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Full text of "Armande"

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y II 



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Petite Collection Guillaume 



E. ET J. DE CONCOURT 



Armande 



PARIS 

E. DENTU, ÉDITEUR 
S, Place de Valois, ) 

M DCCC XCII 



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Si efi lisvres que ne f: peuvent ignorer, 
fi tnvi plus ne peuvent ne Je pojfefder. 



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Armande 



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" Peiile Colleclion Guillaume " 



E.etJ.ue CONCOURT 

Armande 

lllustraUous de Marold 



PARIS 

E. DENTU, ÉDITEUR 
J, Place de Valois, j 

M DCCC XCll 



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IL A LTÉ TIRÉ DE CliT OUVRAGE 

quelques exemplaires sur ve'lin de cuve 
des papeteries du Marais. 



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E. ET J. DE CONCOURT 

Edmond de Concourt est né h 
Nancy, en 1822. Jules de Concourt 
est né k Paris en 1830. Les deux 
frères publièrent v^rmani^ en 1856. 

Edmond et Jules de Concourt 
furent au premier rang parmi ceux 
qui menèrent et créèrent le réalisme 



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naturalisme contemporain. Doués 
d'une originalité puissante, d'une 
finesse d'impression exquise et d'un 
sentiment profond de la réalité, ils 
écrivirent un grand nombre d'ou- 
vrages de premier ordre, tant par la 
beauté du style que par la sincérité 
et la nouveauté de l'observation. 
Germînie Lacerteux, Madame Gervai- 
saîs, La Faust in (ce dernier roman 
d'Edmond de Concourt seul) sont des 
œuvres de génie. Les frères de Con- 
court furent en outre des historiens 
supérieurs, dans un genre de mono- 
graphies et de biographies qu'ils ont 
inventé (et auquel beaucoup d'hommes 
distingués ont dû en partie leur ins- 
piration), tels que Madame de Pomjni- 
dûur, Marie-Anlo'melte, La Société fran- 
çaise pendant la Révolution, La Clairon. 
Les Concourt ont publié : Charles 



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Demailly, Sœur Philontine, Germinie 
Lacerteux, Renée Maupèrin, Manette 
Salomon, Madame Gervahais, etc., etc. 

Edmond de Concourt a publié : La 
Fille Elisa, Les Frères Zemmganno, 
La Faustin, Chérie, etc., etc. 

Jules de Concourt est mort en 1870. 



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Dix heures du soir. La nuit. Point 
de lune. Un grand bruit de ferraille, 
des étincelles sur le pavé, des voix 
qui sacrent, une portière ouverte, une 
femme descendue, des ombres noires 



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2 ARMAKDE 

qui se promènent sur la bâche, des 
croupes de chevaux blancs, un mo- 
ment, luisantes sous une lanterne, des 
têtes de dormeurs embéguinés aux 
vitres, deux caisses de bois blanc à 
terre ; un, deux, trois grands claque- 
ments de fouet : « Hue ! hop-là ! 
hue ! » — la diligence de Bordeaux à 
Toulouse s'ébranle, part, fuit ; le 
roulement décroit, s'éteint, meurt. 

Il n'est que les maisons de petite 
ville pour dormir ainsi. Bêtes et gens, 
tout est couché. Langon est mort. 
Seule, une petite fenêtre luit, où un 
grand bonnet de coton se détache 
sur la lumière. La dame regarde tour 
à tour les deux caisses posées à côté 
d'elle, et le bonnet de coton qui ne 
bouge. 

« Monsieur... — hasarde-t-elle au 
bout de quelques instants. 



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... Monsieur, Jo suis 
actrice... 



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ARMANDE 5 

— Qui est là ? — et le bonnet de 
coton se penche dans l'ombre et 
cherche à voir. 

— Monsieur, je suis actrice. 

— Ah! 

— Pourriez-vous m'indiquer où est 
mon directeur? 

— Mais... je ne connais pas de 
théâtre ici. 

— Comment ? il n'y a pas des ac- 
teurs qui sont arrivés ? 

— Ah ! oui, pour la foire... qui 
viennent jouer pendant quinze jours... 
ah ! oui. Est-ce que vous allez bientôt 
travailler? » 

La dame sentit son cœur se serrer. 
Elle regarda insolemment le bonnet 
de coton, et d'une voix brève : 

M Monsieur, pourriez-vous m'indi- 
quer un hôtel ici ? 

— Il n'y a pas d'hôtel ici. 



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6 ARMAND F. 

— Ah ! . 

— C'est-à-dire, si. Mais tout le 
monde est couché à huit heures. On 
n'ouvre plus. Si vous voulez, on va 
vous donner une chambre ici. » 

La dame accepta. On lui mit un 
matelas sur le sol battu d'une chambre 
du rez-de-chaussée ; et elle rêva ceci : 
la Dangeville entrait par le mur, con- 
duite en grande cérémonie par quatre 
gentilshommes de la chambre ; elle 
tenait à la main un ordre de début à la 
Comédie-Française, signé Louis XV, et 
tous les beaux gentilshommes avaient 
tous quatre le 
cœur percé d'une 
flèche en bois 
doré sur laquelle 
était écrit : 
Artrunde. 



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II 



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« Eh bien, et mon directeur? — 
fit Armande, en nouant son chapeau. 

— Votre directeur, je ne sais pas 
où il est, mais on va vous mener au 
théâtre. » 



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lO ARMANDE 

— Et l'homme au bonnet de 
coton, qui était le maître de poste de 
Langon, siffla. Vint un gamin hâlé et 
bronzé, troué et pouilleux, dont la 
plante du pied nu luisait comme une 
corne usée. 

Elle allait, elle allait, suivant l'en- 
fant, d'un petit pas endiablé. Ses dix- 
huit ans chantaient dans toute sa 
personne. A chaque enjambée, des 
roses lui montaient aux joues. Elle se 
mouvait, elle se tournait, elle se 
troussait : une Grâce à pied ! Son 
chapeau de paille de riz semblait un 
nimbe virginal et coquet. Mille rayons 
couraient et luttaient de caprices et 
de moires sur sa robe de soie gris- 
perle. Tel qu'un papillon noir tout 
prêt à s'envoler, son châle de den- 
telle lui fuyait des épaules : et sous 
sa jupe, pour un rien relevée, deux 



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ARMANDE II 

petits pieds mordaient le terrain ; 
deux petits pieds cambrés, vifs et 
prestes ; deux petits pieds décolletés, 
moulés dans le bas bien blanc, et 
libres et captifs dans le soulier mignon, 
et faisant sonner haut leurs deux pe- 
tits talons. 



Les maisons blanches à volets rou- 
ges se sont éveillées dans un beau 
soleil, et versent sur la rue les lon- 
gues ombres inégales des tuiles alter- 
nées de leurs toits. Les grands bœufs, 
écornés d'une corne, entoilés de gris, 
portant sur leur front fier une toison 
de mouton, comme la mamelle d'Her- 
cule porte sa patte de lion, les grands 
bœufs marchent pesants, graves, 
lourds. Le babil et le rire ont ouvert 



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12 . ARMANDE 

toutes les portes, surmontées d'une 
jolie croix de Saint-Jean en moelle de 
sureau ; et parmi les arbustes et les 
pots de grès rouge, encombrant les 
marches de chaque perron ruineux et 
moussu, et jusque derrière les plan- 
ches remplaçant les carreaux cassés 
des vieilles maisons Henri III, il est 
de grands yeux avides qui suivent les 
deux petits talons. 

Et sur le terrain roux, les petits 
talons de trottiner, de sautiller, de 
raser les coulées de fumier, d'effleurer 
les flaques d'eau, de voler sur les 
cailloux pointus et de bondir et de 
s'éjouir ainsi que deux petites souris 
noires, et de se presser et de s'enfuir, 

— on eût dit qu'ils sentaient tous les 
regards de la ville à leurs trousses, 

— et de ne presque plus prendre 
terre, et d'entraîner la rougissante 



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... Un si nn soulier, si 
galant et si uet... 



