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PRÉCIS D’EXPÉRIENCES
ET OBSERVATIONS
SUR LES DIFFÉRENTES ESPÈCES
DE LAIT,
CONSIDEREES DANS LEURS RAPPORTS
AVEC
LA CHIMIE, LA MÉDECINE
ET L’ÉCONOMIE RURALE;
Par A. PARMENTIER et N. DÉYEUX,
Membres de l’Institut national de France.
STRASBOURG,
Chez F. G. Levrault , imprimeur -libraire, rue des Juifs, N.° 33;
C ET A PARIS,
Chez Théoph. Barrois, libraire, rue Hautefeuille, N.° 22.
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d’animaux mammifères ., et n’est, à propre-
ment parler , que le développement d un
mémoire qui a concouru, en 1788 (v. st.),
pour le prix que devait décerner, dans une
de ses séances, la ci-devant Société royale
de médecine sur cette question : détermi-
ner, par l’examen comparé des propriétés
physiques et chimiques , la nature des laits
de femme, de vache, de chèvre, d ânes se,
de brebis et de jument.
Obligés alors de supprimer beaucoup de
faits et d’observations , dans la crainte de
donner à notre travail une étendue trop
considérable, nous nous contentâmes d’in-
sister principalement sur tout ce qui avait
un rapport plus immédiat avec la question
proposée , et nous réservâmes les détails
pour ne les faire connaître que dans le cas
où la ci-devant Société de médecine daigne-
rait couronner nos efforts.
Le jugement de cette savante compagnie
ayant surpassé nos espérances, nous n’avons
plus balancé sur le parti qu’il fallait pren-
dre; en conséquence nous avons rassemblé
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tous les résultats de nos expériences, et nous
en avons formé un traité, dans lequel on
trouvera, à ce que nous pensons, ce qu’il
y a de plus essentiel à savoir sur la nature,
les propriétés et les usages d'un fluide dont
l’utilité est si généralement reconnue.
On sera étonné , sans doute , en parcou-
rant cet ouvrage, de voir que, toutes les
fois que nous avons eu besoin d’indiquer
les quantités des substances que nous avons
employées ou obtenues dans nos différentes
expériences, nous nous soyons servis des
anciens poids et mesures, et non de ceux
nouvellement adoptés.
Afin de prévenir le reproche qu'on pour-
rait nous faire à cet égard, il suffira de dire
que notre manuscrit a été livré à T impression
bien avant l’époque où l’institut national a ||
imposé à ses membres l’obligation de ne se
servir dans leurs écrits que du nouveau sys-
tème métrique. Pour faire les corrections
nécessaires , il aurait fallu se déterminer à
réimprimer une grande partie des feuilles:
mais nous n’avons osé y consentir , après B
avoir calculé la dépense dans laquelle cette
réimpression nous aurait infailliblement
entraînés. Mais nous regrettons infiniment
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tème des poids et mesures , dont nous sen-
tons tout l’avantage. L’utilité de ce système,
pour l’intelligence de nos rapports avec le
commerce et la vie sociale, ne peut plus être
un problème que pour ceux qui , par habi-
tude , par préjugés , par ignorance , par
indifférence , ou , peut-être même, par des
motifs moins excusables , opposent encore
de la résistance à l’adoption de cette institu-
tion républicaine , qui , appréciée par les
bons esprits, ne tardera point à devenir
universelle.
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Considéré sous ses diffèrens rapports avec
la chimie, la médecine et l économie
rurale.
Le lait, cette bienfaisante liqueur, si analogue
à la faiblesse des organes et si favorable au
développement des animaux , est, sans contre-
dit , la meilleure nourriture que 1 estomac des
nouveau -nés puisse digérer.
Mais, quoique ce soit là le but que la nature
semble avoir eu en vue dans la préparation
de ce fluide , il n’en est pas moins certain que
les usages du lait peuvent être singulièrement
étendus. Nous voyons l'homme , dans les diffé-
rentes époques de la vie, l’admettre au nombre
des objets devenus pour lui de première né-
cessité , l’employer comme aliment et comme
médicament, en faire même d’heureuses ap-
plications à plusieurs arts.
Ne serait -on pas tenté de croire que des
avantages aussi précieux sont le produit des
connaissances positives sur la nature des diffé-
rentes parties constituantes du lait ? cependant
ce fluide est encore un des corps qui ont été
A
le moins exactement analysés, sur tout si oni
le compare à beaucoup d’autres d’une considé-
ration secondaire. 11 semble que la cause de
cette espèce d indifférence pourrait être attri-
buée à la possibilité de se procurer le lait dans
tous les temps.
La faculté , en effet , d’avoir à sa disposition
certains corps ; l’habitude de les voir , de les
toucher et d’en user journellement , écartent
presque toujours l’idée d’en approfondir l’exa-
men : content d’avoir entrevu quelques-unes
de leurs propriétés, on ne soupçonne pas qu’ils
puissent en renfermer d'autres. C'est pour cela,
sans doute, qu’on a plus de propension à cher-
cher dans des substances rares et difficiles ,
des produits qu’on eût trouvés souvent dans
celles qu’on a, pour ainsi dire, sous la main
si on s’était donné la peine de les en extraire
avec le même appareil ; et , par une raison
semblable , la plupart des plantes exotiques
ont été analysées avec beaucoup plus de soin
que les plantes indigènes.
Un autre motif encore qui n’a pas peu con-
tribué à retarder les connaissances positives
qu’il aurait été possible d’acquérir sur le lait,
c’est l’espèce d’indifférence qu’on a mise à l’exa-
miner dans ses différens états.
Il semble que ceux qui se sont occupés de
l’analyse de ce iluide, aient toujours préféré
de choisir, pour sujet de leurs essais , le lait à
son plus haut degré de perfection. Cependant
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on ne peut douter qu’avant d’arriver à ce
point, ses parties constituantes éprouvent des
changemens sensibles.
Ce sont cependant ces cbangemens qu’il
aurait été utile de saisir , d’étudier et de cons-
tater; car, les propriétés diététiques du lait dé-
pendant toujours , comme on ne saurait en dou-
ter, de l’état des parties qui le constituent, on
conçoit qu’il sera impossible d’obtenir quelque
chose de positif sur ces mêmes propriétés, tant
qu’on n’aura pas analysé le lait , depuis l’époque
qui suit l’accouchement, jusqu’à celle où ce
lluide a acquis toute la perfection dont il est
susceptible.
Convaincus de ces vérités, nous avons en-
trepris sur le lait une suite d’expériences, en
essayant de tenir une route un peu différente
de celle tracée par ceux qui nous ont précédés
dans la même carrière.
Quelques résultats nouveaux obtenus nous
ayant paru de nature à mériter de fixer l’at-
tention, nous les avons recueillis dans l’ouvrage
que nous publions aujourd’hui.
Saris doute cet ouvrage est bien éloigné
d’avoir la perfection que nous aurions désiré
lui donner ; mais il aura rempli son objet s’il
peut ajouter quelques connaissances à celles
déjà acquises , et contribuer ainsi aux progrès
de la chimie animale.
Le lait réunit tant de propriétés , on l’em-
ploie avec un avantage si marqué dans une
A 2.
TRAITÉ
4
foule de circonstances , ses produits sont l’objet
de fabriques si multipliées à la surface de la
République, que nous avons cru indispensable
de chercher une méthode qui pût faire saisir
l’ensemble de toutes les applications de ce fluide
aux arts de premier besoin.
Pour procéder avec ordre , nous diviserons
' cet ouvrage en trois parties : dans la première
nous considérerons le lait relativement à ses
propriétés physiques et chimiques; il s’agira
dans la seconde de développer tous les chan-
gemens qu’il subit, tous les effets qu’il peut
opérer dans les maladies pour lesquelles il est
ordinairement employé; enfin, dans la troisième
partie, on traitera des avantages que l’industrie
retire du lait, sous les différentes formes qu’il
est dans le cas de prendre pour offrir autant
de branches de commerce.
Nous croyons devoir prévenir, avant d’entrer
en matière, que le lait de vache étant 'le plus
commun , et pouvant par sa quantité répon-
dre mieux à nos opérations, c’est celui que
nous avons choisi de préférence pour nous
servir de terme de comparaison avec les autres
espèces de lait dont l’usage est également
adopté parmi nous. Ce sera donc toujours
celui-là dont il sera question quand nous n’en
déterminerons pas l'espèce . Nous avons eu
soin de le prendre dans tous les états qui pou-
vaient influer sur sa qualité , et de l’examiner
dans les différentes saisons de l’année.
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SUR LE LAIT. O
Ces observations préliminaires paraissent
d’autant plus importantes que, si on s occupait
du même travail dans des circonstances qui
ne fussent pas à peu près semblables , il ne
faudrait pas être surpris d’obtenir des résultats
différens de ceux que nous annonçons. S’ils
contrarient souvent et presque toujours les
idées reçues, nous ne craignons point qu’on
nous fasse le reproche d’avoir cherché à nous
écarter de la route frayée , en élevant un sys-
tème sur les ruines d’un autre système ; les
faits seuls ont parlé , indépendamment de
toute considération particulière.
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DU U A I T
PREMIÈRE PARTIE.
Du lait considère relativement à la chimie .
L’odeur du lait, sa saveur , sa consistance,
tout annonce qu’il est un corps composé.
Pour connaître sa composition, les chimistes
employèrent pendant long - temps «des moyens
qui devaient nécessairement le;s éloigner du but
qu'ils cherchaient à atteindre. Le feu , ce seul
agent dont ils savaient alors disposer , loin
de les aider à fixer leurs idées sur la nature
des parties constituantes du lait qu’ils exami-
naient, ne leur offrait, le plus souvent, que des
résultats de la décomposition de ces mêmes par-
ties constituantes. De là tous ces écarts qui ont
fait naître tant de contrariétés dans les opinions
concernant la composition des corps.
Mais à mesure que la chimie s’est éclairée
du flambeau de l’expérience , on a senti la
nécessité d’adopter une nouvelle méthode d’a-
nalyse, qui, n’étant pas susceptible des mêmes
inconvéniens que l’ancienne, devait naturelle-
ment procurer de grands avantages : c’est
ainsi, par exemple , qu'au lieu de se bornera
traiter le lait tout entier par le feu, on a pré-
féré d’examiner chacune des parties qui se
séparent spontanément de ce fluide, et de dé-
terminer leurs propriétés d’après les produits
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. *]
qu’on recueillait lorsqu’on les soumettait à 1 ac-
tion des différens agens.
Cette manière de procéder, infiniment supé-
rieure à celle invoquée dans des temps reculés ,
ne réunit pas encore toutes les conditions
désirées; car, lorsqu’on réfléchit aux obstacles
que tous les corps du règne animal , et prin-
cipalement le lait, présentent dans leur analyse
à cause d’une multitude de circonstances qui
influent sur leur nature, on est bientôt con-
vaincu de» l’insuffisance des moyens chimiques
adoptés jusqu’à présent, et par conséquent de
la nécessité de se livrer à de nouvelles recher-
ches à la faveur desquelles on puisse obtenir
sur les propriétés chimiques du lait des notions
plus certaines et plus étendues.
Jaloux de concourir à ce travail, nous com-
mencerons d’abord par déterminer, d’après
quelques caractères généraux , les propriétés
physiques qui appartiennent au lait entier
dans son état de perfection : nous passerons
ensuite aux détails des expériences chimiques
les plus propres à faire connaître ses parties
constituantes prises séparément, et à indiquer
la véritable manière d’exister de chacune d elles
dans le fluide qui leur sert d’excipient.
Article premier.
Des propriétés physiques du lait.
Le lait , au sortir des mamelles , a une
saveur particulière , qu’il perd à mesure qu’il
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se relroidit; cest cetle saveur que le vulgaire
exprime en disant : le lait sent la 'vache , la
chèvre , la brebis.
Dès que le lait a pris la température de
1 atmosphère, il a un goût agréable et légère-
ment sucré : on le reconnaît encore à un
toucher onctueux, à une légère odeur douce,
et surtout à un blanc mat; ce qui prouve qu’une
partie des corps que ce fluide contient ne s’y
trouve que suspendue, car la marque la plus
certaine de la vraie dissolution est-, comme
l’on sait , la transparence et la limpidité.
L odeur douce qui appartient au lait est si
fugace , qu’il ne faut pas être doué d’organes
bien lins pour distinguer le lait qui a passé au
feu d*’avec celui qui n’a pas été chauffé. Cette
odeur n’existe déjà plus à 1 instant où ce fluide
va tourner , soit naturellement , soit artificiel-
lement.
Si on examine le lait avec le secours d’un
microscope, Ion y aperçoit une multitude de
globules très-inégaux pour la grosseur et la
figure : Lowenhoeck est un des premiers qui
ait fait cette observation. Ces globules, d’après
l’opinion de ce savant , sont mus dans un fluide
diaphane; leur mouvement est plus ou moins
rapide , selon que le lait est plus ou moins
nouveau; ils changent de formes à mesure
que le lait s’altère, mais ils se comportent assez
généralement comme ceux qu’on observe aussi
dans beaucoup d’autres lluides animaux.
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
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Le lait jouit de quelques-unes des propriétés
des fluides aqueux: comme eux il mouille les
corps qu’il touche, se mêle parfaitement avec
la bierre nouvellement brassée, le cidre doux
et les autres sucs de fruits dont la fermentation
vineuse n’est point complette. Il dissout quel-
ques sels neutres, le sucre et les gommes : à
la vérité , plusieurs de ces matières ont la pro-
priété de le coaguler ; mais il faut alors qu’elles
soient employées à grande dose et aidées par
la chaleur.
La fluidité du lait augmente sensiblement
dès qu’on le fait chauffer; il acquiert au con-
traire la forme concrète lorsqu’il est exposé au
froid : mais on observe que ces deux effets
sont plus ou moins marqués suivant l’espèce
de lait.
Les laits provenans des mêmes femelles sont
tellement susceptibles de varier, qu’il parait
impossible d’en trouver deux parfaitement sem-
blables entr’eux; c’est ce dont nous avons eu bien
des lois occasion de nous assurer en nous servant
de 1 aréomètre. Les expériences faites avec cet
instrument ont toujours présenté des résultats
si dillérens que nous sommes convaincus de
son insuffisance pour déterminer d’une manière
positive la densité du lait pris en général.
Si on jette du lait sur des charbons ardens,
il exhale une odeur mixte , composée de celle
du corps muqueux sucré et de la corne qui
brûlent ensemble.
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Le lait qui entre en ébullition se boursouffle
et presse les bords du vase qui le renferme;
mais en continuant de le laisser au feu , il bout
paisiblement et ne se tuméfie plus, bien dif-
férent en cela des solutions de sucre et de
miel , qu il faut constamment surveiller.
En s évaporant au feu, le lait se couvre
bientôt d une légère pellicule qui adhère aux
parois du vase , se dessèche peu à peu , se
précipite, se charbonne, et communique à tout
le fluide une odeur empyreumatique , insup-
portable, dont il est impossible de le dépouiller.
Une autre propriété du lait, c’est qu'en ac-
célérant son ébullition au feu on empêche
ordinairement les pellicules qui se forment
à sa surface de se rassembler au fond des vais-
seaux où elles adhèrent et brûlent, sur tout
lorsque la partie inférieure du vaisseau approche
de la forme conique. La saison et la nature
du lait peuvent rendre aussi cet effet plus
commun.
Lorsque le lait sert d’excipient au riz , à
l'orge mondé ou à la farine des autres graminées,
cette pellicule ne devient remarquable à la
surface qu a mesure que ces espèces de potages
se refroidissent.
Le lait se recouvre aussi plus ou moins
promptement d’une sorte de matière onctueuse,
légère , et quelquefois un peu jaunâtre , qu’il
faut bien distinguer de la pellicule dont il
vient d etre question ; on peut aisément la
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séparer du fluide quelle surnage : c’est ce qu’on
appelle vulgairement la crème .
Pour que cette crème puisse se former faci-
lement , il faut que le lait soit de bonne qualité ,
en repos, et surtout qu’il se trouve placé dans
un lieu frais.
Dépourvu de sa crème, le lait, comparé à du
lait nouvellement trait, a un œil bleuâtre; il
perd alors un peu de sa saveur douce et de
sa consistance.
La crème mise dans un flacon , et agitée pen-
dant plus ou moins de temps, selon la saison,
se sépare en deux substances bien distinctes,
l’une solide, et l’autre liquide; c’est sur cette
propriété qu’est fondé l’art de faire le beurre*
Un effet bien digne de remarque, c’est l’ex-
trême promptitude avec laquelle le lait s’altère
en passant rapidement d’une température très-
fraîche dans une autre fort chaude ; dans ce
cas sa saveur douce disparaît, et il en acquiert
une légèrement acide ; bientôt aussi il se coa-
gule. Il laut cependant convenir qu’on peut
retarder cette altération spontanée du lait , en
le faisant préalablement bouillir ; c’est aussi le
procédé que quelques laitières ont coutume
d’employer.
Néanmoins, si on laisse dans une tempéra-
ture de dix-huit degrés du lait qui d’abord a été
chauffé au bain-marie , et du lait qui a éprouvé
la chaleur de 1 ébullition; on observe que ce
dernier, quoiqu’il s aigrisse moins facilement,
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passe plus vite à la ptitréfaction : phénomène
qui prouve combien une opération, fort simple
en apparence , peut avoir d'influence sur les
effets du lait dans l’économie animale.
Les vaisseaux de métal, et particulièrement
ceux de cuivre, accélèrent l’altération du lait;
si ceux de faïence , de porcelaine , ou autres
de terre cuite en grès, non vernissés, qui con-
viennent le mieux à sa conservation , ne sont
pas parfaitement nettoyés, le lait qniy demeure
adhérant devient souvent, en s’aigrissant, un
principe invisible de fermentation , un vérita-
ble levain.
L’altération spontanée du lait est également
très-rapide lorsque le temps passe à l’orage ; il
n’est pas rare, alors, de voir ce fluide qui, dans
toute autre circonstance , se seroit conservé
en bon état pendant douze heures au moins,
tourner tout- à -coup comme un bouillon, et
s’aigrir à un tel point qu’il n’est plus possible
de l’employer comme véhicule de nos alimens.
11 existe encore beaucoup d’autres propriétés
que le lait partage avec l’albumine, et qui per-
mettent qu’on s’en serve utilement en médecine
et dans l’économie domestique; nous aurons
occasion de nous étendre sur ces propriétés,
à mesure que nous examinerons ce fluide sous
ses différens rapports.
Tous ces caractères spécifiques que nous
nous bornons à indiquer ici , ne sont véritable-
ment bien prononcés que dans le lait fourni
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. l5
par des femelles saines et vigoureuses; ils s’af-
faiblissent insensiblement dans les cas contrai-
res : aussi ne doit- on plus alors le considérer
comme propre aux usages ordinaires de la vie.
D’ailleurs le temps plus ou moins éloigné de
l’accouchement , apporte nécessairement des
différences notables dans la nature et dans la
proportion de ses parties constituantes. C’est
sur tout ce que nous aurons lieu de faire
remarquer lorsque nous parlerons du fluide
laiteux qui parait au moment où la femelle
vient de mettre bas, et que nous ferons con-
naître la différence qui existe véritablement
entre ce lait ébauché et le lait parvenu insen-
siblement à son état de perfection.
Article II.
Des parties 'volatiles et fixes du lait .
Il ne nous paraît pas inutile de rappeler
encore que les vaches dont le lait a servi à
nos expériences, étaient de même âge, de
même force et à peu près de même tempé-
rament; que toutes habitaient la même étable,
et quelles ont été nourries pendant quinze
jours consécutifs avec des fourrages de diffé-
rentes qualités.
Le lait de la vache nourrie avec la tige et le
feuillage de maïs ou blé de Turquie , était
extrêmement doux et sucré ; celui de la vache ’
DU LAIT
14
nourrie avec des choux, avait une saveur moins
agréable et ce léger montant qui appartient à
la famille des plantes crucifères; au contraire
le lait des vaches qui n’avaient eu pour toute
nourriture que de la fane des pommes de terre
et des herbes des prairies bases , s’est trouvé
être plus séreux et un peu fade.
Des parties volatiles du lait.
Après la dégustation des différens laits dont
on vient de parler , nous avons procédé à
leur distillation. Huit livres de chacun d’eux
ont été mises séparément dans des alambics au
bain-marie : on a retiré de chaque distillation
huit onces de liqueur environ. Toutes ces
liqueurs étoient claires et sans couleur : leur
odeur et leur saveur n’étaient pas les mêmes.
Celle du choux se manifestait dans l'une;
011 distinguait dans l’autre quelque chose
d’aromatique ; il n’y avait que le lait de la
vache nourrie avec le maïs et la fane de pommes
de terre, qui ne présentait pas d’odeur parti-
culière bien décidée.
Une partie de ces liqueurs distillées , sou-
mise à l’action des différens réactifs, n’a offert
rien de particulier. Après les avoir abandon-
nées cà elles-mêmes dans une température de
seize à dix-huit degrés, pendant près d’un mois,
on a remarqué quelles commençaient à se trou-
bler et à devenir visqueuses ; leur odeur, dans
cet état, était un peu lêtide. L’eau distillée du
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. l5
lait de la vache nourrie avec des choux, nous-
a paru éprouver une altération plus prompte
et plus sensible que les autres. On a tenté ,
mais inutilement, de filtrer ces liqueurs ; leur
état gluant s’y est refusé , et la portion qui a
passé à travers le filtre n’a jamais acquis de
vraie transparence.
Surpris, non sans fondement, de l’altération
des quatre liqueurs en question , et craignant
qu’elle ne fût due à quelques accidens particu-
liers, nous avons pris le parti de recommencer
l’expérience , et d’opérer cette fois sur douze
livres de lait, au lieu de huit, afin que les pro-
duits plus considérables favorisassent un plus
grand nombre d’essais, et rendissent leurs phé-
nomènes plus sensibles.
Des quatre liqueurs distillées, deux seule--
ment , fournies par le lait des vaches nourries
de choux et de fane de pommes de terre , ont
perdu leur transparence dans l’espace d’un mois ,
et sont devenues assez visqueuses pour refuser
de passer à travers le fdtre , tandis que les deux
autres ont conservé plus long- temps leur lim-
pidité et leur fluidité.
Ces nouveaux phénomènes, bien propres à
piquer la curiosité, nous déterminèrent à réité-
rer les distillations des quatre espèces de lait
dont il a été question ; mais toujours nous
avons observé qu’en employant les mêmes
précautions il était impossible d’obtenir des
résultats parfaitement semblables , puisque
i6
DU LAIT
quelquefois il nous est arrivé de voir la liqueur
distillée du lait de la vache nourrie de choux
se gâter la première , lorsque dans d autres cir-
constances elle a gardé assez long -temps sa
limpidité.
Huit onces de chacune des liqueurs de lait
distillé, parvenues à l’état visqueux et opaque
qui caractérise leur altération , ont été expo-
sées à la chaleur du bain-marie. Bientôt elles
ont repris leur première transparence. On a
vu en même temps se former des filamens blancs
très-légers : par la filtration ces liqueurs de-
vinrent très-claires, et alors elles n’avaient
pas plus de saveur et d’odeur que de l’eau
simple distillée. Evaporées jusqu’à siccité, dans
une capsule de verre , elles ont laissé des
atomes d’une matière diflicile à recueillir.
Nous avons encore soumis à la distillation
dans une cornue de verre, différentes eaux
distillées de lait , dans l'état d’altération dont
nous avons parlé : les produits obtenus mêlés
avec des réactifs, tels que les dissolutions d’ar-
gent et de mercure dans l'acide nitrique, n’ont
éprouvé aucun changement sensible.
On se tromperait donc si on voulait consi-
dérer l’eau distillée de lait comme une eau
simple; son odeur, sa saveur, et sur tout la
facilité avec laquelle elle s’altère , semblent
bien annoncer quelle tient en dissolution un
ou plusieurs corps. Mais quels sont ces corps?
voilà un problème difficile à résoudre. Ce qu’il
RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
est permis d’assurer pour le moment , c’est que
ces corps sont d’une facile décomposition ,
puisque nous en retrouvons les débris dans
l’eau qui les contenait ; ce sont ces débris qui
altèrent la transparence de ce fluide, et lui
donnent cette viscosité et cette odeur putride
qu’il acquiert au bout de quelque temps.
Au reste , ce phénomène n’appartient pas
exclusivement à l’eau distillée du lait, car on
sait qu’en général toutes les liqueurs obtenues,
par la distillation, même au bain-marie, de la
fibre musculaire, de l’urine, du sang, de la
lymphe, de l’albumine, s’aUèrent aussi très-
facilement , et qu’il est extrêmement rare de pou-
voir les conserver en bon état au-delà d’un mois.
Quoique le lait ait line odeur particulière
capable de le faire reconnaître, il n’en est pas
moins vrai de dire que cette odeur peut être
changée, pour ainsi dire à volonté, en admet-
tant au nombre des plantes qu’on donne aux
animaux celles de la famille des crucifères, telles
que l’alliaire , le choux et les navets. N ous citons
particulièrement ces végétaux, parce que, lors
des expériences que nous fîmes dans l’inten-
tion de connaître les effets que produisait sur
le lait de vache un changement de nourri-
ture presque subit, nous observâmes très -bien
que certaines plantes très -odorantes ne com-
muniquaient pas leur odeur au lait , et que
ce fluide conservait celle qu’on lui remarque
le plus ordinairement ; d’où nous avons con-
DULAIT
clu que , s’il existe réellement quelques parties
aromatiques susceptibles de se combiner avec
le lait , il en est d’autres aussi avec lesquelles ce
fluide ne contracte aucune union. Nous re-
prendrons cette question quand nous rendrons
compte des expériences que nous avons faites
pour établir jusqu a quel point les alimens in-
fluent sur la qualité du lait.
Des parties fixes du lait.
Une fois la partie fluide du lait séparée au
moyen de la distillation au bain-marie, on
trouve dans la cucurbite une matière épaisse,
grasse au toucher, d’un blanc jaunâtre, d’une
saveur douce et sucrée ; c’est à cette matière
que Hoffmann a donné le nom de franchi-
pane : elle contient toutes les substances fixes
du lait, en dissolution, ou suspendues dans la
sérosité, rapprochées par la soustraction de
l’humidité et par une espèce de combinaison
opérée par l’action du feu.
En délayant la franchipane dans l’eau bouil-
lante , la liqueur qu’on obtient est laiteuse ;
par la filtration elle devient claire. Les phar-
maciens la connaissent alors sous le nom de
petit lait d’ Hoffmann , espèce de médicament
autrefois fort recommandé; mais, sa préparation
étant longue, embarrassante et dispendieuse,
son usage est tombé en désuétude : on lui
substitue aujourd’hui le petit lait ordinaire,
qui , à bien des égards , mérite de lui être préféré.
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 10
La distillation à feu nu de la franchipane
donne d’abord une liqueur claire et transpa-
rente ; par les progrès de la distillation on
obtient un peu d’huile , du carbonate d’am-
moniaque, et enfin du gaz inflammable, qu’on
peut recueillir avec des appareils convenables.
Ce qui reste dans la cornue se présente
sous la forme d’une matière charbonneuse
assez raréfiée , et dont l’incinération s’opère
difficilement. La cendre qui en résulte verdit
le syrop violât; son mélange avec l’acide sul-
phurique donne naissance à des vapeurs d’acide
muriatique. Dans l’analyse du sérum , nous
indiquerons les causes de ce dernier phénomène.
On a pu distinguer dans les parties volatiles
du lait l’odeur de quelques plantes dont les
animaux ont été nourris. Les parties fixes ,
au contraire , n’ont pas offert le même avan-
tage. Les franchipanes , ainsi que les produits
obtenus par la distillation à la cornue , exa-
minés par comparaison , étaient plus ou moins
abondans , sans cependant annoncer par des
caractères particuliers l’influence du régime
alimentaire : ce qui sert à prouver combien
les moyens d’analyse, tant vantés autrefois,
sont défectueux, puisqu’ils n’établissent aucune
différence entre une substance douce et alimen-
taire , une substance âcre et médicamenteuse .
une substance aromatique et vireuse.
Nous terminerons cet article par la ré-
flexion suivante. L’étre volatil obtenu du lait
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20
DU LAIT
par la distillation , seroit-il donc particulier
au règne animal ? C’est ce qui parait assez
vraisemblable; cependant il y a grande appa-
rence que toutes les substances animales ou
annualisées n’en sont pas pourvues au même
degré. Nous avons eu souvent occasion d’ob-
server que le lait distillé , de différentes vaches
nourries de la même manière., n’a pas toujours
suivi la même marche en s’altérant , quoique
dans la même saison , puisque l’un s’est
corrompu plus tôt que l’autre. L’état parti-
culier de l’animal en est vraisemblablement
nue des causes principales.
Article III.
De la crème.
En énonçant les propriétés les plus géné-
rales du lait, nous avons observé que, quand
on abandonnait ce fluide au contact de l’air,
sa surface se recouvrait insensiblement d une
matière épaisse , onctueuse , agréable au goût ,
quelquefois d’une couleur jaunâtre, mais plus
souvent d’un blanc mat. Cette matière est
connue sous le nom de crème.
La densité de la crème , au moment où elle
se sépare , est presqu’égale à celle du lait qui
vient d’être trait; aussi la séparation de ces
deux fluides est -elle d abord difficile. Cette
séparation ne peut même s’exécuter complète-
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
21
ment que quand la crème a eu le temps d’acqué-
rir assez de consistance pour être distinguée du
lait ; mais souvent alors ce dernier n’est plus
propre aux usages ordinaires. Or , pour faire les
expériences dont nous allons rendre compte ,
il faut nécessairement placer le lait dans une
température où il puisse exister deux ou trois
jours sans changer d’état, sans éprouver d’alté-
ration sensible dans ses parties constituantes.
Première expérience. On a mis dans trois
vases de faïence , numérotés 1 , 2, 3 , une quan-
tité égale de lait nouvellement trait. Chaque
vase avait la même forme, la même capacité,
mais un orifice différent. Celui du n.° 1 était
de cinq pouces et demi d’ouverture, le n.° 2 de
trois pouces , et le n.° 3 d’un pouce et demi.
Ces trois vases furent exposés à une tempéra-
ture de douze degrés de Réaumur pendant
trente -six heures; au bout de ce temps on
s’aperçut que le lait qu’ils contenaient pré-
sentait à sa surface une pellicule crémeuse,
d’autant plus épaisse et facile à enlever que
l’orifice du vase offrait à l’air plus de super-
ficie.
Seconde expérience. La pellicule crémeuse
ayant été séparée , on a laissé le lait à la
même température pendant vingt-quatre heures.
Il s’est formé de nouvelles pellicules; mais celle
du n.° 1 était fort mince , tandis quelle était
plus épaisse dans le n.° 2 , et davantage encore
dans le n.° 3.
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Ces pellicules enlevées une deuxième fois ,
nous avons laissé encore les trois vases à la
même température , et pendant le même espace
de temps. Pour la troisième fois, le lait a offert
des pellicules crémeuses, excepté, cependant,
celui contenu dans le vase n.° 5, c’est-à-dire,
celui dont 1 ouverture était plus grande.
Troisième expérience. Cette expérience,
répétée plusieurs fois de suite et toujours avec
le même succès, établit la nécessité de donner
la préférence aux vases d’une large ouverture,
quand il s’agit d’opérer la séparation de la
crème d’avec le lait.
En effet, on conçoit que, dans des vases
de cette espèce, l’air, ayant plus de facilité
pour s’unir dans le même cercle de temps
avec les parties les plus volatiles et les fluides
du corps qu'il touche , doit nécessairement
favoriser leur évaporation et contribuer par
conséquent au rapprochement des molécules
de la crème , qui dans ce cas est toujours
plus épaisse que dans les vases d’une étroite
ouverture.
Au reste, il est bon d’observer que, pour
que cette évaporation spontannée de la crème ,
qui favorise son rapprochement, puisse être
avantageuse, il faut que la température ne soit
pas trop élevée. C’est ce dont nous nous sommes
convaincus par beaucoup d’expériences , dont
les résultats n’ont servi qu’à confirmer l’opinion
rider son à ce sujet. Ce célèbre agriculteur
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 25
pense que, lorsque le thermomètre de Réau-
mur indique huit à dix degrés, la crème se
sépare du lait avec le plus de régularité , et
qu’au-delà et en-deçà cette séparation devient
plus difficile.
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Nous avons encore remarque , toutes circons-
tances égales d’ailleurs , que , plus le lait était
riche en crème, plus la séparation de celle-ci
devenait facile, et que, pour l’opérer complè-
tement, il fallait trois conditions essentielles '
la première, que le lait présentât une grande
surface à l’air ; la seconde , qu’il fût dans un
repos parfait ; la troisième, enfin, que le vase
qui contenait ce fluide fut exposé à une tem-
pérature plus froide que chaude.
Mais ici plusieurs difficultés s’élèvent pour
savoir si la crème est réellement toute formée
dans les glandes mammaires, ou bien si son
existence ne serait pas due à l’espèce d’altéra-
tion que le lait éprouve dès l’instant qu’il est
trait et soumis à Faction de l’air atmosphérique.
Voici les expériences que nous avons faites
encore pour les éclaircir.
Quatrième expérience. On a introduit le
bout du pis d’une vache dans le goulot d’un
flacon ; on l’y a maintenu de manière à s’op-
poser à l’entrée de l’air extérieur. Ensuite , par
une légère pression , on a fait sortir suffisam-
ment de lait pour remplir la moitié du vase.
Alors on a retiré le pis, et sur-le champ l’ori-
fice du flacon a été fermé avec un bouchon
DU LAIT
24
de cristal et placé dans un endroit frais ( c’était
en thermidor ). Bientôt la surface du lait s’est
recouverte dune matière épaisse, jaunâtre,
ayant toutes les propriétés extérieures de la
crème.
Cinquième expérience. La même expérience
a été répétée, à l’exception qu’on a rempli le
flacon jusqu’à l’orifice, qu’on afermé. La crème
a gagné également la surface , et s’est présentée
avec tous ses caractères.
Sixième expérience. Nous avons agité du
lait encore chaud jusqu’à ce qu’il eût pris la
température de l’atmosphère ; il a été versé
ensuite dans un bocal de verre. La crème s’est
montrée à sa surface aussi promptement que
si on ne lui avait pas imprimé de mouvement.
Septième expérience. En continuant d’agiter
plus long -temps le lait, il s’en est séparé une
matière concrète ; c’était du beurre. Mais le
iluide, restant abandonné dans un vase pen-
dant douze heures, a fourni une autre portion
de crème, qui, battue, a donné son beurre.
Huitième expérience. Après nous être assu-
rés que le lait , à l’époque de sa sortie des
mamelles, marquait trente degrés au thermo-
mètre de Réaumur , nous avons plongé, aussi-
tôt la traite achevée , le vase qui contenait le
lait dans l’eau d’un bain-marie dont la cha-
leur était aussi de trente degrés, et nous l’y
avons laissé pendant six heures. La crème a
toujours gagné la surlace , avec moins de promp-
s5
RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
titude, à la vérité; mais elle a paru plus épaisse
que celle du lait abandonné à la température
ordinaire.
Neuvième expérience. Au lieu de tenir le
lait dans une température égale à celle qu il a
lorsqu’il est à notre disposition , nous avons
placé le vase qui contenait ce fluide dans un
bain de glace , de manière qu’il pùt y rester
pendant dix heures à six degrés au-dessus de
zéro. La crème s’est élevée assez lentement,
mais elle n’avait pas autant de consistance
que celle du lait de l’expérience précédente.
Dixième expérience. Le lait de la troisième
expérience, dépourvu de sa crème, a été vingt-
quatre heures sans s’altérer , tandis que celui
dont le vase avait été exposé à une chaleur
pareille à celle qu’il a au moment où on vient
de le traire , s’est coagulé en moins de douze
heures.
Il résulte de ces expériences que l’existence
de la crème , à l’instant où le lait sort des ma-
melles , ne peut pas être révoquée en doute,
puisqu’en prolongeant la durée de sa chaleur
naturelle , elle ne s’en élève pas moins à la
surface du lait, et quelle n’a pas besoin du
contact de l’air pour se séparer, cette sépara-
tion ayant lieu également dans les vaisseaux
Jermés. Voyons maintenant quelles sont ses
propriétés les plus générales.
DU LAIT
Article IV.
Examen des parties qui constituent la
crème.
Quatre vaches, nourries successivement
avec différens fourrages verts, nous ont fourni
les crèmes sur lesquelles nous avons opéré.
Première expérience. Les crèmes mises
dans des capsules de verre placées dans un
endroit frais , ont contracté à leur surface
une couleur jaune peu foncée ; leur consis-
tance a augmenté insensiblement au point que
le cinquième jour il était possible de renver-
ser les vaisseaux sans que le fluide s’en déta-
chât. A cette époque les crèmes commencèrent
à exhaler une odeur désagréable ; on ne dis-
tinguait plus dans celle provenant, des vaches
nourries avec le fourrage ordinaire et les
feuilles de choux la saveur quelles avaient
dans leur état frais. Au bout de trois décades
chaque espèce de crème s’est recouverte d’une
efflorescence verdâtre , semblable à celle qu'on
aperçoit sur les matières qui se moisissent.
Sous cette espèce d’efllorescence la crème
avait la saveur d’un fromage gras, et aurait
pu , à la faveur de quelques grains de sel ,
paraître sur la table en cette qualité.
Seconde expérience. Une partie de ce
fromage a été délayée dans suffisante quantité
d’eau chaude distillée , et a pris une consis-
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sible de filtrer la liqueur , et par conséquent
d’obtenir des produits susceptibles d être carac-
térisés par leur configuration.
Troisième expérience. L autre portion de
crème arrivée à létat de fromage, a été mise
en digestion dans lalkohol. Ce fluide, quatre
jours après , avait contracté une odeur ana-
logue à celle de la matière avec laquelle il
avait séjourné; mais il a fourni par 1 évapo-
ration une trop petite quantité de résidu pour
le soumettre à quelques essais.
Quatrième expérience. Nous avons distillé
à feu nu , dans deux cornues de verre luttées,
une portion de chacune des crèmes arrivées à
l’état de fromage. Les produits obtenus ont été,
j.° de l’huile jaunâtre, d’une odeur forte et pé-
nétrante , accompagnée de quelques gouttes
de liqueur légèrement acide ; 2.0 de l’ammo-
niaque; 5.° un gaz inflammable. L’huile, par
les progrès de la distillation , est devenue in-
sensiblement plus épaisse et plus colorée : à
peine coulait -elle le long des parois du col
de la cornue. 4*° On a trouvé pour résidu un
charbon un peu raréfié, d’une incinération
difficile , qui n’a donné que quelques grains
d’une poudre dans laquelle, à l’aide des réactifs
usités, nous avons reconnu la présence de la
potasse*
Cette manière d’examiner la crème ne pou-
vant fournir sur sa composition les lumières
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28
DU LAIT
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que nous cherchions à acquérir, et ne cons-
tatant nullement letat particulier de la matière
huileuse quelle contient évidemment, nous
avons eu recours au procédé pratiqué dans les
métairies pour préparer le beurre. Il consiste,
comme on sait, à soumettre la crème, plus
ou moins nouvelle, à un mouvement rapide et
continu qui la sépare en deux parties, savoir,
le beurre proprement dit, et un fluide vul-
gairement connu sous le nom de lait de beurre ,
dont nous ferons connaître par-’la suite les
propriétés.
Quant à l’origine du beurre, aux circons-
tances qui accompagnent sa séparation, à la
faculté qu’on a de lui donner à volonté la
couleur et la saveur qu’on désire qu’il ait, à la
manière dont il s’altère et aux moyens employés
pour prévenir ou retarder son altération; tous
ces objets nous ont paru d’un trop grand inté-
rêt pour nous dispenser de les examiner et d’en
faire le sujet des questions suivantes.
i.° La crème renferme- 1- elle le beurre tout
formé, dispersé seulement en molécules très-
divisées et interposées entre les autres parties
' qui la constituent? ou bien les propriétés qu’il
a au moment de sa séparation, sont- elles l’ou-
vrage de la simple percussion?
2.0 La qualité du beurre ne diffère -t- elle
point à raison de la manière dont la crème se
forme à la surface du lait et des précautions
employées pour sa séparation?
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3.° La couleur plus ou moins jaune que
possède le beurre dans certaines circonstances,
est- elle inhérente à ce produit de la crème?
ou bien doit -on l’attribuer à l’action de lair
qui se combine pendant 1 opération ?
4.0 Le beurre , plus susceptible qu’aucune
autre matière huileuse d’éprouver ce genre
d’altération désigné vulgairement sous le nom
de rance , doit-il cet état à la présence d’un
acide développé ?
5.° Enfin la qualité et la proportion du beurre
que contient la crème, sont - elles constam-
ment les mêmes dans le lait provenant d’une
seule et même traite ?
Les expériences que nous avons cru devoir
entreprendre pour la solution de toutes ces
questions, ont fourni des résultats trop essen-
tiellement liés avec les fabriques de beurre
et de fromage, pour ne pas les présenter ici
au plus grand jour , et engager en même
temps ceux qui s’intéressent aux progrès de
cette branche d’économie rurale à multiplier
leurs recherches sur des objets aussi importans.
Du beurre.
Le beurre est une substance grasse , inflam-
mable, blanche, quelquefois jaune, à demi
solide, inodore; d’une saveur douce, agréable;
susceptible de se liquéfier à une température
de dix-huit à vingt degrés du thermomètre de
Réaumur , et de prendre une consistance assez
ferme dès qu’on l'expose au froid.
Quoique ce soit à ces propriétés générales
quon reconnaisse le plus ordinairement le
beurre, quelques-unes, cependant, sont subor-
données à 1 emploi de manipulations particu-
lières, et sur tout à la nature des alimens dont
les animaux font usage. C’est ce que nous avons
eu occasion d’observer en examinant le beurre
extrait de la crème fournie par quatre vaches
à-peu-près égales entre elles pour l’âge et la
constitution physique.
Mais, plus on réfléchit au procédé d’après
lequel on parvient à séparer le beurre , moins
on conçoit la manière dont cette séparation
s’exécute. 11 semble en effet que le mouve-
ment long-temps continué, loin d’opérer la
réunion de ces molécules, devrait s’y opposer
en quelque sorte; car l’expérience prouve que
le véritable moyen pour que les molécules
de corps identiques mêlées dans un fluide
puissent rester désunies, c’est de leur imprimer
un mouvement non interrompu : aussi voyons-
nous de l’huile agitée dans de l'eau se réduire
en une infinité de particules et donner à ce
fluide un caractère laiteux. D’ailleurs, si,
comme on le soupçonne , le mouvement con-
court au rapprochement des molécules de beurre
disséminées dans la crème, pourquoi 11e faci-
lite-t-il pas celui des parties caséeuses qui
existent également dans cette crème ?
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 01
Ces objections que nous nous sommes faites
souvent, et le peu de succès de nos tentatives
lorsqu’il a été question d’extraire le beurre de
la crème sans recourir à la percussion, sem-
blaient d’abord nous autoriser à penser que cette
matière huileuse n’existait pas dans le lait, mais
quelle était le produit d’une combinaison opé-
rée à l’aide du mouvement. Voici, au reste,
comment nous présumions que les choses se
passaient.
L’organe que la nature a destiné pour fabri-
quer le lait, peut être considéré comme tra-
vaillant sans cesse à rassembler tous les prin-
cipes qui doivent concourir à la production de
ce liquide ; c’est seulement lorsqu’ils sont réu-
nis que l’opération est achevée , ou , ce qui
est la même chose , que le lait est formé.
Il parait vraisemblable que dans ce cas, la
nature ne produit pas séparément chacune
des parties constituantes du lait que nous
obtenons par la décomposition de ce fluide ,
' c’est - à - dire , qu elle ne fait pas de matière
caséeuse , de beurre et de sel , ou sucre de
lait ; mais quelle rassemble tous les élémens
propres à créer ces substances, de manière à en
former un tout, aux dépens duquel naîtront à
leur tour les corps dont nous venons de
parler, aussitôt que des circonstances mettront
les principes nécessaires à leur combinaison
dans un état d’appropriation convenable. Ces
combinaisons une fois formées, le lait doit
3s
DU LAIT
commencer h exister dans les mamelles avec
les propriétés qui le caractérisent.
En effet, si pour exister le lait a besoin
que les principes qui doivent servir à la for-
mation du beurre, de la matière caséeuse et
du sucre ou sel essentiel du lait , soient écartés
ou, si on aime mieux, combinés de telle ou
telle manière, on conçoit aisément que , toutes
les fois que cet état de choses viendra à chan-
ger, il devra nécessairement en résulter une
sorte de décomposition du lait; c’est sans doute
aussi ce qui a lieu lorsque nous soumettons la
crème à la percussion , et que nous séparons
de sa sérosité la matière caséeuse.
Au reste, il serait difficile de révoquer en
doute l’existence du beurre dans la crème,
lorsqu’on sait que ce lluide possède une foule
de propriétés analogues à celles des corps gras.
D’ailleurs , pour peu qu’on l’expose dans un
endroit où îl règne une chaleur capable d’éva-
porer l’humidité qui l’allonge , on obtient
bientôt un résidu, qui, par une légère pres-
sion , laisse transsuder une matière huileuse ,
de la nature du beurre.
Il n’est pas aussi facile , à la vérité, d’expli-
quer comment s’opère la séparation du beurre
par le seul mouvement imprimé à la crème ,
à moins qu’on ne veuille qu’un aussi simple
moyen mécanique soit capable d’opérer dans les
corps des changemens , tels que des substances
auparavant isolées par l’interposition d’une
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
autre substance, ou peut-être combinées avec
elle , puissent tout - à - coup , à l’aide de ce
seul moyen, paraître sous un état différent de
celui qu elles avaient auparavant.
Or c’est vraisemblablement ce qui arrive à
la crème. Toutes les molécules du beurre
étendues dans ce fluide , quoiqu’essentiellement
solides , considérées isolément , jouissent cepen-
dant, dans le milieu qui les retient, d’une
sorte de mobilité qu’elles doivent conserver
tant que ce milieu , qui s’oppose à leur réunion ,
existera dans l’état convenable pour produire
leur écartement; mais, dès qu’une lois cet
état change, aussitôt le rapprochement des
molécules du beurre doit s’effectuer et faire
paraître un corps d’une consistance assez dif-
férente du fluide qui le contenait pour ne
pouvoir plus rester uni avec lui.
A cet égard nous devons faire observer
qu’il ne faut pas considérer les molécules du
beurre dispersées, ou plutôt fondues dans la
crème, comme le seraient celles d’un corps
quelconque, extrêmement divisé , qu’on aurait
mêlé dans un fluide, ou, ce qui revient au
meme , avec lequel ce fluide n'aurait pas con-
tracté de combinaison; car, dans ce cas, on
conçoit que le mouvement qu’on imprimerait
à un fluide de cette espèce, loin de déterminer
la réunion des molécules du corps qu’il tiendrait
suspendues, tendrait au contraire à les écar-
ter, comme cela arrive à l’huile dont nous
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34 DULAIT
avons déjà parlé, qui, battue avec de l’eau,
finit par lui donner un coup d’œil laiteux.
Dans la crème, au contraire , le fluide qui
isole les molécules du beurre, est de nature
à former avec elles une sorte de combinaison,
qui, sans doute, est peu solide, puisqu’elle
peut être détruite par la seule percussion.
Quoi qu’il en soit, le beurre n’est pas la
seule substance qu’on puisse citer comme
exemple de l’effet que produit la percussion:
pour réunir et rendre sensibles des corps qui
auparavant étaient tenus en dissolution dans
un fluide ; en effet , nous voyons la même chose
arriver dans la préparation de l’indigo, espèce
de matière colorante, qui, comme on sait,
ne peut être séparée du fluide qui la contient
que par une percussion long -temps continuée.
Que l’oxigène, que l’hydrogène, que l’azote
même, ou quelques autres principes de cette
espèce, jouent un grand rôle dans la prépa-
ration du beurre, ainsi que dans celle de l’in-
digo , cela est assez vraisemblable ; mais , comme
aucune expérience n’a pu démontrer la manière
dont ils agissent, nous avons préféré l’explica-
tion simple que nous venons de hasarder,
plutôt que de nous perdre dans des théories
qui , quoique très - brillantes en apparence ,
n’en sont cependant pas plus lumineuses.
Sans nous arrêter à la structure des organes
qui opèrent la secrétion de l’humeur dont
nous avons entrepris l’examen , sans considérer
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
si les auteurs sont fondés dans l opinion que
le chyle est du lait commencé, qui n’attend
pour prendre tous les caractères du véritable
lait que le travail des mamelles , nous nous
bornerons à faire remarquer que, s’il pouvait
rester quelques doutes sur la différence nota-
ble qui existe entre la nature du chyle et
celle du lait, il ne faudrait pour les dissiper
qu’une simple observation puisée dans l’analysô
comparative de ces deux liquides.
En effet , d’après les connaissances qu’on
s’est procurées tout récemment encore sur la
composition du chyle, il paraît démontré que,
s’il possède quelques - unes des propriétés de
l’émulsion , on ne saurait confondre ni l’un
ni l’autre de ces deux fluides avec le lait,
puisqu’en les exposant au feu on n’en obtient
aucune pellicule semblable à la matière caséeuse :
ils ne forment point de coaguluni par la fer-
mentation et les acides, et par lévaporation
insensible de matière saline, comparable à ce
qu’on nomme sucre de lait. C’est dans les
mamelles que se fabrique le lait; la nature ne
secrète p^s dans un autre organe une pareille
humeur.
Cependant les ouvrages de médecine four-
millent d’exemples de l’existence du lait, pré-
cédemment à sa formation dans les mamelles;
ou cite même des individus mâles qui ont
rendu du lait par des vaisseaux étrangers aux
glandes lactifères : mais ces singularités, en
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LAIT
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supposant quelles existent, font exception à
la loi générale. D’ailleurs, est-on bien assuré
que le fluide que l’on a pris pour du lait, à
cause de l’analogie de sa couleur, ne fut pas
plutôt une liqueur séreuse lymphatique? C’est,
à ce qu il parait, ce qu’on a négligé de cons-
tater.
Mais notre objet n’est point de chercher à
expliquer la manière dont les élémens du lait
se forment pendant le travail de la digestion ,
et quels sont les changemens qu’ils subissent
dans les vaisseaux qu’ils parcourent pour arri-
ver aux glandes mammaires. Il s’agit de con-
tinuer à déterminer les propriétés de ce fluide
autant qu’on peut le faire par l’observation et
lexpérience.
il lanière a être du beurre dans la crème.
Dans une savante dissertation sur la nature
et l’usage du lait de divers animaux, publiée
en 1770 à Edimbourg par Young, ce médecin
rapporte une suite d’expériences qu’il a faites
pour faciliter ou empêcher la butirisation ;
mais elles n’ont servi qu’à lui apprendre que,
dans ce cas, les acides, les alkalis , les sels
neutres, l'alcohol, le sucre, sont de nul effet ,
et qu’il faut absolument le concours de la
simple agitation pour décomposer la crème et
en séparer le beurre.
On voit aussi, d’après ce qui précède , qu’on
ne peut révoquer en doute l’existence du beurre
RELATIVEMENT À LÀ CHIMIE,
57
dans la crème, et que la percussion est, pofrr
ainsi dire, l’unique moyen auquel on puisse
avoir recours pour en opérer la séparation :
cependant, dans la vue de prévenir les objec-
tions qui pourraient nous être faites, nous
n’avons pas négligé de recourir aux expé-
riences propres à anéantir tous les doutes à cet
égard ; il sera facile d’en juger par les détails
dans lesquels nous allons entrer.
Il n’est pas vrai, comme on l’a dit, que la
crème ait besoin d’une fermentation spontanée
pour se séparer du lait et fournir ensuite son
beurre; le simple repos, dans un lieu frais,
suffit pour lui faire gagner la surface suivant
les lois de la pesanteur : dès que cette crème
est retirée du lait nouveau, elle peut donner
sur -le -champ la totalité du beurre qu’elle
contient; sa saveur alors est plus agréable que
celle du beurre séparé d’une crème ancienne.
Nous avons aussi observé, qu’en abandonnant
à l’air la crème avec le lait , il ne s’en séparait
aucune matière comparable au beurre; mais
qu’en l’agitant tant soit peu , elle se mêlait
parfaitement au caillé qui se formait , et quelle
produisait des fromages gras et moëlleux, dans
lesquels le beurre, en tant que beurre, ne se
manifestait jamais.
Pour savoir s’il ne serait pas possible d’enle-
ver le beurre à la crème sans le secours de
l’agitation, nous avons, entr’autres moyens,
employé le feu , persuadés que , cet agent
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Û U LAIT
donnant plus de fluidité au mélange , le beurre ,
débarrassé de ses entraves, viendrait se rassem-
bler h la surface et se concréter ensuite par
le refroidissement.
Après avoir tenu sur le feu la crème assez
long- temps pour la faire bouillir, nous avons
bien remarqué quelques gouttes d’huile na,ger
à sa surface; mais elles 11e se sont pas rappro-
chées de manière à présenter une masse con-
crescible qui eût l’apparence de beurre.
Cette crème’, qui avait ainsi bouilli, adonné,
par la percussion, la totalité de son beurre ,
un peu plus difficilement , il est vrai; il parais-
sait même d’un blanc plus crémeux et d’une
saveur moins délicate.
Il nous restait d’autres essais à tenter, et
nous ne les avons pas négligés. Il s’agissait
d'abord d’appliquer à la crème un dissolvant
qui n’attaquât que le beurre et qui pût acquérir
en même temps des propriétés susceptibles de
le faire connaître : l’huile nous parut propre
à cet objet. Nous en avons ajouté une demi-
once sur quatre de crème, et le mélange,
versé dans un vaisseau cylindrique de verre, a
été agité doucement et placé au bain marie
pendant une heure : l'huile ensuite a peu à
peu gagné la partie supérieure; mais, après
l’avoir laissée refroidir, elle n’a pas paru plus
épaisse qu’auparavant.
• La crème , soumise à la percussion , a donné ,
un peu plus difficilement, tout ce qu elle con-
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 5g
tenait de beurre; mais il était plus mou, plus
gras et plus coloré que dans l’état ordinaire.
Un des moyens sur la réussite duquel il sem-
blait que nous dussions compter , a été de mêler
à la crème fraîche quelques gouttes de vinai-
gre; il était à présumer que cet acide, en opé-
rant la coagulation de la matière caséeuse,
laisserait le beurre à part, ou qu’un léger mou-
vement suffirait pour en opérer très-prompte-
ment la séparation. Le résultat n’a pas été
conforme à notre raisonnement.
Nous avons cherché ensuite à enlever à ,
la crème la partie séreuse qui constitue sa
fluidité, sans y apporter d’altération; en con-
séquence nous en avons répandu une cer-
taine quantité sur plusieurs feuilles de papier
gris : une fois imprégnées, elles ont laissé la
crème sous la forme d’une matière dont la
solidité était égale à celle du beurre. Cette
matière, recueillie et délayée dans une quan-
tité d’eau distillée, suffisante pour lui restituer
sa première fluidité , a été agitée pendant
plusieurs minutes ; le beurre s’est séparé de
la même manière que par le procédé ordi-
naire. La sérosité était seulement d une fadeur
extrême; preuve incontestable que les sels
dissous dans le sérum ne servent pas d’inter-
mède pour réunir le beurre à la crème , comme
quelques personnes l’avaient prétendu.
Cette expérience , ajoutée à celle de la crème
mêlée avec du vinaigre , prouve encore que la
V,
40 r> U L A I T
promptitude avec laquelle le beurre se sépare
de la crème aigrie, dépend moins d’un acide
développé dans ce fluide que de l’espèce de
fermentation qui a produit cet acide, laquelle,
en changeant les parties constituantes de la
crème, doit nécessairement détruire, d’une
manière plus ou moins marquée, la cohé-
rence du corps qui sert de medium junc-
tionis du beurre avec la crème ; cohérence
d'ailleurs si lâche, qu’à peine une première
molécule de beurre apparaît que toute la
masse est rassemblée et 11e forme plus qu’un
corps solide. Ce phénomène nous avait déter-
minés à appliquer l’électricité à la crème ; mais
110s expériences à cet égard ne sont pas assez
avancées pour en offrir les résultats.
!Nous avons cru aussi devoir vérifier les effets
de quelques pratiques usitées dans les cam-
pagnes pour accélérer la butirisation , lorsque
la saison ou d’autres circonstances locales ren-
dent cette opération longue et pénible. A cet
effet nous avons mis successivement au fond
de la baratte une pièce de métal et un mor-
ceau de beurre , un jaune d’œuf, et même du
sucre ; mais aucun de ces moyens n’a donné
les avantages annoncés. .Nous observerons
même que, s’il existe une foule de procédés
pour accélérer la butirisation, on en connaît
bien peu qui puissent rendre le résultat de
cette opération impossible.
Enfin, ii nous restait encore à déterminer
’ —
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 41
s’il était possible, à l’aide de quelques moyens,
d'extraire de la crème un beurre beaucoup
plus solide que celui quelle fournit le plus
ordinairement lorsqu’on le sépare par les pro-
cédés d’usage.
Pour obtenir les éclaircissemens que nous
désirions à ce sujet, nous crûmes devoir faire
les expériences suivantes.
P rentière expérience. Nous avons fait chauf-
fer, dans un vase de terre vernissée, du lait
nouvellement trait et encore pourvu de toute
sa crème. Lorsqu’il a été parvenu au moment
d’entrer en ébullition , nous y avons mêlé du
vinaigre pour le faire coaguler, comme si nous
eussions voulu faire du petit lait médicinal.
Le tout ensuite a été passé à travers un tamis
de crin très -serré. Le caillé ou fromage, resté
sur le tamis f ayant été délayé dans une suffi-
sante quantité d’eau et soumis à la percus-
sion, il en est résulté du beurre tout aussi
ferme que s’il eût été retiré d’une crème nou-
velle. Nous avons remarqué seulement que
son odeur et sa saveur n’étaient pas aussi
douces que celle d'un beurre frais de bonne
qualité.
Deuxième expérience. Connaissant la pro-
priété qu’a la crème , lorsqu’on lui fait présenter
beaucoup de surface à l’air, de s’épaissir et de
prendre assez de consistance pour pouvoir être
pétrie aisément entre les doigts, nous présu-
mâmes que cet effet ne pouvait être attribué
DU LAIT
4^
qu au beurre qui , dans ce cas , avait acquis
une consistance plus qu’ordinaire ; mais nous
eûmes bientôt la preuve du contraire, car,
ayant restitué avec de l’eau à de la crème ainsi
épaissie sa première fluidité et l’ayant soumise
ensuite à la percussion, nous retirâmes encore
un beurre tout aussi solide et également coloré
que s’il eût été extrait d’une crème nouvelle.
'Troisième expérience. Pour connaître l'effet
de l'acide propre du lait sur le beurre, nous
avons laissé ce fluide se coaguler spontané-
ment , et , après avoir enlevé la crème qui
couvrait sa surface, nous l’avons soumise au
travail de la baratte : elle a fourni son beurre
ayant la consistance ordinaire.
Quatrième expérience. Nous avons ajouté
à du lait déjà très- crémeux une autre portion
de crème, et nous avons eu soin d’agiter
souvent le mélange; quand ce lait ainsi sur-
chargé de crème a été coagulé, nous lui avons
laissé contracter une forte aigreur, et au bout
de quinze jours nous en~ avons retiré , au
moyen de la percussion , du beurre tout aussi
formé que les précédens.
Cinquième expérience. Nous avons choisi
les fromages les plus renommés à Paris, et dans
lesquels il est bien reconmi que la crème entre
pour un tiers; ces fromages sont le fromage
de Brie en pot, le fromage de Neuchâtel et le
fromage de Viry. Après les avoir laissés pen-
dant un mois se recouvrir d’une moisissure ,
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 43
nous les avons délayés dans suffisante quantité
d’eau pour leur donner la fluidité ordinaire de
la crème, et ils ont été soumis successivement
à la percussion : le beurre qui en est résulté
n’avait pas une consistance plus ferme que
celui provenant des mêmes fromages , mai»
non faits ; il avait seulement une saveur
piquante et désagréable.
Nous avons dit plus haut qu’en multipliant
les surfaces de la crème exposée à l’air, elle
prenait gn très -peu de temps une consistance
telle qu’on pouvait la manier entre les doigts;
que si on lui restituait la fluidité qu elle avait
auparavant, et qu’on la soumît ensuite à la
percussion, le beurre qu’on en séparait netait
pas plus ferme , pas plus coloré que celui
d une crème nouvelle, résultant du lait de la
même femelle.
Le produit de cette expérience nous ayant
paru contrarier l'opinion des chimistes qui
assurent que les corps gras ont une grande
tendance à s’unir à l’oxigène contenu dans l air
atmosphérique , et que le principal effet de ce
principe sur eux est d’augmenter leur consis-
tance d’une manière sensible ; nous crûmes
devoir chercher à reconnaître si l’effet dont il
s’agit se ferait remarquer en exposant la crème
au contact immédiat d’une certaine quantité
de gaz oxigène, le plus pur qu’il serait pos-
sible d obtenir; voici en conséquence comme
nous avons opéré.
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DU L A I T
44
Sixième expérience. Nous avons mis dans
"un vase de la capacité d’une pinte, du gaz
oxigène bien pur et quatre onces de crème ;
après un quart d’heure d’agitation, le beurre
s est séparé sans avoir plus de couleur et de
concrétion que s’il eût été fait dans l’air atmos-
phérique.
Septième expérience. Du beurre renfermé
bien hermétiquement dans un vase contenant
de l’oxigène, n’a pas éprouvé plus de chan-
gement que celui exposé à l’air libre.
Huitième expérience. L’acide carbonique,
que nous avons regardé comme ne pouvant
rien fournir à la crème pour favoriser la for-
mation du beurre, puisqu’il ne se décompose
point dans cette opération , l’acide carbonique
a été employé dans les mêmes vues que dans
les expériences 6 et 7; mais le résultat obtenu
n’a point encore présenté de différence bien
marquée.
Neuvième expérience. Pour terminer l’exa-
men de cette question , nous avons battu le
beurre dans un bocal recouvert d’un triple
parchemin mouillé et bien ficelé sur l’orifice
du vase, et nous avons remarqué que, loin
qu’il se fit du vide, il paraissait au contraire
qu’il s’était dégagé un fluide élastique, car le
parchemin était devenu convexe et très-dis-
tendu. Pour juger de la nature de ce fluide,
nous l’avons fait passer, à l’aide d’appareils
convenables, dans des récipiens , et bientôt
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 45
nous avons reconnu qu il ne différait pas de
l’acide carbonique , puisqu’il éteignait les
lumières et qu’il décomposait l’eau de chaux.
Tenons - nous en donc aux expériences qui
viennent detre rapportées : elles prouvent,
contre l’opinion des chimistes modernes, que
le beurre est tout formé dans la crème ; qu’il s’y
trouve contenu avec toutes les propriétés que
nous lui connaissons; qu’enfxn il n’a nullemeut r
besoin d’absorber de l’oxigène pour prendre
de la concrescibilité , et une couleur plus ou
moins jaune.
«
Des Proportions du beurre relativement
au lait.
Dans le dessein où l’on est de comparer la
nature et la quantité de lait produit par deux
femelles d’espèce, d’âge et de constitution
semblables, il faut préalablement faire atten-
tion au temps qui s’est écoulé depuis qu’elles
ont mis bas , car ce fluide augmente de
consistance à mesure qu’on s’éloigne de cette
époque.
Pour constater ce fait dans tous ses détails,
nous avons choisi une vache qui avait vêlé
dès les premiers jours de Germinal, et dont
le produit commun en lait était par jour de
huit mesures connues sous le nom de pinte
ou pot , pesant chacune trois livres environ ,
ce qui formait pour les deux traites vinçt-
quatre livres; nous avons eu soin également
DU LAIT
46
d’auendre que l’animal fut au vert pour com-
mencer nos expériences.
Première expérience. Un mois après ie
vêlage, c’était en Floréal, nous avons fait traire
la vache matin et soir , comme à l’ordinaire ,
et verser chaque traite dans une terrine évasée,
exposée à une température de douze degrés
du thermomètre de Réaumur ; au bout de vingt-
quatre heures, nous avons séparé la crème, et
l’avons soumise aussitôt à la percussion : elle a
fourni , sur trente - deux livres de lait , sept
onces et demie de beurre, de couleur jaunâtre.
Deuxième expérience. La même expérience
a été répétée le lendemain et le surlendemain ,
sans que la quantité du lait et celle du beurre
parussent s’éloigner sensiblement de la pro-
portion observée ci-dessus.
Troisième expérience. Un mois après ces
premières expériences, c’est à-dire en Prairial,
la vache, continuant le même régime, n’a fourni
dans les deux traites que trente et une livres
de lait, qui ont donné neuf onces trois quarts
de beurre, ce qui fait une livre de lait de
moins, et deux onces de beurre de plus qu’en
Floréal.
Quatrième expérience. Pendant le mois de
Messidor, la quantité de lait des deux traites
n'a pas diminué d’une manière marquée; mais
celle du beurre a augmenté au point que, sur
trente et une livres de lait, nous avons retiré
douze or\ces et demie de beurre.
RELATIVEMENT A LA CHIMIE
47
Cinquième expérience. Le lait en Thermi-
dor a diminué sensiblement, mais le beurre
a augmenté en proportion; vingt -sept livres
de lait nous ont donné quinze onces de
beurre.
i Sixième expérience. Pareille diminution de
lait et augmentation de beurre ont eu lieu
dans le courant de Fructidor ; la vache a pro-
duit alors vingt- quatre livres de lait et une
livre de beurre.
Septième expérience. La vache ayant passé
au sec en Vendémiaire, elle a fourni cepen-
dant à peu près la même quantité de lait qu’en
Fructidor; mais celle du beurre a augmenté
d’une once , et sa couleur a un peu diminué.
Huitième expérience. La même quantité de
lait s’est soutenue en Brumaire, ainsi que celle
du beurre; mais la couleur de ce dernier s’est
encore affaiblie et a passé au blanc mat.
Neuvième expérience. A l’époque de Fri-
maire, la vache, qu’on avait menée au tau-
reau à la lin de Messidor, fournit sensiblement
moins de lait, et le beurre cependant fut dans
une proportion à peu près la même qu’au-
paravant.
Dixième expérience. En Nivôse , la pro-
portion du lait se soutint comme en Frimaire,
et il donna à peu près un vingt-quatrième de
beurre, c’est-à-dire que vingt -quatre livres
de lait donnèrent une livre environ de beurre.
Onzième expérience. Nous avons obtenu en
48 DULAIT
Ventôse le meme résultat, et, comme à cette
époque la vache était pleine de huitmois , il
ne fut plus possible d’avoir du lait autrement
qu’épais et filant comme du blanc d’œuf.
Ces expériences se trouvent confirmées par
celles du C.en £oyssoi/\ habile pharmacien à
Aurillac. Elles prouvent que le lait d’une vache
produit, le premier mois qui suit le part, trois
gros environ de beurre par livre de lait; quatre
gros les deuxième et troisième mois, cinq et six
gros jusqu’au huitième mois, et que c’est à cette
époque que le beurre a réellement acquis sa
perfection et abonde davantage.
On se tromperait sans doute en croyant
que la plus ou moins grande abondance de lait
en été ne vient seulement que de la nature
plus ou moins succulente des herbages qui
composent alors la nourriture des femelles,
car nous avons eu occasion de voir des vaches
qui avaient vêlé dans un temps où elles étaient
au sec , et le lait du premier mois n’en être
pas plus séreux ni plus abondant que celui
du second mois, et ainsi successivement.
Rien n’est donc plus variable que la pro-
portion du beurre que fournit la même vache
à différentes époques de l’année, sans même
changer de régime; mais la crème que produit
son lait, quoique résultant de la même traite,
offre encore dans tous les temps différentes
nuances dans la qualité du beurre; et c’est
ce phénomène qu'il nous reste à constater.
- .
...
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 49
Nous avons déjà dit qu’un des moyens les
plus efficaces pour séparer la crème d’avec le
lait consistait à mettre le produit de la traite
dans un vase plus large que profond, et à
exposer ce vaisseau à une température plus
froide que chaude ; il s’agit maintenant de
faire voir que la crème retirée du lait à mesure
qu’elle monte à sa surface , offre des différences
sensibles dans la qualité du beurre qui en
provient.
Douzième expérience. Nous avons rempli
de lait un bocal cylindrique , et ensuite il a
été exposé à une température de dix degrés.
Six heures après nous avons séparé la première
couche de crème, qu’on a mise en réserve dans
un vase bien clos. Pour enlever la seconde
couche on a attendu le même espace de temps,
et il en a été de même pour la troisième ; ce
qui a exigé trente -six heures avant d’avoir
écrémé entièrement le lait.
Treizième expérience. La crème du même
lait , ainsi divisée en trois parties , agitée séparé-
ment et au même instant, dans trois bouteilles,
a présenté trois qualités distinctes de beurre :
le premier était plus fin et plus délicat que le
second, et celui-ci plus que le troisième.
Quatorzième expérience. Ces deux expé-
riences, variées et répétées sur une plus grande
masse de lait de vache ainsi que sur le lait
d autres femelles, ont offert constamment les
mêmes résultats} ce qui démontre que, quand
on verse le lait dans un vase à étroite ouver-
ture, et qu’on laisse à la crème le temps de
se rassembler , celle qui monte la première
fournit un beurre supérieur en qualité à celui
de la seconde crème, tandis que le beurre de
la dernière couche est toujours inférieur aux
deux précédens.
INous observerons que le règne végétal pré-
sente un résultat à peu près semblable. En
effet , si on exprime des semences émulsives ,
et, mieux encore, la pulpe charnue des olives,
le premier produit de l’expression est infini-
ment préférable, pour l’odeur et la saveur, à
Celui qu’on obtient ensuite : aussi dans le
commerce a-t-on grand soin de distinguer ces
deux qualités d'huile, et de mettre la première
à un prix plus haut que la seconde.
Mais il existe encore d’autres causes qui
peuvent influer sur la proportion du beurre
dans le lait ; ce sont les différentes manipu-
lations employées dans l’opération de la traite.
Si une vache , par exemple, n’est tirée dans les
vingt- quatre heures qu'une seule fois, son lait
est moins abondant, et la proportion du beurre
plus considérable que pour le lait qui résulte
d’une vache traite jusqu’à trois fois dans le
meme espace de temps : le lait se trouve par ce
moyen augmenté d’un septième , et le beurre
diminue dans une égale proportion.
Une autre observation, non moins intéres-
sante, est que dans une môme traite le lait
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 5 2
qui vient le premier n’est nullement semblable
à celui qu’on tire le dernier , que l’un est trois
fois plus riche en beurre que l’autre ; mais
nous rendrons compte des expériences qui
ont été faites pour constater ces vérités impor-
tantes, ainsi que des conséquences essentielles
qu’on peut en tirer, lorsque nous considérerons
le lait dans ses rapports immédiats avec l’éco-
nomie rurale.
Un autre phénomène , bien plus propre en-
core à causer de la surprise , c’est la différence
que présente le lait d’une même traite divisée
en plusieurs parties ; nous en parlerons après
avoir examiné la coloration du beurre.
N’oublions pas de répéter que, si pendant
lété il est difficile de dégager entièrement le
lait de sa crème, la séparation du beurre est
alors infiniment prompte; tandis qu’en hiver,
apres avoir attendu huit à dix jours pour battre,
il faut encore employer la chaleur,' et que le
beurre qui en résulte a perdu de sa qualité.
Coloration du beurre.
S il est hors de doute que la saison , la nature
des alimens et l’état physique des animaux
influent sur la qualité du beurre, il n'est pas
moins démontre que ces mêmes causes ont
aussi une influence sur sa coloration : plus les
plantes sont succulentes et aromatiques, plus
le beurre en général est jaune. A l’entrée de
1 hiver cette couleur s’affaiblit au point de
n 2
V
5a
DU LAIT
disparaître entièrement : aussi les vaches nour-
ries avec de la paille d’avoine ou d’orge , des
fourrages secs et du son, des racines potagères,
ne donnent- elles communément qu’un beurre
d’un blanc mat.
Un fait bien connu des habitans des cam-
pagnes, et qui n’est pas non plus ignoré de
ceux des grandes communes, c’est que, quand
la vache , la chèvre , la brebis , l’ânesse et la
jument ont été nourries pendant l’été dans les
mêmes pâturages, il n’y a que le beurre de lait
de vache qui soit constamment jaune , tandis
que , dans la même saison , celui des autres
femelles est plus ou moins blanc. Cette diffé-
rence dépend vraisemblablement de la dispo-
sition des organes destinés à recevoir et à pré-
parer le lait, organes qui varient dans tous
les animaux , et sur les opérations desquels
la nature a jeté un voile que, peut-être, nous
ne viendrons jamais à bout de déchirer.
La couleur jaune du beurre paraît donc étran-
gère à ce produit de la crème, puisqu’assez
généralement il est blanc comme de l'axonge ,
et que , dans le nombre des femelles que nous
venons de nommer, la vache seule le fournit
coloré; encore n’est -ce que pendant la saison
où elle est nourrie de plantes fraîches.
Cependant , s’il n’est pas facile de déterminer
la véritable cause de la coloration du beurre
du lait de vache , nous connaissons au moins
la propriété dont la crème jouit de devenir un
RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
'des dissol vans les plus propres à extraire la
matière colorante de certaines substances végé-
tales : mais comment s’opère cette extraction?
c’est sur quoi les chimistes ont gardé le silence.
Nous ne serions point excusables de les imiter
dans un ouvrage uniquement consacré à 1 exa-
men des parties constituantes les plus essen-
tielles du lait.
Quelques auteurs ont assuré qu’on ne trans-
mettait la matière colorante au beurre qu’im-
médiatement, c’est-à-dire, après sa préparation ;
mais on conçoit la difficulté qu’il y aurait de
la distribuer uniformément et à froid dans un
corps ferme comme le beurre , sans lui donner
au moins la fluidité qu’il a dans l’état de crème.
On imagine facilement aussi que, si on avait
recours à la chaleur pour l’amener à cet état,
le beurre serait, à la vérité, bientôt coloré,
mais qu’il éprouverait une telle altération qu’il
serait impossible, dans beaucoup de circons-
tances, de l’employer un certain temps comme
aliment : il fallait donc chercher le moyen
d’éviter cet inconvénient.
