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Full text of "Athènes antique"

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in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.archive.org/details/atlinesantiqueOOmaur 


CHARLES    MAURRAS 


ATHÈNES 


ANTIQUE 


E.     DE    BOCCARD,    éditeur 

I,  RUE  DE  MÉDICIS 
PARIS 


Pour  la  plus  grande  partie  des  pages  qui  le  composent,  ce  recueil 
de  souvenirs,  de  méditations  et  d'études  sur  Athènes  antique 
est  tiré  de  l'un  des  premiers  écrits  de  Charles  Maurras,  Anthi- 
NEA,  d'Athènes  A  F LORESCE.  Nous  remercions  vivement  l'éditeur 
d'ÀNTHiNEA.M.  Edouard  Champion,  de  nous  avoir  permis  d'insérer 
ici  à  peu  près  toute  la  partie  grecque  de  ce  volume. 

Nous  devons  aussi  remercier  le  directeur  de  la  Nouvelle  Librairie 
nationale,  M.  Georges  Valois,  de  nous  avoir  autorisés  à  extraire  de 
deux  autres  ouvrages  de  Charles  Maurras,  dont  il  est  l'éditeur,  notre 
chapitre  sur  VHymette,  tiré  de  Quand  les  Français  ne  s'aimaient 
PAS,  et  V Invocation  à  Minerve  qui  forme  l'un  des  appendices  de 

l'AvENIR   DE    l'intelligence. 

Voici  la  dédicace  inscrite  au  frontispice  d'ANTHiNEA.  On  ne  sau- 
rait la  séparer  de  nos  souvenirs  athéniens  : 


.MONSIEUR    GISTAVE    JANICOT, 

DIRECTEUR  DE  LA  Galette  de  France, 

QUI 

AYANT    ENVOYÉ 

EN     GRÈCE 

l'auteur  de  ce  livre 

VIT 
aller    et    VENIR 

le  visage 
d'un  ho.m.me  heureux 

M.  Emile  Bourguet,  ancien  membre  de  l'Ecole  d'.Athènes,  a  bien 
voulu  nous  ouvrir  le  trésor  de  ses  collections  pour  l'illustration  du 
volume.  Nous  le  prions  de  croire  à  notre  vive  gratitude,  ainsi  que 
notre  ami  M.  Henri  Longnon  et  .\I.  Charles  Eggiman,  éditeur,  qui 
nous  ont  rendu  le  même  précieux  service. 

Aucune  des  pièces  recueillies  dans  Athènes  antique  n'est  anté- 
rieure à  1896  ni  postérieure  à  igoS. 


CHARLES     MAURRAS 


ATHÈNES 


ANTIQUE 


PARIS 

E.    DE    BOCCARD,    ÉDITEUR 

(Ancienne  Librairie  Fontemoing  et  C') 
4,     RUE     nie     MÉDICIS    (6°) 


^3'è  ^^^ 


IL  A  ETE  TIRE  DE  CET  OUVRAGE  : 

1.000  exemplaires  sur  papier  vélin  Lafuma, 
numérotés  de  i  à  i.ooo, 

et  40  exemplaires  sur  papier  vergé  de  Hollande  Van  Gelder, 
numérotés  de  I  à  XL. 


X"  3  04 


AVANT-PROPOS 


.  .  Des  intelligences  peu  avancées  me  feront  le  re- 
proche de  soumettre  la  science  du  beau  à  la  loi  des 
lieux  et  des  races.  Mais  leur  censure  me  ménage  la 
plus  facile  des  répliques.  Ce  que  je  loue  n'est  point 
les  Grecs,  mais  l'ouvrage  des  Grecs,  et  je  le  loue  non 
d'être  grec,  mais  d'être  beau.  Ce  n'est  point  parce 
qu'elle  est  grecque  que  nous  allons  à  la  beauté,  mais 
parce  qu'elle  est  belle  nous  courons  à  la  Grèce.  Tout 
en  courant,  prenons  garde  de  distinguer,  en  Grèce  et 
hors  de  Grèce,  que  la  flamme,  moins  pure,  eut  quel- 
quefois un  moindre  éclat.    D'ailleurs,  choisir  n'est  pas 


(')  Extrait  de  la  préface  d'Anthinea,  d"Athènes  à  Florence.  Paris, 
iqoi. 


ATHÈNES  ANTIQUE 


exclure,  ni  préférer  sacrifier.  Un  enthousiasme  critique 
est  le  frein  de  la  complaisance  ;  une  critique  enthou- 
siaste donne  à  la  sagesse  le  frein  dont  elle  a  besoin, 
elle  aussi. 

Autrefois  on  étudiait  seulement  la  Grèce  classique, 
celle  qui  porte  le  péplos.  Ce  péplos  composait,  il  fi- 
gurait tout  l'hellénisme.  Ce  fut  le  premier  stade.  On 
le  dépassa.  Las  du  péplos,  Renan  écrivit  la  phrase  fa- 
meuse :  «  L'ennui,  oui,  Tennui...  »  La  Grèce  du  pé- 
plos passa  pour  ennuyeuse,  du  moins  pour  les  esprits 
profondément  gâtés  entre  lesquels  Renan  se  rangeait 
avec  modestie.  Et  ce  fut  le  deuxième  stade.  Mais  le 
troisième  commença  quand  on  s'aperçut  que  la  Grèce 
a  connu  toute  sorte  de  vêtements,  de  coiffures,  de 
manières,  d'ordres,  de  goûts.  On  ne  nous  parla  plus 
d'ennui,  et  la  Grèce  devint  tout  à  fait  amusante.  Avant 
de  trouver  l'essentiel  et  même  après  l'avoir  trouvé,  les 
Grecs  ont  cueilli  tout  le  reste:  l'artificieux,  le  bizarre  et 
aussi  bien  le  laid.  Oui,  le  laid.  Cependant  de  jeunes 
lecteurs  commencent  à  bâiller.  Quelques-uns  se  de- 
mandent même  si  rien  valait  le  péplos  du  commence- 
ment. En  efïet,  rien  au  monde  n'est  beau  comme  le 
beau,    .aussitôt  que   le  beau  lui    cause   de  l'ennui,   un 


ATHÈNES  ANTIQUE 


honnête  homme  s'examine  et  travaille  à  se  corriger. 
Le  quatrième  stade  du  goût  français  peut  donc 
s'ouvrir,  qui  ramènerait  au  premier  et  qui  l'emporterait 
pourtant  sur  le  premier  comme  une  préférence  réflé- 
chie sur  un  bon  instinct,  il  est  bien  de  sentir  qu'une 
belle  colonne  dorique,  c'est  le  beau  parfait,  il  est  meil- 
leur de  le  sentir  et  de  savoir  la  raison  de  son  senti- 
ment. Le  divin  péplos  restauré,  l'esprit  classique  rajeuni 
et  recompris,  quelle  source  de  renaissance  !  L'art  et 
même  la  vie  des  Grecs  ne  sont  pas  d'immobiles  objets 
ayant  été  une  fois,  puis  ensevelis.  Il  faut  les  concevoir 
dans  leur  suite  perpétuelle,  à  travers  la  mémoire  et  le 
culte  du  genre  humain.  Chacun  s'arrête  et  puise  a.  cette 
onde  jeune  et  limpide,  dont  le  murmure  est  divinement 
accordé  à  ce  que  l'homme  universel  a  de  plus  profond. 
Parlant  de  Sophocle,  Racine  se  borne  pour  toute  louange 
à  le  mettre  dans  les  imitateurs  d'Homère.  Que  Racine 
a  raison  !  Gloire  aux  seuls  homérides  !  Ils  'ont  surpris 
le  grand  secret  qui  n'est  que  d'être  naturel  en  devenant 
parfait.  Tout  art  est  Là,  tant  que  les  hommes  seront 
hommes. 

L'esthétique  est  la   science  du  sentiment.   Si  Ton 


.1 THÈ}^ ES  A  N TIQ CI-: 


passait  sa  vie  à  examiner  ce  qu'on  sent,  le  naturel  dis- 
paraîtrait. L'auteur  se  félicite,  bien  loin  qu'il  s'en  excuse, 
d'avoir  jeté  en  ce  petit  livre  beaucoup  de  réflexions 
étrangères  à  l'esthétique. 

J'ai  visité  le  peuple  hellène  moins  d'une  année'  avant 
ses  malheurs  militaires  en  Thessalie  et  en  Épire.  11 
traversait  un  beau  moment  d'allégresse  patriotique  ; 
j'en  ai  admiré  la  verve  et  la  bonne  foi.  La  suite  m'a 
montré  que  ces  vertus  précieuses  ne  suffisent  pas  à  un 
peuple.  Mais  la  fausse  confiance  qu'elles  inspirent  est 
en  outre  un  fléau  public.  L'Hétairia  des  pays  grecs, 
cette  brillante  Association  amicale,  qui  voulait  le  bien 
et  qui  fit  le  mal,  m'a  conseillé  une  partie  de  la  crainte 
que  je  ressens  à  l'égard  de  nos  bonnes  ligues  démo- 
crates et  patriotes.  Animées  d'intentions  parfaites,  elles 
menacent  d'aggraver  nos  confusions.  La  politique  du 
roi  Georges  donna  la  Crète  à  l'hellénisme  ;  mais  la 
fièvre  de  ses  sujets  ne  leur  valut  que  désordre  et  dé- 
chirement. Ces  résultats  sont  les  grands  juges  de  la 
politique. 

Mon  ami  Maurice  Barrés  s'est  publiquement  étonné 


(')  l'our  les  Jeux  olympiques  de  189G. 


ATHÈNES  ANTIQUE 


que  j'eusse  rapporté  d'Attique  une  haine  aussi  vive 
de  la  démocratie.  Si  la  France  moderne  ne  m'avait  per- 
suadé de  ce  sentiment,  je  l'aurais  reçu  de  l'Athènes 
antique.  La  brève  destinée  de  ce  que  Ton  appelle  la 
démocratie  dans  l'antiquité  m'a  fait  sentir  que  le  propre 
de  ce  régime  n'est  que  de  consommer  ce  que  les 
périodes  d'aristocratie  ont  produit.  La  production,  l'ac- 
tion demandait  un  ordre  puissant.  La  consommation 
est  moins  exigeante  :  ni  le  tumulte,  ni  la  routine  ne 
Lentrave  beaucoup. 

Des  biens  que  les  générations  ont  lentement  pro- 
duits et  capitalisés,  toute  démocratie  fait  un  grand  feu 
de  joie.  Mais  une  flamme  est  plus  prompte  à  donner 
des  cendres  que  le  bois  du  bLkher  ne  l'avait  été  à  mû- 
rir, et  ainsi  ces  plaisirs  du  bas  peuple  sont  brefs.  L'énor- 
mité  de  notre  capital  national  ne  doit  pas  engendrer 
de  trompeuse  sécurité.  Être  nationaliste  et  vouloir  la 
démocratie,  c'est  vouloir  à  la  fois  gaspiller  la  force  fran- 
çaise et  l'économiser,  ce  qui  est,  je  crois,  l'impossible... 

...  Qu'un  vovage  ne  soit  qu'un  déplacement  men- 
songer; que  l'homme  y  traîne  ses  passions,  ses  idées,  ses 
manies,  toute  sa  personne  captive  ;  qu'on  ne  voie  des 


ATHÈNES  ANTIQUE 


choses  nouvelles  que  ce  qu'on  en  veut  voir  et  qu'on 
possédait  à  l'avance  ;  qu'après  mille  lieues  faites  pour 
se  délivrer  de  Paris,  on  se  réveille  en  pleine  discussion 
familière  ;  qu'on  reconnaisse  trait  pour  trait  un  pays 
où  l'on  ne  fait  que  de  débarquer  :  ces  petits  malheurs 
très  certains  céderont  aisément  à  la  volonté  souple  qui 
en  tirera  ses  plaisirs.  Nous  avons  tant  d'âmes  distinctes  ! 
Une  fuite  sur  les  horizons  de  la  terre  ranime  quelque 
face  inaccoutumée  de  nous-mêmes,  et  voilà  nos  vrais 
mouvements  !  Entre  ces  figures  passées,  quelques-unes 
proviennent  de  notre  adolescence  ou  même  de  plus 
loin,  et  celles-ci  ruissellent  du  charme  vigoureux  que 
notre  nouveauté  communiquait  aux  décrépitudes  du 
monde.  11  y  a  quelque  part  un  petit  garçon  de  huit  ans 
qui,  lorsqu'il  lui  plaît  de  renaître,  m'apporte  dans  ses 
yeux  l'allégresse  des  primitifs. 

Je  le  revois,  tel  qu'il  était  sous  les  tilleuls  et  les 
lauriers-roses  de  sa  Provence  et  penché  sur  le  livre 
qu'il  lisait  du  matin  au  soir.  VOdyssée  était  sa  passion. 
Il  en  peuplait  les  jeux,  le  sommeil,  en  parlait  sans 
cesse,  ne  sachant  qu'admirer  le  plus  du  courage,  de 
la  patience  ou  de  l'art  du  héros.  Ce  grand  calomnié 
d'Ulvsse  le  fascinait  par  le -nombre  de  ses  talents,  la 


ATHÈNES  ANTIQUE 


diversité  de  sa  vie,  soit  qu'il  fut  consolé  par  la  nymphe 
marine  ou  sauvé  des  sirènes  par  la  protection  de  Pal- 
las...  La  grande  dignité  du  langage  homérique  faisait 
son  impression  sur  ce  tendre  cerveau.  Il  en  savait  par 
cœur  tous  les  endroits  émouvants  et  majestueux.  Il  se 
les  déclamait  en  riant  de  plaisir  :  «  Muse,  contez-moi 
«  les  aventures  de  cet  homme  prudent...  » 

Dessiné  par  Homère,  son  jeune  univers  se  parait 
de  divinités  inégales,  mais  uniques  de  force,  de  ca- 
price et  de  volupté.  Ayant  trouvé  dans  un  album  Fai- 
mable  figure  des  Grâces  liées  de  guirlandes  de  fleurs, 
les  fossettes  de  leurs  nobles  académies  lui  parurent  le 
signe  de  sa  religion. 

—  Soit,  disait-il  un  peu  plus  tard  au  catéchiste, 
mais  pourquoi  pas  Phœbus-Apollon  ou  P allas  ? 

En  souvenir  de  cet  enfant  et  de  la  compagnie  dans 
laquelle  il  me  faisait  vivre,  je  n'ai  pu  me  résoudre  à 
dépouiller  l'Olympe  grec  de  son  ancien  masque  latin. 
Sans  doute  j'aurais  dû  écrire  Zeus  à  la  place  de  Jupi- 
ter, Poséidon  au  lieu  de  Neptune.  Mais  les  graves  Ro- 
mains qui  embrassèrent  l'hellénisme  comme  le  plus 
doux  des  devoirs  envers  la  haute  humanité  ont  fait  cet 
amalgame  des  dieux  de  leur  patrie  avec  les  dieux  dont 


A  T H È N E  S   A  NTIQL' E 


ils  appelaient  la  lumière.  Ils  ont  voulu  se  mêler  au 
corps  de  la  Grèce.  Nous  avons  mieux  à  faire  qu'à  les 
en  écarter.  Tous  les  grands  hommes  de  la  France  ont 
continué  ce  mélange.  En  le  quittant,  il  faudrait  que 
nous  les  quittions.  Comme  la  poésie,  comme  l'amour, 
la  tradition  est  faite  d'une  entente  délicate  d'accords 
subtils.  Un  rien  la  trouble.  Est-ce  la  peine  de  trou- 
bler notre  tradition .'' 

Une    jolie   fable    de    La    Fontaine    attribue    à    des 
hommes  d'Attique  mon  hérésie.  Oa  les  entend  donner       vv 
le  nom  de  Cérès  à  leur  Démèter  : 

Cérès,  commença-t-il,  faisait  voyage  un  jour, 
Avec  l'anguille  et  l'hirondelle... 

L'assemblée,  à  l'instant, 

Cria  tout  d'une  voix  :  —  Et  Cérès,  que  tît-elle  ? 

J'aime  trop  La  Fontaine  et  les  plaisirs  qu'il  répan- 
dit, en  même  temps  qu'Homère,  sur  ma  petite  enfance 
pour  lui  chercher  une  querelle  dont  tout  le  fruit  se- 
rait de  me  tirer  de  sa  communion  délicieuse.  Accor- 
dons que  sa  nomenclature  des  dieux  est  entachée  de 
fautes  graves  et  soyons  sages,  gardons-la.  Tenons  serré 
le  lien  qui  nous  tient  réunis  avec  les  Pères  de  notre 
esprit  et  de  notre  goût... 


NOTRE    MER 


NOTRE   MER 


J'écris  au  milieu  de  la  mer,  entre  l'Italie  et  la  Grèce. 
Les  officiers  de  qui  je  voudrais  savoir  où  nous 
sommes  me  promettent  de  me  répondre  exactement 
demain.  Ce  qui  est  certain^  c'est  que,  hier,  à  pareille 
heure,  c'est-à-dire  à  sept  heures  du  soir,  nous  ache- 
vions de  franchir  le  détroit  de  Messine.  Les  feu.x  de 
Messine  brillaient  à  notre  main  droite  et,  peu  après, 
s'allumait  sur  la  gauche  Tillumination  symétrique  de 
Reggio.  11  est  probable  que  nous  serons  demain  à 
Athènes.  Le  vent  est  fort,  mais  favorable.  Il  ne  faut 
pas  s'inquiéter  du  ciel  qui  est  terriblement  gris,  ni 
de  la  danse  du  bateau  a  chaque  effort  de  la  machine. 
Tout  cela,  loin  d'y  nuire,  sert,  parait-il,  notre  voyage. 
Il  faudrait  qu'un  dieu  ennemi  vint  se  mêler  de  nos 
affaires  pour  que  cette  lettre  ne  fût  pas  jetée  à  la  boîte 


ATHÈXES  ANTIQUE 


du  Pirée    dans   la  soirée  ou    peut-être    dans    l'après- 
midi  de  demain. 

En  attendant^  la  belle  vie  qu'on  mène  à  bord  !  Si, 
comme  c'est  mon  cas,  vous  avez  un  ami  d'esprit  in- 
quiet, de  cœur  docile,  enfm  qui  soit  doué  pour  la 
vie  monastique,  dont  il  soit  détourné  par  l'incrédulité, 
n'hésitez  pas,  je  vous  en  prie  :  conseillez-lui  la  vie  du 
bord.  C'est  un  couvent  laïque  et  flottant  que  le  pa- 
quebot. Aisance,  liberté,  spiritualité  ;  c'est  toute  la 
joie  du  couvent.  Au  milieu  d'étrangers,  en  général 
peu  sympathiques  et  à  qui  néanmoins  ne  se  marchan- 
dent pas  les  témoignages  de  déférence,  on  est  tout 
entier  b.  soi-même.  Non  à  ce  moi  un  peu  mesquin 
qui  mène  la  vie  quotidienne.  Je  pense  au  moi  supé- 
rieur, presque  affranchi  de  l'habitude,  seulement  sou- 
cieux de  se  développer  dans  les  hautes  voies  de  l'es- 
prit. Le  son  d'une  cloche  règle  l'heure  des  deux  repas 
que  l'on  prend  en  commun  sous  la  présidence  et  faut- 
il  même  dire  la  surveillance  des  officiers.  Ce  dernier 
bruit  du  monde  qui  consiste  à  choisir  un  menu,  à 
s'acquitter  du  prix  d'un  repas,  s'est  évanoui.  L'on  est 
aux  mains  du  commandant,  du  commissaire,  du  maître 
d'hôtel.   Avec    le  prix    du   passage,  on   s'est   remis  en 


ATIIÉNKS  ANTlijCK  17 


eux  de  tout  soin  temporel.  On  n'a  qu'à  faire  son  salut, 
c'est-à-dire,  je  l'imagine,  à  bien  voir  le  pavsage,  en 
concevant  à  ce  propos  les  plus  belles  idées. 

J'ai  pour  cellule  la  terrasse  supérieure  du  bateau, 
qu'on  appelle,  je  crois,  en  terme  de  marine,  la  se- 
conde passerelle.  Le  commandant  a  bien  voulu  me  la 
concéder.  C'est  un  lieu  interdit,  pour  l'ordinaire,  aux 
passagers;  le  personnel  du  paquebot  y  monte  rare- 
ment pour  la  besogne  du  service.  De  cette  solitude 
se  découvre  d'abord  tout  ce  qui  paraît  sur  la  mer.  On 
voit  changer  le  temps,  fumer  la  cheminée  ou  blanchir 
l'extrême  voilure  des  vaisseaux  éloignés.  Ce  que 
j'aime  le  mieux,  c'est  le  cercle  parfait  de  Teau,  lorsque 
le  ciel  est  pur  et  la  mer  sans  aucun  rivage. 

Rien  de  moins  monotone,  cet  azur  ne  cesse  de 
varier.  Avant-hier  c'était  un  bleu  dur,  éclatant,  presque 
comparable  à  l'azur  profond  d'une  pierre  bleue;  hier,  en 
vue  delà  Sicile,  tout  s'était  attendri,  subtilisé,  évaporé. 
L'eau  semblait  du  nuage;  le  nuage,  de  la  clarté,  et,  cette 
clarté  même  mourant  de  sa  propre  splendeur,  les  vagues 
et  les  côtes  perdaient  leur  relief,  semblaient  peintes 
ou  dessinées,  mais  en  lignes  de  feu,  et  ces  lignes,  il 
est  vrai,  d'une  simplicité  et  d'une  élégance  suprêmes. 


1 8  .1 THÈ NES  ANTIQ UE 

On  dit  qu'une  mer  sans  rivage  est  un  reflet  de 
l'infini.  Je  comprends  de  moins  en  moins  la  compa- 
raison. En  vérité,  rien  n'est  plus  fini  que  la  mer*.  La 
séparation  d'un  ciel  pâle  d'avec  cette  mer  plus  foncée 
donne  au  contraire  la  pensée  de  la  plus  ferme  des 
figures.  Ce  beau  disque  d'azur  est  tout  à  fait  géomé- 
trique. Il  est  vrai  que  deux  artistes  supérieurs^  le  so- 
leil et  le  vent,  ne  s'arrêtent  jamais  d'en  peindre  ni  d'en 
modeler  la  face  étincelante  ;  ils  donnent  une  vie  di- 
vine à  cette  beauté  si  humaine. 

Passé  les  bouches  de  Bonifacio,  nous  avons  pénétré 
dans  le  cœur  du  monde  classique,  patrimoine  du  genre 
humain.  Ulysse  est  venu  jusqu'ici,  Ulvsse,  le  prudent 
et  fertile  esprit  de  la  Grèce.  S'étant  échappé  du  Cy- 
clope,  il  aborda  dans  les  parages  des  îles  Éoliennes, 
que  des  chaînes  solides  n'avaient  pas  encore  amar- 
rées au  fond  de  la  mer.  Elles  étaient  flottantes  à  la  ma- 
nière de  Délos.  Éole,  cher  aux  dieux  et  maître  des  vents, 
y  régnait.  «  Ce  roi  »^  disait  Ulysse  quand  il  racontait 

■  La  ligne  d'horizon  veut  dire,  en  bon  grec,  quelque  chose  comme 
«  la  déjinilion  ».  Etrange  sort  du  mot  qui,  désignant  d'abord  une 
limite  fort  précise,  dégénère  jusqu'à  signifiera  l'indéfini. 


ATIIÈXES  AXrJ(^)ll-:  >9 

cet  épisode  d'un  sens  si  fort,  «  a  douze  enfants,  six 
garçons  et  six  filles.  11  a  marié  les  frères  avec  les 
sœurs  et  ces  jeunes  gens  passent  leur  vie  auprès  de 
leur  père  et  de  leur  mère  dans  des  festins  continuels 
où  ils  n'ont  rien  à  désirer  pour  la  bonne  chère.  Pen- 
dant le  jour,  le  palais  parfumé  de  parfums  délicieux 
retentit  des  cris  de  joie,  on  y  entend  un  bruit  harmo- 
nieux, et  la  nuit,  les  maris  vont  coucher  près  de  leurs 
femmes  sur  des  lits  et  sur  des  tapis  magnifiques.  » 
Émus  de  pitié  sur  Ulysse,  les  heureux  furent  bienveil- 
lants. Ils  le  retinrent  dans  les  fêtes  et  les  plaisirs  pen- 
dant un  mois  entier  et,  pour  avancer  son  retour,  lui 
livrèrent  les  vents  de  la  mer  enchaînés  dans  une  outre 
de  peau  de  bœuf. 

Mais  lorsque,  par  son  imprudence  et  le  pauvre 
esprit  de  ses  compagnons,  Ulysse  leur  revint,  éprouvé 
de  nouveaux  revers,  fouetté  de  nouvelles  tempêtes, 
Éole  n'eut  que  de  l'horreur.  «  Va-t'en  !  »  s'écria-t-il 
du  plus  loin  qu'il  l'eut  aperçu,  «  fuis  au  plus  vite  de 
cette  île,  ô  le  plus  méchant  de  tous  les  mortels!  11 
ne  m'est  pas  permis  ni  de  recevoir  ni  d'abriter  un 
homme  que  les  dieux  immortels  ont  déclaré  leur  en- 
nemi.   Va,    fuis,    puisque    tu    viens    dans  mon    palais, 


.1  77/  KNE  S  A  N  TIQLK 


chargé  de  leur  haine  et  de  leur  colère.  »  Ulysse,  qui 
trouvait  Éole  inhumain,  ne  l'accusa  pas  d'injustice. 
Le  plus  sage  et  le  plus  patient  des  hommes  savait 
qu'il  convient  de  ne  pas  être  trop  malheureux.  C'est 
une  espèce  de  devoir.  Qui  se  sent  trahi  par  les  dieux 
et  rejeté  de  la  fortune  n'a  qu'à  disparaître  du  monde 
auquel  il  ne  s'adapte  plus.  Sans  doute  Ulysse  persista 
et  le  héros  supérieur  aux  circonstances  par  la  sagesse 
éleva  son  triomphe  sur  l'inimitié  du  destin. 

