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AU SERVICE
LA NATION
DU MÊME AUTEUR
Bonaparte et Moreau. L'Entente initiale. Les Premiers Dissen-
timents. La Rupture. — Paris, Pion, 1905, 1 vol. in-S». 7 fr. 50
(Couronné par l'Académie française, prix Furtado).
1870. La Perte de lAlsace. — Paris, Pion, lUil, 1 vol. in-16,
avec cartes 5 Ir.
1870. La Guerre en Lorraine. — Paris, Pion, 1911, 2 vol. ia-16,
avec cartes 10 fr.
1870. Sedan. — Paris, Pion, 1912, 2 vol. in-16, avec cartes. 10 fr.
La Campagne de 1800 en Allemagne. Tomel: Le passage du
Rhin. — Paris, Chapelot, 1907, 1 vol. in-8», avec cartes et
croquis ; 12 fr.
Hohenlinden. — Paris, LavauzeUe, s. d., 1 vol. in-8», avec
cartes 16 fr.
Correspondance inédite de Napoléon I", conservi^e aux archives
de laiiuerre (en collaboration avec L. Tuetey). — Paris, Lavau-
zeUe. s. d. ïome 1 : 1804-1807, 12 fr. ; tome 11 : 1808-1809, 15 fr. ;
tome 111: 1809-1810, 18 fr.; tome IV: 1811, 18 fr.
Préceptes et Jugements de Napoléon. — Paris, Berger-Levrault,
1913, 1 vol. in-8» 10 fr.
Les Combats de Palestre (30 et 31 mai 1859). — Paris, Chapelot,
1909, une broch. in-S", avec cartes 1 fr.
Mémoires et Journaux du général Decaen (en collaboration
avec le Lieutenant V. Paulier). Tome I: 1793-1799, Tome 11:
1800-1803. — Paris, Pion, 1910 et 1911, 2 vol. in-8», avec
cartes. Chaque 7 fr. 50
L'Artillerie française au XVIII* siècle (en collaboration avec le
Lieutenant L. Jouan). — Paris, Chapelot, 1906, 1 vol.
in-8» 3 fr.
"^'AU SERVICE
DB
LA NATION
LETTRES DE VOLONTAIRES
(1792-1798)
HECUEILLIBS ET PUBLIÉES
Le Colonel Ernest PICARD
PARIS 1^1?, i,1'
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN ^Ç I
108, BOOLKTARD SAINT-GKRMAIN, 108
1914
T»w 4r«IU de rttrtdMtioa, U (m^kUm il 4'«<UpUllM
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INTRODUCTION
Les lettres que nous publions dans ce volume sont
l'œuvre de volontaires qui combattaient aux armées
de la Révolution, de 1792 à 1798. Ecrites rapidement
sur les champs de batailles ou aux camps, dictées sou-
vent par des correspondants illettrés à quelque cama-
rade plus instruit, elles apportaient à des familles
inquiètes les nouvelles des jeunes défenseurs de la
République et elles répandaient aux quatre coins de
la France la joyeuse rumeur de nos victoires. Depuis
plus d'un siècle, ces précieux documents, où revit le
souffle patriotique de la Révolution, étaient ensevelis,
ignorés, au milieu des liasses d'archives départemen-
tales et communales ou dans des collections privées.
Nous avons jugé intéressant de les arracher à leur
poussière et de les présenter, critiqués et commentés,
au public éclairé.
Dans ces dernières années, les travaux et les publi-
cations de documents relatifs aux volontaires natio-
naux et aux soldats de la Révolution se sont multi-
pliés. M. Rousset' a inauguré une série de recherches,
que l'initiative récente du ministère de la Guerre * s'est
1. Camille Roussel, Les Volontaires, 1791-1794. Paris, 1870, in-«'.
i. Circulaires ministérielles du 3 avril 1907 et du âO avril 1909
relatives aux historiques des bataillons de volontaires nationaux
et au recrutement des armées de la Révolution.
II INTRODUCTION
efforcée de rendre scientifiques et méthodiques. On
trouvera dans l'excellent petit livre de M. Caron*, en
même temps qu'une bibliographie exacte et abon-
dante, une intéressante mise au point des résultats
acquis en ces matières. Grâce à de nombreuses mono-
graphies, nous possédons maintenant des renseigne-
ments précis sur le recrutement, la composition des
bataillons de volontaires et sur l'application des
décrets de la Législative et de la Convention ; pour
maints départements, nous savons le chiffre exact des
jeunes gens qui partirent aux armées, nous connais-
sons jour par jour la marche des volontaires vers les
frontières et la part qu'ils prirent aux campagnes de
Belgique, d'Alsace ou d'Italie. En dépit de tous ces
renseignements importants, on peut affirmer, sans
exagération, que nous connaissons encore très mal les
volontaires eux-mêmes et que bien des traits de leur
physionomie et de leur psychologie nous échappent.
Sans doute, quelques-uns d'entre eux nous sont aussi
familiers que les chefs les plus illustres des armées
révolutionnaires, car, Joliclerc ^, Fricasse ^, Gabriel
Noël *, ressuscites avec leurs qualités et leurs tra-
vers, se campent gaiement sous nos yeux, au milieu
de la foule anonyme et obscure de leurs compagnons
d'armes. Or, c'est cette foule ignorée d'humbles défen-
seurs de la Patrie qu'il convient d'étudier pour en sur-
prendre les aspirations et l'âme. On ne comprend point
1. Pierre Caron, La défense nationale de 1792 à 1795. Paris,
1912, in-16 (L'Histoire par les Contemporains).
2. E. Joliclerc, Joliclerc volontaire aux armées de la Révolution,
ses lettres (1793-1796). Paris, 1905, in-12.
3. Lorédan Larchey, Journal de marche du sergent Fricasse
(1792-1802). Paris, 1882, in-12.
4. G. Noël, Au temps des volontaires, 1792. Paris, 1912. !n-16.
INTRODUCTION III
suffisamment les campagnes de la Révolution en
reconstituant minutieusement les plans des généraux
et les opérations quotidiennes des armées : il importe
d'étudier la psychologie collective de ces masses
d'hommes qui ont combattu à Jemappes, à Fleurus, à
Mayence ou à Rivoli. C'est pourquoi dans cette publi-
cation de documents nous avons rassemblé des lettres,
qui furent écrites pendant les mêmes campagnes, au
même bivouac, par d'humbles volontaires venus des
provinces françaises les plus variées, pour permettre
aux historiens d y déchiffrer les sentiments profonds
des vainqueurs des armées de Sambre-et-Meuse, de
Rhin-et-Moselle et d'Italie.
En préparant ce livre, nous avions songé tout
d'abord à y grouper entre elles les lettres des mêmes
correspondants, que nous aurions suivis tour à tour sur
les divers théâtres d'opérations, au hasard de leur
prose et de leurs exploits. Sans doute, il est infiniment
attrayant de retrouver dans une publication de textes
la série complète des impressions d'un seul combat-
tant des armées révolutionnaires ou impériales : en
feuilletant une correspondance unique, le lecteur est
introduit à chaque page plus avant dans la familiarité
de l'auteur; après avoir clos le recueil des lettres que
Joliclerc écrivait à sa mère, nous connaissons exacte-
ment ce volontaire jurassien, ses vertus et ses tra-
vers. 11 nous a semblé cependant augmenter la valeur
historique et l'intérêt général de cette publication de
documents en groupant résolument ces lettres variées
par théâtres d'hostilités et par années. Au cours de ce
volume, le lecteur rencontrera presqu'à chaque page
de nouveaux correspondants et, au lieu de n'y décou-
vrir que quelques volontaires, il verra défiler sous ses
yeux un bataillon épais de défenseurs de la Repu-
IV INTRODUCTION
blique. Un lecteur bien avisé pourrait suspecter, à
juste titre, les renseignements d'un Fricasse ou d'un
Gabriel Noël, juger leurs sentiments trop personnels et
trop particuliers. On ne saurait adresser la même cri-
tique à une masse de lettres écrites, à la même époque,
par des soldats qui s'ignoraient complètement. Si les
assertions et les impressions qu'elles renlerment con-
cordent, on devra reconnaître leur bonne foi et les
déclarer dignes de créance, car elles constitueront un
miroir fidèle des sentiments qui régnaient aux armées.
C'est le souci de la vérité historique qui nous a donc
invité à grouper ainsi ces documents vivants et élo-
quents, dont on nous permettra d'analyser à grands
traits le rare intérêt.
Ecrites par des soldats et consacrées à des récits de
batailles ou de campagnes, ces lettres devraient cons-
tituer de remarquables matériaux d'histoire militaire,
mais, par une suite de motifs fort compréhensibles,
elles ne tiendront pas, de ce point de vue, leurs pro-
messes. On trouvera, sans doute, au cours de ce
volume, de nombreux documents qui constituent des
relations fidèles de quelques épisodes militaires, mais
on constatera aussi qu'il n'était pas inutile, pour la
majorité de ces lettres, de vérifier les indications des
volontaires, trop souvent sujettes à caution.
Il n'est point surprenant que ces soldats des armées
révolutionnaires aient été d'assez médiocres observa-
teurs des combats auxquels ils prenaient part. Beau-
coup d'entre eux, après avoir assisté pour la première
fois de leur vie à une importante bataille, se hâtaient
d'en envoyer à leur famille un récit détaillé. Complète-
INTRODUCTION V
ment ignorants des choses de la guerre, ne connais-
sant rien de la conliguration du pays où ils se trou-
vaient ni de la situation des armées qui les entouraient,
ils avaient pris part au combat, en acteurs incons-
cients et étonnés, tel le héros de Stendhal durant la
mêlée de Waterloo. Pendant toute une journée, ils
avaient entendu le « brutal » tonner; ils avaient tiré,
chargé à la baïonnette, avancé, reculé, sans rien savoir
des intentions de leurs chefs ou de l'ennemi. Au cou-
cher du soleil, on leur avait annoncé qu'ils étaient vic-
torieux et que beaucoup d'ennemis avaient été faits
prisonniers. Ils n'avaient pas eu besoin de longues
explications pour donner libre cours à leur enthou-
siasme et pour envoyer à leurs familles un récit dithy-
rambique, mais inexact, de cette victoire. Au pays
natal sont seuls demeurés des hommes mûrs et des
femmes : il faut que la lettre venue des armées leur
apporte un récit des hauts faits du volontaire qui les a
quittés. Fiers de leur courage et de leurs peines,
jeunes coqs de village un peu farauds, les volontaires
grossiront inconsciemment leurs exploits, augmente-
ront, sans penser à mal, le chiffre des prisonniers
faits à l'ennemi et célébreront à l'excès les victoires
républicaines pour exciter l'admiration des mères et
l'amour des « cousines » qui liront leur prose. Avec
complaisance, certains narreront longuement leurs
prouesses pour qu'elles ne demeurent ignorées d'au-
cun compatriote. « Jugez voir à propos si nous
nous sommes battus comme il faut », écrit un défen-
seur de Mayence.
Au demeurant, ce n'est point seulement le très
humain désir d'impressionner favorablement les ima-
ginations des parents ou des amis qui entraîne les
olontaires à déformer la réalité et à exagérer leurs
VI INTRODUCTION
exploits. Leur bonne foi est innocente de leur igno-
rance absolue des moindres opérations des armées.
Faute de renseignements précis, des soldats de
l'armée du Rhin, quelque peu éloignés du gros de
l'armée, ignoraient l'importance des engagements
heureu.x ou malheureux auxquels ils avaient pris part;
trompés par les perpétuelles fausses nouvelles qui cir-
culaient à travers les camps, ils croyaient leur vic-
toire plus complète ou leurs échecs plus désastreux.
Bien plus, beaucoup de volontaires pratiquaient mal
l'usage de la chronologie révolutionnaire, cofnon-
daient les mois, mélangeaient les années et attri-
buaient à maints faits d'armes des dates entièrement
erronées.
On ne cherchera donc point dans ces lettres une
relation scientifique et suivie des campagnes de la
Révolution Française : on n'y trouvera que des rensei-
gnements de détail, parfois d'une authenticité indiscu-
table, parfois très sujets à caution. Trop neufs dans
la carrière militaire, les soldats des armées révolu-
tionnaires étaient hors d'état d'apprécier équitable-
ment les événements auxquels ils prenaient part. Lais-
sant libre cours à leurs impressions, ils exagéraient
inconsciemment l'importance des moindres combats :
pour eux, un engagement devenait une grande
bataille, et un mouvement heureux une victoire sans
précédents. Mais l'insuffisance de cette correspon-
dance, du point de vue des choses de la guerre, en
fait la valeur et le charme intimes, car c'est l'âme
tout entière des volontaires qui revit dans ces
lettres, spontanées, sincères et toutes vibrantes de
l'enthousiasme patriotique de la Révolution.
INTRODUCTION VU
La vaine rhétorique est g^énéralement absente de
ces documents, écrits rapidement sous les tentes des
camps ou aux avant-postes, entre deux combats.
Quelques lettres prétentieuses et gourmées, œuvre
d'orateurs de Sociétés populaires, étalant avec affec-
tation leur connaissance de la phraséologie révolution-
naire, contrastent étrangement avec celles qui les
entourent. Soucieux de rassurer leurs familles, les
volontaires n'ornaient point leur prose d'images et de
locutions pompeuses : ils n'en avaient ni le temps ni
les moyens, rédigeaient leurs lettres n'importe où,
n'importe comment. — « Je vous écris sur un sillon,
dit l'un d'eux... J'ai froid aux doigts » — et ils écri-
vaient comme ils parlaient, en paysans simples et
aimants. Sous leur plume maladroite, les expressions
triviales, les gauloiseries se présentent fréquemment,
et la lettre se poursuit, plus vive, plus joyeuse,
comme une conversation interrompue par de bruyants
éclats de rire et de grosses plaisanteries. De telles
lettres étaient bien faites pour rassurer les parents
demeurés au pays et pour donner du courage aux
mères et aux femmes inquiètes du sort des soldats.
Klles nous prouvent la sincère affection do ces com-
battants des armées révolutionnaires pour leur
famille. Les jeunes vainqueurs de l'armée de Sambre-
et-Meuse ou d'Italie sont avides de recevoir des nou-
velles des leurs; ils écrivent sans cesse à leurs
parents, exigent de promptes réponses et déplorent
ti lit le moindre relard des courriers. « Nous
b forts inquiets de votre santé. Nous n'avons
pu recevoir de vos nouvelles par personne ». — « Nous
VIII INTRODUCTION
VOUS prions, sitôt la présente reçue, de nous envoyer
de vos nouvelles, dont nous sommes si inquiets ; nous
n'avons pas encore pu en recevoir depuis que nous
sommes partis. » Malgré leurs fatigues et leurs peines,
ils n'oublient jamais aucun de ceux qui leur sont
chers, et dans chaque lettre ils s'informent, avec solli-
citude, do la santé et de la situation des parents, des
frères, des sœurs, de tous ceux qu'unissent à eux les
liens d'un cousinage éloigné. Ils savent que les temps
sont durs pour ceux qu'ils ont laissés au village : ils
ont honte de quémander des secours et ils ne harcè-
lent jamais leur famille de demandes d'argent. Bien au
contraire ; ils prodiguent les remerciements quand ils
ont reçu du pays la moindre somme et ils s'excusent
d'être sans ressources dans des pays étrangers où les
assignais dépréciés n'ont nulle valeur. Tant que leurs
moyens leur permettent d'aider leur famille, ils s'em-
pressent de le faire : « Si vous avez besoin de quelque
chose vous n'avez qu'à me le marquer, je vous enverrai
ce que je pourrai », écrit à ses parents, en 1793, un
jeune volontaire cantonné à Verdun. Et au cours de
leurs campagnes, quand ils manqueront de tout, ces
soldats n'oublieront jamais de faire parvenir au village
des certificats de civisme pour que leurs parents, sau-
vés de la misère, reçoivent les sommes allouées par
la République aux familles des « défenseurs de la
Patrie ».
Ces jeunes hommes, si afTectueux et si attachés aux
leurs, ne dissimuleront dans leurs lettres aucune sen-
sation et aucune impression. Sans chercher à feindre,
ils enverront à leurs parents un récit fidèle de leurs
actions quotidiennes, et ils leur feront part très sincè-
rement de toutes leurs peines et de toutes leurs joies.
INTRODUCTION IX
C'est une rude vie que mènent aux armées ceux qui
combattent pour la République, vie de privations et de
sacrifices que les volontaires retracent fidèlement,
mais sans amertume. En dépit des efforts des géné-
raux et des représentants aux armées pour gratifier les
troupes d'une nourriture abondante, les distributions
de vivres sont rares et insuffisantes. Les combattants
de l'armée du Rhin en supportent les pénibles consé-
quences. Devant Landau, en 1794, un volontaire
regrette « le bon vin à bon marché » qu'il buvait à
Besançon : « Maintenant, nous ne buvons ni vin ni eau-
de-vie, et les trois quarts du temps nous manquons de
pain ». — a Nous étions obligés de vivre de pommes
de terre et de raves, encore pas tant que nous en
aurions bien mangé», constate mélancoliquement un de
ses compagnons d'armes à la même date. Le temps
passe et les distributions de vivres de l'armée du Rhin
ne s'améliorent pas; au mois de mai 1795, un lieu-
tenant crie famine : « Nous sommes on ne peut plus
malheureux. Le pain nous manque dans ce moment;
il y a deux jours qu'il est dû. » A l'armée des Alpes, la
famine est moins cruelle : perchés dans des postes
avancés, au climat rigoureux, les hommes touchent
régulièrement leur « étape », mais celle-ci est insuffi-
sante : pour calmer leur faim, ils ont besoin de provi-
sions supplémentaires qui leur sont vendues par les
« Barbets » piémontais,à des prix exorbitants. « Le vin
vaut ici 35, 40 sous la bouteille, le pain 15 ou 20 sous
la livre, le fromage 3 livres 10 sous, le beurre 3 livres,
et n'en a pas qui veut. » — « Tandis qu'à Biom vous
mangez du fruit en abondance, ici il faut acheter une
X INTRODUCTION
poire d'une grosseur ordinaire 5 sous », écrit avec
résignation un auvergnat affamé, perdu dans les mon-
tagnes du Piémont et qui regrette les beaux fruits des
vergers de sa Limagne. La dépréciation des assignats
est telle qu'il est impossible d'acheter avec du papier-
monnaie la nourriture indispensable. Mais si la faim
affaiblit les corps, d'autres souffrances encore les tor-
turent et les accablent. Campant en pays conquis, les
soldats doivent bivouaquer au hasard des gîtes : peu
préparés à cette rude vie guerrière, les volontaires
souffrent de ces dures nécessités. « Nous sommes
malheureux; nous couchons sur la paille; nous cou-
chons plus souvent dehors que sur la paille. » —
« Nous n'avons depuis un mois couché en aucun lit,
toujours sur la paille », disent les frères Brault, com-
battants de l'armée du Nord. — « Il y a sans exagérer
plus de six mois qu'aucun de nous ne s'est déshabillé »,
écrit en 1794 un soldat de l'armée du Rhin. — v Nous
sommes devant Luxembourg sans pouvoir faire
de baraques; plusieurs volontaires ont eu les pieds
gelés vu la rigueur du temps », constate un lieutenant
en 1795. — A l'armée des Alpes et d'Italie, les troupes
s'abritent dans de misérables baraques, aux parois
mal closes, qui laissent pénétrer le vent et la pluie.
Mal nourris, mal logés, les soldats sont couverts de
vêtements en loques que l'administration militaire ne
remplace pas : « Voilà trois mois que nous ne recevons
aucune solde ni presque d'habillement », écrira l'un
d'eux de Strasbourg en 1796. — « Ah! Dieu, si nous
avions encore seulement le couvert d'un linceul pour
nous couvrir, afin que la pluie ne puisse pas nous
mouiller! » Ces privations de toutes sortes développent
à l'armée de nombreuses maladies, aggravées par la
malpropreté des camps. La fièvre règne, des épidémies
INTRODUCTION XI
éclatent car les hommes sont sales, couverts de poux,
et la gale ravage leurs corps. « Quand j'aurai le plaisir
de vous embrasser, dit en 1795 un lieutenant de l'ar-
mée du Rhin, je ne sentirai ni la pipe ni le vin ; mais
pour la gale, il ne faut jurer de rien. La mienne n'est
pas encore guérie, quoique j'aie fait et que je fasse
toujours des remèdes ». Joliclcrc n'est donc point seul
parmi les volontaires à vivre dans la saleté et la
crasse ; maints de ses compagnons pourraient, à ce
sujet, tenir le même langage que lui et ils parleraient,
sans nul doute, de ces maux avec autant de courage
alerte et de résignation souriante.
Ce qui donne, en effet, tant de prix à ces lettres,
c'est d'y constater la philosophie enjouée de ces jeunes
soldats. Ils content à leurs parents toutes leurs peines
physiques, par le menu, car en paysans sincères et
tout d'une pièce, ils sont incapables de parler d'autre
chose que de leur vie quotidienne. Mais jamais lénu-
mération de leurs souffrances n'est accompagnée de
plaintes ou de protestations. Puisqu'il faut défendre la
République contre ses ennemis du dehors, il est natu-
rel de souffrir pour elle de multiples tourments. Les
plus épuisés souhaitent une paix prochaine, mais ils
n'osent la souhaiter que si les victoires de nos armées
sont complètes. Leur courage physique se double
d'un profond courage moral : nulle crainte du danger
ou de la mort ne se devine dans ces lettres écrites
durant des sièges ou entre deux combats meurtriers.
Ceux qui occupent les postes les plus dangereux ont à
cœur do plaisanter sur leur sort et de rassurer leur
famille. « Que le mot de poste avancé ne vous effraye
point : nous sommes ici dans la plus profonde sécurité
et aussi en sûreté qu'à Riom. » Le volontaire qui écri-
vait ces mois à sa mère se trouvait en 1794 à l'armée
XII INTRODUCTION
des Alpes, sur un sommet glacé, où les attaques des
ennemis et la vigueur des éléments coalisés étaient
également redoutables.
Ainsi, les volontaires racontent dans leurs lettres
les souffrances de leurs vies quotidiennes, mais ils les
racontent simplement, sans plaintes ni protestations.
Animés d'un joyeux entrain, ils prennent leur parti de
cette dure existence, et ni les combats ni leurs peines
ne les empêchent de communiquer à leurs correspon-
dants leurs pensées journalières et les impressions
qu'ils éprouvent en parcourant l'Allemagne, la Bel-
gique, la Hollande et l'Italie.
Au milieu des fatigues et des périls des campagnes,
les yeux des volontaires demeurent toujours fixés sur
le village qu'ils ont quitté. L'image du « pays » est
gravée dans leur cœur, et ils n'aspirent, dans chaque
lettre, qu'à rendre cette image plus vivante et plus
haute en couleurs. « Donnez-moi des nouvelles du
pays. » — « Je vous prie de me marquer ce qu'il y a
de nouveau au pays », telle est l'éternelle antienne de
leurs lettres, antienne d'amoureux de leur maison
natale et des souvenirs qu'ils y ont laissés. Pour écrire
« au pays », des groupes se forment : les gens du
même village se chargent de commissions mutuelles
pour leurs parents et leurs amis. Le plus instruit prend
la plume et se fait le secrétaire de ses camarades.
« Le scribe sergent vous fait bien ses compliments »,
lit-on dans une lettre de l'armée du Rhin. « Je vais
vous dire que nous sommes réunis en groupe pour
écrire cette lettre; tous du pays, nous assurons de
notre respect nos pères et mères. Nous sommes : Ghau-
INTRODUCTION XIII
mereau, fils du maréchal des logis de gendarmerie,
Crépin, Jousset,de Saint-Martin, Thuillier, ci-devant de
SaintMartin. Tous vous font leurs compliments et
vous prient de donner de leurs nouvelles à leurs
parents en leur présentant leurs respects. Ils se portent
bien. » Ainsi se termine une lettre écrite le 22 dé-
cembre 1793 à un bivouac de l'armée du Rhin : à tra-
vers le style gauche du volontaire, nous voyons les
quatre compatriotes IiAveset déguenillés, qui profitent
d un instant de répit dans leur rude besogne guerrière
pour reporter leurs pensées unies vers ceux qui sont si
loin d'eu.x. A vivre aux armées entre habilanls de la
môme ville, du même bourg, du même village, nul
volontaire n'oublie jamais sa famille et ses amis. —
o Ne manquez pas de me faire savoir des nouvelles de
mon frère Deguir, le cordonnier, et vous me mar-
querez son adresse, s'il est possible. » — « Vous me
marquerez s'il y a longtemps que vous avez reçu des
nouvelles de François Pesé, Sylvain Petitbon. » —
« Je suis bien en peine de savoir des nouvelles de
Louis Pillaut et de son frère ; je vous prie de m'en
donner des nouvelles le plus tôt possible, aussi de
Philippe Chotard. » — « Je désirerais bien savoir si
mon frère est encore au pays. »
Joyeux et galants, comme il sied à des conquérants,
les volontaires ne négligent point les femmes et les
filles du village : « Le capitaine Frenaye me charge de
mille embrassades pour la Miette, la Jeaimetonet la
femme de Tailhaudjcune,etrien pour les vieilles », écrit
de Mayence un caporal facétieux. — « Je désapprouve
les cinq derniers mots, riposte sur-le-champ le capi-
taine Frenaye. Je vous embrasse toutes bien cordiale-
ment. » — « J'ai appris que tous les garçons étaient
partis Cela me fâche beaucoup. Je plains le triste sort
XIV INTRODUCTION
des filles. Par conséquent, j'exhorte les garçons qui
peuvent avoir resté, d'avoir soin de ne pas les aban-
donner », recommando un canonnier « attaché au parc
d'artillerie de lavant-garde de la deuxième division de
l'armée des Ardennes », qui, farouche, commence sa
lettre par ces mots : « La mort, c'est ma devise ». Au
plus fort des périls de la guerre, ils songent à leurs
anciennes amours : un quartier -maître trésorier de
l'armée du Nord interrompt l'énumération des mul-
tiples soucis de sa charge pour pleurer la perte de
celle qu'il aimait, et un soldat de cette même armée rem-
plit ses lettres de déclarations lyriques et enflammées
à l'adresse de sa « Fanquette » : « Dites-lui que je
pense toujours bien à elle et que mon cœur est toujours
porté pour elle, car, si j'étais hirondelle, j'aurais bien-
tôt fait de voler vers la chère amie que j'aime et qui
doit faire un jour mon bonheur et l'unique espoir de
ma consolation. » — « Mon adorable Fanquette, je ne
vous le cache pas, de toutes les filles au monde il n'y
en a point que j'aime mieux et pour qui j'aie tant d'atta-
chement ; mon cœur ne fait que gémir et soupirer. »
Pendant deux ans, chacune des lettres de l'adorateur
de « Fanquette » n'est qu'un long bavardage amou-
reux jusqu'au jour où la « perfidie » de celle qu'il
aimait lui est révélée.
Mais ce ne sont point seulement les habitants du
pays qui attirent les pensées des volontaires. Les sol-
dats sont des paysans de France qui, jusqu'au jour de
leur départ pour les armées ont vécu en face de leurs
champs, de leurs prés et de leurs vignes. En partant
aux frontières, ils ont emporté avec eux un amour
robuste de la terre natale et nourricière : à travers
l'Europe, leurs yeux de paysans contempleront avec
émotion les cultures et les moissons qui borderont la
INTRODUCTION XV
route. Us jugeront les sols en ^ns du métier qui
savent apprécier partout les bonnes terres et en jauger
la valeur. « Je vous dirai que partout où nous sommes
passés, la récolte est bien belle, ainsi que les vignes.
Vous me marquerez sil en est de môme au pays. Quels
prix le pain ? le vin ? Vous me direz si la vente est
entièrement terminée » Celui qui tient ces propos est
un volontaire tourangeau de l'armée de Rhin-et-Mo-
selle, auquel la vue des récoltes de l'Alsace et de la
Forêt Noire a rappelé la beauté des terres de son pays.
Dans le Wurtemberg, en 17%, il constatera à nouveau :
« Nous sommes dans un pays très froid où le seigle
commence à pousser, le froment à apparaître sur terre,
et les fruits sont comme chez nous au mois de mai.
Sur les montagnes du pays, il n'existe rien. » En mar-
chant quotidiennement au milieu des vignes, des ver-
gers et des champs, un volontaire se sent brusquement
repris du désir de ne rien ignorer de la « terre » qu'il
a quittée : « Je vous prie, écrit-il aux siens, de me
dire si les vignes sont belles, si la moisson s'avance,
si les fruits sont beaux, i
La lecture de ces lettres nous introduit donc dans
l'intimité des volontaires dont nous saisissons les sen-
timents et les inclinations. Grâce à ces documents, nous
reconstituons aisément la psychologie de ces volon-
taires, simples, sincères, affectueux et aimant les gens
et les choses de leurs pays. Il convient maintenant, en
dernière analyse, d'apprécier les vertus guerritres de
.ces soldats et d'établir si les volontaires furent plus
des hommes et des paysans que des défenseurs de la
République.
XVI INTRODUCTION
On a dit beaucoup de mal de la valeur militaire des
volontaires. M. Rousset s'est efTorcé de démontrer que
ces jeunes recrues, hâtivement incorporées et hâtive-
ment instruites, avaient jeté le trouble dans les rangs
de l'armée révolutionnaire. A en croire l'auteur de
l'Histoire de Louvois, persuadé que « rien ne supplée
même pour la guerre défensive une armée permanente
et régulière » S la présence des volontaires nationaux
à l'armée avait brisé la tradition militaire que la
Royauté avait léguée à la Révolution. On ne saurait
oublier, cependant, que les enrôlements des volon-
taires n'ont point empêché les premières victoires des
armées républicaines. Sans doute, on peut accuser les
volontaires de maints actes de grave indiscipline :
des désertions en masse se sont produites dans leurs
rangs ; des bataillons entiers, pris de panique, se sont
affolés et ont battu en retraite avant d'avoir vu l'en-
nemi, en semant la terreur dans l'armée qui les entou-
rait. Nulle excuse ne saurait être invoquée en faveur
des déserteurs, et cependant, on conçoit que parmi
ceux qui marchèrent au secours de la Patrie en dan-
ger ou qui furent enrégimentés lors de la levée en
masse, il y eut beaucoup d'individus mal préparés,
physiquement ou moralement, à leur vie nouvelle et
avides de reconquérir leur liberté. 11 était malaisé, en
1793, d'imposer brusquement à toute une nation le
principe d'un enrôlement obligatoire, car les esprits
■n'étaient pas préparés à cette nécessité par les antécé-
cents militaires de la monarchie. On s'explique aisé-
1. Les Volontaires, 1791-1794, Introduction, p. iv.
INTRODUCTION XVII
ment la frayeur qui paj^na. au début des hostilités, des
bataillons de volontaires : nulle confiance ne réj^nait
entre les hommes et leurs chefs : ceux-là sentaient
chez ceux-ci un mépris profond pour l'Assemblée qui
voulait assurer la défense et l'indépendance du sol
national. I^ trahison de Dumouriez accrut encore la
défiance des soldats à l'éprard de leurs officiers. Com-
ment aller au feu avec tranquillité, lorsque l'armée
n'était pas si'ire de ceux qui l'y conduisait? Trahie par
un trénéral félon, n'exécutait-elle pas tel mouvement
dancereux et meurtrier pour assurer plus aisément la
victoire des ennemis ?T.a mise en accusation de Cus-
tine, la trahison de Picheeru firent une pénible impres-
sion sur les Ames trop crédules des défenseurs de la
République. I^ peur de la trahison paralysa longtemps
l'énercie et le couracre des volontaires.
Il est donc délicat de déterminer avec précision si la
majorité des volontaires a toujours tenu ses engage-
ments oïl si, en bien des cas, elle a augmenté, par son
indiscipline. l'anarchie des armées révolutionnaires.
Mais, nul ne doit oublier que les « organisateurs de la
victoire m et les crénéraux de génie n'ont pas été les
seuls artisans du triomphe définitif de la République.
La Révolution n vaincu l'Europe crrâce au courage
euerri^r et h l'enthousiasme républicain de ceux qui
ont répondu à l'appel de la Nation. Aucun texte ne
révélera plus éloqtiemment le patriotisme des défen-
seurs de la République que les lettres publiées ici.
Nous avons déjH montré, en décrivant les souf-
frances quotidiennes des volontaires, avec quelle
bonne humeur souriante ces hommes supportaient la
faim, le froid et la misère. Puisqu'ils travaillent de
toutes leurs forces au triomphe de la République,
aucune peine ne les rebute, aucun mal ne les arrête :
b
XVIII INTRODUCTION
« Le zèle avec lequel nous servons la Patrie nous fait
tout braver, et aucun d'entre nous, à quelque prix que
ce fût, ne voudrait ne pas avoir quitté son foyer », écri-
vent deux volontaires de l'armée du Nord. Ils accep-
tent avec une philosophie enjouée, mais énergique,
toutes les transformations de leur vie : s'ils réclament,
c'est pour avoir l'occasion d'accomplir de plus
grandes actions et de se battre plus souvent, « On
donnera un autre nom au bataillon, écrit l'un d'eux de
Landau en 1794. Je vous le dirai : cela m'est égal. Je
m'accoutume avec tout le monde. 11 n'y a que l'armée
du Rhin qui ne me plaise pas. Il doit faire meilleur et
plus chaud en Espagne. Cela m'ennuie d'être toujours
dans le même endroit. » En vérité, ce mot d'une jeune
recrue n'est-il point digne de ces soldats de la Grande
Armée qui traversaient l'Europe, joyeux de visiter des
pays nouveaux et qui ne protestaient jamais que
contre la paix et les suspensions d'armes? Par leur
courage intrépide, les blancs-becs de la Révolution
annoncent déjà les grognards de l'Empire, mais les
vainqueurs d'Austerlitz auront une foi absolue dans le
génie de Napoléon, tandis que les triomphateurs de
Jemappes ou de Fleurus sont des républicains sincères
et convaincus.
L'enthousiasme révolutionnaire souffle d'un bout à
l'autre de ces lettres. Les devises républicaines :
« Vivre libre ou mourir », « La liberté ou la dernière
goutte de sang », qui les précèdent, ne sont point de
vains échos de la phraséologie jacobine : elles attes-
tent des sentiments profonds et sincères. Ces volon-
taires sont fiers de travailler pour la Nation et la
République, de rester attachés au drapeau qui leur a
été confié. «Oui, citoyen, déclare un soldat de l'armée
du Nord, en 1798, j'ai été fidèle à rester courageuse-
INTRODUCTION XIX
ment attaché à mon drapeau, et il est bien vrai que
tant d'autres l'ont lâchement abandonné. » « Comment
ne pourrait-on pas être brave soldat d'une nation
aussi généreuse, déclare un patriote de l'armée du
Nord, et ne prendre pas plaisir de contribuer de toutes
ses forces à sa défense! Le sacrifice même de sa vie,
qui est ce que nous avons de plus cher dans ce monde,
ne coûte rien pour une aussi belle cause! » Grâce à
leur dévouement, « la République triomphe et elle
triomphera ». Aucune discipline n'est trop dure pour
travailler au salut de la République : « On vient de
'^nousj lire aujourd'hui, écrit en 1793 un soldat de l'ar-
mée du Nord, un code de discipline militaire que
nous avons tous juré de suivre de point en point; il
est un peu rigoureux, mais des gens qui sont sûrs de
se conduire toujours dans le chemin de l'honneur ne
craignent rien... On doit penser comme cela quand
on a pour but de sauver la République et de conquérir
sa liberté. » Qu'importent donc les ravages de la mala-
dit' ou des balles qui emportent les plus vaillants des
défenseurs républicains, pourvu que la Patrie soit
sauvée et que les volontaires puissent lancer, à la fin
de leurs lettres, leurs joyeux « Ça ira. Ça ira ». —
« En 1794, écrit Stendhal, notre sentiment intérieur et
sérieux était tout entier renfermé dans cette idée :
être utile à la Patrie. Tout le reste, l'habit, la nourri-
ture, l'avancement, étaient à nos yeux un misérable
détail éphémère » L'expression de Stendhal dépeint
précisément la psychologie des volontaires et leur
entier dévouement à la cause de la Révolution. Lisons,
pour nous en convaincre, les beaux conseils qu'adresse
h son fils, le volontaire Thirion, un patriote lorrain,
habitant un petit village voisin de Toul. Toute sa
lettre respire le vrai courage et le vrai patriotisme. A
XX INTRODUCTION
la manière d'un père de la Rome antique il recom-
mande à son fils de faire pleinement son devoir contre
les ennemis de l'État et de ne pas marchander ses
efforts pour assurer le triomphe de la République.
«Prenez couraG;-e; ne vous écartez jamais des principes
que je vous ai inculqués. Sachez supporter la faim, la
soif, le froid, le chaud. Quand vous souffrez, sachez
que c'est pour vos parents, votre Patrie. Quand vous
marchez au combat, n'oubliez pas que c'est pour votre
père, votre mère, vos frères, vos sœurs, et sachez pré-
férer la mort même à l'ignominie. » Ces belles paroles
nous prouvent que dans leurs propres familles les
volontaires trouvaient de précieux encouragements à
la défense rie la cause nationale, et on comprend l'en-
thousiasme de ces soldats lorsqu'ils pouvaient racon-
ter les brillants succès de nos armées et déclarer fiè-
rement : (f Voilà comment les braves républicains
travaillent, surtout quand ils sont bien commandés! »
Et n la vérité, cette phrase qu'écrivait en 1794, un
simple sergent de l'avant-garde de l'armée de Sambre-
et-Meuse, placée sous les ordres de Marceau, définit
exactement l'âme des volontaires et l'intérêt de cette
publication. On verra dans ce livre de ieunes et éner-
giques républicains marcher à la victoire sans faillir,
sûrs de leurs chefs et de leur idéal. Dans ces lettres
sincères revit une jeune génération qui, à l'appel de
la Nation, s'est dressée tout entière pour assurer le
salut de la Patrie et le triomphe de la République*.
Colonel Ernest Picard.
1. Tous ceux qui ont bien voulu s'intéresser à notre travail,
en nous communiquant des lettres de volontaires tirées d'ar-
chives publiques ou de collections particulières, ont droit à
notre très vive gratitude. Nous avons à cœur de les assurer, ici,
de notre bien sincère et bien profonde reconnaissance.
AU SERVICE DE LA NATION
AVANT LE DÉPxVRT A LA FRONTIÈRE
(1792-1793).
Au citoyen Soulbaut, laboureur, à La Roche,
paroisse de Pionsat *.
Paris, le 29 octobre, l'an I" de la République [1792].
Mon cher père.
J'ai l'honneur de vous adresser la présente et pro-
file de l'occasion du citoyen Jacques Chennedat, qui
a dans ce moment-ci au pays, et qui a bien voulu s'en
charger. Je lui remets en môme temps la somme de
quatre-vingts livres dont il a bien voulu se charger,
pf)ur vous la remettre de ma part. Comme cette somme
me devient inutile pour le présent, je ne peux mieux
la déposer qu'entre vos mains.
Je me suis enrôlé à Paris dans les volontaires* et
uis prêt à partir pour combattre les ennemis de la
i. Pionsat, ch. I. de c. de l'arr. de Riom (Puy-de-Dôme).
I de La Roche ûgure sur l'atlas de Cassini (N^ 12,
f (
2. Volontaires de Paris, 1792. 3* bataillon de la Répu-
blique.
2 AU SERVICE DE LA NATION
Patrie. Je suis né fVapçais, et, avec |es fVapçais, je veux
partager et les dangers et la gloire, et j'aurai sans cesse
sous les yeux de respecter et les personnes et les pro-
priétés ou do mourir en les défendant. Nous sommes,
mes camarades et moi, dans le même sentiment.
En un mot, je me consacre et de volonté et de
cœur ^ Ja 4éfepse ^e la Patrie, et, vivre libre ou
mourir, c'est ma devise.
Je vous prie de me faire mes compliments à mes
frères, sœurs, etc., et 4p ipe croire, avec le plus pro-
fond respect et les sentiments les plus distingués,
Mon cher père,
Votre très humble et très obéissant serviteur et fils,
SOULBAUT.
P.-S. — Comme je ne suis pas sûr d'avoir de vos
nouvelles à Paris, et que je suis à la veille de mon
départ pour les frontières, je vous écrirai de nouveau ^
Au citoyen Jacques Martin, derneurant à Pionsac-,
district de Montaigu-en-Combrailles, département
du Puy-de-Dôme.
De Verdun, ce 12 février 1793, l'an II» de la République française.
Mon père,
Je suis bien charmé d'avoir appris par la lettre
1. Archives particulières de M. M^ngerel, maire de
Pionsat (lettre communiquée par M. le lieutenant Saint-
Arroman).
2. Pionsat.
AVANT LE DÉPART A LA FRO.'VTIÈRE 3
de mon cousin que vous jouissiez tj'une bonne santé.
Je prie le Seigneur qu'il vous la conserve ^ussi
bonne que la mienne. Si je ne vous ai pas écrit plus
souvent, c'est que je croyais qu'il vous avait arrivé
quelqu'accident que vous ne me faisiez pas de ré-
ponse. Mon père, je ne sujs pas fâché d'être dans
les volontaires. Je m'y plais bien ; nous ne manquons
de rien. Tous les quatre jours, nous avons du pain
Irais, tous les cinq jours de l'argent ; même si vous
en avez besoin, vous n'avez qu'à me le marquer, je
vous en enverrai. Vous direz à notre cousin de retirer
mon obligation, et, quand le terme sera échu, de retirer
l'argent, et qu'il le garde chez lui. Il doit avoir reçu
de notre cousin du J^Joussaud la somme de douze
livres, que mon frère lui avait donnée pour lui remettre;
mon frère est bien malade voilA quelques jours.
On prétend que nous ne resterons pas longtemps
où nous sommes. Les nouvelles font mention que
toutes les couronnes veulent nous faire la guerre, et,
s'il n'y a pas de trahison, ils ne nous feront pas beau-
coup de mal. Le général Custine et son armée tien-
nent le roi do Pru.sse bloqué avec ses troupes'. On
croit bient4it partir pour entrer en campagne.
Vous lerez bien des compliments à tous mes parents
i. Sur la situation de l'armée de Custine qui, au mois
de février 1793, avait pr ihiver, cf. Chu-
quel. Les guerres de la I .tion de Custine.
n il (iv noter que le vuloaUuic .Martin était mal
n sur les forces de l'armée de Custine, qui allait
btcntùl âubirde graves revers.
4 AU SERVICE DE LA. NATION
et amis. Le fils de Dumas est bien mécontent de ce
que son père ne lui fait pas de réponse. Il croit que
c'est sa belle-mère qui l'empêche. Bien des compli-
ments à ma belle-mère, et que je l'embrasse. Je finis,
mon père, avec une grande inquiétude de savoir si
vous avez besoin de quelque chose : vous n'avez qu'à
me le marquer, je vous enverrai ce que je pourrai. 11
n'y a que pour apprendre l'exercice que ça m'a un
peu gêné. D'ailleurs nous sommes assez bien, et l'on
peut toujours mettre quelques sous de reste.
Je vous assure de mes profonds respects et vous
embrasse, et prie Dieu pour la conservation de votre
santé, et suis
Votre très humble et très obéissant fils,
Julien Martin.
Volontaire au 1" bataillon de la Creuse,
dans la 5« compagnie.
Jean Dumas prie bien son père de lui faire passer ce
papier, car il lui fait bien faute. Il est nommé caporal
dans la 3* compagnie du J" bataillon de la Creuse*.
A la citoyenne Michel, chez sa mère, marchande de
quincaillerie, place de la Loi, à Angers.
Saumur, le 9 frimaire an II [29 novembre 1793].
Ma bonne amie,
Tu ne saurais croire quel plaisir ta lettre m'a occa-
4. Archives particulières de M. Mangerel, maire de
Pionsat.
AVANT LE DÉPART A LA FRONTIÈRE 5
sionné, de savoir que ma mère continue d'aller de
mieux en mieux ; je désire que sa guérison soit pro-
chaine et qu'elle m'en donne une preuve en me
donnant de ses nouvelles. Francillon vous est donc
enfin rendue, j'en suis charmé, car c'était bien une
victime innocente. Sa mère aura bien dit : « Bougro,
il y a assez longtemps que je suis ici, il faut que
j'aille faire ma buée et voir mon gendre ».
Hier, nous avons appris que l'armée avait eu une
déroute totale et qu'elle se reployait à Angers, les
insultés du côté de Laval, que leurs intentions étaient
de se porter sur Angers '. Il faut espérer que notre
ville fera une vigoureuse résistance et les chassera
au loin. Ma bonne amie, je te prie de me donner des
détails relativement à cela : je serais content de voir
une France nouvelle.
Hier, il est parti 4 pièces de canon pour aller à
Tours. On dit qu'il y a une révolte relativement au
pain ; ici, on n'en manque pas, on en trouve facilement.
Le 5* bataillon de Maine-et-Loire n'existera pas
longtemps; les nouvelles nous annoncent que tous les
corp.s formés depuis le mois d'août seront incorporés
dans d'autres corps. L'on nous fera rejoindre le
1" bataillon*. Si nous pouvons, nous sommes plusieurs
1. Sur ces faits de l'histoire vendéenne et sur le siège
dWngers, vaillamment défendu par les républicains
contre les insurgés en retraite, cf. Chassin, La Vendée
patriote, t. III. pp. 318-356.
2. L'histoire du 1" bataillon des Volontaires de Maine-
et-Loire a été écrite avec un grand luxe de documenta
6 AU SBRTItE DE LA NATION
disposés à nous mettre dans la cavalerie. D'après
les noUVelléé du licenciement, il est déserté plUs d&
50 hdmmes...
Embrasse maman pour moi et l'assure de mon
respect; fais-moi réponse.
Ton frère et ami,
F. Michel \
. A la citoyenne Michel, marchandé^
place de la Loi, à Angers.
Saumur, mardi 14 frimaire an II [4 décembre 1793].
Ma chère maman,
Nous sommes toUs consternée; notl*e commandant
Legeay a reçu un brevet d'adjudant-général pour
rejoindre Fabrefond, qui est inspecteuf général de
cavalerie. xNolre quartier-maître est parti avec lui
ainsi que son secrétaire. Tous sont entt-és dans la
cavalerie et vont rejoindre à Cat*cassonne.
D'après l'Ordre que reçut notre commandant, il fit
assembler* le cortseil d'administration, et le quartier-
maître rendit ses comptes ; il fallut procéder à la nomi-
vivàrlts et curieux par F. Grillé, dans l'ouvrage intitulé :
Lettres, mémoires et documents publiés avec des notes sur la
formation, le personnel, l'esprit du l""" bataillon des Volontaires
de Maine-et-Loire et sur sa marche à travers les crises de la
Révolution française. Paris, 1848, 2 vol. in-8°.
1. Archives particulières de M. Michel, conservateur du
musée Saint-Jean, à Angers. L'auteur de cette lettre était
âous-lièutenant au 5^ bataillon de Maine-ét-Loit'e.
AVANT Le bÉPART A LA FRONTIÈRE 7
nation d'un (Jua^lic^-maît^e^ Le vœu général fut ëri
ma faveur, je balançai quelque lertips, mais je itté
ressouvins qufe vous m'avez dit qu'il vaut tnietix moins
gagner et être plus libre ; je sui\Tai toujours vos
cohseils et rtl'en trouverai le mifeùx du rtlonde.
Le cottlrtiahdant et Ib quartiet-maltre m'engagèrent
beaucoup ft accepter ; après avoir rendu un compte on
tife peut plus clair et het, il me fit voir tous les avan-
tages de cette place et ttiil ft rtia dispositiôh tirie
somme d'à peu près 6 à 7 rtiillc liVres. Tout cela tne
fil refuser. On Hë voulut pas nottlrtier ; ehflii je leur
dis formellement que je n'accepterai pas.
Quand le bataillon apprit le départ de notre com-
mandant, il en déserta 60 dans la tttiii.
Maintenant G)urbalai est commandant en chei.
Le citoyen Lenoir vient de me remettre à l'instant
la lettre de ma sœur, où je vois, ma chère maman,
que votre santé se rétablit; j'en serai plus content
lorsque je l'apprendrai dé vouis : ce que j'attends avec
impatience. 11 parait (ju'il y a eu encore une déroute
et qu'on se replie sur Angers. J'ai vu une lettre
d'Angers, qui annonce que les insurgés sont à Laval et
prennent la route de Sablé.
Hier, on a battu, ici, la générale; on a fait couper
1. Le capitaine quartier-maître trésorier faisait partie
de rétat-major des bataillons de volontaires, en compa-
gnie de l'adjudnnt major, du lieutenant-colonel en second
et du licuLeri.inl-colonel commandant en chef. Sur I élec-
tion de letal-major du 1**^ bataillon de» Volontaires de
Maine-et-Loire, cf. Grille, op. cit., t. I, p. 1»3.
8 AU SERVICE DE LA NATION
les ponts (le la Croix verte et on nous menace des
insurgés'. On assure que l'armée de Charette est
rentrée dans le Poitou et se replie ici. Tous les habi-
tants de la vallée se replient avec leurs effets; cet
après-midi, les Iiabilants de Beau fort-en-vallée sont
arrivés et nous ont dit que les insurgés étaient chez
eux. Si cela est, nous courons risque d'être [pris] entre
deux feux; nous sommes peu de monde armé, mais
nous nous battrons jusqu'au dernier moment. De la
manière dont la ville est fortifiée, je ne crois pas
qu'ils puissent y entrer, il y a trop de ponts.
Je suis avec respect votre fils,
Michel.
Mille choses à ma sœur".
4. Au moment où les Vendéens, battant en retraite,
allaient attaquer Angers, Saumur fut mis en état de leur
résister par Levasseur, de la Sarthe (Chassin, op. cit.,
p. 349).
2. Archives particulières de M, Michel, conservateur
du musée Saint-Jean, à Angers.
AUX ARMÉES DU RHIiN
(1793-1797)
1793
A la citoyenne Tullat, veuve, aubergiste, à Pionsat,
district de Monlaigu-en-Combrailles, département
du Puy-de-Dôme, à Pioîisat.
Fait à Landau, ce 7 du mois de mai 1793.
Ma chère mère,
Je vous écris ces deux mots pour vous assurer de
mes 1res humbles respects. Je souhaite que votre
santé soit aussi bonne que la mienne, ainsi que celle
de mes sœurs. Voilà la troisième lettre que je vous
envoie, je ne reçois aucune réponse do vous. Je ne
sais si vous [ne] recevez pas mes lettres, ou si c'est
par mauvaise humeur. Je vous dirai que nous sommes
à la barbe de l'ennemi, que nous battons tous les jours.
Nous sommes en ganiison à Landau '. Je vous dirai
que nous sommes malhcuroux ; nous couchons sur la
l. Le 2* bataillon de l'Allier était arrivé à Landau le
4 décembre i792 et il y avait définitivemenl pris garnison
le 6 (Lieutenant-colonel Uutac, Les levées départementales
dans l'Allier tous la Révolution, t. I, p. 138).
10 AU SERVICE DE LA NATION
paille ; nous couchons plus souvent dehors que sur la
paille. Je vous dirai qu'il s'est brûlé un arsenal ; nous
avons perdu plus de trois mille fusils. Nous sommes
sortis le jour de la fête à Dieu * [sic] ; il en est bien
resté sur le carreau qui ont été tués, je ne peux pas
vous en dire le nombre, on lie le sait pas au juste.
Nous [ne] passons pas de jour qu'on nous tue autant
d'une part que d'autre. Nous en prenons souvent
des prisonniers de guerre. Nous sommes prêts aller
camper pour aller joindre l'armée du général Gustine^.
Si le général Dumouriez [ne] nous avait pas trahis,
nous [ne] serions pas si à plaindre '.
L'ennemi a bloqué la ville de Mayence. Si le
général Dumouriez [ne] nous avait pas trahis, ils [ne]
1. En 1793, la Fête-Dieu tombait le jeudi 30 mai. La
chronologie du volontaire Tullatest donc défectueuse. De
plus, d'après les renseignements recueillis par le lieute-
nant-colonel Dulac (op. cit., t. I, p. 139), il ne semble pas
qu'en avril et au début du mois de mai, la garnison de
Landau se soit trouvée mêlée à des engagements aussi
importants. ïullat doit se plaire à exagélet- la gravité
des combats quotidiens qui mettaient aux prises Prus-
siens et Français.
2. Sur les essais irifriictùeux dé Cùstihe, après le com-
bat de Herxheim (6 mai 1793), pour percer les lignes prus-
siennes, cf. <;huquet, Lea guerres de la Révolution, Wissem-
bourg, pp. 13 sqq. La garnison de Landau devait être
mêlée à cette derrlière opération de Custine en Alsace,
mais elle se borna à faire une promenade tranquille hors
des murs de la ville.
3. Dumouriez avait consortlmé sa trahison en mai-s 1793.
Le blocus de Mayëhcé cottiniença au mois d'avril suivant,
mais les Prussiens étaient déjà établis autour de la ville
depuis le début de cette même année.
ÀtX ARkÉfe^ Dti tlÉIN 11
ôèrâient pas bloqu(?s. Us sont entourée de soixante
mille Prussiens, qui ont sauté le t^hîh ; cela li'empéche
pas que nous espérons de remporter la victoire.
Je vous prie de me faire réponse sitôt la présente
reçue. Je finis en vous embrassant du plus profond
dé mon cœur, à lotis mes perehts, airisiqu'àM. Morél,
à tous ceux qui vous parleront de moi de bien faire
n1(?s compliments.
Vous mettrez mon adresse : au citoyen Jean Tullat,
volontaire du deuxième bataillon de l'Allier, en gar-
nison fi Landau.
Jean Tullat*.
7* compagnie du second bataillon
de rAllier.
Je vous prie de laire faire l'adresse comme il faut ".
Sans adresse \
A Roih *. le 9 mai 1793 (an iï de la République).
Citoyen,
J'aurais répondu plus tôt h la lettre que vous
Dfins «on onvrnîre cité (t. Il, p. 2081, le tieutenanl-
m Jean Tuilier, enrôlé le i7 sep-
u'nie du 2" bataillon de l'Alllpr
et qui fut nommé caporal. Il s'njçit pcul-èlre de l'aulour
de cette lettre, dont le non» amnil <l(> mnl orlln>ern|)liiô
dans quelques documents
2. Archives particulière- ut \i Mangerel. maire de
Pion^at.
S. Celte lettre a été vraisemblablement adressée à Clé-
4. Rott, entre tVissembourg et Lembach.
12 AU SERVICE DE LA NATION
m'avez fait l'honneur de m'écrire sans le mouvement
très inattendu que le bataillon vient de faire sur
Wissembourg.
