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Full text of "Au service de la Nation, lettres de Volontaires (1792-1798)"

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AU  SERVICE 


LA  NATION 


DU  MÊME  AUTEUR 


Bonaparte  et  Moreau.  L'Entente  initiale.  Les  Premiers  Dissen- 
timents. La  Rupture.  —  Paris,  Pion,  1905, 1  vol.  in-S».    7  fr.  50 
(Couronné  par  l'Académie  française,  prix  Furtado). 

1870.  La  Perte  de  lAlsace.  —  Paris,  Pion,  lUil,  1  vol.  in-16, 
avec  cartes 5  Ir. 

1870.  La  Guerre  en  Lorraine.  —  Paris,  Pion,  1911,  2  vol.  ia-16, 
avec  cartes 10  fr. 

1870.  Sedan.  —  Paris,  Pion,  1912,  2  vol.  in-16,  avec  cartes.    10  fr. 

La  Campagne  de  1800  en  Allemagne.  Tomel:  Le  passage  du 
Rhin.  —  Paris,  Chapelot,  1907,  1  vol.  in-8»,  avec  cartes  et 
croquis ; 12  fr. 

Hohenlinden.  —  Paris,  LavauzeUe,  s.  d.,  1  vol.  in-8»,  avec 
cartes 16  fr. 

Correspondance  inédite  de  Napoléon  I",  conservi^e  aux  archives 
de  laiiuerre  (en  collaboration  avec  L.  Tuetey).  —  Paris,  Lavau- 
zeUe. s.  d.  ïome  1  :  1804-1807,  12  fr.  ;  tome  11  :  1808-1809, 15  fr.  ; 
tome  111:  1809-1810,  18  fr.;  tome  IV:  1811,  18  fr. 

Préceptes  et  Jugements  de  Napoléon.  —  Paris,  Berger-Levrault, 
1913,  1  vol.  in-8» 10  fr. 

Les  Combats  de  Palestre  (30  et  31  mai  1859).  —  Paris,  Chapelot, 
1909,  une  broch.  in-S",  avec  cartes 1  fr. 

Mémoires  et  Journaux  du  général  Decaen  (en  collaboration 
avec  le  Lieutenant  V.  Paulier).  Tome  I:  1793-1799,  Tome  11: 
1800-1803.  —  Paris,  Pion,  1910  et  1911,  2  vol.  in-8»,  avec 
cartes.  Chaque 7  fr.  50 

L'Artillerie  française  au  XVIII*  siècle  (en  collaboration  avec  le 
Lieutenant  L.  Jouan).  —  Paris,  Chapelot,  1906,  1  vol. 
in-8» 3  fr. 


"^'AU  SERVICE 


DB 


LA  NATION 

LETTRES  DE  VOLONTAIRES 

(1792-1798) 
HECUEILLIBS  ET  PUBLIÉES 


Le  Colonel  Ernest  PICARD 


PARIS  1^1?,  i,1' 

LIBRAIRIE  FÉLIX  ALCAN    ^Ç  I 

108,    BOOLKTARD   SAINT-GKRMAIN,    108 

1914 

T»w  4r«IU  de  rttrtdMtioa,  U  (m^kUm  il  4'«<UpUllM 
rlMr><*  pMr  iam*  p«}*- 


INTRODUCTION 


Les  lettres  que  nous  publions  dans  ce  volume  sont 
l'œuvre  de  volontaires  qui  combattaient  aux  armées 
de  la  Révolution,  de  1792  à  1798.  Ecrites  rapidement 
sur  les  champs  de  batailles  ou  aux  camps,  dictées  sou- 
vent par  des  correspondants  illettrés  à  quelque  cama- 
rade plus  instruit,  elles  apportaient  à  des  familles 
inquiètes  les  nouvelles  des  jeunes  défenseurs  de  la 
République  et  elles  répandaient  aux  quatre  coins  de 
la  France  la  joyeuse  rumeur  de  nos  victoires.  Depuis 
plus  d'un  siècle,  ces  précieux  documents,  où  revit  le 
souffle  patriotique  de  la  Révolution,  étaient  ensevelis, 
ignorés,  au  milieu  des  liasses  d'archives  départemen- 
tales et  communales  ou  dans  des  collections  privées. 
Nous  avons  jugé  intéressant  de  les  arracher  à  leur 
poussière  et  de  les  présenter,  critiqués  et  commentés, 
au  public  éclairé. 

Dans  ces  dernières  années,  les  travaux  et  les  publi- 
cations de  documents  relatifs  aux  volontaires  natio- 
naux et  aux  soldats  de  la  Révolution  se  sont  multi- 
pliés. M.  Rousset'  a  inauguré  une  série  de  recherches, 
que  l'initiative  récente  du  ministère  de  la  Guerre  *  s'est 

1.  Camille  Roussel,  Les  Volontaires,  1791-1794.  Paris,  1870,  in-«'. 

i.  Circulaires  ministérielles  du  3  avril  1907  et  du  âO  avril  1909 
relatives  aux  historiques  des  bataillons  de  volontaires  nationaux 
et  au  recrutement  des  armées  de  la  Révolution. 


II  INTRODUCTION 

efforcée  de  rendre  scientifiques  et  méthodiques.  On 
trouvera  dans  l'excellent  petit  livre  de  M.  Caron*,  en 
même  temps  qu'une  bibliographie  exacte  et  abon- 
dante, une  intéressante  mise  au  point  des  résultats 
acquis  en  ces  matières.  Grâce  à  de  nombreuses  mono- 
graphies, nous  possédons  maintenant  des  renseigne- 
ments précis  sur  le  recrutement,  la  composition  des 
bataillons  de  volontaires  et  sur  l'application  des 
décrets  de  la  Législative  et  de  la  Convention  ;  pour 
maints  départements,  nous  savons  le  chiffre  exact  des 
jeunes  gens  qui  partirent  aux  armées,  nous  connais- 
sons jour  par  jour  la  marche  des  volontaires  vers  les 
frontières  et  la  part  qu'ils  prirent  aux  campagnes  de 
Belgique,  d'Alsace  ou  d'Italie.  En  dépit  de  tous  ces 
renseignements  importants,  on  peut  affirmer,  sans 
exagération,  que  nous  connaissons  encore  très  mal  les 
volontaires  eux-mêmes  et  que  bien  des  traits  de  leur 
physionomie  et  de  leur  psychologie  nous  échappent. 
Sans  doute,  quelques-uns  d'entre  eux  nous  sont  aussi 
familiers  que  les  chefs  les  plus  illustres  des  armées 
révolutionnaires,  car,  Joliclerc  ^,  Fricasse  ^,  Gabriel 
Noël  *,  ressuscites  avec  leurs  qualités  et  leurs  tra- 
vers, se  campent  gaiement  sous  nos  yeux,  au  milieu 
de  la  foule  anonyme  et  obscure  de  leurs  compagnons 
d'armes.  Or,  c'est  cette  foule  ignorée  d'humbles  défen- 
seurs de  la  Patrie  qu'il  convient  d'étudier  pour  en  sur- 
prendre les  aspirations  et  l'âme.  On  ne  comprend  point 

1.  Pierre  Caron,  La  défense  nationale  de  1792  à  1795.  Paris, 
1912,  in-16  (L'Histoire  par  les  Contemporains). 

2.  E.  Joliclerc,  Joliclerc  volontaire  aux  armées  de  la  Révolution, 
ses  lettres  (1793-1796).  Paris,  1905,  in-12. 

3.  Lorédan  Larchey,  Journal  de  marche  du  sergent  Fricasse 
(1792-1802).  Paris,  1882,  in-12. 

4.  G.  Noël,  Au  temps  des  volontaires,  1792.  Paris,  1912.  !n-16. 


INTRODUCTION  III 

suffisamment  les  campagnes  de  la  Révolution  en 
reconstituant  minutieusement  les  plans  des  généraux 
et  les  opérations  quotidiennes  des  armées  :  il  importe 
d'étudier  la  psychologie  collective  de  ces  masses 
d'hommes  qui  ont  combattu  à  Jemappes,  à  Fleurus,  à 
Mayence  ou  à  Rivoli.  C'est  pourquoi  dans  cette  publi- 
cation de  documents  nous  avons  rassemblé  des  lettres, 
qui  furent  écrites  pendant  les  mêmes  campagnes,  au 
même  bivouac,  par  d'humbles  volontaires  venus  des 
provinces  françaises  les  plus  variées,  pour  permettre 
aux  historiens  d  y  déchiffrer  les  sentiments  profonds 
des  vainqueurs  des  armées  de  Sambre-et-Meuse,  de 
Rhin-et-Moselle  et  d'Italie. 

En  préparant  ce  livre,  nous  avions  songé  tout 
d'abord  à  y  grouper  entre  elles  les  lettres  des  mêmes 
correspondants,  que  nous  aurions  suivis  tour  à  tour  sur 
les  divers  théâtres  d'opérations,  au  hasard  de  leur 
prose  et  de  leurs  exploits.  Sans  doute,  il  est  infiniment 
attrayant  de  retrouver  dans  une  publication  de  textes 
la  série  complète  des  impressions  d'un  seul  combat- 
tant des  armées  révolutionnaires  ou  impériales  :  en 
feuilletant  une  correspondance  unique,  le  lecteur  est 
introduit  à  chaque  page  plus  avant  dans  la  familiarité 
de  l'auteur;  après  avoir  clos  le  recueil  des  lettres  que 
Joliclerc  écrivait  à  sa  mère,  nous  connaissons  exacte- 
ment ce  volontaire  jurassien,  ses  vertus  et  ses  tra- 
vers. 11  nous  a  semblé  cependant  augmenter  la  valeur 
historique  et  l'intérêt  général  de  cette  publication  de 
documents  en  groupant  résolument  ces  lettres  variées 
par  théâtres  d'hostilités  et  par  années.  Au  cours  de  ce 
volume,  le  lecteur  rencontrera  presqu'à  chaque  page 
de  nouveaux  correspondants  et,  au  lieu  de  n'y  décou- 
vrir que  quelques  volontaires,  il  verra  défiler  sous  ses 
yeux  un  bataillon  épais  de  défenseurs  de  la  Repu- 


IV  INTRODUCTION 

blique.  Un  lecteur  bien  avisé  pourrait  suspecter,  à 
juste  titre,  les  renseignements  d'un  Fricasse  ou  d'un 
Gabriel  Noël,  juger  leurs  sentiments  trop  personnels  et 
trop  particuliers.  On  ne  saurait  adresser  la  même  cri- 
tique à  une  masse  de  lettres  écrites,  à  la  même  époque, 
par  des  soldats  qui  s'ignoraient  complètement.  Si  les 
assertions  et  les  impressions  qu'elles  renlerment  con- 
cordent, on  devra  reconnaître  leur  bonne  foi  et  les 
déclarer  dignes  de  créance,  car  elles  constitueront  un 
miroir  fidèle  des  sentiments  qui  régnaient  aux  armées. 
C'est  le  souci  de  la  vérité  historique  qui  nous  a  donc 
invité  à  grouper  ainsi  ces  documents  vivants  et  élo- 
quents, dont  on  nous  permettra  d'analyser  à  grands 
traits  le  rare  intérêt. 


Ecrites  par  des  soldats  et  consacrées  à  des  récits  de 
batailles  ou  de  campagnes,  ces  lettres  devraient  cons- 
tituer de  remarquables  matériaux  d'histoire  militaire, 
mais,  par  une  suite  de  motifs  fort  compréhensibles, 
elles  ne  tiendront  pas,  de  ce  point  de  vue,  leurs  pro- 
messes. On  trouvera,  sans  doute,  au  cours  de  ce 
volume,  de  nombreux  documents  qui  constituent  des 
relations  fidèles  de  quelques  épisodes  militaires,  mais 
on  constatera  aussi  qu'il  n'était  pas  inutile,  pour  la 
majorité  de  ces  lettres,  de  vérifier  les  indications  des 
volontaires,  trop  souvent  sujettes  à  caution. 

Il  n'est  point  surprenant  que  ces  soldats  des  armées 
révolutionnaires  aient  été  d'assez  médiocres  observa- 
teurs des  combats  auxquels  ils  prenaient  part.  Beau- 
coup d'entre  eux,  après  avoir  assisté  pour  la  première 
fois  de  leur  vie  à  une  importante  bataille,  se  hâtaient 
d'en  envoyer  à  leur  famille  un  récit  détaillé.  Complète- 


INTRODUCTION  V 

ment  ignorants  des  choses  de  la  guerre,  ne  connais- 
sant rien  de  la  conliguration  du  pays  où  ils  se  trou- 
vaient ni  de  la  situation  des  armées  qui  les  entouraient, 
ils  avaient  pris  part  au  combat,  en  acteurs  incons- 
cients et  étonnés,  tel  le  héros  de  Stendhal  durant  la 
mêlée  de  Waterloo.  Pendant  toute  une  journée,  ils 
avaient  entendu  le  «  brutal  »  tonner;  ils  avaient  tiré, 
chargé  à  la  baïonnette,  avancé,  reculé,  sans  rien  savoir 
des  intentions  de  leurs  chefs  ou  de  l'ennemi.  Au  cou- 
cher du  soleil,  on  leur  avait  annoncé  qu'ils  étaient  vic- 
torieux et  que  beaucoup  d'ennemis  avaient  été  faits 
prisonniers.  Ils  n'avaient  pas  eu  besoin  de  longues 
explications  pour  donner  libre  cours  à  leur  enthou- 
siasme et  pour  envoyer  à  leurs  familles  un  récit  dithy- 
rambique, mais  inexact,  de  cette  victoire.  Au  pays 
natal  sont  seuls  demeurés  des  hommes  mûrs  et  des 
femmes  :  il  faut  que  la  lettre  venue  des  armées  leur 
apporte  un  récit  des  hauts  faits  du  volontaire  qui  les  a 
quittés.  Fiers  de  leur  courage  et  de  leurs  peines, 
jeunes  coqs  de  village  un  peu  farauds,  les  volontaires 
grossiront  inconsciemment  leurs  exploits,  augmente- 
ront, sans  penser  à  mal,  le  chiffre  des  prisonniers 
faits  à  l'ennemi  et  célébreront  à  l'excès  les  victoires 
républicaines  pour  exciter  l'admiration  des  mères  et 
l'amour  des  «  cousines  »  qui  liront  leur  prose.  Avec 
complaisance,  certains  narreront  longuement  leurs 
prouesses  pour  qu'elles  ne  demeurent  ignorées  d'au- 
cun compatriote.  «  Jugez  voir  à  propos  si  nous 
nous  sommes  battus  comme  il  faut  »,  écrit  un  défen- 
seur de  Mayence. 

Au  demeurant,  ce   n'est  point  seulement   le  très 
humain  désir  d'impressionner  favorablement  les  ima- 
ginations des  parents  ou  des  amis  qui  entraîne  les 
olontaires  à  déformer  la  réalité  et  à  exagérer  leurs 


VI  INTRODUCTION 

exploits.  Leur  bonne  foi  est  innocente  de  leur  igno- 
rance absolue  des  moindres  opérations  des  armées. 
Faute  de  renseignements  précis,  des  soldats  de 
l'armée  du  Rhin,  quelque  peu  éloignés  du  gros  de 
l'armée,  ignoraient  l'importance  des  engagements 
heureu.x  ou  malheureux  auxquels  ils  avaient  pris  part; 
trompés  par  les  perpétuelles  fausses  nouvelles  qui  cir- 
culaient à  travers  les  camps,  ils  croyaient  leur  vic- 
toire plus  complète  ou  leurs  échecs  plus  désastreux. 
Bien  plus,  beaucoup  de  volontaires  pratiquaient  mal 
l'usage  de  la  chronologie  révolutionnaire,  cofnon- 
daient  les  mois,  mélangeaient  les  années  et  attri- 
buaient à  maints  faits  d'armes  des  dates  entièrement 
erronées. 

On  ne  cherchera  donc  point  dans  ces  lettres  une 
relation  scientifique  et  suivie  des  campagnes  de  la 
Révolution  Française  :  on  n'y  trouvera  que  des  rensei- 
gnements de  détail,  parfois  d'une  authenticité  indiscu- 
table, parfois  très  sujets  à  caution.  Trop  neufs  dans 
la  carrière  militaire,  les  soldats  des  armées  révolu- 
tionnaires étaient  hors  d'état  d'apprécier  équitable- 
ment  les  événements  auxquels  ils  prenaient  part.  Lais- 
sant libre  cours  à  leurs  impressions,  ils  exagéraient 
inconsciemment  l'importance  des  moindres  combats  : 
pour  eux,  un  engagement  devenait  une  grande 
bataille,  et  un  mouvement  heureux  une  victoire  sans 
précédents.  Mais  l'insuffisance  de  cette  correspon- 
dance, du  point  de  vue  des  choses  de  la  guerre,  en 
fait  la  valeur  et  le  charme  intimes,  car  c'est  l'âme 
tout  entière  des  volontaires  qui  revit  dans  ces 
lettres,  spontanées,  sincères  et  toutes  vibrantes  de 
l'enthousiasme  patriotique  de  la  Révolution. 


INTRODUCTION  VU 


La  vaine  rhétorique  est  g^énéralement  absente  de 
ces  documents,  écrits  rapidement  sous  les  tentes  des 
camps  ou  aux  avant-postes,  entre  deux  combats. 
Quelques  lettres  prétentieuses  et  gourmées,  œuvre 
d'orateurs  de  Sociétés  populaires,  étalant  avec  affec- 
tation leur  connaissance  de  la  phraséologie  révolution- 
naire, contrastent  étrangement  avec  celles  qui  les 
entourent.  Soucieux  de  rassurer  leurs  familles,  les 
volontaires  n'ornaient  point  leur  prose  d'images  et  de 
locutions  pompeuses  :  ils  n'en  avaient  ni  le  temps  ni 
les  moyens,  rédigeaient  leurs  lettres  n'importe  où, 
n'importe  comment.  —  «  Je  vous  écris  sur  un  sillon, 
dit  l'un  d'eux...  J'ai  froid  aux  doigts  »  —  et  ils  écri- 
vaient comme  ils  parlaient,  en  paysans  simples  et 
aimants.  Sous  leur  plume  maladroite,  les  expressions 
triviales,  les  gauloiseries  se  présentent  fréquemment, 
et  la  lettre  se  poursuit,  plus  vive,  plus  joyeuse, 
comme  une  conversation  interrompue  par  de  bruyants 
éclats  de  rire  et  de  grosses  plaisanteries.  De  telles 
lettres  étaient  bien  faites  pour  rassurer  les  parents 
demeurés  au  pays  et  pour  donner  du  courage  aux 
mères  et  aux  femmes  inquiètes  du  sort  des  soldats. 
Klles  nous  prouvent  la  sincère  affection  do  ces  com- 
battants des  armées  révolutionnaires  pour  leur 
famille.  Les  jeunes  vainqueurs  de  l'armée  de  Sambre- 
et-Meuse  ou  d'Italie  sont  avides  de  recevoir  des  nou- 
velles des  leurs;  ils  écrivent  sans  cesse  à  leurs 
parents,  exigent  de  promptes  réponses  et  déplorent 
ti  lit  le  moindre  relard  des  courriers.  «  Nous 

b  forts  inquiets  de  votre  santé.  Nous  n'avons 

pu  recevoir  de  vos  nouvelles  par  personne  ».  —  «  Nous 


VIII  INTRODUCTION 

VOUS  prions,  sitôt  la  présente  reçue,  de  nous  envoyer 
de  vos  nouvelles,  dont  nous  sommes  si  inquiets  ;  nous 
n'avons  pas  encore  pu  en  recevoir  depuis  que  nous 
sommes  partis.  »  Malgré  leurs  fatigues  et  leurs  peines, 
ils  n'oublient  jamais  aucun  de  ceux  qui  leur  sont 
chers,  et  dans  chaque  lettre  ils  s'informent,  avec  solli- 
citude, do  la  santé  et  de  la  situation  des  parents,  des 
frères,  des  sœurs,  de  tous  ceux  qu'unissent  à  eux  les 
liens  d'un  cousinage  éloigné.  Ils  savent  que  les  temps 
sont  durs  pour  ceux  qu'ils  ont  laissés  au  village  :  ils 
ont  honte  de  quémander  des  secours  et  ils  ne  harcè- 
lent jamais  leur  famille  de  demandes  d'argent.  Bien  au 
contraire  ;  ils  prodiguent  les  remerciements  quand  ils 
ont  reçu  du  pays  la  moindre  somme  et  ils  s'excusent 
d'être  sans  ressources  dans  des  pays  étrangers  où  les 
assignais  dépréciés  n'ont  nulle  valeur.  Tant  que  leurs 
moyens  leur  permettent  d'aider  leur  famille,  ils  s'em- 
pressent de  le  faire  :  «  Si  vous  avez  besoin  de  quelque 
chose  vous  n'avez  qu'à  me  le  marquer,  je  vous  enverrai 
ce  que  je  pourrai  »,  écrit  à  ses  parents,  en  1793,  un 
jeune  volontaire  cantonné  à  Verdun.  Et  au  cours  de 
leurs  campagnes,  quand  ils  manqueront  de  tout,  ces 
soldats  n'oublieront  jamais  de  faire  parvenir  au  village 
des  certificats  de  civisme  pour  que  leurs  parents,  sau- 
vés de  la  misère,  reçoivent  les  sommes  allouées  par 
la  République  aux  familles  des  «  défenseurs  de  la 
Patrie  ». 

Ces  jeunes  hommes,  si  afTectueux  et  si  attachés  aux 
leurs,  ne  dissimuleront  dans  leurs  lettres  aucune  sen- 
sation et  aucune  impression.  Sans  chercher  à  feindre, 
ils  enverront  à  leurs  parents  un  récit  fidèle  de  leurs 
actions  quotidiennes,  et  ils  leur  feront  part  très  sincè- 
rement de  toutes  leurs  peines  et  de  toutes  leurs  joies. 


INTRODUCTION  IX 


C'est  une  rude  vie  que  mènent  aux  armées  ceux  qui 
combattent  pour  la  République,  vie  de  privations  et  de 
sacrifices  que  les  volontaires  retracent  fidèlement, 
mais  sans  amertume.  En  dépit  des  efforts  des  géné- 
raux et  des  représentants  aux  armées  pour  gratifier  les 
troupes  d'une  nourriture  abondante,  les  distributions 
de  vivres  sont  rares  et  insuffisantes.  Les  combattants 
de  l'armée  du  Rhin  en  supportent  les  pénibles  consé- 
quences. Devant  Landau,  en  1794,  un  volontaire 
regrette  «  le  bon  vin  à  bon  marché  »  qu'il  buvait  à 
Besançon  :  «  Maintenant,  nous  ne  buvons  ni  vin  ni  eau- 
de-vie,  et  les  trois  quarts  du  temps  nous  manquons  de 
pain  ».  —  a  Nous  étions  obligés  de  vivre  de  pommes 
de  terre  et  de  raves,  encore  pas  tant  que  nous  en 
aurions  bien  mangé»,  constate  mélancoliquement  un  de 
ses  compagnons  d'armes  à  la  même  date.  Le  temps 
passe  et  les  distributions  de  vivres  de  l'armée  du  Rhin 
ne  s'améliorent  pas;  au  mois  de  mai  1795,  un  lieu- 
tenant crie  famine  :  «  Nous  sommes  on  ne  peut  plus 
malheureux.  Le  pain  nous  manque  dans  ce  moment; 
il  y  a  deux  jours  qu'il  est  dû.  »  A  l'armée  des  Alpes,  la 
famine  est  moins  cruelle  :  perchés  dans  des  postes 
avancés,  au  climat  rigoureux,  les  hommes  touchent 
régulièrement  leur  «  étape  »,  mais  celle-ci  est  insuffi- 
sante :  pour  calmer  leur  faim,  ils  ont  besoin  de  provi- 
sions supplémentaires  qui  leur  sont  vendues  par  les 
«  Barbets  »  piémontais,à  des  prix  exorbitants.  «  Le  vin 
vaut  ici  35,  40  sous  la  bouteille,  le  pain  15  ou  20  sous 
la  livre,  le  fromage  3  livres  10  sous,  le  beurre  3  livres, 
et  n'en  a  pas  qui  veut.  »  —  «  Tandis  qu'à  Biom  vous 
mangez  du  fruit  en  abondance,  ici  il  faut  acheter  une 


X  INTRODUCTION 

poire  d'une  grosseur  ordinaire  5  sous  »,  écrit  avec 
résignation  un  auvergnat  affamé,  perdu  dans  les  mon- 
tagnes du  Piémont  et  qui  regrette  les  beaux  fruits  des 
vergers  de  sa  Limagne.  La  dépréciation  des  assignats 
est  telle  qu'il  est  impossible  d'acheter  avec  du  papier- 
monnaie  la  nourriture  indispensable.  Mais  si  la  faim 
affaiblit  les  corps,  d'autres  souffrances  encore  les  tor- 
turent et  les  accablent.  Campant  en  pays  conquis,  les 
soldats  doivent  bivouaquer  au  hasard  des  gîtes  :  peu 
préparés  à  cette  rude  vie  guerrière,  les  volontaires 
souffrent  de  ces  dures  nécessités.  «  Nous  sommes 
malheureux;  nous  couchons  sur  la  paille;  nous  cou- 
chons plus  souvent  dehors  que  sur  la  paille.  »  — 
«  Nous  n'avons  depuis  un  mois  couché  en  aucun  lit, 
toujours  sur  la  paille  »,  disent  les  frères  Brault,  com- 
battants de  l'armée  du  Nord.  —  «  Il  y  a  sans  exagérer 
plus  de  six  mois  qu'aucun  de  nous  ne  s'est  déshabillé  », 
écrit  en  1794  un  soldat  de  l'armée  du  Rhin.  —  v  Nous 
sommes  devant  Luxembourg  sans  pouvoir  faire 
de  baraques;  plusieurs  volontaires  ont  eu  les  pieds 
gelés  vu  la  rigueur  du  temps  »,  constate  un  lieutenant 
en  1795.  —  A  l'armée  des  Alpes  et  d'Italie,  les  troupes 
s'abritent  dans  de  misérables  baraques,  aux  parois 
mal  closes,  qui  laissent  pénétrer  le  vent  et  la  pluie. 
Mal  nourris,  mal  logés,  les  soldats  sont  couverts  de 
vêtements  en  loques  que  l'administration  militaire  ne 
remplace  pas  :  «  Voilà  trois  mois  que  nous  ne  recevons 
aucune  solde  ni  presque  d'habillement  »,  écrira  l'un 
d'eux  de  Strasbourg  en  1796.  —  «  Ah!  Dieu,  si  nous 
avions  encore  seulement  le  couvert  d'un  linceul  pour 
nous  couvrir,  afin  que  la  pluie  ne  puisse  pas  nous 
mouiller!  »  Ces  privations  de  toutes  sortes  développent 
à  l'armée  de  nombreuses  maladies,  aggravées  par  la 
malpropreté  des  camps.  La  fièvre  règne,  des  épidémies 


INTRODUCTION  XI 

éclatent  car  les  hommes  sont  sales,  couverts  de  poux, 
et  la  gale  ravage  leurs  corps.  «  Quand  j'aurai  le  plaisir 
de  vous  embrasser,  dit  en  1795  un  lieutenant  de  l'ar- 
mée du  Rhin,  je  ne  sentirai  ni  la  pipe  ni  le  vin  ;  mais 
pour  la  gale,  il  ne  faut  jurer  de  rien.  La  mienne  n'est 
pas  encore  guérie,  quoique  j'aie  fait  et  que  je  fasse 
toujours  des  remèdes  ».  Joliclcrc  n'est  donc  point  seul 
parmi  les  volontaires  à  vivre  dans  la  saleté  et  la 
crasse  ;  maints  de  ses  compagnons  pourraient,  à  ce 
sujet,  tenir  le  même  langage  que  lui  et  ils  parleraient, 
sans  nul  doute,  de  ces  maux  avec  autant  de  courage 
alerte  et  de  résignation  souriante. 

Ce  qui  donne,  en  effet,  tant  de  prix  à  ces  lettres, 
c'est  d'y  constater  la  philosophie  enjouée  de  ces  jeunes 
soldats.  Ils  content  à  leurs  parents  toutes  leurs  peines 
physiques,  par  le  menu,  car  en  paysans  sincères  et 
tout  d'une  pièce,  ils  sont  incapables  de  parler  d'autre 
chose  que  de  leur  vie  quotidienne.  Mais  jamais  lénu- 
mération  de  leurs  souffrances  n'est  accompagnée  de 
plaintes  ou  de  protestations.  Puisqu'il  faut  défendre  la 
République  contre  ses  ennemis  du  dehors,  il  est  natu- 
rel de  souffrir  pour  elle  de  multiples  tourments.  Les 
plus  épuisés  souhaitent  une  paix  prochaine,  mais  ils 
n'osent  la  souhaiter  que  si  les  victoires  de  nos  armées 
sont  complètes.  Leur  courage  physique  se  double 
d'un  profond  courage  moral  :  nulle  crainte  du  danger 
ou  de  la  mort  ne  se  devine  dans  ces  lettres  écrites 
durant  des  sièges  ou  entre  deux  combats  meurtriers. 
Ceux  qui  occupent  les  postes  les  plus  dangereux  ont  à 
cœur  do  plaisanter  sur  leur  sort  et  de  rassurer  leur 
famille.  «  Que  le  mot  de  poste  avancé  ne  vous  effraye 
point  :  nous  sommes  ici  dans  la  plus  profonde  sécurité 
et  aussi  en  sûreté  qu'à  Riom.  »  Le  volontaire  qui  écri- 
vait ces  mois  à  sa  mère  se  trouvait  en  1794  à  l'armée 


XII  INTRODUCTION 

des  Alpes,  sur  un  sommet  glacé,  où  les  attaques  des 
ennemis  et  la  vigueur  des  éléments  coalisés  étaient 
également  redoutables. 

Ainsi,  les  volontaires  racontent  dans  leurs  lettres 
les  souffrances  de  leurs  vies  quotidiennes,  mais  ils  les 
racontent  simplement,  sans  plaintes  ni  protestations. 
Animés  d'un  joyeux  entrain,  ils  prennent  leur  parti  de 
cette  dure  existence,  et  ni  les  combats  ni  leurs  peines 
ne  les  empêchent  de  communiquer  à  leurs  correspon- 
dants leurs  pensées  journalières  et  les  impressions 
qu'ils  éprouvent  en  parcourant  l'Allemagne,  la  Bel- 
gique, la  Hollande  et  l'Italie. 


Au  milieu  des  fatigues  et  des  périls  des  campagnes, 
les  yeux  des  volontaires  demeurent  toujours  fixés  sur 
le  village  qu'ils  ont  quitté.  L'image  du  «  pays  »  est 
gravée  dans  leur  cœur,  et  ils  n'aspirent,  dans  chaque 
lettre,  qu'à  rendre  cette  image  plus  vivante  et  plus 
haute  en  couleurs.  «  Donnez-moi  des  nouvelles  du 
pays.  »  —  «  Je  vous  prie  de  me  marquer  ce  qu'il  y  a 
de  nouveau  au  pays  »,  telle  est  l'éternelle  antienne  de 
leurs  lettres,  antienne  d'amoureux  de  leur  maison 
natale  et  des  souvenirs  qu'ils  y  ont  laissés.  Pour  écrire 
«  au  pays  »,  des  groupes  se  forment  :  les  gens  du 
même  village  se  chargent  de  commissions  mutuelles 
pour  leurs  parents  et  leurs  amis.  Le  plus  instruit  prend 
la  plume  et  se  fait  le  secrétaire  de  ses  camarades. 
«  Le  scribe  sergent  vous  fait  bien  ses  compliments  », 
lit-on  dans  une  lettre  de  l'armée  du  Rhin.  «  Je  vais 
vous  dire  que  nous  sommes  réunis  en  groupe  pour 
écrire  cette  lettre;  tous  du  pays,  nous  assurons  de 
notre  respect  nos  pères  et  mères.  Nous  sommes  :  Ghau- 


INTRODUCTION  XIII 

mereau,  fils  du  maréchal  des  logis  de  gendarmerie, 
Crépin,  Jousset,de  Saint-Martin,  Thuillier,  ci-devant  de 
SaintMartin.  Tous  vous  font  leurs  compliments  et 
vous  prient  de  donner  de  leurs  nouvelles  à  leurs 
parents  en  leur  présentant  leurs  respects.  Ils  se  portent 
bien.  »  Ainsi  se  termine  une  lettre  écrite  le  22  dé- 
cembre 1793  à  un  bivouac  de  l'armée  du  Rhin  :  à  tra- 
vers le  style  gauche  du  volontaire,  nous  voyons  les 
quatre  compatriotes  IiAveset  déguenillés,  qui  profitent 
d  un  instant  de  répit  dans  leur  rude  besogne  guerrière 
pour  reporter  leurs  pensées  unies  vers  ceux  qui  sont  si 
loin  d'eu.x.  A  vivre  aux  armées  entre  habilanls  de  la 
môme  ville,  du  même  bourg,  du  même  village,  nul 
volontaire  n'oublie  jamais  sa  famille  et  ses  amis.  — 
o  Ne  manquez  pas  de  me  faire  savoir  des  nouvelles  de 
mon  frère  Deguir,  le  cordonnier,  et  vous  me  mar- 
querez son  adresse,  s'il  est  possible.  »  —  «  Vous  me 
marquerez  s'il  y  a  longtemps  que  vous  avez  reçu  des 
nouvelles  de  François  Pesé,  Sylvain  Petitbon.  »  — 
«  Je  suis  bien  en  peine  de  savoir  des  nouvelles  de 
Louis  Pillaut  et  de  son  frère  ;  je  vous  prie  de  m'en 
donner  des  nouvelles  le  plus  tôt  possible,  aussi  de 
Philippe  Chotard.  »  —  «  Je  désirerais  bien  savoir  si 
mon  frère  est  encore  au  pays.  » 

Joyeux  et  galants,  comme  il  sied  à  des  conquérants, 
les  volontaires  ne  négligent  point  les  femmes  et  les 
filles  du  village  :  «  Le  capitaine  Frenaye  me  charge  de 
mille  embrassades  pour  la  Miette,  la  Jeaimetonet  la 
femme  de  Tailhaudjcune,etrien  pour  les  vieilles  »,  écrit 
de  Mayence  un  caporal  facétieux.  —  «  Je  désapprouve 
les  cinq  derniers  mots,  riposte  sur-le-champ  le  capi- 
taine Frenaye.  Je  vous  embrasse  toutes  bien  cordiale- 
ment. »  —  «  J'ai  appris  que  tous  les  garçons  étaient 
partis  Cela  me  fâche  beaucoup.  Je  plains  le  triste  sort 


XIV  INTRODUCTION 

des  filles.  Par  conséquent,  j'exhorte  les  garçons  qui 
peuvent  avoir  resté,  d'avoir  soin  de  ne  pas  les  aban- 
donner »,  recommando  un  canonnier  «  attaché  au  parc 
d'artillerie  de  lavant-garde  de  la  deuxième  division  de 
l'armée  des  Ardennes  »,  qui,  farouche,  commence  sa 
lettre  par  ces  mots  :  «  La  mort,  c'est  ma  devise  ».  Au 
plus  fort  des  périls  de  la  guerre,  ils  songent  à  leurs 
anciennes  amours  :  un  quartier -maître  trésorier  de 
l'armée  du  Nord  interrompt  l'énumération  des  mul- 
tiples soucis  de  sa  charge  pour  pleurer  la  perte  de 
celle  qu'il  aimait,  et  un  soldat  de  cette  même  armée  rem- 
plit ses  lettres  de  déclarations  lyriques  et  enflammées 
à  l'adresse  de  sa  «  Fanquette  »  :  «  Dites-lui  que  je 
pense  toujours  bien  à  elle  et  que  mon  cœur  est  toujours 
porté  pour  elle,  car,  si  j'étais  hirondelle,  j'aurais  bien- 
tôt fait  de  voler  vers  la  chère  amie  que  j'aime  et  qui 
doit  faire  un  jour  mon  bonheur  et  l'unique  espoir  de 
ma  consolation.  »  —  «  Mon  adorable  Fanquette,  je  ne 
vous  le  cache  pas,  de  toutes  les  filles  au  monde  il  n'y 
en  a  point  que  j'aime  mieux  et  pour  qui  j'aie  tant  d'atta- 
chement ;  mon  cœur  ne  fait  que  gémir  et  soupirer.  » 
Pendant  deux  ans,  chacune  des  lettres  de  l'adorateur 
de  «  Fanquette  »  n'est  qu'un  long  bavardage  amou- 
reux jusqu'au  jour  où  la  «  perfidie  »  de  celle  qu'il 
aimait  lui  est  révélée. 

Mais  ce  ne  sont  point  seulement  les  habitants  du 
pays  qui  attirent  les  pensées  des  volontaires.  Les  sol- 
dats sont  des  paysans  de  France  qui,  jusqu'au  jour  de 
leur  départ  pour  les  armées  ont  vécu  en  face  de  leurs 
champs,  de  leurs  prés  et  de  leurs  vignes.  En  partant 
aux  frontières,  ils  ont  emporté  avec  eux  un  amour 
robuste  de  la  terre  natale  et  nourricière  :  à  travers 
l'Europe,  leurs  yeux  de  paysans  contempleront  avec 
émotion  les  cultures  et  les  moissons  qui  borderont  la 


INTRODUCTION  XV 

route.  Us  jugeront  les  sols  en  ^ns  du  métier  qui 
savent  apprécier  partout  les  bonnes  terres  et  en  jauger 
la  valeur.  «  Je  vous  dirai  que  partout  où  nous  sommes 
passés,  la  récolte  est  bien  belle,  ainsi  que  les  vignes. 
Vous  me  marquerez  sil  en  est  de  môme  au  pays.  Quels 
prix  le  pain  ?  le  vin  ?  Vous  me  direz  si  la  vente  est 
entièrement  terminée  »  Celui  qui  tient  ces  propos  est 
un  volontaire  tourangeau  de  l'armée  de  Rhin-et-Mo- 
selle,  auquel  la  vue  des  récoltes  de  l'Alsace  et  de  la 
Forêt  Noire  a  rappelé  la  beauté  des  terres  de  son  pays. 
Dans  le  Wurtemberg,  en  17%,  il  constatera  à  nouveau  : 
«  Nous  sommes  dans  un  pays  très  froid  où  le  seigle 
commence  à  pousser,  le  froment  à  apparaître  sur  terre, 
et  les  fruits  sont  comme  chez  nous  au  mois  de  mai. 
Sur  les  montagnes  du  pays,  il  n'existe  rien.  »  En  mar- 
chant quotidiennement  au  milieu  des  vignes,  des  ver- 
gers et  des  champs,  un  volontaire  se  sent  brusquement 
repris  du  désir  de  ne  rien  ignorer  de  la  «  terre  »  qu'il 
a  quittée  :  «  Je  vous  prie,  écrit-il  aux  siens,  de  me 
dire  si  les  vignes  sont  belles,  si  la  moisson  s'avance, 
si  les  fruits  sont  beaux,  i 

La  lecture  de  ces  lettres  nous  introduit  donc  dans 
l'intimité  des  volontaires  dont  nous  saisissons  les  sen- 
timents et  les  inclinations.  Grâce  à  ces  documents,  nous 
reconstituons  aisément  la  psychologie  de  ces  volon- 
taires, simples,  sincères,  affectueux  et  aimant  les  gens 
et  les  choses  de  leurs  pays.  Il  convient  maintenant,  en 
dernière  analyse,  d'apprécier  les  vertus  guerritres  de 
.ces  soldats  et  d'établir  si  les  volontaires  furent  plus 
des  hommes  et  des  paysans  que  des  défenseurs  de  la 
République. 


XVI  INTRODUCTION 


On  a  dit  beaucoup  de  mal  de  la  valeur  militaire  des 
volontaires.  M.  Rousset  s'est  efTorcé  de  démontrer  que 
ces  jeunes  recrues,  hâtivement  incorporées  et  hâtive- 
ment instruites,  avaient  jeté  le  trouble  dans  les  rangs 
de  l'armée  révolutionnaire.  A  en  croire  l'auteur  de 
l'Histoire  de  Louvois,  persuadé  que  «  rien  ne  supplée 
même  pour  la  guerre  défensive  une  armée  permanente 
et  régulière  »  S  la  présence  des  volontaires  nationaux 
à  l'armée  avait  brisé  la  tradition  militaire  que  la 
Royauté  avait  léguée  à  la  Révolution.  On  ne  saurait 
oublier,  cependant,  que  les  enrôlements  des  volon- 
taires n'ont  point  empêché  les  premières  victoires  des 
armées  républicaines.  Sans  doute,  on  peut  accuser  les 
volontaires  de  maints  actes  de  grave  indiscipline  : 
des  désertions  en  masse  se  sont  produites  dans  leurs 
rangs  ;  des  bataillons  entiers,  pris  de  panique,  se  sont 
affolés  et  ont  battu  en  retraite  avant  d'avoir  vu  l'en- 
nemi, en  semant  la  terreur  dans  l'armée  qui  les  entou- 
rait. Nulle  excuse  ne  saurait  être  invoquée  en  faveur 
des  déserteurs,  et  cependant,  on  conçoit  que  parmi 
ceux  qui  marchèrent  au  secours  de  la  Patrie  en  dan- 
ger ou  qui  furent  enrégimentés  lors  de  la  levée  en 
masse,  il  y  eut  beaucoup  d'individus  mal  préparés, 
physiquement  ou  moralement,  à  leur  vie  nouvelle  et 
avides  de  reconquérir  leur  liberté.  11  était  malaisé,  en 
1793,  d'imposer  brusquement  à  toute  une  nation  le 
principe  d'un  enrôlement  obligatoire,  car  les  esprits 
■n'étaient  pas  préparés  à  cette  nécessité  par  les  antécé- 
cents  militaires  de  la  monarchie.  On  s'explique  aisé- 

1.  Les  Volontaires,  1791-1794,  Introduction,  p.  iv. 


INTRODUCTION  XVII 

ment  la  frayeur  qui  paj^na.  au  début  des  hostilités,  des 
bataillons  de  volontaires  :  nulle  confiance  ne  réj^nait 
entre  les  hommes  et  leurs  chefs  :  ceux-là  sentaient 
chez  ceux-ci  un  mépris  profond  pour  l'Assemblée  qui 
voulait  assurer  la  défense  et  l'indépendance  du  sol 
national.  I^  trahison  de  Dumouriez  accrut  encore  la 
défiance  des  soldats  à  l'éprard  de  leurs  officiers.  Com- 
ment aller  au  feu  avec  tranquillité,  lorsque  l'armée 
n'était  pas  si'ire  de  ceux  qui  l'y  conduisait?  Trahie  par 
un  trénéral  félon,  n'exécutait-elle  pas  tel  mouvement 
dancereux  et  meurtrier  pour  assurer  plus  aisément  la 
victoire  des  ennemis  ?T.a  mise  en  accusation  de  Cus- 
tine,  la  trahison  de  Picheeru  firent  une  pénible  impres- 
sion sur  les  Ames  trop  crédules  des  défenseurs  de  la 
République.  I^  peur  de  la  trahison  paralysa  longtemps 
l'énercie  et  le  couracre  des  volontaires. 

Il  est  donc  délicat  de  déterminer  avec  précision  si  la 
majorité  des  volontaires  a  toujours  tenu  ses  engage- 
ments oïl  si,  en  bien  des  cas,  elle  a  augmenté,  par  son 
indiscipline.  l'anarchie  des  armées  révolutionnaires. 
Mais,  nul  ne  doit  oublier  que  les  «  organisateurs  de  la 
victoire  m  et  les  crénéraux  de  génie  n'ont  pas  été  les 
seuls  artisans  du  triomphe  définitif  de  la  République. 
La  Révolution  n  vaincu  l'Europe  crrâce  au  courage 
euerri^r  et  h  l'enthousiasme  républicain  de  ceux  qui 
ont  répondu  à  l'appel  de  la  Nation.  Aucun  texte  ne 
révélera  plus  éloqtiemment  le  patriotisme  des  défen- 
seurs de  la  République  que  les  lettres  publiées  ici. 

Nous  avons  déjH  montré,  en  décrivant  les  souf- 
frances quotidiennes  des  volontaires,  avec  quelle 
bonne  humeur  souriante  ces  hommes  supportaient  la 
faim,  le  froid  et  la  misère.  Puisqu'ils  travaillent  de 
toutes  leurs  forces  au  triomphe  de  la  République, 
aucune  peine  ne  les  rebute,  aucun  mal  ne  les  arrête  : 

b 


XVIII  INTRODUCTION 

«  Le  zèle  avec  lequel  nous  servons  la  Patrie  nous  fait 
tout  braver,  et  aucun  d'entre  nous,  à  quelque  prix  que 
ce  fût,  ne  voudrait  ne  pas  avoir  quitté  son  foyer  »,  écri- 
vent deux  volontaires  de  l'armée  du  Nord.  Ils  accep- 
tent avec  une  philosophie  enjouée,  mais  énergique, 
toutes  les  transformations  de  leur  vie  :  s'ils  réclament, 
c'est  pour  avoir  l'occasion  d'accomplir  de  plus 
grandes  actions  et  de  se  battre  plus  souvent,  «  On 
donnera  un  autre  nom  au  bataillon,  écrit  l'un  d'eux  de 
Landau  en  1794.  Je  vous  le  dirai  :  cela  m'est  égal.  Je 
m'accoutume  avec  tout  le  monde.  11  n'y  a  que  l'armée 
du  Rhin  qui  ne  me  plaise  pas.  Il  doit  faire  meilleur  et 
plus  chaud  en  Espagne.  Cela  m'ennuie  d'être  toujours 
dans  le  même  endroit.  »  En  vérité,  ce  mot  d'une  jeune 
recrue  n'est-il  point  digne  de  ces  soldats  de  la  Grande 
Armée  qui  traversaient  l'Europe,  joyeux  de  visiter  des 
pays  nouveaux  et  qui  ne  protestaient  jamais  que 
contre  la  paix  et  les  suspensions  d'armes?  Par  leur 
courage  intrépide,  les  blancs-becs  de  la  Révolution 
annoncent  déjà  les  grognards  de  l'Empire,  mais  les 
vainqueurs  d'Austerlitz  auront  une  foi  absolue  dans  le 
génie  de  Napoléon,  tandis  que  les  triomphateurs  de 
Jemappes  ou  de  Fleurus  sont  des  républicains  sincères 
et  convaincus. 

L'enthousiasme  révolutionnaire  souffle  d'un  bout  à 
l'autre  de  ces  lettres.  Les  devises  républicaines  : 
«  Vivre  libre  ou  mourir  »,  «  La  liberté  ou  la  dernière 
goutte  de  sang  »,  qui  les  précèdent,  ne  sont  point  de 
vains  échos  de  la  phraséologie  jacobine  :  elles  attes- 
tent des  sentiments  profonds  et  sincères.  Ces  volon- 
taires sont  fiers  de  travailler  pour  la  Nation  et  la 
République,  de  rester  attachés  au  drapeau  qui  leur  a 
été  confié.  «Oui,  citoyen,  déclare  un  soldat  de  l'armée 
du  Nord,  en  1798,  j'ai  été  fidèle  à  rester  courageuse- 


INTRODUCTION  XIX 

ment  attaché  à  mon  drapeau,  et  il  est  bien  vrai  que 
tant  d'autres  l'ont  lâchement  abandonné.  »  «  Comment 
ne  pourrait-on  pas  être  brave  soldat  d'une  nation 
aussi  généreuse,  déclare  un  patriote  de  l'armée  du 
Nord,  et  ne  prendre  pas  plaisir  de  contribuer  de  toutes 
ses  forces  à  sa  défense!  Le  sacrifice  même  de  sa  vie, 
qui  est  ce  que  nous  avons  de  plus  cher  dans  ce  monde, 
ne  coûte  rien  pour  une  aussi  belle  cause!  »  Grâce  à 
leur  dévouement,  «  la  République  triomphe  et  elle 
triomphera  ».  Aucune  discipline  n'est  trop  dure  pour 
travailler  au  salut  de  la  République  :  «  On  vient  de 
'^nousj  lire  aujourd'hui,  écrit  en  1793  un  soldat  de  l'ar- 
mée du  Nord,  un  code  de  discipline  militaire  que 
nous  avons  tous  juré  de  suivre  de  point  en  point;  il 
est  un  peu  rigoureux,  mais  des  gens  qui  sont  sûrs  de 
se  conduire  toujours  dans  le  chemin  de  l'honneur  ne 
craignent  rien...  On  doit  penser  comme  cela  quand 
on  a  pour  but  de  sauver  la  République  et  de  conquérir 
sa  liberté.  »  Qu'importent  donc  les  ravages  de  la  mala- 
dit'  ou  des  balles  qui  emportent  les  plus  vaillants  des 
défenseurs  républicains,  pourvu  que  la  Patrie  soit 
sauvée  et  que  les  volontaires  puissent  lancer,  à  la  fin 
de  leurs  lettres,  leurs  joyeux  «  Ça  ira.  Ça  ira  ».  — 
«  En  1794,  écrit  Stendhal,  notre  sentiment  intérieur  et 
sérieux  était  tout  entier  renfermé  dans  cette  idée  : 
être  utile  à  la  Patrie.  Tout  le  reste,  l'habit,  la  nourri- 
ture, l'avancement,  étaient  à  nos  yeux  un  misérable 
détail  éphémère  »  L'expression  de  Stendhal  dépeint 
précisément  la  psychologie  des  volontaires  et  leur 
entier  dévouement  à  la  cause  de  la  Révolution.  Lisons, 
pour  nous  en  convaincre,  les  beaux  conseils  qu'adresse 
h  son  fils,  le  volontaire  Thirion,  un  patriote  lorrain, 
habitant  un  petit  village  voisin  de  Toul.  Toute  sa 
lettre  respire  le  vrai  courage  et  le  vrai  patriotisme.  A 


XX  INTRODUCTION 

la  manière  d'un  père  de  la  Rome  antique  il  recom- 
mande à  son  fils  de  faire  pleinement  son  devoir  contre 
les  ennemis  de  l'État  et  de  ne  pas  marchander  ses 
efforts  pour   assurer  le  triomphe  de   la  République. 
«Prenez  couraG;-e;  ne  vous  écartez  jamais  des  principes 
que  je  vous  ai  inculqués.  Sachez  supporter  la  faim,  la 
soif,  le  froid,  le  chaud.  Quand  vous  souffrez,  sachez 
que  c'est  pour  vos  parents,  votre  Patrie.  Quand  vous 
marchez  au  combat,  n'oubliez  pas  que  c'est  pour  votre 
père,  votre  mère,  vos  frères,  vos  sœurs,  et  sachez  pré- 
férer la  mort  même  à  l'ignominie.  »  Ces  belles  paroles 
nous  prouvent  que   dans  leurs  propres  familles  les 
volontaires  trouvaient  de  précieux  encouragements  à 
la  défense  rie  la  cause  nationale,  et  on  comprend  l'en- 
thousiasme de  ces  soldats  lorsqu'ils  pouvaient  racon- 
ter les  brillants  succès  de  nos  armées  et  déclarer  fiè- 
rement :  (f  Voilà  comment  les  braves  républicains 
travaillent,  surtout  quand  ils  sont  bien  commandés!  » 
Et  n  la  vérité,  cette  phrase  qu'écrivait  en  1794,  un 
simple  sergent  de  l'avant-garde  de  l'armée  de  Sambre- 
et-Meuse,  placée  sous  les  ordres  de  Marceau,  définit 
exactement  l'âme  des  volontaires  et  l'intérêt  de  cette 
publication.  On  verra  dans  ce  livre  de  ieunes  et  éner- 
giques républicains  marcher  à  la  victoire  sans  faillir, 
sûrs  de  leurs  chefs  et  de  leur  idéal.  Dans  ces  lettres 
sincères  revit  une  jeune  génération  qui,  à  l'appel  de 
la  Nation,  s'est  dressée  tout  entière  pour  assurer  le 
salut  de  la  Patrie  et  le  triomphe  de  la  République*. 

Colonel  Ernest  Picard. 


1.  Tous  ceux  qui  ont  bien  voulu  s'intéresser  à  notre  travail, 
en  nous  communiquant  des  lettres  de  volontaires  tirées  d'ar- 
chives publiques  ou  de  collections  particulières,  ont  droit  à 
notre  très  vive  gratitude.  Nous  avons  à  cœur  de  les  assurer,  ici, 
de  notre  bien  sincère  et  bien  profonde  reconnaissance. 


AU  SERVICE  DE  LA  NATION 


AVANT  LE  DÉPxVRT  A  LA  FRONTIÈRE 

(1792-1793). 

Au  citoyen  Soulbaut,  laboureur,  à  La  Roche, 
paroisse  de  Pionsat  *. 

Paris,  le  29  octobre,  l'an  I"  de  la  République  [1792]. 

Mon  cher  père. 

J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  la  présente  et  pro- 
file de  l'occasion  du  citoyen  Jacques  Chennedat,  qui 

a  dans  ce  moment-ci  au  pays,  et  qui  a  bien  voulu  s'en 
charger.  Je  lui  remets  en  môme  temps  la  somme  de 
quatre-vingts  livres  dont  il  a  bien  voulu  se  charger, 
pf)ur  vous  la  remettre  de  ma  part.  Comme  cette  somme 
me  devient  inutile  pour  le  présent,  je  ne  peux  mieux 
la  déposer  qu'entre  vos  mains. 

Je  me  suis  enrôlé  à  Paris  dans  les  volontaires*  et 

uis  prêt  à  partir  pour  combattre  les  ennemis  de  la 


i.  Pionsat,  ch.  I.  de  c.  de  l'arr.  de  Riom  (Puy-de-Dôme). 
I  de  La  Roche  ûgure  sur  l'atlas  de  Cassini  (N^  12, 

f ( 

2.  Volontaires  de  Paris,  1792.  3*  bataillon  de  la  Répu- 
blique. 


2  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

Patrie.  Je  suis  né  fVapçais,  et,  avec  |es  fVapçais,  je  veux 
partager  et  les  dangers  et  la  gloire,  et  j'aurai  sans  cesse 
sous  les  yeux  de  respecter  et  les  personnes  et  les  pro- 
priétés ou  do  mourir  en  les  défendant.  Nous  sommes, 
mes  camarades  et  moi,  dans  le  même  sentiment. 

En  un  mot,  je  me  consacre  et  de  volonté  et  de 
cœur  ^  Ja  4éfepse  ^e  la  Patrie,  et,  vivre  libre  ou 
mourir,  c'est  ma  devise. 

Je  vous  prie  de  me  faire  mes  compliments  à  mes 
frères,  sœurs,  etc.,  et  4p  ipe  croire,  avec  le  plus  pro- 
fond respect  et  les  sentiments  les  plus  distingués, 

Mon  cher  père, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur  et  fils, 

SOULBAUT. 

P.-S.  —  Comme  je  ne  suis  pas  sûr  d'avoir  de  vos 
nouvelles  à  Paris,  et  que  je  suis  à  la  veille  de  mon 
départ  pour  les  frontières,  je  vous  écrirai  de  nouveau  ^ 

Au  citoyen  Jacques  Martin,  derneurant  à  Pionsac-, 
district  de  Montaigu-en-Combrailles,  département 
du  Puy-de-Dôme. 

De  Verdun,  ce  12  février  1793,  l'an  II»  de  la  République  française. 
Mon  père, 
Je  suis  bien  charmé  d'avoir  appris  par  la  lettre 

1.  Archives  particulières  de  M.  M^ngerel,  maire  de 
Pionsat  (lettre  communiquée  par  M.  le  lieutenant  Saint- 
Arroman). 

2.  Pionsat. 


AVANT    LE    DÉPART    A    LA    FRO.'VTIÈRE  3 

de  mon  cousin  que  vous  jouissiez  tj'une  bonne  santé. 
Je  prie  le  Seigneur  qu'il  vous  la  conserve  ^ussi 
bonne  que  la  mienne.  Si  je  ne  vous  ai  pas  écrit  plus 
souvent,  c'est  que  je  croyais  qu'il  vous  avait  arrivé 
quelqu'accident  que  vous  ne  me  faisiez  pas  de  ré- 
ponse. Mon  père,  je  ne  sujs  pas  fâché  d'être  dans 
les  volontaires.  Je  m'y  plais  bien  ;  nous  ne  manquons 
de  rien.  Tous  les  quatre  jours,  nous  avons  du  pain 
Irais,  tous  les  cinq  jours  de  l'argent  ;  même  si  vous 
en  avez  besoin,  vous  n'avez  qu'à  me  le  marquer,  je 
vous  en  enverrai.  Vous  direz  à  notre  cousin  de  retirer 
mon  obligation,  et,  quand  le  terme  sera  échu,  de  retirer 
l'argent,  et  qu'il  le  garde  chez  lui.  Il  doit  avoir  reçu 
de  notre  cousin  du  J^Joussaud  la  somme  de  douze 
livres,  que  mon  frère  lui  avait  donnée  pour  lui  remettre; 
mon  frère  est  bien  malade  voilA  quelques  jours. 

On  prétend  que  nous  ne  resterons  pas  longtemps 
où  nous  sommes.  Les  nouvelles  font  mention  que 
toutes  les  couronnes  veulent  nous  faire  la  guerre,  et, 
s'il  n'y  a  pas  de  trahison,  ils  ne  nous  feront  pas  beau- 
coup de  mal.  Le  général  Custine  et  son  armée  tien- 
nent le  roi  do  Pru.sse  bloqué  avec  ses  troupes'.  On 
croit  bient4it  partir  pour  entrer  en  campagne. 

Vous  lerez  bien  des  compliments  à  tous  mes  parents 

i.  Sur  la  situation  de  l'armée  de  Custine  qui,  au  mois 
de  février  1793,  avait  pr  ihiver,  cf.  Chu- 

quel.  Les  guerres  de  la  I  .tion  de  Custine. 

n  il  (iv  noter  que  le  vuloaUuic  .Martin  était  mal 

n  sur  les  forces  de  l'armée  de  Custine,  qui  allait 

btcntùl  âubirde  graves  revers. 


4  AU    SERVICE    DE    LA.   NATION 

et  amis.  Le  fils  de  Dumas  est  bien  mécontent  de  ce 
que  son  père  ne  lui  fait  pas  de  réponse.  Il  croit  que 
c'est  sa  belle-mère  qui  l'empêche.  Bien  des  compli- 
ments à  ma  belle-mère,  et  que  je  l'embrasse.  Je  finis, 
mon  père,  avec  une  grande  inquiétude  de  savoir  si 
vous  avez  besoin  de  quelque  chose  :  vous  n'avez  qu'à 
me  le  marquer,  je  vous  enverrai  ce  que  je  pourrai.  11 
n'y  a  que  pour  apprendre  l'exercice  que  ça  m'a  un 
peu  gêné.  D'ailleurs  nous  sommes  assez  bien,  et  l'on 
peut  toujours  mettre  quelques  sous  de  reste. 

Je  vous  assure  de  mes  profonds  respects  et  vous 
embrasse,  et  prie  Dieu  pour  la  conservation  de  votre 
santé,  et  suis 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  fils, 

Julien  Martin. 

Volontaire  au  1"  bataillon  de  la  Creuse, 
dans  la  5«  compagnie. 

Jean  Dumas  prie  bien  son  père  de  lui  faire  passer  ce 
papier,  car  il  lui  fait  bien  faute.  Il  est  nommé  caporal 
dans  la  3*  compagnie  du  J"  bataillon  de  la  Creuse*. 

A  la  citoyenne  Michel,  chez  sa  mère,  marchande  de 
quincaillerie,  place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Saumur,  le  9  frimaire  an  II  [29  novembre  1793]. 
Ma  bonne  amie, 
Tu  ne  saurais  croire  quel  plaisir  ta  lettre  m'a  occa- 

4.  Archives  particulières  de  M.  Mangerel,  maire  de 
Pionsat. 


AVANT  LE  DÉPART  A  LA  FRONTIÈRE         5 

sionné,  de  savoir  que  ma  mère  continue  d'aller  de 
mieux  en  mieux  ;  je  désire  que  sa  guérison  soit  pro- 
chaine et  qu'elle  m'en  donne  une  preuve  en  me 
donnant  de  ses  nouvelles.  Francillon  vous  est  donc 
enfin  rendue,  j'en  suis  charmé,  car  c'était  bien  une 
victime  innocente.  Sa  mère  aura  bien  dit  :  «  Bougro, 
il  y  a  assez  longtemps  que  je  suis  ici,  il  faut  que 
j'aille  faire  ma  buée  et  voir  mon  gendre  ». 

Hier,  nous  avons  appris  que  l'armée  avait  eu  une 
déroute  totale  et  qu'elle  se  reployait  à  Angers,  les 
insultés  du  côté  de  Laval,  que  leurs  intentions  étaient 
de  se  porter  sur  Angers  '.  Il  faut  espérer  que  notre 
ville  fera  une  vigoureuse  résistance  et  les  chassera 
au  loin.  Ma  bonne  amie,  je  te  prie  de  me  donner  des 
détails  relativement  à  cela  :  je  serais  content  de  voir 
une  France  nouvelle. 

Hier,  il  est  parti  4  pièces  de  canon  pour  aller  à 
Tours.  On  dit  qu'il  y  a  une  révolte  relativement  au 
pain  ;  ici,  on  n'en  manque  pas,  on  en  trouve  facilement. 

Le  5*  bataillon  de  Maine-et-Loire  n'existera  pas 
longtemps;  les  nouvelles  nous  annoncent  que  tous  les 
corp.s  formés  depuis  le  mois  d'août  seront  incorporés 
dans  d'autres  corps.  L'on  nous  fera  rejoindre  le 
1"  bataillon*.  Si  nous  pouvons,  nous  sommes  plusieurs 

1.  Sur  ces  faits  de  l'histoire  vendéenne  et  sur  le  siège 
dWngers,  vaillamment  défendu  par  les  républicains 
contre  les  insurgés  en  retraite,  cf.  Chassin,  La  Vendée 
patriote,  t.  III.  pp.  318-356. 

2.  L'histoire  du  1"  bataillon  des  Volontaires  de  Maine- 
et-Loire  a  été  écrite  avec  un  grand  luxe  de  documenta 


6  AU    SBRTItE    DE    LA    NATION 

disposés  à  nous  mettre  dans  la  cavalerie.  D'après 
les  noUVelléé  du  licenciement,  il  est  déserté  plUs  d& 
50  hdmmes... 

Embrasse  maman  pour  moi  et  l'assure  de  mon 
respect;  fais-moi  réponse. 

Ton  frère  et  ami, 

F.  Michel  \ 

.  A  la  citoyenne  Michel,  marchandé^ 
place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Saumur,  mardi  14  frimaire  an  II  [4  décembre  1793]. 

Ma  chère  maman, 

Nous  sommes  toUs  consternée;  notl*e  commandant 
Legeay  a  reçu  un  brevet  d'adjudant-général  pour 
rejoindre  Fabrefond,  qui  est  inspecteuf  général  de 
cavalerie.  xNolre  quartier-maître  est  parti  avec  lui 
ainsi  que  son  secrétaire.  Tous  sont  entt-és  dans  la 
cavalerie  et  vont  rejoindre  à  Cat*cassonne. 

D'après  l'Ordre  que  reçut  notre  commandant,  il  fit 
assembler*  le  cortseil  d'administration,  et  le  quartier- 
maître  rendit  ses  comptes  ;  il  fallut  procéder  à  la  nomi- 


vivàrlts  et  curieux  par  F.  Grillé,  dans  l'ouvrage  intitulé  : 
Lettres,  mémoires  et  documents  publiés  avec  des  notes  sur  la 
formation,  le  personnel,  l'esprit  du  l"""  bataillon  des  Volontaires 
de  Maine-et-Loire  et  sur  sa  marche  à  travers  les  crises  de  la 
Révolution  française.  Paris,  1848,  2  vol.  in-8°. 

1.  Archives  particulières  de  M.  Michel,  conservateur  du 
musée  Saint-Jean,  à  Angers.  L'auteur  de  cette  lettre  était 
âous-lièutenant  au  5^  bataillon  de  Maine-ét-Loit'e. 


AVANT  Le  bÉPART  A  LA  FRONTIÈRE         7 

nation  d'un  (Jua^lic^-maît^e^  Le  vœu  général  fut  ëri 
ma  faveur,  je  balançai  quelque  lertips,  mais  je  itté 
ressouvins  qufe  vous  m'avez  dit  qu'il  vaut  tnietix  moins 
gagner  et  être  plus  libre  ;  je  sui\Tai  toujours  vos 
cohseils  et  rtl'en  trouverai  le  mifeùx  du  rtlonde. 

Le  cottlrtiahdant  et  Ib  quartiet-maltre  m'engagèrent 
beaucoup  ft  accepter  ;  après  avoir  rendu  un  compte  on 
tife  peut  plus  clair  et  het,  il  me  fit  voir  tous  les  avan- 
tages de  cette  place  et  ttiil  ft  rtia  dispositiôh  tirie 
somme  d'à  peu  près  6  à  7  rtiillc  liVres.  Tout  cela  tne 
fil  refuser.  On  Hë  voulut  pas  nottlrtier  ;  ehflii  je  leur 
dis  formellement  que  je  n'accepterai  pas. 

Quand  le  bataillon  apprit  le  départ  de  notre  com- 
mandant, il  en  déserta  60  dans  la  tttiii. 

Maintenant  G)urbalai  est  commandant  en  chei. 

Le  citoyen  Lenoir  vient  de  me  remettre  à  l'instant 
la  lettre  de  ma  sœur,  où  je  vois,  ma  chère  maman, 
que  votre  santé  se  rétablit;  j'en  serai  plus  content 
lorsque  je  l'apprendrai  dé  vouis  :  ce  que  j'attends  avec 
impatience.  11  parait  (ju'il  y  a  eu  encore  une  déroute 
et  qu'on  se  replie  sur  Angers.  J'ai  vu  une  lettre 
d'Angers,  qui  annonce  que  les  insurgés  sont  à  Laval  et 
prennent  la  route  de  Sablé. 

Hier,  on  a  battu,  ici,  la  générale;  on  a  fait  couper 

1.  Le  capitaine  quartier-maître  trésorier  faisait  partie 
de  rétat-major  des  bataillons  de  volontaires,  en  compa- 
gnie de  l'adjudnnt  major,  du  lieutenant-colonel  en  second 
et  du  licuLeri.inl-colonel  commandant  en  chef.  Sur  I  élec- 
tion de  letal-major  du  1**^  bataillon  de»  Volontaires  de 
Maine-et-Loire,  cf.  Grille,  op.  cit.,  t.  I,  p.  1»3. 


8  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

les  ponts  (le  la  Croix  verte  et  on  nous  menace  des 
insurgés'.  On  assure  que  l'armée  de  Charette  est 
rentrée  dans  le  Poitou  et  se  replie  ici.  Tous  les  habi- 
tants de  la  vallée  se  replient  avec  leurs  effets;  cet 
après-midi,  les  Iiabilants  de  Beau  fort-en-vallée  sont 
arrivés  et  nous  ont  dit  que  les  insurgés  étaient  chez 
eux.  Si  cela  est,  nous  courons  risque  d'être  [pris]  entre 
deux  feux;  nous  sommes  peu  de  monde  armé,  mais 
nous  nous  battrons  jusqu'au  dernier  moment.  De  la 
manière  dont  la  ville  est  fortifiée,  je  ne  crois  pas 
qu'ils  puissent  y  entrer,  il  y  a  trop  de  ponts. 

Je  suis  avec  respect  votre  fils, 

Michel. 

Mille  choses  à  ma  sœur". 

4.  Au  moment  où  les  Vendéens,  battant  en  retraite, 
allaient  attaquer  Angers,  Saumur  fut  mis  en  état  de  leur 
résister  par  Levasseur,  de  la  Sarthe  (Chassin,  op.  cit., 
p.  349). 

2.  Archives  particulières  de  M,  Michel,  conservateur 
du  musée  Saint-Jean,  à  Angers. 


AUX  ARMÉES  DU  RHIiN 

(1793-1797) 

1793 

A  la  citoyenne  Tullat,  veuve,  aubergiste,  à  Pionsat, 
district  de  Monlaigu-en-Combrailles,  département 
du  Puy-de-Dôme,  à  Pioîisat. 

Fait  à  Landau,  ce  7  du  mois  de  mai  1793. 

Ma  chère  mère, 

Je  vous  écris  ces  deux  mots  pour  vous  assurer  de 
mes  1res  humbles  respects.  Je  souhaite  que  votre 
santé  soit  aussi  bonne  que  la  mienne,  ainsi  que  celle 
de  mes  sœurs.  Voilà  la  troisième  lettre  que  je  vous 
envoie,  je  ne  reçois  aucune  réponse  do  vous.  Je  ne 
sais  si  vous  [ne]  recevez  pas  mes  lettres,  ou  si  c'est 
par  mauvaise  humeur.  Je  vous  dirai  que  nous  sommes 
à  la  barbe  de  l'ennemi,  que  nous  battons  tous  les  jours. 
Nous  sommes  en  ganiison  à  Landau  '.  Je  vous  dirai 
que  nous  sommes  malhcuroux  ;  nous  couchons  sur  la 


l.  Le  2*  bataillon  de  l'Allier  était  arrivé  à  Landau  le 
4  décembre  i792  et  il  y  avait  définitivemenl  pris  garnison 
le  6  (Lieutenant-colonel  Uutac,  Les  levées  départementales 
dans  l'Allier  tous  la  Révolution,  t.  I,  p.  138). 


10  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

paille  ;  nous  couchons  plus  souvent  dehors  que  sur  la 
paille.  Je  vous  dirai  qu'il  s'est  brûlé  un  arsenal  ;  nous 
avons  perdu  plus  de  trois  mille  fusils.  Nous  sommes 
sortis  le  jour  de  la  fête  à  Dieu  *  [sic]  ;  il  en  est  bien 
resté  sur  le  carreau  qui  ont  été  tués,  je  ne  peux  pas 
vous  en  dire  le  nombre,  on  lie  le  sait  pas  au  juste. 
Nous  [ne]  passons  pas  de  jour  qu'on  nous  tue  autant 
d'une  part  que  d'autre.  Nous  en  prenons  souvent 
des  prisonniers  de  guerre.  Nous  sommes  prêts  aller 
camper  pour  aller  joindre  l'armée  du  général  Gustine^. 
Si  le  général  Dumouriez  [ne]  nous  avait  pas  trahis, 
nous  [ne]  serions  pas  si  à  plaindre  '. 

L'ennemi  a  bloqué  la  ville  de  Mayence.  Si  le 
général  Dumouriez  [ne]  nous  avait  pas  trahis,  ils  [ne] 

1.  En  1793,  la  Fête-Dieu  tombait  le  jeudi  30  mai.  La 
chronologie  du  volontaire  Tullatest  donc  défectueuse.  De 
plus,  d'après  les  renseignements  recueillis  par  le  lieute- 
nant-colonel Dulac  (op.  cit.,  t.  I,  p.  139),  il  ne  semble  pas 
qu'en  avril  et  au  début  du  mois  de  mai,  la  garnison  de 
Landau  se  soit  trouvée  mêlée  à  des  engagements  aussi 
importants.  ïullat  doit  se  plaire  à  exagélet-  la  gravité 
des  combats  quotidiens  qui  mettaient  aux  prises  Prus- 
siens et  Français. 

2.  Sur  les  essais  irifriictùeux  dé  Cùstihe,  après  le  com- 
bat de  Herxheim  (6  mai  1793),  pour  percer  les  lignes  prus- 
siennes, cf.  <;huquet,  Lea  guerres  de  la  Révolution,  Wissem- 
bourg,  pp.  13  sqq.  La  garnison  de  Landau  devait  être 
mêlée  à  cette  derrlière  opération  de  Custine  en  Alsace, 
mais  elle  se  borna  à  faire  une  promenade  tranquille  hors 
des  murs  de  la  ville. 

3.  Dumouriez  avait  consortlmé  sa  trahison  en  mai-s  1793. 
Le  blocus  de  Mayëhcé  cottiniença  au  mois  d'avril  suivant, 
mais  les  Prussiens  étaient  déjà  établis  autour  de  la  ville 
depuis  le  début  de  cette  même  année. 


ÀtX    ARkÉfe^   Dti   tlÉIN  11 

ôèrâient  pas  bloqu(?s.  Us  sont  entourée  de  soixante 
mille  Prussiens,  qui  ont  sauté  le  t^hîh  ;  cela  li'empéche 
pas  que  nous  espérons  de  remporter  la  victoire. 

Je  vous  prie  de  me  faire  réponse  sitôt  la  présente 
reçue.  Je  finis  en  vous  embrassant  du  plus  profond 
dé  mon  cœur,  à  lotis  mes  perehts,  airisiqu'àM.  Morél, 
à  tous  ceux  qui  vous  parleront  de  moi  de  bien  faire 
n1(?s  compliments. 

Vous  mettrez  mon  adresse  :  au  citoyen  Jean  Tullat, 
volontaire  du  deuxième  bataillon  de  l'Allier,  en  gar- 
nison fi  Landau. 

Jean  Tullat*. 

7*  compagnie  du  second  bataillon 
de  rAllier. 

Je  vous  prie  de  laire  faire  l'adresse  comme  il  faut  ". 

Sans  adresse  \ 
A  Roih  *.  le  9  mai  1793  (an  iï  de  la  République). 
Citoyen, 
J'aurais   répondu    plus  tôt   h  la   lettre  que   vous 

Dfins  «on  onvrnîre  cité  (t.  Il,  p.  2081,  le  tieutenanl- 

m  Jean  Tuilier,  enrôlé  le  i7  sep- 

u'nie  du  2"  bataillon  de  l'Alllpr 

et  qui  fut  nommé  caporal.  Il  s'njçit  pcul-èlre  de  l'aulour 

de  cette  lettre,  dont  le  non»  amnil  <l(>  mnl  orlln>ern|)liiô 

dans  quelques  documents 

2.  Archives  particulière-    ut     \i     Mangerel.    maire  de 
Pion^at. 
S.  Celte  lettre  a  été  vraisemblablement  adressée  à  Clé- 

4.  Rott,  entre  tVissembourg  et  Lembach. 


12  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  sans  le  mouvement 
très  inattendu  que  le  bataillon  vient  de  faire  sur 
Wissembourg. 