J'étais  tout  occupé  de  cette  sagesse  d'Homère 
quand  parut  l'archipel  admirable  des  Lipari,  qui  sont 
le  royaume  d'Éole  enfin  fixé.  D'abord,  sur  la  droite, 
deux  terres,  Alicudi  etF'ilicudi,  ont  émergé,  l'une  après 
l'autre,  la  dernière  flanquée  d'un  îlot  de  rocher  abrupt; 
puis  une  troisième  île,  la  plus  belle  de  celles  qui  se 
montrent  de  ce  côté,  Salina,  formée  de  deux  mame- 
lons si  gracieusement  accouplés  que  l'œil  ne  peut  se 
détacher  de  la  courbe  souple  qui  joint  les  cimes.  Un 
hameau  composé  de  quelques  douzaines  de  petites 
maisons,  semées  en  un  charmant  désordre,  descend  de 
la  double  colline  et  semble  glisser  à  la  mer  au  mi- 
lieu d'un  bocage  dont  la  verdure  est  toute  sombre. 

Comme  nous  cinglons  au  sud-est  dans  la  direction 


A  TH  È N E  S  A  NTIQ  U E 


de  Messine,  Alicudi,  Filicudi  et  Salina  sont  laissées 
sur  la  droite;  mais,  à  gauche,  le  Stromboli  fumeux 
est  apparu  depuis  longtemps  ;  sa  notoriété  lui  vaut  un 
grand  succès  parmi  mes  compagnons  de  route.  On 
nous  vante  l'effet  de  sa  fumée  rouge  et  de  sa  flamme 
étincelante  quand  on  navigue  ici  dans  la  nuit  ;  on 
ajoute  que,  par  les  jours  clairs,  sur  un  ciel  bleu,  cette 
fumée  opaque  fait  une  tache  curieuse.  «  Et  je  le  crois, 
puisque  je  ne  le  vois  pas.  »  Par  malheur,  il  ne  fait  pas 
nuit,  il  fait  même  plein  jour  ;  mais  c'est  un  petit  jour 
grisâtre  :  le  panache  du  Stromboli  ne  semble  qu'un 
nuage  parmi  ceux  qui  traînent  au  ciel. 

Pendant  qu'on  admire  le  Stromboli,  je  fais  mes  dé- 
votions aux  beautés  méconnues  de  Panaria.  Nous  en 
rasons  de  près  deux  faces  successives.  Les  flancs  ouest 
et  nord  de  cette  petite  île  paraissent  de  loin  fort  sau- 
vages et  je  crois  qu'ils  sont  tels  en  réalité  ;  on  s'en 
convainc  dès  qu'on  approche.  Mais  on  observe  en 
même  temps  que  la  forme  de  l'île  est  d'une  grâce  ex- 
quise. Je  doute  qu'il  existe  un  rivage  plus  ingénieu- 
sement arrondi  que  les  bords  de  Panaria.  Enfin  cette 
île  est  toute  verte  du  côté  du  nord  ;  les  pentes  les 
plus    rudes  sont  tendues  de  molle  verdure,  une  sorte 


ATHÈNES   ANTIQUE 


d'herbage  plus  touffu  et  plus  vivace  que  le  gazon,  mais 
moins  pâle  que  la  bruyère,  dont  la  fraîcheur  doit  plaire 
au  toucher  comme  elle  charme  Foeil.  Je  n'ai  pu  me 
tenir  d'y  concevoir  en  cet  avril  tardif  la  bienvenue  et 
comme  le  salut  lointain  du  printemps  de  Naples, 

Grata  vice  Veris... 

Mais  un  brusque  détour  nous  découvre  le  bord 
méridional  de  Panaria.  Ici,  le  printemps  semble  dé- 
passé. C'est  l'été  ou  même  l'automne.  Des  massifs 
d'arbres  d'un  gris  pâle,  des  oliviers  sans  doute.  Entre 
les  oliviers,  quelques  maisons  riantes.  Le  vaisseau  qui 
s'éloigne  semble  fuir  les  images  de  la  félicité. 

Une  ondée  de  pluie  tiède  tombe  tout  à  coup  sur 
le  pont  :  nous  nous  retournons  vers  la  droite,  où 
pointent  Lipari,  puis  Vulcano,  à  la  suite  de  la  char- 
mante Salina,  mais,  il  est  vrai,  moins  belles  et  sans  élé- 
vation. 

La  pluie  cesse.  Le  vent  fraîchit.  Et  ce  n'est  plus 
le  vent  froid  et  dur  de  Marseille  ni  du  littoral  de  la 
Corse.  A  la  lettre,  c'est  le  Zéphyre.  Tant  de  terres 
fleuries  respirent  près  de  nous,  il  en  distribue  le  par- 
fum.   L'air   éclairci,   de    gros   nuages   couvrent   pour- 


ATHÈNES  AXTIOLE  23 

tant  le  paquebot  et  tiennent  le  centre  du  ciel,  mais 
tout  le  bord  circulaire  de  l'horizon  céleste  et  marin 
semble  fait  d'une  lame  d'argent  incandescent  baignée 
d'une  brume  dorée.  Sur  ce  beau  cercle  se  profilent, 
comme  des  formes  sans  matière,  comme  d'angéliques 
substances,  les  coupes  variées  du  Stromboli,  de  l'îlot 
de  Basiluzzo  qui  touche  Panaria,  de  Panaria  elle- 
même,  de  Salina,  de  Lipari  et  de  Vulcano,  imbibées, 
dévorées  d'une  avide  lumière  :  ses  dégradations  insen- 
sibles, ses  vaporeuses  poudres  d'or  levées  de  la  mer  dans 
le  ciel,  nous  semblent  élever  les  abîmes  du  monde  à 
la  dignité  de  l'Esprit. 

Je  ne  finirais  point  de  conter  le  détail  des  magni- 
ficences d'hier.  Aujourd'hui  fut  moins  beau.  Le  cap 
Spartivento,  au  sud-est  italien,  n'a  pas  volé  son  nom. 
11  a  jeté  sur  nous  le  nuage  et  le  vent.  Mais  cela  de- 
vait être.  Le  vieil  Homère,  dont  je  ne  me  sépare  ja- 
mais et  qui  est  mon  prophète,  mio  diica,  mio  dottore, 
m'a  prévenu  depuis  longtemps  de  la  malice  de  ces 
climats.  Ulysse  en  souffrit  avant  nous.  Aussi  ce  grand 
homme  a-t-il  appelé  l'endroit  «  une  mer  si  difficile 
et  si  dangereuse  que  les  meilleurs  et  les  plus  forts  na- 


2^  ATHÈNES  ANTIQUE 

vires,  accompagnés  du  vent  le  plus  favorable,  ne  la 
passent  qu'avec  beaucoup  de  danger  >.  Pour  les  An- 
ciens, la  mer  ionienne  ne  cédait  en  furie  qu'à  l'Adria- 
tique elle-même.  Je  vois  qu'ils  ne  se  trompaient  guère. 
L'équipage  m'assure  que,  pour  le  lieu  et  la  saison, 
il  fait  délicieux.  Pourtant  le  paquebot  bondit  comme 
un  chevreau,  sur  l'onde.  Je  n'en  suis  que  plus  aise  de 
me  voir  le  cœur  si  dispos.  Mais  les  trois  quarts  des 
passagers  n'ont  pas  dîné.  Les  paysages  pâlissent.  La 
mer  a  la  couleur  du  plomb.  Le  ciel  est  gris.  Toutes  les 
étoiles  se  cachent.  Or,  nous  ne  sommes  peut-être  pas 
à  cinq  heures  de  la  presqu'île  de  Pélops. 

Beaucoup  de  choses  s'accomplissent  pendant  la 
nuit.  C'est  encore  une  vieille  et  sage  maxime  que  je 
tire  d'Homère.  Nous  avons  fait,  pendant  la  nuit,  le 
tour  entier  du  Péloponèse.  On  en  voit  maintenant  les 
dernières  montagnes.  Aux  nuages  a  succédé  une  lu- 
mière claire  et  douce.  Mes  chers  amis  de  France,  si 
vous  saviez  combien  tout  cela  nous  est  fraternel  ! 


PREMIERS  PAS 


PREMIERS  PAS 


Il  faisait  presque  froid,  il  faisait  un  temps  aigre, 
mêlé  de  pluie  et  de  soleil,  quand  nous  sommes  entrés 
dans  les  eaux  de  TAttique.  Vers  Eleusis,  vers  Égine, 
vers  Salamine,  les  sévères  collines  en  chapeau  thessa- 
lien  étaient  recouvertes  de  Tombre  de  grosses  nuées. 
Et  le  rocher  de  l'Acropole  se  dessinait  à  peine,  tant  le 
jour  était  faible  dans  cet  après-midi  d'avril.  Mais  Tac- 
cueil  s'embellit  dès  que^  vers  l'orient,  apparurent  les 
anses  de  Munvchie  et  de  Phalère.  D'ailleurs,  ce  ca- 
price du  temps  ne  peut  être  appelé  une  défaveur.  Il 
était  bon  que  l'Attique  nous  avertit  des  son  abord 
qu'elle  n'avait  rien  de  commun  avec  les  vers  de  M.  Le- 
conte  de  Lisle  ni  avec  le  golfe  de  Naples.  Ce  n'est 
pas  de  la  pierre  peinte  que  l'Attique  ;  c'est  une  per- 
sonne vivante,  nullement  impassible  ni  marmoréenne. 


ATJ^ÈNES  ANTIQUE 


S'il  brille  au  flanc  du  Pentélique  des  carrières  de 
marbre  que  nous  avions  admirées  de  la  haute  mer, 
tantôt  un  blanc  nuage  et  tantôt  un  nuage  noir  ou 
quelque  blond  coloris  versé  de  l'azur  animait  ces  blan- 
cheurs délicates  et  sensitives. 

Sur  le  petit  chemin  de  fer  qui  conduit  à  Athènes, 
au  milieu  des  champs  de  blé  nouveau  plantés  d'oli- 
viers, je  n'eus  pas  la  patience  d'attendre  la  fin  du 
voyage.  Devant  le  temple  de  Thésée,  qui  est  au  pied 
de  l'Acropole,  je  sautai  du  vagon  et  courus  de  tous  les 
côtés. 


ATHÈNES  ANTIQUE 


ATHÈNES   ANTIQUE 


Un  poète  français  m'avait  dit  en  riant,  le  jour  de 
mon  départ  : 

—  Vous  allez  à  Athènes  comme  à  un  rendez-vous 
d'amour. 

Et,  cette  blanche  Athènes  aperçue  de  la  haute 
mer,  «  0  terre!  »  murmurai- je  comme  la  fille  de  So- 
phocle, «  terre  comblée  des  plus  grands  éloges,  à  toi  de 
les  justifier!  » 

Nulle  justification  plus  rapide.  On  m'avait  annoncé 
une  déception.  Je  n'ai  rien  senti  de  pareil.  Dussé-je 
être  montré  au  doigt  de  tous  les  modernes  comme 
un  écrivain  dépourvu  d'imagination  et  pauvrement 
ébloui  des  choses  réelles,  j'écris  cet  aveu  sans  pu- 
deur. 

Durant  un  mois,  j'ai  su  ce  que  c'est  que  la  grâce, 


32  ATHÈNES  ANTIQUE 

j'ai  SU  ce  que  c'est  que  la  force  et  j'ai  connu  par  un 
toucher  sensuel  et  physique  ce  que  c'est  que  l'essence 
claire  de  leur  accord.  Le  jour  se  consumait  avec  avi- 
dité, je  le  voyais  tomber  avec  une  ardente  tristesse.  Il 
ne  me  semblait  pas  que  j'eusse  interrogé  assez  de  places 
immortelles  ni  exercé  suffisamment  les  puissances  de 
curiosité  et  de  réflexion.  N'en  crovez  pas  des  notes 
de  vovage  écrites  sur  les  lieux  et  expédiées  par  la 
poste.  Tout  cela,  c'était  mon  métier  ;  ma  vie,  nulle- 
ment. Un  certain  vendredi  que  je  ne  saurais  me  rap- 
peler sans  éclats  de  rire,  j'écrivais  à  Paris  que  je  par- 
tirais dès  le  lendemain  : 

—  Je  prends  le  bateau  du  Pirée  pour  Itéa,  l'es- 
cale de  Delphes.  D'Itéa,  je  gravirai  à  dos  de  mulet 
vers  les  monuments  d'Apollon,  et  quelque  embarca- 
tion à  vapeur  ou  à  voile  permettra  de  gagner  Patras. 
Je  verrai  ensuite  Olvmpie,  puis  Corinthe,  et  Argos, 
d'oi^i  je  reviendrai  dire  adieu  à  Athènes... 

Tout  était  préparé  pour  la  course  en  Phocide,  et 
autour  du  Péloponèse.  Mais,  au  dernier  moment,  le 
cœur  me  manqua  et  les  charmes  athéniens  furent  les 
plus  forts.  Je  défis  ma  valise,  ne  pouvant  me  résoudre 
à  quitter  la   face  d'Athènes.  J'avais  trop  à  revoir,  car 


Al  II  EN  ES  AXTKjUE  33 

le  premier  tour  avait  été  vite  fait.  11  me  plaisait  de  le 
refaire  chaque  jour.  Je  n'ai  guère  quitté  la  ville  que 
pour  les  promenades  dans  la  banlieue. 

Les  semaines  charmantes  !  L'antiquité  sévère  et 
douce  qui  m'encourageait  d'un  sourire  quittait  pour 
moi,  l'un  après  l'autre,  ses  secrets  vêtements,  et  si 
quelque  ignorance,  comme  il  advint,  tenait  ma  pen- 
sée suspendue  ou  que  même  quelque  méprise  éclatât 
et  me  confondît,  je  n'en  éprouvais  nulle  peine  ;  mais, 
pareil  aux  premiers  Florentins  humanistes  qui  tou- 
chaient de  leur  front  les  volumes  d'Homère  qu'ils  ne 
pouvaient  pas  déchiffrer,  j'en  étais  consolé  par  un  sen- 
timent de  la  légèreté  de  mes  fautes  au  prix  de  ma 
certitude  et  de  mes  plaisirs. 


Or,  il  n'était  point  rare  que,  parmi  ces  plaisirs,  je 
fusse  poursuivi  par  des  esprits  sombres  et  faux,  tou- 
jours enclins  à  la  querelle. 

L'un  s'appliquait  avec  ingéniosité  a  faire  luire  des 
hypothèses  judicieuses  : 

—  Si  vous  restiez  un  mois  de  plus,  vous  change- 
riez d'avis... 


.1  THÈ:  NE  S  A  X  riQ  LE 


—  ï3é\-'.a-z.  répondais-je,  cœur  excellent,  il  me 
sera  toujours  impossible  de  vivre  ici  un  mois,  un  jour 
ou  seulement  une  heure  de  plus  que  je  n'y  aurai  vécu 
en  effet.  Comment  faire  l'expérience  à  laquelle  vous 
m'engagez  ? 

S'il  insistait,  je  l'emmenais  en  quelque  beau  lieu 
que,  depuis  vingt  mois  de  séjour,  il  n'avait  pas  encore 
eu  la  tentation  d'explorer.  C'est  ainsi  que  je  lui  fis 
connaître  le  Céramique. 

Un  second  s'évertuait  à  me  démontrer  qu'il  n'y 
avait  rien  où  je  venais  de  voir  quelque  chose,  pres- 
que rien  où  j'avais  trouvé  infiniment,  et  qu'enfin  je  ne 
nï amusais  point  là  même  où  ma  passion  m'enfonçait 
des  heures  entières. 

—  On  voit  bien  que  vous  êtes  en  vacances,  me 
répétait  non  sans  aigreur  ce  fonctionnaire. 

Et  je  n'osais  lui  répliquer  que  l'on  voyait  de  reste 
qu'il  était  en  fonction. 

Un  voyageur  de  profession,  fier  d'avoir  aperçu  un 
grand  nombre  de  pagodes  et  de  mosquées  : 

—  Vous  avez,  disait-il,  un  esprit  tout  atrophié  et 
une  tète  rétrécie  par  l'éducation  classique. 

—  Eh  !  lui  répliquais-je  en  moi-même,  l'éducation 


ATHÈNES  AXTKJL'E  35 


romantique  n'aurait-elle  point  embrouillé  et  désorga- 
nisé ce  que  vous  aviez  de  cervelle  ? 

«  Admettons  que,  de  nous,  ce  soit  moi  qui  fasse 
l'erreur.  Mais  l'erreur  est  précieuse,  si  elle  me  met 
en  état  de  comprendre  et  de  ressentir  ce  que  l'his- 
toire intellectuelle  de  l'univers  nous  présente  de  mé- 
morable. Elle  me  procure  une  foule  d'explications  lu- 
cides de  ce  qui  nous  touche  le  plus.  Au  contraire,  si 
l'on  admet  que  vous  ayez  la  vérité,  que  contient-elle 
de  pratique,  de  nourricier  et  d'assimilable  pour  vous  ? 
Un  principe  de  curiosité  infinie.  La  question  par  la 
question  !  Mais  pas  de  réponse  ! 

«  Votre  pensée  n'est  rien  que  du  vagabondage. 
Tout  lien  avec  la  race  de  vos  pères  spirituels  et  la 
suite  de  vos  civilisateurs  est  coupé  misérablement.  Ni 
par  rapport  à  vous,  ni  par  rapport  aux  vôtres,  vous 
n'avez  rien  qui  soit  classé  et,  comme  vous  n'avez  pu 
faire  aucun  classement  par  rapport  h  l'ordre  éloigné 
et  insaisissable  du  monde  qu'il  est  particulier  aux 
hommes  d'ignorer,  vous  êtes  une  sorte  de  chaos  am- 
bulant, embarrassé  même  pour  me  dire  quoi  vous  ai- 
mez. N'ayant  rien  choisi,  ne  préférant  rien,  végétant 
dans  une  indifférente  inertie,  vous  affectez  une  mobi- 


36  ATHENES  AN  Tin  LE 

lité  extrême  :  elle  est,  au  fond,  un  simple  mode  de  cette 
condition  des  cailloux  que  l'on  roule,  des  bûches  qu'on 
charrie,  et  de  toutes  les  créatures  dispensées  ou  déli- 
vrées de  l'activité.  C'est  un  bonheur  peut-être.  Qu'il 
soit  du  moins  silencieux,  et  n'insulte  pas  à  la  vie  !  » 

Mais,  fatigué  soit  d'une  discussion  superflue,  soit  de 
courses  continuelles,  il  m'arrivait  d'être  assis  dans  un 
lieu  désert  et  je  sentais  l'Attique  accomplir  en  silence 
son  ouvrage  au  dedans  de  moi.  Je  la  priais  d'agir,  de  me 
modifier,  en  m'abandonnant  à  ses  soins.  Tantôt  à  l'un 
des  carrefours  où  se  trouve  quelque  monument  de  la 
ville  antique,  tantôt  dans  l'ombre  fraîche  des  corri- 
dors du  grand  musée,  il  me  suffisait  de  poser  n'importe 
oii  le  regard.  Je  laissais  les  petits  éléments  athéniens  af- 
fluer et  me  pénétrer  comme  on  ouvre  l'accès  de  son 
âme,  en  un  soir  d'été,  aux  forces  du  ciel  plein  d'étoiles. 
Plus  que  toute  méditation,  cette  torpeur  contempla- 
tive m'inspirait  le  sens  et  la  divination  de  la  ville  : 
incrusté  et  comme  pétrifié  en  elle,  il  me  semblait  que 
la  vie  des  marbres  sublimes  m'animait  peu  à  peu.  Les 
longues  heures  ainsi  passées  m'ont  fait  comprendre 
qu'on  puisse  aimer  comme   une  créature  de  chair  la 


ATHÈNES  ANTIQUE  Sy 

matière  du  Pentélique  et  crier  :  la  voila!  et  sentir  son 
cœur  battre,  partout  où  brille  une  parcelle  de  la  belle 
pierre  dorée. 

Telles  étaient  les  pauses.  L'àme  v  est  contente  de 
soi.  Mais,  dans  les  exaltations  qui  suivaient,  rien  ne 
m'était  pénible  comme  Tabsence  de  tout  esprit  fami- 
lier capable  d'en  prendre  sa  part.  Le  mien  était  tendu 
jusqu'à  la  congestion  et  des  sentiments  en  naissaient 
qui  déterminaient  une  sorte  d'érosion  presque  dou- 
loureuse et,  s'il  faut  le  dire,  d'égarement. 


L'ACROPOLE 


L'ACROPOLE 


Dans  un  livre  postérieur  de  plusieurs  mois  à  mon 
voyage,  M.  de  Vogué  parle  d'un  visiteur  de  l'Acropole 
qu'on  surprit  un  matin,  à  genoux,  manifestement  en 
prière  et  peut-être  en  larmes,  devant  Tune  des  souples 
Errhéphores  qui  soulèvent  du  front  la  tribune  du  vieux 
roi  d'Athènes  Érechthée.  Les  extases  du  pèlerin  plon- 
gèrent ses  amis  dans  un  étonnement  dont  l'expression 
m'a  toujours  paru  sans  mesure  et  que  je  ne  puis  m'ex- 
pliquer.  Quoique  traitées  en  héroïnes,  les  six  caria- 
tides sont  des  femmes  pleines  de  vie.  L'Athènes  du 
IV'  siècle  ne  les  appela  jamais  que  «  les  jeunes  filles». 
Pour  être  immortelle  et  sublime,  leur  grâce  florissante 
n'en  enferme  pas  moins  la  mémoire  et  la  cendre  d'une 
antique  idée  de  l'amour.  Et  tout  cela  peut  bien  émou- 
voir un  homme  sensible. 


A  THÈNE  S  A  N  TliJ  LE 


Soit  que  la  jeune  Athénienne  lui  rappelât  la  plus 
belle  de  ses  amies  ou  le  type  de  sa  chimère,  l'acte  du 
personnage  de  M.  de  Vogué  s'explique  et  se  défend 
par  .mille  raisons  naturelles.  Je  crains  que  nulle  excuse 
ne  soit  trouvée  en  ma  faveur  quand  on  saura  comment, 
sur  la  même  Acropole,  je  commis  bien  d'autres  excès. 


Je  n'y  montai  pas  tout  de  suite,  bien  que  j'y  fusse 
accouru  dès  le  premier  soir.  Les  sentiments  confus 
qui,  durant  plusieurs  jours  interminables,  me  retinrent 
hors  de  l'enceinte,  m'attiraient  cependant,  errant  et 
fiévreux,  sous  l'escarpement.  Des  petites  rues  qui  y 
mènent,  je  crois  bien  que  j'ai  battu  les  plus  ignorées. 
Elles  sont  en  pente  assez  rude,  brisées  de  temps  en 
temps  par  un  escalier.  On  y  trouve  surtout  des  ateliers 
de  tisserands.  Devant  les  dévidoirs  tendus  d'une  belle 
soie  safranée,  les  femmes  et  les  jeunes  filles  font  des 
groupes  assis  au  milieu  de  petites  cours  chichement 
ombragées.  Je  ne  les  regardais  que  pour  me  tirer  d'in- 
quiétude et  je  me  replongeais  dans  la  méditation  de 
Tombre  lumineuse  qui  tenait  ma  vie  suspendue. 

Vue  de  l'angle  nord-est,  la  structure  de  l'Acropole 


44 


A  THE  NE  S  A  \  TJnL'E 


Un  Latin  disait  des  meilleurs  écrivains  de  TAttique, 
tels  que  Thucydide  et  ceux  de  son  temps  :  «  Leur 
style  était  noble,  sentencieux,  plein  dans  sa  précision  et,  par 
sa  précision  même,  un  peu  obscur.  »  Cette  précision  ré- 
tablit leur  mystère  dans  sa  lumière.  Nul  œil  profane 
ne  les  pénétrera  aisément... 

N'être  point  un  profane,  entendre  le  mvstère  de 
conciliation  que  suppose  une  chose  belle,  sentir  avec 
justesse  le  mot  du  vieux  pacte  conclu  entre  la  savante 
fille  du  ciel  et  la  tendre  enfant  de  Técume,  enfin  se 
rendre  compte  que  ce  parfait  accord  ait  été  propre- 
ment la  Merveille  du  Monde  et  le  point  d'accomplis- 
sement du  genre  humain,  c'est  toute  la  sagesse  qu'ont 
révélée  successivement  à  leurs  hôtes  la  Grèce  dans 
l'Europe,  l'Attique  dans  la  Grèce,  Athènes  dans  l'At- 
tique  et  pour  Athènes  le  rocher  où  s'élève  ce  qui 
subsiste  de  son  cœur. 

L'heure  de  mon  initiation  arriva  sans  que  ma  vo- 
lonté v  prît  aucune  part.  J'étais  assis  près  de  la  route 
carrossière  qui  conduit  à  la  grille  de  la  porte  Beulé. 
C'est  une  suite  de  raidillons  comparable  à  celle  du 
vieux  Monaco.  Elle  est  traversée  de  petits  sentiers  fai- 


.4  T II  i:  s  ES  .1  .V  TIQl  'E  45 

sant  raccourci  et  complantée  de  beaux  agaves  d'un  bleu 
pâle.  Comme  j'avais  les  veux  en  Tair,  du  côté  où  ten- 
dait toute  ma  pensée,  une  petite  fille  de  neuf  à  dix 
ans  passa  devant  moi.  Je  la  vovais  à  peine.  Elle  at- 
tira mon  intention  en  traînant  les  pieds  sur  le  sable, 
puis  s'arrêta  en  me  faisant  signe  de  mon  chemin.  Je  ne 
l'avais  pas  demandé.  Le  doigt  vers  TAcropole,  elle  me 
regardait  en  m'adressant  un  gentil  sourire  entendu. 
J'aurais  baisé  au  front  la  jeune  hiérophante  !  Mais  je 
me  levai  et  suivis  en  aveugle  sa  direction. 


...Quand,  au  plus  haut  de  l'escalier,  je  rouvris  les 
yeux,  la  première  colonne  des  Propylées  se  tenait  de- 
bout devant  moi  :  toute  dorée,  mais  toute  blanche, 
jeune  corps  enroulé  d'une  étofl'e  si  transparente  qu'on 
n'en  saisit  point  la  couleur,  la  chair  vive  y  faisant 
elle-même  de  la  lumière. 

