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littp://www.archive.org/details/atlinesantiqueOOmaur
CHARLES MAURRAS
ATHÈNES
ANTIQUE
E. DE BOCCARD, éditeur
I, RUE DE MÉDICIS
PARIS
Pour la plus grande partie des pages qui le composent, ce recueil
de souvenirs, de méditations et d'études sur Athènes antique
est tiré de l'un des premiers écrits de Charles Maurras, Anthi-
NEA, d'Athènes A F LORESCE. Nous remercions vivement l'éditeur
d'ÀNTHiNEA.M. Edouard Champion, de nous avoir permis d'insérer
ici à peu près toute la partie grecque de ce volume.
Nous devons aussi remercier le directeur de la Nouvelle Librairie
nationale, M. Georges Valois, de nous avoir autorisés à extraire de
deux autres ouvrages de Charles Maurras, dont il est l'éditeur, notre
chapitre sur VHymette, tiré de Quand les Français ne s'aimaient
PAS, et V Invocation à Minerve qui forme l'un des appendices de
l'AvENIR DE l'intelligence.
Voici la dédicace inscrite au frontispice d'ANTHiNEA. On ne sau-
rait la séparer de nos souvenirs athéniens :
.MONSIEUR GISTAVE JANICOT,
DIRECTEUR DE LA Galette de France,
QUI
AYANT ENVOYÉ
EN GRÈCE
l'auteur de ce livre
VIT
aller et VENIR
le visage
d'un ho.m.me heureux
M. Emile Bourguet, ancien membre de l'Ecole d'.Athènes, a bien
voulu nous ouvrir le trésor de ses collections pour l'illustration du
volume. Nous le prions de croire à notre vive gratitude, ainsi que
notre ami M. Henri Longnon et .\I. Charles Eggiman, éditeur, qui
nous ont rendu le même précieux service.
Aucune des pièces recueillies dans Athènes antique n'est anté-
rieure à 1896 ni postérieure à igoS.
CHARLES MAURRAS
ATHÈNES
ANTIQUE
PARIS
E. DE BOCCARD, ÉDITEUR
(Ancienne Librairie Fontemoing et C')
4, RUE nie MÉDICIS (6°)
^3'è ^^^
IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE :
1.000 exemplaires sur papier vélin Lafuma,
numérotés de i à i.ooo,
et 40 exemplaires sur papier vergé de Hollande Van Gelder,
numérotés de I à XL.
X" 3 04
AVANT-PROPOS
. . Des intelligences peu avancées me feront le re-
proche de soumettre la science du beau à la loi des
lieux et des races. Mais leur censure me ménage la
plus facile des répliques. Ce que je loue n'est point
les Grecs, mais l'ouvrage des Grecs, et je le loue non
d'être grec, mais d'être beau. Ce n'est point parce
qu'elle est grecque que nous allons à la beauté, mais
parce qu'elle est belle nous courons à la Grèce. Tout
en courant, prenons garde de distinguer, en Grèce et
hors de Grèce, que la flamme, moins pure, eut quel-
quefois un moindre éclat. D'ailleurs, choisir n'est pas
(') Extrait de la préface d'Anthinea, d"Athènes à Florence. Paris,
iqoi.
ATHÈNES ANTIQUE
exclure, ni préférer sacrifier. Un enthousiasme critique
est le frein de la complaisance ; une critique enthou-
siaste donne à la sagesse le frein dont elle a besoin,
elle aussi.
Autrefois on étudiait seulement la Grèce classique,
celle qui porte le péplos. Ce péplos composait, il fi-
gurait tout l'hellénisme. Ce fut le premier stade. On
le dépassa. Las du péplos, Renan écrivit la phrase fa-
meuse : « L'ennui, oui, Tennui... » La Grèce du pé-
plos passa pour ennuyeuse, du moins pour les esprits
profondément gâtés entre lesquels Renan se rangeait
avec modestie. Et ce fut le deuxième stade. Mais le
troisième commença quand on s'aperçut que la Grèce
a connu toute sorte de vêtements, de coiffures, de
manières, d'ordres, de goûts. On ne nous parla plus
d'ennui, et la Grèce devint tout à fait amusante. Avant
de trouver l'essentiel et même après l'avoir trouvé, les
Grecs ont cueilli tout le reste: l'artificieux, le bizarre et
aussi bien le laid. Oui, le laid. Cependant de jeunes
lecteurs commencent à bâiller. Quelques-uns se de-
mandent même si rien valait le péplos du commence-
ment. En efïet, rien au monde n'est beau comme le
beau, .aussitôt que le beau lui cause de l'ennui, un
ATHÈNES ANTIQUE
honnête homme s'examine et travaille à se corriger.
Le quatrième stade du goût français peut donc
s'ouvrir, qui ramènerait au premier et qui l'emporterait
pourtant sur le premier comme une préférence réflé-
chie sur un bon instinct, il est bien de sentir qu'une
belle colonne dorique, c'est le beau parfait, il est meil-
leur de le sentir et de savoir la raison de son senti-
ment. Le divin péplos restauré, l'esprit classique rajeuni
et recompris, quelle source de renaissance ! L'art et
même la vie des Grecs ne sont pas d'immobiles objets
ayant été une fois, puis ensevelis. Il faut les concevoir
dans leur suite perpétuelle, à travers la mémoire et le
culte du genre humain. Chacun s'arrête et puise a. cette
onde jeune et limpide, dont le murmure est divinement
accordé à ce que l'homme universel a de plus profond.
Parlant de Sophocle, Racine se borne pour toute louange
à le mettre dans les imitateurs d'Homère. Que Racine
a raison ! Gloire aux seuls homérides ! Ils 'ont surpris
le grand secret qui n'est que d'être naturel en devenant
parfait. Tout art est Là, tant que les hommes seront
hommes.
L'esthétique est la science du sentiment. Si Ton
.1 THÈ}^ ES A N TIQ CI-:
passait sa vie à examiner ce qu'on sent, le naturel dis-
paraîtrait. L'auteur se félicite, bien loin qu'il s'en excuse,
d'avoir jeté en ce petit livre beaucoup de réflexions
étrangères à l'esthétique.
J'ai visité le peuple hellène moins d'une année' avant
ses malheurs militaires en Thessalie et en Épire. 11
traversait un beau moment d'allégresse patriotique ;
j'en ai admiré la verve et la bonne foi. La suite m'a
montré que ces vertus précieuses ne suffisent pas à un
peuple. Mais la fausse confiance qu'elles inspirent est
en outre un fléau public. L'Hétairia des pays grecs,
cette brillante Association amicale, qui voulait le bien
et qui fit le mal, m'a conseillé une partie de la crainte
que je ressens à l'égard de nos bonnes ligues démo-
crates et patriotes. Animées d'intentions parfaites, elles
menacent d'aggraver nos confusions. La politique du
roi Georges donna la Crète à l'hellénisme ; mais la
fièvre de ses sujets ne leur valut que désordre et dé-
chirement. Ces résultats sont les grands juges de la
politique.
Mon ami Maurice Barrés s'est publiquement étonné
(') l'our les Jeux olympiques de 189G.
ATHÈNES ANTIQUE
que j'eusse rapporté d'Attique une haine aussi vive
de la démocratie. Si la France moderne ne m'avait per-
suadé de ce sentiment, je l'aurais reçu de l'Athènes
antique. La brève destinée de ce que Ton appelle la
démocratie dans l'antiquité m'a fait sentir que le propre
de ce régime n'est que de consommer ce que les
périodes d'aristocratie ont produit. La production, l'ac-
tion demandait un ordre puissant. La consommation
est moins exigeante : ni le tumulte, ni la routine ne
Lentrave beaucoup.
Des biens que les générations ont lentement pro-
duits et capitalisés, toute démocratie fait un grand feu
de joie. Mais une flamme est plus prompte à donner
des cendres que le bois du bLkher ne l'avait été à mû-
rir, et ainsi ces plaisirs du bas peuple sont brefs. L'énor-
mité de notre capital national ne doit pas engendrer
de trompeuse sécurité. Être nationaliste et vouloir la
démocratie, c'est vouloir à la fois gaspiller la force fran-
çaise et l'économiser, ce qui est, je crois, l'impossible...
... Qu'un vovage ne soit qu'un déplacement men-
songer; que l'homme y traîne ses passions, ses idées, ses
manies, toute sa personne captive ; qu'on ne voie des
ATHÈNES ANTIQUE
choses nouvelles que ce qu'on en veut voir et qu'on
possédait à l'avance ; qu'après mille lieues faites pour
se délivrer de Paris, on se réveille en pleine discussion
familière ; qu'on reconnaisse trait pour trait un pays
où l'on ne fait que de débarquer : ces petits malheurs
très certains céderont aisément à la volonté souple qui
en tirera ses plaisirs. Nous avons tant d'âmes distinctes !
Une fuite sur les horizons de la terre ranime quelque
face inaccoutumée de nous-mêmes, et voilà nos vrais
mouvements ! Entre ces figures passées, quelques-unes
proviennent de notre adolescence ou même de plus
loin, et celles-ci ruissellent du charme vigoureux que
notre nouveauté communiquait aux décrépitudes du
monde. 11 y a quelque part un petit garçon de huit ans
qui, lorsqu'il lui plaît de renaître, m'apporte dans ses
yeux l'allégresse des primitifs.
Je le revois, tel qu'il était sous les tilleuls et les
lauriers-roses de sa Provence et penché sur le livre
qu'il lisait du matin au soir. VOdyssée était sa passion.
Il en peuplait les jeux, le sommeil, en parlait sans
cesse, ne sachant qu'admirer le plus du courage, de
la patience ou de l'art du héros. Ce grand calomnié
d'Ulvsse le fascinait par le -nombre de ses talents, la
ATHÈNES ANTIQUE
diversité de sa vie, soit qu'il fut consolé par la nymphe
marine ou sauvé des sirènes par la protection de Pal-
las... La grande dignité du langage homérique faisait
son impression sur ce tendre cerveau. Il en savait par
cœur tous les endroits émouvants et majestueux. Il se
les déclamait en riant de plaisir : « Muse, contez-moi
« les aventures de cet homme prudent... »
Dessiné par Homère, son jeune univers se parait
de divinités inégales, mais uniques de force, de ca-
price et de volupté. Ayant trouvé dans un album Fai-
mable figure des Grâces liées de guirlandes de fleurs,
les fossettes de leurs nobles académies lui parurent le
signe de sa religion.
— Soit, disait-il un peu plus tard au catéchiste,
mais pourquoi pas Phœbus-Apollon ou P allas ?
En souvenir de cet enfant et de la compagnie dans
laquelle il me faisait vivre, je n'ai pu me résoudre à
dépouiller l'Olympe grec de son ancien masque latin.
Sans doute j'aurais dû écrire Zeus à la place de Jupi-
ter, Poséidon au lieu de Neptune. Mais les graves Ro-
mains qui embrassèrent l'hellénisme comme le plus
doux des devoirs envers la haute humanité ont fait cet
amalgame des dieux de leur patrie avec les dieux dont
A T H È N E S A NTIQL' E
ils appelaient la lumière. Ils ont voulu se mêler au
corps de la Grèce. Nous avons mieux à faire qu'à les
en écarter. Tous les grands hommes de la France ont
continué ce mélange. En le quittant, il faudrait que
nous les quittions. Comme la poésie, comme l'amour,
la tradition est faite d'une entente délicate d'accords
subtils. Un rien la trouble. Est-ce la peine de trou-
bler notre tradition .''
Une jolie fable de La Fontaine attribue à des
hommes d'Attique mon hérésie. Oa les entend donner vv
le nom de Cérès à leur Démèter :
Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour,
Avec l'anguille et l'hirondelle...
L'assemblée, à l'instant,
Cria tout d'une voix : — Et Cérès, que tît-elle ?
J'aime trop La Fontaine et les plaisirs qu'il répan-
dit, en même temps qu'Homère, sur ma petite enfance
pour lui chercher une querelle dont tout le fruit se-
rait de me tirer de sa communion délicieuse. Accor-
dons que sa nomenclature des dieux est entachée de
fautes graves et soyons sages, gardons-la. Tenons serré
le lien qui nous tient réunis avec les Pères de notre
esprit et de notre goût...
NOTRE MER
NOTRE MER
J'écris au milieu de la mer, entre l'Italie et la Grèce.
Les officiers de qui je voudrais savoir où nous
sommes me promettent de me répondre exactement
demain. Ce qui est certain^ c'est que, hier, à pareille
heure, c'est-à-dire à sept heures du soir, nous ache-
vions de franchir le détroit de Messine. Les feu.x de
Messine brillaient à notre main droite et, peu après,
s'allumait sur la gauche Tillumination symétrique de
Reggio. 11 est probable que nous serons demain à
Athènes. Le vent est fort, mais favorable. Il ne faut
pas s'inquiéter du ciel qui est terriblement gris, ni
de la danse du bateau a chaque effort de la machine.
Tout cela, loin d'y nuire, sert, parait-il, notre voyage.
Il faudrait qu'un dieu ennemi vint se mêler de nos
affaires pour que cette lettre ne fût pas jetée à la boîte
ATHÈXES ANTIQUE
du Pirée dans la soirée ou peut-être dans l'après-
midi de demain.
En attendant^ la belle vie qu'on mène à bord ! Si,
comme c'est mon cas, vous avez un ami d'esprit in-
quiet, de cœur docile, enfm qui soit doué pour la
vie monastique, dont il soit détourné par l'incrédulité,
n'hésitez pas, je vous en prie : conseillez-lui la vie du
bord. C'est un couvent laïque et flottant que le pa-
quebot. Aisance, liberté, spiritualité ; c'est toute la
joie du couvent. Au milieu d'étrangers, en général
peu sympathiques et à qui néanmoins ne se marchan-
dent pas les témoignages de déférence, on est tout
entier b. soi-même. Non à ce moi un peu mesquin
qui mène la vie quotidienne. Je pense au moi supé-
rieur, presque affranchi de l'habitude, seulement sou-
cieux de se développer dans les hautes voies de l'es-
prit. Le son d'une cloche règle l'heure des deux repas
que l'on prend en commun sous la présidence et faut-
il même dire la surveillance des officiers. Ce dernier
bruit du monde qui consiste à choisir un menu, à
s'acquitter du prix d'un repas, s'est évanoui. L'on est
aux mains du commandant, du commissaire, du maître
d'hôtel. Avec le prix du passage, on s'est remis en
ATIIÉNKS ANTlijCK 17
eux de tout soin temporel. On n'a qu'à faire son salut,
c'est-à-dire, je l'imagine, à bien voir le pavsage, en
concevant à ce propos les plus belles idées.
J'ai pour cellule la terrasse supérieure du bateau,
qu'on appelle, je crois, en terme de marine, la se-
conde passerelle. Le commandant a bien voulu me la
concéder. C'est un lieu interdit, pour l'ordinaire, aux
passagers; le personnel du paquebot y monte rare-
ment pour la besogne du service. De cette solitude
se découvre d'abord tout ce qui paraît sur la mer. On
voit changer le temps, fumer la cheminée ou blanchir
l'extrême voilure des vaisseaux éloignés. Ce que
j'aime le mieux, c'est le cercle parfait de Teau, lorsque
le ciel est pur et la mer sans aucun rivage.
Rien de moins monotone, cet azur ne cesse de
varier. Avant-hier c'était un bleu dur, éclatant, presque
comparable à l'azur profond d'une pierre bleue; hier, en
vue delà Sicile, tout s'était attendri, subtilisé, évaporé.
L'eau semblait du nuage; le nuage, de la clarté, et, cette
clarté même mourant de sa propre splendeur, les vagues
et les côtes perdaient leur relief, semblaient peintes
ou dessinées, mais en lignes de feu, et ces lignes, il
est vrai, d'une simplicité et d'une élégance suprêmes.
1 8 .1 THÈ NES ANTIQ UE
On dit qu'une mer sans rivage est un reflet de
l'infini. Je comprends de moins en moins la compa-
raison. En vérité, rien n'est plus fini que la mer*. La
séparation d'un ciel pâle d'avec cette mer plus foncée
donne au contraire la pensée de la plus ferme des
figures. Ce beau disque d'azur est tout à fait géomé-
trique. Il est vrai que deux artistes supérieurs^ le so-
leil et le vent, ne s'arrêtent jamais d'en peindre ni d'en
modeler la face étincelante ; ils donnent une vie di-
vine à cette beauté si humaine.
Passé les bouches de Bonifacio, nous avons pénétré
dans le cœur du monde classique, patrimoine du genre
humain. Ulysse est venu jusqu'ici, Ulvsse, le prudent
et fertile esprit de la Grèce. S'étant échappé du Cy-
clope, il aborda dans les parages des îles Éoliennes,
que des chaînes solides n'avaient pas encore amar-
rées au fond de la mer. Elles étaient flottantes à la ma-
nière de Délos. Éole, cher aux dieux et maître des vents,
y régnait. « Ce roi »^ disait Ulysse quand il racontait
■ La ligne d'horizon veut dire, en bon grec, quelque chose comme
« la déjinilion ». Etrange sort du mot qui, désignant d'abord une
limite fort précise, dégénère jusqu'à signifiera l'indéfini.
ATIIÈXES AXrJ(^)ll-: >9
cet épisode d'un sens si fort, « a douze enfants, six
garçons et six filles. 11 a marié les frères avec les
sœurs et ces jeunes gens passent leur vie auprès de
leur père et de leur mère dans des festins continuels
où ils n'ont rien à désirer pour la bonne chère. Pen-
dant le jour, le palais parfumé de parfums délicieux
retentit des cris de joie, on y entend un bruit harmo-
nieux, et la nuit, les maris vont coucher près de leurs
femmes sur des lits et sur des tapis magnifiques. »
Émus de pitié sur Ulysse, les heureux furent bienveil-
lants. Ils le retinrent dans les fêtes et les plaisirs pen-
dant un mois entier et, pour avancer son retour, lui
livrèrent les vents de la mer enchaînés dans une outre
de peau de bœuf.
Mais lorsque, par son imprudence et le pauvre
esprit de ses compagnons, Ulysse leur revint, éprouvé
de nouveaux revers, fouetté de nouvelles tempêtes,
Éole n'eut que de l'horreur. « Va-t'en ! » s'écria-t-il
du plus loin qu'il l'eut aperçu, « fuis au plus vite de
cette île, ô le plus méchant de tous les mortels! 11
ne m'est pas permis ni de recevoir ni d'abriter un
homme que les dieux immortels ont déclaré leur en-
nemi. Va, fuis, puisque tu viens dans mon palais,
.1 77/ KNE S A N TIQLK
chargé de leur haine et de leur colère. » Ulysse, qui
trouvait Éole inhumain, ne l'accusa pas d'injustice.
Le plus sage et le plus patient des hommes savait
qu'il convient de ne pas être trop malheureux. C'est
une espèce de devoir. Qui se sent trahi par les dieux
et rejeté de la fortune n'a qu'à disparaître du monde
auquel il ne s'adapte plus. Sans doute Ulysse persista
et le héros supérieur aux circonstances par la sagesse
éleva son triomphe sur l'inimitié du destin.
