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Full text of "Au sud de l'Afrique"

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PRKDÉRÏC  CHRISTOL 


<SU>ec  i5o  (De&iu<x,  eu.  &cc\uvi  <>o  f  Êluteut 

Pori»,  Derqer-Levrault  &  C",  Editeurs 


THE  LIBRARY 

OF 

THE  UNIVERSITY 

OF  CALIFORN1A 
LOS  ANGELES 


7J. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/ausuddelafriqueOOchri 


^ 


AU  SUD  DE  L'AFRIQUE 


NANCY,    IMPRIMERIE    BERGER-LEVRAULT    ET    C 


FRÉDÉRIC  CHRISTOL 


Au  Sud 


de  l'Afrique 


Avec  150  Dessins  et  Croquis  de  l'Auteur 


BERGER-LEVRAULT   ET   C'%  ÉDITEURS 


PARIS  !  NANCY 


5.    Rl'E    DES    BEAUX-ARTS 


l8.     RUE     DES     GLACIS 


1897 


r 


INTRODUCTION 


M.  Christol  désire  que  je  lui  serve  d'introducteur 
auprès  de  notre  public  ;  je  regrette  qu'il  demande  ce 
service  à  un  aussi  mince  personnage  ;  je  me  console 
en  pensant  qu'il  n'en  a  pas  un  besoin  sérieux.  Les 
missionnaires  de  la  Société  de  Paris  se  recomman- 
dent par  leur  titre  même.  Aux  avant-postes  de 
l'Évangile,  nos  Eglises  possèdent  une  petite  phalange 
qui  honore  leur  cause,  à  qui  elles  doivent  plus  qu'une 
admiration  théorique  et  lointaine  :  une  reconnais- 
sance active  et  un  appui  dévoué.  M.  Christol,  en 
particulier,  est  bien  connu  de  la  jeunesse  protestante. 
Depuis  des  années  il  collabore  au  Petit  Messager  des 
Missions.  //  ne  l'enrichit  pas  seulement  de  ses  arti- 
cles toujours  savoureux  de  sain  humour  et  chauds 
d'intime  piété.   Elève  des  peintres  Gérôme  et  Flan- 


1359512 


vi  Au  Sud  de  l'Afrique. 

drin,  ancien  professeur  de  dessin  dans  les  écoles  de 
la  ville  de  Paris,  il  illustre  cette  feuille  avec  un  rare 
talent,  avec  un  obsédant  souci  de  vérité.  Sollicité  de 
publier  des  souvenirs  et  des  scènes  de  la  vie  mission- 
naire, il  a  bien  voulu  se  prêter  à  ce  désir  et  il  nous 
a  donné  un  volume  auquel  je  suis  heureux  de  prédire 
un  joli  succès. 

Il  en  a  profité  pour  mettre  sous  nos  yeux  des  do- 
cuments qu'il  serait  difficile  de  trouver  ailleurs.  Tan- 
dis que  d'autres  cherchent  —  et  avec  raison  —  à 
surprendre  dans  leurs  récits,  dans  leurs  proverbes, 
dans  leurs  fables,  le  secret  de  la  vie  morale  des 
hommes  qu'ils  s'efforcent  de  relever,  il  a  voulu  con- 
sulter les  mille  petits  objets  que  ces  hommes  fabriquent 
et  dans  lesquels  ils  incarnent  quelque  chose  de  leur 
âme.  Il  a  crayonné  —  au  sens  le  plus  exact  du  mot 
—  tout  ce  qui  est  capable  de  nous  faire  comprendre 
les  ba-Souto  et  quelques  autres  indigènes  de  l'Afrique 
australe;  et  je  n'hésite  pas  à  affirmer  que  la  collection 
de  ses  dessins  vaut  bien  telle  ou  telle  vitrine  du  Tro- 
cadéro.  fai  eu  entre  les  mains  la  plupart  des  objets 
qui  lui  ont  servi  de  modèles  et  je  puis  garantir  la 
scrupuleuse  fidélité  de  ses  reproductions.  Laissant 
an  lecteur  le  plaisir  d'apprécier  lui-même  l'intérêt 


Introduction.  vu 


soutenu,  la  verve  souriante  et  l'entrain  chrétien  de 
ses  récits,  je  voudrais  marquer  l'importance  et  la  va- 
leur de  ce  témoignage  graphique  ;  le  meilleur  moyen 
est  de  nous  arrêter  devant  ces  documents,  de  les  con- 
sidérer à  notre  aise  et  d'essayer  d'en  dégager  quelque 
instruction. 


Il  est  évident,  tout  d'abord,  que  les  ba-Souto  sont 
loin  de  posséder  les  capacités  artistiques  des  Bushmen. 
Comme  la  plupart  des  noirs,  ils  ne  savent  ni  dessi- 
ner ni  peindre.  Les  Bushmen,  au  contraire,  sont 
parvenus,  dans  cet  art,  à  un  extraordinaire  degré 
de  développement  spontané.  Il  est  regrettable  qu'on 
n'ait  jamais  songé  a  reproduire  et  à  publier  une  col- 
lection un  peu  considérable  de  leurs  peintures.  Elles 
sont  nombreuses  encore  dans  les  grottes  de  l'Afrique 
australe,  mais  elles  s'abîment  de  jour  en  jour.  Elles 
sont  gâtées  par  des  indigènes  plus  ou  moins  facétieux, 
mutilées  par  des  voyageurs  qui  en  emportent  des 
fragments,  effacées  par  la  fumée  des  feux  que  l'on 
allume  dans  ces  abris  naturels.  Quand  elles  auront 
disparu,  nous  serons  a  jamais  privés  de  documents 


vin  Au  Sud  de  l'Afrique. 

qui  auraient  pu  nous  en  apprendre  long  sur  les  débuts 
de  l'art. 

Les  Bushmen  n'ont  point  produit  seulement  des 
peintres.  Ils  se  sont  essayés  à  graver  des  figures  sur 
la  pierre.  M.  Christol  signale  avec  raison  cet  effort 
d'hommes  que  l'on  nous  présente  parfois  comme  les 
lamentables  débris  d'une  humanité  décidément  infé- 
rieure. Ce  qu'il  nous  fait  connaître  permet  de  dis- 
tinguer deux  catégories  de  tentatives.  Tantôt  l'artiste 

o  o 

s'est  contenté  de  marteler  le  roc  de  façon  à  dessiner 
les  contours  d'un  animal  {p.  149)  :  je  suis  tenté  de  voir 
dans  les  grossières  ébauches  de  ce  genre  les  restes  peut- 
être  très  anciens  ou  les  procédés  survivants  d'un  art 
commençant.  D'autres  fois  l'artiste  a  soigneusement 
évidé  la  pierre,  de  façon  à  obtenir  une  figure  en 
creux  (p.  41)  :  il  a  produit  une  véritable  intaille 
qu'il  serait  ridicule  d'admirer  et  injuste  de  dénigrer. 
Malheureusement,  nous  n'avons  encore  que  de  trop 
rares  échantillons  de  cette  glyptique  primitive.  Par- 
lons surtout  des  peintures. 

Il  faut  remercier  M.  Christol  pour  les  spécimens 
qu'il  nous  en  procure.  Ils  nous  donnent  l'impression 
que  les  Bushmen  sont  encore  plus  habiles  que  les  Es- 
quimaux, auxquels  on  aime  a  les  comparer.   Les 


Introduction.  IX 


artistes  de  ces  deux  races  sont  arrivés  a  la  même  exac- 
titude dans  la  représentation  des  animaux  :  les  rennes 
des  uns,  les  bœufs,  les  éléphants,  les  hippopotames  et 
les  gnous  des  autres  sont  frappants  de  ressemblance 
et  de  précision.  Il  y  a  la  une  sûreté  et  une  légèreté  de 
main  qui  confondent  nos  préjugés.  Mais  la  repré- 
sentation des  hommes  est  singulièrement  mieux  réussie 
dans  les  œuvres  des  Bushmen.  Peut-être  cette  supé- 
riorité tient-elle  à  la  matière  employée.  Le  Bushman 
dispose  ses  figures  sur  une  surface  plane  et  asse% 
étendue  ;  l'Esquimau  grave  les  siennes  sur  les  bords 
étroits  de  ses  armes1 .  Quoi  qu'il  en  soit,  et  sans  pro- 
céder à  une  absurde  distribution  de  prix,  il  faut  re- 
lever dans  les  tableaux  des  Bushmen  un  extraordinaire 
mouvement  ;  les  attitudes  y  ont  toutes  les  variétés  et 
tout  l'imprévu  de  la  vie,  parfois  un  irrésistible  élan. 
De  plus,  les  sentiments  du  peintre  s'y  trahissent  avec 
une  exquise  naïveté.  Sous  le  verre  grossissant  de  la 
frayeur,  l'ennemi  prend  pour  lui  d'énormes  propor- 
tions. Dans  une  scène,  que  M.  Christol  n'a  pas  jugé 
à  propos  de  reproduire,  à  cause  de  son  réalisme  can- 
dide et  brutal,  un  Bushman  combat  une  bête  féroce  : 


1.   On  peut  en  voir  des  spécimens  dans  Lubbock,  les  Origines  de  la  civilisa- 
lion,  p.  37. 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


celle-ci  est  démesurément  grossie  et  ce  grossissement 
en  dit  long.  Une  autre  peinture  qu'il  a  copiée  et  re- 
produite représente  une  rencontre  entre  des  Cafres  et 
des  Bushmen  (p.  1 $f)  ;  ceux-ci  sont  attaqués  et,  tandis 
qu'une  partie  d'entre  eux  chassent  les  bœufs  et  les 
vaches  pour  les  mettre  à  l'abri,  d'autres  soutiennent 
le  choc  de  l'ennemi:  les  assaillants  sont  des  géants 
auprès  de  ceux  qui  essaient  de  leur  résister. 

Ce  qui,  dans  ces  essais  de  fresques,  est  le  plus 
frappant,  c'est  peut-être  la  valeur  des  procédés  tech- 
niques. On  sait  combien  les  débutants  ont  delà  peine 
à  relier  comme  il  convient  les  bras  et  les  jambes  ait- 
reste  du  corps  ;  ils  les  font  surgir  parfois  du  cou, 
parfois  de  l'ovale  ou  du  carré  qui  figure  le  buste. 
N'y  a-t-il  pas  là  l'origine  de  plus  d'une  idole  fantas- 
tique ?  Les  premiers  artistes  ont  dû  commettre  la 
faute  qu'aucun  enfant  n'évite.  Ils  inséraient  les  mem- 
bres où  ils  pouvaient.  D'autres  sont  venus  qui  ont 
corrigé  leur  travail  ;  ils  ont  placé  les  jambes  et  les 
bras  où  il  faut,  mais  sans  effacer  l'œuvre  des  prédé- 
cesseurs ;  et  ce  qui  n'était  d'abord  que  la  trace  de 
tâtonnements  artistiques  est  peu  à  peu  devenu  le 
svmbole  d'un  dogme  qu'a  suggéré  la  vue  du  monstre 
involontairement  créé...  Les  Bushmen  dont  on  dé- 


Introduction.  \i 


couvre  les  peintures  ont  dépassé  depuis  longtemps  cette 
période  de  la  maladresse  grotesque.  Pour  si  naïfs  et 
gauches  qu'ils  soient,  ceux  dont  nous  relevons  aujour- 
d'hui les  œuvres  ont  derrière  eux  une  lignée  très  lon- 
gue de  précurseurs.  Ils  ont  un  vrai  respect  de  l'ana- 
tomie  humaine;  et  l'une  des  peintures  que  M.  Christol 
nous  présente  reproduit  asse^  exactement  la  silhouette 
offerte  par  certains  muscles  dans  les  diverses  positions 
que  prennent  des  tireurs  d'arc  {p.  14}^. 

L'individu  est  très  vivant  dans  toutes  ces  scènes  figu- 
rées, mais  il  n'est  personne.  L'auteur  n'a  jamais  voulu 
représenter  tel  ou  tel,  sinon  il  se  sera-il  appliqué  à  des- 
siner les  détails  de  la  tête,  en  particulier  les  yeux  et 
les  oreilles  —  surtout  les  oreilles,  les  non-civilisés  at- 
tachant à  cet  organe  une  importance  spéciale  dans  le 
signalement  des  gens.  Or,  le  Bushman,  qui  reproduit 
avec  tant  d'amour  la  forme  humaine,  ne  tient  pres- 
que aucun'compte  de  la  tête.  Dans  une  peinture  dont 
je  parlais  tout  à  l'heure,  l'artiste  semble  s'être  complu 
à  nous  montrer  des  effets  de  torse  et  de  membres  ; 
mais  il  s'est  contenté  de  marquer  la  tête  par  une  sim- 
ple tache  rouge.  Est-ce  par  impuissance  de  faire 
mieux?  Celui  qui  a  su  observer  avec  tant  de  finesse 
et  noter  avec  tant  d'exactitude  les  muscles  de  la  cuisse 


xii  Ait  Sud  de  l'Afrique. 

et  du  mollet,  était  certainement  capable  de  dessiner 
une  tête.  Remarquons,  d'ailleurs,  que  la  tête  est  des- 
sinée dans  d'autres  peintures  ;  elle  n'a  ni  yeux  ni 
oreilles,  c'est  une  simple  silhouette.  Mais  cette 
silhouette  évite  précisément  la  faute  dans  laquelle 
tombent  tous  les  débutants.  Dans  nos  écoles  de  dessin 
les  élèves  commettent  toujours  la  même  erreur  :  le 
sommet  de  la  tête,  au-dessus  des  yeux,  est  beaucoup 
trop  court.  M.  Jacques  Passy  a  fait  à  ce  sujet  une 
enquête  auprès  de  nombre  d'artistes  et  de  professeurs  : 
tous  lui  ont  confirmé  que  les  commençants  «  ne  don- 
nent jamais  asse^  de  cervelle  à  leur  tête  » .  Or,  quand 
l'artiste  bushman  consent  a  représenter  la  silhouette 
d'une  tête,  il  évite  cette  méprise,  du  moins  dans  les 
dessins  que  j'ai  sous  les  yeux.  Ou' en  faut-il  conclure? 
Tout  d'abord  qu'il  ne  s'attache  pas  à  reproduire  cette 
partie  du  corps,  parce  qu'il  lui  prête  moins  d'impor- 
tance que  nous.  Il  s'intéresse  au  mouvement  de  la 
vie  et  non  pas  encore  à  la  personnalité.  Mais  l'ex- 
plication n'est  pas  suffisante.  La  vérité  complète  est 
que  le  non-civilisé  est  dominé  par  une  superstition  : 
il  croit  que  l'image  d'un  homme  est  liée  d'une  façon 
mystérieuse  à  sa  vie  elle-même  ;  il  n'aime  pas  qu'on 
fasse  son  portrait  :  celui  qui  possédera  ce  portrait 


Introduction.  xnr 


ne  pourrait-il  pas  avoir  sur  lui  une  influence  fatale  ? 
M.  Christol  n'a  jamais  obtenu  du  chef  Letsié  l'au- 
torisation de  dessiner  ses  traits  ;  le  jour  où  ce  chef 
s'est  laissé  photographier,  il  a  soigneusement  caché 
son  visage  derrière  sa  main. 

Faut-il  voir  dans  ces  peintures  la  manifestation 
d'un  art  désintéressé  qui  n'a  son  but  qu'en  lui-même? 
Faut-il  y  distinguer,  comme  d'aucuns  le  voudraient, 
la  représentation  symbolique  d'une  mythologie  com- 
pliquée ?  Faut-il  y  lire  les  récits  d' événements  réels  ? 
Dans  ce  cas,  elles  marqueraient  le  moment  où  l'écri- 
ture devient  à  tel  point  esthétique  qu'elle  tend  à  pren- 
dre de  l' importance  pour  elle-même. 

Ces  peintures  contraignent  enfin  l'esprit  de  se  poser 
une  autre  question  :  les  Bushmen,  qui  paraissent  être 
les  aborigènes  de  l' Afrique  australe,  n'ont-ils  point 
traversé  une  période  de  demi- civilisation  ?  D'une 
façon  générale,  les  primitifs  ne  soupçonnent  point  le 
prix  du  temps.  Les  œuvres  que  nous  venons  d'exa- 
miner supposent  un  peuple  dans  lequel  l'individu  a 
des  loisirs,  n'est  pas  opprimé  par  les  forces  naturelles, 
obligé  de  lutter  sans  cesse  contre  la  faim,  menacé 
par  des  ennemis  toujours  présents.  Se  fondant  sur 
l'étude  de  leur  folk-lore,    Callawax  croit  pouvoir 


XIV 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


affirmer  que  les  Bushmen  se  sont  jadis  trouvés  dans 
une  situation  intellectuelle,  morale  et  sociale,  bien 
supérieure  a  celle  d'aujourd'hui.  Son  opinion,  je  le 
sais,  est  contredite  par  d'autres  ethnographes  ;  je  me 


demande  pourtant  si  elle  n'est  pas  confirmée  par  ces 
peintures.  La  question  est  ouverte1. 

Et,  maintenant,  comment  se  fait-il  que  les  ba- 
Souto,  qui  connaissent  ces  peintures,  n'aient  jamais 
eu  l'idée  de  s'en  inspirer?  Comment  n'ont-ils  pas 


1.  En  tout  cas,  ces  peintures  permettent  d'affirmer  qu'en  aucune  période  de 
leur  histoire  les  Bushmen  ne  se  sont  adonnés  a  l'agriculture  ;  ils  ne  représen- 
tent jamais  la  plante,  la  seule  exception  que  je  connaisse  à  cette  règle  témoigne 
d'une  maladresse  instructive.  Elle  veut  figurer  un  chasseur  embusqué  derrière 
un  arbre  ou  un  buisson. 


Introduction.  xv 


reçu  la  suggestion  de  s'essayer  au  dessin?  Ils  ont  un 
réel  talent  d'imitation;  nous  en  verrons  des  preuves. 
En  voici  une  qui  est  intéressante.  M.  Christol  nous 
met  sous  les  yeux  les  dessins  dont  un  mo-Souto  a  cou- 
vert une  canne,  et  l'on  y  constate  l'influence  heureuse 
des  peintures  que  nous  venons  d'étudier  (p.  ij j). 
Mais  cette  canne  est  presque  unique  en  son  genre; 
c'est  presque  le  seul  cas  que  nous  puissions  citer  d'une 
ornementation  un  peu  compliquée  ;  surtout  c'est  pres- 
que le  seul  cas  d'une  imitation  des  peintures  des 
Bitshmen,  et  il  se  trouve  qu'il  est  très  bien  réussi.  Les 
ba-Souto  ne  sont  pas  plus  maladroits  que  d'autres, 
mais  Us  manquent  d'initiative  artistique.  Nous  allons 
en  rencontrer  immédiatement  une  marque  frappante. 


II 


Les  rapprochements  éclairent  les  études  de  psycho- 
logie comme  les  autres.  M.  Christol,  possédant  des 
spécimens  de  l'industrie  des  ba-Rotsé  du  Zambe^e,  a 
eu  l'heureuse  idée  de  nous  en  donner  des  représenta- 
tions aussi  exactes  que  possible.  Que  nous  apprennent- 
elles  ? 

L'art  que  nous  rencontrons  ici  n'est  qu'un  art  dé- 

SUD    DE    l'aFRICH-'E  b 


XVI 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


coratif  ;  il  consiste  en  l'embellissement  d'objets  usuels, 
armes  ou  ustensiles.  Comme  tous  les  non-civilisés,  les 
ba-Rotsé  s'attachent  d'abord  à  représenter  l'animal. 
L'homme  manifeste  ses  premières  préoccupations  es- 
thétiques en  couvrant  son  propre  corps  de  tatouages 
et  de  barbouillages  qui  nous  paraissent  grotesques  ou 
hideux,  et  qui  le  ravissent.  Mais  quand  il  songe  à 
reproduire  l'image  des  objets  qui  l'entourent,  il  ne 
commence  point  par  celle  de  ce  corps  humain  qu'il 
admire  pourtant  a  sa  façon.  Sur  les  débris  préhisto- 


COUVERCLE   D'UN   PLAT   EM   BOIS   SCULPTÉ 


riques,  l'homme  n'apparaît  que  par  exception  :  il  est 
possible  que  des  idées  superstitieuses,  dont  l'écho  a 
persisté  cbe%  bien  des  peuplades  actuelles,  soient  la 
cause  de  ce  fait.  Les  végétaux  n'en  sont  pas  totale- 
ment absents,  mais  ils  sont  rares.  C'est  l'animal  qui 


Introduction.  xvn 


sollicite  le  plus  souvent  le  burin  de  V artiste  primitif. 
Il  ne  faut  donc  pas  nous  étonner  si  les  ba-Rotsé  se 
plaisent  en  premier  lieu  à  la  représentation  de  l'ani- 
mal. Un  manche  de  cuiller,  que  j'avais  naguère 
entre  les  mains,  est  hérissé  de  poissons  qui  se  suivent 
à  la  file.  Sur  le  couvercle  d'un  plat  chemine  béate- 
ment un  crocodile.  Dans  les  dessins  de  M.  Christol, 
il  faut  regarder  un  autre  plat  qui  a  son  couvercle 
surmonté  de  deux  gnous  dont  les  cornes  sont  très 
caractéristiques,  mais  dont  le  corps  rappelle  plutôt 
celui  d'un  porc  (/>.  2r]f);  peut-être  faut-il  attribuer 
cette  œuvre  au  roi  Lewanika  lui-même. 

Les  ba-Rotsé  ont  un  autre  motif  d'ornementation 
qu'ils  multiplient  sur  leurs  armes,  leurs  parures  ou 
leur  poterie  ;  ce  sont  des  combinaisons  géométriques 
de  lignes  droites  ou  courbes .  C'est  là  un  genre  de 
décoration  dont  n'usent  jamais  les  ba-Souto,  lesquels 
se  trouvent  ainsi  inférieurs,  non  seulement  aux  Bush- 
men,  mais  encore  aux  Zambé^iens .  Il  ne  faudrait 
pas,  cependant,  exagérer  cette  supériorité  des  der- 
niers. Si  les  combinaisons  de  lignes  droites  et  courbes 
sont  l'application  d'une  véritable  géométrie,  elles 
révèlent  un  haut  degré  de  développement  intellectuel  ; 
mais  c'est  là  une  hypothèse  fort  contestable.  D'abord 


XVIII 


Ali.  Sud  de  l'Afrique. 


rien  ne  prouve  que  les  ba-Rotsd  aient  un  développe- 
ment intellectuel  supérieur  à  celui  des  ba-Souto  ;  ils 
peuvent  être  plus  industrieux  que  ceux-ci  ;  ils  sont 
au-dessous  d'eux  sous  d'autres  rapports.  Ensuite  il 
n'est  point  malaisé  d'expliquer 
l'origine  de  ces  figures  trian- 
gulaires, carrées  ou  rondes,  de 
ces  sortes  d'entrelacs,  qui  pro- 
duisent parfois  de  si  jolis  effets. 
Semper,  dans  ses  études  sur  les 
débuts  de  l'architecture,  a  mon- 
tré que  le  vannier,  le  tisserand 
et  le  potier,  en  travaillant  les 
matières  premières  de  leur  in- 
dustrie,  ont  créé,  par  le  seul 
jeu  des  procédés  techniques,  des 
combinaisons  de  lignes  et  de 
couleurs,  des  dessins,  dont  l'or- 
nemaniste s' est  emparé,  dès  qu'il 
a  eu  à  décorer  les  murs,  les  corniches  et  les  plafonds 
des  édifices.  Reprenant  cette  idée  et  la  poussant  plus 
loin,  je  suis  convaincu  que  les  décorations  de  la  po- 
terie et  de  la  plupart  des  autres  industries  dérivent 
très  souvent  de  celles  de  la  vannerie.  Voye^,  parmi 


BOUTEILLE    A    PARFUM 

EN    PEAU    DE    CHAMEAU 

(Algérie) 


Introduction . 


xi\ 


les  gravures  de  M.  Christol,  celles  qui  représentent 
des  vases  en  bois,  sculptes  par  les  ba-Rotsé  (p.  2jf)  : 
les  lignes  gui  les  ornent  imitent  à  merveille  l'osier  ou 
le  jonc  tressé'.  Tous  les  faits  confirment  cette  hypo- 
thèse. Voye^  dans  l'ouvrage  classique  de  Rat^el2  et 
dans  l'album  de  Schweinfurth  les  spécimens  de  vases 

des  Zoulou,  des  Dinka, 
des  Bon  go ,  des  Niam  - 
Nia  m  :  tous  sont  couverts 
de  dessins  qui  rappellent, 
à  s'y  méprendre,  la  van- 
nerie. Autre  exemple.  Le 
peigne  primitif  était  sans 
nul  doute  composé  de  la- 
melles de  roseau,  réunies 
par  des  joncs  tressés.  Le 
peigne  des  Bongo,  que  Schweinfurth  met  sous  nos 
yeux,  n'est  pas  autre  choses.  Regarde^  celui  des  ba- 
Rotsé  que  M.  Christol  a  reproduit  (p.  28<f)  :  à  l'en- 
droit où,  dans  le  peigne  primitif,  se  trouvent  les 


POT    EN    BOIS   SCULPTÉ 
PAR    LES   NIAM-NIAM 


i.  Rat^el  (Vœlkerkunde,  tome  II,  p.  114)  reproduit  un  vase  en  bois  lies 
ba-Rotsé  qui  présente  exactement  le  même  caractère. 

2.   Op.  cit.,  77,  p.  <)>. 

\.  Artes  africanae.  Abbildungen  und  Beschreibungen  des  Kunstfleisses  cen- 
tralafrikanischer  Vcelker  (en  allemand  et  en  anglais). 


XX 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


liens  de  jonc,  celui-ci  est  orné  de  lignes  qui  se  cou- 
pent suivant  les  règles  naturelles  de  la  vannerie  l. 

Dans  certains  cas,  la  décoration  dite  géométrique 
peut  avoir  une  autre  origine.  Elle  imite  alors  des 
modèles  naturels  que  fournit  le 
monde  animal  ou  végétal.  Je 
n'en  vois  d'exemples  ni  dans  les 
objets  %ambé%iens  que  nous  pré- 
sente M.  Chrisiol,  ni  dans  ceux 
que  j'ai  pu  étudier  au  musée  du 
boulevard  Arago.  Mais  ils  sont 
nombreux  dans  les  tatouages  de 
certaines  peuplades  africaines, 
comme  celles  d'Abéokuta.  Une 
calebasse  du  Sénégal,  qui  se 
trouve  à  la  Maison  des  Missions 
et  qui,  entre  autres  dessins,  porte 
celui  d'un  serpent,  permet  de  constater  comment  l'in- 
fluence de  la  vannerie  et  celle  du  monde  animal  ont 
pu  s'exercer  simultanément2. 


PEIGNE   DES   BONGO 


i.  Le  peigne  des  Monbuttu,  reproduit  par  Rat^el  et  par  Schweinjurth, 
inspire  les   mimes  réflexions, 

2.  Le  dessous  de  cette  même  calebasse  montre  comment  des  feuilles  peuvent 
devenir  tout  naturellement  le  point  de  départ  d'une  décoration  géométrique. 


Introduction. 


XXI 


On  voit  donc  en  quoi  consiste  l'ingéniosité  de  l'ar- 
tiste. Elle  est  le  résultat  d'un  effort  plus  oit  moins 
difficile  d'abstraction.  Dans  un  cas,  cet  effort  lui 
permet  de  distinguer  de  la  forme  d'un  animal  les 

dessins  qui  le  couvrent. 
Dans  le  premier,  il  lui 
fait  transporter  dans  une 
industrie  les  décorations 
spontanément  trouvées 
dans  une  autre.  L'inven- 
tion ne  consiste  pas  à  créer 
de  toutes  pièces  ces  motifs 
d'ornementation,  mais  à 
les  imiter  sur  une  matière 
différente.  Nul  besoin, 
par  conséquent,  de  prêter 
aux  ba-Rotsé  des  études 
de  géométrie  qui  leur  sont 
parfaitement  étrangères . 
Pourtant,  sans  être  ce 
qu'on  serait  tenté  d'imaginer,  leur  supériorité  n'est 
pas  moins  réelle  ;  elle  a  consisté  à  trouver  une  idée 
très  simple,  mais  très  heureuse  :  celle  de  tracer  sur 
les  objets  qu'ils  façonnent  les  combinaisons  de  lignes 


CALEBASSE 
AVEC    ORNEMENTS    CRAVLS 


XXII 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


-s 


trouvées  ailleurs.  Il  faut  mettre  ce  don  en  rapport 
avec  leur  goût  pour  le  travail. 

M.  Coillard,  qui  dénonce  si  souvent  leur  légèreté 
d'esprit,  leur  indifférence  morale  et  les  abjections  de 
leur  paganisme,  leur  rend  un 
témoignage  qui  nous  intéresse 
ici:  «  Ces ba-Rotsé m' étonnent, 
écrit-il1  ;  ils  sont  certainement, 
de  tous  les  noirs  que  j'ai  connus, 
les  plus  industrieux.  Avec  quel- 
ques outils  seulement  et  des  plus 
primitifs,  ils  font  tout  ce  dont 
ils  ont  besoin.  Les  forgerons  for- 
ment un  clan  à  part.  Non  seu- 
lement ils  fabriquent  toutes  les 
armes  du  pays,  les  pioches,  les 
cure-ne^,  etc.,  mais  donnez-leur 
un  modèle,  et  ils  vous  feront  des 
clous  de  la  dimension  voulue, 
des  haches,  des  bêches,  etc.  Ce 
ne  sera  pas  de  l'acier,  mais  une  bonne  imitation.  Il 
y  a  des  armuriers  —  en  très  petit  nombre,  je  dois  Je 


d 


PEIGNE    DES   MONBUTTU 


i.  Journal  des  Missions  cvangcliques,  janvier  iSyj,  p.  2/6. 


Introduction,  xxm 


dire  ;  —  ils  ne  peuvent  pas  faire  le  canon  d'un  fusil , 
sans  doute,  mais  ils  en  font  la  crosse  et  vous  la  mon- 
tent avec  autant  de  fini  qu'un  Européen...  Lewanïka 
aime  le  travail.  A  l'ombre  d'un  bosquet  touffu...,  il 
s'est  fait  un  atelier.  Vous  le  trouvère^  la,  dans  ses 
heures  de  loisir,  travaillant  de  ses  mains  avec  une  di- 
zaine d'ouvriers  sous  ses  ordres.  Que  fait-il  là?  Ou 
plutôt,  que  ne  fait-il  pas?  Tantôt,  c'est  un  petit  canot 
de  fantaisie,  la  charpente,  démontable  d'une  immense 
tente,  un  lit  de  camp  ingénieux,  un  véhicule  de  sou 
invention  destiné  à  transporter  les  canots  des  blancs 
aux  chutes  de  Ngonyé  et  à  lui  rapporter  beaucoup 
d'argent  !  Tantôt,  c'est  un  instrument  de  musique 
qu'il  fabrique,  ou  bien  c'est  un  plat,  sur  le  couvercle 
duquel  il  se  plaît  à  sculpter  quelque  animal  sauvage, 
des  poissons,  des  oiseaux,  ou  bien  encore  c'est  un  bra- 
celet d'ivoire,  une  épingle  à  cheveux  qu'il  cisèle  avec 
délicatesse.  Tous  les  ans,  il  conçoit  un  nouveau  plan 
pour  sa  barque  royale.  La  Nalikuanda  de  l'an  passé 
est  une  monstruosité  de  120  pieds  de  long,  où  il  a 
essayé  de  mettre  à  profit  les  données  vagues  qu'il  a 
glanées  ci  et  la  sur  la  manière  dont  les  blancs  cons- 
truisent leurs  bateaux...  » 

Pourquoi  ce  don  très  réel  n'a-t-il  pas  abouti  à  un 


xxiv  Au  Sud  de  l'Afrique. 

art  plus  développé?  La  cause  de  cet  arrêt  est  pure- 
ment sociale.  Une  autocratie  capricieuse  annihile 
tous  les  efforts  et  les  paralyse,  en  interdisant  les  be- 
soins qu'ils  devraient  satisfaire.  C'est  l'homme  et  non 
pas  la  nature  qui,  neuf  fois  sur  dix,  rend  impossible 
le  progrès. 


III 


Revenons  aux  ba-Souto.  Y  a-t-il  lieu  de  parler 
de  leur  art?  Il  est  clair  que,  si  nous  nous  laissons 
dominer  par  notre  idée  du  beau,  si  nous  ne  voulons 
tenir  compte  que  des  foconde  et  des  Vénus  de  Milo, 
un  voyage  au  Lessoutone  nous  apprendra  rien;  nous 
passerons,  dédaigneux  et  distraits.  Mais  les  chefs- 
d'œuvre  de  nos  musées  n'ont  pas  été  sans  antécédents 
laborieux;  ils  n'auraient  pas  été  possibles  sans  un 
long  effort  de  l'humanité,  sans  une  série  d'ébauches 
qui  peuvent  nous  paraître  lamentables  ou  grotesques, 
mais  qui  creusent  un  abîme  entre  notre  espèce  et  l'ani- 
malité. Notre  idée  du  beau  ne  s'est  dégagée  que  len- 
tement ;  loin  d'avoir  présidé  à  l'évolution  de  l'art, 
elle  en  est  le  résultat  et  la  floraison . 

L'art  est  l'expression  d'un  besoin  et  d'un  mécon- 


Introduction.  xxv 


tente  ment.  Ce  besoin  est  celui  de  dominer  ses  sensa- 
tions au  lieu  de  les  subir  ;  c'est  celui  de  les  provoquer 
et  de  les  organiser  au  lieu  de  les  recevoir  toutes  faites 
et  tout  arrangées.  Ce  mécontentement  est  une  forme 
de  V ennui;  il  naît  de  l'insupportable  monotonie  du 
réel  et  de  notre  impuissance  à  assister,  passifs,  au 
déroulement  toujours  le  même  de  ce  qui  est.  Il  sort 
d'une  exigence  de  la  vie  qui  déborde  et  veut  s'incarner 
dans  des  créations. 

Et  voilà  pourquoi  il  nous  faut  chercher  la  pre- 
mière œuvre  d'art  avant  que  l'homme  produise  un 
objet  qui  existe  en  dehors  et  indépendamment  de  lui. 
Voye^  l'enfant.  Il  n'a  pas  besoin  de  beaucoup  de 
jouets  pour  s'amuser:  il  sait  fort  bien  s'en  passer. 
Mais  alors  il  se  plaît  à  représenter  un  personnage 
qu'il  n'est  pas.  Il  ne  lui  est  même  pas  nécessaire  de 
se  travestir.  Qu'il  se  mette  à  parader,  à  marquer  le 
pas,  comme  un  soldat,  et  il  se  figure  vite  qu'il  est  re- 
vêtu d'un  bel  uniforme,  il  est  convaincu  que  «  c'est 
arrivé  ».  Ou  éprouve-t-il  alors,  sinon  la  joie  de  la 
création  ?  Les  enfants  des  ba-Souto  sont  comme  les 
nôtres,  et  beaucoup  de  leurs  jeux  sont  des  scènes  imi- 
tées de  la  vie  réelle.  Comme  aux  nôtres,  il  leur  faut 
aussi  des  êtres  fictifs  qu'ils  animent,  avec  lesquels  ils 


xxvi  Au  Sud  de  l'Afrique. 

s'entretiennent,  dont  ils  composent  un  monde  fami- 
lier. Mais  ils  ont  un  avantage  sur  les  petits  Euro- 
péens. Ceux-ci  ont  le  malheur  d'être  très  gâtés  par 
leurs  parents,  grands-parents,  oncles  ou  tantes,  et 
d'avoir  à  leur  disposition  trop  de  riches  bazars.  Ils 
n'ont  h  construire  aucun  des  objets  dont  ils  s'amusent  ; 
leur  seule  ressource  est  de  les  briser,  de  les  démonter, 
d'en  faire  des  monstres,  ce  qui  est  une  manière  de 
produire  du  neuf.  Et  quand  ils  respectent  leurs  sol- 
dats de  plomb  ou  les  animaux  de  leur  bergerie,  c'est 
à  la  condition  de  les  disposer  à  leur  guise  et  d'en 
créer  toutes  les  combinaisons.  Les  petits  ba-Souto  n'en 
sont  pas  réduits  à  cette  misère  dorée.  S'ils  veulent  des 
jouets,  ils  doivent  les  fabriquer  et  ils  ne  s'en  font  pas 
faute.  Les  documents  que  M.  Christol  nous  met  sous  les 
yeux  sont  uniques  dans  leur  genre  (p.  il}')  ;  ils  nous 
mollirent  comment,  avec  un  peu  de  terre  glaise,  ces 
enfants  peuvent  fabriquer  un  cheval  à  roulettes,  un 
cavalier,  un  chariot  avec  son  cocher  et  ses  bœufs,  des 
huttes  avec  leur  lélapa  ou  petite  enceinte  de  roseaux  ; 
des  figures  d'homme  ou  d'animaux,  etc.  Tous  ces 
objets  sont  fort  intéressants.  En  quoi  sont-ils  infé- 
rieurs à  d'autres  qui  sont  exposés  dans  les  vitrines  du 
Louvre  et  qui  proviennent  de.  la  Grèce  ou  de  Rome? 


Introduction.  xxvii 


fe  ne  le  distingue  pas  ;  je  les  trouve  même  plus  gra- 
cieux (p.  106).  M.  Christol  fait  lui-même  ces  rappro- 
chements. En  voici  un  autre  que  je  me  permets  de  lui 
indiquer.  Un  fragment  d'une  statuette  de  terre  cuite 
trouvé  par  le  général  di  Cesnola,  à  Chypre,  est  pro- 
bablement, d'après  M.  Isaac  Taylor,  la  plus  ancienne 
représentation  que  nous  possédions  d'un  homme  à 
cheval.  Elle  est  beaucoup  moins  dégagée  que  celle  des 
petits  ba  Souto.  L'homme  a  l'air  d'embrasser  la  tête 
de  l'animal.  Il  est  probable  que  ces  bras  qui  n'en  fuis- 
sent pas  se  confondent  avec  le  licou  que  l'artiste  n'a 
pas  su  représenter. 

Regardons  un  peu  la  tête  d'homme  modelée  par 
un  de  ces  enfants.  Ce  qui  y  frappe,  c'est  l'exagéra- 
tion du  ne%.  Ce  trait  se  rencontre  dans  tous  les  dessins 
d'enfants  européens;  il  est  instructif  de  le  rencontrer 
che^  ceux  des  petits  ba-Souto.  Rien  ne  prouve  mieux 
que  l'enfant  ne  regarde  pas  vraiment  son  modèle  ;  il 
a  des  impressions  et  il  les  suit.  Il  a  remarqué  qu'il 
y  a  dans  un  visage  un  ne%,  une  bouche,  un  menton; 
à  mesure  qu'il  exécute  un  de  ces  détails,  il  ne  songe 
ni  à  le  rapporter  à  l'ensemble  et  à  L'y  proportionner, 
ni  à  en  reproduire  l'image  exacte  ;  un  ne%  est  pour 
lui  un  appendice  et  l'on  s'en  aperçoit. 


xxvm  Au  Sud  de  l'Afrique. 

L'adulte  continue  l'enfant.  Sa  première  œuvre 
d'art,  c'est  lui-même.  Son  propre  corps  en  est  la  ma- 
tière. Il  lui  arrive  de  le  sculpter.  Les  déformations 
du  crâne,  les  mutilations  volontaires,  les  échafau- 
dages de  chevelure  sont  autant  de  manières  de  faire 
mieux  que  la  nature  en  modifiant  l'aspect  du  corps 
humain.  Les  ba-Souto  n'y  ont  pas  recours.  Une 
femme  qui  veut  se  faire  belle  commence  par  se  raser 
entièrement  la  tête;  elle  la  frotte  ensuite  d' antimoine, 
de  façon  d  obtenir  un  noir  bleuâtre.  Puis  sur  son 
torse  et  ses  membres  bien  graissés  elle  étendra  une 
couche  d'ocre.  Son  visage  ne  laissera  plus  rien  à  dé- 
sirer s'il  est  tatoué  de  lignes  droites  se  dirigeant  vers 
l'oreille.  L'homme  se  contentera  de  graisse  pour  son 
corps  ;  au  lieu  de  se  raser  toujours  la  tête,  il  conser- 
vera volontiers  une  ligne  de  cheveux  bizarrement 
disposée  ;  quelquefois,  avec  de  petites  touffes  qu'il 
respectera,  il  se  fera  des  ornements  étranges.  C'est 
par  exception  qu'il  recourra  à  cette  ornementation 
naturelle  ;  il  ne  parait  pas  avoir,  au  sujet  de  son 
corps,  les  excessives  prêt  entions  d'autres  peuplades. 
Ce  serait  pourtant  errer  que  de  les  méconnaître  che^ 
lui.  Il  n'est  pas  étranger  à  ce  premier  balbutiement 
de  l'art. 


Introduction  xxix 


Le  mo-Souto  renonce  à  sculpter  son  corps,  il  ne 
le  peint  guère.  Mais  il  s'efforce  de  l'embellir  à 
l'aide  d'accessoires.  Il  aime  les  objets  de  parure. 
Il  met  quelquefois  un  collier  ;  pour  les  danses  il  ne 
manque'  pas  d'affubler  sa  tête  de  panaches  et  de 
houppes.  La  femme  se  charge  de  verroteries.  Elle 
couvre  ses  jambes  d'anneaux  de  laiton  au  point  de 
paraître  avoir  des  guêtres  métalliques  où  le  rouge 
et  le  jaune  alternent.  Tous  ces  ornements  peuvent 
être  plus  ou  moins  grossiers  ou  plus  ou  moins  soignés; 
ils  n'ont  pas  leur  but  en  eux-mêmes  et  le  non-civilisé 
ne  songe  pas  à  les  considérer  comme  des  objets  d'art. 
L'objet  d'art,  c'est  son  corps  lui-même;  les  colifichets 
dont  il  le  couvre  ne  sont  appréciés  que  par  rapport  à 
ce  corps  qu'ils  aident  à  transformer.  Par  eux  il 
donne  une  expression  visible  à  l'idée  qu'il  veut  qu'on 
ait  de  lui-même;  il  prétend  se  créer  lui-même  et  faire 
mieux  que  la  nature. 

Le  vêtement  apparaît  comme  partie  intégrante  du 
corps  et  peut  l'embellir.  De  là  les  ornements  dont  on 
l'agrémente.  Le  manteau  en  peau  de  bœuf  dans  le- 
quel se  drape  une  femme  mo-Souto  sera  soigneuse- 
ment garni,  en  haut,  de  quatre  ou  cinq  bourrelets  de 
perles  et,  en  bas,  de  cercles  également  en  perles.  Les 


xxx  Au  Sud  de  l'Afrique. 

pans  qui  retombent  par  devant  seront  sillonnés  d'or- 
nements de  même  style.  L'homme,  dans  son  costume 
de  peaux  de  blaireau  ou  d'antilope,  cousues  ensem- 
ble, découpera  des  trous  et  les  remplira  de  pièces  ingé- 
nieusement rapportées  dont  l'effet  sera  jugé  ravissant. 