Le  citoyen  Berthelot  *  n'est  plus  avec  nous  ;  je  suis 
fâché,  d'après  l'intérêt  que  vous  paraissez  prendre 
à  ce  jeune  homme,  de  ne  pouvoir  vous  en  rendre  un 
témoignage  satisfaisant.  Nous  avons  eu  cet  hiver  beau- 
coup de  maladies,  et  jamais  une  troupe  n'eut  un  plus 
grand  besoin  d'avoir  un  chirurgien  attentif,  exact  et 
actif.  Le  citoyen  Berthelot  n'a  déployé  dans  cette  cir- 
constance que  les  qualités  contraires  ;  un  mécontente- 


ment de  Ris,  qui  était  à  cette  date  membre  du  Directoire 
du  département  d'Indre-et-Loire.  On  sait  que  ce  conven- 
tionnel, né  en  1750  et  mort  en  1827,  prit  une  part  impor- 
tante aux  travaux  de  la  Commission  de  l'instruction 
publique  et  à  la  fondation  de  l'Ecole  Normale.  Rentré 
dans  la  vie  privée  jusqu'au  Consulat,  Clément  de  Ris  fut 
plus  tard  sénateur,  puis  pair  de  France.  Une  curieuse 
mésaventure  le  rendit  célèbre  :  au  mois  de  septembre  1800, 
des  Chouans  l'enlevèrent  et  l'enfermèrent  dix-neuf  jours 
dans  un  souterrain.  Trois  de  ses  agresseurs  furent  con- 
damnés à  mort.  On  trouvera,  au  cours  de  ce  volume,  un 
grand  nombre  de  lettres  d'habitants  du  département 
d'Indre-et-Loire  adressées  à  Clément  de  Ris.  Elles  nous 
montrent  toutes  en  quelle  haute  estime  ce  sincère  répu- 
blicain était  tenu  par  ses  compatriotes.  De  plus,  Clément 
de  Ris  recevait  des  armées  des  lettres  qu'il  se  chargeait 
de  transmettre  à  leurs  destinataires,  pour  obliger  ses 
correspondants.  On  verra  combien  les  habitants  du 
département  qui  combattaient  sur  les  frontières  témoi- 
gnaient de  reconnaissance  à  Clément  de  Ris,  en  échange 
de  ses  obligeants  services. 

1.  Le  «  citoyen  Berthelot  »  était  le  chirurgien  major 
du  3'  bataillon  des  Volontaires  d'Indre-et-Loire  depuis 
le  10  octobre  1792.  Il  donna  sa  démission  le  13  avril  1793. 


AUX   ARMÉES   DU   RHIN  13 

ment  universel  s'en  est  suivi,  je  me  suis  vu  forcé  de 
rassembler  le  bataillon  pour  qu'il  pût  émettre  son  vœu 
sur  le  citoyen  Berlhelot.  Le  vœu  presque  unanime  a 
été  pour  l'exclusion  :  Berthelot  a  donné  sa  démission, 
elle  a  été  acceptée  et  il  est  parti.  Voilà,  citoyen,  la 
vérité  des  faits  ;  véritablement,  ce  jeune  homme  a 
toujours  été  insensible  aux  reproches  de  négligence 
que  je  lui  ai  souvent  adressés. 

("e  que  vous  me  marquez,  citoyen,  sur  les  troubles 
intérieurs  est  déchirant;  l'incendie  lait  des  progrès 
eflrayants  ;  il  menace  notre  département .  Puisse-t-il 
pour  son  bonheur  renfermer  un  grand  nombre  de 
citoyens  tels  que  vous  '  ! 

Les  troupes  ennemies  nous  cernent  de  toutes  parts 
et  nous  tiennent  en  échec  sur  la  frontière  ;  il  paraît 
que  le  plan  des  despotes  coalisés  est  d'attendre  à  nos 
portes  les  succès  des  rebelles  de  l'intérieur  et  d'em- 
pêcher qu'on  ne  fixe  des  troupes  de  la  frontière  pour 
arrêter  leurs  progrès  '.  Paris  nous  envoie,  dit-on,  douze 
mille  patriotes  commandés  par  le  général  Santerre  '  ; 

1.  L'auteur  de  la  lettre  fait  allusion  aux  progrés  de  l'es- 
prit contre-révolutionnaire  en  Vendée,  où  l'insurrection 
avait  éclaté  pour  se  répandre  bientôt  en  Bretagne,  en 
Anjou  et  en  Poitou. 

2.  Cette  lettre  a  été  écrite  au  moment  où  Cuslinc  bat- 
tait en  retraite  sous  les  coups  des  coalisés,  tandis  que 
les  Prussiens  assiégeaient  Mayence.  Retenu  sans  doute 
par  le  scrupule  de  fournir  à  son  correspondant  d'affli- 
geants détails  sur  nos  défaites,  le  lieutenant-colonel 
Robert  ne  donne,  en  somme,  aucun  renseignement  précis 
sur  la  situation  de  nos  armées. 

3.  Il  s'agit  du  fameux  brasseur  Santerre,  commandant 


14  AlU    service   PP   hA    MOTION 

il  faut  espérer  que  réunis  aux  bons  citoyens  ils  suffi- 
ront pour  repousser  les  brjgands.  Mais  où  sont  donc 
pas  flottes  ?  ^es  ministres  de  la  n^arine  me  paraissent 
être  bien  coupables,  quels  que  soient  les  événeipents 
et  les  circonstances  ;  mes  sentiments  d'accord  avec 
mes  principes  me  feront  combattre  pour  la  République 
jusqu'au  dernier  soupir.  Michel  Bauviji  est  d?Wis 
Mayence. 

Recevez  n^es  salutations  f^a^ternelles. 

Le  Commandant  du  3»  bataillon  d'Indre-et-Loire 
J.  Robert*. 

Au  citoyen  Valeyre,  tourneur,  restant  à  Riom, 
en  Auvergne. 

De  Frikenfeld*,  le  18  juin  1793. 
Mon  trè^  cher  père  et  ma  très  chère  mère, 

...  Comme  nous  sommes  à  un  poste  avancé  4p 
l'ennemi  de  Tavant-garde  de  l'armée  que  nous  occu- 
pons, nous  sommes  comme  l'oiseau  sur  la  branche  ^ 

de  la  Garde  Nationale,  si  populaire  auprès  des  Pari- 
siens. 

1 .  Le  lieutenant-colonel  Robert  commandait  le  3®  batail- 
lon de  Volontaires  d'Indre-et-Loire  depuis  le  26  sep- 
tembre 1792.  Il  avait  passe  par  les  grades  de  sous-lieute- 
nant et  capitaine  de  1773  à  1792.  Le  18  mai  1792,  il  avait 
été  nonimé  aide  de  camp  du  lieutenant-général  Chabril- 
lant. 

2.  Freckenfeld,  entre  Minfeld  et  Schaidt. 

3.  Le  chasseur  Valeyre  se  trouvait  à  l'avant-garde  ^e 
l'armée  du  Rhin. 


.\U\    ARMÉES    DU    RHIN  15 

4  chaque  instant,  nous  sommes  prêts  à  marcher.  Il 
(^'y  a  pas  de  jour  qu'il  n'y  ait  une  attaque  tantôt 
(J'un  çôUJ,  tantôt  de  l'autre,  à  te^le  heure  que  ça  soit. 
Y<)|là  i^ne  hiiitajne  de  jours  que  nous  p'ayong  pas 
quitté  notre  sac  et  tout  ce  que  nous  avons  dessus  le 
dos.  Être  toujours  en  marche  autant  la  nuit  (jue  le  jour, 
j\  voltiger  saqs  cesse  dans  le  pays  enneipi.  comme 
I  Cnnemi  daps  le  nôtre,  n'aypir  pas  reposé  un  i(^stant, 
être  gssommé  d'un  sommeil  ardeqt  et  la  fatigue  que 
nous  avions,  et  ne  pouvoir  pas  reposer.  Et  outre  de 
ne  pouvoir  pas  se  rafraîchir  seulejnput  d'une  goutte 
d'eau,  la  misère  nous  accable  *  et  pe  poiivQÎr  pas 
manger  quand  nous  voulons  ;  et  endurer  la  pluie  syr 
qolre  corps  et  le  mauvais  temps  qu'il  fait;  et  coucher 
dehors  par  les  fraîcheurs  qu'il  fait  dans  la  nuit,  à  qous 
reposer  sur  notre  fusil  et  toujours  sac  sur  le  dos, 

ut  prôts  à  partir.  Ah  !  Dieu,  ai  nous  avions  encore 
seulement  le  couvert  d'un  linceul  pour  nous  couvrir, 
afin  que  la  pluie  ne  puisse  pas  nous  mouiller  !  Mais  il 
n'est  point  possible  :  il  y  a  des  instants  que  le  fusil  ni 
la  personne  ne  peuvent  travailler,  parce  que,  une  fois 
que  le  fusil  est  mouillé,  aussi  bien  que  l'amorce,  il 
n'est  pas  possible  que  le  fusil  prenne.  C'est  comme 
une  fois  que  le  froid  nous  a  surpris  et  mèq^e  niouillé 
tout  le  corps,  i)  n'est  pas  possible  d'avoir  le  môme 
courage  que  l'on  aurait,  n'étant  f>as  surpris  du  mau- 
Y^is  temps. 

IVous  avons  presque  lou.>>  les  jours  des  attaques 
avec  l'ennemi  ;  mais  ces  esclaves  tremblent  à  l'ap- 


16  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

proche  de  nos  fiers  républicains.  Nous  eûmes,  entre 
autres,  une  attaque  le  17  du  mois  dernier  dans  une 
plaine  à  côté  de  laquelle  il  y  a  un  bois  fort  épais  ;  les 
poltrons  sortirent  à  peine  200  pas  dans  la  plaine  ;  cela 
n'empôche  pas  que  nous  les  canonnâmes  d'impor- 
tance*. 

Nous  attendons  tous  les  jours  de  partir  pour 
Mayence  délivrer  nos  frères  d'armes  *.  Je  vous  dirai 
que  nos  frères  de  Mayence  ont  fait  plusieurs  sorties  et 
qu'elles  leur  ont  été  favorables.  Ils  ont  dernièrement 
pris  à  l'ennemi  des  vivres  pour  quinze  mois,  après 
leur  avoir  tué  beaucoup  de  monde  et  fait  prisonniers. 
S'il  y  a  quelque  chose  de  nouveau  à  l'avenir,  je  vous 
en  ferai  part.  Si  vous  voulez,  il  y  a  tous  les  jours  du 
nouveau  ;  mais  je  vois  qu'il  est  temps  de  finir  parce 
que  la  place  me  manque  et  que  je  n'ai  guère  de  temps 
à  moi  :  à  chaque  instant,  il  faut  marcher,  soit  d'alertes 
ou  d'autres  choses. 

Pour  la  vie,  votre  fils. 

Valeyre, 

chasseur  ^ 

1.  Le  17  mai,  Custine  fit  une  tentative  malheureuse 
pour  enlever  un  petit  corps  de  troupe  que  Wurmser  avait 
poussé  sur  la  droite  de  nos  forces  à  Rheinzabern.  Cf.  Gou- 
vion  Saint-Cyr..  Mémoires  sur  les  campagnes  des  armées  du 
Rhin  et  du  Rhin-et-Moselle,  t.  I,  pp.  55  sqq. 

2.  Mayence  devait  capituler  le  23  juillet  1793;  la  con- 
fiance du  chasseur  Valeyre  en  l'issue  favorable  du  siège 
mérite  d'être  remarquée,  car  elle  devait  être  partagée 
par  beaucoup  de  ses  «  frères  d'armes  ». 

3.  Enrôlé  le  15  novembre  1792. 


AUX    AnMKF?    nu    RHIN  il 

Voici  mon  adresse  :  Au  citoyen  Valeyre,  chasseur 
au  12*  bataillon  de  chasseurs  d'infanterie  légère,  à 
Frickenfeld,  par  Wissembourg,  département  du  Bas- 
Rhin'. 

Au  citoyen  Helot,  maréchal,  à  Châteauroux,  paroisse 
de  Saint- André,  près  des  Trois  Bois,  route  d'Argen- 
tan (Indre). 

Camp  de  Soaitz*.  IS  août  1793  (an  II). 
Mon  très  cher  frère, 
Depuis  le  camp  de  Wissembourg',  nous  passâmes 
à  celui  de  Meinfeld*,  où,  après  nous  être  disposés 
huit  jours  à  aller  délivrer  nos  frères  de  Mayence  ', 
qui  ont  capitulé  ces  jours,  notre  armée  marcha  sur 
trois  colonnes  à  l'ennemi*.  Elle  l'attaqua  vivement 

1.  Archives  de  Riom. 

2.  Probablement  SouUz-sou&-Poréts,  au  sud-ouest  de  Lau- 
tcrbourg  et  au  sud  de  Wissembourg. 

3.  Au  printemps  de  l'année  1793.  Cusline  avait  établi 
')lid«mpnt  une  partie  de  son  armée  du  Khin  au  camp  du 

(.  en   arriére   de    Wissembourg   (Chuquet.   Les 

ij  la  Révolution,  Wisxembourg.  p.  24).  C/est  ce  camp 

du  ijt-ia;il*erg  que  le  volontaire  belot  doit  désigner  sous 
le  nom  de  camp  de  Wissembourg. 

4.  Au  lieu  de  Meinfeld.  il  est  plus  vraisemblable  de  lire 
Minfeld,  a  la  lisière  du  Bienwald,  entre  Freckenfeld  et 
Langenkandel,  au  nord  de  Lauleri)ourg. 

5    Hffiiiharnais,  qui  avait  remplar.    i  •te 

de  r.iiiiK  (•  du  Rhin,  avait  projeté  de  i.  o, 

en  combinutit  ses  opérations  avec  l'anui  >  i'.'jeUe. 

Sur  ses  plans,  cf.  (bouquet,  op.  cU.,  pp.  4'i  ^ 

0.  Sur  la  capitulation  de  Mayence  le  13  juillet  1799,  cf. 
les  lettres  publiées  pp.  iO  et  M.  L«  récit  du  volontaire 


18  AU   SERVICE   DE   LA   NATION 

dans  les  villages  des  côtes  derrière  Landau,  le  débus- 
qua de  deux  ou  trois  éminences  qui  les  dominent, 
tandis  que  notre  bataillon,  le  i"  du  Piémont  et  le  3^  de 
l'Ain,  colonne  du  centre,  reposâmes  toute  la  journée  à 
l'ombre,  mais  nous  y  restâmes  trois  jours,  parce  que 
la  chapelle  Sainte-Anne  arrêta  nos  troupes  épuisées. 
Nos  ennemis  perdirent  bien  du  monde  dans  ce  pre- 
mier combat.  Notre  perte  ne  fut  pas  considérable.  La 
seconde  bataille,  le  22,  fut  pour  notre  colonne  du 
centre.  Nous  surprîmes  l'ennemi  au  bois  d'Offembach  ; 
nous  le  fchassâmes  ;  nous  mimes  le  feu  aux  postes 
avancés  des  émigrés  ;  nous  bivouaquâmes  huit  jours. 
Ils  avaient  25  redoutes  au-dessus  du  bois  ;  nous  étions 
trop  peu  pour  franchir  cet  obstacle,  et  nous  atten- 
dîmes en  vain  l'aide  de  la  colonne  de  droite.  Celle  de 
gauche  se  battait  toujours.  Elle  avait  chassé  les  Prus- 
siens du  village  de  Dame  et  de  la  chapelle  Sainte- 
Anne.  Le  chef  de  ses  défenseurs  se  suicida  de  déses- 
poir en  s'écriant  qu'il  ne  connaissait  plus  de  barrières 
impénétrables  aux  Français.  Le  poste  et  le  village 
brûlaient  * . 

Belot  manque  de  clarté.  Les  deux  combats,  dont  il  raconte 
brièvement  les  principales  phases,  n'ont  point  eu  lieu 
après  la  prise  de  Mayence  puisqu'ils  se  sont  produits  le 
19  et  le  22  juillet.  Les  engagements  heureux  se  rattachent, 
au  contraire,  à  la  suite  des  opérations  engagées  par 
Beauharnais  pour  la  délivrance  de  Mayence.  Sur  ces  deux 
combats,  cf.  Chuquet,  op.  cit.,  pp.  49-52. 

1.  Offenbach,  à  5  kilomètres  de  Landau.  La  Chapelle 
Sainte-Anne  (427  m.),  à  l'ouest  de  Burrweiler,  figure  sur 
la  carte  de  Cassini  sous  le  nom  de  Chapelle  de  Burweiler. 
Il  n'y  a  point  de  village  du  nom  de  Dame  dans  la  région. 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  19 

Le  2T,  nouveau  combat,  le  plus  sanglant  de 
tous.  Notre  bataillon  eut  8  tués  et  quelques  blessés. 
A  notre  droite,  le  1"  de  Piémont  perdit  30  hommes, 
50  blessés;  le  3*  de  l'Ain,  à  gauche,  perdit  quelques 
canonnière.  Les  pertes  de  l'ennemi  furent  considé- 
rables en  morts,  blessés  et  prisonniers.  Cependant 
leurs  forces  de  Mayence,  en  marche  depuis  quelques 
jours  étant  arrivées,  nous  ne  nous  trouvâmes  plus 
que  cinq  bataillons  contre  14  000  hommes,  dont  4000 
de  cavalerie  nous  cernaient.  Nous  n'étions  qu'à 
deux  doigts  de  notre  perte.  Notre  général  la  pleurait 
d'avance,  mais  tout  à  coup  !  oh  prodige  !  un  orage 
affreux  nous  sauva.  Un  déluge  de  pluie  favorisa  notre 
retraite;  nous  la  dirigeâmes  à  perdre  haleine  vers 
Landau.  Nous  courûmes  10  lieues  dans  l'eau  et  la 
boue  jusqu'aux  genoux.  Plusieurs  perdirent  leur  sac 
d'effets  dans  cette  détresse.  La  surabondance  d'eau 
ôta  à  l'ennemi  le  pouvoir  de  nous  voir,  et  lorsque  nous 
fûmes  en  sûreté  en  France,  la  nuée  se  dissipa.  Nous 
avons  fait,  depuis,  trois  camps  et,  suivant  les  mouve- 
ments de  l'ennemi,  nous  gardons  nos  frontières.  Nous 
avons  tué  500  émigrés  à  Rimpsall  et  brûlé  une  com- 
pagnie dans  le  moulin*. 


1.  Attaqué  le  27  juillet  par  Wurmser,  qui  avait  surpris 

les  troupes  de  Ferrier,  Beauharnais  démoralisé  par  la 

'tulation  de  Mayence  battit  rapidement  en  retraite  : 

!  cet  échec  que  Basticn  Belot  rapporte  (Chuquet,  op. 

cit.,  pp.  54-55). 

2    Rimpiall  doit  désigner  Rinthal  sur  la  Queich,  entre 


âO  AU   SERVICE    DE    LA   NATION 

Ton  frère  très  affectionné  pour  la  vie, 

Bastien  Belot, 

volontaire,  7«  compagnie, 
!•' bataillon  du  Douba', 
près  Laulerbourg,  armée  du  Rhin'. 

Au  citoyen  Bénard,  maître  boulanger,  demeurant  au 
bourg  de  Pionsat,  district  de  Montaigu-en-Com- 
brailles,  département  du  Puy-de-Dôme,  en  Au' 
vergne. 

A  Sauniur,  le  2  septembre  1793. 

Mon  frère. 

Je  vous  écris  ces  deux  mots  pour  vous  donner 
de  mes  nouvelles  depuis  si  longtemps  que  je  [ne] 
vous  ai  pas  écrit.  Je  porte  bien  peine  de  savoir  de  vos 
nouvelles  ainsi  que  [de]  ma  belle-sœur  et  de  mes 
frères.  J'ai  reçu  une  lettre  de  vous  il  y  a  plus  de  cinq 
mois  de  cela,  dont  que  vous  me  marquiez  que  mon 
frère  est  mort.  J'ai  écrit  une  lettre  à  mon  beau-frère 
sur  ce  que  vous  m'aviez  marqué  de  l'indignité  qu'il 
avait  agi  vis-à-vis  mon  frère,  mais  je  ne  lui  ai  pas 
fait  savoir  de  la  part  que  je  le  savais  ;  mais  je  m'en 


Anweiler  et  Wilgartswiesen.  Nous  ne  savons  à  qUél  fait 
d'armes  Bastien  Belot  fait  allusion. 

1.  Le  15  août  1793,  le  l""^  bataillon  du  Doubs  incorporé 
à  l'armée  du  Rhin  comprenait  un  effectif  de  36  officiers 
et  de  780  hommes;  il  était  cantonné  à  Scheibenhard,  à 
côté  de  Laulerbourg  (Capitaine  Colin,  Campagne  de  1793 
en  Alsace,  i.  I,  p.  93). 

2.  Archives  municipales  de  Châteauroux.  H.  8§-93/38. 
Carton  24,  2«  série. 


AUX   AAlfÊES   DU    RHIN  tl 

souviendrai  longtemps.  Dieu  [ne]  le  bénira  pas. 
Pour  vous  faire  savoir  le  mal  que  j'ai  vu  à  Mayence, 
nous  étions  à  29.000  hommes,  nous  sommes  venus  à 
li.OOO.  Jugea  voir  à  propos  si  nous  [nous]  sommes 
battus  comme  il  faut'.  La  ville  était  entourée  par  l'en- 
nemi dont  nous  [ne]  pouvions  pas  sortir  seulemeqt 
trente  pas  de  la  ville,  et  toujours  à  nous  battre  avec 
rennemi,  à  ne  pas  pouvoir  rester  une  minute  dans  une 
maison  ;  il  ne  [se]  passait  pas  une  minute  sans  que  l'en- 
nemi tire  plus  de  200  bombes  ou  obus,  ou  boulets,  et 
ne  point  avoir  de  vivres  encore  qui  était  le  plus 
"^  iid  mal.  Nous  avons  mangé  900  chevaux,  chiens, 
ju'à  manger  des  chats  et  des  rats,  encore  nous  en 


Sur  le  siè^e  et  la  résistance  héroïque  de  Mayence, 

Mtet,   Les  guerres  de  la  Révolution,  t.   VU.  elles 

et  journaux  du  général  Decaen,  publ'és  par  nos 

.  t.  I.  pp.  3-49.  La  date  de  la  capitulation  indiquée 

t'  it  citoyen  »  Bénard  est  exacte,  ainsi  que  celle  de 

ve  de  sortie.  Le  57*  régiment  d'infanterie  fai- 

••  de  la  seconde  colonne  qui  quitta  Mayence  le 

iïi  juillet  dans  l'après-midi.  M.  Ghuquet  estime  [op.  oit., 

f).  270,  n.  3)  que  18.675  hommes,  y  compris  les  blessés  et 
es  malades  des  hôpitaux,  sortirent  de  Mayence.  D'après 
i'>  l 'tirnal  de  d'Oyré,   il   y   avait   20.363    hommes   daus 
iicc  à   l'époque   de   la  capitulation.   Le  volontaire 
id  n'est  pas  très  loin  de  la  vérité  en  déclarant  que 
\<Se  se  trouva  réduite  à.  14.000  hommes.   Les  détails 
'  "  r  sur  les  horreurs  >  '  \\nc  du  sic^o  de 

ni.  nullement  pxn  moires  dt  Decaen, 

Il  nen  ■  <•  du  chiffre  des 

qui  est  :  I   de  la  lettre.  11 

l,  que  leb  Uoupus  qui   bloquaient 
<  umpris  plus  de  40.000  hommes. 
Lcà  Frauvais  vaiiicuii  n'en  tuèrent  donc  paa  3l).000  ! 


22  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

pouvions  pas  en  avoir  assez.  Nous  [nous]  sommes 
rendus  par  force  ;  nous  avons  capitulé  le  23  juillet, 
nous  sommes  sortis  le  25  ;  nous  avons  laissé  nos 
pièces  de  canon  et  toute  notre  munition  ;  nous  [n'J avons 
que  emporté  nos  fusils  et  nos  gibernes,  mais  point 
de  cartouches.  Notre  cavalerie  a  amené  leurs  che- 
vaux, et,  depuis  que  nous  sommes  sortis,  voilà  plus 
de  200  lieues  que  nous  faisons. 

Nous  sommes  à  la  Vendée  pour  exterminer  tous  ces 
gens  de  brigands  où  ils  se  sont  rassemblés  beau- 
coup *  ;  ils  prennent  les  paysans  par  force  ;  ils  leur 
disent  qu'ils  ne  mourront  pas  du  coup  de  fusil  ni  du 
coup  de  canon .  Ils  leur  y  font  d'autres  bien  des  men- 
songes, et  qu'ils  viennent  que  à  cent  pas  de  moi,  que 
j'aie  mon  fusil,  ils  verront  s'ils  [ne]  mourront  pas. 

Quand  nous  étions  à  Mayence  à  nous  battre  que 
nous  pouvions  que  marcher  sur  les  corps  morts  et 
dans  le  sang,  nous  avons  perdu  15.000  hommes, 
mais  nous  en  avons  tué  des  ennemis,  35.000.  Je 
rends  grâce  à  Dieu  de  m'en  être  réchappé,  que  je 
devais  périr  comme  les  autres.  Faites  part  de  cette 
lettre  à  vos  amis  et  à  nos  parents.  Faites  bien  des 
compliments  au  citoyen  Albert. 

Mon  adresse  est  :  au  citoyen  Bénard,  soldat  au 
57*  régiment  d'infanterie,  ci-devant  Beauvoisis,  en 


1.  Après  la  capitulation  de  Mayence,  la  garnison  de  la 
place,  qui  avait  pris  l'engagement  de  ne  pas  prendre  les 
armes  contre  l'ennemi,  pendant  un  an,  combattit  les  Ven- 
déens insurgés. 


AUX  ARMEES   DU    RHIN  23 

garnison  à  Saumur,  déparlement  de  Maine-et-Loire. 
Votre  frère, 

Bénard, 

soldat*. 

lu  citoyen  Clément  de  Ris,  administrateur  du  dépar- 
tement d'Indre-et-Loire,  demeurant  à  Azay-sur- 
Cher^,  district  de  Tours,  département  d'Indre-et- 
Loire. 

Au  bivouac  de  Stûrzelbronn  *,  le  2  septembre  de  l'an  II 
delà  République  française,  une  et  indivisible  [1793]*. 

Cher  citoyen, 

Des  citoyens  volontaires  de  Véretz  *,  toujours  atta- 
chés aux  vrais  principes  d'une  constitution  qui  doit 
faire  notre  bonheur  commun,  vous  sont  très  recon- 
naissants des  sentiments  républicains  qui  ont  dicté 
votre  lettre  du...  ;  ils  se  font  un  vrai  plaisir  de  la 
conserver  cette  lettre  et  de  la  relire  sans  cesse  pour 
entretenir  en  eux  ce  saint  amour  de  l'égalité  qui 
caractérise  des  âmes  libres. 

1  Archives  de  Riom  (copie  communiquée  par  M.  le 
lieutenant  Saint-Arroman). 

2.  Azay-8ur-Cher,  c.  de  Bléré,  arr.  de  Tours. 

3.  Les  volontaires  qui  écrivent  cette  lettre  bivoua- 
quaient dans  la  forêt  de  Stûrzclbronn,  entre  Bitche  et 
Wissembourg. 

4.  Cette  lettre  doit  être  datée  du  6  septembre  de  l'an  I 
(1793)  et  non  de  l'an  11  (1794).  Ses  rédacteurs  ont  mal 
•  ,tl<  ulé  l'année  républicaine,  car  ils  lont  allusion  à  des 
<  vciiements  de  l'année  1793. 

5.  Véretz,  c.  de  Tours. 


24  AU    SERVICE    DE    L\   NATION 

De  grands  événementg  pont  survenus  depuis  notre 
départ,  tant  dans  les  voisinages  de  votre  cité  que 
dans  le  pays  que  nous  habitons  ;  la  trahison  comme 
vous  le  savez  y  a  toujours  joué  le  premier  rôle. 
Encore  le  traître  Custine,  qui  naguère  était  l'idole  de 
notre  armée,  vient  d'expier,  sous  la  glaive  de  la  loi, 
son  infâme  perfidie*.  Jusqu'à  quand  serons-nous 
donc  le  jouet  de  tous  ces  hommes  vendus  au  parti 
royaliste  ! 

Brave  républicain  !  tandis  que  sur  les  bords  du  Rhin 
nous  nous  efforcerons  de  déjouer  au  prix  de  notre 
sang  les  projets  infâmes  des  Brunswick,  des  Cobourg 
et  des  Pitt'',  faites  en  sorte,  par  vos  sages  conseils, 
d'ouvrir  les  yeux  au  malheureux  peuple  qui  se  laisse 
si  facilement  égarer  parle  petit  nombre  d'aristocrates 
qui  ne  cessent  de  le  tourmenter.  C'est  du  zèle  que  les 
corps  administratifs  et  les  armées  mettront  à  remplir 
leur  tâche  que  nous  triompherons  de  nos  ennemis.  Par- 
donnez, s'il  vous  plait,  ces  petite^  réflexions  qui  ne 
méritent  pas  être  comparées  aux  vôtres,  vous  con- 
naissez les  sentiments  qui  les  dictent. 

1.  La  capitulation  de  Mayence  (23  juillet  1793)  causa 
la  perte  de  Custine.  Le  Comité  de  Salut  public  le  fit 
arrêter  et  comparaître  devant  le  tribunal  révolutionnaire 
8DU8  l'inculpation  de  trahison.  En  dépit  de  sa  défense 
énergique,  Custine  fut  condamné  à  mortel  guillotiné  le 
28  août  1793. 

g.  L'association  des  trois  noms  de  Brunswick,  de 
Cobourg  et  de  Pitt  pour  symboliser  les  ennemis  de  la 
République  était  devenue  courante  sous  la  plume  de» 
révolutionnaires. 


AVX   \HM6BS    DU    RHIN  41 

Le*»  journées  depuis  le  19  jusqu'au  â4  juillet  der- 
nier auraient  sans  doute  fait  la  gloire  de  l'armée  répu- 
blicaine du  Rhin,  mais  la  reddition  de  Mayence 
nous  a  arrtHéb  et  a  obligé  d'abandonner  en  un  jour  les 
succès  de  six  journées  de  travaux'. 

Nous  avons  quitté  depuis  un  mois  la  brigade  à 
laquelle  nous  étions  attachés,  et  qui  est  actuellement 
au  camp  de  Soissons,  pour  nous  joindre  aux  flan- 
queurs  de  gauche  de  notre  armée.  Nous  bivouaquons 
depuis  trois  semaines  au  milieu  des  montagnes  des 
Vosges;  nous  ne  sommes  qu'à  deux  petites  lieues  de 
l'ennemi.  Landau  est  bloqué  depuis  un  mois^  Les 
émigrés  et  les  Prussiens  se  sont  approchés  vers  la  fin 
du  mois  dernier  de  Wissembourg,  mais  ils  en  ont 
bientôt  été  repoussés  et  ont  payé  cher  leur  har- 
diesse. Us  sont  actuellement  à  deux  lieues  de 
Landau,  et  on  espère  que  le  grand  nombre  d'hommes 
que  fournissent  les  départements  des  Haut  et  Bas- 
Rhin,  aidé  de  l'armée,  va  achever  d'exterminer 
cette  horde  de   brigands  '.    Le  général  d'Abi-ande, 

I.  Les  volontaires  font  allusion  aux  vains  efforts  de 
Beauharnais  et  de  Bouchard  pour  débloquer  .Mayence. 

2  Au  moment  où  celte  lettre  était  écrite,  Wurmser 
>les  ciiloniu'S  pour  déloger  les  postes  français 
'm-.  Il  iiiiiiita-Mie  Sur  ses  efforts  et  sur  les  com- 
bat t aine  Colin,  La  campagne  de  1793 

en  A,.:-..  ^.  -  i  ...^.-  .a/,  p.  366  sqq..  Landau,  investi 

par  les  Prussiens  depuis  le  mois  d'août  1703,  fut  délivré 
par  nos  armées  le  "iH  décembre. 

3.  A  la  fin  du  mois  d'août,  les  Impériaux  et  les  émigrés 
qui  composaient  l'armée  de  Wurm$er  avaient  assailli 


26  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

qui  commandait  notre  division,  vient  de  s'émigrcr'. 

Adieu,  cher  concitoyen,  croyez  que  nous  ne  cesse- 
rons d'être  avec  les  sentiments  d'estime,  les  républi- 
cains de  Véretz  qui  demandent  une  réponse. 

Notre  adresse  est  toujours  à  l'armée  du  Rhin. 

F.  Meusnier,  a.  Brisson  Junior, 
Achille,  sergent. 

Le  citoyen  Tiry  à  son  épouse,  à  Saverdun"-  (Ariège). 

Saint-Jean  d'Angély,  le  27  septembre  1793. 
Ma  bonne  amie, 
Je  suis  fort  en  peine  de  ta  santé  ;  depuis  que  nous 


l'armée  du  Rhin,  auprès  de  Wissembourg  ;  en  avant  du 
Bienwald.  En  dépit  de  leur  belle  résistance  nos  troupes 
durent  reculer  et  se  replier  sur  Wissembourg  (Chuquet, 
Les  guerres  de  la  Révolution.  Wissembourg,  pp.  103-110).  Les 
républicains  de  Véretz  ne  sont  donc  point  des  témoins 
sincères,  des  événements  auxquels  ils  ont  pris  part.  La 
levée  en  masse  dans  les  départements  du  Haut-Rhin  et 
du  Bas-Rhin  amena  aux  armées  une  foule  de  paysans, 
d'  «  agricoles  »  indisciplinés,  dont  la  présence  augmenta 
encore  le  trouble  et  l'anarchie  qui  y  régnaient. 

1.  Le  général  d'Arlande  de  Salton,  et  non  d'Abrande,  émi- 
gra  le  24  août  1793  et  se  présenta  à  cette  date  au  camp  prus- 
sien. Il  commandait  le  13"  régiment  d'infanterie  et  avait 
organisé  la  défense  de  Nothweiler  et  des  postes  environ- 
nants :  jusqu'au  jour  de  son  émigration,  il  avait  fait 
preuve  de  courage  et  d'énergie.  Ses  soldats  ne  lui  repro- 
chèrent pas  seulement  sa  propre  trahison  :  ils  l'accu- 
sèrent aussi  de  les  avoir  trahis  (Chuquet,  op.  cit.,  pp. 
145-148). 

2.  Saverdun,  ch.-l.  de  c.  de  l'arr.  de  Pamiers  (Ariège). 


AUX  ARMÉES   DU   RHIN  27 

avons  quitté  Mayence,  voilà  deux  lettres  que  je  t'écris 
sans  réponse  de  toi  '.  Je  suis  très  inquiet. 

La  première  lettre  te  disait  de  m'écrire  à  Troyes, 
poste  restante.  Je  n'ai  rien  trouvé  ;  j'ai  patienté  jus- 
qu'à Orléans,  où  j'ai  quitté  l'armée  pour  entrer  à 
l'hôpital,  où  je  suis  resté  jusqu'à  mon  transport  à 
l'hôpital  de  Saint-Jean-d'Angély. 

A  Orléans,  je  t'écrivais  que  j'avais  été  blessé  au  bras 
droit  par  une  balle,  à  la  première  sortie  de  Mayence*, 
en  tombant  sur  le  corps  de  l'ennemi  à  deux  heures  du 
matin,  après  avoir  égorgé  deux  sentinelles  de  la 
grand'  garde  surprise  dans  ses  tentes.  Nous  nous 
sommes  battus  à  l'arme  blanche,  tué  beaucoup.  Je 
n'étais  pas  blessé  ;  le  feu  a  commencé  à  trois  heures 
du  matin  jusqu'à  sept  heures,  où  nous  fûmes  battus  à 
mitraille  et  à  boulet  par  l'ennemi.  Trop  incommodés 
par  ce  feu,  nous  avons  pris  d'assaut  la  redoute,  tué 
13  canonniers  :  j'ai  été  blessé. 

Les  grenadiers  du  1*'  et  du  2*  régiment  ont  beau- 
roup  souffert,  nous  avons  eu  l'avantage. 

Devant  un  renfort  sérieux  arrivé  h  l'ennemi,  nous 


1.  Cette  lettre  d'un  défenseur  de  Mayence  est  à  rap- 
procher —  pour  le  texte  et  les  notes  —  des  lettres 
publiées,  pp.  14  et  20. 

2.  La  première  sortie  des  défenseurs  de  Mayence  eut 
lieu  dans  la  nuit  du  10  au  11  avril  1793  (Chuquet,  op.  cit., 
p.  187).  Les  détails  donnés  par  le  volontaire  Tir>'  laissent 
supposer  qu'il  appartenait  à  la  colonne  commandée  par 
Schaal,  chargée  durant  cette  sortie  denlever  une 
redoute  hessoise. 


38  AU   SERVICE   DE    l,A   NATION 

sommes  rentrés  è  Mayerice,  mais  pour  peu  de  temps, 
car  nous  sommes  allés  chercher  les  blessés  sur  le 
champ  de  bataille,  car  les  ennemis  les  achevaient  à 
coups  de  fusil.  Nous  leur  avons  fait  payer  toutes  ces 
sorties. 

Le  citoyen  Marveille,  mon  lieutenant,  a  été  tué,  le 
15  avril,  par  une  balle  qui  lui  traversa  la  tôte  '.  Je  le 
regretterai  toute  ma  vie.  J'attends  ta  réponse  avec 
impatience.  Je  finis  en  t'embrassant  de  tout  mon 
ccpur. 

Compliments  à  ton  père  et  à  ta  mère,  à  toute  ta 
famille  et  ceux  qui  sont  dans  la  maison. 

TiRY, 

grenadier  au  60*  régiment  d'infanterie, 
ex-Royal-Marine, 
à  l'hôpital  de  Saint-Jean-d'Angély. 

Je  t'enverrai  l'extrait  mortuaire  du  aitoyen  Mar»- 
veille. 

Souhaite  une  bonne  santé  à  mon  père,  à  ma  mère. 

Tu  dois  connaître  la  misère  que  nous  avons  eue. 
Nous  avons  mangé  2.600  chevaux  ;  je  puis  me  vanter 
d'avoir  vendu  un  gigot  de  chien,  12  livres  en  argent 
et  3  livres  en  papier. 

i.  Jusqu'à  la  fin  du  mois  d'avril,  les  troupes  françaises 
se  livrèrent  à  des  sorties  presque  quotidiennes.  Le  15, 
elles  attaquèrent  le  village  de  iMoinbach  (Chuquet,  op. 
cit.,  p.  200).  L'historique  manuscrit  du  60°  régiment  d'infan- 
terie (Archives  Historiques  de  la  Guerre)  ne  contient 
aucun  détail  sur  cette  escarmouche  ni  sur  la  mort  du 
lieutenant  Marveille. 


AL\    AHMKKÏN    ni'     hllIN  2ÎÏ 

Quelle  misère  après  avoir  si  bien  combattu  et  avoir 
détruit  4.500  hommes  à  l'ennemi  et  1.600  à  nous!  Il 
faut  qu'ils  apprennent  à  se  battre  à  l'arme  blanche 
pour  se  battre  avec  nous.  Il  est  vrai  que  le  roi  de 
Prusse  nous  a  dit  que  ce  n'était  pas  le  droit  de  la 
guerre'  ! 

Sans  adresse. 

Citoyens  magistrats, 

Le  quatorze  de  ce  mois  la  générale  a  battu,  et  Ton 
criait  :  «  aux  armes  !  »  de  toutes  parts.  Le  parc  d'artil- 
lerie de  Saverne,  où  nous  sommes  attachés,  s'est  mis 
en  marche  contre  l'ennemi".  Mais  dès  Tinstant  que  ces 
brigands  d'Autrichiens  nous  ont  aperçus,  ils  se  sont 
sauvés  comme  des  lâches.  Nous  leur  avons  envoyé 

1    Archives  municipales  de  Saverdun,  carton  Ariège 
2),  XXVI. 

2.  Au  mois  d'octobre  1793,  l'armée  du  Rhin  battait  en 
retraite  après  la  victoire  de  Wurmser  à  Saverne.  Comme 
il  importait  que  nos  troupes  restassent  en  possession  de 
Saverne,  une  division  conduite  par  le  général  Sautter  s'y 
établit  et  y  demeura,  en  dépit  des  vigoureuses  attaques 
des  .\utrlchien8  (22-24  octobre).  —  Cf.  Chuquet,  Les  guerres 
de  la  Hf^rolutton.  Hocfie,  chap.  t,  et  Colin,  Campagne  de 
179.J  eu  Al»ace,  p.  r>36  sqq..  —  Nous  n'avons  pas  trouvé 
i!i'  iilion  d  un  -  cnt  qui  aurait  mis  aux  prises,  le 

I  »  iMivembre,  i  »'s  autrichiennes  et  la  gauche  de 

I  armé*'  du  Khiu  :  lauleur  de  la  lettre  doit  faire  allusion 
1  iiiic  e.scarmouche  insignifiante.  Au  mois  de  novembre, 
I  !ifgru  nommé  au  commandement  de  l'armée  y  avait 
r  •  rjranisc  la  discipline  et  s'était  préparé  A  forcer  les 
li(f  !ir*8  autrichiennes.  Le  18  novembre,  il  allait  remporter 
8ur  Wurmser  une  première,  mais  légère  victoire. 


30  AU   SERVICE   DE   LA   NATION 

quelques  coups  de  canon,  qui  ont  fait  mordre  la  pous- 
sière à  plus  d'une  centaine  des  leurs,  et  nous,  nous 
n'avons  perdu  que  peu  de  monde,  attendu  que  l'en- 
nemi tire  trop  haut.  Le  fameux  scélérat  de  prince 
Louis  est  aussi  alarmé.  Il  s'était  flatté  de  venir  dîner 
dans  son  château  de  Saverne,  parce  qu'il  en  était  ci- 
devant  seigneur^,  mais  nous  lui  avons  appris  qu'il  ne 
fallait  jamais  compter  sans  son  hôte  :  c'est  le  cas  de 
compter  deux  fois.  Nous  ne  sommes  qu'à  une  lieue 
de  l'ennemi.  Au  moment  que  je  vous  écris,  l'on 
vient  de  retirer  un  espion,  habillé  en  gendarme;  il  a 
les  yeux  bandés  et  on  lui  fait  faire  le  tour  de  la  ville 
et,  de  suite,  on  va  lui  casser  la  tôte.  Encore  un  scé- 
lérat de  moins.  Ça  ira,  ça  ira,  ça  ira  ! 

J'ai  entendu  dire  qu'il  y  avait  de  grandes  mesures 
de  prises  par  l'état-major  de  Saverne  et  que,  sous 
peu  de  jours,  nous  devrions  faire  un  mouvement 
général  conjointement  avec  l'armée  de  la  Moselle. 
Par  là,  l'ennemi  se  trouvera  attaqué  sur  trois  faces. 

Gomme  je  finis  ces  mots,  le  général  vient  de  nous 
donner  ordre  de  nous  tenir  prêts  pour  quatre  heures 
du  matin.  Il  nous  a  promis  que  l'affaire  serait  très 
chaude.  Tant  mieux;  je  vous  promets  que  cela  ne 
m'intimide  pas  plus  que  quand  j'allais  chanter  la 
messe  à  Saint-Lazare.  Ça  ira,  ça  ira! 

Je  vous  jure,  citoyens  magistrats,  que  jamais  Cha- 

d.  Le  prince  Louis,  ci-devant  seigneur  de  Saverne,  est 
le  héros  de  l'affaire  du  collier  :  Louis  de  Rohan,  évêque 
et  cardinal  de  Strasbourg. 


AUX   ARMÉES   DU   RHIN  31 

tclain  ne  deshonorera  votre  pays.  Je  vous  recom- 
mande ma  petite  femme  et  mon  fils  (vous  êtes  les  pro- 
tecteurs des  veuves  et  des  orphelins),  et  je  vous  prie 
de  veiller  à  ce  que  les  aristocrates  ne  les  vexent  pas. 

Je  suis,  citoyens  magistrats,  avec  le  respect  dû  à 
'''•s  magistrats  du  peuple  et  votre  égal  en  droit. 

La  générale  bat,  je  vole  au  combat.  Vive  la  Répu- 
blique une  et  indivisible  ! 

Châtelain, 
commandant  la  2*  escouade  des  canonniers*. 

Au  parc  de  Saveme,  à  trois  heures  du  matin,  le 
16  novembre  1793,  l'an  ir  de  la  République  une  et 
indivisible. 

P.  S.  —  Je  vous  prie  de  donner  de  mes  nouvelles 
à  ma  petite  et  de  lui  dire  que  je  me  porte  bien  '. 

Au  citoyen  Charles  Rousseau,  cocher, 
à  Indreville'  (Indre). 

Au  bivouac  de  l'avant-garde,  en  avant  de  Verchem, 
i  nivôse  an  II  [22  décembre  1793]. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère, 
Tous  me  félicitez  parce  que  je  suis  encore  au.x 

.  Antoine  Châtelain,  lieutenant  en  pied  de  la  9*  com- 

'pagnic  du  i"  bataillon  des  canonniers  de  Paris,  arriva  à 

Metz  le  24  avril  1793,  comme  lieutenant  conducteur  des 

hommes   de  la   4"  division   du   contingent  du    district 

^jùlkvallon,  incorporés  avec  lui. 

^Pl.  Archives  départementales  de  l'Yonne. 

i  IndrevilleouIndrelibredésignentChâtcauroux^Figuè- 
^,  Les  noms  révolutionnaires  des  Communes  de  France,  p.  29). 


32  AU   SERVICE    DR    LA   NATION 

canonniers,  mais  je  vous  dirai  que  je  suis  rentré  dans 
ma  compagnie,  où  j'ai  été  nommé  caporal  par  le 
suffrage  de  mes  camarades*.  C'est  ce  qui  m'a  engagé 
à  changer  si  souvent  de  corps.  Vous  m'engagez  à 
avoir  du  courage  :  soyez  persuadés  que  cela  ne  me 
manque  pas,  et  que,  bien  loin  de  paraître  comme 
ces  lâches  qui  abandonnent  leur  Patrie,  je  brûlé  du 
plus  ardent  amour  pour  la  République,  et  que  je 
périrai  avant  d'abandonner  ma  Patrie.  J'ai  fait  ser- 
ment de  ne  point  abandonner  mon  drapeau  avant 
d'avoir  chassé  du  territoire  français  tous  les  satellites 
des  despotes  couronnés  et  coalisés  contre  nous... 

Je  vous  apprendrai  pour  nouvelles  que,  depuis 
environ  deux  mois,  nous  avons  l'avantage  de  repousser 
l'ennemi.  Nous  sommes  presque  tous  les  jours  aux 
prises  avec  les  Prussiens  et  les  Impériaux.  Jusqu'à 
présent,  j'ai  eu  le  bonheur  d'échapper  à  la  rapidité 
des  boulets  ainsi  qu'à  la  fureur  de  nos  ennemis.  Il  y 
a  quelque  temps  que  nous  étions  auprès  de  Strasbourg  ; 
à  présent,  nous  en  sommes  à  plus  de  trois  heures. 
Nos  armées  sont  victorieuses  partout  ;  on  assure  que 
nous  avons  une  colonne  qui  va  prendre  par  derrière 
les  Prussiens  qui  assiègent  Landau.  Haguenau  est 
en  notre  pouvoir  depuis  hier,  et,  selon  les  apparences, 
l'Alsace  sera  libre  avant  qu'il  soit  peu.  Enfin  pour 


1.  Dans  les  armées  révolutionnaires,  les  grades  étaient 
conférés  par  l'élection,  combinée  avec  l'ancienneté  de 
grade  ou  de  service,  depuis  la  loi  du  21  février  1793.  Le 
Directoire  transforma  peu  à  peu  cet  état  de  choses. 


AUX   ARMÉES   DU   RHIN  33 

mieux  vous  dire,  ça  va  malgré  que  nous  ayons  beau- 
coup de  peine.  Nous  couchons  dehors  tous  les  jours 
et  la  vermine  nous  mange,  mais  c'est  pour  la  Répu- 
blique ;  nous  le  faisons  avec  courage. 

Je  vais  vous  dire  que  nous  sommes  réunis  en 
groupe  pour  écrire  cette  lettre;  tous  du  pays,  nous 
assurons  de  notre  respect  nos  pères  et  mères.  Nous 
sommes  :  Chaumereau,  fils  du  maréchal  des  logis  de 
gendarmerie,  Crépin,  Joussel,  de  Saint-Martin,  Thui- 
lier,  ci-devant  de  Saint-Martin  *. 

Tous  vous  font  leurs  compliments  et  vous  prient 
de  donner  de  leurs  nouvelles  à  leurs  parents  en  leur 
présentant  leurs  respects.  Us  se  portent  bien... 

Le  petit  Messager  a  été  blessé  légèrement  à  la  tête 
par  une  balle*... 

Joseph  Rousseau. 

s*  bataillon.  8*  compagnie  de  l'avant-garde. 

37»  régiment  d'infanterie. 

En  avant  de  Verchem  par  Strasbourg  '. 

1.  Saint-Martin-de-Lamps  (Indre),  arr.  de  Châteauroux, 
c.  de  Levroux. 

2.  Cetlre  lettre  de  belle  allure,  qui  exprime  de  nobles 
sentimeDts,  est  assez  diflicile  à  apprécier  du  point  de  vue 
historique.  Nous  ne  savons,  en  effet,  où  se  trouve  Verchem, 
car  aucune  localité  au  nom  se  rapprochant  de  celui-là 
ne  se  trouve  sur  la  carte  de  Cassini,  entre  Strasbourg  et 
Landau  (route  de  l'arniéc  du  Khin  sous  la  direction  de 
Hoche).  De  plus,  cette  lettre  est  datée  du  22  décembre, 
jour  de  la  victoire  de  Hoche  à  Frœschwilier  (Chuquet,  Les 
guerres  de  la  Révolution,  Hoche,  p.  130  sqq) .  Or,  Joseph  Rous- 

3.  Archives  de  Châteauroux,  H.  89.  03/26,  Carton  24, 
2*  Bérie. 


34  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 


1794 

Des  volontaires  à  leurs  amis  de  la  Société  populaire 
de  Saint-Jean  de  LosneK 

Strasbourg,  16  nivôse  an  II  [5  janvier  1794]. 
Républicains,  frères  et  amis,  nous  sommes  arrivés 
à  Strasbourg  le  i3  [2  janvier  1794];  il  y  avait  déjà 
plus  de  dix  jours  qu'un  décret  avait  dissous  la 
propagande,  nous  n'avons  pu  y  assister;  voilà  donc 
notre  première  mission  remplie,  mais  non  selon  vos 
désirs  ^. 

seaun'y  fait  aucune  allusion.  Enfin,  les  troupes  de  Ferino 
entrèrent  dans  Haguenau  le  24  décembre  1793,  et  non  le 
21,  comme  le  dit  J.  Rousseau.  Dans  ces  conditions,  on 
peut  déduire  de  cette  lettre,  visiblement  écrite  par  un 
soldat  de  l'armée  du  Rhin,  au  moment  où  cette  armée 
dirigée  par  Hoche  allait  à  la  délivrance  de  Haguenau  : 
1°  que  les  volontaires  ne  savaient  pas  dater  leurs  lettres 
et  quils  connaissaient  mal  la  chronologie  révolution- 
naire; 2°  que  les  volontaires  ignoraient  ce  qui  se  passait 
dans  leur  armée,  puisque  Rousseau  parle  de  la  prise  de 
Haguenau,  postérieure  à  la  victoire  de  Frœschvi^iUer, 
sans  faire  aucune  allusion  à  Frœschv^riller. 

1.  Ch.-l.  de  c.  de  l'arr.  de  Beaune  (Gôte-d'Or). 

2.  Le  6  décembre  1793,  les  représentants  en  mission 
Saint-Just  et  Lebas  avaient  obtenu  un  décret  de  la  Con- 
vention pourchasser  de  Strasbourg  les  «  propagandistes  ». 
Les  «  propagandistes  ou  propagandaires  »,  revêtus  d'un 
costume  théâtral,  parcouraient  la  ville  en  prêchant  la 
Révolution,  le  culte  de  la  Raison  et  en  passant  les  troupes 
en  revue  (Chuquet,  les  guerres  de  la  Révolution,  Hoche  et 
la  lutte  pour  l'Alsace,  p.  34), 


AUX    ARMÉES    DC    RHIN  35 

Le  drapeau  a  été  remis  à  nos  frères,  sans  céré- 
monie, car  je  crois  qu'ils  seront  incorporés  au  premier 
jour  avec  le  3"  bataillon  de  la  Côte-d'Or'.  Celui  qui 
est  chargé  de  cette  afTaire  est  un  de  mes  bons  amis 
et  m'a  dit  qu'il  retarderait  le  plus  qu'il  serait  possible. 

■Vous  vous  avions  promis  des  nouvelles  !  Crions 
tous  :  «  Vive  la  République  !  »  ;  victoires  sur  victoires*, 
frères  et  amis  !  les  Français  sont  à  Worms,  peut-être 
à  Mayencc  ;  le  butin  qu'ils  ont  pris  monte  à  plus  de 
200  millions,  sans  compter  les  canons,  bagages, 
prisonniers,  etc..  Xous  sommes  bien  fôchés  de  ne 
pouvoir  encore  vous  annoncer  la  prise  du  Fort  Vau- 
ban  ;  nous  espérons  vous  l'apprendre  bientôt,  car 
l'on  doit  donner  aujourd'hui  une  attaque  générale  '. 

1.  Le  3«  bataillon  de  la  Côte-d'Or  faisait  partie  de  la 
division  Halry.  a  l'armée  de  la  Moselle  (Etat  des  forces 
de  larmée  de  la  Moselle  au  17  février  1794,  publié  par 
Chuiiuet,  op.  cit.,  p.  228,  n°  1). 

2.  Ces  «  victoires  sur  victoires  »  doivent  s'entendre  des 
succès  éclatants  de  Hoche  à  FrœschwilleretauGeissberg, 
qui  amenèrent,  en  décembre  1794,  la  reprise  de  l'Alsace, 
le  dchlocus  de  Landau  et  la  retraite  des  Impériaux.  Mais 
les  volontaires  de  la  Côle-d'Or  dénaturent  singulièrement 
les  faits  en  écrivant  à  leurs  concitoyens  que  «  les  Fran- 
çais sont  a  Worms,  peut-être  à  Mayence  ».  Les  troupes 
françaises,  sous  la  conduite  de  Hoche  et  de  Moreau, 
entrèrent  à  Cicrmersheim,  a  Spire  et  à  Kaiserlautern  : 
elles  ne  poussèrent  pas  plus  avant  leurs  conquêtes  et 
prirent  bientùl  leurs  quartiers  d'hiver  (Chuquet,  op.  «<., 
pp.  130-244). 

3.  Les  noms  de  Fort  Vauban  ou  de  Fort  le  Traître  dési- 
gnaient les  ouvrages  fortifiés  de  Fort  Louis.  Le  général 
Durand  avait  livré  la  place  au  général  Lauer  le  13  no- 
vembre i793.  Après  les  victoires  de  Uoche,  les  Autri- 


36  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

On  (iit  que  la  garnison  a  juré  de  mourir  dans  la 
place,  mais  à  quoi  sert  le  serment  des  esclaves  contre 
la  valeur  des  républicains.  Qu'ils  tremblent  les  tyrans  ! 
ils  seront  bientôt  anéantis. 

La  ville  de  Strasbourg  va  divinement  ;  la  guillo- 
tine est  toujours  en  activité  ;  elle  doit  jouer  aujour- 
d'hui. Ah  !  si  vous  saviez  quel  effet  elle  produit  dans 
cette  commune  !  elle  fait  plus  que  des  miracles  ;  dans 
un  jour,  elle  convertit  plus  de  monde  que  tous  les 
saints  (ci-devants)  du  soi-disant  Paradis. 

Nous  avons  beaucoup  de  choses  à  vous  dire  de  la 
part  de  nos  volontaires,  qui  nous  prient  de  vous 
adresser  l'assurance  de  leur  attachement. 

Quant  à  nous,  républicains  et  amis,  comptez  sur 
notre  zèle  et  notre  dévouement  pour  la  chose 
publique...  Nous  tâcherons  de  mériter  votre  confiance 
dans  toutes  les  occasions  ;  s'il  fallait  aller  aux  anti- 
podes pour  le  bien  de  la  République,  croyez  que  nous 
sommes  prêts  à  partir  et  que  rien  ne  peut  écarter  du 
chemin  de  vrais  républicains,  que  vous  nous  avez 
tracé,  en  vous  conjurant  de  nous  croire  pour  la  vie 
vos  frères  et  amis  ^ . 

Colin,  Lépreux  aîné. 

chiens  n'attendirent  même  pas  d'être  assiégés  par  les 
troupes  du  général  Michaud.  Le  18  janvier  1794,  ils  éva- 
cuèrent Fort  Louis,  après  avoir  fait  sauter  les  remparts 
(Chuquet,  op.  cit.,  pp.  11-14  et  226). 

1.  Sur  la  formation  des  bataillons  des  volontaires  de  la 
Côte-d'Or,  cf.  Sadi  Carnot,  Les  /olontaires  de  la  Côte-dOr. 
Origines  historiques,  formations  de  1789  et  1791.  Veillée  des 
Armes.  Dijon,  1906,  in-4°. 


ADX   ARMÉES   DU    RHIN  37 

A  la  Citoyenne  TuUat,  veuve,  aubergiste,  à  Pionsat, 
district  de  Montaigu,  département  du  Puy-de-Dôme. 

Fait  à  LinienTeld.  ce  5  germinal,  l'an  II  de  la  République 

une,  indivisible,  impérissable  [35  mars  17'J4]. 

Mort  aux  tyrans,  à  leurs  esclaves  ! 

Ma  chère  mère, 

Je  vous  écris  ces  deux  mots  pour  m'informer  de 
l'élat  de  voire  santé,  ainsi  que  de  celle  de  mes 
sœurs,  ainsi  qu'à  tous  mes  parents.  Voilà  la  seconde 
l«'ltre  que  je  vous  envoie  ;  je  n'en  reçois  pas  de  nou- 
velles. Je  vous  dirai  que  nous  sommes  été  bloqués 
pondant  l'espace  de  six  mois  par  notre  ennemi.  Nous 
t'iions  à  Landau ,  nous  avons  bien  souffert  ;  nous 
.sommes  été  obligés  de  manger  du  cheval  ;  nous 
[n']avions  plus  de  vivres;  nous  avions  affaire  avec  un 
lx)n  général,  qui  n'a  pas  voulu  rendre  la  ville  de 
landau  '.  Plutôt  périr  surplace  que  de  l'abandonner; 
nous  avions  juré  de  ne  pas  l'abandonner  qu'à  la  mort, 
.Vous  avons  été  bombardés  pendant  quatre  jours  et 
quatre  nuits.  11  a  péri  bien  du  monde,  ça  ne  pouvait 
pas  faire  différemment,  mais  nous  en  sommes  venus 
à  boul  :  nous  les  avons  repoussés,  nous  les  avons  fait 

1.  Sur  la  conduite  du  2"  bataillon  de  r.\llicr  durant 
le  blocus  de  Landau  (27  juiIlet-28  décembre  1793),  on 
lira  avec  inU-rél  les  pages  que  le  lieutenant-colonel  Dulac 
a  consacrées  à  ces  faits  de  guerre  [op.  cit.,  t.  1,  pp.  131- 
156).  M.  (Ihuquet  a  écrit  un  récit  détaillé  du  siège  de  Lan- 
dau dans  son  volume  des  Guerres  de  la  Révolution,  Hoche 
et  la  lutte  pour  l'Alsace,  pp.  198-219.  Le  «  bon  général  »  est 
le  général  Laubadére. 


38  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

sauter  le  Rhin  à  une  bonne  partie.  Nous  sommes  à 
présent  à  quatre  lieues  de  Landau,  dedans  un  petit 
village  qu'on  appelle  Linienfeld,  tout  auprès  de  Cor- 
nucha,  aux  bords  du  Rhin\  Aux  bords  du  Rhin, 
nous  sommes  cantonnés  ;  là  nous  [nous]  battons  tous 
les  jours.  Nous  ne  pouvions  pas  souffrir  davantage  ; 
nous  avons  acheté  du  pain  de  munition  qui  nous 
coûtait  jusqu'à  six  livres  et  le  vin  qui  se  vendait 
cinq  livres  la  bouteille  ;  un  pain  qui  pesait  trois 
livres,  ça  faisait  40  sous  la  livre.  Vous  savez  que  la 
paye  du  soldat  n'est  pas  bien  forte.  Je  vous  dirai  que 
je  suis  été  nommé  caporal. 

Je  finis  [en  vous]  embrassant  de  tout  cœur  ainsi 
que  tous  mes  parents  et  bons  amis,  sans  oublier  le 
citoyen  Morel.  Je  vous  prie  de  me  marquer  ce  qu'il 
y  a  de  nouveau  au  pays. 

Mon  adresse  :  au  citoyen  TuUat,  caporal  de  la 
T  compagnie  du  deuxième  bataillon  de  l'Allier. . .  % 
par  Landau. 

Je  vous  prie  de  me  faire  réponse  sitôt  la  présente. 
Je  suis  toujours  votre  fils, 

Jean  Tullat  ". 

1.  Linienfeld,  ce  «  petiLvillage  à  quatre  lieues  de  Lan- 
dau »  est  Lingenfeld,  qui  fut  le  cantonnement  du  2"^  batail- 
lon à  partir  du  21  février  (Lieutenant-colonel  Dulac,  op. 
cit. y  t.  I,  p.  157). 

2.  Mot  illisible. 

3.  Sur  Jean  Tullat,  cf.  lettre  publiée  p.  9.  Les  deux 
lettres  de  ce  volontaire  sont  à  rapprocher  des  lettres 
écrites,  à  la  même  époque,  par  des  soldats  du  2«  batail- 


AUX   ARMKES    DU    RHIN  3'J 

Sa7is  adresse  [sans  doute  à  Nicolas  Thirion]. 

Au  camp  de  Longwy,  le  S2  floréal  de  l'an  II 
de  la  République,  1794  [11  mai  119*1. 

Liberté,  égalité. 

J  "ai  fu  la  fièvre  un  jour  ;  c'est  le  Iroid  qui  en  est 
cause,  puis  il  a  fait  trop  chaud  voilà  huit  jours.  J'ai 
reçu  de  vos  nouvelles  le  jour  de  la  fête  de  chez  nous, 
ce  qui  m'a  fait  un  sensible  plaisir, 

ÎVous  étions  encore  à  Arlon,  que  nous  avons  été 
obligés  de  (juilter  '  ;  on  espère  y  retourner  bientôt  ; 
nous  sommes  à  présent  proche  de  Longwy.  Je  vous 
dirai  qu'on  a  pris  deux  cents  pièces  de  canon  et 
même  deux  cent  soixante,  sans  compter  les  obusiers, 
et  deux  mille  pri.sonnicrs.  Il  y  a  ou  plus  de  deux 
mille  tués,  des  émigrés  pris  ;  on  s'est  emparé  de 
leurs  vivres,  de  leurs  munitions  de  guerre  ;  nos  gens 
sont  campés  dans  leur  camp. 

Nous  ne  sommes  plus  du  ii"  bataillon  de  la  Meurthe; 
on   nous  ;i    mrlés  avec  un  régiment  de  troupe   de 

Ion  de  l'Allier  et  puljli<>C8  par  le  lieuleiiant-colonel  Dulac, 
op.  cit.,  t.  11,  p.  2i)y  sqq.  La  présente  lettre  est  tirée  des 
Archives  particulières  de  M.  Mangerel,  maire  de  Fion- 
sat. 

i.  Le  18  avril,  sur  un  ordre  donné  à  l'armée  de  la 
Moselle  par  le  Comité  de  Salut  Public,  le  général  Hatry 
était  entré  à  Arlon.  Attaqué  le  30  avril  par  des  forces 
supérieures  aux  siennes,  Hatry  ju^ea  prudent  d'aban- 
donner Arlon  et  de  h»;  njplier  sur  Longwy  ^Commandant 
V.  Dupuis,  Les  opérations  léUlitaires  sur  la  Sainbre  en  1794, 
pp.  1-321. 


40  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

ligne  et  avec  le  7"  bataillon  de  la  Meurthe.  Nous 
sommes  dans  le  premier  bataillon  de  la  cent-dixième 
demi-brigade.  Vous  ferez  bien  attention  pour  adresser 
vos  lettres. 

C'est  le  commandant  du  7*  bataillon  de  la  Meurthe 
qui  nous  commande. 

Remy  Thirion. 

Aussitôt  la  présente  reçue,  vous  aurez  la  bonté  de 
m'écrire  tout  de  suite  ;  vous  ferez  bien  attention. 
Vous  mettrez  mon  adresse  :  au  citoyen  Remy  Thi- 
rion, volontaire  au  premier  bataillon  de  la  cent- 
dixième  demi-brigade.  Armée  de  la  Moselle.  Division 
du  général  Morlot,  par  Thion ville.  Vous  mettrez  tou- 
jours :  à  la  compagnie  de  Marton  ^ 

Réponse  de  Nicolas  Thirion,  père  du  volontaire. 

Beuvezain  *,  6  prairial  an  II  de  la  République  française 
[25  mai  1794]. 

Liberté,  égalité. 

J'ai  reçu,  mon  fils,  votre  lettre  en  date  du  22  flo- 
réal ;  votre  mère,  vos  sœurs  et  moi,  nous  avons  tous 
été  fort  aises  d'apprendre  que  vous  vous  portiez  bien. 
La  fièvre  que  vous  avez  eue  n'est  qu'une  légère  indis- 
position pour  un  républicain,  qui  doit  savoir  souffrir 

1.  Lettre  communiquée  par  M.  Thirion,  médecin-major 
de  l'«  classe  au  162"  régiment  d'infanterie. 

2.  Beuvezin,  c.  de  Golombey,  arr.  de  Toul  (Meurthe-et- 
Moselle). 


AUX    ARMÉES    DU   RHIN  4i 

et  mourir  pour  la  défense  de  la  liberté  et  de  son 
pays.  Tels  sont,  je  n'en  doute  pas,  les  sentiments  qui 
vous  animent  :  ce  sont  ceux  de  votre  père,  de  votre 
mère,  de  vos  frères  et  de  vos  sœurs. 

Vous  me  demandez  de  vous  aider  d'un  assignat 
de  cinquante  francs  ;  vous  savez  que  je  me  suis  tou- 
jours lait  un  plaisir  de  ne  vous  laisser  manquer  de 
rien,  et  je  tâcherai  toujours  de  subvenir  à  vos  besoins 
tant  que  vous  ne  vous  écarterez  pas  du  chemin  qui 
vous  est  tracé  par  l'Honneur  et  le  Patriotisme.  Vous 
trouverez  jointe  à  cette  lettre  une  reconnaissance  que 
vous  présenterez  au  bureau  de  la  poste,  et  l'on  vous 
remettra  l'argent  que  vous  me  demandez. 

Tandis  que  vous  combattez  les  satellites  du  despo- 
tisme, vos  frères  sont  constamment  occupés  aux 
convois  pour  alimenter  leurs  frères  d'armes  :  subsis- 
tances, fourrages,  rien  ne  nous  coûte  quand  il  s'agit 
du  salut  de  la  Patrie.  Nous  gagnerons  doucement  les 
récoltes,  qui  donnent  les  plus  belles  espérances. 

Prenez  courage  ;  ne  vous  écartez  jamais  des  prin- 
cipes que  je  vous  ai  inculqués.  Sachez  supporter  la 
faim,  la  soif,  lé  froid,  le  chaud.  Quand  vous  souffrez, 
sachez  que  c'est  pour  vos  parents,  votre  Patrie.  Quand 
vous  marchez  au  combat,  n'oubliez  pas  que  c'est  pour 
votre  père,  votre  mère,  vos  frères,  vos  sœurs,  et 
sachez  préférer  la  mort  môme  à  l'ignominie. 

Ecrivez-nous  dès  que  vous  aurez  reçu  la  présente 
et  marquez-nous  si  vous  avez  reçu  l'assignat  que  je 
\i)us  nivoie. 


42  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Votre  mère,  vos  frères,  vos  sœurs,  tous  vos  parents 
vous  embrassent. 
Je  suis  toujours  avec  affection  votre  père, 

Nicolas  Thirion*. 

Au  citoyen  Valadon,  entrepreneur  à  Châteauroux 
(Indre),  pour  remettre  à  la  citoyenne  Denis. 

Armée  du  Rhin.  Au  bivouac  près  Landau, 
18  prairial  an  II  [6  juin  1794]. 

Chère  mère. 

J'ai  reçu  vos  deux  lettres  auxquelles  je  m'empresse 
de  répondre  pour  vous  faire  part  des  mouvements 
de  notre  armée  et  du  petit  revers  que  nous  avons  ou, 
occasionné  par  l'armée  de  la  Moselle.  Le  4  du  cou- 
rant [23  mai  1794],  Tennemi  nous  attaqua  sur  tous 
les  points  violemment;  ils  avaient  une  artillerie  formi- 
dable ;  nos  bataillons  qui  formaient  l'avant-garde  ont 
été  forcés  de  se  replier  sur  la  ligne,  après  une  forte 
résistance*.  Voyant  une  colonne  qui  était  prête  à  les 
cerner,  un  seul  canon  de  notre  bataillon  réussit  à 

1.  Lettre  communiquée  par  M.  Thirion,  médecin-major 
de  l""®  classe  au  162*  régiment  d'infanterie. 

2.  La  division  Ferino,  comprenant  7.734  hommes,  se 
trouvait  établie  à  la  droite  de  la  brigade  la  Boissière  et 
«  répartie  sur  le  front  Deidesheim-lg'gelheim  ».  Elle  fut 
attaquée  à  l'aube  du  23  mai  par  les  forces  prussiennes  et 
elle  résista  sans  lâcher  pied  jusqu'à  la  nuit.  En  dépit  de 
la  belle  conduite  de  ces  troupes  et  de  celles  de  Desaix, 
l'armée  dut  dessiner  un  mouvement  de  retraite,  à  la  suite 
de  l'affaire  de  Kaiserslautern  (Capitaine  Hennequin,  La 
campagne  de  1794  entre  Rhin  et  Moselle,  pp.  244-288). 


AUX   ARMÉES   DU   RHIN  43 

l'arrêter,  malgré  le  feu  violent  que  nous  subissions. 
De  part  et  d'autre  le  combat  s'est  animé  ;  nous  nous 
sommes  battus  de  pied  ferme  de  1  heure  du  matin  à 
9  heures  du  soir  ;  nous  avons  escaladé  une  montagne 
d'une  hauteur  prodigieuse  pour  déloger  Tennemi  qui 
cherchait  à  nous  investir.  La  fusillade  nous  a  fait 
perdre  environ  160  républicains  tués,  blessés  ou  pri- 
sonniers ;  trois  caissons  ont  sauté  chez  nous,  un  chez 
l'ennemi.  Les  pertes  ennemies  sont  très  cruelles, 
mais,  grâce  à  l'Eternel,  je  m'en  suis  tiré  sans  blessure. 

Le  lendemain,  l'ennemi  s'étant  emparé  de  Kaysers- 
lautem  \  à  l'armée  de  la  Moselle,  nous  avons  dû 
nous  retirer  sur  Neudorf  *,  à  une  demi-lieue  de  Lan- 
dau, où  nous  bivouaquons. 

Si  je  n'ai  pas  répondu  de  suite  à  votre  première 
lettre,  ne  croyez  pas  à  la  négligence.  Les  différents 
mouvements  que  nous  avons  eus  en  sont  les  princi- 
pales causes. 

Notre  embrigadement  s'est  fait  le  2  [21  mai  1794J. 
Les  deux  bataillons  du  27",  le  1"  du  Puy-de-Dôme 
forment  la  54'  demi-brigade  '.    Notre  compagnie  de 

1.  Kuisersiautern,  occupé  par  5.000  hommes  comman 
dés  par  le  général  Amhcrt,  fut  attaqué  le  23  mai  par  Mol- 
lendorf,  qui  en  délogea  no«  troupes.  Cet  échec  contraignit 
l'armée  du  Uas-Hhin  à  ramener  ses  positions  en  arrière 
de  la  Uiioich,  entre  (iermcrsh'eim  et  Landau  (Dumolin, 
Précis  dlUHuire  militaire,  t.  I,  p.  271).  Denis  se  trompe 
en  datant  du  24  mai  l'insuccèB  de  kaiscrslautern. 

2.  Nussdorf. 

3.  Sur  l'embrigadement  des  armées  du  Hhin  et  de  la 
Muselle,  cf.  capitaine  lit*nne(iuin,  op.  cU.,  pp.  2b7  sqq. 


44  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

grenadiers  est  passée  dans  le  l*""  bataillon  du  27^ 
Chaque  chef  de  compagnie  a  pris  son  rang  d'an- 
cienneté... 

Denis. 

Grenadier  au  ^"  bataillon  de  la  54»  demi-brigade. 
Armée  du  Rhin,  division  Ferino,  à  Landau*. 

Au  citoyen  BarrauU,  à  Indrelihre, 
faubourg  des  Marais,  par  Tours  (Indre). 