Le citoyen Berthelot * n'est plus avec nous ; je suis
fâché, d'après l'intérêt que vous paraissez prendre
à ce jeune homme, de ne pouvoir vous en rendre un
témoignage satisfaisant. Nous avons eu cet hiver beau-
coup de maladies, et jamais une troupe n'eut un plus
grand besoin d'avoir un chirurgien attentif, exact et
actif. Le citoyen Berthelot n'a déployé dans cette cir-
constance que les qualités contraires ; un mécontente-
ment de Ris, qui était à cette date membre du Directoire
du département d'Indre-et-Loire. On sait que ce conven-
tionnel, né en 1750 et mort en 1827, prit une part impor-
tante aux travaux de la Commission de l'instruction
publique et à la fondation de l'Ecole Normale. Rentré
dans la vie privée jusqu'au Consulat, Clément de Ris fut
plus tard sénateur, puis pair de France. Une curieuse
mésaventure le rendit célèbre : au mois de septembre 1800,
des Chouans l'enlevèrent et l'enfermèrent dix-neuf jours
dans un souterrain. Trois de ses agresseurs furent con-
damnés à mort. On trouvera, au cours de ce volume, un
grand nombre de lettres d'habitants du département
d'Indre-et-Loire adressées à Clément de Ris. Elles nous
montrent toutes en quelle haute estime ce sincère répu-
blicain était tenu par ses compatriotes. De plus, Clément
de Ris recevait des armées des lettres qu'il se chargeait
de transmettre à leurs destinataires, pour obliger ses
correspondants. On verra combien les habitants du
département qui combattaient sur les frontières témoi-
gnaient de reconnaissance à Clément de Ris, en échange
de ses obligeants services.
1. Le « citoyen Berthelot » était le chirurgien major
du 3' bataillon des Volontaires d'Indre-et-Loire depuis
le 10 octobre 1792. Il donna sa démission le 13 avril 1793.
AUX ARMÉES DU RHIN 13
ment universel s'en est suivi, je me suis vu forcé de
rassembler le bataillon pour qu'il pût émettre son vœu
sur le citoyen Berlhelot. Le vœu presque unanime a
été pour l'exclusion : Berthelot a donné sa démission,
elle a été acceptée et il est parti. Voilà, citoyen, la
vérité des faits ; véritablement, ce jeune homme a
toujours été insensible aux reproches de négligence
que je lui ai souvent adressés.
("e que vous me marquez, citoyen, sur les troubles
intérieurs est déchirant; l'incendie lait des progrès
eflrayants ; il menace notre département . Puisse-t-il
pour son bonheur renfermer un grand nombre de
citoyens tels que vous ' !
Les troupes ennemies nous cernent de toutes parts
et nous tiennent en échec sur la frontière ; il paraît
que le plan des despotes coalisés est d'attendre à nos
portes les succès des rebelles de l'intérieur et d'em-
pêcher qu'on ne fixe des troupes de la frontière pour
arrêter leurs progrès '. Paris nous envoie, dit-on, douze
mille patriotes commandés par le général Santerre ' ;
1. L'auteur de la lettre fait allusion aux progrés de l'es-
prit contre-révolutionnaire en Vendée, où l'insurrection
avait éclaté pour se répandre bientôt en Bretagne, en
Anjou et en Poitou.
2. Cette lettre a été écrite au moment où Cuslinc bat-
tait en retraite sous les coups des coalisés, tandis que
les Prussiens assiégeaient Mayence. Retenu sans doute
par le scrupule de fournir à son correspondant d'affli-
geants détails sur nos défaites, le lieutenant-colonel
Robert ne donne, en somme, aucun renseignement précis
sur la situation de nos armées.
3. Il s'agit du fameux brasseur Santerre, commandant
14 AlU service PP hA MOTION
il faut espérer que réunis aux bons citoyens ils suffi-
ront pour repousser les brjgands. Mais où sont donc
pas flottes ? ^es ministres de la n^arine me paraissent
être bien coupables, quels que soient les événeipents
et les circonstances ; mes sentiments d'accord avec
mes principes me feront combattre pour la République
jusqu'au dernier soupir. Michel Bauviji est d?Wis
Mayence.
Recevez n^es salutations f^a^ternelles.
Le Commandant du 3» bataillon d'Indre-et-Loire
J. Robert*.
Au citoyen Valeyre, tourneur, restant à Riom,
en Auvergne.
De Frikenfeld*, le 18 juin 1793.
Mon trè^ cher père et ma très chère mère,
... Comme nous sommes à un poste avancé 4p
l'ennemi de Tavant-garde de l'armée que nous occu-
pons, nous sommes comme l'oiseau sur la branche ^
de la Garde Nationale, si populaire auprès des Pari-
siens.
1 . Le lieutenant-colonel Robert commandait le 3® batail-
lon de Volontaires d'Indre-et-Loire depuis le 26 sep-
tembre 1792. Il avait passe par les grades de sous-lieute-
nant et capitaine de 1773 à 1792. Le 18 mai 1792, il avait
été nonimé aide de camp du lieutenant-général Chabril-
lant.
2. Freckenfeld, entre Minfeld et Schaidt.
3. Le chasseur Valeyre se trouvait à l'avant-garde ^e
l'armée du Rhin.
.\U\ ARMÉES DU RHIN 15
4 chaque instant, nous sommes prêts à marcher. Il
(^'y a pas de jour qu'il n'y ait une attaque tantôt
(J'un çôUJ, tantôt de l'autre, à te^le heure que ça soit.
Y<)|là i^ne hiiitajne de jours que nous p'ayong pas
quitté notre sac et tout ce que nous avons dessus le
dos. Être toujours en marche autant la nuit (jue le jour,
j\ voltiger saqs cesse dans le pays enneipi. comme
I Cnnemi daps le nôtre, n'aypir pas reposé un i(^stant,
être gssommé d'un sommeil ardeqt et la fatigue que
nous avions, et ne pouvoir pas reposer. Et outre de
ne pouvoir pas se rafraîchir seulejnput d'une goutte
d'eau, la misère nous accable * et pe poiivQÎr pas
manger quand nous voulons ; et endurer la pluie syr
qolre corps et le mauvais temps qu'il fait; et coucher
dehors par les fraîcheurs qu'il fait dans la nuit, à qous
reposer sur notre fusil et toujours sac sur le dos,
ut prôts à partir. Ah ! Dieu, ai nous avions encore
seulement le couvert d'un linceul pour nous couvrir,
afin que la pluie ne puisse pas nous mouiller ! Mais il
n'est point possible : il y a des instants que le fusil ni
la personne ne peuvent travailler, parce que, une fois
que le fusil est mouillé, aussi bien que l'amorce, il
n'est pas possible que le fusil prenne. C'est comme
une fois que le froid nous a surpris et mèq^e niouillé
tout le corps, i) n'est pas possible d'avoir le môme
courage que l'on aurait, n'étant f>as surpris du mau-
Y^is temps.
IVous avons presque lou.>> les jours des attaques
avec l'ennemi ; mais ces esclaves tremblent à l'ap-
16 AU SERVICE DE LA NATION
proche de nos fiers républicains. Nous eûmes, entre
autres, une attaque le 17 du mois dernier dans une
plaine à côté de laquelle il y a un bois fort épais ; les
poltrons sortirent à peine 200 pas dans la plaine ; cela
n'empôche pas que nous les canonnâmes d'impor-
tance*.
Nous attendons tous les jours de partir pour
Mayence délivrer nos frères d'armes *. Je vous dirai
que nos frères de Mayence ont fait plusieurs sorties et
qu'elles leur ont été favorables. Ils ont dernièrement
pris à l'ennemi des vivres pour quinze mois, après
leur avoir tué beaucoup de monde et fait prisonniers.
S'il y a quelque chose de nouveau à l'avenir, je vous
en ferai part. Si vous voulez, il y a tous les jours du
nouveau ; mais je vois qu'il est temps de finir parce
que la place me manque et que je n'ai guère de temps
à moi : à chaque instant, il faut marcher, soit d'alertes
ou d'autres choses.
Pour la vie, votre fils.
Valeyre,
chasseur ^
1. Le 17 mai, Custine fit une tentative malheureuse
pour enlever un petit corps de troupe que Wurmser avait
poussé sur la droite de nos forces à Rheinzabern. Cf. Gou-
vion Saint-Cyr.. Mémoires sur les campagnes des armées du
Rhin et du Rhin-et-Moselle, t. I, pp. 55 sqq.
2. Mayence devait capituler le 23 juillet 1793; la con-
fiance du chasseur Valeyre en l'issue favorable du siège
mérite d'être remarquée, car elle devait être partagée
par beaucoup de ses « frères d'armes ».
3. Enrôlé le 15 novembre 1792.
AUX AnMKF? nu RHIN il
Voici mon adresse : Au citoyen Valeyre, chasseur
au 12* bataillon de chasseurs d'infanterie légère, à
Frickenfeld, par Wissembourg, département du Bas-
Rhin'.
Au citoyen Helot, maréchal, à Châteauroux, paroisse
de Saint- André, près des Trois Bois, route d'Argen-
tan (Indre).
Camp de Soaitz*. IS août 1793 (an II).
Mon très cher frère,
Depuis le camp de Wissembourg', nous passâmes
à celui de Meinfeld*, où, après nous être disposés
huit jours à aller délivrer nos frères de Mayence ',
qui ont capitulé ces jours, notre armée marcha sur
trois colonnes à l'ennemi*. Elle l'attaqua vivement
1. Archives de Riom.
2. Probablement SouUz-sou&-Poréts, au sud-ouest de Lau-
tcrbourg et au sud de Wissembourg.
3. Au printemps de l'année 1793. Cusline avait établi
')lid«mpnt une partie de son armée du Khin au camp du
(. en arriére de Wissembourg (Chuquet. Les
ij la Révolution, Wisxembourg. p. 24). C/est ce camp
du ijt-ia;il*erg que le volontaire belot doit désigner sous
le nom de camp de Wissembourg.
4. Au lieu de Meinfeld. il est plus vraisemblable de lire
Minfeld, a la lisière du Bienwald, entre Freckenfeld et
Langenkandel, au nord de Lauleri)ourg.
5 Hffiiiharnais, qui avait remplar. i •te
de r.iiiiK (• du Rhin, avait projeté de i. o,
en combinutit ses opérations avec l'anui > i'.'jeUe.
Sur ses plans, cf. (bouquet, op. cU., pp. 4'i ^
0. Sur la capitulation de Mayence le 13 juillet 1799, cf.
les lettres publiées pp. iO et M. L« récit du volontaire
18 AU SERVICE DE LA NATION
dans les villages des côtes derrière Landau, le débus-
qua de deux ou trois éminences qui les dominent,
tandis que notre bataillon, le i" du Piémont et le 3^ de
l'Ain, colonne du centre, reposâmes toute la journée à
l'ombre, mais nous y restâmes trois jours, parce que
la chapelle Sainte-Anne arrêta nos troupes épuisées.
Nos ennemis perdirent bien du monde dans ce pre-
mier combat. Notre perte ne fut pas considérable. La
seconde bataille, le 22, fut pour notre colonne du
centre. Nous surprîmes l'ennemi au bois d'Offembach ;
nous le fchassâmes ; nous mimes le feu aux postes
avancés des émigrés ; nous bivouaquâmes huit jours.
Ils avaient 25 redoutes au-dessus du bois ; nous étions
trop peu pour franchir cet obstacle, et nous atten-
dîmes en vain l'aide de la colonne de droite. Celle de
gauche se battait toujours. Elle avait chassé les Prus-
siens du village de Dame et de la chapelle Sainte-
Anne. Le chef de ses défenseurs se suicida de déses-
poir en s'écriant qu'il ne connaissait plus de barrières
impénétrables aux Français. Le poste et le village
brûlaient * .
Belot manque de clarté. Les deux combats, dont il raconte
brièvement les principales phases, n'ont point eu lieu
après la prise de Mayence puisqu'ils se sont produits le
19 et le 22 juillet. Les engagements heureux se rattachent,
au contraire, à la suite des opérations engagées par
Beauharnais pour la délivrance de Mayence. Sur ces deux
combats, cf. Chuquet, op. cit., pp. 49-52.
1. Offenbach, à 5 kilomètres de Landau. La Chapelle
Sainte-Anne (427 m.), à l'ouest de Burrweiler, figure sur
la carte de Cassini sous le nom de Chapelle de Burweiler.
Il n'y a point de village du nom de Dame dans la région.
AUX ARMÉES DU RHIN 19
Le 2T, nouveau combat, le plus sanglant de
tous. Notre bataillon eut 8 tués et quelques blessés.
A notre droite, le 1" de Piémont perdit 30 hommes,
50 blessés; le 3* de l'Ain, à gauche, perdit quelques
canonnière. Les pertes de l'ennemi furent considé-
rables en morts, blessés et prisonniers. Cependant
leurs forces de Mayence, en marche depuis quelques
jours étant arrivées, nous ne nous trouvâmes plus
que cinq bataillons contre 14 000 hommes, dont 4000
de cavalerie nous cernaient. Nous n'étions qu'à
deux doigts de notre perte. Notre général la pleurait
d'avance, mais tout à coup ! oh prodige ! un orage
affreux nous sauva. Un déluge de pluie favorisa notre
retraite; nous la dirigeâmes à perdre haleine vers
Landau. Nous courûmes 10 lieues dans l'eau et la
boue jusqu'aux genoux. Plusieurs perdirent leur sac
d'effets dans cette détresse. La surabondance d'eau
ôta à l'ennemi le pouvoir de nous voir, et lorsque nous
fûmes en sûreté en France, la nuée se dissipa. Nous
avons fait, depuis, trois camps et, suivant les mouve-
ments de l'ennemi, nous gardons nos frontières. Nous
avons tué 500 émigrés à Rimpsall et brûlé une com-
pagnie dans le moulin*.
1. Attaqué le 27 juillet par Wurmser, qui avait surpris
les troupes de Ferrier, Beauharnais démoralisé par la
'tulation de Mayence battit rapidement en retraite :
! cet échec que Basticn Belot rapporte (Chuquet, op.
cit., pp. 54-55).
2 Rimpiall doit désigner Rinthal sur la Queich, entre
âO AU SERVICE DE LA NATION
Ton frère très affectionné pour la vie,
Bastien Belot,
volontaire, 7« compagnie,
!•' bataillon du Douba',
près Laulerbourg, armée du Rhin'.
Au citoyen Bénard, maître boulanger, demeurant au
bourg de Pionsat, district de Montaigu-en-Com-
brailles, département du Puy-de-Dôme, en Au'
vergne.
A Sauniur, le 2 septembre 1793.
Mon frère.
Je vous écris ces deux mots pour vous donner
de mes nouvelles depuis si longtemps que je [ne]
vous ai pas écrit. Je porte bien peine de savoir de vos
nouvelles ainsi que [de] ma belle-sœur et de mes
frères. J'ai reçu une lettre de vous il y a plus de cinq
mois de cela, dont que vous me marquiez que mon
frère est mort. J'ai écrit une lettre à mon beau-frère
sur ce que vous m'aviez marqué de l'indignité qu'il
avait agi vis-à-vis mon frère, mais je ne lui ai pas
fait savoir de la part que je le savais ; mais je m'en
Anweiler et Wilgartswiesen. Nous ne savons à qUél fait
d'armes Bastien Belot fait allusion.
1. Le 15 août 1793, le l""^ bataillon du Doubs incorporé
à l'armée du Rhin comprenait un effectif de 36 officiers
et de 780 hommes; il était cantonné à Scheibenhard, à
côté de Laulerbourg (Capitaine Colin, Campagne de 1793
en Alsace, i. I, p. 93).
2. Archives municipales de Châteauroux. H. 8§-93/38.
Carton 24, 2« série.
AUX AAlfÊES DU RHIN tl
souviendrai longtemps. Dieu [ne] le bénira pas.
Pour vous faire savoir le mal que j'ai vu à Mayence,
nous étions à 29.000 hommes, nous sommes venus à
li.OOO. Jugea voir à propos si nous [nous] sommes
battus comme il faut'. La ville était entourée par l'en-
nemi dont nous [ne] pouvions pas sortir seulemeqt
trente pas de la ville, et toujours à nous battre avec
rennemi, à ne pas pouvoir rester une minute dans une
maison ; il ne [se] passait pas une minute sans que l'en-
nemi tire plus de 200 bombes ou obus, ou boulets, et
ne point avoir de vivres encore qui était le plus
"^ iid mal. Nous avons mangé 900 chevaux, chiens,
ju'à manger des chats et des rats, encore nous en
Sur le siè^e et la résistance héroïque de Mayence,
Mtet, Les guerres de la Révolution, t. VU. elles
et journaux du général Decaen, publ'és par nos
. t. I. pp. 3-49. La date de la capitulation indiquée
t' it citoyen » Bénard est exacte, ainsi que celle de
ve de sortie. Le 57* régiment d'infanterie fai-
•• de la seconde colonne qui quitta Mayence le
iïi juillet dans l'après-midi. M. Ghuquet estime [op. oit.,
f). 270, n. 3) que 18.675 hommes, y compris les blessés et
es malades des hôpitaux, sortirent de Mayence. D'après
i'> l 'tirnal de d'Oyré, il y avait 20.363 hommes daus
iicc à l'époque de la capitulation. Le volontaire
id n'est pas très loin de la vérité en déclarant que
\<Se se trouva réduite à. 14.000 hommes. Les détails
' " r sur les horreurs > ' \\nc du sic^o de
ni. nullement pxn moires dt Decaen,
Il nen ■ <• du chiffre des
qui est : I de la lettre. 11
l, que leb Uoupus qui bloquaient
< umpris plus de 40.000 hommes.
Lcà Frauvais vaiiicuii n'en tuèrent donc paa 3l).000 !
22 AU SERVICE DE LA NATION
pouvions pas en avoir assez. Nous [nous] sommes
rendus par force ; nous avons capitulé le 23 juillet,
nous sommes sortis le 25 ; nous avons laissé nos
pièces de canon et toute notre munition ; nous [n'J avons
que emporté nos fusils et nos gibernes, mais point
de cartouches. Notre cavalerie a amené leurs che-
vaux, et, depuis que nous sommes sortis, voilà plus
de 200 lieues que nous faisons.
Nous sommes à la Vendée pour exterminer tous ces
gens de brigands où ils se sont rassemblés beau-
coup * ; ils prennent les paysans par force ; ils leur
disent qu'ils ne mourront pas du coup de fusil ni du
coup de canon . Ils leur y font d'autres bien des men-
songes, et qu'ils viennent que à cent pas de moi, que
j'aie mon fusil, ils verront s'ils [ne] mourront pas.
Quand nous étions à Mayence à nous battre que
nous pouvions que marcher sur les corps morts et
dans le sang, nous avons perdu 15.000 hommes,
mais nous en avons tué des ennemis, 35.000. Je
rends grâce à Dieu de m'en être réchappé, que je
devais périr comme les autres. Faites part de cette
lettre à vos amis et à nos parents. Faites bien des
compliments au citoyen Albert.
Mon adresse est : au citoyen Bénard, soldat au
57* régiment d'infanterie, ci-devant Beauvoisis, en
1. Après la capitulation de Mayence, la garnison de la
place, qui avait pris l'engagement de ne pas prendre les
armes contre l'ennemi, pendant un an, combattit les Ven-
déens insurgés.
AUX ARMEES DU RHIN 23
garnison à Saumur, déparlement de Maine-et-Loire.
Votre frère,
Bénard,
soldat*.
lu citoyen Clément de Ris, administrateur du dépar-
tement d'Indre-et-Loire, demeurant à Azay-sur-
Cher^, district de Tours, département d'Indre-et-
Loire.
Au bivouac de Stûrzelbronn *, le 2 septembre de l'an II
delà République française, une et indivisible [1793]*.
Cher citoyen,
Des citoyens volontaires de Véretz *, toujours atta-
chés aux vrais principes d'une constitution qui doit
faire notre bonheur commun, vous sont très recon-
naissants des sentiments républicains qui ont dicté
votre lettre du... ; ils se font un vrai plaisir de la
conserver cette lettre et de la relire sans cesse pour
entretenir en eux ce saint amour de l'égalité qui
caractérise des âmes libres.
1 Archives de Riom (copie communiquée par M. le
lieutenant Saint-Arroman).
2. Azay-8ur-Cher, c. de Bléré, arr. de Tours.
3. Les volontaires qui écrivent cette lettre bivoua-
quaient dans la forêt de Stûrzclbronn, entre Bitche et
Wissembourg.
4. Cette lettre doit être datée du 6 septembre de l'an I
(1793) et non de l'an 11 (1794). Ses rédacteurs ont mal
• ,tl< ulé l'année républicaine, car ils lont allusion à des
< vciiements de l'année 1793.
5. Véretz, c. de Tours.
24 AU SERVICE DE L\ NATION
De grands événementg pont survenus depuis notre
départ, tant dans les voisinages de votre cité que
dans le pays que nous habitons ; la trahison comme
vous le savez y a toujours joué le premier rôle.
Encore le traître Custine, qui naguère était l'idole de
notre armée, vient d'expier, sous la glaive de la loi,
son infâme perfidie*. Jusqu'à quand serons-nous
donc le jouet de tous ces hommes vendus au parti
royaliste !
Brave républicain ! tandis que sur les bords du Rhin
nous nous efforcerons de déjouer au prix de notre
sang les projets infâmes des Brunswick, des Cobourg
et des Pitt'', faites en sorte, par vos sages conseils,
d'ouvrir les yeux au malheureux peuple qui se laisse
si facilement égarer parle petit nombre d'aristocrates
qui ne cessent de le tourmenter. C'est du zèle que les
corps administratifs et les armées mettront à remplir
leur tâche que nous triompherons de nos ennemis. Par-
donnez, s'il vous plait, ces petite^ réflexions qui ne
méritent pas être comparées aux vôtres, vous con-
naissez les sentiments qui les dictent.
1. La capitulation de Mayence (23 juillet 1793) causa
la perte de Custine. Le Comité de Salut public le fit
arrêter et comparaître devant le tribunal révolutionnaire
8DU8 l'inculpation de trahison. En dépit de sa défense
énergique, Custine fut condamné à mortel guillotiné le
28 août 1793.
g. L'association des trois noms de Brunswick, de
Cobourg et de Pitt pour symboliser les ennemis de la
République était devenue courante sous la plume de»
révolutionnaires.
AVX \HM6BS DU RHIN 41
Le*» journées depuis le 19 jusqu'au â4 juillet der-
nier auraient sans doute fait la gloire de l'armée répu-
blicaine du Rhin, mais la reddition de Mayence
nous a arrtHéb et a obligé d'abandonner en un jour les
succès de six journées de travaux'.
Nous avons quitté depuis un mois la brigade à
laquelle nous étions attachés, et qui est actuellement
au camp de Soissons, pour nous joindre aux flan-
queurs de gauche de notre armée. Nous bivouaquons
depuis trois semaines au milieu des montagnes des
Vosges; nous ne sommes qu'à deux petites lieues de
l'ennemi. Landau est bloqué depuis un mois^ Les
émigrés et les Prussiens se sont approchés vers la fin
du mois dernier de Wissembourg, mais ils en ont
bientôt été repoussés et ont payé cher leur har-
diesse. Us sont actuellement à deux lieues de
Landau, et on espère que le grand nombre d'hommes
que fournissent les départements des Haut et Bas-
Rhin, aidé de l'armée, va achever d'exterminer
cette horde de brigands '. Le général d'Abi-ande,
I. Les volontaires font allusion aux vains efforts de
Beauharnais et de Bouchard pour débloquer .Mayence.
2 Au moment où celte lettre était écrite, Wurmser
>les ciiloniu'S pour déloger les postes français
'm-. Il iiiiiiita-Mie Sur ses efforts et sur les com-
bat t aine Colin, La campagne de 1793
en A,.:-.. ^. - i ...^.- .a/, p. 366 sqq.. Landau, investi
par les Prussiens depuis le mois d'août 1703, fut délivré
par nos armées le "iH décembre.
3. A la fin du mois d'août, les Impériaux et les émigrés
qui composaient l'armée de Wurm$er avaient assailli
26 AU SERVICE DE LA NATION
qui commandait notre division, vient de s'émigrcr'.
Adieu, cher concitoyen, croyez que nous ne cesse-
rons d'être avec les sentiments d'estime, les républi-
cains de Véretz qui demandent une réponse.
Notre adresse est toujours à l'armée du Rhin.
F. Meusnier, a. Brisson Junior,
Achille, sergent.
Le citoyen Tiry à son épouse, à Saverdun"- (Ariège).
Saint-Jean d'Angély, le 27 septembre 1793.
Ma bonne amie,
Je suis fort en peine de ta santé ; depuis que nous
l'armée du Rhin, auprès de Wissembourg ; en avant du
Bienwald. En dépit de leur belle résistance nos troupes
durent reculer et se replier sur Wissembourg (Chuquet,
Les guerres de la Révolution. Wissembourg, pp. 103-110). Les
républicains de Véretz ne sont donc point des témoins
sincères, des événements auxquels ils ont pris part. La
levée en masse dans les départements du Haut-Rhin et
du Bas-Rhin amena aux armées une foule de paysans,
d' « agricoles » indisciplinés, dont la présence augmenta
encore le trouble et l'anarchie qui y régnaient.
1. Le général d'Arlande de Salton, et non d'Abrande, émi-
gra le 24 août 1793 et se présenta à cette date au camp prus-
sien. Il commandait le 13" régiment d'infanterie et avait
organisé la défense de Nothweiler et des postes environ-
nants : jusqu'au jour de son émigration, il avait fait
preuve de courage et d'énergie. Ses soldats ne lui repro-
chèrent pas seulement sa propre trahison : ils l'accu-
sèrent aussi de les avoir trahis (Chuquet, op. cit., pp.
145-148).
2. Saverdun, ch.-l. de c. de l'arr. de Pamiers (Ariège).
AUX ARMÉES DU RHIN 27
avons quitté Mayence, voilà deux lettres que je t'écris
sans réponse de toi '. Je suis très inquiet.
La première lettre te disait de m'écrire à Troyes,
poste restante. Je n'ai rien trouvé ; j'ai patienté jus-
qu'à Orléans, où j'ai quitté l'armée pour entrer à
l'hôpital, où je suis resté jusqu'à mon transport à
l'hôpital de Saint-Jean-d'Angély.
A Orléans, je t'écrivais que j'avais été blessé au bras
droit par une balle, à la première sortie de Mayence*,
en tombant sur le corps de l'ennemi à deux heures du
matin, après avoir égorgé deux sentinelles de la
grand' garde surprise dans ses tentes. Nous nous
sommes battus à l'arme blanche, tué beaucoup. Je
n'étais pas blessé ; le feu a commencé à trois heures
du matin jusqu'à sept heures, où nous fûmes battus à
mitraille et à boulet par l'ennemi. Trop incommodés
par ce feu, nous avons pris d'assaut la redoute, tué
13 canonniers : j'ai été blessé.
Les grenadiers du 1*' et du 2* régiment ont beau-
roup souffert, nous avons eu l'avantage.
Devant un renfort sérieux arrivé h l'ennemi, nous
1. Cette lettre d'un défenseur de Mayence est à rap-
procher — pour le texte et les notes — des lettres
publiées, pp. 14 et 20.
2. La première sortie des défenseurs de Mayence eut
lieu dans la nuit du 10 au 11 avril 1793 (Chuquet, op. cit.,
p. 187). Les détails donnés par le volontaire Tir>' laissent
supposer qu'il appartenait à la colonne commandée par
Schaal, chargée durant cette sortie denlever une
redoute hessoise.
38 AU SERVICE DE l,A NATION
sommes rentrés è Mayerice, mais pour peu de temps,
car nous sommes allés chercher les blessés sur le
champ de bataille, car les ennemis les achevaient à
coups de fusil. Nous leur avons fait payer toutes ces
sorties.
Le citoyen Marveille, mon lieutenant, a été tué, le
15 avril, par une balle qui lui traversa la tôte '. Je le
regretterai toute ma vie. J'attends ta réponse avec
impatience. Je finis en t'embrassant de tout mon
ccpur.
Compliments à ton père et à ta mère, à toute ta
famille et ceux qui sont dans la maison.
TiRY,
grenadier au 60* régiment d'infanterie,
ex-Royal-Marine,
à l'hôpital de Saint-Jean-d'Angély.
Je t'enverrai l'extrait mortuaire du aitoyen Mar»-
veille.
Souhaite une bonne santé à mon père, à ma mère.
Tu dois connaître la misère que nous avons eue.
Nous avons mangé 2.600 chevaux ; je puis me vanter
d'avoir vendu un gigot de chien, 12 livres en argent
et 3 livres en papier.
i. Jusqu'à la fin du mois d'avril, les troupes françaises
se livrèrent à des sorties presque quotidiennes. Le 15,
elles attaquèrent le village de iMoinbach (Chuquet, op.
cit., p. 200). L'historique manuscrit du 60° régiment d'infan-
terie (Archives Historiques de la Guerre) ne contient
aucun détail sur cette escarmouche ni sur la mort du
lieutenant Marveille.
AL\ AHMKKÏN ni' hllIN 2ÎÏ
Quelle misère après avoir si bien combattu et avoir
détruit 4.500 hommes à l'ennemi et 1.600 à nous! Il
faut qu'ils apprennent à se battre à l'arme blanche
pour se battre avec nous. Il est vrai que le roi de
Prusse nous a dit que ce n'était pas le droit de la
guerre' !
Sans adresse.
Citoyens magistrats,
Le quatorze de ce mois la générale a battu, et Ton
criait : « aux armes ! » de toutes parts. Le parc d'artil-
lerie de Saverne, où nous sommes attachés, s'est mis
en marche contre l'ennemi". Mais dès Tinstant que ces
brigands d'Autrichiens nous ont aperçus, ils se sont
sauvés comme des lâches. Nous leur avons envoyé
1 Archives municipales de Saverdun, carton Ariège
2), XXVI.
2. Au mois d'octobre 1793, l'armée du Rhin battait en
retraite après la victoire de Wurmser à Saverne. Comme
il importait que nos troupes restassent en possession de
Saverne, une division conduite par le général Sautter s'y
établit et y demeura, en dépit des vigoureuses attaques
des .\utrlchien8 (22-24 octobre). — Cf. Chuquet, Les guerres
de la Hf^rolutton. Hocfie, chap. t, et Colin, Campagne de
179.J eu Al»ace, p. r>36 sqq.. — Nous n'avons pas trouvé
i!i' iilion d un - cnt qui aurait mis aux prises, le
I » iMivembre, i »'s autrichiennes et la gauche de
I armé*' du Khiu : lauleur de la lettre doit faire allusion
1 iiiic e.scarmouche insignifiante. Au mois de novembre,
I !ifgru nommé au commandement de l'armée y avait
r • rjranisc la discipline et s'était préparé A forcer les
li(f !ir*8 autrichiennes. Le 18 novembre, il allait remporter
8ur Wurmser une première, mais légère victoire.
30 AU SERVICE DE LA NATION
quelques coups de canon, qui ont fait mordre la pous-
sière à plus d'une centaine des leurs, et nous, nous
n'avons perdu que peu de monde, attendu que l'en-
nemi tire trop haut. Le fameux scélérat de prince
Louis est aussi alarmé. Il s'était flatté de venir dîner
dans son château de Saverne, parce qu'il en était ci-
devant seigneur^, mais nous lui avons appris qu'il ne
fallait jamais compter sans son hôte : c'est le cas de
compter deux fois. Nous ne sommes qu'à une lieue
de l'ennemi. Au moment que je vous écris, l'on
vient de retirer un espion, habillé en gendarme; il a
les yeux bandés et on lui fait faire le tour de la ville
et, de suite, on va lui casser la tôte. Encore un scé-
lérat de moins. Ça ira, ça ira, ça ira !
J'ai entendu dire qu'il y avait de grandes mesures
de prises par l'état-major de Saverne et que, sous
peu de jours, nous devrions faire un mouvement
général conjointement avec l'armée de la Moselle.
Par là, l'ennemi se trouvera attaqué sur trois faces.
Gomme je finis ces mots, le général vient de nous
donner ordre de nous tenir prêts pour quatre heures
du matin. Il nous a promis que l'affaire serait très
chaude. Tant mieux; je vous promets que cela ne
m'intimide pas plus que quand j'allais chanter la
messe à Saint-Lazare. Ça ira, ça ira!
Je vous jure, citoyens magistrats, que jamais Cha-
d. Le prince Louis, ci-devant seigneur de Saverne, est
le héros de l'affaire du collier : Louis de Rohan, évêque
et cardinal de Strasbourg.
AUX ARMÉES DU RHIN 31
tclain ne deshonorera votre pays. Je vous recom-
mande ma petite femme et mon fils (vous êtes les pro-
tecteurs des veuves et des orphelins), et je vous prie
de veiller à ce que les aristocrates ne les vexent pas.
Je suis, citoyens magistrats, avec le respect dû à
'''•s magistrats du peuple et votre égal en droit.
La générale bat, je vole au combat. Vive la Répu-
blique une et indivisible !
Châtelain,
commandant la 2* escouade des canonniers*.
Au parc de Saveme, à trois heures du matin, le
16 novembre 1793, l'an ir de la République une et
indivisible.
P. S. — Je vous prie de donner de mes nouvelles
à ma petite et de lui dire que je me porte bien '.
Au citoyen Charles Rousseau, cocher,
à Indreville' (Indre).
Au bivouac de l'avant-garde, en avant de Verchem,
i nivôse an II [22 décembre 1793].
Mon cher père, ma chère mère,
Tous me félicitez parce que je suis encore au.x
. Antoine Châtelain, lieutenant en pied de la 9* com-
'pagnic du i" bataillon des canonniers de Paris, arriva à
Metz le 24 avril 1793, comme lieutenant conducteur des
hommes de la 4" division du contingent du district
^jùlkvallon, incorporés avec lui.
^Pl. Archives départementales de l'Yonne.
i IndrevilleouIndrelibredésignentChâtcauroux^Figuè-
^, Les noms révolutionnaires des Communes de France, p. 29).
32 AU SERVICE DR LA NATION
canonniers, mais je vous dirai que je suis rentré dans
ma compagnie, où j'ai été nommé caporal par le
suffrage de mes camarades*. C'est ce qui m'a engagé
à changer si souvent de corps. Vous m'engagez à
avoir du courage : soyez persuadés que cela ne me
manque pas, et que, bien loin de paraître comme
ces lâches qui abandonnent leur Patrie, je brûlé du
plus ardent amour pour la République, et que je
périrai avant d'abandonner ma Patrie. J'ai fait ser-
ment de ne point abandonner mon drapeau avant
d'avoir chassé du territoire français tous les satellites
des despotes couronnés et coalisés contre nous...
Je vous apprendrai pour nouvelles que, depuis
environ deux mois, nous avons l'avantage de repousser
l'ennemi. Nous sommes presque tous les jours aux
prises avec les Prussiens et les Impériaux. Jusqu'à
présent, j'ai eu le bonheur d'échapper à la rapidité
des boulets ainsi qu'à la fureur de nos ennemis. Il y
a quelque temps que nous étions auprès de Strasbourg ;
à présent, nous en sommes à plus de trois heures.
Nos armées sont victorieuses partout ; on assure que
nous avons une colonne qui va prendre par derrière
les Prussiens qui assiègent Landau. Haguenau est
en notre pouvoir depuis hier, et, selon les apparences,
l'Alsace sera libre avant qu'il soit peu. Enfin pour
1. Dans les armées révolutionnaires, les grades étaient
conférés par l'élection, combinée avec l'ancienneté de
grade ou de service, depuis la loi du 21 février 1793. Le
Directoire transforma peu à peu cet état de choses.
AUX ARMÉES DU RHIN 33
mieux vous dire, ça va malgré que nous ayons beau-
coup de peine. Nous couchons dehors tous les jours
et la vermine nous mange, mais c'est pour la Répu-
blique ; nous le faisons avec courage.
Je vais vous dire que nous sommes réunis en
groupe pour écrire cette lettre; tous du pays, nous
assurons de notre respect nos pères et mères. Nous
sommes : Chaumereau, fils du maréchal des logis de
gendarmerie, Crépin, Joussel, de Saint-Martin, Thui-
lier, ci-devant de Saint-Martin *.
Tous vous font leurs compliments et vous prient
de donner de leurs nouvelles à leurs parents en leur
présentant leurs respects. Us se portent bien...
Le petit Messager a été blessé légèrement à la tête
par une balle*...
Joseph Rousseau.
s* bataillon. 8* compagnie de l'avant-garde.
37» régiment d'infanterie.
En avant de Verchem par Strasbourg '.
1. Saint-Martin-de-Lamps (Indre), arr. de Châteauroux,
c. de Levroux.
2. Cetlre lettre de belle allure, qui exprime de nobles
sentimeDts, est assez diflicile à apprécier du point de vue
historique. Nous ne savons, en effet, où se trouve Verchem,
car aucune localité au nom se rapprochant de celui-là
ne se trouve sur la carte de Cassini, entre Strasbourg et
Landau (route de l'arniéc du Khin sous la direction de
Hoche). De plus, cette lettre est datée du 22 décembre,
jour de la victoire de Hoche à Frœschwilier (Chuquet, Les
guerres de la Révolution, Hoche, p. 130 sqq) . Or, Joseph Rous-
3. Archives de Châteauroux, H. 89. 03/26, Carton 24,
2* Bérie.
34 AU SERVICE DE LA NATION
1794
Des volontaires à leurs amis de la Société populaire
de Saint-Jean de LosneK
Strasbourg, 16 nivôse an II [5 janvier 1794].
Républicains, frères et amis, nous sommes arrivés
à Strasbourg le i3 [2 janvier 1794]; il y avait déjà
plus de dix jours qu'un décret avait dissous la
propagande, nous n'avons pu y assister; voilà donc
notre première mission remplie, mais non selon vos
désirs ^.
seaun'y fait aucune allusion. Enfin, les troupes de Ferino
entrèrent dans Haguenau le 24 décembre 1793, et non le
21, comme le dit J. Rousseau. Dans ces conditions, on
peut déduire de cette lettre, visiblement écrite par un
soldat de l'armée du Rhin, au moment où cette armée
dirigée par Hoche allait à la délivrance de Haguenau :
1° que les volontaires ne savaient pas dater leurs lettres
et quils connaissaient mal la chronologie révolution-
naire; 2° que les volontaires ignoraient ce qui se passait
dans leur armée, puisque Rousseau parle de la prise de
Haguenau, postérieure à la victoire de Frœschvi^iUer,
sans faire aucune allusion à Frœschv^riller.
1. Ch.-l. de c. de l'arr. de Beaune (Gôte-d'Or).
2. Le 6 décembre 1793, les représentants en mission
Saint-Just et Lebas avaient obtenu un décret de la Con-
vention pourchasser de Strasbourg les « propagandistes ».
Les « propagandistes ou propagandaires », revêtus d'un
costume théâtral, parcouraient la ville en prêchant la
Révolution, le culte de la Raison et en passant les troupes
en revue (Chuquet, les guerres de la Révolution, Hoche et
la lutte pour l'Alsace, p. 34),
AUX ARMÉES DC RHIN 35
Le drapeau a été remis à nos frères, sans céré-
monie, car je crois qu'ils seront incorporés au premier
jour avec le 3" bataillon de la Côte-d'Or'. Celui qui
est chargé de cette afTaire est un de mes bons amis
et m'a dit qu'il retarderait le plus qu'il serait possible.
■Vous vous avions promis des nouvelles ! Crions
tous : « Vive la République ! » ; victoires sur victoires*,
frères et amis ! les Français sont à Worms, peut-être
à Mayencc ; le butin qu'ils ont pris monte à plus de
200 millions, sans compter les canons, bagages,
prisonniers, etc.. Xous sommes bien fôchés de ne
pouvoir encore vous annoncer la prise du Fort Vau-
ban ; nous espérons vous l'apprendre bientôt, car
l'on doit donner aujourd'hui une attaque générale '.
1. Le 3« bataillon de la Côte-d'Or faisait partie de la
division Halry. a l'armée de la Moselle (Etat des forces
de larmée de la Moselle au 17 février 1794, publié par
Chuiiuet, op. cit., p. 228, n° 1).
2. Ces « victoires sur victoires » doivent s'entendre des
succès éclatants de Hoche à FrœschwilleretauGeissberg,
qui amenèrent, en décembre 1794, la reprise de l'Alsace,
le dchlocus de Landau et la retraite des Impériaux. Mais
les volontaires de la Côle-d'Or dénaturent singulièrement
les faits en écrivant à leurs concitoyens que « les Fran-
çais sont a Worms, peut-être à Mayence ». Les troupes
françaises, sous la conduite de Hoche et de Moreau,
entrèrent à Cicrmersheim, a Spire et à Kaiserlautern :
elles ne poussèrent pas plus avant leurs conquêtes et
prirent bientùl leurs quartiers d'hiver (Chuquet, op. «<.,
pp. 130-244).
3. Les noms de Fort Vauban ou de Fort le Traître dési-
gnaient les ouvrages fortifiés de Fort Louis. Le général
Durand avait livré la place au général Lauer le 13 no-
vembre i793. Après les victoires de Uoche, les Autri-
36 AU SERVICE DE LA NATION
On (iit que la garnison a juré de mourir dans la
place, mais à quoi sert le serment des esclaves contre
la valeur des républicains. Qu'ils tremblent les tyrans !
ils seront bientôt anéantis.
La ville de Strasbourg va divinement ; la guillo-
tine est toujours en activité ; elle doit jouer aujour-
d'hui. Ah ! si vous saviez quel effet elle produit dans
cette commune ! elle fait plus que des miracles ; dans
un jour, elle convertit plus de monde que tous les
saints (ci-devants) du soi-disant Paradis.
Nous avons beaucoup de choses à vous dire de la
part de nos volontaires, qui nous prient de vous
adresser l'assurance de leur attachement.
Quant à nous, républicains et amis, comptez sur
notre zèle et notre dévouement pour la chose
publique... Nous tâcherons de mériter votre confiance
dans toutes les occasions ; s'il fallait aller aux anti-
podes pour le bien de la République, croyez que nous
sommes prêts à partir et que rien ne peut écarter du
chemin de vrais républicains, que vous nous avez
tracé, en vous conjurant de nous croire pour la vie
vos frères et amis ^ .
Colin, Lépreux aîné.
chiens n'attendirent même pas d'être assiégés par les
troupes du général Michaud. Le 18 janvier 1794, ils éva-
cuèrent Fort Louis, après avoir fait sauter les remparts
(Chuquet, op. cit., pp. 11-14 et 226).
1. Sur la formation des bataillons des volontaires de la
Côte-d'Or, cf. Sadi Carnot, Les /olontaires de la Côte-dOr.
Origines historiques, formations de 1789 et 1791. Veillée des
Armes. Dijon, 1906, in-4°.
ADX ARMÉES DU RHIN 37
A la Citoyenne TuUat, veuve, aubergiste, à Pionsat,
district de Montaigu, département du Puy-de-Dôme.
Fait à LinienTeld. ce 5 germinal, l'an II de la République
une, indivisible, impérissable [35 mars 17'J4].
Mort aux tyrans, à leurs esclaves !
Ma chère mère,
Je vous écris ces deux mots pour m'informer de
l'élat de voire santé, ainsi que de celle de mes
sœurs, ainsi qu'à tous mes parents. Voilà la seconde
l«'ltre que je vous envoie ; je n'en reçois pas de nou-
velles. Je vous dirai que nous sommes été bloqués
pondant l'espace de six mois par notre ennemi. Nous
t'iions à Landau , nous avons bien souffert ; nous
.sommes été obligés de manger du cheval ; nous
[n']avions plus de vivres; nous avions affaire avec un
lx)n général, qui n'a pas voulu rendre la ville de
landau '. Plutôt périr surplace que de l'abandonner;
nous avions juré de ne pas l'abandonner qu'à la mort,
.Vous avons été bombardés pendant quatre jours et
quatre nuits. 11 a péri bien du monde, ça ne pouvait
pas faire différemment, mais nous en sommes venus
à boul : nous les avons repoussés, nous les avons fait
1. Sur la conduite du 2" bataillon de r.\llicr durant
le blocus de Landau (27 juiIlet-28 décembre 1793), on
lira avec inU-rél les pages que le lieutenant-colonel Dulac
a consacrées à ces faits de guerre [op. cit., t. 1, pp. 131-
156). M. (Ihuquet a écrit un récit détaillé du siège de Lan-
dau dans son volume des Guerres de la Révolution, Hoche
et la lutte pour l'Alsace, pp. 198-219. Le « bon général » est
le général Laubadére.
38 AU SERVICE DE LA NATION
sauter le Rhin à une bonne partie. Nous sommes à
présent à quatre lieues de Landau, dedans un petit
village qu'on appelle Linienfeld, tout auprès de Cor-
nucha, aux bords du Rhin\ Aux bords du Rhin,
nous sommes cantonnés ; là nous [nous] battons tous
les jours. Nous ne pouvions pas souffrir davantage ;
nous avons acheté du pain de munition qui nous
coûtait jusqu'à six livres et le vin qui se vendait
cinq livres la bouteille ; un pain qui pesait trois
livres, ça faisait 40 sous la livre. Vous savez que la
paye du soldat n'est pas bien forte. Je vous dirai que
je suis été nommé caporal.
Je finis [en vous] embrassant de tout cœur ainsi
que tous mes parents et bons amis, sans oublier le
citoyen Morel. Je vous prie de me marquer ce qu'il
y a de nouveau au pays.
Mon adresse : au citoyen TuUat, caporal de la
T compagnie du deuxième bataillon de l'Allier. . . %
par Landau.
Je vous prie de me faire réponse sitôt la présente.
Je suis toujours votre fils,
Jean Tullat ".
1. Linienfeld, ce « petiLvillage à quatre lieues de Lan-
dau » est Lingenfeld, qui fut le cantonnement du 2"^ batail-
lon à partir du 21 février (Lieutenant-colonel Dulac, op.
cit. y t. I, p. 157).
2. Mot illisible.
3. Sur Jean Tullat, cf. lettre publiée p. 9. Les deux
lettres de ce volontaire sont à rapprocher des lettres
écrites, à la même époque, par des soldats du 2« batail-
AUX ARMKES DU RHIN 3'J
Sa7is adresse [sans doute à Nicolas Thirion].
Au camp de Longwy, le S2 floréal de l'an II
de la République, 1794 [11 mai 119*1.
Liberté, égalité.
J "ai fu la fièvre un jour ; c'est le Iroid qui en est
cause, puis il a fait trop chaud voilà huit jours. J'ai
reçu de vos nouvelles le jour de la fête de chez nous,
ce qui m'a fait un sensible plaisir,
ÎVous étions encore à Arlon, que nous avons été
obligés de (juilter ' ; on espère y retourner bientôt ;
nous sommes à présent proche de Longwy. Je vous
dirai qu'on a pris deux cents pièces de canon et
même deux cent soixante, sans compter les obusiers,
et deux mille pri.sonnicrs. Il y a ou plus de deux
mille tués, des émigrés pris ; on s'est emparé de
leurs vivres, de leurs munitions de guerre ; nos gens
sont campés dans leur camp.
Nous ne sommes plus du ii" bataillon de la Meurthe;
on nous ;i mrlés avec un régiment de troupe de
Ion de l'Allier et puljli<>C8 par le lieuleiiant-colonel Dulac,
op. cit., t. 11, p. 2i)y sqq. La présente lettre est tirée des
Archives particulières de M. Mangerel, maire de Fion-
sat.
i. Le 18 avril, sur un ordre donné à l'armée de la
Moselle par le Comité de Salut Public, le général Hatry
était entré à Arlon. Attaqué le 30 avril par des forces
supérieures aux siennes, Hatry ju^ea prudent d'aban-
donner Arlon et de h»; njplier sur Longwy ^Commandant
V. Dupuis, Les opérations léUlitaires sur la Sainbre en 1794,
pp. 1-321.
40 AU SERVICE DE LA NATION
ligne et avec le 7" bataillon de la Meurthe. Nous
sommes dans le premier bataillon de la cent-dixième
demi-brigade. Vous ferez bien attention pour adresser
vos lettres.
C'est le commandant du 7* bataillon de la Meurthe
qui nous commande.
Remy Thirion.
Aussitôt la présente reçue, vous aurez la bonté de
m'écrire tout de suite ; vous ferez bien attention.
Vous mettrez mon adresse : au citoyen Remy Thi-
rion, volontaire au premier bataillon de la cent-
dixième demi-brigade. Armée de la Moselle. Division
du général Morlot, par Thion ville. Vous mettrez tou-
jours : à la compagnie de Marton ^
Réponse de Nicolas Thirion, père du volontaire.
Beuvezain *, 6 prairial an II de la République française
[25 mai 1794].
Liberté, égalité.
J'ai reçu, mon fils, votre lettre en date du 22 flo-
réal ; votre mère, vos sœurs et moi, nous avons tous
été fort aises d'apprendre que vous vous portiez bien.
La fièvre que vous avez eue n'est qu'une légère indis-
position pour un républicain, qui doit savoir souffrir
1. Lettre communiquée par M. Thirion, médecin-major
de l'« classe au 162" régiment d'infanterie.
2. Beuvezin, c. de Golombey, arr. de Toul (Meurthe-et-
Moselle).
AUX ARMÉES DU RHIN 4i
et mourir pour la défense de la liberté et de son
pays. Tels sont, je n'en doute pas, les sentiments qui
vous animent : ce sont ceux de votre père, de votre
mère, de vos frères et de vos sœurs.
Vous me demandez de vous aider d'un assignat
de cinquante francs ; vous savez que je me suis tou-
jours lait un plaisir de ne vous laisser manquer de
rien, et je tâcherai toujours de subvenir à vos besoins
tant que vous ne vous écarterez pas du chemin qui
vous est tracé par l'Honneur et le Patriotisme. Vous
trouverez jointe à cette lettre une reconnaissance que
vous présenterez au bureau de la poste, et l'on vous
remettra l'argent que vous me demandez.
Tandis que vous combattez les satellites du despo-
tisme, vos frères sont constamment occupés aux
convois pour alimenter leurs frères d'armes : subsis-
tances, fourrages, rien ne nous coûte quand il s'agit
du salut de la Patrie. Nous gagnerons doucement les
récoltes, qui donnent les plus belles espérances.
Prenez courage ; ne vous écartez jamais des prin-
cipes que je vous ai inculqués. Sachez supporter la
faim, la soif, lé froid, le chaud. Quand vous souffrez,
sachez que c'est pour vos parents, votre Patrie. Quand
vous marchez au combat, n'oubliez pas que c'est pour
votre père, votre mère, vos frères, vos sœurs, et
sachez préférer la mort môme à l'ignominie.
Ecrivez-nous dès que vous aurez reçu la présente
et marquez-nous si vous avez reçu l'assignat que je
\i)us nivoie.
42 AU SERVICE DE LA NATION
Votre mère, vos frères, vos sœurs, tous vos parents
vous embrassent.
Je suis toujours avec affection votre père,
Nicolas Thirion*.
Au citoyen Valadon, entrepreneur à Châteauroux
(Indre), pour remettre à la citoyenne Denis.
Armée du Rhin. Au bivouac près Landau,
18 prairial an II [6 juin 1794].
Chère mère.
J'ai reçu vos deux lettres auxquelles je m'empresse
de répondre pour vous faire part des mouvements
de notre armée et du petit revers que nous avons ou,
occasionné par l'armée de la Moselle. Le 4 du cou-
rant [23 mai 1794], Tennemi nous attaqua sur tous
les points violemment; ils avaient une artillerie formi-
dable ; nos bataillons qui formaient l'avant-garde ont
été forcés de se replier sur la ligne, après une forte
résistance*. Voyant une colonne qui était prête à les
cerner, un seul canon de notre bataillon réussit à
1. Lettre communiquée par M. Thirion, médecin-major
de l""® classe au 162* régiment d'infanterie.
2. La division Ferino, comprenant 7.734 hommes, se
trouvait établie à la droite de la brigade la Boissière et
« répartie sur le front Deidesheim-lg'gelheim ». Elle fut
attaquée à l'aube du 23 mai par les forces prussiennes et
elle résista sans lâcher pied jusqu'à la nuit. En dépit de
la belle conduite de ces troupes et de celles de Desaix,
l'armée dut dessiner un mouvement de retraite, à la suite
de l'affaire de Kaiserslautern (Capitaine Hennequin, La
campagne de 1794 entre Rhin et Moselle, pp. 244-288).
AUX ARMÉES DU RHIN 43
l'arrêter, malgré le feu violent que nous subissions.
De part et d'autre le combat s'est animé ; nous nous
sommes battus de pied ferme de 1 heure du matin à
9 heures du soir ; nous avons escaladé une montagne
d'une hauteur prodigieuse pour déloger Tennemi qui
cherchait à nous investir. La fusillade nous a fait
perdre environ 160 républicains tués, blessés ou pri-
sonniers ; trois caissons ont sauté chez nous, un chez
l'ennemi. Les pertes ennemies sont très cruelles,
mais, grâce à l'Eternel, je m'en suis tiré sans blessure.
Le lendemain, l'ennemi s'étant emparé de Kaysers-
lautem \ à l'armée de la Moselle, nous avons dû
nous retirer sur Neudorf *, à une demi-lieue de Lan-
dau, où nous bivouaquons.
Si je n'ai pas répondu de suite à votre première
lettre, ne croyez pas à la négligence. Les différents
mouvements que nous avons eus en sont les princi-
pales causes.
Notre embrigadement s'est fait le 2 [21 mai 1794J.
Les deux bataillons du 27", le 1" du Puy-de-Dôme
forment la 54' demi-brigade '. Notre compagnie de
1. Kuisersiautern, occupé par 5.000 hommes comman
dés par le général Amhcrt, fut attaqué le 23 mai par Mol-
lendorf, qui en délogea no« troupes. Cet échec contraignit
l'armée du Uas-Hhin à ramener ses positions en arrière
de la Uiioich, entre (iermcrsh'eim et Landau (Dumolin,
Précis dlUHuire militaire, t. I, p. 271). Denis se trompe
en datant du 24 mai l'insuccèB de kaiscrslautern.
2. Nussdorf.
3. Sur l'embrigadement des armées du Hhin et de la
Muselle, cf. capitaine lit*nne(iuin, op. cU., pp. 2b7 sqq.
44 AU SERVICE DE LA NATION
grenadiers est passée dans le l*"" bataillon du 27^
Chaque chef de compagnie a pris son rang d'an-
cienneté...
Denis.
Grenadier au ^" bataillon de la 54» demi-brigade.
Armée du Rhin, division Ferino, à Landau*.
Au citoyen BarrauU, à Indrelihre,
faubourg des Marais, par Tours (Indre).
Armée du Rhin. Au bivouac près Landau,
le 8 prairial an II [27 mai 1794].
Mon cher père, ma chère mère,
Pas de nouvelles de l'armée, je vous en dirai assez.
Nous ne sommes plus le 1®"" bataillon de l'Indre, mais
la 54* demi-brigade, 2° bataillon. Amalgamé, notre
bataillon est partagé dans trois compagnies des trois
bataillons. Nous avons changé de cantonnement.