Les  armes  nationales  tendent  a  disparaître  ;  les 
assagaies  sont  rares,  rares  aussi  les  boucliers.  Or, 
les  armes  sont  encore  le  prolongement  de  la  per- 
sonnalité. Aussi  avec  quel  soin  on  a  coutume  de 
les  orner  !  Un  bouclier  donne  sa  physionomie  à  une 
peuplade;  compare^  celui  des  Zoulou,  celui  des 
ba-Souto,  celui  des  ba-Rolong  :  ils  sont  très  diffé- 
rents. Le  mo-Souto  surmonte  le  sien  d'un  plumet 
belliqueux  (p.  i}<)). 

A  force  de  vivre  avec  sa  canne  on  finit  par  en 
faire  une  partie  de  soi-même.  Aussi  le  mo-Souto,  si 
peu  artiste  qu'il  soit,  songera  parfois  à  l'orner  ;  il 
lui  adaptera  une  poignée  en  corne,  plus  souvent  il  la 
surmontera  d'une  tête  de  singe  ou  d'homme  (p.  114). 
Il  y  a  pourtant  deux  objets  qui  lui  sont  peut-être  plus 
chers  que  sa  canne  :  ce  sont  sa  tabatière  et  la  spatule 
— je  demande  pardon  du  détail  —  qui  lui  sert  de  mou- 
choir de  poche .  Comme  il  leur  réserve  sa  tendresse,  il 
en  recevra  ses  plus  fréquentes  inspirations  esthétiques. 


Introduction.  xxxi 


//  découpera  avec  amour  le  manche  de  sa  spatule,  il 
l'agrémentera  de  fils  de  laiton  soigneusement  tressés 
Çp.  276);  il  taillera  sa  tabatière  en  forme  d'animal 
(/>.  106)  et,  comme  il  n'a  pas  de  poche,  il  la  portera 
fièrement  suspen  lue  à  son  bras  ou  à  son  cou  ainsi 
qu'une  breloque. 

L'habitation  continue  la  personnalité  et  l'exprime. 
Cela  est  vrai  surtout  pour  la  femme,  car  l'homme 
vit  beaucoup  plus  qu'elle  au  dehors.  C'est  le  mari 
qui  construit  la  hutte,  mais  sans  préoccupation  de  la 
beauté;  c'est  la  femme  qui  en  crépit  les  parois  et  qui, 
parfois,  songe  à  les  orner  de  quelques  ébauches  de 
dessin  (p.  S8~).  C'est  elle  qui,  devant  la  hutte,  construit 
la  petite  cour  de  roseaux  appelée  lélapa,  et  elle  édifie 
cette  haie  avec  tant  de  soins  que,  vue  à  une  certaine 
distance,  celle-ci  a  l'air  d'être  en  vannerie.  C'est 
encore  la  femme  qui  fabrique  les  poteries  ;  elle  réussit, 
avec  un  tesson  pour  seul  outil,  à  leur  donner  des 
formes  parfaitement  arrondies  et  d'une  réelle  élé- 
gance. Elle  s'essaie  à  les  vernir  et  elle  y  parvient, 
mais  elle  a  moins  de  succès  dans  la  cuisson  de  son 
œuvre,  et  cet  échec  fréquent  tient  surtout  au  défaut 
d'un  combustible  approprié.  Des  deux  vases  que  nous 
montre  M.  Chrislol,  l'un  se  termine  en  haut  par  une 

sud  de  l'afriq^e  ç 


xxxn  Au  Sud  de  l'Afrique. 

tête  d'oiseau,  Vautre  a  la  forme  d'une  petite  oie 
(p.  8y)  ;  il  me  semble  bien  qu'il  y  ait  là  l'indice 
d'une  influence  européenne.  Sur  les  vases  des  ba-Souto 
les  dessins  géométriques  sont  tout  à  fait  absents.  On 
en  aperçoit  quelques-uns  sur  un  mortier  a  concasser  le 
mais  (/>.  108),  mais  l'imitation  des  Tambuki  est  ici 
flagrante.  Un  autre  dessin  de  M.  Chrislol  est  singu- 
lièrement instructif.  Il  représente  une  cuiller  sculptée 
par  un  mo-Souto  (p.  no).  Une  inspection  rapide 
nous  fait  croire  que  le  long  manche  de  cette  cuiller 
est  couvert  de  figures  géométriques  ;  regardons-le  de 
plus  près  :  il  est  formé  de  deux  serpents  entrelacés. 
L'animal  dont  il  s'agit  fournissait  précisément  un 
motif  de  décoration  géométrique  ;  comment  se  fait-il 
que  l'artiste  n'ait  jamais  distingué  de  la  forme  gé- 
nérale de  l'animal  les  dessins  qu'il  présente  et  qu'il 
n'ait  jamais  songé  à  les  imiter?  M.  Casalis  parle  de 
cuillers  dont  la  tige  figure  une  girafe,  la  tête  haute, 
les  pieds  reposant  sur  le  disque  ;  Fritsch  et  Rat^el  re- 
produisent l'image  de  cet  objet.  Ici  encore  ranimai 
pouvait  suggérer  l'idée  de  ces  dessins  qui  n'ont  ja- 
mais inspiré  un  mo-Souto.  Ce  ne  sont  donc  pas  les 
modèles  qui  manquent  à  ces  indigènes,  c'est  l'initia- 
tive inventrice  ou  rénovatrice. 


r* 


Introduction. 


XXXIII 


•1^ 


IV 


Le  contact  des  Européens  a-t-il  eu  pour 
effet  de  développer  les  ba-Souto  ?  Nous 
ne  nous  occupons  ici  que  de  ce  qui  tombe 
sous  les  sens.  Leur  vie  morale  mériterait, 
pour  elle  seule,  une  longue  étude,  et  je  ne 
nie  sens  pas  le  droit  de  profaner,  en  des 
paroles  trop  brèves,  ce  qu'il  y  a  de  plus 
intime  dans  des  âmes  d'hommes. 

L'on  trouve  aujourd'hui,  che^  les  ba- 
Souto,  nombre  d'objets  qui  trahissent 
l'imitation  de  notre  industrie.  Les  bagues, 
broches,  épingles,  bracelets  que  M.  C bris- 
tol met  sous  nos  yeux ,  sont  instructifs 
(p.  135).  Les  indigènes  savent  très  bien 
copier  les  objets  étrangers  et,  leur  intérêt 
une  fois  éveillé,  ils  donnent  parfois  h 
leur  copie  une  originalité  imprévue.  Ils 
ont  observé  que  ces  colifichets,  fabriqués 
en  Europe,  affectent  volontiers  la  forme 

de  choses  usuelles.  Ils  retiennent  ce  prin- 
cuiller  .  .,    7,       7.  ,    , 

faite  par  un  indigène  cipe  et  us  l  appliquent  a  leur  manière. 

du  Lessouto. 


xxxiv  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Ils  surmonteront  une  épingle  d'un  petit  soulier  ;  en 
quoi  est-ce  moins  noble  que  le  fer  à  cheval  que  nous 
multiplions  ?  Ils  monteront  en  broches  de  petite  flèches 
et  de  minuscules  boucliers.  Notons  qu'ils  imitent  tou- 
jours la  forme  de  l'objet  ;  ils  n'en  abstraient  jamais 
une  autre  qualité.  De  là  la  perfection  relative  avec 
laquelle  les  femmes  reproduiront  en  terre  cuite  une 
bouilloire,  une  carafe,  une  marmite  (/).  SS).  Sur 
des  indications  précises,  les  indigènes  construiront 
des  meubles  asse^  compliqués.  Une  cheminée  moyen 
âge,  fabriquée  sous  la  direction  de  M.  Preen,  de 
l'Ecole  industrielle  de  Leloaleng,  est  une  œuvre  fort 
présentable.  La  chaire  de  la  chapelle  de  Letsueneng 
est  convenablement  réussie  (/>.  725"). 

Ce  qui  paralyse  l' industrie  des  ba-Souto,  c'est  d'a- 
bord le  régime  social  de  leur  peuplade.  L'individu 
n'est  le  vrai  propriétaire  de  rien.  Il  est  le  vassal  tail- 
lable  et  corvéable  à  merci  d'un  suzerain  absolu.  Lè- 
chef  s'appelle,  dans  la  langue  du  pays  qui  n'y  met 
pas  de  malice,  le  mokuéna,  c'est-à-dire  le  crocodile, 
et  il  justifie  bien  son  nom  en  «  mangeant  »  sans 
cesse  ses  sujets,  c'est-à-dire  en  les  pillant.  La  servi- 
lité, le  manque  de  sécurité,  engendrent  la  paresse  ;  et 
l'on  peut  se  demander  si  la  nonchalance  des  indi- 


Introduction.  xxxv 


gènes  n'est  pas  le  résultat  de  cette  oppression  séculaire. 
En  tout  cas,  elle  en  est  singulièrement  aggravée. 
L'apprentissage  fini,  les  élèves  de  l'école  de  Leloaleng 
tombent  trop  souvent  entre  les  mains  de  chefs  qui 
prétendent  avoir  le  monopole  de  leur  travail  et  les 
annihilent  ' . 

Un  autre  malheur  pour  l'industrie  des  ba-Souto, 
c'est  l'invasion  des  marchandises  européennes  dont  le 
prix  est  souvent  dérisoire.  Pourquoi  fabriqueraient- 
ils  des  couteaux  et  s' appliqueraient-ils  à  les  fabriquer 
meilleurs  et  plus  jolis  que  ceux  d'autrefois,  quand  on 
les  achète  à  si  bon  compte  dans  le  magasin  d'un  mar- 
chand blanc  ?  A  quoi  bon  tresser  des  chapeaux  pour 
les  vendre?  On  voudrait  en  obtenir  2  fr.  50  c.  et  on 
les  trouve  au  bazar  pour  1  fr .  25  c.  Il  est  fort  probable, 
par  conséquent,  que  les  ba-Souto  fabriqueront  tou- 
jours moins  de  ces  petits  objets  que  M.  Christol  a  pu 
collectionner.  L'importation  empêchera  une  industrie 
originale  de  naître  ;  et,  ainsi,  nous  ne  saurons  jamais 


I.  Pendant  que  je  corrige  les  épreuves  de  ce  travail,  je  trouve,  dans  le  der- 
nier numéro  du  Journal  des  Missions,  une  nouvelle  qui  prouve  que  les  indi- 
gènes ont  une  intelligence  croissante  des  bienfaits  de  la  civilisation.  Le  chef 
Lerothodi  a  décidé  de  créer  une  nouvelle  école  industrielle  qui  sera  fondée  avec 
les  deniers  de  ses  sujets  eux-mêmes  ;  dès  le  27  avril  dernier,  il  avait  réuni 
4), OOQ  fr.,  et,  au  milieu  de  juin,  y;, 000  fr.  Il  y  a  là  un  heureux  symptôme. 

* 


xxxvi  Au  Sud  de  l'Afrique. 

ce  que  les  ba-Souto,  relevés  par  le  christianisme,  ini- 
tiés par  lui  au  travail,  soumis  a  une  discipline  vo- 
lontaire, seraient  arrivés  à  produire  d'eux-mêmes. 

Est-ce  à  dire  que,  dans  les  choses  visibles  et  tan- 
gibles, on  ne  puisse  pas  distinguer  l'œuvre  de  l'Evan- 
gile ? 

Il  y  a  d'abord  à  noter  le  changement  des  physio- 
nomies. Je  n'insinue  pas  que  les  ba-Souto  chrétiens, 
par  le  fait  de  leur  conversion,  deviennent  des  Adonis. 
Mais  quelque  chose  de  nouveau  tend  à  apparaître 
dans  les  visages.  Le  calme  intérieur  —  quand  il  est 
réel  et  profond  —  se  reflète  sur  les  traits  du  chré- 
tien, comme  se  reflètent  tour  à  tour,  sur  ceux  du 
païen,  l'apathie  morne  ou  l'agitation  passionnée  de 
l'âme. 

Une  personne  qui  conquiert  le  sentiment  de  la  di- 
gnité sent  peu  a  peu  le  besoin  de  se  respecter  dans 
son  corps.  Elle  devient  plus  propre.  Puis  cette  trans- 
formation tend  à  passer  dans  ce  qui  lui  tient  de 
plus  près,  dans  ce  qui  est  V enveloppe  de  sa  vie 
quotidienne  et  doit  en  reproduire  l'image,  dans  l'ha- 
bitation. Le  chrétien  —  rarement  imité  par  le  païen 
—  renonce  à  la  hutte  d'autrefois,  étroite  et  sans  aéra- 
tion. Il  construit  une  sorte  de  maison  en  mottes  de 


Introduction.  xxxvn 


ga^on,  en  briques  crues  ou  en  pierres  ;  il  lui  donne 
des  dimensions  un  peu  plus  larges  qu'au  gîte  du 
temps  jadis,  il  la  munit  de  petites  meurtrières  qui 
font  l'office  de  fenêtres.  Dans  cette  demeure,  à  peu 
près  grande  comme  un  wagon  de  chemin  de  fer,  il 
mettra  plus  d'ordre,  il  introduira  plus  de  confort.  Il 
suspendra  à  une  certaine  hauteur  le  seau  qui  contient 
Veau  delà  famille,  afin  qu'elle  ne  soit  point  souillée  par 
les  chiens.  Le  chrétien  a  plus  de  besoins  vraiment 
humains  ;  il  est  impossible  qu'à  la  longue,  rompant 
le  charme  d'une  nonchalance  héréditaire,  l'aiguillon 
de  ces  besoins  ne  le  rende  plus  industrieux. 

Il  est  vrai  que  ce  progrès  entraîne  avec  lui  une 
tentation.  A  l'origine  de  la  parure  est  le  sentiment 
de  la  vanité.  Or,  la  vanité  est  toujours  à  l'affût.  Elle 
se  déguise  avec  plus  ou  moins  de  malice  ou  de  can- 
deur, et  elle  s'insinue  dans  l'âme  au  lieu  et  place 
du  respect  de  soi.  La  coquetterie  risque  de  devenir  le 
péché  mignon  des  chrétiennes  ba-Souto.  Les  mission- 
naires, qui  sont  sur  leurs  gardes,  ne  manquent  pas 
une  occasion  de  la  dénoncer  et  de  la  condamner  ;  et 
ces  occasions  ne  sont  pas  aussi  rares  qu'on  le  désire- 
rait :  des  fiancées  ne  rêvent-elles  pas  de  se  présenter  à 
la  bénédiction  nuptiale  dans  une  toilette  qui  absorbera 


xxxviii  Au  Sud  de  l'Afrique. 

le  meilleur  de  leurs  économies  ?  Je  ne  voudrais  pas 
que,  selon  la  coutume  de  V anthropologie  dite  scienti- 
fique, on  s'emparât  de  ce  détail,  franchement  rap- 
porté, pour  me  faire  dire  :  «  De  l'aveu  des  mission- 
naires, toute  négresse  convertie  est  une  insupportable 
coquette.  »  Tout  ce  que  j'énonce,  c'est  que  la  préoccu- 
pation de  la  parure  peut  être  excitée  par  le  progrès 
intellectuel  et  social  ;  par  une  dérision  qui  n'est  bigarre 
qu'en  apparence,  elle  peut  se  greffer  sur  le  progrès 
moral,  être  provoquée  par  un  sentiment  croissant  de 
la  dignité.  Mais  est-ce  à  l'Évangile  lui-même  qu'il 
faut  imputer  ce  fait?  N'est-ce  pas,  au  contraire,  à 
une  intelligence  superficielle  et  erronée  de  cet  Evan- 
gile? 

Il  est  temps  de  nous  arrêter.  Voila  de  fort  longues 
considérations  à  propos  d'objets  matériels  que  le  vul- 
gaire consentirait  à  peine  à  regarder  d'un  œil  dis- 
trait. A  l'occasion  d'un  livre  de  missionnaire,  nous 
nous  sommes  égarés,  semble-t-il,  très  loin  de  la 
Mission . 

Ce  n'est  qu'une  apparence.  En  fournissant  des 
documents  à  la  science,  la  Mission  chrétienne  ne  né- 
glige pas  ses  intérêts  vitaux.   L'anthropologie  s'est 


Introduction.  xxxix 


constituée  trop  souvent  à  l'aide  de  données  incohé- 
rentes et  fournies  dans  une  trop  large  mesure  par  des 
voyageurs  incompétents  en  matière  morale  ou  hostiles 
de  parti  pris  à  la  propagande  de  l'Evangile.  On  ne 
se  doute  pas  de  quel  amas  de  renseignements  contra- 
dictoires, de  calomnies  systématiques,  de  préventions 
aveugles,  même  de  niaiseries,  sont  encombrés  les 
livres  qui  prétendent  instruire  V opinion  publique  sur 
les  capacités  et  l'avenir  des  peuples  dits  sauvages  et 
sur  l'œuvre  des  Missions.  C'est  pitoyable  et  c'est 
dangereux  pour  la  tâche  héroïque  et  obligatoire  de 
l'Eglise.  La  science  des  peuples  non  civilisés  doit  être 
édifiée  à  l'aide  des  hommes  qui  les  connaissent  vrai- 
ment et  qui,  pour  les  connaître,  ont  commencé  par 
les  aimer  et  se  consacrer  à  leur  salut. 

Aussi  bien  nous  sommes-nous  trouvés,  pendant 
quelques  instants,  tout  près  des  Bushmen,  des  ba- 
Rotsé,  des  ba-Souto.  Quand  je  considérais  leurs  pein- 
tures, leurs  ustensiles,  leurs  parures,  ils  me  semblaient 
sortir  de  cette  brume  lointaine  qui  les  enveloppe  et 
les  dérobe  à  nos  regards  ;  ils  devenaient  des  êtres  con- 
crets et  vivants.  Sommes-nous  bien  sûrs  de  ressentir 
pour  les  peuples  au  milieu  desquels  les  représentants 
de  nos  Eglises  peinent  et  luttent  autre  chose  qu'un 


\L  Au  Sud  de  l'Afrique. 

intérêt  théorique?  C'est  que  ces  peuples  finissent  par 
être  pour  nous  de  pures  et  simples  abstractions.  Le 
remède  à  ce  mal  est  d'évoquer  avec  précision  la  réa- 
lité. Par  la  représentation  nette  de  tel  détail,  de  tel 
geste,  de  tel  ornement,  de  telle  arme,  on  voit  tout  à 
coup  surgir  devant  soi  l'image  frémissante  des  hom- 
mes réels  avec  toutes  leurs  humiliations  et  leurs  dé- 
tresses. Dans  cette  chapelle  de  la  Maison  des  Missions 
où  les  murs  crient  les  misères  et  les  abominations  du 
paganisme,  est-il  possible  au  plus  froid  d'éprouver 
pour  les  païens  une  sympathie  de  tête  et  d'en  parler 
avec  des  phrases  de  convention  ?  Le  missionnaire  tra- 
vaille pour  la  Mission,  quand  il  grave  et  fixe  dans 
les  imaginations  la  physionomie  précise  du  peuple 
qu'il  s'efforce  de  conquérir  au  Maître. 

N 'avons-nous pas  touché,  en  finissant  nos  analyses, 
à  une  question  capitale  pour  l'avenir  du  Lessouto, 
celle  de  l'industrie  ?  Il  faut  que  les  indigènes  se  met- 
tent au  travail,  qu'ils  développent  leur  initiative.  Il 
y  va  d'abord  de  leur  salut  moral.  L'homme  dont 
l'intelligence  et  les  bras  sont  actifs  est  protégé  contre 
le  vertige  des  mauvaises  convoitises  et  des  rêveries 
malsaines.  Il  y  va  du  salut  de  la  nation  elle-même. 
Un  missionnaire,  M.  Alfred  Casalis,  l'écrivait  ré- 


Introduction.  xli 


cemment:  «  La  colonie  du  Cap  et,  en  général,  les 
Etats  du  sud  de  l'Afrique  avancent  à  grands  pas 
dans  la  voie  du  progrès.  Il  faudra  bien  que  le  Les- 
souto  emboîte  le  pas.  Un  petit  pays  purement  indi- 
gène, un  Etat  nègre,  pour  parler  vieux  style,  mar- 
chant à  la  mode  nègre,  deviendrait  en  pleine  colonie 
du  Cap,  peut-être  au  milieu  des  Etats-Unis  de  l'A- 
frique du  Sud,  un  inacceptable  contresens.  Or,  c'est 
une  loi  formelle,  un  peuple  ne  peut  s'isoler  et  s'en- 
rayer au  milieu  du  mouvement  qui  entraine  les  pays 
limitrophes.  Il  suivra  ou  il  périra.  »  Les  documents 
publiés  par  M.  Christol  font  voir  avec  netteté  où  en 
sont  les  ba-Souto  à  la  fin  de  ce  siècle.  Dans  cent  ans, 
un  mo-Souto  pourra-t-il  mettre  sous  les  yeux  de 
l'Europe  une  nouvelle  collection  de  gravures  prou- 
vant la  transformation  du  pays  par  le  travail  des 
indigènes  ou,  en  d'autres  termes,  la  rénovation  so- 
ciale d'un  peuple  par  V Evangile  ?  S'il  ne  le  peut  pas, 
c'est  que  la  nation,  que  nos  missionnaires  avaient 
espéré  de  reconstituer  avec  l'aide  de  Dieu,  aura  dis- 
paru. Nous  n'acceptons  pas  cette  idée;  mais  elle 
montre  le  tragique  de  la  question  posée. 

Raoul  Allier. 


La  France 
AU   SUD  DE   L'AFRIQUE 


Il  n'y  a  pas  besoin  d'être  bien  fort  en  géogra- 
phie pour  savoir  qu'il  n'existe  pas  de  possessions 
françaises  dans  l'Afrique  du  Sud.  Mais  cela  ne  veut 
pas  du  tout  dire  que  la  France  y  soit  ignorée,  car, 
en  y  regardant  de  près,  nous  pouvons  être  étonné 
de  retrouver  à  l'extrémité  du  noir  continent  tant 
de  traces  de  la  foi,  de  la  vaillance,  comme  de  l'in- 
telligence de  nos  compatriotes  du  temps  passé. 

Il  y  a,  à  la  bibliothèque  publique  de  la  ville  du 
Cap,  deux  beaux  manuscrits  français  du  moyen 
âge.  L'un  d'eux,  un  livre  d'heures,  a  appartenu  à 
Marguerite  de  Valois  ;  l'autre  est  une  remarquable 
copie  du  Roman  de  la  Rose. 

J'y  ai  vu  aussi  un  curieux  atlas  où  j'ai  pu  copier 


SUD    DE    L  AFRIQUE 


Ait  Sud  de  l'Afrique. 


la  bizarre  vue  de  la  ville  du  Cap  qui  figure  ci- 
dessous.  Cet  atlas  fut  publié  par  ordre  des  rois  de 
Portugal,  en  français,  chez  Pierre  Mortier,  à 
Amsterdam,  en  1693  !... 


VUE    DU    CAP    DE     BONNE- ESPÉRANCE 
(D'après  une  gravure  française  de  1693.) 


Mais  ce  n'est  pas  tout.  Si,  à  Paris,  «  on  est  fier 
d'être  Français  en  regardant  la  colonne  »,  comme 
le  dit  une  chanson,  là-bas,  au  Cap,  on  l'est  aussi 
un  peu  en  regardant  l'observatoire  ! 

Des  astronomes  français  commencèrent  dans 
ces  parages,  à  la  fin  du  xvne  siècle,  des  observa- 


La  France  an  Sud  de  l'Afrique.  3 

tions  astronomiques  '  qui  furent  poursuivies  vers 
175 1  par  le  savant  Louis  de  la  Caille,  et,  bien  que 
ces  études  aient  été  reprises  plus  tard  par  des  sa- 
vants anglais,  ledit  Institut  dont  s'honore  à  bon 
droit  la  ville  du  Cap,  parle  de  la  France  ! 

Mais  il  y  a  mieux  :  vous  savez  que  les  Boers, 
habitant  la  colonie  du  Cap  de  Bonne-Espérance, 
L'État  libre  d'Orange  et  même  le  Transvaal,  sont 
en  grande  partie  des  descendants  de  nos  pères, 
chassés  de  France  à  la  suite  de  la  révocation  de 
l'édit  de  Nantes. 

La  colonie  du  Cap  doit  à  ces  derniers  une  bonne 
part  d'une  de  ses  plus  grandes  richesses  :  ses  ma- 
gnifiques vignobles,  dont  la  culture  n'a  vraiment 
pris  son  développement  qu'à  la  suite  de  l'arrivée 
de  nos  pères. 

Ces  derniers  s'établirent  dans  une  contrée  fort 
pittoresque  qui  porte  encore  le  nom  de  Fransche- 
Hoek  —  le  Coin  français  —  et  qui  est  devenue  une 
des  plus  florissantes  de  la  colonie.  On  y  montre  en- 
core «  l'arbre  des  huguenots  »,  provenant,  dit-on, 
de  glands  rapportés  de  France  par  les  exilés. 


I.  L'Afrique  méridionale,  par  E.  Reclus. 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Le  Coin  français  est  dominé  par  une  montagne 
assez  élevée  et  nommée  «la  montagne  de  Simond  », 
du  nom  d'un  des  pasteurs  venus  d'Europe  avec  les 
réfugiés. 

La  jolie  petite  ville  de  «  La  Perle  »,  située  non 
loin  de  là,  a  été  fondée  par  nos  ancêtres  qui  lui 
donnèrent  ce  nom  à  cause  d'un  gros  rocher  de 
forme  arrondie  qui  couronne  la  hauteur  voisine. 
Le  curieux  clocher  de  l'église  protestante  hollan- 
daise de  cet  endroit,  que  vous  voyez  ci-après  (p.  7), 
est  entouré  de  tombes  dont  quelques-unes  portent 
des  noms  français  et  qui  datent  de  la  fin  du  siècle 
dernier. 

Je  n'ai  pu  rencontrer  aucun  objet  remontant  à 
l'époque  de  l'exode  de  nos  pères  ;  aucun  de  leurs 
descendants  ne  parle  français  ;  mais  rien  n'est  tou- 
chant comme  l'intérêt  qu'ils  ont  conservé  pour  la 
patrie  de  leurs  ancêtres  et  la  religion  de  leurs  pères. 

Les  Leroux,  Marais,  Dutoit,  Malherbe,  que  l'on 
me  mena  visiter  à  la  «  vallée  du  Charron  »  et  aux 
environs,  me  reçurent  comme  un  des  leurs.  Ces 
braves  gens  ne  parlaient  guère  que  le  hollandais, 
aussi  nous  ne  pouvions  pas  nous  dire  grand'chose, 
mais  nous  comprenions  tout  de  même  que  nous 


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Au  Sud  de  l'Afrique. 


étions  frères  au  double  titre  de  Français  et  de  hu- 
guenots. 

J'ai  eu  l'occasion  de  voir  l'arbre  généalogique 
d'une  de  ces  vieilles  familles,  anoblie  dans  le  temps 
par  les  rois  de  France  et  dont  les  armoiries  figurent 
en  tête  dudit  document. 

Le  chef  de  cette  famille,  François  du  Toict, 
quitta  la  France  avec  sa  femme  Suzanne  Seugnet, 
en  1688,  à  la  suite  des  persécutions  et  mourut,  en 
1734,  à  Drakenstein. 

Leurs  descendants  sont  nombreux  ;  plusieurs 
sont  pasteurs,  un  autre  était  ou  est  encore  ministre 
du  gouvernement  de  la  colonie. 

Enfin,  il  y  a  environ  vingt  ans,  le  pasteur  An- 
drew Murray,  de  Wellington,  dont  le  nom  est 
connu  parmi  nous,  car  plusieurs  de  ses  livres  ont 
été  traduits  du  hollandais  dans  notre  langue,  dé- 
sira, ainsi  que  quelques  descendants  français,  faire 
quelque  chose  qui  fixât  ce  glorieux  nom  de  «  hu- 
guenot» et  devint  comme  un  monument  élevé  à 
la  mémoire  des  réfugiés.  Par  suite  de  diverses  cir- 
constances, M.  Murray  fut  amené  à  fonder  un  col- 
lège pour  jeunes  filles  sur  le  modèle  de  certaines 
institutions  américaines. 


LE    CLOCHER   DE   L'ÉGLISE    HOLLANDAISE    DE    LA   PERLE 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Cette  école  supérieure  prit  le  nom  Huguenot 
Seminary  et  ne  tarda  pas  à  devenir,  sous  la  di- 
rection de  miss  A.  Fergusson  et  d'autres  dames 
américaines,  une  excellente  maison  d'éducation 
chrétienne  dont  l'influence,  augmentée  par  la  créa- 
tion d'autres  institutions  se  rattachant  à  celle-ci, 
contribua  puissamment  à  relever  l'éducation  supé- 
rieure, non  seulement  dans  la  colonie  du  Cap, 
mais  dans  tout  le  Sud  africain.  Le  nom  de  «  hu- 
guenot »  est  bien  porté,  et  nous  avons  lieu  d'être 
honorés  d'avoir  un  tel  filleul. 

L'église  missionnaire,  fondée  aussi  à  Wellington, 
mérite  d'être  citée.  Son  pasteur  fondateur,  notre 
compatriote,  M.  J.  Bisseux,  qui  vient  de  mourir  à 
l'âge  de  88  ans,  a  dirigé  pendant  50  ans  cette 
œuvre  créée  pour  les  indigènes  alors  que  ceux-ci 
étaient  encore  esclaves. 

M.  Bisseux  a  été  remplacé  il  y  a  15  ans  environ 
par  M.  J.-C.  Pauw,  d'origine  hollandaise,  qui  a 
présidé  à  l'érection  de  la  jolie  chapelle  représentée 
ci-contre.  La  congrégation  qui  s'y  réunit  est  une 
des  plus  actives  et  probablement  aussi  des  plus  ai- 
sées de  l'Afrique  méridionale. 

Ces  anciens  esclaves  et  leurs  descendants,  qui 


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10  Ait  Sud  de  l'Afrique. 

vénèrent  le  nom  de  la  France,  ont  pu  réunir  plus 
de  25,000  fr.  pour  aider  à  payer  les  frais  de  cons- 
truction de  leur  chapelle  et  chaque  année  ils  font 
le  traitement  de  leur  pasteur,  pourvoient  à  l'en- 
tretien de  l'école  primaire  et  contribuent  à  d'autres 
œuvres  missionnaires  faites  parmi  les  nègres  ! 

Dans  cette  grande  œuvre  de  la  fin  de  notre 
siècle  — ■  la  civilisation  du  continent  africain,  —  la 
part  de  la  France  protestante  n'aura  été  ni  la  moins 
importante,  ni  la  moins  glorieuse. 

C'est  d'abord  la  mission  parmi  les  Bassoutos  ', 
dont  le  développement  a  fait  de  leur  modeste  pays 
une  vraie  colonie  religieuse  de  notre  protestan- 
tisme français;  plus  au  nord,  il  y  a  la  mission  chez 
les  Barotsis  des  bords  du  Zambèze,  plus  haut  en- 
core, celle  du  Congo,  puis  du  Sénégal,  de  la  Ka- 
bylie,  et  enfin  celle  de  Madagascar,  la  plus  récente 
en  date  des  œuvres  dirigées  par  la  Société  des  mis- 
sions évangéliques  de  Paris. 


1.   Leur  pays  est  situé  dans  l'Afrique  méridionale  entre  255   et  270  longi- 
tude est  de  Paris  et  sur  2j°  latitude  sud. 


Un  Panorama  du  Lessouto 


UN  PEU  DE  GEOGRAPHIE 


Hermon,  octobre. 

Nous  avons  profité  de  la  présence  d'un  collègue 
nouvellement  venu  d'Europe  pour  faire  une  pro- 
menade à  pied,  à  laquelle  il  est  dommage  que  vous 
n'ayez  pu  vous  joindre,  car  elle  vous  aurait  donné 
une  idée  assez  complète  sur  tout  le  Lessouto'. 
Comme  consolation  à  votre  absence  forcée,  je 
vous  invite  à  me  suivre,  en  vous  recommandant 
de  prendre  un  peu  de  patience  et  une  paire  de 
lunettes  si  vous  vous  en  servez  ordinairement. 

Nous  gravissons  d'abord  les  collines  qui  domi- 
nent la  station,  et  bientôt  nous  arrivons  au  som- 


i.  Remarquons  en  commençant  que  Lessouto  désigne  la  contrée;  le  ses- 
soulo  est  la  langue;  Mossouto  indique  un  individu,  tandis  que  B.isiouto  est  le 
pluriel  de  ce  mot. 


12  Au  Sud  de  l'Afrique. 

met  de  la  plus  éloignée  et  de  la  plus  haute  de  ces 
éminences,  qui  s'étendent  jusqu'au  Calédon  et 
que  les  Boers  désignent  sous  le  nom  de  Yammers- 
berg  —  montagne  des  Soupirs  —  sur  laquelle  il  y 
avait  des  lions  il  y  a  à  peine  plus  de  cinquante  ans  ! 

Nous  sommes  à  plus  d'une  heure  de  la  station, 
et  au  point  où  nous  sommes  arrêtés,  il  y  a  un 
amas  de  pierres  qui  indique  la  frontière  de  l'État 
libre  de  l'Orange  et  du  Lessouto. 

La  vue  qu'on  a  de  ce  point  est  certainement  la 
plus  belle  qu'on  puisse  avoir  dans  le  pays,  et  forme 
un  panorama  des  plus  complets. 

Comme  vous  n'avez  pas  à  craindre  le  vent  que 
nous  avions  là-haut  ce  matin,  ni  l'ardeur  du  soleil 
qui  nous  rôtissait  si  généreusement,  nous  pouvons 
nous  arrêter  à  loisir  et  chercher  à  nous  orienter. 

Au  sud,  c'est-à-dire  à  droite,  mais  en  dehors 
du  dessin,  nous  avons  la  frontière  de  l'État  libre, 
indiquée  par  des  pierres  fixées  en  terre,  reliées  par 
du  fil  de  fer  et  dont  le  développement  s'étend  à 
perte  de  vue  jusqu'aux  collines  lointaines  des 
environs  de  Mohale's  Hoek,  magistrature  située 
non  loin  de  la  station  de  Béthesda. 

Du  même  côté,  mais  dans  le  dessin,  nous  aper- 


14  Au  Sud  de  l'Afrique. 


cevons  les  collines  derrière  lesquelles  se  trouvent 
les  stations  de  Siloé  et  Thabana-Moréna.  Non 
loin  de  là,  voyez-vous,  au  bas  des  montagnes,  une 
ligne  d'ombre  ?  Ce  sont  les  eucalyptus  de  Maféteng, 
une  autre  des  sept  magistratures  du  pays  :  elle  est 
à  une  heure  et  demie  d'ici  ;  c'est  là  que  nous 
envoyons,  une  fois  par  semaine,  chercher  la  poste, 
c'est  aussi  un  bureau  télégraphique  depuis  deux 
ans  environ. 

Sur  la  gauche  de  Maféteng,  au  pied  de  la  mon- 
tagne ronde,  est  la  station  de  Makéneng,  la  plus 
voisine  d'Hermon. 

Un  peu  plus  bas,  et  sur  la  route  qui  va  de  Ma- 
féteng à  Wepener,  petit  village  boer  dans  l'État 
libre,  s'élève,  isolée,  la  colline  de  Qalabane  (vous 
êtes  prié  de  prononcer  la  première  syllabe  de  ce 
nom  avec  un  claquement  de  langue). 

C'est  là  qu'a  eu  lieu  une  bataille  relativement 
célèbre ,  entre  les  Anglais  de  la  colonie  et  les 
Bassoutos,  lors  de  la  guerre  de  1880  et  où  ceux-ci 
ont  battu  ceux-là.  Nous  avons  à  cet  endroit, 
depuis  peu,  une  annexe  importante;  vous  pouvez 
même,  avec  de  bons  yeux  et  de  la  bonne  volonté, 
apercevoir  la  chapelle. 


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^  *    »    :'. 


i6  Au  Sud  de  l'Afrique. 

En  face  de  nous,  l'horizon  est  borné  par  la 
chaîne  des  Maloutis,  appelée  monts  Kouatlamba  sur 
les  cartes  françaises,  ou  montagnes  Bleues. 

Sur  la  gauche,  vous  pouvez  remarquer  deux 
petites  pointes  faisant  partie  de  cette  chaîne  de 
montagnes;  juste  au-dessous  de  ces  deux  pics  il  y 
a  une  ligne  horizontale  :  c'est  le  plateau  de  la 
montagne  de  Mankhoarané,  au  pied  de  laquelle 
est  située  la  station  de  Morija,  la  plus  importante 
de  notre  mission,  à  environ  quatre  heures  d'ici  à 
cheval. 

Beaucoup  plus  à  gauche  se  dresse  Kolo,  l'une 
des  plus  belles  montagnes  du  pays  ;  à  sa  droite  se 
profile  celle  de  Machache,  non  loin  de  laquelle  se 
trouve  la  station  de  Thaba-Bossiou.  Tout  à  fait  à 
gauche,  en  suivant  la  longue  montagne  plate  de 
Qémé,  dont  nous  n'apercevons  que  le  commence- 
ment, nous  pourrions  arriver  à  la  station  de  Bérée  ; 
puis  à  Maseru,  siège  du  résident  général  et  des 
services  administratifs. 

En  nous  tournant  toujours  vers  la  gauche,  mais 
en  dehors  du  dessin,  on  voit  briller  du  côté  du 
nord  les  méandres  du  Calédon,  puis  çà  et  là,  on 
distingue,  dans  l'État  libre,  des  fermes  de  Boers. 


V  : 


S   DE   LA   STATION 


PANORAMA    DU    CENTRE   DU    LESSOUTO,    VUE    PRISE    DES  HAUTEURS    DE    LA    STATION    d'hERMON 


, 


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m  «nu 


SUD    DE    L  AFRIQUE 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Les  moulins  de  Robertson,  établis  non  loin  d'ici, 
près  d'un  beau  pont  en  fer,  le  seul  dans  la  contrée, 
se  voient  très  distinctement;  mais  le  village  de 
Wepener1,  est  caché  par  des  plis  de  terrain. 

Enfin,  à  l'horizon,  les  plaines  sont  sillonnées  de 
collines  qui  s'étendent  dans  les  directions  de  Lady- 
brand,  Bloemfontein,  Smithfield  et  Aliwal.  Quant 
aux  collines  du  premier  plan  et  dont  le  nom  ses- 
souto  est  Qibing  — -  Pierres  de  Bushmen,  —  elles 
nous  cachent  la  station  d'Hermon,  mais  en  re- 
vanche, vous  pouvez  le  remarquer,  les  arbres  ne 
nous  cachent  pas  le  paysage,  car  dans  toute  la 
contrée  on  ne  voit  que  ceux  des  jardins  plantés 
par  les  missionnaires  ou  par  des  indigènes  plus 
clairvoyants  que  les  autres. 

Comme  il  n'y  a  pas  de  chemin  de  fer  dans  la 
contrée,  nous  n'avons  donc  pas  à  prendre  l'allure 
de  gens  qui  ont  peur  de  manquer  le  train.  Aussi, 
tout  en  descendant,  nous  pouvons  nous  amuser  à 
faire  rouler  de  grosses  pierres  jusqu'au  bas  de  la 
montagne,  distraction  qui  ne  coûte  pas  cher,  et 


I.  Ce  village  doit  son  nom  au  commandant  de  l'armée  des  Boers  tué  à 
l'assaut  de  Thaba-Bossiou  lors  de  la  guerre  de  i86j. 


■  \ 


20  Au  Sud  de  l'Afrique. 

dont  usaient  avec  un  certain  succès,  aujourd'hui 
même,  deux  de  vos  amis... 

Si  vous  préférez,  cherchons  des  tortues,  des 
hérissons  ou  des  moufettes,  ou  bien  encore  collec- 
tionnons des  sauterelles  :  il  y  en  a  de  toutes  sortes  ; 
ou  encore  des  mantes  religieuses,  ou  des  «  rhino- 
céros »,  insectes  rouleurs  de  boules  de  fumier, 
proches  parents  des  «  scarabées  sacrés  »,  si  chers 
aux  anciens  Egyptiens;  à  moins  que  vous  ne  pré- 
fériez des  scorpions,  des  tarentules  et  autre  menu 
gibier  aussi  alléchant.  Quant  à  espérer  voir  des 
singes,  n'y  comptez  pas,  on  n'en  trouve  plus  que 
dans  les  Maloutis  ;  les  antilopes  même  sont  rares, 
cependant,  il  y  a  deux  ans,  on  a  tué  une  gazelle 
tout  près  de  la  chapelle  à  Hermon. 

Je  vous  conseillerai  plutôt  de  sucer  le  suc  des 
curieux  aloès  qui  nous  entourent  et  dont  les  fleurs 
ou  fruits  sont  justement  mûrs  à  cette  époque. 
Vous  vous  barbouillerez  de  pollen  jaune,  cela  est 
certain,  mais  ce  suc  a  un  si  bon  goût  de  sirop  de 
gomme,  qu'il  vous  consolera  et  vous  rafraîchira 
par  la  même  occasion. 

Le  Lessouto  ou  Basoutoland,  que  les  Anglais 
«  protègent  »  depuis  1868,  pour  le  bien  des  natifs, 


I 


22  Ait  Sud  de  l'Afrique. 

hâtons-nous  de  le  dire,  a  à  peu  près  la  superficie 
de  la  Belgique  ou  de  la  Sicile  et  renfermait,  lors 
du  recensement  fait  dans  ces  dernières  années, 
218,903  habitants,  dont  578  blancs.  Dans  ce 
nombre  notre  mission  évangélique ,  fondée  en 
1833,  compte  près  de  14,000  chrétiens,  y  compris 
les  catéchumènes,  se  rattachant  à  nos  15  grandes 
stations,  auxquelles  sont  reliées  nos  150  annexes. 

L'œuvre  compte  de  plus  des  écoles  supérieu- 
res, biblique,  normale,  industrielle,  une  imprime- 
rie, etc. 

Il  y  a  aussi  une  mission  anglicane,  puis  une 
autre  française  catholique,  des  «  Oblats  de  Marie- 
Immaculée  »  ,  qui  .ont  réuni  quelques  groupes 
d'indigènes.  Ces  œuvres  remontent  à  une  tren- 
taine d'années  environ. 

Quant  à  l'église  d'Hermon,  dont  le  nom  revient 
souvent  dans  ces  pages,  elle  fut  fondée  par  le 
vénéré  M.  H.  M.  Dyke  en  1S53,  alors  que  le  pays 
ne  possédait  pas  de  marchands,  les  plus  proches 
étaient  à  Colsberg,  dans  la  colonie  du  Cap  !  Des 
échanges  se  faisaient  avec  les  natifs  au  moyen  de 
perles,  de  boutons  et  aussi  d'étoffe,  comme  main- 
tenant aux  bords  du  Zambèze. 


INSECTES    DU    LESSOUTO 


LA   STATION*   DE! 


