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Full text of "Après la journée: premières et nouvelles poésies"

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APRÈS LA JOURNÉE 



HIPPOLYTE MATABON 



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APRÈS 



LA JOURNÉE 



PREMIERES 



ET 



NOUVELLES POÉSIES 



OUVRAGE COURONNÉ TAR L'QéCADÉMIE JRANÇAISE 

(■875) 





TROÏSIÈMC: ÉDITION 






; . • : - 








MARSEILLE 




J. 


CAYER, 


IMPRIMEUR- 
ÉDITEUR 


LIBRAIRE 




57. 


, rue Saint-Ferréol, 


57 



1886 




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VI APRÈS LA JOURNÉE. 



avaient mis en reliefs devait en outre à son caractère 
aimable^ à sa conversation séduisante^ à sa plume 
spirituelle^ de nombreuses sympathies et plus d'une 
illustre amitié. Une préface émue et sincère leur 
dévoila l'œuvre et le poète ^ et les firent prendre Pun 
et l'autre en faveur. 

Parmi les pièces dont se compose le recueil paru 
en 1874, il en est une^ Le Vieux Fauteuil, qui a 
procuré à son auteur l'émotion la plus enviable qu'un 
homme de cœur puisse désirer : elle a fait couler des 
larmes. 

Cette élégie et Les Lunettes de ma Grand' Mère 
sont aujourd'hui dans toutes les mémoires et il n'est 
pas de virginales lèvres de jeune fille à qui l'on n'ait 
accordé y pour prix d'études consciencieuses^ le plaisir 
d'en scander les vers si naturels, si touchants, si bien 
faits pour d'angéliques interprètes. 

Ce qu'il y a dans ces pièces de profondément moral 
peut échapper à la nàive adolescence, mais pénètre 
jusqu'à la moelle celui qui a vécu et qui, dans ses 
souvenirs, n'en trouve point de plus doux que les 



APRÈS LA JOURNÉE. VII 



premières tendresses des siens et les joies et les 
peines de son cœur d'enfant. 

Aussi y ces, deux pièces ont du leur succès non 
seulement aux sentiments qu^elles manifestent dans 
une langue châtiée et harmonieuse^ mais de plus 
à ceux qu'elles réveillent ou qu'elles font naître. 
C'est pour ce double motif que Le Vieux Fauteuil 
et Les Lunettes de ma Grand'Mèfe ont été cou- 
ronnés aux Jeux Floraux de Toulouse. 

Ces premiers triomphes du poète furent suivis 
des témoignages les moins équivoques de la faveur 
des gens de goût. Le recueil ^/'Après la Journée né- 
tant pas au dessous du bien qu'en avait dit son intro- 
ducteur y les premiers lecteurs du poète n'hésitèrent 
pas à devenir ses patrons. Le livre passa de main 
en main et fut bien reçu. A ceux qui ne le lisaient 
pasy des admirateurs convaincus faisaient partager 
leur sentiment en en récitant y avec émotiony des pages y 
des pièces entières : ainsi firent M. Coquelin aîné et 
Af ^ Reichenbergy de la Comédie Française. L'écho 
de ces beaux vers arriva jusqu'à l'Institut y et l'Aca-^ 



VIII APRÈS LA JOURNÉE. 



demie FrançaisCy touchée par tout ce que le recueil 
^'Après la Journée contient de charme^ de délica- 
tesse^ de sensibilité vraie, le couronna. 

Les qualités du livre ne pouvaient que plaire à 
r Académie, et elle avait le devoir de les récompenser. 
Le beau sait revêtir bien des formes, et, si Von n^est 
pas exclusif, on ne dédaigne pas, pour T amour de 
certaine poésie moderne à la pensée ombreuse et au 
style cru, la clarté et r élégance des poètes d* autrefois. 

D'autres peuvent voir d'un œil indifférent qu'on 
néglige le classique; V Académie Française, loin d'être 
de cet avis, en considère la culture comme un culte à 
maintenir et encourager. Elle a donc sanctionné de sa 
haute approbation celle des Mainteneurs et du public. 

Sa récompense n'a sûrement pas visé r œuvre seule; 
elle s'est aussi adressée au poète, dont l'existence, 
réglée comme l'ordonnance de ses vers et ennemie de 
la nouveauté incertaine, s'écoulait, ainsi qu'elle avait 
débuté, dans le travail monotone d'un cabinet de 
prote d'imprimerie, qui ne laisse de loisir, il est 
vrai, qu'après la journée, mais qui assure à la fois 



APRÈS LA JOURNÉE. IX 

et très honorablement t aisance du foyer et la quiê^ 
tude de F esprit. Une pareille vie, dénuée d^ ambition 
matêrielley noble dans sa simplicité^ absolument digne 
dans son labeur continuel^ ne pouvait que bien dispo- 
ser les juges y en relevant de ses mérites rares et exem- 
plaires, ceux de rouvre. 

M. Matabon n'a jamais varié dans la conduite 
de sa vie. 

Ce quil était quand M. l'abbé Bayle lui servait 
d'introducteur, et, plus tard, lorsque P Académie 
Française le couronna, il Pest aujourd'hui. 

Collaborateur assidu de M. Cayer, il est en outre 
devenu son ami. Souvent même la journée se pro- 
longe pour eux, M. Matabon ayant pris l'habitude, 
le labeur du jour fini, défaire à M. Cayer, dont le 
jugement droit et sûr justifie cette flatteuse déférence, 
ses confidences poétiques; car M. Matabon, s'il n'a 
pas quitté le bureau de prote, na pas été non plus 
délaissé par la Muse. 

Aux vers qui lui avaient conquis les deux prix 
de Toulouse et celui de l'Académie Française, il a 



APRÈS LA JOURNÉE. 



ajouté de nouveaux vers tout aussi suaves que les 
premiers et qui sont en train de faire le même 
chemin. 

Déjà plusieurs des nouvelles pièces ont été cou- 
ronnées; quoi de plus équitable! Peut-on mettre dans 
une idylle plus de jeunesse et de fraîcheur que dans 
Un Beau Dimanche ? Analyser cette pièce serait lui 
enlever de son prix. Il faut la lire et même la relire 
si on veut en éprouver l'entière séduction. Cette 
réflexiony du reste ^ s'applique à toutes les pièces de 
M. Matabon. Il a eu un tel soin d'en élaguer le 
superflu que chaque mot fixe l'esprit du lecteur en 
lui découvrant une idée^ un souvenir y une impression y 
un sentiment qui le saisit et l'attire. 

Ma Petite Maison peut servir de pendant à 
l'idylle précédente. Malgré « le lierre qui la voile >^ 
je la reconnaiSy même sans P avoir vue : 



Grand repos, modeste réduit, 
Large horizon, étroit domaine. 
Coin riant dès que l'aube luit. 



APRES LA JOURNÉE. XI 



Voilà bien la bastide marseillaise. Deux mots 
pourtant de cette description la distinguent entre 
toutes : « grand repos ! » Distinction précieuse que 
la petite maison ne doit ni au lierre^ ni à Fhorizon^ 
ni au soleily mais à la philosophie calme de V homme 
dé bien qui s'y complaît. 

Cest tellement au repos d'une conscience satis- 
faite que r auteur fait allusion^ qu'il ne songe pas 
du tout y durant ces bonnes journées du dimanche pas- 
sées à la petite maison y à s'épargner la fatigue y inter- 
mède opportun de sa sédentaire existence. La petite 
maison est hospitalière y et k mouvement et le bruit 
n'y font pas défaut y à partir de midi. Mais la 
matinée n'y est pas oisive. Ne faut-il pas remercier 
Celui qui a fait au poète une part suffisante de bien- 
êtrCy une, large part de talenty de considération et 
d'honneur? La première heure n'est pas encore par- 
tagée entre la revue des lieux aimésy le spectacle d'un 
horizon splendide dans son double cadre de verdure 
et de montagnes y la lecture promise y que déjà tinte la 



XII APRES LA JOURNÉE. 



cloche du village. A cet appel attendu^ le maître de 
la petite maison quitte tout^ 

Et gravit le sommet rocheux 
Où plane la maison divine. 

Les heures se succèdent^ égayées par V amitié^ 
rapides et charmantes dans leur cour se ^ si bien que 
lorsquon se décide à quitter les champs^ 

la lune à Thorizon 

Allume sa veilleuse blanche. 

Apres une journée de campagne^ de marche au 
grand air et au soleil^ le poète n^ essaye pas de lutter 
contre « la troublante mollesse » qui vient « sous Vaile 
noire de la nuit » ; mais quand il iéveillcy le lende- 
main, savez-vous quelle est sa première et for tirante 
impression ? 

Je renais à la pure ivresse 
Du travail « dès que l'aube luit. 

Cest à U Heure Vermeille que f emprunte ce 



APRÈS LA JOURNÉE. XIII 



sentiment admirable que le poète a exprime avec trop 
de simplicité et de force pour quil ne soit profondé- 
ment sien. Je comprends que^ quand on l'éprouve, on 
puisse marquer du doigt et stigmatiser Le Mal du 
Siècle, qui est une tout autre ivresse y celle de Végoisme 
et de r orgueil. 

M. Matabon a flétri avec éloquence cette cause 
de dissensions intestines, de désespoir individuel, de 
haines et d'appétits insatiables, du tout oser. L'au- 
dace à outrance, même lorsqu'elle réussit, ne sème- 
t-elle pas toujours les ruines et les deuils? 

Au service de quelle ambition allait ce jeune homme 
que pleure sa mère en exhalant ainsi sa douleur : 

Je n'avais qu'un enfant et la mer me Ta pris. 

S'était-il confié bravement et de lui-même à la 
traîtrise des flots, ou bien l'y avait-on livré par 
contrainte, tandis qu'il maudissait un sort fatal et 
ne s'arrachait qu'en pleurant à l'étreinte maternelle? 

Le poète s'est tu sur ce point. 

Ce qu'il nous montre en des vers touchants, c'est 



XIV APRÈS LA JOURNÉE. 



une malheureuse femme s^ecartant^ le jour des Mort s ^ 
de ceux quiy dans un peux pèlerinage y savent où por- 
ter leurs regrets et leurs pas. Elle n'a pas cette 
suprême consolation. Les flots ont pris son fils. Où ? 
Comment? Se sont-ils respectueusement entr ouvert s ^ 
dans leur silencieuse profondeur^ pour recevoir sa 
dépouille? Ont -ils y au contrairCyjouê de son corps en 
se le disputant avec violence et sans souci du repos 
auquel la mort donne droit? La pauvre mère le sait 
sans doutCy mais le poète n'a pas voulu raviver sa 
douleur en l'interrogeant : 

{Elle), de la marée humaine, 
S'écarta lentement et gagna, non sans peine, 
Dans le brillant fracas de l'active cité 
Le rivage où Marseille ouvre à l'œil enchanté 
Son rideau de grands mâts aux mille banderolles. 

Elle est lày sur le quai. Le poète Va suivie; il 
V observe avec un intérêt qui va croissant : 

Cette femme, ayant dit quelques brèves paroles 
A l'un des mariniers rangés là près du bord. 
Prit place en un bateau qui longea le vieux port. 



APRÈS LA JOURNÉE. XV 

Bientoty elle a devant elle Vimmense mer et son 
regard se fixe longuement sur r abîme ^ 

Comme pour en sonder l'horrible profondeur. 
Quand elle releva la tête, l*homme eut peur. 

Elle le rassure d'un sourire résigne et d'un regard 
qui dévoile où elle a puise son courage ;puisy l'invitant 
à reprendre ses ramesy elle ne P arrête que lorsque la 
voix du bourdon résonne comme un glas et une prière. 
Alors elle donne libre cours à ses larmes et jette aux 
flotSy à cette tombe sans fin qui lui dérobe les restes 
de son filsy une couronne d^ immortelles. 

La Couronne d'Immortelles est une des meilleures 
productions de M. Matabon. Les descriptions y sont 
à la fois exactes et sobres^ le sentiment puissant et 
contenu^ et de l'ensemble se dégage une émotion poi- 
gnante. 

La Couronne d'Immortelles a été couronnée aux 
Jeux FlorauXy de même qu'Un Beau Dimanche, Ma 
Petite Maison et L'Heure Vermeille ; Le Mal du 



XVI APRÈS LA JOURNÉE. 



Siècle Va été au centenaire de Saholy et Le Rocher 
de Pétrarque à celui de cet immortel poète. 

Outre ces pièces couronnées, M. Matabon en a 
produit beaucoup d^ autres qui ne le cèdent en rien 
aux précédentes, bien quelles niaient pas affronté 
le concours. 

Les unes, comme La Souris, que M. Coquelin aîné 
a inscrite dans son répertoire, sont de ravissantes 
scènes de famille. La Souris est une sorte de contre- 
partie des Lunettes de ma Grand'Mère. Le petit- 
fils a grandi ; r aïeule, qui ne lui a pas gardé ran- 
cune, lui ménage une agréable surprise à l'occasion 
de sa fête. Elle a renfermé dans un tiroir une montre 
dont le tic tac trouble le sommeil de V enfant qui, dès 
son réveil, veut en finir avec V agaçante souris. A ce 
moment arrive la grand^mère : La Souris, cest la 
montre, le cadeau de la fête. 

Tel est le thème délicat et gracieux de cette pièce 
qui est un petit chef -d^ œuvre. 

Les Papillons et L'Épingle et TAiguille sont des 
apologues moraux, très gentiment tournés; L'Argent, 



APRÈS LA JOURNÉE. XVII 

un sonnet plein de verve ; Mes Voyages, une bluette 
spirituelle dont les derniers vers sont à retenir : 

Les seuls voyages d'agrément 
Sont les voyages... dans la lune. 

Elle est là! est un cri patriotique qui part du 
cœur; A L'Illusion, une déclaration d'amour à cette 
compagne idéalement aimable et fidèle qui a le pri- 
vilège de communiquer aux fervents sa perpétuelle 
jeunesse. Les Noces d'Argent sont un hommage, 
discret et ému, à l affection conjugale. 

Ces petits poèmes attestent tous non seulement le 
talent du poète, mais la noblesse et la bonté de son 
âme. Il en est de même des autres productions de 
M. Matabon ; je devrais les analyser pour mettre 
en relief dans chacune d'elles ce double caractère. 
Forcé de me borner, je ne mentionnerai plus quune 
Méditation sur la vie présente et future, dans laquelle 
le poète s'est élevé sans ejfbrt au dessus des sujets 
familiers à sa plume, et une pièce inspirée par nos 
récentes et cruelles tristesses : Le Pharo. 



XVIII APRès LA JOURNÉE. 



Ce nom réveille les plus amers souvenirs. Malgré 
rhéroisme avec lequel des hommes qui sont F honneur 
de leur ville et de saintes femmes y disputaient chaque 
joury chaque nuit, sa proie à la morty le Pharo sem- 
blait être devenu le pourvoyeur du cimetière et son 
nom terrifiait. Le poète^ compatissant au sort du 
pauvre y a plaidé sa cause dans Le Pharo; il Va 
gagnée auprès du grand nombre. Une servante est 
atteinte du mal terrible. Le docteur va nommer T hô- 
pital exécré y mais V enfant de la maison ne veut pas 
quon le sépare de celle qui rivalise pour lui de ten- 
dresse avec sa mère, et la mère cède et garde chez elle 
la malade qui bientôt est guérie. Cette thèse y bien pré- 
sentée y émouvante y a eu y dès Van dernier y le plus vif 
succès. Nul doute qu'elle n'aity depuiSy arraché plus 
d" une victime sinon à la mort y du moins à V instinctive 
terreur du Pharo. 

Depuis la première édition ^/* Après la Journée, 
la muse de M. Matabon n'a donc pas été inféconde, 
y ai cité quelques-unes de ses pièces; j aurais pu en 
analyser un plus grand nombre. Ces poésies nouvelles 



APRÈS LA JOURNÉE. XIX 

formeraient un volume; mais comme la première 
édition ^'Après la Journée est épuisée^ fauteur a 
pris le parti de donner^ sous le même titre ^ le faisceau 
déjà paru et celui des nouvelles œuvres. 

Le livre est ainsi divise en deux parties dont la 
seconde voit y sous forme de recueil, le jour pour la 
première fois. 

La publication possède^ en conséquence^ tous les 
éléments du succès : le mérite reconnu de la pre- 
mière particy r attrait du neuf de la seconde. Je puis 
donc en prédire sûrement la réussite. Le « fil laissé 
pour souvenance », quiy aux yeux du poète, symbolise 
son œuvre, est aussi durable que brillant : c'est un 
fil d'or. 

Je m'arrête sur cette assurance qui clôt la tâche 
dont je me suis témérairement chargé. Pourquoi l'ai- 
je assumée ? M. Matabon n'avait nul besoin de mon 
aide, car aujourd'hui il est partout connu, tandis que 
le public m'ig;:ore. Je dois l'honneur qui m'échoit à 
cette circonstance que M. Matabon, devenu mon 
confrère à l'Académie de Marseille, qui prise haute- 



XX APRÈS LA JOURNÉE. 



menf ses beaux vers^ croit être mon obligé parce que 
fai passé de la section des Lettres à celle des Sciences 
pour lui faire une place. 

Ma préface prouve que f avais plus quune raison 
personnelle de quitter la section des Lettres et de 
céder mon fauteuil à un vrai littérateur; quant au 
motif personnel^ ce fut celui-là même qui m'a déter- 
miné à écrire ces pages: une estime si grande qu'elle 
commande le dévouement. 



Louis BLANCARD, 

Membre de l'Académie de Marseille, 
Correspondant de Tlnstitut. 




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^:^®\î^c:l: !«: **' 'iè' îke- ;»: î^: :f 



îîhgin de cette 



PREFACE. 



introduction à un écrivain plus mêlé que nous 
au mouvement littéraire et assez habitué à la 
faveur du public, pour que le moindre éloge 
tombé de sa plume soit une suffisante recom- 
mandation. Du reste, il est naturel que cette 
préface soit sans prétention comme le livre lui- 
même. Ce sera une simple biographie accompa- 
gnée de quelques réflexions qui en formeront, 
pour ainsi dire, la conclusion morale. Les lec- 
teurs qui, laissant notre prose de côté, se hâte- 
raient de lire les vers dont nous voudrions leur 
faire connaître Tauteur, n'auraient plus besoin 
de savoir quels sont les motifs de notre admira- 
tion, ils la partageraient aussitôt et l'exprime- 
raient plus vivement que nous ne pourrons le 
faire nous-même. 

Au commencement de ce siècle vivait à Mar- 
seille, à la rue Bernard-du-Bois, un maître 
serrurier, type accompli de l'ouvrier modeste 
et laborieux. Du matin au soir, il battait son 
enclume, en chantant de vieilles chansons pro- 



PREFACE. 



vençales dont son marteau retentissant marquait 
la cadence. Noirci par la fumée, échaufFé tout 
le jour par la flamme ardente de sa forge, 
François Matabon ne se plaignait pas de sa 
destinée : les pures afi^ections du foyer domes- 
tique remplissaient son cœur tout entier. 

Le 2 février 1823, il lui naquit un fils que la 
poésie allait compter au nombre de ses élus et 
qui devait donner quelque gloire à son nom. 

Cet enfant, Hippolyte Matabon, notre poète, 
reçut au milieu d'êtres chéris une éducation 
première qui devait laisser dans son âme des 
traces ineffaçables. Sa mère lui enseigna la 
patience et le dévouement, son aïeule lui fit 
balbutier ses premières prières; son père lui 
transmit les croyances, les souvenirs, les habitu- 
des d'ordre, de travail et d'honneur qu'il avait lui- 
même reçus de ses aïeux comme un héritage sacré. 

A l'âge de sept ans, l'enfant, dont l'intelli- 
gence était singulièrement éveillée, dut aller 
apprendre à lire et à écrire dans de modestes 



PREFACE. 



écoles populaires. Les méthodes sans doute 
laissaient à désirer dans ces écoles, mais l'éduca- 
tion de la famille y était continuée. Les maîtres 
qui les dirigeaient s'appliquaient à former le 
cœur des jeunes enfants confiés à leurs soins 
plutôt qu'à exercer leur mémoire. En sortant de 
l'école, le jeune Matabon savait lire, écrire et 
calculer; il connaissait les premiers éléments de 
la géographie et les principaux traits de l'His- 
toire Sainte. Ce bagage scientifique était bien 
léger, mais il ne l'avait pas acquis sans développer 
en lui, à un degré qui inquiétait sa famille, la 
passion de la lecture. Cette passion l'éloignait 
souvent des bruyantes récréations des enfants de 
son âge; il préférait passer dans sa demeure ou 
dans les champs des heures solitaires sans autre 
compagnon qu'un livre. 

II fallait songer pourtant au choix d'un état. 
Fils d'un artisan laborieux, Hippolyte Matabon 
devait, à l'exemple de son père, entrer de bonne 
heure en apprentissage et demander au travail 



PRÉFACE. 5 

cette médiocrité dorée qu'Horace désirait pour 
le poète. Ses goûts le poussaient vers une occu- 
pation intellectuelle. 

Pendant que sa famille délibérait sur l'état 
qu'on pouvait lui donner, il choisit lui-même, à 
l'âge de treize ans, la carrière d'Hégésippe 
Moreau, et pria son père de le laisser devenir 
compositeur d'imprimerie. Il ne pouvait pas faire 
un meilleur choix. Grâce à ses lectures, il avait 
déjà plus d'instruction et d'intelligence qu'il n'en 
fallait pour ce genre de travail. 

Il y avait alors à Marseille un imprimeur qui, 
à force de persévérance et d'application, s'était 
acquis une grande notoriété. Poètes et prosateurs 
tenaient à honneur de voir leurs œuvres impri- 
mées par M. Marius Olive. La plupart des rares 
éditions de luxe qui se faisaient à Marseille, 
sortaient de ses presses. Il occupait un grand 
nombre d'ouvriers lorsque Hippolyte Matabon 
vint lui demander de le recevoir en apprentissage, 
sans autre recommandation que sa physionomie 



6 PREFACE* 

intelligente et douce. Il interrogea cet enfant, et, 
touché par son précoce amour du travail, il n'hé- 
sita pas à l'occuper. 

Marseille n'était pas restée étrangère au grand 
mouvement littéraire qui agita, on peut le dire, 
la France tout entière pendant les dernières années 
de la Restauration et les premières années du 
règne de Louis-Philippe. Cette ville était alors 
autre chose qu'un immense champ de trafic où 
l'on vient, de tous les pays du monde, demander 
au commerce ou à l'industrie une prompte for- 
tune. Elle n'avait que son vieux port aux eaux 
fétides, point de Docks, point de Bourse, une 
Préfecture des plus modestes, un Palais de 
Justice qui méritait à peine le nom de palais, des 
casernes et des prisons qui n'étaient pas comme 
aujourd'hui des monuments. Mais elle avait une 
riche pléiade déjeunes talents, dont la plupart, il 
est vrai, devaient la quitter, pour aller chercher à 
Paris un théâtre plus vaste et une renommée plus 
retentissante. 



PRÉFACE. 



Joseph Méry était la plus brillante étoile de 
cette pléiade, dont il excitait l'ardeur. Tout ce qui 
était jeune se pressait autour de lui, admirant son 
étincelante causerie autant que ses vers sonores, 
improvisés au courant de la plume. Joseph 
Autran, inspiré par la mer, chantait le poème de 
ses flots capricieux, ses jours de calme, ses tem- 
pêtes et préludait aux vers harmonieux qui 
devaient lui ouvrir les portes de l'Académie. 
Gaston de Flotte publiait la Vendée ^ gran- 
diose histoire écrite en grands vers, qu'anime 
parfois un vrai souffle épique. Albert Maurin, 
Adolphe Carie, Sébastien Berteaut, alors embra- 
sés du feu sacré de la poésie, rivalisaient d'audace, 
de verve et d'entrain. 

