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Full text of "Balzac"

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Vd:, Fv, lÏÏ A. 526 



BALZAC 



PABIS. « TTP. WÀLDER, RI.E BOITAPARTB, 4i 



tEt MtlEtfPlBAIJIS 



BALZAC 



PAU 

EUGÈNE DE HIREGOURT 



PARIS 
l.-P. RORET ET COMPAGNIE, ÉDITEURS 

ftOB MAZAItlNE, 0. 

1854 



I/Aulcar êi les Édiieors ta Tinrent ie droii de iradac- 
tfofl et de reproduction I rétranf^r. 



BALZAC 



C'était hier, i! nous semble y être en- 
core. 

Nous pleurions tous au bord de celte 
(bsse ; nous regardions avec désespoir ce 
cercueil qui emportait tant de génie. 

El Vîclor Hugo nous disait : 

t Sa mort a frappé Paris de stupeur. 



a BALZAC. 

Depuis quelques mois, il était rentré en 
France. Se sentant mourir, il avait ^outu 
revoir la patrie ^ comme la veille d'un 
grand voyage on vient embrasser sa mère,. 

a Sa vie a été courte, mais pleine; plus 
fempUe d'œnvres que de jours. 

« Hélas! ce tniTailleur puissant et JBh 
mais fatigué, ce philosophe, ce penseur, ce 
poète, a vécu parmi nous de cette vie d'o- 
rages, de luttes, de querelles, de combats, 
cûmintme dans tous les temps t tous les 
grands hommes. Aujourd'hui le voici en 
paix. Il sort des contestations et des haines-; 
il entrC) le même jour, dans la gloire et 
dans le tombeau. Il va briller désormais, 
au-dessus de toutes ces nuées qui sont sur 
nos têtes, parmi les étoiles de la patrie. » 

Tonte l'histoire de Balzac eut conte- 



BALZAC. 7 

fêans ces nobles et solennelles paroles. 
Vivant, il a eu sans cesse à comhnltre 
les rivalités haineuses, les médiocrités ja- 
louses ; mort, chacun proclame son mé^ 
rile, chacun lui tresse des couronnes. Ses 
ennemis eux-mêmes trouvent que sa tombe 
n\si pas assez de gloire. 

Honoré de Balzac est né à Tours en 
i799, le 20 mai, dans la maison de la 
rue Impériale * qui porte le numéro 45. 

Son père, consultant le calendrier et 



* Cette roe, dit le Journal (TIwlre^t-Lo'tre, s'appelait 
alors rae de TApinée-d^iialie. La maison qui apparte- 
nait aa père da célèbre romancier est muinteiiant la 
propriété da général d'Oniremont. Celui-ci Ta achetée 
de M. de Balzac père. On voit dans la cour un acacia 
planté par les ordres de madame de Balzac, le jour 
même de la naissance de son (lis, et qui depuis a été 
cottstamnient respecté. 



8 hXttkt. 

trouvant de bon angnre le nom du saint 
du jour, décida que «on fils recevrait ce 
nom au*baptème. 

Le jeune Honoré grandit à côlé de deux 
sœurs charmantes, dont il refusait de par- 
tager les jeux, absorbé qu'il était, dès 
Tûge le plus tendre, par une sorte d'in- 
spiration précoce qui remportait dans le 
monde des rêves. 11 avait à ses côtés une 
fée mystérieuse, un ange gardien desea. 
génie, qui le couvrait de ses ailes et le 
berçait doucement dans Tcxlase. 

Madame de Balzac , cffniyée de voir un 
enfant si jeune en butte à des tendances 
ascétiques, essaya de le rendre aux goûts 
de son âge. 

On donna force jouets au petit UonorA. 



BALZAC. f 

Dmis le tu>inl]re> uti seul eut le don de 
kd plaire : c'était un de ces Stradivarius 
de Tingt-ciriq som qu'on achète à l'étalage 
des boutiques foraines. Il l'emporta tout 
joyeux et s'escrima de l'archet du matin 
au soir. 

— - Entends-tu comme c'est beau î di- 
saitril à Laure, l'aînée de ses soeurs * . 

— Ma foi , non , répondit r*lle-ci ; lu 
m'écorches les oreilles ! 

L'enfant la regarda d'un air scandalisé, 
qnitta la chambre et alla tout seul con- 
tinuer sa musique sous les arbres du 
jardin. 

Deux heures après, on le retrouva, les 
' AvjOttrd'taai madame Sonrille. 



tt hÉLLlÀC. 

yeux au ciel,, ie Tisagc inondé de larmes el 
jouant toujours du vblorr. Les notes grih^ 
çautcs que les cordes rendaient au hasard 
se changeaient pour le jeune rêveur eu 
une harmonie céleste. 11 semblait faire sa 
partie dans le concert des anges. 

Balzac lui-même a donné quelques dé- 
tails pleins d'intérêt sur son enfance *• 

 cinq ans, il lut les Écritures et se 
perdit avec un attrait ineiïable dans leurs 
mystérieuses profondeurs. Tous les li- 
vres qui lui tombaient entre les mains 
étaient dévorés en un clin d'œil. Souvent, 
dès le point du jour, il partait chargé de 
volumes, avec un morceau de pain dans 



* Voir le roman qai a poor titre Louii Lambert. 



sa poehe, ei s'en allait au foud des bois, 
Oà il lisait jusqu'à la nuit tombante. 

Envoyé au cdiége des Oraloricns de 
Vendôme, il continua de s'y livrer à sa 
passion pour la lecture. 

Œuvres scientifiques, philosophiques * 
ou religieuses,, tout lui était bon. Les dic- 
tionnaires eux-mêmes y passaient, depuis 
la première ligne jusqu'à la dernière. Il 
avait pour système de mériter le cachot 
et de s'y faire envoyer par les professeurs, 
afin de lire plus à Taise et sans dérange- 
ment. 

Doué d'une mémoire prodigieuse, il 



' Balzac, à l^àgc de onze ans, coniposi au collège un 
Traité tfe la Volonté, qu'an réwnt hii brûla. 



Il BALZâC. 

retenait tout, les lieux, les noms, les mots, 
les choses, les figures. 

Bientôt il en résulta pour cette jeune 
tête un phénomèue inquiétant. Au milieu 
du chaos produit par une myriade d'idées 
tourbillonnantes, la raison parut tout à 
coup s'éclipser. 

Notre collégien, revenu à Tours, épou- 
vanta sa famille. 

On prenait pour de Tidiotisme la som- 
nolence inévitable causée, si nous pouvons 
nous exprimer de la sorte, par le travail 
de classement qui s'opérait dans le cer- 
veau. 

Assis au festin de Tintelligence, Tenfant 
avait absorbé des bibliothèques , et la di- 
gestion devenait pénible. 



EALZAG. 43 

Ce philosophe de quatorze ans savait 
tout, excepté les choses les plus banales 
et les plus simples : il demandait avec 
quoi ou faisait le pain, il ne distinguait 
pas une vigne d*un champ de blé. 

Quinte jours durant, il conserva dam 
un vase, avec le soin le plus attentif et le 
plus délicat, une fleur de citrouille que sa 
sœur Laure lui avait donnée pour un cac- 
tus des Indes. 

Cette sorte d'apathie intellectuelle rap- 
portée du collège se dissipa bientôt. La 
mémoire avait terminé son classement; 
ies ténèbres faisaient place à la lumière, 
et déjà Balzac entrevoyait dans Tavenir le 
splendide rayonnement de sa gloire. 

— Voos verrez ! vous verrez ! disâît-il 



ù ses sœur», je serai céièbre un jourl 

Lf^mof lui coula clier. 

 partir de ce moment, les railleuses 
jeunes filles ne Fabordaient plus sans lui 
prodiguer les révérences et sans lui dire 
avec un ton de voix extrêmement respec- 
tueux : 

— Salut au grand Balzac î 

En 1813, toute la famille quitta la 
ïouraine pour se rendre à Paris. 

M. de Balzac père venait d'être promu ù 
un emploi lucratif. 11 plaça son fils dans un 
des pensionnats les plus en renom de K\ 
capitale. Le jeune homme y compléta ses 
études. 

A dix-huit ans, après avoir reçu les di- 
plômes de bachelier et de liceuoié «vs- 



• BALZAC, 15 

Ictires, il suivit simultaiiénient les cours 
de l'Ecole de droit,, de Ja Sorbonnc et du 
Collège de France. 

Il était beau , vigoureux , plein de 
santé. 

L'élude la plus assidue le laissait saus 
fatigue. Se^ yeux pétillaient; il avait con- 
stamment le sourire aux lèvres. On trou- 
vait en lui la personnification la plus com- 
plète de la joie. 

Rentré au logis de son père, il appre- 
nait en se jouant le latin à ses sœurs, ou 
bien il s*amusait à classer les livres dont 
il avait fait Tacquisilion chez les libraires 
du quai des Augustins, avec Targent des- 
tiné à ses menus plaisirs. 

Il commença dès lor^a former- celle bl- 



.4$ BALZAQ. • 

Uiothèque précieuse qu*il montrait fiè- 
rement aux derniers jours de sa vie, c et 
qu il eut léguée à sa ville natale, dit qud- 
que prt le bibliophile Jacob, si cette yille 
ne lui avait pas témoigùé tant d'ingé- 
rence et même tant d'hostilité, n 

Balzac n'a pas été, plus qunu autre^ 
prophète dans son pays. 

Rien n'est facile à expliquer, du resté, 
comme cette éternelle vérification du vieil 

adage. 

