, comme au vrai lieutenant du
roi, l'ordre d'achever la pacification du pays en
chassant les séditieux, de les poursuivre en Dauphiné,
de s'entendre avec les sires de Maugiron et de Suze,
et de réunir en toute diligence ses troupes victo-
rieuses à celles qui luttaient péniblement contre le
baron des Adrets1. Mais le comte n'avait point de
hâte de compromettre ses victoires en attaquant un
adversaire aussi redoutable. Il mit le siège devant
Sisteron, ville forte de Provence, que défendaient
Mouvans et Monbrun avec toutes les forces du parti
huguenot. Le roi de Navarre, qui ne se souciait
de Sisteron, lui commanda, le % août, de se « joindre
« avec les trouppes qui viennent de Savoie et d'Ita-
« lie pour, estans tous ensemble, faire ung bon et
« gaillard effect pour le service du roi, » du côté
de Lyon2. Sommerive continua le siège de Sisteron,
la clef du gouvernement de Provence. Après un long
siège, poursuivi avec des alternatives diverses, les
habitants capitulèrent, les soldats et une partie de la
population s'enfuirent et Sommerive entra dans la
place en vainqueur3.
La Bourgogne4 était administrée par Gaspard de
1. Minute originale, datée de mai 1562 (F. fr., vol. 15876, f. 61).
2. Lettre du roi de Navarre, du 2 août 1562, au comte de Som-
merive (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 351).
3. Lettre de Sommerive au roi de Navarre, du 17 sep-
tembre 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 76). Cette lettre contient
des détails nouveaux sur les péripéties du siège de Sisteron.
i. Sur l'histoire de la guerre civile en Bourgogne, sujet que
nous ne pouvons traiter avec développement, voyez Les Mémoires
230 ANTOINE DE BOURBON
Saulx Tavannes, catholique ardent et sans pitié1.
Tavannes avait obtenu du parlement de Dijon l'ajour-
nement de l'édit de janvier et maintenait les hugue-
nots en paix sous sa main de fer2. La prise de Lyon
donna le branle aux rebelles de la province. Si le mou-
vement l'eût emporté en Bourgogne, l'armée royale
aurait été prise à revers sous les murs d'Orléans, et
les reîtres auraient marché sans obstacle sur Paris.
Le roi de Navarre écrivit à Tavannes « que promp-
« tement et à bon essient, dit-il, vous mectiez la main
« à empescher que ce feu qui chemyne de vostre cousté
« ne passe oultre3. » Tavannes n'avait ni troupes ni
argent, et la cour était trop embarrassée pour lui
venir en aide. Le roi de Navarre, le 31 mai, lui
envoya, au lieu de troupes et d'argent, l'autorisation
d'en lever autour de lui.
Mons. de Tavannes, par le gentilhomme qui vous fut der-
nièrement renvoyé de Paris, je vous fais entendre que vous
vous pourriez servir de quatre enseignes des gens de pied qui
de Gaspard de Tavannes, coll. Petitot, t. XXV, p. 338 et suiv. —
Mémoires de Guillaume de Tavannes, ibid., t. XXXV, p. 243 ot
suiv. — Pingaud, Les Saulx Tavannes, in-8°, 1876, p. 33 et suiv.
— Pingaud, Correspondance des Saulx Tavannes, in-8\ 1877, p. 83
et suiv. — Ghalle, Le calvinisme et la Ligue dans l'Yonne, t. I,
p. 15 et suiv. — Abord, La réforme et la Ligue, à Autun, t. I, seul
paru, p. 183 cl suiv. — MM. Pingaud, Ghalle et Abord ont cité
beaucoup de documents originaux conservés dans les archives
locales. — L'illustre Orbandalc, par Bertaut et Gusset, t. I, in tine.
1. Le î août, le pape Pie IV adressa à Tavannes une bulle où
il le remerciail d'avoir conservé la religion en Bourgogne (Annal.
Raynaldi, i. XXI, ann. 1562, n° 169).
2. Sur la rébellion de Dijon, voyez la lettre de Ghantonay à
Philippe II, du 11 mai 1562 (Orig. espagnol; A.rch. nat., K. 1497,
a' 30).
3. Original, daté du 10 mai 1562 (F. fr., vol. 4632, f. 143).
ET JEANNE D'ALBRET. 231
avoienl esté levez pour Lyon avecques les autres quatre que
vous aviez, et, pour le paiement d'icelles, vous ayder des argen-
teryes des églises , sur quoy le Roy vous a faict scavoir son
intention. Et depuis est arrivé le général1, présent porteur,
duquel nous avons sceu ce qu'est advenu à Châlons, où, s'il y
eut eu moyen de donner ordre, je m'asseure que vous n'y eus-
siez riens obmis, comme vous ne ferez, s'il est possible de
réduire ledit lieu en plus de dévotion et obéissance au Roy qu'il
n'est; et aussi de maintenir les autres villes et le pays en repos
et tranquillité. Atendant que le temps nous donne plus de com-
modité, comme je m'asseure avec la grâce de Dieu que nous
aurons, qui est tout ce que je puis escrire pour le présent,
remettant le surplus à la lettre du Roy et de la Royne. Priant
Dieu, Mons. de Tavannes, vous donner ce que plus vous désirez.
Du boys de Vincennes, le dern. jour de may 4 362.
Yostre bien bon et ancien amy,
Antoine2.
Tavannes avait déjà ramassé toutes les compagnies
de sa province, frappé les maisons des huguenots
d'emprunts forcés, fondu l'argent des églises et livré
sa propre vaisselle. Il prit l'offensive avec une petite
armée de 600 cavaliers et de 1 ,200 arquebusiers,
s'empara de Chalon-sur-Saône et mit le siège devant
Màcon. La prise de la ville semblait assurée quand,
le 4 juillet, le soir d'un combat, Tavannes reçut une
lettre, où le roi de Navarre lui rendait compte de ses
dernières négociations avec le prince de Gondé : « Nous
« sommes en si bons termes de pacification qu'il fault
« surseoir toute hostilité, ainsy que la royne vous
« escript3... » A cette nouvelle, Tavannes, qui s'était
1. Le général, officier de linances.
2. Orig.; f. i'r., vol. 4G3?, f. 144.
3. Original, daté de Talcy, du 30 juin 1562 (F. fr., vol. 4632,
f. 145).
232 ANTOINE DE BOURBON
déjà compromis par de glorieux faits d'armes, craignit
une disgrâce pour excès de zèle. Sans attendre la con-
firmation des ordres du prince, il leva le siège et se
retira à Chalon-sur-Saône. Il reçut peu après une
seconde lettre du roi de Navarre, datée du même
jour, qui lui apprenait la rupture de la conférence de
Talcy : « Vous regarderez aussy à faire de vostre
« cousté ce que vous pourrez pour recouvrer Mascon
« et satisfaire à la charge et au pouvoir que le Roy
« vous a commis pour recouvrer l'obéissance où elle
« est perdue ' . » Aussitôt Tavannes envoya à ses
capitaines l'ordre de reprendre la campagne; mais,
de sa personne, il resta sur la défensive. Le roi de
Navarre, dans une nouvelle lettre, lui commanda de
marcher au secours du Dauphiné, où Maugiron et
Suze étaient battus à chaque rencontre par les bandes
du baron des Adrets2.
Le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, en prenant
les armes, n'obéissaient pas à un mot d'ordre. Dans le
parti huguenot, la guerre civile était livrée à l'initia-
tive de chaque capitaine. Point de direction centrale,
pas d'action commune ; chaque chef de bande se ruait
sur les églises ou sur les villes de son voisinage et s'y
établissait en maître après les avoir pillées, comme au
temps de l'invasion des barbares. L'armée d'Orléans,
sous la direction de Goligny, prétendait à plus de dis-
cipline. L'amiral s'efforçait de l'aguerrir, de l'organi-
ser, de lui donner des armes, des chevaux, des vivres,
t. Original, daté de Talcy, du 30 juin L562 (F. IV., vol. 4632,
r. 146).
2. Lettre du roi de Navarre à Maugiron, du 12 juin 1562 (Copie
du temps; Arch. de Lyon ; AA. 24, f. I 10).
ET JEANNE D'ALBRET. 233
de constituer des réserves et des alliances. Les pil-
lages n'étaient qu'un prélude, une satisfaction donnée
aux basses passions de la plèbe de son armée. L'appât
du gain lui servait à recruter des troupes, et la com-
plicité du pillage à les retenir sous le drapeau de la
réforme. Malgré ces attraits, dit Chantonay, les bandes
huguenotes se complétaient difficilement et la plupart
des hommes d'armes, sans emploi depuis la paix de
Cateau-Cambrésis, hésitaient à regagner le camp d'Or-
léans1. Coligny sentait son infériorité. Bien appuyé
sous les murs d'Orléans, il restait sur la défensive et
attendait l'attaque de l'ennemi.
L'armée royale était mieux organisée en vue d'une
longue campagne. Le duc d'Aumale réunissait en
Normandie des troupes qui s'élevaient à 6,000 hommes
de pied, 800 arquebusiers à cheval et 150 hommes
d'armes. Dans les environs de Paris, divers capitaines
avaient levé 28 compagnies de gens de pied, de
300 hommes chacune, et 1 ,000 hommes d'armes com-
mandés par des chevaliers de l'ordre. Nevers, Mou-
lins étaient le centre d'une armée de réserve qui comp-
tait : l'une 3,500 chevaux, l'autre 1,500". Le plan de
campagne du duc de Guise était de faire descendre
ces troupes du Bourbonnais à la Loire, tandis que
l'armée rassemblée à Paris se rapprocherait d'Étampes.
Ainsi, les rebelles auraient été pris entre deux feux
sous les murs d'Orléans3.
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 18 avril 1502 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1197, n° 24).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 30).
3. Lettre de Chantonay À Philippe II, du 5 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 28).
234 ANTOINE DE BOURBON
Le roi de Navarre commandait en chef. Enflammé par
l'approche des combats, il avait retrouvé les vertus
de sa jeunesse. Il recevait les capitaines, passait en
revue les compagnies et les animait de son propre
courage1. La nouvelle du pillage de Vendôme, que
Jeanne d'Albret avait laissé consommer sous ses yeux,
sinon encouragé de son approbation2, arriva à la cour
le 21 mai3 comme pour passionner son ardeur belli-
queuse. Il se plaignit amèrement à l'ambassadeur
d'Espagne des attentats de sa femme contre les plus
respectables reliques de sa maison. Il l'accusait de
sacrilège au nom de leurs jeunes enfants. Il jura de ne
pas laisser un seul hérétique en France, quand la
guerre civile devrait lui coûter la vie. Chantonay l'ap-
prouva et lui conseilla de rompre pour toujours avec
une épouse qui se mettait à la tête de ses ennemis4.
L'ambassadeur nous révèle un fait, qui fut peut-être
un des motifs secrets de la fureur iconoclaste de la
reine de Navarre. Catherine de Médicis, toujours en
garde contre les empiétements du triumvirat, se ser-
vait de toutes ses ruses pour dominer le lieutenant
général. « Encore use-t-elle d'autres moyens, dit Chan-
« tonay, qu'est d'emboucher une demoiselle, dicte
« Rouhet, de laquelle led. s. de Vendosme est bien
« fort amoureux, prétendant par là trouver moyen de
1. Lettre de Chantonay à. Philippe II, du 7 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. mit., K. 1497, q° 29). Toutes les correspon-
dances sont unanimes sur ce point.
2. Voir ci-dessus, p. 94.
;i. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Gondé, t.. I, p. 86
el 87.
4. Lettre de Chantonay ;'i Philippe H, du 28 mai et du 3 juin 1562
(Orig. espagnols; Arch. u.u., I\. I i')7, n" 36, el 1498, u° 5).
ET JEANNE d'âLBRET. 235
« scavoir son secret et le séparer d'avec les catho-
« liques [ . » Louise de la Beraudière, connue à la cour
sous le nom de la belle Rouet, fille de Louis de la
Beraudière, seigneur de Sourches et de Rouet, et de
Louise de la Guiche, était une des plus « fringantes »
demoiselles d'honneur de la reine mère. La mention
de Chantonay fixe la date d'une intrigue galante
qui devait durer jusqu'à la fin de la vie du roi de
Navarre.
Le connétable devait être lieutenant du roi de
Navarre, et le duc de Guise chef de l'avant-garde2. Le
maréchal Paule de Thermes, seigneur gascon, avait
été destiné au commandement de l'arrière-garde ; il
mourut, le 6 mai, au moment d'entrer en campagne3.
Le maréchal de Brissac n'était guère valide. Le duc
de Montpensier était retenu en Poitou 4. Le prince
de la Roche-sur-Yon , prince indépendant et scep-
tique, avait refusé de s'engager dans une guerre dont
l'issue lui paraissait douteuse. Un jour, écrit le capi-
taine La Motte, la Roche-sur-Yon fut « visité en une
« petite maladie par le roy de Navarre, et, interrogé
i. Lettre de Chantonay, du 23 mai, dans les Mémoires de Gondé,
t. II, p. 13.
2. Lettre de Tornabuoni, du 30 mai 15G2 (Négoc. de la France
avec la Toscane, t. III, p. 478).
3. Il mourut le 6 mai, « estant plus riche d'honneur, vertus,
« vaillance et bonne renommée que des biens de ce monde, mou-
« rant moins advancé en richesses que lorsque simple cheval
« léger il vint au service du roi. » Il fut enterré aux Célestins de
Paris (Belleforest, t. II, p. 1629). Ce récit est textuellement copié
par Piguerre, Hist. de nostre temps, p. 409.
4. Lettre du roi de Navarre à la reine, du 16 mai 1562 (Orig.;
appartient à M. Lacaille, ancien magistrat). Nous publierons cette
lettre aux Pièces justificatives.
236 ANTOINE DE BOURBON
« en riant s'il avoit faict venir ses armes et chevaux,
« il dit en colère qu'il n'en feroit venir un seul et qu'on
« ne s'y attendît pas4. » La charge de l'arrière-garde
échut alors au maréchal Saint-André, vieux capitaine
que François de Lorraine voulait faire assister par le
duc de Nemours2. Jacques de Savoie, depuis la tenta-
tive d'enlèvement du duc d'Orléans, s'était retiré en
Italie3. Le roi de Navarre était mal disposé pour lui.
Nemours l'avait offensé en disant au duc d'Orléans que
les Bourbons aspiraient au trône, même au prix de la
vie du roi et de ses frères. La nécessité obligea le
lieutenant général à faire taire ses rancunes. Avant de
reparaître à la cour, Nemours se fit précéder d'une
humble rétractation4. Antoine accepta ses excuses et
promit de lui pardonner5. Mais la reine mère ne con-
sentit au retour de ce seigneur qu'à la condition qu'il
n'aurait point de charge auprès d'elle0. Saint-André
fut alors envoyé à Poitiers ; le connétable prit le com-
1. Lettre du cap. La Motte au s. Holbrac, en date du 21 mai 1562
(Copie du temps; f. fr., vol. 10190, I'. 173).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 21). — Lettre de Catherine à
la duchesse de Savoie, mai 1562 {Lettres de Catherine de Médicis,
t. I, p. 303).
3. Il n'était pas encore rentré à la cour à la date du 22 mai
(Lettre de Robertet, du 22 mai, au duc de Nemours; Autog.,
1'. IV., vol. 3200, f. 133), ni à. la date du 3 juin (Lettre du conné-
table à Nemours, du 3 juin; Orig., i'. fr., vol. 3180, f. 69). Ces
deux lettres sonl datées de la cour.
4. Autographe, daté du 22 juin 1562; Arch. des Basses-Pyré-
nées, E. 585.
5. Copie datée de Blois ci de juillel 15(12; Arch. dos 1>u>si\~-
Pyrénées, I-".. 585.
6. Lettre de Ghanlonay à Philippe 11, du 9 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1498, n" 2).
ET JEANNE D'ALBRET. 237
mandement de l'arrière-garde et le roi de Navarre
resta seul à la tête de l'armée1.
La liste des capitaines de l'armée royale, destinés
à combattre directement sous les ordres du roi de
Navarre, a été conservée dans une pièce de compta-
bilité2. Le prince s'était fait attribuer des « gages » dont
le chiffre élevé prouve qu'il estimait haut ses services.
Il touchait 2,500 livres par mois comme lieutenant
général du royaume. Les s. d'Ossun et de la Brosse,
maréchaux de camp, Charles de la Rochefoucault de
Randan, colonel général de l'infanterie, 300 livres ;
les capitaines Sarlabous et Richelieu, maîtres de camp
des bandes françaises, 200 livres3.
Avant de se mettre en campagne, le roi de Navarre
mit la cour et Paris à l'abri d'un coup de main. Le roi et
la reine s'étaient rendus à Monceaux le 1 3 mai l ; il leur
apporta, le %1 mai, de la part du triumvirat5, le con-
1. Lettre non signée de la fin de juin 1562 (F. fr., vol. 20153,
f. 95).
2. Voici cette liste : l'enseigne colonelle (celle de Charles de la
Rochefoucault de Randan, colonel de gens de pied) ; les cap. Sar-
labous et Richelieu, mestres de camp; les cap. Forcés, Villeneuve,
Boys, Mirepeys, -Marin, Larivière, Brye (au lieu de Boisjourdan),
Hunoset, Noailhan, Nançay, Achaulx, Buno, Sylvestre, Lucinet,
Serrion, Savigny, Jacques Volf, Gosseins, Montorgueil, Rance,
Anglure, Lago, Saint-Estève, Lagrange ; ces trois derniers fai-
saient partie des vieilles compagnies de Calais (Liste datée de
juin 1562; Copie du temps; f. fr., vol. 15876, f. 130).
3. Estats et appointements des lieutenant général en l'armée
et au camp et autres officiers, pour les mois de juin, juillet et
août 1562 (Copie ; Vc de Colbert, vol. 84, t. 275).
4. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 19 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 33). — Journal do 1562 dans
la Revue rétrospective, t. V, p. 104.
5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 108.
238 ANTOINE DE BOURBON
scil impérieux de revenir à Paris et d'y rester sous la
surveillance du prince de la Roche-sur-Yon i . Les
nécessités de la guerre ne laissaient pas à la reine
le choix de sa résidence. Elle quitta Monceaux dans
les derniers jours du mois et s'établit le 30 mai au
château de Vincennes, au grand regret du peuple,
qui aurait désiré garder le roi à Paris2. Le trium-
virat prit des mesures pour la sûreté du roi comme
pour le retenir prisonnier3. L'attitude de la reine
justifiait ces craintes. Catherine, malgré son zèle
apparent en faveur des catholiques, était aussi incer-
taine que le premier jour. Les conférences avec le
chancelier se multipliaient. Quand elle ne pouvait le
voir, elle lui envoyait la dame de Valpergue, « gentil
« femme hérétique, » que lui avait donnée la maré-
chale de Thermes. Ghantonay raconte qu'une dame
de la cour, venue d'Espagne, la dame d'Aguilar, com-
munia un jour dans une église de Paris. Les assistants
la complimentèrent « de ne pas être hérétique comme
« sa maîtresse4. » Le roi était circonvenu par les amis
de Condé. On lui disait que le prince « était les deux
« bras de son corps, » formule extravagante qui frap-
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 5 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 28).
2. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 104. — Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 28 mai 1562
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 3(1). — Journal de 1562
dans la Revue rétrospective, t. V, p. 110.
3. Ordre pour La garde du mi tant de jour que de nuit, pièce
sans date, mais qui se rapporte au mois de mai 1562 (Négoc. sous
François IL p. 869, dans les Documents inédits).
\. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 mai 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1497, n° 30).
ET JEANNE D'ALBRET. 239
pait le jeune roi1. Charles IX garda ses sentiments de
méfiance. Lorsque les troupes allemandes arrivèrent au
camp, le comte Rhingrave alla saluer le roi. Le jeune
monarque « n'en fît pas grand cas, » et dit tout haut à
la reine : « Je ne scay pourquoy l'on faict venir tant
« de gens estrangiers; je n'en ay point de besoing. Je
« scay bien que c'est contre M. le prince de Gondé;
« mais, s'il estoit défaict et ceulx de sa compagnie, je
« crois bien que l'on feroit de vous une petite cham-
« beriere et de moy ung petit valet2. »
La ville de Paris appartenait en majorité au parti
catholique le plus ardent. Le duc de Guise y régnait
en maître; le roi de Navarre, depuis sa conversion,
partageait la faveur populaire des Lorrains3. Antoine
était attentif à flatteries passions religieuses du peuple.
Le 17 mai, jour de la Pentecôte, il assista en grand
apparat à la messe et aux vêpres de la cathédrale
et entendit un sermon du cardinal de Lorraine4. Le
jour de la Fête-Dieu, le 28 mai, au retour de Mon-
ceaux, malgré les dispositions protestantes des habi-
tants de Meaux, il fit célébrer avec éclat la procession
du saint sacrement dans les rues de Meaux et y con-
duisit la reine5. La ville de Paris avait obtenu du roi
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1498, n° 5).
2. Lettre de Goligny à. d'Andelot, du 3 août 1562 (Kervyn de
Lettenhove, Documents relatifs à l'histoire du XVIe siècle, 1883, j>. '.li.
3. Lettre do Ghantonay à Philippe II, du 26 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 36).
4. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 19 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K 1497, n° 33).
5. Lettre de Chantonay à Philippe II, de juin 1562 (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1498, n° 5).
240 ANTOINE DE BOURBON
l'autorisation de s'armer l. Le 1 1 mai, les « citoyens et
« manans » éliront un capitaine et un lieutenant par
quartier et tirent dresser le rôle de tous les habitants
en état de porter les armes2. Le 16, le roi de Navarre
approuva l'élection , commanda aux capitaines de
choisir les enseignes, caporaux et sergents de bande
qui devaient servir sous leurs ordres, fît acheter des
armes par les bourgeois, ordonna des revues par quar-
tier et confia la défense de la ville à chaque compagnie à
tour de rôle. Le jour, les portes restaient ouvertes ; la
nuit, elles étaient fermées et gardées comme en temps de
siège. Des chaînes étaient tendues en travers des rues,
des lanternes ou des torches posées sur le seuil de
chaque maison3. Cette organisation militaire est clai-
rement exposée dans une lettre du roi de Navarre au
prévôt des marchands, du 16 mai4. La ville entière
se soumit aux charges, et le parlement lui-même,
malgré ses privilèges, consentit à participer aux frais
de défense5. Le roi de Navarre confia le gouvernement
de la ville et le commandement des troupes au maré-
chal de Brissac6.
•1. Ordonnance du roi, du 2 et du 8 mai 1562 (La Popelinière,
t. I, f. 310 v°. — Félibien, Hist. de Paris, t. IV, p. 801; t. Y,
p. 291. — Mémoires de Condé, t. III, p. 419).
2. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 104.
3. Lettre de Ghantona} à Philippe II, du 28 mai 15G2 (Orig.
espagnol ; A.rch. nat., K. 1 497, n° 36).
i. Lettre du roi de Navarre au prévôt des marchands, du
16 mai 1562 (Arch. nat., 11. 1784). — Autre copie do cette pièce
(F. IV., vol. 10191, f. 206). — Ces mesures furenl complétées par
une ordonnance du roi, du 17 mai (Félibien, Histoire de Paris,
t. III, p. G66).
5. Arrêl du 22 mai 1562 [Mémoires de Condé, t. [II, p. 454).
6. Négoc. du card. de Ferrare, p. 200. — Les pouvoirs du mare-
ET JEANNE d'aLBRET. 241
L'ardeur des habitants réclamait des mesures plus
complètes. Il existait, dans les écoles et dans certains
corps de métier, une minorité de réformés « pour
« remuer mesnage. » Le 20 mai, sur les remontrances
de Nicolas Luillier, lieutenant civil de Paris, le roi de
Navarre fit crier à son de trompe une de ces ordon-
nances qui ramènent le XVIe siècle aux temps de la
barbarie : « que tous ceulx de lad. nouvelle reli-
« gion, estans de présent demeurans et résidans dans
« lad. ville de Paris, ayent, dans le jour de jeudi pro-
« chain venant, pour tout terme et délay, à s'en reti-
« rer et sortir hors d'icelle ville. » L'édit de pros-
cription, publié le mardi, ne laissait que deux jours
aux religionnaires pour s'expatrier. Le lendemain,
une nouvelle ordonnance aggrava la première en
accordant aux capitaines dizainiers, assistés des prin-
cipaux bourgeois, le droit de désigner « ceux qui sont
« notoirement diffamez et déclarez l . » C'était donner
aux inimitiés locales la facilité de satisfaire leurs
plus basses passions. L'ordonnance fut exécutée avec
une sévérité implacable. La plupart des familles chas-
sées de la ville se retirèrent dans la forêt de Vincennes,
« soit pour trouver une meilleure retraite, soit pour
« obtenir quelque adoucissement2. » Elles périrent
chai de Brissac furent ratifiés par le roi par une ordonnance du
31 mai 1562 (Félibien, Histoire de Paris, t. III, p. 668).
1. Ces deux ordonnance-; furent imprimées en 1562. Elles ont
été reproduites par La Popelinière, in-fol., t. I, f. 310 v°, par
Félibien, Histoire de Paris, t. III, p. 667, et dans les Mémoires de
Condé, t. III, p. 462. — Le parlement en ordonna l'exécution pur
un arrêl du 29 mai (Mémoires de Condé, t. III, p. 168 .
2. Lettre de (Ihantonay à Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arcli. nat., K. 1498, n° 51).
iv 16
242 ANTOINE DE BOURBON
de faim et de misère ou devinrent la proie des bandes
armées qui sillonnaient la campagne. Celles qui res-
tèrent dans Paris furent pillées, dépouillées et jetées
en prison1.
A la fin de mai, l'armée catholique commençait à
être redoutable2. Mais les deux partis hésitaient à
donner le signal des combats. Chaque seigneur pres-
sentait que le sang versé appellerait de terribles ven-
geances, et que, de représaille en représaille, la guerre
civile, embrassant le royaume entier, serait le tom-
beau de tous les capitaines. « Après qu'on eut tiré
« plusieurs coups de plume d'une part et d'autre, dit
« Mathieu, on déguaisna les espées ; la guerre fut
« déclarée. Le Roy de Navarre fut le général de l'ar-
« mée du Roy, et la fit marcher vers Montléry pour
« aller droit à Orléans; les vens de la tempeste civile
« furent laschés; il ne fut plus possible de les retenir;
« il n'y a que Dieu qui les commande. Armes de çà,
« armes de là, troubles, confusions, calamitez par
« tout3. »
Le roi de Navarre fit acheminer l'artillerie, le
23 mai, par la rue Saint-Jacques. La foule se pressait
1. La Popelinière, I . I, I". 310 v°. — De Bèze, Hist. ccclés., 1581,
t. II, p. 75. — Le cardinal de Sainte-Croix: avoue ces excès
(Archives curieuses, i. VI, p. 104). — Lettre anonyme sans date,
écrite par un catholique (F. fr., vol. 20153, f. 95).
2. Ghantonay constate qu'elle était la première prête à entrer
en campagne (Lettre du 28 mai 1562 à Philippe II; Orig. espa-
gnol : Arch. nai., K. 1497, n° 36).
3. Mathieu, Hist. de France, i. I. p. 260. — Dans un autre pas-
sage Mathieu écrit a\ec n îm'ins de verve: « La guerre civile,
plus ruineuse en un estât que le l'eu en une maison, la peste en
une ville, la lièvre au corps humain, fut déclarée et commencée
avec des cruautés et des violences estranges. » [Ibid., p. 259.)
ET JEANNE d'aLBRET. 243
sur le passage des troupes. « Ce jour-là, dit un chro-
« i liqueur anonyme, esmut fort les gens de bien de
c« voir faire un tel effort contre les siens propres1. »
Les canons furent postés sur la route d'Orléans, dans
des retranchements élevés en 1 544, lorsque Charles-
Quint était campé à Saint-Dizier2. Le 1er juin, le roi
de Navarre et l'armée se mirent en campagne. Le
prince marchait à l'avant-garde avec le duc de Guise,
le connétable au centre et Saint-André à l'arrière-
garde. L'armée se composait de vingt-deux compa-
gnies de gens d'armes, de 600 chevaux-légers et de
trente-cinq compagnies de gens de pied. Elle franchit
la première étape et campa le soir à Lonjumeau3.
Pendant que l'armée royale stationnait à Lonjumeau,
la reine arriva à l'improviste pour négocier encore
une fois avec le prince de Condé4. Sans doute la dame
de Crussol, qui était à Orléans avec le cardinal de
Chastillon, lui avait fait part des hésitations du parti
réformé5. L'armée suspendit sa marche, et la
reine, accompagnée du roi de Navarre, se rendit à
1. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. A*, p. 107.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 28 niai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 36).
3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 110. —
Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 87. —
Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 100.
4. Dans les derniers jours de mai, Catherine avait envoyé un
messager à Condé. Il lui répondit, le 28, une lettre peu conci-
liante qui est conservée en copie dans la coll. Brienne, vol. 205,
f. 500. Malgré cette lettre, la reine tenta encore une fois lu voie
des négociations.
5. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 105. — Journal de Bruslard dans \o> Mémoires de Condé. t. I,
p. 87. — Journal de 1592 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 112.
244 ANTOINE DE BOURBON
Étampes1. Elle fit demander au prince de Gondé une
entrevue, en son nom et au nom du roi de Navarre,
dans un lieu de son choix ; et, sans attendre la
réponse, elle s'avança, le o juin, jusqu'à Toury. Là,
elle apprit que la conférence avait paru dangereuse
et que le prince n'avait pas obtenu de son conseil
l'autorisation de sortir de la ville2. Catherine recula
jusqu'à Étampes et renvoya à Orléans Jean de Monluc,
évêque de Valence, avec la mission de faire des efforts
désespérés en faveur de la paix, jusqu'à représenter
au prince que le parti catholique disposait de forces
irrésistibles. Pressé par la reine, Coudé accepta enfin
une entrevue avec son frère, à la condition que la
reine y assisterait3. Les deux partis convinrent de
n'amener que 100 cavaliers et de se rencontrer le
mardi, 9 juin, dans les plaines de la Beauce, entre
Auger ville et Toury4. Catherine et Antoine appor-
taient à la négociation des dispositions bien différentes.
La reine voulait « manibus et pedibus5 » empêcher la
guerre civile, et se montrait si conciliante vis-à-vis des
1. Lettres de Catherine de Médias, t. [, p. 327.
2. De Bèze, Ilist. ecclés., 1881, t. II, p. 528. — Lettre de Tor-
nabuoni, du 13 juin (Négoc. de la France avec la Toscane, l. III,
p. 481). — Lettre du card. de Ferrare [Négoc. du card. de Ferrare,
p. 233). — Discours du card. de Lorraine au pari, de Paris
{Me moires de Gondé, t. III, p. 489). — Presque tous les écrivains
ont confondu le voyage que la reine lit le 5 juin à Toury avec
celui qu'elle fil le 9 au même endroit. Voyez plus loin.
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 6 juin 15G2 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1 i98, u° 5).
4. Lettres de sauvegarde données par le roi de Navarre au
prince de Gondé, datées d'Ktanipes, du S juin 1302 (Minute ou
copie, du temps; 1". IV., vol. 6618, f. 103).
5. Mol de Tornabuoni (Lettre du 13 juin; Négoc. entre la France
i I lu l'usaiiie, 1 . 111,1'. "'^l)-
ET JEANNE d'ALBRET. 245
huguenots que le parti catholique l'accusait, « estant
« en soupçon de leur foiblesse, de leur procurer le
« temps d'attendre leurs estrangers1. » Le roi de
Navarre, au contraire, s'était engagé à repousser les
propositions de paix qui laisseraient aux hérétiques la
liberté de leur culte2.
Le 9 juin au matin, le roi de Navarre se mit à la
tête d'une escorte, composée de chevaliers de l'ordre,
de gens d'armes de sa compagnie et de celles des
triumvirs, tous armés de pied en cap, vêtus de
velours cramoisi et montés avec luxe. La reine le
rejoignit aux portes d'Étampes en litière. Le cortège
franchit six lieues et fit halte, dit La Noue, dans une
plaine « raze comme la mer. » Condé se fit attendre
près d'une heure et demie. Enfin ses coureurs vinrent
reconnaître l'escorte du roi de Navarre. Le prince
arriva, monté sur un étalon des haras royaux de
Meung- sur- Loire, suivi de Piennes, de Genlis, de
Gramont et d'une brillante troupe de cavaliers, vêtus
de casaques blanches et armés de lances ornées
de banderoles de même couleur. Le roi de Navarre le
rejoignit au galop avec François de Montmorency,
Lansac et d'Escars. Ils s'abordèrent froidement et
entrèrent en conférence. La reine, dit Ghantonay,
craignant également ou une dispute ou un accommo-
dement entre les deux frères, accourut aussitôt de
toute la vitesse de ses porteurs. A son arrivée, le
prince de Condé la salua sans descendre de cheval et
s'excusa de rester en selle sur ce que les membres de
1. Mémoires de Tavannes, coll. Petitot, t. XXIV, p. 333.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 6 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1498, n° 5).
246 ANTOINE DE BOURBON
son conseil l'avaient ainsi ordonné, de crainte de sur-
prise. Cette précaution étonna les assistants, mais ne
souleva aucune observation de la reine. Alors le prince
de Condé commença la lecture d'une longue harangue
sur la religion et l'obéissance due au roi. Catherine
l'arrêta au bout d'une heure et le pria « d'arriver au
« but et de couper au plus court. » 11 interrompit sa
lecture et dit « qu'il venait pour écouter ce que la
« reine avait à lui commander. » Elle lui proposa
d'autoriser le culte réformé, d'accorder une amnistie
générale à tous les rebelles, sauf aux officiers du roi ;
en retour, elle demandait au prince de déposer les
armes, de restituer les villes et les églises usurpées.
Elle se réservait de garder les compagnies royales sous
les armes jusqu'après l'exécution de ces conditions. Le
prince répondit que la paix ne serait possible qu'après
le départ des triumvirs et demanda la retraite des chefs
catholiques, l'exécution de l'édit de janvier et le licen-
ciement simultané des deux armées. Catherine répon-
dit avec à-propos que les deux parties belligérantes
n'étaient pas égales, puisque l'une était représentée par
le roi et l'autre par des révoltés, dont le premier
devoir était de se soumettre. Le prince, interdit par
cette observation, déclara qu'il ne pouvait prolonger
les pourparlers sans l'assentiment de ses conseillers,
« qu'il leur avoit donné sa foy et n'y pouvoit contre-
ce venir. » Et il avoua à la reine que les affaires du parti
huguenot étaient conduites par un double conseil,
l'un de vingt, l'autre de cent membres et les résolu-
tions soumises « à la tourbe, » c'est-à-dire à l'assem-
blée du peuple. « C'est donc vous, riposta la reine, qui
« estes prisonnier el sans liberté, non inoy.» Cependant
ET JEANNE DALBRET. 247
lu conférence continua. Gomme le prince témoignait
d'une grande confiance dans ses troupes, la reine lui
dit sur un ton de menace : « Puisque vous vous fiez à
« vos forces, nous aussy nous vous montrerons les
« nôtres. »
Les deux cortèges, commandés l'un par le maréchal
Henri de Montmorency-Damville, l'autre par le comte
de la Rochefoucauld, restaient à huit cents pas l'un de
l'autre, hors de la portée de la voix des deux interlo-
cuteurs. Pendant cette longue attente, les seigneurs
des deux partis se mesuraient des yeux et reconnais-
saient, dit La Noue, « l'un son frère, l'autre son oncle,
« son cousin, son amy ou ses anciens compagnons »
dans les rangs ennemis. Plusieurs demandèrent
l'autorisation « de s'accoster. » Bientôt, de l'un à
l'autre, les cavaliers des compagnies rouges et des
compagnies blanches rompirent leurs rangs et se
mêlèrent fraternellement. Les catholiques représen-
taient à leurs frères huguenots que la guerre civile
serait cause de leur perte, les huguenots qu'elle était
leur seule chance de salut. Tous regrettaient la néces-
sité de s'entr'égorger pour une divergence d'inter-
prétation de texte. « Bref, dit La Noue, chacun s'inci-
« tait à la paix et à persuader les grands d'y entendre.
« Aucuns qui, un peu à l'escart, considéroient ces
« choses plus profondément, déploroicnt le discord
« public, source des maux futurs ; et, quand ils reve-
« noient encore à penser en eux-mesmes que toutes
« les caresses qu'on s'entrefaisoit seroient converties
« en meurtres sanglans, si les supérieurs donnoient un
« petit signe de combattre, et que, les visières estaus
a abattues et la prompte fureur ayant bandé les yeux,
248 ANTOINE DE BOURBON
« le frère quasy ne pardonnerait à son frère, les
« larmes leur sortoient des yeux1. »
L'entrevue avait déjà duré une heure et demie et la
reine et le prince de Condé ne s'étaient communiqué
que ces propositions banales qui revenaient, depuis la
prise d'Orléans, dans les instructions des ambassadeurs
des deux partis. 11 pleuvait à torrents avec un vent
violent « comme au cœur d'un hiver bien froid. »
La reine demanda à se mettre à l'abri dans une chau-
mière délabrée, appelée le château Gaillard, qui s'éle-
vait à quelques pas du chemin. Le prince répondit que
les instructions de ses conseillers lui interdisaient de
quitter la campagne découverte. Cette nouvelle preuve
de méfiance déplut d'autant plus à la reine que les
coureurs de son escorte avaient dépisté un corps de
800 cavaliers ou arquebusiers, cachés par le prince de
Condé dans un pli de terrain. Avant de se retirer, la
reine demanda à prendre jour pour une nouvelle con-
férence. Le prince répondit qu'il ne pouvait s'engager
sans en référer à son conseil et promit d'aviser la
reine. Il se réserva seulement le droit d'amener avec
lui Coligny, d'Andelot et La Rochefoucauld ; la reine,
celui de se faire assister du duc de Guise, du conné-
table, du maréchal de Saint-André ou du cardinal de
Lorraine. Les deux partis se séparèrent, la reine et
le roi de Navarre pour revenir à Étampes, le prince
de Condé à Orléans. Catherine escomptait le résultat
d'une entrevue à laquelle assisteraient les hommes
I. .)/. La Noue, liv. I, chap. ni. — La plupart des his-
toriens protestants ont copié le récit de La Noue, notamment
d'Aubigné, qui en a reproduit la substance avec une^rande élo-
quence [Hist. unir., i.l, col. 195 .
ET JEANNE D'ALBRET. 249
du triumvirat, mais les Guises lui signifièrent qu'à
aucun prix ils ne prendraient part à des négocia-
tions avec des rebelles, parjures au serment de fidélité
au roi.
Le lendemain et le surlendemain, 10 et 11 juin, la
reine attendit vainement à Étampes le rendez-vous du
prince de Gondé. Le 1 2, elle apprit de Jean de Monluc,
évêque de Valence, que les réformés n'accepteraient un
accord pacifique que sur les bases posées par leur
chef. Irritée de ce message, elle promit aux chefs du
parti catholique de fermer l'oreille aux propositions
des huguenots et commanda ses équipages pour
retourner à Vincennes. Le même jour arriva à Étampes
le seigneur d'Yvoi, frère de Genlis , avec une lettre
du prince de Coudé, qui confirmait les réponses de
l'évêque de Valence1. La reine renvoya à Orléans Flo-
rimond Robertet, s. d'Alluye, un des quatre secré-
taires d'état2. Le 1 3 juin, elle se mit en route à petites
journées, dans l'espoir qu'elle serait rappelée à
Étampes. Elle rencontra le roi, qui était venu à la ren-
contre de sa mère sur la route d'Orléans, et arriva à
Vincennes le 13 juin avec toute la cour3.
1. Cette lettre est imprimée dans les Mémoires de Gondé, t. III,
p. 481.
2. L'instruction qui lui fut confiée est publiée dans les Mémoires
de Condé, t. III, p. 483. Elle reproduit les mêmes propositions.
— Le secrétaire d'étal n'esl pas nommé, mais son nom se retrouve
dans une lettre de Gondé, du 1G juin, que nous citons plus loin.
3. Sur l'entrevue de Toury, voyez surtout une lettre de Ghan-
tonay à Philippe II, des 13 el ! i juin 1562 (Orig. espagnol ; Arch.
nat., K. 1498, n° 3), et un discours du cardinal de Lorraine au
parlement [Mémoires de Condc,i. III, p. 489). — Lettre de la reine
à l'évêque de Rennes (Lettres de Catherine de Médias, t. 1. p
— Voyez aussi une lettre de Tornabuoni, des 13 et 1 i juin [Négoc.
250 ANTOINE DE BOURBON
Aussitôt après le départ de la reine, l'armée royale
se remit en mouvement. Le o juin, elle avait atteint
Montlery1 et s'était arrêtée aux environs d'Étampes
pendant la conférence de Toury. Le 13 juin, elle
campe entre Augerville et Mereville, dans le voisinage
des lieux ou, trois jours auparavant, catholiques et
réformés avaient échangé de si touchantes accolades. Le
roi de Navarre écrit à la reine que l'armée montre de
bonnes dispositions, que les chefs sont « enclins à
« s'accomoder à quelques honnestes conditions, »
mais qu'ils demandent à combattre si les rebelles
« ne veulent venir à la raison2. » Le lendemain,
l'armée arrive près de Pithiviers, à une journée
de marche d'Orléans. L'approche de l'ennemi mit le
trouble dans les conseils du parti huguenot. Les uns
voulaient descendre en rase campagne et combattre,
les autres attendre le siège3. Ce fut le parti le plus
prudent qui l'emporta. Les réformés étaient dans une
position avantageuse. Ils dominaient le cours de la
Loire et ne pouvaient être pris à revers que si le roi
de Navarre passait le fleuve. Malgré le danger de
compromettre sa ligne de retraite, le lieutenant général
avait arrêté de se porter en avant, de descendre la
de la France arec la Toscane, t. III, p. iSI el 484). — Journal de
1562 dans La Revue rétrospective, t. V, p. 114. — Mémoires de La
Noue, liv. I, chap. m. — Do Bèze, Hist. ecclés., 1882, t. I, p. 529.
— Lettre de Throckmorton dans Le XVIe siècle et les Valois, par
M. de Laferrière, p. 69.
1. Journal de 1562 dans La Revue rétrospective, I V, p. 142.
2. Original, daté du 13 juin, du camp de Mereville (F. fr.,
vol. 6606, f. 5).
3. La Popelinière mel dans La bouche de Golignj el de Genli6
deux discours à la façon de Tite-Live sur L'opportunité d'une
bataille (1581, t. I. F. 317 v° el suiv.).
ET JEANNE D'ALBRET. 251
Loire, de s'emparer du pont de Baugency et de bloquer
Orléans sur l'une et sur l'autre rive1.
Le 13 juin, pendant que l'armée royale s'ébranlait,
le prince de Condé avait écrit à la reine et au roi de
Navarre deux lettres qui révélaient certains regrets
de l'échec de la conférence de Toury2. Les lettres
furent apportées au camp au point du jour par
François du Fou, seigneur du Vigean, oncle de made-
moiselle du Rouet, « l'amie de Vendôme, » et par
Florimond Robertet d'Àlluye, secrétaire d'état. Les
deux messagers représentèrent au roi de Navarre que
sa marche en avant ouvrait la guerre civile et consom-
mait la ruine de son frère au profit des Guises et du roi
d'Espagne, les plus mortels ennemis de la maison de
Bourbon. Ils ravivèrent son ancienne rivalité et l'atten-
drirent tellement, dit Chantonay, dans ses sentiments
fraternels, que le prince versa des larmes et résolut de
renouer les négociations. Le connétable et le duc de
Guise, aussitôt informés, accoururent dans la chambre
du roi de Navarre, mais ils ne purent modifier ses
desseins. En vain lui prouvaient-ils qu'il pouvait termi-
ner la guerre en un jour sans tirer l'épée. Le seigneur du
Vigean lui persuada que l'honneur de la campagne res-
terait au duc de Guise et les profits de la victoire au
roi d'Espagne. Robertet et du Vigean arrivèrent jus-
qu'à Paris et prirent un rendez-vous secret avec la
reine dans le bois de Vincennes. Malgré les précautions
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig.
espagnol : A.rch. oat., K. 1 198, n° 4).
.'. Ces deux lettres sonl publiées dans les Mémoires dt Condé,
t. 111, p. \x\ el 186. Les originaux sonl conservés, l'un dans le
f. fr., vol. 15876, f. 125, l'autre parmi les autographes de Saint-
Pétersbourg, vol. 39, f. 3.
252 ANTOINE DE BOURBON
prises, le mystère fut découvert par l'ambassadeur
d'Espagne. Chantonay adressa des représentations à la
reine et ne fut pas écouté. Après deux jours de confé-
rence, le roi de Navarre renvoya les deux messagers à
son frère en lui proposant une trêve de six jours et
une nouvelle entrevue sous les murs de Baugency4.
La nouvelle des pourparlers fut accueillie dans
l'armée catholique avec des sentiments divers. La
plupart des capitaines regrettaient d'avoir pris les
armes et menaçaient de quitter le camp pour défendre
leurs maisons2. L'ambassadeur d'Espagne envoya offi-
ciellement au roi une lettre de remontrance3. Seuls, les
cardinaux de Ferrare et de Sainte-Croix, le premier par
souplesse et le second par ambition4, « disaient amen,
« écrit Chantonay, à tout ce que proposait la reine5. »
Catherine, depuis le retour d'Étampes, « se sentait
« assez mal d'une cheute de cheval qui luy avait fait fort
« grand mal à la main, à la hanche et au bras6. » La
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1498, n° 4).
2. Lettre de Chantonay, du 17 juin (Orig. espagnol ; Arch. nat.,
k. 1498, n° 5).
3. Original, daté de Paris, du 18 juin (F. fr., vol. 15876, f. 144).
i. Prosper de Sainte-Croix, que nous appelons toujours le car-
dinal de Sainte-Croix, parce qu'il a'esl connu que sous ce titre,
n'était pas encore cardinal; mais il comptait le devenir, dit
Chantonay, par l'influence de la reine (Lettre de Chantonay à
Philippe II, du 17 juin 1562; Orig. espagnol ; Arch. nat.,K. 1498,
n" '.).
5. Lettre de Chantonay citée dans la note précédente. — Ils
furent désapprouvés par les cardinaux delà cour romaine (Lettre
du présidenl de l'Isle au roi, du 1 i juillet 1562 ; Copie du temps ;
T. IV., vol. 3955, f. 103).
6. Lettre de Marguerite de France, duchesse de Savoie, à Bor-
dillon, du 28 juin 1 562 [Revue des sociétés savantes, nov. 1872, p. 458).
ET JEANNE D'ALBRET. 253
veille elle avait été saignée et purgée1. Malgré ses
maux, au reçu de la lettre du roi de Navarre, elle
partit en litière2. Elle emmenait avec elle quelques
dames, au milieu desquelles, dit Chantonay, « trônait
« avec honneur l'amie de Vendôme, afin de s'en servir
« dans cette entreprise comme d'un principal instru-
« ment pour obtenir de lui tout ce qu'elle pourrait
a désirer. » Un seigneur catholique observa tout bas
à la cour que la reine se moquait du roi de Navarre.
Le propos fut répété ; Catherine protesta vivement de
sa déférence pour le prince et dit que la paix ne pou-
vait lui être « imputée » à elle-même, mais bien au
lieutenant général, « qui seul avait les armes à la
main3. »
Le prince de Coudé accepta les propositions de
son frère, la trêve de six jours et l'entrevue à Bau-
gency. 11 rappela un faible corps de garde huguenot
qui défendait le pont de la Loire et proposa au roi de
Navarre de neutraliser la ville4. La reine s'avançait à
grandes journées. Le 1 9 juin, elle arriva à Artenay5 et
1. Lettre de Vieilleville à Tévèque de Rennes dans les Mémoires
de Castelnau, t. I, p. 813. — Journal de 1562 dans la Revue rétros-
pective, t. V, p. 168. — Journal de Bruslard dans les Mémoires de
Condé, t. I, p. 89. — Lettre de Chantonay dans les Mémoires de
Condé, t. II, p. 47.
2. Suivant un témoin, elle était partie le 17 juin, à petites jour-
nées, à la première nouvelle des négociations du roi de Navarre
avec Condé (Lettre anonyme sans date (juin 1562) ; Copie du
temps; f. fr., vol. 20153, f. 95).
3. Lettre de Chantonay à. Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1498, n° 4).
4. Lettre de Condé au roi de Navarre, datée du 16 juin et d'Or-
léans (Orig.; Arch. dos Basses-PyréniT-, K. 585).
5. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 335.
254 ANTOINE DE BOURBON
s'y rencontra, comme par hasard, avec la princesse de
Gondé, la dame de Grussol et le cardinal de Ghastillon1.
Après une assez longue conférence, que la reine voulut
tenir aussi secrète que possible, la princesse de Condé
retourna à Orléans, mais la dame de Grussol resta
auprès de la reine. Le 22, Catherine, sans doute pour
éloigner des témoins importuns, envoie sa maison et
ses secrétaires à Etampes et se rend en personne à
l'abbaye de Saint-Simon2, près d'Orléans, auprès du
roi de Navarre. Pour garder les dehors de l'impartialité,
elle refuse de se confier à l'une ou à l'autre armée3 ;
elle s'éloigne du théâtre de la guerre et s'établit à
Talcy, petit village du Blésois, près de Marchenoir4.
Pendant que la reine se rapprochait d'Orléans, le
prince de Gondé, jugeant qu'il était d'une bonne poli-
tique de faire étalage de ses armes, s'était mis aux
champs, le 19 juin, avec trente enseignes de gens de
pied et 2,000 cavaliers5. Il établit son camp à deux
lieues d'Orléans, sur les bords de la Loire, en face de
l'armée catholique. La Loire seule séparait les avant-
postes. La reine avait posé à Artenay, dans sonentre-
1. Lettre de Ghantonay, du 30 juin 1562 (Orig. espagnol ; Arch.
nat., K. 1498, u° 6). — Lettre de Tornabuoni, du 24 juin {Négoc.
entre la France et la Toscane, t. UT, p. i84). — Lettre de Throck-
morton [Calendars, 1562, p. 102).
2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 338 et 339. — Les
étapeB de la reine sont exposées clairement dans un rapport
adressé à Tlimckmortiin el publié par le comte de Laferrière
(Le XVIe siècle et les Valois, p. Tin.
:!. Lettre de Tornabuoni, du 24 juin 1562 (Négoc. de la France
avecla Toscane, t. III, p. 184). — Négoc. du card. de Ferrure, p. 251.
i. Lettre du roi de Navarre au cardinal de Lorraine, datée de
Saint-Simon et du 21 juin 1562 (Orig., I IV., vol. 3219, F. 125).
5. De Bèze, Hist. ecclés., 1881, t. 1, p. 536.
ET JEANNE d'âLBRET. 255
vue avec la princesse de Condé, les préliminaires d'un
accommodement formé de concessions mutuelles. Le
roi de Navarre, campé à Baugency, eut deux conférences
avec son frère, le 21 l et le 22 juin, et, moitié par
persuasion, moitié par crainte réciproque, les deux
princes arrêtèrent la convention suivante : les trium-
virs quitteraient la cour et se retireraient en leurs
maisons ; les protestants restitueraient les villes con-
quises ; le prince de Condé se livrerait à la reine
comme otage de la fidélité de son parti ; le roi de
Navarre resterait seul à la tête de l'armée royale pour
procéder au désarmement général.
Les deux frères étaient près de s'accorder quand
surgit un incident qui prouve combien le roi de
Navarre était l'esclave de ses intérêts personnels. Au
moment de consigner par écrit les résolutions prises,
arrivèrent le secrétaire de Chantonay et un courrier
du cardinal de Bourbon. Les réponses de Philippe II
et les dépêches de d'Almeida2, arrêtées pendant trois
jours à Orléans3, avaient été remises à la cour4. Le
cardinal de Bourbon les avait ouvertes et se hâtait
d'informer son frère que le roi d'Espagne, faisant droit
aux légitimes revendications de l'héritier de la maison
1. Antoine écrivit ce jour-là au cardinal de Lorraine : « Ladictn
dame (la reine) aussy vous escript comme il va de nostre négo-
ciation de paix, à quoy je ne scaurois adjouster aucune chose. »
(Orig.; f. fr., vol. 3219, f. 125.) La lettre de la reine est perdue.
2. Voyez la tin du chapitre précédent.
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1498, n° 6).
4. L'arrivée du courrier d'Espagne est signalée sous La date du
20 juin 1562 dans le journal de 1562 \livvw' rrtruspectivc, l. Y,
p. 170).
256 ANTOINE DE BOURBON
d'Albret, lui accordait provisoirement la Sardaigne, en
attendant la conquête de la Tunisie. A la lecture de
cette dépêche, Antoine fut tellement « transporté de
« l'allégresse qu'il en ressentit qu'il ne put s'empêcher
« d'en faire démonstration par des paroles et par des
« signes. » La convention pacifique, péniblement écha-
fàudée les jours précédents, fut sacrifiée. De tous les
intérêts à défendre, il ne connaissait plus que les siens,
avec l'utilité de complaire au roi catholique. Le prince
de Gondé s'était retiré avec ses conseillers pour libeller
le traité de paix. Antoine appela son favori, d'Escars,
et lui commanda, lorsque les secrétaires apporteraient
l'acte, de le déchirer sous leurs yeux et de dire que
les conditions étaient trop déshonorantes pour que le
prince osât les recommander au roi. Cet éclat inat-
tendu ramena le prince de Gondé auprès de son frère.
11 avait appris dans l'intervalle qu'un messager du
cardinal de Bourbon était arrivé à Baugency et il attri-
buait aux nouvelles d'Espagne l'évolution subite du
lieutenant général. Antoine le reçut froidement, refusa
de s'expliquer et le congédia sans un mot de concilia-
tion1. Gondé paraissait affligé. Avant de remonter à
cheval, il s'approcha de son frère et demanda à lui
baiser la main avant de mourir ~.
Rentré au camp, le prince de Gondé tint conseil. 11
fallait reprendre Baugency, queles catholiques tenaient
1. Cette scène singulière a'esl racontée que par un des ambas-
sadeurs vénitiens (Déchiffrement daté du 23 juin 1562; Dépêches
vénit., filza S bis, f. 38). — Tornabuoni fait quelques allusions à.
ces négociations préliminaires [Négoc. entre la France et la Tos-
cane, t. III, p. ï84).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 30 juin 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1 198, n° 6).