En dehors de cette phalange romantique, heu- 
reuse de se frayer des chemins nouveaux, la 
poésie classique était représentée surtout par un 
vieillard et une jeune fille : par M. Jaufliret, 
conservateur de la Bibliothèque, auteur de fables 
élégamment versifiées et d'idylles en prose d'une 



8 PRÉFACE. 

naïveté encore plus démodée que celle de Ber- 
quin, et par M"® Eulalie Favier, dont les Fleurs 
de Vdme révélèrent le gracieux talent. Au moment 
où son livre lui attirait de tous côtés les plus 
flatteuses louanges, elle renonça au monde et 
choisit pour y abriter son âme rêveuse le paisible 
silence d'un cloître où elle devait consacrer ses 
jours à l'éducation. 

Ce fut Marius Olive qui imprima les poésies 
de M"® Eulalie Favier, et le jeune Matabon qui 
fut chargé de porter et de rapporter les épreuves. 
Chemin faisant, il les lisait avec avidité. 

Ces vers, dont il avait la primeur, furent pour 
lui comme une révélation. Jusqu'alors il n'avait 
lu que des romans, des livres d'histoire, des traités 
philosophiques. I^our la première fois il était en 
contact avec la poésie, avec cette langue imagée 
et sonore qui charme et passionne même quand 
0:1 peut à peine la balbutier, cette langue dont 
Musset a dit : 

Le monde la comprend mais ne la parle pas ! 



PRÉFACE. 



La vocation poétique d'Hippolyte Matabon 
date de cette époque. Il fut profondément ému 
par tout ce qu'il y avait de pur et de plaintif 
dans les poésies de M^^ Eulalie Favier. Celle 
que M. JaufFret appelait la Tastu, la Waldor 
de sa noble patrie^ est maintenant oubliée. A 
part deux ou trois grandes voix qui dominent 
un siècle et s'imposent à la postérité, le souvenir 
des poètes s'efface aussi rapidement que celui 
des neiges d'antan. Mais on comprend l'impres- 
sion que devait produire sur un adolescent, 
habitué aux tendres affections de la famille et 
aux charmes de la rêverie solitaire, ces mélodieux 
gémissements de M^® Eulalie Favier : 

Hélas ! il n'est plus rien qui console mon âme, 
Car tout parle de deuil, car tout parle de mort; 
Hélas! il n'est plus rien qui dans mon cœur de femme 
Fasse vibrer un doux accord. 



O Dieu, tout mon amour, ô Dieu, toute ma joie! 

Ce n'est que dans ton cœur que mon cœur se déploie ; 



10 PRÉFACE. 

Sans toi tout est douleur, angoisse, désespoir. 
Toi seul as pris le soin de m*expliquer le monde; 
C'est toi qui m'as montré dans cette nuit profonde 
L'étoile brillante du soir. 

Où^ trouverai-je un cœur qui m'aime et me comprenne, 
Qui de l'or, dieu du jour, ne porte pas la chaîne, 
Un cœur qui sache croire, aimer, prier, sentir? 
Ah! s'il est sur la terre une plage ignorée 
Où gémisse dans l'ombre une âme déchirée, 
Qu'elle m'entende aussi gémir! 

Eveillé à la vie poétique par les vers d'une 
jeune fille, Hippolyte Matabon lut et relut avec 
toute l'ardeur de la jeunesse, les vers des autres 
poètes marseillais. Il apprenait par cœur et se 
récitait avec enthousiasme les belles strophes de 
Lamartine et de Victor Hugo, qui étaient alors 
les plus illustres représentants de la poésie en 
France. Enivré en quelque sorte par la musique 
des vers, il ne pouvait pas rester étranger aux 
grandes œuvres qui ont immortalisé le xvii® siè- 
cle. Admirant naïvement le beau partout où il le 
trouvait et soupçonnant à peine la querelle, alors 



PRÉFACE. II 

si vive, des classiques et des romantiques, il était 
aussi ému par une tragédie de Racine ou de 
Corneille que par une harmonie de Lamartine. 
Consacrant à la lecture des poètes toutes les 
heures de loisir que lui laissait son travail, abré- 
geant ses nuits et fatiguant ses yeux pour savourer 
le plaisir de l'admiration, pouvait-il ne pas essayer 
de parler à son tour cette langue des vers qui le 
ravissait ^ Quoique jeune encore, il avait soufFert, 
il avait aimé, il avait prié; que fallait-il déplus 
pour chanter.^ Il cacha ses premiers essais, rou- 
gissant en quelque sorte de ces vers qu'il écrivait 
en Secret avec tant de bonheur. Loin de se regar- 
der, ainsi que tant d'autres, comme un génie 
incompris, il ne croyait pas même à son talent, et 
il n'écrivait que pour donner une expression aux 
sentiments qui remplissaient son âme. Lui aussi 
conduisait sa Muse 

Au fond des solitudes, 
Comme un amant jaloux de sa chaste beauté. 

Mais il ne put garder longtemps son secret. 



12 PRÉFACE. 



On surprit à l'atelier quelques-uns de ses vers 
qui passèrent de main en main. Ses compa- 
gnons de travail le félicitèrent cordialement, 
son patron fut des premiers à le louer et à 
l'encourager. 

Hippolyte Matabon n'était pas à Marseille le 
seul ouvrier poète. Les goûts littéraires, plus 
nobles et plus sains que les passions politiques, 
animaient des travailleurs de tout genre. Pendant 
les jours de démocratie relativement pacifiques 
qui suivirent la Révolution de 1 848, les ouvriers 
poètes de Marseille se groupèrent. Ils fondèrent 
un Athénée-Popuîaire y dont les membres, tous 
enfants du peuple, devinrent bientôt fort nom- 
breux. On vit alors de touchants exemples 
d'enseignement mutuel. Les membres de l'Athé- 
née-Populaire, parvenus à une certaine culture 
intellectuelle, faisaient chaque soir des cours 
gratuits, afin de partager avec les plus déshérités 
de leurs frères les bienfaits d'une instruction 
qu'ils n'avaient acquise eux-mêmes qu'au prix de 



PRÉFACE. l3 



persévérants efforts. Une ou deux fois chaque 
année, TAthénée-Populaire donnait une séance 
publique dans la salle Boisselot, transformée 
depuis en Cercle Artistique. Il invitait les 
ouvriers et leurs familles à ces séances dont la 
poésie faisait tous les frais. Les chanteurs et les 
poètes étaient des travailleurs qui n'avaient pu 
exercer leur voix et leur plume que le soir, après 
les rudes labeurs de la journée. 

Avons-nous besoin d'ajouter qu'Hippolyte 
Matabon était un des membres les plus actifs 
de r Athénée-Populaire? Plusieurs de ses pièces 
furent lues en séance publique et ' applaudies 
comme elles méritaient de Têtre. Mais il ne 
voyait dans ces témoignages d'admiration que 
des preuves de bienveillance fraternelle et ne 
pouvait se résoudre, malgré les conseils les plus 
pressants, à imiter d'autres ouvriers poètes qui 
livraient à l'impression le recueil de leurs œuvres 
les mieux accueillies. Il n'était pas de ceux que 
le moindre succès enivre, qui acceptent aisément 



14 PRÉFACE, 

les louanges les plus exagérées et croient témé- 
rairement, selon l'expression de Boileau, 

De l'art des vers atteindre la hauteur. 

Il avait trop de goût pour ne pas se juger sévè- 
rement et se défier des éloges qu'on lui prodi- 
guait. Cependant il mettait à profit ses lectures 
et s'appliquait à donner à ses vers une forme 
irréprochable. Il n'imitait personne, ni les réa- 
listes, ni les ciseleurs de style, ni les lyriques 
emportés par les changeants caprices de leur 
fantaisie. Il tâchait d'exprimer sa pensée avec 
toute la clarté, la force, l'élégance dont il était 
capable, sans se préoccuper de faire partie d'une 
école plutôt que d'une autre. Il s'élevait vers 
les plus hautes régions de la poésie en suivant 
la voie austère de la souflFrance. Souvent ses 
chants étaient « de purs sanglots. » Il avait vu 
mourir son aïeule, son père, sa mère, tout ce 
que son enfance avait aimé. Devenu à son tour 
chef de famille, les joies de l'hymen furent bien- 



PRÉFACE. ï5 



tôt suivies pour lui de nouvelles douleurs. Son 
enfant n'atteignit pas sa deuxième année. Quand 
la mort lui arrachait Tun après l'autre les plus 
chers objets de ses affections, deux consolatrices 
pouvaient seules adoucir son chagrin et tarir ses 
larmes : la Religion et la Poésie. 

L'Athénée- Populaire ne survécut pas long- 
temps à la République de 1848. Les séances 
publiques de la salle Boisselot ne demandèrent 
plus à M. Matabon de nouvelles inspirations. 
Il semblait dès lors condamné à n'écrire que 
pour lui-même. Heureusement il ne devait pas 
en être ainsi. Le directeur de la Revue de Mar- 
seille^ qui appréciait son talent, le pressa de 
donner ses vers à un public de lecteurs assez 
nombreux pour l'empêcher de regretter trop 
vivement son public d'auditeurs. 

Qui ne connaît parmi nous ce vieillard, tou- 
jours jeune, dont l'urbanité, la parole bienveil- 
lante, la grâce aimable rappellent une époque 
et une société déjà trop éloignées de nous ? 



l6 PRÉFACE. 

M. Auguste Laforet avait eu Theureuse pensée 
de mettre la littérature au service de la charité 
et de créer une revue mensuelle au profit des 
pauvres. Il n'eut pas de peine à trouver plus de 
collaborateurs qu'il n'en fallait et assez d'abon- 
nés pour assurer aux malheureux une riche 
aumône annuelle. La Revue de Marseille existe 
depuis vingt ans; elle a déjà procuré aux indi- 
gents, visités par les Conférences de Saint- 
Vincent -de -Paul, soixante - cinq mille francs. 
Rien de semblable n'a été fondé ni en province 
ni à Paris, où il serait difficile de trouver une 
rédaction gratuite. 

Cédant aux instances de M. Laforet, devenu 
son ami et son conseiller, M. Matabon publia 
dans la Revue de Marseille plusieurs de ses 
meilleures poésies : Gabrielky Résignation^ le 
Jour des Morts^ les Saisons^ les Sœurs de Cha- 
ritéy le Grain de V Aumône^ Rêve d'une Nuit 
d'Hiver^ les Champs et V Usine y etc. 

Cette dernière pièce est, à notre avis, une 



PRÉFACE. 17 



des plus heureuses inspirations de l'auteur. 
Touché de la fin misérable d'un ouvrier qui 
avait abandonné les champs paternels, attiré 
par les plaisirs malsains d'une grande ville, il a 
raconté avec émotion une histoire navrante et a 
combattu, avec plus d'énergie que ne pourrait 
le faire un économiste, ce fléau social qu'on a 
nommé la désertion des campagnes. 

Un jour que nous étions allé corriger des 
épreuves au bureau de la Revue de Marseille ^ 
nos regards tombèrent sur une élégie qui avait 
pour titre : le Vieux Fauteuil^ et qui devait 
paraître dans le prochain numéro. Nous fûmes 
très frappé par l'originalité de cette pièce, par 
sa facture ferme et correcte, par les nobles sen- 
timents qu'elle exprimait. Nous conseillâmes 
vivement à l'auteur de ne pas publier cette 
élégie dans la Revue et de l'envoyer au concours 
des Jeux Floraux. M. Matabon hésitait. « Que 
risquez-vous? lui dis-je pour triompher de ses 
scrupules; croyez-moi, votre pièce sera cou- 



l8 PRÉFACE. 



ronnée. » Il se laissa vaincre par notre insistance 
et envoya sa pièce à Toulouse, étonné d'aspirer 
aux fleurs de Clémence Isaure. Nos prévisions 
ne furent pas trompées. L'élégie de M. Mata- 
bon obtint la fleur du genre : un Souci réservé. 
Dans le rapport lu à la séance publique du 
3 mai 1867, M. le comte de Rességuier appré- 
ciait en ces termes la pièce couronnée : 

^ Les cœurs malades ont tant de mystères ! 
Il en est qui se redoutent eux-mêmes; d'au- 
tres, au contraire, s'enivrent du culte des sou- 
venirs et s'entourent avec une amère volupté 
des objets qui les remuent et qui les attendris- 
sent. Un portrait, une chambre, un parfum, 
un vieux meuble consacré, en voilà assez pour 
satisfaire leur âme et pour nourrir et baigner 
leur douleur dans les larmes. M. Hippolyte 
Matabon, de Marseille, est de ces derniers» 
Son élégie est intitulée : le Vieux Faufeuil, 
relique sacrée, à laquelle se rattache la mémoire 
de son père, de sa mère et de son enfant. A sa 



PREFACE. 19 



vue, des ombres vénérables et adorées se rani- 
ment, 

£t le passé, mal endormi, 
A sa voix touchante s'éveille. 

4c Analyser cette pièce serait évidemment la 
gâter. Elle est simple et vraie. Elle vaut par 
le fond et par l'émotion irrésistible qui nous 
gagne. Peut-être trouverait-on un peu longue 
la digression qui nous apprend le lieu où nous 
sommes et ce que fut celui que nous regrettons; 
et cependant voudriez-vous les supprimer, ces 
détails vrais et pittoresques, ces marteaux qu'on 
entend, cette forge qui fume et qui viennent 
répandre ici la vie et la couleur ? Pour nous, 
ils ajoutent je ne sais quelle saveur sincère qui 
témoigne en faveur de l'œuvre et du poète, et 
nous paraissent l'inévitable écueil de ce genre 
anecdotique. L'ensemble est donc réussi, et dans 
un siècle où l'on distingue si mal les meubles de 
prix de ceux qui devraient en avoir, ce vieux 
fauteuil , ainsi poétisé , est d'un bon exemple. » 



20 PRÉFACE. 



On se figure aisément quelle fut la joie du 
lauréat, lorsqu'il apprit qu'il avait obtenu cette 
fleur du gai savoir qu'il lui semblait téméraire 
d'ambitionner. Cette distinction flatteuse l'obli- 
geait enfin à croire qu'il n'était pas sans talent. 
Ses amis le pressèrent de nouveau de recueillir 
ses poésies éparses et de publier un volume. Il 
repoussa moins vivement cette pensée, mais il 
ne se hâta pas de la mettre à exécution. Dans le 
silence du foyer domestique, il pensait à ces 
morts bien-aimés qui lui avaient inspiré son 
élégie. En se reposant sur le fauteuil qu'il avait 
chanté, il évoquait les jours de son enfance et 
de sa jeunesse. Il remontait jusqu'à ses plus 
lointains souvenirs. Il songeait à l'aïeule qui 
avait veillé sur son berceau. Il la revoyait avec 
son visage souriant, son livre de prières, ses 
lunettes. Il se rappelait avec émotion les espiè- 
gleries de la première enfance et l'inépuisable 
bonté de l'aïeule. Son émotion devint peu à peu 
si vive qu'il éprouva l'irrésistible besoin de 



» 



PREFACE, 21 



répancher en quelques strophes, et il écrivit 
les Lunettes de ma Grand'Mère. Ce n'était 
plus une élégie; c'était une sorte d'idylle enfan- 
tine, un tableau d'intérieur tels qu'aimaient à 
les peindre Greuze et Gérard Dow. Présentée 
aux Jeux Floraux en 1873, cette pièce fut 
couronnée comme l'avait déjà été le Vieux 
Fauteuil y et obtint la fleur du genre : la 
Primevère réservée. Après ce second succès, 
M. Matabon ne pouvait plus résister aux solli- 
citations de ses amis. Il s'est décidé à faire 
paraître un choix de ses poésies, et il l'offre 
aujourd'hui au public. 

Le titre de ce livre : Âpres la Journée^ dit 
assez comment ces vers ont été écrits. La 
fortune n'a pas fait de doux loisirs à l'auteur. 
Il n'a jamais eu « sur la colline une blanche 
maison » pour y « mener son rêve et le recom- 
mencer. » Son pied n'a foulé ni le sable du 
Lido, ni les paysages du golfe de Gênes, ni 
le gazon arrosé par les cascatelles de Tibun 



22 PRÉFACE. 

Attaché depuis l'âge de treize ans au même 
labeur, il n'avait pour traduire en vers ses 
douleurs et ses joies que les moments qui 
s'écoulaient entre la fin de ses journées et le 
commencement de ses nuits. Tous ces moments 
il les donnait à la Muse qui ne dédaignait pas 
de visiter son humble demeure. La poésie lui 
faisait trouver le bonheur dans la solitude du 
foyer domestique, animée par la présence d'une 
compagne selon son cœur. 

Dans ces vers écrits après la journée on ne 
trouvera pas de longues descriptions, de minu- 
tieux effets de style, des méditations philoso- 
phiques, des essais tentés pour ajouter une 
nouvelle corde à la lyre poétique ou faire rendre 
aux anciennes des sons inattendus. On y trou- 
vera un poète ému, toujours naturel, laissant 
parler simplement son âme, ne cherchant pas 
l'effet, ne s'efforçant pas de montrer son art. 
On y trouvera un homme, ce qui est plus rare, 
un homme qui a vécu comme nous tous, qui a 



PRÉFACE. 23 



soufFert, aimé, pleuré, espéré comme nous 
tous, et qui a exprimé en vers écrits pour le 
cœur plus que pour l'imagination ce que nous 
avons tous éprouvé. Qui de nous n'est pas 
attendri au souvenir d'une aïeule, d'un berceau 
d'enfant visité par la mort, d'un fauteuil qui 
a vu passer trois générations? Qui de nous, en 
voyant le printemps refleurir après l'hiver et 
l'automne flétrir les fleurs de l'été, n'a pas songé 
à cette vie future où nous ne souffrirons ni du 
changement des saisons, ni de la brièveté des 
affections? Les poésies de M. Matabon, popu- 
laires dans le meilleur sens du mot, s'adressent 
à un grand nombre de lecteurs, parce qu'elles 
expriment des sentiments qui ne sont étrangers 
à personne, parce qu'elles ont jailli du cœur en 
des heures d'épreuves communes à toute vie 
humaine. Elles nous intéressent bien plus vive- 
ment que les froides compositions de ces par- 
nassiens qui n'ont d'autre mérite qu'une cer- 
taine habileté de facture, des rimes riches, un 



24 PRÉFACE. 



cliquetis de mots sonores qui flattent loreille 
et ne disent rien à l'âme. 

La poésie, hâtons-nous de le dire, n'a jamais 
été pour M. Matabon qu'un délassement après 
le travail. Elle ne Ta pas empêché d'arriver à 
une situation très honorable dans la profession 
qu'il avait embrassée. Actuellement prote de 
l'imprimerie de M. Cayer, qui a élevé l'art de 
la typographie au degré de perfection qu'il 
devait atteindre dans une grande ville, il rend 
souvent de précieux services et donne d'utiles 
conseils aux écrivains qui lui confient le soin 
de surveiller l'impression de leurs manuscrits. 
Membre du Conseil des Prud'hommes depuis 
dix ans, il s'est acquitté consciencieusement 
de tous les devoirs de cette magistrature popu- 
laire, qui épargne aux ouvriers tant de procès 
dispendieux. Être poète, ce n'est donc pas pour 
lui être rêveur, c'est ajouter au travail des bras 
le travail de la pensée. 

Après le récit que nous venons de faire, avons- 



PRÉFACE. 25 

nous besoin de recommander longuement les 
poésies de M. Matabon? En publiant ces vers 
écrits après la journée^ il n'a pas fait seulement 
un bon livre, il a donné de plus un bon exemple. 
Il a montré aux ouvriers intelligents comme lui, 
ayant comme lui le goût des belles-lettres et 
l'habitude de la réflexion, quelle est la conduite 
qu'ils doivent tenir ; comment ils peuvent résis- 
ter aux excitations intéressées des orateurs de 
club, des agitateurs vulgaires qui voudraient les 
faire servir d'instruments à leur ambition. Comme 
tant d'autres, M. Matabon a connu les peines de 
la vie, et plus d'une fois il a pu sentir que la 
richesse lui aurait épargné de poignantes dou- 
leurs. Cependant sa poésie sans fiel n'a jamais 
fait entendre des plaintes amères; elle a toujours 
préféré les élans généreux de l'âme aux mauvais 
instincts de notre nature; elle a repoussé, comme 
de mauvaises conseillères, l'envie et la jalousie. 
S'il avait accusé la société d'être la cause de ses 
souflrances, s'il avait rêvé le désordre et le boule- 



26 PRÉFACE, 

versement social, s'il avait abusé de son intelli- 
gence pour exciter à la révolte, dans des réunions 
populaires, tous ceux qui aspirent à de plus 
grandes jouissances, il aurait abaissé son talent 
au lieu de l'épurer sans cesse; il n'aurait pas 
acquis une haute valeur morale, assez de renom- 
mée littéraire pour faire sortir son nom de l'obs- 
curité, de nobles amitiés, qui sont l'ornement et 
le charme de sa vie. En lisant son livre , les 
ouvriers pourront se dire : Voilà où l'on arrive 
quand on suit d'un pas ferme la ligne du devoir, 
voilà le chemin que nous devons suivre nous- 
mêmes et qui peut seul nous conduire à l'honneur 
et à la paix. Ils sentiront la vérité de ce mot de 
Franklin : « Si quelqu'un vous dit que vous 
pouvez vous élever autrement que par l'instruc- 
tion, le travail et l'économie, fuyez-le ! » 



A. BAYLE. 



Avril 1874. 



«_ .A. J_ 



■mz 




APRÈS LA JOURNÉE 



PREMIERES POESIES 



04 éMonsieur Q^uguste La/oret, 



«^^^/^MW« 



LE VIEUX FAUTEUIL 



Vièce couronnée aux Jeux Jloraux. 



Les vieux meubles paternels, ternis 
et surannés, ont une lièaulé à part : ils 
font le foyer. 



XACaiCK LBMKVDST. 



Il est un fauteuil où, le soir, 
Las du labeur de mes journées, 
Dans mon réduit je viens m'asseoir 
Et songer aux Jeunes années. 



30 LE VIEUX FAUTEUIL. 



Sur ses pieds de chêne sculpté, 
A merveille il porte son âge : 
Un siècle pourtant bien compté 
A fané sa robe à ramage. 

Pareil aux vieillards, — doux ami! — 
Il parle, il raconte, il conseille; 
Et le passé, mal endormi, 
A sa voix touchante s'éveille. 

A mon aide toujours il vient : 
Sa mémoire est si bien servie ! 
Quand je l'oublie, il se souvient 
De l'humble histoire de ma vie. 

Le temps qui jaunit son damas 
Y laisse une empreinte bien chère ! 
Pauvre fauteuil! entre ses bras 
Il me semble encor voir mon père... 

C'est là qu'aux beaux jours d'autrefois, 
Non loin de sa forge qui fume, 
Mon père s'endormait parfois 
Au choc des marteaux sur l'enclume. 



LE VIEUX FAUTEUIL. 3l 

Ce carillon vif et joyeux, 
Cette cadence accoutumée, 
Doucement lui fermait les yeux. 
Ainsi qu'une berceuse aimée. 

J'entends les bruits de l'atelier : 
Sur le fer la lime grinçante ; 
J'entends le soufHe régulier 
De la fournaise incandescente. 

Pour rendre le fer souple et doux, 
Du charbon! vite, à larges pelles! 
Et dans un nuage aux flots roux 
Brille un feu croisé d'étincelles. 

Enfant, moi, partout je fouillais : 
Mes jouets étaient la ferraille ; 
Et, faute de fleurs, je cueillais 
Sous l'étau la blanche limaille. 

Mais l'hivef, il fallait me voir, 
La mine espiègle et charbonnée, 
Me blottir sous le manteau noir 
De la profonde cheminée ! 



32 LE VIEUX FAUTEUIL. 



Temps heureux, où je savourais 
L'insouciance goutte à goutte, 
Sans me douter que les regrets 
Sont les compagnons de la route. 