Elle  montait  des  solides  dalles  de  marbre,  ferme 
sur  sa  racine  élargie  à  la  base.  Dans  toute  la  longueur, 
comme  des  ruisseaux  d'un  feu  sombre,  les  cannelures 
symétriques  s'enfuyaient  dans  le  libre   élément  aérien 


^0  A  T  m':  NE  s  A  \  Tin  (  ■/•; 

où  brillait  un  sommet  misérable  et  meurtri.  Il  fallut 
peu  de  temps  pour  prendre  connaissance  de  la  sil- 
houette souffrante  et  souffrir  avec  elle,  avec  tout  le 
sage  univers,  de  tant  de  coups  barbares  qui  Font  dé- 
capitée. Son  svelte  chapiteau  et  le  fardeau  que  porta 
cette  belle  tête  gisaient  ensemble  sur  le  sol  et  leurs 
débris,  comme  le  seuil  de  quelque  cimetière  supérieur, 
manquèrent  me  tirer  des  larmes.  Si  j'avoue  n'en  avoir 
versé  aucune,  oserai-je  écrire  ce  qui  suivit .?  Pourquoi 
non,  si  j'osai  le  faire  ?  Sur  cette  colonne  choisie,  la 
première  du  chœur  des  jeunes  Propylées,  j'entourai  de 
mes  bras  l'espace,  autant  que  je  pus  en  tenir,  et,  in- 
clinant la  tête,  non  sans  prudence  à  cause  d'une 
troupe  d'Américains  qui  se  rapprochaient  avec  bruit, 
prenant  même  grand  soin  que  l'on  me  crût  en  train 
de  mesurer  la  circonférence,  je  la  baisai  de  mes  lèvres 
comme  une  amie. 

Ni  le  jeune  homme  que  nous  montre  M.  Melchior 
de  Vogué,  ni  cet  étranger  fanfaron  qui,  s'étant  intro- 
duit dans  le  temple  de  Cnide,  passa  la  nuit  entière 
avec  la  déesse  de  marbre  et  l'épousa  complètement, 
comme  le  raconte  Lucien,  ni  enfin  le  sculpteur  qui 
aima  la  statue  jusqu'à  l'animer  de  son  souffle,  j'ai  peine 


.1  THESES   A  XT/(,)I:E 


à  croire  que  personne  ait  connu  le  même  transport. 
Si  le  ciel  en  feu,  si  la  roche  dure  que  je  foulais  et  le 
marbre  que  j'étreignais  ne  fournirent  point  de  réponse 
à  la  vibration  secrète  de  ce  baiser,  si  je  fus  seul  où  je 
me  crus  mêlé  à  d'universelles  ivresses,  c'est  un  point 
qu'il  est  superflu  de  traiter,  car  le  doute  et  la  foi  y  de- 
viennent insoutenables.  Ce  qui  n'admet  ni  foi  ni  doute, 
étant  certain,  c'est  l'état  de  folie  lyrique  oij  je  roulai 
avec  une  complaisance  infmie,  sans  cesser  de  tenir  la 
belle  substance  embrassée. 

Rien  de  tel  ne  m'avait  été  murmuré  à  l'oreille,  de- 
puis le  jour  de  ma  jeunesse  où  l'enceinte  dévastée  du 
théâtre  d'Arles  m'avait  fait  éprouver  la  présence  réelle 
et,  au  même  moment,  le  deuil  de  la  vie  antique  :  deux 
légers  styles  corinthiens  qui,  pour  appartenir  à  l'âge 
inférieur,  me  semblaient  pourtant  sans  défaut,  dévelop- 
paient dans  ce  désert  leur  figure  jumelle  d'une  mer- 
veilleuse clarté.  Je  me  contentai  cependant  de  leur 
donner  le  nom  de  deux  vierges  choisies  parmi  les 
filles  de  Sophocle  et  de  jurer  à  toutes  deux,  mon 
Antigone  et  mon  Ismène,  une  pieuse  visite  de  chaque 
année.  Quoique  j'aie  tenu  le  serment  fait  à  leur  grâce, 
je   n'eus  jamais  envie    de   les  entourer    de   mes  bras. 


A  THÈSES  A  X  TIQUE 


Qu'avait  de  plus  que  ces  Arlésiennes  si  douces  le  fût 
tronqué  des  Propvlées  ? 

Je  me  demande  plutôt  ce  qu'il  n'avait  point  ou  ce 
qui  pouvait  lui  manquer  avant  sa  blessure  et  du 
temps  qu'il  jouissait  d'une  forme  intacte.  N'était- il,  à 
la  lettre,  ce  que  nous  entendons  aujourd'hui  par  un 
dieu  ?  Il  signifiait  un  plaisir  tout  à  fait  exempt  de  dou- 
leur, un  mouvement  libre  et  un  acte  pur.  Simple  ac- 
cident de  la  vie  et  de  la  nature,  il  les  résumait  et  les 
expliquait  toutes  deux.  De  la  vie  et  de  la  nature  a  qui 
leur  destinée,  le  plus  communément,  a  bien  défendu 
d'être  belles,  le  voici,  me  disais-je,  qui  élève  comme 
un  peuplier  au  milieu  d'un  herbage  nain  le  bonheur 
insolent  qui  lui  a  valu  d'être  beau.  11  est  la  fleur  de 
l'Être.  11  est  le  contraire  de  l'Être.  11  est  le  rare,  il  est 
Tunique,  en  même  temps  que  le  commun  et  l'univer- 
sel. 11  est  de  ce  chaos  dont  les  éléments  se  divisent, 
et  sa  génération  atteste  cependant  l'industrieuse  main, 
le  pouvoir  unificateur  de  la  claire  raison  de  l'homme 
couronnée  du  plus  tendre  des  sourires  de  la  fortune. 
Dans  le  déraisonnable,  le  mouvant,  l'incompréhensible, 
il  pose  clairement  le  rvthme  assuré  d'une  loi.  De  l'ini- 
mitié infinie,  il  tire  un  accord  immortel. 


ATHÈNES    ANTIQUE  4<) 

C'est  pourquoi  mon  esprit  goûtait  avec  une  dou- 
ceur inexprimable  ce  que  mes  yeux  charmés  ne  se 
lassaient  point  de  connaître.  Ainsi  l'intelligence  me  dé- 
brouillait sans  peine  le  monde  troublé  du  plaisir.  La 
volupté  qui  me  pénétrait  d'une  onde  puissante,  je 
l'honorais  presque  autant  que  je  l'éprouvais,  bien  cer- 
tain que  jamais  tressaillement  plus  juste  ne  se  ferait 
dans  mes  entrailles.  Un  exercice  ordinaire  de  la  pen- 
sée montre  souvent  comme  il  est  triste  ou  honteux 
d'être  un  homme  sujet  au  mal  et  à  la  mort,  mais 
j'éprouvais  ici  la  noblesse  de  notre  essence  ;  les  plus 
hautes  disciplines  de  la  raison  rapprochaient  de  moi 
la  beauté. 


Je  ne  regrette  point  d'être  si  mémorablement 
échappé  de  moi-même  à  ce  premier  vestibule  de  l'Acro- 
pole. La  fièvre  ainsi  passée,  je  me  sentis  l'esprit  cri- 
tique, disposé  à  jouir  des  chefs-d'œuvre  sans  y  périr. 


LE   PARTHENON 


LE    PARTHÉNON 


Un  autre  choc  me  fut  pourtant  donné  le  même  jour, 
lorsque,  ayant  achevé  le  tour  de  ma  colonne,  j'aper- 
çus au  delà  d'une  colonnade  nouvelle  la  sombre  masse 
du  Parthénon. 

Un  long  désert  de  pierres  blanches,  de  marbres, 
de  maigres  buissons,  courait  devant  le  temple,  par 
terrassements  inégaux.  Mais  l'imagination  dévorait  cet 
espace.  Le  mur  géant,  labouré  de  vastes  blessures, 
découvrait,  ramassée,  et  concentrée  en  lui,  une  incal- 
culable vigueur,  comme  un  fauve  puissant  qui  va  bon- 
dir et  s'imposer.  En  approchant  mieux,  on  retrouve 
cette  idée  de  libre  élégance  qui  devait  s'élever,  à  pre- 
mière vue,  de  l'édifice  entier.  L'effet  de  sa  mutilation 
en  aura  mis  à  nu  la  force.  Ce  que  nous  démasquent 


5|  ATIIKXES    AXriOl'E 

ces  ruines,   c'est  une    énergie  héroïque,   dont    on   est 
tour  à  tour  exalté  et  vaincu. 


La  table  du  roc  solitaire  qui  supporte  le  Parthé- 
non,  l'Erechtheion,  et,  frêle  cabane  de  marbre,  le  temple 
de  la  Victoire,  semble  tout  d'abord  parsemée  d'une 
infinité  d'ossements  polis  et  brillants  au  soleil.  On  songe 
ensuite,  tant  la  lumière  est  joyeuse,  au  vaste  chantier 
d'un  sculpteur.  Mais  c'est  la  première  impression  qui 
est  la  juste.  Ces  quartiers  que  Ton  foule  sont  les 
membres  du  corps  inanimé  de  l'ancienne  Athènes. 
Tambour  à  tambour,  tranche  à  tranche,  au  milieu  des 
herbes  flétries  qui  ne  les  ont  pas  recouverts,  les  styles 
couchés  sur  le  sol  font  de  véritables  dépouilles  et  les 
mânes  qui  volent  dans  l'air  au-dessus  d'eux  nous  pro- 
fessent la  mélancolie  de  tant  de  travaux.  Seules  de 
nobles  mains,  d'aristocratiques  mains  d'hommes  libres, 
y  avaient  été  employées.  La  volonté  de  Périclès  avait 
banni  l'esclave  de  ces  entreprises  publiques.  Les  meil- 
leurs ont  ici  imprimé  le  meilleur  d'eux-mêmes.  Ce  n'a 
pas  été  éternel. 


AT  II È  -V  £-5  A  -V  TIQJ  'F. 


55 


Un  vain  sentiment  de  piété  défend  leurs  restes.  Il 
suffirait  que  cette  piété  faiblît,  qu'une  foi  analogue  à 
celle  des  iconoclastes  nous  ftk  prèchée  comme  on 
prêche  en  Russie  la  mutilation  de  soi-même  et  en 
Norvège  la  dislocation  des  sociétés,  il  suffirait  qu'une 
série  de  grandes  guerres  ou  d'autres  fléaux,  nous  ren- 
dant attentifs  à  des  soins  plus  impérieux,  autorisât  seu- 
lement quelque  négligence  :  la  terre  avide,  la  mer  pro- 
fonde, la  férocité  des  enfants,  l'ignorance  des  hommes, 
le  ciel  pluvieux  et  torride,  auraient  vite  fait  de  re- 
prendre et  de  liquider  ce  trésor. 

11  est  vrai  que  le  Parthénon,  ayant  vécu,  n'a  aucun 
besoin  de  personne,  et  c'est  nous  qui  avons  besoin  du 
Parthénon  pour  développer  notre  vie.  Ce  qui  en  reste 
est  souriant.  Et  l'on  pourrait  abattre  encore  ou  profa- 
ner, réduire  le  fronton  ouest  au  même  triste  état  que 
l'oriental,  brover  ou  renverser  les  dernières  colonnes, 
décrocher  les  derniers  vestiges  de  la  frise  :  tant  qu'il 
subsistera  seulement  de  quoi  inférer  une  conception 
de  l'ensemble,  l'càme  de  la  Vierge  éponyme  s'y  fera 
sentir  dans  sa  force. 

J'ai  peine  à   comprendre  qu'on  ait  méconnu  cette 
force.    Des    écrivains    de    notre    siècle    qui    ont   visité 


56  .1  THE .V E S  A  .Y  Tin  UE 

Athènes,  je  n'en  trouve  pas  un  qui  Tait  remarquée. 
Lamartine,  sublime  aveugle,  arrêté  là-bas,  dans  la 
plaine,  s'éprit  du  temple  de  Jupiter  Olvmpien  parce 
que  le  péristyle  en  est  élevé,  riche  et  ainsi  digne  de 
Balbek  ;  malgré  les  adieux  au  «  gothique  »  que  le 
Parthénon  lui  inspire,  il  en  emporta  des  idées  de  fai- 
blesse et  d'exiguïté.  Renan  a  fait  la  même  faute,  et 
tout  ce  qu'il  a  dit  et  chanté  de  beau  sur  Athènes  en 
devient  assez  irritant.  Dans  Saint  Paul,  une  jolie  page 
sur  Tàme  grecque  est  empoisonnée  de  dédain.  11  re- 
vient à  plaisir  sur  le  caractère  aimable  et  fm,  mais, 
ajoute-t-il,  sans  portée  comme  sans  grandeur,  de  l'at- 
ticisme  :  petits  plaisirs,  petite  poésie  et  petites  gens. 
Lorsque  Joseph  de  Maistre,  faisant  une  revue  gron- 
deuse des  dons  intellectuels  de  la  Grèce,  néglige  en 
passant  d'y  mentionner  Aristote,  le  lecteur  entend  bien 
que  son  auteur  s'amuse  ;  il  s'amuse  donc  de  ce  jeu. 
L'on  aimerait  trouver  chez  Renan  le  même  sourire. 
Mais  on  voit  bien  qu'ici  Renan  est  loin  de  plaisanter.  Où 
Maistre  raille,  Renan  marque  un  sérieux  extrême.  Ainsi, 
je  ne  le  puis  écrire  sans  tristesse,  apparaît  une  des  larges 
plaies  que  le  romantisme,  l'Allemagne  et  son  christia- 
nisme avaient  ouvertes  dans  cette  délicate  pensée. 


Jî.rlrait  de  VOunrage  : 
Ma.iiiiie  Colligiion  :  Le  P 
Ch.  Egijimaiin,  Édile 


\ 


Extrait  de  l'Ouvrage  : 

Maxime  Collignon  :  Le  PARTi 
Ch.  liggimann,  Éditeur,  P 


A  T  H  EN  ES   A  N  TKjUE 


Ceux  qui  ont  écrit  VOrganon,  bâti  ce  Parthénon, 
inventé  l'ordre  des  sciences  et  conduit  tous  les  arts  au 
degré  de  la  perfection,  ces  petites  gens  de  la  Grèce  ne 
m'ont  pas  permis  de  lire  jusqu'à  la  fin  la  fameuse 
Prière  d'Ernest  Renan,  que  j'avais  emportée  un  jour 
sur  l'Acropole.  —  Ce  rythme,  me  disaient  leurs  ombres, 
ce  rythme  chanteur  est  de  nous.  Bien  que  d'une  cadence 
outrée,  retiens-le  si  tu  veux  et  rappelle-toi  de  chasser 
les  paroles  quil  accompagne  :  non  qu'elles  soient  toutes 
mauvaises,  mais  les  meilleures  sont  corrompues  par  le 
voisinage... 

Et  en  eiïet.  On  ne  dit  pas  :  «  Il  y  a  un  lieu  oh  la 
perfection  existe,  il  ny  en  a  pas  deux,  cest  celui-là  », 
pour  objecter  un  peu  plus  loin  au  génie  de  ce  lieu 
unique  «  qu'il  y  a  de  la  poésie  dans  le  Strymon  glacé 
et  dans  l'ivresse  du  Thrace  ».  Que  pouvons-nous 
avoir  affaire  d'une  chansonnette  gothique  dans  le  lieu 
de  la  perfection  ?  On  ne  redit  pas  devant  une  déesse, 
à  quatre  reprises,  «  toi  seule  »  (seule  jeune,  seule  pure, 
seule  sainte  et  seule  forte),  pour  lui  souhaiter,  en 
adieu,  une  tête  plus  «  large  »  avec  les  moyens  d'em- 
brasser <  divers  genres  de  beauté  ».  Ou  les  mots  sont 
de  simples  souffles  et  ne  présentent  aucun  sens,   ou 


58  ATHÈNES  ANTJQLE 


Ton  ne  peut  écrire  :  <.<  Quand  je  vis  F  Acropole,  j'eus 
la  révélation  du  divin»,  si  Ton  doit  conclure,  à  propos 
des  «  plâtras  »  de  Byzance,  qu'ils  produisent  égale- 
ment, à  leur  mode,  un  «  effet  divin  ».  Renan  ajoute  : 
«  Si  ta  cella  devait  être  assez  large  pour  contenir  une 
foule,  elle  croulerait  aussi.  »  Assurément.  Mais  quel 
est  ce  besoin  d'y  loger  une  foule  .^  Et  pourquoi  la  loger 
dans  un  bel  édifice  dont  le  rapport  avec  la  multitude 
consistait  à  en  être  vénéré  du  dehors  ? 

Devant  la  face  orientale  du  Parthénon,  au  point 
où  la  théorie  des  Panathénées  devait  aboutir  après 
avoir  développé  tous  ses  anneaux,  se  voient  les  ruines 
d'un  bâtiment  circulaire  que  Rome  avait  eu  l'impu- 
dence de  se  dédier  en  ce  lieu.  Jetés  au  ras  du  sol 
d'un  coup  de  justice  divine,  les  décombres  du  temple  de 
la  déesse  Rome  étaient  le  siège  favori  d'où  j'aimais  à 
me  pénétrer  des  vigueurs,  des  fiertés  et  de  la  des- 
tinée éternelle  du  Parthénon.  De  quelque  côté  qu'on 
l'observe,  ce  modèle  architectonique  sort  de  la  terre 
d'un  mouvement  impérieux  et  définitif;  là  même  où  les 
gens  du  métier  signalent  une  imperfection,  elle  n'atté- 
nue point,  j'ose  dire  qu'elle  souligne  le  caractère  de 
la  force  et  de  la  fermeté. 


ATnÈM-:S  ANTIQUE  Sij 


Je  ne  sais  à  quoi  peuvent  servir  ici  le  mot  de 
petitesse  et  celui  cfétroitesse.  Encore  un  coup,  nous 
ne  sommes  pas  devant  une  église,  mais  devant  un 
autel  et  un  tabernacle  ;  il  sert  de  musée,  de  trésor 
ou  de  magasin,  non  d'abri  aux  fidèles.  Ceux-ci  se 
contentent  de  Tentourer.  Seules  doivent  y  pénétrer 
des  personnes  choisies.  Dans  ce  reposoir  en  plein  air, 
séjour  des  dieux,  mais  non  oratoire  des  hommes,  sorte 
de  construction  qui,  par  le  fini  du  détail  et  les  justes 
mesures  de  son  élévation,  procédait  quelque  peu  de 
la  statuaire,  on  saisit  comment  l'art  athénien,  l'art  grec 
tout  entier,  développe  sa  plénitude.  Il  comble  les  pro- 
messes de  son  goût  et  de  son  génie. 

11  eut  pu  faire  un  autre  effort.  Le  Grec  n'était 
pas  incapable  de  bcàtir  un  immense  hangar  de  marbre 
et  de  donner  ainsi  ce  que  les  amateurs  modernes  ap- 
pellent une  sensation  de  grandiose.  On  entrevoit  à 
Eleusis  ce  qu'il  a  fait,  par  une  succession  d'agrandis- 
sements, en  vue  de  recevoir  des  milliers  de  pèlerins. 
Un  tremblement  de  terre  a  rasé  le  temple-colosse 
d'Eleusis.  Mais  je  crois  que  l'âge  eût  suffi.  Un  bâti- 
ment qui  doit  servir  à  de  nombreux  et  pressants 
usages  n'a    pas  besoin   d'être   une  construction  ache- 


6o  ATHÈNES  ANTIQUE 

vée  ni  inébranlable.  L'immédiatement  utile  n'a  qu'une 
heure,  car  l'utile  change  sans  cesse  et  c'est  à  quoi 
ont  été  pipés  nos  Romains.  Leurs  constructions  d'uti- 
lité économique  peuvent  subsister,  il  est  rare  qu'elles 
rendent  de  grands  services.  Ces  aqueducs  où  Teau  a 
cessé  de  couler,  ces  grandes  voies  impraticables  don- 
nent un  sentiment  de  puissance,  mais  illusoire  et 
presque  ridicule.  Voici  une  puissance,  et  elle  ne  peut 
plus  !  une  utilité,  inutile  !  Que  vaut  la  chose  dont  le 
prix  est  de  servir,  du  moment  qu'elle  ne  sert  plus.^ 

Avec  un  sens  exquis  des  rapports  et  des  conve- 
nances, c'est  pour  leurs  monuments  religieux,  les 
mieux  soustraits  aux  vicissitudes  mortelles,  que  les 
Grecs  réservèrent  le  privilège  d'une  solidité  à  toute 
épreuve.  Ainsi  en  décida  leur  sagesse  à  son  meilleur 
temps. 


LES  COLLECTIONS 


LES  COLLECTIONS 


Le  matin,  je  faisais  mes  dévotions  sur  TAcropole. 
L'après-midi  venu,  s'il  m'arrivait  de  remonter,  c'était 
pour  visiter  les  deux  musées  qu'on  a  taillés  dans  un 
pli  de  la  roche;  le  plus  souvent,  je  restais  dans  la 
ville  basse  et  finissais  ma  journée  rue  de  Patissia,  au 
musée  national  qui  abrite  tant  de  trésors  :  chaque 
nuit  de  sommeil  me  ramenait,  de  mes  divers  logis 
d'Athènes,  au  pied  des  Hygies,  des  Hermès,  des 
Victoires  et  des  Pallas,  que  j'avais  adorés  de  jour. 

Notre  musée  du  Louvre,  surtout  dans  la  section 
de  sculpture  antique,  offre  au  premier  regard  l'image 
horrible  d'un  fouillis.  Non  que  Tordre    y  fasse  défaut. 


64  ATHÈNES  ANTIQUE 

Seulement  la  clef  de  cet  ordre  n'est  pas  mise  en  la 
main  de  tous.  Au  contraire,  dans  chacun  des  musées 
d'Athènes,  Tenfant  ou  Tignorant  n'a  qu'à  regarder  de- 
vant soi,  non  seulement  pour  se  réjouir,  mais  pour 
classer  et  raisonner  ses  impressions.  Ordre  hypothé- 
tique sans  doute,  attributions  tout  inductives,  mais 
nécessaires.  Une  promenade  tient  lieu  de  grandes  lec- 
tures. On  y  voit  toute  vive  l'histoire  de  l'art  du  sculp- 
teur chez  les  anciens  Grecs. 

Au  seuil  du  musée  de  Patissia  est  le  dépôt  des 
antiquités  mycéniennes.  Là  revit  l'àme  mecklembour- 
geoise  de  l'explorateur  Schliemann  :  àme  naïve  et 
forte,  qui,  sur  la  terre  et  sous  la  terre,  pour  sa  tombe 
et  pour  sa  maison,  employa  l'appareil  et  le  style  des 
Mycéniens.  Mon  sentiment,  s'il  faut  le  dire,  fut  d'abord 
que  j'entrais  dans  une  annexe  du  musée  du  Troca- 
déro.  A  chaque  page  de  mes  notes,  je  trouve  dé- 
noncé et  presque  flétri  avec  une  extrême  abondance 
ce  que  je  nommai  doucement  les  sauvageries  de  My- 
cènes.  Cette  fureur  avait  pour  cause  le  contraste  qui 
éclatait  entre  des  curiosités  pures  et  les  beautés  de 
premier  ordre  au  milieu  desquelles  je  ne  cessais 
d'errer. 


ATHÈNES  ANTli^UE  'J5 


C'était  oublier  l'émotion  presque  religieuse  qu'ins- 
pire un  passé  très  lointain.  Plusieurs  de  ces  ouvrages 
dont  la  grossièreté  ne  me  donnait  que  du  dégoût  nous 
sont  prouvés  antérieurs  aux  convulsions  d'un  îlot 
volcanique  dont  la  date  est  connue  ;  ils  remontent 
ainsi  authentiquement  à  deux  mille  ans  avant  notre 
ère...  De  plus  ces  découvertes  sont  très  nouvelles. 
La  science  est  ancienne.  Elle  est  un  peu  blasée  sur 
ses  triomphes  d'autrefois.  Pour  moi,  qui  ne  l'étais  sur 
rien,  ma  curiosité  toute  fraîche  bondissait  à  tous  les 
objets.  Aucun  moulage,  aucune  gravure  ne  m'avaient 
permis  de  prévoir  la  subite  impression  que  me  com- 
muniquaient, vivant  devant  moi  dans  leur  marbre, 
une  Victoire  renouant  sa  sandale,  les  Taureaux  de  la 
frise,  ou  la  tribune  d'Érechthée.  L'inépuisable  trésor 
de  mon  ignorance  me  procurait  les  moyens  de  les  ad- 
mirer avec  le  sentiment  de  la  surprise  extrême.  Le 
Masque  d'Agamemnon,  comme  Schliemann  appelle  son 
feuillet  de  métal  battu,  ne  me  paraissait  ni  plus  neut 
ni  plus  récemment  mis  au  jour  que  des  chefs-d'œuvre 
catalogués  depuis  longtemps.  C'est  de  l'heure  de  mon 
débarquement  au  Pirée  et  de  ma  première  visite  que 
ceci  ou  cela  datait  également.  Quel  motif  de  préférer 


r  G  A  T  H  E  X  E  S  A  A'  T1(^)UE 

le  moins  beau    ou    le  laid    et  de  perdre  mon    temps 
chez  les  inférieurs  ? 

Autre  chose  m'indisposait  encore,  c'est  Tabus  fait 
du  nom  d'Homère  par  les  historiens  de  Tart  de  My- 
cènes.  Leurs  comparaisons  soutenues  entre  Tart  ho- 
mérique et  Tart  mvcénien  sont  insupportables.  Sans 
doute  VIlidde  et  VOdyssée  fournissent  plus  d'une  ré- 
miniscence évidente  de  la  civilisation  que  les  Achéens 
fugitifs  apportèrent,  lors  de  l'invasion  dorienne,  dans 
la  Grèce  des  iles  et  la  Grèce  d'Asie.  Quoique  posté- 
rieur, et  de  beaucoup,  à  ces  translations  historiques, 
l'âge  d'Homère  avait  gardé  les  débris  de  l'art  achéen, 
et  sans  doute  aussi  le  poète  savait-il  par  la  tradi- 
tion ce  qu'avaient  été  autrefois  Mycènes  la  dorée,  la 
douce  Argos,  et  les  autres  cités  de  l'Achaïe  en  fleur. 
Les  poèmes  d'Homère  peuvent  donc  renseigner  sur  les 
temps  mvcéniens  et,  comme  dans  le  livre  de  M.  Hel- 
big  *,  les  vestiges  de  Mvcènes  peuvent  nous  éclaircir 
quelques-unes  des  difficultés  homériques.  Ajoutons, 
s'il  le  faut,  que  le  premier  novau  des  sujets  d'Homère 
se  place    au   moment  de    la    grande  prospérité  mycé- 

'  /^'Epopée  linmériquc.  l''aris.  Did(n. 