ET JEANNE D'ALBRET. 257
à titre de restitution. Le prince envoya un gentilhomme,
nommé Àrchimont, pour « semondre » le roi de
Navarre de rendre la ville. Le connétable reçut le
messager et lui demanda s'il était français, s'il ne
savait pas qu'il y avait un lieutenant général pour
commander en place du roi et un connétable pour com-
mander en place du lieutenant général, « que Bau-
« gency estoit au Roy et [qu'ilj s'esmerveilloit qu'un
« françois feust si hardy et mal conseillé que de pourter
« parolles de distraire et oster à son prince une de
« ses villes. » Puis il loua Archimont de ses anciens
services, lui promit de « l'eslever si hault qu'il seroit
« veu de tout le camp. » Par fanfaronnade, il proposa
de rendre aux gens d'Orléans Baugency, à la condition
qu'ils y mettraient 2,000 de leurs meilleurs arquebu-
siers, « s'asseurant bien de crocheter la ville par
« d'autres clefs, monstrant l'artillerie1. »
Pendant que le prince de Gondé et son conseil
regrettaient la perte de Baugency, arriva au camp un
nouveau messager de la reine, Joachim de Monluc, s.
deLioux, frère de Févêque de Valence. Catherine avait
appris l'étrange refus du roi de Navarre et reprenait
personnellement les pourparlers. Le lendemain, 24 juin,
Condé expédia à la reine mère2 et au roi de Navarre
1. Relation anonyme de l'entrevue de Baugency envoyée à
Paris par un capitaine, en date du 26 juin 1562 (Copie du temps ;
F. fi\, vol. 20153, f. 39).
2. Il semble même que Condé ait eu avec la reine, dans la
matinée du 24, une première conférence où il aurait pris les
engagements les plus formels. Voyez le journal de 1562 dans ht
Revue rétrospective, t. V, p. 175. Le témoignage de cet annaliste
est d'autant plus précieux qu'il prétend tenir son récit de la
bouche de Joachim de Monluc, s. de Liuux.
iv 17
258 ANTOINE DE BODRBON
François de Bricquemault avec deux lettres de créance1
et un manifeste, signé des principaux seigneurs réfor-
més. Ce manifeste passe sous silence, comme non
avenu, avec le mépris qu'il mérite, l'insolent désaveu
du roi de Navarre. Dès ce moment, Antoine perd la
direction des négociations.
Avant que passer plus avant, que Messieurs de Guise, con-
nestable, el mareschal de Sainct-André se retirent en leurs
maisons, et, à l'heure mesme de leur retraite, nous supplions
très humblement Monseigneur le prince de Condé de s'aller
consigner et constituer entre les mains de la Royne et du Roy
de Navarre pour plcige et garand de nostre foy ; promettant à
leurs Majestés en uostre nom que nous y obéirons promplement
à tout ce qui nous sera commandé de leur part pour le service
du Roy, le salut de ce royaume, la conservation de nos biens
et vies, le tout à la gloire de Dieu et liberté de nos consciences.
Faict à Vaussouldun, ce 24e juin 4 502.
Signé ChasLillon, Andelot, La Rochefoucauld, Genlis, Piennes,
Soubize, de Grandmont, Mouy, Bricquemault, Tenneguy du
Rouchet, Le Vigen, de Bellcville, Saincte-Foy, de La Roche-
foucault, de Belleville2.
La reine accueillit favorablement le manifeste du
%\- juin et l'envoya au parlement de Paris3 avec une
lettre d'actions de grâces à Dieu4. Elle écrivit au roi
t. La loi ire de Gondé au roi de Navarre est publiée par le
comte Delaborde (Goligny, t. IL p. 119). — La lettre du même à
h reine esl dans le t fr., vol. 6607, f. Aï.
2. Cet acte a été plusieurs fuis publié, notamment par de Bèze
(1SS1, !.. 1, p. TiMii) ci d'apirs l'original parle comte Delaborde
(Goligny, t. II, p. 118).
3. Celle pièce fui enregistrée dans les registres secrets delà
cour (Coll. du Parlement, vol. 554, f. 326).
4. Lettre de Catherine au parlement, du 25 juin (Lettres </<
Gatherinede Médicis, 1. 1, p. 340). (Mémoires de Gondé, t. III, p. 507.)
ET JEANNE d'aLBRET. 259
et le pria de faire chanter un Te Deum à l'église de
Notre-Dame1. Elle rassembla son conseil et lui commu-
niqua l'espérance que le royaume échapperait aux hor-
reurs de la guerre civile. Nul ne doutait de la paix. Il
ne restait plus qu'à libeller les conventions verbales.
Catherine expédia dans les provinces rebelles des offi-
ciers chargés de l'aire exécuter le nouveau traité et de
recevoir, au nom du roi, les villes restituées par les
huguenots. Joachim deMonluc, s. de Lioux, qui venait
d'Orléans, fut envoyé en Guyenne, Saluées en Pro-
vence2, Senneterre en Lyonnais3, Glervaux en Lan-
guedoc, ce dernier avec une lettre du roi de Navarre4.
La reine informa le cardinal de Ferrare de la bonne
nouvelle 5 et convoqua le roi à Baugency pour donner
plus d'autorité au traité de paix du lendemain6. Le roi
partit de Vincennes le 25 juin et coucha le premier jour
à Gorbeil7.
Trois jours après que le manifeste fut arrivé à
Baugency, le 27 juin, les triumvirs se retirèrent de la
cour. Le roi de Navarre, qui obéissait à la reine avec
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 juin (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1498, n° 6).
2. Les instructions confiées à Monluc de Lioux et à Saluées
sont conservées dans le f. fr., vol. 15876, f. 164 et 165.
3. M. de la Ferrière a publié en entier (Lettres de Catherine,
t. I, p. 340, note) l'instruction qui fut donnée à M. de Senneterre.
4. Lettre du roi de Navarre, du 26 juin, datée de Baugency
(Minute; f. fr., vol. 15870, f. 161). — Voyez aussi la lettre de la
reine à Joyeuse [Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 34 2).
5. Négoc. du card. de Ferrare, p. 257.
6. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 384.
7. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 171. —
Avant de partir, il envoya la bonne nouvelle au card. de Ferrare
(Négoc. du card. de Ferrare, p. 284).
260 ANTOINE DE BOURBON
autant de docilité que s'il ne se fût jamais mêlé de la
•négociation, peut-être avec l'arrière-pensée de la faire
échouer, salua leur retraite, dit de Bèze, par une belle
harangue, à la tête de l'armée. Catherine leur délivra,
comme un titre de noblesse, une déclaration par laquelle
elle reconnaissait que leur absence était volontaire et
ne pouvait porter dommage à leur honneur de fidèles
serviteurs du roi l . L'annonce de leur départ arriva à
Orléans le %l juin, à minuit, au moment où la trêve
finissait. Restait au prince de Condé à imiter ce désin-
téressement et à se constituer prisonnier à la cour
« comme pleige et garant » de la bonne foi des siens.
Il y paraissait résigné. Le lendemain matin, il écrivit
aux fidèles de l'église de Lyon : « Les troubles qui ont
« duré jusques à cette heure sont sur le point d'estre
« pacifiez, et, pour cest effect, me suys achemyné pour
« aller trouver la royne, le roy mon frère, pour adviser
« des articles et conditions de la paix2. »
Cette lettre écrite, le prince de Condé monta à cheval
et se rendit à Talcy;i en petit équipage. Catherine et le
1. Ge1 acte es! publié dans 1rs Mémoires de Co?idc,t. III, p. 512,
et dans les Mémoires-Journaux du duc de Guise, p. 495. — L'ori-
ginal esl conservé dans le f. IV., vol. 3194, f. 5. — Le cardinal
de Ferrare donne quelques détails sur le départ des triumvirs
[Nêgoc. du card. de Ferrare, p. 285).
2. Lettre du prince de Condé à l'église de Lyon, rapportée par
le comte Delaborde [Goligny, t. II, p. 120).
3. D'Aubigné raconte u\w singulière aventure qui se sérail
passée pendant le séjour de la reine à Talcy : ■■ J'ay appris du
s. de Talsy, dit-il, que le roy de Navarre et la royne mère,
estans à la fenestre dans une ebambre assez basse, escoutoyent
deux goujats, qui, eu faisanl rôtir une oye dans une broche de
buis, chantoyenl des vilenies contre la royne. L'un disoit que le
cardinal l'avoil engrossée d'un petit gorret, l'autre disoit d'un
ET JEANNE D'ALBRET. 261
prince avaient arrêté dans leur première conférence un
point capital, le renvoi des triumvirs, mais il restait des
questions graves à traiter : la prédominance du culte
catholique, l'exercice de la réforme, etc. Antoine,
« changé du tout au tout » depuis qu'il avait reçu des
nouvelles d'Espagne, formula de sévères exigences,
que la reine n'osa modérer. Condé, accueilli avec
égards, mais se sentant prisonnier, prétendit ne pou-
voir traiter sans l'assentiment de ses compagnons
d'armes4 et obtint de la reine l'ajournement de la con-
férence au lendemain et l'autorisation d'appeler les
seigneurs de son conseil. Le lendemain, 29 juin,
l'amiral, d'Andelot, La Rochefoucauld, le prince de
Porcian, Rohan, Genlis, Gramont, Soubise, après s'être
longtemps retardés, arrivèrent à Baugency, conduits
par Condé. Outre un nombreux cortège de gens
d'armes, ils avaient amené, à peu de distance, de l'aveu
de de Bèze, un corps d'armée capable de les défendre2.
petit mulet ; et puis ils maugréoyent de la chienne ; tant elle leur
faisoit de maux. Le roy de Navarre prenoit congé de la roine
pour les aller faire pendre, mais elle, après avoir dit par la
fenestre : Hé, que vous a-t-elle l'ait? Elle est cause que vous
rôtissez l'oye. Se tourne vers le roi de Navarre en riant et lui
dit : Mon cousin, il ne faut pas que nos colères descendent là,
ce n'est pas nostre gibier. Soit dit sur ce qu'elle n'avoit rien de
bas. » (Hist. univ., t. I, col. 198, 1626.)
1. L'auteur anonyme du Journal de 1562 prétend tenir de la
bouche de Joachim de Monluc, s. de Lioux, que le prince de
Condé s'engagea absolument et sans réserve à accepter les pro-
positions de la reine (Revue rétrospective, t. V, p. 176).
2. Le journal de 1562 donne d'amples détails sur les troupes
amenées par les huguenots (Revue rétrospective, t. V, p. 177). —
Calvin, dans une communication au conseil de Genève, du '.(juil-
let, raconte que les chefs huguenots n'envoyèrent de troupes que
pour délivrer le prince de Condè (Roget, Hist. dupeuple deGenève,
262 ANTOINE DE BOURBON
La reine les attendait dans une grange délabrée, un
bâton à la main en guise de béquille, à cause de sa
blessure. Le roi de Navarre ne parut pas à la confé-
rence, soit que sa conversion de fraîche date ne lui
permît pas de se rencontrer en face d'hérétiques
endurcis, comme dit Chantonay, soit qu'il craignît des
reproches au sujet de ses contradictions précédentes l.
Catherine accueillit les chefs réformés « bénigne-
« ment » et s'efforça de les flatter en les traitant de
sauveurs du roi. Ces précautions oratoires étaient
le prélude de communications importantes. La reine
leur signifia que l'édit de janvier devait être sacri-
fié à la paix publique, que le culte de la religion
réformée ne pouvait être toléré en public, mais que
chaque seigneur garderait le droit de l'exercer à
l'intérieur de sa maison. La déclaration surprit les
députés. Coligny répondit au nom de tous que la
« parole de Dieu » ne pouvait être cachée aux fidèles.
Les autres seigneurs approuvèrent l'amiral, et, malgré
les instances de la reine, refusèrent d'accepter la sup-
pression de l'édit de janvier. Catherine se mit « fort
« en cholère et parla deux grandes heures » sans
les fléchir. Elle réclamait au prince de Condé et à
ses compagnons l'exécution des promesses qu'ils
avaient souscrites le 24 juin. Ne pouvant rien obtenir
t. VI, p. 234). Tous les historiens de son parti conviennent que
Condé n'était prisonnier que comme otage et sur parole. Voyez
la note suivante.
1. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 30 juin lOrig. espa-
gnol ; An-ii. aat., 1\. 1498, n" ni. — Autre lettre du même dans
le Mémoires de Condé, t. II. p. 48. — De Bèze, Hist. ecclés., 1881,
t. I, p. «r)37. — Journal de 1562 dans la Revue -rétrospective, t. V,
p. 17 1 el suiv.
ET JEANNE d'aLBRET. 263
du prince, « elle se leva et frappa plusieurs fois par terre
« de son baston, disant : Ha ! mon cousin, vous m'affb-
« lez, vous me ruinez. » Condé garda le silence, mais
le sire de Soubise répondit pour lui : « Comment,
a Madame, est-ce cela que vous nous disiez maintenant,
« que vous estes si libre, et que nous avons tort de
« dire que vous soiez captive? Si vous avez toute puis-
« sance, comme vous dites, qui est-ce qui vous peut
« affoler1. »
La suite de l'entretien démontra aux parties qu'elles
ne pouvaient s'entendre qu'à la condition de ne pas
approfondir leurs divergences. L'incident a été l'objet
de deux récits contradictoires, l'un émané de la reine,
l'autre du parti huguenot. D'après les lettres de Cathe-
rine, les réformés, après qu'elle eut avoué l'impossi-
bilité de maintenir l'édit de janvier, déclarèrent sans
hésiter qu'ils ne pouvaient habiter la France et deman-
dèrent l'autorisation de sortir du royaume avec leurs
familles et tout ce qu'ils pourraient réaliser de leurs
biens2. La reine combattit cette résolution; les sei-
gneurs multiplièrent leurs instances dans l'espoir que
la crainte de perdre la fleur de la noblesse du royaume
déciderait la reine à céder. Il en arriva tout autrement.
Après une longue lutte, la reine consentit brusque-
1. Mémoires de Soubise, 1879, p. 58.
2. D'après de Thou, qui a été suivi sur ce point par presque
tous les historiens, ce parti avait été imaginé par Moniuc, évêque
de Valence, et approuvé secrètement par la reine, qui se serait
débarrassée ainsi des ambitieux des deux partis. Moulue, pétulant
les jours précédents, aurait réussi à convertir les seigneurs pro-
testants à l'idée de cette retraite (De Thou, 1740, t. III. p. 166).
Ce plan est tellement machiavélique qu'il a l'air d'une combi-
naison faite après coup.
264 ANTOINE DE BOURBON
ment à leur retraite. Aussitôt, changeant d'attitude et
de langage, les seigneurs huguenots remontèrent à che-
val et invitèrent Gondé à les suivre, sous prétexte que
le triumvirat devait le faire assassiner pendant la
nuit1. La reine s'efforça vainement de le retenir. Elle
avait à peine vingt chevaux et les réformés plus de
huit cents. Les rebelles menaçaient d'emmener leur
chef contre son gré et de conduire la reine en prison,
« que peut-être ne fust esté grande perte pour ce
« royaume, » dit Ghantonay. Le prince feignit de céder
à la violence et revint à Orléans2.
1. Ncgoc. du card. de Ferrare, p. 288.
2. Lettre de Catherine au duc de Montpensier, juin 1562 (du
30 probablement plutôt que du 25 de ce même mois) (Lettres de
Catherine de Médias, t. I, p. 341). — Autre au s. d'Estampes, juil-
let (Ibid., p. 345). — Autre à l'évêque de Renues, du il juillet
[Ibid., p. 350). — Autre au parlement de Paris, du 11 juillet
(Ibid., p. 351). — Procès-verbal de la séance du parlement, du
3 juillet (Mémoires de Condé, t. III, p. 513). — Instruction donnée
au s. d'Oysel, du 13 juillet (Ibid., p. 533). — Le récit de la reine
esl surtout clairement présenté dans une instruction de la reine
à Brissac publiée en note dans le tome I des Lettres de Catherine
de Médicis, p. 351. — Lettre de Ghantonay à Philippe II, du
30 juin 1562 (Orig. espagnol; A.rch. uat., K. 1498, n° 6). Autre
lettre du même, probablement adressée à la duchesse de Parme,
du 11 juillel 1562 (Mémoiresde Gondé, t. II, p. 48). Cette lettre est
presque la reproduction de celle que le même ambassadeur avait
adressée le 30 juin à Philippe 11. Toutes les deux présentent, des
divers incidents de la conférence de Baugency, un récit obscur
ei confus. — Le cardinal de Ferrare confirme le récit de la reine
(Négoc. du card. de Ferrare, p. 253 el 285). D'après une lettre du
cardinal de Ferrare, la proposition des seigneurs huguenots de
quitter la France, si la reine ne leur accordait pas l'exécution de
l'édil de janvier, aurail précédé la conférence du 29 juin. Les
dates des lettres de ce1 ouvrage nous paraissenl sujettes à cau-
tion. — Le journal de 1562, bien qu'écril dans un sens peu catho-
lique, présente aussi la même versioD (Revm rétrospective, t. Y,
p. 174).
ET JEANNE d'ALBRET. 265
D'après les récits de source protestante, Coudé et les
siens auraient été victimes d'une sorte de surprise. La
conférence se traînait sans conclusion quand le prince
de Condé eut l'imprudence de dire que, si sa présence
et celle des chefs de la réforme était un obstacle à la
paix, il offrait à la reine de quitter le royaume avec
ses compagnons d'armes et de chercher un asile à
l'étranger *. Il n'avait pas achevé de parler que la reine
le prit au mot, « disant que c'estoit le vray moyen pour
« remédier aux maux qu'on craignoit. » Et elle ajouta
en forme de commentaire : « Mais seullement jusques
« à la majorité du roi, que je feray déclarer majeur à
« quatorze ans. » Le prince de Condé, Coligny malgré
sa présence d'esprit2, restèrent sans parole, pendant
que la reine, avec une abondance inépuisable, dévelop-
pait les avantages de la retraite momentanée des chefs
réformés. L'heure avancée lui permit de lever la séance
et de renvoyer les seigneurs sans leur donner le temps
de proposer un correctif. « Le prince, dit La Noue, se
« retira en son camp, riant, mais entre les dents,
« avec les principaux de sa noblesse, qui avaient
« entendu les discours. Les uns se grattoyent la teste,
« qui ne leur démangeoit pas, les autres la branloient.
1. Condé parlait au nom de tous ceux qui avaient signé ie
manifeste du 24 juin (Instruction de la reine à Brissac dans
Lettres de Catherine de Médicîs, t. I, p. 351, note). — Sic, autres
pièces [Mémoires de Condé, t. III, p. 514 et 533). — De Thou
semble avoir adopté le récit huguenot, peut-être parce qu'il avait
Y Histoire ecclésiastique de de Bèze et les Mémoires de La Noue sous
les yeux {Hist. univ., 17 iO, t. III, p. 165).
2. Le comte Delaborde observe [Coligny, t. II, p. 121) que
l'amiral n'avait peut-être pas toute sa liberté d'espril en ce
moment. La peste régnait à Orléans et le fils de Coligny était
atteint. L'enfant mourut le 14 juillet.
266 ANTOINE DE BOURBON
« Celui-cy estoit pensif, et les jeunes gens se moc-
« quoient les uns des autres, s'attribuant chacun un
« mestier, à quoy ils seroient contraints de vacquer
« pour avoir moyen de vivre en pays estrange1. »
La reine croyait encore à la bonne foi du prince de
Condé, et, malgré l'hésitation qui régnait dans les con-
seils des huguenots, à sa proposition de quitter la
France. Le soir môme de la conférence, elle envoya à
Orléans Nicolas d'Angennes, seigneur de Rambouillet,
afin de demander au prince, le lendemain, à son lever,
l'heure de son départ et lui offrir dix mille écus2.
Convaincue que la paix était certaine, elle écrivit à
Gaspard de Saulx-Tavannes : « Geulx de Mascon
« méritent bien un bon chastiment, mais, puisqu'il a
« pieu à Dieu nous donner un bon commencement de
« paix et que nous en sommes en termes de veoir
« bientôt le repos mis en ce royaulme tel que je désire,
« je vous prie, M. de Tavannes, surceoir et superced-
« der en toutes choses la poursuitte et exécution de
« vostre entreprise3. » Le roi de Navarre confirma les
ordres de la reine. Tavannes avait reçu l'ordre d'ache-
miner vers le camp du roi quelques compagnies de
Suisses catholiques. Antoine lui recommanda de les
1. Mémoires de La Noue, chap. iv. — Do Bèze, Hist. ecclés., 1881,
t. I, p. 537. — L'ambassadeur espagnol lui-même ne supposait
pas que le prince de Cornlr pûï faillir à sa promesse et supputait
le danger de voir Coligny se fortifier à Lyon (Lettre du 2 juillet
dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 48). — Mémoires de Caslelnau,
1731, i. I, p. 97 ei 1)8.
.'. Procès-verbal de la séance du parlement, du 3 juillet
[Mémoires de Condé, t. III, p. 514). — De Hèzo, Hist. ecclés., 1881,
t. [, p. 538.
3. Lettre <lu 30 juin [Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 343).
ET JEANNE d'aLBRET. 207
retenir aux environs de Chàlons jusqu'à la signature
du traité de paix4.
Pendant que la reine mère et le roi de Navarre pre-
naient ces dispositions, le conseil des réformés s'était
assemblé au logis du prince de Gondé, à Orléans. La
séance s'ouvrit avec une solennité particulière. L'ami-
ral parla le premier et observa qu'une décision aussi
grave que celle de l'émigration du chef de la réforme
ne pouvait être arrêtée que de l'assentiment de tous
les fidèles. Il fit décider que les colonels et les capi-
taines parcourraient les campements et interrogeraient
les moindres soldats. Tous répondirent que « la terre
« de France les avoit engendrez et qu'elle leur serviroit
« de sépulture. » L'unanimité des soldats dictait la
résolution des chefs. L'amiral, en rendant hommage à
la bonne foi de la reine, insinua que l'exil du prince pro-
fiterait aux triumvirs; d'Andelot, que le prince et son
parti devaient affronter les dangers et courir les chances
de la guerre2. Le s. de Boucard, vieux capitaine des
armées d'Italie, « qui avoit du feu et du plomb à la
« teste, » clôtura la discussion en ces termes : « Mon-
« sieur, dit-il, qui quitte la partie la perd3... Il me
« fascheroit fort de me voir, en pais estrange, me
« promener avec un cure-dents en la bouche et que
« cependant quelque petit affeté, mien voisin, fist le
« maistre dans ma maison et s'engraissât du revenu.
« Qui voudra s'en aller s'en aille. Quant à moy, je
1. Original, daté de Talcv et du 30 juin 1562 (F. IV.. vol. 1G32,
f. 145).
2. Son discours est reproduit par La Noue (Mémoires, chap. tv).
3. D'Aubigué attribue ce mot à Bricquemaut (Uisl. unir., t. I,
col. 197).
208 ANTOINE DE BOURBON
« mourray en ma patrie pour la défense des autels et
« des foyers1. »
Au milieu de la délibération, Florimond Robertet,
s. de Fresne, secrétaire des commandements, arriva
de la part de la reine. Il vit plusieurs seigneurs et
« connut au langage qu'il y avoit du changement. » 1!
obtint une audience de Condé et apprit de sa bouche
« qu'il n'estoit encore résolu, d'autant que plusieurs
« murmuroyent. » Aussitôt il repartit pour Talcy et
avertit la reine « qu'il falloit autre chose que du papier
« pour le mettre dehors. » Dans l'intervalle, on sut
à Orléans que les triumvirs s'étaient arrêtés à Chà-
teaudun. Des coureurs interceptèrent une lettre, pleine
de menaces pour les rebelles, que le duc de Guise
écrivait le 23 juin au cardinal de Lorraine, au moment
où la signature de la paix paraissait certaine : « ... La
« religion réformée, en nous conduisant et tenant bon,
« comme nous ferons jusques au bout, s'en va aval
« l'eau, et les amiraux mal, ce qui est possible. Toutes
« nos forces entièrement demeurent, les leurs rom-
« pues, les villes rendues, sans parler d'édicts et de
« prêches et administration de sacrements à leur
« mode2. » Les chefs huguenots, en quête de subter-
1. Mémoires de La Noue, chap. iv. — Do Bèze, Ilist. ecclês., 1881,
t. I, p. 538. — D'autre part, Soubise constate dans ses Mémoires
(p. 57) que les chefs ne voulaienl pas la paix.
■2. Cette lettre m été imprimée 'huis le Sommaire recueil des
choses mémorables advenues depuis l'un 1560, publié en 1564, p. 360,
dans la première édition des Mémoires de Condé (1565, t. II. p. 375,
réimprimée dans l'édition in- i . i. III. p. 509), dans la Légende du
card. de Lorraine} p. 18 el 19, dans VHist. ecclés. de de Bèze (1882,
t. I, p. 538), ei enfin <hm> les Mémoires-journaux du due de Guise,
p. 194 (édit. Michaud el Poujoulat). Elle arriva si à propos pour
le pu ii i huguenol que beaucoup d'historiens ont jugé qu'elle pou-
ET JEANNE u'ALBRET. 2l!«)
fuges, saisirent avec empressementles deux prétextes1 .
L'arrêt des triumvirs à Ghàteaudun leur permit dédire
que le départ de leurs ennemis n'était qu'une « fausse
« sortie; » la lettre du duc de Guise, que les chefs catho-
liques se préparaient à violer la convention de Bau-
gency avant même de la signer.
Peu d'heures après le retour de Robertet à Talcy,
Nicolas d'Angennes, de Rambouillet, rapporta d'Or-
léans que le prince de Coudé ne pouvait se résigner
à la retraite et que ses compagnons d'armes repous-
saient les autres conditions de la paix"2. Il annonça
que les réformés étaient en marche et que l'armée
royale pouvait être attaquée d'un moment à l'autre.
La reine protesta vivement contre ce manque de foi
et prit immédiatement des mesures de défense. Elle
écrivit à Gaspard de Saulx-Tavannes une seconde lettre,
avec l'ordre « de faire avancer les Suisses à marches
forcées vers le camp du roi3. » Le roi de Navarre lui
recommanda de ne « perdre une seule heure de temps,
vait être supposée. Quant à nous, malgré de nombreuses auto-
rités, nous croyons à son authenticité pour les raisons suivantes :
1° M. de la Ferrière l'a trouvée parmi les papiers du Record
Oiïice, où elle est présentée comme un document indiscutable.
2° Elle est recueillie et publiée dans les Mémoires-journaux du
duc de Guise, p. 494, avec cette étiquette : « Extrait d'une lettre
« du duc de Guyse, escrite de sa main, à monsieur le cardinal de
« Lorraine. » On sait que cette compilation, pour tout ce qui
regarde le duc de Guise, doit être considérée comme semi-offi-
cielle.
1. De Bèze raconte que le parti huguenot saisit aussi un
mémoire adressé au roi de Navarre et il analyse six articles de
ce mémoire (Hist. ecclés., t. I, p. 538, 1881). De Bèze est le seul
historien qui parle de ce mémoire.
2. Négoc. du card. de Ferrare, p. 291.
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, p. 344.
210 ANTOINE DE BOURBON
« car je vois bien, écrit-il, que ceulx à qui nous avons
« affaire ont autres intentions que celles qu'ils ont
« voulu faire croyre jusques icy1. » La reine mère
expédia au roi à Fontainebleau un messager en poste,
qui l'empêcha de venir à Baugency, et le roi repartit
le lendemain matin pour Melun2. Le même jour, elle
se retira à Ghàteaudun, puis à Melun et à Vincennes.
Les triumvirs reparurent au camp du roi de Navarre et
le conseil de guerre prit des mesures pour engager les
hostilités3.
1. Original daté de Talcy, du 30 juin 1562 (F. fr., vol. 4632,
f. 146).
2. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 90.
3. De Bèze, Hist. ecclés., 1881, t. I, p. 539. — Mémoires de La
Noue, chap. iv. — D'Aubigné s'est beaucoup inspiré du récit de
La Noue.
CHAPITRE VINGTIÈME.
(Ier juillet-sept. 1562.)
Le prince de Condé prend et pille la ville deBaugency.
— Le roi de Navarre s'empare de Blois (4 juillet).
— Antonio d'Almeida est arrêté sous les murs
de Tours. — Le roi de Navarre entre à Tours
(1 1 juillet) .
Forces de Vannée royale commandée par Antoine de
Bourbon. — Le roi, la reine et la cour arrivent au
camp de Blois (1 1 août) . — Siège de Bourges (1 8 août) .
— Prise de la ville (1er septembre).
Suite des négociations du roi de Navarre avec le roi
d'Espagne. — Entrevue du prince et d'Antonio d'Al-
meida. — Henri de Béarn. — Procuration de Jeanne
d'Albret à son mari pour négocier de l'échange de la
Navarre (25 août).
Le plan de campagne que le prince de Condé et les
seigneurs de son conseil avaient arrêté, depuis que la
ville de Paris et la personne du roi leur avaient
échappé, était de s'emparer du cours de la Loire afin
de se ravitailler dans les provinces de l'ouest, en Poi-
tou, et jusques en Guyenne. Fortement appuyés sous
les murs d'Orléans et leurs réserves garanties, les
272 ANTOINE DE BOURBON
huguenots pouvaient faire tête à l'armée royale venue
de Paris, donner la main aux Allemands et même
aux Anglais qu'ils attendaient sur les côtes de la Nor-
mandie1. Ce plan, conçu depuis les premiers jours de
la prise d'Orléans, éternisait la guerre et laissait aux
rebelles les chances de l'imprévu.
Le soir même du 30 juin, le prince de Gondé, dési-
reux de racheter ses tergiversations par une action
d'éclat, tint conseil. Le roi de Navarre était seul campé
à Baugency et la noblesse catholique, confiante dans
le succès des négociations des jours précédents, avait
morcelé ses cantonnements dans les villages de la
Beauce. Le connétable, le maréchal Saint-André, le
duc de Guise n'étaient pas encore de retour. Les
huguenots avaient le temps de surprendre les catho-
liques et d'engager, peut-être de terminer la guerre
civile par un coup de main heureux. Le lendemain
1e' juillet, à six heures du soir, le prince leva le camp
de la Ferté-de-Seau 2 et mit ses troupes en campagne
dans l'ordre suivant : Coligny, à l'avant-garde avec
800 gens d'armes, devait fondre sur la cavalerie
ennemie; d'Andelot commandait ^,000 arquebusiers,
et le prince de Gondé le reste de l'armée. Tous les
soldats avaient reçu l'ordre de cacher leur cuirasse
sous une chemise blanche. Cette manœuvre, fort en
faveur dans la stratégie du xvie siècle, portait le nom
de camisade3. Le prince fut mal conduit par ses
1. Lettre «le Ghantonay, du i avril 1562, à Philippe II (Orig.
espagnol ; Arch. aat., K. 1 197, n° 18).
•J. Le mi de Navarre appelle ainsi ce village dans son rapport
à la reine (Minute ; f. fr., vol. 15876, ï. 237).
3. D'après le. père Daniel, les camisades avaienl été inventées
ET JEANNE D'ALBRET. 273
guides, ou trompé par l'obscurité, et, après avoir
marché toute la nuit, l'armée huguenote se retrouva
au point du jour à une lieue du camp qu'elle venait
de quitter, et à deux lieues de l'armée catholique1.
Le roi de Navarre s'attendait à l'attaque2. Informé
par le s. de Rambouillet des projets des ennemis, il
avait renforcé les gardes et averti les gens d'armes de
se masser au premier coup de canon derrière l'artille-
rie. Par son ordre, le s. des Bories, lieutenant de la
compagnie du prince de Navarre, s'était porté avec
vingt salades sur le front de l'armée et se maintenait
en communication avec les chevau-légers du maréchal
Damville3.
Pendant que les réformés prenaient un peu de
repos, les coureurs du capitaine des Bories dépis-
tèrent l'armée huguenote. Ils reculèrent en toute
hâte et Damville, aussitôt prévenu, fît tirer le canon
d'alarme. Les détachements catholiques se rassem-
par le marquis de Pescaire pendant les guerres d'Italie (Voyez
les Commentaires de Biaise de Monluc, édit. publiée par la Société
de l'Histoire de France, t. II, p. 216, 413 et 414).
4. Histoire ecclésiastique de Bèze, t. I, p. 540, édit. de 1882. —
La Popelinière, 1. 1, f. 325. Ces deux historiens se copient presque
textuellement. — De Thou, 1740, t. III, p. 168. — Voyez surtout
les Mémoires de La Noue, chap. v, et le compte-rendu du roi de
Navarre à la reine, en date du 11 juillet (Minute ; f. fr., vol. 15876,
f. 237).
2. Depuis l'échec de la conférence de Beaugency, le roi de
Navarre avait pris des mesures de défense. Le 1er juillet, à Paris,
fut crié l'ordre aux gens d'armes de rejoindre Le camp sous peine
de la hart (Journal de 1562, dans la Revue rétrosp., t. V, p. 173.
— Journal de Bruslard dans les Mémoires deCondé, t. I, p. 90).
3. Compte-rendu du roi de Navarre à la reiuc, du 11 juillet 1562
(Minute; f. fr., vol. 15876, f. 237).
iv 18
274 ANTOINE DE BOURBON
blèrent autour de la cornette du roi de Navarre et
chaque capitaine prit le poste de combat qui lui avait
été assigné. Les deux armées passèrent une partie de
la matinée du 2 juillet en présence sans oser entamer
l'action. Vers onze heures du matin, le prince de Condé
traversa la Loire et conduisit ses troupes à Lorges,
près de Marchenoir, et à Gravant. Le roi de Navarre
perdit l'occasion d'attaquer l'ennemi au gué de la
rivière. Il fit quelques prisonniers, vêtus de che-
mises blanches, qui révélèrent que la camisade était
renvoyée au lendemain1. La plus admirable disci-
pline régnait alors dans les rangs des protestants.
La maraude était inconnue et le prêche semblait le
seul délassement des gens d'armes. Pas un soldat
« ne pilloit ni ne battoit ses hôtes. » Les capi-
taines employaient leurs gages à « payer honneste-
« ment » les dépenses de leur compagnie. « On ne
« voyoit point fuir personnes des villages, ny n'oyoit-
« on ne cris ne plaintes2. » Un capitaine, Gabriel de
Boulainvilliers, baron de Gourtenay, ayant violé la
fille d'un paysan, fut arrêté sur l'ordre de l'amiral et
faillit payer son crime de la vie3.
Les avertissements des prisonniers tinrent l'armée
catholique sous les armes. Le roi de Navarre prit posi-
tion sur les hauteurs pour utiliser son artillerie, multi-
1. Compte-rendu du roi de Navarre à la reine, du U juillet 1562
(Minute; f. fr., vol. 15876, f. 237).
2. Mémoires de La Noue, ehap. vi.
3. Bèze, 1882, p. 540. Courtena} se sauva quelques jours après.
En 1569, le 20 juillet, dit Bruslard, il eut la tête tranchée en
place de Grève (Mémoires de Condé, t. I, p. 205). — L'auteur de
l'Histoire, dite des Quatre rois, appelle ce personnage baron de
Dammartin (1595, f. 72). Il était fils du comte de Dammartin.
ET JEANNE D'ALBRET. 275
plia les vedettes, et ne permit aux cavaliers de se
rafraîchir, eux et. leurs chevaux, que « la bride en
a main. » Le connétable, le duc de Guise et le maré-
chal Saint-André parcoururent la plaine où la bataille
pouvait s'engager d'heure en heure. Le soir, le
lieutenant général fît camper son armée sur place.
A gauche, détendu par un vaste étang, était le comte
de Villars avec plusieurs compagnies de gens de
pied. A droite, le connétable et son fils, le maré-
chal de Montmorency, puis le duc de Guise, le maré-
chal de Saint-André, directement sous ses ordres.
Le roi de Navarre occupait à l'extrême droite, avec
1 ,200 arquebusiers, un château fort et un village qui,
en cas de revers, auraient pu servir de défense. L'ar-
tillerie était postée en avant sur deux collines, défen-
due par les gens de pied de l'avant-garde, et pointée
de manière à croiser ses feux. Quand la nuit tomba,
le lieutenant général fit allumer des fagots, incendier
un moulin à vent et les maisons du voisinage afin
d'éclairer les approches des batteries. Tout étant
ordonné pour repousser une surprise, le roi de Navarre
et les capitaines prirent un peu de repos sous les
armes. Les troupes, entraînées par l'exemple de leurs
chefs, attendaient et désiraient la bataille1.
A huit heures du matin, Antoine fit faire une recon-
naissance par Henri de Montmorency-Damville2. Les
deux avant-gardes s'approchèrent à cent pas l'une
de l'autre. Des soldats se glissaient hors des rangs,
1. Compte-rendu du roi de Navarre à la reine mère, du 11 juil-
let (Minute; f. fr., vol. 1587G, f. 237).
2. Lettre du roi de Navarre à la reine mère, minute datée de
juillet (f. fr., vol. 15876, f. 233).
276 ANTOINE DE BOURBON
tiraient des arquebusades et osaient même échan-
ger des coups de lance avec les vedettes ennemies 1 .
Les réformés ne sortirent pas de leurs retranche-
ments. Dans la soirée, un terrible orage obligea
les deux armées à battre en retraite. Il plut telle-
ment, dit La Noue, que sur 4,000 arquebusiers qui
suivaient le prince de Condé, il n'y en avait pas dix
qui eussent pu faire usage de leur poudre2. Les
deux chefs essayèrent de tourner leurs positions réci-
proques et y réussirent d'autant plus facilement qu'ils
avaient tous deux la même stratégie. Antoine, acculé
à la Loire, se dégagea, et Condé reconquit le passage de
la rivière. Les protestants, sans poursuivre les catho-
liques, marchèrent surBeaugency que le roi de Navarre
venait de quitter. La ville avait été munie de troupes
et la tête du pont fortifiée3. Condé battit les murs en
brèche et lança à l'assaut les compagnies provençales
et gasconnes, commandées par Jean de Hangest,
s. d'Yvoi. La ville fut prise après un court combat,
pillée avec acharnement, et la garnison passée au lil
de l'épée. Protestants et catholiques furent également
victimes de la fureur des soldats. Ainsi s'évanouit,
dès le premier coup de canon, la sévère discipline dont,
la veille encore, l'armée huguenote était si glorieuse.
« Nostre infanterie, dit La Noue, perdit son pucelage
« et de ceste conjonction illégitime s'ensuivit la pro-
« création de mademoiselle la Picorée, qui depuis est
1. Compte-rendu du roi de Navarre à La reine, du 11 juillet
(Minute; F. IV., vol. 15876, f. 237).
2. Mémoires de La Noue, chap. v.
3. Le journal do 15G2 donne quelques détails (Revue rêtrospec-
tive, t. V, p. 174).
ET JEANNE DALBRET. 277
« si bien accrue en dignité qu'on l'appelle Madame, et,
« si la guerre continue encore, je ne doute point qu'elle
« devienne princesse1. » Les lieutenants du prince de
Condé avaient commencé la guerre par un assassinat,
celui de la Mothe-Gondrin 2 ; Condé lui-même entamait
les hostilités par des actes de piilage.
Le conseil de guerre de l'armée catholique, obéissant
aux inspirations du duc de Guise, avait résolu de sépa-
rer le prince de Condé de la base de ses opérations en
l'isolant des provinces de l'ouest3. Pendant que le
prince amusait ses troupes à la prise de Beaugency, le
roi de Navarre descendit la Loire avec toutes ses
forces. Le 1 9 juin, il avait commandé au duc de Mont-
pensier d'entrer à Tours et de s'y établir avec ses
troupes. Montpensier était à Champigny, s'efforçant de
tenir tête aux séditieux de l'Anjou. A la réception de la
lettre du prince, il rassembla quelques gentilshommes,
passa à Saumur, à Chinon, tenta en vain de réduire
Angers et de secourir le Mans, oùl'évêque, Jacques d'An-
gennes de Rambouillet, avait levé une compagnie à ses
frais, et battit en retraite jusqu'à Champigny4. Malgré
ses échecs, il gardait ses positions et la troupe de
1. Mémoires de La Noue, chap. vi.
2. Le 27 avril 1562.
3. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 488. — Compte-
rendu du roi de Navarre à la reine, du M juillet (Minute; f. fr.,
vol. 15876, f. 237).
4. Mémoire du duc de Montpensier, daté d'Angers, du 23 juin
1562 (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 128). — Lettre du duc de Mont-
pensier, du 26 juin [Mémoires de Condé, t. Ht, p. 509, réimpri-
mée dans les Mémoires-journaux du duc de Guise, p. 494). — Bèze,
Histoire ecclésiastique, 1882, t. II, p. 127 et suiv. — Goustureau,
dans la Vie du duc de Montpensier, in-4°, 1642, donne peu de détails
sur cette campagne.
278 ANTOINE DE BOURBON
gentilshommes qu'il avait réunis allait devenir le
noyau d'une armée.
Le samedi, 4 juillet, au lever du jour, le connétable1
marcha droit sur Blois avec les compagnies de gens
de pied du centre et une batterie de six canons. Le
duc de Guise et le maréchal Saint-André restèrent à
l'arrière -garde par crainte d'un retour offensif du
prince de Condé. La ville de Blois était défendue par
une garnison protestante qui fit « mine de se défendre. »
Aux premières arquebusades, le capitaine Cosseins fut
gravement blessé avec une vingtaine de soldats catho-
liques. Aussitôt, le roi de Navarre fit pointer sur le
bord du fossé l'artillerie du connétable. « En deux
« volées, dit Gastelnau, le canon fit brèche au portail
« et dedans la courtine. » Les habitants demandèrent
à parlementer, et la garnison huguenote prit la fuite.
Michel de Gastelnau et Florimond Robertet, s. d'AUuye,
négocièrent la capitulation. Le roi de Navarre, le duc
de Guise, le maréchal Saint-André entrèrent en hâte,
mais les soldats étaient si animés que la ville ne put
être sauvée du pillage. Les protestants, qui étaient
restés sur la foi du traité, furent égorgés. Les maisons,
môme catholiques, furent forcées, les femmes violées,
les habitants riches rançonnés, les pauvres maltraités
avec des raffinements de barbarie2. De Bèze prête un
\. Le siège <io Blois fut l'œuvre du connétable (Lettre de
Diane de France à la connétable de Montmorency; Orig., f. fr.,
vol. 3194, f. 120).
2. Lettre du roi de Navarre \ la reine, du 5 juillet 1562 (Minute;
f. IV., vol. 15876, f. 202. — Autre minute de lamème lettre, ibid.,
f. 233). — Mémoires de Castclnau, liv. III, <-lia|>. n. — Compte-
rendu du roi de Navarre à la reine, du 11 juillet (Minute, f. fr.,
vol. 15876, f. 237). — Négoc. du card. de Ferrure, p. 310.
ET JEANNE D'ALBRET. 279
mot féroce au duc de Guise. Comme on se plaignait
devant lui des massacres deBlois, il répondit « qu'aussy
« bien y avoit-il trop de peuple au royaume et qu'il
« en feroit tant mourir que tous vivres seroient à bon
« marché1. » Cette bravade n'est rien moins que
prouvée, mais elle s'accorde avec les mœurs militaires
du temps. C'est peut-être ce qui a donné lieu à
de Thou de raconter que le duc de Guise donna aux
soldats la liberté du pillage2. Le roi de Navarre, dans
sa correspondance avec la reine, avoue une partie de
ces excès : « Moy et tous ces seigneurs avons telle-
ce ment travaillé que n'eusmes jamais repos ni cesse
« d'aller d'une rue à l'aultre, et, s'il se peult dire, de
« maison en maison, que nous n'ayons mis les soldats
« hors. Cela n'a peu estre sans qu'il y en ayt eu qui
« ayent patis , tant des bons que des maulvais3. »
Bientôt il en prit facilement son parti. Il écrivit quel-
ques jours après à la reine : « Encores qu'il se soit fait
« quelque désordre en ceste ville au grand regret
« dud. s. roy de Navarre et des aultres seigneurs, qui
« tous y ont pris une peine extresme pour l'empes-
« cher, si est-ce que ce petit exemple a grandement
« servy, comme il s'est veu par l'expérience4. » Le
prince de Condé, oubliant ce qui s'était passé à Beau-
gency sous ses yeux, adressa ses protestations au lieu-
1. De Bèze, Histoire ecclésiastique, 1882, t. II, p. 126.
2. De Thou, 1740, t. ni, p. 169.
3. Lettre du roi de Navarre à la reine, du 5 juillet 1562 (Minute ;
i'. fr., vol. 15876, f. 202). Il représente la même idée dans le
mémoire de la note suivante.
4. Mémoire du roi de Navarre à la reine mère, minute datée
de juillet (F. fr., vol. 15876, f. 235). — Voyez aussi la lettre de la
reine, du 11 juillet [Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 354).
280 ANTOINE DE BOURBON
tenant général et le menaça de représailles contre les
catholiques d'Orléans ' .
Le lendemain de la prise de Blois, 5 juillet, le roi
de Navarre envoya aux habitants de Tours un héraut
chargé « de les admonester de rendre au roy l'obéis-
« sance qu'ils luy doibvent, » sous peine de se voir
infliger un « pas moindre traitement que ceux de
« Blois2. »
La ville de Tours appartenait à la réforme depuis le
mois d'avril. Les protestants s'en étaient emparés par
un coup de main audacieux, en pleine paix, peu de
jours après la prise d'Orléans. Le prince de Condé
avait envoyé à Tours successivement comme gouver-
neur Gilbert Filhet, s. de la Curée, et François Bou-
chard d'Aubeterre, seigneur de Saint-Martin-de-la-
Coudrc, gens de guerre sanguinaires , vrais hommes
de parti, qui avaient mis au service de leurs coreli-
gionnaires les plus fanatiques le pouvoir d'un jour
dont ils étaient investis. Deshainespassionnées divisaient
cette malheureuse ville, et, lorsque les hérauts de
l'armée catholique parurent en vue des murs, la moitié
de la ville était animée contre l'autre moitié de senti-
ments de vengeance implacables.
Un accident aggrava la situation de la ville. Quelque
attention que portât le roi de Navarre aux affaires de
France, ses yeux étaient surtout fixés vers les nou-
velles d'Espagne, vers les générosités plus ou moins
gratuites de Philippe II. Antonio d'Almeida, le pléni-
potentiaire personnel du prince, était à Madrid depuis
le commencement de mars. Le roi catholique avait
1. Lettre du 23 juillel [Mémoires de Condé, t. HT, p. 5G1).
2. Minute datée du 5 juillel 1562 (F. lï., vol. 15876, t*. 197).
ET JEANNE d'âLBRET. 281
promis la Sardaigne en attendant la livraison du
royaume de Tunis, mais tant de réticences entravaient
la donation que le prince restait dans l'incertitude.
Chantonay s'efforçait d'entretenir sa bonne volonté
et de l'encourager1. Antoine n'était pas avare de pro-
testations et de promesses, mais il se lassait d'attendre.
Aussi la duchesse de Parme conseillait-elle un sacri-
fice au roi d'Espagne en lui représentant que le roi
de Navarre tenait en suspens, au bout de son épée,
la destinée de la religion catholique en France2. Le
pape s'employait aussi en faveur du prince. Il envoya
à Madrid un ambassadeur, « personnage suffisant et
« apte à manyer grandes affaires, » et pressa l'em-
pereur, tous les souverains catholiques d'unir leurs
instances aux siennes. Enfin il chargea l'abbé de Saint-
Salut de porter au roi de Navarre , à la cour de
France, un bref favorable aux revendications de la
maison d'Albret3. Grâce à ces prières, au moment
où la guerre civile éclata, d'Almeida obtint un supplé-
ment de bonnes paroles et informa son maître à la
fois du succès probable de la négociation et de son
propre retour4.
La guerre civile de l'Ouest et de la Guyenne avait
intercepté les communications entre les cours de
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 9 juin 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1498, n° 2).
2. Gachard, Correspondance de la duchesse de Parme avec Phi-
lippe II, t. II, p. 240.
3. Lettre du cardinal d'Armagnac au roi de Navarre, datée de
Vincennes et du 13 juillet 1562 (Orig.; i'. IV., vol. 6626, f. 34). —
Lettre du card. de Forrare, du 19 juillet (Ncgoc. du card. de Fer-
rare, p. 331).
4. Lettre du roi de Navarre à la reine mère, du 16 mai 1562
(Orig.; f. f'r., vol. 6606, f. 10).
282 ANTOINE DE BOURBON
France et d'Espagne. Pas un courrier qui ne fût saisi,
fouillé à chaque étape, quelquefois soumis à la ques-
tion et interrogé sur la roue. Au mois de mai, au
moment où la mission d'Almeida touchait à la con-
clusion, plusieurs lettres du roi de Navarre et de son
messager furent arrêtées par les coureurs huguenots,
portées à Orléans, déchiffrées par des secrétaires du
prince et divulguées1. Au plus fort des difficultés, le
20 juin, Antonio d'Almeida quitta Madrid, porteur de
communications si graves qu'il n'avait pas osé les
écrire. Sans doute il était chargé, en outre des affaires
du roi de Navarre, d'annoncer à la reine la prochaine
entrée des troupes espagnoles en Guyenne. Arrivé à
Montrichard, en Touraine, il fut conduit à Tours et
emprisonné. Antoine venait de prendre la ville de
Blois quand il reçut cette nouvelle. Il écrivit aussitôt
aux gens de Tours :
Messieurs, j'ay entendu qu'il y a quelques jours que ung
gentilhomme espagnol, nommé le s. d'Almeyda, qui est à moy
et vient d'Espagne pour mes affaires, fust arresté à Montrichard
et mené à Tours avecques sa dépesche, où il est encore de pré-
sent, chose que j'ay trouvée bien estrange, d'aultant que,
n'ayant charge que de mes affaires, il semble que cela ayt esté
seulement pour me faire desplaisir; qui est la cause que je vous
ay dépesche ce trompette pour vous demander et pour vous
commander me l'envoyer. Quant à luy, vous pouvant asscurer
que, s'il a mal et s'il pert rien de sa dépesche et faictes diffi-
culté, ne l'envoyez présentement avec icellc, les uns de vostre
ville, tant au général que au particulier, et les autres, m'en
respondrez, et vous traiteray comme les plus grands ennemys
que je saurois avoyr. Et vous ne doubtez point que je n'aye
I. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 19 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nai., K. li'.)7, n° 33).
ET JEANNE D'ALBRET. 283
moyen de le pouvoyr faire bien promptement. Par quoy, vous
touchant cela de si près qu'il faict, vous y pensiez. Et croy que
vous serez si saiges et bien advisés que, pour si peu de chose,
vous ne voulez ruiner. Et là où vous ferez tant que de me
satisfaire en cela, vous serez les premiers que vous en trouverez
bien, d'autant que vous me donnerez occasion à vous gratifier
et bien traiter ' .
Le roi de Navarre écrivit en même temps au prince
de Gondé pour le supplier de faire délivrer son mes-
sager et ses dépêches2, et à la reine pour se plaindre
de ce contre-temps3. Les échevins de Tours, terrifiés,
se hâtèrent de relâcher Antonio d'Almeida et de
répondre au lieutenant général que le s. d'Almeida
n'avait point « esté prins ni retenu par nostre com-
« mandement ne à nostre sceu, » qu'il avait été renvoyé
à Sébastien de l'Aubespine avec toutes ses dépêches.
« Quant à celles, Sire, qui ont esté ouvertes, elles
« avoient esté gectées dedans un retrait par led.
« s. d'Almeida, qui par après feurent apportées aud.
« s. de Saint-Martin toutes ouvertes, comme elles vous
« ont esté présentées, dont led. s. de Saint-Martin a
« démontré estre fasché, veu ce qu'il n'estoit question
« que de vos affaires et service4. »
Au moment de la sommation du roi de Navarre,
Tours n'était défendue que par cinq compagnies de
soldats, dont trois de gens de pied. La ville, déchirée
1. Minute datée de Blois et du mois de juillet 1562 (vers le 6
ou le 7) (F. fr., vol. 15876, f. 263).
2. Lettre du roi de Navarre au prince de Condé, du 5 juillet 1562
(Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 201).
3. Lettre du roi de Navarre à la reine mère, du 5 juillet 156".'
(Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 203).
4. Original; f. fr., vol. 15876, f. 218.
284 ANTOINE DE BOURBON
par les dissensions intestines , ne pouvait songer à
la résistance. Les officiers municipaux répondirent,
le 8 juillet, par un acte de soumission complète
et supplièrent le roi de Navarre de prendre leur cité
en pitié1. Le lieutenant général avait mis en cam-
pagne le seigneur de Beauvais-Nangis, avec une com-
pagnie de gens de pied , et le capitaine Richelieu ,
mestre de camp des bandes françaises2, redouté
pour sa cruauté sur les bords de la Loire3. En route,
pour entretenir leurs dispositions sanguinaires, les
conquérants de Blois pillèrent le village de Mer et
égorgèrent la plupart des habitants4. A leur approche,
les compagnies protestantes de Tours s'enfuirent dans
la direction de Chàtellerault, mal armées, mal com-
mandées, dans l'espoir de trouver un refuge sous les
murs de Poitiers. Le roi de Navarre, pour changer leur
retraite en déroute, avait commandé à Jean de Daillon,
comte du Lude, gouverneur du Poitou, de ramasser
toutes les troupes disponibles autour de lui et de faire
bonne garde en avant de Poitiers5; il avait envoyé le
comte de Villars et une forte compagnie de gens
1. Orig., daté du 8 juillet (F. IV., vol. 15876, f. 218).— Mémoire
du roi de Navarre à la reine mère (Minute sans date. f. fr.,
vol. 15876, f. 235).
2. Etat do solde de l'armée de juin à septembre 1562 (Ve de
Colbert, vol. 24, pièce 105; ibid., vol. 8'., I 275).
3. Mémoire du roi de Navarre à la reine (Minute sans date ;
f. fr., vol. 15876, f. 235). — Mémoires de Castelnau, t. I, p. 98.
4. De Bèze, 1882, t. II, p. 127. — De Thou, t. III, p. 169.
5. Lettre du roi deNavarreau comte du Lude, du 8 juillet 1562
(Minute orig.; I'. IV., vol. 15876, f. 216). — M. Ratbery possédai!
une lettre du duc de Cuise au même seigneur, contenant les
mêmes ordres. Cette lettre, datée du 11 juillet, ligure sur le cata-
logue de sa vente sous le numéro 168.