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ARMANDE I> 

Armande, qui se retournait en des 
poses charmeuses pour prier la crotte 
d'épargner des mouches à sa robe. 
Oh ! l'aimable spectacle, par tout 
pays du monde qu'un pied au bout 
d'une jambe, et qu'une jambe au bout 
d'un pied ! oh ! le nouveau spectacle 
à Langon qu'un si fin soulier, si ga- 
lant et si net, un soulier que Borel 
eût dessiné pour une Fanchette de 
Rétif ! — Virac, dit Périgord, le bar- 
bier, en passa la savonnette du pays 
— sa main pleine de savon — sur 
les yeux du quidam qu'il tenait sous 
le rasoir. 



La rue était longue, montueuse. 
Pas une fenêtre, pas un croisillon qui 



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l6 ARMANDH 

n'eût son curieux. Armande marchait 
toujours plus légère et plus vive. 

« Ici ! » cria le gamin qui s'enfuit 
à toutes jambes. 

Armande leva les yeux. Elle lut : 
Café de la Providence. 



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III 



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Il dormait. 

Cétait un dç ces sommeils calmes, 
plats, profonds et béats, que donne 
l'alliance d'mje conscience d'or avec un 
estomac de fer. Il gisait en travers de 



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ARMAMDE 



la porte qu'il Danrait toute ; son ventre 
rose avait coulé sur le fumier mollet, et 
s'y reposait, tressautant. Pour mieux 
être, il avait allongé ses courtes 
jambes. Un froncement de graisse et 
trois cils blancs indiquaient seuls la 
place de ses yeux. Dans son groin 
immobile, un halètement tranquille 
allait et venait, et si profondément il 
goûtait son repos, que sa queue en 
vrille s'était un peu dénouée. Le soleil 
le berçait de caresses, passant ses 
mains de lumière sur ses soies drues, 
sur ses flancs truites, sur son long dos 
truffé de rondes taches noires. Ni 
remords, ni rêve qui le troublât en 
sa sieste, cet honnête homme de co- 
chon : une pose d'une paix, d'une 
détente, d'une onction, d'un abandon 
merveilleux à voir ! De longtemps en 
ongtemps il remuait, pour chasser 



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ARMANDB 23 

les mouches, à peu près un quart de 
son oreille : mais comme un prince 
éventé par un esclave, il ne s'éveillait 
pour cela, bien au contraire. 

Armande prit à deux mains son 
élan et son courage. Elle enjamba le 
dormeur et entra. Devant une table, 
un vieux bonhonune, tablier blanc au 
ventre, besicles sur le nez, écrivait 
sur un livre vert. 

« Monsieur, je suis mademoiselle 
Armande. 

— Ah ! bien ! je vous attendais, 
ma fille. » 

Il releva ses besicles, et la regardant : 
« Ce n'est pas tout près, oui, Bor- 
deaux ? 

— Non, Monsieur. 

— Voulez-vous déjeuner ? 

— Merci. J'ai déjeuné. 

— Eh ! bien, asseyez-vous à côté 



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24 ARMAKDE 

de moi ; vous me tiendrez compagnie, 
et nous causerons de nos affaires, 
oui. Mais, mon enfant, ces jours-ci 
il ne faudra pas vous faire si belle 
que ça, oui, vous comprenez pour 
l'ouvrage et le fumier... » 

Quand le cochon a vu qu'Armande 
l'enjambait, il s'est éveillé ; quand il 
a vu qu'elle entrait, il est entré ; en- 
tendant causer, il grogne, en se frot- 
tant contre un vieux billard en noyer. 

« ...C'est que vous allez avoir beau- 
coup d'ouvrage, — reprend l'homme 
sans se laisser interrompre. 

— Mais, Monsieur, quand joue-t-on ? 

— auoi ? 

— Eh ! bien, la comédie. Vous 
n'êtes donc pas le directeur? 



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ARMANDE 2$ 

— Le directeur de quoi ? 

— Du théâtre ? 

— Non. Vous ne venez pas pour 
être bonne ici? 

— Mais non, je suis actrice? 

— Ah ! je vais vous expliquer : 
j'avais demandé à Bordeaux une 6Ue 
pour servir pendant la foire, et je 
croyais que c'était vous. C'est bien 
ici le théâtre, oui, en haut, dans le 
grenier. Mais le directeur est là qui 
mange, là-bas en face. » 



Quelques instants après, arrivait 
im grand garçon,' en blouse blanche, 
en pantalon garance, en pantoufles de 
basane javme, lequel ouvrit une bouche 
énorme pour dire à Armande : 

« Mademoiselle, vous êtes une jolie 



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26 ARMANDE 

femme! Ça va donner de l'oeil à la 
troupe! » 

Et puis après avoir tourné et re- 
tourné sa casquette dans ses deux 
mains rouges : 

« Je vais vous présenter au direc- 
teur. » 



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IV 



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Sur la porte de l'auberge dix hom- 
mes étaient rangés. Quand Armande 
fut proche, les dix hommes abattirent 
d'un seul mouvement leurs dix cas- 
quettes. Le premier des dix hommes 



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30 ARMANDE 

qui portait une redingote boutonnée 
sur un col de satin noir, passa dans ses 
cheveux gras, une manche de chemise 
saie et cinq doigts ornés de bagues. 
Il salua comme à un lever de rideau. 
« Mademoiselle Armande... 

— C'est à monsieur le directeur 
que j'ai l'honneur de parler? 

— Lui-même dans la personne du 
fils de sa maman. Mais ne prenons 
pas racine. Les indigènes nous con- 
templent. Donnez-vous donc, belle 
dame, la peine d'entrer. Nous étions 
en train de sustenter un rien nos pau- 
vres cadavres... — Eh! Madeleine 
Lamour ! une assiette et un verre à 
Mademoiselle, à côté de moi, et plus 
locomotive que cela ! » 

Les dix hommes accrochèrent leurs 
dix casquettes et reprirent leurs dix 
fourchettes. 



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ARMANDB $1 

Au bout de deux bouchées : 
« Mademoiselle a un appartement 
en ville? — dit le directeur. 

— Mon Dieu non, Monsieur. 

— Ma grand'mère et le père Ber- 
nard ! Savez-vous, colombe de mon 
cœur, que ce ne sera pas un petit 
travail de vous casemer dans cette 
préfectanche de bourgeois vétil- 
leux ? 

— Vétilleux ! — reprirent d'une 
même voix les neuf hommes — il y 
en a deux d'acteurs qui ont volé ici ! 
— Et neuf morceaux de confit fer- 
mèrent les neuf bouches du chœur. 

— Après cela, ne prenez pas le 
trac, timide créature ! Reposez-vous 
le torse ; on en écrira à la Provi- 
dence ! — Ah ! mais vous n'avez pas 
de pension ; vous viendrez béquiller 
avec nous. 



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32 ARMANDB 

— Mais les dames ? — interrogea 
Armande, très fort effarouchée. 

— Les dames ! les dames ! Est-ce 
qu'on a peur de son vieux papa ! Elles 

•sont en train de venir, ces dames. Qui 
fait diligence n'y va pas. Nonob- 
stant, elles sont dans celle de Nantes. 
C'est-à-dire, la Momignard ne vient 
pas. Madame est poitrinaire. Elle se 
vide. Elle n'en a pas pour six mois. 
Et d'une. La Saint-Firmin, elle, sûr, 
elle arrive demain. Après cela, que la 
Momignard frappe au monument, ça 
m'est totalement inférieur. Une femme 
en mi mineur, qui couche avec de 
l'huile de morue, et poussive comme 
un fiacre, pour un pauvre rôle de trois 
cents !... et des bras que son économe 
de père lui avait faits par charité, 
des bras d'un court... tu sais, Bous- 
caille? elle ne pouvait pas seulement 



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ARMANDE 33 

les lever au-dessus de sa tête le jour 
d'une première ! et fière comme un 
pou en calèche ! Encore une qui ne 
voulait se ballader que dans la nou- 
veauté ! et toutes ses gyries pour jouer 
dans le Fantôme vivant et le Chien de 
Moniargis ! Cré nom ! C'est pas des 
pièces iocy qu'elle disait. C'est pas 
des pièces toc les pièces à M. Pixéré- 
court ! excusez ! des oranges à Ma- 
dame ! avec ça que les vieux n'étaient 
pas d'autres charpentiers que vos 
lapins de maintenant. De la resucée 
quoi ! Le bon temps des bonnes piè- 
ces, mes agneaux, c'est fichu comme 
les coucous ! Mais la belle ange, 
vous boudez le comestible? Il ne fout 
pas non plus vous fourrer dans le 
toupet qu'on a l'habitude de nous 
servir ici dans la semaine des gibe- 
lottes de diamants, et des faisans 



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34 ARMANDE 

avec le grand cordon de la Légion 
dhonneur en sautoir ! » 

Armande ne répondit pas. Elle re- 
gardait de côté. — Dans le fond de 
la pièce ouverte sur la cour, l'auber- 
giste, qui était boucher, ainsi que 
beaucoup d'aubergistes de petites villes 
du Midi, émouchait avec une vieille 
savate, emmanchée au bout d'un long 
bâton, les quartiers de viande sai- 
gnants pendus au plafond. 