Nous avons fait beaucoup d’expériences,
d’après lesquelles nous avons eu la preuve que ,
quelle que fût la matière colorante qu’on
voulût associer au beurre sans le faire chauf-
fer, jamais elle ne pouvait s’y unir qu’autant
qu’on la lui présentait au moment où , se sépa-
rant du lait avec lequel il était combiné dans
la crème , ses molécules , extrêmement divisées
d 3
DU LAIT
54
et voisines de la fluidité, étaient par cela même
dans un état d’appropriation plus convenable
pour agir sur le corps colorant quelles trou-
vaient à côté d’elles. Nous avons remarqué
aussi que , l’union de la matière colorante avec
le beurre étant une fois consommée , il était dif-
ficile , pour ne pas dire impossible , de la rompre.
Parmi les substances propres à colorer le
beurre, nous ne citerons que celles que nous
avons essayées dans cette vue : telles sont le
fruit d’alkekenge , la graine d’asperges , les
fleurs de souci , et sur tout le suc de carotte
rouge. Toutes ces substances , mêlées à la
crème et battues avec elle, donnent au beurre
qui en provient une couleur jaune plus ou
moins foncée.
Cette propriété qu’a le beurre, en se séparant
de la crème , de se charger du principe colo-
rant des matières végétales dont il vient d’être
question , s’étend également à la partie verte
des plantes: mais leurs sucs, exprimés et battus
avec la crème, ne fournissent pas un beurre
coloré; il faut nécessairement, pour le succès
de l’opération, que la matière colorante soit
extraite auparavant , ou par l’alcohol sous forme
de teinture, ou bien en exposant au feu le suc
qui la contient.
Le beurre que fournit la crème ainsi traitée,
a non seulement contracté une couleur qui
approche de celle de la plante employée , mais
encore son odeur et sa saveur : c’est ainsi que
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 55
nous lui avons communiqué l’arome de l’angé-
lique , du persil , du cerfeuil , dn céleri.
Le principe vireux et narcotique des végé-
taux passe aussi de cette manière dans le beurre;
la nicotiane , le pavot , la ciguë , la mandragore ,
s’y font sentir d’une manière très -marquée, et
peut-être les combinaisons de cette espèce
offriraient -elles à l’art de guérir une ressource
de plus dans les circonstances où l’usage de
ces plantes est recommandé intérieurement ou
extérieurement.
Nous avons encore observé que, pour colo-
rer le beurre , il n’était pas toujours nécessaire
de prendre les matières colorantes dans l’état
humide , puisque nous sommes parvenus à
opérer cette coloration avec l’écorce sèche
de la racine d’orcanette; c’est même ainsi que
nous nous sommes procuré du beurre depuis
le rose léger jusqu’au rouge le plus foncé,
en augmentant ou diminuant les proportions
de la racine. Le beurre est également suscep-
tible de dissoudre d’autres . fécules diverse-
ment colorées. Nous avons battu de la crème
avec de l’indigo et du tournesol : le beurre
qu’elle a fourni était teint en bleu , faible à
la vérité , mais agréable et susceptible d’aug-
menter d’intensité par une percussion plus
long - temps continuée avec ces substances
mieux divisées.
Le beurre , ainsi coloré en bleu , perd insensi-
blement sa couleur: d’abord il passe au violet,
d 4
56
»
DU LAIT
' puis il devient rougeâtre , et se décolore enfin
tout-à-fait. Ces effets se font remarquer plus
promptement sur les premières couches que
sur celles qui sont moins exposées à l’air :
cependant à la longue ces dernières se déco-
lorent complètement.
L’air n’est peut-être pas ici la cause unique
de cette altération de la partie colorante , à
moins qu’on n’adinette que ce fluide , qui
demeure interposé dans le beurre , puisse
jouir des mêmes propriétés que celui qui est
à l’extérieur : dans ce cas on expliquerait
facilement pourquoi l’action de ce dernier est
moins énergique que celle du premier.
Si la racine d’orcanette donne au beurre
une couleur dont on peut varier la nuance
à l’infini , il n’en est pas de même de la matière
colorante des betteraves rouges et jaunes , et
de la cochenille ; elles n’impriment aucune
teinte à ce corps gras : ce qui semble annon-
cer que, pour que le beurre dissolve la matière
colorante qu’on lui présente , il faut nécessaire-
ment quelle soit de nature résineuse.
Le beurre par la chaleur perd un peu de
sa couleur, mais il éprouve en même temps
une sorte d’altération qui le prive de cette
saveur douce et agréable qu’on lui connaît
lorsqu’il est frais.
On sait aussi que le contact de l’air le
colore ou le décolore , selon les circonstances.
Celui qui est absolument blanc après sa sépa-
RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
ration , devient jaune à sa surface au bout de
quelque temps d’exposition à 1 air libre : mais
cette couleur est toujours faible , et ne se com-
munique que très -difficilement aux couches
inférieures.
L’effet contraire arrive au beurre naturelle-
ment jaune, car on remarque que c’est sa
surface qui blanchit, tandis que la couleur
jaune se conserve dans l’intérieur.
En général nous croyons avoir remarqué
que l’air parait avoir plus d’action sur la
couleur jaune communiquée artificiellement
au beurre , que sur celle qu’il tient de la
nature. C’est pour cela sans doute que le
beurre exposé dans nos marchés, qui doit
presque toujours sa couleur , soit à la fleur de
souci , soit à toute autre matière qu’on y a
ajoutée à l’instant même de sa préparation ,
blanchit si aisément à sa surface.
Il nous reste maintenant à examiner cette
tendance qu’a le beurre de perdre plus ou
moins promptement sa saveur douce et agréable ,
pour en prendre une tellement âcre et forte
que l’organe du goût le moins exercé peut
la découvrir dans une masse énorme d’alimens
auxquels une très -petite portion de ce beurre
a servi d’assaisonnement.
Ranci dite du beurre.
Nouvellement préparé avec de bonne crème,
le beurre ne conserve pas long -temps la saveur
■ ’ Y »’
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55 BU LAIT
douce et agréable qu’on lui connaît; peu-à-
peu il perd de sa qualité , et éprouve une
sorte d’altération , qui , poussée à un certain
point, ne permet plus qu’on l’emploie à tous
les usages domestiques. Dans cet état il porte
le nom de beurre rance , de beurre fort.
Cette altération peut être plus ou moins
prompte, suivant les procédés employés pour
la préparation et la conservation du beurre.
En général on remarque qu’on parvient à la
retarder en lavant parfaitenent le beurre, et
sur tout en le plaçant dans des endroits frais
et sous l'eau.
Souvent aussi on prévient la rancidité en
faisant éprouver au beurre assei de chaleur
pour le priver de l’humidité interposée entre
ses parties , ou en le mêlant avec une suffi-
sante quantité de sel, d’où résulte ce qu’on
nomme dans le commerce beurre fondu ,
beurre salé.
Nous donnerons, dans la troisième partie,
le procédé de ces deux préparations , exécuté
en grand dans quelques cantons de la répu-
blique.
La présence du lait dans le beurre nous a
paru , plus que toute autre , hâter la rancidité.
En effet nous avons mis souvent en compa-
raison des beurres obtenus de la même crème ,
mais qui exprès n’avaient pas été tous lavés
avec le même soin : constamment nous avons
remarqué que ceux dans lesquels on avait
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 5g
laissé des portions de lait se rancissaient bien
plus promptement que les autres.
On a ensuite fait fondre des beurres rances
et d’autres qui ne l’étaient pas : les premiers
ont laissé déposer un fluide blanchâtre, qui
avait une saveur âcre et désagréable , tandis
que les derniers n’ont pas donné un semblable
produit.
Enfin nous sommes parvenus à diminuer la
rancidité du beurre préparé depuis plus d’un
mois, en le lavant à grande eau. La première
eau du lavage était laiteuse et fort désagréable.
Si les expériences dont on vient de rendre
compte ne suffisaient pas pour prouver que
le lait disséminé dans les interstices du beurre
contribue à hâter sa rancidité , nous citerions
les pratiques journalières des ménagères, qui
pétrissent le beurre dans l’eau pour diminuer
son goût fort ; nous indiquerions leur précau-
tion de le tenir en fonte sur le feu , jusqu’à ce
qu’il se soit précipité, au fond des chaudières,
une matière qui d’abord s’épaissit et se torré-
fie ensuite. Cette matière , qui n’est autre chose
que la substance caséeuse existante dans le
lait que contenait encore le beurre , étant une
fois séparée, il devient moins susceptible de
s’altérer; aussi peut - on le conserver plusieurs
mois sans qu’il contracte le goût rance.
Il faut convenir cependant que, telle pré-
caution qu’on prenne, le beurre le mieux
préparé finit à la longue par se rancir compté-
•V; . :i > :
6o
fi TJ LAIT
tement, et quil éprouve dans ce cas le sort
de toutes les matières grasses , végétales et
animales, qui, comme on sait, sont sujettes à
la même altération.
De tout temps les chimistes ont cherché à
déterminer la nature du produit nouveau qu’on
pouvait naturellement supposer exister dans
un corps gras devenu rance. Presque tous
ont admis que c’était un acide. Cependant,
comme les expériences d’après lesquelles ils
ont fondé leur opinion à cet égard, ne nous
ont pas paru assez concluantes , nous avons
cru devoir faire de nouvelles recherches qui
pussent nous mettre à portée d’obtenir les
éclaircissemens que nous désirions.
On imagine bien que, le beurre étant le
corps gras qui nous occupait spécialement,
nous avons dû le choisir de préférence pour
sujet de nos expériences.
D’abord, connaissant la propriété qu’ont les
acides de coaguler le lait , nous avons cherché
à reconnaître si celui qu’on supposait exister
dans le beurre rance jouissait de cette même
propriété.
Pour cet effet nous avons ajouté à du lait
une certaine quantité de beurre très -rance,
et nous avons tenu ce lait sur un feu doux
pendant plusieurs heures.
La même expérience a été répétée avec du
fromage rance, ajouté à du lait en place de
beurre.
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 6l
Le lait, dans ces deux cas, a acquis une
saveur fort désagréable , et analogue à celle
du beurre et du fromage employés ; mais il
ne s’est pas coagulé.
On a ensuite lavé à froid , et dans une petite
quantité d’eau, du beurre et du fromage très-
rances. L’eau des lavages, mêlée avec de la
teinture aqueuse de tournesol , n’a point
changé en rouge la couleur de cette teinture.
Au lieu de faire cette expérience avec de
l’eau froide , on a employé de l’eau chaude
et même bouillante : la teinture s’est encore
comportée comme dans le premier cas.
N ous présumions que , si la rancidité du beurre
était due à la présence d’un acide , on détermine-
rait promptement cet état avec du vinaigre ; mais
au bout de plusieurs jours, nous avons trouvé
le beurre ainsi mélangé moins rance qu’un autre
que nous avions mis en comparaison 'avec lui
et dans lequel on n’avait pas ajouté d’acide.
Rappelons d’ailleurs un fait qui se reproduit
souvent pendant l’été. La crème, dans cette
saison , s’aigrit quelquefois en moins de vingt-
quatre heures ; cependant le beurre qu’on en
sépare n’est pas moins doux ni moins délicat
pour avoir séjourné dans un milieu acide.
D’après tous ces résultats nous sommes auto-
risés à penser que la rancidité peut exister sans
développement d’acide.
Mais, si rien ne démontre que le beurre
rance contienne un acide, on ne peut pas
« •
se refuser au moins à admettre qu’un des
principes des acides contribue pour beaucoup
à déterminer la rancidité ; et que ce principe
est l’oxigène. Voici comment nous sommes
parvenus à en avoir la preuve.
Sous deux cloches de verre de meme forme
et de même capacité, remplies dair atmosphé-
rique , on a placé séparément des vases conte-
nant de la crème fraîche et du beurre frais.
De la crème fraîche et du beurre frais ont
été également placés sous deux cloches rem-
plies de gaz oxigène.
L’air des deux premières cloches n’avait pas,
le huitième jour, diminué de volume d’une
manière sensible. La surface de la crème était
devenue un peu plus jaune et un peu ridée;
on voyait aussi dans quelques endroits des
points de moisissure ; sa consistance avait aug-
menté ; sa saveur n’était plus agréable , mais
sans être rance : battue dans une phiole avec
un peu d’eau, elle a donné un beurre assez
doux.
Le beurre placé sous la cloche qui conte-
nait aussi de l’air atmosphérique , paraissait
avoir acquis à sa surface un peu plus de
couleur; sa saveur n’était pas douce, comme
le jour où l’expérience avait été commencée,
mais on ne pouvait pas dire qu elle fût rance.
Le beurre et la crème, placés sous les cloches
remplies de gaz oxigène , avaient au contraire
une odeur décidément rance , et par consé-
RELATIVEMENT, A LA CHIMIE.' 63
quent une saveur désagréable. Une partie du
gaz avait été absorbée et remplacée par 1 eau
de la cuve sur laquelle les cloches avaient été
placées. Enfin nous vimes que la quantité
du gaz absorbé pouvait être évaluée au quart
de son volume.
Quand nous n’aurions que ces expériences
à citer , elles suffiraient déjà pour prononcer
que l’oxigène est l’agent qui détermine la
rancidité ; mais la certitude à cet égard devient
encore plus complète depuis les nouveaux
résultats obtenus par les chimistes qui ont traité
les graisses avec l’acide nitrique.
Cet acide , comme on sait , est composé
d’oxigène et d’azote ; il est un de ceux qui se
décompose le plus facilement. Une des cir-
constances où sa décomposition se fait singu-
lièrement remarquer , est celle qui a lieu
lorsqu’on le mêle en petite quantité avec de
la graisse; dans ce cas l’oxigène abandonne
promptement l’azote avec lequel il était uni,
pour se joindre à la graisse , qui aussitôt devient
extrêmement rance.
Dans cet état la graisse est apte à oxider
certaines substances métalliques , et principa-
lement le mercure.
En effet , si on mêle à de la graisse oxigénée
par l’acide nitrique ou oxigénée naturellement,
c’est-à-dire rance, une petite quantité de
mercure, on voit aussitôt ce métal perdre
son éclat métallique et se convertir en oxide
DU .LAIT
64
gris. C’est pour cela sans doute que le mer-
cure s’éteint si facilement avec de l’onguent
mercuriel rance, tandis qu’on est long -temps
à obtenir le même effet lorsque l’onguent est
nouvellement préparé.
Mais ce serait trop nous écarter que d’insister
plus long -temps sur cet objet; nous termi-
nerons cet article en disant que la rancidité
peut être considérée comme une oxigénation
réelle , qui , à raison de sa plus ou moins grande
intensité, doit présenter des nuances diffé-
rentes dans l’état du beurre , et généralement
dans celui de tous les corps gras qui devien-
nent rances.
Maintenant que nous connaissons la cause
de la rancidité des corps gras, ne peut -on pas
espérer que la chimie , lorsqu’elle aura plus de
données sur les affinités de l’oxigène avec dif-
férens corps, parviendra à l’enlever au beurre,
et le rappellera par ce moyen , sinon à sa
primitive perfection, au moins à un état qui
permettra qu’on l’emploie à différens usages
auxquels il est moins propre lorsqu’il est rance.
Ce résultat sera une nouvelle preuve des ser-
vices que les sciences peuvent rendre à la
société quand elles sont dirigées vers les objets
d’utilité générale.
Du lait' de beurre.
La crème , après avoir donné le beurre qui
cm formait une des parties constituantes, ne
.RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
65
présente plus qu’un fluide blanchâtre, d’une
saveur et d’une consistance à peu près égales à
celles du lait. Ce fluide est connu sous le nom
/
de lait de beurre , dénomination fort impropre
puisqu’il ne contient pas un atome de beurre.
Le nom de petit lait acidulé , sous lequel on
le désigne encore, ne lui convient pas davan-
tage , car on sait qu’il n’a de saveur acide qu’au-
tant qu’il a été séparé d’une crème ancienne,
laquelle, par conséquent, a déjà commencé à
tourner à l’aigre ; mais lorsque la crème dont
on se sert pour faire le beurre est nouvelle, le
fluide qu elle laisse échapper , au moment où
le beurre se sépare, a une saveur douce, abso-
lument analogue à celle du lait dépourvu seule-
ment de sa crème. En comparant même le lait
de beurre et le lait écrémé, on voit qu’ils réu-
nissent l’un et l’autre à peu près les mêmes
propriétés.
Il faut convenir cependant que le lait dit
lait de beurre , est plus. susceptible que le lait
écrémé de passer à la fermentation acide : c’est
ce dont nous avons eu la preuve en faisant
l’expérience suivante.
On a mis séparément dans deux vases sem-
blables une égale quantité de lait de beurre
et de lait parfaitement écrémé. Ils étaient le
produit de la même traite ; par conséquent la
crème qui avait fourni le lait de beurre avait
été séparée du lait qu’on employait pour servir
de terme de comparaison.
E
Ces deux fluides placés dans le même
endroit , le lait de beurre passa à l’aigre vingt-
quatre heures plus tôt que l’autre.
Cette différence doit être sans doute attri-
buée en grande partie à la percussion qu'on
a fait éprouver à la crème lorsqu’on a voulu
en séparer le beurre. Cette percussion néces-
sairement agit d’une manière sensible sur les
différentes parties de la crème et principale-
ment sur celle du lait de beurre , et par suite
elle doit disposer les parties constituantes de
ce fluide à passer plus tôt à la fermentation
acide , que celles du lait qui n’a pas été agité.
A l’exception de cette différence, le lait de
beurre contient , ainsi que nous nous en
sommes convaincus en faisant une analyse
comparée de ces deux fluides , autant de ma-
tière caséeuse et de substances salines que le
lait parfaitement écrémé.
Du lait écrémé.
Le lait qui vient d etre séparé de la crème n’a
plus, ni cette couleur d’un blanc mat, ni cette
saveur douce et ce toucher onctueux qu’il
avait quelques instans après sa sortie du pis de
la femelle ; sa densité est donc moins consi-
dérable : aussi, pour le faire bouillir , .faut -il
employer un degré inférieur à celui qu’il exige
lorsque la crème s’y trouve encore mêlée. On
remarque aussi qu’il devient propre à dissoudre
P
relativement a la chimie. 6 7
une plus grande quantité de sucre et d’autres
matières salines.
Il n’est pas aussi facile qu’on pourrait le
croire de se procurer du lait parfaitement
écrémé, et jouissant d’ailleurs de la saveur
douce et agréable qu’on désire lui trouver. C’est
principalement pendant l’été qu’on éprouve de
grandes difficultés à cet égard ; car , comme
pendant cette saison il faut, pour que la tota-
lité de la crème puisse se séparer, attendre
souvent douze heures, ce temps est plus que
suffisant pour faire passer le lait à l’aigre. On
conçoit qu’alors il ne doit plus avoir les mêmes
qualités qu’auparavant.
C’est pour obvier h cet inconvénient que
nous avons cherché si , en appliquant la per-
cussion à du lait au sortir du pis de la vache,
il ne serait pas possible de l’amener sur-le-
champ à l’état de lait parfaitement écrémé.
En conséquence nous en avons agité pendant
une heure dans un vaisseau convenable. Ce
moyen a suffi pour nous donner du beurre
sous forme de flocons, qu’on ne pouvait réunir
qu’en approchant du feu ou en plongeant
dans l’eau chaude la bouteille qui contenait
le lait. Il nous a paru que le beurre obtenu
par ce procédé avait une saveur moins agré-
able que celui séparé immédiatement de la
crème sans le concours de la chaleur.
Soupçonnant d’après la quantité du beurre qui
s'était séparée dans cette expérience, quelle
E 2
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68
DU U A I T
était inférieure à celle que nous eussions obte-
nue si , au lieu d’opérer sur le lait non écrémé ,
nous nous fussions servis de la crème que ce
lait aurait pu produire , nous nous déterminâ-
mes à soumettre à une seconde percussion le
lait dont nous avions d’abord séparé le beurre
mentionné plus haut ; mais , malgré tous nos
efforts, il nous fut impossible d’obtenir une
nouvelle quantité de beurre.
Peu découragés par ce défaut de succès,
nous crûmes pouvoir mieux réussir si nous
exposions pendant quelque temps ce lait à une
chaleur tempérée. En effet , après vingt - quatre
heures, nous nous aperç ûmes qu'il s’était recou-
vert d une pellicule crémeuse ; nous la sépa-
râmes, et aussitôt nous la soumîmes à la percus-
sion pendant près de deux heures : cette fois -ci
nous ne fumes pas plus heureux que la pre-
mière, pour séparer de cette espèce de crème
le moindre atome de beurre.
Il nous paraît que le défaut de succès de
cette expérience doit être attribué au fluide
mêlé avec la crème : la proportion de ce fluide
était sans doute plus grande qu elle ne devait
être pour permettre aux molécules du beurre
qui étaient contenues dans cette crème de
se réunir. Ce qui nous porte à penser ainsi ,
c’est que le même lait, exposé de nouveau
dans un lieu frais, a donné facilement son
beurre.
Cette observation apprend que pour retirer
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 6f)
la totalité du beurre que la crème renferme,
il faut toujours trois conditions:
i°. Séparer celle - ci du lait , et lui appliquer
immédiatement la percussion ;
2°. Ne laisser à la crème que la quantité
nécessaire du lait pour favoriser le mouvement
qu’on lui imprime ;
3°. Eviter autant qu’il est possible le con-
cours de la chaleur; sans quoi on s’expose
à avoir du beurre qui a une grande propen-
sion à rancir.
L’on voit d’après ce qui précède , que la
crème est plus composée que le lait dont elle
est séparée entièrement , puisque ce dernier
fluide ne contient plus de beurre. On peut
en conclure aussi que la couleur blanche du
lait ne dépend nullement de l’interposition
d’une certaine quantité de beurre suspendue
dans la sérosité à la faveur de la matière
caséeuse , et que ceux qui ont considéré le
lait comme une émulsion animale , auraient
dû plutôt donner ce nom à la crème , dont le
blanc plus mat est réellement dû au beurre
qu’elle renferme.
Mais s’il n’est plus permis d’attribuer à la
matière butyreuse, disséminée dans le sérum, la
couleur du lait , et qu’il soit démontré , ainsi que
nous le ferons voir par la suite , que la matière
caséeuse en est la seule cause, on ne saurait
se refuser de croire que le beurre n’influe
sensiblement sur la couleur, la consistance
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70
I> U LAIT
et la saveur de la crème , puisque , quand
celle-ci est jaune, c’est toujours à raison de
la couleur du beurre quelle contient, et que,
lorsqu’il est séparé, le lait prend une fluidité
et une saveur différentes de celles qu’avait la
crème.
On est donc forcé de convenir que la
coloration et l’épaisissement de la crème appar-
tiennent essentiellement au beurre , et qu’ils
suffisent ponr démontrer son existence dans
ce fluide.
Article Y.
Des pellicules produites a la surface du
lait quon fait chauffer.
De tous les chimistes qui se sont occupés
de l’analyse du lait , V enel est presque le seul
qui ait parlé des pellicules formées à la surface
de ce fluide lorsqu’on le fait chauffer; mais il
pensait , ce sont ses expressions , quelles diffé-
raient peu de la pellicule crémeuse qui recouvre
le lait peu de temps après qu'il est tiré, c’est-
à-dire du beurre mélé de quelques parties de
fromage empreintes et imbibées de petit lait.
D’après une pareille définition de la com-
position des pellicules dont il s’agit, on est
tenté de croire que V enel ne les a jamais exa-
minées , complètement dépouillées du fluide
qui les mouille; car il faut convenir que dans
cet état elles annoncent plutôt une matière
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 71
membraneuse divisée et suspendue dans le
sérum , laquelle , en se rapprochant , produit
un corps très -sensible. Arrêtons-nous à la
manière dont ces pellicules se forment , à la
cause de leur formation , et aux propriétés
qui les caractérisent.
Formation des pellicules.
Nous avons ^xposé à la chaleur du bain-
marie une livre de lait écrémé. L’eau du
bain n’était pas encore bouillante que la sur-
face du lait était déjà couverte d’une pellicule
mince, qui peu à peu est devenue plus épaisse.
Dès quelle a paru avoir toute l'épaisseur
quelle pouvait prendre , nous l’avons enlevée
avec, un tube et mise aussitôt dans une cap-
sule remplie d’eau distillée. Il en a été de
même de toutes celles qui se sont successive-
ment formées.
La séparation de ces pellicules exige beau-
coup d’adresse et de célérité pour pouvoir les
obtenir entières : autrement elles se déchirent,
se précipitent au fond du vaisseau, s'attachent
à ses parois , et y forment des petits corps
qu'on ne peut enlever qu’en les brisant. Cet
inconvénient, que nous avons éprouvé en
commençant, nous a fait répéter plusieurs
fois l’opération : aussi avertissons- nous que
le lait dont nous allons parler a fourni des
pellicules tout entières, sans rien déposer au
fond de la capsule.
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72 U U Ij A I T
Comme l’expérience nous avait appris qu a
mesure que les pellicules se formaient le lait
acquérait plus de densité, nous avons, pour
lui conserver une grande fluidité, essayé de
remplacer par de l’eau distillée l’humidité qui
s’évaporait : au moyen de cette addition , le
vaisseau , qui , au commencement de cette
opération, était plein de lait, s’est trouvé
encore rempli de fluide lorsqu’elle a été
terminée.
A mesure que nous enlevions les pellicules,
on voyait le lait perdre de sa couleur blanche.
Vers la fin, il fallait beaucoup plus de temps
pour quelles se formassent. Lorsque nous
avons vu qu’il n’en paraissait plus, nous avons
cessé l’opération. La liqueur avait alors une
demi - transparence ; elle ne se caillebotait plus,
ni avec les acides , ni avec l’esprit de vin ; sa
saveur était sucrée; enfin cette même liqueur,
jetée sur un filtre, a passé aussi transparente
que du petit lait clarifié. Versée dans plu-
sieurs capsules, elle s’est évaporée spontané-
ment, et a donné, au bout de quelques jours,
un sel très-blane, sucré, parfaitement sem-
blable au sel essentiel ou sucre de lait, dont
il sera question par la suite.
L’opération que nous venons de décrire a
été répétée sur du lait de beurre qui n’était
point aigre : elle a offert un résultat parfaite-
ment semblable.
Du lait pourvu de sa crème, soumis à la
même expérience, a donné des produits qui
n’ont différé des précédens qu’en ce que les
premières pellicules étaient onctueuses.
On a vu plus haut que les pellicules recueil-
lies successivemeut avaient été mises dans
une capsule remplie d eau distillée. Ce moyen
nous a paru le seul propre à les dépouiller
du lait qui y adhérait. En répétant deux ou
trois fois les lavages, nous sommes parvenus
à avoir ces pellicules assez pures. Elles se
développaient alors très- aisément , et se pré-
sentaient sous la forme d’une espèce de
membrane à demi transparente, dune consis-
tance telle quelles pouvaient supporter , sans
se déchirer, l’action du tube dont on se servait
pour les étendre. Nous croyons qu’il serait
difficile de donner une meilleure idée de leur
manière d etre qu’en les comparant à la mem-
brane qui tapisse l’intérieur de l’œuf.
Cause de la formation des pellicules.
Il parait vraisemblable que le contact de
l’air extérieur est une condition essentielle à
l’existence des pellicules , puisque ce n’est
jamais qu’à la surface du lait quelles se forment ,
et que, une fois formées, elles acquièrent une
sorte de consistance. Cette opinion se trouve
confirmée par l’expérience suivante.
Nous mimes dans une bouteille de pinte
une livre de lait écrémé, et cette bouteille,
74 U U Tj A I T
après avoir été bouchée avec un morceau de
liège traversé par une longue épingle, fut placée
dans l’eau d’un bain-marie qu’on fit bouillir
pendant près d’une heure. De temps en temps
on avait soin de retirer l’épingle pour donner
issue à l’air qui se dégageait. La bouteille
ayant été retirée du bain , nous n’aperçûmes
pas que le lait fût couvert d’une pellicule ,
quoiqu'il fût assez chaud pour qu’il eût dû
s’en former si l’opération avait été faite dans
un vaisseau ouvert. Mais dès qu’on déboucha
la bouteille , nous vimes paraître une pellicule
toute semblable à celle dont nous avons parlé
plus haut. Ce procédé, répété bien des fois,
nous a toujours réussi.
Convaincus, d’après cette seule expérience,
que le contact de l’air était nécessaire pour la
production des pellicules , nous avons essayé
d’en hâter la formation , en mettant la surface
du lait en contact avec une masse d’air plus
considérable. En conséquence on a dirigé le
tuyau d'un soufflet sur la surface d’un lait
qu’on avait fait chauffer : à chaque coup de
soufflet on voyait une pellicule se former. Le
moyen nous a paru si avantageux que nous
y avons eu recours à différentes reprises pour
obtenir plus promptement une grande quan-
tité de pellicules.
Cet effet est - il dû à l’air agissant tout
entier sur la surface du lait chaud ? ou bien
l’air ne contribue - 1 - il à la formation des
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 'jS
pellicules qu’en fournissant un de ses principes?
C’est ce qu’il est difficile de décider. Nous
observerons cependant qu il paraît vraisembla-
ble que l’air atmosphérique, dans cette cir-
constance, n’agit pas différemment que le gaz
inflammable , l’acide carbonique et l’air vital ,
puisque ces trois fluides aériformes, renfermés
dans des vessies terminées par un robinet de
cuivre à étroite ouverture , ayant été dirigés
successivement sur la surface d’une quantité
de lait qu'on avait fait chauffer exprès , ces
fluides n’ont pas paru produire d’effets diffé-
rensdeceux de l’air atmosphéripue qui sortait
d’un soufflet.
De la nature des pellicules.
Le lait séparé des pellicules , devenu assez
fluide pour passera travers d’un filtre, donne
lieu à différentes questions. Qu’est devenue la
matière caseuse? Les pellicules en sont -elles
les débris, ou bien cette matière elle - même
ne serait - elle pas produite par la réunion
subite de la substance propre à fournir les
pellicules? C’est particulièrement à cette der-
nière opinion que nous nous arrêtons , fondés
sur les expériences suivantes.
Les pellicules, abandonnées à elles -memes
dans la capsule , ont perdu , en moins de
vingt -quatre heures, une partie de leur con-
sistance et de leur transparence. Au bout de
quatre jours, le thermomètre étant à seize
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76 D U L a ï T
degrés , elles étaient devenues si molles que
le moindre attouchement suffisait pour les
déchirer; leau dans laquelle elles nageaient
n était plus aussi claire que la veille. Le
sixième jour , elle exhala une odeur si fétide,
qu’on s’en aperçevait à plus de dix pieds de
distance de la capsule. Le huitième jour, la
surface de leau se trouvait recouverte d’une
matière glaireuse et putride. Les pellicules
étaient alors dans une sorte de dissolution; on
ne pouvait plus apercevoir leur forme. Enfin,
le douzième jour , l’eau étant tout - à - fait
évaporée , il n’est plus resté dans la capsule
qu une très -petite quantité de matière ino-
dore, insipide, insoluble dans l’eau, dans les
acides et dans lalcohol.
Si, au lieu d’abandonner ainsi les pellicules
à la décomposition spontanée , on les fait
sécher , après toutefois avoir eu soin de les
laver exactement, elles deviennent jaunâtres,
sans perdre leur transparence. Alors elles se
brisent sous les doigts avec la plus grande
facilité : les acides sulphurique et muriatique,
peu concentrés, ne paraissent pas avoir d’action
sur elles : l’acide nitrique les colore en jaune,
et diminue leur consistance sans les dissoudre :
le vinaigre les attaque sensiblement : la soude
caustique , étendue avec suffisante quantité
d’eau distillée, et aidée de la chaleur, les
dissout entièrement; cette dernière dissolution
devient d’un rouge foncé.
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. r]rJ
Ces mêmes pellicules, mises sur le feu ,
brûlent en se tuméfiant, et répandent une
odeur de corne brûlée.
Enfin , lorsqu’on les distille à feu nu dans
une retorte, on obtient les mêmes produits
que de la corne, c’est-à-dire du phlegme ,
de l’huile légère , de l’ammoniaque ou alkali
volatil , et de l’huile empyreumatique. Il reste
dans la cornue un charbon extrêmement raré-
fié, qui s’incinère avec la plus grande difficulté.
Dans le nombre des propriétés ci-dessus
mentionnées , celle qu’a la soude caustique
d’attaquer les pellicules , et de donner à la
dissolution une couleur rouge foncée, mérite
d’être remarquée.
Il paraît vraisemblable que cette couleur
est due au carbone qui entre dans la com-
position des pellicules, lequel, séparé d’abord
par la soude caustique, est ensuite dissous
entièrement par elle.
Cette manière d’agir de la soude caustique
rend parfaitement raison de la couleur rouge
que prend aussi le lait écrémé ou non écrémé ,
lorsqu’on les fait bouillir ensemble : il n’est
point douteux que, dans ce cas, la matière
propre à former les pellicules éprouve de l’alté-
ration , et que dès - lors le lait doit prendre
une couleur rougeâtre.
On conçoit, d’après cela , combien était
grande l’erreur de ceux qui, en voyant la
couleur rouge dont est question , pensaient
DU LAIT
78
que l’alkali fixe caustique avait le pouvoir de
convertir le lait en sang; aussi la théorie sur
la sanguification, qu’on s’était hâté d’établir
d’après cette expérience, n’est -elle plus sou-
tenable maintenant?
Au reste , la propriété qu'ont les pellicules
d’étre attaquables par la soude caustique, ne
leur appartient pas exclusivement , puisque
par la suite nous verrons cet alkali produire,
d’une manière même encore plus marquée ,
un pareil effet sur le sel ou sucre de lait.
En résumant les différentes observations
que nous venons de présenter, il semble qu’on
ne doit plus hésiter de regarder la matière
qui constitue les pellicules comme étant parfai-
tement la même que celle qui forme la subs-
tance caséeuse. Il parait aussi qu’elle est, de
toutes les parties constituantes du lait , la
seule qui soit évidemment animalisée , puis-
qu’elle possède les propriétés particulières des
substances animales. C’est, en un mot, une
véritable matière plastique , analogue à celle
qui existe dans le sang, ainsi que dans d’autres
humeurs récrémentitielles.
Nous ajouterons encore , que toutes les
snbstances qui ont la faculté de coaguler le
lait, produisent en un instant ce que le feu
et le contact de l’air font insensiblement:
dans ce dernier cas, on n’obtient jamais que
des pellicules , tandis que dans le premier la
matière propre à les former successivement ,
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 79
se rapproche tout - à - coup , et se réunit pour
produire cette espèce de coagulum auquel on
a donné le nom de substance caséeuse.
Mais ce qui achève d’établir l’identité des
pellicules et de la matière caséeuse, ce sont
les produits qu’on en obtient par 1 analyse
chimique. Nous en rendrons compte dans un
instant.
Article \ I.
Des agens propres à la coagulation du
lait.
Il existe une multitude d’agens propres à
coaguler le lait , et à mettre sur - le - champ
en évidence une substance blanche connue
des chimistes sous le nom de matière caséeuse
ou fromageuse; mais comme ces agens offrent
chacun quelques particularités , nous avons
cru qu’il était utile de les faire tous connaître
successivement avant de nous occuper de l’exa-
men de la matière caséeuse.
Coagulation par les acides.
En mêlant deux gros d’acide sulphurique
affaibli, avec une livre de lait écrémé, le
mélange perd un peu de sa fluidité , et, si le
vaisseau qui le contient est placé dans une
température de quinze à seize degrés, il ne
faut pas une heure pour que la coagulation
s’opère. Le coagulum , d’abord très - mou ,
acquiert insensiblement plus de consistance,
et, en l’agitant, on voit surnager une sérosité,
de couleur légèrement citrine , d’une saveur
douce et agréable.
On obtient de semblables résultats , mais
beaucoup plus lentement, lorsque le lait qui
en est l’objet se trouve pourvu encore de sa
crème.
Si, au lieu d’abandonner, à la température
dont nous avons parlé, le mélange de lait et
d’acide sulphurique , on l’expose à la chaleur
du bain -marie ou dans une étuve, le coagu-
lum se manifeste beaucoup plus promptement;
mais il ressemble parfaitement au précédent.
Si on double la quantité d’acide sulphu-
rique, en opérant à chaud ou à froid, la coa-
gulation a lieu plus vite que lorsqu'on se sert
de la première dose indiquée. Le sérum et
la matière caséeuse ont alors une saveur
aigrelette.
Porte - 1 - on encore plus loin la proportion
d’acide sulphurique , la coagulation s’opère
presque sur-le-champ; mais le caillé, au
lieu d’ëtre mou et tremblant , a plus de den-
sité, et la séparation du sérum se fait aussi
avec promptitude. L’acidité alors devient très-
sensible dans le sérum et dans la matière
caséeuse.
Tout ce qui vient d’être dit pour l’acide
sulphurique , peut être répété pour l’acide
muriatique ; on obtient , en suivant la même
marche, des résultats à peu près semblables;
8i
H
RELATIVEMENT A LA CHIMIE,
nous navons pas observé, du moins, de dif-
férence bien notable. .
L’acide nitrique affaibli agit de la même
manière; mais, lorsqu il est très- concentré ,
son action s’exerce sur la portion de lait qu il
touche d’abord, avec une telle violence quilen
sépare la matière caséeuse , la racornit et la
jaunit.
L’acide phosphorique se comporte de meme
que l’acide sulphurique , lorsqu on 1 emploie
dans des proportions semblables.
Le vinaigre , ainsi que plusieurs autres acides
végétaux , coagule le lait comme le font les
acides minéraux affaiblis; mais nous avons
observé qu’il fallait employer des proportions
plus fortes pour réussir dans le même espace
de temps. La matière caséeuse et le sérum
n’avaient de saveur aigrelette que lorsqu’on met-
tait plus de vinaigre qu’il n’en était essentiel-
lement besoin pour déterminer la coagulation.
L’action de l’acide carbonique sur le lait est
plus lente que celle des autres acides. Pour
séparer la matière caséeuse , il a fallu faire
passer une très -grande quantité de cet acide
à travers une livre de lait. Le caillé s’est pré-
senté sous la forme de molécules très - divisées ,
et non pas en masse, comme avec les autres
acides ; effet qu’il faut attribuer , sans doute ,
au mouvement continuel qu’occasionaient dans
le liquide les bulles de gaz acide carbonique
qui partaient du fond , pour venir crever à la
F
82 DULAIT
surface. Le sérum , après la coagulation , n’avait
pas de saveur acide , mais il était plus blanc
que dans les expériences précédentes.
Coagulation par les sels à excès d’acide.
Assurés que les acides minéraux et végétaux
avaient la propriété de coaguler le lait, nous
avons employé les sels appelés sels avec excès
d’acide : Je tartrite acidulé de potasse , ou
crème de tartre; l’oxalate acidulé de potasse,
ou sel d’oseille ; le sulphate de potasse avec
excès d’acide. Tous ces sels ont agi d’une
manière plus ou moins marquée sur le lait :
tous l’ont coagulé; mais nous avons observé
que, pour que cette coagulation se fit com-
plètement, il fallait que le lait fût presque
dans létat bouillant. Nous avons remarqué
aussi que la plupart se décomposaient en se
séparant de la matière caséeuse. Cette décom-
position n’a rien de surprenant lorsqu’on sait
que le sérum contient différens sels neutres.
La matière caséeuse obtenue par ces procé-
dés, ainsi que le sérum, avait peu ou point
de saveur, dès qu'on n’employait que la quan-
tité de sels indispensable pour opérer la coa-
gulation; mais elle devenait plus sensible en
augmentant la proportion.
En général, cet effet était très- frappant,
lorsqu'au lieu des sels dont on vient de parler
X
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 83
on se servait des fleurs de benjoin et du sel
volatil de succin. L’odeur et la saveur parti-
culières à ces deux derniers acides, se mani-
festaient bien sensiblement, même lorsqu’on
n en mettait que de petites quantités.
Coagulation par les sels neutres.
Dans le nombre des sels neutres qui ont agi
d’une manière très -marquée sur le lait, nous
citerons là plupart des sulphates. Iis coagulent
ce fluide avec une promptitude singulière;
mais , pour que l’opération réussisse , il con-
vient d’attendre que le lait bouille avant que
d’y jeter les sulphates. Il y en a qui deman-
dent à être employés à plus forte dose que
les autres, et pour lesquels il faut moins de
chaleur.
Les différens muriates n’agissent pas comme
les sulphates. Le lait les dissout sans former
de coagulum, excepté le muriate ammoniacal,
qui cependant n’agit jamais d’une manière
aussi complète c[ue les sulphates. Un phéno-
mène singulier, c’est qu’au moment de la coa-
gulation opérée par ce muriate il se dégage
une vapeur d’ammoniaque très -sensible.
On a aussi essayé , mais sans succès , les
phosphates de potasse, de soude et de chaux.
Il en a été de même des nitrates de chaux,
de magnésie , de potasse et de soude , ainsi
que des acétates de potasse et de soude , en
F 2
DU LAIT
84
observant de n’employer tous ces sels qu’après
la certitude acquise de leur parfaite saturation.
Coagulation par le corps muqueux.
Le corps muqueux insipide et le corps
muqueux sucré , coagulent constamment le
lait. Pour en avoir la preuve , il suffit de faire
bouillir du lait , soit avec de la gomme ara-
bique en poudre , soit avec de l’amidon bien
lavé, soit, enfin, avec du sucre. Après quel-
ques minutes d’ébullition on voit le caillé
se former et prendre une consistance assez
serrée , sur tout si on a soin de forcer la dose
de sucre , d’amidon et de gomme. Il nous est
arrivé souvent de réussir dans cette expé-
rience , en employant quatre gros de gomme
arabique sur huit onces de lait, tandis que
d’autres fois il a été nécessaire d’en mettre
depuis quatre gros jusqu’à huit, sur la même
quantité. Pareille chose est arrivée avec le
sucre. En général , nous avons remarqué qu’il
fallait une plus grande quantité de sucre et
d’amidon que de gomme.
Le caillé produit par le sucre se présente
quelquefois sous la forme d’une écume qui nage
à la surface du sérum : celui-ci, dans ce cas,
est très -clair; sa saveur et sa consistance res-
semblent à un sirop ordinaire.
Quant à la matière écumeuse dont on vient
de parler , elle se délaye très -bien dans l’eau,
et lui communique une couleur blanche; cette
RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
85
x
espèce d’émulsion se décompose aisément par
le repos , et la matière caséeuse se sépare sous
* la forme d’un sédiment assez divisé.
S
Coagulation par Valcohol.
C’est un des meilleurs moyens auxquels on
puisse avoir recours pour se procurer de la
matière caséeuse très - promptement et en
grande abondance : le sérum que l’on obtient
dans ce cas est tout- à -fait incolore ; il a la
saveur de l’eau-de-vie.
Quant à la matière caséeuse, elle est tou-
jours sous la forme de molécules assez divi-
sées, qui gagnent ordinairement la partie infé-
rieure du vaisseau. Sa saveur participe un peu
de celle du fluide dans lequel elle nage : mais
il est facile de l’en dépouiller, en la lavant
à plusieurs reprises dans l’eau distillée ; alors
elle ressemble assez bien à celle qu’on sépare
au moyen des acides.
Coagulation par les 'végétaux.
Les plantes évidemment acides coagulent
fort bien le lait ; mais il faut en ajouter une
certaine quantité, sans quoi le coagulum n’a
jamais une forte consistance. Le sérum et le
caillé ne sont point acides ; on distingue seu-
lement la saveur de la partie extractive des
végétaux employés. La grande oseille et l’allé-
F 3
86
DU LAIT
iuia nous ont paru produire l’effet le plus
marqué.
Parmi les plantes non acides que nous avons
cru devoir soumettre à l’expérience, plusieurs
de la famille des rubiacées ont été mises à
infuser et à bouillir dans le lait : mais nous
avouerons qu’à notre grand étonnement , il
n’a jamais été possible d’en trouver une qui
opérât la coagulation ; nous n’en exceptons
pas même le caille-lait, auquel tous les auteurs
ont attribué la propriété qui lui a donné son
nom. Elle a été essayée , comme ils le recom-
mandent , sans avoir pu obtenir un effet seu-
lement perceptible, quoique nous ayonsapporté
dans cette expérience toute l’attention dont
nous sommes capables; il est essentiel de pré-
venir que nous avons opéré d’abord avec du
caille-lait séché, ayant cette odeur de miel
qui annonce sa bonne qualité.
Au retour du printemps, nous avons répété
sur le caille-lait nouveau les expériences que
nous avions faites, en automne, avec le caille-
lait desséché ; et , comme les principes des
plantes, en général , varient à raison de l’âge ,
du sol et des expositions, nous avons eu l’at-
tention de recueillir, sur des terrains et à des
aspects différens , le caille-lait dans son pre-
mier début de végétation, à l’époque de la
floraison , et quand il est prêt de grainer : 1 in-
fusion , la décoction , l’eau distillée , le végétal
lui même en substance , appliqué , dans ces di-
vers états , au lait froid ou en ébullition , n’ont
opéré aucune coagulation ; ce qui nous autorise
à prononcer affirmativement, que la faculté de
pareillement essayé.
On sait que le lait qui commence à devenir
souvent la propriété de se cailler seul , en moins
de six heures, lorsqu’on le met sur le feu. On
conçoit d’après cela que, si on opérait sur du
lait de cette espèce , il ne faudrait plus attri-
buer sa coagulation à l’iniluence du caille-lait
qu’on y aurait mêlé.
Une chose bien étonnante, c’est que, depuis
Dioscaride jusqu’à nous , il ne se soir pas trouvé
un seul auteur qui ait même osé élever quel-
ques doutes sur la propriété du caille-lait:
aussi est -on en droit d’en conclure que tous
les auteurs se sont copiés servilement , et que
c’est ainsi qu’ils ont transmis une erreur
qu’une seule expérience aurait pr si facilement
détruire. Que d’exemples , en physique et en
chimie, ne pourroit-on pas citer de pareilles
fautes, qui tiennent à la même cause !
Ce que ne produit pas le caille-lait, les fleurs
d’artichaux et de chardon le font d’une ma-
nière très-marquée. Il suffit de mêler une in-
fusion assez forte de ces fleurs, ou même de
lait jaune qu’au caille-lait blanc, qui a été
ancien, a une grande disposition à se cailler;
il suffit pour cela! de lui faire éprouver un
petit degré de chaleur. Dans l’été il acquiert
f 4
les mettre en substance avec du lait, pour dé-
terminer la coagulation. Le caillé qu’on obtient
est tremblant , peu serré , et par conséquent
d’une consistance molle; le sérum s’en sépare
assez difficilement ; il faut beaucoup de temps
pour le faire égoutter complètement; ni l’un
ni l’autre n’ont de saveur sensible , lorsqu’on
a été économe de ces fleurs.
Il n’est pas inutile d’observer que, plusieurs
chimistes ayant assuré que la propriété recon-
nue à ces fleurs, de coaguler le lait, était due
à un acide masqué , nous avons fait , pour le
découvrir, plusieurs expériences , qui toutes
ont été sans succès. On peut présumer qu’il
y a d’autres fleurs qui jouissent de la propriété
de cailler le lait; cependant nous osons avan-
cer que , parmi celles que nous avons essayées,
les fleurs de chardon seules ont produit l’effet
que nous cherchions. Mais une circonstance
singulière, observée par Young , et que nos ex-
périences ont confirmée, c’est que, si on fait
infuser ces fleurs à l’eau bouillante au lieu
d’eau froide , elles perdent entièrement la pro-
priété coagulante, et la possèdent au plus grand
degré, si le lait employé est très-chaud. Cette
observation suffit pour faire voir combien la
simple infusion à chaud peut changer la vertu
d’une plante quelconque.
Entre les autres parties végétales, soumises
à l’expérience , la noix de galle nous a paru
jouir de la propriété de séparer la matière
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. °9
caséeuse. Son infusion n’a pas produit d'effet
sensible. Mais , lorsque nous avons fait bouillir
deux gros de cette matière concassée avec huit
onces de lait, nous avons aperçu, après quel-
ques minutes d’ébullition , les morceaux e
noix de galle se ramollir comme de la résine , la
matière caséeuse se séparer du sérum, et venir
contracter avec la noix de galle une sorte de
combinaison , qui formait un corps adhérent
à la spatule et filant à peu près comme de la
térébenthine. Le sérum obtenu par ce moyen
était coloré en jaune, et, quoiqu il contint en-
core de la matière caséeuse , il était très- fluide ;
dans cet état sa saveur participait beaucoup de
celle de la noix de galle.
L’extrait résineux de noix de galle, employé
de la meme manière , a donné précisément
des résultats semblables.
Beaucoup de substances végétales, astringen-
tes et acerbes , ont été essayées , telles que le
sumac, l’écorce du maronier d’Inde, le quin-
quina , sans produire l’effet coagulant.
Ce que fait le corps muqueux ou mucilagi-
neux, lorsqu’il est pur et tel qu’il existe dans
les gommes et l’amidon , il ne le fait pas étant
combiné avec d’autres principes : aussi est -ce
envain que nous avons fait bouillir dans du
lait la semence de psyllium , celle de lin , la
racine de guimauve; ces substances ne produi-
sent pas de coagulation.
9° DULAIT
Coagulation pat' les matières animales.
Les veaux, les agneaux, les chevreaux etc. ,
qu’on tue avant qu’ils aient pris d’autre nour-
riture que le lait deletirmère, fournissent une
substance qui a pour base le lait caillé , avec
laquelle on fait ce qu’on connaît vulgairement
sous le nom de présure. Ce mot parait même
générique pour exprimer tout ferment dans la
composition duquel entre une substance ani-
male, et dont l’usage est particulièrement des-
tiné à coaguler le lait dans les fromageries.
[Nous en indiquerons la préparation dans la
troisième partie de cet ouvrage.
Les jeunes animaux de la classe des rumi-
nans, ne sont pas les seuls qui puissent fournir
une substance douée de la vertu coagulante ;
la liqueur contenue dans l’estomac , l’estomac
lui-méme, d’une foule d’étres qui vivent de
chair, de poissons, d’insectes, de grains et
d’herbes , possèdent également cette vertu à
un degré assez intense pour qu’on puisse quel-
quefois en tirer parti.
On a prétendu que la propriété coagulante
de la présure dépendait d’un acide à nu que
cette substance contient ; mais il est facile de
prouver la fausseté de celte assertion , car un
mélange de présure et de potasse , dans lequel
cette dernière est en excès, ajouté à du lait,
a produit un coagulum absolument semblable
à celui résultant des mêmes quantité et espèce
;
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 91
de lait auquel on avait ajoute une proportion
égale de présure pure.
Il existe donc une multitude de substances
propres à opérer la coagulation du lait. Mais
ce phénomène , pour l’explication duquel on
a tant hasardé de conjectures , mérite bien de
nous occuper aussi un instant.
Du phénomène de la coagulation.
Ce ne serait pas prononcer d’après l’expé-
rience que de vouloir établir , comme quelques
chimistes l’ont fait, que le principe coagulant
est identique dans tous les corps qui jouissent
de celte propriété.
Nous avons vu les acides des trois règnes ,
soit à nu, soit dans l’état de sels neutres ou
avec excès d’acide, agir assez puissamment sur
le lait et en séparer la matière caséeuse : nous
avons vu les alkalis , employés à petite dose , ne
pouvoir détruire la propriété coagulante de la
présure : enfin , nous avons cité plusieurs autres
substances, également éloignées de l’état acide,
opérant les mêmes effets. Le sucre, l’amidon et
la gomme ne font certainement pas ici les fonc-
tions d’acide , puisqu’il est démontré qu’ils n’en
contiennent pas de développé , et que celui
qu’on parvient à obtenir avec eux est toujours le
produit d’une nouvelle combinaison qu’on leur
a fait éprouver : or , assurément , si les gommes et
le sucre ne contiennent pas d’acide à nu , on est
«<( 'Vf»
9^ DULAIT
donc forcé de convenir que le principe coagu-
lant n’appartient pas exclusivement aux acides.
Quand on réfléchit ensuite à la manière , plus
ou moins prompte , avec laquelle la matière
caséeuse se sépare de la sérosité par l’action de
différens corps qui n’ont entre eux aucune
analogie, on aperçoit bientôt la difficulté d’éta-
blir une théorie satisfaisante du phénomène
de la coagulation ; car, enfin , si le caillé n’est
formé que par la réunion de ces mêmes mem-
branes que nous avons vues se séparer et se
condenser à la surface du lait qu’on fait chauf-
fer , sans doute il ne doit pas être aisé d’ex-
pliquer comment l’effet que produit un acide
est aussi produit par d’autres substances dont
les propriétés chimiques semblent être diamé-
tralement opposées.
Cependant Sc/ieele a essayé de rendre raison
de la coagulation par le moyen des acides , en
disant « que la matière caséeuse attirait une
cc certaine quantité d’acide, et que, la combi-
cc liaison qui en résultait exigeant une beau-
« coup plus grande quantité d’eau que le lait
cc n’en porte avec lui, cette combinaison devait
cc dès -lors former un magma, qui ne pouvait
cc plus rester en dissolution. »
Une expérience que nous avons répétée plu-
sieurs fois avec succès , et d’après laquelle on
peut prouver que du lait étendu dans dix par-
ties d’eau n’est presque plus susceptible d 'être
coagulé par les acides , semble venir à l’appui
1
!
t
ndre raison \
acides, en
:ttirait une
, la corabi- j
une beau-
i que le lait j
aison devait
ne jurait 1
épétée plu-
aquelie on
flsdur
tible^tre
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. g3
de l’explication de Scheele , et il faut avouer
qu’il serait difficile d’en donner une plus vrai-
semblable si les acides étaient les seuls inter-
mèdes propres à séparer la matière caséeuse :
mais, quand on voit des sels neutres , la gomme
et le sucre, opérer le même effet, il est impos-
sible de se contenter de la théorie de ce savant,
car ce serait envain qu’on dirait que ces subs-
tances, lorsqu’on les mêle avec du lait, s’em-
parent du principe aqueux qui constitue le
sérum, et que la matière caséeuse, n’en trou-
vant plus suffisamment pour être tenue en dis-
solution , est obligée de se séparer. Si les
choses se passaient ainsi , il n’y aurait pas de
raison pour que tout sel soluble dans le lait
ne dût produire le même effet que la gomme,
le sucre, le sulphate d’alumine, etc. : or, assu-
rément le nitre, le muriate de soude, que le
lait dissout très -bien et en assez grande quan-
tité, ne déterminent pas la coagulation de ce
fluide. On peut donc conclure que l’explica-
tion donnée à cet égard ne saurait être admise,
et que la vraie cause de la coagulation du lait,
soit par les acides , soit par les autres subs-
tances, est encore à découvrir. Nous ne dou-
tons pas que, si une mort prématurée n’avait
enlevé Scheele, au grand regret des savans et
de sa patrie, qu’il honorait, ce chimiste n’eût
repris l’examen de cette matière vraiment sin-
gulière, et qu’il n’eût donné la solution du
problème qui nous occupe.
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DU LAIT
94
Une cîiose nous a paru fort extraordinaire;
c’est de voir la gomme arabique et l’amidon
coaguler le lait, tandis que le mucilage de
racine de guimauve, ainsi que celui de graines
de lin , produisait un effet contraire. Celte
différence ne dépendrait -elle pas de la matière
extractive combinée avec le mucilage?
Quels que soient, au reste , les intermèdes
employés à la coagulation du lait, on voit que
leur action s’exerce d’une manière plus ou
moins marquée sur la substance caséeuse. Les
uns agissent fortement sur elle et l’expriment,
pour ainsi dire, en un instant; d’autres, au
contraire , lui conservent une sorte de mol-
lesse, qu’elle ne perd qu’après beaucoup de
temps : dans l’un et l’autre cas, la saveur du
sérum, ainsi que celle de la matière caséeuse,
présente des différences bien sensibles. Cette
observation sert à prouver qu’il ne faut pas
employer indifféremment tous les agens, lors-
qu’on veut coaguler du lait dont on a l'inten-
tion d’examiner les produits , car on ne pour-
rait acquérir les connaissances qu’on désire se
procurer.
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 9^
Article VII.
De la matière caséeuse.
Parmi les procédés employés à la coagu-
lation du lait, nous avons donné la préférence
à celui qu’il était facile d’exécuter sans intro-
duire aucun corps étranger dans ce fluide.
Nous avons donc exposé, à une température
de dix-huit degrés environ, une certaine
quantité de lait écrémé : deux fois vingt-
quatre heures après, nous nous aperçûmes
qu’il était parfaitement coagulé. Le coagu-
lum , qui avait une consistance molle et trem-
blante , fut d’abord mis à égoutter sur un tamis ,
et ensuite soumis à l’action d’une presse, afin
d’ôn séparer la totalité du sérum qu’il conte-
nait encore; il acquit par ce moyen de la soli-
dité. Les parties qui le composaient se lais-
sèrent diviser avec peine, et, en se séparant,
elles formaient des iilatnens assez longs et
demi - transparens.
Cette substance , ainsi préparée , est l’une des
parties constituantes du lait sur lesquelles les
chimistes se sont le plus exercés; mais, en réu-
nissant leurs expériences , on voit que les pro-
duits qu’ils ont obtenus leur ont donné de la
composition de la matière caséeuse des idées
bien différentes. Les uns l’ont comparée au coa-
gulum du sang , les autres à la gélatine: ceux-ci
ont assuré que c’était une matière parenchy-
f
96
DU L À I T
¥
mateuse, semblable à celle contenue dans les
plantes émollienies; ceux-là lui ont trouvé
beaucoup de rapport avec la substance gluti-
neuse : enfin il y a des auteurs qui croient
que c’est véritablement une substance lympha-
tique, analogue à celle du blanc d’œuf. ScheeJe ,
et principalement le C.en Fourcroy , ont adopté
cette opinion , à laquelle nous accordons d’au-
tant plus volontiers la préférence, qu’indépen-
damment du poids que lui donne l’autorité
de ces deux savans chimistes, elle se trouve
confirmée par des expériences dont nous allons
présenter les résultats.
Examen de la matière caséeuse.
Cette matière , obtenue avec les précautions
indiquées , étant mise dans une capsule de verre ,
placée au bain-marie, s’est ramollie, et peu-à-
peu s’est fondue assez complètement pour que
toutes les molécules, divisées, puis rapprochées
et réunies , ne formassent plus qu’un tout ho-
mogène. En continuant le même degré de cha-
leur , la matière a perdu de sa blancheur; elle
est devenue en même temps transparente
comme de la corne , et se laissait malaxer entre
les doigts. Cependant ce dernier effet n’avait
lieu qu’autant qu’elle était chaude, car, dès
quelle se refroidissait, elle prenait la séche-
resse de la térébenthine cuite.
La substance caséeuse, amenée à cet état,
peut se conserver très-long-temps sans s’altérer.
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 97
Mais lorsqu’elle a été simplement soumise à
l’action de la presse , sans en extraire toute
l’humidité, on voit, au bout de quelques jours,
sa surface se couvrir de petites taches livides,
qui exhalent une odeur désagréable ; bientôt
elle éprouve une sorte de décomposition ana-
logue à celle des substances animales ; enfin ,
par le progrès de la putréfaction , elle se rem-
plit de vers, qui finissent eux-mêmes par périr
et ne laissent dans la capsule que les débris de
leurs dépouilles. A la vérité, pour arriver à ce
dernier terme, il faut du temps, sur tout si le
vaisseau dans lequel l’opération se fait, est
exposé à une température moyenne.
Si , au lieu de se servir de la matière caséeuse
exprimée, on emploie celle qui a été simple-
ment égouttée sur un tamis , c’est-à-dire, qui
a perdu spontanément une grande partie de
sa sérosité, les phénomènes de la putréfaction
se manifestent plus tôt , et l’odeur qu’exhale
cette matière, lorsque la fermentation putride
touche à son dernier période, est tellement
fétide qu’on la supporte difficilement.
La potasse et l’ammoniaque, saturés de gaz
acide carbonique , traités avec la matière
caséeuse nouvelle et encore humide, l’atta-
quent et en dissolvent une partie, sur tout si
ces alkalis ne sont pas étendus dans une trop
grande quantité d’eau. La dissolution est
décomposable par les acides ; mais le préci-
pité qui se forme toujours en molécules très-
G
98 DU Ii A I T
déliées, peut être redissous par une nouvelle
quantité d’acide.
La portion de matière caséeuse qui n’a point
été attaquée par les alkalis , reste au fond du
vaisseau dans un état infiniment plus rappro-
ché qu’il n’était auparavant.
Le contraire arrive lorsqu’on opère sur de
la matière caséeuse desséchée , et dans l’état
où nous avons dit qu’elle était lorsque nous
lui avons fait éprouver, au bain-marie, assez
de chaleur pour la fondre : les alkalis alors la
ramollissent , mais n’en dissolvent qu’u'ne petite
quantité.
L’ammoniaque ou alkali volatil caustique et
l’eau de chaux ont aussi de l’action sur la ma-
tière caséeuse nouvelle , et encore humide ;
mais aucun agent ne parait l’attaquer plus puis-
samment que l’alkali fixe caustique , étendu
dans suffisante quantité d’eau. 11 faut pour cela
employer assez de chaleur pour faire bouillir
la liqueur. On voit insensiblement la matière
caséeuse disparaître , et le fluide prendre une
couleur d'un rouge très-foncé. 11 semble même
que pendant la dissolution il y a une sorte d’ef-
fervescence, puisqu’on aperçoit des bulles qui
viennent crever à la surface avec assez de
promptitude. Dans cette opération toute la
matière caséeuse est encore dissoute , et peut
être séparée de son dissolvant par le moyeïi
d’un acide. Le précipité qu’on obtient dans ce
cas est d’une couleur rouge-noire; desséché
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 99
et mis sur les charbons ardens, il se décompose
en répandant une vapeur analogue a celle des
matières animales qui brûlent.
Il n’est pas inutile d’observer qu’en faisant
bouillir la matière caséeuse avec de la soude
caustique, il se dégage de l’alkali volatil; on
en est averti par l’odeur forte et pénétrante
qui fiappe vivement l’organe de l’odorat lors-
qu’on s’approche de l’orifice de la bouteille où
se fait l’expérience.
Il s’exhale aussi une odeur de gaz hydrogène
fulfuré , lorsqu’on décompose avec un acide
la dissolution de la matière caséeuse , opérée
par la soude caustique. L’acide le plus faible
suffit pour produire cet effet ; une lame d’ar-
gent, plongée alors dans la liqueur, s’y noircit
en très-peu de temps.
Tous les acides minéraux attaquent la ma-
tière caséeuse , principalement lorsqu’elle est
encore humide ; mais ils en laissent toujours
une portion qui se refuse à leur action.
Nous avons fait bouillir, pendant une demi-
heure , de l’acide sulphurique, très - étendu
d’eau , avec de la matière caséeuse humide ,
dans la vue d’obtenir une dissolution bien
saturée : mais nos efforts ont été infructueux;
la liqueur est restée constamment acide. Comme
elle était laiteuse , nous l’avons filtrée toute
bouillante. D’abord elle paraissait claire et
transparente; mais, en se refroidissant, elle se
troublait et laissait déposer dans la capsule un
g 2
D U
magma blanc , que nous avons reconnu pour
être de la matière caséeuse ; cette liqueur,
filtrée de nouveau et évaporée à une douce
chaleur , s’est encore troublée. En répétant
ainsi les filtrations et les évaporations, elle a
perdu toute la matière caséeuse qu’elle tenait
en dissolution : il n’est plus resté dans la cap-
sule que de l’acide.
L’acide nitreux, concentré et rutilant, agit
singulièrement sur la matière caséeuse sèche
ou humide : il la racornit, la jaunit, et la
réduit insensiblement à l’état de pellicules assez
minces , qui disparaissent lorsqu’on met le
vaisseau où se fait l’expérience sur un bain de
sable , suffisamment chaud pour faire bouillir
l’acide.
Le vinaigre distillé est , de tous les acides que
nous avons employés , celui qui parait avoir
le plus d’action sur la matière caséeuse; il la
dissout en entier , sur tout lorsqu’on la lui
présente dans l'état sec et réduite en poudre
fine. Nous avons répété souvent cette expé-
rience , avec d’autant plus de précautions
qu’elle contredit ce que Scheele a annoncé au
sujet de cet acide. Ce chimiste assure que le
vinaigre n’attaque qu’imparfaitement la matière
caséeuse, tandis que les acides minéraux la
dissolvent toujours.
Enfin nous avons soumis à la distillation
à feu nu une certaine quantité de matière
caséeuse , séparée spontanément d’un lait par-
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. ÎOI
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opérant comme il convient, du phlegme, de
l’huile légère , de l’ammoniaque , de l’huile
épaisse et une espèce de gaz inflammable.
On a trouvé dans le fond de la cornue un char-
bon très -léger, qui a été incinéré avec la plus
grande peine, et a donné une très-petite quan-
tité d’alkali fixe.
Nous n’insistons pas davantage sur les autres
expériences auxquelles nous avons cru devoir
soumettre la matière caséeuse , attendu qu’elles
n’ont rien présenté de bien intéressant dans
leurs résultats, qui, d’ailleurs, diffèrent peu
de ceux insérés dans le mémoire que Sclieele
a publié sur le lait : nous nous bornerons à
quelques observations sur sa nature.
Nature cle la matière caséeuse.
Lorsqu’il a été question des pellicules qui
se forment à la surface du lait chauffé , nous
avons dit que tout nous portait à croire que
ces pellicules constituaient la matière caséeuse,
puisque dès l’instant que le lait cessait d’en
fournir, il se trouvait réduit à l’état de sérum.
En comparant maintenant les expériences
auxquelles nous venons de soumettre la matière
caséeuse , avec celles qui ont eu pour objet
l’examen des pellicules, on voit que les résul-
tats obtenus de deux corps très - différens en
apparence, sont si parfaitement semblables,
qu’il n’est plus permis de douter de leur iden-
rr
G O
*
tité. La seule difficulté qui nous arrête , c’est
de savoir pourquoi, au moment de la coagu-
lation du lait, toutes les pellicules qui doivent
former le caillé , viennent se coller les unes
aux autres , plutôt que de se séparer par lames ,
comme dans le lait qu’on fait chauffer.
La séparation très - facile de la matière
caséeuse, et la grande quantité qu’on peut s’en
procurer en peu de temps , nous ont mis à
portée de faire sur cette matière plus d'expé-
riences que sur les pellicules : il en est plu-
sieurs sur lesquelles il paraît nécessaire d’insis-
ter , parce quelles pourront servir à rendre
raison de quelques phénomènes que nous déve-
lopperons à l’article du sérum.
De ce nombre est la dissolution incomplète
de la matière caséeuse dans les acides miné-
raux , quoique Scheele ait annoncé le contraire ,
et sa dissolution complète dans le vinaigre dis-
tillé. Mais il est bon de remarquer que cette
dissolution , soit dans les acides minéraux, soit
dans les acides végétaux, s’exécute d’autant
plus aisément, qu’on présente à ces acides la
substance caséeuse dans l’état sec , ou telle
qu’elle se trouve dans le lait qui n’a pas encore
été coagulé, ou bien, enfin, sous la lorme
de pellicules.
Une autre observation, c’est que la disso-
lution de la matière caséeuse dans les acides
minéraux, toute incomplète qu’elle soit, na
cependant lieu qu’autant qu’on emploie des
io5
__
K".
REC ATIVEMENT A LA CHIMIE.
acides affaiblis : ce qui échappe à la dissolu-
tion se racornit, et acquiert quelquefois de la
transparence. Cet effet n’arrive point avec le
vinaigre distillé, qui, ainsi que nous l’avons
dit, dissout en totalité la matière caséeuse
sèche.
Il convient de ne pas confondre l’état de la
matière caséeuse séchée au bain-marie, avec
celui de cette même substance racornie par
l’action des acides minéraux , car il y a une
très- grande différence. La facilité avec laquelle
celle qui n’a été que desséchée se laisse dis-
, soudre dans le vinaigre , en est une des preuves
bien marquées.
Les alkalis fixes et volatils agissent sur la
matière caséeuse , mais c’est la soude caus-
tique dont l’action est plus sensible : elle se
manifeste par le changement de couleur qui
s’opère dans la dissolution. Au reste, ce chan-
gement de couleur est semblable à celui dont
il a été question à l’article des pellicules, et
dépend absolument de la même cause.
Mais ce que nous ne devons point passer sous
silence, c’est l’ammoniaque ou alkali volatil,
qui se développe lorsqu’on fait bouillir de la
soude caustique avec de la matière caséeuse :
ce produit qui , à ce que nous croyons , n’a
encore été entrevu par personne, nous parait
avoir été formé pendant la dissolution; et,
pour concevoir sa formation, il suffit de savoir
que, l’azote et le gaz hydrogène, qui sont les
g 4
3 0-4 DULAIT
principes constituans de l’ammoniaque ou
alkali volatil, ainsi que l’a démontré le C.'n
Berlholet , se trouvant précisément dans la
matière caséeuse, il ne s’agit plus que de les
mettre en contact pour quils donnent nais-
sance à l’ammoniaque. Or, c’est précisément
ce qui arrive toutes les fois qu’on fait chauffer
de la matière caséeuse avec de la soude caus-
tique. Celle - ci agit si puissamment sur la
matière caséeuse , qu’elle en opère sur-le-
champ la décomposition, et met en évidence
le carbone. Mais, comme cette décomposition
ne peut pas avoir lieu sans qu’en même temps
l’azote et 1 hydrogène qui étaient unis séparé-
ment au carbone soient forcés de l’abandon-
ner, aussitôt ils se dissipent, et, venant ensuite
à se rencontrer, se réunissent et finissent par
former un nouveau corps, qui, ppr sa volati-
lité et son odeur forte et pénétrante , annonce
être une véritable ammoniaque.
Il n’est pas , à beaucoup près , aussi facile
d’expliquer la formation du gaz hydrogène
sulfuré, qu’on aperçoit en décomposant, à la
faveur d’un acide , la dissolution de la matière
caséeuse dans la soude caustique.
Nous avions d’abord pensé, ainsi que l’avait
soupçonné Scheele , que cette matière pouvait,
comme le blanc d’œuf, contenir du souffre;
mais , les différentes expériences pour décou-
vrir ce corps ayant été infructueuses , nous
nous abstiendrons de prononcer sur la véri-
RELATIVEMENT a la chimie. io5
table origine du gaz hydrogène sulfuré , plutôt
que de hasarder une théorie qui n aurait pas
un certain nombre de faits pour base.
On a, sans doute, été étonné de voir qu'en
rendant compte des expériences auxquelles la
matière caséeuse a été soumise, il n’a point
été question de celles que nous avons dû faire
pour obtenir l'acide phosphorique , qui , selon
Schee/e, existe dans cette matière, combiné
avec une terre animale*
Pour nous justifier du reproche qu’on pour-
rait nous faire à cet égard , nous devons pré-
venir que, loin d’avoir négligé de recourir aux
moyens nécessaires pour obtenir cet acide , il
n’y a pas , au. contraire , de tentatives que nous
n’ayons faites pour constater son existence ;
nous ajouterons même que cette partie de
notre travail est celle qui nous a le plus coûté
de temps et de soins. On sera forcé d’en con-
venir lorsqu’on saura, qu’à différentes reprises,
et toujours sans succès, nous avons répété sur
la matière caséeuse les procédés indiqués par
les auteurs pour retirer l’acide phosphorique
des corps qui en contiennent.
Il aurait été à désirer sans doute , que Sclieele
eût fait connaître son procédé pour obtenir
l’acide dont il s’agit. Le silence qu’il a gardé
sur un objet aussi important, a tout lieu de
surprendre , et ferait presque soupçonner , si
d’ailleurs l’exactitude de ce savant n’était pas
généralement reconnue , qu’il a annoncé l’exis-
DU Ii A I T
tence de l’acide phosphorique dans la matière
caséeuse, non pas d’après des expériences qu’il
avait faites pour la constater, mais bien à cause
de son intime conviction qu’une matière, dont
l’analogie avec certaines substances animales
est incontestable, devait nécessairement conte-
nir un acide semblable à celui que celles-ci
fournissent dans leur analyse.
Après avoir traité de tout ce qui est relatif
à la matière caséeuse , il nous reste à examiner
la troisième et dernière partie constituante du
lait, c’est-à-dire le sérum.
R T I C L E
Y 1 I 1.
Des sels contenus dans le sérum.
Malgré les précautions employées pour
séparer la matière caséeuse du sérum , il en
reste toujours une certaine quantité en disso-
lution à la faveur des matières salines que ce
fluide contient : aussi , lorsqu’on l’évapore ,
quelque clarifié qu’on le suppose , au lieu d’ob-
tenir des sels, on n’a jamais qu’un résidu vis-
queux , tenace , qui refuse absolument de
cristalliser.
Convaincus que, si on parvenait à se débar-
rasser entièrement de la matière caséeuse, on
n’éprouverait pas l’inconvénient dont on vient
de parler , nous avons mis en usage plusieurs
procédés. Celui qui nous a le mieux réussi
consiste à faire aigrir le sérum.
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KELATIVEMENT A LA CHIMIE. 1 °7
En effet, si on expose dans un endroit où il
règne une température de 12 à i5 degrés une
certaine quantité de sérum bien clarifié , on
apercevra qu’au bout de vingt -quatre heures
il commencera par perdre de sa transparence
et finira par se troubler entièrement. On peut
alors, en le filtrant, l’obtenir clair; mais bien-
tôt il se troublera de nouveau. En continuant
ainsi à le filtrer à mesure qu’il se trouble , on
parviendra à l’avoir parfaitement clair et à le
conserver dans cet état pendant plusieurs jours.
Alors il a une odeur et une saveur qui annon-
cent sa conversion en acide.
Nous aurons occasion de l’examiner dans cet
état lorsque nous traiterons de la fermentation
acide du lait.
A chaque filtration du sérum, il reste sur le
papier une matière blanchâtre un peu vis-
queuse, qui n’est autre chose que de la matière
caséeuse déjà un peu altérée.
Plus le sérum devient aigre, plus la viscosité
de cette matière augmente; c’est ce dont nous
avons eu la preuve en comparant le produit de
la dernière filtration avec celui de la première.
Si on saisit l’instant où le sérum peut rester
pendant quelque temps sans se troubler , et qu’on
l’évapore au bain-marie jusqu’à consistance d’un
syrop clair, on obtiendra par le refroidissement
et le repos une matière saline blanchâtre , d’une
saveur sucrée.
Lorsque la liqueur ne cristallise plus, on peut
c
10^ DULAIT
1 évaporer cîe nouveau. Elle donne alors des
cristaux moins blancs que les précédens et dont
la saveur n’est pas non plus aussi sucrée.
Une troisième évaporation produit quelques
cristaux confus , absolument différens des pre-
miers.
Enfin , il reste une petite quantité de liqueur
tenace et épaisse comme du miel, qui refuse
obstinément de cristalliser. C’est une véritable
eau mère.
Le sel obtenu des deux premières cristallisa-
tions porte le nom de sel ou sucre de lait ;
comme il diffère des autres sels fournis par les
dernières cristallisations , nous allons l’examiner
séparément.