Pauvre père que j'aimais tant ! 
Un jour, sa place resta vide... 
Ma mère la prit en pleurant, 
Et ce fut sa première ride. 

Dans les chagrins, dans les soucis, 
Dans l'angoisse la plus amère, 
Qu'il est doux d'entendre : « Mon fils ! » 
Qu'il est doux de dire : « Ma mère ! » 

Ce cri nous consolait tous deux ; 
Après, nous gardions le silence, 
Avec des larmes dans les yeux 
Et le cœur plein de souvenance... 

Près de ma mère, que de fois 
Je m'accoudai, tremblant pour elle! 
La toux entrecoupait sa voix. 
Une toux ardente et cruelle. 



LE VIEUX FAUTEUIL. 33 

Bientôt, sa souffrance finit; 

Et, murmurant une prière, 

Doucement elle s'éteignit 

Dans le vieux fauteuil de mon père... 

Quel désert après ce départ ! 
Quelle navrante solitude ! 
Cher fauteuil ! longtemps mon regard 
Alla vers toi par habitude ! 



Le bonheur revint luire un jour : 
Ah ! pour moi quelle joie immense ! 
Quelle ivresse d'orgueil, d'amour! 
C'était l'avenir... l'espérance! 

Ne te souvient-il plus, réponds, 
De l'enfant gracieux et frêle 
Qui foulait de ses pieds mignons 
Ton grand coussin de brocatelle? 

Tu protégeais ses premiers pas, 
Et, doux appui de sa faiblesse. 
Tu le soutenais dans tes bras, 
Comme un aïeul plein de tendresse I 

3 



34 LE VIEUX FAUTEUIL. 

Hélas! à ton dossier, un soir, 
On fixait un cierge livide; 
Il me semble toujours le voir 
Brûler non loin du berceau vide. 



Mai 1867. 



Ainsi, quand je t'ouvre mon cœur. 
Dans une langue qu'on ignore, 
Vieux et fidèle serviteur, 
Des miens tu me parles encore. 

Ah ! lorsqu'un jour je rejoindrai 
Ceux que j'ai perdus sur la terre. 
Vous, qu'au foyer je laisserai, 
Gardez le fauteuil de mon père ! 





^.^^ .--. 





q4 éMadame Q/ll/red Siau, 



RÉSIGNATION 



«rwv^^^^^w^'^ ' 



I. 



Comme les frais boutons qu'un matin voit mourir, 
Trop souvent nos espoirs s'effeuillent sans fleurir ; 
Et, quand de ces bluets les corolles fanées 
Ont mêlé leurs débris aux ronces des années. 
Sous l'épine surgit le souvenir vainqueur 
Qui parfume à la fois et déchire le cœur. 



36 RÉSIGNATION. 



J'allais avoir vingt ans... Vingt ans! quelle richesse! 
Sur mon front rayonnait l'orgueil de la jeunesse ! 
Le présent souriait, et, de sa douce main. 
L'avenir me montrait un verdoyant chemin 
Où je n'apercevais que des roses fleuries. — 
Murmures de la brise à travers les prairies, 
Insectes bourdonnants, gazouillis des oiseaux, 
Frissonnement des bois, bruissement des eaux. 
Tout prenait un accent pour me dire : Je t'aime ! 
Mot divin dont l'écho ne vibrait qu'en moi-même. 

Chaque semaine, enfin le dimanche arrivé. 
J'allais chercher aux champs un toit longtemps rêvé. 
La maison, que cachait à demi le feuillage, 
Semblait un nid. Je vois encor le paysage 
Déroulant à mes yeux, sous ses aspects divers, 
Ici, des prés fleuris; là, des pins toujours verts. 
Et plus loin, la vallée aux blanches aubépines; 
Puis l'horizon borné par d'agrestes collines. 

C'était vers la moisson. L'aire, vierge d'épis, 
Pour danser, — un beau soir, — nous avait réunis. 
Le fifre, préludant à la valse joyeuse. 
Mêlait au tambourin sa voix capricieuse ; 



RESIGNATION. 3 7 



La lune, dans la nuit promenant son flambeau, 
De ses lueurs d'opale éclaîrait le tableau» 
Mon choix est arrêté. Je m'avance vers elle, — 
Elise! — ah! je la vois encore! qu'elle est belle! 
Je murmure tout bas un banal compliment 
Que mes yeux plus hardis achèvent tendrement. 
Dans ma main je retiens sa main petite et rose. 
En cette pression, que d'aveux! Ce que n'ose 
Lui révéler ma bouche avec ses mots si froids. 
Ma main le lui transmet par sa muette voix... 
Est-ce une illusion , une ineffable ivresse ? 
Sur son front j'ai surpris un éclair de tendresse. 
Mes yeux se sont fermés au jour matériel ; 
Sous mes cils abaissés brille un rayon du ciel. 
Du bal je ne suis plus la ronde cadencée : 
J'ai hâte d'être seul, seul avec ma pensée; 
J'ai besoin de sentir, dans mon cœur comprimé. 
Palpiter ces doux mots : J'aime ! je suis aimé ! 

Illusions d'amour, ô fleurs de la jeunesse ! 
Vos débris ont encore un parfum de tristesse 
Mêlé de volupté, le jour ou l'œil en pleurs 
Veut en vain ressaisir vos fuyantes couleurs. 



38 RESIGNATION. 



Pendant que j'effeuillais de si belles journées, 

Une secrète loi changeait mes destinées. 

Elle est pauvre ! disait la voix de la raison , 

Et tu l'épouserais? Regarde à l'horizon, 

Regarde ces époux que la misère enchaîne ; 

Comme ils sont accablés sous le poids de leur peine î 

Un hymen sans fortune est le pire des maux : 

Sans fortune! Ah! quel cœur ne tremble à ces deux motsl 

« — Elise, écoutez-moi, lui dis-je, un soir d'automne, 
V Je vous aime, et pourtant... votre bonheur l'ordonne, 
« Je dois partir ; pour vous j'aspire à des trésors ; 
« Je veux que vous soyez heureuse... — Heureuse? alors 
« Ne partez pas, » dit-elle. Et ses larmes jaillirent, 
Et ses fraîches couleurs sous sa douleur pâlirent. 
Plus blanche que le lis qu'une main moissonna. 
Pour me cacher ses pleurs, sa tête s'inclina. 
Pensive... « Enfant! repris- je, après un long silence, 
« C'est pour vous, non pour moi, que je veux l'opulence, 
ff II faut vous résister... Jamais, jamais mon cœur 
tf Ne saurait vous offrir un incertain bonheur. 
« Aujourd'hui tout sourit à notre âme ravie : 
« Le soleil de l'amour éclaire notre vie ! 



BÉSIGNATION. 3g 



« Mais le temps peut un jour en voiler la clarté : 

« Après le rêve alors vient la réalité. 

« Sans vous, l'ambition m'eût laissé quelque trêve : 

« Etre riche avec vous, Elise! quel beau rêve! » 

Insensé que j'étais ! qui ne voulais point voir 

Les pleurs, — trésor d'amour, — qui baignaient son œil noir. 

Plein d'espoir, je partis. — Marseille dans la brume, 
S'effaça... — Je suivais le long ruban d'écume 
Que sur notre chemin nous laissions en passant ; 
Et mon cœur se serrait alors qu'un flot puissant 
Brisait, en bouillonnant, cette chaîne fictive 
Dont le sillon d'argent m'attachait à la rive ! 



II. 



Après trois ans d'exil, j'aurais pu revenir : 
L'ambition me dit : Reste encor, — l'avenir 
Est à toi 1 Songe vain! que l'homme, ivre d'envie. 
Sans se lasser jamais poursuit toute sa vie. 
Souvent, je maudissais mes orgueilleux désirs; 
Je regrettais alors ces intimes plaisirs. 



40 RÉSIGNATION, 

Ce calme intérieur que donne la famille, 
Sous un paisible toit où le vrai bonheur brille. 
Pourtant, d'un tel bonheur je m'étais éloigné 
Et, follement ingrat, je l'avais dédaigné! 

Un soir, j'étais plongé dans ces tristes pensées; 
Emu, je relisais quelques lignes tracées 
Dans une lettre ouverte à mes yeux éperdus : 
« Je vous attends toujours, mais je n'espère plus, » 
Disait-elle. — Ces mots cruels et pleins de charmes 
Parurent à mon âme écrits avec des larmes! — 
« Je soufifre ! c'est peut-être un tourment idéal , 
« Car si vous étiez là, je n'aurais plus de mal. 
« Ma mère se désole en secret, pauvre mère! 
« Et plus que moi se plaint d'une toux éphémère 
« Qui, la nuit, me fatigue et me tient en éveil, 
a Adieu les songes d'or que l'ange du sommeil 
« Tendrement secouait de son aile bénie 
« Pour leurrer mes ennuis... Désormais l'insomnie 
« Entr'ouvre, chaque nuit, mes paupières en feu; 
« Alors, je pense à vous... je me souviens... Adieu! » 

Ma main laissa tomber la feuille messagère. 
Et les beaux jours enfuis, de leur aile légère 



RÉSIGNATIOX. 4I 



Revinrent voleter dans le fond de mon cœur... 
Des fleurs du souvenir j'aspirais la senteur. 
J'interrogeais ces lieux où son regard timide 
Longtemps resta baissé sous mon regard humide ; 
J'entrevoyais ces champs, ces collines, ces bois. 
Où nous nous étions dit tant de choses... sans voix... 
La fenêtre s'ouvrit au souffle de la brise, 
Et dans l'air j'entendis comme la voix d'Elise ! 
Je frissonnai... Des pleurs jaillirent de mes yeux... 
L'astre des nuits levait son front mystérieux, 
Et souriait aux flots qui me séparaient d'elle... 

La vaine illusion laissait choir de son aile 
Mon âme. J'étais seul, bien loin de mon pays : 
N'est-ce pas vivre seul que vivre sans amis? 



III. 



Du bonheur la fortune est un menteur présage 
Je revins. Un vent frais caressait mon visage ; 
Tout mon espoir volait au devant du vaisseau 
Et jamais l'Océan ne me parut si beau ! 



42 RÉSIGNATION. 



Enivré, mon regard traversait retendue, 
Remerciant tout bas chaque voile tendue. 
Je partais... j'étais riche! et j'allais la revoir! 

Bientôt, environné par les ombres du soir 

Qui s'allongeaient au loin en brunissant les vagues, 

Mon cœur fut envahi de pressentiments vagues : 

Elise dès longtemps ne m'avait plus écrit. 

Un rapide soupçon traversa mon esprit. 

Est-elle libre encore ou, cédant à sa mère. 

En mon retour n'a-t-elle entrevu que chimère? 

Un autre viendrait-il se placer entre nous.^ 

Mais non!... — Et je pensais à cette heureuse toux... 

Egoïsme ! qui peut mesurer tes abîmes ? 

Dans mon cœur torturé par des combats intimes, 

J'aimais comme en la vie on n'aime qu'une fois, 

Et mon amour, aigri par des doutes étroits. 

Revenait sur les mots d'une touchante lettre 

Qui tour-à-tour calmait et déchirait mon être. 

Un matin, le soleil apparut radieux, 
Parsemant de rubis les flots harmonieux. 
Perdue à l'horizon, une terre chérie 
En mes sens fait vibrer le doux mot de patrie ! 



RÉSIGNATION. ^3 



Bientôt d'âpres rochers, — pour d'autres que pour moî, 
Offrent au loin Pomègue à mon cœur en émoi; 
Puis, là-bas, de Saint-Jean c'est la tour élancée... 
Salut! chère cité, toujours jeune Phocée ! 
Sur tes bords escarpés, nul arbre n'apparaît. 
Qu'importe ! n'as-tu pas ta nautique forêt 
Qu'effleurent dans leur vol les rapides mouettes? 
Et tes vastes bassins oublieux des tempêtes? 
Qu'importe un sol aride (i) ! A l'ombre de tes mâts. 
Tu cueilles à loisir les fruits de cent climats! 



IV. 



J'ai quitté le vaisseau. D'espérance et de crainte 
Mon cœur est agité. Je revois cette enceinte 
Où tant de souvenirs m'enivrent à la fois ! 
J'aspire largement l'âpre senteur des bois. 



(i) A' l'époque où ce poème fut écrit, le canal de la Durance 
n'avait pas encore transformé Marseille en l'une des cités les plus 
verdoyantes du Midi. 



44 RESIGNATION. 



Chaque fleur me sourit. L'écorce d'un vieil orme, 

O bonheur ! garde encor l'initiale informe 

Qui précède son nom, ce nom plein de douceur. 

Que l'amour acheva de graver dans mon cœur. 

Mes pas foulent encor le thym et la bruyère. 

Et bientôt le sentier qui mène à la chaumière, 

S'ofiFre à moi. Tout tremblant, je le franchis d'un bond; 

J'appelle. — Du chalet nulle voix ne répond. 

Sur l'un des auvents clos un écrit se balance ; 

Ah ! son froid laconisme a traduit ce silence : 

A VENDRE, — mots cruels étalés sur le seuil, 

Que me révélez-vous ? la misère ou le deuil ? 

A VENDRE, — simples mots tracés à l'encre noire. 

Que de fois vous cachez une poignante histoire ! 

» 

Mais Elise ? sa mère ? où sont-elles ? mon Dieu ! 
Pauvres ? mortes?... 

J'allais m'arracher de ce lieu... 
Soudain, un bruit de pas et de feuilles froissées. 
Sans distraire le cours de mes tristes pensées. 
Dans le fond de l'allée attire mon regard : 
Vers moi péniblement se hâtait un vieillard, 
M'offrant de visiter la chaumière déserte. 
En criant sur ses gonds la porte s'est ouverte, 



RÉSIGNATION. 45 



Et, chancelant, baigné d'une froîde sueur, 

Entraîné malgré moi, je suis le laboureur. 

Une question naît sur ma lèvre tremblante. 

Mais, prête à s'échapper, je la retiens brûlante... 

Sans remarquer mon trouble, en son rude patois. 

Comme à soi-même il dit : « — Voilà bientôt six mois 

« Qu'elle est morte... — Qui donc? » criai-je avec mon âme. 

« Elise! Elise! — Non, sa mère, pauvre femme! 

« Sa mère qui voulut, sentant la mort venir, 

« De son unique enfant assurer l'avenir. 

« Elise, obéissant au vœu de la mourante, 

« Vient d'épouser le fils d'une vieille parente... » 

Je ne l'écoutai plus... Mariée! oh! mon Dieu! 

Ce mot seul bourdonnait sous mes tempes en feu. 



V. 



Malgré moi, je revins au hameau solitaire. 

Et j'entrai dans l'église en cherchant l'ombre austère. 

La nef était déserte. Un silence profond 

Régnait. Quelqu'un priait à genoux, dans le fond. 



46 RIÊSIGNATION. 



Le soleil tout-à-coup d'une teinte mystique, 



Eclaira les vitraux de l'ogive gothique. 

L'orgue ne chantait pas, mais j'entendais en chœur 

Des voix qui doucement rappelaient à mon cœur 

Les refrains oubliés de mon heureuse enfance. 

Elise ! la revoir, c'était mon espérance. — 

A peine du lieu saint ai-je franchi le seuil. 

Qu'elle paraît soudain. Mon Dieu! c'est elle! en deuil! 

Sa muette douleur ravive ma tendresse. 

Ah ! quand tout nous sépare , un lien — la tristesse 

Nous unit donc encorl... — Elle s'agenouilla. 

D'une larme, en priant, son livre se mouilla. 

Chère larme, venant d'une source ignorée, 

Combien de fois, depuis, mon cœur t'a savourée! 

Pour la dernière fois venais-je d'entrevoir 
Celle dont m'éloignaient l'honneur et le devoir?... 
Elle sortit... Et moi, resté seul dans l'église, 
Je ployai mes genoux vers la chaise d'Élise. 
En pleurant, je baisai ce bois qu'elle toucha. 
Et je voulus mourir... — Un prêtre s'approcha : 
a — J'étais là, mon enfant : voyez cette couronne 
« Qui déchire le front de Celui qui pardonne ! 



RESIGNATION. 47 



« La douleur sur la terre est le chemin du ciel, 
« Et, sur nos maux, la Foi sait répandre un doux miel ! 
« Venez, prosternez-vous; un ami vous écoute; 
« Dites-lui vos chagrins ; Dieu l'a mis sur la route 
« Pour consoler au prix d'une humble effusion... » 



Quand je me relevai, la résignation, 

Dans le fond de mon âme apaisant la soufifrance, 

A mon pâle horizon fit luire une espérance. 

Mais dans l'isolement le cœur enseveli, 
Goûte-t-il par la Foi le baume de l'oubli ? 
Oh ! non. De mon bonheur l'image regrettée 
Passe comme un fantôme en ma vie attristée. 
Vers le passé mes yeux se tournent lentement ; 
Je me souviens toujours : voilà mon châtiment ! 




C^ ^Monsieur ro^bbé C^. ^ayle. 



■wwv^^>^^^/wv\^^ 



LES CHAMPS & L'USINE 



La terre a trop de maîtres en France, 
et pas assez de serviteurs. 

m CIRÉ DE CAMPACm. 



I. 



Celui qui m'a dit cette histoire, 
Alerte malgré les vieux ans, — 
Alliait à la robe noire 
La majesté des cheveux blancs. 



5o LES CHAMPS ET l'uSINE. 



Au village qui le vit naître, — 
Dans la droiture de son cœur, — 
Il s'honorait, le digne prêtre, 
D'être le fils d'un laboureur. 

Il ne voyait pas sans tristesse. 
Comme un torrent, de tous côtés, 
Se précipiter la jeunesse 
Des campagnes vers les cités. 

« Pourquoi déserter le village, 
« Vous qu'ici la charrue attend? » 
Disait-il, dans ce vieux langage 
Que la Provence désapprend. 

a Le sillon est un tributaire 

a Plus fidèle que l'atelier. 

a Tant vaut l'homme, tant vaut la terre : 

<K Bon labour fait riche grenier. 

a La peine ! c'est la loi commune. 

<c Hélas I loin du foyer natal, 

« Combien, en rêvant la fortune, 

« Se réveillent à Thôpital I » 



LES CHAMPS ET L'uSINE. 5i 



II. 



Marcel avait trente ans à peine. 
Avant d'aller sous les drapeaux, 
Sur la montagne ou dans la plaine, 
Heureux, il gardait les troupeaux. 

Quand le soldat, après la guerre, 
Eut repris son bâton noueux, 
Les bois, le vallon, la bruyère 
N'eurent plus de charme à ses yeux. 

C'est que, las d'un labeur tranquille, 
De lucre follement épris, 
Il avait le mal de la ville. 
Comme on a le mal du pays. 

Un jour, après la messe dite : 

« — C'est toi, Marcel, que je revois! 

« Envers l'Etat te voilà quitte, 

« Aussi robuste qu'autrefois... 



52 LES CHAMPS ET l'uSINE. 



« Mais qu'as-tu? » reprit le vieux prêtre. 
« Parle, tu parais soucieux?... 
« Voudrais-tu nous quitter?... — Peut-être 
« Là-bas serai-je plus heureux! 

« Il me faut une autre existence : 
« J'ai l'ambition dans le cœur ! 
« — Plus on borne son espérance, 
« Et plus on est près du bonheur. 

« Sais-tu bien qu'aux jours de chômage, 
« La honte, les nouveaux penchants, 
« Ferment la route du village 
« A plus d'un déserteur des champs? 

« Ah ! c'est le plaisir qui t'appelle ! 
« Partout, la vie est un devoir; 
a Mais dans la couche paternelle, 
a Ici, comme on dort bien, le soir! 

« Dans les cités, de porte en porte, 
« Souvent l'homme offre en vain ses bras; 
« Aux champs, jamais de saison morte, 
ce Et le travail n'y manque pas. 



LES CHAMPS ET l'uSINE. 53 



« Des mets simples en abondance ; 
« Le bois dans Pâtre à volonté ; 
« Du lendemain l'insouciance ; 
« Pour richesse la liberté ! 

« Voilà les biens de la chaumière ; 

« Un jour, tu les regretteras ; 

« Et du vieil ami de ton père, 

« Loin de nous, tu te souviendras!... » 



III. 



Sourd aux avis, il part. — Dans une ville immense, 
Où vit au jour le jour tout un peuple ouvrier, 
Il arrive. — Déjà le chômage commence, 
Et le pain du travail, il faut le mendier!... 

Pour Marcel s'ouvre, enfin, l'usine, ruche sombre, 
Où grince l'engrenage, où siffle la vapeur; 
Où, même en plein soleil, le gaz lutte avec Tombre 
Et dans les longs couloirs projette sa lueur. 



54 LES CHAMPS ET l'uSINE. 

Sous de vastes arceaux, une étroite ouverture 
Laisse filtrer à peine un rayon de ciel bleu ; 
Là, douze heures durant, douze heures de torture, 
Il alimentait, nu, les chaudières en feu. 

Quel contraste, en songeant aux riantes campagnes! 
Ici, Tair vicié, des murs pour horizon; 
Là-bas, l'azur sans fin, l'air libre des montagnes; 
Ici, le sol brûlant; là-bas, le frais gazon! 

(.( La sauge, pensait-il, embaume la clairière; 

« L'hirondelle revient s'abriter sous nos toits. 

« Comme elle, si j'allais au pays de ma mère 

« Revoiries champs, les fleurs, les collines, les bois?...» 

En rêve, il regagnait, par le sentier rustique. 
Sa chaumière isolée ; et du clocher lointain 
Il entendait encor l'adieu mélancolique. 
Cet adieu qui vibra longtemps sur son chemin. 

Vains regrets! pouvait-il, parmi les camarades. 
Trouver un seul ami qui sût les partager? 
C'étaient, pour la plupart, des travailleurs nomades; 
Pour ces hommes, Marcel n'était qu'un étranger! 



LES CHAMPS ET l'uSINE. 55 

Alors, pour oublier, il appelait l'orgie; 
Il cherchait dans l'ivresse une acre volupté : 
Ce breuvage qui donne une fausse énergie, 
Souvent le retenait dans un bouge écarté. 

Malheur à l'ouvrier qui sur chaque semaine, 
Ne sait pas réserver le pain des jours mauvais ! 
Le moment n'est pas loin où l'envie et la haine 
L'entraînent au sentier qu'il suivra désormais. 



IV. 



Bientôt, à bout de force et vaincu par la fièvre, 
Usé par le travail moins que par le plaisir, 
Sans une goutte d'eau pour rafraîchir sa lèvre, 
Marcel, sur un grabat, sentit la mort venir. 

Dans ce froid abandon, né de l'indifférence, 
Qui partout fait le vide autour des malheureux, 
L'hôpital lui gardait la dernière espérance : 
Ce refuge du pauvre apparut à ses yeux. 



56 LES CHAMPS ET l'uSINE. 



Quels poignants souvenirs assiégeaient sa pensée 
Sur cette couche offerte à ceux qui n'en ont pas! 
Mourir ! environné d'une pitié glacée , 
Sans femme, sans enfants à qui tendre les bras! 

Ah ! ce n'est pas ainsi que mourut son vieux père , 
Fidèle à son clocher, fidèle à ses travaux! 
Une famille en pleurs emplissait la chaumière, 
Et le toit paternel vit son dernier repos. 

Mais, le mal empirant, Marcel vit apparaître 
L'homme saint dont la voix découvre l'avenir. 
Dans son délire, il crut revoir le bon vieux prêtre, 
Et sourit à celui qui venait le bénir. 

« C'est vous!... » murmurait-il d'une voix égarée, 
a Ici, je vais mourir... Vous me l'aviez bien dit... 
« Des amandiers en fleurs la campagne est parée... 
« La ville, c'est l'hiver... toujours... rien n'y fleurit... 

Les sueurs de la mort inondaient son visage : 
« Emmenez-moi! dit-il, partons! je vous attends! 
« Qu'il est long le chemin !... Qu'il est loin mon village!., 
a Comme pour arriver il faut marcher longtemps!... 