ON   SOUS   LA   NEIGE 


26  Au  Sud  de  l'Afrique. 


En  1866,  M.  S.  Rolland  prit  la  place  de 
M.  Dyke  et  fut  remplacé  par  M.  F.  Ellenberger, 
puis  par  le  Dr  E.  Casalis. 

M.  H.  Dieterlen  vint  ensuite  et  y  resta  onze 
ans  et  l'auteur  de  ces  lignes  lui  succéda  en  mars 
1887.  L'église  d'Hermon,  l'une  des  plus  nom- 
breuses du  Lessouto,  compte  aujourd'hui  1,020 
membres,  369  catéchumènes  et  887  écoliers  ; 
l'année  dernière  les  contributions  volontaires  pour 
l'œuvre  d'évangélisation  se  sont  élevées  à  4,464  fr. 
Ces  chiffres  ont  certainement  leur  éloquence,  mais 
nous  voulons  plus  et  mieux... 


L'Hiver  au  Lessouto 


Hermon,  16  juillet. 

Je  ne  pensais  pas  vous  écrire  aujourd'hui,  mais 
ce  matin,  en  mettant  le  nez  à  la  fenêtre,  mon 
étonnement  a  été  si  grand  de  voir  une  forte  cou- 
che de  neige  couvrir  la  terre,  que  je  me  suis  dit 
qu'il  fallait  que  j'en  parle  a  mes  amis,  c'est-à-dire 
à  vous,  chers  lecteurs. 

Je  suis  donc  allé  au  village,  et,  assis  sur  le  pas 
de  la  porte  de  la  maison  de  Josefa  Motete,  j'ai  fait 
le  dessin  de  la  station  d'Hermon  (p.  24  et  25),  pour 
vous  montrer,  tant  bien  que  mal,  un  effet  de  neige 
au  Lessouto. 

Cela  vous  étonne  peut-être  que  nous  ayons  la 
neige  à  la  mi-juillet  :  c'est  que  nous  sommes  en 
plein  hiver.  Par  contre,  quand  vous  vous  amuserez 
à  faire  des  glissades,  ou  que  vous  serez  réunis  au- 


28  Ah  Sud  de  l'Afrique. 

tour  d'un  arbre  de  Noël,  ici  nous  serons  en  été, 
nous  plaignant  peut-être  de  la  chaleur  et  de  la 
sécheresse. 

Notre  hiver  est  particulièrement  désagréable 
cette  année,  peut-être  est-ce  un  contre-coup  de 
celui  de  l'Europe?  Nous  avons  des  pluies  inouïes 
pour  la  saison  ;  la  dernière  pluie  a  duré  cinquante 
heures  de  suite  !  Ce  matin,  c'est  de  la  neige  comme 
nous  n'en  avons  jamais  vu  dans  ce  pays. 

Vraiment,  ce  n'est  guère  la  peine  de  vivre  au 
Sud  de  l'Afrique,  pour  y  avoir  de  la  neige  comme 
en  Suède!  Qu'on  vienne  maintenant  nous  parler 
de  la  «  brûlante  Afrique»,  je  serai  capable  de  me 
fâcher  pour  me  réchauffer  un  peu  ! 

Vous  devinez  bien  que  pour  nos  Bassoutos  un 
temps  comme  celui-là  n'est  pas  réjouissant,  car  ils 
ne  sont  pas  installés  pour  se  garantir  du  froid,  ni 
vêtus  d'une  manière  suffisante;  aussi  il  faut  voir, 
dans  chaque  hutte  il  y  a  un  petit  feu  et  les  mem- 
bres de  la  famille,  assis  et  recoquillés  les  uns 
contre  les  autres,  semblent  avoir  pris  pour  devise 
que  l'union  fait  la...  chaleur.  Tout  cela  dans  une 
fumée  qui  me  pique  les  yeux  rien  que  d'y  penser. 

Pendant  que  je  faisais  mon  dessin,  il  a  passé 


L'hiver  au  Lessouto.  29 

devant  moi  mon  homonyme  —  le  petit  Crisetaule 
—  qui,  pour  me  faire  honneur,  porte  mon  nom 
arrangé  à  la  sessouto  ;  —  le  gaillard  ne  semblait 
pas  trop  souffrir  du  froid,  il  n'avait  cependant  que 
son  costume  d'été  :  la  peau  que  Dieu  lui  a  donnée, 
sur  laquelle  il  en  avait  jeté  une  de  mouton... 

Ce  rigoureux  hiver  n'est  pas  seulement  un  ennui 
pour  les  indigènes,  il  est  aussi  une  cause  de  pertes 
sérieuses,  le  bétail  souffre  de  ces  pluies  et  de  ce 
froid  et  meurt  en  quantité.  Aussi  tel  qui  était  riche 
en  été,  peut  se  trouver,  à  la  fin  de  l'hiver,  être  un 
pauvre  sire  n'ayant  ni  sou  ni  maille,  c'est-à-dire 
ni  bœufs  ni  moutons. 

Une  autre  difficulté  sans  cesse  renaissante  :  c'est 
la  question  du  charbon  en  usage  dans  le  pays. 

Quand  je  dis  «  charbon  »,  c'est,  chers  amis,  par 
pure  politesse,  car  on  trouve  le  nôtre  partout  où 
le  bétail  passe...  Puis  il  faut  le  faire  sécher  —  pas  le 
bétail,  le  charbon  —  et  bâtir  soigneusement  en  tas 
ce  précieux  combustible  à  l'abri,  dans  un  endroit 
sec,  tout  à  fait  comme  si  l'on  avait  peur  qu'il  ne 
s'enrhume. 

Heureux  ceux  qui  ont  du  disou  !  Ceux  qui  en 
manquent  essayent  d'en  acheter,  ce  qui  coûte  de 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


quinze  à  vingt  francs  la  charge.  Par  un  hiver  hu- 
mide comme  celui  que  nous  avons,  le  «  disou  » 
n'est  pas  facile  à  avoir,  aussi  brûle  t-on  ce  qu'on 
peut  :  vieilles  ou  neuves  caisses,  rafles  d'épis  de 
maïs,  etc. 

Je  me  suis  souvent  dit,  en  manière  de  consola- 
tion (lauréats  du  Conservatoire  de  musique,  voilez- 
vous  la  face  !),  qu'il  était  heureux  que  nous  n'ayons 
pas  de  piano,  car,  qui  sait  ?  la  tentation  d'avoir 
une  tasse  de  café  chaud  peut  parfois  pousser  bien 
loin... 

Sur  ce,  chers  amis,  excusez-moi,  je  vais  aller 
tâcher  de  me  réchauffer. 

Que  celui  qui  mesure  le  vent  à  la  brebis  tondue 
se  tienne  près  de  vous  et  de  nous  ! 


r 

L'Eté  au  Lessouto 


Hermon,  26  décembre. 

Le  grand  agrément  de  l'été,  chacun  sait  ça,  c'est 
qu'il  fait  chaud,  mais  ici  il  fait  très  chaud,  quelque- 
fois trop,  à  notre  avis.  La  moyenne  de  la  tempé- 
rature est  de  34  degrés  centigrades. 

Vous  aimeriez  probablement  avoir  un  peu  de 
notre  soleil,  car,  pendant  que  vous  grelottez  en 
décembre,  ici  nous  sommes  en  plein  été.  Au  Sud 
de  l'Afrique,  on  n'a  jamais  vu  une  fête  de  Noël 
avec  de  la  neige  et  des  engelures  ! 

Au  moment  où  je  vous  écris,  on  moissonne  les 
blés;  notre  petit  jardin,  qui  commence  à  nous 
donner  des  légumes,  a  un  riant  aspect;  nous  avons 
aussi  quelques  fleurs  :  des  roses,  des  lis,  ainsi  que 
des  dahlias,  des  passe-roses,  etc. 

Il  y  a  certaines  fleurs  dans  les  champs  qui  sont 


32  Au  Sud  de  l'Afrique. 

assez  jolies  :  quelques-unes  de  la  famille  des  iridées, 
d'autres  de  celles  des  liliacées,  dont  l'une,  appelée 
par  les  indigènes  «  lehutla  »,  est  une  grande  plante 
ayant  beaucoup  de  ressemblance  avec  le  lis,  à  part 
qu'elle  n'est  pas  si  blanche,  ni  si  belle,  et  qu'elle  a 
une  odeur  désagréable. 

Quant  à  la  campagne,  qui  est  sans  arbre  comme 
vous  savez,  elle  essaie  d'être  aussi  agreste  que  ses 
moyens  le  lui  permettent.  En  temps  de  sécheresse, 
elle  a  une  teinte  jaunâtre,  tandis  que  peu  après  de 
bonnes  pluies  elle  est  d'un  vert  d'épinard  qui  ne 
semble  pas  naturel,  et  qui  du  reste  dure  peu. 

En  cherchant  bien,  on  peut  arriver  à  découvrir 
des  coins  pittoresques  qui  respirent  une  fraîcheur 
qu'on  ne  s'attendrait  pas  à  rencontrer  dans  ce 
pays,  et  surtout  pas  à  Hermon. 

Par  exemple  :  le  chevet  de  l'église  d'Hermon  se 
reflétant  dans  le  petit  étang  de  la  station... 

Mais,  malgré  tous  ces  avantages,  l'été  a  peut- 
être  en  quelques  manières  des  inconvénients  plus 
grands  que  ceux  de  l'hiver.  Heureux  quand  les 
sauterelles  ne  nous  rendent  pas  visite  pour  dé- 
truire en  quelques  instants,  comme  elles  ont  fait 
l'an  dernier,  des  récoltes  impatiemment  attendues. 


LEHUTLA,    UNE   ILEUR   DU    LESSOUTO   ET   LE    CALEDOX,    TRÈS    HERMON 


SUD    DE    L  AFRIQ.UE 


34  Au  Sud  de  l'Afrique. 

D'autres  fois,  on  peut  avoir  dans  sa  maison  une 
invasion  de  fourmis,  ce  qui  n'est  nullement  réga- 
lant pour  les  envahis...  Je  pourrai  aussi  vous  parler 
des  mouches  et  de  leurs  cousins  les  moustiques, 
mais  j'ai  mieux  que  cela. 

Pensez  que  dans  la  chambre  d'où  je  vous  écris, 
j'ai  tué  l'an  dernier  trois  serpents  !  Puis  une  di- 
zaine près  de  la  maison  ;  plusieurs  assez  grands, 
d'un  mètre  de  long,  peut-être;  des  noirs,  des 
jaunes,  des  rayés,  des  tachetés,  enfin  pour  tous  les 
goûts. 

L'été  africain  a,  comme  vous  pouvez  facilement 
vous  l'imaginer  : 

Des  jours  mêlés  de  plaisirs  et  de  peines, 
Mêlés  de  pluie  et  de  soleil. 

Ce  qui  est  aussi  le  cas  des  étés  et  même  des 
hivers  européens. 

Il  fut  un  temps  où  je  ne  connaissais  guère  de  la 
campagne  que  les  trottoirs  de  Paris,  où  les  arbres 
ne  m'apparaissaient  que  plantés  entre  deux  becs  de 
gaz.  La  pluie  ne  me  semblait  pas  avoir  alors  d'au- 
tre utilité  que  de  remplir  les  omnibus  et  de  fournir 


L'été  au  Lessouto. 


35 


des  pratiques  à  la  corporation  des  marchands  de 
parapluies. 


TRAVERSEE    AERIENNE    DINE    RIVI1  RE 


Depuis,  j'ai  fait  une  découverte,  c'est  que  la 
pluie  ne  fait  pas  seulement  le  bonheur  des  «  rossi- 


36  Ait  Sud  de  l'Afrique. 

gnols  de  Hollande  »,  autrement  dit  des  grenouilles, 
mais  qu'elle  fait  pousser  le  blé,  frise  les  choux, 
arrondit  les  citrouilles,  etc.  On  a  bien  raison  de 
dire  qu'on  s'instruit  en  voyageant!  Combien  de 
fois,  voyant  la  sécheresse  qui  nous  entourait,  n'a- 
vons-nous pas  fait  monter  vers  Dieu  d'ardentes 
prières,  pour  qu'il  daigne  secourir  bêtes  et  gens 
par  de  bienfaisantes  pluies  !  Avec  quel  entrain  nous 
chantions  alors  le  chant  composé  par  M.  Ellen- 
berger,  sur  l'air  de  :  «  Maman  !  maman  chérie  !  » 

Pula!  Pula!  Yehofa, 
Re  fe  pula  tse  ntle,  etc. 

(  La  pluie  !  la  pluie,  Yehova 
Donne-nous  de  belles  pluies  !) 

Aussi  jouissions-nous  de  l'entendre  tomber  après 
des  semaines  de  sécheresse,  ruisselant  de  toutes 
parts  et  dégouttant  quelquefois  jusque  dans  notre 
maison  ! 

Malheureusement,  le  tonnerre  se  met  très  sou- 
vent de  la  partie,  nous  laissant  pour  seule  ressource 
le  vieux  proverbe  français  :  «  Quand  il  tonne,  il 
faut  escouter  tonner.  »  Il  y  a  cependant  tous  les 


If  été  ait  Lessouto. 


37 


ans  bien  des  gens  tués  par  la  foudre,  ainsi  que 
beaucoup  de  bétail. 

Un  autre  danger  résultant  de  l'abondance  des 
pluies,  c'est  quand  «  les  rivières  se  tiennent  de- 
bout», autrement  dit  quand  elles  sont  pleines,  ce 
qui  n'est  nullement  récréatif  pour  la  majorité  des 
voyageurs...  Je  me  souviens  un  jour  que  je  me 


Strjt'  lunm 


UN    ARBRE    AU    LESSOUTO 


rendais  à  Béthulie,  village  boer  né  de  la  station, 
fondé  par  notre  collègue  M.  Pelissier,  dans  l'État 
libre  d'Orange,  avoir  eu  à  traverser  une  rivière 
grossie  par  les  pluies  dans  une  caisse  courant  sur 
un  câble  fixé  aux  deux  rives  !  Combien  il  est  pré- 


38  Au  Sud  de  l'Afrique. 

férable  de   traverser   l'eau  «  à  la  mode   de  chez 
nous  »,  c'est-à-dire  sur  un  pont  !... 

Mais  là  encore,  comme  dans  tout  ce  que  nous 
pouvons  rencontrer  ici-bas  de  difficultés  ou  de 
dangers  physiques  ou  moraux,  il  faut  nous  sou- 
venir de  ce  que  dit  un  vieux  livre1  :  «  Celluy  che- 
vauche bien  à  l'aise  que  la  grâce  de  Dieu  porte  ; 
celluy  nage  bien  et  seurement  à  qui  Dieu  soustient 
le  menton.  » 


I.  Le  livre  de  VluternelU  consolaclon. 


Un  Témoin  du  passé 

UN  PEU  D'HISTOIRE 


Nous  avons  eu  l'autre  jour  une  intéressante  vi- 
site dont  je  veux  vous  donner  quelques  détails. 

D'abord  sachez  bien  que  notre  visiteur  n'était 
ni  un  savant,  ni  un  personnage  plus  ou  moins  dé- 
coré, mais  seulement  un  pauvre  vieux  aussi  peu 
célèbre  que  possible,  à  peu  près  aveugle  et  conduit 
par  deux  jeunes  moutards  à  mine  éveillée  et  bar- 
bouillée. Cet  ami  nommé  Malrace  porte  aussi  le 
nom  bizarre  de  Moraptidumo  «  le  fils  du  gnou  »  et 
vient  de  temps  en  temps  nous  voir,  car  c'est  une 
chose  connue  même  au  Lessouto  que  les  amis  se 
visitent  quelquefois. 

Nous  avons  donc  reçu  «  le  fils  du  gnou  »  de  notre 
mieux  :  en  lui  offrant  une  place  au  soleil,  car  il  avait 


LE    CHEVET    DE    L  EGLISE    D  LIER 


1  ^wvkm 


s'  et  l'étang  de  la  stat;om 


42  Au  Sud  de  l'Afrique. 

froid  dans  La  maison,  puis  une  tasse  de  thé  et  une 
croûte  de  pain,  plus  une  chemise,  un  «  five-o-clock  » 
tout  à  fait  complet,  comme  vous  voyez  ! 

Le  susdit  ami  est  intéressant  à  entendre  :  c'est 
un  témoin  de  l'ancien  temps  et  il  a  tant  à  raconter, 
mais  je  vous  dirai  en  confidence  que  je  crois  qu'il 
brode  un  peu  sans  s'en  douter;  à  cela  s'ajoute  aussi 
la  tendance  que  nous  avons  à  trouver  mauvais  le 
présent  et  si  beau  le  passé  ! 

Cependant  on  aime  à  l'écouter  parler  du  temps 
lointain,  quand  le  pays  était  bien  moins  peuplé  que 
maintenant  et  que  les  gnous,  buffles,  hippopota- 
mes, éléphants  et  autres  grosses  bêtes  vivaient  dans 
nos  parages,  alors  aussi  que  les  lions  se  cachaient 
dans  les  hautes  herbes,  près  d'ici  ;  mais  quand  le 
narrateur  essaie  d'imiter  le  rugissement  de  ces  der- 
niers, il  y  a  presque  de  quoi  se  sauver! 

Il  n'y  a  plus  de  trace  de  toute  cette  époque;  il 
n'en  reste  que  quelques  peintures  à  peine  visibles, 
faites  par  des  Bushmen  dans  des  cavernes,  les 
tombes  des  anciens  chefs  Bassoutos  sur  la  mon- 
tagne de  Thaba-Bossiou  et  quelques  vieillards  qui 
en  ont  gardé  un  souvenir  plus  ou  moins  clair. 

Le  costume  de  l'ancien  temps,  fait  de  peaux  tan- 


Un  témoin  du  passé. 


43 


nées,  a  disparu  ou  à  peu  près,  pour  faire  place  aux 
vêtements  européens  plus  aisés  à  se  procurer. 

Il  n'y  a  plus  de  terrain  qui  s'ennuie,  comme 
on  dit  en  sessouto,  c'est-à-dire  ne  servant  à  rien  ; 
tout  est  champs  labourés  ou  pâturages.  Selon  que 
le  disait  dernièrement  un  correspondant  de  jour- 
nal politique1  :  «  Le  Mossouto,  guerrier  indomp- 


GNOU,    DESSIN    DE   BUSHMAN 


table,  souvent  même  féroce,  a  déposé  pour  toujours 
la  massue  et  la  sagaie;  il  s'instruit,  cultive  et  de- 
vient agriculteur.  » 

Mais  que  de  bouleversements  ont  agité  la  contrée 


1.  Journal  des  Débats  hebdomadaires,  juin  1895. 


44  Au  Sud  de  l'Afrique. 

et  que  de  guerres  ont  décimé  la  population  avant 
que  le  pays  arrive  à  posséder  une  paix  comme  celle 
dont  nous  jouissons  depuis  quelques  années  !  que 
de  faits  sont  devenus  en  un  demi-siècle  des  dates 
historiques  pour  les  Bassoutos,  car  la  plupart  avaient 
ou  sauvé  ou  menacé  l'existence  de  leur  nationalité! 

Il  y  a  eu  d'abord  des  guerres  interminables  avec 
les  Zoulous,  Fingous,  Griquois,  Korannas,  etc.  ; 
jusqu'à  ce  que  la  tribu  des  Bassoutos,  alors  gou- 
vernée par  le  sage  chef  Moshesh,  père  de  Letsié, 
mort  il  y  a  quelques  années,  et  grand-père  de  Le- 
rothodi,  chef  actuel  des  Bassoutos,  s'établisse  dans 
ce  pays. 

Les  Bassoutos  font  partie  de  la  grande  famille 
des  Béchuanas  '  qui  se  subdivisent  en  un  certain 
nombre  de  tribus  désignées  pour  la  plupart  par  des 
noms  d'animaux  :  les  Bahlapis  sont  ceux  du  pois- 
son; les  Bataungs,  ceux  du  lion,  etc.  Les  Bassou- 
tos portent  le  nom  de  Bakuénas,  ceux  du  croco- 
dile. 

En  1833  arrivèrent  les  missionnaires  protestants 
français,  Arbousset,  Casalis,  Gosselin,  qui  avaient 


1.  Ce  nom  vient  peut-être  des  mots  :   ha  Isnana,  ceux  qui  se  ressemblent. 


IE   VIEUX   MORAPUDUMO 


46  Ait  Sud  de  l'Afrique. 

découvert  le  pays  et  cette  date  est  une  des  plus  im- 
portantes pour  l'histoire  des  Bassoutos.  La  pre- 
mière chapelle  bâtie  vers  cette  époque  existe  en- 
core à  Thaba-Bossiou. 

Plus  tard,  c'est  la  guerre  de  1852  contre  les  An- 
glais; puis,  en  1858,  contre  les  Boers  qui,  seule- 
ment depuis  quatre  ans,  avaient  fondé  l'État  libre 
d'Orange.  Ceux-ci,  entre  autres  faits  héroïques, 
brûlèrent  la  maison  missionnaire  de  Morija  et  la 
station  de  Béerséba.  Après  d'autres  guerres  intes- 
tines, de  nouveau,  de  1865  à  1868,  guerre  avec  les 
Boers  qui,  cette  fois,  chassèrent  les  missionnaires 
du  pays,  dévastèrent  plusieurs  stations  et  s'empa- 
rèrent d'une  grande  partie  du  Lessouto. 

C'est  vers  cette  époque  que  les  Bassoutos  se 
donnèrent  au  gouvernement  anglais,  au  commen- 
cement de  l'année  1868.  Ce  fut  le  salut  de  la  tribu, 
qui  recouvra  une  bonne  partie  de  son  territoire  et 
fut  protégée  contre  les  Boers.  Enfin,  en  1880, 
nouvelle  guerre,  commencée  sous  un  futile  pré- 
texte par  le  gouvernement  de  la  colonie  du  Cap. 
A  tout  cela  s'ajoutèrent  des  époques  de  sécheresse 
extraordinaire,  d'invasions  de  sauterelles,  d'épidé- 
mies diverses  et  de  recrudescence  de  paganisme. 


48  Au  Sud  de  l'Afrique. 


Malgré  ces  multiples  événements,  l'œuvre  mis- 
sionnaire ne  cessa  pas  de  se  développer,  comme  pour 
témoigner  une  fois  de  plus  de  la  vérité  du  vieux 
psaume  :  «  La  terre  et  le  contenu  d'icelle  appartient 
à  l'Éternel,  aussi  le  monde  et  ceulx  qui  y  habitent.  » 

Mais  il  me  semble  —  et  à  vous  aussi  peut-être 
—  que  nous  oublions  pas  mal  notre  ami  «  le  fils 
du  gnou  »  dont  l'histoire  particulière  peut  nous 
donner  une  idée  de  ce  que  les  vieillards  de  ce  pays 
pourraient  vous  raconter. 

Celui-ci  ignore  la  date  de  sa  naissance,  comme 
presque  tous  les  indigènes  ;  mais  il  est  né,  m'a-t-il 
dit,  lors  des  difaqané  di  hlaha,  ce  qui  veut  dire 
«  au  commencement  des  anciennes  guerres  » ,  peut- 
être  vers  181 5. 

Ses  parents,  qui  vivaient  du  côté  du  Mont-aux- 
Sources,  se  joignirent  à  la  bande  que  le  chef  Sébé- 
touané,  bien  connu  de  Livingstone  J,  conduisait 
vers  le  nord  et  qui,  après  bien  des  péripéties,  finit 
par  atteindre  le  Zambèze  et  par  imposer  la  langue 
sessouto  aux  Barotsis. 

L'arrière  garde  des  gens  de  Sébétouané  fut  atta- 


1.  Explorations  dans  l'Afrique  australe. 


LA   VIEILLE   CHAPELLE,    A   THABA-BOSSIOU 


SUD    DE    LAFRIQVE 


50  Au  Sud  de  l'Afrique. 

quée  et  dispersée  par  les  Matabélés  et  les  parents 
de  notre  ami  tués  par  ceux-ci;  quant  à  lui,  il  fut 
recueilli  par  des  Korannas,  qui  firent  de  lui  un  es- 
clave, ainsi  que  d'un  autre  Mossouto  nommé  Mat- 
lakala,  mort  depuis  peu  à  Hermon. 

Ces  deux  infortunés  étaient  battus  bien  plus 
souvent  qu'à  leur  tour,  et  si  durement  traités  qu'ils 
s'enfuirent  une  nuit,  traversèrent  le  Vaal  à  la  nage 
et  se  réfugièrent  chez  des  Boers  établis  par  là. 

Enfin  «  le  fils  du  gnou  »  eut  encore  pas  mal  d'a- 
ventures et  d'épreuves,  et  vécut  sans  se  soucier 
beaucoup  de  son  âme  et  sans  que  personne  l'aidât 
à  y  penser.  Il  savait  seulement  qu'il  y  avait  des 
missionnaires  dans  son  pays  natal,  mais  ce  ne  fut 
que  longtemps  après  qu'il  y  retourna  et  encore  plus 
longtemps  après  qu'il  prit  à  cœur  les  choses  de  Dieu. 

Il  a  fallu  bien  des  années  à  notre  ami  pour  re- 
connaître cette  «  bonté  de  Dieu  qui  nous  pousse  à 
la  repentance  »  et  pour  savoir  que  «  sans  la  croix, 
tout  n'est  plus  qu'agitation  vaine  dans  la  nuit  '  ». 


I.  Jérusalem ,  par  Pierre  Loti 


Coutumes  des  Bassoutos 


Parler  politique,  c'est,  de  l'avis  des  Chinois,  dire 
des  paroles  oiseuses... 


PIPES    POUR    FUMER    LE    CHANVRE 

Pour  une  fois,  nous  allons  donc  écouter  les  Chi- 
nois ;  ils  ont  si  rarement  raison!  Aussi,  en  parlant 
des  coutumes  des  Bassoutos  et  de  leur  manière  de 
vivre,  nous  allons  soigneusement  éviter  toute  cri- 
tique et  toute  allusion  pouvant  se  rapporter  plus 
ou  moins  à  la  politique. 

Disons,  pour  commencer,  que  les  Bassoutos 
diffèrent  beaucoup  des  Matabélés,  Zoulous  et  au- 


52  Au  Sud  de  l'Afrique. 

très  peuplades  guerrières  de  l'Afrique  méridionale, 
ils  sont  plutôt  laboureurs  et  bergers  et  de  mœurs 
sensiblement  plus  paisibles  que  par  le  passé. 

Les  salutations  expriment  même  un  peu  cette 
différence  ;  le  Mossouto  dit  simplement  :  dumcla, 
c'est-à-dire  :  «  Crois  à  ma  bienveillance,  à  mon 
amitié  »  ;  tandis  que  l'autre  lance  à  tout  passant  un 
sakabona,  qui  signifie  :  «  Nous  t'avons  vu  !  » 

Les  villages,  qui  sont  très  nombreux  au  Lessouto, 
sont  aussi  en  général  fort  petits,  mais  chacun  pos- 
sède un  Ra-Motsé,  père  du  village,  le  plus  souvent 
«  fier  comme  un  dindon  »  et  qui,  ordinairement, 
est  devenu  chef  assez  aisément,  car  le  premier  il 
s'est  établi  dans  un  endroit  quelconque,  avec  l'au- 
torisation d'un  des  principaux  chefs  du  pays,  fils 
ou  petit-fils  de  feu  Letsié.  Ces  «  pères  du  village  », 
qui  en  sont  aussi  les  maires,  rendent  la  justice  de 
leur  mieux  ;  mais  pour  les  cas  graves  on  se  rend 
ensemble  chez  le  chef  du  district  d'où  l'on  peut 
faire  appel  à  Lerothodi,  le  chef  principal  du  pays, 
qui  décide  en  dernier  ressort. 

Les  peines  consistent  en  amendes  à  payer  en 
moutons  ou  en  bœufs.  Les  cas  de  vols,  d'introduc- 
tion d'eau-de-vie  dans  le  pays,  de  meurtres,  etc., 


Continues  des  Bassoutos. 


S 


sont  jugés  par  les  magistrats.  En  fait  de  jugements, 
les  indigènes  en  voient  parfois  de  curieux.  Il  n'y 
a  pas  très  longtemps  que  le  petit  chef  Ranko  (le 


i 

M- 


père  du  nez  !)  condamna  un  de  ses  subordonnés 
à  payer  cinq  tètes  de  bétail  pour  avoir  empêché  la 
pluie  de  tomber  ! 


54  Au  Sud  de  l'Afrique. 

J'ai  probablement  moi-même  échappé  de  bien 
peu  à  une  condamnation  pareille  car,  chose  grave, 
j'avais  peint  sur  un  rocher,  près  d'un  sentier,  les 
mots  Molimo  o  lerato,  «  Dieu  est  amour  »,  ce  qui, 
au  dire  des  païens  des  alentours,  produisit  une 
sécheresse  persistante  que  la  pluie  vint  heureu- 
sement terminer  avant  une  accusation  publique. 

Les  affaires  se  règlent  ordinairement  en  pitso, 
le  «  Kabary  »  des  Malgaches,  assemblée  de  tous 
les  hommes  d'un  district  ou  de  toute  la  tribu, 
selon  l'importance  des  questions  à  traiter. 

Les  principaux  chefs  jouissent  du  droit  de  con- 
voquer des  maïsêma,  c'est-à-dire  d'appeler  les 
hommes  pour  labourer  et  sarcler  leurs  champs 
gratis. 

Les  Bassoutos  ne  sont  pas  des  travailleurs 
acharnés,  et  l'on  peut  dire,  sans  leur  faire  tort, 
que  les  mots  «  travailler  comme  un  nègre  » 
n'ont  pas  été  spécialement  dits  à  cause  d'eux  ;  ce- 
pendant ils  ne  ressemblent  pas  tout  à  fait  aux  Tar- 
tares,  dont  un  voyageur  disait  dernièrement  «  qu'ils 
possèdent  à  fond  l'art  de  ne  rien  faire  ». 

Les  hommes  d'un  village,  tant  chrétiens  que 
païens,  n'étant  pas  pris  par  les  travaux  des  champs, 


56  An  Sud  de  l'Afrique. 

se  tiennent  le  plus  souvent  au  Khotla.  C'est  un 
enclos  de  pierres  ou  de  roseaux,  qui  correspond 
un  peu  au  forum  des  anciennes  villes  romaines. 
C'est  là  qu'on  rend  la  justice,  qu'on  arrange  des 
mariages  et  qu'on  bavarde  à  l'infini. 

Dans  d'autres  moments,  des  païens  y  fument  du 
chanvre,  qui  enivre  un  peu  comme  l'opium,  ou 
bien  y  font  leur  méridienne  ;  les  gens  adroits  y 
vont  coudre  un  pantalon  de  peau  de  bœuf  ou  une 
paire  de  chaussures  appelées  velschoen  par  les  Boers. 

En  automne,  chacun  se  fabrique  des  sesious, 
sortes  de  grands  paniers  d'herbes  dans  lesquels 
on  garde  le  grain. 

Enfin,  c'est  encore  au  Khotla  que  bien  souvent 
l'on  s'enfonce  dans  un  paganisme  dont  la  parole 
de  Dieu  avait  ailleurs  démontré  la  laideur  et  l'in- 
suffisance. 

Les  chefs  et  leurs  conseillers  qui  y  trônent  sont 
les  grands  soutiens  des  coutumes  païennes,  qui 
sanctionnent  leur  polygamie  et  président  à  leurs 
fêtes  bruyantes.  Ce  sont  eux  aussi  les  meilleurs 
clients  du  ngdka,  médecin  sorcier  dont  nous  par- 
lons ailleurs,  et  pour  lequel,  comme  pour  ses  col- 
lègues du  Japon,  «  le  cas  le  plus  grave  en  médecine 


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58  Au  Sud  de  l'Afrique. 

est,  d'après  un  aimable  écrivain  ',  celui  où  le  ma- 
lade n'a  pas  d'argent  ». 

Le  paganisme  actuel  est  certainement  en  déca- 
dence ;  il  se  transforme,  devient  pire  peut-être  à 
bien  des  égards  ;  néanmoins  beaucoup  de  païens 
nous  sont  favorables,  envoient  leurs  enfants  à 
l'école,  viennent  a  l'église  et  répéteraient  volon- 
tiers ces  mots  de  l'un  d'eux  à  un  de  nos  amis  : 
Ke  modem  oa  Fora  !  je  suis  un  païen  des  Français, 
autrement  dit  :  J'aime  les  missionnaires  français 
et,  sans  suivre  leurs  enseignements,  j'approuve  ce 
qu'ils  disent. 

Les  Bassoutos,  comme  l'ont  constaté  les  pre- 
miers missionnaires,  sont  simples,  vifs,  communi- 
catifs  et  possèdent  une  sorte  de  tact  qui  ne  les 
abandonne  jamais. 

L'aménité  de  leur  caractère  rend  l'évangélisa- 
tion  plus  aisée  dans  leur  pays  que  dans  bien  d'au- 
tres contrées  plus  civilisées.  Les  chefs  qui  nous 
témoignent  ouvertement  de  l'hostilité  et  refusent 
de  nous  recevoir  sont  rares. 

Bien  souvent  j'ai  fait,  pour  ma  part,  l'expérience 

1.  J.  Pet  t  Senn. 


éo  Au  Sud  de  l'Afrique. 

de  ce  bon  vouloir  des  indigènes  et  de  leurs  chefs, 
soit  pendant  des  courses  dans  les  environs  de  la 
station  accompagné  des  enfants  de  l'école,  soit 
par  la  manière  dont  étaient  reçues  les  remon- 
trances que  je  devais  présenter  à  ceux-ci  ou  bien  à 
ceux-là. 

La  façon  de  réunir  un  auditoire  est  fort  simple, 
pas  besoin  d'affiches  ni  du  <s  tambour  de  ville  ». 

Après  avoir  parlé  avec  le  chef  du  village,  on 
met  les  deux  mains  à  sa  bouche  en  manière  de 
porte-voix  et  l'on  crie  :  Thapelong  !  —  à  la  prière  ! 
—  Peu  à  peu  on  voit,  de-ci  de-là,  des  têtes  appa- 
raître, et  bientôt  un  petit  auditoire  est  devant  vous. 

Quelquefois  cela  est  encore  plus  simple  :  visi- 
tant une  fois  le  village  de  Nkoro,  j'arrive  au  Khotla 
et  ne  trouve  personne  qu'un  homme  en  train  de 
faire  un  sesiou.  Après  les  salutations  que  se  doi- 
vent les  gens  bien  élevés,  et  sans  doute  aussi  après 
quelques  questions  sur  le  temps  et  les  prochaines 
récoltes,  je  me  mis  à  faire  un  croquis  dudit  van- 
nier. A  peine  avais-je  fait  quelques  traits  qu'arri- 
vait l'un,  puis  l'autre,  si  bien  que  le  portrait  de 
Masolé  était  à  peine  esquissé  que  tout  le  village  ou 
à  peu  près  était  autour  de  nous  ! 


Coutumes  des  Bassontos.  61 

Par  modestie  je  ne  vous  parle  pas  des  cris  d'ad- 
miration du  cercle  de  critiques  d'art  qui  m'entou- 
raient et  qui  auraient  sans  doute  ravi  mes  anciens 
maîtres,  les  éminents  peintres  L.  Gérôme  et  Paul 
Flandrin  ;  du  reste  je  trouvais  mieux  :  une  occasion 
de  parler  à  un  auditoire  tout  yeux  et  tout  oreilles. 

D'autres  fois  un  grossier  dessin  sur  un  mur  m'a 
servi  de  point  de  départ  pour  parler  de  Celui  qui  a 
créé  l'homme  à  son  image... 


Superstitions 
des  païens  Bassoutos 


Voyageant  en  Palestine  il  y  a  plusieurs  années, 
il  m'est  arrivé  souvent  de  voir  une  main  grossière- 
ment dessinée  ou  peinte  au-dessus  d'une  porte; 
fort  intrigué,  je  tâchai  de  savoir  ce  que  cela  pou- 
vait bien  signifier  et  j'appris  que  cette  main  devait 
empêcher  la  maladie  d'entrer  ou  la  mort  d'appro- 
cher de  la  maison. 

Les  païens  Bassoutos  ont  aussi  des  superstitions 
dignes  de  celles  des  Arabes  :  on  ne  doit  pas  aller 
dans  les  champs  lorsqu'il  y  a  des  nuages,  cela  attire 
la  grêle;  pour  éloigner  celle-ci,  il  suffit  de  planter 
en  terre  de  petits  piquets  arrangés  de  certaine  façon 
près  des  champs. 

En  temps  de  sécheresse,  que  ne  font  pas  les 


d\  Au  Sud  de  l'Afrique. 

païens  !  Les  ngaka  ea  pula,  médecins  faiseurs  de 
pluie,  déploient  dans  cette  occasion  toute  leur 
science  qui  se  résume  dans  leurs  costumes,  leurs 
osselets  divinatoires  et  des  boniments  de  charla- 
tans. Si  les  incantations  ne  réussissent  pas  dans  la 
plaine  c'est  qu'il  est  nécessaire  d'aller  chercher  la 
pluie  sur  la  montagne... 

Il  y  a  des  médecins  contre  les  épidémies,  il  y  en 
a  d'autres  très  utiles  pour  aller  à  la  guerre.  Je  me 
souviens  avoir  vu  un  chef  du  nord  du  Lessouto, 
lors  d'une  échauffourée,  s'en  aller  à  l'ennemi  le  vi- 
sage enduit  d'une  certaine  médecine,  devant  dé- 
tourner les  balles  de  sa  personne. 

Les  médecins  indigènes  ne  ressemblent  pas  du 
tout  à  leurs  collègues  de  France  qui  ne  sont  que 
docteurs  en  médecine  —  ceux  d'ici  sont  sorciers  — 
c'est-à-dire  qu'ils  peuvent  soi-disant  guérir  d'abord 
toutes  les  maladies  mais  en  plus  découvrir  les  ob- 
jets perdus,  éloigner  la  foudre  et  la  grêle,  dévoiler 
l'avenir,  indiquer  la  personne  qui  a  jeté  un  sort  à 
une  autre,  etc. 

Pour  cela  le  bagage  scientifique  n'est  pas  grand; 
le  petit  collier  d'osselets  ou  «  ditaola  »  représenté 
ci-après  suffit  amplement  ;  la  confiance  des  ma- 


«  NGAKA  »,    MÉDECIX-SORCIER 

SUD    DE    l'aFMQ.UE 


66  Au  Sud  de  l'Afrique. 

lades  doit  cependant  avoir  une  certaine  limite 
puisqu'on  donne  en  sessouto  le  même  nom  de 
lefu  à  la  maladie  et  à  la  mort  ! 

La  manière  dont  lesdits  osselets  sont  tournés 
quand  on  les  jette  indique  l'endroit  où  se  trouve 
le  cheval  ou  le  bœuf  égaré  ou  volé,  ou  le  coupable 
de  sorcellerie,  etc.  Le  plus  clair  de  tout  cela,  c'est 
le  mouton  ou  le  bœuf  qui  sont  le  paiement  du 
«  docteur  ».  Tout  ceci  n'est  pas  exagéré;  combien 
de  païens  qui,  dès  qu'ils  sont  malades,  se  croient 
ensorcelés  !  Il  n'y  a  pas  longtemps  qu'un  chef  est 
mort  après  une  vie  déréglée,  mais  plutôt  que  de 
reconnaître  cela  on  a  accusé  plusieurs  personnes 
de  l'avoir  ensorcelé  et  elles  ont  été  obligées  de  dé- 
guerpir au  plus  vite,  de  peur  qu'on  ne  leur  fasse 
un  mauvais  parti. 

Les  Bassoutos,  sans  être  aussi  cruels  que  leurs 
frères  du  Zambèze,  ont  encore  bien  des  points  de 
contact  avec  eux. 

Sans  Dieu  il  est  naturel  que  l'homme  ait  peur, 
car  celui  qui,  blanc  ou  noir,  ignore  l'amour  de 
son  Père  qui  est  dans  les  cieux  et  ne  sait  pas  que 
selon  que  le  dit  si  bien  le  proverbe  oriental  :  «  Dieu 
voit  la   fourmi   noire   qui,    dans    la    nuit    noire, 


«  DITAOLA  »    OU    OSSELETS    DIVINATOIRES 


68  Au  Sud  de  l'Afrique. 

marche  sur  la  pierre  noire  »,  doit  être  effrayé  de 
tout  ;  pour  lui  la  vie  est  un  voyage  fait  dans  la  nuit 
sans  lumière  et  sans  guide. 

C'est  pourquoi  on  voit  tant  de  gens  vivre  dans 
la  crainte,  avoir  peur  de  la  vie.  peur  de  la  mort, 
et  qui,  pour  se  garantir  de  malheurs  ou  de  mala- 
dies, mettent  une  main  sur  leur  porte  comme  les 
Arabes,  ou  vont  chercher  le  ngaka  et  ses  ditaolas 
comme  nos  Bassoutos,  ou  bien  encore,  comme 
beaucoup  de  nos  compatriotes,  craindront  de  se 
mettre  en  route  un  vendredi,  ou  d'être  treize  à 
table  ;  consulteront  les  cartes  ou  s'en  iront  prendre 
conseil  de  soi-disant  voyantes. 


Nos  chefs   Bassoutos 


Il  y  a  fort  longtemps  que  j'avais  le  désir  de  vous 
montrer  un  portrait  de  Letsié,  chef  des  Bassoutos, 
mais  ce  dernier  avait  toujours  répondu  aux  de- 
mandes que  je  lui  avais  fait  adresser  en  refusant 
absolument  de  poser.  Tout  ce  que  j'avais  pu  faire, 
c'est  un  croquis  de  dos,  peu  digne  par  conséquent 
de  vous  être  présenté.' Aujourd'hui,  grâce  à  un 
ami  médecin  et  photographe,  je  puis  vous  offrir 
un  petit  dessin  un  peu  plus  complet  du  roi  des 
Bassoutos.  L'expression  de  roi  est  un  peu  gran- 
diose, tout  de  suite  Louis  XIV  et  sa  cour  s'offrent 
à  la  pensée,  ou  bien  encore  le  shah  de  Perse  et  son 
aigrette... 

Disons  donc  que  Letsié,  fils  de  Moshesh,  était 
un  grand  chef  ou  un  petit  roi.  Il  est  mort  ces  der- 
niers temps,  mais  vous  pouvez  vite  voir  qu'il  n'a- 
vait rien  de  bien  imposant  et  constater  en  même 


jo  An  Sud  de  l'Afrique. 

temps  que  si  sa  figure  n'est  pas  bien  distincte,  il 
n'y  a  pas  de  la  faute  du  photographe  ni  de  la 
mienne.  Le  même  ami  me  fournit  une  vue  de 
Matsieng,  c'est-à-dire  le  village  qu'habitaient  le  chef 
Letsié  et  la  plupart  des  nombreuses  femmes  de  son 
harem. 

Ce  village  est  l'un  des  plus  grands  du  Lessouto, 
il  est  situé  à  trois  quarts  d'heure,  à  cheval,  de  la 
station  de  Morija.  C'est  seulement  depuis  quelques 
années  qu'une  annexe  de  Morija  est  établie  à 
Matsieng,  Letsié  ayant  refusé  pendant  longtemps 
l'autorisation  de  l'établir. 