Du sel ou sucre de lait.
Pour bien juger des propriétés du sel de lait,
il est nécessaire d’opérer de préférence sur celui
qui est purifié.
Après avoir rassemblé le sel provenant des
deux premières cristallisations d’une assez
grande partie de sérum passé à l’aigre , comme
on l’a dit précédemment, il a été dissous dans
une suffisante quantité d’eau bouillante. La
dissolution filtrée, évaporée à une douce cha-
leur et mise à cristalliser, à la faveur du refroi-
dissement , a donné des cristaux en paralléli-
pèdes rhomboïdaux.
Une seconde cristallisation a produit de nou-
veaux cristaux un peu moins blancs.
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 10g
Ceux obtenus par les cristallisations suivan-
tes étaient en petite quantité, mal configurés
et colorés en jaune. La liqueur qui les a pro-
duits était fort épaisse.
On a abandonné ces derniers cristaux pour
ne se servir que des premiers. Ils avaient une
saveur douce et légèrement sucrée. Leur so-
lubilité dans l’eau était peu considérable , puis-
qu’il a fallu près de cinq parties de ce fluide
pour en dissoudre une de ces mêmes cristaux.
Rouelle et Mcu/uer assurent qu’à force de les
purifier ils perdent leur saveur sucrée et de-
viennent presque insipides, ce qui semblerait
annoncer que le muqueux sucré qu’ils con-
tiennent leur est en quelque sorte étranger.
Cependant nous avons vu que du sel de lait
qui avait été purifié quatre fois , était encore
aussi sucré que celui de la première cristal-
lisation.
Exposé à un degré supérieur à celui de l’eau
bouillante , le sel de lait brunit , se tuméfie ,
et finit par brûler en répandant une vapeur
qui a une odeur analogue à celle que donne
le corps muqueux sucré , traité de la même
manière.
Si on le distille à feu nu dans une cornue,
il donne aussi les mêmes produits que le sucre .
et laisse, après la distillation, un charbon très-
volumineux qui s’incinère avec la plus grande
difficulté.
Traité avec l’acide nitrique, le sucre de lait
m,
1 10
DU LAIT
se comporte encore comme le sucre ordinaire ,
c’est-à-dire qu’il se sépare du gaz nitreux et
de l’azote ; mais pour cela il faut recourir à
la chaleur et faire l’opération dans un appareil
disposé de manière à pouvoir recueillir les pro-
duits.
A mesure que l’acide nitrique agit, la disso-
lution prend une couleur jaune plus ou moins
foncée. En continuant le feu et ajoutant de
l’acide sur la liqueur, si elle est trop épaisse,
on la voit perdre de sa consistance et se déco-
lorer. Par l’évaporation elle se trouble et laisse
déposer un sédiment blanc en assez grande
quantité.
Le fluide surnageant, séparé et évaporé , puis
mis à cristalliser , donne des cristaux d’acide
oxalique.
Quant au sédiment séparé pendant l’opéra-
ration, il paroit, d’après Schee/e , que c’est un
acide concret essentiellement différent de l’a-
cide oxalique, puisque, combiné avec les mê-
mes bases que ce dernier acide , il donne des
sels dont les propriétés ne ressemblent pas à
celles des oxalates. Scheele , qui a donné à cet
acide le nom de sachlactu/ue , a remarqué
qu’il se comportait au feu connue certains aci-
des végétaux. En effet, si on le lait chauiier
fortement dans une cornue , il commence par
se liquéfier , se tuméfie ensuite , prend une
couleur jaune et se décompose complètement.
Les produits de sa décomposition sont du
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Il
*1
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 1 IV
phlegme , quelques gouttes d’huile , de l’hydro-
gène, enfin une matière concrète et acide, qui
se sublime et forme une légère incrustation
dans le col de la cornue.
On voit , d’après ce qui précède, que l’acide
sachlactique est un acide tout-à-fait particulier;
mais il reste à savoir si ce sel appartient essen-
tiellement au sucre de lait , ou bien si l’acide
nitrique, qu’on prétend employer seulement
pour l’extraire , ne le fabrique pas pendant
l’opération : en effet, par la même raison que
l’acide oxalique, qu’on retire en même temps
que l’acide sachlactique, est produit pendant
l’opération , pourquoi n’en serait- il pas de même
de l’acide sachlactique ?
Car, enfin, si, pour produire un acide quel-
conque , il ne faut que de l'oxigène combiné
en quantité suffisante avec une base ; si encore
le sucre de lait contient la base de l’acide
oxalique, pourquoi n’admettrait- on pas qu’il
contint aussi celle de l’acide sachlactique ? Si
cela était, il n’y aurait rien d’étonnant que
l’oxigène de l’acide nitrique, en se séparant de
l’azote , et trouvant deux bases avec lesquelles
il a de l’affinité, ne s’unît à elles pour créer
deux acides tout-à-fait différens , c’est-à-dire ,
de l’acide oxalique et de l’acide sachlactique.
Nous devôns en convenir , cette supposition
était celle que nous avions adoptée lors de
notre premier travail sur le lait : mais, en étu-
diant avec plus de soin la manière dont l’acide
.w kU
nitrique se comportait avec le sucre de lait ,
nous ne tardâmes pas à reconnaître notre erreur.
En effet , si on examine ce qui se passe lors-
qu’on présente de l’acide nitrique â du sucre
de lait , et qu’on aide son action par la chaleur,
on remarque qu’il n’y a qu’une très- petite quan-
tité de cet acide qui soit décomposée; ce dont
il est facile de s’assurer, en recueillant avec soin
les gaz nitreux et azote qui se séparent pendant
l’opération.
Si ensuite on répète la même expérience sur
du sucre ordinaire , on parvient à reconnaître,
avec assez de précision , combien il faut de
sucre pour opérer la décomposition d’une quan-
tité donnée d’acide nitrique, égale à celle qui
est décomposée, lorsqu’on opère sur du sucre
de lait. En comparant , après cela , le produit
en acide oxalique obtenu dans les deux opéra-
tions, et ajoutant celui de l’acide sachlactique
qui se sépare lorsqu’on n’opère que sur le sucre
de lait, on arrive facilement à former un calcul
dont le résultat porte à conclure que l’acide
sachlactique forme à peu près les deux tiers
du sucre de lait, et que /l’autre tiers est du
sucre ordinaire.
Ce qui semble confirmer l’exactitude de ce
calcul , c’est que, si on fait bouillir dans suffi-
sante quantité d’eau deux parties d’acide sach-
lactique avec une partie de sucre, on parvient
à reformer du sucre de lait, ou au moins une
matière qui lui ressemble beaucoup , puisque >
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RELATIVEMENT A LA CHIMIE. ll->
traitée comme le sel de lait , elle se comporte
de même.
Il résulterait donc de ces expériences :
i.° Que le sucre de lait n’est autre chose
qu’une combinaison d acide sachlactique avec
la matière sucrée ;
2.0 Que c’est à la présence de cet acide sach-
lactique que le sucre de lait doit , et son peu
de saveur sucrée , et son peu de solubilité dans
les fluides aqueux ;
5.° Que, toutes les fois qu’on traite le sucre
de lait avec l’acide nitrique , cet acide n’agit
que sur la matière sucrée, qu’il convertit bientôt
en acide oxalique, tandis que l’acide sachlacti-
que, abandonné, se sépare et vient, à raison
de son peu de solubilité , se rassembler sous
la forme d’un précipité.
Les acides sulpburique et muriatique, affai-
blis, ne paraissent pas altérer le sel de lait, lors-
qu’ils sont délayés avec une certaine quantité
d’eau : mais, concentrés , ils agissent sur lui
d’une manière très-marquée.
L’acide sulpburique, entr’autres , le dissout
avec facilité, sur - tout si on place le vase où se
fait l’expérience sur un bain de sable chaud :
à mesure que la dissolution s’opère , la liqueur
se colore, d’abord en rouge, et ensuite en noir
très- foncé; en poursuivant la chaleur il s’exhale
du mélange une odeur vive d’acide sulphureux
volatil, qui ne cesse que lorsque la matière se
trouve réduite à l’état de charbon.
ii
Le vinaigre distillé dissout le sucre de lait:
mais la quantité dissoute est toujours en raison
de l'état phlegmatique de cet acide.
Par l’évaporation insensible, cette dissolution
donne de petits cristaux , qui participent de la
saveur acide du fluide dans lequel ils ont été
formés. En les lavant à plusieurs reprises avec
de l’eau , ils perdent cette saveur et reprennent
celle qui appartient au sucre de lait le mieux
Le lait est le fluide qui dissout une plus
grande quantité de sel de lait : nous avons
souvent éprouvé qu’une livre de lait bouillant
pouvait en dissoudre jusqu’à cinq onces, sans
qu'il se formât le moindre dépôt, même après
le refroidissement de la liqueur. Ce n’était qu’en
l’évaporant, et en l’exposant ensuite dans un
lieu frais, que le sel se cristallisait.
Ce fait est d'autant plus important à remar-
quer qu’il sert à prouver que, pour qu’un fluide
ait de l'aptitude à dissoudre une substance sa-
line en grande quantité, il ne suffit pas toujours
qu’il soit simple , mais que la dissolution peut
avoir également lieu, et quelquefois même avec
plus d avantage , dans un fluide composé, sur
tout lorsque les corps qu’il contient ont une
certaine analogie avec ceux qui entrent dans
la composition du sel à dissoudre.
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Ire.
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. Il5
Des autres substances salines contenues dans
le sérum.
Si, après avoir séparé du sérum la matière
saline que fournissent les deux premières cris-
tallisations , on continue l’évaporation , les sels
qu’on obtient ne ressemblent point au pre-
mier, comme nous l’avons déjà dit; ce sont
de petits cristaux formés enparallélogrammes ,
ayant toutes les propriétés qui caractérisent le
muriate de potasse (sel fébrifuge de Sylvius).
Lorsque la liqueur exposée dans un endroit
frais n’a plus fourni de cristaux, nous l’avons
fait rapprocher au bain-marie jusqu’à moitié
environ : dans cet état elle a encore refusé de
cristalliser; sa couleur était jaune, sa saveur
un peu âcre et salée; elle verdissait légèrement
le syrop violât; l’acide sulphurique en déga-
geait des vapeurs d’acide muriatique. Enfin,
par l’alkali fixe il s’est fait un précipité blanc;
ce qui nous porte à conclure que cette der-
nière liqueur ne contenait plus que du muriate
calcaire.
Prévenus par la lecture des ouvrages des
chimistes qui ont écrit sur le lait , et plus encore
par l’odeur d’ammoniaque que laisse exhaler
ce fluide lorsqu’on le fait bouillir avec du
muriate d’ammoniaque , nous nous attendions
à rencontrer de la potasse dans l’eau - mère que
le sérum fournit ; cependant , quelles qu’aient
été nos recherches, nous n’avons pu acquérir
H 2
la preuve de l’existence de ce sel. A la vérité,
la couleur verte que prend le syrop violât par
son mélange avec l’eau -mère, nous laissait
encore quelques doutes sur le succès de nos
expériences; mais, après avoir examiné la chose
de plus près, nous vîmes que c’était au muriate
calcaire, dont nous avions reconnu l’existence
dans l’eau- mère, qu’il fallait attribuer le chan-
gement de couleur qui nous avait étonnés :
tous les chimistes savent , en effet , que le
muriate calcaire partage avec la potasse la pro-
priété de verdir la teinture bleue de certains
végétaux.
Il parait donc qu’on peut dire avec Rouelle
que la potasse n’existe pas à nu dans le lait ;
nous ajouterons même qu’il est presqu’impos-
sible qu’on puisse espérer de l’y trouver.
En effet, si, comme on ne saurait en dou-
ter, le sérum du lait contient du muriate cal-
caire, comment conçoit -on que ce sel puisse
rester dans ce fluide a cote de la potasse, sans
être décomposé par elle ?
Dira- 1 -on que, dans le lait, l’alkali doit être
sans actionsur le muriate calcaire, parce que
la matière caséeuse s’oppose à ce que le jeu
des affinités de l’acide muriatique sur l’alkali
puisse avoir lieu ? Mais, en admettant cette
supposition , on serait au moins foicé de
convenir que , lorsqu on a séparé la matière
caséeuse , que le lait est converti en sérum ,
et qu’enfin ce sérum a subi difiéi entes opéra-
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 11 7
tions pour arriver au point ou il donne des
cristaux , il n’y a plus de raison pour que
l’aïkali n’exerce pas toute son action sur le
muriate calcaire et n’en opère pas la décom-
position. Alors on ne devrait trouver dans le
sérum que du muriate de potasse ou de soude ,
et jamais de muriate calcaire.
Au reste, il est vraisemblable que les sels
qu’on trouve dans le sérum du lait , autres que
le sel de lait, ne sont pas parties constituantes
essentielles de ce fluide; nous pensons, au
contraire, qu’ils y sont tout- à -fait; étrangers,
et que leur présence n’est due qu’à des accidens
particuliers , dépendans de la nature des ali-
mens , des boissons administrées aux animaux,
et des procédés employés à la coagulation.
Combien de fois n’est -il pas arrivé aux
auteurs qui ont tant insisté sur tous les sels
contenus dans le lait, de les y avoir intro-
duits eux -mêmes, sans s’en douter, lorsque,
pour le .coaguler ou le clarifier, ils employaient
la présure , le blanc d’œuf et d’autres substances
analogues, qui toutes contiennent de l’alkali
ou des sels neutres , ainsi que l’analyse l’a
démontré ?
Si à du sérum , dont on a séparé la matière
caséeuse , d’abord par la coagulation spontanée,
ensuite par la clarification avec le blanc d’œuf,
on ajoute une certaine quantité d’eau de clrnux,
il se manifeste sur-le-champ un précipité assez
abondant. Ce précipité , lavé par le moyen de
h 3
LAIT
l'eau distillée . et me le arec ce l'acide $ulpho*
rique . prend bientôt une couleur noirâtre ;
il s'en de^a^e en meme temps une odeur qui a
beaucoup d'analogie avec celle qu'on remarque
lorsqu'on soumet a '.a même expérience des
os leçerement calcinés, dont en extrait 1 acide
pbosphorique.
Avertis par cette odeur , nous soupçon-
nâmes que le précipité dont il s'acit conte-
nait du phosphate de chaux. Pour en avoir la
preuve . nous mimes dans un creuset la tota-
lité ce ce qui nous restait de ce précipité . et
nous lui dm es éprouver assez de chaleur pour
le tenir rox:ge pendant dus d’une demi heure.
Bientôt sa couleur noire disparut; niais ensuite
nous vîmes sa surface couverte d'une légère
flamme bleue, qui semblait <e séparer avec
peine , et qui avait beaucoup de rapport avec
celle qu'on remarque lorsqu'on chautïe forte-
ment certaine' substances qui contiennent de
l'acide pbosphorique. Cette expérience, il faut
l'avouer, n'est pas assez concluante pour pro-
noncer que le sérum ou j>etit lait contienne de
l'acide pbosphorique ; mais au moins elle sem-
ble annoncer que, si le lait contient de l'acide
phosphorique ou un sel dans la composition
duquel cet acide entre , c'est plutôt dans le
sérum qu'il faut chercher a le découvrir que
dans la matière caséeuse, qui, ainsi que nous
l'avons dit , ne nous a jamais rien présenté
qui put nous faire adopter l'opinion de ScheeU
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. HQ
sur l’existence de l’acide phosphorique dans
Gette même matière caséeuse.
Article IX.
De la fermentation du lait.
Nous venons de déterminer la nature des
différentes parties constituantes du lait; il s’agit
à présent de savoir comment ce fluide se com-
porte lorsqu’on l’abandonne tout entier à lui-
mème.
Il est facile de juger, d’après ce qui a été
dit , que le lait est comparable en quelque
sorte aux sucs des fruits exprimés : il est
opaque, doux, sucré, nutritif, et renferme
un sel essentiel ; comme eux , il se décompose
aisément, et fournit des produits analogues
à ceux du vin, c’est-à-dire, de l’alcohol et
du vinaigre.
Nous étions d’autant plus intéressés à l’exa-
miner sous ce rapport, que , plusieurs auteurs
ayant déjà parlé des qualités remarquables qu’il
acquérait en passant à la fermentation spiri-
tueuse, nous pouvions espérer de saisir quel-
ques phénomènes différent de ceux observés
par d’autres chimistes.
Pour faciliter l’intelligence de ce que nous
avtms à dire sur cet objet, nous avons cru
devoir diviser cet article en deux sections.
Dans la première il sera question de la fermen-
tation spiritueuse du lait; nous traiterons dans
la seconde de la fermentation acide de ce fluide.
H 4
120
DU LAIT
Fermentation spiritucuse.
On savait depuis long- temps que lesTartares
pouvaient convertir le lait de jument en une
sorte de vin, dont ils retiraient ensuite, par
la distillation , un véritable alcohol ; mais il
importait de savoir si le lait de vache offrirait
les mêmes résultats.
Avant d'opérer sur ce dernier fluide, nous
avons cherché à nous procurer des renseigne-
mens sur les procédés employés par les Tar-
tares , afin de voir si les memes procédés
pourraient nous servir, ou s’ils ne seraient pas
susceptibles de quelques rectifications.
Voici , à cet égard , ce que nous avons
appris en consultant les ouvrages de voya-
geurs dignes de foi, qui ont vu préparer le
vin et l’alcohol de lait, et qui en ont fait usage
comme boisson.
Le vase destiné à faire fermenter le lait, est
fait avec de la peau de cheval non tannée ,
mais très - durcie par la fumée. Sa forme est
conique et un peu triangulaire; ce vase parait
être composé de trois morceaux attachés à une
base circulaire de la même peau.
C’est dans cette espèce d’outre qu’on intro-
duit le lait qu’on veut faire fermenter; on la
' remplit à peu près jusqu’aux trois quarts, et
on ferme son ouverture avec une laniere faite
de la même peau que celle qui a servi à fabri-
quer l’outre.
121
RELATIVEMENT A LA CHIMIE.
Plusieurs fois par jour on agite fortement
le vase, et de temps en temps on 1 ouvre pour
donner issue à l air qui tend à s échapper du
fluide.
Au bout de quelques jours le lait a déjà
acquis une odeur et une saveur vineuses.
On continue à l'agiter jusqu’à ce que l'aci-
dité soit devenue plus considérable : alors on
6aisit le moment où cette acidité devient moins
forte , pour décanter la liqueur et la séparer
du magma qui s’y trouve. On l’enferme aussi-
tôt dans d’autres outres, et on s’en sert en
place de vin. Elle a, en effet, une saveur
sensiblement vineuse; aussi, quand on en boit
une trop grande quantité, éprouve -t- on les
effets ordinaires de l’ivresse.
Il paraît, au surplus, que ce procédé n’est
pas toujours celui qu’emploient les habitans
des différentes contrées de la Tartarie. Par
• exemple , plusieurs ajoutent au lait qu’ils veu-
lent faire fermenter du lait qui a déjà éprouvé
la fermentation ; d’autres versent le lait sur le
magma resté dans l’outre après qu’ils en ont
décanté celui qui est converti en vin ; quel-
ques-uns, enfin, sont dans l’usage d’ajouter
au lait de la pâte aigrie de farine d’orge ou
d’avoine : mais , quel que soit le procédé
auquel on s’arrête , on parvient toujours à
obtenir le même résultat, c’est-à-dire, une
espèce de liqueur plus ou moins parfaite, et
dont les Tartares retirent de l’eau-de-vie.
/
1221
ï) U
L’appareil dont ils se servent pour procéder
à la distillation , consiste en une espèce de
chaudière de fer , placée sur un trépied , sous
lequel on allume du feu. Cette chaudière,
remplie à moitié de vin de lait, est recouverte
d’une pièce de bois creuse, percée dans son
milieu, et garnie d’un bouchon qu’on peut
mettre et ôter à volonté ; dans le trou latéral
on ajoute un tube de bois recourbé, qui aboutit
à un vase plongé dans de l’eau.
On voit, d’après cette description, qu’on
peut comparer l’appareil des Tartares à une
espèce d’alembic. En effet, la distillation s’exé-
cute comme dans un alembic ordinaire; mais,
parce qu’on ne prend pas assez de soin pour la
conduire , et que pendant l’opération il se forme
des dépôts au fond de la chaudière, qui, sans
doute, y adhèrent et brûlent, il en résulte que
le produit distillé est quelquefois coloré , et
qu'il a toujours une saveur* désagréable d’érn-
pyreume. A cet inconvénient près, ce produit
est un véritable alcohol inflammable, comme
celui qu’on retire du vin.
Nous avons répété, avec du lait de vache,
le procédé des Tartares, en y faisant toutefois
les corrections dont il était susceptible.
Pour cet effet on a mis dans un tonneau de
la capacité d’environ trente pintes, vingt-cinq
livres de lait de vache nouvellement trait. Après
avoir bouché le tonneau il a été placé dans
une température de quinze à seize degrés.
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| KEL ATIVEMENT A LA CHIMIE. 123
Plusieurs fois par jour on avait soin de l’agiter
fortement pendant quelques minutes. Dès le
lendemain nous nous aperçûmes que lorsqu’on
le débouchait il se dégageait une certaine
quantité de gaz , qui s’annonçait par un siffle-
ment assez considérable.
Le second jour la liqueur commenrait à avoir
une odeur et une saveur légèrement acides.
Lorsqu’on l’examinait avant de l’agiter, on
voyait à sa surface une pellicule crémeuse, plus
fluide cependant que celle qui se forme ordi-
nairement sur du lait qui n’aurait pas été agité.
Le troisième jour le lait était caillé. La
matière caséeuse se présentait sous la forme
de petits grumeaux, mêlés en partie avec la
crème. Le sérum était alors blanchâtre.
Le quatrième jour la liqueur avait une cha-
leur un peu supérieure à celle de l’atmosphère.
La sortie du gaz devint à cette époque assez
abondante pour nous permettre d’en recueillir
sous des cloches. D’après l’examen que nous
en fîmes, nous reconnûmes son analogie avec
l’acide carbonique. L’acidité de la liqueur était
alors très- considérable.
Les choses ont continué à se passer de même
jusqu’au vingtième jour , que , nous étant
aperçus que le lait avait une saveur décidé-
ment vineuse , quoique cependant un peu
aigre , nous le fîmes jeter sur un tamis de crin,
afin de séparer le fluide d’avec le magma qui
s’y trouvait mêlé.
DU LAIT
J 24
Le fluide obtenu par ce moyen était blan-
châtre ; par le repos il est devenu à demi
transparent : alors il a été décanté et mis dans
des bouteilles. C’était véritablement une sorte
de vin , peu agréable , à la vérité , mais cepen-
dant potable.
Huit pintes de ce vin ont été distillées dans
un alembic de verre. La première once de
liqueur qui vint se condenser, était un peu
louche; son odeur avait quelque chose d’acé-
teux. Le second produit commença à prendre
une odeur analogue à celle de leau -de -vie ; il
en avait, en effet, toutes les propriétés, puis-
qu il s enflammait dès qu’on le faisait chauffer
et qu on lui présentait la flamme d’une bougie.
Après avoir retiré ainsi huit onces de fluide,
la distillation fut interrompue et le produit
rectifié. Par ce moyen nous eûmes quatre
onces d’alcohol comparable à l’alcohol de vin.
Il n’était plus possible, d’après un semblable
résultat, de nier la possibilité de faire subir
au lait la fermentation spiritueuse; mais il res-
tait à savoir si toutes les parties constituantes
de ce fluide étaient nécessaires à cette fermen-
tation. Pour cela nous avons répété les expé-
riences indiquées par quelques auteurs , et
nous avons eu la preuve que le sérum non
clarifié donnait , apfès la fermentation , une
liqueur médiocrement vineuse et produisant
très-peu d’alcohol par la distillation. Nous avons
observé encore que la quantité d’alcohol était
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 12,5
moindre lorsqu’on faisait fermenter du sérum
bien clarifié , tandis quelle devenait plus con-
sidérable en opérant sur du lait privé de sa
crème, mais pourvu de sa matière caséeuse.
Enfin, nous avons vu que, pour réussir à avoir
du vin de lait contenant une assez grande
quantité d’alcohol , il fallait nécessairement
employer le lait dans son intégrité, cest-à-
dire , celui dont on n’a séparé ni la crème ni
la matière caséeuse.
Si maintenant on réfléchit à ce qui se passe
dans la fermentation du lait, on voit que tous
les phénomènes qu’elle présente sont précisé-
ment les mêmes que ceux qu’on observe dans
la fermentation de certains fluides sucrés. En
effet, l’acide carbonique est un des produits
qui se manifestent les premiers; il se développe
ensuite du calorique, en moindre quantité, à
la vérité , que pendant la fermentation du suc
du raisin , mais assez sensiblement pour qu’on
puisse s’en apercevoir sans le secours du ther-
momètre.
On voit aussi qu’il se forme à la surface de
la liqueur ferme’ntante une espèce de chapeau,
qui s’oppose à la dissipation du fluide aéri-
forme, le force à rester et à entrer, soit tout
entier , soit en se décomposant , dans les nou-
velles combinaisons qui donnent naissance
au vin.
Plus cette sorte de chapeau est épaisse , plus
le vin a de qualité ; c’est pour cela, sans doute ,
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que le lait pourvu de sa crème et de sa
matière caséeuse devient plus apte à former
du vin que celui qui manque d’une de ces
deux parties.
Il parait encore qu’il est absolument indis-
pensable, pour réussir à avoir du vin de lait, de
rompre quelquefois ce chapeau, afin de donner
issue à l’acide carbonique qui est en excès, et
de contribuer à la combinaison de celui qui est
nécessaire; c’est pour cela qu’on prend la pré-
caution d’agiter plusieurs fois par jour le vase
dans lequel le lait en fermentation est contenu.
Le mouvement qu’on imprime par ce moyen
au fluide, imite celui que prend naturellement
tout autre liquide qui subit la fermentation.
On sait, en effet, que dans ce cas il y a
toujours un mouvement d’ébullition très-sen-
sible; souvent même ce mouvement est si vio-
lent qu’il expulse les corps qui lui opposent
de la résistance.
Enfin, on ne peut pas révoquer en doute
que le lait, pour être converti en vin, n’ait
besoin de passer préalablement à l’aigre ; mais
il y a une époque où cette aigreur semble dis-
paraître : aussi est -ce là le moment à saisir
lorsqu’on veut soutirer le vin de lait et l’avoir
potable. En le laissant plus long- temps sur sa
lie l’acide paraîtrait de nouveau, et dans ce
cas, au lieu de vin, on aurait une espèce de
vinaigre , ainsi que nous le dirons lorsqu’il sera
question de la fermentation acide du lait.
relativement a la chimie. 127
Le corps muqueux sucré, contenu dans le
sel de lait , est sans doute celui qui joue ici
le principal rôle; c’est, en effet, dans le nom-
bre des sels en dissolution dans ce fluide, le
seul qui puisse être susceptible de la fermen-
tation vineuse. Il y a meme lieu de croire que
l’acidité qui se manifeste dans le lait avant
qu’il se soit converti en vin, est plutôt due
à la décomposition du sel de lait, qu’à celle
d’une des autres parties constituantes du lait,
qui , étant d’une nature toute différente de
celle du corps sucré, ne sont pas, comme lui,
obligés d’éprouver la fermentation spiritueuse
avant d’arriver à la fermentation acide : ce qui
semble le prouver , c’est que , si avant que la
fermentation spiritueuse se manifeste on cla-
rifie le sérum qui est acide , et qu on le fasse
évaporer ensuite jusqu’à la consistance conve-
nable, on voit le sel de lait se cristalliser au
milieu de ce fluide acide avec autant de facilité
et en aussi grande quantité que si on se fût
servi de sérum parfaitement doux.
On se tromperait si on espérait pouvoir
parvenir à faire avec le lait un vin bien géné-
reux. La quantité de corps muqueux sucré
que contient le sel de lait étant peu considé-
rable, on conçoit que la fermentation ne peut
pas être assez long -temps continuée pour qu’il
se forme beaucoup de vin ; la sérosité dans la-
quelle le vin , une fois formé , se trouve étendu ,
ne contenant pas , comme dans le suc de raisin ,
»
il
■
L.
- — «_
128
D U
cette espèce de matière extracto - résineuse ,
qui sert à conserver la liqueur vineuse, il doit
nécessairement arriver qua la fermentation
spiritueuse succède bientôt la fermentation
acide : aussi le vin de lait est-il presque tou-
jours acide, et par conséquent inférieur en
qualité à celui qui a été fait avec le suc des
fruits.
Nous terminerons cet article, en faisant
observer que, malgré la possibilité de convertir
le lait en vin , il n’est pas vraisemblable qu'on
songe jamais à le consacrer à cet usage, sur
tout ayant à sa disposition d’autres liquides dans
lesquels le corps muqueux sucré, et d’autres
matières nécessaires à la fermentation, se trou-
veront rassemblés en plus grande quantité et
dans un état d’appropriation plus convenable
qu’ils ne le sont dans le lait. Il parait même
présumable que, si les Tartares font leur vin
avec le lait , c'est qu’ils ignorent la manière
de convertir les semences farineuses en une
liqueur analogue à celle que nous nous procu-
rons lorsque nous préparons la bière. Il serait,
par exemple , avantageux pour leurs intérêts
de faire fermenter la farine de seigle , qu’ils
peuvent se procurer aisément : l’espèce de vin
qu’ils en obtiendraient, serait de meilleure qua-
lité que celui du' lait.
Au reste, en ne considérant le vin de lait
que sous les rapports chimiques, on voit que
ce fluide se comporte à l’instar de ceux qui
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 129
contiennent du corps muqueux sucré, puis-
que , comme eux , il est susceptible de subir
la fermentation vineuse ou spiritueuse.
La première altération que le lait éprouve
après que la crème a été élevée à la surface , se
manifeste par une saveur et une odeur légè-
rement acides. Bientôt cette saveur et cette
odeur augmentent; c’est alors que la matière
caséeuse se coagule. Si on la sépare , on
obtient, ainsique nous l’avons dit, un sérum
blanchâtre, qui, avec le temps, devient plus
acide , mais qui perd aussi peu à peu de son
opacité. On peut , à l’aide de la filtration ,
obtenir ce sérum assez clair. Pendant l’été il ne
conserve pas sa transparence plus de douze
heures ; cependant , après s’étre troublé , il
s’éclaircit de nouveau , et il continue à se
comporter ainsi plusieurs fois de suite , en
laissant chaque fois un sédiment blanchâtre
et visqueux. Enfin , il arrive un moment où
il parait rester plus long temps sans se troubler.
C’est alors qu’il est singulièrement acide; aussi
rougit -il la teinture de violettes, et fait -il
effervescence avec les alkalis. Dans cet état il a
beaucoup d’analogie avec le vinaigre ; il pourrait
même, dans bien des cas, le suppléer, si d’ail-
leurs il ne tenait pas en dissolution différentes
substances , telles que de la matière caséeuse et
des sels neutres à bases alkalines et terreuses.
Fermejitation acèteuse
1
» - «f. Va.
On conroit aisément que le lait n’a pu ac-
quérir l’acidité dont on vient de parler , sans
avoir éprouvé une sorte de fermentation ana-
logue à celle désignée sous le nom de fermen-
tation acéteuse.
En effet , les phénomènes qui se manifestent
lors de la fermentation acide de certains sucs
de fruits avec lesquels on fait du vinaigre, sont
précisément les mêmes qu’on remarque pen-
dant la fermentation acide du lait, avec cette
différence , seulement , qu’ils sont un peu plus
lents à paraître dans le lait , parce que , sans
doute , la nature de ce fluide retarde leur pro-
duction.
Une chose bien singulière , que nous
avons remarquée plusieurs fois, c’est que la
couche supérieure du sérum qu’on fait aigrir
exprès, a toujours très- peu d’acidité, tandis
que la couche inférieure en a sensiblement.
Il est vrai qu’alors la surface de la liqueur
se trouve recouverte d'une pellicule qui fait,
en quelque sorte , l’office de cette croûte qu’on
voit sur le vin en fermentation , et à laquelle
on a donné le nom de chapeau. Cette pelli-
cule pourroit bien netre due qu’à une com-
binaison nouvelle, qui se fait continuellement
des parties constituantes du sérum avec celles
de l’air atmosphérique ; combinaison dont le
résultat est une liqueur qui tend continuelle-
ment à perdre son acidité.
Ce qui nous porte à penser ainsi , c’est que
•
r7
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 101
du sérum aigre , qu’on met dans une bouteille
entièrement pleine et bien bouchée, ne pré-
sente pas de pellicule, et reste aussi acide dans
le centre qu’à sa surface.
Nous avons remarqué encore que , pour que
le sérum du lait s’aigrit, il n’était pas néces-
saire qu’il absorbât , comme le vinaigre de vin ,
une des parties constituantes de lair atmos-
phérique; car , ayant disposé sur l’orifice d’une
bouteille pleine de sérum une vessie remplie
d’air, nous n’avons pas aperçu qu’au bout de
trois jours elle eût perdu beaucoup de son
volume , quoique le sérum fût devenu très-
sensiblement acide.
Une autre preuve du peu d’influence de l’air
atmosphérique sur la conversion du lait en
acide , est ce qui se passe , lorsqu’au lieu d’é-
crèmer le fluide , on le conserve long-temps avec
toute sa crème. Dans ce cas, on observe qu’il
s’aigrit beaucoup plus vite, et que l’acide qu’il
fournit est aussi beaucoup plus fort. Or, si,
comme on n’en peut douter, la crème qui
séjourne sur le lait , y forme une couche assez
épaisse pour que l’air atmosphérique ne puisse
pas la pénétrer , il faut que la formation de
l’acide dans le lait soit tout- à fait indépendante
de l’oxigène de l’air atmosphérique ; et , d’après
cela, on doit nécessairement chercher, dans les
parties constituantes du lait, celles qui peuvent
fournir le principe acidifiant dont il s’agit.
Mais quelles sont celles qui fournissent ce
i 2
l32
DU LAI T
principe? C’est sur quoi il sera, sans doute,
difficile de prononcer. Comment , en effet ,
suivre ce qui se passe dans un fluide aussi com-
posé que le lait? Essayer de présenter une
théorie à cèt égard , sans avoir des expériences
à l’appui , ce serait s’exposer aux reproches que
méritent ceux qui , voulant tout expliquer , subs-
tituent des suppositions aux faits, sans s’em-
barrasser des objections qu’on peut leur faire,
ni des erreurs dans lesquelles ils induisent
ceux qui prononcent d’après eux.
Si, lorsque le lait a acquis toute l’acidité
dont on le croit susceptible , on le filtre eï
qu’on le couvre d’huile , il se conserve pen-
dant quelque temps, sans s’altérer; mais.il
finit par se troubler et se décomposer.
Nous avons bien des fois cherché à concen-
trer cet acide , par le moyen de la congélation ,
dans la vue de nous assurer s’il se conserverait
plus long -temps.
A la vérité, par cette opération, la liqueur
qui n’a pas été gelée est devenue plus acide ;
mais en même temps elle s’est troublée , et a
fini, comme celle qui n'avait pas été concen-
trée , par se décomposer entièrement.
On a aussi tenté de séparer l’acide du sérum
par le moyen de la distillation ; mais , cet acide
étant moins volatil que le vinaigre , la liqueur
qui a passé avait seulement l’odeur et le goût
légèrement acides , tandis que celle restée dans
la cornue était d’une acidité considérable.
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. 130
D’ailleurs , l’acidité de cette liqueur était accom-
pagnée d’une saveur particulière , qui semblait
annoncer que le sérum devait différer essen-
tiellement de ce qu’il était avant de l’avoir
fait chauffer.
En poussant plus loin la distillation , nous
avons remarqué que, l’acide se décomposant,
la liqueur prenait une couleur brune, et
laissait déposer au fond de la cornue un sédi-
ment brunâtre et comme charbonneux.
La difficulté d’avoir l’acide du sérum pur,
avait déjà été remarquée par Scheele : c’est
pour cela, sans doute, qu’il avait proposé un
moyen tout différent de ceux employés jus-
qu’alors.
Ce moyen consiste à verser , dans du sérum
aigre, de la chaux vive jusqu’à parfaite satu-
ration; à filtrer ensuite la liqueur, et à y ajouter,
peu à peu , une solution d’acide oxalique.
La chaux quitte aussitôt l’acide du sérum ,
pour s’unir à l’acide oxalique , avec lequel
elle a une plus grande affinité , et forme un sel
qui , n’étant pas soluble , se précipite au
fond du vaisseau. On filtre alors la liqueur;
on la rapproche ensuite en consistance de
miel , et , lorsquelle est dans cet état , on y
mêle de l’alcohol : par ce moyen l’acide passe
seul dans l’alcohol , et laisse en arrière les sels
qui lui sont étrangers et avec lesquels il était
auparavant mêlé. Il n’y a plus que l’alcohol à
séparer. On en yient aisément à bout, en dis-
i 3
DU LAIT
i54
tillant la liqueur dans une cornue ; l’alcohol
s’évapore bientôt , et l’acide reste seul.
Il est bon de remarquer que cet acide , ainsi
préparé, n’est pas parfaitement incolore. Il a
toujours une teinte brunâtre, qui semblerait
annoncer que le carbone, qui fait son radical,
y est en excès.
Quand on le garde long temps , surtout dans
des vaisseaux mal bouchés, il laisse déposer
un précipité noirâtre , qui est un véritable
charbon. Si on le filtre, il devient clair ; mais
il ne tarde pas à donner un nouveau précipité.
Il est vraisemblable qu’à la longue on par-
viendrait ainsi à le décomposer complètement.
Si on distille dans une cornue jusqu a siccité
de l’acide du sérum , il reste au fond un vé-
ritable charbon. La liqueur obtenue dans le
récipient présente un acide différent de celui
qui l’a fournie.
En multipliant les distillations, on parvient
à le décomposer très promptement.
Le produit qu’on trouve alors dans le réci-
pient, au lieu d’être acide, présente une sorte
de liqueur phlegmatique , ayant l’odeur d’em-
pyreume. Nous avons remarqué aussi, qu’à
chaque distillation il se séparait, toujours, et
sur tout vers la lin , une certaine quantité de
gaz inflammable.
L’acide du sérum, obtenu par le procédé de
Sclieele , a des propriétés différentes de celles
du vinaigre ordinaire. Il est facile d’en avoir
I
j.'yp:
RELATIVEMENT A LA CHIMIE. i55
la preu ve , si on compare les sels qu’on obtient
en saturant séparément les mêmes bases avec
ces deux acides. Mais , une propriété bien,
remarquable de l’acide du sérum , c’est de
décomposer certains acétites; ce qui n’arrive-
rait pas , sans doute, si, ainsi que quelques
auteurs l’avaient pensé, cet acide devait être
considéré comme étant de même nature que
celui du vinaigre.
Quoique, d’après ce qui précède, il soit
bien démontré qu'il existe entre l’acide du
sérum et celui du vinaigre une différence essen-
tielle, il n’est pas douteux que , dans bien des
cas , ces deux acides , sur tout pour les usages
économiques , ne puissent être également em-
ployés. Il y a même lieu de croire qu’ils sont
composés de principes absolument semblables,
mais dans des proportions tout-à-fait différen-
tes : c’est à la différence de ces proportions
qu’il faut attribuer vraisemblablement les pro-
priétés qui caractérisent ces deux acides, et
qui empêchent toujours qu’on ne les confonde.
Au reste , la facilité avec laquelle l’acide du
sérum laisse séparer son carbone pendant la
distillation , semblerait déjà annoncer qu’il
contient plus de ce principe que lacide du
vinaigre.
i 4
DU LAIT CONSIDERE
DEUXIEME PARTIE.
Du lait considéré relativement à la
médecine.
/est au printemps et en automne que le
lait réunit le plus de qualités ; ce sont aussi
les deux saisons que l’on choisit de préférence
pour en faire usage comme remède.
Un des grands moyens de perfectionner le
lait et d’ajouter à ses propriétés générales, c’est
non- seulement de nourrir convenablement les
animaux qui le fournissent , mais de choisir
encore , parmi les végétaux destinés h leur sub-
sistance, ceux dont l’influence avantageuse sur
ce liquide est plus marquée. Rappelons quel-
ques faits relatifs à ces moyens, joignons- y nos
expériences ainsi que nos observations , et
démontrons la nécessité de profiter de cette
influence pour faire du lait un véritable médi-
cament , ou pour donner à ses produits une
qualité qui les rende plus recommandables et
plus immédiatement utiles encore dans les dif-
férens emplois auxquels nous les réservons.
PREMIER.
Influence des alimens sur le lait.
On a prétendu que le lait provenant d’un
animal carnivore était plus sujet à s’altérer que
Z, Je
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%
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 1 07
celui des animaux herbivores; mais la première
espèce de lait, étant inconnue dans le com-
merce, ne permet pas d entreprendre les expé-
riences de comparaison indispensables pour
établir cette différence. Nous observerons seu-
lement, qu’ayant eu occasion d avoir du lait
d’une chienne qu’on nourrissait uniquement
de viande, il ne nous a point paru que cette
assertion fût fondée.
Cependant Young assure qu ayant nourri
une chienne pendant huit jours avec des ali-
mens végétaux , il a trouvé son lait semblable
à celui de chèvre ; il avait même plus de crème
et de parties caséeuses que le dernier. Il se
coagulait très -bien spontanémeut, ainsi que
par l’addition des substances coagulantes. La
même chienne ayant été nourrie ensuite avec de
la viande crue, le lait fut moins abondant, très-
alkalescent, et ne se caillait pas par le repos.
En faisant alternativement passer les vaches
à différens genres d’alimens, nous n’avions pas
seulement pour objet de connaître leur infl uence .
sur la qualité du lait, il s’agissait encore de
s’assurer si , dans le cas d’une disette de four-
rage pareille à celle de 1785, il serait possible
de changer tout-à-coup la nourriture des ani-
maux, et de les soumettre sur-le-champ à un
autre régime , en supposant même qu’il fût
meilleur que celui auquel ils étaient familia-
risés , sans que ce passage subit occasionât
quelques désordres dans leurs organes.
I
M
î'-'o DU LAIT CONSIDÉRÉ
Le phénomène qui nous a le plus Frappés
dans le cours de nos expériences, c’est la dimi-
nution très- sensible des produits en lait que
les vaches fournissaient dès quelles chan-
geaient de nourriture, et quoique celle qu’on
leur subsituait fût plus succulente, cepen-
dant l’augmentation du lait ne se faisait aper-
cevoir que plusieurs jours après l’usage du nou-
veau régime ; il semble même qu’au moment
où il va donner aux différentes humeurs les
propriétés générales qui les caractérisent, il
survient de grands changemens dans l’écono-
mie animale.
L’espèce de révolution opérée chez les ani-
maux dont on change brusquement le régime,
avertit donc les nourrices d’ëtre circonspectes
sur le choix de leurs alimens et sur la néces-
sité de continuer l’usage de ceux qui leur sont
le plus salutaires , ou de n’en changer que gra-
duellement. Que les femmes apprennent, pour
11e jamais l'oublier , que leur zèle empressé
pour allaiter leurs enfans ne suffit pas; qu’il
faut encore, pour remplir les fonctions qu’im-
pose un devoir aussi sacré, et ddnt il n’appar-
tient qu’aux véritables mères de se bien acquit-
ter, écarter de leur régime tout ce qui peut
les déranger, et ne pas perdre de vue que
l'analogie qui existe entre la manière de vivre
et le lait qui en résulte, est très -directe.
On connaît cette observation de Borrichius ,
sur le lait d’une femme, devenu amer, parce
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. l3g
que, vers la Fin de sa grossesse, elle avait pris
de la teinture d’absinthe.
Une femme d’une constitution nerveuse a
observé que, le jour où elle mangeait des
asperges, l’urine de son nourrisson avait l odeur
qui caractérise l’influence de ce végétal.
On sait encore que la saveur de la semence
de quelques ombellifères , et sur tout celle
d’anis, se communique au lait sans avoir subi
de changement. Cullen a observé que cette
semence , donnée à des nourrices en forme
d’assaisonnement, produit un effet sensible sur
leurs nourrissons , et remédie aux coliques
dont ceux-ci étaient affectés.
Il faut donc , lorsqu’on désire se procurer
une quantité constante de lait, continuer d’ad-
ministrer aux animaux les mêmes fourrages;
ce qui ne doit pas être indifférent pour les
malades soumis au régime du lait. Combien
de fois n’arrive-t-il pas que ce fluide, après
avoir réussi pendant quelques jours , produit
tout-à-coup du mal-aise , des anxiétés , si. con-
sidérables que les malades sont forcés , à leur
grand regret, d’en abandonner l’usage?
Avouons -le; on fait en général trop peu
d’attention à la nature des végétaux destinés à
servir de nourriture aux femelles dont le lait
doit ensuite être employé comme remède. Il
n’existe, à la vérité, aucunes expériences pré-
cises à cet égard : on sait seulement que cer-
taines plantes communiquent de l’odeur, de la
vkjfjK Av* ■ v
:h , :-k
TV l Kl T V Kï
oeu'eur et oe 'a saveur au Uit ; mais il $Vu
Ùu: que OcVte U* lueiUV Alt toute U latitude
* pwtenùu lui ùonner N O.oi» d'ailleurs,
iV que nos e\pet u't\Y> ont cotv-rme,
•:' AV'* eiA'-'.AV N s'il A AV v.'* ' > vloni'é.
IVîVAUt v;'- ' e ïOU rs OOnsOVUtltS, À plusieurs
v Av'kes „ s e U vhtvWVe MV-VA.V' et de ' a ollUVtee
: >vV * v'.e roaniète ^ eu former U hase de leur
tHvurîture le Lut quelle» ont fourni n a jamAis
eoamteste Aweene amertumev
- Vùkt . , eajee ,*sy, U eu a ttv vie même i
'V ose > y\>t*£rre, que les iardimers maraî-
chers. de t\*r.s se gardent bien d'administrer
A-‘.\ v AOV ' . Ù.'U ' A VYSUASton que Cette pUnt*
6àt Humw W kà, Km$ eu «vous mêle jus*
quà : rec te ave* '.v. \'ur avec le fourrage orv .
luùre » pwiAwr wt tlêcude * saus *uvr remar*
qp*t que le Uit fiât plus dttgiose A se cxMquler
que celui d'une Autre v ache qui ue mausseait
■;M> de u mte> acidulés*
TVuëwé'xue Arjyneivv. Musieurs plantes aro*
vie ta taae.'.le des labiees. employa
' vh: vvh:-', tel’, es que a lavande , lasauqe
et le thve.u <»: ete meloes, en daYerentes pro-
portion*. avec a neuî r; ture orv n aire des vache s
jMièwt au mm» : V» lût ut* pas» pour cela,
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 141
amertume, leur acidité ou leur arôme au lait
des animaux qui en sont nourris. Cependant on
a remarqué que les vaches qui broutaient des
feuilles d’arlichaux , de chardons, d absinthe,
de tanaisie , donnaient aussitôt à leur lait une
amertume sensible. Ce phénomène n a vraisem-
blablement lieu, par rapport à ces dernières
plantes , que parce que leur principe amer
semble être combiné avec un corps particulier
qui est charié et conservé pendant la digestion,
tandis que l'amertume des chicoracées dépend
d’une matière extractive qui se décompose dans
l’estomac , et ne fournit plus , à l'organe qui
fabrique le lait , que les matériaux de sa décom-
position.
Nous voyons encore certains principes des
plantes se manifester dans le lait ; tel est , par
exemple, celui qui appartient aux crucifères:
on sait que l’alliaire lui donne une odeur d’ail,
et la roquette ce montant qu’on remarque si
sensiblement dans la moutarde et dans le
raifort.
Quatrième expérience. Nous avons fait pren-
dre, pendant huit jours, une tète d’ail, divi-
sée et mêlée avec du son, à une vache nourrie
d’ailleurs à l’ordinaire : l’odeur de cette racine
bulbeuse ne s’est manifestée dans le lait qu’à la
sixième traite , et dès le lendemain du jour que
le régime a cessé , l’odeur d’ail n’existait plus.
Cinquième expérience. Après avoir rassem-
blé la crème d’un lait qui avait l’odeur d’ail ,
142 DU LAIT CONSIDÉRÉ
nous l’avons soumise à la percussion; le beurre
qui en est résulté a conservé une odeur d’ail
assez forte pour la communiquer à tous les mets
auxquels ce beurre servait d'assaisonnement.
Sixième expérience. Une poignée de poi-
reaux, administrée aux vaches , autant de lois
et de la même manière que l’ail, a présenté
des résultats entièrement semblables, pour le
lait et pour le beurre.
Septième expérience. U en a été des oignons
rouges et blancs, comme de l’ail et des poi-
reaux : le lait et le beurre avaient parfaite-
ment l'odeur et le goût de ces deux premières
plantes.
Un fait qui parait bien étonnant, c’est que
le lait ait besoin du contact de l’air pour mani-
fester l’odeur des plantes dont il vient d’ètre
question ; car au sortir du pis de l’animal à
peine est-elle sensible ; mais on la reconnaît
un instant après, et elle ne fait qu’augmenter
à mesure qu’on s’éloigne de cette époque.
Huitième expérience. Parmi les végétaux qui
contiennent beaucoup de matière colorante,
plusieurs ont été soumis à l'expérience. On
a commencé par la betterave rouge et jaune.
Une vache , nourrie en partie avec ces
racines pendant un mois, n’a donné aucune
nuance de couleur particulière au lait et au
beurre.
Neuvième expérience. Nous avons ajouté au
fourage ordinaire d’une vache , de la garance
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kelativement a la médecine. >45
séchée et pulvérisée , depuis deux gros jusqu a
une once : le sixième jour de ce régime, le art
a contracté une teinte rougeâtre ; mais la creme
qui en a été séparée et battue aussitôt, a donne
un beurre qui ne participait en aucune maniéré
à cette couleur.
Un phénomène qui n’a point échappe a nos
observations, c’est que, pendant que la vache
faisait usage de la garance, et avant que son
lait fût teint , l’urine quelle rendait était déjà
fortement colorée en rouge.
En donnant avec précaution de la garance à
plusieurs vaches , E oung a remarqué qu il fal-
lait plus ou moins de temps pour que le lait
fût teint, suivant qu’on faisait observer préa-
lablement une abstinence plus ou moins sou-
tenue à 1 animal soumis a 1 expérience. Ainsi
la couleur rouge paraissait vingt - quatre
heures après , si la vache , au moment ou
on lui avait donné la garance mêlée à du son ,
avait resté vingt-quatre heures sans prendre
d’autre subsistance ; il fallait , au contraire ,
trente -six heures pour que le lait fût coloré,
si auparavant la vache n’avait été que douze
heures sans manger.
Mais une observation constante, c’est que,
quand on donnait de la garance cinq à six
jours de suite , le lait conservait encore la
couleur rouge sept à huit jours après qu’on
avait supprimé la garance.
Dixième expérience. Parmi les plantes cul-
.• ■. ;• y ” •
*44 DU LAIT CONSIDÉRÉ
tivées encore dans quelques départemens de
la république à cause des matériaux quelles
offrent à la teinture, nous en avons employé
deux dont les propriétés sont aussi bien connues
que celles de la garance : l’une est la gaude ou
l’herbe à jaunir, l’autre est le pastel ou vouède.
Ces deux plantes, séchées, divisées et mêlées
avec du petit son, ont été administrées 'succes-
sivement à une vache pendant le cours d’une
décade, dans une proportion suffisante pour
manifester leur action sur le lait; cependant la
couleur ordinaire de ce fluide n’a pas paru
être changée sensiblement.
Onzième expérience. Nous avons cherché
ensuite à appliquer séparément ces deux plantes
à la crème dans la butirisation ; mais le beurre
n’a pris aucune nuance capable de caractériser
leur action : d’où il suit que le jaune de la
gaude, et le bleu du pastel ou vouède, ne
passent pas dans le lait , mais que ces deux
couleurs sont détruites entièrement par la
digestion. i
Nous ne terminerons pas ce.t article sans
faire mention d’un phénomène assez singulier,
relatif à la couleur bleue que le lait acquiert
quelquefois préopinément, et c’est principale-
ment dans les départemens du Calvados et de
la Seine inlérieure que les vaches en four-
nissent de cette espèce à certaines époques de
l’année.
La couleur bleue que ce fluide contracte
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 14$
aJ>rs , est souvent si foncée qu’on n’a pas balancé
té la comparer à eelle du bleu de Prusse. La
crème, en se rassemblant, emporte avec elle
une partie de cette couleur; la teinte bleue
diminue, et s’affaiblit d’autant plus que le lait
est mieux écrémé. Quelle peut être la cause
d’un semblable phénomène ?
D’abord nous l’avions attribué à l’existence
d’un principe colorant de nature résineuse,
que nous supposions avoir été extrait par le
travail de la digestion de quelques-unes des
plantes dont les vaches avaient fait usage pour
leur nourriture. D’après cette supposition il
nous paraissait facile d’expliquer comment la
crème, en qualité de corps gras, s’emparait
facilement de ce principe et l’enlevait au lait;
mais, lorsque nous vîmes que le beurre fourni
par la crème bleue était jaune, comme celui
d une crème ordinaire , et que le lait de beurre
était à peine coloré en bleu, nous fumes obli-
gés de renoncer à cette explication. Nous
présumâmes ensuite que le phénomène en
question pouvait avoir pour cause une mala-
die particulière, dont, sans doute, étaient
affectées les vaches à l’époque où elles com-
mençaient à donner du lait bleu : mais il fallut
encore renoncer à cette idée , lorsque nous
apprîmes qu’à cette époque ces animaux jouis-
saient de la meilleure santé.
On voit, d’après ce qui précédé, qu’il reste
encore beaucoup de recherches à faire pour
T.t;
dlÊMMg] .
;• ■ îtiÉtàdLÉ..
l/|6 DU LAIT CONSIDÈRE
connaître la véritable cause de la couleur bl<jje
qu’on remarque quelquefois au lait; nous pen-
sons quelle ne pourra être découverte qut
par des observateurs qui, placés sur les lieux
où les vaches fournissent un lait semblable ,
voudront prendre la peine de mieux étudier
qu’on ne l’a fait jusqu’à présent l’état de ces
animaux, l’espèce, la nature et la quantité de
plantes qui servent à leur nourriture, et géné-
ralement, enfin, toutes les circonstances qui
précèdent , accompagnent et suivent l’appari-
tion, presque subite, d’une couleur qui, peut-
être , est moins due à l’existence d’un principe
colorant, qu’à la manière dont le lait réfléchit
les rayons lumineux.
Au reste , quel que soit le résultat qu’on
obtienne, il passera toujours pour constant que
l’usage du lait coloré en bleu ne saurait être
préjudiciable à la santé, puisque nous savons
que, dans les départemens où on le trouve le
plus communément , quelques personnes l’em-
ploient dans la préparation de leurs alimens
comme le lait ordinaire.
D’ailleurs, nous avons la preuve que le
beurre qu’on retire de la crème la plus bleue ,
est parfaitement semblable, tant pour la cou-
leur que pour la saveur et la consistance, à
celui obtenu de la meilleure crème connue ,
ensorte qu’on ne peut attribuer qu’à des craintes
mal fondées ou à des préjugés , l’habitude où on
est encore, dans quelques endroits, de regarder
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 347
cmme nuisible un lait de l’espèce de celui
.ont il s’agit.
Douzième expérience. Nous avons mêlé une
pincée de poudre de safran avec du son , et
nous avons fait prendre un mélange semblable
à la vache pendant plusieurs jours : le lait
quelle a fourni ne paraissait pas plus jaune;
mais le beurre qui est résulté de sa crème
avait une belle couleur jaune , sans cependant
participer à l’odeur et à la saveur du safran.
Ces expériences, qu’il aurait été possible de
multiplier, suffisent pour confirmer ce que
nous avons déjà avancé , que toutes les plantes
amères ne communiquent point leur amertume
au lait : il en est de même de leur odeur et
de leur couleur, lorsqu’elles échappent au tra-
vail de la digestion et passent ainsi dans le
système animal. Mais il parait que , suivant
leur nature , elles se portent sur les divers
principes qui composent les humeurs. Si donc
l’odeur et la couleur sont de nature huileuse,
c’est le beurre qui se trouvera coloré; ce sera,
au contraire , le caillé et le sérum quand la
partie odorante et colorante sera de nature
extractive.
On n’est pas plus fondé à regarder les ali-
mens dont les animaux se nourrissent comme
la source de tous les produits retirés , non-
seulement du lait , mais encore des autres
humeurs animales. Ces produits n’existent pas
plus dans les alimens que ceux qui constituent
K 2
DU LAIT CONSIDÉRÉ
la lymplie, la bile, le sang et f urine; c’est chns
des organes particuliers qu'ils se fabriquen ;
les alimens n’offrent que les matériaux propret,
à leur décomposition. Scheele n’a -t- il pas
rencontré dans l’urine des enfans une quantité
remarquable d’acide benzoïque, quoiqu’ils ne
fissent aucun usage de matières aromatiques
ou herbacées , et qu’ils n’eussent pris encore
que du lait?
Les alimens n’influent pas seulement sur la
nature des parties constituantes du lait, ils con-
courent encore à augmenter ou à diminuer leur
cohérence entr’elles : on remarque , par exem-
ple, que, dans la saison où les vaches mangent
abondamment des cosses de pois, il est plus
difficile d’opérer la coagulation artificielle de
leur lait ; le sérum parait infiniment plus gras
et d’une clarification moins aisée.
Il est donc hors de doute que les alimens
ont une influence décidée sur la qualité du
lait ; mais c’est à tort qu’on a cru qu’ils con-
servaient tous leurs caractères particuliers dans
ce fluide. Ils exercent une action plus ou moins
vive sur l'estomac et les autres organes , pour
augmenter ou diminuer leur vertu secrétive.
C’est ainsi que souvent du sel, ajouté à des
fourrages fades et détériorés, concourt à rendre
le lait plus crémeux. Il n’y a assurément point
dans cet assaisonnement les élémens propres à
fabriquer du beurre, du fromage et du sucre
de lait. Ce n’est donc qu’en donnant du ton
N
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. *49
it de l’énergie à toutes les parties organiques,
ou en augmentant les forces vitales, que le sel
peut améliorer le lait.
Mais si la qualité du lait , indépendamment
du cachet particulier de l’animal , est due à la
réunion des différens principes qui constituent
ce fluide , il n’en est pas moins vrai que ces
principes reçoivent , de la part des végétaux ,
certains caractères en quelque sorte indélébiles.
Si les fourrages dont les femelles se nour-
rissent sont aqueux et insipides , le lait qui en
proviendra sera abondant, séreux et fade; si,
au contraire, ils sont coriaces, durs et fibreux,
le lait sera moins abondant et moins agréable.
Enfin, tous les produits de ce fluide seront
plus ténus et plus parfaits quand les herbages
auront de la finesse et du parfum.
Ces observations générales, relatives à l’in-
fluence des alimens sur la qualité du lait, nous
paraissent suffisantes pour expliquer pourquoi
le meilleur beurre et les fromages les plus esti-
més proviennent du lait de troupeaux nourris
dans les prairies composées de beaucoup de
plantes fines et aromatiques; pourquoi, lors-
que ces mêmes plantes ont perdu, par la dessi-
cation, leur humidité surabondante et une par-
tie de leur odeur, elles n’en donnent pas moins
aux femelles qui en sont nourries un lait
aussi abondant en principes , pour le moins ,
que si ces animaux étaient au vert ; pour-
quoi, enfin, les vaches qui paissent dans des
x 3
l5o DU LAIT CONSIDÉRÉ
lieux aquatiques et ombragés, fournissent coin,
munément un lait moins bon que celles qui
vivent sur des pâturages gras, mais élevés et
découverts.
Un fait qui nous est bien connu , c’est que des
vaches nourries dans un terrain fort aquatique
ne rendaient qu’un beurre blanc trés-mou. Au
bout de peu de jours que ces mêmes animaux
furent conduits au bois, le beurre devint jaune
et ferme, sans que la température eût changé.
En général, le lait des animaux est meilleur
quand ils paissent les plantes qu’ils préfèrent,
et sur des terrains qui leur sont propres : ainsi
la vache se trouve bien des pâturages succu-
lens des plaines; la brebis se plaît sur les
endroits secs, la chèvre dans les pays mon-
tueux
Linneus a publié dans une dissertation quel-
ques observations intéressantes sur les diverses
plantes que chaque animal préfère pour sa
nourriture, et cette considération peut être
utile au médecin qui prescrit l’usage du lait
de tel ou tel animal dans différentes saisons;
mais elle est encore plus importante pour l’agri-
culture. C’est d’après ce principe que le fer-
mier remarquera si des pâturages , pouvant
nourrir une quantité donnée de moutons, par
exemple , ne peuvent pas encore fournir la
nourriture à un certain nombre de chèvres ,
etc. , à raison des plantes négligées par les uns
et préférées par les autres.
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RELATIVEMENT A LA MEDECINE.
On ne doit former aucun doute sur les avan-
ages qu’il y aurait pour la prospérité des diffé-
rens cantons où le beurre et le fromage sont
une branche considérable de commerce, à n’ad-
mettre dans leurs pâturages que les plantes les
plus propres, non -seulement à augmenter dans
le lait l’un ou l’autre de ces deux produits, mais
encore à les fournir toujours bien élaborés et
dans le plus grand degré de perfection. Il n’y a
point en France de température , de terrain ni
d’aspect qui ne réunissent des plantes aroma-
tiques, sucrées et mucilagineuses; ne serait -il
pas possible de les choisir, de les multiplier,
et d’en régler les espèces en considération de
l’usage auquel on destinerait les laitages?
Article II.
Influence des mèdicàmens sur le lait.
La possibilité d’accroître les propriétés médi-
cinales du lait par celles des plantes associées
avec le fourrage ordinaire dont les femelles se
nourrissent) , est incontestablement reconnue ;
mais il nous manque une série d expériences et
d observations exactes , pour tirer de cet aperçu
la plénitude des avantages qu’on peut, en espérer.
On sait bien que certaines plantes, telles
que la gtatiole et le thytimale, que les vaches
rencontreht disséminées souvent dans les prai-
ries, communiquent à leur lait la vertu pur-
gative ; les médecins ont meme profité de
x 4
V I
J -A A'n
l5a DU LAIT CONSIDÉRÉ
cette observation pour chercher à modifier^»
lait qu’ils administrent h leurs malades : C/erc
entr’autres , dans sa lettre à Pringle, a très-
bien observé qu’on parviendrait ainsi à rendre
ce fluide médicamenteux et propre à combattre
certaines maladies, si l’on avait toujours la
précaution de nourrir les femelles avec une
plante plutôt qu’avec une autre.
Mais tout en cherchant à rendre le lait plus
efficace dans les maladies , il faut bien prendre
garde , pour atteindre ce but , d’administrer
aux animaux des plantes qui, par leur nature
ou leur quantité, pourraient préjudicier à leur
santé, et les exposer à ne fournir que du lait
de mauvaise qualité : un seul exemple suffira
pour le prouver.
Un médecin ayant conseillé à un malade de
se mettre à l’usage du lait d’une vache nourrie
avec un fourrage dont la ciguë formerait la
plus grande partie, bientôt 1 animal maigrit,
perdit son lait et mourut. Sans doute , on
aurait pu éviter un pareil accident, en don^
nant à la vache , pour base de sa nourriture,
des herbages qui, sans contrarier l’influence
de la ciguë sur le lait , auraient empêché cette
plante de préjudicier à sa santé.
Il ne peut donc être indifférent d’administrer
tels ou tels alimens aux animaux dont le lait
est destiné à servir de médicament ; mais on
ne doit pas perdre de vue non plus que ces
ali mena, avant de fournir les premiers maté-
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. l55
nVux de ce fluide, exercent une action plus
eu moins puissante sur 1 estomac et successi-
vement sur les autres organes, et que, s’ils
affaiblissent l’état physique, le lait qui en pro-
viendra, loin d’acquérir des propriétés médi-
cinales, deviendra susceptible d’occasioner des
désordres dans l’économie animale.
Ce n’est pas qu’on ne puisse transmettre au
lait quelques propriétés médicamenteuses; mais
il faut choisir, parmi les plantes médicinales,
celles dans la composition desquelles le prin-
cipe médicamenteux n'est pas destructeur du
principe nutritif, par exemple, le cresson, le
bécabunga , le cochléaria, dont l’usage com-
munique au lait un montant auquel on attribue
ordinairement la vertu anti- scorbutique, sans
apporter d'altération dans l’économie animale.
Le lait a donc la faculté d’acquérir des pro-
priétés médicamenteuses par l’usage de quel-
ques végétaux mêlés à ceux dont les femelles
se nourrissent; mais il peut encore conserver
celles des remèdes qu’on leur administre dans
certains cas pour prévenir une plus grave
indisposition. On a observé depuis long-temps
qu’une médecine donnée à une nourrice pur-
geait aussi l’enfant , que même la vertu de
1 émétique se communiquait à son lait.
De ces observations , plus ou moins fondées ,
on a voulu faire des applications utiles au trai-
tement de la maladie vénérienne des enfans
nouveau -nés; on a essayé, par exemple, de
i54 DU LAIT CONSIDÉRÉ
les nourrir avec du lait d’une chèvre à laquelle
on avait donné des frictions mercurielles. On
a même été plus loin dans ces derniers temps,
en consacrant à cet objet un hospice où les
mères, ainsi que les enfans, affectés de cette
maladie , subissaient le traitement ordinaire
pendant 1 allaitement.
Nous savons que cette tentative , si hono-
rable pour l’humanité , a été couronnée de
quelques succès, et nous désirons quelle soit
suivie de nouveau pour dérober à la mort tant
de victimes du libertinage.
Ces vérités, que tant d’expériences confir-
ment journellement, ont été cependant mises
en doute par quelques médecins , sur tout par
Y oun g , dans sa dissertation sür la nature et
l'usage du lait. Ce médecin prétend avoir
examiné le lait de beaucoup de nourrices
malades, sans avoir reconnu aucun change-
ment dans ce fluide. Il croit qu’une nourrice
affectée de maladie vénérienne , n’infecte pas
toujours son nourrisson; il doute que lçs pur-
gatifs donnés à une nourrice agissent sur l’en-
fant. Enfin , il dit avoir examiné le lait de deux
nourrices qui avaient faitc'üsage «pendant huit
jours de pillules mercurielles de la phatma-
copée d’Édimbourg , au point -que leur bouche
était très- affectée , sans que leur lait ait noirci
l’argent ni blanchi l’or; il assure en consé-
quence n’y avoir trouvé aucune trace de mer-
cure. Mais l’inexactitude de cette dernière
*
conséquence est trop évidente pour qu’il soit
nécessaire de s’y arrêter. En effet, la manière
d’agir du mercure dans l’économie animale est
si peu connue, il est si difficile souvent de
retrouver les sels mercuriels, même dans les
préparations où on les a combinés soi-même
à petites doses, quon ne peut conclure à la
non- existence du mercure, de ce qu’on n’en
trouve pas de traces parles procédés chimiqües
ordinaires.
Outre toutes ces assertions vagues , il suffit
d’appeler le témoignage de l’expérience jour-
nalière des praticiens et même celui des nour-
rices : elles savent très -bien que tel ou tel
aliment influe sur leur lait ; elles savent aussi
que, si elles font usage de purgatifs, leur enfant
éprouve des coliques, et rend des selles plus
abondantes , plus séreuses , etc.
Maintenant, si on se rappelle ce que nous
avons dit non- seulement sur la structure des
organes sécrétoires, mais encore relativement
à la manière dont ils exercent leurs fonctions ,
on saura quel est le jugement qu’on doit porter
sur une classe de médicamens qu'on trouve
dans les ouvrages de matière médicale sous le
nom d e galacùopoïétifjues , ou remèdes propres
à faire Venir le lait.
Les anciens , qui croyaient beaucoup aux
analogies , se persuadaient que toutes les
plantes qui fournissent une matière laiteuse
quand on blesse leur parenchyme , possédaient
DU LAIT CONSIDERE
une pareille vertu. Dans cette opinion ils pres-
crivaient l’usage de la laitue et de toutes les
plantes de cette famille aux nourrices qui
avaient peu de lait ; mais on sait que ce pré-
tendu lait n’est autre chose qu’un véritable
suc résineux , comparable à celui que don-
nent l’ésule, les feuilles de figuier et les autres
plantes de ce genre.
Loin donc de reconnaître à ces plantes ,
ainsi qu’au cerfeuil , à l’aneth , au fenouil , au
sureau, au poligala, et à beaucoup d’autres
végétaux , la faculté d’augmenter le lait ; loin
de croire pareillement que la bourache et le
persil aient une vertu diamétralement oppo-
sée ; nous ne considérerons, comme véritable-
ment' ' galactopo'iétiyues , que les substances qui
abondent en sucs alimentaires, et desquelles
les forces digestives peuvent tirer le parti le
plus avantageux , afin de fournir à l’organe
mammaire tous les matériaux nécessaires à la
composition du fluide lacté. Mais , lorsque la
nourriture est abondante et de bonne qualité,
on ne peut nier l’utilité de l’emploi des subs-
tances légèrement excitantes et dites apèritives
comme auxiliaires, pour donner du ton aux
organes, et faciliter la sécrétion des humeurs,
qu'ils sont destinés à séparer.
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. l5y
Article III.
Influence des affections morales et
physiques sur le lait.
S i le lait prend facilement l’odeur , la couleur
et la saveur de certains végétaux, et que par
conséquent il soit susceptible d’acquérir des
propriétés médicamenteuses; on ne peut dis-
convenir non plus que les affections physiques
et morales n’aient quelque influence sur sa
qualité.
Un effroi considérable occasionne l’engorge-
ment subit des mammelles, et un violent cha-
grin produit leur affaissement ; cet organe , en
apparence isolé, participe tellement au dés-
ordre qui est la suite de ces affections vives ,
qu’il n’élabore plus qu’une liqueur séreuse ,
jaunâtre et bide , au lieu d’une humeur blanche ,
douce et sucrée. Bordeu dit avoir vu le lait
/
s 'épaissir dans une nourrice qui vit tomber son
enfant ; le lait reprit son cours et sa consistance
dès que l’enfant put teter , et la mère , agitée
par deux ou trois passions différentes , sentait
la chaleur, la souplesse et le remontage à u lait,
à proportion que l’enfant donnait des signes de
force et de santé.
Il n’est pas douteux que la colère et les autres
passions de l’aine ne détériorent la qualité
du lait, au point de le rendre mal -sain pour
i5S
DU LAIT CONSIDÉRÉ
l’enfant auquel ce fluide sert de nourriture.
Petit- Pradel , dans son essai sur le lait, ou-
vrage écrit avec ordre et rempli d’observations
judicieuses, dit avoir vu dans les Indes une
femme faire fouetter inhumainement la nour-
rice de son enfant, pour une faute très-légère:
la nourrice peu à peu donna un mauvais lait
à son nourrisson , qui ne tarda point à être
tourmenté d’énormes convulsions. Les mêmes
dangers menacent cependant les pauvres enfans
confiés à des femmes mercénaires.
Ces phénomènes se remarquent également
chez les animaux. Souvent le lait est altéré à
la suite des mauvais traitemens qu’une vache
reçoit par la brusquerie et la mal - adresse de
la traïeuse. On a vu aussi une chèvre donner
un lait de mauvaise qualité lorqu’on gourman-
dait le nourrisson qu’elle affectionnait.
Indépendamment de toutes les causes qui
apportent des changemens notables à la com-
position du lait , nous observerons que les
femelles qui le fournissent sont encore exposées
à des spasmes, qui, sans rien déranger dans leur
économie, peuvent néanmoins suspendre l’é-
mission de ce fluide , ou en tarir tout-à-coup
la source, comme des affections agréables
peuvent en faciliter le cours.
L’immortel Bordeu a développé , avec ce
génie qui lui était propre , l’influence de l’ac-
tion nerveuse sur l’organe mammaire : il a ex-
pliqué l’effet des chatouillemens que le nour-
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. i5q
risscn exerce sur la mère , et dont il paraît
semtir la valeur, comme la mère sent 1 acti-
vé vitale de son nourrisson ; il ne doute pas
que le commerce de sensibilité , établi par la
nature entre l’enfant qui tete et la mère qui
donne a téter , n’entre pour beaucoup dans la
formation et le mouvement du lait.
Le digne ami de Bordeu , Bayen que la
mort vient de nous ravir, nous a appris qu’un
jour, se trouvant dans les Pyrénées, il avait
remarqué qu’une vache retenait son lait préci-
sément parce qu’elle se trouvait entourée de
beaucoup de personnes qu elle n’était pas dans
l’habitude de voir. Mais sa surprise fut extrême
en voyant un jeune pâtre lui souffler aussitôt
de l’air chaud dans la vulve, au moyen d’une
espèce de chalumeau ; alors les mamelles
laissèrent échapper ' le lait avec profusion :
nouvelle preuve de la correspondance qui
existe entre ces deux organes. Mais , ce qui
parait singulier, c’est que cette pratique soit
connue des Hottentots et, peut-être, de tous
les peuples nomades. Le Vaillant, qui en a
fait la remarque dans ses voyages en Afrique ,
rapporte en même temps que, s’il arrive que
le veau périsse , on en conserve soigneusement
la peau , dont on fait un mannequin qui sert
à tromper la vache, laquelle, séduite par ce
stratagème , continue de donner son lait comme
auparavant.
Cette dernière observation n’a point échappé
A/;
SIA. ; V*. •
BU LAIT CONSIDÉRÉ
à Olivier De Serres. Voici comme il s’exp-ime
dans son théâtre d’agriculture :
» Et l’usage de certains endroits de Lar-
« guedoc et d’ailleurs , manifeste que , plus
te de lait rendent les vaches nourrissant leurs
« veaux , que celles qui en sont délivrées, d’au-
ct tant que la vache est tant amoureuse de son
« veau, que libéralement elle lui donne le
« lait dont la quantité s’en augmente ; n'ayant
tt le veau sitôt mis dans la bouche le trayon
tt de sa mère , que le lait n’en sorte , comme
« le vin d’un tonneau qu’on perce : puis en
a gardant le veau de continuer, on l’arrache
« de la tétine , et le reste du lait est aisément
« tiré jusqu’à une goutte. Même il y a des
et vaches si faciles qu’à la seule vue du veau
tt satisfont à leur devoir. Pour laquelle cause
tt attache-t-on le veau à une jambe de la vache ,
« d’où par elle avec plaisir il est vu et flairé ,
« pendant qu’on la trait. Il y a de plus; sou-
« ventes fois trompe -t- on la sottise de cet
animal avec une feinte composée de la peau
« d’un veau remplie de paille ; au seul approche
de laquelle, cuidant la vache que ce soit
son veau , se laisse volontairement traire. »
On sera, peut-être, étonné qu’après avoir
dit deux mots de l’influence des alfections mo-
rales sur le lait , nous ne fassions pas également
mention de l’état où ce fluide doit se trouver
lorsque l’animal est malade. Il y a tout lieu de
présumer que les changemens quil subit dans
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llELATIVEMENï A LA MÉDECINE. l6l
ce dernier cas sont frappans : mais il est dif-
ficile de faire des expériences très-variées sur
ces espèces de lait , parce que , dans les affec-
tions légères , ce fluide est peu altéré ; si , au
contraire , les maladies sont graves , la secré-
tion de l’organe mammaire se fait mal, ou ne
se fait pas du tout, et il est rare que l’on puisse
alors se procurer une quantité de lait suffisante
pour avoir des résultats positifs. Cependant nous
avons observé que l’altération se portait princi-
palement sur la matière caséeuse, qui, comme
nous l’avons dit et prouvé, est véritablement,
des parties qui constituent le lait, celle qui
parait être la plus animalisée.