Armée  du  Rhin.  Au  bivouac  près  Landau, 
le  8  prairial  an  II  [27  mai  1794]. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère, 

Pas  de  nouvelles  de  l'armée,  je  vous  en  dirai  assez. 
Nous  ne  sommes  plus  le  1®""  bataillon  de  l'Indre,  mais 
la  54*  demi-brigade,  2°  bataillon.  Amalgamé,  notre 
bataillon  est  partagé  dans  trois  compagnies  des  trois 
bataillons.  Nous  avons  changé  de  cantonnement. 

Le  2  prairial  [21  mai],  on  nous  a  mis  aux  avant- 
postes  de  l'armée,  le  long  des  montagnes,  où  nous 
allions  au  bivouac  tous  les  matins  à  2  heures.  Le 
4  prairial,  sitôt  arrivés  au  bivouac,  l'ennemi  nous 
attaqua.  Il  fit  une  fusillade,  puis  une  canonnade  sur 
le  village  qui  est  en  face  de  nous.  En  même  temps, 
nous  vîmes  paraître  5  à  6  escadrons  de  cavalerie  ; 
nos  pièces  en  batterie  dans  une  petite  redoute  ouvri- 
rent le  feu.  L'ennemi,  supérieur  à  nous,  avançait  tou- 
jours et  voulait  envelopper  les  trois  villages.  Cinq 

1.  Archives  de  Châteauroux,  H.  89-93/29.  Carton  24, 
2®  série. 


AUX   ARMÉES   DU   RHIN  4S 

minutes  après  nous  étions  pris;  sans  les  hussards  qui 
soutinrent  notre  retraite,  nos  pièces  auraient  été 
prises.  C'est  heureux  pour  nous  que  nous  ayons 
gagné  les  vignes  où  la  cavalerie  ne  put  nous  charger. 
Là,  nous  arrêtAmes  la  cavalerie  ennemie,  tandis  que 
la  nôtre,  aidée  de  l'artillerie  volante,  qui  ouvrit  un  feu 
d'enfer,  d'enfilade,  tombait  sur  l'ennemi. 

L'artillerie  ennemie  ne  put  nous  débusquer  des 
vignes  et  des  montagnes.  Tous  en  tirailleurs,  on  a 
fait  un  feu  d'enfer;  la  fusillade  ne  faisait  qu'un  rou- 
lement depuis  2  heures  du  matin  à  9  heures  du  soir. 
Les  pertes  de  l'ennemi  furent  plus  considérables  que 
les  nôtres.  L'ennemi  se  retira  la  nuit,  se  porta  sur 
l'armée  de  la  Moselle,  qu'elle  a  forcé  sur  Kaysers- 
lautern.  Nous  avons  dû  battre  en  retraite  le  lende- 
main dans  la  nuit  de  peur  d'être  coupés  des  gorges. 
Nous  nous  sommes  retirés  à  Landau  où  nous  bivoua- 
quons sur  les  hauteurs.  Je  ne  sais  si  Tennemi  essayera 
de  nous  chasser  de  là,  il  est  déjà  très  près  de  nous...  ' 

Tous  les  blés  et  vignes  du  Palatin  sont  abîmés,  les 
paysans  sont  ruinés  à  tout  jamais. 
Votre  fils, 

Barrault, 

républicain  pour  la  vie, 

sergent  à  la  6*  compagnie.  2*  bataillon,  54*  demi-brigade. 

Division  Perino.  Armée  du  Rhin.  Landau*. 

1 .  Cette  lettre  est  à  rapprocher  de  la  lettre  précédente 
pour  le  texte  et  les  notes. 

2.  Archives  de  Châteauroux,  II.  89-93/30,  Carton  24 
(Indre). 


4ft  AU   SERVICE    DE    LA   NATION 

Au  citoyen  Leclerc,  demeurant  à  Riom. 

Au  quartier  du  Pont-couvert,  Strasbourg,  le  22  prairial 
l'an  II  de  la  Rt5publique  française,  une  et  indivisible 
[10  juin  1794]. 

Tout  de  suite  votre  lettre  reçue,  j'y  réponds  avec 
empressement,  et  je  l'attendais  effectivement.  Si  j'ai 
été  négligent  à  l'égard  de  la  précédente  que  vous 
m'avez  écrite,  je  n'ai  vraiment  pu  faire  autrement, 
attendu  le  décompte  qu'il  m'a  fallu  faire  à  la  compa- 
gnie pendant  le  temps  qu'elle  était  isolée.  Il  nous  est 
arrivé  ensuite  des  recrues  pour  le  complètement  de 
notre  bataillon.  Les  travaux  militaires,  quoique  peu 
minutieux,  occupent  continuellement  l'esprit  et  le 
corps. 

Je  désirais  toujours  de  témoigner  à  tous  mes  frères 
de  la  société  populaire  combien  j'étais  et  que  je  suis 
toujours  pénétré  des  bonnes  intentions  qu'ils  ont  pour 
moi  ;  veuillez  bien  être  en  ce  moment  l'interprète  des 
douces  pensées  de  mon  cœur  ;  qu'ils  soient  bien  per- 
suadés que  je  leur  tiendrai  éternellement  compte  de 
leurs  bons  souvenirs. 

Les  vivres  sont  très  chers,  à  ce  que  vous  me  dites, 
de  vos  côtés  ;  je  n'en  suis  pas  étonné  ;  il  en  est  de 
même  partout.  Il  y  a  quelques  mois  que  les  denrées 
n'étant  plus  à  la  loi  du  maximum,  on  en  trouvait 
avec  un  peu  de  peine,  si  vous  voulez,  mais  depuis 
que  les  autorités  constituées,  voulant  faire  exécuter 
les  lois  à  l'égard  du  maximum,  il  y  a  de  ça  environ 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  47 

quelques  décades,  on  ne  trouve  plus  rien  à  boire  ni  à 
manjçer  dans  les  aul)erges'. 

Ces  derniers  ont  quasi  tous  fermés  leurs  boutiques 
sous  le  vain  prétexte  qu'ils  ne  peuvent  pas  trouvei'  à 
acheter  ni  vin,  ni  pain,  ni  viande.  A  la  vérité,  peu  de 
Strasbourgeois  en  mangent.  Nous  sommes  heureux 
d'avoir  des  vivres  de  campagne. 

Quant  aux  nouvelles  que  vous  m'avez  annoncées, 
nous  les  avons  ici  avant  vous  autres.  En  vérité,  elles 
sont  on  ne  peut  plus  satisfaisantes  ^  Il  faut  bien  se 
persuader  que  sans  les  infûmes  trahisons  qui  ont 
existé  daiïs  les  temps,  nous  aurions  été  constitués  en 
victoires  permanentes.  Mais  :  «  Vivent  la  République 
et  la  Montagne!  »;  ça  été,  ça  va,  et  toujours  ça 
ira! 

Nous  ne  pouvons  pas  nous  dissimuler  que  tant  que 
la  monnaie  nationale  sera  avilie  et  qu'elle  n'aura  pas 
toute  sa  valeur,  que  certainement  nous  avons  parmi 
nous  des  traitrea,  des  malveillante  qui  cherchent 
encore  à  nous  nuire. 


i.  Au  mois  de  mai  1703,  la  Convention  avait  fixé  un 

prix  maximum  des  grains  ;  peu  a  peu,  pour  remédier  à 
la  déprécialion  des  asaignata  et  pour  porter  atteinte  aux 
accapareurs,  dos  maxima  furent  établis  pour  les  diverses 
denrées.  Ces  mesures  eurent  des  efïeta  désastreux  et,  à 
la  fin  de  l'année  ilH,  la  Convention  les  abolit. 

:  lois  de  juin  1794,  l'armée  de  Sambre-ct-Meuse 

-■  a  Tourcoing  allait  vaincre  4  Flourus;  l'arujée 
du  Utiiii  sr  Prussiens  et  à  mar- 

cher tiur  .Ni  raie  de  nos  armées 

était  donc  «  on  ne  peut  plus  i>ati«iaiëante  ». 


48  AU   SERVICE   DE    LA  NATION 

L'air  des  départements  du  Haut  et  du  Bas-Rhin  est 
pestiféré  de  la  présence  des  personnes  des  différentes 
sectes,  comme  juifs,  luthériens,  protestants  et  autres; 
ce  sont  des  gens  qui  n'ont  encore  rien  fait  pour  la 
liberté,  surtout  les  juifs  qui  n'ont  jamais  été  révolu- 
tionnaires, qui  ne  sont  autrement  guidés  que  par 
l'appât  du  gain  et  la  soif  de  l'or,  trafiquant  sur  la 
monnaie  sonnante,  accaparant  la  plupart  des  denrées, 
et  dont  les  principes  ont  été  depuis  le  commencement 
de  notre  révolution  contraires  et  bien  éloignés  de  la 
chose  publique,  de  vils  agioteurs  qui  ne  vivent  que 
de  lésines  et  de  tromperies,  calculant  et  préférant  leurs 
intérêts  personnels  au  bien  de  la  chose  publique. 
L'intérêt  de  la  Patrie  exigerait  qu'ils  fussent  déportés 
à  20  lieues  dans  l'intérieur  et  surveillés  en  consé- 
quence ^ 

La  fenêtre  nationale  nous  a  fait  raison  ces  jours 
derniers  d'un  scélérat  de  prêtre  et  de  deux  femmes 
chez  qui  il  logeait  ;  il  fut  pris  singulièrement  et  je 
vais  vous  dire  comment  *  : 

Deux  officiers,  se  promenant  dans  la  place  de  l'Éga- 
lité au  crépuscule  du   soir,  aperçurent  une   femme 

1.  Sur  le  mouvement  antisémite  à  Strasbourg  en 
l'an  II,  cf.  La  Révolution  française,  t.  XLII,  janvier- 
juin  1907,  pp.  553-554. 

2.  Le  sergent-major  Leclerc  doit  faire  allusion  à 
«  l'abbé  Wolbert,  ancien  vicaire  de  la  Cathédrale,  qui 
fut  guillotiné,  le  2  juin  1794,  sur  la  place  d'armes  de  Stras- 
bourg, avec  deux  vieilles  blanchisseuses  qui  lui  avaient 
accordé  un  refuge  »  (Seinguerlet,  Strasbourg  pendant  la 
Révolution  française,  p.  251). 


AUX    A.RMÉES    DU    RHIN  4<J 

<iui  s'y  promenait  aussi  dans  la  même  allée,  tenant 
un  mouchoir  blanc  de  la  main,  qui  lui  cachait  toute 
la  partie  inférieure  de  son  visage,  arrangée  de  façon 
ii  ne  pas  s'y  méprendre  pour  déceler  le  physique 
masculin,  sous  le  costume  d'une  femme  déguisée, 

f'pendanl  mal  fagoltée,  certes.  Un  de  ces  officiers 
l'aborde  un  peu  militairement  ;  l'ayant  examinée,  lui 
adresse  quelques  paroles,  veut  la  questionner,  mais 
la  supposée  femme  garde  le  silence,  ne  veut  dire  mot. 
L'olTîcier,  tout  déterminé,  lui  ôte  le  mouchoir,  la 
■pgarde  el  lui  voit  de  la  barbe;  il  eut  alors  une  con- 
viction bien  évidente  que  c'était  un  homme  sous  les 
vt^lementa d'une  femme.  Dès  ce  moment,  il  fut  saisi  et 

onduit  de  suite  à  la  maison  d'arrêt.  On  ne  sait  la 
quantité  de  gens  que  le  brigand  de  prêtre  avait  cor- 
(•nipus  ou  fanatisés.  On  a  trouvé  chez  lui,  c'est-à-dire 
.  1k/  les  deux  femmes  où  il  était  logé,  un  petit  coffre 
.[ui  contenait  tout  l'alliniil  d'un  ci-devant  prêtre,  el 
les  résultats  de  cette  afiaire  ont  été  cause  qu'il  y  a  eu 
227  mandats  d'arrêt  de  lancés  sur  différents  citoyens 
de  Strasbourg. 

Voilà  un  trait,  qui,  venant  à  l'appui  du  panégyrique 
.  |uc  j'ai  fait  dans  me»  précédentes  lettres,  de  ce  pays* 
doit  vmiseniblableraent  vous  confirmer  sur  leur  frêle 
patriotisme  et  qu'il  s'en  faut  de  beaucoup  que  les 
habitants  de  cr^  contrt'-es  soient  :\  In  h.uilcur  des  grands 
prini'ip«'s. 

Mous  avons  m  une  journée  de  Undc  beauté  le 
20  dernier  de  ce  moi»  [8  juin  1794];  lu  Tête  natio- 


50  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

nale  a  été  majestueuse*.  Je  vous  jure  que  de  la  vie 
je  n'ai  vu  tant  de  femmes  habillées  de  blanc.  Ce  qui 
a  grandement  contribué  à  l'embellissement  de  la  fête, 
ce  sont  les  grandes  victoires  remportées  dans  l'armée 
du  Nord.  Le  même  jour,  le  Représentant  a  reçu  des 
ordres  pour  se  transporter  sur-le-champ  à  la  Conven- 
tion, et  ses  pouvoirs  étaient  par  le  même  ordre  sursis. 
Nous  espérons  revoir  l'imprenable  Saint -Just,  un 
homme  d'un  rare  mérite  par  ses  talents  et  ses 
vertus. 

Je  n'ai  pas  le  temps  pour  vous  instruire  sur 
d'autres  faits.  J'ai  écrit  à  mon  ami  Beaudeloux  ;  il  ne 
m'a  point  fait  réponse.  Sachez  me  dire  s'il  est  absent 
ou  s'il  a  reçu  ou  non  ma  lettre. 

Je  suis  mortifié  on  ne  peut  plus  du  grand  silence 
que  l'ami  Solignat  garde  à  mon  égard.  J'en  suis 
véritablement  attristé,  ainsi  que  de  la  froideur  de 
bien  d'autres. 

Vous  trouverez  ci-joint  le  certificat  que  vous  m'avez 
demandé  et  avec  juste  raison '^  Si  on  le  trouvait  daté 

1.  Il  s'agit  de  la  fête  de  l'Etre  suprême,  qui  fut  célébrée 
à  cette  date  avec  faste  par  les  Strasbourgeois  (Seinguer- 
let,  op.  cit.,  p.  245  sqq). 

2.  Voici  le  texte  de  cette  pièce,  placée  à  la  suite  de  la 
lettre  : 

République  française.  —  Grenadiers.  —  Infanterie. 

1"''  bataillon  des  Amis. 

Nous,  composant  le  conseil  d'administration  dudit  ba- 
taillon, certifions  que  le  citoyen  Eloy  Leclerc,  originaire 
de  Riom,  a  servi  depuis  le  jour  de  son  entrée  dans  la 
compagnie  de  grenadiers  du  Puy-de-Dôme  jusqu'à  ce  jour 


AUX   ARMÉES    DU    RHIN  bi 

de  trop  loin,  je  vous  en  ferai  passer  aussitôt  votre 
réponse.  Je  suis  avec  fraternité  toujours  votre  attaché 
fils. 

Leclerc, 
Sergent-major. 

Bonjour  à  l'intime  Solignat.  J'entendrai  toujours 
avec  plaisir  les  constantes  vérités  qui  sortiront  de  ta 
bouche  et  que  tu  m'informeras  sur  la  désolation  des 
créatures  désœuvrées  par  l'absence  de  leurs  bons 
amis  (voilà  la  seule  expression  dont  se  servent  les 
fdles  de  Strasbourg). 

Recommandez  bien  à  Solignat  de  m'écrire  ;  il  m'o- 
bligera. J'ai  tant  de  choses  à  vous  communiquer  qu'il 
me  faudrait  le  loisir  et  la  circonstance.  Ma  lettre  est 
pleine  et  je  n'ai  encore  rien  dit.  Ecrivez-moi  sur-le- 
champ.  Quant  à  l'argent  que  vous  voulez  me  faire 
tenir,  si  vous  le  pouvez  envoyez-moi  le  moins 
25  Hntcs  ' . 

ivec  zèle  et  probité;  qu'il  a  jusqu'ici  montré  le  plus  grand 
dévouement  à  la  République  et  qu'il  continue  de  servir 
dans  la  1"  compagnie  de  grenadiers  au  dit  bataillon  en 
({ualilé  de  sergent-major.  En  foi  de  quoi  nous  lui  avons 
délivré  le  présent. 

A  Strasbourg,  le  sept  ventôse,  l'an  2"  de  la  République 
française  une  et  indivisible. 

Chébène  fourrier,  Daveney  capitaine... 

1.  Archives  de  Riom,  secours  aux  familles  des  défen- 
seurs de  la  Patrie,  n"  307. 


52  AU    SERVICE    DB    LA    NATION 

A  la  citoyenne  Desbruères,  chez  le  citoyen  Crublier. 
Rue  des  Pavillons,  à  l'Indrelibi^e,  ci-devant  Château- 
roux  {Indre). 

Camp  de  Landau  ',  7  messidor  an  II  [23  juin  1794]. 
Ma  chère  mère, 

Je  puis  vous  dire  que,  depuis  notre  départ  de 
Besançon,  nous  avons  toujours  été  en  route.  Cepen- 
dant nous  avons  resté  quinze  jours  à  Kerninguc^, 
trois  jours  à  Neuf-Brisach. 

Vous  me  dites  que  vous  avez  fait  tirer  les  cartes  et 
que  j'avais  une  jolie  maîtresse;  je  vous  dirai  avec 
vérité  que  j'ai  eu  beaucoup  de  chagrin  en  quittant 
Besançon,  mais  ce  n'est  pas  pour  les  filles,  c'est  plu- 
tôt pour  le  bon  vin  à  bon  marché,  tandis  que  mainte- 
nant nous  ne  buvons  ni  vin  ni  eau-de-vie,  et  les  trois 
quarts  du  temps  nous  manquons  de  pain. 

Je  vous  dirai  que  le  l*""  bataillon  de  l'Indre  est  près 
de  nous.  J'ai  vu  tous  les  camarades,  ils  se  portent 
bien.  Je  vous  dirai  que  le  jour  que  nous  sommes 
arrivés  sur  les  hauteurs  de  Landau,  l'ennemi  a  tenté 
de  vouloir  passer  les   lignes  de  Germersheim '.   Il 

1.  Dans  les  derniers  jours  de  mai,  en  dessinant  un 
mouvement  de  retraite  à  la  suite  de  l'affaire  de  Kaisers- 
lautern  (cf.  les  lettres  publiées  pp.  42  et  44),  l'armée  du 
Rhin  avait  établi  son  quartier  général  à  Landau. 

2.  Peut-être  Kerlingen  (Lorraine),  cercle  de  Thionville, 
canton  de  Sierck. 

3.  Desbruères  fait  probablement  allusion  à  une  attaque 
malheureuse  de  nos  avant-postes  par  les  Autrichiens  le 


AUX    A.RMKSS    DU    BHIN  &3 

nous  a  fallu  partir  à  2  heures  du  matin.  Heureuse- 
ment, nous  sommes  arrivés  à  temps  et  nous  l'avons 
repoussé  vivement.  Actuellement,  quand  nous  mar- 
chons à  l'ennemi,  nous  ne  portons  plus  nos  sacs, 
nous  avons  seulement  un  peu  de  pain  dans  la  poche 
et  quelquefois  rien  du  tout... 

Nous  nous  attendons  tous  les  jours  à  partir  pour 
rolever  l'avant-garde,  qui  est  bieo  fatiguée  de  ser- 

Salut  et  fraternité. 
Votre  fils, 

DesBRUÈBEs  André. 

Nous  allons  Aire  embrigadés,  deux  bataillons  de 
volontaires  avec  un  de  ligne,  mélangés*.  On  don- 
nera un  autre  nom  au  bataillon.  Je  vous  le  dirai  :  cela 
m'est  égal.  Je  m'accoutume  avec  tout  le  monde.  Il 
n'y  a  que  l'armée  du  Rhin  qui  ne  me  plaise  pas.  Il 
doit  faire  meilleur  et  plus  chaud  en  Espagne. 

Qîla  m'ennuie  d'ôln;  toujours  dans  le  même  en- 
.Jroil". 

1 9  juin  nsi4  (fîouvion  Sainl-Cyr,  Mémoires  sur  les  campagnes 
tes  armées  du  lihinetdc  Hhin  et-Muselle,  L.  II,  p.  I>3). 

4.  Le  1"  bataillon  du  Doub.s  allait  »c  trouver  réuni  au 
1*'  l)alaill(>a  liu  3"  réjçinient  d  infunterie  et  au  4*  bataillon 
de  la  Sciiie-lnréricure  pour  furiner  la  o"  demi-brigade. 

2.  Archives  de  Chàtcauroux,  H.  b9-93/i4.  Carton  24, 
I*  série,  1*'  bataillon  du  Uoubs. 


54  AU    SERVICE   DE    LA   NATION 

Au  citoyen  Deguir,  maréchal,  à  Pionsat,  district  de 
Montaigu,  département  du  Puy-de-Dôme,  par  Mon- 
taigu,  à  Pionsat. 

Du  camp  près  Landau  S  le  42  messidor  l'an  I!  de  la  Ré- 
publique une  et  indivisible  [3C  juin  1794]. 

Ma  chère  mère, 

Je  mets  la  main  à  la  plume  pour  vous  donner  de 
mes  nouvelles  et  pour  en  recevoir  des  vôtres.  Voilà 
plusieurs  fois  que  je  vous  écris  et  vous  ne  me  faites 
aucune  réponse,  et  ça  me  fait  bien  de  la  peine  de  ne 
pas  recevoir  de  vos  nouvelles.  Ma  chère  mère,  je  ne 
vous  ai  point  envoyé  de  certificat  à  cause  que  je  n'ai 
point  reçu  de  vos  nouvelles,  mais  j'en  attends  avec 
une  grande  impatience  et,  sitôt  que  vous  m'aurez 
rendu  réponse,  je  vous  en  enverrai  un  pour  toucher  la 
pension  que  la  Nation  accorde  aux  mères  qui  ont  des 
fils  au  service  de  la  République. 

Je  vous  dirai,  pour  des  nouvelles  de  la  guerre,  que, 
le  mois  de  décembre,  nous  avons  repoussé  l'ennemi 
qui  était  jusqu'auprès  de  Strasbourg^;  nous  l'avons 

1.  En  juin  1794,  les  trois  bataillons  de  la  65"  demi- 
brigade  de  bataille  étaient  cantonnés  à  Kneringen  et  à 
Ober-Essingen,  en  avant  de  Landau  (Historique  du  6^^  régi- 
ment d'infanterie  de  ligne.  Nantes,  in-8°,  s.  d..  p.  16). 

2.  Le  volontaire  Deguir  fait  allusion  à  la  série  des 
combats  victorieux  que  Hoche  livra  aux  ennemis  à  la  fin 
du  mois  de  décembre  1793  (notamment,  combat  du  Gciss- 
berg,  le  26  décembre)  et  qui  contraignirent  Wurmser  et 
Brunswick  à  battre  en  retraite.  Sur  la  triste  situation  de 
l'armée  pendant  le  rigoureux  hiver  de  1793  décrite  dans 


AUX  armf':es  du  RHIN  55 

lait  battre  en  retraite  au  moins  de  trente  lieues  el  de 
plus  encore  dix  lieues  sur  son  territoire  ;  là,  nous 
avons  passé  l'hiver  à  bivouaquer  dans  la  neige  jusqu'à 
moitié  jambe.  Nous  avons  beaucoup  souffert  jusqu'à 
ne  pas  pouvoir  avoir  de  l'eau,  que  toutes  les  rivières 
et  fontaines  étaient  gelées,  et,  étant  à  la  poursuite  de 
l'ennemi,  que  les  vivres  nous  ont  manqué  pendant 
quatre  jours.  Nous  étions  obligés  de  vivre  de  pommes 
de  terre  el  de  raves,  encore  pas  tant  que  nous  en 
aurions  bien  mangé  ;  mais,  une  fois  que  nous  avons 
été  dans  le  pays  ennemi,  nous  leur  avons  tout  pris, 
nous  les  avons  ruinés.  Mais  l'ennemi  voyant  cela  a 
apporté  des  forces  supérieures  au-dessus  de  nous,  nous 
n'ayant  qu'une  simple  avant-garde  de  10.000  hommes, 
et  nous  avons  repoussé  l'ennemi  qui  était  à  plus  de 
30.000  hommes.  Mais,  comme  d'un  autre  côté  l'armée 
de  la  Moselle  a  été  repoussée,  nous  avons  été  obligés 
d'évacuer  cinq  lieues. 

Mais,  à  présent,  nous  sommes  sur  une  hauteur  et 
nous  avons  reçu  des  forces  ;  nous  attendons  l'ennemi 
à  pied  ferme.  Tous  les  jours,  nous  nous  battons, 
mais  ce  n'est  pas  de  grande  bataille  ;  nous  revenons 
toujours  dans  nos  mêmes  positions.  Mais  je  crois  qu'au 
premier  jour  nous  allons  faire  une  attaque  générale. 


celte  lettre,  cf.  Chuquct,  Les  guerres  de  la  Révolution,  Hoche 
et  la  lutte  pour  rAUace,  pp.  228  sqq.  Sur  les  divers  faits 
d'armes  auxquels  le  volontaire  Deguir  a  pris  part,  on 
consultera  avec  profil  le  livre  du  capitaine  Hennequin, 
La  campagne  de  1794  entre  Rhin  et  Moselle. 


56  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

Derniôrement,  l'ennemi  a  tenl/^  le  passage  du  l\hin 
pour  nous  couper  par  derrière,  mais  il  s'esl  bien  trouvé 
couillonné;  notre  général,  voyant  ça,  a  fait  retirer  les 
avant -poster  qui  étaient  le  long  du  Rhin  et  les  a 
laissée  passer  aux  environs  de  i.oOO  hommes,  et  nous 
étions  tout  prêts  à  les  recevoir  :  nous  avons  tombé 
dessus  à  coups  de  canon  et  la  baïonnette  aux  reins  ; 
nous  les  avons  tous  hachés.  Voilà  tout  ce  que  je  puis 
vous  marquer  pour  le  présent. 

Ma  chère  mère,  je  finis  en  vous  embrassant  de  tout 
mon  cœur  ainsi  que  mes  frères  et  sœurs,  neveu  et 
nièce,  et  suis  et  serai  pour  la  vie  votre  fils, 

J.  Deguir, 

maréchal. 

Ma  chère  mère,  je  vous  prie  ûb  me  faire  réponse 
sitôt  la  présente  reçue  et  de  ffie  marquer  l'état  de 
votre  santé  et  de  toute  la  famille  et  les  nouvelles  du 
pays,  et  ne  manquez  pas  de  me  faire  savoir  des  nou- 
velles de  mon  frère  Deguir,  le  cordonnier,  et  vous  me 
marquerea  son  adresse,  s'il  est  possible.  Vous  ferez 
bien  mes  compliments  à  tous  mes  amis  et  voi- 
sins. 

Mon  adresse  est  iça  :  Citoyen  Deguir,  volontaire 
dans  la  4*  compagnie  du  2®  bataillon  de  la  65^  demi- 
brigade,  en  avant-garde  à  l'armée  du  Bas-Rhin,  près 
Landau,  à  l'armée  du  Bas-Rhin  \ 

1-  Archives  de  la  ville  de  ïUom- 


AUX     AHMKKS    DU    RHIN  Î17 

Au  républicain  Chambrias,  maréchal  ferrant,  àPion- 
sat,  district  de  Montaigu,  département  du  Puy-de- 
Dôme. 

Au  bivouac  de  larraée  du  Rhia.  le  30  messidor, 
deuxième  annte  républicaine  [18  juillet  IT'Ji"]. 

Mon  cher  grand-père, 

Je  prends  la  liberté  de  vous  écrire  ces  deux  mois 
pour  avoir  le  plaisir  de  m'informer  de  l'état  de  votre 
santé,  ainsi  que  de  e^lle  de  ma  grand'mère.  Vous 
m'accuserez  peut-être  de  négligent  de  ce  que  je  ne 
vous  ai  pas  écrit  plus  tôt.  Je  vous  prie  de  m'excuser, 
car  je  croyais  toujours  que  j'obtiendrais  un  congé  et 
que  j'aurais  l'avantage  de  vous  aller  embrasser.  Je 
vous  renieivic  infiniment  des  bontés  que  vous  avez 
eues  à  mon  égard.  Je  tâcherai  di"  faire  mon  {X)ssible 
pour  vous  en  prouver  ma  reconnaissance.  Je  désire 
ardemment,  de  tout  mon  cœur,  que  la  présente  vous 
trouve,  ainsi  que  ma  grand'mère,  en  bonne  santé  ; 
c'est  tout  ce  que  je  peux  désirer. 

Quant  à  moi,  je  me  porte  assez  bien  pour  le  pré- 
-nt,  malgré  tiiutcs  les  [)eincs  et  fatigues  que  nous 
\  ons  cssuyé(»  et  ne  cessons  d'essuyer  journellement, 
.  iu'je  vous  dirai  qu'il  [y]  a  sans  e.xagér<'r  plus  de  six 
mois  qu'aucun  de  nous  ne  s'est  déshahill»'».  D'ailleurs, 
je  sais  qu'un  bon  républicain  ne  doit  pas  craindre  la 
fatigue,  surtout  LL>rs<]u'il  s'agit  de  défendre  la  lib^^rlé. 

Quant  h  la  guerre,  je  vous  dirai  que,  le  25  do  ce 

iiiui.s  ri3    juiliel    i7t)l\    iMiiis  iivniis  :iIIh(|iji'    rciiiifini 


58  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

sur  tous  les  points  ;  il  s'est  donné  une  bataille  terrible  * . 
Nous  [nous]  sommes  battus  de  part  et  d'autre  avec 
acharnement,  mais  le  courage  incroyable  des  braveis 
républicains  ne  s'est  jamais  ralenti  d'un  instant.  Le 
feu  a  commencé  à  une  heure  du  matin  jusqu'à  neuf 
heures  du  soir,  que  la  bataille  s'est  décidée  en  notre 
faveur.  Le  champ  de  bataille  a  été  jonché  de  morts  ou 
de  blessés.  Nous  leur  avons  tué  infiniment  de  monde, 
pris  huit  cents  prisonniers,  beaucoup  de  pièces  de 
canon  et  beaucoup  de  munitions. 

L'armée  du  Nord  fait  tous  les  jours  des  prodiges  de 
valeur  ;  de  tous  côtés,  la  victoire  nous  tend  les  bras. 
Nous  avons  pris  Mons,  Ostende  et  Bruxelles.  Notre 
armée  marche  sur  Gand.  Je  vous  dirai  aussi  que  nous 
avons  repris  Condé  et  Valenciennes  ;  ils  se  sont 
rendus  à  discrétion  ;  toute  la  garnison  a  été  prison- 
nière. Nous  avons  repris  toutes  nos  pièces  de  canon, 
des  vivres  et  des  munitions  en  tout  genre  ^. 


1.  Le  volontaire  Defage  doit  vouloir  retracer  les  péri- 
péties du  combat  d'Eidesheim,  qui  eut  lieu  à  cette  date, 
car  la  54®  demi-brigade  de  bataille  prit  part  à  cet  enga- 
gement (cf.  Historique  manuscrit  du  54"  régiment  d'infan- 
terie, par  le  lieutenant  Guignard,  pp.  305  sqq.,  aux  archives 
historiques  de  la  Guerre).  Ce  combat  et  ceux  des  jours 
suivants  assurèrent  à  la  54®  demi-brigade  et  à  l'armée 

.du  Rhin  la  complète  possession  des  hauteurs  vosgiennes. 
Toutefois,  il  ne  semble  point  que  l'engagement  d'Eides- 
heim ait  eu  l'importance  que  Defage  lui  attribue. 

2.  Les  renseignements  que  Defage  envoie  à  son  grand- 
père  sur  les  opérations  de  l'armée  du  Nord  sont  sujets  à 
caution.  Sans  doute,  Mons,  Ostende  et  Bruxelles  étaient 
pris  au  moment  où  il  écrivait  cette  lettre  (la  capitulation 


AUX   ARMÉES   DU   RHIN  59 

Je  VOUS  prie  d'assurer  de  mes  respects  à  mon  père, 
à  ma  mère,  ainsi  qu'à  mes  frères  et  sœurs,  oncle, 
tante  et  toute  notre  famille.  Vous  direz  aussi  à  mon 
père  que  je  suis  bien  inquiet  sur  sa  santé,  attendu  que 
je  lui  ai  écrit  plusieurs  lettres  et  je  n'ai  pas  eu  réponse. 
Comme  aussi  je  vous  prie,  aussitôt  la  présente  reçue, 
de  m'honorer  de  votre  réponse.  Poulignat,  le  scribe 
sergent,  vous  fait  bien  ses  compliments.  Je  n'ai  autre 
chose  à  vous  marquer  pour  le  présent.  Je  finis  en 
vous  embrassant  de  tout  mon  cœur  et  suis  éternelle- 
ment, avec  un  profond  respect,  votre  petit-fils, 

Defage, 

Volontaire  au  3*  bataillon  de  la  54*  demi-brigade, 
7»  compagnie,  au  bivouac  de  l'armée  du  Bas-Rhin  '. 

Sans  adresse. 

De  Rehmagen  *,  ce  18  brumaire,  3*  année  républicaine, 
une,  indivisible  ou  la  mort  [8  novembre  1794]. 

Ma  chère  mère, 

...Nous  avons  reçu  les  ordres  pour  aller  nous  battre 

de  Mons  et  d'0.stcnde  est  du  !•'  juillet  1794,  celle  de 
Bruxelles  du  10  juillet).  Mais  Valenciennes  ne  capitula  que 
le  27  août,  et  nos  troupes  ne  reprirent  Condé  que  le 
30  août.  On  voit  donc  que  le  volontaire  Defage  anticipe 
singulièrement  sur  le  récit  des  événements.  Il  y  avait 
loin  des  cantonnements  de  l'armée  du  Hhin  aux  bivouacs 
de  l'armée  du  Nord  :  entre  les  deux  corps,  les  fausses 
nouvelles  pouvaient  aisément  circuler  et  s'accréditer. 

1.  Archives  particulières  de  M.  Mangerel,  maire  de 
Pionsnt  (copio  rommuniinnV  par  M.  lo  lieutenant  Suint- 
Arroman). 

2.  Les  IroupL's  de  .Mnrccau,  d«î  (.hapsnl  et  de  liuhesmf 


60  AU    SERVICE    DE    Lk   NATION 

avec  nos  ennemis.  Notre  marche  a  été  heureuse  et 

avantageuse  pour  hi  République  ;  nous  avons  passé 
une  rivière  à  la  nage,  d'où  jious  avons  monté  à  l'assaut. 
Dix  chasseurs  de  chez  nous  ont  pris  six  pièces  de 
canon  et  cent- vingt  hommes  prisonniers  ;  nous  leur 
avons  pris  quarante-cinq  bouches  à  feu  et  environ  cent 
caissons  avec  leurs  chevaux  et  avec  leur  équipage. 
Nous  les  avons  foutus  tous  en  déroute  ;  il  est  resté 
beaucoup  d'Autrichiens  sur  le  carreau  et  beaucoup 
de  prisonniers.  Nous  les  avons  poursuivis  jusqu'à 
Cologne  et  on  leur  a  encore  pris  cent-dix  hussards 
tout  montés  et  équipés,  et,  de  là,  ils  ont  passé  le  Rhin 
plus  vite  qu'ils  auraient  voulu  passer*.  De  là,  nous 
avons  été  à  Bonn  et  nous  n'avons  pas  eu  beaucoup  de 
peine  à  la  prendre.  Nous  sommes  partis  de  là  pour 
marcher  sur  Coblentz,  que  nous  avons  pris  sans  perdre 
beaucoup  de  monde,  et  nos  chasseurs  à  cheval  ont 
foncé  sur  leur  retranchement,  ainsi  que  le  général 
Marceau  à  la  tête;  ils  leur  ont  pris  deux  pièces  de 


prirent  leurs  quartiers  d'hiver  sur  le  Rhin,  entre  Ander- 
nach  et  Neuss,  à  partir  du  24  novembre  (Duinolin,  op. 
cit.,i.],p.  269). 

1.  Le  récit  imagé  et  brutal  du  sergent  Logé  fait  allu- 
sion aux  divers  faits  d'armes  de  la  bataille  d'Aldenhoven 
{{^'-3  octobre  1794).  A  la  suite  de  ce  combat,  les  troupes 
françaises,  sous  la  direction  de  Lefebvre,  de  Scherer,  de 
Jourdan  et  de  Kleber,  mirent  en  complète  déroute  l'armée 
autrichienne.  Jourdan  entra  le  6  octobre  à  Cologne;  Mar- 
ceau pénétra  le  23  à  Coblentz;  après  ces  victoires, 
l'armée  de  Sambre-et-Meuse  prit  le  l'epos  qu'elle  avait 
glorieusement  gagné  (Dumolin,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  264-269). 


AUX    ARM  BBS    DU    RHIN  61 

CAnon  dans  leur  retranchement  et  leur  ont  pris  aussi 
cinquante  hussards  avec  cent  hommes  d'infanterie 
prisonniers.  Et,  de  là,  le  général  a  sommé  la  ville  de  se 
rendre  ;  ils  ne  se  sont  rendus  qu'à  six  heures  du  soir 
et  nous  sommes  entrés  dans  Coblentz,  et  tous  les 
tyrans  avaient  passé  le  Rhin.  De  là,  nous  partîmes  en 
quartier  d'hiver  sur  le  bord  du  Rhin.  En  arrivant  dans 
notre  cantonnement,  la  plus  grande  satisfaction  est 
d'apprendre  que  Maëstricht  est  au  pouvoir  de  la  Répu- 
blique française  '.  Toute  la  garnison  a  été  faite  prison- 
nière et  renvoyée  chez  eux,  et  ils  nous  en  renverront 
le  môme  nombre  des  nôtres.  Voilà  comment  les  braves 
n-publicains  travaillent,  surtout  quand  ils  sont  lÀen 
commandés!...  Voilà  tout  ce  que  je  peux  vous 
apprendre  de  nouveau  pour  le  présent...  Je  vous 
embra.sse  de  tout  mon  cœur. 
Votre  fils, 

Antoine  L066, 
sergent  *. 

Mon  adresse  est  :  Au  citoyen  Lt^é,  sei^ent  à  la 
5*  compagnie  du  26'  bataillon  d'infanterie  légère,  à 
l'avant^garde  de  l'armée  de  Sambre-et-Mj'use,  division 

t.  .A«siôg'«''e  pnr  K'Ieber,  qui  èt«it  venu  a«  Recours  de 

t  ,.ge 

li  luLuiie   du   •  iiai'iljy.  dans   le 

J'i'  .  -  militaires,  in:-  -.t.  XfX.  pp.  247- 

27».  3tfî>-42i.  et  t.  XX,  pp.  101-134. 
2.  Engage  volontaire  le  15  septembre  17V2. 


62  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

du  général  Marceau,  cantonné  à  Rehmagen,  au  bord 
du  Rhin,  par  Bonn  ^ 


A  la  citoyenne  veuve  Chabory,  demeurant  comynune 
de  Riom,  distinct  de  Riom,  département  du  Puy- 
de-Dôme  . 

Au  bivouac  devant  Mayence,  le  3  nivôse  an  III» 
de  la  République  française,  une  et  indivisible 
[23  décembre  1794]. 

Liberté,  Égalité,  Fraternité  ou  la  mort. 

Chère  maman, 

Si  je  n'ai  pu  répondre  plus  tôt  à  votre  lettre  datée 
du  mois  dernier,  c'est  que  le  temps  n'a  pu  me  per- 
mettre de  remplir  un  devoir  aussi  cher  à  mon  cœur. 
Je  connais  trop  les  sentiments  républicains  qui  vous 
animent  pour  ne  pas  être  bien  persuadé  d'avance  que 
vous  vous  réjouirez  avec  tous  les  républicains  de 
notre  ville  de  la  conquête  que  vient  de  faire  l'armée 
du  Rhin  du  fort  de  Mannheim.  Ce  fort  si  important 
pour  l'ennemi  était  endossé  sur  la  rive  gauche  du  Rhin 
et  ne  cessait  pas  que  de  nous  nuire  et  de  nous  inquié- 
ter ici.  Car,  tant  qu'il  n'était  pas  en  notre  pouvoir, 
nous  ne  pouvions  entreprendre  avec  vigueur  le  siège 
et  le  bombardement  de  Mayence.  La  nature  n'a  pas 
peu  contribué  à  nous  en  rendre  maîtres.  Les  glaçons 
énormes  que  charriait  le  Rhin  ont  achevé  de  couper 

1.  Archives  de  la  ville  de  Riom. 


AUX  ARMÉES    DU   RHIN  63 

le  pont  à  demi  culbuté  par  les  bombes  et  les  obus  et 
par  nos  batteries  croisées ^ 

. . .  Nous  avons  si  bonne  garnison  qu'il  nous  faudrait 
de  quoi  changer  tous  les  jours.  Voilà  deux  mois  que 
nous  couchons  sur  la  même  paille  dans  nos  trous  de 
marmottes.  Cependant  l'espérance  de  voir  au  plus  tôt 
triompher  notre  Patrie  de  tous  ses  ennemis  nous  fait 
prendre  notre  mal  en  patience  ;  quelle  que  soit  la 
ligueur  du  froid,  l'on  n'en  voit  pas  moins  le  môme 
zèle  à  servir  sa  Patrie.  «  Vive  la  République  !  Vive  la 
Convention!  »,  tel  sera  toujours  notre  seul  cri  au  tra 
vers  des  neiges,  des  brouillards  et  des  frimas.  Je  ne 
m'étendrai  pas  davantage  sur  ce  que  nous  pouvons 
souffrir.  Le  courage  et  l'espérance  font  disparaître 
toutes  nos  souffrances  ;  tout  en  jouant  ici  mon  rôle 
dans  le  tragique  naturel,  je  souhaite  à  tous  nos 
parents  et  concitoyens  la  suite  de  leurs  amusements 
civiques.  J'espère  qu'à  mon  retour,  si  je  suis  assez 
heureux  pour  le  voir,  je  ne  serai  pas  un  acteur  sans 
apprentissage.  Nous  n'avons  point  ici  pour  maître  ni 
It's  Racine,  ni  les  Corneille,  ni  les  Voltaire  ;  mais 
•ependant  le  théâtre  ne  laisse  pas  que  d'être  des  plus 
fréquentés. 

...  Le  capitaine  Frenaye  me  chaîne  de  mille  cmbras- 


i.  Sur  les  débuts  du  siège  de  Mayence,  cf.  la  lettre 
publiée  p.  69.  Le  caporal  Chahory  parle  de  la  rcdditioa 
du  fort  de  Mannheim  comme  d'une  chose  accomplie  :  cette 
lettre  est  cependant  antérieure  de  quelques  jours  À  la 
prise  du  fort  par  nos  armées. 


64  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

sades  pour  la  Miette,  la  Jeanneton  et  la  femme  de 
Tailhaud  jeune,  et  rien  pour  les  vieilles. 

Je  désapprouve  les  cinq  derniers  mots.  Je  vous 
embrasse  toutes  bien  cordialement. 

Fhenaye  '. 

Je  ne  cesserai  d'être  le  plus  dévoué  et  respectueux 
fils. 

GHABOHt, 

caporal. 

Des  grenadiers  du  1°'  bataillon  de  la  54°  demi-bri- 
gade ^  au  bivouac  sur  les  hauteurs  de  Mayence,  divi- 
sion de  Desaix,  à  l'armée  devant  Mayence,  par  Lan- 
dau ^ 

Au  citoyen  Gervais  Marsin,  cultivateur,  à  Riom, 
département  du  Puy-de-Dôme. 

Année  devant  Mannheim,  le  0  nivôse  an  111°  de  I;> 
République  une  et  indivisible  [i9  décembre  1794 1. 

Mon  très  cher  père, 
Il  me  semble  de  loiin  entendre  la  voix  de  mes  pa- 
rents qui  me  reprochent  d'être  long  à  leur  donner  âv 


1.  Capitaine  de  la  compagnie  des  grenadiers  du  l®""  ba- 
taillon du  Puy-de-Dôme. 

2.  La  compagnie  de  grenadiers  du  l^""  bataillon  de  la 
548  demt-brigade  fut  formée  avec  la  compagnie  de  grena- 
diers du  l"""  bataillon  du  Puy-de-Dôme. 

3.  Archives  de  la  ville  de  Riom. 


AUX    AKMËES    DU   RHIN  65 

mes  nouvelles.  Mais  je  me  flatte  d'ôtre  bientôt  justifié 
quand  j'aurai  expose  les  motifs  de  ce  long  silence. 
Depuis  deux  mois,  nous  étions  occupés  à  faire  le 
siège  de  Mannheim  ;  nous  n'avions  pas  un  quart 
d'heure  de  repos;  le  jour,  nous  construisions  des 
batteries  et,  la  nuit,  nous  bivouaquions  dans  la  neige 
et  sans  feu.  Mais  toutes  les  peines  sont  oubliées  et 
l'étendard  de  la  tyrannie  vient  de  s'abaisser  devant 
le  drapeau  tricolore.  Le  6  de  ce  mois,  le  représentant 
du  peuple  somma  le  commandant  de  la  place  de  Mann- 
heim de  nous  livrer  le  fort  qui  était  de  notre  côté. 
Les  lâches,  qui  ne  connaissaient  point  ce  que  doit 
laire  un  peuple  pour  défendre  son  pays,  se  sont  humi- 
liés devant  la  souveraineté  nationale  le  7  du  même 
mois.  Nous  sommes  entrés  dans  le  fort  tambours  bat- 
tants. C'était  un  spectacle  bien  doux  pour  des  répu- 
blicains de  voir  les  lâches  satellites  du  prince  de 
Mannheim  et  des  autres  tyrans  admirer  en  secret  la 
bravoure  et  la  générosité  républicaines». 

i.  Sur  le  siège  de  la  tète  de  pont  de  Mannheim,  cf. 
Gouvion  Saint-Cyr,  Mémoires  sur  les  campagnes  des  armées 
du  Rhin  et  de  Rhin- et- Moselle,  t.  II,  pp.  3«9-410,  avec  un  plan 
hors  texte.  A  la  fin  du  mois  d'octobre,  le  général  Michaud 
s'était  établi  devant  Mannheim,  car  la  prise  de  cette 
place  était  de  la  plus  grande  importance  pour  la  sûreté 
du  blocus  de  Mayence.  Les  défenseurs  de  Mayence  sem- 
blant hors  d'état  de  prolonger  longtemps  la  résistance, 
le  représentant  du  peuple  Ferrand,  les  généraux  Michaud 
tt  Vachot.  envoyèrent,  le  22  décembre,  un  parlementaire 
au  commandant  du  fort  de  Mannheim  pour  l'inviter  à  se 
rendre  sur-le-champ.  Des  négociations  entamées  entre 
Allemands  et  Français  n'aboutirent  pas  et,  dans  la  nuit 


66  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Vous  sentez,  d'après  ce  tableau,  qu'il  n'y  va  pas 
de  ma  faute  si  j'ai  tant  tardé  à  vous  donner  de  mes 
nouvelles.  Les  soins  d'un  père  et  d'une  mère  que  je 
porte  dans  mon  cœur  me  sont  trop  précieux,  et  leurs 
bienfaits  sont  trop  profondément  gravés  dans  mon 
cœur  pour  que  je  puisse  les  oublier  un  seul  instant. 

Au  moment  où  je  vous  trace  ces  deux  lignes,  l'or- 
dre arrive  pour  aller  faire  encore  le  siège  de  Mayence, 
malgré  la  neige  et  le  froid  qui  se  font  sentir  * .  Ça 
va  ;  «  vive  la  République  !  w  Je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 

Votre  fils, 

Antoine  Marsin^. 

du  23  au  24,  les  batteries  françaises  ouvrirent  sur  la  ville 
un  feu  désastreux.  Le  résultat  cherché  par  les  généraux 
et  le  représentant  du  peuple  fut  pleinement  obtenu  :  le 
25  décembre  1794,  les  Français  entraient  dans  le  fort  de 
Mannheim.  —  Les  renseignements  que  nous  avons  tirés 
du  livre  de  Gouvion  Saint-Cyr  ne  s'accordent  point  chro- 
nologiquement avec  ceux  du  volontaire  Martin.  D'après 
la  lettre  publiée,  le  représentant  du  peuple  aurait  sommé 
les  défenseurs  de  se  rendre  le  26  et  non  le  22  décembre  ; 
les  Français  auraient  pris  possession  du  fort  le  27  et  non 
le  25.  Les  dates  fournies  par  Gouvion  Saint-Cyr  sont  plus 
vraisemblables  que  celles  du  volontaire  Martin.  Au  sur- 
plus, le  ton  artificiel  de  cette  lettre,  peu  intime,  laisse 
supposer  que  Martin  a  préféré,  à  une  chronologie  exacte, 
un  récit  qui  fut  surtout  glorieux  et  patriotique. 

\.  Les  troupes  françaises  avaient  commencé  à  prendre 
position  devant  Mayence  le  25  octobre  1794.  Kleber  reçut 
le  commandement  des  divisions  de  la  Moselle  et  du  Khin, 
qui  s'appelèrent  désormais  «  armée  devant  Mayence  u.  On 
sait  que  les  Français  n'entrèrent  dans  Mayence  que  le 
30  décembre  1797. 

2.  Enrôlé  le  16  septembre  1792. 


AUX   ARUÉBS    DU    RHIN  67 

Mon  adresse  est  :  Au  citoyen  Marsin,  volontaire 
au  2*  bataillon  de  la  42*  demi-brigade,  baraqué  devant 
Mannheira,  8'  compagnie  *. 


1795 

Au  citoyen  Vidal,  jardinier,  à  Riom,  sur  le  boulevard 
de  la  Comédie,  département  du  Puy-de-Dôme. 

Au  bivouac  devant  Luxembourg,  le  17  nivôse, 
3*  année  républicaine  [6  janvier  1795]. 

Mon  cher  père, 

. . .  Vous  me  recommandez  de  la  surveillance  et  de 
l'activité  dans  le  service  ;  cela  est  nécessaire  surtout 
contre  un  ennemi  vigilant  et  aguerri.  Les  défenseurs 
de  la  liberté  n'en  manquent  pas  et  se  montrent  supé- 
rieurs en  tout  aux  esclaves,  soit  par  leur  bonne  con- 
duite, soit  par  leur  valeur.  Nous  les  combattons  tou- 
jours avec  succès.  G)mme  tambour-major,  je  fiais 
porter  la  terreur  chez  eux  en  levant  cette  canne;  ce 
signal  leur  devient  funeste  et  fatal.  On  bat  le  pas  de 
charge,  on  croise  la  baïonnette,  on  immole  à  la  liberté 
mille  et  mille  esclaves  ;  les  autres,  se  voyant  pressés, 

ient  à  grands  pas  le  champ  de  bataille. 

Nous  sommes  arrivés  le  1"  frimaire  [21  novem- 
re  1794]  devant  Luxembourg  '  ;  nous  avons  eu  un 


mi 

L 


1.  Archives  de  la  ville  de  Riom. 

2.  Au  mois  de  novembre  1794,  trois  divisions  de  l'armée 
de  la  Moselle  conduites  par  le  général  Morcaux  vinrent 


68  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

combat  opiniâtre  à  soutenir;  il  fallait  chasser  les 
hordes  autrichiennes  des  hauteurs  qui  dominent  cette 
ville.  Les  soldats  républicains  ont  déployé  dans  cette 
circonstance  cette  valeur,  cette  opiniâtreté  et  cette 
constance  si  dignes  d'un  soldat  qui  combat  pour  sa 
Patrie.  Plusieurs  satellites  ont  mordu  la  poussière,  et 
le  reste  a  été  dispersé,  dissipé  et  repoussé  jusque 
sous  les  glacis  de  la  ville.  Trois  pièces  de  canon  et 
quatre  caissons  ont  été  le  fruit  et  le  prix  de  notre  cou- 
rage. C'est  ainsi  que  nous  donnons  des  leçons  ter- 
ribles à  ces  vils  ennemis,  qui  sont  incorrigibles  et  qui 
ont  la  témérité  de  nous  venir  attaquer. 

Le  18  nivôse,  l'ennemi  ivre  a  voulu  surprendre  nos 
postes  et  nous  chasser  de  nos  positions  avantageuses. 
Sa  témérité  lui  a  coûté  cher  :  il  est  tombé  sur  nos 

investir  Luxembourg,  que  le  feld-maréchal  Bender  défen- 
dait avec  une  armée  de  15.000  hommes  (Dumolin,  op.  cit., 
t.  I,  p.  296).  D'après  l'Historique  manuscrit  du  86*^  régiment 
d'infanterie,  conservé  aux  Archives  historiques  de  la 
Guerre,  la  division  Debrun  arriva  en  vue  de  Luxembourg 
le  15  novembre  (p.  34).  Le  combat  raconté  par  le  tambour- 
major  Vidal  doit  être  l'engagement  du  21  novembre,  à 
l'issue  duquel  3  canons  et  30  prisonniers  restèrent  aux 
mains  de  nos  troupes  (pp.  35-36).  Il  convient  de  noter  que 
la  chronologie  de  cette  lettre  est  incertaine.  Vidal  y  parle 
de  succès  remportés  le  18  nivôse,  et  sa  lettre  est  datée  du 
17  nivôse!  Dans  ces  conditions,  on  ne  saurait  dater  avec 
précision  la  sortie  malheureuse  des  Autrichiens,  dont  il 
lait  le  récit.  Le  siège  de  Luxembourg,  conduit  successive- 
ment par  les  généraux  Moreaux  et  Ambert,  se  prolongea 
encore  longtemps,  car  Luxembourg  ne  se  rendit  que  1© 
l^""  juin  1795  sous  la  menace  d'un  bombardement.  Sur  le 
siège  de  Luxembourg,  cf.  les  lettres  publiées  pp.  75,  76 
et  83. 


AUX    ARMÉES   DU    RHIN  69 

postes  à 5  heures  du  matin  avec  rage  et  acharnement; 
ils  ont  été  obligés  de  se  replier  ;  mais  bientôt, 
venant  du  renfort  à  leur  secours,  ils  ont  bientôt  eu 
l'avantage  sur  ces  esclaves,  qui  ont  été  obligés  de 
battre  en  retraite  et  de  se  retirer  bien  vite  sous  les 
murs  de  la  ville,  où  nos  tirailleurs  les  allaient  cher- 
cher. Nous  avons  perdu  sept  ou  huit  hommes  et  eu 
quelques  blessés  ;  l'ennemi  a  eu  dans  cette  rencontre 
à  déplorer  la  mort  d'un  grand  nombre  et  en  a  eu 
beaucoup  de  blessés  ;  le  champ  de  bataille  a  été  teint 
et  couvert  de  son  sang... 

Votre  bon  fils, 

Vidal, 
tambour-major*. 

Mon  adresse  est  :  A  Vidal,  tambour-major  en  chef 
de  la  86*  demi-brigade,  devant  Luxembourg,  division 
de  Debrun,  armée  devant  Luxembourg^. 

Au  citoyen  Lherillet,  à  Bar-sur- Aube . 

Devant  Mayence,  le  24  nivdse  an  III 
[13  janvier  1795]. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère, 

Je  vous  écris  pour  vous  dire  que  je  me  porte  bien, 

mais  suis  très  fatigué  par  les  travaux  et  le  froid  que 

nous  avons  endurés  devant  Mannheim,  et  pour  me 

reposer  ainsi  que  mes  camarades,  après  la  reddition 

1.  Engagé  volontaire  le  15  septembre  4792. 
S.  Archives  de  la  ville  de  Riom. 


70  AU    SERVICE    DE    l-A    NATION 

du  fort,  nous  sommes  partis  pourMayence.  Nous  avons 
quitté  les  maux  pour  prendre  la  misère.  C'est  notre 
brigade  qui  eut  le  plus  de  mal  devant  Mayence.  Le 
représentant  et  les  généraux  nous  disaient  :  «  Cou- 
rage, mes  amis!  lorsque  nous  aurons  le  fort,  vous 
aurez  le  repos,  vous  irez  dans  de  bons  cantonne- 
ments » .  Les  voilà  les  bons  cantonnements  !  c'est 
comme  le  vinaigre  de  pis  en  pis  !  Je  ne  me  plains  pas 
pour  que  vous  gémissiez  sur  mon  sort,  mais  c'est 
pour  vous  dire  que  tout  en  travaillant  pour  nos  pères, 
nos  parents,  nos  amis,  c'est  toujours  sur  le  cheval 
que  l'on  tire.  Les  bataillons  qui  étaient  dans  les  vil- 
lages devant  Mannheim  sont  actuellement  au  canton- 
nement. Nous,  qui  étions  à  l'avant-garde  à  travailler 
chaque  jour  la  terre,  recevant  les  boulets,  nous  les 
recevons  encore  !  Nos  maux  seraient  moins  durs  si 
nous  pouvions  recevoir  du  pays  quelques  douceurs, 
mais  tout  est  si  cher  et  les  assignats  ont  si  peu  de 
valeur  que  nous  n'avons  même  pas  de  légumes.  Nous 
n'avons  que  les  petites  subsistances  que  la  Répu- 
blique nous  passe.  Notre  armée  est  la  plus  malheu- 
heureuse  quoiqu'on  l'appelle  :  l'armée  du  repos  ! 

Les  autres  marchent,  trouvent  des  vivres.  Nous 
sommes  dans  des  pays  ruinés  par  le  passage  des 
autres;  nous  n'avons  que  du  pain,  et  encore  il  est 
gelé  ;  on  en  perd  la  moitié  en  le  faisant  dégeler,  ce 
qui  nous  perd  un  jour  de  vivres  sur  deux.  Vous  me 
direz  pourquoi  notre  armée  ne  fait-elle  pas  les  mêmes 
conquêtes  que  les  autres  ?  Je  vous  répondrai  que  le 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  71 

Rhin  n'est  par  trailable,  c'est  une  barrière  qui  en 
impose  aux  deux  partis'. 

Si  nous  avions  Maycnce  nous  aurions  le  Rhin  pour 
limite  ;  nous  aurions  les  mômes  avantages  que  l'en- 
nemi. Mais  Mayence  que  nous  avons  pris  en  badinant, 
il  y  a  deux  ans,  n'était  pas  fortifié  alors,  comme  il 
l'est  aujourd'hui.  On  les  avait  surpris  alors,  mais  il 
faut  se  fâcher  aujourd'hui  et  nous  aurons  de  la  peine 
h  prendre  Mayence  de  force  sans  arrangement.  Cette 
prise  nous  coûtera  cher.  Je  ne  sais  à  quoi  une  si 
nombreuse  armée  a  passé  son  temps  pendant  que 
nous  travaillions  devant  Mannheim  ! 

Pour  le  présent,  mes  chers  parents,  je  vous  prie  de 
faire  mes  amitiés  à  tous. 

Votre  fils  pour  la  vie. 

Cadet  Lherillet. 
Volontaire  à  la  4*  compagnie  du  â*  bataillon  de  TÂube*. 

A  la  citoyenne  veuve  Michel,  marchande  de  quin- 
caillerie, place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Metz,  22  nivôse  an  III  [11  janvier  1793]. 

Ma  chère  maman. 

La  lettre  de  ma  sœur  en  date  du  10  courant  m'an- 

1.  11  s'agit  de  la  prise  de  la  tète  de  pont  de  Mannheim, 
(cf.  les  notes  de  la  lettre  précédente,  p.  G5).  11  convient 
de  noter  que  les  plaintes  de  ce  volontaire  sur  la  dureté  et 
la  longueur  du  siège  de  Mayence  étaient  fondées,  puisque 
la  ville  ne  fut  reprise  qu'en  1797. 

2.  Archives  municipales  de  Bar-sur-Aube.  H-i,  réquisi- 
tion, Carton  30. 


72  AU    SERVICE    DE    l,A   NATION 

nonce  votre  liberté  et  votre  rentrée  à  la  maison  ^  ;  en 
apprenant  cette  nouvelle,  ma  bonne  maman,  et  vous 
embrassant,  ce  jour  aurait  été  le  plus  beau  de  ma 
vie  :  insensé  que  je  suis,  tu  t'aveugles,  le  bonheur 
est  loin  de  toi.  La  lettre  de  ma  sœur  me  fait  verser 
des  larmes  de  joie,  et  je  n'ai  jamais  pu  la  lire,  je  pleu- 
rais de  trop  bon  cœur,  je  croyais  rêver;  à  la  fin,  j'ai 
été  persuadé  de  la  vérité. 

Plût  à  Dieu,  ma  chère  maman,  que  le  terme  de  vos 
malheurs  soit  fini  et  que  nous  soyons  assez  heureux 
pour  pouvoir  vous  faire  oublier  vos  malheurs. 

Recevez,  ma  chère  maman,  mes  remerciements 
pour  les  250  livres  que  vous  me  faites  passer;  ils 
arrivent  fort  à  propos  et  vous  me  rendez  grand  ser- 
vice; je  vais  faire  mon  possible  pour  les  faire  filer 
encore  un  mois  et,  quand  ils  seront  finis,  je  rejoin- 
drai le  camp.  J'ai  été  obligé  d'acheter  trois  chemises, 
qui  m'ont  coûté  25  livres;  tout  est  au  prix  de  l'or. 
Si  j'étais  auprès  de  vous,  je  vous  demanderais  de 
quoi  faire  un  habit  et  un  pantalon  ;  mais  la  trop  lon- 
gue route  et  l'incertitude  de  notre  sort  me  mettent 
dans  toute  impossibilité  de  vous  demander  des  effets, 
quoique  j'en  aie  besoin. 

J'ai  acheté  une  américaine,  qui  m'a  coûté  fort  cher 
et  m'a  mis  à  fond  de  cale.  J'écris  de  suite  à  Mi- 
chel^; je  désire  qu'il  se  place  avantageusement;  je 

1.  La  citoyenne  Michel,  mère  du  volontaire,  avait  été 
arrêtée  comme  suspecte. 

2.  Le  plus  jeune  frère  du  lieutenant  Michel. 


AUX   ARMEES    DU    RHIN  73 

désirerais  pour  vous  être  avec  lui  et  ne  plus  tenir  à 
l'armée.  J'écris  à  Gaspard  '  ;  il  me  marque  qu'il  est  en 
quartiers  d'hiver.  Pour  nous,  nous  sommes  devant 
Luxembourg  sans  pouvoir  faire  de  baraques  ;  plu- 
sieurs volontaires  ont  eu  les  pieds  gelés  vu  la  rigueur 
du  temps. 

Je  suis  en  attendant  de  vos  nouvelles. 
Votre  fils, 

Michel. 

Je  prie  ma  sœur  de  me  donner  de  ses  nouvelles  le 
plus  tôt  possible  à  l'adresse  ci-dessous  : 

Gtoyen  Mangenot,  perruquier,  rue  de  la  Vieille 
Intendance,  n"  669,  à  Metz*. 

A  la  citoyenne  veure  Michel, 
marchande  de  quincaillerie,  place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Metz,  pluviôse  an  III  [janvier-février  1795]. 

Ma  chère  maman, 

La  lettre  de  ma  sœur  m'est  parvenue  ainsi  que  l'as- 
signat de  250  livres,  qui  est  déjà  en  portefeuille  et 
ne  tardera  pas  à  être  changé  car  tout  est  hors  de  prix. 
La  charretée  de  bois  vaut  150  1.,  3  I.  un  fagot,  10  1. 
la  livre  de  chandelle,  10  1.  pour  faire  blanchir  uneche- 

i.  Son  frère  aîné,  h'eulenant  au  !•'  bataillon,  en  congé 
absolu. 

2.  Sur  le  lieutenant  Michel,  cf.  pp.  4  sqq.  Toutes  ses 
lettres  publiées  ici  proviennent  des  archives  particulières 
de  M.  Michel,  conservateur  du  musce  Saint-Jean,  A  Angers. 


7*  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

mise,  le  tout  en  général  à  proportion.  Ce  qui  est  mal- 
heureux pour  moi,  c'est  qu'absent  du  corps,  je  ne 
touche  aucune  paye.  Recevez,  ma  chère  maman,  les 
remerciements  d'un  fils  qui  a  toujours  connu  vos 
bontés  et  qui  fera  son  possible  pour  toujours  les  mé- 
riter, et  soyez  persuadée  de  ma  reconnaissance.  L'as- 
signat va  me  faire  brûler  quelques  fagots  de  plus  et 
fumer  une  pipe,  et  cela  pas  plus  tôt  que  ma  lettre 
finie.  Oui,  cela  fait  dissiper  les  chagrins  ;  il  [me]  semble 
vous  entendre  dire  :  «  il  va  se  mettre  à  boire,  cela  fera 
un  monsieur  bien  propre  » .  Ma  petite  réflexion  ne  ca- 
drera pas  avec  la  vôtre.  Vous  direz  :  «  voilà  un  homme 
qui  a  tous  les  défauts  »,  moi  je  dirai  qu'un  militaire 
qui  boit  un  petit  coup  et  qui  a  la  tôte  échauffée  est 
heureux,  il  n'a  aucune  inquiétude  et  souci  jusqu'au 
réveil.  De  là,  vous  allez  conclure  que  je  suis  un 
ivrogne;  non,  ma  chère  maman,  soyez  persuadée  que 
je  me  ressouviendrai  toujours  des  principes  que  vous 
m'avez  donnés  ;  quand  j'aurai  le  plaisir  de  vous  em- 
brasser, je  ne  sentirai  ni  la  pipe  ni  le  vin  ;  mais  pour 
la  gale,  il  ne  faut  jamais  jurer  de  rien.  La  mienne 
n'est  pas  encore  guérie  ;  quoique  j'aie  fait  et  que  je  fasse 
toujours  des  remèdes,  il  me  reste  toujours  des  bou- 
tons :  au  bout  du  fossé  la  culbute  ! 

J'ai  reçu  une  lettre  de  Michel... 

J'ai  vu  un  adjudant-général  qui  se  souvient  de  la 
maison  Lesour  de  l'Isle,  surtout  d'une  des  demoi- 
selles ainsi  que  certain  militaire.  Quoique  au  loin,  on 
apprend  à  connaître  son  pays  ! 


AUX    ARMKES    DU    RHIN  /5 

Je  suis  en  attendant  de  vos  nouvelles, 
Votre  fils, 

Michel. 

Toujours  à  la  même  adresse  : 
chez  le  citoyen  Mangenot.  rue  de  la  Vieille  Intendance,  à  Metz. 
Il  me  les  fera  parvenir  si  je  suis  à  l'armée. 

A  la  citoyenne  veuve  Michel, 
marchande  de  quincaillerie, place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Au  bivouac  devant  Luxembourg,  12  ventâse,  an  III 
[2  mars  1795]. 

Ma  chère  maman, 

J'espère  que  ma  dernière  lettre  datée  de  Metz  vous 
sera  parvenue  ;  elle  vous  annonçait  mon  départ  pour 
le  camp... 

J'ai  reçu  une  lettre  de  Michel;  il  me  marque  que 
le  citoyen  Morcau  a  écrit  à  un  de  ses  amis  pour  pou- 
voir me  placer  du  côté  de  Bruxelles.  Je  crois  que 
cela  sera  un  peu  difficile,  car  on  ne  change  pas  faci- 
lement d'arme... 

Le  temps  ne  nous  a  pas  encore  permis  de  faire  des 
baraques,  la  terre  étant  encoregelée;  je  vous  écris  assis 
sur  un  sillon.  Au  premier  dégel,  nous  allons  travailler 
aux  redoutes  pour  le  bombardement. 

Adieu, 

Michel, 

5*  bataillon  de  Maine-et-Loire,  devant  Luxembourg. 
Armée  de  la  Moselle. 

J'ai  iroid  aux  doigts. 


76  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

A  la  citoyenne  veuve  Michel, 
marchande  de  quincaillerie, place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Au  bivouac  devant  Luxembourg,  !•'  germinal  an  III 
[21  mars  1795]. 

Ma  chère  maman. 

Depuis  quelques  jours  privé  de  vos  nouvelles  et 
ignorant  si  mes  lettres  vous  sont  parvenues  ainsi 
que  ma  dernière  qui  contenait  les  détails  de  la  vigou- 
reuse sortie  qu'a  faite  la  garnison  de  Luxembourg. 

D'après  le  rapport  de  quelques  déserteurs,  ils  ont 
eu  900  hommes  hors  de  combat.  La  perte  n'est  pas 
tout  à  fait  aussi  conséquente  de  notre  côté. 

F.  Michel, 

5»  bataillon  de  Maine-et-Loire,  division  d'Ambert*, 
armée  de  la  Moselle,  devant  Luxembourg. 

A  la  citoyenne  veuve  Michel, 
marchande  de  quincaillerie,  place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Au  bivouac  devant  Luxembourg,  26  germinal  an  III 

LIS  avril  1795]. 

Ma  chère  maman, 

Si  j'ai  tant  tardé  à  vous  donner  de  mes  nouvelles, 
c'est  que  depuis  très  longtemps  on  parlait  de  notre 
départ  et  [je]  voulais  attendre  la  nouvelle  officielle 
pour  vous  faire  part  de  notre  marche. 

1.  Le  général  Ambert  avait  pris  le  commandement  des 
troupes  qui  assiégeaient  Luxembourg,  après  la  mort  de 
Moreaux  à  Thionville  (16  février  1795). 


AUX  ARMÉES   DU    RHIN  77 

L'armée  de  Sambre-et-Meuse  est  arrivée  et  relève 
tout  le  blocus  de  Luxembourg*.  Les  lauriers  sont 
destinés  pour  cette  armée;  ils  arrivent  au  moment 
que  tous  nos  travaux  sont  finis;  nous  aurons  essuyé 
toute  la  fatigue  et  eux  auront  la  gloire  ! 

La  nouvelle  de  notre  départ  a  indigné  toute 
l'armée,  mais  la  discipline  qui  y  règne  fait  que  le 
soldat  exécute  avec  activité  les  ordres  qu'on  lui 
donne. 

Si  la  paix  ne  se  conclut  pas  avec  l'Empereur,  sous 
six  semaines,  vous  verrez  dans  les  papiers  publics 
Luxembourg  bombardé  et  peut-être  au  pouvoir  de  la 
République*. 

Nous  partons  demain  matin  pour  border  le  Haut  et 
Bas-Rhin  ;  notre  destination  est  pour  Spire,  à  10 
ou  12  lieues  au-dessus  de  Mayence  ;  nous  ignorons 
si  nous  y  resterons  ;  il  pourrait  arriver  qu'on  passerait 
le  Rhin,  alors,  il  nous  sera  pas  aussi  facile  de  donner 
de  nos  nouvelles,  comme  en  France. 

N'ayez  aucune  inquiétude,  ma  chère  maman,  si 
j'étais  quelque  temps  sans  vous  écrire.  Soyez  per- 
suadée que  je  saisirai  toute  occasion  pour  me  pro- 
curer de  vos  nouvelles. 

1.  Deux  divisions  de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse,  pla- 
cées sous  la  direction  du  général  llatry,  avaient  relevé 
les  deux  divisions  assiégeantes,  qui  rejoignirent  l'armée 
du  Rhin  à  Mayence. 

2.  Bombardé  dans  la  seconde  moitié  du  mois  de  mai, 
Luxembourg  capilula  le  1  juin  1795.  Sur  les  clauses  de  la 
capitulatioo,  cf.  lettre  publiée  pp.  83. 


78  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Je  suis  avec  respect,  votre  fils, 

Michel. 
P. -S.  —  J'embrasse  ma  sœur. 

A  la  citoyenne  veuve  Michel,  place  de  la  Loi, 
à  Angers. 

Au  cantonnement  d'Auggrestin',  bords  du  Rhin, 
12  floréal  an  III  [1"  mai  1795]. 

Armée  Rhin-et-Moselle,  division  Vachot, 
brigade  de  Frimont. 

Ma  chère  maman, 

Je  présume  que  ma  dernière  lettre  vous  sera  par- 
venue, qui  vous  annonçait  notre  départ  de  Luxem- 
bourg pour  aller  border  le  Rhin;  nous  avons  fait  une 
route  de  soixante  et  quelques  lieues  ;  ce  voyage  nous  a 
rappelé  les  malheureux  pays  de  la  Vendée  ;  nous  ne 
voyagions  que  dans  des  gorges  entourées  de  mon- 
tagnes de  tous  côtés  ;  les  villes  où  nous  passions 
n'offraient  que  des  ruines,  les  villages  la  plus  grande 
misère.  Les  malheureux  habitants  de  ces  contrées  sont 
réduits  à  manger  des  crompires  jusqu'à  la  récolte. 

Nous  sommes  en  face  de  Mannheim,  qui  est  de 
l'autre  côté  du  Rhin  ;  cette  ville  est  une  des  plus 
belles  de  l'Allemagne,  mais  la  suspension  d'armes 
qui  existe  avec  le  prince  Palatin  fait  que  nous  nous 
bornons  à  garder  chacun  de  notre  côté*. 

1.  Oggersheim,  sur  la  rive  gauche  du  Rhin,  à  côté  de 
Mannheim. 

2,  Occupée  par  une  faible  garnison  de  troupes  pala- 


AUX   ARMÉES   DU   RHIN  79 

Dans  notre  voyage,  j'ai  passé  à  Spire  et  Worms,  où 
nos  émigrés  ont  séjourné  très  longtemps  ;  ce  spec- 
tacle n'offre  qu'un  spectacle  très  triste  (sic)  ;  les  plus 
beaux  édifices  sont  détruits. 

Adieu,  ma  chère  maman,  veuillez  me  donner  de 
vos  nouvelles  et  me  croire  avec  le  plus  profond  res- 
pect. 

Votre  fils, 

F.  Michel. 

Mille  choses  à  ma  sœur;  nous  sommes  très  mal- 
heureux dans  ce  pays,  nos  assignats  perdent  consi- 
dérablement ;  notre  paye  nous  vaut  que  c'est  ceux 
qui  ont  de  l'argent  qui  sont  heureux. 

A  la  citoyenne  veuve  Michel, 
marchande  de  quincaillerie,  place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Au  camp  d'Auggrestin,  bords  du  Rhin, 
20  floréal  an  III  [9  mai  1795]. 

