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Au Seuil de l'Espoir
JOHN-ANTOINE NAU
Au Seuil
de l'Espoir
PARIS
LEON VANIER, LIBRAIRE-EDITEUR
19, Q.UAI SAt^cit^^EL, 19
POUR
LOUIS BRISSET
Le musicien très géniaUment poèie
Par la fenêtre grande ouverte à Tair marin,
Sous le soleil tombant déjà, — les dunes d'ambre,
Le ciel, — nacre volante — et le fluide écrin
De la lagune verte — envahissent la chambre :
Sur les murs chatoyants de blonds rayons tremblés
Se jaspent les reflets de courants ondulés ;
Toute une vie alerte aux fragrances saHnes
S'éveille en palpitant, frôlant les meubles lourds
Et les gaîtés du large incitent les plis gourds
Des tentures — au mol essor des mousselines.
♦ *
Souple, ballante sur l'éclat glauque irisé
Que pâlissent les longues plumes de la brise,
ô AU Sl-UIL DE L ESPOIR
Presque noire en ces clairs Troubles — et trop précise,
Une branche berçant des fleurs de lait rosé, —
Malgré l'inachevé mousseux de leurs pétales.
Le lumineux halo qui nimbe sa vigueur,
Evoque un autre Monde aux grâces plus brutales, —
Peut-être hostile, car, en sa rude langueur,
L'éventail monstrueux semble aç^iter de l'ombre...
*
La floraison rivale, épanouie au flot,
Plus intense mais plus éphémère, se clôt,
Fanée en un moment — et se dissout — et sombre.
... Un grcle serpent d'or que Ton dirait mouillé.
Glacial, — rampe sur une dune houleuse...
— Ht captit dans le cadre étroit et désolé
De la fenêtre, où va poindre un givre étoile.
Le soir frissonne, comme une rose frileuse.
II
Les yeux encore pleins de grises visions :
— Toits sombrement luisants massés en osts énormes
Bombant contre le ciel leurs boucliers difformes,
Lames d'acier de minces horizons,
Balcons suspendant leurs grilles de cimetière,
Trouble eau de vitres où miroite du mystère,
Fils vibrants et muets où glisse le Destin,
Railleusement tendus en lyres flintaisistes^
Remous lassés de lentes foules tristes^,
Jour de limbes si pâle et comme si lointain ; —
Après des mois, des ans, de songe nostalgique
L' « isolé )) se réveille au grand souffle magique
De l'Océan qui chante et roule sous Téther :
— Le dolent crépuscule est divinement clair
r
10 AU SKUIL DE L F.SPOIR
Pour lui, toujours hanté des funèbres soirées
Où de rousses lueurs tachaient les brouillards froids :
Horieurdu lendemain, pressentiments sournois,
Remords, fébrile effroi de haines ignorées,
S'envolent dans l'air pur, divinement ami ;
Et la journée heureuse, oubliée à demi,
Douce et vague — et toute rassurante,
Se repeint comme sous un voile pailleté :
L'Avenue au frais matin bleuté
Frémit de sa feuillée encore transparente ;
Dans le havre, de lents bateaux — comme engourdis,
\oirs, laqués de soleil — et les Hancs rebondis
Tanguent languissamment sur l'eau de perle verte...
— Puis une sente qui s'enfonce, recouverte
De sveltes branches en arceaux,
Doit mener dans la nuit d'émeraude téerique
Vers des clairières où dorment de vieux châteaux
Dont le reflet tremble, mélancolique,
Dans les regards d'étangs bruns cillés de roseaux.
* ♦
Mais la voûte s'élève en dôme que fleurissent
Des ajours de pervenche — et voici que blondissent
AU SEUIL DE L ESPOIR 1 1
Les troncs d'écorce fauve écaillés d'or gemmé ;
Et le dernier rideau de verdure flottante
Se plisse en ondulant et vacille, — allumé
Par Tocellement vif de la vague flambante.
* *
Le château qui devait apparaître — surgit
D'un bouquet de genêts soufrés et d'églantines
Licarnadines, dont le feu rose rougit
Auprès de la pâleur bleuâtre des glycines :
Pacifique manoir, sans herses et sans tours,
Qui chaufle au bon soleil ses pierres mordorées,
Abris tièdes, chers aux fleurettes bigarrées —
Et baigne au flot ses murs inoftensifs et lourds.
... Après, — c'est la douceur des lentes découvertes
Dans l'inculte jardin broussailleux de rosiers :
Des herbes d'argent mat hérissent les sentiers
D'où file un froissement soyeux d'ailes alertes :
D'antres floraux cachés sous les massifs croulants
Soufflent de forts parfums sucrés, comme brûlants
Qui semblent répandre, en exquise inquiétude.
Une trop capiteuse essence de bonheur
Et comme exaspérer une musique rude
D'insectes, — tournoyant orchestre bourdonneur.
12 AU SEUIL DE L KSPOIR
*
Au bout d'un long tunnel de lianes frôleuses,
Sous-bois de l'I^quatcur près des plages du Nord,
Scintille un orbe flou dont les verdeurs cuivreuses
Se nuancent d'agatïe et d'étain vers le bord, —
Mare torpide qui reflète l'ondoyance
De frondaisons que moire un frisselis furtif
Et des plantes au mol élancement passif:
Dans ce foisonnement feuillu, c'est comme une anse
De grand lac qui s'égrène en d'épaisses forêts
Ht dont une autre gemme, au-delà des tourrés
De rameaux retombant en souples masses sombres,
Brille aussi doucement dans une demi-nuit.
Tandis qu'au loin, roulant ses flaves flots sans ombres
L'eau libre, sous un ciel inconnu, resplendit.
* *
— Puis la sylvc n'est plus qu'un taillis de dentelles
Qui se déchirent en lambeaux éparpillés;
Des gazons, plus poudrés de brillants que mouillés,
Reçoivent de rochers, en minces cascatelles
Les sources du « grand lac sauvage » disparu.
AU SEUIL DE L ESPOIR
Voici qu'une prairie aux vagues prismatiques
Où des gramens géants houlent sous le jour cru
Submerge les vieux troncs de pommiers fantastiques
Dont les branches, — tels des reptiles écailleux
Surgis par bonds grouillants des herbes bruissantes.
De macabres chevaux cabrés et furieux
Ou d'absurdes guerriers à poses menaçantes
Se profilent sur un llano de cauchemar.
Avivé des soleils rouges des capucines,
Un faune décrépit, malignement camard, —
Yeux plâtreux fin-clignés, narines en doucines,
Pommettes étirant le rictus craquelé, —
Raille ces beaux décors de romans d'aventures :
Mais le nouveau-venu, dans le charme exhalé
Par l'air tiède frôlant les sachets des verdures.
Songe à d'autres regards, magiques mais éteints.
Où se mirèrent les savanes et l'eau triste
Et, dans la nuit des bois, les paillons des lointains ;
Aux lèvres closes dont le sourire persiste
14 AU SEUIL DE L ESPOIR
Sur les roses et sur les grains des lilas blancs;
A celle dont la voix tinte en les sources pures.
Dont la grâce lassée et les mouvements lents
Ont ryihmé la langueur mouvante des ramures.
— Et comme, tout là-bas, — du bleu des floraisons
Nuageuses — s'encadre une haute fenêtre,
Il pense qu'il est doux et cruel de connaître^
Après bien des retours meurtriers des saisons,
Les parcs abandonnés et les vieilles maisons
Qui lurent, pour les yeux charnels d'àmcs aimées,
D'ultimes visions maintenant déformées.
♦ ♦
L'allée ample qui mène au perron, lourd des pans
D'un somptueux manteau traînant de sombre lierre
Jadis l'inévitable et la si familière.
Prolongement, clarté de la vie au-dedans,
Dont l'aspect se mêlait aux intimes pensées
De celle qui rêvait, le front près des carreaux,
S'émiette entre les gros sillons des tombereaux
En un chaos de cendre et de branches brisées...
AU SEUIL DE L ESPOIR 1 5
* *
— Puis^ c'est l'angoisse froide et presque le remords^
Quand la porte a cédé, sans cri, sans plainte basse,
Muette comme pour l'indifférent qui passe
Devant lui, l'âpre évocateur des espoirs morts...
N'est-il pas plus brutal, plus sacrilège même,
Lui qui revient troubler un souvenir qu'il aime
Du seul amour banni du refuge apaisé,
Du sanctuaire où se recueille le passé, —
Qu'un rustre bestial à trogne curieuse
Lacérant des crampons de sa botte boueuse
Les coussins où le pied céleste s'est posé ?
— Ne sent-il pas un bras faible qui le repousse
Lnpérieusement, — lui seul ! — et seul l'exclut.
L'adorateur, jadis plus humble, — et qui déplut? —
— Non, — car une main tiède à la pression douce
Plus gracile et pourtant la même qu'autrefois
L'attire, — croirait-il, — ne quittant plus la sienne...
— Leurre, aussi, les reflets de mer céruléenne
Et l'or vert du soleil tamisé par les bois
Qui baignent, s'épandant de croisée à croisée,
l(. AU b£UlL DE l'espoir
La chambre des lueurs étranges de ses yeux ? —
... Mais bon leurre à jamais rassurant et joyeux
Qui la ferait, non plus hautaine et courroucée
Mais accueillnte à sa tendresse méprisée !
*
* *
Bonheur ! Sa puérile et vague illusion
S'azure d'un rayon de folle certitude :
Plus d'interdit et plus de profanation !
L'Eden oublié dans sa fraîche solitude
Est à qui le voudra, pour des ans — et des ans !
— \' oici l'asile offert avec la bienvenue
Entre l'abîme clair où fuient, resplendissants,
Les libres horizons sans cesse renaissants
Et le secret des coins ombreux qui L'ont connue.
*
* *
Et ce soir, revivant le jour qui s'écoula
Sous la protection bl niche d'ailes amies, —
— (Le couchant ctieuillant ses corolles blèmies)
Il s'accoude à l'appui que « son » coude frôla
Et plane dans le calme énorme et s'émerveille
D'être le malheureux égaré de la veille,
AU SEUIL DE L E3POIR
Guettant, haineux, la vie atroce, — analysant, —
— Toujours atteint, malgré les ruses et les luttes, —
Le venin qui perlait aux pointes des minutes !
... Lui, doucement choyé par le moment présent,
Envahi, — (parle bleu crépuscule idyllique),
De suave félicité mélancolique :
O vieillir dans les murs que son ombre a fleuris,
Ou, marchant dans ses pas, en pèlerin fidèle.
Deviner sûrement les sites favoris
A quelque grâce plus exquise émanant d'EUe !
— Connaître ses réveils en le gris incertain.
Aux sourires voilés du perfide matin,
Sybillin prometteur au seuil de la journée ;
Et ses recueillements sous le ciel qui s'éteint
Quand la gerbe du clos diurne est moissonnée ;
Suivre au-delà des flots son esprit anxieux,
Vers le large sublime, — où ne vont plus les yeux^, —
Et vibrer à sa trouble extase comme vibre^
Aux rudes vagues d'Océans mystérieux,
L'âpre élancement d'une aérienne guibre !
— O ressassant bien lentement les longs chagrins,
Si chers dans ce Présent et ce Futur sereins,
Causer tout bas avec son âme retrouvée.
Dans la retraite qui dort aux soleils marins,
Etrangement pareille à ce qu'il Ta rêvée !
III
Entre les genêts d'or citrin velouté,
Cendrés par la lumière lourde et bleuâtre
Et le mat hérissement crépu de l'âtre
Araucaria, — le flot d'été
Se creuse en croupe de lapis fluide.
C'est le matin sous le ciel déjà torride :
L'hôte, à demi-couché dans le gazon profond
Lit un livre fané par l'air mort des vitrines :
Les feuillets piquetés du roux des mandarines
Reflètent des lueurs molles où se confond
Un lilas d'aube avec des rais d'aiguës marines
Les caractères fourmillants et bousculés
Qui s'accrochent, pointus et comme barbelés.
Semblent s'harmoniser, galopant sur la page
Avec le rythme dur et le récit sauvage :
20 AU SEUIL DE L ESPOIR
C'est un poème tout farouche et violent^
Dans les sanglants brouillards des Sagas Skandinaves,
Aiguisé des exploits atroces des preux flaves
Qui brandissent un gel d'acier rose en hurlant :
... Des hordes vont, par bonds, dans les hideurs polaires
Sous les nuages d'encre et le vol des corbeaux,
Piétinant les vaincus dont la chair en lambeaux
Se flétrit aux scabieuses crépusculaires...
* *
P-ir la livide horreur d'un jour d'étain,
Sur la mer couleur de saulaies,
Des nefs barbares au flanc noir déteint
Sillonné de dessins d'un vermillon de plaies, —
Mâts brisés, cordages au vent
Tournent, en cercles brefs, autour de goufi*res glauques
S'entrechoquent avec fracas, s'eni recrevant :
Et des grappes de corps d'où partent des cris rauques
Flottent, roulent au flot turgide qui les tord.
AU SEUIL DE l'espoir 21
Qui les brise d'un grand sursaut pesant et fort,
Les éparpille en grains tourbillonnants — et vite,
Les ensevelit d'un souple effort
Dans une nuit de pourpre subite
* *
Derrière le rempart moussu de troncs grossiers
C'est l'affût sous la lune de jade
Qui met un halo blême au cristal des glaciers ;
Mais seuls, droits, accrochés aux griffes des ronciers
Des squelettes raidis veillent dans l'embuscade.
Traîtreusement, à lents coups de gaffe prudents,
Guettant, au petit jour, la bourgade ennemie, —
Brunâtre, — sous ses toits de cuir sourd endormie
Contre l'escarpement des rocs taillés en dents.
Des fantômes velus, dans le fjord diabolique
Dont les murs de falaise ont un éclat brutal, —
Dans l'aube, — d'improbable et funèbre métal, —
Poussent, sur l'eau de bronze, un rampement oblique
De barques plates, où gisent^ cois, des guerriers
Aux chocs mats des estocs contre les boucliers.