J'étais tout occupé de cette sagesse d'Homère
quand parut l'archipel admirable des Lipari, qui sont
le royaume d'Éole enfin fixé. D'abord, sur la droite,
deux terres, Alicudi etF'ilicudi, ont émergé, l'une après
l'autre, la dernière flanquée d'un îlot de rocher abrupt;
puis une troisième île, la plus belle de celles qui se
montrent de ce côté, Salina, formée de deux mame-
lons si gracieusement accouplés que l'œil ne peut se
détacher de la courbe souple qui joint les cimes. Un
hameau composé de quelques douzaines de petites
maisons, semées en un charmant désordre, descend de
la double colline et semble glisser à la mer au mi-
lieu d'un bocage dont la verdure est toute sombre.
Comme nous cinglons au sud-est dans la direction
A TH È N E S A NTIQ U E
de Messine, Alicudi, Filicudi et Salina sont laissées
sur la droite; mais, à gauche, le Stromboli fumeux
est apparu depuis longtemps ; sa notoriété lui vaut un
grand succès parmi mes compagnons de route. On
nous vante l'effet de sa fumée rouge et de sa flamme
étincelante quand on navigue ici dans la nuit ; on
ajoute que, par les jours clairs, sur un ciel bleu, cette
fumée opaque fait une tache curieuse. « Et je le crois,
puisque je ne le vois pas. » Par malheur, il ne fait pas
nuit, il fait même plein jour ; mais c'est un petit jour
grisâtre : le panache du Stromboli ne semble qu'un
nuage parmi ceux qui traînent au ciel.
Pendant qu'on admire le Stromboli, je fais mes dé-
votions aux beautés méconnues de Panaria. Nous en
rasons de près deux faces successives. Les flancs ouest
et nord de cette petite île paraissent de loin fort sau-
vages et je crois qu'ils sont tels en réalité ; on s'en
convainc dès qu'on approche. Mais on observe en
même temps que la forme de l'île est d'une grâce ex-
quise. Je doute qu'il existe un rivage plus ingénieu-
sement arrondi que les bords de Panaria. Enfin cette
île est toute verte du côté du nord ; les pentes les
plus rudes sont tendues de molle verdure, une sorte
ATHÈNES ANTIQUE
d'herbage plus touffu et plus vivace que le gazon, mais
moins pâle que la bruyère, dont la fraîcheur doit plaire
au toucher comme elle charme Foeil. Je n'ai pu me
tenir d'y concevoir en cet avril tardif la bienvenue et
comme le salut lointain du printemps de Naples,
Grata vice Veris...
Mais un brusque détour nous découvre le bord
méridional de Panaria. Ici, le printemps semble dé-
passé. C'est l'été ou même l'automne. Des massifs
d'arbres d'un gris pâle, des oliviers sans doute. Entre
les oliviers, quelques maisons riantes. Le vaisseau qui
s'éloigne semble fuir les images de la félicité.
Une ondée de pluie tiède tombe tout à coup sur
le pont : nous nous retournons vers la droite, où
pointent Lipari, puis Vulcano, à la suite de la char-
mante Salina, mais, il est vrai, moins belles et sans élé-
vation.
La pluie cesse. Le vent fraîchit. Et ce n'est plus
le vent froid et dur de Marseille ni du littoral de la
Corse. A la lettre, c'est le Zéphyre. Tant de terres
fleuries respirent près de nous, il en distribue le par-
fum. L'air éclairci, de gros nuages couvrent pour-
ATHÈNES AXTIOLE 23
tant le paquebot et tiennent le centre du ciel, mais
tout le bord circulaire de l'horizon céleste et marin
semble fait d'une lame d'argent incandescent baignée
d'une brume dorée. Sur ce beau cercle se profilent,
comme des formes sans matière, comme d'angéliques
substances, les coupes variées du Stromboli, de l'îlot
de Basiluzzo qui touche Panaria, de Panaria elle-
même, de Salina, de Lipari et de Vulcano, imbibées,
dévorées d'une avide lumière : ses dégradations insen-
sibles, ses vaporeuses poudres d'or levées de la mer dans
le ciel, nous semblent élever les abîmes du monde à
la dignité de l'Esprit.
Je ne finirais point de conter le détail des magni-
ficences d'hier. Aujourd'hui fut moins beau. Le cap
Spartivento, au sud-est italien, n'a pas volé son nom.
11 a jeté sur nous le nuage et le vent. Mais cela de-
vait être. Le vieil Homère, dont je ne me sépare ja-
mais et qui est mon prophète, mio diica, mio dottore,
m'a prévenu depuis longtemps de la malice de ces
climats. Ulysse en souffrit avant nous. Aussi ce grand
homme a-t-il appelé l'endroit « une mer si difficile
et si dangereuse que les meilleurs et les plus forts na-
2^ ATHÈNES ANTIQUE
vires, accompagnés du vent le plus favorable, ne la
passent qu'avec beaucoup de danger >. Pour les An-
ciens, la mer ionienne ne cédait en furie qu'à l'Adria-
tique elle-même. Je vois qu'ils ne se trompaient guère.
L'équipage m'assure que, pour le lieu et la saison,
il fait délicieux. Pourtant le paquebot bondit comme
un chevreau, sur l'onde. Je n'en suis que plus aise de
me voir le cœur si dispos. Mais les trois quarts des
passagers n'ont pas dîné. Les paysages pâlissent. La
mer a la couleur du plomb. Le ciel est gris. Toutes les
étoiles se cachent. Or, nous ne sommes peut-être pas
à cinq heures de la presqu'île de Pélops.
Beaucoup de choses s'accomplissent pendant la
nuit. C'est encore une vieille et sage maxime que je
tire d'Homère. Nous avons fait, pendant la nuit, le
tour entier du Péloponèse. On en voit maintenant les
dernières montagnes. Aux nuages a succédé une lu-
mière claire et douce. Mes chers amis de France, si
vous saviez combien tout cela nous est fraternel !
PREMIERS PAS
PREMIERS PAS
Il faisait presque froid, il faisait un temps aigre,
mêlé de pluie et de soleil, quand nous sommes entrés
dans les eaux de TAttique. Vers Eleusis, vers Égine,
vers Salamine, les sévères collines en chapeau thessa-
lien étaient recouvertes de Tombre de grosses nuées.
Et le rocher de l'Acropole se dessinait à peine, tant le
jour était faible dans cet après-midi d'avril. Mais Tac-
cueil s'embellit dès que^ vers l'orient, apparurent les
anses de Munvchie et de Phalère. D'ailleurs, ce ca-
price du temps ne peut être appelé une défaveur. Il
était bon que l'Attique nous avertit des son abord
qu'elle n'avait rien de commun avec les vers de M. Le-
conte de Lisle ni avec le golfe de Naples. Ce n'est
pas de la pierre peinte que l'Attique ; c'est une per-
sonne vivante, nullement impassible ni marmoréenne.
ATJ^ÈNES ANTIQUE
S'il brille au flanc du Pentélique des carrières de
marbre que nous avions admirées de la haute mer,
tantôt un blanc nuage et tantôt un nuage noir ou
quelque blond coloris versé de l'azur animait ces blan-
cheurs délicates et sensitives.
Sur le petit chemin de fer qui conduit à Athènes,
au milieu des champs de blé nouveau plantés d'oli-
viers, je n'eus pas la patience d'attendre la fin du
voyage. Devant le temple de Thésée, qui est au pied
de l'Acropole, je sautai du vagon et courus de tous les
côtés.
ATHÈNES ANTIQUE
ATHÈNES ANTIQUE
Un poète français m'avait dit en riant, le jour de
mon départ :
— Vous allez à Athènes comme à un rendez-vous
d'amour.
Et, cette blanche Athènes aperçue de la haute
mer, « 0 terre! » murmurai- je comme la fille de So-
phocle, « terre comblée des plus grands éloges, à toi de
les justifier! »
Nulle justification plus rapide. On m'avait annoncé
une déception. Je n'ai rien senti de pareil. Dussé-je
être montré au doigt de tous les modernes comme
un écrivain dépourvu d'imagination et pauvrement
ébloui des choses réelles, j'écris cet aveu sans pu-
deur.
Durant un mois, j'ai su ce que c'est que la grâce,
32 ATHÈNES ANTIQUE
j'ai SU ce que c'est que la force et j'ai connu par un
toucher sensuel et physique ce que c'est que l'essence
claire de leur accord. Le jour se consumait avec avi-
dité, je le voyais tomber avec une ardente tristesse. Il
ne me semblait pas que j'eusse interrogé assez de places
immortelles ni exercé suffisamment les puissances de
curiosité et de réflexion. N'en crovez pas des notes
de vovage écrites sur les lieux et expédiées par la
poste. Tout cela, c'était mon métier ; ma vie, nulle-
ment. Un certain vendredi que je ne saurais me rap-
peler sans éclats de rire, j'écrivais à Paris que je par-
tirais dès le lendemain :
— Je prends le bateau du Pirée pour Itéa, l'es-
cale de Delphes. D'Itéa, je gravirai à dos de mulet
vers les monuments d'Apollon, et quelque embarca-
tion à vapeur ou à voile permettra de gagner Patras.
Je verrai ensuite Olvmpie, puis Corinthe, et Argos,
d'oi^i je reviendrai dire adieu à Athènes...
Tout était préparé pour la course en Phocide, et
autour du Péloponèse. Mais, au dernier moment, le
cœur me manqua et les charmes athéniens furent les
plus forts. Je défis ma valise, ne pouvant me résoudre
à quitter la face d'Athènes. J'avais trop à revoir, car
Al II EN ES AXTKjUE 33
le premier tour avait été vite fait. 11 me plaisait de le
refaire chaque jour. Je n'ai guère quitté la ville que
pour les promenades dans la banlieue.
Les semaines charmantes ! L'antiquité sévère et
douce qui m'encourageait d'un sourire quittait pour
moi, l'un après l'autre, ses secrets vêtements, et si
quelque ignorance, comme il advint, tenait ma pen-
sée suspendue ou que même quelque méprise éclatât
et me confondît, je n'en éprouvais nulle peine ; mais,
pareil aux premiers Florentins humanistes qui tou-
chaient de leur front les volumes d'Homère qu'ils ne
pouvaient pas déchiffrer, j'en étais consolé par un sen-
timent de la légèreté de mes fautes au prix de ma
certitude et de mes plaisirs.
Or, il n'était point rare que, parmi ces plaisirs, je
fusse poursuivi par des esprits sombres et faux, tou-
jours enclins à la querelle.
L'un s'appliquait avec ingéniosité a faire luire des
hypothèses judicieuses :
— Si vous restiez un mois de plus, vous change-
riez d'avis...
.1 THÈ: NE S A X riQ LE
— ï3é\-'.a-z. répondais-je, cœur excellent, il me
sera toujours impossible de vivre ici un mois, un jour
ou seulement une heure de plus que je n'y aurai vécu
en effet. Comment faire l'expérience à laquelle vous
m'engagez ?
S'il insistait, je l'emmenais en quelque beau lieu
que, depuis vingt mois de séjour, il n'avait pas encore
eu la tentation d'explorer. C'est ainsi que je lui fis
connaître le Céramique.
Un second s'évertuait à me démontrer qu'il n'y
avait rien où je venais de voir quelque chose, pres-
que rien où j'avais trouvé infiniment, et qu'enfin je ne
nï amusais point là même où ma passion m'enfonçait
des heures entières.
— On voit bien que vous êtes en vacances, me
répétait non sans aigreur ce fonctionnaire.
Et je n'osais lui répliquer que l'on voyait de reste
qu'il était en fonction.
Un voyageur de profession, fier d'avoir aperçu un
grand nombre de pagodes et de mosquées :
— Vous avez, disait-il, un esprit tout atrophié et
une tète rétrécie par l'éducation classique.
— Eh ! lui répliquais-je en moi-même, l'éducation
ATHÈNES AXTKJL'E 35
romantique n'aurait-elle point embrouillé et désorga-
nisé ce que vous aviez de cervelle ?
« Admettons que, de nous, ce soit moi qui fasse
l'erreur. Mais l'erreur est précieuse, si elle me met
en état de comprendre et de ressentir ce que l'his-
toire intellectuelle de l'univers nous présente de mé-
morable. Elle me procure une foule d'explications lu-
cides de ce qui nous touche le plus. Au contraire, si
l'on admet que vous ayez la vérité, que contient-elle
de pratique, de nourricier et d'assimilable pour vous ?
Un principe de curiosité infinie. La question par la
question ! Mais pas de réponse !
« Votre pensée n'est rien que du vagabondage.
Tout lien avec la race de vos pères spirituels et la
suite de vos civilisateurs est coupé misérablement. Ni
par rapport à vous, ni par rapport aux vôtres, vous
n'avez rien qui soit classé et, comme vous n'avez pu
faire aucun classement par rapport h l'ordre éloigné
et insaisissable du monde qu'il est particulier aux
hommes d'ignorer, vous êtes une sorte de chaos am-
bulant, embarrassé même pour me dire quoi vous ai-
mez. N'ayant rien choisi, ne préférant rien, végétant
dans une indifférente inertie, vous affectez une mobi-
36 ATHENES AN Tin LE
lité extrême : elle est, au fond, un simple mode de cette
condition des cailloux que l'on roule, des bûches qu'on
charrie, et de toutes les créatures dispensées ou déli-
vrées de l'activité. C'est un bonheur peut-être. Qu'il
soit du moins silencieux, et n'insulte pas à la vie ! »
Mais, fatigué soit d'une discussion superflue, soit de
courses continuelles, il m'arrivait d'être assis dans un
lieu désert et je sentais l'Attique accomplir en silence
son ouvrage au dedans de moi. Je la priais d'agir, de me
modifier, en m'abandonnant à ses soins. Tantôt à l'un
des carrefours où se trouve quelque monument de la
ville antique, tantôt dans l'ombre fraîche des corri-
dors du grand musée, il me suffisait de poser n'importe
oii le regard. Je laissais les petits éléments athéniens af-
fluer et me pénétrer comme on ouvre l'accès de son
âme, en un soir d'été, aux forces du ciel plein d'étoiles.
Plus que toute méditation, cette torpeur contempla-
tive m'inspirait le sens et la divination de la ville :
incrusté et comme pétrifié en elle, il me semblait que
la vie des marbres sublimes m'animait peu à peu. Les
longues heures ainsi passées m'ont fait comprendre
qu'on puisse aimer comme une créature de chair la
ATHÈNES ANTIQUE Sy
matière du Pentélique et crier : la voila! et sentir son
cœur battre, partout où brille une parcelle de la belle
pierre dorée.
Telles étaient les pauses. L'àme v est contente de
soi. Mais, dans les exaltations qui suivaient, rien ne
m'était pénible comme Tabsence de tout esprit fami-
lier capable d'en prendre sa part. Le mien était tendu
jusqu'à la congestion et des sentiments en naissaient
qui déterminaient une sorte d'érosion presque dou-
loureuse et, s'il faut le dire, d'égarement.
L'ACROPOLE
L'ACROPOLE
Dans un livre postérieur de plusieurs mois à mon
voyage, M. de Vogué parle d'un visiteur de l'Acropole
qu'on surprit un matin, à genoux, manifestement en
prière et peut-être en larmes, devant Tune des souples
Errhéphores qui soulèvent du front la tribune du vieux
roi d'Athènes Érechthée. Les extases du pèlerin plon-
gèrent ses amis dans un étonnement dont l'expression
m'a toujours paru sans mesure et que je ne puis m'ex-
pliquer. Quoique traitées en héroïnes, les six caria-
tides sont des femmes pleines de vie. L'Athènes du
IV' siècle ne les appela jamais que « les jeunes filles».
Pour être immortelle et sublime, leur grâce florissante
n'en enferme pas moins la mémoire et la cendre d'une
antique idée de l'amour. Et tout cela peut bien émou-
voir un homme sensible.
A THÈNE S A N TliJ LE
Soit que la jeune Athénienne lui rappelât la plus
belle de ses amies ou le type de sa chimère, l'acte du
personnage de M. de Vogué s'explique et se défend
par .mille raisons naturelles. Je crains que nulle excuse
ne soit trouvée en ma faveur quand on saura comment,
sur la même Acropole, je commis bien d'autres excès.
Je n'y montai pas tout de suite, bien que j'y fusse
accouru dès le premier soir. Les sentiments confus
qui, durant plusieurs jours interminables, me retinrent
hors de l'enceinte, m'attiraient cependant, errant et
fiévreux, sous l'escarpement. Des petites rues qui y
mènent, je crois bien que j'ai battu les plus ignorées.
Elles sont en pente assez rude, brisées de temps en
temps par un escalier. On y trouve surtout des ateliers
de tisserands. Devant les dévidoirs tendus d'une belle
soie safranée, les femmes et les jeunes filles font des
groupes assis au milieu de petites cours chichement
ombragées. Je ne les regardais que pour me tirer d'in-
quiétude et je me replongeais dans la méditation de
Tombre lumineuse qui tenait ma vie suspendue.
Vue de l'angle nord-est, la structure de l'Acropole
44
A THE NE S A \ TJnL'E
Un Latin disait des meilleurs écrivains de TAttique,
tels que Thucydide et ceux de son temps : « Leur
style était noble, sentencieux, plein dans sa précision et, par
sa précision même, un peu obscur. » Cette précision ré-
tablit leur mystère dans sa lumière. Nul œil profane
ne les pénétrera aisément...
N'être point un profane, entendre le mvstère de
conciliation que suppose une chose belle, sentir avec
justesse le mot du vieux pacte conclu entre la savante
fille du ciel et la tendre enfant de Técume, enfin se
rendre compte que ce parfait accord ait été propre-
ment la Merveille du Monde et le point d'accomplis-
sement du genre humain, c'est toute la sagesse qu'ont
révélée successivement à leurs hôtes la Grèce dans
l'Europe, l'Attique dans la Grèce, Athènes dans l'At-
tique et pour Athènes le rocher où s'élève ce qui
subsiste de son cœur.
L'heure de mon initiation arriva sans que ma vo-
lonté v prît aucune part. J'étais assis près de la route
carrossière qui conduit à la grille de la porte Beulé.
C'est une suite de raidillons comparable à celle du
vieux Monaco. Elle est traversée de petits sentiers fai-
.4 T II i: s ES .1 .V TIQl 'E 45
sant raccourci et complantée de beaux agaves d'un bleu
pâle. Comme j'avais les veux en Tair, du côté où ten-
dait toute ma pensée, une petite fille de neuf à dix
ans passa devant moi. Je la vovais à peine. Elle at-
tira mon intention en traînant les pieds sur le sable,
puis s'arrêta en me faisant signe de mon chemin. Je ne
l'avais pas demandé. Le doigt vers TAcropole, elle me
regardait en m'adressant un gentil sourire entendu.
J'aurais baisé au front la jeune hiérophante ! Mais je
me levai et suivis en aveugle sa direction.
...Quand, au plus haut de l'escalier, je rouvris les
yeux, la première colonne des Propylées se tenait de-
bout devant moi : toute dorée, mais toute blanche,
jeune corps enroulé d'une étofl'e si transparente qu'on
n'en saisit point la couleur, la chair vive y faisant
elle-même de la lumière.