A  THE  SE  S  A  N  TI()LE 


nienne.  Toutes  ces  vues,  plus  ou  moins  incertaines, 
portent  sur  les  matériaux  dont  le  poète  s'est  servi.  Mais 
elles  ne  fournissent  pas  la  moindre  clarté  sur  l'art  et 
la  poésie. 

L'art  d'Homère  veut  qu'on  l'étudié  en  lui-même. 
Il  importe  peu  que  les  sujets  de  ses  descriptions  res- 
semblent aux  objets  déterrés  ici  ou  là-bas.  Il  ne  s'agit 
point  de  savoir  comment  s'adaptait  le  timon  au  char, 
ni  les  courroies  au  brodequin,  mais  bien  de  quelle  sorte, 
dans  les  récits  d'Homère,  se  constitue  le  plan  homé- 
rique, comment  s'y  fait  jour  un  beau  sentiment  et 
quelle  est  donc,  en  soi,  la  beauté  unique  d'Homère. 
C'est  seulement  à  regarder  ces  derniers  points  qu'on 
s'aperçoit  qu'il  faut  vénérer,  dans  ces  vieux  poèmes, 
le  premier  titre  du  genre  humain  à  l'humanité. 

Les  personnes  entichées  de  l'esprit  évolutionniste  et 
d'une  espèce  de  mystagogie  que  l'on  n'a  pas  encore 
nommée  sont  prises  d'une  véritable  angoisse  de  Tàme 
à  l'idée  d'un  Homère  restauré  et  glorifié.  «  Homère 
barbare  »  est  sacré  *.  Elles  cherchent  comment  une 
époque  aussi    arriérée   dans   l'art  industriel  a  bien  pu 

■  M.  .\natole  France  lut  le  premier  à  rire  de  ce  dn^me. 


68  ATHENES  ANTIQUE 

nous  donner  un  modèle  d'art  poétique,  car  il  leur 
semble  que  le  monde  va  toujours  à  pas  réguliers 
comme  un  gros  de  soldats  prussiens.  Les  industries, 
les  arts  plastiques,  la  poésie  et  l'éloquence  doivent,  à 
les  entendre,  s'avancer  simultanément  et  sur  un  même 
parallèle,  faute  de  quoi  l'on  nie  tout  avancement  par- 
tiel. La  plus  légère  application  aux  réalités  de  l'his- 
toire fera  sentir  la  grande  vanité  du  svstème.  11  n'y  a 
que  ces  progressistes  et  les  sots  pour  croire  au  déve- 
loppement synchronique  de  Fart.  Comparez  le  pinceau 
brillant,  mais  toujours  contraint,  de  Giotto  aux  libres 
paroles  de  Dante,  dont  il  est  le  contemporain  :  vous 
sentirez  peut-être  comment  Homère  a  pu  paraître 
parmi  des  ouvriers  ignorants,  des  céramistes  grossiers 
et  des  statuaires  trop  simplificateurs. 

Ce  doux  Homère  incorporé  de  force  à  la  barbarie 
mycénienne  ne  fournissait  pas  le  dernier  de  mes  griets 
contre  les  salles  de  Schliemann.  Le  soir  même  de  mon 
arrivée  en  Attique,  le  grand  théâtre  d'Athènes  avait 
annoncé  une  représentation  d'Antigone  jouée  par  des 
étudiants  et  des  institutrices  sous  la  conduite  du  sa- 
vant professeur  Mitriotis.  C'est  là  qu'eut  lieu  mon 
premier   différend    avec    .Mvcènes.    Dès   le    rideau,    la 


ATHÈNES  ANTIQUE  Gy 

sensation  en  fut  violente  :  cette  scène  où  l'original  de 
Sophocle  allait  retentir  montrait  au  fond  de  son  décor, 
devant  le  portique  royal,  toute  une  colonnade  de 
l'ordre  détesté.  .  Au  lieu  de  ce  style  dorique,  noble, 
fort,  dont  la  base,  conformément  à  la  nature  et  à  la 
raison,  fournit  un  support  spacieux,  on  mettait  sous 
mes  yeux  des  accouplements  de  colonnes  plus  resserrées 
au  stylobate  qu'à  l'échiné,  faites  à  cette  mode  d'Egypte 
ou  d'Assyrie  qui  fut  imitée  à  Mycènes  :  l'inverse  par- 
fait du  dorique,  puisque  la  pointe  en  semble  enfoncée 
dans  le  sol.  Que  l'histoire  du  théâtre  ou  que  le  mi- 
lieu légendaire  de  la  fable  thébaine  justifiât  cette  or- 
donnance, je  me  gardai,  comme  d'une  insulte  à  So- 
phocle, d'en  faire  le  moindre  examen;  mais  je  me 
retirai  en  maudissant  l'archéologie,  et  Schliemann,  et 
Mycènes,  l'invention  de  bases  plus  étroites  que  les 
sommets,  et  le  manque  de  goût  familier  aux  cuistres, 
mais  au  surplus  persuadé  que  la  représentation  n'au- 
rait jamais  lieu  ou  que  la  pièce  n'irait  point  jusqu'à 
la  scène,  aucun  vers  du  poète  de  la  logique  naturelle 
ne  pouvant  se  résoudre  à  sonner  sous  des  colonnades 
insérées  sens  dessus  dessous. 


70 


ATHÈNES   AXTIQI'E 


L'époque    mvcénienne    comprend  trois    siècles    à 
tout  le  moins.  Mais,  en  y  rapportant  les  objets  décou- 
verts parmi  les  cendres  de  Théra,  il  faut  admettre  un 
laps  de  près  de    huit    cents   ans   durant    lesquels   les 
arts    plastiques    purent     croître    et    décroître,    fleurir, 
mûrir  et  décliner  à  plus  d'une  reprise.  Non  seulement 
les  Achéens    originels  durent  procéder,  comme  toutes 
les  races,  par  tcàtonnements,  par  retours,  s'instruisant 
à  l'expérience    et  parfois  oubliant  ce  qu'ils  en  appre- 
naient; mais  de  plus,  n'étant  pas  formés  en  corps  c!e 
nation  et,  malgré  la  voie  de  la  mer,  leurs  communi- 
cations étant  difficiles,  le  degré  d'expérience  et  d'ha- 
bileté dut  varier  aussi,  des  campagnes  de  l'Ionie  à  celles 
du  Péloponèse  et  aux  roches  volcaniques  de  l'Archipel. 
Cependant   ces    Grecs    nouveau-nés,     ces    Grecs 
barbares   ou    sauvages,   pleins   de    réminiscence  asia- 
tique et  égvptienne,  ces  Grecs  qui  sont  parfois  dénués 
de  figure  grecque  ne  prêtent  pas    toujours  a  sourire; 
tous  leurs  travaux  ne  m'ont  pas  fait  songer  aux  anti- 
quités  du  Guatemala.  Leurs  monstres,  leurs  poupées. 


ATHI^XES   AXTIQI'F  7' 


leurs  bonshommes  de  terre  crue  dont  quelques-uns 
rappellent,  au  premier  abord,  des  œuvres  d'art  qu'on 
peut  admirer  dans  nos  foires,  il  les  faut  regarder  de 
près.  Un  détail  de  la  ligne,  un  trait  de  imagination, 
une  particularité  du  travail  étonnent  et  retiennent  par 
la  révélation  de  Texquis.  On  reconnaît  alors  le  pouce 
ingénieux,  Tongle  habile  du  peuple  qui  sera  quelque 
jour  le  meilleur  ouvrier  de  la  terre;  on  s'explique 
déjà  qu'il  doive  devenir  le  plus  intelligent  et  le  plus 
subtil  raisonneur,  et  c'est  à  peine  si  l'on  ose  poser  le 
vieux  problème  :  les  ouvriers  mycéniens  furent-ils  des 

Grecs  ? 

La  chasse  au  lion  incrustée  sur  un  poignard  du 
quatrième  tombeau  ouvert  à  Mycènes  est  d'un  mouve- 
ment admirable  ;  la  tète  du  taureau  étoile  d'argent  et 
d'or,  trouvée  au  même  endroit  par  Schliemann,  est 
presque  belle;  on  ne  peut  en  nier  le  grand  caractère.  Et, 
si  les  masques  sont  hideux,  regardez  les  taureaux  sau- 
vages et  les  taureaux  domptés  qui  décorent  les  vases  de 
Vaphio.  Pour  la  justesse,  pour  un  air  de  grâce  et  de 
naissante  liberté,  pour  le  rayon  de  vie  animant  la 
forme  robuste,  de  telles  œuvres  souffrent  aisément  la 
comparaison  avec   tous  les  meilleurs  essais   que  tenta 


72  ATHÈNES  ANTIQUE 


bien  plus  tard,  au  commencement  du  vi"  siècle,  l'école 
d'Égine.  Si  les  vases  de  Vaphio  sont  de  la  fin  de  Tère 
mycénienne,  on  incline  à  penser  que,  sans  Tinvasion 
des  Doriens,  la  belle  saison  de  Tart  grec  se  serait  pro- 
duite trois  ou  quatre  siècles  plus  tôt. 

M.  Maxime  Collignon*  ne  croit  pas  que  cette  inva- 
sion ait  tué  brusquement  la  civilisation  de  Mycènes  ; 
elle  en  aurait  plutôt  ralenti,  appauvri  et  enfin  tari  la 
sève  natale.  Les  indigènes  émigrèrent  ;  ils  coururent 
les  îles,  se  fixèrent  çà  et  là  dans  TAsie  mineure,  dont 
ils  colonisèrent  différents  points  où  la  race  grecque 
n'était  pas  encore  installée.  Bien  des  acquisitions  se 
perdirent  dans  ce  voyage.  11  fallut  construire  des  villes, 
commencer  de  nouvelles  mœurs,  faire  face  à  des  be- 
soins qu'on  ne  connaissait  pas.  D'autre  part,  dans  la 
Grèce  propre,  les  Doriens,  en  véritables  barbares  ve- 
nus du  Nord,  durent  prendre  le  temps  de  se  polir 
sous  un  ciel  plus  clair  et  plus  doux  au  commerce  des 
autochtones.  Cela  tint  quelques'siècles  jusqu'à  la  nais- 
sance d'Homère. 


Histoire  de  la  Sculpture  grecque,  2  vol.  chez  Didnt. 


ATHÈXES   ANTKJU1-:  7^ 


Passons   vite.    Ces   âges  n'intéressent   que  Thisto- 
rien.  Ce  que  nous  cherchons  dans  la  Grèce,  c'est  ce 
qui  lui  donne  son  rang  sur  le  monde  antique  et  mo- 
derne, ce  par  quoi  elle  se  distingue    de  tout  le  reste, 
ce  qui  fait  qu'elle  est   elle    et  non  la    barbarie.  C'est 
l'âge  de   la    grécité  proprement  dite,    de    l'hellénisme 
pur  qui    dura   deux  ou   trois    cents  ans  environ   pour 
la  statuaire.  On  en   reconnaît   le  début   au  Vl'-  siècle, 
lorsqu'en  Attique  et  dans  les  îles  l'art  se  transforme, 
s'assouplit   et   se    délivre    des    rigides   modèles   venus 
d'Orient.  Appuyés  sur  la  tradition  toujours  embellie  et 
accrue,   fiers    de  leur  force,    les    artistes  recherchent 
alors  dans  la  nature  des  modèles  h  surpasser.  La  pé- 
riode, si  elle  fut  exquise,  fut  courte;  mais  tout  homme 
est  forcé  d'y  élever  les  yeux  quand  il  se  soucie  de  son 
ordre  intellectuel. 

Épuisée  de  guerres  intérieures,  la  Grèce  éteint 
sa  flamme  quand  l'Asie  d'Alexandre  communique  à 
ses  conquérants,  non  le  type  d'un  nouvel  art,  mais 
un  état  d'inquiétude,  de  fièvre  et  de  mollesse  qu'entre- 


74  ATHÈNES  ANTIQUE 

tinrent  les  religions  de  l'Orient.  Adonis  et  Mithra  dé- 
composèrent les  premiers  le  monde  ancien  avant  que 
le  Juif  ne  survînt.  Qu'on  ne  croie  pas  que  les  artistes 
grecs  aient  hellénisé  ces  conceptions  ennemies;  ils  n'y 
réussirent  jamais.  Mais  ils  furent  certainement  barba- 
risés  par  elles. 

Alors,  cette  lumière  de  l'imagination  et  de  la  pen- 
sée qui  ne  dessèche  ni  la  passion  ni  la  verve,  mais 
commande  à  Tune  et  à  l'autre  en  leur  imprimant  une 
immortelle  vivacité,  ce  caractère  de  raison  et  de  puis- 
sance qui  est  le  propre  de  la  Grèce  disparaissent  ou 
s'atténuent  dans  les  œuvres  des  Grecs,  et,  ces  œuvres 
n'étant  plus  grecques  qu'à  demi,  on  peut  les  négliger 
comme  on  le  fait  des  copies  comparées  à  l'original. 


Autant  que  ces  copies  tardives,  les  premières  ébau- 
ches s'eftacent  devant  les  chefs-d'œuvre.  Mais  le  fait 
de  vivre  à  Athènes  m'avait  rendu  aussi  injuste  pour 
les  sculpteurs  d'Égine  que  je  l'avais  été  pour  les  po- 
tiers et  les  forgerons    mycéniens. 

On  a    trouvé    en    1886    dans   les  substructions  de 


ATHÈNES   ANTIQUE  yS 

l'Acropole  quatorze  statues  d'un  beau  marbre,  brillant 
et  colorié.  Elles  furent  placées  debout  dans  une  salle 
du  musée  supérieur.  J'avais  coutume  de  franchir  pres- 
que en  courant  la  salle  des  quatorze  prêtresses  de 
Minerve.  Leurs  veux  bridés,  comme  dans  les  visages 
mongoliques,  leurs  narines,  leur  front  bizarre,  enfin 
cet  étrange  sourire,  nommé  éginétique  sans  doute 
parce  que  les  statuaires  d'Égine  furent  les  premiers  à 
l'effacer  de  leurs  œuvres',  ce  sourire  uniforme  et  in- 
défini, sur  des  joues  reluisantes  comme  Tivoire,  me 
causaient  une  espèce  de  chagrin  qui  me  faisait  fuir. 
N'écrivis-je  dix  fois  le  brouillon  d'une  lettre  à  l'éphore 
général  des  antiquités  sur  le  tort  que  faisaient,  selon 
moi,  à  tant  de  chefs-d'œuvre  les  idoles  d'une  Athènes 
encore  impolie  ? 


'  On  a  voulu  voir  bien  des  choses  dans  le  sourire  éginétique. 
Voici  ce  que  j'ai  lu  de  plus  satisfaisant  sur  l'art  des  Éginètes  :  «  Un 
contraste  constant  et  très  frappant  résulte  de  Vimbècillilé  des  têtes  et 
de  la  beauté  des  corps.  Les  membres,  quoiqu'un  peu  maigres  et  an- 
guleux, sont  d'un  grand  style  et  d'un  beau  caractère  :  les  têtes,  trai- 
tées de  façon  tout  archaïque,  sont  uniformément  revêtues  d'un  sou- 
rire idiot...  »  Sans  dire  de  quel  lieu  ces  justes  paroles  sont  prises, 
surtout  sansen  nommer  l'auteur,  elles  me  semblent  bien  répondre  aux 
imacinaiions. 


A  T II È  X  E  S   A  N  TIQUE 


Les  quatorze  prêtresses  me  courrouçaient  par  leur 
toilette.  Il  m'était  impossible  d'v  reprendre  ni  la  fine 
élégance,  ni  cette  habileté  souveraine  dont  l'ouvrier  en 
avait  désigné  le  plus  léger  pli.  Le  vêtement  tourne  et 
palpite  avec  une  lente  mollesse  et,  dans  les  cheve- 
lures, la  perfection  minutieuse  du  travail  semble  le 
disputer  à  la  complication  et  à  la  subtile  richesse  des 
coiffures  bien  copiées. 

—  Mais  quoi  !  m'écriais-je,  toujours  courant, 
l'Athènes  des  Pisistratides,  cette  Athènes  qui  vit  une 
première  édition  critique  d'Homère,  fut  donc  une  ville 
sans  goût  ?  Les  dames  y  allaient,  chargées  d'ornements 
ridicules  .^^  Elles  n'entendaient  rien  au  précepte  de  Fé- 
nelon,  qui  veut  de  chastes  draperies,  appliquées  sur 
des  formes  pures,  comme  il  semble  qu'on  en  ait  vu  à 
l'époque  de  Phidias  ?  Combien  tout  ce  luxe  est  fâcheux  ! 

J'égalais  ce  faux  luxe  à  celui  d'un  débris  mycénien 
sur  lequel  on  peut  distinguer  que  les  épouses  déplo- 
rables des  morts  que  Schliemann  déterra  portaient, 
quinze  grands  siècles  avant  Notre-Seigneur,  trois  rangs 
de  volants  à  leur  jupe. 

Puis,  considérant  l'œil  bridé  des  quatorze  prêtresses 
du  premier  Parthénon  : 


ATHÈNES  ANTIQUE  77 

—  Hélas  !  disais-je,  qui  m'ôtera  de  là  ces  Chi- 
noises? 

A  plus  forte  raison  considérais-je  sans  faveur,  tant 
sur  l'Acropole  qu'au  musée  national,  ces  pierres  litur- 
giques à  peine  dégrossies  qu'on  est  convenu  d'appeler 
des  xO(3/?^7.  Le  véritable  xoanon,  sorte  d'idole  primitive, 
fut  taillé  dans  le  bois,  comme  l'étymologie  en  témoigne. 
Nos  xoana  de  pierre  ne  ressemblent  point  mal  à  la 
silhouette  de  quelque  lourde  contrebasse.  Elles  étaient 
informes.  Peu  à  peu,  si  l'on  veut  accepter  les  idées  qui 
sont  encore  reçues  à  cet  égard,  après  mille  hésitations 
de  l'ouvrier,  une  tète  se  dégagea  du  xoanon  ;  les  bras, 
les  jambes  se  marquèrent,  sans  trop  se  séparer  ni  s'éloi- 
gner du  tronc.  Un  équarrissage  grossier  acheva  l'appa- 
rence humaine.  M.  Homolle  a  trouvé  à  Naxos  l'une  de 
ces  ébauches.  Plus  tard,  et  peut-être  sur  des  modèles 
égyptiens,  ces  figures  rigides  esquissèrent  un  mouve- 
ment ;  dès  lors,  elles  parurent,  malgré  l'enfance  extrême 
ou  l'absence  de  l'art,  de  mystérieux  animaux  dont  le 
populaire  faisait  grand  cas.  Quand  le  Cretois  Dédale 
eut  rapporté  d'Egypte  ces  premières  formes  en  marche, 
le  Grec,  encore  naïf,  déjà  malicieux,  inventa  de  les  at- 
tacher le  soir,  dans  la  crainte  qu'elles  ne  prissent  la 


78  ATHÈXES  AXTIÇLE 

fuite  pendant  la  nuit.  Ainsi  du  moins  parlent  les  théo- 
riciens de  rhistoire  des  arts  en  Grèce.  S'ils  ne  se  trom- 
pent pas,  il  faut  que  l'invasion  dorienne  eut  plongé  les 
gens  du  pays  dans  l'état  de  stupidité. 

Ce  jeune  peuple  grec  n'avait  cependant  point  perdu, 
dans  cette  nuit  profonde,  ses  qualités  d'observation.  11 
ajouta  au  mouvement  des  figures  égvptiennes  la 
science  du  modelé.  11  fit  bomber  et  se  creuser  comme 
la  paroi  d'un  beau  vase,  comme  la  quille  d'un  vaisseau, 
la  fleur  de  la  poitrine  humaine  qu'il  touchait  d'un  ci- 
seau complaisant  et  sûr.  Lorsqu'il  eut  remplacé  la  pierre 
par  le  marbre,  ce  qu'il  réussit  de  meilleur  et  le  plus 
vite  fut  peut-être  cette  poitrine.  Je  me  souviens  d'une 
figure  d'homme,  un  Apollon  peut-être  ou  une  dédicace 
à  Apollon,  qui  est  au  musée  de  la  rue  de  Patissia  :  l'objet 
est  presque  affreux  dans  son  ensemble  :  épaules  trop  car- 
rées, bras  anguleux,  visage  à  l'état  d'ébauche  fumeuse; 
mais,  de  la  naissance  du  cou,  une  série  de  plans  légers, 
exécutés  avec  une  attention,  un  art  et  un  goût  char- 
mants, avec  une  précision  voisine  de  la  science,  fait 
couler  le  regard  jusqu'à  la  naissance  des  seins.  L'ou- 
vrage n'est  pas  beau.  Mais  c'est  un  précurseur,  un 
divin  messager  de    la    beauté,  qui    est  prochaine. 


ATHÈXES   AXTIQi'E  79 


Ainsi  les  salles  archaïques  du  musée  de  Patissia 
me  développaient  clairement,  trop  clairement  peut-être 
pour  que  l'histoire  y  eût  son  compte,  les  transitions  du 
type  amorphe  jusqu'au  type  déterminé  et  pur  :  mais, 
je  vous  prie,  dans  le  musée  de  l'Acropole,  quelle 
transition  imaginer  seulement  entre  la  salle  VI  et  la 
salle  VII  ^ 

On  rencontre  dans  la  première  ces  quatorze  dames 
mongoles  chargées  d'ornements  inutiles,  couvertes  de 
cadenettes  et  de  bijoux,  qu'il  me  plairait  de  prendre 
pour  les  poupées  persanes  ou  médiques  chargées  des 
rôles  d'Atossa  et  de  ses  compagnes  dans  le  poème 
d'Eschyle.  Or,  la  salle  suivante  s'illumine  d'une  des 
merveilles  de  l'atticisme. 

Quel  est  le  rapport  nécessaire  de  ceci  à  cela  ?  On 
me  dit  bien  qu'à  l'élégance  des  poupées  primitives  s'est 
ajouté  le  grave  accent  des  œuvres  que  façonnaient,  à 
la  même  époque,  Sicyone  et  Argos  :  mais,  outre  que 
la  combinaison  n'est  pas  sûre,  que  les  intermédiaires 
invoqués  prêtent  au  doute,   le  fait  même  d'une  com- 


8o  ATHÈNES    ANTIQUE 

binaison  pareille  est  à  lui  seul  bien  merveilleux.  Oui, 
le  miracle  est  là  ;  Texplication  offerte,  si  on  Tadmet, 
n'explique  rien.  Je  suis  presque  tenté  de  voir  ici  ce 
que  Ton  nomme,  chez  mes  amis  les  philosophes,  un 
commencement  absolu.  Dès  ce  bel  ouvrage  de  marbre, 
tête  d'éphèbe  pensif  et  même  un  peu  sombre,  l'homme 
ouvrit  un  cvcle  nouveau.  Je  serais  tenté  de  dire  qu'il 
a  créé. 

Comment  vous  décrire  ceci  ."  En  copiant  mon  ca- 
talogue .'^  «  6^9.  Tète  archaïque  de  jeune  homme  dé- 
couverte en  1887,  à  l'est  du  musée,  à  la  place  où  est 
bâti  le  petit  musée.  Elle  se  classe  parmi  les  meilleures 
têtes  archaïques  d'hommes  conservées  jusqu'à  nous, 
et  ressemble  par  la  disposition  de  la  chevelure  à  la 
statue  du  Musée  national,  n  4^,  connue  sous  le  nom 
d^Apollon  sur  l'omphalos.  »  Ainsi  s'exprime  M.  Cav- 
vadias.  iM.  Maxime  Collignon  analyse  davantage.  Il  re- 
lève au  grain  de  ce  marbre  les  traces  d'une  couleur 
restée  fraîche,  jaune  d'ocre  dans  les  cheveux,  rouge  aux 
lèvres,  jaune  encore  au  globe  des  veux,  brun  au  bord 
des  paupières.  Mais  tout  cela  est  secondaire.  Le  même 
auteur  décrit  avec  soin  la  coiffure,  qui  est  étrange  pour 
une  tête  virile,  il  nous  apprend  qu'elle  se  nommait  cro- 


ATHÈ N /•; S'   . l  N  Tlor E 


81 


bylos.  Je  préfère    à  ce   renseignement,   d'ailleurs  pro- 
fitable, la  suite  du  discours  de  M.  Collignon  : 

«Quant  au  type  du  visage,  quel  progrès  n'accuse- 
t-il  pas  sur  celui  des  tètes  précédentes  !  Plus  de  sourire 
conventionnel,  plus  de  saillie  exagérée  des  yeux.  Les 
traits  réguliers  et  purs,  le  nez  droit,  la  bouche  sévère 
avec  la  lèvre  inférieure  un  peu  saillante  composent  un 
visage  juvénile  dont  le  charme  grave  nous  repose  de 
l'éternel  sourire  des  figures  archaïques.  » 

Cela  est  très  bien  dit.  Cela  me  donne  envie  de 
revoir  ce  visage  gracieux  et  fort.  Mais  il  est  incroyable 
à  quel  point  la  mémoire,  fidèle  gardienne  des  senti- 
ments et  des  pensées,  est  quelquefois  rebelle  à  nous 
rendre  précisément  le  trait  d'un  visage,  même  adoré. 
J'ai  heureusement  devant  moi  la  reproduction  du  chef- 
d'œuvre  ;  j'ai  même  la  photographie  de  l'ouvrage, 
donnée  par  un  Athénien.  On  m'en  pardonnera  l'humble 
aveu,  rien  ne  vaut  une  bonne  photographie  pour  rendre 
au  juste  l'impression  du  marbre  original.  Présentée 
au  rayon  du  jour,  la  feuille  diaphane  en  devient  toute 
lumineuse  et  l'on  voit  y  filtrer,  sous  le  trait  ferme  des 
figures,  cette  clarté  blanche  et  brillante  qui  anime  le 
doux  paros. 