Le 2 prairial [21 mai], on nous a mis aux avant-
postes de l'armée, le long des montagnes, où nous
allions au bivouac tous les matins à 2 heures. Le
4 prairial, sitôt arrivés au bivouac, l'ennemi nous
attaqua. Il fit une fusillade, puis une canonnade sur
le village qui est en face de nous. En même temps,
nous vîmes paraître 5 à 6 escadrons de cavalerie ;
nos pièces en batterie dans une petite redoute ouvri-
rent le feu. L'ennemi, supérieur à nous, avançait tou-
jours et voulait envelopper les trois villages. Cinq
1. Archives de Châteauroux, H. 89-93/29. Carton 24,
2® série.
AUX ARMÉES DU RHIN 4S
minutes après nous étions pris; sans les hussards qui
soutinrent notre retraite, nos pièces auraient été
prises. C'est heureux pour nous que nous ayons
gagné les vignes où la cavalerie ne put nous charger.
Là, nous arrêtAmes la cavalerie ennemie, tandis que
la nôtre, aidée de l'artillerie volante, qui ouvrit un feu
d'enfer, d'enfilade, tombait sur l'ennemi.
L'artillerie ennemie ne put nous débusquer des
vignes et des montagnes. Tous en tirailleurs, on a
fait un feu d'enfer; la fusillade ne faisait qu'un rou-
lement depuis 2 heures du matin à 9 heures du soir.
Les pertes de l'ennemi furent plus considérables que
les nôtres. L'ennemi se retira la nuit, se porta sur
l'armée de la Moselle, qu'elle a forcé sur Kaysers-
lautern. Nous avons dû battre en retraite le lende-
main dans la nuit de peur d'être coupés des gorges.
Nous nous sommes retirés à Landau où nous bivoua-
quons sur les hauteurs. Je ne sais si Tennemi essayera
de nous chasser de là, il est déjà très près de nous... '
Tous les blés et vignes du Palatin sont abîmés, les
paysans sont ruinés à tout jamais.
Votre fils,
Barrault,
républicain pour la vie,
sergent à la 6* compagnie. 2* bataillon, 54* demi-brigade.
Division Perino. Armée du Rhin. Landau*.
1 . Cette lettre est à rapprocher de la lettre précédente
pour le texte et les notes.
2. Archives de Châteauroux, II. 89-93/30, Carton 24
(Indre).
4ft AU SERVICE DE LA NATION
Au citoyen Leclerc, demeurant à Riom.
Au quartier du Pont-couvert, Strasbourg, le 22 prairial
l'an II de la Rt5publique française, une et indivisible
[10 juin 1794].
Tout de suite votre lettre reçue, j'y réponds avec
empressement, et je l'attendais effectivement. Si j'ai
été négligent à l'égard de la précédente que vous
m'avez écrite, je n'ai vraiment pu faire autrement,
attendu le décompte qu'il m'a fallu faire à la compa-
gnie pendant le temps qu'elle était isolée. Il nous est
arrivé ensuite des recrues pour le complètement de
notre bataillon. Les travaux militaires, quoique peu
minutieux, occupent continuellement l'esprit et le
corps.
Je désirais toujours de témoigner à tous mes frères
de la société populaire combien j'étais et que je suis
toujours pénétré des bonnes intentions qu'ils ont pour
moi ; veuillez bien être en ce moment l'interprète des
douces pensées de mon cœur ; qu'ils soient bien per-
suadés que je leur tiendrai éternellement compte de
leurs bons souvenirs.
Les vivres sont très chers, à ce que vous me dites,
de vos côtés ; je n'en suis pas étonné ; il en est de
même partout. Il y a quelques mois que les denrées
n'étant plus à la loi du maximum, on en trouvait
avec un peu de peine, si vous voulez, mais depuis
que les autorités constituées, voulant faire exécuter
les lois à l'égard du maximum, il y a de ça environ
AUX ARMÉES DU RHIN 47
quelques décades, on ne trouve plus rien à boire ni à
manjçer dans les aul)erges'.
Ces derniers ont quasi tous fermés leurs boutiques
sous le vain prétexte qu'ils ne peuvent pas trouvei' à
acheter ni vin, ni pain, ni viande. A la vérité, peu de
Strasbourgeois en mangent. Nous sommes heureux
d'avoir des vivres de campagne.
Quant aux nouvelles que vous m'avez annoncées,
nous les avons ici avant vous autres. En vérité, elles
sont on ne peut plus satisfaisantes ^ Il faut bien se
persuader que sans les infûmes trahisons qui ont
existé daiïs les temps, nous aurions été constitués en
victoires permanentes. Mais : « Vivent la République
et la Montagne! »; ça été, ça va, et toujours ça
ira!
Nous ne pouvons pas nous dissimuler que tant que
la monnaie nationale sera avilie et qu'elle n'aura pas
toute sa valeur, que certainement nous avons parmi
nous des traitrea, des malveillante qui cherchent
encore à nous nuire.
i. Au mois de mai 1703, la Convention avait fixé un
prix maximum des grains ; peu a peu, pour remédier à
la déprécialion des asaignata et pour porter atteinte aux
accapareurs, dos maxima furent établis pour les diverses
denrées. Ces mesures eurent des efïeta désastreux et, à
la fin de l'année ilH, la Convention les abolit.
: lois de juin 1794, l'armée de Sambre-ct-Meuse
-■ a Tourcoing allait vaincre 4 Flourus; l'arujée
du Utiiii sr Prussiens et à mar-
cher tiur .Ni raie de nos armées
était donc « on ne peut plus i>ati«iaiëante ».
48 AU SERVICE DE LA NATION
L'air des départements du Haut et du Bas-Rhin est
pestiféré de la présence des personnes des différentes
sectes, comme juifs, luthériens, protestants et autres;
ce sont des gens qui n'ont encore rien fait pour la
liberté, surtout les juifs qui n'ont jamais été révolu-
tionnaires, qui ne sont autrement guidés que par
l'appât du gain et la soif de l'or, trafiquant sur la
monnaie sonnante, accaparant la plupart des denrées,
et dont les principes ont été depuis le commencement
de notre révolution contraires et bien éloignés de la
chose publique, de vils agioteurs qui ne vivent que
de lésines et de tromperies, calculant et préférant leurs
intérêts personnels au bien de la chose publique.
L'intérêt de la Patrie exigerait qu'ils fussent déportés
à 20 lieues dans l'intérieur et surveillés en consé-
quence ^
La fenêtre nationale nous a fait raison ces jours
derniers d'un scélérat de prêtre et de deux femmes
chez qui il logeait ; il fut pris singulièrement et je
vais vous dire comment * :
Deux officiers, se promenant dans la place de l'Éga-
lité au crépuscule du soir, aperçurent une femme
1. Sur le mouvement antisémite à Strasbourg en
l'an II, cf. La Révolution française, t. XLII, janvier-
juin 1907, pp. 553-554.
2. Le sergent-major Leclerc doit faire allusion à
« l'abbé Wolbert, ancien vicaire de la Cathédrale, qui
fut guillotiné, le 2 juin 1794, sur la place d'armes de Stras-
bourg, avec deux vieilles blanchisseuses qui lui avaient
accordé un refuge » (Seinguerlet, Strasbourg pendant la
Révolution française, p. 251).
AUX A.RMÉES DU RHIN 4<J
<iui s'y promenait aussi dans la même allée, tenant
un mouchoir blanc de la main, qui lui cachait toute
la partie inférieure de son visage, arrangée de façon
ii ne pas s'y méprendre pour déceler le physique
masculin, sous le costume d'une femme déguisée,
f'pendanl mal fagoltée, certes. Un de ces officiers
l'aborde un peu militairement ; l'ayant examinée, lui
adresse quelques paroles, veut la questionner, mais
la supposée femme garde le silence, ne veut dire mot.
L'olTîcier, tout déterminé, lui ôte le mouchoir, la
■pgarde el lui voit de la barbe; il eut alors une con-
viction bien évidente que c'était un homme sous les
vt^lementa d'une femme. Dès ce moment, il fut saisi et
onduit de suite à la maison d'arrêt. On ne sait la
quantité de gens que le brigand de prêtre avait cor-
(•nipus ou fanatisés. On a trouvé chez lui, c'est-à-dire
. 1k/ les deux femmes où il était logé, un petit coffre
.[ui contenait tout l'alliniil d'un ci-devant prêtre, el
les résultats de cette afiaire ont été cause qu'il y a eu
227 mandats d'arrêt de lancés sur différents citoyens
de Strasbourg.
Voilà un trait, qui, venant à l'appui du panégyrique
. |uc j'ai fait dans me» précédentes lettres, de ce pays*
doit vmiseniblableraent vous confirmer sur leur frêle
patriotisme et qu'il s'en faut de beaucoup que les
habitants de cr^ contrt'-es soient :\ In h.uilcur des grands
prini'ip«'s.
Mous avons m une journée de Undc beauté le
20 dernier de ce moi» [8 juin 1794]; lu Tête natio-
50 AU SERVICE DE LA NATION
nale a été majestueuse*. Je vous jure que de la vie
je n'ai vu tant de femmes habillées de blanc. Ce qui
a grandement contribué à l'embellissement de la fête,
ce sont les grandes victoires remportées dans l'armée
du Nord. Le même jour, le Représentant a reçu des
ordres pour se transporter sur-le-champ à la Conven-
tion, et ses pouvoirs étaient par le même ordre sursis.
Nous espérons revoir l'imprenable Saint -Just, un
homme d'un rare mérite par ses talents et ses
vertus.
Je n'ai pas le temps pour vous instruire sur
d'autres faits. J'ai écrit à mon ami Beaudeloux ; il ne
m'a point fait réponse. Sachez me dire s'il est absent
ou s'il a reçu ou non ma lettre.
Je suis mortifié on ne peut plus du grand silence
que l'ami Solignat garde à mon égard. J'en suis
véritablement attristé, ainsi que de la froideur de
bien d'autres.
Vous trouverez ci-joint le certificat que vous m'avez
demandé et avec juste raison '^ Si on le trouvait daté
1. Il s'agit de la fête de l'Etre suprême, qui fut célébrée
à cette date avec faste par les Strasbourgeois (Seinguer-
let, op. cit., p. 245 sqq).
2. Voici le texte de cette pièce, placée à la suite de la
lettre :
République française. — Grenadiers. — Infanterie.
1"'' bataillon des Amis.
Nous, composant le conseil d'administration dudit ba-
taillon, certifions que le citoyen Eloy Leclerc, originaire
de Riom, a servi depuis le jour de son entrée dans la
compagnie de grenadiers du Puy-de-Dôme jusqu'à ce jour
AUX ARMÉES DU RHIN bi
de trop loin, je vous en ferai passer aussitôt votre
réponse. Je suis avec fraternité toujours votre attaché
fils.
Leclerc,
Sergent-major.
Bonjour à l'intime Solignat. J'entendrai toujours
avec plaisir les constantes vérités qui sortiront de ta
bouche et que tu m'informeras sur la désolation des
créatures désœuvrées par l'absence de leurs bons
amis (voilà la seule expression dont se servent les
fdles de Strasbourg).
Recommandez bien à Solignat de m'écrire ; il m'o-
bligera. J'ai tant de choses à vous communiquer qu'il
me faudrait le loisir et la circonstance. Ma lettre est
pleine et je n'ai encore rien dit. Ecrivez-moi sur-le-
champ. Quant à l'argent que vous voulez me faire
tenir, si vous le pouvez envoyez-moi le moins
25 Hntcs ' .
ivec zèle et probité; qu'il a jusqu'ici montré le plus grand
dévouement à la République et qu'il continue de servir
dans la 1" compagnie de grenadiers au dit bataillon en
({ualilé de sergent-major. En foi de quoi nous lui avons
délivré le présent.
A Strasbourg, le sept ventôse, l'an 2" de la République
française une et indivisible.
Chébène fourrier, Daveney capitaine...
1. Archives de Riom, secours aux familles des défen-
seurs de la Patrie, n" 307.
52 AU SERVICE DB LA NATION
A la citoyenne Desbruères, chez le citoyen Crublier.
Rue des Pavillons, à l'Indrelibi^e, ci-devant Château-
roux {Indre).
Camp de Landau ', 7 messidor an II [23 juin 1794].
Ma chère mère,
Je puis vous dire que, depuis notre départ de
Besançon, nous avons toujours été en route. Cepen-
dant nous avons resté quinze jours à Kerninguc^,
trois jours à Neuf-Brisach.
Vous me dites que vous avez fait tirer les cartes et
que j'avais une jolie maîtresse; je vous dirai avec
vérité que j'ai eu beaucoup de chagrin en quittant
Besançon, mais ce n'est pas pour les filles, c'est plu-
tôt pour le bon vin à bon marché, tandis que mainte-
nant nous ne buvons ni vin ni eau-de-vie, et les trois
quarts du temps nous manquons de pain.
Je vous dirai que le l*"" bataillon de l'Indre est près
de nous. J'ai vu tous les camarades, ils se portent
bien. Je vous dirai que le jour que nous sommes
arrivés sur les hauteurs de Landau, l'ennemi a tenté
de vouloir passer les lignes de Germersheim '. Il
1. Dans les derniers jours de mai, en dessinant un
mouvement de retraite à la suite de l'affaire de Kaisers-
lautern (cf. les lettres publiées pp. 42 et 44), l'armée du
Rhin avait établi son quartier général à Landau.
2. Peut-être Kerlingen (Lorraine), cercle de Thionville,
canton de Sierck.
3. Desbruères fait probablement allusion à une attaque
malheureuse de nos avant-postes par les Autrichiens le
AUX A.RMKSS DU BHIN &3
nous a fallu partir à 2 heures du matin. Heureuse-
ment, nous sommes arrivés à temps et nous l'avons
repoussé vivement. Actuellement, quand nous mar-
chons à l'ennemi, nous ne portons plus nos sacs,
nous avons seulement un peu de pain dans la poche
et quelquefois rien du tout...
Nous nous attendons tous les jours à partir pour
rolever l'avant-garde, qui est bieo fatiguée de ser-
Salut et fraternité.
Votre fils,
DesBRUÈBEs André.
Nous allons Aire embrigadés, deux bataillons de
volontaires avec un de ligne, mélangés*. On don-
nera un autre nom au bataillon. Je vous le dirai : cela
m'est égal. Je m'accoutume avec tout le monde. Il
n'y a que l'armée du Rhin qui ne me plaise pas. Il
doit faire meilleur et plus chaud en Espagne.
Qîla m'ennuie d'ôln; toujours dans le même en-
.Jroil".
1 9 juin nsi4 (fîouvion Sainl-Cyr, Mémoires sur les campagnes
tes armées du lihinetdc Hhin et-Muselle, L. II, p. I>3).
4. Le 1" bataillon du Doub.s allait »c trouver réuni au
1*' l)alaill(>a liu 3" réjçinient d infunterie et au 4* bataillon
de la Sciiie-lnréricure pour furiner la o" demi-brigade.
2. Archives de Chàtcauroux, H. b9-93/i4. Carton 24,
I* série, 1*' bataillon du Uoubs.
54 AU SERVICE DE LA NATION
Au citoyen Deguir, maréchal, à Pionsat, district de
Montaigu, département du Puy-de-Dôme, par Mon-
taigu, à Pionsat.
Du camp près Landau S le 42 messidor l'an I! de la Ré-
publique une et indivisible [3C juin 1794].
Ma chère mère,
Je mets la main à la plume pour vous donner de
mes nouvelles et pour en recevoir des vôtres. Voilà
plusieurs fois que je vous écris et vous ne me faites
aucune réponse, et ça me fait bien de la peine de ne
pas recevoir de vos nouvelles. Ma chère mère, je ne
vous ai point envoyé de certificat à cause que je n'ai
point reçu de vos nouvelles, mais j'en attends avec
une grande impatience et, sitôt que vous m'aurez
rendu réponse, je vous en enverrai un pour toucher la
pension que la Nation accorde aux mères qui ont des
fils au service de la République.
Je vous dirai, pour des nouvelles de la guerre, que,
le mois de décembre, nous avons repoussé l'ennemi
qui était jusqu'auprès de Strasbourg^; nous l'avons
1. En juin 1794, les trois bataillons de la 65" demi-
brigade de bataille étaient cantonnés à Kneringen et à
Ober-Essingen, en avant de Landau (Historique du 6^^ régi-
ment d'infanterie de ligne. Nantes, in-8°, s. d.. p. 16).
2. Le volontaire Deguir fait allusion à la série des
combats victorieux que Hoche livra aux ennemis à la fin
du mois de décembre 1793 (notamment, combat du Gciss-
berg, le 26 décembre) et qui contraignirent Wurmser et
Brunswick à battre en retraite. Sur la triste situation de
l'armée pendant le rigoureux hiver de 1793 décrite dans
AUX armf':es du RHIN 55
lait battre en retraite au moins de trente lieues el de
plus encore dix lieues sur son territoire ; là, nous
avons passé l'hiver à bivouaquer dans la neige jusqu'à
moitié jambe. Nous avons beaucoup souffert jusqu'à
ne pas pouvoir avoir de l'eau, que toutes les rivières
et fontaines étaient gelées, et, étant à la poursuite de
l'ennemi, que les vivres nous ont manqué pendant
quatre jours. Nous étions obligés de vivre de pommes
de terre el de raves, encore pas tant que nous en
aurions bien mangé ; mais, une fois que nous avons
été dans le pays ennemi, nous leur avons tout pris,
nous les avons ruinés. Mais l'ennemi voyant cela a
apporté des forces supérieures au-dessus de nous, nous
n'ayant qu'une simple avant-garde de 10.000 hommes,
et nous avons repoussé l'ennemi qui était à plus de
30.000 hommes. Mais, comme d'un autre côté l'armée
de la Moselle a été repoussée, nous avons été obligés
d'évacuer cinq lieues.
Mais, à présent, nous sommes sur une hauteur et
nous avons reçu des forces ; nous attendons l'ennemi
à pied ferme. Tous les jours, nous nous battons,
mais ce n'est pas de grande bataille ; nous revenons
toujours dans nos mêmes positions. Mais je crois qu'au
premier jour nous allons faire une attaque générale.
celte lettre, cf. Chuquct, Les guerres de la Révolution, Hoche
et la lutte pour rAUace, pp. 228 sqq. Sur les divers faits
d'armes auxquels le volontaire Deguir a pris part, on
consultera avec profil le livre du capitaine Hennequin,
La campagne de 1794 entre Rhin et Moselle.
56 AU SERVICE DE LA NATION
Derniôrement, l'ennemi a tenl/^ le passage du l\hin
pour nous couper par derrière, mais il s'esl bien trouvé
couillonné; notre général, voyant ça, a fait retirer les
avant -poster qui étaient le long du Rhin et les a
laissée passer aux environs de i.oOO hommes, et nous
étions tout prêts à les recevoir : nous avons tombé
dessus à coups de canon et la baïonnette aux reins ;
nous les avons tous hachés. Voilà tout ce que je puis
vous marquer pour le présent.
Ma chère mère, je finis en vous embrassant de tout
mon cœur ainsi que mes frères et sœurs, neveu et
nièce, et suis et serai pour la vie votre fils,
J. Deguir,
maréchal.
Ma chère mère, je vous prie ûb me faire réponse
sitôt la présente reçue et de ffie marquer l'état de
votre santé et de toute la famille et les nouvelles du
pays, et ne manquez pas de me faire savoir des nou-
velles de mon frère Deguir, le cordonnier, et vous me
marquerea son adresse, s'il est possible. Vous ferez
bien mes compliments à tous mes amis et voi-
sins.
Mon adresse est iça : Citoyen Deguir, volontaire
dans la 4* compagnie du 2® bataillon de la 65^ demi-
brigade, en avant-garde à l'armée du Bas-Rhin, près
Landau, à l'armée du Bas-Rhin \
1- Archives de la ville de ïUom-
AUX AHMKKS DU RHIN Î17
Au républicain Chambrias, maréchal ferrant, àPion-
sat, district de Montaigu, département du Puy-de-
Dôme.
Au bivouac de larraée du Rhia. le 30 messidor,
deuxième annte républicaine [18 juillet IT'Ji"].
Mon cher grand-père,
Je prends la liberté de vous écrire ces deux mois
pour avoir le plaisir de m'informer de l'état de votre
santé, ainsi que de e^lle de ma grand'mère. Vous
m'accuserez peut-être de négligent de ce que je ne
vous ai pas écrit plus tôt. Je vous prie de m'excuser,
car je croyais toujours que j'obtiendrais un congé et
que j'aurais l'avantage de vous aller embrasser. Je
vous renieivic infiniment des bontés que vous avez
eues à mon égard. Je tâcherai di" faire mon {X)ssible
pour vous en prouver ma reconnaissance. Je désire
ardemment, de tout mon cœur, que la présente vous
trouve, ainsi que ma grand'mère, en bonne santé ;
c'est tout ce que je peux désirer.
Quant à moi, je me porte assez bien pour le pré-
-nt, malgré tiiutcs les [)eincs et fatigues que nous
\ ons cssuyé(» et ne cessons d'essuyer journellement,
. iu'je vous dirai qu'il [y] a sans e.xagér<'r plus de six
mois qu'aucun de nous ne s'est déshahill»'». D'ailleurs,
je sais qu'un bon républicain ne doit pas craindre la
fatigue, surtout LL>rs<]u'il s'agit de défendre la lib^^rlé.
Quant h la guerre, je vous dirai que, le 25 do ce
iiiui.s ri3 juiliel i7t)l\ iMiiis iivniis :iIIh(|iji' rciiiifini
58 AU SERVICE DE LA NATION
sur tous les points ; il s'est donné une bataille terrible * .
Nous [nous] sommes battus de part et d'autre avec
acharnement, mais le courage incroyable des braveis
républicains ne s'est jamais ralenti d'un instant. Le
feu a commencé à une heure du matin jusqu'à neuf
heures du soir, que la bataille s'est décidée en notre
faveur. Le champ de bataille a été jonché de morts ou
de blessés. Nous leur avons tué infiniment de monde,
pris huit cents prisonniers, beaucoup de pièces de
canon et beaucoup de munitions.
L'armée du Nord fait tous les jours des prodiges de
valeur ; de tous côtés, la victoire nous tend les bras.
Nous avons pris Mons, Ostende et Bruxelles. Notre
armée marche sur Gand. Je vous dirai aussi que nous
avons repris Condé et Valenciennes ; ils se sont
rendus à discrétion ; toute la garnison a été prison-
nière. Nous avons repris toutes nos pièces de canon,
des vivres et des munitions en tout genre ^.
1. Le volontaire Defage doit vouloir retracer les péri-
péties du combat d'Eidesheim, qui eut lieu à cette date,
car la 54® demi-brigade de bataille prit part à cet enga-
gement (cf. Historique manuscrit du 54" régiment d'infan-
terie, par le lieutenant Guignard, pp. 305 sqq., aux archives
historiques de la Guerre). Ce combat et ceux des jours
suivants assurèrent à la 54® demi-brigade et à l'armée
.du Rhin la complète possession des hauteurs vosgiennes.
Toutefois, il ne semble point que l'engagement d'Eides-
heim ait eu l'importance que Defage lui attribue.
2. Les renseignements que Defage envoie à son grand-
père sur les opérations de l'armée du Nord sont sujets à
caution. Sans doute, Mons, Ostende et Bruxelles étaient
pris au moment où il écrivait cette lettre (la capitulation
AUX ARMÉES DU RHIN 59
Je VOUS prie d'assurer de mes respects à mon père,
à ma mère, ainsi qu'à mes frères et sœurs, oncle,
tante et toute notre famille. Vous direz aussi à mon
père que je suis bien inquiet sur sa santé, attendu que
je lui ai écrit plusieurs lettres et je n'ai pas eu réponse.
Comme aussi je vous prie, aussitôt la présente reçue,
de m'honorer de votre réponse. Poulignat, le scribe
sergent, vous fait bien ses compliments. Je n'ai autre
chose à vous marquer pour le présent. Je finis en
vous embrassant de tout mon cœur et suis éternelle-
ment, avec un profond respect, votre petit-fils,
Defage,
Volontaire au 3* bataillon de la 54* demi-brigade,
7» compagnie, au bivouac de l'armée du Bas-Rhin '.
Sans adresse.
De Rehmagen *, ce 18 brumaire, 3* année républicaine,
une, indivisible ou la mort [8 novembre 1794].
Ma chère mère,
...Nous avons reçu les ordres pour aller nous battre
de Mons et d'0.stcnde est du !•' juillet 1794, celle de
Bruxelles du 10 juillet). Mais Valenciennes ne capitula que
le 27 août, et nos troupes ne reprirent Condé que le
30 août. On voit donc que le volontaire Defage anticipe
singulièrement sur le récit des événements. Il y avait
loin des cantonnements de l'armée du Hhin aux bivouacs
de l'armée du Nord : entre les deux corps, les fausses
nouvelles pouvaient aisément circuler et s'accréditer.
1. Archives particulières de M. Mangerel, maire de
Pionsnt (copio rommuniinnV par M. lo lieutenant Suint-
Arroman).
2. Les IroupL's de .Mnrccau, d«î (.hapsnl et de liuhesmf
60 AU SERVICE DE Lk NATION
avec nos ennemis. Notre marche a été heureuse et
avantageuse pour hi République ; nous avons passé
une rivière à la nage, d'où jious avons monté à l'assaut.
Dix chasseurs de chez nous ont pris six pièces de
canon et cent- vingt hommes prisonniers ; nous leur
avons pris quarante-cinq bouches à feu et environ cent
caissons avec leurs chevaux et avec leur équipage.
Nous les avons foutus tous en déroute ; il est resté
beaucoup d'Autrichiens sur le carreau et beaucoup
de prisonniers. Nous les avons poursuivis jusqu'à
Cologne et on leur a encore pris cent-dix hussards
tout montés et équipés, et, de là, ils ont passé le Rhin
plus vite qu'ils auraient voulu passer*. De là, nous
avons été à Bonn et nous n'avons pas eu beaucoup de
peine à la prendre. Nous sommes partis de là pour
marcher sur Coblentz, que nous avons pris sans perdre
beaucoup de monde, et nos chasseurs à cheval ont
foncé sur leur retranchement, ainsi que le général
Marceau à la tête; ils leur ont pris deux pièces de
prirent leurs quartiers d'hiver sur le Rhin, entre Ander-
nach et Neuss, à partir du 24 novembre (Duinolin, op.
cit.,i.],p. 269).
1. Le récit imagé et brutal du sergent Logé fait allu-
sion aux divers faits d'armes de la bataille d'Aldenhoven
{{^'-3 octobre 1794). A la suite de ce combat, les troupes
françaises, sous la direction de Lefebvre, de Scherer, de
Jourdan et de Kleber, mirent en complète déroute l'armée
autrichienne. Jourdan entra le 6 octobre à Cologne; Mar-
ceau pénétra le 23 à Coblentz; après ces victoires,
l'armée de Sambre-et-Meuse prit le l'epos qu'elle avait
glorieusement gagné (Dumolin, op. cit., t. I, pp. 264-269).
AUX ARM BBS DU RHIN 61
CAnon dans leur retranchement et leur ont pris aussi
cinquante hussards avec cent hommes d'infanterie
prisonniers. Et, de là, le général a sommé la ville de se
rendre ; ils ne se sont rendus qu'à six heures du soir
et nous sommes entrés dans Coblentz, et tous les
tyrans avaient passé le Rhin. De là, nous partîmes en
quartier d'hiver sur le bord du Rhin. En arrivant dans
notre cantonnement, la plus grande satisfaction est
d'apprendre que Maëstricht est au pouvoir de la Répu-
blique française '. Toute la garnison a été faite prison-
nière et renvoyée chez eux, et ils nous en renverront
le môme nombre des nôtres. Voilà comment les braves
n-publicains travaillent, surtout quand ils sont lÀen
commandés!... Voilà tout ce que je peux vous
apprendre de nouveau pour le présent... Je vous
embra.sse de tout mon cœur.
Votre fils,
Antoine L066,
sergent *.
Mon adresse est : Au citoyen Lt^é, sei^ent à la
5* compagnie du 26' bataillon d'infanterie légère, à
l'avant^garde de l'armée de Sambre-et-Mj'use, division
t. .A«siôg'«''e pnr K'Ieber, qui èt«it venu a« Recours de
t ,.ge
li luLuiie du • iiai'iljy. dans le
J'i' . - militaires, in:- -.t. XfX. pp. 247-
27». 3tfî>-42i. et t. XX, pp. 101-134.
2. Engage volontaire le 15 septembre 17V2.
62 AU SERVICE DE LA NATION
du général Marceau, cantonné à Rehmagen, au bord
du Rhin, par Bonn ^
A la citoyenne veuve Chabory, demeurant comynune
de Riom, distinct de Riom, département du Puy-
de-Dôme .
Au bivouac devant Mayence, le 3 nivôse an III»
de la République française, une et indivisible
[23 décembre 1794].
Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort.
Chère maman,
Si je n'ai pu répondre plus tôt à votre lettre datée
du mois dernier, c'est que le temps n'a pu me per-
mettre de remplir un devoir aussi cher à mon cœur.
Je connais trop les sentiments républicains qui vous
animent pour ne pas être bien persuadé d'avance que
vous vous réjouirez avec tous les républicains de
notre ville de la conquête que vient de faire l'armée
du Rhin du fort de Mannheim. Ce fort si important
pour l'ennemi était endossé sur la rive gauche du Rhin
et ne cessait pas que de nous nuire et de nous inquié-
ter ici. Car, tant qu'il n'était pas en notre pouvoir,
nous ne pouvions entreprendre avec vigueur le siège
et le bombardement de Mayence. La nature n'a pas
peu contribué à nous en rendre maîtres. Les glaçons
énormes que charriait le Rhin ont achevé de couper
1. Archives de la ville de Riom.
AUX ARMÉES DU RHIN 63
le pont à demi culbuté par les bombes et les obus et
par nos batteries croisées ^
. . . Nous avons si bonne garnison qu'il nous faudrait
de quoi changer tous les jours. Voilà deux mois que
nous couchons sur la même paille dans nos trous de
marmottes. Cependant l'espérance de voir au plus tôt
triompher notre Patrie de tous ses ennemis nous fait
prendre notre mal en patience ; quelle que soit la
ligueur du froid, l'on n'en voit pas moins le môme
zèle à servir sa Patrie. « Vive la République ! Vive la
Convention! », tel sera toujours notre seul cri au tra
vers des neiges, des brouillards et des frimas. Je ne
m'étendrai pas davantage sur ce que nous pouvons
souffrir. Le courage et l'espérance font disparaître
toutes nos souffrances ; tout en jouant ici mon rôle
dans le tragique naturel, je souhaite à tous nos
parents et concitoyens la suite de leurs amusements
civiques. J'espère qu'à mon retour, si je suis assez
heureux pour le voir, je ne serai pas un acteur sans
apprentissage. Nous n'avons point ici pour maître ni
It's Racine, ni les Corneille, ni les Voltaire ; mais
•ependant le théâtre ne laisse pas que d'être des plus
fréquentés.
... Le capitaine Frenaye me chaîne de mille cmbras-
i. Sur les débuts du siège de Mayence, cf. la lettre
publiée p. 69. Le caporal Chahory parle de la rcdditioa
du fort de Mannheim comme d'une chose accomplie : cette
lettre est cependant antérieure de quelques jours À la
prise du fort par nos armées.
64 AU SERVICE DE LA NATION
sades pour la Miette, la Jeanneton et la femme de
Tailhaud jeune, et rien pour les vieilles.
Je désapprouve les cinq derniers mots. Je vous
embrasse toutes bien cordialement.
Fhenaye '.
Je ne cesserai d'être le plus dévoué et respectueux
fils.
GHABOHt,
caporal.
Des grenadiers du 1°' bataillon de la 54° demi-bri-
gade ^ au bivouac sur les hauteurs de Mayence, divi-
sion de Desaix, à l'armée devant Mayence, par Lan-
dau ^
Au citoyen Gervais Marsin, cultivateur, à Riom,
département du Puy-de-Dôme.
Année devant Mannheim, le 0 nivôse an 111° de I;>
République une et indivisible [i9 décembre 1794 1.
Mon très cher père,
Il me semble de loiin entendre la voix de mes pa-
rents qui me reprochent d'être long à leur donner âv
1. Capitaine de la compagnie des grenadiers du l®"" ba-
taillon du Puy-de-Dôme.
2. La compagnie de grenadiers du l^"" bataillon de la
548 demt-brigade fut formée avec la compagnie de grena-
diers du l""" bataillon du Puy-de-Dôme.
3. Archives de la ville de Riom.
AUX AKMËES DU RHIN 65
mes nouvelles. Mais je me flatte d'ôtre bientôt justifié
quand j'aurai expose les motifs de ce long silence.
Depuis deux mois, nous étions occupés à faire le
siège de Mannheim ; nous n'avions pas un quart
d'heure de repos; le jour, nous construisions des
batteries et, la nuit, nous bivouaquions dans la neige
et sans feu. Mais toutes les peines sont oubliées et
l'étendard de la tyrannie vient de s'abaisser devant
le drapeau tricolore. Le 6 de ce mois, le représentant
du peuple somma le commandant de la place de Mann-
heim de nous livrer le fort qui était de notre côté.
Les lâches, qui ne connaissaient point ce que doit
laire un peuple pour défendre son pays, se sont humi-
liés devant la souveraineté nationale le 7 du même
mois. Nous sommes entrés dans le fort tambours bat-
tants. C'était un spectacle bien doux pour des répu-
blicains de voir les lâches satellites du prince de
Mannheim et des autres tyrans admirer en secret la
bravoure et la générosité républicaines».
i. Sur le siège de la tète de pont de Mannheim, cf.
Gouvion Saint-Cyr, Mémoires sur les campagnes des armées
du Rhin et de Rhin- et- Moselle, t. II, pp. 3«9-410, avec un plan
hors texte. A la fin du mois d'octobre, le général Michaud
s'était établi devant Mannheim, car la prise de cette
place était de la plus grande importance pour la sûreté
du blocus de Mayence. Les défenseurs de Mayence sem-
blant hors d'état de prolonger longtemps la résistance,
le représentant du peuple Ferrand, les généraux Michaud
tt Vachot. envoyèrent, le 22 décembre, un parlementaire
au commandant du fort de Mannheim pour l'inviter à se
rendre sur-le-champ. Des négociations entamées entre
Allemands et Français n'aboutirent pas et, dans la nuit
66 AU SERVICE DE LA NATION
Vous sentez, d'après ce tableau, qu'il n'y va pas
de ma faute si j'ai tant tardé à vous donner de mes
nouvelles. Les soins d'un père et d'une mère que je
porte dans mon cœur me sont trop précieux, et leurs
bienfaits sont trop profondément gravés dans mon
cœur pour que je puisse les oublier un seul instant.
Au moment où je vous trace ces deux lignes, l'or-
dre arrive pour aller faire encore le siège de Mayence,
malgré la neige et le froid qui se font sentir * . Ça
va ; « vive la République ! w Je vous embrasse de tout
mon cœur.
Votre fils,
Antoine Marsin^.
du 23 au 24, les batteries françaises ouvrirent sur la ville
un feu désastreux. Le résultat cherché par les généraux
et le représentant du peuple fut pleinement obtenu : le
25 décembre 1794, les Français entraient dans le fort de
Mannheim. — Les renseignements que nous avons tirés
du livre de Gouvion Saint-Cyr ne s'accordent point chro-
nologiquement avec ceux du volontaire Martin. D'après
la lettre publiée, le représentant du peuple aurait sommé
les défenseurs de se rendre le 26 et non le 22 décembre ;
les Français auraient pris possession du fort le 27 et non
le 25. Les dates fournies par Gouvion Saint-Cyr sont plus
vraisemblables que celles du volontaire Martin. Au sur-
plus, le ton artificiel de cette lettre, peu intime, laisse
supposer que Martin a préféré, à une chronologie exacte,
un récit qui fut surtout glorieux et patriotique.
\. Les troupes françaises avaient commencé à prendre
position devant Mayence le 25 octobre 1794. Kleber reçut
le commandement des divisions de la Moselle et du Khin,
qui s'appelèrent désormais « armée devant Mayence u. On
sait que les Français n'entrèrent dans Mayence que le
30 décembre 1797.
2. Enrôlé le 16 septembre 1792.
AUX ARUÉBS DU RHIN 67
Mon adresse est : Au citoyen Marsin, volontaire
au 2* bataillon de la 42* demi-brigade, baraqué devant
Mannheira, 8' compagnie *.
1795
Au citoyen Vidal, jardinier, à Riom, sur le boulevard
de la Comédie, département du Puy-de-Dôme.
Au bivouac devant Luxembourg, le 17 nivôse,
3* année républicaine [6 janvier 1795].
Mon cher père,
. . . Vous me recommandez de la surveillance et de
l'activité dans le service ; cela est nécessaire surtout
contre un ennemi vigilant et aguerri. Les défenseurs
de la liberté n'en manquent pas et se montrent supé-
rieurs en tout aux esclaves, soit par leur bonne con-
duite, soit par leur valeur. Nous les combattons tou-
jours avec succès. G)mme tambour-major, je fiais
porter la terreur chez eux en levant cette canne; ce
signal leur devient funeste et fatal. On bat le pas de
charge, on croise la baïonnette, on immole à la liberté
mille et mille esclaves ; les autres, se voyant pressés,
ient à grands pas le champ de bataille.
Nous sommes arrivés le 1" frimaire [21 novem-
re 1794] devant Luxembourg ' ; nous avons eu un
mi
L
1. Archives de la ville de Riom.
2. Au mois de novembre 1794, trois divisions de l'armée
de la Moselle conduites par le général Morcaux vinrent
68 AU SERVICE DE LA NATION
combat opiniâtre à soutenir; il fallait chasser les
hordes autrichiennes des hauteurs qui dominent cette
ville. Les soldats républicains ont déployé dans cette
circonstance cette valeur, cette opiniâtreté et cette
constance si dignes d'un soldat qui combat pour sa
Patrie. Plusieurs satellites ont mordu la poussière, et
le reste a été dispersé, dissipé et repoussé jusque
sous les glacis de la ville. Trois pièces de canon et
quatre caissons ont été le fruit et le prix de notre cou-
rage. C'est ainsi que nous donnons des leçons ter-
ribles à ces vils ennemis, qui sont incorrigibles et qui
ont la témérité de nous venir attaquer.
Le 18 nivôse, l'ennemi ivre a voulu surprendre nos
postes et nous chasser de nos positions avantageuses.
Sa témérité lui a coûté cher : il est tombé sur nos
investir Luxembourg, que le feld-maréchal Bender défen-
dait avec une armée de 15.000 hommes (Dumolin, op. cit.,
t. I, p. 296). D'après l'Historique manuscrit du 86*^ régiment
d'infanterie, conservé aux Archives historiques de la
Guerre, la division Debrun arriva en vue de Luxembourg
le 15 novembre (p. 34). Le combat raconté par le tambour-
major Vidal doit être l'engagement du 21 novembre, à
l'issue duquel 3 canons et 30 prisonniers restèrent aux
mains de nos troupes (pp. 35-36). Il convient de noter que
la chronologie de cette lettre est incertaine. Vidal y parle
de succès remportés le 18 nivôse, et sa lettre est datée du
17 nivôse! Dans ces conditions, on ne saurait dater avec
précision la sortie malheureuse des Autrichiens, dont il
lait le récit. Le siège de Luxembourg, conduit successive-
ment par les généraux Moreaux et Ambert, se prolongea
encore longtemps, car Luxembourg ne se rendit que 1©
l^"" juin 1795 sous la menace d'un bombardement. Sur le
siège de Luxembourg, cf. les lettres publiées pp. 75, 76
et 83.
AUX ARMÉES DU RHIN 69
postes à 5 heures du matin avec rage et acharnement;
ils ont été obligés de se replier ; mais bientôt,
venant du renfort à leur secours, ils ont bientôt eu
l'avantage sur ces esclaves, qui ont été obligés de
battre en retraite et de se retirer bien vite sous les
murs de la ville, où nos tirailleurs les allaient cher-
cher. Nous avons perdu sept ou huit hommes et eu
quelques blessés ; l'ennemi a eu dans cette rencontre
à déplorer la mort d'un grand nombre et en a eu
beaucoup de blessés ; le champ de bataille a été teint
et couvert de son sang...
Votre bon fils,
Vidal,
tambour-major*.
Mon adresse est : A Vidal, tambour-major en chef
de la 86* demi-brigade, devant Luxembourg, division
de Debrun, armée devant Luxembourg^.
Au citoyen Lherillet, à Bar-sur- Aube .
Devant Mayence, le 24 nivdse an III
[13 janvier 1795].
Mon cher père, ma chère mère,
Je vous écris pour vous dire que je me porte bien,
mais suis très fatigué par les travaux et le froid que
nous avons endurés devant Mannheim, et pour me
reposer ainsi que mes camarades, après la reddition
1. Engagé volontaire le 15 septembre 4792.
S. Archives de la ville de Riom.
70 AU SERVICE DE l-A NATION
du fort, nous sommes partis pourMayence. Nous avons
quitté les maux pour prendre la misère. C'est notre
brigade qui eut le plus de mal devant Mayence. Le
représentant et les généraux nous disaient : « Cou-
rage, mes amis! lorsque nous aurons le fort, vous
aurez le repos, vous irez dans de bons cantonne-
ments » . Les voilà les bons cantonnements ! c'est
comme le vinaigre de pis en pis ! Je ne me plains pas
pour que vous gémissiez sur mon sort, mais c'est
pour vous dire que tout en travaillant pour nos pères,
nos parents, nos amis, c'est toujours sur le cheval
que l'on tire. Les bataillons qui étaient dans les vil-
lages devant Mannheim sont actuellement au canton-
nement. Nous, qui étions à l'avant-garde à travailler
chaque jour la terre, recevant les boulets, nous les
recevons encore ! Nos maux seraient moins durs si
nous pouvions recevoir du pays quelques douceurs,
mais tout est si cher et les assignats ont si peu de
valeur que nous n'avons même pas de légumes. Nous
n'avons que les petites subsistances que la Répu-
blique nous passe. Notre armée est la plus malheu-
heureuse quoiqu'on l'appelle : l'armée du repos !
Les autres marchent, trouvent des vivres. Nous
sommes dans des pays ruinés par le passage des
autres; nous n'avons que du pain, et encore il est
gelé ; on en perd la moitié en le faisant dégeler, ce
qui nous perd un jour de vivres sur deux. Vous me
direz pourquoi notre armée ne fait-elle pas les mêmes
conquêtes que les autres ? Je vous répondrai que le
AUX ARMÉES DU RHIN 71
Rhin n'est par trailable, c'est une barrière qui en
impose aux deux partis'.
Si nous avions Maycnce nous aurions le Rhin pour
limite ; nous aurions les mômes avantages que l'en-
nemi. Mais Mayence que nous avons pris en badinant,
il y a deux ans, n'était pas fortifié alors, comme il
l'est aujourd'hui. On les avait surpris alors, mais il
faut se fâcher aujourd'hui et nous aurons de la peine
h prendre Mayence de force sans arrangement. Cette
prise nous coûtera cher. Je ne sais à quoi une si
nombreuse armée a passé son temps pendant que
nous travaillions devant Mannheim !
Pour le présent, mes chers parents, je vous prie de
faire mes amitiés à tous.
Votre fils pour la vie.
Cadet Lherillet.
Volontaire à la 4* compagnie du â* bataillon de TÂube*.
A la citoyenne veuve Michel, marchande de quin-
caillerie, place de la Loi, à Angers.
Metz, 22 nivôse an III [11 janvier 1793].
Ma chère maman.
La lettre de ma sœur en date du 10 courant m'an-
1. 11 s'agit de la prise de la tète de pont de Mannheim,
(cf. les notes de la lettre précédente, p. G5). 11 convient
de noter que les plaintes de ce volontaire sur la dureté et
la longueur du siège de Mayence étaient fondées, puisque
la ville ne fut reprise qu'en 1797.
2. Archives municipales de Bar-sur-Aube. H-i, réquisi-
tion, Carton 30.
72 AU SERVICE DE l,A NATION
nonce votre liberté et votre rentrée à la maison ^ ; en
apprenant cette nouvelle, ma bonne maman, et vous
embrassant, ce jour aurait été le plus beau de ma
vie : insensé que je suis, tu t'aveugles, le bonheur
est loin de toi. La lettre de ma sœur me fait verser
des larmes de joie, et je n'ai jamais pu la lire, je pleu-
rais de trop bon cœur, je croyais rêver; à la fin, j'ai
été persuadé de la vérité.
Plût à Dieu, ma chère maman, que le terme de vos
malheurs soit fini et que nous soyons assez heureux
pour pouvoir vous faire oublier vos malheurs.
Recevez, ma chère maman, mes remerciements
pour les 250 livres que vous me faites passer; ils
arrivent fort à propos et vous me rendez grand ser-
vice; je vais faire mon possible pour les faire filer
encore un mois et, quand ils seront finis, je rejoin-
drai le camp. J'ai été obligé d'acheter trois chemises,
qui m'ont coûté 25 livres; tout est au prix de l'or.
Si j'étais auprès de vous, je vous demanderais de
quoi faire un habit et un pantalon ; mais la trop lon-
gue route et l'incertitude de notre sort me mettent
dans toute impossibilité de vous demander des effets,
quoique j'en aie besoin.
J'ai acheté une américaine, qui m'a coûté fort cher
et m'a mis à fond de cale. J'écris de suite à Mi-
chel^; je désire qu'il se place avantageusement; je
1. La citoyenne Michel, mère du volontaire, avait été
arrêtée comme suspecte.
2. Le plus jeune frère du lieutenant Michel.
AUX ARMEES DU RHIN 73
désirerais pour vous être avec lui et ne plus tenir à
l'armée. J'écris à Gaspard ' ; il me marque qu'il est en
quartiers d'hiver. Pour nous, nous sommes devant
Luxembourg sans pouvoir faire de baraques ; plu-
sieurs volontaires ont eu les pieds gelés vu la rigueur
du temps.
Je suis en attendant de vos nouvelles.
Votre fils,
Michel.
Je prie ma sœur de me donner de ses nouvelles le
plus tôt possible à l'adresse ci-dessous :
Gtoyen Mangenot, perruquier, rue de la Vieille
Intendance, n" 669, à Metz*.
A la citoyenne veure Michel,
marchande de quincaillerie, place de la Loi, à Angers.
Metz, pluviôse an III [janvier-février 1795].
Ma chère maman,
La lettre de ma sœur m'est parvenue ainsi que l'as-
signat de 250 livres, qui est déjà en portefeuille et
ne tardera pas à être changé car tout est hors de prix.
La charretée de bois vaut 150 1., 3 I. un fagot, 10 1.
la livre de chandelle, 10 1. pour faire blanchir uneche-
i. Son frère aîné, h'eulenant au !•' bataillon, en congé
absolu.
2. Sur le lieutenant Michel, cf. pp. 4 sqq. Toutes ses
lettres publiées ici proviennent des archives particulières
de M. Michel, conservateur du musce Saint-Jean, A Angers.
7* AU SERVICE DE LA NATION
mise, le tout en général à proportion. Ce qui est mal-
heureux pour moi, c'est qu'absent du corps, je ne
touche aucune paye. Recevez, ma chère maman, les
remerciements d'un fils qui a toujours connu vos
bontés et qui fera son possible pour toujours les mé-
riter, et soyez persuadée de ma reconnaissance. L'as-
signat va me faire brûler quelques fagots de plus et
fumer une pipe, et cela pas plus tôt que ma lettre
finie. Oui, cela fait dissiper les chagrins ; il [me] semble
vous entendre dire : « il va se mettre à boire, cela fera
un monsieur bien propre » . Ma petite réflexion ne ca-
drera pas avec la vôtre. Vous direz : « voilà un homme
qui a tous les défauts », moi je dirai qu'un militaire
qui boit un petit coup et qui a la tôte échauffée est
heureux, il n'a aucune inquiétude et souci jusqu'au
réveil. De là, vous allez conclure que je suis un
ivrogne; non, ma chère maman, soyez persuadée que
je me ressouviendrai toujours des principes que vous
m'avez donnés ; quand j'aurai le plaisir de vous em-
brasser, je ne sentirai ni la pipe ni le vin ; mais pour
la gale, il ne faut jamais jurer de rien. La mienne
n'est pas encore guérie ; quoique j'aie fait et que je fasse
toujours des remèdes, il me reste toujours des bou-
tons : au bout du fossé la culbute !
J'ai reçu une lettre de Michel...
J'ai vu un adjudant-général qui se souvient de la
maison Lesour de l'Isle, surtout d'une des demoi-
selles ainsi que certain militaire. Quoique au loin, on
apprend à connaître son pays !
AUX ARMKES DU RHIN /5
Je suis en attendant de vos nouvelles,
Votre fils,
Michel.
Toujours à la même adresse :
chez le citoyen Mangenot. rue de la Vieille Intendance, à Metz.
Il me les fera parvenir si je suis à l'armée.
A la citoyenne veuve Michel,
marchande de quincaillerie, place de la Loi, à Angers.
Au bivouac devant Luxembourg, 12 ventâse, an III
[2 mars 1795].
Ma chère maman,
J'espère que ma dernière lettre datée de Metz vous
sera parvenue ; elle vous annonçait mon départ pour
le camp...
J'ai reçu une lettre de Michel; il me marque que
le citoyen Morcau a écrit à un de ses amis pour pou-
voir me placer du côté de Bruxelles. Je crois que
cela sera un peu difficile, car on ne change pas faci-
lement d'arme...
Le temps ne nous a pas encore permis de faire des
baraques, la terre étant encoregelée; je vous écris assis
sur un sillon. Au premier dégel, nous allons travailler
aux redoutes pour le bombardement.
Adieu,
Michel,
5* bataillon de Maine-et-Loire, devant Luxembourg.
Armée de la Moselle.
J'ai iroid aux doigts.
76 AU SERVICE DE LA NATION
A la citoyenne veuve Michel,
marchande de quincaillerie, place de la Loi, à Angers.
Au bivouac devant Luxembourg, !•' germinal an III
[21 mars 1795].
Ma chère maman.
Depuis quelques jours privé de vos nouvelles et
ignorant si mes lettres vous sont parvenues ainsi
que ma dernière qui contenait les détails de la vigou-
reuse sortie qu'a faite la garnison de Luxembourg.
D'après le rapport de quelques déserteurs, ils ont
eu 900 hommes hors de combat. La perte n'est pas
tout à fait aussi conséquente de notre côté.
F. Michel,
5» bataillon de Maine-et-Loire, division d'Ambert*,
armée de la Moselle, devant Luxembourg.
A la citoyenne veuve Michel,
marchande de quincaillerie, place de la Loi, à Angers.
Au bivouac devant Luxembourg, 26 germinal an III
LIS avril 1795].
Ma chère maman,
Si j'ai tant tardé à vous donner de mes nouvelles,
c'est que depuis très longtemps on parlait de notre
départ et [je] voulais attendre la nouvelle officielle
pour vous faire part de notre marche.
1. Le général Ambert avait pris le commandement des
troupes qui assiégeaient Luxembourg, après la mort de
Moreaux à Thionville (16 février 1795).
AUX ARMÉES DU RHIN 77
L'armée de Sambre-et-Meuse est arrivée et relève
tout le blocus de Luxembourg*. Les lauriers sont
destinés pour cette armée; ils arrivent au moment
que tous nos travaux sont finis; nous aurons essuyé
toute la fatigue et eux auront la gloire !
La nouvelle de notre départ a indigné toute
l'armée, mais la discipline qui y règne fait que le
soldat exécute avec activité les ordres qu'on lui
donne.
Si la paix ne se conclut pas avec l'Empereur, sous
six semaines, vous verrez dans les papiers publics
Luxembourg bombardé et peut-être au pouvoir de la
République*.
Nous partons demain matin pour border le Haut et
Bas-Rhin ; notre destination est pour Spire, à 10
ou 12 lieues au-dessus de Mayence ; nous ignorons
si nous y resterons ; il pourrait arriver qu'on passerait
le Rhin, alors, il nous sera pas aussi facile de donner
de nos nouvelles, comme en France.
N'ayez aucune inquiétude, ma chère maman, si
j'étais quelque temps sans vous écrire. Soyez per-
suadée que je saisirai toute occasion pour me pro-
curer de vos nouvelles.
1. Deux divisions de l'armée de Sambre-et-Meuse, pla-
cées sous la direction du général llatry, avaient relevé
les deux divisions assiégeantes, qui rejoignirent l'armée
du Rhin à Mayence.
2. Bombardé dans la seconde moitié du mois de mai,
Luxembourg capilula le 1 juin 1795. Sur les clauses de la
capitulatioo, cf. lettre publiée pp. 83.
78 AU SERVICE DE LA NATION
Je suis avec respect, votre fils,
Michel.
P. -S. — J'embrasse ma sœur.
A la citoyenne veuve Michel, place de la Loi,
à Angers.
Au cantonnement d'Auggrestin', bords du Rhin,
12 floréal an III [1" mai 1795].
Armée Rhin-et-Moselle, division Vachot,
brigade de Frimont.
Ma chère maman,
Je présume que ma dernière lettre vous sera par-
venue, qui vous annonçait notre départ de Luxem-
bourg pour aller border le Rhin; nous avons fait une
route de soixante et quelques lieues ; ce voyage nous a
rappelé les malheureux pays de la Vendée ; nous ne
voyagions que dans des gorges entourées de mon-
tagnes de tous côtés ; les villes où nous passions
n'offraient que des ruines, les villages la plus grande
misère. Les malheureux habitants de ces contrées sont
réduits à manger des crompires jusqu'à la récolte.
Nous sommes en face de Mannheim, qui est de
l'autre côté du Rhin ; cette ville est une des plus
belles de l'Allemagne, mais la suspension d'armes
qui existe avec le prince Palatin fait que nous nous
bornons à garder chacun de notre côté*.
1. Oggersheim, sur la rive gauche du Rhin, à côté de
Mannheim.
2, Occupée par une faible garnison de troupes pala-
AUX ARMÉES DU RHIN 79
Dans notre voyage, j'ai passé à Spire et Worms, où
nos émigrés ont séjourné très longtemps ; ce spec-
tacle n'offre qu'un spectacle très triste (sic) ; les plus
beaux édifices sont détruits.
Adieu, ma chère maman, veuillez me donner de
vos nouvelles et me croire avec le plus profond res-
pect.
Votre fils,
F. Michel.
Mille choses à ma sœur; nous sommes très mal-
heureux dans ce pays, nos assignats perdent consi-
dérablement ; notre paye nous vaut que c'est ceux
qui ont de l'argent qui sont heureux.
A la citoyenne veuve Michel,
marchande de quincaillerie, place de la Loi, à Angers.
Au camp d'Auggrestin, bords du Rhin,
20 floréal an III [9 mai 1795].
Ma clière maman.