22 AU SEUIL DE L ESPOIR
Déjà le fond pierreux grince sous les carènes ;
Chaque hutte apparaît avec ses ornements
De nacre, d'ambre brut et de cornes de rennes,
Fleuronnant un fronton lugubre d'ossements :
Debout, d'un coup de reins, sur les planches glissantes.
Tout armés, — les Northmen, les crins droits, l'œil rai!
Ploient leurs rudes jarrets de bctes bondissantes...
Une clameur hideuse et sinistre jaillit
Des misérables toits, rugissante et navrée,
Glaçante de menace et de rage apeurée,
Qui vrille et stridc, — et gronde aux foudres des échos :
Puis, c'est un pclc-mclc horrible de furies;
Et dans l'càtre prison des rochers verticaux
L'eau rousse sonne d'un long fracas de tueries.
En l'or serein du Soir, digne des Walhallas,
Sur le ruissellement des flots de pierreries
Aux brusques et bruissants éclats, —
De courts vaisseaux cambres, hauts sur la vague brève,
Montent vers l'horizon radieux
Comme en triomphe et comme en rêve !
AU SEUIL DE L ESPOIR
A la proue, embellis d'un espoir orgueilleux,
Penchés sur la splendeur qui fuit et se rétale
Fulgurante, — les durs Vikings rivent leurs yeux
A des points bleus tachant la gloire occidentale :
... Chaîne d'îles qui tend sa herse de récifs^
Caps d'Erèbe dressant leurs formidables crêtes
Ou molles plages aux festons persuasifs.
Sinueux, découpant des rades toutes prêtes^ —
— Ces macules d'azur sur le couchant divin,
Ce sont peut-être ces Terres des Prophéties,
Obscurément, pendant des siècles, pressenties.
Et qui se dérobaient comme un mirage vain
Dans le brouillard strié de soleil des Légendes !...
*
Est-ce le continent énorme et fiistueux, —
Monts d'améthyste ombrant les topazes des landes, —
Qui constelle ses bois d'astres capricieux.
Fleurs de diamant rose et d'or mauve en guirlandes, —
Quegardent, empennés d'éclairs, — volants, —rampants,
Tels que les dépeignait un candide grimoire, —
Effroyables, — moitié vautours, — moitié serpents, —
Des Etres d'airain rouge aux yeux de flamme noire ?
AU SEUIL DE L ESPOIR
Est-ce le monde neuf, enfer et paradis
Où les horames du Nord, fils des climats maudits,
Fondant sur la Clarté, de l'aire aux nuits gélides,
Conquerront, dans la lutte et les tourments prédits,
L'ivresse du ciel pur et des Etés splendides?...
* *
Voici les points épars se grouper, se lier
En perles d'outremer d'un fabuleux collier
Qui se tasse en couronne énorme aux pointes dures.
Entamant l'horizon pale, d'un or plus fin,
Blond, et comme glacé d'un souffle de froidures,
Monté du lent et long dentellement sans fîn,
Ascendant, — menaçant ! — de la masse assombrie :
*
* *
C'est le monde cherché, la future patrie :
La certitude, — après Tardente anxiété, —
Naît de sa colossale et neuve étrangeté
Dont, — insensiblement vite, — le ciel s'encombre.
Et tandis qu'un relief fantastique — de pics,
De promontoires, becs luisants dans la pénombre.
AU SEUIL DE L ESPOIR
De pointes basses qui se tordent en aspics,
D'écueils de jais, dressant de hautains monolithes, —
Titans de Hell, debout sur le remous des eaux.
Impassibles et terrifiants Satellites, —
Se projette, infrangible, au devant des vaisseaux,
Les Vikings, rués vers les avenirs sublimes, —
[vres, — gardent au cœur le reflet d'or des cimes.
* *
Qu'importent, maintenant, l'ouragan, — les assauts
Des nuits tragiques dont vibraient les coques fi-êles,
La ronde en trombe des lames et le vortex
Des écumes, blancheurs froides, surnaturelles^
..e mât strident crachant du feu comme un silex,
^es chocs tintants et lourds d'épaves bondissantes,
Vdieux et glas des nefs voisines, périssantes, — ...
I
.. Et tous ces compagnons vivaces et brutaux,
'leins de joie outrancière et d'appétits de bêtes,
iui s'élançaient déjà vers les sauvages fêtes
3u Triomphe, sur les pavois monumentaux,
^ jaoûls de sang ruisselant, de plaintes savourées !
... Et qui flottent parmi les poulpes^ les calmars
Avides et gluants, — monstres de cauchemars,
26 AU SEUIL DE l'eSPOIR
Par les troubles hauts-fonds d'algues enchevêtrées,
Au glauque — et pars — et flou crépuscule vitreux
D'opalescentes émeraudes mordorées, —
Et vaguent, — <idans la mort encore aventureux »,
Déchets humains, limon futur des îles vertes.
Ou victimes aux dieux affreux des mers offertes !
Qu'importe ce qui flue et s'abîme, dissous,
Dans les gouffres d'oubli des informes dessous,
Quand s'affirme le but fuyant et séculaire !
Dans les esprits tendus vers le sol dévoilé
Surgit la vision tumultueuse et claire
Du rivage désert sonorement peuplé ; —
De ports, lançant leurs mâts en flèches lumineuses
Vers les sommets plantés de tours vertigineuses ; —
D'entassements de toits irisés de soleil,
Titanesques cités, montant dans l'air vermeil,
Floraison de la Race et son apothéose ! . .
* *
Sur le feuillet, poudré de micas scintillants,
S'allume comme un bref et pur flamboiement rose
— Etle poème en vers de fer brut, sautelants :
AU SEUIL DE L ESPOIR
« Erik dans Tocre du sable
« Jette son épée à pointe de givre
« A rugueuse garde rouge de cuivre,
(( Qui se fiche, sans trembler, droite et stable,
« Comme elle trouerait un roc ;
« Et clangore : A toi^ Terre ! c'est un troc !
t A toi Tacier frigide et blanc
» Aigu comme l'air des nuits de lune,
« Gravé d'un occulte et puissant rune
« Qui t'imprimera ma gloire au flanc,
« Marque indélébile, sceau fatal !
« A moi tes trésors pour mes ours grondants
« Qui descendent du Nord de cristal
(f Sur leurs icebergs craquants et fondants,
« Hérissés de grisâtres aiguilles ! »
Vers les grèves aux lourds feuillages inconnus, —
Tandis que le flot baisse et découvre les quilles
Des vaisseaux balafrés, vrais corps de guerriers nus, -
Les Northmen, fascinés par la Nature neuve.
S'égaillent comme un vol pillard d'éperviers roux ;
Et la flotte minable et noire s'endort^ — veuve
Des chants de forcenés et des vivants courroux, —
28 AU SEUIL DE l'eSPOIR
Toute plate au milieu des brisants et des flaques
Qui miroitent aux longs rayons jaunes pleureurs,
Sous Teffilement des sanguinolentes laques...
Au loin, dans l'épaisseur des bois, sur les hauteurs,
Une clameur bondit et flotte — et se prolonge.
Martelant les échos rocheux^ — de pic en pic :
Et quand l'ultime cri se répercute et plonge
Du dernier roc côtier dans les Terres de Songe,
Il acclame le Jarl Erik : « Hurrah, Erik ! »
Erik ! — L'hôte du calme eden feuillu des plages
Pose le livre sur les ondes du gazon
Qui chatoie aux émaux changeants de l'horizon
Et rit tout bas, d'un rire acre d'anciennes rages :
Erikl Le nom casque, barbare et triomphant,
Evocateur du sec frisson d'armes grinçantes, —
De noirceurs de sapins, — arêtes rebroussantes
Dans le gel^ — aux appels d'un sauvage olifant, —
Aux cliquettements clairs des glaçons qui bleuissent.
Des antennes de mats crissantes, où se hissent
D'étranges H mîmes qui claquent dans le vent froid ;
De croisières cinglant dans les limbes polaires,
Sous la fauve pâleur du soleil qui décroît !...
— Le nom de rauque gloire et de reflets stellaires
AU SEUIL DE L LSPOIR 29
... Et son nom de piteux poète bafoué.
Victime d'un vain, d'un imbécile caprice !
Erik ! Tel fut l'absurde oriflamme cloué
Sur l'être souffreteux- — de face inséductrice
Et grognonne, — débile et gauche, un peu tortu^
L'écolier orgueilleux, brave et souvent battu,
Le timide, rêvant pour revanches futures
De lointaines, de surhumaines aventures
Et quasi-mort après quelques milliers de pas,
Le barde envasé dans d'immondes écritures
Par des brutes qui lui mesuraient ses repas.
Industrielles et commerciales hures !
Le tendre qui s'en fut, — matelot par dégoût,
Singe paralysé des mâtures gluantes,
Voguer vers lldéal sur des barques puantes
Portant aux Noirs le « schnick » folâtre et l'a: alougûu »,
Le TibuUe raté qui rima des réclames
Pour le « Fard Virginal », le « Savon Trompe-Faim »
Ou les bonbons, fougueux ténors d'épithalames 1
Le (( Vieux de quarante ans, » par hasard riche, — enfin.
Exultant de l'accueil d'une morte fantasque.
Si dédaigneuse du chétif héros northman,
Jeannot, Hilarion, Barnabe, Lafleur, Basque^
Tartempion, Médor, — soit! — Mais Erik!,.. Vraiment ?...
Tout le passé renaît, humiliant et rude.
30 AU SEUII. Dl£ L HSPOIR
Des transes de l'enfant aux rancœurs du vaincu,
Avec, — seuls rayons bleus du plat drame vécu,
Après l'activité stérile et l'hébétude
Dans l'empoisonnement des miasmes humains,
Les heures de répit sur les altiers chemins
De balsamique, de charmeuse solitude !
A-t-il même pleuré dignement, à l'écart.
Gardant pur dans son cœur son lys brûlant et pâle
Comme un vase sacré dans un pli de brocart ?
Las ! Dans ce ca^ur plus d'un rampant souvenir râle,
Toujours agonisant et jamais « acljn'c «^
Souillant la fleur mystique au douloureux pétale :
Parfois même le monstre irradiant, lavé
Par les flots d'or lustraux d'anciens soleils magiques
Comme l'on n'en voit plus qu'en mémoire, froissa
Le calice froissé de spires énergiques...
Alors, le seul amour véritable glissa
Tout au fond de son être en goutte corrosive
De suave parfum vénéneux, — dissolvant
Occultement la joie équivoque et naïve.
AU SEUIL DE l'espoir 3:
*
* *
— Et sut-il seulement souffrir, en s'abreuvait
De consolations grossières et factices ?
Voici qu'une douceur atroce l'amollit
Aux rappels d'un plaisir honteux qui l'avilit,
— De Saturnales et d'idylles corruptrices !
Sont-ce les clairs reflets, âmes des joyaux pers
Recelés par les flots de lumière liquide
Qui, dans leur « va-et vient » désinvolte et languide.
Lui rapportent sa vie, éparse sur les mers
Et les continents où le mirage fulgure,
La parant de leur prismatique diaprure ?..
... Il trouve un acre charme à ses oublis pervers
Et se raille, pleureur à douleur « malléable » ,
Victime intermittente aux tourments si dosés,
Prosaïque martyr à peine misérable!..
... Car même aux jours où tous espoirs semblaient brisés,
— Dégrisé des senteurs des bouquets délétères.
Errant dans les ronciers de trop réelles terres,
32 AU SEUIL DE L ESPOIR
Traînant ses remords las et ses pensers navrés
Sous la menace des nuages bas^ cuivrés,
N'osant pas plus songer à la neige odorante
Des lys, des blancs rosiers de ses amours d'antan
Qu'aux divines fraîcheurs de son àme d'enfant,
N'a-t-il pas, tout à coup, respiré, — pénétrante,
Comme un soupir floral plein de compassion.
Une haleine des temps chers d'adoration,
Albe, emparadisantc, — oh ! jamais dissipée,
Malgré la fliim d'aimer assouvie et trompée !
Tels les effluves d'or tiède et de miel ambré
Des solaires genêts, dans les midis limpides,
S'émanent à regret, légers, presque timides,
Aux toufleurs des jasmins et de l'œillet poivré,
Et s'épandent en la nuit lorride, accablante.
Comme opaque, sans un sourire d'astre aux cicux,
Sapides et violemment délicieux.
Réexhalant, parmi la flore somnolente,
En fluide qu'on sent avoir été vermeil,
L'àme embaumée, — et qui sait?... tendre?... du soleil.
IV
La brume se déroule en troubles mousselines
Lâches, d'argent fumeux broché de fleurs lilas
Et lustre d'un brillant mouillé les cornalines
Des branches fines, la blondeur des chaumes plats
Et le satin crépu des croupes des collines :
En l'écrin sombre des gros arbres arrondis
Qui retiennent la nuit sous leur velours, — la baie
Semble, aux derniers frissons de la houle tombée
Un diamant vivant aux feux pâles verdis :
Dans le ciel veiné d'une opaline marbrure,
Le soleil transparaît en vitrail flou, teinté
De topaze mourante et de rubis lacté ; —
La barque va, rayant Teau froide, comme dure.
34 AU SEUIL DE L ESPOIR
D'un sillage luisant et mince, au frisselis
Coupant^ d'où gicle, bref, un bouquet de paillettes.
De longs sentiers de bois aux voûtes violettes
Pivotent, découvrant leurs lointains de taillis
Devant le glissement de la yole filante.
Parfois, sous Tépaisseur moite des frondaisons,
Se devinent de noirs conciles de maisons ;
De loin en loin cligne une étoile vacillante.
Qui grandit^ — vitre d'or que sabrent des rameaux
Et qui jette un clinquant d'irradiants émaux
Sur quelques feuilles, — dans la masse ténébreuse ;
Puis s'enfonce en cillant dans lombre vaporeuse^
Œil rouge et triste, ouvert aux soucis du matin,
De flamme plus vivante en sa mélancolie
Que le jour qui s'allume au vitrail incertain
La torèt fuit — et c'est la falaise polie,
Rose à peinj, — et la plage étroite aux rocs pourprés
Où les tamaris nains tremblent et s'échevèlent,
S'entrefouettant de leurs ramilles qui s'emmêlent,
Fils de souple corail ù reflets mordorés,
Sous les premiers rayons, obliques flèches molles.