.s^ 



LES CHAMPS ET l'uSINE. 



« Le jour tombe... Déjà la nuit vient... Je frissonne... 

<c Mon Dieu! que ce vallon est noir... silencieux... 

a Parlez-moi du pays!... Riofifretl... Raguelonne!... » (i) 

Une pieuse main avait fermé ses yeux. 

On recouvrit du drap le front du jeune pâtre ; 
Puis un homme parut, quand le prêtre sortit : 
« Ce cadavre, dit-il, est pour l'amphithéâtre... » 
A l'hôpital, Marcel devait payer son lit. 



V. 



Agriculture I ô toi qui nourris la patrie ! 
Loin de leurs champs, combien de tes fils, aujourd'hui. 
Donnent, dans les cités, leurs bras à l'industrie, 
Souflfrent comme Marcel et meurent comme lui! 

(i) Hameau et vallon près de la Durance. 




04 {Monsieur Jules de Lombardon-^éMonté^^an, 



LA VEILLEUSE 



«WWWWMWWM 



Blanche gardienne, quand la nuit 
Invite au repos ma paupière, 
J'aime à voir ta pâle lumière 
Veiller dans mon calme réduit. 



Alors, regardant en arrière, 
Oublieux de l'heure qui fuit, 
Je remonte l'humble carrière 
De ma vie obscure et sans bruit. 



60 LA VEILLEUSE. 



Même au matin de la jeunesse, 
Pour un plaisir que de tristesse ! 
Pour un sourire que de pleurs! 

Jusqu'au jour où, flamme voilée, 
Notre âme, vers Dieu rappelée. 
S'exhale comme tes lueurs... 





Q4 ma chère Compagne. 



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GABRIELLE <•> 



I 

Comme nos yeux, nos cœurs ont aussi leur mirage : 
Et je te vois toujours, pittoresque village, 
Chaumière aux rouges toits où j'allais, triomphant, 
M'enivrer des baisers de mon premier enfant. 
Solitaire chemin qui me guidais vers elle, 
Tu ne retentis plus au nom de Gabrielle ! 
Qu'irais-je maintenant demander à ces lieux? 
Des regrets pour mon cœur, des larmes pour mes yeux? 

(i) Souvenir de la mort de notre premier enfant. 



02 GABRIELLE. 



Lorsque, après le labeur d'une longue semaine, 
Uaube du gai dimanche apparaissait à peine, 
C'était le jour béni... Je courais au hameau : 
Quand l'espoir nous sourit comme le ciel est beaul 
Tout chantait sur la route ou plutôt dans mon être.., 
Et cependant décembre avait fait disparaître, 
Avec le vert feuillage abritant leurs amours. 
Ces agrestes chanteurs qu'on revoit aux beaux jours. 

Bientôt j'apercevais la rustique masure. 
Quelques langes pendaient devant une embrasure. 
Ah! je les vois encor... Ils remuaient mon cœur. 
Un sentiment mêlé de trouble et de bonheur 
M'agitait... Je poussais la porte entre-bâillée : 
Dans sa couche d'osier, mon enfant, éveillée, 
Balbutiait ces mots si vagues et si doux 
Que mon naïf orgueil écoutait à genoux ; 
Alors, croyant saisir l'indicible langage. 
Je couvrais de baisers le frais petit visage. 

Parfois, demi-plongée en un rêve charmant 
Qui donnait à sa lèvre» un doux tressaillement, 
On eût dît — à la voir sourire dans ses langes — 
Que l'enfant répondait aux paroles des anges... 



GABRIELLE. 63 



Ineffables douceurs de l'amour paternel, 
Que d'amertume, hélas I mêlée à votre miel! 



II 



Cinq mois, comme un seul jour, comme une heure enchantée, 

S'écoulèrent. Déjà, sur la terre attristée, 

Avril avait jeté son voile de gazon. 

Et l'aurore plus belle empourprait l'horizon. 

Les amandiers, bordant la route monotone. 

Etalaient, radieux, leur nouvelle couronne; 

Les oiseaux, sautillant dans les buissons feuilles. 

Saluaient le printemps en rhythmes gazouilles I 

La vie et le printemps promettent tant de choses I 
Mais combien de leurs fleurs mortes à peine éclosesl 

Tandis qu'embaumant l'air, le lilas fleurissait. 
Egayant le vieux mur, — l'enfant s'alanguissait. 
Moi, je ne voyais point sa muette souffrance : 
L'erreur paraît si douce à qui craint l'évidence I 



64 GABRIELLE. 



Un jour, le cœur serré par le pressentiment, 

Sous le toit nourricier j'arrivai brusquement... 

Quelle est donc cette voix, de larmes toute pleine, 

Dont le déchirement refoule mon haleine? 

Ces plaintes, ces sanglots, je les reconnais bien : 

« — Marguerite! nourrice!... Ah! répondez! «Rien... rien... 

La chaumière est déserte, et ma pauvre innocente 

Réclame en vain les soins d'une marâtre absente. 

Elle paraît enfin, Pair confus et surpris. 

Et, prodigue de soins dont j'ai connu le prix. 

En prenant dans ses bras l'enfant, — comme une mère! — 

A sa lèvre enfiévrée ofifre un lait mercenaire... 

Tout ce que je soufifris, vous seuls le comprendrez, 

Qui vîtes vos enfants dans ces bras abhorrés! 

Il fallut m'éloigner. Déjà l'incertitude 
M'attendait sur la route avec l'inquiétude. 
Ces compagnes, hélas! qu'on ne voit jamais mieux 
Qu'en voulant les chasser et du cœur et des yeux ! 

Ah I je sentis alors ce que vaut la richesse ! 
Avec elle, ma fille, auprès de nous sans cesse, 
Sous les yeux de sa mère, — hélas! on lui défend 
L'indicible bonheur de nourrir son enfant ! — 



GABRIELLE. 65 



N'eût pas été livrée à ces femmes cupides 

Qui les prennent vermeils et les rendent livides ! 

A ces seins meurtriers je l'arrachai trois fois, 
Et la repris mourante à son treizième mois. 

Pourrai-je l'achever ce navrant épisode? 

Il faudra remuer cette cendre encor chaude 

De poignants souvenirs... Je passai par moment 

Du suprême bonheur au découragement ; 

Tantôt l'enfant semblait, au gré de mon envie, 

Reprendre, par nos soins, une nouvelle vie; 

Et tantôt l'insomnie et ses âpres ennuis 

Remplissaient nos longs jours et nos plus longues nuits. 

Ah l je la vois encor cette petite chambre 

Où le pâle regard de l'aube de novembre 

Me surprit tant de fois veillant près du berceau ! 

Combien je tressaillais quand tremblait le rideau 1 

C'est qu'alors une plainte à peine murmurée 

Trahissait le réveil de ma pauvre adorée ; 

C'est qu'alors une main que la fièvre brûlait 

A mon doigt, convulsive, aussitôt s'enroulait; 

Ah ! c'est qu'alors, enfin, — douloureuse éloquence! — 

Ses larmes et ses cris me disaient sa souffrance ! 

5 



66 GABRIELLE. 



III 



Un soir, le vent fouettait les arbres du jardin 
Et brisait le bois mort contre le mur voisin. 
Des nuages, errants comme des caravanes, 
Par bandes sillonnaient les célestes savanes. 
La lune environnait d'un rayonnement clair 
Le front demi-voilé de ces géants de l'air. 
Comme un phare tremblant allumé dans le vide. 
Une étoile semblait leur mystérieux guide. 
Tristement accoudé, je les suivais de l'œil, 
Quand mon front s'inclina sur le bras du fauteuil, 
Un sommeil agité s'empara de mon être. 
Et je fermai les yeux auprès de la fenêtre. 

Alors, il me sembla, dans l'azur assombri, 

Entrevoir de l'enfant le visage chéri. 

Comme signe d'adieu, sa main vers moi tendue 

Me montrait lentement la profonde étendue... 

Bientôt la vision s'effaça dans les cieux, 

Et mes larmes coulaient quand je rouvris les yeux. 



G ABRI ELLE. 67 



Je frissonnais encor sous l'étreînte du rêve, 
Un sourd chuchotement autour de moi s'élève... 
Des sanglots étoufifés arrivent à mon cœur : 
Maïs comment exprimer mon immense douleur, 
Lorsque, éperdu, je vis... ah! je le vois encore 
Ce front doux et penché qu'un souffle décolore ! 
Ces mains grêles que joint une humble piété, 
Et qui ne s'ouvrent plus que dans l'éternité ! 
Ces yeux à demi clos et dont les blondes franges 
Ne se soulèvent plus qu'aux caresses des anges ! 
Cette bouche où s'empreint l'indélébile sceau 1 
Enfin tout ce visage et si triste et si beau 
Que me montrent encore, avec leurs têtes pâles. 
Les chérubins sculptés des vieilles cathédrales!... 

Pendant que je dormais, fuyant de notre sol, 
La céleste colombe avait repris son vol. 
Pauvre ange voyageur que mon âme crédule 
Put à peine entrevoir de l'aube au crépuscule. 

Un cierge, — ô nuit de deuil ! — près du berceau brûlait, 
Projetant dans l'alcôve un livide reflet. 
Le miroir où l'enfant babillait tant de choses. 
Où de naïfs transports collaient ses lèvres roses, 



68 GABRtELLE. 



Maintenant, — vaine et froide image de l'oubli, — 
Sous un blanc voile, hélas I demeure enseveli. 
En pleurant, je cherchais des lambeaux de prière : 
On ne sait que pleurer quand on se désespère. 
Comment, comment prier quand notre cœur se fend. 
Et que tout crie en nous : Mon enfant I mon enfant 1 1 



Un long jour s'écoula... Le soir, la mort avide, 
La mort ayait passé, laissant le berceau vide. 



NoTombre 1860 




SONNET NUPTIAL 



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Elle résonne enfin cette heure fortunée 
Dont réclat radieux ne brille que par vous. 
Sous le voile flottant et les fleurs d'hyménée, 
On croirait voir un ange égaré parmi nous. 



Une aimable rougeur, soudain illuminée, 

Vient encore embellir vos traits chastes et doux. 

C'est qu'un nom a frappé votre oreille étonnée : 

« Madame! » nom charmant, tendre orgueil d'un époux, 



70 SONNKT NUPTIAL 



Ah! tournez vos regards vers l'horizon immense. 
Une nouvelle vie avec ce nom commence. 
L'aurore nuptiale ouvre des jours heureux. 

Et déjà, pour sa part de bonheur, votre mère 
Voit s'accroître le cher trésor dont elle est fière : 
Elle donne un enfant, mais pour en avoir deux. 



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C^ ^Monsieur Charles ^istagne. 



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LE PRINTEMPS 



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I 



C'est le matin. Avril rit dans les hautes branches ; 
Le glaïeul se pavane aux yeux bleus des pervenches ; 
Le ruisseau baise au front le brin d'herbe tremblant. 
Au détour du sentier, l'aubépine enlacée 
Par le lierre amoureux, comme une fiancée, 
Montre son bouquet blanc. 



72 LK PRINTEMPS. 



Les oiseaux, s'appelant de ramille en ramille, 
Préparent le berceau de leur jeune famille. 
Le soleil, accouru de l'orient lointain. 
Colore le sommet du mont qui le dérobe, 
Et mêle un gai sourire aux tendres pleurs que Taube 
Répand chaque matin. 

Massés à l'horizon, des groupes de nuages 
Semblent se concerter pour de prochains voyages... 
Mais la brise se lève : ainsi que des vaisseaux. 
Toutes voiles dehors, — sous le vent qui les presse. 
Les nefs du ciel s'en vont prodiguer la richesse 
En déversant leurs eaux. 

Tout gazouille, fleurit et frissonne et murmure. 
Le retour du Printemps éveille la nature. 
Comme le travailleur, laissant là ses haillons, 
La terre a dépouillé sa robe de misère ; 
Son jour de fête brille... et notre vieille mère 
Tresse ses cheveux toujours blonds. 



LE PRINTEMPS. 7 3 



II 



Vois, pour te saluer, ô Printemps magnifique! 
La superbe forêt arrondit son portique ; 
Le modeste buisson arbore ses couleurs ; 
Le coteau , le vallon t'adressent leur hommage ; 
La prairie, en riant, jette sur ton passage 
Ses corbeilles de fleurs. 

C'est toi , tu nous reviens ! et la vierge , à ta vue , 
Compte ses ans nouveaux avec ta bienvenue : 
Le voile de son âme a doucement glissé... 
Tu parais I et les cœurs glacés par la vieillesse 
Songent, en remontant les jours de la jeunesse, 
Aux roses du passé... 

Comme aux siècles brillants de la chevalerie, 
Il n'est plus de trouvère, et la muse fleurie 
Ne chante plus la gloire et l'amour en tout lieu ; 
Mais toi , barde immortel 1 sur ta lyre sacrée , 
Toi, tu chantes toujours, de contrée en contrée, 
Les poèmes de Dieu ! 



74 LE PRINTEMPS, 



III 



Bientôt l'oiseau se tait , bientôt la feuille tombe ; 
Sous le gazon fané la fleur trouve une tombe; 
Le soleil disparaît dans les brumes du ciel. 
Printemps! tu reviendras... Te verrons-nous encore? 
Qu'importe 1 si pour nous la mort ouvre l'aurore 
Du Printemps éternel I 







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C4 ^Monsieur ThoureL 



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L'ÉTÉ 



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I 



Roi des moissons, l'Eté, plein de force et de grâce, 
Se fait un trône d'or des gerbes qu'il entasse : 
Il règne! — Laboureurs, voici le temps promis 
Où les puissants labeurs trouvent leur récompense. 
Salut I riche saison, généreuse Abondance, 
Tous les pauvres sont tes amisi 



76 l'été. 

C'est le milieu du jour. Quels torrents de lumière! 
Le soleil à cœur joie inonde la chaumière. 
A la table commune on s'assied bruyamment; 
Le vin coule à plein bord dans la coupe rustique, 
Et le vieux sel gaulois, mieux que le sel attique, 
Assaisonne le mets fumant. 



Alerte! le travail rend les âmes sereines, 
Et les jours longs sont courts quand les heures sont pleines ! 
Le blé mûr se balance au loin comme la mer. 
Ils partent. — Et bientôt la luisante faucille 
Au dessus des épis par moment passe et brille 
Aussi rapide que l'éclair. 



Voyez-les, ruisselants, sortir des vagues blondes 
Et joncher les guérets de dépouilles fécondes! 
Tels des guerriers, bravant et le fer et le feu, 
Sous le regard de l'homme ouvrent une tranchée. — 
Vous, soldats de la paix, dans la plaine fauchée. 
Vous avancez sous l'œil de Dieu! 



l'été. 77 



II 



Écoutez I du ravin la voîx sourde résonne ; 
Des nuages épais se rapprochent... Il tonne! 
L'ouragan destructeur menace vos faisceaux I 
Devant cet ennemi la fuite est glorieuse... 
Bientôt l'aire est déserte, et la ferme joyeuse 
Retentit au bruit des fléaux. 

L'orage a refermé ses bruyantes écluses. 
L'air est frais, le ciel pur : mille rumeurs confuses 
S'élèvent des taillis, des ruisseaux, des vallons. 
Un éclair, par moment, perce encor la feuillée; 
Puis une étoile brille, et dans l'herbe mouillée 
Reprennent en chœur les grillons. 

Blanc falot que la nuit promène dans l'espace, 
Sur les champs endormis bientôt la lune passe : 
Le vieux mur de la grange est comme rajeuni. 
Accablé, mais content, on regagne la crèche : 
C'est l'heure du repos, et, sur la paille fraîche, 
 tâtons on cherche son nid... 



78 l'été. 



III 



La vîe est comme un champ où l'homme, sans relâche, 
Accomplit chaque jour sa rude et noble tâche. 
Pareil au laboureur courbé dès le matin ; — 
Mais le soir, au retour de la moisson dorée, 
Qu'il est doux de porter dans la grange éthérée 
Sa gerbe mûre de bon grain I 




q4 éMonsieur cMarcel Eysseric, 



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L'AUTOMNE 



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La vigne est vendangée : 
Dans la cuve gorgée 
Fermente un vin nouveau. 
Les vergers sont en joie 
Et chaque branche ploie 
Sous un riant fardeau. 



8o l'automne. 



Les corbeilles s'emplissent ; 
Les celliers s'enrichissent ; 
L'olive est au moulin. 
Grains et fruits, tout abonde. 
En nourrice féconde, 
La terre offre son sein. 



Déjà novembre arrive : 
L'aurore, plus craintive. 
Nous cache ses rougeurs. 
Le ciel est veuf d'étoiles. 
Et la brume aux longs voiles 
Promène ses pâleurs. 



Laissant là le rivage. 
Les oiseaux de passage 
S'en vont franchir les mers. 
Muets et solitaires. 
Les oiseaux sédentaires 
Gardent nos champs déserts. 



Jardin, coteau, vallée. 
Sont, à pleine volée. 



l'automne. 8i 



Ensemencés encor. 

Le sillon se referme 

Sur l'humble grain qui germe 

Pour donner l'épi d'or. 

Au déclin de l'automne, 
Quand la sève abandonne 
La feuille qui jaunit. 
Débordés par l'orage, 
Les torrents avec rage 
S'échappent de leur lit. 

L'éclair brille dans l'ombre, 
Et la rafale sombre 
Pousse des hurlements. 
Tordus jusqu'à se fendre, 
Les arbres font entendre 
De sourds gémissements. 

Et l'Automne murmure : 
« Immortelle Nature, 
a Va reverdir ailleurs ! 
a Feuilles, quittez vos tiges! 
« Fleurs, adieu vos prestiges! 
a Partez, oiseaux chanteurs!... » 

6 



83 l'automne. 



Vient ce jour où Ton pleure, 
Dans plus d'une demeure, 
Ceux qui sont loin de nous... 
Où des voix inconnues 
Soupirent dans les nues : 
« Des morts souvenez-vous I » 

De deuil environnée, 
S'écoule ainsi l'année ; 
Mais une autre la suit. 
Ramenant avec elle 
Les beaux jours, l'hirondelle, 
Et la fleur et le fruit... 



Pareil à l'an qui passe. 
L'homme à l'homme fait place. 
Durant le court trajet. 
Il va de rêve en rêve ; 
Son automne s'achève... 
Et l'hiver apparaît. 



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C^ mow anîf /. Cayer. 



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L'HIVER 



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I 



La terre a le printemps et Thomme la jeunesse 
L'une montre ses fleurs et l'autre ses enfants ; 
Une invisible main couronne leur vieillesse 
De frimas ou de cheveux blancs. 



84 l'hiver. 



La feuille se flétrit, le visage se ride; 
Le sang suspend son cours et la sève s'endort. 
Sur la vie au déclin passe le souffle aride 
Et de l'Hiver et de la Mort... 

Comme des bûcherons, tous les deux, sans relâche, 
Depuis l'aube des temps jusqu'à l'éternité, 
Ils vont ainsi courbant, sous leur pesante hache, 
La Nature et l'Humanité. 



H 



Hiver, ô sombre Hiver ! pourquoi donc ta balance 
A-t-elle deux plateaux dispensant à la fois 
Au riche le plaisir, au pauvre la souffrance ? 
Pourquoi deux mesures, deux poids? 

Quand tu viens torturer le cœur du misérable 
Et lui rendre plus dur le pain de chaque jour. 
Tu semblés attiser une haine implacable : 
Faut-il maudire ton retour ? 



l'hiver. 85 



Oh I non, telle n'est point ta mission austère : 
Tu viens, comme la Mort, pour enseigner à tous 
L'abandon douloureux des choses de la terre, 

En murmurant : « Rien n'est à vous ! » 

tf Rien à vous ! » c'est le mot que la tempête crie ; 
C'est le mot que la foudre écrit en traits de feu ; 
Le mot qu'au naufragé la mer jette en furie : 

a Rien à vous! rien!... tout est à Dieu! » 



III 



Hiver! j'aime à te voir, sous un manteau d'hermine, 
Fouler nos beaux climats de ton pied dédaigneux ! 
J'aime ta voix grondant de colline en colline. 
Comme la grande voix des cieux ! 

A défaut de gazon, de fleurs et de feuillage, 
La neige, devant toi, déroule son tapis, 
Et le givre argenté suspend, sur ton passage, 
Ses festons aux rameaux flétris. 



86 l'hiver. 



Rien ne peut ralentir ta course vagabonde : 
Ni fleuves, ni torrents ; car le froid matinal 
A durci comme un roc la surface de Tonde, 
Où brille un chemin de cristal. 

En chasse ! tes limiers , courant bois et clairière , 
Font retentir au loin leurs rauques hurlements ; 
On les entend pleurer autour de la chaumière. 
Sourde à leurs longs gémissements. 

La rafale, aux abois, s'aventure dans Pâtre 
Et fait tourbillonner les cendres du foyer. 
D'où s'élève bientôt une flamme rougeâtre. 
Qu'il fait bon de voir pétiller. 

Pendant que l'enfant rit à la clarté joyeuse. 
L'aïeul songe au passé plus beau que l'avenir, 
Et tisonne, en tournant sa tête soucieuse 
Vers son sabre, vieux souvenir. 

Comme il étincelait au jour de la bataille ! 
Le temps a rouillé l'arme et courbé le soldat ! 
Elle dort, oubliée, au clou de la muraille... 
Adieu, jeunesse! adieu, combat! 



l'hiver. 87 



La Guerre avec orgueil étale ses ruines : 
Elle ravage, hélas! sans pouvoir rien fonder; 
Mais, éternel gardien des semences divines, 
L'Hiver détruit pour féconder... 



IV 



O Nature ! pourquoi craindre l'Hiver avare ? 
Humanité ! pourquoi craindre un dernier sommeil ? 
Sous la neige et la tombe, en secret. Dieu prépare 
Et le printemps et le réveil! 




' 



90 MES VIOLETTES. 



Mais de leur timide silence 
Dieu voulut tempérer les lois, 
Et les violettes, sans voix, 
Ont leur parfum pour éloquence. 

Celles-ci, bientôt, vous diront — 
Par vos grands yeux bleus caressées - 
Que chacune de vos pensées 
Se réfléchit sur votre front ; 
Et que la plus douce y ramène 
Un rayon d'amour triomphant 
Aux frais baisers du bel enfant 
Que vous envierait une reine ! 

Tout bas encore, écoutez-les 
Vous dire, en souriant. Madame, 
Que votre clavier prend une âme 
Sous vos doigts roses effilés ; 
Et que les palmes du théâtre 
— Vos mains pourraient les effeuiller 
Ne valent pas un cher foyer 
Ni l'époux qui vous idolâtre : 



MES VIOLETTES. 91 



Leur vif éclat bientôt s'éteint, — 
A l'opposé des fleurs plus belles, 
Lis purs, roses toujours nouvelles, 
Dont se colore votre teint. — 
Mais si de fragiles fleurettes. 
Dès ce soir, perdent leur fraîcheur, 
Qu'au moins, Madame, en votre cœur 
Vivent toujours mes violettes I 





Q4 mon ami SMaurice bouquet. 



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LA SŒUR DE LAIT 



1 



I 



Dans les bras du printemps la terre se réveille, 
Et, rouge de pudeur, quand l'aurore vermeille 
Vient éclairer la couche où l'hiver la surprit, 
Elle demande aux fleurs sa guirlande nouvelle ; 
Au ruisseau, son miroir... Se voyant toujours belle, 
La coquette sourit... 



94 ^^ SŒUR DE LAIT. 



Comme la voix, les yeux trahissent la pensée : 
Vincent ne voit, là-bas, que la flèche élancée 
Du manoir qu'embellit sa noble sœur de lait. 
Sur les mêmes genoux s'écoula leur jeune âge ; 
Mais pourquoi maintenant fuyait-il une image 
Que son cœur rappelait? 