Depuis quoique temps, nous avons reçu ordre du
général en chef d'aller baraquer sur les bords du
Rhin ; nous sommes on [ne] peut plus mal, manquant
généralement de tout, môme de bois pour faire la soupe,
ïvc 13 (lu courant [2 mai], nous avons eu une affaire des
tines, Mannhcim se rendit à Pichcgru le 20 septembre 1795
(fîouvion Saint-Cyr, op. cit., t. M, pp. 190-191 et pp. 488-
491).
80 AU SERVICE DE LA NATION
plus terribles * ; l'ordre arrive à la colonne d'aller atta-
quer une redoute proche et de nous emparer d'un
village proche [de] Mayence. L'ordre donné, un de
nos adjudants-généraux chef de brigade passe à l'en-
nemi, instruit de notre mouvement. Nous attaquons
le village ; l'ennemi bat en retraite et nous laisse
avancer. Pondant ce temps, l'armée de Mayence fait
une sortie au nombre de 18.000 hommes, nous cerne
par derrière ; l'ennemi qui avait quitté sa première
position revient à la charge, nous sommes obligés de
nous faire une trouée, nous sommes repoussés jus-
qu'au delà de nos retranchements : 10 pièces de
canon nous sont enclouécs dans cette mallieureuse
journée; il est resté 5.000 hommes sur le champ de
bataille; d'un régiment de 500 hommes, il ne s'en
est sauvé que 9; il faut espérer que nous aurons
notre revanche.
D'après la récapitulation de notre bataillon, nous
avons perdu cet hiver 200 hommes, tant par le feu que
par la misère et la gelée; nous sommes on ne peut
plus malheureux; le pain nous parvient difficilement,
encore perd-t-on un ou deux jours par décade.
1. Cette « affaire » du 13 floréal doit être identifiée avec
un combat devant Mayence rapporté par Gouvion Saint-
Cyr à la date du 30 avril (op. cit., t. II. pp. 166-171). Gou-
vion Saint-Cyr, témoin oculaire, termine son récit par ces
mots : « Jusqu'au 31 mai, il n'y eut aucun mouvement
dans les positions de l'armée devant Mayence ». La nar-
ration de Gouvion Saint-Cyr n'est pas aussi pessimiste
que celle du lieutenant Michel et ne contient aucun détail
relatif à la trahison d'un adjudant-général.
AUX ARMÉES DU RHIN 81
Le papier n'a aucune valeur dans ce pays; noire
paye ne vaut pas un sol par jour.
Une culotte de Nankin vaut 120 1.; le drap, 300 1.;
une paire de bottes, 200 1. ou 24 1. en argent ; les sou-
liers 50 1. ou 6 1. en argent.
Jugez d'après ces prix comme je puis m'habiller.
Ceux qui ont de l'aident peuvent vivre facilement. Si
notre dépôt va à Strasbourg, je vous prierai, ma
chère maman, de me faire un paquet d'effets et de me
TadressiT au dépôt ; d'après votre réponse, je vous
ferai passer une noie de ce que j'ai besoin.
Je suis en attendant de vos nouvelles, ma chère
maman, votre fds,
F. Michel.
J'embrasse ma sœur ; je la prie de me faire réponse.
Je présume qu'il y a quelque lettre à la poste pour
moi, car je n'ai reçu aucune nouvelle depuis Luxem-
^)0u^g.
Michel.
Sous-lieatcnaot au 5* bataillon de Maine-et-Loire,
armée de Rhin-et-Mosclle. division de Vachot,
brigade de Priment.
J'ai écri» > nfis^parfl.
A la citoyenne veuve Michel^ place de la Loi,
à Angers.
Sur les bords du Rhin. 5 prairial an III (ai mai 1795].
Armée Rhin-et-Moselle.
Ma chère maman.
Une lettre de Michel, en date du 20 de l'autre mois,
MCARO. C
82 AU SERVICE DE LA NATION
m'annonce de vos nouvelles ainsi que de ma sœur;
je souhaite que la présente vous trouve d'une aussi
bonne santé. Depuis six semaines, je suis privé de vos
nouvelles; je ne sais à quoi attribuer ce retard; je
présume que les postes en sont la seule cause. Si ma
dernière vous est parvenue, vous aurez appris l'afïaire
qui nous est arrivée proche [de] Mayence. Depuis ce
temps, nous sommes très tranquilles de part et d'autre
et môme, dit-on, qu'en ce moment des Représentants
sont à Bàle, en Suisse, pour traiter*. Si la paix se
faisait, nous aurions le plaisir d'entrer dans plusieurs
villes d'Allemagne. Nous ne sommes qu'à 10 lieues
de Francfort, ville célèbre par ses foires, 30 lieues
d'Eberfeld, 30 de Solingen, d'où nous tirons tous nos
lacets, outils, limes ^; toutes ces villes ne sont que de
40 à 50 lieues de la position que nous occupons.
Le discrédit qu'ont les assignats en France et dans
les pays étrangers fait qu'on ne pourrait traiter en
ce pays qu'avec argent comptant.
Si la paix venait à se conclure, que l'argent bais-
serait et viendrait à un prix convenable, on pourrait
en faire acheter à Paris et passer à Strasbourg ; par
ce moyen on se procurerait des marchandises tout de
, suite. Pour tirer d'Eberfeld et Solingen même, cela
demanderait beaucoup de temps, vu qu'il y a 90 à
i. Des conférences en vue de la conclusion de la paix
avaient été ouvertes à Bâle dès le 12 janvier 1795; le
traité avec la Prusse fut signé le 5 avril.
2. L'auteur de cette lettre fait allusion à son commerce.
AUX ARUÉES DU RHIN 83
100 lieues pour venir à Strasbourg. On pourrait payer
quelque chose de plus cher et acheter à Mannheim;
l'tte ville regorge de marchandises et n'est qu'à
30 lieues de Straslx)urg, et le Rhin est navigable.
Nous ne pouvons rien statuer que quand nous
aurons la paix et que nous passerons librement le
Rhin, Les assignats ont nulle valeur dans ce pays;
nous oflrons 30 1. d'un pain de 3 livres, on ne veut
pas nous le donner. Le louis d'or vaut 500 h; l'écu
de 6 1-, 100 livres en assignats.
Nous sommes on [ne] peut plus malheureux. Le pain
nous manque dans ce moment ; il y a deux jours qu'il
est dû ; nous attendons la récolte avec impatience.
J'embrasse ma sœur; je la prie de me donner des
nouvelles du quartier et du Lion d'Angers.
Adieu,
F. Michel.
Division Vachot, brigade de Frimont,
armée de Sambre-eUMoselle, par Spire.
A la citoyenne Michel, place de la Loi, à Angers.
Au camp devant Mannheim,
26 prairial an III [14 juin 1793].
Ma bonne amie,
Depuis deux mois privé de les nouvelles et ne
sachant h quoi attribuer cela, ta dernière parvenue
contonant un assignat de 250 livres est datée du 5
Jllutviil [24 avril], il pourrait bien se faire que mes
lettres ne vous parviendraient pas; pour lors, la faute
84 AU SERVICE DE LA NATION
retomberait sur moi quoique je ne le méritasse pas.
Veuille au reçu de la présente me donner de tes nou-
velles, ainsi que de ma chère maman.
Je désire que mon pays ne soit pas aussi misé-
rable que les contrées que nous habitons; les détails
de notre misère seraient trop longs à vous peindre.
Nous ne vivons pas, nous pâtissons; le pain nous
manque, nous sommes réduits à 2 livres de pommes
de terre toutes poussées ou 3 onces de pois secs
rongés de vers; voilà notre nourriture journalière,
encore on n'a pas son content. L'espoir de la paix fait
qu'on souffre avec constance*.
Nous venons de passer la revue de l'inspecteur
pour l'embrigadement ou l'incorporation. Sous quinze
jours nous saurons définitivement notre sort.
Notre général vient de faire passer un trompette à
Mannheim pour leur annoncer la prise de Luxembourg
au pouvoir des républicains. D'après la capitulation,
ils sont sortis avec les honneurs de la guerre, avec
armes et bagages, ayant été obhgés de rendre la ville,
manquant de bois, de sel, de viande fraîche, ayant
une grande quantité de malades, et la peste commen-
çant à faire de grands ravages.
1. La triste situation des troupes provenait du terrible
hiver qu'elles avaient dû supporter. Sur les rigueurs de
l'hiver 1794-1795, « le plus rigoureux du siècle », et sur les
souffrances de l'armée devant Mayence (« devant Mayence,
le froid fut plus long, plus grand que celui qu'on éprouva
jusqu'au passage de la Berezina »), cf. Gouvion Saint-
Cyr, op. cit., t. II, pp. 148-155.
AUX ARMÉES DU RHIN 85
Ayant prêté serment d'être un an sans prendre les
armes contre la République, ils sont partis et vont
passer le Rhin au-dessus de Coblentz.
Nous sommes tranquilles sur notre position.
Tout à toi, ton ami et frère,
Michel F.
Soas-lieutenant au 5» bat&inon de volontaires
de Maine-et-Loire, division de Vachot,
brigade de Frimont, armée Rhin-et-Moselle.
A la citoyenne veuve Michel, place de la Loi, à Angers.
Au camp de Mayence, le 28 messidor
an 111 [16 juillet 1795].
Ma chère maman.
Depuis ma dernière [lettre] datée devant Mannheim,
nous avons reçu ordre de partir pour aller devant
Mayence, où nous sommes actuellement et tellement
près que les coups de canon tirés de la place viennent
jusqu'à nos baraques; et dessus les hauteurs que nous
occupons, nous pouvons leur rendre la pareille.
Notre armée est très nombreuse, composée de
100.000 hommes*; nos redoutes et forts sont impre-
nables; tout cela ne nous donnera pas Mayence vu
que nous ne pouvons le bloquer à moins de passer le
1. La maladie et la désertion avaient creusé dans les
ranffs dos armées des vides énormes. Le lieutenant Michel
ne se (loiilait pas que l'armée du Uhin, qui devait compter
193.670 hommes, n'en pouvait mettre en ligne que 57.000
(Dumolln, op. «/., t. I, p. 302).
86 AU SERVICE DE LA NATION
Rhin. Je crois que cela ne tardera pas à s'effectuer ;
on fait monter des troupes pour effectuer ce passage
que nous désirons ardemment.
J'ai reçu deux lettres do ma sœur en date du 7 du
courant [25 juin], renfermant un assignat de 250 livres
et l'autre datée du 14 du môme.
Veuillez, ma chère maman, agréer mes remercie-
ments et ôtre persuadée de ma reconnaissance.
Notre position est toujours la même; nous attendons
la récolte avec impatience pour nous procurer du pain.
Ma sœur me marque que vous avez eu la complai-
sance de me faire trois paires de souliers ; il m'est im-
possijjle de les avoir en ce moment ; étant éloigné de
plus de 200 lieues, un petit paquet de la poste se
perdrait.
Je pense que vous avez retiré une paire de bottes
que j'avais cachée dans le tonneau du magasin, où
on met les papiers. Je prie Francilien d'en avoir soin
et de les guetter.
Si nous entrons en garnison, je vous ferai une
petite demande de linge où vous joindrez mes bottes ;
je prie ma sœur de me marquer si vous les avez
trouvées.
Adieu...
F. Michel.
Nous venons d'avoir ordre de nous tenir prêts, au
premier coup de canon, étant prévenu que la garni-
son de Mayence doit faii% une vigoureuse sortie.
AUX ARMÉES DU RHIN 87
A la citoyenne veuve Michel, place de la Loi,
à Angers.
Au camp devant Mayence, i6 thermidor
an III [13 août 1793].
Ma chère maman,
En réponse à la lettre de ma sœur datée du 1 1 cou-
rant [29 juillet] renfermant une reconnaissance de
2i livres en numéraire, veuillez recevoir mes remer-
ciements et ôtre persuadée de ma reconnaissance.
Hier, nous avons célébré la fôte du 10 août, qui
consiste en trois salves d'artillerie et mousqueterie ;
cela a commencé à Strasbourg et fini à Coblentz, en
suivant toute la rive du Rhin ; pour nous, nous étions
100.000 hommes sous les armes devant Mayence.
Cette fête n'était pas brillante pour nous, vu qu'elle
MOUS a procuré un plat de plus à l'ordinaire ; ayant
;ttlrapé un chat, il a fallu qu'il connaisse le son de
notre marmite et a été mangé avec appétit. Point
de quartier, nous connaissons sa bonté ainsi que celle
du cheval et de l'écureuil.
J'aurais grand besoin d'entrer en garnison pour
pjuvoir faire venir du linge.
Je vous assure que je suis bien miné; étant tou-
jours au bivouac ou dans les bois, nos effets s'usent
promptoment.
La Convention vient de décréter une solde de 2 sols
en numéraire parjour pour les volontaires; pournous,
nous n'y avons aucun droit; elle nous accorde une
88 AD SKr.VlCE DE LA NATION
gratification qui consiste en habit, veste et culotte, mais
nous ne sommes pas près de recevoir cette gratifica-
tion ; maintenant le soldat est plus heureux que nous.
Je suis aise que Michel se soit emparé de mes bottes ;
je me vois dans la dure nécessité d'en faire faire, étant
obligé d'en avoir. Si nous entrons en quartiers d'hiver,
cela me coûtera mon pauvre louis ou 400 livres en
papier; malheureusement cela fera une grande brèche
à mes appointements.
Adieu...
F. Michel.
Lieutenant, 8» compagnie du ii* bataillon.
Volontaires de Maine-et-Loire. Attaque du centre.
Il y a un an, j'ai reçu une lettre du citoyen Laïs, de
Niort, chez qui j'étais resté; il me marquait que j'avais
laissé quelques effets chez lui et le moyen de pouvoir
me les faire avoir. Je lui marquai de vous les adresser.
Dites-moi si vous les avez reçus. Sinon que ma sœur
les réclame, elle m'obligera.
A la citoyenne veuve Michel, place de la Loi, à Angers.
Strasbourg, le 9 vendémiaire
an IV [1" octobre 1795].
Ma chère maman,
. Notre bataillon a enfin été incorporé le 1" de ce
mois [23 septembre] , Aux termes de la loi, ceux qui
avaient plus que l'âge à la formation du bataillon ont
été libres de se retirer*.
1 . Nous n'avons pas trouvé la trace d'une incorporation
AUX AUMÉES DU RHIN ii\i
Comme je n'avais servi dans aucun corps et que
j'avais le papier baptistaire que vous m'aviez fait
passer, j'ai eu ordre de venir ici pour avoir mon
congé. Après toutes démarches, je l'ai obtenu et
i'main je continue ma route, qui est malheureuse-
ment un peu longue. Il me tarde d'être auprès de
vous et y jouir de la tranquillité.
J'ai déjà lait 4u lieues pour venir ici, 40 d'ici à
Metz, 70 de Metz à Paris et 70 de Paris à Angers font
225 lieues.
Tout ce voyage est un peu long ; on est malheu-
reux sur la roule, tout est hors de prix (quoique
j'aie dix sols par jour). Je fais argent de ma friperie
partout où je passe.
J'cspt're avoir le plaisir de voir mon frère à Paris
I y recevoir de vos nouvelles.
Veuillez, ma chère maman, me faire réponse et
savoir vos volontés.
Je suis, en attendant le plaisir de vous em-
Ijrasser,
Votre fils,
F. Michel.
du 5" bataillon des volontaires de Maine-et-Loire, à la
date du 1"" vendémiaire an IV. Nous savons seulement
que le !•' ventôse an IV (20 lévrier 1796) une partie du
5" bataillon des volontairos de Maine-et-Loire fut embri-
gadée avec le 6" bataillon d'Orléans et les anciennes 36" et
116» demi-brigades pour constituer la 84» demi-brigade
de seconde iormalion (llousset, Les Volontaires, 1791-1704,
p. 387).
90 AU SERVICE DE LA NATION
1796
A la citoyenne veuve Pillant, Azay-sur-Cher
{Indre-et-Loire), par Tours.
Laubenheim, 5 thermidor an IV, \\. F.
[23 juillet n9G].
Ma chère mère,
J'ai reçu votre lettre en date du 4 prairial [23 maij
avec une reconnaissance de six livres. Je n'ai pas encore
reçu l'argent, mais j'espère le recevoir bientôt. Ce qui
me fait bien plaisir, c'est d'apprendre que vous êtes en
bonne santé. La présente est pour répondre à la vôtre
et en même temps pour m'informer de l'état de votre
santé ainsi que de celle de mes frères et sœurs. Moi, je
me porte bien, Dieu merci, et je prie l'Etre suprême
que la présente vous trouve en pareil état. Je vous dirai
que voilà deux mois que nous sommes partis de notre
cantonnement pour entrer en campagne du côté de
Landau, et nous avons repoussé l'ennemi jusqu'à
Mannheim, puis nous sommes partis pour passer le
Rhin à Strasbourg*, et nous sommes à présent à
1. Les hostilités avaient repris sur le Rhin à partir du
1®*" juin 1796. Wurmser recula sur le camp retranché de
Mannheim avant d'avoir livré un combat sérieux, pour
obéir aux ordres de la Cour de Vienne, qui réclamait
23.000 hommes, tirés des armées du Rhin, pour ses armées
d'Italie (Gouvion Saint-Cyr, op. cit., t. III, pp. 16-18). Le
14 juin, Moreau fit attaquer les Autrichiens pour les rejeter
AUX ARMÉES DU RHIN 91
25 lieues de l'autre côté de Strasbourg ' . L'armée
d'Italie est, dit-on, beaucoup plus en avance que nous,
ainsi que l'armée de Sambre-et-Meuse-. Le bruit
court que le quartier général de Jourdan est même à
Francfort'. Notre compagnie est détachée de la
demi-brigade. Depuis trois jours, nous sommes dans
un village. Le prince de Wurtemberg et deux autres
princes veulent faire la paix, voyant que les Français
sont dans leur pays et que l'Empereur ne vaincra
jamais la France, à moins que cola ne soit par tra-
hison \ Je vous dirai que partout où nous sommes
sur Mannheim. Cette opération, à laquelle la division
Duhesme prit une part importante, réussit complètement
et fît croire aux Autrichiens « qu'on voulait agir devant
Mannheim et au-dessus » {Ibid.. p. 24). Sur ces opérations,
cf. les lettres de Jean Cagneux, compatriote de Joseph Pil-
laut, volontaire à la 17" demi-brigade, même bataillon,
même compagnie, publiées pp. 100 et 102. Sur les cir-
constances du passage du Khin à Strasbourg, ci. Gouvion
Saint-Cyr, op. cit., t. III, pp. 33-53.
1. L'offensive de Moreau poursuivant l'archiduc Charles
avait amené l'armée de lUiin-ot-Moselle. le 23 juillet 1796,
sur les bords du Neckar à Blockingen. Là, Gouvion Saint-
Cyr fut rejoint par la division de Duhesme, qui avait
remonté le Neckar en passant par Horb et Tubingen
(Uumolin, op. cit., p. 349).
2. Dana les derniers jours du mois de juillet, Bonaparte
lUVcstiasaitMantoue, qui devait bientôt capituler. Il allait
remporter sur Wurmser la victoire de Castiglione.
3 kiclior était entré à Francfort le 16 juillet ; le 25
(lu iii.iiK' mois, Jourdan entrait à VVûrzbourg, mal défen-
due [»;tr Warlcnslehcn. L'arméede Sambre-et-Meuse allait
allcindrc au mois d'août la .Naab.
4. Après l'occupation de Freudenstadt par la division
92 AU SERVICE DE LA NATION
passés, la récolte est bien belle, ainsi que les vignes.
Vous me marquerez s'il en est de même au pays.
Quels prix le pain ? le vin ? Vous me direz si la vente
est entièrement terminée.
Vous ferez bien mes compliments à tous mes
oncles, cousins, cousines, ainsi qu'à Anthoine Pien-
pase et à tous mes bons amis. Vous me marquerez
s'il y a longtemps que vous avez reçu des nouvelles
de François Pesé, Sylvain Petitbon. Jean Gérallé et
Gagneux se portent bien et adressent leurs compli-
ments à leurs familles. Je vous en prie, aussitôt que
vous aurez lu cette lettre, faites-moi réponse sur-le-
champ.
Je finis en vous embrassant, en attendant de vos
nouvelles et le plaisir de vous voir.
Votre fils,
Joseph PiLLAUT.
Adresse : Joseph Pillant, volontaire de la 6* com-
pagnie du 2* bataillon de marche , 17' demi-brigade.
Division Duhesme. Armée du Rhin-et-Moselle (Mo-
reau).
Duhesme, le duc de Wurtemberg fit la paix avec le gou-
vernement révolutionnaire et rappela ses troupes des
armées autrichiennes.
AUX ARMÉES DU RHIN 93
Au citoyen Jean Cagneux, Azay-sur-Cher
(Indre-et-Loire).
Landau, 15 fructidor an IV
de la liberté et égalité * [1" septembre 1796].
Mon cher père, ma chère mère,
Je vous écris CCS lignes pour m'informer de votre
santé ; la mienne, grâce à Dieu, est bonne; je sou-
haite que la présente vous trouve de même. Je suis
bien en peine de savoir de vos nouvelles. Voilà bien
A\ mois que je n'ai reçu de vos nouvelles. Je n'ai
1. Cette lettre porte une date visiblement fausse. Jean
Cagneux ne peut l'avoir écrite au mois de seplcnibre 1796,
puisqu'à cette date il ne se trouvait pas à Landau mais en
Bavière (cf. lettre publiée p. 104). On remarquera aussi
que la lettre contient des renseignements qui sont en
contradiction formelle avec sa date. Jean Cagneux déclare
à ses parents qu'il n'a pas reçu de leurs nouvelles depuis
six mois : or, dans une lettre du 12 fructidor an IV (cf.
p. 104), il les remercie de lui avoir écrit récemment.
De plus, la dernière phrase de la lettre publiée ici :
« Nous sommes sur la frontière de France à passer nos
quartiers d'hiver » suffit à démontrer Tinvraisemblance de
la date. Pour faire disparaître de cette lettre toute obscu-
rité et toute incohérence, nous la daterons du VS frimaire
an IV, c'est-à-dire du 6 décembre 1795. Celle date est con-
forme aux indications de Couvion Saint-Cyr, op. cit., t. II,
p. 317 : dans In seconde quinzaine de novembre « les 9*,
^'', 5', et 4° divisions occupaient les liâmes de la Oueich,
lit? Lnndau h Ccrmershcim ». Jean Cagneux appartenait
a la 8" division, et le renseignement fourni par Couvion
Saint-Cyr vient à l'appui de sa phrase : « Nous sommes
en garnison à Landau depuis 15 jours ».
94 AU SERVICE DE LA NATION
pas pu VOUS écrire plus tôt, car nous avons été
occupés.
Pierre Petitbon a été pris à Mayence ^ Martin Pil-
laut a déserté ; nous sommes bien en peine de savoir
s'il est de retour au pays ; s'il y est, vous nous le
marquerez. Nous sommes toujours ensemble, Pillant,
Signole, Sylvain Petitbon et moi. Je suis bien en
peine de savoir des nouvelles de Louis Pillant et de
son frère ; je vous prie de m'en donner des nouvelles
le plus tôt possible, aussi de Philippe Chotard. Bien
des compliments au citoyen Clément et à la citoyenne,
à tous ses enfants, à mon frère, à ma sœur, à tous
mes parents, voisins. Donnez-moi des nouvelles du
pays, de la Vendée ; on nous dit que les Chouans y
sont aussi pires qu'au commencement ^. On nous dit
tous les jours qu'on fait des réquisitions en France ;
dites-moi l'âge des requis ? si on prend des hommes
mariés ?
Nous sommes en garnison à Landau depuis
quinze jours. Nous avons peur d'y être bloqués. Nous
sommes sur la frontière de France à passer nos
quartiers d'hiver.
1 . Pour reprendre Mayence, Pichegru avait fait marcher
l'armée de Rhin-et-Moselle sur cette ville. L'incurie du
général en chef, qui songeait à trahir, amena la défaite
de l'armée au mois d'octobre 1795. Manquant de tout,
désorganisées, nos troupes battirent en retraite.
2. Au mois de décembre 1795, Hoche pacifiait la Vendée,
où il allait bientôt faire disparaître les dernières résis-
tances.
AUX ARMKES DU RHIN 95
Rien autre à vous dire ; je vous souhaite bonne
santé ; salut et fraternité.
Jean Gagneux,
volontaire, 2« bataillon, 178* demi-brigade,
Armée du Rhin-et-Moseile, 8» division.
Landau (Quartier Blanc).
Au citoyen Jean Gagneux, Azay-sur-Cher
{Indre-et-Loire).
Landau, le 16 janvier an IV [1796].
Mon cher père, ma chère mère,
Je vous écris pour faire réponse à votre lettre du
4 nivôse [25 décembre i795J, qui m'apprend avec
plaisir que vous êtes en bonne santé ; moi, je suis de
môme pour le présent, je prie le Seigneur de nous la
continuer à tous.
Vous me dites que ma sœur est mariée, vous ne
me dites pas avec qui ! faites-le moi savoir dans votre
prochaine lettre.
On a conclu une suspension d'armes ; les Autrichiens
se sont retirés sur leur territoire, nous sur le nôtre '.
Nous avons grand besoin d'avoir la paix, car les
1. Ln campagne sur le Rhin de 1795 fut terminée par
un armistice conclu le 2i décembre entre Jourdan et
Clerfayt. La Buspension des hostilités était une faute de
la diplomatie autrichienne, car l'armée de Jourdan se
trouvait alors dans une situation critique. Mais, vaincue
à Loano, l'Autriche avait hâte d'arrêter la lutte pour
tenter de changer le sort des armes (Dumolin, op. cit.,
t. I. pp. 315-316).
96 AU SEnVICE DK LA NATION
troupes commencent à se fatiguer ainsi que tout le
monde ! Le papier n'a plus de cours ; le pain d'ama-
teur de trois livres vaut huit sols.
Vous me demandez des nouvelles de Pesé, je ne
puis vous en donner ; voilà plus d'un an qu'il est parti
pour aller à Thôpital et je n'ai plus entendu parler de
lui. Je vous prie de faire mes compliments au
citoyen Clément et à toute sa maison, à tous nos
parents, amis et tous ceux qui s'informeront de moi.
Mon cher père et ma chère mère, je vous prie de
m'envoyer de l'argent en numéraire ; ayez cette bonté
car ce n'est pas la paye que nous avons à présent qui
nous permet de vivre. Nous n'avons que deux sols
d'argent par jour avec dix sols de papier.
Je finis en vous embrassant du plus profond de
mon cœur et serai toujours pour la vie votre affec-
tionné fils,
Jean Cagneux,
6» compagnie, 2° bataillon, 178» demi-brigade,
armée du Rhin-et-MoselIe, Landau.
Jean Cérallé se porte bien et fait ses compliments
à sa mère, à sa famille, à Joseph Pillant, à Sylvain
Petitbon, aux siens. Il écrira prochainement.
Au citoyen Jean Gagneux, Azay-sur-Cher
(Indre-et-Loire).
Landau, 10 ventôse an IV [20 février 1796].
Mon cher père, ma chère mère,
Le sujet de la présente est de répondre à la vôtre
AUX ARMÉES DU RHIN 97
du 48 pluviôse [7 février], qui me dit que vous êtes en
bonne santé. Je vous suis infiniment reconnaissant
de la reconnaissance que vous m'avez envoyée ; je n'ai
pas encore louché l'argent. Dès que je l'aurai, je vous
l'écrirai. J'entends dire depuis longtemps par plu-
lours camarades qu'Etienne Deletant a son congé,
qu'il est au pays. Est-ce par infirmité ou par autre
molil qu'il l'a obtenu ? Ne vous inquiétez pas de
sa\'oir si nous sommes bien armés et bien habillés.
Depuis que nous sommes à Landau, nous ne man-
(juons de rien. Les nombreux changements de posi-
tion pondant la campagne ne nous avaient pas per-
mis de recevoir des clTets; mais les armes ne nous
(»nt jamais manqué. Beaucoup de déserteurs rejoi-
gnent leur corps h l'armée, je désirerais savoir si
•ux du pays n^joigncnt aussi. Sans doute, nous
avons été instruits de la nouvelle organisation mili-
taire, qui ordonne l'amalgame de deux demi-
brigades ensemble. Nous avons été amalgamés
>\cc la 33" demi-brigade. Nous conservons ce
numéro.
Mes respects au citoyen et à la citoyenne Clément
[de Ilis], h toute leur famille. Dites-leur que je suis
infiniment sensible h l'intérêt qu'ils prennent à mon
gard, que je leur souhaite Iwnne santé. Bien des
I ompliments de ma part h mos frère, sœur, cousins,
rou.sines.
Je finis en vous embrassant de tout mon cœur, en
vous souhaitant bonne santé.
98 AU SERVICE DE LA NATION
Votre respectueux fils,
Jean Gagneux, soldat,
6» compagnie, 2» bataillon, 33» demi-brigade,
8» division, armée du Rhin-et-Moselle,
en garnison à Landau.
Au citoyen Jean Gagneux, Azay-sur-Cher
{Indre-et-Loire) .
Belfort, le 4 floréal an IV [23 avril 1796].
Mon cher père,
L'inquiétude que j'ai à votre sujet m'oblige à vous
adresser cette pressante pour m'informer de votre
situation et vous assurer de la mienne, en vous appre-
nant mon départ de Landau pour aller joindre le
dépôt de la demi-brigade à Metz. Nous y arrivâmes
le 12 germinal [1" avril 1796] et en partîmes le 14
pour Belfort, où nous sommes actuellement.
Demain, nous allons faire la police dans un village
à deux lieues de la ville.
J'ai toujours la reconnaissance pour toucher les
12 livres que vous m'avez envoyées à Landau. Comme
nous sommes partis avant l'arrivée de l'argent, je ne
sais comment m'y prendre pour pouvoir le toucher.
Détaché du corps et loin de Landau, je crois devoir
écrire au directeur du bureau de poste de Landau
pour qu'il l'envoie à Belfort.
Mes compliments au citoyen Clément de Ris, à son
épouse, à tous nos amis, mon frère, ma sœur. Je
demeure dans l'attente de vos nouvelles chéries aussi-
AUX ARMKF.S DU RHIN 99
tut la réception de la présente. Je brûle du désir de
vous revoir. Je vous embrasse de tout mon cœur et
et suis votre affectueux fils,
Jean Gagneux,
à la compagnie auxiliaire
de la 33* demi-brigade, à Belfort.
Au citoyen Jean Gagneux, Azay-sur-Cher
(Indre-et-Loire).
De Wangenburg* (Poste de Saverne),
le 24 mai 17% vieux style, 5 prairial an IV.
Mon cher père, ma chère mère, frère, sœur,
parents, amis, je fais réponse à votre lettre à laquelle
je n'ai pu répondre, étant au dépôt avec du mal au
doigt. Je suis revenu du dépôt avec bien d'autres ; je
me porte bien. Dieu merci. Je souhaite que la pré-
sente vous trouve de même.
Au sujet de la guerre, nous partons demain matin
h deux heures ; nous devons nous rendre sur la ligne
de Landau, nous rentrons à présent en campagne -.
Je ne sais pas ce que ce sera, mais voilà encore les
pauvres Français qui sont encore foutus pour le mo-
1. Vangenburg, au sud de Saverne, à l'ouest de Stras-
bourg.
2. Le 20 mai 1796, l'archiduc Charles avait prévenu les
généraux français « que l'armlBlice était rompu et que les
hostilités recommonceraienl le l*"" juin » (Gouvion Sainl-
Cyr. op. cit., l. III, p. 13). Le volontaire Jean Gagneux
allait donc rejoindre son corps, sur le théâtre de la
guerre.
100 AU SERVICE DE LA NATION
ment ; si nous avons le bonheur de gagner cette fois
là, ce sera notre bonheur.
Je n'ai pas reçu mon argent; je vous renvoie la
reconnaissance dans la présente lettre ; aussi je vous
prie de vous pourvoir de cet argent. Il faut que le
facteur vous donne une nouvelle reconnaissance que
vous voudrez bien me renvoyer, vous me ferez plai-
sir. L'ancienne reconnaissance est datée du 18 plu-
viôse [7 février 1796].
Rien autre pour le moment. Bien des compliments
à mes oncles, tantes, parents, amis; je suis toujours
pour la vie votre affectionné fils et serviteur,
Jean Gagneux,
soldat, 6» compagnie, 2* bataillon.
17» demi-brigade, o» division,
armée Rhin-et-Moselle, à la suite du bataillon.
Au citoyen Jean Gagneux, Azay-sur-Cher
{Indre-et-Loire).
Environs de Spire*, le 28 prairial,
4» année [16 juin 1796J.
Mon très cher père, ma chère mère,
Je vous écris pour la 4° fois, ne pouvant recevoir
1. Poursuivant Wurmser, qui battait en retraite sur la
rive droite du Rhin, Moreau avait dirigé les troupes de
Desaix sur Neusladt et Spire. Pour empêcher l'ennemi de
se douter qu'il songeait à traverser le Rhin à Kehl, il fit
battre le 14 juin [26 prairial] par Desaix, sous les murs
de Mannheim, un corps autrichien. C'est ce combat du
14 juin qui est mentionné par Jean Gagneux (Dumolin,
oj). cit., t. I, p. 341).
AUX ARMÉES DU RHIN 101
aucune de vos lettres, ce qui me surprend fort. J'ai
reçu la lettre dans laquelle vous m'avez envoyé une
roconnaissance de 12 livres, je n'ai pas reçu l'argent.
De plus, j'ai dû remettre la reconnaissance dans une
lettre qui doit vous ôtre parvenue. Vos lettres restent-
Iles dans les bureaux de poste? ne me sont-elles pas
bien adressées ? Ce qui me surprend le plus, c'est
(jue vous me dites que vous ne recevez pas mes
lettres et ne sais à qui m'en prendre. Voilà cepen-
dant quatre lettres que je vous écris en peu de temps.
Nous avons tout lieu de croire qu'il y a quelque chose
qui arrête notre correspondance, voilà ce que je
pense.
Ma santé, Dieu merci, est bonne ; j'espère que
l'Etre suprême fera que la présente vous trouvera de
même.
.Nous avons eu une forte affaire le 2(j. La bataille
I commencé vers les quatre heures du matin, elle a
luré jusqu'au soir. Xous avons eu le plaisir de nous
mesurer avec messieurs les émigrés et nous leur
ivons foutu la chasse jusque près de Mannheim (ville
.lu Rhin).
Mes compliments à mon frère, à son épouse, au
itoyen Clément et à toute sa famille, à Sylvain Petit-
bon, à son père, à sa mère, à Joseph Pillant, à Jean
Gérallé, à leur famille. Vous me direz si les dé.ser-
leurs de chez nous sont tranquilles ou s'ils sont
partis.
Bien des compliments à tous mes parents. Je vous
102 AU SERVICE DE LA NATION
embrasse du plus profond de mon cœur. Votre fils
pour la vie,
Jean Gagneux.
volontaire, 2» bataillon, 17* demi-brigade,
cantonné près de Spire,
armée du Rhin-et-Mosclle.
Au citoyen Jean Gagneux, Azay-sur-Cher
(Jndre-el- Loire).
A Freudenstadt ', le 29 messidor an IV
[17 juillet 1796].
Mon cher père, ma chère mère, mes chers frère,
parents, amis, je veux vous donner des nouvelles de
ma santé et vous demander des nouvelles de la vôtre.
La mienne va bien. Dieu merci ; je souhaite que la
présente vous trouve de même.
Je puis vous dire, avec vérité, que voilà trois
lettres que je vous envoie sans pouvoir avoir de vos
nouvelles. Je ne sais si vous les avez reçues, je suis
bien en peine de cela; je vous prie, dès que vous
aurez reçu celle-ci, de me faire réponse pour me
satisfaire car je suis bien ennuyé ; tâchez de me satis-
faire, je vous serai bien obligé.
Je vous dirai que nous avons passé le Rhin; çà va
très bien; nous sommes à quatorze lieues en avant du
1. La ville de Freudenstadt, en Wurtemberg, avait été
occupée par les troupes du général Duhesme, dès le
3 juillet. Après avoir perdu du temps au milieu de ses
premiers succès, Moreau poursuivit sa marche en avant
vers le Neckar. Gouvion Saint-Cyr entra à Stuttgart le
18 juillet 1796 {op. cit., t. Ill, pp. 33-96).
ACX ARMÉES DU RHIN 103
Rhin ', dans un pays très froid où le seigle com-
mence à pousser, le froment à apparaître sur terre, et
les fruits sont comme chez nous au mois de mai. Sur
les montagnes du pays, il n'existe rien. Toutefois rien
ne manque pour le moment comme nourriture : des
porcs, des veaux, des vaches, du lait, aussi je vous
prie de me dire si le mandat m'est envoyé.
Réponse aussitôt la présente reçue.
Je vous prie de me dire si les vignes sont belles, si
la moisson s'avance, si les fruits sont beaux. Que
reste-t-il de garçons au pays en fait de soldats ?
ljuu\6 Pillant y est-il.^ Faites-moi réponse. Mes com-
i»limonts à mon frère, à sa femme, mes parents et
imis, à Gément, sa femme et sa famille*.
Je finis en vous embrassant de tout mon cœur et
suis, avec le plus serviteur des fils, pour la vie,
Cagneux,
soldat, i* bataillon, 6* compagnie, 17* demi-brigade,
à Tavanl-garde du général Moreau,
année du Rhin-et-Moselle.
Le citoyen Petitbon Sylvain fait bien des compli-
ments à sa famille.
1. Le passage du Khin à KchI s'ciïectua dans d'excel-
'onl«s conditions du 23 au 25 juin (cf. lettre publiée
p. 1 04). Frcudenstadtse trouve, en effet, à une cinquantaine
de kilomètres de Strasbourg.
S. Sur Louis IMIlaut, cf. pp. 94, i7C, 180, 183, 186, 188 et
191. ■ Clément » doit désigner Clément de Kis.
104 AU SERVICE DE LA NATION
Au citoyen Jean Cagneux, Azay-sur-Cher,
cariton de Mont-Louis, près Tours {Indre-et-Loire).
Au camp de Weilach', le 12 fructidor an IV
[29 août 17%].
Mon- cher père, ma chère mère,
J'ai reçu votre lettre avec la plus vive satisfaction
d'apprendre que vous jouissez d'une bonne santé,
ainsi que mon frère Sylvain, ma sœur et son mari,
et toute notre famille. Je vous en souhaite la
conservation à tous. Moi, je me porte bien. Dieu
merci. Je souhaite que la présente vous trouve de
môme.
Je vous dirai, mon cher père, que depuis ma dernière
lettre nous avons bien changé de positions. Quel-
ques jours après que je vous eus écrit des environs
de Mannheim, nous reçûmes l'ordre de partir pour
Strasbourg, où nous arrivâmes le 9 messidor; le 10
[28 juinj, nous passâmes le Rhin avec tous les suc-
cès que nous attendions*. On fit à l'ennemi quan-
tité de prisonniers, on lui prit quelques canons et
1. Weilach se trouve en Bavière, au sud de Pfaffenhofen
et de Schrobenhausen.
2. Le volontaire Jean Gagneux a oublié la date exacte
du passage du Rhin à Kehl, qui eut lieu entre le 23 et
le 25 juin, L'étonnement qu'il manifeste à se trouver au
mois d'août si loin de Mannheim résulte de ce fait que
Moreau avait conduit ses troupes sans leur dire où elles
allaient et en leur persuadant qu'elles passeraient par
Besançon pour se rendre à l'armée d'Italie.
AUX ARMÉES DU RHIN iOo
depuis ce jour nous Tavons poursuivi sans relâcho
cl sans éprouver le moindre revers sauf le 24 thermi-
dor [H aoûll, où l'ennemi nous attaqua sur les
6 heures du matin et fondit sur nos avant-postes, qui
la plupart furent faits prisonniers ; nos grand'gardes
se retirèrent en bon ordre. Le 20* régiment de chas-
seurs à cheval, cantonné dans un village voisin de
notre camp, n'eut presque pas le temps de monter à
cheval ; l'ennemi avait entouré déjà le village lors-
qu'il put se déployer devant notre camp, quand nous
vîmes l'ennemi qui s'avançait avec une cavalerie for-
midable, une artillerie et une infanterie très impo-
santes : plus de 25.000 hommes opposés à nos 5.000 !
Aussi jugez de la disproportion ! Après une canon-
nade assez vive de la pari de Tenncmi, nous fûmes
obligés de nous retirer, sans quoi l'ennemi nous aurait
coupé notre retraite. Nous marchâmes jus(ju'à la nuit
en bataille dans des blés qui étaient d'une extrême
grandeur, ce qui nous fatigua beaucoup de la chaleur
qu'il faisait. Nous étions sans cesse obligés de faire
face à l'ennemi, tant t-n avant de nous que sur les
flancs, car il lAcliait de couper notre retraite. Nous
unes obligés de former deux fois le bataillon carré
>ntre la cavalerie ennemie, qui nous entourait et
londait sur nos bataillons avec une impétuosité ter-
rible.
Notre fusillade très vive la repoussa; nous lui
lAmes quantité d'hommes et de chevaux. Sur la fin
du jour, nous cherchâmes une autre position où nous
106 A.U SERVICE DE LA NATION
passâmes la nuit assez tranquillement et l'ennemi se
retira \
Le lendemain 25, la 5® division attaqua l'ennemi,
le battit complètement, le mit en fuite et lui fit
repasser le Danube. Le 26, nous reprîmes la position
que l'ennemi nous avait fait quitter^. Le 1°'" fructidor
[18 août], nous avons passé le Danube, fleuve très
important par la rapidité et la longueur de son cours.
Nous avons poursuivi l'ennemi jusqu'au 4 [21 août] ^.
1. Après l'occupation de Stuttgart, Moreau avait con-
tinué à poursuivre l'archiduc Charles ; le 10 août, les
armées française et autrichienne se trouvaient en pré-
sence auprès de Neresheim. Le 11 août, à l'aube, l'action
s'engagea; l'archiduc força les avant-postes et la division
Duhesme, placée à la droite de l'armée, à reculer : c'est
ce mouvement de retraite que Jean Cagneux retrace
(Gouvion Saint-Cyr, op. cit., t. III, pp. 160-161. Cet auteur
ne parle point de la surprise des chasseurs à cheval et il
ne dit point qu'il y ait eu une telle disproportion entre
les forces de Duhesme et celles de l'Archiduc). La division
Duhesme, après une retraite périlleuse, s'arrêta à la
nuit entre Geislingen et Weissenstein et ne « rejoignit
l'armée que trois jours après » (en réalité le 13 août,
26 thermidor).
2. Le 12 août, l'archiduc Charles, qui n'avait pas su
transformer la veille ses premiers succès en une victoire
décisive, battit brusquement en retraite vers son camp de
Madingen; le 13, il passe le Danube à Donauwôrth, lais-
sant Moreau très surpris d'être le maître du champ de
bataille (Gouvion Saint-Cyr, op. cit., t. III, pp. 162-169).
3. Les Autrichiens avaient passé le Danube en détrui-
sant les ponts ; le 18 août, à midi, nos troupes les avaient
remis en état et, le 19 août, toute l'armée avait passé le
Danube. L'arrière-garde autrichienne, qui s'était établie
sur la rive gauche de la Wertach, près d'Augsbourg, fut
facilement délogée à coupa de canon (Gouvion Saint-Cyr,
AUX ARMÉES DU RHIN 107
Nous croyions le trouver en forces parce que l'on
nous avait dit qu'il nous attendait devant Augsbourg;
nous nous attendions à la résistance la plus vive de
la part de l'ennemi, mais nous n'avons trouvé que
son arrière-garde, qui s'enfuit à notre approche. Nous
leur avons pris un convoi assez considérable. Le
8 fructidor [25 août], l'ennemi s'était retiré sur une
hauteur à une heue d'Augsbourg*. La position était
très imposante, deux canaux, une rivière assez forte,
un bois, les ponts coupés rendaient la position presque
inaccessible. Nous attaquâmes en trois colonnes et,
malgré la résistance la plus opiniâtre, l'ennemi dut
céder. La 3" division passa la rivière à gué, attaqua
leur gauche ; la 5* division attaqua leur droite, tandis
que nous les amusions de quelques coups de canon
au centre. Enfin les ponts raccommodés, nous pas-
sâmes la rivière et les attaquâmes avec tant de viva-
cité qu'ils furent contraints de se sauver comme ils
purent. Ils se sauvèrent si vite qu'ils abandonnèrent
leurs canons et quelques chariots, que nous trou-
vâmes renversés sur la route. Nous les poursuivîmes
encijif près de deux lieues, mais ils n'avaient pas
op. cit.. t. m, pp. 181-182; on voit que le récit précis de
'i^an Gagneux est corrobore par ce texte).
1. Les détails qui suivent sont relatifs à la traversée
du Lcch par nos troupes et à la défalle du général autri-
chien I.Mtour. qui gardait la rivière et la position de
F: Ils pourront être con(r(')lés à laidedes rensei-
gii lournis par Gouvion Sainl-Cyr, op. cit., t. III,
|)p. 20\> sqq.
108 AU SERVICE DE LA NATION
envie de nous attendre. 22 pièces de canon, plus de
2.000 prisonniers sont le fruit de cette victoire ! Je
vous dirai que voilà quatre jours que nous sommes
entrés en Bavière, et nous ne sommes plus éloignés
que de huit lieues de Munich, ville capitale de Bavière,
et nous apprenons que le duc de Bavière négocie, pour
faire la paix, car notre chef de brigade vient de nous
annoncer la suspension d'armes entre la Bavière et
la République française ^ Tout cela nous présage que
l'Empereur ne tardera pas à nous demander la paix,
que nous désirons avec tant d'impatience.
Je vous prie, mon cher père et ma chère mère,
d'assurer le citoyen Clément de Ris, ainsi que son
épouse et sa famille, de mon humble respect et de le
remercier pour moi des bontés qu'il a eues de vouloir
bien s'intéresser à moi. Je vous prie de lui dire que
je suis bien fâché de ne pas pouvoir lui donner des
des renseignements du général Beaupuy ; je ne crois
pas qu'il soit à notre armée-.
Joseph Pillant se joint à moi pour remercier le
cito3^en Clément de Ris des bontés qu'il a pour lui, et
je l'assure bien de ses respects, son épouse et ses
enfants. Je vous prie d'assurer de mes respects mes
oncles, tantes, parents, amis, tous ceux qui s'infor-
meront de moi. Je vous embrasse de tout mon
1. Le 29 août, la division Duhesme se trouvait à une
quarantaine de kilomètres de Munich.
2. Sur le général de division Beaupuy, qui combattait
à l'armée de Rhin-et-Moselle, cf. p. 111.
AUX ABMÉES DU RHIN 109
cœur et suis pour la vie votre très affectionné
fils,
Jean Gagneux,
Volontaire, 6» compagnie, 2* bataillon,
!"• demi-brigade', 4» division, armôe Rhin-et-Moselle.
Poste suivant armée.
Réponse tout de suite, s'il vous plaît.
Au citoyen Jean Gagneux, Azay-sur-Cher
{Indre-et-Loire), par Tours.
Strasbourg, le 37 frimaire an Y [17 décembre 1796].
Mon cher père et ma chère mère.
Après les plus vives inquiétudes sur le sort de vos
santés et le long silence de votre part, après vous
avoir écrit différentes lettres pour en recevoir aucune
réponse et ne sachant à quoi attribuer ce retard et
me voyant privé de la plus douce satisfaction que je
puisse avoir ; étant éloigné de vous, je mets la main
à la plume pour m'informer de l'état de vos santés
ainsi que de celle de mes frère et sœur et de toute
notre famille, sans oublier le citoyen Clément de Ris,
son épouse et sa famille. Moi, je me porte bien, Dieu
merci ; je souhaite que la présente vous trouve de
môme.
En ce qui concerne l'armée, notre position est
1. Au mois d'août 17%, la 17" demi i)i i>;;i(io, placée
sous les ordres du général de brigade Vandamnie, appar-
tenait n la division Duhesme, qui faisait partie du centre
de l'armcc confié à Gouvion Saint-Cvr.
110 AU SERVICE DE LA NATION
assez critique. Pour le moment, nous sommes privés
des secours les plus urgents : je veux parler de notre
paye que nous ne recevons pas. Voilà trois mois que
nous ne recevons aucune solde ni presque d'habille-
ment. Je ne sais à quoi attribuer cette faute du Gou-
vernement.
Le 2 frimaire [22 novembre], nous eûmes une
affaire des plus vives avec l'ennemi devant KehlV
Il s'agissait d'enlever à l'ennemi les redoutes et
retranchements qu'il avait faits ; nous réussîmes,
après avoir éprouvé une perte assez conséquente de
part et d'autre. On prit à l'ennemi 14- pièces de
canon, dont 6 que l'on ne put emmener, rapport aux
mauvais chemins, furent enclouées et abandonnées
dans leurs retranchements. Quelques jours après nous
y retournâmes ; on reprit les mêmes retranchements
qu'il fallut encore abandonner. Pendant quatre jours
nous fîmes le même manège, et nos efforts furent
toujours vains. Depuis quinze jours, l'ennemi a com-
mencé le siège. Ce n'est qu'un bombardement con-
tinuel. Jugez si les troupes sont à leur aise. Chaque
demi-brigade y va à tour de rôle passer deux jours,
1. Ramenant son armée, dans une retraite victorieuse,
du fond de l'Allemagne, Moreau repassa le Rhin à
Huningue du 25 au 26 octobre. Il eut à continuer la lutte
contre l'archiduc Charles, qui assiégea Kehl et Huningue.
Le 22 novembre, Moreau fit attaquer les lignes de contre-
vallation élevées par l'ennemi. Sur cette attaque, sur le
bombardement meurtrier de l'ennemi, sur les souffrances
des hommes et la relève successive des demi-brigades,
cf. Gouvion Saint-Cyr, op. cit., t. IV, pp. 72 sqq.
AUX ARMÉES DU RHIN 111
et il n'est presque pas possible, malgré la rigueur du
temps, d'y faire du feu ni de s'y promener. On est
obligé de rester aux palissades et, malgré toutes les
précautions, il y a chaque jour quelques malheu-
reuses victimes '.
Dans votre dernière lettre, le citoyen Clément de
Ris m'avait chargé de m'informer du général Beaupuy .
Après les recherches les plus exactes, j'ai appris que
ce général commandait la 6° division de l'armée du
Rhin-et-Moselle ; mais hélas! un coup fatal lui ôta la
vie les derniers jours de vendémiaire devant Fri-
bourg, et son corps fut transporté à Neuf-Brisach où
il fui enterré, laissant après lui tous les regrets, dont
ses rares talents l'avaient caractérisé pendant sa vie^
Je finis, mon cher père et ma chère mère, en vous
embrassant du plus profond de mon cœur et suis
f)0ur la vie,
Votre très affectionné fils,
Jean Gagneux.
1. Le sergent Fricasse a donné dans son Journal de
marche (pp. 112-118), édition Lorédan Lorchev, maints
déLiils précis sur le siège de Kehl, auquel il prit part. Ils
concordent avec les renseignements fournis par Jean
Gagneux.
2. Le général Beaupuy fut tué le 19 octobre au combat
de Watdkirch, en combattant à la tète de sa division. 11
n'avait repris son commandement qu'à la fin du mois
d'août 1796, car il avait été blessé grièvement dans un
engagemiînt antérieur (Gouvion Sainl-Cyr, op. cit., t. IV,
p. 23, cl Mémoiret et journaux du général Decaen, t. l, pp. 94-
95 et 177-178. Sur toute cette campagne de 1790, on con-
sultera avec intérêt l'œuvre de Decaen).
112 AU SERVICE DE LA NATION
Jean Gerallé me prie de vous dire d'assurer ses
respects à sa mère. Il se porte bien. Pillaut vous prie
bien d'assurer de ses respects le citoyen Clément de
Ris, son épouse et toute sa famille.
Je désirerais bien savoir si mon frère est encore
au pays.
P. -S. — Je désirerais bien que vous me marquiez,
dans la réponse que j'attends de vous, si Sylvain
Petitbon est arrivé au pays.
Adresse : Citoyen Gagneux. fusilier,
6» compagnie, 2» bataillon de la 17» demi-brigade,
à Strasbourg (Bas-Rhin).
1797
Au citoyen Clément de Ris.
Au quartier général de Saarbrùck*,
le 9 floréal an V« de la République française
[28 avril 1797].
Citoyen,
Je ne sais de quelles expressions me servir pour
m'excuser près de vous ; un retard aussi long à vous
remercier des bontés que vous avez eues pour moi
me donne bien des torts. Cependant, je ne suis pas
tout aussi coupable que je parais l'être.
Depuis mon arrivée à l'armée, je n'ai pas eu un
1. Cette lettre a été écrite au moment où l'offensive
heureuse de Moreau à l'armée du Rhin-et-Moselle fut
arrêtée, le 23 avril, par un parlementaire de Latour,
annonçant la signature des préliminaires de Leoben.
KVTL ARMÉES DU RHIN 1(3
seul instant à moi ; continuellement à cheval, conti-
nuellement en courses, j'ai été les premiers jours
harassé de fatigue, puisque j'avais perdu l'habitude
de monter à cheval. Toutes ces raisons ne m'ôtenl
pas les torts que j'ai eus envers vous; j'ose cepen-
dant en leur faveur réclamer votre indulgence et
vous prier de continuer votre bonté.
J'ai l'honneur d'être avec un attachement respec-
tueux, votre concitoyen,
l'aide de camp du général Laboissiôre ',
S. Lhéritier2.
Division du général Saint-Cyr.
P. -S. — Permettez que je présente ici l'assurance
de mon respect à vos deux dames ; mille choses hon-
nêtes ft M. votre fils, dont j'ai eu l'avantage de faire
la connaissance à Paris.
Veuillez me rappelez au souvenir de M. André.
La blessure du général Desaix va parfaitement
i. Laboissicre était général de brigade à la gauche de
l'armée du Khin-et-Moaelle, sous les ordres de Gouvion
Saint-Cyr (Ordre de bataille de l'armée à l'époque du pas-
sage du Uhin, le 20 ayril 1797, publié par Gouvion Saint-
Cyr, op. cit., t. IV, pièce justificative n*» 85).
2. Samuel-François Lhériticr, né le 6 août 1772, caporal
de grenadiers ati 3" bataillon de volontaires d'Indre-et-
Loire, le 2G septembre 1792; adjoint aux adjudants géné-
raux et aide de camp le 28 floréal an II ; lieutenant, le
14 germinal an IV; capitaine aide de camp du général
Laboissicre, le 14 vendémiaire an VI; chef d'escadron, le
23 frimaire an Xll ; colonel, le 5 septembre 1806 ; général
de brigade, le 21 juillet 1809; général de division, lo
15 mars 1813; mis en non-activité en 1815.
H4 AU SERVICE DE LA NATION
bien ; il est sorti en voiture il y a quelques jours*.