Elle montait des solides dalles de marbre, ferme
sur sa racine élargie à la base. Dans toute la longueur,
comme des ruisseaux d'un feu sombre, les cannelures
symétriques s'enfuyaient dans le libre élément aérien
^0 A T m': NE s A \ Tin ( ■/•;
où brillait un sommet misérable et meurtri. Il fallut
peu de temps pour prendre connaissance de la sil-
houette souffrante et souffrir avec elle, avec tout le
sage univers, de tant de coups barbares qui Font dé-
capitée. Son svelte chapiteau et le fardeau que porta
cette belle tête gisaient ensemble sur le sol et leurs
débris, comme le seuil de quelque cimetière supérieur,
manquèrent me tirer des larmes. Si j'avoue n'en avoir
versé aucune, oserai-je écrire ce qui suivit .? Pourquoi
non, si j'osai le faire ? Sur cette colonne choisie, la
première du chœur des jeunes Propylées, j'entourai de
mes bras l'espace, autant que je pus en tenir, et, in-
clinant la tête, non sans prudence à cause d'une
troupe d'Américains qui se rapprochaient avec bruit,
prenant même grand soin que l'on me crût en train
de mesurer la circonférence, je la baisai de mes lèvres
comme une amie.
Ni le jeune homme que nous montre M. Melchior
de Vogué, ni cet étranger fanfaron qui, s'étant intro-
duit dans le temple de Cnide, passa la nuit entière
avec la déesse de marbre et l'épousa complètement,
comme le raconte Lucien, ni enfin le sculpteur qui
aima la statue jusqu'à l'animer de son souffle, j'ai peine
.1 THESES A XT/(,)I:E
à croire que personne ait connu le même transport.
Si le ciel en feu, si la roche dure que je foulais et le
marbre que j'étreignais ne fournirent point de réponse
à la vibration secrète de ce baiser, si je fus seul où je
me crus mêlé à d'universelles ivresses, c'est un point
qu'il est superflu de traiter, car le doute et la foi y de-
viennent insoutenables. Ce qui n'admet ni foi ni doute,
étant certain, c'est l'état de folie lyrique oij je roulai
avec une complaisance infmie, sans cesser de tenir la
belle substance embrassée.
Rien de tel ne m'avait été murmuré à l'oreille, de-
puis le jour de ma jeunesse où l'enceinte dévastée du
théâtre d'Arles m'avait fait éprouver la présence réelle
et, au même moment, le deuil de la vie antique : deux
légers styles corinthiens qui, pour appartenir à l'âge
inférieur, me semblaient pourtant sans défaut, dévelop-
paient dans ce désert leur figure jumelle d'une mer-
veilleuse clarté. Je me contentai cependant de leur
donner le nom de deux vierges choisies parmi les
filles de Sophocle et de jurer à toutes deux, mon
Antigone et mon Ismène, une pieuse visite de chaque
année. Quoique j'aie tenu le serment fait à leur grâce,
je n'eus jamais envie de les entourer de mes bras.
A THÈSES A X TIQUE
Qu'avait de plus que ces Arlésiennes si douces le fût
tronqué des Propvlées ?
Je me demande plutôt ce qu'il n'avait point ou ce
qui pouvait lui manquer avant sa blessure et du
temps qu'il jouissait d'une forme intacte. N'était- il, à
la lettre, ce que nous entendons aujourd'hui par un
dieu ? Il signifiait un plaisir tout à fait exempt de dou-
leur, un mouvement libre et un acte pur. Simple ac-
cident de la vie et de la nature, il les résumait et les
expliquait toutes deux. De la vie et de la nature a qui
leur destinée, le plus communément, a bien défendu
d'être belles, le voici, me disais-je, qui élève comme
un peuplier au milieu d'un herbage nain le bonheur
insolent qui lui a valu d'être beau. 11 est la fleur de
l'Être. 11 est le contraire de l'Être. 11 est le rare, il est
Tunique, en même temps que le commun et l'univer-
sel. 11 est de ce chaos dont les éléments se divisent,
et sa génération atteste cependant l'industrieuse main,
le pouvoir unificateur de la claire raison de l'homme
couronnée du plus tendre des sourires de la fortune.
Dans le déraisonnable, le mouvant, l'incompréhensible,
il pose clairement le rvthme assuré d'une loi. De l'ini-
mitié infinie, il tire un accord immortel.
ATHÈNES ANTIQUE 4<)
C'est pourquoi mon esprit goûtait avec une dou-
ceur inexprimable ce que mes yeux charmés ne se
lassaient point de connaître. Ainsi l'intelligence me dé-
brouillait sans peine le monde troublé du plaisir. La
volupté qui me pénétrait d'une onde puissante, je
l'honorais presque autant que je l'éprouvais, bien cer-
tain que jamais tressaillement plus juste ne se ferait
dans mes entrailles. Un exercice ordinaire de la pen-
sée montre souvent comme il est triste ou honteux
d'être un homme sujet au mal et à la mort, mais
j'éprouvais ici la noblesse de notre essence ; les plus
hautes disciplines de la raison rapprochaient de moi
la beauté.
Je ne regrette point d'être si mémorablement
échappé de moi-même à ce premier vestibule de l'Acro-
pole. La fièvre ainsi passée, je me sentis l'esprit cri-
tique, disposé à jouir des chefs-d'œuvre sans y périr.
LE PARTHENON
LE PARTHÉNON
Un autre choc me fut pourtant donné le même jour,
lorsque, ayant achevé le tour de ma colonne, j'aper-
çus au delà d'une colonnade nouvelle la sombre masse
du Parthénon.
Un long désert de pierres blanches, de marbres,
de maigres buissons, courait devant le temple, par
terrassements inégaux. Mais l'imagination dévorait cet
espace. Le mur géant, labouré de vastes blessures,
découvrait, ramassée, et concentrée en lui, une incal-
culable vigueur, comme un fauve puissant qui va bon-
dir et s'imposer. En approchant mieux, on retrouve
cette idée de libre élégance qui devait s'élever, à pre-
mière vue, de l'édifice entier. L'effet de sa mutilation
en aura mis à nu la force. Ce que nous démasquent
5| ATIIKXES AXriOl'E
ces ruines, c'est une énergie héroïque, dont on est
tour à tour exalté et vaincu.
La table du roc solitaire qui supporte le Parthé-
non, l'Erechtheion, et, frêle cabane de marbre, le temple
de la Victoire, semble tout d'abord parsemée d'une
infinité d'ossements polis et brillants au soleil. On songe
ensuite, tant la lumière est joyeuse, au vaste chantier
d'un sculpteur. Mais c'est la première impression qui
est la juste. Ces quartiers que Ton foule sont les
membres du corps inanimé de l'ancienne Athènes.
Tambour à tambour, tranche à tranche, au milieu des
herbes flétries qui ne les ont pas recouverts, les styles
couchés sur le sol font de véritables dépouilles et les
mânes qui volent dans l'air au-dessus d'eux nous pro-
fessent la mélancolie de tant de travaux. Seules de
nobles mains, d'aristocratiques mains d'hommes libres,
y avaient été employées. La volonté de Périclès avait
banni l'esclave de ces entreprises publiques. Les meil-
leurs ont ici imprimé le meilleur d'eux-mêmes. Ce n'a
pas été éternel.
AT II È -V £-5 A -V TIQJ 'F.
55
Un vain sentiment de piété défend leurs restes. Il
suffirait que cette piété faiblît, qu'une foi analogue à
celle des iconoclastes nous ftk prèchée comme on
prêche en Russie la mutilation de soi-même et en
Norvège la dislocation des sociétés, il suffirait qu'une
série de grandes guerres ou d'autres fléaux, nous ren-
dant attentifs à des soins plus impérieux, autorisât seu-
lement quelque négligence : la terre avide, la mer pro-
fonde, la férocité des enfants, l'ignorance des hommes,
le ciel pluvieux et torride, auraient vite fait de re-
prendre et de liquider ce trésor.
11 est vrai que le Parthénon, ayant vécu, n'a aucun
besoin de personne, et c'est nous qui avons besoin du
Parthénon pour développer notre vie. Ce qui en reste
est souriant. Et l'on pourrait abattre encore ou profa-
ner, réduire le fronton ouest au même triste état que
l'oriental, brover ou renverser les dernières colonnes,
décrocher les derniers vestiges de la frise : tant qu'il
subsistera seulement de quoi inférer une conception
de l'ensemble, l'càme de la Vierge éponyme s'y fera
sentir dans sa force.
J'ai peine à comprendre qu'on ait méconnu cette
force. Des écrivains de notre siècle qui ont visité
56 .1 THE .V E S A .Y Tin UE
Athènes, je n'en trouve pas un qui Tait remarquée.
Lamartine, sublime aveugle, arrêté là-bas, dans la
plaine, s'éprit du temple de Jupiter Olvmpien parce
que le péristyle en est élevé, riche et ainsi digne de
Balbek ; malgré les adieux au « gothique » que le
Parthénon lui inspire, il en emporta des idées de fai-
blesse et d'exiguïté. Renan a fait la même faute, et
tout ce qu'il a dit et chanté de beau sur Athènes en
devient assez irritant. Dans Saint Paul, une jolie page
sur Tàme grecque est empoisonnée de dédain. 11 re-
vient à plaisir sur le caractère aimable et fm, mais,
ajoute-t-il, sans portée comme sans grandeur, de l'at-
ticisme : petits plaisirs, petite poésie et petites gens.
Lorsque Joseph de Maistre, faisant une revue gron-
deuse des dons intellectuels de la Grèce, néglige en
passant d'y mentionner Aristote, le lecteur entend bien
que son auteur s'amuse ; il s'amuse donc de ce jeu.
L'on aimerait trouver chez Renan le même sourire.
Mais on voit bien qu'ici Renan est loin de plaisanter. Où
Maistre raille, Renan marque un sérieux extrême. Ainsi,
je ne le puis écrire sans tristesse, apparaît une des larges
plaies que le romantisme, l'Allemagne et son christia-
nisme avaient ouvertes dans cette délicate pensée.
Jî.rlrait de VOunrage :
Ma.iiiiie Colligiion : Le P
Ch. Egijimaiin, Édile
\
Extrait de l'Ouvrage :
Maxime Collignon : Le PARTi
Ch. liggimann, Éditeur, P
A T H EN ES A N TKjUE
Ceux qui ont écrit VOrganon, bâti ce Parthénon,
inventé l'ordre des sciences et conduit tous les arts au
degré de la perfection, ces petites gens de la Grèce ne
m'ont pas permis de lire jusqu'à la fin la fameuse
Prière d'Ernest Renan, que j'avais emportée un jour
sur l'Acropole. — Ce rythme, me disaient leurs ombres,
ce rythme chanteur est de nous. Bien que d'une cadence
outrée, retiens-le si tu veux et rappelle-toi de chasser
les paroles quil accompagne : non qu'elles soient toutes
mauvaises, mais les meilleures sont corrompues par le
voisinage...
Et en eiïet. On ne dit pas : « Il y a un lieu oh la
perfection existe, il ny en a pas deux, cest celui-là »,
pour objecter un peu plus loin au génie de ce lieu
unique « qu'il y a de la poésie dans le Strymon glacé
et dans l'ivresse du Thrace ». Que pouvons-nous
avoir affaire d'une chansonnette gothique dans le lieu
de la perfection ? On ne redit pas devant une déesse,
à quatre reprises, « toi seule » (seule jeune, seule pure,
seule sainte et seule forte), pour lui souhaiter, en
adieu, une tête plus « large » avec les moyens d'em-
brasser < divers genres de beauté ». Ou les mots sont
de simples souffles et ne présentent aucun sens, ou
58 ATHÈNES ANTJQLE
Ton ne peut écrire : <.< Quand je vis F Acropole, j'eus
la révélation du divin», si Ton doit conclure, à propos
des « plâtras » de Byzance, qu'ils produisent égale-
ment, à leur mode, un « effet divin ». Renan ajoute :
« Si ta cella devait être assez large pour contenir une
foule, elle croulerait aussi. » Assurément. Mais quel
est ce besoin d'y loger une foule .^ Et pourquoi la loger
dans un bel édifice dont le rapport avec la multitude
consistait à en être vénéré du dehors ?
Devant la face orientale du Parthénon, au point
où la théorie des Panathénées devait aboutir après
avoir développé tous ses anneaux, se voient les ruines
d'un bâtiment circulaire que Rome avait eu l'impu-
dence de se dédier en ce lieu. Jetés au ras du sol
d'un coup de justice divine, les décombres du temple de
la déesse Rome étaient le siège favori d'où j'aimais à
me pénétrer des vigueurs, des fiertés et de la des-
tinée éternelle du Parthénon. De quelque côté qu'on
l'observe, ce modèle architectonique sort de la terre
d'un mouvement impérieux et définitif; là même où les
gens du métier signalent une imperfection, elle n'atté-
nue point, j'ose dire qu'elle souligne le caractère de
la force et de la fermeté.
ATnÈM-:S ANTIQUE Sij
Je ne sais à quoi peuvent servir ici le mot de
petitesse et celui cfétroitesse. Encore un coup, nous
ne sommes pas devant une église, mais devant un
autel et un tabernacle ; il sert de musée, de trésor
ou de magasin, non d'abri aux fidèles. Ceux-ci se
contentent de Tentourer. Seules doivent y pénétrer
des personnes choisies. Dans ce reposoir en plein air,
séjour des dieux, mais non oratoire des hommes, sorte
de construction qui, par le fini du détail et les justes
mesures de son élévation, procédait quelque peu de
la statuaire, on saisit comment l'art athénien, l'art grec
tout entier, développe sa plénitude. Il comble les pro-
messes de son goût et de son génie.
11 eut pu faire un autre effort. Le Grec n'était
pas incapable de bcàtir un immense hangar de marbre
et de donner ainsi ce que les amateurs modernes ap-
pellent une sensation de grandiose. On entrevoit à
Eleusis ce qu'il a fait, par une succession d'agrandis-
sements, en vue de recevoir des milliers de pèlerins.
Un tremblement de terre a rasé le temple-colosse
d'Eleusis. Mais je crois que l'âge eût suffi. Un bâti-
ment qui doit servir à de nombreux et pressants
usages n'a pas besoin d'être une construction ache-
6o ATHÈNES ANTIQUE
vée ni inébranlable. L'immédiatement utile n'a qu'une
heure, car l'utile change sans cesse et c'est à quoi
ont été pipés nos Romains. Leurs constructions d'uti-
lité économique peuvent subsister, il est rare qu'elles
rendent de grands services. Ces aqueducs où Teau a
cessé de couler, ces grandes voies impraticables don-
nent un sentiment de puissance, mais illusoire et
presque ridicule. Voici une puissance, et elle ne peut
plus ! une utilité, inutile ! Que vaut la chose dont le
prix est de servir, du moment qu'elle ne sert plus.^
Avec un sens exquis des rapports et des conve-
nances, c'est pour leurs monuments religieux, les
mieux soustraits aux vicissitudes mortelles, que les
Grecs réservèrent le privilège d'une solidité à toute
épreuve. Ainsi en décida leur sagesse à son meilleur
temps.
LES COLLECTIONS
LES COLLECTIONS
Le matin, je faisais mes dévotions sur TAcropole.
L'après-midi venu, s'il m'arrivait de remonter, c'était
pour visiter les deux musées qu'on a taillés dans un
pli de la roche; le plus souvent, je restais dans la
ville basse et finissais ma journée rue de Patissia, au
musée national qui abrite tant de trésors : chaque
nuit de sommeil me ramenait, de mes divers logis
d'Athènes, au pied des Hygies, des Hermès, des
Victoires et des Pallas, que j'avais adorés de jour.
Notre musée du Louvre, surtout dans la section
de sculpture antique, offre au premier regard l'image
horrible d'un fouillis. Non que Tordre y fasse défaut.
64 ATHÈNES ANTIQUE
Seulement la clef de cet ordre n'est pas mise en la
main de tous. Au contraire, dans chacun des musées
d'Athènes, Tenfant ou Tignorant n'a qu'à regarder de-
vant soi, non seulement pour se réjouir, mais pour
classer et raisonner ses impressions. Ordre hypothé-
tique sans doute, attributions tout inductives, mais
nécessaires. Une promenade tient lieu de grandes lec-
tures. On y voit toute vive l'histoire de l'art du sculp-
teur chez les anciens Grecs.
Au seuil du musée de Patissia est le dépôt des
antiquités mycéniennes. Là revit l'àme mecklembour-
geoise de l'explorateur Schliemann : àme naïve et
forte, qui, sur la terre et sous la terre, pour sa tombe
et pour sa maison, employa l'appareil et le style des
Mycéniens. Mon sentiment, s'il faut le dire, fut d'abord
que j'entrais dans une annexe du musée du Troca-
déro. A chaque page de mes notes, je trouve dé-
noncé et presque flétri avec une extrême abondance
ce que je nommai doucement les sauvageries de My-
cènes. Cette fureur avait pour cause le contraste qui
éclatait entre des curiosités pures et les beautés de
premier ordre au milieu desquelles je ne cessais
d'errer.
ATHÈNES ANTli^UE 'J5
C'était oublier l'émotion presque religieuse qu'ins-
pire un passé très lointain. Plusieurs de ces ouvrages
dont la grossièreté ne me donnait que du dégoût nous
sont prouvés antérieurs aux convulsions d'un îlot
volcanique dont la date est connue ; ils remontent
ainsi authentiquement à deux mille ans avant notre
ère... De plus ces découvertes sont très nouvelles.
La science est ancienne. Elle est un peu blasée sur
ses triomphes d'autrefois. Pour moi, qui ne l'étais sur
rien, ma curiosité toute fraîche bondissait à tous les
objets. Aucun moulage, aucune gravure ne m'avaient
permis de prévoir la subite impression que me com-
muniquaient, vivant devant moi dans leur marbre,
une Victoire renouant sa sandale, les Taureaux de la
frise, ou la tribune d'Érechthée. L'inépuisable trésor
de mon ignorance me procurait les moyens de les ad-
mirer avec le sentiment de la surprise extrême. Le
Masque d'Agamemnon, comme Schliemann appelle son
feuillet de métal battu, ne me paraissait ni plus neut
ni plus récemment mis au jour que des chefs-d'œuvre
catalogués depuis longtemps. C'est de l'heure de mon
débarquement au Pirée et de ma première visite que
ceci ou cela datait également. Quel motif de préférer
r G A T H E X E S A A' T1(^)UE
le moins beau ou le laid et de perdre mon temps
chez les inférieurs ?
Autre chose m'indisposait encore, c'est Tabus fait
du nom d'Homère par les historiens de Tart de My-
cènes. Leurs comparaisons soutenues entre Tart ho-
mérique et Tart mvcénien sont insupportables. Sans
doute VIlidde et VOdyssée fournissent plus d'une ré-
miniscence évidente de la civilisation que les Achéens
fugitifs apportèrent, lors de l'invasion dorienne, dans
la Grèce des iles et la Grèce d'Asie. Quoique posté-
rieur, et de beaucoup, à ces translations historiques,
l'âge d'Homère avait gardé les débris de l'art achéen,
et sans doute aussi le poète savait-il par la tradi-
tion ce qu'avaient été autrefois Mycènes la dorée, la
douce Argos, et les autres cités de l'Achaïe en fleur.