Il  y  a  là  un  groupe  de  chrétiens  et  une  école 
assez  fréquentée  ;  mais  malgré  cela  on  peut  affir- 
mer, sans  crainte  de  se  tromper,  que  ce  village 
était  l'une  des  forteresses  du  paganisme  dans  ce 
pays.  La  belle  maison  que  vous  voyez  au  centre 
du  dessin  a  été  bâtie  par  des  ouvriers  européens. 
Elle  est  plus  belle,  du  moins  comme  apparence, 
que  la  plupart  de  nos  habitations  missionnaires. 

Mais...  le  ramage  ne  répond  pas  du  tout  au 
plumage;  elle  est  bien  la  preuve  que  le  désordre 
n'est  pas  toujours  un  effet  de  l'art. 

Nos  pauvres  chefs  Bassoutos,  tant  dans  leurs 


PORTRAIT    DU    CHEF    LETSIÉ 
(D'après  une  photographie  du  D'  G.  Casalis.) 


72  An  Sud  de  l'Afrique. 


maisons  que  dans  leur  vie,  ont  encore  bien  des 
améliorations  à  faire.  La  civilisation  et  ses  avan- 
tages ne  leur  ont  pas  fait  faire  jusqu'à  présent  de 
grands  progrès  sous  le  point  de  vue  moral,  il  s'en 
faut  de  beaucoup. 

Le  peu  de  décorum  des  chefs  n'empêche  pas 
cependant  leurs  sujets  de  les  traiter  avec  beaucoup 
de  considération.  Ils  prennent  même  parfois  des 
expressions  orientales  pour  leur  parler. 

J'entendis  un  jour  un  de  nos  chrétiens  dire  en 
public  à  Lerothodi,  fils  aine  de  Letsié  :  «  Il  n'y  a 
personne  qui  puisse  paraître  devant  le  lion  sans 
trembler!  » 

Un  autre  disait  :  «  Devant  toi,  chef,  nous  ne 
sommes  que  des  paquets  de  vêtements  !  » 

Nos  potentats,  somme  toute,  de  Lerothodi  au 
moindre  chef  de  village,  ne  sont  pas  fiers,  et  cela 
est  un  grand  avantage,  car  on  peut  leur  parler  et 
leur  dire  quelquefois  des  vérités  sans  qu'ils  se 
fâchent  par  trop  ;  bien  supérieurs  en  cela  au  puis- 
sant empereur  Charlemagne  qui,  nous  dit  Egin- 
hard ,  détestait  ses  médecins  qui  avaient  eu  le 
courage  de  lui  dire  que  la  viande  rôtie  était  nuisible 
à  sa  précieuse  santé. 


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74  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Envers  nous,  leurs  missionnaires,  les  chefs  font 
assez  souvent  de  leur  mieux  pour  nous  montrer 
de  la  déférence;  mais,  hâtons-nous  d'ajouter  que  ce 
bon  vouloir  n'est  pas  général,  de  plus  il  est  bien 
intermittent. 

Je  me  souviens  de  la  cordiale  salutation  de  bien- 
venue que  m'adressait,  lors  de  ma  première  visite 
à  Thaba-Bossiou,  Masoupa,  le  frère  de  Letsié  : 
Ponchoure,  mocheux  !  Son  français  n'était  pas  très 
brillant,  mais  ce  chef  faisait  ce  qu'il  pouvait  pour 
être  aimable.  Son  portrait  vous  le  montre  en 
grande  tenue  avec  des  épaulettes  de  capitaine  de 
pompiers  qui  lui  donnent  tout  a  fait  grand  air. 

J'avais  convoqué  un  certain  jour  le  chef  Potsane 
Mohale  à  une  réunion  dans  la  chapelle  qui  est  près 
de  son  village.  J'eus  peine  à  le  reconnaître  à  son 
arrivée;  je  ne  pouvais  me  figurer  que  le  monsieur 
si  bien  mis  et  ganté  de  frais  (!)  qui  s'avançait  vers 
moi  fût  le  même  que  je  voyais  habituellement 
attifé  de  très  pitoyable  façon. 

Un  des  chefs  de  Bahlapis,  établis  au  sud  du  Les- 
souto,  allant  un  dimanche  à  l'église,  vêtu  d'une 
grande  couverture  rouge,  était  suivi  de  ses  prin- 
cipaux hommes,  dont  l'un  portait  au  bout  d'un 


PORTRAIT    DU    CHEF    MASOUPA 
(D'après  une  photographie  de  M.  Gribble.) 


7 6  An  Sud  de  l'Afrique. 

bâton  le  pantalon  du  chef  qui,  un  peu  à  l'écart,  se 
hâta  de  l'enfiler  pour  aller  saluer  son  missionnaire  ! 

Mais  je  ne  vous  parle  pas  de  tout  cela  pour  vous 
amuser,  croyez-le  bien,  mais  pour  vous  faire  un 
peu  plus  connaître  et  aimer  ceux  qui  nous  entou- 
rent, chefs  et  sujets. 

Tous  les  chefs,  à  part  de  rares  exceptions,  sont 
païens  ou  renégats  —  et  polygames  —  et  les  sou- 
tiens du  paganisme  et  de  ses  coutumes  coupables, 
augmentées  de  l'influence  des  ngaka,  médecins-sor- 
ciers qui  les  entourent. 

Avant  de  les  juger,  pensons  à  la  triste  éducation 
qu'ils  ont  reçue,  et  de  quels  conseillers  ils  sont 
entourés  depuis  leur  enfance  ! 

Aussi  quoi  d'étonnant  si  la  plupart  du  temps  la 
justice  qu'ils  rendent  est  non  seulement  boiteuse, 
mais  aveugle,  et  si  les  fêtes  de  bière  enivrante  et 
d'eau-de-vie  trouvent  en  eux  de  si  fervents  auxi- 
liaires ? 

Parfois  ils  réfléchissent,  mais  trop  tard,  comme 
bien  d'autres  gens  pas  africains  du  tout,  ni  le  moins 
du  monde  nègres.  Je  me  souviens  du  chef  Rama- 
khéma  qui,  mourant,  m'avait  fait  appeler  et  qui 
me  disait  :  «  Je  regrette  tant  d'avoir  vécu  comme 


Nos  chefs  Basson tos.  77 

je  l'ai  fait,  la  terre  et  tout  ce  qu'elle  donne  ne  vaut 
rien  sans  Dieu  !  »  Peu  après,  il  convoqua  ses  en- 
fants et  les  gens  de  son  village,  pour  leur  dire  so- 
lennellement la 'même  chose,  en  ajoutant  :  «  La 
circoncision,  la  polygamie,  nos  fêtes,  etc.,  sont  des 
péchés  devant  Dieu.  » 


La  Femme  au  Lessouto 


Il  n'est  pas  juste  de  vous  parler  toujours  des 
Bassoutos  et  de  vous  répéter  que  ces  messieurs 
font  ceci  et  puis  encore  cela  sans  jamais  vous  rien 
dire  de  leurs  dames.  Aussi,  aujourd'hui  je  veux 
vous  entretenir  de  ces  dernières. 

D'abord  vous  vous  doutez  bien  de  la  grande 
différence  qu'il  y  a  entre  les  Bassoutoses  selon 
qu'elles  sont  chrétiennes  ou  païennes.  Ce  n'est 
pas  seulement  le  vêtement  qui  est  autre  ;  c'est 
surtout  l'éducation  et  la  manière  d'être. 

La  jeune  fille  païenne  est  élevée  dans  le  paga- 
nisme; cela  va  de  soi,  mais  il  est  peut-être  bon  de 
le  rappeler. 

Jamais  on  ne  parle  à  cette  jeune  païenne  de  son 
Père  céleste  et  de  son  âme  immortelle.  Heureux 
quand  on  ne  lui  défend  pas  de  fréquenter  l'école 


So 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


de  l'annexe  du  voisinage.  Elle  soigne  le  bébé  pen- 
dant que  sa  maman  travaille  dans  les  champs;  elle 


va  à  la  fontaine;  elle  s'enduit  de  graisse  et  d'ocre 
rouge;  assiste  aux  disputes  journalières  de  son 
polygame  de  père  ;  prend  part  à  toutes  les  supers- 


La  femme  au  Lessouto. 


Si 


tirions  qui,  en  tous  pays,  sont  le  partage  de  ceux 
qui  n'ont  ni  Dieu,  ni  espérance,   et  enfin  elle  se 


}  E\IME   PORTANT   DE    L  EAU 


rend  à  toutes  les  fêtes  de  danse  et  d'ivrognerie  des 
environs. 

6 


SUD    PE    LAHUQ.<-'E 


82 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


De  bonne  heure  elle  quitte  la  hutte  paternelle 
pour  aller  mopatong,  autrement  dit,  pour  aller 
vivre  quelques  mois  à  l'écart,  avec  d'autres  jeunes 
filles  de  son  âge,  sous  la  direction,  j'allais  dire 


«NGUANA     MODULA»,    POUPÙE     QUE    PORTENT    LES    FEMMES 
PAÏENNES   QUI   N'ONT   POINT   D'ENFANT 


d'une  vieille  sorcière...  mais  je  me  retiens,  di- 
sons, au  moins,  d'une  vieille  coquine  qui  les 
initiera  à  tout  ce  que  le  paganisme  a  d'impur;  au 
sortir  de  cette  école  d'immoralité,  la  jeune  fille 
aura  l'imagination  souillée  et  le  cœur  perverti. 


JEUNE    FILLE   PAÏENNE   JOUANT   DU   THOMO 


S.}.  Au  Sud  de  F  Afrique. 

Les  balé,  nom  qu'on  donne  aux  jeunes  filles 
habitant  la  hutte  nommée  mopato,  s'attifent  d'un 
costume  qu'on  peut  sans  exagérer  qualifier  d'é- 
trange et  qui  probablement  vous  effrayerait  quel- 
que peu  :  une  sorte  de  natte  en  guise  de  voile  sut- 
la  figure,  un  bâton  à  la  main  et  une  grande  cou- 
verture composent  leur  accoutrement. 

Le  mariage  qui  suit  de  près  ces  coutumes  sera 
réglé  à  l'insu  de  la  pauvre  païenne  et  au  plus 
grand  profit  des  père,  frères  et  oncles,  qui  doivent 
recevoir  une  vingtaine  de  bœufs,  dix  moutons  et  un 
cheval  du  père  du  jeune  homme. 

La  mère  n'a  rien  à  dire  dans  la  question,  car 
elle  sait  qu'on  nesegêneraitpaspourlui  répliquer: 
«  Khuisa,  u  mosadiféeîa!  »  (Tais-toi,  tu  n'es  qu'une 
femme  !) 

Il  peut  arriver  que  la  «  fiancée  »  malgré  elle  ne 
veuille  pas  du  mariage  arrangé  ainsi,  mais  elle 
peut  rarement  y  échapper.  Je  me  souviens  de  la 
fille  d'un  certain  chef  qui  refusait  de  suivre  le  mari 
polygame  que  lui  imposait  son  père,  et  qui  fut 
attachée  et  battue... 

Tout  autre  est,  au  moins  en  général,  l'histoire 
de  la  fille  élevée  par  des  parents  chrétiens. 


'Co/u<^^/' 


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MOYABEN'G  A  LA  MEULE 


UNE  STATUETTE  EGYPTIENNE  DU  MUSEE   DU  LOUVRE 


86  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Cette  fillette  est,  comme  votre  sœur,  une  aide 
pour  sa  maman,  une  petite  amie  pour  son  papa. 

Elle  va  à  l'école  primaire,  apprend  à  coudre  et 
peut-être  aussi  à  tricoter.  Devenue  grande,  elle  a 
sa  petite  hutte  ou  bien  sa  petite  chambre,  tenue 
bien  en  ordre,  ornée  de  gravures  découpées  dans 
des  journaux  illustrés,  ou  même  de  peintures  de 
son  cru,  ce  qui  est  bien  plus  original. 

Elle  suit  aussi  l'école  du  dimanche  de  la  station, 
plus  tard  demande  à  être  admise  dans  la  classe  de 
catéchumènes  et  quelques  années  après,  fait  sa  pre- 
mière communion. 

Les  fiançailles  arrivent,  puis  le  grand  jour  du 
mariage.  Vous  jouiriez,  j'en  suis  sûr,  d'assister  à 
un  mariage  dans  notre  chapelle;  pour  moi  ce  n'est 
plus  une  nouveauté,  car  j'ai  eu  à  célébrer  l'autre 
jour  l'union  du  185e  couple  depuis  que  je  suis  à 
Hermon  !  Mais  le  coup  d'oeil  en  vaut  la  peine.  La 
mariée,  tout  en  blanc,  gantée  pour  la  première 
fois  de  sa  vie,  est  tout  émue.  Son  mari  est  à  ses 
côtés,  ganté  aussi,  son  costume  est  généralement 
noir  et  sa  tenue  très  digne,  surtout  si  ses  chaussures 
neuves  ne  lui  meurtrissent  pas  trop  les  pieds.  Der- 
rière sont  des  garçons  et  des  demoiselles  d'honneur, 


ÉLIÉLE   ET   RÉBEKA,    GROUPE   DE   MARIES 


88 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


le  cortège  des  parents  et  amis  et  la  foule  des  admi- 
rateurs, tous  amateurs  sérieux  de  la  viande  des 
deux  ou  trois  bœufs  tués  à  l'occasion  de  la  fête. 

La  femme  partage  avec  son  mari  les  travaux 
des  champs,  mais  à  cela  s'ajoutent  bien  d'autres 
devoirs  :  coudre  les  vêtements  des  enfants,  moudre 
le  grain  et,  chose  assez  remarquable,  soit  dit  entre 
parenthèses,  sur  un  moulin  semblable  à  celui  em- 
ployé en  Egypte  il  y  a  plus  de  3,000  ans  ! 


PEINTURE   FAITE   PAU    UNE   JEUNE    FILLE   DANS   SA   HUTTE 


Il  faut  aussi  fréquemment  Smirer  la  maison, 
c'est-à-dire  passer,  à  l'intérieur  comme  à  l'extérieur, 
une  légère  couche  de  terre,  mélangée  à  delà  bouse 
de  vache... 


POTERIES    DIVERSES 


90  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Bien  des  femmes  indigènes  ont  du  savoir-faire 
et  souvent  une  réelle  habileté  non  pas  seulement 
pour  la  couture,  le  repassage  ou  dans  la  confection 
de  belles  nattes  ou  d'autres  objets,  mais  pour  la 
poterie  où,  sans  le  moindre  èbauchoir  et  le  plus 
petit  moule,  elles  deviennent  fort  habiles. 

Les  alcarazas  de  leur  fabrication  ne  le  cèdent 
guère  à  ceux  d'Espagne  et  de  Ténériffe.  Ces 
ouvrières  en  «  l'art  de  terre  »,  à  part  tous  les  pots 
d'usage  ordinaire,  donnent  à  leurs  œuvres  des 
formes  capricieuses  imitant  des  marmites,  bouil- 
loires et  tasses  très  heureusement  rendues...,  ou 
bien  des  formes  encore  plus  curieuses  qui  seraient 
tout  à  fait  capables  de  rendre  jaloux  les  anciens 
potiers  étrusques. 

Quant  aux  fours  usités  par  ces  artistes,  ils  sont 
des  plus  primitifs  ;  on  couvre  de  disou,  c'est-à- 
dire  de  bouse  sèche,  l'objet  à  cuire  et  on  laisse 
le  feu  faire  le  reste. 

Ici,  comme  ailleurs,  la  mère  de  famille  est  le 
centre  du  foyer.  Bien  des  Bassoutos  pourraient 
sans  nul  doute  répéter  les  mots  que  le  brave  évan- 
géliste  Asser  Sehahabane  disait  il  y  a  quelque 
temps,  dans  une  réunion:  «  Si  je  suis  un  chrétien 


€Si£&t 


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MAMOKUTU,    PAÏENNE   ET   CHRETIENNE 


92  Au  Sud  de  l'Afrique. 

c'est  aux  enseignements  de  ma  mère  que  je  le 
dois  !  » 

Enfin  des  femmes  d'évangélistes  et  d'instituteurs 
sont  de  vraies  conseillères  pour  leurs  maris,  qui 
ne  feraient  rien  sans  les  consulter.  Leurs  enfants 
bien  élevés  et  leur  maison  tenue  en  ordre  les  font 
vite  connaître  et  respecter  par  ceux  qui  les  voient. 

Vous  savez  que  la  mission  du  Zambèze  compte 
plusieurs  évangélistes  bassoutos,  et  elle  a  déjà  pu 
reconnaître  la  valeur  des  femmes  de  ces  derniers 
et  leur  bienfaisante  influence. 

En  tout  pays  c'est  l'Évangile  qui  donne  à  la 
femme  sa  place  au  foyer  et  la  met  au  rang  qu'elle 
doit  occuper  dans  la  famille. 

Je  termine  par  un  fait  qui  nous  a  particulièrement 
réjouis  ces  derniers  temps.  Notre  Petit  Messager 
des  missions  publia  en  1884  un  dessin  que  j'avais 
fait  d'une  païenne  en  tenue  de  danse.  Mamokutu, 
la  femme  du  chef  Lenka,  était  vêtue  d'un  costume 
de  peau  de  bœuf  orné  de  perles  de  toutes  couleurs, 
la  tête  bien  luisante  de  graisse  et  couronnée  d'un 
Kharatsana  fait  des  poils  de  la  queue  d'un  porc- 
épic  et  un  petit  bouclier  de  danse  à  la  main. 

Bien   des   conversations  avaient  suivi  la  petite 


La  femme  au  Lessoitlo.  93 

séance  dépose;  longtemps  Mamokutu  avait  résisté, 
cherchant  à  oublier  dans  des  fêtes  bruyantes  le 
trouble  de  son  cœur.  Cependant  elle  vint  il  y  a 
environ  trois  ans  me  dire  textuellement  :  «  J'étais 
aveugle  ;  mais  Jésus,  le  roi  des  aveugles,  a  eu  pitié 
de  moi;  aussi  je  veux  le  suivre.  » 

On  s'est  passablement  moqué  d'elle  dans  son 
entourage,  elle  a  traversé  des  temps  de  misère  et 
de  souffrance,  mais  elle  a  tenu  bon.  Nous  avons 
pu  la  baptiser  il  n'y  a  pas  bien  longtemps  et  en 
souvenir  du  passé  elle  a  bien  voulu  me  permettre 
de  faire  de  nouveau  un  croquis  d'elle,  que  je  joins 
au  premier  pour  vous  les  présenter. 


Les  petits  Artistes 


Voilà  le  jour  de  l'an  qui  s'approche  et  peut-être 
que  plusieurs  d'entre  vous,  pour  des  raisons  di- 
verses, n'auront  pas  d'étrennes.  Eh  bien  !  vos  amis, 
les  petits  Bassoutos,  vont  vous  indiquer  un  moyen 
de  vous  faire  très  facilement  quelque  chose  de  joli 
et  surtout  de  pas  cher,  pouvant  fort  bien,  avec  un 
peu  de  bonne  volonté,  remplacer  les  étrennes  ab- 
sentes. 

Vous  pensez  bien  que  vos  amis  de  par  ici  ne 
connaissent  pas  les  joujoux  qui  vous  ravissent  : 
poupées,  balles,  billes,  cerceaux,  etc.  M.  Polichi- 
nelle leur  est  même  inconnu  !  Ils  ont  leurs  jouets, 
si  l'on  peut  les  appeler  ainsi,  et  leurs  manières  de 
s'amuser. 

Par  exemple,  ils  aiment  extrêmement  les  voi- 


96  Au  Sud  de  l'Afrique. 

tures  ou  wagons  à  bœufs  et  ne  sont  jamais  fatigués 
de  s'en  fabriquer. 

Pas  besoin  de  beaucoup  d'outils  pour  cela.  Nos 
petits  négrillons  ne  sont  pas,  comme  deux  petits 
gamins  blancs  et  que  je  connais  bien,  toujours  en 
quête  de  clous,  vis  et  ficelles.  Nos  amis  prennent... 
Quoi?...  Vous  ne  devinez  pas? 

Eh  bien,  avec  un  peu  de  terre  glaise  et  des  brins 
de  paille,  ils  font  un  wagon  rappelant  vraiment  un 
peu  ceux  qui  apportent  les  marchandises  au  Les- 
souto.  Voyez  un  peu  le  wagon  ci-contre;  il  est 
pesamment  chargé  de  vieilles  boîtes  d'allumettes 
et  de  bobines;  je  ne  sais  si  les  quatre  bœufs  suffi- 
ront pour  un  tel  bagage,  malgré  les  efforts  du  con- 
ducteur qui,  avec  son  fouet  de  paille,  a  l'air  de  se 
donner  beaucoup  de  peine  ;  mais  ce  que  je  sais  bien, 
c'est  que  vos  amis  s'amusent  beaucoup  du  véhicule 
et  de  son  attelage.  Remarquez  que  les  bœufs  por- 
tent la  marque  du  propriétaire  ;  l'artiste  n'a  rien 
oublié. 

Si  vous  préférez  faire  une  brouette,  voici  un  mo- 
dèle de  même  provenance  que  je  place  sous  vos 
yeux.  Les  matériaux  sont  toujours  de  même  sim- 
plicité :  de  la  terre  glaise  et  une  paille. 


Sir    DE    L  AFRIQUE 


98  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Quelques-uns  de  ces  artistes  en  herbe  ont  un 
idéal  plus  élevé  et  se  lancent  sans  le  moindre  trou- 
ble dans  la  statuaire  ! 

Voici,  par  exemple,  un  cavalier  crânement  campé 
sur  son  cheval  et  coiffé  d'un  de  ces  grands  chapeaux 
de  paille  à  la  mode  chez  les  jeunes  gens. 


BROUETTE 


Mais  pendant  que  je  vous  présente  ces  chefs- 
d'œuvre,  peut-être  que  vous  murmurez  :  «  Mais 
tout  cela,  c'est  vraiment  l'enfance  de  l'art  !  »  Cela 
est  vrai,  mais  n'oubliez  pas,  s'il  vous  plaît,  que 
c'est  aussi  l'art  de  l'enfance  au  sud  de  l'Afrique. 
En  tous  cas,  ils  valent  bien  les  terres  cuites  faites 
par  des  gamins  antiques  et  qui  sont  si  précieuse- 
ment conservées  au  musée  du  Louvre. 

Regardez  maintenant  ces  figurines  (p.  101).  Je  ne 


Les  petits  artistes. 


99 


sais  si  beaucoup  de  petits  Parisiens,  de  dix  ou  même 
de  douze  ans,  pourraient  faire,  non  pas  mieux, 


CAVALIER 


mais  aussi  bien.  Il  y  a  là  le  buste  d'un  monsieur 
quelconque  ;  à  côté,  voici  un  singe  qui  paraît  très 
occupé  ;  il  y  a  encore  une  cigogne,  je  suppose  ; 
puis  un  coq  ;  sans  oublier  un  gros  habillé  de  soie. 


100 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Tout  ceci  dénote  que,  chez  quelques-uns  de  nos 
petits  Bassoutos,  il  y  a  cette  observation  et  ce  sens 
de  la  forme  qui,  dans  les  sociétés  plus  développées, 
produisent  des  Canova  et  des  Barye. 

Près  de  la  maison  missionnaire  d'Hermon  il  y  a 
une  fillette,  du  nom  de  Krarebe,  qui  s'amuse  à 


FIGURES   ANTIQUES    DU    MUSEE    DU    LOUVRE 


dessiner  sur  les  parois  de  la  maison  paternelle  des 
autruches,  des  arbres,  etc.,  un  morceau  de  craie 
ou  de  charbon  surfit  pour  cela. 

Un  membre  de  l'Institut  (section  des  beaux- 
arts)  trouverait  sans  doute  ces  dessins  fort  rudi- 
mentaires  ;  mais  cela  n'empêche  nullement  Mama- 


102 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


fodi,  la  grand'mère  de  la  susdite  Krarebe,  d'en  être 
toute  glorieuse,  ainsi  que  son  mari,  le  vieux  Matla- 
kala...  Un  jour,  j'ai  trouvé  notre  jeune  voisine 
modelant  avec  de  la  terre  des  maisonnettes  don- 


MODÈLES    DE    HUTTES    EN    TERRE    GLAISE 


nant  tout  à  fait  l'idée  de  l'architecture  indigène;  les 
deux  huttes  avec  le  «  lelapa  »,  sorte  de  cour  dans 
laquelle  il  y  a  même  des  bancs;  au  grand  étonne- 
ment  de  Krarebe,  je  me  suis  mis  à  dessiner  son 
œuvre  pensant  que  cela  pourrait  vous  intéresser. 


Les  petits  artistes.  103 

Si  un  poète  ancien  a  pu  dire  que  rien  de  ce  qui 
est  humain  ne  peut  lui  être  étranger,  à  combien 
plus  forte  raison  pouvons-nous,  nous  chrétiens,  le 
répéter. 

Aussi  ce  que  font  ces  petits  nous  touche,  car 
leurs  travaux,  petits  et  grands,  sont  la  preuve  que 
la  sagesse  de  Dieu  se  reflète  dans  ceux  que  la  sa- 
gesse humaine  plaçait  naguère  si  bas  et  montre 
une  fois  de  plus  le  lien  qui  relie  entre  elles  toutes 
les  branches  de  la  famille  humaine. 


LA 


Civilisation  chez  les  Bassoutos 


Je  commence  en  vous  disant  en  sessouto  :  Re 
ntse  re  phela  hantle,  ha  mohau  oa  Molimo  (nous 

continuons  de  vivre 
par  la  grâce  de  Dieu). 
Ces  mots  reviennent 
toujours  dans  les  let- 
tres que  les  chrétiens 
bassoutos  écrivent  , 
et  ils  expriment  une 
vérité  que  ni  eux  ni 
nous  ne  devons  ou- 
blier. Cette  simple 
phrase  indique  aussi 
quels  progrès  ont  faits 
les  Bassoutos  depuis  que  l'Évangile  leur  a  été  ap- 
porté par  les  premiers  missionnaires,  il  y  a  plus  de 


AXCIEN    GUERRIER    MOSSOUTO 


io6 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


TABATIERE    EX    BOIS 


soixante  ans.  On  comprend  cette  parole  d'un  de 
leurs  beaux  cantiques,  fait  par  M.  E.  Casalis  :  «  Au- 
jourd'hui  nous   sommes 
des   hommes ,    nous   sa- 
vons prier.  » 

Les  anciens  Bassoutos 
qui ,  avec  leurs  armes , 
boucliers  et  ornements 
de  guerre,  devaient  avoir 
l'air  de  gros  hannetons  en  colère,  seraient  profon- 
dément étonnés,  s'ils  revenaient,  de  rencontrer  un 
de  nos  chrétiens,  ses  lunettes  sur  le 
nez,  lisant  la  Bible  ou  le  Leseli- 
nyana  (la  petite  lumière),  journal 
bimensuel,  imprimé  à  Morija. 

Que  diraient -ils  d'en  voir  un 
autre  —  un  de  nos  instituteurs 
peut-être  —  mettant  sa  montre  à 
l'heure  et  parlant  d'aller  porter  de 
l'argent  à  la  caisse  d'épargne  du  bu- 
reau de  poste  le  plus  voisin?  broche 

Quelle  ne  serait  pas  la  stupéfac- 
tion d'un  de  ces  ancêtres,  en  entrant  dans  cer- 
taines maisons  de  ses  arrière-petits-enfants,  devoir 


La  civilisation  che%  les  Bassoittos.         107 

quelques  volumes  sur  une  planche,  puis,  près  de  la 
table,  d'apercevoir  quelques  chaises  ou  escabeaux 


&Érp 


ÎORGE    INDIGÈNE 


et  des  gravures  coloriées  bien  voyantes  égayant 
les  murs?  Dans  la  chambre  à  côté,  il  entreverrait 


un  lit  en  fer,  un  peu  de  vaisselle  bien  rangée  sur 
une  caisse  façonnée  en  armoire. 


io8 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Notre  ancien  n'y  comprendrait  rien  et  trouverai! 
que  tout  cela  est  bien 
loin  de  l'ocre  rouge,  qui 
suffisait  aux  besoins  de 
luxe  du  temps  passé, 
loin  aussi  des  turpitudes 
du  paganisme ,  où  le 
«  yoala  »,  bière  eni- 
vrante ,  était  le  seul 
idéal  recherché  de  tous; 
bien  lointain  encore  du 
temps  des  guerres  qui, 
si  fréquemment,  déci- 
mèrent la  tribu  et  qui, 
parfois,  étaient  suivies 
d'actes  de  cannibalisme. 

Nous  pouvons  dire 
avec  l'auteur  d'un  beau 
livre  récemment  paru  '  : 
«  Les  temps  ont  marché 
depuis  ;  Jésus,  le  seul 
nom  qu'on  adore  à  travers  tous  les  peuples,  toutes 


MORTIER    ET    PILON 

pour  concasser  le  maïs. 


i.  Jésus-Christ,  par  le  R.  P.  Diilon. 


La  civilisation  che^  les  Bassoutos. 


109 


les  races,  tous  les  temps,  a  grandi,  détruisant  le 

paganisme,  civilisant  la  barbarie,  créant  un  monde 

nouveau.  » 

Les  Bassoutos  sont 
loin  de  savoir  tra- 
vailler le  bois  aussi 
bien  que  les  Congo- 
lais ou  les  Zambé- 
ziens.  Ils  ne  seraient 
pas  non  plus  capables 
de  foire  ces  jolis  et 
singuliers  bijoux,  ou- 
vrages des  Sénégalais 
ou  des  Kabyles,  mais 
ils  ont  cependant  une 
certaine  ingéniosité 
qu'il  faut  reconnaî- 
tre, comme  en  té- 
moignent maints  pe- 
tits travaux  en  bois, 
en  fer,  en  cuivre,  en 

os  ou  en  corne. 
Je  pourrais,  entre  autres,  vous  présenter  une 

quinzaine  de  tabatières  de  toutes  sortes,   collec- 


CHAISE 


110 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


données  par  mon  ami  le  plus  intime, 
fort  différentes,  cela  va  sans  dire,  de 
celles  de  la  collection  Sauvageot,  figu- 
rant au  musée  du  Louvre,  mais  peut- 
être  plus  curieuses;  dommage  seule- 
ment qu'elles  n'aient  pas  la  même  va- 
leur ! 

Les  bracelets  et  surtout  les  broches, 
méritent  une  mention  spéciale  ;  quel- 
quefois, ces  dernières  ont  la  forme 
d'un  bouclier,  d'une  grenouille,  d'une 
hache,  etc.  Elles  sont  faites  en  cuivre 
ou  en  fer,  mais  on  peut  rencontrer  des 
«  bijoutiers  »  qui,  avec  des  monnaies 
d'argent,  font  des  bagues  et  des  bro- 
ches assez  réussies. 

Un  collectionneur  sérieux  ne  dédai- 
gnerait sans  doute  pas  de  posséder  une 
pipe  de  la  façon  d'un  Mossouto;  non 
pas  pour  la  fumer,  fi  donc  !  mais  bien 
piutôt  pour  la  placer  à  côté  d'une 
canne  en  bois  sculpté,  d'une  cuiller 
ou  autre  bibelot  de  même  prove- 
nance. 


La  civilisation  cbe^  les  Bassoutos.         in 

Les  indigènes  imitent  aussi  assez  heureusement 
divers  articles  européens. 

Par  exemple,  la  chaise  ci-devant,  le  chef-d'œu- 
vre de  Benoni,  le  maître  d'école  d'Hermon,  est 
assez  adroitement  faite.  De  même  aussi  le  grand 
mortier  taillé  dans  un  tronc  de  saule,  avec  pilon 


en  bois  d'olivier,  pour  concasser  le  maïs,  que  nous 
possédons  grâce  à  l'habileté  d'un  homme  de  la  sta- 
tion  de  Béthesda.   Le   magistrat  de  Maféteng  a 


112 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


trouvé  ce  monument  si  bien  fait,  qu'il  m'a  demandé 
de  le  joindre  à  tous  les  objets  dont  je  vous  parle 
pour  faire  partie  d'un  envoi  que  le  gouvernement 
prépare  pour  l'exposition  qui  doit  avoir  lieu  dans 

quelques  mois  à  Kim- 
berley,  la  ville  aux 
mines  de  diamants1. 

Vous  pensez  bien 
que  comme  collec- 
tionneur j'ai  été  flatté 
de  la  chose  :  on  de- 
vient si  vite  orgueil- 
leux ! 

Quant  au  chapeau 
de  fantaisie  reproduit 
ici,  il  faut  avouer  qu'il 
rappelle  fort  peu  le  fa- 
meux   «  tuyau    de 
poêle  »;  je  l'ai  copié  aussi  fidèlement  que  possible 
d'après  nature.  On  a  beaucoup  plus  envie  de  l'ad- 
mirer que  de  le  porter,  et,  vous  savez,  les  cha- 


FIGURINE     GRECQUE 
Du  musée  du  Louvre 


I.  Chose  étrange,  on  retrouve  ce  mortier  et  son  pilon  sur  des  peintures 
de  vases  antiques  et  dans  la  collection  des  figurines  grecques  du  musée  du 
Louvre. 


La  civilisation  che?  les  Bassoutos.         n 


peaux  d'hommes  ne  sont,  en  général,  pas  gâtés 
sous  le  rapport  des  louanges!... 
Si    les  garçonnets  se 
font,   comme    je  vous 
l'ai    dit    une  fois,  des 
sortes  de  jouets ,  les 
papas  bassoutos,  tout 
comme    leurs    col- 
lègues  français, 
savent  aussi 
faire  plai- 
sir à  leurs 

VOITURE   D'ENFANTS  r 

entants. 
Je  vous  assure  que  le  jeune  Letsosa  était  bien 


JOUET,    CHEVAL    A    ROUES 

glorieux  de  tirer  la  petite  voiture  que  son  père,  le 


SUD    DE    L  AFRIQUE 


1 14        Au  Sud  de  l'Afrique. 


brave  évangéliste  Onesima  Motsieloa, 
lui  avait  fabriquée.  Un  autre  fera,  pour 
son  fils,  un  cheval  en  terre  glaise  avec 
des  roues  qui  roulent,  ce  qui  est,  comme 
vous  savez,  une  grande  qualité  pour  des 
roues  ! 

Ou  bien  encore,  notre  fidèle  Pétréa 
confectionnera,  pour  une  de  ses  petites 
sœurs,  une  poupée  que  je  m'empresse- 
rai de  dessiner  pour  vous  montrer  son 
savoir-faire. 

Puisque  je  vous  parle  de  Pétréa,  je 
profite  de  l'occasion  pour  vous  offrir 
son  portrait  dans  sa  toilette  du  diman- 
che, car,  comme  elle  désirait  avoir  son 
portrait  pour  donner,  je  suppose,  à  son 
fiancé,  elle  a  de  suite  consenti  à  poser. 
Elle,  et  en  général  les  jeunes  filles  chré- 
tiennes, commencent  à  penser  un  peu 
trop  à  la  toilette  et  quand  on  fait  une 
observation  à  ces  demoiselles,  elles  ré- 
pondent d'une  manière  triomphante  : 
«  he  moda  on  roua  !  »  (c'est  notre  mode  !) 

Naturellement  ce  n'est  pas  la  mode 


PHTRÉA,   JEUNE  FILLE    CHRÉTIENNE 


1 1 6  Au  Sud  de  l'Afrique. 

suivie  par  les  familles  missionnaires  qu'elles  choi- 
sissent, mais  bien  celle  qu'elles  observent  dans  les 
villages  de  la  Colonie  et  de  l'État  libre  de  l'Orange. 

Parfois  elles  montrent  assez  de  goût,  mais  sou- 
vent, par  leur  exagération,  on  dirait  qu'elles  tien- 
nent à  bien  nous  faire  savoir  que  l'épargne  ména- 
gère leur  est  tout  aussi  étrangère  que  l'économie 
politique. 

D'autres  marques  sensibles  de  la  civilisation  nous 
réjouissent  plus,  car  elles  témoignent  de  progrès 
intellectuels  ;  et,  comme  l'a  dit  un  savant  géogra- 
phe *  :  «Chez  les  Bassoutos,  la  civilisation  n'est 
pas  seulement  extérieure  et  ne  consiste  pas  unique- 
ment à  remplacer  les  vêtements  de  peau  par  des 
vêtements  de  laine  et  de  coton  importés  d'Angle- 
terre, et  à  bâtir  des  maisonnettes  de  briques  ou  de 
pierres  au  lieu  de  huttes  de  branchages.  Il  est  des 
Bassoutos  qui  réfléchissent,  discutent  les  idées  et 
suivent  leur  voie  personnelle.  » 

Lors  des  premiers  temps  de  la  mission,  une  let- 
tre était  un  événement  fort  émotionnant  ;  celui 
qui  en  était  chargé  la  fixait  au  bout  d'un  roseau 


I.   L'Afrique  iiièriilionale,  par  M.  E.  Recl 


FACTEUR   IXDIGÈXE 


1 1 8  Au  Sud  de  l'Afrique. 

fendu  à  son  extrémité  et  la  portait  comme  une 
bannière  à  son  destinataire.  De  nos  jours,  le  bu- 
reau de  poste  de  Morija,  pour  ne  parler  que  de  ce- 
lui-là, reçoit  en  moyenne  de  deux  cent  cinquante 
à  trois  cents  lettres  par  semaine. 

Autre  fait  se  rattachant  à  la  poste  :  un  indigène 
est  chargé,  à  la  suite  d'un  contrat  pas?é  avec  le 
gouvernement,  du  service  de  la  poste  de  Maféteng 
à  Mohale's  Hoek,  et  fait  fonctionner  ce  service  deux 
fois  par  semaine  avec  une  rigoureuse  exactitude, 
en  se  rendant  compte  de  la  responsabilité  qui  pèse 
sur  lui. 

Mais  si  je  continue  sur  ce  chapitre,  je  risque  de 
m'étendre  un  peu  trop,  écueil  que  je  veux  éviter 
autant  que  faire  se  peut. 

Il  faudrait  vous  parler  des  cultures,  qui  ont  re- 
marquablement progressé.  Nombre  d'indigènes 
cultivent,  à  la  charrue,  bien  entendu,  d'abord  les 
céréales,  puis  aussi  un  peu  les  pommes  de  terre,  les 
melons,  les  haricots,  oignons,  tabac,  betteraves,  etc. 

Je  devrais  de  plus  vous  mentionner  les  travaux 
des  élèves  de  notre  école  industrielle  de  Leloaleng. 
Le  beau  bâtiment  qui  figure  ci-après,  a  été  inau- 
guré il  n'y  a  pas  longtemps  ;  il  prouve  en  faveur  de 


La  civilisation  cht\  les  Bassontos.         119 


l'école  et  de  ses  élèves-tailleurs  de  pierres,  maçons 
et  charpentiers.  Je  vous  recommande  aussi  chaude- 
ment les  bancs,  tables, 
armoires,  etc.,  qu'on  y 
fait  pour  quand  vous  de- 
vrez vous  mettre  en  mé- 
nage. 

Les  jeunes  filles  des 
stations  comme  Morija, 
Hermon,  etc.,  sans  ou- 
blier celles  de  l'école  su- 
périeure de  Thaba-Bos- 
siou,  arrivent  à  tricoter 
des  bérets  qui  se  vendent 
très  aisément  et  des  bas 
presque  aussi  bien  qu'une 
grand'maman  euro- 
péenne. 

Qui  sait  même  si   les 

blanchisseuses    de    Meu- 

don   ne   seraient  pas  un 

peu  jalouses  de  plusieurs  de  leurs  émules  du  Les- 

souto,  moins  bruyantes  probablement  et  tout  aussi 

habiles? 


POUPÉE   EN    CHIFFONS 


ÉCOLE    INDUSTRIELLE    DE    LELOALENG,    D'APRÈS 


PHOTOGRAPHIES   FAITES   PAR   M.    ANDRÉ   GERMOND 


I  22 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Je  pourrais  également  vous  citer  tel  indigène  de 
ma  connaissance  qui,  sans  l'avoir  appris,  raccom- 
mode les  selles  presque  aussi  bien  qu'un  sellier  de 
profession.  D'autres  sont  ma- 
çons ou  couvreurs  à  la  satis- 
faction générale,  sans  plus 
d'apprentissage  régulier,  Ils 
font  même  des  œuvres  d'art, 
témoin  la  chaire  de  la  cha- 
pelle de  Ditsueneng,  une  an- 
nexe de  l'église  d'Hermon  ! 

Pour  bien  faire,  je  devrais 
aussi  vous  conduire  à  l'im- 
primerie et  h  l'atelier  de  re- 
liure de  Morija ,  établisse- 
ments qui  font  grand  honneur 
à  leur  fondateur-directeur,  le 
regretté  M.  A.  Mabille,  comme 
aussi  à  nos  Bassoutos.  canne 

Tous     les     ouvrages    pri- 
maires et  bien  d'autres  sortent  de  là,  et  pas  en 
petit  nombre,  comme  vous  pouvez  en  juger  par  le 
dessin  reproduit  plus  loin  (p.  136-137)  et  qui  re- 
présente plusieurs  des  livres  imprimés  au  Lessouto. 


JOSB^J 


124  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Quant  aux  chiffres  des  tirages,  je  ne  vous  men- 
tionnerai que  l'Abécédaire,  dont  il  a  été  tiré,  jus- 
qu'à présent,  plus  de  cent  trente  et  un  mille  exem- 
plaires. 

La  Bible  a  été  imprimée  en  Angleterre  en  1881, 
et  forme  un  beau  volume  bien  relié,  doré  sur  tran- 
ches et  orné  de  cartes.  Il  en  est  vendu  chaque  an- 
née de  quatre  à  cinq  cents  et  environ  quinze  cents 
exemplaires  du  Nouveau  Testament. 

Je  ne  peux  pas  oublier  l'école  normale  installée 
aussi  à  Morija;  elle  est  certainement,  dans  ses  ré- 
sultats, une  des  plus  belles  preuves  du'  développe- 
ment intellectuel  que  les  indigènes  peuvent  at- 
teindre. Depuis  sa  fondation,  il  y  a  une  vingtaine 
d'années,  plus  de  cent  de  ses  élèves  ont  obtenu  le 
brevet  d'instituteurs  primaires  dans  les  examens 
du  gouvernement  de  la  colonie  du  Cap,  où  blancs 
et  noirs  sont  exactement  soumis  au  même  pro- 
gramme. 

Notre  école  biblique,  fondée  et  dirigée  par  le 
vaillant  M.  A.  Mabille,  doit  aussi  être  signalée,  car 
elle  a  formé  nombre  de  catéchistes  dévoués  qu'on 
retrouve  non  seulement  au  Lessouto,  dans  l'État 
libre  de  l'Orange,  dans  le  Transvaal,  mais  aussi 


La  civilisation  che%  les  Dassoutos.         r 2s 

dans  le  Béchuanaland  et  jusqu'aux  rives  du  Zam- 
bèze. 