Le buisson lui prêtait son» rideau de verdure : 
S'agitant tout-à-coup, l'agreste dentelure 
Cède à la pression d'une petite main... 
Un rire frais arrive à son oreille émue; 
Puis, une blonde enfant apparaît à sa vue, 
Lui fermant le chemin. 



Belle et riche, Lina voyait s'ouvrir la vie 
Par la porte enchantée où le bonheur convie : 
« Enfin , te voilà donc I » dit-elle avec candeur. 
« Ne te souvient-il plus des jours de notre enfance ? 
« De tes moindres secrets j'avais la confidence : 
« Ne suis- je plus ta sœur? » 

Les oiseaux gazouillaient... Avril, plein de promesses. 
Effleurait le gazon de ses fraîches caresses... 



LA SŒUR DE LAIT. 9 5 



Le long du vert sentier, ils allaient tous les deux... 
Elle oubliait sa main dans la main de son frère, 
Et lui s'abandonnait à la tendre chimère 
De son rêve amoureux... 



Rêves de la jeunesse ! illusions dorées 1 
Pareilles à ces fleurs aux teintes diaprées, 
Embaumant les jardins de parfums inconstants, 
Vous enivrez les yeux de notre âme ravie... 
Mais, comme elles, aussi, douces fleurs de la vie. 
Vous n'avez qu'un printemps ! 



II 



Huit mois, bientôt passés, ont ramené l'automne : 
L'hirondelle s'enfuit, l'arbre se découronne ; 
L'eau du ciel, de nouveau, détrempe les sillons; 
Les feuilles, que les vents assiègent et pourchassent. 
Quittent les rameaux noirs, tourbillonnent, s'entassent. 
Dans le creux des vallons. 



96 LA SŒUR DE LAIT. 



Déjà sur les coteaux la brume étend son ombre... 
Voici l'heure où l'hiver, par ses plaisirs sans nombre, 
Ouvre pour les heureux son règne éblouissant. 
Tout convie au départ la belle jeune fille. 
Trop distraite pour voir une larme qui brille 
Dans les yeux de Vincent... 

« Je reviendrai ! » dit-elle, et le char qui l'entraîne 
Emporte bruyamment, dans sa course lointaine, 
Et son dernier sourire et son dernier adieu. 
Vincent demeure seul, et longtemps sa pensée 
Attache son regard sur l'empreinte laissée 
Par le rapide essieu... 



III 



Du paisible manoir se souvint l'hirondelle ;. 
Mais du pauvre garçon, Lina, se souvint-elle? 
Vincent l'appelle en vain et l'implore... Insensé! 
En se jouant, la brise emporte ses paroles : 
L'ombre qui se dérobe à ses étreintes folles, 
C'est Tombre du passé. 



i 



LA SŒUR DE LAIT. 97 



C'est son nom que tout bas le vent moqueur soupire ; 
C'est sa voix qu'il entend, son souffle qu'il respire, 
Dans l'écho du ravin, dans le parfum des fleurs; 
Oui , c'est son pas léger qui fuit sous le feuillage ; 
Son œil bleu qu'il revoit dans l'œil bleu d'un nuage, 
A travers bien des pleurs I 

En se penchant vers lui, les arbres de la route. 
Dans leurs chuchotements, semblent lui dire: « Ecoute! 
« Elle va revenir, ramenant les beaux jours ! 
« Ne vois-tu pas les plis de sa robe flottante 
« Sur les ondes des prés ?... » Mais l'image charmante 
Fuyait, fuyait toujours... 

Un soir, il ne vint plus courir dans les bruyères... 
La cloche du village annonçait aux chaumières 
Qu'une âme avait brisé son lien d'ici-bas... 
L'herbe envahit sa tombe où l'humble croix s'élève, 
Et celle qu'il aimait, l'idole de son rêve, 
Ne le sait même pas ! 



^ 



(3f oMonsieur Hippolyte Chanousse. 



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NOËL 



Noël! Noël! c'est toi, tu reviens chaque année; 
Mais combien sont partis pour ne plus te revoir ! 
A la place d'honneur, près de la cheminée, 
L'aïeul à ton banquet ne viendra point s'asseoir. 

Je cherche aussi l'enfant que Dieu m'avait donnée : 
L'ange, malgré nos pleurs, prit son vol, l'autre soir... 
Et ta crèche, Noël, dans l'ombre abandonnée. 
Garde sa lampe éteinte et son feuillage noir. 



100 NOËL. 



Vieillards, enfants, — liens sacrés de la famille, — 
Par vous le passé luit, par vous l'avenir brille! 
C'est vous seuls qui faisiez ce beau jour si joyeux ! 

Quand vous n'êtes plus là, les cloches d'allégresse 
Mêlent aux carillons comme un chant de tristesse : 
Noël!... On se souvient, le regard vers les cieux ! 



18G0. 



^ 



q4 ^Monsieur Émilien T{ey, 



^M^»/M^»^»W»^^/<» 



VAUFRÈGE 



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Même dans ses beaux jours le cœur vit d'espérance : 
Que vaudrait le bonheur sans rêves d'avenir ! 
Insensés! et quand vient l'heure de la souffrance, 
Nos yeux baignés de pleurs cherchent le souvenir... 



102 VAUFR^GE. 



Vaufrège! humble vallon où fleurit la bruyère, 
J'ai voulu te revoir, et voici le chemin 
De la blanche maison où, sur le seuil, naguère, 
Elle me souriait en me tendant la main. 

Je franchis du torrent la couche desséchée, 
Pour gravir le coteau de pampres couronné ; 
Dans le buisson j'entends la fauvette cachée ; 
Et sous mes pieds bruit le feuillage fané. 

Par le sentier pierreux que la mousse tapisse. 
Le pâtre, en fredonnant, ramène son troupeau; 
La chèvre, insoucieuse au bord du précipice, 
Broute, de ci de là, quelque bourgeon nouveau. 

Ainsi, rien n'est changé... Du thym les touffes roses 
Exhalent sous mes pas leurs agrestes senteurs ; 
Des genêts embaumés les fleurs d'or sont écloses ; 
Et pourtant à mes yeux je sens monter des pleurs... 

J'entre. C'est elle, hélas I en un fauteuil plongée : 
Avant mes yeux, mon âme a reconnu sa sœur : 
« C'est vous... enfin! » dit-elle. Une toux prolongée 
Sur sa bouche interrompt des mots pleins de douceur. 



VAUFRÈGE. I03 



Sur son visage blanc, des ardeurs de la fièvre 
Le mortel incarnat s'était épanoui. 
Son souffle haletant faisait trembler sa lèvre^ 
Ses yeux cernés brillaient d'un éclat inouï. 

Et se tournant vers moi : « Vous souvient-il encore 
« De ces jours radieux si vite disparus? 
a Je chantais... Chaque fleur pour moi semblait éclore... 
<c L'avenir souriait à mes regards émus!... » 

Elle reprit gaiement, de sa voix affaiblie : 

« Redites-moi cet air que nous chantions tous deux!... » 

Et sur sa lèvre pâle un sourire s'oublie. 

Comme un rayon perdu dans un ciel orageux. 

Chanter ! grand Dieu ! comment céder à sa prière ? 
Pouvais-je résister lorsqu'elle m'implorait? 
Je lui cachai les pleurs qui brûlaient ma paupière, 
A mi-voix je chantai quand tout en moi pleurait... 

Il fallut m'éloigner. — De la demeure obscure 

Je sortis. Au dehors, quel contraste cruel! 

Des pins verts ruisselait un suave murmure ; 

Les oiseaux gazouillaient sous les splendeurs du ciel ! 



104 VAUFRÈGE. 



Plus tard, dans cet asile où la mort nous appelle, 
J'allai porter mes pas. — Sur un tertre isolé, 
Une humble croix de bois, en me disant : « C'est elle ! » 
Semblait tendre les bras vers mon ange envolé ! 



Octobre ISûS. 



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ï^^~^Bls^î~5^ï^^~=î"SRr^'*^^ 




q4 ^Monsieur Q/llfred Gounelle, 



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MARSEILLE 



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Cavalcade de chanté 
Entrée de François 1er à Marseille (1533-1868, 



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Un noble élan partout réveille 
Et la bienfaisance et l'amour : 
Pour ta grande fête, 6 Marseille! 
L'histoire te prête un beau jour. 



I06 MARSEILLE. 



Jette partout le cri sonore, 

Par Pécho joyeux répété ! 

Oui, que dans les cœurs vibre encore 

Ce cri : Charité ! Charité ! 

Comme jadis, sonnez, trompettes! 

Saluez le Roi-Chevalier ! 

Il disait, à pareilles fêtes, 

En cueillant et myrte et laurier : 

« Sans dames la vie est morose : 

« C'est l'année, hélas! sans printemps; 

« C'est aussi le printemps sans rose. 

« Vive Dieu! c'est comme au bon temps! 

« Oncques n'ai vu — douce féerie ! — 
« Si nombreuse et brillante cour! 
« De la beauté c'est la patrie, 
« Et tout ici fleure l'amour... » 

— Non, Roi! ce n'est plus Catherine 
Qui t'appelle au milieu de nous î 
C'est une vierge humble et divine. 
Qui charme les regards de tous. 



MARSEILLE. IO7 



C'est là l'épouse que la foule 
Acclame dans ta majesté : 
Le cortège qui se déroule, 
Te guide vers la Charité ! 

C'est elle, ingénieuse et tendre, 
Qui se multiplie en tous lieux, 
Et vient ranimer sous la cendre 
Notre passé si glorieux. 

La Charité 1 c'est votre reine , 
Princes, ministres, grands seigneurs! 
Pour la céleste souveraine 
Déployez encor vos couleurs ! 

Pour elle, envoyés magnifiques. 
Vous avez traversé la mer ! 
Pour elle, ces concerts magiques, 
Ces clameurs joyeuses dans l'air 1 

Pour elle, en ces fêtes royales. 
Tournoi, carrousel merveilleux. 
Splendeurs et pompes triomphales : 
Tout pour un regard de ses yeux I 



I08 MARSEILLE. 



C'est pour elle aussi, fier de Paule, 
Que tu fais flotter, en ce jour, 
La bleue et blanche banderolle 
Aux créneaux de la vieille tour I 

Salut ! bastion d'héroïsme ! 
Où nos ancêtres, autrefois. 
Dans l'ardeur du patriotisme, 
De leur sang scellèrent nos droits ! 

Mais le temps n'est plus aux batailles : 
Partout le commerce et les arts 
Renversent nos tours, nos murailles : 
L'avenir n'a plus de remparts ! 

Marseille ! en vain le flot des âges 
Couvre ton vieux temps éclipsé : 
Comme la mer baise tes plages. 
Toi , tu caresses ton passé ! 

De tes consuls, de tes notables. 
De tes magistrats plébéiens, 
De tes annales mémorables. 
Avec orgueil tu te souviens. 



MARSEILLE. IO9 



Les élus de ta bourgeoisie 
Donnent la main, comme jadis, 
Aux preux de ta chevalerie : 
Les aïeux vivent dans leurs fils. 

Pareille au soleil qui rayonne, 
Tu prodigues l'or sans compter, 
Pour ceindre, aujourd'hui, la couronne 
Que ton front sait le mieux porter. 

Le Trident, la Croix, l'Abondance 
Sont tes armes, noble Cité; 
Trois mots proclament ta puissance : 
Travail, Croyance, Charité! 



^ 



q4 oMonsieur le Comte Godefrqy de oMont grand. 



#VM«A^nM«W«^MAM> 



LA VIE 



^^^^^v^v^^w^^* 



Ce chemin de la mort qu'on appelle la vie, 
S'ouvre fleuri d'espoirs à nos yeux de vingt ans 1 
On s'aperçoit bientôt que la route suivie 
N'est pour nous qu'un désert aux mirages flottants. 



112 LA VIE. 



L'amour jette un éclair dans notre âme ravie ; 

* 

L'amitié se dérobe à nos bras caressants ; 

Le plaisir lasse; — et quand la gloire nous convie, 

Sans calmer notre soif, elle abuse nos sens. 

Sur nos illusions, qu'un souffle aride efface. 
Descend l'ombre du soir, — et l'existence passe, ' 
Laissant à chaque halte un regret pour adieu. 

Alors, en effeuillant nos dernières journées, — 
Si vertes au printemps, — au vent d'hiver fanées. 
Détachés d'ici-bas, nos regards cherchent Dieu. 



Août 18*». 




A AUBER 



^^^^h^/ws/\^/^^>^^» 



France, voile ton front, laisse couler tes pleurs; 
La source de longtemps n'en sera point tarie : 
Après l'invasion, la guerre et ses fureurs. 
Un deuil nouveau s'ajoute aux deuils de la patrie I 

8 



I 14 A AUBER. 



Cet esprit créateur, si brillant, si français, 

Auber! qui, près d'un siècle, a su charmer le monde. 

Enchaînant à son char le volage succès. 

Vif rayon, s'est voilé dans une nuit profonde! 

Quel artiste, animé par le souffle divin, 
A son œuvre imprima plus de métamorphoses? 
Agrandit mieux son art, mélodieux écrin. 
Riche de ses trésors comme avril de ses roses ! 

Transportant l'auditeur, dans un rêve enchanté, 
Du Vésuve à Stockholm, et du Gange à Venise, 
Son luth harmonieux chantait la liberté. 
L'amour et le plaisir, et la mer, et la brise. 

Oubliera-t-on jamais ses gais contrebandiers, 
Spada, les Diamants, Actéon, la Sirène, 
Le Serment, Zanetta, le chant des gondoliers... 
Dont les deux mondes ont l'oreille toujours pleine I 

Et ce bandit charmant dont l'amoureuse voix 
Captivait à son gré le cœur des plus rebelles. 
Dérobant tour à tour, en ses hardis exploits, 
Aux maris les sequins, et les baisers aux belles ! 






À AUBER. Il5 



Le Domino y le Philtre^ et l'allègre Maçon, 
L'ambitieux Lestocq, V Ambassadrice aimable ; 
De la Fée et des Djinns il nous dit la chanson : 
îl fit la part de tous... même la Part du Diable! 

La Muse, qui l'aima jusqu'à son dernier jour, 
Ecarta de son front la stérile vieillesse, 
Et le chantre inspiré, dans le Rêve d'Amour, 
Retrouvait au déclin le feu de la jeunesse. 

L'existence pour lui ne fut qu'un long printemps, 
Embaumé de parfums, rayonnant de lumière, 
Où les roses perçaient sous la neige des ans, 
Et la saison des fleurs vit clore sa paupière ! 

Mais qu'importe la mort à qui ne peut mourir! 
A l'avare cercueil échappe le génie. 
Toujours, lorsqu'en nos cœurs ta voix vient retentir, 
Masaniello, tu fais vibrer ce mot : Patrie! 

Ah ! la France est encor la grande nation : 
Rossini, Meyerbeer ! — Italie! Allemagne! — 
Ne sont-ils pas venus lui demander un nom. 
Et l'immortalité que la gloire accompagne? 



I I 6 A AUBER. 



Les élans de ton cœur ne seront pas moins vifs, 
France ! pour Tun des tiens : prends Auber sous ton aile I 
A lui 9 — plus ton enfant que ces fils adoptifs, — 
Ton plus noble laurier, ta palme la plus belle ! 



Mai liai. 




Q/i ^Mademoiselle oMarie Cayer. 



«A^AM^^MMMMAA* 



MODESTIE 



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Pendant que l'avenir de son charme inconnu 
Caresse vos regards, — votre cœur ingénu 

Vous retient près de la famille. 
Le foyer paternel, voilà votre idéal. 
Et vous associez votre amour filial 

A vos rêves de jeune fille, 



• <j 



Il8 MODESTIE. 



De l'esprit naturel vous avez ragrément ; 

La bonté, sur vos traits, non moins que Tenjouement, 

Font éclore votre sourire. 
La grâce, cette fleur dont Tarome est sans prix, 
Brille en votre maintien, et son parfum exquis, 

Auprès de vous on le respire. 

Parmi les dons charmants dont le ciel vous combla, 
Marie, il en est un, — bien rare celui-là, — 

Qui vous gagne la sympathie ; 
Il donne à vos grands yeux leur suave douceur, 
A votre jeune front la pudique rougeur : 

Ce trésor, c'est la modestie. 



Août 1972. 



^ 




îp'^^^m^ 



q4 Monsieur Gustave Q{pusset. 



rfW^A^^W^^^^'^tM» 



LE JOUR DES MORTS 



Hœc via univeraœ carnis. 
C'est le chemin de toute chair. 



Nous vivons sans songer, dans un triste délire, 
Que chacun de nos pas nous conduit vers ces lieux 
Où, nous tendant les bras, d'humbles croix semblent dire: 
« Ils étaient comme vous, et vous serez comme eux. » 



120 LE JOUR DES MORTS. 

Qu'ils sont vite oubliés , sous le gazon humide, 
Ceux que nous aimions tant, et qui nous ont quittés ! 
Leur place, auprès de nous, pour toujours semblait vide; 
Mais d'autres sont venus la prendre à nos côtés... 

On couronne de fleurs la tombe encor nouvelle, 
Quand le deuil est de mise et les adieux récents... 
Combien plus rarement revoit-on l'immortelle 
Sur les tertres vieillis d'à peine quelques ans ! 

Même il arrive, hélas I en ce dédale austère. 
Où l'on parque au hasard tout un peuple endormi. 
Qu'un enfant cherche en vain la tombe de sa mère. 
Qu'un ami ne sait plus où repose un ami ! 

Le pauvre voit des siens la froide paix troublée : 
Dans le funèbre enclos la place coûte cher 1 
Mais l'abandon qui règne autour du mausolée — 
Tout de bronze et de marbre — est-il donc moins amer.> 

Ah I le plus doux sépulcre est encor la mémoire I 
Heureux les trépassés dans le cœur embaumés I 
Leur radieuse image ouvre la tombe noire : 
Ils ne quittent jamais ceux-là qu'ils ont aimés I 



LE JOUR DES MORTS. 121 

Souvenirs et regrets, épaves du naufrage, 

Qui vous fait émerger de l'océan humain? 

L'or? — Eût-il tous les biens de ce monde en partage, 

Le riche sans vertus n'a point de lendemain. 

Les titres, les honneurs, et jusqu'au rang suprême. 
Météores brillants, s'éteignent dans la nuit. 
Seul, le bien répandu peut survivre à soi-même : 
Pur rayon de notre âme, après nous il reluit. 

En vain par son génie un homme sort de l'ombre. 
Sur toute gloire inscrite aux murs du Panthéon, 
Le temps, comme un linceul, jette son voile sombre; 
Mais d'un Vincent-de-Paul nos cœurs gardent le nom ! 



En ces jours où l'Eglise à prier nous convie 

Pour les morts, les vivants, — les faibles et les forts. 

Prions... Il est si court le songe de la vie. 

Que nous prions pour nous en priant pour les morts I 




q4 oMonsieur oAlfrei Trivat. 



<M«^^^MA^A«WVAM 



LA FAUVETTE 



Dernière gaîté du buisson, 
Quand sous-bois tout n'est que tristesse, 
L'hiver, pauvre oiseau, ta chanson 
Gazouille comme une promesse I 



124 ^^ FAUVETTE. 



Pour nous garder fruits et moisson, 
Tu happes, sautillant sans cesse. 
Le vermisseau que Dieu te laisse 
De ci, de là, dans le gazon. 

Alerte! Thomme ingrat t'épie... 
A lui quand ton instinct se fie, 
Gentil précurseur du printemps, 

Un éclair brille, le plomb vole : 
Jeu cruel d'une main frivole 
Qui détruit pour tuer le temps! 




C^ ^Monsieur Jules éMonges 

secrétaire général de la Société d'Horticulture de Marseille. 



^^^^«M^^^^ 



AUX 



TRAVAILLEURS DES CHAMPS 



^^^V^^^PWWW\^/«^ 



Pour le dur pavé de nos rues, 
Ne quittez jamais vos charrues, 
Laboureurs I Lorsque vos sillons 
Centuplent le grain qu'on leur donne, 
L'industrie ingrate abandonne 
Ses ouvriers sous les haillons. 



126 AUX TRAVAILLEURS DES CHAMPS. 

Croyez-vous qu'aux sombres usines, 
Comme en vos riantes collines, 
Le labeur vous soit assuré? 
Erreur! marâtres infidèles, 
Les usines chassent loin d'elles 
Celui qu'elles ont attiré. 

Dans la chaumière, qu'on délaisse, 
Chaque enfant est une promesse 
D'avenir pour le travailleur : 
Du chômage, ici, quand vient l'heure, 
L'enfant, dans la pauvre demeure. 
Est un présage de malheur. 

L'avenir est gros de nuages ; 
Le flot des passions sauvages. 
Avec ses bouillonnements sourds. 
Bat les vieilles digues du monde. 
Regardez 1 son écume immonde 
Dans les villes monte toujours ! 

Pour conjurer ces flots de haines, 
Un jour, les digues seront vaines 
Et les barrages emportés. 



AUX TRAVAILLEURS DES CHAMPS. 127 

Si, comme un fleuve qui s'écoule, 
Vous ne cessez d'aller en foule 
Grossir l'océan des cités. 

Gardez vos champs ! et ces tempêtes 
Qui s'amoncellent sur nos têtes, 
Iront se perdre à l'horizon ! 
Gardez vos champs! Là, de l'envie. 
Mortel breuvage de la vie. 
Vous avez le contre-poison ! 






^'^^~^^'2-^-*4*«&ip«&^^ 




04 cMonsieur Sébastien 'Berteaut. 



*«ww\«*\*wwv>** 



RÊVE D'UNE NUIT D'HIVER 



««v^v^^v^v^^v* 



Calme et tristesse aux champs, joie et bruit à la ville. 
Déjà le carnaval rallume ses falots, 
Rit de ses cheveux blancs, et de sa main débile 
Agite encore ses grelots. 



i3o RÊVE d'une nuit d'hiver. 

Près du foyer, pendant que les flammes follettes 
Dansent en chuchotant au milieu des tisons, 
Moi, je songe à l'hiver, à ses deuils, à ses fêtes, 
A ses plaintes, à ses chansons. 

• 

Minuit! Là-bas, le cloître appelle à la prière. 
Plus loin, j'entends du bal fredonner le plaisir : 
Ravissements du ciel, ivresses de la terre. 
Pure extase, enivrant loisir! 

A l'orchestre la cloche adresse un long murmure. 
Comme un plaintif reproche emporté par le vent ; 
Et, songeur, mon esprit voyage à l'aventure 
Tour à tour du bal au couvent. 

Le quadrille bruyant, le paisible cantique. 
Dans un lointain duo semblent unir leurs voix... 
N'est-ce pas la lueur de la lampe mystique 
Que dans les lustres j'entrevois? 

L'encens vient se mêler aux fleurs que je respire, 
L'orgue puissant et doux heurte un refrain joyeux, 

Les couples enlacés me jettent leur sourire 

Le rêve alors voile mes yeux. 



RÊVE d'une nuit d'hiver. i3i 

Rêve étrange ! La neige au loin blanchit la rue. 
Sous un porche abrités, d'humbles petits enfants 
Pleurent... Soudain vers eux quelle vierge accourue, 
Leur ouvre ses bras caressants? 

Une foule en haillons, cortège misérable, 
Accompagne ses pas, comme pour la bénir. 
Son regard, où rayonne une grâce adorable, 
A le don secret d'attendrir. 

Jeune d'une jeunesse à son aurore à peine, 
Tous, même les vieillards, tous l'appellent « ma sœur ». 
Belle d'une beauté touchante, surhumaine, 
Elle enchaîne par la douceur. 

« Mais, lui dis-je, où vas-tu? L'hiver, ô jeune fille, 
« Ne chante pas pour toi l'hymne des folles nuits! 
« Sous tes cils abaissés la sainte pudeur brille... 
« Ah 1 qui donc es-tu ? — Qui je suis ? 