Les poèmes d'Homère peuvent donc renseigner sur les
temps mvcéniens et, comme dans le livre de M. Hel-
big *, les vestiges de Mvcènes peuvent nous éclaircir
quelques-unes des difficultés homériques. Ajoutons,
s'il le faut, que le premier novau des sujets d'Homère
se place au moment de la grande prospérité mycé-
' /^'Epopée linmériquc. l''aris. Did(n.
A THE SE S A N TI()LE
nienne. Toutes ces vues, plus ou moins incertaines,
portent sur les matériaux dont le poète s'est servi. Mais
elles ne fournissent pas la moindre clarté sur l'art et
la poésie.
L'art d'Homère veut qu'on l'étudié en lui-même.
Il importe peu que les sujets de ses descriptions res-
semblent aux objets déterrés ici ou là-bas. Il ne s'agit
point de savoir comment s'adaptait le timon au char,
ni les courroies au brodequin, mais bien de quelle sorte,
dans les récits d'Homère, se constitue le plan homé-
rique, comment s'y fait jour un beau sentiment et
quelle est donc, en soi, la beauté unique d'Homère.
C'est seulement à regarder ces derniers points qu'on
s'aperçoit qu'il faut vénérer, dans ces vieux poèmes,
le premier titre du genre humain à l'humanité.
Les personnes entichées de l'esprit évolutionniste et
d'une espèce de mystagogie que l'on n'a pas encore
nommée sont prises d'une véritable angoisse de Tàme
à l'idée d'un Homère restauré et glorifié. « Homère
barbare » est sacré *. Elles cherchent comment une
époque aussi arriérée dans l'art industriel a bien pu
■ M. .\natole France lut le premier à rire de ce dn^me.
68 ATHENES ANTIQUE
nous donner un modèle d'art poétique, car il leur
semble que le monde va toujours à pas réguliers
comme un gros de soldats prussiens. Les industries,
les arts plastiques, la poésie et l'éloquence doivent, à
les entendre, s'avancer simultanément et sur un même
parallèle, faute de quoi l'on nie tout avancement par-
tiel. La plus légère application aux réalités de l'his-
toire fera sentir la grande vanité du svstème. 11 n'y a
que ces progressistes et les sots pour croire au déve-
loppement synchronique de Fart. Comparez le pinceau
brillant, mais toujours contraint, de Giotto aux libres
paroles de Dante, dont il est le contemporain : vous
sentirez peut-être comment Homère a pu paraître
parmi des ouvriers ignorants, des céramistes grossiers
et des statuaires trop simplificateurs.
Ce doux Homère incorporé de force à la barbarie
mycénienne ne fournissait pas le dernier de mes griets
contre les salles de Schliemann. Le soir même de mon
arrivée en Attique, le grand théâtre d'Athènes avait
annoncé une représentation d'Antigone jouée par des
étudiants et des institutrices sous la conduite du sa-
vant professeur Mitriotis. C'est là qu'eut lieu mon
premier différend avec .Mvcènes. Dès le rideau, la
ATHÈNES ANTIQUE Gy
sensation en fut violente : cette scène où l'original de
Sophocle allait retentir montrait au fond de son décor,
devant le portique royal, toute une colonnade de
l'ordre détesté. . Au lieu de ce style dorique, noble,
fort, dont la base, conformément à la nature et à la
raison, fournit un support spacieux, on mettait sous
mes yeux des accouplements de colonnes plus resserrées
au stylobate qu'à l'échiné, faites à cette mode d'Egypte
ou d'Assyrie qui fut imitée à Mycènes : l'inverse par-
fait du dorique, puisque la pointe en semble enfoncée
dans le sol. Que l'histoire du théâtre ou que le mi-
lieu légendaire de la fable thébaine justifiât cette or-
donnance, je me gardai, comme d'une insulte à So-
phocle, d'en faire le moindre examen; mais je me
retirai en maudissant l'archéologie, et Schliemann, et
Mycènes, l'invention de bases plus étroites que les
sommets, et le manque de goût familier aux cuistres,
mais au surplus persuadé que la représentation n'au-
rait jamais lieu ou que la pièce n'irait point jusqu'à
la scène, aucun vers du poète de la logique naturelle
ne pouvant se résoudre à sonner sous des colonnades
insérées sens dessus dessous.
70
ATHÈNES AXTIQI'E
L'époque mvcénienne comprend trois siècles à
tout le moins. Mais, en y rapportant les objets décou-
verts parmi les cendres de Théra, il faut admettre un
laps de près de huit cents ans durant lesquels les
arts plastiques purent croître et décroître, fleurir,
mûrir et décliner à plus d'une reprise. Non seulement
les Achéens originels durent procéder, comme toutes
les races, par tcàtonnements, par retours, s'instruisant
à l'expérience et parfois oubliant ce qu'ils en appre-
naient; mais de plus, n'étant pas formés en corps c!e
nation et, malgré la voie de la mer, leurs communi-
cations étant difficiles, le degré d'expérience et d'ha-
bileté dut varier aussi, des campagnes de l'Ionie à celles
du Péloponèse et aux roches volcaniques de l'Archipel.
Cependant ces Grecs nouveau-nés, ces Grecs
barbares ou sauvages, pleins de réminiscence asia-
tique et égvptienne, ces Grecs qui sont parfois dénués
de figure grecque ne prêtent pas toujours a sourire;
tous leurs travaux ne m'ont pas fait songer aux anti-
quités du Guatemala. Leurs monstres, leurs poupées.
ATHI^XES AXTIQI'F 7'
leurs bonshommes de terre crue dont quelques-uns
rappellent, au premier abord, des œuvres d'art qu'on
peut admirer dans nos foires, il les faut regarder de
près. Un détail de la ligne, un trait de imagination,
une particularité du travail étonnent et retiennent par
la révélation de Texquis. On reconnaît alors le pouce
ingénieux, Tongle habile du peuple qui sera quelque
jour le meilleur ouvrier de la terre; on s'explique
déjà qu'il doive devenir le plus intelligent et le plus
subtil raisonneur, et c'est à peine si l'on ose poser le
vieux problème : les ouvriers mycéniens furent-ils des
Grecs ?
La chasse au lion incrustée sur un poignard du
quatrième tombeau ouvert à Mycènes est d'un mouve-
ment admirable ; la tète du taureau étoile d'argent et
d'or, trouvée au même endroit par Schliemann, est
presque belle; on ne peut en nier le grand caractère. Et,
si les masques sont hideux, regardez les taureaux sau-
vages et les taureaux domptés qui décorent les vases de
Vaphio. Pour la justesse, pour un air de grâce et de
naissante liberté, pour le rayon de vie animant la
forme robuste, de telles œuvres souffrent aisément la
comparaison avec tous les meilleurs essais que tenta
72 ATHÈNES ANTIQUE
bien plus tard, au commencement du vi" siècle, l'école
d'Égine. Si les vases de Vaphio sont de la fin de Tère
mycénienne, on incline à penser que, sans Tinvasion
des Doriens, la belle saison de Tart grec se serait pro-
duite trois ou quatre siècles plus tôt.
M. Maxime Collignon* ne croit pas que cette inva-
sion ait tué brusquement la civilisation de Mycènes ;
elle en aurait plutôt ralenti, appauvri et enfin tari la
sève natale. Les indigènes émigrèrent ; ils coururent
les îles, se fixèrent çà et là dans TAsie mineure, dont
ils colonisèrent différents points où la race grecque
n'était pas encore installée. Bien des acquisitions se
perdirent dans ce voyage. 11 fallut construire des villes,
commencer de nouvelles mœurs, faire face à des be-
soins qu'on ne connaissait pas. D'autre part, dans la
Grèce propre, les Doriens, en véritables barbares ve-
nus du Nord, durent prendre le temps de se polir
sous un ciel plus clair et plus doux au commerce des
autochtones. Cela tint quelques'siècles jusqu'à la nais-
sance d'Homère.
Histoire de la Sculpture grecque, 2 vol. chez Didnt.
ATHÈXES ANTKJU1-: 7^
Passons vite. Ces âges n'intéressent que Thisto-
rien. Ce que nous cherchons dans la Grèce, c'est ce
qui lui donne son rang sur le monde antique et mo-
derne, ce par quoi elle se distingue de tout le reste,
ce qui fait qu'elle est elle et non la barbarie. C'est
l'âge de la grécité proprement dite, de l'hellénisme
pur qui dura deux ou trois cents ans environ pour
la statuaire. On en reconnaît le début au Vl'- siècle,
lorsqu'en Attique et dans les îles l'art se transforme,
s'assouplit et se délivre des rigides modèles venus
d'Orient. Appuyés sur la tradition toujours embellie et
accrue, fiers de leur force, les artistes recherchent
alors dans la nature des modèles h surpasser. La pé-
riode, si elle fut exquise, fut courte; mais tout homme
est forcé d'y élever les yeux quand il se soucie de son
ordre intellectuel.
Épuisée de guerres intérieures, la Grèce éteint
sa flamme quand l'Asie d'Alexandre communique à
ses conquérants, non le type d'un nouvel art, mais
un état d'inquiétude, de fièvre et de mollesse qu'entre-
74 ATHÈNES ANTIQUE
tinrent les religions de l'Orient. Adonis et Mithra dé-
composèrent les premiers le monde ancien avant que
le Juif ne survînt. Qu'on ne croie pas que les artistes
grecs aient hellénisé ces conceptions ennemies; ils n'y
réussirent jamais. Mais ils furent certainement barba-
risés par elles.
Alors, cette lumière de l'imagination et de la pen-
sée qui ne dessèche ni la passion ni la verve, mais
commande à Tune et à l'autre en leur imprimant une
immortelle vivacité, ce caractère de raison et de puis-
sance qui est le propre de la Grèce disparaissent ou
s'atténuent dans les œuvres des Grecs, et, ces œuvres
n'étant plus grecques qu'à demi, on peut les négliger
comme on le fait des copies comparées à l'original.
Autant que ces copies tardives, les premières ébau-
ches s'eftacent devant les chefs-d'œuvre. Mais le fait
de vivre à Athènes m'avait rendu aussi injuste pour
les sculpteurs d'Égine que je l'avais été pour les po-
tiers et les forgerons mycéniens.
On a trouvé en 1886 dans les substructions de
ATHÈNES ANTIQUE yS
l'Acropole quatorze statues d'un beau marbre, brillant
et colorié. Elles furent placées debout dans une salle
du musée supérieur. J'avais coutume de franchir pres-
que en courant la salle des quatorze prêtresses de
Minerve. Leurs veux bridés, comme dans les visages
mongoliques, leurs narines, leur front bizarre, enfin
cet étrange sourire, nommé éginétique sans doute
parce que les statuaires d'Égine furent les premiers à
l'effacer de leurs œuvres', ce sourire uniforme et in-
défini, sur des joues reluisantes comme Tivoire, me
causaient une espèce de chagrin qui me faisait fuir.
N'écrivis-je dix fois le brouillon d'une lettre à l'éphore
général des antiquités sur le tort que faisaient, selon
moi, à tant de chefs-d'œuvre les idoles d'une Athènes
encore impolie ?
' On a voulu voir bien des choses dans le sourire éginétique.
Voici ce que j'ai lu de plus satisfaisant sur l'art des Éginètes : « Un
contraste constant et très frappant résulte de Vimbècillilé des têtes et
de la beauté des corps. Les membres, quoiqu'un peu maigres et an-
guleux, sont d'un grand style et d'un beau caractère : les têtes, trai-
tées de façon tout archaïque, sont uniformément revêtues d'un sou-
rire idiot... » Sans dire de quel lieu ces justes paroles sont prises,
surtout sansen nommer l'auteur, elles me semblent bien répondre aux
imacinaiions.
A T II È X E S A N TIQUE
Les quatorze prêtresses me courrouçaient par leur
toilette. Il m'était impossible d'v reprendre ni la fine
élégance, ni cette habileté souveraine dont l'ouvrier en
avait désigné le plus léger pli. Le vêtement tourne et
palpite avec une lente mollesse et, dans les cheve-
lures, la perfection minutieuse du travail semble le
disputer à la complication et à la subtile richesse des
coiffures bien copiées.
— Mais quoi ! m'écriais-je, toujours courant,
l'Athènes des Pisistratides, cette Athènes qui vit une
première édition critique d'Homère, fut donc une ville
sans goût ? Les dames y allaient, chargées d'ornements
ridicules .^^ Elles n'entendaient rien au précepte de Fé-
nelon, qui veut de chastes draperies, appliquées sur
des formes pures, comme il semble qu'on en ait vu à
l'époque de Phidias ? Combien tout ce luxe est fâcheux !
J'égalais ce faux luxe à celui d'un débris mycénien
sur lequel on peut distinguer que les épouses déplo-
rables des morts que Schliemann déterra portaient,
quinze grands siècles avant Notre-Seigneur, trois rangs
de volants à leur jupe.
Puis, considérant l'œil bridé des quatorze prêtresses
du premier Parthénon :
ATHÈNES ANTIQUE 77
— Hélas ! disais-je, qui m'ôtera de là ces Chi-
noises?
A plus forte raison considérais-je sans faveur, tant
sur l'Acropole qu'au musée national, ces pierres litur-
giques à peine dégrossies qu'on est convenu d'appeler
des xO(3/?^7. Le véritable xoanon, sorte d'idole primitive,
fut taillé dans le bois, comme l'étymologie en témoigne.
Nos xoana de pierre ne ressemblent point mal à la
silhouette de quelque lourde contrebasse. Elles étaient
informes. Peu à peu, si l'on veut accepter les idées qui
sont encore reçues à cet égard, après mille hésitations
de l'ouvrier, une tète se dégagea du xoanon ; les bras,
les jambes se marquèrent, sans trop se séparer ni s'éloi-
gner du tronc. Un équarrissage grossier acheva l'appa-
rence humaine. M. Homolle a trouvé à Naxos l'une de
ces ébauches. Plus tard, et peut-être sur des modèles
égyptiens, ces figures rigides esquissèrent un mouve-
ment ; dès lors, elles parurent, malgré l'enfance extrême
ou l'absence de l'art, de mystérieux animaux dont le
populaire faisait grand cas. Quand le Cretois Dédale
eut rapporté d'Egypte ces premières formes en marche,
le Grec, encore naïf, déjà malicieux, inventa de les at-
tacher le soir, dans la crainte qu'elles ne prissent la
78 ATHÈXES AXTIÇLE
fuite pendant la nuit. Ainsi du moins parlent les théo-
riciens de rhistoire des arts en Grèce. S'ils ne se trom-
pent pas, il faut que l'invasion dorienne eut plongé les
gens du pays dans l'état de stupidité.
Ce jeune peuple grec n'avait cependant point perdu,
dans cette nuit profonde, ses qualités d'observation. 11
ajouta au mouvement des figures égvptiennes la
science du modelé. 11 fit bomber et se creuser comme
la paroi d'un beau vase, comme la quille d'un vaisseau,
la fleur de la poitrine humaine qu'il touchait d'un ci-
seau complaisant et sûr. Lorsqu'il eut remplacé la pierre
par le marbre, ce qu'il réussit de meilleur et le plus
vite fut peut-être cette poitrine. Je me souviens d'une
figure d'homme, un Apollon peut-être ou une dédicace
à Apollon, qui est au musée de la rue de Patissia : l'objet
est presque affreux dans son ensemble : épaules trop car-
rées, bras anguleux, visage à l'état d'ébauche fumeuse;
mais, de la naissance du cou, une série de plans légers,
exécutés avec une attention, un art et un goût char-
mants, avec une précision voisine de la science, fait
couler le regard jusqu'à la naissance des seins. L'ou-
vrage n'est pas beau. Mais c'est un précurseur, un
divin messager de la beauté, qui est prochaine.
ATHÈXES AXTIQi'E 79
Ainsi les salles archaïques du musée de Patissia
me développaient clairement, trop clairement peut-être
pour que l'histoire y eût son compte, les transitions du
type amorphe jusqu'au type déterminé et pur : mais,
je vous prie, dans le musée de l'Acropole, quelle
transition imaginer seulement entre la salle VI et la
salle VII ^
On rencontre dans la première ces quatorze dames
mongoles chargées d'ornements inutiles, couvertes de
cadenettes et de bijoux, qu'il me plairait de prendre
pour les poupées persanes ou médiques chargées des
rôles d'Atossa et de ses compagnes dans le poème
d'Eschyle. Or, la salle suivante s'illumine d'une des
merveilles de l'atticisme.
Quel est le rapport nécessaire de ceci à cela ? On
me dit bien qu'à l'élégance des poupées primitives s'est
ajouté le grave accent des œuvres que façonnaient, à
la même époque, Sicyone et Argos : mais, outre que
la combinaison n'est pas sûre, que les intermédiaires
invoqués prêtent au doute, le fait même d'une com-
8o ATHÈNES ANTIQUE
binaison pareille est à lui seul bien merveilleux. Oui,
le miracle est là ; Texplication offerte, si on Tadmet,
n'explique rien. Je suis presque tenté de voir ici ce
que Ton nomme, chez mes amis les philosophes, un
commencement absolu. Dès ce bel ouvrage de marbre,
tête d'éphèbe pensif et même un peu sombre, l'homme
ouvrit un cvcle nouveau. Je serais tenté de dire qu'il
a créé.
Comment vous décrire ceci ." En copiant mon ca-
talogue .'^ « 6^9. Tète archaïque de jeune homme dé-
couverte en 1887, à l'est du musée, à la place où est
bâti le petit musée. Elle se classe parmi les meilleures
têtes archaïques d'hommes conservées jusqu'à nous,
et ressemble par la disposition de la chevelure à la
statue du Musée national, n 4^, connue sous le nom
d^Apollon sur l'omphalos. » Ainsi s'exprime M. Cav-
vadias. iM. Maxime Collignon analyse davantage. Il re-
lève au grain de ce marbre les traces d'une couleur
restée fraîche, jaune d'ocre dans les cheveux, rouge aux
lèvres, jaune encore au globe des veux, brun au bord
des paupières. Mais tout cela est secondaire. Le même
auteur décrit avec soin la coiffure, qui est étrange pour
une tête virile, il nous apprend qu'elle se nommait cro-
ATHÈ N /•; S' . l N Tlor E
81
bylos. Je préfère à ce renseignement, d'ailleurs pro-
fitable, la suite du discours de M. Collignon :
«Quant au type du visage, quel progrès n'accuse-
t-il pas sur celui des tètes précédentes ! Plus de sourire
conventionnel, plus de saillie exagérée des yeux. Les
traits réguliers et purs, le nez droit, la bouche sévère
avec la lèvre inférieure un peu saillante composent un
visage juvénile dont le charme grave nous repose de
l'éternel sourire des figures archaïques. »
Cela est très bien dit. Cela me donne envie de
revoir ce visage gracieux et fort. Mais il est incroyable
à quel point la mémoire, fidèle gardienne des senti-
ments et des pensées, est quelquefois rebelle à nous
rendre précisément le trait d'un visage, même adoré.
J'ai heureusement devant moi la reproduction du chef-
d'œuvre ; j'ai même la photographie de l'ouvrage,
donnée par un Athénien. On m'en pardonnera l'humble
aveu, rien ne vaut une bonne photographie pour rendre
au juste l'impression du marbre original. Présentée
au rayon du jour, la feuille diaphane en devient toute
lumineuse et l'on voit y filtrer, sous le trait ferme des
figures, cette clarté blanche et brillante qui anime le
doux paros.