11 y a chez les compatriotes une jalou- 
sie instinctive, un absurde orgueil qui les 
poussent à mettre à 1 index les célébrités 
du cru. La sottise qui a eu le même berceau 
que le génie ne se résigne jamais h lui 
rendre homoiage. Elle ne coinpren4 pas 



BALZAC. 17 

que sur le même terroir puissent naître 
le peuplier superbe et Tarbuste rabougri. 
Le talent d'un seul cause Thumiliation de 
tous les autres. On voit la faiblesse nier la 
force ; le roseau critique le chêne , et le 
cèdre subit les dédains de Thysope. 

(t Un tel est illustre , allons donc I 
nous avons joué aux billes ensemble ! » 
Ou bien : «t J'étais plus fort que lui en 
thème ! » Ou mieux encore : a Son père 
n'avait pas le sou! » 

Nous avons entendu de nos propres 
oreilles ce Idernier et sublime argument 
donné pai* un Maiseillais à propos de 
Méry. 

Cette injustice du clocher cause aux 
graitds homm&s nue aftliction sérieuse. 



18 ^U,ALZAC. 

il serait si doux d& caciliir des lauriers 
sur la terre natale I Mais ils n^ trouvejit 
que des verges. Le compatriote justifie 
pour eux un double proverbe et se range 
à Topiuion de leur valet de chambre. 

Pour obéir aux ordres paternels, Bateac, 
tout en faisant son droit, travailla chez 
Tavoué Guyounet de Merville, où il ren- 
contra Scribe, qui n'avait pas plus de vo- 
cation que lui pour la procédure. 

On nous affirme que Jules Janiti rem^ 
plissait alors» dans la même étude, les 
fouclioas de petit clerc. 

Jules, trè^-enclin h la paresse et à h 
taquinerie, se serait, dit-on, montré rélif 
aux courses et aurait eu l'iaconveuaucede 
uarguer les clercs supérieurs, qui, ja« 



BALZAC. 19 

loux de leurs privilèges, lui auraient fait 
exécuter plus d'une fois de brusques pi- 
roDcUeS) afin de lui réftondre du bout de 
h botte. 

Ce mode d'apostrophe, si nous en 
croyons toujours les renseignements qu'on 
nous donne, aurait déplu à leur jeune 
collègue. Janin se serait enfui de Tctude 
de M. Guyonnet de Merville, pour s'adon- 
ner no Journalisme, où son esprit querel- 
leur pouvait s'exercer à coup sûr sàm 
craindre une application trop directe des 
réponses. 

Mais n'anticipons pas sur Tordre des 
faits. 

Nous relrmu-mms Irop tôt pour sa 
gloire celui qu'on nomme iroDiqueàafeUt 
at^onudlmi h pnncse dés ciitsiittSB. 



30 BALZAC. 

La famille Balzac demeurait rue du 
Temple, et Tainé de la maison eut, un 
certain soir de novembre, à soutenir Tin* 
terrogatoire solennel des auteurs de ses 
jours. 

— Quatre mois encore, lui dit son père, 
et tu entres dans la vingt et unième année. 
Quel état choisis-tu? 

— Ma vocation , ré])ondit Balzac , mo 
porte du côté des lettres. 

— Es-tu fou ? 

— Non , c'est un parti pris, je veux 
être auteur. 

— Il paraît, dit madame de Balzac en 
excitant du regard son lu^ri à la sévérité, 
que monsieur a du goût pour la misère? 



— Oui, répondit le chef do la (bmille, 
on voit des gens qui éprouvent le besoin 
de mourir à l'hôpital. 

— Honoré, dit madame de Balzac, nos 
plans; sont arrêtés pour votre avenir ; nous 
vous destinons au notariat *. 

Le jeune homme fit un geste énergique 
de dénégation. 

— Hais ignores-tu, malheureui, lui 
dit son père, à quoi peut te conduire le 
métier d'écrivain? Dans les lettres, il 
faut être roi pour n'être pas goujat. 

— Eh bien, dit Balzac, je serai roi ! 

* On avait retiré Balzac de Télude de M. Gayonnet 
de Nerviitc pour riiistaller comme cUtc chez le notaire 
Passez, ami de famille, et dont il devait être le succes- 
seur.. 



s BALlfAG. 

H fiït impossible de vaincre sa résolu- 
tion tenace. 

Alors on eut recours au système péni- 
tentiaire adopté par les familles, et qui 
consiste (passez-nous la trivialité du mot) 
à faire manger de la vache enragée au fils 
rebelle. 

M. et madame de Balzac décident qu'ils 
iront avec leurs autres cs&ats habiter la 
campagne. 

Honoré reste seul à Paris, afin d'y exer- 
cer la carrière de son choix. Sa bourse, 
comme on le devine, est garnie très-mé- 
diocrement : le manque de fonds seul 
peut ramener à résipiscence. 

Installé dans une pauvre mansarde, voi 



BAliZAC. S5 

sme de ïa bibliothèque [de TArsenal *, il 
travaille avec un courage surnaturel, au 
milieu de privations de toutes sortes et 
sans rien perdre de sa gaieté. Les lettres 
quHl envoie à cette époque à ses sœurs 
sont des chcfs-d'çeuvre de naïveté comique 
et d*enjouemcnt. 

Sa mansarde, ouverte à tous les souffles 
de riiiver, lui occasionne des maux de 
denL«i affreux. Il a les joues enflées par 
une fluxion perpétuelle. 



< Rne Lesd(gai^rc$, n«7. Balm demcnra etisoUerae 
do Roi^Doté, pais rue des Mar<iis-Sain(-Gi>nBaiii. Rn 
IS27, il s'install ) rue de Tournoo, ii? 3, dans la maison 
<le Mejin ^e la Touche, avec lequel il se lia d'amiii^. 
En «830, il logeait rue Cassini. Ce fut là (lu'll écrivit 
Goheiki'i la l'eau deChagm. Depuis, il a to"r à tour 
habité h roe Saiiit-Honoié, Chaillol, ViPe-i'Avray, 
Passy, ei entïn ce petit liôtel des Cham >s-ÉIy8ée 
06 la mort est venue le preodie. 



^ BALZAC. 

c Ah ! mu pauvre Lnure, écrit-il; si lu 
me voyais, tu ne me reconnaîtrais plus : 
je suis un Pater dolorosa ! » 

Gomme tous ceux qui débutent en lit- 
térature et qui ont encore rimaginalioH 
farcie des souvenirs de collège, Balzac sa 
met à composer la tragédie de rigneHr. Il 
dresse le plan d*un magnifique Cromwell 
en cinq actes, et nous avons la chance 
heureuse de pouvcnr offrir à nos lectetics 
quelques extraits de ce plan curieux, écrit 
on 1819 de la main de Balzac lui-même^. 

c D« lietfMct, mademoiselle! [C'est toujoors à 
sa chère Laure qu'il écril.) Sophocle cadet tous 
parle. Écoute, ingénue I Dans la première scène 
du premier acte, on voit entrer la rcioe Hcn- 
riettC) accablée de fatigue et ayant dépouillé les 
vôtcmenls prestige de la grandeur. Elle arrive, 
soutenue par le fîls de SlrafTord, dans Westmin- 
ster. StcalTord, tout en larmes» lui décrit les 



nouveaux malheui's, et iînit par lui dire que 
Charles est prisonnier. Tu juges Télan de la 
reine, qui veut qu'on la conduise à son ^'pous 
pour partager ses fers et le défendre. — Sg&ne II. 

— Au moment où Straflord conduit la reine, ap- 
paraissent Crorowell et son gendre Irelon. Straf- 
ford fait cacher la reine. — Scène III. — Les 
conjurés arrivent, et l'on discute si Ton fera 
mourir ou non le roi. Cette scène sera fort vive, 
fîirtrfiix (honnête frarçon] défend la vie du rot et 
dévoile l'ambition de Gromwell. — Scâke IV. — 
Cromwell rassure les conjurés sur les craintes 
^e leur a inspirées Faii fax, et l'on convient de 
faire mourir le roi. — Scëke V. — A ce moment, 
la reine indignée (ulle a tout entendu) s'élance, 
et tu juges!... quel discours! (Elle sort.) — 
ScftvB VI. — Cromwell et ses amis sont ravis; 
e'est une victime qui leur manquait. (lU iortent.) 

ACTE II [toujourt dans WeUminstei). 

Scène F*. — Le roi seul (dans sa prison] fait 
on monologue... nh!... aux oiseaux! — Scè?(BlI. 

— La reine vient trouver le roi. (C'est là où il 
faut du talent !) Expansions. La reine rend compte 
de ses démarches. (Que de difficultés! l'amour 



ai BALZAC. 

conjugal snf la scène pour tout potage ! mai^ il 
fiiut qu'il embrase la pièce], » elc, etc. 

Tout le reste du plan est de h même 
candeur et du même style. 

On aime à assister aux premiers tâton- 
i\çmeuts de ce beau génie, qui, certes, 
n*était pas là dans sa route. Il se fourvoyait 
en essayant de parcourir le^ sentiers de; 
Tait dramatique, beaueoup trop étroits 
pour les allures puissantes de son imagi- 
nation. 

Balzac, après avoir expliqué en détail le 
plan de Croniwell & sa sœur, termine de 
1 sorte : 

« Si tn as quelques belles pensées, commu- 
nrquc-les-moi. Garde les jolies, il no me fiut 
qnc du sublime. Ma trag(!'die sera le briviaire 



BALZAC. 27 

des rois et des peuples: je yeux dVbuter par an 
cbeC^d'oeuvra qu me tprdre le cou. 