ET JEANNE d'àLBRET. 285
d'armes à marches forcées sur Chàtellerault, avec la
mission de couper la grande armée protestante d'Or-
léans des provinces de l'ouest et de la Guyenne1. Vil-
lars, malgré sa diligence, arriva trop tard. Le 13 juil-
let, à la Haye, il apprit que la cavalerie de Tours était
passée la veille, en désordre, comme une armée qui se
sent poursuivie. Le lendemain, les jours suivants, de
nouvelles bandes huguenotes parurent sur la grande
route. Villars les chargea et les mit en fuite. Les
soldats qui venaient en queue, avertis par le désastre
de leurs compagnons d'armes , tentèrent de reculer
jusqu'à Tours. Pris entre deux feux, ils furent défaits,
et tombèrent victimes de la vengeance des manants
de la Touraine, qu'ils avaient tyrannisés pendant trois
mois2.
La ville de Tours resta aux mains du capitaine
Antoine du Plessis de Richelieu, ancien moine, alors
capitaine de gens de pied , un des plus cruels chefs
d'aventuriers que la guerre civile ait produits. Il se
plaisait à traîner de force les habitants à la messe, fai-
sait rebaptiser les enfants et infligeait aux femmes des
traitements où la lubricité du « frocard défroqué »
s'alliait au fanatisme du sectaire. Les réformés, cou-
pables du pillage du trésor de Saint-Martin, payèrent
cruellement cet acte de vandalisme. Jean Bourgeaud,
président du présidial, s'était racheté des mains du
capitaine Charles de Chabot de Clairvaux, lieutenant
du capitaine Le Roy de Chavigny, qui représentait à
1. Mémoire du roi de Navarre à la reine mère (Minute sans
date; f. fr., vol. 15876, f. 235).
2. Lettre de Villars au roi de Navarre, datée de Ghastellerault
et du li juillet (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 251).
286 ANTOINE DE BOURBON
Tours le duc de Montpensier, gouverneur de la pro-
vince, et s'était enfui de la ville sous un déguisement.
Reconnu dans la campagne par les pillards de l'armée
catholique, il fut assommé et pendu à un saule sur les
bords de la rivière, la tête en bas. Comme il tardait
à rendre le dernier soupir, les bourreaux l'éven-
trèrent à coups de dague en disant « qu'il avoit avalé
« ses escus1. » Le capitaine Richelieu, bien qu'il ne fût
pas l'auteur de tous les crimes commis à l'ombre de
son nom, s'attira autant d'ennemis que les chefs hugue-
nots. Quelques semaines plus tard, au siège de Bourges,
il fut défié par le capitaine Saint-Martin, peut-être celui
même qu'il avait mis en fuite au moment de la prise
de Tours2 : « A moy, à moy, capitaine Richelieu, lui
« cria Saint-Martin. D'autres fois nous sommes-nous
« connus; il faut icy encore renouveler la cognois-
« sance, non comme amys, mais comme ennemys. »
Là-dessus, dit Brantôme, il lui donna « un grand coup
« d'espieu dans la cuisse3. »
1. De Bèze, Hist. ecclés., 1882, t. II, p. 135. — Sic, de Thou,
1740, t. III, p. 175. — De Bèze et de Thou font un martyr de ce
vieillard, mais M. Grandmaison prouve qu'il avait été l'un des
promoteurs du pillage de L'abbaye Saint-Martin (Procès-verbal du
pillage... 1863).
2. Il y a un peu d'obscurité sur ce point. L'annotateur de la
nouvelle édition de Y Histoire ecclésiastique dit que le capitaine
Saint-Martin qui commandait à Tours (Hait François Bouchard
d'Aubeterre, seigneur de Saint-Martin de la Gouldre (1882, t. II,
p. 128). Et de Thou dit que Le capitaine Saint-Martin, qui défia
Richelieu, se nommai! Saint-Martin Brichanteau :17ih, t. III,
p. 198). D'après le passage de Brantôme, cité plus bas, il semble
que ce fut l'ancien gouverneur de Tours qui défia Richelieu. —
Belleforest dit qu'il était de Saint-Martin-en-Bigorre, et « prêtre
renié» (In-fol., f. 1632 v°). Piguerre copie Belleforest (p. 419).
.:. Brantôme, t. V, p. 419. — De Thou raconte que ce fui
ET JEANNE d'aLBRET. 287
Le roi de Navarre n'avait pas suivi ses troupes
à Tours. Chef d'une des plus fortes armées que la
monarchie des Valois ait mises sur pied, il s'occupait à
discipliner ses soldats, à monter sa cavalerie, à orga-
niser son artillerie, à transformer en un corps de
bataille les masses un peu désordonnées que l'amour
de la guerre et l'espoir du pillage avaient réunies sous
son commandement. Le duc de Guise et le connétable
l'aidaient, le premier de son coup d'œil militaire et de
la confiance qu'il inspirait aux gens de guerre , le
second de son expérience et de sa rigueur discipli-
naire. Avant d'entamer une campagne laborieuse, il
était prudent de réserver à l'armée royale une base
d'opération assez ferme pour subir l'épreuve d'un
revers. La ville de Paris , par ses dispositions
et par son importance, offrait ces avantages. Mais la
Brie et la Beauce étaient la proie des rebelles1. Les
réformés s'étaient rendus, par un coup de main auda-
cieux, les maîtres de Meaux2. Le roi de Navarre y
envoya le sire d'Armentières avec une compagnie de
200 chevau-légers et bloqua les séditieux dans l'inté-
rieur de la ville3.
Richelieu qui défia Saint-Martin et que Saint-Martin, vainqueur,
emporta le casque de son adversaire (t. III, 1740, p. 198).
1. On conserve dans le f. fr., vol. 15876, f. 162, une curieuse
lettre d'un capitaine, Gilles des Ursins, au roi de Navarre, qui
donne une idée du désordre général. Ce capitaine est à la recherche
de sa compagnie de gens de pied à Étampes, à Corbeil, etc. Il la
trouve enfin dans les environs de Meaux (Lettre datée du 3 juillet).
2. Voyez une lettre du prévôt des marchands et des échevins
de Paris au roi de Navarre, sur les excès des gens de Meaux,
datée du 30 juin 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 175).
3. Pièces publiées dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 519,
520 et 522.
288 ANTOINE DE BOURBON
Le roi de Navarre, d'après Claude Haton, comman-
dait à près de 30,000 hommes, divisés en plusieurs
corps et conduits par les meilleurs capitaines des
armées de Henri II1. Le duc de Guise, le connétable,
le maréchal Saint-André, revenus de Chàteaudun, le
duc de Montpensier se contentaient du rôle de lieute-
nants et lui obéissaient comme au roi lui-même. Un
mémoire officiel du prince à la reine énumère les
forces présentes ou attendues au camp de l'armée
royale : 30 enseignes de gens de pied français, quinze
enseignes de Suisses, 900 hommes d'armes, 600 che-
vau-légers ou arquebusiers à cheval, 1 ,200 pistoliers
allemands conduits par le comte de Roggendorf, et
enfin 4,000 lansquenets, 1 ,000 pistoliers et 2,000 cava-
liers flamands promis par le roi d'Espagne. L'artillerie,
préparée par le s. d'Estrées, se composait de vingt-
deux pièces, dont dix-huit amenées d'Amiens, sans
compter celles qui appartenaient à la ville de Paris2.
En Allemagne, les négociations avaient été appuyées
par des subventions. Le rhingrave avait promis
6,000 lansquenets. Après la conférence de Talcy,
Antoine le pressa de lui en envoyer seulement 3,000.
« Estant promptement secouru de ce petit nombre,
« cela nous fera beaucoup plus de bien et service que
« plus grand nombre à l'attendre longuement3. »
Malgré ces instances, le 19 juillet, le roi de Navarre
se plaint à la reine que les soldats du rhingrave n'ont
1. Mémoires de Claude Haton, t. I, p. 282.
2. Mémoire du roi de Navarre à la reine, sans date (du 1"2 au
15 juillet 1562) (Copie du temps; 1'. fr., vol. ir,S77, f. 84).
3. Lettre du mi de Navarre, du 22 juin (Kervyu de Lettenhove,
Coll. d'autog. de M. de Stassart, p. 18).
ET JEANNE d'ALBRET. 289
pas dépassé la frontière1. Les autres troupes alle-
mandes ne montraient pas plus de diligence. Le
7 juillet, le roi de Navarre envoya au comte de Rog-
gendorf et aux reîtres sous ses ordres un capitaine,
le s. de Renouart, chargé de presser leur marche et
de les amener sur le théâtre de la guerre2. Les reîtres
arrivèrent à la fin du mois, mais, au dire du prince de
Condé, le plus grand nombre changea de parti et se
mit au service de la réforme3.
En Suisse, l'envoi de troupes mercenaires avait
été accordé par la diète helvétique4. Les compagnies,
retardées par Tavannes en Bourgogne pendant les
négociations de Beaugency, entrèrent en France au
commencement de juillet. Le 25, elles entrèrent en
Beauce sous le commandement du colonel Frœlich et
furent ralliées, le 28, par le duc de Guise et le marquis
d'Elbeuf, à la tête de quatre compagnies de gens
d'armes et de chevau-légers. L'armée suisse était alors
campée à Bonneval, non loin de Chartres. Antoine
Haffner de Soleure, qui faisait partie du régiment de
Frœlich, raconte que cinq bourgeois de Bonneval
furent pendus par ordre du duc de Guise pour avoir
essayé d'empoisonner leurs hôtes. Le supplice de
ces malheureux fut probablement une de ces injustices
1. Lettre du roi de Navarre à la reine, Blois, 19 juillet 1562
(Minute; f. fr., vol. 15876, f. 292).
2. Instruction du roi de Navarre au s. de Renouart, du 7 juil-
let 1562 (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 214).
3. Lettre du prince de Condé au duc de Deux-Ponts, du 31 juil-
let 1562 (Mémoires de Condé, t. III, p. 574).
4. Lettres du roi de Navarre aux ambassadeurs Goignet et Pas-
quier, du 8, du 22 et du 30 avril (Copie ; f. fr., vol. 17981, f. 137,
138 et 142).
IV 19
290 ANTOINE DE BOURBON
par lesquelles les capitaines français s'efforçaient d'ob-
tenir un peu de popularité dans les rangs des étran-
gers. Le 7 août, Frœlich arriva à Blois et y fut reçu
avec honneur. Le 13 août, les Suisses furent divisés
en deux corps. Le premier, composé de huit enseignes,
suivit le roi au siège de Bourges. Le second, de six
enseignes, se rendit à Beaugency, et reçut la mission,
sous les ordres du marquis d'Elbeuf, de bloquer les
troupes du prince de Gondé à Orléans1.
Après l'échec de la conférence de Beaugency, le
roi était venu au-devant de la reine mère à Melun. Le
8 juillet, il était revenu avec sa mère à Vincennes2. De
cette forteresse, assez proche de Paris pour rassurer le
parti catholique, assez éloignée pour laisser à la reine la
liberté de ses mouvements, Catherine conduisait encore
des négociations avec le prince de Gondé par l'inter-
médiaire d'un marchand italien nommé Calcina3. Elle
envoya même à Orléans d'Angennes de Rambouillet
avec des propositions d'amnistie, que le prince de
Gondé repoussa avec ses récriminations ordinaires1.
Au milieu de ces pourparlers arriva à la cour une
lettre de Philippe II qui conseillait de presser l'action.
Le roi d'Espagne blâmait les négociations et annonçait
l'entrée immédiate d'une armée espagnole en Guyenne5.
1. Zurlauben, Ilist. milit. des Suisses, t. IV, p. 287 et suiv.,
d'après les mémoires manuscrits d'Antoine Haffner de Soleure.
2. Lettres de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 178.
3. Le cardinal de Ferrare est le seul qui parle de ces négocia-
tions [Nègoc. du card. de Ferrare, p. 313, 318 et 326). — De Thou,
t. ni, p. 191.
4. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 361.
5. Lettre de Philippe Ll à Ghantonay, du 9 juillet 1562 (Orip.
c-l'ainiol; Arch. nat., K. 1496, n° loi).
ET JEANNE D'ALBRET. 291
Cette lettre était un ordre pour le roi de Navarre.
Philippe II avait parlé ; toute hésitation était interdite.
Le triumvirat désirait faire venir le roi au camp1,
pour qu'il ne fût plus permis aux rebelles de séparer
la cause royale du parti catholique et d'appeler l'armée
royale l'armée des Guises ou du roi de Navarre2.
A peine Antoine voulut-il attendre, avant de donner
le signal des hostilités, l'arrivée du roi. Il envoya
précipitamment, le 25 juillet, le connétable à Vincennes
pour prendre le commandement du cortège royal.
Deux jours après, il s'y rendit lui-même. Charles IX
alla à sa rencontre, à Charentonneau , le 28 juillet,
et consentit à le suivre le lendemain au Louvre3.
Catherine résistait. Après deux jours de lutte, Antoine
l'emporta, et, le 31 juillet, la cour entière partit pour
Chartres 4. Les triumvirs tinrent conseil en sa présence.
On décida le partage de l'armée en plusieurs corps. Le
duc de Nemours, qui reparaissait au service du roi pour
la première fois, reçut l'ordre de marcher sur Bourges 5
et le maréchal Saint-André d'attaquer Poitiers. Ainsi
se trouvait complété le plan stratégique du duc de
Guise : séparer les défenseurs d'Orléans des réserves
que les protestants de la Guyenne, animés par Jeanne
d'Albret, accumulaient dans les provinces de l'ouest.
1. Mémoires de La Noue, chap. vu.
2. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 185.
3. Lettres de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 187.
4. Lettre de Ghantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 52.
— Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 493.
5. Le duc de Nemours était arrivé à la cour depuis le 4 juillet
(Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V. p. 173. —
Calendars, 1572, p. 174).
292 ANTOINE DE BOURBON
Le lendemain, le roi et la reine revinrent à Vincennes.
La guerre civile allait entrer dans la phase des opéra-
tions décisives. Le 1er août, Catherine rassembla le
conseil de la ville, assistée de l'ambassadeur d'Espagne,
et demanda au prévôt des marchands un prêt de
300,000 écus1. L'énormité de la somme fit hésiter les
officiers municipaux. Le cardinal de Lorraine usa de
son habileté persuasive et fit décider que le conseil
profiterait de l'entraînement des habitants pour
ouvrir une souscription 2. Les registres, clans tous les
quartiers, furent bientôt couverts de signatures. Guil-
laume de Marie, prévôt de Paris, s'inscrivit le pre-
mier et donna une partie de son argenterie. Les bour-
geois, les conseillers au parlement, les marchands,
les officiers du roi s'engagèrent à la suite du prévôt
avec une émulation stimulée peut-être par la terreur
des violences de la populace. Parmi les donateurs
figure Diane de Poitiers pour un don d'argenterie de
la valeur de 1 ,%%% livres3.
Le lendemain de la visite de la reine à l'hôtel de
ville, Charles IX et le roi de Navarre partirent de Vin-
cennes4, soupèrent aux Tuileries et couchèrent à Bou-
logne, au château de Madrid5. Le 4 août, la cour se
1. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 93.
— Lettres de Chantonay, Ibid., t. II, p. 52 et 53. — La ville de
Paris avait déjà accordé au roi une subvention de 400,000 francs
(Lettre anonyme sans date (juin 1562), copie du temps; f. fr.
vol. 20153, f. 95).
2. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 53.
3. Le registre original est conservé dans la collection Moreau,
vol. 1060.
4. Lettre du roi de Navarre au comte de Sommcrivo, du 2 août
(Minute ou copie du temps; f. fr., vol. 15876, f. 351).
5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 188.
ET JEANNE D'ALBRET. 293
mit en route pour Blois1, à petites journées, suivie
d'un gros cortège en cas de surprises. La reine lança
une déclaration officielle « sur le grand debvoir auquel
« elle s'estoit mise pour mettre fin aux troubles2. »
Le conseil décida que les officiers du roi rebelles
seraient déclarés déchus de leurs charges. Le plus
illustre, Gaspard de Coligny, fut remplacé dans la
dignité d'amiral par Henri de Montmorency-Damville,
second fils du connétable, mais l'exécution de cet arrêt
fut renvoyée à la paix3. La cour arriva à Blois le
11 août4. Les régiments suisses étaient déjà sous les
murs de Blois. Ils donnèrent à la cour la représenta-
tion d'un combat simulé et furent passés en revue par
le roi lui-même5.
Le conseil de guerre de l'armée catholique avait
décidé à Chartres de commencer la guerre par le siège
de Bourges. La ville avait été prise au mois de mai par
Gabriel de Lorges, comte de Mongommery G. Les
1. Lettre du roi de Navarre au duc d'Estampes, du 4 août
(Minute orig.; f. fr., vol. 15875, f. 355).
2. Déclaration de la reine au concile de Trente, envoyée par
Lansac, le 6 août 1562 (Copie du temps, collection Dupuy,
vol. 322, f. 118. — Autre copie, coll. Brienne, vol. 206, f. 47). —
Il est probable que cette déclaration fut également adressa' à
toutes les puissances catholiques. — Pièce inédite.
3. Lettre de remercîment de Damville à la reine, datée de Blois
et du 9 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 384).
4. Journal de Bruslard dans les Mémoires de G onde, t. I, p. 94.
— Zurlauben, Hist. militaire des Suisses, t. IV, p. 287 et suiv.,
d'après les mémoires manuscrits d'Antoine Haffner de Soleure.
."). Zurlauben, Histoire militaire des Suisses, t. IV, p. 290 et suiv.,
d'après les mémoires manuscrits d'Antoine Haffner de Soleure.
6. Les débuts de la réforme à Bourges et le siège de la ville
ont été très bien racontés dans Y Histoire du Berry, de M. Raynal,
t. IV, p. 17 et suiv.
294 ANTOINE DE BOURBON
églises, les couvents avaient été dépouillés de toutes
leurs richesses1, les prêtres et les moines expulsés,
les chapelles fermées avec un ordre méthodique sous
le commandement du lieutenant de Condé. Dès les pre-
miers jours de juillet, le parti huguenot, devinant,
d'après la marche de l'armée royale, le plan de cam-
pagne du duc de Guise, avait résolu de fortifier la
ville. Jean de Hangest, seigneur d'Yvoi, gentilhomme
du Berry, fut envoyé à Bourges avec 4,000 hommes
de pied et une forte artillerie. Il pilla les églises, les
couvents qui avaient échappé aux dévastations régu-
lières de Mongommery2. Les maisons religieuses du
voisinage de Bourges furent ensuite la proie de ce
capitaine. A Saint-Sulpice se trouvait une abbaye
célèbre que d'Yvoi avait autrefois demandée au roi. Il
en prit le titre, s'empara des objets précieux de la cha-
pelle et les fît porter en son château d'Yvoi3. Les rail-
leries ne lui manquèrent pas. Vis-à-vis de ses compa-
gnons d'armes, surpris de voir un capitaine de leur
parti se parer de la mitre et de la crosse, d'Yvoi arguait
de sa qualité d'abbé de Saint-Sulpice4. Vers les pre-
miers jours d'août, il tenta contre la ville d'Issoudun
une expédition qui ne fut pas plus glorieuse. La ville
était défendue, en vertu d'une commission du roi de
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 mai 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 30).
i. Mémoires de Claude Halon, t. I, p. 277. — Voyez aussi les
historiens locaux cites par M. Raynal (Ilist. du Berry, t. IV, p. 61
et suiv.).
3. Yvoi-le-Marron, dans l'Orléanais.
4. Le duc de Montpensier lui donne plaisamment le titre d'abbé
(Lettre de Montpensier au roi de Navarre, du 7 août 156;!: cuil.
de Saint-Pétersbourg, vol. 104, f. 10, copies île la Bibl. nat.).
ET JEANNE d'ALBRET. 295
Navarre1, par Charles de Barbançois, seigneur de Sar-
zay, capitaine dur et implacable, aussi terrible pour les
huguenots que d'Yvoi pour les prêtres. D'Yvoi arriva
sous les murs d'Issoudun le 5 août, au point du jour.
11 posta son artillerie et battit les murs de la ville. L'as-
saut était ordonné pour le lendemain, quand le chef
huguenot apprit que Jacques de la Brosse, lieutenant
du duc de Guise, s'avançait à marches forcées au
secours des assiégés 2. A cette nouvelle, il leva le siège
et se retira précipitamment à Bourges. En route, les
soldats , mal payés et honteux de la lâcheté de leur
capitaine, se mutinèrent. D'Yvoi réussit à apaiser la
sédition en répandant le bruit qu'il avait admis les
assiégés à composition moyennant le paiement d'une
somme de 16,000 écus. La révolte recommença après
le retour de l'armée à Bourges. Les gens de pied, pre-
nant au sérieux les mensonges de leur chef, récla-
mèrent l'arriéré de leur solde et refusèrent de faire le
service de la place. D'Yvoi voulut les apaiser et fut
chassé des campements. Il se réfugia dans la grosse
tour de la ville, tandis que les soldats, de plus en plus
exaltés, élisaient un de leurs capitaines, le s. de Hau-
mont, qui s'était signalé par sa bravoure. Haumont
refusa de prendre la charge de son chef et parla si
bien aux gens de pied qu'il les ramena aux remparts.
1. Lettre de Sarzay au roi de Navarre, du 22 juillet 1562 (Orig. ;
f. fr., vol. 15876, f. 297). Ce recueil contient plusieurs lettres de
ce capitaine relatives aux événements du Berry.
2. La Brosse allait à Romorantin et avait ordre d'y attendre,
le gros de l'armée royale en ménageant ses troupes (Lettre des
ducs de Montpensier et de Montmorency au roi de Navarre,
du 7 août 1502; Orig., coll. des autog. de Saint-Pétersbourg,
vol. 104, f. 10; Copies de la Bibl. nat.).
29G ANTOINE DE BOURBON
D'Yvoi sortit de la tour et reprit son commandement1.
La ville de Vierzon fut seule assez heureuse pour
résister aux pillages de ce chef de bande. Défendue
par le capitaine Innocent Tripied, seigneur de Monte-
rud, et par des gentilshommes du pays, les s. de Sar-
zay et de la Loe, elle avait reçu, à l'ouverture de la
guerre, une compagnie d'arquebusiers commandée par
le capitaine Breuil. Dans le milieu de juillet, un sei-
gneur huguenot, le s. de la Beuvrière, tenta inutilement
plusieurs coups de main contre Vierzon. La ville devint
le boulevard du parti catholique en Berry et le mois
de juillet se passa tout entier en escarmouches entre
les catholiques de Vierzon et les compagnies protes-
tantes de Mehun-sur-Yèvre et de Bourges2.
L'armée de Blois était pleine d'ardeur pour le siège
de Bourges. À la noble ambition de servir le roi se
mêlait un sentiment de mépris pour d'Yvoi. Trois
jours avant l'arrivée du roi au camp, les ducs de Mont-
pensier et de Montmorency écrivent au roi de Navarre :
« Sire, avec vostre venue par deçà et la diligence
« qu'il vous plaira faire d'aller veoir Mons. le jeune
« abbé d'Yvoi à Bourges, nous assurons presque que
« Dieu nous fera la grâce de remettre ceulx dud.
« Orléans bientôt à l'obéyssance du Boy3. »
1. Lettre de Monterai! au due de Montmorency, datée de Vier-
zon, du 9 août 1562 (Orig.; f. IV., vol. 15876, f. 385).
2. Lettre do Sarzay au mi de Navarre (Orig. daté ^c Vierzon
et du 22 juillet 1562 ; I'. Ir.. vol. 15876, l 297). — Lettre des gens
de Vierzon au roi, mémo date (Ihid., !'. 307). — L'iiic de La Loe
.m roi, même date (Ibid. , f. 306).
3. Lettre des ducs do Montpensier el de Montmorency au roi
de Navarre, datée de Blois el du 7 aoûl (Orig.; coll. des autop.
de Saint-Pétersbourg, vol. 104, I'. 10; Copies de la Bibl. nat.).
ET JEANNE D'ALBRET. 297
Le connétable partit de Blois le 1 1 août , avec le
gros de l'armée ; son fils, François de Montmorency,
le lendemain avec la cour1. La compagnie du duc de
Guise, commandée par le capitaine Jacques de la
Brosse, parut la première, le 14 août, sous les murs
de Bourges2. Le 15, un trompette, au nom du roi,
somma les échevins d'ouvrir les portes. Les éche-
vins répondirent qu'ils avaient abdiqué leurs pou-
voirs entre les mains du s. d'Yvoi pour se protéger,
eux et les habitants, contre les entreprises des gen-
tilshommes du voisinage ; et d'Yvoi, qu'il tenait le
commandement des mains du prince de Condé et qu'il
le gardait pour rendre la ville au roi à l'issue de sa
captivité. Ces protestations étaient le langage ordinaire
des séditieux de 1 562. L'avant-garde de l'armée assié-
geante prit position , le 1 8 août , du côté du pont
d'Auron. Le maréchal de Saint- André se présenta le
lendemain avec de bonnes troupes, bien armées et
bien commandées, enorgueillies de leurs victoires en
Poitou.
Le roi, la reine mère et le roi de Navarre arrivèrent
le 18 août à Mehun3. Antoine s'était fait donner une
1. Lettre de Diane de France à la connétable de Montmorency,
datée de Blois et du il août (Orig.; f. fr., vol. 3194, f. 120).
2. Journal de Jehan Glaumeau, 1868, p. 129. Glaumeau était un
prêtre de Bourges, qui, au commencement de la réforme, avait
embrassé le calvinisme et s'était marié. Il a laissé un journal qui
commence au règne de François Ier et finit en 1562. Le manus-
crit, signalé par M. Baynal dans son Histoire du Derry, a été
analysé par M. Bourquelot dans le tome XXII des Mémoires des
Antiquaires de France, 1855, 3e série, t. U, p. 191. Il ;i été publié
intégralement, en 1868, par le président Hiver.
3. Lettre du roi, du 19 août, datée de Mehun-sur-Yèvrc, por-
tant ordre à certains évoques de se rendre au concile de Trente
298 ANTOINE DE BOURBON
garde personnelle de %h Suisses pour toute la durée
de la guerre1. Le 19, la cour coucha au village de
Pleinpied et le lendemain au château de Lazenay, près
de Bourges. Les approches de la maison royale étaient
défendues par deux compagnies de reîtres campées
dans les carrières de Lazenay ou près de l'église, et
par une compagnie de ggns d'armes2. Catherine pré-
voyait que les remparts de Bourges ne l'arrêteraient
pas longtemps. Le 1 7, elle avait écrit au s. de Lansac :
« Gomme je n'y espère grande difficulté, nous tour-
« nerons vers Orléans pour faire le semblable de ceux
« qui y sont3. » Le roi, qui ne rêvait que gloire et
bataille, prenait part au siège avec l'entrain d'un
soldat et ne se fâchait, dit Brantôme, que lorsque
son gouverneur l'éloignait des points menacés par
l'artillerie ennemie 4. L'armée catholique comptait
1G,000 hommes de pied et 3,000 cavaliers5. La
garnison était plus faible en nombre, mais presque
aussi forte en artillerie, et pouvait s'accroitre parmi
les habitants, que d'Yvoi opprimait de levées et de
corvées sans relâche. Elle comptait, dit Brantôme, des
(Copie du temps; Arch. nat., K. 1498, n° 26). — Lettre du roi à
Jean de Monluc, évèque de Valence (Copie; f. fr., vol. 3193,
f. 15). — Le roi était accompagné de ses deux plus jeunes frères
(Journal de Gilles Chauvet à la suite du Journal de Glaumeau,
p. 151).
1. Etat de solde de l'armée de juin à septembre 1562 (Copie du
temps; Vc de Golbert, vol. 24, pièce 105).
2. Journal de Jehan Glaumeau, 1808, p. 133.
3. Mémoires de Gastclnau, 1731, t. I, p. 861.
4. Brantôme, t. V, p. 250.
5. Jehan Glaumeau évalue l'armée royale à 80,000 ou 100,000
hommes, sans compter l'artillerie (Journal, p. 119), mais ces
chiffres contiennent une exagération évidente.
ET JEANNE d'aLBRET. 299
capitaines de grand renom, les deux frères Saint-
Remy, Brion, du Poyet, d'Arambure1. Aussitôt après
son arrivée au camp, Catherine s'efforça d'augmenter
ses gros bataillons. Les gens de pied, que le roi d'Es-
pagne envoyait au secours du roi de France, étaient
entrés en France par Fontarabie, le 20 juillet, et com-
battaient sous le commandement de Biaise de Monluc
et de Charles de Coucy, s. de Burie 2. La reine mère
ordonna au duc de Montpensier d'amener au camp de
Bourges les deux tiers des Espagnols et des compa-
gnies de Biaise de Monluc 3. Le lendemain, elle expédia
à don Diego de Carvajal, capitaine de l'armée espa-
gnole, une « recharge » dans le même sens4. Deux
jours après, témoin de la résistance que les assiégés
opposaient à l'armée royale, Catherine donna com-
mission à Malicorne de conduire à marches forcées au
camp de Bourges, non plus la plus grande partie, mais
la totalité des Espagnols5. Cet ordre allait être exécuté
quand le parlement de Bordeaux supplia le roi de
laisser Burie et 3,000 Espagnols en Guyenne6.
La ville de Bourges offrait au xvie siècle l'aspect d'un
1. Brantôme, t. V, p. 419.
2. Lettre de Philippe II à Burie, du 14 juillet (Orig. espagnol;
Arch. nat., K. 1496, n° 103).
3. Minute originale datée de Mehun-sur-Yèvre et d'août 1562
(F. fr.; vol. 15876, f. 379).
4. Lettre du roi à don Diego de Carvajal, datée du camp de
Bourges (Minute originale d'août 1562; f. fr., vol. 15877, f. 186).
— Lettre de la reine au même (Lettres de Catherine, t. I, p. 384).
5. Instruction du roi au s. de Malicorne, s. 1., août 1562
(Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 396).
6. Lettre du parlement de Bordeaux au roi, du 26 août 1562
(Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 470). La reine fit droit à la requête du
parlement de Bordeaux.
300 ANTOINE DE BOURBON
carré long, bordé sur deux côtés par les sinuosités
d'une rivière divisée en plusieurs ruisseaux. Ces cours
d'eau ne servirent pas à la défense, car ils étaient
couverts de ponts que d'Yvoi oublia de rompre. Les
abords avaient été reconnus par les lieutenants du duc
de Guise. De larges tranchées couvertes, à l'épreuve
du canon , furent creusées à distance et défendues
par des ouvrages de terre garnis de meurtrières1.
L'artillerie fut pointée dans un pré, de l'autre côté
de la rivière, en face d'une maison désignée sur les
anciens pians sous le nom de maison de Pestiférés2.
A peine était-elle en position que les canons de la
grosse tour, dirigés par le fils du capitaine Saint-Mar-
tin, le luthérien3, la démontèrent. Le même jour, il y
eut une rencontre dans un faubourg appelé le Beu-
gnon, et un autre combat près de la contrescarpe du
côté de l'archevêché, où les assiégés obtinrent l'avan-
tage. Pendant la nuit du 18 au 19, malgré le feu des
assiégés, l'artillerie royale se rapprocha de la ville et
s'établit contre le château Saint-Ursin. Ces mouve-
ments coûtèrent la vie au capitaine Roch de la Chas-
1. Lettre de François de Montmorency à sa mère, en date du
19 août (Autog.; I'. fr., vol. 20500, f. 15. — Cette lettre est, par
erreur, datée du 19 juin, mais elle ne peut être que du 19 août,
puisqu'elle est écrite d'Yvoi et qu'elle raconte les débuts du siège
de Bourges).
2. André Thevet a publié on une planche in-folio, à Paris, chez
Mathurin Brouille, en 1562, un plan en perspective de la ville de
Bourges et du camp des assiégeants. On trouve un exemplaire
de ce plan dans le f. IV., vol. 10193, I'. 188 bis.
3. D'après de Bèze (t. II, p. 83, 1882), il y avait deux capi-
taines Sainl-Mai'lin à Bourges. L'un était connu sous le sobri-
quel de Saint-Martin le luthérien, l'autre de Saint-Martin le
huguenot.
ET JEANNE D'ALBRET. 301
teigneraye, s. de Toufou, et au s. de la Roche-Posay A ;
Charles de la Rochefoucault-Randan reçut une arque-
busade à la tête.
L'investissement fut complété le 20 août par l'ar-
rivée de nouvelles troupes 2 et par un renfort d'artil-
lerie de dix pièces. Les assiégés, profitant du peu
d'ordre de l'armée royale, firent une « saillie furieuse »
sur les compagnies de gens de pied qui servaient l'ar-
tillerie. C'est là, d'après Théodore de Bèze, que fut
blessé le capitaine Antoine de Richelieu, le sangui-
naire héros de la prise de Tours. Les soldats, démo-
ralisés par la chute de ce chef, se rejetèrent sur les
gens d'armes, campés en arrière du feu de la ville.
Les assiégés restèrent un moment maîtres des bastions
de l'artillerie ; ils auraient pu ramener les pièces dans
la ville, s'ils avaient eu des chevaux prêts, ou les
enclouer ; mais ils furent à l'instant assaillis des deux
côtés de la rivière par le duc de Guise et le roi de
Navarre. Craignant d'être tournés, ils battirent préci-
pitamment en retraite vers le pont de l'Yèvre sans
laisser de prisonniers 3.
La batterie commença le lendemain, vendredi,
21 août, à cinq heures du matin, et dura jusqu'à la
nuit, « d'une façon si horrible que non seulement ceulx
« qui estoient dans la ville trembloient, mais aussi
1. Lettre de Ghantonay dans les Mémoires deCondé, t. II, p. 62.
— La Roche-Posay était parti le 17 août (Lettre de la Roche-
Posay à son père, en date du 17 août; Hist. généal. de la maison
de Chasteignet, p. 285).
2. Lettre du card. de Lorraine à Artus de Gossé, s. de Gonnor,
datée de Mehun et du 20 août 1562 [Mémoires-journaux de Fran-
çois de Lorraine, p. 495, dans la coll. Michaud et Poujoulat).
3. De Bèze, 1882, t. II, p. 83.
302 ANTOINE DE BOURBON
« toute la ville et bastiments d'icelle estoient tous
« ébranlez, car incessamment laschoient tous ensemble
« douze, quinze et vingt canons1. » Le premier jour, la
ville reçut plus de 600 boulets, suivant Jehan Glau-
meau, et plus de 700, suivant de Bèze. Cette terrible
canonnade produisit peu d'effet. Le 22, elle recom-
mença, mais avec moins de violence. On tira 300 coups
de canon sans plus de résultat que le premier jour. Le
soir, à la faveur de l'obscurité de la nuit, le roi de
Navarre fit commencer une mine du côté de la porte de
Bourbonnoux. Pendant que les pionniers déblayaient le
terrain, les soldats eurent l'imprudence de mettre le feu
aux buissons autour d'eux. La lueur de l'incendie décou-
vrit les travailleurs. Aussitôt l'artillerie de la ville fut
tournée dans cette direction. « N'oubliez pas les frères
« mineurs ! » criaient les soldats protestants du haut
des remparts, pendant l'intervalle des détonations2.
Le lendemain 23 et les jours suivants, le bombarde-
ment fut réduit à 30 ou 40 coups par jour. Pendant
la nuit, les capitaines catholiques essayèrent de recon-
naître la brèche. Les murs, bâtis en pierres molles,
subissaient sans se rompre le choc des boulets. Les
rares ébranlements, produits par les projectiles, étaient
immédiatement étayés à l'intérieur et les trous bou-
chés avec de la terre. On reconnut que la brèche
était « moins accessible et plus dangereuse, pour le
« hasard de beaucoup d'hommes, qu'elle n'estoit du
« premier et second jour3. »
1. Journal de Jehan Glaumeau, 1868, p. 430.
2. Do Bèze, 1882, t. II, p. Si.
3. Lettre de Moreau, officier de linancos, attaché à l'armée
catholique, au s. de Gronnor (Orig.; daté du 28 août 1 502 ; f. fr.,
ET JEANNE D'ALBRET. 303
Le roi de Navarre, craignant d'épuiser les munitions
de l'armée et de rester sans défense devant un ennemi
meilleur ménager de ses réserves, envoya les compa-
gnies de Nicolas de Vaudemont, de Cypierre, d'Artus
de Gossé-Gonnor et du marquis d'Elbeuf au-devant
d'un convoi de trente-six charrettes, chargées de
poudre, de canons et de boulets, que la ville de Paris
expédiait au camp du roi1. Pendant que les com-
pagnies royales cheminaient à sa rencontre, l'amiral
de Coligny, averti par ses espions, s'était embusqué
sur son passage. Il surprit le convoi, embourbé dans
les terres cultivées de la Beauce, non loin de Ghà-
teaudun, dispersa l'escorte et fit sauter, au moyen
de traînées de poudre, les trente-six charrettes et les
canons de la ville de Paris2. En même temps, sous
les murs de Bourges, le 26 août, les arquebusiers
du capitaine Haumont firent « une saillie furieuse »
et rembarrèrent les troupes royales. Le capitaine
Linières et de Meun-Sarlabous, mestre de camp des
bandes françaises 3, furent blessés gravement ; une
vol. 3216, f. 65). — Lettre de Chantonay dans les Mémoires de
Condé, t. H, p. 62. — Journal de Jehan Glaumeau, p. 131. L'au-
teur évalue à 1,560 et plus le nombre de coups de canon que
reçut la ville. — Lettres de Catherine de Médicis , t. I, p. 388
et 389.
1. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 191 et
192. — Arrêt du parlement, du 28 août, qui prescrit des prières
publiques pour l'heureux succès du siège (Mémoires de Condé,
t. IH, p. 634).
2. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 71
et 73. — Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 193.
— La Popelinière, in-fol., t. I, f. 338.
3. État de solde de l'armée de juin à septembre (Ve de Colbert,
vol. 24, pièce 105).
304 ANTOINE DE BOURBON
douzaine de soldats furent tués et beaucoup de blessés
« demourarent sur le champ 1 . »
Ce double revers refroidit l'enthousiasme de l'armée
royale. « Le courage de nos dits François pour coin-
ce battre, écrit le trésorier Moreau , diminue et deffault
« de jour à aultre, au veu et au sceu de tout le
« monde 2. » La pauvreté du trésor obligeait le roi de
Navarre à suspendre la paye des soldats et à renvoyer
les montres après la prise de la ville. Encore escomp-
tait-il à l'avance le succès de l'armée royale et la con-
tribution de guerre qu'il imposerait aux vaincus. Les
lansquenets se plaignirent si vivement que la reine
mère, craignant de les voir se débander ou passer à
l'ennemi, les fit payer d'urgence3. Les princes, les
capitaines de l'armée ne donnaient pas l'exemple du
désintéressement. Le bâtard d'Angoulême, Henri de
Valois, fils de Henri II, exigea la pension du quartier
de juillet, bien que le roi lui eût donné une abbaye.
Le roi de Navarre réclamait « son plat » pour quatre
mois, à raison de mille écus par mois, soit quatre
mille écus4. La reine le désintéressa en lui octroyant
toutes les confiscations de biens qui seraient prononcées
contre les rebelles dans les terres de France 5.
1. Lettre do Moreau, officier de finances, au s. de Gonnor, du
28 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 65).
2. Lettre de Moreau à Gonnor, du 28 août 1562 (Orig.; f. fr.,
vol. 3216, f. 65).
3. Lettre de Moreau à Gonnor, du 28 août (Orig.; f. fr.,
vol. 3216, f. 65).
4. Lettre de Moreau au s. de Gonnor, du 26 août 1562 (Orig.;
f. fr., vol. 3216, f. 63).
5. Original sur parchemin, signé seulement de Claude de l'Au-
bespine, daté du 25 août 1562 (Arch. des Hassos-Pyivnées,E. 585).
ET JEANNE d'aLBRET. 305
Incapable de prendre la ville de haute lutte, le
roi de Navarre tenta la voie des accommodements.
Jacques de Savoie, duc de Nemours, fut envoyé en
parlementaire aux portes et chargé de représenter aux
assiégés que le roi « aymoit mieux leur pardonner
« que les avoir de force1. » La première conférence
faillit être fatale au prince italien. Gomme il se répan-
dait en promesses et engageait son honneur à obtenir
aux défenseurs de la ville des conditions favorables,
un seigneur huguenot, qui avait fait partie de la con-
juration d'Amboise, l'apostropha d'un ton menaçant :
« Garderez-vous votre parole plus fidèlement que vous
« ne l'avez gardée au sire de Castelnau ? » Gastelnau
avait rendu son épée à Nemours sur sa foi et avait
été supplicié le lendemain. Quand Nemours voulut
répondre, un grand tumulte s'éleva dans les rangs des
réformés, et le favori des Guises eut de la peine à
regagner le camp royal2. Le lendemain, le connétable,
le rhingrave, le secrétaire d'état Claude de l'Aubes-
pine prirent la direction des pourparlers. Le rhingrave
vint à la porte d'Auron et conféra plusieurs fois sans
témoins avec le s. d'Yvoi. Rien ne transpirait de la
négociation. Le lieutenant de Condé ne consultait
aucun de ses capitaines; il se disait obligé à garderie
secret, mais il affirmait que les clauses étaient hono-
rables et que le siège serait bientôt levé. Pendant les
conférences, un trompette vint demander deux faveurs
à d'Yvoi : la première, d'interroger l'archevêque,
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 389. — Lettre du
2 septembre à Saint-Sulpice. — Lettre de Ghantouay dans les
Mémoires de Condé, t. II, p. 70. — Lettre du roi de Navarre ;'i de
Lude {Lettres d'Ant. de Bourbon et de Jeh. d'Albret, p. 270).
2. De Bèze, 1882, t. II, p. 84.
IV 20
306 ANTOINE DE BOURBON
Jacques Leroy, qui n'avait pas quitté son siège épis-
copal, sur les traitements qu'il avait subis à Bourges
depuis le commencement du siège ; la seconde, de faire
connaître aux soldats huguenots que le roi était sous
les murs de la ville. L'archevêque répondit qu'il n'était
pas maltraité, mais qu'on avait détruit son logis, pris
son argenterie et qu'on lui avait emprunté 200 écus.
La seconde mission du trompette était plus déli-
cate, mais d'Yvoi, par fanfaronnade, y donna son
assentiment. Le trompette monta sur la muraille, et,
profitant d'un moment de calme, demanda aux assié-
geants au nom de qui ils combattaient : « Pour le
« roi, » crièrent les soldats d'une voix unanime ; et
tout le camp cria : « Vive le roi ! » avec tant de force
que la ville entière put l'entendre. Cet empressement
donna à réfléchir aux gens de guerre huguenots, que
le prince de Condé entretenait dans l'idée que le roi
était prisonnier du triumvirat1.
Catherine savait que d'Yvoi était plus courtisan que
capitaine et voulut avoir une entrevue avec lui. D'Yvoi
se fit autoriser à prêter l'oreille aux propositions, mais
s'engagea à ne prendre aucune résolution sans l'avis
des autres capitaines. Il vint au château de Lazenay2,
conféra en secret avec la reine mère, avec le roi de
Navarre, avec le connétable et se laissa séduire ou
acheter. Il accepta un projet de capitulation qui
remettait la ville au roi, moyennant quelques garan-
ties. Avant de signer, il se réserva de consulter le
prince de Condé et lui envoya le capitaine La Che-
1. De Bèze, 1882, t. II, p. 84.
2. Ghantonay écril qu'il vinl le jour de Notre-Dame (lel5aoùt),
mais il se trompe de date (Mémoires de Condé, t. II, p. 62).
ET JEANNE D'ALBRET. 307
noche. Le messager partit en hâte avec un sauf-
conduit de la reine. Il devait revenir le surlendemain ;
on l'attendit en vain ; le duc de Nemours l'avait fait
arrêter en route. Pendant ces deux jours, d'Yvoi s'ef-
força de décourager ses compagnons d'armes, en leur
représentant d'une part leur défaite prochaine, d'autre
part les sauvegardes promises. Le troisième jour,
sans attendre plus longtemps le retour de La Che-
noche, d'Yvoi signa l'acte de capitulation et le remit,
le 1er septembre, au connétable de Montmorency1.
L'exécution du traité souleva une vive opposition
dans les rangs des défenseurs de la ville. Le capitaine
Saint-Martin, le luthérien, demandait à occuper la grosse
tour en gage des garanties stipulées. D'Yvoi lui répon-
dit qu'il ne pouvait traiter avec le roi comme avec
l'ennemi. Il sortit avec sa compagnie et remit la
garde des portes au prince de la Roche-sur- Yon 2 qui
l'attendait sur le bord du fossé. Puis il fit crier dans
les rues, au bruit du tambour, l'ordre aux soldats de
sortir avec armes et bagages et de se retirer en leurs
maisons. Le prince de la Roche-sur-Yon entra aussi-
tôt et prit le commandement. Déjà une collision avait
éclaté au pied des murs. Un capitaine de l'armée
1. L'acte de capitulation est imprimé dans les Mémoires de
Condé, t. III, p. 634, et a été reproduit par M. Raynal, Histoire
du Derry, t. IV, p. 61, d'après de Bèze, 1882, t. II, p. 85. —Une
copie de cet acte, actuellement conservée aux Arch. nat.
(K. 1498, n° 30), fut envoyée au roi d'Espagne. Philippe II la
reçut avec mépris, et dit à Saint-Suplice que plusieurs clauses
ne lui semblaient point convenables, de sujet à roi (Lettre de
Saint-Suplice au roi, du 8 octobre 1562; Copie du temps, f. fr.,
vol. 3161, f. 41 v°).
2. Le prince de la Roche-sur-Yon était officiellement le gou-
verneur de la province.
308 ANTOINE DE BOURBON
royale voulait entrer par la brèche, bien qu'elle ne fût
praticable qu'à l'aide de longues échelles, et le s. de
Ilaumont, le plus énergique des mécontents, se dis-
posait à le combattre. Dans la journée, l'armée pro-
testante sortit en bon ordre, avec les honneurs de la
guerre, les arquebusiers à l'avant-garde, les piquiers
et les hallebardiers au centre et la cavalerie sur les
ailes. Elle traversa les troupes royales et fut conduite
au village de Grosses, à quatre lieues de Bourges, par
six cornettes de cavalerie. De Crosses, les uns mar-
chèrent vers Orléans sous le commandement des capi-
taines Haumont, Saint-Martin le luthérien, La Magde-
laine, Pâté et Coupé, que la reine n'avait pu ou voulu
acheter. D'autres se retirèrent isolément et furent mis
en déroute par un parti catholique que Jean du Tillet,
greffier du parlement de Paris, entretenait en sa mai-
son de la Bussière, près de Chastillon-sur-Loire.
D'autres capitaines, La Porte, Saint-Remy, Brion,
Saint-Martin le huguenot , prirent du service dans la
compagnie du duc de Guise : « Je ne me suis tant
« mis icy, dit Brion au duc de Guise, pour la reli-
« gion que pour un mécontentement que j'eus après
« la guerre, m'en voyant si mal récompensé. Et MM. le
« prince et admirai m'ayant les premiers recherché,
« je les ay servis fidèlement, comme je serviray le
« roy, ainsy que j'ay faict au roy son père 4. »
D'Yvoi ne recueillit que des reproches à Orléans.
Gondé refusa de le recevoir et lui fit dire qu'à défaut
du pardon des hommes il n'avait plus à espérer qu'en
la miséricorde de Dieu. Les capitaines de l'armée pro-
I. Brantôme, t. V, p. 120. Brion tut tué au siège de Rouen
(Ibid.). — De Ur/v, Iss-j, t. 11, p. 86.
ET JEANNE D'ALBRET. 309
testante et le s. de Genlis lui-même, son frère aîné,
voulaient le citer à la barre du conseil et lui deman-
der compte de la faiblesse de la défense de Bourges.
L'amiral craignit d'ouvrir la porte aux soupçons outra-
geants, aux récriminations, à la désunion de l'armée.
Méprisé des soldats, accusé de lâcheté par les moindres
capitaines, d'Yvoi quitta le parti réformé et se réfugia
au camp du roi. Il n'y fut pas mieux reçu1. Le duc
de Guise soudoyait des traîtres ; il ne les aimait pas.
D'Yvoi chercha un refuge dans la retraite. En 1572,
il reparut à la cour et accepta le commandement d'un
corps de volontaires que Goligny envoyait au secours
des révoltés des Pays-Bas. Les opérations militaires
furent si mal combinées, si mollement conduites qu'il
en tomba victime. Fait prisonnier par Frédéric de
Tolède dans une marche au secours de Mons, il fut
égorgé secrètement par les ordres du duc d'Albe2.
Après la sortie des troupes huguenotes, à quatre
heures du soir, le roi fit son entrée à Bourges, en grand
équipage, avec sa maison et une nombreuse escorte.
Le maire, les échevins, les conseillers de la ville, les
habitants notables vinrent au-devant de lui et lui
remirent les clefs des portes. Le roi et la reine mère
occupèrent la maison de Jacques Cœur, le célèbre
argentier de Charles VII, qui appartenait au secrétaire
d'état Claude de l'Aubespine3. Aussitôt le prince de
la Roche-sur-Yon fit crier à son de trompe que nul,
1 . Lettres de Chantonav dans les Mémoires de Condé, t. Il, p. 78
et 82.
2. Mémoires de Michel de la Huguerye, publiés pour la Société
de l'Histoire de France, t. I, p. 111 à 127.
3. Journal de Jehan Glaumeau, p. 432.
310 ANTOINE DE BOURBON
sous peine de la hart, ne molestât les religionnaires
dans leurs personnes ou dans leurs biens. Le lende-
main, il destitua les officiers municipaux, les remplaça
par des catholiques et envoya à l'hôtel de ville l'ordre
d'acquitter une contribution de guerre de 50,000 écus.
La somme fut réduite à 20,000 sur les instances des
échevins et payée au moyen d'une taxe prélevée sur
les habitants réformés l. Les prêches furent interdits,
les ministres expulsés, les églises restituées au culte
catholique2. Le roi leur fit rendre les châsses, les orne-
ments, les meubles qui purent être retrouvés. D'Yvoi
avait pris à la sainte chapelle de Bourges un calice
orné de pierres précieuses qui passait pour un chef-
d'œuvre d'orfèvrerie ; il fut obligé de le laisser à la
reine mère, qui oublia ou refusa de le restituer. Plu-
sieurs capitaines catholiques s'attribuèrent aussi une
part du butin, les uns sur les biens des huguenots, les
autres sur les dépouilles des catholiques. C'est le
malheur des faibles en temps de guerre d'être pillés
successivement par leurs ennemis et par leurs défen-
seurs.
Le roi partit le dimanche, 6 septembre, laissant à
Bourges Philibert de Marcilly, s. de Gypierre, comme
gouverneur, et Innocent Tripied, s. de Monterud,
comme lieutenant3. Le triomphe de l'armée royale
n'avait été marqué par aucune violence, mais l'admi-
nistration de Monterud fut plus dure. Il prit des mesures
1. Le rôle de cette taxe est imprimé à la si"''1 du Journal de
Jehan Glaumeau, p. 161.
2. Plus tard, le mi confirma les faveurs accordées aux églises
de Bourges {Immunités de l'église de Bourges, y. \~).
3. Journal de Jehan Glaumeau, \>. 134. Après lo départ du roi,
les réformés furent maltraités par Monterud, d'après cet annaliste.
ET JEANNE D ALBRET. 311
de contrainte pour faire rentrer la taxe imposée par
le prince de la Roche-sur-Yon ; il restaura les murailles
et les portes aux frais des vaincus ; il expulsa de la
ville les séditieux et les suspects. Monterud se souve-
nait de l'affront que lui avait infligé la ville d'Orléans
et voyait des conspirateurs chez tous les réformés * .
Pendant que le roi de Navarre, uni à la reine mère,
s'illustrait dans l'art, sinon de prendre les villes fortes
du parti huguenot, au moins de les acheter, l'alliance
de ce prince avec le roi d'Espagne et la négociation
pour la « récompense » de la Navarre avaient avancé
d'un pas. Antonio d'Almeida, relâché par les habitants
de Tours aux premières menaces du roi de Navarre,
se rendit auprès de son maître à Blois. Antoine l'écouta,
lut ses dépêches, l'interrogea avec anxiété. Ses lettres,
qui avaient failli causer la ruine de la ville de Tours,
ne contenaient rien de plus que les précédentes. Le
roi d'Espagne promettait de donner à son allié l'île de
Sardaigne, en attendant le royaume de Tunis ; mais de
fixer la date de la livraison de l'île promise, de délimiter
les clauses du marché, il n'en était pas plus question
dans les dernières dépêches de d'Almeida que dans
les premières.
Cependant il était d'une bonne politique de montrer
une grande allégresse. Le prince écrivit à l'ambassa-
deur d'Espagne une lettre de remerciement et le sup-
plia de « parachever son œuvre » en obtenant du roi
catholique des déclarations plus précises2. Le cardi-
1. Lettre de Monterud au prince de la Roche-sur-Yon, datée
de Bourges et du 23 septembre 1562 (Orig.; f. i'r., vol. 15877, f. 107).
2. Lettre du roi de Navarre à Ghantonay, du 12 juillet 1562
i Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 264).
312 ANTOINE DE BOURBON
nal de Ferrare témoigna à la fois à son gouvernement
de la satisfaction du prince et de l'utilité pour le parti
catholique de le contenter pleinement ' . Antoine écri-
vit de sa propre main à Philippe II, ainsi qu'à la reine
d'Espagne, pour les remercier. Le message devait
être confié à des ambassadeurs d'un autre rang que
d'Almeida. Le prince choisit OdetdeSelve2, négociateur
de renom, et François d'Escars, son favori, promu, en
faveur des circonstances, à la dignité de lieutenant du
roi en Guyenne3. Il commanda à Claude de l'Aubes-
pine de rédiger une instruction « propre à séduire la
« cour d'Espagne4, » et pria la reine mère de joindre
ses instances aux siennes5. Catherine était encore à
Vincennes. Avant de prendre la route de Madrid,
François d'Escars partit pour Paris le 16 juillet, fut
reçu par la reine et eut plusieurs conférences avec
l'ambassadeur d'Espagne en présence du cardinal de
Lorraine. Tous deux pressaient Chantonay de déter-
miner son maitre. Celui-ci objectait l'importance de la
donation. « On a bien vu, disait-il, donner des baron-
« nies, comtés et duchés, mais de royaulmes l'on n'en
« veist de longtemps donner0. » Dans un de ces entre-
1. Nègoc. du card. de Ferrare, p. 312. Lettre du 18 juillet.
2. Lettre du roi de Navarre à M. de Selve (Minute datée de
juillet 1562; f. fr., vol. 15876, f. 260).