ATHÈNES  ANTIQUE 


Même  effet,  ce  soir  où  j'écris  à  la  lumière  de  ma 
lampe.  Le  jeune  homme  songeur,  qui  dut  naître  bien 
des  années  avant  que  parût  Phidias,  ce  contemporain 
de  la  fm  du  vi  siècle  ou  des  premières  années  du 
V  ressuscite  au  pâle  ravon.  11  s'éveille,  nous  enten- 
drons quelles  pensées  doivent  rouler  dans  cette  forme. 
Elles  seront  énergiques  et  éloquentes.  Cet  éphèbe 
n'est  point  un  amant  occupé  de  nourrir  son  chagrin, 
ni  un  politique  mûrissant  son  projet,  ni  même  un  so- 
phiste, un  rhéteur  ou  un  philosophe  mathématique.  On 
songe  à  VÉrasme  d'Holbein,  avec  la  pureté,  la  no- 
blesse, la  sainteté,  qu'on  ne  trouve  pas  dans  VÉrasme. 
En  même  temps  que  s'infléchit  ce  beau  front  sous  la 
courbe  et  sous  le  poids  sacré  du  plus  magnifique  cer- 
veau, l'oreille,  presque  aussi  écartée  que  celle  d'un 
faune,  se  tend  ;  le  nez  respire  ;  l'œil  pointe  ;  l'air  du 
visage  et  l'inflexion  de  la  tète  entière  semblent  son- 
der, mesurer,  calculer  et  évaluer,  d'un  juste  et  précis 
instrument  ;  enfin  les  lèvres,  qui  en  disent  le  plus 
long,  ces  lèvres  étant  extrêmement  rapprochées,  la 
supérieure  en  retrait  et  l'inférieure  avancée  tout  au 
contraire,  les  lèvres  goûtent  et  savourent.  N'en  dou- 
tons plus,  nous  assistons  à   un  effort  de  sensibilité  et 


ATHÈXES  AX  TIQUE  «3 


d'intelligence  critiques.  Un  politique  ou  un  athlète  qui 
préparent  quelque  mouvement  effectif,  un  sage  argu- 
mentant, un  amoureux  supputant  les  risques  de  son 
malheur  montreraient  moins  de  calme,  un  recueille- 
ment moins  parfait.  L'objet  du  sentiment  montré  ici 
passe  nos  communs  intérêts.  Ou  je  me  trompe  fort, 
ou  le  sérieux  éphebe  se  sent  supérieur.  11  juge  la  terre 
et  le  ciel. 

De  là  vient  peut-être  la  curiosité  qu'il  me  donne. 
Mais  il  retient  par  d'autres  caractères  moins  incer- 
tains. Ce  chef-d'œuvre  de  l'archaïsme  athénien  a  de 
merveilleux  analogues  dans  l'histoire  de  l'art.  Outre 
certaines  têtes  florentines  du  temps  de  Giotto,  celles- 
là  même  dont  notre  imagination  remplit  sans  le  vou- 
loir les  cantiques  de  Dante, il  rappelle  plus  d'une  tête 
du  moven  âge  français.  Quand  je  l'examinai  pour  la 
première  fois,  j'ai  soudain  tressailli  de  la  joie  inquiète 
qui  devait  me  venir,  le  soir  du  même  jour,  lorsque 
les  vénérables  murailles  franques  de  Daphni,  filles  des 
ducs  d'Athènes,  se  montrèrent  tout  à  coup  au-dessus 
des  arbres.  Je  crus  voir  ma  patrie  au  fond  d'une  terre 
étrangère. 

Nulle    communication    historique    n'existe    cepen- 


84  ATHENES  A  XTKjii: 

dant  entre  telles  tètes  gothiques  et  Téphèbe  de  l'Acro- 
pole. Un  grand  souci  de  la  nature,  un  exercice  sécu- 
laire aux  délicatesses  de  Tart,  par  là  une  forte  maî- 
trise, enfin  cette  commune  gravité  de  l'esprit  devaient 
suffire  à  engendrer  une  analogie  si  parfaite  entre  les 
deux  arts.  Et  plus  on  s'en  rend  compte,  mieux  on  en 
est  touché.  Mais  il  entre  dans  cette  émotion  un  re- 
gret. On  se  demande  quelle  iniquité  de  la  fortune  a 
permis  à  cet  archaïsme  attique  de  mûrir  et  d'atteindre 
au  juste  degré  par  la  naissance  et  linfluence  du  plus 
sublime  esprit  humain,  au  lieu  que  ce  maître  désiré, 
nécessaire,  ce  Phidias  indispensable,  fut  refusé  cruel- 
lement à  notre  archaïsme  français. 


Et  voila  le  plus  grave  des  chagrins  de  l'Histoire  ; 
elle  institue  une  comparaison  jalouse,  elle  glisse  d'amers 
regrets.  Cependant  Phidias  n'a  pas  été  perdu  pour 
nous,  puisque  sa  tradition  a  fini  par  nous  revenir.  On 
ne  gardait  de  lui  qu'un  nom  ou  des  traces  incertaines 
et  inconscientes,  quand  la  lumière  de  la  Renaissance 
brilla   d'abord    en    Italie.   Seule,    une   àme    ignorante. 


ATHÈNES  ANTIQUE  85 


amie  de  la  brutalité,  se  plaindra  de  la  Renaissance. 
Cependant,  les  fouilles  nouvelles  opérées  dans  la 
Grèce  propre  ont  mieux  marqué  la  vraie  force  de 
Phidias.  Elle  était  défigurée  par  l'académisme,  cà  force 
d'en  être  polie;  une  fausse  interprétation  du  génie 
classique  avait  représenté  comme  durci  et  raidi  par 
la  mort  ce  qui  est  au  contraire  une  fleur  de  vie  es- 
sentielle, ne  tirant  son  auguste  apparence  immobile 
que  de  la  perfection,  de  l'abondance  et  de  la  vigueur 
de  son  mouvement.  Phidias  et  les  siens  ont  poursuivi 
les  traits  purs  et  fixes  de  l'homme  à  travers  les  aspects 
les  plus  chancelants  de  la  vie. 

Tant  de  découvertes  abondent,  depuis  cent  ans, 
dans  toutes  les  parties  du  monde  qui  fut  aux  Hel- 
lènes, qu'il  est  devenu  difficile  d'admettre  sans  expli- 
cation ce  qu'enseigna  l'ancienne  philosophie  de  l'art 
sur  l'essence  du  génie  grec  et  sur  la  figure  du  beau  ; 
mais,  cà  la  réflexion,  on  trouve  plus  absurde  encore  de 
borner,  comme  le  voudraient  quelques  modernes,  l'exa- 
men des  chefs-d'œuvre  de  l'époque  ou  de  l'école  de 
Phidias  à  un  commentaire  historique.  Indépendam- 
ment de  leur  immense  influence,  il  faut  bien  leur  re- 
connaître un    autre    mérite  qu'aux  chefs-d'œuvre  des 


85  ATHEXKS   A  X  TRIQUE 

autres  milieux  et, des  autres  temps.  Le  soin  même  que 
Ton  a  pris  (Taine  dans  sa  Philosophie  de  fart, 
iM.  Boutmvdans  sa  Philosophie  de  f  architecture  en  Grèce) 
de  courber  ces  ouvrages  aux  règles  du  vulgaire  n'a 
servi  qu'à  faire  sentir  qu'ils  ne  s'v  courbent  point  et 
pour  quelle  raison. 

J'ai  relu  comme  tout  le  monde  l'ouvrage  de 
M.  Boutmv,  publié  avec  une  intéressante  préface  sous 
ce  titre  nouveau  :  le  Parthénon  et  le  génie  grec.  C'est 
un  beau  livre,  si  lucide  qu'il  est  impossible  de  le  lire 
une  fois  sans  en  distinguer  le  vice  fondamental. 
M.  Boutmv  s'efforce  avec  ingéniosité  de  rattacher 
l'œuvre  des  architectes  et  des  sculpteurs  du  Parthénon 
au  genre  d'imagination,  au  tour  d'esprit,  au  goût 
d'hommes  d'un  certain  groupe,  vivant  à  un  certain 
moment  dans  un  certain  endroit.  Il  est  vrai  qu'il  y 
réussit.  Ce  qu'il  affirme  est  juste.  Par  sa  structure 
comme  par  son  ornement,  dans  son  architecture  comme 
dans  sa  décoration,  le  Parthénon  est  chose  essentiel- 
lement athénienne.  M.  Boutmv,  sur  cet  article,  aura 
gain  de  cause.  Il  a  raison.  Où  il  se  trompe,  c'est  quand 
il  tend  à  nier  (lisons  bien  ses  dernières  pages)  que 
cet   édifice    athénien    soit    aussi    l'expression    parfaite 


A  THÉ  NE  S  A  NTIQ  UE  87 

d'une  pensée  humaine  supérieure  aux  variations  de 
l'histoire  et  de  la  nature.  11  se  trompe,  et  il  a  ras- 
semblé les  matériaux  les  plus  propres  à  faire  éclater 
son  erreur  ;  il  s'est  lui-même  réfuté  au  chapitre  ad- 
mirable où,  définissant  l'Athénien,  il  établit  que,  jus- 
tement, le  signe  distinctif  de  l'homme  d'Athènes  était 
de  posséder,  à  un  degré  de  force  unique,  ce  par  quoi 
les  hommes  sont  hommes,  la  raison. 

«  Ce  peuple  d'hommes  d'élite  »,  comme  Lamar- 
tine nomma  les  Athéniens,  eut  ceci  de  particulier  :  il 
prit  plaisir  à  imaginer  les  relations  stables,  perma- 
nentes, essentielles.  L'esprit  philosophique,  la  promp- 
titude à  concevoir  l'Universel  pénétrait  tous  ses  arts, 
principalement  la  sculpture,  la  poésie,  l'architecture 
et  l'éloquence.  Dès  qu'il  cédait  à  ce  penchant,  il  se 
mettait  en  communion  perpétuelle  avec  le  genre  hu- 
main. A  la  bonne  époque  classique,  le  caractère  do- 
minant de  tout  l'art  grec,  c'est  seulement  l'intellec- 
tualité  ou  l'humanité.  Les  merveilles  qui  ont  mûri  sur 
l'Acropole  sont  par  Là  devenues  propriété,  modèle  et 
aliment  communs  ;  le  classique,  l'attique  est  plus  uni- 
versel à  proportion  qu'il  est  plus  sévèrement  athé- 
nien, athénien  d'une  époque  et  d'un  goût  mieux  pur- 


88  AT  H  É  .V  ES  A  X  TIQUE 

gés  de  toute  influence  étrangère.  Au  bel  instant  où 
elle  n'a  été  qu'elle-même,  TAttique  fut  le  genre  hu- 
main. 


Ces  réflexions  suffisent  à  justifier  le  principe  des 
humanistes  de  la  Renaissance  dont  elles  excusent 
jusqu'aux  abus  et  aux  erreurs.  Elles  fournissent  le 
moyen  de  refaire  une  hiérarchie  dans  les  arts  selon  le 
degré  d'humanité  des  ouvrages  que  l'on  compare.  Ce 
degré,  reste  à  le  sentir.  Reste  à  avoir  bon  goût.  11 
n'est  pas  impossible,  si  l'on  en  a  quelque  semence,  de 
le  perfectionner.  11  suffit  de  se  mettre  en  présence  des 
belles  choses  en  les  laissant  venir  à  soi. 

Aucune  action  n'est  plus  réelle.  On  se  sent  mo- 
delé par  la  beauté  vivante,  comme  repris  et  retouché 
par  le  regard  d'une  amie  délicate  etflère.  Hors  de  cette 
exquise,  de  cette  sainte  tradition,  tout  est  faible,  chétif 
et  secrètement  vicié.  Je  tourne  à  la  hâte  les  pages  des 
notes  que  j'ai  prises  dans  les  petites  salles  fraîches  de 
ce  musée  de  l'Acropole  oi.i  l'on  a  placé  les  restes  de 
la  frise  du  Parthénon.  Ce  sont  des  pages  qui  me  re- 
gardent au  fond  de  l'àme. 


ATHÈNES  ANTIQUE  89 

Vers  les  plus  beaux  de  ces  fragments,  les  trois  Di- 
vinités assises,  ou  \ts  Jeunes  gens  aux  taureaux,  combien 
de  vœux  et  de  prières  !  mais,  en  retour,  tombant  jus- 
qu'à moi  de  si  haut,  quelle  confirmation,  quel  conseil 
de  volonté,  de  force  et  de  vie  !  La  Victoire  sans  tête, 
sans  ailes,  et  qui  vole  plutôt  qu'elle  ne  court  tout  en 
renouant  sa  sandale,  cette  jeune  déesse  emporte  sur 
les  ondes  de  son  vêtement  déployé  les  plus  grandes 
leçons  de  style,  c'est-à-dire  de  mesure  et  d'enthou- 
siasme. Le  cœur  ne  sait  que  préférer  de  la  vitesse  im- 
pétueuse ou  de  la  grâce  naturelle,  magnifiquement  ac- 
cordées. 


A  l'Acropole,  il  n'y  a  guère  que  des  ouvrages  ar- 
chaïques ou  semi-archaïques,  et  des  chefs-d'œuvre 
purs.  Rue  de  Patissia,  le  musée  central,  extrêmement 
varié,  permet  au  visiteur  des  comparaisons  instruc- 
tives. Après  le  laid  des  Mycéniens  et  des  primitifs,  on 
peut  voir  le  laid  des  auteurs  de  la  décadence. 

Je  ne  les  voyais  presque  pas  ;  tous  mes  après-midi 
coulaient  de  préférence  devant  cette  œuvre  d'une  pieuse 
volupté,   le  bas-relief  de    Ce'rès,   de   Proserpine  et   de 


(jo  ATHENES    ANTIQUE 


Triptolème  trouvé  à  Eleusis,  ou  devant  les  fragments 
rapportés  d'Épidaure,  deux  torses  d'Esculape  assis,  d'un 
aspect  si  majestueux  que  mon  ignorance  prit  d'abord 
ce  fils  d'Apollon  pour  Tauguste  enfant  de  Saturne.  Je 
visitais  encore  la  Néréide  équestre  et  cette  Amazone  tron- 
quée de  la  tète  et  de  tous  les  membres,  qui  enlevé  un 
cheval  mutilé  :  la  puissance  de  son  allure,  la  finesse 
des  formes  enivre  à  jamais  le  regard. 

Je  traînais  avec  une  complaisance  presque  éternelle 
dans  la  petite  abside  où  de  pauvres  tètes,  brisées, 
hachées  et  martelées,  laissent  sous  un  angle  entrevoir 
la  majesté  d'un  dieu  ou  le  rire  d'une  déesse.  La  svelte 
Hermès  cfAndros,  le  bas-relief  de  Mantinée,  qui  sup- 
portait un  ouvrage  de  Praxitèle  et  qui  lui-même  reste, 
ne  serait-ce  que  pour  la  draperie  des  Trois  muses,  une 
délicieuse  merveille,  le  joli  groupe  (exécuté  d'après 
Céphisodote)  de  Plutus  riant  à  sa  mère,  la  douce  Paix, 
mille  choses  parfaites  me  tenaient  ainsi  prisonnier. 

Je  traversais  les  salles  de  l'art  hellénistique,  alexan- 
drin ou  gréco-romain  pour  courir  aux  stèles  funèbres 
qui  prolongeaient  mes  rêveries  du  Céramique;  à  la  col- 
lection infinie  des  lampes,  des  vases,  des  lécythes;  à  ces 
Tanagrines  charmantes  qui  serviraient  à  faire  entendre, 


ATHÈNES  ASTK)i'E  9' 


si  on  l'oubliait,  ce  qu'il  peut  tenir  de  grandeur  en  un 
petit  poème.  De  toute  façon,  les  galeries  de  sculpture 
postérieure  à  Tatticisme  ne  me  servaient  que  de  ves- 
tibule. 

Cependant,  un  jour,  une    envie  me  pressa  de  voir 
en  détail  comment  se  corrompirent,  chez  un  peuple  si 
bien  doué,    le  génie   et  l'intelligence   des  arts,    et  ma 
pensée  osa  fixer  ce  qu'elle  avait  fui   jusque-là.   Je  vis 
paraître  presque  sans  transition,  après  les  nobles  carac- 
tères qui  m'étaient  devenus  chers,   les  hideuses  têtes 
syriennes  du  type  de  Lucius  Verus,  puis  les  chefs  lourds 
et  massifs  du  rustre  latin...  Une  sorte  d'athlète,  d'un 
travail  curieux  et  violent,  tendait  sa  musculature  pré- 
tentieuse ;  des  éphèbes  aux  bras  arrondis,  des  Aphro- 
dites  tremblotantes  et  flexibles  comme  des  joncs  ;  des 
vérités  trop  ressemblantes  ou  des  faussetés  trop  men- 
teuses ;  un  air  de  dissolution  et  de  contrainte  tout  à 
la  fois,  Épicure  et  Zenon  confrontés  et  quelquefois  en- 
tre-choqués  dans  le  même  marbre  ;  de-ci  de-là,  quel- 
ques efforts  heureux,  qui  me  remettaient  en  mémoire 
que  le  premier  déclin  de  la  statuaire  hellénique  fut  su- 
blime après  tout,  puisque  notre  Vénus  du  Louvre  y 
a  brillé,  dit-on,  et    toujours    je  ne    sais    quel  air  ina- 


92  AT  H  È  N  E  S   A  N  TI Q  UE 

chevé,  ou  d'achèvement  trop  sensible,  l'absence  ou 
l'incertitude  des  traditions  et  l'oubli  de  la  liberté  !  Mais 
les  qualités  les  plus  rares,  jetées  à  profusion  et  comme 
au  pillage. 

«  Il  y  a  dans  Fart  un  point  de  perfection  comme 
de  bonté  et  de  maturité  dans  la  nature...  » 

Le  beau  fruit  grec  en  déhiscence  me  confessait  en- 
core le  mystère  de  son  destin.  Il  me  faisait  comprendre 
la  signification  du  point  mystérieux,  maximum  de  vi- 
gueur et  de  densité,  qui  domine  et  qui  enveloppe  le 
reste  ;  ce  qui  semble  au-dessus,  ce  qui  semble  au 
delà  n'est  entendu  ni  accru  que  de  vide  pur.  L'énorme 
et  le  géant  ne  sont  aimés  que  de  la  foule  :  leur  bour- 
souflure se  dégonfle  et,  en  se  dégonflant,  publie  que 
les  grandeurs  sont  tenues  en  abrégé  dans  la  perfection. 
Celle-ci  sera  l'élément  auquel  se  rapporter.  C'est  sur 
lui  qu'il  faut  régler  tout. 

Seul,  un  buste  au  milieu  de  cette  galerie  lugubre 
manqua  de  me  faire  sourire.  Il  représentait  un  pauvre 
homme  d'empereur,  le  vieil  Hadrien,  épanoui  dans  son 
atticisme  d'école.  Je  le  jugeai  fort  à  sa  place,  et  le 
saluai  en  rêvant.  Hélas  !  tout  compte  fait,  le  monde 
romain  s'acquitta  mal  auprès  de  la  Grèce.  A  quoi  pen- 


Esculape  d'Épidaure 


L'Amazone  d'Épidaure 


ATHÈNES  ANTIQUE  93 


saient-ils  donc,  ces  administrateurs  modèles,  qui  ne 
sauvèrent  pas  leur  éducatrice  des  pièges  que  lui  ou- 
vraient son  intelligence  et  son  ouverture  d'esprit  ?  Ce 
furent  de  mauvais  tuteurs.  Non  seulement  ils  ne  surent 
point  la  guérir  des  lèpres  sémites,  mais  tout  le  mal 
qu'Alexandrie  n'avait  pu  faire  au  monde  grec,  Rome, 
on  peut  le  dire,  le  fit.  11  est  vrai  que  Rome,  à  son 
tour,  périt  du  même  mal,  en  entraînant  son  lot  d'hellé- 
nisme et  d'humanité. 


L'HYMETTE 


L'HYMETTE 


L'Attique  n'est  pas  l'Orient.  C'est  exactement  le 
contraire  de  tout  ce  que  notre  imagination  peut  at- 
tacher à  ce  terme  d'oriental.  C'est  le  pays  de  la  nuance 
et  du  sourire,  de  la  grâce  dépouillée  de  toute  mol- 
lesse, des  plaisirs  vigoureux  bien  tempérés  par  la  vertu. 
Il  m'était  difficile  de  ne  point  en  aimer  tous  les  moin- 
dres aspects,  que  je  découvrais  chaque  jour  quand  un 
heureux  caprice  m'entraînait  à  travers  la  campagne 
d'Athènes.  Je  connaissais  Colone  et  Cephisia,  Eleusis, 
les  deux  Phalères  et  la  péninsule  d'Acte.  Sans  quitter 
ces  choses  divines,  il  me  vint  le  désir  de  les  embras- 
ser toutes  à  la  fois  d'un  regard,  et  c'est  ainsi  qu'un  beau 
matin,  après  avoir  gravi  la  fine  aiguille  du  Lycabète, 
je  pris  la  route  de  l'Hymette  qui  me  paraissait  tout 
voisin.    L'air   de  ce   beau    pays   est    si    pur  qu'il    est 


0 s  A  T II È  N E  S  A  NTIQ  U E 

presque  impossible  à  un  étranger  de  ne  pas  se  tromper 
souvent  sur  les  distances. 

Je  dus  cheminer  fort  longtemps,  sous  le  dur  so- 
leil, dans  une  campagne  chauve  comme  la  main  et 
parfaitement  solitaire.  Une  multitude  de  petites  col- 
lines à  la  croupe  desquelles  se  jouent  des  sentiers  pa- 
resseux défend  d'abord  de  la  montée  proprement  dite. 
Quelques  bouquets  de  thym  (visités  par  l'abeille,  en 
dépit  des  mauvais  propos  des  voyageurs)  échappent  çà 
et  là  d'entre  la  pierre  incandescente.  De  loin  en  loin 
un  pin  couleur  de  bronze  étend  son  ombelle  pieuse 
et  charge  le  vent  chaud  du  rude  parfum  de  ses  fleurs. 
Mais  un  détour  soudain  modifie  absolument  le  paysage. 
Un  bocage  apparaît,  si  touffu  ef  chargé  d'une  senteur 
si  fraîche  qu'on  ne  se  défend  pas  de  songer  aux  berges 
d'un  fleuve  et  à  la  profondeur  d'une  vaste  forêt. 

Un  filet  d'eau  froide  a  creusé  ce  vallon,  procréé 
cet  ample  jardin.  Les  Athéniens  m'avaient  averti  des 
délices  de  Césariani,  mais  le  lieu  me  surprit,  rien  ne 
m'ayant  permis  de  le  concevoir  si  charmant. 

Des  arbres  éternels,  ces  nobles  arbres,  orgueil  et 
joie  du  bassin  des  mers  helléno-latines,  aucune  es- 
sence ne  manquait  :  pin,  olivier,  laurier,  cyprès,  cha- 


ATHÈNES  ANTIQUE  99 


cune  prospérait  et  riait  selon  sa  manière.  Mais  j'y 
comptai  aussi  le  chêne  vert  et  blanc  et,  je  crois,  les 
dieux  me  pardonnent,  de  grands  tilleuls,  sous  leur 
pâle  feuille  nouvelle.  Tout  cela  magnifiquement 
élancé.  De  beaux  troncs  lisses  projetés  et  comme  étirés 
jusqu'au  ciel  attendaient  presque  d'y  toucher  pour 
épanouir  leur  ramure. 

L'ancien  couvent  de  Césariani,  sa  chapelle,  la  mé- 
tairie qu'on  a  essavé  de  tirer  de  toutes  ces  ruines 
disparaissent  dans  ce  petit  océan  de  claire  verdure. 
Trois  colonnes  d'un  marbre  rose,  peut-être  le  dernier 
débris  d'un  antique  temple  à  Cypris  que  les  archéolo- 
gues ont  cru  relever  en  ce  lieu,  semblent  naines  et 
misérables  dans  la  foret  de  ces  troncs  sveltes  et  dé- 
licats comme  de  la  chair.  Seule,  à  l'écart  des  arbres 
et  des  herbes  qu'elle  nourrit,  la  fontaine  dégorge  son. 
petit  flot  glacé  sous  le  rocher  natal  ajusté  en  forme 
de  toit.  Je  me  couche  à  l'entrée  de  cette  grotte  vé- 
nérable, abreuvoir  des  troupeaux  et  therme  rustique 
des  pâtres,  où  se  fit  la  rencontre  des  Chloé  primitives 
et  des  anciens  Daphnis.  C'est  en  effet  le  pur  paysage 
de  l'idylle  et,  comme  si  la  tlùte  allait  éveiller  les 
échos,  je  m'attardai   longtemps  à    y  réciter    l'églogue 


.1  TIIK  SES  A  A'  Tin  LE 


de    Virgile    et    le    sonnet    bucolique    de    Cervantes. 

iMidi  me  remit  en  chemin.  Reposé,  rafraîchi,  le 
manteau  roulé  à  Tépaule,  il  était  maintenant  délicieux 
de  faire  un  effort.  Le  sentier  fut  vite  perdu.  Mon 
plaisir  en  fut  prolongé.  L'Hymette  se  compose,  à  cet 
endroit,  d'un  étagement  de  terrasses,  dont  chacune 
fort  médiocre  semble  annoncer  à  chaque  instant  la 
découverte  de  l'autre  versant.  Mais  les  plateaux  su- 
perposés se  multiplient  au  fur  et  à  mesure  de  la 
montée. 

Elle  dura  deux  heures.  Enfin  un  petit  cône  qui 
était  sur  la  gauche  me  parut  dominer  de  beaucoup 
tous  les  environs.  Les  pieds  en  sang,  les  cheveux  col- 
lés à  la  tempe,  je  me  traînai  vers  lui  comme  au 
sommet  probable  de  toute  l'échiné. 