« Il est déjà une heure du malin, et j'ai encore 
à l'écrire. (Je ne Vinlilulc pas Charles /*' pour 
lii^ pa« ernjt-oucher S. A. .B. ducliessa d'An- 
gouUlme.) Si je m*écoutais, je couvrirais une 
rame c% t'ccrivant. 

([ Ce qui me coûte 1c p^us, c'est Texposilina. I 
y a à faire le portrait de Cf omtoe,7, et Bossuet m'é- 
pouvaute. Cependant j'ai des vers déjà tournés... 
Ab! m.i sœur, ma sœur! si je suis un Pradju. je 
me pends 1 » 

A quelqties mois de là Balzac, ayant 
tciininé ses cinq actes, vint les lire à s^ 
famille. 

On avait invité quelques personnes ca- 
pables de juger l'œuvre, entre autres Sta- 
nislas And rieux, professeur de littérature 
au Collège de France*. 

i Aoiear à' Anaximandref de Junivs BrutuSt et de 
frpt i huit autres pièces. 



Coltii-cj, la lecture achevée, déclara, 
d*un ton de pédagogue et en présence 
même du jeune auteur, que la pièce ne 
révélait chez celui qui Favait écrite aucun 
germe de talent. 

Sous le coup de cette critique brutale, 
Balzac retourna dans sa mansarde, humi- 
lié sans doute de voir condamner son œu- 
vre, mais en appelant au travail et à son 
courage pour inflrmcr la décision d'un 
juge trop rigoureux, et peut-être jaloux. 

Il renonça au laurier tragique et «e (tt 
romancier. 

Bravant la souffrance matérielle et riant 
au nez de la misère, il écrivit quarante 
volumes, publiés tour à (our par ces édi- 
teurs-vampires qui se tiennent au berceau 



BALZAC. 2» 

du génie et 1 elouflent dans leurs emliras- 
sements avides. Ils onl pour système de 
laisser mourir un auteur de faun, Tex- 
ploitent à leur aise, vendent ses livres sous 
le manteau, presque toujours avec un 
pseudonyme *, ou à la faveur de quelque 
préface parasite, et lui enlèvent toute sa 
publicité, toute sa gloire. 

— Tu lo vois, dit M. de Balzac à son 
fils f tes efforts sont infructueux. Un 
homme qui arrive à l'âge de vingt-cinq 
ans sans pouvoir gagner par son travail 



* Us premiers romans de Balzac ont été publiés soub 
les noms de lord R*booiie, anagramme d*Uonoré, et 
d'Horace de Sainl-Aubi]. Ces romans avaient poi:r 
tiire Argow le Pirttte^ la Dernière Fée, le Sorcier, 
VltraéMe, Jane la pâle, le Vicaire des Afdemeit, 
Jean L&uie, VHéritière de Btrague, etc., etc. 



10 BALZAC. 

l'argent nécessaire à sa propre subsistance 
est dans une fausse route. 

Le jeune homme isoupira. 

Bien certaiucnieut il n*6tait pas con- 
vaincu ; mais il sentait qu'il se brisait la 
tète contre une muraille de bronze. Par 
un suprême clïort d'énergie, il résolut 
d*arriver à la fortune et à rinJé|)endance 
pour avoir entifl le droit d'écrire. 

Un ancien camarade de collège lui prêta 
des fonds et le mit en mesure d'exploiter 
une idée de librairie assez féconde. Il s'a- 
gissait d'imprimer eu un seul volume 
compacte les œuvres de Molière^ et, en au 
second volume pareil au premier, celles 
de la Fontaine. L'aiTaire présentait toutes 
les chaoces de suecès possilrfes. 



JikllXC, M 

Balzac écrivit une iatroduclion remar- 
quable en tèle de chaque volume, el les 
publia. 

Mais il avait compté sans le mauvais 
vouloir des libraires. Aucun de ces der- 
niers, pour nous servir d'une expression 
reçue, ne poussa à la vente. L^édilion dé- 
préciée tomba au rabais, et Balzac vit s'en- 
gloutir la- somme qui lui avait été con- 
fiée. 

Son ami ne se découragea pas. Il lui 
prêta de nouveau de Fargent pour l'aider 
à se relever de cetle perte. 

M. de Balzac père, heureux de voir en* 
fia son fils marcher dans une autre voie, 
fournil lui-même trente mille francs, des^ 
tiués à Tachât d'une imprimerie. 



1% BALZAC. 

Voilà donc notre^ romancier lancé à 
corps perdu dans toutes sortes d'entrepri- 
ses typographiques. 

Établi rue des Marais-Sakit*Gemiain, 
n* 13, il monte douze presses, organisa 
une fonderie de caractères, donne à toute 
sa maison l'activité la plus merveilleuse et 
croit enfm sortir vainqueur de sa lutte 
avec le sort. 

Malheureusement, à cette époque, la 
Restauration menacée croyait échapper 
au péril en muselant la presse, en impo* 
sant à la librairie entrave sur entrave. Un 
fonds de roulement de cinquante ou 
Foixante mille livres eût été nécessaire au 
jeune imprimeur pour attendre des temps 
moins nides. Il ne le trouva pas, et fut 



ftÂLZAC. S3 

obligé de céder à vil prix un matériel qui 
a fait la forlune de ses successeui':^.'. 

Balzac revint à la liltéraluré, non plus 
seulement pour vivre, mais pour payer les • 
dettes qu'il avait conlractées. 

Au lieu d'abattre les grandes âmes, le 
malheur double leur énergie. La foi, ches; 
rarlisle comme chez le chrétien, soulève 
les montagnes, ef nous allons, voir (ont à 
coup resplendir^ au plus haut du ciel lit- 
téraire, cette gloire si lente à son aurore. 

Un libraire non vampire, II. Leva- 
vasseur, édile les nouvelles œu\Tes de 
Balzac. 

Il l'engage à les signer dé son nom. 

* M Dvberny, acquéreur de la loiulerie de cara«- 
lèrcs, y a gagne plus de six teai inclle francs. 



, Le Dernier Chotian, la Femme de 
trente ans, les Deux Rêves^ la Maison 
du Chat qui pelote, le Bal de Sceaux, 
{Mibliés de 1827 à 1829, commencent à 
rendre populaire notre patient écrivain» et 
la Physiologie dit Mariage achève d'as- 
seoir sa renommée sur une base solide. 

Dès ce moment, il ne s'arrête plus . 

Ses nuits et ses jours sont consacres au 
travail. 11 absorbe à chaque page qu il écrit 
une gorgée d'essence de café, (liasse le 
sommeil et se brûle le sang; mais aussi 
que de chefs-d'œuvre ! que de conceptions 
admirables ! Gobseck -, la Vendetta , la 
Peau de Chagrin , San^asine , Louis 
Lambert, Vlllustrc Gaudissartj le Méde- 
cin de Campagne, Fetragus, Eugénie 
Grandet , Séraphitu , la Duchesse de 



UALZAt. AS 

Langeais, te Père Goriot, h Recherche 
de V absolu. Un grand Iwmme de pro- 
vince à Paris^ le Lys dans la Vallée, le 
Curé de Village^ et vingt autres romans, 
en tout plus de soixante volumes, parais- 
sent dans un intervalle de six années. 

Et Balzac n'a jamais eu de collabora- 
teurs! 

Et ses plus grands ennemis n^osent pas 
soutenir qu'une ligne, une seule ligne 
étrangère, soit venue, à aucune époque, 
déshonorer son œuvre. 

Tout lui appartient, à celui-là ! 

Jamais il n'a mis son nom glorieux 



* T«MKlt¥r«»«fltea d'innombrables éditions et ont 
U fortune de beaacoap de libraires, parmi lesquels 
Boas citerons 11. Hippolyte Sooveraio. 



se BALZAC. 

comme estampille sur le livre d'un an- 
tre, afin de TolTrir à ses lecteurs en 
contrebande ; jamais il, .n'a passé avec 
le journalisme de ces marchés impudents 
que nous avons vu conclure à la honte des 
lettres françaises. La postérité n'aura pas 
à faire un triage dans les volumes signés 
de lui pour les rendre aux véritables au- 
teurs et venger la morale publique. 

Nous répéterons ici avec Victor Hugo : 

i Ce travailleur puissant et jamais fati- 
gué, ce philosophe, ce penseur, ce po^te, 
a vécu parmi nous d'une vie d orages, de 
luttes, de querelles et de combats. » 

En effet, dans tout le cours de son exis- 
tence , Balzac eut constamment à se dé- 
fendre. 



W BALZAC. 

laille jiiéHie ne voulait pas se charger; il 
se traîne dans les tombeaux d*Anne Rad- 
clifle) dans les blasphèmes de PigauU- 
Lebi*un) dans les drôleries do Paul do 
Kock ; il tourne incessamment dans le 
même cercle d*aventures vulgaires et tri- 
viales*. » — N*est-il pas vrai, seigneur 
Jules Janin? 

Cette aimable et judicieuse critique est 
bien de vous. 

Avant Tarticle que nous citons, vous 
aviez lancé dans les jambes du fèred* Eu- 
génie Grandet beaucoup d*autres phrases 



< Journal des Débats da 18 février I8)1S. On n'atta- 
quait pas seaiemeni Balzac au sujet de ses oeuvres, on 
Ini contestait jusqu'à son nom. « Ali ! s'écria-t-il un 
jour, vous prétendez qoc je ne descends pas des Balzac 
d'Enlragues? eh bien, lant pis ponrPBx! » 



BAÏ.ZA»; 30 

du même genre ; vous préleudio;^ démoUr 
Balzac (nous n'inventons pas l'expression) ; 
vous grattiez le piédestal du bout de votre 
plume ; vous vous dressiez aussi haut que 
possible pour atteindre à la cheville du 
géant, et vous lui edfonciez dans le talon 
votre lance de pygmée. 