ATHÈNES ANTIQUE
Même effet, ce soir où j'écris à la lumière de ma
lampe. Le jeune homme songeur, qui dut naître bien
des années avant que parût Phidias, ce contemporain
de la fm du vi siècle ou des premières années du
V ressuscite au pâle ravon. 11 s'éveille, nous enten-
drons quelles pensées doivent rouler dans cette forme.
Elles seront énergiques et éloquentes. Cet éphèbe
n'est point un amant occupé de nourrir son chagrin,
ni un politique mûrissant son projet, ni même un so-
phiste, un rhéteur ou un philosophe mathématique. On
songe à VÉrasme d'Holbein, avec la pureté, la no-
blesse, la sainteté, qu'on ne trouve pas dans VÉrasme.
En même temps que s'infléchit ce beau front sous la
courbe et sous le poids sacré du plus magnifique cer-
veau, l'oreille, presque aussi écartée que celle d'un
faune, se tend ; le nez respire ; l'œil pointe ; l'air du
visage et l'inflexion de la tète entière semblent son-
der, mesurer, calculer et évaluer, d'un juste et précis
instrument ; enfin les lèvres, qui en disent le plus
long, ces lèvres étant extrêmement rapprochées, la
supérieure en retrait et l'inférieure avancée tout au
contraire, les lèvres goûtent et savourent. N'en dou-
tons plus, nous assistons à un effort de sensibilité et
ATHÈXES AX TIQUE «3
d'intelligence critiques. Un politique ou un athlète qui
préparent quelque mouvement effectif, un sage argu-
mentant, un amoureux supputant les risques de son
malheur montreraient moins de calme, un recueille-
ment moins parfait. L'objet du sentiment montré ici
passe nos communs intérêts. Ou je me trompe fort,
ou le sérieux éphebe se sent supérieur. 11 juge la terre
et le ciel.
De là vient peut-être la curiosité qu'il me donne.
Mais il retient par d'autres caractères moins incer-
tains. Ce chef-d'œuvre de l'archaïsme athénien a de
merveilleux analogues dans l'histoire de l'art. Outre
certaines têtes florentines du temps de Giotto, celles-
là même dont notre imagination remplit sans le vou-
loir les cantiques de Dante, il rappelle plus d'une tête
du moven âge français. Quand je l'examinai pour la
première fois, j'ai soudain tressailli de la joie inquiète
qui devait me venir, le soir du même jour, lorsque
les vénérables murailles franques de Daphni, filles des
ducs d'Athènes, se montrèrent tout à coup au-dessus
des arbres. Je crus voir ma patrie au fond d'une terre
étrangère.
Nulle communication historique n'existe cepen-
84 ATHENES A XTKjii:
dant entre telles tètes gothiques et Téphèbe de l'Acro-
pole. Un grand souci de la nature, un exercice sécu-
laire aux délicatesses de Tart, par là une forte maî-
trise, enfin cette commune gravité de l'esprit devaient
suffire à engendrer une analogie si parfaite entre les
deux arts. Et plus on s'en rend compte, mieux on en
est touché. Mais il entre dans cette émotion un re-
gret. On se demande quelle iniquité de la fortune a
permis à cet archaïsme attique de mûrir et d'atteindre
au juste degré par la naissance et linfluence du plus
sublime esprit humain, au lieu que ce maître désiré,
nécessaire, ce Phidias indispensable, fut refusé cruel-
lement à notre archaïsme français.
Et voila le plus grave des chagrins de l'Histoire ;
elle institue une comparaison jalouse, elle glisse d'amers
regrets. Cependant Phidias n'a pas été perdu pour
nous, puisque sa tradition a fini par nous revenir. On
ne gardait de lui qu'un nom ou des traces incertaines
et inconscientes, quand la lumière de la Renaissance
brilla d'abord en Italie. Seule, une àme ignorante.
ATHÈNES ANTIQUE 85
amie de la brutalité, se plaindra de la Renaissance.
Cependant, les fouilles nouvelles opérées dans la
Grèce propre ont mieux marqué la vraie force de
Phidias. Elle était défigurée par l'académisme, cà force
d'en être polie; une fausse interprétation du génie
classique avait représenté comme durci et raidi par
la mort ce qui est au contraire une fleur de vie es-
sentielle, ne tirant son auguste apparence immobile
que de la perfection, de l'abondance et de la vigueur
de son mouvement. Phidias et les siens ont poursuivi
les traits purs et fixes de l'homme à travers les aspects
les plus chancelants de la vie.
Tant de découvertes abondent, depuis cent ans,
dans toutes les parties du monde qui fut aux Hel-
lènes, qu'il est devenu difficile d'admettre sans expli-
cation ce qu'enseigna l'ancienne philosophie de l'art
sur l'essence du génie grec et sur la figure du beau ;
mais, cà la réflexion, on trouve plus absurde encore de
borner, comme le voudraient quelques modernes, l'exa-
men des chefs-d'œuvre de l'époque ou de l'école de
Phidias à un commentaire historique. Indépendam-
ment de leur immense influence, il faut bien leur re-
connaître un autre mérite qu'aux chefs-d'œuvre des
85 ATHEXKS A X TRIQUE
autres milieux et, des autres temps. Le soin même que
Ton a pris (Taine dans sa Philosophie de fart,
iM. Boutmvdans sa Philosophie de f architecture en Grèce)
de courber ces ouvrages aux règles du vulgaire n'a
servi qu'à faire sentir qu'ils ne s'v courbent point et
pour quelle raison.
J'ai relu comme tout le monde l'ouvrage de
M. Boutmv, publié avec une intéressante préface sous
ce titre nouveau : le Parthénon et le génie grec. C'est
un beau livre, si lucide qu'il est impossible de le lire
une fois sans en distinguer le vice fondamental.
M. Boutmv s'efforce avec ingéniosité de rattacher
l'œuvre des architectes et des sculpteurs du Parthénon
au genre d'imagination, au tour d'esprit, au goût
d'hommes d'un certain groupe, vivant à un certain
moment dans un certain endroit. Il est vrai qu'il y
réussit. Ce qu'il affirme est juste. Par sa structure
comme par son ornement, dans son architecture comme
dans sa décoration, le Parthénon est chose essentiel-
lement athénienne. M. Boutmv, sur cet article, aura
gain de cause. Il a raison. Où il se trompe, c'est quand
il tend à nier (lisons bien ses dernières pages) que
cet édifice athénien soit aussi l'expression parfaite
A THÉ NE S A NTIQ UE 87
d'une pensée humaine supérieure aux variations de
l'histoire et de la nature. 11 se trompe, et il a ras-
semblé les matériaux les plus propres à faire éclater
son erreur ; il s'est lui-même réfuté au chapitre ad-
mirable où, définissant l'Athénien, il établit que, jus-
tement, le signe distinctif de l'homme d'Athènes était
de posséder, à un degré de force unique, ce par quoi
les hommes sont hommes, la raison.
« Ce peuple d'hommes d'élite », comme Lamar-
tine nomma les Athéniens, eut ceci de particulier : il
prit plaisir à imaginer les relations stables, perma-
nentes, essentielles. L'esprit philosophique, la promp-
titude à concevoir l'Universel pénétrait tous ses arts,
principalement la sculpture, la poésie, l'architecture
et l'éloquence. Dès qu'il cédait à ce penchant, il se
mettait en communion perpétuelle avec le genre hu-
main. A la bonne époque classique, le caractère do-
minant de tout l'art grec, c'est seulement l'intellec-
tualité ou l'humanité. Les merveilles qui ont mûri sur
l'Acropole sont par Là devenues propriété, modèle et
aliment communs ; le classique, l'attique est plus uni-
versel à proportion qu'il est plus sévèrement athé-
nien, athénien d'une époque et d'un goût mieux pur-
88 AT H É .V ES A X TIQUE
gés de toute influence étrangère. Au bel instant où
elle n'a été qu'elle-même, TAttique fut le genre hu-
main.
Ces réflexions suffisent à justifier le principe des
humanistes de la Renaissance dont elles excusent
jusqu'aux abus et aux erreurs. Elles fournissent le
moyen de refaire une hiérarchie dans les arts selon le
degré d'humanité des ouvrages que l'on compare. Ce
degré, reste à le sentir. Reste à avoir bon goût. 11
n'est pas impossible, si l'on en a quelque semence, de
le perfectionner. 11 suffit de se mettre en présence des
belles choses en les laissant venir à soi.
Aucune action n'est plus réelle. On se sent mo-
delé par la beauté vivante, comme repris et retouché
par le regard d'une amie délicate etflère. Hors de cette
exquise, de cette sainte tradition, tout est faible, chétif
et secrètement vicié. Je tourne à la hâte les pages des
notes que j'ai prises dans les petites salles fraîches de
ce musée de l'Acropole oi.i l'on a placé les restes de
la frise du Parthénon. Ce sont des pages qui me re-
gardent au fond de l'àme.
ATHÈNES ANTIQUE 89
Vers les plus beaux de ces fragments, les trois Di-
vinités assises, ou \ts Jeunes gens aux taureaux, combien
de vœux et de prières ! mais, en retour, tombant jus-
qu'à moi de si haut, quelle confirmation, quel conseil
de volonté, de force et de vie ! La Victoire sans tête,
sans ailes, et qui vole plutôt qu'elle ne court tout en
renouant sa sandale, cette jeune déesse emporte sur
les ondes de son vêtement déployé les plus grandes
leçons de style, c'est-à-dire de mesure et d'enthou-
siasme. Le cœur ne sait que préférer de la vitesse im-
pétueuse ou de la grâce naturelle, magnifiquement ac-
cordées.
A l'Acropole, il n'y a guère que des ouvrages ar-
chaïques ou semi-archaïques, et des chefs-d'œuvre
purs. Rue de Patissia, le musée central, extrêmement
varié, permet au visiteur des comparaisons instruc-
tives. Après le laid des Mycéniens et des primitifs, on
peut voir le laid des auteurs de la décadence.
Je ne les voyais presque pas ; tous mes après-midi
coulaient de préférence devant cette œuvre d'une pieuse
volupté, le bas-relief de Ce'rès, de Proserpine et de
(jo ATHENES ANTIQUE
Triptolème trouvé à Eleusis, ou devant les fragments
rapportés d'Épidaure, deux torses d'Esculape assis, d'un
aspect si majestueux que mon ignorance prit d'abord
ce fils d'Apollon pour Tauguste enfant de Saturne. Je
visitais encore la Néréide équestre et cette Amazone tron-
quée de la tète et de tous les membres, qui enlevé un
cheval mutilé : la puissance de son allure, la finesse
des formes enivre à jamais le regard.
Je traînais avec une complaisance presque éternelle
dans la petite abside où de pauvres tètes, brisées,
hachées et martelées, laissent sous un angle entrevoir
la majesté d'un dieu ou le rire d'une déesse. La svelte
Hermès cfAndros, le bas-relief de Mantinée, qui sup-
portait un ouvrage de Praxitèle et qui lui-même reste,
ne serait-ce que pour la draperie des Trois muses, une
délicieuse merveille, le joli groupe (exécuté d'après
Céphisodote) de Plutus riant à sa mère, la douce Paix,
mille choses parfaites me tenaient ainsi prisonnier.
Je traversais les salles de l'art hellénistique, alexan-
drin ou gréco-romain pour courir aux stèles funèbres
qui prolongeaient mes rêveries du Céramique; à la col-
lection infinie des lampes, des vases, des lécythes; à ces
Tanagrines charmantes qui serviraient à faire entendre,
ATHÈNES ASTK)i'E 9'
si on l'oubliait, ce qu'il peut tenir de grandeur en un
petit poème. De toute façon, les galeries de sculpture
postérieure à Tatticisme ne me servaient que de ves-
tibule.
Cependant, un jour, une envie me pressa de voir
en détail comment se corrompirent, chez un peuple si
bien doué, le génie et l'intelligence des arts, et ma
pensée osa fixer ce qu'elle avait fui jusque-là. Je vis
paraître presque sans transition, après les nobles carac-
tères qui m'étaient devenus chers, les hideuses têtes
syriennes du type de Lucius Verus, puis les chefs lourds
et massifs du rustre latin... Une sorte d'athlète, d'un
travail curieux et violent, tendait sa musculature pré-
tentieuse ; des éphèbes aux bras arrondis, des Aphro-
dites tremblotantes et flexibles comme des joncs ; des
vérités trop ressemblantes ou des faussetés trop men-
teuses ; un air de dissolution et de contrainte tout à
la fois, Épicure et Zenon confrontés et quelquefois en-
tre-choqués dans le même marbre ; de-ci de-là, quel-
ques efforts heureux, qui me remettaient en mémoire
que le premier déclin de la statuaire hellénique fut su-
blime après tout, puisque notre Vénus du Louvre y
a brillé, dit-on, et toujours je ne sais quel air ina-
92 AT H È N E S A N TI Q UE
chevé, ou d'achèvement trop sensible, l'absence ou
l'incertitude des traditions et l'oubli de la liberté ! Mais
les qualités les plus rares, jetées à profusion et comme
au pillage.
« Il y a dans Fart un point de perfection comme
de bonté et de maturité dans la nature... »
Le beau fruit grec en déhiscence me confessait en-
core le mystère de son destin. Il me faisait comprendre
la signification du point mystérieux, maximum de vi-
gueur et de densité, qui domine et qui enveloppe le
reste ; ce qui semble au-dessus, ce qui semble au
delà n'est entendu ni accru que de vide pur. L'énorme
et le géant ne sont aimés que de la foule : leur bour-
souflure se dégonfle et, en se dégonflant, publie que
les grandeurs sont tenues en abrégé dans la perfection.
Celle-ci sera l'élément auquel se rapporter. C'est sur
lui qu'il faut régler tout.
Seul, un buste au milieu de cette galerie lugubre
manqua de me faire sourire. Il représentait un pauvre
homme d'empereur, le vieil Hadrien, épanoui dans son
atticisme d'école. Je le jugeai fort à sa place, et le
saluai en rêvant. Hélas ! tout compte fait, le monde
romain s'acquitta mal auprès de la Grèce. A quoi pen-
Esculape d'Épidaure
L'Amazone d'Épidaure
ATHÈNES ANTIQUE 93
saient-ils donc, ces administrateurs modèles, qui ne
sauvèrent pas leur éducatrice des pièges que lui ou-
vraient son intelligence et son ouverture d'esprit ? Ce
furent de mauvais tuteurs. Non seulement ils ne surent
point la guérir des lèpres sémites, mais tout le mal
qu'Alexandrie n'avait pu faire au monde grec, Rome,
on peut le dire, le fit. 11 est vrai que Rome, à son
tour, périt du même mal, en entraînant son lot d'hellé-
nisme et d'humanité.
L'HYMETTE
L'HYMETTE
L'Attique n'est pas l'Orient. C'est exactement le
contraire de tout ce que notre imagination peut at-
tacher à ce terme d'oriental. C'est le pays de la nuance
et du sourire, de la grâce dépouillée de toute mol-
lesse, des plaisirs vigoureux bien tempérés par la vertu.
Il m'était difficile de ne point en aimer tous les moin-
dres aspects, que je découvrais chaque jour quand un
heureux caprice m'entraînait à travers la campagne
d'Athènes. Je connaissais Colone et Cephisia, Eleusis,
les deux Phalères et la péninsule d'Acte. Sans quitter
ces choses divines, il me vint le désir de les embras-
ser toutes à la fois d'un regard, et c'est ainsi qu'un beau
matin, après avoir gravi la fine aiguille du Lycabète,
je pris la route de l'Hymette qui me paraissait tout
voisin. L'air de ce beau pays est si pur qu'il est
0 s A T II È N E S A NTIQ U E
presque impossible à un étranger de ne pas se tromper
souvent sur les distances.
Je dus cheminer fort longtemps, sous le dur so-
leil, dans une campagne chauve comme la main et
parfaitement solitaire. Une multitude de petites col-
lines à la croupe desquelles se jouent des sentiers pa-
resseux défend d'abord de la montée proprement dite.
Quelques bouquets de thym (visités par l'abeille, en
dépit des mauvais propos des voyageurs) échappent çà
et là d'entre la pierre incandescente. De loin en loin
un pin couleur de bronze étend son ombelle pieuse
et charge le vent chaud du rude parfum de ses fleurs.
Mais un détour soudain modifie absolument le paysage.
Un bocage apparaît, si touffu ef chargé d'une senteur
si fraîche qu'on ne se défend pas de songer aux berges
d'un fleuve et à la profondeur d'une vaste forêt.
Un filet d'eau froide a creusé ce vallon, procréé
cet ample jardin. Les Athéniens m'avaient averti des
délices de Césariani, mais le lieu me surprit, rien ne
m'ayant permis de le concevoir si charmant.
Des arbres éternels, ces nobles arbres, orgueil et
joie du bassin des mers helléno-latines, aucune es-
sence ne manquait : pin, olivier, laurier, cyprès, cha-
ATHÈNES ANTIQUE 99
cune prospérait et riait selon sa manière. Mais j'y
comptai aussi le chêne vert et blanc et, je crois, les
dieux me pardonnent, de grands tilleuls, sous leur
pâle feuille nouvelle. Tout cela magnifiquement
élancé. De beaux troncs lisses projetés et comme étirés
jusqu'au ciel attendaient presque d'y toucher pour
épanouir leur ramure.
L'ancien couvent de Césariani, sa chapelle, la mé-
tairie qu'on a essavé de tirer de toutes ces ruines
disparaissent dans ce petit océan de claire verdure.
Trois colonnes d'un marbre rose, peut-être le dernier
débris d'un antique temple à Cypris que les archéolo-
gues ont cru relever en ce lieu, semblent naines et
misérables dans la foret de ces troncs sveltes et dé-
licats comme de la chair. Seule, à l'écart des arbres
et des herbes qu'elle nourrit, la fontaine dégorge son.
petit flot glacé sous le rocher natal ajusté en forme
de toit. Je me couche à l'entrée de cette grotte vé-
nérable, abreuvoir des troupeaux et therme rustique
des pâtres, où se fit la rencontre des Chloé primitives
et des anciens Daphnis. C'est en effet le pur paysage
de l'idylle et, comme si la tlùte allait éveiller les
échos, je m'attardai longtemps à y réciter l'églogue
.1 TIIK SES A A' Tin LE
de Virgile et le sonnet bucolique de Cervantes.
iMidi me remit en chemin. Reposé, rafraîchi, le
manteau roulé à Tépaule, il était maintenant délicieux
de faire un effort. Le sentier fut vite perdu. Mon
plaisir en fut prolongé. L'Hymette se compose, à cet
endroit, d'un étagement de terrasses, dont chacune
fort médiocre semble annoncer à chaque instant la
découverte de l'autre versant. Mais les plateaux su-
perposés se multiplient au fur et à mesure de la
montée.
Elle dura deux heures. Enfin un petit cône qui
était sur la gauche me parut dominer de beaucoup
tous les environs. Les pieds en sang, les cheveux col-
lés à la tempe, je me traînai vers lui comme au
sommet probable de toute l'échiné.