Les flots crctés de blanc bouillonnent à l'assaut
Du cap qui vire, ainsi qu'un monstrueux vaisseau,
AU SEUIL DE L ESPOIR 35
A l'élan du canot qui le double — et les folles
Mouettes volent comme une écume de l'air,
Défiant le géant qui déchire les vagues
De son brusque éperon d'acier rougeâtre et clair.
Déjà le large étreint la barque de ses vagues
Chatoiements bleus — qui font des halos indécis
Liquidement gHssants, embrouillés en lacis
Arachnéens — de rais éblouissants qui dansent
Comme élastiques, — se calment et se rélancent
Sur le blanc miroitant du bordage verni.
Au clapotis fantasque et berceur de la houle
Dont le scintillement ruisselle, mousse et roule
Glaçant l'azur de rets souples d'argent bruni.
*
* *
Vhôîe est bien seul dans l'air acre et libre qui saoule,
Sous sa voile qui bat et s'enfle en se plaignant;
Là-bas, une île est comme un flocon qui s'irise ;
Un grand voilier spectral oscille en cheminant,
Dressant de hautes tentes bises dans la brise ;
La terre proche est un cristal s'illuminant
Comme en songe ; — pourtant, au creux d'une « valleuse
Plus précise avec ses arbres d'un vert épais,
36 AU SEUIL Dl: l'espoir
La brume fume encore en fantômes drapés
De longues traînes de gaze mauve, onduleuse;
Et lorsque le dernier monte dans la tiédeur
Diaphane, nacrant l'exubérante brèche
Qui taille et blottit, dans l'humide profondeur
Des fervides rochers, comme une oasis fraîche,
La forme lente qui se diapré au soleil
Et flotte, évoluant sous un nimbe pareil
A ceux des Saintes, aux Sanctuaires mystiques,
Prend la langueur et les grâces énigmatiques
De G7/t' qui voulut, pour requiem, le chant
Inconsolablement serein de TOcéan
Et pour lieu de repos les bois mouvants des plages :
Peut-être a-t-ellc aimé ce coin d'ombre frôlé
D'un souffle d'Inconnu, — le Soir vert des feuillages,
Dans le sauvage éclat du grand Vide perlé !...
Va-t-il, en abordant à la falaise accore,
Savoir l'occulte Sens de l'apparition
Pourquoi vaine ^^ — Cueillir avec dilection
Quelque secret qui la rendra plus chère encore ?
Vers la faille au bosquet marin qui le ravit
Laissant porter sa barque au flux vif des vaguettes
Où le ciel onde sous des béryls en aigrettes,
11 accoste aux parois de granit et gravit
AU SEUIL DE L ESPOIR 37
La sente en pleins blocs bruts, où cliquette une source
Qui bouillonne et sautelle et rejoint dans sa course
Poudroyante, — le vol des embruns lumineux.
Pus haut, la mousse frise et tapisse les pentes
Sous les verdures aux tiédeurs enveloppantes
D'où filtre en tourno3'ants paillons, l'or bruineux
Des Espaces.
Au cœur d'un bouquet de fougères
Qui s'empanachent — courts palmiers moins plumuleux, —
Une case de chaume et de lattes légères^
Telle qu'on rêve, en son isolement joyeux,
La paillette de l'Inde ou des forêts malaises^
Se tapit en la sylve étroite des falaises,
A l'abri du galop balourd et saugrenu
Des bestiaux errants et des brutes humaines.
La porte basse, sous les liserons amènes.
Larges veux bleus, riants pour l'hôte bienvenu,
A cédé sous l'effort des bises hibernales
Qui raclent les ravins en trombes infernales.
Pourtant, l'air semble encore alourdi des parfums
Qui hantaient ses cheveux aux profonds ambres bruns.
Toute la pièce exhale une atmosphère intime
Qu'il a connue : Il sent qu'il peut aller, sans crime,
3
38 AU SKUIL DE L*ESPOIR
Aux rares meubles qui sont presque des amis :
Qu'il vit ailleurs, brillants d'une bourgeoise aurore
Et qu'il retrouve doux, fanés, comme blêmis .
Au divan de rotang tressé de Bengalore
Ou du Coromandel ; au fauteuil à semis
De roses naines dont les graciles pétales
S'efTiicent, éraillés dans le tissu blatard, —
Papillons morts tombant très loin dans un brouillard,
A la table de hux santal, aux nacres pâles,
Dont le tiroir gardait ses livres prétérés.
Et qui boîte, les pieds gonflés de vieilles pluies,
Tordus, rongés et leurs sculptures en bouillies.
Vraiment à plaindre^ avec ses membres pertorés, —
Tant la ruine semble humaniser les choses.
Ajouter de tristesse à leur ennui muet
Et même de souff"rance à leurs métamorphoses î
— Pensif, il reconnaît jusqu'au bronze fluet
Dont le socle verdi cachait la clef menue
Qui dort encore, — comme attendant sa venue, —
Un peu rouillée en son sachet de velours noir :
Voici reliés de souple maroquin mauve, —
Tranche « pensée » avec un givre d'argent tauvc,
Signets d'hyacinthe, — une améthyste au fermoir, —
Les Maîtres quV//t' aimait pour leur mélancolie
Et qu'elle appelait ses « poètes violets >» :
AU SEUIL DE L ESPOIR 39
Ceux dont l'effusion lointaine et recueillie
A l'âpre exquisité de tels sombres œillets
Dans le soir pourpre, — sous le tremblement stellairc
Délicieusement triste^ — pleurs contenus :
André Lemoyne, Dierx, le divin Baudelaire,
L'ange déchu Verlaine aux tourments ingénus
Et le magicien Poictevin, dont la prose
Est un vers plus fluide à l'orient troublant
Qui surprendrait l'émoi nuancé, tressaillant
De la rosée au cœur d'aurore d'une rose
Ou la musique des rayons sur un cristal.
Il prend chaque subtil et précieux volume
Et tourne les feuillets comme un exilé hume
Les senteurs qui jadis montaient du Sol natal...
*
* *
Seul, demeure en un coin du tiroir, tout livide,
Tout froissé, tavelé des rouilles de la mer,
Gardant, après des ans, comme un reflet humide
D'abîme gris, béant sous la pâleur de l'air,
Un gros cahier rugueux qui sort d'une enveloppe,
Bien brillante pour lui ! — de moire héliotrope :
L'écriture indécise et brusque, — il la connaît.;
Et c'est tout un passé bizarre qui renaît:
AO AU SEUIL DE l'kSPOIR
Car ce poème qn'il a rêvé loin d'Europe,
Sous les iiipas tagals ou les rôniers géants
De Guinée, — aux frissons des pennes des Antilles,
Sur les grands orbes clairs, mouvants, des Océans,
Il l'écrivit au jour douteux des écoutilles,
Aux oscillations d'une lampe de bord.
Ou dans quelque a roumnh » de fantastique port
Presque invisible à deux cents brasses des mouillages
Sous les cascades, les miielstroms de feuillages.
Au milieu des buveurs au teint de bronze huileux
Rougi par la lueur de couchant nébuleux
Des lampes de « klapa » qui fumaient, grésillantes,
Cuivrant les hanchements lourds et les torsions
Fauves — des bustes nus des servantes dolentes.
O le triste poème et les obsessions
Qu'il réveille dans les fraîcheurs de la valleuse I
Quels bouges a frôlé l'Idylle ! — - Comme il sent
Que son âme eût été moins atroce, oublieuse,
Toute livrée au bas pittoresque et laissant
41
L'ame blanche au jardin des edelweiss mystiques,
Moins neigeux, roses de Ses pudeurs extatiques,
Dans Texquisité d'une atmosphère de ciel, —
Qu'en évoquant, par ces vapeurs de beuveries,
Parmi les rires sourds et les agaceries
Des gouges brunes, — son rêve immatériel,
La pure vision d'aube vierge d'aurore,
Qu'il osa contempler et qu'il « voulut » encore, —
En son inconsciente et lâche abjection, —
Emue et souriante à cette passion
Triomphante du philtre « enchanteur » des relâches ! —
C'est ce papier souillé sur les tréteaux poisseux
De borgnes cabarets sumatrains ou malgaches
Qu'elle a placé, paré de soie auprès de Ceux
Qui de leur mélodie ample, aux blandices sûres
Bercèrent son spleen ou ses tendresses obscures !
O déchirer le vil cahier blasphémateur.
Le crasseux monument de plate effronterie,
Insultant et naïf — et sincère — et menteur !...
Comme il brandit la loque adornée et flétrie.
Un vol papillotant de fins papier lilas
Palpitants, retombant comme des oiseaux las
S'éparpille, jonchant le plancher qui se ronge
Des feuilles mortes d'un tendre automne de songe.
42 AU SEUIL DE L ESPOIR
Qu'il recueille, non sans malaise et sans remords, —
— Commentaires soigneux, écrits d'une encre étrange,
D'un vert bcngalisé de turquoises et d'ors,
Qui semble refléter SES yeux pers, sous leur frange
De cils de soleil brun septembral, triste et doux
*
♦ *
Ces notes ont creusé, vers par vers, le poème.
Inquiètes du sens occulte, des « dessous », —
Disant ce qu'eût voulu dire V « œuvre » elle-même,
La comblant des trésors de mille illusions.
Prêtant un sens charmant aux grossières emphases.
Fleurissant de bouquets discrets d'allusions
Le désert spécieux des phrases, — rien que phrases !
*
* *
Il croit revoir « sa » tcte inclinée : Elle a dû
Relire bien souvent chaque strophe incertaine
Dans le mystère vert de son ravin perdu !
— La voici : L'index mat à la tempe châtaine.
Son index rose-thé que le frêle incarnat
De l'ongle à l'orient teinté d'un lait grenat
AU SEUIL DB L ESPOIR 43
Nacre du chatoiement d'une perle florale ;
Les cils tremblent, baissés, sous la ligne augurale
Des sourcils d'un châtain plus sombre, — duveteux :
L'éclat du ciel marin que la vitre tamise.
Adouci du frisson des feuilles dans la brise,
Poudre de jours cendrés diaphanement bleus
Et d'un smaragdin faible et flou la crespelure
Lidomptable de sa mousseuse chevelure.
La bouche détend l'arc ferme, à peine charnu^
De ses lèvres d'un rose intense d'azalées,
Ou l'affine encore en un sourire menu.
Son nez cambré, mince, aux narines ciselées
Dans un ivoire aux tons camélia, gonflées
Imperceptiblement, subodore au lointain
L'insinuant parfum des forêts tropicales
Qu'il décrivit, pompeux, au hasard des escales.
— Sa poitrine que moule un bizarre satin
Presque terne, malgré d'évanescentes flammes
Oui courent dans l'étofle, ondulantes, en lames
Phantasmatiquement serpentines de kriss, —
Et qui rappelleraient les reflets indicibles
Des brasiers d'un couchant voilé sur des iris, —
Se soulève, battante, aux passages terribles
De tempêtes, de durs traitements et de faim,...
O routes de retour que l'on cherchait en vain, —
44 '"^^ SEUIL DE L ESPOIR
Gouvernail arraché, mâts rasés, toile au diable, —
Entre la vague opaque et la brume insondable !...
Il la détaille si nettement, — l'œil mi-clos
Tout brillante de la rosée adamantine
De larmes qu'un rayon d'horizon clair lutine.
Le regard vers un point de V « au-delà >^ des flots, — ...
... Une bouclette aérienne, — un rien qui frise,
Enroulement de jour soyeux, presque irréel
Qui caresse le tront d'un soupçon d\nc-cn-cicl, —
... — Ce vcloutis de pèche ombrant la nuque exquise,
... — Et ce lacis d'azur faible sur le bras nu
Qui s enchâsse d'un lourd bracelet inconnu
Comme ce collier fliit d'opales lilacées,
De crépuscule tiède et triste nuancées
Et cette robe au feu violâtre dormant,...
11 la retrouve si semblable et si « nouvelle d,
Avec sa langueur grave, — et dans son œil aimant
Quelque chose d' « atteint » qui n'était pas en elle.
Qu'il ne sait plus s'il la « veut », passionnément,
Présente dans la case où son rêve l'appelle, —
Ou si pris en pitié par un Monde ignoré
Mais toujours ambiant et « présent » dans l'espace,
Il n'est pas le jouet complaisamment leurré
De quelque bienveillant fantôme trop fugace!...
AU SEUIL DE L ESPOIR 45
*
* *
— Il est bien seul avec le vent du large, — amer, —
Pénétrant les cloisons de l'haleine marine ;
Et sur le manuscrit micacé d'eau saline
Miroitent les yeux pers et railleurs de la Mer.
* *
Mais^ ensevelissant la lointaine relique
Dans le frêle tombeau du vieux meuble effondré
Il découvre ces vers d'un feuillet égaré
Que cerne un trait puissant de l'encre chimérique :
« Si l'amour qui franchit les gouffres est menteur
« Quand il hante, plaintif, l'âme qui le repousse
« C'est un perfide, aussi, que Toiseau migrateur
« Qui fuit les bois du Sud et la floraison douce
« Des bosquets roses où vont giter les ramiers
« Et la feuille roulée en nid qui le recueille,
« Cherchant au Nord pâli les vieux murs coutumiers
« Et la fenêtre amie où bat le chèvrefeuille,
« Et le lierre noir bruissant du frôlis
« Des églantiers grimpants et der. volubilis »
3*
46 AU SEUIL DE l'espoir
— Lui-même vient répondre à sa propre détresse
Et l'emphatique trait dit qu Elle a deviné
Le pauvre cœur privé de réelle tendresse
Et que — n'ignorant rien — elle a tout pardonné.
Il reviendra parfois dans l'éiroite cabane
Où tiennent les lueurs de l'énorme Océan,
Le Vent, dur pourvoyeur de l'abîme béant,
Tout ce qui flotte et sombre avec tout ce qui plane.