CHAIRE    DE   LA   CHAPELLE    DE    DITSUENEXG 


Pour  ce  qui  regarde  les  écoles  primaires  (qui  s'é- 


126  Au  Sud  de  l'Afrique. 

lèvent  à  environ  cent  quarante  et  comptent  plus 
de  sept  mille  enfants),  il  est  intéressant  de  vous  ci- 
ter ce  qu'en  disait,  il  y  a  environ  trois  ans,  un  ins- 
pecteur des  écoles  du  gouvernement,  qui,  sur  l'in- 
vitation du  magistrat  supérieur  du  Lessouto,  a 
visité  bon  nombre  de  nos  écoles  de  stations  et 
d'annexés  :  «  Il  n'est  pas  douteux,  dit-il  dans  son 
rapport  imprimé  à  Morija,  que  ces  écoles  arrivent 
à  dépasser  celles  des  autres  indigènes  du  sud  de 
l'Afrique,  comme  la  race  des  Bassoutos  dépasse  les 
mitres  en  énergie  et  en  intelligence.  » 

Toutefois,  le  grand  progrès  ne  se  trouve  pas 
dans  les  avantages  de  la  civilisation  qui  s'étendent 
chaque  jour  davantage,  malgré  les  efforts  d'un 
paganisme  vivace;  il  n'est  pas  non  plus  dans  le 
développement  intellectuel  de  nos  Bassoutos,  mais 
dans  le  fait  qu'ils  connaissent  les  mots  de  :  devoir, 
conscience,  fidélité,  foi...,  qu'ignoraient  leurs 
pères. 

Il  faut  bien  se  garder  de  trop  généraliser  les  pro- 
grès dont  je  viens  de  vous  parler  ;  //  reste  beaucoup 
à  faire  encore  et  dans  tous  les  sens,  ne  l'oublions  pas. 

Les  chrétiens  ne  forment  qu'une  infime  mino- 
rité, et  parmi  eux,  bien  souvent  des  chutes  ou  des 


La  civilisation  che^  les  Bassontos.         127 

défections  nous  attristent  ;  leur  vie  spirituelle  a  be- 
soin de  se  développer,  leur  foi  de  s'affermir... 

Mais  à  l'heure  où  la  science  croit  devoir  répéter 
son  dédaigneux  jugement  :  «  La  race  noire  n'a  que 
peu  ou  point  d'âme'  »,  il  est  bon  de  constater  que 
le  développement  de  la  mission  et  de  la  civilisation 
parmi  les  Bassoutos  affirme  l'unité  de  la  grande  fa- 
mille humaine  et  la  puissante  vitalité  de  cet  Evan- 
gile qu'on  essaye  d'oublier  ou  de  rabaisser. 

Je  termine,  comme  j'ai  commencé,  à  la  sessouto, 
en  vous  disant  :  «  Lumelang  ba  heso!  »  c'est-à-dire  : 
«  Salut,  gens  de  chez  nous  !  » 


i.   La  Cité  motlerue,  par  J.  Izoulct,  citation  faite  par  la  Revue  chrétien  ne 
juin  1895. 


Quelques  inconvénients 


Civilisation  chez  les  Bassoutos 


Rassurez- vous,  je  ne  vais  pas  dire  du  mal  de  la 
civilisation,  mais  seulement  vous  faire  remarquer 
certains  mauvais  effets  qu'elle  peut  produire. 

L'homme,  a-t-on  dit,  est  un  grand  enfant,  et 
l'enfant  un  petit  homme.  Cela  est  vrai  pour  les 
nègres  comme  pour  nous,  et  tous,  grands  enfants 
et  petits  hommes,  nous  sommes  bien  plus  disposés 
à  imiter  le  mal  que  le  bien. 

Il  en  est  ainsi,  par  exemple,  dans  la  question  de 
l'eau-de-vie  qui  fait  tant  de  mal  dans  notre  Europe, 
et  qui  exerce  aussi,  malgré  les  lois  gouvernemen- 
tales, ses  ravages  parmi  les  noirs  de  l'Afrique  du 
Sud,  qu'elle  ruine  au  physique  comme  au  moral. 


SUD    DE    L  AFRIQUE 


130  Au  Sud  de  V Afrique. 

Le  petit  village  de  Wepener,  situé  près  d'ici,  mais 
dans  l'Etat  libre  d'Orange,  est  un  endroit  des  plus 
civilisés  ;  il  y  a  une  église  réformée  hollandaise  en 
pierres  de  taille,  avec  un  beau  clocher  muni  d'une 
grosse  horloge  qui  bat  souvent  la  campagne,  il  est 
vrai  —  nous  avons  tous  nos  défauts,  —  mais  elle 
fait  très  bien  dans  le  paysage,  ce  qui  n'est  pas  tou- 
jours notre  cas... 

Wepener  possède  également  une  chapelle  an- 
glaise en  briques  rouges,  un  bureau  de  poste  et 
télégraphe,  une  belle  prison  toute  neuve,  quatre  à 
cinq  magasins,  une  pharmacie  avec  un  grand  bocal 
jaune,  puis  une  bibliothèque  publique  comptant 
bien  200  volumes  tous  reliés,  et,  au  milieu  de  tous 
ces  efforts  de  la  civilisation,  nombre  de  Bassoutos 
ne  remarquent  que  la  «  cantine  »  ! 

Il  y  a  aussi  des  courses  dans  le  pays,  ce  qui  n'a 
rien  d'extraordinaire,  puisqu'il  y  a  des  Anglais  et 
aussi  des  chevaux  dans  la  contrée;  ce  qu'il  y  a  de 
plus  grave,  c'est  que  le  «  pari  mutuel»,  cette  lèpre 
qui  fait  tant  de  victimes  ailleurs,  y  apparaît  aussi 
dans  une  certaine  mesure,  et  que  les  indigènes  ont 
trouvé  moyen  de  s'y  livrer  !  D'autres  passent  des 
heures  enfermés  dans  une  petite  hutte,  à  jouer  avec 


I 


.  'EL* 


fa 


Il  m 


U2 


An  Sud  de  l'Afrique. 


des  cartes  aussi  graisseuses  que  le  vêtement  d'un 
Esquimau  et  semblent  y  prendre  plaisir  ! 

Les  Bassoutos  fument...  Je  ne  vais  pas  médire 
des  fumeurs  ni  de  leurs  amis  les  priseurs,  ni  m'in- 
génier  à  décider  que  priser  ou  fumer  sont  des 
qualités  ou  des  défauts;  mais,  franchement,  si  la 
civilisation  n'avait  eu  que  la  pipe  ou  la  tabatière  à 
introduire  dans  le  pays,  elle  aurait  aussi  bien  pu 
rester  chez  elle  ! 

Les  Bassoutos,  nous  en 
avons  déjà  parlé,  commen- 
cent à  aimer  la  toilette , 
mais  ils  aiment  aussi  les 
bijoux  —  encore  une  qua- 
lité qui  est  bien  près  d'être 
son  contraire  ;  —  leurs 
goûts  sont  encore  simples, 
car  ils  se  contentent  de 
broches  et  de  bracelets  de 
cuivre  ou  de  fer  fabriqués 

par  des  «  joailliers  »  indigènes  ;  cependant,  les 
personnes  plus  fortunées  se  procurent  chez  les 
marchands  des  broches  magnifiques  ou  des  boucles 
d'oreilles  et  des  bagues  en  «  doublé  »,  ornées  par- 


LA    PIPE    D  LN    ZOULOU 


La  civilisation  cbe^  les  Basson tos. 


133 


fois  de  diamants  valant  bien 
trente  centimes  les  deux  ! 

En  fait  de  boucles  d'oreilles, 
les  Zoulous  sont,  je  crois,  les 
plus  pratiques  :  on  fait  un  trou 
dans  le  lobe  de  l'oreille  et  l'on 
y  passe  sa  pipe,  cela  est  com- 
mode, peu  coûteux  et  tout  à 
fait  distingué. 

Je  ne  dis  rien  des  gants  dont 
quelques  Bassoutos  commen- 
cent à  se  servir;  cependant  cela 
fait  un  singulier  effet  de  leur 
en  voir,  ceux  que  la  nature  leur 
a  donnés  leur  allant  si  bien  ! 

Les  élèves  des  écoles  ont  em- 
prunté des  jeux  aux  enfmts 
blancs.  Les  "arçons  de  l'école  à 


134  *4u  Sud  de  l'Afrique. 

Hermon  jouent  aux  barres  ou  à  saute-mouton, 
pendant  que  les  rillettes  sautent  à  la  corde  ou 
jouent  aux  osselets.  Il  n'y  a  rien  à  redire  a  cela, 
j'aimerais  même  me  joindre  à  eux  si  mes  moyens 
me  le  permettaient.  Mais  ce  que  j'ai  dû  défendre, 
ce  sont  les  mauvaises  farces  que  les  anciens  élèves 
faisaient  aux  nouveaux  arrivants.  A  l'école  nor- 
male de  Morija  et  ailleurs,  on  a  aussi  dû  s'élever 
contre  ces  sortes  de  brimades  !  D'où  les  Bassou- 
tos  ont-ils  pris  ces  sottes  pratiques  ?  En  tous  cas, 
je  vous  prie  de  croire  que  je  ne  leur  ai  jamais  fait 
confidence  des  vexations  que  j'ai  eu  à  subir  à  l'É- 
cole des  Beaux-Arts  quand  j'étais  le  nouveau. 

La  civilisation  tant  vantée  n'arrête  pas  le  paga- 
nisme, témoin  le  dessin  ci -après  fait  d'après  une 
photographie  et  représentant  l'un  des  principaux 
chefs  du  Lessouto  dirigeant  un  mohobelo  ou  fête 
païenne,  en  costume  européen  et  armé  du  îhébé, 
ancien  bouclier  de  guerre,  devenu  ornement  de 
danse  (voir  p.  139). 

Bien  plus,  la  civilisation  sans  l'Evangile  est  fu- 
neste aux  noirs  ;  du  reste  pour  nous-mêmes,  elle 
n'est  qu'un  verni  qui  cache  à  peine  le  mensonge 
et  la  mort. 


La  civilisation  che^  les  Bassoutos.         135 


Dans  combien  d'endroits  de  la  terre  africaine 
pourrait-on  répéter  ces  mots  d'un  missionnaire  du 


BROCHES,    ÉPINGLES,   BAGUES 

Lessouto  '  :  «  Les  blancs  corrompent  les  sauvages 


1.   Pourquoi  les  missions,  par  D  Hietleern. 


QUELQUES-UNS   DES   LIVRES   IMPRIMÉS 


ISSOUTO   ET   IMPRIMERIE    DE  MORIJA 


138  Au  Sud  de  l'Afrique. 

et  leur  apportent  des  misères  et  des  vices  qu'ils  ne 
connaissaient  pas.  »  C'est  justement  ce  que  dit  de 
son  côté  un  écrivain  '  célèbre  dans  un  livre  connu  : 
«  Nous  civilisons  avec  nos  vices.  » 

Comme  on  comprend  le  roi  chrétien  Khama2, 
du  pays  des  Bamangouato,  au  sud  du  Zambèze, 
qui,  voyant  les  progrès  de  l'eau-de-vie  empoison- 
nant son  pays,  s'écriait  :  «  Je  redoute  la  boisson  du 
blanc  plus  que  toutes  les  assagaies  des  Matébélés  !  » 

Cela  s'explique  :  les  blancs  donnant  si  souvent 
le  funeste  exemple  de  l'amour  de  l'argent  et  d'une 
soif  immodérée  de  plaisir,  comment  les  noirs  ne 
les  suivraient-ils  pas,  eux  pour  lesquels  le  premier 
blanc-bec  venu  est  un  modèle  à  imiter  ? 

Les  missionnaires  d'il  y  a  cinquante  ans  n'ont 
eu  affaire  qu'à  des  païens,  tandis  que  maintenant 
nous  avons  des  Bassoutos,  non  seulement  incré- 
dules mais  sceptiques,  ce  qui  prouve  une  fois  de 
plus  que  s'il  y  a  des  païens  par  ignorance,  il  y  en 
a  d'autres  qui  le  sont  par  choix. 

Mais  il  y  a  des  Bassoutos  qui  écoutent  la  voix 


1.  A.  Daudet,  Tartariu  de  Tarascou. 

2.  Voir  L'Ami  de  la  Jeunesse,  septembre  1S96. 


La  civilisation  che~  les  Bassontos.         139 

de  leur  conscience,  le  développement  important 
des  églises  de  ce  pays  est  là  pour  en  témoigner. 


CHEF  DIRIGEANT  UNE   DANSE 


Un  fait  qui  me  fut  dans  le  temps  raconté  par 
notre  regretté  collègue,  M.  Duvoisin,  et  par  lequel 


140  Au  Sud  de  l'Afrique. 

je  termine  ces  quelques  observations ,  peut  ici 
trouver  sa  place. 

Une  païenne  qui  se  sentait  inquiète  et  tour- 
mentée par  des  pensées  religieuses,  se  demandait 
ce  qu'elle  pouvait  faire.  Elle  alla  trouver  une  de 
ses  voisines,  une  païenne  comme  elle,  mais  qui 
plusieurs  fois  était  allée  à  l'église,  et  lui  demanda 
si  elle  savait  prier. 

Celle-ci  lui  répondit  :  Hélas  !  je  ne  sais...  Et  les 
voilà  tristes  toutes  deux...  Quand,  tout  à  coup, 
cette  dernière  s'écrie  :  Je  me  souviens  que  j'ai  en- 
tendu dire  que  quand  on  ne  sait  pas  prier  il  faut 
dire  :  a  Seigneur,  enseigne-moi  à  prier  !  » 

Voici  cette  fois  un  bon  exemple  à  suivre  pour 
les  noirs  comme  pour  les  blancs. 


Médaille  d'argent  î . . 


NOTICE  SUR  LES  BUSHMEN 


La    collection   d'objets   indigènes    que  j'ai    pu 
réunir  —  tant  ceux  se  rapportant  à  l'industrie  des 

Bassoutos  que  ceux  se 
rattachant  au  passé  et  à 
l'histoire  naturelle  de 
leur  pays  —  a  figuré  à 
l'exposition  de  Kimber- 
ley,  l'une  des  villes  les 
plus  importantes  du  sud 
de  l'Afrique. 

Ladite  exposition 
vient  de  se  fermer,  et 
j'apprends  que  j'ai  ob- 
tenu une  médaille  d'argent  !  Voilà  un  honneur  au- 
quel je  ne  m'attendais  guère  en  venant  en  mission  ! 


MEDAILLE 
DE   L'EXPOSITION  DE   KIMLERLEV 


142 


Ait  Sud  de  l'Afrique. 


Il  y  a  plus  de  vingt  ans  que  j'ai  eu  mes  dernières 
médailles  à  l'École  des  Beaux-Arts  de  Paris,  aussi 
les  émotions  qu'elles  me  causaient  sont  bien  loin  de 
moi.  Cependant,  je  ne  ferai  peut-être  pas  mal  de 
me  procurer  un  souffleur  de  bonne  volonté  pour 
me  répéter  quelque  chose 
comme  au  triomphateur 
romain  de  l'ancien  temps  : 
«  Tout  lasse,  tout  passe, 
tout  casse  !  » 

Cette  médaille,  je  le  vois 
bien,  n'est  pas  tout  à  fait  à 
moi,  et,  si  vous  le  voulez, 
nous  allons  donner  à  cha- 
cun la  part  qui  lui  revient. 

Parmi  les  quelques  des- 
sins qui  étaient  joints  à  mes 
bibelots,  figuraient  quel- 
ques copies  de  peintures 
faites  par  des  Bushmen. 

Ces  Bushmen,  qu'on  croit  avoir  été  les  premiers 
occupants  de  l'Afrique  australe,  étaient  de  véri- 
tables artistes.  On  suppose  qu'ils  sont  parents  des 
Hottentots,  mais  on  peut  affirmer  qu'en  revanche, 


TITUS   LE    VIEUX   BUSHMAN 

(D'après  une  photographie.) 


144  du  Sud  de  l'Afrique. 

ils  n'ont  aucun  rapport  avec  les  écoles  de  peinture 
classique,  réaliste,  impressionniste,  pleinairiste  ou 
autres.  Leurs  œuvres  n'excitent  sans  doute  pas 
autant  d'admiration  que  le  Radeau  de  la  Méduse  ou 
Y  Apothéose  d'Homère,  mais  on  est  cependant  saisi 
d'intérêt  pour  ces  artistes  sauvages,  qui,  avec  des 
procédés  de  leur  invention,  dessinaient  ou  plutôt 
peignaient  avec  une  grande  finesse  et  en  plusieurs 
couleurs,  sur  des  parois  de  rochers,  dans  des  ca- 
vernes, des  scènes  de  guerre  ou  de  chasse,  où  l'on 
découvre  une  observation  des  formes  et  des  mou- 
vements vraiment  remarquable. 

Comme  il  est  difficile  d'emporter  une  caverne, 
j'ai  dû  copier,  le  plus  fidèlement  possible,  les  rares 
peintures  que  j'ai  réussi  à  rencontrer,  j'en  ai  vu 
une  dans  les  environs  de  Thaba-Bossiou  repré- 
sentant, tant  bien  que  mal,  des  guerriers  tirant  de 
Tare.  Dans  les  montagnes,  près  de  la  station  de 
Sebapala,  j'ai  copié  une  scène  de  chasse;  mais  la 
plus  complète  et  peut-être  la  plus  curieuse  qu'on 
puisse  voir  est  dans  une  sorte  de  caverne,  près  la 
station  d'Hermon. 

Ci-contre  je  vous  présente  la  copie  que  j'en  ai 
faite,  pour  que  vous  ayez  une  idée  du  talent  de  ces 


Médaille  d'argent. 


r45 


étranges  artistes  peintres1.  Mais  on  retrouve  dans 
tout  le  Sud  africain  des  travaux  artistiques  des 
susdits  Bushmen  :  dans  le  Damaraland  où  ils  sem- 
blent tenir  autant  d'une  sorte  d'écriture  que  du 
dessin  ;  dans  le  Transvaal  ils  sont  gravés  sur  des 
pierres  noires  très  dures. 


-  \        -  ) 


PEINTURE    (TIREURS    d'arc) 


Les  Bushmen  se  servaient  d'une  pierre  percée 
d'un  trou  dans  lequel  ils  passaient  un  bâton  pour 
chercher  leur  nourriture  dans  des  fourmilières,  etc. 


i.  Cette  peinture  représente  une  bande  de  Matébélés  attaquant  une  troupe 
de  Bushmen,  dont  la  plupart  t'ont  face  a  l'ennemi,  pendant  que  d'autres  cher- 
chent à  protéger  un  troupeau  contre  les  assaillants.  (Voir  le  Bulletin  de  la 
Société  de  géographie.  Paris,  1884.) 


SUD    DE    L  AFRIQUE 


10 


146 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Il  est  intéressant  de  remarquer  que  ces  pierres, 
dont  le  nom  est  «  qibi  » , 
sont  absolument  sem- 
blables à  celles  dont 
usaient  les  Californiens 
pour  creuser  le  sol  et  en 
extraire  des  racines  co- 
mestibles. Plusieurs  des 
unes  et  des  autres  figu- 
rent au  musée  d'ethno- 
graphie  du  Trocadéro, 

b      r  '  QIBI,    PIERRE   DE   BUSHMAN 

à  Paris. 

Les   Bushmen  ou    Boschjesmannen    —    mots 
anglais  et  hollandais  signifiant  tous  deux  hommes 


DESSIN-ÉCRITURE   (DAMARALAND) 


des  bois  —  ont  été,  dans  le  temps,  traqués  et  dé- 
truits  comme  des  bêtes  sauvages,   tant   par  les 


Médaille  d'argent. 


147 


blancs  que  par  les  noirs.  Ce  sont,  disait  Levaillant  ' 
un  de  nos  compatriotes  qui  a  parcouru  le  sud  de 


..;'."■- 


y 


[  :.  ]:' 


U4 


PEINTURE   (CHASSE   A    L'ÉLÉPHANT) 

l'Afrique  il  y  a  un   siècle,    «  de  vrais  pirates  de 


I.    Voyage   dans    l'intérieur   de    l'Afrique   et  au   cap   de   Bonne-Espérance. 
1790. 


148  Au  Sud  de  l'Afrique. 

terre,  abandonnés  à  tous  les  excès  du  désespoir  et 
de  la  misère  » . 

Il  y  a  cinquante  ans,  le  zélé  missionnaire  Th. 
Arbousset  pouvait  encore  dire1  :  «  La  seule  vue 
d'une  face  blanche  les  jette  dans  des  transes  de 
frayeur.  » 

Aujourd'hui,  ils  ont  à  peu  près  disparu  du  pays; 
j'en  ai  rencontré  parfois  un  ou  deux  vivant  très 
misérablement,  mais  il  faut  aller  très  loin  pour  en 
rencontrer  des  groupes  un  peu  importants. 

Leur  nom  indigène  est  Baroa  et  est  encore 
une  grave  injure  parmi  les  Bassoutos,  car  il  est 
synonyme  d'êtres  méchants  et  dégradés. 

Quant  à  leurs  peintures,  puis  à  leurs  flèches 
empoisonnées,  qui  leur  avaient  valu  le  surnom 
d' hommes-scorpions2,  elles  prouvent  que  ces  mé- 
prisés étaient  plus  développés  que  toutes  les  autres 
races  qui  peuplent  l'Afrique  du  Sud...  Il  est  à 
observer  que  les  Bassoutos  eux-mêmes  essaient 
d'imiter  des  dessins  de  ceux-ci  pour  orner  des  ca- 
lebasses ou  des  cannes,  comme  celle  dont  nous 
donnons  plus  loin  une  reproduction  détaillée. 


I     Voyage  au  nord-est  île  la  colonie  du  Cap.  1842 
2.   Mes  Souvenirs,  par  E.  Casalis. 


150  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Ainsi  donc,  soyons  justes  :  à  eux  la  moitié  de  la 
médaille  ! 

J'ai  aussi  envoyé,  à  la  même  exposition,  des 
poupées  —  mais  oui,  des  poupées  —  cela  vous 
étonne  ? 

J'ajoute  même  que  j'y  tiens  beaucoup  et  que  je 
les  soigne  presque  aussi  bien  que  votre  petite 
sœur  les  siennes. 

Mes  poupées  représentent  des  Bushmen  et  sont 
faites  en  peau  par  une  Boerine  de  l'État  libre  de 
l'Orange.  Si,  d'une  part,  elles  prouvent  l'habileté 
de  cette  bonne  dame,  de  l'autre,  elles  nous  indi- 
quent l'intérêt  qu'on  a  encore  pour  ces  étranges 
sauvages. 

Les  Hottentots,  cousins  de  ces  derniers,  ne  sont 
pas  non  plus  si  sots,  comme  peut  déjà  nous  le  con- 
firmer un  seul  fait  :  beaucoup  d'entre  eux  se  servent, 
pour  moudre  leur  grain,  d'un  moulin,  peut-être  de 
leur  invention,  étonnamment  semblable  à  celui  en 
usage  en  Palestine,  où  ils  n'ont  certainement  pas 
été  le  copier  (voir  p.  157). 

Reste  à  partager  l'autre  moitié  de  la  médaille, 
ce  qui  sera  facile  :  M.  F.  H.  Krùger  a  droit  à  en 
avoir  une  part  pour  sa  carte  du  Lessouto  que  j'ai 


Médaille  d'argent. 


T5i 


aussi  envoyée  à  Kimberley.  Notre  ami  Dieterlen 


POUPEE    REPRESENTANT   UN    BUSH.MAN 


peut,  de  même,  en  réclamer  une  partie  ;  sa  mâ- 
choire ou  plutôt  la  mâchoire  d'hippopotame  que 


PEINTURE   DANS   UN: 


t  B 


ui!laumE,s*. 


iTERNE   PRES    HERMON 


154 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


je  lui  ai  empruntée,  a  été  très  admirée.  Ces  curieux 
ossements  trouvés  à  Ditsueneng,  annexe  de  l'église 
d'Hermon,  témoignent  que  la  rivière  Calédon, 
qui  nous  semble  maintenant  si  bourgeoise,  a  eu  un 


MACHOIRE    D  HIPPOPOTAME 


temps  héroïque  où  les  hippopotames  se  jouaient 
sur  ses  bords  sans  crainte  du  qu'en-dira-t-on. 

Enfin  les  amis  qui  m'ont  fourni  des  fragments 
de  bois  ou  d'os  pétrifiés  ont  aussi  droit  à  une 
fraction  de  ladite  médaille,  tout  comme  M.  Kohler 
qui  m'a  procuré  un  crâne  humain  trouvé  dans  la 
caverne  des  cannibales,  près  de  la  station  de  Cana, 


!    » 


r: 


1T    H 


■S 

s*  K 


CANNE    AVEC    DESSINS   GRAVES   PAR    UN    MOSSOUTO 


i56 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


crâne  ayant  des  traces  de  brûlures  et  de  coups 
portés  avec  un  instrument  tranchant. 

Les  jolis  ouvrages  en  perles  faits  par  les  Fingous 
habitant  ce  pays  méritent  aussi  une  mention  spé- 
ciale. Vous  pouvez  en  juger 
par  le  portrait  ci-contre  fait 
d'après  nature. 

Voyez  qu'en  payant  mes 
dettes,  il  ne  me  reste  pas 
grand'chose  de  cette  mé- 
daille... à  peine  le  revers! 

Mais  mon  but,  en  vous 
parlant  de  tout  ceci,  est  de 
vous  faire  remarquer  com- 
bien l'esprit  humain  a  subi, 
sans  le  vouloir,  l'influence 
de  l'Evangile  et  de  l'esprit 
missionnaire.  Il  n'y  a  pas 
longtemps  que  les  savants 

ne  voyaient  dans  les  Bushmen,  Hottentots,  Bé- 
chuana  et  autres  Africains,  que  «  le  chainon  inter- 
médiaire entre  la  créature  intelligente  et  la  brute  ». 

Combien  de  gens  répétaient  très  sérieusement 
le  mot  ironique  de  Montesquieu  :  «  On  ne  peut  se 


JEUNE    FILLE    FINGOUE 
Avec  ses  ornements  Je  danse. 


Médaille  d'argent. 


157 


mettre  dans  l'esprit  que  Dieu,  qui  est  très  sage,  ait 
mis  une  âme,  surtout  une  âme  bonne,  dans  un 
corps  tout  noir  !  » 


MOULIM    HOTTEN'TOT 


Aujourd'hui ,  les  musées  d'ethnographie  re- 
cueillent soigneusement  les  objets  provenant  de 
n'importe  quelle  peuplade  africaine,  et  il  n'est  pas 
un  d'eux  qui  ne  serait  fier  de  pouvoir  montrer  dans 
ses  collections  tout  ou  partie  d'une  de  ces  pein- 
tures de  Bushmen,  dont  je  viens  de  vous  parler. 


158  Au  S  ad  de  l'Afrique. 

Ce  n'est  pas  tout  :  la  science,  autrefois  si  dédai- 
gneuse à  l'égard  des  noirs,  écrit,  par  la  plume  d'un 
des  savants  les  plus  autorisés  de  notre  époque r  : 
«  Tous  les  hommes  appartiennent  à  une  seule  et 
même  espèce  et  possèdent  une  nature  fondamen- 
talement identique.  » 

Justement  comme  l'apôtre  Paul,  qui  disait,  il  y 
a  fort  longtemps  (Actes  XVII,  26)  :  «  C'est  Dieu 
qui  a  fait  naître  d'un  seul  sang  toutes  les  nations, 
et  les  a  fait  habiter  sur  la  surface  de  la  terre.  » 


1.  M.  A.  de  Quatrefagcs,  dans  son  livre  intitule  :  Introduction  à   l'étude 
des  races  humaines. 


De  l'esprit  des  Bassoutos 


On  a  fait  des  livres  sur  l'esprit  de  nos  aïeux, 
sur  l'esprit  des  Orientaux,  des  Latins,  des  Anglais, 
des  Allemands,  etc.,  on  pourrait  aussi  faire  un 
chapitre  sur  celui  des  Bassoutos  et  il  risquerait 
d'être  long,  car  ceux-ci  ne  sont  pas  sots,  loin  de 
là  !  Les  Bassoutos  n'ont  peut-être  pas  de  l'esprit 
comme  nous  l'entendons,  ils  ne  sauraient  se  livrer, 
par  exemple,  à  la  confection  de  calembours  plus 
ou  moins  réussis,  mais  ils  ont  l'esprit  ingénieux  et 
du  bon  sens,  aussi  leurs  observations  et  leurs  re- 
parties mériteraient  souvent  d'être  citées. 

Le  sessouto  prête  au  pittoresque  ;  on  dira  par 
exemple  :  «  Les  chemins  sont  secs  »  pour  dire  que 
personne  n'y  passe.  La  pointe  d'un  couteau  s'ap- 
pelle le  nez.  En  sessouto  on  est  mangé  par  ses 


iéo  Au  Sud  de  l'Afrique. 

dents  ou  son  pied,  selon  qu'on  a  mal  aux  dents, 
au  pied,  etc. 

Un  de  mes  amis  était  souvent  fini  par  son  nez; 
autrement  dit  :  il  avait  envie  de  priser.  Parfois,  il 
arrive  que  la  lune  et  même  le  soleil  se  pourrissent, 
mais  cela  n'a' heureusement  lieu  qu'en  temps  d'é- 
clipse. 

D'autres  expressions  témoignent  d'une  bonté 
évidente  :  un  homme  pauvre  —  motho  oa  bathô  — 
c'est  l'homme  des  hommes;  un  vieillard —  monna 
moholo  —  est  un  homme  grand.  Le  voleur  même* 
devient  «  celui  qui  a  faim  !  » 

En  sessouto  les  mots  mauvais  et  laid  sont 
synonymes;  tandis  que  beau  et  bon  le  sont  aussi, 
ce  qui  rentre  tout  à  fait  dans  la  doctrine  de  feu 
Platon  !  Ho  falla  veut  également  dire  émigrer  et 
mourir,  et  chez  les  Romains,  si  je  ne  me  trompe, 
il  en  était  de  même. 

Quant  aux  noms  et  surnoms,  vous  savez  que 
les  Bassoutos  sont  très  forts. 

Les  fillettes  appelées  Moselanlja  —  queue  de 
chien  —  sont  nombreuses  ;  mais  on  rencontre  fa- 
cilement des  noms  tout  aussi  curieux.  Une  petite 
fille  s'appellera  :  Ntsebis'eng  —  faites-moi  rire;  une 


UN    CATECHISTE 

SVD    DE    L'AFRIQ>E  '•  ' 


i62  Au  Sud  de  l'Afrique. 

autre  Ntadimeng —  regardez-moi  ;  tandis  que  leur 
petit  frère  répondra  au  nom  peu  aimable  de 
KtJoheleng  —  laissez-moi  tranquille  — ■  ou  à  celui  de 
Raboroho  —  le  père  du  sommeil,  —  que  d'autres 
garçons  peuvent  également  mériter. 

D'autres  noms  seraient  tout  à  fait  dignes  de  pro- 
fesseurs de  philosophie  :  Mothohang  —  qu'est-ce 
que  l'homme  ?  —  Motsuahole  —  celui  qui  vient  de 
loin,  —  Tsuahodimo  —  celui  qui  vient  d'en  haut,  — 
Lefeela  —  rien  du  tout,  etc. 

Les  Bassoutos  ne  se  gênent  nullement  pour 
donner  aux  blancs  comme  aux  noirs  des  surnoms 
qui  ne  sont  pas  toujours  très  flatteurs. 

Un  missionnaire  sera  nommé  :  Paraseretsé  ■ — 
le  gâche-plâtre,  à  cause  de  ses  expériences  dans  le 
bâtiment  ;  tel  autre  que  je  connais  bien  devient  : 
Khiritla  —  celui  qui  rugit  ;  tandis  que  son  ami  cor- 
respond au  nom  de  Moyatsohle  —  celui  qui  mange 
de  tout,  une  grande  qualité  aux  yeux  des  natifs. 

Une  personne  un  peu  vive  sera  nommée  Mase- 
sohotsane  —  la  mère  du  Tourbillon  ;  un  maçon  à 
la  figure  embroussaillée  portait  à  son  insu,  cela  va 
sans  dire,  le  surnom  de  Tau  ea  Khalc  —  le  vieux 
lion.... 


De  V esprit  des  Bassoutos.  163 

Quand  les  parents  auront  perdu  des  enfants,  ils 
donneront  au  nouveau-né  un  nom  aussi  peu  gra- 
cieux que  possible  pour  faire  peur  à  la  mort.  C'est 
pour  cela  qu'il  y  a  tant  de  «  Moselantja  »  et  de 
Kokonyana  —  insectes  ;  ntja  —  chien  ;  il  y  a  aussi 
des  Ntlo  ea  lefu  —  maison  de  la  mort  ;  des  Male- 
fitlebe  —  la  mère  de  la  mauvaise  mort  ! 

J'ai  été  dans  le  temps  présenté  à  Ntebaleng  — 
oubliez-moi,  et  à  M.  Ngiiana-Tsuene  —  enfant  de 
singe  ! 

Par  compensation  sans  doute  on  peut  rencontrer 
M.  Thebé  ea  pelo  —  bouclier  du  cœur,  ou  encore 
Mmes  Malehlobonolo  —  la  mère  de  la  bénédiction, 
et  Mamatsediso  —  la  mère  de  la  consolation. 

La  mimique  des  indigènes  est  aussi  fort  expres- 
sive :  fermer  la  main,  lever  l'index  et  le  courber, 
veut  dire  qu'on  a  faim  et  qu'on  est  fatigué. 

Un-  seul  mot  pourra  aussi  remplacer  bien  des 
explications  :  Comment  vont  tes  enfants,  deman- 
dais-je  un  jour  au  vieux  Rantula  qui  me  répondait  : 
«  ba  ntse  ba  phela  ha  itchou  !  il  chou  !  !  —  Ils  vivent 
en  disant  itchou  !  itchou  !  »  —  c'est-à-dire  sont 
souffrants  et  se  plaignent. 

Une  autre  fois,  quelqu'un  donnait  une  explica- 


164  An  Sud  de  l'Afrique. 

tion  courte,  mais  suffisante  du  mariage  :  «  Monna 
ke  hloho,  mosadi  lie  molala  —  l'homme  c'est  la  tète, 
la  femme  est  le  cou  !  » 

Bien  souvent  nos  chrétiens  nous  étonnent  par 
leur  originalité;  pour  eux,  Jésus  est  le pelesa  —  le 
bœuf  de  fardeau  —  qui  porte  nos  péchés. 

Il  est  non  moins  étrange  d'entendre  un  de  no; 
évangélistes  s'écrier  en  pleine  assemblée  :  «  Que 
nous  soyons  de  véritables  chrétiens  devant  ton  nez, 
Seigneur  !  »  Tel  autre  dira  :  «  Écris  ta  Parole  sur 
les  planches  de  nos  cœurs  avec  de  l'encre  qui  ne 
s'efface  pas  »  ;  ou  bien  exhortera  l'auditoire  à  se 
mettre  en  prière  «  non  avec  les  genoux  du  corps, 
mais  avec  ceux  du  cœur  !  » 

Il  y  a  quelque  temps  qu'un  de  nos  braves  chré- 
tiens, chef  de  village  et  porteur  du  nom  peu  im- 
posant de  «  Raborikuana  »,  le  père  du  petit  pan- 
talon, priait  de  tout  son  cœur  pour  demander 
de  la  pluie  —  c'était  en  temps  de  sécheresse  —  ; 
après  avoir  parlé  des  champs  en  friche,  des  bestiaux 
souffrants,  il  ajoutait  :  «  et  même  les  petits  insectes 
de  la  terre  sont  stupéfaits  !  » 

D'autres  fois  les  remarques  sont  moins  poéti- 
ques; ainsi  une  grande  paresseuse  de  notre  voisi- 


166 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


nage  s'écriait  un  jour  d'un  air  de  martyr  :  «  Si  je 
n'avais  ni  mains  ni  pieds,  comme  je  pourrais  être 
tranquille  sans  qu'on  y  trouve  à  redire!  » 


En  revanche,  notre  ami  le  missionnaire  Die- 
terlen  dis.iit  un  dimanche  à  la  vieille  Madichaba  : 
Comment  as-tu  pu  venir  à  l'église,  toi  qui  ne  peux 
pas  marcher?  Elle  mit  la  main  sur  son  cœur  et  lui 
répondit  :  «  Mes  pieds  sont  là  !  » 


De  l'esprit  des  Bassoutos.  167 

Les  Bassoutos  s'amusent  aussi  à  faire  des  devi- 
nettes ;  elles  aident  à  passer  un  temps  qu'on  pour- 
rait après  tout  plus  mal  employer  : 

—  Deux  princes  qui  n'arrivent  jamais  à  se  dépasser 
de  deux  pas  ?  —  Les  pieds. 

—  Des  petits  Bushmen  qui  mordent  un  homme  et 
celui-ci  enfle?  —  Des  abeilles. 

—  Qui  est-ce  qui  sort  de  la  forêt  pour  se  jeter  dans 
un  précipice?  —  La  rivière. 

—  Les  pierres  de  mon  père  que  lui  seul  peut  compter? 
—  Les  étoiles. 

—  Qui  est-ce  qui  appelle  tout  le  monde  aux  réu- 
nions et  n'y  va  jamais  ?  —  La  cloche. 

Les  proverbes  bassoutos  témoignent  aussi  d'une 
intelligence  qui  observe  et  réfléchit,  les  mission- 
naires Dieterlen  et  Jacottet  ont  réuni  des  cen- 
taines de  ceux-ci.  En  voici  quelques-uns  comme 
échantillons  : 

—  Le  soleil  fait  sortir  le  crocodile  de  l'eau.  (Chez 
nous  c'est  la  faim  qui  fait  sortir  le  loup  du  bois.) 

—  Le  singe  ne  voit  pas  la  bosse  qu'il  a  sur  le  iront. 

—  Il  n'y  a  pas  de  cheval  qui  ne  bronche. 

—  La  mort  est  dans  les  plis  de  notre  vêtement. 


i68  An  Sud  de  l'Afrique. 

—  Le  messager  n'a  pas  de  faute. 

— ;  La  sueur  du  chien  ne  fait  que  mouiller  ses  poils. 
(C'est-à-dire  ne  lui  sert  de  rien.) 

—  Deux  chiens  viennent  à  bout  d'un  chacal.  (L'u- 
nion fait  la  force  ) 

—  Le  potier  cuit  sa  nourriture  dans  un  vieux  pot 
cassé.  (Pour  nous ,  le  cordonnier  est  le  plus  mal 
chaussé  ) 

—  Le  tombeau  du  bœuf,  c'est  l'homme. 

Les  contes  sont  aussi  très  nombreux  et  souvent 
très  amusants.  Un  de  nos  Bassoutos  instruits  en  a 
même  réuni  un  certain  nombre,  qui  ont  été  im- 
primés à  Morija,  en  sessouto,  cela  va  sans  dire. 
Heureusement  qu'un  livre  récemment  paru  en 
français  '  contient  bon  nombre  de  ces  contes,  ce 
qui  me  permet  d'y  faire  un  petit  emprunt  à  votre 
intention. 

«Jadis,  il  y  eut  une  grande  disette  d'eau.  Après 
bien  des  recherches,  les  animaux  des  champs  trou- 
vèrent une  source  qu'ils  réussirent  à  creuser  après 
beaucoup  de  peine. 

«  Comme  le  chacal  n'avait  pas  voulu  les  aider 


I.   Coûtes  populaires  des  Bassoutos,  recueillis  et  traduits  par  E.  Jacottet. 


De  l'esprit  des  Bassontos. 


169 


dans  le  travail,  il  fut  décidé  que  celui-ci  n'appro- 
cherait pas  de  la  source,  et  le  lapin  fut  chargé  de 
monter  la  sarde. 


«&> 


«   QUI  EST-CE  QUI  APrEI  LE  TOUT   LE  MONDE  AUX  REUNIONS 
ET  N'Y  VA  JAMAIS  ?   » 


«  Le  chacal  ne  tarda  pas  à  arriver  et  salua  très 
amicalement  le  lapin,  puis  tout  tranquillement  tira 


170  Au  Sud  de  l'Afrique. 

de  son  petit  sac  des  rayons  de  miel,  qu'il  se  mit  à 
manger.  Le  lapin  «  par  l'odeur  alléché,  lui  tint  à  peu 
«  près  ce  langage  »  :  Donne-m'en  un  peu  ?  Le  chacal 
qui  n'était  pas  bête  lui  en  donna  un  peu,  mais  si 
peu,  que  le  lapin  mis  en  goût  lui  en  demanda  da- 
vantage. Le  chacal  lui  dit  alors  :  Je  t'en  donnerai 
encore  volontiers,  mon  ami,  si  tu  veux  bien  me 
permettre  de  t'attacher  un  peu  les  pattes.  Le  lapin, 
qui  n'avait  vraiment  aucune  idée  du  sentiment  du 
devoir,  se  laissa  faire  et  vous  devinez  que  le  chacal 
alla  boire  à  la  source  autant  qu'il  voulut. 

«  Vers  le  soir,  les  animaux  revinrent  et  ne 
ménagèrent  pas  les  gronderies  au  lapin  gour- 
mand. 

«  Le  lièvre  fut  chargé  de  veiller  sur  la  source  le 
lendemain,  et  se  conduisit  exactement  comme  le 
lapin  son  cousin. 

«  La  tortue  fut  placée  en  sentinelle  le  jour  suivant 
et  agit  tout  différemment.  Elle  ne  répondit  rien 
aux  amabilités  et  aux  menaces  du  chacal,  rien  ne 
put  l'ébranler,  pas  plus  le  miel  que  les  coups  de 
pied.  » 

La  fidélité...  Voilà  ce  qu'il  faut  aux  chrétiens, 
noirs  ou  blancs  ;  savoir  résister  aux  flatteries,  aux 


De  l'esprit  des  Bassoulos.  171 

moqueries,  comme  aux  menaces.  Rester  fidèles  à 
la  devise  que  l'éminent  homme  d'Etat  et  écrivain 
Jules  Simon  traçait  récemment  d'une  main  mou- 
rante : 

Dieu,  Patrie,  Liberté. 


Un  livre  pour  cinq  Étudiants 


Vous  vous  demandez  probablement  ce  que  peu- 
vent bien  faire  les  cinq  personnages  du  dessin  ci- 
après,  étendus  à  terre  d'une  manière  si  peu  gra- 
cieuse. Je  vais  tout  de  suite  vous  tirer  d'embarras. 
Eh  bien,  ces  cinq  messieurs  étudient  un  cantique 
favori,  mais  comme  il  n'y  en  a  qu'un  qui  a  le  pri- 
vilège de. posséder  un  livre  de  cantiques,  ils  se 
sont  installés  de  manière  que  chacun  puisse  en 
avoir  sa  part. 