Balzac se retourna, vous prit pour une 
mouche, et continua d'écrire. 

Il ne daigna pas même vous administrer 
la correction pittoresque des anciens clercs 
de réiude. Que lui importait votre senti- 
ment? Pouviez-vous abaisser sa taille à la 
vôtre et mettre la Peau de Chagrin au 
niveau de VAne mort? Non, certes. Il 
vous imposa silence, à vous et 5 la tourbe 



kù^ BALZAC. 

des Zoïlo$, fin prouoiiçaut ce Fiat lux su* 
Lliine de sa créaliou ; 

CouÉoiE iiumai:<eI 

Un scnl nu)t a sufii pour vous terrasser» 
ô critique imberbe et pansu I Que diublô 
aussi alliez-vous faire près de ce foyer lu- 
mineux, grosse phalène imprudence? 

Comédie humaine ! êles-vous assez 
ébloui? Le rayon vous semblc-t-il asscï 
éiincelîinl? Y voyez-vous mieux? Tout est 
classé, tout s'arrange, tout converge 5 un 
même but avec un ensemble parfait '. 

* La Cotaédie hunumeic divisi' en buit grtindes s&r 
ries : i° Sciuex de la vie privée; 2° Scènea tie la vie de 
province; 5° Svènea de la vie parisienae; à^ Scène f ie 
l<t vie polflique; li^ Scènea de la vie miiUaire; M^ Scè- 
nes de la vie de campayiie; 7<> Étude» philosophique»; 
V^ Eludes analytiques. 



BALZAC. 41 

C'est le cercle (ïaventures triviales et 
vulgaires dont vous parliez tunlôt, sei- 
gneur Janin. Vous aviez mal choisi vos 
épillièles, vous étiez aveugle ; votre critique 
marchait à tatous dans les ténèbres, et 
voici le grand jour. La société moderne 
tout eniièrc est en scène. Regardez! vous 
êtes au nombre des personnages. 

Place au théâtre, illustre critique, et 
laissez -vous passer! 

Notre cadre ne nous permet malheu- 
reusement |)as d*cntrer dans tous les dé- 
tails qu'exigerait une sérieuse apprécialiou 
des œuvres du grand i'om«incier. Un iu-oc* 
tavo sufiirait à peine a la tâche. Nous 
sommes donc obligé de nous restreindre 
et de tracer seulement quelques-uns (ies 



42 BALZAC. 

f laib les plus cnractéristiqucs de ce noble 
et beau lalenf. 

Balzac est le Benveaulo Cellini de la 
littérature moderne : il a sculpté ses livres 
avec une patience admirable; toutes ses 
phrases sont ciselées; il excelle, passez- 
nous le mot, dans la fonte des passions et 
coule ses personnages en bronze. 

Depuis Molière , aucun auteur n'a plus 
profondément exploré le cœur humain. 

La femme, cet éternel désespoir du 
peintre de mœurs, cet être fugitif et mys<» 
térieux, cette fleur aux mille nuances in* 
saisissables, ce gentil caméléon aux reflets 
si variés et si trompeqrs, la femme a 
trouvé tont à coup son naturaliste, son 
historien, son poêle. Elle lui a donné le 



secret de ses joies et ide- ses misères; eUe 
lai permet d'expliquer ses mignardises, 
ses chatterias, ses dédains, ses préférences, 
ses caprices et ses bonheurs. Chacune des 
phrases de ce grand livre, dont notre mère 
Èye a écrit la première ligne, est traduite 
fidèlement par Balzac. 11 déchiffre les hié- 
roglyphes les plus obscurs du sentiment. 
Son scalpel met à nu les fibres les plus 
délicates de la pensée. 11 dissèque 1q cœur 
de la femme, en analyse toutes les palpita- 
tions, toutes les tendresses; il nous montre 
dans leur exquise et parfaite essence les 
adorables qualités qui la distinguent; puis 
il cherche les défauts, il les surprend tour 
' à tour avec une pénétration merveilleuse. 
L'ombre succède à la lumière, et, sous 
Tenveloppe de range, on découvre quet 



BALZAC. U 

zac aux femmes de George Sand, on y 
trouve toute la diflërence qui existe eufre 
la saine logique et le paradoxe, entre la 
vérité et le mensonge. 

Balzac instruit, madame Saûd trompe . 

Le premier moralisé, la seconde atlein 
un but absolument coniraire. 

Toutes le» Indiana et toutes le:» Va- 
lentine du monde pâlissent devant limée 
et Loîiise, ces t^'pes délicieux que. nous 
oiïrent les Mémoires de dmix jeunes 
fnariées. 

On ne cherche pas longtemps la con- 
clusion morale de ce livre. 

Madame Sand, à qiii Balzac Ta dédie 
ironiquement, a dû comprendre tout d'a- 
bord que Tamour exalté de ses hérotnes 



id BALZAI.. 

n'enfante que perdition et malheur. Renée 
se sauve de Tamour pnr la malemilé et 
vit heureuse, tandis que Louise est tuée 
par Tamour, parce qu'elle n*a pas eu la 
maternité. 

Balzac n'aimait pas George Sand. Il di- 
sait d'elle : 

— C'est un écrivain du genre neutre. La 
nature a eu des distractions à son égard : 
elle aurait dû lui donner plus de culotte et 
moins de style. 

Dans ses relations avec la châtelaine du • 
Berri , Tauteur de la Peau de Chagrin se 
montrait d'une réserve et d'une froideur 



extrêmes. Elle le jugeait par conséquent 
très-mal. Nous sommes obligé de nous 
inscrire en faux contre les phrases sui- 



BALZAC. 47 

vanles que nous trouvous dans une préface 
signée d'elle : 

« La vie de Balzac était, à Diabilude; 
celle d'un anachorète, et, biep qn*il ait 
écrit beaucoup de gravelures, bien qu'il 
tài passé pour expert en matières de ga- 
lanteries, bien qu'il ait fait la Physiologie 
du mariage et les Conter drolatiques, il 
était bien moins rabelaisien que bénédic- 
tin. Ce grand anatpmiste de la vie laissait 
voir qu'il avait tout appris, le bien et le 
mal, par Tobservalion du fait et la con- 
templation de ridée, nullement par Tex- 
périence. » 

Madame Sand trahit ses raïu^unes se- 
crètes. 

Nous croyons, et le plus grand nombre 



48 BALZAC. 

des femmes qui ont connu Balzac parta- 
gent noire avis, que la contemplaliou de 
ridée seule ne lui a pas donné celle science 
du cœur féminin que Thomme n*acquicrt 
jamais sans approfondir Tamour, sans en 
cxpérimcïder les joies et les dégoûts, les 
transports et les fatigues. 

Puisque madame Sand se dispose à 
publier ses Mémoires, ce qui nous semble 
^ |)arfaitemetit inutile au point de vue de 
' renseignement de la jeunesse, il e^ bon 
de mettre le lecteur en garde contre les 
appréciations plus ou moins injustes aux- 
quelles elle pourra se livrer. 

Cependant Balzac, malgré le succès de 
ses livres, ne s'enrichissait pas. 

11 travaillait avec trop dé conscience et 



BALZAC. 49 

trop dé lenteur. Jamais il n'était con- 
tent de lui-même. Un de ses romans, 
Pierrette, fut remis quatorze fois sur le 
chantier. 

— Mais, lui disait Timprimeur, vous 
allez avoir pour dix-huit cents francs ou 
^ deux mille francs de corrections. 

. — Qu'importe? répondait Balzac; allez 
toujours ! 

On lui obéit ; il ne s'arrêta qu'à la vingt- 
septième épreuve. 

Pierrette était dédiée à la charmante 
femme qui devait un jour porter son nom * ; 
il voulait lui envoyer tout son talent avec 
tout FOU cœur. Les corrections du livre 

* Madame Èvi: de Hanska. 



iO 3AtZAG. 

i)é|»as8èrent le prix de veale de troU ûù 
quatre cents francs. 

Certes, il était difficile que Balzac payât 
ses dettes avec un pareil système. 

« Il poussait si loin le mérite de la vé- 
rité et de l'exactitude, dit le bibliophile 
Jacoby qu*il ne dépeignit jamais un pays 
sans l'avoir visité, et qu'il ne craignait pas 
de faire un voyage pour voir une ville, 
une rue, un lieu quelconque où il voulait 
placer les scènes de son dmme. De là ces 
merveilleux tableaux du logis Grandet à 
Saumur, et de la maison Rouget à Issou- 
dun. H. de Balzac était peintre à la ma- 
nière de Gérard Dow, de Miéris et de 
Rembrandt. » 

Les voyages d*uue part et les cori«c- 



ftALZAC. «I 

lions de l'autre absorbaient tous les béné- 
fices de la plume ; le gouffre des dettes ne 
se comblait pas. 

Âhun par les clameurs de ses créan- 
ders, Balzac avait des moments de tris- 
tesse profonde, que la douce affection des 
sieiis s'appliquait à dissiper. 

Presque chaque soir, il dînait chez sa 
sœur Lanre, établie à Paris avec son époux 
et ses deux filles. 

— Voyons, mes gazelles (il appelait 
ainsi ses nièces), dit-il un jour en en- 
trant, prètez-moi du papier et un crayon. . . 
Vile I vite î 

On lui donna ce qu*il demandait. 