« F, i, fi, c, h, u, chu, fichu le 
drame ! le drame, plus ça ! Ah ! les 
vieux b cuirassés qui ne s'embê- 
taient pas ! des tonnerres de phrases 
qui vous chatouillaient le tympan 
dans le dur, et des monologues qui 
se portaient bien ! C'était-il assez 
lardé d'ognons, leurs grandes machi- 
nes, que le cintre s'en essuyait l'oeil 
avec ses chaussettes ! et va te faire 



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... Sur la porte de l'au- 
berge... 



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ARMANDE 37 

fiche ! Tavalanche de l'embarlificotis 
qui vous tombait dessus à onze heures 
trois quarts net, que vous n^auriez 
pas été plus étonné de recevoir l'Obé- 
lisque dans les carrières Montmartre ! 
Ah ! les crânes gueux ! ils vous fai- 
saient le cœur comme un foulard ! 
A présent, sais-tu le truc ? faut que 
ça se passe à la cour du temps de la 
philanthropie ! Ils maquillent les cri- 
mes, quoi ! Secouez-lui les puces au 
public avec ça ! C'est comme si la 
Cour d'assises était en palissandre 
avec des filets de cuivre ! 

Premier voisin de gauche. — Mort 
de cheval de grâce laisse-moi la paix 
de Tilsitt de Suisse... 

— Tu me scies, toi ! Voilà qu'ils 
lui ont persuadé, au bourgeois, que 
c'était contraire à sa digestion de lui 
égorger du monde ; ça ferait mal aux 



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38 ARMANDE 

nerfs que son épouse s'est achetés à 
la dernière révolution ! Qu'est-ce qu'il 
veut, alors? Et puis, quand on rage, 
faut rager, avec la voix d'un homme 
qui se tient à cinquante centimes 
pour acheter une maison de campa- 
gne... » 

Premier voisin de gauche. — ... 
de sauvage avance' la voiture de sanglier 
les mains derrière le dossier de notaire 
du Pre'-aux- Clercs de Vune et Vautre 
ruche... 

— Des infamies qui ont des gants, 
des blouses pas méchantes, qui savent 
la règle des participes..., qu'ils ma- 
rient tout de suite des rosières et le 
prix Montyon! Une bonne pièce, 
sais-tu ce que c'est qu'une bonne 
pièce, toi? C'est... Et les traîtres 
sont-ils bas ! Qjaand ils ont un kilo 
de mort aux rats dans le coco, on 



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ARMANDE ^9 

veut qu'ils se trémoussent en douceur 
dans un dos de fauteuil de 5 5 centi- 
mètres... Une bonne pièce, là, une 
bonne pièce, c'est... Et leurs carcasses 
d'à présent ! des riens, des toiles d'arai- 
gnée, qu'on y voit le dénouement à 
travers comme l'Arc de triomphe par 
l'enfilade des Champs-Elysées ! ils 
appellent ça une intrigue, l'enfilade 
des Champs-Elysées ! Et puis avec 
leurs gestes de deux sous, numérotés 
comme des clefs de pension bourgeoise, 
qu'ils fassent une Geoi'ges ! et qu'ils 
me préviennent ! je paierai le port ! 

Premier voisin de gauche. — ...de 
mer lanlimiche de fouet gras comme 
un moine eau de Cologne... 

Premier voisin de droite. — Ah! 
la rude femme, qui jouait avec du 
rouge à vingt francs le pot, et que le 
public l'a sifflée ! 



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40 ARMANDE 

Deuxième voisin de gauche. — Le 
public? qui qu'en parle du public? 
Le public! qui qu'en a, que je le 
mouche ! 

— Veux-tu te museler, braillard ! 
C'est ça, tapes-y dessus au public 
comme une corl^eille qui abat des oies ! 
Le public, tais ton bec ! c'est notre 
monsieur! — Et sais-tu les pères et 
mères de la chose? Ce sont ces s... 
coquins qui font des feuilletons... 

Premier voisin de gauche. — .... 
mariné d'argent d'armes.. . 

— Dis donc, tu m'embêtes, toi, avec 
tes queues de mots ! Vois-tu, Rati- 
chon, il y en a de ces èplucheurs de 
salade à six mille balles par an ! J'en 
ai connu moi un qui ne pouvait 
écrire qu'avec une casquette à côtes 
de melon ; c'est trop fort ! eh ! bien, 
les voilà, ces crctins-là qui ont 



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. . . Mol pas béte, ]a 
dIvUe les vaudevilles eu 
deux... 



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42 ARMANDE 

débagoulé dans leurs journaux et ci 
et çà : ce mot-là n'est pas chouette! 
une phrase qui n'est pas clair de 
lune ! votre style est portier ! et 
patati, et patata, le mot de la Momi- 
gnard : c'est pas toc! pas toc, mes 
bijoux, qui a cent représentations, 
qui intéresse à évanouir les gendar- 
mes, et avorter les enceintes! pas 
toc, qui vous dansait la danse des 
œufs dans le creux de l'estomac, et 
vous revenait la nuit comme un de 
la Morgue ! Allons donc ! des balan- 
çoires ! Eh ! toi, dis donc, mon verre 
s'enrhume! Mais tout ça, ce n'est 
rien! Sais-tu ce qu'ils veulent, les 
cyniques ? Ils veulent dégoter le 
rire ! plus que ça de genre ! Des calem- 
bours ? ah ! bien oui ! c'est comme si 
vous leur mettiez une punaise dans 
l'oreille ! Moi pas bête, je divise les 



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ARMANDE 43 

vaudevilles en deux: il y a les vau- 
devilles pendant lesquels on peut se 
faire la barbe, et les autres où on ne 
peut pas. Eh ! bien, ils sont pour 
ceux où on ne se coupe pas ! Voilà 
pour quoi ils sont, ces fadasses-là ! 
L'art dramatique, que je leur dirais 
à tous vos journalistes, c'est de vous 
empoigner. Je leur dirais, et net, 
l'art dramatique, c'est pas tout ça, 
c'est, je vous dis, de vous empoi- 
gner! — parce que, écoutez ça, vous 
autres, il n'y a pas de phrase, ni de 
vers, ni de rien qui fasse l'effet — 
de quoi? savez- vous de quoi? de 
quoi? je vais vous le dire : eh ! 
bien ! du saut de la barque. Qu'un 
jeune mâle, fendu comme un com- 
pas, s'élance de la barque sur le plan- 
cher du fond, — il lève les bras au 
ciel comme cela, — un grand coup 



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44 ARMANDE 

de pied ! va te promener, la barque 
file, vlan! — et si la direction pos- 
sède une culotte de chamois, il n'y a 
pas de tremblement qui tienne ! 

Deuxième voisin de droite. — Dis 
donc, eh! bien, etBouchardy? 

— Tu n'es pas gêné, toi! Bou- 
chardy, c'est le rupin de la chose ! » 



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Le directeur tira lentement de sa 
poche une pipe de coco sculpté. 
L'imagination d'un artiste de Roche- 
fort en avait installé le fourneau dans 
la tête d'une jeune Incas, portant au 



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48 ARMANDE 

front un diadème de plumes, au col 
une fraise Henri III. Qiiand la fumée 
commença à sortir convenablement 
par le nez de la jeime Péruvienne, le 
fumeur offrit le bras à Armande; et 
toute la troupe s'égaya au dehors, 
fière comme un bataillon, promenant 
un drapeau neuf pour la première 
fois. 