Et bien humble, — mclée aux tragiques combats
Des Forces folles, — dans la ruée emportée,
Parcelle de l'embrun qui flotte ici, là-bas,
Vers le Vague, — sa vie entière reflétée ;
Et dans ce cadre fruste et naguère chové
Pourtant, — parc de fleurs dont telle jardinière, —
Malgré les Ouragans hurlant dans la chaumière, —
Conserve encore un fll roux de tige, — noyé
Au mince flot d'oubli montant — de la poussière.
— Dans ce cadre infléchi qui dure en s'eflritant,
Vieillot à souhait, plein de souvenirs d'antan,
Il revivra sa trop berçante adolescence
Et sa maussade enflmce, et sa maturité
Trop précoce, de fruit gaulé, meunn,^dtc
AU SEUIL DE l'espoir
47
Par les doux créanciers de sa reconnaissance,
En relisant ses vers dont la sincérité
S'affirme en la si chère et lointaine Présence.
Au (( Noroît » qui se lève, estompant le bleu vif
Du ciel plus froid que gagne une buée ailée,
La barque « hanche » sous la voile regonflée :
La côte se referme en^tftrpart^agressif l^^yyt^T-^^ i
Dont les pointes de roc, rouge denture avide
Se tendent méchamment pour happer les vaisseaux,,
Et les vallons boisés, refuges des oiseaux
Et des rêves lassés des essors dans le vide.
Comme l'herbe et la lande astrale des ajoncs
Ne sont plus qu'une mousse aux flancs d'âpres donjons.
Dans la lagune étroite et profonde où l'eau gronde,
D'un olivâtre vert glacial sous le grain
Et s'enfle en galopant, roulante et furibonde,
Se flagellant de ses crinières de poudrin, —
Enlacé des varechs que le flux brusque entraîne,
Un brick noir fourvoyé tourne au bout de sa chaîne
4^ AU SEUIL DE l'espoir
Grinçiinte en les naseaux de fer des écubiers.
Et bs moutons errants qui paissent sur la dune
Se tassent à l'abri frissonnant des halliers,
Sous le vent rebroussant leur toison beiize ou brune.
* «
Clairsemés, des pêcheurs aux « cirages » battants —
Que l'on ne voit qu'aux jours farouches de bourrasques,
Toujours enfuis aux bleus perlés et miroitants,
Counint sur les bancs clairs des croisières fantasques,
Ou terrés dans la nuit fumeuse des taudis, —
Sur les buttes de sable, incrustés et roidis.
Surveillent leurs bateaux mouillés loin dans les passes.
— Et comme le canot range les pointes basses.
Rasant les coteaux bis piqués de joncs marins
D'où se détachent sur étain les silhouettes
Claquantes — des guetteurs obstinés et chagrins.
Sinistres sous le vol livide des mouettes,
L' « isolé » qui bataille avec son foc mouillé,
Songe, naïf, que ces haillonneuscs statues
Le devinent, peut-être, et prennent en pitié
L'équivoque rôdeur des ravines perdues,
Ou qu'une Seule a « Sti », qui n'a pas oublié
AU SF.UIL DE L ESPOIR 49
Et ne guette que lui, débile, dans son cotre, —
Spectre vengeur^ gardien du mystère d' « Un autre ».
Et souriant un peu du lugubre roman
Eclos dans son caprice à la hideur sournoise
Des nuages en deuil qui font, se déformant,
Glisser sur l'eau de fiel des vampires d'ardoise,
Et ne sont plus bientôt qu'un crêpe diapré
Dont l'écharpe s'effrange aux rondeurs irisées
Des collines riant de leur vert relustré,
Il voit monter son toit dans les masses boisées
Et luire les clins d'œil changeants de ses croisées
Inviteurs sous leurs cils, de glycine alourdis. —
Si vermeille aux dardants soleils d'après-midis, —
Dans la rouge chaleur, sommolente et joyeuse, —
La vieille maison semble en la jauneur crayeuse
D'un timide rayon comme convalescent
Que filtre un cumulus d'ocre bleuâtre et brune
Serti d'un fil d'or violet, opalescent,
Un logis d'enchanteur sous un rayon de lune.
Et malgré sa douceur de gîte reconnu.
Tendant son perron bas au flot qui le ramène,
L' « hôte » la sent pareille à ce carbet chenu
Qui se meurt, là-haut, de tristesse surhumaine :
50 AU SEUIL DF. L ESPOIR
Deux moribonds n'ayant qu'une âme pour eux deu:? :
Le charme condamné de SA mélancolie
Et qu'une expression dans la vie abolie,
Qu'y fixèrent de longs regards des mêmes yeux.
Flave, le dieu Matin chante aux crêtes feuillues
Et s'envole, semant son duvet de brillants
Sur le mateur des lys et les joufflues
Pivoines, aux teints irradiants.
Et sur les scabieuses moroses,
Dans le réveil suave des jardins^
A riialeine rose des roses
Et des encens incarnadins
Qui montent de la chair de blondes des jacinthes.
Divinement, labialement plus roses.
Sur les vaguettes radieuses et ceintes
D'un sable qu'on dirait en poussière de fleurs
5 2 AU SEUIL DE L F.SPOIR
Voici que le coma nocturne se dissipe
Des miroitements et des couleurs.
De protéennes transparences de tulipe,
De géranium-feu, d'œillet, de fuchsia
De crocus de safran, de verveine sanglante,
Jouent et fulgurent dans la trame sautelante
De souple cristal où l'indienne Maïa
A broché ses fantasmagories.
LVau des londs rocheux s'agatiie de stries
Serpentines, aux embrasements sourds
Où vacillent d'étranges longues tours
De mosaïques et de pierreries.
Sur le banc mouvant d'algues, agité
De tremblements faibles qu'on devine
Dans la verte diaphanéité
Qu'un feu de Bengale illumine, —
Le brick noir appareille, ancres aux bossoirs
Et sa fine guibre se dresse et se cambre
Aux souffles, — tulles des infinis miroirs,
Qui halètent si doucement dans la chambre !
Entre les bleuâtres échevclements
Flottants des lianes minces des glycine:,,
L'hôte réjouit ses yeux des ondoiements
Des alacres coruscations prasines
AU SEUIL DE L ESPOIR 53
Sur la carène en cuivre prismatisé
Et sur le sombre arc-en-ciel de la membrure
Où se dilue en parure
Le noir, de fluescents joyaux attisé.
Aux mâts claquète la voilure bise
Les gros câbles sonnent dans la mer,
Zébrant de balafres d'outremer
Le clair brasier vert que souffle la brise.
Et toute la baie étroite retentit
D'un émiettement de verre qui se brise
En sonore poussière qui resplendit
JoyeufJf-aux tintements lents et longs d'échos tristes,
Où montent et plongent des accords de harpistes.
Dans un passé bizarrement regretté,
En l'extrême matin, par des jours semblables,
Mais plus afl'olants de limpide beauté.
Par les fraîcheurs tièdes inoubliables^
En la pénombre adamantine dont l'éclat
Eteint les vitreux midis d'Europe,
Quand les mornes de sombre grenat
Et d'émeraude noire à cime héliotrope
54 AU SEUIL DE L ESPOIR
Laissant darder à peine un javelot doré
De l'exultant soleil à l'armure aveuglante,
Combien de fois, pour lui, n'a-t-elle pas vibré
La plainte grave (et pourquoi consolante ?)
Qui sourd sous l'énervante exquisité
Des rires cruels des eaux réveillées,
Dans le rade, bois lumineux, planté
De mouvantes mâtures efhlées ?
Des canots allaient et venaient, — dans le remous
De bien plus immenses gerbes florales
Aux pétales translucides et mous
Qu'allumaient les courtes flammes astrales;
Chargés de noirs, — leurs faces de jaïet
Ruisselantes d'une mordorurc...
Le flot où couraient les tormcs s'éparpillait
En la jaillissante bigarrure
Des écumes d'argent améthysé, —
D'opales roses, d'aventurines,
Autour des gros trois-mâts, dans l'air vaporisé
Des adorablement tristes saveurs marines. —
AU SEUIL DE L'ESPOIR 55
Tout près, à terre à l'arôme acidulé
Des oranges vertes et des mangotines
Poivré de goyave et de vétiver mêlé, —
Sous le crépuscule embaumé du haut feuillage
En dômes aigrettes de cocotiers ténus
Des dalles bruissaient sous des pieds nus,
Par le demi-sommeil du iMarché du Mouillage,
Où la fontaine chantonnait tout bas,
Gazouillante et purement frissonnante.
Dans la myrrhe d'aurorales Sabas,
Des reines brunes à gaule traînante.
Aux madras teints de solaires gaîtés, —
Couronnes de luisantes chevelures,
Dont fuyaient de fins anneaux révoltés
Sortaient processionnellement des verdures.
Guettant leurs lentes ondulations
De lianes aux brises rhytmiques
Les lisses et rondes flexions
Des cols, nacre de bronze, aux colorations
Plus chaudes que les tons éclatants des tuniques,
Il les suivait, d'un œil complice, un long moment
En leur nonchalante mutinerie
Vers leurs cases qui bordaient l'eau fleurie,
Tout en res^ardant douloureusement
56 AU SEUIL DE l'espoir
En lui-même une image plus précise,
Plus présente, au-delà des mers du Nord voilé
Que les belles du Sud dont la troupe indécise
Déjà boulait dans un « voisin lointain « perlé.
Il « la rt revoyait, en un tel exil de son île
Où lui — tentait de la rappeler en esprit,
La pâle cbataine forte et gracile
Errant près de l'Océan qu'assombrit
Le regret céruléen des flots des Tropiques,
Sous les pins revcches, bérissés
De leurs âpres deuils métalliques,
— Grandie un peu dans ses souvenirs tout grisés
Par la jeunesse des matins técriques.
Et si sereinement cbagrine, en sa beauté
De rêve nimbée et sertie,
Faite de grâce éteinte et comme ralentie, —
Elle dont l'oeil profond au cbarme contrasté.
Aux troublantes lueurs vertes et bleues,
Mieux qu'une prunelle de soleil noir,
Occultement, à des milliers de lieues, —
Surnaturel et mystique miroir
AU SEUIL DE L ESP 57
Reflétait l'âme violemment harmonique,
Ardemment douce, — et les sortilèges secrets
De la mer Caraïbe et des forêts
De l'envoûtante, alliciante Martinique !
Et comme s'affirmait sa vision
Ciselant et peignant la délicate amie,
Si cruelle à sa passion, —
De courts battements clairs sur la rade accalmie
Tombaient en un éclaboussement musical,..
Un sillage de neige en traîne pétillante,
Aux dessous brodés par l'Océan tropical
De confus œils de paon sur soie étincelante
Rasait la muraille noire oscillante :
Une yole où ramaient deux coolees de Karikal
Et le vieux patron Ccâpre à figure placide
Filait le long du bord, tressautante et rapide,
Décrivait des circuits planants de tiercelet,
Puis resserrait son vol glissant, — toute frôleuse,
Et fascinante, — d'un rose un rien violet, —
Enlaçant les trois mâts de sa spire enjôleuse :
f,8 AU SEUIL DE L ESPOIR
A l'arrière, cambrée en un svelte abandon
Grande et fine en sa « gaule » orange à fleurs pourprées.
Calme Ariane ou très consolable Didon,
Ses yeux vagues perdus au large, — aux Empyrées, —
Gemmes au velouté sombre des nuits astrées,
Vagues et si hautains, — et ne daignant rien voir,
Ni rien, — Dieu merci ! — daigner vouloir,
Alizia, la moins cruelle des « vinciblcs »,
<c Zaza », — Mylitta des satrapes du long-cours.
Idole parfumée aux fulgurants atours,
Promenait ses grâces impassibles.
Etait-ce^ vraiment, tout à fait la mcme
Que la Brusque au sourire adorable et méchant
Qui caquetait, le regard aguichant,
Ses bras fauves nus et le diadème
Hiératique du madras — en coup de vent —
Simulant un bonnet de folie où les cornes
De quelque diablotin plutôt mal embouché ; —
Qui débitait d'un air mi-sucré, mi-fâché
Des « horreurs à faire àlater les bornes d,
A déhancher sous les sourcils froncés des mornes
AU SEUIL JE L ESPOIR 59
Le phare assez grincheux de la Place Bertin ?
Que Zaza, la « brune » au teinfTavenelle
A la peau fraîche comme un bouquet, au matin,
A l'âme — d'arc-en-ciel trouble — de gitanelle^
Ou de fée ivre des suavités de l'air.
Qui pleurait pour une chanson « trop belle »
Ou se convulsait, — pour un mot, — d'un rire amer
Que ponctuaient des cris aigus de rage folle?
Que la gamine qui fuyait — comme s'envole
La libellule, au ras des touffes de roseaux, —
Dans la cour aux murs bas dominant les « accores »
Aux gros pavés de « roche » ivorins et sonores
Où dansait le reflet bleu, tremblotant, des eaux,
Où se répercutaient, la nuit, les chocs des lames, —
Et là, dans la blancheur frénétique des flammes
Tombant du ciel, montant du sol éblouissant,
Où s'évaporait le cobalt pulvérescent
Des ombres d'un balisier, flottantes,
Exaspérait les trajectoires éclatantes
Des anolis. bijoux d'or vert incandescent,
Ou criait d'amicales injures
Qui ricochaient languidement sur la tiédeur
Lisse et lourde des flots solaires en torpeur
Vers les voiliers mastocs aux inertes mâtures
Endormis sous l'éternel Eté,
Dans le demi-jour frais par les tentes bluté.
60 AU SEUIL DE l'eSPOIR
Sur le remous des lentes moirures,
Tandis que jouaient, en éclairs nonchalants,
Sur la sombre glace des coques lustrées
Des scintillements d'astres fluents ?
Ou même la triste aux chants ensorcelants
Sur des paroles enfiévrées ?
Comme elle semblait loin dansles vieilles soirées
Dans les Midis vibrants et défunts,
Sous ses tuiles capucine aux ors bruns,
La case de bois fraîche, — bleue et grise, —
Comme diaphane et si discrète, pourtant, —
Ouverte aux parfums rôdeurs de la brise, —
Loin dans la veille et dans le lendemain latent,
La case toute proche, entre ces deux palmistes
Un peu roides, aux troncs bulbeux, aux lisses fûts
Emplumés de peluches fantaisistes,
« A toucher d le beaupré dont les cercles confus
La griffent doucement, tant l'air limpde
Partout égalemenc hyalin
Abolit la distance et le vide.