J'y  fus  accueilli  d\in  grand  vent  et  d'un  froid 
extrême,  mais  l'horizon  qui  se  découvrait  à  la  vue  me 
fit  négliger  ces  misères.  J'en  oubliai  même  de  me  re- 
tourner pour  donner,  comme  je  m'en  étais  fait  la  pro- 
messe, mon  premier  regard  au  champ  de  l'Attique. 
Cette  belle  Attique  fut  oubliée.  L'Orient  seul  épanoui 
depuis  la  moitié  de  l'Eubée  jusqu'à  l'extrême  pointe  de 
Sunium,  l'Orient  et  le  chœur  des  premières  Cyclades, 


ATHÈNES  ANTIQUE 


Céos,  l'ile  d'Hélène,  la  fine  Belbina  bombée  comme 
un  bouclier  sur  le  plat  de  la  mer,  cette  mer  elle-même 
aussi  fluide,  aussi  légère,  aussi  éthérée  que  le  ciel  et 
trempée  dans  ses  profondeurs  d'une  magnifique  lu- 
mière, l'Orient  et  son  ciel  où  l'oblique  soleil  prome- 
nait des  flammes  limpides  et  creusait  une  suite  indéfinie 
d'arceaux  azurés,  cet  imperturbable  Orient  m'enveloppa 
de  sa  stupeur  pacifique  et  sereine,  et  je  le  saluai  comme 
un  grave  mystère  d'unique  volupté.  Les  nymphes  in- 
sulaires glissaient  nonchalamment  sous  le  pli  de  la 
nappe  bleue.  Ni  la  mer  ni  les  terres,  ni  même  le  ciel 
ne  paraissaient  capables  de  défaire  le  lien  qui  les  en- 
tremêlait, et  la  douce  beauté  de  toutes  ces  choses  sen- 
sibles y  tenait  le  cœur  prisonnier. 

C'est  en  vain  que,  du  côté  du  nord,  de  hautes  et 
massives  montagnes  encore  coiflées  de  leur  neige,  le 
Pélion,  la  chaîne  de  l'Olvmpe  de  Thessalie  me  rappe- 
laient quantité  de  fables  austères  comme  la  naissance 
du  monde  ou  les  premières  origines  de  la  défense  de 
l'Hellène  nouveau-né  contre  les  peuplades  d'Asie.  Je 
cherchais  sur  la  mer  le  sillage  brillant  de  la  fuite  d'Hé- 
lène ou  la  conque  de  roses  sur  laquelle  apparut  la  déesse 
dans  sa  beauté.  Toutes  les  séductions  chantaient  vers 


ATffKXES  AXTInil-: 


ce  lointain  d'une  pureté  sans  pareille,  sur  les  roches 
d'onvx  et  d"or,  sur  les  fines  écailles  de  la  mer  et  du 
ciel.  Les  déclivités  molles  du  paysage  depuis  la  cime 
d'où  je  les  contemplais  jusqu'à  l'horizon  éloigné  invi- 
taient elles-mêmes  à  la  rêverie  du  bonheur,  et  du 
plus  indulgent.  Plus  de  héros  :  des  dieux.  Les  dieux 
mêmes  semblaient  s'évanouir  dans  un  immense  amour 
sans  bornes,  dans  le  pur  sentiment  d'une  complai- 
sance infinie. 

Tel  était  du  haut  de  cette  seconde  montagne  de 
l'Attique  (le  Pentélique  est  la  première)  l'abîme  oriental 
où  se  noyaient  ensemble  mon  esprit  et  mes  veux. 
L'aboiement  d'un  chien  de  berger,  qui  courait  avec 
son  troupeau,  me  tira  tout  à  coup  du  songe.  En  me 
retournant,  j'aperçus,  dessinée  avec  ses  hameaux,  son 
port,  son  .acropole,  avec  son  golfe  et  les  grandes  iles 
prochaines,  la  plaine  attique  et  la  merveille  de  sa  di- 
versité. De  sorte  que  le  caractère  se  détacha  avec 
une  force  inouïe.  Face  à  cet  Orient  qui  opposait  sa 
vague  et  brillante  unité,  trop  semblable  à  la  confusion, 
je  ne  pus  m'empècher  de  crier  en  moi-même  :  Netteté! 
netteté!  comme  en  d'autres  affaires  on  peut  s'écrier 
volupté  !  La  distinction,  la  découpure  de  ces  détails  et 


ATHENES  ANTIQUE 


io3 


de  leur  ensemble  éclataient  si  bien  que,  par  un  phé- 
nomène d'harmonie,  le  ciel  participa  de  la  diversité 
des  figures,  chargé  d'une  flotte  de  petits  et  de  gros 
nuages  qui  le  marbraient.  Ces  théories  de  vapeurs 
longues  et  subtiles,  voguant  sur  le  sol  déboisé,  s'y  pei- 
gnaient aussi  bien  que  sur  le  miroir  de  la  mer. 

Tout  vivait  et  luttait;  tout  disait  la  peine  ou  la 
joie,  le  rire  et  les  larmes  avec  les  innombrables 
nuances  qui  tiennent  le  milieu  entre  ces  états.  Que 
d'humanité!  Que  de  grâce!  Que  de  légèreté  et  de 
profondeur  ! 

En  me  récitant  cette  litanie,  je  disais,  en  songeant 
aux  ouvriers  de  tant  de  merveilles  : 
—  Le  beau  naturel,  l'art  divin  ! 
Mais  le  ciel  mouvant  se  chargeait  de  nuées  de 
plus  en  plus  lourdes.  Le  golfe  Saronique  se  teignit  de 
cendre  et  de  nuit.  Et,  bien  que  l'Orient  toujours  se- 
rein fût  échauffé  de  l'ardeur  céleste  et  marine,  le  froid 
se  faisait  vif;  la  position  devenait  presque  intenable 
sur  la  montagne.  D'ailleurs,  comme  jadis  au  milieu  des 
dèmes  attiques,  Athènes  souriait  sous  Torage  et  me 
conseillait  doucement  de  chercher  son  abri.  Pourquoi 
ne  pas  le    dire  ?  On   le  devinerait.  En  me  rendant  au 


I04  ATHÈNES  ANTIQUE 

juste  conseil  athénien,  je  rêvais  en  secret  de  lui  échap- 
per. Je  rêvais  au  mystique  brasier  de  TOrient  sur  le- 
quel m'attachaient  de  longs  regards  chargés  de  cu- 
riosité douloureuse.  Blondes  îles  pétries  dans  l'argent 
liquide  et  dans  l'or  !  Onde  merveilleuse,  épanchée, 
m'eût-on  dit,  des  substances  supérieures  !  Clarté  vaste 
et  profonde  où  le  monde  entier  communie!  Lorsque  j'eus 
consenti  à  les  quitter  enfin,  ce  fut  à  reculons  que  je  des- 
cendis de  la  crête,  mais  je  la  remontai  dix  fois,  découvrant 
à  chaque  retour  une  beauté  nouvelle  aux  vapeurs  éloi- 
gnées, mourantes,  de  Céos,  au  long  corps  élégant  de 
l'île  d'Hélène,  au  bouclier  de  Belbina  fondu  dans  l'azur. 

Dix  fois,  je  ne  sais  quel  lyrisme,  uni  comme  un 
parfum  aux  noms  des  beaux  lieux  répétés,  noya  ma 
volonté  dans  toute  sorte  de  vœux  absurdes  et  d'impos- 
sibles espérances.  Je  savais  et  savais  fort  bien  quelles 
Cyclades  se  découvrent  de  FHymette,  et  je  me  deman- 
dais cependant  si  la  vue  ne  saurait  pas  joindre  les 
autres  par  delà  l'horizon.  Je  me  les  nommai  toutes 
jusqu'à  Samos,  jusqu'à  Lesbos,  et  je  ne  sais  pourquoi 
le  nom  de  Milo  me  retint  aussi  fort  longtemps  : 

—  Cette  Milo,  disais-je,  en  forme  de  croissant  de 
lune  ! 


ATHÈNES   ASTI{)L'E  it)5 


La  descente  eut  lieu  cependant.  Elle  fut  lente.  Elle 
fut  vaine,  ou  à  peu  près.  Ma  mémoire  flottait  dans  la 
poudroyante  lumière.  C'est  en  vain  que  l'Hymette  se 
vêtit,  ce  soir-là  comme  tous  les  autres,  d'un  réseau  de 
pourpre  dorée  et  que  les  asphodèles  ondulèrent  en 
chœur  sur  les  pentes  de  mon  chemin.  Au  seuil  de 
la  grave  déesse,  devant  les  fanaux  allumés,  je  chan- 
celais encore  comme  l'homme  que  le  vm  d'Asie  a 
troublé. 


LA   NAISSANCE   DE  LA  RAISON 


LA  NAISSANCE    DE  LA  RAISON 


Allez  à  Olympie,  afin  de  voir  le  travail 
de  Phidias,  et  que  chacun  de  vous  consi- 
dère comme  un  malheur  de  mourir  dans 
l'ignorance  de  ces  merveilles. 

Épictète. 


Des  sept  merveilles  du  monde  antique,  quatre  ont 
péri  ou  n'ont  laissé  que  des  débris  informes  ;  une,  la 
grande  Pyramide,  résiste  aux  moyens  de  transfert  ; 
mais  les  deux  autres  sont  à  Londres  ;  les  Anglais  n'ont 
pas  manqué  de  les  confisquer.  Toutes  les  deux  se 
trouvent  au  musée  Britannique  :  une  galerie  enveloppe 
ce  qui  reste  du  Mausolée,  les  statues  de  l'inconsolable 
Artémise  et  de  son  époux,  une  des  colossales  roues  de 
pierre  qui  tenaient  au  char  de  Mausole,  des  chevaux, 
des  lions   et   les  piliers   énormes   qui    supportaient  le 


A  THÈSES  A  .V  TIQ  UE 


faîte  du  monument  ;  une  autre  salle  nous  conserve  des 
débris  importants  du  temple  de  la  grande  Diane  des 
Éphésiens,  massives  colonnes  doriques  sur  piédestaux 
à  double  étage  couverts  de  sculptures  de  grandeur  na- 
turelle, ici  d'un  archaïsme  à  peu  près  voisin  du  bar- 
bare, et,  plus  bas,  presque  athéniennes  par  la  pureté, 
la  noblesse,  l'aisance  et  la  vive  énergie. 

Les  Anglais  ravisseurs  ont  donc  couru  dans  tous 
les  sens  la  patrie  de  notre  art  ;  ils  en  ont  fauché  et 
pris  le  plus  beau.  Dès  le  seuil,  j'ai  dû  reconnaître  dans 
la  foule  de  ces  captifs  et  de  ces  captives  un  compa- 
triote enchaîné.  Je  veux  parler  du  jeune  athlète  qui  se 
tient  à  l'entrée  du  «  first  greco-roman  saloon  »  et  qui 
porte  le  numéro  600.  C'est  un  jeune  homme  de  marbre, 
nu,  de  corps  ferme  et  robuste,  qui  passe  pour  une  ré- 
plique (en  ce  cas,  excellente)  de  l'athlète  de  Polyclète  : 
il  a  été  découvert  en  Provence,  près  de  Vaison,  dans 
le  département  de  Vaucluse.  Quel  dieu  méchant  ou 
quel  concours  de  destinées  fâcheuses  ont  conduit  jus- 
que-là, sous  le  ciel  gris,  dans  l'air  humide,  cet  éphèbe 
de  notre  sang  } 

Mais  son  malheur  me  touche  à  peine.  Il  est  ici 
des  infortunes  plus  touchantes  et  de  plus  illustres  dou- 


ATHÈNES   ANTIQUE 


leurs.  Une  Aphrodite  de  la  collection  Tornley  rappelle, 
par    la   disposition    de    son    vêtement,   le    renflement 
suave  des  hanches  et  de  la   nuque,  l'inclinaison  de  sa 
petite  tête  et  la  chevelure  doucement  ondulée,  la  noble 
Milienne  du  Louvre.  Un  discobole  lui  fait  face,  assez 
proche  parent  de  celui  de  Myron...  Dans  la  salle  qui 
suit,  quelques  antiquités  plus  curieuses  que  belles  se- 
raient   propres  à   nous  consoler,  en   nous    offrant  une 
occasion    nouvelle    de  railler  le    penchant  des   Anglais 
pour  le  bizarre,  si,   au  même  lieu,  d'autres  pièces  ne 
montraient  un  piquant  et  charmant  alliage  de  l'étrange 
et  d'un  beau  très  pur.  J'ai  longtemps  contemplé,  mais 
moins  en  curieux  qu'en  amant,  cette  jeune  Gréco-Ro- 
maine à    la  chevelure  ingénieusement  travaillée,   aux 
joues  pleines  et  grasses,  au  cou  voluptueux,  à  la  gorge 
ronde   et   profonde    sous   une  tunique    découverte   et 
demi-rompue  ;   son   beau   buste    jaillit  d'un   calice    de 
fleur  dont  les  pétales  se  renversent  avant  de  le  cou- 
vrir et  de  l'envelopper. 

Art  sensuel  et  dégénéré,  je  m'en  doute  bien,  et  qui 
ferait  penser  aux  pires  inventions  modernes,  mais  dé- 
licat, mais  fm,  et  noble  encore  par  ses  souvenirs. 


.1  THÈ NES  A  X  TIQ  UE 


Pour  les  salles  suivantes,  toute  critique  du  goût 
anglais  devient  chimérique.  Notre  petite  salle  grecque 
du  Louvre  contient  quelques  morceaux  exquis  dont 
nos  voisins  ont  cru  devoir  acquérir  les  moulages.  Nous 
avons  la  Vénus,  nous  avons  la  Victoire.  Mais  ici,  les 
morceaux  de  maître,  les  pièces  de  premier  intérêt 
font  loi.  Dans  la  salle  archaïque,  en  particulier,  si 
ennemi  que  Ton  puisse  être  de  Tarchaïsme  grec  ou 
pseudo-grec,  on  ne  peut  être  indifférent  aux  vestiges 
recollés  du  Monument  des  harpyes. 

11  forme  un  bloc  carré  revêtu  sur  ses  quatre  faces 
de  bas-reliefs.  Les  figures  féminines  qui  y  sont  ins- 
crites rappellent,  avec  moins  de  fini  dans  la  main- 
d'œuvre,  moins  de  splendeur  dans  la  matière,  les  prê- 
tresses de  marbre  du  premier  Parthénon  :  fixe  sourire 
éginétique,  yeux  longuement  fendus  en  forme  d'amande, 
bridés  à  la  mongole,  cheveux  tressés  avec  minutie  et 
tombant  en  flot  hiératique  sur  le  cou  et  sur  les  épaules, 
enfin  colliers,  bijoux,  vains  ornements  de  toute  sorte... 
Mais  faction  est  originale;  des  théories  suppliantes  se 


ATHÈNES   ANTinUF  "3 


sont  mises  en  marche  vers  les  Divinités  infernales. 
Assises  tout  droit  sur  leurs  trônes,  ces  dernières  jettent 
les  yeux  sur  les  offrandes  apportées.  Ce  sont  des  fruits, 
des  fleurs.  J'ai  distingué  des  roses,  des  pavots,  des  gre- 
nades. Ce  sont  encore  des  animaux  domestiques,  comme 
le  coq  cher  à  Hécate.  Puis  des  casques  de  guerre 
ou  d'autres  objets  usuels. 

Quelle  put  être  Tintention  des  sculpteurs,  je  l'ignore  ; 
s'ils  ont  voulu  montrer  des  démarches  propitiatoires, 
il  ne  semble  pas  qu'elles  aient  eu  un  grand  succès 
près  des  déesses  de  l'Érèbe.  En  deux  bas-reliefs  sur 
quatre,  des  figures  sinistres  emportent  les  mortelles 
palpitantes  et  désolées.  Je  ne  sais  si  ces  monstres  sont 
des  harpyes  ou  des  sirènes.  Le  tronc,  en  forme  d'outre, 
est  surmonté  d'une  figure  de  femme  et  pourvu  d'une 
paire  d'ailes.  Ils  s'emparent  de  leurs  victimes  en  écla- 
tant d'un  rire  qui  découvre  toutes  leurs  dents. 

On  reconnaît  à  vingt  détails  de  ce  singulier  mo- 
nument, d'un  sens  si  profond  et  si  vague,  l'imagina- 
tion de  la  Vie  et  de  la  Mort  telle  que  devait  la  com- 
muniquer un  jour  à  l'Europe  et  au  reste  du  genre 
humain  le  mystique  génie  de  Sem. 

De  la  salle  archaïque  on  peut  entrer  directement 


114  ATHÈXES   AXTJQUE 

dans  le  dépôt  des  figures  et  figurines  que  lord  Elgin  a 
fait  descendre,  des  murailles  du  Parthénon.  Mais  il  vaut 
mieux  faire  un  détour  pour  traverser  le  vestibule  où 
le  nerveux  et  svelte  Apollon  de  la  collection  Choiseul- 
Gouffier  fait  face  à  la  plus  belle  Cérès  qui  soit  au 
monde.  Cette  Cérès,  on  peut  l'appeler  Démèter,  car 
elle  est  bien  la  mère  grecque  des  semences,  des  mois- 
sons, la  force  natale  des  champs  ;  mais  j'éprouve  un 
plaisir  particulier  à  la  prier,  selon  ma  coutume,  en 
latin  :  sa  chaste  gravité,  son  attitude  simple,  l'austère 
forme  de  la  coiflure,  ce  pan  de  voile  ramené  au-des- 
sus de  sa  belle  tète,  me  rappelle  les  traits  des  saintes 
matrones  latines.  Je  lui  chante  tout  bas  les  vers  de 
Melœnis  : 

Elles  vivaient  ainsi,  les  mères  d'Etrurie, 
Celles  du  Latium  et  du  pays  sabin... 

Un  autre  détour  à  travers  les  antiquités  assv- 
riennes  permet  de  voir,  soit  la  chambre  dite  des  Né- 
réides (Victoires  assez  belles,  palpitant  sur  les  piédes- 
taux), soit  la  salle  de  Phigalée,  qui  montre  encastrés 
dans  son  mur  d'admirables  bas-reliefs  funéraires,  avec 
les  moulages  des  deux  meilleures  pièces  de  cet  ordre 
qui  soient  gardées  dans  les  divers  musées  athéniens. 


ATHÈNES  ANTIQUE  i>5 


Mais,  pendant  cette  promenade  à  travers  les  lieux 
secondaires  du  musée  Britannique,  l'aile  du  désir  m'em- 
portait à  l'essentiel... 

La  salle  Elgin  est  une  galerie  fort  longue,  point 
trop  mal  éclairée  et  du  reste  pourvue  de  globes  élec- 
triques puissants  ;  mais  le  visiteur  n'y  peut  pas  recu- 
ler à  sa  fantaisie,  selon  les  exigences  des  belles  choses 
qu'il  contemple.  Ce  peuple  opulent  n'a  point  fait  à  ses 
brigandages  un  palais  qui  fût  digne  d'eux.  Non  seu- 
lement ils  dépérissent  par  la  faute  de  l'air  ou  perdent 
leur  valeur  par  la  qualité  malheureuse  de  la  lumière, 
mais  l'espace  même  leur  manque.  Le  mal,  il  est  vrai, 
est  petit.  Pour  qui  passe  en  ce  lieu,  tous  les  mots 
perdent  de  leur  force,  et  il  arrive  ce  que  Gœthe  con- 
sidérait comme  l'effet  propre  de  la  beauté  : 

«  Qui  la  contemple  ne  peut  être  efjhiin'  d'aucun  mal 
et  se  sent  en  harmonie  avec  lui-même  et  avec  FUnivers.» 

Personne  n'ignore  que  lord  Elgin,  ambassadeur  de 
l'Angleterre  auprès  de  la  Sublime  Porte,  obtint  en  1801 
un  firman  qui  l'autorisait  à  faire  d'Athènes  sa  proie. 


1 1 6  .4  THE XES  A  X  TIQ  CE 

Pendant  deux  ans  entiers,  le  ravisseur  fut  déchaîné.  Le 
Parthénon,  déjà  meurtri  par  une  bombe  vénitienne 
lancée  en  1687  par  un  capitaine  allemand  de  l'escadre 
de  Morosini,  livra  à  la  rapine  le  principal  de  sa  déco- 
ration. Les  marbres  des  frontons,  la  frise  intacte,  les 
métopes  furent  descellés  ou  même  arrachés,  puis  em- 
barqués pour  Londres. 

Lord  Elgin  osa  davantage.  Des  six  cariatides  qui 
ornent  l'exquise  tribune  d'Érechthée,  il  fit  détacher, 
enchaîner,  conduire  à  son  bord  la  plus  belle.  Rien 
ne  saurait  dire  l'effet  de  la  pieuse  figure  exilée.  Le 
corps  pur  et  vierge  raidi  sous  la  corbeille  est  frustré 
aujourd'hui  de  l'entablement  qui  l'explique.  Séparée 
de  la  sphère  de  son  monde  architectonique,  elle 
semble  encore  en  souffrir,  et  la  qualité  même  de  l'art 
qu'elle  fait  admirer  ajoute  à  Témouvante  qualité  de 
son  deuil  et  à  la  tragédie  de  son  isolement.  Faut-il 
que  je  prononce  le  mot  d'inharmonie  ?  Irréprochable, 
il  ne  lui  manque  qu'une  beauté  et  qu'un  honneur; 
mais,  de  tout  son  être,  elle  y  tend.  Elle  veut  recou- 
vrer le  fardeau  qui  convenait  à  sa  douce  tête  et  re- 
conquérir sa  patrie.  Lord  Byron,  qui  la  comprenait, 
traita  fort  durement  son  compatriote  Elgin  et  tous  les 


ATHÈNES  ANTIQUE  ity 

Anglais.  On  ne  l'a  jamais  écouté.  En  ces  derniers 
jours  seulement,  TAngleterre  a  généreusement  fourni 
à  la  Grèce  un  moulage  qu'il  me  souvient  d'avoir  vu 
sans  admiration. 

Les  prises  d'Elgin  ont  souvent  quelque  chose  de 
cruellement  inutile.  Passe  pour  la  jeune  fille  de  la 
Tribune  !  Mais  que  lui  servit  d'arracher  cette  corniche  ? 
A  quoi  bon  détacher  ces  fragments  d'architrave  ?  Tous 
débris  dont  je  ne  nie  pas  la  valeur  propre,  mais  qui 
valaient  surtout  à  leur  place  dans  l'édifice.  11  fallait 
enlever  celui-ci  pierre  à  pierre,  ou  lui  laisser  les  élé- 
ments qui  ne  peuvent  s'en  séparer. 

Ne  calomnions  pas  lord  Elgin  :  peut-être  nourrit- 
il  en  effet  le  dessein  de  transférer  l'Acropole  sur  quel- 
que butte  londonienne.  Des  colonnes  entières  ont 
changé  de  lieu  par  ses  soins. 


Tout  autour  de  la  salle  Elgin  est  posée  sous  un 
verre  la  frise  des  Panathénées. 

Elle  n'est  pas  complète.  Si  le  brillant  morceau 
que  nous  avons  au  Louvre  est  tout  à  fait  minime,  les 


ATHÈNES  ANTIQUE 


musées  d'Athènes  ont  plus  de  bonheur  que  le  nôtre. 
Il  n'est  pas  vrai  du  tout  que  les  fragments  restés  en 
Grèce  soient  insignifiants.  Par  une  faute  heureuse, 
lord  Elgin  a  laissé  là-bas  plus  d'un  trésor  :  je  citerai 
les  trois  figures  de  l'assemblée  des  dieux  et  les  jeunes 
gens  enveloppés  de  manteaux  qui  accompagnent  les 
taureaux  du  sacrifice.  Les  conservateurs  du  musée  Bri- 
tannique ont  remplacé  les  groupes  qui  leur  manquaient 
par  des  contrefaçons  en  stuc,  intercalées  dans  la  série 
des  originaux.  Cela  est  commode  pour  l'étude  tech- 
nique, en  même  temps  qu'horrible  à  l'œil. 

La  suite  de  ces  œuvres  athéniennes  exposées  à 
Londres  m'est  apparue  par  un  jour  clair,  où  le  soleil 
donnait  des  rayons  assez  vifs.  Sous  les  verres  jaloux 
qui  dénaturaient  ce  brillant  solide,  fin  et  pur  qui  révèle 
le  marbre  attique,  la  théorie  des  dieux,  des  vieillards, 
des  jeunes  filles,  des  jeunes  hommes  caracolant  sur  de 
fiers  chevaux,  ne  s'est  donc  pas  trop  dérobée.  Quel- 
quefois le  fini  du  trait  et  le  velouté  de  la  forme^  ce 
qui  fait  comme  le  printemps  d'une  œuvre  de  sculpture, 
est  resté  tout  à  fait  sensible.  Où  le  contour  s'efface  un 
peu,  où  les  lignes  usées  et  écornées  perdent  leur  nette 
certitude,  comme   à   l'endroit  où   le  grand  prêtre  plie 


AT!n':Ni-:s  antique  h  y 

le  voile  de  la  déesse,  tant  de  noblesse  reste  attaché, 
malgré  tout,  au  mouvement  de  la  silhouette  devenue 
vague,  que  l'enthousiasme  n'arrête  pas. 

Le  choix  est  difficile.  Un  instant  ma  préférence 
crut  se  fixer  sur  les  épisodes  de  la  pieuse  cavalcade, 
variés  jusqu'à  l'infini,  mais  dont  chaque  motif  est 
simple.  Là,  un  éphèbe  gonfle  un  beau  buste  sans  tête, 
d'un  mouvement  presque  fiévreux,  que  modère  une 
grâce  fine.  Mais,  quelques  pas  plus  loin,  un  cavalier 
d'à  peu  près  le  même  âge,  sur  un  beau  cheval  bon- 
dissant, que  ses  voisins  serrent  de  près,  se  retourne 
contre  eux,  le  bras  levé,  le  poil  au  vent,  les  lèvres  et 
les  narines  gonflées  et  frémissantes,  juvénile  expression 
de  l'orgueil  menaçant.  Qui  ne  voudrait  graver  au  plus 
profond  de  sa  mémoire  un  geste  pareil  ?  Et  qui  ne 
voudrait  vivre  ce  beau  geste  éternellement  ?...  Mais 
on  erre,  tout  partagé,  de  l'une  à  l'autre  de  ces  figures 
parfaites.  On  découvre  bientôt  la  troisième  qui  les 
égale,  et  l'on  ne  sait  à  laquelle  s'abandonner. 