Il passa près d'une heure, non pas à 
écrire des notes, comme OL m Tmiagine 



5f BALZAC. 

peut-être, mais à aligner des chiffres les 
uns sous les autres et à les additionner. 

— Cinquante-neuf mille francs ! mur- 
mura-t-il , je dois cinquante-neuf mille 
francs 1 11 ne me reste plus qu à me brû- 
ler la cervelle ou à me jeter à la Seine. 

— Et le roman que tu as commencé 
pour moi, tu ne Tachèveras donc pas * î 
lui dit en pleurant sa nièce Sophie. 

— Cher ange!... En effet, j'ai tort de 
me décourager de la sorte. Travailler pour 
toi, cela me portera bonheur. Voyons, plus 
d'idées sombres ! J'achève ton roman, c'est 

* 

* Balzac défendait à ses nièces de lire ses œuvres. 
K composa toat exprès pour elles Ursule Mirouet, on 
angéliqae et chaste livre dont toutes les pages sont 
empreintes da sentiment chrétien le plus par, ce qal 
néanmoins n*a pu lui rendre ni M. Veuiltot ni M. de 
Ponimartin favorables. 



BALZAC. 55 

un chef-d'œuvre, je le vends trois mille 
écus, les éditeurs me proposent des traités 
superbes... A merveille! Je paye en deux 
ans tous mes créanciers, je vous amasse 
une dot, et je suis pair de France ! Voilà 
qui est convenu, dînons ! 

— Et les places de théâtre que tu nous 
as promises^ mon oncle ? 

— Tiens, justement je les ai ijlans ma 
poche ! Nous irons au Gymnase. 

— Mais tu n'es pas habillé. 

— Surville me prêtera son habit... 
N'est-ce pas, Surville?,.. A table, mes ga^ 
zelles, à table ! 

Le dîner fut d'une gaieté folle. 

Balzac ne pensait plus au chifh*e de ses 



U BALZAC. 

dettes. On apporta du bordeaux et des 
marrons aa dessert. 

— HabiHe*toi donc, mon oncle l crièrent 
les jeunes filles; nous serons en retard! 

— C'est juste, dit Balzac, se levant de 
table et passant pour faire toilette dans 
une pièce voisine. 

La porte restait cntr'ouverle. Au bout 
de quelques minutes, il cria : 

— Ehl Surville, laisse-moi du bor- 
deaux! 

— Diable ! fit son beau-frère, la bou- 
teille est vide, nous avons tout bu ; mais 
je vais descendre à la cave. 

— Non, non, ne le dérange pas. S'il 
n*y a plus dé bordeaux, je mangerai des 
marrons en place. 



BALZAC. 8» 

Et toute la famille d'éclater de rire a 
celle bonne et grosse naïveté. 

Si nos lecteurs trouvent ces anecdotes 
puériles, bien Certainement ils auront 
tort, car elles peignent Balzac au naturel. 

La Providence, à côté des traverses sans 
nombre et des inquiétudes dont fut semée 
sa vie, lui donnait ce caractère heureux 
sur lequel glissait le chagrin. Une minute 
de joie effaçait che« lui des heures de dés* 
espoir et lui rendait tout le ressort néces- 
saire à ses travaux. 

Souvent il jouait avec ses nièces pêU^ 

dant des jours entiers, comme Henri IV 

faisait avec ses enfants. Quand sa sœur 

le grondait de perdre ainsi des moments 

précieux, il s'écriait : 



56 BALZAC. : 

. — Tais-toi , Pétrarque* ! II faut que 
ma tète se soulage , sans quoi je devien- 
drais cerveau! 

Les douleurs de dents qu*il avait gagnées 
dans sa froide mausarde de la rue Lesdi- 
guières le tourmentaient encore. Il refu- 
sait de se soigner , prétendant que , les 
loups n'ayant jamais recours aux dentistes, 
les hommes devaient ôtre comme les 
loups. 

— Allons donc! tu manques de cou- 
rage, et tu n*oses pas te faire arracher une 
dent! dit sa sœur. 

— Par exemple! J'en ai là une qui 



* Il lui (loniiuil plaUamment ce nom, parce quVlle 
s*api>el^iU Laarc. 



BALZAC. o7 

branle ; douiie un bout de lil, tu verras 
si je ne Textirpe pas moi-même! 

Il se mit en devoir de procéder à Topé- 
ralion ; mais il y allait avec tant de déli- 
catesse et de mesure, que sa sœur, impa- 
tientée, se précipita sur la main qui tenait 
le fil et arracha, par FelTet de cette brus- 
que secousse, la canine malade. 

— C'est bizarre ! dit Balzac ; il paraît 
que je ne tirais que moralement. 

L'espril de réplique et d'à-propos ne 
lui manquait jamais. Il lançait toul ce qui 
lai venait aux lèvres , accompagnant ses 
saillies de ce gros rire tourangeau qui l'a 
fait comparer à Rabelais, son joyeux com- 
patriote, avec lequel, n'en déplaise à ma- 
dame Sand, il a plus d'un trait de ressem- 
blance. 




M- BALZAC. 

Comme la litlérature ne lui fournissait 
décidément pas de quoi payer ses dettes, . 
Balzac se creusa Timaginatioa pour arriver 
à la découTerte d*une industrie capable de 
Tenrichir. 

Lisant un jour Tacite, et voyant que 
les Romains avaient exploité jadis en Sar- 
daigne des mines d'argent, il se frappe le 
front et s'écrie : 

— Je suis millionnaire ! 

Sans plus de retard, il emprunte cinq 
cents francs, court à Marseille, s' embarqua 
sur un bâtiment génois et communique 
son idée au capitaine , qui la trouve déli- 
cieuse. Il est de toute évidence que les Ro* 
mains, peu versés dans Tart de la chimie, 
n'ont dû scorifier que médiocrement les 



BALZAC. W 

mines» Balzac s^assure du fait à son arri- 
vée en Sardaigne, rapporte du minerai i 
Parisr acquiert par l'analyse la preuve 
qu'il renferme encore beaucoup de métal, 
et demande au gouvernement sarde Tau* 
torisation de glaner après les Romains. 

On lui répond qu'il est trop tard. 

Le capitaine du bâtiment génois a 
trouvé ridée si bonne, qu'il s* est hâté de 
solliciter à son profit la susdite autorisa- 
tion. 

Victime de cet abus de confiance, Balzac 
ne se déconcerte pas et cherche d*autres 
moyens de conquérir la fortune. 

Si M. Dutacq, ancien gérant du Siècle y 
veut y mettre de la franchise, il convien- 
dra que, deux mois durant, sous un ber- 



60 BALZAC. 

ceau des Jardies * , loin des regards indis* 
crets et dans ]e plus profond mystère , 
Fauteur de la Comédie humaine et lui se 
sont torturé le cerveau pour résoudre le 
vieux problème du mou vernit perpé- 
tuel. 

Un soir , Balzac bondit comme Ârclii- 
mède en s'écriant : « Eurêka ! Je l'ai 
trouvé ! » 

Séance tenunte, il fait signer à Dutacq 
que ia découverte leur appartient en 
commun. 

Celui-ci donne son parafe de grand 
cœur. 

Mais , hélas ! après avoir étudié plus 

t, * Maison de ranipaguo que Balzac babUail alors à 
ViUc-d'Avray. 



BALZAC. 61 

scrupuleusement le système, Balzac y re- 
connaît un vice, et son associé reçoit, lo 
lendemain, le billet suivant: 

<( N'y comptez plus, il manque deux 
chevaux à la machine. » 

Un plan condamné, Balzac se rejetait 
sur un autre. Tantôt il cultivait des ananas 
pour se faire deux cent mille livres de 
rente, oubliant que ces fruits exotiques ne 
peuvent mûrir sous notre froid soleil ; taiï^ 
tôt il se livr«iit à des combinaisons mathé- 
matiques ou ne peut plus savantes, avec 
Tespoir d'en trouver une au moyen de la- 
quelle il ferait sauter les banques de Bade 
et de Hombours. 

Jules Sandeau lui venait en aide dans 



M BALZAC. 

la recherche de ce paroli puissant qui de<- 
vait leur*amener des montagnes d'or. 

« Eurêka ! je l*ai trouvé ! cria, pour 
la seconde fois Balzac, ivre d'espoir. 

— Oui... mais le double zéro? vous 
n'en avez pas tenu compte, lui dit San- 
deau. Tout s'écroule, c'est à recommen- 
cer. 

Sans le double zéro, les banques d'ÀUe- 
magne auraient vu leur dernier jour. 

Balzac renonça définitivement à ces 
fous rêves ^ On lui fit tx)m^endre qu*il 

était plus simple de chercher la fortune 



i Sa dernière fantaisie de ce genre fut d*aUer eu 
Corse cultiver ropiom. Il élaborait avec an soin ex- 
uêaw toni ces plUMécinige*, et U étitt imponible, en 



0ALZAC. «S 

au sein du domaine littéraire, dont il avait 
la libre exploitation. ^ 

— Créez un journal, une revue, lui di- 
saient ses amis ; votre nom seul amènera 
des souscripteurs par phalanges. 

Balzac suivit ce conseil. 

Mais une chance fatale s'acharnait après 
lui et paralysait tous ses eiïorts. Le Feuil- 
leton UUérairCy la Remie parisienne et 



l'écoiitant, de ne pas partager ses iUosions; il niagBé' 
Usait son aadiiear, il le tenait pantelant sous Taciion 
4e sa parole et de son regard. Datacq se sanva nn jottr 
des Jardîes en s*écriant : « Ma parole d'honneur, il 
me rendra foo comme lai ! » Edouard Oarliac, Lassailly, 
Gérard de Nerval, Laurent Jan et le marqais de BeUojr 
ont rac4)nté des choses merveilleuses de cette puissant; 
de rascinatiou de Balzac. On ne pouvait pas coUahorer 
avec lui. Son imagination vous emportait dau les es- 
paces. n effrayait, il donnait 1« variife. 