La porte bat fiiblement et se plaint
Au souffle vif qui fait houler de longues pennes
Et les crêpes clairs des filaos affligés ;
Le balisier sauvage aux satins eflrangés
AU SEUIL DE l'espoir él
Frôle sèchement les minces persiennes
Où criaille une voix de fausset.
Toute la vie éparse aux frêles boiseries
Chante, voisine pour une oreille qui sait.
Et tournoyante en ses agaceries
La fine yole si longue à revenir
L'emporte, bruissante, — et chère^ — et familière,
Peut-être aux gouffres gris et flous du souvenir:
Flous, non pas, — voici^ nette en la demi-lumière
Chaude, que filtrent les lamelles des volets
Qui s'embrasent, — comme en cornaline, —
Comme en pétales de chrysoprasins œillets, —
La chambre tout embaumée et câline :
Voici les meubles aux reflets sourds de cobras^
Le lit bas, — ouragan dans les neiges. —
Les gaules, les foulards qui fleurissent les siège;
Et tels qu'un vénéneux parfum dedaturas, —
Après tant de mortelles années, —
Ce doute frigide et consumant,
Cette inquiétude en les charmeuses journées,
Tout cet a. Licertain » de pressentiment
62 AU SEUIL DE l'eSPOIR
Qu'importe ! Le soleil tombe droit sur Saint-Pierre,
Comme s'abat le vert des végétations
Croulant des mornes en mascarets de mystère:
Là-haut, l'éther anhcle aux palpitations
De la terre moite et brûlante,
Terrible de splendeur et de fécondité !
L'aveuglement de la blondeur ruisselante
L'écrasement d'affolante sérénité,
Pénètrent, — clarté molle et volupté
Délicieusement énervante et morbide, —
La sieste de la case où s'éveille, sapide,
Insinuant — et comme en ondoiements subtils,
Un arôme de mangue et de roses musquées...
— Ses yeux — flambant noir sous les paupières arquées
Illuminant le jais soyeux des cils, —
Ses petites dents d'amande laiteuse
S'enchâssant d'une rose pulpe de fruit, —
— Se balançant i\ faible et rythmique bruit,
Le buste, demi-nu, roulant sur la beiceuse,
Zaza chantonne tout bas et tout doucement
D'une voix charmante et bizarre
Où sonnent mélancoliquement
Comme des notes izraves de cithare....
AU SEur. DE l'espoir 63
^ *
O Zaza, c'est aussi l'acre et divin passé
Qui sonne et pleure avec des sanglots de cithare
Au souvenir de Tair tendre et bizarre
Si douloureusement nuancé, —
Tout l'atroce, cher, inoubliable Passé !
«Zaza, chantez-moi votre beau chant triste
« Où revivaient des fleurs défleuries
« Et de lointaines, d'inretrouvables patries
« Dont un pressentiment nostalgique subsiste
(( Seul, dans nos souvenances flétries.
« Voyez, l'ombre indigo plus ardente, consume
« Le blanc des pierres sous les hauts lauriers graciles
(( Que si radieusement allume,
« A l'approche des ténèbres hostiles,
a La constellation d'étoiles de chair rose,
« Où le dernier vol, tremblant, se pose
« Des papillotants papillons solaires.
64 AU SEUIL DE l'espoir
'< Il flotte du regret dans l'air qui nous embaume
« Et sous les diamants pourpre massés en dôme
« Des brèves apothéoses crépusculaires,
« Poudrant de feux les bruns sabliers des savanes
« Les tentures et les aigrettes somptueuses
« Des forêts, dais mouvants aux myrrhes capiteuses, —
« Bientôt vont bourdonner les nocturnes dianes
« Du réveil de la vie occulte:
« Abeilles-tambourins, fifres-cigales
« Vrombiront, strideront, — pour quelles Saturnales ? —
« Rappels inconscients, mystères de quel culte
« Qui couve, agonisant, dans les troubles mémoires
c( Et qu'un frisson d' « ailleurs » attise aux heures noires,
« Dans la sylve épaisse, au flanc du morne complice ?
« Chantez de votre voix si chaude, si vibrante
« Et si rare ! C'est le mystique instant propice
« A révocation de l'Ame Unique errante
c( Qui se révèle en nous révélant et replonge
« Au goulTre aveuglant des clartés trop radieuses,
« Nous relivrant aux semblances insidieuses,
« Nous, ses parcelles, nous ses avatars de Songe,
« Menus brillants novés du collier de lumière...
AU SEUIL DE l'espoir 65
...« Sur l'éclat dur du ciel ont fui, — le temps d'un rêve,
« Des pollens de jacinthe et de rose-trémière :
ce L'écho des bois secrets va mourir sur la grève
« En ses cadences trop parlantes — et si vagues !
« Qui s'enseveliront aux roulements des vagues
« Mais votre chant « prenant )) et magique s'élève,
« Plus inquiétant, plus adorablement triste
« En se mêlant avec des douceurs affolantes
c( Au court deuil vespéral de fluide améthyse,
c< Aux secs lamentos des palmes volantes...
« O l'incantation du tympanon barbare
« Et des flûtes ironiques, hululantes
« Qu'attire votre voix perverse qui s'égare
« Au-delà des seuils fastes de l'extase.
« — La voici bruire en l'intime de la case
a Et loin, au profond de nous-mêmeî
66 AU SEUIL DE l'espoir
« Et que dit le frisson sonore qui s'empare
c( De nos terreurs d'espoir ? (... Des cuivrures si blêmes
« Glissent sous votre teint de fleur-topaze,
« \'os yeux sont des nuits si fauvement constellées !..
« ... Et le chant bien connu, prévu phrase par phrase
« Se transfigure sur les strideurs modulées.
« De même tels parfums d'outre-siccle, torpides,
« Epars aux limbes froids des senteurs-chrysalides
« Doivent se réveiller, toutes neuves fragrances,
(« En d'indicibles mais précises ambiances,
« Emanations des mêmes heures passées. )
« Brise acre, soufflant d'amêres corolles
« Et volatilisants les langes des paroles, —
Laissant flotter, au plus, des gazes irisées
« Sur le soHS-setîs du lent motif qui se déroule
« Il dit, ce frisson qui vous enfièvre
« Et qui cuivre le brun corail de votre lèvre,
« Les transes d'une morte et renaissante foule,
« Les aflVes d'un a jadis n d'atrocités obscures,
« Dans le vertige des ténèbres délétères,
« Et les deqrés de feu d'ascensions futures!...
67
if. if.
« Voici de mornes, d'immenses terres
« Qui montent dans des ciels de mirage
« Où courent des fimtômes de villes,
« Géantes, livides sous l'orage,
« De vaisseaux monstrueux et d'effroyables îles
« Menaçantes, sur un Océan qui rougeoie.
(a C'est sous un poudroiement de lumière brutale
« Le moutonnement flou des forêts qui s'étale
« Dans l'air souplement vitreux qui les noie
« Et les rebrousse comme un vert remous d'écumes,
(( Des forêts parlantes, Delphes et Cumes
« D'un monde qu'écrase une énigme formidable
« Et folle : Atteint au cœur alors qu'impénétrable !
(( Sereins et protégés par des milliers de lieues
« De nuit sylvestre, les grands lacs, vasques d'abîmes
« Aux profondeurs paradisiaquement bleues, —
« Recèlent des reflets d'épopée et de crimes,
« Comme les mines dans l'ignoré des barathres
(c Aveugles des Sierras aux masses sépulcrales
0 Détiennent en secret les miroirs et les âtres
« Où flamboieront l'Ether et les splendeurs astrales
68 AU SEUIL DE l'espoir
* *
« Dans l'horreur du Centre inaccessible,
(■' Dominant les hauteurs calcinées
« Que dévorent les roches ravinées
« Qui semblent crever le ciel impassible, —
— ((En bouquets de lances confondues
« En rudes jets de palmes neigeuses,
ft Daidantes, — les sources éperdues
« Jaillissent tonitruamment fougueuses
(( Du tronc unique de cristal tors des Eaux Mères
« Qui se ruent, en roulant leurs sèves organiques
<( Par les plaines, — jusqu'aux limpidités amèrcs
« Des flottants Inconnus Océaniques
« Qu'elles troublent du sang superflu des vallées.
* «
... « Et sur un versant, morne en ses angoisses lasses,
« Emergeant à demi des noires terres grasses
« Qui Ja continuent, — gît, les mamelles gonflées,
« Les vastes flancs battants, la sombre génitrice,
« Source des Sources, Mère éternelle et nourrice
AU SEUIL DE l'espoir 69
« D'un Monde qui la fuit et qu'elle renouvelle, —
(( Force vive que capte un lointain sol vorace.
« Et tandis que le flux gaspillé de sa race
c S'épanche de son sein, grandit et ruisselle
« Sur la brousse qui cède et la moisson qui germe,
« Elle pressent, triste et réluctante marâtre,
« Sous le mur de vapeurs miroitantes qui ferme
€ L'Incertain houleux et bleuâtre,
« Le navire de proie atrocement rapide,
« Le ravisseur ailé, guetteur de chair humaine,
« Chair à labeur, chair à carcan, toute tépide, —
« Engrais à prix réduit pour un coûteux domaine.
* *
« Et sous la laque pourpre et grêle des sillages
« Des chaînes d'ossements ont relié les plages
* *
« Les voix des tambourins, rauquantes et cuivreuses
((. Grondent comme la mer contre les cales creuses,..
70 AU SEUIL DE L ESPOIR
♦ ♦
« Apres cordes des titanesques lyres
« Les étais chantent dans le bleu frais de la brise ;
« Et la grande voile crémeuse frise
« En un délire de sifflants rires
« Le béryl volant qui se vaporise.
« Sur le pont lisse sous la rosée,
« Telle une pulpe de noix rosée,
« De fins poissons vctus d'un satin d'émcraude
« Et de sombres saphirs qui s'étirent en soie
d Frissonnante comme un corsage de ribaude
« Tombent dans la lumineuse joie ;
« Et débiles après Tenvolée
(( Et les exultants efforts insancs
« Se débattent^ froissant leurs ailes diaphanes.
« Les marins, toute toile larguée,
« Etendus près des souples mâtures
ik Goûtent la radiance tiède et gaie
(( Dans Texquisité des vitesses sûres.
AU SEUIL DE L ESPOIR yi
« Sous la mince paroi de planches résonnantes, —
« Frôlant presque le calme élyséen des siestes,
« En la nuit oppressive aux épaisseurs gluantes
« Où fermentent les malarias et les pestes,
« Toute une humanisé, pêle-mêle enfouie,
« Qu'amalgame l'Etroit de la sinistre caque,
« Inerte et rompue — et de noirceur éblouie
(( S'affole dans l'horreur pesante de l'Opaque.
« DeTair ! dujour ! )) — Mais les bourreaux? La peur ?« Qu'impor
« Respirer ! Voir! » Après?... « Tant pis! La fusillade!
(c Les buissons flamboyants des piques ! La noyade !
« L'angoisse a jugulé la peur, — la peur est morte ! »
« Et la « pâte » de corps tassés, un instant forte
« De la cohésion d'aflres exaspérées,
(( Flot nocturne de poings^ de genoux et de têtes,
« Lame de fond de sourdes tempêtes,
« Bondit vers les clartés brusquement espérées.
(( Le lourd panneau scellant le cachot se soulève
« A l'assaut déferlant qui défonce et qui brise ;
« Voici luire un fil d'azur tremblant de brise,
« Qui contient toute béatitude et tout rêve,
c Une bare menue, un rivulet, un fleuve
« Du divin Bleu vital, source des Energies
72 AU SEUIL DH 1/ ESPOIR
« Et des Fois, rayonnant ainsi qu'une âme neuve.
« L'air vierge inonde les poitrines élargies :
« O fraîcheur de l'ardent Soleil marin qu'on hume
« Comme un fluide d'or dont s'abreuve tout TEtrel...
« ... Un déchirement sec qui claque !... Le pont fume;
(( ... Un bref, inconscient combat dans le bien-être
« Du ciel retrouvé, — du céruléen délire !...|
« — Et les masses de bois et de plomb se rabattent
« Sur un tas d'os craquants où des crânes éclatent...
(( ... Et, — sous les Alizés berceurs, — un grand navir
« Tout blanc de voiles où jouent des nimbes candides
« S'en va, hurlant de sourdes plaintes furieuses,
« Dans la gloire du Sud^ vers des iles heureuses !...
« Par les senteurs résineuses, humides
« Et brûlantes du grand bois qui s'attriste,
« Dans l'ombre rousse grandissante,
(( Où les éventails de fougère et de palmiste
« Concentrent le trouble des parfums rauqucs, —
« Seule, — sondant la nuit verte de chaque sente
« Sous les fourrés bas qui s'attisent d'éclairs glauques.
AU SEUIL DE L ESPOIR 73
« Se coulant dans la brousse et fuyant les clairières,
« La (( première évadée » avance à pas timides
« Et s'épouvante de voletantes lumières,
a ... Torches de poursuivants aux manœuvres perfides,
« Ou zigzags de feu pâle et vert des lucioles ? —
« Au cœur de la forêt, protégé par des roches,
« Un abri tapissé d'herbes sèches et molles
« Se niche sur un tertre à l'affût des appproches ;
ce Et les arbres, serrés en ronde colonnade,
(( Se sont fondus si bien, troncs, lianes et pousses
« Qu'on dirait une tour d'écorces et de mousses..
*
* *
(( Après la longue route et la dure escaL:dc
« La fugitive dort sous les rameaux qui chantent :
(( Chers fantômes et présentes tristesses
« En rêve, — tour à tour, — la glacent et l'enchantent.
5
74 AU SEUIL DE L ESPOIR
« O SOUS les rôniers, — robustes sveltesses, —
« La lande rose aux fins bambous, près de l'eau bleue !
« O les bananiers sur le rucher des cabanes,
« Et dans les élaïs bruissants des savanes
ii Le vol des loris et des paille-en-queue !