3. Commission du roi en faveur de François d'Escars, datée de
Vincennes et du 16 juillet 1562 (Orig. sur parchemin; Arch. des
Basses-Pyrénées, E. 585).
i. Lettre du mi de Navarre à Claude de l'Aubespine, datée du
12 juillet 1562 (Minute originale; f. fr., vol. 15876 f. 261).
5. Lettre du mi de Navarre à la reine, du 16 juillet 1562
(Minute originale; f. IV., vol. 15876, f. 262). —Lettres de Sainte-
Croix dans les Archives curù ses, t. \ I, p. 181.
6. Lettre de François d'Escars au mi île Navarre, datée de
Vincennes et du 21 juillet (Orig., f. IV., vol. 15S76, f. 295).
ET JEANNE D'ALBRET. 313
tiens, d'Escars exhiba une lettre de Philippe 11, qui
recommandait à la reine et au roi de Navarre de pour-
suivre vigoureusement les rebelles et d'avoir confiance
en sa générosité j ; et il donna lecture d'un mémoire
du roi de Navarre, sorte d'apologie détaillée, dans
lequel le prince rappelait les grands services qu'il avait
déjà rendus au parti catholique, l'exil et la destitution
des dignitaires huguenots de tout rang, princes, capi-
taines et officiers de justice, l'expulsion des ministres,
la fermeture des prêches, la proscription par arrêt du
parlement des sectateurs de la réforme, l'envoi des
prélats français au concile de Trente ; « pour l'exécu-
« tion de quoy, ajoute le lieutenant général en forme
« de conclusion, lesd. d'Escars et de Selve demande-
d. ront la délivrance de la Sardaigne aux conditions
« portées par le brevet, avec les sûretés réciproques
« d'une part et d'aultre ; laquelle s'affectuant , led.
« seigneur roy de Navarre en demourera perpétuelle-
ce ment obligé à Sa Majesté catholique. Et si, sur cela,
« il se mectoit en avant quelques difficultez, lesquelles
« ils ne peussent résouldre, ne fauldront d'envoyer
« courrier exprès devers led. s. roy de Navarre pour
« entendre son intention2. »
Dans le cours de ces conférences, de graves ques-
tions furent soulevées par les conseillers d'Antoine
au sujet des gages qu'il promettait « à son bienfai-
1. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 9 juillet 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1496, n° 101).
2. Minute originale datée d'août 1562 (Coll. des autog. de. Saint-
Pétersbourg, vol. 21, f. 138). — Autre minute ou copie dans
le môme fonds (Correspondance de Charles IX, t. II, p. 100).
— Ces manuscrits sont conservés à la Bibliothèque nationale de
Paris.
314 ANTOINE DE BOURBON
« teur. » La première se rapportait aux villes fortes
de la Sardaigne, que le roi d'Espagne voulait con-
server en sa possession. Bien qu'il eût proposé autre-
fois lui-même cette clause étrange, son ambition
croissant avec le péril du parti catholique, Antoine la
repoussait au nom de la maxime Donner et retenir ne
vaut, « d'aultant que ce seroit luy bailler la possession
« d'un lieu où le baillant auroit plus d'autorité que
« l'acceptant. » La seconde exigence de Philippe II,
que le prince lui-même avait également fait naître par
ses concessions imprudentes, regardait le jeune Henri
de Béarn, que la chancellerie espagnole réclamait
comme otage1.
Henri de Béarn, depuis le départ de Jeanne d'Al-
bret, était élevé à la cour de France avec les frères
du roi2. Il avait alors un peu moins de neuf ans. Au
commencement de la guerre, le roi de Navarre l'avait
confié aux soins de la duchesse de Ferrare à Montar-
gis. Le projet de l'envoyer en Espagne ne pouvait
être admis ; on se souvenait à la cour de France
des durs traitements que les fils de François Ier y
avaient essuyés pendant leur captivité. Antoine
répondit à cette exigence en observant que le jeune
prince était aux mains du roi de France, son suze-
rain. Suivant la coutume féodale, l'autorité royale
primait jusqu'à l'autorité paternelle. C'est au nom de
1. Instruction secrète du roi do Navarre ;ï d'Escars, datée de
Romorantin et d'août (vers le 17) (Minute originale; coll. des
autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 21, t'. liô; Copie de la Biblio-
thèque nationale).
2. Lettre du cardinal d'Armagnac au roi de Navarre, datée de
Vincennes et du 13 juillet 156? (Orig.; f. fr., vol. 6626, f. 34).
ET JEANNE D'ALBRET. 315
ce principe que François Ier avait marié de force
Jeanne d'Albret avec le duc de Glèves et qu'Antoine
de Bourbon inséra la clause suivante dans l'instruc-
tion confiée à d'Escars : « S'ilz luy parloient de avoir
« son fils, il remettra cela à en advertir le roy de
« Navarre, d'aultant qu'il n'en a aucune charge et
« que, estant led. s. prince entre les mains du roy et
« de la royne, il n'y a nulle puissance et ne le voudroit
« faire sans leur congé *'. » Les circonstances prêtèrent
bientôt de nouveaux arguments au roi de Navarre.
Le jeune prince tomba malade. Une forte rougeole se
déclara et mit ses jours en péril. Le siège de Bourges
venait de se terminer. La reine et le lieutenant géné-
ral se rendirent à Montargis2. Le bruit se répandit
que l'enfant avait la petite vérole. Chantonay raconte
que, lorsqu Antoine quitta Montargis, son fils, bien
qu'il fût très malade, demanda avec instance à son
père de le suivre au camp3, et loue la noble ardeur
de ce cœur généreux. On fit prendre à Henri de Béarn
de la rhubarbe, des « bouillons de bonnes herbes, »
mainte autre purgation qui ne l'empêchèrent pas de
guérir4. Après le départ de la cour, un parti huguenot
s'approcha de Montargis par une pointe rapide et faillit
enlever le jeune prince, peut-être avec la connivence
1. Instruction secrète du roi de Navarre à d'Escars, datée de
Romurantin et d'août (vers le 17) (Minute orig.; coll. des autog.
de Saint-Pétersbourg, vol. 21, f. 145).
2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 617.
3. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condr, t. II, p. 86.
4. Rapport d'un médecin au roi de Navarre (la signature a
été enlevée), daté de Montargis et de septembre 1562 (Autog.;
f. fr., vol. 15877, f. 98). — Voyez ce document aux Pièces justifi-
catives.
316 ANTOINE DE BOURBON
de la duchesse de Ferrare1. Jeanne d'Albret aurait
applaudi à ce coup de main, qui lui aurait rendu son
fils bien-aimé.
Restait une troisième réclamation de la cour d'Es-
pagne. Antoine de Bourbon n'avait par lui-même
aucun droit à la « récompense » de la Navarre. Il
traitait au nom de Jeanne d'Albret. La chancellerie
du roi catholique, formaliste jusqu'au moindre détail,
lui demanda une procuration de sa femme. Elle ne
s'était avisée de cette procédure qu'au mois de juin
1562, après plusieurs années de négociation, lorsque
la séparation des deux époux était devenue irrémé-
diable, dans l'espérance que Jeanne d'Albret refu-
serait ses pleins pouvoirs. Aussitôt après le retour
de d'Almeida, au mois de juillet, le lieutenant général
s'était mis en mesure d'obéir à cette nouvelle exi-
gence. Il envoya à Pau la minute d'un acte, au bas
duquel il exigeait que Jeanne d'Albret apposât sa
signature. Sur ce point s'engagea une négociation dont
nous ne connaissons l'existence que par Bordenave.
Menaces au nom du parti catholique, prières au nom
de l'avenir de leurs enfants, le roi de Navarre n'épar-
gna rien. C'était le temps où l'armée catholique portait
le fer et la flamme à Blois, à Tours, à Poitiers, où
Biaise de Monluc écrasait les huguenots en Guyenne,
où les compagnies espagnoles passaient une à une la
frontière d'Espagne. Jeanne d'Albret, convaincue que
cet étalage militaire était dirigé contre elle, signa la
procuration. Elle chargeait son mari « de, pour et au
« nom de lad. dame constituante, traiter et accorder
■1. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 86.
ET JEANNE D'ALBRET. 317
« de tous et chacuns les différends qui, jusques à ceste
« heure, ont esté meus avec très hault (Phi-
« lippe II) passer traités, conventions, etc.1. »
Mais, dit Bordenave, « pour conserver le droit à ses
« enfans, si Dieu leur donnait un temps plus paisible
« et plus favorable, et auquel la justice eut plus de
« crédit que la force, elle fit, par devant le juge du
« séneschal de Béarn, un acte de révocation de ceste
« procure, comme faite par force et crainte, ne l'ayant
« osée refusera son mari2. » La procuration de Jeanne
d'Albret ne fut pas envoyée à Madrid. Elle resta entre
les mains du roi de Navarre, pour être produite au
moment le plus opportun3.
Ces difficultés pouvaient entraver l'affaire prin-
cipale. Avant de faire partir François d'Escars, le roi
de Navarre jugea prudent d'expédier encore une fois
à Madrid Antonio d'Almeida4. D'Almeida, rompu par
i. Original sur parchemin avec sceau, daté de Pau et du
25 août 1562 (Arch. du département des Basses-Pyrénées, E. 585).
— Nous croyons que cette pièce fut dressée à la cour de France
et envoyée à Jeanne d'Albret toute prête à être signée : 1° parce
que l'écriture du corps de la pièce ressemble à celle des expédi-
tions de la cour de France et non à celles de la cour de Pau ;
2° parce que l'encre du corps de la pièce et l'encre de la signa-
ture Jehanne ne sont pas de la même nuance. — Lettre de Ghan-
tonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 83.
2. Bordenave, Histoire de Béarn et de Navarre, p. 113.
3. Voilà pourquoi elle est actuellement conservée aux archives
des Basses-Pyrénées.
4. Lettre du roi de Navarre à d'Almeida, datée d'août 1562
(Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 403). — La minute de l'instruction
donnée à d'Escars seul est conservée dans la coll. des autographes
de Saint-Pétersbourg, vol. 21, f. 141. Cette pièce existe en copie,
sous les mêmes indications, à la Bibliothèque nationale de Paris.
Elle est identique cumme texte avec celle que nous avons signa-
318 ANTOINE DE BOURBON
une longue pratique aux ruses dilatoires du roi catho-
lique, avait pour mission de sonder la cour d'Espagne.
Le lieutenant général commanda à Jean d'Ebrard,
baron de Saint-Suplice, ambassadeur de France à
Madrid, successeur de Sébastien de l'Aubcspine, de
l'appuyer auprès du roi d'Espagne1 et écrivit au duc
d'Albe, au prince d'Eboli, des lettres obséquieuses,
dans lesquelles il implorait leur faveur2.
Antonio d'Almeida arriva à Madrid leâ septembre.
Le lendemain, Saint-Suplice le recommanda au prince
d'Eboli3. Philippe II était au bois de Ségovie et lui
donna audience. Il écouta les requêtes du prince avec
autant d'attention que s'il les eût entendues pour la
première t'ois, mais il se retrancha sur la nécessité
d'obtenir des gages et ne donna au messager que de
bonnes paroles. Ses ministres, tour à tour interrogés
avec instance, ne sortirent pas de leur réserve4. La
prochaine arrivée de François d'Escars à Madrid ouvrait
une nouvelle échappatoire à la chancellerie espagnole, et
lée dans la note 2 do la page 313, sauf qu'il n'y est pas parlé de
de Selve.
1. Minute originale, datée de Saint-Léger et d'août (F. fr.,
vol. 15876, f. 402). — Dans une lettre, du 12 août, Saint-Suplice
écrit au roi de Navarre que d'Escars sera le bienvenu a Madrid
(Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 407). — Autre lettre du même au
même, du 15 août (Orig.; ibid., f. 430).
2. Minute datée de Saint-Léger et du 6 août (F. fr., vol. 15876,
f. 427). — -Autre minute absolument différente, datée de Saint-
Léger et du 7 août (Ibid., f. 404). — Lettre originale au duc d'Albe,
datée de Blois et du 7 aoûl (Arch. nat., K. 1496, n° 109).
3. Lettre de Saint-Suplice au roi de Navarre, du 3 septembre
(Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 22 .
4. Lettre d'Antonio d'Almeida au roi de Navarre, datée de
Madrid et du 7 septembre 1562 (Autog. en espagnol; Arch. des
Basses-Pyrénées, E. 585).
ET JEANNE D'ALBRET. 319
elle en usait avec empressement. Ce prétexte décida le
roi de Navarre à presser le départ de son plénipoten-
tiaire. Le 12 septembre, Catherine commanda à Saint-
Suplice d'appuyer la mission de d'Escars l . Le duc et
la duchesse de Savoie envoyèrent au roi d'Espagne un
ambassadeur extraordinaire2. D'Escars se mit en route
à petites journées, laissant à d'Almeida le soin de pré-
parer les conditions du traité. Le %3 octobre, il écrit
à la reine, de sa maison d'Escars, en Limousin, que
l'état de sa santé ne lui a pas permis de hâter son
voyage, mais qu'il va partir dans quelques jours3.
Pendant qu'il s'attardait sur les chemins de l'Es-
pagne, Antonio d'Almeida renouvelait ses instances
auprès des ministres de Philippe II. Dans une de ses
nombreuses suppliques, il prie le duc d'Albe et le
prince d'Eboli de formuler les exigences de leur maître
et de les rendre acceptables. A bout de raisonnements,
l'infortuné messager faisait valoir la fatigue de ses
voyages : « Ainsi, dit-il, j'aurai terminé mes nom-
« breuses allées et venues dont je suis presque estro-
« pié i. » Argument qui toucha peu la chancellerie
espagnole. Le duc d'Albe et Ruy Gomez de Silva répon-
dirent, le %\ octobre, que l'ambassadeur du roi de
Navarre, le s. d'Escars, serait accueilli avec honneur,
mais qu'il serait utile, avant de l'envoyer, de s'accorder
sur les gages que le roi de Navarre était en mesure
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 399.
2. Lettre de Robertet au roi de Navarre, datée de Fossano et
du 18 septembre (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 80).
3. Lettre de François d'Escars à la reine, du 23 octobre (Orig.;
f. fr., vol. 15877, f. 271).
4. Mémoire de d'Almeida à la cour d'Espagne, sans date (Autog.
espagnol; Arch. nat., K. 1496, n° 121).
320 ANTOINE DE BOURBON
d'offrir au roi d'Espagne1. Philippe II commanda en
môme temps à Ghantonay de discuter la question des
garanties avant le départ de d'Escars2. Le principe de
la revendication admis, la négociation pouvait se pro-
longer indéfiniment, puisque le roi d'Espagne était à la
fois juge et partie. Sans doute il espérait par des pro-
messes entretenir la confiance du roi de Navarre jus-
qu'au jour du triomphe de la cause catholique en
France. C'est ainsi qu'il écrivit, le 25 octobre, à la reine
mère : « Vous me recommandez les affaires de M. de
« Vendôme, les bons services qu'il rend en tout ce qui
« se présente pour le service du Roy, mon frère, ainsi
« que pour la religion. J'en suis si satisfait que j'en
« serai toujours reconnaissant, ainsi que du généreux
« appui qu'il donne à Votre Majesté3. » Le duc d'Albe
et le prince d'Eboli écrivirent aussi au roi de Navarre
et l'assurèrent de leur bonne volonté4.
Le roi de Navarre était destiné à mourir sans voir
la fin de la négociation à laquelle il avait tout sacrifié.
1. Avis du prince d'Eboli et du duc, d'Albe sur la réponse à fairo
à d'AImeida, daté de Madrid et du 21 octobre 1562 (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1496, n° 120).
2. Lettre de Philippe II à Ghantonay, du 26 octobre 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1496, n° 123).
3. Lettre de Philippe II à la reine, du 25 octobre 1562, de
Madrid (Orig. espagnol; Arch. nat., k. 1496, n° 122).
4. Minute originale en espagnol, datée du 27 octobre 1562 (Arch.
nat., K. 1496, n« 36).
CHAPITRE VINGT ET UNIÈME.
Mort du roi de Navarre.
Négociations du parti réformé et du parti catholique
en Suisse, en Allemagne et en Angleterre. — Mission
de Sydney en France. — Traité de Hamptoncourt
(20 sept. 1562).
La ville de Rouen tombe aux mains des réformés (1 5 au
1 6 avril 1 562) . — Préliminaires du siège de Rouen.
— L 'armée royale sous les murs de Rouen (27 sep-
tembre). — Gabriel de Lorges, comte de Mongon-
mery. — Prise du fort Sainte-Catherine (6 octobre).
— Blessure du roi de Navarre (1 6 octobre). — Prise
de Rouen par V armée royale (26 octobre). — Mort
du roi de Navarre (17 novembre).
Après le pillage de Beaugency, le prince de Condé
rentra à Orléans, aussi mécontent de son armée que
l'armée pouvait l'être de son chef. Beaucoup de
gentilshommes, dans le parti réformé, craignaient
d'avoir compromis leur honneur pour une cause peu
iv 21
ANTOINE DE BOURBON
justifiée. Les uns « alléguoient qu'en leur absence
« leurs maisons estaient assaillies ; les autres cou-
ce vroient leur lâcheté de quelques scrupules sur-
ce venus en leur conscience. » D'autres demandoient
« congé ou le prenoient d'eux-mêmes1. » Les der-
niers furent qualifiés du surnom infamant de Guillebe-
douins2. Les désertions, le manque d'argent démora-
lisaient l'armée. Coudé tint un conseil de guerre. 11
avait encore 3,000 cavaliers et 6,000 hommes d'in-
fanterie. Plusieurs capitaines proposèrent de gagner
Lyon et de se rallier au baron des Adrets, dont les
exploits en Dauphiné exaltaient l'esprit du soldat;
d'autres, de se retirer en Guyenne auprès de la
reine de Navarre ; d'autres enfin , de se rendre à
Rouen et de se fortifier en Normandie3. Le conseil de
guerre de l'armée huguenote prit un quatrième parti.
En attendant l'arrivée des renforts d'Allemagne et de
Suisse, il se décida à rester sur la défensive4 et envoya
les principaux capitaines en province : Soubiseà Lyon,
La Rochefoucault en Saintonge, Duras en Guyenne,
Genlis à Bourges, Bricquemaut en Normandie, pour
raccoler des soldats et demander du secours5.
Depuis la prise d'Orléans, le prince négociait en
Suisse, en Allemagne et en Angleterre. En Suisse, il
1. Do Bèze, Hist. ecclés., t. I. p. 541, édit. de 1882. — La Pope-
linière, t. 1, F. 325 v°. Les deux auteurs se copient.
2. La Popelinière, f. 326. Guillebedouin vient peut-être du mot
Guille, qui veut dire tromperie.
::. Lettre de Throckmorton , du 1;' juillet; Calcndars, 1562,
p. 153.
i. Lettres du cap. La Motte au prince de Gondé et à l'amiral
de Coligny (Copie du temps; f. Fr., vol. 10190, t. 154 v°).
."). Mémoires <i> Lu Noue, édit. Petitot, p. 154.
ET JEANNE d'aLBRET. 323
accrédita d'abord le s. de Laumont1, et plus tard
Théodore de Bèze, qui partit avec empressement,
satisfait d'échapper aux dangers de la guerre civile2.
En Allemagne, Condé avait donné à l'illustre Fran-
çois Hotman 3 la mission de traverser les menées du
roi de Navarre4. Un grand seigneur allemand, le
burgrave Christophe, baron de Dhona, aidait Hotman
de son crédit, soit pour secourir « les pauvres églizes
« affligées, » soit pour empêcher l'arrivée en France
de « gens loués à prix d'argent pour estre bourreaux
« des chrétiens5. » En vain le roi de Navarre avait
envoyé en Allemagne un plénipotentiaire, le s. d'Oisel,
chargé de dons et de promesses6, et la reine avait sup-
1. Lettres du prince de Condé aux cantons de Zurich, de Berne,
de Bàle et de Schaffouse, du 20 mai (Copie du temps; f. fr.,
vol. 10190, f. 166). — Autre du 21 mai (ibid., f. 159). — Lettre
du cap. La Motte au prince de Condé, du 29 juin (ibid., f. 154 v").
— Lettres de Coligny, de d'Andelot, de Condé, du 12 des calendes
de juin (Copies en latin ; ibid., f. 167 et suiv.j. — Négoc. de la
France, avec la Toscane, t. III, p. 492.
2. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 492.
3. Lettre d'Hotman, du 17 mai, au landgrave de Hesse (Copie
du temps en latin; f. fr., vol. 10190, f. 177).
4. Lettre d'Hotman au landgrave de Hesse (Copie du temps;
f. fr., vol. 10190, f. 161 v»).
5. Lettre de Coligny et de d'Andelot au landgrave de Hesse, du
19 mai (Copie du temps ; f. fr., vol. 10190, f. 161). —Autre lettre
de d'Andelot à Vezines, du 21 mai (ibid., f. 172). — Lettre du
baron de Dhona à Condé, du 17 juin (Copie du temps en latin;
f. fr., vol. 10190, f. 171 v°). — Lettre de Condé au duc de Deux-
Ponts, du 14 juin (Copie du temps en latin; ibid., f. 169). — Lettre
il" Coligny et de d'Andelot au landgrave de Hesse, du 14 des
calendes de juin (Copie du temps; ibid., f. 172 v°). — Lettre de
Coligny au comte Everard de Erbach, de même date (Copie du
temps; ibid., f. 177 v").
6. Instruction du roi au s. d'Oysel, en date du 13 juillet (Coll.
324 ANTOINE DE BOURBON
plié l'empereur d'interdire aux grands feudataires l'al-
liance des rebelles de France1. Ces démarches furent
inutiles. Les princes de la confession d'Augsbourg, le duc
de Wurtemberg-, le comte palatin, le marquis de Bade
repoussèrent les dons du roi de France2 et armèrent des
troupes au secours des rebelles3. Hotman fit signer au
prince de Condé une profession de foi, qui rapprochait
les calvinistes de France des luthériens d'Allemagne4,
et obtint, à l'aide de cette capitulation religieuse,
une aide de quatre régiments de gens de pied et de
G, 000 cavaliers que les chefs huguenots s'engagèrent
à solder pendant toute la durée de la guerre5. Enfin,
la reine de Navarre, la plus sûre alliée du parti réformé
et la seule qui apportât à la guerre civile du désin-
téressement, avait promis à l'armée d'Orléans un
renfort de 4,000 hommes de pied béarnais payés
Brienne, vol. 206, f. 25). Partie de cette pièce a été imprimée dans
les Mémoires de Coude, t. III, p. 533. — Voyez aussi ibid., p. 542.
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. [, p. 363 et 117.
2. Lettres du duc de Guise, du 5 juillet, aux princes allemands
(Mémoires de Condé, t. 111, p. 526, 528 et 562).
:i. Voyez nombre de pièces dans les Mémoires de Condé, t. III,
]>. 431, 443, 444, 165, 197, 501. — Voyez surtoul la lettre duduc
de Wurtemberg en réponse à la mission de d'Oysel, du 12 août
(ibid., t. III, p. 598). — Réponse du roi (ibid., p. 609).
4. Mémoires de Condé, t. III, p. 524. — La l'ope.linière, t. I,
p. 326.
5. Lettre de Bassompierre au mi de Navarre, du 12 juin 1562
(Orig.; 1'. IV., vol. 6018, f. 104). D'après Bassompierre, les princes
allemands s'engageaieni à l'aire de nouvelles levées si le roi d'Es-
pagne prenait part à la guerre. On trouve dans le Bulletin de la
Soc. de l'hist. du Prot. français, t. XVI, p. 1 10, une des capitula-
tions que le prince de (lundi' signa avec les Allemands, datée du
is août 1562. — Lettre de Gondé au landgrave de Hesse, du
26 ami! (Mémoires de Gondé, t. III, p. 630
ET JEANNE D'ALBRET. 325
d'avance1. L'ensemble formait une troupe d'autant
plus redoutable pour le parti catholique que l'armée
royale s'usait en sièges et en marches.
Restait l'Angleterre et la reine Elisabeth, que les
passions anti-romaines décoraient déjà du surnom de
papesse des huguenots. Dix jours à peine après la
prise d'Orléans, Coligny avait fait sonder les disposi-
tions de cette princesse par le s. de Sechelles2, gentil-
homme « d'une grande maison de Picardie, qui a
« souffert persécution pour son zèle pour la religion,
« et dont la reine de Navarre, le prince de Gondé,
« l'amiral et d'autres, qui favorisent la religion, font
« grand cas3. » L'un des plus hardis capitaines de
Condé, Jean de Ferrières, vidame de Chartres, s'em-
pare du Havre. Le 17 avril, Throckmorton conseille à
la reine Elisabeth de demander au parti huguenot, en
retour de l'appui de l'Angleterre, les villes de Calais,
de Dieppe et du Havre, « les trois places ensemble, si
« on peut, ou au moins une des trois, n'importe
« laquelle. » Les réformés, dit-il, sont « des gens
« vrais et fidèles, » tandis que les papistes sont « des
« gens doubles et rusés. » Il espère que, pressés par
leurs ennemis, ils prendront eux-mêmes l'initiative
1. Lettre de Tornabuoni, du 17 juillet [Négoc. de la France avec
la Toscane, t. III, p. 492). — Lettre du card. de Ferrare, du 18 juil-
let [Négoc. du card. de Ferrare, p. 317). — Lettre de Killegrew à
lordCecil, du 10 août [Calendars, 1562, p. 234). Killegrew dit que
ce secours devait être couduit par François de la Rochefoucault,
beau-frère de Condé.
2. La lettre de Coligny, datée du 11 avril, est dans Coligny,
t. Il, p. 78, par le comte Delaborde.
3. Calendars, 1562, p. 61'». Letl re de recommandation de Throck-
morton à la reine, du l'i avril, en faveur de Sechelles.
326 ANTOINE DE BOURBON
de ces propositions, et compte sur la crainte de l'in-
tervention espagnole pour les acculer à la nécessité de
trahir le roi 1 .
A la fin d'avril, Catherine de Médicis adressa un
ambassadeur extraordinaire à la reine d'Angleterre,
le comte Roussy2. Elisabeth prit pour prétexte la
nécessité de répondre à cette mission et expédia en
France un des seigneurs de son conseil, sir Henry
Sidney. Sous des dehors de pure cérémonie, Sidney
dissimulait la charge de demander les ports de la Nor-
mandie3. Il arriva à Paris le 8 mai et fut mal accueilli
à la porte Saint-Marceau. Traité en ennemi par les
bourgeois armés, il avait été déjà arrêté et menacé,
quand l'ambassadeur de Portugal, passant par hasard,
lui prêta sa recommandation et l'introduisit avec lui4.
Sidney proposa au roi de Navarre la médiation de la
reine Elisabeth, mais le secret de son intrigue était
connu ; le prince ne lui parla que de son retour en
Angleterre « par ailleurs que le Havre, non par
« méfiance, mais par crainte que, en ce tumulte, il luy
« arrivât quelque inconvénient à luy ou aux siens5. »
Sidney voulut remplir sa mission à Orléans et demanda
au roi de Navarre un passeport pour un de ses affi-
1. Cette lettre esl publiée et traduite dans V Histoire des Condé
du duc d'Aumalo, t. I, p. 354.
2. Galendars, 1562, p. 617. Lettre de Throckmorton, du 21 avril.
3. Ghantonay croyail que Sidney était arrivé en Franco pour
proposer à La reine mère de s'allier avec la reine d'Angleterre
contre le parti catholiiiui! i l.fti iv orig. en espaui'"1 de (Ihautona^
à Philippe II, du 11 mai 1562; Arch. nat., K. 1497, u» 30).
i. Lettre de Throckmorton du 8 mai, publiée dans l'Histoire des
Condé du tUu- d'Aumale, t. [, p. 358.
5. Lettre du roi de Navarre à la reine, minute datée de mai
(f. IV., vol. 15876, f. 18
ET JEANNE DALBRET. 327
dés1. Antoine le lui refusa nettement. « Je ne suis pas
« d'advis, écrivit-il à la reine, que vous luy permet-
« tiez d'y envoyer, afin de n'accoustumer les ambas-
« sadeurs à se mesler de noz affaires plus que de
« raison, et aussi que je crains etay grandement sus-
ce pecte sa négociation pour cent mille raisons que
« pouvez bien penser2. »
Sidney quitta la France le \ 8 mai , mais la négo-
ciation n'en chemina pas moins. Jean de Ferrières,
Beauvais de la Nocle, les seigneurs rebelles de la
Normandie servaient d'intermédiaires entre la reine
d'Angleterre et le parti huguenot. L'agent anglais,
Nicolas Throckmorton, dépositaire des désirs cachés
d'Elisabeth, ne cherchait dans les troubles religieux de
la France que l'occasion de recouvrer Calais. Son plan
de campagne était de faire entrer les Anglais au Havre.
« Les Français, disait-il, rendront Calais pour avoir le
« Havre3. » En vain la reine Catherine s'efforça de
traverser les intrigues des ambassadeurs anglais en
accréditant le maréchal de Vieilleville à Londres 4.
Les députés de Condé, Jean de Ferrières, vidame de
Chartres, et le s. de la Haye, appelés à Greenwich,
posèrent les bases de l'alliance. Le 20 septembre, à
1. Sidney avait reçu de la reine d'Angleterre une lettre de
créance pour le prince de Condé. Cette lettre est publiée par le
duc d'Aumale [Hist. des Condé, t. II, p. 372).
2. Lettre du roi de Navarre à la reine (Minute orig. de mai
1562; f. fr., vol. 15876, f. 60).
3. Fragment de lettre de Throckmorton cité par le comte de
la Ferrière dans la Normandie à l'étranger, p. 9.
4. La mission de Vieilleville, que nous ne faisons que mention-
ner, est racontée avec détails dans les Mémoires de Garloix, l. VIII,
en. xxxi, et dans le XVIe siècle et les Valois, p. ?.'!, par le comte de
la Ferrière d'après des documents nouveaux.
328 ANTOINE DE BOURBON
Hamptoncourt, fut signé le traité par lequel Elisabeth
promettait aux huguenots 100,000 couronnes d'or
payables en Allemagne après la remise du Havre1.
Quinze jours après, le 5 octobre, un corps de
3,000 Anglais débarqua au Havre et prit officielle-
ment possession de la ville2. Le roi de Navarre pro-
testa auprès du prince de Gondé contre cet acte de
trahison. Condé, dit La Popelinière, répondit « que
« ce n'estoit pas luy qui avoit convié les estrangers
« d'entrer en France, mais ses ennemis ; y ayans intro-
« duit depuis trois mois en çà Suisses, Allemans, Ita-
« liens et Espagnols à leur solde3; » comme si un
gouvernement régulier, qui demande du secours à
ses alliés, peut être comparé à des rebelles qui démem-
brent le royaume au profit de l'étranger. Malgré
les sophismes de Gondé, les réformés sentaient qu'ils
imitaient le connétable de Bourbon. L'un d'eux,
Beauvoir de la Nocle, eut la naïveté d'adresser à la
reine mère un mémoire de justification. « Notre but,
« dit-il, ne tend qu'à deux points : le premier à la
« gloire de Dieu, le second à la délivrance et sûreté
« de la minorité du roi4. » L'amiral seul, dit un
apologiste, repoussait la responsabilité de cet acte5.
La trahison du Havre exaspéra la cour et le parti
1. Ce traitr, plusieurs fois imprimé, se trouve notamment dans
les Mémoires de Gondé, t. III, p. 689, et dans les Mémoires de Nevcrs,
t, I, p. 131.
2. Détails sur cet événement dans la Normandie à Vétranger,
par M. de la Ferrière, p. 8.
3. La Popelinière, t. I, f. 330.
4. La Ferrière, Le XVIe siècle et les Valois, p. TU.
."). Discours du voyagt fait à l'avis par M. l'admirai au mois de
janvier dernier, 1565, p. 8. Pamphlet contre le cardinal de Lor-
raine inspiré par l'amiral Goligny.
ET JEANNE D'ALBRET. 329
catholique. Le peuple, surtout à Paris, poursuivait
de ses huées l'ambassadeur d'Angleterre '. Throck-
morton, inquiet de ces dispositions, alla trouver la
reine et demanda à se retirer à Londres, alléguant
qu'il ne pouvait « voir les grandes cruautés du peuple
« de Paris. » Catherine lui répondit sèchement que,
puisqu'il sollicitait son congé, elle allait rappeler
l'ambassadeur de France à Londres2. Throckmorton
craignit peut-être les reproches de son gouvernement
et se réfugia seulement à Orléans3.
Les pourparlers des huguenots avec la reine d'An-
gleterre avaient été conduits avec tant de mystère
que la cour de France en ignorait l'objet. Le 6 juin,
Paul de Foix, ambassadeur de Charles IX à Londres,
écrit à la reine qu'il doute des secours promis par
Elisabeth aux rebelles d'Orléans4. A la fin de juillet,
Antoine conseille à la régente de faire « patte douce »
à l'intervention anglaise et ne parait pas soupçonner
l'importance des gages qu'on lui offre5. Le 26 août,
Paul de Foix signale à la reine l'arrivée à Greenwich
et à Londres des principaux députés huguenots, mais
il ne pense pas que l'Angleterre exige une place de la
1. Lettre de Throckmorton, du 23 juillet, publiée par le duc
d'Aumale (Hist. des Condé, t. I, p. 376).
2. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 188.
3. En même temps, la reine Elisabeth lança doux proclama-
tions, qui ne se ressemblent pas; l'une est publiée (huis les
Mémoires de Condé, t. III, p. 693, l'autre dans le XVIe siècle et les
Valois, par le comte de la Ferrière, p. 76.
4. Lettre originale de Paul de Foix, du 6 juin 1562 (f. IV.,
vol. 6612, f. 54).
5. Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jchanne d'Âlbret, p. 257.
Dans nue autre lettre (p. '268), il conseille à Philippe II coruiitis
ménagements pour la reine Elisabeth.
330 ANTOINE DE BOURBON
Normandie pour prix de son secours1. Le lendemain,
Chantonay, dont la perspicacité est cependant aigui-
sée par la haine, écrit au roi de Navarre qu'il faut se
méfier de la reine Elisabeth, « combien que je tiens,
« dit-il, qu'elle crye plus haut qu'elle n'a envie de
« mordre2. » La chancellerie espagnole n'était guère
mieux informée. Le 1er septembre, l'ambassadeur de
France à Madrid reçoit de la bouche même de Phi-
lippe II la singulière assurance que la reine Elisabeth,
« sans se désister de son entreprise en France, paraît
« s'cstre fort refroidie3. »
Ce ne fut qu'au commencement de septembre, après
la prise de Bourges, presque à la veille du traité de
Hamptoncourt, que la nouvelle de la prochaine livrai-
son du Havre arriva à la cour de France. Aussitôt, le
roi de Navarre tint un conseil de guerre. Antoine vou-
lait continuer la campagne par le siège d'Orléans,
mais la majorité décida que l'invasion anglaise obli-
geait le roi à marcher sur Rouen 4 pour empêcher la
Normandie de tomber en entier aux mains des enne-
mis5. Le 1 1 septembre, l'armée royale quitta ses cam-
pements de Bourges. Le 12, le roi de Navarre est à
Gien ; il écrit à Guy Chabot de Jarnac en Poitou et lui
envoie « de bonnes et gaillardes forces pour se faire
1. Orig.; f. Ir., vol. 6612, f. 137.
2. Lettre du 27 août 1562, datée <lo Chartres (Copie du temps;
Arch. mit., K. 1498, n° 28).
3. Orig., daté de Madrid; f. IV., vol. 15877, f. 5
4. Rouen, Orléans, Lyon et Bourges étaient les quatre princi-
pales places du parti tiuguenol (Lettre de Sainte-Croix dans les
Archives curieuses, t. VI, p. 106).
5. .1/, moires <(< Claude Haton, i. I, \>. 285. — Mémoires de La Noue,
cil. VII.
ET JEANNE D'AI.BRET. 331
« passage1. » Le 15, le roi, la reine et la cour passent
à Ghàteaudun , le 1 G à Montargis , le 1 7 à Chàteau-
Landon, le 19 à Étampes2, pendant que l'armée, à
marches forcées, traverse la Beauce. La reine était
décidée à « employer le vert et le sec pour avoir rai-
« son » des Anglais3. Mécontente du roi d'Espagne,
qui n'avait pas fourni les soldats et les subventions
promis au roi de France4, elle envoya, sans s'arrêter
aux soupçons de Chantonay, Rambouillet en Alle-
magne5; elle signa un marché avec un colonel alle-
mand, Frédéric de Reiffenberg, qui s'engageait à lever
4,000 « vrais lansquenets, » et ie reçut à prêter ser-
ment le %% septembre « sur sa part en paradis et en
« foy d'homme de bien0. » Pleine d'ardeur contre les
Anglais, Catherine caressait encore l'espérance de
ramener le prince de Gondé, et parlait seulement « de
« lui laver bien la teste7. » Le roi de Navarre, au
contraire, se montrait intraitable vis-à-vis de ses
anciens partisans8. Le roi partit avec l'armée, le
1. Lettre du 12 septembre, publiée dans le catalogue d'auto-
graphes de la coll. Morrisson, p. 29.
2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 400 et suiv.
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 40i.
4. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 1er septembre 1562,
datée de Madrid (Orig., f. fr., vol. 15877, f. 5). Cette lettre four-
nit de curieux détails sur la pénurie du roi d'Espagne.
5. En annonçant cette nouvelle, Chantonay dit : « Ses allées
me sont plus suspectes que d'homme qui traicte en ce costel »
(Lettre du 24 septembre dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 89).
G. L'acte du serment, daté du 22 septembre, esl conservé en
original aux archives des Basses-Pyrénées, E. 584.
7. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 91.
8. Lettre de Chantonay, «lu \! septembre, dans les Mémoires dt
Condé, t. II, p. 81.
332 ANTOINE DE BOURBON
%\ septembre, d'Étampes pour Dourdan * . Catherine
s'attarda en route, aux environs de Dreux, pour
rendre visite à Diane de Poitiers au château d'Anet,
voyage inattendu, qui cachait sans doute une négo-
ciation mystérieuse 2 .
La ville de Rouen était tombée au pouvoir du parti
huguenot à la suite d'une émeute locale, pendant la
nuit du 15 au 16 avril. Le lieutenant du roi, Villebon
d'Estouteville, forcé par les rebelles dans l'intérieur
du château, avait été expulsé, le parlement réduit au
silence et le calvinisme impatronisé dans les églises3.
Le roi de Navarre, informé par un conseiller de par-
lement, le prieur de Baudribosc, envoya à Rouen
le duc de Bouillon, seigneur du tiers-parti, réputé
favorable à la réforme. Le duc fit de vains efforts
pour rétablir l'autorité du roi4. Dépourvu de troupes,
impuissant à désarmer les rebelles, chaque jour
insulté par les factieux, plus maîtres que lui de la
ville, il quitta Rouen et se réfugia à Argentan pour
réunir des soldats. Peu de jours après son départ, le
dimanche, 3 mai, à la suite d'un prêche, toutes les
églises de Rouen furent envahies et pillées, les taber-
1. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI,
p. 193.
2. Lettre de Chantonay, du 12 septembre 1562, dans les Mémoires
de Condé, t. II, p. 81. — Autre, ibid., p. 89.
3. Relation des troubles excités par les calvinistes dans la ville
de Rouen de 15157 à 1582 (dit le ms. Pelhestre), publiée, en 1837,
par M. Pottier. Ce manuscrit, auquel l'éditeur a ajouté plusieurs
pièces intéressantes, contient d'amples détails sur les débuts de
la réforme à Rouen.
i. La réponse officielle des habitants de Rouen aux communi-
cations du duc de Bouillon est imprimée dans les Mémoires de
Gondé, i. 111, p. 302. G'esl un réquisitoire contre le parti cm ludique.
ET JEANNE d'aLBRET. 333
nacles violés, les autels et les statues renversés, les
chaires et les stalles brûlées1. Le duc de Bouillon revint
aussitôt à Rouen, mais il essuya tant de menaces qu'il
s'enfuit de la ville pour n'y plus revenir. 11 fut suivi
par les membres du parlement2; ceux-ci, après avoir
salué le roi à Monceaux, se réunirent à Louviers et y
constituèrent une sorte de cour de justice jusqu'au
rétablissement de la paix3. La ville resta au pouvoir
des huguenots et fut soumise au despotisme le plus
dur. Un conseil, composé des plus audacieux parmi les
rebelles, dirigé d'abord par le s. de Morvillier4,
puis par Gabriel de Lorges, comte de Mongonmery,
lieutenant du prince de Condé, exerçait tous les pou-
voirs. Les trésors des églises, qui avaient pu échapper
au pillage du 3 mai, furent la première proie de ce
LA la suite du manuscrit cité dans l'avant-dernière note,
se trouve un Inventaire des ornemens pille: et volez aux esglises
de Nostre Dame, Saint Ouen et autres en l'année 1562 à Rouen
(Ve de Golbert, vol. 270). Suivent trois autres pièces sur le même
sujet.
2. Les lettres du parlement de Rouen au roi pendant cette
période portaient, d'après un chroniqueur, cette souscription sin-
gulière : « de par ceux qui souloient tenir et ne tiennent plus
vostre cour de parlement de Rouen » (Journal de 1562 dans la
Revue rétrospective, t. V, p. 104).
3. La déclaration du roi qui transfère le parlement de Rouen à
Louviers est du 22 juillet [Mémoires de Condé, t. III, p. 557). — Le
26 août, ils rendirent un arrêt barbare qui mettait les ministres
hors la loi. Voir sur cet arrêt YHist. du pari, de Normandie, par
M. Floquet, t. II, p. 528. — Commission du duc d'Aumale pour
la séance de la commission du parlement envoyée à Louviers,
du 27 août (Copie; coll. Brienne, vol. 206, f. 73).
4. Louis de Lannoy, seigneur de Morvillier, gouverneur de
Boulogne-sur-Mer. Il a laissé un mémoire apologétique de sa con-
duite, qui est imprimé dans les Mémoires de Condé, t. V, p. 246.
334 ANTOINE DE BOURBON
capitaine1. Bientôt il assaillit les villes voisines. Vire
succomba en juillet2. Pontorson fut pris, rançonné et
pillé au mois d'août3. Mongonmery étendait sur tous
ses voisins sa main de fer, nouait des rapports avec
l'Angleterre, avant même la signature du traité d'Hamp-
toncourt4, remplaçait les officiers du roi fugitifs5 et
sommait toutes les villes de la Normandie de se mettre
sous la protection de Rouen0. Prévoyant que l'armée
royale allait fondre sur lui, il s'efforçait de discipliner
les bandes que le goût du pillage avait réunies sous son
commandement. Le 19 août, il rendit une ordonnance
sévère qui expulsait des rangs les vagabonds et gens
sans aveu, proscrivait les désordres, les duels, les
désertions, les vols, les actes d'indiscipline, sous peine
de la hart, et fixait les gages des capitaines et des sol-
dats7. En septembre, il reçut un secours commandé
1. L'inventaire du trésor do Saint-Oueu est imprimé dans la
Normandie chrétienne, p. 604, par Favin.
2. Quittance dos reliques des églises do Vire remises à Mon-
gonmery, datée du 29 juillet (Orig. signé de Mongonmery; f. fr.,
vol. 3190, f. 14).
3. Lettre des habitants de Pontorson au duc d'Aumale, datée
du 12 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 3190, f. 18).
4. Enquête et interrogatoire de Habland Mauser, serviteur de
Mongonmery, touchant les faits de son maître (Copie du temps;
f. fr., vol. 6618, f. 147 et 149).
5. Ordonnance de Mongonmery datéedu 20 septembre [Mémoires
de Condé, t. III, p. 088).
r>. ( ordonnance de Mongonmery datée du 23 septembre (Mémoires
de Condé, t, III, p. 706).
7. Un exemplaire do cette ordonnance imprimée, datée de Saint-
Lô ci <hi 11) août 1562, fui envoyé à Philippe IL et se retrouve
actuellement aux Archives nationales, K. 1496, n° 112. Voici le
tableau <\r> gages de chaque grade : a < lapitaines de gens d'armes,
100 livres tournois par mois; cornettes, 50; maréchal des logis,
50 ; chaque homme à cheval, 16; chacun fourrier, lf>: le trom-
ET JEANNE D'ALBRET. 335
par le s. de Bricquemaut. Quelques jours après, Coli-
gny adressa trois lettres aux capitaines de Rouen,
l'une à Mongonmery, du 22 septembre, l'autre aux
capitaines, du 24, la troisième à Bricquemaut, du 25
du mois. Ces trois lettres annonçaient l'attaque de
l'armée royale et donnaient des nouvelles du secours
que d'Andelot amenait d'Allemagne. Elles étaient
écrites, de la main même de Coligny, sur une toile
blanche taillée en forme de pourpoint. Le messager,
envoyé d'Orléans à Rouen à travers un pays sillonné
par des corps de partisans, portait sur lui ces ordres
cousus dans la doublure de son pourpoint [ .
Le roi de Navarre préparait le siège de Rouen
depuis le commencement de la guerre2. Après l'échec
de la mission du duc de Bouillon, le duc d'Aumale
avait reçu l'ordre de se rendre en Normandie avec des
troupes et de resserrer la ville3. Pendant que le duc
se dirigeait à petites journées vers Darnetal4, la reine
pette, 12 ; capitaines de gens d'armes, 100; chacun lieutenant, 50;
chaque enseigne, 30; chacun sergent, 20; chacun capporal, 18;
chacun tabourin et fifre, 12; chacun fourrier, 12; chacun corce-
let, 10 ; chaque arquebusier morionné, 10 ; les autres sans morion,
8; la pique sèche, 7. »
1. Ces trois lettres, tirées des Archives nationales («F. 969), sont
actuellement conservées au Musée des Archives (n° 606). Elles
ont été plusieurs fois publiées : par le citoyen Camus , dans
Notices des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. VII, 2e pa rtie,
p. 217 ; dans le Musée des Archives, n° 666 ; par le comte Délai torde
dans Gaspard de Coligny, t. II, p. 153.
2. Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 323, 327, etc.
3. Lettres de Chantunay à Philippe II. du 1 1 et du 28 mai 1562
(Orig. espagnol, Arch. nat., K. 1497, nos 30 et 36). — La com-
mission du duc dAumale, datée du 5 mai, est imprimée dans
les Mémoires de Condé, t. III, p. 436.
4. Le duc d'Aumale partit de Paris pour Rouen le 9 mai, avec
336 ANTOINE DE BOURBON
mère et le roi de Navarre envoyèrent à Rouen Henri
Clutin, s. d'Oysel, pour « semondre » les rebelles et leur
offrir le pardon du roi, à la condition qu'ils dépose-
raient les armes et restitueraient les biens des églises1.
Au commencement de juillet, Antoine prit des mesures
plus énergiques. Le 7, il commanda au duc d'Aumale
de réunir toutes les troupes disponibles dans les gar-
nisons de la Normandie, et de circonvenir la ville en
attendant les renforts de l'armée royale2. Le duc de
Bouillon, suspect à la cour par ses tendances, suspect
au parti réformé par sa fidélité au roi, s'était plaint
de la défaveur qui avait suivi son échec de Rouen3 ;
Antoine lui envoya une commission pour lever trois
compagnies de chevau- légers et d'arquebusiers à
cheval1. Sébastien de Luxembourg, vicomte de Mar-
tigues, et le s. de Matignon, qui étaient en Bretagne,
reçurent aussi l'ordre de se rendre en Normandie5.
400 hommes d'armes et 2,000 hommes de pied pour Rouen (Jour-
nal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 104). Au com-
mencement de juin, il envoya chercher de l'artillerie à Vincennes
(Ibicl, p. 113 et 114).
1. L'instruction du roi à d'Oysel, datée du 29 mai 1562, est
conservée en copie dans la coll. Brienne, vol. 205, f. 506. —
Le 18, la reine avait adressé une première injonction aux gens
de Rouen [Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 317).
2. Minute datée du 7 juillet etdu camp de Blois (f. i'r., vol. 15876,
f. 217).
3. Deux instructions du duc de Bouillon au capitaine Berthe-
ville envoyé au roi de Navarre, datées du 14 juillet 1562 (Orig.;
f. IV., vol. 15876, f. 245 el 247). La seconde de ces instructions a
été imprimée par le comte de la Ferrière dans la Normandie à
l'étranger, p. 5, note.
i. Lettres d'Antoine de Bourbon et tic Jehanne d'Albret, p. 260. —
Instructions d'Antoine à Bertheville (Ibid., p. 261).
5. Lettres du roi du 18 août 1562 (Preuves de ['Histoire di Bre-
tagne de doin Moine, t. 111, col. 1318
ET JEANNE d'ALBRET. 337
L'armée royale arriva par détachements le 27 sep-
tembre sous les murs de Rouen. Le roi de Navarre,
lieutenant général du roi, commandait en chef; il
était accompagné de Charles de la Rochefoucauld,
seigneur de Randan, colonel général de l'infanterie, du
s. d'Ossun, maréchal de camp, de Richelieu et de
Sarlabous, mestres de camp1. Le duc de Guise et le
connétable étaient soumis aux ordres du prince. Le
28, le duc de Guise établit son camp à Tourvillc,
et, le 29, à Darnetal, aux portes de Rouen2. Le même
jour, les pionniers entamèrent la tranchée du côté
de la porte Saint-Hilaire, et les 45 pièces d'artillerie
furent braquées contre le fort Sainte-Catherine3. Avant
de commencer le feu, le roi de Navarre fit sommer
par un trompette la ville de se rendre, aux conditions
que Bourges avait acceptées. Le trompette fut expulsé
sans avoir pu remplir sa mission4. La valeur et
l'énergie de Mongonmery présageaient une défense
acharnée. Rouen, la première ville du Nord, était la
clef de l'alliance anglaise, et le prince de Condé y avait
réuni la fleur de son armée.
Le 29 septembre, après une courte batterie, l'ar-
1. Le roi de Navarre touchait 2,500 livres par mois; Randan,
300 livres ; d'Ossun, 300 livres ; Richelieu et Sarlahous, 200 livres
(États de l'armée devant Rouen pour le mois de septembre ; Copie
du temps; Ve de Golbert, vol. 24, pièce 105).
2. Mémoires-journaux de Guise, dans la coll. Michaud et Pou-
joulat, p. 496. On a imprimé Rouville au lieu de Tourville.
3. André Thevet a publié à Paris, chez Mathurin Breuille,
sans date, en une planche in-folio, un plan en perspective du
camp des assiégeants et de la ville de Rouen. On en conserve un
exemplaire dans le f. IV., vol. 10193, f. 223 bis.
4. Lettre de Ghantonay dans les Mémoires de Coudé, t. II, p. 92.
iv 22
338 ANTOINE DE BOURBON
mée royale se lança à l'assaut du fort Sainte-Catherine
et fut repoussée; le lendemain, elle attaqua la porte
Saint -Hilaire. Le 1er octobre, les soldats du fort
Sainte-Catherine, sous le commandement de Mon-
gonmery, firent une sortie à l'improviste et péné-
trèrent jusqu'au milieu du camp royal. Il y eut
un moment de trouble dans l'armée catholique, que
les huguenots auraient pu changer en déroute s'ils
avaient été plus nombreux1. Charles de la Rochefou-
cauld-Randan, colonel général de l'infanterie, se jeta
au-devant des ennemis avec quelques gens de pied.
Son héroïque résistance donna aux autres capitaines
le temps de rallier l'armée. Mongonmery battit en
retraite devant des forces supérieures. Randan, blessé
à mort, languit quelques jours et mourut2.
Les succès de Mongonmery enflammaient d'ardeur
les défenseurs de Rouen. Deux capitaines, Rouvray et
Valfenières, arrivèrent de Dieppe avec une troupe de
50 cavaliers, forcèrent le blocus et pénétrèrent dans
la ville. Quelques jours après, une galère, armée
de douze gros canons et pourvue de munitions,
remonta la Seine à l'aide de la marée, et, malgré un
feu terrible, franchit les retranchements. Plusieurs
compagnies anglaises, détachées du Havre, rejoi-
gnirent la garnison à la faveur de sorties heureuses.
La dame de Mongonmery entra à Rouen avec ses
1. Lettre anonyme publiée dans les Mémoires de Condé, t. IV,
p. 39.
2. La date de sa mort est un peu incertaine. Le Père Anselme
dit le 4 novembre. Il est certain qu'il n'était pas mort à la date du
21 octobre (Lettre de Uobertet à Nemours, de cette date; autog.,
f. IV., vol. 3200, f. 135).
ET JEANNE D'ALBRET. 339
enfants. Mongonmery avait établi une discipline
implacable et veillait jour et nuit sur les murs. Les
femmes étaient employées à la préparation des muni-
tions, les catholiques aux transports déterre, les bour-
geois à la garde des murs, les hommes capables de
porter les armes aux sorties. L'armée royale n'était
pas moins bien conduite. Les soldats marchaient à la
tranchée avec un entrain de vieilles troupes, et les
princes payaient de leur personne comme de simples
capitaines.
Le 6 octobre, après une batterie furieuse, le roi
de Navarre lance les bandes de gens de pied sur
les glacis du fort Sainte-Catherine , à l'heure où les
compagnies de la ville, fatiguées par des sorties
presque journalières, prenaient habituellement leur
repos. Les murs de la forteresse se couvrent de sol-
dats. Les troupes protestantes, appelées à la res-
cousse par les cris des combattants, accourent aux
portes du fort. Mais les catholiques, supérieurs par le
nombre et l'armement, étaient déjà victorieux. Le
capitaine Louis, commandant du fort, est tué1. Les
huguenots sont chassés avec de grandes pertes et
se retirent sur un mamelon fortifié, à peu de dis-
tance du premier. Assaillis par l'armée royale qui
les suivait pas à pas, ils sont débusqués de leurs
retranchements et refoulés dans l'intérieur de la
ville avec les compagnies de bourgeois venus à leur
secours. Quelques capitaines, entraînés par l'ardeur
de la lutte, entrent pêle-mêle avec les assiégés.