La compagnie marchait sans hâte, 
le directeur s'arrêtant tous les trois 
pas, pour médire d'une maison, remon- 
ter ses bretelles, ralllumer sa pipe. 
Les neuf hommes s'assemblaient, se 
repliaient, se foulaient, se déban- 
daient, tournoyant autour d'Armande, 
tantôt la pressant de compliments, et 
tantôt la harcelant de madrigaux, 

« Monsieur, — disait au seul gar- 
çon qui pût l'entendre, le seul homme 
de Langon qui sût la place précise 



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... La compagnie r 
chalt sans bâte... 



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ARMANDE $1 

des ve'lites à la bataille de Tunis entre 
Xantippe et Attilius RégiUus, — Mon- 
sieur, remerciez ces gens de rien ! 
C'est du Vegèce qui marche ! Tenez ! 
regardez bien : l'ordre oblique, la dis- 
position d'Épaminondas, décrite par 
Xénophon ! — Maintenant savez-vous 
ce que c'est, ceci? Pharsale! l'infan- 
terie des deux armées en échiquier; 
la casquette brune à droite, ce sont 
les mille cavaliers de César, et la 
verte à gauche, les sept mille de 
Pompée ! — Ah ! ah ! oui, parfaite- 
ment, la quaria iepugnaiio! Mara- 
thon ! le centre faible et les ailes for- 
tes ! — Ils font la iorlue à présent ; 
— et remarquez: ils sont dix; dix, 
juste autant que la légion avait de 
cohortes! — Et voyez, mais voyez 
donc ! l'ordre romain, les trois lignes, 
les hasiats où est la grosse fumée de 



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52 ARMANDE 

pipe, les privées où on se mouche, et 
les triaires où il y a deux redingotes! 
— Bon ! i présent la vraie phalange 
macédonienne de Philippe, l'Invincible 
des anciens, celle que Polybe...» 

Mais l'cléve du professeur d'histoire 
regardait bien plus le centre des évo- 
lutions que les évolutions mêmes. 



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VI 



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Le lendemain, dans la soirée, on 
frappa chez Armande. 

« Madame de Saint-Firmin, qui a 
voulu avoir celui de vous présenter 
ses hommages au débotté, » et il 



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$6 ARMANDE 

passa devant le directeur, le corps 
branlant d'un petit vieillard serré dans 
un maigre manteau. 

La vieille petite créature avait des 
cheveux blancs et des cheveux gris, 
un regard froid, un profil aigu, le 
teint blême des gens qui se nourris- 
sent mal et qui boivent. 

Elle alla à Armande, lui prit la 
tête, prisa, et l'embrassa. 

Armande voulut s'éehapper. 

« Et ! vieux ! — dit la créature au 
directeur — tu n'as pas prévenu l'en- 
fant?... L'habitude des travestis qui 
a déteint dans ma vie privée, ma 
petite chatte! — Armande vit alors 
que le vieillard n'avait pas un poil de 
barbe. — Tu es charmante ! je t'aime 
bien, et je couche avec toi, mon 
agneau ! » fit la vieille. 

Le directeur était parti. 



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... Quand Armande so 
rôveUla... 



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58 ARMANDE 

Quand Armande se réveilla, ses 
yeux trouvèrent dans la chambre une 
bizarre vision. Dans un nuage de 
fumée blanche, au centre d'un cercle 
de petits pots étranges, les pieds 
dans les pantoufles d' Armande, une 
vareuse rouge lui plissant au dos, un 
caleçon collé à ses tibias osseux, une 
raie de côté, perdue sur son crâne 
pelé comme une route dans une lande, 
la vieille soufflait un réchaud de terre 
sur lequel graillonnait de la graisse. 
Elle chantonnait d'une voix cassée : 

L«a bons gendarmes sucent et resucent 
Les morceaux de bots qu'est pas sucré ; 
Ils s'en r'toument chex les épiciers, 
Épiciers, tu nous as trompés I 

« Eh ! bien, oui, ma biche ! on est à 
sa cuisine; on a eu son printemps, 
comme les autres; maintenant on 
s'utilise... Je n'en vendrai jamais tant 



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ARMANDE S9 

que ma gueuse de peau en a mangé 
de ce cold-cream ! 

Ils s'an r'tournent ch«i las «picten... 

— Ah ! dis donc, tu sais Tordre et 

la marche? Le vieux t'a-t-il dit? 

Non? 

tplctora, ta nous a trompés I 

L'épicier reprend let morceaux de bols, 

Les enfonce dans la castonnade... 

— Pourvu qu'ils aient des selles de 
femmes dans ce port de mer! 

— Comment? des selles de fem- 
mes? 

— Eh ! bien, oui, pour la caval- 
cade... appelle-moi ta petite mère, 
hein?... il faut se tambouriner dans 
un pays... toute la troupe à cheval... 

Les enfonce dans la castonnade... 

— T'as ma taille; tu me prêteras 
ta robe, tu sais? 



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6o ARMANDE 

— Une cavalcade?... comme des 
saltimbanques ? 

— Que t'es jeune ! C'est reçu dans 
le monde, une cavalcade! tous les 
grands artistes ont commencé comme 
ça! 

Les enfonce dans la castonnade 

Les bons gendarmes n'a pu eu d* rhume, 

Ils ont vécu en bonne intelligence. 



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VII 



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Qu'une bouteille tienne un accès 
de folie, qu'une montre grande comme 
une pièce de dix sous tienne vingt- 
quatre heures, qu'un encrier tienne 
un chef-d'œuvre, qu'une carte tienne 



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64 ARM AN DE 

une fortune, qu'un titre tienne un 
succès, que le cœur d'une fille tienne 
tout Paris, que le poignard d'un Stabs 
tienne les destins de l'Europe, qu'un 
corricoh tienne deux quarterons de 
voyageurs, que le monde tienne César, 
que la fosse commune tienne ses 
hôtes, qu'une chambre tienne le para- 
dis, qu'un violon tienne des rires et 
des larmes, — toutes ces choses sont 
des faits. Mais que la mémoire d'Ar- 
mande ait tenu en quinze jours tous 
ces rôles : Marie du Sonneur de Saint- 
Paul, Adèle de Bruno lefileur, Rodo- 
gune des Economies de Cabochard, 
Mathilde de Philippe, Ernestine de 
Qui se ressemble se gêne, Marie de la 
Tirelire, Juliette de Sans nom, Lucia 
de la Foi, VEspèrance et la Charité, 
Marie des Mémoires du Diable, Antoi- 
nette de la Citerne d'Ain, Henriette 



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ARMANDE éj 

d'HenrieUe Deschamps, Marguerite de 
Roger Boniempsy et Adélaïde de 
Quaire-vingt dix-neuf Moutons et un 
Champenois, — le fait est un miracle. 
Et qui le fit ce miracle? — la 
phrase coutumière du directeur : « Sa- 
chez-nous ça, ou faites vos paquets, 
la belle ange! » 



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VIII 



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Une blanche fille, toute blan- 
che et toute jeune, grassouillette et 
ronde d'épaules, une nuque à damner 
les gens, le ciel bleu dans ses yeux 
bleus, la joue rouge d'un rouge de 



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70 ARMANDE 

Guerlain, ballottée, et reballottée dans 
quelque chose qui est tout noir et 
tout tortueux! Un frêle et charmant 
petit corps, une miniature, une pou- 
pée et une beauté, une femme-enfant, 
une enfant-femme, ondoyant à tra- 
vers les traîtrises et les sourcils char- 
bonnés, passant et repassant dans le 
cerceau des catastrophes impies, dans 
le duel de Dieu et du diable, dans les 
coups de poignard et les flammes 
bleues, dans la terreur et le rugis- 
sement des crimes! Une statuette de 
l'Innocence et du Charme, traversant 
ce cauchemar, avec deux doigts de 
jupe, «et quelle jupe! le plus pim- 
pant des anachronismes, un carillon 
de couleurs empruntées à l'Ecosse, un 
morceau d'arc-en-ciel cousu sur de la 
soie !» Et la tête de cette vierge, quel 
peintre la détacherait, comme ces 



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ARMANDE 7I 

vingt-quatre quinquets, sur ces mas- 
ques et ces faces, sur toutes ces bou- 
ches torses et sur tous ces yeux lou- 
ches, sur tous ces fronts ridés, sur 
tous ces nez vineux, sur ce monde de 
grimaces et ce peuple de cabotins! 
cortège immonde des laideurs morales, 
plâtrées de plâtre, fardées de brique, 
qui s'empressent, et se démènent, et 
fourmillent tout autour de cette appa- 
rition de première communiante ! 