Si  vous  pouviez  vous  asseoir  près  d'eux,  au  lieu 
de  ne  voir  que  leur  portrait  en  pied,  vous  enten- 
driez qu'ils  étudient  sérieusement,  chantant  seu- 
lement les  notes  jusqu'à  ce  que  l'air  leur  soit 
connu. 

Mais  vous  pourriez  plus  facilement  être  fatigués 
de  les  entendre  qu'eux  de  chanter.  C'est  pour  eux 


174  du  Sud  de  l'Afrique. 

un  délice  presque  égal  à  un  bon  plat  de  viande 
grillée... 

Je  me  souviens  d'un  jeune  garçon  qui  disait,  en 
entendant  un  air  de  cantique  qui  lui  plaisait  :  «  Il 
y  a  de  la  graisse  de  viande  dedans  !  » 

Rien  ne  dépasse  un  tel  éloge,  pour  un  Mossouto, 
bien  entendu. 

Les  livres  de  cantiques  avec  musique  coûtent 
7  fr.  50  c.  ;  c'est  un  peu  cher  et  c'est  là  une  somme 
difficile  à  trouver  pour  nos  chrétiens;  aussi  ceux 
qui  peuvent  se  procurer  ce  livre  tant  désiré,  trou- 
vent-ils très  facilement  des  amis  qui  se  joignent  à 
eux  pour  étudier  les  cantiques,  même  les  plus  dif- 
ficiles. 

Vous  seriez  très  certainement  bien  étonnés  de 
voir  comment  nos  braves  Bassoutos  arrivent  à  ap- 
prendre ces  cantiques,  plusieurs  sont,  je  suis  sûr, 
sur  les  airs  de  vos  cantiques  préférés.  Vous  pou- 
vez en  juger  par  les  exemples  suivants,  dont  les 
paroles  sont  presque  traduites  mot  pour  mot  du 
français  : 

Thlong,  re  éeng,  a  re  éeng  ka  monyaka.  . 
(Avançons-nous  joyeux,  toujours  joyeux...) 


i"j6  Au  Sud  de  l'Afrique. 

O  Molimo  oa  ka,  Molimo  oa  topollo. 
(Q_ue   ne  puis-je,   ô  mon  Dieu,  Dieu  de  ma  déli- 
vrance !) 

Ke  mang,  ke  mang  monyako,  ea  kokotang  hakâlo  ? 
(On  frappe,  on  frappe,  entends -tu?) 

Le  désir  de  chanter  est  si  grand  chez  les  Bas- 
soutos  que,  quelquefois,  ils  ne  pensent  plus  qu'à 
l'air  et  ne  s'inquiètent  pas  des  paroles. 

Ainsi  parfois  dans  une  fête  où  ne  devaient  retentir 
que  des  chants  d'actions  de  grâces,  on  peut  en- 
tendre entonner  un  cantique  d'ordre  tout  différent 
dont  voici  le  refrain  : 

Yo'na  !  yo'na  !  Ke  tsatsi  la  bohloko  ! 

c'est-à-dire  : 

Hélas  !  hélas  !  c'est  le  jour  de  douleur  ! 

Il  y  a  quelque  temps,  les  enfants  d'une  école 
commençaient  la  journée  par  le  cantique  qui  dé- 
bute ainsi  : 

Ho  uèna  re  tlisa  dillo  tsa  rôna,  molisa  e  moholo  oa 
dinku... 

(A  toi,  grand  Berger,  nous  apportons  nos  larmes.) 


Un  livre  pour  cinq  étudiants.  177 

Ne  croyez  pas  qu'ils  y  mettaient  de  la  malice, 
vous  vous  tromperiez  fort.  Pour  eux,  chanter, 
c'est  louer,  et  ils  mettent  à  la  lettre  le  précepte  de 
saint  Jacques  en  pratique  :  quand  ils  sont  joyeux, 
ils  chantent  des  cantiques. 

C'est  ainsi  qu'il  n'y  a  pas  très  longtemps,  un 
missionnaire,  de  retour  d'un  voyage,  était  reçu 
par  les  membres  petits  et  grands  de  son  église  aux 
sons  de  ce  cantique  d'appel  : 

Nguana  lehlasoa,  tlo  hae,  tlo,  phakisa. 

(Enfant  prodigue,  viens  à  la  maison,  viens  vite.) 

Tout  cela  nous  donne  une  petite  leçon:  c'est 
que  quand  nous  chantons  des  cantiques,  nous  de- 
vons le  faire  non  seulement  de  tout  notre  cœur, 
mais  aussi  avec  notre  intelligence. 


SUD    DE    L  AFRIQUE 


Le  Wagon  du  Sud  de  l'Afrique 


Il  y  a  certaines  choses  dont  la  seule  vue  nous 
transporte  dans  les  pays  qu'elles  rappellent.  Ainsi 
un  dessin  représentant  une  pyramide  nous  indique 
l'Egypte.  Celui  d'une  gondole  nous  porte  à  Venise, 
devant  la  place  Saint-Marc.  Un  bec  de  gaz  ou  un 
simple  fiacre  nous  font  penser  à  Paris  ou  à  quelque 
autre  capitale  du  monde  civilisé.  Un  wagon  traîné 
par  des  bœufs  indique  l'Afrique  du  Sud  ;  aucun  de 
vous,  j'en  suis  certain,  ne  s'y  tromperait. 

C'est  de  ce  véhicule  que  je  voudrais  aujourd'hui 
vous  dire  quelques  mots. 

De  tous  ceux  qui  courent  sur  la  surface  du  globe, 
il  est  certainement  un  des  plus  pittoresques.  L'ori- 
gine du  wagon  a  bœufs  ressemble  à  celle  de  la 
pêche  à  la  ligne  :  elle  se  perd  dans  la  nuit  des  temps, 


]  80  Au  Sud  de  l'Afrique. 

car  dans  le  livre  des  Nombres  (chapitre  VII),  il  est 
déjà  question  de  chars  à  bœufs. 

On  dit  que  ce  sont  les  Hollandais  qui,  les  pre- 
miers, ont  commencé  à  s'en  servir  dans  ce  pays; 
d'autres  disent  que  ce  sont  nos  pères,  les  réfugiés 
français,  qui  auraient  eu  l'idée  de  construire  un  tel 
monument  et  d'y  atteler  des  bœufs... 

Nous  laisserons  la  question  en  plan  et  conti- 
nuerons en  ajoutant  que  ledit  wagon  ne  peut  pas 
remonter  plus  haut  que  trois  cents  ans,  c'est-à-dire 
à  l'arrivée  des  Européens  au  Sud  de  l'Afrique. 

Ce  chariot  africain  est  long  de  trois  ou  quatre 
mètres  et  plus,  sans  ressort,  cela  va  sans  dire,  at- 
telé de  douze  ou  quatorze  et  même  parfois  dix-huit 
bœufs,  et  est  toujours  conduit  par  deux  hommes, 
dont  l'un  appelé  leader  en  anglais,  c'est-à-dire 
conducteur,  dirige  avec  une  lanière  la  première 
paire  de  bœufs,  tandis  que  l'autre,  armé  d'un  im- 
mense fouet,  est  le  driver  ou  cocher. 

Il  sert  au  transport  de  voyageurs  et  marchan- 
dises dans  tout  le  Sud  africain.  Le  prix  moyen  d'un 
wagon  est  d'environ  2,500  fr.,  plus  les  bœufs  qui 
reviennent  à  120  ou  140  fr.  chaque,  de  sorte  que 
vous  pouvez  voir  que  c'est  un  véhicule  assez  cher. 


182  Au  Sud  de  l'Afrique. 

On  le  fabrique  dans  la  colonie  du  Cap,  mais  Lo- 
vedale,  la  grande  école  industrielle  de  la  mission 
écossaise,  en  met  particulièrement  chaque  année 
un  bon  nombre  en  circulation.  C'est  à  peu  près  le 
seul  moyen  de  locomotion  en  usage  parmi  les  mis- 
sionnaires du  Lessouto. 

Il  est  bien  pour  eux,  suivant  une  expression  de 
M.  E.  Casalis  ',  «  ce  que  le  navire  est  pour  le  ma- 
rin »,  ou  une  carapace  pour  la  tortue,  si  vous  pré- 
férez cette  comparaison. 

Que  d'anecdotes  on  pourrait  relever  au  sujet  du 
koloï!  comme  le  nomment  les  Bassoutos;  ses  amis 
et  ses  ennemis  en  auraient  à  dire  de  tous  genres. 

Le  grand  voyageur  D.  Livingstone  trouve  que 
c'est  une  très  agréable  manière  de  voyager 2  (chacun 
son  goût!).  Il  ajoute  même  qu'  «  un  voyage  en 
wagon  devient  une  longue  série  de  pique-niques»  ! 
Cela  prouve  en  faveur  de  son  caractère;  quant  à 
moi,  je  le  dis  tout  uniment,  le  plus  petit  tramway 
ferait  bien  mieux  mon  affaire  ! 

Le  wagon  a,  dans  notre  mission,  pas  mal  d'his- 


i.   Dans  son  beau  livre  :  Mes  Souvenirs, 

2.   Voyage  dans  l'intérieur  de  l'AJrique  australe. 


i 


-  i  • 

%  ! 

!    à 


FAMILLE    MISSIO 


E   EN   VOYAGE 


1 86  Au  Sud  de  l'Afrique. 

toires  d'accidents  dont  il  n'est  peut-être  pas  seul 
coupable.  Cela  tient  d'abord  aux  abominables 
routes  du  pays,  qui  font  penser  à  celles  de  la  Pales- 
tine qu'on  n'a  pas  réparées  depuis  les  Romains  ! 
Puis  aussi  à  la  manière  dont  on  traverse  les  ri- 
vières —  à  gué  —  en  cherchant  à  vue  de  nez  si 
elles  sont  guéables  ou  non.  Avant-hier  j'ai  eu  à  cé- 
lébrer le  mariage  d'une  certaine  Alicia  Melato  dont 
le  père  a  été  noyé  il  y  a  plusieurs  années,  alors  qu'il 
essayait  de  sauver  un  wagon  de  la  mission  emporté 
par  le  Calédon  à  l'endroit  où  se  trouve  maintenant 
un  pont  près  d'ici.  Vers  le  même  temps,  Mmc  H. 
M.  Dyke  avait  le  bras  cassé  alors  que  son  wagon 
versait  en  traversant  un  simple  ruisseau. 

Les  amis  Preen  ont  failli,  près  Béthesda,  avoir 
un  grave  accident,  leur  wagon  ayant  versé  alors 
qu'ils  transportaient  la  presse  à  Morija,  etc.,  etc. 

Le  wagon  a  cependant  de  beaux  côtés;  la  preuve 
en  est  :  ces  rois  mérovingiens  qui,  parait-il,  en 
jouissaient  beaucoup. 

Quatre  bœufs  attelés,  d'un  pas  tranquille  et  lent, 
Promenaient  dans  Paris  le  monarque  indolent. 

Il  est  vrai  qu'en  revanche  l'histoire,  peu  aimable, 


Wagon  du  Sud  de  V Afrique. 


187 


les  qualifie  de  «  rois  fainéants  ».  Le  temps  a  pour 
nous  plus  de  valeur  que  pour  ces  messieurs-là,  et 
faire  quatorze  lieues  et  même  quinze  en  quinze 
jours  ne  nous  va  guère. 


WAGON    TRAVERSANT    UNE    RIVIÈRE 


Parfois  on  peut,  en  route,  jouir  d'un  beau  jour 
ou  d'un  clair  de  lune  ;  on  peut  encore  aller  à  pied  en 
avant  de  la  maison  ambulante  et  la  devancer  à  l'é- 
tape, ce  qui  est  encore,  à  mon  avis,  la  meilleure 
manière  de  jouir  de  cette  pesante  machine. 

«  Qui  veut  voyager  loin  ménage  sa  monture  », 
dit  le  proverbe  ;  par  conséquent,  en  voyageant  il 
faut  toutes  les  quatre  heures  environ  dételer  les 
bœufs,  les  mener  paitre...  et  ne  jamais  perdre  de 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


vue  que  «  patience  et  longueur  de  temps  font  plus 
que  force  et  que  rage  ». 

Ne  craignez  pas  la  monotonie  du  voyage  :  des 
incidents  viendront  vite  et  souvent  la  rompre. 
C'est  une  longe  qui  casse  ou  une  clef  de  joug,  et 
le  bœuf,  sans  doute  pour  vous  donner  une  leçon  de 
patience  aussi  laïque  que  gratuite,  fera  mille  diffi- 
cultés pour  rentrer  sous  le  joug. 

D'autres  fois  les  bœufs  auront,  d'un  commun 
accord,  l'idée  de  s'arrêter  en  pleine  rivière  et  ce 
n'est  qu'après  maints  encouragements,  mélangés 
de  coups  de  fouet,  qu'ils  se  décideront  à  repartir. 
D'autres  fois,  et  cela  n'est  pas  plus  récréant,  le  wa- 
gon des  bagages,  s'embourbera  d'une  manière  dé- 
sespérante, vous  laissant  pour  seule  ressource  d'a- 
voir à  décharger  le  véhicule  en  pataugeant  d'étrange 
façon . 

Ce  brave  wagon,  je  ne  veux  pas  en  dire  du  mal, 
il  nous  sert  plus  que  je  ne  puis  dire  pour  travaux 
de  construction,  transport  de  matériaux,  voyages, 
etc.  Il  nous  cahote  aussi  comme  il  serait  difficile 
de  l'être  ailleurs,  tout  en  nous  donnant  l'air  de  Bo- 
hémiens en  tournée.  J'ai  souvent  pensé  à  ces 
grandes  voitures  de  déménagement  en  usage  à  Pa- 


190  Au  Sud  de  l'Afrique. 

ris  sur  lesquelles  on  voit  peint  en  gros  caractères  : 
«Je  suis  capitonné.  »  Ces  véhicules-là  ne  sont  pas 
du  tout  pittoresques,  mais  comme  on  doit  y  être 
bien  !...  C'est  ici  le  cas  de  se  rappeler  que  «  quand 
on  n'a  pas  ce  que  l'on  aime,  il  faut  aimer  ce  que 
l'on  a  » . 

Du  reste,  notre  «  roulotte  »  nous  tient  lieu  — 
dans  un  pays  où  il  n'y  a  pas  d'hôtel  —  de  chambre 
à  coucher,  de  salle  à  manger,  de  cabinet  de  toilette, 
etc.  Quant  à  la  cuisine,  elle  se  fait  en  plein  air 
s'il  ne  pleut  pas...  Là,  je  vous  entends  m'arrêter 
pour  me  demander  comment  on  fait  quand  il  pleut. 
Eh  bien  !  on  fait  comme  à  Paris  :  on  laisse  pleuvoir, 
tout  en  mangeant  son  pain  sec,  ou  bien  on  essaye 
de  cuisiner  sous  le  wagon. 

Si  l'on  rencontre  le  wagon  à  bœufs  au  Zambèze 
et  aux  mines  d'or  de  Johannesburg,  au  Lessouto 
et  à  la  ville  du  Cap,  il  ne  règne  plus  sans  conteste 
comme  il  y  a  vingt  ans.  On  ne  va  plus,  comme 
devaient  le  faire  les  anciens  missionnaires,  au  bord 
de  la  mer  en  wagon.  Le  chemin  de  fer  arrive  à 
Aliwal  depuis  quelques  années,  et  à  Bloemfontein 
depuis  quelques  mois,  c'est-à-dire  à  quatre  ou  cinq 
jours  du  Lessouto.  Les  voitures  aussi  se  multi- 


Wagon  du  Sud  de  l'Afrique.  191 

plient.  Il  n'est  pas  rare  même  devoir  un  Mossouto 
possédant  un  cart,  sorte  de  cabriolet. 

La  poste,  chaque  semaine,  arrive  d'Aliwal  au 
Lessouto  en  voiture,  et  avis  :  on  accepte  des  voya- 
geurs. 

Mais,  rassurez-vous,  le  wagon  à  boeufs  ne  dispa- 
raîtra pas  de  sitôt,  au  moins  dans  notre  Lessouto, 
pays  montagneux,  où  ne  coule  ni  le  lait,  ni  le  miel 
et  où  l'on  n'a  pas  encore  heureusement  trouvé  de 
mines  d'or. 

Aussi,  pour  longtemps  encore,  les  détails  que  je 
vous  donne  seront  d'actualité  et  peuvent  servir 
à  vous  rapprocher  de  nous  et  vous  aider  par  la 
pensée  à  vovager  avec  vos  missionnaires. 


Incident  de  voyage 


Peut-être  n'avez-vous  pas  encore  pensé  à  vous 
demander  comment  on  voyage  dans  ce  pays.  Vous 
connaissez  tous,  de  réputation,  le  wagon  trainé  par 
des  bœufs,  mais  un  missionnaire  n'attelle  son 
wagon  que  quand  il  fait  un  voyage  avec  sa  famille 
ou  quand  il  a  des  travaux  à  faire  ou  des  provisions 
à  chercher;  mais  quand  il  voyage  seul,  que  fait-il  ? 

Sans  doute,  dites-vous,  il  va  à  pied  ;  mais  au 
Lessouto  cela  n'est  guère  faisable  souvent.  Alors, 
vous  pensez  peut-être  qu'il  y  a  des  omnibus,  ou 
des  voitures  à  chiens  comme  en  Belgique,  ou 
encore  des  ânes  minuscules  comme  à  Marseille, 
traînant  une  petite  voiture  avec  deux  ou  trois 
grosses  personnes  dedans...  Pas  seulement  cela. 

Mais  je  ne  vais  pas  attendre  que  vous  donniez 
votre  langue  au  chat,  et  je  vais  vous  le  dire  :  on  va 

SUD    DE    L'AFRIQUE  I  J 


194  Au  Sud  de  l'Afrique. 

à  cheval.  Vous  trouvez,  sans  doute,  cela  très  beau 
et  très  amusant,  aussi  écoutez  ce  qui  est  arrivé  il 
y  a  quelques  semaines  à  l'un  de  vos  amis  et  vous 
verrez  si  vraiment  cela  est  si  glorieux. 

Je  partis  de  la  maison  pour  aller  visiter  une 
annexe  de  mon  église,  située  à  environ  deux  heures 
à  cheval. 

Le  temps  était  beau,  pas  un  nuage  au  ciel  ;  vers 
midi,  par  contre,  la  chaleur  était  suffocante.  Le 
temps  ne  tarda  pas  à  se  couvrir,  et  au  moment 
où  j'allais  repartir,  ayant  terminé  mes  affaires,  la 
pluie  commença  à  tomber  avec  violence.  Je  dus 
au  plus  vite  chercher  un  abri  dans  une  hutte  indi- 
gène où  j'eus  tout  le  temps  de  me  livrer  à  la  médi- 
tation, car  ce  n'est  qu'une  bonne  heure  après 
que  nous  pûmes  mettre  le  nez  dehors.  Je  remon- 
tais à  cheval  et,  l'un  portant  l'autre,  tout  dou- 
cement, car  le  terrain  était  très  glissant,  nous 
primes  le  chemin  de  la  maison.  Nous  c'est  Paris  et 
moi. 

Après  trois  heures  peut-être  de  marche,  nous 
arrivâmes  enfin  à  la  rivière  qui  est  près  de  la  station. 
Mais  là  autre  histoire  :  la  rivière  était  pleine  ;  il 
avait  beaucoup  plu  du  côté  des  montagnes  d'où 


TRAVERSÉE    D'UNE    RIVIÈRE 


r 96  Au  Sud  de  l'Afrique. 

elle  descend,  et  elle  était  devenue  un  vrai  torrent; 
comme  il  n'y  a  au  Lessouto  guère  plus  de  bateaux 
que  d'omnibus,  cela  devenait  fort  embarrassant. 

Paris,  mon  brave  vieux  cheval,  est  un  peu  peu- 
reux ;  avec  cela  il  a  une  forte  dose  de  paresse  ;  puis 
son  cavalier  n'était  pas  trop  rassuré.  J'essayai  de  le 
faire  entrer  dans  la  rivière  sans  le  faire  avancer 
d'un  pas  ;  pensant  avoir  plus  de  succès,  j'ôte  mes 
chaussures  et  j'entre  moi-même  dans  l'eau,  mais 
mon  coursier  n'est  nullement  touché  de  mon  zèle. 
Son  idée  fixe  est  de  ne  pas  m'encourager  dans 
celte  voie  qui  probablement  lui  parait  un  peu  trop 
humide.  Je  commence  à  croire  qu'il  faudra  passer 
la  nuit  dans  un  village  proche  la  rivière.  Cela 
réjouit  peu  le  papa,  la  station  est  si  près  !  Déjà 
nous  prenions  une  direction  rétrograde,  quand 
j'entends  des  voix,  et  vois  deux  hommes  venir  en 
courant  vers  moi.  L'un  deux  m'est  bien  connu, 
c'est  mon  ami  Coset aboie,  qui  fait  de  si  jolies 
cuillers  en  bois.  Il  m'avait  vu  du  haut  de  la  mon- 
tagne, sur  le  penchant  de  laquelle  son  village  est 
situé,  et  était  venu  avec  un  de  ses  amis  pour 
m'aider.  Tout  essoufflé,  presque  sans  me  parler, 
il  saisit  la  bride  de  mon  cheval  et  entre  résolument 


Incident  de  voyage.  197 

dans  l'eau,  pendant  que  son  camarade  encourageai: 
ma  bête  du  geste  et  de  la  voix. 

Une  fois  de  l'autre  côté,  Cosetabole  me  laisse  à 
peine  le  temps  de  dire  :  Kayeno  ke  bone  motsuale 
oa  lia  !  (aujourd'hui,  j'ai  vu  mon  ami  !)  que  déjà  il 
était  à  traverser  le  torrent  pour  son  propre  compte. 

Vous  voyez,  chers  amis,  voilà  un  ennui  comme 
il  peut  en  arriver  chaque  jour;  vous  voyez  aussi 
que,  s'il  n'y  a  ni  ponts  ni  bateaux,  il  y  a  encore 
de  braves  garçons  au  Lessouto. 


La  vie  missionnaire 


Hermon,  24  janvier. 

Il  vous  sera  peut-être  agréable  que  je  vous  donne 
quelques  détails  sur  notre  vie  dans  ce  pays,  car 
vous  vous  doutez  bien  qu'elle  diffère  quelque  peu 
de  la  vôtre. 

D'abord,  puisque  nous  sommes  entre  nous,  je 
vous  avouerai  tout  bonnement  que  certaines  choses 
m'ont  désagréablement  surpris  à  mon  arrivée  au 
Lessouto. 

Mon  étonnement  a  eu  le  temps  de  se  calmer 
après  quatorze  ans  de  séjour,  mais  il  m'en  a  coûté 
d'apprendre  par  expérience  que  le  cheval  constitue 
ici  la  manière  ordinaire  de  voyager.  J'aurais  volon- 
tiers dit  comme  l'autre  :  «  Ce  n'est  pas  tout  de 
monter  en  grade,  il  faut  encore  monter  à  cheval  !  » 
Je  ne  veux  pas  médire  de  cette  «  noble  conquête  » 


200  Au  Sud  de  l'Afrique. 

tant  vantée  par  Bufïon,  mais  combien  de  fois,  en 
faisant  de  longues  courses  pour  visiter  mes  an- 
nexes, n'ai-je  pas  pensé  aux  omnibus  de  ma  ville 
natale  !  Vous  qui  en  usez,  avec  ou  sans  correspon- 
dance, vous  ne  connaissez  pas  votre  bonheur!  Qui 
aurait  imaginé  que,  pour  être  missionnaire,  il  fal- 
lait être  presque  aussi  bon  cavalier  qu'un  cuiras- 
sier et  cela  dans  des  chemins  qui  effraieraient 
certainement  les  élégants  cavaliers  du  bois  de  Bou- 
logne. 

Les  missionnaires  doivent  être  jardiniers,  en- 
core une  chose  que  j'ignorais.  C'est  une  vaste 
erreur  de  croire  qu'il  y  a  partout  des  fruitiers  et 
des  maraîchers. 

Il  faut  semer  soi-même  des  choux,  des  carottes, 
des  tomates,  des  salades,  etc.,  si  l'on  tient  à  en 
avoir.  Quant  à  moi,  j'aime  toujours  beaucoup  les 
légumes,  mais  après  tant  d'années  de  vie  africaine, 
je  ne  me  sens  pas  plus  de  vocation  pour  les  cultiver 
que  par  le  passé. 

Nous  sommes  aussi  nos  boulangers,  nos  laitiers, 
blanchisseurs,  et,  de  temps  à  autres  nos  bouchers, 
charcutiers,  etc. 

Les   missionnaires   doivent   être  aussi  un  peu 


La  vie  missionnaire. 


201 


docteurs  ;  si  la  Faculté  de  médecine  n'est  pas  con- 
tente, elle  n'a  qu'à  venir  me...  donner  des  conseils. 


^yjpfc  'y^j^^^^mmmS^ 


MAISON    MISSIONNAIRE    A    HERMON 


J'ai  là,  sur  ma  table,  tout  un  bataillon  de  bou- 
teilles de  diverses  dimensions  et  contenant  de 
l'ipéca,  de  l'alun,  du  sel  anglais,  du  bromure  de 
potassium,  du  laudanum,  du  sulfate  de  zinc  et  au- 
tres drogues,  qu'à  mon  humble  avis,  il  y  a  beau- 


202  Au  Sud  de  l'Ajrique. 

coup  plus  de  bonheur  à  donner  qu'à  recevoir.  Il 
est  rare  de  voir  à  Paris  ou  même  à  Genève  un  pas- 
teur protestant  arracher  des  dents  à  un  de  ses  pa- 
roissiens souffrants  !  Ici,  cela  se  fait  presque  jour- 
nellement sans  étonner  personne.  Je  me  tiens 
même  à  votre  disposition  pour  vous  rendre  ce  ser- 
vice ;  je  puis  dire  en  toute  franchise  que  je  les  ar- 
rache sans  douleur  (pour  moi,  bien  entendu  !). 

Il  faut  faire  un  peu  tous  les  métiers  :  vacciner, 
menuiser,  faire  le  vitrier,  le  peintre  en  bâtiment, 
blanchir  des  chambres  à  la  chaux,  etc.  ;  j'ai  dû 
même  un  jour  faire  le  métier  de  fossoyeur  pour 
lequel  je  me  sens  peu  de  vocation. 

C'était  lors  d'une  épidémie  de  petite  vérole;  un 
pauvre  Tembouki  était  mort  dans  les  montagnes 
des  alentours  de  la  station  de  Béthesda  que  nous 
habitions  alors.  Le  chef  Makhube  me  demanda  ce 
qu'il  fallait  faire.  Les  gens  effrayés  n'osaient  plus 
passer  par  le  sentier  qui  conduisait  à  un  col  assez 
fréquenté. 

Naturellement  je  conseillais  de  procéder  au  plus 
tôt  à  l'ensevelissement,  mais  le  chef  ne  put  décider 
personne  à  m'accompagner,  à  peine  un  de  ses  fils 
consentit-il  à  me  servir  de  guide  jusqu'à  une  cer- 


204  -du  Sud  de  l'Afrique. 

taine  distance...  Les  heures  que  je  passais  à  faire 
le  fossoyeur  sont  encore  présentes  à  mon  esprit. 

L'étude  de  la  langue  sessouto  n'a  pas  été  une  des 
moindres  difficultés  que  nous  ayons  rencontrées. 
Que  de  temps  il  nous  a  fallu  pour  arriver  à  saisir 
les  préfixes  :  sefate,  arbre  ;  difate,  des  arbres  ;  mo- 
tho,  homme;  batho,  des  hommes,  etc. 

Les  claquements  de  langue  de  certains  mots 
nous  ont  aussi  donné  pas  mal  de  peine,  mais  pour 
apprendre  à  compter,  quelle  histoire  !  J'ai  bien  mis 
deux  ans  avant  de  pouvoir  dire  quatre-vingt-dix- 
neuf  sans  me  tromper  :  Mashume  a  robileng  mono 
o  le  mon  g  a  metso  a  robileng  mono  o  le  mong  ! 

Grâce  aux  moyens  de  transport  devenus  si  fa- 
ciles, le  pays  a  fait  de  grands  progrès  sous  le  rap- 
port de  la  civilisation  et  du  confort. 

Néanmoins,  les  indigènes  viennent  encore  à 
nous,  comme  aux  premiers  temps  de  la  mission, 
un  peu  pour  tout  et  même  aussi  pour  rien. 

L'un  vient  pailer  de  son  âme  ou  de  rêves  qui  le 
troublent,  tandis  qu'un  autre  arrive  avec  de  lon- 
gues affaires  de  famille.  D'autres  viennent  acheter 
une  bible,  un  livre  de  cantiques  on  un  ouvrage 
d'école,  dont  chaque  station  a  un  dépôt  se  ratta- 


WJ-* 

,    .'       ■■••     '    ?  s 


■  ■  -  ■■ 


bERCER    5E    RENDANT   A    L'ÉCOLE    DU    SOIR 
A    CHEVAL    SUR    UN   VEAU 


206  Ait  Sud  de  l'Afrique. 

chant  à  celui  de  Morija,  ou  bien  demandent  une 
feuille  de  papier  à  lettre  et  une  enfolopo,  ou  encore 
apportent  leurs  lettres  pour  la  poste  —  car  nous 
sommes  de  plus  un  peu  des  employés  de  la  poste, 
pour  les  indigènes. 

Tel  autre  arrive  demander  l'explication  d'un 
verset  de  la  Bible,  tandis  qu'un  cavalier  accourt 
pour  savoir  le  quantième  du  mois,  il  y  a  une  dis- 
pute dans  son  village  à  ce  sujet... 

Parfois  un  paroissien  embarrassé  veut  m'em- 
prunter  de  l'argent,  mais  bien  inutilement,  car  la 
différence  entre  missionnaire  et  millionnaire  est  si 
grande  ! 

Ranyeo,  le  père  d'un  tel,  vient  emprunter  l'é- 
chelle, ou  une  forme  à  briques,  ou  une  scie  ;  ou 
bien  encore,  c'est  un  de  ses  amis  qui  désire  vive- 
ment me  vendre  son  avoine  qu'il  ne  sait  où  gar- 
der ;  tandis  que  des  enfants  envoyés  par  leurs  pa- 
rents nous  apportent  des  œufs  à  vendre  ou  une 
pastèque,  ou  des  épis  de  maïs,  en  échange  d'un 
peu  de  sel. 

Puis  il  faut  aller  voir  un  malade,  envoyer  un 
peu  de  soupe  ou  de  thé  à  certaine  pauvre  vieille  ; 
visiter  tel  paroissien  qu'on  ne  voit  plus  à  l'église. 


La  vie  missionnaire. 


207 


On  doit  aussi  visiter  fréquemment  les  annexes 
soit  pour  diriger  des  constructions,  ce  qui  n'est  pas 
récréatif,  soit  encore  pour  inspecter  les  écoles  ou 
visiter  les  congrégations  qui  s'y  rattachent.  Je  ne 


L  AMNEXE   DE    DITSUENEMG 


vous  parle  pas  des  deux  services  que  chaque  mis- 
sionnaire a  à  tenir  chaque  dimanche,  suivis  quel- 
quefois, comme  c'est  le  cas  à  Hermon,  d'une  école 
pour  les  bergers  dans  la  soirée  et  où  souvent  ces 
messieurs  arrivaient  à  cheval...  sur  des  veaux  ! 
Dans  la  semaine  il  y  a  deux  classes  de  catéchu- 


20S 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


mènes,  et,  le  mercredi,  une  réunion  d'explications 
bibliques. 

Vous  voyez  que  le  missionnaire  n'a  pas  beau- 
coup de  temps  pour  étudier  et  pour  entretenir  sa 
correspondance  avec  les  parents  et  amis  d'Europe, 


,>i#£&t" 


SIlK 


•:^:-^'V 


DEVANT    LA    STATION    A    HERMON 


car,  outre  cela,  il  faut  s'occuper  de  l'évangélisation 
des  villages  païens,  avoir  une  fois  par  mois  une 
réunion  avec  les  évangélistes  et  anciens  d'église 
pour  s'entendre  sur  la  marche  de  l'œuvre.  Il  y  a 
encore  à  présider  des  services  de  mariage  ou  d'en- 
terrement, etc. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  :    le   missionnaire  doit 


JEUNE   FILLE    D  HERMON  AVEC    SON    TRICOT 


SLD    DE    L  AFRIQUE 


H 


210  Au  Sud  de  l'Afrique. 

aussi  penser  à  ses  enfants,  ne  pas  trop  négliger 
ceux-ci  pour  ceux-là,  et  ne  pas  perdre  de  vue 
ce  que  dit  si  bien  un  écrivain  aimé,  le  pasteur 
O.  Funcke  '  : 

«  Ces  enfants  !  mais  ils  sont  la  part  de  ce  règne 
de  Dieu  que  votre  Dieu  lui-même  vous  assigne 
avant  tout  et  qu'il  vous  met  sur  la  conscience.  » 

La  maman  se  charge  le  plus  souvent  de  leur 
éducation,  mais  le  papa  doit  aussi  s'en  occuper. 
Nos  quatre  aînés  savent  lire  plus  ou  moins  bien  ei 
un  peu  écrire  ;  mais  vous  n'imaginez  pas  combien 
de  patience  et  de  volonté  il  a  fallu  à  l'institutrice 
pour  obtenir  ce  résultat. 

Outre  le  ménage,  dans  les  soins  duquel  des  filles 
bassoutos  l'aident  de  leur  mieux,  le  vêtement  et 
l'éducation  de  son  petit  monde,  la  femme  du  mis- 
sionnaire a  encore  d'autres  tâches.  Par  exemple  à 
Hermon,  il  y  a,  entre  les  deux  cultes,  une  petite 
école  du  dimanche  qu'elle  dirige  ;  de  plus,  chaque 
mois,  Jitffrouw,  mot  hollandais  qu'on  prononce 
Jefrau,  par  lequel  les  Bassoutos  désignent  l'épouse 
du    missionnaire,    préside    une    réunion   spéciale 


I.  Aux  parents,  traduction  de  A.  Schroëder. 


La  vie  missionnaire. 


211 


pour  les  mères  de  famille  ;  chaque  jeudi,  il  y  a  aussi 
une  leçon  de  tricot  ;  la  couture  étant  dans  nos  pa- 


ENFANT   MISSIONNAIRE   PORTE   A   LA   MANIÈRE    INDIGENE 


rages  d'usage  général,  n'a  pas  besoin  d'être  en- 
seignée. 


212  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Ladite  école,  qui  est  fréquentée  par  une  tren- 
taine de  jeunes  filles  et  jeunes  femmes,  est  très  en- 
courageante. On  y  fait  en  sessouto,  bien  entendu, 
quelques  bonnes  lectures,  on  y  apprend  un  can- 
tique qu'on  chante  à  l'occasion  d'une  fête  d'église, 
puis  on  y  confectionne  très  joliment  des  brassières 
et  des  chaussons  de  bébés,  ainsi  que  des  bas,  des 
bérets  et  des  sacs  à  montres  qui  se  vendent  très 
bien.  Si  petit  que  soit  ce  commencement,  c'est 
une  branche  nouvelle  qui  s'ajoute  à  l'industrie  fé- 
minine, encore  peu  développée  dans  ce  pays. 


Souvenir  dune   course 
dans  les  montagnes 


Bien  que  l'excursion  que  je  vais  vous  raconter 
remonte  à  un  certain  temps,  je  me  dis  qu'elle  peut 
vous  intéresser.  Du  reste,  les  notes  qui  suivent 
sont  encore  très  actuelles,  car  le  pays  a  peu  changé 
depuis  ce  temps-là. 

Donc,  un  certain  jour  d'un  mois  d'octobre, 
nous  sommes  partis  de  Morija,  station  située  à 
quatre  heures  d'ici  à  cheval  —  nous  comptons  les 
distances  ainsi  comme  au  Congo  on  compte  par 
«  heure  de  pagaie  »  —  pour  nous  rendre  à  la  cas- 
cade delà  Maletsunyane,  découverte  depuis  peu  et 
dont  on  disait  merveille. 

Seller  les  chevaux  est  vite  fait  ;  ce  qui  prend  le 
plus  de  temps,  c'est  de  fixer  les  bâts  sur  les  chevaux 


214  Au  Sud  de  l'Afrique. 

du  naturel  le  plus  calme  et  d'y  installer  le  bagage 
et  les  provisions  du  corps  expéditionnaire. 

Une  fois  en  route,  pas  n'est  besoin  de  vous  dire 
qu'on  se  sentait  heureux  de  sortir  du  train-train 
journalier,  avec  la  perspective  d'avoir  quelque 
chose  de  beau  à  visiter. 

Au  début,  le  chemin  a  été  tout  simplement 
affreux  ;  nous  nous  demandions  avec  une  certaine 
inquiétude  ce  qu'il  pourrait  bien  être  plus  loin. 

Eh  bien,  nous  nous  tourmentions  pour  rien.  Ce 
chemin  ne  rappelle  sans  doute  que  vaguement  la 
belle  route  du  Simplon,  mais  enfin,  comme  che- 
min de  montagne,  on  peut  voir  plus  mal,  et  par 
un  temps  sec  il  peut  fort  bien  être  recommandé 
aux  personnes  nerveuses  comme  à  celles  qui  ne  le 
sont  pas.  Nous  avions  fort  heureusement  un  très 
beau  temps,  le  ciel  était  vert,  ce  qui  est  la  manière 
de  dire  bleu  en  sessouto. 

A  force  de  mettre  un  pied  l'un  devant  l'autre 
nous  arrivâmes  dans  une  large  vallée  nommée 
Sétléketseng,  où  se  trouve  un  hôtel,  je  veux  dire 
une  caverne  dans  laquelle  nous  nous  installons 
pour  passer  la  nuit.  On  prépara  d'abord  le  repas 
du  soir  ;  pendant  que  les  uns  allaient  cueillir  de 


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216  Au  Sud  de  l'Afrique. 

l'eau,  qu'en  France  on  va  seulement  puiser,  d'au- 
tres partaient  à  la  recherche  du  combustible... 

A  la  pointe  du  jour,  nous  chevauchions  de  nou- 
veau, côtoyant  de  temps  à  autre  des  précipices 
capables  de  donner  le  vertige  même  à  des  chèvres, 
surtout  aux  abords  de  la  Makhalaneng. 

Nous  passâmes  le  lekhalo  la  machudu,  le  col  des 
Voleurs,  où  il  n'y  a  pas  de  trace  de  ceux-ci,  mais 
seulement  quelques  huttes  de  paisibles  propriétaires 
et  un  splendide  panorama.  Le  lendemain,  le  chas- 
seur de  notre  bande  eut  une  pénible  émotion,  car 
un  troupeau  d'antilopes  apparut  près  de  lui  :  Nem- 
rod  avait  bien  son  fusil,  mais,  hélas  !  la  cartou- 
chière était  à  l'arrière-garde  ! 

Vers  onze  heures,  nous  atteignîmes  enfin  la 
Letsunyane.  Sa  mère,  la  Mfl-Letsunyane,  n'était 
plus  très  loin  ;  il  reste  encore  une  grande  montée  ; 
il  faut  aussi  tourner  Thaba-Patsoa,  la  montagne 
Grise,  passer  par  le  col  de  Noël,  et  là-bas,  dans  le 
fond,  de  l'autre  côté  d'un  marécage,  on  aperçoit 
quelques  huttes  vers  lesquelles  nous  nous  rendons, 
après  avoir  traversé  la  susdite  Maletsunyane. 

Nous  sommes  chez  le  chef  Motata,  dont  le 
village  a  piteuse  mine.  Mais  la  réception  qui  nous 


Course  dans  les  montagnes. 


217 


y  est  faite  lui  donne  vite  pour  nous  un  autre  aspect; 
en  effet  on  nous  apporte  un  beau  mouton,  un  pot 
de  mafi,  lait  caillé,  un  autre  de  léting,  bière  de 
sorgho,  et  maintes  bonnes  paroles... 


ex  route  » 


On  doit  vivre  bien  tranquille  dans  ce  coin  isolé, 
et  l'on  doit  d'autant  mieux  s'entendre  avec  ses 
voisins  qu'on  n'en  a  pas... 

Mais  ce  calme  est  bien  trompeur,  parait-il,  car 
les  chacals  apportent  la  désolation  parmi  les  poules 


2i8  Au  Sud  de  l'Afrique. 

de  Motata,  et  les  hyènes  et  les  léopards  font  la 
guerre  à  leurs  chèvres,  moutons  et  poulains  ! 

Presque  tout  le  village  nous  accompagne  à  la 
cascade,  ou  du  moins  jusqu'à  une  grande  déchirure 
de  terrain  que  les  indigènes  nomment  Diheleng, 
quelque  chose  comme  Enfer,  et  qui  est  bien  autre- 
ment grandiose  que  les  abords  du  lac  d'Averne, 
près  Pouzzoles,  où  les  poètes  antiques  plaçaient 
l'entrée  des  enfers,  que  je  visitais  il  n'y  a  pas  mal 
de  temps. 

Peu  après  nous  étions  devant  la  cascade,  saisis 
d'admiration  et  tout  prêts  à  répéter  le  vieux 
psaume  : 

O  Seigneur  Dieu,  que  tes  œuvres  divers 
Sont  merveilleux  par  le  monde  univers  ! 
Oh  !  que  tu  as  tout  fait  par  grand'sagesse  ! 
Bref,  la  terre  est  pleine  de  ta  largesse... 

Cette  cascade,  l'une  des  plus  belles  qu'on  puisse 
voir,  est  formée  par  la  Maletsunyane,  honnête  ri- 
vière qui  chemine  paisiblement  dans  une  vallée 
resserrée,  jusqu'à  un  point  où,  fort  étourdiment, 
elle  se  précipite  d'une  hauteur  à  pic  de  plus  de 
190  mètres,  avec  un  bruit  assourdissant,  répercuté 
par  tous  les  échos  des  alentours. 


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LA    CASCADE    DE    LA   MALETSUNYAXE 


220  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Les  montagnes  du  Lessouto,  àl'entrée  desquelles 
se  trouve  en  quelque  sorte  notre  cascade,  forment 
vraiment  une  modeste  petite  Suisse,  sans  neige 
éternelle,  bien  entendu,  ni  lac,  ni  château  de 
Chillon,  ni  même  d'annonces  de  chocolat  Suchard 
ou  autres  ! 

C'est  là  qu'on  rencontre  les  plus  hauts  sommets 
de  l'Afrique  australe,  dont  l'un,  le  mont  aux 
Sources,  a  été  découvert  par  les  missionnaires  pro- 
testants français  Arbousset  et  Daumas,  en  1838. 
Ce  grand  district  montagneux,  qui  n'est  réellement 
bien  connu  que  depuis  ces  dix  dernières  années, 
voit  sa  population  s'accroître  chaque  année  par  des 
immigrations  nombreuses,  le  Lessouto  devenant 
trop  étroit  pour  ses  habitants. 