Ma  clière  maman. 

Depuis  quoique  temps,  nous  avons  reçu  ordre  du 
général  en  chef  d'aller  baraquer  sur  les  bords  du 
Rhin  ;  nous  sommes  on  [ne]  peut  plus  mal,  manquant 
généralement  de  tout,  môme  de  bois  pour  faire  la  soupe, 
ïvc  13  (lu  courant  [2  mai],  nous  avons  eu  une  affaire  des 

tines,  Mannhcim  se  rendit  à  Pichcgru  le  20 septembre  1795 
(fîouvion  Saint-Cyr,  op.  cit.,  t.  M,  pp.  190-191  et  pp.  488- 
491). 


80  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

plus  terribles  *  ;  l'ordre  arrive  à  la  colonne  d'aller  atta- 
quer une  redoute  proche  et  de  nous  emparer  d'un 
village  proche  [de]  Mayence.  L'ordre  donné,  un  de 
nos  adjudants-généraux  chef  de  brigade  passe  à  l'en- 
nemi, instruit  de  notre  mouvement.  Nous  attaquons 
le  village  ;  l'ennemi  bat  en  retraite  et  nous  laisse 
avancer.  Pondant  ce  temps,  l'armée  de  Mayence  fait 
une  sortie  au  nombre  de  18.000  hommes,  nous  cerne 
par  derrière  ;  l'ennemi  qui  avait  quitté  sa  première 
position  revient  à  la  charge,  nous  sommes  obligés  de 
nous  faire  une  trouée,  nous  sommes  repoussés  jus- 
qu'au delà  de  nos  retranchements  :  10  pièces  de 
canon  nous  sont  enclouécs  dans  cette  mallieureuse 
journée;  il  est  resté  5.000  hommes  sur  le  champ  de 
bataille;  d'un  régiment  de  500  hommes,  il  ne  s'en 
est  sauvé  que  9;  il  faut  espérer  que  nous  aurons 
notre  revanche. 

D'après  la  récapitulation  de  notre  bataillon,  nous 
avons  perdu  cet  hiver  200  hommes,  tant  par  le  feu  que 
par  la  misère  et  la  gelée;  nous  sommes  on  ne  peut 
plus  malheureux;  le  pain  nous  parvient  difficilement, 
encore  perd-t-on  un  ou  deux  jours  par  décade. 

1.  Cette  «  affaire  »  du  13  floréal  doit  être  identifiée  avec 
un  combat  devant  Mayence  rapporté  par  Gouvion  Saint- 
Cyr  à  la  date  du  30  avril  (op.  cit.,  t.  II.  pp.  166-171).  Gou- 
vion Saint-Cyr,  témoin  oculaire,  termine  son  récit  par  ces 
mots  :  «  Jusqu'au  31  mai,  il  n'y  eut  aucun  mouvement 
dans  les  positions  de  l'armée  devant  Mayence  ».  La  nar- 
ration de  Gouvion  Saint-Cyr  n'est  pas  aussi  pessimiste 
que  celle  du  lieutenant  Michel  et  ne  contient  aucun  détail 
relatif  à  la  trahison  d'un  adjudant-général. 


AUX   ARMÉES    DU    RHIN  81 

Le  papier  n'a  aucune  valeur  dans  ce  pays;  noire 
paye  ne  vaut  pas  un  sol  par  jour. 

Une  culotte  de  Nankin  vaut  120  1.;  le  drap,  300  1.; 
une  paire  de  bottes,  200  1.  ou  24  1.  en  argent  ;  les  sou- 
liers 50  1.  ou  6  1.  en  argent. 

Jugez  d'après  ces  prix  comme  je  puis  m'habiller. 
Ceux  qui  ont  de  l'aident  peuvent  vivre  facilement.  Si 
notre  dépôt  va  à  Strasbourg,  je  vous  prierai,  ma 
chère  maman,  de  me  faire  un  paquet  d'effets  et  de  me 
TadressiT  au  dépôt  ;  d'après  votre  réponse,  je  vous 
ferai  passer  une  noie  de  ce  que  j'ai  besoin. 

Je  suis  en  attendant  de  vos  nouvelles,  ma  chère 

maman,  votre  fds, 

F.  Michel. 

J'embrasse  ma  sœur  ;  je  la  prie  de  me  faire  réponse. 

Je  présume  qu'il  y  a  quelque  lettre  à  la  poste  pour 

moi,  car  je  n'ai  reçu  aucune  nouvelle  depuis  Luxem- 

^)0u^g. 

Michel. 

Sous-lieatcnaot  au  5*  bataillon  de  Maine-et-Loire, 
armée  de  Rhin-et-Mosclle.  division  de  Vachot, 
brigade  de  Priment. 

J'ai  écri»  >  nfis^parfl. 

A  la  citoyenne  veuve  Michel^  place  de  la  Loi, 
à  Angers. 

Sur  les  bords  du  Rhin.  5  prairial  an  III  (ai  mai  1795]. 
Armée  Rhin-et-Moselle. 
Ma  chère  maman. 
Une  lettre  de  Michel,  en  date  du  20  de  l'autre  mois, 

MCARO.  C 


82  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

m'annonce  de  vos  nouvelles  ainsi  que  de  ma  sœur; 
je  souhaite  que  la  présente  vous  trouve  d'une  aussi 
bonne  santé.  Depuis  six  semaines,  je  suis  privé  de  vos 
nouvelles;  je  ne  sais  à  quoi  attribuer  ce  retard;  je 
présume  que  les  postes  en  sont  la  seule  cause.  Si  ma 
dernière  vous  est  parvenue,  vous  aurez  appris  l'afïaire 
qui  nous  est  arrivée  proche  [de]  Mayence.  Depuis  ce 
temps,  nous  sommes  très  tranquilles  de  part  et  d'autre 
et  môme,  dit-on,  qu'en  ce  moment  des  Représentants 
sont  à  Bàle,  en  Suisse,  pour  traiter*.  Si  la  paix  se 
faisait,  nous  aurions  le  plaisir  d'entrer  dans  plusieurs 
villes  d'Allemagne.  Nous  ne  sommes  qu'à  10  lieues 
de  Francfort,  ville  célèbre  par  ses  foires,  30  lieues 
d'Eberfeld,  30  de  Solingen,  d'où  nous  tirons  tous  nos 
lacets,  outils,  limes ^;  toutes  ces  villes  ne  sont  que  de 
40  à  50  lieues  de  la  position  que  nous  occupons. 

Le  discrédit  qu'ont  les  assignats  en  France  et  dans 
les  pays  étrangers  fait  qu'on  ne  pourrait  traiter  en 
ce  pays  qu'avec  argent  comptant. 

Si  la  paix  venait  à  se  conclure,  que  l'argent  bais- 
serait et  viendrait  à  un  prix  convenable,  on  pourrait 
en  faire  acheter  à  Paris  et  passer  à  Strasbourg  ;  par 
ce  moyen  on  se  procurerait  des  marchandises  tout  de 
,  suite.  Pour  tirer  d'Eberfeld  et  Solingen  même,  cela 
demanderait  beaucoup  de  temps,  vu  qu'il  y  a  90  à 

i.  Des  conférences  en  vue  de  la  conclusion  de  la  paix 
avaient  été  ouvertes  à  Bâle  dès  le  12  janvier  1795;  le 
traité  avec  la  Prusse  fut  signé  le  5  avril. 

2.  L'auteur  de  cette  lettre  fait  allusion  à  son  commerce. 


AUX    ARUÉES    DU    RHIN  83 

100  lieues  pour  venir  à  Strasbourg.  On  pourrait  payer 
quelque  chose  de  plus  cher  et  acheter  à  Mannheim; 
l'tte  ville  regorge   de  marchandises  et   n'est  qu'à 
30  lieues  de  Straslx)urg,  et  le  Rhin  est  navigable. 

Nous  ne  pouvons  rien  statuer  que  quand  nous 
aurons  la  paix  et  que  nous  passerons  librement  le 
Rhin,  Les  assignats  ont  nulle  valeur  dans  ce  pays; 
nous  oflrons  30  1.  d'un  pain  de  3  livres,  on  ne  veut 
pas  nous  le  donner.  Le  louis  d'or  vaut  500  h;  l'écu 
de  6  1-,  100  livres  en  assignats. 

Nous  sommes  on  [ne]  peut  plus  malheureux.  Le  pain 
nous  manque  dans  ce  moment  ;  il  y  a  deux  jours  qu'il 
est  dû  ;  nous  attendons  la  récolte  avec  impatience. 

J'embrasse  ma  sœur;  je  la  prie  de  me  donner  des 
nouvelles  du  quartier  et  du  Lion  d'Angers. 

Adieu, 

F.  Michel. 

Division  Vachot,  brigade  de  Frimont, 
armée  de  Sambre-eUMoselle,  par  Spire. 

A  la  citoyenne  Michel,  place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Au  camp  devant  Mannheim, 
26  prairial  an  III  [14  juin  1793]. 

Ma  bonne  amie, 

Depuis  deux  mois  privé  de  les  nouvelles  et  ne 

sachant  h  quoi  attribuer  cela,  ta  dernière  parvenue 

contonant  un  assignat  de  250  livres  est  datée  du  5 

Jllutviil  [24  avril],  il  pourrait  bien  se  faire  que  mes 

lettres  ne  vous  parviendraient  pas;  pour  lors,  la  faute 


84  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

retomberait  sur  moi  quoique  je  ne  le  méritasse  pas. 
Veuille  au  reçu  de  la  présente  me  donner  de  tes  nou- 
velles, ainsi  que  de  ma  chère  maman. 

Je  désire  que  mon  pays  ne  soit  pas  aussi  misé- 
rable que  les  contrées  que  nous  habitons;  les  détails 
de  notre  misère  seraient  trop  longs  à  vous  peindre. 

Nous  ne  vivons  pas,  nous  pâtissons;  le  pain  nous 
manque,  nous  sommes  réduits  à  2  livres  de  pommes 
de  terre  toutes  poussées  ou  3  onces  de  pois  secs 
rongés  de  vers;  voilà  notre  nourriture  journalière, 
encore  on  n'a  pas  son  content.  L'espoir  de  la  paix  fait 
qu'on  souffre  avec  constance*. 

Nous  venons  de  passer  la  revue  de  l'inspecteur 
pour  l'embrigadement  ou  l'incorporation.  Sous  quinze 
jours  nous  saurons  définitivement  notre  sort. 

Notre  général  vient  de  faire  passer  un  trompette  à 
Mannheim  pour  leur  annoncer  la  prise  de  Luxembourg 
au  pouvoir  des  républicains.  D'après  la  capitulation, 
ils  sont  sortis  avec  les  honneurs  de  la  guerre,  avec 
armes  et  bagages,  ayant  été  obhgés  de  rendre  la  ville, 
manquant  de  bois,  de  sel,  de  viande  fraîche,  ayant 
une  grande  quantité  de  malades,  et  la  peste  commen- 
çant à  faire  de  grands  ravages. 

1.  La  triste  situation  des  troupes  provenait  du  terrible 
hiver  qu'elles  avaient  dû  supporter.  Sur  les  rigueurs  de 
l'hiver  1794-1795,  «  le  plus  rigoureux  du  siècle  »,  et  sur  les 
souffrances  de  l'armée  devant  Mayence  («  devant  Mayence, 
le  froid  fut  plus  long,  plus  grand  que  celui  qu'on  éprouva 
jusqu'au  passage  de  la  Berezina  »),  cf.  Gouvion  Saint- 
Cyr,  op.  cit.,  t.  II,  pp.  148-155. 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  85 

Ayant  prêté  serment  d'être  un  an  sans  prendre  les 
armes  contre  la  République,  ils  sont  partis  et  vont 
passer  le  Rhin  au-dessus  de  Coblentz. 

Nous  sommes  tranquilles  sur  notre  position. 

Tout  à  toi,  ton  ami  et  frère, 

Michel  F. 

Soas-lieutenant  au  5»  bat&inon  de  volontaires 
de  Maine-et-Loire,  division  de  Vachot, 
brigade  de  Frimont,  armée  Rhin-et-Moselle. 

A  la  citoyenne  veuve  Michel,  place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Au  camp  de  Mayence,  le  28  messidor 
an  111  [16  juillet  1795]. 

Ma  chère  maman. 

Depuis  ma  dernière  [lettre]  datée  devant  Mannheim, 
nous  avons  reçu  ordre  de  partir  pour  aller  devant 
Mayence,  où  nous  sommes  actuellement  et  tellement 
près  que  les  coups  de  canon  tirés  de  la  place  viennent 
jusqu'à  nos  baraques;  et  dessus  les  hauteurs  que  nous 
occupons,  nous  pouvons  leur  rendre  la  pareille. 

Notre  armée  est  très  nombreuse,  composée  de 
100.000  hommes*;  nos  redoutes  et  forts  sont  impre- 
nables; tout  cela  ne  nous  donnera  pas  Mayence  vu 
que  nous  ne  pouvons  le  bloquer  à  moins  de  passer  le 

1.  La  maladie  et  la  désertion  avaient  creusé  dans  les 
ranffs  dos  armées  des  vides  énormes.  Le  lieutenant  Michel 
ne  se  (loiilait  pas  que  l'armée  du  Uhin,  qui  devait  compter 
193.670  hommes,  n'en  pouvait  mettre  en  ligne  que  57.000 
(Dumolln,  op.  «/.,  t.  I,  p.  302). 


86  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

Rhin.  Je  crois  que  cela  ne  tardera  pas  à  s'effectuer  ; 
on  fait  monter  des  troupes  pour  effectuer  ce  passage 
que  nous  désirons  ardemment. 

J'ai  reçu  deux  lettres  do  ma  sœur  en  date  du  7  du 
courant  [25  juin],  renfermant  un  assignat  de  250  livres 
et  l'autre  datée  du  14  du  môme. 

Veuillez,  ma  chère  maman,  agréer  mes  remercie- 
ments et  ôtre  persuadée  de  ma  reconnaissance. 

Notre  position  est  toujours  la  même;  nous  attendons 
la  récolte  avec  impatience  pour  nous  procurer  du  pain. 
Ma  sœur  me  marque  que  vous  avez  eu  la  complai- 
sance de  me  faire  trois  paires  de  souliers  ;  il  m'est  im- 
possijjle  de  les  avoir  en  ce  moment  ;  étant  éloigné  de 
plus  de  200  lieues,  un  petit  paquet  de  la  poste  se 
perdrait. 

Je  pense  que  vous  avez  retiré  une  paire  de  bottes 
que  j'avais  cachée  dans  le  tonneau  du  magasin,  où 
on  met  les  papiers.  Je  prie  Francilien  d'en  avoir  soin 
et  de  les  guetter. 

Si  nous  entrons  en  garnison,  je  vous  ferai  une 
petite  demande  de  linge  où  vous  joindrez  mes  bottes  ; 
je  prie  ma  sœur  de  me  marquer  si  vous  les  avez 
trouvées. 

Adieu... 

F.  Michel. 

Nous  venons  d'avoir  ordre  de  nous  tenir  prêts,  au 
premier  coup  de  canon,  étant  prévenu  que  la  garni- 
son de  Mayence  doit  faii%  une  vigoureuse  sortie. 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  87 

A  la  citoyenne  veuve  Michel,  place  de  la  Loi, 
à  Angers. 

Au  camp  devant  Mayence,  i6  thermidor 
an  III  [13  août  1793]. 

Ma  chère  maman, 

En  réponse  à  la  lettre  de  ma  sœur  datée  du  1 1  cou- 
rant [29  juillet]  renfermant  une  reconnaissance  de 
2i  livres  en  numéraire,  veuillez  recevoir  mes  remer- 
ciements et  ôtre  persuadée  de  ma  reconnaissance. 
Hier,  nous  avons  célébré  la  fôte  du  10  août,  qui 
consiste  en  trois  salves  d'artillerie  et  mousqueterie  ; 
cela  a  commencé  à  Strasbourg  et  fini  à  Coblentz,  en 
suivant  toute  la  rive  du  Rhin  ;  pour  nous,  nous  étions 
100.000  hommes  sous  les  armes  devant  Mayence. 
Cette  fête  n'était  pas  brillante  pour  nous,  vu  qu'elle 
MOUS  a  procuré  un  plat  de  plus  à  l'ordinaire  ;  ayant 
;ttlrapé  un  chat,  il  a  fallu  qu'il  connaisse  le  son  de 
notre  marmite  et  a  été  mangé  avec  appétit.  Point 
de  quartier,  nous  connaissons  sa  bonté  ainsi  que  celle 
du  cheval  et  de  l'écureuil. 

J'aurais  grand  besoin  d'entrer  en  garnison  pour 
pjuvoir  faire  venir  du  linge. 

Je  vous  assure  que  je  suis  bien  miné;  étant  tou- 
jours au  bivouac  ou  dans  les  bois,  nos  effets  s'usent 
promptoment. 

La  Convention  vient  de  décréter  une  solde  de  2  sols 
en  numéraire  parjour  pour  les  volontaires;  pournous, 
nous  n'y  avons  aucun  droit;  elle  nous  accorde  une 


88  AD    SKr.VlCE    DE    LA    NATION 

gratification  qui  consiste  en  habit,  veste  et  culotte,  mais 
nous  ne  sommes  pas  près  de  recevoir  cette  gratifica- 
tion ;  maintenant  le  soldat  est  plus  heureux  que  nous. 
Je  suis  aise  que  Michel  se  soit  emparé  de  mes  bottes  ; 
je  me  vois  dans  la  dure  nécessité  d'en  faire  faire,  étant 
obligé  d'en  avoir.  Si  nous  entrons  en  quartiers  d'hiver, 
cela  me  coûtera  mon  pauvre  louis  ou  400  livres  en 
papier;  malheureusement  cela  fera  une  grande  brèche 
à  mes  appointements. 

Adieu... 

F.  Michel. 

Lieutenant,  8»  compagnie  du  ii*  bataillon. 
Volontaires  de  Maine-et-Loire.  Attaque  du  centre. 

Il  y  a  un  an,  j'ai  reçu  une  lettre  du  citoyen  Laïs,  de 
Niort,  chez  qui  j'étais  resté;  il  me  marquait  que  j'avais 
laissé  quelques  effets  chez  lui  et  le  moyen  de  pouvoir 
me  les  faire  avoir.  Je  lui  marquai  de  vous  les  adresser. 
Dites-moi  si  vous  les  avez  reçus.  Sinon  que  ma  sœur 
les  réclame,  elle  m'obligera. 

A  la  citoyenne  veuve  Michel,  place  de  la  Loi,  à  Angers. 

Strasbourg,  le  9  vendémiaire 
an  IV  [1"  octobre  1795]. 

Ma  chère  maman, 

.    Notre  bataillon  a  enfin  été  incorporé  le  1"  de  ce 

mois  [23  septembre] ,  Aux  termes  de  la  loi,  ceux  qui 

avaient  plus  que  l'âge  à  la  formation  du  bataillon  ont 

été  libres  de  se  retirer*. 

1 .  Nous  n'avons  pas  trouvé  la  trace  d'une  incorporation 


AUX    AUMÉES    DU    RHIN  ii\i 

Comme  je  n'avais  servi  dans  aucun  corps  et  que 
j'avais  le  papier  baptistaire  que  vous  m'aviez  fait 
passer,  j'ai  eu  ordre  de  venir  ici  pour  avoir  mon 
congé.  Après  toutes  démarches,  je  l'ai  obtenu  et 
i'main  je  continue  ma  route,  qui  est  malheureuse- 
ment un  peu  longue.  Il  me  tarde  d'être  auprès  de 
vous  et  y  jouir  de  la  tranquillité. 

J'ai  déjà  lait  4u  lieues  pour  venir  ici,  40  d'ici  à 
Metz,  70  de  Metz  à  Paris  et  70  de  Paris  à  Angers  font 
225  lieues. 

Tout  ce  voyage  est  un  peu  long  ;  on  est  malheu- 
reux sur  la  roule,  tout  est  hors  de  prix  (quoique 
j'aie  dix  sols  par  jour).  Je  fais  argent  de  ma  friperie 
partout  où  je  passe. 

J'cspt're  avoir  le  plaisir  de  voir  mon  frère  à  Paris 
I  y  recevoir  de  vos  nouvelles. 

Veuillez,  ma  chère  maman,  me  faire  réponse  et 
savoir  vos  volontés. 

Je  suis,  en  attendant  le  plaisir  de  vous  em- 
Ijrasser, 

Votre  fils, 

F.  Michel. 


du  5"  bataillon  des  volontaires  de  Maine-et-Loire,  à  la 
date  du  1""  vendémiaire  an  IV.  Nous  savons  seulement 
que  le  !•'  ventôse  an  IV  (20  lévrier  1796)  une  partie  du 
5"  bataillon  des  volontairos  de  Maine-et-Loire  fut  embri- 
gadée avec  le  6"  bataillon  d'Orléans  et  les  anciennes  36"  et 
116»  demi-brigades  pour  constituer  la  84»  demi-brigade 
de  seconde  iormalion  (llousset,  Les  Volontaires,  1791-1704, 
p.  387). 


90  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 


1796 

A  la  citoyenne  veuve  Pillant,  Azay-sur-Cher 
{Indre-et-Loire), par  Tours. 

Laubenheim,  5  thermidor  an  IV,  \\.  F. 
[23  juillet  n9G]. 

Ma  chère  mère, 

J'ai  reçu  votre  lettre  en  date  du  4  prairial  [23  maij 
avec  une  reconnaissance  de  six  livres.  Je  n'ai  pas  encore 
reçu  l'argent,  mais  j'espère  le  recevoir  bientôt.  Ce  qui 
me  fait  bien  plaisir,  c'est  d'apprendre  que  vous  êtes  en 
bonne  santé.  La  présente  est  pour  répondre  à  la  vôtre 
et  en  même  temps  pour  m'informer  de  l'état  de  votre 
santé  ainsi  que  de  celle  de  mes  frères  et  sœurs.  Moi,  je 
me  porte  bien,  Dieu  merci,  et  je  prie  l'Etre  suprême 
que  la  présente  vous  trouve  en  pareil  état.  Je  vous  dirai 
que  voilà  deux  mois  que  nous  sommes  partis  de  notre 
cantonnement  pour  entrer  en  campagne  du  côté  de 
Landau,  et  nous  avons  repoussé  l'ennemi  jusqu'à 
Mannheim,  puis  nous  sommes  partis  pour  passer  le 
Rhin  à   Strasbourg*,  et  nous   sommes  à  présent  à 


1.  Les  hostilités  avaient  repris  sur  le  Rhin  à  partir  du 
1®*"  juin  1796.  Wurmser  recula  sur  le  camp  retranché  de 
Mannheim  avant  d'avoir  livré  un  combat  sérieux,  pour 
obéir  aux  ordres  de  la  Cour  de  Vienne,  qui  réclamait 
23.000  hommes,  tirés  des  armées  du  Rhin,  pour  ses  armées 
d'Italie  (Gouvion  Saint-Cyr,  op.  cit.,  t.  III,  pp.  16-18).  Le 
14  juin,  Moreau  fit  attaquer  les  Autrichiens  pour  les  rejeter 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  91 

25  lieues  de  l'autre  côté  de  Strasbourg  ' .  L'armée 
d'Italie  est,  dit-on,  beaucoup  plus  en  avance  que  nous, 
ainsi  que  l'armée  de  Sambre-et-Meuse-.  Le  bruit 
court  que  le  quartier  général  de  Jourdan  est  même  à 
Francfort'.  Notre  compagnie  est  détachée  de  la 
demi-brigade.  Depuis  trois  jours,  nous  sommes  dans 
un  village.  Le  prince  de  Wurtemberg  et  deux  autres 
princes  veulent  faire  la  paix,  voyant  que  les  Français 
sont  dans  leur  pays  et  que  l'Empereur  ne  vaincra 
jamais  la  France,  à  moins  que  cola  ne  soit  par  tra- 
hison \  Je  vous  dirai  que  partout  où  nous  sommes 


sur  Mannheim.  Cette  opération,  à  laquelle  la  division 
Duhesme  prit  une  part  importante,  réussit  complètement 
et  fît  croire  aux  Autrichiens  «  qu'on  voulait  agir  devant 
Mannheim  et  au-dessus  »  {Ibid..  p.  24).  Sur  ces  opérations, 
cf.  les  lettres  de  Jean  Cagneux,  compatriote  de  Joseph  Pil- 
laut,  volontaire  à  la  17"  demi-brigade,  même  bataillon, 
même  compagnie,  publiées  pp.  100  et  102.  Sur  les  cir- 
constances du  passage  du  Khin  à  Strasbourg,  ci.  Gouvion 
Saint-Cyr,  op.  cit.,  t.  III,  pp.  33-53. 

1.  L'offensive  de  Moreau  poursuivant  l'archiduc  Charles 
avait  amené  l'armée  de  lUiin-ot-Moselle.  le  23  juillet  1796, 
sur  les  bords  du  Neckar  à  Blockingen.  Là,  Gouvion  Saint- 
Cyr  fut  rejoint  par  la  division  de  Duhesme,  qui  avait 
remonté  le  Neckar  en  passant  par  Horb  et  Tubingen 
(Uumolin,  op.  cit.,  p.  349). 

2.  Dana  les  derniers  jours  du  mois  de  juillet,  Bonaparte 
lUVcstiasaitMantoue,  qui  devait  bientôt  capituler.  Il  allait 
remporter  sur  Wurmser  la  victoire  de  Castiglione. 

3  kiclior  était  entré  à  Francfort  le  16  juillet  ;  le  25 
(lu  iii.iiK'  mois,  Jourdan  entrait  à  VVûrzbourg,  mal  défen- 
due [»;tr  Warlcnslehcn.  L'arméede  Sambre-et-Meuse  allait 
allcindrc  au  mois  d'août  la  .Naab. 

4.  Après  l'occupation  de  Freudenstadt  par  la  division 


92  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

passés,  la  récolte  est  bien  belle,  ainsi  que  les  vignes. 
Vous  me  marquerez  s'il  en  est  de  même  au  pays. 
Quels  prix  le  pain  ?  le  vin  ?  Vous  me  direz  si  la  vente 
est  entièrement  terminée. 

Vous  ferez  bien  mes  compliments  à  tous  mes 
oncles,  cousins,  cousines,  ainsi  qu'à  Anthoine  Pien- 
pase  et  à  tous  mes  bons  amis.  Vous  me  marquerez 
s'il  y  a  longtemps  que  vous  avez  reçu  des  nouvelles 
de  François  Pesé,  Sylvain  Petitbon.  Jean  Gérallé  et 
Gagneux  se  portent  bien  et  adressent  leurs  compli- 
ments à  leurs  familles.  Je  vous  en  prie,  aussitôt  que 
vous  aurez  lu  cette  lettre,  faites-moi  réponse  sur-le- 
champ. 

Je  finis  en  vous  embrassant,  en  attendant  de  vos 
nouvelles  et  le  plaisir  de  vous  voir. 
Votre  fils, 

Joseph   PiLLAUT. 

Adresse  :  Joseph  Pillant,  volontaire  de  la  6*  com- 
pagnie du  2*  bataillon  de  marche  ,  17'  demi-brigade. 
Division  Duhesme.  Armée  du  Rhin-et-Moselle  (Mo- 
reau). 

Duhesme,  le  duc  de  Wurtemberg  fit  la  paix  avec  le  gou- 
vernement révolutionnaire  et  rappela  ses  troupes  des 
armées  autrichiennes. 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  93 

Au  citoyen  Jean  Cagneux,  Azay-sur-Cher 
(Indre-et-Loire). 

Landau,  15  fructidor  an  IV 
de  la  liberté  et  égalité  *  [1"  septembre  1796]. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère, 

Je  vous  écris  CCS  lignes  pour  m'informer  de  votre 
santé  ;  la  mienne,  grâce  à  Dieu,  est  bonne;  je  sou- 
haite que  la  présente  vous  trouve  de  même.  Je  suis 
bien  en  peine  de  savoir  de  vos  nouvelles.  Voilà  bien 
A\  mois  que  je  n'ai  reçu  de  vos  nouvelles.  Je  n'ai 


1.  Cette  lettre  porte  une  date  visiblement  fausse.  Jean 
Cagneux  ne  peut  l'avoir  écrite  au  mois  de  seplcnibre  1796, 
puisqu'à  cette  date  il  ne  se  trouvait  pas  à  Landau  mais  en 
Bavière  (cf.  lettre  publiée  p.  104).  On  remarquera  aussi 
que  la  lettre  contient  des  renseignements  qui  sont  en 
contradiction  formelle  avec  sa  date.  Jean  Cagneux  déclare 
à  ses  parents  qu'il  n'a  pas  reçu  de  leurs  nouvelles  depuis 
six  mois  :  or,  dans  une  lettre  du  12  fructidor  an  IV  (cf. 
p.  104),  il  les  remercie  de  lui  avoir  écrit  récemment. 
De  plus,  la  dernière  phrase  de  la  lettre  publiée  ici  : 
«  Nous  sommes  sur  la  frontière  de  France  à  passer  nos 
quartiers  d'hiver  »  suffit  à  démontrer  Tinvraisemblance  de 
la  date.  Pour  faire  disparaître  de  cette  lettre  toute  obscu- 
rité et  toute  incohérence,  nous  la  daterons  du  VS  frimaire 
an  IV,  c'est-à-dire  du  6  décembre  1795.  Celle  date  est  con- 
forme aux  indications  de  Couvion  Saint-Cyr,  op.  cit.,  t.  II, 
p.  317  :  dans  In  seconde  quinzaine  de  novembre  «  les  9*, 
^'',  5',  et  4°  divisions  occupaient  les  liâmes  de  la  Oueich, 
lit?  Lnndau  h  Ccrmershcim  ».  Jean  Cagneux  appartenait 
a  la  8"  division,  et  le  renseignement  fourni  par  Couvion 
Saint-Cyr  vient  à  l'appui  de  sa  phrase  :  «  Nous  sommes 
en  garnison  à  Landau  depuis  15  jours  ». 


94  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

pas  pu  VOUS  écrire  plus  tôt,  car  nous  avons  été 
occupés. 

Pierre  Petitbon  a  été  pris  à  Mayence  ^  Martin  Pil- 
laut  a  déserté  ;  nous  sommes  bien  en  peine  de  savoir 
s'il  est  de  retour  au  pays  ;  s'il  y  est,  vous  nous  le 
marquerez.  Nous  sommes  toujours  ensemble,  Pillant, 
Signole,  Sylvain  Petitbon  et  moi.  Je  suis  bien  en 
peine  de  savoir  des  nouvelles  de  Louis  Pillant  et  de 
son  frère  ;  je  vous  prie  de  m'en  donner  des  nouvelles 
le  plus  tôt  possible,  aussi  de  Philippe  Chotard.  Bien 
des  compliments  au  citoyen  Clément  et  à  la  citoyenne, 
à  tous  ses  enfants,  à  mon  frère,  à  ma  sœur,  à  tous 
mes  parents,  voisins.  Donnez-moi  des  nouvelles  du 
pays,  de  la  Vendée  ;  on  nous  dit  que  les  Chouans  y 
sont  aussi  pires  qu'au  commencement  ^.  On  nous  dit 
tous  les  jours  qu'on  fait  des  réquisitions  en  France  ; 
dites-moi  l'âge  des  requis  ?  si  on  prend  des  hommes 
mariés  ? 

Nous  sommes  en  garnison  à  Landau  depuis 
quinze  jours.  Nous  avons  peur  d'y  être  bloqués.  Nous 
sommes  sur  la  frontière  de  France  à  passer  nos 
quartiers  d'hiver. 


1 .  Pour  reprendre  Mayence,  Pichegru  avait  fait  marcher 
l'armée  de  Rhin-et-Moselle  sur  cette  ville.  L'incurie  du 
général  en  chef,  qui  songeait  à  trahir,  amena  la  défaite 
de  l'armée  au  mois  d'octobre  1795.  Manquant  de  tout, 
désorganisées,  nos  troupes  battirent  en  retraite. 

2.  Au  mois  de  décembre  1795,  Hoche  pacifiait  la  Vendée, 
où  il  allait  bientôt  faire  disparaître  les  dernières  résis- 
tances. 


AUX    ARMKES    DU    RHIN  95 

Rien  autre  à  vous  dire  ;  je  vous  souhaite  bonne 
santé  ;  salut  et  fraternité. 

Jean  Gagneux, 

volontaire,  2«  bataillon,  178*  demi-brigade, 

Armée  du  Rhin-et-Moseile,  8»  division. 

Landau  (Quartier  Blanc). 

Au  citoyen  Jean  Gagneux,  Azay-sur-Cher 
{Indre-et-Loire). 

Landau,  le  16  janvier  an  IV  [1796]. 
Mon  cher  père,  ma  chère  mère, 

Je  vous  écris  pour  faire  réponse  à  votre  lettre  du 
4  nivôse  [25  décembre  i795J,  qui  m'apprend  avec 
plaisir  que  vous  êtes  en  bonne  santé  ;  moi,  je  suis  de 
môme  pour  le  présent,  je  prie  le  Seigneur  de  nous  la 
continuer  à  tous. 

Vous  me  dites  que  ma  sœur  est  mariée,  vous  ne 
me  dites  pas  avec  qui  !  faites-le  moi  savoir  dans  votre 
prochaine  lettre. 

On  a  conclu  une  suspension  d'armes  ;  les  Autrichiens 
se  sont  retirés  sur  leur  territoire,  nous  sur  le  nôtre  '. 
Nous  avons  grand  besoin   d'avoir  la   paix,   car  les 


1.  Ln  campagne  sur  le  Rhin  de  1795  fut  terminée  par 
un  armistice  conclu  le  2i  décembre  entre  Jourdan  et 
Clerfayt.  La  Buspension  des  hostilités  était  une  faute  de 
la  diplomatie  autrichienne,  car  l'armée  de  Jourdan  se 
trouvait  alors  dans  une  situation  critique.  Mais,  vaincue 
à  Loano,  l'Autriche  avait  hâte  d'arrêter  la  lutte  pour 
tenter  de  changer  le  sort  des  armes  (Dumolin,  op.  cit., 
t.  I.  pp.  315-316). 


96  AU    SEnVICE    DK    LA   NATION 

troupes  commencent  à  se  fatiguer  ainsi  que  tout  le 
monde  !  Le  papier  n'a  plus  de  cours  ;  le  pain  d'ama- 
teur de  trois  livres  vaut  huit  sols. 

Vous  me  demandez  des  nouvelles  de  Pesé,  je  ne 
puis  vous  en  donner  ;  voilà  plus  d'un  an  qu'il  est  parti 
pour  aller  à  Thôpital  et  je  n'ai  plus  entendu  parler  de 
lui.  Je  vous  prie  de  faire  mes  compliments  au 
citoyen  Clément  et  à  toute  sa  maison,  à  tous  nos 
parents,  amis  et  tous  ceux  qui  s'informeront  de  moi. 

Mon  cher  père  et  ma  chère  mère,  je  vous  prie  de 
m'envoyer  de  l'argent  en  numéraire  ;  ayez  cette  bonté 
car  ce  n'est  pas  la  paye  que  nous  avons  à  présent  qui 
nous  permet  de  vivre.  Nous  n'avons  que  deux  sols 
d'argent  par  jour  avec  dix  sols  de  papier. 

Je  finis  en  vous  embrassant  du  plus  profond  de 
mon  cœur  et  serai  toujours  pour  la  vie  votre  affec- 
tionné fils, 

Jean  Cagneux, 

6»  compagnie,  2°  bataillon,  178»  demi-brigade, 
armée  du  Rhin-et-MoselIe,  Landau. 

Jean  Cérallé  se  porte  bien  et  fait  ses  compliments 
à  sa  mère,  à  sa  famille,  à  Joseph  Pillant,  à  Sylvain 
Petitbon,  aux  siens.  Il  écrira  prochainement. 

Au  citoyen  Jean  Gagneux,  Azay-sur-Cher 
(Indre-et-Loire). 

Landau,  10  ventôse  an  IV  [20  février  1796]. 
Mon  cher  père,  ma  chère  mère, 
Le  sujet  de  la  présente  est  de  répondre  à  la  vôtre 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  97 

du  48  pluviôse  [7  février],  qui  me  dit  que  vous  êtes  en 
bonne  santé.  Je  vous  suis  infiniment  reconnaissant 
de  la  reconnaissance  que  vous  m'avez  envoyée  ;  je  n'ai 
pas  encore  louché  l'argent.  Dès  que  je  l'aurai,  je  vous 
l'écrirai.  J'entends  dire  depuis  longtemps  par  plu- 
lours  camarades  qu'Etienne  Deletant  a  son  congé, 
qu'il  est  au  pays.  Est-ce  par  infirmité  ou  par  autre 
molil  qu'il  l'a  obtenu  ?  Ne  vous  inquiétez  pas  de 
sa\'oir  si  nous  sommes  bien  armés  et  bien  habillés. 
Depuis  que  nous  sommes  à  Landau,  nous  ne  man- 
(juons  de  rien.  Les  nombreux  changements  de  posi- 
tion pondant  la  campagne  ne  nous  avaient  pas  per- 
mis de  recevoir  des  clTets;  mais  les  armes  ne  nous 
(»nt  jamais  manqué.  Beaucoup  de  déserteurs  rejoi- 
gnent leur  corps  h  l'armée,  je  désirerais  savoir  si 
•ux  du  pays  n^joigncnt  aussi.  Sans  doute,  nous 
avons  été  instruits  de  la  nouvelle  organisation  mili- 
taire, qui  ordonne  l'amalgame  de  deux  demi- 
brigades  ensemble.  Nous  avons  été  amalgamés 
>\cc  la  33"  demi-brigade.  Nous  conservons  ce 
numéro. 

Mes  respects  au  citoyen  et  à  la  citoyenne  Clément 
[de  Ilis],  h  toute  leur  famille.  Dites-leur  que  je  suis 
infiniment  sensible  h  l'intérêt  qu'ils  prennent  à  mon 
gard,  que  je  leur  souhaite  Iwnne  santé.  Bien  des 
I  ompliments  de  ma  part  h  mos  frère,  sœur,  cousins, 
rou.sines. 

Je  finis  en  vous  embrassant  de  tout  mon  cœur,  en 
vous  souhaitant  bonne  santé. 


98  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Votre  respectueux  fils, 

Jean  Gagneux,  soldat, 

6»  compagnie,  2»  bataillon,  33»  demi-brigade, 

8»  division,  armée  du  Rhin-et-Moselle, 

en  garnison  à  Landau. 

Au  citoyen  Jean  Gagneux,  Azay-sur-Cher 
{Indre-et-Loire) . 

Belfort,  le  4  floréal  an  IV  [23  avril  1796]. 
Mon  cher  père, 

L'inquiétude  que  j'ai  à  votre  sujet  m'oblige  à  vous 
adresser  cette  pressante  pour  m'informer  de  votre 
situation  et  vous  assurer  de  la  mienne,  en  vous  appre- 
nant mon  départ  de  Landau  pour  aller  joindre  le 
dépôt  de  la  demi-brigade  à  Metz.  Nous  y  arrivâmes 
le  12  germinal  [1"  avril  1796]  et  en  partîmes  le  14 
pour  Belfort,  où  nous  sommes  actuellement. 

Demain,  nous  allons  faire  la  police  dans  un  village 
à  deux  lieues  de  la  ville. 

J'ai  toujours  la  reconnaissance  pour  toucher  les 
12  livres  que  vous  m'avez  envoyées  à  Landau.  Comme 
nous  sommes  partis  avant  l'arrivée  de  l'argent,  je  ne 
sais  comment  m'y  prendre  pour  pouvoir  le  toucher. 

Détaché  du  corps  et  loin  de  Landau,  je  crois  devoir 
écrire  au  directeur  du  bureau  de  poste  de  Landau 
pour  qu'il  l'envoie  à  Belfort. 

Mes  compliments  au  citoyen  Clément  de  Ris,  à  son 
épouse,  à  tous  nos  amis,  mon  frère,  ma  sœur.  Je 
demeure  dans  l'attente  de  vos  nouvelles  chéries  aussi- 


AUX    ARMKF.S    DU    RHIN  99 

tut  la  réception  de  la  présente.  Je  brûle  du  désir  de 
vous  revoir.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur  et 
et  suis  votre  affectueux  fils, 

Jean  Gagneux, 

à  la  compagnie  auxiliaire 
de  la  33*  demi-brigade,  à  Belfort. 

Au  citoyen  Jean  Gagneux,  Azay-sur-Cher 
(Indre-et-Loire). 

De  Wangenburg*  (Poste  de  Saverne), 
le  24  mai  17%  vieux  style,  5  prairial  an  IV. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère,  frère,  sœur, 
parents,  amis,  je  fais  réponse  à  votre  lettre  à  laquelle 
je  n'ai  pu  répondre,  étant  au  dépôt  avec  du  mal  au 
doigt.  Je  suis  revenu  du  dépôt  avec  bien  d'autres  ;  je 
me  porte  bien.  Dieu  merci.  Je  souhaite  que  la  pré- 
sente vous  trouve  de  même. 

Au  sujet  de  la  guerre,  nous  partons  demain  matin 
h  deux  heures  ;  nous  devons  nous  rendre  sur  la  ligne 
de  Landau,  nous  rentrons  à  présent  en  campagne  -. 
Je  ne  sais  pas  ce  que  ce  sera,  mais  voilà  encore  les 
pauvres  Français  qui  sont  encore  foutus  pour  le  mo- 

1.  Vangenburg,  au  sud  de  Saverne,  à  l'ouest  de  Stras- 
bourg. 

2.  Le  20  mai  1796,  l'archiduc  Charles  avait  prévenu  les 
généraux  français  «  que  l'armlBlice  était  rompu  et  que  les 
hostilités  recommonceraienl  le  l*""  juin  »  (Gouvion  Sainl- 
Cyr.  op.  cit.,  l.  III,  p.  13).  Le  volontaire  Jean  Gagneux 
allait  donc  rejoindre  son  corps,  sur  le  théâtre  de  la 
guerre. 


100  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

ment  ;  si  nous  avons  le  bonheur  de  gagner  cette  fois 
là,  ce  sera  notre  bonheur. 

Je  n'ai  pas  reçu  mon  argent;  je  vous  renvoie  la 
reconnaissance  dans  la  présente  lettre  ;  aussi  je  vous 
prie  de  vous  pourvoir  de  cet  argent.  Il  faut  que  le 
facteur  vous  donne  une  nouvelle  reconnaissance  que 
vous  voudrez  bien  me  renvoyer,  vous  me  ferez  plai- 
sir. L'ancienne  reconnaissance  est  datée  du  18  plu- 
viôse [7  février  1796]. 

Rien  autre  pour  le  moment.  Bien  des  compliments 
à  mes  oncles,  tantes,  parents,  amis;  je  suis  toujours 
pour  la  vie  votre  affectionné  fils  et  serviteur, 

Jean  Gagneux, 

soldat,  6»  compagnie,  2*  bataillon. 
17»  demi-brigade,  o»  division, 
armée  Rhin-et-Moselle,  à  la  suite  du  bataillon. 

Au  citoyen  Jean  Gagneux,  Azay-sur-Cher 
{Indre-et-Loire). 

Environs  de  Spire*,  le  28  prairial, 
4»  année  [16  juin  1796J. 

Mon  très  cher  père,  ma  chère  mère, 
Je  vous  écris  pour  la  4°  fois,  ne  pouvant  recevoir 


1.  Poursuivant  Wurmser,  qui  battait  en  retraite  sur  la 
rive  droite  du  Rhin,  Moreau  avait  dirigé  les  troupes  de 
Desaix  sur  Neusladt  et  Spire.  Pour  empêcher  l'ennemi  de 
se  douter  qu'il  songeait  à  traverser  le  Rhin  à  Kehl,  il  fit 
battre  le  14  juin  [26  prairial]  par  Desaix,  sous  les  murs 
de  Mannheim,  un  corps  autrichien.  C'est  ce  combat  du 
14  juin  qui  est  mentionné  par  Jean  Gagneux  (Dumolin, 
oj).  cit.,  t.  I,  p.  341). 


AUX   ARMÉES   DU    RHIN  101 

aucune  de  vos  lettres,  ce  qui  me  surprend  fort.  J'ai 
reçu  la  lettre  dans  laquelle  vous  m'avez  envoyé  une 
roconnaissance  de  12  livres,  je  n'ai  pas  reçu  l'argent. 
De  plus,  j'ai  dû  remettre  la  reconnaissance  dans  une 
lettre  qui  doit  vous  ôtre  parvenue.  Vos  lettres  restent- 
Iles  dans  les  bureaux  de  poste?  ne  me  sont-elles  pas 
bien  adressées  ?  Ce  qui  me  surprend  le  plus,  c'est 
(jue  vous  me  dites  que  vous  ne  recevez  pas  mes 
lettres  et  ne  sais  à  qui  m'en  prendre.  Voilà  cepen- 
dant quatre  lettres  que  je  vous  écris  en  peu  de  temps. 
Nous  avons  tout  lieu  de  croire  qu'il  y  a  quelque  chose 
qui  arrête  notre  correspondance,  voilà  ce  que  je 
pense. 

Ma  santé,  Dieu  merci,  est  bonne  ;  j'espère  que 
l'Etre  suprême  fera  que  la  présente  vous  trouvera  de 
même. 

.Nous  avons  eu  une  forte  affaire  le  2(j.  La  bataille 
I  commencé  vers  les  quatre  heures  du  matin,  elle  a 
luré  jusqu'au  soir.  Xous  avons  eu  le  plaisir  de  nous 
mesurer  avec  messieurs  les  émigrés  et  nous  leur 
ivons  foutu  la  chasse  jusque  près  de  Mannheim  (ville 
.lu  Rhin). 

Mes  compliments  à  mon  frère,  à  son  épouse,  au 
itoyen  Clément  et  à  toute  sa  famille,  à  Sylvain  Petit- 
bon,  à  son  père,  à  sa  mère,  à  Joseph  Pillant,  à  Jean 
Gérallé,  à  leur  famille.  Vous  me  direz  si  les  dé.ser- 
leurs  de  chez  nous  sont  tranquilles  ou  s'ils  sont 
partis. 

Bien  des  compliments  à  tous  mes  parents.  Je  vous 


102  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

embrasse  du  plus  profond  de  mon  cœur.  Votre  fils 

pour  la  vie, 

Jean  Gagneux. 

volontaire,  2»  bataillon,  17*  demi-brigade, 
cantonné  près  de  Spire, 
armée  du  Rhin-et-Mosclle. 


Au  citoyen  Jean  Gagneux,  Azay-sur-Cher 
(Jndre-el- Loire). 

A  Freudenstadt  ',  le  29  messidor  an  IV 

[17  juillet  1796]. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère,  mes  chers  frère, 
parents,  amis,  je  veux  vous  donner  des  nouvelles  de 
ma  santé  et  vous  demander  des  nouvelles  de  la  vôtre. 
La  mienne  va  bien.  Dieu  merci  ;  je  souhaite  que  la 
présente  vous  trouve  de  même. 

Je  puis  vous  dire,  avec  vérité,  que  voilà  trois 
lettres  que  je  vous  envoie  sans  pouvoir  avoir  de  vos 
nouvelles.  Je  ne  sais  si  vous  les  avez  reçues,  je  suis 
bien  en  peine  de  cela;  je  vous  prie,  dès  que  vous 
aurez  reçu  celle-ci,  de  me  faire  réponse  pour  me 
satisfaire  car  je  suis  bien  ennuyé  ;  tâchez  de  me  satis- 
faire, je  vous  serai  bien  obligé. 

Je  vous  dirai  que  nous  avons  passé  le  Rhin;  çà  va 
très  bien;  nous  sommes  à  quatorze  lieues  en  avant  du 

1.  La  ville  de  Freudenstadt,  en  Wurtemberg,  avait  été 
occupée  par  les  troupes  du  général  Duhesme,  dès  le 
3  juillet.  Après  avoir  perdu  du  temps  au  milieu  de  ses 
premiers  succès,  Moreau  poursuivit  sa  marche  en  avant 
vers  le  Neckar.  Gouvion  Saint-Cyr  entra  à  Stuttgart  le 
18  juillet  1796  {op.  cit.,  t.  Ill,  pp.  33-96). 


ACX  ARMÉES   DU    RHIN  103 

Rhin  ',  dans  un  pays  très  froid  où  le  seigle  com- 
mence à  pousser,  le  froment  à  apparaître  sur  terre,  et 
les  fruits  sont  comme  chez  nous  au  mois  de  mai.  Sur 
les  montagnes  du  pays,  il  n'existe  rien.  Toutefois  rien 
ne  manque  pour  le  moment  comme  nourriture  :  des 
porcs,  des  veaux,  des  vaches,  du  lait,  aussi  je  vous 
prie  de  me  dire  si  le  mandat  m'est  envoyé. 

Réponse  aussitôt  la  présente  reçue. 

Je  vous  prie  de  me  dire  si  les  vignes  sont  belles,  si 
la  moisson  s'avance,  si  les  fruits  sont  beaux.  Que 
reste-t-il  de  garçons  au  pays  en  fait  de  soldats  ? 
ljuu\6  Pillant  y  est-il.^  Faites-moi  réponse.  Mes  com- 
i»limonts  à  mon  frère,  à  sa  femme,  mes  parents  et 
imis,  à  Gément,  sa  femme  et  sa  famille*. 

Je  finis  en  vous  embrassant  de  tout  mon  cœur  et 
suis,  avec  le  plus  serviteur  des  fils,  pour  la  vie, 

Cagneux, 

soldat,  i*  bataillon,  6*  compagnie,  17*  demi-brigade, 
à  Tavanl-garde  du  général  Moreau, 
année  du  Rhin-et-Moselle. 

Le  citoyen  Petitbon  Sylvain  fait  bien  des  compli- 
ments à  sa  famille. 


1.  Le  passage  du  Khin  à  KchI  s'ciïectua  dans  d'excel- 
'onl«s  conditions  du  23  au  25  juin  (cf.  lettre  publiée 
p.  1 04).  Frcudenstadtse  trouve,  en  effet,  à  une  cinquantaine 
de  kilomètres  de  Strasbourg. 

S.  Sur  Louis  IMIlaut,  cf.  pp.  94,  i7C,  180,  183,  186,  188  et 
191.  ■  Clément  »  doit  désigner  Clément  de  Kis. 


104  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Au  citoyen  Jean  Cagneux,  Azay-sur-Cher, 
cariton  de  Mont-Louis,  près  Tours  {Indre-et-Loire). 

Au  camp  de  Weilach',  le  12  fructidor  an  IV 
[29  août  17%]. 

Mon-  cher  père,  ma  chère  mère, 

J'ai  reçu  votre  lettre  avec  la  plus  vive  satisfaction 
d'apprendre  que  vous  jouissez  d'une  bonne  santé, 
ainsi  que  mon  frère  Sylvain,  ma  sœur  et  son  mari, 
et  toute  notre  famille.  Je  vous  en  souhaite  la 
conservation  à  tous.  Moi,  je  me  porte  bien.  Dieu 
merci.  Je  souhaite  que  la  présente  vous  trouve  de 
môme. 

Je  vous  dirai,  mon  cher  père,  que  depuis  ma  dernière 
lettre  nous  avons  bien  changé  de  positions.  Quel- 
ques jours  après  que  je  vous  eus  écrit  des  environs 
de  Mannheim,  nous  reçûmes  l'ordre  de  partir  pour 
Strasbourg,  où  nous  arrivâmes  le  9  messidor;  le  10 
[28  juinj,  nous  passâmes  le  Rhin  avec  tous  les  suc- 
cès que  nous  attendions*.  On  fit  à  l'ennemi  quan- 
tité de  prisonniers,   on  lui  prit  quelques  canons  et 


1.  Weilach  se  trouve  en  Bavière,  au  sud  de  Pfaffenhofen 
et  de  Schrobenhausen. 

2.  Le  volontaire  Jean  Gagneux  a  oublié  la  date  exacte 
du  passage  du  Rhin  à  Kehl,  qui  eut  lieu  entre  le  23  et 
le  25  juin,  L'étonnement  qu'il  manifeste  à  se  trouver  au 
mois  d'août  si  loin  de  Mannheim  résulte  de  ce  fait  que 
Moreau  avait  conduit  ses  troupes  sans  leur  dire  où  elles 
allaient  et  en  leur  persuadant  qu'elles  passeraient  par 
Besançon  pour  se  rendre  à  l'armée  d'Italie. 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  iOo 

depuis  ce  jour  nous  Tavons  poursuivi  sans  relâcho 
cl  sans  éprouver  le  moindre  revers  sauf  le  24  thermi- 
dor [H  aoûll,  où  l'ennemi  nous  attaqua  sur  les 
6  heures  du  matin  et  fondit  sur  nos  avant-postes,  qui 
la  plupart  furent  faits  prisonniers  ;  nos  grand'gardes 
se  retirèrent  en  bon  ordre.  Le  20*  régiment  de  chas- 
seurs à  cheval,  cantonné  dans  un  village  voisin  de 
notre  camp,  n'eut  presque  pas  le  temps  de  monter  à 
cheval  ;  l'ennemi  avait  entouré  déjà  le  village  lors- 
qu'il put  se  déployer  devant  notre  camp,  quand  nous 
vîmes  l'ennemi  qui  s'avançait  avec  une  cavalerie  for- 
midable, une  artillerie  et  une  infanterie  très  impo- 
santes :  plus  de  25.000  hommes  opposés  à  nos  5.000  ! 
Aussi  jugez  de  la  disproportion  !  Après  une  canon- 
nade assez  vive  de  la  pari  de  Tenncmi,  nous  fûmes 
obligés  de  nous  retirer,  sans  quoi  l'ennemi  nous  aurait 
coupé  notre  retraite.  Nous  marchâmes  jus(ju'à  la  nuit 
en  bataille  dans  des  blés  qui  étaient  d'une  extrême 
grandeur,  ce  qui  nous  fatigua  beaucoup  de  la  chaleur 
qu'il  faisait.  Nous  étions  sans  cesse  obligés  de  faire 
face  à  l'ennemi,  tant  t-n  avant  de  nous  que  sur  les 
flancs,  car  il  lAcliait  de  couper  notre  retraite.  Nous 
unes  obligés  de  former  deux  fois  le  bataillon  carré 
>ntre  la  cavalerie  ennemie,  qui  nous  entourait  et 
londait  sur  nos  bataillons  avec  une  impétuosité  ter- 
rible. 

Notre  fusillade  très  vive   la   repoussa;   nous  lui 

lAmes  quantité  d'hommes  et  de  chevaux.  Sur  la  fin 

du  jour,  nous  cherchâmes  une  autre  position  où  nous 


106  A.U    SERVICE    DE    LA    NATION 

passâmes  la  nuit  assez  tranquillement  et  l'ennemi  se 
retira  \ 

Le  lendemain  25,  la  5®  division  attaqua  l'ennemi, 
le  battit  complètement,  le  mit  en  fuite  et  lui  fit 
repasser  le  Danube.  Le  26,  nous  reprîmes  la  position 
que  l'ennemi  nous  avait  fait  quitter^.  Le  1°'"  fructidor 
[18  août],  nous  avons  passé  le  Danube,  fleuve  très 
important  par  la  rapidité  et  la  longueur  de  son  cours. 
Nous  avons  poursuivi  l'ennemi  jusqu'au  4  [21  août]  ^. 

1.  Après  l'occupation  de  Stuttgart,  Moreau  avait  con- 
tinué à  poursuivre  l'archiduc  Charles  ;  le  10  août,  les 
armées  française  et  autrichienne  se  trouvaient  en  pré- 
sence auprès  de  Neresheim.  Le  11  août,  à  l'aube,  l'action 
s'engagea;  l'archiduc  força  les  avant-postes  et  la  division 
Duhesme,  placée  à  la  droite  de  l'armée,  à  reculer  :  c'est 
ce  mouvement  de  retraite  que  Jean  Cagneux  retrace 
(Gouvion  Saint-Cyr,  op.  cit.,  t.  III,  pp.  160-161.  Cet  auteur 
ne  parle  point  de  la  surprise  des  chasseurs  à  cheval  et  il 
ne  dit  point  qu'il  y  ait  eu  une  telle  disproportion  entre 
les  forces  de  Duhesme  et  celles  de  l'Archiduc).  La  division 
Duhesme,  après  une  retraite  périlleuse,  s'arrêta  à  la 
nuit  entre  Geislingen  et  Weissenstein  et  ne  «  rejoignit 
l'armée  que  trois  jours  après  »  (en  réalité  le  13  août, 
26  thermidor). 

2.  Le  12  août,  l'archiduc  Charles,  qui  n'avait  pas  su 
transformer  la  veille  ses  premiers  succès  en  une  victoire 
décisive,  battit  brusquement  en  retraite  vers  son  camp  de 
Madingen;  le  13,  il  passe  le  Danube  à  Donauwôrth,  lais- 
sant Moreau  très  surpris  d'être  le  maître  du  champ  de 
bataille  (Gouvion  Saint-Cyr,  op.  cit.,  t.  III,  pp.  162-169). 

3.  Les  Autrichiens  avaient  passé  le  Danube  en  détrui- 
sant les  ponts  ;  le  18  août,  à  midi,  nos  troupes  les  avaient 
remis  en  état  et,  le  19  août,  toute  l'armée  avait  passé  le 
Danube.  L'arrière-garde  autrichienne,  qui  s'était  établie 
sur  la  rive  gauche  de  la  Wertach,  près  d'Augsbourg,  fut 
facilement  délogée  à  coupa  de  canon  (Gouvion  Saint-Cyr, 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  107 

Nous  croyions  le  trouver  en  forces  parce  que  l'on 
nous  avait  dit  qu'il  nous  attendait  devant  Augsbourg; 
nous  nous  attendions  à  la  résistance  la  plus  vive  de 
la  part  de  l'ennemi,  mais  nous  n'avons  trouvé  que 
son  arrière-garde,  qui  s'enfuit  à  notre  approche.  Nous 
leur  avons  pris  un  convoi  assez  considérable.  Le 
8  fructidor  [25  août],  l'ennemi  s'était  retiré  sur  une 
hauteur  à  une  heue  d'Augsbourg*.  La  position  était 
très  imposante,  deux  canaux,  une  rivière  assez  forte, 
un  bois,  les  ponts  coupés  rendaient  la  position  presque 
inaccessible.  Nous  attaquâmes  en  trois  colonnes  et, 
malgré  la  résistance  la  plus  opiniâtre,  l'ennemi  dut 
céder.  La  3"  division  passa  la  rivière  à  gué,  attaqua 
leur  gauche  ;  la  5*  division  attaqua  leur  droite,  tandis 
que  nous  les  amusions  de  quelques  coups  de  canon 
au  centre.  Enfin  les  ponts  raccommodés,  nous  pas- 
sâmes la  rivière  et  les  attaquâmes  avec  tant  de  viva- 
cité qu'ils  furent  contraints  de  se  sauver  comme  ils 
purent.  Ils  se  sauvèrent  si  vite  qu'ils  abandonnèrent 
leurs  canons  et  quelques  chariots,  que  nous  trou- 
vâmes renversés  sur  la  route.  Nous  les  poursuivîmes 
encijif  près  de  deux  lieues,  mais  ils  n'avaient  pas 


op.  cit..  t.  m,  pp.  181-182;  on  voit  que  le  récit  précis  de 
'i^an  Gagneux  est  corrobore  par  ce  texte). 

1.  Les  détails  qui  suivent  sont  relatifs  à  la  traversée 
du  Lcch  par  nos  troupes  et  à  la  défalle  du  général  autri- 
chien I.Mtour.  qui  gardait  la  rivière  et  la  position  de 
F:  Ils  pourront  être  con(r(')lés  à  laidedes  rensei- 

gii  lournis  par  Gouvion  Sainl-Cyr,  op.  cit.,  t.  III, 

|)p.  20\>  sqq. 


108  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

envie  de  nous  attendre.  22  pièces  de  canon,  plus  de 
2.000  prisonniers  sont  le  fruit  de  cette  victoire  !  Je 
vous  dirai  que  voilà  quatre  jours  que  nous  sommes 
entrés  en  Bavière,  et  nous  ne  sommes  plus  éloignés 
que  de  huit  lieues  de  Munich,  ville  capitale  de  Bavière, 
et  nous  apprenons  que  le  duc  de  Bavière  négocie,  pour 
faire  la  paix,  car  notre  chef  de  brigade  vient  de  nous 
annoncer  la  suspension  d'armes  entre  la  Bavière  et 
la  République  française  ^  Tout  cela  nous  présage  que 
l'Empereur  ne  tardera  pas  à  nous  demander  la  paix, 
que  nous  désirons  avec  tant  d'impatience. 

Je  vous  prie,  mon  cher  père  et  ma  chère  mère, 
d'assurer  le  citoyen  Clément  de  Ris,  ainsi  que  son 
épouse  et  sa  famille,  de  mon  humble  respect  et  de  le 
remercier  pour  moi  des  bontés  qu'il  a  eues  de  vouloir 
bien  s'intéresser  à  moi.  Je  vous  prie  de  lui  dire  que 
je  suis  bien  fâché  de  ne  pas  pouvoir  lui  donner  des 
des  renseignements  du  général  Beaupuy  ;  je  ne  crois 
pas  qu'il  soit  à  notre  armée-. 

Joseph  Pillant  se  joint  à  moi  pour  remercier  le 
cito3^en  Clément  de  Ris  des  bontés  qu'il  a  pour  lui,  et 
je  l'assure  bien  de  ses  respects,  son  épouse  et  ses 
enfants.  Je  vous  prie  d'assurer  de  mes  respects  mes 
oncles,  tantes,  parents,  amis,  tous  ceux  qui  s'infor- 
meront de    moi.   Je   vous  embrasse   de    tout  mon 


1.  Le  29  août,  la  division  Duhesme  se  trouvait  à  une 
quarantaine  de  kilomètres  de  Munich. 

2.  Sur  le  général  de  division  Beaupuy,  qui  combattait 
à  l'armée  de  Rhin-et-Moselle,  cf.  p.  111. 


AUX    ABMÉES    DU    RHIN  109 

cœur  et   suis   pour   la    vie    votre    très    affectionné 

fils, 

Jean  Gagneux, 

Volontaire,  6»  compagnie,  2*  bataillon, 
!"•  demi-brigade',  4»  division,  armôe  Rhin-et-Moselle. 
Poste  suivant  armée. 

Réponse  tout  de  suite,  s'il  vous  plaît. 

Au  citoyen  Jean  Gagneux,  Azay-sur-Cher 
{Indre-et-Loire),  par  Tours. 

Strasbourg,  le  37  frimaire  an  Y  [17  décembre  1796]. 
Mon  cher  père  et  ma  chère  mère. 

Après  les  plus  vives  inquiétudes  sur  le  sort  de  vos 
santés  et  le  long  silence  de  votre  part,  après  vous 
avoir  écrit  différentes  lettres  pour  en  recevoir  aucune 
réponse  et  ne  sachant  à  quoi  attribuer  ce  retard  et 
me  voyant  privé  de  la  plus  douce  satisfaction  que  je 
puisse  avoir  ;  étant  éloigné  de  vous,  je  mets  la  main 
à  la  plume  pour  m'informer  de  l'état  de  vos  santés 
ainsi  que  de  celle  de  mes  frère  et  sœur  et  de  toute 
notre  famille,  sans  oublier  le  citoyen  Clément  de  Ris, 
son  épouse  et  sa  famille.  Moi,  je  me  porte  bien,  Dieu 
merci  ;  je  souhaite  que  la  présente  vous  trouve  de 
môme. 

En   ce  qui  concerne  l'armée,    notre  position  est 


1.  Au  mois  d'août  17%,  la  17"  demi  i)i  i>;;i(io,  placée 
sous  les  ordres  du  général  de  brigade  Vandamnie,  appar- 
tenait n  la  division  Duhesme,  qui  faisait  partie  du  centre 
de  l'armcc  confié  à  Gouvion  Saint-Cvr. 


110  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

assez  critique.  Pour  le  moment,  nous  sommes  privés 
des  secours  les  plus  urgents  :  je  veux  parler  de  notre 
paye  que  nous  ne  recevons  pas.  Voilà  trois  mois  que 
nous  ne  recevons  aucune  solde  ni  presque  d'habille- 
ment. Je  ne  sais  à  quoi  attribuer  cette  faute  du  Gou- 
vernement. 

Le  2  frimaire  [22  novembre],  nous  eûmes  une 
affaire  des  plus  vives  avec  l'ennemi  devant  KehlV 
Il  s'agissait  d'enlever  à  l'ennemi  les  redoutes  et 
retranchements  qu'il  avait  faits  ;  nous  réussîmes, 
après  avoir  éprouvé  une  perte  assez  conséquente  de 
part  et  d'autre.  On  prit  à  l'ennemi  14-  pièces  de 
canon,  dont  6  que  l'on  ne  put  emmener,  rapport  aux 
mauvais  chemins,  furent  enclouées  et  abandonnées 
dans  leurs  retranchements.  Quelques  jours  après  nous 
y  retournâmes  ;  on  reprit  les  mêmes  retranchements 
qu'il  fallut  encore  abandonner.  Pendant  quatre  jours 
nous  fîmes  le  même  manège,  et  nos  efforts  furent 
toujours  vains.  Depuis  quinze  jours,  l'ennemi  a  com- 
mencé le  siège.  Ce  n'est  qu'un  bombardement  con- 
tinuel. Jugez  si  les  troupes  sont  à  leur  aise.  Chaque 
demi-brigade  y  va  à  tour  de  rôle  passer  deux  jours, 

1.  Ramenant  son  armée,  dans  une  retraite  victorieuse, 
du  fond  de  l'Allemagne,  Moreau  repassa  le  Rhin  à 
Huningue  du  25  au  26  octobre.  Il  eut  à  continuer  la  lutte 
contre  l'archiduc  Charles,  qui  assiégea  Kehl  et  Huningue. 
Le  22  novembre,  Moreau  fit  attaquer  les  lignes  de  contre- 
vallation  élevées  par  l'ennemi.  Sur  cette  attaque,  sur  le 
bombardement  meurtrier  de  l'ennemi,  sur  les  souffrances 
des  hommes  et  la  relève  successive  des  demi-brigades, 
cf.  Gouvion  Saint-Cyr,  op.  cit.,  t.  IV,  pp.  72  sqq. 


AUX    ARMÉES    DU    RHIN  111 

et  il  n'est  presque  pas  possible,  malgré  la  rigueur  du 
temps,  d'y  faire  du  feu  ni  de  s'y  promener.  On  est 
obligé  de  rester  aux  palissades  et,  malgré  toutes  les 
précautions,  il  y  a  chaque  jour  quelques  malheu- 
reuses victimes  '. 

Dans  votre  dernière  lettre,  le  citoyen  Clément  de 
Ris  m'avait  chargé  de  m'informer  du  général  Beaupuy . 
Après  les  recherches  les  plus  exactes,  j'ai  appris  que 
ce  général  commandait  la  6°  division  de  l'armée  du 
Rhin-et-Moselle  ;  mais  hélas!  un  coup  fatal  lui  ôta  la 
vie  les  derniers  jours  de  vendémiaire  devant  Fri- 
bourg,  et  son  corps  fut  transporté  à  Neuf-Brisach  où 
il  fui  enterré,  laissant  après  lui  tous  les  regrets,  dont 
ses  rares  talents  l'avaient  caractérisé  pendant  sa  vie^ 

Je  finis,  mon  cher  père  et  ma  chère  mère,  en  vous 
embrassant  du  plus  profond  de  mon  cœur  et  suis 
f)0ur  la  vie, 

Votre  très  affectionné  fils, 

Jean  Gagneux. 

1.  Le  sergent  Fricasse  a  donné  dans  son  Journal  de 
marche  (pp.  112-118),  édition  Lorédan  Lorchev,  maints 
déLiils  précis  sur  le  siège  de  Kehl,  auquel  il  prit  part.  Ils 
concordent  avec  les  renseignements  fournis  par  Jean 
Gagneux. 

2.  Le  général  Beaupuy  fut  tué  le  19  octobre  au  combat 
de  Watdkirch,  en  combattant  à  la  tète  de  sa  division.  11 
n'avait  repris  son  commandement  qu'à  la  fin  du  mois 
d'août  1796,  car  il  avait  été  blessé  grièvement  dans  un 
engagemiînt  antérieur  (Gouvion  Sainl-Cyr,  op.  cit.,  t.  IV, 
p.  23,  cl  Mémoiret  et  journaux  du  général  Decaen,  t.  l,  pp.  94- 
95  et  177-178.  Sur  toute  cette  campagne  de  1790,  on  con- 
sultera avec  intérêt  l'œuvre  de  Decaen). 


112  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Jean  Gerallé  me  prie  de  vous  dire  d'assurer  ses 
respects  à  sa  mère.  Il  se  porte  bien.  Pillaut  vous  prie 
bien  d'assurer  de  ses  respects  le  citoyen  Clément  de 
Ris,  son  épouse  et  toute  sa  famille. 

Je  désirerais  bien  savoir  si  mon  frère  est  encore 
au  pays. 

P. -S.  —  Je  désirerais  bien  que  vous  me  marquiez, 
dans  la  réponse  que  j'attends  de  vous,  si  Sylvain 
Petitbon  est  arrivé  au  pays. 

Adresse  :  Citoyen  Gagneux.  fusilier, 

6»  compagnie,  2»  bataillon  de  la  17»  demi-brigade, 

à  Strasbourg  (Bas-Rhin). 


1797 

Au  citoyen  Clément  de  Ris. 

Au  quartier  général  de  Saarbrùck*, 
le  9  floréal  an  V«  de  la  République  française 
[28  avril  1797]. 

Citoyen, 

Je  ne  sais  de  quelles  expressions  me  servir  pour 
m'excuser  près  de  vous  ;  un  retard  aussi  long  à  vous 
remercier  des  bontés  que  vous  avez  eues  pour  moi 
me  donne  bien  des  torts.  Cependant,  je  ne  suis  pas 
tout  aussi  coupable  que  je  parais  l'être. 

Depuis  mon  arrivée  à  l'armée,  je  n'ai  pas  eu  un 

1.  Cette  lettre  a  été  écrite  au  moment  où  l'offensive 
heureuse  de  Moreau  à  l'armée  du  Rhin-et-Moselle  fut 
arrêtée,  le  23  avril,  par  un  parlementaire  de  Latour, 
annonçant  la  signature  des  préliminaires  de  Leoben. 


KVTL   ARMÉES    DU    RHIN  1(3 

seul  instant  à  moi  ;  continuellement  à  cheval,  conti- 
nuellement en  courses,  j'ai  été  les  premiers  jours 
harassé  de  fatigue,  puisque  j'avais  perdu  l'habitude 
de  monter  à  cheval.  Toutes  ces  raisons  ne  m'ôtenl 
pas  les  torts  que  j'ai  eus  envers  vous;  j'ose  cepen- 
dant en  leur  faveur  réclamer  votre  indulgence  et 
vous  prier  de  continuer  votre  bonté. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  attachement  respec- 
tueux, votre  concitoyen, 

l'aide  de  camp  du  général  Laboissiôre  ', 

S.  Lhéritier2. 
Division  du  général  Saint-Cyr. 

P. -S.  —  Permettez  que  je  présente  ici  l'assurance 
de  mon  respect  à  vos  deux  dames  ;  mille  choses  hon- 
nêtes ft  M.  votre  fils,  dont  j'ai  eu  l'avantage  de  faire 
la  connaissance  à  Paris. 

Veuillez  me  rappelez  au  souvenir  de  M.  André. 

La   blessure  du  général  Desaix  va  parfaitement 

i.  Laboissicre  était  général  de  brigade  à  la  gauche  de 
l'armée  du  Khin-et-Moaelle,  sous  les  ordres  de  Gouvion 
Saint-Cyr  (Ordre  de  bataille  de  l'armée  à  l'époque  du  pas- 
sage du  Uhin,  le  20  ayril  1797,  publié  par  Gouvion  Saint- 
Cyr,  op.  cit.,  t.  IV,  pièce  justificative  n*»  85). 

2.  Samuel-François  Lhériticr,  né  le  6  août  1772,  caporal 
de  grenadiers  ati  3"  bataillon  de  volontaires  d'Indre-et- 
Loire,  le  2G  septembre  1792;  adjoint  aux  adjudants  géné- 
raux et  aide  de  camp  le  28  floréal  an  II  ;  lieutenant,  le 

14  germinal  an  IV;  capitaine  aide  de  camp  du  général 
Laboissicre,  le  14  vendémiaire  an  VI;  chef  d'escadron,  le 
23  frimaire  an  Xll  ;  colonel,  le  5  septembre  1806  ;  général 
de  brigade,  le  21  juillet  1809;  général  de  division,   lo 

15  mars  1813;  mis  en  non-activité  en  1815. 


H4  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

bien  ;  il  est  sorti  en  voiture  il  y  a  quelques  jours*. 
Il  espère  bientôt  prendre  le  commandement  de  sa 
division,  qui  est  restée  seule  sur  la  rive  droite  du 
Rhin.  Le  reste  de  l'armée  est  repassé  sur  la  rive 
gauclie,  faute  de  terrain  pour  se  déployer.  Si  l'ar- 
mistice fut  arrivé  trois  ou  quatre  jours  plus  tard,  nous 
nous  serions  rendus  maîtres  d'un  espace  de  terrain 
assez  considérable  pour  contenir  toute  l'armée  et  nous 
n'eussions  pas  été  dans  le  cas  de  revenir  cliez  nous 
pour  pouvoir  vivre.  Il  n'y  a  rien  de  nouveau  dans  ce 
pays,  nous  ne  savons  absolument  rien  de  la  paix  2. 

1.  Desaix  avait  été  blessé  à  la  cuisse  au  passage  du 
Rhin  (21-22  avril),  en  chargeant  à  la  tête  de  ses  troupes, 
devant  le  village  de  Diersheim  (Bonnal,  Histoire  de  Desaix. 
p.  120). 