Heureux  quand  les  belles  rivales  n'appartiennent 
à  des  groupes  trop  éloignés  !  il  me  souvient  d'une 
minute  où  j'aurais  fait  le  vœu  de  me  disperser  aux 
quatre  coins  de  la  salle  Elgin.  A  l'un,  en  eflfet,  sou- 


A  THÈNES  AN  TIQUE 


riaient  les  deux  cavaliers  que  j'ai  dits  ;  mais^  au  coin 
opposé,  les  vieillards  thallophores  m'imposaient  par  leur 
majesté  ;  enfin,  ici  une  prêtresse,  là  un  gracieux  ado- 
lescent, plus  loin  un  dieu  assis  m'appelaient  de  charmes 
divers. 

Après  bien  des  démarches,  je  leur  pus  échapper 
à  tous  et  m'enfermer  dans  la  considération  des  fron- 
tons. Deux  ou  trois  métopes  sublimes  encastrées  dans 
le  mur  m'appelaient  aussi  vainement. 


Le  milieu  de  la  salle  Elgin  est  occupé  par  deux 
séries  parallèles  de  tables  hautes  et  longues.  Là  sont 
posés  comme  des  corps  mutilés  à  l'amphithéâtre  les 
membres  fracassés  qui  appartinrent  aux  deux  façades 
du  Parthénon. 

Le  fronton  qui  surmonte  la  façade  du  couchant 
est  resté  presque  tout  entier  en  place  :  cet  harmo- 
nieux triangle  de  marbre  a  même  conservé  quelque 
décoration  ;  deux  torses  d'homme  et  de  femme,  l'un 
agenouillé  et  l'autre  accroupi,  y  font  un  groupe  aussi 
simple   que  magnifique.  Les  Londoniens  ont  eu  soin 


ATHÈNES  ANTIQUE 


de  représenter  ce  couple  dans  leur   collection  par  un 
moulage  assez  expressif. 

Un  très  beau  corps  d'homme  ou  de  dieu,  à  demi 
allongé  et  qu'ils  ont  en  original,  est  le  butin  le  plus 
considérable  de  ce  côté-là  ;  encore  cet  Ilissus,  comme 
on  l'appelle,  n'a-t-il  ni  tête,  ni  jambes,  ni  bras.  Le 
reste,  s'il  n'est  point  informe,  était  trop  fragmentaire 
pour  m'arrêter  longtemps,  bien  qu'il  éveillât  la  pensée 
de  Phidias  ou  de  ses  collaborateurs.  Si  je  connais  que 
ces  morceaux  appartiennent  à  la  Dispute  de  Minerve 
et  de  Neptune,  c'est  à  Pausanias,  à  Maxime  Collignon, 
à  M.  Lucien  Magne  et  à  tout  le  cortège  des  historiens 
et  des  critiques  que  je  dois  ce  précieux  éclaircisse- 
ment. 


Pour  le  fronton  oriental,  on  a  beaucoup  perdu  :  la 
scène  principale  et  centrale,  une  Naissance  de  Minerve, 
n'est  connue  que  par  des  témoignages  assez  anciens. 
Au  xvii'  siècle,  avant  même  la  bombe  de  Morosini,  un 
Jupiter,  une  Minerve  et,  au  bas  mot,  dix  mètres  de 
statues  divines  et  héroïques  avaient  disparu.  L'on  ne 
possède  plus  que  les  figures  d'angle,  couchées  ou  as- 


ATHÈNES  ANTIQUE 


sises  aux  extrémités  du  fronton,  et  presque  toutes  ces 
dernières,  en  un  double  groupe  ascendant  et  descen- 
dant, s'alignent  à  la  salle  Elgin.  Sans  qu'il  soit  néces- 
saire d'imaginer  grand'chose,  elles  remontent  tout  na- 
turellement à  leur  place  sur  la  façade  antérieure,  et  là 
publient  l'usage  et  le  caractère  du  Parthénon. 

Opposé  à  l'Hymette,  au  soleil  levant,  à  la  mer, 
c'était  l'autel  extérieur  au  pied  duquel  venait  chanter 
ses  hymnes  et  porter  ses  prières  la  jeunesse  athénienne 
formée  en  théorie  à  chaque  retour  du  printemps.  De 
nécessité,  il  faut  bien  que  Phidias  ait  ramassé  dans  cet 
espace  l'idée  maîtresse  d'une  dédicace  à  la  Vierge. 
J'hésite  à  peine  à  reconnaître  l'influence  de  son  génie 
religieux  et,  au  beau  sens  du  mot,  mystique,  dans 
quelques-unes  des  pensées  qui  me  sont  venues,  pauvre 
homme  moderne,  devant  les  débris  de  son  art. 


Le  triangle  qui  détermine  le  fronton  règne  du  nord 
au  sud.  A  l'extrémité  méridionale,  sur  ma  gauche, 
deux  têtes  de  chevaux,  d'un  faire  ardent  et  pur,  bien 
enivrés  de  leur  force  et  de  leur  vitesse,  prennent  leur 


ATHÈNES  ANTIQUE  i23 

élan  pour  s'élever  de  la  mer,  figurée  par  un  trait  de 
marbre  à  peine  ondulé  :  derrière  eux,  émerge  le  front 
de  Phébus,  meneur  du  céleste  attelage.  C'est  le  Jour 
qui  paraît,  il  importe  de  dire  qu'au  bout  opposé  du 
fronton,  et  sur  ma  droite  extrême,  la  scène  inverse  se 
produit  :  la  tète  lasse  d'un  cheval  tombe,  précipitée; 
elle  pend  sur  les  eaux,  et,  un  peu  en  arrière,  un 
torse  féminin  (dont  on  n'a  au  musée  qu'une  repro- 
duction) paraît  s'incliner  sur  les  rênes.  Elle  est  prise  à 
mi-corps  au  léger  feston  de  la  mer.  C'est  sans  doute 
Phœbé,  lumière  de  la  Nuit  ;  le  char  exténué  de  Tombre 
est  chassé  du  Jour  renaissant. 

Revenons  à  la  gauche.  Étendu  à  demi  sur  un  ro- 
cher couvert  d'une  peau  de  lion,  un  puissant  person- 
nage, corps  magnifique  presque  entier,  faisant  face  à 
la  mer,  considère  ce  Jour  éclatant  qui  sort  de  l'écume. 
On  dirait  que,  pour  le  saluer,  il  se  lève,  entr'ouvre  ses 
beaux  membres  encore  liés  de  sommeil.  Son  geste  est 
celui  du  plaisir  et  de  l'étonnement.  Est-ce  un  dieu  r 
un  héros?  un  homme .^  Je  l'appellerai  l'Homme,  il  nour- 
rit sa  pensée  du  plus  beau  des  spectacles  que  la  vie 
physique  puisse  fournir. 

Auprès  de  lui,  moins  rapprochée  de  ces  merveilles, 


12  t  ATHÈNES  ANTIQUE 

plus  voisine  du  centre  du  fronton,  une  jeune  femme 
est  assise.  On  lui  donne  habituellement  le  nom  de 
Goré,  Proserpine  chez  nos  latins.  Placée  un  peu  en 
arrière,  sur  un  trône  tendu  d'étoffes  et  semé  de  clous 
qui  furent  peut-être  dorés  comme  dans  V Odyssée,  car 
nous  savons  Phidias  grand  lecteur  d'Homère,  cette 
femme  s'épanouit  comme  une  grande  fleur  d'été.  En 
longs  vêtements  bien  drapés,  son  corps  palpite  et 
goûte  cette  journée  nouvelle  ;  attentive,  immobile, 
elle  s'abandonne,  ainsi  que  son  voisin,  au  plaisir  de 
la  renaissance.  Mais  elle  n'est  pas  seule.  Une  com- 
pagne un  peu  plus  grande  et  non  moins  belle,  sur 
l'épaule  de  qui  elle  s'appuie  languissamment,  va  mo- 
difier son  attitude  et  son  caractère,  peut-être  lui 
changer  sa  vie. 

Ge  nouveau  type  féminin,  que  l'on  nous  donne 
pour  Gérés  ou  Démêter,  est  agité  d'un  frisson  de  hâte 
curieuse.  Le  bras  gauche  est  levé.  Un  g^enou  se  fléchit^ 
une  jambe  est  tendue,  et  toute  l'attitude  tire  sa  raison 
manifeste,  non  plus  du  soleil  qu'on  admire  sur  la 
gauche,  mais  des  scènes  perdues  pour  nous  qui  se 
voyaient  dans  la  partie  médiane  du  fronton.  Qui  vient 
d'attirer  l'attention  en  ce  sens  .?  G'est  une  messagère, 


ATHÈNES  ANTIQUE  i25 

et  que  j'accepte  bien  volontiers  pour  Iris,  tant  son 
mouvement  est  ailé  :  le  haut  du  corps  tourné  vers  la 
scène  centrale,  mais  lancé  vers  le  groupe  des  deux 
femmes  assises  et  vers  l'homme  qui  s'éveille  près  du 
soleil,  cette  Iris,  aussi  admirable  d'élan  et  de  vitesse 
que  l'attelage  apollonien,  semble  apporter  à  tous  une 
grande  nouvelle.  Le  cri  est  annoncé  par  l'allure  du 
corps  et  le  flottement  de  la  robe  ;  comme  à  peu  près 
tous  les  témoins  de  cette  sculpture  philosophique,  le 
corps,  si  vivant,  d'Iris  est  sans  tête. 

Que  peut  donc  annoncer  cette  messagère,  cette 
«  Ange  »,  dans  les  bas  côtés  du  fronton  }  Et  quelle 
est  sa  grande  nouvelle.?  On  se  doute  qu'Iris  court  dé- 
clarer partout  la  nativité  de  Minerve.  Elle  raconte  aux 
hommes  et  aux  femmes,  aux  héros  et  aux  héroïnes, 
aux  déesses  et  aux  dieux  que  la  lumière  du  soleil  va 
pâlir  en  comparaison  de  la  flamme  qui  vient  de  naître. 
C'est  la  lumière  de  la  sagesse  et  de  la  raison.  C'est  le 
pur  esprit  éternel. 

—  Un  second  soleil  nous  est  né,  leur  dit  Iris.  Et 
elle  se  retourne  vers  le  bel  astre... 

Je  trouve  significatif  que  cet  astre  du  monde  an- 
tique soit  perdu  pour  nous;  il  ne  reste  pas  miette,  on 


,26  ATHÉJNES  ANTIQUE 


l'a  VU  tout  à  l'heure,  de  la  Minerve  du  fronton,  et  je 
crois  que  c'est  fort  bien  fait. 


Franchissons  les  dix  mètres  du  milieu  qui  demeu- 
rent vides.  Le  premier  personnage  est  une  Victoire,,' 
merveilleusement  animée,  remplissant  sur  la  droite  un 
rôle  équivalent  à  celui  d'Iris  sur  la  gauche. 

Elle  crie  du  côté  oiJ  la  lune  se  couche  ce  que  l'Iris' 
publie  du  côté  ciu  soleil  levant.  C'est  la  Victoire  an- 
nonciatrice. Elle  est  fort  belle  et  glorieuse.  Mais  les 
personnes  qui  l'écoutent  la  surpassent  infiniment 
pour,  le  caractère  et  pour  la  beauté.  Ce  sont  les  trois 
figures  que  Ton  est  convenu  de  nommer  les  Parques. 
Il  ne  peut  me  déplaire  de  voir  dans  ces  grandes  sta- 
tues assises  ou  couchées  une  figure  en  trois  personnes 
de  la  Mort.  Car  la  Mort  elle-même  doit  être  avertie; 
que  le  monde  s'est  enfin  senti  et  connu  sous  la  forme 
d'éternité  :  dans  ses  rapports  invariables,  dans  ses  lois 
qui  ne  branlent  point.  Jésus  est  descendu  aux  limbes 
quand  tout  a  été  consommé  :  la  Victoire  annonciatrice 
de  Phidias  avait  illuminé,  quatre  cents  ans  plus  tôt, 
les  divinités  de  l'enfer. 


Extrait  de   l'Ouvrage  : 

.Sfaxime  CoUignon  :  Le  PARTI 
Ch.  Eggimann,  Eiiiteur  P 


ATHÈNES  ANTIQUE  127 

Chacun  des  mouvements  de  ces  Parques  forme  un 
chef-d'œuvre  dans  le  sein  même  du  chef-d'œuvre.  La 
première,  tout  à  fait  libre,  quitte  déjà  le  sol  ;  son  corps 
est  soulevé  de  force  intérieure,  tout  l'être  suspendu  au 
discours  de  la  messagère,  ordonné,  disposé  et  comme 
modelé  par  la  nouvelle  qu'elle  entend.  Sa  sœur,  plus 
lente  en  apparence.  C'est  qu'elle  est  retenue.  Sur  ses 
genoux,  entre  ses  bras,  languit  le  corps  couché  de  la 
troisième  Parque  à  laquelle  elle  vient  de  redire  l'évé- 
nement. Fine  et  tendre  dans  ce  geste  de  sœur  aînée, 
je  la  prendrai  pour  l'Amitié  supérieure,  que  les  Grecs 
ont  connue  et  décrite  parfaitement. 

Tandis  que  la  première  cède  au  feu  violent  qui 
l'emporte  :  —  «  Ma  sœur  »,  dit  la  seconde  à  celle 
qui  est  étendue,  «  il  est  temps,  levons-nous  »,  et  la 
troisième  de  ces  Immortelles,  au  beau  sein  mollement 
gonflé  et  soupirant,  lui  répond  :  —  «  Si  ce  pouvait 
être  !  »  Espérance  mêlée  de  doute,  elle  montre  par 
toute  sa  personne  vivante  le  combat  de  sa  lassitude 
avec  son  ardeur. 

C'est  Tardeur  qui  doit  vaincre.  On  voit  le  sang 
revivre  et  les  nerfs  épars  se  rejoindre,  un  frisson  réu- 
nir  et   composer   les   plis    de   la   tunique   fine   et   du 


ii8  ATHENES  ANTIQUE 

large  manteau  de  laine.  La  ceinture  a  glissé.  La  robe 
laisse  à  découvert  une  gorge  naissante,  l'épaule  ronde, 
ferme,  forte,  si  pleine  de  saveur,  de  finesse  et  de  gloire 
qu'on  n'en  peut  rêver  de  plus  belle.  Au  plus  pur  de 
ces  nobles  formes  découvertes,  l'àme  exquise  s'épa- 
nouit. J'admettrai  que  les  autres  personnages  de  ce 
fronton  soient  des  dieux  ou  soient  des  déesses.  Ceci 
est  une  femme,  chargée  de  figurer  le  grand  cas  de 
notre  destin,  qui  n'est  peut-être  que  la  Mort.  Puisque 
Pallas  est  née,  puisque,  au  moment  où  point  le  Jour, 
où  se  précipite  la  Nuit,  l'Univers  se  conçoit  dans  son 
pur  et  son  essentiel,  la  Mort  accède  et  participe  à  ce 
•mouvement  accompli.  La  voilà  devenue  l'élément  né- 
cessaire de  la  vie  de  l'esprit,  qui  ne  peut  rien  penser 
sans  l'arrêter,  le  définir  et  ainsi  le  glacer.  L'infernale 
Phœbé,  priée  jadis  du  nom  d'Hécate,  se  couche  sur 
les  ombres,  ayant  consommé  son  labeur. 
L'éternité  intellectuelle  commence. 


MÉDITATION 


c 


MÉDITATION 


Si  de  longues  stations,  des  rêveries  plus  longues 
et  surtout  la  langueur  et  la  plénitude  voluptueuse  du 
beau  corps  étendu  de  la  dernière  Parque  ne  m'ont 
pas  fait  perdre  l'esprit,  on  voit  que  les  Athéniens  du 
IV' siècle  d'avant  notre  ère  avaient  peut-être  suspendu 
au  temple  de  leur  déesse  poliade  une  manière  de  noël 
rationaliste  et  païen.  Fille  de  la  plus  haute  puissance 
élémentaire,  Pallas  d'Athènes  se  fait  homme  toutes 
les  fois  que  Thomme  fait  usage  de  la  raison. 

Sans  se  piquer  d'allégorie,  Athènes  avait  un  sens 
trop  délicat  pour  se  méprendre  sur  un  épisode  cen- 
tral de  sa  religion  politique.  Elle  se  voyait  vivre  et  se 
reconnaissait  en  cette  déesse  et  patronne,  image  vive 
de  ses  forces  élevées  à  leur  type  héroïque  et  abstrait. 
Je  ne  sais  si  les  hommes  d'aujourd'hui  saisiraient  cette 


i32  ATHENES  ANTIQUE 

opération  très  fine  de  Tesprit  religieux.  Ce  n'était  pas 
un  simple  culte  rendu  par  la  ville  d'Athènes  au  moi 
athénien.  L'adoration  un  peu  brutale  des  Romains  pour 
la  déesse  Rome  eut  peut-être  ce  caractère  d'égoïsme  : 
hommes  d'État  par-dessus  tout,  ils  mettaient  sur  l'au- 
tel leur  œuvre  envisagée  comme  volonté  créatrice  et 
comme  objet  créé.  Athènes  ne  s'adorait  point  sans  la 
mâle  pudeur,  sans  l'humilité  que  prescrit  une  intelli- 
gence profonde. 

La  piété  d'Athènes  apportait  le  tempérament  na- 
turel à  cet  orgueil  humain,  qui  est  la  dernière  folie. 
Morale,  religion  ou  politique,  ce  qui  ne  fonde  que  sur 
la  volonté  des  mortels  n'est  guère  plus  certain  que  ce 
que  l'on  construit  sur  leurs  bons  sentiments.  La  piété 
des  Attiques  a  été  plus  parfaite,  parce  qu'elle  repose 
sur  un  fondement  moins  fragile  :  elle  prend  conscience 
des  auxiliaires  secrets  qui,  en  nombre  infini,  fertilisent 
notre  labeur  ;  elle  conçoit  que  la  part  de  notre  mé- 
rite, dans  nos  victoires  les  plus  belles,  est  presque 
nulle,  que  tout,  en  dernière  analyse,  dépend  d'une 
faveur  anonyme  des  circonstances  et,  si  l'on  aime 
mieux,  d'une  grâce  mystérieuse.  Ainsi  les  Athéniens, 
quand  ils  priaient  Pallas,  invoquaient  le  meilleur  d'eux- 


ATHÈNES  AXTIQUE  i33 

mêmes  et  en  même  temps  ils  invoquaient  autre  chose 
qu'eux.  La  déesse  à  laquelle  ils  faisaient  abandon, 
honneur  et  hommage  d'Athènes  était  bien  leur  propre 
sagesse,  mais  la  sagesse  athénienne  fécondée,  cou- 
ronnée des  approbations  du  destin. 

Q_u'un  tel  peuple,  le  plus  sensible,  le  plus  léger,  le 
plus  inquiet,  le  plus  vivant,  le  plus  misérable  de  tous 
les  peuples,  ait  été  justement  celui  qui  vit  naître  Pal- 
las  et  opéra  l'antique  découverte  de  la  Raison,  cela  est 
naturel,  mais  n'en  est  pas  moins  admirable.  On  com- 
prend comme,  à  force  d'éprouver  toute  vie  et  toute 
passion,  les  Athéniens  ont  dû  en  chercher  la  mesure 
autre  part  que  dans  la  vie  et  dans  la  passion.  Le  sen- 
timent agitait  toute  leur  conduite,  et  c'est  la  raison 
qu'ils  mirent  sur  leur  autel.  L'événement  est  le  plus 
grand  de  l'histoire  du  monde. 

Son  heure  doit  être  fixée  sans  doute  bien  avant 
l'apparition  d'Homère  dans  les  colonies  athéniennes, 
avant  même  que  ces  colonies  fussent  sorties  de  la  ville 
mère,  avant  que  le  vieil  Érechthée  eût  reçu  le  plant 
d'olivier.  D'alors  date  le  changement.  L'esprit  de  la 
Grèce  naquit  en  même  temps  que  sa  déesse.  Tout  ce 
qui   s'agitait  dans   l'homme   acquit  une    humaine    va- 


i34  ATHÈNES  ANTIQUE 

leur.  Par  exemple  un  savant  cessa  d'imaginer  que  le 
savoir  consiste  en  un  amas  de  connaissances  ;  il  cher- 
cha l'ordre    qui  les  fixe  et  qui  leur  donne  tout  leur 
prix  ;  où  le  roi  Salomon  faisait  des  catalogues  et  des 
nomenclatures,  les  prédécesseurs  d'Aristote  essayaient 
cette  liaison,  cette  suite  auxquelles  on  affecta  le  nom 
sacré  de  Théories.  Le  même  renouvellement  se  pro- 
duisit en  art  ;    on  sentit  qu'il  ne  suffit  pas  de  copier 
des  formes,  ni  de   les  agrandir,  ni   de  les  abréger,  et 
que   le  plaisir  véritable   naît  d'un  rapport  de   conve- 
nance  et  d'harmonie.    La   même   règle  fut  étendue  à 
la  philosophie   de   la   vie.    On  vit   que  le  bonheur  ne 
tient  pas  à  la  foule  des  objets  étrangers  dont  la  com- 
mune  cupidité    s'embarrasse,  ni   à   l'avare    sécheresse 
d'une  âme  qui  se  retranche  et  veut  s'isoler.  S'il  im- 
porte que  l'âme  soit  maîtresse  chez  elle,  il  faut  aussi 
qu'elle  sache   trouver   son  bien   et    le   cueillir   en   s'y 
élevant   d'un  heureux  effort.   Ni   relâchement,   ni  ru- 
desse, aucune  vertu  sans  plaisir,  ni  aucun  plaisir  sans 
vertu,  voilà  le  conseil  athénien.  11  n'en  est  pas  qu'on 
ait  dénaturé  davantage.  Le  genre  humain  n'en  a  pas 
reçu  de  plus  pénétrant. 

L'influence  de  la   raison   athénienne    créa  et  peut 


ATHÈNES   ANTIQUE  i35 

sans  doute  recréer  l'ordre  de  la  civilisation  véritable 
partout  oii  l'on  voudra  comprendre  que  la  quantité 
des  choses  produites  et  la  force  des  activités  produc- 
trices s'accroîtraient  jusqu'à  l'infini  sans  rien  nous 
procurer  qui  fût  vraiment  nouveau  pour  nous.  L'âme 
chagrine  et  mécontente  qui  fit  de  l'homme  l'inventif 
et  industrieux  animal  qui  change  la  face  du  monde, 
cette  âme  de  désir,  cette  âme  de  labeur  ne  sera  ja- 
mais satisfaite  par  un  nombre  quelconque  d'œuvres 
ou  de  travaux,  tout  nombre  pouvant  être  accru  : 
c'est  la  qualité  et  la  perfection  de  son  œuvre  qui 
lui  donnera  le  repos,  car  toute  perfection  se  limite 
aux  points  précis  qui  la  définissent  et  s'évanouit  au 
delà.  Le  propre  de  cette  sagesse  est  de  mettre  d'ac- 
cord rhomme  avec  la  nature,  sans  tarir  la  nature  et 
sans  accabler  l'homme.  Elle  nous  enseigne  à  chercher 
hors  de  nous  les  équivalents  d'un  rapport  qui  est  en 
nous,  mais  qui  n'est  pas  notre  simple  chimère.  Elle 
excite,  mais  elle  arrête  ;  elle  stimule,  mais  elle  tient 
en  suspens.  Source  d'exaltation  et  d'inhibition  suc- 
cessive, elle  trace  aux  endroits  oii  l'homme  aborde 
l'univers  ces  figures  fermes  et  souples  qui  sont  mères 
communes  de  la  beauté  et  du  bonheur. 


i36  ATHÈNES  ANTIQUE 


Tout  le  progrès  de  notre  espèce  ne  consisterait 
qu'à  transmettre  et  à  développer  ce  bien  sans  prix, 
une  fois  que  les  parties  détruites  en  auraient  été 
recouvrées.  La  mémorable  impulsion  donnée  par 
Athènes  ne  s'est  communiquée  jusqu'à  nous  qu'assez 
faiblement.  Elle  s'est  beaucoup  altérée.  Il  ne  nous 
reste  pas  grand'chose  de  la  haute  et  délicate  sagesse 
pratique  qui  maîtrisa  et  qui  consola  un  Ulysse  à  tra- 
vers ses  épreuves  en  l'empêchant  de  croire  stupide- 
ment que  les  voluptés  sont  sans  borne  ou  qu'on  ne 
puisse  composer  avec  les  dieux.  Le  rythme  exquis  d'un 
Phidias  anime  bien  quelques  poètes,  mais  ils  sont  clair- 
semés, dans  l'histoire  moderne  ;  et,  encore  que  notre 
France,  favorisée  d'un  Racine  et  d'un  La  Fontaine, 
en  ait  eu  la  meilleure  part,  les  survivants  sont  peu  en 
comparaison  de  ce  qui  a  péri.  Seul,  à  travers  la  mé- 
connaissance et  l'insulte,  Aristote,  «  l'incomparable 
Aristote  »,  comme  dit  Comte,  est  continué  digne- 
ment ;  barbares  de  goût  et  de  mœurs,  nos  modernes 
tiennent  du  moins  à  l'enchaînement  du  savoir,  mais 
on  s'occupe  beaucoup  plus  d'en  accroître  la  somme 
que  de  l'ordonner  et  de  la  distribuer  à  propos. 

—  Jusques  à  quand  serons-nous  dupes  du  nombre 


ATHÈNES   ANTIQUE  187 

et  de  ce  qu'il  a  de  plus  vil  ?  Reverrons-nous  la  grâce 
et  les  mesures  demi-divines  de  la  Raison  ?  Je  me  le 
demandais  comme  je  quittais  à  grands  pas  le  rude 
bâtiment  du  musée  Britannique  où  la  force  barbare 
mène  des  triomphes  si  vains. 


INVOCATION  A  MINERVE 


*  Pour  le  premier  numéro  de  la  revue  Minerva,  fondée  et  dirigée 
par  notre  ami  regretté  René-Marc  Ferry,  rédigée  par  un  groupe 
d'humanistes  français.  (1902.) 


INVOCATION  A  MINERVE 


L'homme,  et  non  l'homme  qui  s'appelle  Callias. 
Aristote. 