J'y fus accueilli d\in grand vent et d'un froid
extrême, mais l'horizon qui se découvrait à la vue me
fit négliger ces misères. J'en oubliai même de me re-
tourner pour donner, comme je m'en étais fait la pro-
messe, mon premier regard au champ de l'Attique.
Cette belle Attique fut oubliée. L'Orient seul épanoui
depuis la moitié de l'Eubée jusqu'à l'extrême pointe de
Sunium, l'Orient et le chœur des premières Cyclades,
ATHÈNES ANTIQUE
Céos, l'ile d'Hélène, la fine Belbina bombée comme
un bouclier sur le plat de la mer, cette mer elle-même
aussi fluide, aussi légère, aussi éthérée que le ciel et
trempée dans ses profondeurs d'une magnifique lu-
mière, l'Orient et son ciel où l'oblique soleil prome-
nait des flammes limpides et creusait une suite indéfinie
d'arceaux azurés, cet imperturbable Orient m'enveloppa
de sa stupeur pacifique et sereine, et je le saluai comme
un grave mystère d'unique volupté. Les nymphes in-
sulaires glissaient nonchalamment sous le pli de la
nappe bleue. Ni la mer ni les terres, ni même le ciel
ne paraissaient capables de défaire le lien qui les en-
tremêlait, et la douce beauté de toutes ces choses sen-
sibles y tenait le cœur prisonnier.
C'est en vain que, du côté du nord, de hautes et
massives montagnes encore coiflées de leur neige, le
Pélion, la chaîne de l'Olvmpe de Thessalie me rappe-
laient quantité de fables austères comme la naissance
du monde ou les premières origines de la défense de
l'Hellène nouveau-né contre les peuplades d'Asie. Je
cherchais sur la mer le sillage brillant de la fuite d'Hé-
lène ou la conque de roses sur laquelle apparut la déesse
dans sa beauté. Toutes les séductions chantaient vers
ATffKXES AXTInil-:
ce lointain d'une pureté sans pareille, sur les roches
d'onvx et d"or, sur les fines écailles de la mer et du
ciel. Les déclivités molles du paysage depuis la cime
d'où je les contemplais jusqu'à l'horizon éloigné invi-
taient elles-mêmes à la rêverie du bonheur, et du
plus indulgent. Plus de héros : des dieux. Les dieux
mêmes semblaient s'évanouir dans un immense amour
sans bornes, dans le pur sentiment d'une complai-
sance infinie.
Tel était du haut de cette seconde montagne de
l'Attique (le Pentélique est la première) l'abîme oriental
où se noyaient ensemble mon esprit et mes veux.
L'aboiement d'un chien de berger, qui courait avec
son troupeau, me tira tout à coup du songe. En me
retournant, j'aperçus, dessinée avec ses hameaux, son
port, son .acropole, avec son golfe et les grandes iles
prochaines, la plaine attique et la merveille de sa di-
versité. De sorte que le caractère se détacha avec
une force inouïe. Face à cet Orient qui opposait sa
vague et brillante unité, trop semblable à la confusion,
je ne pus m'empècher de crier en moi-même : Netteté!
netteté! comme en d'autres affaires on peut s'écrier
volupté ! La distinction, la découpure de ces détails et
ATHENES ANTIQUE
io3
de leur ensemble éclataient si bien que, par un phé-
nomène d'harmonie, le ciel participa de la diversité
des figures, chargé d'une flotte de petits et de gros
nuages qui le marbraient. Ces théories de vapeurs
longues et subtiles, voguant sur le sol déboisé, s'y pei-
gnaient aussi bien que sur le miroir de la mer.
Tout vivait et luttait; tout disait la peine ou la
joie, le rire et les larmes avec les innombrables
nuances qui tiennent le milieu entre ces états. Que
d'humanité! Que de grâce! Que de légèreté et de
profondeur !
En me récitant cette litanie, je disais, en songeant
aux ouvriers de tant de merveilles :
— Le beau naturel, l'art divin !
Mais le ciel mouvant se chargeait de nuées de
plus en plus lourdes. Le golfe Saronique se teignit de
cendre et de nuit. Et, bien que l'Orient toujours se-
rein fût échauffé de l'ardeur céleste et marine, le froid
se faisait vif; la position devenait presque intenable
sur la montagne. D'ailleurs, comme jadis au milieu des
dèmes attiques, Athènes souriait sous Torage et me
conseillait doucement de chercher son abri. Pourquoi
ne pas le dire ? On le devinerait. En me rendant au
I04 ATHÈNES ANTIQUE
juste conseil athénien, je rêvais en secret de lui échap-
per. Je rêvais au mystique brasier de TOrient sur le-
quel m'attachaient de longs regards chargés de cu-
riosité douloureuse. Blondes îles pétries dans l'argent
liquide et dans l'or ! Onde merveilleuse, épanchée,
m'eût-on dit, des substances supérieures ! Clarté vaste
et profonde où le monde entier communie! Lorsque j'eus
consenti à les quitter enfin, ce fut à reculons que je des-
cendis de la crête, mais je la remontai dix fois, découvrant
à chaque retour une beauté nouvelle aux vapeurs éloi-
gnées, mourantes, de Céos, au long corps élégant de
l'île d'Hélène, au bouclier de Belbina fondu dans l'azur.
Dix fois, je ne sais quel lyrisme, uni comme un
parfum aux noms des beaux lieux répétés, noya ma
volonté dans toute sorte de vœux absurdes et d'impos-
sibles espérances. Je savais et savais fort bien quelles
Cyclades se découvrent de FHymette, et je me deman-
dais cependant si la vue ne saurait pas joindre les
autres par delà l'horizon. Je me les nommai toutes
jusqu'à Samos, jusqu'à Lesbos, et je ne sais pourquoi
le nom de Milo me retint aussi fort longtemps :
— Cette Milo, disais-je, en forme de croissant de
lune !
ATHÈNES ASTI{)L'E it)5
La descente eut lieu cependant. Elle fut lente. Elle
fut vaine, ou à peu près. Ma mémoire flottait dans la
poudroyante lumière. C'est en vain que l'Hymette se
vêtit, ce soir-là comme tous les autres, d'un réseau de
pourpre dorée et que les asphodèles ondulèrent en
chœur sur les pentes de mon chemin. Au seuil de
la grave déesse, devant les fanaux allumés, je chan-
celais encore comme l'homme que le vm d'Asie a
troublé.
LA NAISSANCE DE LA RAISON
LA NAISSANCE DE LA RAISON
Allez à Olympie, afin de voir le travail
de Phidias, et que chacun de vous consi-
dère comme un malheur de mourir dans
l'ignorance de ces merveilles.
Épictète.
Des sept merveilles du monde antique, quatre ont
péri ou n'ont laissé que des débris informes ; une, la
grande Pyramide, résiste aux moyens de transfert ;
mais les deux autres sont à Londres ; les Anglais n'ont
pas manqué de les confisquer. Toutes les deux se
trouvent au musée Britannique : une galerie enveloppe
ce qui reste du Mausolée, les statues de l'inconsolable
Artémise et de son époux, une des colossales roues de
pierre qui tenaient au char de Mausole, des chevaux,
des lions et les piliers énormes qui supportaient le
A THÈSES A .V TIQ UE
faîte du monument ; une autre salle nous conserve des
débris importants du temple de la grande Diane des
Éphésiens, massives colonnes doriques sur piédestaux
à double étage couverts de sculptures de grandeur na-
turelle, ici d'un archaïsme à peu près voisin du bar-
bare, et, plus bas, presque athéniennes par la pureté,
la noblesse, l'aisance et la vive énergie.
Les Anglais ravisseurs ont donc couru dans tous
les sens la patrie de notre art ; ils en ont fauché et
pris le plus beau. Dès le seuil, j'ai dû reconnaître dans
la foule de ces captifs et de ces captives un compa-
triote enchaîné. Je veux parler du jeune athlète qui se
tient à l'entrée du « first greco-roman saloon » et qui
porte le numéro 600. C'est un jeune homme de marbre,
nu, de corps ferme et robuste, qui passe pour une ré-
plique (en ce cas, excellente) de l'athlète de Polyclète :
il a été découvert en Provence, près de Vaison, dans
le département de Vaucluse. Quel dieu méchant ou
quel concours de destinées fâcheuses ont conduit jus-
que-là, sous le ciel gris, dans l'air humide, cet éphèbe
de notre sang }
Mais son malheur me touche à peine. Il est ici
des infortunes plus touchantes et de plus illustres dou-
ATHÈNES ANTIQUE
leurs. Une Aphrodite de la collection Tornley rappelle,
par la disposition de son vêtement, le renflement
suave des hanches et de la nuque, l'inclinaison de sa
petite tête et la chevelure doucement ondulée, la noble
Milienne du Louvre. Un discobole lui fait face, assez
proche parent de celui de Myron... Dans la salle qui
suit, quelques antiquités plus curieuses que belles se-
raient propres à nous consoler, en nous offrant une
occasion nouvelle de railler le penchant des Anglais
pour le bizarre, si, au même lieu, d'autres pièces ne
montraient un piquant et charmant alliage de l'étrange
et d'un beau très pur. J'ai longtemps contemplé, mais
moins en curieux qu'en amant, cette jeune Gréco-Ro-
maine à la chevelure ingénieusement travaillée, aux
joues pleines et grasses, au cou voluptueux, à la gorge
ronde et profonde sous une tunique découverte et
demi-rompue ; son beau buste jaillit d'un calice de
fleur dont les pétales se renversent avant de le cou-
vrir et de l'envelopper.
Art sensuel et dégénéré, je m'en doute bien, et qui
ferait penser aux pires inventions modernes, mais dé-
licat, mais fm, et noble encore par ses souvenirs.
.1 THÈ NES A X TIQ UE
Pour les salles suivantes, toute critique du goût
anglais devient chimérique. Notre petite salle grecque
du Louvre contient quelques morceaux exquis dont
nos voisins ont cru devoir acquérir les moulages. Nous
avons la Vénus, nous avons la Victoire. Mais ici, les
morceaux de maître, les pièces de premier intérêt
font loi. Dans la salle archaïque, en particulier, si
ennemi que Ton puisse être de Tarchaïsme grec ou
pseudo-grec, on ne peut être indifférent aux vestiges
recollés du Monument des harpyes.
11 forme un bloc carré revêtu sur ses quatre faces
de bas-reliefs. Les figures féminines qui y sont ins-
crites rappellent, avec moins de fini dans la main-
d'œuvre, moins de splendeur dans la matière, les prê-
tresses de marbre du premier Parthénon : fixe sourire
éginétique, yeux longuement fendus en forme d'amande,
bridés à la mongole, cheveux tressés avec minutie et
tombant en flot hiératique sur le cou et sur les épaules,
enfin colliers, bijoux, vains ornements de toute sorte...
Mais faction est originale; des théories suppliantes se
ATHÈNES ANTinUF "3
sont mises en marche vers les Divinités infernales.
Assises tout droit sur leurs trônes, ces dernières jettent
les yeux sur les offrandes apportées. Ce sont des fruits,
des fleurs. J'ai distingué des roses, des pavots, des gre-
nades. Ce sont encore des animaux domestiques, comme
le coq cher à Hécate. Puis des casques de guerre
ou d'autres objets usuels.
Quelle put être Tintention des sculpteurs, je l'ignore ;
s'ils ont voulu montrer des démarches propitiatoires,
il ne semble pas qu'elles aient eu un grand succès
près des déesses de l'Érèbe. En deux bas-reliefs sur
quatre, des figures sinistres emportent les mortelles
palpitantes et désolées. Je ne sais si ces monstres sont
des harpyes ou des sirènes. Le tronc, en forme d'outre,
est surmonté d'une figure de femme et pourvu d'une
paire d'ailes. Ils s'emparent de leurs victimes en écla-
tant d'un rire qui découvre toutes leurs dents.
On reconnaît à vingt détails de ce singulier mo-
nument, d'un sens si profond et si vague, l'imagina-
tion de la Vie et de la Mort telle que devait la com-
muniquer un jour à l'Europe et au reste du genre
humain le mystique génie de Sem.
De la salle archaïque on peut entrer directement
114 ATHÈXES AXTJQUE
dans le dépôt des figures et figurines que lord Elgin a
fait descendre, des murailles du Parthénon. Mais il vaut
mieux faire un détour pour traverser le vestibule où
le nerveux et svelte Apollon de la collection Choiseul-
Gouffier fait face à la plus belle Cérès qui soit au
monde. Cette Cérès, on peut l'appeler Démèter, car
elle est bien la mère grecque des semences, des mois-
sons, la force natale des champs ; mais j'éprouve un
plaisir particulier à la prier, selon ma coutume, en
latin : sa chaste gravité, son attitude simple, l'austère
forme de la coiflure, ce pan de voile ramené au-des-
sus de sa belle tète, me rappelle les traits des saintes
matrones latines. Je lui chante tout bas les vers de
Melœnis :
Elles vivaient ainsi, les mères d'Etrurie,
Celles du Latium et du pays sabin...
Un autre détour à travers les antiquités assv-
riennes permet de voir, soit la chambre dite des Né-
réides (Victoires assez belles, palpitant sur les piédes-
taux), soit la salle de Phigalée, qui montre encastrés
dans son mur d'admirables bas-reliefs funéraires, avec
les moulages des deux meilleures pièces de cet ordre
qui soient gardées dans les divers musées athéniens.
ATHÈNES ANTIQUE i>5
Mais, pendant cette promenade à travers les lieux
secondaires du musée Britannique, l'aile du désir m'em-
portait à l'essentiel...
La salle Elgin est une galerie fort longue, point
trop mal éclairée et du reste pourvue de globes élec-
triques puissants ; mais le visiteur n'y peut pas recu-
ler à sa fantaisie, selon les exigences des belles choses
qu'il contemple. Ce peuple opulent n'a point fait à ses
brigandages un palais qui fût digne d'eux. Non seu-
lement ils dépérissent par la faute de l'air ou perdent
leur valeur par la qualité malheureuse de la lumière,
mais l'espace même leur manque. Le mal, il est vrai,
est petit. Pour qui passe en ce lieu, tous les mots
perdent de leur force, et il arrive ce que Gœthe con-
sidérait comme l'effet propre de la beauté :
« Qui la contemple ne peut être efjhiin' d'aucun mal
et se sent en harmonie avec lui-même et avec FUnivers.»
Personne n'ignore que lord Elgin, ambassadeur de
l'Angleterre auprès de la Sublime Porte, obtint en 1801
un firman qui l'autorisait à faire d'Athènes sa proie.
1 1 6 .4 THE XES A X TIQ CE
Pendant deux ans entiers, le ravisseur fut déchaîné. Le
Parthénon, déjà meurtri par une bombe vénitienne
lancée en 1687 par un capitaine allemand de l'escadre
de Morosini, livra à la rapine le principal de sa déco-
ration. Les marbres des frontons, la frise intacte, les
métopes furent descellés ou même arrachés, puis em-
barqués pour Londres.
Lord Elgin osa davantage. Des six cariatides qui
ornent l'exquise tribune d'Érechthée, il fit détacher,
enchaîner, conduire à son bord la plus belle. Rien
ne saurait dire l'effet de la pieuse figure exilée. Le
corps pur et vierge raidi sous la corbeille est frustré
aujourd'hui de l'entablement qui l'explique. Séparée
de la sphère de son monde architectonique, elle
semble encore en souffrir, et la qualité même de l'art
qu'elle fait admirer ajoute à Témouvante qualité de
son deuil et à la tragédie de son isolement. Faut-il
que je prononce le mot d'inharmonie ? Irréprochable,
il ne lui manque qu'une beauté et qu'un honneur;
mais, de tout son être, elle y tend. Elle veut recou-
vrer le fardeau qui convenait à sa douce tête et re-
conquérir sa patrie. Lord Byron, qui la comprenait,
traita fort durement son compatriote Elgin et tous les
ATHÈNES ANTIQUE ity
Anglais. On ne l'a jamais écouté. En ces derniers
jours seulement, TAngleterre a généreusement fourni
à la Grèce un moulage qu'il me souvient d'avoir vu
sans admiration.
Les prises d'Elgin ont souvent quelque chose de
cruellement inutile. Passe pour la jeune fille de la
Tribune ! Mais que lui servit d'arracher cette corniche ?
A quoi bon détacher ces fragments d'architrave ? Tous
débris dont je ne nie pas la valeur propre, mais qui
valaient surtout à leur place dans l'édifice. 11 fallait
enlever celui-ci pierre à pierre, ou lui laisser les élé-
ments qui ne peuvent s'en séparer.
Ne calomnions pas lord Elgin : peut-être nourrit-
il en effet le dessein de transférer l'Acropole sur quel-
que butte londonienne. Des colonnes entières ont
changé de lieu par ses soins.
Tout autour de la salle Elgin est posée sous un
verre la frise des Panathénées.
Elle n'est pas complète. Si le brillant morceau
que nous avons au Louvre est tout à fait minime, les
ATHÈNES ANTIQUE
musées d'Athènes ont plus de bonheur que le nôtre.
Il n'est pas vrai du tout que les fragments restés en
Grèce soient insignifiants. Par une faute heureuse,
lord Elgin a laissé là-bas plus d'un trésor : je citerai
les trois figures de l'assemblée des dieux et les jeunes
gens enveloppés de manteaux qui accompagnent les
taureaux du sacrifice. Les conservateurs du musée Bri-
tannique ont remplacé les groupes qui leur manquaient
par des contrefaçons en stuc, intercalées dans la série
des originaux. Cela est commode pour l'étude tech-
nique, en même temps qu'horrible à l'œil.
La suite de ces œuvres athéniennes exposées à
Londres m'est apparue par un jour clair, où le soleil
donnait des rayons assez vifs. Sous les verres jaloux
qui dénaturaient ce brillant solide, fin et pur qui révèle
le marbre attique, la théorie des dieux, des vieillards,
des jeunes filles, des jeunes hommes caracolant sur de
fiers chevaux, ne s'est donc pas trop dérobée. Quel-
quefois le fini du trait et le velouté de la forme^ ce
qui fait comme le printemps d'une œuvre de sculpture,
est resté tout à fait sensible. Où le contour s'efface un
peu, où les lignes usées et écornées perdent leur nette
certitude, comme à l'endroit où le grand prêtre plie
AT!n':Ni-:s antique h y
le voile de la déesse, tant de noblesse reste attaché,
malgré tout, au mouvement de la silhouette devenue
vague, que l'enthousiasme n'arrête pas.
Le choix est difficile. Un instant ma préférence
crut se fixer sur les épisodes de la pieuse cavalcade,
variés jusqu'à l'infini, mais dont chaque motif est
simple. Là, un éphèbe gonfle un beau buste sans tête,
d'un mouvement presque fiévreux, que modère une
grâce fine. Mais, quelques pas plus loin, un cavalier
d'à peu près le même âge, sur un beau cheval bon-
dissant, que ses voisins serrent de près, se retourne
contre eux, le bras levé, le poil au vent, les lèvres et
les narines gonflées et frémissantes, juvénile expression
de l'orgueil menaçant. Qui ne voudrait graver au plus
profond de sa mémoire un geste pareil ? Et qui ne
voudrait vivre ce beau geste éternellement ?... Mais
on erre, tout partagé, de l'une à l'autre de ces figures
parfaites. On découvre bientôt la troisième qui les
égale, et l'on ne sait à laquelle s'abandonner.