2.  Il  est  intéressant  de  noter  que  Taide  de  camp  du 
général  Laboissière  tient  des  propos  qui  reflètent  exacte- 
tement  l'opinion  de  son  chef  supérieur  :  Gouvion  Saint- 
Cyr.  Celui-ci  regrette,  en  effet,  la  conclusion  de  l'armis- 
tice :  il  déclare  {op.  cit.,  t.  IV,  p.  186)  :  «  que  les  généraux 
Hoche  et  Moreau  ne  devaient  faire  aucun  armistice  avec 
l'ennemi  avant  d'être  en  position  sur  le  Danube,  à  la  hau- 
teur de  Donauwôrth  et  d'avoir  éloigné  les  Autrichiens  de 
leurs  places  du  Rhin.  »  Les  renseignements  donnés  par 
le  capitaine  Lhéritier  sur  la  nécessité  imposée  à  nos 
armées  de  revenir  en  arrière  «  pour  pouvoir  vivre  »  sont 
également  fournis  par  Gouvion  Saint-Cyr  (op.  cit.,  p.  188)  : 
«  Moreau  fut  bientôt  obligé  de  renvoyer  sur  la  rive  gauche 
la  plus  grande  partie  de  son  armée  qu'il  ne  pouvait  nour- 
rir sur  la  rive  droite  ;  il  ne  put  y  laisser  que  son  centre 
[commandé  par  Desaixj  et  quelques  troupes  de  la  droite  ; 
le  reste  fut  renvoyé  dans  le  Haut-Rhin,  l'aile  gauche 
dans  le  Palatinat  et  le  pays  de  Deux-Ponts  et  la  réserve 
de  cavalerie  sur  la  Sarre.  »  Enfin,  nous  noterons  que  le 
capitaine  Lhéritier,  si  bien  renseigné  par  ailleurs,  ne 
savait  «  absolument  rien  de  la  paix.  » 


AUX  ARMÉES  DU  NORD 

(1792-1798). 

1792 

[A  la  famille  des  volontaires  Brault  *]. 

Du  2  octobre,  l'an  1"  de  la  République  (1792)  *. 

Nous  sommes  fort  inquiets  de  votre  santé.  Nous 
n'avons  pu  recevoir  de  vos  nouvelles  par  personne  ; 
cela  n'est  pas  surprenant  puisque  nous  sommes  can- 
tonnés de  village  en  village,  et  à  la  barbe  de  l'ennemi, 
que  nous  voyons  tous  les  jours.  Nous  l'avons  déjà 
repoussé  et  nous  nous  emparons  des  villages,  qu'il 


i.  Alexandre  Brault,  né  à  Mayenne  le  27  juillet  1771,  et 
son  frère  cadet  Etienne  s'enrôlèrent  tous  deux  au  4*  ba- 
taillon des  gardes  nationales  volontaires  des  réserves, 
constitué  le  6  septembre  1792  au  camp  de  Soissons. 
Etienne  mourut  à  l'hôpital  militaire  de  Saint-Omer  le 
20  mai  1793.  Alexandre  prit  part  comme  sergent  de  gre- 
nadiers aux  campagnes  de  Ucigiquc,  de  Flandre  et  de  Hol- 
lande, de  1792  à  1796.  passa  ensuite  aux  armées  de 
Sambre-el-Meuse,  du  Rhin  et  d'Italie,  et  mourut  à  Saint- 
Domingue  le  18  août  1804.  presque  au  moment  où  il 
venait  d'obtenir  les  (■paulclle.H  dî  capitaine. 

2.  Sans  indication  de  localité. 


H6  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

abandonne ^  Mon  frère  était  de  garde  au  bivouac; 
sur  vingt  hommes  qu'ils  étaient,  il  est  sorti  une 
patrouille  de  quatre  hommes  et  un  caporal  que  les 
ulans  ont  pris.  C'est  un  bonheur  que  mon  frère  n'en 
était  pas  ;  ils  nous  en  prennent  quelques-uns,  mais 
nous  en  prenons  bien  davantage  ;  depuis  que  nous 
sommes  ici,  nous  en  avons  pris  une  douzaine,  et  eux 
n'ont  pris  que  cette  patrouille. 

Nous  n'avons  depuis  un  mois  couché  en  aucun  lit, 
toujours  sur  la  paille,  et  un  village  comme  Parigné  ^ 
contient  deux  mille  hommes.  Nous  avons  deux  régi- 
ments de  troupes  de  ligne,  le  régiment  de  Forez  et 
celui  de  la  Couronne^,  et  deux  cents  gendarmes.  Nous 
faisons  le  service  ensemble.  Quoique  nous  soyons 
encore  à  quatre  lieues  de  la  grande  armée,  nous 
avons  autant  de  mal,  et  j'aimerais  mieux  être  campé 
tout  Thiver  que  d'être  cantonné.  J'ai  vu  la  brigade 
de  Mayenne  à  Reims  ;  mais  au  moment  où  elle  arri- 
vait, nous  partions,  de  sorte  que  pour  m'être  amusé 
un  quart  d'heure  avec  Bordeaux*  à  boire  une  bou- 

1.  Après  Valmy,  les  Prussiens  étaient  restés  jusqu'au 
30  septembre  dans  leur  camp  à  l'ouest  de  Sainte-Mene- 
hould,  puis  ils  avaient  commencé  leur  retraite.  Dumou- 
riez  chargea  Kellermann  de  les  suivre  lentement  :  le  ser- 
gent Brault  fait  partie  de  cette  colonne. 

2.  Petit  village  des  environs  de  Mayenne,  cité  à  titre  de 
comparaison. 

3.  Depuis  1791,  ces  régiments  étaient  devenus  :  14^  et 
45^  d'infanterie. 

4.  Augustin  Bordeaux,  entré  le  6  février  1792  à  la 
7"  compagnie  du  \  «''  bataillon  des  volontaires  de  la  Mayenne 


AUX   ARMÉES    DU    NORD  H7 

teille  de  vin,  j'ai  été  un  jour  aux  arrêts.  Je  voudrais 
qu'il  serait  avec  nous,  je  crois  qu'il  est  d'un  autre  côté. 

Auparavant  que  nous  fussions  arrivés  ici,  l'ennemi 
a  dénué  ce  pays,  de  sorte  que  nous  ne  trouvons  rien; 
ils  ont  battu  les  pauvres  paysans  à  qui  ils  ont  vu 
des  cocardes  aux  trois  couleurs,  arraché  l'arbre  de 
la  liberté,  emmené  avec  eux  les  curés  constitution- 
nels ;  mais  nous  avons  remis  le  calme,  et  tous  sont 
très  contents  de  nous  voir  chez  eux. 

N'oilà  la  cinquième  lettre  que  je  vous  écris  ;  je  ne 
m  attends  de  recevoir  des  nouvelles  que  quand  nous 
serons  à  un  endroit  fixe.  Mais  je  ne  le  pourrais  pen- 
dant que  nous  serons  deux  jours  en  un  endroit,  deux 
jours  en  l'autre  ;  ainsi  je  ne  vous  marque  point  notre 
adresse  ^ 

Brault. 

[il  la  famille  des  volontaires  Brault]. 

De  Saint-Onier,  le  21  octobre  t792, 
l'an  l^dela  République. 

.Nous  vous  prions,  sitôt  la  présente  reçue,  de  nous 
envoyer  de  vos  nouvelles,  dont  nous  sommes  si 
inquiets;  nous  n'avons  pas  encore  pu  en  recevoir 
dopuis  que  nous  sommes  partis.  Vous  devez  avoir 

(Archives  administratives  de  la  Guerre,  contrôle  du  batail- 
lon). 

1.  La  copie  de  cette  lettre  et  des  suivantes  a  été  com- 
muniquée par  M.  Desdevizes  du  Déz«K. 


Ii8  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

reçu  cinq  lettres  ;  il  faut  absolument  que  vos  lettres 
soient  arrêtées  quelque  part,  comme  nous  avons  été 
dans  les  villages  à  la  poursuite  de  l'ennemi,  car  nous 
sommes  sûrs  que  vous  avez  écrit. 

Je  m'étonne  qu'après  le  chemin  que  nous  avons 
fait  nous  soyons  tous  aussi  bien  portants  ;  pas  un 
n'a  eu  le  moindre  mal  et,  sans  mentir,  mon  frère  et 
moi  nous  nous  portons  mieux  qu'à  Mayenne.  Le  zèle 
avec  lequel  nous  servons  la  Patrie  nous  fait  tout 
braver,  et  aucun  d'entre  nous,  à  quelque  prix  que  ce 
fût,  ne  voudrait  ne  pas  avoir  quitté  ses  foyers.  Le 
citoyen  Dumouriez,  qui  nous  a  choisis  au  camp  de 
Soissons  pour  aller  contre  l'ennemi  qui  était  à  six 
lieues  de  Reims,  nous  a  félicités  du  courage  que  nous 
avons  montré  dans  cette  petite  affaire  et,  en  récom- 
pense nous  a  encore  choisis  pour  faire  la  conquête  du 
Brabant  ^ .  Nous  ne  sommes  présentement  qu'à  trente 
lieues  de  Bruxelles  et,  de  jour  en  jour,  nous  attendons 
des  ordres  avec  impatience 

Brault. 

[A  la  famille  des  volontaires  Brault]. 

Bambecque,  14  novembre  1792, 
l'an  I"  de  la  République*. 

...  Nous  ne  savons  aucune  nouvelle  des  citoyens 

1.  Le  projet  d'invasion  en  Belgique  fut  sanctionné  par 
le  Conseil  exécutif  provisoire  dans  sa  séance  du  6  oc- 
tobre 1792. 

2.  Tandis  que  Dumouriez  avec   le   gros  de    l'armée 


AUX    ARMÉES    DU    NORD  «19 

Coulon^  et  Mesnager'  depuis  que  nous  les  avons 
quittés,  savoir  le  premier  à  Arras,  où  nous  avons  eu 
le  plaisir  de  dîner  et  souper  ensemble  le  jour  de  notre 
séjour,  et  nous  l'avons  laissé  bien  portant  à  la  caserne. 
S'il  est  capitaine,  ce  n'est  que  depuis  que  nous  l'avons 
laissé;  nous  n'en  avons  rien  entendu  dire.  Le  second, 
nous  l'avons  laissé  à  Aire  ;  il  a  été  nommé  comman- 
dant en  chef  du  bataillon  des  chasseurs  de  Soissons, 
mais  c'est  seulement  par  provision.  Je  crois  que  notre 
bataillon  est  encore  à  Arras  '  et  nos  chasseurs  à 
Aire. 

Nous  allons  vous  faire  le  récit  en  gros  de  notre 
victoire  remportée  à  Rousbrugge  *.  Nous  vous  dirons, 
avant  que  de  commencer,  qu'aucun  de  Mayenne  n'a 
éprouvé  le  moindre  malheur,  quoique  nous  ayons  été 
en  le  plus  grand  danger. 

Nous  partîmes  de  Bergues  ô  trois  heures  du  matin 
avec  un  détachement  de  dragons  à  cheval,  le  bataillon 


entrait  en  Belgique  par  Valenciennes  et  Mons,  le  général 
La  Bourdonnayc  opérait  une  diversion  au  nord  de  Tour- 
roing. 

1.  Benjamin  Coulon,  sous-lieutenant  de  la  !''•  compa- 
gnie du  4°  bataillon  de  Volontaires  nationaux  des  réserves, 
passa  avec  ce  grade  à  ta  60"  drmi-brigade  le  l*'  germi- 
nal an  IV  (21  mars  1796)  (Contrôle  du  hat^nillon). 

2.  Mosnagcr  (plus  exactement  Julien  Lemcsnagcr), 
nommé  «apitainc  de  la  l^^  compagnie  du  4"  bataillon  à 
l'organisation. 

3.  Les  Hrault  font  partie  de  de  la  compagnie  de  grena- 
diers, drtachrr  du  bataillon. 

4.  Le  5  novembre  1792. 


120  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

de  Bergues,  un  autre  bataillon  qui  était  à  Dunkerque, 
cinquante  soldats  de  troupes  de  ligne  et  de  la  Car- 
magnole avec  quatre  pièces  de  canon,  pour  aller  faire 
le  siège  de  Rousbrugge,  petite  ville  du  Brabant  à 
trois  lieues  de  Bergues,  que  les  Impériaux  nommaient 
le  petit  Luxembourg,  à  cause  des  fortifications  dont 
eUe  était  entourée.  11  était  neuf  heures  du  matin  quand 
nous  sommes  entrés  dans  le  faubourg  ;  ce  qui  a  causé 
tant  de  lenteur  dans  notre  marche,  c'est  que  les  Impé- 
riaux avaient  fait  des  tranchées  de  vingt  pas  en  vingt 
pas  sur  leur  terrain,  tout  le  long  de  la  grande  route, 
et  avaient  abattu  tous  les  arbres  qui  la  bordaient,  de 
façon  que  cela  nous  prit  beaucoup  de  temps  à  remplir 
[les  tranchées]  et  à  détourner  ces  arbres  qui  barraient 
le  chemin  :  chacun  y  travailla,  et  on  en  vint  à  bout 
plus  vite  qu'on  ne  le  croyait.  Jusque-là,  le  plus  facile 
était  fait  ;  nous  fûmes  beaucoup  surpris  de  voir  que, 
pour  entrer  dans  la  ville,  il  fallait  se  mettre  deux  fois  à 
l'eau  pour  franchir  deux  petites  rivières  dont  ils  avaient 
coupé  les  ponts.  Il  n'y  a  que  cinquante  pas  d'un  pont 
à  l'autre  ;  nous  avons  cependant  passé  le  premier  pont 
sans  beaucoup  de  mal;  nous  en  avons  été  quittes 
pour  dix  à  douze  de  tués  ou  blessés  ;  mais  quand  ce 
pont  a  été  passé,  c'est  là  qu'il  a  fallu  se  battre  ;  les 
Impériaux  avaient  fait  de  fortes  tranchées  au-dessus 
du  second  pont,  d'où  ils  pouvaient  avec  vingt  hommes 
tous  nous  tuer,  sans  que  nous  puissions  seulement  en 
voir  un  seul.  Les  tués  ou  blessés  nous  tombaient  par 
terre  comme  grêle.   Imaginez-vous  que  le  pont  de 


AUX    ARMRES    DU    NORD  121 

Mayenne  *  a  l'arche  du  milieu  coupée  ;  qu'on  a  fait 
des  retranchements  à  hauteur  d'homme  au  bout  du 
pont  du  côté  de  la  ville,  qui  soient  à  l'épreuve  du 
canon,  et  que  deux  mille  hommes  soient  au  Saint- 
Esprit  pour  assiéger  la  viUe.  Voyez  si  trente  hommes, 
qui  ne  risquent  pas  d'être  blessés,  ne  sont  pas  capables 
de  les  retenir  et  d'en  détruire  un  grand  nombre  s'ils 
osent  approcher  ou  pour  placer  des  planches  de  bois 
ou  pour  franchir  la  rivière  à  la  nage.  Telle  était  cepen- 
dant notre  situation  ;  il  fallait  passer  ou  tous  périr. 
Nous  avons  tiré  le  canon  ;  ensuite  nous  revenions  à  la 
charge  avec  nos  fusils,  cela  ne  leur  faisait  rien.  Si 
on  n'avait  agi  de  témérité,  je  crois  que  la  ville  serait 
encore  à  prendre. 

Notre  commandant  général  nous  dit  qu'il  n'y  avait 
point  d'autre  moyen  pour  être  vainqueurs  que  de 
lâcher  de  jeter  quelques  planciies  sur  le  pont  et  d'en- 
trer d'autorité,  la  baïonnette  au  bout  du  canon  ;  que 
si  on  s'amusait  à  tirailler,  ils  détruiraient  tout  notre 
monde  et  que  nous  ne  leur  détruirions  personne  ; 
qu'ils  se  rendraient  infaiUiblement,  voyant  que,  malgré 
leurs  coups  de  fusil,  nous  avancerions  toujours  sur 
eux.  On  se  dépêche  d'exécuter  ses  ordres  ;  la  première 

1.  La  ville  de  Mayenne  cstbAtie  en  pentes  raidessurlea 
deux  rives  de  la  rivière  de  ce  nom.  La  rue  qui  emprunte 
l'ancien  pont  est  très  difficilement  carrossable,  aussi 
bien  à  la  descente  rive  gauche  qu'à  la  montée  rive 
droite,  sur  laquelle  s'étage  la  partie  la  plus  importante 
de  la  ville,  dominant  presque  à  pic  la  rivière  et  couron- 
née par  un  ancien  chàteau-fort,  qui  sert  de  prison. 


122  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

planche  jetée,  les  soldats  étaient  si  acharnés  qu'ils 
n'attendent  pas  une  seconde,  et  notre  commandant  de 
notre  bataillon  passe  le  premier  ;  nous  le  suivîmes. 
Ensuite,  il  ne  fallait  qu'une  trentaine  pour  leur  faire 
évacuer  la  place.  Cette  planche  avait  huit  pouces  de 
largeur  et  on  ne  pouvait  passer  qu'un  et  un  ;  ce  fut 
cause  qu'il  en  périt  beaucoup,  mais  pas  tant  que  si 
nous  n'avions  pas  entrepris  une  invention  aussi 
hardie  ;  ce  fut  là  que  nous  eûmes  le  malheur  de  voir 
tomber  à  nos  côtés  le  commandant  de  notre  bataillon 
et  le  commandant  général  du  détachement  de  l'armée, 
qui  eut  la  cuisse  cassée,  dont  il  est  mort.  Pour  le 
commandant  de  notre  bataillon,  il  va  de  mieux  en 
mieux,  et  je  crois  qu'il  nous  rejoindra  en  peu.  Nous 
avons  cependant,  comme  vous  voyez,  emporté  la  ville, 
mais  malheureusement  beaucoup  de  nous  de  tués  et 
de  blessés.  On  évalue  la  perte  à  cinquante  de  tués  et 
à  quatre-vingts  blessés  ;  nous  apprenons  qu'il  en 
meurt  tous  les  jours  à  l'hôpital.  Notre  bataillon  a  été 
le  plus  malheureux  ;  il  y  en  a  trente  de  tués  et  soixante 
de  blessés.  Nous  sommes  un  corps  de  grenadiers,  et 
nous  étions  toujours  à  la  tête  ;  voilà  pourquoi  le  feu  a 
tombé  sur  nous  des  premiers.  C'est  nous  aussi  qui 
avons  franchi  la  planche  des  premiers,  où  il  en  a  beau- 
coup péri.  Un  de  nos  capitaines,  nommé  Bonneau,  est 
mort  d'une  fluxion  de  poitrine  pour  s'être  jeté  dans 
l'eau  pour  franchir  la  rivière.  Plusieurs  l'ont  franchie 
à  la  nage  :  je  crois  qu'il  n'y  a  eu  que  lui  à  mourir. 
Il  n'y  avait  que  soixante  Autrichiens  dans  cette 


ADX    ARMÉES    DU    NORD  123 

ville,  qui  était  si  forte  par  l'eau  qui  l'entoure  d'un  côté  ; 
nous  en  avons  trouvé  trois  de  tués,  et  je  ne  sais 
comment  ils  l'ont  été  ;  ce  sera  sûrement  quand  ils  ont 
pris  la  fuite.  Nous  en  avons  fait  deux  prisonniers  ; 
nous  les  intcrrogcAmes  pourquoi  ils  n'avaient  point 
de  canons  ;  ils  nous  ont  dit  qu'on  parlait  très  fort 
qu'on  allait  assiéger  Toumay  et  qu'ils  les  y  avaient 
envoyés,  se  fiant  assez  sur  leur  petit  Luxembourg. 
Nous  en  avons  été  bien  heureux  :  s'ils  avaient  eu  seu- 
lement une  pièce  de  canon  à  mitraille,  ils  nous 
balayaient  tous.  Pour  la  première  fois,  nous  avons  été 
assez  échaudés,  mais  nous  avons  eu  le  bonheur  d'en 
échapper  sans  aucune  blessure.  En  entrant  dans  la 
ville,  nous  n'avons  trouvé  personne  ;  tous  les  habi- 
tants avaient  fui,  et  comme  il  était  tard  et  que  le 
soldat  était  fatigué,  on  a  fait  ouvrir  les  portes  de 
quelques  maisons  pour  la  nuit  seulement.  11  s'en  est 
trouvé  qui  ont  pris  quelques  effets  dans  les  maisons 
où  il  n'y  avait  personne.  Il  y  en  a  eu  quatre-vingts 
que  notre  bataillon  a  renvoyés  comme  brigands.  11 
avait  été  déf(îndu  de  ne  rien  prendre  sous  peine  de 
mort.  Il  se  trouve  toujours  de  mauvais  sujets  qui 
méprisent  les  ordres  ;  ib  en  ont  été  la  dupe,  car  les 
congés  qu'on  leur  a  donnés  ne  sont  pas  trop  hono- 
rables. .\otre  capitaine  La  Riie  '  a  fait  entrer  sa  com- 


1,  Victor-Antoine-Maurice  de  la  Rue,  né  à  Mayenne  le 
S2  avril  1773,  nommé  capitaine  de  grenadiers  à  l'élection 
le  6  septembre  1792,  lors  de  la  torination  du  4"  bataillon 
des  volontaires  nationaux  (Contrôle  du  bataillon). 


124  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

pagnie  dans  la  maison  d'un  meunier,  qui  nous  parais- 
sait fort  riche.  Tout  y  a  été  laissé  dans  le  môme  état 
que  nous  l'avions  trouvé.  Nous  avons  des  hommes 
dans  notre  compagnie  qui  entendent  assez  raison,  et 
personne  n'a  été  renvoyé  ;  c'est  toujours  glorieux 
pour  nous  ;  je  crois  qu'il  n'y  a  eu  personne  non  plus 
de  la  9*  et  de  la  11'  compagnie.  Ce  moulin  est  à  un 
quart  de  lieue  de  Rousbrugge,  et  nous  y  étions  de 
garde  ;  mon  frère  n'était  pas,  dans  le  fond,  bien  content 
d'aller  en  sentinelle  perdue  après  une  pareille  attaque  ; 
cependant,  il  a  toujours  montré  de  la  bravoure  de 
même  que  Cherbonnet  *  et  notre  capitaine  à  la  tôte 
de  sa  compagnie.  Nous  espérons  tous  les  jours  d'aller 
faire  la  conquête  de  la  Flandre  maritime  :  Ostende  ne 
nous  échappera  pas. 

Jusqu'à  présent  vous  n'avez  pas  eu  lieu  d'être  con- 
tents de  nous,  mais  dites-moi  si  nous  en  avons  déjà, 
nous  volontaires,  fait  autant  que  ceux  qui  sont  restés 
à  Givet?... 

Brault. 

[Sans  adresse]. 

De  Mons,  le  16  octobre  1792,  l'an  4»  de  la  Liberté, 
2»  de  l'Egalité  et  de  la  République  française. 

Chère  cousine, 

Je  voudrais  avoir  un  génie  assez  sublime  ou  un 
esprit  assez  éloquent  pour  tracer  le  courage  et  l'intré- 

1.  Grenadier  au  4°  bataillon. 


AUX   ARMb:ES    DU    NORD  185 

pidité  de  nos  soldats  de  la  République  française; 
mais  comme  vous  savez  que  ma  plume  est  trop  faible 
pour  vous  détailler  une  bataille  aussi  intéressante  que 
celle  de  Mons,  je  me  trouverai  assez  heureux  si  je 
puis  vous  en  crayonner  une  faible  esquisse*. 

Je  passerai  sous  silence  les  attaques  que  journelle- 
ment les  ennemis  ont  endurées  de  nous  depuis  le  vil- 
lage de  Quiévrain.  Mais  ils  s'étaient  retranchés  dans 
un  bois  (le  bois  Bossu)  oîi  ils  se  croyaient  imprenables 
par  les  retranchements  et  les  redoutes  qu'ils  avaient 
faits  ;  ils  furent  bien  étonnés  de  la  vitesse  avec  laquelle 


1.  Les  contemporains  donnèrent  d'abord  le  nom  de 
bataille  de  Mons  à  la  victoire  de  Jemappes,  dont  cette 
lettre  constitue  un  récit  vivant  quoi  qu'emphatique.  Sur 
les  diverses  péripéties  de  Jemappes.  cf.  Chuquet,  Les 
guerres  de  la  Révolution,  Jemappes  et  la  conquête  de  la  Bel- 
gique, pp.  Tl-109,  et  capitaine  de  la  Jonquière.  La  bataille 
de  Jemappes.  Le  village  de  Quiévrain  (Belgique)  est  situé 
sur  la  route  de  Valenciennes  à  Mons.  Les  troupes  autri- 
chiennes étaient  établies  non  loin  de  là,  dans  le  village 
de  Thulin.  au  moulin  de  Boussu  et  dans  le  bois  de  Sars. 
Elles  en  furent  refoulées  le  4  novembre  par  les  troupes 
françaises.  Ces  opérations,  auxquelles  l'auteur  de  la  lettre 
fait  allusion,  furent  le  prologue  de  la  bataille  de  Je- 
mappes, livrée  le  6  novembre  1792.  Les  prouesses  de  l'aile 
gauclie,  que  mentionne  liuret,  consistèrent  dans  la  prise 
de  (Jiiaregnon  et  surtout  du  village  de  Jemappes,  fortifié 
par  les  Autrichiens.  Sur  l'enthousiasme  des  Montois  à 
l'arrivée  des  Français  et  sur  les  prouesses  de  nos  troupes, 
cf.  Chuquet,  loc.  cit.  —  Il  importe  de  remarquer  que  celte 
lettre,  ijui  est  une  exacte  relation  de  la  bataille  de  Je- 
mappes, porte  une  date  certainement  fausse  :  elle  est 
datée  du  16  octobre  1792  et  les  Français  n'entrèrent  dans 
Mons,  après  leur  victoire,  que  le  7  novembre,  noua  la  rec- 
tifierons en  16  novembre  1792. 


126  AU    SERVICE   DE   LA  NATION 

ils  en  furent  chassés.  Notre  bataillon  eut  cet  honneur. 
Il  s'en  est  acquitté  avec  un  courage  si  héroïque  que 
le  général  ne  put  s'empôcher  de  nous  en  féliciter.  Les 
attaquer,  les  démonter  de  leurs  batteries,  les  chasser 
du  bois  et  les  poursuivre  deux  heures  de  chemin,  ne 
fut  que  l'affaire  d'un  moment. 

Après  une  victoire  aussi  complète,  sans  avoir  pour 
ainsi  dire  essuyé  aucune  perte,  on  ne  pouvait  laisser 
les  ennemis  se  fortifier  par  de  nouveaux  retranche- 
ments. On  les  rattaqua  le  lendemain  avec  autant  de 
courage,  et  ils  se  retirèrent  jusque  dans  les  retran- 
chements de  Mons. 

Cette  bataille  nous  sera  à  jamais  mémorable,  et  si  la 
République  n'a  pas  perdu  plus  de  monde,  elle  le  doit 
autant  au  courage  et  à  l'intrépidité  de  ses  braves  soldats 
qu'aux  soins  et  à  la  vigilance  du  brave  Dumouriez. 

Nos  ennemis  étaient  situés  d'une  manière  si  avan- 
tageuse pour  eux  qu'ils  pouvaient  nous  faire  perdre 
du  premier  coup  de  leur  feu  une  quarantaine  de  mille 
hommes.  Us  avaient  retranchements  sur  retranche- 
ments :  hauteur,  bois  et  rivière,  tout  était  à  leur  avan- 
tage. Aussi,  lorsqu'ils  se  sont  vus  démontés  de  leurs 
batteries,  ils  en  étaient  si  surpris  qu'ils  disaient  en  se 
sauvant  qu'il  fallait  que  les  Français  fussent  fous  ou 
saouls  pour  fondre  sur  leurs  pièces  et  braver  les  périls 
comme  ils  l'ont  fait.  Je  vous  le  réitère  encore,  je  me 
trouverais  heureux  si  je  pouvais  trouver  des  expres- 
sions assez  héroïques  pour  détailler  la  valeur  de 
chaque  soldat  en  particulier.  Lorsque  le  combat  s'est 


AUX  ARMÉES   DU   NORD  127 

engage,  chacun  bravait  le  feu  et  le  fer  de  son  ennemi 
et  lui  faisait  mordre  la  poudre  en  l'étendant  sur  la 
poussière.  L'aile  gauche  de  noire  armée  a  foncé  sur 
les  ennemis  et  a  bravé  les  périls  les  plus  certains.  Le 
brave  Dumouriez  lui-môme  s'est  engagé  deux  fois  dans 
un  combat  à  b  tôte  de  la  cavalerie.  M.  de  Beurnon- 
ville,  qui  commande  notre  avant-garde,  nous  mena 
au  feu  par  un  discours  qui  nous  fit  répandre  des 
larmes  de  joie  :  «  G)urage,  eniants,  nous  dit-il,  notre 
général  nous  trace  le  chemin  de  la  victoire  ;  il  est  lui- 
môme  à  la  tôte  de  la  cavalerie.  »  11  crie  en  môme 
temps  avec  l'expression  la  plus  tendre  :  «  Vive  la 
République  !  »  Chaque  soldat  sent  des  larmes  de  joie 
se  répandre  sur  ses  joues,  un  courage  héroïque  s'em- 
pare de  lui,  tombe  sur  son  ennemi  au  bruit  du  feu  et 
du  frottement  des  armes,  et  ne  se  relire  du  combat 
qu'après  s'ôtre  couvert  du  sang  de  son  ennemi.  J'ai 
vu  moi -môme  un  chasseur  se  retirer  du  combat  avec 
15  coups  de  sabre,  et,  en  rendant  le  dernier  soupir 
entre  les  bras  de  son  camarade,  il  criait  :  o  Vive  la 
Nation  !  »  et  s'informait  si  les  Français  étaient  tou- 
jours libres.  Enfin,  ce  papier,  quoique  volumineux,  ne 
suffirait  qu'à  peine  pour  vous  détailler  tous  les  faits 
héroïques  de  celle  bataille.  L'ennemi  nous  abandonna 
Mons  par  une  retraite  ou  pour  mieux  dire  une  fuite 
tout  à  fait  désordonnée.  Le  nombre  de  leur  tués  est  si 
considérable  que  nous  en  ignorons  encore  le  nombre, 
et  quoiqu'ils  chargeaient  leurs  tués  et  leurs  blessés 
par  mille  sur  des  voitures  et  que  les  habitants  de  la 


128  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

campagne  sont  depuis  la  bataille  occupés  à  les  mettre 
en  terre,  la  campagne  et  la  rivière  en  sont  encore 
couvertes.  Pour  nous,  nous  avons  perdu  7  à  800 
hommes.  Mons  s'est  rendue  par  des  signaux  qui  expri- 
maient le  désir  d'être  libre.  Enfin,  il  est  impossible  de 
vous  exprimer  ce  qu'ils  ont  fait  à  nos  troupes.  Ils  se 
proposent  de  prendre  les  armes  et  de  nous  conduire 
jusqu'à  Bruxelles  en  se  battant  contre  les  Impériaux. 
Je  suis  avec  respect 

Votre  serviteur  et  cousin, 

HURET  S 
Républicain,  Français  et  défenseur  de  la  Patrie*. 


1793 

[A  la  famille  du  volontaire  BrauU]. 

De  Gassel,  1793,  2»  de  la  République,  7  avril. 

Ghers  père  et  mère. 

Nous  voilà  rentrés  sur  nos  terres  par  la  trahison 
d'un  homme  qu'aucun  soldat  français  n'eût  soup- 
çonné'. En  qui  devons-nous  nous  fier  présentement  ? 
C'est  à  nous  à  obéir  en  aveugles.  Dumouriez  voulait 
se  faire  un  parti  dans  Tarmée  qu'il  commandait,  pour 

1.  Volontaire  au  1®'  bataillon  du  Loiret. 

2.  Archives  municipales  d'Orléans,  dossier  H.  90. 

3.  Dumouriez  avait  lait  défection  le  S  avril  1793  au  soir. 


AUX    ARMÉES    DU    NORD  129 

aller,  à  ce  qu'on  prétend,  exterminer  la  Convention 
Nationale.  On  ne  sait  le  patriotisme  qu'il  a  affecté  de 
montrer;  nous  en  sommes  nous-mêmes  témoins,  et 
tout  cela  pour  réussir  dans  son  projet.  C'était  un 
homme  à  tout  sacrifier  pour  sa  gloire  et  ses  intérêts. 
On  l'accuse  d'avoir  tâché  de  se  rendre  le  chef  des 
Belges,  aussi  dînait-il  souvent  avec  le  général  prus- 
sien ;  il  avait  dîné  avec  lui  la  veille  de  cette  fameuse 
bataille  remportée  sur  nous,  où  l'ennemi  n'attaqua 
que  l'aile  gauche  de  notre  armée  qui  fut  mise  en 
déroute  *  ;  il  disait  après  que  c'était  la  faute  des  offi- 
ciers mal  expérimentés.  L'argent  a  bien  du  pouvoir  ! 

Nous  avons  appris  par  les  bulletins  les  troubles  qui 
ont  régné  dans  notre  département  et  dans  plusieurs 
autres  ;  ça  lait  voir  que  Taristocratie  n'est  pas  encore 
éteinte  ;  le  fanatisme  de  quelques  gens  les  porte  à  agir 
sans  savoir  que  c'est  des  despotes  qui  les  portent  à 
cela,  en  leur  faisant  croire  qu'ils  mourront  martyrs 
s'ils  prennent  les  armes  pour  la  religion. 

Je  vous  ai  donné  dans  la  dernière  un  assez  long 
détail  de  la  Hollande,  où  nous  étions,  du  siège  de  Bréda*, 
de  quelques  périls  dont  nous  nous  étions  sauvés. 
Grâce  à  Dieu,  nous  avons  encore  été  assez  heureux 
dans  notre  retraite  ;  nous  avons  marché  le  jour  et  la 
nuit,  et  fait  souvent  dix  à  douze  lieues  dans  une 
nuit  ;  les  fatigues  ne  nous  ont  point  incommodés  ;  il 

1.  Bataille  de  Neerwinden  (18  mars  1793). 

2.  Bréda  avait  ouvert  ses  portes  le  25  février  1793,  après 
un  court  bombardement. 

PICARU.  9 


130  AU    SERVICE    DR    LA    NATION 

est  un  Dieu  pour  les  soldats.  Jusqu'à  présent,  nous 
n'avons  jamais  manqué  de  rien  ;  je  ne  sais  cependant 
pas  si  nous  perdrons  une  partie  de  nos  effets  que 
nous  avons  laissés  à  Anvers.  Toute  l'armée  y  a  laissé 
ses  voitures  :  il  était  impossible  qu'elles  nous  accom- 
pagnassent dans  notre  retraite  ;  il  aurait  fallu  plus  de 
cinq  à  six  jours  pour  passer  l'Escaut,  qui  est  très 
larga  *  ;  dans  notre  fuite,  nous  avons  jeté  la  poudre, 
les  bombes,  boulets  et  autres  munitions  de  guerre 
dans  le  fleuve,  toutes  les  farines  de  l'armée,  qui 
seraient  tombées  entre  les  mains  de  nos  ennemis. 
Jugez  après  cela  si  les  vivres  doivent  être  chers. 
Nous  voilà  passés  sur  le  territoire  français,  il  nous 
faudra  d'autres  munitions  ;  cela  fera  encore  tout  ren- 
chérir. 

On  va  former  un  camp  sous  Cassel  ;  on  s'occupe 
tous  les  jours  à  fortifier  cette  ville,  qui  est  une  des 
plus  voisines  du  Brabant.  Nous  ne  savons  pas  si 
notre  bataillon  campera  ou  s'il  restera  dans  une  ville 
de  guerre  ;  nous  préférerions  une  ville  de  guerre. 
Nous  croyons  que  nous  pourrons  bien  retourner  en 
Hollande  :  ce  qui  nous  le  fait  croire,  nous  avons  laissé 
dix  mille  hommes  à  Bréda  ;  ils  ont  pour  neuf  mois  de 
vivres  ;  cela  une  fois  consommé,  ils  seraient  obligés 
de  se  rendre  si  on  ne  leur  prête  du  secours.  Si  l'on 


i.  Dans  le  traité,  il  est  dit  que  nos  voitures  nous  par- 
viendront; au  surplus  nous  ne  risquons  pas  grand  chose, 
nous  avons  toujours  porté  dans  notre  sac  ce  que  nous 
avions  de  meilleur  (Note  du  sergent  Brault). 


AUX   ARMÉES    DU    NORD  131 

eût  tout  à  fait  voulu  quitter  la  Hollande,  on  n'aurait 
pas  laissé  de  troupes  en  ce  pays-là. 

Nousavons  appris  avec  plaisirque  notre  l*""  bataillon 
du  département  de  la  Mayenne  s'était  signalé  en  pre- 
nant deux  pièces  de  canon  à  l'ennemi  et  lui  faisant 
prendre  la  fuite  ;  qu'il  a  reçu  douze  louis  par  recon- 
naissance ;  nous  ne  trouvons  point  cela  étonnant  ;  il 
n'a  fait  que  son  devoir. 

Tout  ici  est  de  moitié  au  moins  plus  cher  que  dans 
le  Brabant  et  la  Hollande,  surtout  les  vivres.  Avec 
14  et  15  sols  on  vivait  mieux  qu'ici  avec  trois  livres  ; 
c'est  en  partie  ce  qui  nous  fait  regretter  ce  beau 
pays-là. 

...  Notre  commandant  a  été  cassé  à  Bréda  par  le 
général  pour  avoir  été  contre  ses  ordres.  La  majeure 
partie  en  est  très  contente. . . 

Brault. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

De  l'avaDt-garde  au  camp  de  Gyvelde,  16  juin  1793, 
l'an  2'  de  la  République 

Si  j'ai  tant  difléré  à  vous  écrire,  c'est  que  je  m'at- 
tendais à  voir  ou  à  recevoir  en  peu  des  nouvelles  de 
mon  frère.  Je  lui  ai  écrit  une  lettre,  il  y  a  déjà 
quelque  temps;  il  ne  m'a  pas  répondu.  Je  viens 
d'en  envoyer  une  seconde  à  l'adresse  du  Directeur  de 
l'hùpital  militaire  de  Saint-Omer  ;  je  le  prie  de  m'en 
informer  et  m'apprendre  s'il  est  encore  à  Saint  Omer. 
Comme  c'est  une  ambulance,  il  se  pourrait  bien  qu'on 


132  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

l'eût  transféré  plus  loin,  car  dans  les  hôpitaux  qui 
sont  proches  des  armées,  c'est  une  ambulance  qui  va 
souvent  fort  loin,  et  le  directeur  va  m'instruire  où  on 
l'aura  envoyé  ;  je  sais,  par  ceux  qui  étaient  avec  lui 
et  qui  sont  revenus  au  bataillon,  qu'il  n'était  pas  dan- 
gereusement malade  :  c'est  une  raison  de  plus  pour 
l'avoir  envoyé  ailleurs  * . 

Vous  aurez  appris  la  chasse  que  nous  avons  donnée 
à  l'ennemi  jusqu'au-dessus  de  Furnes.  Depuis  que 
nous  étions  ici,  il  ne  nous  laissait  point  tranquilles,  et 
tous  les  matins  nous  nous  battions.  Mais  depuis  que 
nous  l'avons  repoussé,  nous  ne  le  voyons  plus,  et 
nous  sommes  les  plus  tranquilles  du  monde.  Cela 
n'empêche  cependant  pas  de  nous  tenir  sur  nos  gardes, 
et  de  veiller  tout  comme  s'il  était  encore  auprès  de 
nous.  C'est  avec  plaisir  que  je  vois  faire  le  service 
comme  il  est  fait  ici,  et  dans  le  temps  que  nous  avions 
affaire  aux  Autrichiens,  nos  grenadiers  se  disputaient 
à  qui  serait  de  découverte. 

L'on  vient  de  lire  aujourd'hui  un  code  de  discipline 
militaire  que  nous  avons  tous  juré  de  suivre  de  point 
en  point  ;  il  est  un  peu  rigoureux,  mais  des  gens  qui 
sont  sûrs  de  se  conduire  toujours  dans  le  chemin  de 
l'honneur  ne  craignent  rien,  au  contraire,  sont  bien 
contents  de  voir  punir  ceux  qui  auraient  la  lâcheté 


.  1.  Au  moment  où  il  écrivait  cette  lettre,  Alexandre 
Brault  ignorait  que  son  frère  Etienne  était  mort  à  l'tiôpital 
de  Saint-Omer  le  20  mai  précédent  (Contrôle  du  4°  batail- 
lon de  volontaires  nationaux). 


AUX    ARMÉES    DU    NORD  133 

de  le  mépriser  en  y  contrevenant'.  On  doit  penser 
comme  cela  quand  on  a  pour  but  de  sauver  la  Répu- 
blique et  de  conquérir  sa  liberté.  Notre  1*"^  bataillon 
est  resté  caserne  à  Dunkerque  ;  nous  sommes  des  gre- 
nadiers faits  pour  être  toujours  à  la  tête  quand  il 
s'agit  de  se  battre  et  à  la  queue  quand  on  est  forcé 
à  la  retraite... 

Brault. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

De  Dunkerque,  11  septembre  1793, 
Tan  2*  de  ia  République  une  et  indivisible. 
Vive  la  République  I 

Nous  voilà  enfin,  après  beaucoup  de  fatigues,  déli- 
vrés des  cruautés  inouïes  que  nous  préparait  le  siège 
de  cette  ville  '. 

Vous  avez  sans  doute  appris  la  vivacité  avec 
laquelle  nous  avons  été  obligés  d'abandonner  le  camp 
de  Gyvelde  le  22  du  mois  dernier,  après  un  combat 
de  plus  de  trois  heures,  et  de  nous  replier  le  23.  Nous 
avon^  couché  dans  les  glacis  à  l'air  du  temps  ;  le  24, 
nous  avons  fait  une  sortie  générale,  qui  n'a  pas  été  à 
notre  avantage  ;  le  6  de  ce  mois,  les  grenadiers  com- 
posés de  24  bataillons  avec  deux  divisions  de  gendar- 


1.  Ce  code  de  discipline  militaire  est  celui  qui  fui 
décrété  le  12  mai  1793  par  la  Convention. 

2.  11  s'agit  de  Dunkerque  assiégé  par  le  duc  d'York 
depuis  le  23  aoùl  et  délivré  par  Houchard,  qui  gagna  les 
6,  7  et  8  septembre  la  bataille  d'Uondlschoote. 


134  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

merie,  nous  avons  été  plus  heureux  et  détruit  beau- 
coup d'hommes  à  Tennemi.  Les  6,  7  et  8,  nous  nous 
sommes  emparés  de  leut*s  avant-postes.  Jamais  je 
n'ai  vu  une  fusillade  pareille  :  l'on  était  disposé  à 
vaincre  ou  mourir;  l'ennemi  n'avait  pas  encore  tiré  un 
coup  de  canon  sur  la  ville,  mais  leurs  retranchements 
étaient  faits,  une  partie  de  leurs  batteries  placées  et, 
dans  peu  de  jours,  Dunkerque  allait  être  réduit  en 
cendres.  Heureusement,  Houchard  s'est  transporté  du 
côté  d'Ypres  ;  on  allait  les  prendre  entre  deux  feux  ; 
l'ennemi  a  évacué  si  fort  qu'il  a  abandonné  tous  ses 
canons  et  munitions.  L'on  ne  peut  en  évaluer  la  perte, 
tant  elle  est  considérable.  L'on  nous  assure  que  du 
côté  de  Bergues  l'on  a  fait  une  quantité  considérable 
de  prisonniers  ;  j'ai  vu  tailler  l'arrière -garde  en  pièces 
par  les  cuirassiers  à  l'arme  blanche... 

Nous  avons  perdu  3  hommes  de  notre  compagnie 
et  13  de  blessés.  Notre  bataillon  en  a  perdu  une 
vingtaine  ;  entre  autres  Millère*,  Bastier^  et  un 
nommé  Le  Blanc,  de  Mayenne  *. 

1.  Millère  (plus  exactement  Jean  Demillière),  sergent  à 
la  1""°  compagnie  du  4^  bataillon  le  6  septembre  1792, 
adjudant  sous-olfîcier  le  6  mars  1793,  mort  le  8  septem- 
bre 4793  des  suites  des  blessures  qu'il  reçut  dans  une  des 
sorties  que  fit  la  garnison  de  Dunkerque  (Contrôle  du 
bataillon). 

2.  Bastîer,  volontaire  à  la  i^  compagnie  du  4«  batail- 
lon. Présumé  tué  ou  fait  prisonnier  dans  une  des  sorties 
de  la  garnison  de  Dunkerque  {Ibid.). 

3.  Le  Blanc,  volontaire  à  la  f^  compagnie  du  4"  batail- 
lon, mort  le  28  septembre  1793  {Ibid.). 


AUX    ARMÉES    DU    NORD  135 

Cinquante  à  soixante  pièces  de  24  ont  été  aban- 
données, 800  barriques  de  poudre,  du  bois,  des  voi- 
tures, des  bêches,  des  pioches,  etc.,  etc.  Notre  lieu- 
tenant est  blessé  à  la  cuisse*. 

Brault. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

Dunkerque,  du  18  septembre,  l'an  2* 
de  la  République  une  et  indivi&iblo. 

Voilà  enfin  le  beau  temps  qui  va  renaître  ;  celte 
ville,  qui  tout  à  coup  vient  d'être  délivrée  de  la 
fureur  du  duc  d'York,  recommence  h  prendre  son 
ancienne  gaîté.  Aussitôt  que  l'ennemi  a  plié,  l'on 
s'est  occupé  à  couper  tous  les  bois,  et  à  abattre  toutes 
les  maisons  de  Rosendaal,  qui  nous  étaient  fort  incom- 
modes, l'ennemi  s'en  servant  de  retranchements; 
toutes  les  voilures  de  la  ville  cl  de  l'armée  ont  enlevé 
toutes  les  farines,  les  canons,  les  bombes  et  les  bou- 
lets qu'ils  ont  abandonnés  dans  leur  fuite,  et,  depuis 
le  9  de  ce  mois,  l'on  ne  fait  que  charroyer.  L'armée 
est  entrée  dans  la  ville  de  Kurnes,  où  elle  a  trouvé 
des  magasins  superbes  et  des  munitions  de  gfuerre  en 
tous  genres,  que  l'on  conduit  continuellement  à  Dun- 
kerque ;  l'on  dit  qu'elle  va  se  porter  dans  peu  de 
jours  à  Ostendc.  Dites-moi  que  penser  d'une  déroute 
pareille  ? 


1.  C'était  Jean  Boussolairc,  lieutenant  à  l'élection  nu 
4«  bataillon,  le  6  septembre  1792  (Contrôle  du  bataillon). 


136  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

Nous  avons  été  leur  faire  la  conduite  ;  ceux  qui 
restaient  par  derrière  ont  été  pris  prisonniers  au 
nombre  de  200.  Nos  chasseurs  à  cheval  et  nos  cui- 
rassiers ont  eu  un  combat  à  l'arme  blanche  avec  les 
hussards  de  Cobourg  :  pas  un  ne  s'est  en  allé  sain 
et  sauf;  il  semblait  que  nous  étions  des  diables. 

Nous  avons  occupé  notre  première  position  à 
Gyvelde,  d'où  ils  nous  avaient  si  bien  chassés.  Nous 
y  sommes  restés  cinq  jours  sans  tente,  bivouaques  à 
l'air  du  temps.  Nous  avons  reçu  des  ordres  pour  que 
chaque  compagnie  de  grenadiers  rejoigne  son  ba- 
taillon. Voilà  trois  jours  que  nous  sommes  rentrés  au 
nôtre,  qui  est  caserne  à  Dunkerque,  où  il  forme  la 
garnison  ;  on  le  demande  par-dessus  tous  les  autres, 
étant  connu  depuis  plus  de  trois  mois  qu'il  y  est. 

Après  avoir  couché  sur  la  paiUe,  l'on  trouve  bien 
doux  de  coucher  dans  un  lit  ;  il  y  avait  près  de  quatre 
mois  que  notre  compagnie  n'avait  déshabillé  ;  si  les 
grenadiers  sont  heureux  en  temps  de  paix,  ils  le 
payent  bien  en  temps  de  guerre.  Les  représentants 
du  peuple  ont  annoncé  aux  citoyens  de  la  ville  que 
la  ville  n'était  plus  en  état  de  siège,  et  par  ce  moyen 
de  reprendre  chacun  ses  fonctions  ordinaires  ^  11  s'est 
fait  des  réjouissances  magnifiques  :  chaque  vaisseau 
avait  son  pavillon,  les  cloches  ont  sonné;  plusieurs 
coups  de  canon  se  sont  fait  entendre  aux  cris  plu- 

1.  Les  représentants  du  peuple  présents  à  Dunkerque 
pendant  le  siège  étaient  :  Collombel,  Duquesnoy  et  Ilentz. 
auxquels  se  joignirent  plus  tard  TruUard  et  Berlier. 


AUX    ARMKES    DU    NORD  137 

sieurs  fois  répétés  de  :  «  Vive  la  République  !  »  Dans  le 
temps  du  siège  et  dans  les  différentes  sorties,  il  s'est 
passé  plusieurs  faits  remarquables  :  de  pauvres  mal- 
heureux, près  d'expirer,  criaient  :  «  Vive  la  Répu- 
blique !»  A  la  sortie  du  6,  notre  bataillon  a  essuyé  le 
plus  vif  feu.  Nous  étions  à  la  tête  dans  ce  moment; 
l'on  ne  se  connaissait  presque  point;  les  P'rançais 
étaient  môles  avec  les  Autrichiens  ;  ces  derniers  n'en 
ont  pas  été  quittes  pour  2000  dans  cette  journée. 
C'est  dans  cette  affaire  que  Millère  a  été  tué  ;  l'on 
sait  présentement  le  nombre  de  nos  tués  et  blessés  ;  il 
n'est  pas  si  grand  que  je  le  croyais.  Notre  compagnie 
de  grenadiers  en  a  eu  cinq  de  tués  et  douze  de 
blessés;  dans  la  l"  compagnie  du  bataillon,  quatre  de 
tués,  savoir  :  Bastier,  Le  Blanc  et  Belliard,  de 
Mayenne*,  et  trois  de  blessés,  et  chaque  compagnie, 
plus  ou  moins.  Dans  cette  affaire,  ce  sont  les  gen- 
darmes et  les  grenadiers  qui  ont  été  les  plus  étrillés. 

Brault. 

i.  Brault  fait  erreur  sur  le  sort  de  son  compatriote. 
Julien  Belliard,  fils  de  François  et  de  Françoise  Lefort, 
né  à  Céancé,  district  de  Mayenne,  entré  à  la  i^  com- 
pagnie du  4<*  bataillon  des  volontaires  nationaux  le  6  sep- 
tembre 1792,  à  l'âge  de  dix-huit  ans,  fut  «  perdu  »  le 
11  '[)''  libre  1793  (après  l'affaire  racontée  ci-dessus)  et 
r.i\.  ilr-  contrôles  le  25  pluviôse  an  II  (13  février  1794); 
mais,  quatre  jours  plus  tard,  il  rejoignait  son  bataillon. 
Il  fut  versé  ensuite  à  la  60'  demi-brigade  (Archives  admi- 
nistratives de  la  Guerre). 


i38  AU    SERVICE    DE   LA   NATION 

Ail  citoyen  Jacques  Martin,  résidant  au  village  de 
Leuchères,  paroisse  de  Pionsat,  district  de  Mon- 
taigu- en -Combr ailles,  département  du  Puy-de- 
Dôme. 

A  Tonnelille',  ce  2'J  septembre  1793,  l'an  2» 
de  la  République  française,  une  et  indivisible. 
La  mort,  c'est  ma  devise  ! 

Mon  cher  parrain, 

Je  vous  écris  ces  deux  mots  pour  m'informer  de 
Tétat  de  votre  santé  ;  quant  â  l'égard  de  moi,  je  suis, 
grâce  à  Dieu,  en  bonne  santé.  J'ai  reçu  votre  lettre, 
qui  m'a  fait  un  sensible  plaisir  d'apprendre  que  vous 
jouissiez  d'un  parfaite  santé.  Je  vous  prie  de  vouloir 
dire  mille  choses  de  ma  part  à  mon  père  et  à  ma  mère. 
Je  suis  fort  inquiet  de  savoir  s'ils  ont  reçu  le  certi- 
ficat que  je  leur  ai  envoyé.  Mon  frère  se  porte  bien 
et  vous  assure  de  ses  amitiés.  Je  vous  prie  de  faire 
mes  compliments  au  citoyen  Chaumette  et  à  son 
épouse,  ainsi  qu'à  la  veuve  Brissonne  et  à  ses  enfants, 
sans  oublier  notre  citoyen  curé. 

Je  vous  dirai  que  je  suis  canonnier  du  bataillon  '. 
Nous  sommes  attachés  à  l'avant-garde  de  l'armée  des 
Ardennes,  cantonnée  à  Tonnetille.  L'ennemi  est  beau- 
coup en  forces  devant  nous,  mais  nous  [ne]  les  crai- 
gnons pas  beaucoup.  Nous  faisons  des  sorties  en 
Empire  de  temps  en  temps.  Tout  de  suite  qu'ils  nous 

1.  Thonne-le-Thil,  canton  de  Montmédy  (Meuse). 

2.  l'"  bataillon  de  la  Creuse. 


AUX   ARMÉES   DU  NORD  139 

.  t  tient  ils  se  sauvent  [dans]  les  bois  comme  des  loups. 
Nous  avons  fait  une  sortie  en  Empire  le  21  de  ce 
•nois;  nous  n'en  avons  que  sorti  le  27.  Nous  nous 

•mmes  battus  vigoureusement  avec  l'ennemi,  sans 
I  <Tdre  une  seule  personne.  Nous  leur  avons  tué  autour 
(le  deux  cents  personnes  et  beaucoup  de  blessés  que 
nous  avons  trouvés  dans  le  passage.  Nous  leur  avons 
pris  trois  pièces  de  canon  avec  cinq  caissons  chargés 
do  poudre  à  canon,  avec  des  boulets  et  beaucoup 
d'effets  de  campement.  Nous  nous  sommes  retirés 
que  quand  nous  leur  avons  eu  mis  leur  armée  en 
déroute.  Je  n'ai  autre  chose  à  vous  marquer  de  la 
guerre  * . 

Voilà  deux  ou  trois  jours  que  l'on  parle  que  l'armée 

a  partir  pour  aller  du  côté  de  Valenciennes  ;  cela 
nous  ferait  un  grand  plaisir,  car  nous  ne  serions  que 
rontenls  de  nous  battre  avec  notre  ennemi,  car  il  n'y 
1  rien  de  plus  beau  à  voir  que  la  guerre  surtout  quand 


1.  L'armée  des  Ardennes,  à  laquelle  appartenait  le 
.  anonnier  Martin,  avait  été  formée  en  1792  soua  la  direc- 
tion de  Valence  et  comprenait  alors  20  000  hommes.  .\vec 
l'nrmée  du  Nord,  l'armée  de  la  Belgique  et  le  corps  du 
lieulenanl  général  d'Harviile,  elle  avait  contribué  à  l'in- 
vasion de  la  Belgique  (Dumolin,  Précis  d'histoire  mili- 
taire, t.  I,  pp  108-109).  A  la  suite  de  la  victoire  de  Dumou- 
riez  à  Jemappes,  l'armée  des  Ardennes  prit  Charleroi, 
Nivelles  et  Namur  (novembre-décembre  1792  .  En  1793,  au 
moment  où  le  canonnier  Martin  écrivait  cette  lettre?^  son 
parrain,  Jourdan  venait  de  prendre  le  commandement  de 
armée;  il  allait  la  conduire,  en  octobre,  à  Watti- 
.  Nous  n'avons  point  trouvé  trace  de  ces  «  sorties  CD 
Empire  u  signalées  dans  cette  lettre. 


140  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

il  y  a  deux  cents  brutals  [canons]  qui  pètent  là  tous 

à  la  fois*. 

Je  finis  en  vous  embrassant  du  plus  profond  de 

mon  cœur,  et  vous  pouvez  me  croire  pour  votre  fidèle 

ami,  parrain, 

Julien  Martin, 
canonnier. 

Vous  adresserez  votre  lettre  au  citoyen  Julien 
Martin,  canonnier  du  l"  bataillon  de  la  Creuse,  attaché 
au  parc  d'artillerie  de  l'avant-garde  de  la  2®  division 
de  l'armée  des  Ardennes,  cantonnée  à  Tonnetille,  près 
Montmédy. 

Je  fais  réflexion  :  j'ai  appris  que  tous  les  garçons 
étaient  partis.  Gela  me  fâche  beaucoup.  Je  plains  le 
triste  sort  des  filles.  Par  conséquent,  j'exhorte  les  gar- 
çons qui  peuvent  avoir  resté  d'avoir  soin  de  ne  pas 
les  abandonnera 

Au  républicain  Demonchy,  contrôleur  des  charrois 
des  armées,  du  dépôt  de  Péronne,  rue  et  vis-à-vis 
V église  Saint-Jean,  à  Péronne. 

De  Rousbrugge',  ce  4  octobre  1793, 
l'an  II  de  la  République. 

Mon  très  cher  frère, 

L'indifTôrence  que  vous  me  témoignez  en  ne  me 

1.  Valenciennes,  défendue  par  le  général  Ferrand,  avait 
capitulé  le  28  juillet  1793. 

2.  Archives  de  Riom  (copie  communiquée  par  M.  le  lieu- 
tenant Saint-Arroman). 

3.  Rousbrugge,  Flandre  occidentale  (Belgique),  entre 
Ypres  et  Bergues. 


AUX    ARMÉES    DU    NORD  141 

répondant  point  aux  trois  lettres  que  je  vous  ai 
écrites  m'oblige  de  vous  en  écrire  une  quatrième.  Je 
suis  au  désespoir  de  ne  point  recevoir  de  vos  nou- 
velles. Je  crois  que  vous  m'abandonnez  totalement. 
Oui,  je  vous  le  répète,  vous  me  mettez  au  désespoir, 
mais  j'espère  qu'aussitôt  la  réception  de  la  présente, 
vous  voudrez  bien  me  racheter  la  vie  en  me  donnant 
de  vos  nouvelles  et  de  celles  de  mes  parents  que  j'at- 
tends avec  impatience. 

Je  vous  apprendrai  pour  nouvelles  que  nous  avons 
fait  des  grandes  conquêtes  dans  le  pays  que  nous 
occupons  actuellement.  Vous  avez  sûrement  entendu 
parler  de  la  prise  de  Hondtschoote,  où  nous  avons  pris 
158  pièces  de  canon  à  l'ennemi  et  un  butin  très  con- 
sidérable ;  enfin  la  victoire  a  été  complète  et  l'ennemi 
mis  tout  à  fait  en  déroute  *. 

Nous  sommes  présentement  cantonnés  sur  le  pays 
ennemi,  trois  lieues  de  Bergues,  six  de  Dunkerque 
et  cinq  de  Furnes.  Le  bourg  que  nous  habitons  est 
totalement  ruiné.  Par  le  pillage  que  l'on  y  a  commis, 
la  moitié  en  est  réduit  en  cendres  et  les  habitants 


1 .  La  victoire  de  Houchard  à  Hondtschoote  (6,  7  et  8  sep- 
tembre) avait  marqué  la  défaite  des  Anglo-Hanovriens 
du  duc  d'York  et  de  Wallmoden.  Sur  la  campagne  de 
Hondtschoote  et  ses  conséquences,  cf.  Chuquet,  Lesguerret 
<le  la  Révolution,  liomltschoote,  capitaine  V.  Dupuis,  La 
campagne  de  1793  à  l'armée  du  Nord  et  de»  Ardennes,  t.  1, 
et  lieutenant-colonel  Lévi,  Les  Français  à  Fumes  (1792- 
1794),  extrait  du  tome  LUI  des  Mémoires  de  la  Société 
Uunkerquoise. 


U2  AU    SERVICE    DE    LA  NATION 

sont  tous  à  la  fuite,  de  façon  que  nous  y  sommes  les 
maîtres. 

Nous  faisons  de  fréquentes  découvertes  dans  les 
alentours  de  notre  cantonnement  ;  nous  avons  quelques 
petits  assauts,  mais  très  rarement.  Dernièrement,  nous 
avons  fait  une  découverte  en  avant,  à  trois  lieues  du 
cantonnement,  et  cela  par  ordre  du  général;  nous 
avo.^s  pris  chevaux,  poulains,  vaches,  moutons, 
cochons,  enfin  tous  les  bestiaux  en  général,  et,  d'après 
ces  expéditions,  Ion  entre  chez  le  paysan  et,  après 
avoir  bien  bouffé,  bien  bu  son  vin,  l'on  b...  les  par- 
ticulières et  l'on  en  emporte  les  couronnes  et  les 
esquellins.  Voilà  de  la  façon  dont  nous  nous  compor- 
tons chez  messieurs  les  Impériaux  ;  ils  font  encore 
bien  pire  chez  nous,  ils  agissent  avec  cruauté,  au 
lieu  que  nous  autres  Français,  toujours  avec  huma- 
nité. 

Nous  faisons  ici  des  bombances  éternelles  :  la  viande 
y  est  en  profusion  et  l'on  y  jette  les  gigots  par  la 
fenêtre  ;  le  vin  y  coule,  quoiqu'à  trois  livres  la  bou- 
teille ;  nous  avons  pris  pour  2  700  livres  de  cuir,  que 
nous  avons  vendu  à  Bergues  au  profit  du  bataillon. 

Le  bruit  court  que  le  Turc  vient  à  grande  force 
contre  l'Empereur  ;  ainsi,  si  cela  est,  nous  serons 
débarrassés  de  ce  côté-là,  vu  que  l'Empereur  portera 
ses  forces  de  l'autre  côté.  Je  désire  ardemment  que 
cela  soit  et  que  cette  paix,  si  longtemps  désirée, 
arrive. 

Je  vous  réitère  encore  une  fois,  mon  cher  frère, 


AUX    ARMÉES    DU    NORD  U3 

de  me  donner  de  vos  nouvelles  ;  aussitôt  la  présente 
reçue,  donnez-moi,  s'il  vous  plaît,  un  détail  exact  de 
ce  qui  se  passe  au  pays.  L'on  dit  que  l'ennemi  est  aux 
environs  de  Saint-Quentin;  si  cela  était,  ça  serait 
bien  malheureux  pour  notre  famille. 

Donnez-moi  des  nouvelles  de  mon  père,  ma  sœur, 
mon  frère  Albert  et  toute  la  iamille,  que  j'embrasse 
de  tout  mon  cœur,  principalement  maman  Catherine, 
que  j'assure  de  mon  respect;  donnez-moi  des  nou- 
velles de  votre  femme,  de  vos  enfants,  de  Louison  et 
du  petit  que  j'embrasse. 

Et  je  finis  en  vous  embrassant  du  plus  profond  de 
mon  cœur,  et  j'ai  l'honneur  d'être,  mon  très  cher 
friTO, 

Votre  très  affectionné  frère, 

A.  Demonchy, 

CaporaUfourrier  au  14*  bataillon  d'infanterie  légère', 
compagnie  Lachaud,  avant  garde  de  l'armée  du 
Nord*. 


i.  Le  i4»  bataillon  d'infanterie  légère  était  commandé 
par  les  lieutenants-colonels  Queissat  etHacquin.  Le  nom 
du  capitaine  commandant  la  compagnie  du  caporal-four- 
rier Demonchy  doit  s'écrire  Lachaux  (L.  Hennet,  Etat 
.,  ''.A.iire  de  la  France  pour  l'année  1793,  p.  194)-  L'avantr 
.  .  n^  de  l'armée  du  Nord  comprenait  à  cette  date 
«  l.oOO  tlK'vaux,  4.500  hommes  de  troupes  légères  et 
.1  0(n»  cli.i.ssciirs  du  Mont-Cassel,  aux  ordres  du  colonel 
\  ic  »  (Foucart  et  Finot,  La  défense  nationale  dans 

/-     >  1792  aiB02,  t.  II,  p.  92). 

2.  Archives  déparlementnle»  du  Nord,  liasse  2.144 
(copie  communiquée  par  M    i.>  li"iit<>nanl-colonel  Lévi). 


144  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

Au  citoyen  Jabouille,  chirurgien-major,  procureur 
de  la  commune  à  Pionsal^  proche  Montaigu-en- 
Combrailles,  à  Pionsat. 

Maubeuge,  le  20  octobre,  l'an  2»  de  la  République 
française,  une  et  indivisible  [1793]. 

Je  viens  seulement  de  recevoir  votre  lettre,  mon 
cher  père.  Je  profite  du  moment  que  j'ai  pour  vous 
répondre  d'ici,  où  je  couche  une  nuit.  J'y  suis  venu 
chercher  des  souliers  et  chemises  pour  la  division,  et 
je  pars  demain  à  porte  ouvrante.  Je  suis  à  sept  lieues 
de  Cadet  S  et  je  suis  bien  en  peine  pour  souper.  Je 
trouve  du  vin,  mais  point  de  pain.  Cette  ville,  qui  était 
entourée  d'ennemis  ces  jours  derniers,  vient  d'être 
débloquée^.  Elle  est  dépourvue  de  tout;  je  viens  d'y 
payer  une  once  de  tabac  dix  sols;  jugez  d'après  cela 
s'il  fait  bon  dans  les  auberges,  et,  malheureusement, 
j'ai  un  poste  à  y  être  toujours. 

Quelques  jours  après  vous  avoir  écrit  ma  dernière 
lettre,  j'ai  été  promu  lieutenant,  et  lieutenant  de  gen- 
darmerie. C'est  sûrement  un  fort  joli  poste,  qui  est 
fort  tranquille  et  où  l'on  a  presqu'aucune  comptabi- 
lité ni  responsabilité.  L'on  a  sans  doute  cru  que  je 

1.  Son  frère  cadet. 

2.  A  partir  du  23  septembre  1793,  Cobourg  avait  com- 
plètement investi  la  place  de  Maubeuge.  Jourdan  vint  au 
secours  de  la  place  et  après  les  combats  glorieux  de 
Wattignies,  le  17  octobre,  à  deux  heures  de  l'après-midi, 
il  fit  une  entrée  triomphale  dans  Maubeuge,  aux  côtés  de 
Carnot. 


AUX   ARMÉES    DU    NORD  145 

serais  trop  à  mon  aise,  et  l'on  m'a  donné  une  autre 
besogne. 

Je  fais  dans  ce  moment  les  fonctions  de  quartier- 
mailre  trésorier,  celui  qui  l'est  réellement  étant  tombé 
malade*.  Celte  marque  de  confiance  de  la  part  de  la 
li vision  est  pour  moi  li'ès  flatteuse  et  je  ne  pouvais 
jjas  refuser  d'accepter  cet  embarras  qui  me  devient 
très  coûteux  :  le  malade  devant  toujours  jouir  de  ses 
ippoinlements,  je  ne  peux  pas  en  jouir  d'autres  que 
de  ceux  affectés  à  mon  grade  actuel,  qui  est  de  sept 
livres  dix  sols  par  jour. 

A  ma  réception,  j'ai  fait  des  dépenses  qui  sont 
I l'usage  ù  la  troupe.  Je  suis  obligé  de  faire  bien  des 
mplettes.  J'ai  acheté  un  cheval  six  cents  livres,  je 
ne  l'ai  pas  encore  payé  ;  il  est  vieux,  mais  ils  sont  si 
chère  i\u[\  m'est  impossible  de  choisir.  Je  le  fatigue 
iKîaucoup,  mais  il  est  fort  et  pourra  me  faire  de 
l'usage.  11  me  faudra  bientôt  un  manteau  ciré.  Je  vous 
issure  que  j'ai  besoin  de  me  ménager,  surtout  si  je 
ne  veux  pas  toucher  à  la  somme  que  j'ai  à  Paris. 

Cadet  est  brigadier-lourrier;  je  l'ai  laissé  ce  matin 
tMi  bonne  santé.  Depuis  (juiniw?  joui-s,  on  se  bat  nuit 
•  t  jour  sur  toute  cette  frontière.  Nous  avons  juré  d'y 
rester  ou  d'en  sortir  l'ennemi.  Nous  l'avons  déjà  bien 
repoussé  :  il  nous  a  laissé  Ijeaucoup  de  cadavres,  aussi 
l;i  \i'rvi-  iniiit)le  dcs  cuiijis  rie  fusil  et  de  canon. 


1    Sur  l'élection  au  grade  de  quarlier-matlre  trésorier, 
'  f .  la  lettre  du  lieutenant  Michel  publiée  p.  6. 

PlCAItU.  10 


146  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Gomme  quartier-maître,  je  ne  suis  plus  qu'au  trésor. 
Je  n'ai  plus  l'avantage  de  voir  l'ennemi.  Cette  place 
convient  parfaitement  à  un  capon.  Faites  toujours 
valoir  ma  demande  d'adjudant-général  :  ma  promotion 
d'officier  ne  nuira  pas. 

Bien  des  choses  à  Maymat  de  ma  part.  Il  est  porté 
pour  mes  intérêts  et  ne  peut  que  m'ôtre  très  utile. 

J'ai  un  reproche  terrible  à  vous  faire,  mon  cher 
père,  et  cependant  vous  n'avez  pas  tort.  Vous  savez 
que,  dans  mon  dernier  séjour  à  Paris,  je  vous  parlai 
mariage.  Vous  me  le  portâtes  bien  loin;  mon  frère 
cadet  ne  disait  pas  tout  à  fait  de  même.  11  me  disait 
seulement  que  ma  prétendue  était  encore  trop  jeune  : 
elle  avait  quinze  ans.  Enfin  je  l'ai  perdue,  elle  morte 
et  si,  comme  vous  vous  l'imaginiez,  j'eus  consommé 
le  mariage  avant  de  chercher  à  l'épouser,  elle  serait 
encore  en  vie  et  j'aurais  rendu  à  la  société  une 
aimable  femme  et  une  bonne  mère.  Oui,  j'ai  considé- 
rablement perdu.  Figurez- vous  une  femme  pleine  de 
talents,  de  douceur,  de  beauté,  parlant  trois  différentes 
langues  et  les  écrivant  de  même,  enfin  dont  l'éduca- 
tion a  plus  coûté  que  n'ont  vaillant  toutes  les  filles 
de  Pionsat.  Je  [ne]  pleure  pas  facilement;  mais,  si 
vous  l'eussiez  connue,  vous  sentiriez  ma  douleur  et 
vous  [ne]  m'auriez  pas  fait  l'injustice  de  croire  que 
c'était  une  fille  prostituée.  Ces  sortes  de  filles  peuvent 
être  parfois  pour  mes  plaisirs,  mais  je  n'en  ferai 
jamais  ma  femme. 

Je  finis,  je  suis  fatigué  et  vais  me  coucher,  J'em- 


AUX   ARMÉES    DU    NORD  147 

brasse  ma  chère  mère  et  mes  sœurs  et  frère.  Ayez 
soin  de  ma  Berton  (?)  dans  sa  maladie  ;  qu'elle  ne 
fasse  pas  comme  Mademoiselle  Gachot,  qui  aurait  tant 
désiré  la  connaître.  Adieu, 

Jabouille  '. 

Comme  nous  n'avons  point  de  résidence  fixe,  je 
vais  vous  donner  mon  adresse  dont  vous  vous  ser- 
virez jusqu'à  ce  que  je  vous  en  donne  une  de  positive  : 
Jabouille,  officier  dans  la  34°  division  de  gendarmerie, 
à  l'avant-garde  de  l'armée  du  Nord,  commandée  par 
le  général  Fromentin.  Sur  l'adresse,  quand  vous  m'é- 
crirez, n'indiquez  aucun  endroit*. 


l  Antoine  Jabouille  était  né  le  29  mars  1764  à  Pionsat. 
11  était  le  fils  de  Jacques  Jabouille,  chirurgien  et  procu- 
reur de  la  commune  de  Pionsat.  Après  avoir  servi  dans 
I  >  de  la  République,  il  devint  chef  d'escadron  de 

^  rie,  chevalier  de  la  Légion  d'Honneur,  à  Liège 

(département  de  l'Ourthe).  11  eut  un  fils,  Edme-Thomas, 
né  en  1796,  qui  fut  officier  dans  la  Jeune  Garde.  Mis  en 
demi-solde  à  la  chute  de  l'Empire,  il  reprit  du  service 
comme  rengagé  en  1820  et  mourut  capitaine-rapporteur 
du  r.onseil  de  guerre  à  Bordeaux  (Maxime  Mangerel, 
maire  de  Pionsat,  Le  canton  de  Pionsat  pendant  la  période 
rc  oluiionnaire,  1789-1800.  ClermonUFerrand,  Delaunay, 
1904). 

2.. Archives  de  M.  Mangerel  (lettre  communiquée  par 
.M.  le  lieutenant  Saint-Arroman). 


148  AU    SERVICE    DK    LA    NATION 


1794-1795 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

De  Péronne,  le  17  pluviôse  2«  année  de  la  République 
[5  février  1794]. 

...  Le  5  de  ce  mois,  nous  avons  quitté  la  ville  de 
Dune-Libre,  ci-devant  Dunkerque,  pour  venir  ici; 
nous  avons  été  huit  jours  en  route,  pendant  lesquels 
nous  avons  eu  ou  la  pluie  ou  la  neige  sur  le  corps. 

Je  suis  très  content  de  n'ôtre  plus  à  Dune-Libre  ; 
nous  ne  pouvons  pas  trouver  pire.  J'espère  que  nous 
sommes  ici  pour  un  mois  environ  :  il  se  prépare  un 
coup  de  collier  du  côté  de  Valenciennes  pour  le  mois 
prochain,  et  j'espère  bien  que  nous  aurons  le  plaisir 
d'être  de  la  partie. 