Nous pensons donc que ce qui arrive au lait
dans ce cas , a lieu également pour tous les
fluides animaux. La substance la plus voisine
de l’animalisation qu’ils contiennent, est pres-
que la seule qui éprouve une altération sen-
sible. Ainsi, que l’<pn examine le sang, la bile
et l’urine d’un individu affecté d’une maladie
qui n’a pas son siège dans l’organe où se
fabrique l’une ou l’autre de ces humeurs, on
verra que c’est toujours la partie lymphatique
ou muqueuse qui subit la première une sorte
de décomposition, tandis que la sérosité et les
matières salines , qui ne sont, pour ainsi dire,
que des excipiens ou des moyens de combinai-
son, se conservent avec toutes leurs propriétés.
Nousn’avons pas négligé, pour le complé-
ment de notre travail , d’examiner le lait pris
x>
DU LAIT CONSIDÉRÉ
dans les différens états où se trouvent les
femelles, soit avant, soit après la gestation,
soit quand elles sont malades; mais alors, au
commencement sur tout de l’indisposition , le
lait que nous avons examiné semblait n’ètre
pas altéré , et l’altération n’a commencé à se
manifester, d’une manière marquée, que lors-
que la maladie, faisant des progrès, a dû né-
cessairement agir d’une manière sensible sur
le système animal, affaiblir par conséquent la
puissance de l’organe mammaire , la suspendre,
et mettre un terme à l’émission du lait.
Nous pensons , d’après ces vues générales ,
qu’au moyen d’expériences exactes et de bonnes
observations, on pourrait juger des altérations
des parties constituantes les plus essentielles
du lait par la simple inspection de ce flüide,
et obtenir des résultats de médecine pratique
qui serviraient, dans les maladies des nourrices,
à tirer un pronostic aussi sûr, peut-être, que
de l’état des autres secrétions et excrétions
dans une foule de circonstances cliniques.
C’est aux accoucheurs , c’est aux médecins qui
s’occupent spécialement des maladies des fem-
mes , à réunir ce que l’on trouve épars sur cet
objet dans les auteurs , et à faire de nouvelles
recherches propres à agrandir cette sphère des
connaissances humaines.
Avant que de passer à l’examen du lait em-
ployé comme remède , nous croyons devoir
nous arrêter à l’état où il se trouve au sortir des
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. l63
mamelles, immédiatement après le part. Ce
n’est pas alors un véritable lait; on ne peut et
on ne doit le considérer que comme un fluide
médicamenteux , que la nature a formé pour
préparer le nouveau -né à recevoir une nour-
riture plus substantielle, que lui offrira ensuite
l’usage d’un lait plus élaboré.
Peut-être aurait -on désiré que la première
partie de notre ouvrage débutât par cet exa-
men , puisqu’il s’agit précisément du fluide
qui offre l’image de l’état primitif du lait ; mais
il nous fallait quelques points de comparaison
pour mieux juger delà nature du lait pris à cette
époque , et nous avons cru que son analyse
serait mieux placée à la suite de nos considé-
rations sur les qualités particulières et variées
que peuvent donner aux parties constituantes
du lait toutes les influences physiques et
morales.
Article IV.
Du colostrum.
Les médecins ont donné le nom de colos-
trum à ce fluide qui se sépare des mamelles,
dans les premiers instans qui précèdent et
suivent le part.
Nous ne traiterons ici que de celui de
vache, le seul que nous ayons pu nous pro-
curer en assez grande quantité pour le sou-
mettre aux expériences propres à déterminer
sa nature et ses propriétés.
164 du lait considéré
Cet objet , tout important qu’il soit , ne
paraît cependant pas avoir mérité l’attention
des chimistes, nous observerons même que,
sans les expériences auxquelles deux méde-
cins hollandais ont soumis le colostrum, à
peine aurait-on de la composition de ce fluide
la moindre notion. La dissertation qui contient
ces expériences , est insérée dans les mémoires
de la ci-devant société de médecine, années
1787 et 1788. Elle a pour auteurs Abraham
'van S tipriann et Nicolas Bondi. Nous nous
félicitons d’avoir partagé avec eux le suffrage
de cette savante compagnie.
Après avoir indiqué les propriétés physiques
du colostrum , la manière dont il se comporte
avec les réactifs , et les résultats qu’on en
obtient , lorsqu on le distille à feu nu , les
auteurs passent à l’examen des différens pro-
duits qu’il fournit spontanément, tels que la
crème, le beurre, la matière caséeuse et la
sérosité ; et ils terminent par considérer ce
fluide dans un état de décomposition complète,
c’est-à-dire, lorsqu’il est parvenu à l'époque où
il commence à subir la fermentation putride.
Le travail dont il s’agit ne pouvait être
étranger au nôtre ; et , après l’avoir suffisamment
médité, nous avons cru devoir répéter les
expériences des médecins cités , et en ajouter
d’autres qui nous ont paru indispensables pour
atteindre le but que nous nous proposions ,
celui de bien établir la différence réelle qui
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. l6‘>
existe entre le lait et le colostrum , et de
rendre raison, s’il était possible, de la manière
d’agir de ce dernier fluide dans l’économie
animale.
C’est uniquement par ce motif que nous
avons donné une certaine étendue à l’article
du colostrum ; ce fluide changeant d’état à
mesure qu’il s’éloigne du moment où la femelle
a mis bas, nous avons senti la nécessité den
faire l’examen à quatre époques différentes ,
c’est-à-dire , jusqu’à ce qu’il réunisse toutes les
qualités qui le constituent un véritable lait.
Examen clu colostrum.
La femelle qui a fourni le colostrum , objet
de cette analyse , était d’une belle race , d’une
constitution vigoureuse , n’ayant éprouvé ,
avant , pendant et après le vêlage , aucun acci-
dent particulier , et étant à sa troisième portée ;
elle pouvait , en un mot , être considérée
comme excellente vache laitière.
Nous avons été assez heureux pour avoir
du colostrum , précisément la veille du jour
que la vache a vêlé. Ce fluide alors était demi-
transparent , visqueux, jaunâtre, fdant, d’une
saveur fade, ayant la consistance d’un véritable
syrop.
Ce colostrum, au bout de deux heures de
repos, s’est recouvert d’un autre fluide jaune,
très-épais, d’une saveur assez douce, et d’une
l 3
l66 i DU LAIT CONSIDÉRÉ
consistance onctueuse; ce fluide, séparé et
agité dans un vaisseau convenable, a donné
du beurre d’un jaune safrané, gras et ferme,
ayant les propriétés générales du beurre ordi-
naire.
Le liquide dont on avait extrait du beurre, et
celui dont on avait séparé de la crème , se res-
semblaient parfaitement: ils étaient moins épais,
moins colorés qu’au sortir des mamelles ; mais
au moyen du repos ils se sont recouverts d’une
autre matière crémeuse, qui , battue , a donné
une nouvelle portion de beurre, plus fade et
moins jaune que le premier.
Ce colostrum , dont on avait séparé deux fois
la crème, en a encore fourni vingt -quatre
heures après, et le beurre qui en est résulté,
également fade, n’était pas plus jaune que le
beurre ordinaire de l’été.
Une portion de colostrum , pourvue de sa
crème , ayant été exposée au feu immédiate-
ment après la traite , s’est coagulée au premier
bouillon, comme du blanc d’œuf; mais le coa-
gulum n’a pas pris une grande consistance.
Les acides et l’alcohol coagulent ce fluide ,
qui, dans tous ces cas, se comporte comme
une matière albumineuse.
Mêlé avec quelques grains de présure ordi-
dinaire, et exposé à une température de vingt-
deux degrés, le colostrum ne s’est pas coagulé
à la manière du lait ; il n’en est résulté au bout
de vingt -quatre heures qu’un magma lympha-
RELATIVEMENT A LA MÉQECINE. 167
tique , très - adhérent à la sérosité , et dont la
que celui du ferment animal.
Le colostrum obtenu le premier jour du
vêlage, différait sensiblement de celui de la
veille. En inclinant le vaisseau qui le conte-
nait, on apercevait des filets sanguins qui, au
moyen du mouvement, se dissolvaient et im-
primaient bientôt à tout le fluide une couleur
rougeâtre : sa consistance était épaisse et comme
visqueuse; sa saveur ressemblait à celle du lait
ordinaire.
Ce colostrum, mis sur le feu, se coagule avant
d’arriver au degré de l’ébullition , et fournit
une très- grande quantité de sérum blanchâtre.
La coagulation n’est pas non plus facile par
l’action de la présure, et le mélange demeure
long -temps sans offrir de véritable décom-
position.
Deux livres de ce colostrum ont donné, en
plusieurs fois, six onces de crème épaisse et
visqueuse, qui , par la percussion , a fourni trois
onces et demie de beurre d'un jaune foncé,
presqu’orangé , plus spongieux, plus gras et
moins agréable que le beurre ordinaire.
Par la séparation de la crème le colostrum
devint plus fluide ; il prit une couleur et une
consistance analogues à celles d’une eau sur-
chargée de savon.
Abandonné à lui-mème pendant vingt-quatre
séparation était plutôt l’ouvrage de l’atmosphère
heures, à une température de quinze à seize
1* 4
i68
D-U LAIT CONSIDÉRÉ
• degrés du thermomètre de Réaumur, il com-
mença au bout de ce temps à se coaguler ;
mais le coagulum , au lieu de se séparer comme
dans le lait qui s’aigrit , resta adhérent au
sérum , et on ne parvint à rompre sa cohérence
qu’en plongeant le vase dans un bain-marie
bouillant.
La matière coagulée , séparée et rassemblée
par ce moyen , n’a plus présenté qu’une niasse
visqueuse, qui , à la faveur de la compression
et de la dessication , est devenue dure et cas-
sante, ayant la transparence d’une corne. Cette
matière, soumise aux mêmes agens d’analyse
employés à l’examen de la matière caséeuse du
lait , a donné des produits semblables à cette
dernière.
Le sérum, séparé du coagulum, était près-
qu’incolore; il avait une demi - transparence ;
sa saveur était aigre. Par la filtration, il est
devenu d’abord fort clair; ensuite il s’est trou-
blé, et sa surface, au bout de quelques jours,
a été recouverte d’une légère moisissure , par-
semée de points verdâtres.
Cette moisissure enlevée, il s’en est formé
une seconde, et ainsi successivement. Nous
nous déterminâmes alors à filtrer la liqueur et
à l’évaporer au bain - marie jusqu a la con-
• sistance d’un syrop clair ; par le refroidisse-
ment, elle devint gélatineuse , et laissa préci-
piter des cristaux cubiques , qui furent reconnus
1 pour être du muriate de soude.
relativement a la médecine. 169
Nous avons encore remarqué d’autres cris-
taux , empâtés d’une matière épaisse et vis-
queuse, ayant une couleur jaune tirant sur le
brun. La petite quantité de ces derniers cris-
taux ne nous a point permis de les soumettre
à beaucoup d’expériences; mais celles que no un
avons faites ont suffi pour démontrer leur ana-
logie avec le sel de lait : en effet , ils avaient
une saveur légèrement sucrée , et , lorsqu on
les mettait sur un charbon ardent , ils brûlaient
en répandant une odeür pareille à celle du
caramel.
Le colostrum du second jour n’avait pas au-
tant de couleur que le précédent ; on y voyait
encore flotter quelques filets sanguins , mais
en moindre quantité : exposé au feu , il lui a
fallu le degré de l’ébullition pour se coaguler.
Vingt -quatre onces de ce colostrum ont
donné cinq onces et demie d’une crème épaisse,
qui , battue , n’a fourni que deux onces de
beurre , aussi fade que le précédent , mais avec
une couleur moins foncée.
Le fluide, dépouillé de sa crème, n’a pas
tardé à s aigrir ; la matière coagulée nous a
paru alors abandonner le sérum plus aisément
que celle du colostrum du premier jour : mais
elle 11’avait pas encore acquis cet état gélati-
neux et tremblant , qui caractérise la matière
caséeuse , spécialement celle du lait de vache.
Le colostrum du troisième jour différait
essentiellement des deux premiers par ses
17° 1>U LAIT CONSIDERE
*
qualités extérieures ; il ne présentait plus de
filets sanguins, et sa couleur se rapprochait de
celle du lait.
Ce fluide , placé sur le feu , a soutenu quel-
ques bouillons avant que de se coaguler, et le
coagulum a présenté tous les caractères de la
matière caséeuse séparée du sérum.
La crème qui s’est élevée à la surface des
vingt-quatre onces de ce colostrum du troi-
sième jour , avait la consistance et la couleur
de la crème ordinaire ; séparée à diverses repri-
ses, elle pesoit trois onces, qui ont donné par
la percussion quatre gros douze grains de beurre
d une bonne consistance , mais moins jaune
et meilleur que les précédens.
La matière caséeuse et le sérum se sont
comportés dans l’analyse comme ces deux pro-
duits du lait de la meilleure qualité.
Le colostrum du quatrième jour après le
vêlage réunissait tous les conditions du lait ,
car , examiné «à cette époque , il ne se coagu-
lait plus au feu , et il n’en différait absolument
que par la moindre abondance du beurre, et
par la très -grande quantité de sérum.
On ne doit donc regarder comme véritable
colostrum que le produit des traites des trois
premiers jours qui suivent le part , car le
fluide que fournissent ensuite les mamelles, est
pourvu de toutes les qualités qui appartiennent
au fluide.
Nous regrettons, au surplus, que les difïi-
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 171
cultes sans nombre que nous avons éprouvées
lorsque nous avons cherché à nous piocurei
le premier colostrum de vaches à différentes
heures de la journée, nous aient privés de satis-
faire au désir que nous avions d étudier et de
suivre pas à pas la marche de la nature dans
cette importante opération ; mais les expérien-
ces dont nous venons de présenter le résultat,
doivent suffire pour démontrer quil en est de
ce fluide comme du lait, c’est-à-dire, quen
conservant toujours les caractères spécifiques
qui lui appartiennent essentiellement, le colos-
trum doit cependant offrir quelques nuances
particulières , subordonnées , sans doute , à
l’espèce de la femelle , au nombre de ses portées ,
à sa constitution physique, à son âge, à son
régime , et à une foule d’autres circonstances
faciles à soupçonner.
Avouons -le, une grande partie de nos
expériences ne sont que* la confirmation de
celles que les deux médecins hollandais ont
faites sur le colostrum. Ils ont bien prouvé
qu’il existait une grande différence entre ce
fluide et le lait; que cette différence se remar-
quait principalement dans l’état particulier de
la matière caséeuse , qui avait beaucoup d’ana-
logie avec l’albumen. Ils ont également observé
que le colostrum du premier jour ne ressem-
blait point à celui du second , et que l’un don-
nait plus de crème et de beurre que l’autre ;
en un mot , que le sérum ne se séparait qu’in-
là* i
DU LAIT CONSIDÉRÉ
complètement par tous les corps coagulans, et
qu’il conservait toujours une sorte de viscosité.
Mais on aurait désiré que les auteurs de la
dissertation dont nous faisons mention fussent
entrés dans quelques détails sur la véritable
nature du colostrum, et sur les effets qu’il est
destiné à opérer dans l’économie animale. Sans
doute , occupés alors de traiter le même
sujet que nous, ils n’ont regardé cet objet que
comme accèssoire à la question proposée; et
c’est ce qui nous détermine à suppléer à leur
silence par les observations suivantes.
Nature du colostrum.
11 est facile de juger, d’après ce qui pré-
cède , que la crème , le beurre , la matière
caséeuse , qui constituent le colostrum , pré-
sentent des caractères qu’on ne retrouve point
dans les mêmes produits obtenus du véritable
lait.
i.° La crème. C’est une chose véritable-
ment digne de remarque que l’état de la crème
contenue dans le colostrum du premier jour du
vêlage. Elle est, comme nous l’avons démontré,
trois lois plus abondante que dans le meilleur
lait. On ne saurait révoquer en doute que ce ne
soit à la quantité du beurre qui s’y trouve qu’elle
doit sa consistance et sa couleur, car le fluide
qui lui sert de véhicule , étant séparé par la per-
cussion, perd sensiblement de sa viscosité et est
plutôt rougeâtre que jaune. Du reste, la saveur
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. Ij3
de cette crème n’est pas désagréable, et on
pourrait l’employer à tous les usages de la crème
ordinaire , si , d’ailleurs , son aspect n’inspirait
une sorte de répugnance difficile à vaincre.
Pour savoir si l’état de la crème dans le colos-
trum n’appartenait pas plutôt à la constitution
individuelle de la femelle qu’à la nature cons-
tante et essentielle de ce fluide , nous n’avons
pas négligé l’occasion de nous procurer du
colostrum de vaches qui , quoique dans la classe
des bonnes laitières , avaient cependant la répu-
tation de donner un lait séreux ; et toujours
nous avons vu que la crème y existait avec les
caractères particuliers que nous avons observés.
Il est donc plus que vraisemblable que ,
quand on a avancé que le colostrum contenait
fort peu de crème , aucune expérience chimi-
que n’avait éclairé cette opinion , puisque ce
qui caractérise particulièrement ce fluide, c’est
l’abondance de cette matière onctueuse et l’in-
tensité de sa couleur jaune.
On ne saurait disconvenir encore que cette
crème, qui parait plus adhérente au colostrum
qu’au lait, ne donne à la totalité du fluide
qui la contient un état onctueux ; en recou-
vrant de toutes parts les molécules des autres
parties constituantes, elle les rend plus aptes,
par conséquent, à former pour le jeune animal
une nourriture, peut-être moins substancielle ,
mais appropriée à la faiblesse et à l’irritabilité
de ses organes.
A
*74 DU LAIT CONSIDÉRÉ
2.0 Le beurre. Indépendamment de la quan-
tité considérable qu’en fournit le colostrum ,
et qu’il est possible d’évaluer à une once et
demie par livre de ce fluide, on est encore
frappé de sa couleur jaune. Elle est si remar-
quable qu’on serait tenté de croire qu’elle
lux a été communiquée artificiellement : mais ,
ce qui a principalement droit de surprendre ,
c’est de voir cette couleur diminuer d’un jour
à l’autre , jusqu’à ce quelle soit arrivée au ton
de celle que la crème a le plus ordinairement;
et c’est à peu près l’affaire de douze à quinze
jours.
'Fous nos efforts pour séparer cette couleur
du beurre ont été inutiles. Il paraît qu’elle lui
est tellement inhérente qu’aucun dissolvant
ne peut la lui enlever. Au reste, ce produit
se comporte dans cette circonstance, par rap-
port à la matière qui le cohwe, comme tous
les corps gras , qui, lorsqu’ils sont une fois com-
binés avec un principe colorant, le retiennent
obstinément.
Nous ne sommes pas encore assez avancés
pour prononcer sur la nature du principe colo-
rant du beurre provenant du colostrum , puis-
qu’on ne saurait l’avoir à part ; mais nous
croyons ne pas devoir passer sous silence l’ex-
périence suivante, dont le résultat conduira,
peut-être, à la solution de la difficulté qui
nous arrête dans ce moment.
Ainsi qu’on l’a vu plus haut , nous avions
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1, difliculté f
relativement A LA MÉDECINE. 175
observé que les filets sanguins étaient en plus
grande quantité dans le colostrum du premier
jour que dans celui du second ; que le beurrre
s’y trouvait aussi plus abondant et plus foncé
en couleur; que le colostrum du troisième
jour , dans lequel on n’apercevait plus de sang,
avait donné un beurre dont la nuance jaune
était égale à celle du beurre extrait de la crème
du lait ordinaire.
Toutes ces observations firent naître en
nous l’idée que le sang, ainsi mêlé avec le
colostrum , pouvait bien influer sur sa couleur;
et , dans l’espoir d’acquérir quelque certitude
à cet égard, nous essayâmes de colorer artifi-
ciellement le beurre , en ajoutant du sang à
de la crème.
Mais , présumant bien que l’effet que nous
cherchions à obtenir n’aurait lieu qu'autant
que nous mettrions en contact le lait et le
sang dans un état presque vivant, nous avons
fait tomber le sang d’une saignée faite à un
animal dans un vase où on recevait en même
temps le lait qu’on exprimait du pis d’une vache.
Ces deux fluides furent bientôt mêlés, et,
comme la quantité du sang pouvait être dans
la proportion de deux onces sur seize onces
de lait , il résulta du mélange un liquide
couleur de rose. ;
Ce mélange , abandonné à lui-même pendant
quinze heures , se couvrit d’une crème très-
épaisse, que nous nous hâtâmes de séparer et
con-
I76 DU LAIT CONSIDÉRÉ
de battre, pour avoir le beurre quelle
tenait.
Nous séparâmes aussi le beurre de la crème
d’une certaine quantité de lait non mélangé,
mais fourni par la même vache , afin de pouvoir
comparer les deux beurres.
Le beurre obtenu du lait mêlé avec du sang
avait une couleur bien différente de celle du
beurre extrait du lait : pe dernier avait cette
teinte jaune qui appartient au beurre ordinaire;
le premier, au contraire, était d’un jaune sale,
tirant un peu sur le rouge.
Malgré les lotions réitérées que nous lui finies
subir, il nous fut impossible d’enlever cette
couleur et de la rappeler à celle du beurre que
nous avions extrait du lait non mélangé, pour
en faire un objet de comparaison.
Quoique ce résultat ne soit pas , à beaucoup
près, assez satisfaisant pour pouvoir en tirer
une conséquence applicable à la couleur jaune
du colostrum , au moins semble-t-il annoncer
que le sang mêlé au lait peut fournir à ce
dernier une matière colorante. Qui sait si le
mélange de ces deux fluides, opéré plus exac-
tement et d’une autre manière que par notre
procédé, n’aurait pas produit une teinte diffé-
rente de celle que nous avons obtenue ?
Qui sait encore , si la matière colorante jaune
de la bile , qui existe quelquefois en assez
grande quantité dans le sang, et qui peut colo-
rer en jaune très- foncé sa sérosité , ainsi que
*&■
< Â 7
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 177.
cela est prouvé par les expériences; qui sait,
disons-nous, si ce n’est pas cette partie colo-
rante de la bile qui imprègne aussi le beurre
du colostrum ?
Cette matière colorante jaune , que , dans
quelques circonstances , la sérosité du sang
parait contenir, ne pourrait -elle pas y être plus
abondante à l’époque du vêlage que dans tout
autre temps?
Qui sait , enfin , si le mélange d’une certaine
quantité de sang avec le colostrum n’influe pas
snr les proportions des principes que nous a
présentés ce fluide à l’analyse, et n’est pas la
cause principale de l’état particulier du colos-
trum, qui sans cette portion de sang ne serait,
peut-être, que du lait altéré par un plus long
séjour dans les mamelles ?
Cependant, ce que nous ne devons pas taire
ici , c’est que nous avons vu souvent du colos-
trum qui ne contenait aucuns filets sanguins,
et n’en donnait pas moins une crème et du
beurre extrêmement jaunes etabondans : preuve
que ces filets ne sont pas essentiels à ce fluide,
et que leur présence pourrait être attribuée à
la rupture de quelques vaisseaux , lorsque des
traïeuses mal - adroites compriment brusque-
ment le pis de l’animal.
On le répète, nous ne présentons nos idées
à cet égard que comme des doutes qui méri-
tent d être pris en considération; peut-être,
un jour pourront-ils trouver leur application ,
M
îyS DU LAIT CONSIDÉRÉ
lorsqu’on aura multiplié les expériences et les
observations.
3.° La matière caséeuse. Quoiqu’elle se
comporte à peu près, à l’analyse, de la même
manière que celle qui résulte du lait ordinaire ,
on se tromperait en concluant qu’il n’y a aucune
différence entre ces deux matières. Il suffit de
comparer l’état où elles se trouvent au moment
de leur séparation du sérum , avec lequel elles
sont combinées dans ces deux espèces de lait,
pour être convaincu quelles ne se ressem-
blent pas.
Dans le colostrum, surtout du premier jour,
la matière caséeuse , au lieu de prendre la con-
sistance ferme, tremblante, conserve une sorte
de viscosité analogue à celle du blanc d’œuf ;
elle retient tellement le sérum, que, pour la
forcer à le quitter, il faut employer la chaleur
et la compression : alors même ses parties, qui
se trouvent réunies, n’ont pas cette ténacité
que la matière caséeuse a toujours lorsqu’on
lui fait subir les mêmes opérations ; au con-
traire , elle devient cassante , à peu près comme
du blanc d’œuf desséché.
Cet état de la matière caséeuse tient, il n’en
faut pas douter, à la disposition particulière
de ses parties constituantes, qui ne peut pas
être saisie par les agens chimiques, mais que
l’esprit conçoit aisément.
< : Ç’est aussi à cette disposition , sans doute ,
qü4if faut attribuer la manière d’être du colos-
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 179
tram, qui, dans ce cas, présente un fluide plus
convenable à la situation du nouveau -né, que
ne le serait un lait dans lequel toutes les par-
ties constituantes se trouveraient entièrement
élaborées ou différemment modifiées. Cela doit
être ainsi, car le jeune animal, avant sa nais-
sance, recevait de sa mère, par 1 artère ombi-
licale, un sang, plus ou moins élaboré, qu’il
s’appropriait ensuite, et qui servait à sa nutri-
tion et à son développement , etc.
Dés qu’il a respiré, un nouveau système de
nutrition commence pour lui ; mais le premier
aliment que la nature lui destine retient en-
core des caractères de celui que lui fournissait
la mère. C’est pour cela que, les deux premiers
jours du vêlage , le colostrum semble avoir subi
une espèce d’animalisation plus complète que
le lait ordinaire qui se prépare les jours sui-
vans , lorsque le jeune animai est plus en état
d’approprier à sa substance la nourriture qui
lui est présentée.
Ce n’est pas qu’on puisse établir , comme
règle générale, que le colostrum recueilli à
cette époque contienne toujours de la matière
caséeuse dans le meme état. Nous en avons
examiné quelques-uns, dans lesquels la ma-
tière caséeuse était si peu abondante qu’à peine
devenait - elle sensible par les corps coagulans :
ils avaient beaucoup de viscosité et , en quel-
que sorte, l’apparence d’un blanc d’œuf, lors-
qu’on les faisait chauffer.
M 2
i8o
DU LAIT CONSIDÈRE
Nous ajouterons que cet état lymphatique
du colostrum n’est cependant pas tellement
analogue à l’albumen, qu’il soit possible de le
lui comparer entièrement. D’abord ce fluide
ne parait pas contenir de soufre ; aussi ne
noircit-il pas les vaisseaux d’argent dans les-
quels il séjourne : ensuite , quand il s’altère ,
l’aigreur qu’il répand est précisément celle qui
appartient au lait parfaitement conditionné :
enfin , lorsque son altération est portée à un
certain degré , il contracte l'odeur et le goût
de fromage.
Quant à la matière caséeuse , il parait hors de
doute qu’elle subit des modifications à mesure
que le terme du part s’éloigne. D'abord elle ne
présente qu’une matière visqueuse ; mais en-
suite elle acquiert insensiblement de la consis-
tance , et finit par arriver à ce point de per-
fection qu’elle possède dans le lait plusieurs
jours après le part. Il est même vraisemblable
que , si on examinait , «à différentes époques de
la journée, le colostrum qui se forme dans les
premières vingt-quatre heures , on pourrait,
en quelque sorte , suivre la production de la
matière caséeuse, et avoir la preuve qu’à mesure
qu’elle augmente, l’état visqueux et lympha-
tique diminue.
Il en est donc de tout ce qu’on a dit de la
matière caséeuse du colostrum , comme du
beurre ; elle reprend son véritable caractère
tremblant et gélatineux quelques jours après
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. l8l
fc part , et elle ne change plus que dans ses
proportions à mesure que le lait s améliore.
Mais l’examen des parties dont le colostrum
est formé, ne présenterait encore que des con-
naissances stériles , si nous ne cherchions à
indiquer les usages de ce fluide dans 1 écono-
mie animale; c’est, d’ailleurs, une suite delà
tâche que nous nous sommes imposée de con-
sidérer le lait sous le point de vue médical.
Réflexions sur les effets du colostrum .
Il est vraisemblable que l’action de l’organe
mammaire, qui prépare le colostrum du pre-
mier jour, change à mesure que l’époque du
part s’éloigne , puisqu’il est démontré que ce
fluide, dès le second jour, ne ressemble nul-
lement à celui du premier, et que le colostrum
du troisième diffère d’une manière encore plus
marquée des deux précédens, pour se rappro-
cher de l’état du lait pourvu de toutes ses par-
ties constituantes.
On conçoit que les choses se passent ainsi,
car, d’après le but de la nature, le nouveau-né
ne pouvant et ne devant trouver que dans le
lait de sa mère sa première subsistance , il est-
nécessaire que ce fluide ait d’abord le carac-
tère de celui qui servait à la nutrition du foetus
dans la matrice , et qu’ensuite il se modifie à
chaque instant jusqu’à ce que le nourrisson
soit accoutumé à ce nouvel aliment.
1&2 DU LAIT CONSIDÉRÉ
Mais lorsqu’on considère combien est grandfc
la quantité de crème que contient le colos-
trum , et combien plus grande encore est celle
du beurre que cette crème fournit, comparati-
vement à la quantité qu’en donne le meilleur
lait , on ne peut se dispenser de demander
quelle a donc été l’intention de la nature en
admettant autant de matière grasse dans la com-
position du premier aliment quelle destine au
nouveau -né.
Quoique la réponse à celte question semble
appartenir plus spécialement aux médecins
qu’aux chimistes , nous allons cependant,
sinon essayer de la résoudre , du moins pré-
senter à ce sujet des idées générales , en les
étayant de l’autorité d’un savant qui a honoré
par ses ouvrages son siècle et sa patrie.
« Le fœtus , dans le sein de la mère , dit
<c Bordeu, n’a pas encore respiré; il n’a rien
« goûté ni rien avalé. Moitié plante et moitié
te poisson , ses fonctions animales ont à peine
et eu le temps d’éclore. Cependant la fonction
te principale des intestins a lieu; ils travaillent
te à la production d'une matière stercorale, qui
te est comme le premier essai de ce travail : on
te connaît cette matière sous le nom de jnéco-
tc nium animal. On sait que les nouveau-nés le
ce rendent peu d’heures après leur naissance : on
te connaît sa couteur noire, jaune et verdâtre;
te sa consistance semblable à celle du miel. »
C’est, sans doute, pour faciliter l’expulsion
RELATIVEMENT A I.A MÉDECINE- 1 S 3
/ flf
de cette matière colorée et poisseuse , que le
colostrum est en partie destiné; et nous pen-
sons que le beurre qu’il contient en abon-
dance, joue dans cette circonstance un des
principaux rôles.
On sait , en effet, qu’une des propriétés
essentielles de tout corps gras , pris intérieure-
ment , est d’occasioner un relâchement géné-
ral, sur tout quand il se trouve, comme dans
le colostrum , disséminé , associé et combiné
avec un mucilage. On sait encore que les corps
gras , d’après les expériences de Bayen , ont
une grande affinité avec le méconium animal;
qu’ils le dissolvent , le liquéfient , le mettent
en état d’être expulsé au dehors, et flfmpèclient
que, par son trop long séjour dans les intes-
tins , cet excrément n’occasionne des désor-
dres qui deviendraient tôt ou tard préjudi-
ciables au nouveau-né. On sait que les enfàns,
dès les premiers jours de leur naissance , de-
viennent quelquefois très - jaunes , et même
noirâtres , parce qu’alors le méconium n'est pas
évacué. Borcleu dit avoir vu un enfant qui ,
n’ayant pas rendu cette secrétion par les voies
ordinaires, la rendit par la bouche, et mourut
de ce vomissement.
Mais ce qui semble confirmer en quelque
sorte l’effet de la matière grasse contenue dan£
le colostrum , c’est ce qui arrive lorsque l eva-
cuation du méconium ne se fait pas naturelle-
ment et aussi promptement qu’on pourrait le
M 4
m
* •.
l84 DU 1AIT CONSIDÉRÉ
désirer : l’expérience a alors appris qu’il suffi-
sait d’administrer à l’enfant un corps gras , tel
que du beurre ou de l’huile d’amandes douces,
pour obtenir bientôt après l’effet salutaire que
le colostrum seul produit le plus ordinairement.
Au surplus, quelle que soit la manière d’agir
du colostrum , il parait tellement destiné à favo-
riser l’évacuation du méconium, que, quand
cette matière ne se trouve plus dans les intes-
tins, il change d’état, prend celui d’un fluide
moins abondant en beurre, mais plus riche en
matière caséeuse, et devient plus apte, par
cela même , à former un véritable aliment ,
lequel , après avoir subi dans l’estomac l’élabo-
ration convenable, suffit, si rien ne s’y oppose,
pour concourir à tous les développemens du
nouveau - né.
Le colostrum ne saurait donc être considéré
comme un fluide indifférent dans le cas dont
il s’agit ; il est destiné par la nature et les pro-
portions de ses parties constituantes à exercer
précisément les fonctions d’un véritable médi-
cament, dont 1’efFet, en contribuant à l’expul-
sion du corps étranger à la vie de l’animal, dis-
pose, pour ainsi dire, ses organes à recevoir et à
préparer les nouveaux alimens dont il a besoin
pour son accroissement et sa conservation.
t C’est, sans doute, à. cette qualité dissolvante
et relâchante du colostrum , et non aux matières
âcres et aux sels ammoniacaux , qu’il ne contient
pas, qu’on doit attribuer l’espèce de dévoiement
relativement a la médecine. ï85
auquel sont exposés les nouveau -nés qui le
prennent; ces évacuations, loin d’ètre nui-
sibles à l’enfant , le purgent de matières qui
lui occasionnent des tranchées, et le syrop de
chicorée , qu’on prescrit souvent pour provo-
quer la sortie de ces matières, n’a jamais le
succès du colostrum, comme l’a très - bien
remarqué le citoyen Moa/e, ami et élève du
célèbre Sigault.
Si c’est un malheur pour le nouveau -né de
ne pouvoir prendre le teton de sa mère dès
qu’il respire , puisqu’il y trouverait la faculté
de se débarrasser sur-le-champ et sans douleur
de la secrétion dont nous parlons , c’en est un
bien plus grand encore de passer dans' les bras
d’une mère empruntée , qui , à la place du
colostrum , lui donne un lait plus ou moins
façonné, et rarement conforme à sa constitu-
tion , malgré toutes les combinaisons des accou-
cheurs dans ces circonstances toujours critiques
pour le sort futur de l’enfant.
Loin donc de refuser le colostrum au nou-
veau-né, d’après l’opinion des anciens qui
regardaient ce fluide comme vénéneux , on
doit, au contraire, le lui administrer en tota-
lité, pour qu’il puisse remplir les indications
que la nature a en vue en le formant; et
c’est contrarier absolument son vœu que d’en
I frustrer l’enfant sous quelque prétexte que ce
soit , puisque sa propriété légèrement purga-
tive est précisément une des qualités essen
*86 D U LAIT CONSIDÉRÉ
tielles pour la destination qu’il est chargé de
remplir.
Les nourrisseurs des environs deParis ont cou-
tume de traire les vaches dès l’instant quelles
ont mis bas, et de leur faire boire la première
traite, persuadés quelles ont besoin d’ëtre pur-
gées. La seconde traite est pour les veaux, aux-
quels on ne permet jamais de prendre le trayon ,
dans la crainte qu’ensuite la mère ne refuse son
lait à la traïeuse , et ne contracte pour son nour-
risson de l’attachement qui opère toujours en
elle une sorte de révolution lorsqu’il s’agit de
les séparer l’un de l’autre. Mais dans ce cas peu
importe le succès de ces veaux : ils ne sont pas
destinés à former des élèves : leur sort, en nais-
sant, les condamne à la boucherie.
Ainsi l'homme a toujours la manie de chan-
ger l’ordre établi par la nature : on prive les
nouveau -nés d’un fluide exclusivement pré-
paré pour eux, destiné à se combiner à une
certaine espèce de matière résineuse qui en-
duit les intestins, capable enfin de mettre cette
matière en état d être expulsée audehors sans
effort et sans réaction sur l’individu, tandis
que l’on fait avaler à la mère un breuvage qui
lui est absolument inutile, puisqu’elle na point
de méconium à rendre.
Ce n’est pas seulement la quantité de beurre
contenue dans le colostrum qui semble annon-
cer la prévoyance de la nature dans la composi-
tion de ce fluide : la faculté qu’il a de se coa-
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 187
guler à la moindre chaleur , et de pouvoir etre
facilement décomposé , est encore une autre
preuve de cette prévoyance pour des èties
frêles, dont l’estomac n’a pas 1 énergie ni les
sucs gastriques si nécessaires à 1 oeuvre de la
digestion. Mais ce serait excéder les bornes de
cet ouvrage, que d insister davantage sur ce
point.
Nous invitons les chimistes à s’en occuper
spécialement : ils seront amplement dédom-
magés de leurs soins par les résultats qu ils
obtiendront, sur tout s’ils ne se bornent pas
seulement à l’examen du colostrum des vaches,
mais s’ils soumettent à leurs recherches celui
des femelles des autres animaux non ruminans,
pour les comparer ensuite, et savoir si, dans
le colostrum comme dans le lait, il n’existe pas
un cachet particulier auquel on puisse recon-
naître l’une et l’autre classes. Nous engageons
aussi les hommes qui pratiquent l’art si utile
des accouqhemens , à réfléchir sur l’efficacité
du colostrum pour les nouveau- nés, et sur
l’espèce de fluide qu’on doit lui substituer
quand , par malheur , la mère ne peut ou ne
veut pas remplir ce devoir sacré. Un pareil exa-
men est digne de la plus sérieuse attention :
nous formons des vœux bien sincères pour qu’il
soit un jour l’objet d’un travail particulier.
Il résulte de tout ce qui précède , que le
colostrum fourni la veille du vêlage présente
les caractères d’un fluide lymphatique tellement
DU LAIT CONSIDÉRÉ
visqueux que les fermiers le comparent à du
pus; que ce fluide, facilement coagulable,
donne par la percussion un beurre gras, assez
abondant et coloré; que dès le deuxième jour
du vêlage il change d’état pour se rapprocher
insensiblement de celui du lait , et que ce
nest que vers le quatrième jour que cexfluide
a acquis toute la perfection d’un véritable lait,
plus séreux que crémeux, mais propre à être
/ employé à tous les usages domestiques sans
aucun inconvénient.
Article IV.
De î usage du lait comme médicament.
I l faut convenir que la médecine ne paraît
pasavoir à sa disposition un moyen plus agréable
et souvent plus efficace que le lait. Quelque-
fois ce fluide devient le remède principal , s’il
n’est pas toujours le seul agent de la guérison.
Sans vouloir étendre ou circonscrire les
avantages du lait; sans l'admettre uniquement
et indistinctement pour les hommes de tous
les pays , de tous les âges et de tous les tem-
péramens ; nous ferons observer que la raison
et l’expérience indiquent d’y avoir recours dans
une infinité de circonstances , qu’en suppo-
sant qu’il ne soit pas essentiel de se renfermer
dans son seul usage , il convient du moins
d’en former la base du régime. Combien de
fois les malades ne réclament -ils pas, comme
'
■
-cine ne parait
i plus agréable
lit. Quelipue-
principal , s'il
e la guérison,
réinscrire les
■e uniquement
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i tous les tem-
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 189
par instinct , en faveur de cette boisson , contre
l’ignorance ou l’esprit de système, qui s'obs-
tinent à leur en prescrire une autre pour la-
quelle ils ont une aversion décidée? Bornons-
nous à rapporter quelques exemples.
Nous avons connu une femme qui avait
la jaunisse , et qui vomissait tout ce quelle
prenait, excepté le lait, dont elle avait tenté
l’usage, malgré l’avis de son médecin; elle
n’a fait aucun doute ensuite que ce ne fût là
l’unique moyen de sa parfaite guérison.
Un autre particulier, tourmenté d’aigreurs,
n’est parvenu à arrêter cette mauvaise dispo-
sition de l’estomac , que par l’usage du lait.
Dans cette foule d’ouvrages publiés en faveur
de l’usage du lait , nous citerons la dissertation
d 'Young. Selon ce médecin, le lait jouit d’un
si grand avantage contre les poisons , même les
plus corrosifs, qu’il doute que dans la nature
il existe un antidote aussi puissant; il ajoute
encore , qu’une femme qui ressentait sou-
vent une douleur très -aiguë vers la légion de
l’estomac , et qui vomissait fréquemment après
le repas, a été guérie radicalement par l’usage
du lait seul et des alimens auxquels il servait
d’excipient. Les avantages du lait pour détruire
le scorbut, sont incontestables. Hoffmann et
Moore citent également une foule d observa-
tions , qui attestent combien son usage est utile
dans les maladies vénériennes , pour réparer
le désordre que leur traitement varié occasionne
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19° DU LAIT CONSIDÉRÉ
nécessairement dans l’économie animale. Nous
avons un exemple surprenant de l’efficacité du
lait dans la goutte. Eissenbach rapporte, dans
sa dissertation, qu’un homme sexagénaire, né
de parens goutteux , avait eu, dès sa première
jeunesse, des accès de goutte. Fatigué du peu
de succès qu’il avait obtenu des remèdes qui
lui avaient été conseillés, il résolut de prendre
quatre livres de lait chaque jour. Il eut d’abord
beaucoup de peine à supporter cette dose , à
cause de son épuisement ; mais , ferme dans
sa résolution, il continua à user de ce fluide
pendant environ neuf mois. Au bout de ce
temps il ne fut plus exposé à aucun accès de sa
maladie, et fut en état de vaquer à ses affaires
domestiques.
Mais il serait superflu d’exposer ici les ma-
ladies auxquelles l’usage du lait convient ou
ne convient pas; cet objet, tout important
qu’il soit, est étranger à notre travail ; il est
d’ailleurs développé dans une multitude de
matières médicales : mais ce qui n’a pas été
traité avec le même intérêt, ce sont les pré-
cautions qu’il faut employer pour tirer le parti
le plus avantageux d’un remède aussi efficace
que le lait, dans beaucoup de circonstances.
Si, parmi les médicamens , il y en a plusieurs
dont l’usage n'exige aucune préparation préli-
minaire , il en est beaucoup d’autres qui n’bpè-
rent d’effet salutaire qu’autant qu’on a , pour
ainsi dire , disposé l’individu à les recevoir ;
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relativement a la médecine. 191
le lait se trouve précisément dans le nombre
de ces derniers.
Pour l’homme jouissant d une bonne santé ,
ce fluide ne présente qu’un aliment qui, comme
tous les autres, peut être administré indifférem-
ment ; mais, dans les cas de maladie , il devient
un véritable médicament : c’est alors que son
usage exige des précautions, soit avant, soit
pendant, soit après le traitement.
On n’attend pas de nous, sans doute, que
nous fassions un exposé de toutes les précau-
tions que l’usage du lait nécessite; car, toutes
étant subordonnées à l’espèce de maladie qu’il
s’agit de traiter, à l’âge et au tempérament
du sujet, à ses habitudes et au climat sous
lequel il vit, on conçoit que, pour ne rien
omettre de ce qui est relatif à cet objet,
il faudrait entrer dans des détails qui nous
écarteraient du plan que nous nous sommes
tracé. Nous nous contenterons donc de parler
des précautions les plus générales qu’on peut
ou qu’on doit employer, sans toutefois préten-
dre quelles ne soient, dans aucun cas, sus-
ceptibles d’exception.
Précautions avant l’usage du lait.
C’est au médecin à prononcer sur les avan-
tages ou les inconvéniens qui peuvent résul-
ter de l’emploi du lait; lui seul peut décider
si l’état du malade ne présente aucune contre-
indication qui doive faire renoncer à son
DU LAIT CONSIDERE
!92
usage ; enfin , il doit déterminer les précautions
préliminaires indispensables pour assurer les
effets salutaires de cet aliment médicamenteux.
Le premier objet qui doit fixer l’attention, est
l’état de l’estomac.
Si cet organe fait mal ses .fonctions, il con-
vient de chercher à reconnaître quelles peuvent
en être les causes. Leur nombre est consi-
dérable.
Est -ce par défaut de ton ? On doit s’occu-
per à remédier à cet inconvénient, en admi-
nistrant des toniques, mais en choisissant,
dans la classe des médicamens de cette espèce,
ceux qui sont le plus analogues à la consti-
tution du malade , et sur tout au genre de
maladie qu’il s’agit de combattre.
Est -ce parce que l’estomac est rempli de
sabures , qui , s’opposant à l’action des sucs
digestifs , empêchent que les alimens subissent
les décompositions et les nouvelles combinai-
sons qui servent à former ce fluide appelé
chyle ? Alors il n’y a pas de doute qu’on ne
soit contraint de le débarrasser de cette sabure ,
soit par de légers vomitifs , si l’état du malade
le permet, soit par des purgatifs appropriés,
ou par des délayans et des toniques combinés,
qui diminuent les mauvais effets des sucs altérés.
Il est vrai que beaucoup de médecins sont
dans l’habitude de conseiller toujours la pur-
gation avant l’emploi du lait; mais cette pra-
tique n’est pas fondée en principe : les cas où
relativement A LA MÉDECINE. 195
ces sortes devacuations préliminaires ne sont
pas indispensables , se présentent assez fréquem-
ment, et les praticiens éclairés savent bien
saisir les exceptions nombreuses qui réduisent
à très - peu de cas l’application des prétendues
règles générales que la routine a voulu intro-
duire dans l’art de guérir.
Combien de fois la santé n’a-t-elle pas été
dérangée, pendant long -temps, par l’unique
cause d’une médecine de précaution , qui a mis
ensuite le sujet dans l’impuissance de retirer
du lait les avantages certains quil pouvait en
obtenir?
Est -ce, enfin, parce que le principe acide
qui constitue le suc gastrique, suc si nécessaire
à l’acte de la digestion , se trouve en surabon-
dance ? Alors il faut recourir aux moyens pro-
pres à en diminuer la quantité, soit en pré-
sentant à ce suc des corps qu’on sait avoir de
l’affinité avec lui, et, dès -lors, capables de s’en
emparer , soit en usant d’alimens qui puissent
contribuer à atténuer son action , ou mettre
des entraves à sa trop prompte production.
Il est nécessaire encore d’accoutumer peu à
peu le malade à l’espèce de régime dont il
devra faire usage lorsqu’il prendra le lait. Par
exemple , si ses alimens ordinaires sont pris
dans le règne végétal et dans le règne animal,
et qu’on ait intention, lorsqu’il sera au lait,
de ne lui permettre qu’une nourriture végétale ;
il faut quelques jours d’avance lui faire essayer
| m m| |
l v :
. M
DU LAIT CONSIDERE
ce nouveau régime, afin d acquérir la preuve
que l’estomac peut s’en accommoder, et, dans
le cas contraire , en prescrire un autre qui
puisse mieux convenir.
Cette précaution, à laquelle on ne fait pas
ordinairement assez attention, est cependant
absolument nécessaire si on veut éviter aux
malades ces dégoûts , ces pesanteurs d’estomac,
ces nausées, ces mal-aises , ces affections tristes,
ces coliques suivies de diarrhée, et une foule
d’autres indispositions de cette espèce, qu’on
est toujours porté à attribuer au lait , tandis
que, si on ne se déterminait pas trop prompte-
ment à en suspendre l’usage , on serait con-
vaincu que le plus souvent elles ne sont dues
qu’au changement trop subit des alimens dont
on faisait précédemment usage.
Le choix de la saison, pour prendre le lait,
mérite encore une attention toute particulière.
En effet , s’il est bien certain que dans tous
les temps le lait n’a pas la même qualité, on
jugera aisément qu’il ne doit pas être égale-
ment avantageux de faire usage de ce fluide
en hiver ou au printemps , en été ou dans
l’automne.
Le printemps et l’automne sont les deux
époques qui semblent, pour ainsi dire, être
préférables aux deux autres saisons , parce que
les femelles font usage alors d’alimens de meil-
leure qualité, et que leur santé éprouve une
sorte d’amélioration qui influe nécessairement
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. ig5
sur tous leurs organes , lesquels , plus vivans ,
s’il est permis de s’exprimer ainsi , fabriquent et
élaborent plus complètement les humeurs ani-
males ; aussi le lait est-il alors toujours plus riche
en principes que dans les deux autres saisons.
Le choix du lait doit être mis au nombre
des précautions qn’il faut prendre avant de se
mettre à l’usage de ce fluide ; on sait qu’il varie
en propriétés suivant l’espèce de femelle qui
le fournit.
Tel lait contiendra beaucoup de matière
caséeuse et peu de crème , tandis que pour
tel autre ces principes sont dans des propor-
tions inverses. Enfin , on sait que lage de l’ani-
mal, sa constitution, l’état physique où il se
trouve , l’espèce de nourriture dont il fait habi-
tuellement usage, les soins qu’on lui donne,
les lieux qu’il habite , influent singulièrement
sur la plus ou moins grande production du
lait, ainsi que sur sa nature et ses propriétés.
C’est ainsi que le lait de chèvre réussit , tan-
dis que celui de vache fatigue l’estomac; plus
souvent encore le lait d’ânesse est préférable,
comme plus séreux et présentant des principes
moins grossiers.
La quantité, les proportions et la qualité des
principes contenus dans les diverses espèces de
lait , doivent donc décider le médecin à con-
seiller le lait d’une espèce plutôt que celui
d’une autre. Quelquefois on peut faciliter la
digestion du lait de vache , en changeant la
N 2
jat.
proportion de ses principes. C’est ainsi que le
lait écrémé ou le lait de beurre réussit très-
bien , pendant que le lait entier indispose.
D’autres fois on coupe le lait avec des infu-
sions mucilagineuses , ou aromatiques , ou
toniques, pour en faciliter la digestion.
Précautions à prendre pendant l’usage du lait .
Les précautions qu’on est obligé d’employer
avant de se mettre au lait , font aisément pres-
sentir qu’il en est d’autres qui deviennent indis-
pensables lorsqu’une fois on est à l’usage de
ce remède.
Les époques de la journée où il convient d’en
user , la quantité qu’il en faut prendre à la fois ,
le degré de chaleur qu’il doit avoir , le genre
de vie qu’il est à propos de suivre, sont autant
de considérations particulières, sur lesquelles
nous allons présenter quelques réflexions.
i.° L’époque de la journée où il faut prendre
le lait.
Cette époque est susceptible de varier , si
l’on emploie ce fluide pour toute nourriture ,
ou si l’on n’en prend qu’une certaine quantité
qui, insuffisante pour se nourrir, nécessite en
même temps l’association de quelques autres
alimens.
Dans le premier cas , il s’agit de mettre entre
chaque prise de lait assez de distance pour
que la digestion de la première soit achevée
avant d’en présenter une seconde , et ainsi de
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 197
suite. On a vu des personnes qui ne pouvaient
supporter le lait le matin, le digérer très-bien
le soir, et 'vice versà. ■
L’action plus ou moins énergique de l’esto-
mac doit servir de règle pour régler les dis-
tances qu’il convient d’observer : mais ordi-
nairement la première dose doit etre prise le
matin à jeun, peu de temps après le réveil;
trois heures après on peut en donner une
autre, et continuer ainsi pendant le reste de
la journée.
Dans le second cas on se contente d’en
donner une dose le matin peu de temps après
le réveil, et une seconde le soir, deux heures,
ou environ , avant le souper.
Mais , dans l’un et l’autre cas , si le malade ,
à son reveil , se trouve avoir la langue épaisse
et chargée de limon; s’il ressent des pesanteurs
d’estomac; s’il éprouve, en un mot, comme
cela n’arrive que trop souvent , une espèce de
répugnance à prendre le lait qu’on lui pré-
sente, il faut qu’il attende une heure ou deux;
à mesure qu’il respirera un air plus frais et
plus pur , ces indispositions se dissiperont : il
prendra alors avec plaisir le lait pour lequel
il avait auparavant de la répugnance , et il ne
sera pas exposé aux effets d'une digestion labo-
rieuse , comme cela arriverait en négligeant la
précaution qui vient d etre indiquée.
Cette observation , relative au lait pris après
le réveil, doit également trouver place dans
n 3
*9^ DU LAIT CONSIDÉRÉ
le courant de la journée; autrement le lait,
au lieu de produire l'effet salutaire sur lequel
on pourrait en quelque sorte compter, ne man-
querait pas d’augmenter la maladie à laquelle
on cherchait à apporter remède.
2.0 La quantité de lait qu’il faut prendre.
Il serait difficile d’indiquer précisément la
quantité de lait qu’un malade doit prendre à
la fois; ce fluide étant un médicament alimen-
teux , il ressemble à toutes les substances de
cette espèce , dont la dose est toujours réglée
sur l’état de l’individu auquel on en prescrit
l’usage.
Mais ce qu’on peut dire en général , c’est
qu’il est toujours plus prudent de commencer
par une petite dose, sauf à l’augmenter ensuite
par degrés , si on le juge nécessaire.
Quatre ou six onces de lait, prises à la fois,
forment la dose à laquelle on peut se fixer les
deux ou trois premiers jours, et il est rare qu’on
se permette d excéder dix à douze onces.
Cette quantité cependant doit être encore
réglée sur l’espèce de lait. Young reproche aux
jeunes médecins qui mettent leurs malades au
lait des animaux nonruminans, du lait d anesse,
par exemple, de le prescrire en trop petite dose,
parce qu’il contient beaucoup moins de crème
et de fromage que celui des animaux ruminans.
5.° La chaleur que doit avoir le lait.
Les opinions sont partagées à cet égard. Les
uns veulent que le lait qu’on administre aux
«Sa
I
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 199
malades soit donné à froid ; les autres , qu’à
l’aide du bain marie on lui procure une douce
chaleur : plusieurs assurent qu’il faut lui faire
éprouver un mouvement d ébullition : il y en
a, enfin, qui croient préférable de le prendre
lorsqu’il est encore pourvu de sa chaleur natu-
relle , et dans ce cas ils exigent qu’il soit donné
immédiatement après la sortie des mamelles.
Quand on réfléchit qu’on ne saurait extraire
le principe d’un corps sans opérer quelque
dérangement dans ses parties , on a tout lieu
de présumer que du lait chauffé à différens
degrés jusqu’à l’ébullition , doit avoir des pro-
priétés absolument distinctes du même lait
qu’on vient de traire. Pénétré de cette vérité,
Boerhaave recommande de ne jamais faire
bouillir le lait lorsqu’il s’agit de l’administrer
comme médicament, parce que, suivant l’ob-
servation de ce grand homme , il perd ses
parties les plus saines et les plus balsamiques.
Pour avoir la preuve que, de toutes les opi-
nions énoncées, ce n’est qu’à la dernière qu’il
faut donner la préférence , il suffira de faire atten-
tion à la différence étonnante de l’impression que
font sur nos organes le lait doué encore de sa cha-
leur naturelle , et celui auquel on a communi-
qué artificiellement la même température.
Le lait pourvu de sa chaleur naturelle doit
être considéré, ainsi que nous l’avons déjà dit
ailleurs, comme jouissant d’une sorte de vitalité.
Cette expression peut paraître d’abord un peu
n 4
200
DU LAIT CONSIDÉRÉ
exagérée; mais, en y réfléchissant, il y a lieu
de présumer qu’on conviendra qu’elle n’est pas
sans fondement.
En effet, le lait encore chaud est, à peu
de chose près , semblable à ce qu’il était dans
l’organe qui l’a préparé, c’est-à-dire, que les
molécules qui le composent , en vertu de leurs
affinités d’aggrégation et de composition , res-
tent les unes à côté des autres , et forment un
fluide homogène; mais, à mesure que la cha-
leur naturelle disparait tout-à-fait, cet état
change, et c’est précisément alors que la dé-
composition du fluide s’annonce par un chan-
gement notable dans l’odeur, la saveur et la
consistance. Il est aisé de s’en convaincre; si
on examine avec attention le lait qu’on vient
de traire, on s’apercevra que la crème ne com-
mence à se séparer et à s’élever à la surface,
que lorsque le fluide a perdu son calorique et
son mouvement.
La séparation une fois commencée , il est
impossible de l’arrêter sans soumettre le lait
à des opérations qui, à la vérité, retiennent
la crème disséminée pendant quelque temps ,
mais qui la forcent aussi de former avec les
parties constituantes du lait des combinaisons
différentes de celles qui existaient dans ce
fluide lorsqu’il avait son état naturel.
On pourrait, peut-être, croire qu’il serait
facile de mettre obstacle à la séparation de la
chaleur naturelle du lait , en plaçant ce fluide ,
' T- • V ‘ ; 7
1 •
■*
I
'.O.’
,
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 201
immédiatement après la traite , dans une atmos-
phère dont la température serait égale à celle
présumée dans l’organe mammaire; mais toute
espèce de tentatives à cet égard seraient inu-
tiles , car cette chaleur même , privée de mou-
vement, facilite l’action de l’air, qui tend à
décomposer le lait dès qu’il est trait. D’ailleurs
on a la preuve que la chaleur naturelle ne
saurait jamais être suppléée qu’imparfaitement
Ipar la chaleur artificielle. Enfin , celle - ci
semble , pour ainsi dire , exclure ou anéantir
le principe vital qui accompagne toujours la
première.
Il ne reste plus maintenant qu’une difficulté,
cest de savoir si ce principe vital , dans le lait
I pourvu de sa chaleur naturelle , doit être con-
sidéré comme médicamenteux.
Pour y répondre, il suffira de dire que, puis-
qu’il est, à peu près, certain que le principe
vital est identique dans tous les* animaux, il est
raisonnable de croire que, quand on introduit
dans un animal une partie de la substance d’un
autre animal , cette substance introduite a d’au-
tant plus de disposition à s’unir à l’ëtre vivant
qui la reçoit , qu’elle jouit elle-même d’une
sorte de vitalité.
Mais on est encore bien plus disposé à croire
que les choses se passent ainsi , lorsqu’on fait
attention au but et aux moyens de la nature
dans la nutrition des animaux qui viennent de
naître, et quon voit le lait produire des effets
^02 du LAIT CONSIDÉRÉ
salutaires plus prompts , toutes les fois que le
malade consent à teter la femelle, plutôt que de
faire usage de son lait après qu’il est trait.
S il est vrai qu’il résulte du mélange des
liqueurs vineuses, par exemple, un tout meil-
leur qu’elles n’étaient avant leur association ,
pourquoi le médecin ne pourrait-il pas encore
tirer un parti avantageux de cet exemple , en
prescrivant ensemble un lait séreux uni à un
lait gras, un lait jeune à un lait ancien? ce
qui présenterait, peut-être, un moyen de ren-
dre supportable aux enfans nouveau nés , à
ceux sur tout qui sont frêles et délicats, la
transition du lait de la mère à celui des ani-
maux immédiatement après qu’il est trait.
Concluons de tout ce qui précède , qu’il
serait à désirer que les malades pour lesquels
l’usage du lait est jugé nécessaire, pussent puiser
eux -mêmes le fluide dans le réservoir où il a
pris naissance ; mais que , vu les difficultés sans
nombre qui s’opposent souvent à l’exécution de
cette pratique, il faut, autant qu’il est possible,
administrer, dans beaucoup de cas, le lait
presqu aussitôt après qu’il a été trait, c’est-à-
dire, jouissant encore de sa chaleur naturelle.
Quant à la température qu’on doit lui don-
ner lorsqu’il a perdu celle qu il avait au sortir
des mamelles , il nous semble qu’elle ne doit
jamais excéder quinze à vingt degrés du ther-
momètre de Réaumur ; car , à une température
plus élevée , le lait s’altère et se recouvre à sa
iVexècutioiv de
u il est possible,
Je tas, k ^
i irait,
ileernit»*
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 205
surface de pellicules , qui , ainsi que nous 1 avons
démontré , sont déjà des preuves évidentes d une
décomposition de la matière caséeuse.
4-° Le régime et le genre de vie que doit
suivre le malade qui fait usage du lait.
Ces deux conditions doivent être subordon-
nées à l’état de ses forces digestives , au genre
r d’affection qu’on veut combattre , à l’habitude
du malade, à la saison, au pays qu’il habite,
ainsi qu’aux circonstances où il se trouve. On
a coutume d’interdire à ceux qui observent la
diète mixte toutes les substances qui peuvent
cailler le lait; mais, si l’on interroge l’expé-
rience, on trouve que cette interdiction , trop
sévère , est entièrement contraire à l’observa-
ition et aux pratiques de quelques cantons. Les
auteurs qui ont sacrifié des animaux saturés
de lait à la recherche des voies du chile, ont
trouvé le lait caillé dans l’estomac , avant qu’il
ne fût passé dans les intestins pour y subir une
I digestion parfaite.
Les acides ne sauraient donc nuire quelque-
fois pendant l’usage du lait, à cause de la coagu-
lation qu’ilspourraientoccasioner, puisque cette
coagulation a lieu dans toutes les circonstances.
Vend rapporte qu’il connaissait une femme
qui ne supportait aucune espèce de lait , sans
l’associer en même temps à un acide végétal.
Dans l’Inde et en Italie , on le mêle avec parties
égales de vin ou de suc de limon , pour aider
à le faire passer. Galien vante beaucoup l’usage
,
. 1
204 DU LAIT CONSIDÉRÉ
de T oxigala , c’est-à-dire, du lait mêlé avec du
vinaigre, et bu avant que la matière caséeuse
en soit séparée. Mais tous ces faits sont trop
connus pour en multiplier les citations.
Ainsi les alimens seront toniques ou relâ-
cbans , choisis dans le règne végétal , ou dans
le règne animal; on pourra faire une heureuse
combinaison des uns et des autres , selon l’indi-
cation que le médecin voudra remplir , et d’après
la connaissance des forces de l’estomac.
Il en est de même de l’exercice convenable
à un malade. Il doit être pris modérément et
en plein air ; mais on évitera avec soin le froid
et l’humidité , parce que, l’usage du lait tenant
dans un état de faiblesse celui qui se nourrit de
ce fluide , facilitant ordinairement la transpira-
tion et disposant à la sueur , on ne doit pas
s’exposer à une répercussion funeste.
Précautions après l’usage du lait.
Ce serait en vain qu’on aurait pris des pré-
cautions avant et pendant l’usage du lait, si on
négligeait , lorsqu’on le cesse , de suivre un
régime basé sur les effets produits par ce fluide.
L’estomac, n’ayant reçu long-temgs que des
alimens doux et facilement digestifs, supporte-
rait difficilement tout-à-coup des alimens d’un
genre opposé.
Le corps , accoutumé , pour ainsi dire , à un
exercice modéré, ne supporterait pas non plus
sans souffrir un exercice violent.
c°nven«f,j6
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jlimens ^'un I
relativement a LA MÉDECINE. 2o5
Des habitudes nouvelles et contraires à celles
qu’on avait adoptées , exposeraien t à des impres-
sions tout-à-fait différentes de celles qu’on avait
éprouvées.
Enfin, la réunion de tous ces inconvéniens
occasionnerait bientôt de nouveaux désordres,
d’autant plus fâcheux que l’art ne pourrait plus
les arrêter.
Le moyen de prévenir de semblables dan-
gers , est de ne changer que graduellement le
régime qu’on avait adopté pendant l’usage du
lait. La nature alors , n’étant pas contrariée dans
sa marche , restitue insensiblement à chaque
organe son énergie , et finit par établir dans
tout le système animal cette harmonie , cet
équilibre, absolument nécessaires à la conser-
vation de la santé.
Un préjugé , trop accrédité malheureuse-
ment dans certaines contrées , établit encore
comme un besoin indispensable l’emploi d’un
purgatif après l’usage du lait, pour enlever,
suivant cette expression triviale , la crasse
que laisse ^ordinairement ce fluide dans les
organes digestifs.
.Nous pourrions répéter ici ce que nous avons
déjà observé relativement à la purgation préli-
minaire à l’usage du lait. De semblables pra-
tiques ne comportent point de règles générales;
cest la constitution physique, c’est l’état de
1 estomac , qui seuls doivent les déterminer
en pareil cas.
Si donc le lait a été bien indiqué , et qu’il
ait été suivi de bonnes digestions, la purgation
sera plus nuisible qu’utile : si, au contraire,
l’usage de ce fluide a fatigué le malade, s’il a
donné lieu à ces accidens qui annoncent le
dérangement des premières voies et forcent
quelquefois à abandonner le lait, la prudence
exige qu’on administre un léger purgatif ; mais
on ne doit jamais perdre de vue que l’on a beau-
coup abusé de la doctrine des sabures et de l’em-
ploi des évacuans , qui en est la conséquence.
Nous pourrions nous étendre davantage sur
les inconvéniens qui résultent du défaut ou de
l’excès des précautions employées avant, pen-
dant et après l’usage du lait; mais ce que nous
venons de rapporter doit faire sentir suffisam-
samment combien la prudence et les soins
doivent influer avantageusement sur l’effica-
cité d'un semblable médicament.
Voici encore de grandes considérations, qu’il
ne faut pas négliger; elles sont trop liées avec
l’intérêt général pour oublier de les présenter
à la fin de cet article.
D’après l’observation que nous avons faite
relativement à la différence notable qui existe
entre la première et la dernière portions de lait
d’une même traite, on doit facilement conce-
voir combien est vicieux l’usage dans lequel
on est , sur tout dans les grandes communes,
de destiner le lait d’une même femelle au ser-
vice de plusieurs individus.
„ ■
relativement a la médecine. 207
Supposons, en effet, trois malades auxquels
le médecin aura prescrit le lait danesse, par
exemple , à la dose de huit onces le matin ,
quantité que cette femelle peut fournir à cha-
que traite. On conduit l’ânesse chez le premier
malade, et on tire la mesure de lait dont il a
besoin ; on va ensuite chez le second', et enfin
chez le troisième, auxquels on donne, comme
au premier, la dose de lait prescrite. Dans ce
cas il est aisé de voir que le premier malade
aura le lait le plus séreux , tandis que le der-
nier n’a, pour ainsi dire, que de la crème.
Si on admet actuellement que le lait le plus
gras et le plus crémeux est le plus salutaire ,
il en résulte que le malade qui a eu la pre-
mière portion de la traite a été moins favorisé
que le dernier , qui , au lieu de huit onces
de lait , en aura eu réellement plus du dou-
ble , relativement aux proportions des parties
constituantes.
Mais si , au contraire , un lait pris comme
médicament a d’autant plus de qualité qu’il ne
contient ni trop de beurre ni trop de fromage ,
on concluera facilement avec nous, qu’aucun
des trois malades dont nous venons de parler
n’a pris le lait qui convenait à son état , et
que, pour éviter cet inconvénient, il aurait
fallu avoir la précaution de traire lanesse une
seule lois le matin, et de partager ensuite la
traite encore chaude en trois doses égaies;
car , dans ce cas , il serait démontré que les
2o8
DU LAIT CONSIDÉRÉ
trois malades auraient du lait de même qualité
et dans les mêmes doses. On répartirait de la
même manière la traite du soir.
C’est, peut-être, à défaut de cette précau-
tion qu’on entend les malades se plaindre de
ce que le lait ne passe pas toujours également,
et qu’il leur occasionne souvent des pesanteurs
d’estomac et d’autres indispositions, qui les
forcent de renoncer à l’usage d’un médicament
dont cependant ils auraient pu tirer un parti
avantageux s’il leur avait été administré d’une
manière convenable.
Les expériences qui prouvent que le lait,
en séjournant un certain temps dans les ma-
melles, augmente de qualité, et que, plus on
répète les traites dans le cercle de vingt-quatre
heures, plus le lait est séreux et abondant,
avertissent assez les nourrices d’étre circonspec-
tes sur la distribution des heures de la journée
où elles doivent donner le teton a l’enfant.
Nous croyons qu’on pourrait d’après ces prin-
cipes établir quelques régies sur cet objet
essentiel.
Ainsi, puisque le lait est plus séreux et plus
abondant pendant les deux mois qui suivent
l’accouchement , il semble que les nourrices
doivent pendant ce temps présenter souvent le
sein à l’enfant , pour que celui - ci , qui ne
prend pas encore d'autre aliment, puisse être
suffisamment nourri ; et cette fréquence d’allai-
tement, proportionnée à l’abondance du lait,
te les ma-
que, plus on
i vingt-quatre
et abondant,
ecirconsçec*
le la ’prnée
ltt a Tentant,
près ces prin-
sur cet objet
»
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 20q
n’est pas alors trop Fatigante pour elles ; mais
à mesure que l’époque de l’accouchement
s’éloigne, que le lait diminue de quantité et
augmente cle consistance, elles doivent moins
rapprocher les heures où elles allaitent, afin
que le lait acquierre plus de corps et soit plus
approprié aux forces digestives de l’enfant, qui a
déjà besoin d’une nourriture plus substancielle.
Cette méthode aura donc le double avantage
de donner à l’enfant dans le premier temps
un lait plus séreux et de plus facile diges-
tion; dans le deuxième temps, au contraire,
l’enfant sera plus nourri et la mère moins
fatiguée.
Il nous reste une troisième considération,
c’est celle relative au changement que le lait
éprouve dans l’estomac quand on l’a pris comme
aliment ou comme médicament.
Quelques médecins ont cru autrefois que le
lait, pour se bien digérer, ne devait pas subir la
coagulation : mais, puisque la liqueur contenue
dans ce viscère et sa membrane interne, chez la
plupart des animaux, soit qu’ils vivent dans l’air,
dans l’eau ou sur la terre, possèdent à un très-
haut degré , long-temps même après que l’extrac-
tion en a été faite, la faculté de faire cailler le
lait; comment concevoir que ce fluide puisse
échapper à un commencement de décomposi-
tion, lorsqu’il séjourne dans l’estomac pendant
la vie et l’état de santé de l’animal , c’est-à-
dire, quand le suc gastrique jouit de toute son
o
210 DU LAIT CONSIDÉRÉ
énergie, et quand souvent la chaleur naturelle
de l’estomac suffirait pour produire cette coa-
gulation?
Il est d’ailleurs bien prouvé aujourd’hui qu’un
aliment ne saurait être digéré sans éprouver l’ac-
tion des agens physiques et chimiques qui se
trouvent réunis dans l’estomac et les intestins:
c’est de la composition des substances alimen-
taires, de la séparation des véritables sucs nutri-
tifs et des combinaisons nouvelles qui en résul-
tent, que se trouve formé le chyle.
Le lait ne peut donc , non plus qu’aucun
autre aliment, contribuer à la nourriture, sans
éprouver une décomposition, et, sans doute,
la coagulation du lait et la séparation des par-
ties caséeuses de la sérosité, sont indispensa-
bles pour remplir le but de la nature dans la
digestion de ce fluide , destiné à la nourriture
du jeune animal.
Tout ce qu’on a dit de contraire à cette opi-
nion , n’est fondé sur aucun fait positif; l’exa-
men des animaux ouverts peu de temps après
leur avoir fait boire du lait, prouve évidem-
ment ce que nous avançons. Cependant, en
répétant cette expérience , quelques physiciens,
d’après la fausse supposition de ceux qui com-
parent le lait au chyle , ont pris pour du lait
du chyle déjà formé, et en ont conclu que le
lait ne se coagule pas dans l’estomac. Mais
on est revenu de cette ancienne erreur depuis
les nouvelles découvertes sur le suc gastrique,
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 211
et sur tout depuis que la chimie moderne a
porté son flambeau dans l’analyse des diverses
fonctions de l’économie animale , et qu’elle a
prouvé que l’estomac et les intestins réunis-
saient des moyens mécaniques et des moyens
chimiques pour extraire des alimens les sucs
réparateurs.
Ne pourrait -on pas conclure de ces obser-
vations, que, si ce n’est point aux chimistes
qu’on est redevable de la découverte des pro-
priétés alimentaires et médicinales du lait, on
a eu tort d’établir qu’il ne pouvait rien résulter
d’utile de leurs recherches ni de leurs travaux
dirigés vers l’étude et l’application de ce fluide
à nos principaux besoins ?
Article VI.
De l usage des parties constituantes du
lait , comme médicament.
A r r ù s avoir indiqué les précautions qu’exige
l’usage du lait considéré comme remède , il
nous reste à jeter quelque jour sur un autre
point de ce même objet, c’est-à-dire, à indi-
quer sommairement les qualités médicinales de
chacune des parties de ce fluide qu’on peut
employer séparément.
Une opinion contre laquelle nous croyons
devoir d’abord réclamer, c’est celle qui n’attri-
bue la propriété médicinale du lait qu’à une
ou deux de ses parties constituantes; qui la fait
* . O 2
résider, par exemple, dans la crème ou dans
le sel essentiel, et qui ne considère la matière
caséeuse , ainsi que le sérum , que comme des
accessoires, sinon inutiles, au moins de peu
de valeur.
Sans doute, toutes ces parties constituantes
du lait, prises isolément, ne sont pas douées
de la même vertu médicinale ; mais ce n’est
pas ainsi qu’il faut les envisager , c’est plutôt
dans leur réunion , lorsqu’elles composent le
lait. Or , dans cet état , il est bien certain que
la propriété de chacune d’elles se trouve, pour
ainsi dire, confondue. Le lait peut donc avoir
des propriétés qui participent, si l’on veut, de
quelques-unes de celles des parties qui ont
servi à le former; mais il en a d’autres encore
qui lui appartiennent essentiellement, et qu’il
ne conserve qu’autant que les différentes subs-
tances qui entrent dans sa composition restent
combinées.
Si la propriété médicinale du lait ne réside
pas seulement dans la crème , ou dans le sel
essentiel , comme quelques personnes l’ont
pensé, il est ridicule de croire qu’il doit suffire
de recourir à l’une de ces deux parties pour
obtenir les mêmes avantages que ceux qui
résultent de l’usage du lait ordinaire.
Or , c’est précisément parce que nous sommes
convaincus que le lait a des propriétés diffé-
rentes de celles des parties qui le composent ,
que nous croyons devoir insister un instant sur
le?reÿ
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V
^ fféct
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 2l3
les ressources que ces mêmes parties peuvent
offrir à la médecine dans bien des circonstances.
i.° La crème.