Il espère bientôt prendre le commandement de sa
division, qui est restée seule sur la rive droite du
Rhin. Le reste de l'armée est repassé sur la rive
gauclie, faute de terrain pour se déployer. Si l'ar-
mistice fut arrivé trois ou quatre jours plus tard, nous
nous serions rendus maîtres d'un espace de terrain
assez considérable pour contenir toute l'armée et nous
n'eussions pas été dans le cas de revenir cliez nous
pour pouvoir vivre. Il n'y a rien de nouveau dans ce
pays, nous ne savons absolument rien de la paix 2.
1. Desaix avait été blessé à la cuisse au passage du
Rhin (21-22 avril), en chargeant à la tête de ses troupes,
devant le village de Diersheim (Bonnal, Histoire de Desaix.
p. 120).
2. Il est intéressant de noter que Taide de camp du
général Laboissière tient des propos qui reflètent exacte-
tement l'opinion de son chef supérieur : Gouvion Saint-
Cyr. Celui-ci regrette, en effet, la conclusion de l'armis-
tice : il déclare {op. cit., t. IV, p. 186) : « que les généraux
Hoche et Moreau ne devaient faire aucun armistice avec
l'ennemi avant d'être en position sur le Danube, à la hau-
teur de Donauwôrth et d'avoir éloigné les Autrichiens de
leurs places du Rhin. » Les renseignements donnés par
le capitaine Lhéritier sur la nécessité imposée à nos
armées de revenir en arrière « pour pouvoir vivre » sont
également fournis par Gouvion Saint-Cyr (op. cit., p. 188) :
« Moreau fut bientôt obligé de renvoyer sur la rive gauche
la plus grande partie de son armée qu'il ne pouvait nour-
rir sur la rive droite ; il ne put y laisser que son centre
[commandé par Desaixj et quelques troupes de la droite ;
le reste fut renvoyé dans le Haut-Rhin, l'aile gauche
dans le Palatinat et le pays de Deux-Ponts et la réserve
de cavalerie sur la Sarre. » Enfin, nous noterons que le
capitaine Lhéritier, si bien renseigné par ailleurs, ne
savait « absolument rien de la paix. »
AUX ARMÉES DU NORD
(1792-1798).
1792
[A la famille des volontaires Brault *].
Du 2 octobre, l'an 1" de la République (1792) *.
Nous sommes fort inquiets de votre santé. Nous
n'avons pu recevoir de vos nouvelles par personne ;
cela n'est pas surprenant puisque nous sommes can-
tonnés de village en village, et à la barbe de l'ennemi,
que nous voyons tous les jours. Nous l'avons déjà
repoussé et nous nous emparons des villages, qu'il
i. Alexandre Brault, né à Mayenne le 27 juillet 1771, et
son frère cadet Etienne s'enrôlèrent tous deux au 4* ba-
taillon des gardes nationales volontaires des réserves,
constitué le 6 septembre 1792 au camp de Soissons.
Etienne mourut à l'hôpital militaire de Saint-Omer le
20 mai 1793. Alexandre prit part comme sergent de gre-
nadiers aux campagnes de Ucigiquc, de Flandre et de Hol-
lande, de 1792 à 1796. passa ensuite aux armées de
Sambre-el-Meuse, du Rhin et d'Italie, et mourut à Saint-
Domingue le 18 août 1804. presque au moment où il
venait d'obtenir les (■paulclle.H dî capitaine.
2. Sans indication de localité.
H6 AU SERVICE DE LA NATION
abandonne ^ Mon frère était de garde au bivouac;
sur vingt hommes qu'ils étaient, il est sorti une
patrouille de quatre hommes et un caporal que les
ulans ont pris. C'est un bonheur que mon frère n'en
était pas ; ils nous en prennent quelques-uns, mais
nous en prenons bien davantage ; depuis que nous
sommes ici, nous en avons pris une douzaine, et eux
n'ont pris que cette patrouille.
Nous n'avons depuis un mois couché en aucun lit,
toujours sur la paille, et un village comme Parigné ^
contient deux mille hommes. Nous avons deux régi-
ments de troupes de ligne, le régiment de Forez et
celui de la Couronne^, et deux cents gendarmes. Nous
faisons le service ensemble. Quoique nous soyons
encore à quatre lieues de la grande armée, nous
avons autant de mal, et j'aimerais mieux être campé
tout Thiver que d'être cantonné. J'ai vu la brigade
de Mayenne à Reims ; mais au moment où elle arri-
vait, nous partions, de sorte que pour m'être amusé
un quart d'heure avec Bordeaux* à boire une bou-
1. Après Valmy, les Prussiens étaient restés jusqu'au
30 septembre dans leur camp à l'ouest de Sainte-Mene-
hould, puis ils avaient commencé leur retraite. Dumou-
riez chargea Kellermann de les suivre lentement : le ser-
gent Brault fait partie de cette colonne.
2. Petit village des environs de Mayenne, cité à titre de
comparaison.
3. Depuis 1791, ces régiments étaient devenus : 14^ et
45^ d'infanterie.
4. Augustin Bordeaux, entré le 6 février 1792 à la
7" compagnie du \ «'' bataillon des volontaires de la Mayenne
AUX ARMÉES DU NORD H7
teille de vin, j'ai été un jour aux arrêts. Je voudrais
qu'il serait avec nous, je crois qu'il est d'un autre côté.
Auparavant que nous fussions arrivés ici, l'ennemi
a dénué ce pays, de sorte que nous ne trouvons rien;
ils ont battu les pauvres paysans à qui ils ont vu
des cocardes aux trois couleurs, arraché l'arbre de
la liberté, emmené avec eux les curés constitution-
nels ; mais nous avons remis le calme, et tous sont
très contents de nous voir chez eux.
N'oilà la cinquième lettre que je vous écris ; je ne
m attends de recevoir des nouvelles que quand nous
serons à un endroit fixe. Mais je ne le pourrais pen-
dant que nous serons deux jours en un endroit, deux
jours en l'autre ; ainsi je ne vous marque point notre
adresse ^
Brault.
[il la famille des volontaires Brault].
De Saint-Onier, le 21 octobre t792,
l'an l^dela République.
.Nous vous prions, sitôt la présente reçue, de nous
envoyer de vos nouvelles, dont nous sommes si
inquiets; nous n'avons pas encore pu en recevoir
dopuis que nous sommes partis. Vous devez avoir
(Archives administratives de la Guerre, contrôle du batail-
lon).
1. La copie de cette lettre et des suivantes a été com-
muniquée par M. Desdevizes du Déz«K.
Ii8 AU SERVICE DE LA NATION
reçu cinq lettres ; il faut absolument que vos lettres
soient arrêtées quelque part, comme nous avons été
dans les villages à la poursuite de l'ennemi, car nous
sommes sûrs que vous avez écrit.
Je m'étonne qu'après le chemin que nous avons
fait nous soyons tous aussi bien portants ; pas un
n'a eu le moindre mal et, sans mentir, mon frère et
moi nous nous portons mieux qu'à Mayenne. Le zèle
avec lequel nous servons la Patrie nous fait tout
braver, et aucun d'entre nous, à quelque prix que ce
fût, ne voudrait ne pas avoir quitté ses foyers. Le
citoyen Dumouriez, qui nous a choisis au camp de
Soissons pour aller contre l'ennemi qui était à six
lieues de Reims, nous a félicités du courage que nous
avons montré dans cette petite affaire et, en récom-
pense nous a encore choisis pour faire la conquête du
Brabant ^ . Nous ne sommes présentement qu'à trente
lieues de Bruxelles et, de jour en jour, nous attendons
des ordres avec impatience
Brault.
[A la famille des volontaires Brault].
Bambecque, 14 novembre 1792,
l'an I" de la République*.
... Nous ne savons aucune nouvelle des citoyens
1. Le projet d'invasion en Belgique fut sanctionné par
le Conseil exécutif provisoire dans sa séance du 6 oc-
tobre 1792.
2. Tandis que Dumouriez avec le gros de l'armée
AUX ARMÉES DU NORD «19
Coulon^ et Mesnager' depuis que nous les avons
quittés, savoir le premier à Arras, où nous avons eu
le plaisir de dîner et souper ensemble le jour de notre
séjour, et nous l'avons laissé bien portant à la caserne.
S'il est capitaine, ce n'est que depuis que nous l'avons
laissé; nous n'en avons rien entendu dire. Le second,
nous l'avons laissé à Aire ; il a été nommé comman-
dant en chef du bataillon des chasseurs de Soissons,
mais c'est seulement par provision. Je crois que notre
bataillon est encore à Arras ' et nos chasseurs à
Aire.
Nous allons vous faire le récit en gros de notre
victoire remportée à Rousbrugge *. Nous vous dirons,
avant que de commencer, qu'aucun de Mayenne n'a
éprouvé le moindre malheur, quoique nous ayons été
en le plus grand danger.
Nous partîmes de Bergues ô trois heures du matin
avec un détachement de dragons à cheval, le bataillon
entrait en Belgique par Valenciennes et Mons, le général
La Bourdonnayc opérait une diversion au nord de Tour-
roing.
1. Benjamin Coulon, sous-lieutenant de la !''• compa-
gnie du 4° bataillon de Volontaires nationaux des réserves,
passa avec ce grade à ta 60" drmi-brigade le l*' germi-
nal an IV (21 mars 1796) (Contrôle du hat^nillon).
2. Mosnagcr (plus exactement Julien Lemcsnagcr),
nommé «apitainc de la l^^ compagnie du 4" bataillon à
l'organisation.
3. Les Hrault font partie de de la compagnie de grena-
diers, drtachrr du bataillon.
4. Le 5 novembre 1792.
120 AU SERVICE DE LA NATION
de Bergues, un autre bataillon qui était à Dunkerque,
cinquante soldats de troupes de ligne et de la Car-
magnole avec quatre pièces de canon, pour aller faire
le siège de Rousbrugge, petite ville du Brabant à
trois lieues de Bergues, que les Impériaux nommaient
le petit Luxembourg, à cause des fortifications dont
eUe était entourée. 11 était neuf heures du matin quand
nous sommes entrés dans le faubourg ; ce qui a causé
tant de lenteur dans notre marche, c'est que les Impé-
riaux avaient fait des tranchées de vingt pas en vingt
pas sur leur terrain, tout le long de la grande route,
et avaient abattu tous les arbres qui la bordaient, de
façon que cela nous prit beaucoup de temps à remplir
[les tranchées] et à détourner ces arbres qui barraient
le chemin : chacun y travailla, et on en vint à bout
plus vite qu'on ne le croyait. Jusque-là, le plus facile
était fait ; nous fûmes beaucoup surpris de voir que,
pour entrer dans la ville, il fallait se mettre deux fois à
l'eau pour franchir deux petites rivières dont ils avaient
coupé les ponts. Il n'y a que cinquante pas d'un pont
à l'autre ; nous avons cependant passé le premier pont
sans beaucoup de mal; nous en avons été quittes
pour dix à douze de tués ou blessés ; mais quand ce
pont a été passé, c'est là qu'il a fallu se battre ; les
Impériaux avaient fait de fortes tranchées au-dessus
du second pont, d'où ils pouvaient avec vingt hommes
tous nous tuer, sans que nous puissions seulement en
voir un seul. Les tués ou blessés nous tombaient par
terre comme grêle. Imaginez-vous que le pont de
AUX ARMRES DU NORD 121
Mayenne * a l'arche du milieu coupée ; qu'on a fait
des retranchements à hauteur d'homme au bout du
pont du côté de la ville, qui soient à l'épreuve du
canon, et que deux mille hommes soient au Saint-
Esprit pour assiéger la viUe. Voyez si trente hommes,
qui ne risquent pas d'être blessés, ne sont pas capables
de les retenir et d'en détruire un grand nombre s'ils
osent approcher ou pour placer des planches de bois
ou pour franchir la rivière à la nage. Telle était cepen-
dant notre situation ; il fallait passer ou tous périr.
Nous avons tiré le canon ; ensuite nous revenions à la
charge avec nos fusils, cela ne leur faisait rien. Si
on n'avait agi de témérité, je crois que la ville serait
encore à prendre.
Notre commandant général nous dit qu'il n'y avait
point d'autre moyen pour être vainqueurs que de
lâcher de jeter quelques planciies sur le pont et d'en-
trer d'autorité, la baïonnette au bout du canon ; que
si on s'amusait à tirailler, ils détruiraient tout notre
monde et que nous ne leur détruirions personne ;
qu'ils se rendraient infaiUiblement, voyant que, malgré
leurs coups de fusil, nous avancerions toujours sur
eux. On se dépêche d'exécuter ses ordres ; la première
1. La ville de Mayenne cstbAtie en pentes raidessurlea
deux rives de la rivière de ce nom. La rue qui emprunte
l'ancien pont est très difficilement carrossable, aussi
bien à la descente rive gauche qu'à la montée rive
droite, sur laquelle s'étage la partie la plus importante
de la ville, dominant presque à pic la rivière et couron-
née par un ancien chàteau-fort, qui sert de prison.
122 AU SERVICE DE LA NATION
planche jetée, les soldats étaient si acharnés qu'ils
n'attendent pas une seconde, et notre commandant de
notre bataillon passe le premier ; nous le suivîmes.
Ensuite, il ne fallait qu'une trentaine pour leur faire
évacuer la place. Cette planche avait huit pouces de
largeur et on ne pouvait passer qu'un et un ; ce fut
cause qu'il en périt beaucoup, mais pas tant que si
nous n'avions pas entrepris une invention aussi
hardie ; ce fut là que nous eûmes le malheur de voir
tomber à nos côtés le commandant de notre bataillon
et le commandant général du détachement de l'armée,
qui eut la cuisse cassée, dont il est mort. Pour le
commandant de notre bataillon, il va de mieux en
mieux, et je crois qu'il nous rejoindra en peu. Nous
avons cependant, comme vous voyez, emporté la ville,
mais malheureusement beaucoup de nous de tués et
de blessés. On évalue la perte à cinquante de tués et
à quatre-vingts blessés ; nous apprenons qu'il en
meurt tous les jours à l'hôpital. Notre bataillon a été
le plus malheureux ; il y en a trente de tués et soixante
de blessés. Nous sommes un corps de grenadiers, et
nous étions toujours à la tête ; voilà pourquoi le feu a
tombé sur nous des premiers. C'est nous aussi qui
avons franchi la planche des premiers, où il en a beau-
coup péri. Un de nos capitaines, nommé Bonneau, est
mort d'une fluxion de poitrine pour s'être jeté dans
l'eau pour franchir la rivière. Plusieurs l'ont franchie
à la nage : je crois qu'il n'y a eu que lui à mourir.
Il n'y avait que soixante Autrichiens dans cette
ADX ARMÉES DU NORD 123
ville, qui était si forte par l'eau qui l'entoure d'un côté ;
nous en avons trouvé trois de tués, et je ne sais
comment ils l'ont été ; ce sera sûrement quand ils ont
pris la fuite. Nous en avons fait deux prisonniers ;
nous les intcrrogcAmes pourquoi ils n'avaient point
de canons ; ils nous ont dit qu'on parlait très fort
qu'on allait assiéger Toumay et qu'ils les y avaient
envoyés, se fiant assez sur leur petit Luxembourg.
Nous en avons été bien heureux : s'ils avaient eu seu-
lement une pièce de canon à mitraille, ils nous
balayaient tous. Pour la première fois, nous avons été
assez échaudés, mais nous avons eu le bonheur d'en
échapper sans aucune blessure. En entrant dans la
ville, nous n'avons trouvé personne ; tous les habi-
tants avaient fui, et comme il était tard et que le
soldat était fatigué, on a fait ouvrir les portes de
quelques maisons pour la nuit seulement. 11 s'en est
trouvé qui ont pris quelques effets dans les maisons
où il n'y avait personne. Il y en a eu quatre-vingts
que notre bataillon a renvoyés comme brigands. 11
avait été déf(îndu de ne rien prendre sous peine de
mort. Il se trouve toujours de mauvais sujets qui
méprisent les ordres ; ib en ont été la dupe, car les
congés qu'on leur a donnés ne sont pas trop hono-
rables. .\otre capitaine La Riie ' a fait entrer sa com-
1, Victor-Antoine-Maurice de la Rue, né à Mayenne le
S2 avril 1773, nommé capitaine de grenadiers à l'élection
le 6 septembre 1792, lors de la torination du 4" bataillon
des volontaires nationaux (Contrôle du bataillon).
124 AU SERVICE DE LA NATION
pagnie dans la maison d'un meunier, qui nous parais-
sait fort riche. Tout y a été laissé dans le môme état
que nous l'avions trouvé. Nous avons des hommes
dans notre compagnie qui entendent assez raison, et
personne n'a été renvoyé ; c'est toujours glorieux
pour nous ; je crois qu'il n'y a eu personne non plus
de la 9* et de la 11' compagnie. Ce moulin est à un
quart de lieue de Rousbrugge, et nous y étions de
garde ; mon frère n'était pas, dans le fond, bien content
d'aller en sentinelle perdue après une pareille attaque ;
cependant, il a toujours montré de la bravoure de
même que Cherbonnet * et notre capitaine à la tôte
de sa compagnie. Nous espérons tous les jours d'aller
faire la conquête de la Flandre maritime : Ostende ne
nous échappera pas.
Jusqu'à présent vous n'avez pas eu lieu d'être con-
tents de nous, mais dites-moi si nous en avons déjà,
nous volontaires, fait autant que ceux qui sont restés
à Givet?...
Brault.
[Sans adresse].
De Mons, le 16 octobre 1792, l'an 4» de la Liberté,
2» de l'Egalité et de la République française.
Chère cousine,
Je voudrais avoir un génie assez sublime ou un
esprit assez éloquent pour tracer le courage et l'intré-
1. Grenadier au 4° bataillon.
AUX ARMb:ES DU NORD 185
pidité de nos soldats de la République française;
mais comme vous savez que ma plume est trop faible
pour vous détailler une bataille aussi intéressante que
celle de Mons, je me trouverai assez heureux si je
puis vous en crayonner une faible esquisse*.
Je passerai sous silence les attaques que journelle-
ment les ennemis ont endurées de nous depuis le vil-
lage de Quiévrain. Mais ils s'étaient retranchés dans
un bois (le bois Bossu) oîi ils se croyaient imprenables
par les retranchements et les redoutes qu'ils avaient
faits ; ils furent bien étonnés de la vitesse avec laquelle
1. Les contemporains donnèrent d'abord le nom de
bataille de Mons à la victoire de Jemappes, dont cette
lettre constitue un récit vivant quoi qu'emphatique. Sur
les diverses péripéties de Jemappes. cf. Chuquet, Les
guerres de la Révolution, Jemappes et la conquête de la Bel-
gique, pp. Tl-109, et capitaine de la Jonquière. La bataille
de Jemappes. Le village de Quiévrain (Belgique) est situé
sur la route de Valenciennes à Mons. Les troupes autri-
chiennes étaient établies non loin de là, dans le village
de Thulin. au moulin de Boussu et dans le bois de Sars.
Elles en furent refoulées le 4 novembre par les troupes
françaises. Ces opérations, auxquelles l'auteur de la lettre
fait allusion, furent le prologue de la bataille de Je-
mappes, livrée le 6 novembre 1792. Les prouesses de l'aile
gauclie, que mentionne liuret, consistèrent dans la prise
de (Jiiaregnon et surtout du village de Jemappes, fortifié
par les Autrichiens. Sur l'enthousiasme des Montois à
l'arrivée des Français et sur les prouesses de nos troupes,
cf. Chuquet, loc. cit. — Il importe de remarquer que celte
lettre, ijui est une exacte relation de la bataille de Je-
mappes, porte une date certainement fausse : elle est
datée du 16 octobre 1792 et les Français n'entrèrent dans
Mons, après leur victoire, que le 7 novembre, noua la rec-
tifierons en 16 novembre 1792.
126 AU SERVICE DE LA NATION
ils en furent chassés. Notre bataillon eut cet honneur.
Il s'en est acquitté avec un courage si héroïque que
le général ne put s'empôcher de nous en féliciter. Les
attaquer, les démonter de leurs batteries, les chasser
du bois et les poursuivre deux heures de chemin, ne
fut que l'affaire d'un moment.
Après une victoire aussi complète, sans avoir pour
ainsi dire essuyé aucune perte, on ne pouvait laisser
les ennemis se fortifier par de nouveaux retranche-
ments. On les rattaqua le lendemain avec autant de
courage, et ils se retirèrent jusque dans les retran-
chements de Mons.
Cette bataille nous sera à jamais mémorable, et si la
République n'a pas perdu plus de monde, elle le doit
autant au courage et à l'intrépidité de ses braves soldats
qu'aux soins et à la vigilance du brave Dumouriez.
Nos ennemis étaient situés d'une manière si avan-
tageuse pour eux qu'ils pouvaient nous faire perdre
du premier coup de leur feu une quarantaine de mille
hommes. Us avaient retranchements sur retranche-
ments : hauteur, bois et rivière, tout était à leur avan-
tage. Aussi, lorsqu'ils se sont vus démontés de leurs
batteries, ils en étaient si surpris qu'ils disaient en se
sauvant qu'il fallait que les Français fussent fous ou
saouls pour fondre sur leurs pièces et braver les périls
comme ils l'ont fait. Je vous le réitère encore, je me
trouverais heureux si je pouvais trouver des expres-
sions assez héroïques pour détailler la valeur de
chaque soldat en particulier. Lorsque le combat s'est
AUX ARMÉES DU NORD 127
engage, chacun bravait le feu et le fer de son ennemi
et lui faisait mordre la poudre en l'étendant sur la
poussière. L'aile gauche de noire armée a foncé sur
les ennemis et a bravé les périls les plus certains. Le
brave Dumouriez lui-môme s'est engagé deux fois dans
un combat à b tôte de la cavalerie. M. de Beurnon-
ville, qui commande notre avant-garde, nous mena
au feu par un discours qui nous fit répandre des
larmes de joie : « G)urage, eniants, nous dit-il, notre
général nous trace le chemin de la victoire ; il est lui-
môme à la tôte de la cavalerie. » 11 crie en môme
temps avec l'expression la plus tendre : « Vive la
République ! » Chaque soldat sent des larmes de joie
se répandre sur ses joues, un courage héroïque s'em-
pare de lui, tombe sur son ennemi au bruit du feu et
du frottement des armes, et ne se relire du combat
qu'après s'ôtre couvert du sang de son ennemi. J'ai
vu moi -môme un chasseur se retirer du combat avec
15 coups de sabre, et, en rendant le dernier soupir
entre les bras de son camarade, il criait : o Vive la
Nation ! » et s'informait si les Français étaient tou-
jours libres. Enfin, ce papier, quoique volumineux, ne
suffirait qu'à peine pour vous détailler tous les faits
héroïques de celle bataille. L'ennemi nous abandonna
Mons par une retraite ou pour mieux dire une fuite
tout à fait désordonnée. Le nombre de leur tués est si
considérable que nous en ignorons encore le nombre,
et quoiqu'ils chargeaient leurs tués et leurs blessés
par mille sur des voitures et que les habitants de la
128 AU SERVICE DE LA NATION
campagne sont depuis la bataille occupés à les mettre
en terre, la campagne et la rivière en sont encore
couvertes. Pour nous, nous avons perdu 7 à 800
hommes. Mons s'est rendue par des signaux qui expri-
maient le désir d'être libre. Enfin, il est impossible de
vous exprimer ce qu'ils ont fait à nos troupes. Ils se
proposent de prendre les armes et de nous conduire
jusqu'à Bruxelles en se battant contre les Impériaux.
Je suis avec respect
Votre serviteur et cousin,
HURET S
Républicain, Français et défenseur de la Patrie*.
1793
[A la famille du volontaire BrauU].
De Gassel, 1793, 2» de la République, 7 avril.
Ghers père et mère.
Nous voilà rentrés sur nos terres par la trahison
d'un homme qu'aucun soldat français n'eût soup-
çonné'. En qui devons-nous nous fier présentement ?
C'est à nous à obéir en aveugles. Dumouriez voulait
se faire un parti dans Tarmée qu'il commandait, pour
1. Volontaire au 1®' bataillon du Loiret.
2. Archives municipales d'Orléans, dossier H. 90.
3. Dumouriez avait lait défection le S avril 1793 au soir.
AUX ARMÉES DU NORD 129
aller, à ce qu'on prétend, exterminer la Convention
Nationale. On ne sait le patriotisme qu'il a affecté de
montrer; nous en sommes nous-mêmes témoins, et
tout cela pour réussir dans son projet. C'était un
homme à tout sacrifier pour sa gloire et ses intérêts.
On l'accuse d'avoir tâché de se rendre le chef des
Belges, aussi dînait-il souvent avec le général prus-
sien ; il avait dîné avec lui la veille de cette fameuse
bataille remportée sur nous, où l'ennemi n'attaqua
que l'aile gauche de notre armée qui fut mise en
déroute * ; il disait après que c'était la faute des offi-
ciers mal expérimentés. L'argent a bien du pouvoir !
Nous avons appris par les bulletins les troubles qui
ont régné dans notre département et dans plusieurs
autres ; ça lait voir que Taristocratie n'est pas encore
éteinte ; le fanatisme de quelques gens les porte à agir
sans savoir que c'est des despotes qui les portent à
cela, en leur faisant croire qu'ils mourront martyrs
s'ils prennent les armes pour la religion.
Je vous ai donné dans la dernière un assez long
détail de la Hollande, où nous étions, du siège de Bréda*,
de quelques périls dont nous nous étions sauvés.
Grâce à Dieu, nous avons encore été assez heureux
dans notre retraite ; nous avons marché le jour et la
nuit, et fait souvent dix à douze lieues dans une
nuit ; les fatigues ne nous ont point incommodés ; il
1. Bataille de Neerwinden (18 mars 1793).
2. Bréda avait ouvert ses portes le 25 février 1793, après
un court bombardement.
PICARU. 9
130 AU SERVICE DR LA NATION
est un Dieu pour les soldats. Jusqu'à présent, nous
n'avons jamais manqué de rien ; je ne sais cependant
pas si nous perdrons une partie de nos effets que
nous avons laissés à Anvers. Toute l'armée y a laissé
ses voitures : il était impossible qu'elles nous accom-
pagnassent dans notre retraite ; il aurait fallu plus de
cinq à six jours pour passer l'Escaut, qui est très
larga * ; dans notre fuite, nous avons jeté la poudre,
les bombes, boulets et autres munitions de guerre
dans le fleuve, toutes les farines de l'armée, qui
seraient tombées entre les mains de nos ennemis.
Jugez après cela si les vivres doivent être chers.
Nous voilà passés sur le territoire français, il nous
faudra d'autres munitions ; cela fera encore tout ren-
chérir.
On va former un camp sous Cassel ; on s'occupe
tous les jours à fortifier cette ville, qui est une des
plus voisines du Brabant. Nous ne savons pas si
notre bataillon campera ou s'il restera dans une ville
de guerre ; nous préférerions une ville de guerre.
Nous croyons que nous pourrons bien retourner en
Hollande : ce qui nous le fait croire, nous avons laissé
dix mille hommes à Bréda ; ils ont pour neuf mois de
vivres ; cela une fois consommé, ils seraient obligés
de se rendre si on ne leur prête du secours. Si l'on
i. Dans le traité, il est dit que nos voitures nous par-
viendront; au surplus nous ne risquons pas grand chose,
nous avons toujours porté dans notre sac ce que nous
avions de meilleur (Note du sergent Brault).
AUX ARMÉES DU NORD 131
eût tout à fait voulu quitter la Hollande, on n'aurait
pas laissé de troupes en ce pays-là.
Nousavons appris avec plaisirque notre l*"" bataillon
du département de la Mayenne s'était signalé en pre-
nant deux pièces de canon à l'ennemi et lui faisant
prendre la fuite ; qu'il a reçu douze louis par recon-
naissance ; nous ne trouvons point cela étonnant ; il
n'a fait que son devoir.
Tout ici est de moitié au moins plus cher que dans
le Brabant et la Hollande, surtout les vivres. Avec
14 et 15 sols on vivait mieux qu'ici avec trois livres ;
c'est en partie ce qui nous fait regretter ce beau
pays-là.
... Notre commandant a été cassé à Bréda par le
général pour avoir été contre ses ordres. La majeure
partie en est très contente. . .
Brault.
[A la famille du volontaire Brault].
De l'avaDt-garde au camp de Gyvelde, 16 juin 1793,
l'an 2' de la République
Si j'ai tant difléré à vous écrire, c'est que je m'at-
tendais à voir ou à recevoir en peu des nouvelles de
mon frère. Je lui ai écrit une lettre, il y a déjà
quelque temps; il ne m'a pas répondu. Je viens
d'en envoyer une seconde à l'adresse du Directeur de
l'hùpital militaire de Saint-Omer ; je le prie de m'en
informer et m'apprendre s'il est encore à Saint Omer.
Comme c'est une ambulance, il se pourrait bien qu'on
132 AU SERVICE DE LA NATION
l'eût transféré plus loin, car dans les hôpitaux qui
sont proches des armées, c'est une ambulance qui va
souvent fort loin, et le directeur va m'instruire où on
l'aura envoyé ; je sais, par ceux qui étaient avec lui
et qui sont revenus au bataillon, qu'il n'était pas dan-
gereusement malade : c'est une raison de plus pour
l'avoir envoyé ailleurs * .
Vous aurez appris la chasse que nous avons donnée
à l'ennemi jusqu'au-dessus de Furnes. Depuis que
nous étions ici, il ne nous laissait point tranquilles, et
tous les matins nous nous battions. Mais depuis que
nous l'avons repoussé, nous ne le voyons plus, et
nous sommes les plus tranquilles du monde. Cela
n'empêche cependant pas de nous tenir sur nos gardes,
et de veiller tout comme s'il était encore auprès de
nous. C'est avec plaisir que je vois faire le service
comme il est fait ici, et dans le temps que nous avions
affaire aux Autrichiens, nos grenadiers se disputaient
à qui serait de découverte.
L'on vient de lire aujourd'hui un code de discipline
militaire que nous avons tous juré de suivre de point
en point ; il est un peu rigoureux, mais des gens qui
sont sûrs de se conduire toujours dans le chemin de
l'honneur ne craignent rien, au contraire, sont bien
contents de voir punir ceux qui auraient la lâcheté
. 1. Au moment où il écrivait cette lettre, Alexandre
Brault ignorait que son frère Etienne était mort à l'tiôpital
de Saint-Omer le 20 mai précédent (Contrôle du 4° batail-
lon de volontaires nationaux).
AUX ARMÉES DU NORD 133
de le mépriser en y contrevenant'. On doit penser
comme cela quand on a pour but de sauver la Répu-
blique et de conquérir sa liberté. Notre 1*"^ bataillon
est resté caserne à Dunkerque ; nous sommes des gre-
nadiers faits pour être toujours à la tête quand il
s'agit de se battre et à la queue quand on est forcé
à la retraite...
Brault.
[A la famille du volontaire Brault].
De Dunkerque, 11 septembre 1793,
Tan 2* de ia République une et indivisible.
Vive la République I
Nous voilà enfin, après beaucoup de fatigues, déli-
vrés des cruautés inouïes que nous préparait le siège
de cette ville '.
Vous avez sans doute appris la vivacité avec
laquelle nous avons été obligés d'abandonner le camp
de Gyvelde le 22 du mois dernier, après un combat
de plus de trois heures, et de nous replier le 23. Nous
avon^ couché dans les glacis à l'air du temps ; le 24,
nous avons fait une sortie générale, qui n'a pas été à
notre avantage ; le 6 de ce mois, les grenadiers com-
posés de 24 bataillons avec deux divisions de gendar-
1. Ce code de discipline militaire est celui qui fui
décrété le 12 mai 1793 par la Convention.
2. 11 s'agit de Dunkerque assiégé par le duc d'York
depuis le 23 aoùl et délivré par Houchard, qui gagna les
6, 7 et 8 septembre la bataille d'Uondlschoote.
134 AU SERVICE DE LA NATION
merie, nous avons été plus heureux et détruit beau-
coup d'hommes à Tennemi. Les 6, 7 et 8, nous nous
sommes emparés de leut*s avant-postes. Jamais je
n'ai vu une fusillade pareille : l'on était disposé à
vaincre ou mourir; l'ennemi n'avait pas encore tiré un
coup de canon sur la ville, mais leurs retranchements
étaient faits, une partie de leurs batteries placées et,
dans peu de jours, Dunkerque allait être réduit en
cendres. Heureusement, Houchard s'est transporté du
côté d'Ypres ; on allait les prendre entre deux feux ;
l'ennemi a évacué si fort qu'il a abandonné tous ses
canons et munitions. L'on ne peut en évaluer la perte,
tant elle est considérable. L'on nous assure que du
côté de Bergues l'on a fait une quantité considérable
de prisonniers ; j'ai vu tailler l'arrière -garde en pièces
par les cuirassiers à l'arme blanche...
Nous avons perdu 3 hommes de notre compagnie
et 13 de blessés. Notre bataillon en a perdu une
vingtaine ; entre autres Millère*, Bastier^ et un
nommé Le Blanc, de Mayenne *.
1. Millère (plus exactement Jean Demillière), sergent à
la 1""° compagnie du 4^ bataillon le 6 septembre 1792,
adjudant sous-olfîcier le 6 mars 1793, mort le 8 septem-
bre 4793 des suites des blessures qu'il reçut dans une des
sorties que fit la garnison de Dunkerque (Contrôle du
bataillon).
2. Bastîer, volontaire à la i^ compagnie du 4« batail-
lon. Présumé tué ou fait prisonnier dans une des sorties
de la garnison de Dunkerque {Ibid.).
3. Le Blanc, volontaire à la f^ compagnie du 4" batail-
lon, mort le 28 septembre 1793 {Ibid.).
AUX ARMÉES DU NORD 135
Cinquante à soixante pièces de 24 ont été aban-
données, 800 barriques de poudre, du bois, des voi-
tures, des bêches, des pioches, etc., etc. Notre lieu-
tenant est blessé à la cuisse*.
Brault.
[A la famille du volontaire Brault].
Dunkerque, du 18 septembre, l'an 2*
de la République une et indivi&iblo.
Voilà enfin le beau temps qui va renaître ; celte
ville, qui tout à coup vient d'être délivrée de la
fureur du duc d'York, recommence h prendre son
ancienne gaîté. Aussitôt que l'ennemi a plié, l'on
s'est occupé à couper tous les bois, et à abattre toutes
les maisons de Rosendaal, qui nous étaient fort incom-
modes, l'ennemi s'en servant de retranchements;
toutes les voilures de la ville cl de l'armée ont enlevé
toutes les farines, les canons, les bombes et les bou-
lets qu'ils ont abandonnés dans leur fuite, et, depuis
le 9 de ce mois, l'on ne fait que charroyer. L'armée
est entrée dans la ville de Kurnes, où elle a trouvé
des magasins superbes et des munitions de gfuerre en
tous genres, que l'on conduit continuellement à Dun-
kerque ; l'on dit qu'elle va se porter dans peu de
jours à Ostendc. Dites-moi que penser d'une déroute
pareille ?
1. C'était Jean Boussolairc, lieutenant à l'élection nu
4« bataillon, le 6 septembre 1792 (Contrôle du bataillon).
136 AU SERVICE DE LA NATION
Nous avons été leur faire la conduite ; ceux qui
restaient par derrière ont été pris prisonniers au
nombre de 200. Nos chasseurs à cheval et nos cui-
rassiers ont eu un combat à l'arme blanche avec les
hussards de Cobourg : pas un ne s'est en allé sain
et sauf; il semblait que nous étions des diables.
Nous avons occupé notre première position à
Gyvelde, d'où ils nous avaient si bien chassés. Nous
y sommes restés cinq jours sans tente, bivouaques à
l'air du temps. Nous avons reçu des ordres pour que
chaque compagnie de grenadiers rejoigne son ba-
taillon. Voilà trois jours que nous sommes rentrés au
nôtre, qui est caserne à Dunkerque, où il forme la
garnison ; on le demande par-dessus tous les autres,
étant connu depuis plus de trois mois qu'il y est.
Après avoir couché sur la paiUe, l'on trouve bien
doux de coucher dans un lit ; il y avait près de quatre
mois que notre compagnie n'avait déshabillé ; si les
grenadiers sont heureux en temps de paix, ils le
payent bien en temps de guerre. Les représentants
du peuple ont annoncé aux citoyens de la ville que
la ville n'était plus en état de siège, et par ce moyen
de reprendre chacun ses fonctions ordinaires ^ 11 s'est
fait des réjouissances magnifiques : chaque vaisseau
avait son pavillon, les cloches ont sonné; plusieurs
coups de canon se sont fait entendre aux cris plu-
1. Les représentants du peuple présents à Dunkerque
pendant le siège étaient : Collombel, Duquesnoy et Ilentz.
auxquels se joignirent plus tard TruUard et Berlier.
AUX ARMKES DU NORD 137
sieurs fois répétés de : « Vive la République ! » Dans le
temps du siège et dans les différentes sorties, il s'est
passé plusieurs faits remarquables : de pauvres mal-
heureux, près d'expirer, criaient : « Vive la Répu-
blique !» A la sortie du 6, notre bataillon a essuyé le
plus vif feu. Nous étions à la tête dans ce moment;
l'on ne se connaissait presque point; les P'rançais
étaient môles avec les Autrichiens ; ces derniers n'en
ont pas été quittes pour 2000 dans cette journée.
C'est dans cette affaire que Millère a été tué ; l'on
sait présentement le nombre de nos tués et blessés ; il
n'est pas si grand que je le croyais. Notre compagnie
de grenadiers en a eu cinq de tués et douze de
blessés; dans la l" compagnie du bataillon, quatre de
tués, savoir : Bastier, Le Blanc et Belliard, de
Mayenne*, et trois de blessés, et chaque compagnie,
plus ou moins. Dans cette affaire, ce sont les gen-
darmes et les grenadiers qui ont été les plus étrillés.
Brault.
i. Brault fait erreur sur le sort de son compatriote.
Julien Belliard, fils de François et de Françoise Lefort,
né à Céancé, district de Mayenne, entré à la i^ com-
pagnie du 4<* bataillon des volontaires nationaux le 6 sep-
tembre 1792, à l'âge de dix-huit ans, fut « perdu » le
11 '[)'' libre 1793 (après l'affaire racontée ci-dessus) et
r.i\. ilr- contrôles le 25 pluviôse an II (13 février 1794);
mais, quatre jours plus tard, il rejoignait son bataillon.
Il fut versé ensuite à la 60' demi-brigade (Archives admi-
nistratives de la Guerre).
i38 AU SERVICE DE LA NATION
Ail citoyen Jacques Martin, résidant au village de
Leuchères, paroisse de Pionsat, district de Mon-
taigu- en -Combr ailles, département du Puy-de-
Dôme.
A Tonnelille', ce 2'J septembre 1793, l'an 2»
de la République française, une et indivisible.
La mort, c'est ma devise !
Mon cher parrain,
Je vous écris ces deux mots pour m'informer de
Tétat de votre santé ; quant â l'égard de moi, je suis,
grâce à Dieu, en bonne santé. J'ai reçu votre lettre,
qui m'a fait un sensible plaisir d'apprendre que vous
jouissiez d'un parfaite santé. Je vous prie de vouloir
dire mille choses de ma part à mon père et à ma mère.
Je suis fort inquiet de savoir s'ils ont reçu le certi-
ficat que je leur ai envoyé. Mon frère se porte bien
et vous assure de ses amitiés. Je vous prie de faire
mes compliments au citoyen Chaumette et à son
épouse, ainsi qu'à la veuve Brissonne et à ses enfants,
sans oublier notre citoyen curé.
Je vous dirai que je suis canonnier du bataillon '.
Nous sommes attachés à l'avant-garde de l'armée des
Ardennes, cantonnée à Tonnetille. L'ennemi est beau-
coup en forces devant nous, mais nous [ne] les crai-
gnons pas beaucoup. Nous faisons des sorties en
Empire de temps en temps. Tout de suite qu'ils nous
1. Thonne-le-Thil, canton de Montmédy (Meuse).
2. l'" bataillon de la Creuse.
AUX ARMÉES DU NORD 139
. t tient ils se sauvent [dans] les bois comme des loups.
Nous avons fait une sortie en Empire le 21 de ce
•nois; nous n'en avons que sorti le 27. Nous nous
•mmes battus vigoureusement avec l'ennemi, sans
I <Tdre une seule personne. Nous leur avons tué autour
(le deux cents personnes et beaucoup de blessés que
nous avons trouvés dans le passage. Nous leur avons
pris trois pièces de canon avec cinq caissons chargés
do poudre à canon, avec des boulets et beaucoup
d'effets de campement. Nous nous sommes retirés
que quand nous leur avons eu mis leur armée en
déroute. Je n'ai autre chose à vous marquer de la
guerre * .
Voilà deux ou trois jours que l'on parle que l'armée
a partir pour aller du côté de Valenciennes ; cela
nous ferait un grand plaisir, car nous ne serions que
rontenls de nous battre avec notre ennemi, car il n'y
1 rien de plus beau à voir que la guerre surtout quand
1. L'armée des Ardennes, à laquelle appartenait le
. anonnier Martin, avait été formée en 1792 soua la direc-
tion de Valence et comprenait alors 20 000 hommes. .\vec
l'nrmée du Nord, l'armée de la Belgique et le corps du
lieulenanl général d'Harviile, elle avait contribué à l'in-
vasion de la Belgique (Dumolin, Précis d'histoire mili-
taire, t. I, pp 108-109). A la suite de la victoire de Dumou-
riez à Jemappes, l'armée des Ardennes prit Charleroi,
Nivelles et Namur (novembre-décembre 1792 . En 1793, au
moment où le canonnier Martin écrivait cette lettre?^ son
parrain, Jourdan venait de prendre le commandement de
armée; il allait la conduire, en octobre, à Watti-
. Nous n'avons point trouvé trace de ces « sorties CD
Empire u signalées dans cette lettre.
140 AU SERVICE DE LA NATION
il y a deux cents brutals [canons] qui pètent là tous
à la fois*.
Je finis en vous embrassant du plus profond de
mon cœur, et vous pouvez me croire pour votre fidèle
ami, parrain,
Julien Martin,
canonnier.
Vous adresserez votre lettre au citoyen Julien
Martin, canonnier du l" bataillon de la Creuse, attaché
au parc d'artillerie de l'avant-garde de la 2® division
de l'armée des Ardennes, cantonnée à Tonnetille, près
Montmédy.
Je fais réflexion : j'ai appris que tous les garçons
étaient partis. Gela me fâche beaucoup. Je plains le
triste sort des filles. Par conséquent, j'exhorte les gar-
çons qui peuvent avoir resté d'avoir soin de ne pas
les abandonnera
Au républicain Demonchy, contrôleur des charrois
des armées, du dépôt de Péronne, rue et vis-à-vis
V église Saint-Jean, à Péronne.
De Rousbrugge', ce 4 octobre 1793,
l'an II de la République.
Mon très cher frère,
L'indifTôrence que vous me témoignez en ne me
1. Valenciennes, défendue par le général Ferrand, avait
capitulé le 28 juillet 1793.
2. Archives de Riom (copie communiquée par M. le lieu-
tenant Saint-Arroman).
3. Rousbrugge, Flandre occidentale (Belgique), entre
Ypres et Bergues.
AUX ARMÉES DU NORD 141
répondant point aux trois lettres que je vous ai
écrites m'oblige de vous en écrire une quatrième. Je
suis au désespoir de ne point recevoir de vos nou-
velles. Je crois que vous m'abandonnez totalement.
Oui, je vous le répète, vous me mettez au désespoir,
mais j'espère qu'aussitôt la réception de la présente,
vous voudrez bien me racheter la vie en me donnant
de vos nouvelles et de celles de mes parents que j'at-
tends avec impatience.
Je vous apprendrai pour nouvelles que nous avons
fait des grandes conquêtes dans le pays que nous
occupons actuellement. Vous avez sûrement entendu
parler de la prise de Hondtschoote, où nous avons pris
158 pièces de canon à l'ennemi et un butin très con-
sidérable ; enfin la victoire a été complète et l'ennemi
mis tout à fait en déroute *.
Nous sommes présentement cantonnés sur le pays
ennemi, trois lieues de Bergues, six de Dunkerque
et cinq de Furnes. Le bourg que nous habitons est
totalement ruiné. Par le pillage que l'on y a commis,
la moitié en est réduit en cendres et les habitants
1 . La victoire de Houchard à Hondtschoote (6, 7 et 8 sep-
tembre) avait marqué la défaite des Anglo-Hanovriens
du duc d'York et de Wallmoden. Sur la campagne de
Hondtschoote et ses conséquences, cf. Chuquet, Lesguerret
<le la Révolution, liomltschoote, capitaine V. Dupuis, La
campagne de 1793 à l'armée du Nord et de» Ardennes, t. 1,
et lieutenant-colonel Lévi, Les Français à Fumes (1792-
1794), extrait du tome LUI des Mémoires de la Société
Uunkerquoise.
U2 AU SERVICE DE LA NATION
sont tous à la fuite, de façon que nous y sommes les
maîtres.
Nous faisons de fréquentes découvertes dans les
alentours de notre cantonnement ; nous avons quelques
petits assauts, mais très rarement. Dernièrement, nous
avons fait une découverte en avant, à trois lieues du
cantonnement, et cela par ordre du général; nous
avo.^s pris chevaux, poulains, vaches, moutons,
cochons, enfin tous les bestiaux en général, et, d'après
ces expéditions, Ion entre chez le paysan et, après
avoir bien bouffé, bien bu son vin, l'on b... les par-
ticulières et l'on en emporte les couronnes et les
esquellins. Voilà de la façon dont nous nous compor-
tons chez messieurs les Impériaux ; ils font encore
bien pire chez nous, ils agissent avec cruauté, au
lieu que nous autres Français, toujours avec huma-
nité.
Nous faisons ici des bombances éternelles : la viande
y est en profusion et l'on y jette les gigots par la
fenêtre ; le vin y coule, quoiqu'à trois livres la bou-
teille ; nous avons pris pour 2 700 livres de cuir, que
nous avons vendu à Bergues au profit du bataillon.
Le bruit court que le Turc vient à grande force
contre l'Empereur ; ainsi, si cela est, nous serons
débarrassés de ce côté-là, vu que l'Empereur portera
ses forces de l'autre côté. Je désire ardemment que
cela soit et que cette paix, si longtemps désirée,
arrive.
Je vous réitère encore une fois, mon cher frère,
AUX ARMÉES DU NORD U3
de me donner de vos nouvelles ; aussitôt la présente
reçue, donnez-moi, s'il vous plaît, un détail exact de
ce qui se passe au pays. L'on dit que l'ennemi est aux
environs de Saint-Quentin; si cela était, ça serait
bien malheureux pour notre famille.
Donnez-moi des nouvelles de mon père, ma sœur,
mon frère Albert et toute la iamille, que j'embrasse
de tout mon cœur, principalement maman Catherine,
que j'assure de mon respect; donnez-moi des nou-
velles de votre femme, de vos enfants, de Louison et
du petit que j'embrasse.
Et je finis en vous embrassant du plus profond de
mon cœur, et j'ai l'honneur d'être, mon très cher
friTO,
Votre très affectionné frère,
A. Demonchy,
CaporaUfourrier au 14* bataillon d'infanterie légère',
compagnie Lachaud, avant garde de l'armée du
Nord*.
i. Le i4» bataillon d'infanterie légère était commandé
par les lieutenants-colonels Queissat etHacquin. Le nom
du capitaine commandant la compagnie du caporal-four-
rier Demonchy doit s'écrire Lachaux (L. Hennet, Etat
., ''.A.iire de la France pour l'année 1793, p. 194)- L'avantr
. . n^ de l'armée du Nord comprenait à cette date
« l.oOO tlK'vaux, 4.500 hommes de troupes légères et
.1 0(n» cli.i.ssciirs du Mont-Cassel, aux ordres du colonel
\ ic » (Foucart et Finot, La défense nationale dans
/- > 1792 aiB02, t. II, p. 92).
2. Archives déparlementnle» du Nord, liasse 2.144
(copie communiquée par M i.> li"iit<>nanl-colonel Lévi).
144 AU SERVICE DE LA NATION
Au citoyen Jabouille, chirurgien-major, procureur
de la commune à Pionsal^ proche Montaigu-en-
Combrailles, à Pionsat.
Maubeuge, le 20 octobre, l'an 2» de la République
française, une et indivisible [1793].
Je viens seulement de recevoir votre lettre, mon
cher père. Je profite du moment que j'ai pour vous
répondre d'ici, où je couche une nuit. J'y suis venu
chercher des souliers et chemises pour la division, et
je pars demain à porte ouvrante. Je suis à sept lieues
de Cadet S et je suis bien en peine pour souper. Je
trouve du vin, mais point de pain. Cette ville, qui était
entourée d'ennemis ces jours derniers, vient d'être
débloquée^. Elle est dépourvue de tout; je viens d'y
payer une once de tabac dix sols; jugez d'après cela
s'il fait bon dans les auberges, et, malheureusement,
j'ai un poste à y être toujours.
Quelques jours après vous avoir écrit ma dernière
lettre, j'ai été promu lieutenant, et lieutenant de gen-
darmerie. C'est sûrement un fort joli poste, qui est
fort tranquille et où l'on a presqu'aucune comptabi-
lité ni responsabilité. L'on a sans doute cru que je
1. Son frère cadet.
2. A partir du 23 septembre 1793, Cobourg avait com-
plètement investi la place de Maubeuge. Jourdan vint au
secours de la place et après les combats glorieux de
Wattignies, le 17 octobre, à deux heures de l'après-midi,
il fit une entrée triomphale dans Maubeuge, aux côtés de
Carnot.
AUX ARMÉES DU NORD 145
serais trop à mon aise, et l'on m'a donné une autre
besogne.
Je fais dans ce moment les fonctions de quartier-
mailre trésorier, celui qui l'est réellement étant tombé
malade*. Celte marque de confiance de la part de la
li vision est pour moi li'ès flatteuse et je ne pouvais
jjas refuser d'accepter cet embarras qui me devient
très coûteux : le malade devant toujours jouir de ses
ippoinlements, je ne peux pas en jouir d'autres que
de ceux affectés à mon grade actuel, qui est de sept
livres dix sols par jour.
A ma réception, j'ai fait des dépenses qui sont
I l'usage ù la troupe. Je suis obligé de faire bien des
mplettes. J'ai acheté un cheval six cents livres, je
ne l'ai pas encore payé ; il est vieux, mais ils sont si
chère i\u[\ m'est impossible de choisir. Je le fatigue
iKîaucoup, mais il est fort et pourra me faire de
l'usage. 11 me faudra bientôt un manteau ciré. Je vous
issure que j'ai besoin de me ménager, surtout si je
ne veux pas toucher à la somme que j'ai à Paris.
Cadet est brigadier-lourrier; je l'ai laissé ce matin
tMi bonne santé. Depuis (juiniw? joui-s, on se bat nuit
• t jour sur toute cette frontière. Nous avons juré d'y
rester ou d'en sortir l'ennemi. Nous l'avons déjà bien
repoussé : il nous a laissé Ijeaucoup de cadavres, aussi
l;i \i'rvi- iniiit)le dcs cuiijis rie fusil et de canon.
1 Sur l'élection au grade de quarlier-matlre trésorier,
' f . la lettre du lieutenant Michel publiée p. 6.
PlCAItU. 10
146 AU SERVICE DE LA NATION
Gomme quartier-maître, je ne suis plus qu'au trésor.
Je n'ai plus l'avantage de voir l'ennemi. Cette place
convient parfaitement à un capon. Faites toujours
valoir ma demande d'adjudant-général : ma promotion
d'officier ne nuira pas.
Bien des choses à Maymat de ma part. Il est porté
pour mes intérêts et ne peut que m'ôtre très utile.
J'ai un reproche terrible à vous faire, mon cher
père, et cependant vous n'avez pas tort. Vous savez
que, dans mon dernier séjour à Paris, je vous parlai
mariage. Vous me le portâtes bien loin; mon frère
cadet ne disait pas tout à fait de même. 11 me disait
seulement que ma prétendue était encore trop jeune :
elle avait quinze ans. Enfin je l'ai perdue, elle morte
et si, comme vous vous l'imaginiez, j'eus consommé
le mariage avant de chercher à l'épouser, elle serait
encore en vie et j'aurais rendu à la société une
aimable femme et une bonne mère. Oui, j'ai considé-
rablement perdu. Figurez- vous une femme pleine de
talents, de douceur, de beauté, parlant trois différentes
langues et les écrivant de même, enfin dont l'éduca-
tion a plus coûté que n'ont vaillant toutes les filles
de Pionsat. Je [ne] pleure pas facilement; mais, si
vous l'eussiez connue, vous sentiriez ma douleur et
vous [ne] m'auriez pas fait l'injustice de croire que
c'était une fille prostituée. Ces sortes de filles peuvent
être parfois pour mes plaisirs, mais je n'en ferai
jamais ma femme.
Je finis, je suis fatigué et vais me coucher, J'em-
AUX ARMÉES DU NORD 147
brasse ma chère mère et mes sœurs et frère. Ayez
soin de ma Berton (?) dans sa maladie ; qu'elle ne
fasse pas comme Mademoiselle Gachot, qui aurait tant
désiré la connaître. Adieu,
Jabouille '.
Comme nous n'avons point de résidence fixe, je
vais vous donner mon adresse dont vous vous ser-
virez jusqu'à ce que je vous en donne une de positive :
Jabouille, officier dans la 34° division de gendarmerie,
à l'avant-garde de l'armée du Nord, commandée par
le général Fromentin. Sur l'adresse, quand vous m'é-
crirez, n'indiquez aucun endroit*.
l Antoine Jabouille était né le 29 mars 1764 à Pionsat.
11 était le fils de Jacques Jabouille, chirurgien et procu-
reur de la commune de Pionsat. Après avoir servi dans
I > de la République, il devint chef d'escadron de
^ rie, chevalier de la Légion d'Honneur, à Liège
(département de l'Ourthe). 11 eut un fils, Edme-Thomas,
né en 1796, qui fut officier dans la Jeune Garde. Mis en
demi-solde à la chute de l'Empire, il reprit du service
comme rengagé en 1820 et mourut capitaine-rapporteur
du r.onseil de guerre à Bordeaux (Maxime Mangerel,
maire de Pionsat, Le canton de Pionsat pendant la période
rc oluiionnaire, 1789-1800. ClermonUFerrand, Delaunay,
1904).
2.. Archives de M. Mangerel (lettre communiquée par
.M. le lieutenant Saint-Arroman).
148 AU SERVICE DK LA NATION
1794-1795
[A la famille du volontaire Brault].
De Péronne, le 17 pluviôse 2« année de la République
[5 février 1794].
... Le 5 de ce mois, nous avons quitté la ville de
Dune-Libre, ci-devant Dunkerque, pour venir ici;
nous avons été huit jours en route, pendant lesquels
nous avons eu ou la pluie ou la neige sur le corps.
Je suis très content de n'ôtre plus à Dune-Libre ;
nous ne pouvons pas trouver pire. J'espère que nous
sommes ici pour un mois environ : il se prépare un
coup de collier du côté de Valenciennes pour le mois
prochain, et j'espère bien que nous aurons le plaisir
d'être de la partie.