« Dieu m'envoie et je suis sa fille bien-aiméel 
« Je m'en vais par le monde en essuyant les pleurs; 
a Rarement des palais la porte m'est fermée : 
« On me chérit là comme ailleurs. 



ï32 RÊVE d'usé nuit d'hIVER. 



« D'une maîn je reçois et de l'autre je donne ; 
« J'appelle dans mes bras richesse et pauvreté ; 
« J'apaise dans les cœurs la haine qui bouillonne, 
« Je me nomme : La Charité ! 

a Plus dure est la saison, plus féconde est ma tâche! 
« Viens, poète, dit-elle, et nous irons, tous deux, 
a Voir l'indigent qui pleure, et se tait, et se cache, 
« Comme un coupable, à tous les yeux! 

« Il est de ces douleurs que seul le cœur console... 
« Viens I l'obole du pauvre au pauvre est un trésor, 
a Un regard, un sourire, une douce parole, 

« Ont souvent plus de prix que l'or! » 



Ah I le réveil n'a pu me ravir ton image. 
Sainte fille! c'est toi que j'ai revue, hier : 
Une ample coiffe blanche, encadrant ton visage. 
Brillait comme la neige au soleil de l'hiver. 



Février 1874. 



y? 



DROIT & ADROIT 



^^»»»^www»^»»^«»» 



Un décrotteur ambitieux, — 
Qui ne l'est pas à notre époque? — 
Disait de son voisin, un concurrent heureux: 

« Tant de chance me choque ! 
« Comment fait-il donc, le malin, 
(f Pour attirer, soir et matin, 
« Autour de lui, toujours fidèle, 
« Aussi brillante clientèle ? 
a Je ne ménage pas 
« Le cirage , les bras ; 



l34 DROIT ET ADROIT. 



« Pourtant, malgré mon zèle et mon adresse, 
ff La besogne décroît sans cesse... » 

L'autre riait tout bas, 
S'égayant de ces plaintes vaines. 

A quelque temps de là, le fortuné rival, 
De beaux écus les poches pleines. 
Songe à revoir le village natal, 
Pour y vivre en propriétaire. 
Sûr d'être désormais partout le bienvenu. 
Le madré va trouver son novice confrère, 
Et prenant avec lui ce ton du parvenu 
Sur le point de rouler carrosse : 

<î Dans le métier, vois-tu, bien cirer, bien vernir, 
« Ce n'est pas tout : Pour réussir, 
« Il faut savoir passer la brosse.,, » 



^ 




'^^ÏS^''^^!§"5''^"^Ï^^''^W''^'^^ 




C4 ^Monsieur le T^aron Gaston de Jlotte, 



<^|^^^^^^^vs^ 



LES SŒURS DE CHARITÉ 



Tandis que, follement, vers les biens éphémères, 
Sans cesse nous tournons des regards soucieux, 
Le cri de la Pitié vous arrache à vos mères. 
Et fait de vous les sœurs de tous les malheureux. 




f# . itifê^i(f(|[fl 

Sl§TS^â^£IÉt'ous donnez pour elle 
J.'fi£¥û^}ïlWts';[§| beauté, 

hiÉA$L4ljfi£^S*l>° Pauvreté! 

|i;.§iiïîi^S*ifl:i»i'*™' 8'"^'^ 

^^§»«»2.'#^ftc««jllgtes vok; 

fl^iiiiiîljf tf J; '•"""" 

P^m'B^SS-Sa ëVCOjSSin phare : la CroizI... 

•£••• •••••• — •••• 

1^^^^^^'^^'^^'^'^ étrange : 
^ï^$<^^$il^£t le deuil. 

-S-^^^^^Ë^^'^r^^^'^-%^'^^'"^^ silence 

:iS*^^®É:^^[j^;î|^^^j^çourez nos rues. 
ts2^^i^j^ïj|E':^^^ent vos pas. 
_ H*€St^ apparues , 





LES SŒURS DE CHARITÉ. iSy 

Le canon gronde au loin... C'est la guerre en Crimée. 
Soudain, vos légions, sur un mot, simplement. 
S'en vont franchir les mers pour suivre notre armée, 
Partageant avec elle et gloire et dévouement. 

Lorsque dans les combats, au milieu des alarmes. 
Vous dites aux blessés des mots pleins de douceur. 
Plus d'un guerrier, surpris de ses premières larmes. 
Vous appelle tout bas : « O ma mère ! ô ma sœur ! » 

Ah ! point d'exclusion pour vos cœurs angéliques ! 
Nos Français n'ont pas seuls droit à votre pitié. 
Et les fils de l'Islam, ces croyants fanatiques. 
Abjurent sous vos yeux l'antique inimitié. 

Le merveilleux joyau qui luit sur vos poitrines. 
C'est le pur Evangile en actions traduit. 
Et vous portez à tous les semences divines 
Dont le vieil Orient doit recueillir le fruit. 

De vos lauriers humains les feuilles éphémères 

Au souffle ingrat du temps bientôt se flétriront ; 

Mais Dieu vous garde au ciel ceux que de pauvres mères, 

En priant pour leurs fils, tressent pour votre front. 



l38 LES SŒURS DE CHARITE. 

Byzance vous honore, Albion vous admire, 
Le scepticisme altier s'incline devant vous. 
Allez! filles de paix que Dieu lui-même inspire, 
Pour vaincre vous n'avez qu'à tomber à genoux 1 

Août 1834. 





Z' :Z'-'iè^^mm^^m^m-^^ 




q4 oMadame Emilie E, 



«^^^^^^^«^^w^ 



ROSES D'AVRIL 



^^^^^^^w^^*<^^ 



Au passé quand je m'abandonne, 
Je songe que, sur mes genoux. 
Vous me faisiez, toute mignonne. 
De vos bras un collier bien doux. 



140 ROSES d'avril. 



Ces beaux jours ont fui loin de nous ; 
A leur souvenir qui rayonne, 
Je vois refleurir, près de vous. 
Mes roses d'avril en automne... 

Et quand votre espiègle, le soir. 
Câline, entre nous vient s'asseoir. 
Grimpe à mon cou... — tendre chimère! 

En vain ma raison s'en défend, — 
Je sens les baisers de la mère 
Sous les caresses de l'enfant ! 



1873. 





^..^,l,,gâp^^ 




G^ oMadame Q^naïs Cqyer, 



w^^^»wvw>/v>#v« 



LE GRAIN DE L'AUMONE 



BERCEUSE 



^^^^^^^0*^^f*0^^ 



Au doux sommeil rebelle, 
Un enfant souriait 
Sous un flot de dentelle, 
Et sa mère priait. 



142 LE GRAIN DE l' AUMONE. 



La blanche bercerole 
Doucement s'agita, 
Inclinant sa coupole, 
Et la mère chanta : 

« Vois, la nuit est venue, 
« Tout repose, et le vent 
a Soupire dans la nue... 
« Endors-toi, mon enfant I 

« Sous ta blonde paupière, 
« Cache-moi tes beaux yeux, 
« Pendant que ma prière 
« Pour toi s'élève aux cieux. 

« Lorsque, de leurs doigts roses, 
« Les anges du réveil 
« De tes paupières closes 
« Chasseront le sommeil, 

« Pour l'autel de la Vierge, 
« Nous cueillerons, demain, 
« Les glaïeuls de la berge 
« Et les lis du chemin. 



LE GRAIN DE l'aUMÔNE. 143 

« Puis, nous irons, mignonne, 

« Semer autour de nous 

« Le bon grain de l'aumône 

« Dont le fruit est si doux ! 

« C'est le grain salutaire : 
« Son épi merveilleux 
« Prend racine sur terre 
a Et fleurit dans les cieuxl » 



II 



Dans la couche bercée, 
Un léger bruit se fit... 
Et la voix cadencée. 
Gracieuse, reprit : 

« A l'heure où l'aube tremble 
« Aux bords de l'horizon, 
a Nous chercherons ensemble 
« Les roses du buisson ; 



144 L^ GRAIN DE l'aumône. 

« Parmi les fleurs nouvelles, 
a Nous poursuivrons encor 
« Les vertes demoiselles 
« Et les papillons d'or ; 

« Du grillon, dans la plaine, 

« Nous guetterons la voix, 

a Et ses ailes d'ébène 

« Frémiront sous tes doigts... 

a Puis, nous irons, mignonne, 

« Semer autour de nous 

« Le bon grain de l'aumône 

« Dont le fruit est si doux ! 

« C'est le grain salutaire : 

« Son épi merveilleux 

« Prend racine sur terre 

« Et fleurit dans les cieux! » 



LE GRAIN DE l'aUMÔNE. I45 



III 



Globe aux rayons d'opale, 
La veilleuse brûlait, 
Jetant sa lueur pâle 
Autour du bercelet. 

Enfin, bébé sommeille... 
Fleurant ses cheveux d'or. 
Tout bas à son oreille, 
La mère dit encor : 

« Oui, nous irons, mignonne, 
« Semer autour de nous 
« Le bon grain de Taumône 
a Dont le fruit est si doux ! 



10 



146 LE GRAIN DE l' AUMONE. 

« C'est le grain salutaire : 

« Son épi merveilleux 

a Prend racine sur terre 

« Et fleurit dans les cieuxl... » 




Q/i oMonsieur T. Caussemille. 






LES 



LUNETTES DE MA GRAND'MÈRE 



Vièce couronnée aux Jeux floraux. 



^n#vw^/wwn/w« 



J'entends encor la voix si chère, 
Je vois le sourire indulgent 
De ma bonne vieille grand'mère, 
Avec ses lunettes d'argent. 



148 LES LUNETTES 



Plus d'une fois, l'oreille pleine 
Des récits qu'elle me contait, 
Je lui tins l'écheveau de laine 
Pour mes bas qu'elle tricotait. 

A me parer, l'heure venue. 
Elle prenait un soin Jaloux; 
Le soir, ma prière ingénue. 
Je la disais sur ses genoux. 

Un mot câlin, une caresse. 
Et d'elle j'obtenais tout... mais 
Ses besicles ! défense expresse 
Pour moi de les toucher jamais. 

Aussi, tambours, cerceaux, trompettes... 
Que de jouets j'aurais donnés. 
Pour sentir ces belles lunettes 
A califourchon sur mon nez ! 

Un jour, les voilà, par mégarde. 
Sur son Evangile à fermoir. 
Grand'mère dort... Je me hasarde... 
Je les tiens... Enfin, je vais voir! 



DE MA GRANd'mÈRE. I49 



En toute hâte je les glisse 
Dans les boucles de mes cheveux ; 
Singeant grand'mère avec malice, 
J'écarquille mes petits yeux. 

Quand, par malheur, Tample monture, 
Sur mon nez s'équilibrant mal. 
Dégringole... et de l'enchâssure 
Sans se briser sort le cristal. 

Dans l'étui, — quel trait de lumière! - 
Je la replace promptement. 
Du coin de l'œil guettant grand'mère 
Qui se réveillait doucement. 

J'alignais, plein d'inquiétude. 
Mes soldats de plomb, sans les voir!... 
Elle allait, comme d'habitude. 
Faire sa lecture du soir. 

Le livre est dans ses mains distraites ; 
Et pendant qu'elle remettait. 
Sans penser à mal, ses lunettes. 
Comme mon petit cœur battait! 



l5o LES LUNETTES 



« — Mais qu'ai-je donc? » dit-elle, émue, 

En passant la main sur son front. 

a Quel nuage obscurcit ma vue? 

« Mes yeux ! mes pauvres yeux s'en vont ! » 

Et rapprochant, toute tremblante, 

Les feuillets si souvent relus, 

De la lumière vacillante : 

« Bonté du ciel I je n'y vois plus!... » 

Je me glisse alors sous la table ; 
Je prends les verres tombés là, 
Et cachant ma mine coupable : 
a Bonne maman! tiens, les voilà! » 

« — Ah! c'est toil... » Sa voix altérée 
Se tut. Après de longs efforts, 
Grand'mère, à peine rassurée. 
Replaça les verres... Alors, 

Ses lèvres restèrent muettes ; 
Mais son front était radieux! 
Car, en retrouvant ses lunettes. 
Elle avait retrouvé ses yeux... 



DE Ma grand MF RE. l5l 

Pour moi la peine fut sévère : 
En me couchant, quel désespoir! 
Pour la première fois, grand'mère 
Me dit : « Point de baiser ce soir!... » 



Mai 1873. 



•^ 



APRÈS LA JOURNÉE 



^/\^\/\/w\/v>/\/\/\/\/\/\/s^ 



NOUVELLES POESIES 







MMl^^^iP-*" 



04 oMadame Q/ilice TDesplaces. 



■^^^/ww^»^«w^ 



MA PETITE MAISON 



Idylle couronnée aux Jeux Jloraux. 



Bonjour, ma petite maison! 
Par le lierre à demi voilée, 
Et, comme un nid dans le gazon, 
Assise au bord de la vallée. 



i56 



MA PETITE MAISON. 



Grand repos, modeste réduit; 
Large horizon , étroit domaine ; 
Coin riant dès que l'aube luit, 
Vers toi le printemps me ramène. 

Déjà, l'amandier vert-galant 

A faire le beau se dispose : 

Il vient t'offrir son bouquet blanc, 

Et le pommier son bouquet rose. 

La glu perfide, aux frais rameaux, 
N'enchaîne ici point de victime : 
Heureux verger où les oiseaux 
En gazouillant lèvent leur dîme ; 

Où, loin du râteau plein d'orgueil. 
Et libres de son joug superbe, 
La fleur des champs rit sur le seuil 
Près de son ami le brin d'herbe. 

Mais le soleil vient à grands pas : 
Le long du mur en pierre sèche. 
Vite, il nous faut chercher, là-bas. 
Sous le vieux chêne l'ombre fraîche. 



MA PETITE MAISON, iSy 



En éclaîreur, le chien joyeux 
Court, bondit pour me faire fête; 
Il me précède au tronc mousseux 
Où je relis quelque poète. 

Et je vois au loin verdoyer 

De l'Huveaune les frais ombrages, 

Les hirondelles tournoyer 

Aux clochers de quatre villages. 

L'un d'eux, à Torient vermeil. 
Elève sa corbeille verte 
Et ses toits rouges au soleil 
Comme une grenade entr'ouverte. 

C'est le hameau-roi du vallon 1 

De son église toute blanche 

S'échappe en joyeux carillon : 

« Venez! c'est aujourd'hui dimanche 1... » 

A ce message harmonieux. 
Que l'écho prolonge et termine, 
Je gravis le sommet rocheux 
Où plane la maison divine. 



l58 MA PETITE MAISON. 



Sur la place, un bon vieux mûrier 
Prête son ombre aux saints de pierre 
Qui, debout, près du bénitier, 
Ne cessent jamais leur prière... 

Doux mendiants, matin et soir, 
De nos cœurs ils quêtent l'aumône : 
Elus de Dieu pour recevoir 
Et lui porter ce qu'on leur donne... 

La messe dite, à travers champs, 
Je reviens; lorsque, près d'un hêtre, 
Un villageois — comme au vieux temps 
Me dit: Bonjour I... sans me connaître. 

Je rends le salut gracieux 

A ce bonhomme d'un autre âge : 

Mœurs cordiales des aïeux 

Vous revivez dans mon village!... 

Déjà midil... Pressons le pas : 
Pour regagner la maisonnette, 
Je longe la vigne aux grands bras 
Et les blés d'où sort l'alouette. 



MA PETITE MAISON. iSq 



Quand tout à coup, près du verger, 
Sous les peupliers dont la brise 

« 

Ecarte le rideau léger : 

« C'est lui I — C'est toi ! — Quelle surprise ! 

« Amis, soyez les bienvenus I... » 
Nous arrivons. La gaîté brille : 
On a mis deux couverts de plus 
A l'humble table de famille. 

Un flacon de vieux vin clairet, 
Retiré du fond de l'armoire. 
Verse l'entrain au plus muet, 
Au plus oublieux la mémoire. 

L'étiquette, abdiquant ses droits. 
Sourit finement et s'esquive, 
Aux récits quelque peu grivois 
Que hasarde un malin convive. 

Il n'est bon repas sans refrain : 
Aussitôt la chanson commence. 
Pour tenir lieu du tambourin. 
On frappe le verre en cadence. 



l6o MA PETITE MAISON. 



Pendant qu'on jette flamme et feu 
Sous la treille, le temps s'envole ; 
Le soleil va nous dire adieu, 
Et s'éteindre en une auréole... 

Plus aucun bruit... Calme charmant! 
L'ombre envahit les hautes cimes... 
Serait-ce donc l'heure où, gaîment, 
Soupent les grillons entre intimes?... 

Du bassin l'hôte babillard 
S'éveille et sonne la retraite. 
Les amis songent au départ; 
Déjà la carriole est prête. 

Il serait doux de revenir 
Avec eux... Mais, non, rien ne presse. 
Ils partent... — Pour me retenir, 
L'arôme des foins me caresse... 

Des belles-de-nuit les yeux bleus 
Ont peut-être un mot à me dire... 
Vers son falot mystérieux 
L'humble luciole m'attire... 



MA PETITE MAISON. l6l 



Et jusqu'à l'étoile du soir, — 
Qui, dans le feuillage, m'évite. 
Reparaît, fuit, se laisse voir, — 
Coquette I à m'attarder m'invite... 

Il faut savoir être discret... 
Gagnons enfin la route obscure. 
Je pousse la porte à regret ; 
La clé tourne dans la serrure... 

Soudain, la lune à l'horizon 

Allume sa veilleuse blanche... 

Bonsoir, ma petite maison I 

Adieu I,.. non, mignonne: à dimanche I 

Saint-Julien, 1879. 




tt 



C^ mon ami Godefroy de oMontgrand. 



>w^«wwwww«^^^» 



L'ARGENT 



WWVWW«M 



Nos yeux ne suivent plus, par delà l'horizon, 
Ce chemin que la Foi jusques aux cieux prolonge... 
L'instinct parle aujourd'hui plus haut que la raison: 
Nous réclamons des droits, aux devoirs nul ne songe. 



164 l'argent. 



Affamés ou repus, un ulcère nous ronge ; 
En nos veines circule un dévorant poison ; 
Et, loin des purs sommets, notre idéal se plonge 
Dans ces bas lieux où l'âme a trouvé sa prison. 

C'est qu'un démon, — l'Argent I — a, de ses mains glacées, 
Eteint l'enthousiasme et les nobles pensées 
Sur les autels menteurs de la Cupidité. 

A 

Etre riche, briller, jouir!... voilà la vie! 

Mais quand le tentateur comble enfin notre envie. 

Sous tous nos millions, ah! que de pauvreté! 



1875. 





^^•^^■^^-t*!-»^ 




04 oMadame Joséphine Eymin. 



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LES PAPILLONS 



^»W»W<^^#»^^^^^ 



Tout un petit peuple en rumeur 
S'était mis dès l'aube à l'ouvrage. 
Au jardin, l'oiseau, plein d'ardeur, 
Activait son nid sous l'ombrage. 



l66 LES PAPILLONS 



L'abeille, sans perdre un instant, 

Faisait sa ronde habituelle. 

La fourmi s'en allait trottant 

Sous un faix souvent plus lourd qu'elle. 

Pressé, tout ce monde l'était. 

Seul, — et moins afiFairé sans doute, — 

Un blanc papillon voletait. 

Brillant désœuvré, sur la route. 

L'aile ouverte au premier rayon. 
Par cette claire matinée : 
« Ah! soupirait le papillon, 
« Que ferai-je de ma journée ? » 

Grisé par les senteurs d'avril 

Et prêt à galante aventure : 

« Dame abeille, il fait beau! dit-il; 

« Allons jouer dans la verdure ! 

« Vous reprendrez votre butin 

« Plus tard. — Non, merci, le temps presse : 

« Une heure au travail le matin 

« En vaut bien deux, quand le jour baisse. 



LES PAPILLONS. 167 



« — Sermonneuse! adieu I moi, je cours 
a Au plaisir!... Oui, mais seul, que faire? » 
Un gai compagnon des beaux jours 
S'en vint à propos le distraire. 

Ils jasèrent à la fraîcheur. 
Deux jumeaux pour la ressemblance : 
Au physique, même blancheur ; 
Au moral, même insouciance. 

Prés lumineux, ruisseau moiré. 
Buissons fleuris, verte étendue... 
Ayant enfin tout exploré. 
Ils furent bientôt hors de vue... 

Mais voici, courant les sentiers, 
Un papillon à l'aile blonde 
Qui, loin d'imiter les premiers. 
Borne au jardin son tour du monde. 

Il voltige de bonne humeur 
Et, ravi de sa destinée. 
Donne un bonjour à chaque fleur, 
Comme une personne bien née. 



l68 LES PAPILLONS. 



Puis y avisant sur le lilas, 
Une mouche au dolent murmure : 
« J'ai trouvé, lui dit-il, là-bas, 
a Une belle fraise bien mûre. 

« Vous arrivez des environs. 
(S Et semblez lasse du voyage ; 
a Suivez-moi, nous déjeunerons 
« Gaîment. Vous avez faim, je gage? 

<f — A cet accueil plein de bonté, 
a Ma foi I je ne m'attendais guère ; 
a Je suis confuse, en vérité I 
« Oh ! merci I » lui dit l'étrangère. 

Quand tous deux, sous un rayon d'or, 
Eurent savouré le fruit rose. 
Le papillon prit son essor, 
Sûr d'être bon à quelque chose. 

Car il s'était dit au réveil : 
Pour si chétif que l'on me tienne, 
Ne pourrais-je, en ce jour vermeil, 
D'un plus faible adoucir la peine? 



LES PAPILLONS. 169 



Un petit être, au même instant — 
Quelque moucheron en tournée — 
Allait se perdre, en folâtrant, 
Dans les réseaux d'une araignée. 

« Revenez vite I cria-t-il, 

« Un danger mortel vous menace I » 

L'imprudent, sauvé du péril. 

Au papillon d'or rendit grâce. 

Il le rassura de son mieux, 
Puis reprit sa course féconde ; 
Et nul ce jour-là, sous les cieux. 
Ne goûta joie aussi profonde I 

N'aspirant à rien. Dieu merci! 
Loin du val qui le vit éclore, 
Quelque étroit que fût celui-ci. 
Que de bien il y fit encore I 



Le soir, l'un des blancs papillons, 
Las de l'école buissonnière, 
Triste, les ailes en haillons. 
Se retrouva dans la bruyère : 



170 LES PAPILLONS. 



a Dès l'aube, riche de loisir, 

« Pensait-il, je bats la campagne, 

« A la poursuite du plaisir... 

« D'où vient que l'ennui m'accompagne? » 

— Amis, ne le demandons pas; 
Mais, de plein cœur, l'âme ravie. 
Aux délaissés tendons les bras : 
C'est l'art d'être heureux dans la vie I 



^ 



C4 mon ami Camille ^rion. 



MAAMMA«W^^^^^ 



MES VOYAGES 



0^^^^^^^^*^^^^^^ 



Grand touriste... au coin de mon feu, 
J'explore une zone choisie, 
Vers les confins du pays bleu. 
Où croît la fleur de poésie. 



172 MES VOYAGES. 



Sur son char au rapide essieu 
Quand m'emporte la fantaisie, 
La bise m'inquiète peu, 
Et je nargue la pleurésie. 

En route par le clair-obscur, 
Nul bandit! le chemin est sûr!.. 
Esquivant la douane importune. 

Je pars, j'arrive librement : 
Les seuls voyages d'agrément 
Sont les voyages... dans la lune! 



NoTembre 1879. 






04 oMadame Herman de T{pugemont, 



»««»/wwww^v<»«»»> 



ELLE EST LA ! 



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Dans un bourg populeux de notre chère Alsace, 
L'inspecteur allemand vient de franchir le seuil 
De l'école. Parmi les bambins de la classe, 
Il avise un petit garçon vêtu de deuil. 