Le  climat  y  est  beaucoup  plus  rigoureux  que 
dans  la  plaine  et  la  civilisation  n'y  a  pas  encore 
beaucoup  pénétré.  C'est  un  des  rares  coins  du 
monde  où  il  n'y  a  encore  ni  magasins,  ni  mar- 
chands !  Il  faut  faire  quatre  à  cinq  jours  de  marche 
pour  se  procurer  une  boîte  d'allumettes  ou  un 
couteau  ;  une  planche  ou  une  fenêtre  doivent  être 
portées  à  dos  d'homme. 

Néanmoins,  c'est  par  centaines  qu'on  compte 


222  Au  Sud  de  l'Afrique. 

maintenant  les  petits  villages  éparpillés  dans  ce 
«  pays  d'en  haut  »  ! 

Depuis  deux  ans  environ  la  conférence  des  mis- 
sionnaires du  Lessouto  a  placé  deux  pasteurs  indi- 
gènes et  quelques  évangélistes  pour  s'occuper  des 
habitants  de  ces  montagnes. 

Déjà  le  zèle  de  ces  pasteurs  et  évangélistes,  qui 
ont  consenti  à  s'établir  loin  de  parents  et  amis  et 
de  toutes  les  petites  facilités  qu'on  trouve  dans  le 
centre  du  pays,  a  été  récompensé,  car  ils  ont  déjà 
réuni  de  petites  congrégations  qui  ne  demandent 
qu'à  grandir  dans  tous  les  sens  et  de  toutes  les  ma- 
nières. 


Une  visite 
aux  lépreux  de  File  de  Robben 


PRES  LA  VILLE  DU  CAP 


Hermon,  juin. 

Pour  la  première  fois  depuis  onze  ans  que  nous 
sommes  au  Lessouto,  j'ai  dû  faire  un  voyage  à  la 
ville  du  Cap,  afin  d'accompagner  mon  fils  aine, 
qui  devait  partir  pour  la  France  avec  un  mission- 
naire que  nous  devions  rencontrer  dans  cette  ville 
avec  sa  famille. 

Si  ce  voyage  avait  pour  but  une  séparation  dou- 
loureuse, il  ofFrait  aussi  des  sujets  d'intérêt  dont  je 
veux  vous  parler. 

Je  passerai  rapidement  sur  notre  départ  d'Her- 


224  ^u  Sud  de  l'Afrique. 

mon  et  sur  les  adieux  dont  le  Sauveur  connaît  le 
poids,  car,  comme  l'a  dit  un  poète  '  : 

Il  sait  bien  ce  que  cela  pèse, 
Lui  qui  tomba  sur  ses  genoux. 

En  deux  jours  nous  arrivâmes  à  Bloemfbntein, 
la  capitale  de  l'État  libre  de  l'Orange,  où  nous 
fûmes  reçus  par  un  ami  de  notre  mission,  M.  J. 
Scott,  pasteur  wesleyen,  dont  l'hospitalité  est  bien 
connue. 

Bloemfbntein  est  une  ville  d'à  peu  près  3,000  ha- 
bitants, qui  n'a  rien  d'extraordinaire,  mais  qui, 
néanmoins,  semble  singulièrement  jolie  quand  on 
est  resté  quelques  années  sans  sortir  du  Lessouto. 

Après  avoir  assisté  au  solennel  service  d'ouver- 
ture du  synode  de  l'Église  réformée  hollandaise/ 
où  se  trouvait  beaucoup  de  inonde  et  aussi  «  Son 
Honneur  »  le  Staats président  et  les  membres  du 
VoJhraad,  ou  Parlement,  nous  avons  soigneu- 
sement visité  la  ville,  ce  qui  fut  vite  fait.  Etant 
d'abord  «  montés  si  haut  qu'on  peut  monter  »  sur 
une  sorte  de  beffroi  d'où  l'on  a  une  vue  fort  éten- 

T.  Victor  Hugo. 


Visite  aux  lépreux  de  l'île  de  Robbcn.     225 

due  sur  les  plaines  environnantes,  nous  sommes 
allés  ensuite  donner  un  coup  d'œil  au  nouveau 
Raadsaal,  ou  Palais  législatif,  le  plus  beau  bâti- 
ment de  tout  l'Etat  libre,  avec  colonnes  de  pierres 
en  pur  style  ionique;  on  ne  se  refuse  rien  dans 
cette  petite  capitale  ! 


BLOEMFONTEIN,    CAPITALE   DE   L  ÉTAT   LIBRE   D  ORANGE 


Mais  c'est  au  Cap  que  nous  allons  et  nous  y 
allons  en  chemin  de  fer.  Noël  y  voyage  pour  la 
première  fois  ;  aussi  ses  multiples  étonnements  ne 
manquent  pas  d'originalité. 


SUD    DE    l'aFKIQVH 


15 


226  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Le  paysage  que  nous  traversons  n'offre  pendant 
bien  longtemps  rien  de  bien  attrayant,  c'est  le  dé- 
sert du  Karroo  ou  Karou  dans  toute  sa  gloire  ;  ce 
n'est  que  quand  nous  traversons  les  montagnes  de 
l'Hex,  dans  le  sud  de  la  colonie  du  Cap,  que  nous 
avons  enfin  des  sites  ravissants  ;  on  se  croirait 
presque  dans  le  Jura  ;  bientôt  après,  les  pins,  les 
palmiers,  les  bananiers  nous  transportent  ailleurs, 
bien  loin. 

Mais  après  quarante-six  heures  de  voyage,  nous 
arrivons  au  bout  de  nos  1,200  kilomètres,  c'est-à- 
dire  a  Capetown,  la  ville  du  Cap.  Il  était  temps, 
nous  commencions  à  en  avoir  assez  de  ce  chef- 
d'œuvre  de  la  civilisation  ;  il  ne  faut  cependant  pas 
trop  s'en  plaindre,  car  les  anciens  missionnaires 
ont  mis,  dans  le  temps,  trois  ou  quatre  mois  et  plus 
pour  faire  le  même  voyage  en  wagon  à  bœufs  ! 

Vous  pouvez  vous  figurer  quelles  mines  avaient 
le  papa  et  le  fils  !  Ils  ne  revenaient  pas  de  Pontoise, 
mais  de  bien  pis.  Voir  un  blanc  à  Hermon  est  un 
événement  et,  du  plus  loin  que  les  enfants  l'aper- 
çoivent, ils  accourent  tout  excités  nous  l'annoncer; 
aussi,  nous  trouver  dans  une  grande  ville  était,  vous 
en  conviendrez,  bien  émotionnant.    Ce  fut  bien 


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228  Au  Sud  de  l'Afrique. 

autre  chose  plus  tard,  lorsque  après  avoir  fait  con- 
naissance des  amis  qui  voulaient  bien  nous  rece- 
voir, nous  pûmes  faire  un  tour  en  ville  !  Qu'ont  dû 
se  dire  les  passants  de  voir  un  monsieur  tout  de 
noir  habillé  donnant  la  main  à  un  jeune  garçon  en 
costume  marin  s'arrêter  devant  les  affiches,  les 
lire  même;  regarder  curieusement  les  tramways, 
les  cabs,  les  vélocipèdes,  les  becs  de  gaz  et  admirer 
les  devantures  des  magasins  avec  le  ravissement  de 
Charlemagne  recevant  les  présents  d'flaroun-al- 
Raschid  ?  Nous  avons  fait  de  notre  mieux  pour  ne 
pas  être  par  trop  démonstratifs,  mais  c'était  diffi- 
cile ;  il  fallait  presque  nous  retenir  pour  ne  pas 
poser  à  chaque  passant  les  questions  d'usage  au 
Lessouto  : 

U  tsua  kae  ?  U  ea  kae  ? 
(D'où  viens-tu?  où  vas-tu?) 

La  ville  du  Cap  est  très  intéressante  ;  elle  est 
d'abord  magnifiquement  située  au  pied  de  la  mon- 
tagne de  la  Table  qui  atteint  près  de  1,100  mètres 
de  hauteur,  puis  elle  a  une  population  d'environ 
50,000  âmes,  composée,  outre  les  Européens, 
d'Indous,  de  Malais,  de  Hottentots  et  des  mem- 


JEUNE    FILLE   KOTTENTOTE 


230  Au  Sud  de  l'Afrique. 

bres  de  toutes  les  races  nègres  peuplant  l'Afrique 
méridionale;  aussi  Adderley  Street,  le  boulevard 
des  Italiens  de  l'endroit,  présente  un  spectacle 
des  plus  animés.  En  général  les  rues  sont  bien  tra- 
cées, ornées  ça  et  là  de  très  beaux  arbres  et  de  mo- 
numents d'aspect  un  peu  rococo. 


Mais  j'ai  hâte  de  vous  mener  à  l'île  de  Robben  ; 
c'était  chez  moi  une  idée  fixe  d'aller  visiter  cette 
île  la  première  fois  que  j'aurais  l'occasion  d'aller  à 
la  ville  du  Cap;  ainsi  donc,  en  route.  Cependant  je 
ne  vous  cache  pas  que,  d'un  côté,  je  ne  tenais  guère 
à  cette  excursion  ;  car  c'est  une  chose  connue, 
même  à  Paris,  qu'il  faut  traverser  l'eau  pour  ar- 
river a  une  ile...  et  cette  eau  c'est  la  mer,  l'élé- 
ment perfide  !... 

Vous  avez  la  liberté,  si  cela  vous  fait  le  moindre 
plaisir,  d'appeler  la  susdite  île  «  l'île  des  Phoques  » 
comme  sur  les  cartes  françaises;  cependant  je  vous 
préviens  qu'il  n'y  a  pas  plus  de  phoques  que  sur 
les  bords  du  lac  d'Enghien  ;  mais,  par  contre,  les 
lapins  y  foisonnent. 

L'île  de  Robben  est  située  à  une  petite  heure  de 


Visite  aux  lépreux  de  l'île  de  Robben.     231 

la  ville  du  Cap  et  sert  d'asile  à  de  grandes  misères  : 
des  lépreux,  des  aliénés,  des  forçats... 

Je  me  trouvais  donc,  un  matin  d'un  jour  du 
mois  dernier,  installé  sur  le  pont  du  petit  vapeur 
du  gouvernement  qui,  trois  fois  par  semaine,  fait 
le  service  de  l'île.  A  bord  se  trouvaient  d'assez 
nombreux  voyageurs,  puis  des  moutons,  des  lé- 
gumes, des  caisses  de  conserves,  etc.,  car  l'île  res- 
semble pas  mal  à  certains  hôtels  espagnols  où  l'on 
ne  trouve,  parait-il,  que  ce  que  l'on  apporte.  Le 
voyage  se  fit  aisément,  le  temps  était  superbe  et  je 
restai  correct  ;  je  pus  même  avoir  assez  de  sang- 
froid  pour  admirer  la  baie  de  la  Table  et  les  ébats 
des  mouettes  et  pingouins  qui  croyaient  devoir 
égayer  notre  route.  Bientôt  après,  l'îlot  et  son 
phare  se  dressaient  devant  nous.  Les  arbres,  comme 
on  dit,  ne  nous  cachaient  pas  la  forêt,  car  la  végé- 
tation y  est  fort  rare. 

Mais,  autre  histoire,  le  vapeur  s'arrête  à  quel- 
que distance  du  rivage  et  l'on  doit  descendre  dans 
une  grande  barque  qui  se  dirige  près  de  la  terre, 
qu'elle  n'atteint  pas  non  plus. 

Là,  ayant  de  l'eau  jusqu'à  mi-jambe,  arrivent 
des  prisonniers  pour  chercher  les  visiteurs  dans 


232  Au  Sud  de  l'Afrique. 

des  sortes  de  chaises  ou  simplement  sur  leur 
dos  . . . 

Une  fois  à  terre,  j'aurais  voulu  me  multiplier 
pour  tout  voir. 

Je  dus  d'abord  me  rendre  au  bureau  du  docteur 
en  chef,  un  petit-fils  de  Mme  S.  Rolland,  la  veuve 
du  missionnaire  de  l'ancienne  station  de  Beerséba, 
où  j'obtins  facilement  l'autorisation  de  visiter  les 
léproseries.  Celles-ci  furent  dirigées  pendant  de 
longues  années  par  les  missionnaires  moraves  qui 
s'en  occupèrent  avec  zèle  et  amour  jusqu'en  1868'. 

Quant  aux  établissements  actuels,  qui  sont  aérés 
et  tort  bien  aménagés,  ils  font  l'éloge  du  gouver- 
nement, qui  les  a  fait  construire  ces  dernières 
années;  ils  abritent  500  lépreux  appartenant  aux 
diverses  races  habitant  l'Afrique  du  Sud. 

J'avais  déjà  été  bien  remué,  il  y  a  plusieurs  an- 
nées, en  voyant  des  lépreux  en  Palestine;  mais  le 
soleil  d'Orient  qui  étend  son  manteau  d'or  sur 
toutes  les  misères  en  voile,  pour  ainsi  dire,  la  cru- 
dité au  regard  des  passants... 

On  peut  rencontrer  de  grandes  infortunes,  mais 


I.  Soixante-quinze  années  parmi  les  lépreux,  par  Senft.   1S94. 


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234  du  Sud  de  l'Afrique. 

on  n'en  peut  pas  voir  qui  serrent  le  cœur  plus  for- 
tement que  celle  de  ces  lépreux  qui,  séparés  de 
leurs  familles,  n'ayant  les  uns  plus  de  doigts  pour 
essuyer  leurs  larmes,  ou  les  autres  plus  d'yeux 
pour  exprimer  leur  douleur,  savent  leur  affreuse 
maladie  en  dehors  de  la  science  humaine  ! 

C'est  près  du  bâtiment  des  lépreux  nègres  que 
je  m'arrêtai  ;  il  me  fallut  assez  de  peine  pour  ar- 
river à  me  faire  comprendre  des  amis  que  je  venais 
visiter.  Il  est  si  rare  qu'un  visiteur  blanc  leur  parle 
sessouto  qu'ils  n'en  croyaient  pas  leurs  oreilles; 
mais  à  peine  eurent-ils  saisi  que  je  voulais  voir  les 
Bassoutos,  que  tous  ceux  qui  entendaient  plus  ou 
moins  bien  cette  langue  se  groupèrent  autour  de 
moi  au  nombre  d'environ  une  trentaine  au  plus. 

Leur  joie  de  voir  un  moruii  oa  Fora  —  mission- 
naire français  —  faisait  du  bien  à  celui-ci  qui  avait 
craint  un  peu  le  mal  de  mer  pour  arriver  jusqu'à 
eux. 

Nous  parlâmes  un  peu  du  pays,  des  récoltes,  etc., 
puis  nous  chantâmes  quelques  cantiques,  ce  qui 
attira  tous  les  hommes  valides  de  la  maison.  Pen- 
dant que  quelques-uns  paraissaient  émus  de  re- 
connaître des   airs    connus,   d'autres   semblaient 


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236  Au  Sud  de  l'Afrique. 

rêver  en  entendant  leur  cher  sessouto.  L'un  d'eux 
me  demanda  de  chanter  le  beau  cantique  de 
M.  E.  Casalis  : 

Ha  le  mpotsa  tsepo  ea  ka, 
Ke  tla  re,  ke  Yesu. 
(Si  vous  me  demandez  mon  espérance,  je  dirai  que 
c'est  Jésus  ) 

C'est  bien  cela,  c'est  Jésus  qui  seul  fortifie,  con- 
sole et  qui  seul  peut  réjouir  un  lépreux  ! 

Après  avoir  prié  ensemble  et  après  avoir  promis 
de  leur  écrire,  nous  nous  séparâmes  aussi  émus 
les  uns  que  les  autres. 

Je  me  rendis  ensuite  vers  le  dépôt  des  condam- 
nés et  fus  tout  de  suite  admis  à  entrer  dans  la 
prison  ;  c'était  justement  l'heure  du  repas. 

Pour  me  faire  connaître,  je  m'annonçai  encore 
en  sessouto,  et  quelques  Bassoutos  me  répondirent . 
La  prison  est  aussi  bien  installée,  elle  ne  me  fai- 
sait pas  positivement  envie,  mais  cependant  les 
chambres  et  les  paillasses  ont  bonne  façon.  A  peine 
ai-je  pu  prendre  quelques  petits  croquis  —  assis 
sur  des  os  de  baleine  !  —  que  déjà,  vers  4  heures, 
il  fallut  prendre  le  chemin  du  retour. 


V 


238  Au  Sud  de  l'Afrique. 


19  décembre. 

Quelques  mois  après  ma  visite  à  l'île  de  Robben, 
je  reçus  une  lettre  que  je  tiens  à  vous  envoyer  à 
titre  de  curiosité,  certain  aussi  qu'elle  vous  inté- 
ressera. 

Du  premier  coup  d'œil,  vous  pouvez  voir  qu'elle 
est  fort  loin  d'être  une  page  de  calligraphie  ;  elle 
est  aussi  agrémentée  de  taches  d'encre  et  de  mots 
biffés  ;  de  plus,  on  peut  dire  qu'à  première  vue 
elle  semble  indéchiffrable;  on  perd,  non  pas  son 
latin  à  essayer  de  la  lire,  mais  bien  son  sessouto. 

Cependant  sans  lunettes,  mais  avec  un  peu  de 
patience,  je  suis  arrivé  à  la  comprendre,  à  part 
quelques  mots  ;  je  ne  vous  dis  pas  cela  pour  m'enor- 
gueillir  et  pour  que  vous  disiez  :  «  Quel  habile 
homme  !  »  mais  parce  que  l'on  ne  peut  guère  en 
recevoir  de  plus  touchantes. 

Je  dois  vous  dire  d'abord  que  c'est  une  lettre  de 
faire  part  ;  une  ligne  maladroitement  tracée  autour 
de  l'écriture  est  destinée  à  figurer  le  bord  noir  du 
papier  de  deuil. 

En  voici  la  traduction,  aussi  claire  que  faire  se 
peut. 


240  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Robben-Island,  8  décembre. 

«  Là-bas  Patise  (nom  sessouro  de  la  station 
«  d'Hermon)  à  M.  Fred.  Christol,  salut  serviteur 
«  de  Dieu  ! 

«  Reçois  ma  lettre  ;  par  elle  je  viens  à  toi  pour 
«  te  dire  que  Samuel  Mokhémé  est  mort,  il  n'est 
«  plus  ici,  il  est  parti  pour  le  ciel.  Il  est  mort  le 
«  25  novembre  et  s'en  est  allé  en  paix...  en  grande 
«  paix...  Je  m'arrête  ici. 

«  C'est  moi  : 

«  M.  S.  Mokuena.  » 

Puis  en  post-scriptum  : 

«  Que  Dieu  t'aide  et  garde  ton  âme  et  la  mienne 
«  au  dernier  jour  !  Je  m'exhorte  par  la  parole  qui 
«  dit:  N'aie  pas  peur...  aussi  la  mort  c'est  mon 
«  amie  ! 

«  La  terre  passera,  mais  ses  paroles  ne  passeront 
«  point. 

«  Aide-moi  de  tes  prières,  je  me  sens  faible  et  je 
«  suis  un  pécheur  ;  prie  pour  moi  afin  que  moi 
«  aussi  je  sois  un  disciple  de  Christ.  » 

Ce  Samuel  Mokhémé,  dont  la  mort  m'est  an- 


Visite  aux  lépreux  de  l'île  de  Robben.     241 

noncée,  était  un  de  ceux  que  j'avais  vus  et  aux- 
quels j'écrivais  de  temps  à  autre.  Quant  à  mon 
correspondant,  S.  Mokuéna,  il  m'écrit  pour  la  pre- 
mière fois,  mais  sa  lettre  le  fait  vite  connaître  et 
aimer  tout  à  la  fois. 

Dans  cette  «  fin  de  siècle  »,  où  tant  de  gens 
veulent  quelque  chose  de  mieux  que  l'Évangile  et 
ne  trouvent  qu'un  accroissement  de  vices  et  de 
misères,  un  pauvre  lépreux,  d'un  coin  perdu  du 
sud  de  l'Afrique,  exprime  comme  le  seul  vœu  de 
son  cœur  et  la  seule  aspiration  de  son  âme  :  «  Que 
je  sois  un  disciple  de  Christ  !  »  Ce  lépreux  nègre 
est  certainement  plus  clairvoyant  que  les  savants 
auxquels  la  science  suffit  et  plus  sage  que  les  in- 
telligents qui  arrangent  la  vie  à  leur  gré,  car  il  a 
compris  ce  que  dit  si  bien  un  de  nos  poètes  dans 
un  livre  récent  '  : 

Le  monde  passera,  car  il  faut  que  tout  meure, 
La  terre  sous  nos  pieds,  le  ciel  sur  notre  front  ; 
Mais  par  delà  la  mort  ta  Parole  demeure... 


1.  Jésus,  par  Jean  Aicard. 


SUD    DE    l'aHUQ.UE  l6 


UNE 

Excursion  au  bord  de  la  mer 


Hermon,  23  février. 

C'est  d'une  expédition  d'un  genre  un  peu  nou- 
veau que  je  veux  vous  entretenir  aujourd'hui,  c'est, 
du  moins,  la  première  fois  qu'il  en  est  fait  une  de 
cette  sorte  du  pays  des  Bassoutos. 

Il  y  avait  longtemps  que  je  me  disais  qu'un 
voyage  au  bord  de  la  mer  pourrait  faire  beaucoup 
de  bien  aux  évangélistes  et  instituteurs  d'Hermon, 
en  leur  donnant  une  leçon  de  choses  qui  leur  serait 
des  plus  utiles.  Mon  récent  voyage  à  la  ville  du 
Cap  avait  renouvelé  en  eux  le  désir  de  réaliser 
enfin  le  susdit  projet. 

Aussi,  afin  de  profiter  de  l'importante  réduction 
que  la  Compagnie  des  chemins  de  fer  de  la  colonie 


244  ^"  Sud  de  l'Afrique. 

du  Cap  accorde,  pendant  les  vacances,  à  ceux  qui 
ont  quelques  attaches  avec  le  monde  scolaire,  nous 
avons  attelé  le  wagon  à  bœufs,  un  certain  jeudi  du 
mois  de  janvier,  en  plein  été  comme  vous  savez, 
et  pris  la  direction  d'East-London,  le  port  de  mer 
le  plus  voisin  du  Lessouto. 

Les  touristes,  que  je  dois  vous  présenter,  se 
composent  de  Phékou,  Benoni,  Ralabane  et  ses 
trois  frères,  Filipi,  Willem  et  Mofana,  puis  A. 
Ntjélépa  qui,  depuis,  est  parti  comme  catéchiste 
pour  la  mission  du  Zambèze.  En  route,  mes  com- 
pagnons conduisent  le  wagon  à  tour  de  rôle  avec 
un  entrain  tout  à  fait  louable;  mais  Ntjélépa  et 
Filipi  sont  spécia'ement  chargés  de  faire  le  café 
trois  fois  par  jour,  en  alternant  avec  du  bush  tea  — 
thé  des  bois —  qui  a  un  fort  goût  de  tisane  et  pro- 
vient d'un  arbuste  de  la  colonie.  Phékou  doit  pen- 
ser à  remplir  d'eau  le  petit  tonneau  du  wagon, 
tandis  que  Ralabane  et  moi  nous  allons  «  khapa- 
neng»,  autrement  dit,  nous  ramassons  du  com- 
bustible sur  la  route...  Nous  devons  nous  rendre 
d'abord  à  Aliwal,  petite  ville  de  la  colonie  du  Cap 
et  tête  de  ligne  du  chemin  de  fer;  il  s'agit  de 
voyager  sans  lanterner  afin  d'arriver  samedi  soir. 


M  ?1 

V  ?    f 

'""**3&     f, 


246  Au  Sud  de  V Afrique. 

Le  bon  La  Fontaine  aurait  pu  renouveler  sa 
plainte  :  «  Ce  serait  une  belle  chose  de  voyager 
s'il  ne  fallait  point  se  lever  si  matin  !  »  car,  comme 
on  dit,  nous  ne  mettons  pas  deux  pieds  dans  un 
soulier,  nous  partons  à  2  ou  3  heures  du  matin 
et  faisons  de  longues  étapes. 

Le  samedi,  de  bonne  heure,  nous  atteignons 
Rouxville,  dans  l'État  libre  d'Orange.  Ce  village 
doit  son  nom  au  premier  pasteur  hollandais  de  ces 
parages,  un  descendant  de  huguenots  français, 
comme  l'indique  son  nom.  Ledit  Rouxville,  qui 
n'ofFre  pas  beaucoup  de  sujets  intéressants,  est  situé 
dans  une  plaine  interminable  et  manque  presque 
totalement  de  verdure,  à  part  quelques  portes 
peintes  en  vert,  en  manière  de  consolation  sans 
doute. 

De  là  à  Aliwal,  il  n'y  a  que  trois  heures  à  cheval, 
soit  environ  huit  heures  avec  notre  lourd  véhicule, 
mais  comme  nous  sommes  pressés,  plusieurs 
contretemps  viennent  à  la  traverse  et  ce  n'est  que 
le  dimanche  matin  que  nous  avons  enfin  pu  passer 
le  pont  d'Aliwal  sur  l'Orange,  et  nous  le  passons 
gratuitement,  ce  qui  est  nouveau  ;  je  me  rappelle 
avoir  eu  à  payer,  il  y  a  quelques  aimées,  la  jolie 


Excursion  au  bord  de  la  mer.  i^-j 


somme  de  18  fr.  10  c.  pour  le  franchir  avec  mon 
wagon  à  bœufs  ! 


vu  m  - 

y ! 

FEMME    INDIGÈNE    DE    LA   COLONIE 


Aliwal  est  une  jolie  petite  ville  cachée  dans  la 
verdure,  c'est  aussi  un  chef-lieu  de  canton  qui, 


248  Au  Sud  de  l'Afrique. 

malgré  cela,  ne  compte  pas  plus  de  800  âmes,  en 
admettant,  comme  dit  Jules  Verne,  une  âme  par 
habitant. 

Le  lundi,  de  bonne  heure,  nous  nous  achemi- 
nions, sous  la  conduite  de  l'aimable  M.  G.  Butt, 
pasteur  wesleyen,  vers  la  gare  du  chemin  de  fer, 
l'esprit  en  repos,  car  il  voulait  bien  prendre  sous 
sa  protection  notre  wagon  et  son  attelage. 

Mes  compagnons  n'étaient  jamais  allés  en  che- 
min de  fer  et  se  sentaient  un  peu  émotionnés  en 
prenant  leur  place.  Cela  est  vraiment  excusable  : 
la  locomotive,  son  sifflet  et  son  panache  de  fumée 
rappellent  si  peu  le  wagon  à  bœufs  qu'ils  aiment 
tant! 

Peu  à  peu,  la  confiance  est  venue,  puis  l'admi- 
ration se  trahit  bientôt  par  toutes  les  exclamations 
que  le  sessouto  met  à  leur  disposition. 

A  la  station  de  Queenstown,  où  nous  arrivons 
le  soir,  MmeE.  Maeder,  la  veuve  de  notre  collègue 
de  Siloé  et  qui  demeure  dans  cette  jolie  ville,  vint 
nous  saluer;  je  l'avais  informée  de  notre  passage, 
sachant  qu'elle  aimerait  voir  des  Bassoutos  ;  elle 
était  suivie  de  deux  indigènes  nous  apportant  du 
thé  et  du  café  chauds,  puis  du  pain,  un  peu  de 


Excursion  au  bord  de  la  mer.  24^ 

viande,  quelques  gâteaux  même...  un  vrai  festin 
de  Balthazar  qui  a  été  accueilli  avec  appétit  et 
reconnaissance.  Le  lendemain  matin,  le  paysage 
aperçu  par  les  vitres  du  compartiment  était  tout 
différent  de  celui  de  la  veille  :  nous  traversons  de 
vraies  forêts  de  mimosas,  dans  lesquelles  surgissent 
çà  et  là  des  villages  de  Caftes1,  plutôt  de  Amaqosas, 
Fingous  ou  Temboukis ,  où  nous  voyons  des 
hommes  —  et  aussi  des  dames  noires  —  avec  de 
grandes  pipes  à  la  bouche... 

Après  vingt -quatre  heures  de  trajet,  que  les 
voyageurs  n'ont  pas  trouvées  trop  longues,  nous 
avons  fait,  à  8  heures  du  matin,  notre  entrée 
dans  la  ville  d'East-London.  Les  exclamations,  que 
la  longueur  du  voyage  avait  un  peu  calmées,  ont 
recommencé  de  plus  belle,  mais  sur  un  ton  pli/s 
sourd,  car  les  arrivants  se  sentaient  très  loin  du 
Lessouto  et  très  intimidés  au  milieu  des  nouveautés 
qui  les  entouraient. 

Quant  à  moi,  qui  avais  charge  d'àmes,  je  jubilais 
beaucoup  moins,  car  j'avais  vainement  cherché  où 


1.  Cette  expression  Je  Cafrtt  par  laquelle  sont  désignés  les  indigènes  de 
l'Afrique  du  Sud  vient  d'un  mot  arabe  Katir,  infidèles,  et  s'applique  à  tous 
ceux  qui  ne  sont  pas  musulmans.  (E.  Reclus,  L'Afrique  méridionale.') 


250  Au  Sud  de  l'Afrique. 

je  pourrais  caser  mon  monde.  Un  employé  de  la 
gare  me  signala  un  hôtel  où  l'on  avait  reçu  des 
indigènes.  Pendant  que  mes  voyageurs  étaient  en 
extase  devant  la  devanture  d'un  horloger- bijoutier, 
je  me  dirigeai  tout  heureux  vers  cet  hôtel. 

Un  beau  monsieur  en  cravate  blanche  et  en 
«  queue  de  morue  »  me  reçut  très  poliment,  mais 
comprit  mal  ma  demande.  Il  crut  que  j'arrivais 
du  Lessouto  avec  des  poneys  bassoutos,  petits  che- 
vaux indigènes  très  appréciés  dans  la  colonie,  et 
me  souriait  fort  aimablement,  ce  qu'il  cessa  de 
faire  quand  il  sut  de  quoi  il  s'agissait... 

Découragé,  je  me  décidai  à  aller  chez  le  pasteur 
luthérien,  M.  H.  Mùller,  pour  lequel  un  collègue 
avait  bien  voulu  me  donner  une  lettre  d'introduc- 
tion. M.  Mùller  était  en  voyage,  mais  son  fils  et 
une  tante  de  celui-ci,  voyant  mon  embarras,  vou- 
lurent bien  me  donner  un  coin  où  mes  compa- 
gnons purent  tant  bien  que  mal  s'installer;  cela 
valait  toujours  mieux  que  d'aller  loger  au  village 
indigène,  fort  éloigné  et  où  les  étrangers  sont  plu- 
més autant  que  faire  se  peut.  Après  avoir  fait  un 
bout  de  toilette,  nous  allâmes  faire  un  tour  en 
ville. 


\       J  Y    i  : 


252  Au  Sud  de  l'Afrique. 


East-London,  un  des  ports  de  mer  les  plus  dan- 
gereux de  toute  la  côte  australe,  est  de  date  ré- 
cente; sa  population  ne  dépasse  pas  10,000  habi- 
tants, mais  la  ville,  qui  gagne  chaque  année  en 
importance,  est  très  animée.  La  verdure  y  est  rare, 
malgré  des  efforts  louables  faits  pour  la  plantation 
d'arbres. 

Les  bâtiments  du  «  Palais  de  justice»  et  de  la 
poste,  bâtis  en  ce  style  féodal  qui  rappelle  certaines 
villas  des  environs  de  Chatou  et  Bougival,  faisaient 
l'admiration  de  mes  amis,  tandis  que  les  magasins 
et  leurs  enseignes  les  arrêtaient  à  chaque  pas. 

Nous  avancions  lentement  dans  notre  prome- 
nade ;  il  fallait  bien  jeter  un  coup  d'œil  sur  la 
scierie  mécanique,  nous  arrêter  devant  une  fabrique 
de  glace  et  d'eau  gazeuse;  considérer  quelques 
instants  un  réverbère  ou  un  bicycle,  aussi  rares  au 
Lessouto  que  les  maisons  à  un  ou  deux  étages,  etc. 
Nous  atteignîmes  cependant  les  bords  de  la  ri- 
vière Buffalo,  près  de  la  mer,  et  les  questions 
de  mes  compagnons  devinrent  encore  plus  pres- 
santes. 

Les  navires,  le  phare,  les  dragues  et  des  ma- 
chines de  toutes  sortes  leur  faisaient  ouvrir  non 


Excursion  au  bord  de  la  nier. 


-):> 


seulement  les  yeux,  mais  même  aussi  la  bouche  de 
stupéfaction  ! 

Plusieurs  fois  ils  s'écrièrent  :  «  Les  blancs  font 
ce  qu'ils  veulent,  il  n'y  a  que  la  mort  qui  les 
arrête  !  » 

Une  fois  au  bord  de  la  mer,  ils  se  turent  un  bon 
moment  ;  il  y  avait  vraiment  de  l'émotion  dans 
leur  cœur  devant  l'immensité  qui  s'étendait  de- 
vant eux. 

Après  avoir  vu  les  vagues  déferler  sur  la  jetée  en 
construction,  ils  s'approchèrent  pour  goûter  l'eau 
et  trouvèrent  que  vraiment  elle  était  un  peu  salée 
comme  on  le  leur  avait  dit  ;  ils  voulurent  s'y  bai- 
gner, mais  repoussèrent  absolument  toute  idée 
d'aller  faire  une  promenade  en  bateau. 

Le  jour  suivant,  nous  nous  dirigeâmes  avec  le 
jeune  fils  de  M.  Mûller  vers  la  Plage  de  sable.  Les 
excursionnistes  furent  ravis  de  voir  les  vagues  fu- 
rieuses mourir  sur  le  sable  et  stupéfaits  d'en  voir 
d'autres  se  briser  contre  les  rochers;  mais  leur 
amour  pour  le  plancher  des  vaches  s'augmenta  sen- 
siblement à  la  vue  d'un  navire  échoué  sur  le  sable, 
jeté  à  la  côte  quelques  semaines  auparavant. 

Chacun  remplit  une  bouteille  d'eau  de  mer  pour 


254  -du  Sud  de  l'Afrique. 

faire  goûter  aux  amis  du  Lessouto,  puis,  pour  con- 
server un  souvenir  de  cette  mémorable  visite  à  la 
mer,  toute  la  bande  se  rendit  chez  un  photographe 
pour  être  tirée  en  portrait  ! 

Le  lendemain  matin,  nous  prîmes  le  chemin  du 
retour;  je  pourrais,  si  je  ne  craignais  d'allonger 
vos  figures  en  allongeant  ma  prose,  vous  en  donner 
bien  des  détails  ;  mais  qu'il  vous  suffise  de  savoir 
que,  malgré  des  pluies  persistantes,  des  rivières 
plus  ou  moins  guéables,  des  chemins  défoncés, 
nous  rentrions  dans  nos  pénates  —  heureux  et 
trempés  —  après  douze  jours  d'absence. 


Une  Fête  nationale 

DAXS    L'ÉTAT   LIBRE  D'ORAXGE 


Hermon,  8  avril. 

C'est  à  Wepener  que  je  veux  vous  mener  au- 
jourd'hui; vous  n'avez  pas  à  craindre  la  fatigue,  car 
ce  n'est  pas  loin  d'ici  :  à  peine  une  heure  à  che- 
val. Wepener  est  un  petit  village  d'environ  trois 
cents  habitants,  situé  dans  l'État  libre  d'Orange, 
avec  lequel  nous  avons  forcément  de  fréquents 
rapports. 

Il  y  a  grande  fête  en  ce  jour  à  Wepener  :  M.  le 
président  F.  Reitz  doit  venir  y  passer  l'inspection 
des  Boers  du  district,  et  nous  sommes  invités  à 
nous  y  rendre  par  notre  excellent  ami,  M.  G.-R. 
Keet,  pasteur  de  l'église  hollandaise  de  l'endroit. 

Ayant  pu  réussir  à  avoir  des  coursiers  suffisants, 


256  Au  Sud  de  l'Afrique. 

mes  deux  grands  fils  ont  pu  accompagner  leur  papa, 
au  grand  contentement  des  trois  cavaliers. 

Nous  trouvâmes  le  village  de  Wepener  tout 
transformé;  les  cinq  magasins  étaient  fermés,  ainsi 
que  le  bureau  de  poste  et  le  télégraphe;  il  y  avait 
des  drapeaux  çà  et  là,  des  lampions  un  peu  partout 
et  une  foule  que  je  puis  presque  qualifier  d'énorme; 
sans  exagérer,  on  aurait  pu  se  croire,  avec  de  la 
bonne  volonté,  en  pleine  rue  Cannebière,  à  Mar- 
seille, un  jour  de  beau  temps. 

Au  coin  d'une  rue,  près  le  «  Kantoor  »  ou  mai- 
rie, se  dressait  un  arc  de  triomphe  qui  n'avait  pas 
mauvaise  façon  ;  entre  autres  drapeaux  qui  le  dé- 
coraient, j'ai  été  heureux  d'en  découvrir  un  fran- 
çais; vous  pensez  si  j'ai  été  fier  de  voir  la  France 
représentée  à  Wepener. 

C'était  à  une  certaine  distance  du  village  que  de- 
vait avoir  lieu  la  revue  ;  la  ligne  des  voitures  et 
wagons  à  bœufs  s'étendait  au  loin  dans  la  plaine  et 
contenait  une  assistance  nombreuse  et  pittoresque  ; 
l'armée  elle-même  était  composée  de  tous  les 
Boers  ou  Burghers  —  les  nationaux  —  valides  des 
alentours,  armés  de  fusils  et  à  cheval. 

Dans  un  groupe  arrêté  sur  une  petite  éminence 


SVD    DE    L  AFRIQUE 


258  Au  Sud  de  l'Afrique. 

se  tenait  le  président,  auquel  j'ai  eu  l'avantage 
d'être  présenté  par  le  «  Landdrost  »  ou  maire  de 
Wepener  '. 

Moyela  Letsié,  chef  de  la  plus  grande  partie  de 
mon  district,  était  aussi  présent  avec  un  bon  nom- 
bre de  ses  hommes;  il  était  venu  saluer  le  prési- 
dent, qui  s'est  entretenu  un  bon  moment  avec  lui, 
ce  dont  le  chef  était  tout  glorieux.  Moyela  portait 
son  beau  costume  doré  sur  toutes  les  coutures, 
qui  lui  donne  l'air  d'un  amiral  péruvien  ! 

Outre  les  six  ou  sept  cents  Boers,  soldats  d'un 
jour,  il  v  avait  l'armée  régulière  venue  de  la  capi- 
tale, qui  se  compose  d'abord  d'un  capitaine  en  beau 
costume  lui  aussi,  avec  un  casque  à  pointe  et  un 
grand  sabre,  puis  encore  d'une  vingtaine  d'artil- 
leurs et  de  deux  vraies  pièces  de  canon...  Il  n'y  a 
pas  à  dire,  une  armée  a  bien  meilleure  tournure 
avec  un  peu  d'artillerie  ! 

A  un  moment  donné,  les  Boers  se  sont  divisés 
en  deux  bandes  ennemies,  qui  ont  fait  la  petite 
guerre  avec  force  galopades  et  coups  de  fusils,  tirés 


i.  M.  Reitz,  qui  a  dû  se  retirer  des  affaires,  a  été  remplacé  dernièrement 
par  M.  Steyn,  qui  comme  son  prédécesseur  s'est  montré  fort  aimable  envers 
nous  et  sympathique  à  notre  œuvre  missionnaire. 


Une  fête  nationale. 


259 


à  poudre,  bien  entendu.  Les  canons  semblaient 
assez  impartiaux,  bornant,  j'imagine,  leur  gloire  à 
dominer  le  tintamarre  des  guerroyeurs. 


UNE   BOERINE 


Mais  ne  vous  attendez  pas,  je  vous  prie,  a  ce  que 
je  vous  décrive  en  détail  cette  petite  guerre,  car 
bien  qu'ancien  troupier,  je  ne  suis  pas  fort  du  tout 


260  Au  Sud  de  l'Afrique. 

sur  la  tactique  militaire,  et  la  stratégie  me  laisse 
froid.  Ceux  qui  voudraient  en  savoir  plus  long  là- 
dessus  n'ont  qu'à  chercher  dans  le  Friend  of  the 
Free  State  l  ou  dans  De  Express,  les  deux  journaux 
anglo-boers  publiés  à  Bloemfontein. 

A  la  nuit  tombante,  les  deux  papas,  Al.Keet  et 
moi,  sortirent,  suivis  de  leurs  garçons,  pour  aller 
voir  les  «  humiliations  »,  comme  disait  une  bonne 
alsacienne,  que  nous  avions  dans  ma  jeunesse,  lors- 
qu'elle voulait  parler  des  illuminations. 

Il  y  eut  une  sorte  de  marche  aux  flambeaux  à 
laquelle  il  ne  manquait  que  la  Marseillaise  ou  quel- 
que chose  pour  la  remplacer. 

Vers  8  heures,  le  feu  d'artifice  commença  avec 
accompagnement  de  cris  d'enthousiasme  et  de 
frayeur. 

Enfin  un  peu  de  musique  se  fit  entendre,  mais 
accompagnée  d'une  grosse  caisse  qui  me  parut  bien 
grande  pour  un  si  petit  pays;  puis,  vers  10  heures 
et  demie,  «  chacun  s'en  fut  coucher  » . 

Ce  n'est  pas  pour  vous  distraire,  croyez-le  bien, 
que  je  vous  raconte  tout  ceci,  mais  bien  plutôt  pour 


i     L'Ami  Je  l'Etat  libre. 


Une  fête  nationale.  261 

intéresser  vos  cœurs  à  des  frères  et  sœurs  in- 
connus. 

Les  Boers  du  sud  de  l'Afrique  descendent  en 
partie  des  huguenots  chassés  de  France  lors  de  la 
révocation  de  l'édit  de  Nantes.  Parmi  ceux  de  l'É- 
tat libre  d'Orange  ',  il  arrive  fréquemment  de  ren- 
contrer des  Dutoit,  Leroux,  Marais,  Faure,  de 
Yilliers,  Hugo,  Malan,  Duplessis,  etc.,  ce  qui  nous 
vaut  parfois  de  leur  part  une  certaine  sympathie  à 
cause  de  notre  double  qualité  de  Français  et  de  hu- 
guenot. 

Les  Boers  sont,  en  général,  fort  attachés  à  leur 
Eglise,  pour  laquelle  ils  savent  s'imposer  de  grands 
sacrifices  ;  celle-ci  est  sœur  de  la  nôtre,  puisqu'elle 
est  l'Église  réformée  hollandaise. 

L'État  dit  Oranje  Vrij  Staat  compte,  d'après 
le  dernier  recensement,  207,503  habitants,  dont 
77,716  blancs,  parmi  lesquels  l'Église  réformée  a 
68,940  membres. 

Les  Boers  sont,  pour  la  plupart,  fermiers;  l'éle- 


I.  Notons  en  passant  que  ce  nom  cTOrange  donné  par  les  premiers  co- 
lons à  leur  pays,  pour  honorer  la  maison  princière  de  Hollande,  vient  lui- 
même  de  la  principauté  d'Orange,  dans  le  département  de  Vaucluse,  qui 
relevait  de  la  maison  d'Orange. 