04 BALZAC. 

la Chronique de Paris moururent entre 
ses mains. 

Il était trop artiste. 

Quand il écrivait lui-même de bonnes 
et consciencieuses pages, quand les Méry, 
les Théophile Gautier, les Charles de Ber- 
nard S les Ghaudesaigues , les*Gustaye 
Planche répondaient à son appel et lui 
prêtaient leur concours , il croyait avoir 
assez fait pour le public. Il ne girardini- 
sait pas ses lecteurs ; il regardait comme 
indigne de lui-même et de sa gloire de 
recourir à toutes les promesses menson- 
gères de raffiche, à toutes les bourdes de 
♦ l'annonce . 

* Balzac, pour s'altacher cet écrivain, paya, trois 
mille francs que celui-ci devait à la Bévue de Paritt, 
alors dirigée par M. Boloz. 



BALZAC^ es 

.. Balzac était un de ces hommes naïfs, 
faciles à duper, mais incapables de duper 
I)ersonne. Il avait la confiance et la bon- 
homie d\m bourgeois de province. 

On lui présente, un soir, à la Chroni* 
que de Paris, un très-jeune homme qui 
ji^Qut, dit-on, commanditer l'entreprise. 

Balzac invite ce jeune homme à dîner eu 
compagnie de tous les rédacteurs de la 
Revîte. Son convive est traité en prince. 
Le Champagne mousse, les bouteilles, se 
vident, Tesprit court en fusées d'un bout 
de la table à Tautre. Après le café, le pré- 
tendu commanditaire se lève et dit à Fil- 

• 4 

lustre rédacteur en chef : 

— Eh bien , monsieur de Balzac, 

5 



6« BALZAC. 

voilà qui est entendu, j'en parlerai à 
papa ! 

Cefen parh^ai à papa produisit sur 
les dîneurs Teffet du mané tliécel phares. 
Balzac avait pris le collégien candide pour 
un bailleur de fonds sérieux. On lui eût 
affirmé, dans ses moments de gène, qu'un 
sac d*or lui descendrait de la lune, à mi^ 
nuit, qu'il aurait tendu les deux mains 
pour le recevoir. 

La Chronique perdait des, abonnés cha- 
que jour. Elle publiait en vain des chefs- 
d'œuvre ' ; il y avait autour d'elle, dans la 
presse parisienne, une légion de charla-* 



* Balzac donna dans cette revue le Cabinet det An- 
tiquen, Ecce Homo^ Vlnterd'iclion et la Verle brisée. 



BALZAC. 67 

tans qui faisaient rage sur teurs tréteaux 
et vendaient, à grand renfort de coups de 
tam-tam, leurs drogues politiques et lit- 
téraires, au détriment des saines élucubra- 
lions de Balzac et de ses amis. 

L'auteur du Lys dans la Vallée tra- 
vailla dix-huit mois pour ajouter vingt- 
cinq mille francs de plus au chiffre de son 
passif. 

Il en devait dix mille à Faucien pro- 
priétaire du journal *. 

Celui-ci, gêné lui-même, fut obligé de 
poursuivre rigoureusement son débiteur et 
le menaça de la contrainte par corps. 



* M. DnckcK, aujoard'bai rédact4!ur en chef du Die- 
tioHttoire de la Convenûlion, 



es BALZAC. 

filais Balzac était introuvable. 

i 

ê 

Le garde du commerce chargé de le 
prendre venait de passer trois semaines en 
courses inutiles, quand une Ariane vindi* 
cative (elle mériterait bien de voir écrire 
ici son nom eu toutes lettres) se présenta 
chez le créancier et lui dit : 

— Monsieur, vous faites chercher M. de 
Balzac. Or j'ai un intérêt très-grand à 
ce que M. de Balzac soit conduit en prison 
(charmante femme!), et je vais vous faire 
connaître le lieu de sa retraite : il demeure 
aux Champs-Elysées, à Thotel de madame 
Visconti. 

Rien n*était plus exact que ce rensei- 
gt ement. 



IJALZAC: 69 

Deux heures après, Thôtel était cerné* 
Balzac, interrompu au milieu d'un cha- 
pitre de roman, vit entrer deux recors, 
armés du gourdin traditionnel. Ils lui si- 
gnifièrent qu'un fiacre attendait à la porte. 

Une femme avait trahi notre écrivain^ 
ce fut une femme qui le sauva. 

loyalement hospitalière, madame Vîs- 
conti jeta dix mille francs au nez des re* 
cors et leur montra la porte. 

Guéri à tout jamais des entreprises in* 
dustrielles, Balzac se remit au travail avec 
cette énergie victorieuse et cette passion 
du heau qui sont les deux traits les plus 
saillants de sa nature. 

Outre les œuvres mentionnées précé- 



70 BALZAC. 

demment, il publia, de 1837 à 1845, la 
Vieille Fille, le Cabinet des Antiques, 
César Birotteau, la Filandière, Une 
Fille d'Eve, Mércadet, Vautrin *, les 
Ressources de Quinola , Une Ténébreuse 
Affaire, Béatrix, Albert Savants, Un 
Début dans la Vie, Honorine, et celte 
admirable Monographie de la Presse pa- 
risienne *, qui le vengea d*uu seul cbup 
de tant d'agressions odieuses. 



' Drame en cinq actes, dont Frederick Lemattre joua 
le principal rôle. Le ministère prétendit que i*actear 
s'était grimé de manière à ressembler à Loais-Pbilippe. 
On défendit la pièce. 

' Noos ne citons que les principanx oavrages impri- 
més alors. Ou trouvera ia liste complète des œuvres de 
M. de Balzac en tète de la magnifique édition Hoas- 
siaux. Cet'.e édition contient quatre-vingt-dix romans 
ou nouvelles, et représente plus de cent vingt vo- 
lumes ordinaires de cabinet de lecture. M. Dutacq 
prépare une édition spéciale des Conlet drolatiques. 



DALZÂC. 71 

Comme tous les hommes d'un talent 
supérieur et qui se trouvent, par cela 
même, au-dessus de Tinjure, comme le 
soleil se trouve au-dessus des nuages, Bal- 
zac méprisait profondément cette tourbe 
d'écrivassiers qui s'agitent dans les limbes 
du petit journalisme. 

— Ce sont les punaises de la littérature, 
disait-il ; on les écrase quelquefois, parce 
qu'elles mordent, mais on ne se met pas 
en colère contre elles. 



avec illustrations de Doré. N'oablions pas de dire 
qu'an investigateur patient vient de réunir en une 
sorte de faisceau lumineux toutes les Pensées de 
Balzac^ recueillies pieusement dans ses œuvres com- 
plètes. Un autre a dressé la liste de tons les personna- 
ges de la Comédie humaine; ils sont an nombre de cinq 
mille. 



7B BALZAC. 

Harcelé sans cesse , il se défendait avec 
calme, sans descendre de la hauteur de 
son génie. L*introducliou du Lys dans la 
Vallée est une preuve de ce que nous 
avançons. Balzac récrivit à Fépoque de 
son procès avec M. Buloz ^. Aujourd'hui 
que les passions sont éteintes et que la 
mort a séparé les adversaires, le survivant 
peut dire si une seule page de celte intro- 
duction est tachée de fiel. 

En 1834, on décida Fauteur du Père 
Goriot à sonder le terrain académique. 

C^était grave. Il avait de ce côté-là plus 



' 1856. — * M. Baloz avait fait paraître one édition is- 
complète du Lys de la Vallée dans le Journal de Saint" 
Pétershurg^ sans i'aven de M. de Balzac. 



BALZAC. -iS 

de jakmx enoore et plus d'ennemis que 
partout ailleurs. 

Ne voulant pas s'exposer direclement à 
des rebuffades, il fit pressentir sur sa can- 
didature trois académiciens qui passaient 
pour de chauds meneurs en matière d'é- 
lections. Ceux-ci ne parurent pas décidés 
le moins du monde à lui ouvrir les portes 
du temple. Le plus influent des trois ap- 
puya son refus de cette magnifique raison : 

— Que voulez-vous? M. de Balzac n'est 
pas dans un état de fortune convenable. 

A cela Balzac répondit : 

— Puisque FAcadémie ne veut pas de 
mon honorable pauvreté, plus tard elle se 
passera de ma richesse. 



74 BALZAC. 

Il élait convaincu que la forlune allait 
enfin lui sourire. 

Hélas! il la vit efTectivement appa- 
raître , mais derrière elle se tenait la 
mort ! 

Balzac devait être la victime du raau* 
vais goût de son époque. Il fut assassiné 
par le mercantilisme littéraire, auquel, de 
jour en jour, la complicité de certains 
journaux donnait plus de force. 

On mettait à la mode les romans dialo- 
gues et accidentés, œuvres rapides et folles 
qui se pliaient aux exigences de la colonne, 
tenaient le lecteur en suspens par des com- 
binaisons slupidcs de chandelle éteinte, de 
porte close ou de chausse-trappe béante 



BALZAC. 75 

renonçaient aux détails de mœurs, à la 
peinture de caractères, tiraient à ligne, 
encombraient la place et s'étalaient d'un 
bout du journalisme à l'autre en flasques 
et désolantes tartines. 

Balzac Youlut lutter contre cet enva- 
hissement et rester lui-même. 