Bref, quelques-uns affirment avoir 
vu les cœurs de la salle s'en aller un 
à un, tout le temps de cette première 
représentation, s'accrocher à la cein- 
ture d'Armande, et y rester pendus 
comme un trousseau de petits poissons 
d'acier à un crochet d'aimant. 

La pauvre petite jouait pitoyable- 
ment. Gestes, accent, silence même, 
et ce petit doigt coquet posé sur la 



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bouche, alors que le traître, rejetant 
son manteau, montrait ses pistolets, 
tout en elle était contresens, et tout 
en elle était ensorcellement ! Tant de 
naturel en tant d'embarras, une si 
gentille gaucherie! Et elle était si 
rose, cette oreille tendue au souffleur ! 
« C'était merveilleux d'inintelligence ; 
c'était délicieux d'émotion ! » 

Par mégarde, Armande se rappe- 
lait-elle plus de trois phrases ; sa voix 
tremblotante tombait-elle, sans inten- 
tion, sur une note à peu prés juste, 
la folie donnait le bal dans toutes les 
têtes masculines de l'assemblée; et 
jamais ne fut au monde, dans le par- 
dedans Imaginatif d'un chacun, plus 
grande culbute, sauterie, et trémous- 
sement d'idées. 

Qui eût décoiflfé les cervelles, 
eût vu... Dans celle-ci, vieille et 



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... Et eUe éUlt si rose, 
cette oreille tendue au 
souffleur... 



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74 



ARMANDE 



rance, des peintres suspendus à des 
cordes reblanchissaient une jolie mai- 
son près d'un riou aux eaux claires ; 
un jardinier plantait des rosiers, 
et le propriétaire de la cervelle, 
de la maison et des roses, atten- 
dait sur la porte, toutes les clefs à la 
main. 

Dans celle-là, dans celle-là, toute 
jeune et virginale... quel abatis! une 
armée de bûcherons, aux bras nus, 
jetait à terre sans pitié les arbres, les 
beaux arbres d'un grand bois mar- 
qués dans la réserve ; on voyait dans 
le fond une vieille femme malade dans 
un lit, et le régisseur portait l'argent 
au petit ménage. 

Dans une autre, de vieux écus sor- 
taient d'un vieux bas de laine, et 
dansaient, et sautaient, joyeux de 
revoir le jour, et courant d'eux- 



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ARMANDE 75 

mêmes au tablier d^Armande. Ici, 
mansarde et joie, chansons au cœur, 
pinsons à la fenêtre, régalades de 
petit vin, de petite chère, et de ten- 
dresses grandes; là, chaise de poste, 
roulant bon train d'amour au clair de 
la lune. 

Une qui n'était que livres reliés 
en basane verte, et qu'additions à 
quarante lignes à la page... un 
quart de sourire d'Armande ! crac ! 
la cervelle et tous ses registres chavi- 
raient dans le Lac de M. de Lamartine, 
d'où elle remontait bleu de ciel. 

Dans quelques-unes roulaient des 
tronçons de vers , des fragments 
d'hémistiches, des bouts de rimes 
en aiid£. Dans beaucoup s'épanouis- 
saient à huis clos, des images justi- 
ciables de la Police Correctionnelle. 
Il faut bien le dire : de toutes assu- 



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76 ARMANOB 

rèment, les plus sages, et les plus 
bourgeoisement innocentes , étaient 
les cervelles des acteurs, cervelles 
tendues de blanc, de bas en haut, 
avec un autel de l'hyménée au beau 
milieu, et encadrée dans un cadre d'or, 
la chanson du Sénateur de Béranger. 

Armande eut brouhaha, cris, bravos, 
rappels et bouquets; et la toile tom- 
bée, tous les Langonnais, portant cha- 
peau, firent escorte à Armande avec 
tant de lanternes, que les chiens cru- 
rent un moment à l'incendie de la 
lune, et aboyèrent : Au feu! pour 
sauver leur mère Hécate. 



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IX 



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Mlle Armande, grand premier rôle, 
eune premier rôle, forte ingénuité, 
soubrettes et Déjazet, se reposait de 
ses fatigues de mémoire, en peignant 
des décors. 



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So ARMANDE 

Son triomphe était la forêt, .qu'elle 
peuplait de perroquets d'un rouge 
éblouissant, avec des becs tout noirs 
grands comme la main. 

Mme Saint-Firmin, première duè- 
gne et caractère, mère noble, rôles de 
convenance, continuait son cold-cream, 
et l'envoyait aux élégants de la ville, 
moyennant cinquante centimes. 

La grande coquette, qui était la 
Bourdois, qui avait remplacé la Momi- 
gnard, racontait ses amours en dili- 
gence, et le mal que lui faisait le melon. 

Le directeur vivait maritalement 
avec sa pipe. 

Le premier rôle en tous genres, les 
Lafond, regardait passer, sur le pont, 
l'eau, le temps et les bateaux à vapeur. 

Le jeune premier, fort deuxième, 
comparait un verre d'eau-de-vie avec 
un autre, faisait le saut périlleux du 



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... Le premier comique 
mettait lea noms sur les 
croix do bots... 



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82 ARMANDE 

poêle du café, imitait le cornet à pis- 
ton, cassait une noisette avec un doigt, 
pliait sa serviette en lapin. 

Le premier rôle marqué, pères 
nobles, lavait son linge, guérissait les 
maux de dents, pronostiquait le temps, 
collectionnait des cannes dans les bois, 
saluait le curé, prenait le menton aux 
bonnes. 

Le grime en tous genres emprun- 
tait des faux-cols au premier rôle, des 
imitations au jeune premier, des can- 
nes au père noble, de Tamour à 
Mme Bourdois, de la monnaie à 
Armande pour acheter du tabac, et du 
tabac au directeur pour ne pas en 
acheter. 

Le premier comique, ancien pein- 
tre en lettres, mettait, en ses moments 
de loisir, les noms stir les croix de 
bois des morts du cimetière. 



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ARMANDE O; 

Le deuxième et troisième comique 
avait un anévrisme, et se plaignait de 
Charles X. 

Les utilités, quatre grands garçons 
bien corporés, assis sur quatre bornes, 
les grands fouets du maître de poste 
en main, donnaient, de deux en deux 
minutes, des coups de fouet dans 
l'air. 

Cette année-là, le vin n'était point 
mauvais à Langon. 

Cette année-là, le soleil sVttardait, 
plein de pitié pour les garde-robes 
légères. 

La recette était, le crédit allait 
être. 

Armande qui avait pris, sans trop 
le savoir, Thabitude de passer devant 
trois fenêtres lui montrant trois fois 
la tête d'un jeune homme fort alerte 
à courir pour la voir ; Armande 



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84 ARMANDE 

peignait avec goût son vingt-neuvième 
perroquet rouge à bec noir, quand 
Mme Saint-Firmin lui remit un matin 
trois lettres. 



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84 ARMAXDE 

peignait avec goût son vingt-neuvième 
perroquet rouge à bec noir, quand 
Mme Saint-Firmin lui remit un matin 
trois lettres. 