Je n'ai rien de nouveau à vous apprendre; tout est
fort cher dans ce pays-ci par la trop grande affluence
des hommes de la première réquisition ; notre batail-
lon a été complété de ces derniers, et la force actuelle
est de i044 hommes. Tous les bataillons de même;
jugez de la force de la République. Si cela ne suffit
pas, nous avons ceux de la deuxième réquisition;
jamais la République ne périra.
Brault.
[A la famille du volontaire Brault].
De Péronne, le 20 ventôse an 2» de la République
[10 mars 1794].
iNous n'avons encore point eu d'ordres de partir d'ici.
AUX ABHÉRS DU NORD 149
el j'espère que nous resterons encore une quinzaine.
Nous sommes bien heureux d'nvoir trouve cette
ville pour nous reposer un peu de nos fatigues et
apprendre l'exercice à nos recrues ; ils seront, par
là, bien capables de se montrer au feu. Nous ne leur
donnons guère de relâche pour les instruire le plus
promptement; trois heures le matin et trois l'après-
midi d'exercice empêchent que l'on ne s'ennuie.
Brault.
[A la famille du volontaire Brault].
De Péronne, le 7 floréal [26 avril 1794].
J'ai VU passer par ici la réquisition du district de
Lassay'. J'en ai reconnu quelques-uns avec qui j'a-
\ais étudié et avec qui j'ai parlé. Ils me paraissent
vraiment si brigands que j'avais honte de dire que ce
fût mon département. Tous les jours on en reconduit
le brigade en brigade à leur destination. Tous ces
chiens-là que l'on conduit à coups de bâton ne sont
jamais bons ; la plupart d'entre eux s'étaient mariés,
pensant par là rester chez eux ; ils sont partis tout la
môme chose ; quand ils seront Incorporés dans un
ancien bataillon, on les tiendra bien, et ils n'oseront
pas bouger; pour que Ion puisse en faire quelque
hosc de bon il faut leur faire une unique occupation
1. Chef-lieu '!'• '■■'"' "n de l'arrondissenienl de Mayenne.
Il s'agil de l;i i a des 300.000 hommes ^décret de
la Convention, uu ** icvrier 1793).
150 AU SERVICE DE LA NATION
de l'école militaire. Les nôtres, qui sont sûrement de
bons Normands* (c'est tout dire), n'en cèdent en rien
aux anciens pour les manœuvres, aussi nous nous
sommes donné bien des mouvements et de peine...
Brault.
[Sans adresse].
Le 16 prairial, l'an deuxième, 1794, de la
République française, une et indivisible
[4 juin].
Mon très cher père et ma très chère mère,
Je vous écris ces deux mots pour m'informer de
l'état de votre santé, ainsi que celle de mon cher
oncle et ma chère tante ; à l'égard de la mienne, elle
est fort bonne pour le présent ; je souhaite que la vôtre
soit aussi bonne que la mienne.
Ma très chère mère, vous me pardonnerez si j'ai
tant tardé à vous faire réponse de la lettre que vous
m'avez envoyée à Metz. J'ai reçu les six livres que
vous m'avez envoyées. Vous savez que je vous avais
marqué que je voulais vous aller voir ; mais, ma
chère mère, vous pouvez penser que ça ne vient pas
de ma faute si je ne suis pas venu. Il nous a fallu par-
tir avec les bataillons pour l'armée du Nord dont nous
avons traversé toutes les Ardennes. Nous avons^..
1. Le 4® bataillon fut complété avec des réquisition-
naires de l'Eure.
2. Mot illisible. — Le volontaire Rouget appartenait à
la 94* demi-brigade, qui faisait partie de la division
AUX ARMÉES DU NORD 151
ce si grand Saint-Hubert, qui guérit de la rage. Lo
lendemain, au-dessus de la montagne de Saint-Hu-
bert, nous nous sommes battus l'espace de huit heures
de long'; après un grand feu, nous nous sommes
Championnet, à l'aile gauche de l'armée de la Moselle. En
avril 1794, la division Championnet reçut, ainsi que
d'autres corps de l'armée de la Moselle, l'ordre de mar-
cher sur Arlon. La ville fut prise le 17 avril 1794, mais
bientôt abandonnée aux Autrichiens (v. lettre publiée
p. 39). La division Championnet se replia sur Lon^wy
et cantonna aux environs du bois de Cuttry (1<"" mai 1794).
Sur ces entrelaites, le Comité de Salut Public enjoignit à
l'armée de la Moselle de se diriger sans retard sur Namur
ou le pays de Liège avec 30.000 hommes. Sous la direction
de Jourdan, les divisions Championnet, Lefebvre, Hatry
et Moriot entrèrent dans Arlon le 21 mai, y laissèrent les
troupes du général Hatry et arrivèrent le 23 mai à Neuf-
château, tandis que les Autrichiens se retiraient devant
elles, sans combattre. En continuant sa marche vers le
nord, Jourdan arriva à Marche-en-Famenne (27-29 mai), où
il reçut de nouvelles instructions du Comité de Salut
Public, lui ordonnant de prendre Dinant, Charleroi et
Namur. Pour s'y conformer, il établit le 2 juin son quartier
général à Stave, près de Dinant. La division Championnet
bivouaquait sur les hauteurs situées au nord-est de
Stave, lorsque le volontaire Rouget écrivit cette lettre
(Commandant V. Dupuis, Les opérations militaires sur la
Sambre en 1794).
1. Nous ne savons de quel engagement le volontaire
Rouget veut parler. Lors du passage de l'armée de Jour-
dan à Saint-Hubert-en-.\rdenne (25 mai 1794), les 2.000 Au-
trichiens qui gardaient le village prirent la fuite sans
combattre (Commandant V. Dupuis, op. cit., p. 241). Dans
les Souvenirs du général Championnet, publiés par Mau-
rice Faure, il est fait allusion à l'impétuosité des troupes
qui repoussèrent l'ennemi à Neufchâteau, le 22 mai 1794,
et contraignirent un « régiment d'infanterie à laisser ses
fusils, sacs, munitions etc. » (op. cit., p. 50). Le volontaire
Rougeta peut-être songea cetincidentenécrivantsa lettre.
• 52 AU SERVICE DR I.A NATION
emparés de leurs retranchements à la baïonnette ; nous
leur avons pris trente pièces de canon et '..., et nous
avons fait beaucoup de prisonniers, et actuellement
nous sommes à quatre lieues de Naraur. Mais, aupa-
ravant de faire le siège de Namur^, il faut que nous
assiégions Charleroi, dont il y a cinq mille émigrés
de France; mais, ce qui nous console, la ville de
Charleroi est bloquée, et, avant qu'il soit peu de
temps, nous leur ferons danser la Carmagnole. Ils
sont cernés de toutes parts. Leur armée est environ
trente mille hommes : il faut qu'ils se battent ou qu'ils
rendent leurs armes'. Ma chère mère, tous les
enfants de la République se sont réunis ensemble;
ils sont tous triomphants dans leurs combats. Rien
ne nous épouvante ; nous faisons mordre la poussière
aux satellites et ses*... tyrans « nous alarme ».
Du Nord, 800.000 hommes' que la paix doit se
faire, et, avant qu'il soit peu de temps, je vous don-
nerai des nouvelles plus intéressantes. Nous avons
i. Mot illisible.
2. La ville fut prise par Marceau le 16 juillet 1794.
3. Après des efforts réitérés pour traverser la Sambre,
nos troupes parvinrent le 28 mai à s'établir sur les posi-
tions abandonnées par l'ennemi : le 29, elles commen-
cèrent l'investissement de Charleroi, mais, le 2 juin, elles
furent rejetées à nouveau sur la rive droite de la Sambre.
L'arrivée de Jourdan, le 3 juin, ramena l'ordre et le
succès ; Charleroi fut complètement investie et se rendit
le 25 juin, veille de la victoire de Fleurus (Commandant
V. Dupuis, op. cit., pp. 93-327).
4. Trois mots illisibles.
AUX ARMÉES DU NORD 453
pris aussi Court rai et, avec toute la garnison, fait
prÏBonniers plus de quatre-vingts pièces de canon et
trois cents émigr-és, qui ont été hAchés par nos braves
carabiniers, et nous espérons, avant qu'il soit peu,
de voir la paix'.
C'est alors que vous verrez votre fils couvert de
lauriers et qui fera part de son triomphe à toute la
famille. Si vous pouviez me dire si vous avez reçu
votre pension et m'envoyer quelque chose pour me
soulager du mauvais temps que j'endure. Nous som-
mes toujours couchés au bivouac. Vous savez que
dans le Nord il n'y fait pas chaud.
Je vous prie de faire bien des compliments à mon
cher oncle et à ma chère tante. Embrassez-les bien
pour moi ; je me souviendrai toujours de leurs bien-
faits, et, à mon retour, je ferai mon devoir comme un
rc'publicain doit faire. Bien des compliments à toute
notre famille et à ma marraine et à ma tante et mon
oncle, à mon cousin et à ma cousine.
Mon adresse : à la 91' demi-brigade, 3' bataillon,
5" compagnie, armée de la Moselle, dans le pays de
Liège, parce (ju«; notre arnu'c joint celle du Xor*d. Je
1. Au mois d'avril 1794, Pichegru avait résolu de tenter
uno l'i II sur Courlrai et Menin pour briser l'union
(les ■ L'opération réussit et le 26 avril la division
de ^ iitrait dans Courlrai iColonel Coiilanceau.
La c. ''' nî»4 à l'amtée du Nord, î." partie. Opération»
t. Il, p ' s du volontaire llou^,'et sur le
nombre <j ' .< rmons pris À Courlrai sunleniiè-
remenl faux.
^54 AU SERVICE DE LA NATION
VOUS prie de me faire réponse tout de suite, sur-le-
champ, et envoyez-moi un peu d'argent. S'il vous
faut un autre certificat je vous en ferai passer un
autre.
Je finis en vous embrassant de tout mon cœur ;
pour la vie, votre fils,
Gabriel Rouget *,
républicain.
[A la famille du volontaire Brault].
Armée du Nord, du camp devant Ypres,
21 prairial an II [9 juin 1794].
. . . Jusqu'à présent nous n'avons fait qu'amuser ces
Messieurs d' Ypres ^ ; demain, ils vont voir une autre
danse; nous allons, cette nuit, placer des batteries
de 24 pour battre à boulets rouges ; il faudra abso-
ment qu'ils se rendent ou nous allons réduire cette
capitale delà West-Flandre. Ce sont des émigrés qui
la défendent : ils ne se rendront qu'à la mort, ils
savent très bien que leur compte serait juste...
... Au moment où je vous écris, voilà cinq mortiers
de placés qui travaillent en républicains ; le feu est
déjà dans les faubourgs. Les malheureux habitants
1. Le certificat de présence fait connaître que Gabriel
Rouget servait « au l®"" bataillon des soldats républicains
du département de Saône-et-Loire », depuis le 9 juillet 1793.
Le certificat est daté du camp de Sarrebruck le 9 octo-
bre 1793.
2. Après la victoire de Tourcoing (18 mai 1794), Moreau
avait investi Ypres le 4 juin. La place se rendit le 17 juin.
AUX ARMÉES DU NORD 155
voudi-aienl bien se rendre, mais les coquins d'émi-
grés sont les plus forts, et les forcent môme de faire
le service de la ville pendant qu'ils sont aux palis-
sades ; ils forcent les passants de s'enrôler pour leur
parti, il n'y a point de cruautés qu'ils n'exercent
dans leur désespoir; il n'y a plus que la mort qui
puisse les arracher à une vie malheureuse dont per-
sonne n'a pitié ; aussi se battent-ils toujours jusqu'à
la mort ; j'aurais bien du plaisir à en prendre un
vivant pour le flaire danser à mon aise.
Brault.
Au citoyen Clément de Ris, pour remettre à Jean Ca-
gneux, vigneron, Azay-sur-Cher (Indre-et-Loire).
Du bivouac près Charleroi. le iO messidor
an III de la République française, une et
impérissable [28 juin 1794]*.
Mon cher père, ma chère mère, je suis charmé
1. Cette lettre est datée par erreur de l'an III (1795) car
elle a été écrite en l'an II (1794). Cette mauvaise notation
est révélée, non seulement par le récit des événements
rapportés au cours de celte lettre, mais par les seules
données de l'adresse du volontaire. En effet, le 6° batail-
lon du Nord fut amalgamé le 20 décembre 1794 avec le
2° bataillon de Koyal-Deux-I'onts pour former la 178* demi-
brigade (Foucart et Finot, La défense nationale dans le Nord
de 1792 à 1802, t. II, p. 725). Si cette lettre avait été réel-
lement écrite en juin 1795, le volontaire Cagneux ne pour-
rail plus appeler, à cette date, son régiment : le 6* batail-
lon du Nord. De plus, depuis le 29 juin 1794, l'armée de
Sambre-et-Meuse avait remplacé l'armée des Ardennes :
en juin 1795, il ne pouvait être question d'envoyer une
lettre à l'armée des Ardennes.
1S6 AU SERVICE DE LA NATION
d'apprendre par votre dernièro lettre que vous vous
portez bien, ainsi que mon frère et ma sœur. Je sou-
haite que la présente vous trouve de môme ; pour
moi je me porte bien actuellement.
Nous sommes partis du fort la Montagne S le
27 prairial [15 juin], pour aller à l'armée où nous
sommes. Charleroi a été pris le 7 messidor [25 juin] ;
le 8, nous avons eu une attaque terrible^ : l'ennemi,
venant droit sur nous, attaque nos avant-postes à
2 heures du matin, avec 30.000 hommes contre
notre division, forte de trois bataillons de ligne et
deux bataillons de chasseurs. Nous nous sommes
battus pendant plus de six heures d'horloge sans nous
reposer. Nous avions une petite batterie de canons
dans notre redoute, mais comme elle n'était point
assez forte, nos canonniers aveuglés par les bou-
lets et la mitraille durent abandonner la redoute.
L'ennemi, voyant notre redoute abandonnée, cherche
à la prendre, mais nous y revenons au pas de charge.
Nous voilà dans les retranchements avec deux pièces
de canon qui arrivent avec nous. L'ennemi, qui avait
1. Fort de Charlemont, dans la commune de Givet
(Figuères, Les noms révolutionnaires des communes de France,
p. 8).
2. Les détails qui suivent constituent une relation
exacte, mais incomplète, des divers engagements qui
marquèrent la grande victoire remportée à Fleurus, par
Jourdan, sur les troupes de Cobourg. Sur les phases de la
bataille, cf. Commandant V. Dupuis, Les opérations mili-
taires sur la Sambre en 1794, pp. 327-385.
AUX ABMÊES DU NORD 157
peut-être plus de 1 0 pièces de canon, les braque sur
la redoute. Leur leu nous force de nouveau à aban-
donner la redoute, nous battons en retraite; pour-
suivis, nous faisons face à l'ennemi et le forçons à
notre tour à battre en retraite, mais il nous arrête
par sa forte cavalerie, qui intervient à ce moment et
nous charge. Nous avons battu en retraite trois heures
durant sans perdre beaucoup de monde. Cette retraite
a été nécessitée par la Lâcheté de deux ou trois esca-
drons, qui ont fui sans nous soutenir ; sans cela nous
n'aurions pas battu en retraite.
Mais cette retraite ne leur a pas été favorable, car
l'armée de la Moselle les a repoussés plus de trois
lieues et nous sommes revenus prendre notre ancienne
position le soir même ; nous y sommes encore. Nous
avons fait ti-ois mille cinq cents prisonniers.
Je finis en vous embrassant de tout mon cœur.
Votre fils,
Jean Cagneux.
Voioataire, 8* compagnie, 6* bataillon du Nord;
Armée des ArdeDoes.
Je serai charmé de recevoir de vos nouvelles. Bien
des choses à mon frère, à ma sœur ; je leur souhaite
une bonne santé. Je vous prie de me donner des
nouvelles du pays. Comment tout se passe.
158 AU SERVICE DE LA NATION
Au citoyen Bourgognon, faubourg des Marini,
à la Porte-Neuve, Indrelibre ^ {Indre).
De la redoute de Glémancy*, le 26 messidor an II
[14 juillet 1794].
Mon cher père, ma très chère mère,
Je réponds à votre lettre, qui m'a fait un sensible
plaisir. Toute la famille en général jouit d'une par-
faite santé ; je souhaite que la présente vous trouve
de même que la mienne et que celle de mes frères.
Elles sont excellentes pour le moment. Mon frère m'a
écrit du camp Saint-Gérad ', près Namur ; il me marque
qu'il se disposait à faire le siège de Namur et de
Gharleroi, tous deux ensemble *. Il me disait qu'il
avait été blessé d'une balle au bras gauche à l'affaire
de Fleurus, mais que ce n'était rien, qu'il était guéri.
1. Châteauroux.
2. Glémancy se trouve près de Carignan, ch. 1. de c. de
l'arr. de Sedan (Ardennes). — A partir du 3 juillet 1794,
le 1®"" et le 2" bataillon de la 86« demi-brigade furent
cantonnés à Carignan et aux environs. Le 19 juillet, le
3« bataillon les y rejoignit ; à ce moment, la 86® demi-
brigade comprenait 91 officiers et 3.192 hommes [Histo-
rique manuscrit du 86" régiment d'infanterie, p. 31, Archives
historiques de la Guerre).
3^. Saint-Gérard, à 18 kilomètres de Namur.
4. A la suite de la victoire de Fleurus, qui ouvrait la
Belgique à nos armées, Jourdan dirigea Kleber sur Lou-
vain et Marceau sur Namur. Cette dernière ville fut rapi-
dement prise par les Français, qui y entrèrent le 16 juillet.
Sur cette conquête de la Belgique, cf. les lettres précé-
dentes et Dumolin, op. cit., 1. 1, pp. 251-257.
AUX ARMÉES DD NORD 159
Son camarade de lit m'a donné de ses nouvelles. Le
général leur a promis de les renvoyer au cantonne-
ment près Carignan et, comme ils y étaient déjà avant,
ils pourront s'y reposer avec leurs chevaux. Voilà un
mois que nous sommes campés à la Redoute. Nous
attendons le régiment de mon frère pour avancer
sur le territoire ennemi. Nous ne sommes que quatre
bataillons sans cavalerie, nous ne pouvons garder
toutes les redoutes, nous espérons du renfort : 15 à
20.000 hommes venant de Vendée, avant de pénétrer
sur le Luxemboui^. Nous tenons les trois-quarts des
Pays-Bas et la moitié de l'autre quart. Nous occupons
Mons, Bruxelles, Tournai, Menin, Ostende, Courtrai,
Ypres, Charleroi, Dinant et Namur. Landrecies, Valen-
ciennes, le Quesnoy, Condé sont bloqués. L'ennemi a
évacué Orchy, le Cateau, Saint- Amand, les ouvrages
devant Bouchain . Ils ne resteront pas à présent sur notre
territoire trois fois vingt-quatre heures! Ils tremblent
ces féroces esclaves ! Le tyran fuit du côté de sa capi-
tale ! Cependant, il disait à ses soldats : « Courage, mes
enfants ; dans peu, je vous donnerai la paix, nous
irons prendre nos quartier d'hiver à Paris !» 11 ne
dit plus cela ! il se trouve assez content de rentrer
chez lui comme un lâche qu'il est ainsi que ses soldats !
Grâce au ciel, la République triomphe et elle triom-
phera ! Plutôt mourir cent fois que de leur en céder
un pouce ; noln' cause esl juste, nous la soutiendrons
comme nous l'avons toujours soutenue jusqu'à la der-
nière goutte de notre sang !
160 AU SERVICE DE LA NATION
Bien des compliments de mon frère et de moi, qui
vous embrasse de tout cœur ainsi que toute la famille.
Votre fils,
Gabriel Bourgognon, dit Saint-Amour.
Caporal à la 5» compagnie du 2« bataillon de la 86» demi-
brigade, à la redoute de Clémancy, près Carignan.
Armée des Ardennes '. Division Lebrun.
P. -S. — Je vous enverrai un certificat de civisme
pour que vous puissiez toucher la pension que la Répu-
blique fait aux pères et mères de ses défenseurs^.
Au citoyen Camus, maître-marchand, à Pionsat, par
Montaigu-en-Combrailles, département du Puy-de-
Dôme, à Pionsat.
D'Ypres, le 9 thermidor 1794 [27 juillet].
Cher père,
Je vous écris ces deux mots pour m'informer de l'état
de votre santé ainsi que ma chère mère, de mes frères
et sœurs. Pour moi, je me porte bien, grâce à Dieu.
Je vous dirai, cher père, que nous faisons des con-
quêtes tous les jours. Nous battons les esclaves sans
1. 11 convient de noter qu'à cette date le nom d'armée
des Ardennes ne devait plus être employé. En effet, un
décret de la Convention du 29 juin avait donne le nom
.d'armée de Sambre-et-Meuse à l'armée des Ardennes, à la
gauche de l'armée de la Moselle et à la droite de l'armée
du Nord,
2, Archives municipales de Gbâteauroux, H. 89-83/1,
carton 24, 2« série.
AUX ARMÉES DU NORD I6t
relâche. Je vous apprendrai la prise de plusieurs
villes de l'Empereur. Nous avons fait le siège d'Ypres,
nous sommes entrés dedans tambours battants et mèche
allumée*. Nous leur avons pris, en quinze jours, Mons,
Tournay, Ypres, Bruges, Ostende, Nieuport, Fumes,
Gand, Bruxelles. Nous leur avons pris en même
temps près de vingt villes ; nous ne sommes
pas contents, nous voulons les écharper tous et
couper leur cou. Vive la République ! Nous ne pé-
rirons jamais.
Mon cher père, je vous prie de faire des compliments
à tous nos amis ; je vous dirai que, depuis que je ne
vous ai pas écrit, j'ai monté en grade : je suis premier
lieutenant dans la 1'" compagnie...
Je finis en vous embrassant de tout mon cœur,
Votre fils Camus, pour la vie.
Mon adresse : Camus, lieutenant au G'' bataillon
des fédérés, à Ypres, en Brabant '.
1 . Le bombardement d'Ypres, défendue par une garnison
de 6.000 hommes, avait commencé le 6 juin et s'était ter-
miné le 17 par la reddition de la ville (Sur cetle cam-
pagne de 1*04 en I3elgique, cf. le résumé de Dumolin, op.
cit.. t. I, pp. 221-269).
2. Archives de Riom.
riCAKt». 11
162 AU SERVICE DB L4 N4TION
[Sans adresse].
Au camp proche Lierre ', ce 10 thermidor,
2" année républicaine, une et impérissable
[28 juillet 1794].
Mon cher frère et toute notre famille,
Je vous dirai, mon cher frère, que nous sommes
aussi avancés sur le territoire ennemi que la cam-
pagne dernière. La République triomphe de toutes
parts ; nos armées remportent tous les jours de nou-
velles victoires ; nous sommes prêts à marcher sur
le territoire de la Hollande. Nous espérons bien là
d'aller faire le siège de Maëstricht^, et j'espère qu'il
[sic) sera bientôt au pouvoir de la Répubhque.
Je vais VQUS donner le détail des villes que nous
avons prises sur le territoire ennemi depuis le 29 flo-
réal [18 mai 1794]; premièrement, la ville de Gour-
trai, la ville de Menin, 1^ ville de Mons, la ville de
Gharleroi, la ville de Gan^, la vill^ de Bruges, la
ville d'Ostende, la ville d'Audenarde, la ville de
Deinze, la ville de Matines, la ville de Namur, la
ville de Tournay, la ville de Louvain, la ville d'An-
vers et beaucoup que je ne sais pas le nom ; je ne
vous donne pas le détail des forts villages^. Je ne
1. Lierre-en-Brabant, eh. 1. de c. de la province d'An-
vers.
2. Sur le siège de Maëatricht, cf. la lettre publiée
p. 59.
3. Le 18 mai 1794, Souham, Moreau et Bonnaud avaient
AUX ARMÉES DU MORD 16)
peux pas savoir le nombre des pièces de canon et des
prisonniers que nous leur avons pris. L'on fait nom-
bre plus de 300 pièces de canon et 50.000 hommes,
tant pris prisonniers que déserteurs, qui sont entrés
en France. Je vous dirai que Tennemi est en pleine
déroule ; ils ne peuvent résister contre l'ardeur deg
soldats républicains. J'espère que bientôt nous irons
les faire sauter le Rhin et nous le garderons à notre
tour. Voilà tout ce que je puis vous marquer pour le
présent.
Chanut François ' .
Mon adresse est : au 4* bataillon de l'Yonne, 3* com-
pagnie, 2* division, du général Bonnat*, campée
proche Lierre en Brabant '.
défait les troupes coalisées auprès de Tourcoing. Ce pre-
mier succès, suivi bientôt de l'éclatante journée de Fleu-
ru8, ouvrit la Belgique à nos armées. Contrairement aux
indications de François Chanut, Courtraiet Menin étaient
au pouvoir de nos armées avant le 18 mai (26 avril et
1" mai 1794). Les autres villes énumérées furent bien
prises entre le 18 mai et le 28 juillet 1794.
4. L'auteur de cette lettre avait trente-six ans et ser-
vait au 4* bataillon de l'Yonne depuis le 26 août 1792.
2. 11 s'agit du général Bonnaud (1757-1797), qui se dis-
tingua dans les campagnes de Belgique, de Hollande,
passa à l'armée de Saiiibre-et-Meuse et y fut mortellement
blessé.
3. Archives départementales de l'Yonne.
164 AU SERVICE DE LA NATION
[A la famille du volontaire Brault].
Du camp de Bambecque, 12 thermidor,
2» année républicaine [30 juillet 1794].
... L'ennemi est toujours en pleine déroute et tou-
jours forcé de nous abandonner des villes fortes qu'il
n'a pas eu le temps d'approvisionner. Nous avons
pris à Malines 200 prisonniers et poursuivi jusqu'à
Anvers où ils ne se sont pas arrêtés, quoique cette
ville fût bien fortifiée, mais dépourvue de toutes mu-
nitions ; ils ne pensaient jamais que les Carmagnoles
fussent si loin.
Sans nous arrêter, nous continuons notre marche
sur Maëstricht et Bréda ; les Hollandais pourront bien
faire un peu de résistance, mais en se servant de
notre méthode répubhcaine, c'est-à-dire au pas de
charge, la baïonnette en avant, nous les forcerons
enfin de passer le Rhin ; ce sera là, je pense, où nous
hivernerons. Si l'armée du Nord ne cesse de rem-
porter des victoires, elle n'a rien pour cela à reprocher
aux autres armées de la République. Toutes égale-
ment, chacune de leur côté, sont victorieuses et
chassent l'ennemi avec la même intrépidité; aussi
avec quelle satisfaction n'ont-elles pas vu avoir bien
mérité de la Patrie ! Comment ne pourrait-on pas être
brave soldat d'une nation aussi généreuse et ne prendre
pas plaisir de contribuer de toutes ses forces à sa
défense ! Le sacrifice même de sa vie, qui est ce que
nous avons de plus cher dans ce monde, ne coûte
AUX ARMÉES DU NORD i65
rien pour une aussi belle cause ! La Patrie a été en
grand danger ; ce n'était la faute que des traîtres et
non pas de ses défenseurs ; une fois que leur tète a
été le prix de leur trahison, l'on s'est aperçu qu'elle
en serait bientôt délivrée.
Quels riches trésors ne va-t-elle pas tirer de tous
ces pays où toutes les villes sont tributaires suivant
leurs moyens, sans compter les grains que nous mois-
sonnons, les bœufs et vaches que Ton met en réqui-
sition pour nourrir l'armée. Du temps de l'infâme
Dumouriez, les subsistances en tout genre sortaient
de France; c'était une preuve de trahison, parce
qu'un pays conquis doit fournir à ses vainqueurs des
vivres s'il y a possibilité, sans compter le numéraire
qu'il faut qu'il verse dans ses coffres ; c'est toujours
là un acompte que l'on tire sur les frais de la guerre
qu'il faudra qu'ils payent.
Gîs fiers Anglais, Hanovriens, ces Prussiens qui se
vantent d'être les meilleurs soldats de l'Europe, et
que l'on semblait môme redouter l'année dernière,
fuient en déroute devant ceux qu'ils appellent Carma-
gnoles. Ils disent, pour raison, que nous n'avons
aucune tactique militaire et que ce n'est pas ainsi que
l'on doit faire la guerre. Us veulent sûrement nous
reprocher que nous devrions être plus honnêtes quand
nous prenons leurs villes ; c'est qu'ils veulent nous
dire que nous les poursuivons trop foK et que nous
ne leur donnons point de relâche; que ce n'est pas
comme cela que nous devrions agir. Lorsqu'on lait
166 AU SERVICE DE LA NATION
la guerre de bonne foi, Ton doit ne rien ménager et
toujours chercher à se surprendre, et c'est avec cette
tactique républicaine que nous avoris conquis la Bel-
gique, le Palatinat, le Piémont, délivré Landrecies, et
c'est avec cette méthode que Gondé, Valenciennes,
seront rendus à la France, et la garnison punie de sa
résistance.
Le commandant de la place de Condé, après une
sommation que si la garnison ne se rendait pas sous
vingt-quatre heures, on n'en épargnerait pas un seul,
ne put s'empêcher de dire après s'être rendu sur-le-
champ : « En vérité f je ne peux comprendre com-
ment on peut faire la guerre de cette façon-là ». Il
est bien dur pour des hommes si orgueilleux d'obéir
aux premières sommations des Républicains ; ils ont
beau dire, ce sera notre manière républicaine qui
nous fera vaincre, la seule connue des hommes libres
qui ont juré de vaincre ou de mourir...
Brault.
Au citoyen Clément [de Ris\ pour remettre au citoyen
Jean Gagneux, Azay-sur-Cher, près Montlouis,
Loches (Indre-et-Loire).
Du camp près Namur, le 15 thermidor an III
de la République française [2 août 1794]*.
Mon cher père, ma chère mère, j'ai reçu votre
lettre le 14 thermidor [l^" août] en date du 30 mes-
1. Comme la lettre de Jean Gagneux publiée p.
cette lettre doit être datée de i794 et non de 1795.
AVX ARMÉes DU NORD 167
sidor [18 juillet] ; elle m'a fait bien plaisir d'apprendre
que vous volis portez bien, ainsi que mon frère et ma
sœur ; je souhaite que la prr^sente vous trouve de
même. Je me porte bien. Depuis que je vous ai écrit
j'ai pris part à bien des batailles ! six victoires ! * Nous
sommes arrivés sous 1^ murs de Namur le 25 mes-
sidor (13 juillet! ; après quelques jours de combat,
l'ennemi a évacué la ville dans la nuit du 28 au 29
[lG-17 juillet]; le lendemain matin, il a rendu les clefs
de la ville ; les 400 hommes de la garnison se sont
couchés par terre à côté de leurs fusils : ils ont été
faits prisonniers et conduits en France*. Nous avons
traversé Namur sans nous arrêter et sommes allés
camper à trois lieues plus loin. Nous y sommes de-
puis huit à dix jours dans un endi'oil entre les routes
de Liège et de Luxembourg.
Huit citoyens de Namur ont signé la Constitution ;
on a démoli le grand chftlèau ; on veut réduire Namur
à rien. Liège est également prise actuellement, les
citoyens de cette ville ont pris les armes et se sont
battus comme de vrais républicains*. Nous en avons
fait 000 prisonniers, mais les coquins en quittant la
ville n'ont pu mettre le feu qu'à un faubourg. Ils ne
1. Jean da^neux fait sans doute allusion aux succès de
nos troupes, «nprés la victoire de Fleurus, à SenefTe,
Nivelles, Genappc, Uraine l'Alleud et Soignies.
2. Marceau était entré dans Namur le i6 juillet et il
n'avail fait que traverser la ville pour continuer sa route
sur Huy.
3. iourdan avait pris Liège le 27 juillet.
168 AU SERVICE DE LA NATION
sont pas bien loin de la ville ; ils sont dans une posi-
tion solide, mais nous tenons la citadelle.
Vous me demandez des nouvelles de Brédit, de
Pesé, de Blondeaux ; je [ne] puis pas vous en donner,
ni vous dire à quels hôpitaux ils sont, attendu qu'on
les évacue souvent. Etienne Deletant est parti le 13
pour l'hôpital se faire soigner la gale. Donnez-moi des
nouvelles de mon cousin Philippe Ghotard, le numéro
de son bataillon ; des nouvelles de Louis Pillant, de
son frère. Bien des compliments à tous mes parents,
amis et camarades anciens, à qui je souhaite une bonne
santé. Je n'ai pas besoin d'argent pour le présent et
je vous prie de ne pas m'en envoyer avant que je ne
vous en demande, vu que lorsque vous m'en annoncez
sans mettre une lettre chargée, l'argent se trouve
perdu.
Je finis en vous embrassant de tout mon cœur ; je
désire vous revoir au plus tôt.
Votre obéissant fils,
Jean Gagneux,
Volontaire à la 8* compagnie, 6» bataillon du Nord,
Armée des Ardennes.
[A la famille du volontaire Brault].
Au bivouac de Eastel, le 4* jour des sans-culottides
[20 septembre 1794] an i* de la République.
Depuis que nous sommes à l'avant- garde, nos
opérations militaires sont si fréquentes que, depuis
près d'un mois que nous y sommes, j'ai bien de la
AUX ARMÉES DU NORD 169
peine à trouver ce petit moment pour vous apprendre
que je continue toujours de jouir de la meilleure santé
et d'être le plus heureux des hommes, puisque l'en-
nemi ni le ciiagrin n'osent venir me troubler. C'est
une maxime que je tiens de vous dès ma plus tendre
jeunesse, d'ôlre content de son sort, quelle que soit
sa condition, et, comme je vous l'ai déjà dit plusieurs
fois, sans vous je consentirais volontiers à mourir
les armes à la main ; mais, après la Patrie, mes
parents me sont les plus chers ; aussitôt que je serai
quitte envers elle, je m'empresserai de voler dans
vos bras et de vous témoigner la reconnaissance d'un
fils instruit des principes de. la Nation.
Depuis que nous sommes ici, nous avons eu deux
affaires avec les Hollandais : la première, où notre
commandant a reçu huit à dix coups de sabre ' ; il
est revenu présentement au corps, parfaitement guéri;
la deuxième à RozendaCl, proche Berg-op-Zoom, où
200 chasseurs ont fait brèche et pris beaucoup de pri-
sonniers. Presque tous les jours, nous en prenons de
prisonniers ; ces jours derniers, du côté de Bois-le-
Duc, nous avons pris 1,500 prisonniers et huit pièces
de canon ; dans peu, j'aurai de plus grands avantages
à vous apprendre. Bréda est entièrement bloqué, et
1. I.e commandant du 4° bataillon fut remplacé par
Martin Goult, né à Mayenne le 30 octobre 1760. soldat
pendant onze ans au ré^^iment de Bresse, élu adjudant*
major du 4° bataillon le 6 septembre 1792, commandant
en second le 6 mars 1793, commandant en chef le 1" oc-
tobre 1793 (Contrôle du bataillon).
no AU SERVICE Dfe LA NATION
VOUS apprendrez en peu que l'armée du Nord prendra
son quartier d'hiver en la Hollande...
L'armée a appris avec indignation la faction de
Robespierre et complices. Quoique ce tyran eût gagné
tous les cœurs, son projet fut cependant découvert ;
le génie de la France sera toujours clairvoyant, et
saura toujours distinguer ceux que l'intérêt parti-
culier guide, de ceux qui ne travaillent que pour le
bien général. Suivant moi, je ne crois pas que l'armée
en ait souffert; il serait bien malheureux pour des
hommes qui se battent pour leur liberté de se sacrifier
pour quelques hommes qui voudraient gouverner et
nous faire insensiblement retomber dans l'esclavage.
L'on a fait des recherches pour tâcher de découvrir
de leurs partisans ; il s'en est trouvé peu ; c'est dfiuis
les armées où l'on ne trouve point d'esprit de parti et
où la concorde règne.
Brault.
[A la famille du volontaire Brault].
Armée du Nord. Au bivouac de Kastel,
le 6 brumaire, 3» année républicaine
[27 octobre 1794].
... Nous sommes toujours dans la même position,
d'où je pressens que nous ne sortirons qu'après avoir
pris Bréda, ou Berg-op-Zoom, ou quelqu'autre place
importante, qui nous donne de notre côté une entrée
dans la Hollande. Jour et nuit le canon ne cesse sur
cette frontière, et tous les jours l'on se bat avec le
AUX ARMÉES DU NORD 171
môme succès; jVn aurais trop de vous marquer les
victoires remportées par les armées de la République.
Vous devez les voir dans les Bulletins qui les détaillent
mieux que je ne pourrais faire. La Patrie, en récom-
pense, nous a envoyé une couronne de lauriers, le
plus riche présent qu'elle pouvait nous faire. Nous la
conservons comme un trésor; nous ferons tous nos
efforts pour la mériter, en continuant de marcher à la
victoire au pas de charge.
Nous allons souvent fourrager jusque sous les murs
de Berg-op-Zoom, où nous avons quelques prises avec
l'ennemi ; dernièrement, ik avaient fait une sortie et,
quoiqu'en plus grand nombre, nous les avons repoussés
jusque dans Berg-op-Zoom et pris des prisonniers; il
ne se passe pas de jours que l'on en prenne en si
grande quantité que Ton doit en être bien embarrassé
en France. Les émigrés sont fusillés sur-le-champ ;
j'en ai déjà vu fusiller plus de 400, qui avaient été
pris à Bois-le-Duc, sans compter ceux que Ton a pris
dans les villes de la Belgique. C'est toujours un des
articles de la capitulation de ne faire jamais grôce
o ces lâches qui ont abandonné leurs foyers pour se
révolter contre leur Pairie...
... Je vais vous parler d'une cabane que nous avons
faite, la plus belle de la division } elle a trente pieds
de long sur vingt-quatre de large, plus de cent vingt
chevrons de la grosseur do la jambe autour ft sup>-
porter la terre ; un lit de camp où il pourrait coucher
vingt personnes, une cheminée en briques qu'un
i72 AU SERVICE DE LA NATION
maçon nous a faite avec un escalier pour y descendre.
C'est une véritable maison où je voudrais passer
l'hiver; elle nous a coûté six jours de travail entre
six que nous sommes à l'habiter, savoir : Coulon,
Lacroix, Rabarot, Lamotte l'aîné, Couillard et moi;
une sapinière qui est proche de nous nous a fait
entreprendre cet édifice. Si nous avions voulu la
vendre, nous en avons refusé deux cents francs à
notre cantinière...
Brault.
[A la famille du volontaire B7'ault].
Armée du Nord, 3» division,
au bivouac de Haseldouck, sous Bréda,
1j frimaire [o décembre 1794].
Nous avons quitté notre position de Kastetouch
sous Berg-op-Zoom pour en occuper une autre devant
Bréda. Tous les matins, nous allons à la découverte
jusque sous les murs de cette ville, sans que les Hol-
landais osent venir nous attaquer ; la désertion est si
grande chez eux que si on leur faisait faire des sorties
il y en aurait plus de la moitié à déserter. Sous peu
de jours, le général en chef Pichegru doit venir visiter
notre division ; nous nous attendons qu'il va prendre
ses dispositions et donner des ordres pour achever le
blocus de Bréda ; je ne sais si la saison nous per-
mettra d'en faire le siège ; ils nous ont envoyé une si
grande quantité d'eau que nous avons été forcés de
quitter pour prendre une plus haute position. L'on
AUX ARMÉES DU NORD 173
nous assure que si l'hiver est trop rigoureux nous
aurons du cantonnement dans les villages voisins ; si
nous campions plus longtemps, il y aurait un tiers
de l'armée à tomber malade. Tous les jours, il en sort
de notre bataillon ; voilà plusieurs du pays, et il y a
tant de malades aux hôpitaux qu'il est impossible que
l'on y soit bien traité ; un homme, quelque malade
qu'il soit, est quelquefois évacué de cinquante lieues
d'hôpitaux en hôpitaux. L'on pourra peut-ôtre faire
attention que notre bataillon a toujours été aux avant-
postes et le placer cet hiver en quelque village ;
d'autres, qui ont toujours été à la colonne, viendront
nous remplacer.
Jusqu'à présent j'ai toujours joui d'une bonne santé :
le matin qu'il faut être levé à cinq heures, faire des
patrouilles dans les brouillards, je fume ma pipe et
bois un verre de genièvre ; c'est ma ration que la
Nation me donne. Notre boisson ordinaire est de leau
et du vinaigre ; l'on deviendrait hydropique si l'on
buvait dans le pays de l'eau seule, car toute l'eau est
man'*cageuse. Outre cela, je suis assez bien habillé;
dernièrement, j'ai acheté un pantalon; j'ai une capote
d'un bon drap de Louviers, qui vaudrait plus de cent-
cinquante francs s'il m'eusse fallu l'acheter. Nous ne
manquons jamais de bon pain et bonne viande, mais
il ne faut pas trop manger : une livre et demie de
pain, une demi-livre de viande ne suffisent pas à beau-
coup, et j'ai vu vendre un pain de trois livres jusqu'à
cent sob... Brault.
174 AU SERVICE DE LA NATION
[A la famille du volontaire Brault].
Anvers le... ' pluviôse, 3* année de la République
[janvier ou février 1795].
Réjouissez- VOUS, mes chers parents, toute la Hol-
lande est à nous ; je m'empresse de vous apprendre
cette heureuse nouvelle ; l'armée hollandaise, qui
naguère était de nos ennemis, fait le service avec
nous^ Quel coup pour la République! Il faut avouer
que les glaces ont secondé le courage de l'armée du
Nord. Voici un couplet à ce sujet :
Le vent, la neige et les frimas
Affligent nos braves soldats,
C'est ce qui nous désole (bis) ;
Mais, malgré le ciel en courroux,
Toute la Hollande est à nous,
C'est ce qui noua console jbis).
Brault.
[A la famille du volontaire B?'ault].
Ypres, 8 ventôse, 3» année de la République
[26 février 179o].
... Le 18 pluviôse, nous avons parti d'Anvers, et le
18 mars nous sommes arrivés ici ; je ne sais lorsque
nous en sortirons. L'on dit ici que la division est des-
tinée pour l'embarquement ; après avoir fait la guerre
- 1. La date manque.
2. Les Provinces-Unies, organisées en République batave,
venaient de signer un traité d'alliance ofPeiisive et défen-
sive avec la France.
AUX AKMÉBS DU NORD 1*7^
sur terre, je ne serais pas fâché de la faire sur mer ;
il faut bien marcher où la République nous commande,
mais pour rester longtemps ici, je désirerais beaucoup
mieux être du côté d'Amsterdam ou autres villes
n?marquables de la Hollande...
Brault.
[A la famille du volontaire Brault].
Calais. 27 thermidor. 3* année de la République
[14 août 1795].
... La Convention, convaincue que le militaire ne
pouvait plus rien se procurer avec sa paye, lui a
accordé deux sols par jour en numéraire; cette mo-
dique augmentation va le rendre un peu plus à l'aise;
il pourra peut-être se procurer du pain, qu'il ne pou-
vait trouver pour des assignats ; l'agiotage est telle-
ment toléré ici que, sur plusieurs marchandises, ils
ne valent pas deux liards par livre ; je suis porté à
cix)ire qu'on veut en ôler la circulation.
Le télégraphe a annoncé la paix avec l'Empereur;
L nous n'aurions donc plus que l'Anglais à réduire;
" oh! qu'il me tai'derait d'abaisser son orgueil! Si
cela est, j'ai la douce espérance de vous revoir bien-
tôt. Quel triomphe pour les vrais défenseurs de la
Patrie, d'avoir rendu la France libre ! Quel plaisir ils
goûteront au sein de leurs parents en leur mcontant
ce qu'ils ont vu!... Le 21, j'ai été reçu sergent-
Ht major.
^k BRAfJLT.
I
176 AU SERVICE DE LA NATION
1796-1798
Au citoyen Clément de Ris, résidant à Azay-sur-Cher,
district de Tours, département d'Indre-et-Loire.
De Hooguezand S ce 4 floréal an IV
de la République française [23 avril 1796].
Citoyen et ami,
La présente est pour vous donner de mes nou-
velles, en même temps pour m'informer de l'état de
votre santé, ainsi que de celle de votre épouse et de
toute la famille. Quant à la mienne va très bien.
Citoyen et ami, si je ne vous ai pas écrit plus tôt, ce
n'est pas de ma faute, je m'en vais vous en dire la
raison : j'ai reçu votre lettre la veille que nous devions
partir de Dusseldorf, qui est de l'autre côté du Rhin,
où là nous sommes restés six semaines baraqués et
allés travailler tous les jours aux retranchements; de
là, nous sommes partis pour le Brabant, pour faire
payer l'emprunt forcé*; après cela, nous sommes
retournés en Hollande, de sorte que nous [?] une route
à faire de deux cents lieues ; nous avons marché pen-
dant quarante jours. Imaginez- vous qu'en arrivant à
notre destination, nous étions bien fatigués. Le pays
1, Hougezand, près de Groningue (Hollande).
2. La Convention avait créé en 1793 un emprunt forcé
d'un milliard sur les riches, qui fut transformé le 10 dé-
cembre 1795 en un emprunt forcé de 600 millions.
1
hVH AQMÉCS DU NOqn 177
ùH nous sommes est très bon ; nows sonwies dgpa la
province de Groningue. Citoyen et ami, je pense
toujours bien à vous; je vous saurai toute ma vie
mille obligations, car je vous assure que c'est bien
de l'honneur à moi de recevoir de vos chères nou-
velles.
Vous dites que vous m'attendez pour prendre une
lerme, hélas ! plût i\ Dieu que je n'y sois ! je le sou-
haite de toi^l mon çqeur- L'oi> parle très fort que la
paix est faite avec l'Empereur; je ne voudrais pas
l'entendre dire, mais je voudrais que cela soit. Je ne
désire et je nVspère qu'après une paix heureuse pour
retourner dans nos foyers. Citoyen et ami, voilà tout
ce que j'ai à vous marquer pour le présent, sinon
que je veux toujours vos amitiés et la continuation
de vos bontés, car, depuis que j'ai eu l'honneur de
vous connaître, je n'ai pu m'empôcher que de bien
vous regretter 4es fqis. Bien des compliments de ma
part à Françoise Gautron ; embrassez-la bien pour
moi ; dites-lui que je pense toujours bien à elle et que
mon cœur est toujours porté pour elle, car, si j'étais
hirondelle, j'aurais bientôt fuit de voler vers la chère
amie que j'aime et qui doit faire un jour mon bonheur
et l'unique espoir de ma consolation. Bien des com-
pliment à votre femme, à vos enfants et à tous vos
gens.
Je finis, citoyen et ami» en vous embrassant du
plua proiond de mon cœur, et en attendant de vos
nouvelles,
NCAKD. li
178 AU SERVICE DE LA NATION
J'ai l'honneur d'être el serai pour la vie voire
ami,
Louis PiLLAUT,
volontaire au 3* bataillon de la 164» demi-brigade '
7» compagnie, en garnison à Hooguezand,
province de Groningue, Hollande.
[A la famille du volontaire Brault].
De l'hôpital de Vilvoorde, le 4" messidor an 4«
de la République [19 juin 1796].
Mon cher père, ma chère mère,
Ce que je craignais tant m'est enfin arrivé ; les
fièvres; je suis entré à l'hôpital de Gand% d'où l'on
m'envoie ici, étant trop rempli par la quantité des
malades qui y abondent tous les jours. La Rue y est
entré aussi quelque temps auparavant ; mais comme
1. La loi** demi-brigade avait pris une part glorieuse à
la conquête de la Hollande en 1793, et un de ses batail-
lons avait été désigné pour aller ramener l'ordre en Bra-
bant. C'est à Dordrecht que la 164" demi-brigade avait
reçu son organisation véritable. Le S"' bataillon, auquel
appartenait le volontaire Pillaut, avait été formé avec le
8® bataillon des volontaires de la Meurthe. La 164*' demi-
brigade prit le nom, le 29 février 1796, de 29® demi-
brigade de ligne, mais on voit qu'au mois d'avril 1796, le
volontaire Pillaut donnait encore à son régiment son
ancien nom [Historique manuscrit du 29" régiment d'infan-
terie (Archives Historiques de la Guerre), pp. 51-67J.
2. A la suite de la réorganisation des armées en 1796
par un décret du Directoire qui réduisait de 1027 à 729
le nombre des bataillons d'infanterie et les embrigadait
à nouveau, Brault passa avec son grade de sergent-major
au l*"" bataillon de la 60'' demi-brigade (compagnie des
grenadiers), en garnison à Gand.
AUX ARMÉES DU NORD M9
capitaine, il y est resté Si cela continue, un quart
de l'armée va tomber malade ; nous sommes déjà plus
d»' (iOO, et tous les jours il en arrive de toutes parts.
Brault'.
1. A partir de cette époque jusqu'au 1" décembre 1801,
les lettres du sergent Brault sont perdues. La 60" demi-
brigade, après avoir tenu garnison dans les Pays-Bas
jusqu'en février 1797, est rattachée à l'armée de Sambre-
et-Meuse, puis est envoyée en octobre 1798 à Rotterdam
et à La Haye. Elle compte ensuite à l'armée du Rhin,
prend part en août 1799 au siège de Philippsbourg et
revient en Batavie. Brault, qui a été nommé sous-lieute-
nant le 20 mai 1799, assiste à la bataille de Marengo. La
60" demi-brigade séjourne à Livourne, puis est envoyée à
rUe dElbe en mai 1801, fait partie du corps de siège de
Porto-Ferrajo et revient hiverner à Livourne. Brault par-
vient au grade de lieutenant.
La 60' demi-brigade réorganisée est inspectée en
mai 1802 par le général Ernouf. Le lieutenant Brault s'est-il
laissé amollir par les délices de cette Capoue que dut
être Livourne, après les misères de l'Ile d'Elbe? Les notes
qui lui furent données à cette époque permettent de le
croire : a Brave et passablement instruit, mais mauvaise
tète et adonné au jeu, paresseux » (Carton de la 60" demi-
brigade. Archives de la Guerre). On ne reconnaît plus
l'actif, l'enthousiaste, le discipliné volontaire que nous
avons admiré. Le 21 janvier 1803, le 1"' bataillon de la
60*' demi-brigade s'embarque à Livourne à destination
de Saint-Domingue, comptant dans ses cadres le lieute-
nant Brault comme officier-payeur. Ces troupes séjournè-
rent probablement dans un port de France : Brault n'ar-
riva dans l'ile que le 28 janvier 1804.
Ph'h de six mois après, le 18 août 1804. Brault mourut à
l'hôpit^il du Môle, peu de temps après avoir été promu
capitaine. Son pcre n'apprit sa mort que deux ans plus
tard, le 20 juillet 1806. Cf. p. 115, note 1.
180 AU SERVICE PE l-A NATÏON
Au citoyen Clément de Ris, cultivateur,
à Beauvais-sur-Chei'^, près Tours {Indre-et-Loire).
Camp de Gorssel *, le 7 fructidor an IV
de la République française [24 août 1796].
Mon cher citoyen et ami.
Celle-ci est pour répondre ^ la vôtre que j'ai reçue
en apprenant que vous jouissiez d'une parfaite santé,
ainsi que vptr^ femme et toute votre famille. Quant à
la mienne va très bien, Dieu merci; je souhaite de
tout mon cœur que la présente vous trouve de même.
Cher ami, vous me marquez que vous étiez inquiet de
moi ; je peux vous en dire la même chose, car vous
devez connaître mon caractère ; il n'a pas changé
depuis ce temps; j'fii toujours suivi les braves con-
seils que vous m'avez donnés tout le temps que j'ai
été chez vous. Soyez persuadé, cher ami, que si le
moment m'avait permis de vous écrire je l'aurais fait
du meilleur démon cœur. Cher ami, je trouve le temps
^^sez long de ne pas vQus voir ; il me semble que
depuis quelque temps je suis en un autre monde. Il
est vrai qu'il est bien malheureux pour moi de me
voir dans l'état où je suis, car je commence bien à
m'y ennuyer, car si vous saviez comme l'on y est,
vous vous y déplairiez aussi bien que moi.
Plût à Dieu que le moment auquel j'aspire arrive
1 . Beauvais, commui>e de Tauxigny, c. et arr. de ^.oches
(Indre-et-Loire).
2. Gorsell, entre Deventer etZutphen.
AUX ARMÉES bÙ NORD 481
bien vite ! mais c'est que, jfe ne le Vois pas veni^ sou-
vent. Hélàâ! que je rriè cfoit^i hèUreux de vous >r6it
d de Vous etitendre! Il me semble que je reviendrai
au monde ; il faut espérer que cela viendra un jour ;
hélas ! que je me trouverai changé ! Tenez, vous me
croirez si vous voulez, le métier de soldat est tout à fait
un métier de fainéatit ; il faudrait que je sois réduit à
rien pour y rester. Pour le nouveau, nous sommes
toujours campé ; l'on parle que l'armée d'Italie rem-
porte tous les jours des victoires * ; voilà tout ce qufe
j'ai à vous marquer pour le moment.
Quant à mon adorable Fanquette*, faites-lui mille
compliments de ma part ; embrassez-la mille et mille
fois pour moi : dites-lui de ma part que le désir que
j'ai de la voir est trop grand, mon amitié redouble de
jour en jour pour elle. Je l'estime trop pour l'aban-
donner; je l'aime et l'aimerai jusqu'à la mort; elle
doit connaître mes sentiments et ma façon de parler,
ils seront toiyours les mômes à son égard ; mon ado-
rable Fanquette, je ne vous le cache pas, de toutes les
filles au monde il n'y en a point que j'aime mieux et
pour qui j'aie tant d'attachement ; mon cœur ne fait
que gémir et soupirer ; encore si j'étais invisible, je
saurais ce qui Be passe dans le cœur de celle qui doit
1. Au iiKus <] auut l"y6. la lutte de Bonaparte et de
Wurmser battait ion plein : Ronaptirte triomphait à
Castiglione, investissait Naatoue et meltait 1*& Autri-
chiens en fuite.
2. Françoise Gautron. Cf. lu lettre publiée p. 11^.
182 AU SERVICE DE LA NATION
faire un jour le bonheur et l'unique espoir de ma con-
solation. Encore si j'avais le bonheur de vous voir et
de vous posséder, aimable Fanquette ! hélas ! que je
serais content et heureux de voir unir mon cœur et le
vôtre par une amitié tendre et fidèle ! Si le moment,
mon aimable Fanquette, me permettait de vous en dire
davantage, je vous en dirais plus, mais ce sera pour
une autre occasion. Adieu, aimable Fanquette, portez-
vous toujours bien et me croyez toujours pour la vie
votre ami inséparable,
Louis PiLLAUT.
Bien des compliments de ma part à mes deux
frères, embrassez-les pour moi; bien des choses à
votre famille, enfin à tous ceux qui vous parleront de
moi. Je finis, citoyen et ami, ainsi que votre femme
en vous embrassant du plus profond de mon cœur, en
attendant toujours le plaisir de vous revoir et celui
d'avoir de vos aimables nouvelles.