L’efficacité du lait contre l’action des poisons
corrosifs sur l’estomac, est suffisamment con-
nue ; mais on n’a pas fait la même attention
relativement à la crème, dont l’efiet, dans ce
cas , doit être encore plus marqué , non-seule-
ment d’après la connaissance qu’on a de la
nature des substances qui la composent, mais
même aussi d’après la manière dont elle se
comporte avec les acides et les alkalis.
S’il est vrai que, dans le cas dont il s’agit,
un corps quelconque ne peut opérer , comme
médicament, qu’au tant qu’il a de l’aptitude à
absorber , ou plutôt à décomposer, le prin-
cipe qui cause la maladie; il est clair que, plus
ce corps jouira de cette aptitude, plus aussi
l’effet salutaire qu’on en attend se manifestera
promptement.
Or , lorsqu’on compare ce qui arrive au lait
et à la crème toutes les fois qu’on mêle séparé-
ment ces deux fluides avec des poisons salins,
on voit qu’aussitôt après le mélange la crème
subit une décomposition, tandis que le même
effet est beaucoup plus lent à se manifester
quand on se sert de lait écrémé.
En se rappelant ensuite qu’un corps ne peut
être décomposé sans qu’il se forme en même
o 3
214 DU LAIT CONSIDÉRÉ
temps de nouvelles combinaisons , dont les
propriétés sont absolument différentes de celles
qui lui appartenaient avant sa décomposition ;
on sera disposé à conclure que la crème, qui
est décomposée plus promptement que le lait
par les poisons salins , doit nécessairement
présenter un remède plus efficace.
C’est aussi ce que l’expérience a prouvé,
car on sait que , dans tous les cas d’empoi-
sonnement par les sels, les acides ou les alka-
lis , la crème fait disparaître , presque sur-le-
champ , les grands accidens , tandis que le
lait dépourvu de crème ne produit le même
avantage qu’à la longue, et sur tout lorsqu’on
avale une grande quantité de ce fluide.
Nous pourrions sans doute multiplier les
exemples qui serviraient à prouver la préfé-
rence que, dans certains cas, la crème mérite
sur le lait; mais ceux que nous venons de
citer paraissent assez frappans pour nous dis-
penser d’insister davantage sur cet objet.
2.0 Le beurre.
En ne considérant le beurre que sous cer-
tains rapports, on voit qu’il a beaucoup d’ana-
logie avec les matières grasses ou huileuses
extraites des végétaux ; mais , lorsqu’on l’exa-
mine ensuite avec plus d’attention, on est forcé
de convenir qu’il y a des circonstances où son
usage doit être préférable à celui de tous les
autres corps gras.
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 2l5
I
Indépendamment de la supériorité du
beurre sur tous les autres corps gras pour la
préparation des mets qu’on a l’habitude de
manger dans l’état chaud , on sait que sa
consistance habituelle le rend propre à former
certains médicamens qu’on ne se procurerait
pas également avec d’autres matières huileuses.
On sait encore qu’appliqué extérieurement , il
devient un adoucissant efficace pour prévenir
et arrêter les inflammations , et qu’on peut le*
combiner facilement avec l’arome , la partie
colorante, la résine et les huiles essentielles *
des végétaux , sans qu’on soit obligé de le
faire chauffer.
C’est principalement lorsqu’il est ainsi com-
biné qu’il doit présenter des médicamens qui,
peut-être, deviendront un jour très-précieux,
dès qu’on aura mieux étudié et apprécié les
vertus médicinales de ces principes essentiels
des plantes , soit seuls , soit lorsqu’ils seront
tenus en dissolution par les agens qui ont de
l’affinité avec eux.
Enfin , cette espèce de caractère animal
que le beurre conserve toujours , ne semble-
rait-il pas indiquer qu’il devrait être choisi,
de préférence à toute autre matière huileuse ,
pour préparer ces savons médicinaux employés
si souvent avec succès dans le traitement de
quelques maladies chroniques?
o 4
216 du lait considéré
3.° La matière caséeuse.
De toutes les parties constituantes du lait
la plus alimentaire est la matière caséeuse; elle
seule, à défaut de toute autre nourriture, suffi-
rait pour soutenir, pendant quelque temps, en
bon état l’individu qui en ferait usage : mais
elle prend, comme on sait, assez promptement
une saveur aigrelette, et alors elle acquiert
/une propriété véritablement médicamenteuse.
Plusieurs médecins , Vullen entr’autres, assu-
rent avoir fait prendre le caillé ou la matière
caséeuse acidulé , dans l’état frais , à des phty-
siques, sans jamais avoir observé qu’il en fût
résulté la moindre impression défavorable. On
l’a donné encore avec avantage dans certaines
cachexies, dans le scorbut, et dans quelques
affections de l’estomac accompagnées de vomis-
sement. Enfin , il parait vraisemblable que cette
substance pourrait servir efficacement dans
toutes les circonstances où l’usage des acides
doux, associés avec les alimens, est jugé néces-
saire; mais jusqu’ici l'emploi de cette matière
n’a pas été assez étendu dans le traitement des
maladies, soit internes, soit externes.
L’usage le plus commun du caillé consiste
à le manger seul : on l’emploie assez habituel-
lement à Rouen et à Amiens, sous le nom de
jnatte-: souvent on le mêle avec du sucre ou
des aromates ; alors il présente un mets agréa-
ble , rafraîchissant et ordinairement de facile
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 217
digestion. Mais il faut avouer que la matière
caséeuse ne se trouve jamais seule dans les fro-
mages frais, qui sont servis sur nos tables : elle
y est souvent confondue ; elle flotte toujours
au milieu de la crème ou du lait.
4.0 Le sérum ou petit lait.
On sait que la sérosité du lait est employée
seule comme boisson rafraîchissante, et quelle
est aussi l’excipient de beaucoup de remèdes
que l’on donne intérieurement dans différentes
vues.
11 y a plusieurs méthodes adoptées pour pré-
parer le petit lait; l’une par la coagulation
spontanée , l’autre par l’addition de quelques
substances acides ou astringentes.
Le premier est connu dans les campagnes
sous le nom de lait maigre . Il est peu usité en
médecine , sur tout parmi nous. On n’en con-
çoit gu ères la raison : les habitans de la Grèce
n’avaient cependant pas d’autres boissons pour
tempérer l’ardeur de la soif que la chaleur de
leur climat occasionait.
Le second petit lait , connu dans les phar-
macies sous le nom de petit lait clarifié , se
prépare avec le lait de beurre ou, mieux en-
core, avec le lait dépourvu de sa crème. C’est
une des boissons qu’on prescrit le plus souvent
dans certaines maladies.
Lorsque le petit lait clarifié est de bonne qua-
lité , les malades le prennent sans répugnance.
2x8
DU LAIT CONSIDÉRÉ
A grande dose il devient souvent laxatif et diu-
rétique. Il s’altère facilement, sur tout pen-
dant l’été , et cette altération se manifeste nar
une saveur aigre bien sensible; alors il con-
vient dans les maladies putrides. Cartheuser
assure que dans cet état il faut l’administrer
aux malades attaqués de maladies inflamma-
toires et malignes ; mais il est nécessaire que
son acidité ne soit pas portée trop loin , car
son usage exposerait à quelques inconvéniens.
On connaît une troisième espèce de petit
lait, désignée dans les laboratoires sous le nom
de petit, lait d’Hoffmann : il est préparé avec
le résidu du lait distillé au bain-marie (franchi-
pane). Si l’on verse de l’eau bouillante sur
cette matière, une partie s’y dissout et l’autre
se précipite; en filtrant la dissolution on obtient
cette espèce de petit lait.
On devine aisément que ce petit lait doit
différer essentiellement du petit lait ordinaire :
s’il possède quelques propriétés , il ne les doit
qu’au sel ou sucre de lait qu’il contient tou-
jours en petite quantité. Mais il est tombé
en désuétude depuis qu’on a reconnu que ses
effets étaient presque nuis; sa préparation rap-
pelle au moins l’état où se trouvaient alors nos
connaissances chimiques.
5.° Le sucre ou sel essentiel de lait.
Lorsqu on croyait que le petit lait ne devait
ses propriétés médicinales qu’au sel essentiel
relativement a la médecine, s i g
qu’il contenait, il était bien permis de penser
qu’on pouvait suppléer à ce fiuide en faisant
prendre aux malades des solutions de ce sel
dans suffisante quantité d’eau ; mais aujour-
d’hui qu’on a bien établi la différence qui
existe entre une solution semblable et le petit
lait, il n’est plus possible d’assimiler ces deux
liqueurs, soit, relativement à leur nature, soit
par rapport à leurs propriétés médicinales.
Nous dirons cependant, en faveur de ceux
qui ont confiance encore dans les propriétés du
sel essentiel en question , que, le lait ayant
la faculté d’en dissoudre une quantité plus
considérable que celle qu’il contient naturel-
lement, on peut à volonté en augmenter les
proportions, pourvu qu’on emploie toutes les
précautions nécessaires pour que la dissolution
soit faite convenablement.
11 est vraisemblable que du lait dans lequel
on aurait fait fondre du sel de lait, acquer-
rait des propriétés un peu différentes de celles
du lait ordinaire ; mais nous ignorons dans
quel cas une pareille addition pourrait devenir
avantageuse : il serait nécessaire encore d’en
constater l’efficacité.
6.° Lait distillé.
\
On donne le nom de lait distillé au fluide
retiré par la distillation au bain-marie d’une
quantité de lait nouvellement trait.
Ce fluide est incolore : il a d’abord une
I
220 DU LAIT CONSIDÉRÉ
légère saveur et odeur de lait; mais, pendant
1 été, il ne tarde pas à les perdre et à se putré-
fier. On conçoit qu’alors il ne peut plus être
employé comme médicament.
On a, sans doute , exagéré les propriétés
du lait distillé ; mais on aurait tort aussi de
le regarder comme de l’eau distillée simple.
L odeur et la saveur qu’on lui remarque prou-
vent de reste qu’il doit tenir en dissolution un
ou plusieurs principes, qui, pour n’avoir pas
été séparés et examinés, ne doivent pas moins
avoir une action particulière sur l’économie
animale.
Peut-être que, si on prenait la peine de
distiller le lait avec beaucoup de soins, et si,
sur tout, on choisissait de bon lait pour cette
opération , l’on obtiendrait un produit qui ne
mériterait pas d’étre placé au nombre de ceux
dont l'effet est décidément nul.
Qu’il nous soit permis de terminer cet article
de l’usage médicinal des différentes parties
constituantes du lait par quelques observations
générales.
Si le principe volatil odorant , l’arome ,
enfin, du lait distillé, doit être compté au
nombre de ses parties constituantes , il n’est
pas, sans doute, dénué de propriétés : de là
la nécessité , dans quelques circonstances , de
mettre obstacle à sa dissipation , en évitant de
faire éprouver au lait une chaleur capable de
la favoriser.
.
'
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 221
Quelques auteurs qui avaient attribué a ce
principe volatil des vertus particulières, se flat-
taient, avec raison, de le conserver en pres-
crivant l’usage du lait tel quon vient de le
traire. D’autres, au contraire, trop indifférens
dans cette circonstance , ont regardé ces memes
vertus comme dénuées de toute espèce de fon-
dement. On sait cependant que les médica-
mens les plus actifs n’agissent point toujours
par leur masse, et que la partie véritablement
opérante dépend le plus souvent d’un infini-
ment petit. Que d’exemples s’offrent en foule
pour justifier cette opinion ! Il n’y a point
jusqu’aux substances métalliques, qui, distil-
lées avec de l’eau, ne lui communiquent des
propriétés, et ne prouvent, en même temps,
que la manière d’agir des remèdes est encore
un problème en médecine.
ISlous le répétons, c’est aux médecins qu’il
appartient spécialement de juger quelles sont
les circonstances où ij convient d’administrer
le lait pouvu de sa chaleur naturelle , ou bien
chauffé légèrement, plutôt que celui qui a
bouilli , et dans quel cas les parties consti-
tuantes de ce fluide peuvent devenir plus
utiles que le fluide lui- même.
11 nous manque une suite d’expériences et
d’observations sur cet objet intéressant; sans
doute qu’un jour il fixera l’attention de quel-
ques savans. En attendant , il nous suffit
d’avertir que le lait ne saurait éprouver la
222 DU LAIT CONSIDÉRÉ
plus légère action du feu sans déperdition d'un
principe volatil, et, en même temps, sans une
combinaison de ses parties fixes; d’où résultent
nécessairement des propriétés diététiques et
chimiques absolument différentes.
Article VII.
Des différentes espèces de lait dont l'usage
est le plus généralement adopté.
On a attribué, depuis long -temps, aux dif-
férentes espèces de lait des propriétés médici-
nales particulières : l’un a été regardé comme
balsamique, l’autre comme rafraîchissant. Nous
sommes encore éloignés non-seulement de pou-
voir déterminer d’une manière positive dans
quelles parties du lait résident ces propriétés,
mais même de présenter un seul fait capable
de garantir qu’elles existent réellement.
N’en serait - il donc pas du lait comme des
alimens qui forment la base de la nourriture,
et à chacun desquels on a donné des vertus
particulières ?
Sans doute on conçoit que les premiers
jours qu’on fait usage d’un nouvel aliment,
même de l’espèce de ceux qui ne sont pas
médicamenteux , il doit s’opérer dans l’éco-
nomie animale des changemens sen'sibles;
mais lorsqu'on continue cet aliment, les chan-
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 223
gemens disparaissent. C’est ainsi que le pain
ne conserve plus, au bout d’un certain temps,
que l’effet alimentaire, comme le lait la vertu
adoucissante et nutritive.
Si quelques personnes ont exagéré les ver-
tus qui appartiennent à chaque espèce de lait,
d’autres ont aussi donné dans un excès con-
traire , en voulant que toutes les espèces pro-
duisissent les mêmes effets, à cause de l’identité
de leurs parties constituantes. D’abord ces par-
ties 11e s’y trouvent pas dans des proportions
semblables; de plus elles sont modifiées, arran-
gées et combinées d’une manière différente;
enfin , elles ont une contexture qui imprime sur
les organes des sensations particulières, et elles
offrent dans la butirisation , la coagulation et la
clarification, des phénomènes propres à les
caractériser : c’est ce que nous allons déve-
lopper dans cet article , après avoir exposé
quelques réflexions générales sur la constitu-
tion physique des animaux qui fournissent le
lait le plus communément employé.
Il n’est pas douteux que les difficultés qu’on
rencontre pour se procurer, autant qu’on en
voudrait, le lait de beaucoup de mammifères
très-connus, n’aient forcé de se contenter,
jusqu’à ce moment, de l’examen de celui des
animaux que nous avons le plus à notre
disposition.
11 n’en serait pas moins curieux de constater
si les principes qui entrent dans la composi-
224
DU LAIT CONSIDERE
tion du lait de toutes les femelles, sont ana-
logues à ceux des différens laits que nous
connaissons déjà.
Un travail entrepris d’après ces vues ne pour-
rait manquer de devenir intéressant, car il y
a tout lieu de croire qu’il offrirait de nouveaux
résultats, dont il serait possible de tirer parti
pour la médecine et le commerce.
Par exemple , il est plus que vraisemblable
que la faculté de ruminer que possèdent la
vache, la chèvre, la brebis , la daine, etc.,
leur permet de se nourrir avec un tiers d’ali-
mens de moins qu’il n’en faut à tout autre ani-
mal d’un autre ordre ; et comme ces femelles
sont pourvues d’organes digestifs en plus grand
nombre et plus énergiques, tout ce qui peut
être converti en chyle l’est effectivement : d’où
résultent en particulier , et une production
plus abondante de lait , et un lait supérieur
en qualité.
L’estomac d’une jument, d’une ânesse,etc. ,
au contraire, n’est pas organisé de la même
manière : il faut à ces animaux une plus grande
quantité de végétaux pour en extraire la même
proportion de matière nutritive ; l’organe qui
prépare et fournit le lait , est d’une moindre
capacité; ensorte que ce fluide est plus séreux
et en moindre quantité, quand bien même
la nourriture serait égale en volume et en
propriété.
Il est vraisemblable encore que le lait des
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 2d5
carnivores diffère aussi de celui des herbivo-
res ; c’est du moins ce qu on peut déjà pres-
sentir d’après quelques expériences faites sur
le lait de la femelle des porcs, des lapins, des
chiens, des chats et des autres animaux domes-
tiques. La saveur et l’odeur particulières qu’on
y a remarquées , ne seraient pas les seuls points
sur lesquels il faudrait s’arrêter ; la matière
caséeuse et le sérum en présenteraient , peut-
être, d’autres, qui mériteraient d’autant plus
de fixer l’attention , qu’ils contribueraient en
même temps à augmenter nos connaissances
relativement aux effets de l’organisation ani-
male sur ce fluide , et au perfectionnement de
la science qui s’occupe de cet objet.
Privés des moyens d’embrasser ce travail
dans toute son étendue, et de lui donner ce
degré de précision et d’exactitude qui seul peut
le rendre utile , nous avons cru , d’après quel-
ques données, et sur tout d’après les réflexions
d 'Young , devoir réduire toutes les espèces de
lait les plus connues parmi nous, à deux classes
distinctes ; savoir , le lait des animaux rumi-
nans , et le lait d>ss animaux non ruminans. Le
premier sert spécialement aux usages écono-
miques , et le second est plus généralement
employé en médecine. Ainsi le lait de vache,
de brebis et de chèvre , formera la première
classe; celui de femme, d’ânesse et de jument,
comprendra la seconde.
e le »
F
S
226 DU LAIT CONSIDÉRÉ
Du lait de vache.
Nous nous sommes arrêtés assez long-temps
sur le lait de vache et sur les qualités spéci-
fiques des parties qui constituent ce fluide.
Il nous fallait ces connaissances , en quelque
sorte préliminaires, pour pénétrer plus sûre-
ment dans la composition des autres espèces
de lait, dont les propriétés physiques et chi-
miques sont communes entr’elles, à quelques
nuances près, dépendantes, sans doute, de
l’organisation individuelle ; il ne nous reste
donc plus qu’à en présenter les caractères spé-
cifiques les plus généraux.
Le lait dont on parle dans tous les ouvrages
diététiques ou d’économie rurale , sans déter-
miner en même temps l’espèce d’animal qui le
fournit, provient de la vache, parce que c’est
celui qu’on a le plus abondamment et le plus
facilement; c’est pour cela, sans doute, aussi,
qu’on le choisit toujours pour servir de com-
paraison lorsqu’il s’agit d’examiner le lait des
autres femelles.
Il est d’autres motifs encore qui semblent
justifier cette préférence; c’est qu’il réunit des
caractères de perfection qu’on ne retrouve pas
dans les laits dont l’usage est le plus généra-
lement adopté; et nous ne doutons point que,
s il était possible d’avoir ceux-ci sous la main ,
dans les mêmes circonstances, ce ne fût en-
core au lait de vache qu’on donnât la pré-
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 227
férence : il est, selon l’expression de Venel,
plus lait que les autres laits connus.
Dans les pays où la nature du sol et les
aspects permettent seulement d’élever des
chèvres et des brebis , plus communes que les
vaches, leur lait a la préférence sur celui de
ces dernières ; on sait meme que plusieurs
espèces de lait, quoique manifestement moins
bonnes , comme celui de la femelle du chameau
et du buffle, n’en sont pas moins recherchées
dans l’Inde où leur usage est très -commun;
maison connaît la force de l’habitude, et c’est
là le cas de dire qu’on ne peut décider des
goûts.
Si le lait de vache possède en plus grand nom-
bre les qualités génériques du lait, elles dépen-
dent de l’organisation de cette femelle , qui ,
suivant la remarque très-judicieuse du cheva-
lier VThite, diffère à quelques égards de celle
de plusieurs autres animaux de ce genre. Indé-
pendamment du volume de ses mamelles et de
la dimension de ses trayons, elle fournit son
lait à la première compression de la main ,
tandis que la plupart des animaux , de la classe
de ceux du moins qui ne ruminent pas comme
elle, ne le donnent qu’à leurs petits ou à ceux
qui trompent leur instinct maternel.
On sait encore que le nombre des mamelons
dans beaucoup d’animaux est en raison de
celui des nourrissons d’une portée ordinaire;
mais la vache ne met bas qu’un nombre de
!
petits analogue à celui que donnent les femelles
qui n’ont que deux trayons, et cependant elle
en a quatre, dont la forme, la proportion et
le tissu donnent au réservoir lactifère un grand
diamètre qui favorise l’émission du lait. Mais
ces observations nous conduiraient trop loin;
revenons à l’analyse du lait de vache.
Comme dans les précédens articles nous
avons fait connaître les différentes parties cons-
tituantes de ce fluide, ainsi que les propriétés
qui servent à les distinguer, il nous suffira de
rappeler ici leurs caractères généraux.
Quelle que soit l’espèce de plantes destinées
à la nourriture des vaches , la crème qui résulte
de leur lait est toujours ou blanche pendant
l’hiver , ou d’un jaune plus ou moins foncé
quand elles sont au vert.
Cette crème a une odeur douce et une
saveur très-agréable ; elle est plus ou moins
abondante et colorée, suivant l'àge, le tempé-
rament de l’animal, et aussi suivant la nour-
riture qu’on lui donne.
La lintescence qu’on y remarque , est due en
grande partie à une substance particulière
qu’elle tient dans une espèce de dissolution ;
cette substance est le beurre. Pour le séparer
il suffit d’agiter vivement la crème.
Le beurre est , ou blanc , ou jaune. Sa con-
sistance est, à peu près, la même dans toutes
les saisons; il se comporte comme toutes les
matières huileuses; et c’est celui qu’on ern-
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 220
ploie le plus fréquemment. Il a beaucoup
d’analogie aves les huiles concrètes végétales y
sans avoir aucun des caractères des graisses
animales, et il n’est fourni absolument que
par le lait que les femelles fabriquent dans
des organes particuliers.
Le beurre , en se séparant de la crème , laisse
un liquide auquel on a donné le nom de lait
de beurre.
Cette espèce de lait est très -fluide; il s’altère
facilement : en général , il diffère peu du lait
parfaitement écrémé, c’est-à-dire qu’il tient
en dissolution les ïnémes substances que lui.
Le lait dont on a séparé la crème a une
couleur blanche , tirant un peu sur le bleu ;
sa saveur est douce et agréable ; il s’aigrit faci-
lement : alors il devient apte à former diffé-
rentes substances salines, en se combinant à
des bases , soit alkalines , soit terreuses.
On peut aisément séparer l’acide formé dans
le lait aigre; il suffit pour cela de lui présenter
des corps avec lesquels il ait de l’affinité : en
détruisant ensuite , par des moyens convena-
bles, les combinaisons dans lesquelles cet acide
est entré, on parvient à l’avoir pur; il porte
alors le nom d 'acide galactique.
En s’aigrissant, le lait laisse séparer une
matière blanche, appelée substance caséeuse.
Elle est ordinairement épaisse , tremblante et
comme gélatineuse : lorsqu'elle est nouvelle-
ment séparée , sa saveur est agréable ; avec le
r 3
.1 t ..
23o nu LAIT CONSIDÉRÉ
temps elle s’aigrit et finît par se putréfier. Elle
a plusieurs des propriétés de la matière gluti-
neuse du froment.
Il n’est pas absolument nécessaire de laisser
aigrir le lait pour avoir la matière caséeuse ;
on connaît différens autres moyens qui en
opèrent la séparation sûrement et facilement :
ce sont aussi ces moyens qu’on emploie dans
les usages économiques.
Le lait, séparé de la matière caséeuse, porte
le nom de sérum ou petit - lait ; il n’est pas
d’abord très- clair; mais on peut lui donner la
plus grande transparence, en le clarifiant et le
filtrant. Ce petit lait présente une boisson
rafraîchisante et diurétique, fréquemment em-
ployée en médecine.
Si on l’évapore jusqu’à consistance syrupeuse ,
et qu’ensuite on le place dans un lieu frais , on
obtient un sel auquel on a donné le nom de
sucre ou sel essentiel de lait.
Lorsque, par des cristallisations bien suivies,
on a retiré cette espèce de sel , on en obtient
d’autres, tels que le muriate de soude, le sul-
phate calcaire, etc.
Le premier sel appartient exclusivement au
lait, car on ne connaît pas d’autres fluides qui
le fournissent. Il a beaucoup de propriétés qui
semblent annoncer qu’il contient le corps mu-
queux sucré ; mais il paraît que ce corps y est
dans un état particulier et différent de celui
où on le trouve dans le sucre ordinaire. En
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. z3t
effet, le sucre de lait est peu soluble dans
l’eau , tandis que le sucre ordinaire s’y dissout
avec la plus grande facilité. D’ailleurs, le sucre
de lait donne dans sa décomposition , lorsqu on
le traite à feu nu , un acide qui diffère de
celui du sucre ordinaire , traité par le même
moyen.
Quant aux autres sels qu’on retire du petit-
lait, tout semble prouver qu’ils sont étrangers
à ce fluide, ou, au moins, qu’ils ne sont pas
essentiels à sa composition; on présume qu’ils
lui sont apportés , pour la plus grande partie ,
par les boissons et par les alimens dont l’animal
a fait usage.
Enfin, le lait, pourvu de toutes ses parties
constituantes, est susceptible de passer à la
fermentation vineuse , et de fournir une liqueur
potable, analogue à celle qu’on obtient de
toutes les substances qui renferment le corps
muqueux sucré. Cette liqueur , par la distilla-
tion , donne aussi un véritable alcohol , qui ,
par des rectifications réitérées, peut être amené
au point de souffrir la comparaison avec celui
du vin de raisin.
Nous venons de tracer rapidement le tableau
des différentes parties constituantes du lait de
vache. Passons maintenant à l’examen du lait
de brebis et de celui de chèvre, qui forment
la classe des animaux ruminans dont on ob-
tient le lait le plus universellement employé ,
du moins en France.
p 4
a3a
DU LAIT CONSIDÉRÉ
Du lait de brebis.
*
De tous les animaux domestiques que
l’homme a conquis sur la nature, celui qui
lui procure la ressource la plus immédiatement
utile et la plus étendue , c’est la brebis , sym-
bole de la douceur et de la timidité.
La quantité du lait de brebis et sa consistance
dépendent , comme nous l’avons déjà dit pour
le lait de vache, de l’époque où elle a agnelé
et de la nourriture qu'on lui donne. On sait
que, pour faire venir le lait à celles qui n’en
ont pas assez, il suffit de les changer de pâtu-
rage, pourvu, toutefois, qu’on ne les fasse pas
sortir d'un bon pour les conduire dans un moin-
dre. L’expérience a prouvé encore que les bre-
bis qui font usage de sel produisent plus de lait.
Il est facile, à la simple inspection , de saisir
la différence qui existe entre le lait de brebis
et celui de vache : l’état gras du beurre , ainsi
que de la matière caséeuse, et la manière dont
l'un et l’autre affectent séparément l’organe du
goût , ne permettent point de les confondre.
Le lait qui fait le sujet de cette analyse pro-
venait de plusieurs brebis, deux mois environ
après quelles avaient agnelé. En le distillant au
bain-marie, il fournit, comme les autres, une
liqueur qui perd promptement sa légère odeur,
et devient insensiblement putride; alors elle
se trouble et présente tous les phénomènes de
l’eau distillée du lait de vache.
Le résidu de la distillation au bain - marie
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 2^3
donne aussi de la franchipane ; mais elle est
plus grasse et plus visqueuse que celle du lait
cIg vache
Abandonné à lui- même, le lait de brebis,
nouvellement tiré, se couvre bientôt dune
crème épaisse en assez grande quantité , ayant
une couleur jaunâtre, une saveur douce,
agréable, et un toucher onctueux.
Cette crème fournit, par la percussion , une
assez grande quantité de beurre , qui ne prend
jamais une consistance bien solide. Sa couleur ,
en été, est d’un jaune pâle ; il se fond aisément
dans la bouche , et y laisse l’impression des
huiles. Le lait, après l’extraction du beurre,
n’offre rien de particulier.
Le beurre du lait de brebis parait se rancir
aisément , sur tout si on n’a pas la précaution
de le laver à diverses reprises jusqu’à ce que
l’eau en sorte claire. Les produits de son ana-
lyse à feu nu sont les mêmes que ceux que
fournit le beurre du lait de vache.
Ecrémé ou non écrémé , le lait de brebis,
lorsqu’il est chauffé , se couvre de pellicules
qui se succèdent à mesure qu’on les enlève ,
et n’ofrfent plus, en suivant le procédé indi-
qué, que du sérum, qui, filtré, devient trans-
parent et sans couleur.
L’eau de chaux , les alkalis , et sur tout
l’alkali caustique, bouillis avec le lait de brebis
dépourvu de sa crème , altèrent sa couleur
d’une manière plus ou moins marquée.
D U LAIT CONSIDÉRÉ
Tous les acides, les sulphates et la gomme,
coagulent ce lait, et en séparent la matière
caséeuse.
L’alcohol opère le même effet. Nous avons
eu recours à ce dernier moyen , ainsi qu’à la
coagulation spontanée, pour nous procurer la
matière caséeuse et le petit-lait dont nous
allons parler.
La matière caséeuse , obtenue à laide de l’un
et de l’autre agens, conserve toujours un état
gras et visqueux , qui s’oppose à ce qu’on puisse
la rapprocher aisément sous la forme du caillé
du lait de vache ; sa saveur est douce et agréable.
Traitée avec l’alkali fixe caustique, étendu
dans de l’eau, cette matière perd sa consis-
tance pour prendre un caractère savonneux,
et, si on fait bouillir ce mélange, il devient
d’un rouge noir.
Les acides sulph urique et muriatique affai-
blis, mêlés avec cette matière, et chauffés
ensuite jusqu’à l’ébullition, la raccornissent.
L’acide nitrique produit le même effet, à moins
qu’il ne soit concentré , car dans cet état il
la jaunit d’abord, et finit par la dissoudre.
Après avoir été soumise à l’action d’une forte
presse , et distillée à feu nu , la matière caséeuse
nous a founi les mêmes produits que celle du
lait de vache , examinée jusqu’à présent par
ce moyen.
Le sérum , ou petit - lait, résultant des deux
procédés déjà décrits , filtré et évaporé spon-
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 235
tanément, en multipliant les surfaces, sest
troublé plusieurs fois et e ^uné du sel de lait
assez blanc, dès la première cristallisation; par
une seconde, nous avons obtenu une nouvelle
quantité, moins blanche que la précédente.
A la troisième cristallisation , la liqueur est
devenue épaisse et avait une saveur salée; elle a
fourni quelques cristaux de muriate de potasse ,
et le résidu était une eau mère , qui contenait
du muriate calcaire.
Ce qu’il y a de plus remarquable dans les
produits du lait de brebis, c’est l’abondance
du beurre qu’il contient , et la nature de la
matière caséeuse : le premier , comme on l’a vu ,
n’a pas une consistance bien solide; il parait
même plus disposé à se fondre que le beurre de
vache. Sa matière caséeuse a aussi un caractère
gras, quelle conserve, et qui l’empéche de
former un corps tremblant et comme gélati-
neux , quand on l’obtient spontanément ou au
moyen de la présure.
A quoi tiennent ces différences? qui peut
les occasioner ? Ce serait en vain qu’on atten-
drait des expériences chimiques la solution de
ces questions. Il est vraisemblable , comme
nous l’avons déjà fait remarquer , que la manière
d’être de ces deux corps dépend principalement
de l’organisation de l’animal , puisque des vaches
et des brebis, choisies dans les mêmes circons-
tances , nourries exprès concurremment avec le
même lourrage, et pendant le même espace de
HH2
temps et aux mêmes époques de gestation ,
nous ont donné des laits composés également ,
mais qui différaient par la proportion , la
qualité et la cohérence de leurs principes.
La quantité de lait que donne la brebis ,
quoique variable suivant les années et les sai-
sons, est estimée à trois quarts de livre par
jour dans les deux traites, depuis Floréal jus-
qu’à la fin de Messidor ; après la tonte on
éprouve une diminution sensible.
Les profits étonnans qu’on obtient du lait
de brebis, dans un canton fort circonscrit,
font regretter à quelques écrivains que , dans
beaucoup de départemens où se trouvent de
nombreux troupeaux de bétes à laine, les pro-
priétaires négligent d’en tirer parti sous ce rap-
port ; leurs observations à cet égard ne nous
paraissent pas fondées. Essayons de le prouver
par quelques réflexions qui peuvent s’appliquer
également aux femelles des autres animaux
dont le lait est employé à nos besoins, et que
nous n’entretenons que pour ce produit.
Quand d’un cas particulier en économie
rurale on veut tirer des résultats généraux , on
s’expose à commettre des erreurs; ce qui peut
être trouvé bon dans le pays où les fromages
de brebis sont devenus d’un grand rapport,
entraînerait la ruine des cultivateurs des cantons
où les spéculations agricoles sont et doivent être
différentes.
Les troupeaux offrent trois points de spécu-
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 2.5j
lation : l’éducation spour la propagation de
l’espèce et pour la perfection en tout genre;
ensuite la hauteur de la taille pour 1 engrais,
sans considérer la finesse.de la laine; enfin,
sacrifiant tout ce qui précède, on spécule sur
le produit du lait pour faire des fromages.
On conçoit que, lorsqu’un cultivateur veut
faire de beaux élèves, il doit se garder de trou-
bler ou de diminuer la nourriture des agneaux;
il doit, au contraire, chercher à en augmenter
le lait , parce que les brebis sont du nombre
des femelles qui en général en ont très-peu.
Pour réussir dans cette éducation, on augmente
la nourriture des mères; on ne les fait agneler
qu’à la pointe de l’herbe ; on ne sèvre pas trop
tôt les agneaux : il est même des cultivateurs
qui ont l’habitude de les laisser teter aussi long-
temps que dure la portée des mères, c’est-à-
dire , environ cinq mois. Dans les départemens
où cette éducation a lieu, on va jusqu’à défen-
dre aux métayers de traire les brebis, et il existe
encore des propriétaires qui en font un des
premiers articles de leurs baux.
Quand on s’occupe des troupeaux pour avoir
une forte race destinée à l’engrais , les mêmes
soins doivent exister , car il faut soigner l’en-
fance, sans quoi le développement de l’individu
laisse toujours quelque chose à désirer.
Mais si l’on habite une contrée où la race
des bêtes à laine , peu estimée , ne soit un objet
de revenu que relativement au fumier et à
^38 DU LAIT CONSIDÉRÉ
l’engrais des brebis , alors on vend les agneaux
très jeunes au bouclier , ou on lessèvre de très-
bonne heure ; alors il est dans l’ordre de l’éco-
nomie rurale de traire les brebis, et, pour peu
que cette contrée ait une fois acquis de la
célébrité par ses fromages, comme celui de
Boquefort, tout doit être subordonné, dans la
conduite des troupeaux, à ce genre de com-
merce , et l’on ne donne le bélier aux brebis
que pour avoir du lait.
Mais, de ces trois spéculations, celle qui
est relative à l’éducation des bétes à laine sera
toujours beaucoup plus productive que les
deux autres : il y a le profit de l’agneau , la laine ;
la vente des mères pour l’engrais, quand elles
commencent à s’éloigner de 1 âge delà fécondité;
enfin, comme par tout, le profit du fumier.
Du lait de chèvre.
Facile à nourrir, la chèvre est encore moins
exposée aux maladies que la brebis ; elle ne
craint pas, comme celle-ci, une trop vive
chaleur : elle dort au soleil, sans être incom-
modée; ne s’effraie pas des orages, ne s’impa-
tiente point à la pluie; le froid seul lui est
nuisible.
Mais c’est bien mal entendre ses intérêts
que de laisser les chèvres aller aux champs ,
quand on en élève un certain nombre pour
leur produit en lait ; car l’expérience a démon-
tré que celles qui ne sortent pas de l’étable ,
• •
comme les vaches, fournissent plus que celles
qui courent. D’ailleurs , les dégâts que la
chèvre peut faire dans les vergers et dans
les bois, sont considérables, car il est prouvé
que les arbres dont elle broute les jeunes
pousses et les écorces tendres, périssent pres-
que tous. Il existe heureusement une espèce
de harnais au moyen duquel il est possible
de concilier la conservation des chèvres avec
celle des bois , sans se priver du pâturage
qu elles y trouvent. Au reste , on ne devrait
les laisser sortir qu’en troupeaux , avec de
bons gardiens.
Les chèvres à l’étable exigent des soins , il
est vrai, comme les autres femelles privées de
leur liberté; à l’étable, elles sont aussi exposées
à quelques accidens, dont on peut les préserver
en tenant leur demeure propre , en renouvelant
souvent leur litière, particulièrement l’hiver.
Une propreté soutenue influe sur leur santé,
sur leur appétit et sur la quantité de lait qu’elles
donnent.
Ce n’est que quelques mois après avoir mis
bas que la chèvre donne la plus grande quan-
tité de lait. Au moment où elle vient de che-
vroter, ce fluide se rapproche beaucoup de
l’état du colostrum de la vache ; mais , dans
tous les temps, il a une densité plus considé-
rable que celle du lait de vache. Du reste,
il en réunit toutes les propriétés physiques et
économiques.
2/jO DU LAIT CONSIDÉRÉ
Le lait de chèvre a une odeur et une saveur
particulières, qui ne sont pas toujours très-agréa-
bles , sur tout pour les personnes qui en font
usage pour la première fois ; mais peu à peu
on s’y accoutume, et on finit par le trouver
excellent.
Pendant long-temps nous avions cru que
l’odeur et la saveur dont il s’agit appartenaient
essentiellement au lait de chèvre ; mais nous
avons depuis acquis la preuve qu’elles deve-
naient plus particulièrement sensibles lorsque
la chèvre entrait en chaleur, et que le bouc
s’était approché d’elle.
Nous avons vu aussi que cette odeur et cette
saveur étaient infiniment moins remarquables
quand on soignait les chèvres, et qu’on avait
attention de les tenir propres et, surtout, de
les laver.
Enfin, nous avons observé que l’espèoe de
chèvre qui porte des cornes, toutes choses
égales d’ailleurs , donnait toujours un lait plus
odorant que celui des chèvres sans cornes, et
que l’odeur de ce dernier différait souvent très-
peu de celui de vache.
On peut conclure de ces observations géné-
rales, qu’il ne doit pas toujours être indifférent
de faire usage de tel ou tel lait de chèvre; car,
si, comme il parait démontré, le principe odo-
rant des corps jouit souvent de propriétés qui
lui sont particulières , on conçoit aisément que
le lait de chèvre, doué de l’odeur dont nous
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 24*
avons parlé, devra nécessairement agir tout
autrement que celui qui serait privé de cette
qualité.
C’est aux médecins à réfléchir sur cet objet
important; nous ne doutons pas que, s ils veu-
lent le méditer , ils ne parviennent bientôt à
déterminer les cas où telle espèce de lait de
chèvre convient plutôt que telle autre , et
qu’ainsi ils ne tirent de ce fluide un parti plus
avantageux pour les malades que celui qu’ils
ont obtenu jusqua ce jour.
La crème que fournit le lait de chèvre
est toujours fort épaisse, et, pour en favori-
ser la séparation , il est nécessaire de ne pas
exposer le vaisseau qui la contient dans un
endroit trop frais ; sans quoi il faudrait plu-
sieurs jours pour qu elle pût s’élever en totalité
à la surface du liquide , ou bien une grande
partie demeurerait confondue avec le lait : on
peut en dire autant de toutes les espèces de
lait connues.
Si on laisse pendant un certain temps le lait
de chèvre à l’air , sa surface se recouvre d’une
pellicule crémeuse, qui, séparée du lait par
les moyens ordinaires, a une saveur douce et
agréable; elle est d’un blanc mat et se con-
serve long-temps sans s’altérer : mais, exposée
dans des vaisseaux à large ouverture, elle se
transforme bientôt en une espèce de fromage
gras, dont on prolonge la durée en y ajoutant
un peu de sel.
r
2 4 2 DU LAIT CONSIDÉRÉ
Au lieu de laisser la crème s’épaissir à l’air, si
on la baratte aussitôt qu'elle est séparée du lait,
on parvient h en retirer un beurre ferme, que
nous avons obtenu blanc dans toutes les saisons.
On se tromperait si l’on croyait que la blan-
cheur constante du beurre de lait de chèvre
dépend de l’interposition ou de la combinaison
d’une certaine quantité de matière caséeuse;
sa manière d’être et sa consistance suffisent
pour annoncer que ce beurre ne renferme pas
de corps étranger à sa nature : d’ailleurs , quand
on le tient long-temps en fonte sur le feu , on
ne voit pas qu’il fournisse de dépôt, comme
cela arrive toutes les fois que du beurre admet
entre ses parties une certaine quantité de
matière caséeuse. C’est sans doute à cet état
de perfection que le beurre de lait de chèvre
doit la propriété qu’il a de se conserver plus
long - temps que les autres.
Le lait de beurre qui se sépare de la crème,
est encore blanc ; il a une certaine consis-
tance , à cause de la matière caséeuse qu’il ren-
ferme en grande quantité ; sa saveur est douce
et agréable ; l’esprit de vin et tous les acides le
coagulent promptement.
Dès qu’on lait chauffer du lait de chèvre
écrémé , sa surface se recouvre de pellicules ,
et il faut un certain temps avant de pouvoir
épuiser ce qu’il peut en fournir; au surplus,
ces pellicules ressemblent parfaitement à celles
des autres espèces de lait.
| -f'V •' w . • . • ’•
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 24^
Le lait de chèvre, abandonné à lui -même
dans un endroit où il régne une température
un peu chaude, ne tarde pas à se coaguler
comme tous les autres laits; mais on observe
que le coagulum qu'il produit conserve un
état en quelque sorte gélatineux, et qu’il est
toujours plus consistant que celui du lait de
vache et de brebis.
On observe encore que le sérum se sépare
très- difficilement , et que, pour l’avoir à part, il
faut le faire chauffer légèrement et long-temps.
Les alkalis non caustiques colorent un peu
en jaune la matière caséeuse , lorsqu’on les fait
bouillir avec elle ; mais l’alkali fixe caustique
lui donne une couleur foncée, qui approche
beaucoup du rouge noir.
Le sérum et la matière caséeuse que nous
avons examinés, ont été obtenus par la coagu-
lation spontanée et par l’esprit de vin. Ces
deux moyens n'ont pas les inconvéniens des
autres matières coagulables ; c’est pourquoi
nous ne saurions trop en recommander l’usage
à ceux qui voudraient travailler sur le lait.
La matière caséeuse que nous avons obtenue
du lait de chèvre, était en grande quantité:
séparée avec soin du sérum par le moyen de
la presse , et soumise à toutes les expériences
détaillées à l’article de la matière caséeuse du
lait de vache, elle a donné des produits par-
faitement semblables.
Quant au sérum, clarifié seulement par la
Q. 2
^44 DU LAIT CONSIDÉRÉ
liltration à travers d’un papier gris, abandonné
ensuite à l’évaporation spontanée dans plusieurs
capsules, il s’est troublé vers la fin de l’opé-
ration , et a laissé déposer une matière blanche,
que nous avons reconnue pour être de la ma-
tière caséeuse. Le sérum préparé par l’esprit de
vin s’est troublé moins promptement que celui
dont il vient d’être question.
L’un et l’autre sérum , évaporés , avaient une
saveur sucrée; ils ont donné un sucre de lait
très -blanc. Il est resté à la lin de l’évaporation
une eau mère , qui , malgré toutes nos pré-
cautions , a toujours refusé de cristalliser. Elle
a été desséchée au bain - marie , et ensuite
dissoute dans de l’eau distillée , pour savoir si ,
étant rapprochée de nouveau, elle cristalliserait
mieux : mais , voyant qu’elle gardait son premier
état, nous avons cru devoir la mêler avec une
solution de soude cristallisée; aussitôt il s’est
fait un précipité blanc , auquel nous avons
reconnu les propriétés qui appartiennent à la
terre calcaire.
Il parait que le sérum n’est> pas dans le lait
de chèvre en proportion de la matière caséeuse,
qu’il en contient infiniment moins que le lait
des femelles dont il sera question bientôt, et
que le muriate calcaire s’y trouve en très-petite
quantité.
C’est du moins le seul sel étranger dont la
présence se soit manifestée dans l’eau mère ,
restée après la cristallisation du sel de lait.
Le lait de chèvre, distillé au bain-marie,
donne un fluide incolore et transparent, dont
l'odeur et la saveur approchent beaucoup de
celles qu’a ce lait au moment où il vient de
sortir du pis de l’animal. Cette saveur et cette
odeur varient , suivant l’espèce de chèvre; mais,
dans tous les cas, le fluide qu’on obtient ne
conserve pas long-temps sa limpidité. Souvent
au bout de quelques jours il se trouble et laisse
séparer une matière blanche et filamenteuse ,
qui tantôt vient s’arrêter à la surface, et tantôt
se précipite au fond du vase. La liqueur alors
prend ordinairement une odeur putride.
Nous passerons sous silence le détail des
expériences auxquelles nous avons soumis le
résidu de la distillation du lait qui a donné la
liqueur dont on vient de parler; il nous suffira
de dire que les produits se sont trouvés sem-
blables à ceux obtenus du lait de vache traité
de la même manière.
En réunissant maintenant tout ce que nous
avons dit sur le lait de chèvre, on voit qu’in-
■dépendamment de l’odeur particulière à ce lait,
odeur qui quelquefois est très- sensible, on
voit, disons -nous, que dans le nombre des
parties constituantes de ce fluide, il en est
plusieurs qui ont des caractères particuliers,
assez faciles à saisir.
Par exemple , on ne peut s’empêcher de
remarquer combien est plus grande la quantité
de matière caséeuse que ce lait fournit com-
r?
Q
246 DU LAIT CONSIDÉRÉ
parativement à celle du lait des autres ani-
maux , excepté de la brebis.
Ce qui a mérité encore detre observé, c’est
la couleur blanche du beurre qu’on sépare de la
crème ; couleur qui ne change jamais , du moins
d’après ce que nous avons vu , quels que soient
l’âge, le tempérament et la nourriture de la
chèvre; tandis que la couleur la plus ordinaire
du beurre de lait de vache est jaune, et qu’il
ne devient blanc qu’à certaines époques de
l’année, et sur tout quand l’animal ne fait
usage que de végétaux secs.
Si , enfin , on ajoute à ces observations celles
qu’on peut faire sur la nature de la matière
caséeuse du lait de chèvre , qui , plus que celle
de beaucoup d’autres laits, a un état visqueux,
on sera bientôt disposé à croire ce que nous
avons déjà dit ailleurs sur l’organe mammaire ,
dont l’action uniforme, sous certains rapports,
dans toutes les femelles, présente cependant,
suivant les espèces , des différençes bien sensibles
dans l’état particulier des produits qu’il fournit.
Le lait de chèvre contient moins de beurre
que celui de brebis et de vache ; il abonde
davantage en matière caséeuse : aussi devient-
elle la base d’un objet de commerce assez inté-
ressant. On connaît la bonté des fromages du
Mont-d’or, et combien leur goût délicat les
fait rechercher à Lyon, d’où on les envoie à
Paris en boîtes de sapin rondes et plates.
Les fromages cylindriques, appelés cabriloux
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. 24?
dans le département du Cantal , sont aussi
fabriqués avec du lait de chèvre , et le caillé
en est si délicat qu’il peut, par son associa-
tion avec celui des autres animaux ruminans,
en améliorer la qualité. C’est pour cela quon
le fait entrer dans la composition des fromages
de Sassenage.
Du lait de femme.
Il n’est pas d’espèces de lait dont les produits
varient autant que ceux du lait de femme : à
chaque instant du jour ce fluide change d’état,
et les changemens qu’il subit sont quelquefois
si marqués qu’ils étonnent même les observa-
teurs les plus exercés.
Frappés, les premières fois que nous exami-
nâmes ce lait, des variations continuelles que
nous trouvions dans nos résultats, et voulant
prévenir toute fraude de la part de la personne
chargée de nous fournir chaque matin le lait
dont nous avions besoin , nous primes le parti
de n’opérer que sur celui obtenu en notre
présence; mais bientôt nous eûmes la preuve
que, malgré cette précaution, tout ce que nous
avions déjà aperçu se reproduisait. Dès-lors
nous en conclûmes qu’il ne serait jamais au
pouvoir de l’art de déterminer les proportions
de chacune des parties constituantes de ce
fluide, d une manière assez précise pour éta-
blir un terme de comparaison constant , puis-
qu’il était impossible , toutes choses égales
Q 4
248 DU LAIT CONSIDÉRÉ
d ailleurs , de rencontrer deux laits de femme
parfaitement semblables entr’eux.
Le lait dont l’analyse va nous occuper, a été
procuré par une femme d une excellente cons-
titution , quatre mois après son accouchement.
Ce lait avait une saveur douce et sucrée :
exposé à une température de douze degrés, sa
surface s’est recouverte, en moins de douze
heures, d’une matière épaisse , onctueuse, ana-
logue à de la crème. Le lait sous cette matière
était infiniment moins blanc qu’auparavant ;
en le regardant à contre-jour il avait un coup-
d’œil bleuâtre.
Il nous a d ailleurs présenté les mêmes pro-
priétés physiques que celles qui appartiennent
au lait de vache , à quelques nuances près,
qui dépendent de la quantité des substances
suspendues ou en dissolution dans ce fluide.
Huit onces de ce lait récent ont été distil-
lées au bain-marie; la distillation n’a été inter-
rompue que lorsqu’il y a eu dans le récipient
quatre onces de liqueur.
Ce produit ressemblait à de l’eau distillée
ordinaire ; il avait une odeur et une saveur à
peine sensibles; son mélange avec plusieurs
réactifs n’a produit aucun changement : cepen-
dant la liqueur, conservée dans une phiole
bouchée d’un simple papier percé de trous
d’épingles, a paru au bout d'un mois perdre
sa transparence.
L’origine de cette altération est sans doute
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 2/jg
la même que celle indiquée à 1 article du lait
distillé de vache ; mais il y a lieu de croire ,
par la lenteur avec laquelle elle s’opère, que
les corps qu’on peut supposer en etre la cause
y sont en moindre quantité, et par conséquent
doivent produire un effet moins sensible. Il
est très - vraisemblable aussi quil existe des
femmes dont le lait, plus riche en principes
volatiles, peut donner une eau distillée qui
s’approche davantage du lait de vache ; mais
il ne nous a pas été possible den avoir de cette
espèce , malgré toutes nos recherches.
Le lait resté dans la cucurbite avait une
couleur jaune ; sa saveur était plus sucrée
qu’avant la distillation.
En continuant l’évaporation jusqu’à siccité,
on a obtenu une véritable franchipane , laquelle ,
distillée à feu nu, a donné les produits ordi-
naires de cette matière.
Après ces premières expériences nous avons
passé à l’exainen de la crème , qui, ainsi que
nous l’avons dit, s’était rassemblée facilement
à la surface du lait.
•»
Soumise à la percussion pendant plusieurs
heures , la partie butyreuse ne s’est point
manifestée.
La même expérience, répétée sur une crème
plus ancienne , n’ayant pas offert un autre
résultat , nous avons placé le vase qui conte-
nait ce fluide dans un endroit tempéré.
Dès le second jour nous aperçûmes au fond
2i)° DU LAIT CONSIDÉRÉ
du vaisseau une liqueur très- claire et sans
couleur ,N à la surface de laquelle était un
autre fluide beaucoup plus épais, très-blanc,
et ayant la saveur douce et onctueuse.
Pour séparer le beurre qu’on présumait
devoir être contenu dans ce fluide , nous
1 avons agité long-temps avec de l’eau ; mais
par le repos il venait se réunir dans le même
état où il était avant l’expérience.
Nous avons aussi placé au bain-marie une
phiole qui contenait une certaine quantité de
ce fluide, afin de voir si la matière vraiment
butyreuse se séparerait : le succès de l’expé-
rience n’a pas encore répondu à notre attente.
Alors ce fluide a été introduit dans une cor-
nue , et ensuite distillé à feu nu : il en est résulté
du phlegme , de l’huile d’une odeur forte et
pénétrante, de l’ammoniaque ou alkali volatil,
un acide, du gaz inflammable; tels sont les
produits que nous avons obtenus , et qu’on peut
comparer à ceux de la crème du lait de vache
traitée ainsi. On a trouvé dans la cornue un
charbon très-noir et très-raréfié.
La liqueur sur laquelle nageait le fluide dont
nous venons de donner l’analyse, pouvait être
regardée comme une espèce de sérum ; sa
transparence n’a point été altérée par le mélange
des acides et de l’alcohol. Soumise à l’évapo-
ration insensible, elle a donné un résidu salin,
que nous avons reconnu pour être du sucre de
lait, mêlé avec de la matière caséeuse.
V
relativement a la MÉDECINE. 2,5i
Nous avons aussi abandonné huit onces de
lait de femme écrémé dans un endroit un peu
chaud, pour savoir s’il se coagulerait sponta-
nément; mais comme il n avait pas, au bout
de trois jours, changé d’état, nous avons pris
le parti de le fdtrer.
Une portion de la liqueur , qui était devenue
très-limpide, abandonnée à l’évaporation spon-
tanée, s’est troublée assez promptement. Par
une nouvelle filtration elle ne tarda pas à
reprendre sa limpidité. Cependant, deux jours
après, nous fûmes encore obligés de la filtrer;
elle avait alors une saveur aigre. L’évaporation
continuant toujours, on vit des cristaux de sel
de lait se former d’une manière beaucoup plus
régulière que ceux manifestés dans le lait qui
n’avait pas été clarifié par la filtration.
Une seconde cristallisation a encore donné
du sel de lait, mais moins blanc que le pré-
cédent. Enfin, il est resté une eau mère fort
épaisse, qui, évaporée à siccité, a laissé une
matière brune , à laquelle on a fait éprouver
un degré de chaleur assez considérable. A peine
le creuset qui la contenait a-t-il commencé à
rougir, que la matière s’est enflammée en répan-
dant beaucoup de vapeurs. Enfin , le résidu
trouvé au fond du creuset a donné , par la lixi-
viation, du sel marin ou muriate de soude.
On a fait chauffer quatre onces de lait de
femme , pour savoir s’il paraîtrait des pellicules
à sa surface : bientôt nous les vîmes se former
/
•MM .
il il
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li il • :
DU LAIT CONSIDERE
et se succéder, à peu près comme celles dont
il a été question à l’examen du lait de vache.
A force de les enlever nous sommes parvenus
à convertir tout le lait en sérum.
Nous avons aussi employé, pour décomposer
le lait de femme , les différens moyens indiqués
à l’article de la coagulation ; tous nous ont
réussi, excepté le vinaigre et les acides miné-
raux très-étendus d’eau.
, Les expériences dont on vient de rendre
compte , répétées sur le lait de vingt nourrices
accouchées à différentes époques , nous ont
fourni l’occasion d’acquérir la preuve, i.° que,
toutes choses égales d’ailleurs , la matière
caséeuse du lait de femme étoit peu adhérente
au sérum , puisque dans une température de
seize degrés, et au moyen du repos, elle se
sépare , en grande partie , sous la forme de
molécules extrêmement ténues , adhérentes aux
parois du vaisseau qui contient le lait; 2.0 que,
plus ce lait s’éloignait du temps de l’accouche-
ment, plus il contenait de matière caséeuse;
5.° enfin, que, dans ce dernier cas, le lait
devenait coagulable par les acides, mais que le
coagulum était toujours visqueux, et n’acqué-
rait jamais cette consistance gélatineuse qu’on
remarque à la matière caséeuse du lait de vache.
Soupçonnant que la difficulté qu’on éprouve
quelquefois pour coaguler le lait de femme avec
les acides peu concentrés , dépendait essen-
tiellement de ce que sa matière caséeuse se
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RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 253
trouvait délayée dans une trop grande masse de
fluide ; et ce soupçon , d’ailleurs , étant fondé
sur une expérience de Scheele , d’après laquelle
ce savant a trouvé que le lait de vache , étendu
dans dix parties d’eau , perd la faculté d etre
coagulable ; nous essayâmes de rapprocher la
matière caséeuse , en évaporant le lait sur lequel
nous opérions, à l’aide d’une douce chaleur:
mais bientôt nous eûmes lieu d’observer que
cette expérience devait être sans succès , en
voyant la surface du lait se recouvrir de pelli-
cules", qui, formées aux dépens de la matière
caséeuse, devaient nécessairement diminuer
cette matière , que nous désirions rapprocher.
Aussi huit onces de lait de femme , réduites à
quatre onces, ne devinrent - elles pas plus sen-
siblement coagulables par les acides qu’avant
l’opération.
D’après les pfoduits de l’analyse que nous
venons de rapporter, il semblerait qu'on devrait
en conclure que le lait de femme diffère essen-
tiellement de celui de vache et des autres
femelles dont il a déjà été question ,
1. ° Par la propriété qu’a sa crème de ne pas
fournir de beurre ;
2. ° Par la matière caséeuse, qui, au lieu
detre tremblante et comme gélatineuse, a tou-
jours une sorte de viscosité ;
3. ° Par l’impossibilité de coaguler cette ma-
tière, lorsqu’on n’emploie que des acides peu
concentrés.
’ •
Pçu-./ I
t ,
1 ty
t-
254 du lait considéré
'Pelles furent aussi les conséquences que nous
tirâmes lors de notre premier travail sur ce
lait ; mais des expériences faites depuis nous
ont fourni la preuve que ces conséquences
n’étaient pas justes.
En effet, nous avons vu que, s’il y avait des
laits de femmes dont la crème ne donnait pas
de beurre, il y en avait aussi qui en fournis-
saient facilement, et que celui qu’on obtenait
ne différait presque pas, pour la consistance et
la couleur, du beurre de lait de vache.
Il était naturel , d’après cette observation ,
de chercher à découvrir les causes qui, dans
certains cas, déterminaient la présence du
beurre dans la crème du lait de femme, et
quelles étaient celles qui s’opposaient à sa
séparation. Voici ce qu’un travail additionnel
nous a présenté de plus vraisemblable à cet
égard. *
En général , il paraît démontré que le lait
est un de ces fluides dont la perfection est
subordonnée à une foule de circonstances, si
difficiles, souvent, à réunir, qu’il n’est pas
aussi commun qu’on pourrait d’abord le penser
de trouver des animaux qui donnent du lait
toujours également bon. Tantôt c’est la matière
caséeuse qui est moins abondante , quelquefois
la crème est peu épaisse ; souvent le beurre est
plus ou moins solide, coloré et adhérent à la
matière caséeuse ; souvent aussi on trouve
une différence dans la quantité du sel essentiel.
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. û55
Enfin, on remarque une variété si grande dans
les produits des laits fournis par les mêmes
femelles , qu’il est facile de reconnaître que les
principes destinés à former ce fluide , ou ne
sont pas dans les mêmes proportions, ou, au
moins, n’ont pas toujours le même degré d’ap-
propriation.
La moindre altération que les animaux éprou-
vent dans leur santé, le changement de nour-
riture , la quantité et la qualité de celle qu’on
leur administre, les intempéries de l’air aux-
quelles ils sont exposés, la situation des lieux
qu’ils habitent, et mille autres causes de cette
espèce, dont on a déjà parlé, peuvent être
regardées comme capables d’apporter des varia-
tions infinies d^ns les différentes parties consti-
tuantes de leur lait , et expliquent pourquoi
elles sont rarement dans le même état.
Mais si à toutes ces causes, communes aux
nourrices, on ajoute encore les affections
morales auxquelles elles sont si sujettes, on
reconnaîtra bientôt que le lait de femme doit
présenter dans sa composition des différences
plus variées encore que celles qu’on remarque
dans le lait des animaux.
La crème étant , à ce qu’il paraît , cette partie
du lait formée une des dernières, et sa formation
ne pouvant avoir lieu qu’autant que la com-
position des autres parties du lait est complè-
tement achevé , il doit nécessairement en résul-
ter que , lorsqu’une ou plusieurs de ces parties
'
'
256 du lait considéré
n’ont pas acquis leur degré de perfection , il
ny a pas de crème formée, ou que celle qui
s y trouve ne ressemble pas à ce qu’elle aurait
été si les principes destinés à la produire
avaient pu se réunir et se combiner.
Il n’est donc pas étonnant de rencontrer si
souvent des laits de femme qui donnent peu
de crème , et sur tout des crèmes dont on ne
peut pas extraire de beurre.
Les expériences dont nous allons rendre
compte pourront servir à confirmer l’opinion
que nous venons d’émettre.
Des circonstances favorables nous ayant pro-
curé une occasion unique , celle d’avoir dans
le même temps du lait de plusieurs nourrices à
peu près de même âge, au même terme d’accou-
chement, soumises au même régime et jouis-
sant de la meilleure santé , nous crûmes devoir
en profiter pour compléter notre travail.
Voici, en général, ce que nous avons remar-
qué. Aucun de ces laits ne ressemblait aux
autres, ni pour la saveur, ni pour la couleur,
ni pour la consistance , ni pour la quantité de
crème qu’ils donnaient.
Les uns étaient extrêmement séreux, d’au-
tres paraissaient pourvus davantage de matière
caséeuse ; aussi étaient-ils d’un blanc plus mat:
quelques-uns, à la vérité le plus petit nombre,
avaient l’apparence d’un lait de bonne qualité.
Ces trois espèces de lait, abandonnées à elles-
mêmes , donnèrent toutes de la crème; mais
RELATIVEMENT A LA MÉDECINE. 25y
celle de la première espèce n’avait ni couleur
ni consistance : lorsqu’on l’agitait, elle se parta-
geait dans la sérosité qui l’accompagnait, et, telle
précaution qu’on ait prise , jamais elle n’a pu
fournir de beurre. Le lait sur lequel cette crème
surnageait était devenu à demi transparent, et
ressemblait assez bien à une légère eau de
savon : les acides le coagulaient, mais en petits
flocons extrêmement déliés , et si légers qu’ils
venaient bientôt former une pellicule fort
mince à la surface du liquide ; le sérum alors
était presque transparent et sans couleur.
Le lait de la deuxième espèce a présenté des
phénomènes à peu près semblables, avec cette
différence , cependant , que la crème a paru un
peu plus abondante ; mais elle n’a pas donné
de beurre par la percusion.
Quant au lait de la troisième espèce, il s’est
comporté tout autrement , c’est-à-dire , qu’il a
donné une crème tenace, très-épaisse, qui, par
la percussion, a fourni un beurre jaune, dune
bonne consistance ; mais sa saveur était iàde.
A cela près, il paraissait réunir toutes les qua-
lités qui caractérisent un beurre parfait.
Le lait sur lequel s’était formée la crème dont
on avait extrait ce beurre , était très-blanc ;
mêlé avec des acides, même faibles, il a donné
un coagulum assez abondant , tremblant , et
absolument semblable à celui du lait de vache
de bonne qualité.
Il est bon d’observer que les expériences
R
a58 DU LAIT CONSIDÉRÉ
dont il vient d’étre question , ayant été répétées
plusieurs jours de suite sur le lait des mêmes
femmes, à différentes époques de la journée,
nous avons eu occasion de remarquer que les
produits n’avaient jamais été semblables à ceux
que nous avions d'abord obtenus.
Une seule femme, âgée de vingt-trois ans,
nourrie d’alimens succulens sans être recher-
chés, et accouchée depuis quatre mois, nous
a donné pendant huit jours un lait qui nous
a paru être, à peu de chose près, toujours le
même. La quantité en était si abondante
qu’indépendamment de celui que tétait son
enfant, elle pouvait encore nous en fournir,
dans l’espace de vingt-quatre heures, environ
deux livres.
Nous terminerons nos réflexions sur les chan-
gemens presque continuels queprouve le lait
de femme, par une observation.
Une nourrice, âgée de trente-deux ans, d’un
grand caractère, mais d’une constitution déli-
cate et sujette à des affections nerveuses assez
fréquentes , nous procurait souvent de son lait
pour l’examiner. Surpris un jour de ce que
celui du matin était sans couleur, presque
transparent, et de ce qu’il était devenu, en
moins de deux heures, visqueux, à peu près
comme du blanc d’oeuf; nous résolûmes de
suivre la chose de plus près, et la nourrice
voulut bien seconder nos vues, en nous pro-
mettant de son lait chaque fois que nous en
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relativement a la MÉDECINE. 25g
demanderions. Celui dont nous venons de
parler avait été tiré à huit heures du matin;
le lait de onze heures était un peu plus blanc;
mais celui du soir avait la couleur naturelle à
ce fluide, et ne contractait plus de viscosité.
Nous avons continué ainsi à examiner,- pen-
dant quatre jours de suite , du lait de la même
femme, à différentes époques de la journée,
sans apercevoir des changemens aussi notables
que ceux de la première fois. Le cinquième
jour les mêmes changemens parurent de nou-
veau, et nous apprîmes que la nourrice avait
eu la veille, et pendant la nuit, une attaque
de nerfs assez considérable. Enfin , dans l’espace
de deux mois nous avons eu l’occasion d’obser-
ver plusieurs fois les mêmes phénomènes , et
d’être convaincu , en même temps , qu’ils
n’avaient lieu que quand la nourrice éprou-
vait de l’altération dans sa santé.
Nous laissons aux médecins à tirer de cette
observation les conséquences sans nombre
quelle peut leur offrir ; mais elle sert à nous
confirmer de plus en plus dans l’opinion où
nous sommes, que le fluide dont il s’agit ne
pourra jamais donner à cèux qui l’examineront
avec l’attention la plus scrupuleuse des pro-
duits parfaitement semblables. De là l’insuffi-
sance de toutes ces analyses comparatives du
lait de femme et de celui des autres femelles.
Il 2
200 DU LAIT CONSIDÉRÉ
Du lait cV anesse.
Après le lait de vache c’est le lait d anesse
dont la médecine tire le meilleur parti; l’usage
s’en est conservé depuis les Grecs jusqu’à nous,
et son analogie avec le lait humain le rend
infiniment recommandable , dans une foule
de circonstances où on s’en est servi très-avan-
tageusement.
En effet , si on s’en rapporte à la couleur ,
à la saveur et à la consistance, le lait d anesse
semblerait peu différer de celui de femme.
Cependant ces deux espèces de lait ont des
propriétés particulières , qui peuvent servir à
les faire distinguer. Ce n’est pas, il est vrai ,
en comparant leurs propriétés physiques qu’on
parviendra à saisir ces différences; l’examen,
chimique seul peut les rendre palpables. Il sera
facile d’en juger par les détails suivans.
L’eau du laitd’ànesse, distillée au bain-marie ,
a une odeur peu sensible; elle s’altère cepen-
dant, comme celle des autres laits, quoiqu’elle
ne paraisse rien tenir en dissolution.
Le résidu de la distillation donne , par l’éva-
poration , une franchipane , dont les produits,
lorsqu’on la distille à feu nu , sont les mêmes
que ceux de la franchipane du lait de vache ,
mais dans une proportion infiniment moins
abondante.
Les acides , ainsi que l’alcohol , coagulent le .
lait d’ânesse; mais la partie caséeuse se sépare
RELATIVEMENT A LA MEDECINE. £>.bl
toujours, sous forme de molécules extrême-
ment ténues , qui se rassemblent au fond du
vaisseau , tandis que le coagulum du lait de
vache , de brebis et de chèvre , est en masse ,
occupe tout le fluide, et s en détache plus
ou moins difficilement.
Le lait danesse donne , par le repos , une
crème qui n’est jamais épaisse ni abondante;
sa saveur n’a rien d’agréable. On parvient, avec
assez de difficulté, à la convertir en beurre ,
et ce beurre est toujours mou , fade, d’une cou-
leur blanche , et se rancit aisément.
Si on n’a pas soin de tirer promptement
le beurre du fluide dans lequel il flotte,
et qu’on le tienne dans un endroit un peu
chaud, il se liquéfie ; et, pour l’obtenir de nou-
veau à part, il faut plonger le vaisseau dans
l’eau froide, et ensuite l’agiter pendant quel-
que temps.
Le lak de beurre, bien privé de la crème
nouvelle, a une saveur douce, très- agréable.
Les acides et l’alcohol en séparent la matière
caséeuse.
Ce lait, ainsi que la crème et le beurre qu’on
en retire, donnent, lorsqu’on les distille à feu
nu , les mêmes produits que le beurre et la
crème du lait dë~ vache.
Autant les laits de vache, de chèvre et de 4
brebis abondent en matière caséeuse , autant
ceux de femme et d anesse en donnent peu :
cest, sans doute, à l’existence d’une plus^
n 3
X
262 DU LAIT CONSIDÉRÉ
grande quantité de cette matière que les pre-
miers doivent leur densité marquée et les pel-
licules nombreuses qu’ils fournissent lorsqu’on
les fait chauffer.
Le lait d anesse , en perdant sa crème, ac-
quiert plus de fluidité , et en même temps il
devient bleuâtre. Si on l’abandonne à l’air, il
se coagule spontanément, mais avec assez de
difficulté ; et encore le coagulum n’est-il jamais
bien ferme ; le plus souvent il se précipite sous
la forme de magma.
L’alcohol en opère aussi la coagulation. Le
précipité qui se forme dans ce cas ressemble
parfaitement à celui qui a lieu lors de la coa-
gulation spontanée.
Le sérum obtenu par l’un des deux procédés
ci-dessus indiqués, évaporé jusqu a cristalli-
sation , a donné un sel de lait très - blanc , mais
non pas en aussi grande quantité que nous
l’aurions cru, à raison de la saveur sucrée du
lait qui le tenait en dissolution.
Au reste , nous serions assez embarrassés
d’établir les quantités exactes de sucre de lait
que le lait d’ànesse doit donner, puisque de
trois portions égales de lait, fournies par trois
ânesses différentes, il ne s’en est pas trouvé
une seule qui n’ait offert des différences notables
dans les proportions de sel qu’on en a retiré ;
ceci d’ailleurs s’accorde avec ce que nous avons
dit'dans le précédent article.
Le sucre de lait danesse nous a paru tout-
relativement a la MÉDECINE. 265
à- fait semblable à celui du lait de femme et
de vache : il a donné les mêmes produits lors-
qu’on l’a soumis aux épreuves détaillées ci-
dessus.
Nous avons aussi préparé du sérum en sépa -
rant les pellicules de la surface d’une quantité
de lait danesse qu’on avait fait chauffer exprès.
L’opération a été un peu plus longue que la
même à laquelle nous avions soumis le lait de
femme ; mais le sérum obtenu s’est clarifié avec
la plus grande facilité, en employant seulement
J a filtration. Par l’évaporation , il a donné la
totalité de sel de lait et de muriate calcaire
qu’il contenait.
Le lait danesse est, parmi les différentes
espèces de lait , un de ceux qui contiennent le
moins de matière caséeuse. On observe même
quelle est si peu adhérente au sérum, que
souvent le simple repos suffit pour l’en séparer,
sous la forme de molécules extrêmement fines,
sans qu’il soit nécessaire d’attendre que le lait
soit devenu aigre. Cette propriété que le lait
danesse a de se convertir promptement en
sérum, appartient également au lait de femme;
à mesure que la matière caséeuse se manifeste ,
la saveur sucrée devient plus sensible : effet
que nous ne saurions attribuer à l’évaporation
du fluide , puisque le lait était dans des bou-
teilles à étroite ouverture , mais bien au déve-
loppement du sucre de lait , et , peut - être , aussi
à ce que , ce sel étant en dissolution dans un
R 4
fluide qui tient moins de matière caséeuse que
beaucoup d’autres sérosités , sa saveur doit
devenir plus sensible.
Une chose assez remarquable, et sur laquelle
nous revenons , c’est le peu de consistance du
beurre de lait d’ânesse dans toutes les saisons.
En été il parait impossible de l’avoir avec une
sorte de fermeté. Pendant l’hiver il ressemble
à de l’huile figée ; son blanc mat , la facilité
avec laquelle il se rancit, feraient soupçonner
qti’il doit retenir dans sa formation une petite
quantité de matière caséeuse, si, comme nous
croyons l’avoir prouvé , cette matière , sans
pouvoir être réputée une des principales causes
de la rancidité, contribue au moins beaucoup
à son développement.
Nous observerons encore que les sels moyens
contenus dans le sérum du lait d ’ânesse , ne
sont pas toujours de la même nature; indé-
pendamment du sucre de lait, nous avons vu
qu’il fournissait du muriate calcaire , et quel-
quefois aussi du muriate de soude. Au reste , la
quantité de ces deux sels y est si peu considé-
rable , que ce serait s’abuser que de calculer les
propriétés médicinales du lait d’ânesse d’après
celles qui appartiennent à ces sels.
Du lait de jument.
L’usage que les Tartares , dans leurs excur-
sions, font du lait de jument, est connu; on sait
également que ce fluide est le premier qu’on
i
'• - ’
relativement A LA MÉDECINE. 263
se soit avisé de soumettre a la fermentation
spiritueuse , pour en retirer , par la distillation ,
de l’alcohol comparable , pour les propriétés
générales , à celui que fournissent toutes les
liqueurs vineuses.
Peu d’auteurs, cependant, ont donné une
analyse détaillée de ce lait. Les principales
causes de l’indifférence des chimistes à en
rechercher la nature , sont vraisemblablement,
d’une part, le peu d’usage qu’on en fait en
France, et, de l’autre, la difficulté de s’en pro-
curer la quantité nécessaire aux expériences,
la jument étant dans la classe des femelles qui
ne donnent leur lait qu’à la vue de leur nour-
risson , et refusent de se laisser traire , dans la
crainte , sans doute , qu’on ne dérobe au pou-
lain ce qui lui appartient exclusivement.
Celui que nous avons examiné a été fourni
par une jument dont 011 avait manié de bonne
heure les pis, pour l’accoutumer à se laisser
traire, et nous avons attendu qu’il y eût deux
mois d’écoulés depuis qu elle avait pouliné, afin
d’ètre assurés qu’il avait les qualités requises,
qualités que le lait en général ne possède
jamais dans les premiers temps* où les femelles
ont mis bas.
L’état séreux du lait de jument le rend assez
remarquable. Sa fluidité cependant est moindre
que celle des laits de femme et d ânesse; mais
aussi sa saveur parait moins sucrée.
Les propriétés physiques du lait de jument
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DU LAIT CONSIDÉRÉ
sont les mêmes que celles ries autres laits; nous
avons observé seulement qu’il prend aisément
le mouvement de l’ébullition , et qu’il se coa-
gule assez vite.
L’eau de ce lait distillée au bain-marie, est
presque inodore ; elle se conserve long-temps
sans s’altérer; cependant elle finit toujours par
perdre de sa transparence , et acquiert en même
temps une odeur désagréable.