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La première lettre portait le tim- 
bre de Bordeaux : 

« Vilaine chienne, étais-tu donc 
« battue à la maison ? ne t'avise pas 
« de revenir, j'ai fait remonter ton lit 



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S8 ARUAKDE 

« au grenier; coquine, tu ma vais 
« embrassé la veille comme à l'or- 
« dinaire; jaimerais autant te voir 
i< morte ; enfin la vielle maman Cadet 
« n'a plus grand temps à rougir de 
« toi dans ce monde, maintenant c'est 
« fini, je n'ai plus rien pour toi ; je te 
« menais pourtant au bal le diman- 
« che : à mon lit de mort je ne t'em- 
« brasserai pas, vois-tu bien ; tu m'as 
« pris du linge en partant ; faut-il que 
« j'ai vécu soixante-dix-huit ans à 
« souffrir, je ne demanderai jamais 
« asses de pardon au bon Dieu de te 
« l'avoir laissé voir cette gueuse de 
« femme du théâtre ; ne me fais pas 
« de réponse, je ne veux pas voir de 
« ton écriture ; jai dit aux dames Roret 
« que je t'avais envoyée chez ta tante 
« de Toulouse ; tu étais volontaire, 
« mais je croyais que c'ettais un vice 



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ARMANDC 09 

« d'enfant; cela ne fait rien, mau- 
« vaise fille, ta concience doit te 
« reprocher; tu avais des robe plus 
« belle qu'une enfant de riche; et 
« quand cela se saura, ques que je 
« reponderai? voilà les dernier mot 
« que vous aurai de votre vielle grand 
« mère, vous aurier bien pu attendre 
« que je soit sous terre pour jouer la 
« comédie si près de chez nous ; tous 
« ce que vous ferai a présent m'est 
« égal, j'avais une petite fille je nen 
« ait plus, votre père n'ettait qu'un 
« tisserant mais il na jamais fait de 
« tord a personne, le pauvre cher 
« brave homme; il taurais tué, ne 
« revenez jamais, Jeannette a un balai 
« pour les p.... » 

La deuxième lettre portait le timbre 
de Paris : 



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90 ARMANDE 

« Enfoncé le guignon, ma petite ! 
« Qu'est-ce que j'ai fait depuis que 
« j'ai quitté cette sale baraque de 
« théâtre de Bordeaux ? J'ai fait for- 
et tune, mon ange ! Je suis aux Fo- 
« lies-Dramatiques. Je tutoie des vau- 
« devillistes, des millions, et les plus 
« jolis garçons de la terre. Je vis le 
« matin, je vis la nuit, je vis tou- 
« jours. J'ai des amants, des caprices, 
« des pièces, des meubles, des dettes, 
« du crédit et cent mille francs de 
« volants ! Je suis drôle, j'ai de l'es- 
« prit, y épate ! je fais la gaieté ! on 
« me jette des vers, des bouquets, 
« des cœurs, des truffes, et les 
« miettes du Régent ! Je connais la 
« moitié du boulevard, et l'autre moi- 
« tié me salue. Je fais mon trou, 
« mon nom, et mon beurre ! J'ai 
« mis les écrevisses bordelaises à la 



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... La première lettre 
portait lo timbre de Bor- 
deaux... 



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ARMANDB 93 

« mode, un marquis sur la paille, et 
« Tindépendance d'un critique dans 
« ma poche. Le public regarde mes 
« jupons courts, comme un enfant 
« regarde une tartine de confiture. 
« Le cancan, c'est moi ! je dis : Des 
« navets! comme Mlle Rachel! J'ai 
« le chic des rôles flan ! et voilà ! je 
« soupe et je resoupe ; je gaudriole 
« et je cabriole ; je verse des chan- 
« sons, du Champagne, et de l'amour! 
« — Souvent ça me fait bien toc toc 
« dans le dos, je toussaille ; — mais 
i< zut ! en avant la musique ! 

« Et si tu savais comment le bon- 
«« heur m'est tombé dessus ! Figure- 
« toi je me promenais aux Champs- 
« Elysées. J'étais d'un triste... Je 
M revenais, ma chère, de jouer la 
« comédie à Etampes, avec machin... 
« tu ne connais pas ; il passa la nuit 



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94 ARMANDE 

« à tambouriner à mes carreaux. Je 
« me promenais, je me promenais, 
« bref! j'avais un cheveu dans mon 
» existence. Je rencontre un morceau 
« de ma famille bien décoré, un 
« vieux, qui me dit : Veux-tu venir 
« dîner ? — Merci, je suis écœurée. 
« Je veux jouer à l'École-Lyrique, 
« et je n'ai pas quatre-vingts francs. 
« n me les lâche. J'avais mon idée. 
« Je flanque mes quatre-vingts francs 
« au L}Tique pour jouer le vendredi. 
« Je vais aux Folies sans voiture, 
« avec mes pieds naturels. Je trouve 
« un gros homme, Mourier, dans sa 
« niche. Ma foi ! j'y vais gaiement : 
« — Monsieur, je veux jouer la co- 
« médie.. — Il rit. — Eh ! bien que 
« savez-vous faire ? — Rien. — 
« Alors ? — Je veux que vous veniez 
« me voir jouer, vendredi, à l'École- 



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ARMANDE 95 

« Lyrique. J'avais un aplomb ! Il 
« m'aurait dit que je n'avais pas de 
« talent, que je l'aurais appelé ga- 
u nache ! — Allons ! eh bien ! en- 
te voyez-moi deux stalles. — Le ven- 
« dredi, je regarde dans la salle : pas 
« plus de Mourier que dans un globe 
« de lampe ! Bon ! je joue. Après je 
i< vais trouver l'ouvreuse : Est-ce 
K qu'il n'est pas venu un vieux pour 
u me voir? — Oui, Madame, Môssieu 
« le directeur des Folies-Dramatiques, 
i< avec un autre vieux. II est parti. 
■< — Il ne vous a rien dit pour moi ? 
« — Non. — Très bien ! Le lende- 
« main, je retiens une loge aux 
< Folies. Je dîne chez une amie. 
«J'arrive aux Folies. Je demande au 
X contrôle : Est-ce que M. Mourier 
« a été hier à l'École-Lyrique ? — 
( Oui, Madame, il a été pour voir 



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96 ARMANDE 

« une nouvelle figure. — Eh ! bien 
« cette figure, c'est la mienne. — Voilà 
« le contrôle qui me salue. J'étais 
« dans ma loge. Je n'y pensais plus. 
« On frappe. — M. Mourier vous 
« demande. — Ça me donne un 
« coup. Mon Mourier me dit de m'as- 
« seoir : — Mademoiselle, vous avez 
« des dispositions. Vous êtes une 
« très jolie fille terrible. Je vous en- 
tt gage, si vous voulez, pour trois 
« ans à 12, 15 et 18 cents francs; 
« vous jouerez dans six mois. — Je 
« le voyais pincé : — Non, je dis, 
« vous m'engagerez pour trois ans et 
« demi et je jouerai tout de suite. — 
« Je jouai ; le public ne m'attrapa 
« pas, et voilà l'histoire ! 

« Ah çà ! toi, qu'est-ce que tu fais? 
« qu'est-ce que tu deviens r Je t'écris 
« dans des pays grotesques. Tu des- 



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ARMANPE 97 

> sers des sous-prcfectiires de carton. 
I Qu'est-ce que c'est ? Tu vas moisir 
1 dans ces banlieues ; tu vas t'user 

> pour des gens qui devraient te 
' monter ton bois ! Mais tu ne tou- 

< cheras que des peaux d'orange ! 
« C'est trop bête ! — Écoute-moi 
' bien : je ne t'écris pas pour t'écla- 

< bousser : Je t'aime, ma petite, et 

< beaucoup. Quand il y a de la veine 

< pour une, il y en a pour deux. Dis 
n à ton directeur n'importe quoi 
i< pour partir : que tu as le choléra, 

< que tu as fait vœu d'aller toucher 
i< la colonne Vendôme, que tu as une 
« succession à recueillir sur le Pont- 
w Neuf, — ce qui te viendra ; file, 
i« tombe ici, je te fais ta leçon, je te 
" lance sur le Mourier, nous le blo- 
« quons; je te donne trois gestes et 
« deux intonations, je te fais les cils, 

15 



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98 ARMANDE 

« tu débutes, — et si au bout de 
« quinze jours je ne suis pas jalouse 
« de toi, je veux être rosière ! 

« Fanny Cascade. » 

La troisième lettre ne portait pas 
de timbre : 

« Mademoiselle, 
« Il n'est guère à espérer que le 
« directeur du Théâtre-Français se 
« détourne de la rue Richelieu jus- 
« qu'ici pour vous engager. Voulez- 
« vous me permettre de vous con- 
« duire à lui ? » 



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XI 



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Dans une chambre meublée de la 
rue de Trcvise, voici comme elle 
était : ses cheveux — une nuée blonde 
— bouffaient sur son front décou- 
vert ; deux petites pattes, larges ;\ 



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102 ARMANDE 

peine comme deux doigts, avaient 
mission de tenir sa chemise où cou- 
raient mille broderies anglaises : une 
seule était à son poste sur l'épaule, 
l'autre avait glissé, et se balançait au 
milieu de son bras ; les rayons des 
bougies jouaient sur sa peau blanche, 
miroitante comme un marbre. 