J'ai l'honneur d'être et serai pour la vie votre très
humble et très obéissant serviteur,
Louis PiLLAUT,
volontaire au 3» bataillon, 29» demi-brigade,
7» compagnie, au camp de Gorssel.
entre Deventer et Zutphen en Hollande.
Armée du Nord, Deventer.
Bien des compliments de ma part au citoyen Cha-
rette, mon cousin; dites-lui que je ne sais pour quelle
raison il ne me répond point; voilà cinq lettres que
je lui ai écrites sans avoir de réponse.
AUX ARMÉES DU NORD 183
Au citoyen Clément de Ris, cultivateur,
à Beauvais-sur-Cher [Indre-et-Loire), par Tours.
Cantonnement de Herwen ', près Nimèjfue.
le 30 pluviôse an V de la République française
[18 février 1797].
Citoyen et ami,
La présente est pour vous donner de mes nouvelles
en même temps pour m'informer de l'état de votre
santé, ainsi que de celle de votre épouse et de mon
aimable Fanquette, laquelle j'ai toujours dans la pen-
sée. Vous croyez peut-être, citoyen, que je n'ai pas
voulu vous rendre réponse ; je vous assure que ce
n'est pas de ma faute, et je m'en vais vous dire la
raison. Comme nous étions partis dans le temps que
j'ai reçu votre lettre et que nous étions campés, j'ai
reçu de vos aimables nouvelles au camp de Mulheim*;
nous sommes venus au secours- de l'armée de Sambre-
et-Meuse ' ; nous marchions le jour et la nuit ; l'on
1. Herveld.
2. Peut-être Mûhlheim, sur la Bloselle, à côté de Bern-
kastcl.
3. Faute d'indications clironoiogiques précises, il est
difficile d'établir à quel moment et dann quelles condi-
tions le volontaire Pillaut marcha avec son régiment
au secours de l'armée de Sambre-et-Meuse. L'expédition
qu'il retrace a eu lieu pendant l'été (« à peine pouvait-on
marcher de la chaleur qu il faisait »). Nous supposons
que la 29" demi-brigade a secouru l'armée de Sambre-
et-Meuse après l'échec partiel que cette dernière avait
subi au mois de juin 1796.
1^4 AU SÉhvlCE DE LA NATÎON
était accablé de fatigue, à peine pouvait-on marcher
de la chaleur qu'il faisait ; je vous aurais écrit plus
tôt, mais au moment où j'allais mettre la plume à la
maioj nous recevions les ordres pour partir; nous
n*éliohs pas un jour dans un endroit que le lendemain
il fallait partir pour l'autre, et comme l'on parlait très
fort qu^î nous allions retourner en Hollande, j'ai
attendu que nous soyioiis arrivés à notre destination,
et comme nolis avons uh instaiil de repos, je profite
dé éé lïiomerit si douX pour vous dofiner de tties fiou-
vellés. Nous sommés arrivés voilà huit jours; ttdtlS
sômilies cantonnés dans les villages jUfequ'à nouvel
ordre ; nous sommes assez bien ; je ne vous dirai rien
de nouveau si ce ri'eât que quatld noUs aVons quitté
Dusseldorf il partait beaucoup dé IroupéS pour l'ai*-
ttiée d'Italie. Je suis persuadé, citoyen et ami, que voUs
ne serez point fàéhé de moi, de ce qUc je vous ai fait
attendre si longtemps, je voUë fâi§ Voir qUë tiô il'ëët
pas de ma faute. Je pensé toujours â Vous; hélas!
que je serais heureux si j'avais le bonheur de retour-
ner auprès de vous! car, suivant toute apparence, je
n'irai pas encore de si tôt. Sur la prenlière que vous
m'écrirez vous me marquerez ce qui se passe au
pays. Bien des Compliments à toute votre famille,
embrassez les toUs pour moi ; enfin à tous ceux qui
demanderont après moi. Je finis, citoyen et ami,
éti vous embrassant du profond dé rrtoil cœur
et en attendant de vos nouvelles le plus tôt
possible.
ALI ARiiÉES DU NORD 185
Je suis et serai pour la vie votre concitoyen et
ami,
Louis PiLLAUT.
Quant a mon amiable Fanquetlc, faites-lui bien mes
ompliments; embrassez-la mille et mille fois pour
moi ; dites-lui bien que je pehse toujours bien â elle,
nfin que de toutes les filles du monde, il n'y étt
aurait que j'aime mieux et pour qui j'aie tant d'atla-^
chement. Hélas! que le moment heureux auquel j'as-
pire n*arrive-t-il bientôt! je ne tiedoublc mon courage
qu'aptes ce moment. Hélas! dites-lui que j'ai toujours
son nom gravé dans mon cœur et qu'elle ne sefa
jamais oubliée de moi ; oui, ma chère Fanquelte, mes
sentiments et ma façon de penser seront toujours les
liâmes à votre égard, ils ne changeront qu'à la mort;
Ficorp, si j'étais invisible, je saurais ce qui se passe
dans votre cœUr ; peut-on être aussi malheureux d'être
'Moigné de l'objet que j'aime et qui doit un jour,
umme je l'espère, faire tnon bonheui* et l'unique
espoir de ma consolation.
Adieu, ma chère Kancjuellc, j'ai les larmes aux yrux;
je ne veux vous en dire davantage, ce sera pour la
première occasion ; adieu mille et mille fuis, je vous
souhaite une bonne santé. Je suis et serai pour la vie
votre ami inséparable,
Louis PiLLAur.
186 AU SERVICE DE LA NATION
Au citoyen Clément de Ris, cultivateur, résidant
à Beauvais-sur-Cher (Indre-et-Loire), par Tours.
Armée du Nord, Dusseldorf, ce 6 septembre 1797
an V de la République française.
Citoyen et ami,
C'^st pour répondre à la vôtre que j'ai reçue, qui
m'a fait un sensible plaisir en apprenant que vous
jouissez d'une parfaite santé ; quant à la mienne va
très bien, je souhaite de tout mon cœur que la pré-
sente vous trouve de même. Vous me marquez qu'il y
a plusieurs mois que les pi-éliminaires de la paix sont
signés * ; quoiqu'ils fussent signés, l'on ne parle pas
beaucoup de donner des congés ou permissions, mais
il faut espérer que cela viendra peut-être ; il est temps
que cela vienne bien vite, car je commence à me
dégoûter dans l'art militaire ; je prends patience, je
fais comme bien des autres. Cher ami, j'ai appris avec
chagrin la perte que vous veniez d'essuyer. Il faut,
vous consoler ; je sais que cela n'arrange pas, mais il
faut espérer que vous ferez une bonne moisson qui
vous récompensera de tout; je le souhaite de tout
mon cœur. Citoyen et ami, je pense toujours à vous
ainsi qu'à votre famille; je voudrais être auprès de
vous; je serais plus content que d'être où je suis;
non, je ne vous le cache pas, j'aimerais mieux gratter
1. Les préliminaires de la paix avec l'Autriche avaient
été signés à Leoben le 18 avril 1797.
AUX ARMÉES DU NORD 187
la terre avec mes doigts plutôt que de rester dans le
métier militaire, car il fait meilleur travailler et être
son maître plutôt que d'ôtre mené comme l'on est.
Pour à l'égard do mon aimable Fanquette, faites-lui
mille et mille compliments pour moi; embrassez-la
bien tendrement ; dites-lui que je pense toujours bien
h elle ; oui, chère Fanquette, je vous serai toujours
fidèle; mes sentiments ni ma façon de parler ne
changeront jamais à votre égard, je tiens trop à votre
aimable personne pour vous abandonner; prenez
patience, ma chère amie, vous me reverrez avant
qu'il soit pou ; pour lors, nous pourrons nous parler
entre quatre yeux : mon amitié pour vous redouble
de jour en jour ; oui, chère amie, je ne vous abandon-
nerai qu'à la mort ; soyez persuadée de ma cons-
tance et de ma fidélité ; adieu, chère amie, je vous
souhaite une bonne santé et ne vous ennuyez pas. Do
plus, citoyen et ami, vous me marquez qu'il y a des
rt'compenses pour tous ceux qui sont restés fidèles à
leur drapeau ; je crois que la récompense que nous
uirons sera jeune; pour moi, je ne leur demande
: :en qu'ils ne me laissent aller et qu'ils me donnent
la liberté ; c'est ce que je leur demande. Bien des
tmplimcnts à mon frère Pierre. Cormier lui en fait
ireillemont ; bien des compliments à mes frères et
-<eurs, à tous mes parents, enfin à tous ceux qui vous
parleront de moi; bien des compliments à mon cou-
in Charetle, embrassez-le bien pour moi, dites-lui
(ju'il m'envoyc une douzaine de francs, car j'en ai
I8â AU SERVICE DE LX NATION
grand besoirt, je sUis déhué de tOul. Vous lui direz
qu'il m'obligera infiniment. Bien des compliments aU
citoyen Vincendeau et à Marie Cagneux ; assufez-les
de mes respects ; bien des compliments de ma part à
votre femme, à toute votre famille ; j'attends de vos
nouvelles le plus tôt possible, vous me ierez toujours
plaisir.
Je finis, citoyen et ami, en vous embrassant du pro-
fond de mon cœur, sans oublier mon aimable Fan-
quette,
Je suis et sefai pour la vie votre concitoyen et ami,
Louis PiLLAUT,
volontaire.
J'oubliais de vous dire que j'étais de retour au ba-
taillon à Dusseldort, voilà deux mois que je suis revenu.
Adresse : citoyen Louis Pillaut, volontaire au
3« bataillon de la 29^ demi-brigade, 7" compagnie, l"'
division, armée du Nord, Dusseldorf»
Au citoyen Clément de Ris, Beauvais-sur-Cher, par
Tours (Indre-et-Loire). A remettre à Jean Pillaut.
Pressé.
Hôpital de Saint-Amand*, 2 messidor an VI
de la République française, une et indivisible
[20 juin 17^8].
Cher frère et chère sœur,
Celle-ci est pour faire réponse à la vôtre en date
1. Saint-Amand-les-Eaux, ch. 1. de c. de l'arr. de Valen-
cienneS (Nord).
kVJ AltMÉGS DP NORD 189
Ii| 5 pluviôse dernier [24 janvier i798], qui m'a fait
un sensible plaisir d'apprendre que tu jouis d'une
bonne santé ; c'est ce qui fait l'objet de mes désirs à
voire égard Mais, quant à moi, je vous dirai que si
j'ai tant lardé à vous lairc réponse, ij n'y a rien de
ma faute. Je vous dirai, j'ai eu upc grosse maladie et
est ce qui a été l'auteur que j'ai été si longtemps à
\ ous répondre ; mais je vous dirai que cela va un peu
mieux ii présent ; mais je vous prie de m'^nvoyer de
l'argent sans faute, parce que je suis dans une indi-
gence sans pareille ; aussi j'espère que vous m'obli-
gerez ù cet égard, parce que lorsque l'on est à l'bO-
?)ilal sans argent, on est bien mal à son aise, et
omme vous le voyez par la présente je suis encore à
ihùpital de Saint-Amand. Vous p'ignorez pas que la
présente lettre vous apprend que je suis audit hôpital
;»our me rétablir. Ainsi j'espère, cher frère, que vous
l'obligerez à cet égard et que vous me ferez réponse
iir-le-champ; c'est que j'attends avec impatience.
\ ous aurez la bonté d'assurer de mes respects le
citoyen Clément et son épouse et toute sa famille. Je
li'ur souhaite à tous une bonne santé. Voilà ce qui
i lit l'objet de mes désirs à leur égard, ainsi qu'à
tous leurs parents et amis, etc.. Vous aurez )a
bonté de faire mes compliments au père Gautron, ft
la mf'r»'; ]<• leur souhaite une bonne santé et pas oublier
mu fin If Kanquette aimée, que je brûle dans cette
irdeur de la revoir, ma très chère amie; hélas ! grand
Dieu donnez cotte paix générale qui ferait la consola*
190 AU SERVICE DE LA NATION
lion de tant de pères et mères! Quelle consolation
pour moi si je pouvais avoir le bonheur de resserrer
dans mes bras ce qui fait l'objet de mes désirs, celle
qui est digne de l'objet de l'estime de mon cœur,
désirs qui m'occupent journellement jusqu'à ce que
je sois auprès de ce qui est le seul objet de mes
désirs. Je désire avec une grande ardeur recevoir de
vos chères nouvelles, et je suis dans une grande im-
patience à l'égard de la réception de vos chères nou-
velles. Je vous prie de dire à ma chère amie Fanquette
de m'écrire une lettre aussitôt la réception de la pré-
sente; oui, mon cœur est sans cesse occupé de
vous.
Vous aurez la bonté de faire mes compliments à
tous mes frères et sœurs et parents et amis, à tous
ceux qui s'occupent de moi et camarades, etc...
Mais vous direz à bonne amie Fanquette qu'elle
m'écrive une lettre tout aussitôt la réception de la
présente parce que je brûle d'ardeur de recevoir de
ses chères nouvelles, ainsi que de ses père et mère,
frères et sœurs. Ma très chère amie, je vous prie de
prendre patience ; il faut espérer que l'Etre suprême
mettra fin à toutes ces hostilités afin que je puisse
avoir le bonheur de vous revoir.
Adieu, ma très chère amie, en attendant le plaisir
de vous revoir. Je finis, mon cher frère, ma chère
sœur, en vous souhaitant une bonne santé en atten-
dant le plaisir de vous revoir. Adresse : citoyen
Louis Pillaut, volontaire, 7" compagnie du 3* bataillon,
AUX ARMEES DU NORD 191
29" demi-brigade, hôpital de Saint-Amand près Valen-
ciennes.
Louis PiLLAUT, voire frère.
Au citoyen Clément de Ris, Beauvais-sur-Cher
ifndre-el-Loire), par Toura.
Hôpital militaire de Saiol-Amand,
eaux thermales et minérales de Saint-Amand,
25 messidor an VI de la République française,
une, indivisible[13 juillet 1798].
Vivre libre ou mourir !
La liberté ou la dernière goutte de notre sang !
Mon cher citoyen.
Celle-ci est pour faire réponse à la vôtre que j'ai
reçue en date du 14 messidor [2 juillet]. Par la récep-
tion de la présente, j'apprends que vous avez reçu
ma lettre du courant du mois de messidor, de l'hos-
pice de Saint-Amand, datée du 2 du présent mois,
adressée à mon frère Jean, et ce qui me fait un sen-
sible plaisir c'est que vous l'ayez communiquée à mon
frère sur-le-champ.
Gtoyen, je vous remercie mille et mille fois des
services que vous m'avez rendus et que vous me
rendez tous les jours et ainsi que ceux que vous
m'offrez journellement. A mon retour, non jamais je
ne serai capable de vous payer de reconnaissance de
tous les services que vous m'offrez, mais enfin je
ferai tout mon possible et toutes mes forces pour
vous remercier de tous les services que vous m'avez
192 AU SERVICE PE IX NATION
rendus et 4o tous ceux que vous m'offrez journelle-
ment.
Vous dites que vous apprîtes avec peine que
j'étais malade, mais je vous dirai que cela va un peu
mieux à présent et j'espère que par la suite je recou-
vrirai un bon rétablissement avec le temps. Vous me
marauez que vous avez envoyé chercher mon frère
chez Romain Charette pour lui demander de l'argent
pour moi et que sa femme est venue vous apporter
24 livres, que vous m'avez envoyées. Je les ai reçues
il y a deux jours à la poste de Saint-Amand. J'ai les
24 livres en 4 pièces de 6 livres, et j'en ai trouvé la
reconnaissance dans la présente, jointe à ma lettre. Je
suis bien charmé que mon frère et toute sa famille
soient en parfaite santé. Je leur souhaite une bonne
continuation et mille amitiés, ainsi qu'à Charette. Je
suis bien content que mes vignes soient belles et
promettei^t i^ne abondante récolte ; je siijs bien con-
tent que frère Pierre ait une JDonne santé, mais à
l'égard du certificat que j'avais demandé, je pense
qu'il est à la compagnie à présent, mais que le temps
n'est pas favorable pour avoir des congés actuelle-
ment.
Je sais bien qu'il est trop critique pour le présent
alors que les Anglais menacent nos côtes et celles de
Hollande ^ On ne les craint pas beaucoup à présent,
1. Depuis la victoire de la flotte anglaise à Wyck-am-
See (H octobre 1797) sur la flotte hollandaise, les Anglais
sçiigeaient à un déb^rcfUêfiient er> HgUaRfie gi^'ils n'ai-
J
AUX ARMÉES DU NORD 193
surtout sur terre ; oui, je sais qu'on ne diminuera pas
notre armée du Nord, oui, certes, ils se souviennent
bien de quelle manière ils ont été reçus h Ostende *,
oui, certainement, on les recevra partout de même où
ils oseront débarquer !
Aussi, citoyen, vous me dites que cet hiver vous
espérez avoir le plaisir de me voir ; oui, certes, je l'es-
père bien de même avoir ce bonheur ! Quel jour de
joie pour moi si je puis avoir ce grand bonheur! oui,
vous devez aussi savoir toute la joie que j'éprouverai
à vous revoir. Oui, citoyen, soyez bien persuadé, je
désire avec la plus vive ardeur de vous revoir pour
vous rendre mes respects et tous mes hommages,
ainsi qu'à Madame votre épouse. Non, je ne serai
jamais capable de vous remercier de tous les services
jue vous m'avez rendus jusqu'aujourd'hui et ainsi
que ceux que vous m'offrez encore par la suite, et je
vous remercie mille et mille fois des bontés que vous
avez eues pour moi et ainsi que celles que vous voulez
laient effectuer que deux ans plus tard (septembre-octo-
bre 1799).
1. Le 19 mai 1798, une flotte anglaise avait opéré un
débarquement prés d'Ostende, â 4 lieues de Bruges, pour
|)rovoqucr une insurrection dans la West-Klandre.
i/éncrgie de Keller, commandant de la place de Bruges,
et le courage des Ostendais contraignirent les Anglais à
se rembarquer promptement, mais ceux-ci abandon-
lèrent aux troupes franco-belges 1.500 prisonniers ainsi
e de.s canons, des munitions et des embarcations
(J. Delhaizc, La domiiuition française en Belgique, t. III,
\>\i. 311-315).
m"
194 AU SKRVIGE DE LA NATION
me prodiguer par la suite des temps si l'Etre suprême
nous accorde des jours. Vous me dites que vous
emploierez tous vos soins pour me consoler de la
perfidie de Fanquette Gautron, dont vous me marquez
qu'elle a épousé, il y a 6 semaines, un nommé Jamain
de la Champaigne et dont vous dîtes que c'est un
pauvre sujet et dont vous dites que vous êtes per-
suadé qu'elle s'en repentira. Mais je souhaite que
l'Etre suprême donne à cette ingrate la force de sup-
porter toutes les adversités qu'il pourra lui arriver
dans son alliance et qu'elle les supporte avec patience
tant terrestre que spirituelle et ainsi la môme chose
à l'égard de son époux, et qu'ils passent des jours
tranquilles. Voilà ce que je souhaite à cette ingrate
fille, que ses promesses sont vaines et dont l'expé-
rience l'a fait connaître, et ainsi en conséquence de
cela je vous remercie bien mille et mille fois de tous
les efforts que vous avez laits pour détourner cette
alliance et je vous sais les mêmes obligations comme
si elle n'était pas mariée. Au reste, puisque c'est une
ingrate, elle ne mérite plus que l'on parle d'elle. Vou-
drez bien vous persuader que je l'oublie pour tou-
jours; oui, j'oublie une fille aussi légère et aussi
ingrate pour avoir manqué à tout ce qu'elle m'avait
promis ; que quand la paix générale me rendra ma
liberté, oui, certes, je n'ignore pas que lorsque je
pourrai recouvrir ma liberté, je ne manquerai de
retrouver un cœur plus fidèle et plus digne de mon
estime que cela. Vous me dites que si je suis tou-
AUX ARklKES DU NURI) 195
joure décidé à reprendre l'état respectable de cultiva-
icuv, vous seri'z toujours aussi bien empressé à me
donner une métairie, à m'aider en tout votre pouvoir,
môme à m'y établir, et que vous êtes également porté
par la sincère amitié que vous avez pour moi ; oui,
citoyen, j'ai été' fidèle à rester courageusement attaché
à mon drapeau, et il est bien vrai (jue tant d'autres
l'ont lAchcment abandonné.
Mais, hélas! quelle triste nouvelle que j'apprends
tout aussitôt que j'ai eu fait la lecture de ma lettre !
hélas! mon cher ami, mon cœur très sensible pour un
ami se déchire lorsque j'apprends qu'il leur arrive
quelqu'adversité, cela m'afflige beaucoup; mais hélas!
cher. ami, si la nouvelle que vous m'apprenez est
triste pour moi et m'affecte un peu ptirce que je pen-
sais avoir affaire à une personne plus fidèle à ses
promesses, soyez persuadé que ma douleur n'est en
rien comparable à la vôtre, vous qui avez perdu une
demoiselle que j'estimais tant. Des larmes perlent à
mes yeux, des larmes très amères ont coulé avec
abondance pour une créature que j'estimais et res-
pectais. Cette chère demoiselle Clémentine! Sans
doute je n'ignore pas qu'une mère et un père, qui
aiment aussi tendrement (jue vous leurs enfants, ne
pourront oublier un enfant aussi aimable que celte
chère Clémentine ! Oui, loi-sque je l'appris, cette triste
nouvelle me fit bien vite oublier celte ingrate pour
prendre part ù vos larmes. Adi'essez mille compli-
ments h ccll<' pauvre mère, et je vous prie de vous
196 AU SERVICE DE LA NATION
consoler un peu car c'est une épreuve à qui personne
ne peut se soustraire tôt ou tard !
Je vous remercie infiniment, je suis persuadé de la
sincérité et de la fidélité de votre tendre et inviolable
attachement pour moi. Soyez persuadé des mêmes à
votre égard ainsi qu'à Madame votre épouse, à vos
fils. Je vous embrasse de tout mon cœur en attendant
le bonheur de vous revoir,
Louis PiLLAUT.
Ayez la bonté d'assurer de mes respects tous mes
frères et sœurs, tous mes parents, et faites-moi réponse
au reçu de la présente.
Adresse : citoyen Pillant, soldat dans la 7* compa-
gnie du 3* bataillon, 29^ demi-brigade d'infanterie de
ligne. Hôpital de Saint-Amand. Armée du Nord.
^
A L'ARMÉE DES ALPES
(1794).
Au citoyen Astaix, maître-cordier, demeurant dans le
faubourg de Afozat, à Riom, département du Puy-
de-Dôme.
De la Grande-Croix, le 27 floréal, l'an II»
de la République française, une, indivisible
et démocratique [16 mai 1794]'.
Mon très cher père,
... Courons vile à ce qui vous fera plaisir. Le Mont-
Cenis est pris ' ; oui, nous l'avons pris ce mont for-
1. Sur la campagne de 1794 dans les Alpes et en par-
ticulier sur les événements auxquels cette lettre fait
allusion, cf. Dumolin, op. cit., t. I, pp. 276-283 et Croquis,
fascicule III ; Krcbs et .Moris, Campagnes dans les Alpes
pendant la Rcvolulion 1794-1796, pp. 78-141. La Grande-
Croix se trouve entre le grand et le petit Mont-Cenis ; les
Piémontais y avaient installé leurs réserves sous les
ordres du marquis de Saint-Georges.
2. La prise du .Mont-Cenis eut lieu le 14 mai 1794, sous
la direction de Uadelaune ; deux attaques précédentes en
avril 1794 avaient été malheureuses. Un croquis publié à
la fin de l'ouvrage de Krebs et Moris (Le Mont-Cenis de
1793 à 1796) facilitera l'intelligence des opérations mili-
taires. Le rapport de Badelaune au général Uumas, publié
par Krebs et .Moris (pièces justif., n" 24, p. 255), ne signale
ni munitions ni provisions prises à l'ennemi, mais les édi-
198 AU SERVICE DE LA NATION
midable, disait-on, sans perte de monde; je veux
dire que nous n'avons pas perdu, je comprends les
blessés, en tout vingt personnes. Nous leur avons
pris vingt-six pièces de canon, sans celles que nous
trouverons couchées dans les neiges, quantité de
fusils et fusils de remparts, magasins de blé, riz, lard,
pain, magasins à poudre et onze à douze cents pri-
sonniers ou déserteurs. Nous les avons poursuivis
baïonnette en avant jusqu'à deux lieues du fort La
Brunette ; mais, crainte de surprise, nous avons
demeuré là pour attendre que l'armée de Briançon ait
pris le fort d'Exilles ^, ce qui nous facilitera le passage
de façon qu'avant qu'il soit peu nous serons à Turin ^,
ce qui ne nous sera pas bien difficile, quoiqu'on dise
qu'il était impossible d'y pénétrer ; mais rien n'est
difficile pour des Français libres. Voici, mon très cher
père, la vérité de ce que j'ai vu ; vous pouvez le sou-
teurs de ce document ont dû trouver dans d'autres textes
la confirmation des faits avancés par le volontaire Astaix
car ils signalent [op. cit., p. 108) que « plus de 500 pri-
sonniers, des canons, des munitions, des magasins de
toute espèce constituaient les trophées de cette victoire ».
Nous voilà bien loin des 1.100 ou 1.200 prisonniers men-
tionnés par Astaix.
1. Sur les forts d'Exilles et de La Brunette, qui gar-
daient la route de Briançon à Turin, cf. Krebs et Moris,
op. cit., p. 79, n° 1.
"2. Les sentiments qu'expriment ici le volontaire Astaix
paraissent avoir été ceux de toute l'armée à en juger par
une lettre du 4 juin 1794, adressée au Comité de Salut
Public par les représentants en mission à l'armée des
Alpes (Krebs et Moris, op, cit., pièces justifie, pp. 261-263).
A i/armép. des alpe» 199
tenir ft cos mah pillants, qui, quelquefois, voudraient
contredire.
Nous sommes fatipiés de bivouaquer sur le sommet
de ces montagnes et dans les ncigvs. Mais nous ne
|)ouvons pas foiit» autrement. Je m'arrête perce que
le temps me manque. Je vous prie donc de dire bien
des choses de ma part à mon grand-père Peyrard,
voisins, voisines, parents et amis. Cliantez hardiment
avec eux : « Ça ira », et nous, nous allons voir de
faire encore une fois danser les marmottes.
Adieu, mon très cher père, adieu ; embrassez bien
pour moi ma très chère mère et ma sœur. Adressez
toujours mes lettres à Tormignon jusqu'à nouvel ordre.
Je vous dirai que Debos, le (Ils du boulanger de
Layat, a déserté.
Votre fds,
ASTAIX *.
A ia citoyenne veuve Pademo, l'ue de Chazerou,
à Biom, en Auvergne.
De Modane, ce 10 prairial l'an second de la
République française, une, indivisible et
impérissable [29 mai 1794J.
Ma mère.
Je ne sais poun{u<ji vous ne me laites point rrjK)nso
ft ce <|ue je vous av;iis (Irmiuid»'-. Vous me demandez
I. Servait depuis le 11 mai 4793. Archives de la ville de
Hiom.
200 AU SERVICE DE LA NATION
de VOUS donner de mes nouvelles le plus souvent que
je pourrai ; vous ne devez point ignorer que je n'ai
rien dans le inonde de plus cher que vous, et que je
me hâte de savoir s'il vous est parvenu plusieurs
lettres que je vous ai fait part, sans en avoir de con-
naissance et aucune réponse de ce que je me proposais
de faire.
Vous me dites que mon frère demande que je lui
donne de mes nouvelles et que je lui envoie mon
adresse. Il se moque de moi. Il croit que c'est comme
lui qui est dans sa chambre à caresser sa femme. Triple
bombe ! s'il a tant envie de m'écrire, il peut m'écrire
quand il voudra au champ de bataille, au champ
d'honneur, à Modane, près le Mont-Cenis : voilà mon
adresse !
Et s'il ignore que ça n'est pas, il peut prendre un
fusil, et qu'il vienne, je lui donnerai du pain et de
l'ouvrage au fort de La Brunette, car, pour le fort
d'ExiUes ', on est après à l'assiéger ; on a commencé
au 8 prairial, et il faut qu'il vienne dans le sac comme
les autres. Ça été juré : vaincre ou mourir!
En attendant la prise du fort de La Brunette et
celui d'Exilles, qui nous empêchent d'aller à Turin,
je vous en prie pour que la bataille soit complète, je
vous prie de m'envoyer des papiers qui consistent à
votre consentement pour que j'achète une femme
1. Sur les détails des opérations militaires auxquelles
cette lettre fait allusion, cf. la lettre précédente.
A l'armée des ALPES 501
parce qu'elles ne sont pas bien chères ; elles sohI au
maximum et je veux en acheter une. Un gendarme
lit' peut pas se passer de cuisinière ; elle fera la soupe
en moins de temps que je ferai courir nos marmottes
du roi sarde ' ; soi-disant qu'il est mort, que le cha-
grin l'a tué, le bougre ; le diable ait son âme ! tant de
mal qu'il nous donne ! Je ne puis point l'assurer au
juste, mais je le saurai avant peu, parce que nous ne
sommes pas loin de Turin, de 10 à 12 lieues au plus.
Revenons à mes papiers. Je vous prie de me les
iivoyer le plus tôt possible avant que nous allions à
Turin, car ça ne tardera pas, et qu'un autre ne me
souffle pas la personne avec qui je dois me marier et
la prendre dans ses bons moments pour se marier à
la sans-culotte, parce qu'elle croit encore aux prêtres,
t moi je ne suis guère de cet avis. J'aime bien le
plus tôt fait, et justement je suis très aimé avec les
autorités constituées. Ça sera bientôt fait, et Vive la
République !
Je vous prie de faire attention de ne pas mettre
\ otre diable de terme de cocher ni domestique. Mon
p'ro était commerçant ; il commerçait sur le blé et le
vin ; eh bien ! qu'on mette commerçant sur ce qu'on
voudra. Je vous prie de ne pas l'oubher. D'ailleurs, ça
•nt l'ancien régime, ça n'est point de saison. Le
temps est passé!
1. Il s'agit du roi de Sardaigne Victor-Amédée III, qui
' mourut à Turin que \o. 16 octobre 1796
202 AU SERVICE DE LA NATION
Je VOUS envoie dix livres pour payer les frais de ca^
que ça coûtera, et vous me ferez passer une demi-
feuille de papier marqué. Pour que vous ne soyez pas
étonnée de la personne que je prends, c'est la fille du
ci-devant Trois roy, aubergiste ^..
Elle est passablement gentille, à peu près comme la
Boitiii^ elle a tout pour me plaire, je suis content, elle
aussi, tout va très bien. Elle vous fait bien des com-
pliments, en attendant qu'elle s'acquitte de son devoir.
Rien d'autre pour le présent. Je suis, en attendant
votre réponse, votre affectionné fils,
Paderno,
gendarme, Modane-en-Maurienne.
Bien des choses de ma part à tous nos bons et
bonnes amis. Bouchon fait bien des compliments à
toute sa famille, ainsi qu'à vous ; il se porte bien ; il
part pour Briançon, pour le fort d'Exilles, ainsi que
Bravar ^
[Sans adresse].
Au camp de Viogena^ le 23 floréal de l'an [I de la Ré-
publique une et indivisible [14 mai 17'J4].
Ma chère mère,
Nous voici arrivés après bien des fatigues au lieu
1. Quatre mots illisibles.
2. Bouchon et Bravard sont des volontaires de la ville
de Riom.
3. Le camp de Viogena doit être identifié avec la loca-
A i/aRMÉR des ALPES 203
il. nolrp destination, non point à \ice, mais ô trente
lieues de là dans les montagnes du Piémont k la barlîe
de l'ennemi ; on nous a incorporés dons un bataillon
qui n'avait plus qu'une centaines d'hommes ; mon
adresse est : au citoyen Combaud, 1" compagnie du
second bataillon de la 99* demi-brigade*. Je n'avais
pas emporté beaucoup d'eflfets et cependant je me
suis vu obligé d'en vendre beaucoup. Voici ceux dont
lilc de \ lozcnc. On remarque que la forme de ce nom de
lieu varie d'une lettre à l'autre du volontaire Combaud
(cf. pp. 204 et 219). dette même incertitude touchant
cette localité se retrouve dans les documents officiels
contemporains. Dans l'état des forces et de la position
de la division de droite de l'armée d'Italie du 7 au
17 août 1794 (Archives historiques de la Guerre, Armée
des Alpes et d'Italie, situations), ce cantonnement porte
le nom de Viozetia ; dans un état analogue du 5 septembre
'''••'i.), il porte le nom de Viogéne.
La 99* demi-bripade à laquelle appartenait le fusilier
Lu' ' ' ■ vembre 1793 par la réunion
du . des 4° cl 9" b.'itaillons dos
vnloul,iirisdc£> liuuclio.s-du lUiùnc, et placée sous le com-
mandement du chef de brigade Lafons. Au mois d'avril
(16-18), clic prit part à la prise d'Oneglia et de Garessio.
Ses batullons furent ensuite disséminés dans des can-
loMncmenl^* entre Garessio, Loano et Ponte di Nava [His-
torique manuscrit du 99" régiment d'Infanterie (Archives
Historiques de la Guerre, pp. 20-24)]. Le plan de la cam-
pagne de 1794. à laquelle le volontiiire prit part, avait
été préparé par Bonaparte, générol d'artillerie. Sur les
Projets d'invasion du IMémont, en unissant les forces de
armée d'Italie et de l'armée des Alpes, ainsi que sur le
détail des hostilités, on lira avec profit : Capitaine Colin,
L'éducation utilitaire de Napoléon, pp. 217-352; Krebs et
Moris, Campay m . 1794-1796, et surtout capi-
taine Fabi \ . La i :94 en Italie, t. I.
204 AU SERVICE DE LA NATION
je me suis défait et leur prix : ma veste nanquin 5 1.,
deux paires de bas de la nation 6 1., une mauvaise
chemise toute déchirée, un mouchoir de nez, une
paire de bas coupé, un bonnet de laine 4 1. Tous ces
effets sont donnés presque pour rien et cependant Ton
trouvait qu'ils étaient assez bien vendus. J'aurais
gardé tout le reste, mais comme nous devons faire la
guerre dans des montagnes inaccessibles, j'ai encore
lavé mon havresac d'une calotte de la nation toute
délabrée 8 1., d'une chemise 6 1., et l'une de mes
paires de bas 7 1. ; il ne me reste plus rien, mais ces
ventes étaient nécessaires...
CoMBAUD fils, cadet.
[Sans adresse].
Armée d'Italie, au camp de vieux Gênes '.
Le 5 prairial de l'an II de la République française,
une et indivisible [24 mai 1794].
Mon adresse est toujours la même : au citoyen
Combaud, volontaire dans la 1" compagnie du
2* bataillon de la 99* demi brigade, par Nice, à l'armée
d'Italie.
Ma chère mère,
Je vous avais écris du même camp une lettre dans
laquelle je ne faisais que vous donner mon adresse
1. Vieux Gênes : Viozena.
A l'armée des ALPES 205
avec quelques légers détails sur ma situation ; les cir-
constances exigeaient cette brièveté ; mais maintenant
je puis m'étcndre plus au long : je date ma lettre du
camp de vieux Gênes ; vous vous figurez aussitôt un
camp en règle avec des tentes ; point du tout : ce ne sont
que quelques chétives cabanes de pauvres paysans
piémontais où les soldats sont couchés les uns sur les
autres. Je suis vraiment étonné comment mes yeux ne
sont pas malades : imaginez-vous que la baraque
dans laquelle nous sommes logés depuis une dizaine
de jours est construite avec de la paille à travers
laquelle on voit le jour ; nous n'avons point de porte,
de sorte que le vent y pénètre en toute liberté ; notez
qu'elle est exposée au nord, qui est le vent qui souffle
le plus régulièrement dans ces contrées. Nous sommes
actuellement dans le mois de juin, et peut-être ôtes-
vous incommodés de la grande chaleur; quant à nous,
nous souffrons de toutes les rigueurs de l'hiver : le
matin il fait beau temps, le soir il pleut, il vente, il
neige, de sorte que nous avons bien de la peine à nous
réchauffer n'ayant d'autre matelas que de la paille
coupée et d'autre couverture que nos habits que
nous n'avons point dépouillés depuis que nous sommes
ici. Cependant je suis toujours assez gai, assez content
et je me porterais assez bien si une maudite maladie
ne s'était point introduite parmi nous : tous les soldats
du bataillon ont passé par le flux de sang, et plusieurs
même ont été obligés d'aller ù l'hôpital, entr'autres
Gorce et Dumontot, qui ont été incommodés presque
206 AU SERVICE DE LA NATION
tout le long de la route ; quant à moi, je n'ai eu
qu'une diarrhée peu violente depuis environ quatre
ou cinq jours, mais qui m'a ôlé mes forces et mon
appétit; je commence néanmoins à me rétablir, je
sens la faim renaître, et ça ira! Je crois que ces sort(!s
de maladies ont été occasionnées d'abord par le manque
de vin, qui est très difficile à transporter dans ces mon-
tagne, par la vivacité de l'air et de l'eau, qui a sa
source dans la fonte des neiges dont nous sommes
environnés, et par la mauvaise nourriture, car nous
n'avons que notre étape et quelque peu de fromage
et de vin que nous achetons bien cher et que des
marchands apportent de quatre ou cinq lieues. Vous
jugez que nous ne pouvons pas faire grande dépense ;
aussi n'ai-je pas dépensé un liard depuis que je suis
dans ces gueuses de montagnes. Ne vous plaignez
plus désormais de la cherté des vivres, vous êtes
dans l'abondance en comparaison des autres pays :
le vin vaut ici 3o,40 s. la bouteille, le pain 15 ou 20 s.
la livre, le fromage 3 1. 10 s., le beurre 31., et n'en
a pas qui veut ; récriez- vous ensuite sur la disette et
la cherté des denrées. Je ne vous ai point encore
parlé de mes occupations, les voici : depuis que nous
sommes ici, nous faisons régulièrement quatre ou cinq
heures d'exercices par jour ; nous montons la garde
tous les trois jours dans les gorges, sur la cime des
montagnes, exposés au vent, à la pluie, à la neige,
sans aucun abri, à doux lieues des Piémontais ; je
pense que nous ne laiderons pas à aller au feu ; nous
A I. AHMhK DES ALPES 207
allons quitter ces» montagnes et descendre dans la
plaine où il faudra mettre en usage toutes les ma-
nœuvres et ruses militaires; nous n'attendons plus
que de la cavalerie pour marcher, si nous le pouvons,
droit à Turin. Je ne sais pas si les affaires vont bien
du côté du Nord, mais elles sont en assez bon étiit
do ces côtés. Vous n'ignorez pas la prise du fort
Saour', qui s'est faite sans beaucoup de perte ; le foii
do Sève* est assiégé; on s'est emparé du camp qui
lui servait de défense avec 7 ou 800 prisonniers.
De ce fort à la plaine, il n'y a plus qu'un pas. Du
c6lé de l'Espagne, les succès ne sont pas moins biil-
lants : un adjudant-général a écrit au bataillon que
l'armée espagnole avait été vaincue et taillée en
pièces, et qu'on avait mis le siège devant Barcelone;
il finit par dire que ces succès amèneront une paix
avantageuse à la fin de la campagne et un retour
heureux dans nos foyers '. Je souhaite, ma chère
1. Nous ne savons pas quelle localité le volontaire
Oombaud entend Hési^'ner sous ce nom. Son habitude de
traduire lihrenienJ en français les noms de lieux italiens
rend toute identification singulièrement malaisée. Peut-
être Combaud fait-il allusion à Saorgio, dont le château
s'était rendu à Dumerbion le 28 avril 1794.
3. S'agil-il de la forteresse de Ceva, position straté-
gique importante, ou de Serra, localité peu distante de
Quarzinaf
3. Aux armées des Pyrénées-Occidentales et Orlcn»
laies, la situation éUut iiicnt bonne aux mois
d'avril et do mai 1794. A 1 s Pyrénées-Orientales,
en particulier. Du^ommier, qui avait succédé au vaillant
DaL'dhrrl, iiioil le 18 ;i\ lil 1794 i(;Imi(]ii('( I.r i/i mial Dago-
208 AU SERVICE DE LA NATION
mèro, que ces nouvelles soient réelles et ne soient
point seulement des motifs d'encouragem<^nt...
Nous avons eu des jeunes gens qui ont eu le
bonheur de rester en arrière ; les deux Barces et
quelques autres ont été mis en réquisition à Nice
pour y travailler jusqu'à la fin de la guerre ; les
Boirri, Sardier, Rouger et quelques autres sont dans
une boulangerie à Oneille * ; les Boirri comme chefs
de la boulangerie ont double étape et de plus 4 1. par
jour, les autres 5 1. Je me trouve assez bien associé ;
nous sommes de la i'^ compagnie, Chassaigne, Bor-
daire, Ghassaing, Attiret, Vérin, Boisson, Faucon,
Sirgen, Laverchère, Ducroux et quelques autres
jeunes gens assez tranquilles, les anciens de la com-
pagnie ne le sont pas moins.
Votre fils,
CoMBAUD, cadet.
[Sans adresse].
Armée d'Italie. Au camp de Carline *, le 13 messidor
de l'an II de la République une et indivisible
[1" juillet 1794].
Ma très chère mère,
J'avais promis dans ma dernière lettre de ne plus
bert, 1736-1794, p. 412), avait vaincu à diverses reprises
les Espagnols, qui évacuèrent Saint-Elme, Port-Vendres et
. Collioure {23-29 mai) (Dumolin, op. cit., t. I, pp. 283-287).
1. Oneglia.
2. Le camp de Carline était peut-être situé sur les hau-
teurs de Quarzina, localité voisine de Viozena.
A L ARMEE DES ALPES :.ij'J
VOUS ('crire dp quelque temps, et je crois vous avoir
l(»nu pîirole; aussi n'ai-je eu que rarement le plaisir
le recevoir de vos nouvelles, ce qui est cependant
l'unique consolation que j'aie dans ce pays. Mainte-
nant que vous savez mon adresse, vous pouvez
mV'crirt" quand vous 1<^ jugerez à propos; les lettres
me parviendront en quelque endroit que je sois. Venons
maintenant à notre situation actuelle.
Vous savez cjue nous étions campés à Viogena ;
nous avons changé de position depuis environ trois
-t'maines, nous nous sommes avancés d'une lieue et
demie et nous avons remplacé un autre bataillon, de
(jrto que nous nous trouvons ù garder le poste le
plus proche de l'ennemi. A Viogena, nous étions logés
dans de chétives cabanes piémontaises ; ici, c'est bien
pis : il nous a fallu les deux premières nuits bivouaquer
au mauvais temps; nous nous sommes ensuite associés
sept vu huit camarades et nous avons travaillé à la
fabrication d'une baraque ; jugez quel étiiit notre
mbarras, n'ayant avec nous aucune personne du
métier; notez ensuite qu'il nous fallait aller chercher
Ir^'s loin les matériaux qui étaient en la paille et les
branchages ; cep<^ndant, au bout de quelques jours,
nous nous sommes trouvés passablement à l'abri de
la pluie et du vent ; les huit ou neuf qui habitent ce
liétit logement sont d'abord Gorce, qui ne fait que
revenir de l'iiùpital et qui est d'autant plus malheu-
reux qu'il n'est pas encore bien rtHabli et qu il lui faut
-accoutumer à un métier auquel Ica anciens eux-
ricARu. ^^
210 AU SERVICE DR LA NATION
mêmes sont encore nouveaux, La Verchère, Ducroit,
Boisson, Faucon, Bordaire, Chassaigne, Léger et moi.
Chassaigne était avec nous, mais ayant été nommé
caporal fourrier de la compagnie, il s'est vu obligé
de nous abandonner pour loger avec les officiers et
les sous-officiers.
On dit ordinairement que le métier de soldat est un
métier de paresseux ; je ne sais pas ce qu'il est en
temps de paix, mais en temps de guerre on n'y
manque pas d'occupations. On nous fait d'abord faire
quatre ou cinq heures d'exercices par jour, éclaircir
notre fusil tous les deux ou trois jours, ce qui est,
ainsi que l'exercice, très long, très ennuyant et très
fatiguant. Nous sommes ensuite obligés de nous
trouver à l'appel à chaque instant. Mais ce qui est le
plus désagréable et ce qui altère le plus notre santé,
c'est de monter la garde tous les deux jours, dans des
gorges, sur des montagnes, au milieu de la neige,
exposés à la pluie et aux vents, qui sont continuels dans
ces climats. Je ne peux vraiment concevoir comment
nos corps peuvent y résister ; mais si nous avons le
bonheur de revoir nos foyers, je crois que nous pas-
serons une vieillesse douloureuse. Quoiqu'il en soit,
telle est la volonté de Dieu, il faut s'y résigner et
prendre son mal en patience jusqu'à ce qu'on voie
une fin ; je puis vous protester qu'il n'est personne ici
qui ne la désire vivement. Ce n'est pas tout, il nous
faut aller souvent à la découverte de l'ennemi, à deux
ou trois lieues du camp, gravir des montagnes cou-
A L ARMÉE DES ALPES 241
vertes d'un pied de neige, le fusil, la giberne chargée
d'une cinquantaine de cartouches et le sac sur le dos ;
il y a des moments où lorsque nous sommes en train
à monter, harassés de fatigue, de soif et de sueur,
je désirerais qu'un coup de fusil vienne terminer ma
maliieureuse carrière ; mais, vous le savez, une seule
idée me retient. Je ne vous ferai point le détail de
toutes les autres corvées ; je vous le répète, ce qui
les rend le plus pénibles, c'est la pluie, la neige, la
grêle et le vent, qui viennent nous rendre visite tous
les jours. Vous me saurez peut-être mauvais gré de
m'ôtre ainsi dégonflé, mais c'est pour ainsi dire
malgré moi ; un malheureux trouve de la consolation
à faire le récit de sa misère ; pardonnez-moi, ma chère
mère, les larmes que je vous ferai verser; détour-
nons nos yeux de dessus ce tableau.
Vous m'aviez mandé que mon frère était à Grasse;
je pense qu'il a délogé et qu'il est maintenant au
fort de Saour* ; il est vraiment heureux d'être dans la
cavalerie ; jamais elle ne campera dans ces gueuses de
montagnes, ce ne sera que dans la plaine qu'elle
pourra agir et encore ne sera-t-elle jamais ni aussi
exposée ni aussi mal que l'infanterie. S'il vous a écrit,
donnez- moi de ses nouvelles; je désire bien en savoir
et je ne le puis par lui-même, ne connaissant point
son adresse.
D'après ce que je vous avais écrit sur la cherté et
1. Voir $upra p. 207, note 1 . «
212 AU SERVICE DE LA NATION
la rareté des vivres, vous devez penser, ma clière
mère, que ces montagnes ont donné la courante î\
nos portefeuilles, comme elles l'avaient donnée à nos
corps. Je ne puis que vous faire la répétition de ce que
je vous ai déjà dit, le vin vaut 30 s. la bouteille, et il
est impossible de s'en passer ici à moins que l'on ne
veuille attraper le flux de sang ; une livre de mauvais
fromage, qui ne vaut pas trois quarts de chez nous,
40 s., la livre du beurre 3 1. : voilà les seuls mets que
nous ayons pour nous ragoûter ; il nous est venu quel-
quefois des cerises et des poires à 10 s. ou 15 s. la
livre ; mais leur cherté a fait que je n'en ai acheté que
pour m'en rappeler le goût. 11 est impossible de se
tenir à l'étape, une livre et demie de pain par jour ; le
matin à dix heures, la soupe faite avec du riz ou des
fèves toujours mal cuites et un petit morceau de viande,
que je ne puis mâcher et que l'on garde si l'on veut
pour le souper ; voilà tout, point de vin, si ce n'est un
petit verre d'cau-de-vie lorsqu'on monte la garde et
dont je laisse toujours la moitié à ceux qui l'aiment.
Quels repas auprès de ceux que je faisais à Riom !
que je regrette mes pommes de terre frites ou fricas-
sées ! Cependant pour peu que l'on veuille s'écarter,
on fait des dépenses énormes ; il faut bien pourtant
un morceau de fromage dans la journée, une soupe de
beurre à souper et parfois quelque chopine de vin ;
ce n'est pas là ce qu'on appelle riboter, néanmoins
cet ordinaire me mène à 20 ou 25 s. de dépense par
jour...
A L ARMKR DES ALPES 213
Les assignais à face royale de 50 1. ne passent '\r\
<|u'A 5 I. de perte ; je m'en Irouvo deux...
. . Je n'ai jamais fait monter ma garde comme bien
d'aiiti'es à 3 I., 4 1., mais lorsqu'il faisait trop mau-
'. ais temps, ne voulant point rester deux heures immo-
ilo, à la neige et à la pluie, j'ai donné jusqu'à
^0 s., 25 s. pour faire ma faction...
... Il est arrivé un accident à Attirât, mon camarade
de lit, accident qui heureusement n'aura pas eu de
suite, comme je l'espère. Étant de gai-de ensemble sur
un rocher, le servent voulut s'amuser à faire rouler
une pierre énorme au bas de la côte ; Attiret s'y
trouvait malheureusement, et la pierre dans ses bonds
effroyables le heurta au-dessus du pied et le renversa
par terre. Si elle l'eut attra|)é par le milieu du corps,
il est sûr qu'elle le coupait en deux. On le transporta
dans les cabanes, où le sergent-major, qui a été
chirurgien, déclara qu'il n'y avait aucun danger.
Il lui donna un billet d'hôpital, et il doit être main-
iiant à Oneille ou à iNice, beaucoup plus heureux
lie nous...
Ouoiquo notre situation soit très malheureuse è
• use de la jK>sition de Tannée dans ces montagnes,
jX'ndant les affaires ne laissent pas que d'être dans
' le meilleur état ; on feit tous les jours les plus grands
pré|)aratifsj; on se dispose à attaquer le fort de Sève,
el si les plans n»» sont p<jint mQn<|ués, je crois que
î'arm«kî d«'S Al|>es réunit* ù cfllf du l'iémonl vont
Miner ilans Turin uiu: belle danse au rui des nuir-
214 AU SERVICE DE LA NATION
mottes * ; il y a cependant impossibilité à la paix cette
campagne-ci, le feu est trop ardent, et je vois bien qu'il
nous faudra passer notre quartier d'hiver dans ces pays.
Nous pourrons tout au plus revoir nos foyers la cam-
pagne suivante, et Dieu veuille que nous lui survivions.
Votre respectueux fils,
CoMBAUD, cadet.
[Sans adresse].
De Carline, le 9 thermidor, 2» année républicaine
[27 juillet 1794].
Ma chère mère,
Depuis que nous sommes campés, nous n'avons
plus celte commodité que donne une ville où il y a
une poste. Là, aussitôt notre lettre écrite, nous
étions à môme de la faire partir sur-le-champ ; mais
ici, éloignés de la- moindre bicoque de quatre ou cinq
lieues, il nous faut attendre que quelqu'un parte pour
Garessieux*, ou pour Oneille, ou pour Nice...
La cherté des vivres est toujours la même, comme
vous le voyez; et, qui plus est, par un ordre du
général, nous ne pouvons plus maintenant avoir
d'autre pain que celui de l'étape ; je ne sais si l'on
veut en faire provision pour la plaine, mais il est
1. Allusion aux marmottes que les Piémontais et les
Savoyards exhibaient dans les villes françaises au
xvm^ siècle.
2. Garessieux désigne Garessio, dans la vallée du Tanaro.
A l'armée des ALPES 215
défendu d'en porter au camp : gare à ceux qui auront
trop bon appétit, et moi, qui suis parfois de ce nombre,
l'ai vu souvent mon ventre se récrier contre cette
léfense. Tandis qu'à Riom vous mangez du fruit en
ilxjndancc, ici il nous faut acheter une poire d'une
grosseur ordinaire 5 sous ; jugez du reste par cet
exemple; aussi fait-on des dépenses extraordinaires
en vivant très mal. Nous sommes dans un pays con-
quis où les assignats ont bien peu de valeur. Les
barbets ' surtout qui habitent ces montagnes ne veu-
lent point en entendre parler. J'ai toujours avec moi ces
assignats à face royale qui passent peut-être à Riom
comme les autres et que je ne puis changer ici...
Comme je vous ai dit que nous étions au poste le
plus proche de l'ennemi, peut-être attendez-vous de
ma part des détails intéressants ; vous vous trompe-
riez car je ne suis pas plus instruit des mouvements
de notre armée que vous ; le pauvre soldat monte sa
garde tous les deux ou trois jours et n'en est pas plus
savant ; cependant, il est certain par les découvertes
que nous faisons tous les jours que l'ennemi est à
plus de cinq lieues du camp; mais quand il serait
plus prés, postés comme nous le sommes, je ne crois
pas qu'il oserait entreprendre de nous attaquer ; il y
eut pourtant quatre ou cinq hommes qui vinrent dei^
nièreracnt reconnaître la position de nos gardes de
1. Ce surnutn, vieux de plusieurs siècles, s'appliquait
aux habitants du Piémont.
216 AU SERVICE DC LA NATION
1
dessus des hauteurs presque inaccessibles ; ils tirèrent
môme quelques coups de fusil, qui ne portèrent point
â cause de réloignomcnt ; mais ils n'ont plus paru
depuis. Que le mot de poste avancé ne vous oirrayc
point; nous sommes ici dans la plus profonde sécurité
et aussi en sûreté qu'à Riora. S'il y a à craindre ça ne
sera jamais qu'à une attaque générale, qui ne peut
pas être bien éloignée, car je ne puis me persuader
que cette campagne se passe ainsi.
Votre respectueux fils,
CoMBAUD, cadet.
P.- S. — Le bruit court ici que les chasseurs de
la montagne sont à Suspelle *, qui n'est qu'à six lieues
de notre camp ; si l'on était pas si rigide, je tâcherais
d'obtenir une permission pour l'y aller voir, mais la
tentative serait inutile...
... L'on fait avancer tous les jours dans la plaine
force artillerie et force cavalerie, et l'on ne doute pas
que cette campagne décide beaucoup les affaires.
[sans adressé].
Du camp do CarUne, le 12 vendémiaire,
3« année républicaine [3 octobre 1794].
Liberté, Egalité.