1. Relation des troubles excités par les calvinistes (Mss. Polhestre),
publiée par André Pottier, in-8°, 1837.
340 ANTOINE DE BOURBON
Malheureusement, ils ne peuvent être soutenus et
succombent les armes à la main après des prodiges
de valeur l .
La reine mère informa le parlement de Paris2, et le
roi de Navarre l'ambassadeur d'Espagne, de la vic-
toire de l'armée catholique sur les ennemis communs.
« L'on est entré d'assault, mais ce a esté si furieuse-
« ment que l'on n'a jamais veu combatre mieux, dont,
« pour la grande conséquence qu'elle porte à ceste
« entreprise, je n'ay voulu faillir à vous advertir3. »
La prise du mont Sainte-Catherine permettait à l'ar-
mée royale de diriger des feux plongeants sur la ville.
Deux batteries furent établies sur les ruines du fort,
l'une dans la direction de la porte Martinville, l'autre
de la porte Saint-Hilaire. La première, battue jour et
nuit de front par les nouveaux ouvrages d'artillerie,
de côté par les anciens, fut bientôt ébranlée. Déjà,
la largeur de la brèche conviait l'armée à l'assaut.
Le 8, le roi de Navarre ordonna l'attaque pour le len-
demain. Pendant la nuit, les piliers de la porte furent
relevés et les bastions couronnés d'armes nouvelles.
Quelques jours après, une vieille tour, dite la tour du
Colombier, garnie de meurtrières, qui servait de poste
principal aux arquebusiers huguenots, fut tellement
1. La prise du fort Sainte-Catberine, la clef de la ville de Rouen,
est racontée dans une lettre du roi à du Mortier de l'Isle, du
24 octobre (Cnpie du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°), et dans
une lettre de Robertet à Nemours (Lettres de Catherine de Médi-
cis, t. I, p. 414, note). Le parlement de Paris ordonna des actions
de places (Arrêt du 7 octobre; Mémoires de Condé, t. IV, p. 41).
2. Mémoires de Condé, t. IV, p. 41.
3. Lettre du roi de Navarre à Cbantonay, du G octobre 1562
(Copie; Arcb. nat., K. 1500, n° 9).
ET JEANNE D'ALBRET. 341
battue par l'artillerie catholique, qu'elle s'écroula en
partie. Au lever du jour, elle était rétablie à l'aide de
gros madriers garnis de terre, et elle rouvrit son feu
contre les assiégeants.
Le 9 octobre, la reine mère fut informée par
Beauvoir la Nocle, l'un des promoteurs du traité de
Hamptoncourt, de l'arrivée de 4,000 Anglais au Havre
et de 4,000 à Dieppe, « pour la gloire de Dieu
« et la délivrance de la minorité du roi1. » Cette
nouvelle, destinée à effrayer le conseil du roi, fut
heureusement corrigée le même jour par la lettre
d'un capitaine de Harfleur, qui apprenait à la reine
que l'armée anglaise comptait à peine en tout
400 hommes. Mais le voisinage de la rose rouge
suffisait à maintenir l'ardeur des assiégés2. Une com-
pagnie anglaise de 500 hommes, commandée par le
capitaine Grey, rompit le blocus et entra dans Rouen.
Le même jour, plusieurs navires chargés de vivres
et de munitions s'efforcèrent de briser les bar-
rières que l'armée royale avait accumulées sur la
Seine ; l'un d'eux échoua et tomba aux mains des
catholiques; les autres reculèrent, et, profitant du
courant, disparurent le long de la rivière.
Le 1 3 octobre, le roi de Navarre ordonna un assaut
général. A dix heures du matin, l'armée se précipita
sur la brèche que défendaient les Anglais. Après un
long combat, les assaillants furent repoussés. Ils
revinrent en bon ordre avec de nouvelles troupes,
1. Cette lettre, datéo du Havre et du 7 octobre, est conservée
en original dans le f. t'r., vol. 15877, f. 17.").
2. Lettre datée d'Harfleur et du 8 octobre (Orig.; f. fr., vol. 15877,
f. 189).
342 ANTOINE DE BOURBON
pendant que l'artillerie nettoyait la crête des murs.
D'autres compagnies se portèrent sur les autres points
de la ville. Tous leurs efforts furent inutiles. Le len-
demain, au lever du jour, le roi envoya en parlemen-
taire l'abbé de Vély à Rouen. L'abbé fut reçu à l'hô-
tel de ville et pressa le conseil de capituler. Le conseil
ajourna sa réponse au soir même. Pendant les pour-
parlers, le roi de Navarre tenta une nouvelle surprise.
Les troupes montèrent à l'assaut avec autant d'ardeur
que la veille. Mongonmery s'attendait peut-être à
l'attaque ; il avait fait cacher ses troupes et démasqua
brusquement ses lignes de défense au premier feu.
L'armée royale fut repoussée et rentra dans ses can-
tonnements après avoir perdu plus de G00 hommes l.
De Thou et d'Aubigné, d'après de Bèze et La Popeli-
nière, racontent un curieux incident de ce combat. Un
gentilhomme huguenot, appelé François de Civile, reçut
une balle dans le cou et tomba au pied d'un des bastions.
Le soir, les fossoyeurs de l'armée le trouvèrent sans
connaissance, le dépouillèrent et l'enterrèrent. Cepen-
dant le valet de Civile cherchait partout son maître.
Il apprit qu'il avait été tué et obtint de Mongonmery
l'autorisation de retirer le corps de la fosse commune
pour le rapporter à sa famille. On déterra les cadavres,
<jui, pour la plupart, avaient été frappés au visage et
étaient défigurés par leurs blessures. Le valet ne put
reconnaître celui qu'il cherchait et les remit dans la
tombe. L'un d'eux avait été couché le bras en l'air.
Le valet se disposait à le recouvrir de terre quand il
1. Ce combat est raconté avec détails dans une lettre de Marc-
A u util te Barbaro, du 18 octobre (Dépêches vénit., filza ibis, 1*. 150).
ET JEANNE d'aLBRET. 343
vit scintiller au clair de lune une bague ornée de dia-
mants que son maitre portait habituellement. Aussitôt
il releva le corps, et, lui trouvant un reste de cha-
leur, il l'apporta au monastère de Sainte-Claire, où
Mongonmery avait établi l'hospice des blessés. Les
chirurgiens de l'armée l'examinèrent et déclarèrent
qu'il était mort. Chassé du couvent, le valet le déposa
alors dans l'hôtellerie où il était logé et le pansa soi-
gneusement. L'infortuné Civile ne donnait aucun signe
de vie. Enfin, le soir du quatrième jour, il ouvrit les
yeux et put prendre un peu de nourriture. Dès lors,
son rétablissement était assuré. Le jour de la prise de
Rouen, au milieu du sac de la ville, des soldats catho-
liques reconnurent à l'hôtellerie le capitaine huguenot,
le criblèrent de nouvelles blessures et le jetèrent
par la fenêtre. La fortune le secourut encore une
fois. Il tomba sur un tas de fumier et ne se fit
aucun mal. Pendant trois jours, il ne reçut aucun soin.
Enfin, un capitaine normand, nommé du Croisset,
son parent, voulant lui donner une sépulture hono-
rable, le fit porter dans un château du voisinage où
l'on reconnut qu'il vivait encore. Il fut pansé et gué-
rit. Il était plein de vie, dit de Thon, quarante ans
après le siège de Rouen, et avait continué son service
dans les armées du prince de Condé4.
Cependant, le siège se poursuivait avec des alterna-
tives diverses. Les princes, les hauts seigneurs de
l'armée donnaient l'exemple et s'exposaient au feu
comme de simples capitaines. « Il est à craindre qu'il
« n'en advienne quelque désastre, » écrit Chantonay
1. De Thou, 1740, t. El, p. 330. — D'Aubigné, 1626, 1. 1, col. 221.
344 ANTOINE DE BOURBON
en signalant la bravoure du duc de Guise1. Le roi de
Navarre était un des plus hardis et se mettait en avant
à la moindre escarmouche. Il avait voulu reconnaître
en personne les approches du fort Sainte-Catherine2.
Le 1 6 octobre, pendant un combat violent, il ne quitta
pas les avant-postes et passa une partie de la journée
dans une tranchée menacée par les feux convergents
de l'ennemi. Il y fit servir son repas et consentit à
peine à s'abriter derrière un mur. Un de *ses pages,
qui lui versait à boire, fut atteint par un projectile
à ses pieds. Un capitaine, presque à côté de lui, fut
frappé à mort « estando asi mismo meando3. » Le
prince, entraîné par le feu du combat, se riait, dit
Chantonay, de toute précaution. Il eut l'imprudence
de s'écarter un moment du talus et de se découvrir
au lieu même où le capitaine avait été tué, et pour
le même objet. Aussitôt, il reçut à l'épaule gauche,
de haut en bas, une arquebusade qui le renversa en
arrière4.
Presque en même temps, le duc de Guise fut frappé
au bras d'un coup de pierre lancée par un fauconneau5.
1. Lettre du 2 octobre (Mémoires de Condé, t. II, p. 92).
2. Lettre du roi à du Mortier de l'Isle, du 24 octobre (Copie du
temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°).
3. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 97.
— Autre du même, beaucoup plus détaillée, adressée à Philippe II,
le 19 octobre 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1496, n° 119).
4. Smith écrit à lord Cecil que la même arquebusade blessa
le roi de Navarre au genou et qu'il reçut, en outre, un coup de
pique dans le flanc (Calendars, 1562, p. 375). Aucun autre contem-
porain ne parle de ces deux blessures.
5. Lettre citée par le comte de la Perrière (Lettres de Catherine
de Médicis, t. I, p. 420, note). — Lettre de Smith (Calendars, 1562,
p. 375).
ET JEANNE t/ALBRET. 345
Il s'approcha cependant du prince, le releva et aida à le
placer sur une civière. Le blessé fut conduit dans le
logis du Rhingrave. La reine mère, le prince de la
Roche-sur- Yon, le connétable accoururent au chevet
de son lit. Les chirurgiens sondèrent longuement sa
plaie sans réussir à trouver la balle. La blessure
paraissant grave, on transporta le prince dans une
maison éloignée du champ de bataille, à Darnetal,
château appartenant au maréchal de Vieilleville, assez
loin de Rouen pour être à l'abri d'un retour offensif
des troupes huguenotes. Pendant la route, le prince
souffrit cruellement et les porteurs furent plusieurs fois
obligés d'interrompre leur marche. Un soupçon, que
personne n'avouait à haute voix, troublait les assis-
tants. On doutait, d'après la direction de l'arquebu-
sade, qu'elle eût été tirée de la ville. Le lieutenant
général aurait donc été lâchement assassiné par un de
ses compagnons d'armes { . Peu de jours auparavant,
le duc de Guise avait fait arrêter un gentilhomme du
Maine, qui avait avoué l'intention de l'assassiner. Le
duc voulut l'interroger lui-même « pour sçavoir s'il
« avoit reçeu quelque desplaisir de luy. 11 respondit
« que non. Sur quoy le duc de Guise lui dit : Qui t'a
« donc porté à attenter sur ma vie? C'est le seul zèle
« que j'ay pour ma religion, respondit l'assassin,
« d'autant que j'ay creu que vostre mort lui serviroit
« d'un grand avancement. Si ta religion, repartit le
« duc de Guise, t'apprend à assassiner ceux qui ne
1. Pièce du temps ajoutée aux Mémoires du duc de Nevers, t. II,
p. 576. — Lettre de Ghalloner à lord Gecil {Oalendavs, 1562,
p. i82). Cet agent accuse le duc de Guise d'avoir voulu se débar-
rasser de sou rival. — P. Mathieu, dans son Hist. de France, dit que
346 ANTOINE DE BOURBON
« t'ont jamais offensé, la mienne m'apprend à par-
ce donner à mes ennemys; c'est pourquoy va-t'en en
« toute liberté, afin que tu ayes le loisir d'apprendre
« désormais une meilleure leçon1. »
Pendant que les capitaines livraient de glorieux
combats, la reine mère s'efforçait d'arrêter l'œuvre
sanglante de la guerre. Elle envoya des sauf- con-
duits à certains habitants de Rouen choisis parmi
les notables. Trois personnages d'autorité, Jean
Dubosc d'Émandreville, président à la cour des aides,
Michel de Roquemare, vieux capitaine des armées
d'Italie, Jean Ferry de Durescu, vinrent au camp de
l'armée royale. La reine les harangua elle-même et
leur promit la liberté de conscience et une amnistie
générale2. Ces négociations portèrent leurs fruits et
les modérés accueillirent un projet de capitulation qui
laissait sortir les soldats avec les honneurs de la guerre.
La ville devait payer une somme de 80,000 livres pour
se racheter du pillage, et le roi, par des lettres de
sauvegarde, garantissait les habitants de toute recherche
cette opinion était généralement adoptée dans l'entourage de
Henri IV et que Henri IV lui-même la partageait. L'accusation
ne présente aucun fondement.
1. La Fortune de la cour, 1642, p. 317. — Le marquis de Bouille
reproduit ce récit d'après l'histoire manuscrite des Guises par
Oudin (Hist. des Guises, t. II, p. 213). — Ces derniers mots rap-
[ii'lleut les beaux vers de Voltaire :
Des Dieux que nous servons, connais la différence;
Le tien t'a commandé le meurtre et la vengeance,
Et le mien, quand ton bras vient de m'assassiner,
M'ordonne de te plaindre et de te pardonner.
2. Lettre de Marc-Antoine Barbaro, du 21 octobre (Dépêches
vénit., filza 4 bis, f. 152).
ET JEANNE d'ALBRET. 347
ultérieure1. Le conseil de la ville, réuni solennelle-
ment dans l'église des Gélestins, refusa, à l'unanimité,
toutes les propositions de la reine. Le parti huguenot
tenait la ville en telle sujétion que les catholiques
n'osèrent prendre part aux délibérations. Les gens de
guerre, disposés par état à pousser la lutte aux der-
nières extrémités, les séditieux compromis dans les
troubles précédents, les ministres protestants, qui ne
pouvaient espérer de salut que dans la victoire, for-
maient la majorité du conseil et imposaient silence aux
dissidents. Les assiégés, tout en protestant de leur
fidélité au roi, jurèrent de s'ensevelir sous les ruines
de leur cité plutôt que de se soumettre à la faction
des Guises, qui disposait, au profit de ses passions
ambitieuses, de l'autorité royale2.
Le 17 octobre, un héraut d'armes somma encore
une fois la ville de se rendre. Le !20, le connétable,
qui avait pris le commandement à la suite de la bles-
sure du roi de Navarre, ordonna un assaut général.
Les troupes s'élancèrent avec ensemble, mais la brèche,
trop étroite, empêcha les assaillants de se développer.
Ils furent refoulés ; cependant ils gardèrent les posi-
tions conquises au pied des remparts. Les assiégés
furent aussi décimés que l'armée royale ; ils perdirent
800 hommes3. Le lendemain, les coureurs du conné-
1. Lettre de Marc- Antoine Barbaro, du 9 (probablement 29) oc-
tobre (Dépêches vénit., blza 4 bis, f. 149).
2. Outre tous les documents sur le siège de Rouen que nous
citons plus loin, voyez la lettre de Ghantunay du 8 octobre
(Mémoires de Condé, t. II, p. 93) et deux pièces contenues dans le
même recueil (t. IV, p. 45 et 46).
3. Lettre du roi à du Mortier de l'Isle, ambassadeur à Rome,
du 24 octobre 1562 (Copie du temps ; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°).
348 ANTOINE DE BOURBON
table surprirent une lettre de Mongonmery aux gens
du Havre, dans laquelle il avouait une partie de sa
détresse et demandait avec instance des soldats
capables de servir l'artillerie. La lettre lue, le porteur
fut relâché et s'acquitta de son message. Montmo-
rency-Damville avait été placé en observation sur la
route1. Il surprit, dans le bois de Pavilly, une com-
pagnie de 400 arquebusiers envoyée de Dieppe, fit
300 prisonniers, prit cinq pièces d'artillerie et de
nombreuses munitions. Les soldats, sortis de Rouen
au-devant de ce renfort, furent reçus les armes à la
main2. Ils auraient été mis en déroute sans une pluie
battante qui favorisa leur fuite. Depuis le commence-
ment d'octobre, un détachement catholique, conduit
par le capitaine Lacaille, prévôt de Normandie, avait
réussi à détourner le ruisseau de Martin ville, qui ser-
vait de moteur aux moulins3. Pendant deux jours, les
meules furent arrêtées et la farine manqua aux habi-
tants. La menacede la disette fîtnaître l'idée d'unaccom-
modement. Les huguenots demandèrent au roi de faire
1. Lettre de Marc- Antoine Barbaro, du 21 octobre (Dépêches
vénit., lilza 4 bis, f. 152). Le frère aîné de Henri de Montmorency
avait aussi été mis en observation du côté de Caudebec, pour
empocher les secours venus de Dieppe ou du Havre (Lettre du
22 octobre, de Caudebec, adressée par François de Montmorency
à sa mère; Orig.; f. fr., vol. 20500, f. 13).
2. Lettre du roi à du Mortier de l'Isle, du 24 octobre 1562
(Copie du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°).
3. Lettre de Henri de Mont murène y- I)a uni Ile .•■.., w de Navarre,
du 5 octobre (Coll. des autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 104,
f. 12; copies de la Bibl. aat.). Cette lettre contienl beaucoup
d'autres détails sur l'entrée des secours anglais à. Rouen. Voyez
aussi la lettre d'Estouteville au roi de Navarre, de même date
(Orig.; I'. fr., vol. 15877, f. 165).
ET JEANNE d'aLBRET. 349
venir le prince de Condé avec un sauf-conduit et pro-
mirent de traiter avec lui de la possession de la ville.
Repoussés par le conseil de guerre à l'instigation du
duc de Guise, les assiégés firent un effort « à la
« désespérade. » Le barrage du ruisseau de Martin-
ville fut rompu. La tour du Colombier, qui avait reçu
plus de 2,000 coups de canon, fut revêtue d'ouvrages
de terre et recommença son feu. De nouveaux com-
bats occupèrent quatre jours entiers avec des alter-
natives diverses.
Cependant, la chute de la ville était assurée et les
assiégés sentaient eux-mêmes qu'ils ne combattaient
plus que pour vendre chèrement leur vie. Le blocus,
entretenu par une armée formidable, les empêchait
de se ravitailler en hommes et en munitions ; les
moulins furent coupés de nouveau ; la disette, mal-
gré les dures réquisitions de Mongonmery, com-
mença à faire des victimes ; les murs étaient presque
démolis, les bastions de la ville désemparés, les mines
conduites jusqu'au pied des portes. Mais la reine
mère hésitait à donner le signal de l'assaut1. On lui
avait représenté, et elle savait mieux que personne,
« que ceste ville-là ne se peult prendre ni saccaiger
« que les marchands de Paris n'y aient une bien lourde
« perte et que le moyen de secourir le roy ne se
« diminue d'autant2. » Rouen eût été emporté depuis
longtemps, écrit le cardinal de Bourbon, « sans la
1 . Lettre de Chantonay, du \ 7 octobre, dans les Mémoires de Condé,
t. H, p. 98. — Lettre de la reine au card. de Lorraine (Lettres de
Catherine de Médicis, t. I, p. 430).
2. Lettre du secrétaire Bourdin au s. de Gonnor, du 22 octobre
(Orig.; f. fr., vol. 3219, f. 102).
350 ANTOINE DE BOURBON
« crainte de la reine du sac et pillage de la ville,
« qui seroit un dommage sans profit1. » Cette modé-
ration fait honneur à l'esprit politique de la reine,
mais n'était pas approuvée par tous ses officiers.
« Cette canaille de Rouen, dit un des secrétaires
« d'état, qui n'est point signalé par son ardeur belli-
« queuse, nous a longuement abusés, et le désir qu'on
« a de le sauver nous a fait perdre bien du temps 2. »
Enfin, le 24 octobre, la résolution suprême fut prise
au conseil. Le dimanche 25, à l'heure du prêche, l'ar-
mée royale engagea à la porte Saint-Hilaire un com-
bat violent et mit le feu à trois mines, mais sans
beaucoup de succès. Cependant, la brèche présentait
de l'importance.
Le lundi, 26 octobre, au point du jour, le duc de
Guise fait mettre le feu aux mines. Vers midi, un
grand morceau de mur, près de la porte Saint-Hilaire,
s'écroule. Aussitôt, toutes les batteries, disposées sur
les crêtes du fort Sainte-Catherine et dans les tran-
chées voisines, sont pointées à la fois sur la brèche.
Un feu terrible, nourri d'arquebusades, empêche les
assiégés de s'y maintenir. Le duc de Guise et les gen-
tilshommes s'élancent les premiers à l'assaut. Ils sont
repoussés. Une compagnie de gens d'armes vole à
leur secours et ne réussit pas à entamer les lignes.
Cependant un gentilhomme catholique du Béarn, le
s. de Sainte-Colombe, capitaine de gens de pied,
enfonce une bande anglaise à l'aile droite et plante
1. Lettre du carcl. de Bourbon au s. d'Humières, du 26 octobre
(Orig.; f. fr., vol. 3187, f. 32).
2. Lettre du secrétaire Robertet à Nemours, du 21 octobre
(Autog.; f. fr., vol. 3200, f. 135).
ET JEANNE D'ALBRET. 351
sur la brèche l'étendard de sa compagnie. Au premier
feu, il reçoit à la tête une blessure, dont il mourut
quelques jours après, et ses gens reculent en désordre
au delà du fossé. Le colonel de gens de pied, Gas-
pard de la Chastre de Nancay, successeur de Randan,
les ramène en avant. Dangereusement blessé à la
cuisse, Nancay est emporté loin du champ de bataille,
mais ses soldats gagnent du terrain. Pendant deux
heures, la garnison, principalement les gens d'armes,
luttent pied à pied. Enfin, les Allemands, conduits
par le rhingrave, franchissent la brèche. A l'arrivée
de ces troupes fraîches , les assiégés fléchissent ; le
duc de Guise fait une nouvelle charge à l'entrée des
rues qui s'ouvrent sur la porte Saint-Hilaire, et les
huguenots prennent la fuite, laissant sur le champ de
bataille plus de 600 morts ou blessés. Avant de les
poursuivre, le duc recommande à ses gens de ne pas
se débander et de marcher en colonne serrée jusqu'au
centre de la ville1. Le reste des troupes royales se
précipite comme un torrent par la porte Saint-Hilaire
et court au pillage avec autant d'ardeur qu'à l'assaut2.
1. Mémoires de La Noue, coll. Petitot, p. 161. — Catherine, dans
ses lettres, reconnaît que la prise de Rouen est due au duc de
Guise (Lettres, t. I, p. 430).
2. Les documents originaux sur le siège de Rouen sont assez
abondants. Outre de Bèze et de Thou, qui présentent un récit
très détaillé, nous citerons :
1" La Relation des troubles excités par les calvinistes dans la ville
de Rouen, de 1537 à 1582 (dite le manuscrit Pelhestre), publiée en
1837 par M. André Pottier. Cette pièce donne plus de détails sur
les débuts de la réforme à Rouen que sur le siège.
2° Récit communiqué au Parlement de Paris {Mémoires de
Condé, t. IV, p. 50).
3° Lettre du roi à du Mortier de l'Isle, ambass. à Rome, du
352 ANTOINE DE BOURBON
La ville de Rouen était une des plus riches du
royaume. Elle concentrait tout le commerce de la
France avec les pays du Nord, surtout avec l'Angle-
terre, et était habitée par une opulente bourgeoisie.
Toute cette population fut la proie des bandes royales.
Les huguenots furent les premières victimes des vain-
queurs, mais bientôt les catholiques subirent le même
sort. Catholiques et huguenots, sujets fidèles et rebelles
au roi, tous passaient pour ennemis aux yeux d'une
soldatesque ivre de carnage et de sang1. Mongon-
mery, après avoir fait des prodiges de valeur, fut
presque le seul capitaine de marque assez heureux
pour s'échapper. Il monta sur une galère, préparée
depuis le matin, avec quelques soldats anglais, et
s'enfuit si rapidement, pendant que les vainqueurs
s'acharnaient à piller la ville, qu'il franchit, à la faveur
de la nuit, malgré les efforts de François de Montmo-
24 octobre 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°). Cette
lettre est presque de même teneur qu'une lettre de Charles IX à
Saint-Suplice, imprimée par M. de la Ferrière dans la Normandie
à iétranqer, p. 23.
4° Nouvelles envoyées de France par Smith, en date du 26 oc-
tobre (Forbes, t. II, p. 165. — Calendars, 1562, p. 414). C'est un
récit détaillé de la prise de Rouen.
5° Lettre de Marc-Antoine Barbaro, du 29 octobre 1562, à la
république de Venise (Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 154). Récit
détaillé de la prise de la ville.
1. Le pillage de Rouen est, raconté dans deux lettres de Moreau,
officier de finances, à Artus de Cossé-Gonnor; la première, la
plus intéressant*1, datée du 30 octobre, est publiée en partie dans
Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 430, note ; la seconde,
datée du 5 novembre, est conservée en original dans le f. fr.,
vol. 3216, f. 82. Chantonay prétend que le pillage de Rouen « se
passa doulcement » (Mémoires de Comte, t. II, p. 203), mais il est
en désaccord avec les autres ambassadeurs (voyez la note précé-
dctiUM et avec tous les historiens.
ET JEANNE d'aLBRET. 353
rency, l'estacade de Caudebec et se retira au Havre1.
Le roi entra le lendemain vers dix heures du matin 2,
mais sa présence n'arrêta pas le désordre. Les princi-
paux habitants se retirèrent au vieux palais, et,
après un semblant de résistance, se rendirent au capi-
taine Saint-Estève. Les ministres furent jetés en pri-
son, les bourgeois retenus en otage. La nuit suivante,
pendant que leurs gardes pillaient l'hôtel, la plupart
des prisonniers s'enfuirent. Ils sortirent même de la
ville au milieu de la confusion générale. Le 28, sous
prétexte de rechercher les fugitifs, les soldats inves-
tirent et pillèrent les maisons qui leur avaient échappé
la veille. Ils prirent le président d'Émandreville et
le ministre Augustin Marlorat, malgré le paiement
d'une forte rançon, et les conduisirent au conné-
table, qui les fit traîner, le 29 octobre, dans les
cachots du palais. Le parlement revint de Lou-
viers et inaugura l'ère des supplices. D'Émandre-
ville, Marlorat et deux conseillers de la ville furent
condamnés à mort le premier jour, et les uns décapi-
tés, les autres pendus3. Le roi fit crier un pardon
général à tous les séditieux qui déposeraient les armes
et qui l'aideraient à chasser les Anglais4. En récom-
pense du zèle des capitaines de l'armée royale, Cathe-
1. La fuite de Mongonmery est racontée avec détails dans la
lettre de Marc- Antoine Barbaro, du 29 octobre (Dépêches vénit.,
filza 4 bis, f. 154).
2. Nouvelles envoyées d'Évreux par l'agent Smith à la reine
Elisabeth (Forbes, t. II, p. 165. — Calendars, 1562, p. 414). —
Lettre de Ghantonay, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 101.
3. Lettre de Ghantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 102.
4. Voyez les documents que nous avons cités dans la note 2
de la page 351. — Les lettres du roi, datées du 27 octobre, sont
imprimées dans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 53.
iv 23
354 ANTOINE DE BOURBON
rine voulut gratifier les blessés1 d'un don de 200 écus
pour les uns, de 1 00 pour les autres, de 50 pour les
lieutenants et de 30 pour les enseignes, malgré les repré-
sentations des officiers de finance, « que la générosité
« de la reine grèveroit le trésor du roi de 4,800 écus,
« et que les capitaines ont si bien profité de ceste
« ville qu'il semble qu'ils s'en passeroient bien2. »
Aussitôt après la prise de Rouen, le roi de Navarre
voulut, en sa qualité de lieutenant du roi, faire une
entrée triomphale dans la ville. L'infortuné prince ne
pouvait quitter son lit de douleur. On abattit l'une
des murailles de sa chambre et les Suisses portèrent
le lit, sur lequel trônait le blessé, jusqu'à la brèche.
Les compagnies de gens d'armes l'y attendaient.
Antoine passa la brèche, fit le tour de la ville et res-
sortit avec pompe au bruit du tambour, entouré de
soldats. Puis il rentra par la même voie et se fit por-
ter dans une maison qui lui avait été assignée à côté
du logis du roi.
L'état du roi de Navarre, depuis le jour de l'arque-
busade, n'avait point subi de variation, mais n'ins-
pirait aucune inquiétude. Cependant les médecins
n'avaient pu retrouver la balle. Le 16 octobre, Tor-
nabuoni annonce au grand-duc de Toscane la blessure
du prince, sans se prononcer sur sa gravité3. Le 17,
1. Voici les noms des capitaines de gens de pied biessés : Tou-
rier, Perez, Sarlabous, Lagrange, Cosse.ms, Gouart, Saint-Esteve,
Brion, Romolles, Sainte-Colombe, Noailhan, Lago, Levy, Saint-
Martin, Massé, Prunel, Cornai (Pièce du temps; f. fr., vol. 15877,
f. 347).
2. Lettre de Moreau, ofHcicr de finances, à Artus de Cossé-
Gunnor, du 5 novembre 1562 (Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 82).
3. Nùgoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 496.
ET JEANNE d'aLBRET. 355
l'ambassadeur vénitien, dans une dépêche en chiffres,
formule quelques appréhensions : « Je ne sais pas
« encore la nature du mal, car on tient la chose
« secrète1. » Le 18, il écrit que « il n'y a pas encore
« de signe qui fasse connaître si le coup est mortel2. »
Les agents anglais prédisaient le résultat qu'ils dési-
raient le plus, la mort du roi de Navarre, mais leur
éloignement du champ de bataille diminue le crédit de
leur témoignage3. Ghantonay, à la première nouvelle
de l'événement, se transporta au camp afin de juger
de la condition du prince par ses propres yeux. Ren-
tré à Paris le 19 octobre, il adressa à Philippe II un
rapport circonstancié. « J'ai vu M. de Vendôme et je
« lui ai parlé. D'après ce que m'ont dit le prince de
« la Roche-sur-Yon et les chirurgiens, la blessure
« n'est pas mortelle, parce qu'elle est haute et proche
« du nœud de l'épaule, et parce qu'elle n'atteint pas
«t le creux du corps, bien qu'elle se dirige de haut en
« bas. Ledit Vendôme avait un bon parler et était
« de bonne mine, malgré un peu de fièvre; mais il est
« sujet à la fièvre au moindre mal. La balle n'est pas
« encore sortie, mais la blessure rend déjà du pus, ce
« qui est bon signe4. »
La fin d'octobre n'amena aucun changement dans
l'état du roi de Navarre. Les correspondances origi-
nales permettent d'établir un bulletin presque journa-
lier. Le 21 octobre, Florimond Robertet informe le
1. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 47 v°.
2. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 150.
3. Lettre de Thomas Keniys à lord Gecil, du 20 octobre, datée
de Dieppe (Forbes, t. LE, p. 127).
4. Lettre orig. en espagnol de Chantonay à Philippe II, du
19 oct. 1562; Arch. nat., K. 1496, n° 119.
356 ANTOINE DE BOURBON
duc de Nemours, ennemi du lieutenant général, d'un
ton dégagé, que le prince a eu « une bonne arquebu-
« sade en lieu fort douloureux1. » Le même jour,
Marc- Antoine Barbaro, ambassadeur de Venise, pense
« que le roi de Navarre n'est pas bien et qu'il n'est
« pas hors de danger2. » Bourdin, autre secrétaire
d'état, dit : « Le roi de Navarre a eu ceste nuit, qui
« estoit la septième, de l'inquiétude (c'est-à-dire de
« l'agitation), mais si n'est-ce pas que les médecins et
« chirurgiens voyent rien de mauvais qui les fasse
« doubter de sa garison3. » Le nonce visita le prince
le %% et constata avec plaisir « qu'il se portoit
« mieux1. » La cour était troublée par ces nouvelles,
que les seigneurs interprétaient au gré de leurs espé-
rances5. Les deux partis se donnaient rendez- vous au
chevet du blessé et étudiaient sur son visage les chances
de vie qui lui restaient. En général, les réformés,
dominés par leur haine, annonçaient sa mort prochaine ;
les catholiques, au contraire, croyaient à son rétablis-
sement. Le roi, dans sa correspondance officielle, dit
que la blessure n'offre aucun danger, et que « son
« oncle, le roi de Navarre, avec l'ayde de Dieu, n'en
« auroit que le mal0. » Gatherine s'efforçait de pro-
1. Lettre autographe; f. fr., vol."3200, f. 135.
2. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 152.
3. Lettre du secrétaire Bourdin au s. de Gonnor, du 22 octobre
(Orig.; f. fr., vol. 3219, f. 102).
4. Lettre de Sainte-Croix, du 22 octobre, dans les Archives
curieuses, t. VI, p. 1! 4.
5. Telle est l'appréciation de Jeanne de Gontaut, dame de
Nouilles (Lettre à l'évêque de Dax, du 22 octobre; Copie du temps;
f. IV., vol. 6910, f. 206).
6. Lettre du roi ;*i du Mortier de l'Isle, du 24 octobre 1562 (Copie
du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°). M. de la Ferrière a publié
ET JEANNE D'ALBRET. 357
pager le même optimisme '. Ces appréciations,
habilement répandues, firent courir le bruit que
le roi de Navarre était entièrement rétabli et que les
chirurgiens avaient retiré la balle 2. Les alternatives
qui accompagnent toute blessure amenaient, chaque
jour, tantôt une amélioration, tantôt une rechute.
Cependant, il paraît certain qu'à la fin d'octobre le
prince éprouvait un grand soulagement. Son frère, le
cardinal de Bourbon, l'atteste, le 26 octobre : « La
« convalescence et amendement du roy, mon frère,
« dit-il, dont je loue Dieu, me causera mon retour
« plus joyeux3. » Chantonay et Tornabuoni certi-
fient ces heureuses nouvelles, mais rapportent que
la balle n'a pu être extraite4. Le parti réformé nour-
rissait d'autres espérances. Throckmorton, réfugié à
Orléans, est l'écho des bruits qui couraient autour
de lui : « La balle n'a pu être retrouvée, dit-il, et
« reste dans le corps du blessé, de sorte que la bles-
« sure n'a pu être sondée ni bien pansée. C'est pour-
ce quoi il ne peut pas vivre, bien qu'il puisse languir
« encore quelque temps5. »
dans la Normandie à l'étranger, p. 23, une lettre de Charles IX à
Saint-Suplice, de la même date et presque de la même teneur.
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 424.
2. Lettre de la dame de Noailles à l'évêque de Dax, datée de
Bordeaux et du 26 octobre (Autog.; f. fr., vol. 6910, f. 207).
3. Lettre orig. au s. d'Humières (F. fr., vol. 3187, f. 32).
4. Lettre de Chantonay, du 28 octobre, dans les Mémoires de
Condé, t. II, p. 99. — Lettre du même à Philippe II, du 1er no-
vembre (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1500, n° 11). — Lettre
de Tornabuoni, du 1er nov. (Négoc. de la France avec la Toscane,
t. III, p. 498). — Ces trois lettres sont écrites de Rouen.
5. Lettre de Throckmorton à la reine d'Angleterre, du 30 oc-
tobre (Calendars, 1562, p. 404).
358 ANTOINE DE BOURBON
Informée que le roi de Navarre avait été blessé,
Jeanne d'Albret voulut courir à Rouen. Mais comment
serait-elle reçue? Quelle était la gravité de la bles-
sure? Elle envoya un gentilhomme en poste chargé
d'offrir ses services et de demander une lettre de sau-
vegarde. Le messager arriva au camp le 26 octobre,
parla au prince et reçut de sa bouche même l'ordre
d'inviter la reine de Navarre à se rendre au chevet du
lit de son mari. Mal accueilli par les seigneurs catho-
liques, qui le soupçonnaient d'espionnage, il repartit
aussitôt après l'audience à franc étrier et ne s'arrêta
qu'à Évreux pour prendre un peu de repos1. Dans
l'intervalle, Jeanne d'Albret reçut de Bordeaux des
dépêches rassurantes : « Madame, sachant la peine en
« quoi vous êtes de scavoir des nouvelles de ce que
« plus vous aimez, j'ay pensé vous faire ce mot pour
« vous asseurer, Madame, que je viens maintenant
« d'avoir certain advertissement par un gentilhomme
« portugais, qui partit, vendredi dernier, de Paris,
« ayant charge expresse d'asseurer le roy de Porto-
ce gai soy-mesme, de la part de l'ambassadeur, corn-
et ment le roy de Navarre a la balle hors de son
« espaule, du mercredi précédent, et qu'il est sans
« fièvre et sans danger2. » Ces bonnes nouvelles « de
« ce qu'elle plus aimait » ne pouvaient suffire à la reine
de Navarre. Vers le commencement de novembre,
elle achevait ses préparatifs de voyage et attendait un
sauf-conduit pour se mettre en route, confiant sa des-
1. Rapports datés du 26 et du 31 octobre dans Forbes, t. II,
p. 165, el dans les Calendars, 1562, p. îi:'> el 114.
2. Lettre de Noailles, du 28 octobre, publiée dans la Revue his-
torique, avril 1874, p. 170.
ET JEANNE DALBRET. 359
tinée au hasard des événements 1 . D'après une lettre
du duc d'Albuquerque à Philippe II, elle se méfiait d'un
piège que la faiblesse de son mari, vis-à-vis des
chefs du parti catholique, rendait vraisemblable. Dans
cette hypothèse, prévoyant un acte de violence,
elle ouvrit une sorte de négociation avec Philippe II,
comme avec le plus puissant et le plus généreux de
ses ennemis2.
Le roi de Navarre consacrait aux négociations espa-
gnoles l'activité qui lui restait. Parmi les prétextes
qui aidaient Philippe II à « amuser » le roi de Navarre,
se trouvait la vente de la terre d'Enghien en Hainault.
Depuis le commencement de la rivalité de François Ier
et de Charles-Quint, les revenus de cette terre étaient
saisis, à chaque reprise des hostilités, par le fisc
espagnol. Aussi, la maison de Bourbon-Vendôme cher-
chait à se défaire de ces biens, et, par la même raison,
le roi d'Espagne entravait la vente. A la fin de 1562,
Antoine était en marché avec le comte d'Egmont ; le
comte avait obtenu toutes les autorisations néces-
saires et la vente paraissait assurée3. La « récom-
« pense » de la Navarre était un plus grave souci.
1 . Lettre de la dame de Noailles à l'évêque de Dax, de Bordeaux,
et du 5 novembre (Autog.; f. fr., vol. 6910, f. 208).
2. Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II, du 1er décembre
1562 (Orig. espagnol; Arch. de la secret. d'État d'Espagne;
leg. 358, f. 52). Cette pièce est antérieure à l'arrivée de la nou-
velle de la mort du roi de Navarre. On trouvera dans le volume
suivant d'assez nombreux détails sur ces négociations de Jeanne
d'Albret.
3. Lettre de Catherine, du 29 octobre (Lettres de, Catherine de
Médicis, t. 1, p. 426). — Lettre do. la duchesse de Parme, du
13 novembre [Correspondance de Marguerite d'Autriche avec Plu-
lippe II, t. II, p. 395).
360 ANTOINE DE BOURBON
Antonio d'Almeida avait précédé Odet de Selve et
François d'Escars à Madrid. Vers le milieu d'octobre,
Antoine reçut de d'Almeida l'avis qu'il avait « peu de
« satisfaction à recevoir de Sa Majesté catholique1. »
A cette nouvelle il s'emporta contre les Espagnols.
Déjà le parti catholique redoutait les effets de son
dépit, quand le prince se laissa persuader que cet avis
n'avait rien de définitif. Il fit partir pour Madrid
Odet de Selve avec ses instructions et des pou-
voirs illimités. De Selve devait rejoindre François
d'Escars en Guyenne et franchir la frontière avec lui.
Homme de robe, ancien ambassadeur à Venise, il
voyageait en litière à petites étapes avec deux mes-
sagers de la reine, redoutant les « grandes corvées, »
mauvaises conditions pour franchir sans encombre
le théâtre de la guerre. Il fut pris par un corps de
partisans, conduit à Orléans, emprisonné et sa
correspondance déchiffrée 2. Les découvertes des
réformés dans ses papiers donnèrent une issue tra-
gique à sa mission. Outre les affaires personnelles
du roi de Navarre, dont les huguenots ne se sou-
ciaient nullement, de Selve était chargé de remer-
cier Philippe II du secours envoyé en France et de
lui demander des renforts. Plusieurs compagnies
espagnoles avaient déjà franchi la frontière et arrê-
taient le ravitaillement de la grande armée protes-
tante dans le Midi. Les rebelles d'Orléans, se sen-
tant bloqués au nord et au sud entre deux feux ,
1. Lettre de Sainte-Croix, du 2? octobre, dans les Archives
curieuses, t. VI, p. 1 1 i.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 10 octobre (Orig.
espagnol , Arch. oat., K. 1496, n° 119).
ET JEANNE D'ALBRET. 361
s'en prirent à l'ambassadeur. Ce fut leur premier
grief contre Odet de Selve. Peu de jours après, on
apprit à Orléans le supplice des séditieux de Rouen.
Ces nouvelles accrurent tellement l'irritation des
soldats que Condé n'osa pas résister à leur fureur
sanguinaire. Il réussit à sauver la vie d'Odet de Selve,
à la requête de Claude de Selve, capitaine hugue-
not, son frère, mais il abandonna à la tourbe de
son parti Jean-Baptiste Sapin, conseiller au parlement
de Paris, beau-frère du premier président Le Maistre,
et Jean de Troyes, abbé de Gastines, qui avaient été
arrêtés avec Odet de Selve. Les malheureux furent
condamnés et mis à mort le % novembre1. Antoine se
laissa consoler par une visite de l'ambassadeur d'Es-
pagne, chargé de le féliciter de sa guérison prochaine.
L'alliance des deux rois d'Espagne et de Navarre était
entretenue par des protestations réciproques, malgré
quelques mésintelligences passagères. Ainsi Phi-
lippe II n'avait encore pu se résigner à donner à son
allié le titre de roi, et Antoine à accepter les lettres
qui ne portaient pas ce titre, de sorte que les deux
souverains ne s'écrivaient jamais directement et ne
correspondaient ensemble que par l'intermédiaire de
Chantonay2.
Catherine se préparait à lancer l'armée royale contre
le Havre et les Anglais, quand elle apprit l'entrée en
1. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 105.
— Journal de Bruslard (Ibid., p. 100). — L'arrêt du prince de
Condé, daté du 2 novembre, est imprimé par La Popelinière,
1581, t. I, lre partie, f. 337 v°, et par Le Maire, Hist. d'Orléans,
2e partie, p. 336.
2. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 10 novembre 1562
(Résumé de chancellerie ; Arch. nat., K. 1496, n° 126).
362 ANTOINE DE BOURBON
campagne de Condé. Après la prise de Rouen, le
prince de Condé, bien conseillé par l'amiral Coligny,
avait payé d'audace. Il avait rassemblé ses troupes
et marché sur Paris. Le 1 1 novembre, il se renforça
à Pithiviers d'un corps de cavalerie allemande, que
d'Andelot amenait de Strasbourg. L'armée protes-
tante était forte de 6,000 cavaliers, gens d'armes ou
chevau-légers, et de 8,000 gens de pied. L'armée catho-
lique comptait le double de soldats, mais les sièges
de Bourges et de Rouen, les marches et les combats
avaient désorganisé les compagnies. Catherine, obli-
gée de couvrir la première ville du royaume, résolut
de remonter la Seine et d'arrêter les rebelles. Le roi
de Navarre voulut la suivre. Les médecins lui repré-
sentèrent que la campagne pouvait compromettre sa
convalescence. Antoine, sentant que son absence équi-
valait à une démission, rappela ses devoirs de chef
de l'armée. On fréta pour lui un vaste bateau, armé
de canons comme une galère, qui coûta au roi 400 écus,
et le prince blessé fut transporté à bord dans sa
litière1.
Le roi, la reine mère et toute la cour devaient s'em-
barquer le 1 % novembre avec lui et remonter la Seine
jusqu'à Paris2. Marc-Antonio Barbaro, ambassadeur
vénitien, écrit, le 6 novembre, que le lieutenant géné-
ral est agité par une forte fièvre, et que sa blessure
1. Lettre de Moreau, oilicier de finances, à Artus de Cossé-
Gonnor (Orig.; f. IV., vol. 3216, f. 82).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 9 novembre 1562
(Orig. espagnol; Areli. nat., K. 1500, n° 15). — Ils partirent un
peu plus tôt, puisque, le 10, Catherine était à Saint-Germain
[Lettres de Gath. de Mfdicis, t. 1. p. i32)
ET JEANNE D'ALBRET. 363
se résout en un dépôt purulent qui nécessite un cau-
tère1. Chantonay dit le même jour que l'état du prince
ne lui permet pas encore le voyage, et que la cour
attendra un peu d'amélioration2. Le 7 novembre, la
blessure s'aggrava subitement, probablement à la suite
de quelques imprudences3. Le 8, l'ambassadeur véni-
tien adressa à la république sérénissime un rapport
détaillé :
Prince sérénissime, Sa Majesté le roi très chrétien se dispo-
sait, comme je l'ai écrit dans mes dernières lettres du 6, à aller
avec toute la cour de Rouen à Saint-Germain ; mais il paraît
que ce départ a été différé à cause du mal survenu au roi de
Navarre, auquel, comme on me l'écrit par les lettres du 5 de la
cour, on aurait découvert trois apostèmes venus de la blessure,
lesquels lui ont donné une fièvre continue, qui met sa vie en
danger, parce que un de ces apostèmes est du côté droit. Ce
dont cependant on ne faisait pas grand cas; mais les deux autres
sont venus dans la partie de devant ; l'un, qui est sous l'épaule,
ce qui est très dangereux, parce que c'est un endroit plein de
nerfs et de muscles; l'autre, un peu plus bas. Et aussi, outre
la fièvre continue, il lui est survenu, ce qui est pis, des frissons
qui l'ont tourmenté pendant une heure. Ce signe est considéré
comme très mauvais dans les blessures. Il ne dort pas. Il est
très agité, et un jour, qui fut le 5, s'efforçant de cracher, il
s'ouvrit sa blessure, de laquelle est sortie une once et demie de
sang, ce qui le retarda beaucoup, Sa Majesté étant de com-
plexion très débile et délicate. Et pour ceci et pour d'autres
causes encore, il paraît qu'on ne peut espérer rien de bon de lui.
Voici ce que j'ai vu écrit par un médecin instruit de son mal,
ce qui est aussi conforme à ce que je tiens d'autres lettres venues
de la cour-5.
1. Lettre du 6 novembre 1562 (Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 156).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 6 novembre 1562
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1500, n° 14).
3. Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 433.
4. Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 259.
364 ANTOINE DE BOURBON
Le 9, l'ambassadeur vénitien écrit que la reine mère
a laissé échapper le secret de ses perplexités, et
« quelle tient le roi de Navarre pour mort1. » Trois
jours après, le mal avait fait des progrès effrayants ;
le bras et la poitrine du prince étaient pris par une
inflammation violente. « Le roi de Navarre n'était pas
« mort ce matin, écrit Smith à lord Gecil, le 121 no-
ce vembre, mais il ne peut pas vivre vingt-quatre
« heures2. » Malgré son état désespéré, Antoine vou-
lut s'embarquer à Darnetal, le 15 novembre, et
rejoindre la reine. Le prince de la Roche-sur- Yon,
chargé de l'accompagner à Paris, écrivit à Catherine :
« A ce matin, le roy de Navarre a si bien pris en opi-
« nion qui guérisset si changet d'air et antret en basteo
« qui l'a fallu, malgré tout le monde, le luy amener.
« Il ne c'est point plus mal trouvé par les chemins.
« Il dit qu'il se trouve mieulx. Mais je n'y voy amèn-
es dément. Il a du courage, que je crins bien luy nuye.
« Tout est en la main de Dieu, que je luy supplie
« estandre sur ce posvre prince. Il avoit ordonné que
« Malicorne vous fust envoyé pour vous en advertir.
« S'il y a chose nouvelle, vous l'entandrés incontinent
« par luy ou aultre3. »
Pendant que le roi de Navarre luttait avec les
affres de la mort, d'actives intrigues se nouaient à la
cour autour de sa charge de lieutenant général. Cha-
cun regardait la reine mère comme incapable de con-
duire seule les affaires du roi, et chaque prince s'at-
tribuait la mission de la suppléer. Dès le 12 novembre,
1. Dépêches vénit., Qlza i bis, f. V.l
2. Calendars, 1562, p. 453.
3. Original avec post-scriptum autographe ; f. fr., vol. GG06, f. 40.
ET JEANNE D'ALBRET. 365
Marc-Antoine Barbaro écrit que le conseil du roi est
disposé à investir le fils d'Antoine de Bourbon, Henri
de Béarn, de la dignité et des pouvoirs de son père1.
A ce parti on reconnaît les passions ambitieuses des
grands. Un roi de douze ans, une femme régente, un
lieutenant général de moins de neuf ans, en temps de
guerre civile, ne pouvaient fermer le champ aux
mouvements des factieux. D'autres prônaient la can-
didature de Louis de Bourbon, duc de Montpensier,
prince faible et sans ambition, voué jusqu'alors aux
rôles secondaires; d'autres, celle du prince de Gondé2,
peut-être pour faire leur cour à la reine mère3,
qui n'avait jamais cessé de regretter l'alliance des
chefs du parti huguenot. Sa révolte ne paraissait
pas un obstacle, puisqu'il n'avait pas été déclaré
officiellement rebelle4. Condé ne repoussait pas un
changement de front et négociait secrètement avec la
reine. Elle lui envoya Artus de Cossé-Gonnor5, frère
du maréchal de Brissac, mais elle n'osa s'avancer
davantage, tant l'heure de la paix lui paraissait encore
éloignée. Loin de se montrer exigeant, Gondé avait
diminué ses prétentions. Il se contentait de l'exécu-
1. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 49 v°.
2. Lettre de Marc -Antoine Barbaro, du 17 octobre 1562
(Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 47 V).
3. Lettre de Sainte-Croix, du 23 novembre (Arch. cur., t. VI,
p. 115). — Lettre de Marc-Antoine Barbaro, du 25 novembre
(Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 1G4).
4. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 49 v.
5. Voyez les deux lettres de Catherine au s. de Gonnor, du 7
et du 10 novembre (Lettres de Catherine de Médicis, 1. 1, p. 43? et
433). Ces lettres, écrites à mots cou verts,. sont expliquées par la
lettre de Coligny à Gonnor, publiée clans les Mémoires de Condé,
t. IV, p. 55.
366 ANTOINE DE BOURBON
tion de l'édit de janvier et s'engageait à désarmer
ses compagnons d'armes. Cette solution plaisait à
Catherine. N'osant prendre seule une détermination
qui pouvait lui coûter le pouvoir, elle consulta le
duc de Guise , comme chef du parti catholique ;
le duc lui répondit qu'on ne pouvait avoir aucune
confiance dans les promesses de Condé1. La pro-
motion du prince était vue avec faveur par les chefs
de son parti. La reine d'Angleterre considérait la nomi-
nation comme assurée ; elle conseilla à Condé de ne
pas sacrifier les intérêts de la réforme à la nouvelle
dignité dont il allait être investi, recommandation qui
ne paraissait pas inutile vis-à-vis d'un prince aussi peu
ferme dans ses croyances2.
Le parti catholique, qui n'osait encore introniser
le duc de Guise, préconisait le cardinal de Bour-
bon3. Charles de Bourbon, archevêque de Rouen,
frère cadet du roi de Navarre, était un prélat zélé,
mais incapable, un chef nominal comme les ambi-
tieux pouvaient le souhaiter. Le pape 4 et le roi
d'Espagne s'intéressaient à sa cause. Dans la nuit du
24 au 25 novembre, un courrier de Chantonay, arrivé
en poste, apporta à Madrid la nouvelle « du détail ie-
1. Lettre de Marc-Antoine Barbara, du 25 novembre (Dépêches
vénit., filza 4 bis, f. 164). — Lettre de Chantonay, du 3 décembre
(Mémoires de Condé, t. II, p. III).
2. Duc d'Aumale, Histoire des Condé, t. I, p. 388, Pièces justi-
ficatives.
3. Lettre de Marc-Antoine Barbara, du 12 novembre (Dépèches
vénit., filza 4 bis, f. 49 v°).
4. Pie IV adressa même, le 10 décembre 1562, une bulle au
cardinal de Bourbon pour L'exhorter à exercer avec fermeté ses
nouvelles fonctions de lieutenant général auprès de Charles IX
[Annal. Hainaldi, t. XXI, 1562, n° 173).
ET JEANNE D'ALBRET. 367
« ment et extrémité du roy de Navarre, et que les
« médecins et cyrurgiens estoient hors de toute espè-
ce rance de sa santé par les indices qu'ilz en avoyent
« heu le sixiesme et dixiesme de ce mois l. » Aussitôt,
avant de connaître la destinée du blessé, Philippe II
écrivit à la reine en faveur du cardinal de Bourbon,
comme du seul prince digne de le remplacer2. Il
envoya le duc d'Albe à l'ambassadeur de France, Jean
d'Ébrard de Saint-Suplice3. Il ordonna le même jour
à Ghantonay d'aider le cardinal de son influence et
d'écarter à tout prix le prince de Condé des conseils
de la reine. Sa lettre témoigne de ses incertitudes.
A la fin de sa dépêche, Philippe II enjoint à son
ambassadeur de tenir ses instructions secrètes si le
roi de Navarre vit encore4. Quatre jours après, le
29 novembre, Philippe II envoie à la cour de France
un ambassadeur extraordinaire, François de Alava,
chargé de peser sur la reine. Outre une instruction5,
dont le ton pressant rappelle l'ultimatum d'un ennemi
plutôt que les conseils d'un allié, Alava était porteur de
lettres impératives à l'adresse de Catherine de Médicis,
de Charles IX, du cardinal de Bourbon, du duc de
1. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 25 novembre (Orig.;
f. fr., vol. 15877, f. 386). M. Gachard a analysé cette lettre d'après
une copie contenue dans le vol. 3161, f. 74, du f. fr. [La Biblioth.
nat. à Paris, t. II, p. 146).