« O les lentes musiques vespérales,
« Quiètes, — des mortiers de bois sonore
« Tandis que crisse, frit, flûte et clangore
« L'orchestre des criquets de bois et des cigales !
(( ... Le calme des guerriers protecteurs et superbes
« Torses d'airain noir, lances barbelées
« Chatovants dans le frisselis des hautes herbes, —
« Au réveil, — sous l'nir mauve aux flèches ondulées
(( Qui chargent les gramens de moissons cristallines !
« — Les petits dieux guerriers, diflbrmes dans leurs niches
« Va la danse sacrée aux cadences câlines,
« Dans le vert de la nuit, sous les arbres fétiches.
AU SEUIL DE L ESPOIR
*
« Oh quand fumaient, au loin, le soir, les huttes brunes,
« En le trouble hyalin qui montait des lagunes,
« La chaleur au cœur de se sentir attendue !...
« ... La pression des bons vieux bras qui vous étreignent,
« La douceur d'être aimée et d'être défendue !...
<( ... Les intimes parfums du foyer dont s'imprègnent,
« Comme d'une âme tiède, amie et rassurante
« Les objets familiers qui meublent la mémoire !...
« La futaie isolée, âcrement odorante
« D'une exquise senteur étrange et « comme noire »
(c Où se hasardent seuls les prêtres et les vierges, —
« — Où volète, à grand bruit, un esprit invisible
« Qui sème, dans un jour d'abîme, sur les berges
« D'un lac nocturne où tremble un astre noir, terrible,
0 La noire fleur au suc de pourpre violette,
« Philtre vivant qui rend la peuplade invincible ?...
a O la futaie aux troncs carbonisés, squelette
« De futaie, où le feu de l'Oricha sinistre,
76 AU SEUIL DE L ESPOIR
t Chango, se déroula par une nuit sans astres,
d En lugubres anneaux de serpent rouge et bistre,
« Douze lunes avant l'àtre flux des Désastres...
(c Quand, au-delà du bleu ruban de la lagune,
(( Douze pointes de mâts dominèrent la dune !...
« Les huttes ?.. Cendre rose et par le sang durcie !..
« ... \'oici que claquent les voiles des Blancs-\'ampires.
(( ... Des cris ?... Les bêlements de la hcrde éclaircie
« Bourrée à coups d'anspec dans les quatre navires !...
ce — Et le vol des gerfauts marins fend l'air humide,
f( Qui fuse fliiblement dans les cales bondées, —
« Assez pour raviver chaque ferment putride,
« ... Et se hâte vers les halles achalandées...
(( — Des mois î — Et le plafond de la prison se crève :
« L'air brûle les poumons des survivants étiques,
a Trop pur ! trop riche ! — Et c'est enfin le port, — la grèvi
c O l'horreur sans nom de frondaisons fantastiques,
(( Des végétations, elles aussi Vampires!...
AU SEUIL DE L ESPOIR 77
« — Point d'espaces ouverts au ciel, point de clairières
« Où le vital soleil égayé de sourires
« Les sillons, rides d'or des terres nourricières :
« Où se cache le sol sous ces rampements mornes,
« Ces bonds et ces surrauts et ces aériennes
« Explosions du Vert dont éclatent les Mornes ?
« — Fond-il, vénéneux^ en bourbes paludéennes,
« S'écail!e-t il sous des lèpres exaspérées ? —
« — N'est-ce qu'un terrain traître aux surfaces pliantes,
« GouflVe dédalien d'herbes enchevêtrées,
« Où rhomme enlinceulé sert de pâture aux plantes ?..
« O radieux enfer, splendideet formidable,
(( On l'a bientôt connu, ton « sol rouge » si rude,
« Ta couche d'humus riche et gras, trop insondable,
« Mine d'or végétal, de fièvre et d'hébétude !
jS AU SEUIL DE L ESPOIR
« Tout semble irréel, fou, dans tes forets magiques
« Au jour d'intérieur d'émcraude changeante
« Où les oiseaux connus deviennent chimériques
« Joyaux volants, rubis et perle chatoyante !
« — Mais dans le tlot planant des branches et des palmes
« Des fleurs géantes, des lianes flexueuscs,
« Tel calice ou rameau des époques heureuses
« Qui vivait isolé dans des flores plus calmes,
« Telle senteur qui fut moins brusque et plus précise,
a Qui fut l'accent parlant c: net d'un paysage
« î:t s'accuse, même en la toutFeur indivise, —
« Est comme un familier et consolant présage
« Pour les simples esprits à logique ignorante :
(î Puisque des grains de tcirc ont traversé l'abîme
« Ht projeté dans la nature diflerente
« L'immuable produit de leur essence intime, —
u Puisque leur lloraison jaillit, plus vigoureuse
« Dans le pullulement des espèces hostiles,
« Pourq^uci Li Ra^c neuve, éprouvée et séveuse
AU SEUIL DE L ESPOIR 79
« Périrait-elle au cœur de régions fertiles,
« Débordantes de vie et presque inhabitées
« Où germe un souvenir des plaines regrettées ?
c( Et quand les écrasants labeurs et la torture
« Ont broyé sa passive et robuste endurance^,
« La fugitive admis sa dernière espérance
c( Dans un occulte appel de la neuve nature.
« — Au réveil^ des oiseaux dont la voix est la même
« Que celle des chanteurs des sylves délaissées
« Redisent de vieux airs qu'elle sait et qu'elle aime
n Et tissent de gaîtés les brousses hérissées :
« Sous les mystérieux mahoganys dont l'ombre
c( Brille à midi, du vol gemmé des oiseaux mouches.
SO AU SEUIL DE l'eSIMIR
« Sur le bouillonne'iient des corolles où sombre
<i L'ossuaire fécond des centenaires souches, —
« Dominant des hauts pieds de leurs sinistres coupes
« Le Ilot vil et charmant des espèces banales,
« Des calices de jais, se détachant par groupes,
c( Semblent verser la nuit sur les houles florales :
« Une étreinte a tordu son cœur : — ELe s'élance !..
« C'est la senteur farouche et la sève qui brûle...
« C'est la plante du lac d'éternel crépuscule, —
« Le talisman de Règne — et d'Ombre — et de Silence î
« Chasseurs d'hommes, — valets à faces de corsaires,
« Agitez dans les bois les comètes des torches ;
« Molosses que des osts peureux de belluaircs
« Chassent à coups de pied de la fraîcheur des porches.,
« Roulez sous le ciel noir vos yeux de flamme rouge,
« Fouillez le vent de vos naseaux jaunis de bave,
« Doubles canons hideux frottés de sang d'esclave,
« Happez et retraînez la fugitive au bouge!..
AU SEUIL D£ L ESPOIR 8l
« Après ?. . . Elle a reçu de la Nature-Mère
« Le féerique dictame et le royal fluide
« Qui fait du droit brutal des Forts une chimère,
« Qui s'insinue en le sort trouble — et qui décide !
« ... Douloureux, le retour enchaîné^ par I alié^
(( Rose de grenadiers sous l'or verdi des palmes,
« Les bambous fluctueux à frissonnance ailée
« Les bienfaisants manguiers^ — les artocarpes aimes ? -
(( Douloureux ? — ... Exultant de muette ironie
(( Triomphale ! — Ces pieds scarifiés d'épines
« Pèseront sur des fronts hautains à l'agonie ;
« Ces mains qu'excoria le fer d'ignominie
« Volatiliseront l'or des lentes rapines,
« Ce torse qu'éraillaient les lanières cloutées
« Eraillera les fiers satins, les nuageuses
« Mousselines, — halo des épaules neigeuses,
« Et les dédaignera, défroques rejetées
« Voici, dans la douceur des pénombres bleutées,
« La maison blanche aux fins piliers, au stuc d'ivoire,
5*
82 AU SEUIL DE L* ESPOIR
« Reflétant Tarc-en-ciel velouté des parterres,
« Les portiques dallés de pierre rose et noire
« Que garde l'alocs aux courbes cimeterres ;
« La vérandah légère aux stores de feuillace,
0 Abri parfumé des songeuses esseulées, —
« En tace du sordide et cahotant village
« Desajoupas, — murs noirs, toitures dépaillées:
« Moins belle qu'aujourd'hui, mais lourde de parures,
c( Jeune du charme heureux de celles qui dominent,
c( \'engeresse avisée aux sagaces luxures,
« Dont les haines par surs flmchages s'éliminent,
« Hlle se sent déjà la maîtresse ignorée,
<« Celle qui tuit la tourbe et les lustres des fêtes
« Et qui préside à tout, — absente et désirée :
« Celle dont l'âpre grâce et les formes parfaites
« Hantent les beaux danseurs pressant des tailles souples,
« Dont l'évocation brusque disjoint les couples
« Qui tournaient, — corps fondur, —aux i:u;siques lascives ;
AU SEUIL DE l'espoir 83
« Qu'on chercherait en vain aux heures vaporeuses
« Qui groupent en plein air, aux brises suggestives
« Le bouquet pale et blond des belles langoureuses ;
« Mais que les regards froids des étoiles pensives
« Suivent complaisamment dans les galas nocturnes^
• Reine mystérieuse inspectant son domaine,
« Sous Téblouissement des blancheurs taciturnes, —
« Des reflets d'astres plein le brocard de sa traîne :
c( Que Tample volupté bleue^ emparadisante,
« Des torrides Midis pénètre de sa flamme
(I Terrible, — qui se fait^ pour elle, caressante,
« Tempérant la brûlure adorable et cuisante
« Du brasier de bonheur sauvage de son âme,
0 Tandis qu'au plus profond de la fraîcheur obscure
« Avides de « non-voir », les siestes obstinées
« Maudissent la fureur des Beautés déchaînées
« Dont l'excès est en haine à r« humaine nature ; »
« Et qu'elle, — éperdue en les gloires diaphanes,
a S'exalte de régner aux féeriques savanes,
« Royaume fou d'ardent diamant qui s'azure.
84 AU SEL'IL DL L ESPOIR
« Et quand elle aura bien grisé sa flmtaisie
« Par la possession des mornes et des plaines,
« Quand la brise, jouant sur les santals d'Asie
« Qui boisent les couloirs de leurs colonnes pleines
« Ne la frôlera plus que de tades haleines ; —
« Quand l'exquis vétiver dont s'embaument les nattes
« Agacera son pied délicat que mordoré
« Le filigrane de sa babouche d'Indore,
« Quand marbre, ivoires blonds, ébène et failles mates
a Irriteront ses yeux pleins de « lointains d fluides
«I Et de houlements clairs de feuilles dans l'air libre,
« Quand le tintement dur de la cloche qui vibre
« Aux lourds plis de damas des courtines placides
(i Et harcèle l'essaim bousculé des ilotes,
« Dans le gris-bleu d'aube où rien encore ne bouge
« Martèlera son cœur d'un battant de fer rouge,
« Les refrains menat^ants des complaintes griotes
« Résonneront tout bas, en elle, tyranniques ;
« Et l'Oricha qui l'a suivie et qui la hante
AU SËUIL DE l'espoir ^5
" Enlacera, parmi les clameurs d'épouvante,
(. De couresses (i) de feu les piliers ioniques.
*
* *
« Et longtemps, — des pitons lourds de bois qui dominent
« Le sol carbonisé des plantations mortes,
(n Seul aride et maudit, cerné des terres fortes
« Que les mauves plumets de cannes illuminent, —
« D'innombrables yeux, — noirs d'une noirceur solaire,
« Refléreront, brillants de haine radieuse,
(( Les décombres broyés par l'occulte colère ;
« Et s'aiguiseront d'une espérance railleuse
« A contempler, dans les cendres expiatoires,
« Les monticules d'os roussis, crânes et côtes,
« Que perceront, par jets, insolentes et hautes,
« Les aigrettes de deuil triomphal des Fleurs Noires !
* 5?
c( Et comme son cœur s'ouvre à la vie épandue
« En la blondeur qui fuse à travers la futaie,
(i) Couresses, en créole, couleuvres.
86 AU SEUIL DE l'espoir
a Aux parfums, seuls tyrans absorbant l'Etendue,
« A l'âme d' (L Inconnu » par les airs emportée
« Dans un sauvage élan de liberté sapide,
(( Où senteurs, espace et lumière se confondent
« En cicux intérieurs à l'Etre qu'ils inondent
« D'immense bonheur vert et bleu dans l'or tépide,
(c — Un doux frémissement torturant lui rappelle
« L'existence étrangère et liée à la sienne, —
« Chère, — et qui s'imposa par la force cruelle,
« Qu'elle accepte sans joie et conçut dans la haine,
« Germe éclos de sa sève et d'une sève hostile :
« Et sous les bouquets noirs en sinistres fusées
« Voici pencher, blancheurs lividement rosées,
a Floraison maigre, exsangue et comme contractile
« Dont les plantes de jais ctrcignent l'atonie
« Dans un cmbrassement aux mortelles brûlures,
« Des corolles gardant d'exquises ciselures
à Jusqu'en le reploiement et jusqu'en l'agonie :
« Mais là-haut, effleurant les cimes des verdures,
« S'épanouissent de prodigieux calices,
« Nés du rapprochement des bulbes ennemies,
« Captant les feux du ciel de leurs pétales lisses
« Qui ne tamisent plus que des clartés blêmies,
AU SEUIL DE l'espoir ^7
c( Affinant, — en la joie et l'ampleur conquérantes
« La troublante vigueur des puissants lys nocturnes,
« Des formes pures des mates fleurs expirantes, —
« Etincelants de leur parure symbolique
a. De bronze et de soleil ! »
*
Dans l'air mélancolique
Q.u'ont fui les derniers lilas diurnes
Monte le chant voilé d'anonymes aèdes
Avec le balsamique adieu des jardins tièdes ;
Mais les paroles insidieuses
Mentent au sens obscur de l'âpre mélodie.
Qu'écrivent, stances mystérieuses,
Les signes scintillants dont le ciel s'irradie ;
Tout s'adoucit au lent rythme des tamarin:
Bleuis par la lune qui gngne ;
8 5 AU SECIL DE l'espoir
Le vent chasse l'appel grondant des tambourins
Loin dans le noir de la montagne,
Et la chanson n'est plus qu'un poème plaintif
Où sanglotent des amours vaines,
Où s'instille l'espoir douloureux et craintif
Comme une ardeur triste en les veines :
*
... « Doiidou moin » aile an bal î . . .