I 


Déesse  athénienne,  invoquée  sous  le  nom  romain, 
rassure-toi  sur  le  sens  de  notre  cortège  ;  ne  fais  au- 
cune erreur  sur  nos  intentions,  Minerva.  Prends  garde, 
Jeune  fille,  de  ne  pas  nous  confondre  avec  ces  savants 
oublieux  qui,  t'ayant  gravée  au  frontispice  de  leur 
volume,  n'ont  pas  pu  se  défendre  de  rider  ton  front 
délicat.  Les  pauvres  gens  te  voulaient  faire  à  leur 
image  :  puisses-tu  nous  former,  au  contraire,  sur  ta 
beauté. 

O  Minerve!  nous  ne  sommes  pas  des  archéologues, 
et,  bien  que  plusieurs  d'entre  nous  soient  versés  dans 


142  ATHÈXES   ANTIQUE 

le  doux  mystère  de  ta  fable,  ce  n'est  pas  la  mytho- 
logie, ni  l'épigraphie,  ni  aucune  science  particulière 
qui  les  a  conduits  dans  nos  rangs.  N'alléguons  même 
pas  cette  profession  de  poète  ou  de  sage  qui  appar- 
tient également  à  certains.  Des  hommes,  des  hommes 
mortels,  voilà  leur  titre  auprès  de  toi  !  Mais  ils  s'avan- 
cent, ennemis  des  prétentions,  des  ambages  vains  : 
simples,  usant  des  mots  qui  sont  entendus  de  chacun, 
celui-ci  grave,  un  autre  plus  riant  ou  plus  familier, 
tous  des  fruits  à  la  main,  la  tète  ceinte  de  couronnes, 
mus  par  une  raison  aussi  générale  que  toi. 

Des  hommes,  ô  Minerve  !  des  hommes  conscients, 
animés  du  souci  de  ce  qui  leur  manque,  dévorés  du 
sacré  désir.  Que  d'autres,  moins  pieux  ou  moins 
réfléchis,  t'aient  donné  pour  prison  une  case  de  leur 
pensée,  qu'ils  t'enferment  en  un  point  du  temps  ou 
dans  un  lieu  du  monde!  Entends  mieux  nos  propos: 
c'est  la  vie,  la  vie  tout  entière  et  non  un  fragment  de 
la  vie,  toute  science,  et  non  telle  science  unique,  tout 
art,  toute  morale,  toute  rêverie,  tout  amour  qui  sont 
exposés  devant  toi.  Quête  demandons-nous?  La  me- 
sure de  rame,  ô  cadence  de  l'univers  ! 


ATHÈNES   ANTIQUE  i43 


Bien  plus  tôt  qu'on  ne  Fa  écrit,  et  beaucoup  au 
delà  des  temps  qui  lui  sont  assignés,  ton  histoire,  ô 
Déesse!  te  révèle  l'amie  de  l'homme.  De  tous  les  ani- 
maux qui  étaient  épars  sur  la  terre,  tu  connus  qu'il 
était,  sans  comparaison,  le  plus  triste,  et  tu  choisis  ce 
mécontent  pour  en  faire  ton  préféré.  Déesse,  tu  rendis 
sa  mélancolie  inventive  ;  il  languissait,  tu  l'instruisis, 
tu  lui  montras  comment  donner  une  autre  figure  à.  ce 
monde  qui  lui  déplaît. 

Une  bonne  nourrice  sait  endormir  ainsi  la  plainte 
du  petit  enfant.  Ainsi  tu  fis  des  pauvres  hommes.  Qiie 
de  jouets  tu  fis  descendre  de  la  tète  de  Jupiter  !  Les 
poètes  n'ont  oublié  ni  le  feu  de  ton  Prométhée,  ni 
l'olive  athénienne,  ni  les  ruses  de  guerre  suggérées  aux 
héros,  ni  ta  flûte  savante  qui  accompagna  les  chan- 
teurs. Mais  il  sied  de  te  rendre  une  justice  plus  com- 
plète. La  charrue,  le  vaisseau,  le  double  pressoir,  la 
navette,  les  murailles  des  villes  et  celles  du  toit  fami- 
lier,  le   pavé  des   chemins,  les  conduites  de  l'eau,  les 


144  ATHÈXES   AXTIQCE 

métaux  devenus  dociles,  il  n"v  a  rien  du  matériel  pri- 
mitif que  le  genre  humain  ne  t'ait  dû. 

Ce  que  la  tradition  te  refuse,  ou  ce  qu'elle  attribue 
à  d'autres  inventeurs,  la  réflexion  qui  nous  ressaisit  te 
le  rend.  Mais  elle  fait  bien  voir  que  nos  derniers  trésors 
sont  également  ton  bienfait.  Qu'il  s'agisse  de  détruire 
ou  d'édifier,  l'ingéniosité,  l'audace,  la  patience,  l'heu- 
reux concept,  cela  est  tien.  Ce  qu'on  nomme  progrès 
n'est  que  la  conséquence  d'impulsions  que  tu  nous 
donnas.  S'il  est  certain  que  l'invention  du  labourage  ou 
l'idée  de  se  confier  aux  forces  des  eaux  ont  mérité 
sans  doute  une  admiration  plus  profonde  que  l'appareil 
de  la  télégraphie  sans  fil,  celle-ci  n'est  point  mépri- 
sable :  j'y  reconnais  tes  mains  sublimes,  ma  déesse.  La 
découverte  occupe,  elle  exerce,  elle  amuse  et,  si  le 
succès  la  couronne,  elle  rendra  aux  hommes  des  ser- 
vices inattendus.  Fidèle  compagne  d'Ulysse,  ô  trois 
fois  chère  au  genre  humain,  sois  bénie  de  ta  compas- 
sion !  Un  impie  seul  te  refusera  son  tribut. 

Cet  impie  ne  peut  être  que  l'esclave  de  sa  paresse. 
11  ne  te  connaît  pas.  11  ne  sait  point  le  vol  suave  des 
moments  de  la  vie  qui  s'écoulent  sous  ton  autel  :  leur 
nombre   est    infini  ;    cependant,   ils    se    meuvent,    les 


ATHÈNES  ANTIQUE  i45 

abîmes  qu'ouvre  le  Temps  se  laissent  franchir.  L'œuvre 
a  beau  varier,  ton  ouvrier  participe  des  durées  éter- 
nelles. Son  effort,  tant  il  est  facile,  est  une  grâce  et 
son  plaisir,  tant  il  est  noble,  une  vertu.  Content  de 
soi  ou,  pour  mieux  dire,  tout  à  fait  oublieux  de  soi, 
l'homme  que  tu  distrais  porte  les  Heures  éphémères 
sans  en  éprouver  l'aiguillon. 


m 


En  un  seul  cas,  Minerve,  on  pourra  se  plaindre 
de  toi.  C'est  quand  il  nous  arrive  d'arrêter  le  travail 
et  de  considérer  la  seconde  nature  que  tu  nous  permis 
de  créer.  O  Chaos  !  O  père  des  monstres  !  Car  il  se 
trouve  que  notre  oeuvre  est  effroyablement  touffue  et 
dense,  comme  si  la  forêt  natale,  à  peine  éclaircie,  avait 
donné  le  jour  à  de  nouveaux  peuples  de  ronces  moins 
faciles  à  pénétrer. 

Qiie  de  fer  !  Qj-ie  de  feu  !  Que  d'engins  variés  et 
que  décomplexes  organes!  Que  d'opérations  presque 
inouïes,  surajoutées!  Que  de  connaissances  disparates 
amoncelées  !    Supputons    les  terres   nouvelles,  les  na- 


,40  ATIÎÈXES  AXTIQUE 

tions  sorties  de  la  nuit,  les  profondeurs  du  ciel  ou- 
vertes, rimperceptible  appréhendé.  L'homme,  qui  in- 
ventait afin  de  s'asservir  le  monde,  est  tenu  mainte- 
nant par  les  serviteurs  nés  de  lui.  Il  en  est  à  se 
demander  ce  qu'il  fera  de  biens  dont  il  perd  le  compte. 
O  déesse!  voilà  l'inquiétude  moderne.  L'état  de  nos 
esprits  réfléchit  Tétat  de  nos  cœurs.  L'industrie  et  la 
civilisation  les  ont  gravement  compliqués. 

Mais,  Minerve,  rien  ne  permet  de  conjecturer  que 
tu  ignoras  notre  mal.  N'as-tu  pas  assisté  à  la  nais- 
sance des  civilisations  de  TAsie.?  Elles  étaient  tes  filles^ 
et  tu  sentis  leur  tumultueuse  fureur.  Tu  vis  bâtir  les 
villes  des  ingénieux  Mvcéniens.  Tu  connus  Tyr,  Sidon, 
l'Egypte,  l'Assyrie  lointaine,  les  empires  plus  éloignés 
sur  les  deux  bords  du  fleuve  Indus.  Athéna,  Athéna, 
dis-nous  ce  que  dit  ta  sagesse  quand,  d'entre  ces  bar- 
bares dociles  à  son  conseil,  de  la  plus  belle  époque  de 
ces  barbaries  avancées,  tu  fis  paraître  en  Grèce  quelque 
chose  de  différent,  qui  fut  meilleur. 

Tes  Grecs  athéniens  étaient  les  plus  intelligents  et 
les  plus  sensibles  des  hommes.  Ils  virent  donc  beau- 
coup plus  vite  les  maux  attachés  à  tout  bien,  et  le 
génie  leur  parut  un  don  plus  cruel.  Les    premiers,  ils 


ATHÈNES   ANTIQUE  147 

sourirent  soit  de  la  vanité  des  passe-temps  que  tu  pré- 
sentes, soit  du  cours  monotone  inséparable  des  suc- 
cessions de  la  vie.  Ni  le  plaisir  de  faire  une  œuvre,  ni 
la  joie  de  la  posséder,  ni  l'ivresse  d'en  imaginer  de 
nouvelles  ne  compose  un  état  qui  soit  satisfaisant.  Ou- 
vriers, artisans,  législateurs,  sages  ou  poètes,  et  je 
dirai  même  amoureuses  et  courtisanes,  ce  peuple  ma- 
gnanime ne  fut  point  ta  dupe  longtemps,  il  riait  de 
ta  peine  comme  Apollon  ton  frère  de  l'effort  des 
mauvais  chanteurs.  Sa  tristesse,  dorée  d'une  courte 
espérance,  n'avait  fait  que  grandir.  Elle  ressemblait 
à  la  nôtre,  de  notre  temps  :  débordés  comme  nous, 
quoique  autrement  que  nous,  par  les  créatures  de 
leur  génie,  ils  étaient  où  nous  en  serons  quand 
nous  aurons  grandi  un  peu  au-dessus  de  nous-mêmes. 
Tu  les  vis.  Athénienne,  et  ton  cœur  tendre  se  rou- 
vrit ;  mais  le  nouveau  présent  passa  de  beaucoup  le 
premier. 


IV 


On  ne  l'a  pas  nommé  encore.  Je  ne  peux  appeler 
un  nom   ces   désignations    flottantes,   riches  en  équi- 


148  ATHÈNES   ANTIQUE 

voques,  passibles  d'objections  de  la  part  de  tes  ad- 
versaires. Tantôt  l'on  dit  Sagesse,  tantôt  Mesure,  ou 
Perfection,  ou  Beauté,  et  peut-être  Goût.  D'autres 
préfèrent  Rythme,  Harmonie.  Et  d'autres.  Raison. 
N^est-ce  pas  aussi  la  Pudeur  ?  N'est-ce  pas  le  flam- 
beau des  Compositions  éternelles  ?  La  victorieuse  du 
Nombre,  la  claire  et  douce  Qualité  ? 

On  l'a  figurée  comme  un  Lien  mystérieux  autour 
d'une  gerbe,  comme  le  Frein  mis  à  la  bouche  de  cé- 
lestes chevaux,  comme  la  Ligne  pure  cernant  quelque 
noble  effigie,  comme  un  Ordre  vivant  qui  distribue 
avec  convenance  chaque  parcelle  :  ô  mélancoliques 
images,  imparfaite  allusion  à  la  splendeur  qui  n'est  qu'en 
toi  !  J'arrive  après  les  autres  pour  tenter  de  la  définir. 
Mais  j'aime  mieux  te  dire,  ô  déesse!  ce  que  j'en  vois. 

Qui  la  trouve,  trouve  la  paix  en  même  temps.  Il 
s'arrête,  sachant  que  l'au-delà  ni  l'en-deçà  n'enfer- 
ment plus  rien  qu'il  ne  tienne.  L'homme  vulgaire 
pense  :  celui-ci  pense  bien.  Les  Grecs  nous  semblent 
aujourd'hui  avoir  bien  abusé  de  cette  fine  particule 
qu'ils  ont  reçue  de  toi.  Dis,  la  comprenons-nous  .?  Sa- 
vons-nous ce  que  c'est  que  bien  être,  bien  vivre,  bien 
mourir,  bien  penser  .f*  Sentie  d'abord  exactement,  puis 


ATHÈNES    ANTIQUE  149 

négligée,  puis  méconnue,  la  leçon  de  Minerve  n'a  ce- 
pendant jamais  été  oubliée  tout  à  fait  :  nos  pires  dé- 
chéances se  souviennent  qu'il  est  des  règles,  des  fi- 
gures, des  lois  divines,  sur  lesquelles  se  conçoit  le 
bonheur  et  se  peut  fixer  la  beauté. 

Comme  un  navire  qui  descend  sous  le  pli  de  la 
vague  est  trop  bien  construit  pour  sombrer,  ta  Civi- 
lisation, celle  que  Ton  désigne  entre  toutes  les  autres 
quand  on  veut  nommer  l'excellente,  ne  s'est  jamais 
perdue,  quoiqu'on  l'ait  perdue  quelquefois.  On  dit  que 
l'homme  crée  un  règne  nouveau  dans  le  monde  : 
l'homme  classique  forme  un  règne  dans  le  règne 
humain.  Il  s'étend  sur  le  meilleur  de  l'œuvre  romaine 
et  française.  L'Église  a  mis  ton  nom,  Minerva,  sur 
plus  d'un  autel  ;  en  Italie,  en  Thrace,  tu  triomphes 
près  de  sa  croix.  Des  coins  de  France  gardent,  eux 
aussi,  ton  vocable.  La  douceur  de  notre  langage,  la 
politesse  de  nos  mœurs,  le  raffinement  de  l'amour  ne 
seraient  point  nés  sans  Minerve.  Ton  influence  agit  de 
tout  temps.  Si  elle  a  pu  faiblir  au  cours  d'un  siècle, 
le  dernier,  la  vérité  douce  et  cruelle  est  qu'il  en  a 
souffert  :  plus  il  se  compliquait,  plus  il  eût  été  sage 
de   s'adresser   à   toi,  tant   pour   mettre   en  bon  ordre 


i5o  ATHÈNES   ANTIQUE 

des  notions  qui  Tenrichissaient  que  pour  distribuer  le 
flot  d'une  humeur  vagabonde! 

Le  siècle  nouveau-né  comprendra  que  l'heure  le 
presse.  Un  degré  de  malaise  permet  le  traitement  ;  un 
autre  n'admet  que  la  mort.  Déesse,  vois  nos  bras  et 
nos  mains  que  chargent  les  œuvres.  Écoute  quels  dé- 
mons nous  soufflent  la  vie.  Le  plus  lâche  refuse  de  se 
retirer  sans  combattre.  Ah  !  nous  ne  sommes  pas  une 
race  de  suicides.  L'activité  circule  dans  les  veines  de 
notre  peuple,  aucun  effort  ne  nous  coûtera  pour  gué- 
rir. De  tous  les  lieux,  de  tous  les  âges,  immortelle, 
pourquoi  refuserais-tu  ton  conseil  ?  Fille  de  la  nature 
et  supérieure  à  ta  mère,  ainsi  produis  de  notre  sang 
des  générations  meilleures  que  lui. 

Nous  relisons  tous  tes  poètes.  Ronsard,  Racine, 
La  Fontaine,  Molière  ont  reparu  à  notre  chevet.  Comme 
nous  reprenons  le  chemin  de  Versailles  !  Sans  dédai- 
gner les  jeunes  merveilles  du  gothique^,  nous  rendons 
à  la  colonnade  unique,  à  celle  du  Louvre,  son  rang. 
Notre  Poussin  commence  d'être  relevé  de  l'oubli. 
Lorsque  nous  parlons  du  grand  siècle,  nous  ne  pour- 
rions plus  ajouter  comme  Michelet  autrefois  :  «  c'est 
le  xviii''  »,  et,  bien    que    nous  n'avons   rejeté   aucune 


ATHÈNES   ANTIQUE  i5i 

vraie  gloire,  nous  savons  quelle  est  la  plus  belle.  Le 
sentiment  de  nos  destinées  nous  revient.  Cependant  il 
est  vrai  que  le  cœur  chaud  est  resté  sombre  ;  les 
mains  sont  maladroites  et  les  têtes  appesanties.  11  dé- 
pendrait de  toi  de  récompenser  tant  de  vœux  !  N'a- 
t-on  pas  dit  que  ton  image,  taillée  en  un  marbre  très 
pur,  vient  de  reparaître  au  soleil  d'une  vieille  ville*.'' 
C'était  à  la  fin  du  premier  mois  de  l'année  nouvelle. 
Cette  statue  te  représente  long  voilée,  tenant  la  pique, 
armée  du  bouclier  oii  montent  les  hydres.  Une  dé- 
couverte semblable  annonça  pour  l'Italie  la  première 
des  renaissances  ;  mais,  comme  ce  ne  fut  qu'un  por- 
trait de  Cypris,  quelque  chose  manquait  à  la  Renais- 
sance italienne.  Déesse  amie  de  l'homme,  ton  charme 
seul  est  apte  à  nous  introduire  au  divin  ! 


*  Poitiers. 


TABLE 


Ouvrages    de    Charles    Maurras 


Jean    Moréas.    1891  —  Brochure  épuisée. 

Le   Chemin   de    Paradis,    Contes  philosophiques.   1895  —  Cahnann-Lèvy 4  50 

L'idée   de    la   Décentralisation.   1898  —  Brochure.  Seroire  de  la  Libndrie  Je   l'Action  Française.  .    .  0  60 

Trois   idées   politiques  :    Chateaubriand,  MieheM,  Sainte-Beuve.  1899  —   Chez  Champion 2  40 

L'Enquête   sur  la    Monarchie.    1900-1909  —  A  la  Nouvelle  Librairie  Xationole  édition  in  18   ...    .       4     50 

édition  in   8°   .    .    .       7     50 

Anthinea.    d'Athènes  à  Florewe.    1901  chez  Juven  épuisé  —  1912   chez  Clwmpioti,  épuisé 

Une   Campagne   royaliste    au  Figaro   1901-1902  —  A  la  Nouvelle  Librairi*  Nationale 0     90 

Les     Amants    de    Venise,    Gei^rije  Sand  et  Musset.   1902    Fontemniufi,  épuisé  —    nouvelle  édition    avec 

préface  nouvelle  1917   chez  Boceard 4     50 

Un  débat  nouveau   sur  la  République  et  la   Décentralisation,    (en  collaboration  arec  Mil. 

Paul    Bomour,  Joseph  Reinwh,    Clemenceau,   Xavier  de    Ricard.  Varenne,  Clémenlel,  etc.)  1904  —  un 

volume  épuisé 
L'Avenir    de    l'Intelligence,     suivi   de  Auguste  Comte-,    Le  Roman tiwie  féminin;    Mademoisello  Monk. 

1905  —  A    lu  Nouvelle  Librairie    Natiomde 4     50 

Libéralisme  et  Libertés.     Démocratie    et  Peuple.   1905  —  Brochure.  Au  service  de  la  Librairie 

lie  l'Action  Française 0     10 

Le    Dilemme    de    Marc   Sangnier.    Essai  sur  la  Démocratie  religieuse.  1906  —    A  la  Nouvelle  Librairie 

NiH":nth' 4     50 

Kiel   et  Tanger.    La  Républiqm  française  devant  l'Europe.  Xouvelle  édition,  préface  nouvelle  1910-1913  — 

A  l"  .Vouvelle  Librairie  Nationale *     °^ 

Si    le    coup    de   force   est  possible.    En  collaboration  avec  Henri  Dutrait-Crozon,   1910  —    A  la 

Nouvelle  librairie  Nationale ^     ^^ 

Idées   royalistes.    Réponse  à   l'enquête  de  la  Revue  Hedmuiduire.   1910  —  Au  service  de  la    librairie  de 

l'Action  Française • ^     ^^ 

La  Politique   religieuse.    1912  —  A  la  Nouvelle  Librairie  Nationale 4     50 

L'Action  Française    et  la   Religion  catholique.    1913  —  A  la  Nouvelle  Librairie  Nationale  ...       4     50 

L'Etang   de  Berre.    l'Jlô  —  C/uiaipion.  éditeur,  épuisé 

Quand   les    Français   ne    s'aimaient  pas.    Chronique  d'une  Renaissance.  1916    —    A  la  Nouvelle 

Librairie  Nationale 4     50 

Les   Conditions  de  la  Victoire.   Recueil  des  articles  de  guerre.    I  La   France  se  sauve   elle- 
même.    Août-Novembre    \%ii:  —  A  la  Nouvelle  Librairie  Nationale 4     80 

II  Le    Parlement   se   réunit.    Novembre  1914-Août  1915  —  .4  la  Nouvelle  Librairie  Nationale  .        .    .       4     50 

III  Ministère    et   Parlement.    Septembre-fin  Décembre  1915  —  -1  /"  Nouvelle  Librairie  Nalionale  ...  4  50 

IV  La    Blessure  intérieure.  Janvier-fin  Mai  1916  —  A  la  Nouvelle  Librairie  Nationale 4  50 

La    Part   du    Combattant.    1917  —  A  la  Nouvelle  Librairie  Nationale 1  80 

Le   Pape,   la   Guerre  et  la  Paix.    1917  —  A  la  Nouvelle  Librairie  Nationale 4  50 

Les   Chefs   Socialistes  pendant  la   Guerre.    19is  -  A  la  Nouvelle  Librairi.  Nationale 4  50 


EN     PRÉPARATION 

L'Allée   des   Philosophes 


ERRATA 


P^e  18,  ligue  3  de  la  note,  au  lieu  de  :  «  signifier  à  l'indéfini  »  lire  :  «  signifier 

l'indéfini  ». 
Page  119,  ligne  10   au   lieu  de:    «  d'à  peu  près  le  même  âge  b,    lire:  «  à  peu 

près  du  même  âge.  » 
Page   133,    lignes   3   et   4     lire:     «  leur    propre    sagesse,   mais    fécondée   et 

coordonnée .  » . 
Page  U3,  ligne  8,  au  lieu  de:  «  donmr  une  autre  figure  »,    lire:  «  imprimer 

une  autre  tigure  ». 


TABLE 


Avant-propos 

Noire  mer ' 

Premiers  pas ^ 

Athènes  antique '     •  ^9 

L'Acropole 9 

Le  Parthénon ^' 

Les  Collections "' 

L'Hymette ^5 

La  Naissance  de  la  Raison '^7 

Méditation '^^ 

Invocation  à  Minerve 9 


436'i.  —  Tours,  imprimerie  E.  Arh.vllt  et  C". 


E.    de    BOCCARD,   Éditeur,  1,  rue  de  Médicis,   PARIS  (6=) 
EN   VENTE   DANS   LA   MÊWE  COLLECTION  : 
HENRI     DE    RÉGNIER 

de  l'Académie  française. 

IMAGES  VÉNITIENNES 

Un  splendide  volume  in-4,  imprimé  sur  papier  de  luxe,  abondâmes  illustrations 
hors  texte  en  phototypie  colorée.  Clichés  de  la  maison  Alinari,  à  Florence. 

Broché 25  fr. 

Relié 30  fr. 

E.xemplaires  sur  hollande 50  fr. 

Les  dilTérents  tableaux  que  le  maître  Henri  de  Régnier  a  réunis  en  ce  volume  forment 
un  poème  magnifique  en  l'honneur  de  Venise  et  évoquent,  en  un  style  éblouissant,  la 
splendeur  de  cette  cité.  Les  superbes  illustrations  en  phototypie  qui  accompagnent  le 
texte  font  de  cet  ouvrage  un  livre  des  plus  intéressants  et  des  plus  artistiques. 


CAMILLE    MAUCLAIR 


FLORENCE 

Un  beau  volume  in-4,  imprimé  sur  papier  de  luxe  avec  nombreuses  reproductions 

photographiques  dans  le  texte  et  hors  texte.  Broché 30  fr. 

Relié 35  fr. 

Nous  ne  prétendons  point  apporter  une  contribution  inédite  à  tous  les  travaux  écrits 
sur  Florence.  Faire  aimer  plus  encore  la  cité  du  Lys  Rouge,  la  faire  mieux  connaître  à 
ceux  qui  en  rêvent,  leur  inspirer  le  désir  d'aller  y  chercher  les  joies  de  la  beauté,  fixer 
son  souvenir  essentiel  dans  l'âme  de  ceux  qui  la  visitèrent  et  en  revinrent  avec  une 
mémoire  éblouie  et  confuse,  c'est,  avant  tout,  notre  but. 

M.  Camille  Mauclair,  tout  en  ne  négligeant  aucune  donnée  de  l'histoire  et  de  la 
critique  d'art,  a  parlé  de  Florence  en  poète,  avec  la  chaleureuse  conviction  et  le  désir  de 
persuasion  d'un  sensitif  ému  qui  veut  faire  partager  son  enthousiasme  et  s'adresser  au 
coeur  autant  qu'à  l'esprit. 

VIENT  DE  PARAITRE  ;  ANDRÉ     PÉRATÉ  VIENT  DE  PARAITRE  : 

Conscrvaieur  au  Musée  de  'Versailles. 


lEIMIM 


Eaux-fortes    et    dessins    de    P. -A.    BOUROUX 

20  exemplaires  sur  japon  impérial,  trois  suites  d'états,  signés  de  l'artiste.  300  fr. 

5o  exemplaires  sur  vélin,  deux  suites  d'états 200  fr. 

Un  magnifique  volume  grand  in-4,  sur  hollande  van  tJelder,   14  eaux- 

fories  hors  texte,  260  exemplaires  numérotés.  Prix 100  fr. 

Pxrosx^ec't'u.s     stix*     <Aexn.E>.xi.<:3.e 


CHARLES 

MAURRAS 

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H.  DE  BOCOARB 
Bliteur 

PARIS 

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0919 

.M35     1918 

MAURRASi  CHARLES 
ATHENES  ANTIQUE 


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