2. Lettre de Philippe II à la reine, du 25 novembre (Minute ;
Arch. nat., K. 1496, n° 127).
3. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 25 novembre (Orig.;
f. fr., vol. 15877, f. 386).
4. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 25 novembre 1562
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, n° 128).
5. Instruction de Philippe II à Alava, du 29 novembre (Arch.
nat., K. 1496, n° 132).
368 ANTOINE DE BOURBON
Guise, du prince de la Roche-sur- Yon, du connétable1
et de Ghantonay2.
Au milieu de ces menaces déguisées et des sombres
alternatives que la mort du roi de Navarre sem-
blait lui réserver, la reine mère éloignait l'heure de
prendre une décision. Peut-être attendait-elle l'ins-
piration des événements ou les coups imprévus que
ménage la fortune de la guerre. Son inquiétude
perçait dans ses moindres actes. Le langage de la
reine change d'heure en heure, écrit l'ambassadeur
vénitien, ainsi que ses résolutions. « Hier matin, Sa
« Majesté est allée à Madrid, et elle est venue dîner à
« Paris. Puis elle décida d'aller au pont de Gharenton,
« et enfin, très tard, elle changea d'avis et se rendit
« au bois de Vincennes. » Ces déplacements cachaient
sans doute une de ces négociations mystérieuses où
Catherine se plaisait à l'insu du triumvirat. De tous les
partis à prendre, depuis que le choix du prince de
Condé avait été repoussé, celui qu'elle caressait avec
le plus de préférence, c'était de ne donner aucun suc-
cesseur au roi de Navarre et de garder en main le
pouvoir tout entier. Pendant plusieurs jours , elle
attendit, sans oser la saisir, l'occasion de s'en ouvrir
au duc de Guise. Les nécessités de la guerre la rendaient
tributaire de cet habile capitaine; aussi lui montrait-
elle autant de confiance dans les affaires militaires que
de réserve dans les difficultés du gouvernement.
Elle le consulta enfin. L'aveu lit craindrr au duc une
1. Lettres de Philippe II, du 29 (Minutes; Arch. nat., K. 1496,
no 129).
2. Lettre de Philippe II à Ghantonay, du 29 novembre (Minute ;
Arch. nat., K. 1496, n° 130).
ET JEANNE D'ALBRET. 369
nouvelle retraite de la cour, un second voyage à
Fontainebleau, peut-être la fuite du roi à Orléans. Sur-
le-champ il prit sa résolution. Le 15, Catherine avait
conduit encore une fois le roi à Madrid. Le 16, sans
user de violence apparente, le duc de Guise et le
connétable allèrent chercher le roi et la reine et les
ramenèrent à Paris. Plus d'un courtisan crut à l'enlè-
vement du roi. Blessée par ces mesures de défiance,
Catherine était près de s'abandonner aux plus graves
extravagances ; elle agita de se retirer en Flandres
avec le roi et de se confier au roi d'Espagne. Le duc
de Guise laissa échapper ce secret et un courtisan le
révéla à l'ambassadeur vénitien1.
Le roi de Navarre, pendant les derniers jours de
sa demeure à Darnetal, avait appelé auprès de lui
la belle Louise du Rouet de la Beraudière, demoiselle
d'honneur de la reine, sa maitresse depuis plusieurs
mois. Sa blessure s'aggrava par suite d'imprudences
dont les ambassadeurs étrangers parlent à mots cou-
verts. Il en accusa l'air de Rouen et pressa son départ
pour Saint-Maur. Un jour, Catherine vint le visiter à
Darnetal et lui conseilla de demander à ses serviteurs
quelques lectures pieuses. Il lui répondit que tous ses
serviteurs appartenaient à la réforme2. Le parti catho-
lique envoya alors au chevet de son lit Vincent Lauro,
ancien serviteur du cardinal de Tournon, autrefois
attaché à sa maison au temps du colloque de Poissy.
1. Lettres de Marc-Antoine Barbare», du 16 et du 18 novembre
(Dépêches vénit., tilza 4 bis, f. 50 v° et 161).
2. Cette visite ne put avoir lieu qu'à Rouen, comme le dit de
Bèze [Hist. ecclés., t. II, p. 173), et non après l'embarquement du
prince, comme le dit la pièce publiée dans les Mémoires de Condé,
t. IV, p. 117.
IV 24
370 ANTOINE DE BOURBON
Lauro exhorta si bien le prince qu'il le décida à se
confesser, le 9 novembre, à l'official de Rouen et à
recevoir la communion ' . A la suite de cette démons-
tration, sur les conseils de Nicolas Dangu, évêque de
Mende, il fit son testament et promit quelques legs aux
gentilshommes catholiques et des chevaux au duc de
Guise2.
Enfin il s'embarqua le 15 novembre avec Raphaël
de Taillevis de la Mesière, médecin huguenot, qui le
servait depuis plus de vingt ans. Jean de Losses, gou-
verneur du prince de Béarn, vint le visiter. Son état
ne laissait plus d'espérance. Le 16, Marc-Antoine Bar-
baro écrit : « Le roi de Navarre laborat in extremis;
« et, à ce qu'on dit, il n'y a plus de remède à son
« mal3. » La nuit qui suivit son départ, Antoine
appela son médecin et lui demanda une lecture des
saints évangiles. « Je veux, dit le prince, envoyer
« Raphaël à Genève pour être ministre. » Dans le
cours de la lecture, il rencontra un passage de Saint
Paul, qui recommande aux femmes l'obéissance à leurs
maris. Ces mots rappelèrent au prince l'abandon de sa
femme : « Raphaël, vous voyez comme Dieu veut que
« les femmes obéissent à leurs maris. » — « Il est vrai,
« répondit Raphaël, mais l'Écriture dit aussi : Maris,
1. Ce t'ait, est raconté par de Bèze [Hist. ecclês., 1882, t. II,
p. 173), par de Thou (1740, t. 111, p. 336), et certifié par Borde-
nave [Hist. de lira ni, p. 114).
2. Pièce publiée dans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 116. Cette
pièce, qui est imprimée d'après une copie contenue dans la coll.
Dupuy, a été connue de île Bèze, qui en reproduit presque tex-
tuellement les parties principales. Mlle esl t^néralernent attri-
buée à Raphaël de Taillevis, s. de la Mézière, médecin du roi de
Navarre (Brantôme, t. IV, p. il9)
'. Dépêches vénit., filza 4 bis, ï. 161.
ET JEANNE d'aLBRET. 371
« aimez vos femmes. » Le médecin profita de ce
moment pour adresser des représentations à son
maître : « Ah ! Raphaël, je vois bien que je suis mort.
« Il y a vingt-sept ans que vous me servez et mainte-
« nant vous voyez les jours déplorables de ma vie1. »
Après cet aveu, il protesta que, si Dieu lui faisait
grâce de la vie, il ferait prêcher l'évangile dans tout
le royaume suivant le formulaire de la confession
d'Augsbourg. Le 16 au soir, il éprouva un peu d'amé-
lioration. Le lendemain, il dit qu'il voulait vivre et
« mourir en l'opinion d'Auguste-. » L'infortuné prince
touchait à ses derniers moments. Le bateau s'arrêta
en face des Andelys. Le cardinal de Bourbon et le
prince de la Roche-sur-Yon, pour donner le change
sur ses derniers sentiments, introduisirent au chevet
de son lit un jacobin défroqué, qui avait repris l'habit
depuis la prise de Rouen. Le jacobin lui reprocha ses
variations, son inconstance religieuse en termes qui
eurent l'approbation du cardinal de Bourbon. Antoine
ne répondit rien et le jacobin continua à « l'admones-
« ter fort chrestiennement et sans cafarder. » Raphaël
de Taille vis recommença sa lecture. Antoine tomba en
syncope. Au moment de rendre le dernier soupir, il
sortit de sa léthargie, appela un valet italien qu'il
aimait, le prit par la barbe et lui dit : « Servez bien
« mon fils et qu'il serve bien le roy. » Ce furent ses
dernières paroles. Il expira à neuf heures du soir3.
1. Pièce publiée dans les Mémoires de Condô, t. IV, p. 117.
2. Voyez plus loin.
3. Lettre de Chantonay, du 18 novembre, dans les Mémoires de
Condé, t. II, p. 109. — Les derniers moments du roi de Navarre
sont racontés dans le récit attribué à Raphaël (\o Taillevis.
372 ANTOINE DE BOURBON
Antoine de Bourbon était d'une taille élancée. Son
élégance personnelle, la noblesse de son maintien, la
recherche de ses vêtements, le luxe de ses équipages
l'avaient distingué à la cour de Henri II. Ses por-
traits, d'accord avec la réputation qu'il a laissée,
donnent plutôt l'idée d'un courtisan raffiné que d'un
prince doué d'assez fortes qualités pour jouer un rôle
politique. Le grand soin qu'il avait de sa personne lui
avait fait prendre des habitudes qui accusent peu d'élé-
vation d'esprit. Même dans l'âge mûr, soit à la cour, soit
à la guerre, il portait des bagues et des boucles d'oreille
à la façon des femmes galantes ' . Cette mode étrange fut
suivie sous Henri III par les mignons de la cour. Sci-
pion Dupleix, historien gascon, fait connaître une
manie encore plus singulière de ce prince : « J'ay appris
« de ses serviteurs domestiques qu'il avoit une seule
« mauvaise habitude, laquelle sembloit procéder de
« quelque influence de Mercure. C'est qu'il ne pouvoit
« s'empescher de desrober quelque petite chose par-
te tout où il alloit; de sorte que les siens visitoient le
« soir les pochettes de ses chausses, après qu'il estoit
« couché, et prenoient ce qu'ils y trouvoient : lui-
« même, le plus souvent, leur commandant de ce faire
« et leur nommant ceux à qui ces chosetes apparte-
« noient, afin de les leur rendre2. »
C'était surtout en matière religieuse que le roi de
Navarre montrait une légèreté coupable. Tantôt fer-
vent calviniste, tantôt catholique, tantôt luthérien, il
changeait de culte aussi facilement que de politique,
ou plutôt il subordonnait les pius graves devoirs de
\. Relation* des ambassadeurs vénitiens, t. I, i>. 553; t. II, p. 45.
'2. Dupleix, Hist. de France, in-fol., 1637, t. III, p. 645.
ET JEANNE DALBRET. 373
la religion aux futiles exigences de la politique.
Il montra à ses anciens coreligionnaires, quand il les
eut abandonnés, une dureté implacable. Le duc de
Guise était « cent fois plus miséricordieux1. » Sa mort
fut l'image de sa vie ; il se confessa, communia, fit une
profession de foi luthérienne et prêta l'oreille avec
plaisir aux exhortations de son médecin, mi-recettes
médicales, mi-conseils luthériens. Marc-Antoine Bar-
baro, le témoin le plus autorisé des derniers moments
du prince, atteste qu'il mourut dans les sentiments
de la confession d'Augsbourg : « Je veux vous
« écrire quelques particularités sur la mort du roi de
« Navarre, parce qu'on en a parlé de différentes
« manières, suivant la disposition et l'esprit particu-
« lier de chacun. Cependant, par ce que j'ay pu com-
te prendre, l'opinion générale est qu'il est mort dans
« la confession augustine et que, quelques jours avant
« sa mort, il auroit laissé entendre et auroit fait la pro-
« testation qu'il mouroit dans cette confession. Et il
« auroit ajouté ces autres paroles : que, si Dieu l'avoit
« laissé vivre, il auroit voulu se réconcilier avec son
« frère et chercher à ramener tout son royaume à cette
« confession. On veut que, nonobstant ceci, ce roi ait
« communié pendant sa maladie, parce que la confes-
« sion augustine n'exclut pas la communion ; mais
« elle nie, comme le sait Votre Sérénité, la transmu-
« tation de la substance2. »
Quelques jours après, le même ambassadeur confir-
mait ses premiers renseignements : « Je me suis assuré
1. Brantôme, t. IV, p. 236.
2. Lettre du 25 novembre 1562, (Dépèches vénit., filza A bis,
f. 164).
374 ANTOINE DE BOURBON
« de ce que j'avois déjà écrit à Votre Excellence, que
« j'avois entendu que le roi de Navarre est mort dans
« la confession augustine et que véritablement il a dit
« de sa propre bouche qu'il mouroit dans cette con-
« fession 1 . »
Antoine relevait son caractère sur les champs de
bataille. Bienveillant pour ses inférieurs, affable vis-à-
vis de ses égaux, prêt à payer de sa personne au pre-
mier rang, il avait la vertu d'entraîner les gens de
guerre, qu'il légua à son fils. Son exemple ne laissait
aucun soldat indifférent. Bon capitaine plutôt qu'habile
chef d'armée, il ne le cédait, au jour du danger, ni au
duc de Guise, ni au maréchal de Brissac, ni à Biaise de
M on lue, pour conduire les hommes au feu, et montrait
devant l'ennemi une bravoure naturelle, qui est deve-
nue le patrimoine de sa race2.
Ses mœurs ne paraissent pas avoir été plus cou-
pables que celles de la plupart des princes de son
temps. Après sa mort, Louise de la Béraudière de
l'Isle-Bouet, dont il avait été le « serviteur » pendant
la dernière année de sa vie et qui lui avait donné un
fils3, épousa Louis de Madaillan, seigneur de Lesparre,
1. « Io mi son cerliiicato rti quelle, che gia scrissi a V. E. haver
sentito de] re < l i Navarra che fusse morto con la confessione
Augustana, havendo veramente cosi esso detto di bocca sua che
con taie confessione moriva. » (Lettre du li décembre 1562;
Dépêches vénit., filza i bis, f. -106.)
2. Relations des ambassadeurs vénitiens, t. 1, p. 44. — Mémoires
de Claude Ilatou, t. I, p. 291.
:>. Ce lils, Charles de Bourbon, donl la date de la naissance esl
incertaine, fui élevé «lans les principes de la réforme et fait pri-
sonnier à. la bataille de Jarnac (Mémoires de Gastelnau, liv. VII,
ch. iv). Plus lard, il devint évêque de Clominges [Lettres d' A /il. de
Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 302 el 350), prieur de Saint-
ET JEANNE I) ALBRET. 375
baron d'Estissac, gouverneur de la Rochelle et du pays
d'Aunis, célèbre dans les provinces de l'Ouest par sa
haine pour la réforme. Elle eut deux filles, dont l'une
épousa en 1 587 François de la Rochefoucault et porta
dans cette illustre maison le nom de la seigneurie
d'Estissac. Devenue veuve en 1 565 , la belle Rouet
reparut à la cour et y reprit sa vie galante. Brantôme
parle d'elle en termes qui laissent supposer plus d'un
mystère1. En 1580, elle reçut en don du roi l'évèché
de Quimper, dans la Cornouaille, et épousa Robert de
Gombaut, seigneur d'Arcy-sur-Aube, l'un des courti-
sans de Henri III et le chef du conseil de ses mignons2.
Ce don du roi et le mariage qui en avait été le prix
excitèrent la verve des railleurs3. Gombaut, « avec sa
« gravité naturelle4, » resta impassible devant les
satires. En 1583, il devint chevalier du Saint-Esprit
et premier maître d'hôtel du roi ; sa femme, dame
d'atour de la reine Louise de Lorraine. Ils furent chas-
sés de la cour le 3 septembre 15885.
Orens à Auch, évèque de Lectoure, archevêque de Rouen, abbé
de Marmoutiers, etc. Il mourut en 1610. Nous reviendrons sur le
compte de ce personnage.
1. Brantôme, t. X, p. 428 et suiv.
2. Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzév., p. 141.
3. Rasse des Nœuds a recueilli le sixain suivant (f. fr., vol. 22665,
f. 55), qui a depuis été publié par M. Lalanne (Brantôme, t. X,
p. 405) :
Pour espouser Rouet, avoir un évesché,
N'est-ce pas à Gombault sacrilège pesché,
Dont le peuple en murmure et l'esglise en souspire.
Mais quand de Cornouaille on vient dire le nom,
Digne du mariage on estime le don
Et, au lieu d'en plorer, chacun n'en fait que rire.
4. Mot de Marguerite (Mémoires, édit. elzév., p. 142).
5. Mémoires de Cheverny, coll. Petitot, p. 11 i et note.
376 ANTOINE DE BOURBON
La politique d'Antoine de Bourbon, son ambition
aveugle méritent de graves reproches. Jamais il ne
sut reconnaître que l'Espagne ne pouvait ni ne vou-
lait rien faire pour lui et il sacrifia tout à la dédai-
gneuse alliance de Philippe II. Sa crédulité était un
objet de risée pour ses propres serviteurs. Presque
à sa dernière heure, il entretenait son médecin des
fertiles vallées de la Sardaigne, de la richesse des
habitants, des bois d'orangers qui couvraient les
montagnes l. Le lendemain même de sa mort, Antonio
d'Almeida arriva à la cour2, porteur de mauvaises nou-
velles. « Le Portugais est revenu d'Espagne, écrit le
« nonce, et je crois, suivant ce que j'ai vu des résolu-
« tions qu'il en apporte, que ça a été un grand bonheur
« qu'il ait trouvé le roi de Navarre mort, parce que,
« n'y ayant point de conclusion, mais, au contraire,
« l'ambassadeur de France qui réside en ce pays-là
« ayant écrit qu'il ne pouvait pas l'obtenir, je me
« figure que ce refus aurait causé quelque grand chan-
« gement, puisqu'il y avait déjà beaucoup de dispo-
« sition pour cela3. »
Au commencement de novembre, Antoine de Bour-
bon avait envoyé François d'Escars à Madrid4. D'Escars
se retarda en Guyenne et reçut à Bordeaux la nouvelle
de la mort de son maître5. Catherine se hâta de clore la
1. Mémoires de Condé, t. IV, p. 116.
2. Lettre autographe de François d'Escars an roi d'Espagne,
du 1er janvier 1503 (Arch. nat., K. 1500, n° 31).
3. Lettre de Sainte-Croix, dans les Archives curieuses, t. VI,
1». 115.
4. Lettre de Ghantonay, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 104.
5. Lettre de d'Escars à la reine, du 3 décembre 1562 (Orig.;
f. fr., vol. 15877, f. 433).
ET JEANNE D'ALBRET. 377
comédie des négociations espagnoles. Elle commanda à
d'Escars de rester à Bordeaux et prétexta que le roi de
Navarre lui-même, avant de rendre le dernier soupir,
avait ordonné l'ajournement de l'ambassade1. Ainsi se
terminèrent les négociations que Henri d'Albret et
Antoine de Bourbon avaient engagées après la dépos-
session de 1512 et poursuivies malgré les événements,
quelquefois même au prix de leur honneur de princes
français. D'Escars seul en tira quelques avantages. Il
reçut d'importantes charges en Guyenne, et, en com-
pensation de ses dépenses, un don du roi provenant
de la vente d'un office de maître des requêtes2. D'Al-
meida fut moins heureux. Il n'obtint même pas la con-
firmation des pensions que le roi de Navarre lui avait
payées pendant sa vie et fut réduit à accepter, pour
mériter ses gages, de nouvelles missions en Espagne3.
La mort du roi de Navarre apporta peu de change-
ment aux affaires de l'État. Irrésolu, chimérique,
prompt à subordonner à de mesquines considérations
les impérieux devoirs de sa dignité de lieutenant géné-
ral, il n'exerçait en dehors des champs de bataille qu'un
pouvoir secondaire ; la reine mère avait appris à le
maîtriser sans le heurter de front4. Elle ne le regretta
guère et n'avait aucun motif de le regretter. Ne lui
avait-il pas disputé la régence et imposé les conseils de
Philippe II? Elle feignit une grande douleur5; mais, dit
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 436.
2. Acte du 18 décembre 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 15877,
f. 423.
3. Lettre de d'Escars à Philippe II, du 1er janvier (Autog.; Arch.
bat., K. 1500, ir 31).
4. Mémoires de Tavannes, coll. Petitot, p. 376.
5. Mémoires de Claude Haton, t. I, p. 291.
378 ANTOINE DE BOURBON
Le Laboureur1, « c'estoit assez, pour ne lui donner que
« de fausses larmes, que ce roy luy en eût tiré de véri-
« tables quand il la ramena de Fontainebleau à Paris2. »
Le roi, par une circulaire pompeuse, informa tous ses
officiers que « il avoit plu à Dieu appeler à sa part son
« oncle le roy de Navarre, » et commanda à tout capi-
taine, lieutenant ou gouverneur, de n'obéir qu'à lui-
même ou à sa mère3. La cour de France prit le deuil,
un deuil d'étiquette, qui n'ajoutait rien aux faibles
regrets que le lieutenant général laissait après lui4.
Pie IV et le cardinal Borromée adressèrent leurs con-
doléances à la reine de France5. La mort du prince fut
communiquée officiellement au duc d'Albuquerque par
un des secrétaires de Jeanne d'Albret. Voici la lettre
du duc au roi d'Espagne : « J'ai reçu ce matin la
« visite d'un secrétaire de madame de Vendôme,
« nommé Colon, envoyé par elle pour faire part à
« Votre Majesté, par mon intermédiaire, de la mort de
« son mari et de son vif désir de servir Votre Majesté
« et de posséder votre amitié. Il est reparti cette après-
« midi en grande hâte, parce que, d'après ce que je
« crois, sa maîtresse a beaucoup plus de crainte qu'il
« ne dit et que nulle part elle ne se sent en sûreté6. »
1. Mémoires de Castelnau, 1731, t. I, p. 845.
2. Voyez ci-dessus.
3. Lettre de Charles IX au s. de Mailly, du 18 nov. 1562 (Orig.;
f. fr., vol. 20434, f. 50).
4. Etienne Pasquier constate dans ses lettres combien le prince
(Hait peu regretté (Lettres dans les OEuvres complètes, in-fol.,
t. II, col. 101 et 102).
5. Ces deux lettres, datées du 7 décembre, sont imprimées,
l'une dans les Annal. Raynaldi, t. XXI, ann. 1502, n" 171 ; l'autre
dans Gallia purpurala de Frizon, p. 616.
il. Lettre du i\wr d'Albuquerque à Philippe 11, du 9 novembre
ET JEANNE D'ALBRET. 379
Le roi et la reine d'Espagne prirent le deuil pour
quatre jours4. Les recueils du temps contiennent six
lettres de condoléance adressées à la reine de Navarre
par le prince et la princesse de Condé, le comte et la
comtesse de la Rochelbucault, le prince de Melphe et
Adam Fumée2. Calvin à son tour écrivit à Jeanne
d'Albret le 2!0 janvier suivant3.
Les historiens du temps sont unanimes dans leurs
jugements sur le caractère du roi de Navarre. Us
rappellent sa légèreté incurable, l'aveuglement de sa
politique, son inconstance « plus par foiblesse de cer-
« velle que de cœur * ; » tous lui pardonnent ses défauts
en faveur des qualités de son fils. « C'est perdre temps,
« dit Mathieu, que de chercher autre témoignage de
« ce qu'il estoit à la France que son propre sang5. »
Ce jugement sera sans doute le dernier jugement de
l'histoire : « Quand en son temps, dit Brantôme, il
« n'auroit fait autres belles choses que d'avoir faict
« et procréé nostre grand roy d'aujourd'hui, Henri IV,
« à qui la France doit tout son bonheur, il a fait beau-
ce coup et est digne de très grandes et incomparables
« louanges6. »
1562 (Orig. espagnol; Arch. de la secrétairerie d'État d'Espagne,
Navarre, fllza 358, f. 52).
1. Lettre de Saint-Suplice à la reine mère, du 17 décembre
1562 (f. fr.; vol. 3161, f. 76 V).
2. Ces lettres, datées des 21, 22, 25, 26 et 27 novembre, sont
imprimées dans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 123.
3. Lettres françaises de Calvin, t. II, p. 188.
4. D'Aubigné, Hist. univ., 1626, t. I, col. 221.
5. P. Mathieu, Hist. de France, in-fol., t. I, p. 203.
6. Brantôme, t. IV, p. 372.
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
I.
Lettre de Chantonay, ambassadeur d'Espagne, à Philippe II,
Poissy, 8 janvier 4 562. — Bonnes intentions du duc de Ven-
dôme pour le parti catholique. — Il parait satisfait de la réponse
apportée de Madrid par le seigneur d'Auzance. — Ses conseil-
lers les plus habituels sont François d'Escars et Philippe de
Lenoncourt, évêque d Auxerre. — La reine mère est encore
troublée de la tentative d'enlèvement du duc d'Orléans par le
duc de Nemours. — Elle a près d'elle pour conseillers l'amiral
de Coligny et le cardinal de Chastillon. — Chantonay estime
que la culpabilité du duc de Nemours n'est pas aussi démontrée
qu'on veut le faire croire et que, d'ailleurs, l'affaire n'est pas
aussi grave qu'on le dit. — Le duc de Vendôme y attache cepen-
dant une grande importance. — Il a promis à l'ambassadeur
d'Espagne qu'il chasserait bientôt sa femme de la cour. (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 4497, n° 4.)
Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, iS janvier \ ->ii2.
— Le seigneur d'Auzance est parti de Madrid. — Le roi d'Es-
pagne désapprouve les voyages que fait le prince de Condé avec
une escorte armée. — Il félicite le duc de Vendôme du choix de
ses nouveaux conseillers. — Il approuve l'opposition de Chan-
382 ANTOINE DE BOURBON
tonay à rassemblée de Saint-Germain. — Il regrette l'éducation
anti-catholique que la reine fait donner au roi ainsi qu'au duc
d'Anjou et conseille à Ghan tonay de protester auprès du duc de
Vendôme. — Le roi regrette que le seigneur de Cypierre ait été
renvoyé d'auprès le roi de France. (Orig. espagnol; Arch. nat.,
K. 1496, n°34.)
Lettre du duc d'Albeà Chantonay, Madrid, \ 8 janvier 4562.
— Même sujet que la lettre du roi d'Espagne précédemment
analysée. — Le duc d'Albe insiste en outre sur l'impossibilité
de donner au duc de Vendôme File de Sardaigne et sur les avan-
tages du don de la Tunisie. — En qualité de roi de Tunis, Ven-
dôme sera tributaire du roi d'Espagne. — Philippe II agit à
titre de libéralité et non pas de compensation. — La générosité
du roi d'Espagne est soumise à une condition résolutoire, celle
de la protection que le duc de Vendôme s'est engagé à donner
au parti catholique. — Sur ces bases le duc de Vendôme peut
envoyer un plénipotentiaire à Madrid. (Orig. espagnol ; Arch.
nat., K. 1496, n° 35.)
Précis des points sur lesquels Sébastien de PAubespine,
évoque de Limoges, ambassadeur de France à Madrid, a demandé
qu'il lui soit répondu par la chancellerie espagnole, sans date
[vers le \ 8 janvier \ 562) . — Pièce relative aux négociations du
roi de Navarre en Espagne et compte-rendu des efforts poursuivis
par l'ambassadeur de France, en faveur du prince, auprès de
Philippe II. (Résumé de chancellerie en espagnol; Arch. nat.,
K. U96, n0 34.)
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid,
20 janvier 1564 (1562). — Récit d'une audience donnée par le
roi d'Espagne à l'ambassadeur de France. — Philippe II feint
d'ignorer l'objet des revendications du prince, mais il se montre
très généreux en paroles el très abondant en promesses. (Copie
du temps; f. fr., vol. 16103, f. 139.)
Pouvoir expédié par le roi et par la reine de Navarre à Louis
d'Albret, évèque de Lcscar, et à Arnaud de Saint-Geniez, sei-
gneur d'Audos, pour commander en Béarn. (Copie du temps;
coll. Dupuy, vol. 153, f. 73.)
ET JEANNE d'aLBRET. 383
Lettre du duc d'Albe au duc de Vendôme, adressée « à mon-
sieur le roy, prince de Béarn, » Madrid, 23 janvier 4 564 (4 562).
— Lettre de salutation et réponse à une lettre précédente; pro-
testation nouvelle d'amitié. (Minute en français accompagnée
d'une copie en espagnol; Arch. nat., K. -1496, n° 36.)
Lettre du duc d'Albe à Chantonay, Madrid, 23 janvier 4 562.
— Satisfaction du roi d'Espagne de la négociation suivie avec
le duc de Vendôme et approbation de la nouvelle politique de ce
prince, ainsi que de l'expulsion de la cour de Jeanne cTAlbret.
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4496, n° 34).
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 23 janvier 4 562.
— Récit détaillé de l'assemblée de Saint-Germain. — Elle a
duré jusqu'au 48 du mois. — Analyse du discours de l'évéque
de Valence. — Habile modération du chancelier. — Le duc de
Vendôme a parlé en faveur des catholiques. — Résolutions
prises par rassemblée de Saint-Germain. — Concile de Trente.
— Le duc de Vendôme a envoyé à l'ambassadeur d'Espagne
François d'Escars, pour lui faire part de ses bonnes intentions.
— De l'édit prochain ; Chantonay doute de son orthodoxie. —
D'Escars assure que la reine et que le duc de Vendôme ont
donné toute leur confiance au cardinal deTournon et au conné-
table de Montmorency. — L'amiral de Coligny et le cardinal de
Châtillon ne sont plus en crédit. — Vendôme promet de les
chasser de la cour. — Il faudra aussi chasser la dame de Crus-
sol. — Le connétable est en hostilité déclarée avec ses neveux
de Chastillon et regrette de les avoir protégés jusque-là. —
Le cardinal de Ferrare, légat, a pu obtenir ses lettres. —
Touchant ie mariage projeté entre le duc d'Orléans et la fdle de
Vendôme ; elle aura en dot les biens que Vendôme possède dans
les Pays-Bas. — Vendôme est à la veille d'écrire au roi d'Es-
pagne. (Orig. espagnol-, Arch. nat., K. 4 497, n° 6.)
Lettre de Sébastien de PAubespine au roi de Navarre, Madrid,
27 janvier 4 564 (4 562). — Mauvaises dispositions du roi d'Es-
pagne et de ses ministres parce qu'ils s'imaginent que les
agents du roi de Navarre ont voulu exciter contre eux les sujets
de Catalogne. (Copie du temps-, f. fr., vol. 46403, f. 453.)
384 ANTOINE DE BOURBON
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 30 janvier 1562.
— Jugement de Ghantonay sur l'édil de janvier. — La reine est
surprise de l'opposition que l'ambassadeur d'Espagne fait à cet
acte. — Le chancelier est plus coupable qu'aucun autre conseil-
ler de la reine de la promulgation de l'édit. — Vendôme
annonce de bonnes intentions. — Ghantonay conseille à son
maître de ne pas écrire à Vendôme qu'il désapprouve cet édit
pour ne pas le décourager. — Vendôme, bon catholique, va
chaque jour à la messe. — Sa déclaration au Parlement dans
le sens catholique. — Il ne veut pas que sa femme aille au
prêche. — Il presse le Parlement d'enregistrer l'édit. — Retour
sur le tumulte de Saint-Médard. — Conversation de l'ambassa-
deur avec François d'Escars au sujet de la part de Vendôme
dans Ledit de janvier. — Demande d'explications au sujet du
voyage de Rambouillet en Allemagne. — Conseils d'écarter de
la cour les Chastillon et Jeanne d'Albret. — Popularité de Ven-
dôme dans les rangs du parti catholique. — Curieuse altercation
de la reine avec Vendôme au sujet des correspondances que la
reine lui dissimule. — Altercation de la reine avec le connétable,
à la suite de laquelle, le 2(5 de ce mois, le connétable s'est retiré
à Chantilly. — L'état de santé du prince de La Roche-sur- Yon
ne lui permet pas d'entrer dans la chambre du roi. — Charges
qu'ambitionne l'évèque de Valence. — Aveuglement de la reine
pour l'amiral. — Il est question de l'investir de la charge de
lieutenant général de la reine comme Vendôme est lieutenant
général du roi. — Vendôme, mécontent de la reine, se dit malade
et ne sort pas de sa chambre. — Il jure qu'il n'est pas coupable
du départ du connétable. — Services qu'il rend à la religion.
— L'ambassadeur est décidé à lui conseiller de reprocher à la
reine l'appui qu'elle prête aux Chastillon et à l'évèque de
Valence. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1-597, n° 7.)
Lettre de L'Aubespinc à la reine, Madrid, .'îl janvier 1562.
— Le roi d'Espagne ne consentira jamais à donner la Sardaigne
au roi de Navarre, parce qu'elle sert de liaison entre la Sicile,
Naples et l'Espagne, et parce qu'elle appartient à la couronne
d'Aragon, qui n'en permettra jamais l'aliénation. (Copie du
temps; f. fr., vol. 16103, f. 156.)
ET JEANNE d'aLBRET. 385
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 3 février 4562.
— Récit d'une entrevue de l'ambassadeur d'Espagne avec le duc
de Vendôme. — Chantonay lui a conseillé de compléter sa con-
version et de renvoyer sa femme. — Il Fa félicité de lui avoir
défendu les prêches. — Requête du prévôt des marchands
contre l'édit de janvier. — Vendôme fera partir sa femme le 8
ou le 9 de ce mois. — Le cardinal de, Bourbon et le maréchal
de Saint- André assistaient à l'entretien. — Détails rétrospectifs
sur le départ du connétable. — Le nouveau colloque ne sera
qu'un amusement. — Prochain départ des Chastillon. —
L'amiral est résigné à se retirer volontairement. — Renvoi
de Mme de Crussol et de l'évèque de Valence. — Méfiance à
garder de la politique de la reine mère. — Satisfaction de
Vendôme des lettres écrites par Sébastien de l'Aubespine. —
On dit la reine jalouse de l'alliance de Vendôme avec le roi
d'Espagne. — Effort de l'ambassadeur pour prévenir les mau-
vais effets de cette jalousie. — Chantonay félicite la reine mère
d'avoir interdit les prêches. — Conférence entre Vendôme, le
légat et l'ambassadeur d'Espagne pour empêcher les prêches de
la reine de Navarre; la conversation est écoutée et rapportée
par les Chastillon. — Catherine et ses dames d'honneur. —
Nécessité de satisfaire le duc de Vendôme quant à ses revendi-
cations, sans quoi la religion catholique est perdue en France.
(Orig. espagnol; Arch. nat., R. 1497, n° 8.)
Lettre du duc d'Albe à Chantonay, Madrid, 5 février 4562.
— Touchant l'entrevue projetée entre Philippe II et la reine
mère. — Prétentions du roi de Navarre sur l'île de Sardaigne.
— Le duc proteste que Philippe II n'a jamais poursuivi la
dépossession de la reine mère au profit du roi de Navarre.
(Orig.; Arch. nat., K. 1496, n° 40.)
Ordonnance de Charles IX portant défense à ses sujets de
faire passer en Espagne et en Portugal aucuns livres suspects
d'hérésie. (Copie; Saint-Germain, \ 0 février \ 564 (1562). Coll.
Brienne, vol. 205, f. 249.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, M février 1562.
— Lettre très développée dans laquelle l'ambassadeur espagnol
iy 25
386 ANTOINE DE BOURBON
raconte dans le plus grand détail la négociation dont il a été
chargé par Philippe II, pour faire accepter au roi de Navarre la
Tunisie en place de la Sardaigne. — Le duc de Vendôme
revient au catholicisme avec décision. — Expulsion des Chas-
tillon de la cour. (Orig.; Arch. nat., K. -1497, n° 9.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 44 février 4302.
— Le duc de Vendôme a exigé le départ des Ghastillon. —
Mécontentement de la reine. — Elle exige que Saint-André, le
connétable et les Guise partent pour leur gouvernement. —
Dénonciation de la reine contre l'ambassadeur d'Espagne. —
Chantonay a observé à Vendôme qu'il était inutile d'envoyer
Almeida k Madrid avant le départ des Ghastillon. — Violents
démêlés du roi de Navarre avec Jeanne d'Albret. — La conduite
de la reine mécontente tous les catholiques et les jette dans le
parti de Vendôme. — Jalousie qu'elle ressent de la popularité
de Vendôme. (Orig.; Arch. nat., K. -1497, n° -10.)
II.
Lettredu cardinal de Lorraineau baron de Polweiler, Saveme,
18 février 4562. — Compte-rendu abrégé de Tcntrevue de
Saverne. — Nouvelles de France. — Contributions de l'évêché
de Metz. (Copie du temps; Arch. nat., K. 4496, n° 43.)
Lettre du baron de Polweiler au cardinal Granvelle, Saverne,
22 février 1562. — Envoi de la pièce suivante. (Copie du temps;
Arch. nat., K. 1496, n° 43.)
Rapport du sieur Fournery, agent du baron de Polweiler, sur
l'entrevue de Saverne, s. I. n. d. — Rapport très circonstancié
que nous avons utilisé dans la première partie du chapitre xvi.
Ce rapport l'ut communiqué par Granvelle à Philippe II d'après
une traduction espagnole qui est jointe à la copie française.
(Copie du temps-, Arch. nat., K. 4496, n° 39.)
III.
Lettre de Sébastien de l'Aubcspine au roi de Navarre, Madrid,
16 février 1564 (4562). — Le mécontentemenl que le roid'Es-
ET JEANNE DALBRET. 387
pagne éprouvait de la politique de la cour de France commence
à se calmer. — La chancellerie espagnole attend le retour de
d'Almeida. — Bonnes dispositions du roi catholique. — On se
plaint ici que les Espagnols qui traversent la Guienne et le Lan-
guedoc sont trop souvent molestés. (Copie du temps ; f. fr.,
vol. 46403, f. 468 v°.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 23 février 1562.
— La reine, accompagnée de Vendôme, de Jeanne d'Albret et
de la dame de Grussol, est allée à Paris pour faire enregistrer
Tédit de janvier. — Pourquoi le chancelier a refusé de l'accom-
pagner. — Démonstrations catholiques de la reine et du duc de
Vendôme. — Visite des Chastillon à la reine. — Promenade de
la reine avec Jeanne d'Albret à travers la ville. — Le 24 , la cour
est retournée à Saint-Germain. — Le cardinal de Chastillon,
l'évêque de Valence et la dame de Crussol sont allés au prêche.
— Audience de la reine du 22 février. — Négociation tou-
chant l'entrevue que la reine propose au roi d'Espagne. —
La reine voudrait que l'entrevue eût lieu au mois de mai. —
Vendôme voudrait retarder l'époque. — Jalousie de la reine
contre Vendôme. Utilité de le contenter. — Vendôme a promis
de conduire, malgré sa femme, leur fils à la messe. — Il lui a
donné un gouverneur catholique, le seigneur de Losses. (Orig.
espagnol; Arch. nal., K. 4497, n° 4 4.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 25 février 4562.
— Vendôme est allé se plaindre à la reine qu'elle ait convoqué
le maréchal Saint-André à la cour pour lui signifier l'ordre de
rentrer dans son gouvernement, qu'ainsi elle entrave ses négo-
ciations avec le roi d'Espagne en chassant, contre l'avis de ce
prince, les catholiques de la cour. — La reine répond que la
règle de faire partir les gouverneurs est générale. — Vive et im-
pertinente réplique de Vendôme. — Récriminations réciproques.
— En se retirant, Vendôme emmène son frère et envoie, un
messager au maréchal Saint- André. (Orig. espagnol; Arch.
nat., K. 4497, n° 4 2.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 28 février 4562.
— Touchant la retraite des Chastillon. — Vendôme proteste de
son dévouement pour le roi d'Espagne. — Récit d'une confé-
388 ANTOINE DE BOURBON
rence de l'ambassadeur avec la reine. — La reine ne veut pas
permettre à Vendôme de traiter avec le roi d'Espagne à son insu.
— Récit des adieux de Coligny à Vendôme et de sa retraite de
la cour. — Chantonay félicite Vendôme du départ de Coligny.
— Relations secrètes de Coligny avec les mécontents des Pays-
Bas. — Touchant la prochaine entrevue des deux cours de
France et d'Espagne. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4497,
n° 43.)
Lettres de Sébastien de l'Aubespine à la reine et au roi de
Navarre, Madrid, 9 mars 4564 (4562). — Il s'est plaint aux
ministres de Philippe II de leur réponse évasive au roi de
Navarre. — Le duc d'Albe et le prince d'Eboli lui ont dit qu'il
ne saurait être question de donner la Sardaigne au roi de
Navarre, malgré toutes les promesses que Chantonay a pu faire
à Paris. — L'Aubespine regarde comme un leurre la promesse
de Philippe 11 de dédommager le roi de Navarre. (Copie du
temps; f. fr., vol. 40103, f. 484, 487, 489 et 494.)
Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II, Pampelune,
4er mars 4 502. — Bruit du désaccord de la reine mère et du duc
de Vendôme. — Projet belliqueux de ce prince et ses préparatifs
de guerre. (Copies; Arch. de la secrétairerie d'État d'Espagne:
Navarre, leg. 358, f. 52.)
IV.
Lkttre du Roi de Navarre au (Parlement?).
Paris, 22 mars 1561 (1562).
Explication de son arrivée à Paris.
Messieurs, pay receu les lettres que m'avez e scriptes et vous
remercie des nouvelles que m'avez mandées. Quant est des
nostres, vous en entendrez bien amplement du s. de Gonnord
présent porteur. Toutcsfoys je vous diray que ma venue par
deçà estoyt bien nécessaire pour le désordre que j'y ay trouvé,
tel que si on n'y eust pourveu de bonne heure toutes choses
ET JEANNE D'ALBRET. 389
tumboyent en bien grand danger. Nous sommes en voye de les
restablir en bon estât, ainsy que le s. de Gonnord pourra tes-
moigner. Sur lequel me remectant je ne vous en feray la pré-
sente plus longue, à laquelle je meltray fin, en priant Dieu,
Messieurs, vous avoir en sa sainte garde.
Escript à Paris, ce xxn mars \ 56 i .
Vostre bien bon amy,
Antoine.
Messieurs je vous bayse les mains. Mons. de Gonnord me
(coupée par le relieur) tant que je ne vous en diray aultre chose.
(Orig.; f. fr., vol. 3241, f. 2.)
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid,
25 mars 1 56-i (-1562). — Il serait utile de signifier officielle-
ment à l'ambassadeur d'Espagne le sujet des revendications du
roi de Navarre. — L'Aubespine laisse entrevoir qu'il a peur que
le prince ne puisse rien obtenir. — Il recommande d'autant
plus l'observation des formes régulières, comme pour mettre le
droit de son côté. (Copie du temps-, f. fr., vol. 4 6103, f. 204.)
Lettre de Philippe II à Ghantonay, Monastère de Guitando,
30 mars 4 562. — Touchant les relations secrètes que la reine
soupçonne entre Philippe II et le roi de Navarre. — Le roi
d'Espagne commande à Chantonay de dissiper les soupçons de
la reine. — Prochaine entrevue des deux cours. — Philippe II
ne veut y voir que des gens d'opinion orthodoxe. — Satisfac-
tion que lui fait éprouver la conversion de Vendôme. — Il veut
que le prince de Béarn soit élevé dans la religion catholique.
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4490, n° 52.)
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre,
Madrid, 3 avril 4 562. — Envoi d'un messager spécial pour
connaître la vérité au sujet des affaires d'Allemagne, dont la
chancellerie espagnole rend le roi de Navarre responsable.
(Copie du temps-, f. fr., vol. 4 (H 03, f. 213.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Paris, 4 avril 4 502. —
Le duc de Vrendôme, le duc de Guise et le connétable se sont
390 ANTOINE DE BOURBON
rendus à Fontainebleau pour ramener le roi. — Gondé demande
que le duc de Guise dépose les armes et se retire de la cour ;
à ce prix il rendra la ville d'Orléans. — Vendôme et Guise
avaient ordonné au sieur d'Estrées de s'emparer d'Orléans. —
La reine a fait appeler le duc de Nemours. — 11 faut prévoir
que les armements cachent un coup de main sur la frontière
de Navarre. (Résumé de chancellerie en espagnol; Arch. nat.,
K. -1496, n°54.)
Mémoire du prince de Condé au roi d'Espagne pour justifier
sa prise d'armes; il prétend qu'il agit d'après les instructions
de la reine et pour délivrer le roi de sa captivité. (Copie du
temps -, longue pièce de vingt-deux pages, sans date (avril \ 502) ;
Arch. nat., K. -1500, n° 27; le prince envoya des mémoires
analogues à tous les souverains.)
VI.
Lettre du roi de Navarre au comte de Tende, avril 156-1 [\ 562) .
— Renvoi à la lettre que le roi et la reine lui ont écrite ce même
jour. — Ordre d'entretenir la paix autant qu'il sera possible.
— Anathèmes contre les séditieux qui troublent le repos public.
(Minute; coll. Dupuy, vol. 588, f. 83.)
Lettre du roi de Navarre au sieur de Humières, gouverneur
de Péronnc, Melun, 4 avril -1562. — Confirmation des ordres
du roi. — Demande de nouvelles fréquentes. — Recomman-
dation de veiller à la paix publique. (Orig.; f. fr., vol. 3-187,
f. -10.)
Lettre du roi de Navarre au sieur Coignet, ambassadeur de
Suisse, Paris, 8 avril 1502. — Touchant une levée de merce-
naires suisses, autorisée au profit du roi par la ligue helvétique.
— Recommandation de presser l'envoi du secours. (Copie du
temps; f. fr., vol. -17981, f. 70.)
VII.
Lettre du prince de Condé à la reine mère, \\ avril I5f>2. —
Longue protestation d'obéissance et envoi d'un mémoire justi-
ficatif. (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 373.)
ET JEANNE D'ALBRET. 391
Instruction du prince de Condé au s. de Téligny envoyé au
duc de Savoie, Orléans, 4 4 avril 4562. — Mémoire justificatif
destiné à excuser la prise d'Orléans et le soulèvement des hugue-
nots. (Copie du temps; f. fr., vol. 40490, f. 4 54 v°.)
Lettre de Goligny à la reine mère, s. I. n. d. (après le
4 2 avril 4 362). — L'amiral se plaint à la reine du massacre de
Sens. — Il accuse les catholiques de ne demander le désarme-
ment des réformés que pour les massacrer impunément. —
Longues protestations pacifiques. (Copie; coll. Brienne, vol. 205,
f. 498.)
Lettre de L'Àuhespine au roi de Navarre, Madrid, 4 5 avril
4 562. — L'ambassadeur informe le prince et la reine qu'il a
présenté la demande du roi de Navarre au roi catholique, avec
insistance, et qu'il attend sa réponse. (Copie du temps; f. fr.,
vol. 4 64 03, f. 223 vo.)
VIII.
Lettre dd roi de Navarre a Sébastien de l'Aubbspine,
ambassadeur a madrid.
Paris, 10 avril 156?.
Négociations avec le roi d'Espagne. — Nouvelles de France.
Monsieur de Limoges, par ce porteur j'ay receu voz lettres
et ne scaurois assez vous dire combien je suis tenu à vous du
soing que vous tenez en mon affaire, auquel l'arrivée d'Almede
par delà vous pourra faire veoir plus clair. Et toutesfois, pour
la congnoissance que je scay que vous avez des humeurs et
façons des hommes du pais, n'en veulx-je riens ou peu espérer
que ce que le temps ou les effecls m'en feront congnoistre.
Quant aux affaires de deçà, vous scaurez par les lettres de la
royne et de ce porteur comme ilz vont ; qui est beaucoup pis
que je ne vouldrois, non sans mon très grand regret. Mais
j'espère que Dieu donnera la grâce aux bons serviteurs du roy
d'assister si utillement la bonne intention de la royne que sa
Majesté sera obéy et sa couronne maintenue en la dignité et
392 ANTOINE DE BOURBON
grandeur accoustumée, dont je ne vous diray riens davantage.
Seullement vous prieray ne vous lasser de vous emploier en
mond. affaire selon le bon commancement que vous y avez
donné, à ce que, avant nostre partementde là, j'en puisse veoir
la fin. Priant Dieu, monsieur de Limoges, vous avoir en sa
garde.
Escript à Paris, ce xe jour d'avril 4 502.
Vostre bien bon amy,
Antoine.
(Original; f. fr., vol. 6606, f. 2.)
IX.
Lettre du rol de Navarre au s. d'Humières, gouverneur
de péronne.
Paris, 15 avril 1562.
Morl du cap. de Bavas. — Ordre d'en faire justice. — Recommandation
de faire bonne garde.
Mons. de Humières, j'ay esté bien marry d'entendre la mort
du feu cappitaine baron de Bavas, et, puisque la chose est ainsi
advenue, vous ne scauriez pas mieulx faire que de sercher tous
les moyens qu'il sera possible de faire prendre ceulx qui l'ont
tué et principalement le varlet qui a tiré le coup de pistolet pour
estre acte qui mérite une bien roide punition.
J'ay veu ce que me mandez de vos voisins. Toutesfoys,
pourcc que, estans les troubles en ce royaume telz que l'on les
voyt, il est bien nécessaire d'avoir l'oeil plus ouvert que jamais
sur leurs actions. Je vous prie mectre peine d'en estre ordinai-
rement et véritablement adverty et vous donner plus de soing
de vostre place que vous ne feistes jamais, suivant ce que le
roy, mon seigneur, vous en a escript par deux de ses dépesches.
Et je voys prier Dieu, Mons. de Humières, qu'il vous ayt en sa
sainle garde.
Escript à Paris, le xve jour d'avril I'i<;2.
Vostre bon amy,
Antoine.
Orig.; f. fr., vol. 3187, f. 11.)
ET JEANNE D'ALBRET. 393
X.
Lettre de Marc Antoine Barbaro, ambassadeur de Venise, à
la république de Venise, Paris, 22 avril 1562. — Envoi de
Nicolas d'Angennes de Rambouillet en Espagne pour dissiper
les inquiétudes du roi calbolique au sujet des négociations de
la cour de France et spécialement du roi de Navarre en Alle-
magne. — Pourparlers du mariage de Marguerite de Valois avec
le roi de Portugal conduits à l'insu du roi de Navarre. (Copie
en italien; Bibl. nat.; Dépêches vénit., filza 4, f. 354.)
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid,
23 avril \ 562. — Inquiétude de la cour d'Espagne sur les nou-
velles de France. — Satisfaction du roi de l'assistance prêtée
par le roi de Navarre à la cause catholique. — Le bruit court
à Madrid que Philippe II serait décidé à donner au prince Avi-
gnon et ses dépendances et à indemniser le pape en Italie. —
Le plus difficile est de le décider au principe de l'indemnité.
(Copie du temps; f. fr., vol. -16103, f. 229 v°.)
Lettre du prince de Condé à la reine mère, Orléans, 24 avril
4562. — Suite de protestations pacifiques, mêlées d'anathémes
contre les Guises, sans conclusion. (Copie; coll. Brienne,
vol. 205, f. 399.)
XL
Lettre du roi de Navarre a MM. Coignet et Pasquier,
AMBASSADEURS EN SUISSE.
Paris, 26 avril 1562.
Envoi du secours obtenu de la ligue helvétique.
Messieurs, je vous fais ce petit mot de lettre en toute dili-
gence pour vous advertir que Madame de Parme, régente es
Pays-Bas pour le roy catholique des Espaignes, nous a accordé
que les Suysses que vous avez charge de lever pour le service
du roy, mon seigneur, passent par la Franche-Comté, ce que
vous ferez entendre aux cappitaines avec lesquelz vous accorde-
394 ANTOINE DE BOURBON
rez desd. levées, affin qu'ilz preignent se chemin-là et asseignenl
à leurs soldats le lieu de leur monstre première à Dijon; qui
sera de beaucoup acoursir leur chcmyn. Aussy regarderez-vous
de leur donner le moingtz de jours que vous pourrez pour se
rendre aud. Dijon, leur faisant user de la plus grande diligence
qu'il vous sera possible, de sorte que nous les puissions avoir
par deçà au plus lost que faire se pourra. Pryant Dieu, Mes-
sieurs, qu'il vous ayt en sa sainte garde.
Escript à Paris, le xxvie jour d'avril 4 51)2.
Vostre bon amy,
Antoine.
(Copie du temps; f. fr., vol. 17981, f. 70 v\)
XII.
Lettre du roi de Navarre à Biaise de Pardaillan, s. de la Mothe
Gondrin, lieutenant général en Dauphiné, Paris, 28 avril 4 562.
— Ordre de rassembler deux enseignes parmi les soldats de la
religion catholique. — Félicitations d'avoir fait échouer rentre-
prise des huguenots sur la ville de Valence. (Copie du temps;
Arch. mun. de Lyon-, AA. 24, n° 425.)
Lettre du roi de Navarre à MM. Coignet et Pasquier, ambas-
sadeurs en Suisse, Paris, 30 avril 4562. — Le roi de Navarre
et la reine mère n'ont pas oublié la provision d'argent nécessaire
pour la levée des Suisses. — Ordre de presser la marche de
cette troupe. — L'argent sera à Dijon aussitôt que les soldats.
(Copie du temps; f. fr., vol. 47981, f. 72 v°.)
Lettre du roi de Navarre au comte de Sommerive, Paris,
mai 45(i2. — Félicitations du bon ordre que le comte de Som-
merive a établi en Provence. — Le prince espère que les sédi-
tieux auront vidé le pays. — S'ils se sont retirés en Dauphiné,
ordre d'y marcher diligemment afin de se joindre aux s. de
Maugiron et de Suse. — Recommandations de s'entendre avec
eux et d'user de la plus grande diligence. (Minute; f. fr.,
vol. 45876, f. 64.)
Lettre du roi de Navarre au s. de Maugiron, lieutenant géné-
ral en Dauphiné, Paris, 3 mai 1562. — Regret de la mort du
ET JEANNE D'ALBRET. 395
seigneur de la Mothe Gondrin. — Le prince félicite Maugiron
d'avoir été désigné pour le remplacer. — Recommandations
d'user de zèle. (Orig.; Arch. mun. de Lyon, AA. 24, n° 12r>.)
XIII.
Lettre d'Antonio d'Almeida au roi de Navarre, Madrid,
5 mai 4 562. — Compte-rendu détaillé de sa mission à Madrid.
— Bonne réception du roi d'Espagne. — Conférence avec le duc
d'Albe et le prince d'Eboli. — Leur lenteur à se décider. — On
fait courir le bruit que le roi de Navarre a des intelligences avec
le prince de Condé. — Nouvelles de l'infant don Carlos. — Sa
maladie est une nouvelle cause de retard. — Plaintes et récri-
minations contre François d'Escars et Sébastien de l'Aubespine.