Je  n'ai  rien  de  nouveau  à  vous  apprendre;  tout  est 
fort  cher  dans  ce  pays-ci  par  la  trop  grande  affluence 
des  hommes  de  la  première  réquisition  ;  notre  batail- 
lon a  été  complété  de  ces  derniers,  et  la  force  actuelle 
est  de  i044  hommes.  Tous  les  bataillons  de  même; 
jugez  de  la  force  de  la  République.  Si  cela  ne  suffit 
pas,  nous  avons  ceux  de  la  deuxième  réquisition; 
jamais  la  République  ne  périra. 

Brault. 


[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

De  Péronne,  le  20  ventôse  an  2»  de  la  République 

[10  mars  1794]. 

iNous  n'avons  encore  point  eu  d'ordres  de  partir  d'ici. 


AUX    ABHÉRS    DU    NORD  149 

el  j'espère  que  nous  resterons  encore  une  quinzaine. 
Nous  sommes  bien  heureux  d'nvoir  trouve  cette 
ville  pour  nous  reposer  un  peu  de  nos  fatigues  et 
apprendre  l'exercice  à  nos  recrues  ;  ils  seront,  par 
là,  bien  capables  de  se  montrer  au  feu.  Nous  ne  leur 
donnons  guère  de  relâche  pour  les  instruire  le  plus 
promptement;  trois  heures  le  matin  et  trois  l'après- 
midi  d'exercice  empêchent  que  l'on  ne  s'ennuie. 

Brault. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

De  Péronne,  le  7  floréal  [26  avril  1794]. 

J'ai  VU  passer  par  ici  la  réquisition  du  district  de 
Lassay'.  J'en  ai  reconnu  quelques-uns  avec  qui  j'a- 
\ais  étudié  et  avec  qui  j'ai  parlé.  Ils  me  paraissent 
vraiment  si  brigands  que  j'avais  honte  de  dire  que  ce 
fût  mon  département.  Tous  les  jours  on  en  reconduit 

le  brigade  en  brigade  à  leur  destination.  Tous  ces 
chiens-là  que  l'on  conduit  à  coups  de  bâton  ne  sont 
jamais  bons  ;  la  plupart  d'entre  eux  s'étaient  mariés, 
pensant  par  là  rester  chez  eux  ;  ils  sont  partis  tout  la 
môme  chose  ;  quand  ils  seront  Incorporés  dans  un 
ancien  bataillon,  on  les  tiendra  bien,  et  ils  n'oseront 
pas  bouger;  pour  que  Ion  puisse  en  faire  quelque 

hosc  de  bon  il  faut  leur  faire  une  unique  occupation 

1.  Chef-lieu  '!'• '■■'"' "n  de  l'arrondissenienl  de  Mayenne. 
Il  s'agil  de  l;i  i  a  des  300.000  hommes  ^décret  de 

la  Convention,  uu  **  icvrier  1793). 


150  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

de  l'école  militaire.  Les  nôtres,  qui  sont  sûrement  de 
bons  Normands*  (c'est  tout  dire),  n'en  cèdent  en  rien 
aux  anciens  pour  les  manœuvres,  aussi  nous  nous 
sommes  donné  bien  des  mouvements  et  de  peine... 

Brault. 

[Sans  adresse]. 

Le  16  prairial,  l'an  deuxième,  1794,  de  la 
République  française,  une  et  indivisible 
[4  juin]. 

Mon  très  cher  père  et  ma  très  chère  mère, 

Je  vous  écris  ces  deux  mots  pour  m'informer  de 
l'état  de  votre  santé,  ainsi  que  celle  de  mon  cher 
oncle  et  ma  chère  tante  ;  à  l'égard  de  la  mienne,  elle 
est  fort  bonne  pour  le  présent  ;  je  souhaite  que  la  vôtre 
soit  aussi  bonne  que  la  mienne. 

Ma  très  chère  mère,  vous  me  pardonnerez  si  j'ai 
tant  tardé  à  vous  faire  réponse  de  la  lettre  que  vous 
m'avez  envoyée  à  Metz.  J'ai  reçu  les  six  livres  que 
vous  m'avez  envoyées.  Vous  savez  que  je  vous  avais 
marqué  que  je  voulais  vous  aller  voir  ;  mais,  ma 
chère  mère,  vous  pouvez  penser  que  ça  ne  vient  pas 
de  ma  faute  si  je  ne  suis  pas  venu.  Il  nous  a  fallu  par- 
tir avec  les  bataillons  pour  l'armée  du  Nord  dont  nous 
avons  traversé  toutes  les  Ardennes.  Nous  avons^.. 

1.  Le  4®  bataillon  fut  complété  avec  des  réquisition- 
naires  de  l'Eure. 

2.  Mot  illisible.  —  Le  volontaire  Rouget  appartenait  à 
la  94*  demi-brigade,  qui   faisait  partie  de  la  division 


AUX  ARMÉES   DU   NORD  151 

ce  si  grand  Saint-Hubert,  qui  guérit  de  la  rage.  Lo 
lendemain,  au-dessus  de  la  montagne  de  Saint-Hu- 
bert, nous  nous  sommes  battus  l'espace  de  huit  heures 
de  long';  après  un  grand  feu,  nous   nous  sommes 

Championnet,  à  l'aile  gauche  de  l'armée  de  la  Moselle.  En 
avril  1794,  la  division  Championnet  reçut,  ainsi  que 
d'autres  corps  de  l'armée  de  la  Moselle,  l'ordre  de  mar- 
cher sur  Arlon.  La  ville  fut  prise  le  17  avril  1794,  mais 
bientôt  abandonnée  aux  Autrichiens  (v.  lettre  publiée 
p.  39).  La  division  Championnet  se  replia  sur  Lon^wy 
et  cantonna  aux  environs  du  bois  de  Cuttry  (1<""  mai  1794). 
Sur  ces  entrelaites,  le  Comité  de  Salut  Public  enjoignit  à 
l'armée  de  la  Moselle  de  se  diriger  sans  retard  sur  Namur 
ou  le  pays  de  Liège  avec  30.000  hommes.  Sous  la  direction 
de  Jourdan,  les  divisions  Championnet,  Lefebvre,  Hatry 
et  Moriot  entrèrent  dans  Arlon  le  21  mai,  y  laissèrent  les 
troupes  du  général  Hatry  et  arrivèrent  le  23  mai  à  Neuf- 
château,  tandis  que  les  Autrichiens  se  retiraient  devant 
elles,  sans  combattre.  En  continuant  sa  marche  vers  le 
nord,  Jourdan  arriva  à  Marche-en-Famenne  (27-29  mai),  où 
il  reçut  de  nouvelles  instructions  du  Comité  de  Salut 
Public,  lui  ordonnant  de  prendre  Dinant,  Charleroi  et 
Namur.  Pour  s'y  conformer,  il  établit  le  2  juin  son  quartier 
général  à  Stave,  près  de  Dinant.  La  division  Championnet 
bivouaquait  sur  les  hauteurs  situées  au  nord-est  de 
Stave,  lorsque  le  volontaire  Rouget  écrivit  cette  lettre 
(Commandant  V.  Dupuis,  Les  opérations  militaires  sur  la 
Sambre  en  1794). 

1.  Nous  ne  savons  de  quel  engagement  le  volontaire 
Rouget  veut  parler.  Lors  du  passage  de  l'armée  de  Jour- 
dan à  Saint-Hubert-en-.\rdenne  (25  mai  1794),  les  2.000  Au- 
trichiens qui  gardaient  le  village  prirent  la  fuite  sans 
combattre  (Commandant  V.  Dupuis,  op.  cit.,  p.  241).  Dans 
les  Souvenirs  du  général  Championnet,  publiés  par  Mau- 
rice Faure,  il  est  fait  allusion  à  l'impétuosité  des  troupes 
qui  repoussèrent  l'ennemi  à  Neufchâteau,  le  22  mai  1794, 
et  contraignirent  un  «  régiment  d'infanterie  à  laisser  ses 
fusils,  sacs,  munitions  etc.  »  (op.  cit.,  p.  50).  Le  volontaire 
Rougeta  peut-être  songea  cetincidentenécrivantsa  lettre. 


•  52  AU    SERVICE    DR    I.A    NATION 

emparés  de  leurs  retranchements  à  la  baïonnette  ;  nous 
leur  avons  pris  trente  pièces  de  canon  et  '...,  et  nous 
avons  fait  beaucoup  de  prisonniers,  et  actuellement 
nous  sommes  à  quatre  lieues  de  Naraur.  Mais,  aupa- 
ravant de  faire  le  siège  de  Namur^,  il  faut  que  nous 
assiégions  Charleroi,  dont  il  y  a  cinq  mille  émigrés 
de  France;  mais,  ce  qui  nous  console,  la  ville  de 
Charleroi  est  bloquée,  et,  avant  qu'il  soit  peu  de 
temps,  nous  leur  ferons  danser  la  Carmagnole.  Ils 
sont  cernés  de  toutes  parts.  Leur  armée  est  environ 
trente  mille  hommes  :  il  faut  qu'ils  se  battent  ou  qu'ils 
rendent  leurs  armes'.  Ma  chère  mère,  tous  les 
enfants  de  la  République  se  sont  réunis  ensemble; 
ils  sont  tous  triomphants  dans  leurs  combats.  Rien 
ne  nous  épouvante  ;  nous  faisons  mordre  la  poussière 
aux  satellites  et  ses*...  tyrans  «  nous  alarme  ». 

Du  Nord,  800.000  hommes' que  la  paix  doit  se 

faire,  et,  avant  qu'il  soit  peu  de  temps,  je  vous  don- 
nerai des  nouvelles  plus  intéressantes.  Nous  avons 

i.  Mot  illisible. 

2.  La  ville  fut  prise  par  Marceau  le  16  juillet  1794. 

3.  Après  des  efforts  réitérés  pour  traverser  la  Sambre, 
nos  troupes  parvinrent  le  28  mai  à  s'établir  sur  les  posi- 
tions abandonnées  par  l'ennemi  :  le  29,  elles  commen- 
cèrent l'investissement  de  Charleroi,  mais,  le  2  juin,  elles 
furent  rejetées  à  nouveau  sur  la  rive  droite  de  la  Sambre. 
L'arrivée  de  Jourdan,  le  3  juin,  ramena  l'ordre  et  le 
succès  ;  Charleroi  fut  complètement  investie  et  se  rendit 
le  25  juin,  veille  de  la  victoire  de  Fleurus  (Commandant 
V.  Dupuis,  op.  cit.,  pp.  93-327). 

4.  Trois  mots  illisibles. 


AUX    ARMÉES   DU    NORD  453 

pris  aussi  Court  rai  et,  avec  toute  la  garnison,  fait 
prÏBonniers  plus  de  quatre-vingts  pièces  de  canon  et 
trois  cents  émigr-és,  qui  ont  été  hAchés  par  nos  braves 
carabiniers,  et  nous  espérons,  avant  qu'il  soit  peu, 
de  voir  la  paix'. 

C'est  alors  que  vous  verrez  votre  fils  couvert  de 
lauriers  et  qui  fera  part  de  son  triomphe  à  toute  la 
famille.  Si  vous  pouviez  me  dire  si  vous  avez  reçu 
votre  pension  et  m'envoyer  quelque  chose  pour  me 
soulager  du  mauvais  temps  que  j'endure.  Nous  som- 
mes toujours  couchés  au  bivouac.  Vous  savez  que 
dans  le  Nord  il  n'y  fait  pas  chaud. 

Je  vous  prie  de  faire  bien  des  compliments  à  mon 
cher  oncle  et  à  ma  chère  tante.  Embrassez-les  bien 
pour  moi  ;  je  me  souviendrai  toujours  de  leurs  bien- 
faits, et,  à  mon  retour,  je  ferai  mon  devoir  comme  un 
rc'publicain  doit  faire.  Bien  des  compliments  à  toute 
notre  famille  et  à  ma  marraine  et  à  ma  tante  et  mon 
oncle,  à  mon  cousin  et  à  ma  cousine. 

Mon  adresse  :  à  la  91'  demi-brigade,  3'  bataillon, 
5"  compagnie,  armée  de  la  Moselle,  dans  le  pays  de 
Liège,  parce  (ju«;  notre  arnu'c  joint  celle  du  Xor*d.  Je 


1.  Au  mois  d'avril  1794,  Pichegru  avait  résolu  de  tenter 

uno  l'i  II  sur  Courlrai  et  Menin  pour  briser  l'union 

(les  ■  L'opération  réussit  et  le  26  avril  la  division 

de  ^  iitrait  dans  Courlrai  iColonel  Coiilanceau. 

La  c.  '''  nî»4  à  l'amtée  du  Nord,  î."  partie.  Opération» 

t.  Il,  p  '  s  du  volontaire  llou^,'et  sur  le 

nombre  <j  '     .<  rmons  pris  À  Courlrai  sunleniiè- 

remenl  faux. 


^54  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

VOUS  prie  de  me  faire  réponse  tout  de  suite,  sur-le- 
champ,  et  envoyez-moi  un  peu  d'argent.  S'il  vous 
faut  un  autre  certificat  je  vous  en  ferai  passer  un 
autre. 

Je  finis  en  vous  embrassant  de  tout  mon  cœur  ; 
pour  la  vie,  votre  fils, 

Gabriel  Rouget  *, 

républicain. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

Armée  du  Nord,  du  camp  devant  Ypres, 
21  prairial  an  II  [9  juin  1794]. 

. . .  Jusqu'à  présent  nous  n'avons  fait  qu'amuser  ces 
Messieurs  d' Ypres  ^  ;  demain,  ils  vont  voir  une  autre 
danse;  nous  allons,  cette  nuit,  placer  des  batteries 
de  24  pour  battre  à  boulets  rouges  ;  il  faudra  abso- 
ment  qu'ils  se  rendent  ou  nous  allons  réduire  cette 
capitale  delà  West-Flandre.  Ce  sont  des  émigrés  qui 
la  défendent  :  ils  ne  se  rendront  qu'à  la  mort,  ils 
savent  très  bien  que  leur  compte  serait  juste... 

...  Au  moment  où  je  vous  écris,  voilà  cinq  mortiers 
de  placés  qui  travaillent  en  républicains  ;  le  feu  est 
déjà  dans  les  faubourgs.  Les  malheureux  habitants 

1.  Le  certificat  de  présence  fait  connaître  que  Gabriel 
Rouget  servait  «  au  l®""  bataillon  des  soldats  républicains 
du  département  de  Saône-et-Loire  »,  depuis  le  9  juillet  1793. 
Le  certificat  est  daté  du  camp  de  Sarrebruck  le  9  octo- 
bre 1793. 

2.  Après  la  victoire  de  Tourcoing  (18  mai  1794),  Moreau 
avait  investi  Ypres  le  4  juin.  La  place  se  rendit  le  17  juin. 


AUX    ARMÉES   DU    NORD  155 

voudi-aienl  bien  se  rendre,  mais  les  coquins  d'émi- 
grés sont  les  plus  forts,  et  les  forcent  môme  de  faire 
le  service  de  la  ville  pendant  qu'ils  sont  aux  palis- 
sades ;  ils  forcent  les  passants  de  s'enrôler  pour  leur 
parti,  il  n'y  a  point  de  cruautés  qu'ils  n'exercent 
dans  leur  désespoir;  il  n'y  a  plus  que  la  mort  qui 
puisse  les  arracher  à  une  vie  malheureuse  dont  per- 
sonne n'a  pitié  ;  aussi  se  battent-ils  toujours  jusqu'à 
la  mort  ;  j'aurais  bien  du  plaisir  à  en  prendre  un 
vivant  pour  le  flaire  danser  à  mon  aise. 

Brault. 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  pour  remettre  à  Jean  Ca- 
gneux, vigneron,  Azay-sur-Cher  (Indre-et-Loire). 

Du  bivouac  près  Charleroi.  le  iO  messidor 
an  III  de  la  République  française,  une  et 
impérissable  [28  juin  1794]*. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère,  je  suis  charmé 

1.  Cette  lettre  est  datée  par  erreur  de  l'an  III  (1795)  car 
elle  a  été  écrite  en  l'an  II  (1794).  Cette  mauvaise  notation 
est  révélée,  non  seulement  par  le  récit  des  événements 
rapportés  au  cours  de  celte  lettre,  mais  par  les  seules 
données  de  l'adresse  du  volontaire.  En  effet,  le  6°  batail- 
lon du  Nord  fut  amalgamé  le  20  décembre  1794  avec  le 
2°  bataillon  de  Koyal-Deux-I'onts  pour  former  la  178*  demi- 
brigade  (Foucart  et  Finot,  La  défense  nationale  dans  le  Nord 
de  1792  à  1802,  t.  II,  p.  725).  Si  cette  lettre  avait  été  réel- 
lement écrite  en  juin  1795,  le  volontaire  Cagneux  ne  pour- 
rail  plus  appeler,  à  cette  date,  son  régiment  :  le  6*  batail- 
lon du  Nord.  De  plus,  depuis  le  29  juin  1794,  l'armée  de 
Sambre-et-Meuse  avait  remplacé  l'armée  des  Ardennes  : 
en  juin  1795,  il  ne  pouvait  être  question  d'envoyer  une 
lettre  à  l'armée  des  Ardennes. 


1S6  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

d'apprendre  par  votre  dernièro  lettre  que  vous  vous 
portez  bien,  ainsi  que  mon  frère  et  ma  sœur.  Je  sou- 
haite que  la  présente  vous  trouve  de  môme  ;  pour 
moi  je  me  porte  bien  actuellement. 

Nous  sommes  partis  du  fort  la  Montagne  S  le 
27  prairial  [15  juin],  pour  aller  à  l'armée  où  nous 
sommes.  Charleroi  a  été  pris  le  7  messidor  [25  juin]  ; 
le  8,  nous  avons  eu  une  attaque  terrible^  :  l'ennemi, 
venant  droit  sur  nous,  attaque  nos  avant-postes  à 
2  heures  du  matin,  avec  30.000  hommes  contre 
notre  division,  forte  de  trois  bataillons  de  ligne  et 
deux  bataillons  de  chasseurs.  Nous  nous  sommes 
battus  pendant  plus  de  six  heures  d'horloge  sans  nous 
reposer.  Nous  avions  une  petite  batterie  de  canons 
dans  notre  redoute,  mais  comme  elle  n'était  point 
assez  forte,  nos  canonniers  aveuglés  par  les  bou- 
lets et  la  mitraille  durent  abandonner  la  redoute. 
L'ennemi,  voyant  notre  redoute  abandonnée,  cherche 
à  la  prendre,  mais  nous  y  revenons  au  pas  de  charge. 
Nous  voilà  dans  les  retranchements  avec  deux  pièces 
de  canon  qui  arrivent  avec  nous.  L'ennemi,  qui  avait 


1.  Fort  de  Charlemont,  dans  la  commune  de  Givet 
(Figuères,  Les  noms  révolutionnaires  des  communes  de  France, 
p.  8). 

2.  Les  détails  qui  suivent  constituent  une  relation 
exacte,  mais  incomplète,  des  divers  engagements  qui 
marquèrent  la  grande  victoire  remportée  à  Fleurus,  par 
Jourdan,  sur  les  troupes  de  Cobourg.  Sur  les  phases  de  la 
bataille,  cf.  Commandant  V.  Dupuis,  Les  opérations  mili- 
taires sur  la  Sambre  en  1794,  pp.  327-385. 


AUX   ABMÊES   DU   NORD  157 

peut-être  plus  de  1 0  pièces  de  canon,  les  braque  sur 
la  redoute.  Leur  leu  nous  force  de  nouveau  à  aban- 
donner la  redoute,  nous  battons  en  retraite;  pour- 
suivis, nous  faisons  face  à  l'ennemi  et  le  forçons  à 
notre  tour  à  battre  en  retraite,  mais  il  nous  arrête 
par  sa  forte  cavalerie,  qui  intervient  à  ce  moment  et 
nous  charge.  Nous  avons  battu  en  retraite  trois  heures 
durant  sans  perdre  beaucoup  de  monde.  Cette  retraite 
a  été  nécessitée  par  la  Lâcheté  de  deux  ou  trois  esca- 
drons, qui  ont  fui  sans  nous  soutenir  ;  sans  cela  nous 
n'aurions  pas  battu  en  retraite. 

Mais  cette  retraite  ne  leur  a  pas  été  favorable,  car 
l'armée  de  la  Moselle  les  a  repoussés  plus  de  trois 
lieues  et  nous  sommes  revenus  prendre  notre  ancienne 
position  le  soir  même  ;  nous  y  sommes  encore.  Nous 
avons  fait  ti-ois  mille  cinq  cents  prisonniers. 

Je  finis  en  vous  embrassant  de  tout  mon  cœur. 
Votre  fils, 

Jean  Cagneux. 

Voioataire,  8*  compagnie,  6*  bataillon  du  Nord; 
Armée  des  ArdeDoes. 

Je  serai  charmé  de  recevoir  de  vos  nouvelles.  Bien 
des  choses  à  mon  frère,  à  ma  sœur  ;  je  leur  souhaite 
une  bonne  santé.  Je  vous  prie  de  me  donner  des 
nouvelles  du  pays.  Comment  tout  se  passe. 


158  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Au  citoyen  Bourgognon,  faubourg  des  Marini, 
à  la  Porte-Neuve,  Indrelibre  ^  {Indre). 

De  la  redoute  de  Glémancy*,  le  26  messidor  an  II 
[14  juillet  1794]. 

Mon  cher  père,  ma  très  chère  mère, 

Je  réponds  à  votre  lettre,  qui  m'a  fait  un  sensible 
plaisir.  Toute  la  famille  en  général  jouit  d'une  par- 
faite santé  ;  je  souhaite  que  la  présente  vous  trouve 
de  même  que  la  mienne  et  que  celle  de  mes  frères. 
Elles  sont  excellentes  pour  le  moment.  Mon  frère  m'a 
écrit  du  camp  Saint-Gérad  ',  près  Namur  ;  il  me  marque 
qu'il  se  disposait  à  faire  le  siège  de  Namur  et  de 
Gharleroi,  tous  deux  ensemble  *.  Il  me  disait  qu'il 
avait  été  blessé  d'une  balle  au  bras  gauche  à  l'affaire 
de  Fleurus,  mais  que  ce  n'était  rien,  qu'il  était  guéri. 


1.  Châteauroux. 

2.  Glémancy  se  trouve  près  de  Carignan,  ch.  1.  de  c.  de 
l'arr.  de  Sedan  (Ardennes).  —  A  partir  du  3  juillet  1794, 
le  1®""  et  le  2"  bataillon  de  la  86«  demi-brigade  furent 
cantonnés  à  Carignan  et  aux  environs.  Le  19  juillet,  le 
3«  bataillon  les  y  rejoignit  ;  à  ce  moment,  la  86®  demi- 
brigade  comprenait  91  officiers  et  3.192  hommes  [Histo- 
rique manuscrit  du  86"  régiment  d'infanterie,  p.  31,  Archives 
historiques  de  la  Guerre). 

3^.  Saint-Gérard,  à  18  kilomètres  de  Namur. 

4.  A  la  suite  de  la  victoire  de  Fleurus,  qui  ouvrait  la 
Belgique  à  nos  armées,  Jourdan  dirigea  Kleber  sur  Lou- 
vain  et  Marceau  sur  Namur.  Cette  dernière  ville  fut  rapi- 
dement prise  par  les  Français,  qui  y  entrèrent  le  16  juillet. 
Sur  cette  conquête  de  la  Belgique,  cf.  les  lettres  précé- 
dentes et  Dumolin,  op.  cit.,  1. 1,  pp.  251-257. 


AUX   ARMÉES   DD   NORD  159 

Son  camarade  de  lit  m'a  donné  de  ses  nouvelles.  Le 
général  leur  a  promis  de  les  renvoyer  au  cantonne- 
ment près  Carignan  et,  comme  ils  y  étaient  déjà  avant, 
ils  pourront  s'y  reposer  avec  leurs  chevaux.  Voilà  un 
mois  que  nous  sommes  campés  à  la  Redoute.  Nous 
attendons  le  régiment  de  mon  frère  pour  avancer 
sur  le  territoire  ennemi.  Nous  ne  sommes  que  quatre 
bataillons  sans  cavalerie,  nous  ne  pouvons  garder 
toutes  les  redoutes,  nous  espérons  du  renfort  :  15  à 
20.000  hommes  venant  de  Vendée,  avant  de  pénétrer 
sur  le  Luxemboui^.  Nous  tenons  les  trois-quarts  des 
Pays-Bas  et  la  moitié  de  l'autre  quart.  Nous  occupons 
Mons,  Bruxelles,  Tournai,  Menin,  Ostende,  Courtrai, 
Ypres,  Charleroi,  Dinant  et  Namur.  Landrecies,  Valen- 
ciennes,  le  Quesnoy,  Condé  sont  bloqués.  L'ennemi  a 
évacué  Orchy,  le  Cateau,  Saint- Amand,  les  ouvrages 
devant  Bouchain .  Ils  ne  resteront  pas  à  présent  sur  notre 
territoire  trois  fois  vingt-quatre  heures!  Ils  tremblent 
ces  féroces  esclaves  !  Le  tyran  fuit  du  côté  de  sa  capi- 
tale !  Cependant,  il  disait  à  ses  soldats  :  «  Courage,  mes 
enfants  ;  dans  peu,  je  vous  donnerai  la  paix,  nous 
irons  prendre  nos  quartier  d'hiver  à  Paris  !»  11  ne 
dit  plus  cela  !  il  se  trouve  assez  content  de  rentrer 
chez  lui  comme  un  lâche  qu'il  est  ainsi  que  ses  soldats  ! 
Grâce  au  ciel,  la  République  triomphe  et  elle  triom- 
phera !  Plutôt  mourir  cent  fois  que  de  leur  en  céder 
un  pouce  ;  noln'  cause  esl  juste,  nous  la  soutiendrons 
comme  nous  l'avons  toujours  soutenue  jusqu'à  la  der- 
nière goutte  de  notre  sang  ! 


160  AU    SERVICE  DE  LA   NATION 

Bien  des  compliments  de  mon  frère  et  de  moi,  qui 
vous  embrasse  de  tout  cœur  ainsi  que  toute  la  famille. 
Votre  fils, 

Gabriel  Bourgognon,  dit  Saint-Amour. 

Caporal  à  la  5» compagnie  du  2« bataillon  de  la  86»  demi- 
brigade,  à  la  redoute  de  Clémancy,  près  Carignan. 
Armée  des  Ardennes  '.  Division  Lebrun. 

P. -S.  —  Je  vous  enverrai  un  certificat  de  civisme 
pour  que  vous  puissiez  toucher  la  pension  que  la  Répu- 
blique fait  aux  pères  et  mères  de  ses  défenseurs^. 

Au  citoyen  Camus,  maître-marchand,  à  Pionsat,  par 
Montaigu-en-Combrailles,  département  du  Puy-de- 
Dôme,  à  Pionsat. 

D'Ypres,  le  9  thermidor  1794  [27  juillet]. 

Cher  père, 

Je  vous  écris  ces  deux  mots  pour  m'informer  de  l'état 
de  votre  santé  ainsi  que  ma  chère  mère,  de  mes  frères 
et  sœurs.  Pour  moi,  je  me  porte  bien,  grâce  à  Dieu. 
Je  vous  dirai,  cher  père,  que  nous  faisons  des  con- 
quêtes tous  les  jours.  Nous  battons  les  esclaves  sans 

1.  11  convient  de  noter  qu'à  cette  date  le  nom  d'armée 
des  Ardennes  ne  devait  plus  être  employé.  En  effet,  un 
décret  de  la  Convention  du  29  juin  avait  donne  le  nom 
.d'armée  de  Sambre-et-Meuse  à  l'armée  des  Ardennes,  à  la 
gauche  de  l'armée  de  la  Moselle  et  à  la  droite  de  l'armée 
du  Nord, 

2,  Archives  municipales  de  Gbâteauroux,  H.  89-83/1, 
carton  24,  2«  série. 


AUX   ARMÉES   DU    NORD  I6t 

relâche.  Je  vous  apprendrai  la  prise  de  plusieurs 
villes  de  l'Empereur.  Nous  avons  fait  le  siège  d'Ypres, 
nous  sommes  entrés  dedans  tambours  battants  et  mèche 
allumée*.  Nous  leur  avons  pris,  en  quinze  jours,  Mons, 
Tournay,  Ypres,  Bruges,  Ostende,  Nieuport,  Fumes, 
Gand,  Bruxelles.  Nous  leur  avons  pris  en  même 
temps  près  de  vingt  villes  ;  nous  ne  sommes 
pas  contents,  nous  voulons  les  écharper  tous  et 
couper  leur  cou.  Vive  la  République  !  Nous  ne  pé- 
rirons jamais. 

Mon  cher  père,  je  vous  prie  de  faire  des  compliments 
à  tous  nos  amis  ;  je  vous  dirai  que,  depuis  que  je  ne 
vous  ai  pas  écrit,  j'ai  monté  en  grade  :  je  suis  premier 
lieutenant  dans  la  1'"  compagnie... 

Je  finis  en  vous  embrassant  de  tout  mon  cœur, 

Votre  fils  Camus,  pour  la  vie. 

Mon  adresse  :  Camus,  lieutenant  au  G''  bataillon 
des  fédérés,  à  Ypres,  en  Brabant  '. 


1 .  Le  bombardement  d'Ypres,  défendue  par  une  garnison 
de  6.000  hommes,  avait  commencé  le  6  juin  et  s'était  ter- 
miné le  17  par  la  reddition  de  la  ville  (Sur  cetle  cam- 
pagne de  1*04  en  I3elgique,  cf.  le  résumé  de  Dumolin,  op. 
cit..  t.  I,  pp.  221-269). 

2.  Archives  de  Riom. 


riCAKt».  11 


162  AU   SERVICE   DB   L4   N4TION 

[Sans  adresse]. 

Au  camp  proche  Lierre  ',  ce  10  thermidor, 
2"  année  républicaine,  une  et  impérissable 
[28  juillet  1794]. 

Mon  cher  frère  et  toute  notre  famille, 

Je  vous  dirai,  mon  cher  frère,  que  nous  sommes 
aussi  avancés  sur  le  territoire  ennemi  que  la  cam- 
pagne dernière.  La  République  triomphe  de  toutes 
parts  ;  nos  armées  remportent  tous  les  jours  de  nou- 
velles victoires  ;  nous  sommes  prêts  à  marcher  sur 
le  territoire  de  la  Hollande.  Nous  espérons  bien  là 
d'aller  faire  le  siège  de  Maëstricht^,  et  j'espère  qu'il 
[sic)  sera  bientôt  au  pouvoir  de  la  Répubhque. 

Je  vais  VQUS  donner  le  détail  des  villes  que  nous 
avons  prises  sur  le  territoire  ennemi  depuis  le  29  flo- 
réal [18  mai  1794];  premièrement,  la  ville  de  Gour- 
trai,  la  ville  de  Menin,  1^  ville  de  Mons,  la  ville  de 
Gharleroi,  la  ville  de  Gan^,  la  vill^  de  Bruges,  la 
ville  d'Ostende,  la  ville  d'Audenarde,  la  ville  de 
Deinze,  la  ville  de  Matines,  la  ville  de  Namur,  la 
ville  de  Tournay,  la  ville  de  Louvain,  la  ville  d'An- 
vers et  beaucoup  que  je  ne  sais  pas  le  nom  ;  je  ne 
vous  donne  pas  le  détail  des  forts  villages^.  Je  ne 

1.  Lierre-en-Brabant,  eh.  1.  de  c.  de  la  province  d'An- 
vers. 

2.  Sur  le  siège  de  Maëatricht,  cf.  la  lettre  publiée 
p.  59. 

3.  Le  18  mai  1794,  Souham,  Moreau  et  Bonnaud  avaient 


AUX    ARMÉES    DU    MORD  16) 

peux  pas  savoir  le  nombre  des  pièces  de  canon  et  des 
prisonniers  que  nous  leur  avons  pris.  L'on  fait  nom- 
bre plus  de  300  pièces  de  canon  et  50.000  hommes, 
tant  pris  prisonniers  que  déserteurs,  qui  sont  entrés 
en  France.  Je  vous  dirai  que  Tennemi  est  en  pleine 
déroule  ;  ils  ne  peuvent  résister  contre  l'ardeur  deg 
soldats  républicains.  J'espère  que  bientôt  nous  irons 
les  faire  sauter  le  Rhin  et  nous  le  garderons  à  notre 
tour.  Voilà  tout  ce  que  je  puis  vous  marquer  pour  le 
présent. 

Chanut  François  ' . 

Mon  adresse  est  :  au  4*  bataillon  de  l'Yonne,  3*  com- 
pagnie, 2*  division,  du  général  Bonnat*,  campée 
proche  Lierre  en  Brabant  '. 

défait  les  troupes  coalisées  auprès  de  Tourcoing.  Ce  pre- 
mier succès,  suivi  bientôt  de  l'éclatante  journée  de  Fleu- 
ru8,  ouvrit  la  Belgique  à  nos  armées.  Contrairement  aux 
indications  de  François  Chanut,  Courtraiet  Menin  étaient 
au  pouvoir  de  nos  armées  avant  le  18  mai  (26  avril  et 
1"  mai  1794).  Les  autres  villes  énumérées  furent  bien 
prises  entre  le  18  mai  et  le  28  juillet  1794. 

4.  L'auteur  de  cette  lettre  avait  trente-six  ans  et  ser- 
vait au  4*  bataillon  de  l'Yonne  depuis  le  26  août  1792. 

2.  11  s'agit  du  général  Bonnaud  (1757-1797),  qui  se  dis- 
tingua dans  les  campagnes  de  Belgique,  de  Hollande, 
passa  à  l'armée  de  Saiiibre-et-Meuse  et  y  fut  mortellement 
blessé. 

3.  Archives  départementales  de  l'Yonne. 


164  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

Du  camp  de  Bambecque,   12  thermidor, 
2»  année  républicaine  [30  juillet  1794]. 

...  L'ennemi  est  toujours  en  pleine  déroute  et  tou- 
jours forcé  de  nous  abandonner  des  villes  fortes  qu'il 
n'a  pas  eu  le  temps  d'approvisionner.  Nous  avons 
pris  à  Malines  200  prisonniers  et  poursuivi  jusqu'à 
Anvers  où  ils  ne  se  sont  pas  arrêtés,  quoique  cette 
ville  fût  bien  fortifiée,  mais  dépourvue  de  toutes  mu- 
nitions ;  ils  ne  pensaient  jamais  que  les  Carmagnoles 
fussent  si  loin. 

Sans  nous  arrêter,  nous  continuons  notre  marche 
sur  Maëstricht  et  Bréda  ;  les  Hollandais  pourront  bien 
faire  un  peu  de  résistance,  mais  en  se  servant  de 
notre  méthode  répubhcaine,  c'est-à-dire  au  pas  de 
charge,  la  baïonnette  en  avant,  nous  les  forcerons 
enfin  de  passer  le  Rhin  ;  ce  sera  là,  je  pense,  où  nous 
hivernerons.  Si  l'armée  du  Nord  ne  cesse  de  rem- 
porter des  victoires,  elle  n'a  rien  pour  cela  à  reprocher 
aux  autres  armées  de  la  République.  Toutes  égale- 
ment, chacune  de  leur  côté,  sont  victorieuses  et 
chassent  l'ennemi  avec  la  même  intrépidité;  aussi 
avec  quelle  satisfaction  n'ont-elles  pas  vu  avoir  bien 
mérité  de  la  Patrie  !  Comment  ne  pourrait-on  pas  être 
brave  soldat  d'une  nation  aussi  généreuse  et  ne  prendre 
pas  plaisir  de  contribuer  de  toutes  ses  forces  à  sa 
défense  !  Le  sacrifice  même  de  sa  vie,  qui  est  ce  que 
nous  avons  de  plus  cher  dans  ce  monde,  ne  coûte 


AUX    ARMÉES    DU    NORD  i65 

rien  pour  une  aussi  belle  cause  !  La  Patrie  a  été  en 
grand  danger  ;  ce  n'était  la  faute  que  des  traîtres  et 
non  pas  de  ses  défenseurs  ;  une  fois  que  leur  tète  a 
été  le  prix  de  leur  trahison,  l'on  s'est  aperçu  qu'elle 
en  serait  bientôt  délivrée. 

Quels  riches  trésors  ne  va-t-elle  pas  tirer  de  tous 
ces  pays  où  toutes  les  villes  sont  tributaires  suivant 
leurs  moyens,  sans  compter  les  grains  que  nous  mois- 
sonnons, les  bœufs  et  vaches  que  Ton  met  en  réqui- 
sition pour  nourrir  l'armée.  Du  temps  de  l'infâme 
Dumouriez,  les  subsistances  en  tout  genre  sortaient 
de  France;  c'était  une  preuve  de  trahison,  parce 
qu'un  pays  conquis  doit  fournir  à  ses  vainqueurs  des 
vivres  s'il  y  a  possibilité,  sans  compter  le  numéraire 
qu'il  faut  qu'il  verse  dans  ses  coffres  ;  c'est  toujours 
là  un  acompte  que  l'on  tire  sur  les  frais  de  la  guerre 
qu'il  faudra  qu'ils  payent. 

Gîs  fiers  Anglais,  Hanovriens,  ces  Prussiens  qui  se 
vantent  d'être  les  meilleurs  soldats  de  l'Europe,  et 
que  l'on  semblait  môme  redouter  l'année  dernière, 
fuient  en  déroute  devant  ceux  qu'ils  appellent  Carma- 
gnoles. Ils  disent,  pour  raison,  que  nous  n'avons 
aucune  tactique  militaire  et  que  ce  n'est  pas  ainsi  que 
l'on  doit  faire  la  guerre.  Us  veulent  sûrement  nous 
reprocher  que  nous  devrions  être  plus  honnêtes  quand 
nous  prenons  leurs  villes  ;  c'est  qu'ils  veulent  nous 
dire  que  nous  les  poursuivons  trop  foK  et  que  nous 
ne  leur  donnons  point  de  relâche;  que  ce  n'est  pas 
comme  cela  que  nous  devrions  agir.  Lorsqu'on   lait 


166  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

la  guerre  de  bonne  foi,  Ton  doit  ne  rien  ménager  et 
toujours  chercher  à  se  surprendre,  et  c'est  avec  cette 
tactique  républicaine  que  nous  avoris  conquis  la  Bel- 
gique, le  Palatinat,  le  Piémont,  délivré  Landrecies,  et 
c'est  avec  cette  méthode  que  Gondé,  Valenciennes, 
seront  rendus  à  la  France,  et  la  garnison  punie  de  sa 
résistance. 

Le  commandant  de  la  place  de  Condé,  après  une 
sommation  que  si  la  garnison  ne  se  rendait  pas  sous 
vingt-quatre  heures,  on  n'en  épargnerait  pas  un  seul, 
ne  put  s'empêcher  de  dire  après  s'être  rendu  sur-le- 
champ  :  «  En  vérité f  je  ne  peux  comprendre  com- 
ment on  peut  faire  la  guerre  de  cette  façon-là  ».  Il 
est  bien  dur  pour  des  hommes  si  orgueilleux  d'obéir 
aux  premières  sommations  des  Républicains  ;  ils  ont 
beau  dire,  ce  sera  notre  manière  républicaine  qui 
nous  fera  vaincre,  la  seule  connue  des  hommes  libres 

qui  ont  juré  de  vaincre  ou  de  mourir... 

Brault. 

Au  citoyen  Clément  [de  Ris\  pour  remettre  au  citoyen 
Jean  Gagneux,  Azay-sur-Cher,  près  Montlouis, 
Loches  (Indre-et-Loire). 

Du  camp  près  Namur,  le  15  thermidor  an  III 
de  la  République  française  [2  août  1794]*. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère,  j'ai  reçu  votre 
lettre  le  14  thermidor  [l^"  août]  en  date  du  30  mes- 

1.  Comme  la  lettre  de  Jean  Gagneux  publiée  p. 
cette  lettre  doit  être  datée  de  i794  et  non  de  1795. 


AVX    ARMÉes    DU    NORD  167 

sidor  [18  juillet]  ;  elle  m'a  fait  bien  plaisir  d'apprendre 
que  vous  volis  portez  bien,  ainsi  que  mon  frère  et  ma 
sœur  ;  je  souhaite  que  la  prr^sente  vous  trouve  de 
même.  Je  me  porte  bien.  Depuis  que  je  vous  ai  écrit 
j'ai  pris  part  à  bien  des  batailles  !  six  victoires  !  *  Nous 
sommes  arrivés  sous  1^  murs  de  Namur  le  25  mes- 
sidor (13  juillet!  ;  après  quelques  jours  de  combat, 
l'ennemi  a  évacué  la  ville  dans  la  nuit  du  28  au  29 
[lG-17  juillet];  le  lendemain  matin,  il  a  rendu  les  clefs 
de  la  ville  ;  les  400  hommes  de  la  garnison  se  sont 
couchés  par  terre  à  côté  de  leurs  fusils  :  ils  ont  été 
faits  prisonniers  et  conduits  en  France*.  Nous  avons 
traversé  Namur  sans  nous  arrêter  et  sommes  allés 
camper  à  trois  lieues  plus  loin.  Nous  y  sommes  de- 
puis huit  à  dix  jours  dans  un  endi'oil  entre  les  routes 
de  Liège  et  de  Luxembourg. 

Huit  citoyens  de  Namur  ont  signé  la  Constitution  ; 
on  a  démoli  le  grand  chftlèau  ;  on  veut  réduire  Namur 
à  rien.  Liège  est  également  prise  actuellement,  les 
citoyens  de  cette  ville  ont  pris  les  armes  et  se  sont 
battus  comme  de  vrais  républicains*.  Nous  en  avons 
fait  000  prisonniers,  mais  les  coquins  en  quittant  la 
ville  n'ont  pu  mettre  le  feu  qu'à  un  faubourg.  Ils  ne 

1.  Jean  da^neux  fait  sans  doute  allusion  aux  succès  de 
nos  troupes,  «nprés  la  victoire  de  Fleurus,  à  SenefTe, 
Nivelles,  Genappc,  Uraine  l'Alleud  et  Soignies. 

2.  Marceau  était  entré  dans  Namur  le  i6  juillet  et  il 
n'avail  fait  que  traverser  la  ville  pour  continuer  sa  route 
sur  Huy. 

3.  iourdan  avait  pris  Liège  le  27  juillet. 


168  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

sont  pas  bien  loin  de  la  ville  ;  ils  sont  dans  une  posi- 
tion solide,  mais  nous  tenons  la  citadelle. 

Vous  me  demandez  des  nouvelles  de  Brédit,  de 
Pesé,  de  Blondeaux  ;  je  [ne]  puis  pas  vous  en  donner, 
ni  vous  dire  à  quels  hôpitaux  ils  sont,  attendu  qu'on 
les  évacue  souvent.  Etienne  Deletant  est  parti  le  13 
pour  l'hôpital  se  faire  soigner  la  gale.  Donnez-moi  des 
nouvelles  de  mon  cousin  Philippe  Ghotard,  le  numéro 
de  son  bataillon  ;  des  nouvelles  de  Louis  Pillant,  de 
son  frère.  Bien  des  compliments  à  tous  mes  parents, 
amis  et  camarades  anciens,  à  qui  je  souhaite  une  bonne 
santé.  Je  n'ai  pas  besoin  d'argent  pour  le  présent  et 
je  vous  prie  de  ne  pas  m'en  envoyer  avant  que  je  ne 
vous  en  demande,  vu  que  lorsque  vous  m'en  annoncez 
sans  mettre  une  lettre  chargée,  l'argent  se  trouve 
perdu. 

Je  finis  en  vous  embrassant  de  tout  mon  cœur  ;  je 
désire  vous  revoir  au  plus  tôt. 

Votre  obéissant  fils, 

Jean  Gagneux, 

Volontaire  à  la  8*  compagnie,  6»  bataillon  du  Nord, 
Armée  des  Ardennes. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

Au  bivouac  de  Eastel,  le  4*  jour  des  sans-culottides 
[20  septembre  1794]  an  i*  de  la  République. 

Depuis  que  nous  sommes  à  l'avant- garde,  nos 
opérations  militaires  sont  si  fréquentes  que,  depuis 
près  d'un  mois  que  nous  y  sommes,  j'ai  bien  de  la 


AUX   ARMÉES   DU   NORD  169 

peine  à  trouver  ce  petit  moment  pour  vous  apprendre 
que  je  continue  toujours  de  jouir  de  la  meilleure  santé 
et  d'être  le  plus  heureux  des  hommes,  puisque  l'en- 
nemi ni  le  ciiagrin  n'osent  venir  me  troubler.  C'est 
une  maxime  que  je  tiens  de  vous  dès  ma  plus  tendre 
jeunesse,  d'ôlre  content  de  son  sort,  quelle  que  soit 
sa  condition,  et,  comme  je  vous  l'ai  déjà  dit  plusieurs 
fois,  sans  vous  je  consentirais  volontiers  à  mourir 
les  armes  à  la  main  ;  mais,  après  la  Patrie,  mes 
parents  me  sont  les  plus  chers  ;  aussitôt  que  je  serai 
quitte  envers  elle,  je  m'empresserai  de  voler  dans 
vos  bras  et  de  vous  témoigner  la  reconnaissance  d'un 
fils  instruit  des  principes  de. la  Nation. 

Depuis  que  nous  sommes  ici,  nous  avons  eu  deux 
affaires  avec  les  Hollandais  :  la  première,  où  notre 
commandant  a  reçu  huit  à  dix  coups  de  sabre  '  ;  il 
est  revenu  présentement  au  corps,  parfaitement  guéri; 
la  deuxième  à  RozendaCl,  proche  Berg-op-Zoom,  où 
200  chasseurs  ont  fait  brèche  et  pris  beaucoup  de  pri- 
sonniers. Presque  tous  les  jours,  nous  en  prenons  de 
prisonniers  ;  ces  jours  derniers,  du  côté  de  Bois-le- 
Duc,  nous  avons  pris  1,500  prisonniers  et  huit  pièces 
de  canon  ;  dans  peu,  j'aurai  de  plus  grands  avantages 
à  vous  apprendre.  Bréda  est  entièrement  bloqué,  et 

1.  I.e  commandant  du  4°  bataillon  fut  remplacé  par 
Martin  Goult,  né  à  Mayenne  le  30  octobre  1760.  soldat 
pendant  onze  ans  au  ré^^iment  de  Bresse,  élu  adjudant* 
major  du  4°  bataillon  le  6  septembre  1792,  commandant 
en  second  le  6  mars  1793,  commandant  en  chef  le  1"  oc- 
tobre 1793  (Contrôle du  bataillon). 


no  AU    SERVICE    Dfe    LA   NATION 

VOUS  apprendrez  en  peu  que  l'armée  du  Nord  prendra 
son  quartier  d'hiver  en  la  Hollande... 

L'armée  a  appris  avec  indignation  la  faction  de 
Robespierre  et  complices.  Quoique  ce  tyran  eût  gagné 
tous  les  cœurs,  son  projet  fut  cependant  découvert  ; 
le  génie  de  la  France  sera  toujours  clairvoyant,  et 
saura  toujours  distinguer  ceux  que  l'intérêt  parti- 
culier guide,  de  ceux  qui  ne  travaillent  que  pour  le 
bien  général.  Suivant  moi,  je  ne  crois  pas  que  l'armée 
en  ait  souffert;  il  serait  bien  malheureux  pour  des 
hommes  qui  se  battent  pour  leur  liberté  de  se  sacrifier 
pour  quelques  hommes  qui  voudraient  gouverner  et 
nous  faire  insensiblement  retomber  dans  l'esclavage. 
L'on  a  fait  des  recherches  pour  tâcher  de  découvrir 
de  leurs  partisans  ;  il  s'en  est  trouvé  peu  ;  c'est  dfiuis 
les  armées  où  l'on  ne  trouve  point  d'esprit  de  parti  et 
où  la  concorde  règne. 

Brault. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

Armée  du  Nord.  Au  bivouac  de  Kastel, 
le  6  brumaire,  3»  année  républicaine 
[27  octobre  1794]. 

...  Nous  sommes  toujours  dans  la  même  position, 
d'où  je  pressens  que  nous  ne  sortirons  qu'après  avoir 
pris  Bréda,  ou  Berg-op-Zoom,  ou  quelqu'autre  place 
importante,  qui  nous  donne  de  notre  côté  une  entrée 
dans  la  Hollande.  Jour  et  nuit  le  canon  ne  cesse  sur 
cette  frontière,  et  tous  les  jours  l'on  se  bat  avec  le 


AUX    ARMÉES    DU    NORD  171 

môme  succès;  jVn  aurais  trop  de  vous  marquer  les 
victoires  remportées  par  les  armées  de  la  République. 
Vous  devez  les  voir  dans  les  Bulletins  qui  les  détaillent 
mieux  que  je  ne  pourrais  faire.  La  Patrie,  en  récom- 
pense, nous  a  envoyé  une  couronne  de  lauriers,  le 
plus  riche  présent  qu'elle  pouvait  nous  faire.  Nous  la 
conservons  comme  un  trésor;  nous  ferons  tous  nos 
efforts  pour  la  mériter,  en  continuant  de  marcher  à  la 
victoire  au  pas  de  charge. 

Nous  allons  souvent  fourrager  jusque  sous  les  murs 
de  Berg-op-Zoom,  où  nous  avons  quelques  prises  avec 
l'ennemi  ;  dernièrement,  ik  avaient  fait  une  sortie  et, 
quoiqu'en  plus  grand  nombre,  nous  les  avons  repoussés 
jusque  dans  Berg-op-Zoom  et  pris  des  prisonniers;  il 
ne  se  passe  pas  de  jours  que  l'on  en  prenne  en  si 
grande  quantité  que  Ton  doit  en  être  bien  embarrassé 
en  France.  Les  émigrés  sont  fusillés  sur-le-champ  ; 
j'en  ai  déjà  vu  fusiller  plus  de  400,  qui  avaient  été 
pris  à  Bois-le-Duc,  sans  compter  ceux  que  Ton  a  pris 
dans  les  villes  de  la  Belgique.  C'est  toujours  un  des 
articles  de  la  capitulation  de  ne  faire  jamais  grôce 
o  ces  lâches  qui  ont  abandonné  leurs  foyers  pour  se 
révolter  contre  leur  Pairie... 

...  Je  vais  vous  parler  d'une  cabane  que  nous  avons 
faite,  la  plus  belle  de  la  division }  elle  a  trente  pieds 
de  long  sur  vingt-quatre  de  large,  plus  de  cent  vingt 
chevrons  de  la  grosseur  do  la  jambe  autour  ft  sup>- 
porter  la  terre  ;  un  lit  de  camp  où  il  pourrait  coucher 
vingt   personnes,  une  cheminée   en    briques  qu'un 


i72  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

maçon  nous  a  faite  avec  un  escalier  pour  y  descendre. 
C'est  une  véritable  maison  où  je  voudrais  passer 
l'hiver;  elle  nous  a  coûté  six  jours  de  travail  entre 
six  que  nous  sommes  à  l'habiter,  savoir  :  Coulon, 
Lacroix,  Rabarot,  Lamotte  l'aîné,  Couillard  et  moi; 
une  sapinière  qui  est  proche  de  nous  nous  a  fait 
entreprendre  cet  édifice.  Si  nous  avions  voulu  la 
vendre,  nous  en  avons  refusé  deux  cents  francs  à 
notre  cantinière... 

Brault. 

[A  la  famille  du  volontaire  B7'ault]. 

Armée  du  Nord,  3»  division, 
au  bivouac  de  Haseldouck,  sous  Bréda, 
1j  frimaire  [o  décembre  1794]. 

Nous  avons  quitté  notre  position  de  Kastetouch 
sous  Berg-op-Zoom  pour  en  occuper  une  autre  devant 
Bréda.  Tous  les  matins,  nous  allons  à  la  découverte 
jusque  sous  les  murs  de  cette  ville,  sans  que  les  Hol- 
landais osent  venir  nous  attaquer  ;  la  désertion  est  si 
grande  chez  eux  que  si  on  leur  faisait  faire  des  sorties 
il  y  en  aurait  plus  de  la  moitié  à  déserter.  Sous  peu 
de  jours,  le  général  en  chef  Pichegru  doit  venir  visiter 
notre  division  ;  nous  nous  attendons  qu'il  va  prendre 
ses  dispositions  et  donner  des  ordres  pour  achever  le 
blocus  de  Bréda  ;  je  ne  sais  si  la  saison  nous  per- 
mettra d'en  faire  le  siège  ;  ils  nous  ont  envoyé  une  si 
grande  quantité  d'eau  que  nous  avons  été  forcés  de 
quitter  pour  prendre  une  plus  haute  position.  L'on 


AUX    ARMÉES    DU  NORD  173 

nous  assure  que  si  l'hiver  est  trop  rigoureux  nous 
aurons  du  cantonnement  dans  les  villages  voisins  ;  si 
nous  campions  plus  longtemps,  il  y  aurait  un  tiers 
de  l'armée  à  tomber  malade.  Tous  les  jours,  il  en  sort 
de  notre  bataillon  ;  voilà  plusieurs  du  pays,  et  il  y  a 
tant  de  malades  aux  hôpitaux  qu'il  est  impossible  que 
l'on  y  soit  bien  traité  ;  un  homme,  quelque  malade 
qu'il  soit,  est  quelquefois  évacué  de  cinquante  lieues 
d'hôpitaux  en  hôpitaux.  L'on  pourra  peut-ôtre  faire 
attention  que  notre  bataillon  a  toujours  été  aux  avant- 
postes  et  le  placer  cet  hiver  en  quelque  village  ; 
d'autres,  qui  ont  toujours  été  à  la  colonne,  viendront 
nous  remplacer. 

Jusqu'à  présent  j'ai  toujours  joui  d'une  bonne  santé  : 
le  matin  qu'il  faut  être  levé  à  cinq  heures,  faire  des 
patrouilles  dans  les  brouillards,  je  fume  ma  pipe  et 
bois  un  verre  de  genièvre  ;  c'est  ma  ration  que  la 
Nation  me  donne.  Notre  boisson  ordinaire  est  de  leau 
et  du  vinaigre  ;  l'on  deviendrait  hydropique  si  l'on 
buvait  dans  le  pays  de  l'eau  seule,  car  toute  l'eau  est 
man'*cageuse.  Outre  cela,  je  suis  assez  bien  habillé; 
dernièrement,  j'ai  acheté  un  pantalon;  j'ai  une  capote 
d'un  bon  drap  de  Louviers,  qui  vaudrait  plus  de  cent- 
cinquante  francs  s'il  m'eusse  fallu  l'acheter.  Nous  ne 
manquons  jamais  de  bon  pain  et  bonne  viande,  mais 
il  ne  faut  pas  trop  manger  :  une  livre  et  demie  de 
pain,  une  demi-livre  de  viande  ne  suffisent  pas  à  beau- 
coup, et  j'ai  vu  vendre  un  pain  de  trois  livres  jusqu'à 
cent  sob...  Brault. 


174  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

Anvers  le...  '  pluviôse,  3*  année  de  la  République 
[janvier  ou  février  1795]. 

Réjouissez- VOUS,  mes  chers  parents,  toute  la  Hol- 
lande est  à  nous  ;  je  m'empresse  de  vous  apprendre 
cette  heureuse  nouvelle  ;  l'armée  hollandaise,  qui 
naguère  était  de  nos  ennemis,  fait  le  service  avec 
nous^  Quel  coup  pour  la  République!  Il  faut  avouer 
que  les  glaces  ont  secondé  le  courage  de  l'armée  du 
Nord.  Voici  un  couplet  à  ce  sujet  : 

Le  vent,  la  neige  et  les  frimas 
Affligent  nos  braves  soldats, 
C'est  ce  qui  nous  désole  (bis)  ; 
Mais,  malgré  le  ciel  en  courroux, 
Toute  la  Hollande  est  à  nous, 
C'est  ce  qui  noua  console  jbis). 

Brault. 

[A  la  famille  du  volontaire  B?'ault]. 

Ypres,  8  ventôse,  3»  année  de  la  République 
[26  février  179o]. 

...  Le  18  pluviôse,  nous  avons  parti  d'Anvers,  et  le 
18  mars  nous  sommes  arrivés  ici  ;  je  ne  sais  lorsque 
nous  en  sortirons.  L'on  dit  ici  que  la  division  est  des- 
tinée pour  l'embarquement  ;  après  avoir  fait  la  guerre 

-    1.  La  date  manque. 

2.  Les  Provinces-Unies,  organisées  en  République  batave, 
venaient  de  signer  un  traité  d'alliance  ofPeiisive  et  défen- 
sive avec  la  France. 


AUX   AKMÉBS   DU    NORD  1*7^ 

sur  terre,  je  ne  serais  pas  fâché  de  la  faire  sur  mer  ; 
il  faut  bien  marcher  où  la  République  nous  commande, 
mais  pour  rester  longtemps  ici,  je  désirerais  beaucoup 
mieux  être  du  côté  d'Amsterdam  ou  autres  villes 
n?marquables  de  la  Hollande... 

Brault. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

Calais.  27  thermidor.  3*  année  de  la  République 

[14  août  1795]. 

...  La  Convention,  convaincue  que  le  militaire  ne 
pouvait  plus  rien  se  procurer  avec  sa  paye,  lui  a 
accordé  deux  sols  par  jour  en  numéraire;  cette  mo- 
dique augmentation  va  le  rendre  un  peu  plus  à  l'aise; 
il  pourra  peut-être  se  procurer  du  pain,  qu'il  ne  pou- 
vait trouver  pour  des  assignats  ;  l'agiotage  est  telle- 
ment toléré  ici  que,  sur  plusieurs  marchandises,  ils 
ne  valent  pas  deux  liards  par  livre  ;  je  suis  porté  à 
cix)ire  qu'on  veut  en  ôler  la  circulation. 

Le  télégraphe  a  annoncé  la  paix  avec  l'Empereur; 

L     nous  n'aurions  donc   plus  que  l'Anglais  à  réduire; 

"  oh!  qu'il  me  tai'derait  d'abaisser  son  orgueil!  Si 
cela  est,  j'ai  la  douce  espérance  de  vous  revoir  bien- 
tôt. Quel  triomphe  pour  les  vrais  défenseurs  de  la 
Patrie,  d'avoir  rendu  la  France  libre  !  Quel  plaisir  ils 
goûteront  au  sein  de  leurs  parents  en  leur  mcontant 
ce  qu'ils  ont  vu!...   Le  21,  j'ai  été  reçu   sergent- 

Ht  major. 

^k  BRAfJLT. 

I 


176  AU   SERVICE    DE    LA   NATION 


1796-1798 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  résidant  à  Azay-sur-Cher, 
district  de  Tours,  département  d'Indre-et-Loire. 

De  Hooguezand  S  ce  4  floréal  an  IV 
de  la  République  française  [23  avril  1796]. 

Citoyen  et  ami, 

La  présente  est  pour  vous  donner  de  mes  nou- 
velles, en  même  temps  pour  m'informer  de  l'état  de 
votre  santé,  ainsi  que  de  celle  de  votre  épouse  et  de 
toute  la  famille.  Quant  à  la  mienne  va  très  bien. 
Citoyen  et  ami,  si  je  ne  vous  ai  pas  écrit  plus  tôt,  ce 
n'est  pas  de  ma  faute,  je  m'en  vais  vous  en  dire  la 
raison  :  j'ai  reçu  votre  lettre  la  veille  que  nous  devions 
partir  de  Dusseldorf,  qui  est  de  l'autre  côté  du  Rhin, 
où  là  nous  sommes  restés  six  semaines  baraqués  et 
allés  travailler  tous  les  jours  aux  retranchements;  de 
là,  nous  sommes  partis  pour  le  Brabant,  pour  faire 
payer  l'emprunt  forcé*;  après  cela,  nous  sommes 
retournés  en  Hollande,  de  sorte  que  nous  [?]  une  route 
à  faire  de  deux  cents  lieues  ;  nous  avons  marché  pen- 
dant quarante  jours.  Imaginez- vous  qu'en  arrivant  à 
notre  destination,  nous  étions  bien  fatigués.  Le  pays 

1,  Hougezand,  près  de  Groningue  (Hollande). 

2.  La  Convention  avait  créé  en  1793  un  emprunt  forcé 
d'un  milliard  sur  les  riches,  qui  fut  transformé  le  10  dé- 
cembre 1795  en  un  emprunt  forcé  de  600  millions. 


1 


hVH   AQMÉCS  DU   NOqn  177 

ùH  nous  sommes  est  très  bon  ;  nows  sonwies  dgpa  la 
province  de  Groningue.  Citoyen  et  ami,  je  pense 
toujours  bien  à  vous;  je  vous  saurai  toute  ma  vie 
mille  obligations,  car  je  vous  assure  que  c'est  bien 
de  l'honneur  à  moi  de  recevoir  de  vos  chères  nou- 
velles. 

Vous  dites  que  vous  m'attendez  pour  prendre  une 
lerme,  hélas  !  plût  i\  Dieu  que  je  n'y  sois  !  je  le  sou- 
haite de  toi^l  mon  çqeur-  L'oi>  parle  très  fort  que  la 
paix  est  faite  avec  l'Empereur;  je  ne  voudrais  pas 
l'entendre  dire,  mais  je  voudrais  que  cela  soit.  Je  ne 
désire  et  je  nVspère  qu'après  une  paix  heureuse  pour 
retourner  dans  nos  foyers.  Citoyen  et  ami,  voilà  tout 
ce  que  j'ai  à  vous  marquer  pour  le  présent,  sinon 
que  je  veux  toujours  vos  amitiés  et  la  continuation 
de  vos  bontés,  car,  depuis  que  j'ai  eu  l'honneur  de 
vous  connaître,  je  n'ai  pu  m'empôcher  que  de  bien 
vous  regretter  4es  fqis.  Bien  des  compliments  de  ma 
part  à  Françoise  Gautron  ;  embrassez-la  bien  pour 
moi  ;  dites-lui  que  je  pense  toujours  bien  à  elle  et  que 
mon  cœur  est  toujours  porté  pour  elle,  car,  si  j'étais 
hirondelle,  j'aurais  bientôt  fuit  de  voler  vers  la  chère 
amie  que  j'aime  et  qui  doit  faire  un  jour  mon  bonheur 
et  l'unique  espoir  de  ma  consolation.  Bien  des  com- 
pliment à  votre  femme,  à  vos  enfants  et  à  tous  vos 
gens. 

Je  finis,  citoyen  et  ami»  en  vous  embrassant  du 
plua  proiond  de  mon  cœur,  et  en  attendant  de  vos 
nouvelles, 

NCAKD.  li 


178  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

J'ai  l'honneur  d'être  el  serai  pour  la  vie  voire 
ami, 

Louis    PiLLAUT, 

volontaire  au  3*  bataillon  de  la  164»  demi-brigade  ' 
7»  compagnie,  en  garnison  à  Hooguezand, 
province  de  Groningue,  Hollande. 

[A  la  famille  du  volontaire  Brault]. 

De  l'hôpital  de  Vilvoorde,  le  4"  messidor  an  4« 
de  la  République  [19  juin  1796]. 

Mon  cher  père,  ma  chère  mère, 

Ce  que  je  craignais  tant  m'est  enfin  arrivé  ;  les 
fièvres;  je  suis  entré  à  l'hôpital  de  Gand%  d'où  l'on 
m'envoie  ici,  étant  trop  rempli  par  la  quantité  des 
malades  qui  y  abondent  tous  les  jours.  La  Rue  y  est 
entré  aussi  quelque  temps  auparavant  ;  mais  comme 

1.  La  loi**  demi-brigade  avait  pris  une  part  glorieuse  à 
la  conquête  de  la  Hollande  en  1793,  et  un  de  ses  batail- 
lons avait  été  désigné  pour  aller  ramener  l'ordre  en  Bra- 
bant.  C'est  à  Dordrecht  que  la  164"  demi-brigade  avait 
reçu  son  organisation  véritable.  Le  S"'  bataillon,  auquel 
appartenait  le  volontaire  Pillaut,  avait  été  formé  avec  le 
8®  bataillon  des  volontaires  de  la  Meurthe.  La  164*'  demi- 
brigade  prit  le  nom,  le  29  février  1796,  de  29®  demi- 
brigade  de  ligne,  mais  on  voit  qu'au  mois  d'avril  1796,  le 
volontaire  Pillaut  donnait  encore  à  son  régiment  son 
ancien  nom  [Historique  manuscrit  du  29"  régiment  d'infan- 
terie (Archives  Historiques  de  la  Guerre),  pp.  51-67J. 

2.  A  la  suite  de  la  réorganisation  des  armées  en  1796 
par  un  décret  du  Directoire  qui  réduisait  de  1027  à  729 
le  nombre  des  bataillons  d'infanterie  et  les  embrigadait 
à  nouveau,  Brault  passa  avec  son  grade  de  sergent-major 
au  l*""  bataillon  de  la  60''  demi-brigade  (compagnie  des 
grenadiers),  en  garnison  à  Gand. 


AUX   ARMÉES    DU    NORD  M9 

capitaine,  il  y  est  resté Si  cela  continue,  un  quart 

de  l'armée  va  tomber  malade  ;  nous  sommes  déjà  plus 
d»'  (iOO,  et  tous  les  jours  il  en  arrive  de  toutes  parts. 

Brault'. 


1.  A  partir  de  cette  époque  jusqu'au  1"  décembre  1801, 
les  lettres  du  sergent  Brault  sont  perdues.  La  60"  demi- 
brigade,  après  avoir  tenu  garnison  dans  les  Pays-Bas 
jusqu'en  février  1797,  est  rattachée  à  l'armée  de  Sambre- 
et-Meuse,  puis  est  envoyée  en  octobre  1798  à  Rotterdam 
et  à  La  Haye.  Elle  compte  ensuite  à  l'armée  du  Rhin, 
prend  part  en  août  1799  au  siège  de  Philippsbourg  et 
revient  en  Batavie.  Brault,  qui  a  été  nommé  sous-lieute- 
nant le  20  mai  1799,  assiste  à  la  bataille  de  Marengo.  La 
60"  demi-brigade  séjourne  à  Livourne,  puis  est  envoyée  à 
rUe  dElbe  en  mai  1801,  fait  partie  du  corps  de  siège  de 
Porto-Ferrajo  et  revient  hiverner  à  Livourne.  Brault  par- 
vient au  grade  de  lieutenant. 

La  60'  demi-brigade  réorganisée  est  inspectée  en 
mai  1802  par  le  général  Ernouf.  Le  lieutenant  Brault  s'est-il 
laissé  amollir  par  les  délices  de  cette  Capoue  que  dut 
être  Livourne,  après  les  misères  de  l'Ile  d'Elbe?  Les  notes 
qui  lui  furent  données  à  cette  époque  permettent  de  le 
croire  :  a  Brave  et  passablement  instruit,  mais  mauvaise 
tète  et  adonné  au  jeu,  paresseux  »  (Carton  de  la  60"  demi- 
brigade.  Archives  de  la  Guerre).  On  ne  reconnaît  plus 
l'actif,  l'enthousiaste,  le  discipliné  volontaire  que  nous 
avons  admiré.  Le  21  janvier  1803,  le  1"'  bataillon  de  la 
60*'  demi-brigade  s'embarque  à  Livourne  à  destination 
de  Saint-Domingue,  comptant  dans  ses  cadres  le  lieute- 
nant Brault  comme  officier-payeur.  Ces  troupes  séjournè- 
rent probablement  dans  un  port  de  France  :  Brault  n'ar- 
riva dans  l'ile  que  le  28  janvier  1804. 

Ph'h  de  six  mois  après,  le  18  août  1804.  Brault  mourut  à 
l'hôpit^il  du  Môle,  peu  de  temps  après  avoir  été  promu 
capitaine.  Son  pcre  n'apprit  sa  mort  que  deux  ans  plus 
tard,  le  20  juillet  1806.  Cf.  p.  115,  note  1. 


180  AU    SERVICE    PE    l-A   NATÏON 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  cultivateur, 
à   Beauvais-sur-Chei'^,  près   Tours   {Indre-et-Loire). 

Camp  de  Gorssel  *,  le  7  fructidor  an  IV 
de  la  République  française  [24  août  1796]. 

Mon  cher  citoyen  et  ami. 

Celle-ci  est  pour  répondre  ^  la  vôtre  que  j'ai  reçue 
en  apprenant  que  vous  jouissiez  d'une  parfaite  santé, 
ainsi  que  vptr^  femme  et  toute  votre  famille.  Quant  à 
la  mienne  va  très  bien,  Dieu  merci;  je  souhaite  de 
tout  mon  cœur  que  la  présente  vous  trouve  de  même. 
Cher  ami,  vous  me  marquez  que  vous  étiez  inquiet  de 
moi  ;  je  peux  vous  en  dire  la  même  chose,  car  vous 
devez  connaître  mon  caractère  ;  il  n'a  pas  changé 
depuis  ce  temps;  j'fii  toujours  suivi  les  braves  con- 
seils que  vous  m'avez  donnés  tout  le  temps  que  j'ai 
été  chez  vous.  Soyez  persuadé,  cher  ami,  que  si  le 
moment  m'avait  permis  de  vous  écrire  je  l'aurais  fait 
du  meilleur  démon  cœur.  Cher  ami,  je  trouve  le  temps 
^^sez  long  de  ne  pas  vQus  voir  ;  il  me  semble  que 
depuis  quelque  temps  je  suis  en  un  autre  monde.  Il 
est  vrai  qu'il  est  bien  malheureux  pour  moi  de  me 
voir  dans  l'état  où  je  suis,  car  je  commence  bien  à 
m'y  ennuyer,  car  si  vous  saviez  comme  l'on  y  est, 
vous  vous  y  déplairiez  aussi  bien  que  moi. 

Plût  à  Dieu  que  le  moment  auquel  j'aspire  arrive 

1 .  Beauvais,  commui>e  de  Tauxigny,  c.  et  arr.  de  ^.oches 
(Indre-et-Loire). 

2.  Gorsell,  entre  Deventer  etZutphen. 


AUX    ARMÉES    bÙ    NORD  481 

bien  vite  !  mais  c'est  que,  jfe  ne  le  Vois  pas  veni^  sou- 
vent. Hélàâ!  que  je  rriè  cfoit^i  hèUreux  de  vous  >r6it 
d  de  Vous  etitendre!  Il  me  semble  que  je  reviendrai 
au  monde  ;  il  faut  espérer  que  cela  viendra  un  jour  ; 
hélas  !  que  je  me  trouverai  changé  !  Tenez,  vous  me 
croirez  si  vous  voulez,  le  métier  de  soldat  est  tout  à  fait 
un  métier  de  fainéatit  ;  il  faudrait  que  je  sois  réduit  à 
rien  pour  y  rester.  Pour  le  nouveau,  nous  sommes 
toujours  campé  ;  l'on  parle  que  l'armée  d'Italie  rem- 
porte tous  les  jours  des  victoires  *  ;  voilà  tout  ce  qufe 
j'ai  à  vous  marquer  pour  le  moment. 

Quant  à  mon  adorable  Fanquette*,  faites-lui  mille 
compliments  de  ma  part  ;  embrassez-la  mille  et  mille 
fois  pour  moi  :  dites-lui  de  ma  part  que  le  désir  que 
j'ai  de  la  voir  est  trop  grand,  mon  amitié  redouble  de 
jour  en  jour  pour  elle.  Je  l'estime  trop  pour  l'aban- 
donner; je  l'aime  et  l'aimerai  jusqu'à  la  mort;  elle 
doit  connaître  mes  sentiments  et  ma  façon  de  parler, 
ils  seront  toiyours  les  mômes  à  son  égard  ;  mon  ado- 
rable Fanquette,  je  ne  vous  le  cache  pas,  de  toutes  les 
filles  au  monde  il  n'y  en  a  point  que  j'aime  mieux  et 
pour  qui  j'aie  tant  d'attachement  ;  mon  cœur  ne  fait 
que  gémir  et  soupirer  ;  encore  si  j'étais  invisible,  je 
saurais  ce  qui  Be  passe  dans  le  cœur  de  celle  qui  doit 


1.  Au  iiKus  <]  auut  l"y6.  la  lutte  de  Bonaparte  et  de 
Wurmser  battait  ion  plein  :  Ronaptirte  triomphait  à 
Castiglione,  investissait  Naatoue  et  meltait  1*&  Autri- 
chiens en  fuite. 

2.  Françoise  Gautron.  Cf.  lu  lettre  publiée  p.  11^. 


182  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

faire  un  jour  le  bonheur  et  l'unique  espoir  de  ma  con- 
solation. Encore  si  j'avais  le  bonheur  de  vous  voir  et 
de  vous  posséder,  aimable  Fanquette  !  hélas  !  que  je 
serais  content  et  heureux  de  voir  unir  mon  cœur  et  le 
vôtre  par  une  amitié  tendre  et  fidèle  !  Si  le  moment, 
mon  aimable  Fanquette,  me  permettait  de  vous  en  dire 
davantage,  je  vous  en  dirais  plus,  mais  ce  sera  pour 
une  autre  occasion.  Adieu,  aimable  Fanquette,  portez- 
vous  toujours  bien  et  me  croyez  toujours  pour  la  vie 
votre  ami  inséparable, 

Louis  PiLLAUT. 

Bien  des  compliments  de  ma  part  à  mes  deux 
frères,  embrassez-les  pour  moi;  bien  des  choses  à 
votre  famille,  enfin  à  tous  ceux  qui  vous  parleront  de 
moi.  Je  finis,  citoyen  et  ami,  ainsi  que  votre  femme 
en  vous  embrassant  du  plus  profond  de  mon  cœur,  en 
attendant  toujours  le  plaisir  de  vous  revoir  et  celui 
d'avoir  de  vos  aimables  nouvelles. 