Ma chère mère,
... Nous sommes partis en détachement pour aller
1. Sospel, eh. 1. de c. de l'arr. de Nice.
A l'armée des ALPES 217
en découverte sur le bord do la plaine ; quolques-uns
disent que c'était pour favoriser l'attaque du fort de
Sève, qui allait se faire, personne ne connaissait
guère les intentions du général; quoiqu'il en soit,
nous sommes partis environ au nombre de mille, à
huit heures du soir, dans un chemin d'où l'on a de la
peine à se tirer en plein midi. Ajoutez à cela que la
nuit fut plus obscure qu'à l'ordinaire, à cause des
brouillards. Après une marche d'environ deux heures,
qui ne fut outre chose qu'une montée continuelle au
milieu des rochers et de la neige, une pluie mêlée de
g^le vint nous assaillir, le tonnerre se fit entendre
d'une manière effroyable et les ténèbres devinrent si
épaisses que l'on ne vil plus qu'à la lueur des éclairs,
qui nous laissait ensuite dans la plus grande obscu-
rité; de sorte qu'alors nous étions obligés de nous
tenir les uns aux autres pour ne pas perdre la file,
ne pouvant nous apercevoir. Cette peinture paraît
exagérée; c'est cependant la vérité même, car il
n'était personne qui ne crut le détachement perdu.
Après bien des fatigues, nous nous IrouvAmes à la
pointe du jour devant le poste le plus avancé de
1 ennemi, qui escopa bien vile après avoir lire quel-
ques coups de fusil pour servir d'avertisvSement, et se
retira sur le |X)ste de réserve. Aussit<5t deux compa-
gnies montèrent du village voisin cl viorenl se poster
sur le plateau \v plus élevé et le plus escarpé. Il fallut
les délogor de là ; l'on ne fil jkmiiI niarcher notre
'l'-tachement, mais celui du T bataillon de noire
218 AU SERVICE DE LA NATION
demi-brigade. Après une résistance d'environ une
heure, ils prirent la fuite ; nous fîmes prisonniers un
capitaine, qui ne voulut point abandonner son poste,
ainsi que son lieutenant, un sergent, un caporal et
23 fusiliers, et le capitaine avoua lui-même que, parmi
ceux qui s'étaient sauvés, il y en avait eu une quin-
zaine de blessés; de notre côté, nous n'eûmes que
deux tambours de tués et deux soldats de blessés;
voilà à quoi se réduisit l'expédition ; mais si nous
étions réunis à une autre colonne qui devait nous
joindre, nous aurions pu faire quelque beau coup;
car celle-ci, de son côté, fit 30 prisonniers et prit cinq
pièces de canon. Attiret, Ducrochet, Verni, Bordaire
et quelques autres de mes camarades, eurent le bon-
heur de ne point être de ce détachement, qui eut lieu
le 2* jour des sans-culottides [18 septembre 1794]'.
Jugez s'il était agréable pour nous de savoir que l'on
s'amusait à Riom, tandis que nous passions une nuit
aussi affreuse : cela donnait lieu à mille réflexions
1. Le fait d'armes raconté par le volontaire Combaud
fut exécuté par le chef de brigade Pijon pour inquiéter
les forces piémontaises, tandis que Masséna, parti de
Ceriale, marchait droit sur le gros de l'ennemi. Masséna
etLaharpe arrivèrent victorieusement jusqu'à Dego, mais
furent empêchés par les représentants aux armées Albitte
et Salicetli de profiter de leurs avantages en marchant
sur Ce va (10-24 septembre). Sur ces opérations, dont le
plan était dû à Bonaparte, cf. capitaine Colin, L'éducation
militaire de Napoléon, pp. 311 sqq ; Dumolin, op. cit., t. I,
pp. 280-283, et croquis n" 36 ; Historique manuscrit du
99^ régiment d'infanterie, pp. 26-28.
A i/aRMÉE des ALPES 219
qu'il est inutile de vous communiquer ici. Voici la
seconde fois que nous avons quitté ce camp, et la
seconde fois que nous y revenons, et toujours avec de
plaisir, quoiqu'il ne laisse pas de nous ennuyer beau-
coup, surtout dans le moment présent...
. . . L'on ne songe point ici à la paix, pas même à
nous faire évacuer ce poste que la neige a déjà
blanchi deux ou trois fois ; nous commençons déjà à
souffrir non seulement à nos gardes, que nous passons
au milieu de la neige, mais encore dans nos ba-
raques, que le vent traverse dans toute leur étendue.
Dans le mois où nous sommes, il fait ici aussi froid
(ju'à Riom au cœur de l'hiver. Toutes les espérances
qu'on nous donne c'est que nous abandonnerons le
poste lorsque nous ne pourrons plus résister au mau-
vais temps et lorsque les vivres ne pourrons plus nous
parvenir...
Votre respectueux fils,
CoMBAUD, cadet.
[Sans adreise].
Du camp de Viogene, le 14 brumaire,
S* année républicaine [4 novembre 1794].
Liberté. Egalité.
Ma chère mère,
. . La neige et le mauvais temps nous ont forcés à
abandonner le camp de Carline ; c'est à cette occa-
sion que nous avons eu avec Chassaing et Gerce
220 AU SERVICE DE LA NATION
une de ces gardes où l'on devrait crever si les forces
de l'homme n'augmentaient à proportion du besoin
qu'il en a ; il a neigé vingt-quatre heures de suite et,
le matin, nous ne pouvions retrouver notre chemin
pour revenir au camp; je fus la dernière sentinelle; il
ne fut plus possible d'en placer après moi et, quoique
je ne fusse qu'à deux cents pas du poste, j'eus bien
mes peines pour y revenir; il y avait déjà un pied
et demi de neige. Nous arrivâmes tout trempé au
camp et nous ne fûmes sec que deux jours
après.
A cette occasion, si je n'ai point été à l'hôpital, peu
s'en est fallu. La neige m'avait tellement fatigué la
vue que je ne voyais presque plus clair ; je ne pou-
vais ouvrir les yeux qu'à-demi ; on m'avait donné un
billet d'hôpital, mais en route mes yeux se sont réta-
blis et le commissaire des guerres a refusé de signer
le billet, à mon grand regret ; j'étais bien aise d'aban-
donner ces montagnes.
Nous sommes descendus de Carline et, comme
vous pouvez en juger par la date, nous sommes reve-
nus à Viogene, notre ancien camp, il y a environ une
quinzaine de jours. Nous sommes logés dans des
baraques, où nous sommes bien à l'abri tant qu'il
lait soleil ; mais, à la moindre pluie, nous sommes
comme dehors, et comme il ne se passe point de jour
qu'il ne fasse mauvais temps, vous devez juger si
notre position est agréable. Aussi nous restons bien
dans le camp toute la journée pour nous trouver aux
A l'armée des ALPES 221
apjiels cl h ce dont on peut avoir besoin de nous;
maiij, sur le soir, nous allons chercher un gile à un
quart de lieue du camp, chez quelque barbet qui
\''uille bien nous recevoir; le service est devenu
\lr«imemenl fatiguant avec le temps qu'il fait, et les
nuits étant si longues ; nous montons la garde de
jour à autre, aussi tous les soldats se récrient-ils, et
il en va tous les jours grand nombre à l'hô-
pilal.
Notre bataillon éprouve tous les malheurs imagi-
nables : voici deux ans qu'il ne quitte point les mon-
tagnes ; il devait être relevé ces jours-ci pour aller
• 'Il France et peut-être à Marseille ; mais, par une
! reur grossière et que Ton ne peut concevoir, un
utre bataillon, qui n'avait pas autant souffert que
nous, l'a été à notre place. Si nous souffrons tant,
mus en avons l'obligation en grande partie à notre
omniandant, qui n'a pas l'esprit de savoir faire au
i;t'*néral de légitimes représentations. Le bruit court
;iujourd'hui que nous allons être relevé dans quelque
Irmps pour aller passer notre quartier d'hiver à
Loano, ville assez agréable, et où nous pourrons
tous donner quelque aisance; mais le service y sera
ussi pénible, étant toujours proche de l'ennemi : cl
iicore qui sait si ce bruit a quelque fondement...
\',ilr-.- r«'«.i"'<-iii.iix fils,
CoMBAUD, cadet.
P. -S. — Au moment où je vais cacheter ma lettre.
222 AU SERVICE DE LA NATION
nous partons pour Ormea. Le bataillon est enfin
relevé, mais il ignore le lieu de sa destination ; vous
pouvez toujours m'écrire par Ormea*.
1. Ormea, sur le Tanaro.
A L'ARMÉE D'ITALIE
(1796-1797)
Au citoyen Clément de Ris, Beauvais-sur-Cher
{Indre-et-Loire), par Tours.
Rivoli, le 15 frimaire, V» année républicaine
[5 décembre 1796].
Citoyen,
Je viens de recevoir la lettre que vous m'avez fait
l'amitié de m'écrire. Le 15 dernier [5 novembre], vous
me dites de vous adresser directement mes lettres.
Il a toujours été pour moi un vrai plaisir de corres-
pondre avec les vrais amis de la République. Comme
je crois que vous en êtes un, c'est pourquoi je vous
réponds avec beaucoup de plaisir, et j'espère qu'une
paix prochaine me rapprochera bientôt de vous et que
l'aurai l'honneur de faire votre connaissance.
Comme les lettres sont si longtemps à me parvenir,
soit à cause de l'éloignement ou de la circonstance
du temps, soit à cause des montagnes qui ne sont pas
praticables, dorénavant je n'attendrai pas vos ré-
ponses pour vous écrire ; si tôt qu'il y aura quelque
chose de nouveau à l'armée, je vous écrirai de suite.
224 AU SERVICE DE L\ NATION
Vous avez connaissance de la dernière affaire, les
journaux vous en auront instruit, mais comme vous
êtes si bien d'accord avec la géographie je m'en vais
vous en faire un petit détail. L'Empereur a fait un
dernier effort pour Mantoue ; il avait ramassé vingt-
cinq mille hommes, qu'il envoyait pour faire lever le
blocus. Ils ont attaqué nos premiers postes en avant
de Trente. Aussitôt, Bonaparte donna ordre d'évacuer
Trente' et fit rassembler son armée sur le bord de
l'Adige, depuis Rivoli jusqu'à Vérone, et deux divi-
sions qui étaient dans Peschicra.
Les Autrichiens, qui ne trouvaient plus rien devant
eux, poussèrent plus avant et entrèrent dans Trente, et
le lendemain se disposèrent à marcher sur Mantoue.
Ils attaquèrent nos avant-postes, qui étaient alors à la
Corona, où ils ont pris quatre cents hommes pour com-
mencer. Les autres postes de la gorge de Rivoli et de
Gaprino ont évacué. L'ennemi est sorti de la gorge,
marchant sur Gastelnuovo, qui est le chemin le plus
court pour arriver à la porte de Saint- Antoine de Man-
toue. Là, ils ont trouvé l'armée, qui les a empêchés de
passer. Pendant ce temps, les deux divisions de Pes-
chiera et les deux de Vérone ont reçu l'ordre de monter
sur la montagne en appuyant l'une à droite, l'autre à
gauche, et ont fait leur jonction dans la gorge qui
vient de Trente à Rivoli. Dès qu'ils se furent empa-
1. Bonaparte n'avaitpointdonneordre d'évacuer Trente,
Vaubois y fut contraint par Davidovich.
A L ARMÉE D ITALIE 225
rés des points les plus importants, le signal fut
donné, on battit la charge, toute l'armée fond sur
l'ennemi, nous le forçons à la retraite. Alors nos
quatre divisions les attendaient à l'entrée de la gorge
de Rivoli'. Ils se voient entourés! 10.000 hommes
mettent bas les armes, le reste se sauve à travers les
montagnes. La moitié est obligée de revenir ne pou-
vant passer; à cause de la neige, ils seraient morts de
faim. Cette affaire coûte à peu près une douzaine de
mille hommes à l'Empereur. Je ne me rappelle pas
combien on leur a pris de canons et de drapeaux.
Les journaux vous l'auront dit sûrement. Pendant
l'action, la garnison de Mantoue a fait une vigou-
reuse sortie par la porte Saint- Antoine, croyant faire
diversion à notre armée, mais elle n'a pas mieux
réussi que les 25.000 hommes. La sortie nous a
coûté à peu près 300 hommes et au moins autant à
l'ennemi, qui a été obligé de rentrer en ville plus vite
qu'il n'en était sorti. La ville est toujours bloquée de
toutes parts. Jusqu'à ce jour on n'a tiré que quelques
1. Ces détails sur des combats autour de Rivoli aux-
quels Drouault ne prit point pari sont vagues et inexacts.
Après la victoire d'Arcole, les divisions Vaubois et Mas-
séna avaient été envoyées à Castelnovo et Augereau à Ala
pour arrêter le mouvement offensif de Davidovich. Le
21 novembre, l'avant-garde de Masséna entoura prés de
Campara un corps d'arrière-garde ennemie, lui fi^ de
1.200 à 1500 prisonniers sans qu'il y ail eu de bataille
décisive. La sortie de la garnison de Mantoue, à laquelle
il est fait allusion au cours de la lettre, eut lieu le 23 no-
vembre.
PICARO. 18
22& AU èERVICÈ bÊ LA NATION
bbuè sur la ville, ttldls les travaux de batleHe se
JioUrsliivehl bt on va bifetitôt la bdmbarder à\ elle
h'bst pas rolidiié Sbuë peu de tblbjjs.
Notre dcrili-brigkdc n'est Jjllià ali blocus; nous en
Sommes partis avant l'A debniêi'e affaire pour aller
renforcer 1 arrtiëe ; dëpiiiâ cette affaire, hoilâ t'ëètons à
l'armée, fill.^ avàilt-poâlës; GbtUrtië hoUs vëiionà
d'être rCorgahisés; nbtij» àVbtis chatige de numéro;
nous aVons afctuoUemetit le h° 33 ^ Vous rbetlrez
iiibn adresâe : au citoyen Dt-bilault, officier â la
33" demi-bHgddei ëU feaitip de Rivollj ërmée d'ilaliè;
à Rivoli.
Au sujet des déserllbris, traritiuiUisëîï-vouâ ! Il y
a bien eu qUel(JUcs lAches, eri bffetj mais le nombre
eh eût bien petit et étltjdt'e lie sont ëh France. L'ar-
mée eât ëri très bon état et tout iiri chacun se bat en
déterminé. Le bruit court c|uë rÈmpéréUt* a encore
envoyé des trbUpes de Ce bôte-ëi et que nous devonâ
eirc attaqués bientôt; maiè, cbrhrtië j'ai eu l'hohneur
de vbUs [le] dirë^ s'il y a quelque chose de nouveau^
je vous écrirai.
Gitoj'^en, je suis en attendant votre réponse, avec
respect. Salut et arriitiés,
Drouault ^
1. Le i"' et le 3° bataillons de la 33° demi-brigade avaient
quitté le blocus le 12 novembre 1796 : le 2o novembre, ils
étaient à Rivoli.
2. Étiènrie Dhouàiilt, né à Goursay (Indrb-et-Loiré) lé
12 septembre 1771. Volontaire au 2« bataillon d'Indre-et-
\ 1/ ARMER d'itALIE 227
,\r vniis j.i ir u. (liro inilU' eho.sos honnOles à l'ami
Vaillant et à sa liTnriu*. Jo le prie lU' dire à ma mi'vc
que je l'ombrasse ainsi que toute ma famille, que je
suis en bonne santé. Que l'ami Gaulron embrasse sa
femme ; il dira h ma mère que je n'ai pas encore de
lettre d'elle et (|u'ell(' me dise si elle a reçu celle que
je lui ai écrite.
Le citoyen Clément de Ris faisant réponse à cette
k'ttî*e aura la lx)nlé d'y renfermer l'adresse de mon
fils, que le citoyen Drouaull vous a demandée dans sa
lettrée précédente, antécédente à celle du citoyen
Louis Balléchon, grenadier au 3" bataillon de la
5" demi-brigade, au bivouac devant Mantoue, armée
d'Ilidie. 11 obligera infiniment son concitoyen,
Balléchon.
Au citoyen Clément de Ris,
Beauvais-sur-Cher {Indre-et-Loire), par Tours.
Au bivouac devant Trente, le la pluviôse
V» aiHii'o ri'|)ut)liraine \'i février 1797].
Remis à Beauvais-sur-Cher le 8 ventôse [i6 février].
K^crt^e double, victoire à voua annoncer, cher
\près quelques jours de rë|Jos, après les
l.uiie(J792),8crgentlel0aoùt.8ou8-licuienanlle5mail7'J4.
Il fut blessé à Lavis (20 mars 1797) et reçut un sabre
d'honncurn Vérorlc(2l>nirtrs 1798). Lieutenant en a vrill79y.
il passa d;ina la gendarmerie d elile le 3 octofire 1801.
Dans la suilo, il devint capitaine adjudant-major nu
69" diiifantorie, prit part aux campagnrs de 1«U8 1811,
1813. -1 t«l:..(; t' r en IH» 5. Retraité en 1816,
il se rcliru u cil lO-cULoire).
228 AU SERVICE DE LA NATION
grands combats des 24, 25 et 26', toute l'armée se
met en mouvement et marche sur Trente. Les Autri-
chiens avaient, depuis la gorge de Rivoli, au moins
dix positions pour nous arrêter avant notre arrivée à
Trente ^ Heureusement, rien ne nous arrête; nous
avons enlevé tous les ouvrages de l'ennemi à la baïon-
nette -et nous les avons battus sur tous les points. Je
n'en saurais même pas faire le détail de cette affaire
car elle est trop étendue, même pour vous dire le
nombre des prisonniers que nous avons faits.
Notre demi-brigade était de la colonne qui a passé
le long de la rive droite de l'Adige. Je crois que de
notre côté nous avons bien fait deux mille et quelques
cents prisonniers, sans compter tués et blessés. Ainsi
vous voyez la division du général Joubert était dirigée
sur trois points : la 1"® colonne le long de la rive gauche
de l'Adige, la 2" le long de la rive droite, la 3* a passé
par Montagna, a tourné le Monte Baido, le long du
lac de Garda, a repassé les montagnes pour forcer les
Autrichiens à abandonner plusieurs positions. Us ont
fait ainsi un grand nombre de prisonniers ainsi que
les autres colonnes.
Masséna, général de division, et Augereau sont
1. Pendant ces journées (13, 14, 15 janvier), Bonaparte
avait livré la série des combats qui constituèrent la glo-
rieuse victoire de Rivoli.
2. Joubert entra dans Trente le 30 janvier 1797, et la
33» demi-brigade, sous les ordres du général Mayer, faisait
partie de sa division.
A l'armée d'italie 229
passés du côté de Vicence el ont fait beaucoup de pri-
sonniers *. Nous avons eu un succès heureux sur toute
la ligne. Le môme jour, c'était le 8 [27 janvier], nous
les avons attaqués, ils ont été mis en déroute, nous
les avons poursuivis jusqu'à Trente et même deux
lieues plus loin sans les lâcher.
Toute l'armée avait des vivres pour quatre jours.
Vous devez voir que nous étions bien fatigués, ayant
le pain et les munitions de guerre sur le dos. Nous
les avons culbutés et pris les mômes positions que
l'autre lois.
Les Autrichiens complètement battus, le lendemain
de notre arrivée à Trente nous arriva la nouvelle
heureuse de la prise de Mantoue '. Je n'ai pas de plus
heureuse nouvelle à vous donner : Mantoue rendue,
l'armée autrichienne complètement battue, je crois
que le grand effort de l'armée française pourra donner
la paix à l'Europe. Vive la République !
Sur ma dernière lettre, je vous avais désigné les
montagnes Saint-Ambroise comme faisant partie des
affaires des 24, 2"» el 26 ; je me suis trompé ; ce sont
les montagnes Saint-Marc. Pour les prisonniers, je
vous ai dit 12 à 13.000; la division seule a fait ce
chiffre ; c'est 25.000 sur toute la hgne (y compris
1. Masséna et Augercau s'étaient diriges l'un sur
Vicence, l'autre sur Hadoue pour gagner ensuite Citla-
della (DumoUn. op. cit., t. 1, p. 505).
2. Le 2 février, hors d'état de résister plus longtemps.
Wurmser avait capitulé dans Mantoue.
230 AU SERVICE DE l-A NATION
Mauloue). Vous voyez (jue ce bont des victoires com-
plètes.
Cher citoyen, vous direz à ma famille que je suis
en bonne santé et que je n'ai aucune blessure.
Salut et rospccl,
Drouault,
offiqipr,
Au citoyen Clément de Ris,
Beauvais-sur-Chei' (Jndre-et-Loire).
Lavis, en avant de Trente «, 3 ventpse V" année de
la République française [21 février 1797).
Citoyen,
D'après les rapports des généraux, je n^'empresse
de vous apprendre l'arrivée du prince Charles à l'ar-
mée d'Italie-. Il est arrivé à Trieste,il ya deux jours,
avec 11.000 hommes de renfort.
Il se propose d'attaquer l'armée française sous peu
de jours. C'est ce qui me donne occasion de vous
écrire, car je vois que nous avons de nouveaux lauriers
1 Lavis est un bourg du Tyrol, district de Trente
(Autriche).
2. L'archiduc — et non le 'princc — Charles était arrivé
le 7 février à Innsbruck pour prendre le commandement
de l'armée d'Italie. Il repartit ensuite pour Vienne et ne
revint dans le Frioul que peu de temps avant l'ouverture
des hostilités. Ace moment, l'armée autrichienne ne pou-
vait compter plus de 20.000 hommes (CUfUsewitz, ],ii- cam-
pagne de 1796 en Italie, traduction Colin, p. 298).
A L.4RMjig U ITAUIS 231
à cueillir et qu'une fois le bal coinmencé il durera
plus d'un jour. Je sprai peut-êlre longtemps §aiivS
jxmvoir vous ^*crire; il poprrîiit bie|i se faire que des
pcniort$ du prince Charles nous envoient à Vienne.
Manlouo rtMulue el les renforts qui noys arrivent nous
donnent au inoins le doublai dp forces que nous
ll-étions aux afli^res des 2i, 25 et 2^ et, dans tous les
cas, une belle retraite, ^u lipu qu'ayant nous n'en
avions aucune.
Les généraux de division» hipr et aiypurd'hui, ont
passé la revue dp Jeiir division. J'^i vu avec plaisir
que chaque soldat désire faire mi dernier effort cl
brûle de fondre sur l'armée du prince Charles, çommp
ils ont fait sur celle d'Alvinzi *, et je crqis qu'il faut
encore un coup de l'armée d'Italie pour forcer le cruel
Empereur à la paix. Je vous assure que je suis bien
las de la guerre ; d'ailleurs, tous les amis de l'huma-
nit ' ; ' nt la paix, mais jl est certain que si nous
rpi ^ PUCPre m^e fo'^ ^\ir JP:? dp}>.ni> dp Tarn^pc
outriclueuDp, je pcpi;^ qpc ce sepi^ )a derrière : nous
fiinièqerpns le rpstc en France, cap ^^ sont si las de
se battre qu'au premipr coup dp fusij 4s fnpttpot b^s
l«'S armes.
Il y a tfois jo^fs, ull^pt è{ {i^ dqco^vu4<î» "P"^
poussAmes la découverte un peu plus loin qu'à l'ordi-
naire ; je rencontrai une grand'garde de 80 hommes
lirai ;itili \iviiic/,j av. ni vi.>- («miujIi.Ii;-
I par Hun , Aréole el à Itivoii.
232 AU SERVICE DE LA NATION
autrichiens, que je ramenai avec moi ; après une
vingtaine de coups de fusil, ils ont mis bas les armes :
je n'avais que 30 grenadiers.
L'expédition contre le pape va on ne peut mieux ;
la division du général Victor, qui est en marche sur
Rome, n'en était plus qu'à 30 lieues le 29 pluviôse et
avait déjà fait beaucoup de prisonniers, pris beaucoup
de canons en bronze, un million de numéraire d'un
trésor qu'ils n'ont pas eu le cœur de sauver. Les jour-
naux vous apprendront ce brillant succès*.
Rien autre chose à vous marquer pour le présent
que nous attendons un mouvement général au premier
moment.
Salut et respects,
Drouault,
officier,
Voici la 4* lettre que je vous envoie, je n'ai pas
encore eu de vos nouvelles ; je vous prie de me faire
réponse et de me dire si vous avez reçu mes lettres.
Je n'ai pu savoir de nouvelles de France que par vous.
Si vous savez quelque chose d'intéressant, je vous
prie de m'en faire part.
Vous aurez la complaisance de dire à ma mère que
1. Le général Victor avait défait les troupes papales
le 4 et pris Ancône le 9 février. Pie VI allait signer la
paix avec Bonaparte le 19 février (1'*'' ventôse). Le 29 plu-
viôse (17 février), le succès de cette expédition était donc
déjà certain.
A i/aRMÉE D ITALIE 233
je suis en bonne santé, et je Tembrasse ainsi que
toute ma famille et tous les amis du pays.
Drouault, officier de grenadiers, 33» demi-brigade
d'infanterie de bataille. Division du général Joubert.
Armée d'Italie. Lavis, près Trente.
Au citoyen Clément de Ris,
Beauvais-sur-Cher (Indre-et-Loire), par Tours.
Bolzano' par Trente, 10 germinal an V [30 mars 1797].
Citoyen,
Il m'a été impossible de vous donner de mes nou-
velles plus tôt. Nous avons attaqué l'armée ennemie
le 30 dernier [20 mars] au point du jour^. Il occupait
les hauteurs de Zova Lanave, San-Michele et, de
l'autre côté de l'Adige, celle de Zambana'. Les 3 divi-
sions aux ordres du général Joubert ont attaqué au
même instant. Notre demi-brigade tenait la droite;
nous avons monté à droite de Lavis avec trois compa-
gnies de grenadiers. Après que nous avons eu enlevé
1. Bozen, chef-lieu de district du Tyrol autrichien.
2. Pour se conformer aux ordres de Bonaparte, qui lui
avait enjoint de repousser les Autrichiens au delà du
Brenner, Joubert avait livré le 20 mars un vigoureux et
victorieux combat à l'issue duquel il occupa Neumarkt,
puis Bozen (Dumolin, op. cit., t. I, p. 519).
3. I*our l'emplacement de ces positions, cf. la carte de
l'état-major autrichien, feuille de Trente (Trient), zone 21,
col. 4. Nou.s ne pouvons établir l'emplacement exact des
hauteurs de « Zova Lanave ». Celles de « Jelonzano »
peuvent sans doute être identifiées avec les sommets de
Segonzarw (1 .540 m.).
:i34 AU SERVIpp DE LA NATION
les deu^ prejnjères lignps do l'ennemi ol mis c^
déroute au n\q\n^ 2,000 Autrichiens, npus arrivons
a^x jiai^teurs de ^elonzaup, rnontagnp inaccessible.
Vous verrez par la carte que ces montagnes forment
une espèce de couronne où les Autrichiens étaient
retranchés. Nqu§ è\}(]^^ \ij\ ppi4 trpp en avant de la
colonne ; l'ennenii nqys laisse approcher h cent pas de
sa ligne ; alors un feu roulant de quatre régiments
ennemis, qui étaient dans la redoute, se fait sur nous,
qui n'étions que trois compagnies : la colonne était
bien à un quart de lieue derrière. ïl nous a fallu subir
ce feu jusqu'^ l'arrivée de la colonne. La première
décharge tua cinq h si^ hommes et en blessa davan-
tage. Moi, il me passa quatre balles dans mon liabit
sans que jp sois ble^sié. Les deux awtrps compagnies
perdirent- (davantage au premier coup ^e feu. La
charge bat : les trois compagnies courent pour enlever
la redoute à la ba'''pi^nel,te. L'ennemi lait une seconde
décharge ; je reçois nnp balle dans le côté gauche, je
tombe par terre. Les grenadiers me voient tomber;
malgré la grôle de projectiles, d^u^ sortent du fang
et m'emportent. J'étais spul officier : la compagnie se
trouve alors commandée par le sergent-major. Ils ont
enlevé l^ redoute ef, fait un grand nombre de prison-
niers. On m'emporte à Lavis, on m'a mis un premier
.appareil, \l est étonnant que j'existe encore, car, de
l'endroit où je fus blessé à Lavis, il y a deux lieues.
Le sang sortait de ma plaie à ne pouvoir l'empêcher ;
je ne peux pas vous dire le sang que j'ai percju flan3
A l'aBMÉE d'iTALIE 23li
«es deux Ucues. Enfin, le premier appareil est posé.
Le chef de brigade' m'envoie son domestique, qui ne
m'a pas quitté un instant.
Je suis resté dans une maison bourgeoise jusqu'au
>i de ce mois, jour où le général Meunier ' a eu la com-
plaisance de m'envoyer sa voiture avec une lettre on ne
peut pas plus honnête, qui ni'engage à mp rapprocher
de lui si je pou.\ supporter la voiture. J'arrive à Bol-
zanooù j'ai vu avec plaisir ce brave général ainsi que
notre chpf de brigade, qui emploient tous leurs soins
iiprès mpi- Ma blessure va on ne peut mieux'; ce qui
nje console, c'est que je ne serai aucunement estropié,
et j'espère que dans un mois je serai à même de
rejoindre ma compagnie. Je vous assure, phpr citoyen,
(|ueje me trouve bien heureux d'être blpssé aussi!
légèrement quand cinq à si,\ balles ont traversé et
rmporté mon habit de tous côtés. Vous voudrez
bien faire savpir à rr^ mèfe que j'ai été blessé légè-
rement au côté gauche, et que ma blessure n'est pas
langereuae. L'ami Gaulron m'a écrit. l\ est guéri et
va rejoindre dans (juclqucs jours ; il vpus prie de le
faire savoir ^ sa femme.
Je ne veux pas vous faire un détail de tous les
accès que nous avons rcn^portés. Toi^t ce que je
I .1' dcnii-brifiadc était commandée pendant ïix
d'Itali»^ par le chef de bri^'ado Almain, ancien
winiiiaitdant di' la lU" dcmi-bri^ado de bataille.
2. I^e général Uonnier avait le coininandrinenl .supé-
rieur de la 33" demi-brigade.
236 AU SERVICE DE LA NATION
veux VOUS dire, nous avons bien fait 6.000 prison-
niers le long de TAdigc. Je ne sais ce que Bonaparte
a fait du côté de Trieste ; il en a fait au moins autant *.
Le général Joubert a établi son quartier général à
Brixen * ; l'armée a pris position à cinq lieues en
avant; il paraît se fixer là pour quelques jours, il
aurait pu pousser jusqu'à Innsbruck, mais la position
que nous occupons est très avantageuse. Je crois que
c'est pour reposer ses troupes quelques jours avant
d'entrer en Bavière. Les paysans du Tyrol sont
armés ; ils sont comme des sauvages sur les mon-
tagnes. Dès qu'ils voient les Français ils jettent leurs
armes. Cela ne peut avoir aucune suite. Rien autre
chose pour le moment. Salut et respect, ainsi qu'à
votre famille.
Drouault,
officier,
33* demi-brigade d'infanterie de bataille.
Division Joubert. Armée d'Italie.
Hier 9 [29 mars 1797], le général autrichien Laudon
est venu par la gorge de Meran avec 2.000 hommes
d'infanterie, 200 cavaliers et deux pièces de canon pour
1. Tandis que Joubert prenait l'offensive dans le Tyrol,
Bonaparte triomphait dans le Frioul de l'archiduc Charles,
qui battait en retraite devant lui. La route de Vienne
était désormais ouverte aux armées françaises ; grâce à
ses succès, Joubert pouvait efficacement protéger la
gauche de Bonaparte.
2. Joubert était entré à Brixen (Tyrol autrichien) le
24 mars.
A l'armée d'iTALIE 237
faire diversion à noire armée *. Comme il allait faire son
attaque sur les portes de la ville, arrivent deux demi-
brigades venant de Brixen, qui ont chaîné M. Laudon,
ses 2.000 hommes, et lui ont fait 300 prisonniers.
Il avait espi'Té que les paysans se battraient ; ils n'ont
pas voulu, disant qu'ils n'ont pas pris les armes contre
les Français, qu'ils ne les ont pris que contre ceux qui
violent les filles.
Au citoyen Clément de Ris,
à Beauvais-sur-Cher {Indre-et-Loire).
Villach* (Carinthie). le 30 germinal an V* [19 avril 17»7].
Il est enfin arrivé mon cher concitoyen, le jour si
désiré de tous les humains. Au moment où j'écris
votre lettre, nous apprenons que la paix est faite avec
l'Empereur '. Enfin, je suis si joyeux de cette heureuse
nouvelle que, dès que je l'ai apprise, je vous l'écris
de suite. Sans en connaître les articles du traité, je
désire que ce fût moi qui vous apprenne cette nou-
velle si importante.
i. Battu le 22 février par Belliard et Dumas, le général
LaudoM 8 était retiré auprès de Meran, chef-lieu de dis-
trict du Tyrol autrichien.
2. Villach, chef-lieu de district de la Carinthie.
3. Effrayée par les progrès rapides de Bonaparte sur
la riMilr (le Vienne. l'Autriche avait conclu le 7 avril un
nimii . .. de cinq jours. Le 13 avril, la suspension des
fut prolongée par un délai de cinq jours et,
j)réliminaires delà paix étaient signés à Leoben.
â38 AU SERVICE DE LA NATION
1
Nous avons j comme tous me le dites ftjK bien, Vaincu
la 6' armée de l'Empereur et, s'il avait voulu nous
arrêter, il lui en aurait bien fallu une 7" et 8°. Je vous
avais écrit ma dernière lettre de Bolzano. Suivant
toute apparence, les trois divisions de Joubert, doiit
deux avaient déjà passé Brixenj devaient rejoindre en
Bavière l'armée de Bonaparte, ce qui a fait perdre la
tête aux généraux autrichiens.
Le général Laudon, comme je vous l'avais dit,
tenait son quartier général à Meran ; il avait reçu
2.000 hommes de renfort le 12. Le 14 ("3 avril], il
attaqua la division Delmas, restée à Bolzano pour
défendre cette gorge. L'affaire dura toute la journée.
M. LaudOn n'eut aucun succès ; on lui fit encore bent
prisonniers. Les Français sont restés dans leurs posi-
tions. 4.000 hommes de troupes de ligne et au moins
10.000 paysans n'ont pas pu ébranler trois demi-
brigades françaises. Le 15, à deux heures du matin,
Bolzano fut évacué parles Français, qui, au lieu de se
retirer sur Trente comme les Autrichiens le pensaient,
marchèrent sur Brixen, ouvrant aux Autrichiens la
route d'Italie et laissant Laudon dans un cruel embarras.
Il n'osait ni marcher sur Trente ni nous suivre. Il
craignait en marchant sur Trente que nous fissions
contre-marche ; en nous suivant, être suivi par une
division, qui, venue de Vérone, marcherait après lui ;
enfin, notre mouvement a surpris tout le monde. Au
liëti de mahcher sur Innsbruck, hotiâ avons fait par file
à droite en sortant de Brixen, dans une gorge assez
A I/aRMÉK b'iTAl.IE 239
Ho,«'l nous sommes venus, Ibfiti'Oisdiviiîlons de Jou-
ht'il, ^ejoindIv l'orriôre-gank» de Bonaparte en Carin-
Ihle, pnivince d'Allemagne '. Nuiks devions faife notre
jonction avec la grande armée; mais, en arrivant à \'il-
lach, où nous sommes; un courrier arrive, apporte la
nouvelle que l'avanl-gat-de de l'armée n'était qu'à dix
lit'ucs de Vienne et qiie l'Empereur avait arrMé la
iiiaiche de nos années en demandant un armistice de
ix joiih»i en attendant que l'on trailAt de la paix. Le
général JbulK?rt reçut l'ordre d'arrôler la marche et
de rester où il se trouve ; il y avait six jours que seè
trois divisions marchaient û grandes journées ; tout le
inonde tombait de fatigue ; c'était le 20 du mois : on
Iait eu le temps de traiter dans leâ six jours. On a
olongé l'armislicede cinq autres jours, et aujourd'hui,
dernier jour, arrive un courrier de l'armée aimon-
nl (|ue la paix a dû se traiter. .\ous ne devons plus
Il douter. Ge courrier porte le traité au général Mas-
séna pour qu'il le porte lui-même au gouvernement
liimeais pour le ratifier. Ainsi, mon cher citoyen, nous
IUI1J..V il, «m- ri I:i jin (!.■ ii.k i»i:iiiy .1. ix},l;''< (IcS aiTairCS
r
1. Lesn H>nts tournis par le lieutenant Drouault
■ir les op - militaires de l'armée de Joubert ne
ni pas ftilii •^ement exacl.s. Laudon n'a pas été vaincu,
. «lonl Drouaull
i. .1 j»ji ^.)i. I.L il . , ,i\.iu iiiiH Joùbcrl dans
.on fort délicate. Ce fut bn pnssntit au milieu
î ' ' ' .:agiier Villacli.
tic Bonaparte
iUuujulin, op. cit., l. 1, iJ. oiîj.
240 AU SERVICE DE LA NATION
aussi sérieuses que celles que nous avons eues, celui
qui en est quitte pour une petite blessure doit se
trouver bien heureux. Ma blessure va on ne peut
mieux; encore une quinzaine [et] je serai parfaitement
guéri ; j'ai cependant bien souffert dans les six jours
de marche que nous venons de faire, malgré tous les
soins que le brave général Meunier ainsi que notre
chef de brigade ont pris de moi, en me laissant en
route le choix d'une voiture ou d'un cheval. Enfin le
brave général, comme c'était lui qui m'avait lait venir
à Bolzano, ne s' attendant pas que l'on quitterait cette
ville, souffrait je crois plus que moi de me voir faire
route dans l'état où j'étais. Si j'étais resté à Bolzano
au pouvoir des Autrichiens j'aurais été toujours sus-
ceptible d'éprouver des souffrances ; je préférais avoir
suivi que d'être resté au pouvoir des ennemis, quoi
que l'on dise que j'aie commis une imprudence.
Je suis charmé que vous ayez bien voulu prendre
la peine de rendre visite à ma mère ; j'en suis très
satisfait, et il me tarde beaucoup d'être rendu au pays
pour pouvoir vous en témoigner mes reconnaissances
et en même temps vous prouver l'agrément que j'aurai
d'être connu d'un homme aussi respectable que vous,
ainsi que de la citoyenne votre épouse et de votre
aimable famille, à qui je vous prie de dire mille choses
■respectueuses et honnêtes pour moi.
Je suis, en attendant le plaisir de vous voir, avec
des sentiments d'estime et d'attachement inviolable,
votre très affectionné serviteur, Drouault.
A l'armke d'italir 241
Je suis bien tâché de ne pouvoir vous donner des
nouvelles du brave général Mayer; je sais bien qu'il
lut blessé le 25 nivôse à Rivoli. Comme nous sommes
à présent éloignés d'Italie, il m'est impossible de vous
en donner aucune nouvelle*.
J'écris à ma mère en môme temps qu'à vous ; je la
charge de dire ù la femme de l'ami Gautron qu'il est
parfaitement guéri; il est même en route à présent
pour rejoindre sa demi-brigade. J'ai été bien peiné
de l'avoir oublié sur la dernière lettre que vous avez
reçue de moi.
An citoyen Clément de Ris,
beauvai$'Sur-Cher (Indre-et-Loire).
Vicence, le 22 messidor an Y» de la République française
[10 juillet 1797].
Citoyen,
rje suis dans la plus» grande inquiétude : je n'ai pas
}u de vos nouvelles depuis avant notre départ de
Trente, où j'ai reçu celle que vous m'avez écrite le
2 germinal. Je n'en ai pas reçu d'autres depuis; je
V ous fis répousc de suite, et lorsque je fus blessé je
\ ous écrivis de Bolzano. Ma dernière est de Villach, en
Carinthio ; je n'ai eu ré'iwnse ni de l'une ni de l'autre.
II. Le KÔiiéral de brigade Marrer fut fait prisonnier par
le ' ■ liiens et emmené en capliviU'- en n Après
(-. '>n, il fut mêlé aux cx{>éditions , puis
de SatuL-Uoaiingue, gu il mourut.
l-tCARI). 1(
242 AU SERVICE DE LA NATION
On vient de nous annoncer qu'il y a eu deux ou
trois courriers d'arrêtés, dont les paquets ont été
perdus ; il peut se faire que les réponses que vous
m'avez faites se soient trouvées dans ces mêmes cour-
riers, car je suis loin de croire que vous négligeriez
de me répondre.
Ce qui m'étonne le plus, c'est que ma mère me fait
dire, par la lettre du caporal Bulot, qu'elle ne reçoit
point de mes nouvelles et qu'elle est bien en peine de
moi. Gela me prouve assez que vous n'avez pas reçu
mes lettres, car vous m'avez toujours fait le plaisir de
lui faire part de celles que je vous écris. Si cela deve-
nait gênant pour vous, je vous prie de me le dire ; je
vous assure que, depuis cinq ans, voilà le premier
reproche que je reçois de ma mère ; je veux tâcher de
n'en pas mériter d'autres.
Mille choses aimables à la citoyenne votre épouse,
ainsi qu'à votre famille.
Citoyen, je suis, en attendant votre réponse, votre
affectionné serviteur,
Drouault.
Je vous serai obligé, si vous avez quelque occasion,
de faire dire à ma mère que je suis en bonne santé et
parfaitement rétabli du coup de feu que j'ai reçu. Je
l'embrasse ainsi que toute ma famille ; elle me fait dire
que mon frère est malade, elle me dit point le nom. Je
serais bien aise de savoir quelle maladie et qu'il me
donne de ses nouvelles le plus souvent possible.
A l'armée D ITALIE 243
L'ami Gautron est en bonne santé à présent ; derniè-
rement, sa plaie s'était rouverte, mais actuellement le
voilà guéri ; il dit bien des choses à sa femme et à
toute sa famille.
Au citoyen Clément de Ris, Beauvais-sur-Cher
(Indre-et-Loire), par Tours.
Yicence, le 30 thermidor de la 5* année de la République
[17 août 1797].
Je viens de recevoir votre lettre, mon cher citoyen,
qui m'a fait bien du plaisir de savoir que vous jouissez
d'une bonne santé, ainsi que toute votre famille et la
mienne. Tous mes camarades sont comme moi; per-
Hpne ne peut recevoir de lettres, nous ne savons
pas d'où cela vient ! j'espère qu'à présent elles nous
viendront plus facilement et que je ne serai plus si
longtemps sans recevoir de vos chères nouvelles.
Vous me demandez des nouvelles de l'armée ; elles
ne sont pas fort intéressantes. Depuis notre retour
d'Allemagne, nous occupons toute la Vénétie et
comme pays conquis'. Je ne vous ferai aucun détail
sur la manière dont nous nous en sommes emparés ;
les journaux vous en auront donné connaissance.
1. A la suite du massacre des Français à Vérone,
connu sous le nom de « Pâques Véronaises » (17 avril 1797),
el de la Révolution qui avait éclate à Venise, Bonaparte
avait ramené ses troupes sur le territoire vénitien. Les
états de la République avaient été partagés en 8 cercles
dans lesquels l'armée française se trouvait répartie
(Dumolin, op. cit., 1. 1, pp. 526-527).
2i4 AU SERVICE DE LA NATION
Voilà les positions de l'armée ; nous occupons Tré-
vise et nous bordons toute la rive droite de la Piave ;
toutes les routes d'Allemagne sont gardées par les
deux partis. A Rivoli, nous occupons nos positions
ordinaires à La Corona et Monte Baldo'. Les Autri-
chiens sont en face de nous sur tous les points ; ainsi
voilà notre position depuis quatre mois, sans être
certains de la paix. Les Autrichiens sont comme
nous ; ils ne peuvent pas plus pénétrer dans les vues
de leur Gouvernement que nous du nôtre. Les offi-
ciers viennent souvent nous voir et nous de môme ;
je crois que nous sommes mieux ensemble que si
nous n'avions jamais fait la guerre les uns contre les
autres. Us désirent comme nous et croient que la
paix sera bientôt conclue. Nous* venons de passer
quatre mois dans la plus grande tranquillité. Si nous
sommes encore dans cette cruelle alternative lorsque
vous recevrez ma lettre, je vous prie de me dire
votre manière de penser à ce sujet.
Je ne me rappelle pas du contenu de la dernière
que je vous ai écrite ; impatient de ne recevoir aucune
nouvelle, il y avait près de cinq mois que je n'en avais
pas reçu, je crains bien qu'un sentiment trop grand
ne m'ait pas laissé observer toute la délicatesse que
je dois à un homme aussi respectable que vous ; mais
si j'étais tombé dans une erreur comme celle-là, je
1. Sur ces positions, cf. le croquis de Rivoli, annexé à
l'ouvrage de Clausewitz, La campagne de 1796 eu Italie, tra-
duction J. Colin.
A l'armée d'itai.ie 24S
vous prie, mon cher ami, de vouloir bien me la par-
donner et de croire que les sentiments d'estime, d'atta-
chement et de respect ne s'effaceront jamais. ,
Drouault.
au
DO'
Je VOUS prie d'assurer la citoyenne voire épouse,
nsi que votre respectable famille, que je suis très
onnaissant de tant d'honnêteté et d'amitiés qu'il
(sic) me marque sur toutes vos lettres et de leur dire
que je désire leur témoigner les mêmes sentiments
près deux.
L'ami Gautron est en bonne sanlé ; il vous assure
le son respect, il vous prie d'en faire pari à sa famille,
vous prie de dire à ma famille que je suis en
nne sanlé et que je les embrasse tous.
Au citoyen Clément de Ris,
Beauvais-sur-Cher (Indre-et-Loire).
Vicence, le 27 fructidor an V
[13 septembre 1797).
Mon cher ami,
Jg vous écris au moment où tout annonce la
guerre. DéJ!\ les ordres sont donnés h toutes les divi-
sions Irançaises de se tenir prêtes à entrer en cam-
e, le 2 du mois prochain [23 septembre]. 11 est
vé aujourd'hui ici une division cisalpine qui vient
de Milan. Toutes les troupes cisalpines et polonaises
nouvellement formées en Italie ont reçu ordr-^ d«'
^pagn
J46 AU SERVICE DE LA NATION
'M
partir pour les avant-postes. Nous apprenons aussi
aujourd'hui que les 25.000 hommes que doit fournir
le roi de Sardaigne sont arrivés à Milan. Vous voyez
d'après cela que sous peu de jours nous aurons des
nouvelles définitives.
J'ai eu envie de vous écrire lorsque le général
Bonaparte passa ici pour se rendre à Udine*, mais
comme j'espérais que, sous peu de jours, nous aurions
quelque chose d'intéressant, c'est pourquoi j'ai différé.
Gomme je vois aujourd'hui que nous touchons à l'une
ou l'autre, c'est pourquoi je vous en préviens : toute
l'armée est cruellement fatiguée de l'alternative où
nous étions. Us désirent tous la paix, mais, disent-ils,
si l'Empereur ne se rend pas traitable, nous ne vou-
lons plus user de cartouches; par la vertu de nos
baïonnettes. Vienne nous ouvrira ses portes avant
deux mois ; plus de grâce pour lui ! La paix ou bas la
couronne !
C'est toujours maintenant que nous faisons de
grands préparatifs que tout le monde croit à la paix !
Pour moi, je désire toujours et crois encore à la paix.
Ainsi, mon cher citoyen, je me crois rendu à ma
famille sous peu de jours. Les serments que nous
1. « Bonaparte avait entamé le 31 août, à Udine, les
conférences pour le traité définitif (Dumolin, op. cit., t. I,
p. 527). Sur l'histoire des négociations du traité de Campo-
Formio, négociations souvent suspendues et brusque-
ment remplacées par des préparatifs militaires, cf. Ray-
mond Guyot, Le Directoire et la Paix de l'Europe, pp. 476-
548.
A L ARMÉE D ITALIE 247
fimes avant notre départ sont remplis ; j'espère que
le Gouvernement laissera libre celui qui a fait son
devoir et qu'il pourra se retirer du service, si nous
avons le bonheur de voir notre pays délivré de nos
ennemis.
Les 1*' et 2* bataillons d'Indre-et-Loire, faisant
partie aujourd'hui de la 33* demi-brigade, officiers et
soldats de ces deux bataillons ont fait une adresse à
l'administration de leur département, qui doit partir
demain. Us lui témoignent leur mécontentement de la
manière que les anciens administrateurs ont écrit au
Conseil des Cinq-Cents concernant les six pétitions
que l'armée lui adressa à l'intérieur. Cette adresse
lui arrivera aussitôt que ma lettre.
Je vous prie de dire à ma chère mère, ainsi qu'à la
femme de Gautron, que nous sommes en bonne santé;
s les [embrassons tous. Je n'ai pas reçu réponse
dernière lettre que je vous ai écrite. Je n'ai pas
besoin de vous donner d'autre adresse, vous con-
naissez mon nom, le numéro de ma demi-brigade,
division Joubert, armée d'Italie. Il n'est pas besoin
de mettre la place où nous sommes. Mon cher ami,
je vous prie d'assurer de mes très humbles respects
la citoyenne votre épouse, ainsi que votre aimable
famille.
Et vous, croyez que je serai toute ma vie avec les
sentiments du plus pur attachement, votre affectionné
serviteur,
Drooault.
248 AU SERTICE DE LA NATION
Au citoyen Clément de Ris, cuUivateu7',
à Beauvais-sur-Cher {Indre-et-Loire), par Tours.
Armée d'Italie. Vicence, le 21 brumaire, VI« année
de la République [H novembre 47i»7].
Voilà, mon cher citoyen, ce que je voulais vous dire
au sujet de l'ancienne république de Venise. Par le
traité, l'Empereur s'en empare. Les habitants de ce
pays sont indignés contre nous, et avec raison ; nous
y sommes rentrés comme amis ; depuis l'affaire de
Vérone, nous nous en sommes rendus maîtres, nous
avons détruit leur Gouvernement et regardé leur
pays comme conquis ; de plus, nous avons promis au
peuple de lui en donner un démocratique; ils ont
fait tous les sacrifices pour nous ; ils ont avancé des
sommes immenses pour l'armée française; d'un autre
côté, nous avons pris toute l'ai^enterie des églises.
Pour récompense, nous leur donnons un roi !
Depuis qu'ils ont appris cette nouvelle, ils nous
abhorrent, ils nous regardent comme des scélérats.
Les patriotes y sont en grand nombre, ceux qui sont
riches se disposent à suivre l'armée ; mais les mal-
heureux qui n'ont pas assez de fortune sont obligés
de baisser la tête et de recevoir le joug. On parle
beaucoup de notre départ ; je le désire de tout mon
cœur, car je n'ose plus paraître devant les honnêtes
gens à qui j'avais coutume de parler.
Gomme vous êtes un homme en qui j'ai pleine
confiance, je vais vous faire une confidence : je suis
A L ARMÉE d'ITALIE 249
totalement dégoûté du service ! Je ne sais pas, quand
je serai rentré en France, si l'injustice et l'arbitraire
s'exerceront comme on fait aujourd'hui sous le règne
de nos généraux ! En Italie, nous n'avons ni loi ni
gouvernement ! Ils sont souverains ! Si le faste qu'ils
étalent est plus brillant et plus insolent que celui
d'aucun souverain, nos officiers subalternes n'ont pas
reçu un liard depuis trois mois, nos soldats depuis
deux mois! Voyez quelle différence! L'avancement
n'est que pour les flallours ! celui qui ne connaît que
son devoir n'a pas lieu d'être content. Nous sommes
7 ou 8 officiers à la demi-brigade qui, depuis le com-
mencement de la guerre, n'avons jamais quitté le
corps un seul instant et dans toutes les affaires les plus
chaudes y avons commandé des compagnies ! Pendant
toute la terrible guerre que nous venons de faire en
Italie, j'ai eu l'honneur de commander une compagnie
de grenadiers ; j'étais seul au danger, aujourd'hui je
ne suis plus seul. Ceux qui faisaient les beaux-bras à
Milan et dans les autre villes d'Italie dormaient bien
tranquilles pendant que nous couchions sur la neige
dans les montagnes du Tyrol et que nous nous bat-
tions tous les jours ! Si tôt que la paix a été faite, ils
sont rentrés et il faut que nous obéissions à ces
hommes î Ils ont payt' des chirurgiens cour qu'ils leur
donnent des rertilicats! Nous n'étions alors qu'un
officier au plus par compagnie, aujourd'hui nous
sommes quatre et cinq '
Je vous le répète, il fs» r)»^>n nur cii- se vuir com-
250 AU SERVICE DE LA NATION
mandé par des hommes qui n'ont jamais eu le cœur
d'exposer leur vie une seule fois, ni pour leur Patrie,
ni pour le grade qu'ils occupent !
Oh, état ingrat ! je désire de tout mon cœur notre
rentrée en France ! si j'ai le plus petit moyen de m'en
tirer, je l'aurai bientôt quitté ! mais malheureusement
je n'ai guère d'espoir; je suis né sans fortune et, si je
quitte mon état d'officier, je me trouverai sans emploi
et par conséquent sans ressources.
Mon cher ami, je me recommande à vous ; s'il était
en votre pouvoir de me faire avoir un emploi quel-
conque pourvu que je sois en cas de le remplir, vous
me rendriez un grand service.
Mes serments sont remplis ; je crois que mes conci-
toyens n'auront rien à me reprocher en quittant l'état
militaire.
Ainsi, mon cher républicain, je vous supplie de
faire ce que vous pourrez pour un jeune homme qui
va se trouver malheureux après avoir passé les plus
beaux jours de sa vie au service de sa Patrie.
Obligez-moi, je vous serai toute ma vie reconnais-
sant.
Votre affectionné serviteur,
Drouadlt.
Mille choses honnêtes à la citoyenne votre épouse,
ainsi qu'^ toute votre famille.
Dites à ma chère mère que je l'embrasse et que se
suis en bonne santé ainsi qu'à l'ami Gautron.
A L ARMÉE D ITALIE 251
Je VOUS engage à la plus grande discrétion.
Comme je suis près de fermer ma lettre on vient
ni'apporter l'ordre de dépari pour Venise même. Là
nous prendrons de nouveaux ordres; je crois que nous
allons changer de division. Vous pouvez tout de
même m'écrire à la même adresse.
1. Sur les rapports du Directoire et de Venise, cf. André
Bonnefons, La chute de la république de Venise (1789-1797),
pp. 145 sqq. Le traité de Campo-Formio signé le 17 octo-
bre 1797 livrait Venise aux Impériaux. H importe de
noter que les sentiments du lieutenant Drouault sur la
conduite de Bonaparte à l'égard de Venise étaient parta-
gés par Lallement et Villetard, représentants de la France
auprès de la sérénissime République. Ces diplomates
s'étaient appliqués, en eflet, à sauvegarder l'indépen-
dance vénitienne et à rendre sympathique la domination
française.
TABLE DES MATIÈRES
IxTROoucTiON, par le lieutenant-colonel Ernest Picard. i
Avant lk départ a la prontikrb (1792-1793) 1
Avx ARMiss DU Rhin (1792-1797) 9
Aux ARMÉES DU NoRD (1792-1799) 115
A l'armer DBS Alpks (1794) 197
A l'armks d'Italib (1796-1797) 223
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SYBEL (H. de). Histoire de l'Europe pendant la Révolution française. 6 vol.
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THENARD (L.) et GUYOT (H). Le ConvenUonnel Goujon (17W-1793). 1 vol.
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Pichegru et les Intrigues royalistes dans l'Est avant fructidor. 1 vol. «rrand
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