Elle écrivait sur une feuille prise 
au hasard, tournait le papier vers lui 
quand elle avait fini, trempait la 
plume et la lui tendait. Il répondait. 
Le couple était tout sérieux : lui son- 
geait à avoir de l'esprit ; elle, de 
l'orthographe. 

Elle. — A quoi pensez-vous, 
mon ami ? 

Lui. — A mille choses toutes 
roses et toutes bleues ; à vous, k moi, 
à nous ! 

— Comme c'est grand, Paris ! 



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ARMANDE IO5 

— Si grand, ma chère, qu'un jeune 
homme y échappe à son tailleur, et 
le bonheur à l'envie ! 

— Sais-tu que j'ai bien peur des 
Parisiennes ? Elles sont toutes jolies. 

— Jolies, non ; laides avec goût, 
je veux bien. Et les Parisiens, qu'en 
dis-tu ? 

— Tu ne me les montres pas. 

— Oui, mais tu les regardes. 

— Méchant ! 

— Enfin, es-tu contente du voyage? 
T'ai-je bien menée? Remercies-tu le 
postillon ? 

— Tu demandes toujours des pour- 
boires ! 

Deux baisers s'envolèrent, joyeux, 
battant des ailes. 

Lui. — Si je jetais la pendule au 
feu? 

Elle. — Pourquoi ? 



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104 A R MAX DE 

— Pour la tuer. 

— Tu en hérites ? 

— Non ; mais il n'y aurait pas de 
demain. 

— Fi ! le vilain ! quand on s'aime, 
c'est aujourd'hui pendant toujours. 

— Tu as de bien beaux yeux. 

— Il faut bien avoir quelque 
chose. 

— Songes-tu, ma belle, qu'il n'y 
a que quinze jours que je les con- 
nais ? 

— As-tu dcjà été amoureux? 

— Moi ? non. 

— Menteur!... et aimé ? 

— Oui. J'ai eu une mère, un père, 
une nourrice, deux chiens que je 
battais, et un cheval à qui je donnais 
des morceaux de sucre. 

— Si nous sortions ? 

— Si nous ne sortions pas ? 



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... Une seule était à 
£on poste sur l'épaule, 
l'autre avait glissé... 



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I06 ARM AN DE 

— Nous regarderons les boutiques. 

— Et nous verrons le diable dans 
notre bourse ! 

— Alors, dis-moi ma bonne aven- 
ture pour passer le temps. 

— Ecoute bien : tu feras faire an- 
tichambre à des attachés d'ambassade 
et à des chefis de claque ; tu recevras 
des châteaux sur des plats d'argent ; 
et tu épouseras, sur la fin de tes 
rêves, un comte italien qui n'aura 
que fort peu d'enfants naturels. 

— Et si je suis sifflée ? 

— Le public est le public partout : 
une grosse bête domptée par la claque. 

— Parions que tu es jaloux ? 

— De qui ? 

— Dis-moi tout de suite que je 
suis l'ennemi personnel d'une armée ! 

— Quand je jouais k I^ngon, mon 
sourire n'était-il pas tout pour toi ? 



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AR MANDE IO7 

— Oui ; mais trois cents imbéciles 
y mordaient. 

— M'aimes-tu ? 

— Bête ! 

— Combien m'aimes-tu? 

— Je t'aime mieux que ne t'aiment 
tous les bouquets de la terre, et tous 
les bravos du monde ! 

— Et si je te le donnais mon sou- 
rire tout entier sans y laisser mordre? 

— Prends garde : je ne te le ren- 
drais pas. 

— Moi, Armande, mineure éman- 
cipée, ingénue par vocation, Pari- 
sienne depuis trois jours, et femme 
depuis dix-huit ans, présentement 
amoureuse, m'engage par-devant mes 
pantoufles, mes trente-deux illusions, 
le bouquet qui se meurt sur ma che- 
minée, et celui que j'aime, à vivre à 
deux cents lieues du monde, des lor- 



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I08 ARMANDE 

gnettes d'avant-scène, et de l'opinion 
publique ; m'engage à renoncer aux 
planches, aux soleils en papier huilé, 
au rouge et à la gloire ; auquel en- 
gagement si je contreviens, je consens 
pour dédit, à être enfermée dans une 
campagne où il n'y aura d'ombre que 
mon chapeau de paille, à manger du 
lapin tous les jours, et à voir mon 
amour traité d'amour de deux sous 
dans les quatre grands journaux. 

Fait simple, entre lui et moi. l'an 
que je fus enlevée sans crier. » 



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XII 



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Le jeune homme embrassa la pro- 
messe. La feuille de papier était 
pleine. Il la retourna pour répondre : 
au dos, écrit d'une encre encore 
fraîche, était un projet d'engagement 



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I 12 ARMAN DE 

avec le directeur des Folies-Drama- 
tiques. Le lendemain matin, le projet 
fut un traité signé ; — et le jeune 
homme ne put trouver d'huissier qui 
voulût instrumenter sur le billet 
d'Armande. 



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CE VOLUME 

a été imprimé, gravé et broché 

dans les ateliers de Edouard Guillaume 

Editeur-Imprimeur de la Collection Guillaume 

105, boulevard Bruue, 105 

PARIS 

23 Août 1892. 



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Petite 
Collection Guillaume 



IN- 8° NELUMBO 



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Toutes les illusiralions 

qui ornent ce catalogue sont extraites 

des ouvrages parus. 

Nous encartons, en outre, un spécimen 
tiré sur papier vélin de cuve. 



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( 



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La Petite Collection Guillautiie n'est 
pas une collection classique au sens étroit 
du mot. Loin de se restreindre, elle 
comprendra un choix de joyaux litté- 
raires de toutes les époques comme de 
tous les pays. Les chefs-d'œuvre mo- 
dernes, contemporains • même, y cou- 
doieront les chefs-d'œuvre anciens. On y 
rencontrera, à côté de la grande littéra- 
ture européenne — grecque, latine, fran- 



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çaise, italienne, espagtiole, slave, anglaise, 
allemande, Scandinave — des romans de 
rinde, de la Chine, du Japon, de la 
Perse, de l'Arabie, des récits exquis, 
émouvants, étincelants, dont beaucoup 
auront pour le public tout le charme de 
l'inconnu. 

La Pellle Collection Guillaume justifiera 
ainsi sa devise : 

Si efi livres que ne Je pewcnl ignorer, 
fi tant plvs ne pewenl ne Je pojfcjder. 

Et elle la justifiera malériellentent par 
l'extrême bon marché de ses petits livres, 
commodes et luxueux, livres de chevet et 
de voyage autant que de bibliothèque. 




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Les volumes de la " Pilite Collection 
Guillaume "y in-S*» nelumbo, sont illus- 
trés par Gambard, Conconi, Marold, 
Rossi, etc. etc., et imprimés sur papier 
de luxe, des fabriques de MM. Outhenin- 



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Chalandre. Les caractères elzéviriens sont 
gravés spécialement pour cette Collec- 
tion. 

Couverture en trois tirages, illustrée 
d'une sanguine. 

Broché. Prix Fr. 2 



Il est tiré, de chaque ouvrage, quelques 
exemplaires sur les incomparables 
vélins de cuve des papeteries du 
Marais. Le papier contient dans sa 
pâte, en filigrane, les mots : Pelile 
Coîhclion Guillaume. 

Vélin, broché. Prix Fr. 3 



Une reliure d'art, en peau pleine 
(Maroquin souple), avec fers spéciaux, 
tête dorée, est mise à la disposition 
des amateurs, au prix de. . . Fr. S 

Exemplaire sur vélin. Prix. . Fr. 6 



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DESCRIPTION DES FERS 

Sur le plat : 

Ua nelumbo or, en relief, 1er gravé. 
Sur le dos : 

Titre et nelumbo or, 1er (pravé et a]ouré. 
Doublure du plat 

Dentelle or, composée d'une guirlande de fleurs 
de lotus bleu. 
Gardes de sole. 

Ces fers ont été dessinés parGambanl. 



IL PARAIT 
DEUX VOLUMES PAR MOIS 



EN VENTE : 

Chez E. DENTU, Éditeur 

^, place de Valois, j 

PARIS 

Et chez tous les Libraires de France 
et de l'Étranger. 