— « Quel âge as-tu? — Douze ans. — Ta famille? » s'écrie 
Le pédant d'Outre-Rhin. — « Je n'ai plus que ma sœur. 

— Et ton père? — Mon père est mort pour la patrie. 

— Je ne t'en demandais pas tant !» fit le censeur. 



1 74 ELLE EST LA I 



« Toi qui parles d'un ton de si ferme assurance, 
Apprends-tu quelque chose ici du moins?... Eh bien! 
Des nations quelle est la première ? — La France î » 
Répondit aussitôt le jeune Alsacien. 

— « Que dis-tu? Sache donc, malheureux petit rustre, 
Qu'entre tous les pays, le plus beau, le plus fort, 

Le plus noble, le plus riche, le plus illustre. 

C'est l'Allemagne I — Non I c'est la France d'abord 1 

— Pourquoi d'abord la France?... » entre ses dents grommelé 
Le Tudesque brutal de colère étouffant. 

« Drôle I cherche-la donc, la France, où donc est-elle? » 
Du doigt il indiquait une carte à l'enfant. 

Un frisson parcourut le petit auditoire. 

Et du brave écolier l'œil fier étincela. 

Puis d'un geste rapide ouvrant sa blouse noire : 

— « Tenez 1 » ajouta-t-il plein d'élan, « Elle est làl! » 



i88i. 





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q4 oMadame oMathilde ^eynier. 



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A L'ILLUSION 



M^^^M«M«W« 



Viens-tu me retrouver, doux et charmant fantôme I 
O fille de mon rêve ! as-tu pitié de moi ? 
Pour tous, je ne suis plus, je le sais, le même homme; 
Mais je n'ai pas changé pour toi. 



176 A l'illusion. 



Reviens, comme autrefois, dans ma demeure close : 
Pour te laisser entrer, je puis encor l'ouvrir. 
Et l'idylle d'amour sur tes lèvres éclose. 
En mon hiver va refleurir. 

Ton seul regard transforme en guirlandes mes chaînes; 
Ton sourire en mes sens verse un philtre enchanteur ; 
Jamais, jamais mon sang n'a coulé dans mes veines 
Avec plus d'amoureuse ardeur ! 

Quand tu parles tout bas, et que ta main caresse 
Ce front, — neige au dehors, mais qui brûle au dedans, 
Je t'écoute... et la tête et le cœur pleins d'ivresse. 
Je t'adore comme à vingt ans ! 




04 ^Monsieur Charles T)egqye. 



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MARINE 



»w^w^w»»»<^^»^<w» 



Hardi pêcheur, l'hiver, par une sombre nuit, 
Le père a regagné sa barque : « Frakhe brise ! » 
A-t-il dit sur le seuil de l'humble toit sans bruit. 
Seule, près du berceau la mère s'est assise. 

12 



lyS MARINE. 



Et pendant qu'elle suit, de l'oreille et du cœur, 
Le pas du marinier sur la plage déserte, 
L'écho va s'éteignant sous les flots en rumeur, 
Rudement secoués dans leur lit d'algue verte. 

Soucieuse, elle imprime un doux balancement 
A la couche d'osier... Puis, de la jeune femme 
Les longs cils alanguis s'abaissent lentement... 
Ciel ! quelle vision soudain trouble son âme 1 

L'ouragan déchaîné menace d'engloutir 

Le bien-aimé... L'éclair sur la vague écumante 

Luit sinistre... On entend des bruits sourds retentir... 

La voix du naufragé clame dans la tourmente !... 

Mais l'enfant jette un cri!... La mère ouvre les yeux: 
Un sourire ineffable a chassé l'aflFreux rêve... 
Et sa main se remet à bercer... — Tout joyeux. 
Son regard guette à l'aube un signal sur la grève. 

Septembre ISSJ. 




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q4 Mademoiselle Sibylle 'Blancard. 



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L'HEURE VERMEILLE 



Idylle couronnée aux Jeux Jloraux. 



Les jours les plus heureux 
sont ceux qui ont une grande 
matinée et une petite soirée. 
Prince de Lighb. 



A ma fenêtre demi-close, 
Où filtre le jour incertain, 
Vient de poindre une lueur rose. 
Premier sourire du matin. 



i8o l'heure vermeille. 



« Debout ! » dit la voix familière 
A travers les barreaux étroits. 
Vite, au pinson de la volière 
Répond le passereau des toits. 

Lé vieux clocher du voisinage 
Me jette son joyeux bonjour, 
Tandis qu'à mon troisième étage, 
A l'aube en pleurs je fais la cour. 

Le vert balcon de ma croisée 
Vaut pour moi toute une villa : 
Rien n'égale, sous la rosée. 
Les simples oeillets que j'ai là. 

Si fraîche est leur rouge corolle, 
Qu'un papillon, bel amoureux. 
D'un baiser l'effleure ; il s'envole 1 
Je rêve en le suivant des yeux... 

Mais l'enclume bruyante sonne 
La diane des forgerons ; 
Le charroi sourdement résonne, 
Et le fouet siffle aux environs. 



l'heure vermeille. i8i 



Porte-nouvelle de l'aurore, 
Soudain le crieur matinal 
Proclame d'une voix sonore 
Sa Majesté le roi Journal ! 

De porte en porte, la laitière 
Epand son liquide trésor ; 
Vers l'atelier, ruche ouvrière. 
Chaque abeille prend son essor ! 

Tout bourdonne en la ville immense ! 
Tout revit ! c'est le jour en fleur ! 
Et moi je savoure en silence 
Mes courts loisirs de travailleur. 

Chimère, aimable fantaisie, 
Doux souvenir, songe adoré... 
Quels frais boutons de poésie 
Dans le premier rayon doré! 

L'avenir plus beau se colore 
Du prisme enchanteur de l'espoir. 
Trop tôt le charme s'évapore : 
Je ne suis pas l'homme du soir. 



l82 L'HEURE VERSŒILLE. 

En vain la lune au blanc conége 
Passe à travers le carrefour : 
Je préfère à son front de neige 
Les rougeurs naissantes du jour. 

Quand du plaisir brillent dans Tombre 
Les lampadaires fastueux, 
Je regrette y à leur flamme sombre, 
La sereine clarté des cieux. 

Et, plein de troublante mollesse 
Sous Taile noire de la nuit, 
Je renais à la pure ivresse 
Du travail, dès que l'aube luit. 

Pendant qu'avec l'oiseau je chante 
Mon hymne d'amour au soleil, 
Que l'oisiveté nonchalante 
Est oublieuse du réveil ; 

Pendant que, baigné de lumière, 
Je plains ceux qui, pour sommeiller, 
Ont fermé rideaux et paupière 
Et voilé d'ombre l'oreiller, 



l'heure vermeille. i83 



L'aurore au ciel est retournée, 
Déjà midi touche au déclin. 
Tout le bonheur de la journée 
Est dans le rapide matin ! 



Mai 1882. 





C^ cMadame Q4îbert Verger. 



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LE ROCHER DE PÉTRARQUE 



Sonnet couronné 



(Centenaire de Pétrarque'/. 



''^>*\f*fSA»^/S^/%^0^* 



Cinq siècles de leur pas rapide ont traversé 
Le vallon où Pétrarque a promené sa Muse : 
Dans les grands bois ombreux la cognée a passé ; 
L'usine emplit de bruit le désert de Vaucluse. 



l86 LE ROCHKR DE PÉTRARQUE. 



De sa puissante main le Temps a renversé 
La maison du Poète ; et la Sorgue, confuse, 
Retrouvant sur ses bords son cours bouleversé, 
Précipite ses flots qu'en vain retient l'écluse. 

Pourtant le fier Rocher est toujours là, debout, 
Majestueux vieillard dont la tête chenue, 
Aujourd'hui comme hier, interroge la nue. 

Pareil à ce géant qu'on voit survivre à tout, 

Le front ceint de laurier, se dresse dans l'histoire. 

Celui dont l'amour fit le tourment et la gloire! 

Juillet 1874. 



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'^^'«««li^^iMi*» 




Q/i mon ami 04,- J. oMarion 

rrufcsflcur à la Facultc des Sciences. 



^^^^^^»/M»^^*»o^ 



LA COURONNE D'IMMORTELLES 



Élégie couronnée aux Jeux Jloraux. 



^^^^^^^^^^^^^^^^$ 



C'était le jour des Morts. La foule, à flots pressés, 
Ondulait comme un fleuve au champ des trépassés. 
Les cloches, alternant leurs plaintes dans la nue. 
Ne cessaient d'appeler vers la triste avenue. 



l88 LA COURONNE d'iMMORTELLES. 

Une femme à Taspect grave, au long voile noir, 
Loin de porter ses pas, pour un pieux devoir. 
Vers l'asile de paix, — de la marée humaine 
S'écarta lentement, et gagna, non sans peine, 
Dans le brillant fracas de l'active cité, 
Le rivage où Marseille ouvre à l'œil enchanté 
Son rideau de grands mâts aux mille banderoUes. 
Cette femme ayant dit quelques brèves paroles 
A l'un des mariniers rangés là près du bord. 
Prit place en un bateau qui longea le vieux port. 

Familiers du bassin, par bandes sur les ondes. 
De blancs oiseaux dansaient leurs incessantes rondes 
Avec des cris aigus. Le soleil, par instants. 
Frangeait de pourpre et d'or les nuages flottants. 

La barque au seuil du port fut bientôt parvenue : 
La mer, l'immense mer s'offrit à l'inconnue. 
Son voile se jouait à la brise. Ses traits 
Portaient, nobles et doux, l'empreinte des regrets. 
Silencieuse, en proie à quelque trouble intime. 
Longtemps elle attacha son regard sur l'abîme. 
Comme pour en sonder l'horrible profondeur. 
Quand elle releva la tête, l'homme eut peur... 



LA COURONNE d'iMMORTELLES. 189 

Elle balbutiait, les yeux fixes, livide, 

Des paroles sans suite à quelqu'un dans le vide... 

Du batelier s'accrut la frayeur. Un soupçon 

Dans ses veines soudain fit courir le frisson 

Et sur sa bouche un mot cruel... qu'il n'osait dire. 

L'étrangère comprit, et d'un triste sourire 

Montrant la croix de jais sur son vêtement noir : 

a Voilà qui m'a gardée aux jours de désespoir I 

o Ne craignez rien de moi : la raison n'est pas morte 

« Quand le cœur se souvient! J'ai prié. Je suis forte... — 

« Mais hâtons-nous, dit-elle. En novembre, le jour 

« Fuit sitôt... A la ville on attend mon retour 

a Vers la nuit... Allons vite ! — Où? — Par delà ces îleâ 

« Que vous voyez là-bas... » 

Et sur les flots tranquilles, 
Au bruit des avirons, la barque doucement 
Se remit à tracer un sillon écumant 
Que suivait du regard la femme soucieuse. 
Lorsqu'on fut près d'atteindre à la pointe rocheuse : 
« Là ? » fit le rameur. — « Non, de grâce ! un peu plus loin ! ... » 
« — De savoir où Ton va peut-être est-il besoin ! » 
Dit l'autre avec humeur, repris d'inquiétude. 
Grave et doux, le bourdon, troublant la solitude. 



190 LA COURONNE D^IMMORTELLES. 

Comme un soupir des morts vint répondre à sa voix. 

La femme tressaillit, fît un signe de croix : 

a C'est le glasl... écoutez!... sa lointaine prière 

« M'indique ici l'endroit!... Voilà mon cimetière!... » 

Elle montrait les flots brumeux sous le ciel gris : 

a Je n'avais qu'un enfant, et la mer me l'a pris!... — 

« En vain ce froid linceul, qui voile tant de choses, 

« Cherche^ à me dérober la place où tu reposes, 

a Je te vois!... tu m'entends!... mon fils! » dit-elle en pleurs. 

« Me voici! je reviens t'apporter quelques fleurs 11... » 

De son châle elle tire alors une couronne, 
La couvre de baisers, puis elle l'abandonne 
Aux vagues dont les plis la bercent un moment. 
Et les fleurs du regret descendent lentement 
Dans ce mouvant sépulcre, avare catacombe, 
Qui refuse à ses morts le repos de la tombe ! 

A genoux dans la barque, et le front dans sa main, 
La femme sanglotait, pendant que le marin, 
Fortement remué par cette étrange* scène. 
Roulait entre ses doigts son vieux bonnet de laine. 
Peut-être, — à voir les pleurs qui mouillaient son regard, — 
Ayant lui-même un fils, sur la mer, quelque part. 



LA COURONNE d'iMMORTELLES. ICI 



Songeait-il à l'absent, plein d'une peine amère ! 

« Que vois- je? vous pleurez? » reprit la pauvre mère, 

Comme pour faire trêve à sa morne stupeur. 

Et lui tendant la main : « Vous avez un bon cœur ! 

« Merci !» — Le batelier avait repris ses rames : 

Une même pensée unissait les deux âmes. 

On regagna le port. La brise fraîchissait. 
Autour d'eux, par degrés, l'ombre s'épaississait. 
La houle balançait un navire au mouillage. 
Les phares lumineux, des îles au rivage, 
Sentinelles des nuits, entre-croisaient leurs feux. — 
La mère, hélas I devant ce tableau merveilleux, 
Semblait mêler la voix qui gémissait en elle 
Aux vagues murmurant leur tristesse éternelle. 



Pour bercer la douleur, compagne des tombeaux, 
La terre a ses cyprès — et l'Océan ses flots 1 

NoTembro 1881. 







Q4 oMonsieur ^eygolliet. 



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LES CHEVEUX BLANCS 



W«/WVWWW«M* 



D'heure en heure, sans y songer, 
Le fil de nos jours se dévide : 
Au pli de la première ride 
Nos yeux attristés voient neiger. 

i3 



194 ^^^ CHEVEUX BLANCS. 

Des jeunes ans l'essaim léger 
A fui... Vient la vieillesse aride. 
Dans la foule, où s'est fait le vide, 
On passe comme un étranger. 

Tandis que nos enfants grandissent, 
Nos fronts s'inclinent et pâlissent, 
L'âge engourdit nos pas tremblants. 

Tout s'altère en nous et tout change; 

Mais, par une ironie étrange, 

Le cœur n'a point de cheveux blancs ! 





MP'*'^IP**'^5^^'''^^!^^~51^ 





04 ^Mademoiselle Hortense de oMertens, 



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UN BEAU DIMANCHE 



Idylle couronnée aux Jeux Jloraux. 



L'odeur d'une simple violette 
suffit pour rappeler le souyenir 
des jouissances de plusieurs prin • 
temps. 

Ramond. 



Quel beau dimanche I — Il plut la veille ; 
Il plut encor le lendemain. — 
Avec nous l'aurore vermeille 
Gaîment s'était mise en chemin. 



196 UN BEAU DIMANCHE. 



Les fauvettes, à perdre haleine, 
Gazouillaient sous l'azur du ciel. 
Et, de ci de là, dans la plaine. 
Promenaient leur lune de miel. 

Nous allions, émus, sans rien dire, 
Le long des sentiers embaumés : 
Les lilas semblaient nous sourire 
Et les pins murmuraient : Aimez I 

Une fleur, que la brise folle 
Avait prise en son libre essor, 
Dans vos noirs cheveux d'Espagnole 
Brillait comme une épingle d'or. 

Et, pendant que votre main douce, 
Captive, en ma main s'oubliait. 
De votre robe, sur la mousse, 
Le froufrou léger me troublait... 

Comme pour nous voir, l'églantine 
Sortait des vertes profondeurs. 
Sur un banc vieilli, l'aubépine 
Avait mis sa housse de fleurs. 



UN BEAU DIMANCHE. I97 

Nous nous assîmes : un poème, 
Un poème mystérieux, 
Toujours nouveau, toujours le même, 
Ouvrait ses feuillets radieux... 

Les chèvrefeuilles et les roses 
S'entrelaçaient autour de nous. 
Et, mariant leurs fleurs écloses, 
Les effeuillaient sur vos genoux. 

Par instants, au milieu du rêve. 
Un débris de l'autre saison. 
Sous l'effort de la jeune sève, 
Venait effleurer le gazon. 

C'était quelque feuille fanée 
Et quittant sa tige à regret : 
Par cette calme matinée, 
On eût dit un pas indiscret. 

Que les heures fuyaient rapides!... — 
Au retour je crois encor voir. 
Rasant le bord des prés humides. 
Un pied mignon chaussé de noir. 



igS UN BEAU DIMANCHE. 

Tout parsemé de fleurs nouvelles, 
S'ofifrait le chemin où, parfois. 
Près de vous cherchant les plus belles. 
Mes doigts se mêlaient à vos doigts... 

Nous arrivions par la bruyère, 
Quand la brise apporta soudain. 
De la route vers la clairière, 
La chanson d'un grelot lointain... 

« Vite, courons!... » Le sol résonne... 

C'est le char accessible à tous ; 

Sa joyeuse fanfare sonne 

Un appel pressant... Hâtez-vous ! 

Mais, au lendemain de l'orage. 
Plus d'un ruisseau retint nos pas. 
Vous disiez tout haut : « Quel dommage ! 
— a Quel bonheur I » disais-je tout bas. 

Bientôt, du sein de la feuillée 
Que le vent faisait onduler, 
La route blanche, ensoleillée, 
Devant nous vint se dérouler... 



UN BEAU DIMANCHE. I99 

Déserte!... — Au seuil de l'avenue, 
Seuls, les peupliers doucement 
Narguaient notre déconvenue 
Par un moqueur chuchotement... 

Que faire?... Il nous fallut, sans doute, 
Affronter le chemin fangeux ; 
Et, pourtant, jamais longue route 
Ne parut si courte à mes yeux!... 

Le plus beau de mes beaux dimanches 
Riait entre deux jours en pleurs : 
Le printemps chantait dans les branches. 
Et l'amour chantait dans nos cœurs! 




Un beau Dimanche a été mis en musique par M"* Hortense de 
Mertens, ainsi que A l'Illusion et L'Heure enchantée. Chacune de 
ces œuvres a valu au compositeur le premier prix dans divers 
concours parisiens. Nous n'avons pas cru devoir passer sous 
silence les succès répétés de Thabile professeur. 



'0M^^^'!§.^^^' 



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202 MEDITATION. 



A grands flots d'or et de lumière 
Tu fais surgir de la poussière 
L'arbre au majestueux arceau ; 
Tout ce qui naît, fleurit, bourdonne. 
Palpite, gazouille, rayonne... 
La plante, l'insecte, l'oiseau! 

Faut-il donc que ta flamme , ô vie ! 
N'éclaire mon âme ravie 
Que pour s'éteindre sans retour? 
Faut-il que ta brûlante haleine, 
De germes divins toute pleine. 
Pour jamais m'abandonne un jour? 

Faut-il, enfin, que mon cœur cesse 
De battre? Que de tant d'ivresse, 
De tant d'amour tout soit détruit? 
Et qu'à mes regards voilés d'ombre 
Ce monde aux merveilles sans nombre 
S'évanouisse dans la nuit?... 

O Vie I ô Mort ! — Clameur ! silence I 
Par vous toute chose s'élance 
Vers le ciel d'azur et de feu ! 



MÉDITATION. 203 



Tout resplendit... puis tout retombe 
Dans les ténèbres de la tombe 
Pour remonter au sein de Dieu I 

Ceux qui reposent sous la pierre, 
Pour revivre dans la lumière, 
Sont là, mêlés, prêts au réveil. 
Et, sous ce voile qui frissonne. 
L'atome attend que l'heure sonne 
De prendre ma place au soleil... 

Eh bien ! de quel droit me plaindrais-je ? 

Avant que sur mon front la neige 

Eût amoncelé ses frimas 

Dans le creux des rides moroses,. 

N'ai-je pas connu les jours roses? 

La blonde saison des lilas? 

Avant que l'automne glafte] 
Eût arraché de ma pensée 
Les feuilles vertes d'autrefois, 
N'ai-je pas, tout plein d'une image. 
En poursuivant le doux mirage. 
Chanté mon avril dans les bois? 



204 MÉDITATION. 



Cependant, malgré moi je pleure, 
En songeant à l'humble demeure 
Où, joyeux, j'accourais le soir... 
Vide est ma place accoutumée. 
Et près de toi, ma bien-aimée. 
Seul, mon souvenir vient s'asseoir! 

Mais nous nous reverrons , chère âme ! — 

La Vie, inextinguible flamme. 

Pour briller d'un éclat plus beau, 

Attend — comme l'aube aux longs voiles. 

Au départ des lentes étoiles, — 

Les blancheurs de son jour nouveau ! 

N'as-tu pas, à l'heure rêveuse. 
Quand descend l'ombre vaporeuse, 
Pressenti le pays lointain? 
Entrevu des bois, des campagnes. 
Et de lumineuses montagnes 
Où règne un éternel matin? 

Et la nuit, lorsque tout sommeille, 
N'entends-tu pas à ton oreille 
Des accents connus et bien doux 



MÉDITATION. 205 



Murmurer comme un chant d'aurore : 
« Le jour va luire... espère encore, 
« O toi qui languis loin de nous ! 

« Déjà, dans la clarté naissante, 

« Vois, la Beauté resplendissante 

« Ouvre son Eden embaumé, 

« La patrie où tu vas nous suivre : 

a C'est là que ton cœur doit revivre, 

« Toujours aimant, toujours aimé!...'» 

Oui, c'est là que ton souffle, ô Vie! 
Verse en notre âme inassouvie 
L'immortelle félicité I 
Là, seulement, que l'allégresse, 
L'amour sans bornes, la jeunesse 
Rayonnent pour l'éternité ! 




e^ ^Mademoiselle Élise Vigoureux, 



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SON REGARD 



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Mystérieux comme l'étoile 
Scintillant dans l'azur des cieux, 
Son regard a percé le voile 
Qui cachait un monde à mes yeuxl 
Je renais... Une aube nouvelle 
A chassé l'ombre de mes jours... 
L'air est plus pur, la fleur plus belle : 
Doux yeux, regardez-moi toujours ! 



208 SON REGARD. 



Ainsi que l'éclair illumine 

Des nuits la sombre profondeur, 

Son regard Y lumière divine , 

Brille jusqu'au fond de mon cœur. 

Si l'aile du rêve m'égare 

Sur le morne océan des jours, 

Je vois luire au loin comme un phare : 

Doux yeux, regardez-moi toujours I 

Mon avril enfui se reflète 

Dans ce regard, vivant miroir. 

C'est la lampe d'or qui projette 

Un rayon sur moi chaque soir. 

C'est l'espérance, disparue. 

Qui, tout bas, murmure : J'accours! 

C'est la jeunesse revenue : 

Doux yeux, regardez-moi toujours! 



^ 



Q4 SMadame Henri T)auvergne 

(Eugénie Cayer) 



Le jour de ses noces. 



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LES ARMES PARLANTES 



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Au siècle où les titres de rentes 
Sont les seuls qu'on estime encor, 
Que vois-je en vos armes parlantes? 
Sur champ d'azur un Cahier d'or! 

14 



2ïO LES ARMES PARLANTES. 



Dans la vieille langue héraldique, 
L'or, c'est constance, loyauté. 
Richesse, amour. — L'azur indique 
Honneur, foi, justice, beauté. 

Ce pur blason dans vos yeux brille ! 
Mais*, dût rougir un front charmant, 
Ici, permettez qu'en famille. 
L'album fleuri s'ouvre un moment. 

D'abord, à la première page, — 
C'est la préface du Cahier, — 
Suave et gracieuse image. 
Un Lys à l'ombre du foyer. 

Plus loin, — au hasard je feuillette, 

Se cache, timide, une fleur : 

La souriante Violette, 

Doux emblème de la candeur. 

Le travail est votre habitude : 
Sur ce beau feuillet entr'ouvert. 
Le noble Laurier de l'étude 
Vous offre un rameau toujours vert. 



LES ARMES PARLANTES. 211 

Imprégné de douceur amère, 

Le Myosotis dit tout bas : 

a Sœurs, père, aîeiile et toi, ma mère! 