J'ai  l'honneur  d'être  et  serai  pour  la  vie  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur, 

Louis    PiLLAUT, 

volontaire  au  3»  bataillon,  29»  demi-brigade, 
7»  compagnie,  au  camp  de  Gorssel. 
entre  Deventer  et  Zutphen  en  Hollande. 
Armée  du  Nord,  Deventer. 

Bien  des  compliments  de  ma  part  au  citoyen  Cha- 
rette,  mon  cousin;  dites-lui  que  je  ne  sais  pour  quelle 
raison  il  ne  me  répond  point;  voilà  cinq  lettres  que 
je  lui  ai  écrites  sans  avoir  de  réponse. 


AUX   ARMÉES    DU    NORD  183 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  cultivateur, 
à  Beauvais-sur-Cher  [Indre-et-Loire),  par  Tours. 

Cantonnement  de  Herwen  ',  près  Nimèjfue. 
le  30  pluviôse  an  V  de  la  République  française 
[18  février  1797]. 

Citoyen  et  ami, 

La  présente  est  pour  vous  donner  de  mes  nouvelles 
en  même  temps  pour  m'informer  de  l'état  de  votre 
santé,  ainsi  que  de  celle  de  votre  épouse  et  de  mon 
aimable  Fanquette,  laquelle  j'ai  toujours  dans  la  pen- 
sée. Vous  croyez  peut-être,  citoyen,  que  je  n'ai  pas 
voulu  vous  rendre  réponse  ;  je  vous  assure  que  ce 
n'est  pas  de  ma  faute,  et  je  m'en  vais  vous  dire  la 
raison.  Comme  nous  étions  partis  dans  le  temps  que 
j'ai  reçu  votre  lettre  et  que  nous  étions  campés,  j'ai 
reçu  de  vos  aimables  nouvelles  au  camp  de  Mulheim*; 
nous  sommes  venus  au  secours- de  l'armée  de  Sambre- 
et-Meuse  '  ;  nous  marchions  le  jour  et  la  nuit  ;   l'on 


1.  Herveld. 

2.  Peut-être  Mûhlheim,  sur  la  Bloselle,  à  côté  de  Bern- 
kastcl. 

3.  Faute  d'indications  clironoiogiques  précises,  il  est 
difficile  d'établir  à  quel  moment  et  dann  quelles  condi- 
tions le  volontaire  Pillaut  marcha  avec  son  régiment 
au  secours  de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse.  L'expédition 
qu'il  retrace  a  eu  lieu  pendant  l'été  («  à  peine  pouvait-on 
marcher  de  la  chaleur  qu  il  faisait  »).  Nous  supposons 
que  la  29"  demi-brigade  a  secouru  l'armée  de  Sambre- 
et-Meuse  après  l'échec  partiel  que  cette  dernière  avait 
subi  au  mois  de  juin  1796. 


1^4  AU    SÉhvlCE    DE    LA    NATÎON 

était  accablé  de  fatigue,  à  peine  pouvait-on  marcher 
de  la  chaleur  qu'il  faisait  ;  je  vous  aurais  écrit  plus 
tôt,  mais  au  moment  où  j'allais  mettre  la  plume  à  la 
maioj  nous  recevions  les  ordres  pour  partir;  nous 
n*éliohs  pas  un  jour  dans  un  endroit  que  le  lendemain 
il  fallait  partir  pour  l'autre,  et  comme  l'on  parlait  très 
fort  qu^î  nous  allions  retourner  en  Hollande,  j'ai 
attendu  que  nous  soyioiis  arrivés  à  notre  destination, 
et  comme  nolis  avons  uh  instaiil  de  repos,  je  profite 
dé  éé  lïiomerit  si  douX  pour  vous  dofiner  de  tties  fiou- 
vellés.  Nous  sommés  arrivés  voilà  huit  jours;  ttdtlS 
sômilies  cantonnés  dans  les  villages  jUfequ'à  nouvel 
ordre  ;  nous  sommes  assez  bien  ;  je  ne  vous  dirai  rien 
de  nouveau  si  ce  ri'eât  que  quatld  noUs  aVons  quitté 
Dusseldorf  il  partait  beaucoup  dé  IroupéS  pour  l'ai*- 
ttiée  d'Italie.  Je  suis  persuadé,  citoyen  et  ami,  que  voUs 
ne  serez  point  fàéhé  de  moi,  de  ce  qUc  je  vous  ai  fait 
attendre  si  longtemps,  je  voUë  fâi§  Voir  qUë  tiô  il'ëët 
pas  de  ma  faute.  Je  pensé  toujours  â  Vous;  hélas! 
que  je  serais  heureux  si  j'avais  le  bonheur  de  retour- 
ner auprès  de  vous!  car,  suivant  toute  apparence,  je 
n'irai  pas  encore  de  si  tôt.  Sur  la  prenlière  que  vous 
m'écrirez  vous  me  marquerez  ce  qui  se  passe  au 
pays.  Bien  des  Compliments  à  toute  votre  famille, 
embrassez  les  toUs  pour  moi  ;  enfin  à  tous  ceux  qui 
demanderont  après  moi.  Je  finis,  citoyen  et  ami, 
éti  vous  embrassant  du  profond  dé  rrtoil  cœur 
et  en  attendant  de  vos  nouvelles  le  plus  tôt 
possible. 


ALI    ARiiÉES    DU    NORD  185 

Je  suis  et  serai  pour  la   vie  votre  concitoyen  et 
ami, 

Louis  PiLLAUT. 

Quant  a  mon  amiable  Fanquetlc,  faites-lui  bien  mes 

ompliments;  embrassez-la  mille  et  mille  fois  pour 
moi  ;  dites-lui  bien  que  je  pehse  toujours  bien  â  elle, 

nfin  que  de  toutes  les  filles  du  monde,  il  n'y  étt 
aurait  que  j'aime  mieux  et  pour  qui  j'aie  tant  d'atla-^ 
chement.  Hélas!  que  le  moment  heureux  auquel  j'as- 
pire n*arrive-t-il  bientôt!  je  ne  tiedoublc  mon  courage 
qu'aptes  ce  moment.  Hélas!  dites-lui  que  j'ai  toujours 
son  nom  gravé  dans  mon  cœur  et  qu'elle  ne  sefa 
jamais  oubliée  de  moi  ;  oui,  ma  chère  Fanquelte,  mes 
sentiments  et  ma  façon  de  penser  seront  toujours  les 

liâmes  à  votre  égard,  ils  ne  changeront  qu'à  la  mort; 

Ficorp,  si  j'étais  invisible,  je  saurais  ce  qui  se  passe 
dans  votre  cœUr  ;  peut-on  être  aussi  malheureux  d'être 
'Moigné  de    l'objet  que  j'aime   et  qui   doit  un  jour, 

umme  je  l'espère,  faire  tnon  bonheui*  et  l'unique 
espoir  de  ma  consolation. 

Adieu,  ma  chère  Kancjuellc,  j'ai  les  larmes  aux  yrux; 
je  ne  veux  vous  en  dire  davantage,  ce  sera  pour  la 
première  occasion  ;  adieu  mille  et  mille  fuis,  je  vous 
souhaite  une  bonne  santé.  Je  suis  et  serai  pour  la  vie 
votre  ami  inséparable, 

Louis  PiLLAur. 


186  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  cultivateur,  résidant 
à    Beauvais-sur-Cher   (Indre-et-Loire),   par    Tours. 

Armée  du  Nord,  Dusseldorf,  ce  6  septembre  1797 
an  V  de  la  République  française. 

Citoyen  et  ami, 

C'^st  pour  répondre  à  la  vôtre  que  j'ai  reçue,  qui 
m'a  fait  un  sensible  plaisir  en  apprenant  que  vous 
jouissez  d'une  parfaite  santé  ;  quant  à  la  mienne  va 
très  bien,  je  souhaite  de  tout  mon  cœur  que  la  pré- 
sente vous  trouve  de  même.  Vous  me  marquez  qu'il  y 
a  plusieurs  mois  que  les  pi-éliminaires  de  la  paix  sont 
signés  *  ;  quoiqu'ils  fussent  signés,  l'on  ne  parle  pas 
beaucoup  de  donner  des  congés  ou  permissions,  mais 
il  faut  espérer  que  cela  viendra  peut-être  ;  il  est  temps 
que  cela  vienne  bien  vite,  car  je  commence  à  me 
dégoûter  dans  l'art  militaire  ;  je  prends  patience,  je 
fais  comme  bien  des  autres.  Cher  ami,  j'ai  appris  avec 
chagrin  la  perte  que  vous  veniez  d'essuyer.  Il  faut, 
vous  consoler  ;  je  sais  que  cela  n'arrange  pas,  mais  il 
faut  espérer  que  vous  ferez  une  bonne  moisson  qui 
vous  récompensera  de  tout;  je  le  souhaite  de  tout 
mon  cœur.  Citoyen  et  ami,  je  pense  toujours  à  vous 
ainsi  qu'à  votre  famille;  je  voudrais  être  auprès  de 
vous;  je  serais  plus  content  que  d'être  où  je  suis; 
non,  je  ne  vous  le  cache  pas,  j'aimerais  mieux  gratter 


1.  Les  préliminaires  de  la  paix  avec  l'Autriche  avaient 
été  signés  à  Leoben  le  18  avril  1797. 


AUX   ARMÉES    DU    NORD  187 

la  terre  avec  mes  doigts  plutôt  que  de  rester  dans  le 
métier  militaire,  car  il  fait  meilleur  travailler  et  être 
son  maître  plutôt  que  d'ôtre  mené  comme  l'on  est. 
Pour  à  l'égard  do  mon  aimable  Fanquette,  faites-lui 
mille  et  mille  compliments  pour  moi;  embrassez-la 
bien  tendrement  ;  dites-lui  que  je  pense  toujours  bien 
h  elle  ;  oui,  chère  Fanquette,  je  vous  serai  toujours 
fidèle;  mes  sentiments  ni  ma  façon  de  parler  ne 
changeront  jamais  à  votre  égard,  je  tiens  trop  à  votre 
aimable  personne  pour  vous  abandonner;  prenez 
patience,  ma  chère  amie,  vous  me  reverrez  avant 
qu'il  soit  pou  ;  pour  lors,  nous  pourrons  nous  parler 
entre  quatre  yeux  :  mon  amitié  pour  vous  redouble 
de  jour  en  jour  ;  oui,  chère  amie,  je  ne  vous  abandon- 
nerai qu'à  la  mort  ;  soyez  persuadée  de  ma  cons- 
tance et  de  ma  fidélité  ;  adieu,  chère  amie,  je  vous 
souhaite  une  bonne  santé  et  ne  vous  ennuyez  pas.  Do 
plus,  citoyen  et  ami,  vous  me  marquez  qu'il  y  a  des 
rt'compenses  pour  tous  ceux  qui  sont  restés  fidèles  à 
leur  drapeau  ;  je  crois  que  la  récompense  que  nous 
uirons  sera  jeune;  pour  moi,  je  ne  leur  demande 
:  :en  qu'ils  ne  me  laissent  aller  et  qu'ils  me  donnent 
la  liberté  ;  c'est  ce  que  je  leur  demande.  Bien  des 
tmplimcnts  à  mon  frère  Pierre.  Cormier  lui  en  fait 
ireillemont  ;  bien  des  compliments  à  mes  frères  et 
-<eurs,  à  tous  mes  parents,  enfin  à  tous  ceux  qui  vous 
parleront  de  moi;  bien  des  compliments  à  mon  cou- 
in  Charetle,  embrassez-le  bien  pour  moi,  dites-lui 
(ju'il  m'envoyc  une  douzaine  de  francs,  car  j'en  ai 


I8â  AU    SERVICE    DE    LX   NATION 

grand  besoirt,  je  sUis  déhué  de  tOul.  Vous  lui  direz 
qu'il  m'obligera  infiniment.  Bien  des  compliments  aU 
citoyen  Vincendeau  et  à  Marie  Cagneux  ;  assufez-les 
de  mes  respects  ;  bien  des  compliments  de  ma  part  à 
votre  femme,  à  toute  votre  famille  ;  j'attends  de  vos 
nouvelles  le  plus  tôt  possible,  vous  me  ierez  toujours 
plaisir. 

Je  finis,  citoyen  et  ami,  en  vous  embrassant  du  pro- 
fond de  mon  cœur,  sans  oublier  mon  aimable  Fan- 
quette, 

Je  suis  et  sefai  pour  la  vie  votre  concitoyen  et  ami, 

Louis    PiLLAUT, 
volontaire. 

J'oubliais  de  vous  dire  que  j'étais  de  retour  au  ba- 
taillon à  Dusseldort,  voilà  deux  mois  que  je  suis  revenu. 

Adresse  :  citoyen  Louis  Pillaut,  volontaire  au 
3«  bataillon  de  la  29^  demi-brigade,  7"  compagnie,  l"' 
division,  armée  du  Nord,  Dusseldorf» 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  Beauvais-sur-Cher,  par 

Tours  (Indre-et-Loire).  A  remettre  à  Jean  Pillaut. 

Pressé. 

Hôpital  de  Saint-Amand*,  2  messidor  an  VI 
de  la  République  française,  une  et  indivisible 
[20  juin  17^8]. 

Cher  frère  et  chère  sœur, 
Celle-ci  est  pour  faire  réponse  à  la  vôtre  en  date 

1.  Saint-Amand-les-Eaux,  ch.  1.  de  c.  de  l'arr.  de  Valen- 
cienneS  (Nord). 


kVJ   AltMÉGS   DP   NORD  189 

Ii|  5  pluviôse  dernier  [24  janvier  i798],  qui  m'a  fait 
un  sensible  plaisir  d'apprendre  que  tu  jouis  d'une 
bonne  santé  ;  c'est  ce  qui  fait  l'objet  de  mes  désirs  à 
voire  égard  Mais,  quant  à  moi,  je  vous  dirai  que  si 
j'ai  tant  lardé  à  vous  lairc  réponse,  ij  n'y  a  rien  de 
ma  faute.  Je  vous  dirai,  j'ai  eu  upc  grosse  maladie  et 

est  ce  qui  a  été  l'auteur  que  j'ai  été  si  longtemps  à 
\  ous  répondre  ;  mais  je  vous  dirai  que  cela  va  un  peu 
mieux  ii  présent  ;  mais  je  vous  prie  de  m'^nvoyer  de 
l'argent  sans  faute,  parce  que  je  suis  dans  une  indi- 
gence sans  pareille  ;  aussi  j'espère  que  vous  m'obli- 
gerez ù  cet  égard,  parce  que  lorsque  l'on  est  à  l'bO- 
?)ilal  sans  argent,  on  est  bien   mal  à  son  aise,   et 

omme  vous  le  voyez  par  la  présente  je  suis  encore  à 
ihùpital  de  Saint-Amand.  Vous  p'ignorez  pas  que  la 
présente  lettre  vous  apprend  que  je  suis  audit  hôpital 
;»our  me  rétablir.  Ainsi  j'espère,  cher  frère,  que  vous 

l'obligerez  à  cet  égard  et  que  vous  me  ferez  réponse 

iir-le-champ;  c'est  que  j'attends  avec  impatience. 
\  ous  aurez  la  bonté  d'assurer  de  mes  respects  le 
citoyen  Clément  et  son  épouse  et  toute  sa  famille.  Je 
li'ur  souhaite  à  tous  une  bonne  santé.  Voilà  ce  qui 
i  lit  l'objet  de  mes  désirs  à  leur  égard,  ainsi  qu'à 
tous  leurs  parents  et  amis,  etc..  Vous  aurez  )a 
bonté  de  faire  mes  compliments  au  père  Gautron,  ft 
la  mf'r»';  ]<•  leur  souhaite  une  bonne  santé  et  pas  oublier 
mu  fin  If  Kanquette  aimée,  que  je  brûle  dans  cette 

irdeur  de  la  revoir,  ma  très  chère  amie;  hélas  !  grand 
Dieu  donnez  cotte  paix  générale  qui  ferait  la  consola* 


190  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

lion  de  tant  de  pères  et  mères!  Quelle  consolation 
pour  moi  si  je  pouvais  avoir  le  bonheur  de  resserrer 
dans  mes  bras  ce  qui  fait  l'objet  de  mes  désirs,  celle 
qui  est  digne  de  l'objet  de  l'estime  de  mon  cœur, 
désirs  qui  m'occupent  journellement  jusqu'à  ce  que 
je  sois  auprès  de  ce  qui  est  le  seul  objet  de  mes 
désirs.  Je  désire  avec  une  grande  ardeur  recevoir  de 
vos  chères  nouvelles,  et  je  suis  dans  une  grande  im- 
patience à  l'égard  de  la  réception  de  vos  chères  nou- 
velles. Je  vous  prie  de  dire  à  ma  chère  amie  Fanquette 
de  m'écrire  une  lettre  aussitôt  la  réception  de  la  pré- 
sente; oui,  mon  cœur  est  sans  cesse  occupé  de 
vous. 

Vous  aurez  la  bonté  de  faire  mes  compliments  à 
tous  mes  frères  et  sœurs  et  parents  et  amis,  à  tous 
ceux  qui  s'occupent  de  moi  et  camarades,  etc... 

Mais  vous  direz  à  bonne  amie  Fanquette  qu'elle 
m'écrive  une  lettre  tout  aussitôt  la  réception  de  la 
présente  parce  que  je  brûle  d'ardeur  de  recevoir  de 
ses  chères  nouvelles,  ainsi  que  de  ses  père  et  mère, 
frères  et  sœurs.  Ma  très  chère  amie,  je  vous  prie  de 
prendre  patience  ;  il  faut  espérer  que  l'Etre  suprême 
mettra  fin  à  toutes  ces  hostilités  afin  que  je  puisse 
avoir  le  bonheur  de  vous  revoir. 

Adieu,  ma  très  chère  amie,  en  attendant  le  plaisir 
de  vous  revoir.  Je  finis,  mon  cher  frère,  ma  chère 
sœur,  en  vous  souhaitant  une  bonne  santé  en  atten- 
dant le  plaisir  de  vous  revoir.  Adresse  :  citoyen 
Louis  Pillaut,  volontaire,  7"  compagnie  du  3*  bataillon, 


AUX    ARMEES    DU    NORD  191 

29"  demi-brigade,  hôpital  de  Saint-Amand  près  Valen- 
ciennes. 

Louis  PiLLAUT,  voire  frère. 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  Beauvais-sur-Cher 
ifndre-el-Loire),  par  Toura. 

Hôpital  militaire  de  Saiol-Amand, 
eaux  thermales  et  minérales  de  Saint-Amand, 
25  messidor  an  VI  de  la  République  française, 
une,  indivisible[13  juillet  1798]. 

Vivre  libre  ou  mourir  ! 
La  liberté  ou  la  dernière  goutte  de  notre  sang  ! 

Mon  cher  citoyen. 

Celle-ci  est  pour  faire  réponse  à  la  vôtre  que  j'ai 
reçue  en  date  du  14  messidor  [2  juillet].  Par  la  récep- 
tion de  la  présente,  j'apprends  que  vous  avez  reçu 
ma  lettre  du  courant  du  mois  de  messidor,  de  l'hos- 
pice de  Saint-Amand,  datée  du  2  du  présent  mois, 
adressée  à  mon  frère  Jean,  et  ce  qui  me  fait  un  sen- 
sible plaisir  c'est  que  vous  l'ayez  communiquée  à  mon 
frère  sur-le-champ. 

Gtoyen,  je  vous  remercie  mille  et  mille  fois  des 
services  que  vous  m'avez  rendus  et  que  vous  me 
rendez  tous  les  jours  et  ainsi  que  ceux  que  vous 
m'offrez  journellement.  A  mon  retour,  non  jamais  je 
ne  serai  capable  de  vous  payer  de  reconnaissance  de 
tous  les  services  que  vous  m'offrez,  mais  enfin  je 
ferai  tout  mon  possible  et  toutes  mes  forces  pour 
vous  remercier  de  tous  les  services  que  vous  m'avez 


192  AU    SERVICE    PE    IX    NATION 

rendus  et  4o  tous  ceux  que  vous  m'offrez  journelle- 
ment. 

Vous  dites  que  vous  apprîtes  avec  peine  que 
j'étais  malade,  mais  je  vous  dirai  que  cela  va  un  peu 
mieux  à  présent  et  j'espère  que  par  la  suite  je  recou- 
vrirai un  bon  rétablissement  avec  le  temps.  Vous  me 
marauez  que  vous  avez  envoyé  chercher  mon  frère 
chez  Romain  Charette  pour  lui  demander  de  l'argent 
pour  moi  et  que  sa  femme  est  venue  vous  apporter 
24  livres,  que  vous  m'avez  envoyées.  Je  les  ai  reçues 
il  y  a  deux  jours  à  la  poste  de  Saint-Amand.  J'ai  les 
24  livres  en  4  pièces  de  6  livres,  et  j'en  ai  trouvé  la 
reconnaissance  dans  la  présente,  jointe  à  ma  lettre.  Je 
suis  bien  charmé  que  mon  frère  et  toute  sa  famille 
soient  en  parfaite  santé.  Je  leur  souhaite  une  bonne 
continuation  et  mille  amitiés,  ainsi  qu'à  Charette.  Je 
suis  bien  content  que  mes  vignes  soient  belles  et 
promettei^t  i^ne  abondante  récolte  ;  je  siijs  bien  con- 
tent que  frère  Pierre  ait  une  JDonne  santé,  mais  à 
l'égard  du  certificat  que  j'avais  demandé,  je  pense 
qu'il  est  à  la  compagnie  à  présent,  mais  que  le  temps 
n'est  pas  favorable  pour  avoir  des  congés  actuelle- 
ment. 

Je  sais  bien  qu'il  est  trop  critique  pour  le  présent 
alors  que  les  Anglais  menacent  nos  côtes  et  celles  de 
Hollande  ^  On  ne  les  craint  pas  beaucoup  à  présent, 

1.  Depuis  la  victoire  de  la  flotte  anglaise  à  Wyck-am- 
See  (H  octobre  1797)  sur  la  flotte  hollandaise,  les  Anglais 
sçiigeaient  à  un  déb^rcfUêfiient  er>  HgUaRfie  gi^'ils  n'ai- 


J 


AUX   ARMÉES    DU    NORD  193 

surtout  sur  terre  ;  oui,  je  sais  qu'on  ne  diminuera  pas 
notre  armée  du  Nord,  oui,  certes,  ils  se  souviennent 
bien  de  quelle  manière  ils  ont  été  reçus  h  Ostende  *, 
oui,  certainement,  on  les  recevra  partout  de  même  où 
ils  oseront  débarquer  ! 

Aussi,  citoyen,  vous  me  dites  que  cet  hiver  vous 
espérez  avoir  le  plaisir  de  me  voir  ;  oui,  certes,  je  l'es- 
père bien  de  même  avoir  ce  bonheur  !  Quel  jour  de 
joie  pour  moi  si  je  puis  avoir  ce  grand  bonheur!  oui, 
vous  devez  aussi  savoir  toute  la  joie  que  j'éprouverai 
à  vous  revoir.  Oui,  citoyen,  soyez  bien  persuadé,  je 
désire  avec  la  plus  vive  ardeur  de  vous  revoir  pour 
vous  rendre  mes  respects  et  tous  mes  hommages, 
ainsi  qu'à  Madame  votre  épouse.  Non,  je  ne  serai 
jamais  capable  de  vous  remercier  de  tous  les  services 
jue  vous  m'avez  rendus  jusqu'aujourd'hui  et  ainsi 
que  ceux  que  vous  m'offrez  encore  par  la  suite,  et  je 
vous  remercie  mille  et  mille  fois  des  bontés  que  vous 
avez  eues  pour  moi  et  ainsi  que  celles  que  vous  voulez 


laient  effectuer  que  deux  ans  plus  tard  (septembre-octo- 
bre 1799). 

1.  Le  19  mai  1798,  une  flotte  anglaise  avait  opéré  un 
débarquement  prés  d'Ostende,  â  4  lieues  de  Bruges,  pour 
|)rovoqucr  une  insurrection  dans  la  West-Klandre. 
i/éncrgie  de  Keller,  commandant  de  la  place  de  Bruges, 
et  le  courage  des  Ostendais  contraignirent  les  Anglais  à 
se  rembarquer  promptement,  mais  ceux-ci  abandon- 
lèrent  aux  troupes  franco-belges  1.500  prisonniers  ainsi 
e  de.s  canons,  des  munitions  et  des  embarcations 
(J.  Delhaizc,  La  domiiuition  française  en  Belgique,  t.  III, 
\>\i.  311-315). 


m" 


194  AU    SKRVIGE    DE    LA    NATION 

me  prodiguer  par  la  suite  des  temps  si  l'Etre  suprême 
nous  accorde  des  jours.  Vous  me  dites  que  vous 
emploierez  tous  vos  soins  pour  me  consoler  de  la 
perfidie  de  Fanquette  Gautron,  dont  vous  me  marquez 
qu'elle  a  épousé,  il  y  a  6  semaines,  un  nommé  Jamain 
de  la  Champaigne  et  dont  vous  dîtes  que  c'est  un 
pauvre  sujet  et  dont  vous  dites  que  vous  êtes  per- 
suadé qu'elle  s'en  repentira.  Mais  je  souhaite  que 
l'Etre  suprême  donne  à  cette  ingrate  la  force  de  sup- 
porter toutes  les  adversités  qu'il  pourra  lui  arriver 
dans  son  alliance  et  qu'elle  les  supporte  avec  patience 
tant  terrestre  que  spirituelle  et  ainsi  la  môme  chose 
à  l'égard  de  son  époux,  et  qu'ils  passent  des  jours 
tranquilles.  Voilà  ce  que  je  souhaite  à  cette  ingrate 
fille,  que  ses  promesses  sont  vaines  et  dont  l'expé- 
rience l'a  fait  connaître,  et  ainsi  en  conséquence  de 
cela  je  vous  remercie  bien  mille  et  mille  fois  de  tous 
les  efforts  que  vous  avez  laits  pour  détourner  cette 
alliance  et  je  vous  sais  les  mêmes  obligations  comme 
si  elle  n'était  pas  mariée.  Au  reste,  puisque  c'est  une 
ingrate,  elle  ne  mérite  plus  que  l'on  parle  d'elle.  Vou- 
drez bien  vous  persuader  que  je  l'oublie  pour  tou- 
jours; oui,  j'oublie  une  fille  aussi  légère  et  aussi 
ingrate  pour  avoir  manqué  à  tout  ce  qu'elle  m'avait 
promis  ;  que  quand  la  paix  générale  me  rendra  ma 
liberté,  oui,  certes,  je  n'ignore  pas  que  lorsque  je 
pourrai  recouvrir  ma  liberté,  je  ne  manquerai  de 
retrouver  un  cœur  plus  fidèle  et  plus  digne  de  mon 
estime  que  cela.  Vous  me  dites  que  si  je  suis  tou- 


AUX    ARklKES    DU    NURI)  195 

joure  décidé  à  reprendre  l'état  respectable  de  cultiva- 
icuv,  vous  seri'z  toujours  aussi  bien  empressé  à  me 
donner  une  métairie,  à  m'aider  en  tout  votre  pouvoir, 
môme  à  m'y  établir,  et  que  vous  êtes  également  porté 
par  la  sincère  amitié  que  vous  avez  pour  moi  ;  oui, 
citoyen,  j'ai  été'  fidèle  à  rester  courageusement  attaché 
à  mon  drapeau,  et  il  est  bien  vrai  (jue  tant  d'autres 
l'ont  lAchcment  abandonné. 

Mais,  hélas!  quelle  triste  nouvelle  que  j'apprends 
tout  aussitôt  que  j'ai  eu  fait  la  lecture  de  ma  lettre  ! 
hélas!  mon  cher  ami,  mon  cœur  très  sensible  pour  un 
ami  se  déchire  lorsque  j'apprends  qu'il  leur  arrive 
quelqu'adversité, cela  m'afflige  beaucoup;  mais  hélas! 
cher. ami,  si  la  nouvelle  que  vous  m'apprenez  est 
triste  pour  moi  et  m'affecte  un  peu  ptirce  que  je  pen- 
sais avoir  affaire  à  une  personne  plus  fidèle  à  ses 
promesses,  soyez  persuadé  que  ma  douleur  n'est  en 
rien  comparable  à  la  vôtre,  vous  qui  avez  perdu  une 
demoiselle  que  j'estimais  tant.  Des  larmes  perlent  à 
mes  yeux,  des  larmes  très  amères  ont  coulé  avec 
abondance  pour  une  créature  que  j'estimais  et  res- 
pectais. Cette  chère  demoiselle  Clémentine!  Sans 
doute  je  n'ignore  pas  qu'une  mère  et  un  père,  qui 
aiment  aussi  tendrement  (jue  vous  leurs  enfants,  ne 
pourront  oublier  un  enfant  aussi  aimable  que  celte 
chère  Clémentine  !  Oui,  loi-sque  je  l'appris,  cette  triste 
nouvelle  me  fit  bien  vite  oublier  celte  ingrate  pour 
prendre  part  ù  vos  larmes.  Adi'essez  mille  compli- 
ments h  ccll<'  pauvre  mère,  et  je  vous  prie  de  vous 


196  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

consoler  un  peu  car  c'est  une  épreuve  à  qui  personne 
ne  peut  se  soustraire  tôt  ou  tard  ! 

Je  vous  remercie  infiniment,  je  suis  persuadé  de  la 
sincérité  et  de  la  fidélité  de  votre  tendre  et  inviolable 
attachement  pour  moi.  Soyez  persuadé  des  mêmes  à 
votre  égard  ainsi  qu'à  Madame  votre  épouse,  à  vos 
fils.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur  en  attendant 
le  bonheur  de  vous  revoir, 

Louis   PiLLAUT. 

Ayez  la  bonté  d'assurer  de  mes  respects  tous  mes 
frères  et  sœurs,  tous  mes  parents,  et  faites-moi  réponse 
au  reçu  de  la  présente. 

Adresse  :  citoyen  Pillant,  soldat  dans  la  7*  compa- 
gnie du  3*  bataillon,  29^  demi-brigade  d'infanterie  de 
ligne.  Hôpital  de  Saint-Amand.  Armée  du  Nord. 


^ 


A  L'ARMÉE  DES  ALPES 

(1794). 


Au  citoyen  Astaix,  maître-cordier,  demeurant  dans  le 
faubourg  de  Afozat,  à  Riom,  département  du  Puy- 
de-Dôme. 

De  la  Grande-Croix,  le  27  floréal,  l'an  II» 

de  la  République  française,  une,  indivisible 

et  démocratique  [16  mai  1794]'. 

Mon  très  cher  père, 

...  Courons  vile  à  ce  qui  vous  fera  plaisir.  Le  Mont- 
Cenis  est  pris  '  ;  oui,  nous  l'avons  pris  ce  mont  for- 

1.  Sur  la  campagne  de  1794  dans  les  Alpes  et  en  par- 
ticulier sur  les  événements  auxquels  cette  lettre  fait 
allusion,  cf.  Dumolin,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  276-283  et  Croquis, 
fascicule  III  ;  Krcbs  et  .Moris,  Campagnes  dans  les  Alpes 
pendant  la  Rcvolulion  1794-1796,  pp.  78-141.  La  Grande- 
Croix  se  trouve  entre  le  grand  et  le  petit  Mont-Cenis  ;  les 
Piémontais  y  avaient  installé  leurs  réserves  sous  les 
ordres  du  marquis  de  Saint-Georges. 

2.  La  prise  du  .Mont-Cenis  eut  lieu  le  14  mai  1794,  sous 
la  direction  de  Uadelaune  ;  deux  attaques  précédentes  en 
avril  1794  avaient  été  malheureuses.  Un  croquis  publié  à 
la  fin  de  l'ouvrage  de  Krebs  et  Moris  (Le  Mont-Cenis  de 
1793  à  1796)  facilitera  l'intelligence  des  opérations  mili- 
taires. Le  rapport  de  Badelaune  au  général  Uumas,  publié 
par  Krebs  et  .Moris  (pièces  justif.,  n"  24,  p.  255),  ne  signale 
ni  munitions  ni  provisions  prises  à  l'ennemi,  mais  les  édi- 


198  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

midable,  disait-on,  sans  perte  de  monde;  je  veux 
dire  que  nous  n'avons  pas  perdu,  je  comprends  les 
blessés,  en  tout  vingt  personnes.  Nous  leur  avons 
pris  vingt-six  pièces  de  canon,  sans  celles  que  nous 
trouverons  couchées  dans  les  neiges,  quantité  de 
fusils  et  fusils  de  remparts,  magasins  de  blé,  riz,  lard, 
pain,  magasins  à  poudre  et  onze  à  douze  cents  pri- 
sonniers ou  déserteurs.  Nous  les  avons  poursuivis 
baïonnette  en  avant  jusqu'à  deux  lieues  du  fort  La 
Brunette  ;  mais,  crainte  de  surprise,  nous  avons 
demeuré  là  pour  attendre  que  l'armée  de  Briançon  ait 
pris  le  fort  d'Exilles  ^,  ce  qui  nous  facilitera  le  passage 
de  façon  qu'avant  qu'il  soit  peu  nous  serons  à  Turin  ^, 
ce  qui  ne  nous  sera  pas  bien  difficile,  quoiqu'on  dise 
qu'il  était  impossible  d'y  pénétrer  ;  mais  rien  n'est 
difficile  pour  des  Français  libres.  Voici,  mon  très  cher 
père,  la  vérité  de  ce  que  j'ai  vu  ;  vous  pouvez  le  sou- 


teurs  de  ce  document  ont  dû  trouver  dans  d'autres  textes 
la  confirmation  des  faits  avancés  par  le  volontaire  Astaix 
car  ils  signalent  [op.  cit.,  p.  108)  que  «  plus  de  500  pri- 
sonniers, des  canons,  des  munitions,  des  magasins  de 
toute  espèce  constituaient  les  trophées  de  cette  victoire  ». 
Nous  voilà  bien  loin  des  1.100  ou  1.200  prisonniers  men- 
tionnés par  Astaix. 

1.  Sur  les  forts  d'Exilles  et  de  La  Brunette,  qui  gar- 
daient la  route  de  Briançon  à  Turin,  cf.  Krebs  et  Moris, 
op.  cit.,  p.  79,  n°  1. 

"2.  Les  sentiments  qu'expriment  ici  le  volontaire  Astaix 
paraissent  avoir  été  ceux  de  toute  l'armée  à  en  juger  par 
une  lettre  du  4  juin  1794,  adressée  au  Comité  de  Salut 
Public  par  les  représentants  en  mission  à  l'armée  des 
Alpes  (Krebs  et  Moris,  op,  cit.,  pièces  justifie,  pp.  261-263). 


A  i/armép.  des  alpe»  199 

tenir  ft  cos  mah  pillants,  qui,  quelquefois,  voudraient 
contredire. 

Nous  sommes  fatipiés  de  bivouaquer  sur  le  sommet 
de  ces  montagnes  et  dans  les  ncigvs.  Mais  nous  ne 
|)ouvons  pas  foiit»  autrement.  Je  m'arrête  perce  que 
le  temps  me  manque.  Je  vous  prie  donc  de  dire  bien 
des  choses  de  ma  part  à  mon  grand-père  Peyrard, 
voisins,  voisines,  parents  et  amis.  Cliantez  hardiment 
avec  eux  :  «  Ça  ira  »,  et  nous,  nous  allons  voir  de 
faire  encore  une  fois  danser  les  marmottes. 

Adieu,  mon  très  cher  père,  adieu  ;  embrassez  bien 
pour  moi  ma  très  chère  mère  et  ma  sœur.  Adressez 
toujours  mes  lettres  à  Tormignon  jusqu'à  nouvel  ordre. 

Je  vous  dirai  que  Debos,  le  (Ils  du  boulanger  de 
Layat,  a  déserté. 

Votre  fds, 

ASTAIX  *. 

A  ia  citoyenne  veuve  Pademo,  l'ue  de  Chazerou, 
à  Biom,  en  Auvergne. 

De  Modane,  ce  10  prairial  l'an  second  de  la 
République  française,  une,  indivisible  et 
impérissable  [29  mai  1794J. 

Ma  mère. 

Je  ne  sais  poun{u<ji  vous  ne  me  laites  point  rrjK)nso 
ft  ce  <|ue  je  vous  av;iis  (Irmiuid»'-.  Vous  me  demandez 


I.  Servait  depuis  le  11  mai  4793.  Archives  de  la  ville  de 
Hiom. 


200  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

de  VOUS  donner  de  mes  nouvelles  le  plus  souvent  que 
je  pourrai  ;  vous  ne  devez  point  ignorer  que  je  n'ai 
rien  dans  le  inonde  de  plus  cher  que  vous,  et  que  je 
me  hâte  de  savoir  s'il  vous  est  parvenu  plusieurs 
lettres  que  je  vous  ai  fait  part,  sans  en  avoir  de  con- 
naissance et  aucune  réponse  de  ce  que  je  me  proposais 
de  faire. 

Vous  me  dites  que  mon  frère  demande  que  je  lui 
donne  de  mes  nouvelles  et  que  je  lui  envoie  mon 
adresse.  Il  se  moque  de  moi.  Il  croit  que  c'est  comme 
lui  qui  est  dans  sa  chambre  à  caresser  sa  femme.  Triple 
bombe  !  s'il  a  tant  envie  de  m'écrire,  il  peut  m'écrire 
quand  il  voudra  au  champ  de  bataille,  au  champ 
d'honneur,  à  Modane,  près  le  Mont-Cenis  :  voilà  mon 
adresse  ! 

Et  s'il  ignore  que  ça  n'est  pas,  il  peut  prendre  un 
fusil,  et  qu'il  vienne,  je  lui  donnerai  du  pain  et  de 
l'ouvrage  au  fort  de  La  Brunette,  car,  pour  le  fort 
d'ExiUes  ',  on  est  après  à  l'assiéger  ;  on  a  commencé 
au  8  prairial,  et  il  faut  qu'il  vienne  dans  le  sac  comme 
les  autres.  Ça  été  juré  :  vaincre  ou  mourir! 

En  attendant  la  prise  du  fort  de  La  Brunette  et 
celui  d'Exilles,  qui  nous  empêchent  d'aller  à  Turin, 
je  vous  en  prie  pour  que  la  bataille  soit  complète,  je 
vous  prie  de  m'envoyer  des  papiers  qui  consistent  à 
votre   consentement   pour  que  j'achète  une  femme 


1.  Sur  les  détails  des  opérations  militaires  auxquelles 
cette  lettre  fait  allusion,  cf.  la  lettre  précédente. 


A    l'armée    des    ALPES  501 

parce  qu'elles  ne  sont  pas  bien  chères  ;  elles  sohI  au 
maximum  et  je  veux  en  acheter  une.  Un  gendarme 
lit'  peut  pas  se  passer  de  cuisinière  ;  elle  fera  la  soupe 
en  moins  de  temps  que  je  ferai  courir  nos  marmottes 
du  roi  sarde  '  ;  soi-disant  qu'il  est  mort,  que  le  cha- 
grin l'a  tué,  le  bougre  ;  le  diable  ait  son  âme  !  tant  de 
mal  qu'il  nous  donne  !  Je  ne  puis  point  l'assurer  au 
juste,  mais  je  le  saurai  avant  peu,  parce  que  nous  ne 
sommes  pas  loin  de  Turin,  de  10  à  12  lieues  au  plus. 
Revenons  à  mes  papiers.  Je  vous  prie  de  me  les 

iivoyer  le  plus  tôt  possible  avant  que  nous  allions  à 
Turin,  car  ça  ne  tardera  pas,  et  qu'un  autre  ne  me 
souffle  pas  la  personne  avec  qui  je  dois  me  marier  et 
la  prendre  dans  ses  bons  moments  pour  se  marier  à 
la  sans-culotte,  parce  qu'elle  croit  encore  aux  prêtres, 

t  moi  je  ne  suis  guère  de  cet  avis.  J'aime  bien  le 
plus  tôt  fait,  et  justement  je  suis  très  aimé  avec  les 
autorités  constituées.  Ça  sera  bientôt  fait,  et  Vive  la 
République  ! 

Je  vous  prie  de  faire  attention  de  ne  pas  mettre 
\  otre  diable  de  terme  de  cocher  ni  domestique.  Mon 
p'ro  était  commerçant  ;  il  commerçait  sur  le  blé  et  le 
vin  ;  eh  bien  !  qu'on  mette  commerçant  sur  ce  qu'on 
voudra.  Je  vous  prie  de  ne  pas  l'oubher.  D'ailleurs,  ça 

•nt  l'ancien  régime,  ça  n'est  point  de  saison.  Le 
temps  est  passé! 


1.  Il  s'agit  du  roi  de  Sardaigne  Victor-Amédée  III,  qui 
'  mourut  à  Turin  que  \o.  16  octobre  1796 


202  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

Je  VOUS  envoie  dix  livres  pour  payer  les  frais  de  ca^ 
que  ça  coûtera,  et  vous  me  ferez  passer  une  demi- 
feuille  de  papier  marqué.  Pour  que  vous  ne  soyez  pas 
étonnée  de  la  personne  que  je  prends,  c'est  la  fille  du 
ci-devant  Trois  roy,  aubergiste  ^.. 

Elle  est  passablement  gentille,  à  peu  près  comme  la 
Boitiii^  elle  a  tout  pour  me  plaire,  je  suis  content,  elle 
aussi,  tout  va  très  bien.  Elle  vous  fait  bien  des  com- 
pliments, en  attendant  qu'elle  s'acquitte  de  son  devoir. 

Rien  d'autre  pour  le  présent.  Je  suis,  en  attendant 
votre  réponse,  votre  affectionné  fils, 

Paderno, 

gendarme,  Modane-en-Maurienne. 

Bien  des  choses  de  ma  part  à  tous  nos  bons  et 
bonnes  amis.  Bouchon  fait  bien  des  compliments  à 
toute  sa  famille,  ainsi  qu'à  vous  ;  il  se  porte  bien  ;  il 
part  pour  Briançon,  pour  le  fort  d'Exilles,  ainsi  que 
Bravar  ^ 

[Sans  adresse]. 

Au  camp  de  Viogena^  le  23  floréal  de  l'an  [I  de  la  Ré- 
publique une  et  indivisible  [14  mai  17'J4]. 

Ma  chère  mère, 
Nous  voici  arrivés  après  bien  des  fatigues  au  lieu 

1.  Quatre  mots  illisibles. 

2.  Bouchon  et  Bravard  sont  des  volontaires  de  la  ville 
de  Riom. 

3.  Le  camp  de  Viogena  doit  être  identifié  avec  la  loca- 


A    i/aRMÉR    des    ALPES  203 

il.  nolrp  destination,  non  point  à  \ice,  mais  ô  trente 
lieues  de  là  dans  les  montagnes  du  Piémont  k  la  barlîe 
de  l'ennemi  ;  on  nous  a  incorporés  dons  un  bataillon 
qui  n'avait  plus  qu'une  centaines  d'hommes  ;  mon 
adresse  est  :  au  citoyen  Combaud,  1"  compagnie  du 
second  bataillon  de  la  99*  demi-brigade*.  Je  n'avais 
pas  emporté  beaucoup  d'eflfets  et  cependant  je  me 
suis  vu  obligé  d'en  vendre  beaucoup.  Voici  ceux  dont 


lilc  de  \  lozcnc.  On  remarque  que  la  forme  de  ce  nom  de 
lieu  varie  d'une  lettre  à  l'autre  du  volontaire  Combaud 
(cf.  pp.  204  et  219).  dette  même  incertitude  touchant 
cette  localité  se  retrouve  dans  les  documents  officiels 
contemporains.  Dans  l'état  des  forces  et  de  la  position 
de  la  division  de  droite  de  l'armée  d'Italie  du  7  au 
17  août  1794  (Archives  historiques  de  la  Guerre,  Armée 
des  Alpes  et  d'Italie,  situations),  ce  cantonnement  porte 
le  nom  de  Viozetia  ;  dans  un  état  analogue  du  5  septembre 
'''••'i.),  il  porte  le  nom  de  Viogéne. 

La  99*  demi-bripade  à  laquelle  appartenait  le  fusilier 
Lu'  '  '      ■       vembre  1793  par  la  réunion 

du  .  des  4°  cl  9"  b.'itaillons  dos 

vnloul,iirisdc£>  liuuclio.s-du  lUiùnc,  et  placée  sous  le  com- 
mandement du  chef  de  brigade  Lafons.  Au  mois  d'avril 
(16-18),  clic  prit  part  à  la  prise  d'Oneglia  et  de  Garessio. 
Ses  batullons  furent  ensuite  disséminés  dans  des  can- 
loMncmenl^*  entre  Garessio,  Loano  et  Ponte  di  Nava  [His- 
torique manuscrit  du  99"  régiment  d'Infanterie  (Archives 
Historiques  de  la  Guerre,  pp.  20-24)].  Le  plan  de  la  cam- 
pagne de  1794.  à  laquelle  le  volontiiire  prit  part,  avait 
été  préparé  par  Bonaparte,  générol  d'artillerie.  Sur  les 

Projets  d'invasion  du  IMémont,  en  unissant  les  forces  de 
armée  d'Italie  et  de  l'armée  des  Alpes,  ainsi  que  sur  le 
détail  des  hostilités,  on  lira  avec  profit  :  Capitaine  Colin, 
L'éducation  utilitaire  de  Napoléon,  pp.  217-352;  Krebs  et 
Moris,  Campay m  .  1794-1796,  et  surtout  capi- 

taine Fabi  \ .  La  i  :94  en  Italie,  t.  I. 


204  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

je  me  suis  défait  et  leur  prix  :  ma  veste  nanquin  5  1., 
deux  paires  de  bas  de  la  nation  6  1.,  une  mauvaise 
chemise  toute  déchirée,  un  mouchoir  de  nez,  une 
paire  de  bas  coupé,  un  bonnet  de  laine  4  1.  Tous  ces 
effets  sont  donnés  presque  pour  rien  et  cependant  Ton 
trouvait  qu'ils  étaient  assez  bien  vendus.  J'aurais 
gardé  tout  le  reste,  mais  comme  nous  devons  faire  la 
guerre  dans  des  montagnes  inaccessibles,  j'ai  encore 
lavé  mon  havresac  d'une  calotte  de  la  nation  toute 
délabrée  8  1.,  d'une  chemise  6  1.,  et  l'une  de  mes 
paires  de  bas  7  1.  ;  il  ne  me  reste  plus  rien,  mais  ces 
ventes  étaient  nécessaires... 

CoMBAUD  fils,  cadet. 

[Sans  adresse]. 

Armée  d'Italie,  au  camp  de  vieux  Gênes  '. 

Le  5  prairial  de  l'an  II  de  la  République  française, 
une  et  indivisible  [24  mai  1794]. 

Mon  adresse  est  toujours  la  même  :  au  citoyen 
Combaud,  volontaire  dans  la  1"  compagnie  du 
2*  bataillon  de  la  99*  demi  brigade,  par  Nice,  à  l'armée 
d'Italie. 

Ma  chère  mère, 

Je  vous  avais  écris  du  même  camp  une  lettre  dans 
laquelle  je  ne  faisais  que  vous  donner  mon  adresse 

1.  Vieux  Gênes  :  Viozena. 


A    l'armée    des   ALPES  205 

avec  quelques  légers  détails  sur  ma  situation  ;  les  cir- 
constances exigeaient  cette  brièveté  ;  mais  maintenant 
je  puis  m'étcndre  plus  au  long  :  je  date  ma  lettre  du 
camp  de  vieux  Gênes  ;  vous  vous  figurez  aussitôt  un 
camp  en  règle  avec  des  tentes  ;  point  du  tout  :  ce  ne  sont 
que  quelques  chétives  cabanes  de  pauvres  paysans 
piémontais  où  les  soldats  sont  couchés  les  uns  sur  les 
autres.  Je  suis  vraiment  étonné  comment  mes  yeux  ne 
sont  pas  malades  :  imaginez-vous  que  la  baraque 
dans  laquelle  nous  sommes  logés  depuis  une  dizaine 
de  jours  est  construite  avec  de  la  paille  à  travers 
laquelle  on  voit  le  jour  ;  nous  n'avons  point  de  porte, 
de  sorte  que  le  vent  y  pénètre  en  toute  liberté  ;  notez 
qu'elle  est  exposée  au  nord,  qui  est  le  vent  qui  souffle 
le  plus  régulièrement  dans  ces  contrées.  Nous  sommes 
actuellement  dans  le  mois  de  juin,  et  peut-être  ôtes- 
vous  incommodés  de  la  grande  chaleur;  quant  à  nous, 
nous  souffrons  de  toutes  les  rigueurs  de  l'hiver  :  le 
matin  il  fait  beau  temps,  le  soir  il  pleut,  il  vente,  il 
neige,  de  sorte  que  nous  avons  bien  de  la  peine  à  nous 
réchauffer  n'ayant  d'autre  matelas  que  de  la  paille 
coupée  et  d'autre  couverture  que  nos  habits  que 
nous  n'avons  point  dépouillés  depuis  que  nous  sommes 
ici.  Cependant  je  suis  toujours  assez  gai,  assez  content 
et  je  me  porterais  assez  bien  si  une  maudite  maladie 
ne  s'était  point  introduite  parmi  nous  :  tous  les  soldats 
du  bataillon  ont  passé  par  le  flux  de  sang,  et  plusieurs 
même  ont  été  obligés  d'aller  ù  l'hôpital,  entr'autres 
Gorce  et  Dumontot,  qui  ont  été  incommodés  presque 


206  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

tout  le  long  de  la  route  ;  quant  à  moi,  je  n'ai  eu 
qu'une  diarrhée  peu  violente  depuis  environ  quatre 
ou  cinq  jours,  mais  qui  m'a  ôlé  mes  forces  et  mon 
appétit;  je  commence  néanmoins  à  me  rétablir,  je 
sens  la  faim  renaître,  et  ça  ira!  Je  crois  que  ces  sort(!s 
de  maladies  ont  été  occasionnées  d'abord  par  le  manque 
de  vin,  qui  est  très  difficile  à  transporter  dans  ces  mon- 
tagne, par  la  vivacité  de  l'air  et  de  l'eau,  qui  a  sa 
source  dans  la  fonte  des  neiges  dont  nous  sommes 
environnés,  et  par  la  mauvaise  nourriture,  car  nous 
n'avons  que  notre  étape  et  quelque  peu  de  fromage 
et  de  vin  que  nous  achetons  bien  cher  et  que  des 
marchands  apportent  de  quatre  ou  cinq  lieues.  Vous 
jugez  que  nous  ne  pouvons  pas  faire  grande  dépense  ; 
aussi  n'ai-je  pas  dépensé  un  liard  depuis  que  je  suis 
dans  ces  gueuses  de  montagnes.  Ne  vous  plaignez 
plus  désormais  de  la  cherté  des  vivres,  vous  êtes 
dans  l'abondance  en  comparaison  des  autres  pays  : 
le  vin  vaut  ici  3o,40  s.  la  bouteille,  le  pain  15  ou  20  s. 
la  livre,  le  fromage  3  1.  10  s.,  le  beurre  31.,  et  n'en 
a  pas  qui  veut  ;  récriez- vous  ensuite  sur  la  disette  et 
la  cherté  des  denrées.  Je  ne  vous  ai  point  encore 
parlé  de  mes  occupations,  les  voici  :  depuis  que  nous 
sommes  ici,  nous  faisons  régulièrement  quatre  ou  cinq 
heures  d'exercices  par  jour  ;  nous  montons  la  garde 
tous  les  trois  jours  dans  les  gorges,  sur  la  cime  des 
montagnes,  exposés  au  vent,  à  la  pluie,  à  la  neige, 
sans  aucun  abri,  à  doux  lieues  des  Piémontais  ;  je 
pense  que  nous  ne  laiderons  pas  à  aller  au  feu  ;  nous 


A    I.  AHMhK    DES    ALPES  207 

allons  quitter  ces»  montagnes  et  descendre  dans  la 
plaine  où  il  faudra  mettre  en  usage  toutes  les  ma- 
nœuvres et  ruses  militaires;  nous  n'attendons  plus 
que  de  la  cavalerie  pour  marcher,  si  nous  le  pouvons, 
droit  à  Turin.  Je  ne  sais  pas  si  les  affaires  vont  bien 
du  côté  du  Nord,  mais  elles  sont  en  assez  bon  étiit 
do  ces  côtés.  Vous  n'ignorez  pas  la  prise  du  fort 
Saour',  qui  s'est  faite  sans  beaucoup  de  perte  ;  le  foii 
do  Sève*  est  assiégé;  on  s'est  emparé  du  camp  qui 
lui  servait  de  défense  avec  7  ou  800  prisonniers. 
De  ce  fort  à  la  plaine,  il  n'y  a  plus  qu'un  pas.  Du 
c6lé  de  l'Espagne,  les  succès  ne  sont  pas  moins  biil- 
lants  :  un  adjudant-général  a  écrit  au  bataillon  que 
l'armée  espagnole  avait  été  vaincue  et  taillée  en 
pièces,  et  qu'on  avait  mis  le  siège  devant  Barcelone; 
il  finit  par  dire  que  ces  succès  amèneront  une  paix 
avantageuse  à  la  fin  de  la  campagne  et  un  retour 
heureux  dans  nos   foyers  '.   Je  souhaite,  ma  chère 

1.  Nous  ne  savons  pas  quelle  localité  le  volontaire 
Oombaud  entend  Hési^'ner  sous  ce  nom.  Son  habitude  de 
traduire  lihrenienJ  en  français  les  noms  de  lieux  italiens 
rend  toute  identification  singulièrement  malaisée.  Peut- 
être  Combaud  fait-il  allusion  à  Saorgio,  dont  le  château 
s'était  rendu  à  Dumerbion  le  28  avril  1794. 

3.  S'agil-il  de  la  forteresse  de  Ceva,  position  straté- 
gique importante,  ou  de  Serra,  localité  peu  distante  de 
Quarzinaf 

3.  Aux  armées  des  Pyrénées-Occidentales  et  Orlcn» 
laies,  la  situation  éUut  iiicnt  bonne  aux  mois 

d'avril  et  do  mai  1794.  A  1  s  Pyrénées-Orientales, 

en  particulier.  Du^ommier,  qui  avait  succédé  au  vaillant 
DaL'dhrrl,  iiioil  le  18  ;i\  lil  1794  i(;Imi(]ii('(    I.r  i/i  mial  Dago- 


208  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

mèro,  que  ces   nouvelles  soient  réelles  et  ne  soient 
point  seulement  des  motifs  d'encouragem<^nt... 

Nous  avons  eu  des  jeunes  gens  qui  ont  eu  le 
bonheur  de  rester  en  arrière  ;  les  deux  Barces  et 
quelques  autres  ont  été  mis  en  réquisition  à  Nice 
pour  y  travailler  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre  ;  les 
Boirri,  Sardier,  Rouger  et  quelques  autres  sont  dans 
une  boulangerie  à  Oneille  *  ;  les  Boirri  comme  chefs 
de  la  boulangerie  ont  double  étape  et  de  plus  4  1.  par 
jour,  les  autres  5  1.  Je  me  trouve  assez  bien  associé  ; 
nous  sommes  de  la  i'^  compagnie,  Chassaigne,  Bor- 
daire,  Ghassaing,  Attiret,  Vérin,  Boisson,  Faucon, 
Sirgen,  Laverchère,  Ducroux  et  quelques  autres 
jeunes  gens  assez  tranquilles,  les  anciens  de  la  com- 
pagnie ne  le  sont  pas  moins. 

Votre  fils, 

CoMBAUD,  cadet. 

[Sans  adresse]. 

Armée  d'Italie.  Au  camp  de  Carline  *,  le  13  messidor 
de  l'an  II  de  la  République  une  et  indivisible 
[1"  juillet  1794]. 

Ma  très  chère  mère, 
J'avais  promis  dans  ma  dernière  lettre  de  ne  plus 

bert,  1736-1794,  p.  412),  avait  vaincu  à  diverses  reprises 

les  Espagnols,  qui  évacuèrent  Saint-Elme,  Port-Vendres  et 

.  Collioure  {23-29  mai)  (Dumolin,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  283-287). 

1.  Oneglia. 

2.  Le  camp  de  Carline  était  peut-être  situé  sur  les  hau- 
teurs de  Quarzina,  localité  voisine  de  Viozena. 


A    L  ARMEE    DES   ALPES  :.ij'J 

VOUS  ('crire  dp  quelque  temps,  et  je  crois  vous  avoir 
l(»nu  pîirole;  aussi  n'ai-je  eu  que  rarement  le  plaisir 

le  recevoir  de  vos  nouvelles,  ce  qui  est  cependant 
l'unique  consolation  que  j'aie  dans  ce  pays.  Mainte- 
nant que  vous  savez  mon  adresse,  vous  pouvez 
mV'crirt"  quand  vous  1<^  jugerez  à  propos;  les  lettres 
me  parviendront  en  quelque  endroit  que  je  sois.  Venons 
maintenant  à  notre  situation  actuelle. 

Vous  savez  cjue  nous  étions  campés  à  Viogena  ; 
nous  avons  changé  de  position  depuis  environ  trois 
-t'maines,  nous  nous  sommes  avancés  d'une  lieue  et 
demie  et  nous  avons  remplacé  un  autre  bataillon,  de 

(jrto  que  nous  nous  trouvons  ù  garder  le  poste  le 
plus  proche  de  l'ennemi.  A  Viogena,  nous  étions  logés 
dans  de  chétives  cabanes  piémontaises  ;  ici,  c'est  bien 
pis  :  il  nous  a  fallu  les  deux  premières  nuits  bivouaquer 
au  mauvais  temps;  nous  nous  sommes  ensuite  associés 
sept  vu  huit  camarades  et  nous  avons  travaillé  à  la 
fabrication  d'une   baraque  ;  jugez    quel   étiiit    notre 

mbarras,  n'ayant  avec  nous  aucune  personne  du 
métier;  notez  ensuite  qu'il  nous  fallait  aller  chercher 
Ir^'s  loin  les  matériaux  qui  étaient  en  la  paille  et  les 
branchages  ;  cep<^ndant,  au  bout  de  quelques  jours, 
nous  nous  sommes  trouvés  passablement  à  l'abri  de 
la  pluie  et  du  vent  ;  les  huit  ou  neuf  qui  habitent  ce 

liétit  logement  sont  d'abord  Gorce,  qui  ne  fait  que 
revenir  de  l'iiùpital  et  qui  est  d'autant  plus  malheu- 
reux qu'il  n'est  pas  encore  bien  rtHabli  et  qu  il  lui  faut 
-accoutumer  à  un  métier  auquel  Ica  anciens  eux- 
ricARu.  ^^ 


210  AU    SERVICE    DR    LA    NATION 

mêmes  sont  encore  nouveaux,  La  Verchère,  Ducroit, 
Boisson,  Faucon,  Bordaire,  Chassaigne,  Léger  et  moi. 
Chassaigne  était  avec  nous,  mais  ayant  été  nommé 
caporal  fourrier  de  la  compagnie,  il  s'est  vu  obligé 
de  nous  abandonner  pour  loger  avec  les  officiers  et 
les  sous-officiers. 

On  dit  ordinairement  que  le  métier  de  soldat  est  un 
métier  de  paresseux  ;  je  ne  sais  pas  ce  qu'il  est  en 
temps  de  paix,  mais  en  temps  de  guerre  on  n'y 
manque  pas  d'occupations.  On  nous  fait  d'abord  faire 
quatre  ou  cinq  heures  d'exercices  par  jour,  éclaircir 
notre  fusil  tous  les  deux  ou  trois  jours,  ce  qui  est, 
ainsi  que  l'exercice,  très  long,  très  ennuyant  et  très 
fatiguant.  Nous  sommes  ensuite  obligés  de  nous 
trouver  à  l'appel  à  chaque  instant.  Mais  ce  qui  est  le 
plus  désagréable  et  ce  qui  altère  le  plus  notre  santé, 
c'est  de  monter  la  garde  tous  les  deux  jours,  dans  des 
gorges,  sur  des  montagnes,  au  milieu  de  la  neige, 
exposés  à  la  pluie  et  aux  vents,  qui  sont  continuels  dans 
ces  climats.  Je  ne  peux  vraiment  concevoir  comment 
nos  corps  peuvent  y  résister  ;  mais  si  nous  avons  le 
bonheur  de  revoir  nos  foyers,  je  crois  que  nous  pas- 
serons une  vieillesse  douloureuse.  Quoiqu'il  en  soit, 
telle  est  la  volonté  de  Dieu,  il  faut  s'y  résigner  et 
prendre  son  mal  en  patience  jusqu'à  ce  qu'on  voie 
une  fin  ;  je  puis  vous  protester  qu'il  n'est  personne  ici 
qui  ne  la  désire  vivement.  Ce  n'est  pas  tout,  il  nous 
faut  aller  souvent  à  la  découverte  de  l'ennemi,  à  deux 
ou  trois  lieues  du  camp,  gravir  des  montagnes  cou- 


A    L  ARMÉE    DES    ALPES  241 

vertes  d'un  pied  de  neige,  le  fusil,  la  giberne  chargée 
d'une  cinquantaine  de  cartouches  et  le  sac  sur  le  dos  ; 
il  y  a  des  moments  où  lorsque  nous  sommes  en  train 
à  monter,  harassés  de  fatigue,  de  soif  et  de  sueur, 
je  désirerais  qu'un  coup  de  fusil  vienne  terminer  ma 
maliieureuse  carrière  ;  mais,  vous  le  savez,  une  seule 
idée  me  retient.  Je  ne  vous  ferai  point  le  détail  de 
toutes  les  autres  corvées  ;  je  vous  le  répète,  ce  qui 
les  rend  le  plus  pénibles,  c'est  la  pluie,  la  neige,  la 
grêle  et  le  vent,  qui  viennent  nous  rendre  visite  tous 
les  jours.  Vous  me  saurez  peut-être  mauvais  gré  de 
m'ôtre  ainsi  dégonflé,  mais  c'est  pour  ainsi  dire 
malgré  moi  ;  un  malheureux  trouve  de  la  consolation 
à  faire  le  récit  de  sa  misère  ;  pardonnez-moi,  ma  chère 
mère,  les  larmes  que  je  vous  ferai  verser;  détour- 
nons nos  yeux  de  dessus  ce  tableau. 

Vous  m'aviez  mandé  que  mon  frère  était  à  Grasse; 
je  pense  qu'il  a  délogé  et  qu'il  est  maintenant  au 
fort  de  Saour*  ;  il  est  vraiment  heureux  d'être  dans  la 
cavalerie  ;  jamais  elle  ne  campera  dans  ces  gueuses  de 
montagnes,  ce  ne  sera  que  dans  la  plaine  qu'elle 
pourra  agir  et  encore  ne  sera-t-elle  jamais  ni  aussi 
exposée  ni  aussi  mal  que  l'infanterie.  S'il  vous  a  écrit, 
donnez- moi  de  ses  nouvelles; je  désire  bien  en  savoir 
et  je  ne  le  puis  par  lui-même,  ne  connaissant  point 
son  adresse. 

D'après  ce  que  je  vous  avais  écrit  sur  la  cherté  et 

1.  Voir  $upra  p.  207,  note  1 .    « 


212  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

la  rareté  des  vivres,  vous  devez  penser,  ma  clière 
mère,  que  ces  montagnes  ont  donné  la  courante  î\ 
nos  portefeuilles,  comme  elles  l'avaient  donnée  à  nos 
corps.  Je  ne  puis  que  vous  faire  la  répétition  de  ce  que 
je  vous  ai  déjà  dit,  le  vin  vaut  30  s.  la  bouteille,  et  il 
est  impossible  de  s'en  passer  ici  à  moins  que  l'on  ne 
veuille  attraper  le  flux  de  sang  ;  une  livre  de  mauvais 
fromage,  qui  ne  vaut  pas  trois  quarts  de  chez  nous, 
40  s.,  la  livre  du  beurre  3  1.  :  voilà  les  seuls  mets  que 
nous  ayons  pour  nous  ragoûter  ;  il  nous  est  venu  quel- 
quefois des  cerises  et  des  poires  à  10  s.  ou  15  s.  la 
livre  ;  mais  leur  cherté  a  fait  que  je  n'en  ai  acheté  que 
pour  m'en  rappeler  le  goût.  11  est  impossible  de  se 
tenir  à  l'étape,  une  livre  et  demie  de  pain  par  jour  ;  le 
matin  à  dix  heures,  la  soupe  faite  avec  du  riz  ou  des 
fèves  toujours  mal  cuites  et  un  petit  morceau  de  viande, 
que  je  ne  puis  mâcher  et  que  l'on  garde  si  l'on  veut 
pour  le  souper  ;  voilà  tout,  point  de  vin,  si  ce  n'est  un 
petit  verre  d'cau-de-vie  lorsqu'on  monte  la  garde  et 
dont  je  laisse  toujours  la  moitié  à  ceux  qui  l'aiment. 
Quels  repas  auprès  de  ceux  que  je  faisais  à  Riom  ! 
que  je  regrette  mes  pommes  de  terre  frites  ou  fricas- 
sées !  Cependant  pour  peu  que  l'on  veuille  s'écarter, 
on  fait  des  dépenses  énormes  ;  il  faut  bien  pourtant 
un  morceau  de  fromage  dans  la  journée,  une  soupe  de 
beurre  à  souper  et  parfois  quelque  chopine  de  vin  ; 
ce  n'est  pas  là  ce  qu'on  appelle  riboter,  néanmoins 
cet  ordinaire  me  mène  à  20  ou  25  s.  de  dépense  par 
jour... 


A    L  ARMKR    DES    ALPES  213 

Les  assignais  à  face  royale  de  50  1.  ne  passent  '\r\ 
<|u'A  5  I.  de  perte  ;  je  m'en  Irouvo  deux... 

.  .  Je  n'ai  jamais  fait  monter  ma  garde  comme  bien 
d'aiiti'es  à  3  I.,  4  1.,  mais  lorsqu'il  faisait  trop  mau- 
'.  ais  temps,  ne  voulant  point  rester  deux  heures  immo- 

ilo,  à   la    neige  et  à  la  pluie,  j'ai  donné  jusqu'à 
^0  s.,  25  s.  pour  faire  ma  faction... 

...  Il  est  arrivé  un  accident  à  Attirât,  mon  camarade 
de  lit,  accident  qui  heureusement  n'aura  pas  eu  de 
suite,  comme  je  l'espère.  Étant  de  gai-de  ensemble  sur 
un  rocher,  le  servent  voulut  s'amuser  à  faire  rouler 
une  pierre  énorme  au  bas  de  la  côte  ;  Attiret  s'y 
trouvait  malheureusement,  et  la  pierre  dans  ses  bonds 
effroyables  le  heurta  au-dessus  du  pied  et  le  renversa 
par  terre.  Si  elle  l'eut  attra|)é  par  le  milieu  du  corps, 
il  est  sûr  qu'elle  le  coupait  en  deux.  On  le  transporta 
dans  les  cabanes,  où  le  sergent-major,  qui  a  été 
chirurgien,  déclara  qu'il  n'y  avait  aucun  danger. 
Il  lui  donna  un  billet  d'hôpital,  et  il  doit  être  main- 

iiant  à  Oneille  ou  à  iNice,  beaucoup  plus  heureux 

lie  nous... 
Ouoiquo   notre    situation   soit  très  malheureuse  è 

•  use  de  la  jK>sition  de  Tannée  dans  ces  montagnes, 

jX'ndant  les  affaires  ne  laissent  pas  que  d'être  dans 

'    le  meilleur  état  ;  on  feit  tous  les  jours  les  plus  grands 

pré|)aratifsj;  on  se  dispose  à  attaquer  le  fort  de  Sève, 

el  si  les  plans  n»»  sont  p<jint  mQn<|ués,  je  crois  que 

î'arm«kî  d«'S  Al|>es  réunit*  ù  cfllf  du  l'iémonl   vont 

Miner  ilans  Turin  uiu:  belle  danse  au  rui  des  nuir- 


214  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

mottes  *  ;  il  y  a  cependant  impossibilité  à  la  paix  cette 
campagne-ci,  le  feu  est  trop  ardent,  et  je  vois  bien  qu'il 
nous  faudra  passer  notre  quartier  d'hiver  dans  ces  pays. 
Nous  pourrons  tout  au  plus  revoir  nos  foyers  la  cam- 
pagne suivante,  et  Dieu  veuille  que  nous  lui  survivions. 
Votre  respectueux  fils, 

CoMBAUD,  cadet. 

[Sans  adresse]. 

De  Carline,  le  9  thermidor,  2»  année  républicaine 
[27  juillet  1794]. 

Ma  chère  mère, 

Depuis  que  nous  sommes  campés,  nous  n'avons 
plus  celte  commodité  que  donne  une  ville  où  il  y  a 
une  poste.  Là,  aussitôt  notre  lettre  écrite,  nous 
étions  à  môme  de  la  faire  partir  sur-le-champ  ;  mais 
ici,  éloignés  de  la- moindre  bicoque  de  quatre  ou  cinq 
lieues,  il  nous  faut  attendre  que  quelqu'un  parte  pour 
Garessieux*,  ou  pour  Oneille,  ou  pour  Nice... 

La  cherté  des  vivres  est  toujours  la  même,  comme 
vous  le  voyez;  et,  qui  plus  est,  par  un  ordre  du 
général,  nous  ne  pouvons  plus  maintenant  avoir 
d'autre  pain  que  celui  de  l'étape  ;  je  ne  sais  si  l'on 
veut  en  faire   provision  pour  la  plaine,  mais  il  est 

1.  Allusion  aux  marmottes  que  les  Piémontais  et  les 
Savoyards  exhibaient  dans  les  villes  françaises  au 
xvm^  siècle. 

2.  Garessieux  désigne  Garessio,  dans  la  vallée  du  Tanaro. 


A    l'armée    des    ALPES  215 

défendu  d'en  porter  au  camp  :  gare  à  ceux  qui  auront 
trop  bon  appétit,  et  moi, qui  suis  parfois  de  ce  nombre, 
l'ai  vu  souvent  mon  ventre  se  récrier  contre  cette 
léfense.  Tandis  qu'à  Riom  vous  mangez  du  fruit  en 
ilxjndancc,  ici  il  nous  faut  acheter  une  poire  d'une 
grosseur  ordinaire  5  sous  ;  jugez  du  reste  par  cet 
exemple;  aussi  fait-on  des  dépenses  extraordinaires 
en  vivant  très  mal.  Nous  sommes  dans  un  pays  con- 
quis où  les  assignats  ont  bien  peu  de  valeur.  Les 
barbets  '  surtout  qui  habitent  ces  montagnes  ne  veu- 
lent point  en  entendre  parler.  J'ai  toujours  avec  moi  ces 
assignats  à  face  royale  qui  passent  peut-être  à  Riom 
comme  les  autres  et  que  je  ne  puis  changer  ici... 

Comme  je  vous  ai  dit  que  nous  étions  au  poste  le 
plus  proche  de  l'ennemi,  peut-être  attendez-vous  de 
ma  part  des  détails  intéressants  ;  vous  vous  trompe- 
riez car  je  ne  suis  pas  plus  instruit  des  mouvements 
de  notre  armée  que  vous  ;  le  pauvre  soldat  monte  sa 
garde  tous  les  deux  ou  trois  jours  et  n'en  est  pas  plus 
savant  ;  cependant,  il  est  certain  par  les  découvertes 
que  nous  faisons  tous  les  jours  que  l'ennemi  est  à 
plus  de  cinq  lieues  du  camp;  mais  quand  il  serait 
plus  prés,  postés  comme  nous  le  sommes,  je  ne  crois 
pas  qu'il  oserait  entreprendre  de  nous  attaquer  ;  il  y 
eut  pourtant  quatre  ou  cinq  hommes  qui  vinrent  dei^ 
nièreracnt  reconnaître  la  position   de  nos  gardes  de 


1.  Ce  surnutn,  vieux  de  plusieurs  siècles,  s'appliquait 
aux  habitants  du  Piémont. 


216  AU    SERVICE    DC    LA   NATION 


1 


dessus  des  hauteurs  presque  inaccessibles  ;  ils  tirèrent 
môme  quelques  coups  de  fusil,  qui  ne  portèrent  point 
â  cause  de  réloignomcnt  ;  mais  ils  n'ont  plus  paru 
depuis.  Que  le  mot  de  poste  avancé  ne  vous  oirrayc 
point;  nous  sommes  ici  dans  la  plus  profonde  sécurité 
et  aussi  en  sûreté  qu'à  Riora.  S'il  y  a  à  craindre  ça  ne 
sera  jamais  qu'à  une  attaque  générale,  qui  ne  peut 
pas  être  bien  éloignée,  car  je  ne  puis  me  persuader 
que  cette  campagne  se  passe  ainsi. 
Votre  respectueux  fils, 

CoMBAUD,  cadet. 

P.- S.  —  Le  bruit  court  ici  que  les  chasseurs  de 
la  montagne  sont  à  Suspelle  *,  qui  n'est  qu'à  six  lieues 
de  notre  camp  ;  si  l'on  était  pas  si  rigide,  je  tâcherais 
d'obtenir  une  permission  pour  l'y  aller  voir,  mais  la 
tentative  serait  inutile... 

...  L'on  fait  avancer  tous  les  jours  dans  la  plaine 
force  artillerie  et  force  cavalerie,  et  l'on  ne  doute  pas 
que  cette  campagne  décide  beaucoup  les  affaires. 

[sans  adressé]. 

Du  camp  do  CarUne,  le  12  vendémiaire, 
3«  année  républicaine  [3  octobre  1794]. 
Liberté,  Egalité. 