Heureux quand les belles rivales n'appartiennent
à des groupes trop éloignés ! il me souvient d'une
minute où j'aurais fait le vœu de me disperser aux
quatre coins de la salle Elgin. A l'un, en eflfet, sou-
A THÈNES AN TIQUE
riaient les deux cavaliers que j'ai dits ; mais^ au coin
opposé, les vieillards thallophores m'imposaient par leur
majesté ; enfin, ici une prêtresse, là un gracieux ado-
lescent, plus loin un dieu assis m'appelaient de charmes
divers.
Après bien des démarches, je leur pus échapper
à tous et m'enfermer dans la considération des fron-
tons. Deux ou trois métopes sublimes encastrées dans
le mur m'appelaient aussi vainement.
Le milieu de la salle Elgin est occupé par deux
séries parallèles de tables hautes et longues. Là sont
posés comme des corps mutilés à l'amphithéâtre les
membres fracassés qui appartinrent aux deux façades
du Parthénon.
Le fronton qui surmonte la façade du couchant
est resté presque tout entier en place : cet harmo-
nieux triangle de marbre a même conservé quelque
décoration ; deux torses d'homme et de femme, l'un
agenouillé et l'autre accroupi, y font un groupe aussi
simple que magnifique. Les Londoniens ont eu soin
ATHÈNES ANTIQUE
de représenter ce couple dans leur collection par un
moulage assez expressif.
Un très beau corps d'homme ou de dieu, à demi
allongé et qu'ils ont en original, est le butin le plus
considérable de ce côté-là ; encore cet Ilissus, comme
on l'appelle, n'a-t-il ni tête, ni jambes, ni bras. Le
reste, s'il n'est point informe, était trop fragmentaire
pour m'arrêter longtemps, bien qu'il éveillât la pensée
de Phidias ou de ses collaborateurs. Si je connais que
ces morceaux appartiennent à la Dispute de Minerve
et de Neptune, c'est à Pausanias, à Maxime Collignon,
à M. Lucien Magne et à tout le cortège des historiens
et des critiques que je dois ce précieux éclaircisse-
ment.
Pour le fronton oriental, on a beaucoup perdu : la
scène principale et centrale, une Naissance de Minerve,
n'est connue que par des témoignages assez anciens.
Au xvii' siècle, avant même la bombe de Morosini, un
Jupiter, une Minerve et, au bas mot, dix mètres de
statues divines et héroïques avaient disparu. L'on ne
possède plus que les figures d'angle, couchées ou as-
ATHÈNES ANTIQUE
sises aux extrémités du fronton, et presque toutes ces
dernières, en un double groupe ascendant et descen-
dant, s'alignent à la salle Elgin. Sans qu'il soit néces-
saire d'imaginer grand'chose, elles remontent tout na-
turellement à leur place sur la façade antérieure, et là
publient l'usage et le caractère du Parthénon.
Opposé à l'Hymette, au soleil levant, à la mer,
c'était l'autel extérieur au pied duquel venait chanter
ses hymnes et porter ses prières la jeunesse athénienne
formée en théorie à chaque retour du printemps. De
nécessité, il faut bien que Phidias ait ramassé dans cet
espace l'idée maîtresse d'une dédicace à la Vierge.
J'hésite à peine à reconnaître l'influence de son génie
religieux et, au beau sens du mot, mystique, dans
quelques-unes des pensées qui me sont venues, pauvre
homme moderne, devant les débris de son art.
Le triangle qui détermine le fronton règne du nord
au sud. A l'extrémité méridionale, sur ma gauche,
deux têtes de chevaux, d'un faire ardent et pur, bien
enivrés de leur force et de leur vitesse, prennent leur
ATHÈNES ANTIQUE i23
élan pour s'élever de la mer, figurée par un trait de
marbre à peine ondulé : derrière eux, émerge le front
de Phébus, meneur du céleste attelage. C'est le Jour
qui paraît, il importe de dire qu'au bout opposé du
fronton, et sur ma droite extrême, la scène inverse se
produit : la tète lasse d'un cheval tombe, précipitée;
elle pend sur les eaux, et, un peu en arrière, un
torse féminin (dont on n'a au musée qu'une repro-
duction) paraît s'incliner sur les rênes. Elle est prise à
mi-corps au léger feston de la mer. C'est sans doute
Phœbé, lumière de la Nuit ; le char exténué de Tombre
est chassé du Jour renaissant.
Revenons à la gauche. Étendu à demi sur un ro-
cher couvert d'une peau de lion, un puissant person-
nage, corps magnifique presque entier, faisant face à
la mer, considère ce Jour éclatant qui sort de l'écume.
On dirait que, pour le saluer, il se lève, entr'ouvre ses
beaux membres encore liés de sommeil. Son geste est
celui du plaisir et de l'étonnement. Est-ce un dieu r
un héros? un homme .^ Je l'appellerai l'Homme, il nour-
rit sa pensée du plus beau des spectacles que la vie
physique puisse fournir.
Auprès de lui, moins rapprochée de ces merveilles,
12 t ATHÈNES ANTIQUE
plus voisine du centre du fronton, une jeune femme
est assise. On lui donne habituellement le nom de
Goré, Proserpine chez nos latins. Placée un peu en
arrière, sur un trône tendu d'étoffes et semé de clous
qui furent peut-être dorés comme dans V Odyssée, car
nous savons Phidias grand lecteur d'Homère, cette
femme s'épanouit comme une grande fleur d'été. En
longs vêtements bien drapés, son corps palpite et
goûte cette journée nouvelle ; attentive, immobile,
elle s'abandonne, ainsi que son voisin, au plaisir de
la renaissance. Mais elle n'est pas seule. Une com-
pagne un peu plus grande et non moins belle, sur
l'épaule de qui elle s'appuie languissamment, va mo-
difier son attitude et son caractère, peut-être lui
changer sa vie.
Ge nouveau type féminin, que l'on nous donne
pour Gérés ou Démêter, est agité d'un frisson de hâte
curieuse. Le bras gauche est levé. Un g^enou se fléchit^
une jambe est tendue, et toute l'attitude tire sa raison
manifeste, non plus du soleil qu'on admire sur la
gauche, mais des scènes perdues pour nous qui se
voyaient dans la partie médiane du fronton. Qui vient
d'attirer l'attention en ce sens .? G'est une messagère,
ATHÈNES ANTIQUE i25
et que j'accepte bien volontiers pour Iris, tant son
mouvement est ailé : le haut du corps tourné vers la
scène centrale, mais lancé vers le groupe des deux
femmes assises et vers l'homme qui s'éveille près du
soleil, cette Iris, aussi admirable d'élan et de vitesse
que l'attelage apollonien, semble apporter à tous une
grande nouvelle. Le cri est annoncé par l'allure du
corps et le flottement de la robe ; comme à peu près
tous les témoins de cette sculpture philosophique, le
corps, si vivant, d'Iris est sans tête.
Que peut donc annoncer cette messagère, cette
« Ange », dans les bas côtés du fronton } Et quelle
est sa grande nouvelle.? On se doute qu'Iris court dé-
clarer partout la nativité de Minerve. Elle raconte aux
hommes et aux femmes, aux héros et aux héroïnes,
aux déesses et aux dieux que la lumière du soleil va
pâlir en comparaison de la flamme qui vient de naître.
C'est la lumière de la sagesse et de la raison. C'est le
pur esprit éternel.
— Un second soleil nous est né, leur dit Iris. Et
elle se retourne vers le bel astre...
Je trouve significatif que cet astre du monde an-
tique soit perdu pour nous; il ne reste pas miette, on
,26 ATHÉJNES ANTIQUE
l'a VU tout à l'heure, de la Minerve du fronton, et je
crois que c'est fort bien fait.
Franchissons les dix mètres du milieu qui demeu-
rent vides. Le premier personnage est une Victoire,,'
merveilleusement animée, remplissant sur la droite un
rôle équivalent à celui d'Iris sur la gauche.
Elle crie du côté oiJ la lune se couche ce que l'Iris'
publie du côté ciu soleil levant. C'est la Victoire an-
nonciatrice. Elle est fort belle et glorieuse. Mais les
personnes qui l'écoutent la surpassent infiniment
pour, le caractère et pour la beauté. Ce sont les trois
figures que Ton est convenu de nommer les Parques.
Il ne peut me déplaire de voir dans ces grandes sta-
tues assises ou couchées une figure en trois personnes
de la Mort. Car la Mort elle-même doit être avertie;
que le monde s'est enfin senti et connu sous la forme
d'éternité : dans ses rapports invariables, dans ses lois
qui ne branlent point. Jésus est descendu aux limbes
quand tout a été consommé : la Victoire annonciatrice
de Phidias avait illuminé, quatre cents ans plus tôt,
les divinités de l'enfer.
Extrait de l'Ouvrage :
.Sfaxime CoUignon : Le PARTI
Ch. Eggimann, Eiiiteur P
ATHÈNES ANTIQUE 127
Chacun des mouvements de ces Parques forme un
chef-d'œuvre dans le sein même du chef-d'œuvre. La
première, tout à fait libre, quitte déjà le sol ; son corps
est soulevé de force intérieure, tout l'être suspendu au
discours de la messagère, ordonné, disposé et comme
modelé par la nouvelle qu'elle entend. Sa sœur, plus
lente en apparence. C'est qu'elle est retenue. Sur ses
genoux, entre ses bras, languit le corps couché de la
troisième Parque à laquelle elle vient de redire l'évé-
nement. Fine et tendre dans ce geste de sœur aînée,
je la prendrai pour l'Amitié supérieure, que les Grecs
ont connue et décrite parfaitement.
Tandis que la première cède au feu violent qui
l'emporte : — « Ma sœur », dit la seconde à celle
qui est étendue, « il est temps, levons-nous », et la
troisième de ces Immortelles, au beau sein mollement
gonflé et soupirant, lui répond : — « Si ce pouvait
être ! » Espérance mêlée de doute, elle montre par
toute sa personne vivante le combat de sa lassitude
avec son ardeur.
C'est Tardeur qui doit vaincre. On voit le sang
revivre et les nerfs épars se rejoindre, un frisson réu-
nir et composer les plis de la tunique fine et du
ii8 ATHENES ANTIQUE
large manteau de laine. La ceinture a glissé. La robe
laisse à découvert une gorge naissante, l'épaule ronde,
ferme, forte, si pleine de saveur, de finesse et de gloire
qu'on n'en peut rêver de plus belle. Au plus pur de
ces nobles formes découvertes, l'àme exquise s'épa-
nouit. J'admettrai que les autres personnages de ce
fronton soient des dieux ou soient des déesses. Ceci
est une femme, chargée de figurer le grand cas de
notre destin, qui n'est peut-être que la Mort. Puisque
Pallas est née, puisque, au moment où point le Jour,
où se précipite la Nuit, l'Univers se conçoit dans son
pur et son essentiel, la Mort accède et participe à ce
•mouvement accompli. La voilà devenue l'élément né-
cessaire de la vie de l'esprit, qui ne peut rien penser
sans l'arrêter, le définir et ainsi le glacer. L'infernale
Phœbé, priée jadis du nom d'Hécate, se couche sur
les ombres, ayant consommé son labeur.
L'éternité intellectuelle commence.
MÉDITATION
c
MÉDITATION
Si de longues stations, des rêveries plus longues
et surtout la langueur et la plénitude voluptueuse du
beau corps étendu de la dernière Parque ne m'ont
pas fait perdre l'esprit, on voit que les Athéniens du
IV' siècle d'avant notre ère avaient peut-être suspendu
au temple de leur déesse poliade une manière de noël
rationaliste et païen. Fille de la plus haute puissance
élémentaire, Pallas d'Athènes se fait homme toutes
les fois que Thomme fait usage de la raison.
Sans se piquer d'allégorie, Athènes avait un sens
trop délicat pour se méprendre sur un épisode cen-
tral de sa religion politique. Elle se voyait vivre et se
reconnaissait en cette déesse et patronne, image vive
de ses forces élevées à leur type héroïque et abstrait.
Je ne sais si les hommes d'aujourd'hui saisiraient cette
i32 ATHENES ANTIQUE
opération très fine de Tesprit religieux. Ce n'était pas
un simple culte rendu par la ville d'Athènes au moi
athénien. L'adoration un peu brutale des Romains pour
la déesse Rome eut peut-être ce caractère d'égoïsme :
hommes d'État par-dessus tout, ils mettaient sur l'au-
tel leur œuvre envisagée comme volonté créatrice et
comme objet créé. Athènes ne s'adorait point sans la
mâle pudeur, sans l'humilité que prescrit une intelli-
gence profonde.
La piété d'Athènes apportait le tempérament na-
turel à cet orgueil humain, qui est la dernière folie.
Morale, religion ou politique, ce qui ne fonde que sur
la volonté des mortels n'est guère plus certain que ce
que l'on construit sur leurs bons sentiments. La piété
des Attiques a été plus parfaite, parce qu'elle repose
sur un fondement moins fragile : elle prend conscience
des auxiliaires secrets qui, en nombre infini, fertilisent
notre labeur ; elle conçoit que la part de notre mé-
rite, dans nos victoires les plus belles, est presque
nulle, que tout, en dernière analyse, dépend d'une
faveur anonyme des circonstances et, si l'on aime
mieux, d'une grâce mystérieuse. Ainsi les Athéniens,
quand ils priaient Pallas, invoquaient le meilleur d'eux-
ATHÈNES AXTIQUE i33
mêmes et en même temps ils invoquaient autre chose
qu'eux. La déesse à laquelle ils faisaient abandon,
honneur et hommage d'Athènes était bien leur propre
sagesse, mais la sagesse athénienne fécondée, cou-
ronnée des approbations du destin.
Q_u'un tel peuple, le plus sensible, le plus léger, le
plus inquiet, le plus vivant, le plus misérable de tous
les peuples, ait été justement celui qui vit naître Pal-
las et opéra l'antique découverte de la Raison, cela est
naturel, mais n'en est pas moins admirable. On com-
prend comme, à force d'éprouver toute vie et toute
passion, les Athéniens ont dû en chercher la mesure
autre part que dans la vie et dans la passion. Le sen-
timent agitait toute leur conduite, et c'est la raison
qu'ils mirent sur leur autel. L'événement est le plus
grand de l'histoire du monde.
Son heure doit être fixée sans doute bien avant
l'apparition d'Homère dans les colonies athéniennes,
avant même que ces colonies fussent sorties de la ville
mère, avant que le vieil Érechthée eût reçu le plant
d'olivier. D'alors date le changement. L'esprit de la
Grèce naquit en même temps que sa déesse. Tout ce
qui s'agitait dans l'homme acquit une humaine va-
i34 ATHÈNES ANTIQUE
leur. Par exemple un savant cessa d'imaginer que le
savoir consiste en un amas de connaissances ; il cher-
cha l'ordre qui les fixe et qui leur donne tout leur
prix ; où le roi Salomon faisait des catalogues et des
nomenclatures, les prédécesseurs d'Aristote essayaient
cette liaison, cette suite auxquelles on affecta le nom
sacré de Théories. Le même renouvellement se pro-
duisit en art ; on sentit qu'il ne suffit pas de copier
des formes, ni de les agrandir, ni de les abréger, et
que le plaisir véritable naît d'un rapport de conve-
nance et d'harmonie. La même règle fut étendue à
la philosophie de la vie. On vit que le bonheur ne
tient pas à la foule des objets étrangers dont la com-
mune cupidité s'embarrasse, ni à l'avare sécheresse
d'une âme qui se retranche et veut s'isoler. S'il im-
porte que l'âme soit maîtresse chez elle, il faut aussi
qu'elle sache trouver son bien et le cueillir en s'y
élevant d'un heureux effort. Ni relâchement, ni ru-
desse, aucune vertu sans plaisir, ni aucun plaisir sans
vertu, voilà le conseil athénien. 11 n'en est pas qu'on
ait dénaturé davantage. Le genre humain n'en a pas
reçu de plus pénétrant.
L'influence de la raison athénienne créa et peut
ATHÈNES ANTIQUE i35
sans doute recréer l'ordre de la civilisation véritable
partout oii l'on voudra comprendre que la quantité
des choses produites et la force des activités produc-
trices s'accroîtraient jusqu'à l'infini sans rien nous
procurer qui fût vraiment nouveau pour nous. L'âme
chagrine et mécontente qui fit de l'homme l'inventif
et industrieux animal qui change la face du monde,
cette âme de désir, cette âme de labeur ne sera ja-
mais satisfaite par un nombre quelconque d'œuvres
ou de travaux, tout nombre pouvant être accru :
c'est la qualité et la perfection de son œuvre qui
lui donnera le repos, car toute perfection se limite
aux points précis qui la définissent et s'évanouit au
delà. Le propre de cette sagesse est de mettre d'ac-
cord rhomme avec la nature, sans tarir la nature et
sans accabler l'homme. Elle nous enseigne à chercher
hors de nous les équivalents d'un rapport qui est en
nous, mais qui n'est pas notre simple chimère. Elle
excite, mais elle arrête ; elle stimule, mais elle tient
en suspens. Source d'exaltation et d'inhibition suc-
cessive, elle trace aux endroits oii l'homme aborde
l'univers ces figures fermes et souples qui sont mères
communes de la beauté et du bonheur.
i36 ATHÈNES ANTIQUE
Tout le progrès de notre espèce ne consisterait
qu'à transmettre et à développer ce bien sans prix,
une fois que les parties détruites en auraient été
recouvrées. La mémorable impulsion donnée par
Athènes ne s'est communiquée jusqu'à nous qu'assez
faiblement. Elle s'est beaucoup altérée. Il ne nous
reste pas grand'chose de la haute et délicate sagesse
pratique qui maîtrisa et qui consola un Ulysse à tra-
vers ses épreuves en l'empêchant de croire stupide-
ment que les voluptés sont sans borne ou qu'on ne
puisse composer avec les dieux. Le rythme exquis d'un
Phidias anime bien quelques poètes, mais ils sont clair-
semés, dans l'histoire moderne ; et, encore que notre
France, favorisée d'un Racine et d'un La Fontaine,
en ait eu la meilleure part, les survivants sont peu en
comparaison de ce qui a péri. Seul, à travers la mé-
connaissance et l'insulte, Aristote, « l'incomparable
Aristote », comme dit Comte, est continué digne-
ment ; barbares de goût et de mœurs, nos modernes
tiennent du moins à l'enchaînement du savoir, mais
on s'occupe beaucoup plus d'en accroître la somme
que de l'ordonner et de la distribuer à propos.
— Jusques à quand serons-nous dupes du nombre
ATHÈNES ANTIQUE 187
et de ce qu'il a de plus vil ? Reverrons-nous la grâce
et les mesures demi-divines de la Raison ? Je me le
demandais comme je quittais à grands pas le rude
bâtiment du musée Britannique où la force barbare
mène des triomphes si vains.
INVOCATION A MINERVE
* Pour le premier numéro de la revue Minerva, fondée et dirigée
par notre ami regretté René-Marc Ferry, rédigée par un groupe
d'humanistes français. (1902.)
INVOCATION A MINERVE
L'homme, et non l'homme qui s'appelle Callias.
Aristote.