Il eût été de force à le faire, si ses en- 
nemis eussent combattu à armes cour- 
toises, c'est-à-dire en opposant plume à 
plume, travail à travail. 

Mais ils avaient juré de lui fermer la 
lice et de rendre le combat impossible. 

C'est alors que nous avons vu marcher 
eu plein soleil et en plein scandale ces 
marchand^ éhontés qui trafiquaient de 



n BALZAC. 

rhonneur des letlves, établissaient à tous 
les coins des fabriques de romans, faisaient 
travailler des esclaves, et signaient sans 
' bonté, en face du public, les produits d'une 
plume anonyme. 

Et vous croyez, pirates, avoir impuné- 
ment écume l'océan littéraire? Non ! non ! 
rheure de la justice arrive. 

A genoux, et rendez gorge I car votre 
gloire est volée. Nous le crions bien haut, 
afin que chacun le sache. 



Vous avez à vous seuls absorbé Théritage 
commun. 



Non-seulement, par vos manœuvres in- 
dignes, les jeunes talents qui voulaient 
grandir fiirent étouffés dans leur berceau, 



BALZAC. 97 

mais encore sur la route du génie vain* 
queur, du mérite incontestable, du pre* 
mier des fils de l'art, sur la route do 
Balzac enfin, vous avez semé'de criminelles ' 
entraves. Quand il portait ses livres à un 
journal, il se heurtait contre vos intermi- 
nables et insolents traités avec le charla- 
tanisme des directions. Se tournait-il du 
côté des libraires, il trouvait là, comme 
partout, votre littérature au rabais. Vous 
anéantissiez son travail, vous brisiez ses 
espérances, vous lui voliez sa part dans le 
budget des lettres. 

Il est mort à la peine, sachez-le bien, 
eé grand homme, ce puissant génie ! 

Car il travaillait toujours, il tenait à 
eoinpiéter son ceuvre, il ne pouvait croire 



78 BALZAC. 

à une dépravation littéraire aussi générale 
et aussi profonde. 

A présent l'opinion le venge, oui, sans 
doute. 

Mais vous n^étes pas assez punis ; mais 
écoutez bien ce que nous allons vous dire. 

Un jour viendra, ce jour est proche, où 
vous tomberez dans la déconsidération la 
plus absolue. Le public tout entier, rendu 
malade par votre impure cuisine, ne 
pourra plus ni la sentir ni la manger sans 
dégoiU. 

Voyez Jpnc, est-ce que déjà le châti- 
ment n*a pas commencé ? 

Balzac triomphe sur sou glorieux pié« 



BALZAC. 70 

destal, et vous descendez la pente rapide 
qui mène aux abîmes de Toubli. 

Pendant cette période honteuse où 
Mercure était devenu le dieu des lettres, 
Balzac imprima des livres qui pas- 
sèrent presque inaperçus *. Nous cite- 
rons Eve et David, Splendeurs et mi- . 
sères des courtisanes, Modeste Mignon, 
les Comédiens sans le savoir, et les Pa- 
rents pauvres. Ce dernier ouvrage surtout 
prouve que le talent de Fauteur grandis* 
sait encore. i 

On ne s'imagine pas combien Balzac 



* On doit dire, à la louange de réditeur Hippoiyie 
Souverain, que, malgré rindifTéreoce du public, il s'a!»- 
liliqna constamment à maintenir Balzac à la hauteur d6 
sa rénottimée. • 



M BALZAC. 

était hamilié quand un éditeur étaUissait 
un point de comparaison qudcouque entre 
ses romans et ceux du mousquetaire Du- 
mas ou du socialiste Eugène Sue. 

Voici un fait dont nous avons été té- 
nom. 



• 



C'était pendant l'hiver de i 845. 

MM. Maulde et Renou publiaient un 
Tableau de la Grande Ville, dont Marc 
Fournier, directeur actuel de la Porte- 
Saint-Martin, surveillait la rédaction. 

Balzac entre, un soir, dans le cabinet 
des éditeurs et leur dit : 

— Nous sommes convenus» messieurs, 
que là Monographie de la presse pari- 



BALZAC. 81 

sienne me serait payée à raison de cinq 
cents francs la feuille. 

— C'est vrai, répondirent-ils. 

— J'ai reçu quinze cents francs ; il y a 
Quatre feuilles, c'est donc cinq cents francs 
que vous restez me devcnr. 

— Mais vos corrections, monsieur de 
Balzac, savez-vous à quel chiffre elles 
montent? ^ 

— Il n'a pas été dit que je payerais les 
corrections. 

*- Sans doute, répliqua M. Renou» 
Pourtant je dois vous dire que l'article 
d'Alexandre Dumas, Filles, Lorettes et 
Courtisanes, a produit également quatre 

6 



82 BALZAC. 

feuilles. Nous n'avons pas donné un cen^ 
time de plus. 

Balzac tressaillit et deviut pâle. Évidem* 
ment, pour faire une pareille démarche, 
il se trouvait dans une grande pénurie 
financière. Mais il oublia tout devant les 
paroles qu'il venait d'entendre, n'insista 
plus, se leva, prit son chapeau, et dit avec 
un accent de ^gnité solennelle : 

— A partir du moment où vous me 
comparez à ce nègre-là, j'ai bien Thon- 
ncur de vous saluer! 

Il sortit. Le nom seul d'Alexandre Du- 
mas fit gagner cinq cents francs à la caisse 
de la iiranie ville. 

Balzac et Dumas étaient ennemis. De 



BALZAC. 8S. 

son vivant, r^Nrteœr des Parents pauvres 
a pu quelquefctts manquer de charité chré- 
tienne envers un homme dont il n'esti- 
mait ni le talent ni les œuvres. Que sa 
rancune ait été juste ou non*, peu nous, 
importe. II est mort, et son ennemi, qui 
ne Test pas, sonne bruyamment de la 
trompette pour lui élever un tombeau. 

Quelle magnanimité! quelle noble et 
généreuse initiative ! 

Des méchants prétendent que le Mous- 
qtietaire languissait, qu'une réclame mons- 
tre, un vacarme infernal, un ouragan de 
publicité, devenaient indispensables pour 
lui rendre un peu de nerf et de vigueur.. 

Hais nous n^en croyons rien. 

Tout le monde a eu tort dans cette af- 
faire, tout le monde, excepté M. Dumas. . 



M BALZAC. 

La yeuve de Tillustre romancier ne de- 
vait pas se plaindre*, et M. Nogent-Saint- 
Laurens devait refuser à madame de Bal- 
zac, devant les tribunaux, Tappui de son 
éloquence. Pourquoi donc empêcher ce 
bon Mousquetaire de vivre? Ne voyez- 
vous pas qu'il redresse les abus, qu'il si- 
gnale de condamnables oublis, qu'il se 
drape (ô merveille!) dans un pan du man- 
teau de saint Vincent de Paul? 



* Un article de M. de Fiennes, dans le f«nilléton da 
Siècle, reprodait' avec empressement par le Uùusque- 
/air^f afOrmaii qae Therbe croissait sur la tombe de 
Balzac. Or M. de Fiennes s'était trompé. Ce qu'il avait 
pris pour de Tberbe était du laurier-thym, de TalatéDe 
et du jasmin blanc. La tombe de Balzac a été coDStam~ 
ment ei religieusement entretenue par sa veuve. On 
peut interroger là-dessus tons les jardiniers du Père- 
Lachaise. Balzac repose à côté de Charles Nodier et de 
Casimir Delavignc. Son buste en bronze, œuvre de 
David d'AngerSf couronne le latie du monument. 



BALZAC. M 

Sancte Dumas, ora pro nobis! Saiut 
Dumas, priez pour nous ! 

Oui, d'Àrtagnati, tu as raison, mille 
fois raison. Tu es entré dans une sublime 
fureur quand un tiers officieux a osé fa- 
postropher ainsi au sujet du tombeau : 

« Vous vous méprenez, mon cher Dumas. Ce 
que vous faites là manque de délicatesse. Ma- 
dame de Balzac n'a donné et ne Teut laisser à 
personne le soin de faire le monument de son 
mari. Elle est assez riche pour le payer elle-même; 
elle s'en occupe. Cessez, de grâce, d'imprimer le 
nom de M. de Balzac. Il le faut, même dans voire 
intérêt : des médisants vont jusqu'à dire queVest 
une spéculation, une a (Taire de commerce; que 
tout ce bruit est au bénéfice du Mousquetaire 
bien plus qu'au bénéfice de je ne sais quel tom- 
beau problématique, » etc., etc. 

Jià-dessus d'Artagnan se place un poing 



88 BALZAC. 

sur la hanche, relève les crocs de sa mous- 
tache et s'écrie : 

— Par le sang ! par h mort ! vous 
me la donnez belle I Balzac a été mon en- 
nemi; son talent m'est antipathique, et 
je ferai son tombeau comme je Tentendrai. 
Voilà ma vengeance! L'inscription sera 
celle-ci : c A Bdzac, Dumas son rival! » 
(Textuel). 

Bravo ! d'Artagnan, bravo ! 

Mais, aimable mousquetaire, où eu est 
le monument? quand loffrirez-vous à nos 
regards? Après tant de bruit, tant d'es- 
clandre, tant d'articles, tant de concours 
offerts, tant de lettres sympathiques, tant 
de dévouements aussi admirables que le 



BALZAC. m 

vôtre, la caisse de souscriplions doit être 
pleine. 

Où en sommes-nous? Voyons les comp- 
tes. 

Il est bon de s'entendre. L'ombre de 
Balzac est pressée... devoir la Comédie 
humaine s'achever sur sa tombe. 