Le résidu delà distillation du lait de jument
au bain-marie , présente une franchipane moins
onctueuse et moins abondante que celle du lait
de vache; mais, distillée à feu nu , aux quantités
près, les produits sont absolument semblables.
A peine le lait de jument éprouve-t-il la
chaleur du bain - marie , qu’il se couvre de pel-
licules plus minces que celles du lait de brebis;
les premières, surtout, sont plus onctueuses
que celles qui viennent ensuite : propriété
dépendante , sans doute , de la petite quan-
tité de crème que ce lait contient
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Le sérum qu’on obtient après avoir enlevé
toutes les pellicules , passe aisément à travers
le filtre , et est toujours fort clair et incolore.
Dès que le lait de jument est trait et qu’on
l’expose à une température froide , il se recouvre ,
par le repos, d’une crème assez claire, de cou-
leur jaunâtre ; cette crème , agitée long-temps ,
ne donne point de beurre. Nous n’oserions
cependant assurer que, dans aucun cas , elle ne
pût en fournir; car il pourrait en être de cette
■
RELATIVEMENT A IA MÉDECINE. 267
crème comme de celle du lait de femme, qui,
ainsi que nous l’avons observé, ne laisse échap-
per son beurre que lorsqu’elle est parvenue à
un certain degré de perfection , quelle n’a pas
toujours dans tous les individus.
Le lait de jument, écrémé, traité avec tous 2
les réactifs dénommés dans nos précédentes
analyses , offre les mêmes phénomènes que ceux
dont on a parlé lorsqu’il a été question du lait
de vache et de brebis.
Nous avons seulement remarqué que le
vinaigre distillé , et letartrite acidulé de potasse,
opéraient plus difficilement la séparation de la
matière caséeuse, puisque ce n’est que quelque
temps après leur mélange que cette matière
parait sous une forme analogue à celle du lait
de femme , lorsqu’on le traite avec les mêmes
acides, c’est-à-dire, en molécules toujours
très - ténues.
Le petit lait, ou le sérum de lait de jument,
sur lequel nous avons fait quelques expériences,
a été préparé par l’intermède de l’esprit de vin;
procédé auquel, cette fois-ci , nous nous som-
mes déterminés à accorder la préférence, parce
que, d’une part, nos expériences nous avaient
appris que le sérum obtenu par une autre mé-
thode n’en différait point, et que , de l’autre,
ayant l’avantage d’avoir ce sérum très -promp-
tement , nous étions certains que ses parties
constituantes n’avaient subi aucune altération.
Le sérum ainsi obtenu , après avoir été filtré
I h
268 DU LAIT CONSIDÉRÉ
et évaporé spontanément dans plusieurs cap-
sules , s’est troublé et a déposé de la matière
caséeuse , que nous avons séparée par des fil-
trations réitérées; il nous a donné ensuite une
concrétion saline blanche , adhérente aux
parois des capsules. La surface s’est recouverte
d’un sel cristallisé en petites aiguilles, qui tan-
tôt étaient réunies sous la figure de grouppes,
et tantôt se trouvaient isolées.
Ces deux matières salines, examinées cha-
' 1
cune séparément , ont été reconnues , l’une
pour être le sel essentiel du lait, et l’autre du
sulphate calcaire.
Une seconde cristallisation nous a donné,
après la décantation de la liqueur, du sel de
lait un peu moins blanc que le précédent, et
la troisième, un sel entièrement semblable : il
nous est resté une liqueur qui a refusé de cris-
talliser ; elle contenait du muriate calcaire.
Le lait de jument est, dans le nombre de
ceux que nous avons examinés , le seul qui
ait fourni du sulphate calcaire. Ce sel serait-il
du à la qualité de l’eau de puits dont les cavales
s’abreuvent ordinairement, et l’état séreux de
leur lait dépendrait-il de la quantité qu’elles
en boivent ? C’est ce que nous n’entrepren-
drons point de décider.
La difficulté qu’on éprouve pour séparer le
beurre de la crème du lait de jument, ainsi
que la petite quantité de matière caséeuse que
ce lait fournit, sont les deux principaux carac-
relativement a la médecine. 269
itères que nous ayons recueillis de l’analyse de
ce fluide. •*
Tout en convenant de l’extrême fluidité du
lait de jument, on a prétendu néanmoins qu’il
était plus nutritif que les autres laits. .Nous
ignorons jusqu’à quel point cette opinion est
admissible: mais, en reconnaissant cette pro-
priété, il faudrait l’attribuer moins à l'abon-
dance des principes qui entrent dans sa com-
position, qu’à leur véritable manière d’être,
ainsi que l’a très-judicieusement observé V enel ,
dans son précis de matière médicale, augmenté
de notes par Carrère.
Les Scythes faisaient beaucoup d’usage du
lait de jument et de ses produits. C’est ce lait,
comme nous l’avons déjà observé , que les
Tartares russes ont soumis à la fermentation
vineuse. Sans doute que , dénués des res-
sources que nous avons en abondance pour
nous procurer de l’esprit ardent , ces peuples
ont été conduits par le besoin et, peut-être,
par hasard à cette découverte ; mais dès que
leur procédé a été connu parmi nous, on l’a
rectifié et ensuite appliqué au lait de vache et
à celui de chèvre. Il nous suffisait de connaître
la possibilité d’une semblable opération pour
toutes les espèces de lait, et nous nous sommes
dispensés de la répéter, bien convaincus que
ce genre d’expériences n’apprendrait rien de
plus que ce qu’on savait déjà sur cet objet.
J
270 DU LAIT RELATIVEMENT
TROISIÈME PARTIE.
Du lait considéré relativement à V économie
rurale.
A-kh s le pain , l’article le plus essentiel des
provisions d’une métairie, est le lait. Les pro-
duits de ce fluide forment dans tous les can-
tons une branche de commerce plus ou moins
considérable; plusieurs sont même renommés
par la qualité du beurre ou des fromages qu’ils
fabriquent : qualité qu’ils ne doivent pas seule-
ment aux alimens dont on nourrit les animaux,
mais encore A la manière dont on gouverne
les laiteries, ainsi qu’aux manipulations em-
ployées, car ici, comme en une infinité d’au-
tres choses, c’est la façon d’opérer qui fait
tout.
Mais ce n’est pas assez que les physiciens,
pour lesquels ce traité est particulièrement des-
tiné, soient pénétrés de ces vérités. Le but de
notre travail serait manqué si nous ne nous
empressions de les transmettre également aux
habitans des campagnes, en leur assurant qu’ils
pourraient tirer un parti plus avantageux de
leurs laitages, si, pour leur propre intérêt, ils
voulaient toujours prendre la peine de consul-
ter, mieux qu’ils ne font, les localités.
V
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a l’économie rurale.
271
Article premier.
De la laiterie.
C’est ainsi que se nomme le lieu où l'on
dépose le lait au sortir de la vacherie, et dans
lequel ce fluide séjourne jusqu au moment où
il s’agit de lui donner une destination.
Dans les départemens où les produits du lait,
sous forme de beurre et de fromage , jouis-
sent d’une certaine réputatioù , et sont, par
conséquent, l’objet de fabriques considérables,
on ne trouve point de laiterie montée en grand ;
les plus fortes métairies n’ont pas même de local
destîné uniquement à serrer le lait ainsi que
les ustensiles qui servent à en conserver le$
résultats : on se contente d’un bas d’armoire
ou d’un coffre, nommé huche; voilà toute
la laiterie.
Cette huche est ordinairement placée dans
le lieu' où se tient habituellement la famille,
où se fait la cuisine, et où l’on couche : ail-
leurs elle occupe le centre du logement et sert
aux métayers de table à manger. Comme ce
meuble est mobile , on a coutume de le trans-
porter en été dans l’endroit le plus frais de
l’habitation , et dans le plus chaud pendant
l’hiver. On peut même établir dans son inté-
rieur une température égale dans tous les temps ,
au moyen d'un réchaud de braise allumée ou
d’un peu de sel marin répandu sur le plancher
de la huche ou du coffre.
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. y- .r 'h
DU LAIT RELATIVEMENT
Dans la fameuse vallée d'Auge, département
du Calvados , les grandes fermes de huit à
quinze mille francs de revenu ont pour laite-
rie une salle située communément sous un han-
gar, à proximité du centre du ménage et à
l’abri des vents froids : cette pièce est ouverte
sur ses quatre façades d’une petite porte et de
trois croisées d’environ quatre pieds et demi.
Ces croisées sont closes au moyen de lattes
disposées de manière à intercepter les rayons
du soleil, sans nuire au renouvellement conti-
nuel de l'air intérieur. En hiver ces sortes de
jalousies sont remplacées par un châssis vitré :
un fourneau ou des réchauds que l’on entre-
tient allumés, et dont le premier but est de
maintenir l’air de la salle à une température éle-
vée , servent alors à renouveler l’air ; ce qu’on
facilite encore de temps à autre , en ouvrant
une des croisées. Les murs et le plafond sont
recouverts d’une couche de mortier fait avec
la chaux et le sable ou le ciment ; le plafond
n’a guères que cinq pieds d’élévation , et la
grandeur de la salle est toujours calculée sur
la force de la vacherie. Des rayons supportés
par des échelons, et disposés tout autour de la
salle à des distances convenables, servent à
recevoir les vases qui contiennent le lait, la
crème, etc., ainsi que les pots vides et les
ustensiles affectés à ce service.
Les voyageurs qui savent observer convien-
nent que cette partie des bâtimens qui consti-
i
a l’économie rurale. 27D
tue la ferme et qui forme les laiteries , est
en Angleterre une des plus intéressantes , et
qu’il s’en faut qu’elle soit aussi bien soignée
en France. Cependant on a vu parmi nous de
riches propriétaires en établir à grands frais ,
dans l’intérieur desquelles il régnait un luxe
extrême ; mais il y manquait précisément les
conditions principales pour remplir efficace-
ment le but qu’on se propose : nous voulons
dire la forme et l’exposition , dont l’influence
directe sur le lait et sur ses produits est hors
de doute.
La fraîcheur et la propreté du local destiné
à cet objet, étant les deux grands moyens de
conservation du lait, il serait utile d’en rappe-
ler souvent la nécessité , par forme d’adages ,
dans les endroits les plus fréquentés de l’habi-
tation, et d’inscrire même ces adages en gros
caractères sur la porte de chaque laiterie.
Emplacement d'une laiterie.
•
Pour rendre une laiterie profitable , il faut,
autant qu’on le peut, la placer au nord, et la
disposer de manière qu’elle soit assez fraîche ,
en été , pour que la totalité de la crème ait
le temps de monter à la surface du lait avant
qu’il ne s’aigrisse, et suffisamment chaude, en
hiver, pour opérer un semblable effet à peu
près dans le même intervalle de temps. Il sera,
toujours possible, quelle que soit la demeure
s
274 DU LAIT RELATIVEMENT
ordinaire du fermier, de construire une laite-
rie d’après ces principes.
Dans beaucoup de nos départemens, au nord
et à l’ouest de la république , les laiteries sont
des caves voûtées et fraîches , comme il con-
vient qu elles soient pour y conserver le vin :
leur température, dans toutes les saisons, doit
être de huit à dix degrés environ du thermo-
mètre de Réaumur. On conçoit que ces sou-
terrains seraient encore plus utiles dans les
départemens méridionaux.
Souvent il est plus facile de construire une
laiterie séparée du corps de la ferme ; mais
alors il faut, autant qu’on le peut, la placer
dans le voisinage d’un ruisseau d’eau courante,
et la composer de petites pièces disposées les
unes à côté des autres , de manière que la
laiterie proprement dite se trouve située au
centre.
Tout ce qui peut apporter la plus légère
odeur et la moindre chaleur à la laiterie, doit
en être sévèrement proscrit : il faut que les
murs aient deux pieds d’épaisseur , et que la
couverture soit au moins de trois pieds , en
chaume ou en roseaux ; qu’elle déborde de
chaque côté sur le mur: il faut de plus, ména-
ger au dedans un tuyau de bois qui s’élève d’un
ou de deux pieds au-dessus de la couverture,
pour , dans certaines circonstances , opérer
l’effet du ventilateur.
On doit pratiquer, à chacune des portes, des
a l’économie rurale. 275
ouvertures qui puissent se fermer au moyen
d’un petit volet; on y adapte un pied de gaze
et un grillage de fil de fer , très-léger , à mailles
serrées, pour en interdire l’accès aux chats,
aux rats, aux souris et même aux mouches;
enfin ces ouvertures doivent être disposées de
manière à pouvoir établir , lorsque le vent
souffle, un courant d’air dans toute la laiterie,
pour y conserver, autant qu’il est possible,
une température uniforme dans toutes les
saisons.
Autour de cette pièce, destinée à la laiterie ,
doivent être placées des banquettes en maçon-
nerie , recouvertes par des dalles de pierres
bien jointes, pour éviter les cavités, et favori-
ser leur parfait nettoyement; le pavé sera élevé
au-dessus du niveau du sol , avec de petites
rigoles en pente, pour faciliter l’écoulement
au dehors de l’eau des lavages, ou du lait
répandu accidentellement.
Les pièces accessoires à la laiterie servent,
les unes à recevoir une chaudière assez grande,
destinée à laver les vaisseaux et ustensiles em-
ployés; les autres, à tenir en magasin le beurre
et les autres produits du lait , et à serrer les
outils inutiles pour le moment. L’intérieur des
murs de ces pièces doit être enduit de chaux,
ainsi que le plafond, quand elles ne sont pas
voûtées.
*
s 2
276 DU LAIT RELATIVEMENT
Ustensiles de la laiterie.
Après avoir fait choix d’un emplacement
pour la laiterie, l’objet qui mérite le plus
d’attention concerne les ustensiles : si leur
propreté et leur forme sont extrêmement essen-
tielles , leur nature ne l’est pas moins. Une
fermière attentive peut bien tolérer l’usage
des vases de métal pour recevoir le lait à la
vacherie et pour son transport à la laiterie ;
mais elle ne doit jamais permettre que le lait
y séjourne , sur tout quand ils sont de cui-
vre ou de plomb , parce que ce fluide les
attaque, comme corps gras et fermentescible,
et forme avec eux des combinaisons salines,
lesquelles agissent ensuite à la manière des
poisons.
Pour remédier à des inconvéniens de cette
importance, les chimistes étaient parvenus à
déterminer l’ancienne administration à pros-
crire les vaisseaux de cuivre pour la conser-
vation et le transport du lait à Paris; mais
les réglemens faits à ce sujet ont été éludés.
Aujourd’hui l’intérêt général réclame pour
qu’ils soient remis en vigueur : on attend avec
grande impatience qu’une loi en ordonne l’exé-
cution et mette lin à des abus qui subsistent
depuis trop long-temps. Sans doute aussi que
l’Institut national de France, occupé dans ce
moment de diriger l’industrie vers les moyens
de perfectionner nos poteries communes, vien-
, \
a l’économie rurale. 277
dra à bout de substituer au verre tendre et
dissoluble qui les recouvre , une autre ma-
tière qui , n’ayant pas le plomb pour base ,
n’exposera plus à ces accidens dont les suites
sont effrayantes.
On peut diviser en cinq classes les ustensiles
nécessaires à une laiterie bien conditionnée ;
savoir, ceux servant,
i.° A traire les vaches;
2. 0 A couler , à contenir et à transporter le lait ;
3.° A battre la crème et à délaiter le beurre ;
4.0 A saler et à fondre le beurre ;
5.° A cailler le lait, et à faire les fromages.
Une description , même la plus succincte de
tous ces instrumens , deviendrait ici assez inu-
tile, parce qu’ils varient par leur nature, par
leur forme et par leur nombre , à raison des
habitudes et des ressources locales. Disons
seulement un mot des principaux.
Les expériences que nous avons faites pour
savoir jusqu’à quel point la forme et la nature
des vases qui servent à contenir le lait, pou-
vaient influer sur la promptitude avec laquelle
la crème monte à la surface et prend une con-
sistance propre à être recueillie en totalité ,
nous ont appris que ceux de ces vases qui
remplissent le plus complètement ce double
objet, doivent être étroits dans leur fond et
très-évasés à leur partie supérieure ; il faut
qu’ils aient environ quinze pouces par le haut,
six pouces par le bas , et autant de profondeur.
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278 DU LAIT RELATIVEMENT
Moyennant cette forme et ces proportions ,
peu importe qu’ils soient de faïence , de por-
celaine, de bois ou de fer-blanc, vernissés ou
non : le lait s’y refroidit promptement; la crème
s’y rassemble en totalité à la surface , et acquiert
la consistance nécessaire à sa séparation.
C’est donc un préjugé de croire que les
vases de porcelaine, de faïence, ou ceux de
nos poteries communes vernissées, ne soient pas
propres à favoriser la séparation de la crème;
ils conviendraient meme infiniment mieux , à
cause de la facilité de leur nettoyement : mais
il faut éviter de se servir de ces derniers tant
que l’art n’aura pas trouvé une couverte peu
soluble , ou dont la solubilité ne communi-
quera point au lait un principe qui dénature
sa saveur et ses propriétés. Jusque-là nous ne
saurions trop recommander la préférence que
méritent les terrines non vernissées, lorsqu’il
s’agit de poteries communes.
Ces terrines, dont le nombre est toujours
proportionné aux besoins du service journalier
de la laiterie, doivent toujours être distribuées
en ordre sur des banquettes de pierre, et non
de bois, dans la crainte que, recevant quel-
ques gouttes de lait, elles ne pourrissent à la
longue et ne deviennent la source d’une odeur
désagréable, qu’il est nécessaire d’éviter.
Après les terrines, les ustensiles qui méritent
quelques observations sont ceux qu’on emploie
4 battre le beurre ; ils doivent être en terre
a l’économie rurale. 279
ou en bois , de capacité et de forme différentes :
le plus usité est la baratte ; vaisseau large par
le^bas, étroit par le haut, ayant la figure d’un,
pain de sucre dont on a fait sauter la tète. Le
second est la sérenne , ou moulin à beurre ,
employé dans les grandes fabriques ; il res-
semble à une futaille.
La description 'de ces deux ïnstrumens et
leur figure se trouvent dans le cours complet
d’agriculture , à l’afticle baratte : nous parle-
rons dans la suite de l’influence qu’ils peuvent
avoir sur la préparation du beurre.
Au milieu de la laiterie doit être placée une
table de pierre , s’il est possible , avec quel-
ques rigoles qui permettent l’écoulement de
l’eau employée à la laver et à rafraîchir le local.
Des soins cVune laiterie.
Nous ne saurions trop insister sur la néces-
sité d’entretenir la propreté la plus scrupuleuse
dans une laiterie. Une fermière attentive ne
doit pas permettre aux filles de basse-cour
d’y entrer , qu’au préalable elles ne quittent
leur chaussure, et ne prennent des sabots de
rechange ou des souliers à semelles de bois,
placés exprès à la porte pour cet usage.
Quand la laiterie est placée dans un souter-
rain , et qu’on craint que la chaleur n’y pénètre ,
on ferme les soupiraux avec des bouchons de
paille pendant la chaleur du jour ; en hiver
s 4
280 du lait relativement
on empêche par le même moyen le froid d'y
avoir accès.
Tous les ustensiles de la laiterie doivent être
passés à l’eau bouillante de lessive , ensuite à
l’eau fraîche , et frottés avec une brosse ou
d’autres instrumens; puis séchés au feu ou au
soleil, chaque fois qu’on s’en est servi; parce
qu’une molécule de lait ancien , qui y adhére-
rait, deviendrait, en se décomposant, un prin-
cipe invisible de fermentation , un véritable
levain , qui pourrait influer désavantageusement
sur la qualité du beurre et du fromage.
Comme tout l’appareil d’une laiterie con-
siste principalement à empêcher que le lait ne
se caille et ne s’aigrisse en été avant qu’on n’en
ait enlevé la crème; et, en hiver, que le froid
ne soit si considérable que la préparation du
beurre ne devienne très-difficile; il faut faire
ensorte d’y entretenir toujours une tempéra-
ture à peu près égale, en fermant ou en ou-
vrant toutes les issues , selon la saison ; en épar-
pillant sur le carreau de l’eau fraîche à diverses
reprises, ou l’échauffant par un poêle et non
par des terrines de feu qui exposent à des
incendies.
On dit communément que les temps orageux
diminuent la quantité de la crème ; mais cette
assertion n’est pas fondée : une trop vive cha-
leur change bien en un instant la consistance
et la manière detre du lait; alors, la crème
qui s’y trouve disséminée n’ayant pu se ras-
28l
a l’économie rurale.
sembler à la surface , une partie en reste confon-
due dans le caillé, auquel elle est adhérente:
mais la même quantité s’y trouve toujours;
elle n’est perdue que pour la fermière, qui,
ne connaissant pas de moyen pour la faire
séparer complètement, doit, dans ce cas, ob-
tenir moins de beurre.
Mais avant de Considérer le lait sous ses
rapports avec le commerce , présentons quel-
ques vues sur la femelle qui fabrique ce fluide
le plus abondamment, et que nous n’entrete-
nons souvent avec tant de soins que par rap-
port au bénéfice de cette production.
Article II.
Des vaches laitières.
Les veaux femelles prennent, à l’âge de dix
mois, le nom de genisse , celui de vache quand
elles ont vêlé, et de vache laitière , lorsque le
produit du lait devient l’objet principal de leur
entretien.
Une première chose, à laquelle on doit faire
attention avant d’établir une fabrique de beurre
et de fromage, c’est le choix des vaches et la
qualité du lait quelles fournissent dans un
temps donné. Il en est des espèces qui, sans
exiger plus de nourriture , produisent davantage
de lait, et moins de crème et de fromage en
proportion, tandis que d’autres offrent préci-
« 4*
• *
DU LAIT RELATIVEMENT
sèment le contraire ; ce qui établit ces déno-
minations de vaches laitières, vaches crémières
ou beurrières , et vaches fromagères.
Dans le nombre des vaches les plus dignes
de nos soins, Buffon en indique une race tirée
du Danemarck , devenue commune au nord
de la République , et qui a été transportée dans
les départemens de la Charente et de la Vienne.
On donne à cette vache le nom de vache flati-
drine. Voici la description qu’en fait ce célèbre
naturaliste.
c< Les vaches auxquelles on donne le nom
« de vaches flandrines sont beaucoup plus
« grandes et plus maigres que les vaches com-
« munes, et donnent une Lois autant de lait
« et de beurre; elles donnent aussi des veaux
« plus grands et plus forts; elles ont du lait
te en tout temps, et l’on peut les traire toute
« l’année , à l'exception de quatre ou cinq
« jours avant qu’elles mettent bas : mais il faut
te pour «es vaches des pâturages excellens ,
« quoiqu’elles ne mangent guères plus. Elles
« sont toujours maigres; toute la surabondance
« de leur nourriture se tourne en lait : au lieu
« que les vaches ordinaires deviennent grasses,
« et cessent de donner du lait, dès qu’elles ont
tt vécu quelque temps dans des pâturages trop
« gras. Avec un taureau de cette race et des
« vaches communes on fait une autre race,
« que l’on nomme bâtarde, et qui est plus
« féconde et plus abondante en lait que la race
« commune. Ces vaches bâtardes donnent sou-
te vent deux veaux à la lois , et fournissent aussi
« du lait toute l’année : ce sont ces bonnes
« vaches à lait qui font une partie de la richesse
« de la Hollande, d’où il sort, tous les ans,
« pour des sommes considérables de beurres
« et de fromages. Ces vaches fournissent une
te ou deux fois autant de lait que les vaches
« de France, et six fois autant que celles de
<e Barbarie. «
Ce serait , sans doute , un ouvrage utile que
celui qui fixerait , par une suite d expériences
et d’observations , les caractères certains d’après
lesquels on pourrait juger qu’une vache sera plus
ou moins bonne laitière. On sait que ce n’est
pas toujours à la beauté et à la régularité de»
formes qu’on doit s’attacher , les meilleures
vaches étant souvent les plus mal tournées et
les plus petites. Le volume de leurs mamelles
n’en constitue pas non plus la bonté, car quel-
quefois les pis n’ont une certaine grosseur que
parce qu’ils sont charnus. Ce n’est pas encore
à la couleur du poil qu’il faut s’en rapporter ,
puisque, dans certains cantons, les vaches
noires ont la préférence; que, dans d’autres,
ce sont les vaches jaunes ; ailleurs , les brunes
rayées, et, que dans les meilleures vacheries,
où l’on admet ordinairement les différentes
nuances, les fermiers en général n’ont point
de prédilection pour telle ou telle couleur
exclusivement, si Ion en excepte cependant la
DU LAIT RELATIVEMENT
couleur blanche, qu’on n’aime nulle part: d’où
il est naturel de conclure que les indices pris
d après la stature , la grosseur des mamelles et la
couleur du poil, ne sont fondés absolument que
sur des préjugés de localités. Il est cependant
des qualités qui , dans les marchés , donnent
aux vaches la réputation de bonnes laitières.
Ces qualités sont un beau cou , un petit
fanon, la tète un peu allongée, la corne fine
et pointue, l’œil vif, un poil fin, les jambes
courtes et déliées, les côtes élevées et rondes,
le corps gros , les reins forts , les hanches
quarrées et égales , la queue haute et pendante
au-dessous du jarret; la mamelle fine , ample,
bien faite , peu charnue , ni trop blanche ; la
peau douce et moëlleuse; les veines bien pro-
noncées aux deux côtés du ventre, et faciles
à sentir sous les doigts : tels sont en général
les signes auxquels on reconnaît qu’une vache
sera bonne laitière.
Le caractère individuel de l’animal influe
beaucoup sur la nature et la quantité du pro-
duit du lait : telle vache , d’espèce semblable ,
en donne plus que telle autre, et même diffé-
rent en qualité , quoique la vache soit nourrie
avec les mêmes herbages.
A beauté égale de taille , les vaches donnent
des produits différens. En général, il passe
pour constant que celles qui ont des formes
et des couleurs particulières, fournissent plus
de lait que d’autres; aussi les conserve- 1 -on
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a l’économie rurale. 285
avec le plus grand soin dans quelques-uns
de nos départemens, où elles se vendent à
des prix plus considérables. Cependant on fait
encore une très- grande différence entre une
bonne vache à lait, et une autre qui en donne
moins ; cette dernière est souvent préférée
pour les fabriques, parce que son lait , quoique
moins abondant, est beaucoup plus gras et,
par conséquent, produit une plus grande quan-
tité de beurre.
Il ne suffit pas d’avoir fait choix de vaches
de bonne race; il y a des soins à employer
pour les rendre propres à l’objet qu’on a en
vue. Ils consistent principalement dans les
moyens de subsistance , et dans l’attention de
la leur distribuer avec ménagement, peu et
souvent : c’est une pratique qu’on ne doit
jamais perdre de vue; les vaches s’en portent
mieux , et fabriquent du lait meilleur et en
plus grande quantité.
Le sainfoin , la luzerne et le treffle , qui com-
posent ce qu’on nomme vulgairement prairies
artificielles y forment, en vert ou en sec, leur
nourriture la plus recherchée. Mais il existe
une foule d’autres plantes dont on couvre les
terrains pour ces animaux, et que l’on fauche à
mesure des besoins. Dans le nombre de celles-
ci plusieurs ont une influence si marquée sur la
nature des produits du lait, que ceux-ci en por-
tent le nom ; telle est, par exemple , la spergule ,
que les Bataves et les ci-devant Belges cultivent
- .
: -• ( ’ '
DU LAIT RELATIVEMENT
exclusivement pour leurs vaches laitières, afin
d’obtenir ce beurre dont ils font un si grand
commerce , et qui est connu sous le nom de
beurre de spergule.
IVlais n’a -t- on pas le droit d’ètre révolté
de ce que plusieurs cantons de la France, dont
le commerce principal est en bestiaux , ne con-
naissent ni les prairies artificielles , ni cet art ,
plus intéressant encore, pratiqué avec tant de
succès sur d’autres points de la République ,
celui de se procurer des prairies momentanées
à la faveur de plantes annuelles, choisies dans
la nombreuse famille des graminées et des
légumineux ? Ces plantes , employées sur les
jachères, contribuant à la fertilité du sol, sont
encore les plus propres à soutenir, dans tous
les temps, la qualité du lait et le bon état
physique des animaux qui le fournissent.
Dans les pays méridionaux, où il pleut rare-
ment, on pourrait former encore des pâturages
à la faveur des irrigations; mais ce moyen est
trop négligé dans un grand nombre de dépar-
temens.
A la vérité, on prétend que les anciens pâ-
turages peuvent seuls procurer de bon beurre
et d’excellent fromage ; mais c’est encore là un
de ces préjugés qu’il ne faut pas se lasser d’atta-
quer et de combattre par le raisonnement et
par des faits authentiques.
Nous observerons , entr’autres, qu’ Anderson
assure avoir vu des Vaches nourries à l’étable
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a l’économie rurale. 287
avec du treffle et du raygras, dont le beurre
était d’une qualité supérieure à celui fourni en
meme temps par d autres vaches de la même
espèce , qui consommaient 1 herbe d un pâtu-
rage très -ancien et situé dans un bon fonds.
Il est fâcheux que jusqu’à présent on n’ait
fait encore que très - incomplètement le dénom-
brement des plantes qui croissent dans les prai-
ries naturelles, et de celles qui, entretenant les
vaches dans un état de vigueur et de santé ,
contribuent le plus à rendre leur lait riche en
beurre ou en fromage. Ce devrait être cepen-
dant le but de l’étude des botanistes, qui,
comme l’observe le citoyen Desmarets , ramè-
neraient par là leur nomenclature à un objet
véritablement utile à l’économie rurale.
Aux observations nombreuses, publiées sur
la salubrité des pommés de terre considérée*
comme nourriture des animaux, nous nous
permettrons d’en ajouter une seule, qu’il serait
difficile de révoquer en doute; c’est celle des
commissaires nommés par l’ancienne faculté de
médecine de Paris , lorsque cette compagnie
fut consultée en 1771 sur l’usage de ces racines,
contre lesquelles il semblait qu’on avait formé
une ligue; voici de quelle manière ils termi-
nèrent leur rapport : « Une des principales
« propriétés des pommes de terre, et qui les
« rend particulièrement recommandables, est
cc d’améliorer le lait des vaches et d’en aug-
« menter la quantité. Nous avons remarqué
288
DU LAIT RELATIVEMENT
« qu’elles produisaient les mêmes effets chez
« les nourrices pauvres , mal alimentées , et
« que c’était à cette cause qu’il fallait attribuer
« le changement heureux survenu dans les
c< enfans. «
On a souvent mis en question , s’il était plus
avantageux de tenir les vaches à rétable , que
de les envoyer paître ? Après avoir essayé l’une
et l’autre méthodes, sans prévention , le citoyen
Saint-Genis donne la préférence à la première :
il pense que la pâture sur place ne convient
que dans le cas où l’herbe est trop courte pour
pouvoir être fauchée; mais que, partout où
l’on a des prairies artificielles sans prairies natu-
relles , partout où l’on est maître de distri-
buer économiquement les coupes, la pâture
ne mérite point la préférence.
Après le choix des alimens et les précautions
les plus salutaires pour les administrer conve-
nablement , l’article qui contribue le plus à la
conservation des vaches , c’est la propreté. On
est affligé de cet état d’abandon où on les tient
dans certains cantons : on n’enlève leur litière
que tous les trois mois; couchées dans une
pareille fange, elles sont toujours faibles; leur
pis s’échauffe, et le lait, si susceptible de mau-
vaises odeurs , contracte bientôt un goût désa-
gréable , qui passe jusques dans ses produits ,
et leur donne, avant d'être préparés, une qualité
défectueuse , que la meilleure méthode ne sau-
rait ensuite détruire entièrement.
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a l’économie rurale. 289
«
Cette incurie, heureusement, n’est point
générale : il y a en France des cantons dont
les habitans connaissent tout le prix des soins
qu’on donne aux vaches. On les y éponge
assez ordinairement avec un bouchon de paille ,
qu’on natte grossièrement. Mais ce moyen n est
pas encore suffisant ; il serait à souhaiter qu’on
se servit d’étrilles, comme pour les chevaux :
une friction sèche sur la peau a le double
avantage, et de mieux nettoyer le poil, et de
faciliter plus puissamment la transpiration d’un
animal qui, à l’étable, ne fait presqu’aucun
exercice; elle donnerait, en un mot, aux orga-
nes plus d’énergie et les disposerait à fabriquer
du meilleur lait.
Les vaches tenues proprement s’en portent
infiniment mieux. Celles de la Prévalaye , par
exemple , dont le beurre jouit d’une réputation
si bien méritée , sont exactement soignées ; 011 a
l’attention que leur litière soit fréquemment
renouvelée : aussi remarque-t-on qu elles sont
moins sujettes aux maladies, et qu’ayant plus
d’embonpoint et de vigueur , elles donnent un
lait plus abondant et plus crémeux.
Une femme attachée, par goût autant que
par état , aux objets de l’économie domestique ,
et qui met sa gloire à ne point confier à d’autres
les détails de l’administration intérieure , parti-
culièrement de son ressort, a toujours une grande
influence sur le succès d’une exploitation rurale :
l’expérience prouve que , par tout où la fermière
T
0
290 DU LAIT RELATIVEMENT
veille elle-même £ ses bestiaux , les vacheries
ainsi que les laiteries sont dans le meilleur état,
et rapportent beaucoup.
Mais les précautions les mieux observées
pour se procurer des vaches de choix, pour
les nourrir convenablement et les entretenir
en bon état, seraient encore impuissantes si on
négligeait les moyens connus pour empêcher la
dégénération de l’espèce. Le laboureur , pressé
ordinairement de tirer parti de ses bestiaux,
fait saillir les vaches par des taureaux lâches ,
affaiblis ou trop jeunes : bientôt ces animaux
s’épuisent ; leur accroissement , leurs forces ,
leur courage diminuent , et il n’en résulte
qu’une progéniture imparfaite et défectueuse.
Un autre usage, encore plus abusif, est de
conduire les genisses au taureau aussitôt qu’on
s’aperçoit quelles sont en chaleur. Cepen-
dant des cultivateurs expérimentés pensera
qu’il vaut mieux attendre jusqu’à deux ans,
pour celles seulement destinées à devenir
vaches laitières, car ce serait encore trop tôt
pour les vaches qui doivent fournir de bons
élèves de race ; on ne saurait trop laisser forti-
fier celles-ci.
Les opinions varient sur le temps de l’année
le plus favorable pour mener les vaches au
taureau ; assez ordinairement c’est en messidor ,
alin qu’elles puissent vêler au commencement
de germinal. Cette méthode est , sans doute ,
bonne pour ceux qui ont des fabriques de
a l’économie rurale. 291
beurre et de fromage, parce qu’au moment
où ils s’en occupent, le lait possède, à peu
près, la même qualité; mais elle ne convient
pas au fermier , qui doit faire saillir succes-
sivement depuis le printemps jusqu à 1 hiver,
afin d’avoir des vaches à traire pendant toute
l’année, et de se procurer du lait, qui est d’un
grand secours lorsqu on a beaucoup de gens à
nourrir : cette proposition est admissible , puis-
que les vaches entrent en chaleur dans toutes
les saisons.
Lorsqu’il s’agit d’acheter des vaches , il faut
s’informer de la nature des pays d’où elles sont
transportées, et, quand elles viennent de loin,
les soigner comme si elles étaient malades. Sou-
vent , pour leur donner encore plus l’appa-
rence de vaches laitières, les marchands lais-
sent les mamelles se gorger pendant un ou
deux jours, ce qui ajoute aux fatigues de la
route. De plus , il faut que les vaches s’accou-
tument avec leurs nouveaux maîtres : chan-
geant de société , elles changent également d’air,
de sol , de nourriture et d’habitation. Il est donc
prudent d’attendre quelles soient, pour ainsi
dire , acclimatées dans leur nouvelle demeure ,
et familiarisées avec les personnes chargées de
les soigner, avant de prononcer sur la qualité
et sur l’abondance du lait quelles seront en
état de fournir par la suite.
Il faut se persuader d’ailleurs , et l’expérience
le démontre journellement , que les animaux
t 2
f
292 DU LAIT RELATIVEMENT
d’élève prospèrent infiniment davantage que
ceux que l’on achète au loin, et singulièrement
les vaches : combien de fois , ^vec tous les
soins de la prudence la plus éclairée, n’est-
on pas trompé dans le choix de celles que l’on
se procure par la voie du commerce ?
Nous ajouterons à toutes nos observations,
que, quand bien même les conditions énon-
cées pourraient être exactement remplies, il
existe des cantons où la nature du svl ne sau-
'rait produire que des pâturages peu avanta-
geux ; c’est un inconvénient local , auquel les
soins les mieux entendus pour la perfection
de la laiterie ne sauraient remédier. Il existe
des vaches qui, quoique nourries des herbages
les plus lins et les plus gras, ne donnent qu’un
lait clair et séreux, tandis que d’autres de
la même espèce, sur quelque pâturage que ce
soit, le donnent excellent. Uri fermier atten-
tif, disposé à fonder une laiterie, doit donc
avoir l’œil ouvert sur toutes ces différences :
puisque le lait d’une seule vache peut amélio-
rer et enrichir le beurre ou le fromage qui
provient du lait de neuf à dix autres , il faut
qu’il ait recours au mélange , entretienne dans
ses étables des vaches de couleur et d’âge dif-
férent , améliore les pâturages autant que le
sol , le climat et l’aspect le permettent; et si,
malgré cette réunion de soins , il ne pouvait
obtenir de ses vaches qu’un lait léger et peu
substanciçl, il ferait mieux de consacrer ce
a l’économie rurale. ayo
fluide à la nourriture des élèves, ou bien, s il
est voisin d’une commune très- peuplée , de
l’envoyer vendre au marché, plutôt que d en
retirer un beurre ou un fromage défectueux.
Ces observations s’appliquent naturellement au
lait des autres femelles dont l’examen nous a
précédemment occupés.
Quand on pense que la richesse d’une fa-
mille entière consiste souvent dans une seule
vache ; qu’une jeune villageoise qui entre en
ménage sans en avoir eu une pour dot, en fait
le principal objet de son ambition et le pre-
mier fruit de ses épargnes, il n’est pas possible
d’étre indifférent sur la recherche des moyens
d’avoir en France des races de vaches plus
belles et d’un meilleur rapport qu elles ne le
sont, puisque ce serait doubler la fortune du
pauvre et augmenter nos ressources industrielles
et commerciales.
Mais comment opérer l’amélioration générale
de nos bétes à cornes ? Ce ne peut être qu’en
substituant à nos espèces médiocres les meil-
leures races étrangères, et en établissant dans
chaque département une vacherie nationale.
Il conviendrait qu’elle fût placée dans des bas-
fonds dont l’herbage fût abondant et de la
meilleure qualité. Dans beaucoup de pays, et
particulièrement en Ilelvétie, c’est aux hom-
mes que ce gouvernement est confié. Les ana-
baptistes se sont particulièrement appliqués à
ce genre d’industrie. On pourrait , parmi nous,
t 3
2g4 DU LAIT RELATIVEMENT
en charger une femme intelligente, qui, ayant
sous sa surveillance la manutention des laitages ,
enseignerait à faire de bons beurres , et des
fromages dans les qualités les plus avantageuses
au transport et au commerce.
Ce nouveau genre de manufacture serait
aussi profitable à l’établissement qu’au pays
dans le voisinage duquel il serait formé, à
cause de l’exemple de l’instruction qu’on pour-
rait en tirer. Cette vue simple et utile a été
indiquée par Limezy , dans ses mémoires sur
les bétes à laine , publiés avec ceux de la ci-
devant société d’agriculture de Rouen , dont
nous ne saurions assez recommander la lecture
aux membres des sociétés libres d’agriculture,
qui se forment sur tous les points de la Ré-
publique.
* Ne cessons pas de répéter que les avantages
nombreux qu’on peut espérer de l’éducation
perfectionnée des vaches laitières , dépendent
absolument des soins éclairés qu’on prendra
de ces animaux ; plus on multipliera ces soins ,
plus les bénéfices seront assurés et considé-
rables : c’est une vérité démontrée par l’expé-
rience de tous les temps et de tous les lieux.
Il est des attentions générales à avoir pour
les vaches qui arrivent; il en est pour la nour-
riture , pour la boisson , pour le pansement,
pour la disposition et l’entretien des étables,
pour toutes les circonstances où elles se trou-
vent. Ces détails sont consignés dans une
a l’économie rurale. zcj5
instruction sur la manière de conduire et de
gouverner les vaches laitières , rédigée par les
citoyens Chabert et Huzard. Il suffit de nom-
mer les auteurs de cet excellent ouvrage , pour
inspirer le désir de le consulter et faire con-
cevoir la certitude d’en tirer du fruit.
Article III.
Des traites.
Il serait difficile, pour ne pas dire impos-
sible, de fixer ici, d’une manière incontestable ,
la quantité^de lait qu’une vache peut fournir
par jour, puisqu’on sait qu’elle en rend plus
ou moins , selon l’âge , l’espèce , la saison , le
climat, la nourriture. et son état physique; les
unes le donnent bon toute l’année , à l’excep-
tion de la décade qui précède et qui suit le
vêlage, tandis que d’autres, quoique soignées
de la même manière, tarissent dès le septième
mois de leur gestation.
Le nombre des traites influe encore sur la
quantité du lait; il est prouvé , d’après une
suite d’expériences que nous avons entreprises
dans la vue de découvrir jusqu’à quel point
ce fluide se modifie pendant son séjour dans
les mamelles, que, plus on répète les traites
dans les 24 heures, plus le lait est abondant
et séreux, et 'vice uersâ.
Enfin, le trop grand chaud, comme le trop
grand froid , exercent aussi leur influence
t 4
Ifk!
^96 DU LAIT RELATIVEMENT
sur la proportion et la qualité du lait; il arrive
souvent que , dans une étable habitée par vingt
vaches , il y a une différence de cinq à six pots
en plus ou en moins , sans avoir rien changé
au régime , sans qu’il soit possible d’en deviner
la raison ; mais , ce qu’on peut établir de positif,
c’est que, plus une femelle fournit de lait,
moins il est riche en principes.
Sans doute il est de l’intérêt du fermier de
se défaire des vaches qui, bien gouvernées,
cessent de donner du lait quatre ou cinq mois
avant de mettre bas, parce que ce produit non
interrompu entre pour beaucoup clans la raison
de garder ces animaux, et que ce serait trop
long-temps nourrir une béte sans rapport ; d’ail-
leurs de pareilles vaches ne seront jamais bonnes
laitières. A la vérité , on s’exposerait à un autre
inconvénient si on continuait de traire celles
qui produisent d’excellent lait, jusqu’à l’instant
où elles vêlent , car on préjudicierait nécessai-
rement au développement de leur fœtus, quand
il s’agit sur tout d’en tirer race.
Nous ferons remarquer en passant que, dans
ce cas , on ne s’assure pas assez de la quantité
de lait qu’on abandonne aux veaux ; que , faute
de cette attention, on n’a que des élèves mai-
gres , qui croissent difficilement et restent tou-
jours faibles.
Quand les vaches ne tarissent pas d’elles-
mémes, il convient de discontinuer de les traire
trente à quarante jours avant le vêlage, et,
A L’ÉCONpMIE RURALE. 297
pour ne pas se tromper sur cet 'instant, il faut
inscrire, sur un registre particulier, le jour où
on les a fait saillir ; moyennant cette attention ,
que dicte la prudence, on connaît précisément
l’époque où elles doivent mettre bas. On eï>t
alors sur ses gardes pour la surveillance qu elles
exigent avant et après la délivrance.
Dans les environs de Paris , 1 usage est d em-
pêcher les veaux de traire leurs meres , paice
que le lait est destiné pour le commerce; on
se borne à leur abandonner celui qui résulte
des premiers jours du vêlage : mais il faut qua-
lors les traites aient lieu comme à l’ordinaire,
et même plus fréquemment; les conduits lac-
tifères s’ouvrent peu à peu par ce moyen , ren-
dent plus facile la secrétion du lait dans les
mamelles , et préviennent les engorgemens durs ,
indolens , auxquels sont sujets les pis, quand le
lait y séjourne trop long- temps.
Ces observations peuvent s’appliquer aux -
nourrices; si elles sont trop long-temps à don-
ner le teton à l’enfant après l’accouchement ,
le lait , ainsi que plusieurs expériences le prou-
vent, abandonne les mamelles. Il faut donc 11e
pas différer d’allaiter, pour augmenter la quan-
tité de lait, prévenir les engorgemens, les
inflammations, les crevasses , qui souvent ont
lieu faute de cette précaution , et occasionnent
des désordres incalculables.
Dans une dissertation déjà citée , Young
rapporte que, dans les hôpitaux destinés à
4
29^ DU LAIT 11ELATIVEMENT
recevoir les femmes enceintes , on met l’enfant
à la mamelle vingt -quatre heures après la déli-
vrance, et que, sur mille quatre cents accou-
chées, il y en a à peine deux qui aient mal au
sein ; mais que , si les nourrices différent quatre
jours à donner à teter , elles sont très-sujettes
aux accidens. Peut-être serait-il nécessaire de
bassiner le bout du teton quelques jours avant
1 accouchement , afin d’ouvrir plus à propos
1 orifice des conduits lactiféres.
La vache se laisse traire facilement , et con-
tinue , en 1 absence du veau, à donner du
lait aussi long-temps que lorsqu’on permet à
celui-ci de l’approcher à volonté. Il n’en est
pas ainsi des autres femelles qui ne sont pas
de la classe des ruminans ; on sait qu’en géné-
ral elles perdent bientôt lenr lait, si on les
sépare de leurs nourrissons, et qu’il est infini-
ment plus difficile de les traire.
Pour accoutumer insensiblement les vaches
à se laisser toucher , il convient de manier
quelquefois le pis des genisses pendant leur pre-
mière gestation , parce qu’il y en a qui sont telle-
ment chatouilleuses qu’on ne saurait les traire,
ensorle qu’au moment où elles mettent bas on
ne peut en approcher : elles ont alors une sur-
abondance de lait qui produit de l’enflure aux
mamelles, et d’autres accidens , qu’on évite en
les rendant d’avance familières. Mais s’il n’est
pas possible d’en venir à bout, le seul parti
à prendre est de s’en défaire promptement :
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! « alors i
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r
A l’économie rurale. 299
envain on compterait sur une vache revêche
et sans douceur , elle ne rapporterait jamais
un grand profit à la ferme.
Pendant quelque temps le lait, quoique
réunissant toutes ses qualités , quatre à cinq
jours après le part, conserve un caractère plus
ou moins séreux , sur tout lorsqu’on rapproche
les traites. Dans plusieurs de nos départemens
de l’ouest , par exemple , on trait les vaches trois
fois par jour , depuis l’instant où elles mettent
bas, jusqu’à l’époque où on les conduit au tau-
reau ; tout le reste de l’année on ne les trait que
deux fois : ailleurs on les trait constamment
trois fois en été, et deux fois seulement en
hiver.
Le nombre des traites devrait toujours être
réglé sur la saison et sur l’usage auquel on
destine le lait. Quand il s’agit de le vendre en
nature , l’intérêt est de viser à l’abondance ,
et alors on ne saurait trop souvent répéter les
traites, sur tout pendant les vives chaleurs:
mais , lorsque le produit est destiné aux fabri-
ques de beurre ou de fromage, il faut adopter
et suivre une méthode contraire.
Communément on trait les vaches deux fois
le jour , le matin à cinq heures et le soir à la
même heure. Cette méthode , indiquée par la
nature, est adoptée pour la chèvre et pour la
brebis, dont le lait sert en France aux mêmes
usages. Dans un intervalle de douze heures le
lait a eu le temps d’arriver aux mamelles et
°°0 DU LAIT RELATIVEMENT
de s’y perfectionner; mais on remarque que
celui du matin a plus de qualité, parce que,
vraisemblablement, l’animal a été moins tour-
menté pendant la nuit par la TdialeûtY par les
insectes, et que le sommeil donne à ses organes
plus de moyens pour élaborer le lait.
Après nous être assurés par des expériences
sans nombre que le lait d’une même traite,
divisée en plusieurs parties , présentait dans
toutes les saisons, et chez toutes les femelles
mammifères, des différences notables dans la
qualité et dans les proportions des produits;
que le lait le premier tiré était constamment
le plus séreux , tandis que le dernier se rap-
prochait beaucoup de l’état de la crème ; au
lieu de tirer à la fois les quatre trayons de la
vache, nous avons séparé le lait de chaque
trayon , pour l’examiner dans le même ordre
et de la même manière : il a fourni des résul-
tats entièrement semblables , c’est-à-dire , que
le vase du n.° 5, qui contenait la dernière
portion de la traite , avait trois fois plus de
crème que le n.° 1 , et que le beurre s’y trou-
vait encore dans une plus grande quantité.
Un autre phénomène, qui nous a également
frappés, c’est qu’en comparant le lait de chaque
trayon tiré à part, nous avons remarqué qui!
existait encore des différences sensibles dans
la qualité et dans les proportions des parties
constituantes, au point de faire croire que ce
fluide provenait de quatre vaches particulières.
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a l’économie rurale.
3oi
Ces expériences, que, sur notre invitation,,
le citoyen Saint-Genis a bien voulu répéter,
prouvent suffisamment que les mamelles ne
sauraient être comparées à un vase ; qu elles
forment une réunion de glandes spongieuses,
flexibles , percées de toutes parts , et que
chaque molécule de lait se trouve renfermée
en quelque sorte dans sa cellule particulière;
que les trayons sont indépendans les uns des
autres; qu’ils ont leurs vaisseaux correspon-
dais , et un foyer particulier de lactation.
Nous avons encore observé qu’en général
les deux trayons de derrière donnent propor-
tionnellement un peu plus de lait, et que ce
lait est plus gras : à la vérité, nous n’oserions
pas assurer que dans toutes les femelles les
trayons placés de ce côté fournissent constam-
ment du lait plus abondant et de meilleure
qualité ; mais, le citoyen Saint-Genis et nous,
nous avons fait la même remarque sur les vaches
qui étaient à notre disposition.
Quel que soit le nombre des traites qu’il est
avantageux de faire sans nuire à la constitu-
tion physique de la femelle, il est plus essen-
tiel qu’on ne pense ordinairement , de faire
choix de personnes intelligentes , sur l’exacti-
tude desquelles on puisse compter pour cette
opération ; car , si la traite n’est pas exécutée
avec soin , non -seulement le lait diminue , mais
même encore il perd sa qualité : par exemple ,
si on ne le tire pas jusqu’à la dernière goutte ,
■
502 du lait relativement
le lait qui reste clans le pis est précisément ce
qu’il y a de plus crémeux ; d’où il suit une
perte considérable pour le propriétaire , et sou-
vent du danger pour l’animal.
Une fermière, instruite de l’utilité des pré-
cautions employées pour la traite des vaches,
doit se charger de donner à cet égard les pre-
mières leçons à la fdle de basse-cour à laquelle
elle confie ce soin : elle doit exiger d’elle ,
avant de procéder à la traite, de se laver les
mains; d’éponger le pis et les trayons avec de
l’eau froide , pour les raffermir , et non avec de
l’eau chaude , comme on l’a recommandé ; d’ëtre
sur elle d’une très-grande propreté ; de con-
duire doucement la main depuis le haut du
pis jusqu’en bas sans interruption ; de tirer alter-
nativement les deux mamelons du même côté et
les deux du côté opposé ; de changer d’instant à
autre , et d’obtenir exactement la totalité du lait.
A mesure que le seau est rempli aux trois
quarts , la trayeuse doit passer le lait à travers
un couloir, un tamis ou un linge, pour en
séparer exactement tous les corps étrangers,
qui, restés dans ce fluide, ne pourraient que
détériorer la qualité des produits. Après ce soin ,
que commande la propreté, la fdle doit verser
aussitôt le lait dans des terrines rangées sur les
banquettes de pierre qui forment le contour de
la laiterie ; c’est là où il doit se refroidir.
Un autre soin, que la maîtresse ne peut se
dispenser de prendre elle-même , c’est de consta-
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a l’économie rurale.
3o5
ter de temps en temps en sa présence la qua-
lité du lait de la traite de chaque vache , car il
peut devenir inférieur sans que la femelle soit
malade; et lorsque, dans un troupeau de
vaches, il y en a une en chaleur, on doit
recommander sur tout qu’elle soit traite à part ,
et que son lait ne soit pas mélangé avec celui
des autres vaches, parce qu’il ne saurait être
employé qu’à certains usages économiques. Il
y aurait même quelquefois de la prudence à
séparer constamment la première tasse de lait
tiré , parce qu’indépendamment de son carac-
tère naturellement séreux , il communique sou-
vent à la totalité une saveur désagréable, qui
disparait à mesure que l’on tire la vache.
Dans ses observations sur l’art de faire le
beurre, Madame Anderson donne le conseil
de séparer le lait d’une traite en deux portions,
persuadée, d’après quelques essais que nous
avons confirmés, que la première a infiniment
moins de qualité que la seconde , et qu’il pour-
rait arriver que le goût désagréable qu’on remar-
que dans le lait des vaches nourries avec des
navets, des choux et quelques autres plantes
de la famille des crucifères, devînt moins sen-
sible à mesure qu’on approche de la fin de la
traite. D’où l’on peut conclure que , sans chan-
ger de manipulation , il serait possible d’obtenir
différentes qualités de beurre et de fromage ,
en se bornant simplement à faire différentes
séparations du lait provenant de la même traite.
3o4 du lait relativement
L’opération de traire demande donc , nous
le répétons, une attention particulière de la
part de celle qui en est chargée : l’animal , étant
brusqué, devient indocile, revêche et donne
moins de lait ; la compression trop forte du pis
est souvent la cause qu’une vache finit par se
dessécher, quelquefois même par être exposée
à perdre un ou deux de ses mamelons. L’abon-
dance et la qualité du lait dépendent, en un
mot, autant des soins que nous avons recom-
mandés, que de la douceur de caractère de la
trayeuse.
Les propriétaires qui ne voient rien , ou qui
s’en rapportent trop aveuglément à ceux à qui
ils confient le soin des étables et delà laiterie, se
plaignent souvent du peu de produit de l’ani-
mal, et le condamnent à être vendu à la foire,
tandis que le vice réel provient presque toujours
de la négligence , de la mal-adresse , de la brus-
querie du vacher ou de la trayeuse.
Qu’ils soient donc bien convaincus qu’un
des moyens les plus efficaces d’augmenter la
quantité et la qualité du lait consiste à nourrir
convenablement les femelles avec les fourrages
qu’elles appètent le mieux, à les tenir dans des
étables bien propres, à renouveler fréquemment
leur litière, à ne les traire qu’à des heures
réglées et sans les fatiguer, à se procurer sur
tout de bonnes races, qui ne coûtent pas plus
de soins , de temps et de subsistance que les
espèces chétives et rabougries.
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a l’économie rurale.
3o5
Article IV.
Commerce du luit.
Entre les boissons alimentaires les plus
accréditées , le lait doit occuper une des pre-
mières places. Il suffit seul à la nourriture des
nouveau-nés, et, quoiqu’il semble n’avoir été
préparé qu’en leur faveur, ce fluide sert beau-
coup aussi aux adultes : on pourrait même
présumer que , vu l’abondance et la facilité
avec lesquelles les vaches, par exemple, don-
nent le leur , ces femelles ont été particulière-
ment destinées par la nature à procurer à
l’espèce humaine cette ressource agréable et
salutaire; ce sont elles qui fournissent presque
toutes les laiteries. ,r*.
Dans les., endroits où les vaches parquent,
il est singulier de voir l’empressement avec
lequel elles se présentent, chacune à leur tour,
à la fille chargée de les traire, comme pour
se débarrasser d’un poids qui les fatigue , et
payer en même temps le prix des soins qu’on
leur prodigue.
Pourquoi, dans nos besoins les plus urgens,
ne profiterions- nous pas de ce secours qui
nous est si généreusement offert , et , pourquoi
ne pas employer, à l’imitation deshabitans des
pays du Nord, le lait des animaux dans une
foule de circonstances où celui de femme est
«insuffisant, ou peu propre à l’allaitement ? Ç)n
3o6
DU LAIT RELATIVEMENT
ne lit pas sans attendrissement le trait de cette
chèvre qui quittait le troupeau trois fois par
jour, et accourait d’une lieue au berceau d’un
enfant pour le nourrir de son lait. Mais il ne
doit être question ici que du lait et de ses pro-
duits considérés sous les rapports du commerce.
Le lait en nature est d’un débit assez consi-
dérable dans les grandes communes, sur tout
depuis l’époque où l’usage du caffé et du cho-
colat a été introduit en Europe, et qu’ils sont
devenus en France le déjeuné favori des deux
sexes de tout âge et de tout état.
Le prix du lait varie dans le commerce
autant que la capacité des mesures sous la
dénomination desquelles on le vend à Paris.
La pinte de lait équivaut au double de la
pinte de vin , et pèse par conséquent un peu
plus que quatre livres ; ce qui suffit pour dé-
montrer l’importance du travail dont s’occupe
Unstitut, et qui va mettre un terme à cette
diversité de poids et de mesures qui a servi
pendant des temps infinis à tromper la bonne foi.
Le meilleur lait n’est ni trop clair ni trop
épais ; il doit être d’un blanc mat , d’une saveur
douce et agréable. Mais il n’a réellement toute
sa perfection que quand la femelle a atteint l’âge
convenable : trop jeune, elle fournit un lait
séreux; trop vieille, il est sec. Celui qui pro-
vient d’une vache en chaleur, ou de celle qui
approche de l’époque du vêlage ou qui a mis
bas depuis peu de temps , est inférieur en qualité!*
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A l’ÉÇONOMIE RURALE. 5o7
On a remarqué encore qu’il faut quelle ait eu
trois portées pour que ses organes soient en état
de préparer le meilleur lait , et continuent de
le fournir de bonne qualité, jusqu au moment
où , la femelle passant à la graisse , la lactation
diminue et cesse absolument.
Cependant ces règles ne sont pas tellement
générales qu elles ne soient soumises a quelques
exceptions : on sait, par exemple, quil y a
des vaches dont le lait est excellent pendant
toute l’année , hormis les quatre ou cinq jours
qui précèdent et qui suivent le part; tandis
que d’autres , au contraire, toutes circonstances
égales’d’ailleurs, exigent l’intervalle de trois ou
quatre décades avant que leur lait ne réunisse
les qualités qu’il doit avoir par rapport à l’em-
ploi qu’on veut en faire.
Quelques auteurs ont néanmoins avancé ,
vaguement à la vérité , qu’il ne fallait se servir
du lait de vache que deux mois après le part,
parce que dans cet intervalle on ne pouvait
en retirer ni beurre ni fromage. Combien ils se
sont trompés ! puisqu’il est prouvé d’après nos
expériences, que, quatre jours après avoir mis
bas , les vaches bonnes laitières en fournissent
de très - savoureux , également propre à donner
du beurre et du fromage, quoique d’une qualité
inférieure à celle que possèdent ces produits
au troisième mois du vêlage , car c’est ordinai-
rement l’époque où le lait est riche en crème
aussi l’abandonne-t-on volontiers aux jeunes
v a
5o8 DU LAIT RELATIVEMENT-
genisses dans les cantons où l’on fait des
élèves , après toutefois en avoir retiré le
beurre.
Pour juger que le lait d’une vache qui a
récemment vêlé peut-entrer dans le commerce,
les laitières l’essayent sur le feu : s’il résiste à
l’ébullition sans se coaguler, elles le mêlent au
lait en vente. Cependant on conçoit que cette
propriété de se coaguler au premier bouillon
subsiste à raison de la saison et du caractère
de lindiyidu. Aussi une vache qui aurait fait
son veau en messidor , pourrait fort bien deman-
der sept à huit jours pour donner à son lait
la faculté de braver l’ébullition , tandis qu’en
germinal, dès le quatrième jour, il pourrait,
sans inconvénient , souffrir toutes les expé-
riences et fournir à tous les besoins. Mais ,
venons au commerce du lait.
Il n’est pas douteux que, comme beaucoup
d’autres alimens et boissons, le lait n’ait aussi
exercé la cupidité , et qu’il ne se glisse quel- '
ques fraudes -dans son commerce; cependant
il y a lieu de croire qu’on en a exagéré le
nombre , car la plupart sont impraticables.
D’ailleurs rien n’est plus facile que de les
découvrir, à la faveur d’organes exercés, et de
certaines épreuves capables de mettre le con-
sommateur à portée de juger sur-le-champ, par
lui-même, si le lait qu’il a acheté possède
véritablement les conditions requises, ou s'il ,
a été sophistiqué.
a l’économie rurale. 809
Si un buveur d’eau sait distinguer parfaite-
ment une eau de rivière et une eau de puits;
une eau qui roule sur du gravier, sur du sable ,
ou celle qui passe sur de la glaise ou du limon;
enfin , une eau filtrée et celle qui ne l’est pas ,
il existe également des palais doués d’un sen-
timent assez exquis pour saisir tout d’un coup ,
non-seulement les différens laits entr’eux , mais
encore les nuances qui caractérisent chacun
en particulier, le lait trait de la veille ou du
jour , le lait écrémé ou non , celui qui a été
exposé au feu ou qu’on a allongé par de l’eau
ou des décoctions mucilagineuses.
Mais une foule de circonstances peuvent ,
sans altérer le lait, influer sur sa saveur; nous
en avons déjà cité quelques exemples : la tran-
sition subite du sec au vert se manifeste quel-
quefois au point que le lait contracte souvent
ce qu’on appelle le goût de fourrage, goût fort
désagréable dans certains cantons où les her-
bages ont peu de qualité. Il faut donc distin-
guer ces causes d’avec celles qui résultent de
l’infidélité.
Quel que soit l’attrait du lait chaud, on
ne peut douter qu’il n’ait une saveur plus
douce et plus agréable quand il est entièrement
refroidi. Au sortir du pis de la femelle, ce
fluide a encore le gaz de la vie , cette éma-
nation animale qu’on caractérise si bien en
disant , le lait a le goût de la vache. On ob-
serve encore que celui provenant d’une vache
v 3
3lO DIT LAIT RELATIVEMENT
nouvellement pleine est plus riche en crème
que celui des mêmes femelles qui ne sont pas
dans ce cas ; que le lait est d’autant moins gras
et plus abondant que les traites se trouvent
plus rapprochées, et que la saison permet aux
animaux d’aller au pâturage.
Cependant l’opinion générale est que le lait
a plus de qualité l’été que l’hiver; mais il faut
s’entendre sur ce point. L’expérience démontre
que , quand les femelles commencent à manger
des herbages, ce fluide augmente sensiblement
de saveur , et qu’il diminue en même temps
de consistance. Cependant cette diminution ne
s’étend point sur toutes les parties constituantes
du lait, car, lorsque les herbages sont rem-
placés par le fourrage sec , ou qu’on y ajoute
de la paille d’avoine ou d’orge ; des racines
potagères, crues ou cuites, avec un boisseau de
son par jour ; le beurre et le fromage, pendant
l’hiver, n’en ont pas moins de qualité, ils sont
même plus abondans. C’est ce que savent très-
bien les nourrisseurs de vaches , qui ont grand
soin de ne pas économiser sur la nourriture
pendant la morte saison, afin d’obtenir beau-
coup de crème et moins de lait, vu que le
prix de l’une est beaucoup plus considérable
que celui de l’autre.
La plus grande quantité de lait qu’une vache
puisse fournir dans la saison du vert, est éva-
luée, d’après une suite d’expériences, à douze
pintes, ou quarante- huit livres environ, dans
les deux ou trois traites ; mais le produit com-
mun est de six pintes, ou de vingt- quatre
livres.
Il parait donc bien constaté que , pendant
l’été , les vaches , soit à l’étable , soit au pâtu-
rage, fournissent plus de lait; que ce lait est
plus savoureux ; tandis qu’en hiver elles don-
nent un lait plus crémeux, et plus riche, par
conséquent, en beurre. L’animalisation fabrique
donc plus de sucre ou sel essentiel de lait en
été, et davantage de beurre en automne : aussi
est-ce à cette époque que le beurre de la Pré-
valaye a le plus de qualité.
Comme le lait pur ne forme aucun dépôt
au fond du vase qui le contient, on peut soup-
çonner qu’il est mélangé quand il a ce défaut.
Pour s’en assurer, il ne s’agit que de soumettre
le dépôt à quelques expériences; car, si c’est
de la farine, elle formera, au moyen de la
cuisson, une bouillie, tandis qu’on aura une
gelée, si c’est de la fécule ou amidon; enfin,
en supposant qu’on se permette d’y intro-
duire de la marne ou du plâtre , l’indissolu-
bilité de ces matières donnera bientôt aussi le
moyen d’en établir le caractère et de dévoiler
la fraude.
On dit encore, et on répète, que le lait qui
se vend à Paris est entièrement écrémé ; mais
cela ne parait pas vraisemblable. Il faut d’abord
faire attention que le lait du commerce est
ordinairement composé de la traite du soir et
v 4
DU LAIT RELATIVEMENT
de celle du matin. La première , pendant douze
heures qu’elle a séjourné à la laiterie , a eu le
temps de se couvrir de crème, et de pouvoir
en être séparée; la seconde, au contraire,
est mêlée avec le lait de la veille , presqu’aus-
râitôt qu’on l’a tirée. Ainsi le lait qu’on vend à
Paris doit contenir au moins la moitié de la
crème que la vache a fabriquée.
Sans doute il serait possible que le lait qu’on
apporte des communes circonvoisines de Paris
pendant l’hiver , fut précisément celui des deux
traites de la veille , qu’on aurait eu le temps
d’écrèmer. Mais , outre que l’absence de la
crème deviendrait facile à saisir par la dégus-
tation, on pourrait encore la constater, en
mettant un pareil lait dans un vaisseau étroit
et cylindrique , à une température de dix à
douze degrés : l’épaisseur de la couche cré-
meuse à la surface suffirait pour faire juger de
la présence de la crème , et de la quantité qui
s’y en trouve.
On sait que , quand le temps est orageux ,
le lait ne donne pas de crème, ou fort peu,
et ce qu’on en retire du soir au lendemain
n’acquiert presque point de consistance ; les
laitières sont même dans l’habitude d’exposer
cette crème , dans une cuiller , au-dessus de
la lumière d’une chandelle , pour voir si elle
souffre le bouillon sans tourner.
Convenons cependant qu’on peut augmen-
ter la quantité du lait en y ajoutant de l’eau ,
'*29X1
SEMt ' , J*-', <
a l’économie rurale. 3i3
sans que l’intensité de sa couleur soit sensible-
ment diminuée; mais cette fraude, la plus
commune que se permettent quelquefois les
laitières, ne saurait guère être découverte que
par les sens. On a bien proposé 1 emploi du
pèse -liqueur et de la balance hydrostatique ,
pour s’en assurer d’une manière plus certaine ;
mais ces instrumens demandent une sorte
d’exercice pour être maniés. D'ailleurs ils sont
insuffisans pour faire connaître dans quelle pro-
portion l’eau se trouve mélangée , attendu que
le lait varie à la journée de pesanteur spécifique.
Mais il arrive souvent que , malgré toutes
les précautions observées dans les laiteries, le
lait a reçu , même darfs le pis de l’animal, une
si grande disposition à s’altérer, qu’en le met-
tant sur le feu immédiatement après la traite ,
il ne saurait braver le degré de chaleur de
l’ébullition, sans se coaguler, notamment pen-
dant les jours caniculaires. Cette circonstance
a donné lieu à quelques recherches.
Plusieurs auteurs ont prétendu que, s’il exis-
tait certaines substances qui, mêlées au lait,
hâtaient sa coagulation , il devait y en avoir
d’autres propres à en devenir le condiment. Ils
ont attribué , par exemple , cette propriété à la
lessive de potasse et à l'eau de savon. Mais , quelle
que soit la dose qu’on en emploie , ces moyens
sont insuffisans, et ne peuvent que concourir
à le détériorer. Une propriété semblable, attri-
buée aux eaux minérales, est encore dénuée
3l4 du lait relativement
de fondement. On ne connaît aucune matière
qui, étant mêlée en petite quantité au lait,
puisse, sans nuire à sa saveur agréable et à ses
effets, suspendre un certain temps sa tendance
naturelle à une prompte altération. On sait
que le chocolat , le thé et le café, dont le lait
est le véhicule, retardent sa coagulation.
Quand les laitières manquent de caves bien
conditionnées pour conserver leur lait en bon
état pendant vingt-quatre heures, ne vaut -il
pas mieux leur conseiller de plonger dans un
bain d’eau froide le vase où se trouve le lait,
de couvrir ce vase d’un linge mouillé , ou bien
d’imiter celles qui le font bouillir préalablement
à la vente , plutôt que de leur offrir une foule
de moyens, prétendus efficaces, souvent impra-
ticables , pour perfectionner et conserver les
alimens, les boissons et les assaisonnemens?
C’est encore à regret que nous avons acquis
la preuve que le sucre, qui sert de condiment
à tant d’autres liquides , très-susceptibles de s’al-
térer, employé dans la proportion de deux par-
ties sur une de lait , produit l’effet coagulant.
Nous nous étions flattés qu’il pourrait le ren-
dre propre à braver les voyages de long cours ,
et offrir une ressource de plus aux navigateurs.
Nous avons bien observé que, dans ce cas, le
sucre, dissous à froid , n’opérait point d’abord
de décomposition, et que, par conséquent, on
pourrait donner au lait la consistance de syrop :
mais on sait aussi en pharmacie que les syrops,
5i5
a l’économie rurale.
préparés sans le concours de la chaleur , ne
sont pas de garde.
D’après la propriété coagulante du sucre
employé à chaud et à grande dose dans le
lait, il est facile de juger combien peu sont
fondés les soupçons de ceux qui prétendent
que nos confiseurs se servent de ce fluide
pour faire l’orgeat, au lieu de le préparer avec
des amandes. C’est ainsi que beaucoup d’au-
tres inculpations n’ont pas plus de fondement;
la plupart prennent leur source dans l’imagi-
nation : mais, heureusement, elles sont bien-
tôt détruites , lorsqu’on a recours à l’expérience.
Placé à la proximité d’une grande commune,
on ne doit songer à aucun autre profit des
vaches qu’à celui qui résulte de la vente de
leur lait en nature. Mais il n’en est pas de
même des habitans qui avoisinent les bons
pâturages : au lieu de se défaire ainsi du lait,
leur intérêt exige de recourir à des opéra-
tions qui le convertissent en beurre et en fro-
mage. Il nous paraît donc indispensable de
décrire les procédés en grand qui sont l’objet
de ces fabriques, sans cependant nous livrer à
certains détails de manipulation qui grossi-
raient inutilement cet ouvrage.
DU LAIT RELATIVEMENT
Article V.
Des fabriques de beurre.
On a prérendu que les anciens ignoraient
1 art de faire le beurre ; mais Pline en dit assez
pour prouver que cet art était connu de temps
immémorial , car , après avoir donné une des-
cription exacte de la baratte, ce naturaliste
ajoute que pendant l’hiver il fallait employer
le concours de la chaleur pour accélérer la
séparation du beurre d’avec la crème , et que
le beurre du lait de brebis était plus gras que
le beurre des laits de vache et de chèvre. Les
auteurs auraient été plus fondés à avancer que
l’usage du beurre était presqu’inconnu parmi
les habitans du Midi , parce que l’huile en
tenait lieu.
Mais il nous importe peu de savoir de quelle
manière l'usage du beurre nous a été trans-
mis, pourvu qu’on le prépare convenablement
par tout, et qu’il devienne l’objet d’un com-
merce qui n’a été que trop long-temps négligé
en France. Il faut, pour le bien faire, adopter
la méthode suivie au ci-devant pays de Bray;
elle peut servir de modèle dans toute la Répu-
blique : c’est .Tore , secrétaire de l’ancienne
société d’agriculture de Rouen, qui l’a publiée,
en 1763, dans le recueil des mémoires de cette
société.
Nous avons déjà fait sentir la nécessité de
s’arranger de manière à ce que la plupart des
V.
1 .
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«S
A. L’ÉCONOMIE RURALE. 017
vaches missent bas au commencement du prin-
temps, parce cpi’alors elles fournissaient beau-
coup de lait pendant l’été, et que ce lait avait
le temps de se perfectionner insensiblement
jusqu’en automne, saison que l’on préfère ordi-
nairement , et avec raison , pour préparer le
beurre.
Quoique les instrumens dont on se sert pour
procéder à cette opération soient d’une grande
simplicité, il ne paraît pas qu’ils aient encore
atteint leur perfection. Ce qui le prouverait,
ce sont les plaintes que font à cet égard les
habitans des campagnes , et tous les contes
qu’ils débitent journellement pour rendre rai-
son des défauts de succès qu’ils éprouvent sou-
vent dans ce travail.
Sans adopter, à cet égard, toutes leurs con-
jectures, nous avons cherché h nous assurer
si ki manière d’imprimer le mouvement à la
crème , pouvait influer sur la plus ou moins
prompte séparation du beurre. Pour cet effet
nous nous sommes servis de mortiers de diffé-
rente nature, dans lesquels nous avons trituré
de la crème pendant plus de quatre heures,
sans quelle changeât d’état, et rjous avons eu
occasion d’observer que le liquide, loin de
s’épaissir à mesure que le moment de la désu-
nion approchait, conservait toujours le même
degré de fluidité; mais, ayant été introduit
dans une bouteille cylindrique, le beurre s’est
manifesté après un quart d’heure d’agitation.
DU LAIT RELATIVEMENT
Cette circonstance, ajoutée à beaucoup d’au-
tres, suffit pour démontrer que la manière
d’appliquer le mouvement à la crème n’est pas
une chose tout-à-fait indifférente à la séparation
et à la qualité du beurre ; elle explique en même
temps pourquoi certains bras sont plus habiles
que d’autres à ce travail. En général on peut
établir que T quelles que soient la forme et la
capacité du vaisseau employé , il faut que ce
vaisseau ne soit rempli qu’à moitié , et que la
crème, enlevée par lames, puisse retomber
vivement, successivement et sans interruption,
jusqu’à ce que l’opération soit terminée.
Après avoir réfléchi sur ce qui se passe phy-
siquement et mécaniquement dans la conver-
sion de la crème en beurre , le citoyen Saint -
Genis fait lever la crème à l’ordinaire, la met
dans une grande terrine ou dans un baquet; en-
suite, avec une poignée de verges faites d’un
bois quelconque, pourvu qu’il soit propre, on
fouette la crème jusqu'à ce qu’elle se trans-
forme en beurre : c’est l’affaire d’une demi-
heure quand il fait froid , et de dix à douze
minutes en été.
La méthode qu’on suit en Silésie, consiste
à mettre la crème dans un grand vase, et à
l'agiter entre les mains jusqu’à ce quelle soit
convertie en beurre , ce qu’on obtient ordinai-
1 rement en très-peu de temps.