« Dans l'ombre chaude, sous les floraisons pourprées,
« Dans l'ombre rose, au fond du val,
« llanchaicnt les grâces des mulâtresses dorées
« Et dondon moin » allé au bal :
« Les fleurs rouges tombaient, sang des larmes pleurées
* *
L'ami traître a soufl'ert, lui-mcmc; il reviendra
« Auprès de son aimée ancienne ;
AU SEUIL DE l'espoir 89
(( Et ses yeux questionnant mes yeux, il comprendra
tt Que la place si triste en mon cœur est la sienne :
L'ami traître et doux reviendra.
* *
« L'ami menteur a dit de plus tendres paroles
c( A la c( brune » qui l'a grisé :
« (La nuit de ses regards brûlait de lucioles,)
« Mais ^I^connaîf moin doux passé » !
* *
Un trouble frémit sur les moires d'argent claires ;
Des voiles vont glisser dans les gouffres stellaires :
« I gii^a partie hélas ! hélas ! C'est pou'' toujours !
Un souffle semble ouvrir les forêts invisibles,
Tremblantes du fracas plus rauque des tambours,
Et court, échevelant les cocotiers flexibles...
90 AU SEUIL DE L ESPOIR
Sur l'onde de brillants fluides dans l'azur
Plein de frissonnements ruisselants et sur
Les nuages baignés des nacres de la lune,
Passent, flottants en lents et boulants défilés,
Caraïbes, guerriers d'Erik, Ardrabs, mêlés,
Fondus en transparence brune^
Osts sans armes, sortis, au bruit, des Walballas,
Lutteurs unis dans les splendeurs, do baines las,
Attirés par la même grève,
Eflcuillant des sommets de leur félicité.
Sous forme d'une exquise et nouvelle beauté.
Un regret sur l'Ile de rcve !
VI
Il se souvient : Déjà la première fraîcheur
Qui fait trembler le ciel aux brillants des pétales
Meurt dans l'embrasement bleu, — vague âme d'opales
La rue étroite se consume de blancheur :
Crêtant un mur fluide en Tonde lumineuse^
Guettent la grâce triste et la carnation
Sanglante et pure des Fleurs de la Passion,
Gloires souffrantes dans l'ambiance rieuse.
AU SEUIL DE L ESPOIR
La Savane du Fort monte vers les Grands Bois,
Alignant ses manguiers aux pesantes verdures
Que lustre le matin de liquides moirures :
Des femmes noires vont, se cambrant sous le poids
De hauts vases rentlés en amphores indiennes :
....Se coulant à l'abri toutlu des bananiers
Et fuyant les regards clignotants des persiennes,
De fauves Malabars cachent dans leurs paniers
Le court sabre en demi-croissant des coupe-cannes.
Djinns bronzés des ravins et des mauvais fourrés,
Reflétant, dans leurs yeux de braise, les arcanes
Des sentiers inconnus qui percent les forêts :
AU SEUIL DE L ESPOIR 93.
,e pont bas : Des filets d'eau chantent sur les pierres ;
)e gros arbres touffus, arqués vers le courant,
[ument les brises plus vives et plus légères
ur le bouillonnement de perles murmurant :
a ruelle tournante aux parois micacées
ïmble engainer un long kandjiar de saphir...
t voici le sommet : Les maisons espacées
[.u'enchâssent des bosquets luisants de myrtacées
'où jaillit, en vibrant, comme prêt à férir
e trait, grêle-empenné d'un palmier des Guyanes,
égayent du frôlis envolé des lianes.
^^ AU SEUIL DE L ESPOIR
Et plus claire, baignant dans la fête du ciel
L'éclat chaud de son toit de tuiles orangées, —
En le serein oubli des choses inchangées, —
Derrière les genêts du Cap « d'or et de miel »,
Les vakois exilés d' « une crrâce endormie »,
Les durs « cactus boulets » dardant leurs piquants roux,
Les cachimans natifs et les élaïs Krous,
Celle où i^randit la douce et la « distante » amie
Est un albe sourire en un demi-sommeil :
Son palmiste d' » alors » aux « Jan^<:ueurs si mourantes >:
Eparpille toujours ses plumes transparentes
Sous l'écran des pics d'un vert blond dans le soleil
AU SEUIL DE L ESPOIR 95
•
Et sous l'auvent frêle où la vanille se joue,,
Plus haut que la veilleuse où jaunit un grenat,
En leurs niches de fleurs de neige et d'incarnat,
La sainte Vierge et Saint-Antoine de Padoue,
Bons protecteurs aimés qu'on choie et qu'on avoue
Veillent dans le rougeâtre et tremblotant éclat.
Ces bancs^ à l'ombre, ont su ses espoirs de fillette ;
Cette branche cribla d'étoiles ses cheveux.
Q.ue de rêves fanés, d'espoirs, de secrets vœux
S'associèrent à la tiédeur aigrelette
Q.ui flotte dans l'encens poivré des goyaviers.
La source a pleuré sa complainte cristalline
Lorsqu'au petit jour bleu plein de gaité câline
Ses pas d'oiseau crissaient sur les roses graviers.
96 AU SEUIL DE L'tSPOlR
Au mur, le brusque arrct d'or glauque flmtastique
D'autres anolis morts, — d'éclair comme ceux-ci,
Tordit, un moment, pour son puéril souci,
Des chiffres fulgurants en bizarre gothique.
Ses yeux pcrs ont brillé derrière ces volets,
Voletant, comme deux lucioles diurnes.
Ces vifs troutrcnitenients de duveteux rubis
De l'oiseau- nu:)uche aux verts rayons des colibris.
Près des fleurs recelant des nectars dans leurs urnes.
Suivant, — dans la pénombre, en les glacis lustrés,
Les glissements du jour soyeux sur les feuillées.
Les éclipses de gros insectes mordorés
Sous le bronze terni d'écorces fendillées, —
Ou les rampements lents, étirés et félins
AU SEUIL DE L ESPOIR 97
Des petits noirs, traînant leurs pieds gonflés et lisses
Sur l'allée ample aux chauds carreaux incarnadins,
Suivant le soleil — et buvant avec délices,
De la bouche, des yeux d'émail noir grands ouverts.
De tous les pores de leurs narines de faunes,
La grande flamme douce aux enchantements jaunes.
Elle a su le parfum distinct de chaque fleur ;
Et lorsque leurs muettes voix chantaient unies
Le sens profond de leurs suaves symphonies.
Ce coin tiède a vécu tout entier dans son cœur
Et mourante, loin, sous l'ombre d'exil des ormes.
Aux longs frissons d'appel ami des mornes ifs^
Aux « jamais plus » grondés par les vagues énormes.
Comme il a dû hanter ses malaises pensifs,
6
yS AU Sr.L'lL DE L'ESrOlR
Le coin d'enfance, rassurant, — inatteingible !
Comme il a dû se peindre en elle, tout paré
De jeunes souvenirs — et de joie éclairé,
Comme elle a dû tenter de briser !'« Infrangible »
Pour s'enfuir, — en âme, — aux tendresses de « là-bas
Et lui, bien ignorant des futures tristesses,
Qui la savait heureuse et reine sans combats,
Divinité plus haute au milieu de déesses,
Dans l'Olympe sublime et brumeux de Paris,
Comme le site calme aux gaîtés caressantes
L'a comme brusquement repoussé, — tout surpris,
Glacé, le cœur étreint d'une crainte angoissante,
Comme il a descendu le morne à pas lassés.
Trouvant des cruautés dans les bleus impassibles, —
Ciel et mer fondus en grands nimbes irisés, —
Souffrant d'une ironie en les chansons paisibles
Qui montaient des élans courbés des gabarriers,
Des prompts sillages blancs des barquettes pointues
Des wharfs mirant dans l'eau de flageolants piliers
Aux reflets épandus en zébrures « dentues »,
AU SEUIL DE l'espoir 99
Tandis que troublant le liquide nonchaloir
Eclataient, dans les feux et les neiges solaires
Des bonds et des plongeons tintants de cuivre noir.
Quelle brise née aux enfers d'acier polaires
A pâli les satins floches et pailletés
Des droits palmistes sur les pitons aigrettes ?.
Près des accores qui flambaient et dans la rue
Du Mouillage, sous les gros arbres du Marché
Comme en une clairière^ — aux bois vierges, — caché.
Où filtraient, par endroits, des rais de blondeur crue.
Dans l'éblouissement des astres bigarrés,
« Fraises-pays », piments et bananes citrines.
Tas d'oranges aux verts intimement ambrés,
Bouquets de soleil jaune et d'aubes purpurines.
'yjoWërsIfa^
BIBUOTHECA
L- ftav/lonelS
100 AU SEUIL DE L ESPOIR
Dans la fraîcheur adamantine des jets d'eaux,
Dans la subtile odeur exquisement charnelle
Des mangues, — musc floral discret de brunes peaux, —
Le jasmin orangé de la pomme-cannelle
Et la verveine acide et franche des citrons, —
Quel souffle glacial, lugubre et prophétique
Apporta, tout-à-coup, — à travers l'Atlantique
Cette émanation d'heures où nous pleurons, —
Qui monte de la nuit de silence des pierres,
Innomable, sournoise et que nous respirons
Sous Tamère saveur du buis des cimetières?...
VII
Zaza songe : En ses yeux humides, — agathés
De fins rais de soleil bruni, — passent des ombres :
Oiseaux de deuil planant aux couchants des étés,
Cendrons noirs, envolés d'éblouissants décombres?
*
•♦ *
Sa bouche, pourpre et bronze — et perles de jasmin,
Mord une fleur dont la rougeqr de sang se cuivre
Près de la chaude ravenelle de sa main ;
Son petit pied nerveux et battant semble suivre
Le r) thme des marteaux qui sonnent sur le port.
6'
I02 AU SEUIL DE l'eSPOIR
Par les écartements des minces jalousies
Entrent toute la rade, avec l'arôme fort
Des navires, — des monts boisés, — les frénésies
Des rhums brûlés, luttant avec les vétivers, —
L'encens des herbes dans les savanes désertes,
La douceur fraîche qui sort des cocos ouverts.
Le cordial « aiguisé » des flots d'oranges vertes, —
lit la tiédeur sucrée au baume évanescent,
1-uyant comme Léclair d'un sillage d'ondines,
Toute fluette sous le corossol puissant,
Timide haleine des énormes barbadines.
La mer semble un mur bleu qui touche les volets
liltrant des infinis lumineux — et voilés ;
Et les trois- m;\ts montant de la plage aux nuages
Sous le bois lamelle, gracile, — aérien^ —
AU SEUIL DE L ESPOIR 10
Font que la pièce ombreuse et solaire contient
Toute l'angoisse ivre et large des longs voyages
Dans la chaude langueur de l'éternel beau temps.
Zaza songe, — les yeux plus noirs — et mécontents :
Voici voler sa fleur mordillée et tordue^
Comme un oiseau de feu qui tombe dans la rue.
— Le geste entr'ouvre la gaule rouge et safran
Qui tenait faiblement sur son épaule lisse ;
Sous la chemise, blanc nuage transparent
Où le jour radieux câHnement se glisse
En amoureux, — les seins délicats et hardis
Bombent leur nacre brune aux ronds luisants blondis
Qu'auréolent, au bout, deux nimbes scabieuse,
Sombre pourpre expirant en un halo lilas...
... Et cette floraison vague et mystérieuse
Ne l'a t-il pas surprise ailleurs, — bien loin, — là-bas,
I04 AU SEUIL DE L ESPOIR
Sous la lueur d'hiver mélancolique et rousse, —
Aux temps où dans son cœur, frère du ciel éteint,
L'amertume d'aimer fut si chère et si douce ?
Paiement brune sous le crespelé châtain
De ses cheveux piqués de lent soleil jaunâtre
1-aible comme un tison qui se meurt dans son âtrc,
« Elle » sourit, captant ses yeux avec « ses » yeux
Où sourdent les forets et TOcéan torrides :
Parfois un chaud rayon noir et capricieux
Qui sombre comme un grain de quartz dans les rapides
Avive le saphir et le béryl splendides, —
Reflet troublant, — de quel monde étrange venu ?
AU SEUIL DE l'espoir IO?
Sur k bouche entr'oaverte ea rose épanouie
Le sourire éclatant se teinte d'inconnu
Et le carmin suave où s'allume la vie,
Qui suit la lèvre arquée et fine sans minceur.
Se fonce, en s'effilant sur la courbe fluette.
De mordoré mauve — et finit dans la douceur
D'une naissante et fugitive violette...
*
* *
Dans la lourdeur des nuits de juillet, — autrefois, —
Ne l'entendit-il pas chanter à demi -voix, —
La cruelle charmeuse aux intimités fières, —
Dans les bosquets piqués d'astres, loin des lumières,
Moins chanter qu'expirer aux brises de minuit
Qui coulent sans froisser la feuille qui bruit
A peine, — cet air lent et plein de transes mortes.
Sur des paroles plus naïves et plus fortes ?
i06 AU SEUIL Dt l'eSPuIR
*
« Par le soir chaud, fragrant de parfums de mango,
« Vous alliez, brune et fine, au long de la Savane^
(( Sous les longs tulles des filaos, diaphanes,
u Que la lune semait de paillons indigo.
« Des bamboulas lointains vibraient aux flancs des mornes
« Et des flûtes stridaient sous les feuillages noirs,
(k Comme vous alliez, lente et leste, en vos espoirs
« D'avenirs éclatants sous vos cieux clairs et mornes.
* 4-
« Tout près, la mer boulait son chant de diamants ;
(f Des blancheurs couraient sur le phosphore des vagues ;
« Vous étiez reine, avec des asti es bleus pour bagues,
AU SEUIL DE L ESPOIR IO7
« Reine des salons d'or aux orchestres dormants,
« Comme oppressés d'amour pour vous ; — mais, terrifique,
« Là-haut clamait l'étrange et triste âme d'Afrique !