2 62  Au   Sud  de  l'Afrique. 

vage  du  bétail  constitue  leur  grande  richesse.  Pen- 
sez !  il  y  a  près  de  six  millions  de  moutons  dans  ce 
pays,  dont  on  évalue  la  superficie  à  la  cinquième 
partie  de  la  France  ! 

La  civilisation  fait  des  progrès  dans  cette  petite 
république.  Pendant  longtemps  les  Boers  ne  vou- 
laient pas  de  chemin  de  fer,  le  wagon  à  bœufs  leur 
semblant  la  plus  noble  conquête  de  l'homme;  au- 
jourd'hui Bloemfontein,  la  capitale,  est  reliée  à  la 
colonie  du  Cap  par  une  ligne  de  chemin  de  fer 
construite  par  une  compagnie  anglaise;  et  d'autres 
sont  encore  à  l'étude,  l'une  entre  autres  qui  ratta- 
cherait Wepener  à  Bloemfontein  et  pour  laquelle, 
cela  va  sans  dire,  nous  faisons  les  meilleurs  vœux  ! 

Ces  dernières  années,  on  a  bâti  des  ponts;  un 
qui  vient  d'être  terminé  près  d'ici,  sur  le  Calédon, 
coûte  à  l'État  la  jolie  somme  de  825,000  fr. 

Les  écoles  sont  nombreuses,  bien  installées  et 
bien  dirigées...,  mais  pour  les  enfants  blancs  seule- 
ment. 

Le  point  faible,  c'est  de  constater  combien  peu 
les  Boers  comprennent  leur  devoir  vis-à-vis  des  in- 
digènes, qui  forment,  après  tout,  la  grande  majo- 
rité de  la  population  de  l'État. 


Une  fête  nationale. 


263 


La  plupart  des  pasteurs  s'occupent  avec  zèle  des 
noirs  habitants  des  «  locations  » ,  endroits  où  sont 
parqués  les  indigènes  demeurant  près  des  villes; 


ARMES    DE    L'ÉTAT    LIBRE    D'ORANGE 


plusieurs  de  leurs  paroissiens  les  secondent  auprès 
des  noirs  établis  sur  leurs  fermes,  mais  combien 
de  Boers  qui  ne  savent  traiter  ceux-ci  que  de 
«  Schepsels  »,  créature  sans  âme  ! 


Wtalïa^"  !  k  '  ^Ë- 


LES    ABORDS   DE    L  ÉGLISE   PROTESTAI 


ÉTORIA    UN  JOUR   DE   COMMUNION 


266  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Les  noirs  ne  jouissent  d'aucun  des  privilèges 
des  citoyens  blancs,  ne  sont  pas  électeurs,  ne  peu- 
vent pas  posséder  un  lopin  de  terre,  n'ont  pas  d'é- 
cole, cependant  ils  paient  de  très  nombreuses  taxes 
et  surtaxes. 

La  devise  des  Boers  de  l'État  libre  est  Geduld 
en  Moed  (patience  et  courage),  mais  eux,  comme 
nous  aussi  du  reste,  ont  besoin  de  se  souvenir 
qu'il  v  a  quelque  chose  de  plus  fort  que  ces  deux 
vertus  :  c'est  l'amour,  l'amour  immense  et  sublime 
qui,  comme  le  dit  quelque  part  Chateaubriand, 
«  fait  du  chrétien  de  la  Chine  un  ami  du  chrétien 
de  la  France  »  et,  chose  tout  aussi  étonnante,  du 
nègre  méprisé  et  dédaigné  un  frère  du  blanc  ins- 
truit et  honoré. 


Un  portrait 

NOTE  SUR   LE   TRANSVAAL 


Vous  pourriez  chercher  longtemps  le  nom  du 
monsieur  représenté  ci-après  avant  de  le  trouver; 
aussi,  comme  nous  n'avons  pas  de  temps  à  perdre, 
je  vous  dis  tout  de  suite  que  le  personnage  placé 
sous  vos  yeux  est  M.  Paul  Krïiger,  de  son  état 
président  du  Transvaal,  ou  République  Sud-Afri- 
caine, Zuid  Afrïkaansche  republiek,  où  il  est 
communément  nommé  Oom  Paul,  c'est-à-dire 
«  l'oncle  Paul  ». 

On  raconte  sur  lui  bien  des  histoires  montrant 
une  certaine  naïveté  mélangée  de  finesse  et  d'habi- 
leté, on  fait  aussi  courir  pas  mal  de  cancans  surson 
compte...  Ce  que  nous  pouvons  dire,  c'est  que 
dans  sa  jeunesse  il  était  grand  chasseur  de  gnous, 


268  Au  Sud  de  l'Afrique. 

rhinocéros  et  autres  bestioles  du  même  genre, 
qu'il  vient  d'atteindre  sa  soixante-quinzième  année 
et  qu'enfin  il  est  président  dudit  Transvaal  depuis 
quatorze  ans  passés. 

Nous  pouvons  ajouter  qu'il  est  aussi  un  fervent 
«  dopper  ».  Vous  voilà  je  suppose  tout  à  fait  per- 
dus, car  ce  mot  ne  vous  dit  rien.  Les  «  doppers  » 
sont  des  membres  dissidents  de  l'Église  réformée 
hollandaise,  réfractaires  à  toute  nouveauté,  aussi 
bien  au  chant  de  cantiques  nouveaux  qu'aux  sen- 
timents missionnaires  qui  agitent  depuis  quel- 
ques années  bien  des  églises  protestantes  du  sud 
de  l'Afrique. 

Ils  sont  enfin  de  ceux  qui  ont  peur  de  mettre 
des  bretelles,  car  elles  font  la  croix  sur  le  dos  ; 
mais  en  revanche,  ils  oublient  que  Dieu  a  fait  tous 
les  hommes  d'un  seul  sang,  et  prennent  le  mot 
d'ordre  de  certains  partis  boers  du  Cap  :  Africa 
voor  de  Afrïkaanders,  «  l'Afrique  aux  Africains  », 
sans  prendre  le  moins  du  monde  la  peine  de  se 
demander  qui  sont  les  véritables  Africains. 

En  général,  les  Boers  ou  paysans  du  Transvaal 
sont  moins  policés  que  ceux  de  la  colonie  du  Cap, 
et  sont  aussi  beaucoup  plus  exigeants  et  durs  envers 


M.    PAUL   KRUGER 


270  Au  Sud  de  l'Afrique. 

les  noirs.  Ceux-ci,  les  anciens  maîtres  du  pays  et 
de  beaucoup  les  plus  nombreux,  n'y  sont  tolérés 
qu'en  qualité  de  serviteurs  ou  de  manœuvres. 

C'est  toujours,  pour  les  indigènes,  la  mise  en 
action  de  la  fable  de  La  Fontaine,  La  Lice  et  sa 
Compagne  : 

Laissez-leur  prendre  un  pied  chez  vous, 
Ils  en  auront  bientôt  pris  quatre. 

L'élevage  du  bétail  et  la  culture  des  céréales 
s'étant  fort  développés,  puis  les  mines  d'or  et  d'ar- 
gent, répandues  dans  toute  la  contrée,  ayant  amené 
de  grandes  richesses,  le  Transvaal  dont  la  devise 
est  :  Eendragt  maakt  magt,  «  l'union  fait  la  force  » , 

—  l'union  sans  doute  des  blancs  contre  les  noirs, 

—  arrondit  aisément  son  territoire,  plus  grand 
déjà  que  l'Italie,  et  traite  d'insurgés  et  de  rebelles 
les  tribus  indigènes  qui  ne  tiennent  à  être  ni  pro- 
tégées, ni  annexées  par  le  susdit  Etat. 

La  République  Sud-Africaine,  comme  sa  cadette 
la  République  de  l'Orange,  compte  de  fort  nom- 
breux protestants  aimant  leurs  églises,  qu'ils  fré- 
quentent assidûment,  surtout  les  jours  de  nacht- 
maal,  jours  de  communion.  Ils  sont  bien  la  preuve 


Un  portrait. 


271 


qu  on  peut  être  même  protestants  et  arriver  à  né- 
gliger le  premier  devoir  du  chrétien  :  l'amour 
pour  les  pauvres  et  les  petits. 

Bien  des  sociétés  de  missions  anglaises,  alle- 
mandes, etc.,  sans  oublier  nos  amis  de  la  mission  de 
la  Suisse  romande,  travaillent  dans  ce  pays,  tandis 
que  l'État  ne  lait  absolument 
rien  pour  les  indigènes.  Ces 
derniers  n'ont  pas  plus  d'état 
que  de  droits  civils,  ne  peuvent 
posséder  en  propre  une  bande 
de  terrain ,  n'ont  pas  d'école, 
ne  peuvent  même  pas  entrer 
dans  une  église  de  Boers,  pas 
seulement  marcher  sur  les  trot- 
toirs des  rues  de  Pretoria,  la  ca- 
pitale du  Transvaal  !  En  retour,  les  noirs  paient 
des  impôts  de  toutes  sortes,  sans  parler  de  nom- 
breuses corvées  et  de  vexations  sans  fin  et  ont  fa- 
cilement droit  à  la  prison  et  au  fouet  !... 

Pour   Vespi.sien  l'argent  n'avait  pas  d'odeur  ; 
pour  les  Boers  il  n'a  pas  de  couleur... 

L'injustice  des  blancs  envers  la  race  noire  devrait 
nous  faire  aimer  cette  dernière  bien  plus  et  bien 


UN    TI.MBRIM'OSTE 


272  Au  Sud  de  l'Afrique. 

mieux  que  nous  ne  le  faisons,  en  vertu  des  mots 
gravés  sur  le  socle  d'une  statue  de  la  ville  de 
Nantes  et  qui  viennent  en  droite  ligne  de  l'Évan- 
gile :  «  Aux  plus  déshérités,  le  plus  d'amour  !  » 
Les  préférés  du  Christ,  sachons-le  bien,  ce  sont 
les  pauvres,  les  lépreux  de  corps  ou  d'âme,  et  les 
méprisés  de  toutes  couleurs  et  de  toutes  races  : 
blancs,  noirs,  jaunes  ou  rouges  ! 


UNE 

Conférence  sur  le  Zambèze 


Hermon,  septembre. 

Les  visites  sont  rares  au  Lessouto  et  l'on  entend 
rarement  quelque  chose  de  particulièrement  inté- 
ressant, aussi  nous  nous  faisions  un  plaisir  d'avoir 
une  conférence,  d'autant  plus  qu'elle  devait  être 
faite  par  un  Mossouto  récemment  revenu  des  bords 
du  Zambèze. 

Lefi  Possa,  notre  conférencier,  est  parti,  il  y  a 
quelques  années,  comme  catéchiste,  pour  la  mis- 
sion chez  les  Barotsés;  il  a  dû  en  revenir  depuis  et 
dès  que  nous  avons  appris  son  retour,  nous  l'avons 
prié  de  venir  parler  de  la  mission  du  Zambèze  à 
nos  chrétiens  d'Hermon. 

Nous  avions  pensé  que  le  temps  serait  beau  et  il 
a  été  déplorable  ;  aussi  beaucoup  de  gens  ont  été 

iS 


SUD    DE    L  ArRIQVE 


274 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


empêchés  de  venir,  d'abord  par  la  pluie,  puis  par 
un  vent  si  violent  qu'il  ressemblait  un  peu  à  celui 
dont  parlait  un  marin  :  «  Il  fallait  trois  hommes 
pour  empêcher  la  perruque  du  capitaine  de  prendre 
son  vol  !  » 


KAMGOEIO 


Néanmoins  350  à  400  personnes  se  pressaient 
au  jour  fixé  dans  la  chapelle  d'Hermon.  Vous  dire 
l'attention  de  l'auditoire  pour  tout  ce  que  Leti  a 
raconté  serait  difficile;  on  était  en  quelque  sorte 
suspendu  à  ses  lèvres,  les  bébés  eux-mêmes  de- 


Conférence  sur  le  Zambèze. 


275 


raient  être  intéressés,  puisque  c'est  à  peine  si  l'on 
entendait  leurs  réclamations  ordinaires. 

Xos  chrétiens  sont  déjà  familiarisés  avec  l'œuvre 
du  Zambèze,  soit  par  les  nouvelles  que  nous  leur 
en  donnons,  soit  par  des  visites  de  missionnaires 
que  nous  avons  de  loin  en  loin. 


ÉLÉPHANT   EN    TERRE    GLAISE 


Le  voyage  de  Lefi,  du  Zambèze  au  Lessouto,  a 
duré,  par  suite  de  contretemps  sans  fin,  environ 
dix  mois  !  Il  n'en  est  pas  trop  étonné;  pour  la  pa- 
tience, les  indigènes  en  ont  dans  certains  cas  plus 
que  nous,  parfois  ils  pourraient  en  remontrer  à  feue 
Griselidis  elle-même  ! 

Xotre  explorateur  nous  a  longuement  parlé  des 
Maîotela,  qui  sont  les  forgerons  du  pays  et  qui  de 


276 


Au  Sud  de  V Afrique. 


plus  travaillent  fort  bien  le  bois  ;  puis  des  Masubia, 
des  Makua-Kuali,  des  Batoha,  des  Mashicolomboué 
et  autres  membres  de  la  tribu  des  Barotsés.  Nous 
avons  pu  constater  aussi  que  Barotsés  et  Bassoutos 
se  ressemblent  étrangement  tant  que 
l'Evangile  n'a  pas  agi  sur  leurs  cœurs. 
Les  premiers  ont  peut-être  plus  d'habi- 
leté que  les  derniers,  mais  leurs  cou- 
tumes et  leur  manière  de  vivre  sont 
bien  proches  parentes,  sans  parler  d'un 
certain  petit  instrument  en  fer,  nommé 
lebeko,  en  usage  là-bas  comme  ici,  et 
qui  tient  lieu  de  mouchoir  de  poche1... 
Au  Lessouto  les  musiciens  se  conten- 
tent du  thomô  et  du  setolotolo,  sortes 
de  violon  un  peu  primitifs  qui  ne  rap- 
pellent absolument  pas  le  moindre  des  violons 
Stradivarius  ou  autres. 

Le  piano  des  Barotsés,  appelé  kamgobio,  est  bien 
supérieur  à  ces  violons  bassoutos  et  montre  un 
esprit  véritablement  inventif,  mais  il  ne  faut  pas 


«  LEBEKO  « 


1.  C'est  le  même  instrument  qu'on  retrouve,  sous  le  nom  de  bâton  de  ne^, 
dans  les  vitrines  du  Trocadéro  relatives  à  l'Amérique  centrale. 


Conférence  sur  le  Zambè^e.  277 

oublier  de  le  placer  sur  une  calebasse  de  bois  pour 
lui  donner  plus  de  sonorité. 


VASES   EX    BOIS   SCULPTÉ. 


278 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Les  Zambéziens  fabriquent  aussi,  avec  de  la  terre 
glaise,  de  ces  «  jouets  bon 
marché  »  que  façonnent  les 
enfants  du  Lessouto.  Voici, 
par  exemple,  un  éléphant 
des  rives  du  Zambèze  qui 
n'a  pas  trop  mauvaise  mine 

(P-  275)- 

Les  vases,  écuelles,  cou- 
teaux, dipora  (sorte  de  ta- 
bourets), haches,  etc.,  de 
la  fabrication  des  Barotsés, 
pourraient  fort  bien  émo- 

tionner  des  collectionneurs  de  curiosités.  Ce  qu'on 
a  eu  du  plaisir  à  apprendre, 
c'est  qu'au  Zambèze  il  y  a 
du  mabele  ou  sorgho 
comme  celui  du  Lessouto. 
On  y  a  aussi  des  citrouilles, 
des  pois,  des  patates,  des 
haricots  et  des  fruits  divers, 

mais  inconnus  dans  nos  pa- 
«  coupa  »  (coquillage)  ,   r 

rages  ;  de  plus,  le  miel  y 

est  très  abondant. 


«  SÉPORA  »    OU    TABOURET 


Conférence  sur  le  Zambè^e. 


279 


Cependant  le  poisson  forme  la  base  de  la  nourri- 
ture. Nos  Bassoutos  ne  l'aiment  guère.  Lefi 
disait  que,  pendant  longtemps,  il  avait  re- 
fusé d'en  manger,  disant  que  c'étaient  des 
serpents,  puis  qu'il  avait  fait  comme  les 
camarades  et  les  avait  trouvés  excellents. 

Certains  récits  de  notre  conférencier 
resteront,  je  pense,  dans  la  mémoire  de 
ses  auditeurs. 

Quand  on  accuse  quelqu'un  de  sorcel- 
lerie, ce  qui  arrive  assez  souvent,  les  Ba- 
rotsés  étant  au  moins  aussi  forts  que  les 
Congolais  sur  cet  article-là,  on  com- 
mence par  saisir  ses  poules!  On  leur  fait 
prendre  une  sorte  de  poison  appelé  inoanti; 
si  elles  en  meurent,  leur  propriétaire  est 
reconnu  sorcier.  Naturellement,  le  pauvre 
hère  se  défend  de  son  mieux,  affirme  qu'il 
est  innocent  et  que  ses  poules  sont  des 
sottes.  On  prépare  alors  de  l'eau  bouil- 
lante, il  y  trempe  la  main,  et  comme  il 
ne  peut  faire  autrement  que  de  porter  des 
traces  de  brûlures,  il  est  déclaré  coupable 
épingle  en  os  et  mis  à  mort. 


S©. 

(o 

I 


iSo     Au  Sud  de  l'Afrique. 

Ce  qui  a  peut-être  frappé  le 
plus  nos  Bassoutos ,  c'est  que 
les  Barotsés  ne  sortent  jamais, 
même  pour  traverser  le  village, 
sans  avoir  en  main  une  sagaie, 
ou  une  arme  quelconque. 

Ici  on  est  plus  pacifique  :  on 
ne  prend  les  armes  qu'en  temps 
de  guerre  et  les  propriétaires 
en  ont  presque  autant  de 
peur  que  l'ennemi. 

L'esclavage  règne  en- 
core   sur    les    rives    du 
Zambèze,  comme  du  reste 
dans  presque  toute  l'Afrique,  à  part 
le  sud  et   les  colonies  françaises 
du  nord  ;   on  peut  troquer  un 
esclave   contre    un    bœuf  ou 
quelques  chèvres,  ou  simple- 
ment contre  un  coupa,  frag- 
ment d'un  curieux  coquil- 
lage provenant  de  la  côte 
Est  et  fort  recherché  des 
Barotsés. 


SAGAIE    ET    HACHE   DE    GUERRE 


Conférence  sur  le  Zambè-e.  28 1 

11  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  saluer  à  la  mode 
zambézienne  :  je  tape  quelques  petits  coups  dans 
mes  mains  en  disant:  Schangoe!  ce  qui  est  une 
manière  de  dire  :  au  revoir,  chers  amis,  ou  bien 
encore  :  la  suite  au  prochain  numéro  ! 


A  propos  d'un  peigne  ! 

EXCOKE  LE  ZAMBÈZE 


Quand  le  grand  voyageur  missionnaire  David 
Livingstone  explorait,  vers  1860,  des  régions 
encore  inconnues  près  du  Zambèze1,  et  demandait 
à  des  indigènes  comment  s'appelaient  les  mon- 
tagnes bornant  l'horizon,  on  lui  répondait  qu'elles 
étaient  trop  éloignées  pour  qu'on  en  connût  les 
noms  ! 

Aujourd'hui,  sur  les  bords  du  Zambèze,  qu'on 
nomme  tour  à  tour  Liambai,  Louambéji,  Ambcsi, 
Ojimbcsi,  Zambé~i,  c'est-à-dire  la  grande  rivière 
ou  le  fleuve  par  excellence  —  suivant  les  dialectes 
employés  sur  ses  bords,  —  nos  cœurs  suivent  par 


i.   Le  Zambèze  fut  visité  pour  la  première  fois  par  Livingstone,  qui  arriv.i 
ii  Séclieké  en  juin  185 1. 


284 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


la  pensée  les  vaillants  et  les  forts  qui  sont  là-bas 
les  sentinelles  avancées  de  l'armée  du  Roi  des  rois. . 


LA    MOUCHE   TSETSE 


L'œuvre  missionnaire,  qui  a  été  fondée  il  y  a 
douze  ans,  avance  très  lentement  et  se  poursuit  au 
milieu  de  difficultés  de  toutes  sortes  sans  cesse 
renaissantes. 

Tout  semble  être  contre  l'œuvre  missionnaire  : 
le  climat,  la  distance,  la  solitude,  les  animaux  sau- 
vages et  jusqu'aux  fourmis,  sans  oublier  une  mou- 
che de  vulgaire  apparence1,  la  «  tsétsé  »,  dont  la 


i.  La  gravure  ci-jointe  est  tirée  du  volume  de  D.  Livingstone,  intitulé  : 


A  propos  d'un  peigne. 


-°) 


piqûre  est  une  cause  de  mort  pour  le 
bœuf  et  le  cheval.  Enfin,  les  Barotsés, 
leurs  chefs  en  tête,  font  à  peu  près  tout 
ce  qu'ils  peuvent  pour  l'entraver. 

Mais,  comme  le  dit  un  poète  aimé1  : 

...   Nul  peuple,  pas  même  une  tribu  sauvage, 
Non,  p.is  un  être  humain  n'est  maudit  devant  Dieu. 


et  déjà  la  mission  et  la  civilisation  font 
quelques  progrès  sur  les  bords  du  Zam- 
bèze. 

Lewanika,  le  roi  des  Barotsés,  que  le 
vénéré  fondateur  de  la  mission,  M .  Coil- 
lard,  nous  montrait  il  y  a  quelques  an- 
nées2 en  costume  de  sauvage,  s'habille 
maintenant  à  l'européenne,  ainsi  que  sa 
sœur  la  reine  Mokuaé. 

Naturellement,  beaucoup  d'indigènes 


Explorations  dans  l'intérieur  de  l'Afrique  australe. 
Hachette,   éditeur.    La  mouche  de  gauche  est  de 
grandeur  naturelle. 

i.  Xoêl,  par  Maurice  Bouchor. 

2.   Le  petit  Messager  des  Missions,  l$$). 


286 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


essaient  de  suivre  tant  bien  que  mal  l'exemple  ve- 
nant de  haut  lieu. 


LEWANIKA   EN    COSTUME    EUROPÉEN 


De  plus,  on  peut  dire  que,  même  dans  leurs 
objets  usuels,  on  voit  que  les  Zambéziens  se 
civilisent. 


■ 
-    *4V7 


288  Au  Sud  de  l'Afrique. 

Par  exemple,  la  cuillère  ci-devant  est  certaine- 
ment un  résultat  de  l'influence  des  blancs ,  car 
vous  pensez  bien  que  la  cuillère  naturelle  est  plus 
simple  ou  plus  compliquée,  cela  dépend  du  point 
de  vue. 

Quant  à  l'objet  ci-contre,  qu'un  archéologue 
dirait  être  de  style  byzantin,  il  nous  prouve  premiè- 
rement que  les  indigènes  se  peignent,  ce  qui  ne 
peut  pas  leur  faire  de  mal,  et  il  nous  montre  aussi 
leur  admiration  pour  le  cheval  qu'ils  ne  connaissent 
pas  depuis  très  longtemps. 

Aussi  regardez  comme  il  est  fait  avec  amour  ! 

La  tête  et  le  cou  avaient  tellement  ravi  l'artiste 
qu'il  a  cru  devoir  les  faire  plus  grands  que  le  restant 
du  corps;  la  crinière  et  la  queue,  objets  d'étonne- 
ment,  sont  aussi  taillées  avec  grand  soin  ;  la  bride 
n'a  pas  non  plus  été  oubliée.  Par  contre,  le  person- 
nage, qui  n'est  guère  là  que  pour  mieux  faire  valoir 
le  beau  destrier,  est  un  peu  négligé.  Le  chapeau 
seul  est  soigné,  car  lui  encore  était  un  article  bien 
étrange... 

Tout  cela  est  peu  de  chose,  j'en  conviens  : 
j'admets  même  que  cette  statue  équestre  ne  vaut 
pas  la  moindre  des  rustiques  figulines  modelées  par 


UN    PEIGNE    ZAMBEZIEM 


iL'D    DE    L  AFRIQ.VE 


J9 


290  An  Sud  de  l'Afrique. 

notre  coreligionnaire,  l'illustre  Bernard  Palissy,  pas 
même  la  plus  petite  gravure  en  médaille  faite  par 
un  sculpteur  moderne;  mais,  dans  son  genre,  ce 
modeste  bibelot  nous  dit  bien  des  choses.  Les 
Barotsés  observent  et  réfléchissent  ;  ce  que  leurs 
yeux  voient,  leur  intelligence  cherche  à  l'imiter;  de 
même  aussi  ce  que  leurs  oreilles  entendent  ne  peut 
pas  non  plus  rester  sans  effet  et  là  aussi  nous  cons- 
tatons des  faits  encourageants. 

La  station  de  Léaluvi,  l'une  des  cinq  que  compte 
la  mission  zambézienne,  est  située,  nous  dit  M.  Coil- 
lard,  sur  un  monticule  nommé  Loatilê;  c'était  un 
endroit  exécré  et  maudit,  où  l'on  brûlait  de  soi- 
disant  sorciers,  et  qui,  de  plus,  était  aux  époques 
des  inondations  le  repaire  d'innombrables  essaims 
d'insectes  et  de  légions  de  reptiles. 

Aujourd'hui  l'ilot  est  transformé  :  plus  de  bour- 
biers, plus  de  broussailles  ;  c'est  maintenant  un 
petit  village  hollandais  qui  s'élève  dans  ce  lieu  re- 
douté. 

Ces  travaux,  résultats  remarquables  d'efforts,  de 
patience  et  de  ténacité  dont  on  ne  peut  guère  avoir 
une  idée  exacte  si  l'on  ne  connaît  pas  un  peu  les 
noirs,  sont  certainement  l'image  des  progrès  que 


—  1 1  J 


292  Au  Sud  de  l'Afrique. 

fait  l'œuvre  d'évangélisation  chez  les  Barotsés.  Ce 
nom  maudit  de  Loatilê  évoquera  certainement  un 
jour  la  pensée  de  grandes  bénédictions,  comme 
celui  de  la  croix  est  devenu  synonyme  de  Rédemp- 
tion et  de  vie  éternelle. 


Où  il  est  question 
d'archéologie  et  d'autres  choses 


Herinon,  21  juin. 

On  raconte  que,  lorsque  le  grand  Pascal  souf- 
frait de  maux  de  dents,  il  se  donnait  un  problème 
de  mathématiques  à  résoudre  et  s'y  appliquait  si 
fort  qu'il  en  oubliait  son  mal. 

Si  vous  n'avez  pas  d'objection  sérieuse,  nous 
ferons  un  peu  la  même  chose  et  nous  nous  occu- 
perons quelques  instants  de  questions  difficiles 
touchant  des  choses  anciennes. 

Nous  sommes  en  hiver  ici  et  nous  avons  froid, 
je  vous  assure  ;  aussi  je  me  dis  que  cette  petite- 
étude  pourra  peut-être,  du  même  coup,  vous  inté- 
resser un  peu  et  nous  réchauffer  par- dessus  le 
marché. 

Nous  n'allons  pas  cependant  discuter  au  point 


294 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


de  nous  fâcher,  cela  ne  nous  avancerait  pas  beau- 
coup. Xous  n'allons  pas  non  plus  remonter  à  l'ori- 
gine de  l'homme,  ni  entamer  le  problème  de 
l'unité  des  races  humaines  et  de  leur  dispersion  ; 
cela  nous  entraînerait  bien  loin  et  nous  risquerions 
de  nous  embrouiller. 


UN    DOLMEN    PRÈS    PARIS 


Xous  pouvons  néanmoins  affirmer,  sans  crainte 
de  nous  tromper,  que  la  science  dont  on  est  si  fier 
aujourd'hui  n'a  ni  tout  dit  ni  tout  expliqué  dans 
bien  des  questions  ;  aussi  les  vrais  savants  sont-ils 
ceux  qui  n'hésitent  pas  à  dire,  quand  cela  est  né- 
cessaire :  «  Xous  ne  savons  pns  !  » 

Sans  aller  ni  bien  loin  ni  bien  profond,  il  y  a 
tout  près  de  Paris,  à  Épone,  un  dolmen  nommé 
dans  le  pays  :  «  Pierres  de  la  justice  »,  dont  j'ai  fait 


296  Au  Sud  de  V Afrique. 

un  croquis  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  et  au 
sujet  duquel  les  archéologues  ne  s'entendent  pas 
du  tout,  pas  plus  du  reste  que  sur  les  monuments 
de  ce  genre,  auxquels  ces  messieurs  ont  cru  de- 
voir donner  le  nom  de  «  mégalithiques  ». 

Étaient-ils  ou  des  autels  ou  des  tombes  de  per- 
sonnages importants?  On  ne  sait,  et  sans  doute 
on  ne  sortira  pas  de  sitôt  de  cette  incertitude  qui, 
fort  heureusement,  n'a  rien  de  particulièrement  pé- 
nible. 

Bien  d'autres  preHèmes  sont  encore  sans  solu- 
tion dans  les  domaines  de  l'histoire,  de  la  géogra- 
phie, sans  oublier  celui  de  l'archéologie,  etc. 

Pour  ne  rester  qu'en  Afrique,  il  y  a  en  Algérie, 
par  exemple,  et  dans  les  contrées  environnantes, 
des  monuments  importants  dont  on  ignore  l'ori- 
gine exacte  et  dont  les  proportions  surprennent  à 
juste  titre  les  voyageurs. 

Les  pyramides  d'Egypte  elles-mêmes  ont  long- 
temps intrigué  nos  devanciers.  On  a  cru  qu'elles 
étaient  des  points  de  repère  astronomiques,  ou 
des  sortes  de  digues,  placées  à  l'entrée  du  désert 
pour  arrêter  l'envahissement  du  sable. 

Notre  respectable  ami  Grégoire  de  Tours,  un 


Questions  d'archéologie  et  autres.         297 

brave  homme  du  temps  de  Chilpéric,  affirme  dans 
ses  mémoires  que  les  pyramides  étaient  des  gre- 
niers d'abondance  bâtis  par  ordre  de  Joseph  lors 
des  sept  années  de  famine  ! 


W\ÏJfi£& 


LA    GRANDE    PYRAMIDE    DE   GIZEH 

(D'après  une  photographie.) 

Xous  sommes  fixés  à  cet  égard,  mais  pas  depuis 
bien  longtemps,  et  les  Pharaons  qui  s'étaient  fait 
bâtir  des  sortes  de  montagnes  de  pierres  comme 
tombeaux,  nous  ont  livré  le  secret  de  leur  vanité. 


EMFREINTES   FOSSILES   A    MORI 


• 


■■•   ■  -. ^  f  _ 


■  .    '      m  j*  ;* 


PAYSAGE    DES    MONTAGNES 


300  Au  Sud  de  l'Afrique. 

En  revanche,  non  loin  de  la  grande  pyramide 
de  Gizeh  et  près  du  sphinx,  j'ai  eu  l'avantage  de 
voir  des  ruines  découvertes  depuis  seulement  une 
trentaine  d'années,  bâties  en  énormes  blocs  de 
granit  et  dont  l'ancienneté,  plus  grande  que  celle 
des  pyramides,  au  dire  des  savants,  «  se  perd  dans 
la  nuit  des  temps  »  ou  dans  «  l'Océan  des  cages  »,  si 
vous  préférez  cette  expression  du  poète  Lamartine. 

La  question  des  sources  du  Nil,  qui  préoccupa 
tant  de  générations  de  géographes,  semble  bien 
près  d'être  résolue,  si  elle  ne  l'est  tout  à  fait  ;  mais 
rassurez-vous,  bien  d'autres  explorations  restent 
encore  à  faire  pour  les  voyageurs  de  l'avenir. 

Dans  un  autre  ordre  d'idées,  on  aimerait  con- 
naître l'histoire  des  signes  juifs  ou  chrétiens  que 
le  missionnaire-voyageur  Livingstone  voyait  '  ta- 
toués sur  les  indigènes  du  centre  de  l'Afrique, 
ainsi  que  l'origine  de  la  petite  croix  bleue  tatouée 
sur  la  figure  des  fillettes  de  la  Kabvlie  orientale, 
que  nous  avions  l'étonnement  de  voir,  mes  com- 
pagnons d'armes  et  moi,  lors  de  la  campagne  de 
1871  en  Algérie. 


I.    Dernier  Journal,  l«  volume. 


Questions  d'archéologie  el  antres.         301 

Ici,  au  Lessouto,  nous  aimerions  bien  savoir 
quelque  chose  sur  la  configuration  géologique,  par- 
fois si  étrange,  de  ce  pays  et  aussi  sur  les  énormes 
empreintes  pétrifiées  d'oiseaux  ou  de  lézards, 
qu'on  voit  sur  les  rochers  de  la  montagne  qui  do- 
mine la  station  de  Morija  et  qu'on  rencontre,  dit- 
on,  dans  différents  endroits  du  Sud  africain. 


-     I  !       I 


■       M,      V-'    ■■ 


TATOUAGES   DES   M AT AMEN  BOUE 

Mais  bien  d'autres  questions  restent  encore  en 
suspens  dans  cette  mystérieuse  Afrique,  dont  le 
nom  même  est  d'origine  incertaine. 

Ces  derniers  temps,  des  ruines  connues  depuis 
assez  longtemps  ont  été  explorées  par  un  archéo- 
logue anglais  et  ont,  grâce  à  ses  travaux,  offert  un 


302  Au  Sud  de  l'Afrique. 

nouvel  intérêt  aux  savants,  comme  aussi  à  ceux 
qui  ne  le  sont  pas. 

Ces  ruines  sont  situées  dans  le  pays  des  Mata- 
bélés,  non  loin  de  Fort-Victoria,  entre  le  Limpopo 
et  le  Zambèze,  et  occupent  des  espaces  considé- 
rables. 

A  Zimbabié,  où  se  trouvent  les  plus  impor- 
tants de  ces  restes,  se  dresse  une  tour  massive  en 
pierres  taillées,  avec  des  pans  de  murs  fort  impor- 
tants. «  Les  grands  blocs  de  pierre  taillée,  dit  l'ar- 
ec chéologue,  M.  J.  Bent1,  dont  se  servaient  les 
«  Egyptiens,  les  Grecs  et  les  Romains  pour  leurs 
«  constructions,  devaient  être  d'un  maniement  re- 
«  lativement  plus  facile,  en  comparaison  de  ces 
«  mêmes  pierres  de  granit  assemblées  en  assises 
«  régulières  pour  former  un  mur  d'une  épaisseur 
«  et  d'une  hauteur  vraiment  prodigieuses.  » 

Ces  vénérables  débris  remontent,  cela  va  sans 
dire,  h  une  époque  très  lointaine,  témoignent  d'une 
civilisation  étrangement  avancée  et  sont  presque 
tous  dans  le  voisinage  de  gisements  d'or  ;  on  a 
même  découvert  des  creusets  pour  fondre  l'or  et 


i.   Citation  faite  par  la  Revue  des  Deux-Monàts,  i?<  octobre  1894. 


Questions  d'archéologie  et  autres. 


303 


des  moules  à  lingots  ;  aussi  s'est-on  demandé  si 
l'on  n'était  pas  devant  l'ancienne  Ophir  du  roi 
Salomon.  D'autre  part,  certains  détails  de  la  bâ- 
tisse, des  haches,  des  lances,  des  clochettes  en  1er, 
puis  des  fragments  de  sculptures,  de  poteries  et 
d'objets  trouvés  dans  les  fouilles,  sembleraient  in- 
diquer une  origine  égyptienne  ou  phénicienne,  ou 
peut-être  tout  simplement  romaine  ! 


FRAGMENTS    DE    SCULPTURES    TROUVÉS    A.   ZIMBABIÉ    (.MUSÉE    DU   CAP) 


Encore  un  problème  à  résoudre  pour  les  ama- 
teurs. 

Voilà  bien  des  questions  qui  peuvent  à  bon 
droit  nous  occuper,  ainsi,  du  reste,  que  tant  d'au- 
tres plus  importantes  qui  préoccupent  et  passion- 
nent notre  époque,  mais  qui  cependant  ne  doivent 
pas  nous  faire  oublier  ce  que  nous  savons... 


304 


Au  Sud  de  l'Afrique. 


Nous  savons  beaucoup  de  choses,  cela  est  cer- 
tain; au-dessus  de  toutes,  il  y  en  a  une  plus  grande 
que  l'archéologie  ou  toute  autre  science,  qui  doit 
tout  dominer  comme  l'a  dit  si  bien  un  chrétien 


CARTES    DES   MISSIONS   CHRETIENNES    EN    AFRIQUE 


éminent,  Henri  Perreyve  :  «  Pour  nous,  chrétiens, 
«  il  est  une  passion  qui  doit  posséder  notre  âme  : 
«  celle  de  travailler  en  ce  monde,  sans  trêve  ni  re- 
«  lâche,  à  la  venue  du  royaume  de  Dieu  et  au 
«  triomphe  de  la  justice.  » 


Ouest  ions  d'archéologie  et  autres.         305 

N'oublions  pas,  non  plus,  que  l'Afrique  est  en- 
core, tant  les  parties  encore  païennes  que  celles 
soumises  à  l'Islam,  sous  le  joug  odieux  de  l'es- 
clavage et  de  toutes  les  barbaries  qui  en  résul- 
tent. Les  missions  chrétiennes  ne  sont  que  des 
points  isolés  dans  cette  immense  et  malheureuse 
Afrique  qu'on  appelle  encore  et  si  justement  le 
noir  continent. 

Il  est  grand  temps,  chers  amis,  que  je  m'arrête, 
et  je  le  fais  en  vous  rappelant  cette  belle  parole  de 
l'héroïne  de  notre  patrie.  Lorsque  les  accusateurs 
de  Jeanne  d'Arc  lui  demandaient  si  elle  n'avait 
pas  à  obéir  à  certaines  autorités  sur  la  terre,  elle 
s'écriait  :  «  Oui,  notre  Sire  premier  servi  !  » 

Oui,  notre  Sire  Dieu  premier  servi  par  nos  fa- 
cultés, nos  forces,  nos  biens,  pour  la  cause  de 
l'Évangile  et  de  l'humanité  ! 


Table  des  matières 


Introduction.  —  A  propos  d'une  collection  de  des- 
sins      V' 

La  France  au  Sud  de  l'Afrique i 

\Jn  panorama  du  Lessouto.  Un  peu  de  géographie.  n 

L'hiver  au  Lessouto 27 

L'été  au  Lessouto 31 

Ln  témoin  du  passé.  Un  peu  d'histoire 50 

Coutumes  des  Bassoutos 51 

Superstitions  des  païens  bassoutos 63 

Nos  chefs  bassoutos 69 

La  femme  au  Lessouto 79 

Les  petits  artistes 95 

La  civilisation  chez  les  Bassoutos 105 

Quelques  inconvénients  de  la  civilisation  chez  les  Bas- 
soutos      129 

Médaille  d'argent  !...  Notice  sur  les  Bushmen  .    .    .    .  141 

De  l'esprit  des  Bassoutos 159 

Un  livre  pour  cinq  étudiants 173 

Le  wagon  du  sud  de  l'Afrique 179 


308  Table  des  matières. 


Incident  de  voyage 193 

La  vie  missionnaire 199 

Souvenir  d'une  course  dans  les  montagnes 213 

Une  visite  aux  lépreux  de  l'île  de  Robben,  près  de  la 

ville  du  Cap 223 

Une  excursion  au  bord  de  la  mer 243 

Une  fête  nationale  dans  l'État  libre  d'Orange  .    ...  255 

Un  portrait.  Note  sur  le  Transvaal 267 

Une  conférence  sur  le  Zambèze 273 

A  propos  d'un  peigne  !  Encore  le  Zambèze 283 

Où  il  est  question  d'archéologie  et  d'autres  choses.    .  293 


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taine breveté  de  l'infanterie  de  marine,  officier  d'ordonnance  du  ministre 
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de  M.  Sdberi!ie.  1895.  Vol.  in-8,  avec  8  cartes  topographiques,  br.     4  fr. 

L'Expédition  de  Madagascar.  Rapport  du  général  Duchesne.  Suivi 
de  nombreuses  annexes  (instructions,  ordres,  etc.),  et  accompagné  de 
cartes  et  de  croquis.  Un  volume  in-8-  (Sous  presse.) 

L'Armée  et  la  Flotte  en  1895.  Manœuvres  navales.  Manœuvres  des 
Vosges.  L'Expédition  de  Madagascar,  par  Ardouin-Dcmazet.  1S9G.  Un 
volume  in-12,  avec  de  nombreuses  cartes,  broché,  sous  couverture  illus- 
trée        5  fr. 

Le  même  ouvrage  a  paru  pour  les  années  1893  et  1894. 

La  Tunisie.  1896.  Publication  en  4  beaux  volumes  in-8  : 

—  1"  partie  :  Histoire  et  Description.  Le  sol  et  le  climat.  L'homme.  Orga- 
nisation. 2  vol.  avec  40  planches,  dont  22  en  couleurs,  brochés.   .      10  fr. 

—  _'■  partie  :  La  Tunisie  économique.  Agriculture.  Industrie.  Commerce. 
Finances.  2  vol.  avec  13  planches,  dont  3  en  couleurs,  brochés  .    .      10  fr. 

Impressions  coloniales  (1868-1892).  Étude  comparative  de  colonisa- 
tion, par  Charles  Cerisier,  ancien  officier  du  commissariat  de  la  marine. 
directeur  de  l'intérieur  du  Congo  français.  1893.  Volume  in-8  de  367  pages. 
avec  une  carte,  broché 5  fr. 

Organisation  générale  des  Colonies  françaises  et  des  pays  de 
Protectorat,  par  Edouard  Petit,  chef  de  bureau  au  ministère  des  colo- 
nies, professeur  à  l'École  coloniale.   ]S94.  2  volumes  grand  in-8  d'environ 

700  pages  chacun.  Prix  de  chaque  volume  broché .      12  fr. 

Relit' en  percaline 13  fr.  50  c. 

Relié  en  demi-maroquin 14  fr.  50  c. 

Le  Régime  du  Travail  et  la  Colonisation  libre  dans   nos  colonies 

et  pays  de  protectorat,  par  Henri  Bi.ondel.  souschef  de  bureau  au  mi- 
nistère des  colonies.  1895.  Volume  de  180  pages,  broché 5  fr. 

Ce  volume  fait  suite  à  l'ouvrage  de  Ed.  Petit  sur  l'Organisation  des  Colonies. 

Les   Flottes   de  combat   étrangères    en  1897,    par  R.  de  BAtaH- 

COURT,   lieutenant  de  vaisseau.   1897.   Un  volume  in-8  de  317  pages  avec 
nombreux  croquis,  broché 6  fr. 

La  Marine  de  guerre.  Six  mois  rue  Royale,  par  Edouard  Lockrot. 
député,  ancien  ministre  de  la  Marine.  1897.  Un  volume  in-8  de  :;:il  pages, 
broché 5  fr. 


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