« Je pars, mais ne vous quitte pas! » 

Cette page, hier vide encore, 
Tous vos rêves semble enfermer : 
La fleur d'amour qui la décore, 
Est-il besoin de la nommer? 

Sa fraîche couronne de neige 
S'entrelace dans vos cheveux : 
Elle seule a le privilège 
De vous faire reine en ces lieux. 

Reste un blanc feuillet!... Je devine 
Ce qu'il doit, un jour, contenir : 
On le réserve, j'imagine. 
Au frais bouton de l'avenir!... 

8 Juillet 1876. 




04 oMadame oMarie Samat. 



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LA SOURIS 



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De ma fête c'était la veille. 
J'avais dix ans. Ah ! quel beau soir I 
Déjà, se promettant merveille, 
Mon jeune cœur battait d'espoir. 



214 L^ SOURIS. 



Je caressais Theure prochaine 
Où devait briller, solennel, 
Dans l'aiguière de porcelaine, 
Le bouquet traditionnel. 

Je rêvais carquois, arbalètes... 
Je me pavanais, sac au dos. 
Fier de mes rouges épaulettes : 
Petit grenadier, grand héros!... 

La nuit vint... Rien!... Mes yeux dans l'ombre 
Cherchaient noise au calendrier : 
Point de bouquet ! Je devins sombre : 
Grand'mère semblait l'oublier. 

Et, si j'ai bonne souvenance. 

Près de la lampe, aiguille en main, 

Elle reprisait en silence 

Mes chaussettes du lendemain. 

Fort peu touché d'un si beau zèle. 
Pour cacher mon secret dépit. 
Devançant l'heure habituelle. 
Tout troublé, je gagnai mon lit. 



LA SOURIS. 21 5 



Pendant qu'à ma peine discrète 
J'associais mon oreiller, 
Un léger bruit, dans la chambrette, 
Vint m'empêcher de sommeiller. 

— « Bon ! une souris ! » m'écriai-je. 

— « Bah! » fit grand'mère, « tu crois?... Chut!.. 
« Oui, vraiment, elle a mis le siège 

a Ce soir, dans notre vieux bahut... » 

Paisible et roulant de plus belle 

La boule de buis dans ses doigts : 

« Elle aura choisi, » reprit-elle, 

a Le grand tiroir pour ses exploits!... » 

D'où vient pareille quiétude, 
Pensai- je, intrigué, quand, chez nous, 
La moindre souris, d'habitude, 
Nous met tout sens dessus dessous? 

Les paupières déjà mi-closes, 
J'allais parler... Je m'endormis; 
Mais j'eus, au lieu de songes roses, 
Toute la nuit des songes gris... 



2l6 LA SOURIS. 



Je fus éveillé dès Taurore : 

« Enfin, c'est ma fête pourtant! 

« Se peut-il que grand'mère ignore?... 

« Non! » murmuraî-je. — Au même instant, 

Le bruit singulier de la veille. 

Ce bruit sec, partant du tiroir, 

Revint taquiner mon oreille : 

a Ah I coquine! attends! tu vas voir!... » 

Heureux d'exercer ma vaillance, 
Pieds nus encor, mais plein d'ardeur. 
Sur les pincettes je m'élance. 
Et les brandis d'un air vainqueur! 

D'une main toute frémissante, 
J'allais frapper!... quand, devant moi, 
Grand'mère apparut, souriante. 
Portant haut un bouquet de roi ! 

« Vite, cher enfant, qu'on s'apprête! 

a Hier, ton bouquet n'arrivait pas ; 

« Et sans fleurs, vois-tu, point de fête I 

« C'est le grand jour ! viens dans mes bras ! » * 



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LA SOURIS. 217 



A ces mots, l'arme de bataille, 
Les pincettes, que je tenais, 
Avec un grand choc de ferraille. 
Rebondirent sur les chenets I 

« Quoi?... j) dit grand'mère. » Ah! je devine 
« Pourquoi ce bruit a retenti : 
« A quelqu'un qui par là trottine 
« Tu faisais un mauvais parti I 

« Non, non, ma belle tête blonde! » 
Puis, d'un air joyeux et malin : 
« Aujourd'hui, vive tout le monde I 
« Vive la souris!... ce matin. » 

Sous cape riant, — et pour cause! — 
Elle ouvrit le fameux tiroir ; 
Radieuse, y prit quelque chose 
Qu'à peine je pus entrevoir. 

« La voici!... Comme elle est mignonne! 

« Vrai ! son petit cœur bat encor ! 

« Tiens!... » — Qu'ai-je vu.> Dieu me pardonne! 

Une montre ! une montre d'or ! 



2l8 LA SOURIS. 



La première qu'on m'a donnée ! 
Son doux tic tac, pour moi sans prix, 
Ahl bien souvent, dans la journée, 
Me parle encor de la souris! 



^ 



04 oMadame Claire Terraud. 



A^/V«#W^MMAM 



JE PENSE A LUI 



M^^k/'^^^^^^^^^^^ 



Quand l'hirondelle, revenue, 
De mon toit s'empare aujourd'hui. 
Et que, joyeuse, elle salue 
La maison qu'elle a reconnue, 
Je pense à lui. 



220 JE PENSE A LUI. 



Quand du soleil, dans la vallée, 
Le dernier rayon s'est enfui. 
Et que la voix demi-voilée 
De Tangelus s'est envolée, 
Je pense à lui. 

Quand l'hymne du soir recommence, 
Que la première étoile a lui, 
Et qu'à pas lente la nuit s'avance. 
Quand l'ombre évoque le silence. 
Je pense à lui. 



^ 



I 
I 




f^^''^î'M'5-^'3[^^''^^3|5=y'^^ 




Q4 oMadame Laure Qipulet 

Présidente de l'Association des Dames Françaises. 



LE PHARO 



ÉPISODE DU CHOLÉRA DE 1884. 



^^/wwm>— «xv» 



C'était par un été brûlant et meurtrier, 
En juillet. De longtemps ne pourront l'oublier 
Ceux qu'enchaînait ici, pendant ce mois torride, 
La nécessité dure ou le devoir rigide. 



222 LE PHARO. 



Sur Marseille un fléau mystérieux planait. 

Dans nos quartiers déserts l'épouvante régnait. 

On fuyait ses amis, ses parents les plus proches. 

On voyait dans la nuit de lourds convois. Les cloches — 

Oublieuses des morts — ne sonnaient plus pour eux. 

Prêtres et sœurs en hâte allaient, silencieux. 

Au chevet des mourants, les uns porter Dieu même, 

Les autres, en son nom, la prière suprême. 

Au milieu de l'effroi, dans la morne Cité, 

S'ouvrait aux malheureux un palais redouté : 

Le Pharo !...(*) Ce nom seul, volant de bouche en bouche, 

Frappait de je ne sais quelle terreur farouche. 

La Science, à toute heure, en ce lieu de stupeur, 
Avait beau déployer un zèle ardent, la peur — 
De l'horrible fléau pourvoyeuse incessante — 
Trouvait là, plus qu'ailleurs, la mort obéissante. 

Un jour, de ce palais au grand parc toujours vert, — 
A défaut d'empereur au misérable offert, — 



(1) Ancienne résidence impériale désignée, aujourd'hui, sous le 
nom de Château du Pharo. Ce palais, don généreux de l'Impéra- 
trice Eugénie, a été affecté par la Municipalité au service des cho- 
lériques pendant Tépidémie de 1884. 



LE PHARO. 223 



Sortit, vêtu de noir, un personnage austère. 

Un coupé l'attendait. Il ouvrit la portière. 

S'assit, puis dépliant — digne et grave — un journal. 

Rapide s'éloigna du sinistre hôpital. 

Arrivé dans la ville affolée à cette heure, 

Il s'arrêta devant l'opulente demeure 

D'une rue écartée où le négoce altier 

Dans un jaloux silence a choisi son quartier. 

Là, d'un riche armateur la veuve, loin du monde. 

Vivait près d'un enfant, cœur d'or et tête blonde. 

Sur le seuil : « Ah ! monsieur, » dit quelqu'un à l'instant, 
« C'est vous enfin, mon Dieul madame vous attend... 
« Jeanne! sans doute, on va l'emmener... ah! je tremble... 
« Dans cet endroit terrible où l'on met tous ensemble 
« Ceux qui n'en sortent plus que pour aller là-bas... » 

L'autre écoutait à peine et ne répondit pas. 

Il allait froidement se frayer un passage. 
Quand parut une femme au soucieux visage. 
Contre elle, tout troublé, de larmes plein les yeux, 
Se pressait un enfant : « Ah 1 docteur, c'est affreux ! » 
Dit-elle, allant vers lui. « Si bonne, si vaillante I 



2 24 LE PHARO. 



« Depuis bientôt dix ans ma fidèle servante I 

« Qui vit naître mon filsl... » Et la voix murmura 

D'un accent étouffé : « Jeanne!... le choléra!... 

« Que faire?... — Voir d'abord, le reste me regarde, 

« Madame. — Ah! sauvez-lal — Sa chambre ? — A la mansarde. . . » 

A peine a-t-elle dit, l'enfant, hors du palier, 
Tout palpitant, se glisse et grimpe l'escalier. 
La mère le poursuit, le rejoint, eflfrayée. 
Et le retient devant la porte entre-bâillée 

L'homme grave pénètre en un réduit étroit, 
Au plafond bas et lourd, sous les ardeurs du toit : 
La moribonde est là, sur son lit, frissonnante. 
Seule, le cœur serré par l'angoisse poignante... 

« L'air manque... Vous seriez mieux soignée... autre part... 
« A l'hospice... » dit l'homme en tournant son regard 
Vers la dame anxieuse et sur le seuil restée. 
— « Ahl grand Dieu! laissez-moi, » dit Jeanne épouvantée, 
« Mourir ici!... Pitié!... Le Pharo!... J'ai compris!... 
« Perdue!... » Et des sanglots, ^s plaintes et des cris! 

Pendant que le docteur calme la pauvre fille, 
Dans la chambre l'enfant bondit ! son regard brille ! 



LE PHARO. 225 



Il s'élance vers Jeanne, et de ses petits bras 

L'étreint en s'écrîant : « Tu ne partiras pas I 

« Jeanne! va! ne crains rien! je suis là! maman pleure!... 

« Non, elle ne veut pas qu'on vienne tout à l'heure 

« Pour te prendre!... Elle sait combien tu m'aimes, toi! 

« Que les jours et les nuits tu veillas près de moi! 

« Que tu n'as plus personne, et que ta mère est morte! 

« Non, maman ne veut pas qu'au Pharo l'on t'emporte!... » 

A ces mots, qui du cœur ont jailli tout vibrants, 

La servante répond par des cris déchirants. 

Le regard égaré, la lèvre frémissante. 

Elle voudrait parler... Sa bouche est impuissante. 

Elle raidit ses bras par un suprême effort. 

Se dresse, et de ses yeux un flot de larmes sort. 

« Mon maître ! ah I mon bon maître!... » enfin peut-elle dire. 

Baignant de pleurs l'enfant qu'elle étreint en délire. 

Et qu'en vain le docteur du lit veut arracher. 

La veuve hésite encor, mais sans pouvoir cacher 

Le terrible combat qui se livre en son âme : 

« — De cette fille il faut vous séparer, madame... 

« Pour vous... pour votre enfant!... Vous ne répondez rien?... 

a J'ai rempli mon devoir... — Moi, je connais le mienl... » 

Le docteur s'éloigna. « Mon fils ! » s'écria-t-elle, — 

V 

i5 



226 LE PHARO. 



Jeanne leva son front d'une pâleur mortelle, — 

a J'allais tout oublier!... j'aurais tout méconnu!... 

a Mais ton cœur, cher enfant, pour moi s'est souvenu... 

a Dieu juste! j'obéis... en ta bonté j'espère... 

« Oui, nous la garderons, Jeanne!... » — Au cou de sa mère 

L'enfant sautait joyeux, et Jeanne murmurait : 

a Madame! ah! près de vous je mourrai sans regret!... » 

Elle ne mourut pas. 

Mais, de terreur glacées. 
Combien plus durement d'autres furent chassées, 
Sans pitié de leurs cris dans le trajet fatal, 
Et qui ne pouvaient croire, au seuil de l'hôpital. 
Que, pour elles, s'ouvrait un palais tutélaire. 
Sourd aux vaines rumeurs de l'efiFroi populaire. 
Où veillait nuit et jour, loin de leurs toits déserts. 
L'ardente Charité, cœur ému, bras ouverts! 






lê^ilp-^^^'^^-^ 



04 ^Monsieur J. I^gimbaud. 



LES NOCES D'ARGENT 



10 Janvier i856-i88i. 



%^^^hM^^^AM#^>^^f^ 



Lorsqu'en des vers émus vous avez rappelé 

A mon âme attendrie une date si chère, 

Mon cœur vers les beaux jours au loin s'est envolé; 

J'ai^tourné, tout pensif, mes regards en arrière. 



228 LES NOCES d'aRGENT. 

Quoi! déjà vingt-cinq ans! murmuraî-je, troublé, 
En écoutant vibrer en moi le timbre austère 
De ce long quart de siècle aussi vite écoulé... 
La rude main du Temps me fut donc bien légère ! 

Ne m'a-t-elle jamais apporté que des fleurs? 
Non, j'ai connu la lutte et j'ai versé des pleurs; 
Mais une femme — un ange — à mes larmes fit trêve 

Plus doux que la grandeur, plus fort que le destin, 
Le bonheur d'être aimé m'abrégea le chemin. 
Et cinq lustres ont fui rapides comme un rêve!... 







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04 éMadame ^se ^amu. 



^«^^M«^v^MA<^/^^^ 



L'HEURE ENCHANTÉE 



Parsemé d'étoiles sans nombre, 
Le ciel brillait, l'air était doux; 
Les vieilles tours épandaient l'ombre 
Et le mystère autour de nous. 



33o l'heure enchantée. 



Des reflets de vive lumière 
Sur les eaux dormantes glissaient ; 
Les grands mâts à la cime altière 
Dans la nuit claire s'élançaient. 

La brise, des voix de la plage 
Nous apportait l'écho tremblant; 
Elle effleurait, à son passage, 
D'un souffle frais mon front brûlant. 

Pour nous voir, la lune argentée 
Ecartait ses voiles discrets. 
Heure d'amour ! heure enchantée ! 
Qui l'entend peut mourir après I... 



II 



Seuls, nous allions, parlant à peine; 

Le sable criait sous nos pas. 

Une divine cantilène 

En nos âmes chantait tout bas... 



l'heure enchantée. 23 I 

Pendant que l'ivresse inconnue 
Berçait nos cœurs, vint retentir 
La cloche du soir dans la nue... 
L'heure murmure : « Il faut partir!... » 

Toute émue, en ma main restée. 
Sa main se dégage... O regrets! — 
Heure d'amour ! heure enchantée ! 
Qui l'entend peut mourir après!... 



Mai 1882. 



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q4 mon ami le T)octeur SMillou. 



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LE MAL DU SIÈCLE 



T^ièce couronnée. 



Le mal s'étend rapide et la plaie est profonde ; 
Jusqu'au cœur le poison ira rongeant toujours, 
Si des adversités l'amertume féconde 
Ne vient régénérer le sang des anciens jours. 



234 LE MAL DU SIECLE 



Ce vieux sang des Croisés, bouillonnant dans les veines, 
Hier, leurs fils le versaient, dignes de leurs aïeux; 
Nos champs, où l'Allemagne a semé tant de haines, 
Sont encore imprégnés de ses flots généreux. 

Ces chrétiens, ces héros que l'honneur électrise. 
Au devant du trépas les voyez-vous courir? 
« Sauve la France, ô Christ 1 » c'est leur chère devise. 
Avec Dieu l'homme est fort : il apprend à mourir... — 

Et dans Paris, en proie aux luttes intestines, 
D'autres, en ce moment, régnent par la terreur; 
Ils décrètent le meurtre, entassent des ruines... 
Mais ceux-là, niant Dieu, l'ont chassé de leur cœur! 

Toi, des grands citoyens l'idole noble et fière. 
Liberté ! ces cruels se disent tes amants. 
Eux qu'on revoit brandir la torche incendiaire 
Et du sang des martyrs teindre les murs fumants I 

Frères ! s'appellent-ils... — La fureur vengeresse 
En quoi ressemble-t-elle à la fraternité? 
L'Emeute au bras armé, qu'ils invoquent sans cesse, 
Qu'a-t-elle de commun avec la Liberté? 



LE MAL DU SIÈCLE. 235 

L'orgueilleuse Raison que leur bouche proclame 
Entre Phomme et son Dieu creuse un gouffre béant; 
Elle outrage le Ciel, elle insulte notre âme, 
Et veut que le tombeau soit le seuil du néant... 

Foi, libre arbitre, amour, espérance? — Chimère! 
La conscience ? — Instinct ! — La justice ? — Vain mot I 
Pauvres fous! pour dompter les douleurs de la terre, 
N'abaissez point vos yeux, et cherchez donc plus haut! 

Pouvez-vous étouffer ces accents redoutables 
Venus on ne sait d'où, que tous nous entendons? 
Accents pleins d'épouvante aux oreilles coupables. 
Pleins d'une paix profonde à l'oreille des bons? 

Et nos âmes, ouvrant vers l'infini leurs ailes. 
N'ont-elles pas toujours des plaintes dans la voix? 
Hélas! ce qui leur manque, en vain le cherchent-elles 
Sous l'humble toit du pauvre ou les lambris des rois ! 

L'ardeur de nos désirs, soif jamais assouvie. 
S'accroît même en vidant la coupe du bonheur : 
Les larmes dans les yeux nous entrons dans la vie. 
Pour en sortir un jour la nostalgie au cœur... 



236 LE MAL DU SIECLE. 



Naître, vivre, mourir, puis un peu de poussière. 
Est-ce tout l'homme? — Non! Comme le Fils de Dieu, 
Notre âme du tombeau doit fendre aussi la pierre. 
Pour s'envoler au Ciel sur des ailes de feu!... 



O ma patrie! avant de fermer la blessure 
Ouverte par le glaive à ton flanc maternel, 
D'un mal encor plus grand guéris la meurtrissure 
Avec le repentir, ce dictame éternel! 

Retrempe dans la foi ton antique héroïsme : 
Pour qu'à ton esprit mâle obéisse un bras fort, 
France! il faut de ton sein arracher l'athéisme. 
Ce cancer de l'orgueil qui te donne la mort! 

Toi que l'Eglise, enfin, nomme sa fille aînée, 

Qu'on appelait, hier, la Grande Nation, 

Viens dans les bras du Christ, ô France! et, par donnée, 

Tu verras s'accomplir ta résurrection! 



Août 1873. 



^ 



04 cMademoiselle 



•** 



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ARRIÈRE-SAISON 



^^m^^^^^0tM^0> 



C'était vers Parrîère-saîson : 
La brume, pâle souveraine, 
De sa robe, sur le gazon. 
Promenait l'onduleuse traîne. 



238 ARRIERE-SAISON. 



Tandis que Tindolente reine 
Voilait d'un crêpe Thorizon, 
Je rêvais avril, nuit sereine, 
Oiseaux, feuillage, fleuraison... 

Tout à coup, de ses nimbes fauves. 
Dorant les grands marronniers chauves, 
Le soleil rayonna dans Pair. 

Ainsi de vos doux yeux la flamme 
Eclaire et réchauffe mon âme, 
Lumière de mon ciel d'hiver. 






■^■^^-^iNi^^iis-^^ 




Q4 dMademoiselle Emma Cajrer, 



^^^^^M^^kMy«MAM# 



L'ÉPINGLE & L'AIGUILLE 



^^^V^^^Vl^fc ■ ^ 



— Pour toi la vie est sans douceur, 
Dit, un jour, l'Epingle à l'Aiguille; 
Dès l'aube vouée au labeur, 
Jusqu'au soir tu cours, pauvre fille I 



240 l'épingle et l'aiguille. 



Sans t'arrêter un seul moment. 
Tu vas, tu viens, toujours pressée : 
Et de glaner un compliment 
Tu n'as pas même la pensée. 

Il te faut grimper l'escalier 
De la mansarde solitaire 
T'emprisonner dans l'atelier 
Et tu souris à l'ouvrière. 

Docile, où sa main te conduit, 
Tu fais, dans la soie ou la laine, 
A petits pas, naître sans bruit, 
Simple robe ou manteau de reine! 

Et tant de mille points semés. 

Le jour, la nuit, quoi que tu fasses. 

Sitôt ouverts sitôt fermés, 

De toi ne gardent nulles traces ! 

Tu disparais. Qui prend souci 
De ton obscure destinée? 
Qui songe à te dire : Merci ! 
Lorsque ton œuvre est terminée? 



l'épingle et l'aiguille. 241 

Moi, me riant de tes efforts, 
D'aimables loisirs je dispose : 
Quand tu veilles, souvent je dors 
Dans quelque pli de satin rose... 

Et lorsqu'en un mol abandon. 
Au caprice il me faut complaire. 
Sans me fatiguer, — c'est si bon ! — 
Doucement je me laisse faire. 

Au réveil, quelque fin minois 

Me lance une œillade coquette, 

Et l'on m'apprend... du bout des doigts. 

Maints secrets, — me sachant discrète... 

Puis, au boudoir, — destin charmant! — 
Une main blanche me réclame : 
Sur son métier, nonchalamment. 
Va me poser la grande dame. 

Vite, elle m'appelle au miroir 
Pour fixer velours et dentelles : 
D'un petit coup d'œil j'ai pu voir 
Qu'au bal on nous trouvera belles! 

16 



242 L ÉPINGLE ET l' AIGUILLE. 



Et je scintille en ses cheveux, 
A rheure où Torcbestre résonne... — 
Près d'un grabat tu fuis les yeux, 
Quand sous les lustres je rayonne ! 

— De mon sort je ne me plains pas, 
Répondit Thumble travailleuse ; 
J'accomplis ma tâche ici-bas : 
D'être utile je suis heureuse. 

Il est vrai, tant de soins divers 
Ne m'attirent guère, en échange, 
L'éloge de ceux que je sers ; 
Mais je n'attends point de louange. 

Chère aux petits, je vais en paix, 
Toute à tous m'oflfrant à la ronde ; 
Et toi-même, tu ne pourrais, 
Sans moi, voir souvent le beau monde. 

Sur le ruban qui te retient, 
Le soir, tu portes haut la tête ; 
Mais, au matin, qui se souvient 
Que tu brillais pendant la fête? 



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243 







TABLE 



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PREMIÈRES POÉSIES. 

Pages. 

Le Vieux Fauteuil 29 

Résignation 35 

Les Champs et l'Usine 49 

La Veilleuse 59 

Gabrielle 61 

Sonnet nuptial 69 

Le Printemps 71 

VÉté 75 

L'Automne 79 

L'Hiver . 83 

Mes Violettes 89 

La Sœur de lait 93 

Noël 99 

Vaufrège \ . , . loi 

Marseille io5 



246 TABLE. 

Pages. 

La Vie ni 

A Auber ii3 

Modestie 117 

Le Jour des Morts 119 

La Fauvette i23 

Aux Travailleurs des Champs i25 

Rêve d'une Nuit d'Hiver 129 

Droit et Adroit i33 

Les Sœurs de Charité i35 

Roses d'Avril i39 

Le Grain de TAumône 141 

Les Lunettes de ma Grand'Mère 147 



NOUVELLES POÉSIES. 



Ma Petite Maison i55 

L'Argent i63 

Les Papillons i65 

Mes Voyages 171 

Elle est là! 173 

A l'Illusion 175 

Marine 177 

L'Heure Vermeille 179 

Le Rocher de Pétrarque i85 

La Couronne d'Immortelles 187 

Les Cheveux blancs 193 

Un Beau Dimanche 195 

Méditation 201 

Son Regard 207 



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Typ. et Utb. J. CAYER, SfarseUlA.