— Prières instantes deux fois répétées de brûler la présente
lettre. (Autographe espagnol-, Arch. des Basses - Pyrénées,
E. 585.)
Lettre du prince de Condé au roi de Navarre, Orléans,
8 mai 1562. — Le prince a reçu la lettre du roi de Navarre
portée par l'abbé Jehan de Laon. — Comme il allait y répondre,
il a vu la requête du triumvirat, « laquelle m'a tellement diverty
« de ma première délibération qu'il m'a esté impossible me
« résouldre à faire response à ce que leurs majestés et vous
« m'avez mandé par luy. » [Orig. 5 f. fr., vol. 6607, f. 20.)
XIV.
Lettre du roi de Navarre a Se'bastien de l'Aubespine,
ambassadeur a madrid.
Paris, 9 mai 1562.
Ordre d'employer tous moyens pour obtenir une réponse du roi d'Espagne.
Monsieur de Limoges, encores que j'aye assez congneu et
veu par les depesches ordinaires que vous faites et mesme par
les lettres que vous m'escripvez et à vostre frère, le soing et
atlèction que vous emploiez en ce qui touche mon affaire parti-
culier, et soys asseuré que, continuant ceste bonne volunté.
396 ANTOINE DE BOURBON
vous ne vous lasserez, tant que vous serez là, d'y faire tout ce
qu'il sera possible pour en avoir la bonne fin que j'en désire et
actendz, de laquelle je ne veulx ne puis désespérer; si esse que
envoyant ce courrier par delà pour l'occasion que vous verrez,
et ayant singulier désir de scavoir par où j'en dois passer, je
vous prie tant que je puis regarder d'emploier tous moiens pour
y veoir clair et en faire sortir ce qui s'en peult attendre. Vous
cognoissez les humeurs de ceulx qui y peuvent, scavez le devoir
que j'ay faict, et, si la raison et ma juste poursuite et longue
patience méritent quelque chose; qui me donne asseurance,
pour l'affection que vous avez à mon contentement et à ma
satisfaction, que vous ferez tout ce que vous pourrez pour
achever ce que vous avez bien commancé, et que, par Almeida,
que je vous prie faire retourner le plus tost qu'il sera possible,
j'en puisse avoir une fînalle résolution, que je vouldrois bien
eslre avant vostre partement; scachant que peu de gens m'y
peuvent faire plus de service. Priant Dieu, mons. de Limoges,
vous donner ce que désirez.
De Paris, le ix de may \ 5(52.
Vostre un et bon amy,
Antoine.
(Orig.; f. fi\, vol. G606, f. 3.)
XV.
Lettre du roi de Navarre au s. de Tavannes, lieutenant géné-
ral en Bourgogne, Paris, 4 0 mai -1 562. — Recommandations
de s'opposer au projet des séditieux et témoignage de confiance
dans le zèle du destinataire. (Orig.; f. fr., vol. 4632, f. 443.)
Lettre du roi de Navarre à la reine, Paris, mai 1562. —
Conseil de guerre tenu sur les événements. — Demande à la
reine de son avis. — Conseil de refuser a l'agent de l'ambassa-
deur d'Angleterre le passeport qu'il demande, attendu la suspi-
cion qui pèse sur sa mission. — Les rebelles d'Orléans ont fait
prisonnier l'évêque de Poitiers, frère du s. d'Escars. (Minute;
f. fr., vol. 4 5876, f. 60.)
Lettre de Sébastien de FAubespine à la reine. Madrid,
il mai 1562. — Hec.il détaillé de l'accident survenu à l'infant
ET JEANNE D'ALBRET. 397
don Carlos. — Cet événement a fait suspendre la décision du
roi catholique relativement au roi de Navarre. — Contentement
de Philippe II de la conversion de ce prince. (Copie du temps ;
f. fr., vol. 4 6403, f. 242.)
Lettre du prince de Condé à la reine, Orléans, 4 4 mai 1562.
— Le prince promet à la reine sur sa demande de garantir de
toute rapine le haras de Meung-sur-Loire, qui appartenait au
roi. (Orig.; f. fr., vol. 6607, f. 24.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Paris, 4 4 mai 4 562. —
Arrivée prochaine des lansquenets levés pour le compte du roi.
— Armements du duc d'Aumale en Normandie. — Nouvelles
de Gascogne. — Forces des rehelles. — Troupes royales ras-
semblées à Nevers et à Moulins. — Récit de la mission de lord
Sidney auprès de la reine. — Troisième mariage proposé par le
duc de Guise à la duchesse de Nevers malgré l'avis du duc de
Vendôme. — Violent démêlé du duc de Vendôme et du duc de
Guise. — Tergiversations politique et religieuse de la reine
mère. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 30.)
Lettre du roi de Navarre au s. de Maugiron, lieutenant géné-
ral en Dauphiné, Paris, 42 mai 4 562. — Lettre de créance en
faveur du s. de Suse, porteur d'une instruction du roi. (Orig.;
Arch. munie, de Lyon, AA. 24, n° 427.)
Instruction de Philippe II sur ce qui doit être écrit à Ghanto-
nay et au comte de Luna, Alcala, 4 5 mai 4 562. — Amélioration
de l'état de l'infant d'Espagne. — Le roi est près de répondre
aux communications du duc de Vendôme. — En réponse à la
mission du s. de Rambouillet, le roi d'Espagne promet de
secourir le roi de France contre les réformés. (Minute de chan-
cellerie en espagnol-, Arch. nat., K. 4496, n° 74.)
Lettre du roi de Navarre à la reine, Paris, 4 6 mai 4 562. —
Récit de la visite que Sidney a faite au roi de Navarre en com-
pagnie de l'ambassadeur d'Angleterre. — Le lieutenant général
lui a conseillé de se retirer en Angleterre sans passer par le
Havre. — Sidney se résigne à prendre un autre chemin avec
son train. (Minute; f. fr., vol. 45876, f. 58.)
398 ANTOINE DE BOURBON
Seconde lettre du roi de Navarre à la reine, Paris, 46 mai
1502. — Arrivée d'un messager du duc de Montpensier. —
Lettre de créance en faveur du messager, qui se rend auprès de
la reine. — Moyennant un petit sacrifice d'argent, le duc de
Montpensier restera maître des villes de son gouvernement.
(Orig.; Coll. d'autographes de M. Lacaille.)
Lettre du roi de Navarre au prévôt des marchands et aux
échevins de la ville de Paris, Paris, 46 mai 4562. — Mesures
à prendre pour constituer dans la ville une milice municipale.
(Copie; Reg. de l'ancien bureau de ville de Paris; Arch. nat.,
H. 4784.)
XVI.
Lettre du roi de Navarre a la reine.
Paris, 16 mai 1562.
Nouvelle d'Espagne. — Arrestation des dépêches de Madrid. — Arrivée
du comte de Roussillon. — Envoi d'un pouvoir à signer au profit de la
ville de Paris.
Madame, ceste après disner ce courrier m'est venu trouver
qui m'a fait entendre comme à Bloys, Moigneville avoit ouvert
tous ces paquetz, hormys ceulx qui s'addressoyent au roy et à
vous. Et de faict j'en ay veu quelques ungz et entre aultres
l'ung addressant à mons. de L'Auhespineet son frère, dans les-
quelz j'ay veu par une lettre sans suscription qui y estoit comme
il continue toujours en sa première opinion touchant mon faict.
D'Almeida m'en escript assez amplement, duquel je ne vous
envoie la despeche parce qu'est en espagnol, mais je vous en
diray la substance, qui est qu'il avoit tant faict qu'il s'attendoit
à estre despeche dans ung jour ou deux lorsque ce courrier est
party, et esperoit que sa despeche seroit bonne. J'attendray ce
qu'il ploira à Dieu m'en envoyer. Cependant je vous diray que
ce seigneur de Moigneville est bien privé et qu'il me semble,
plus l'on va en avant, et plus il vous donne occasion de ne vous
contenter de ses départements.
Au demeurant, Madame, le comte Roussillon est arrivé
comme je vous faisois ceste lettre, par lequel j'ay entendu
ET JEANNE DALBRET. 399
comme vous estes devenu bon cappitayne, dont je loue Dieu.
J'ay veu aussi ce que vous m'avez envoyé par luy, qui vous est
venu de Metz et de Ghampaigne, à quoy nous regarderons de
prendre une bonne résolution pour vous en donner incontinent
advis. Cependant je vous envoyé une chose que ceulx de la ville
m'ont baillée pour une commission, qu'ilz demandent affïn de
pouvoir icy assembler une forme de militie et faire des chefs et
des cappitaines entre eulx. Il fault que le roy donne par une
patente ce pouvoir aux premiers des marchands et eschevins,
affin qu'ils ordonnent les cappitaines entre eux. Vous suppliant
très humblement, Madame, vouloir commander que les lettres
leur en soient expédiées et me les envoyer pour les leur bailler.
Qui est tout ce que je vous diray pour asteure. Priant Dieu,
Madame, après m'estre très humblement recommandé à vostre
bonne grâce, qu'il vous donne longue et heureuse vie.
De Paris, ce xvie jour de may 4562.
Vostre très humble et très obéissant frère et subject,
Antoine.
(Orig.; f. fr., vol. 660G, f. 10. - Minute; f. fr., vol. 15876, f. 59.)
XVII.
Lettre de François Hotmann au landgrave Philippe de Hesse,
Orléans, M mai J562. — Récit des préparatifs du prince de
Condé pour soutenir la guerre. (Copie latine; f. fr., vol. 10190,
f. m.)
Lettre du secrétaire d'État Bourdin au roi de Navarre, Mon-
ceaux, M mai -1362. — Récit détaillé d'une indisposition de la
reine. (Orig.; f. fr., vol. 4 5876, f. 03.)
Lettre du prince de Condé à maître Aubrech, marchand de
Lyon, Orléans, \ s mai I 562. — Prière de lui prêter \ 00,000 écus.
(Copie du temps; f. fr., vol. 4 0190, f. 163 v°.)
Lettre du prince de Condé au baron des Adrets, Orléans,
In mai 13112. — Ordre de se garder des surprises. — Recom-
mandations de se méfier des propositions du capitaine Murât.
— Ordre de saisir toutes les châsses et reliquaires d'or et d'ar-
gent des églises de Lyon, de les transformer en lingots et de les
400 ANTOINE DE BOURBON
offrir en gage pour un emprunt de -100,000 écus. — Ordre de
saisir également les reliquaires des églises des villes voisines.
(Copie du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. J64.)
Lettre de Coligny et de d'Andelot au landgrave de Hesse,
Orléans, 4 9 mai 4:302. — Lettre de créance en faveur du bur-
grave baron Christophe de Dhona. — Prière d'empêcher par
tous les moyens la levée des troupes que la reine et le roi de
Navarre veulent réunir en Allemagne. (Copie du temps; f. fr.,
vol. 40490, f. 4 04.)
Lettre de François Hotmann au landgrave de Hesse, Orléans,
4 9 mai 4 562. — Prière d'empêcher l'arrivée des troupes que
mènent d'Allemagne les comtes Rockendorf, Reffemberg et le
Rhingrave. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 04 90, f. 464.)
Lettre du prince de Condé au s. de Laumont, Orléans,
20 mai 4 562. — Négociations en faveur du parti huguenot
auprès des cantons de Zurich, Rerne, Bâleet Schaffouse. (Copie
du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. 4 66. — Suit un mémoire sur
le même sujet et plusieurs lettres du prince de Condé relatives
aux négociations du parti huguenot en Allemagne et en Suisse,
f. 4 67, 4 68, 4 69, 472 et 4 77.)
Lettre du prince de Condé au baron des Adrets, Orléans,
20 mai 4562. — Félicitations de la prise de Lyon. — Ordre
d'user de persuasion et d'éviter la violence. — Profession de
tolérance dont le prince veut que le baron des Adrets donne
connaissance aux gens de Lyon. (Copie du temps; f. fr.,
vol. 4 0490, f. 457.)
Lettre de Coligny au baron des Adrets, Orléans, 20 waH562.
— Môme sujet que la lettre précédente. (Copie du temps; f. fr.,
vol. 104 90, f. 4 58.)
Lettre de François d'Andelot et de Vezine à François Hot-
mann à Strasbourg, Orléans, 20 mai 1562. — Félicitations de
ses démarches auprès des princes protestants. — Ordre de les
continuer. — Lettre de créance en faveur du baron de Dhona.
— Fmvoide lévriers. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. 172.)
Lettre du prince de Condé au canton de Schaffouse, Orléans,
ET JEANNE DALBRET. 401
21 mai I5r>2. — Le prince a écrit par Georges de Nicher et par
le s. de Laumont touchant l'état des affaires de France. —
L'honneur du canton de Schaffouse est engagé à ne pas servir
parmi « les bourreaux de la noblesse de France et même de
« tous les chrétiens. » — Les ennemis se sont emparés de la
personne du roi, de sa mère et de son sceau. — « Toutefois
« nous espérons que voslre prudence pourra juger de quel poids
« doivent être envers vous lettres par force ou crainte tirées de
« gens captifs ou emprisonnés. Et si d'aventure le bruit du
« stratagème dont ils ont usé est parvenu jusques à vous, ayant
« envoyé le roy et sa mère en un village appelé Monceau, pour
« persuader aux simples que leurs Majestés estoient délivrées
« de captivité, toutefois je n'estime pas que ceux qui vous auront
« parlé de ceste liberté vous aient fait entendre l'assiette du lieu
« auquel sont à présent leurs Majestés, lequel est enclos de deux
« grands et larges fleuves, et ayant contre nous l'armée de Paris,
« semble avoir esté par eux ingénieusement choisi et excogité
« pour une plus honnête et un petit peu plus plaisante prison,
« comme qui auroit changé à la Reine ses manesles de fer à
« d'autres d'or ou d'argent. Attendu même qu'il est tout notoire
« que, peu de jours avant son partement de Paris pour aller au
« dit lieu, elle fut bien près d'être estranglée ou estouffée en
« son lit. » Le prince jure de sa véracité. (Copie du temps ;
f. fr., vol. -10190, f. 159.)
Lettre de Goligny et de d'Andelot au canton de Zurich, Orléans.
20 mai -1362. — Même sujet que la lettre précédente. (Copie
du temps-, f. fr., vol. toi 90, f. 160.
Lettre de Spifame, évêque réformé de Xevers, à l'église cal-
viniste de Lyon, Orléans, 21 mai 4 502. — Prière de fournir
les sommes que demande le prince de Condé. — Les fidèles de
Montpellier espèrent que leurs coreligionnaires de Lyon paie-
ront leurs cotisations. — Les fidèles de Mâcon et de Châlons se
disposent à envoyer à Orléans les sommes nécessaires. (Copie
du temps; f. fr., vol. tOt'.tO, f. 173.)
Lettre du prince de Condé au baron des Adrets, Orléans,
21 mai 4562. — Recommandation de mettre toute diligence à
conserver la ville de Lyon et de ne pas se laisser tromper,
iv 26
402 ANTOINE DE BODRBON
quelque soient les fallacieuses lettres que lui présenteront les
ennemis. (Copie du temps; f. fr., vol. -10490, f. 1 65.)
Lettre du capitaine La Mothe à maître Holbrac, Orléans,
2\ mai 4502. — Arrivée à Orléans du comte de Villars et du
s. de Vieilleville. — Leurs efforts pour tromper le parti hugue-
not. — La plupart des capitaines de l'armée catholique sont
secrètement dévoués au parti réformé. — Il est malheureuse-
ment nécessairede ménager les ecclésiastiques prisonniers, parce
que tous les enfants du prince de Condé, excepté l'aîné, sont à
Muret aux mains des catholiques. — Toutes les reliques ont été
saisies et les lingots précieux monnayés. (Copie du temps ; f.
fr., vol. 1 0190, f. 173. — Ce manuscrit, d'où nous avons tiré
plusieurs pièces, a appartenu au grand historien de Thou.)
Lettre du prince de Condé à la reine, Orléans, 22 mai \~M\1.
— Réponse à la mission baillée à Vieilleville et à Villars. —
Protestation de dévouement. — Condé justifie sa prise d'armes
en soutenant que le roi et la reine ont perdu leur liberté. —
Anathème contre le duc de Guise et contre le connétable. (Copie-,
coll. Brienne, vol. 208, f. 494.)
XVIII.
Lettre de Cbantonay à Philippe II, Paris. 28 mai 1562. —
Troubles de Toulouse. — Le duc d'Aumale en Normandie. —
Le prince de Condé est sorti d'Orléans el s'est mis en campagne,
mais il est rentré peu de jours après. — Les armements des
catholiques ne sont pas aussi avancés que ceux des réformes.
— Le prince de Coude attend a Orléans le seigneur de Gra-
monl avec un corps de gens de pied gascons. — Pillage de la
chapelle sépulcrale de Vendôme; mécontentement du duc de
Vendôme. — Lettre delà reine au Parlement pour expliquer sa
retraite à Monceaux. — Mesures de police prises par le lieute-
nant général à Paris. (Orig. espagnol; Arch. nal., K. 1497,
n" 30.)
Lettre du prince de Condé à la reine mère, 28 mai 1502. —
Réponse du prince au dernier message de la reine. — Le prince
regrette que le roi et la reine ne soient point en liberté el n'a
ET JEANNE D'ALBRET. 403
pris les armes que pour les lirer de la servitude. — Récrimina-
lions contre les triumvirs qui sont venus en armes à la cour.
(Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 500.)
Instruction donnée par le roi au s. Henri Glutin, seigneur
d'Oysel, envoyé à Rouen, 29 mai -1562. — Le roi déclare qu'il
a chargé le duc d'Aumale de réduire la ville de Rouen. —
D'Oysel devra se transporter à Rouen et assembler à l'hôtel de
ville les conseillers et échevins pour leur commander de garder
les édits et de déposer les armes. — « Et au demeurant prendra
« serment et promesse d'eux de n'avoir aucune intelligence,
« alliance, ligue, confédération et association avec aucunes per-
ce sonnes, de quelque qualité qu'elles soient, et de n'obéir et reco-
« gnoistre autre que le rov leur souverain. Et s'ils en avoient
« aucune, qu'ils y renoncent et s'en départent sur pevne,où ils
« feront le contraire, d'estre punis comme criminels de lèse
« majesté. » (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 500.)
XIX.
Instruction du roi au maréchal François de Montmorency,
envoyé au camp du prince de Condé, 5. /. n. d. {juin 15r»2).
— Le maréchal est chargé de représenter aux seigneurs hugue-
nots qu'en prenant les armes ils méritent d'être déclarés rebelles.
(Minute; f. fr.; vol. \W1, f. 62.)
Lettre de Paul de Foix, ambassadeur en Angleterre, à la reine.
Londres, 6 juin 1562. — L'ambassadeur a entendu rapporter
que la reine d'Angleterre donnerait du secours aux rebelles
d'Orléans, mais, bien qu'il ait mis tous ses espions en cam-
pagne, il n'a pu avoir la preuve de ce fait. (Orig. ; f. fr., vol.
6612, f. 54.)
Lettre de sauvegarde donnée par le roi de Navarre à son frère,
le prince de Condé, et à sa suite jusqu'au nombre de cent
hommes, pour le venir trouver, lui et la reine mère, au lieu de
Bivmenville près Touri, afin de conférer ensemble sur la paci-
fication des troubles, Étai/ipes. s juin 1562. (Minute ou copie
du temps; f. fr., vol. 6648, f. 103.)
404 ANTOINE DE BOURBON
XX.
Lettre de Philippe TI à Chanlonay, Aranjuez, 7 juin 4 502.
— Envoi de la réponse du roi catholique à la mission de d'Al-
meida (voyez la pièce suivante). — Satisfaction de Philippe II
de la nouvelle politique du duc de Vendôme. — Nécessité de
cacher à la cour de France le fond de la réponse que rapporte
d'Almeida. — Le roi n'a rien communiqué à Sébastien de l'Au-
bespine. (Minute ou copie en espagnol; Arch. nat., K. 1491»,
n° 80.)
Résumé de chancellerie de la réponse que le roi d'Espagne a
ordonné de faire à d'Almeida, Aranjuez, 7 juin 1502. — Phi-
lippe II trouve de grandes difficultés à donner au duc de Ven-
dôme L'île de Sardaigne, qui d'ailleurs lui serait peu profitable.
— Il lui offre le royaume de Tunis et promet de prendre part
à sa conquête. — Nécessité de cacher le secret de la négociation.
— En attendant la conquête de Tunis, il lui donnera la jouis-
sance delà Sardaigne. (Copie en espagnol -, Arch. nat., K. 1490,
n° 85.)
XXI.
Lettre du roi de Navarre au s. deMaugiron, lieutenant géné-
ral en Dauphiné, Ètampes, 9 juin 1502. — Ordre de faire con-
duire au château Dauphin quelques pièces d'artillerie, une com-
pagnie de cinquante hommes, des armes, des vivres et des
munitions. (Orig. ; Arch. municip. de Lyon, AA. 23. f. 129.)
Lettre du roi de .Navarre au même, E lampes, \2juin 1302.
— Éloge de sa conduite. — Désapprobation de la démarche du
député du parlement, de la chambre des comptes et des conseils
de Grenoble. — Ordre de joindre ses forces à celles de Tavannes
afin de « nettoyer le pays de ceste vermine de rebelles. » (Orig. ;
Arch. municip. de Lyon, A A. 24, n" 130.)
Lettre de Bassompierre au roi de Navarre, Strasbourg,
12 juin 1502. — Le prince de Coudé a dépêché François Hot-
mail aux princes d'Allemagne pour obtenir du secours. — Ils
ET JEANNE d'aLBRET. 405
ont répondu qu'ils lui enverraient quatre régiments de gens de
pied et six mille cavaliers. — Si le roi d'Espagne envoie des
troupes en France, ils s'engagent à augmenter le secours. —
Ces troupes marcheront sous le commandement du duc de
Deux-Ponts. (Orig.; f. fr., vol. 661 s, f. 104.)
Lettre de Jean d'Ébrard de Saint-Suplice, ambassadeur à
Madrid, à la reine, Madrid, \-2juin 1562. — La veille, Sébas-
tien de l'Aubespine a obtenu son audience de congé. — Le roi
catholique lui a déclaré qu'il venait d'expédier au roi de Navarre
un courrier porteur de ses propositions, mais il a gardé le
silence sur la nature du dédommagement qu'il offre au prince.
— Les deux ambassadeurs n'ont pu en apprendre davantage.
(Copie du temps; f. fr.. vol. 3161, f. 13. — Saint-Suplice était
arrivé à Madrid le 21 mai 1502; lettre de Saint-Suplice à la
reine; orig., f. fr., vol. 45X76, f. 78.)
Résumé de chancellerie des propositions à faire, au nom de
Philippe II, au roi de Navarre, 13 juin \'M\2. — Même sujet
que la pièce du 7 juin analysée plus haut. (Minute ou copie:
Ârch. nat., K. 1496, n° 90.)
XXII.
Lettre dd boi de Navarre a la reine.
Camp de Mereville, 13 juin 1562.
Marche de l'armée. — Nouvelles d'Orléans. — Bonnes dispositions des
troupes.
Madame, nostre armée a ce jourd'huy marché jusques en ce
lieu, où j'ay, avecques ces seigneurs, advisé à toutes choses
nécessaires pour la conservation d'icelle. Demain nous en irons
à Jan ville et par là pouvez-vous juger comme nous ne perdons
point temps pour nous approcher de ceulx d'Orléans, ausquels
j1ay pour certain entendu que les loi-ces qu'ilz espéroyenl de
Provence sont arrivées : de quoj je vous puis dire, Madame, que
je ne suys trop marry, car au moins ayant maintenant tout ce
qu'ilz actendoient, s'ilz ne veulent venir a la raison et obéir aux
406 ANTOINE DE BOURBON
commandemens de Votre Majesté, il ne se pourra plus différer
de mettre une fin à tout cecy, s'ilz ont la volunté semblable à
leurs paroles et aussi bonne que ont tous nos gens. Vous advi-
sant au reste, Madame, que je suys icy avec des seigneurs bien
saiges et que je treuve beaucoup plus enclins à s'accommoder
à quelques bonnestes conditions que je Les ay encor point veus,
pour le désir qu'ils ont de veoir ce royaume en repos. Je vous
laisse à penser là dessus le demeurant. Et, après m'estre très
humblement recommandé à vostre bonne grâce, je prie le créa-
teur que vous doint, Madame, en parfaite santé très bonne et
longue vie.
Du camp de Mereville, ce xiue jour de juing 4'Hi2.
Vostre très humble et très obéissant frère et subject,
Antoine.
(Orig.; f. fr., vol. 6G0G, f. 3.)
XXIII.
Lettre du prince de Gondéau roi de Navarre, Orléans, i 6 juin
1562. — Protestations pacifiques. — Le prince consent à neu-
traliser la ville de Beaugencj el accepte la trêve de six jours.
— Il envoie à son frère le s. du Vigean et Robertet d'AUuye.
(Orig.; Arch. des Basses-Pyrénées, E. :>s:>.)
Lettre du baron Christophe de Dhona au prince de Condé,
Strasbourg, M juin 1562. — Compte-rendu de sa mission en
Allemagne et de ses démarches pour empêcher l'envoi du secours
destiné aux catholiques. (Copie du temps en latin; f. fr.,
vol. 4 (M 90, f. ni v°.)
Lettre de Chantonay à Philippe 11, Paris, M juin 4562. —
Entrevue de la reine avec les députés d'Orléans dans le bois de
Vincennes. — Trêve conclue malgré l'avis des catholiques. —
Nécessité de ménager le duc de Vendôme qui es) l'arbitre de la
situation. — Le prince de l'.eani n'esi pas encore allé à la messe.
— On circonvient le roi en faveur du prince de Coude. — Suite
de l'affaire de Saint-Médard. — Les réformés, chassés de la
ville de Paris, séjournent dans le bois île Vincennes. (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1498, n -
ET JEANNE d'aLBRET. 407
Lettre de Chantonay au roi de France, Paris, 4 s juin 1562.
— Remontrances adressées par l'ambassadeur au roi au sujet
de la trêve consentie en faveur des réformés. (Orig.; f. fr.,
vol. 45876, f. 4 44.)
XXIV.
Lettre du roi de Navarre au card. de Lorraine, Saint-Simon,
24 juin 4562. — Nécessité de payer les Suisses et les lansque-
nets. — Négociation de la paix avec les réformés. (Orig.; f. fr.,
vol. 3249, f. 4 23.)
Instruction du duc de Montpensier au s. Desplatz, envoyé au
roi de Navarre, au duc de Guise etau connétable, Angers, 23 juin
4 502. — Compte-rendu détaillé de la campagne du duc de Mont-
pensier en Anjou. — Demande de secours. — Sacrifice de
l'évéque du Mans en faveur de la cause royale. (Orig.; f. fr.,
vol. 4 5876, f. 428.)
Lettre du roi de Navarre au s. de Joyeuse, lieutenant géné-
ral en Languedoc, Beauyenaj, 2<o juin 4562. — Annonce de la
paix. — Ordre de prendre possession des villes rebelles au nom
du roi, de renvoyer les soldats étrangers et de faire exécuter les
édils. — Le prince de Gondé envoie un gentilhomme de sa mai-
son à cet effet. (Minute-, f. fr., vol. 45876, f. 464.)
XXV.
Lettre du capitaine La Motheau prince de Gondé, Strasbourg,
li'.i juin 1 562. — Il lui conseille, s'il se sent le plus faible, d'évi-
ter le combat et de s'enfermer dans une ville forte en attendant
que les Allemands viennent le secourir. — Avis pour obtenir
l'appui des gens de Strasbourg et des Suisses. (Copie du temps;
f. fr., vol. 4 0190, f. 454 v°.)
Lettre du capitaine La Motbe à l'amiral de Coligny, Stras-
bourg, 2'» juin 15(12. — Même sujet que la lettre précédente.
(Copie du temps; f. IV.. vol. 104 90. f. 4 55.)
408 ANTOINE DE BOURBON
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Paris, 30 juin 1562. —
Efforts de l'ambassadeur pour entretenir le duc de Vendôme
dans la bonne voie. — Les lettres du roi d'Espagne ont été rete-
nues trois jours à Orléans. — Récit détaillé de la conférence de
Saint-Simon. — La dame de Roye, la dame de Crussol et le
cardinal de Ghastillon sont venus voir la reine. —Affaires de
Lyon. — Le pape a donné 200,000 écus au roi de France. —
Nécessité pour la reine de retourner à Paris. — Inimitié du par-
lement et du chancelier. — Touchant la majorité du roi. — Le
roi catholique pourra aider le duc de Vendôme à sévir contre sa
femme. — Mariage projeté entre Charles IX et Dona Juana,
d'une part, et entre Don Carlos et Marguerite de Valois, d'autre
part. — Négociation entre la reine Elisabeth d'Angleterre et
Marie Stuart. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. -U98, n° 0.)
XXVI.
Lettre du roi de Navarre à Tavannes, lieutenant général en
Bourgogne, Talcy, 30 juin 1502. — « Nous sommes en si bons
« termes de pacification qu'il faut surseoir toute hostilité, ainsy
« que la royne vous escript, et aussi tenir les Suisses à Ghâlons
« ou es environs, attendant que vous ayez autres nouvelles de
« nous, les faisant vivre à la moindre foule de peuple que faire
« se pourra. » (Orig.; f. fr., vol. 4632, f. H5. — Cf. avec la
lettre de la reine de même date; Lettres, de Catherine de Médi-
as, t. I, p. 343.)
Deuxième lettre du roi de Navarre au même, Talcy, 30 juin
1502. — « Nous pensions n'avoir que faire des Suisses, mais il
« est hesoing qu'ils marchent pour les raisons que la royne vous
« escript, vous pryant les faire partir et acheminer le plus lost
« qu'il sera possible et qu'ils ne perdent une seule heure de
« temps; car, je voj bien que ceux a qui nous avons affaire ont
« autres intentions que celles qu'ils ont voulu faire croyre
« jusques icy, dont il me déplaisl infiniment. » (Orig.; f. fr.,
vol. 4632, f. l-ir.. — Cf. avec la lettre de la reine; Lettres de
Catherine de Médicis, t. I, p. 344.)
ET JEANNE D'ALBRET. 409
XXVII.
Lettre dd roi de Navarre au ddc de Nemours.
Mois, juillet 1562.
Le prince accepte les excuses du duc de Nemours.
Mon cousin, j'ay receu la letre que vous m'avez escripte, par
laquelle vous me mandez qu'ayant esté adverly par aucuns de
vos amys que l'on m'avoit faict entendre qu'estant dernièrement
à Saint-Germain en Laye, vous dictes que j'avoys délibéré de
faire tuer le Roy et messieurs ses frères, vous n'avez voulu fail-
lir de me faire ce mot de letre, escripte et signée de vostremain,
pour me dire qu'avec le respect que vous debvez et que vous
avez tousjours déclaré voulloir avoir à la personne et qualité de
Monsieur, comme fils et frère de ceulz que vous avez tenu et
tenez pour bons Roys et souverains seigneurs, vous voulez bien
m'asseurer que vous n'avez jamais eu et n'aurez oppinion aultre
de moy, sinon celle que l'on doibt avoir d'un Roy vertueulx et
prince d'honneur. Et metant la main sur vostre estomac vous
m'asseurez avec vérité que ceulx qui auront dit ou vouldront
dire que j'aye voulu tuer le Roy et messieurs ses frères, vous
les tenez et tiendrez meschans ; me priant vous recevoir pour
bon parent et croire que ne vouldriez avoir tenu langaige de
moy aultre qu'on doibt tenir d'un prince fort homme de bien.
Estant bien asseuré que je ne l'endurerois de personne, de
quelque qualité qu'il puisse estre; ce qui est bien certain, et
estois bien résolu de ne laisser en double chose qui peust en
riens toucher mon honneur. Parquoy, ayant veu ce que vous
me déclarez par ce qui est contenu en vostre d. lettre, je m'en
contente et seray bien aise de continuer à vous estre bon parent
et amy, et le vous faire congnoistre quand l'occasion s'y pré-
sentera. Cependant, en attendant que je vous voye, je me recom-
manderay à vostre bonne grâce et prieray Dieu qu'il vous doint
bonne et longue vye.
A Bloys, ce... jour de juillet 15<»2.
(Copie ou minute; Arcli. dos Basses-Pyrénées, E. 585. — Autre; copie
ou minute; I. t'r., vol. 1587G, f. 211. — La lettre à laquelle répond le
roi de Xavarre est conservée en original aux Archives des liasses-
Pyrénées, E. 585.)
410 ANTOINE DE BOURBON
XXVIIÏ.
Circulaire du roi de Navarre aux officiers des villes pour les
dissuader de prendre part à la guerre et de porter secours aux
révoltés, Camp de Blois, juillet 4562. — Sentiments pacifiques
de la reine et des seigneurs du Conseil. — Amnistie offerte aux
séditieux d'Orléans. — Le roi ne peut autoriser ses sujets à
prendre les armes et se voit obligé de leur faire la guerre pour
les désarmer et leur imposer la reconnaissance de son autorité.
(Minute; f. fr., vol. J5876, f. 199.)
Lettre du roi de Navarre à la reine, "J juillet 4562. — Le
prince a ouvert un courrier envoyé d'iïspagne par Saint-Suplice
pour chercher des nouvelles de ses propres affaires. — Almeida
est revenu de Madrid et a été arrêté à Tours pendant quatre jours
par les soldats de Condé. — Il proleste auprès de son frère
contre cette arrestation. (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 203.)
Instruction du roi de Navarre au héraull envoyé à Tours,
Blois, 5 juillet 1562. — Sommation aux gens de Tours de capi-
tuler devant l'armée royale. (Minute: f. fr.. vol. 15876, f. 497.)
XXIX.
Lettre du roi de Navarre w prince de Condé.
Blois, 5 juillet 1562.
Prière do rendre la liberlt'- au s. d'Almeida.
Mon frère, je viens d'estre adverty par une dépesche venant
d'Espagne que d'Almeida partit le 20 du passe, qui est temps
assez suffisant pour estre icy s'il ne lu.\ estoil survenu quelque
inconvénient comme je crains. Qui me faicl vous escripre la
présente pour vous ramentevoir la promesse ipie vous m'avez
faicte de me l'envoyer s'il tumboit en lieu où vous eussiez puis-
sance, à ce que, si vous aviez nouvelles qu'il soyl arresté, vous
faisez tant pour moj que de donner ordre bien expresse qu'il me
soil envoyé, d'aultant que vous pourez bien penser combien il
ET JEANNE DALBRET. 411
m'importe de scavoir sa dépesche. Ne voulant croire et ne me
le pouvant persuader qu'il vous puisse entrer au cueur de me
vouloir faire ung si extresme desplaisir, dont il ne vous pourroit
revenir aultre fruict qu'en rumpant tout le droit d'amytié, me
faire congnoistre en peu de chose qu'il ne me faull jamais
actendre de vous amylié ny courloysie, mais penser, à mon
grand regret, que je ne doibs espérer de vous que tous les des-
plaisirs du monde. Et pour ceste cause, mon frère, s'il vous
est demeuré aucune scintille de Pamytié que vous m'avez portée,
faictes-le moy paroistre à ce coup en me le renvoyant, s'il est
avecques vous, ou donnant ordre, s'il a esté arresté ailleurs,
qu'il soit mis en liberté avec sa dépesche, et m'en mander des
nouvelles par ce trumpette que j'anvoye expressément devers
vous. Priant Dieu, mon frère, après m'estre recommandé à
vostre bonne grâce, qu'il vous doint bonne et longue vie.
De Blois, ce 5e jour de juillet 1562.
(Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 201.)
XXX.
Lettre du roi de Navarre a la reine.
Biais, (5) juillet 1 562.
Récit de la prise de Blois.
Madame, je vous ay ce matin escript par Ligneroles comme
je m'en venoys en ceste ville, après avoir veu que ceulx d'Or-
léans avoyent perdu l'envye de nous combattre. Mons. le conné-
table est par icy d'avant le jour et est icy arrivé avec six canons
et la bataille. Et nous sommes demeurez, Mess, de Guise, maré-
chal de Saint-André cl moy, à l'avant-garde pour donner moyen
à toutes nos trouppes de s'achemyner. Et ne sommes peu arriver
assez à temps que nous n'ayons trouve l'opiniâtreté d'une cen-
tayne de paillards qui estoyent icy, avoyr esté telle qu'ils avoyent
à l'abord tire une infinité de mousquetades et harquebu/ades,
de l'une desquelles le eappitaine Gosseins a esté tellement blesse
qu'il y a peu d'espérance de vie, et une vingtaine d'autres sol-
dats que tués que blessés. Mais eeste fureur ne leur a guères
412 ANTOINE DE BOURBON
duré, cTaultant que, ayant ouy une voilée d'artillerie, 'il s'en
sont tous fouys delà le pont, ayans donné ordre de sauver tout
ce qu'ils avoyent de bon dès que nostre armée s'approcha d'icy.
Si jamais il se feil chose en quoy l'on eusl peine et difficulté,
ce a esté à conserver ceste pauvre ville d'estre saccagée, tant
les soldats y estoyent animés. Et vous asseure, Madame, que
moy et tous ces seigneurs y ont tellement travaillé que nous
n'avons jamais reposé ni cessé d'aller d'une rue à l'aultre, et,
s'il se peult dire, de maison en maison, que nous n'ayons mis
les soldats hors. Gela n'a peu estre sans qu'il y en ayt eu qui
ayent paty, tant des bons que des maulvays. Tant y a que je
puys dire qu'oncques ville ne se veit avoir enduré l'extrémité
qu'a fait ceste-cy et en estre réchappée à si bon marché. Nous
y séjournerons tous demain et de là en hors prendrons telle
résolution que nous verrons estre plus à propos pour le bien et
service du roy et de vous, dont nous vous advertirons d'heure
à aultre. Et je prieray Dieu, Madame, après m'estre très hum-
blement recommandé à vostre bonne grâce, qu'il vous doint très
longue et très heureuse vie.
De Blois, ce... jour de juillet 1562.
(Minute ; f. fr., vol. 15876, fol. 202 et 233.)
XXXI.
Lettre do roi de Navarre ad duc d'Étantes.
Blois, (6) juillet 1562.
Rupture des conférences et commencement des hostilités.
Mon cousin, la royne vous escrit si amplement que je ne
scauroys que y ajouster, si n'esl vous asseurer qu'il n'a pas tenu
à elle que nous ne soyons appoinctez, mais Dieu n'a pas voullu.
Aussy y a il eu tant d'opiniastreté, de la part de ceux d'Orléans,
que je ne scay si jamais ils auronl ce qu'il leur a esté offert. Et
de ma part j'ay ung extrême respect de ce que je voy et Dieu
me sera lesmoing, s'il fault que nous venions aux mains, que ce
sera contre ma volunté. Car j'eusse esté bien ayse qu'ils eussent
esté si raisonnables que nous en fenssions venus là, mais.
ET JEANNE d'aLBRET. 413
puisque Dieu le veult et la nécessité nous y contraincl, vous
vous pouvez asseurer qu'il me coustera la vye ou je feray bien
obéyr le roy ; et dans peu de jours vous aurez des nouvelles.
Cependant je prieray Dieu, mon cousin, vous avoir en sa sainte
et digne garde.
De Blois, ce... jour de juillet 1562.
(Minute ; f. fr., vol. 15876, f. 205.)
XXXII.
Instruction du roi de Navarre au capitaine Renouart, envoyé
vers le comte de Roggendorf et les capitaines des reistres,
'juillet 1562. — Ordre de presser la marche des Allemands
et de les amener au camp du roi. (Minute; f. fr., vol. 13876,
f. 214.)
Lettre du roi de Navarre au duc d'Aumale, Camp de Blois,
7 juillet 1362. — Le prince regrette de ne pouvoir donner du
secours au duc d'Aumale. — Il lui en enverra quand les Alle-
mands seront arrivés. — Ordre de resserrer la ville de Rouen,
et, si elle est prise, d'empêcher le pillage. (Minute; f. fr.,
vol. 13876, f. 217.)
Lettre du roi de Navarre au comte du Lude, Camp de Blois,
H juillet 1362. — Envoi du comte de Villars avec une bonne
troupe de gendarmerie en Poitou. — Ordre d'assembler la
noblesse pour marcher contre les séditieux. (Minute; f. fr.,
vol. 13876, f. 216.)
Lettre du roi de Navarre à la reine, 10 juillet 1362. — Envoi
à la reine du mémoire suivant. (Minute; f. fr. , vol. 15876,
f. 234.)
Mémoire adressé à la reine mère par le roi de Navarre, s. I.
n. d. — Rappel de la prise de Blois. — Les gens de Tours
font leur soumission. — Le prince y envoie le s. de Beauvais.
— Le comte de Villars se rend en Touraine et en Poitou. —
Le prince a donné au comte du Lude l'ordre de ramasser des
troupes. — Ce mémoire, sauf les points ci-dessus, parait être
une première rédaction de la pièce suivante. [.Minute; f. fr.,
vol. 15876, f. 235.]
414 ANTOINE DE BOURBON
XXXIII.
Rapport du roi de Navarre a la reine.
Blois, M juillet 1562.
Récit des opérations militaires depuis la rupture des conférences de
Baugency jusqu'à la prise de Blois.
Estant la royne partie de Tallesy avec l'ennuy et déplaisir
que chacun peult penser pour le peu de satisfaction qu'elle
remportait de tant de peine et de travail, qu'elle avoit prinse
pour la pacification de ces troubles et la tranquilité de ce
royaume, et jugeant ceulx d'Orléans qu'elle ne pouvoit avoir
qu'un juste mesconlentemcnt de leurs déportemens en son
endroit, tant pour avoir maulgré elle amené mons. le prince de
Condé du lieu près Baugency où elle s'estoit tant devisé d'aller
parler à mons. l'amyral que de ce que, contre ce qu'ilz luy
avoient offert et promis de se retirer, ils avoient, avec leur
armée, marché en ça, ilz prirent une résolution, comme il se
peult veoir par le chemin qu'ilz tenoient et ce que l'on apprinl
de leurs nouvelles, de tenter s'il y auroit moicn de donner une
camisade au roy de Navarre et à son armée, et, pour le déses-
poir où ilz se voyoicnt, hazarder la fortune. Et de faict, esti-
mans que messrs les ducz de Guy se et de Montmorency, con-
nestable, et Saint-André, maréchal de France, ne fussent encore
retournez en l'armée avec une bonne trouppe de cavallerye
qu'ilz avoyent mené avecques eulx, et que le reste de noslre
gendarmerye fust pour la commodité du couvert logé si loing
les ungs des autres, que, arrivant sur le poinct du jour, ilz
auroienl bon moien de les (ailler en pièces avant qu'ilz eussent
loisir de se recongnoistre u\ assembler leurs forces; en ceste
délibération, le mercredy premier dece présenl moyi de juillet,
sur les six heures du soir, partirent de la Ferlé du Seau, qui
estoit à quatre bonnes lieue-, en bataille serrez, tant les gens de
pied qia- de cheval, ayant, la cavallerye des casaques blanches
el l'infanterye, chacun une chemise blanche, pour arriver juste-
ment une heure ou deux avant le jour en nostre camp exécuter
ET JEANNE d'aLBRET. ll-">
leur entreprinse. Mais la fortune voulut que, s'estant perduz
par les chemins à cause qu'il n'y avoit poinct de lune, ilz ne
peurent arriver à la poincte du jour qu'à une bonne lieue et
demye de nostre camp.
Cependant, le roy de Navarre, dès qu'il entendit par le sr de
Ramboillet que la royne avoit envoyé devers eulx, qu'ilz mar-
choient vers son camp, craignant ce qui advint, avoit donné
ordre de renforcer les gardes et advertir toute la gendarmerye
au premier signal, qui estoit d'un coup de canon, de monter à
cheval et se rendre à l'artillerye. Et, non content de cela, avoit
envoyé le sr de Des Borye, lieutenant de monsr le prince de
Navarre, avec vingt sallades, la nuict mesmes du mercredy,
pour sçavoir de leurs nouvelles, de façon qu'aiant advis, tant
par luy qu'aultres, que messrs les ducz de Guyse et connestable
avoient envoyé pour cest effect, qu'ilz marchoient, et principal-
lement par mons1' Danville, qui avoyt eu rapport par ceulx
qu'il avoyt envoyez, qu'ilz marchoient avec délibérations de le
combatre, comme il s'estoit encores entendu par quelques pri-
sonniers, de bon matin monta à cheval avecques sa cornette
pour se rendre en sa place de bataille. Gomme au mesme ins-
tant firent les dicts srs ducz de Guyse, connestable et maréchal
de Saint-André, qui de leur costé donnoient ordre de fere mectre
tout le monde en bataille au lieu et place qu'ilz avoient advisé
entre eulx. En sorte qu'arrivant à Tartillerye et passant par
les régimens de gendarmerye et batailluns de gens de pied, il
trouva toutes choses si bien ordonnées et une telle délibération
de combatre parmy toutes les trouppes, qu'il n'en pouvoit
espérer, marchans plus avant ceulx d'Orléans, comme il esti-
moit, qu'une victoire certaine, si Dieu, par sa puissance, ne la
luy vouloit ostcr des mains. Monsr Damville aussi, qui estoit
logé plus avant avec sa cavalJerye legiere, estoit à cheval,
auquel il avoit esté commandé de les garder le plus qu'il pour-
rait, de riens recongnoistre de nostre bataille, mais les entrete-
nir jusques ad ce qu'il feust forcé se retirer au lieu qu'il luy
avoit esté ordonné pour combatre.
Toutes choses ainsi ordonnées, le jeudy matin, 4 Ie du dict
mois, sur les unze heures, l'on les veit loger en ung villaige,
nommé Grevant, n'estant qu'a une bonne lieue et demye de
-110 ANTOINE DE BOURBON
nostrc camp. Et sceul l'on par quelques soldats, qui furent
prins avec des chemises blanches, que leur entreprinse avoit
esté de donner une camisade ad nostre armée, mais que, ne
l'ayant peu exécuter, ilz se réservoient au lendemain, qu'ilz
n'auroient guères de chemyn.
(le qu'ayant veu le roy de Navarre, il commanda à la gen-
darmerye de s'aller reffreschir et reposer en leur logis, ayant
premièrement doublé la garde et ordonné qu'ilz ne bougeassent
de leur quartier avec la bride en main pour se rendre, inconti-
nent qu'il leur seroit commandé, en leur place de bataille. Le
semblable feit-il aux gens de pied avec commandement exprès
ad ung chacun de se trouver, comme la nuict fauldroit, en sa
place. D'aultant que l'on avoit eu certain advertissement qu'ilz
avoicnt résolu de nous combatre la nuict; tant pour ce qu'ilz
estimoient de trouver nos forces es quartiers que pour éviter la
fureur de nostre artillerye, et qui estoit la principale occasion
donner moyen à ceulx qui seroicnt de leur parly en nostre
armée de passer à eulx. Et le dict sr roy, avec les dicts srs de
Guyse, connestable et maréchal de Saint-André, s'en allèrent
recongnoistre tous les lieux et advenues par où ilz pourraient
venir à eulx, affin de regarder de pourveoir à toutes choses et
gaigner tout l'advanlaige pour le combat et leur aporter tout le
désadvantaige qui se pouvoit, comme pour leur grande expé-
rience et saige conduicte ilz le sçavent très bien ordonner.
Et pour le mieulx entendre, il estbesoing de sçavoir la situa-
tion du lieu où nostre armée, gendarmerie à pied, estoil en
bataille : qui est tel qu'à la main gauche esloit Monsr le conte
du Villars avec ung régiment et le bataillon de nos gens de pied
de la bataille; auprès d1eulx, à la main droite, estoit Monsieur
le connestable avec son régiment; à son costé, Monsr le maré-
chal de Montmorency, qui venoit Qnir au bataillon des gens de
pied de l'avant garde; et, à leur main droite, Mous'' de Guyse
avec son régiment, Monsr le maréchal de Saint-André avec le
sien après. Puis le roi de Navarre, avec sa cornette et son régi-
ment, qui estoit encores sur le costé de la main droite pour
prandre tel party qu'il adviseroyt plus à propos. L'artilleryede
la bataille estoil devant leurs gens de pied sur ung petit mont,
et celle de l'avant garde sur ung autre, devant les gens de pied
ET JEANNE D'ALBRET. 417
de l'avant garde, qui estaient si à propos que Tune bande don-
noit par la teste de ceulx qui fussent venuz, et l'autre par le
flanc, et se flanquoient l'une l'aullre. Et davantaige au liane des
gens de pied de la bataille, du costé gauebe, il y avoit ung grand
estaingqui la flanquoit, et du costé droict du roy de Navarre,
tirant vers Baugency, troys cens pas plus avant, sur le liane, de
la main droicte, il y avoit ung chasteau et un villaige, où ie
dict sr roy et ses seigneurs avoient faict mectre jusques à douze
cens harquebusiers et quelques mousquetz. Ayans mis quatre
cens harequebuziers dans le chasteau et le reste dans le vil-
laige, et des hayes qu'ils avoient tellement faict accommoder,
comme, pour leur grande expérience, ils le sçavent très bien
fere, qu'il est aussi à croyre qu'ilz en eussent peu tirer beau-
coup de faveur à eulx marcher, plus beaucoup de dommaige.
Et, d'aultant que ilz se voulloient prévalloir de l'obscurité de la
nuict pour oster le moien à nostre artillerye de les endommai-
ger, l'on avoit ordonné de fere, sur toutes les advenues, de
grands tas de fagots; il avoit esté commandé à des soldaz,
incontinent que les chevaulx légiers auroient l'alarme, et que
l'on sçauroit qu "ilz aprocheroient, de mectre le feu; comme il
avoit esté semblablement commandé fere à ung moulin à vent
et à des maisons du villaige voisin de là ; affin que, de tous ces
feux, il s'en fist une lueur si grande que l'on les peust veoir
venir comme en plain jour.
Estant le tout ainsi bien ordonné et chacun adverty de ce
qu'il avoit à fere, le roy de Navarre et tous ses seigneurs ne
faillirent poinct, à l'heure qui avoit esté dicte, de se trouver en
leur place de bataille, en laquelle ilz demeurèrent avec la plus
grand résolution qu'il est possible et le plus grand plaisir du
monde de bien combattre toute la nuict jusques au jour du ven-
dredy matin; que, n'aiant nulle alarme, ilz mandèrent à
Monsr Damville qu'il feist donner quelques sallades jusques à
leur corps de gardes pour aprendre de leurs nouvelles. Les-
quelz, ayant raporté qu'ilz ne bougeoient, sur les huict heures,
ilz commandèrent à tout le monde se retirer pour s'aller repo-
ser et reffreschir, avec charge expresse de tenir leur cas si près
qu'à la première alarme ilz feussent à cheval.
Et, comme tout le monde fut retiré, le roy de Navarre avec
iv 27
418 ANTOINE DE BOURBON
ces seigneurs donnèrent jusques au logis de Monsr Damville
pour ordonner les gardes qui estoyent si près que nos vedettes
n'estoient que à cent pas de celles de leur camp. Et, comme ilz
eussent craincte que l'on l'attaquast et eussent l'alarme bien
chaude, il parust deux esquadrons de cavallerie à leur corps de
garde, qui attaquèrent escarmouche assez froidde, où de noz
soldatz leur alloient donner coups de lance, d'harquebuses et
d'espée. Et se veist certainement qu'ilz n'avoyent poinct envye
de s'avancer ny rien allumer d'aullre, d'aultant que leurs chefs
à coups d'espées les venoient retirer.
Et, sur l'aprèsdinée, comme ceste petite apparence de fureur
qui les avoit faict marcher et précipiter si avant se feut passée,
et que la raison commença à leur fere congnoistre par expé-
rience qu'elle ne leur pouvoit apporter qu'une ruyne prompte
et manifeste, ilz prirent party beaucoup plus advantaigeux pour
eulx et moings dommaigeable, qui fut de se retirer à deux vil-
lages nommés Atzelle, et l'aultre tirant vers Baugency, si serrez
qu'un seul homme ne se desbandoit.
Ce que voiant le roy de Navarre avec Messieurs de Guyse,
connestable et maréchal de Saint-André, encores qu'il eussent
beaucoup désiré, puisque les choses en estoient si avant, les
terminer par une bataille, et qu'il eussent, pour cest effect et
les y attirer, faict party si beau que, en aiant si grande envye
comme ilz en faisoient le semblant, ilz ne le dévoient reffuser,
le devoir du lieu qui tient ne luy eust delTendu et ce combat ne
portast la conséquence de Testât du royaume, il se contenta de
leur avoir monstre qu'il estoit prest de les recevoir tous et
quantes fois qu'ilz en auraient envye. Et se résolut, le sab-
medie mie de ce moys, de s'en venir gaigner Bloys, d'aultant
que ce faisant il leur gaignoit le derrière, et avoir moien de reti-
rer à sa dévotion la plus part des villes voysines qui se sont
séparées; et se mectoit en une belle assiette et commodde, soit
pour les travailler, soit pour actendre les forces estrangieres,
qui luy viennent, soit pour prendre tel autre party qu'il verra
plus utille et advantaigeux pour le service du roy et heureux
progrez de ceste armée.
Pour lequel elîcct, Monsieur le connestable partit à la poincle
du jour, avec la bataille et six canons, et s'en vint devant la
ET JEANNE D'ALBRET. 419
dicte ville de Bloys, où une quantité de soldatz firent conte-
nance de ne voulloir rendre l'obéissance qu'on leur demandoil,
mais, à coups de mousquet? et d'harcquebuzes, blessèrent le
cappitaine Cossains et tuèrent que blessèrent une vingtaine
d'autres soldatz. Qui n'empescha poinct qu'au même instant,
sans trenchées et gabions, il mit l'artilerye sur le bort du fossé
avecques une telle diligence qu'après une voilée ou deulx ceulx
de dedans s'enfuirent, laissant la ville qu'ilz avoient jà à demy
sacaigée en hazarlde l'estre du tout comme ilyavoit apparence
qu'elle devoit estre, aiant enduré le canon, et comme à la vérité
elle l'eust esté sans le grand soing et extrême dilligence que,
tant le dict sr roy que les dicts srs ducz de Guyse, connestable
et maréchal de Saint-André et autres seigneurs à qui ilz com-
mandement prindrent. N'aiant tout le jour, jusques au soir,
bougé de cheval de rue en rue et de maison en maison pour
empescher les soldatz et les fere retirer. Qui ne peust estre sans
quelque désordre, quelque diligence dont ilz eussent usé pour
l'empescher; dont il s'ensuivit des saccagemens de plusieurs
maisons que ceulx mesme de la ville qui avoyent esté aupara-
vant maltraitez par les maistres d'icelle, monstroyent aux sol-
datz et les convioient à les piller.