Dans les Indes on se sert du premier pot qui
se trouve sous la main j pour battre le beurre.
9HSW
a l’économie rurale. 3ig
On fend un bâton en quatre; on l’étend à pro-
portion du pot qui contient le lait; ensuite on
tourne ce bâton en divers sens , au moyen
d’une corde qui y est attachée; et au bout de
quelque temps le beurre se trouve fait.
Mais, quelle que soit la manière dont on
procède à la butirisation , quelle que soit 1 es-
pèce de lait qui en est l’objet , il faut toujours
employer, dans les fabriques en grand, trois
opérations essentielles, facilement praticables
par tout; elles consistent:
i.° A écrémer le lait;
2.0 A battre la crème ;
3.° A délaiter le beurre.
Ces différentes manipulations, ainsi nom-
mées dans les laiteries, influent tellement sur
la nature du résultat, qu’il est facile de juger,
à la qualité du beurre et à la durée de sa
conservation , si elles ont été complètement
mises en pratique ou négligées dans quelques
points.
Ecrémage du lait.
On sait que la crème contient tous les prin-
cipes du lait , et qu’on ne parvient à en sépa-
rer du beurre, que par le moyen de la simple
agitation du fluide dans lequel il se trouve
interposé.
Mais il y a un instant à saisir pour enlever
la crème de dessus le lait : la sépare-t-on trop
tôt, on en perd beaucoup, qui reste confondu
9
fc- ’ H
DU LAIT RELATIVEMENT
dans le lait ; trop tard , au contraire , elle
acquiert un goût fort. Si , en appuyant du
bout du doigt sur la .'iqueur, on le retire sans
empreinte de lait , on peut alors l’écrémer.
C’est assez ordinairement l’affaire de vingt-qua-
tre heures , dans une température de dix à douze
degrés. Souvent , quand il fait excessivement
chaud , la crème monte dans un laps de temps
moins considérable, et, si l’on attendait plus
de douze heures pour en opérer la séparation ,
non - seulement on éprouverait du déchet,
mais le beurre ne réunirait pas autant de
qualités , car c’est une vérité que la crème
donne en général un beurre d’autant moins
hn et délicat quelle a été levée sur un lait
plus ancien. Ainsi l’intervalle le plus ordinaire
qu’on met entre la traite et l’écrèmage du lait,
est de douze heures en été et de vingt-quatre
heures en hiver.
On a avancé que la crème d’un lait encore
doux rendait une beaucoup plus grande quan-
tité de beurre. Les auteurs d’une pareille asser-
tion avaient probablement en vue de détermi-
ner les fermières à préférer cette méthode en
parlant ainsi à leurs intérêts. Le lait est que,
par ce moyen , le beurre a la finesse et le goût
qui assurent sa réputation et l’élèvent à un plus
haut prix dans la vente.
Dès que le lait a séjourné vingt-quatre ou
trente-six heures au plus dans la laiterie , il faut
donc songer à l’écrèrner : on y procède de
I
321
d'un lait encore
lus grande (pau-
me prafeaser*
i vue de dérermi-
cette méthode en
. Le fait est fj,
! finesse etle^
lèvent à na Plus
a l’économie rurale.
deux manières : la première consiste à lever
doucement la terrine , à déchirer la pellicule
crémeuse qui recouvre sa surface ; alors le lait
qui se trouve dessous s’échappe par cette ouvert
ture dans une cruche destinée à le recevoir ,
ensorte que la crème reste seule : il s’agit dans la
seconde de boucher l’ouverture pratiquée à la
partie inférieure de la terrine, et de laisser
couler le lait jusqu’à ce qu’il ne reste plus que
la crème.
Dans l’un et l’autre cas , les terrines , remplies
à la même heure, doivent être ainsi vidées,
et l’opération répétée autant de fois que les
femelles ont été traites.
Pour rassembler toutes les crèmes levées sur
le lait, on les verse dans des cruches particu-
lières, dont l’orifice doit être étroite et fermée
exactement; car si , pour favoriser l’ascension
de la crème et lui faire acquérir une consis-
tance propre à la distinguer du lait, il faut
nécessairement se servir de vases dont la forme
présente la plus grande surface et se rétrécisse
vers la partie inférieure , il est nécessaire ,
par une raison contraire, de préférer ceux qui
peuvent mettre ce fluide à l’abri du contact de
l’air jusqu’au moment de la butirisation.
. Battage de la crème.
L:intervalle qu’on met entre le moment de
la traite et celui fixé pour battre la crème,
x
t
322 DU LAIT RELATIVEMENT
doit nécessairement varier suivant la saison et
d’autres circonstances relatives au commerce
du beurre et aux usages auxquels il est destiné.
On a coutume dans les environs de Rennes,
car c’est toujours là que nous allons chercher
le type de la perfection , de battre le beurre
tous les jours en été et même pendant l’hiver,
quand on a suffisamment de crème rassemblée;
ailleurs ce n’est que quelques jours après la
traite, souvent même la veille du marché.
Nous avons dit que le beurre d’hiver était
assez généralement blanc, et que, quand dans
cette saison on l’obtenait d’un jaune plus ou
moins foncé , c’était immédiatement après le
part : mais il y a des vaches qui le fournissent
constamment coloré ; telles sont celles de la
Prévalaye, et il semble que ce soit à l’usage
du bon foin, des racines cuites, et sur tout à
celui de la boisson un peu chauffée, qu’est due
cette exception à la loi générale.
Il convient cependant de remarquer que le
beurre, pour être pâle ou blanc, n’en a pas
moins de qualité que le beurre jaune. On est
même en droit de présumer que dans la nature
ce produit est tout-à-fait incolore : aussi beau-
coup de cantons n’emploient-ils aucun moyen
pour lui donner, dans la saison où il n’est pas
communément jaune , cette nuance plus ou
moins prononcée.
Mais , malheureusement , on a attaché ailleurs
l’idée de la perfection du beurre à la couleur
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beurre
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a l’économie rurale. 525
jaune; et il a bien fallu la lui concilier artifi-
ciellement, sur tout au beurre transporté à Paris
des départemens voisins , ou à celui qui se
prépare journellement chez les crémières.
Pour satisfaire, à cet égard, l’imagination,
on a emprunté la matière colorante des diffé-
rentes parties de la fructification des plantes.
Sans doute , cette légère fraude serait tolérable
jusqu’à un certain point, si elle pouvait en
même temps servir de condiment au beurre ,
sans dénaturer son agrément et ses effets, puis-
que cette addition , peu coûteuse, a encore le
mérite de n’exiger aucune manipulation par-
ticulière.
Dans le ci-devant pays de Bray, la matière
végétale qui sert à colorer la totalité du beurre
qu’on y fabrique en grand , est la fleur de souci.
Cette fleur, à mesure qu’on la ceuille, est en-
tassée dans des pots de grès; d’où il résulte,
au bout de quelques mois, une liqueur épaisse
foncée , que l’on passe à travers un linge , et que
l’on emploie dans une proportion que l’usage
apprend bien vite. Ce procédé a été long-temps
employé sous le voile du mystère. Nous con-
naissons une crémière à Paris , dont le beurre
a eu par ce moyen une très-grande vogue.
La fleur de souci , en effet , macérée comme
nous l’avons dit, fournit une belle couleur
jaune, très-solide ; mais il en entre si peu dans
le beurre, que celui-ci n’en reçoit aucune saveur
particulière.
x 2
I)U LAIT RELATIVEMENT
Nous avons cherché à apprécier, sous ce point
de vue d’utilité , les effets d’une foule d’autres
matières colorantes, employées, de même que
que la fleur de souci , dans divers cantons de
l’Europe , pour atteindre ce but ; telles sont les
fleurs de safran, les baies d’alkekenge ou co-
queret, le roucou bouilli dans l’eau: mais le
suc exprimé de la carotte jaune nous a paru
le plus propre à opérer cet effet. 11 semble que
les molécules du beurre , en s’associant avec
son principe colorant, ont moins de tendance
à retenir la matière caséeuse et , par consé-
quent, à s’altérer. Cette circonstance mérite
d’intéresser les grandes fabriques de beurre.
Les substances destinées à rehausser la cou-
• x
leur naturelle du beurre, sont ordinairement
délayées dans une portion de crème, et ajou-
tées ensuite à celle qui , dans la baratte , attend
le mouvement de la percussion : or, c’est au
moment où la cohésion du beurre avec le lait
va être rompue , que cette matière huileuse
prend ce qu’il lui faut de matière colorante
pour acquérir la nuance de jaune dont elle peut
se charger à froid; nuance qui, encore une
f ois , plait à celui qui fabrique et vend le beurre ,
à celui qui l’achète , et plus encore à ceux qui
le consomment.
La baratte est l’instrument le plus générale-
ment usité pour battre le beurre. On parvient
à alléger le travail en attachant au plafond de
la laiterie une perche, à l’instar des tourneurs.
UH]
■ *
a l’économie rurale.
32.5
Dans les grandes fabriques on la fait mouvoir
par le moyen d’un cheval. Mais on préfère la
sérenne, comme plus facile à manier , et comme
le moyen de transformer plus promptement en
beurre une grande quantité de crème.
Dès que la crème est versée, soit dans la
baratte, soit dans la sérenne , selon la quantité
sur laquelle il s’agit d’opérer , on bouche 1 un
ou l’autre instrument. La fille chargée d’im-
primer à ce fluide le mouvement, doit le con-
tinuer sans interruption , et faire ensorte qu’il
soit toujours égal et modéré; autrement le
beurre s’échauffe et perd de sa qualité.
Nous ne rappellerons pas les causes qui
influent sur le plus ou moins de promptitude
avec laquelle on obtient le beurre. On sait que ,
pendant l’hiver , il est quelquefois si long-temps
à se séparer, que la patience échappe. Pour
accélérer l’opération , il faut envelopper la ba-
ratte d’une nappe chaude, la plonger dans un
baquet d’eau bouillante , ajouter à la crème du
lait chaud , enfin , placer le vaisseau auprès du
feu : mais on ne saurait être trop économe de
l’emploi de tous ces moyens d’accélération ,
parce que c’est toujours aux dépens de la finesse
et de la saveur du beurre qu’ils produisent leur
effet.
Les temps excessivement chauds prescrivent
une' marche entièrement opposée. On place
alors la baratte dans un bain d’eau fraîche ; on
choisit l’instant du jour et l’endroit du manoir
5z6 DU LAIT RELATIVEMENT
les plus fraiè , pour se livrer à ce travail; enfin ,
on met en œuvre tout ce qui peut tempérer la
propension qu’a la crème de s’aigrir et de four-
nir trop promptement son beurre.
On reconnaît que le beurre est fait lorsqu’il
tombe, par grains ou par petites masses, au
tond de la baratte ; pour lors on en sépare le
fluide au milieu duquel il se trouve. Mais
cette séparation n’est jamais tellement com-
plète qu’il ne reste Quelques portions de
ce fluide disséminées dans les interstices du
beurre , avec lequel elles ont plus ou moins
d’adhérence , selon que la crème était an-
cienne , ou quelle provenait d’une femelle
plus ou moins avancée dans la gestation.
L’opération au moyen de laquelle on sépare
le fluide resté dans le beurre , est désignée dans
les fabriques sous le nom de délai t âge ; c’est
de la manière dont elle est exécutée que dépen-
dent la qualité et la conservation du beurre.
Dèlaitage du beurre.
Pour faciliter cette opération il faut que la
crème ait éprouvé dans la baratte un assez grand
nombre de percussions, afin que le. lait puisse
s’en séparer aisément; autrement le beurre con-
serverait encore un trop grand nombre des
propriétés de la crème.
Quelques personnes restreignent le délaitage
à comprimer faiblement le beurre dans les
mains : d’autres sont dans l’usage de le manier
A rÉCONOMIE RURALE. 02 7
fortement et à diverses reprises, et de répéter
les lavages jusqu’à ce que leau en sorte claire.
Ces deux méthodes ont leurs avantages et
leurs inconvéniens. La première doit être pré-
férée lorsqu’il s’agit de la préparation journa-
lière du beurre avec le lait récemment trait , ou
une crème nouvelle , parce que les portions de
matière laiteuse qui y restent interposées , con-
courent à donner à ce produit cette saveur douce
et agréable qui caractérise la crème. Mais quand
il est question du beurre de provision , on ne
saurait trop répéter les lavages , car la présence
du lait ainsi divisé à la surface du beurre ,
peut lui faire perdre de sa qualité dès le soir
même du jour où il a été battu.
Le procédé du délaitage ordinaire se réduit à
jeter le beurre dans des terrines remplies d’eau
fraîche , afin qu’il perde la chaleur qu’il a reçue
du mouvement et de sa désunion avec le lait,
et qu’il se raffermisse à l’air ; on l’étend ensuite
avec une cuiller de bois, et on renouvelle l’eau
fraîche.
Les temps orageux rendent le beurre si mou
que, pour pouvoir le manier, on est forcé de
le soumettre à la température d’un puits , car ,
susceptible de prendre toutes les saveurs, son
séjour à la cave pourrait altérer celle qui lui
appartient spécialement. On pétrit et repétrit
le beurre ; on en forme des pelottes plus ou
moins grosses , qu’on place dans un lieu frais
pour leur faire acquérir de la consistance et
x 4
I
■ TV.
r
328 DU LAIT RELATIVEMENT
\
les diviser en livres , lorsqu’il s’agit de les ven-
dre sur les lieux ou dans les marchés voisins ,
et en mottes de quarante à cinquante livres ,
quand on a dessein de les conserver et de les
transporter au loin.
Les laitages qu’on obtient après la prépara-
tion du beurre, et sur la nature desquels nous
nous sommes suffisamment étendus, consistent,
1 .° en lait de beurre , pour nous exprimer comme
les habitans des campagnes ; il est comparable ,
en tout point , au lait doux , quand la crème
a été employée nouvelle : 2.0 en lait plus ou
moins vineux, lorsqu’on s’est servi d’une crème
ancienne. Le premier devient souvent le salaire
de la fille qui abattu le beurre. Le second est
employé à la soupe des gens de la ferme; ou
bien on en humecte le son dont on nourrit
les animaux de basse cour ; ou bien , enfin ,
il sert d’aliment aux veaux , quand on 11e les
livre pas aux bouchers quelques jours après
leur naissance : il serait même possible d’en
préparer les fromages communs. Mais revenons
au beurre.
Des différentes qualités de beurre.
On n’est point dans l’usage de fabriquer par
tout du beurre de plusieurs qualités ; cependant
nos expériences ont fait voir que la chose était
possible avec le même lait, en séparant la crème
à mesure qu’elle s’élevait à sa surface.
Nous nous- sommes encore convaincus que
a l’économie rurale. 5ag
lelait provenant d’une même traite , mais divisée
en trois parties , et la crème séparée de chacune
et battue en même temps , présentaient trois
nuances différentes de qualité ; mais on con-
çoit les difficultés de profiter de ces avantages ,
car, dans les grandes fabriques, les opérations
compliquées entraînent toujours des inconvé-
niens majeurs. L’objet principal consiste donc
à obtenir le plus de beurre possible , moyennant
les procédés les plus faciles dans leur exécution.
Une circonstance , indépendamment de celles
énoncées précédemment, influe encore sur la
qualité du beurre : c’est le temps que le lait
demande pour acquérir sa perfection dans les
mamelles, à partir de l’instant où la femelle a
mis bas, jusqu’à celui où une nouvelle ges-
tation, à un certain terme, va suspendre l’émis-
sion du lait , et le faire servir au développement
du foetus. Mais comme ce fluide n’est réellement
au maximum de sa bonté que quatre mois après
le vêlage , et par conséquent aux environs de
l’automne , c’est aussi à peu près à cette époque
qu’on s’occupe d’approvisionnemens de beurre.
Il existe encore d’autres motifs qui détermi-
nent le choix de l’automne pour cette provi-
sion; c’est que le temps qui succède à cette
saison est froid, et que rien n’est moins favo-
rable à la conservation du beurre que la cha-
leur : il devient molasse , gras , huileux , et
se rancit beaucoup plus promptement , toutes
choses égales d’ailleurs. Il n’est pas étonnant,
000 DU LAIT KELATIVEMENT
d après cela, que le beurre de regain, le beurre
de second pré , le beurre d' automne , jouissent
d une aussi grande réputation ; ils ne la doivent
réellement, en partie, qua la circonstance dont
nous parlons.
C est donc une profonde erreur de croire que
le beurre résultant de la crème secondaire a
plus de qualité que celui retiré de la première ,
puisque, d’une part, cette crème a été plus
long- temps exposée à l’air , et que , de l’autre ,
1 expérience a appris que celle qui s’élève d’a-
bord à la surface du lait fournit constamment
le meilleur beurre.
On ne conçoit pas non plus les auteurs qui
disent et répètent qu’il faut environ dix livres
de lait pour fournir trois livres de beurre : c’est
sans doute de la crème qu'ils ont entendu par-
ler. Ce serait aussi commettre une grande faute
que de calculer la proportion du beurre d’après
celle de la crème , car la consistance de cette
dernière dépend de la saison et du mode em-
ployé pour en opérer la séparation. D’ailleurs,
de quelque manière qu elle s’exécute , il reste
toujours dans la crème plus ou moins de lait,
dont la présence est indispensable à la butiri-
sation. Si la crème était trop épaisse, elle four-
nirait plus difficilement son beurre par la per-
cussion. Ce n’est donc pas réellement sur la
crème qu’il est possible d établir la proportion
du beurre qu’un lait fournit.
Il résulte , d’après nos expériences et celles du
a l’économie rurale. 33i
citoyen Boyssou , que le lait d’une bonne vache
ne contient , le plus ordinairement , dans le
premier mois du vêlage, que la trente-deuxième
partie de beurre, et que la quantité de ce pro-
duit augmente successivement à mesure qu on
s’éloigne de cette époque , de manière qu au
bout de quatre mois le beurre s’y trouve dans
les proportions d’un vingt -quatrième : ainsi
une pinte de lait donne ordinairement envi-
ron une once deux gros de beurre.
On peut donc établir comme une règle géné-
rale , que dix-huit livres de lait donnent à peu
près une livre de beurre , et que cette quantité
est le produit commun d’une vache par jour :
il y a telle vache qui en a donné jusqu’à deux
et trois livres; mais ces cas sont rares, et ils
forment plutôt exception.
C’est en automne, nous le répétons, que le
lait fournit réellement une plus grande quan-
tité de beurre , et que ce beurre réunit le plus
de qualités; cependant il peut se trouver dans
le commerce sous les différens états de
Beurre frais;
Beurre rance;
Beurre fondu;
Beurre salé.
Ces différens états donnent à la même qualité
de beurre des saveurs assez distinctes pour faire
soupçonner qu’il ne provient pas de la même
source; ils déterminent aussi son usage et
son prix.
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!
002 DU LAIT RELATIVEMENT
Du beurre frais.
Pour avoir une idée de la manière dont il
est possible d’obtenir le beurre sur-le-champ,
il suffit , en été , de verser le lait quelques
heures après la traite dans des bouteilles et
de le secouer vivement ; les grumeaux qui se
forment, jetés sur un tamis, lavés et rassem-
blés , offrent le beurre le plus fin et le plus
délicat qu’on puisse se procurer.
Mais cette manière de battre le beurre sans
avoir préalablement enlevé la crème de dessus
le lait, quoiqu’assez généralement adoptée dans
les cantons où Ion fait du beurre de choix,
à Rennes, par exemple, et dans ses environs,
n’est pas, a beaucoup prés, très-économique.
L expérience prouve même que la crème éten-
due dans une aussi grande quantité de fluide,
lie fournit jamais la totalité de son beurre;
qu’il faut nécessairement l’en séparer, et lui
imprimer immédiatement la percussion. Tel
est aussi le procédé le plus généralement usité;
autrement l’opération languit , et il reste dans
le lait une portion de crème , qui échappe à
la butirisation.
Moyennant les soins sur lesquels nous avons
insisté , on peut avoir, dans toutes les saisons ,
un beurre fin , délicat , d’autant plus parfait
qu’il sera moins lavé ; mais du jour au lende-
main ce goût fin et délicat n’existe déjà plus,
sur tout s’il fait chaud.
335
a l’économie rurale.
Un des grands moyens de conserver le
beurre long-temps frais, c’est, d’abord, de le
délaiter parfaitement, de le tenir ensuite sous
l’eau fréquemment renouvelée , et de le sous-
traire à l’influence de la chaleur et de lair ,
en l’enveloppant d’un linge mouillé.
L’eau, en effet, en dilatant tous les fils du
linge, doit nécessairement les rapprocher d’une
manière. assez exacte, *et boucher, par consé-
quent , les interstices à travers lesquels l’air
atmosphérique ne manquerait pas de pénétrer
si le linge était sec. Par ce moyen ce dernier
fluide glisse à la surface du linge, et est même
en quelque sorte repoussé par l’eau qui , ten-
dant continuellement à s’évaporer , l’enlève avec
elle. C’est sans doute à la propriété reconnue
qu’a l’eau de chercher à s’évaporer, qu’est due
la différence de température qu’éprouvent tous
les corps dont la surface est humectée.
Au reste, on sait que cette même propriété
n'appartient pas exclusivement à l’eau ; quelle
est aussi commune à tous les fluides, et que
même , dans bien des circonstances , on en
profite très-heureusement pour produire des
refroidissemens artificiels , qu’on peut porter
très-loin, en hâtant l’évaporation de ces fluides
de dessus la surface des corps qu’ils mouil-
lent; bien entendu que cette évaporation doit
toujours être faite par tout autre moyen que
par la chaleur.
L’usage adopté dans certains pays , d’humec-
DU LAIT RELATIVEMENT
ter les linges qui couvrent le beurre avec de
l’eau de lessive préférablement à de l’eau pure ,
n’a vraisemblablement d’autre avantage que
d etre dispensé de restituer aux linges une nou-
velle quantité d’eau pour remplacer celle dont
on les avait d’abord mouillés; car, comme
l’eau de lessive contient toujours de l’alkali,
qui tend continuellement à attirer l’humidité
de l’air, on conçoit qu’à mesure qu’une partie
de celle-ci s’évapore , elle se trouve bientôt
remplacée par une autre, qui est attirée par
l’alkali : d’où il résulte nécessairement que les
linges , malgré l’évaporation continuelle de
l’eau , doivent rester constamment mouillés.
Malgré cet effet nous pensons que l’emploi
de l’eau de lessive ne saurait mériter la préfé-
rence , car il est plus que probable que la sur-
face du beurre, dans tous les points de con-
tact du linge humecté avec une semblable
liqueur, doit nécessairement avoir une saveur
différente de celle de la couche inférieure.
Le froid est un autre agent propre à pro-
longer la bonne qualité du beurre ; cependant,
comme parmi les corps gras il n’en existe point
qui perde plus facilement sa saveur agréable,
et qui soit plus susceptible de contracter celle
des autres substances au milieu desquelles il
se trouve , il ne faut jamais être indifférent sur
le choix des endroits où l’on se propose de
tenir en réserve la provision du beurre.
Dans l’espérance de conserver au beurre de
rX.
A L’ÉCONOMIE RURALE. 335
Rennes, qui nous était parvenu par un temps
chaud , toute la finesse du goût qui le carac-
térise, nous l’avons porté à la cave; cepen-
dant, quoiqu’il fut recouvert d’un pouce de
éel et d’un fort papier, il n’en avait pas moins
contracté, après un séjour de deux décades,
une saveur désagréable, moins marquée, il
est vrai, à la partie inférieure du pot, mais
assez sensible encore pour qu’on ne pût pas
se dispenser de l’attribuer à l’action de l’air
de la cave , qui , comme on sait , diffère de
celui de l’atmosphère.
Ce n’est qu’en privant le beurre frais de
toute l’humidité qu’il a retenue dans les diffé-
rentes lotions, et sur tout de la matière caséeuse
avec laquelle cette huile concrète du lait a plus
ou moins d’adhérence, qu’on peut le garantir
pendant un certain temps de l’état d’altération
sous lequel nous allons le considérer.
Du beurre rance.
Après ce que nous avons dit sur la cause de
la rancidité du beurre, il nous reste peu de
chose à ajouter. On ne saurait douter quelle
ne soit due à la présence de la matière caséeuse ,
plus ou moins adhérente : ce qui prouve com-
bien il est nécessaire de la séparer exactement
par les lotions, et de ne se servir que de vais-
seaux parfaitement nettoyés , car il suffirait qu’ils
eussent conservé, dans leurs cavités ou inters-
556 DU LAIT RELATIVEMENT
tices , les moindres molécules de crème an-
cienne, pour transmettre au beurre ce goût
désagréable qui ressemble à celui des autres
huiles préparées par le filtre animal. Le muci-
lage qui l’accompagne toujours est d’ailleurs
comparable, pour ses propriétés chimiques,
à la substance glutineuse du froment, qui, dans
un état humide et chaud , contracte bientôt une
odeur détestable.
Mais souvent le beurre est déjà rance avant
d’être soumis à la baratte, parce que, suivant
la mauvaise habitude de beaucoup d’habitans de
la campagne, on ne le bat que sept à huit jours
après la traite. Or, séjournant trop long-temps
dans la crème , il contracte un goût fort , que la
percussion , les lavages et les autres opérations
subséquentes ne sauraient détruire en totalité.
C’est donc un grand inconvénient de ne
battre le beurre , dans les fermes , qu’une fors
dans l’intervalle de sept à huit jours, quand on
veut l avoir de bonne qualité. Cette méthode
cependant a trouvé des partisans, qui ont
avancé que le beurre résultant d’une crème
nouvelle était moins de garde que celui d’une
crème plus ancienne. 11 en est, sans doute,
des procédés dans les fabriques de beurre ,
comme de certaines pratiques défectueuses,
qui , plus simples et plus commodes , sont
vantées précisément parce quelles servent la
paresse et la cupidité de ceux qui les em-
ploient ordinairement.
A I* ÉCONOMIE RURALE. OÛ7
Dans les lieux où le fromage se fabrique en
grand, la crème est mise en réserve, souvent
pendant quinze jours, jusqua ce qu’il y en
ait suffisamment pour la battre-; mais le beurre ,
quoique nouvellement fabriqué , a déjà un
goût fort, qui ne fait qu’augmenter en vieil-
lissant. Dans cet état , il est cependant estimé
des vachers et des pâtres, qui le consomment
pendant leur séjour à la montagne ; il y a
même des habitans de la campagne qui le pré-
fèrent à tout autre , comme plus économique
pour l’assaisonnement : mais cela n’a rien de
surprenant ; n'avons - nous pas des peuples
entiers qui boivent l’huile de poisson la plus
rance, et en font même leurs délices?
Comme c’est la portion de lait disséminée
dans le beurre sous forme de crème , qui cons-
titue son état rance , il faut avoir l’attention ,
quand il est sorti de la baratte, de le malaxer,
partie par partie, et de le laver à plusieurs
reprises, jusqua ce que l’eau en sorte claire
et limpide.
Un moyen d’adoucir les crèmes qui , par
leur trop long séjour à la laiterie, ont contracté
un goût fort, est d’y ajouter, au moment de
battre, plus ou moins de lait de la traite du
jour. Ce procédé, si facile à exécuter par tout,
parvient, en effet, à atténuer la rancidité.
Lorsque le beurre , au contraire , par une
cause quelconque, est devenu rance, il faut
porter l’action sur lui. Or, le seul moyen qui
338 DU LAIT RELATIVEMENT
puisse être raisonnablement proposé, c’est de
le faire fondre dans une grande quantité d’eau,
de l’en séparer ensuite lorsqu’il est refroidi, de
le faire fondre de nouveau à une douce cha-
leur, mais sans addition d’eau, et, après le
refroidissement, de le malaxer long-temps pour
en extraire le peu d’humidité qu’il aurait pu
retenir. Après cette opération on le remet dans
des pots de grès pour éviter ce qui résulte ordi-
nairement du contact de l’air sur les corps gras.
Il n’est sans doute aucune bonne ménagère
qui ne connaisse et ne mette en pratique ces
différentes manières d’adoucir les beurres forts,
quand la rancidité provient de l’imperfection
du délaitage ou d’un trop long séjour du
beurre dans la crème : mais le beurre le plus
parfait , conservé avec soin dans un lieu frais ,
à l’abri de l’air , perd insensiblement sa dou-
ceur naturelle et acquiert une rancidité aussi
désagréable au goût que préjudiciable à la
santé. On ne saurait donc, malgré toutes les
précautions, le garder d’une saison à l’autre
et le transporter au loin en bon état, si on
ne se hâte , dès qu'il est fait , de le fondre ou
de le saler. Arrêtons-nous sur ces deux procé-
dés , pour ainsi dire domestiques , qu’aucun
ouvrage ne parait avoir décrits avec la clarté
nécessaire.
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a l’économie rurale.
Du beurre fondu.
53g
Ce n’est point là où on sale le beurre que
se prépare le plus ordinairement le beurre
fondu : ce dernier parait rarement dans les
marchés, et est plus connu dans les cuisines.
Ce sont les femmes de ménage qui s’occupent
de sa préparation, au moment où cette denrée
est moins chère et possède le plus de qualité :
communément l’automne est choisi de préfé-
rence pour former ce genre d’approvision-
nement.
La première attention qu’il faut apporter ici
consiste à ne pas attendre que le beurre que
l’on veut fondre soit ancien , parce qu’il aurait
pu contracter en très-peu de temps un état
voisin de la rancidité , que la chaleur néces-
saire à cette opération ne parviendrait jamais
à lui faire perdre entièrement.
Pour y procéder, on prend un chaudron
de cuivre jaune , extrêmement propre et d’une
capacité proportionnée au beurre qu’il s’agit
de fondre; on a soin que le feu, auquel il
est exposé , soit clair , égal et modéré ; on
évite, autant qu’il est possible, la fumée, qui,
en se combinant avec le beurre, dans l’état
fluide et chaud , pourrait lui communiquer un
goût désagréable.
Au moyen d’une chaleur égale , le beurre se
liquéfie très-facilement, et dès qu’il commence
à frémir, il ne faut plus le quitter. On l’agite
y 2,
-
•- <
34o
DU LAIT RELATIVEMENT
pour favoriser l’évaporation de l’humidité , em-
pêcher qu’il ne monte, et faire perdre à la
matière caséeuse, interposée dans le beurre, son
adhérence et sa solubilité. Bientôt une portion
de cette matière paraît à la surface comme une
écume ; on l’enlève à mesure qu’elle se forme :
l’autre, pendant la liquélication , se précipite
au fond du chaudron, s’y attache, et présente
une matière connue sous le nom vulgaire de
grattin , que les enfans aiment de passion.
Dès que cette matière est formée, il faut se
hâter de diminuer le feu, car elle se décom-
poserait et communiquerait au beurre une
mauvaise qualité; c’est alors que brille la vigi-
lance active de la ménagère, qui sait parer à
temps à cet inconvénient, en s’occupant de
dresser son beurre à l’instant où elle aperçoit
au fond du chaudron un cercle brun, tirant
sur le noir.
Mais la règle la plus ordinaire pour juger
que le beurre est parfaitement fondu , c’est que
la totalité ait une transparence comparable à
celle de l’huile , et que , quand on en jette
quelques gouttes sur le feu , il s’enflamme sans
pétiller. On achève d'écumer le beurre, et on
ôte le chaudron du feu; on le laisse reposer
un instant; puis on le verse par cuillerées dans
des pots bien échaudés et séchés au feu , qu’on
recouvre après que le beurre est entièrement
refroidi.
Il existe une autre méthode de fondre le
a l’économie rurale. 341
beurre, et beaucoup de personnes préfèrent de
la suivre , parce qu’elle entraîne moins d em-
barras et exige moins de soins : il s’agit d expo-
ser le beurre au four après que le pain en est
retiré. Pour cet effet on emploie tout simple-
ment des pots de terre ; le beurre se fond
insensiblement, et du soir au lendemain matin
on le retire , on l’écume et on le laisse se
refroidir.
Par ce procédé le beurre n’est souvent pas
assez dépouillé de son humidité surabondante ;
il est mal écumé ; la dépuration de la matière
caséeuse ne s’opère pas complètement : le ha-
sard fait tout, et l’attention ne fait rien. Alors
la provision ne réunit pas la condition essen-
tielle , celle de se conserver long - temps et en
bon état. Une semblable méthode ne peut donc
satisfaire les ménagères éclairées , qui aiment
à juger par elles -mêmes, à soigner leurs opé-
rations et à veiller à leurs approvisionnemens :
elle ne favorise que la routine et la paresse.
Un troisième moyen est encore pratiqué
pour fondre le beurre , sans employer la chaleur
de l'ébullition : il nous a été communiqué par
le citoyen Boyssou. Ce moyen consiste à tenir
le beurre en liquéfaction pendant un certain
temps au bain-marie , et à le verser ensuite par
inclination dans des pots de terre. La matière
caséeuse, en se déposant, entraîne avec elle
une portion de beurre. Pour l’en séparer entiè-
rement, on ajoute au dépôt une quantité pro-
/ Y 3
342 DU LAIT RELATIVEMENT
portionnée d’eau bouillante , et on remue un
instant le mélange ; après quoi on le laisse
en repos jusqu’au parfait refroidissement : le
beurre vient surnager à la surface du liquide,
d’où on le retire facilement lorsqu’il est entière-
ment figé. On mêle à ce beurre à demi figé
une quantité proportionnée de sel séché et
parfaitement égrugé, et , lorsque son refroidis-
sement est complet, on le met dans des pots
dont on couvre la surface d’une légère couche
de sel pareillement pulvérisé. Ce beurre, fondu
et salé en même temps, s’exporte au loin sans
se détériorer.
Peut-être le procédé pour fondre le beurre
devrait-il être adopté plus généralement , dans
les endroits sur tout où l’on attend, pour battre
la crème, qu'il s’en trouve assez de rassemblé
sur le lait, comme dans les fabriques de fro-
mage , ou la crème ne se lève que tous les douze
à quinze jours. En faisant éprouver un certain
degré de cuisson à ce beurre , on corrigerait sa
propension à rancir, et, en le salant, on mas-
querait le petit goût fort qu’il pourrait déjà avoir
contracté ; ce qui le rendrait propre encore au
commerce.
%
Quoique le beurre fondu n’ait point éprouvé
de décomposition dans sa nature intime , il ne
ressemble plus cependant au beurre frais : sa cou-
leur, sa saveur, sa consistance, sont, pour ainsi
dire, altérées ; il est devenu transparent, grenu,
fade , pâle et analogue à de la graisse : le feu
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a l’économie rurale. 545
lui a bien enlevé ce qui concourrait à le faire
promptement rancir; mais il a agi en même
temps sur le principe de la sapidité et de la
couleur : c’est donc à la séparation de la matière
caséeuse du beurre frais que sont dus les chan-
gemens qu'il éprouve dans l’opération qui le
convertit en beurre fondu ; il se garde comme
le beurre salé , et peut remplacer l’huile dans
les salades et dans les fritures.
Mais il existe une autre méthode de pro-
longer la conservation du beurre, qui mérite
sans contredit la préférence , parce que , loin
de changer ses qualités intrinsèques , elle y
ajoute encore; c’est celle qui a pour objet d’y
introduire du sel.
L’usage de fondre le beurre n’a été vrai-
semblablement adopté qu’à cause de l excessif
prix du sel, car, dans les cantons désignés
autrefois sous le nom de Pays de gabelles, à
peine l’usage de saler le beurre y est-il connu ,
tandis que, pour ceux qui jouissaient de la
franchise , cette pratique était constamment
employée.
Du beurre salé.
On observe ordinairement deux saisons pour
saler le beurre du commerce : l’une est le prin-
temps, pour la provision de l’été ; l’autre est
1 automne , pour celle de l’hiver. Mais cette
opération, quoique très- simple , est souvent
négligée et incomplète dans ses effets.
y 4
344 DU LAIT RELATIVEMENT
On sait que le muriate de soude (sel marin),
nouvellement fait, est âcre et amer, à cause
des muriates de chaux et de magnésie qui s’y
trouvent confondus; mais, comme ces deux
derniers sels sont de nature déliquescente, il
suffit de laisser le sel marin à l’air , pendant
un certain temps, sur les plages maritimes.
Ces sels attirent puissamment l’humidité atmos-
phérique, prennent bientôt un état fluide, et
pénètrent à travers la masse, pour gagner la
partie inférieure de la pyramide. Purifié ainsi
spontanément, ce sel, plus sec au toucher,
et moins amer au goût , porte le nom de sel
vieux. L’habitude dans laquelle sont les beur-
rières de certains cantons , de purifier leur sel ,
n’a absolument que cet objet en vue.
Le sel blanc et le sel gris présentent des
différences notables dans leurs effets quand on
s’en est servi pour saler , soit le beurre , soit
les fromages. Dans certains pays , le sel blanc
est réputé faire de mauvaises salaisons en tout
genre, quoique purifié; ailleurs c’est le sel gris
qui a cette réputation.
Nous n’examinerons point jusqu’à quel point
ces assertions peuvent être fondées; mais nous
croyons que l’emploi de l’un ou de l’autre sel
pour la qualité du beurre, n’est pas une chose
aussi indifférente qu’on le pense.
Dans la ci-devant Bretagne, on emploie le
muriate de soude purifié et blanchi par le pro-
cédé usité dans nos cuisines, pour le beurre
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le beurre, soit
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/
a l’économie rurale. 345
fin, et le gros sel gris, connu sous le nom de
sel gueraudin , pour le beurre de provision. On
retire ce dernier des marais du pays de Gue-
rande , situé à l’embouchure droite de la Loire ; il
est préparé par évaporation au soleil. Les beur-
rières de Rennes, qui ont la liberté du choix,
préfèrent ce dernier sel ; il a , selon elles , la
propriété de mieux saler le beurre , et de lui
communiquer un goût analogue à celui de la
violette. Sa réputation était telle qu’on en
faisait de fréquens envois à Paris pour cet objet.
Pour l’incorporer au beurre, on ne le soumet
à d’autre préparation préliminaire que de le
concasser , sans le réduire en poudre.
Cependant , quoique le sel de Guerande soit
supérieur en qualité à celui quon nous vendait
autrefois dans les gabelles , il n’est pas moins
vrai qu’il a besoin d être purifié de nouveau ,
pour saler le beurre fin , parce que l’àcreté
qu’il conserve encore, quoique très -affaiblie
par les lavages qu’on lui a fait subir dans sa
préparation , nuirait au parfum et à la saveur
délicate de ce beurre. Une autre opération
utile, c’est de le dessécher au four, de le broyer
ensuite , afin qu’il s’empare plus avidement de
l’humidité contenue dans le beurre; autrement
on pourrait le retrouver en cristaux sous la
dent, et il établirait dans les interstices des
vides qui pourraient hâter sa détérioration ,
au lieu de prolonger sa durée.
Une autre considération , c’est la proportion
/•
346 DU LAIT RELATIVEMENT
du sel qu’il faut employer; son bas prix déter-
mine souvent à en forcer la dose, de manière
que la saveur délicate du beurre se trouve mas-
quée , et n'a plus que celle du sel. Aussi n’en
introduit-on qu’une petite quantité dans le
beurre fin , qu’on sale immédiatement après
avoir été délaité, lorsqu’il doit être mangé
frais et consommé sur les lieux. 11 en faut
davantage pour celui qu’on envoie au loin :
mais, il faut l’avouer, les beurrières n’ont sou-
vent d’autres règles que celle de leur palais,
pour juger la quantité de sel qu elles doivent
employer ; c est ordinairement depuis une once
jusqu’à deux par livre de beurre.
On a pensé que le sel , introduit dans le
beurre, y formait, au bout d’un certain temps,
une sorte de combinaison savoneuse : mais les
expériences faites à B ennes , par le citoyeil Hue ,
pharmacien en chef adjoint de l’armée d’An-
gleterre, sur du beurre salé qui avait une année
de fabrication , ont sufhsamment prouvé que
le sel y existait tout entier, interposé sous forme
de cristaux, ou dissous dans la partie humide;
c’est ce qu on peut facilement reconnaître ,
en examinant à la loupe un morceau de beurre
salé.
Pour introduire le sel dans le beurre, on
étend ce dernier par couches ; on le pétrit par
portions, jusqu’à ce que le sel soit bien incor-
poré; ensuite on le distribue dans des pots
degrés, propres et secs, de différentes formes,
/
WL k ,
a l’économie rurale. 347
et contenant quarante à cinquante livres; on
foule le beurre dans ces pots , on les remplit jus-
qu’à deux pouces du bord ; on le laisse reposer
ensuite sept à huit jours : pendant ce temps,
le beurre salé se détache du pot, se tasse,
diminue de volume, et laisse entre ldi et le pot
un intervalle d’environ une ligne, dans lequel
l’air pourrait s’introduire, et ne manquerait pas
d’altérer le beurre si on le laissait en cet état.
Pour prévenir cet accident on fait une sau-
mure assez forte pour qu’un œuf puisse y surna-
ger : cette saumure, tirée au clair et refroidie,
est insensiblement versée sur le beurre salé,
jusqu’à ce qu’il en soit recouvert d’un pouce.
Lorsqu’on transporte le beurre, on ne peut
pas maintenir pendant le voyage la saumure
dans les interstices quelle occupe : pour la rem-
placer on couvre le beurre d’un pouce de sel.
Ce moyen réussit lorsqu’il ne manque de sau-
mure que pendant peu de temps.
Mais il n’en est pas de même des beurres
destinés pour la navigation : on en embarque
difficilement une certaine quantité dans des
pots , à cause de leur fragilité et de leur forme
incommode dans l’arrangement de la cale des
navires. De là est venu l’usage des vases de
bois; mais ils s’imprègnent facilement d’une
humidité qui leur fait bientôt contracter un
goût désagréable.
Il faut convenir cependant que , malgré toutes
les précautions , on ne conserve pas aisément
BU LAIT RELATIVEMENT
du beurre plongé dans une saumure, sur tout
vers les tropiques : il se fond aisément, perd
sa forme , devient gras , huileux ; la saumure
s échappe à travers les douves , occasionne de6
vides ; bientôt le beurre se gâte au point de
devenir fétide. Peut-être serait-il possible d’ima-
giner des formes plus commodes pour les vais-
seaux , ou de trouver un bois qui eût moins
d’influence sur le beurre. Cet objet est bien
digne d’intéresser l’attention des savans , quand
on réfléchit, sur tout, que la mauvaise qualité
des salaisons a plus fait périr d’hommes que les
naufrages et la fureur des combats.
Résumons : tout beurre qui aura été salé
d’après les principes établis , et auquel on ajou-
tera une suffisante quantité de saumure, possé-
dera les mêmes qualités que celui du ci-devant
pays de Bray , parce que la propriété de se
conserver en bon état vient principalement de
ce que le beurre n’est pas altéré pendant un
trop long séjour dans la crème, qu’il a été
parfaitement délaité au moment de sa sépara-
tion d’avec le lait , qu’on n’a pas différé non
plus d’y introduire le sel dans la forme qui
convient; qu’enfin les vases qui serviront à le
renfermer , seront de bonne terre , bien échau-
dés à l’eau bouillante , séchés , placés à l’abri
de l’air, et dans un endroit frais, sans odeur
désagréable.
Si , à la faveur de quelqu’encouragement ,
on parvenait à faire adopter la méthode de bien
,v‘ '• •
a l’économie rurale. 349
fabriquer le beurre dans les divers cantons où
on le fait mal , celui qui nous vient dTsigny
et des autres cantons circonvoisins , deviendrait
la base d’un commerce étendu dont profiteraient
principalement les propriétaires des grands
herbages. Ce commerce formerait toujours une
branche intéressante pour l’agriculture , et met-
trait la France dans le cas de ne plus tirer du
beurre de l’étranger , qui nous rend par là son
tributaire pour des sommes considérables.
Une autre production du lait, non moins im-
portante que le beurre, doit maintenant nous
occuper; c’est la matière caséeuse, qui, dé-
pouillée complètement de sa sérosité par diffé-
rens procédés , et mêlée avec une certaine quan-
tité de sel, constitue ce genre d’aliment, si varié
et si usité, connu dans le commerce sous le
nom générique de fromage.
Les détails dans lesquels nous allons encore
entrer , sont moins le résultat de nos expériences
particulières , que le fruit de nos lectures et de
quelques vues d’amélioration qui nous ont été
communiquées par des hommes estimables ,
auxquels nous avions adressé des séries de
questions pour connaître leur avis sur les pra-
tiques en grand.
Article VII.
Des fabriques de fromage.
Si les anciens, ou du moins les Grecs, ont
gardé le plus profond silence sur le beurre et
550 DU LAIT RELATIVEMENT
sur ses différens usages dans l'économie domes-
tique, leurs écrits font au moins mention de
plusieurs espèces de fromage , et autorisent à
penser que ce produit du lait était un objet de
grande consommation parmi eux ; tout atteste
même que ce sont les Romains qui ont apporté
l’art de les faire dans plusieurs de nos dépar-
temens. Aujourd’hui il n’y a pas de canton en
France qui n’ait son fromage particulier, dont
la qualité diffère autant par celle des pâtura-
ges, que par la nature du lait , et par le procédé
adopté pour sa fabrication.
Il serait difficile, sans doute, en goûtant le
beurre, quel que soit l’état où il se trouve, de
décider précisément le pays et sur tout l’espèce
de lait dont il provient. Ce produit, à la cou-
leur près, parait être assez identique, surtout
dans les animaux ruminans. Il n’en est pas de
même des fromages : ils ont chacun des carac-
tères distinctifs et des formes particulières, qui
servent à faire connaître les cantons où ils ont
été fabriqués. Ces formes , à la vérité , sont
quelquefois imitées dans le commerce ; mais
il est impossible aux contrefacteurs les plus
habiles en ce genre de tromper les organes
d’un gourmet de fromage.
Une opinion trop généralement accréditée
est celle qui n’admet d’autre différence dans la
qualité des fromages que celle qui peut dépen-
dre de la nature des herbages. Sans doute la
nourriture influe d’une manière très-marquée
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a l’économie rurale.
35 i
sur le lait , et doit donner aux parties consti-
tuantes de ce fluide des propriétés particulières.
Mais on a donné trop de latitude à cette in-
fluence , car l’expérience démontre journelle-
ment que , dans le même endroit , le vacher
de telle laiterie fabrique de bons fromages , lors-
que tel autre, au contraire, avec le même lait,
n’en obtient que d’inférieurs. On sait , par
exemple , que les pâturages ne sont pas mer-
veilleux dans les cantons de la ci-devant Brie,
et cependant les fromages y sont renommés,
tandis qu’à peu de distance de ce département
on en prépare qui n’ont pas la même valeur,
quoique les fourrages y soient sensiblement de
meilleure qualité.
Les hommes qui , dans ce cas , attribuent
tout à la qualité des alimens , et rien au pro-
cédé, ressemblent beaucoup à ces jardiniers
mal -adroits accoutumés à mutiler les arbres
fruitiers, croyant les bien travailler: ils regar-
dent toujours la qualité du sol comme la cause
du dépérissement de ceux dont le soin leur
est confié , et ne veulent pas se persuader que
le succès de leurs confrères est dû à l’em-
ploi qu’ils font d’une meilleure méthode. On
ne saurait douter qu’avec les substances les
plus parfaites dans tous les genres, les ouvriers
ignorans ne fassent constamment du médiocre
ou du mauvais.
Il n’en est pas des fromages comme du beurre.
Ce dernier existe tout formé dans le lait : il ne
1
352 DU LAIlJ RELATIVEMENT
faut qu’un peu d’attention de la part de la
fdle de basse-cour pour lever la crème , la
battre à propos, laver exactement le beurre,
le mettre à l’abri de l’air et de la chaleur, afin
de prolonger, pendant un certain temps, ses
bonnes qualités.
Mais l’art de faire les fromages demande
d’autres soins , d’autres précautions; il faut con-
sulter l’atmosphère et les localités, pour retar-
der, accélérer ou suspendre les effets de la
fermentation dont le concours est nécessaire :
aussi , quoiqu’on puisse faire des fromages dans
toutes les saisons, choisit-on de préférence
l’été , parce qu’alors les animaux coûtent moins,
qu'ils sont plus abondans eii lait, que ce lait
se caille plus facilement et plus complètement;
qu’en un mot, les fromages ont le temps de se
façonner et d’acquérir insensiblement les qua-
lités qu’on désire qu’ils aient dans la saison où
ils deviennent d’un usage journalier. Mais ,
combien cette branche de nos ressources est
négligée parmi nous, tandis que, sans aug-
menter le travail et les frais, il serait si facile
de la mieux soigner, et de doubler, par consé-
quent, les bénéfices!
C’est à l’attention suivie que la Hollande, la
Suisse et l’Angleterre ont apportée dans cette
branche de l’économie rurale, que ces nations
doivent leur grand débit de fromages , dont la
qualité supérieure nous rend encore , à cet
égard, leurs tributaires. Cependant nous ne
a l’économie rurale.
353
manquons point de pâturages excellens, qui ne
le cèdent en rien à ceux qui couvrent le sol
de ces pays. Quels seraient donc les obstacles
qui nous empêcheraient d’augmenter , dans
quelques-uns de nos départemens , le nombre de
nos fabriques en ce genre? Nous préviendrions
par ce moyen la sortie annuelle du numéraire
qui va circuler chez l’étranger; peut-être même
qu’en se livrant avec la même activité à cette
branche de commerce, nous attirerions, à notre
tour, l’argent de nos voisins, qui, privés des
mêmes ressources que la France , n’ont pas les
moyens d’entretenir assez de bestiaux pour pou-
voir songer à convertir leur lait en fromages.
Ne pourrait-on pas, à cet effet, dans plu-
sieurs départemens , tels que le Calvados et la
Seine inférieure, où l’on fabrique d’excellens
beurres et de très-bons fromages, étendre la
consommation de ces deux denrées de premier
besoin , en favorisant , par toutes les voies pos-
sibles, leur exportation. Augmenter la vente de
ces objets , c’est multiplier le nombre des bes-
tiaux et grossir la masse des engrais, avantages
précieux pour l’agriculture et le commerce.
Toutes les fois, il est vrai, qu’on peut comp-
ter sur une vente assurée et lucrative de beurre,
il ne faut pas songer à faire des fromages; les
débouchés sont même plus faciles pour le pre-
mier de ces deux produits. D’ailleurs, sa pré-
paration exige moins de travail , de temps et
d’avances; chaque jour, chaque décade, on
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1
II
354 DU LAIT RELATIVEMENT
peut réaliser ses fonds, tandis que , pour les fro-
raagés, on est forcé d’attendre qu’ils soient faits,
et souvent, pour les débiter, de se déplacer, de
courir les foires , ou de s’en rapporter à des com-
missionnaires, quelquefois infidèles. Aussi se
borne-t-on à n’en faire , pour la consommation
intérieure de la métairie , qu’avec le lait écrémé ,
c’est-à-dire, avec celui d’où l’on extrait le
beurre : on en agit de même dans les cantons à
fromage , où l’on 11e prépare que la quantité de
beurre indispensable pour les besoins du ménage.
Cette règle n’est cependant pas sans excep-
tion, car dans la fameuse vallée d’Auge, où
l’on fabrique d’excellens fromages connus sous
la dénomination de fromages de Livarot , on
ne laisse pas que d’y faire du beurre de pro-
vision ; mais il faut convenir en même temps
qu’il s’agit d’une vallée couverte des meilleurs
pâturages qui existent dans la République, et
qu’en enlevant au lait une portion de sa crème
il en conserve encore suffisamment pour don-
ner au caillé une consistance grasse et molle,
qui caractérise les bons fromages.
L’âge du lait est ici d’une grande considé-
ration. Les fromages qui proviennent de celui
q^i a vingt -quatre heures ne sont ni aussi
bons ni aussi fins , toutes choses égales d’ail-
leurs, que ceux qui résultent d’un lait nouvelle-
ment tiré : alors il est plus homogène et plus
propre à recevoir le principe qui doit opérer
sa coagulation ; les molécules crémeuses n’ont
I
355
a l’économie rurale.
pas encore eu le temps de s’aggréger à la sur-
face ni de former un corps à part; enfin, elles
restent disséminées et confondues dans le caillé
au moment de sa formation et de sa sépara-
tion d’avec la sérosité.
Il faut cependant attendre que le lait soit
refroidi, car l’expérience prouve que, soumis
à la baratte trop nouveau , il ne fournit pas la
totalité du beurre qu’il contient , et qu’il y a
aussi dans ce cas une coagulation incomplète.,
quand bien même on emploierait excès de
présure : si, au contraire, on opère sur du lait
trait depuis quelques heures et chauffé modé-
rément, on retire la totalité du fromage qu’il
renferme , même avec une quantité moins ton-
sidérable de matière coagulante.
A la vérité , comme dans l’hiver les femelles
ont communément un peu moins de lait, on
est obligé de réunir les traites, non-seulement
du matin et du soir , mais encore celles^de
deux et trois jours, sur tout quand il s’agit de
ces fromages dont le volume est considérable.
Indépendamment du sel employé comme
condiment et assaisonnement des fromages, on
fait entrer encore dans leur composition diffé-
rentes substances , qui en font varier infini-
ment l’odeur , la saveur et la couleur. Dans
les Vosges , par exemple , on mêle au fromage
de Gérardmer des semences de la famille des
ombellifères : dans le pays de Limbourg , on y
incorpore le persil , la ciboule et l’estragon ;
356 DU LAIT RELATIVEMENT
les Italiens se servent du safran pour colorer
le fromage de Parmesan : les Anglais sont aussi
dans l’usage, pour certains fromages, de prati-
quer au milieu une cavité qu’ils remplissent
de vin de Malaga ou de Canaries; la liqueur
«imbibe dans tout le fromage et lui donne
une saveur délicieuse : enfin , on fait des fro-
mages à la rose, au souci, à l’œillet; mais ce
ne sont là que des accessoires qui ne consti-
tuent pas essentiellement les fromages.
Notre intention n’est pas de suivre en détail
toutes les opérations qu’on fait subir à la ma-
tière caséeuse depuis l’état où elle se trouve
dans le lait jusqu’à ce qu’elle ait pris le carac-
tère de fromage propre à être débité; nous
ne chercherons pas non plus à établir quelles
en sont les proportions relativement aux autres
parties constituantes, pour une foule de rai-
sons qu’il serait également superflu de déduire :
no*is observerons seulement qu’on fait des fro-
mages avec le lait dont on a séparé la crème
pour en obtenir le beurre ; on en fait avec le
lait, pur, tel qu’il sort des mamelles; enfin, on
en fait en ajoutant à ce lait le quart, le tiers
ou la moitié en sus de la crème d’un autre
lait. Tous ces fromages offrent autant de qua-
lités distinctes; mais l’espèce de lait et la ma-
nière de procéder constituent encore d’autres
nuances : arrêtons-nous d’abord aux quatre
points principaux qui forment toute la théorie
de leur fabrication; ils consistent,
%
a l’économie rurale. 35 7
i.° A faire cailler le lait;
2.0 A séparer le sérum;
3.° A saler le caillé égoutté;
4.0 A affiner les fromages.
Quelle que soit la méthode adoptée pour la
fabrique des différens fromages du commerce,
ces opérations sont indispensables : nous sup-
posons que le lieu où elles s’exécutent est éga-
lement pourvu d’ustensiles entretenus sur tout
dans une propreté scrupuleuse; toute fille qui
n'a point cette attention essentielle , devrait
être exclue d’une fromagerie.
De la présure.
On sait qu’il existe une foule de corps qui
renferment le principe coagulant du lait; mais
tous ne sont pas propres à opérer convenable-
ment cet effet , car il ne suffit pas de séparer
la matière caséeuse de sa sérosité , il faut encore
lui conserver cette souplesse, cette continuité,
ce moëlleux , qui assurent la qualité de la plu-
part des fromages, particulièrement de ceux
qu’on réduit en petites masses , qu’il faut vendre
et consommer dans l’année.
La liqueur contenue dans l’estomac , et l esto-
mac lui-même , de la plupart des ruminans ou
non ruminans, ont, comme nous l’avons déjà
fait remarquer, la propriété de faire cailler le
lait , soit qu’ils se nourrissent exclusivement de
végétaux, soit qu’ils ne vivent que d’animaux;
z 3
358
DU LAIT RELATIVEMENT
cette matière est communément employée dans
les fromageries sous le nom de présure.
Pour préparer la présure on ouvre la cail-
lette, on en détache les grumeaux , on les lave
dans l’eau fraîche, et on les essuie avec un
linge bien propre; on les sale, et on remet le
tout dans la caillette , qu’on suspend pour la
faire sécher et s’en servir au besoin.
La quantité de caillettes qu’il convient de
préparer doit être réglée sur celle des fromages
qu’on se propose de fabriquer ; mais il vaut
toujours mieux en avoir de surnuméraires que
de n’en pas avoir assez.
Chaque département , chaque canton, et,
pour ainsi dire , chaque commune , a sa méthode
particulière pour employer la présure ainsi pré-
parée : les uns ne s’en servent que dans l’état
sec , et après l’avoir délayée dans un peu de lait ;
les autres y ajoutent des liqueurs vineuses, des
acides; quelques-uns font digérer dans la pré-
sure , étendue d’une certaine quantité d’eau , des
membranes d’estomac et des vessies d’animaux
de toutes classes, et ne l’emploient que dans
l’état liquide ; souvent même il suffit d’en
frotter la coquille ou la petite écrèmette de
bois, et de plonger ensuite cet instrument
dans le lait, pour déterminer la coagulation ;
enfin , il y en a qui trempent dan$ une eau
bouillante l’amulette ou poche de veau qui
contient la présure , et quatre ou cinq minutes
après cette eau est suffisamment chargée pour
opérer l’effet désiré. Cette préparation est ce
qu’on nomme vulgairement infusion de présure.
Quelle que soit la composition de la pré-
sure et la forme sous laquelle on emploie ce
ferment du lait , il est bien important d’en
ménager la dose, sur tout en été. Sans cette
précaution la pâte de fromage ne réunit pas
les conditions essentielles : si on en met par
excès elle se présente en grumeaux désunis,
sans consistance , et ne retient pas assez la
crème qui se sépare de la sérosité; en moindre
quantité, au contraire, le sérum est plus adhé-
rent au caillé et n’est pas suffisamment dépouillé
de matière caséeuse. Une présure à odeur
forte produit encore un mauvais effet.
Pour fixer, à la vérité, d’une manière positive
la quantité de présure à employer, il faudrait
que la température fût constamment la même,
et que le lait eut une égale aptitude à se cail-
ler. Or, cette uniformité ne saurait exister
ici; les variations perpétuelles de l’atmosphère
et de la qualité du lait apporteront toujours
de puissans obstacles à cette précision. Tout ce
qu’on peut avancer de plus conforme à l’expé-
rience , c’est qu’il faut d’autant plus de présure
que le lait est plus gras et plus épais, car celui
auquel on a enlevé la crème pour en faire du
beurre, est plus facile à coaguler. Au reste
c’est à la fermière intelligente à se régler sur ce
point d’après son expérience particulière, qui
seule est capable de la guider et de l’instruire.
z 4
36o
DU LAIT RELATIVEMENT
On a cru que la vertu qu’a la présure de coa-
guler le lait, dépendait de l’acide qui se trouve
dans l’estomac des jeunes animaux ; mais les
expériences d 'Young et les nôtres prouvent
évidemment que cette vertu appartienne éga-
lement à une foule de substances fort éloignées
de tout soupçon d’acidité.
En cherchant à connaître la nature de la
présure et sa manière d’agir sur le lait , nous
nous sommes convaincus que les alkalis qu’on
y mêle ne détruisent pas sa propriété , mais
que la température qu’on lui donne en fait
varier singulièrement les effets : il faut donc
nécessairement avoir égard à la saison. Lors-
qu’il s’agit de l’employer, on met généralement
en présure le lait tel qu’il sort du pis de la
femelle pendant l’été ; mais en hiver on est
obligé d’exposer le vase qui le contient auprès
du feu, ou dans un bain-marie, sans quoi l’ac-
tion du ferment serait lente et incomplète. La
nature du lait, l’espèce de fromage qu’on se
propose de fabriquer , et l’expérience , sont
encore ici les seuls guides en pareil cas.
\
Du caillé.
Séparé de sa sérosité , spontanément ou par
la coagulation artificielle , le caillé offre un
aliment très-recherché dans certains pays : les
Lapons sur tout en mangent en très -grande
quantité; ils l’obtiennent en ajoutant gu lait
récemment trait du sérum aigri. Mais nous avons
a l’économie rurale. ooi
déjà considéré , sous ce point de vue , ce pro-
duit du lait. Examinons-le maintenant comme
fromage.
Quelle que soit la présure dont on se sert, il
convient de mettre le lait dans un endroit frais
en été, et de le tenir, au contraire, chaude-
ment lorsqu’il fait froid, afin de faciliter 1 af-
fermissement du caillé et son entière séparation
d’avec la sérosité.
Lorsque c’est la présure sèche qu’on emploie,
on la délaye dans un peu de lait , et on la mêle
exactement avec une cuiller, ordinairement de
bois, dans toute la masse du fluide ; après quel-
ques heures, et au moyen du repos, la coagu-
lation s’opère.
Dès que le lait est suffisamment pris , on
le laisse reposer , plus ou moins de temps, sui-
vant la saison , afin que le sérum dispersé dans
la masse du caillé , se rassemble et puisse en
être séparé ; on y parvient en inclinant dou-
cement le vase.
Le caillé , débarrassé d’une partie de sa séro-
sité, est enlevé avec une cuiller de bois percée
de trous , et distribué par portions dans des
éclisses d’osier , à travers lesquelles le petit-lait
s’écoule librement, en prenant la forme du
moule qui le contient : insensiblement le caillé
se sèche , et acquiert assez de consistance pour
se détacher facilement et être renversé sens
dessus dessous dans d’autres éclisses, également
percées de trous de toutes parts , où il reste
56a DU LAIT RELATIVEMENT
encore à peu près le même espace de temps.
De ces éclisses dépendent la forme et le volume
quon veut donner aux fromages.
Quand le caillé est suffisamment ressuyé, et
quil a acquis la consistance d’un fromage en
forme, on le sépare de l’éclisse. Pour cet effet,
on le renverse sur des tablettes ou clayons, à
jour , couverts de paille : on entoure commu-
nément ces clayons d’une toile forte et à tissu
lâche , non-seulement pour laisser un libre cou-
rant à l’air et, par conséquent, à l’évaporation
de l’humidité surabondante, mais encore afin
de le garantir des mouches qui accourent de
toutes parts, alléchées par l'odeur du gaz
vineux, qui s’exhale au loin.
Salure du caillé.
\
Le caillé , préparé comme on vient de le
dire , s’altérerait bientôt si on ne se hâtait d’y
ajouter un condiment. Celui auquel on a
recours est le muriate de soude (sel marin);
mais il faut toujours l’employer avec modéra-
tion , dans un état sec et broyé , pour faciliter
sa dissolution et sa pénétration insensible dans
toutes les parties du caillé. La quantité qu’il
convient d’en mettre ne saurait être déterminée
encore que par l’expérience et l’habitude jour-
nalière.
Lorsque le caillé a la consistance requise ,
on en ratisse la surface, et on la recouvre avec
du sel; le lendemain on retourne le fromage,
. : s
A l’economie rurale.
363
et on procède de la meme manière que la veille ,
afin de saler également l’autre surface et les
côtés qui n’avaient pas recule sel. Enfin, on
répète cette opération jusqu’à ce que le fro-
mage ait pris la juste quantité de sel qui lui
convient ; ce qu’on reconnaît par la dégusta-
tion, et sur tout lorsqu’il n’en absorbe plus:
alors on distribue le caillé salé sur des espèces
de claies ou rayons faits comme une échelle,
et rangés prés des murs de la fromagerie; on
y met de la paille de seigle , sur laquelle on
arrange les fromages de manière qu’ils ne se
touchent par aucun point.
Nous disons expressément la paille de seigle ,
parce que l’expérience des fromagers leur a
prouvé qu’il n’est pas indifférent de se servir
de toute espèce de paille pour y étendre les
fromages ; ils préfèrent celle de seigle , comme
ayant la propriété de se détériorer moins promp-
tement et de ne communiquer aucune qualité
étrangère.
Ainsi arrangés, les fromages sont retournés
tous les deux jours pendant environ deux mois,
afin que la paille , qui était inférieure la veille,
devienne supérieure le lendemain et soit séchée
à son tour ; alors cette opération n’est plus
répétée que tous les huit jours, en observant
de renouveler la paille et de laver les claies,
dans la crainte quelles ne communiquent quel-
que mauvais goût.
... '.-v;
é
»u lait relativement
Affinage des fromages.
Pour affiner les fromages, on les porte dans
un endroit frais et humide, ayant soin de les
garantir des souris, des chats, et sur tout des
insectes qui y déposent leurs œufs.
Il y a certains fromages disposés à sécher
trop vite. Pour éviter cet inconvénient, quel-
ques fabricans les frottent avec de l’huile;
d’autres les couvrent de lies de vin , ou , mieux
encore , les enveloppent avec un linge imbibé
de vinaigre : souvent aussi , quand les fromages
ne sont pas d’un grand volume, on les entoure
de feuilles d’orties ou de cresson, qu’on renou-
velle de temps en temps; quelquefois aussi de
foin tendre , qu’on humecte avec de l’eau tiède ,
en le retournant souvent.
Ceux qui n’ont pas de localités disposées pour
ces opérations, tiennent les fromages exposés
à l'air, sur une claie suspendue dans leur chau-
mière, et, pour les faire affiner, ils les plient
dans du foin mouillé, avec une lessive de
cendres ; mais il arrive très-souvent que la fer-
mentation dévance le temps fixé par leur cal-
cul, et que la pâte a contracté un goût fort,
avant l’époque de la vente.
Une fois les fromages affinés, on les enlève
de dessus la claie , on les expose sur des plan-
ches dans un endroit où ils ne sèchent ni trop
ni trop peu. Il faut sur tout observer que ces
planches ne soient point de pin ou de sapin ,
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a l’économie rurale.
ou d’autres bois résineux de cette espèce , parce
que le fromage en contracterait bientôt le goût
et l’odeur. __
S’il y a des caves propres à bonifier les vins
qui y séjournent , elles n ont pas moins d’in-
fluence sur les fromages. La célébrité dont
jouissent les souterrains creusés dans les rochers
de Roquefort, où il se façonne par an environ
six mille quintaux de fromages, en est une
preuve non équivoque. ^
Le fléau le plus destructeur des fromages,
de ceux sur tout obtenus sans le concours de
la cuisson, ce sont les mites : elles éclosent
dans leur croûte , et s’y multiplient à l’infini.
On sait combien cet inconvénient en diminue
la valeur en en restreignant le commerce à un
ordre de consommateurs peu difficiles sur l’as-
pect et sur le goût.
Plusieurs moyens ont été proposés pour
prévenir la vermifîcation si commune dans les
fromages : les plus efficaces consistent à tra-
vailler à des heures et dans des endroits à l’abri
des mouches, à entretenir la propreté et la
fraîcheur dans les caves , à frotter les fromages
avec un linge une fois par décade , et à laver
les planches sur lesquelles ils sont distribués.
Le fromage parvenu au dernier degré de
putrescence, contient-il encore tout le sel ma-
rin qu’on y a introduit lors de sa préparation ?
Telle est la question que nous nous sommes
faite ; et yoici notre réponse.
366 DU LAIT RELATIVEMENT
Le but qu’on se propose en ajoutant du sel
marin au fromage, est de fournir à la matière
caséeuse une sorte de condiment, qui s’oppose
d’une part à la décomposition de cette matière ,
et , de l’autre , lui donne une saveur qui con-
corps qu’on obtient d’une digestion facile.
Mais tous ces avantages n’ont qu’une durée
paré, peut être considéré comme un corps très-
composé ; or il est de l’essence des corps de
cette espèce de tendre continuellement à chan-
une saveur et une consistance différentes de
celles qu’il avait peu de temps après sa prépa-
ration , et qu’enfin il arrive au terme d’une
décomposition complète.
On se tromperait si on croyait que la ma-
tière caséeuse est seule susceptible d’éprouver
une décomposition ; le sel marin lui-même n’en
est pas exempt. Aussi , lorsqu’on vient à exami-
suivant l’expression commune , qui est passé ,
ne retrouve-t-on plus la même quantité de sel
qu’il contenait dans sa nouveauté. C’est ce dont
nous avons eu la preuve en analysant des froma-
ges cuits et préparés depuis plus de deux ans.
Ces fromages n’étaient presque plus salés;
ils étaient secs et faciles à pulvériser ; ils avaient
encore une odeur qui semblait participer, et
vienne à l’organe du goût et rende le nouveau
déterminée, car le fromage, lorsqu’il est pré-
ger d’état : il en résulte nécessairement que le
fromage doit, tôt ou tard , acquérir une odeur,
ner chimiquement du fromage décomposé, ou,
!
a l’économie rurale. 56q
de celle des corps rances, et de celle des corps
qui commencent à se putréfier.
Il faut remarquer cependant que ces carac-
tères se faisaient plus particulièrement remar-
quer dans certains fromages que dans d’autres.
Par exemple, ceux de Hollande etc., et pres-
que tous ceux de cette espèce auxquels on
n’applique jamais la cuisson , et qui par consé-
quent conservent une sorte de mollesse, nous
ont paru plus susceptibles de se décomposer
promptement que ceux qui ont été cuits, tels
que le fromage de Gruyère.
Il semble que pendant la cuisson toutes les
matières qui composent ces derniers fromages
ont été mieux combinées ; comme , d’ailleurs , ils
contiennent infiniment moins d’humidité, il
n’est pas étonnant qu’ils se conservent plus long-
temps, et que le sel marin sur tout ne s’y altère
pas aussi promptement que dans ceux dans la
fabrication desquels l’extraction de la sérosité
surabondante à l’état du caillé a eu lieu spon-
tanément.
Article VIII.
Des différentes qualités de fromages .
Les opérations décrites dans l’article précé-
dent , sont absolument indispensables pour la
fabrication des fromages en général ; mais elles
appartiennent plus spécialement encore à la
classe de ceux qui , ayant une consistance plus
368
DU LAIT RELATIVEMENT
ou moins molle, se consomment sur les lieux
ou dans les pays circonvoisins, et nerpeuvent
se garder en bon état que six à sept mois au
plus, à dater de l’époque où ils sont affinés.
L’application de la présure au lait, la tem-
pérature qu’on donne à ce fluide , la manière
de séparer la sérosité du caillé et d’y introduire
le sel , les matières qu’on y ajoute pour les assai-
sonner et les colorer , sont autant de circons-
tances qui font varier la qualité de la pâte qui
en résulte , et la rendent propre à circuler en
grosses masses dans les départemens éloignés
de ceux où ils se fabriquent.
Pour donner aux fromages ces conditions
essentielles, il ne s’agit pas de changer la nature
et les proportions des matériaux qui entrent
dans leur composition , mais bien les prépara-
tions qu’ils doivent subir, soit pour en séparer ,
le plus complètement possible, la sérosité, soit
pour en combiner une portion plus intimement
avec le caillé, et en former un corps moins
susceptible d’altération.
Nous pourrions nous borner à ce que nous
avons déjà exposé concernant la fabrication
des fromages en général, sur tout après le
travail que le citoyen Desmarets , membre de
l’institut national,, a entrepris sur cet objet
intéressant de l’économie rurale. Ce savant a
étudié , en effet , non - seulement toutes les mé-
thodes des pays qu’il a parcourus, l’ordre et la
liaison de leurs procédés , de manière à saisir
a l’économie rurale. 36g
ce qui pouvait en caractériser les résultats , mais
il a encore suivi avec la plus scrupuleuse exac-
titude les manipulations les plus délicates, lors-
qu’elles lui ont paru contribuer au succès de
l’opération et à l’éclaircissement de la théorie ;
enfin , il a proposé tous les moyens de recti-
fication qui lui ont paru propres à perfectionner
ce produit.
Il serait donc superflu de nous arrêter à dé-
crire en particulier la recette des fromages qui
ont le plus de vogue en Europe, puisque notre
estimable collègue a traité cet objet en grand
dans la partie des arts de l’encyclopédie métho-
dique, et que la correspondance rurale, par
la Bretonerie , le guide du fermier, par Artur
Y oun g , le cours complet d’agriculture, par
Rozier, ne laissent non plus, à cet égard, rien
à désirer.
Mais nous nous exposerions aussi à quelques
reproches fondés , si , dans un écrit consacré
à l’examen^ et au développement de toutes les
propriétés du lait , on ne trouvait point un
aperçu général des moyens employés pour
donner à la plus nutritive, la plus abondante
et la plus usitée des parties constituantes de ce
fluide , toutes les nuances qui servent à carac-
tériser dans le commerce la nomenclature
immense des fromages connus.
Une première opération , essentielle à la con-
servation et à la bonté des fromages, c’est la
dose du sel et sa distribution uniforme dans
■ t
A A
\
370 DU LAIT RELATIVEMENT
toute la niasse. Ce que nous avons déjà dit de
la salaison du beurre, doit trouver ici son appli-
cation. Il n’est pas douteux que les fromages
trop salés se réduisent en grumaux et se bri-
sent dans le transport ; mais si l’on ne met pas
suffisamment de sel, la croûte crève, et la pâte
reste sans consistance. La quantité convenable
de sel est donc un point essentiel à saisir pour
éviter tous ces inconvéniens.
i
Une autre opération non moins utile à la
conservation des fromages , c’est d’exprimer le
petit-lait du caillé avec le plus de soin possible ,
car , quand il cesse de former corps avec la
matière caséeuse , il est absolument ce que
celle-ci est au beurre, qui ne tarde pas à ran-
cir quand il n’en est pas entièrement dépouillé ;
devenu libre dans la masse du caillé, il con-
tribue de mille manières à sa décomposition,
et le fait bientôt viser à l’alkalescence. C’est
en effet spécialement sur la séparation plus
ou moins complète de ce fluide qu’est fondé
l’art des fromages, qu’on peut rapporter à trois
grandes divisions ; savoir :
i.° Les fromages dont le petit lait se sépare
spontanément , et qui , conservant plus ou
moins de mollesse , sont ordinairement en
petite masse ;
2.0 Les fromages dépouillés de la sérosité,
au moyen de la compression, et qui ont pliis
de consistance et de volume;
3.° Les fromages auxquels on applique l ac-
a l’économie rurale. 071
tion de la presse et de la chaleur, pour leur
donner une grande fermeté et le plus de durée
possible.
Toutes ces différentes qualités de fromages,
qu’on désigne communément sous les noms de
fromages gras ou fermes, de fromages cuits ou
non cuits , peuvent se préparer avec toutes les
espèces de lait, employées séparément ou mé-
langées; mais c’est le lait de vache qui, dans
les grandes fabriques , sert le plus ordinaire-
ment à cet objet.