Ma  chère  mère, 

...  Nous  sommes  partis  en  détachement  pour  aller 

1.  Sospel,  eh.  1.  de  c.  de  l'arr.   de  Nice. 


A    l'armée    des    ALPES  217 

en  découverte  sur  le  bord  do  la  plaine  ;  quolques-uns 
disent  que  c'était  pour  favoriser  l'attaque  du  fort  de 
Sève,  qui  allait  se  faire,  personne  ne  connaissait 
guère  les  intentions  du  général;  quoiqu'il  en  soit, 
nous  sommes  partis  environ  au  nombre  de  mille,  à 
huit  heures  du  soir,  dans  un  chemin  d'où  l'on  a  de  la 
peine  à  se  tirer  en  plein  midi.  Ajoutez  à  cela  que  la 
nuit  fut  plus  obscure  qu'à  l'ordinaire,  à  cause  des 
brouillards.  Après  une  marche  d'environ  deux  heures, 
qui  ne  fut  outre  chose  qu'une  montée  continuelle  au 
milieu  des  rochers  et  de  la  neige,  une  pluie  mêlée  de 
g^le  vint  nous  assaillir,  le  tonnerre  se  fit  entendre 
d'une  manière  effroyable  et  les  ténèbres  devinrent  si 
épaisses  que  l'on  ne  vil  plus  qu'à  la  lueur  des  éclairs, 
qui  nous  laissait  ensuite  dans  la  plus  grande  obscu- 
rité; de  sorte  qu'alors  nous  étions  obligés  de  nous 
tenir  les  uns  aux  autres  pour  ne  pas  perdre  la  file, 
ne  pouvant  nous  apercevoir.  Cette  peinture  paraît 
exagérée;  c'est  cependant  la  vérité  même,  car  il 
n'était  personne  qui  ne  crut  le  détachement  perdu. 
Après  bien  des  fatigues,  nous  nous  IrouvAmes  à  la 
pointe  du  jour  devant  le  poste  le  plus  avancé  de 
1  ennemi,  qui  escopa  bien  vile  après  avoir  lire  quel- 
ques coups  de  fusil  pour  servir  d'avertisvSement,  et  se 
retira  sur  le  |X)ste  de  réserve.  Aussit<5t  deux  compa- 
gnies montèrent  du  village  voisin  cl  viorenl  se  poster 
sur  le  plateau  \v  plus  élevé  et  le  plus  escarpé.  Il  fallut 
les  délogor  de  là  ;  l'on  ne  fil  jkmiiI  niarcher  notre 
'l'-tachement,    mais  celui   du  T  bataillon  de  noire 


218  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

demi-brigade.  Après  une  résistance  d'environ  une 
heure,  ils  prirent  la  fuite  ;  nous  fîmes  prisonniers  un 
capitaine,  qui  ne  voulut  point  abandonner  son  poste, 
ainsi  que  son  lieutenant,  un  sergent,  un  caporal  et 
23  fusiliers,  et  le  capitaine  avoua  lui-même  que,  parmi 
ceux  qui  s'étaient  sauvés,  il  y  en  avait  eu  une  quin- 
zaine de  blessés;  de  notre  côté,  nous  n'eûmes  que 
deux  tambours  de  tués  et  deux  soldats  de  blessés; 
voilà  à  quoi  se  réduisit  l'expédition  ;  mais  si  nous 
étions  réunis  à  une  autre  colonne  qui  devait  nous 
joindre,  nous  aurions  pu  faire  quelque  beau  coup; 
car  celle-ci,  de  son  côté,  fit  30  prisonniers  et  prit  cinq 
pièces  de  canon.  Attiret,  Ducrochet,  Verni,  Bordaire 
et  quelques  autres  de  mes  camarades,  eurent  le  bon- 
heur de  ne  point  être  de  ce  détachement,  qui  eut  lieu 
le  2*  jour  des  sans-culottides  [18  septembre  1794]'. 
Jugez  s'il  était  agréable  pour  nous  de  savoir  que  l'on 
s'amusait  à  Riom,  tandis  que  nous  passions  une  nuit 
aussi  affreuse  :  cela  donnait  lieu  à  mille  réflexions 


1.  Le  fait  d'armes  raconté  par  le  volontaire  Combaud 
fut  exécuté  par  le  chef  de  brigade  Pijon  pour  inquiéter 
les  forces  piémontaises,  tandis  que  Masséna,  parti  de 
Ceriale,  marchait  droit  sur  le  gros  de  l'ennemi.  Masséna 
etLaharpe  arrivèrent  victorieusement  jusqu'à  Dego,  mais 
furent  empêchés  par  les  représentants  aux  armées  Albitte 
et  Salicetli  de  profiter  de  leurs  avantages  en  marchant 
sur  Ce  va  (10-24  septembre).  Sur  ces  opérations,  dont  le 
plan  était  dû  à  Bonaparte,  cf.  capitaine  Colin,  L'éducation 
militaire  de  Napoléon,  pp.  311  sqq  ;  Dumolin,  op.  cit.,  t.  I, 
pp.  280-283,  et  croquis  n"  36  ;  Historique  manuscrit  du 
99^  régiment  d'infanterie,  pp.  26-28. 


A    i/aRMÉE    des    ALPES  219 

qu'il  est  inutile  de  vous  communiquer  ici.  Voici  la 
seconde  fois  que  nous  avons  quitté  ce  camp,  et  la 
seconde  fois  que  nous  y  revenons,  et  toujours  avec  de 
plaisir,  quoiqu'il  ne  laisse  pas  de  nous  ennuyer  beau- 
coup, surtout  dans  le  moment  présent... 

. . .  L'on  ne  songe  point  ici  à  la  paix,  pas  même  à 
nous  faire  évacuer  ce  poste  que  la  neige  a  déjà 
blanchi  deux  ou  trois  fois  ;  nous  commençons  déjà  à 
souffrir  non  seulement  à  nos  gardes,  que  nous  passons 
au  milieu  de  la  neige,  mais  encore  dans  nos  ba- 
raques, que  le  vent  traverse  dans  toute  leur  étendue. 
Dans  le  mois  où  nous  sommes,  il  fait  ici  aussi  froid 
(ju'à  Riom  au  cœur  de  l'hiver.  Toutes  les  espérances 
qu'on  nous  donne  c'est  que  nous  abandonnerons  le 
poste  lorsque  nous  ne  pourrons  plus  résister  au  mau- 
vais temps  et  lorsque  les  vivres  ne  pourrons  plus  nous 
parvenir... 

Votre  respectueux  fils, 

CoMBAUD,  cadet. 

[Sans  adreise]. 

Du  camp  de  Viogene,  le  14  brumaire, 
S*  année  républicaine  [4  novembre  1794]. 

Liberté.  Egalité. 
Ma  chère  mère, 
.  .  La  neige  et  le  mauvais  temps  nous  ont  forcés  à 
abandonner  le  camp  de  Carline  ;  c'est  à  cette  occa- 
sion que  nous  avons  eu  avec  Chassaing  et  Gerce 


220  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

une  de  ces  gardes  où  l'on  devrait  crever  si  les  forces 
de  l'homme  n'augmentaient  à  proportion  du  besoin 
qu'il  en  a  ;  il  a  neigé  vingt-quatre  heures  de  suite  et, 
le  matin,  nous  ne  pouvions  retrouver  notre  chemin 
pour  revenir  au  camp;  je  fus  la  dernière  sentinelle;  il 
ne  fut  plus  possible  d'en  placer  après  moi  et,  quoique 
je  ne  fusse  qu'à  deux  cents  pas  du  poste,  j'eus  bien 
mes  peines  pour  y  revenir;  il  y  avait  déjà  un  pied 
et  demi  de  neige.  Nous  arrivâmes  tout  trempé  au 
camp  et  nous  ne  fûmes  sec  que  deux  jours 
après. 

A  cette  occasion,  si  je  n'ai  point  été  à  l'hôpital,  peu 
s'en  est  fallu.  La  neige  m'avait  tellement  fatigué  la 
vue  que  je  ne  voyais  presque  plus  clair  ;  je  ne  pou- 
vais ouvrir  les  yeux  qu'à-demi  ;  on  m'avait  donné  un 
billet  d'hôpital,  mais  en  route  mes  yeux  se  sont  réta- 
blis et  le  commissaire  des  guerres  a  refusé  de  signer 
le  billet,  à  mon  grand  regret  ;  j'étais  bien  aise  d'aban- 
donner ces  montagnes. 

Nous  sommes  descendus  de  Carline  et,  comme 
vous  pouvez  en  juger  par  la  date,  nous  sommes  reve- 
nus à  Viogene,  notre  ancien  camp,  il  y  a  environ  une 
quinzaine  de  jours.  Nous  sommes  logés  dans  des 
baraques,  où  nous  sommes  bien  à  l'abri  tant  qu'il 
lait  soleil  ;  mais,  à  la  moindre  pluie,  nous  sommes 
comme  dehors,  et  comme  il  ne  se  passe  point  de  jour 
qu'il  ne  fasse  mauvais  temps,  vous  devez  juger  si 
notre  position  est  agréable.  Aussi  nous  restons  bien 
dans  le  camp  toute  la  journée  pour  nous  trouver  aux 


A    l'armée    des    ALPES  221 

apjiels  cl  h  ce  dont  on  peut  avoir  besoin  de  nous; 
maiij,  sur  le  soir,  nous  allons  chercher  un  gile  à  un 
quart  de  lieue  du  camp,  chez  quelque  barbet  qui 
\''uille  bien  nous  recevoir;  le  service  est  devenu 
\lr«imemenl  fatiguant  avec  le  temps  qu'il  fait,  et  les 
nuits  étant  si  longues  ;  nous  montons  la  garde  de 
jour  à  autre,  aussi  tous  les  soldats  se  récrient-ils,  et 
il  en  va  tous  les  jours  grand  nombre  à  l'hô- 
pilal. 

Notre  bataillon  éprouve  tous  les  malheurs  imagi- 
nables :  voici  deux  ans  qu'il  ne  quitte  point  les  mon- 
tagnes ;  il  devait  être  relevé  ces  jours-ci  pour  aller 
•  'Il  France  et  peut-être  à  Marseille  ;   mais,  par   une 
!  reur  grossière  et  que  Ton  ne  peut  concevoir,  un 
utre   bataillon,  qui  n'avait  pas  autant  souffert  que 
nous,  l'a  été  à  notre  place.  Si  nous  souffrons  tant, 
mus  en  avons  l'obligation  en  grande  partie  à  notre 
omniandant,  qui  n'a  pas  l'esprit  de  savoir  faire  au 
i;t'*néral  de  légitimes  représentations.  Le  bruit  court 
;iujourd'hui  que  nous  allons  être  relevé  dans  quelque 
Irmps  pour  aller    passer   notre    quartier  d'hiver   à 
Loano,   ville   assez  agréable,  et  où   nous  pourrons 
tous  donner  quelque  aisance;  mais  le  service  y  sera 
ussi  pénible,  étant  toujours  proche  de  l'ennemi  :  cl 
iicore  qui  sait  si  ce  bruit  a  quelque  fondement... 

\',ilr-.-  r«'«.i"'<-iii.iix  fils, 

CoMBAUD,  cadet. 
P. -S.  —  Au  moment  où  je  vais  cacheter  ma  lettre. 


222  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

nous  partons  pour  Ormea.  Le  bataillon  est  enfin 
relevé,  mais  il  ignore  le  lieu  de  sa  destination  ;  vous 
pouvez  toujours  m'écrire  par  Ormea*. 

1.  Ormea,  sur  le  Tanaro. 


A  L'ARMÉE  D'ITALIE 

(1796-1797) 


Au  citoyen  Clément  de  Ris,  Beauvais-sur-Cher 
{Indre-et-Loire),  par  Tours. 

Rivoli,  le  15  frimaire,  V»  année  républicaine 
[5  décembre  1796]. 

Citoyen, 

Je  viens  de  recevoir  la  lettre  que  vous  m'avez  fait 
l'amitié  de  m'écrire.  Le  15  dernier  [5  novembre],  vous 
me  dites  de  vous  adresser  directement  mes  lettres. 
Il  a  toujours  été  pour  moi  un  vrai  plaisir  de  corres- 
pondre avec  les  vrais  amis  de  la  République.  Comme 
je  crois  que  vous  en  êtes  un,  c'est  pourquoi  je  vous 
réponds  avec  beaucoup  de  plaisir,  et  j'espère  qu'une 
paix  prochaine  me  rapprochera  bientôt  de  vous  et  que 
l'aurai  l'honneur  de  faire  votre  connaissance. 

Comme  les  lettres  sont  si  longtemps  à  me  parvenir, 
soit  à  cause  de  l'éloignement  ou  de  la  circonstance 
du  temps,  soit  à  cause  des  montagnes  qui  ne  sont  pas 
praticables,  dorénavant  je  n'attendrai  pas  vos  ré- 
ponses pour  vous  écrire  ;  si  tôt  qu'il  y  aura  quelque 
chose  de  nouveau  à  l'armée,  je  vous  écrirai  de  suite. 


224  AU    SERVICE    DE    L\   NATION 

Vous  avez  connaissance  de  la  dernière  affaire,  les 
journaux  vous  en  auront  instruit,  mais  comme  vous 
êtes  si  bien  d'accord  avec  la  géographie  je  m'en  vais 
vous  en  faire  un  petit  détail.  L'Empereur  a  fait  un 
dernier  effort  pour  Mantoue  ;  il  avait  ramassé  vingt- 
cinq  mille  hommes,  qu'il  envoyait  pour  faire  lever  le 
blocus.  Ils  ont  attaqué  nos  premiers  postes  en  avant 
de  Trente.  Aussitôt,  Bonaparte  donna  ordre  d'évacuer 
Trente'  et  fit  rassembler  son  armée  sur  le  bord  de 
l'Adige,  depuis  Rivoli  jusqu'à  Vérone,  et  deux  divi- 
sions qui  étaient  dans  Peschicra. 

Les  Autrichiens,  qui  ne  trouvaient  plus  rien  devant 
eux,  poussèrent  plus  avant  et  entrèrent  dans  Trente,  et 
le  lendemain  se  disposèrent  à  marcher  sur  Mantoue. 
Ils  attaquèrent  nos  avant-postes,  qui  étaient  alors  à  la 
Corona,  où  ils  ont  pris  quatre  cents  hommes  pour  com- 
mencer. Les  autres  postes  de  la  gorge  de  Rivoli  et  de 
Gaprino  ont  évacué.  L'ennemi  est  sorti  de  la  gorge, 
marchant  sur  Gastelnuovo,  qui  est  le  chemin  le  plus 
court  pour  arriver  à  la  porte  de  Saint- Antoine  de  Man- 
toue. Là,  ils  ont  trouvé  l'armée,  qui  les  a  empêchés  de 
passer.  Pendant  ce  temps,  les  deux  divisions  de  Pes- 
chiera  et  les  deux  de  Vérone  ont  reçu  l'ordre  de  monter 
sur  la  montagne  en  appuyant  l'une  à  droite,  l'autre  à 
gauche,  et  ont  fait  leur  jonction  dans  la  gorge  qui 
vient  de  Trente  à  Rivoli.  Dès  qu'ils  se  furent  empa- 


1.  Bonaparte  n'avaitpointdonneordre  d'évacuer  Trente, 
Vaubois  y  fut  contraint  par  Davidovich. 


A    L  ARMÉE    D  ITALIE  225 

rés  des  points  les  plus  importants,  le  signal  fut 
donné,  on  battit  la  charge,  toute  l'armée  fond  sur 
l'ennemi,  nous  le  forçons  à  la  retraite.  Alors  nos 
quatre  divisions  les  attendaient  à  l'entrée  de  la  gorge 
de  Rivoli'.  Ils  se  voient  entourés!  10.000  hommes 
mettent  bas  les  armes,  le  reste  se  sauve  à  travers  les 
montagnes.  La  moitié  est  obligée  de  revenir  ne  pou- 
vant passer;  à  cause  de  la  neige,  ils  seraient  morts  de 
faim.  Cette  affaire  coûte  à  peu  près  une  douzaine  de 
mille  hommes  à  l'Empereur.  Je  ne  me  rappelle  pas 
combien  on  leur  a  pris  de  canons  et  de  drapeaux. 
Les  journaux  vous  l'auront  dit  sûrement.  Pendant 
l'action,  la  garnison  de  Mantoue  a  fait  une  vigou- 
reuse sortie  par  la  porte  Saint- Antoine,  croyant  faire 
diversion  à  notre  armée,  mais  elle  n'a  pas  mieux 
réussi  que  les  25.000  hommes.  La  sortie  nous  a 
coûté  à  peu  près  300  hommes  et  au  moins  autant  à 
l'ennemi,  qui  a  été  obligé  de  rentrer  en  ville  plus  vite 
qu'il  n'en  était  sorti.  La  ville  est  toujours  bloquée  de 
toutes  parts.  Jusqu'à  ce  jour  on  n'a  tiré  que  quelques 


1.  Ces  détails  sur  des  combats  autour  de  Rivoli  aux- 
quels Drouault  ne  prit  point  pari  sont  vagues  et  inexacts. 
Après  la  victoire  d'Arcole,  les  divisions  Vaubois  et  Mas- 
séna  avaient  été  envoyées  à  Castelnovo  et  Augereau  à  Ala 
pour  arrêter  le  mouvement  offensif  de  Davidovich.  Le 
21  novembre,  l'avant-garde  de  Masséna  entoura  prés  de 
Campara  un  corps  d'arrière-garde  ennemie,  lui  fi^  de 
1.200  à  1500  prisonniers  sans  qu'il  y  ail  eu  de  bataille 
décisive.  La  sortie  de  la  garnison  de  Mantoue,  à  laquelle 
il  est  fait  allusion  au  cours  de  la  lettre,  eut  lieu  le  23  no- 
vembre. 

PICARO.  18 


22&  AU    èERVICÈ    bÊ    LA   NATION 

bbuè  sur  la  ville,  ttldls  les  travaux  de  batleHe  se 
JioUrsliivehl  bt  on  va  bifetitôt  la  bdmbarder  à\  elle 
h'bst  pas  rolidiié  Sbuë  peu  de  tblbjjs. 

Notre  dcrili-brigkdc  n'est  Jjllià  ali  blocus;  nous  en 
Sommes  partis  avant  l'A  debniêi'e  affaire  pour  aller 
renforcer  1  arrtiëe  ;  dëpiiiâ  cette  affaire,  hoilâ  t'ëètons  à 
l'armée,  fill.^  avàilt-poâlës;  GbtUrtië  hoUs  vëiionà 
d'être  rCorgahisés;  nbtij»  àVbtis  chatige  de  numéro; 
nous  aVons  afctuoUemetit  le  h°  33  ^  Vous  rbetlrez 
iiibn  adresâe  :  au  citoyen  Dt-bilault,  officier  â  la 
33"  demi-bHgddei  ëU  feaitip  de  Rivollj  ërmée  d'ilaliè; 
à  Rivoli. 

Au  sujet  des  déserllbris,  traritiuiUisëîï-vouâ  !  Il  y 
a  bien  eu  qUel(JUcs  lAches,  eri  bffetj  mais  le  nombre 
eh  eût  bien  petit  et  étltjdt'e  lie  sont  ëh  France.  L'ar- 
mée eât  ëri  très  bon  état  et  tout  iiri  chacun  se  bat  en 
déterminé.  Le  bruit  court  c|uë  rÈmpéréUt*  a  encore 
envoyé  des  trbUpes  de  Ce  bôte-ëi  et  que  nous  devonâ 
eirc  attaqués  bientôt;  maiè,  cbrhrtië  j'ai  eu  l'hohneur 
de  vbUs  [le]  dirë^  s'il  y  a  quelque  chose  de  nouveau^ 
je  vous  écrirai. 

Gitoj'^en,  je  suis  en  attendant  votre  réponse,  avec 
respect.  Salut  et  arriitiés, 

Drouault  ^ 


1.  Le  i"'  et  le  3°  bataillons  de  la  33°  demi-brigade  avaient 
quitté  le  blocus  le  12  novembre  1796  :  le  2o  novembre,  ils 
étaient  à  Rivoli. 

2.  Étiènrie  Dhouàiilt,  né  à  Goursay  (Indrb-et-Loiré)  lé 
12  septembre  1771.  Volontaire  au  2«  bataillon  d'Indre-et- 


\    1/ ARMER    d'itALIE  227 

,\r  vniis  j.i  ir  u.  (liro  inilU'  eho.sos  honnOles  à  l'ami 
Vaillant  et  à  sa  liTnriu*.  Jo  le  prie  lU'  dire  à  ma  mi'vc 
que  je  l'ombrasse  ainsi  que  toute  ma  famille,  que  je 
suis  en  bonne  santé.  Que  l'ami  Gaulron  embrasse  sa 
femme  ;  il  dira  h  ma  mère  que  je  n'ai  pas  encore  de 
lettre  d'elle  et  (|u'ell('  me  dise  si  elle  a  reçu  celle  que 
je  lui  ai  écrite. 

Le  citoyen  Clément  de  Ris  faisant  réponse  à  cette 
k'ttî*e  aura  la  lx)nlé  d'y  renfermer  l'adresse  de  mon 
fils,  que  le  citoyen  Drouaull  vous  a  demandée  dans  sa 
lettrée  précédente,  antécédente  à  celle  du  citoyen 
Louis  Balléchon,  grenadier  au  3"  bataillon  de  la 
5"  demi-brigade,  au  bivouac  devant  Mantoue,  armée 
d'Ilidie.  11  obligera  infiniment  son  concitoyen, 

Balléchon. 

Au  citoyen  Clément  de  Ris, 
Beauvais-sur-Cher  {Indre-et-Loire),  par  Tours. 

Au  bivouac  devant  Trente,  le  la  pluviôse 

V»  aiHii'o  ri'|)ut)liraine  \'i  février  1797]. 

Remis  à  Beauvais-sur-Cher  le  8  ventôse  [i6  février]. 

K^crt^e   double,  victoire  à    voua   annoncer,    cher 
\près  quelques  jours  de  rë|Jos,  après  les 

l.uiie(J792),8crgentlel0aoùt.8ou8-licuienanlle5mail7'J4. 
Il  fut  blessé  à  Lavis  (20  mars  1797)  et  reçut  un  sabre 
d'honncurn  Vérorlc(2l>nirtrs  1798).  Lieutenant  en  a  vrill79y. 
il  passa  d;ina  la  gendarmerie  d  elile  le  3  octofire  1801. 
Dans  la  suilo,  il  devint  capitaine  adjudant-major  nu 
69"  diiifantorie,  prit  part  aux  campagnrs  de  1«U8  1811, 
1813. -1  t«l:..(;  t'  r  en  IH» 5.  Retraité  en  1816, 

il  se  rcliru  u  cil lO-cULoire). 


228  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

grands  combats  des  24,  25  et  26',  toute  l'armée  se 
met  en  mouvement  et  marche  sur  Trente.  Les  Autri- 
chiens avaient,  depuis  la  gorge  de  Rivoli,  au  moins 
dix  positions  pour  nous  arrêter  avant  notre  arrivée  à 
Trente ^  Heureusement,  rien  ne  nous  arrête;  nous 
avons  enlevé  tous  les  ouvrages  de  l'ennemi  à  la  baïon- 
nette -et  nous  les  avons  battus  sur  tous  les  points.  Je 
n'en  saurais  même  pas  faire  le  détail  de  cette  affaire 
car  elle  est  trop  étendue,  même  pour  vous  dire  le 
nombre  des  prisonniers  que  nous  avons  faits. 

Notre  demi-brigade  était  de  la  colonne  qui  a  passé 
le  long  de  la  rive  droite  de  l'Adige.  Je  crois  que  de 
notre  côté  nous  avons  bien  fait  deux  mille  et  quelques 
cents  prisonniers,  sans  compter  tués  et  blessés.  Ainsi 
vous  voyez  la  division  du  général  Joubert  était  dirigée 
sur  trois  points  :  la  1"®  colonne  le  long  de  la  rive  gauche 
de  l'Adige,  la  2"  le  long  de  la  rive  droite,  la  3*  a  passé 
par  Montagna,  a  tourné  le  Monte  Baido,  le  long  du 
lac  de  Garda,  a  repassé  les  montagnes  pour  forcer  les 
Autrichiens  à  abandonner  plusieurs  positions.  Us  ont 
fait  ainsi  un  grand  nombre  de  prisonniers  ainsi  que 
les  autres  colonnes. 

Masséna,  général  de  division,    et  Augereau   sont 


1.  Pendant  ces  journées  (13,  14,  15  janvier),  Bonaparte 
avait  livré  la  série  des  combats  qui  constituèrent  la  glo- 
rieuse victoire  de  Rivoli. 

2.  Joubert  entra  dans  Trente  le  30  janvier  1797,  et  la 
33»  demi-brigade,  sous  les  ordres  du  général  Mayer,  faisait 
partie  de  sa  division. 


A  l'armée  d'italie  229 

passés  du  côté  de  Vicence  el  ont  fait  beaucoup  de  pri- 
sonniers *.  Nous  avons  eu  un  succès  heureux  sur  toute 
la  ligne.  Le  môme  jour,  c'était  le  8  [27  janvier],  nous 
les  avons  attaqués,  ils  ont  été  mis  en  déroute,  nous 
les  avons  poursuivis  jusqu'à  Trente  et  même  deux 
lieues  plus  loin  sans  les  lâcher. 

Toute  l'armée  avait  des  vivres  pour  quatre  jours. 
Vous  devez  voir  que  nous  étions  bien  fatigués,  ayant 
le  pain  et  les  munitions  de  guerre  sur  le  dos.  Nous 
les  avons  culbutés  et  pris  les  mômes  positions  que 
l'autre  lois. 

Les  Autrichiens  complètement  battus,  le  lendemain 
de  notre  arrivée  à  Trente  nous  arriva  la  nouvelle 
heureuse  de  la  prise  de  Mantoue  '.  Je  n'ai  pas  de  plus 
heureuse  nouvelle  à  vous  donner  :  Mantoue  rendue, 
l'armée  autrichienne  complètement  battue,  je  crois 
que  le  grand  effort  de  l'armée  française  pourra  donner 
la  paix  à  l'Europe.  Vive  la  République  ! 

Sur  ma  dernière  lettre,  je  vous  avais  désigné  les 
montagnes  Saint-Ambroise  comme  faisant  partie  des 
affaires  des  24,  2"»  el  26  ;  je  me  suis  trompé  ;  ce  sont 
les  montagnes  Saint-Marc.  Pour  les  prisonniers,  je 
vous  ai  dit  12  à  13.000;  la  division  seule  a  fait  ce 
chiffre  ;  c'est  25.000  sur  toute  la  hgne  (y  compris 


1.  Masséna  et  Augercau  s'étaient  diriges  l'un  sur 
Vicence,  l'autre  sur  Hadoue  pour  gagner  ensuite  Citla- 
della  (DumoUn.  op.  cit.,  t.  1,  p.  505). 

2.  Le  2  février,  hors  d'état  de  résister  plus  longtemps. 
Wurmser  avait  capitulé  dans  Mantoue. 


230  AU    SERVICE    DE    l-A    NATION 

Mauloue).  Vous  voyez  (jue  ce  bont  des  victoires  com- 
plètes. 

Cher  citoyen,  vous  direz  à  ma  famille  que  je  suis 
en  bonne  santé  et  que  je  n'ai  aucune  blessure. 
Salut  et  rospccl, 

Drouault, 

offiqipr, 

Au  citoyen  Clément  de  Ris, 
Beauvais-sur-Chei'  (Jndre-et-Loire). 

Lavis,  en  avant  de  Trente  «,  3  ventpse  V"  année  de 
la  République  française  [21  février  1797). 

Citoyen, 

D'après  les  rapports  des  généraux,  je  n^'empresse 
de  vous  apprendre  l'arrivée  du  prince  Charles  à  l'ar- 
mée d'Italie-.  Il  est  arrivé  à  Trieste,il  ya  deux  jours, 
avec  11.000  hommes  de  renfort. 

Il  se  propose  d'attaquer  l'armée  française  sous  peu 
de  jours.  C'est  ce  qui  me  donne  occasion  de  vous 
écrire,  car  je  vois  que  nous  avons  de  nouveaux  lauriers 


1  Lavis  est  un  bourg  du  Tyrol,  district  de  Trente 
(Autriche). 

2.  L'archiduc  —  et  non  le  'princc  —  Charles  était  arrivé 
le  7  février  à  Innsbruck  pour  prendre  le  commandement 
de  l'armée  d'Italie.  Il  repartit  ensuite  pour  Vienne  et  ne 
revint  dans  le  Frioul  que  peu  de  temps  avant  l'ouverture 
des  hostilités.  Ace  moment,  l'armée  autrichienne  ne  pou- 
vait compter  plus  de  20.000  hommes  (CUfUsewitz,  ],ii-  cam- 
pagne de  1796  en  Italie,  traduction  Colin,  p.  298). 


A    L.4RMjig    U  ITAUIS  231 

à  cueillir  et  qu'une  fois  le  bal  coinmencé  il  durera 
plus  d'un  jour.  Je  sprai  peut-êlre  longtemps  §aiivS 
jxmvoir  vous  ^*crire;  il  poprrîiit  bie|i  se  faire  que  des 
pcniort$  du  prince  Charles  nous  envoient  à  Vienne. 
Manlouo  rtMulue  el  les  renforts  qui  noys  arrivent  nous 
donnent  au  inoins  le  doublai  dp  forces  que  nous 
ll-étions  aux  afli^res  des  2i,  25  et  2^  et,  dans  tous  les 
cas,  une  belle  retraite,  ^u  lipu  qu'ayant  nous  n'en 
avions  aucune. 

Les  généraux  de  division»  hipr  et  aiypurd'hui,  ont 
passé  la  revue  dp  Jeiir  division.  J'^i  vu  avec  plaisir 
que  chaque  soldat  désire  faire  mi  dernier  effort  cl 
brûle  de  fondre  sur  l'armée  du  prince  Charles,  çommp 
ils  ont  fait  sur  celle  d'Alvinzi  *,  et  je  crqis  qu'il  faut 
encore  un  coup  de  l'armée  d'Italie  pour  forcer  le  cruel 
Empereur  à  la  paix.  Je  vous  assure  que  je  suis  bien 
las  de  la  guerre  ;  d'ailleurs,  tous  les  amis  de  l'huma- 
nit  '  ;  '  nt  la  paix,  mais  jl  est  certain  que  si  nous 
rpi  ^  PUCPre  m^e  fo'^  ^\ir  JP:?  dp}>.ni>  dp  Tarn^pc 

outriclueuDp,  je  pcpi;^  qpc  ce  sepi^  )a  derrière  :  nous 
fiinièqerpns  le  rpstc  en  France,  cap  ^^  sont  si  las  de 
se  battre  qu'au  premipr  coup  dp  fusij  4s  fnpttpot  b^s 
l«'S  armes. 

Il  y  a  tfois  jo^fs,  ull^pt  è{  {i^  dqco^vu4<î»  "P"^ 
poussAmes  la  découverte  un  peu  plus  loin  qu'à  l'ordi- 
naire ;  je  rencontrai  une  grand'garde  de  80  hommes 


lirai  ;itili  \iviiic/,j  av. ni  vi.>-  («miujIi.Ii;- 

I  par  Hun   ,  Aréole  el  à  Itivoii. 


232  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

autrichiens,  que  je  ramenai  avec  moi  ;  après  une 
vingtaine  de  coups  de  fusil,  ils  ont  mis  bas  les  armes  : 
je  n'avais  que  30  grenadiers. 

L'expédition  contre  le  pape  va  on  ne  peut  mieux  ; 
la  division  du  général  Victor,  qui  est  en  marche  sur 
Rome,  n'en  était  plus  qu'à  30  lieues  le  29  pluviôse  et 
avait  déjà  fait  beaucoup  de  prisonniers,  pris  beaucoup 
de  canons  en  bronze,  un  million  de  numéraire  d'un 
trésor  qu'ils  n'ont  pas  eu  le  cœur  de  sauver.  Les  jour- 
naux vous  apprendront  ce  brillant  succès*. 

Rien  autre  chose  à  vous  marquer  pour  le  présent 
que  nous  attendons  un  mouvement  général  au  premier 
moment. 

Salut  et  respects, 

Drouault, 

officier, 

Voici  la  4*  lettre  que  je  vous  envoie,  je  n'ai  pas 
encore  eu  de  vos  nouvelles  ;  je  vous  prie  de  me  faire 
réponse  et  de  me  dire  si  vous  avez  reçu  mes  lettres. 
Je  n'ai  pu  savoir  de  nouvelles  de  France  que  par  vous. 
Si  vous  savez  quelque  chose  d'intéressant,  je  vous 
prie  de  m'en  faire  part. 

Vous  aurez  la  complaisance  de  dire  à  ma  mère  que 


1.  Le  général  Victor  avait  défait  les  troupes  papales 
le  4  et  pris  Ancône  le  9  février.  Pie  VI  allait  signer  la 
paix  avec  Bonaparte  le  19  février  (1'*''  ventôse).  Le  29  plu- 
viôse (17  février),  le  succès  de  cette  expédition  était  donc 
déjà  certain. 


A    i/aRMÉE    D  ITALIE  233 

je  suis  en  bonne  santé,   et  je  Tembrasse  ainsi  que 

toute  ma  famille  et  tous  les  amis  du  pays. 

Drouault,  officier  de  grenadiers,  33»  demi-brigade 
d'infanterie  de  bataille.  Division  du  général  Joubert. 
Armée  d'Italie.  Lavis,  près  Trente. 

Au  citoyen  Clément  de  Ris, 
Beauvais-sur-Cher  (Indre-et-Loire),  par  Tours. 

Bolzano'  par  Trente,  10  germinal  an  V  [30  mars  1797]. 
Citoyen, 

Il  m'a  été  impossible  de  vous  donner  de  mes  nou- 
velles plus  tôt.  Nous  avons  attaqué  l'armée  ennemie 
le  30  dernier  [20  mars]  au  point  du  jour^.  Il  occupait 
les  hauteurs  de  Zova  Lanave,  San-Michele  et,  de 
l'autre  côté  de  l'Adige,  celle  de  Zambana'.  Les  3  divi- 
sions aux  ordres  du  général  Joubert  ont  attaqué  au 
même  instant.  Notre  demi-brigade  tenait  la  droite; 
nous  avons  monté  à  droite  de  Lavis  avec  trois  compa- 
gnies de  grenadiers.  Après  que  nous  avons  eu  enlevé 


1.  Bozen,  chef-lieu  de  district  du  Tyrol  autrichien. 

2.  Pour  se  conformer  aux  ordres  de  Bonaparte,  qui  lui 
avait  enjoint  de  repousser  les  Autrichiens  au  delà  du 
Brenner,  Joubert  avait  livré  le  20  mars  un  vigoureux  et 
victorieux  combat  à  l'issue  duquel  il  occupa  Neumarkt, 
puis  Bozen  (Dumolin,  op.  cit.,  t.  I,  p.  519). 

3.  I*our  l'emplacement  de  ces  positions,  cf.  la  carte  de 
l'état-major  autrichien,  feuille  de  Trente  (Trient),  zone  21, 
col.  4.  Nou.s  ne  pouvons  établir  l'emplacement  exact  des 
hauteurs  de  «  Zova  Lanave  ».  Celles  de  «  Jelonzano  » 
peuvent  sans  doute  être  identifiées  avec  les  sommets  de 
Segonzarw  (1 .540  m.). 


:i34  AU    SERVIpp    DE    LA  NATION 

les  deu^  prejnjères  lignps  do  l'ennemi  ol  mis  c^ 
déroute  au  n\q\n^  2,000  Autrichiens,  npus  arrivons 
a^x  jiai^teurs  de  ^elonzaup,  rnontagnp  inaccessible. 
Vous  verrez  par  la  carte  que  ces  montagnes  forment 
une  espèce  de  couronne  où  les  Autrichiens  étaient 
retranchés.  Nqu§  è\}(]^^  \ij\  ppi4  trpp  en  avant  de  la 
colonne  ;  l'ennenii  nqys  laisse  approcher  h  cent  pas  de 
sa  ligne  ;  alors  un  feu  roulant  de  quatre  régiments 
ennemis,  qui  étaient  dans  la  redoute,  se  fait  sur  nous, 
qui  n'étions  que  trois  compagnies  :  la  colonne  était 
bien  à  un  quart  de  lieue  derrière.  ïl  nous  a  fallu  subir 
ce  feu  jusqu'^  l'arrivée  de  la  colonne.  La  première 
décharge  tua  cinq  h  si^  hommes  et  en  blessa  davan- 
tage. Moi,  il  me  passa  quatre  balles  dans  mon  liabit 
sans  que  jp  sois  ble^sié.  Les  deux  awtrps  compagnies 
perdirent-  (davantage  au  premier  coup  ^e  feu.  La 
charge  bat  :  les  trois  compagnies  courent  pour  enlever 
la  redoute  à  la  ba'''pi^nel,te.  L'ennemi  lait  une  seconde 
décharge  ;  je  reçois  nnp  balle  dans  le  côté  gauche,  je 
tombe  par  terre.  Les  grenadiers  me  voient  tomber; 
malgré  la  grôle  de  projectiles,  d^u^  sortent  du  fang 
et  m'emportent.  J'étais  spul  officier  :  la  compagnie  se 
trouve  alors  commandée  par  le  sergent-major.  Ils  ont 
enlevé  l^  redoute  ef,  fait  un  grand  nombre  de  prison- 
niers. On  m'emporte  à  Lavis,  on  m'a  mis  un  premier 
.appareil,  \l  est  étonnant  que  j'existe  encore,  car,  de 
l'endroit  où  je  fus  blessé  à  Lavis,  il  y  a  deux  lieues. 
Le  sang  sortait  de  ma  plaie  à  ne  pouvoir  l'empêcher  ; 
je  ne  peux  pas  vous  dire  le  sang  que  j'ai  percju  flan3 


A    l'aBMÉE    d'iTALIE  23li 

«es  deux  Ucues.  Enfin,  le  premier  appareil  est  posé. 
Le  chef  de  brigade'  m'envoie  son  domestique,  qui  ne 
m'a  pas  quitté  un  instant. 

Je  suis  resté  dans  une  maison  bourgeoise  jusqu'au 
>i  de  ce  mois,  jour  où  le  général  Meunier  '  a  eu  la  com- 
plaisance de  m'envoyer  sa  voiture  avec  une  lettre  on  ne 
peut  pas  plus  honnête,  qui  ni'engage  à  mp  rapprocher 
de  lui  si  je  pou.\  supporter  la  voiture.  J'arrive  à  Bol- 
zanooù  j'ai  vu  avec  plaisir  ce  brave  général  ainsi  que 
notre  chpf  de  brigade,  qui  emploient  tous  leurs  soins 
iiprès  mpi-  Ma  blessure  va  on  ne  peut  mieux';  ce  qui 
nje  console,  c'est  que  je  ne  serai  aucunement  estropié, 
et  j'espère  que  dans  un  mois  je  serai  à  même  de 
rejoindre  ma  compagnie.  Je  vous  assure,  phpr  citoyen, 
(|ueje  me  trouve  bien  heureux  d'être  blpssé  aussi! 
légèrement  quand  cinq  à  si,\  balles  ont  traversé  et 
rmporté  mon  habit  de  tous  côtés.  Vous  voudrez 
bien  faire  savpir  à  rr^  mèfe  que  j'ai  été  blessé  légè- 
rement au  côté  gauche,  et  que  ma  blessure  n'est  pas 
langereuae.  L'ami  Gaulron  m'a  écrit.  l\  est  guéri  et 
va  rejoindre  dans  (juclqucs  jours  ;  il  vpus  prie  de  le 
faire  savoir  ^  sa  femme. 

Je  ne  veux  pas  vous  faire  un  détail  de  tous  les 
accès  que  nous  avons  rcn^portés.  Toi^t  ce  que  je 


I       .1'  dcnii-brifiadc  était  commandée  pendant  ïix 
d'Itali»^  par  le  chef  de  bri^'ado  Almain,  ancien 
winiiiaitdant  di'  la  lU"  dcmi-bri^ado  de  bataille. 
2.  I^e  général  Uonnier  avait  le  coininandrinenl  .supé- 
rieur de  la  33"  demi-brigade. 


236  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 

veux  VOUS  dire,  nous  avons  bien  fait  6.000  prison- 
niers le  long  de  TAdigc.  Je  ne  sais  ce  que  Bonaparte 
a  fait  du  côté  de  Trieste  ;  il  en  a  fait  au  moins  autant  *. 
Le  général  Joubert  a  établi  son  quartier  général  à 
Brixen  *  ;  l'armée  a  pris  position  à  cinq  lieues  en 
avant;  il  paraît  se  fixer  là  pour  quelques  jours,  il 
aurait  pu  pousser  jusqu'à  Innsbruck,  mais  la  position 
que  nous  occupons  est  très  avantageuse.  Je  crois  que 
c'est  pour  reposer  ses  troupes  quelques  jours  avant 
d'entrer  en  Bavière.  Les  paysans  du  Tyrol  sont 
armés  ;  ils  sont  comme  des  sauvages  sur  les  mon- 
tagnes. Dès  qu'ils  voient  les  Français  ils  jettent  leurs 
armes.  Cela  ne  peut  avoir  aucune  suite.  Rien  autre 
chose  pour  le  moment.  Salut  et  respect,  ainsi  qu'à 
votre  famille. 

Drouault, 

officier, 

33*  demi-brigade  d'infanterie  de  bataille. 

Division  Joubert.  Armée  d'Italie. 

Hier  9  [29  mars  1797],  le  général  autrichien  Laudon 
est  venu  par  la  gorge  de  Meran  avec  2.000  hommes 
d'infanterie,  200  cavaliers  et  deux  pièces  de  canon  pour 


1.  Tandis  que  Joubert  prenait  l'offensive  dans  le  Tyrol, 
Bonaparte  triomphait  dans  le  Frioul  de  l'archiduc  Charles, 
qui  battait  en  retraite  devant  lui.  La  route  de  Vienne 
était  désormais  ouverte  aux  armées  françaises  ;  grâce  à 
ses  succès,  Joubert  pouvait  efficacement  protéger  la 
gauche  de  Bonaparte. 

2.  Joubert  était  entré  à  Brixen  (Tyrol  autrichien)  le 
24  mars. 


A   l'armée    d'iTALIE  237 

faire  diversion  à  noire  armée  *.  Comme  il  allait  faire  son 
attaque  sur  les  portes  de  la  ville,  arrivent  deux  demi- 
brigades  venant  de  Brixen,  qui  ont  chaîné  M.  Laudon, 
ses  2.000  hommes,  et  lui  ont  fait  300  prisonniers. 
Il  avait  espi'Té  que  les  paysans  se  battraient  ;  ils  n'ont 
pas  voulu,  disant  qu'ils  n'ont  pas  pris  les  armes  contre 
les  Français,  qu'ils  ne  les  ont  pris  que  contre  ceux  qui 
violent  les  filles. 

Au  citoyen  Clément  de  Ris, 
à  Beauvais-sur-Cher  {Indre-et-Loire). 

Villach*  (Carinthie).  le  30  germinal  an  V*  [19  avril  17»7]. 

Il  est  enfin  arrivé  mon  cher  concitoyen,  le  jour  si 
désiré  de  tous  les  humains.  Au  moment  où  j'écris 
votre  lettre,  nous  apprenons  que  la  paix  est  faite  avec 
l'Empereur  '.  Enfin,  je  suis  si  joyeux  de  cette  heureuse 
nouvelle  que,  dès  que  je  l'ai  apprise,  je  vous  l'écris 
de  suite.  Sans  en  connaître  les  articles  du  traité,  je 
désire  que  ce  fût  moi  qui  vous  apprenne  cette  nou- 
velle si  importante. 


i.  Battu  le  22  février  par  Belliard  et  Dumas,  le  général 
LaudoM  8  était  retiré  auprès  de  Meran,  chef-lieu  de  dis- 
trict du  Tyrol  autrichien. 

2.  Villach,  chef-lieu  de  district  de  la  Carinthie. 

3.  Effrayée  par  les  progrès  rapides  de  Bonaparte  sur 
la  riMilr  (le  Vienne.  l'Autriche  avait  conclu  le  7  avril  un 
nimii  .  ..  de  cinq  jours.  Le  13  avril,  la  suspension  des 

fut  prolongée  par  un  délai  de  cinq  jours  et, 
j)réliminaires  delà  paix  étaient  signés  à  Leoben. 


â38  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 


1 


Nous  avons  j  comme  tous  me  le  dites  ftjK  bien,  Vaincu 
la  6'  armée  de  l'Empereur  et,  s'il  avait  voulu  nous 
arrêter,  il  lui  en  aurait  bien  fallu  une  7"  et  8°.  Je  vous 
avais  écrit  ma  dernière  lettre  de  Bolzano.  Suivant 
toute  apparence,  les  trois  divisions  de  Joubert,  doiit 
deux  avaient  déjà  passé  Brixenj  devaient  rejoindre  en 
Bavière  l'armée  de  Bonaparte,  ce  qui  a  fait  perdre  la 
tête  aux  généraux  autrichiens. 

Le  général  Laudon,  comme  je  vous  l'avais  dit, 
tenait  son  quartier  général  à  Meran  ;  il  avait  reçu 
2.000  hommes  de  renfort  le  12.  Le  14  ("3  avril],  il 
attaqua  la  division  Delmas,  restée  à  Bolzano  pour 
défendre  cette  gorge.  L'affaire  dura  toute  la  journée. 
M.  LaudOn  n'eut  aucun  succès  ;  on  lui  fit  encore  bent 
prisonniers.  Les  Français  sont  restés  dans  leurs  posi- 
tions. 4.000  hommes  de  troupes  de  ligne  et  au  moins 
10.000  paysans  n'ont  pas  pu  ébranler  trois  demi- 
brigades  françaises.  Le  15,  à  deux  heures  du  matin, 
Bolzano  fut  évacué  parles  Français,  qui,  au  lieu  de  se 
retirer  sur  Trente  comme  les  Autrichiens  le  pensaient, 
marchèrent  sur  Brixen,  ouvrant  aux  Autrichiens  la 
route  d'Italie  et  laissant  Laudon  dans  un  cruel  embarras. 
Il  n'osait  ni  marcher  sur  Trente  ni  nous  suivre.  Il 
craignait  en  marchant  sur  Trente  que  nous  fissions 
contre-marche  ;  en  nous  suivant,  être  suivi  par  une 
division,  qui,  venue  de  Vérone,  marcherait  après  lui  ; 
enfin,  notre  mouvement  a  surpris  tout  le  monde.  Au 
liëti  de  mahcher  sur  Innsbruck,  hotiâ  avons  fait  par  file 
à  droite  en  sortant  de  Brixen,  dans  une  gorge  assez 


A    I/aRMÉK    b'iTAl.IE  239 

Ho,«'l  nous  sommes  venus,  Ibfiti'Oisdiviiîlons  de  Jou- 
ht'il,  ^ejoindIv  l'orriôre-gank»  de  Bonaparte  en  Carin- 
Ihle,  pnivince d'Allemagne  '.  Nuiks  devions  faife  notre 
jonction  avec  la  grande  armée;  mais,  en  arrivant  à \'il- 
lach,  où  nous  sommes;  un  courrier  arrive,  apporte  la 
nouvelle  que  l'avanl-gat-de  de  l'armée  n'était  qu'à  dix 
lit'ucs  de  Vienne  et  qiie  l'Empereur  avait  arrMé  la 
iiiaiche  de  nos  années  en  demandant  un  armistice  de 
ix  joiih»i  en  attendant  que  l'on  trailAt  de  la  paix.  Le 
général  JbulK?rt  reçut  l'ordre  d'arrôler  la  marche  et 
de  rester  où  il  se  trouve  ;  il  y  avait  six  jours  que  seè 
trois  divisions  marchaient  û  grandes  journées  ;  tout  le 
inonde  tombait  de  fatigue  ;  c'était  le  20  du  mois  :  on 

Iait  eu  le  temps  de  traiter  dans  leâ  six  jours.  On  a 
olongé  l'armislicede  cinq  autres  jours,  et  aujourd'hui, 
dernier  jour,  arrive  un  courrier  de  l'armée  aimon- 
nl  (|ue  la  paix  a  dû  se  traiter.  .\ous  ne  devons  plus 
Il  douter.  Ge  courrier  porte  le  traité  au  général  Mas- 
séna  pour  qu'il  le  porte  lui-même  au  gouvernement 
liimeais  pour  le  ratifier.  Ainsi,  mon  cher  citoyen,  nous 

IUI1J..V  il,  «m-  ri   I:i   jin  (!.■  ii.k  i»i:iiiy  .1.  ix},l;''<  (IcS  aiTairCS 


r 


1.  Lesn  H>nts  tournis  par  le  lieutenant  Drouault 

■ir  les  op  -   militaires  de  l'armée  de  Joubert  ne 

ni  pas  ftilii •^ement  exacl.s.  Laudon  n'a  pas  été  vaincu, 

.  «lonl  Drouaull 

i.    .1    j»ji   ^.)i.  I.L  il .  ,  ,i\.iu  iiiiH  Joùbcrl  dans 

.on  fort  délicate.  Ce  fut  bn  pnssntit  au  milieu 

î      '      '  '       .:agiier  Villacli. 

tic  Bonaparte 

iUuujulin,  op.  cit.,  l.  1,  iJ.  oiîj. 


240  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

aussi  sérieuses  que  celles  que  nous  avons  eues,  celui 
qui  en  est  quitte  pour  une  petite  blessure  doit  se 
trouver  bien  heureux.  Ma  blessure  va  on  ne  peut 
mieux;  encore  une  quinzaine  [et]  je  serai  parfaitement 
guéri  ;  j'ai  cependant  bien  souffert  dans  les  six  jours 
de  marche  que  nous  venons  de  faire,  malgré  tous  les 
soins  que  le  brave  général  Meunier  ainsi  que  notre 
chef  de  brigade  ont  pris  de  moi,  en  me  laissant  en 
route  le  choix  d'une  voiture  ou  d'un  cheval.  Enfin  le 
brave  général,  comme  c'était  lui  qui  m'avait  lait  venir 
à  Bolzano,  ne  s' attendant  pas  que  l'on  quitterait  cette 
ville,  souffrait  je  crois  plus  que  moi  de  me  voir  faire 
route  dans  l'état  où  j'étais.  Si  j'étais  resté  à  Bolzano 
au  pouvoir  des  Autrichiens  j'aurais  été  toujours  sus- 
ceptible d'éprouver  des  souffrances  ;  je  préférais  avoir 
suivi  que  d'être  resté  au  pouvoir  des  ennemis,  quoi 
que  l'on  dise  que  j'aie  commis  une  imprudence. 

Je  suis  charmé  que  vous  ayez  bien  voulu  prendre 
la  peine  de  rendre  visite  à  ma  mère  ;  j'en  suis  très 
satisfait,  et  il  me  tarde  beaucoup  d'être  rendu  au  pays 
pour  pouvoir  vous  en  témoigner  mes  reconnaissances 
et  en  même  temps  vous  prouver  l'agrément  que  j'aurai 
d'être  connu  d'un  homme  aussi  respectable  que  vous, 
ainsi  que  de  la  citoyenne  votre  épouse  et  de  votre 
aimable  famille,  à  qui  je  vous  prie  de  dire  mille  choses 
■respectueuses  et  honnêtes  pour  moi. 

Je  suis,  en  attendant  le  plaisir  de  vous  voir,  avec 
des  sentiments  d'estime  et  d'attachement  inviolable, 
votre  très  affectionné  serviteur,  Drouault. 


A  l'armke  d'italir  241 

Je  suis  bien  tâché  de  ne  pouvoir  vous  donner  des 
nouvelles  du  brave  général  Mayer;  je  sais  bien  qu'il 
lut  blessé  le  25  nivôse  à  Rivoli.  Comme  nous  sommes 
à  présent  éloignés  d'Italie,  il  m'est  impossible  de  vous 
en  donner  aucune  nouvelle*. 

J'écris  à  ma  mère  en  môme  temps  qu'à  vous  ;  je  la 
charge  de  dire  ù  la  femme  de  l'ami  Gautron  qu'il  est 
parfaitement  guéri;  il  est  même  en  route  à  présent 
pour  rejoindre  sa  demi-brigade.  J'ai  été  bien  peiné 
de  l'avoir  oublié  sur  la  dernière  lettre  que  vous  avez 
reçue  de  moi. 

An  citoyen  Clément  de  Ris, 
beauvai$'Sur-Cher  (Indre-et-Loire). 

Vicence,  le  22  messidor  an  Y»  de  la  République  française 
[10  juillet  1797]. 

Citoyen, 

rje  suis  dans  la  plus»  grande  inquiétude  :  je  n'ai  pas 
}u  de  vos  nouvelles  depuis  avant  notre  départ  de 

Trente,  où  j'ai  reçu  celle  que  vous  m'avez  écrite  le 
2  germinal.  Je  n'en  ai  pas  reçu  d'autres  depuis;  je 
V  ous  fis  répousc  de  suite,  et  lorsque  je  fus  blessé  je 
\  ous  écrivis  de  Bolzano.  Ma  dernière  est  de  Villach,  en 
Carinthio  ;  je  n'ai  eu  ré'iwnse  ni  de  l'une  ni  de  l'autre. 


II.  Le  KÔiiéral  de  brigade  Marrer  fut  fait  prisonnier  par 
le    '    ■      liiens  et  emmené  en  capliviU'- en  n  Après 

(-.  '>n,  il  fut  mêlé  aux  cx{>éditions  ,  puis 

de  SatuL-Uoaiingue,  gu  il  mourut. 

l-tCARI).  1( 


242  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

On  vient  de  nous  annoncer  qu'il  y  a  eu  deux  ou 
trois  courriers  d'arrêtés,  dont  les  paquets  ont  été 
perdus  ;  il  peut  se  faire  que  les  réponses  que  vous 
m'avez  faites  se  soient  trouvées  dans  ces  mêmes  cour- 
riers, car  je  suis  loin  de  croire  que  vous  négligeriez 
de  me  répondre. 

Ce  qui  m'étonne  le  plus,  c'est  que  ma  mère  me  fait 
dire,  par  la  lettre  du  caporal  Bulot,  qu'elle  ne  reçoit 
point  de  mes  nouvelles  et  qu'elle  est  bien  en  peine  de 
moi.  Gela  me  prouve  assez  que  vous  n'avez  pas  reçu 
mes  lettres,  car  vous  m'avez  toujours  fait  le  plaisir  de 
lui  faire  part  de  celles  que  je  vous  écris.  Si  cela  deve- 
nait gênant  pour  vous,  je  vous  prie  de  me  le  dire  ;  je 
vous  assure  que,  depuis  cinq  ans,  voilà  le  premier 
reproche  que  je  reçois  de  ma  mère  ;  je  veux  tâcher  de 
n'en  pas  mériter  d'autres. 

Mille  choses  aimables  à  la  citoyenne  votre  épouse, 
ainsi  qu'à  votre  famille. 

Citoyen,  je  suis,  en  attendant  votre  réponse,  votre 
affectionné  serviteur, 

Drouault. 

Je  vous  serai  obligé,  si  vous  avez  quelque  occasion, 
de  faire  dire  à  ma  mère  que  je  suis  en  bonne  santé  et 
parfaitement  rétabli  du  coup  de  feu  que  j'ai  reçu.  Je 
l'embrasse  ainsi  que  toute  ma  famille  ;  elle  me  fait  dire 
que  mon  frère  est  malade,  elle  me  dit  point  le  nom.  Je 
serais  bien  aise  de  savoir  quelle  maladie  et  qu'il  me 
donne  de  ses  nouvelles  le  plus  souvent  possible. 


A   l'armée    D  ITALIE  243 

L'ami  Gautron  est  en  bonne  santé  à  présent  ;  derniè- 
rement, sa  plaie  s'était  rouverte,  mais  actuellement  le 
voilà  guéri  ;  il  dit  bien  des  choses  à  sa  femme  et  à 
toute  sa  famille. 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  Beauvais-sur-Cher 
(Indre-et-Loire),  par  Tours. 

Yicence,  le  30  thermidor  de  la  5*  année  de  la  République 
[17  août  1797]. 

Je  viens  de  recevoir  votre  lettre,  mon  cher  citoyen, 
qui  m'a  fait  bien  du  plaisir  de  savoir  que  vous  jouissez 
d'une  bonne  santé,  ainsi  que  toute  votre  famille  et  la 
mienne.  Tous  mes  camarades  sont  comme  moi;  per- 
Hpne  ne  peut  recevoir  de  lettres,  nous  ne  savons 
pas  d'où  cela  vient  !  j'espère  qu'à  présent  elles  nous 
viendront  plus  facilement  et  que  je  ne  serai  plus  si 
longtemps  sans  recevoir  de  vos  chères  nouvelles. 

Vous  me  demandez  des  nouvelles  de  l'armée  ;  elles 
ne  sont  pas  fort  intéressantes.  Depuis  notre  retour 
d'Allemagne,  nous  occupons  toute  la  Vénétie  et 
comme  pays  conquis'.  Je  ne  vous  ferai  aucun  détail 
sur  la  manière  dont  nous  nous  en  sommes  emparés  ; 
les  journaux  vous  en  auront   donné  connaissance. 

1.  A  la  suite  du  massacre  des  Français  à  Vérone, 
connu  sous  le  nom  de  «  Pâques  Véronaises  »  (17  avril  1797), 
el  de  la  Révolution  qui  avait  éclate  à  Venise,  Bonaparte 
avait  ramené  ses  troupes  sur  le  territoire  vénitien.  Les 
états  de  la  République  avaient  été  partagés  en  8  cercles 
dans  lesquels  l'armée  française  se  trouvait  répartie 
(Dumolin,  op.  cit.,  1. 1,  pp.  526-527). 


2i4  AU    SERVICE    DE    LA   NATION 

Voilà  les  positions  de  l'armée  ;  nous  occupons  Tré- 
vise  et  nous  bordons  toute  la  rive  droite  de  la  Piave  ; 
toutes  les  routes  d'Allemagne  sont  gardées  par  les 
deux  partis.  A  Rivoli,  nous  occupons  nos  positions 
ordinaires  à  La  Corona  et  Monte  Baldo'.  Les  Autri- 
chiens sont  en  face  de  nous  sur  tous  les  points  ;  ainsi 
voilà  notre  position  depuis  quatre  mois,  sans  être 
certains  de  la  paix.  Les  Autrichiens  sont  comme 
nous  ;  ils  ne  peuvent  pas  plus  pénétrer  dans  les  vues 
de  leur  Gouvernement  que  nous  du  nôtre.  Les  offi- 
ciers viennent  souvent  nous  voir  et  nous  de  môme  ; 
je  crois  que  nous  sommes  mieux  ensemble  que  si 
nous  n'avions  jamais  fait  la  guerre  les  uns  contre  les 
autres.  Us  désirent  comme  nous  et  croient  que  la 
paix  sera  bientôt  conclue.  Nous*  venons  de  passer 
quatre  mois  dans  la  plus  grande  tranquillité.  Si  nous 
sommes  encore  dans  cette  cruelle  alternative  lorsque 
vous  recevrez  ma  lettre,  je  vous  prie  de  me  dire 
votre  manière  de  penser  à  ce  sujet. 

Je  ne  me  rappelle  pas  du  contenu  de  la  dernière 
que  je  vous  ai  écrite  ;  impatient  de  ne  recevoir  aucune 
nouvelle,  il  y  avait  près  de  cinq  mois  que  je  n'en  avais 
pas  reçu,  je  crains  bien  qu'un  sentiment  trop  grand 
ne  m'ait  pas  laissé  observer  toute  la  délicatesse  que 
je  dois  à  un  homme  aussi  respectable  que  vous  ;  mais 
si  j'étais  tombé  dans  une  erreur  comme  celle-là,  je 

1.  Sur  ces  positions,  cf.  le  croquis  de  Rivoli,  annexé  à 
l'ouvrage  de  Clausewitz,  La  campagne  de  1796  eu  Italie,  tra- 
duction J.  Colin. 


A  l'armée  d'itai.ie  24S 

vous  prie,  mon  cher  ami,  de  vouloir  bien  me  la  par- 
donner et  de  croire  que  les  sentiments  d'estime,  d'atta- 
chement et  de  respect  ne  s'effaceront  jamais.  , 

Drouault. 


au 
DO' 


Je  VOUS  prie  d'assurer  la  citoyenne  voire  épouse, 

nsi  que  votre  respectable  famille,  que  je  suis  très 
onnaissant  de  tant  d'honnêteté  et  d'amitiés  qu'il 
(sic)  me  marque  sur  toutes  vos  lettres  et  de  leur  dire 
que  je  désire  leur  témoigner  les  mêmes  sentiments 
près  deux. 

L'ami  Gautron  est  en  bonne  sanlé  ;  il  vous  assure 
le  son  respect,  il  vous  prie  d'en  faire  pari  à  sa  famille, 
vous   prie  de  dire  à  ma  famille  que  je  suis  en 

nne  sanlé  et  que  je  les  embrasse  tous. 

Au  citoyen  Clément  de  Ris, 
Beauvais-sur-Cher  (Indre-et-Loire). 

Vicence,  le  27  fructidor  an  V 
[13  septembre  1797). 

Mon  cher  ami, 

Jg  vous  écris  au  moment  où  tout  annonce  la 
guerre.  DéJ!\  les  ordres  sont  donnés  h  toutes  les  divi- 
sions Irançaises  de  se  tenir  prêtes  à  entrer  en  cam- 
e,  le  2  du  mois  prochain  [23  septembre].  11  est 
vé  aujourd'hui  ici  une  division  cisalpine  qui  vient 
de  Milan.  Toutes  les  troupes  cisalpines  et  polonaises 
nouvellement   formées  en   Italie  ont  reçu  ordr-^   d«' 


^pagn 


J46  AU    SERVICE    DE    LA    NATION 


'M 


partir  pour  les  avant-postes.  Nous  apprenons  aussi 
aujourd'hui  que  les  25.000  hommes  que  doit  fournir 
le  roi  de  Sardaigne  sont  arrivés  à  Milan.  Vous  voyez 
d'après  cela  que  sous  peu  de  jours  nous  aurons  des 
nouvelles  définitives. 

J'ai  eu  envie  de  vous  écrire  lorsque  le  général 
Bonaparte  passa  ici  pour  se  rendre  à  Udine*,  mais 
comme  j'espérais  que,  sous  peu  de  jours,  nous  aurions 
quelque  chose  d'intéressant,  c'est  pourquoi  j'ai  différé. 
Gomme  je  vois  aujourd'hui  que  nous  touchons  à  l'une 
ou  l'autre,  c'est  pourquoi  je  vous  en  préviens  :  toute 
l'armée  est  cruellement  fatiguée  de  l'alternative  où 
nous  étions.  Us  désirent  tous  la  paix,  mais,  disent-ils, 
si  l'Empereur  ne  se  rend  pas  traitable,  nous  ne  vou- 
lons plus  user  de  cartouches;  par  la  vertu  de  nos 
baïonnettes.  Vienne  nous  ouvrira  ses  portes  avant 
deux  mois  ;  plus  de  grâce  pour  lui  !  La  paix  ou  bas  la 
couronne  ! 

C'est  toujours  maintenant  que  nous  faisons  de 
grands  préparatifs  que  tout  le  monde  croit  à  la  paix  ! 
Pour  moi,  je  désire  toujours  et  crois  encore  à  la  paix. 
Ainsi,  mon  cher  citoyen,  je  me  crois  rendu  à  ma 
famille  sous  peu   de  jours.   Les  serments  que  nous 

1.  «  Bonaparte  avait  entamé  le  31  août,  à  Udine,  les 
conférences  pour  le  traité  définitif  (Dumolin,  op.  cit.,  t.  I, 
p.  527).  Sur  l'histoire  des  négociations  du  traité  de  Campo- 
Formio,  négociations  souvent  suspendues  et  brusque- 
ment remplacées  par  des  préparatifs  militaires,  cf.  Ray- 
mond Guyot,  Le  Directoire  et  la  Paix  de  l'Europe,  pp.  476- 
548. 


A    L  ARMÉE    D  ITALIE  247 

fimes  avant  notre  départ  sont  remplis  ;  j'espère  que 
le  Gouvernement  laissera  libre  celui  qui  a  fait  son 
devoir  et  qu'il  pourra  se  retirer  du  service,  si  nous 
avons  le  bonheur  de  voir  notre  pays  délivré  de  nos 
ennemis. 

Les  1*'  et  2*  bataillons  d'Indre-et-Loire,  faisant 
partie  aujourd'hui  de  la  33*  demi-brigade,  officiers  et 
soldats  de  ces  deux  bataillons  ont  fait  une  adresse  à 
l'administration  de  leur  département,  qui  doit  partir 
demain.  Us  lui  témoignent  leur  mécontentement  de  la 
manière  que  les  anciens  administrateurs  ont  écrit  au 
Conseil  des  Cinq-Cents  concernant  les  six  pétitions 
que  l'armée  lui  adressa  à  l'intérieur.  Cette  adresse 
lui  arrivera  aussitôt  que  ma  lettre. 

Je  vous  prie  de  dire  à  ma  chère  mère,  ainsi  qu'à  la 
femme  de  Gautron,  que  nous  sommes  en  bonne  santé; 
s  les  [embrassons  tous.  Je  n'ai  pas  reçu  réponse 
dernière  lettre  que  je  vous  ai  écrite.  Je  n'ai  pas 
besoin  de  vous  donner  d'autre  adresse,  vous  con- 
naissez mon  nom,  le  numéro  de  ma  demi-brigade, 
division  Joubert,  armée  d'Italie.  Il  n'est  pas  besoin 
de  mettre  la  place  où  nous  sommes.  Mon  cher  ami, 
je  vous  prie  d'assurer  de  mes  très  humbles  respects 
la  citoyenne  votre  épouse,  ainsi  que  votre  aimable 
famille. 

Et  vous,  croyez  que  je  serai  toute  ma  vie  avec  les 
sentiments  du  plus  pur  attachement,  votre  affectionné 
serviteur, 

Drooault. 


248  AU    SERTICE    DE    LA    NATION 

Au  citoyen  Clément  de  Ris,  cuUivateu7', 
à  Beauvais-sur-Cher  {Indre-et-Loire),  par  Tours. 

Armée  d'Italie.  Vicence,  le  21  brumaire,  VI«  année 
de  la  République  [H  novembre  47i»7]. 

Voilà,  mon  cher  citoyen,  ce  que  je  voulais  vous  dire 
au  sujet  de  l'ancienne  république  de  Venise.  Par  le 
traité,  l'Empereur  s'en  empare.  Les  habitants  de  ce 
pays  sont  indignés  contre  nous,  et  avec  raison  ;  nous 
y  sommes  rentrés  comme  amis  ;  depuis  l'affaire  de 
Vérone,  nous  nous  en  sommes  rendus  maîtres,  nous 
avons  détruit  leur  Gouvernement  et  regardé  leur 
pays  comme  conquis  ;  de  plus,  nous  avons  promis  au 
peuple  de  lui  en  donner  un  démocratique;  ils  ont 
fait  tous  les  sacrifices  pour  nous  ;  ils  ont  avancé  des 
sommes  immenses  pour  l'armée  française;  d'un  autre 
côté,  nous  avons  pris  toute  l'ai^enterie  des  églises. 
Pour  récompense,  nous  leur  donnons  un  roi  ! 

Depuis  qu'ils  ont  appris  cette  nouvelle,  ils  nous 
abhorrent,  ils  nous  regardent  comme  des  scélérats. 
Les  patriotes  y  sont  en  grand  nombre,  ceux  qui  sont 
riches  se  disposent  à  suivre  l'armée  ;  mais  les  mal- 
heureux qui  n'ont  pas  assez  de  fortune  sont  obligés 
de  baisser  la  tête  et  de  recevoir  le  joug.  On  parle 
beaucoup  de  notre  départ  ;  je  le  désire  de  tout  mon 
cœur,  car  je  n'ose  plus  paraître  devant  les  honnêtes 
gens  à  qui  j'avais  coutume  de  parler. 

Gomme  vous  êtes  un  homme  en  qui  j'ai  pleine 
confiance,  je  vais  vous  faire  une  confidence  :  je  suis 


A    L  ARMÉE    d'ITALIE  249 

totalement  dégoûté  du  service  !  Je  ne  sais  pas,  quand 
je  serai  rentré  en  France,  si  l'injustice  et  l'arbitraire 
s'exerceront  comme  on  fait  aujourd'hui  sous  le  règne 
de  nos  généraux  !  En  Italie,  nous  n'avons  ni  loi  ni 
gouvernement  !  Ils  sont  souverains  !  Si  le  faste  qu'ils 
étalent  est  plus  brillant  et  plus  insolent  que  celui 
d'aucun  souverain,  nos  officiers  subalternes  n'ont  pas 
reçu  un  liard  depuis  trois  mois,  nos  soldats  depuis 
deux  mois!  Voyez  quelle  différence!  L'avancement 
n'est  que  pour  les  flallours  !  celui  qui  ne  connaît  que 
son  devoir  n'a  pas  lieu  d'être  content.  Nous  sommes 
7  ou  8  officiers  à  la  demi-brigade  qui,  depuis  le  com- 
mencement de  la  guerre,  n'avons  jamais  quitté  le 
corps  un  seul  instant  et  dans  toutes  les  affaires  les  plus 
chaudes  y  avons  commandé  des  compagnies  !  Pendant 
toute  la  terrible  guerre  que  nous  venons  de  faire  en 
Italie,  j'ai  eu  l'honneur  de  commander  une  compagnie 
de  grenadiers  ;  j'étais  seul  au  danger,  aujourd'hui  je 
ne  suis  plus  seul.  Ceux  qui  faisaient  les  beaux-bras  à 
Milan  et  dans  les  autre  villes  d'Italie  dormaient  bien 
tranquilles  pendant  que  nous  couchions  sur  la  neige 
dans  les  montagnes  du  Tyrol  et  que  nous  nous  bat- 
tions tous  les  jours  !  Si  tôt  que  la  paix  a  été  faite,  ils 
sont  rentrés  et  il  faut  que  nous  obéissions  à  ces 
hommes  î  Ils  ont  payt'  des  chirurgiens  cour  qu'ils  leur 
donnent  des  rertilicats!  Nous  n'étions  alors  qu'un 
officier  au  plus  par  compagnie,  aujourd'hui  nous 
sommes  quatre  et  cinq  ' 

Je  vous  le  répète,  il  fs»  r)»^>n  nur  cii-  se  vuir  com- 


250  AU    SERVICE   DE    LA    NATION 

mandé  par  des  hommes  qui  n'ont  jamais  eu  le  cœur 
d'exposer  leur  vie  une  seule  fois,  ni  pour  leur  Patrie, 
ni  pour  le  grade  qu'ils  occupent  ! 

Oh,  état  ingrat  !  je  désire  de  tout  mon  cœur  notre 
rentrée  en  France  !  si  j'ai  le  plus  petit  moyen  de  m'en 
tirer,  je  l'aurai  bientôt  quitté  !  mais  malheureusement 
je  n'ai  guère  d'espoir;  je  suis  né  sans  fortune  et,  si  je 
quitte  mon  état  d'officier,  je  me  trouverai  sans  emploi 
et  par  conséquent  sans  ressources. 

Mon  cher  ami,  je  me  recommande  à  vous  ;  s'il  était 
en  votre  pouvoir  de  me  faire  avoir  un  emploi  quel- 
conque pourvu  que  je  sois  en  cas  de  le  remplir,  vous 
me  rendriez  un  grand  service. 

Mes  serments  sont  remplis  ;  je  crois  que  mes  conci- 
toyens n'auront  rien  à  me  reprocher  en  quittant  l'état 
militaire. 

Ainsi,  mon  cher  républicain,  je  vous  supplie  de 
faire  ce  que  vous  pourrez  pour  un  jeune  homme  qui 
va  se  trouver  malheureux  après  avoir  passé  les  plus 
beaux  jours  de  sa  vie  au  service  de  sa  Patrie. 

Obligez-moi,  je  vous  serai  toute  ma  vie  reconnais- 
sant. 

Votre  affectionné  serviteur, 

Drouadlt. 

Mille  choses  honnêtes  à  la  citoyenne  votre  épouse, 
ainsi  qu'^  toute  votre  famille. 

Dites  à  ma  chère  mère  que  je  l'embrasse  et  que  se 
suis  en  bonne  santé  ainsi  qu'à  l'ami  Gautron. 


A    L  ARMÉE    D  ITALIE  251 

Je  VOUS  engage  à  la  plus  grande  discrétion. 

Comme  je  suis  près  de  fermer  ma  lettre  on  vient 
ni'apporter  l'ordre  de  dépari  pour  Venise  même.  Là 
nous  prendrons  de  nouveaux  ordres;  je  crois  que  nous 
allons  changer  de  division.  Vous  pouvez  tout  de 
même  m'écrire  à  la  même  adresse. 


1.  Sur  les  rapports  du  Directoire  et  de  Venise,  cf.  André 
Bonnefons,  La  chute  de  la  république  de  Venise  (1789-1797), 
pp.  145  sqq.  Le  traité  de  Campo-Formio  signé  le  17  octo- 
bre 1797  livrait  Venise  aux  Impériaux.  H  importe  de 
noter  que  les  sentiments  du  lieutenant  Drouault  sur  la 
conduite  de  Bonaparte  à  l'égard  de  Venise  étaient  parta- 
gés par  Lallement  et  Villetard,  représentants  de  la  France 
auprès  de  la  sérénissime  République.  Ces  diplomates 
s'étaient  appliqués,  en  eflet,  à  sauvegarder  l'indépen- 
dance vénitienne  et  à  rendre  sympathique  la  domination 
française. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


IxTROoucTiON,  par  le  lieutenant-colonel  Ernest  Picard.  i 

Avant  lk  départ  a  la  prontikrb  (1792-1793) 1 

Avx  ARMiss  DU  Rhin  (1792-1797) 9 

Aux  ARMÉES  DU  NoRD  (1792-1799) 115 

A  l'armer  DBS  Alpks  (1794) 197 

A  l'armks  d'Italib  (1796-1797) 223 


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Revue  des  Études  napoléoniennes.  Publiée  sous  la  direction  de  M.  Ed.  Driault, 
(3*  année,  1914).  —  Paraît  tous  les  deux  mois.  Abonnement  (du  i"  janvier). 
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