Et, comme le dict sr roy et tous ces seigneurs estoyent bien
empeschés à Bloys, ceux d'Orléans prindrent l'occasion à pro-
pos pour forcer Baugency, où il avoyt esté laissé quelques sol-
datz avec ordre, s'ilz se voyoient pressez, de se retirer de
l'aultre costéen Beauce, mais soit ou la volonté de combatre ou
la faulte de se résouldre leur feist perdre le temps qu'ilz pou-
voient avoir pour se retirer, de façon qu'ilz se trouvèrent sur-
prins. 11 en fut tué quelques uns, et d'aultres beaucoup qui se
saulverent; mais ce ne fust sans perdre des lances par la
marche, assez bon nombre.
(Minute; f. fr., vol. 15876, f. 237.)
XXXIV.
Lettre du roi de Navarre à Chantonay, Blois, \2 juillet 1">62.
— Le prince a reçu les communications de d'Almeida et en
remercie l'ambassadeur d'Espagne. — Il se dispose à envoyer
420 ANTOINE DE BOURBON
un plénipotentiaire à Madrid. (Minute-, f. IV., vol. iS876,
f. 204.)
Lettre du roi de Navarre à Claude de PAubespine, secrétaire
d'état, Blois, \ 2 juillet \ 302. — Le prince va expédier François
d'Escars en Espagne et lui commande de prendre les instruc-
tions de la reine. — Il prie L'Aubespine de rédiger la dépèche.
(Minute; f. fr., vol. 15871;, f. 2<H.)
Lettre du roi de Navarre à Odet de Selve, Blois, \2 juil-
let 1502. — Le prince envoie François d'Escars en Espagne et
commande à de Selve de se préparer à l'accompagner. (Minute;
f. fr., vol. 13870, f. 200.)
Lettre du cardinal d'Armagnac au roi de Navarre, Vincennes,
13 juillet 1502. — Le cardinal informe le roi de Navarre que
l'abbé de Saint-Salut a apporté de Rome le bref par lequel le
pape recommande au roi d'Espagne la revendication et les inté-
rêts du prince. — Sa Sainteté, en outre, a envoyé au roi catho-
lique un ambassadeur spécial. — Nouvelles de la cour, du roi,
de la reine et du prince de Béarn. (Orig.; f. fr., vol. 6020, f. 34.)
Instructions du duc de Bouillon au capitaine Bertheville,
Argentan, U juillet 1502. — Réclamations personnelles. —
État de la basse Normandie et notamment de Caen, Yalognes,
Argentan, Cherbourg et Granville. — Demande de secours.
(Orig.; f. fr., vol. 13870, f. 2 Tl et 2Ï7.)
Lettre du comte de Villars au roi de Navarre, Châtellerault,
\h juillet 1562. — 11 a appris à La Haye que les rebelles de
Tours s'étaient enfuis a Poitiers el regrette de n'avoir pu les
surprendre. — Il a envoyé une sommation aux rebelles de Poi-
tiers. (Orig.; f. fr., vol. I5S70. I'. 251.)
Lettre du roi de Navarre a la reine, Blois, 10 juillet 1562.
— Envoi de François d'Escars a la cour, afin de prendre les
ordres de la reine. — Espoir que, moyennant une nouvelle
déclaration du roi, les ^ens d'Orléans déposeront les armes.
(.Minute; f. fr., vol. 15876, f. 202.)
Lettre du roi de Navarre a la reine. Blois, 19 juillet 1562.
— Il a envoyé le capitaine Rcnouarl aux Allemands pour près-
ET JEANNE d'ALBRET. 421
ser leur marche. — Nouvelles de Bretagne et de Poitiers. —
Touchant les dépenses de la guerre. (Minute; f. fr., vol. 15876,
f. 292.)
Lettre de François d'Escars au roi de Navarre, Vincennes,
21 juillet I.j('»2. — 11 a conféré avec l'ambassadeur d'Espagne
en présence du cardinal de Lorraine. — Arrivée de quinze
enseignes de Suisses à Lyon. — Odet de Selve s'est résolu à
faire le voyage de Madrid. — L'artillerie ne sera prête que dans
un mois. (Orig.; f. fr., vol. 13876, f. 295.)
Lettre du roi de Navarre à la reine, Blois, 22 juillet 1502.
— Il a appris que le baron des Adrets était parti de Lyon avec
dix-huit enseignes de gens de pied. 200 chevaux et six pièces
d'artillerie pour aller en Auvergne, et qu'il s'était emparé de
Montbrison. — Il invite la reine à commander au Rhingrave
d'envoyer dix enseignes contre le baron des Adrets. — Il retient
au camp les autres dix enseignes et la cavalerie allemande.
(Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 304.)
XXXV.
Lettre des gens de Vierzonau roi, 22 juillet 1562. — Ils ont
reçu une sommation de la part du s. d'Yvoy, soi-disant colonel
de l'infanterie française. — Les ennemis se sont retirés à
Meung et y ont commis toute sorte de cruautés. — Ils pré-
parent le siège de Vierzon. — Demande de secours. (Orig.-
f. fr., vol. 15876, f. 307.)
Lettre du capitaine La Loe au roi, Vierzon, 22 juillet 4562.
— Vains efforts pour reprendre Meung. — Récit d'un combat
sous les murs de la ville. (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 306.)
Lettre du capitaine Sarzay au roi de Navarre, Vierzon,
22 juillet 4562. — Le capitaine Brueit avec 70 arquebusiers est
entré à Vierzon. — Coup de main manqué -m- Meung. (Orig.^
f. fr., vol. 45876, f. 297.)
Ordredu prince de Gondé à François de Bricquemault, attendu
que la ville d'Orléans \;i être assiégée, de rassembler dans les
villages de la Beauce un certain nombre de pionniers, Orléans,
422 ANTOINE DE BOURBON
22 juillet 1562. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. 4t>2. —
A la suite de cet ordre, on trouve une commission confirmative
du prince de Gondé en date du 24 juillet.)
Lettre du roi de Navarre aux gens de la Rochelle, Mois,
25 juillet 4562. — Sommation de déposer les armes. (Minute;
f. fr., vol. 4 5876, f. 327.)
Quittance des châsses et reliquaires des églises de Vire,
remise à Gabriel de Lorges, seigneur de Mongonmery, en vertu
d'un ordre du prince de Gondé, Vire, 29 juillet 4 562. (Orig.;
1". fr., vol. 34 90, f. 44.)
Lettre du comte de Suse au roi de Navarre, Avignon,
4er août 4 5('»2. — Les rebelles se sont fortifiés au pont de
Sorgue avec neuf enseignes et cinq pièces d'artillerie. — Suse
s'est jeté dans Avignon pour défendre la ville. (Orig.; f. fr..
vol. 45876, f. 348.)
XXXVI.
Les remèdes nécessaires qui semblent ao roi de Navarre et
adx seigneurs qui sont avec luy soubz le bon i'laisik de la
ROYNE.
[Juin 1562.)
Envoyer Mous, de Montpensier ea Guyenne avec vingt
enseignes de Françoys, trois mille Espaignolz, la gendarmerie,
qui est a présent and. pays et sa compaignye. Et s'il a besoing
d'artillerie, il en prendra au chasteau Trompette et autres places
où il y en aura. Et, parlant d'icy led. s. de Montpensier, il sera
accompaigné des s. d'Aussun et de Vanguyon et aussi du s. de
Sansac, jusques ;i ce qu'il ayt trouvé les s. de Moulue, de
Teride cl autres seigneurs de Guyenne.
{ïïcpome de lu reine) La royne Irouvc 1res bon cest advis.
Et est présentement envoyé le povoir pour Mons. de Montpen-
sier et lettres aux sieurs qui l'accompaigneront. El dadvantaige
a esté advisé d'y envoyer Mons. de Gandalle et de Biron.
Envoyer à Lyon Mons. le mareschal de Saint-André avec
ET JEANNE D'ALBRET. ÏSA
trois mille lansquenets du Ringrave et ses deux cens pistolliers,
les troys mil Italiens du roy d'Espaigne et les troys mil Italiens
de Mons. de Savoie. Et pourra led. s. mareschal lever jusques
à vingt enseignes de Françoys. Et quant aux gens de cheval, il
aura sa compaignie et celles du comte de Tende, prince de Sal-
lerne, des sieurs de Tavannes, de la Fayette et de Suze et les
arquebuziers à cheval du chevalier d'Apchon et les deux cens
chevaux de Mons. de Savoye.
(Rép. de la reine.) On ne scauroit mieulx faire que de bail-
ler cesle charge à Mons. le mareschal, mais le roy de Navarre
considérera le retardement qui est aux Allemans, que Ton
actendoit du roy catholicque, et peu d'apparence d'en avoir,
pour sur ce prendre résolution, ainsi que luy a esté escrit par
le s. de Saint-Bonnet.
Led. s. mareschal prandra en Bourgongne l'artillerye,
pouldres et munitions qui luy seront nécessaires et sera besoing
que Mons. d'Estrées luy envoyé quelques bons commissaires et
canonniers.
Pour la Normandye.
Mons. d'Àumalle sera accompaigné de quinze enseignes de
Françoys, troys mille lansquenets du Ringrave et la cavallerie
qu'il a à présent avec luy.
(Rép. de la reine.) Semble que les lansquenets ne peuvent
aller pour les raisons susdictes.
Pour les forces du roy de Navarre.
Trente enseignes de Françoys.
Quinze enseignes de Suisses.
Les quatre mil lansquenets du roy d'Espaigne.
{Rép. de la reine.) Lesd. lansquenets et pistolliers n'est pas
chose seure. El encores ne scayt-on si aura tous les chevaulx
fiamans.
Neuf cens hommes d'armes.
(îhevaulx légiers et harquebuziers à cheval, six cens.
Les douze cens pistolliers du comte de Roquandolf.
424 ANTOINE DE BOURBON
Les mille pistolliers du roy d'Espaigne.
Les deux mille chevaulx flamans.
Et sera le bon plaisir de la royne commander au maislre de
l'artillerie de faire en loule dilligence préparer quarante canons,
dix mille boullets et deux cens milliers de pouldre; ce qu'il
pourra prandre en la Picardye au lieu plus proche de Paris. Et
(jue le tout soit prest dans la lin de ce moys de juillet ou le
xme du prochain pour le plus tard.
(Rép. de la reine.) Le s. d'Estrées ne peult fournir que dix
huit canons d'Amyens et quatre de Paris, qui sont vingt deux,
pour lesquelz avancer luy a esté baillé argent, et aussi pour
faire venir de Maizieres six milles bouletz et de Ghaslons et
Troyes les poudres qui y sont. Encores veoyd-on qu'il courra
beaucoup de temps avant qu'ilz puissent cstre par delà, pour
le grand nombre de chevaulx qu'il y fault, qu'il est impossible
lever, estans quasi toutes les élections occuppées. Et en celles
qui ne le sont point, ont jà esté prins ceulx qui servent aux
vivres et à l'artillerye. Et seroit besoing que le roy de Navarre
feist faire par delà ung département des lieux où lesd. chevaulx
se pourraient trouver pour conduire le tout de Paris; car il sera
pourveu à les amener icy.
Led. s. d'Escars n'oubliera dire a la royne ce qu'il a entendu
touchant les deniers que ceulx d'Orléans ont despendu et ce
que à peu près ilz peuvent avoir encores en leurs mains.
Est besoing d'user de toute dilligence pour les deniers que le
pappe doyt fournir, et que M. le cardinal s'efforce, en ce qu'il
pourra, de faire que l'église fera encores ung bon et prompt
secours, actendu que en beaucoup de lieux on a levé l'empes-
chement qui estoit en la joyssance de leurs terres et biens.
[Rép. de la reine.) On a dépesché le protonotaire de Manne
devers h' pape pour avancer son secours d'argent, ung autre à
Venise pour en recouvrer, s'il est possible, deux cens mille
escuz et autanl du duc de Florence. Et, pour le regard du clergé
de ce royaume, on ne perd temps ne expédition pour en avoir
d'eux.
Qu'il plaise à la royne faire diligemment dépescher en Aile-
ET JEANNE D'ALBRET. 425
magne, Suysse et Angleterre pour rompre et empescher les
brigues et menées que s'efforcent d'y faire ceulx dud. Orléans.
[Rép. de la reine.) Il y a esté satisfait.
Qu'il plaise aussi à Sa Majesté d'escrire par homme exprès
au Ringrave pour luy faire entendre que led. s. mareschal de
Saint- André est ordonné pour aller du cousté de Lyon, et que
sad. Majesté désireroit que led. s. comte prit le chemin de
Bourgogne avecq la moitié de ses bandes et les deux cens
reystres qui sont soubzsa charge, et quïlenvoyastàMons. d'Au-
malle en Normandye les autres troys mille lansquenets soubz
la conduicte du s. de Bassompierre ou de tel autre personnage
qu'il advisera, et qu'il plaise à sad. Majesté envoyer deux gen-
Lilzhommes pour conduire l'une des troupes en Bourgongne et
l'autre en Normandye.
[Rép. de la reine.) Remis après que l'on aura eu response de
la dépesche que a portée Saint-Bonnet.
(Copie du temps, s. I. a. d. — Au dos : Responce au mémoire apporté
par le s. d'Escars. — F. fr., vol. 15877, f. 84.)
XXXVII.
Lettre du roi de Navarre au comte de Sommerive, Vincennes,
2 août 1 562. — Ordre de joindre ses forces à celles qui arrivent
de Savoie et d'Italie, et de s'entendre avec Bourdillon et
Tavannes pour réduire les rebelles. (Minute; f. fr., vol. 45876,
f. 354 .)
Lettre du roi de Navarre au parlement de Paris, Vincennes.
4 août 1562. — Ordre de recevoir Me Jacques de Mouthiers à
l'office de bailli de Mantes et Meulan. (Minute; coll. du pari.,
vol. 555, f. 394.)
Lettre du roi de Navarre au duc d'Élampes, Vincennes,
4 août 4562. — Ordre de faire bonne garde contre les entre-
prises possibles des Anglais. — Paiement des Suisses. — Ordre
de réprimer la sédition de Nantes. — Le prince est venu cher-
cher le roi à Vincennes pour le conduire a Blois. (Minute; f. fr.,
vol. 45876, f. 355.1
426 ANTOINE DE BOURBON
Déclaration de la reine envoyée au s. de Lansac pour être
remise au concile de Trente, 6 août 4 562. — Récit des négo-
ciations conduites par la reine avec le parti réformé pour éviter
la guerre civile. — Démonstration catholique. (Copie du temps;
coll. Dupuy, vol. 322, f. Ils. — Autre copie; coll. Brienne,
vol. 200, f. 47.)
Lettre du roi de Navarre à Saint-Suplice, ambassadeur à
Madrid, Saint-Léger, 6 août 1502. — Lettre de recommanda-
tion de d'Almeida que le roi de Navarre renvoie en Espagne.
(Minute; f. fr. , vol. 45876, f. 402. — Le même jour, le roi de
Navarre écrivit à plusieurs ministres du roi d'Espagne dans le
même objet. Minute-, f. fr., vol. 15876, f. 427.)
Lettre du roi de Navarre au duc d'Albe, Blois, 7 août 4";r.2.
— Remerciements des concessions du roi catholique. — Recom-
mandations de d'Almeida que le prince renvoie en Espagne.
(Orig.; Arch. nat., K. 1490.)
XXXVIII.
Lettre du ducdeMontpensieret de François de Montmorency
au roi de Navarre, Blois, 7 août 1502. — Explosion de muni-
tions à Orléans. — Désir de l'armée de marcher au siège de
Bourges. — Arrivée de La Brosse. (Orig.-, coll. des autographes
de Saint-Pétersbourg, vol. 404; f. 10; copies delà Bibl. nat.)
Lettre d'Innocent Tripied, seigneur de Monterud, au conné-
table, Vierzon, 9 août -1502. — Récits de combats livrés sous
les murs de Bourges entre les premiers détachements catho-
liques et les soldats du s. d'Yvoy. (Orig.-, f. fr., vol. 45870,
f. 385.)
Lettre de Henri de Montmorency-Damville à la reine, Blois,
9 août 4502. — Remerciements de la charge d'amiral. (Orig.;
f. fr., vol. 15876, t. 3S4.)
Lettre du maréchal Saint-André au roi de Navarre, Poitiers,
1 1 août 4 502. — Les gens de la Rochelle font amende hono-
rable. — Envoi de lettres de Jarnac. (Orig.; f. fr., vol. 15876,
f. 392.)
ET JEANNE d'âLBRET. 427
Lettre de Saint-Suplice au roi de Navarre, Madrid, 12 août
4 562. — Réponses évasives du roi d'Espagne. — Bonnes dis-
positions de ce prince. (Orig.; f. fr., vol. 15870, f. 407.)
Lettre des habitants de Pontorson au duc d'Aumale, Pontor-
son, 12 août i 5(>2. — Plaintes contre les excès des réformés;
récit détaillé. (Orig.; f. fr., vol. 3490, f. -18.)
Lettre de Saint-Suplice au roi de Navarre, Madrid, 15 août
-1562. — Bonnes dispositions du roi d'Espagne relativement au
secours promis au roi de France. — Lettre de créance en faveur
du s. de Lamothe. (Orig.; f. fr., vol. 1^876, f. 430.)
XXXIX.
Lettre du roi de Navarre à Antonio d'Almeida, août 4 502.
— Ordre de repartir pour l'Espagne. (Minute; f. fr., vol. 4 5870,
f. 403.)
Instruction secrète du roi de Navarre à François d'Escars,
envoyé en Espagne, Romorantin, 17 août 1562. — Première
rédaction d'une pièce relative aux négociations du roi de
Navarre (voyez le document suivant). (Minute-, coll. des auto-
graphes de Saint-Pétersbourg, vol. 21, f. 145; copies de la
Bibl. nat.)
Instruction du roi de Navarre à François d'Escars allant en
Espagne, touchant la récompense du royaume de Navarre,
août 1502. — Déclaration par laquelle le roi de Navarre
accepte, de la main de Philippe II, a titre de générosité, le
royaume de Sardaigne en attendant la conquête de la Tunisie.
— Pièce très développée qu'il est inutile d'analyser, puisque la
mission de François d'Escars n'eut pas lieu. (Minute; coll. des
autographes de Saint-Pétersbourg, vol. 21, f. 138. — Autre
copie, f. 141. — Autre copie; correspondance de (maries IX
conservée à la bibl. de Saint-Pétersbourg, t. II, pièce 00 ; copies
de la Bibl. nat.)
XL.
Circulaire du roi aux prélats du royaume envoyés au concile
de Trente, Meun-sur-Yevre , 10 août 1502. — Ordre de se
428 ANTOINE DE BOURBON
rendre au concile de Trente et de se trouver le 25 octobre à
Turin. — Le concile durera probablement six mois. — Le roi
garde les frais à sa charge et autorise le prélat destinataire à
prélever 4,800 livres sur les décimes de son diocèse. (Copie du
temps; Arch. nat., K. 4498, n° 26.)
Instruction du roi au card. de Lorraine envoyé au concile de
Trente, s. t. n. d. (49 août 4562). — (Pièce originale signée :
Charles, Catherine, Alexandre (duc d'Anjou), Antoine (roi de
Navarre), Charles de Bourbon (prince de la Roche-sur- Yon),
François de Lorraine (duc de Guise), Montmorency, de Lospi-
tal, Saint- André, H. de Montmorency (Damville); f. fr.,
vol. 4 042(5.)
Ordre du roi à Jean de Monluc, évèque de Valence, d'aller au
concile de Trente avec le cardinal de Lorraine, Meun-sur-Yevre,
49 août 4 362. (Copie; f. fr., vol. 34 93, f. 4 5.)
Lettres par lesquelles le roi ordonne que le cardinal deChas-
tillon continue à jouir de ses biens, Camp de Laz-enay près
Bourges, 22 août 4562. (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 397.)
Don du roi au roi de Navarre de toutes les confiscations qui
seront prononcées contre les rebelles dans les provinces dudit
roi et de la reine de Navarre, Camp de Bourges, 25 août 4 562.
(Orig. sur parchemin; arch. des Basses-Pyrénées, E. 585, pièce
signée seulement de L'Aubespine.)
XLI.
Procuration de Jeanne d'Albret a Antoine m Mourbon podr
NÉGOCIER LA COMPENSATION I)D ROYAUME DE NAVARRE.
Pau, 25 août 1562.
Fut présente très haulle, très excellente, très puissante et
1res maignanime princesse, Jehanne, par la grâce de Dieu,
royne de Navarre, dame souveraine de Béarn et de la terre de
Domezan, duchesse de Vandosmoi>. de Granmont, d'Albret et
Monblanc et Pcnefiel, marquise de Lymoges, contessc de Foix,
d'Armaignac, Bigorre, Périgord, Rodez el Marie, viscontesse de
ET JEANNE D'ALBRET. 429
Marsan, Tursan, Gavardan, Nebouzan, Lannes, Villemur
et Tartas, laquelle recongnoit et confesse avoir faict et cons-
titue son procureur spécial très hault, très excellent, très
puissant et très maignanime prince, Anlhoyne, par la mesme
grâce roy, seigneur, duc, marquis et conte desd. lieux, son
très honoré seigneur et espoul, auquel seul et pour le tout lad.
dame constituante a donné et par ces présentes donne plaine
puissance et mandement spécial, avec faculté de substituer ung
ou plusieurs procureurs ayant pareil pouvoir que led. seigneur
roy, son mary, de, pour et au nom de lad. dame constituante,
traicter et accorder de tous et chacuns les différends, qui
jusques à ceste heure ont esté meus avec très hault, très excel-
lent, très maignanime et très puissant prince, Philipes, par la
grâce de Dieu roy d'Espaigne catholic, pour raison des droicts
à elle appartenans sur les villes, places et pais de son royaulme
de Navarre à présent détenus et possédés en sond. royaulme deçà
les ports par led. s. roy d'Espaigne, et de, sur lesd. différends
et accords, en faire passer tous traités et contracts en toute telle
forme et seureté que led. sieur roy, son procureur ou ses subs-
titués, adviseront estre faisable par raison et soubz les condi'
tions plus profictables et commodes pour lad. constituante et
ses hoirs, sans toutes fois préjudiciel* et y comprendre les
tiltres, droicts et biens par lad. dame constituante à présent
posseddés, et aussi, pour la parfection desd. accords, au nom de
lad. dame constituante, recevoir et accepter les royaulmes, pais,
villes et places qui seront baillées pour la paciffication desd.
différends et d'icelles en prandre ou faire prandre la possession
réelle, actuelle et corporelle, qui en sera baillée, promettant,
soubs l'obligation de tous et chascuns ses biens présens et
advenir, ratiffier, agréer et approuver tout ce qu'en la forme
susd. par led. sieur roy. son mary, et procureur ou aultres par
luy substitués, aura esté faict et passé au nom et proffict de lad.
dame constituante et de ses hoirs. El aultrement, sur tout ce
que dessus, faire conclure accords et contracts corne lad. cons-
tituante feroit et faire pourroit, si présente en sa personne y
estoit, combien que la chose requist mandement plus spécial.
En tesmoing de quoy lad. dame a signé ces présentes de -a
main et faict sceller du scel de ses armes en la présence de
430 ANTOINE DE BOURBON
moy, notaire à Pau, soubzsigné, à la requeste de lad. dame,
qui ay receu et passé la présente procuration en présence de
Girault de Sallignac, seigneur de Rochefort, gentilhomme de la
chambre du roy et escuyer d'escuyrie de lad. dame, et Richard
de Gontault de Sainct Genyès, tesmoings à ce requis, et par
moi, Jehan de Miramont, notaire susdict, appelles. Faict et
passé à Pau, au chasteau de lad. dame, lexxvejour d'aoust,
l'an de grâce mil cinq cens soixante deux.
Jehanne.
Et plus bas : J. de Miramont.
(Orig.; arch. des Basses-Pyrénées, E. 585; parchemin avec sceau.)
XLII.
Lettre de Paul de Foix, ambassadeur à Londres, à la reine,
Londres, 20 août ^ 562. — Négociations préliminaires du traité
de Hamptoncourt. (Orig.-, f. fr., vol. G(H2, f. 137.)
Lettre de Moreau, officier de finances, au s. de Gonnor,
Camp de Bourges, 2(J août 1562. — Le roi de Navarre réclame
son plat avec insistance à raison de 1,000 écus par mois. —
La ville de Bourges succombera à la fin de la semaine. (Orig.;
f. fr., vol. 32i6, f. 03.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Chartres, 27 août 4562.
— Lettre tout en chiffres, excepté un paragraphe dans lequel
l'ambassadeur raconte une victoire du duc de Nemours. (Orig.
espagnol; Arch. nat. , K. H9S, n° 27.)
Lettre de Ghantonay au roi de Navarre, Chartres, 27 août
1562. — Avertissement de l'accord qui se prépare entre la
reine d'Angleterre et les rebelles. (Gopie du temps; Arch. nat.,
K. 1498, n° 28.)
Lettre de Ghantonay à Philippe H, Chartres, 28 août 1562.
— Lettre tout en chiffres, sauf deux paragraphes, dans lesquels
l'amliassadeur parle des bonnes relations de Vendôme et de
L'arrestation d'un courrier du prince de Gondé par le duc de
Xcniours. (Orig. espagnol-, K. I Vis. n" 20.)
ET JEANNE d'aLBRET. 431
XLIII.
Lettre de Moreau au s. de Gonnor.
Camp de Bourges, 28 août 1562.
Nouvelles du siège de Bourges.
Monseigneur, encores que j'aye bien peu de subject pour
vous escrire, d'aultant que je sçay bien que ne mancquez poincl
de nouvelles asseurées, si est-ce que, s'ofîrant l'occasion de ce
porteur, je m'enhardiray de vous dire ce petit mot, qui est de
nostre batterye, qui jusques à cejourd'huy a continué assez
lentement jusques à avoir faict bresche à demy raisonnable.
Mais ceulx de la ville remparent de si grande force et dilligence
qu'il n'y a soldat françoys qui ne la tienne moins accessible et
plus dangereuse pour le hazard de beaucoup d'hommes qu'elle
n'estoit du premier et second jour. On continue tousjours à la
sappc dont on espère quelque chose; mais on tient pour vray
que lesditz de la ville se retranchent et donnent si bon remède
à nostre sappe, dont ilz sont fort bien advertis, à ce qu'ilz en
ont dict tout hault, qu'ilz donneront, avant que de les pouvoir
avoir, beaucoup d'affaires, et au hazard de perdre la pluspart
de noz bons hommes, sans ceulx qui sont desjà mortz et blessez,
comme du jour de devant hier, le cappitaine Lynières, et en sa
mauvaise jambe, que je croy luy fauldra coupper-, le cappitaine
Sarlaboz ung coup d'harquebuzade en la fesse ; oultre x ou xu
des nostres, tant reistres que Françoys. qui demourarent hier
sur le champ, sans beaucoup de blessez à l'escarmoulche d'une
saillye que firent ceulx de la ville avec bien nc harquebuziers
d'eslite, et vous asseure que noz soldatz françoys en parlent de
telle façon que leur commun dire est qu'ilz ont affaire à de
bons soldatz. Et croiez de vray que le courage de nosditz Fran-
çoys pour combattre diminue et deffault de jour à autre, au
veu et sceu de tout le monde. Dieu vueille que tout succède à
bien, et que le roy en puisse avoir la raison ! J'espère demain
m'enquérir au plus prez de tout ce qui se sera passé depuis ce
jourd'huy, pour vous en faire certain par le premier que je
trouvera) à propos, sans me hazarder par la poste, où il se pert
432 ANTOINE DE BOURBON
forces pacquectz. Il ne s'est encores faict monstre pour se mois
d'aoust que des lansquenetz; chacun se remect après la prise
de la ville. Monseigneur, espérant demain vous escrire plus au
long et de nouvelles plus fresches, je présenteray mes très
humbles recommandations à vostre lionne grâce, et prieray le
Créateur de vous donner, Monseigneur, la sienne en bonne santé
et longue vie. Du camp devant Bourges, ce xxvuie aoust -1562.
Moreau.
(Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 65.)
XLIV.
Ordre du roi de Navarre au maréchal de Bourdillon, lui com-
mandant de remettre au duc de Savoie, en vertu du traité de
Cateau-Cambrésis, les quatre places fortes du Piémont, Camp
devant Bourges. 31 août 4 562. — Pièce rapportée dans le pro-
cès-verbal de la remise de ces places. (Copie du temps; f. fr..
vol. 311)5, f. 2.)
Lettre de Chantonay à Philippe IT, s. I. n. d. [septembre \ 562).
— Prise de Bourges. — Pillages de d'Yvoy. Le roi de Navarre
lui a refusé l'autorisation d'emporter le produit de ses rapines.
— Les rebelles pillent les villes et les églises dont ils peuvent
se rendre maîtres. — Incertitude de la marche de l'armée royale.
— Il est probable qu'elle ira assiéger Orléans. — Coups de main
préparés par les Anglais en Normandie, avec la complicité des
rebelles. — Nécessité pour Philippe II de presser l'envoi des
troupes espagnoles. — Le duc de Nemours ira à Lyon avec les
compagnies italiennes. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. J498,
n" 23.)
Lettre du roi de Navarre au pape, Étampes, septembre <562.
— Remerciements du prince pour la lettre qu'il a reçue de Sa
Sainteté. — Protestation de dévouement. (Copie du temps ; f. fr.,
vol. I5S77, f. 95.)
Lettre de Saint-Suplice à Antoine de Noailles, Madrid, Ier sep-
tembre I5<>2. — Le roi d'Espagne ne pourra envoyer tout le
secours qu'il avait promis. (Copie du temps; f. fr., vol. 69-M,
f. 373.1
ET JEANNE D'ALBRET. 433
Lettre de Saint-Suplice à la reine mère, Madrid, 4er sep-
tembre 4 562. — Négociations à la cour d'Espagne au sujet des
troupes demandées par la reine. — Quant à la cavalerie, Phi-
lippe II, s'attendant à être attaqué dans les Flandres, est obligé
de réduire ses propositions. (Orig.; f. fr.. vol. 45877, f. 5.)
Lettre de d'Almeida à la reine. Madrid, 2 septembre 4562.
— Il a remis au roi catholique les instructions dont il était
porteur. — Dans huit jours, il espère recevoir une réponse
favorable. — Bonnes dispositions de Philippe II et de tous ses
ministres pour le roi, la reine et le roi de Navarre. (Autographe
espagnol; f. fr., vol. 4 3877, f. M.)
XLV.
Lettre du roi de Navarre à Maugiron, lieutenant général en
Dauphiné, Camp de Bourges. 4 septembre 4562. — Ordre de se
rendre en toute diligence, avec Robertet d'Alluye, en Piémont,
afin de prendre la conduite des dix enseignes de gens de pied,
des trois compagnies de gendarmerie et des deux cornettes de
chevau-légers du maréchal de Bourdillon. (Orig.; Arch. munie,
de Lyon, AA. 24, f. 434.)
Lettre d'Antonio d'Almeida au roi de Navarre. Madrid, 7 sep-
tembre 4 362. — Récit de sa mission a Madrid. — Sa conférence
avec le prince d'Eboli. — Bonnes dispositions du roi d'Espagne.
— Il attaquera les rebelles de France par l'Italie. (Autographe
espagnol; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 385.)
Lettre du comte de Sommerive au roi de Navarre, Camp
d'Avignon, 1 7 septembre 4 362. — Récit détaillé de la campagne.
(Orig.; f. fr., vol. 45877, f. 76.
Lettre de Robertet, secrétaire d'État, au roi de Navarre. Fos-
san, 4 8 septembre 4 362. — Le duc et la duchesse de Savoie,
pour aider le prince dans ses revendications, envoient le sieur
de Morette en Espagne. (Orig.-. f. IV.. vol. 4 3877, f. 80.)
rv 28
434 ANTOINE DE BOURBON
XLVI.
Nouvelles de la santé de Henri de Navarre.
Montargis, sept. 4562.
Sire, hier et avant hier, monseigneur le Prince, vostre filz,
s'est hien porté, grâces à Dieu, que n'est lui demourée se non
une petite chaleur, laquelle j'espère que s'en ira du tout
avecques l'infusion de reubarbe qu'il a prins aujourd'hui à
matin, sans nulle difficulté; je la lui ai ballée très volentier,
pour l'otter de tous dengiers, et mesmement voyant que Monsr
Chapelin est de la mesme opinion, selon que m'a mandé par sa
lettre. Mondict seigneur vostre fils ceste nuict a reposé fort
doucement, de sorte qu'il commence desjà s'aprocher à sa pre-
mière costume naturele en toutes choses.
La medicine jusques à cest'heure de midi a opéré deux foys,
ayant faict sortir par le bas une grande quantité d'humeurs fort
corrumpues-, lesquelles, se fussent demourés dedens le corps,
pouvoient assez aiséement engendrer une novelle et dangereuse
fièvre.
Après ceste medicine, on le faira prendre, par quelques jours,
trois heures devant disner, de petites tabletes avecques un boul-
lon des bonnes herbes, lesqueles sont fort propres pour confor-
ter l'estomac et le foye et pour ayder sortir par Turine et par
sueur quelque petite rcliquie d'humeurs que pouroit demourer
aprez la pourgation-, et, à petit à petit, on l'acostumera en son
ordinaire façon de vivre. Espérant, Sire, quavecques l'ayde de
Dieu, je n'oblierè rien de cela que vous a pieu me comander
par la lettre qu'il vous pleut m'escrire pour confirmer et con-
server la santé dudict seigneur ; et vous remercie, Sire, de la
bonne opinion que [vous avez] de moy, laquele je m'esforcerè,
Dieu avdanf, de vous donner toujours [occasion] de ne l'avoir
jamais pire. Me recommandant en loulc humilité a vostre grâce,
je prie le Créateur, Sire, vous donner très longue et heureuse vie.
De Montargis, le... septembre \~M\1.
Vostre plus que très humble et très excellent serviteur.
(Autographe, signature enlevée; f. fr., vol. 15877, f. 98.)
ET JEANNE d'aI.BRET. 435
XLYII.
État des appointements du lieutenant général de l'armée
devant Rouen et des capitaines et autres officiers, pour le mois
de septembre 4 302. (Copie du temps-, Ve de Colbert, vol. 24,
pièce 105.)
Lettre du roi à Paul de Foix, ambassadeur en Angleterre,
octobre 4 362. — Le roi n'a donné aucune occasion à la reine d'An-
gleterre de porter secours aux rebelles. — Ordre de lui faire
des remontrances ainsi qu'aux seigneurs de son conseil. (Copie;
coll. Brienne, vol. 200, f. 109.)
Lettre de Henri de Montmorency Damville au roi de Navarre,
Yvetot, 5 octobre ^ 562. — .Mesures prises pour empêcher la
descente des Anglais. — Le prévôt de Normandie a coupé à
Darnetal le ruisseau qui faisait moudre les moulins de Rouen.
— La disette se fait sentir dans la ville. — Les Anglais sont
descendus à Dieppe. — Ils commencent à paraître au Havre. —
Demande d'argent pour les compagnies de gens de pied. (Orig.;
coll. des autographes de Saint-Pétersbourg, vol. 104, f. 4 2.
Copies de la Bibl. nat.)
Lettre du capitaine Estouteville au roi de Navarre; même
date et même sujet que la lettre précédente. (Orig.; f. fr. ,
vol. 45877, f. 465.)
Lettre de H. de Montmorency Damville au roi de Navarre,
Yvetot, 6 octobre 4 362. — Les Anglais sont descendus au Havre
au nombre de deux ou trois mille. — Nécessité de fortifier les
autres villes. (Orig.; coll. des autographes de Saint-Pétersbourg,
vol. 404, f. 44. Copies de la Bibl. nat.)
Lettre de Beauvoir La Nocle à la reine, le Havre, 7 octobre
4 362. — Les Anglais sont descendus à Dieppe et au Havre. —
Justification de l'intervention anglaise au nom de la gloire de
Dieu et de l'intérêt du roi. — Récriminations ardentes contre
les chefs du parti catholique. — Offre à la reine des services du
prince de Condé. (Orig.; f. fr., vol. 4 5877, f. 175.)
436 ANTOINE DE BOURBON
XLVIII.
Letlre de Marc Antoine Rarbaro, ambassadeur vénitien, à la
république de Venise, Paris, M octobre 4 5(i2. — Blessure reçue
par le roi de Navarre. — Sa mort aurait pour conséquence de
porter le prince de Gondé au pouvoir. (Copie ital.; Dépêches
vénit., filza4 bis, f. 47 v°.)
Lettre du même, Paris, 4 8 octobre 4 5G2. — Nouvelles du roi
de Navarre. — Récit de l'assaut du -1 r> octobre. (Copie ital.;
Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 4 30.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Paris, 4 9 octobre 4562.
— Visite de l'ambassadeur au duc de Vendôme. — Sa blessure
n'est pas mortelle. — Courage des chefs de l'armée. — Le
royaume de France est en entier déchiré par la guerre civile.
— Politique de la reine d'Angleterre en Normandie. — Le duc
de Vendôme dépêche Odet de Selvc à Madrid. (Orig. espagnol -,
Arch. nat., K. 4496, n° 4 49.)
Résumé de chancellerie de la réponse que Antonio d'Almcida
doit porter au roi de Navarre de la part du roi d'Espagne, sur
le conseil du duc d'Albe et du prince d'Eboli, Madrid, 21 oc-
tobre 4 502. — Puisque le roi de Navarre veut envoyer Fran-
çois d'Escars à Madrid, il sera reçu suivant sa dignité, mais il
serait bon, avant d'entrer en conférence avec lui, de s'entendre
sur les assurances que le roi de Navarre est à même de donner
au roi d'Espagne. (Orig. espagnol, signé du duc d'Albe et du
prince d'Eboli; Arch. nat., K. (496, n° 120.)
Réponse de d'Almeida à la pièce précédente, Madrid. — Il
demande à la chancellerie espagnole de s'expliquer clairement
avec le roi de Navarre et de préciser les engagements que le roi
catholique exige de lui. — Nouvelles de France; le royaume est
en proie à la guerre civile. (Autographe espagnol; Arch. nat.,
K. 4496, n° 4 21.)
XLIX.
Lettre de Marc Antoine Barbaro, ambassadeur vénitien, à la
république de Venise, Paris, 21 octobre 4 302. — Nouvelles du
ET JEANNE D'ALBRET. l.*>7
siège de Rouen. — Récit des négociations que la reine conduit
avec les rebelles. (Copie ital.; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 452.)
Lettre du secrétaire d'État Bourdin au s. de Gonnor, Camp
de Rouen, 22 octobre 4362. — Siège de Rouen. — Bravoure des
assiégeants et des assiégés. — Nouvelles du roi de Navarre.
(Orig.; f. fr., vol. 324 9, f. 4 02.)
Lettre de Philippe II à Catherine de Médicis, Madrid, 23 oc-
tobre 4 362. — Encouragements à réprimer avec vigueur la
rébellion. — Quant aux affaires du duc de Vendôme, le roi
d'Espagne s'en réfère à sa réponse à d'Almeida. — Il aura tou-
jours égard aux recommandations de la reine. (Copie en espa-
gnol; Arch. nat., K. 4496, n° 122.)
Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise,
Paris, après le 26 octobre 1562. — Siège de Rouen. — Depuis
la prise du fort Sainte-Catherine, les réformés ont demandé à
parlementer. — Fuite de Mongonmery. — L'armée royale va
marcher sur Dieppe. — Le maréchal Saint-André et le duc de
Nemours sont envoyés avec des forces au-devant de François
d'Andelot, qui revient d'Allemagne avec des troupes. (Copie
ital.; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 149.)
Lettre du cardinal de Bourbon au s. d'Humières, Camp de
Rouen. 26 octobre 4 362. — Convalescence du roi de Navarre.
— L'assaut eût été donné à la ville de Rouen depuis quelques
jours, sans la crainte de la reine de livrer la ville au pillage.
(Orig.; f. fr., vol. 34 87, f. 32.
Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, 2r> octobre 4 3(12.
— Ordre de régler les garanties que Vendôme réclame, afin que,
lorsque d'Escars arrivera à Madrid, ces points préliminaires
soient tranchés. — Touchant la lettre que la reine mère a écrite
à Philippe II, au sujet des troubles de France. — Le roi d'Es-
pagne approuve l'envoi de d'Escars, mais l'arrivée de cet ambas-
sadeur déplait vivement à Saint-Suplice. (Orig. espagnol; Arch.
nat., K. 4496, n°423.)
Lettre du duc d'Albe ou du prince d'Eboli au roi de Navarre,
Madrid, 27 octobre 4 562. — Réponse à la lettre du prince du
7 août. — Protestation de dévouement. (Minute en espagnol;
Arch. nat., K. 4496, n° 36.)
iv 28*
438 ANTOINE DE BOURBON
Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise,
Paris, 29 octobre -1362. — Récit détaillé de la prise de Rouen.
— Pillage de la ville. (Copie ilal.; Dépèches vénit., filza 4 bis,
f. 154.)
Lettre de Moreau, officier de finances, au sr de Gonnor,
Rouen, 30 octobre 4562. — Détails sur le pillage de la ville de
Rouen. (Orig.; f. fr., vol. 324 6, f. 80.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Rouen, -1er novembre 4562.
— Convalescence du duc de Vendôme. — Le reste de la lettre
est en chiffres. (Orig. espagnol ; Arch. nat,, K. 4 500, n° 44.)
Lettre de Moreau au sr de Gonnor, Rouen, 5 novembre 4 562.
— Il a fait la dépêche d'un don du roi au bâtard d'Angou-
lême. — Le roi a fait crier un pardon général qui ne réserve
que neuf ou dix rebelles. — Il partira de Rouen pour Paris. —
On espère y mener le roi de Navarre en bateau. — La reine fait
donner une somme d'argent à tous les capitaines blessés. —
Prière d'user de son influence pour restreindre telles générosités
qui vont épuiser le trésor. (Orig.; f. fr. , vol. 3216, f. 82.)
LI.
Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise,
Paris, 6 novembre 4 5<;2. — État du roi de Navarre. (Copie ital.;
Dépêches vénit., filza h, f. 156.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Rouen, 6 novembre 4 562.
— Le roi et la reine ne partiront de Rouen que lorsque le duc
de Vendôme sera en convalescence. — Tout le reste est chiffré.
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1500, n° M.)
Lettre de Chantonay a Philippe II, Rouen, 9 novembre 1562.
— La blessure du duc de Vendôme fait craindre pour sa vie.
— La reine a dit à l'ambassadeur (pie le 12 ou le 4 3 elle par-
tira pour Paris. — On a l'intention d'amener Vendôme en bateau.
— Victoire remportée près de Valence par le duc de Nemours
ET JEANNE d'aLBRET. 439
sur le baron des Adrets. (Orig. espagnol; Arch. nal., K. 1300.
11° J5.)
Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise,
Paris, 9 novembre -1562. — La duchesse de Guise a dit savoir
de la reine qu'elle tenait le roi de Navarre pour mort. (Copie
ital.; Dépêches vénit., fiiza 4 bis, f. 49 v°.)
Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, 10 novembre
4 5<î2. — Ordre de visiter le duc de Vendôme et de lui exprimer
de sa part la satisfaction qu'il éprouve de sa convalescence.
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. U96, n° -126.)
Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise,
Paris, 12 novembre -1562. — Le bruit court que, si le roi de
Navarre vient à mourir, la lieutenance générale écherra au
prince de Béarn. — Chance que le prince de Condé peut avoir
d'obtenir cette charge. (Copie; Dépêches vénit., filza 4 bis,
f. 49 v°.)
Lettre du même, Paris, 4 6 novembre 4 362. — État désespéré
du roi de Navarre. — S'il vient à mourir, il ne sera pas rem-
placé comme lieutenant général. (Ibid.5 ibid., f. 160.)
Lettre du même, Paris, 48 novembre 1362. — Incertitude
générale et perplexité de la reine. (Ibid.; ibid., f. 30 v°.)
Lettre du roi au s. de Mailly, Vincennes, 48 novembre -1362.
— Nouvelles de la mort du roi de Navarre. — Défense à tout
capitaine ou officier de ne prendre les ordres que du roi ou de
la reine mère. (Orig.; f. fr., vol. 20434, f. 30.)
LU.
Lettre de Philippe II à la reine, Madrid, 23 novembre 4562.
— Le roi a appris que l'état du roi de Navarre a empiré. — En
conséquence, en cas de mort de ce prince, il recommande le
cardinal de Bourbon pour la dignité de lieutenant général.
(Minute en espagnol; Arch. nat., K. 4496, n° 127.)
Lettre de Saint-Supliceàlareine, Madrid. 23 novembre 4 362.
— Le duc d'Albe l'a informé de l'état désespéré du roi de
440 ANTOINE DE BOURBON ET JEANNE d'aLBRET.
Navarre. — Philippe II recommande le cardinal de Bourbon
comme lieutenant général. — Saint-Suplice a répondu que ce
choix dépendait des états généraux. (Orig.; f. fr.; vol. J.5877,
f. 386.)
Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, 23 novembre -1562.
— Conséquence désastreuse de la mort possible du duc de Yen-
dôme. — Le roi commande à Chantonay de faire tous ses efforts
pour que la charge de licutenaiil général tombe aux mains du
cardinal de Bourbon. (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1496,
q° 128.)
Instruction de Philippe II à Francès de Alava, ambassadeur
extraordinaire en France, Madrid, 29 novembre -1362. — Ordre
de féliciter la reine de la prise de Rouen. — Ordre d'empêcher
par tous les moyens que le prince de Condé succède à son frère
et de faire triompher la candidature du cardinal de Bourbon.
— Toutes les lettres du roi confiées à Alava ne devront être
remises à leur adresse que si Vendôme est mort. (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 4496, n° 432.)
Lettre de Philippe II à Catherine de Médicis, Madrid, 29 no-
vembre 4 562. — Philippe II présente ses doléances à la reine et
lui recommande le cardinal de Bourbon. (Copie espagnole ; Arch.
nat., K. 4436, n°430.)
Lettres de Philippe II au roi, au cardinal de Bourbon, au duc
de Guise, au prince de la Roche-sur- Yon, au connétable, Madrid,
29 novembre 1562. — Même sujet que la lettre précédente.
(Copie en espagnol ; Arch. nat., K. 1496, n° 429.)
TABLE.
CHAPITRE SEIZIÈME.
Séparation du roi et de la reine de Navarre. — Page 1.
La reine mère passe au parti réformé. — Elle modifie, au profit
de ses nouvelles tendances, l'éducation de ses enfants.
Assemblée de Saint-Germain (3 janvier 1562). — Édit de janvier
(17 janvier). — Opposition du parlement. — Il se résigne à
l'enregistrement de l'édit (5 mars).
Colloque de Saint-Germain au sujet du culte des images (27 jan-
vier-6 février).
Le roi de Navarre passe au parti catholique. — Reprise des
négociations avec le roi d'Espagne au sujet de la Sardaigne.
— Philippe II demande le renvoi des chefs du parti réformé.
— Projet d'envoyer le prince de Condé en Guyenne. — Phi-
lippe II exige l'exil des Chastillons. — Le duc d'Albe offre la
Tunisie au roi de Navarre (18 janvier). — Rivalité de la reine
mère et du roi de Navarre. — Retraite du connétable (26 jan-
vier). — Antoine demande à la reine le renvoi des Chastillons
(12 février). — Retraite volontaire de Coligny (22 février). —
Renvoi du maréchal Saint- André.
Retour d'Antonio d'Almeida à Madrid (5 mars). — Les chefs du
parti catholique recommandent le roi de Navarre à Chan-
tonay.
Querelles de Jeanne d'Albret et du roi de Navarre au sujet do
la religion. — État de santé de la princesse. — L'ambassadeur
d'Espagne demande l'expulsion de Jeanne d'Albret. — Jeanne
quitte la cour (fin mars). — Henri de Béarn reste auprès de
442 TABLE.
son père ; sa résistance au catholicisme. — Jeanne d'Albret à
Vendôme. — Pillage de la collégiale de Vendôme et des tom-
beaux de la maison de Bourbon-Vendôme (mai). — La reine
de Navarre se retire en Béarn.
CHAPITRE DIX-SEPTIEME.
Massacre de Vassy (1er mars). — Prise d'Orléans (2 avril). —
Page 101.
Négociations du duc de Guise en Allemagne. — Entrevue de
Saverne (15 février 1562). — Massacre de Vassy (1er mars). —
Conférences de Nanteuil entre Guise, le connétable et Saint-
André (12 mars). — Nouvelles de la cour. — Entrée du duc
de Guise à Paris (16 mars). — Lettres de la reine à Condé (16
au 26 mars). — La cour est conduite à Fontainebleau par le
roi de Navarre (18 mars). — Le roi de Navarre vient à Paris
(21 mars). — Procession du dimanche des Rameaux (22 mars).
Condé sort de Paris et se rend à Meaux (23 mars). — Enlève-
ment du roi par le triumvirat (26-31 mars). — Le connétable
arrive à Paris (4 avril). — Condé se met en campagne
(29 mars). — Condé sous les murs de Paris (31 mars). — Prise
d'Orléans (2 avril).
CHAPITRE DIX - HUITIÈME.
Avril et mai 1562. — Page 145.
Effet de la prise d'Orléans à la cour. — Dispositions de la reine
et du roi de Navarre.
Armements des huguenots. — Condé et Coligny à Orléans. —
Le comte de La Rochefoucault. — Acte de confédération du
11 avril 1562.
Négociations de la reine et du triumvirat avec le prince de
Condé. — Exigences du parti réformé. — Catherine propose
une entrevue au prince de Condé — Premier manifeste du
prince (8 avril). — La reine embrasse le parti catholique. —
Second manifeste du prince (25 avril). — Requête du trium-
virat au roi (4 mai). — La cour à Monceaux. — Réponse de
Condé à la requête du triumvirat (19 mai). — Pillage des
églises d'Orléans.
TABLE. 443
Armements des catholiques. — Prépondérance du roi de Navarre
à la cour. — Négociation de d'Almeida en Espagne. — Phi-
lippe II promet le royaume de Tunis au roi de Navarre et lui
accorde la Sardaigne en attendant la conquête de la Tunisie.
CHAPITRE DIX-NEUVIEME.
Avril, mai, juin 1562. — Page 219.
Commencement de la guerre civile. — Dauphiné. — Le baron
des Adrets. — Prise de Lyon (1er mai 1562). — Le s. de Mau-
giron. — Provence. — Les s. de Tende et de Sommerive. —
Bourgogne. — Gaspard de Saulx-Tavannes.
État de l'armée royale. — Mesures de défense prises à Paris. —
Suite des négociations de la reine et du roi de Navarre avec
le prince de Condé. — Entrevue de Toury (9 juin).
Reprise des négociations (13 juin). — Trêve de six jours. —
Conférence du roi de Navarre et du prince de Condé à Beau-
gency (21 et 22 juin). — Manifeste des huguenots (24 juin). —
Entrevue de la reine et des seigneurs réformés à Saint-Simon
(29 juin). — Rupture définitive des négociations.
CHAPITRE VINGTIÈME.
1er juillet-septembre 1562. — Page 271.
Le prince de Condé prend et pille la ville de Beaugency. — Le
roi de Navarre s'empare de Blois (4 juillet). — Antonio d'Al-
meida est arrêté sous les murs de Tours. — Le roi de Navarre
entre à Tours (11 juillet).
Forces de l'armée royale commandée par Antoine de Bourbon.
— Le roi, la reine et la cour arrivent au camp de Blois
(11 août). — Siège de Bourges (18 août). — Prise de la ville
(1er septembre).
Suite des négociations du roi de Navarre avec le roi d'Espagne.
— Entrevue du prince et d'Antonio d'Almeida. — Henri de
Béarn. — Procuration de Jeanne d'Albret à son mari pour
négocier de l'échange de la Navarre (25 août).
444 TABLE.
CHAPITRE VINGT ET UNIÈME.
Mort du roi de Navarre. — Page 321.
Négociations du parti réformé et du parti catholique en Suisse,
en Allemagne et en Angleterre. — Mission de Sydney en
France. — Traité de Hamptoncourt (20 sept. 1562).
La ville de Rouen tombe aux mains des réformés (15 au 16 avril
1562;. — Préliminaires du siège de Rouen. — L'armée royale
sous les murs de Rouen (27 septembre). — Gabriel de Lorges,
comte de Mongonmery. — Prise du fort Sainte -Catherine
(6 octobre). — Rlessure du roi de Navarre (16 octobre). —
Prise de Rouen par l'armée royale (26 octobre). — Mort du
roi de Navarre (17 novembre).
Pièces justificatives P. 381
FIN
V ANTOINE DE BOURDON ET JEANNE DALDRET.
Nogent-Ie-Rotrou, imprimerie Daui>eley-Gouverneur.
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
Commentaires et Lettres de Blaise de Monluc , maréchal de
Fkvnce, 1 964-4 872.', 5 voJ. in-8. édition publiée pour la
Société de l'Histoire de France. — Épuisée.
Mémoires inédits de Michel de la Huguerye, 4 877-4 880, 3 vol.
in-8, publiés pour la Société de l'Histoire de France.
Histoire universelle du sieur d'Apbigné, édition critique
publiée pour la Société de l'Histoire de France, tome I,
1880.
Notice des principaux Livres manuscrits et imprimés qui ont
fait partie de l'Exposition de l'art ancien au Trocadéro,
1879, in-8, Techener.
François de Montmorency, gouverneer de Paris et lieutenant
pu roi dansl'Isle de France (4530-4579), extrait du tome VI
des Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-
de-France.
Le Mariage de Jeanne d'Albret, -1877, in-8, Labitte.
Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, suite de Le Mariage
de Jeanne d'Albret, tomes I, II et III, in-8, Labitte.
Le duc de Nemours et mademoiselle de Rouan (4534 74592).
Paris, 4883, petit in-8, tiré à 170 exemplaires.
Off QRAF'CME HtCOROi Sp
•
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
DC Ruble, Alphonse, baron de
112 Antoine de Bourbon et
A6Rd Jeanne d'Albret