Des fromages privés de la sérosité
spontanément.
On compte plusieurs mets préparés avec le
lait, et qui paraissent journellement sur la table
sous le nom de fromage ; mais ce n’est , à pro-
prement parler, que de la crème nouvelle qu’on
bat comme pour faire le beurre , et dont on
suspend la percussion au moment où ce fluide
acquiert une sorte de consistance ; tel est le
fromage de Viry , tel est le fromage à la crème
de Mondidier. Ces sortes de fromages sont
ordinairement assaisonnés avec du sel ou du
sucre , suivant les goûts et les moyens de ceux
qui doivent en faire usage.
On sait encore que le caillé, pourvu plus
ou moins abondamment de sa sérosité, et ob-
tenu par la coagulation spontanée du lait ou
par l’addition de quelques matières coagulantes ,
372 DU LAIT RELATIVEMENT
offre un aliment assez recherché, sur tout des
habitans des montagnes couvertes de pâturages;
ils ont chacun une manière particulière de s’en
servir. On le connaît sous le nom de caillé ,
mattes , fromage maigre , fromage mou , fro-
mage à la pie ; on l’appelle fromage à la crème ,
quand il est arrosé avec le lait ou avec la crème.
Mais notre intention n’étant pas de grossir cet
ouvrage par la description des mets préparés
extemporanément avec le lait, et que la sensua-
lité'a tant multipliés, nous allons continuer
l’examen méthodique des véritables fromages
les plus répandus dans le commerce.
Nous avons déjà observé que le caillé résul-
tant de la coagulation artificielle du lait, était
distribué dans des éclisses à jour , à travers les-
quelles il se dépouillait insensiblement de sa
sérosité. Dès que la pâte est ressuiée et qu’elle
a acquis la consistance d’un fromage en forme,
on en sépare le duvet et la mucosité qui se pré-
sentent à la surface ; on les racle avec la lame
d’un couteau. Le fromage, une fois débarrassé
de cette superfluité, est blanc, propre et de
bonne odeur.
Dans cette première classe de fromage, dont
la sérosité est séparée spontanément, le caillé
, conserve un certain temps sa forme gélatineuse;
la crème, interposée entre ses parties, y subsiste
sans former de combinaison , puisqu’en donnant
avec de l’eau pure à un fromage gras de six
mois de fabrication une fluidité comparable à
•]
,1..
a l’économie rurale. 5y5
celle de la crème , nous en avons obtenu , au
moyen de la percussion, une assez grande
quantité de beurre.
On voit d’ailleurs dans les fabriques où l’on
opère sur de grandes masses de lait, que ce
fluide , lors même qu’il se coagule , laisse tou-
jours échapper de la crème qui monte à sa sur-
face; maison sait aussi que le caillé en retient,
et qu’on peut la séparer, soit en exprimant ce
caillé, soit en le faisant chauffer; enfin on a
la preuve que cette crème, soumise à la baratte,
fournit également son beurre : il n’est donc pas
douteux, d’après cela, que ce ne soit la crème
qui influe pour beaucoup sur la mollesse des
fromages et sur leur durée.
Les expériences très-bien faites du citoyen
Payssé , pharmacien en chef de l’hôpital mili-
taire de Mæstricht , prouvent en effet que , plus
le lait qui sert à la confection des fromages
est abondant en crème, moins les fromages
acquierrent de disposition à s’altérer ; qu'au
contraire, le lait écrémé donne des fromages
qui ont nécessairement une qualité inférieure
et une plus grande tendance à la putréfaction.
Les fromages de l’espèce de ceux dont nous
parlons, abandonnés à eux-mémes, subissent
différens degrés de fermentation, dont il est
possible de suivre la marche en étudiant les
signes qui les accompagnent.
i.° Ces fromages perdent de leur volume et
s’affaissent sur eux-mémes.
A A 3
374 I> U LAIT RELATIVEMENT
z.° Leur surface forme une croûte plus ou
moins épaisse et sèche.
3.° La substance renfermée sous la croûte
prend d’abord une consistance molle , et insen-
siblement elle devient assez liquide pour couler ;
dans cet état, elle présente toutes les apparen-
ces d’une matière crémeuse fort épaisse, dont
l’odeur et la saveur ne sont plus comparables
à celles qu’elle avait auparavant.
4*° Cette espèce de crème se dessèche à
son tour; sa surface se colore, jaunit, et l’inté-
rieur devient d’une odeur et d’une saveur
désagréables.
•5.° Enfin, la fermentation putride s’établit,
et opère la décomposition totale des fromages,
qui alors finissent par devenir la proie des
vers.
Tels sont les changemens que subissent, plus
ou moins promptement, les fromages à raison
des localités et de la saison ; ils dépendent néces-
sairement de la production de combinaisons
nouvelles. L’azote et l’hydrogène, qui sont au
nombre des parties constituantes de la matière
caséeuse , se dégagent les premiers , et viennent
ensuite se réunir pour former de l’ammoniaque;
celle-ci, trouvant de la matière caséeuse et de
la crème, qui ne sont pas encore décomposées,
se combine avec elles et se convertit en une
espèce de matière savoneuse , d'oû résulte ce
liquide blanc, épais, crémeux, qui, lorsqu’il
existe en certaine proportion , rompt la croûte
a l’économie rurale. 37.5
qui l’entourait et se manifeste à l’extérieur :
c’est alors qu’on dit que le fromage coule.
Tant que l’ammoniaque rencontre assez de
matière caséeuse pour s’y combiner , 1 odeur
de fromage n’est pas autrement incommode ;
mais, lorsque par les progrès de la fermentation
elle, devient plus considérable , alors cette am-
moniaque s’exhale, et, comme elle entraîne
avec elle des corps putrides , elle aflecte désa-
gréablement l’organe de la vue et de l’odorat :
c’est à cette époque seulement qu’il n’est plus
possible de manger le fromage, parce qu’en
effet il ne contient plus rien , ou presque rien ,
des substances qui le constituaient avant que
la fermentation fût autant avancée.
Mais quels que soient les soins qu’on prenne
dans la préparation des fromages de cet ordre , ils
se conservent rarement plus d’une année; leur
consistance plus ou moins molle , la nécessité de
les laisser égoutter spontanément, ne permet-
tent point qu’on les réunisse en grosses masses et
qu’on les transporte au loin : aussi les prépare-
t-on tous les ans et sont-ils consommés à peu
de distance des endroits où ils sont préparés.
Dans le nombre de ces fromages, fabriqués
par tout où l’on entretient des troupeaux de
vaches, de brebis ou de chèvres, il en est
quelques-uns dans lesquels la crème se trouve
par surabondance; tels sont ceux de Neufcha-
tel, de Marolles, de Rollot, du Mont-d’or, de
Brie , de Livarot , etc. , etc.
*
A A 4
tf
376 DU LAIT RELATIVEMENT
Des fromages privés de la sérosité au moyen
de la compression.
Pour obtenir ces fromages on n’a d’autre
objet que de briser le caillé dès qu’il est
formé , et de contraindre le sérum , qui s’y
trouve disséminé comme dans des cellules .par-
ticulières , à se séparer promptement ; d’où
résulte une pâte qui prend de la consistance
à mesure quelle se dépouille du fluide qui
lui donnait l’état mou et tremblant ; cette
pâte devient susceptible d’ètre maniée et dis-
tribuée dans des moules , au travers desquels
s’égoutte insensiblement le restant d’humidité
que l’effort des mains et des presses n’a pu
extraire.
Ainsi , dés que la présure a produit son effet,
les ouvriers qui président aux manutentions
d’une vacherie et à toutes les opérations d’une
laiterie , se servent d’une lame de bois en forme
d’épée, pour diviser en tout sens les parties
du caillé qui nagent dans la sérosité, et avec
les bras qu’ils plongent dans la masse , ils tour-
nent sans interruption , compriment et forment
un gâteau qui se précipite au fond du vase,
dont il prend bientôt la forme : on l’en retire
et on le serre fortement avec les deux mains
sur une table; on le met encore à égoutter;
on le comprime de nouveau , au moyen d’une
pierre d’un certain poids , qui achève d’en
dégager le superflu du petit lait.
a l’économie rurale. 377
La pâte du caillé, lorsque la saison n’est pas
chaude, reste ainsi pendant deux à trois jours
placée près du feu ; elle augmente alors de
volume : il s’établit dans l’intérieur de la masse
un mouvement de fermentation; on y voit,
des yeux , des vides occasionnés par l’air -qui
se dégage , et tels qu’on les observe dans une
pâte levée. On dit alors que le caillé est passé
ou soufflé, et on l’appelle tomme ; cest dans
-cet état qu’on le sale.
Pour procéder à cette opération , le fromager
prend le gâteau de tomme , qu’il divise par
morceaux , et qu’il pétrit dans la boîte , ou moule
percé de plusieurs trous. Après y avoir jeté une
poignée de sel il achève de remplir la capacité
du moule avec de la tomme pétrie, salée et
réduite en pâte , qu’il comprime le plus qu’il est
possible; il en fait une couche, qu’il recouvre
d’unie couche légère de sel, et ainsi de suite,
jusqu’à ce que la boite soit remplie. Le caillé
reste dans son moule , couvert d’un morceau
de toile , sous une presse , pendant quelques
jours, et on le retourne, afin que, d’une part,
le sel qui se fond dans la masse en pénètre
également toutes les parties , et que , de l’au-
tre , on puisse en extraire le petit lait superflu ,
lequel, ayant dissous une certaine quantité de
sel , sert à humecter la surface des fromages.
Au sortir de la presse ils sont transportés à
la cave, où l’on a soin de les retourner tous
les jours , afin que le sel continue à se diviser
^78 DU LAIT RELATIVEMENT
et à se distribuer uniformément. Quand la sur-
face est trop sèche il faut l’humecter avec le
petit lait chargé de sel : c’est un supplément
qu’on leur administre.
Après que les fromages ont séjourné pendant
ui>certain temps à la cave, on essuie la mousse
qui recouvre leur surface , et on racle avec la
lame d’un couteau la croûte qui se trouve au-
dessous; elle est d’abord molasse, mais elle
acquiert insensiblement la consistance et la
couleur désirées.
Quelque fluidité qu’ait en apparence le petit
lait qui se dégage des fromages gras et maigres,
cuits ou non cuits, à diverses époques de leur
fabrication , il contient encore , comme nous
l’avons fait voir dans la première partie de cet
ouvrage , plus ou moins de matière caséeuse ,
dont la quantité a paru , ai^citoyen Desmareis ,
être le dixième de celle qu’on en a tirée d’abord.
Il S'étonne avec raison de ce qu’on abandonne
aux bestiaux, dans la plupart des cantons, le
petit lait qui a donné le premier fromage , sans le
dépouiller auparavant du fromage secondaire.
On peut obtenir cette matière caséeuse , qui
reste encore dans une espèce de combinaison
avec le petit lait , par l’évaporation et par la
coagulation , et en faire des fromages secon-
daires, connnus dans les fabriques sous le nom
de broute. Ces fromages, qui ne forment pas
des masses aussi fermes, ont une saveur fort
agréable ; ils sont la nourriture ordinaire des
i
a l’économie rurale. 079
ouvriers employés à ces fabriques, et le régal
de ceux qui vont les visiter.
Les fromages de la ci-devant Auvergne,
connus sous le nom de fromages de forme ,
sont compris dans la classe de ceux dont nous
venons d’indiquer la préparation : leur conser-
vation ne va gu ères au-delà de six mois envi-
ron , tandis qu’il serait possible de les garder
des années entières, ét aussi long-temps, pour
le moins, que les fromages de Hollande, avec
lesquels ils ont la plus grande analogie.
Comme les deux tiers des revenus du dépar-
tement du Cantal consistent en fromages ,
qui pourraient suppléer les fromages de Hol-
lande, leur être même préférés , si, pour les
mieux préparer, on voulait sortir du cercle de
ses habitudes; il est étonnant que les fabricans
ne se soient pas plus occupés de la recherche
de la meilleure méthode de les faire , des
moyens de les conserver plus long-temps , et
de profiter des vues d’amélioration qui leur
ont été présentées par des hommes dignes, à
plus d’un titre , de la confiance publique.
Dans ses voyages le citoyen Desmarets n’a
point oublié d’observer les principaux procédés
adoptés relativement aux fromages d’Hollande,
pour la fabrication desquels on a soin d’expri-
mer le plus exactement la sérosité ; aussi se
détériorent-ils moins aisément et moins promp-
tement que ceux du Cantal. Il trouve d’abord
que les Hollandais ne laissent pas fermenter
38o
DU LAIT RELATIVEMENT
leurs gâteaux de caillé aussi long -temps que
le lont les pâtres du Cantal, et qu’au lieu de
les saler à mesure qu'on les pétrit et qu’on les
entasse dans des formes , ils mettent tremper
les fromages dans une eau salée , qui dispose
toute la masse à recevoir la quantité de sel
blanc et purifié qu’on répand à leur surface;
ce qui le distribue d’une manière plus égale.
Un des motifs qui, suivant l’observation du
citoyen Desmcirets , doivent réveiller l’attention
des habitans du département du Cantal sur ce
point important de leur industrie , est la con-
currence des Hollandais qui viennent vendre
dans nos, ports, et sur tout à Bordeaux et à
Larochelle , des fromages qui lui ont toujours
paru avoir un plus grand débit que ceux de
la ci-devant Auvergne, par la raison seule qu’ils
sont susceptibles d une plus longue durée; car
pour la qualité il pense que les premiers n’ont
aucune réputation de supériorité bien établie
sur celui du Cantal , et qu’en donnant à ce der-
nier la perfection dont il est susceptible , non-
seulement on retiendrait dans la république des
fonds qu’on emploie annuellement à acheter des
fromages étrangers, mais qu’on ferait même de
ceux fabriqués en France un objet d’exportation.
A ces sages réflexions de notre collègue
Desmarets , joignons celles du citoyen Boys-
sou, qui avait soumis à l’examen de la ci-devant
Société de Médecine, ses expériences et ses
vues sur l’amélioration des fromages du Cantal,
'•v, * U f&L
Après avoir examiné attentivement ce que
la méthode adoptée dans ces fabriques pouvait
offrir de bon, d’utile ou de défectueux, ce
pharmacien instruit remarque , entre autres
choses , qu’il serait à désirer que , pour tarir
une source continuelle d’erreurs et d incerti-
tudes dans la préparation et l’emploi de la pré-
sure , on substituât à ce ferment un acide
végétal tiré du tartre par un procédé quil a
fait connaître , qu’il conviendrait de mieux
exprimer la sérosité du caillé, et de ne pousser
celui-ci qu’au premier degré de la fermenta-
tion ; de déterminer la dose du sel et sa distri-
bution d’une manière plus uniforme; de ne
pas donner aux fromages un volume aussi
considérable , afin de les façonner, de les com-
primer et de favoriser leur perfection ; de les
retourner plus souvent qu’on ne fait, soit sous
la presse , soit à la cave , afin que le sel ne
se porte pas sur un point plutôt que sur un
autre : en un mot, l’auteur voudrait que, pour
les préserver du contact de l’air, on les emballât
dans des caisses ou dans des barils doubles de
fer-blanc ou de plomb laminé.
Nous n’insisterons pas davantage sur les ob-
servations du citoyen Boyssou, tendantes à
améliorer la qualité des fromages du Cantal ,
et à rendre cette source constante de nos
richesses plus utile à la France; elles rentrent
absolument dans les vues du citoyen Desma -
rets, parce que la vérité n’est qu’une pour tous
les hommes accoutumés à voir et à réfléchir.
' 382
DU LAIT RELATIVEMENT
Des fromages privés de la sérosité au moyen
de la compression et du feu.
Dans les deux genres de fromages dont il a été
question jusqu’à présent , la matière caséeuse
ne subit pas l’action du feu; il suffit d’exposer
le caillé sur des vaisseaux à claire voie, pour les
premiers, et d’employer les efforts d’une presse,
pour les seconds. Cette opération a pour objet
d’amener la pâte à un état de consistance, telle
qu’on puisse la manier, la figurer et la saler.
Mais lorsqu’on veut ajouter encore une perfec-
tion à cette pratique , il faut nécessairement •
employer la cuisson.
Dès qu’on a tiré tout le lait qu’on destine à
faire les fromages, on le coule dans une chau-
dière exposée à l’action d’un feu modéré; on
enduit ensuite de présure toutes les surfaces
de lecuelle plate qu’on plonge dans le lait,
et qu’on remue dans tous les sens. *
Après que la présure, aidée de la chaleur,
a fait sentir son action , on enlève le lait de
dessus le feu, et on le laisse en repos; il se
caille en peu de temps : on sépare une portion
du sérum, et on en conserve suffisamment pour
cuire à feu modéré la masse divisée en gru-
meaux ; on l’agite, sans discontinuer, avec les
mains, les écuelles et les moussoirs dont on se
sert pour la brasser.
Lorsqu’on est parvenu à donner à la pâte
une grande divi ion et à lui faire présenter le
383
a l’économie rurale.
plus cle surface à l’action du feu,- on en modère
la cuisson , et elle est à son point quand les gru-
meaux qui nagent dans le petit lait ont acquis
un degré de consistance un peu ferme, un œil
jaunâtre , et qu’ils font ressort sous les doigts: il
faut alors enlever la chaudière du feu , remuer
toujours, et rapprocher en différentes niasses
les grumeaux, ayant l’attention den exprimer
le petit lait le plus exactement possible.
Cette première opération terminée, on dis-
tribue les grumeaux dans des moules , et on
emploie la presse pour en faire sortir toute la
sérosité , et les réunir de manière à former un
corps d’une homogénité parfaite.
Dans les fromages égouttés spontanément,
la salaison est facile : trouvant un dissolvant
dans le sérum abondant et libre en quelque
sorte, le sel, séché et broyé, se distribue bien-
tôt dans toute la masse, s’empare d’une por-
tion de l’humidité , et la rend plus apte à
se combiner avec la matière caséeuse, quelle
était disposée auparavant à abandonner. Il
suffira donc d’en soupoudrer à diverses reprises
les surfaces : quelques jours suffisent à cette
opération.
Pour introduire le sel dans le caillé cuit,
favoriser sa. solution et sa pénétration, il faut
retourner les fromages et leur donner une autre
forme, moins large que celle où ils ont été
moulés d’abord. Ils restent dans cette seconde
forme pendant trois semaines ou un mois sans
584 DU LAIT relativement '
être comprimés par les bases. On se contente
de les maintenir dans leur contour ; on les
sale tous les jours, en frottant de sel les deux
bases et une partie du contour ; à chaque
fois on resserre le moule, -et lorsqu’on s’aper-
çoit que les surfaces n’absorbent plus le sel,
ce qui s’annonce par une humidité surabon-
dante, on cesse d’y en mettre, on retire les
fromages du moule, et on les met en réserve
dans un souterrain. Les fromages de cette der-
nière classe sont précisément ceux qui, par
leur préparation, sont les plus propres à se
conserver en grosses masses, à circuler dans
le commerce, et à devenir, par conséquent,
d’un transport plus facile ; tel est le fromage
de Gruyères, tel est le fromage de Chester,
tel est le fromage de Parmesan.
Ces trois sortes de fromages , si connus en
Europe , diffèrent par leur couleur, leur consis-
tance et leur saveur, malgré la ressemblance
des procédés de leur fabrication : la pâte du
Parmesan est celle qui a le plus de fermeté,
à cause d’un plus grand degré de cuisson et de
pression qu’on lui fait éprouver, ce qui le rend
plus propre à être rappé et à faire partie des
alimens dans lesquels il entre.
Il ne parait pas que, jusqu’à présent, on ait
fait aucune tentative pour s’assurer si , en
mêlant les ctèmes levées sur les différentes
espèces de lait et les soumettant ensemble à
la baratte , on ne réussirait pas à améliorer
\
a l’économie rurale. 385
le beurre; mais nous ne doutons point que
l’on ne perfectionnât beaucoup l’art de préparer
les fromages en mêlant ainsi les laits, et qu’il
ne résultât infailliblement de ce mélange, fait
dans des proportions convenables, un fromage
d’une qualité supérieure à celui que fournit le
lait de vache tout seul. C’est encore là un de
ces aperçus qu’il serait important de suivre, à
raison des avantages qu’il promet.
Nous en avons une preuve bien évidente
dans le fromage de Roquefort , qui , comme
les fromages de la seconde classe, a perdu sa
sérosité par la compression : il est formé ordi-
nairement de lait de brebis ; on y mêle souvent
celui de chèvre , et cette association contribue
à le rendre plus délicat et plus parfait. Le fro-
mage de Sassenage, qui jouit 'd’une si grande
réputation , n’est-il pas composé du lait de vache
et du lait de brebis ? et quand on peut y
joindre celui de chèvre , ce fromage en vaut
encore infiniment mieux. N oublions pas, en-
fin , que le meilleur miel est celui que les
abeilles vont ramasser sur les fleurs de plantes
de plusieurs familles.
Avant de terminer cet article , nous ferons
encore une observation, qui, suivant nous, est
de la plus haute importance pour la prospérité
du commerce des fromages. On pourrait faire
par tout les mêmes espèces de fromages, quoi-
que cuits avec différentes espèces de lait, en les
soumettant aux mêmes procédés. Ne fabrique-
b n
K
DU LAIT RELATIVEMENT
t-on pas déjà dans les départemens du Jura,
du Doubs et des Vosges, 'des fromages de la
qualité de ceux qu’on fabrique à Gruyères en
Suisse. Cette espèce mérite sans contredit la *
préférence sur tous les fromages qu’il faut
vendre et consommer dans l’année, et qui ont
le grand inconvénient d’éprouver un déchet
considérable et de se gâter par la chaleur, mal-
gré les précautions que l’on prend de ne les
transporter que la nuit , et de les tenir dans
les endroits les plus frais de l’habitation.
Article VII.
Emploi du lait dans quelques procédés
relu tifs au x arts.
L’emploi du lait, ou de l’une de ses parties
constituantes, ne se borne pas seulement aux
usages économiques et médicinaux ; on pst
parvenu encore à faire quelques applications
avantageuses de ce -Jluide aux arts : pour en
donner la preuve il nous suffira de citer, entre
autres exemples, la clarification des liqueurs
vineuses et spiritueuses ; la conservation des
viandes ; le blanchiment des toiles , etc.
v
Clarification des liqueurs connues sous le
nom de ratafiats.
La clarification de ces sortes de liqueurs
n’est pas toujours aussi facile qu’on pourrait
a l’économie rurale. 387
le croire : souvent, par la nature du sucre et par
celle des substances aromatiques et colorantes,
employées pour les faire, ces liqueurs man-
quent de cette transparence qui flatte l’œil et
prévient toujours en faveur des liqueurs.
Envain on essaierait de les abandonner à
elles-mêmes pendant un certain temps , dans
l’espérance quelles laisseraient déposer les
corps contraires à leur transparence ; inutile-
ment aussi on voudrait recourir à la filtration ,
soit au papier, soit à travers un tissu d’étoffes
de laine. La consistance trop considérable de
ces liqueurs s’opposerait toujours à ce que ces
deux moyens pussent être employés avec suc-
cès, et il faudrait, ou se déterminer à les boire
troubles, ou à recourir, pour les clarifier, à
l’emploi de différens moyens qui pourraient
préjudicier à leur qualité.
On obvie à ces inconvéniens en se servant
du lait, et mieux encore de la crème : la quan-
tité de ce dernier fluide, sur tout, qu’il con-
vient d’employer, doit être peu considérable;
autrement on aurait infailliblement un effet
contraire à celui qu’on désire d’obtenir.
Ainsi, par exemple u pour chaque pinte de
liqueur qu’on veut clarifier , il suffit souvent
d’ajouter une cuillerée à café de crème douce
et nouvelle ; autrement elle gâte les liqueurs
au lieu de concourir à la perfection qu’on veut
leur donner , parce que l’esprit ardent s’empare
du principe de la rancidité.
b b a
«
/
388 DU LAIT RELATIVEMENT
On agite, pendant une minute ou deux, le
mélange, et on l’abandonne à lui-même pen-
dant deux fois vingt -quatre heures, même
pendant plus long-temps si cela est nécessaire.
On est averti du succès de l’opération , lors-
qu’on se rappelle de quelle manière l’alcohol et
le sucre agissent sur la matière caséeuse. Qn
sait, en effet, qu’ils ont tous deux la propriété
de coaguler cette matière. C’est précisément
de cette propriété que dépend la clarification.
La matière caséeuse , coagulée en même
temps dans tous les pointa de la liqueur , ne tarde
pas à se rassembler, et, comme ses molécules
sont spécifiquement plus légères que le fluide
dans lequel elles se trouvent , elles viennent
se réunir à la surface , en rassemblant et em-
portant avec elles tous les corps flottans dans
le fluide , qui nuiraient à sa transparence. Sou-
vent il arrive que la réunion des molécules de
la matière caséeuse , au lieu de s’opérer à la
surface , ne se présente qu’au fond du liquide.
Cet effet se remarque principalement lorsque
la coagulation a été rapide. Dans ce cas, la
clarification n’en a pas moins lieu; quelquefois
même elle est plus complète : elle donne d’ail-
leurs la facilité de pouvoir soutirer la liqueur par
le moyen d’un siphon, et, comme alors on
l’obtient déjà claire , elle passe ensuite très-aisé-
ment à travers le filtre.
Il y a encore un grand avantage à se servir
de la crème , c’est que les liqueurs qui ont été
I
clarifiées avec elle deviennent plus moëlleuses ,
et perdent promptement cette saveur peu agréa-
ble quelles ont presque toujours lorsqu’elles
sont nouvellement faites. Cet avantage est d’au-
tant plus précieux qu’il permet de faire usage
de ces liqueurs beaucoup plus tôt que lorsque,
pour les clarifier, on a employé simplement la
fdtration.
Ce moyen d’opérer la clarification des
liqueurs a été long -temps un secret; c’est à
l’emploi que quelques distillateurs liquoristes
savaient en faire, qu’était due la réputation de
quelques ratafiats , qu’on a cherché bien des
fois à imiter, sans y avoir jamais pu réussir.
On prétend aussi qu’on peut employer , avec
le même succès, la crème ou le lait pour cla-
rifier le vin, et que ceux sur tout qui commen-
cent à tourner à l’acide sont, pour ainsi dire,
restaurés par ce moyen.
En effet , nous avons eu occasion d’examiner
des vins qui avaient été ainsi clarifiés. Ils étaieAt
devenus clairs et potables. Mais nous avons
remarqué aussi qu’ils ne conservaient pas long-
temps leur transparence , et qu’à mesure qu’ils
se troublaient, ils devenaient tellement acides
qu’il était impossible de les boire. C’est pour
cela , sans doute , que ceux qui ont recours au
lait pour clarifier leurs vins, se hâtent de s’en
défaire dès qu’ils aperçoivent qu’ils ont acquis
cette limpidité qui en impose toujours à l’acqué-
reur, parce qu’il la croit naturelle, ou qu’il
3go DU LAIT RELATIVEMENT
ignore les moyens dont on s’est servi pour
l’obtenir.
Il est plus que vraisemblable que l’usage du
lait employé comme clarifiant , pourroit être
plus étendu qu’il ne l’a été jusqu’à présent;
mais nous devons observer, en faveur de ceux
qui voudraient y avoir recours , qu’ils n’obtien-
. dront de succès réel qu’autant que les fluides
qu’ils auront à clarifier contiendront des subs-
tances propres à opérer la coagulation de la
matière caséeuse, car autrement le lait ou la
crème , dont on se serait servi , resteraient , pour
ainsi dire , dissous dans la liqueur avec laquelle
ils auraient été mêlés, et alors, loin de la cla-
rifier, ils augmenteraient son opacité et con-
courraient même à accélérer son altération.
Du blanchiment des toiles jxtir le moyen
du sérum ou petit lait.
La plupart des opérations auxquelles on a
recours pour enlever aux toiles écrues la cou-
leur' grise qu'elles ont toujours au sortir des
mains du tisserand , sont en général assez sim-
ples. On sait que , pour détruire cette couleur,
il suffit de faire macérer long-temps les toiles
dans des liqueurs alkalines , et de les exposer
ensuite sur le pré à l’action de l’air, de l’humi-
dité et de la lumière ; ce n’est qu’en renou-
velant ces opérations qu’on obtient ce premier
blanc , suffisant dans bien des circonstances ,
• a l’économie rurale. Sgi
mais qui est bien éloigné de celui qu’on remar-
que aux toiles traitées avec le lait.
Le procédé pour blanchir au lait consiste à
laisser macérer, pendant vingt-quatre heures,
dans un bain de petit lait aigre, ou, mieux
encore, dans du lait de beurre, la toile qui
a déjà subi les préparations préliminaires dont
on a parlé plus haut, et qui par conséquent a
le premier blanc ; on la lessive ensuite , et on
l’expose sur le pré , avec la précaution de l’arro-
ser de temps en temps, avec de l’eau.
Souvent une seule macération dans le bain
de lait ne suffit pas; alors on répète cette opé-
ration jusqu’à trois fois, et même davantage,
si cela est nécessaire.
Les différens degrés de blancheur qu’acquiert
la toile en multipliant les macérations, se dé-
signent par les noms de premier, de second et
de troisième blancs.
Le lait dans lequel on a ainsi laissé macérer
la toile, se gâte beaucoup plus promptement
que celui qui n’a pas servi au même usage;
Son altération se manifeste par une odeur pu-
tride assez forte. Lorsqu’il est arrivé à cet état ,
il ne peut plus être employé , car il n’opérerait
pas l’effet du blanchiment.
Lorsque la température de l’atmosphère n’est ,
pas trop chaude, le même lait peut servir plu-
sieurs jours de suite. Dans ce cas, après vingt-
quatre ou trente-six heures de macération, on
enlève la toile pour en substituer une nouvelle
£ B 4
39» DU LAIT RELATIVEMENT
dans le bain ; ce qu’on répète tant que le lait
n’a pas encore passé à la fermentation putride.
La difficulté de se procurer une quantité de
lait suffisante pour former le bain usité dans
toutes les buanderies, et les dépenses qu’il faut
faire pour l’employer , sont, sans doute , causes
que le blanchiment au lait n’est réservé que
pour certaines espèces de toiles , qui , pour
cette raison , sont toujours payées plus cher
que les autres.
On reproche aux toiles qui ont subi cette
opération d’avoir moins de solidité que celles
qui ont été blanchies autrement. Mais il ri’est
pas encore bien prouvé que ce reproche soit
fondé. D’ailleurs, en supposant qu’il le fût , on
ne pourrait pas disconvenir qu’un pareil incon-
vénient est compensé au-delà par la beauté et
la blancheur éclatante qu’acquièrent les toiles,
et sur tout par la facilité avec laquelle elles
reçoivent ensuite les différens apprêts qu’on
leur fait subir.
Il est bien certain encore que les toiles , ainsi
blanchies, se salissent moins promptement, que
les autres, et que, lorsqu’elles sont sales, on
parvient à les blanchir avec la plus grande
facilité.
Si maintenant on cherche à étudier la cause
du blanchiment par le lait, on est disposé à
l’attribuer à la décomposition de l’acide lactique ,
dont l’oxigène, se séparajit du radical avec
lequel il était uni , se porte sur la matière colo-
\.
a l’économie rurale. 3q3
rante qui avait résisté à l’action des lessives
alkalines, ainsi qu’à celle de l’air et de la
lumière; formant alors avec elle une combi-
naison nouvelle , il lui donne une dissolubilité
qu’elle n’avait pas auparavant.
La matière caséeuse que contient toujours le
petit lait aigri, et dont une grande partie est
dissoute par l’acide lactique, joue, peut-être,
un grand rôle dans cette opération. Nous ne
serions pas même éloignés de croire que la petite
quantité d’alcoliol , qui bien décidemment existe
dans le petit lait aigri , contribue pour quelque
chose au blanchiment , en dissolvant la matière
colorante de la toile, sur laquelle il n’avait pas
de prise avant que l’oxigène de l’acide lactique
se fut réuni à elle , et l’eut mise dans un état
d’appropriation , tel que celui où on peut sup-
poser qu elle doit être après son séjour dans le
bain de lait.
Une des raisons qui nous portent à penser que
les choses se passent ainsi , c’est que , de tous
les moyens employés pour blanchir la toile , il
n’en existe pas un qui produise un effet aussi
marqué que le lait. Nous n'en exceptons pas
même l’acide muriatique oxigéné , dont on fait
usage actuellement dans plusieurs buanderies
avec quelque succès, sur tout depuis que le
citoyen Bertholeb , qui a étudié les propriétés
de cet acide , a indiqué comment il fallait l’em-
ployer sans craindre d’endommager le tissu.
Ce qu’il y a de bien certain , c’est que , lors-
Il
qu on met en comparaison deux toiles de même
qualité , dont l’une aura été blanchie par le lait ,
et 1 autre par l’acide muriatique oxigéné, on
reconnaît promptement une différence, qui est
toujours à l’avantage du procédé par le lait.
Aussi ce procédé mériterait-il d’être préféré
dans toutes les circonstances, si, comme nous
l’avons déjà dit, on pouvait se procurer plus
facilement le lait dont on aurait besoin.
' Au reste , l’art de blanchir les toiles avec le
lait est encore bien éloigné de son état de per-
fection ; ceux qui le pratiquent n’étant le plus
ordinairement guidés que par la routine , ils se
traînent servilement sur les pas de leurs prédé-
cesseurs , sans trop chercher à découvrir s’il
serait possible de faire mieux.
Peut-être que , si on avait étudié ce qui se
passe dans le bain de lait, on aurait aperçu
que tous les degrés d’acidité que contracte ce
fluide ne sont pas également favorables au blan-
chiment ; peut-étrè aussi aurait-on trouvé des
moyens de hâter ou de retarder les effets de la
fermentation acide de ce même fluide, ainsi
^ue ceux de la fermentation putride; peut-être ,
enfin, aurait-on reconnu la nécessité de faire
subir à la toile quelques préparations, autres
que celles d’usage, avant de la mettre en ma-
cération dans le bain de lait.
On conçoit que, pour obtenir à cet égard
tous les éclaircissemens qu’on pourrait désirer ,
il faudrait faire une suite >d’expériences ; et il
«Ot«â , - . k.
..A
a l’économie rurale. 3g5
est plus que vraisemblable que, si elles étaient
entreprises par des chimistes habiles , elles pré-
senteraient bientôt un grand nombre de résul-
tats nouveaux et satisfaisans.
'Application clu lait caillé à la conservation
des 'viandes.
Cet emploi du lait caillé nous a d’autant plus
paru mériter de trouver place dans cet ouvrage,
qu’il n’est pas aussi connu qu’il devait l’ètre.
On sait qne toutes les substances animales '
ont une grande tendance à passer à la fermen-
tation putride, et que, dès qu’elles ont com-
mencé à la subir , elles sont déjà en partie dé-
composées, et par conséquent tellement diffé-
rentes de ce quelles étaient auparavant, qu’on
ne reconnaît plus, ni leur saveur, ni leur
odeur, ni leur consistance naturelle.
La chimie fournit plusieurs moyens pour arrê-
ter ou prévenir ces altérations ; mais , comme
la plupart ne réunissent pas dans toutes les cir-
constances les avan tages qu’on voudrait trouver ,
on est obligé de choisir parmi ces moyens ceux
qui paraissent les plus convenables au but’
qu’on se propose et à l’emploi auquel on des-
tine la substance animale qu’on veut soustraire
à la putréfaction.
Ainsi , par exemple , il suffit souvent de
laisser macérer des substances animales dans
des liqueurs spiritueuses acides et salines ; de les
priver de leur humidité par une dessication
■ f
K 1
I
VF- 1
l
3g6 DU LAIT RELATIVEMENT
bien ménagée ; de les exposer dans des endroits
extrêmement froids , à l’abri de l’air et de la
lumière ; pour que ces substances se conservent,
si non telles quelles étaient au moment où
l’animal auquel elles appartenaient a cessé de
vivre, du moins, dans un état tel qu’on puisse
les avoir entières et sans être décomposées :
mais lorsqu’on destine ces substances à servir
d’aliment , on conçoit qu’il ne serait pas indif-
férent d’avoir recours à l’un ou à l’autre des
moyens que nous venons d’indiquer.
En effet, l’alcohol , mis en contact avec des
substances animales, s’empare, à la vérité, de
leur humidité, qui, comme on sait, est un des
principaux agens de la putréfaction; mais en
même temps il agit sur leur tissu, lesraccornit,
et leur ôte cette mollesse , cette flexibilité qui
leur appartenaient.
Les acides, et sur tout ceux qui sont connus
souS le nom d’acides minéraux , produisent un
semblable effet, et mêyie encore d’une manière
plus marquée.
Les parties salines , en s’unissant aux diffé-
rentes parties de la substance animale , forment
des combinaisons nouvelles , et par conséquent
introduisent dans la substance qu’on veut con-
server des corps qui lui sont tout -à- fait
étrangers.
Enlin, le froid peut bien suspendre la fer-
mentation ; mais on sait combien souvent il
est difficile de l’entretenir assez long-temps à
A l’économie rurale. 097
un degré suffisant pour que son effet soit du-
rable , et combien d’obstacles on rencontre
lorsqu’il s’agit d’employer ce moyen.
Tous ces inconvéniens disparaissent en partie
lorsqu’on a recours au lait aigre; on en a la
preuve lorsqu’on fait attention au procédé en.
usage dans certaines contrées pour conserver
les viandes destinées à servir d’aliment. Il
suffit, en effet, de les laisser macérer dans le
lait caillé, non -seulement pour les soustraire
pendant plusieurs jours à la putréfaction, mais
même encore pour qu’elles conservent leur
odeur, leur saveur et leur consistance natu-
relles. On remarque aussi que, par ce procédé,
elles acquièrent plus de disposition à se cuire,
qu’elles deviennent plus délicates ; qu’enfin
celles qui sont les plus dures, et par consé-
quent les plus difficiles à digérer, peuvent
être broyées sous la dent avec la plus grande
facilité.
Une partie de tous ces avantages se retrouve
bien dans l’emploi des acides végétaux, et prin-
cipalement dans celui du vinaigre. Aussi les
cuisinières qui veulent conserver des viandes
et les attendrir , ont-ils grand soin de les laisser
macérer pendant deux fois vingt-quatre heures
dans cet acide. Mais il s’en faut de beaucoup
qu’en sortant de cette espèce de saumure ou
marinade, ces viandes aient leur saveur natu-
relle , car , tel moyen qu’on prenne , le vinaigre
se fait toujours remarquer ; et, si quelquefois on
398 DU LAIT RELATIVEMENT
en aime le goût , on désirerait le plus souvent
qu'il ne fût pas aussi sensible.
Nous avons cherché à nous rendre raison de
la manière d’agir du lait caillé^dans le cas dont
nous venons de parler; et voici ce que nous
pensons à cet égard.
Le lait caillé est , comme nous l’avons prouvé
ailleurs, un fluide dont tontes les partie1 cons-
tituantes peuvent subir la fermentation spiri-
tueuse et acide ; mais , comme ces deux fer-
mentations 11e se succèdent pas d’une manière
régulière, il s’en suit que presque toujours le
lait, dans cet état, contient en même temps,
et une certaine quantité de spiritueux , et une
certaine quantité d’acide. Ce fluide, ainsi com-
posé, doit donc, d’après cela même, avoir sur
les corps qu’on lui présente une action diffé-
rente de celle qui lui appartiendrait s’il ne
contenait que de l’acide ou du spiritueux.
Mais si, indépendamment de cette cause,
on veut compter pour quelque chose l’action
particulière des corps que contient le lait caillé,
tels que la matière caséeuse, et peut-être même
le sucre de lait qui n’a pas été encore totale-
ment décomposé; si à toutes ces considérations
on veut aussi joindre la nature de l’acide du
lait, qui, sans doute, admet dans sa compo-
sition des principes constituais qui ne sont
pas exactement semblables, au moins pour les
proportions, à ceux qui servent à la produc-
tion du vinaigre; 011 reconnaîtra bientôt que
f
a l’économie rurale. 5gg
la viande mise à macérer dans du lait qui com-
mence à se cailler, doit nécessairement éprou-
ver de la part de ce fluide une action diffé-
rente de celle qu’exercerait sur elle le vinaigre
ordinaire.
Ajoutons, enfin, que le lait caillé, conservant
toujours un caractère en quelque sorte animal ,
doit par cette seule raison être dans un état
d’appropriation qui le rend plus susceptible de
s’unir aux parties constituantes des viandes
avec lesquelles on le met en contact, et doit
par conséquent éloigner la propension quelles
ont à passer à la fermentation putride , lors-
qu’elles sont abandonnées à elles- mêmes.
Quelle que soit, au reste, la manière d’agir
du lait caillé, il n’en est pas moins certain,
comme nous l’avons dit , que ce fluide peut
être regardé comme un des meilleurs condi-
mens auxquels on puisse avoir recours pour
conserver à la viande, pendant plusieurs jours,
des qualités qui la mettent dans le cas de pou-
voir être employée pour nos alimens avec pres-
qu’autant d avantage que la viande nouvelle.
Si la matière caséeuse se conserve un certain
temps en été, c’est quelle nage dans un milieu
acide qui la préserve de sa tendance naturelle
à la putréfaction. C’est, sans doute, cette pro-
priété qui a fait recourir au procédé dont il s’agit ;
il est adopté dans les départemens du Rhin ; et
rien n’est plus avantageux , dans les petites com-
munes rurales, où les bouchers ne tuent qu’un©
400 DU LAIT RELATIVEMENT
ou deux lois au plus par décade, et où, par
conséquent, l’on ne mange souvent la viande
que dans un état voisin de l’altération.
Alcohoï de lait.
En traitant de la fermentation vineuse du
lait, nous avons parlé de l’esprit ardent que les
Tartares retiraient de celui de jument par la
distillation : c’était une pratique très-ancienne
parmi eux , puisqu’au rapport de Marc. Pauli,
Vénitien, ils en préparaient, dès le treizième
siècle , une boisson analogue au vin blanc ;
leur procédé, communiqué par les voyageurs ,
a été répété et perfectionné en Europe.
On a cependant révoqué en doute l’existence
de cet esprit ardent dans le lait, persuadé que
celui qu’on en retire provenait moins du lait
que des semences céréales qu’on y mêle ; mais
un fait certain , c^est qu'on l’a obtenu sans le
concours des grains.
Nous avons suivi avec le plus grand soin
cette propriété qu’a le lait de fournir une
liqueur spiritueuse et acide sans le concours
d’aucun levain ; et, si nous n’insistons pas sur
cette expérience, c’est qu’elle est absolument
conforme à ce qui a déjà été développé dans
un excellent mémoire sur la fermentation du
lait , inséré dans le Journal de physique : il
nous suffira d’observer qu’ayant opéré sur la
même quantité de lait de différentes vaches,
a l’économie rurale. 401
dans la même saison, nous en avons trouvé
qui passaient plus aisément à la fermentation
vineuse, et que, dans le nombre, le lait qui
exigeait plus de temps pour prendre ce mou-
vement , était en même temps plus épais,
et fournissait une plus grande quantité d’esprit
ardent. Nous avons observé encore que l’esprit
ardent ne se manifestait dans la distillation que
quand le lait était arrivé à l’état acide; ce qui
est commun également au cidre , à la bière et
aux grains , sous forme de malt : l’eau sure des
amidonniers, étant distillée, ne fournit-elle
pas aussi de l’esprit ardent?
C’est sans doute pour augmenter les matières
fermentescibles, propres à devenir acides et à
se conserver long-temps dans cet état, que les
Tartares russes ajoutent une certaine quantité
de farine d’avoine au lait de jument, et quils
ont grand soin de ne commencer la distillation-
que quand le mélange est fortement aigre, dans
la vue d’obtenir plus d’eau-de-vie.
Entrons dans l’atelier du bouilleur d’eau-de-
vie de grains. Nous verrons, en effet, qu’il ne
suffit pas d’associer le corps farineux avec un
levain approprié , il faut encore des combinai-
sons et des proportions dans les mélanges ; il
faut une fluidité, un degré de chaleur néces-
saire pour établir la fermentation, l’accélérer,
la ralentir ou la suspendre : conditions sans les-
quelles beaucoup de fruits, toutes les semences
farineuses et quelques racines sucrées ne don-
c c
*
DU LAIT RELATIVEMENT
nent encore que difficilement des atomes de
spiritueux.
Sans doute que les Tartares russes, qui,
comme nous l’avons dit ailleurs, ont tenté les
moyens convenables pour réussir , se trouvant
dénués des ressources que nous avons en abon-
dance pour nous procurer de l’esprit ardent, ont
été conduits par le besoin et peut-être par le
hasard à cette découverte; mais dès que le pro-
cédé de ces peuples a été connu parmi nous , on
l’a rectifié et ensuite appliqué aux laits de vache
et de chèvre. 11 nous suffisait de connaître
la possibilité d’une semblable opération pour
toutes les espèces de lait, et nous nous sommes
dispensés de la répéter, bien convaincus que
ce genre d’expériences n’apprendrait rien de
plus que ce qu’on savait déjà sur cet objet.
L’existence de cet esprit ardent dans le lait
des animaux, et la possibilité de l’en extraire
par les moyens connus, ne sauraient donc plus
être révoqués en doute aujourd’hui; mais on
n’a pas encore essayé de l’appliquer aux usages
économiques. On doit bien présumer, cepen-
dant, qu’il ne diffère pas essentiellement, par
ses propriétés, des autres liqueurs spiritueuses,
et que, ainsi qu elles , il pourrait être employé
dans beaucoup de circonstances. Il n’en est
pas de même d’un autre produit de la fermen-
tation du lait, qu’on peut employer à la place
du vinaigre.
f *
a l’économie rurale.
4o5
Vinaigre de lait.
On a dit avec raison que le sérum du lait
aigri présentait un fluide qui , dans beaucoup
de cas, pouvait suppléer le vinaigre de vin;
mais on aurait tort de penser que l’acidité du
lait ne soit due qu’à la présence d’une certaine
quantité d’acide acéteux que ce fluide contient.
Il est bien démontré , au contraire , par un
grand nombre d’expériences , que l’acide du
lait est absolument différent de celui qu’on
connaît sous le nom de vinaigre de vin. On
en aura facilement la preuve si on se rappelle
les détails dans lesquels nous sommes entrés
sur cet objet dans les différens articles où il a
été question de la fermentation du lait.
Mais, quoique le s^rum de lait aigri ne puisse
être considéré comme un véritable vinaigre, il
n’en est pas moins certain qu’on peut souvent
en tirer un grand parti. Déjà nous avons vu
qu’il y avait lieu de s’en servir pour conserver
les viandes et pour le blanchiment des toiles;
nous ajouterons ici qu’il forme une boisson
extrêmement rafraîchissante , qui , dans bien
des circonstances , pouvait suppléer avec avan-
tage beaucoup d'autres acides végétaux et
minéraux.
La matière caséeuse, dont cet acide contient
toujours une certaine quantité en dissolution,
doit nécessairement ajouter à ses propriétés; et
peut-être, si l’on voulait étudier sa manière
c c 2
4o4 DU lait relativement
d’agir dans l’économie animale , s’apercevrait-
on bientôt que, mal à propos, on a fait jus-
qu’à présent trop peu de cas de cet acide,
auquel on pourrait à juste titre donner le nom
d’acide animal , qui , à raison de la nature par-
ticulière des principes qui le composent, sem-
ble, pour ainsi dire , plus propre que beaucoup
d’autres à s’assimiler à notre propre substance,
et à devenir dans quelques cas un médicament,
et dans d’autres un aliment médicamenteux.
On conçoit que, si jamais le médecin tour-
nait ses vues de ce côté, il faudrait nécessai-
rement étudier , mieux qu’on ne l’a fait , les
circonstances qui déterminent ou favorisent
l’acidification du sérum , et fixer d’une manière
très -précise les signes auxquels on pourrait
reconnaître que ce fluide jouit de telle ou
telle propriété ; car il n’est pas douteux qu’il
ne doive présenter des différences bien sen-
sibles dans son action, suivant que son acidité
est plus ou moins marquée, ou, ce qui revient
au même , suivant qu’il contient plus ou
moins de matière caséeuse en dissolution.
Il s’agit d’observer encore que le lait de
tous les animaux, n’étant pas également propre
à fournir un sérum acide de même qualité ,
on devra indiquer quels sont ceux parmi ces
fluides auxquels on doit donner la préférence;
et puis on aura à déterminer si souvent il ne
serait pas préférable de faire boire le sérum
aigre seul , tandis que d’autres fois il faudrait
l’associer à quelques substances , qui , en
émoussant une partie de son action , affaibli-
raient ses propriétés ou lui en donneraient
de nouvelles.
Le procédé de Scheele, pour faire du vinai-
gre de lait, consistait à ajouter un peu d’eau-
de-vie à du lait, à placer ce mélange dans un
lieu chaud, et à donner de temps en temps
issue à l’air par la fermentation , en débou-
chant le vase un instant tous les cinq à six
jours dans l’espace d’un mois.
On a enchéri depuis sur ce procédé , en
ajoutant du miel commun au mélange : le fluide
qui en résulte se clarifie facilement , et devient
d’une belle couleur et d’une saveur agréable ,
sur tout si on y met à infuser de l’estragon,
des menthes ou la fleur de sureau , dont il
prend mieux encore l’arome que le vinaigre
de vin.
Dans l’état acide, le petit lait peut non-
seulement servir de boisson, à l’instar de la
limonade , mais suppléer encore le vinaigre
ordinaire, ainsi que nous l’avons déjà dit : il
est employé avec succès comme présure pour
la préparation des fromages secondaires con-
nus sous le nom de brocoCes,
CONCLUSION,
our mettre les lecteurs à portée de saisir
l’ensemble des points essentiels traités dans cet
ouvrage, nous avons cru devoir rassembler et
résumer les faits qui nous ont paru les plus
propres à éclaircir l’objet que nous avons eu
en vue d’y développer.
Le lait est sans contredit une des nourritures
les plus anciennes dont les hommes aient fait
usage : ses caractères généraux extérieurs sont
l’ odeur , la saveur , la couleur et la consistance.
Il est bien démontré que ce fluide a une
odeur qui lui appartient essentiellement , et
dont la présence peut servir à le faire distin-
guer des autres humeurs animales , ainsi que
î’arome de beaucoup d’autres corps. L’odeur
du lait est volatile, soluble dans l’air atmos-
phérique et dans l’eau; mais elle se décom-
pose avec facilité, et altère promptement les
véhicules aqueux qui la tiennent en dissolu-
tion. Elle jouit, dans son état naturel, de quel-
ques propriétés médicinales ; c’est aussi pour
cela que nous avons observé que , lorsqu’il
s’agissait de prescrire le lait comme médica-
ment, il fallait employer toutes les précautions
possibles pour conserver au lait le principe
odorant qui lui appartient essentiellement.
Les différentes causes qui apportent des
changemens notables dans l’odeur du lait , in-
fluent également sur sa saveur et la rendent
plus ou moins agréable; de là, sans doute, la
CONCLUSION.
407
difficulté de rencontrer deux laits qui soient
rigoureusement semblables , quoique fournis
par des animaux de la même espèce. En géné-
ral, le lait de chaque femelle a une saveur qui
lui est particulière, et qu’avec un peu d habi-
tude on saisit facilement.
La couleur , comme l’odeur et la saveur du
lait, présentent des différences très-notables.
Tantôt ce fluide est jaunâtre, tantôt il a une,
légère teinte bleue ; quelquefois il tient en dis-
solution une petite quantité de matière colo-
rante rouge. Ces nuances dépendent presque
toujours, et de l’espèce d’aliment dont la femelle
a fait usage , de son âge et de son tempérament.
Le plus ordinairement il est d’un blanc mat;
couleur qu’il doit, sans doute, à la présence de
la matière caséeuse qu’il contient , puisque ,
lorsqu’on vient à l'en séparer, le fluide restant
cesse detre blanc et acquiert une sorte de
demi-transparence; ce qui prouve combien est
impropre la dénomination d’émulsion animale
donnée au lait.
Rien n’est encore plus variable que la consis-
tance du lait; elle augmente à mesure que la
femelle s’éloigne de l’époque du part. L’animal
sain et vigoureux, dans la force de l’âge, et
auquel on administre une bonne et abondante
nourriture, donne presque toujours un lait
épais; mais, pour peu que sa santé s’altère, la
consistance du lait diminue; quelquefois même
ce fluide devient tellement séreux qu il passe
, ce 4
I
4o8 CONCLUSION.
\ trop vite, et ne peut plus suffire pour nourrir
les jeunes animaux , sur tout lorsqu’ils ont acquis
une sorte de vigueur.
Après l’examen des propriétés les plus géné-
rales du lait , nous avons cherché à pénétrer
dans la composition de ce fluide. La crème
est le premier produit qui nous a frappés :
interposée seulement entre les molécules du
lait, elle tend, conformément aux lois de la
pesanteur, à se rassembler à la surface , où bien-
tôt elle acquiert, par le repos, et à la faveur
d’une température fraîche, une consistance qui
la distingue de celle du fluide qu elle recouvre.
Cette séparation s’exécute aussi promptement
à l’air libre que sous la machine pneumatique,
et s’il existe des moyens de la favoriser, on n’en
connaît aucun qui puisse s’y opposer.
La crème est ordinairement jaune, et quel-
quefois d’un blanc mat. On n’a pu encore venir
à bout de déterminer exactement dans quel
état le beurre et le lait qui la composent sont
l’un par rapport à l’autre : tout ce qu’on sait
jusqu’à présent , c’est que leur séparation ne
peut s’opérer par une décomposition spontanée ,
ou par le secours des réactifs; qu’il faut néces-
sairement imprimer à la crème un mouvement
de percussion, plus ou moins continué, pour
obtenir le beurre qu’elle renferme. La quantité
de ce produit varie dans ses proportions suivant
une foule de circonstances; mais assez géné-
ralement on remarque que lautomne est la
CONCLUSION. 409
saison où le lait est le plus riche en crème , et
celle-ci en beurre.
Comme matière huileuse , le beurre est sus-
ceptible de s’emparer, pendant la percussion
delà crème, de certaines matières résineuses,
végétales, colorantes, dont la plupart ne chan-
gent rien à sa saveur ni à sa consistance. On
remarque même que plusieurs contribuent à sa
conservation et lui servent en quelque sorte de
condiment.
En qualité de corps gras, et de corps gras
préparé par le filtre animal , le beurre s’altère
spontanément, même dans l’ét^ de crème, et
contracte assez vite , sur tout pendant l’été ,
cette saveur forte et cette odeur qui caracté-
risent les huiles et les graisses devenues rances.
On parvient cependant à retarder cette alté-
ration, en le privant, par des lavages à l’eau,
de la matière caséeuse qui se trouve interposée
entre ses parties : mais comme l’effet de ce
moyen n’est pas de longue durée , on a recours
à deux autres procédés pour conserver le beurre ;
le premier consiste à le saler , et le second , à
le fondre. Dans ce dernier cas, à la vérité, il
perd une partie de sa saveur et de sa couleur ;
mais il peut servir dans cet état à préparer nos
alimens.
La crème , privée de son beurre par la per-
cussion, ne présente plus qu’un fluide blanc,
mais moins épais et moins savoureux qu’aupa-
ravant. On lui a donné le nom de lait de
4lO CONCLUSION.
beurre; il ne diffère du lait ordinaire qu’en
ce qu’il est parfaitement écrémé. On remarque ^
cependant qu’il a une très-grande propension
à passer à l’aigre ; ' ce qui devient un obstacle
à ce qu’on puisse le conserver long -temps en
bon état.
Le lait parfaitement écrémé , ainsi que celui
qui ne l’est pas , lorsqu’on les abandonne à une
température de quinze à vingt degrés , ne tar-
dent pas à éprouver d’abord la fermentation spi-
ritueuse et ensuite la fermentation acide. Dans
le premier cas, ils donnent une sorte de vin ,
qui , malgré son peu de durée et sa saveur désa-
gréable , fournit un véritable alcohol , par le
moyen de la distillation : dans le second cas ,
ils produisent une sorte d’acide, qui, dans plu-
sieurs circonstances, peut remplacer la présure
et suppléer le vinaigre pour les usages de la cui-
sine; il parait même qu’il se charge assez faci-
lement de la partie aromatique de quelques
Pour obtenir le vin et le vinaigre du lait , il
n’est pas nécessaire que ce fluide soit accom-
pagné de sa crème, ni d’en augmenter la con-
sistance au moyen de l’association de la farine
de quelques graminées, comme l’ont avancé
plusieurs auteurs.
L’expérience prouve que le lait écrémé, et le
sérum , même dépouillé de la plus grande partie
de matière caséeuse , le fournissent également.
Un des effets les plus évidens que la fermen-
i\t
‘CONCLUSION. Mu-
tation produit sur le lait, est de détruire dans
ce fluide la cohérence qui existe entre le sérum
et une matière blanche à laquelle on donne le
nom de matière caséeuse. Cette décomposition
spontanée est facile , et elle peut être considérée
comme une sorte d’analyse essentiellement dif-
férente de celle qu’on opère par 1 action du feu
ou par celle de différens menstrues.
Cependant, en exposant le lait à une chaleur
inférieure à celle de l’eau bouillante, on voit
qu’il se couvre d’une pellicule, qui, enlevée
successivement à mesure de sa formation , ne
laisse plus qu’un fluide séreux , semblable à
celui qu’on obtient par l’intermède des matières
coagulantes. Ces pellicules, rassemblées et exa-
minées, n’ont pas laissé de doute qu’elles ne
fussent la matière caséeuse elle-même dans un
état particulier.
La matière caséeuse dont on vient de parler
est cette partie du lait qui , après le beurre ,
mérite de fixer l’attention. Elle est facilement
coagulable. Sa séparation peut s’opérer à l’aide
d’une foule de moyens, dont la nature parait si
diamétralement opposée qu’on n’a pu jusqu’ici
donner une explication raisonnable de leur
manière d’agir. Ce qu’on sait seulement, c’est
que letat de cette matière caséeuse varie sui-
vant l’espèce d’agent employé pour la séparer.
Tantôt elle est visqueuse et tenace, tantôt elle
est tremblante et comme gélatineuse ; quelque-
fois elle retient beaucoup de sérosité j souvent,
I
4 12 CONCLUSION.
au contraire , elle n’en retient presque pas :
mais, à ces différences prés, il est constant que,
quel que soit le moyen auquel on ait eu recours
pour mettre en évidence la matière caseuse,
lorsqu’elle est parfaitement séparée de l’agent
qui a été employé, elle donne toujours dans
l’analyse des résultats à peu près semblables.
Tout porte à croire que la matière caséeuse
est dans le nombre des parties constituantes
du lait celle qui a le plus souffert l’action des
vaisseaux , et est par conséquent la plus ani-
malisée; elle paraît d’ailleurs contenir le prin-
cipe alimentaire , car elle suffit presque seule
pour nourrir l’individu qui en fait usage. Il
semble aussi qu’elle a des propriétés analogues
à celles de la matière glutineuse du froment;
privée d’humidité par la presse, elle se resserre,
s’agglutine et acquiert une sorte d’élasticité.
Enfin, on peut croire que, quand elle com-
mence à se former dans l’organe mammaire,
elle a plus de rapport avec la lymphe ou l’albu-
mine qu’avec tout autre corps.
On désigne le fluide qui reste après la sépa-
ration de la matière caséeuse sous le nom de
sérum : c’est le dernier produit de l’analyse
spontanée du lait. Quoiqu’en apparence plus
simple que les autres principes qui constituent
le lait, il n’en est pas moins un fluide très-
composé. Par la clarification il acquiert une
transparence parfaite. Sa saveur est absolument
différente de celle du lait. Sa couleur , lors-
/
CONCLUSION.
4-13
qu’il est bien clair , est quelquefois un peu
jaune ; quelquefois aussi elle tire sur le vert.
Abandonné à lui -même, pendant l’été, il ne
tarde pas à s’altérer, sur tout lorsqu’on le con-
serve dans un endroit où règne une tempé-
rature de vingt degrés. L’altération se fait
remarquer par la perte de sa transparence,
par une odeur et une saveur aigres, qui aug-
mentent assez .promptement, et auxquels suc-
cède un état putride.
Si on saisit l’instant où le petit lait est arrivé
à son plus haut point d’acidité , on peut , à
l’aide de moyens chimiques, en séparer un
acide assez pur, auquel on a donné le nom
d 'acide lactique. Cet acide a des propriétés
qui lui sont particulières, et si caractéristiques
qu’il est impossible de le confondre avec les
autres acides connus. Dans l état aigre , le
sérum, lorsqu’il fait excessivement chaud, sert
de boisson aux habitans des campagnes, et il
étanche leur soif. Il est aussi utile dans les arts;
on peut s’en servir pour préserver la viande
de la putréfaction pendant un certain temps ,
et opérer complètement le blanchiment des
toiles.
Le sérum , doux ou acide , sert de véhicule
à plusieurs matières salines, dans le nombre
desquelles on distingue principalement celle à
laquelle on a donné le nom de sel de lait , qui,
lorsqu’elle a été purifiée, est d’un blanc mat ; sa
solubilité , peu considérable dans l’eau froide ,
/
4 1 4 CONCLUSION.
le devient davantage dans l’eau chaude : mais
il parait que le lait est son véritable dissolvant,
car il est démontré que celui-ci peut en dis-
soudre une plus grande quantité que tous les
autres fluides connus.
Des différentes parties qui constituent le
lait, il n’y a absolument que ce sel dans lequel
il ne nous a pas été possible de remarquer de
différence. Quel que soit l’animal qui le four-
nisse, nous lui avons toujours trouvé la même
saveur , la même couleur , la même consistance
et la même configuration. Sa saveur , légère-
ment sucrée , lui a fait donner le nom de
sucre de lait : le nom de sel essentiel de ce
#
fluide paraît mieux lui convenir.
Le sel essentiel de lait, traité pai le feu dans
des vaisseaux distillatoires , se comporte en
partie comme le corps muqueux sucré ; mais
il fournit de plus une espèce d’acide, auquel
on a donné le nom d acide sacclio -lactique:
il parait même que c’est cet acide , combiné
avec le corps muqueux sucré , qui constitue
le sel dont il s’agit.
On connaît plusieurs moyens pour obtenir
l’acide saccho -lactique plus aisément que par
la distillation ; mais celui de tous qui réussit
le mieux , consiste à traiter le sucre de lait
avec l’acide nitrique. Cet acide saccho -lac-
tique est très-peu soluble dans l’eau ; aussi l’ob-
tient-on le plus ordinairement sous la forme
d’une poudre blanche, qui, lorsqu’on lui pré,-
CONCLUSION. 4*5
sente ensuite , ou un alkali , ou une terre , se
combine avec eux et produit des sels neutres.
Indépendamment du sel essentiel de lait , on
serait disposé à croire que le sérum tient encore
en dissolution l’acide phosphorique , soit à nu ,
soit combiné avec une base. En effet, la flamme
qu’a présentée le précipité obtenu d un mélange
d’eau de chaux et de petit lait, lorsqu on ex-
pose à un grand feu , dans un creuset , ce même
précipité, nous a paru avoir beaucoup d’ana-
logie avec celle que produisent les matières
animales dans lesquelles l’acide phosphorique
existe réellement. Mais comme cette preuve
est la seule que nous ayons pu nous procurer,
nous n’avons pas osé prononcer affirmativement
sur l’existence dans le sérum de l’acide dont
il s’agit.
Quant aux autres substances salines qui exis-
tent concurremment dans le petit lait , on peut
dire quelles n’appartiennent pas essentiellement
à ce fluide : le muriate de soude , celui de
chaux , quelquefois le sulphate de chaux , et
autres de cette espèce, paraissent y être appor-
tés par les alimens et les boissons dont les ani-
maux ont fait usage. On ne saurait donc les
considérer comme étant l’ouvrage de l’anima-
lisation. Ce qui semble le prouver, c’est que
toutes les espèces de lait fournies par les animaux
de la même espèce , ne contiennent pas toujours
ces sels, et que d’ailleurs ils y sont en petite
quantité et dans des proportions différentes.
CONCLUSION.
416
C’est dans les organes mammaires' que le
lait reçoit ses propriétés caractéristiques , qui
augmentent ou diminuent d’intensité à raison
d’une foule de circonstances , dont nous avons
indiqué les principales. Mais , dans tous les
temps et chez toutes les femelles , le lait trait
le premier est toujours plus clair et d’une qua-
lité inférieure à celui qui vient ensuite , et la
crème est d’autant plus abondante et plus par-
faite qu’on approche des dernières gouttes res-
tant dans les mamelles. Plus on répète les
traites dans l’espace de vingt -quatre heures,
plus le lait est abondant et moins il contient
de crème, et 'vice 'versa. Ce qui semble faire
croire que la nature ne s’occupe d’abord que
de la composition du lait, et que c’est avec
une portion de ce fluide qu’elle fabrique la
crème; que la succion du lait par le bout du
pis en facilite beaucoup la secrétion ; que, plus
souvent le nouveau-né tette, moins le lait qu’il
prend est substantiel et gras : observations im-
portantes , bien capables de donner carrière à
l’esprit, par rapport aux conséquences multi-
pliées qu’on peut en tirer pour l’avantage de la
médecine et de l’économie rurale.
Le lait , dans le même animal , est exposé
à une multitude innombrable de variations ,
d’autant plus difficiles à saisir et à calculer que,
comme l’urine, le sang, la bile et les autres
humeurs animales, il change d’état à chaque
instant de la journée : tantôt il abonde en '
CONCLUSION.
417
beurre ou en matière caséeuse ; tantôt il en
contient fort peu , et alors la sérosité prédo-
mine. Ces nuances différentes se font remar-
quer encore dans la quantité des matières
salines qu’on en retire.
On peut juger, d’après cela, combien il est
difficile de déterminer, par l’analyse la plus
exacte , la quantité et la proportion des parties
constituantes du lait, puisqu’elles varient dans
les divers animaux , dans les animaux de la
même espèce, dans le même animal, enfin
dans la même traite. Ces différences, à la
vérité , ne sont que des modifications qui ne
touchent pas aux caractères constitutifs du lait.
Cependant , parmi les causes qui contribuent
le plus directement à améliorer le lait ou à
affaiblir sa qualité, il n’est pas douteux que les
alimens ne jouent le principal rôle. Mais c’est
à tort qu’on a cru qu’ils conservaient toujours
dans ce fluide leurs caractères spécifiques ; la
plupart se trouvent décomposés par l’acte de
la digestion, dont ils facilitent plus ou moins
le travail, en donnant plus ou moins d’énergie
aux organes destinés à préparer les premiers
matériaux du lait, à les réunir et à leur impri-
mer le cachet particulier de ranimai.
Il aurait été à désirer, sans doute, que nous
eussions présenté dans cet ouvrage un tableau
de la quantité de chacune des parties consti-
tuantes des différens laits qui ont été l’objet
de notre examen ; mais lorsqu'on voudra se
rappeler ce que nous avons dit à l’occasion des
difficultés qu’on rencontre lorsqu’il s’agit de
déterminer ces quantités, à cause des change-
mens continuels auxquels ces laits sont expo-
sés, on conviendra de l’impossibilité où nous
avons été de nous livrer à un pareil travail , qui ,
d’ailleurs, ne serait utile qu’autant qu’il pourrait
avoir cette exactitude rigoureuse , qu’on n’est
en droit d’exiger que quand les substances sur
lesquelles on opère gardent constamment le
même état.
A défaut de ce tableau nous allons essayer
d’offrir, sous un seul point de vue, les laits
rangés dans l’ordre où nous pensons qu'ils doi-
vent être relativement aux produits les plus
essentiels que nous avons cru apercevoir qu’ils
fournissaient, toutes choses égales d’ailleurs,
plus abondamment les uns que les autres.
BEURRE.
F R 0 M A G E.
SEL
ESSENTIEL.
SÉRUM.
La brebis,
la vache ,
la chèvre,
la femme,
l'ânesse ,
'la jument.
La chèvre ,
la brebis ,
la vache ,
l'ânesse ,
la femme,
la jument.
La femme,
l’ânesse ,
la jument,
la vache ,
la chèvre ,
la brebis.
L’ânesse , 1
la femme ,
la jument ,
la vache ,
la chèvre,
la brebis..
On voit, d’après cet exposé, qu’on peut à
la rigueur former de ces six espèces de lait
h
*
CONCLUSION. 419
deux classes : Tune qui , riche en matière
caséeuse et butireuse, comprendrait les laits
de vache , de chèvre et de brebis ; tandis que
dans l’autre on rangerait les laits de femme,
d’ânesse et de jument, comme plus abondans
en sérosité et en sel essentiel.
Cette grande division nous parait devoir
suffire pour donner , dans beaucoup de circons-
tances , une idée précise de la nature des laits
dont on doit faire usage , ainsi que pour déter-
miner la préférence qu’il faut donner à telle ou
telle espèce de ce fluide, et indiquer, enfin,
comment on peut passer successivement de l’une
à l’autre, sans s’exposer aux inconvéniens qui
résultent si souvent de leur emploi, sur tout
lorsqu’on prend le lait comme médicament.
Les usages du lait, ainsi que nous l’avons
démontré , sont fort étendus. Indépendamment
des avantages qu’il présente , comme aliment
ou comme médicament , ses parties consti-
tuantes , prises séparément , ont encore des
propriétés particulières dont on a su profiter,
soit pour en préparer du beurre , du fromage
ou du sucre de lait , soit pour en faire des
applications utiles aux arts. D’où il résulte que,
le lait étant celui de tous les fluides animaux
dans lequel l’homme a trouvé le plus de res-
sources , il est de son très grand intérêt de
ne négliger aucun des moyens qui peuvent
concourir à rendre sa nature plus parfaite et
sa quantité plus considérable. C’est à quoi il
parviendra facilement , sans doute, en soignant
davantage les femelles qui fabriquent le lait ,
en leur administrant d’excellente nourriture,
et sur tout en écartant d’elles toutes les causes
qui peuvent nuire, directement ou indirecte-
ment, à leur santé, à leur vigueur, et accé-
lérer leur dégénérescence.
Telles sont les expériences et les observations
que nous avons faites pour déterminer les pro-
priétés générales et particulières des parties
constituantes des différens laits les plus usités ,
considérés dans leurs rapports avec la chimie,
la médecine et l’économie rurale.
.Avertissement.
Traité sur le lait.
PREMIERE PARTIE.
Du lait considéré relativement a la
chimie.
Article I.er Des propriétés physiques
du lait.
Art. II. Des parties 'volatiles et fixes
du lait.
Des parties volatiles du lait.
Des parties fixes du lait.
Art. III. De la crème.
Art. IV. Des parties qui constituent la
crème.
Du beurre.
Manière d'être du beurre dans la crème.
Des proportions du beurre relativement au lait.
Coloration du beurre.
Dancidité du beurre.
Du lait de beurre.
Du lait écrémé.
Art. "V . Des pellicules produites à la
surface du lait qu’on fait chauffer.
Formation des pellicules.
Cause de la jormation des pellicules.
De la nature des pellicules.
Art. VI. Des agens propres à la coa-
gulation du lait.
Coagulation par les acides.
Coagulation par les sels à excès d'acide.
79-
ibid.
Coagulation par les sels neutres.
Coagulation par le corps muqueux.
Coagulation par l'alcoHol.
Coagulation par les végétaux
Coagulation par les matières animales.
JDu phénomène de la coagulation.
A k t. VII. De la matière caséeuse.
Examen de la matière caséeuse.
Nature de la matière caséeuse.
Art. VIII. Des sels contenus dans le
sérum.
Pages.
83.
84.
85.
ibid.
9°.
JDu sel ou sucre de lait.
JDts autres substances salines contenues dans le
sérum.
Art. IX. De la fermentation du lait.
Fermentation spiritueuse.
Fermentation acéteuse.
DEUXIEME PARTIE.
Du lait considéré relativement à la
médecine.
Art. II. Influence des mèdicamens sur
le lait.
Fxamen du colostrum.
Nature du colostrum.
Réflexions sur les effets du colostrum.
91*
g5.
96.
101.
106.
108.
n5.
119.
130.
12g.
i36.
Article I.er Influence des alimens sur
le lait.
ibi&.
i5i.
Art. III. Influence des affections mo-
rales et physiques sur le lait.
Art. IV. Du colostrum.
157.
i63.
i65.
172.
81
Pages.
A R t. V. De l’usage du lait comme médi-
cament. 188.
Précautions à prendre avant l'usage du lait. 191.
pendant l'usage du lait. 196.
après l'usage du lait. 204.
Art. VI. De l’usage des parties consti-
tuantes du lait comme médicament. 211.
1. ° La crème. 2i3.
2. ° Le beurre. 214.
3. ° La matière caséeuse. 216.
4.0 Le sérum ou petit lait. 217*
5. ° Le sucre ou sel essentiel de lait. 218.
6. ° Le lait distillé. ' 219.
Art. VII. Des différentes espèces de
lait dont l’usage est le plus générale-
ment adopté. 222.
Du lait de vache. ‘ 2 2 fi.
Du lait de brebis. 232.
Du lait de chèvre. 238.
Du lait de femme. 247.
Du lait d'ânesse . 260.
Du lait de jument. 264.
TROISIÈME PARTIE.
Du lait considéré relativement à l éco-
nomie rurale. 270>
Article I.er De la laiterie. 271.
Emplacement d'une laiterie. 273.
Ustensiles de la laiterie. 276.
Des soins d'une laiterie. 279.
Art. II. Des 'vaches laitières. gg1#
Art. III. Des traites. g^
Art. IV. Du commerce du lait. 3^
■' . " Pages.
Art. V. Des fabriques de beurre. 3X6.
Ecrémage du lait. 3^
Battage de la crème. 321.
Délaitage du beurre. 326.
Des différentes qualités de beurre. 328.
Du beurre frais. 332.
Du beurre rance. 3 3 5.
Du beurre fondu. 33g.
Du beurre salé. 343.
Art. VI. Desfabriques de fromage. 34g.
De la présure. 35 7.
Du caillé. f 3 60.
Salure du caillé. 362.
Affinage des fromages. 364,
Art. VII. Des différentes qualités de
fromage. 367.
Des fromages dépouillés de la sérosité spontanément. 3yi.
Des fromages dépouillés de la sérosité au moyen de
la compression. 376.
Des fromages dépouillés de la sérosité au moyen de
la compression et du feu. 382./
Art. VIII. Emploi du lait dans quel-
ques procédés relatifs aux arts. 386.
Clarif cation des liqueurs connues sous le nom de
ratafats. ibid.
Du blanchiment des toiles par le moyen du sérum
ou petit lait. 3 go.
Application du lait caillé à la conservation des
viandes. 3g5.
Alcohol de lait. 400*
Vinaigre de lait. 403.*
li- .... ..