La brume d'étain monte avec le vent salé
Et voile la falaise où fument des fascines
Sur l'horizon marin sauvage et désolé...
Froides sur son fiont, les caresses des glvcines
Sans fleurs, disent le Nord frissonnant, inquiet :
Le grain d'Ouest a fraîchi tandis que s'effeuillait
Le genêt blond^ — jonchant l'herbe de soleil pâle :
La vague sonne dans les grottes, au lointain ;
Des vols de poëlands tournent au vent qui « hâle d
Et dans la passe « brise » un ressac argentin...
C'est le premier sanglot de l'automne qui râl:.
I08 AU SEUIL DE l'eSPOIR
O cocotiers enfuis dans les rêves passés,
Dans le bleu des ardeurs estivales constantes.
Aux plages de mirage atrocement distantes,
Contre l'or vert mouvant des pitons élancés,
Voici, sous le coupant des bises aigrelettes,
Et les effîlements des nuages ouatés,
La roide charge de vos fières silhouettes :
Les pins marins aux noirs parasols déjetés
Près des fins peupliers, ces grisâtres squelettes !
Case torridement fraîche aux auvents ombreux
Qui reflétaient la mer lente : — Amour savoureux,
Chaud comme les parfums poivrés de l'Ile ardente,
Ile des iles dans les zones de saphir,
Mine de bonheur plus rutilante qu'Ophir, —
Tendresse fausse de deux fous, — point dégradante.
Vestiges de Ceux qui mêlèrent un moment
Les maturités de leurs jeunesses précoces, —
AU SEUIL DE L ESPOIR I09
Ravenelle d'or^ — O Zaza ! — les ans féroces,
Quelle cendre ont-ils fait de ce qui fut charmant ?
En l'éclat lumineux qui baigne les accores
Par le trouble flambant des Midis enchantés, —
Dans l'aube changeante^ aux frissonnantes gaîtés,
Et les soirs, — aux chansons amples des flots sonores, —
Près de l'anse où séchaient les grands filets ballants.
Souple givre irisé de trame aérienne.
N'est-il plus sous les gros sabliers indolents.
Une poussière, un rien volant qui se souvienne ?
I
VIII
Avec ses yeux mi-clos éteints entre les cils,
Ses sourcils abaissant leurs pointes vers les tempes,
Son sourire plus grave aux mystères subtils,
Son teint plus mat à la froide lueur des lampes, —
Malgré la gaule ocre et le madras rouge-sang,
Zaza prend un faux air des « rêveuses » d'estampes, -
(Les amoureuses ou les mystiques, froissant, —
Exquis charmes pervers ou suavités saintes, —
Dans leurs doigts fuselés des lys ou des jacinthes)...
Et cette mousse d'or noir d'un frison follet.
D'un plus intense et d'un moins occulte reflet !
— Folie, aveuglement, — conscience endormie l —
Il ne sait qu'à présent comme elle rappelait
Charmeusement — et si cruellement, l'Amie !
IX
Et d'autres terres se précisent, un instant.
Moins chères, moins harmonieuses à son âme
Mais dont il sentit la douceur — en les quittant, —
Comparable à tel lourd mais enivrant dictame :
— Voici la côte aux durs pitons enchevêtrés,
Poussant leurs bois géants et noirs jusqu'aux nuages.
Et les volcans éteints penchant sur les mouillages
Leurs gros rocs diaboliquement éclairés :
— Des maisons naines dans la formidable baie
Où tout paraît énorme et tassé par les mains
D'âtres Titans, — sauf les frêles abris humains.
Semblent, au bord du vert miroir, des grains de craie
— De près, — sous les rameaux en voûtes réunis.
De hautes cases à vérandahs s'étiolent
Entre les céïbas et les mahoganys.
Contre les murs taillés à pic qui les isolent
7
I :_j AU SEUIL DE L ESPOIR
De tous chemins hormis des routes de la mer :
— Des môles vacillants tendant leurs marches hautes, -
Aux vides ouverts sur rabîmc glauque et clair, —
Pourrissent en repos, — gravis de rares hôtes, —
Allongeant leurs balcons glissants et périlleux
Au-dessus des fourres de mangUers saumâtres :
— A terre, sous le poids des feuillages houleux
Montent les fûts luisants de colonnes brunâtres,
1-rôlés des éventails rêches des lataniers,
Des fils de chatoyant métal des orchidées
Ht des fins boucliers cafres des bananiers.
Dans le frissonnement lourd des feuilles, — bordées
De minces liserés d'or fuyant, — au plus fort
De rOcéan mouvant des profondes verdures
Où le rouge sentier s'enfonce avec effort,
Comme moite du sang frais des essences dures,
Dans Todeur de résine aux baumes concentrés
Qui fuse des fourrés sauvages, — invisibles, —
Une porte baillant aux brises msensiblcs
Montre une chambre calme en l'épais des forêts :
C'est là qu'il a connu les bizarres tendresses
De femmes noires aux souplesses de cobra,
Aux yeux brûlants et fous, — sorcières ou prêtresses,
Aux torses nus frottés de musc et de koprah ;
AU SF.UIL DE l'espoir II5
Les nuits d'extase ardente et presque douloureuse, —
Par les bruissements des sylves en émoi.
Le vertige hors du possible et hors du Soi,
Entre les bras de la satanique amoureuse,
L'étouffement sous une haleine de brasier, —
Tandis qu'horrifiant, ivre de frénésie
Ou d'une atroce et monstrueuse jalousie.
Le dieu-serpent bondit dans son temple d'osier !
Fraîches des tons charmants et faux des porcelaines.
Les maisonnettes d'un faubourg australien,
Loin de la cité-monstre, orgueil des claires plaines
S'égrènent sous un ciel toujours aprilien,
Le long des « lanes » tout fleuris de bosquets roses.
Les feuillages pointus et les tours grandioses
Des gommiers blancs vêtus d'un métnl satiné
Montent dans le cristal de l'air illuminé.
Riant de force jeune et d'allègre vaillance :
Des arbustes, bouquets de souples fers de lance
Retombent^ archets des glaces des « hoiu luindows »,
Qui vibrent, — musique hyaline en le silence —
I l6 AU SHUIL DP. l/i:SPOIR
Sous les convolvulus grimpants des B.irbadofe
Qui nimbent Miss Jessie au teint rose de Chine,
Menue en ses surahs dont le rose se chine
D'un bleu de lin pareil à celui de ses yeux
Si purs, — perdus en la transparence amollie
De la voûte sans brume et sans mélancolie, —
Si virginaux sous l'or frisé des cils soyeux ;
Miss Jessie, efîlirée aux mots brutaux et tendres,
Et dédaigneuse des trop précieux méandres
Où la houle florale ondule de serpents, —
Miss Jessie, aux regards chastes, — enveloppants.
Qui précisa sa moue hardie et volontaire. —
Et brusque, — s'approchant du marin ébloui.
Lui noua les bras au cou pour le faire taire, —
Bien fort, — et conjura le scandale d'un : oui !
Combien passent d'exquis ou d'étranges visages
Mêlés, dans son esprit, ;\ de nets pavsages,
A d'acres parfums, tout à-coup ressuscites.
Qui le frôlent de ce malaise énigmatique
D' « alors w, presque oublié dans les immensités
AU SEUIL DE L ESPOIR I17
Des villages marins de ligne fantastisque
Filent sur l'eau profonde, à même les brisants, —
Rotangs barbarement peints de sang et de soufre,
Planchers à claire-voie en secs bambous cassants
Où le pêcheur noir dort au souffle bleu du gouffre:
— Arfaks ou Papouahs, goules au crâne étroit,
Des femmes de jais fauve aux cheveux de crin droit
Dont lesplendide corps nu, bestial, inspire
Une admiration qui se teinte d'effroi
Et dont miroitent les grands ongles de vampire.
Les yeux torridement sombres et scintillants
De cruauté tendre — ont, — (vnguen;ient aiguisée ?)
La dent trop blanche en la gencive lilacée...
Nacre de perle glauque aux fuyants orients
Pâles, — et doucement ondulés d'hyacinthe,
IlS AU SF.UIL DE l'espoir
Délicieusement triste au midi cendré,
Le golfe roule au loin ses flots laiteux d'absinthe :
Dans les sculptures du palais rose ajouré,
Plus mignonnement fine — et d'un travail plus rare,
Ses boucles d'ambre et ses narines de Zingare
Frisantes au long vent d'automne du Lido,
Donna Lisa s'encadre — et les plis du rideau...
... Mais le rêveur sent bien que sa raison s'égare
Et que ses souvenirs et ses rêves tondus
En un nuage si beau que l'éther s'oublie
L'entraînent aux charmants royaumes éperdus
Où l'aspiration s'azure de folie...
Mais toutes, — qu'elles aient fleuri dans le Réel
Ou viennent d'un Eden encore inabordable,
Conservent en leur <• être » un trait essentiel
De la divine, de la froide Inoubliable :
Chacune est un détail de sa perfection ;
Même celles qui n'ont qu'une grâce brutale
Ravivent sa tristesse avec sa passion
Par quelque pureté de la pure « Fatale ») ;
AU SHUIL DE L ESPOIR II9
— "Ne fût-ce qu'un reliet d'un seul point de ses yeux.
Le frêle de son ris de fauveite sauvage,
Le rappel taussé d'un beau geste somptueux
Qui riva, plus pesant, — plus cher, — son esclavage, —
Une nuance, une ombre, — ou même... — (impiété ! )
Par un bizarre rien, accent de sa beauté, —
Un imprécis défaut qu'il aimait, — qu'il adore
Et dont l'exquisité trouble le hante encore :
Signe brun dans l'ivoire ou contour un peu dur,
Ou cette ligne si charmeusement lassée.^.
Ou la trèmeur qui fit plus douce, — il en est sûr, —
La voix chaude, vibrante et lente, — un peu brisée i
X
Et maintenant qu'elle est si loin dans le Passé
Et le Futur (?)... après les saules et les marbres !..,
Ne sait-il pas qu'elle a, plus loin, — si loin ! — glissé
Dans le frisson des fleurs et le rythme des arbres^
En cet or nuageux d'autres limbes, aux jours
Où son cœur s'éveillait aux premières musiques.
Jours de vague bonheur séculairement courts, —
Avant l'éveil complet des tristesses physiques,
Par un éternel et berçant après-midi, —
Quand son âme nageait en les tiédeurs sereines
D'un lucide sommeil, — de parfums engourdi, —
Dans l'enfance u voyante » !
Et plus tard^ les sirènes
Delà fièvre, en ces nuits de martyre exalté
122 AU SEUIL DE L ESPOIR
Qu'on se rappelle avec une âpre volupté,
L'ont souvent porté vers la Reine de leurs reines
Jusquà leur gouffre aux flots de harpe murmurants,
Leur Océan de perle en du soleil dissoute...
Et c'était ELLE encore, Elle aux yeux transparents
Plus sévères et plus lointains, mais elle toute
Et même en ce moment, contemplant le cap d'or
Blond et rougeâtre, aux pins sombres que le vent tord,
Dont l'autre versant cache un secret de sa vie
Et dont un rai d'automne auréole un sommet,
Ne sent-il pas en lui, le seul qui l'ait suivie
Après la mort, sous les grands arbres qu'elle aimait
Qu'elle lui parle bas de sa voix adorable
Plus divine qu'aux jours enfuis, mais immuable;
Et qu'en l'éclat solaire adouci des nmrs vieux
Qui réchauffent, après tous les deuils des parterres
La ravenelle rousse et les pariétaires, —
Sous les hguiers aux troncs blanchâtres et soyeux
Dont le feuillage cher aux pâleurs de la lune
Aux sourires d'étoile ou de soleil levant.
D'un lustre si profond près du songe mouvant
De l'endormeuse, de la magique lagune, —
S'envole des gazons secs en poussière brune.
Sous l'adieu des géants Ormes tout dépouillés, —
Elle redit des mots connus — mais oubliés, —
AU SEUIL DE L ESPOIR I
Evocateurs d'hiers pleins de grisante extase
Trop éphémère, qui meurt en s'insinuant
Et plus inexplicable en son charme fuyant
Qu'un chant rose, embaumé, dans des brumes de gaze.
Il sent qu'il l'a, — mais quand ? — vue avec d'autres yeux
Que ceux qu'a fait pleurer S2 tendresse hautaine, —
Par quels albes éclairs de rêves merveilleux ?
Dans quelle déhrante atmosphère incertaine ? —
Est-ce elle qui nimbait ses bonheurs d'écolier
Au vague sentier bleu troublant et familier^
Sous les dômes de fleurs de jardins improbables.
Devant les Océans aux houles de clarté
Où voguaient comme des corolles adorables
Les nefs de ses désirs vers le port enchanté ? —
Est-ce elle qu'il suivit dans la mélancolie
D'espaces où planaient des regrets imprécis
Comme de lents oiseaux par vols las, éclaircis.
Reflétés aux remous de fleuves d'eau pâlie ?...
— Qu'il rencontra, debout, au seuil des vergers noirs
D'où glissent des touffeurs si douces et traîtresses, —
Près de lacs d'oubli, purs et sommeillants miroirs
Dont ensorcellent les captieuses tristesses, —
Dans le vertige, au bord de gouffres opalins
Où les vapeurs de grèbe aux tournoiements câlins
124 A^* SEUIL DL LEbPOiR
Semblaient prendre son âme en leurs molles spirales
Et l'engloutissaient, — si voluptueusement ! —
Dans un demi « non-étrc », en des candeurs astrales?
En elle pressent-il le lien et l'aimant
Entre ce monde enclos et les extrêmes grèves,
Entre le vouloir morne, abrupt et déprimant
Et la suave mort où s'achèvent le^ rêves
Baignés de bleu mystique en l'immuable été,
Dans rnnmense pitié de l'Immense Bonté ?...
... Car levant les yeux vers la voix qui le caresse
Et vers l'infini clair tout étoile d'espoir
L' « Isole » voit briller tes regards d'allégresse
Et ton sourire, Aimée, en le ciel du beau soir.
Cartcret, mars 1896 — . Màliga. janvier 1897,
FIN
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