D'Artagnan-Dumas a coupé notre fil 
biographique, rattachons-le. Nous avons 
laissé Balzac en lutte avec les contreban- 
diers et les pirates littéraires. Ce noble 
Christ de Tart avait, comme le Christ du 
Golgotha, des larrons à sa droite et à sa 
gauche. Par malheur, ceux-K^i n'étaient 
pas crucifiés ; leurs mains étaient libres, 
ils s'en servaient pour tout prendre. 

Non-seulement ils repoussaient Balzac 



88 BALZAC. 

au seuil des journaux, mais ils parvcnaieut 
à lui fermer la pprle du théâtre. 

On sait que, de ce côté-là, beaucoup de 
succès se font à la main, et que, par con- 
tre, les chutes s*organisent avec la facilité 
la plus grande. 

Depuis la mort de Balzac, M^rca^f^^ a eu 
les honneurs de la rampe. Jouez aujour- 
d'hui les Ressources de Quinda, Vau» 
trln, Paînélu Giraud, la Marâtre, ils 
obtiendront également un triomphe pos- 
thume. 

On ne ment plus en présence d'une 
tombe* Les envieux se taisent quand la 
postérité parle* 

Balzac a été le plus grand travailleur 
des temps modernes. Il faut remonter jus- 



'^ 



BALZAC. 80 

qu*aux moines du moyen âge pour trouver 
le même zèle^ la même assiduité, lu mémo 
patience « 

II se couchait tous les soirs à cinq 
heures et demie, après son dîner, se levait 
à onze heures ou minuit, s'enveloppait du * 
froc monacal qu'il avait adopté pour robe 
de ciiambre, et travaillait sans désempa- 
rer jusqu'à neuf heures du matin. 

Son domestique François lui apportait 
alors à déjeuner, prenait en même temps 
les épreuves attendues par Timprimeur, 
et Balzac, tirant sa montre, lui disait avec 
im sérieux imperturbable : 

— Je te donne dix minutes pour porter 
cela à Charenton. 

L'imprimerie était extra muros , et 



90 BALZAC. 

réci ivain restait rue Saint-Honoré , c*est- 
à-dire à une distance de près de deux 
lieues, ce qui n empêchait pas François 
de répondre : 

— Dix minutes, soit. Je pars. 

Balzac, après son déjeuner, reprenait la 
plume jusqu*à trois heures, faisait une 
promenade dans les champs jusqu'au dî- 
ner, se couchait ensuite, et recommençait 
le même train de vie tous les jours. 

Quand on songe à la manière dont il 
écrivait ses romans, on est eiïrayé de la 
force de ce génie, assez sûr de lui-même 
pour ne pas craindre de perdre ses élé- 
ments créateurs et pour appliquer aux 
lettres le procédé que les peintres adop- 
tent pour leurs toiles. 



BALZAC. M 

Balzac ébauchait un roman comme on 
ébauche un tableau. 

Son premier jet, même en écrivant ses 
livres les plus longs, n*a jamais dépassé 
trente ou quarante pages. Il lançait cha- 
que feuillet derrière lui sans le numéro- 
ter, afin d'échapper à la tentation de re- 
lire, et, le lendemain, on lui donnait, 
avec des marges énormes, les épreuves 
de son manuscrit. 

Les quarante pages en formaient cent 
sur la seconde épreuve, deux cents sur la 
troisième, et ainsi de suite jusqu'à la fin 
de l'ouvrage. 

Cette manière d'écrire faisait le déses- 
poir des compositeurs d'imprimerie. 

Retrouvant avec une multitude prodi- 



Oa BALZAC. 

gieuse de renvois et de surcharges teur 
travail de la veille, ils se croyaient en face 
du chaos. C'était un rayonnement bizarre, 
un véritable feu d'artifice , dont les fu^ 
sées se croisaient, s'enchevêtraient, tour- 
naient à droite, revenaient à gauche, des- 
cendaient, montaient, se heurtaient et 
leur donnaient le vertige. 

Dans chaque traité qu'ils passaient avec 
leurs patrons , ils spécifiaient , comme 
clause rigoureuse , qu'ils n'auraient pas, 
journée commune, plus de deux heures 
de Balzac. 

Toutes ces épreuves du maître ont été 
conservées et se vendent à prix d'or. 

Nous ne terminerons pas celte biogra* 
phie sans mettre le lecteur en garde contre 



DALZAC. 93 

les fausses anecdotes et les calomnies in- 
décentes que les ennemis de Balzac ont 
invitées à toutes les époques pour atta« 
quer sa réputation ou le tourner en ridicule. 

H y a des gens qui se plaisent à déposer 
des immondices au pied des pyramides. 

Quand les journaux de France n'osaient 
pas imprimer tel ou tel mensonge, on 
l'expédiait sous enveloppe aux feuilles 
étrangères, et la presse parisienne, déga- 
gée de toute responsabilité, faisait écho 
sans scrupule'. 

* Ce fat ainsi qa*on aecosa M. de Balzac d*enfoair 
des millions au liea de payer ses ddies. Les ans sou- 
tenaient qa*<prè8 la pablicaiion du livre de M. de Cos- 
tine sor la Rassie, Taniear du ?ère Goriot s'était hilé 
de prendre la poste pour aller offrir sa pinme aa czar, 
et qao le ciar Pavait honteusement cbassé de Saint- 
Pétersbourg. D'autres. iai: reprocbaieui d'avoir laissé 
mourir une de ses sœurs à l'bdpital. C'était un concert 



M BALZAC. '^> 

Balzac ne daignait pas répondre à ces * 
attaques déloyales. Il rLiit ou haussait les 
épaules en écoulant toutes ces grenouilles, 
coassant dans les marais de la critique. 

Après avoir terminé les Parents pau^ 
vres^ il ressentit les premières atteintes de 
la maladie cruelle qui devait remporter, 
juste au moment où lui arrivaient la for-* 
tune et le bonheur. 

Le 18 août 1850. quatre mois après 
son hymen avec la comtesse de Hanska, il 
mourut à Paris dans sa maison de la rue 
Fortunée * . 

de calomnies plas infâmes tes ones que les aotres, et 
dont la Gaiettt tTAugabourg on la Gautte de Mile» 
prenaient tour à tour l'initiative. Théophile Gantier 
seul avait le coarage de défendre M. de Balzac, son. 
premier proiectenr et son matire. 
* Aojonrd'hni me de Balzac. 



BALZAC. 91 

Cette mort fut un deuil public. 

Balzac arrivait à peine au milieu de la 
carrière. Une large moisson de gloire était 
encore debout devant ce faucheur intré- 
pide, qui avait déjà amassé tant de gerbes 
glorieuses.^ Hais^ tout inachevée que soit 
son oeuvre, elle n*ett est pas moins gi' 
gantesque. 

Il y a trois choses contre lesquelles la 
rage des passions humaines devient im- 
puissante : Dieu, la lumière et le génie. 

Quand un esprit supérieur se révèle, 
quand un flambeau s'allume au foyer de 
rintelligence, il est aussi impossible de 
souffler dessus et de Téleindre qu'il est 
impossible d'empêcher Dieu d'être et le 
soleil de rayonner aux cieux. 



96' BALZAC. 

Créez des entraves, suscitez des obsta- 
cles, amassez en nuages autour de Tastre 
les plus noires émanations de Teuvie et de 
la haine, le rayon dissipera les ombres, la 
flamme percera toiqonrs. 

Vous tuerez Thon^e. peut-être, mats 
Fintelligence alira sa manifestation ra- 
dieuse. 

L'enveloppe sera brisée, mais le génie 
éclatera. 

Tous vos efforts, toutes vos colères, ne 
réussiront qu'à 'donner à votre victime 
deux auréoles ^u lieu d'une ; la gloire 
sera doublée du martyre. 



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PARIS 

J.-P. RORKT ET COMPAGNIE, J^:i)ITRURS 



nVF. SIA/ARINK, 9 



1854 



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Véry.. 

▼ietor Hiiso. 
Emile de Cdrardin, 
Cieorse Sand. 



Béraiiger. 

Déjazet. 

Alfred de Musset. 



C^rard de TÊeanrmJL, 
A. de f^amartfaKo* 
Pierre l#ap»R4- 
*k;ribe, 

nu|Ȕn. 

Ve IBar-*» Ta^/ '^r 



SODS PRESSE : 

THIERS. - LOUIS DESNOYERS. — RASPAIL. 

RAUL DE KOGK. ~ JULES JANtlI. 

PDNSARD. - HYPPOLITE FORTOOL. - PERSWNV. 

U GUÉRONNIÈRE. - EUOInE OaftCROH. - HORACE VCMirr. 

ECfiÊNE SUE. - CAVAIfiNAC. - FEUX PTAt. 

PRO0DHON. -'rose CHÉRI. - FRÈDÉRICK^LERAITilE. 

RAGHEL. - ROSSINI. - ALFRED DE VNSNY. ~ FRANCIS WEY. 

THÉOPHILE OAUTIER. - LOUIS VEUIUOT. - 6AVARNI. 

FRANÇOIS ARACO. - SARSON. - SAINTE-BEUVE. 

ARSÈNE HOUSSAYE. - LE P. UCORDAIRE - LÉON SOOftlI. 

MONTALEMBERT. - ALOANDRE DURAS. 

ALPHONSE KARR. — LE D' VÉRON. - ROTHSCHILD. 

ETC., ETC., ETC. 



PARIS. — INP. SIHOIf nAÇOIt RT COMP., ROR o'iïDFfTRTII, I. 



il- 



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