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CES VOLUMES 

sont imprimés, gravés et brochés 

dans les ateliers de Edouard Guillaume 

Editeur-Imprimeur de la Collection Guillaume 

105, boulevard Druae, 105 

PARIS 



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Catalogue 

des Ouvrages 

que la Petite Collection Guillaume 
se propose de publier. 



LITTÉRATURE FRANÇAISE 

Chateaubriand. Jlala i vol. 

Corneille . . . Œuvres 4 vol. 

Alph. Daudet. UArlésienne . ... i vol.* 

Diderot .... La Religieuse. ... i vol. 

— Le Neveu de Rameau, i vol. 

Fénelon .... Téîémaque i vol. 

Ed et Jules >^,^^„^, , ^ol. 

DE Concourt. . ) 

Tous les noms suivis d'un * sont dë]& en rente. 



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La Fontaine. . Fables i vol. 

— Contes I vol. 

— L'Amour et Psyché', i vol. 

Lesage Romans 4 vol. 

Molière .... Œuvres 4 vol. 

Perrault. . . . Contes i vol. 

B. DE St-Pierre. Paul et Virginie. . i vol.* 

L'abbé Prévost. Manon Lescaut. . . i vol. * 

Rabelais Œuvres 4 vol. 

Racine Œuvres 4 vol. 

J.-J. Rousseau. Œuvres 4 vol. 

Voltaire .... Œuvres 4 vol. 



LITTÉRATURE GRECQUE 

Anacréon. . . . Odes i vol. 

Eschyle .... Prome'ihée i vol. 

Homère V Odyssée i vol. 

— V Iliade i vol. 

LoNGUS Daphnis et Chloé. . i vol. 

Platon Gorgias i vol. 

Sapho Poésies i vol. 



littérature latine 

Apulée Vâne £or i vol. 

Horace Poésies i voL 



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— 19 — 

JuvÉNAL Satires i vol. 

Virgile Georgiques i vol. 

Térence Les Adelphes .... i vol. 



LITTÉRATURE ITALIENNE 

L'Arioste. . . . Roland Furieux. . . 2 vol. 

BoccACE Contes i vol. 

Dante L'enfer et le Purga- 
toire I vol. 

— Le Paradis i vol. 

Da Porta. . . . Giuîietta e Romeo. . i vol. 

Manzoni Les Fiancés i vol. 

SiLvio Pellico . Mes prisons i vol. 

Tassoni Le Sceau enlevé. . . i vol. 

T. Tasso. . . . Jérusalem Délivrée, i vol. 



LITTÉRATURES ESPAGNOLE ET PORTUGAISE 

Camoens Les Lusiades . ... 1 vol. 

Cervantes. . . . Don Quichotte. . . 2 vol. 

— Nouvelles i vol. 

G. DE Castro. . Le Cid Cantpéiulor. 1 vol. 



Romans wcAREsauES : 3 vol. 



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LITTERATURE SLAVE 

DosTOÏEWSKY. . Crime et Châlimenf . 

Gogol Nouvelles. . . . 

Pouchkine . . . Doubrcnvski . . 

Tolstoï Mort d'Ivan lliilch. 

— Anna Karénine. 

TouRGUENEFF. . Un désespéré. . 



2 vol. 

I vol. 
I vol. 

1 vol. 

2 vol. 

I vol. 
Les Eaux pr intanières, i vol. 



LITTÉRATURES ANGLAISE ET AMÉRICAINE 

Byron Le Corsaire et Lara, i vol. ' 

Dickens Le Grillon du foyer, i vol. 

— David Copperfield. . 2 vol. 

Lord Lytton. . Les derniers jours de 

Pompét I vol. 

HoGAR Poe. . . Le Scarabée d'or. . t vol. 

Shakespeare. . . Œuvres 4 vol. 

Sterne Le Voyage Sentimen- 
tal I vol. 

Swift Voyages de Gulliver. 1 vol. 

Thackeray ... Le livre des Snobs. . i vol. 



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— 21 — 
LITTÉRATURE ALLEMANDE 

Gœthe Werther i vol. 

— Hermann et Dorothée, i vol. 

— Faust I vol. 

Schiller .... Les Brigands. ... i vol. 



LITTÉRATURE SCANDINAVE 

Andersen. . . . Contes et Nouvelles, i vol. 
Ibsen Le Revenant .... i vol. 



LITTÉRATURE HINDOUE 

Natesa Sastri. Le Porteur de Sachet, i vol. 

(InMit.) 

Le Ramayana. . Episode. (Inédit). . i vol. 



LITTÉRATURE CHINOISE 

Printemps parfumé (Inédit) i vol. 

LITTÉRATURES JAPONAISE, ARABE ET PERSANE 



La Petite Collection Guillaume publiera, en 
dehors de ce catalogue, une série toute mo- 
derne et inédite, de manière à donner autant 
que possible, chaque mois, une œuvre nou- 
velle avec une œuvre ancienne. 



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— 22 — 

OUVRAGES PARUS 



B. DE St-Pierre. 

Gœthe 

Katesa Sastri. 

ALPH. Daudet. . 
L*ABBÉ Prévost. 
Edgar Poe. . . 

Byron 

Edmond et J ^ 
le Concourt. . ( 



Paul et Virginie 
Wer'.her .... 
Le Porteur de Suchet, 

(Roman hindou) 

VArîésienve . . 
Mavon Lescaut . 
Le Scarabée d'or. 
Le Corsaire et Lara. 

Armavde . . . . 



I vol. 

1 vol. 

I vol. 

I vol. 

1 vol. 

1 vol. 

1 vol. 

I vol. 



sous PRESSE : 

Tolstoï .... Mort d^Ivan Illiitch. i vol. 

X*** Printemps parfumé, i vol. 

(Inéilli) 

Chateaubriand. Aiala i vol. 



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Spécimen 

d'une page de texte et gravure 
de 

Werther 



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208 -WERTHER 

il sembla à Lolotte quHl lui passait dans 
l'âme un pressentiment du projet affreux 
qu'il avait formé. Ses sens se troublèrent, 
elle lui serra les mains, les pressa contre 
son sein ; elle se pencha vers lui avec 
attendrissement, et leurs joues brûlantes 
se touchèrent. Le monde entier disparut 
à leurs yeux ; il la prit dans ses bras, 
la serra contre son coeur et couvrit ses 
lèvres tremblantes et balbutiantes de bai- 
sers furieux. 

« "Werther ! — cria-t-elle d'une voix 
étouffée et en se détournant, — "Werther ! » 

Et d'une main faible elle tâchait de 
l'écarter de son sein. 

« "Werther ! » lui dit-elle enfin du ton 
ferme et décidé de la vertu. Il ne put 
y résister. Il la laissa glisser de ses bras 
et, hors de lui, se prosterna devant elle. 
Lolotte se leva, et, dans un trouble dou- 
loureux, la VOIX tremblante, d'un accent 
mêlé d'amour et de colère : 

« C'est la dernière fois, — lui dit-elle, 
— Werther ! vous ne me reverrez plus. » 

Puis, jetant sur l'infortuné un dernier 
regard plein d'amour, elle courut dans sa 
chambre et en barricada la porte. Werther 



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... n la laiiu glisser 
da sas bras, et, hors de 
lui, s« prostarna... 



HER, tire' sur h vélin de cuve des papeteries du Marais. 



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Table des Gravures 



du 

Catalogue 



Marque de la Collection Xehnvhi 

Portrait de Virginie 

Kn-tête, tiré de Wcrihcr 

Cul-de-lampe, tiré de V Arles ietine. 
Hors-texte, portrait de Werther. 
En-tête, tiré du Porteur de S.:chel. . 
Hors-texte, tiré du Porteur de Suclh 
En-tête, tiré du Porteur de Sachet 
Cul-de-lampe, tiré de VArlésienne. 
Hors-texte, tiré du Porteur de Sachet 
Spécimen d'une page de texte et gra 

vure de Werther 26-27 

Spécimen sur vélin de cuve d'une 
page de texte et gravure de Werther. 
Table 29 



23 



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54B400 



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EDOUARD GUILLAUME, IMPRIMEUR-ÉDITEUR 
10$, boulevard Brune. Paris 



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J 

'A \ 

MIT • 



msu 




Edouard Guillaume, Imp.-Edit., 105, boulerard Brune, Paris. 



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