I
Déesse athénienne, invoquée sous le nom romain,
rassure-toi sur le sens de notre cortège ; ne fais au-
cune erreur sur nos intentions, Minerva. Prends garde,
Jeune fille, de ne pas nous confondre avec ces savants
oublieux qui, t'ayant gravée au frontispice de leur
volume, n'ont pas pu se défendre de rider ton front
délicat. Les pauvres gens te voulaient faire à leur
image : puisses-tu nous former, au contraire, sur ta
beauté.
O Minerve! nous ne sommes pas des archéologues,
et, bien que plusieurs d'entre nous soient versés dans
142 ATHÈXES ANTIQUE
le doux mystère de ta fable, ce n'est pas la mytho-
logie, ni l'épigraphie, ni aucune science particulière
qui les a conduits dans nos rangs. N'alléguons même
pas cette profession de poète ou de sage qui appar-
tient également à certains. Des hommes, des hommes
mortels, voilà leur titre auprès de toi ! Mais ils s'avan-
cent, ennemis des prétentions, des ambages vains :
simples, usant des mots qui sont entendus de chacun,
celui-ci grave, un autre plus riant ou plus familier,
tous des fruits à la main, la tète ceinte de couronnes,
mus par une raison aussi générale que toi.
Des hommes, ô Minerve ! des hommes conscients,
animés du souci de ce qui leur manque, dévorés du
sacré désir. Que d'autres, moins pieux ou moins
réfléchis, t'aient donné pour prison une case de leur
pensée, qu'ils t'enferment en un point du temps ou
dans un lieu du monde! Entends mieux nos propos:
c'est la vie, la vie tout entière et non un fragment de
la vie, toute science, et non telle science unique, tout
art, toute morale, toute rêverie, tout amour qui sont
exposés devant toi. Quête demandons-nous? La me-
sure de rame, ô cadence de l'univers !
ATHÈNES ANTIQUE i43
Bien plus tôt qu'on ne Fa écrit, et beaucoup au
delà des temps qui lui sont assignés, ton histoire, ô
Déesse! te révèle l'amie de l'homme. De tous les ani-
maux qui étaient épars sur la terre, tu connus qu'il
était, sans comparaison, le plus triste, et tu choisis ce
mécontent pour en faire ton préféré. Déesse, tu rendis
sa mélancolie inventive ; il languissait, tu l'instruisis,
tu lui montras comment donner une autre figure à. ce
monde qui lui déplaît.
Une bonne nourrice sait endormir ainsi la plainte
du petit enfant. Ainsi tu fis des pauvres hommes. Qiie
de jouets tu fis descendre de la tète de Jupiter ! Les
poètes n'ont oublié ni le feu de ton Prométhée, ni
l'olive athénienne, ni les ruses de guerre suggérées aux
héros, ni ta flûte savante qui accompagna les chan-
teurs. Mais il sied de te rendre une justice plus com-
plète. La charrue, le vaisseau, le double pressoir, la
navette, les murailles des villes et celles du toit fami-
lier, le pavé des chemins, les conduites de l'eau, les
144 ATHÈXES AXTIQCE
métaux devenus dociles, il n"v a rien du matériel pri-
mitif que le genre humain ne t'ait dû.
Ce que la tradition te refuse, ou ce qu'elle attribue
à d'autres inventeurs, la réflexion qui nous ressaisit te
le rend. Mais elle fait bien voir que nos derniers trésors
sont également ton bienfait. Qu'il s'agisse de détruire
ou d'édifier, l'ingéniosité, l'audace, la patience, l'heu-
reux concept, cela est tien. Ce qu'on nomme progrès
n'est que la conséquence d'impulsions que tu nous
donnas. S'il est certain que l'invention du labourage ou
l'idée de se confier aux forces des eaux ont mérité
sans doute une admiration plus profonde que l'appareil
de la télégraphie sans fil, celle-ci n'est point mépri-
sable : j'y reconnais tes mains sublimes, ma déesse. La
découverte occupe, elle exerce, elle amuse et, si le
succès la couronne, elle rendra aux hommes des ser-
vices inattendus. Fidèle compagne d'Ulysse, ô trois
fois chère au genre humain, sois bénie de ta compas-
sion ! Un impie seul te refusera son tribut.
Cet impie ne peut être que l'esclave de sa paresse.
11 ne te connaît pas. 11 ne sait point le vol suave des
moments de la vie qui s'écoulent sous ton autel : leur
nombre est infini ; cependant, ils se meuvent, les
ATHÈNES ANTIQUE i45
abîmes qu'ouvre le Temps se laissent franchir. L'œuvre
a beau varier, ton ouvrier participe des durées éter-
nelles. Son effort, tant il est facile, est une grâce et
son plaisir, tant il est noble, une vertu. Content de
soi ou, pour mieux dire, tout à fait oublieux de soi,
l'homme que tu distrais porte les Heures éphémères
sans en éprouver l'aiguillon.
m
En un seul cas, Minerve, on pourra se plaindre
de toi. C'est quand il nous arrive d'arrêter le travail
et de considérer la seconde nature que tu nous permis
de créer. O Chaos ! O père des monstres ! Car il se
trouve que notre oeuvre est effroyablement touffue et
dense, comme si la forêt natale, à peine éclaircie, avait
donné le jour à de nouveaux peuples de ronces moins
faciles à pénétrer.
Qiie de fer ! Qj-ie de feu ! Que d'engins variés et
que décomplexes organes! Que d'opérations presque
inouïes, surajoutées! Que de connaissances disparates
amoncelées ! Supputons les terres nouvelles, les na-
,40 ATIÎÈXES AXTIQUE
tions sorties de la nuit, les profondeurs du ciel ou-
vertes, rimperceptible appréhendé. L'homme, qui in-
ventait afin de s'asservir le monde, est tenu mainte-
nant par les serviteurs nés de lui. Il en est à se
demander ce qu'il fera de biens dont il perd le compte.
O déesse! voilà l'inquiétude moderne. L'état de nos
esprits réfléchit Tétat de nos cœurs. L'industrie et la
civilisation les ont gravement compliqués.
Mais, Minerve, rien ne permet de conjecturer que
tu ignoras notre mal. N'as-tu pas assisté à la nais-
sance des civilisations de TAsie.? Elles étaient tes filles^
et tu sentis leur tumultueuse fureur. Tu vis bâtir les
villes des ingénieux Mvcéniens. Tu connus Tyr, Sidon,
l'Egypte, l'Assyrie lointaine, les empires plus éloignés
sur les deux bords du fleuve Indus. Athéna, Athéna,
dis-nous ce que dit ta sagesse quand, d'entre ces bar-
bares dociles à son conseil, de la plus belle époque de
ces barbaries avancées, tu fis paraître en Grèce quelque
chose de différent, qui fut meilleur.
Tes Grecs athéniens étaient les plus intelligents et
les plus sensibles des hommes. Ils virent donc beau-
coup plus vite les maux attachés à tout bien, et le
génie leur parut un don plus cruel. Les premiers, ils
ATHÈNES ANTIQUE 147
sourirent soit de la vanité des passe-temps que tu pré-
sentes, soit du cours monotone inséparable des suc-
cessions de la vie. Ni le plaisir de faire une œuvre, ni
la joie de la posséder, ni l'ivresse d'en imaginer de
nouvelles ne compose un état qui soit satisfaisant. Ou-
vriers, artisans, législateurs, sages ou poètes, et je
dirai même amoureuses et courtisanes, ce peuple ma-
gnanime ne fut point ta dupe longtemps, il riait de
ta peine comme Apollon ton frère de l'effort des
mauvais chanteurs. Sa tristesse, dorée d'une courte
espérance, n'avait fait que grandir. Elle ressemblait
à la nôtre, de notre temps : débordés comme nous,
quoique autrement que nous, par les créatures de
leur génie, ils étaient où nous en serons quand
nous aurons grandi un peu au-dessus de nous-mêmes.
Tu les vis. Athénienne, et ton cœur tendre se rou-
vrit ; mais le nouveau présent passa de beaucoup le
premier.
IV
On ne l'a pas nommé encore. Je ne peux appeler
un nom ces désignations flottantes, riches en équi-
148 ATHÈNES ANTIQUE
voques, passibles d'objections de la part de tes ad-
versaires. Tantôt l'on dit Sagesse, tantôt Mesure, ou
Perfection, ou Beauté, et peut-être Goût. D'autres
préfèrent Rythme, Harmonie. Et d'autres. Raison.
N^est-ce pas aussi la Pudeur ? N'est-ce pas le flam-
beau des Compositions éternelles ? La victorieuse du
Nombre, la claire et douce Qualité ?
On l'a figurée comme un Lien mystérieux autour
d'une gerbe, comme le Frein mis à la bouche de cé-
lestes chevaux, comme la Ligne pure cernant quelque
noble effigie, comme un Ordre vivant qui distribue
avec convenance chaque parcelle : ô mélancoliques
images, imparfaite allusion à la splendeur qui n'est qu'en
toi ! J'arrive après les autres pour tenter de la définir.
Mais j'aime mieux te dire, ô déesse! ce que j'en vois.
Qui la trouve, trouve la paix en même temps. Il
s'arrête, sachant que l'au-delà ni l'en-deçà n'enfer-
ment plus rien qu'il ne tienne. L'homme vulgaire
pense : celui-ci pense bien. Les Grecs nous semblent
aujourd'hui avoir bien abusé de cette fine particule
qu'ils ont reçue de toi. Dis, la comprenons-nous .? Sa-
vons-nous ce que c'est que bien être, bien vivre, bien
mourir, bien penser .f* Sentie d'abord exactement, puis
ATHÈNES ANTIQUE 149
négligée, puis méconnue, la leçon de Minerve n'a ce-
pendant jamais été oubliée tout à fait : nos pires dé-
chéances se souviennent qu'il est des règles, des fi-
gures, des lois divines, sur lesquelles se conçoit le
bonheur et se peut fixer la beauté.
Comme un navire qui descend sous le pli de la
vague est trop bien construit pour sombrer, ta Civi-
lisation, celle que Ton désigne entre toutes les autres
quand on veut nommer l'excellente, ne s'est jamais
perdue, quoiqu'on l'ait perdue quelquefois. On dit que
l'homme crée un règne nouveau dans le monde :
l'homme classique forme un règne dans le règne
humain. Il s'étend sur le meilleur de l'œuvre romaine
et française. L'Église a mis ton nom, Minerva, sur
plus d'un autel ; en Italie, en Thrace, tu triomphes
près de sa croix. Des coins de France gardent, eux
aussi, ton vocable. La douceur de notre langage, la
politesse de nos mœurs, le raffinement de l'amour ne
seraient point nés sans Minerve. Ton influence agit de
tout temps. Si elle a pu faiblir au cours d'un siècle,
le dernier, la vérité douce et cruelle est qu'il en a
souffert : plus il se compliquait, plus il eût été sage
de s'adresser à toi, tant pour mettre en bon ordre
i5o ATHÈNES ANTIQUE
des notions qui Tenrichissaient que pour distribuer le
flot d'une humeur vagabonde!
Le siècle nouveau-né comprendra que l'heure le
presse. Un degré de malaise permet le traitement ; un
autre n'admet que la mort. Déesse, vois nos bras et
nos mains que chargent les œuvres. Écoute quels dé-
mons nous soufflent la vie. Le plus lâche refuse de se
retirer sans combattre. Ah ! nous ne sommes pas une
race de suicides. L'activité circule dans les veines de
notre peuple, aucun effort ne nous coûtera pour gué-
rir. De tous les lieux, de tous les âges, immortelle,
pourquoi refuserais-tu ton conseil ? Fille de la nature
et supérieure à ta mère, ainsi produis de notre sang
des générations meilleures que lui.
Nous relisons tous tes poètes. Ronsard, Racine,
La Fontaine, Molière ont reparu à notre chevet. Comme
nous reprenons le chemin de Versailles ! Sans dédai-
gner les jeunes merveilles du gothique^, nous rendons
à la colonnade unique, à celle du Louvre, son rang.
Notre Poussin commence d'être relevé de l'oubli.
Lorsque nous parlons du grand siècle, nous ne pour-
rions plus ajouter comme Michelet autrefois : « c'est
le xviii'' », et, bien que nous n'avons rejeté aucune
ATHÈNES ANTIQUE i5i
vraie gloire, nous savons quelle est la plus belle. Le
sentiment de nos destinées nous revient. Cependant il
est vrai que le cœur chaud est resté sombre ; les
mains sont maladroites et les têtes appesanties. 11 dé-
pendrait de toi de récompenser tant de vœux ! N'a-
t-on pas dit que ton image, taillée en un marbre très
pur, vient de reparaître au soleil d'une vieille ville*.''
C'était à la fin du premier mois de l'année nouvelle.
Cette statue te représente long voilée, tenant la pique,
armée du bouclier oii montent les hydres. Une dé-
couverte semblable annonça pour l'Italie la première
des renaissances ; mais, comme ce ne fut qu'un por-
trait de Cypris, quelque chose manquait à la Renais-
sance italienne. Déesse amie de l'homme, ton charme
seul est apte à nous introduire au divin !
* Poitiers.
TABLE
Ouvrages de Charles Maurras
Jean Moréas. 1891 — Brochure épuisée.
Le Chemin de Paradis, Contes philosophiques. 1895 — Cahnann-Lèvy 4 50
L'idée de la Décentralisation. 1898 — Brochure. Seroire de la Libndrie Je l'Action Française. . . 0 60
Trois idées politiques : Chateaubriand, MieheM, Sainte-Beuve. 1899 — Chez Champion 2 40
L'Enquête sur la Monarchie. 1900-1909 — A la Nouvelle Librairie Xationole édition in 18 ... . 4 50
édition in 8° . . . 7 50
Anthinea. d'Athènes à Florewe. 1901 chez Juven épuisé — 1912 chez Clwmpioti, épuisé
Une Campagne royaliste au Figaro 1901-1902 — A la Nouvelle Librairi* Nationale 0 90
Les Amants de Venise, Gei^rije Sand et Musset. 1902 Fontemniufi, épuisé — nouvelle édition avec
préface nouvelle 1917 chez Boceard 4 50
Un débat nouveau sur la République et la Décentralisation, (en collaboration arec Mil.
Paul Bomour, Joseph Reinwh, Clemenceau, Xavier de Ricard. Varenne, Clémenlel, etc.) 1904 — un
volume épuisé
L'Avenir de l'Intelligence, suivi de Auguste Comte-, Le Roman tiwie féminin; Mademoisello Monk.
1905 — A lu Nouvelle Librairie Natiomde 4 50
Libéralisme et Libertés. Démocratie et Peuple. 1905 — Brochure. Au service de la Librairie
lie l'Action Française 0 10
Le Dilemme de Marc Sangnier. Essai sur la Démocratie religieuse. 1906 — A la Nouvelle Librairie
NiH":nth' 4 50
Kiel et Tanger. La Républiqm française devant l'Europe. Xouvelle édition, préface nouvelle 1910-1913 —
A l" .Vouvelle Librairie Nationale * °^
Si le coup de force est possible. En collaboration avec Henri Dutrait-Crozon, 1910 — A la
Nouvelle librairie Nationale ^ ^^
Idées royalistes. Réponse à l'enquête de la Revue Hedmuiduire. 1910 — Au service de la librairie de
l'Action Française • ^ ^^
La Politique religieuse. 1912 — A la Nouvelle Librairie Nationale 4 50
L'Action Française et la Religion catholique. 1913 — A la Nouvelle Librairie Nationale ... 4 50
L'Etang de Berre. l'Jlô — C/uiaipion. éditeur, épuisé
Quand les Français ne s'aimaient pas. Chronique d'une Renaissance. 1916 — A la Nouvelle
Librairie Nationale 4 50
Les Conditions de la Victoire. Recueil des articles de guerre. I La France se sauve elle-
même. Août-Novembre \%ii: — A la Nouvelle Librairie Nationale 4 80
II Le Parlement se réunit. Novembre 1914-Août 1915 — .4 la Nouvelle Librairie Nationale . . . 4 50
III Ministère et Parlement. Septembre-fin Décembre 1915 — -1 /" Nouvelle Librairie Nalionale ... 4 50
IV La Blessure intérieure. Janvier-fin Mai 1916 — A la Nouvelle Librairie Nationale 4 50
La Part du Combattant. 1917 — A la Nouvelle Librairie Nationale 1 80
Le Pape, la Guerre et la Paix. 1917 — A la Nouvelle Librairie Nationale 4 50
Les Chefs Socialistes pendant la Guerre. 19is - A la Nouvelle Librairi. Nationale 4 50
EN PRÉPARATION
L'Allée des Philosophes
ERRATA
P^e 18, ligue 3 de la note, au lieu de : « signifier à l'indéfini » lire : « signifier
l'indéfini ».
Page 119, ligne 10 au lieu de: « d'à peu près le même âge b, lire: « à peu
près du même âge. »
Page 133, lignes 3 et 4 lire: « leur propre sagesse, mais fécondée et
coordonnée . » .
Page U3, ligne 8, au lieu de: « donmr une autre figure », lire: « imprimer
une autre tigure ».
TABLE
Avant-propos
Noire mer '
Premiers pas ^
Athènes antique ' • ^9
L'Acropole 9
Le Parthénon ^'
Les Collections "'
L'Hymette ^5
La Naissance de la Raison '^7
Méditation '^^
Invocation à Minerve 9
436'i. — Tours, imprimerie E. Arh.vllt et C".
E. de BOCCARD, Éditeur, 1, rue de Médicis, PARIS (6=)
EN VENTE DANS LA MÊWE COLLECTION :
HENRI DE RÉGNIER
de l'Académie française.
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hors texte en phototypie colorée. Clichés de la maison Alinari, à Florence.
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Les dilTérents tableaux que le maître Henri de Régnier a réunis en ce volume forment
un poème magnifique en l'honneur de Venise et évoquent, en un style éblouissant, la
splendeur de cette cité. Les superbes illustrations en phototypie qui accompagnent le
texte font de cet ouvrage un livre des plus intéressants et des plus artistiques.
CAMILLE MAUCLAIR
FLORENCE
Un beau volume in-4, imprimé sur papier de luxe avec nombreuses reproductions
photographiques dans le texte et hors texte. Broché 30 fr.
Relié 35 fr.
Nous ne prétendons point apporter une contribution inédite à tous les travaux écrits
sur Florence. Faire aimer plus encore la cité du Lys Rouge, la faire mieux connaître à
ceux qui en rêvent, leur inspirer le désir d'aller y chercher les joies de la beauté, fixer
son souvenir essentiel dans l'âme de ceux qui la visitèrent et en revinrent avec une
mémoire éblouie et confuse, c'est, avant tout, notre but.
M. Camille Mauclair, tout en ne négligeant aucune donnée de l'histoire et de la
critique d'art, a parlé de Florence en poète, avec la chaleureuse conviction et le désir de
persuasion d'un sensitif ému qui veut faire partager son enthousiasme et s'adresser au
coeur autant qu'à l'esprit.
VIENT DE PARAITRE ; ANDRÉ PÉRATÉ VIENT DE PARAITRE :
Conscrvaieur au Musée de 'Versailles.
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fories hors texte, 260 exemplaires numérotés. Prix 100 fr.
Pxrosx^ec't'u.s stix* <Aexn.E>.xi.<:3.e
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MAURRAS
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