Full text of "Balzac"
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Vd:, Fv, lÏÏ A. 526
BALZAC
PABIS. « TTP. WÀLDER, RI.E BOITAPARTB, 4i
tEt MtlEtfPlBAIJIS
BALZAC
PAU
EUGÈNE DE HIREGOURT
PARIS
l.-P. RORET ET COMPAGNIE, ÉDITEURS
ftOB MAZAItlNE, 0.
1854
I/Aulcar êi les Édiieors ta Tinrent ie droii de iradac-
tfofl et de reproduction I rétranf^r.
BALZAC
C'était hier, i! nous semble y être en-
core.
Nous pleurions tous au bord de celte
(bsse ; nous regardions avec désespoir ce
cercueil qui emportait tant de génie.
El Vîclor Hugo nous disait :
t Sa mort a frappé Paris de stupeur.
a BALZAC.
Depuis quelques mois, il était rentré en
France. Se sentant mourir, il avait ^outu
revoir la patrie ^ comme la veille d'un
grand voyage on vient embrasser sa mère,.
a Sa vie a été courte, mais pleine; plus
fempUe d'œnvres que de jours.
« Hélas! ce tniTailleur puissant et JBh
mais fatigué, ce philosophe, ce penseur, ce
poète, a vécu parmi nous de cette vie d'o-
rages, de luttes, de querelles, de combats,
cûmintme dans tous les temps t tous les
grands hommes. Aujourd'hui le voici en
paix. Il sort des contestations et des haines-;
il entrC) le même jour, dans la gloire et
dans le tombeau. Il va briller désormais,
au-dessus de toutes ces nuées qui sont sur
nos têtes, parmi les étoiles de la patrie. »
Tonte l'histoire de Balzac eut conte-
BALZAC. 7
fêans ces nobles et solennelles paroles.
Vivant, il a eu sans cesse à comhnltre
les rivalités haineuses, les médiocrités ja-
louses ; mort, chacun proclame son mé^
rile, chacun lui tresse des couronnes. Ses
ennemis eux-mêmes trouvent que sa tombe
n\si pas assez de gloire.
Honoré de Balzac est né à Tours en
i799, le 20 mai, dans la maison de la
rue Impériale * qui porte le numéro 45.
Son père, consultant le calendrier et
* Cette roe, dit le Journal (TIwlre^t-Lo'tre, s'appelait
alors rae de TApinée-d^iialie. La maison qui apparte-
nait aa père da célèbre romancier est muinteiiant la
propriété da général d'Oniremont. Celui-ci Ta achetée
de M. de Balzac père. On voit dans la cour un acacia
planté par les ordres de madame de Balzac, le jour
même de la naissance de son (lis, et qui depuis a été
cottstamnient respecté.
8 hXttkt.
trouvant de bon angnre le nom du saint
du jour, décida que «on fils recevrait ce
nom au*baptème.
Le jeune Honoré grandit à côlé de deux
sœurs charmantes, dont il refusait de par-
tager les jeux, absorbé qu'il était, dès
Tûge le plus tendre, par une sorte d'in-
spiration précoce qui remportait dans le
monde des rêves. 11 avait à ses côtés une
fée mystérieuse, un ange gardien desea.
génie, qui le couvrait de ses ailes et le
berçait doucement dans Tcxlase.
Madame de Balzac , cffniyée de voir un
enfant si jeune en butte à des tendances
ascétiques, essaya de le rendre aux goûts
de son âge.
On donna force jouets au petit UonorA.
BALZAC. f
Dmis le tu>inl]re> uti seul eut le don de
kd plaire : c'était un de ces Stradivarius
de Tingt-ciriq som qu'on achète à l'étalage
des boutiques foraines. Il l'emporta tout
joyeux et s'escrima de l'archet du matin
au soir.
— - Entends-tu comme c'est beau î di-
saitril à Laure, l'aînée de ses soeurs * .
— Ma foi , non , répondit r*lle-ci ; lu
m'écorches les oreilles !
L'enfant la regarda d'un air scandalisé,
qnitta la chambre et alla tout seul con-
tinuer sa musique sous les arbres du
jardin.
Deux heures après, on le retrouva, les
' AvjOttrd'taai madame Sonrille.
tt hÉLLlÀC.
yeux au ciel,, ie Tisagc inondé de larmes el
jouant toujours du vblorr. Les notes grih^
çautcs que les cordes rendaient au hasard
se changeaient pour le jeune rêveur eu
une harmonie céleste. 11 semblait faire sa
partie dans le concert des anges.
Balzac lui-même a donné quelques dé-
tails pleins d'intérêt sur son enfance *•
 cinq ans, il lut les Écritures et se
perdit avec un attrait ineiïable dans leurs
mystérieuses profondeurs. Tous les li-
vres qui lui tombaient entre les mains
étaient dévorés en un clin d'œil. Souvent,
dès le point du jour, il partait chargé de
volumes, avec un morceau de pain dans
* Voir le roman qai a poor titre Louii Lambert.
sa poehe, ei s'en allait au foud des bois,
Oà il lisait jusqu'à la nuit tombante.
Envoyé au cdiége des Oraloricns de
Vendôme, il continua de s'y livrer à sa
passion pour la lecture.
Œuvres scientifiques, philosophiques *
ou religieuses,, tout lui était bon. Les dic-
tionnaires eux-mêmes y passaient, depuis
la première ligne jusqu'à la dernière. Il
avait pour système de mériter le cachot
et de s'y faire envoyer par les professeurs,
afin de lire plus à Taise et sans dérange-
ment.
Doué d'une mémoire prodigieuse, il
' Balzac, à l^àgc de onze ans, coniposi au collège un
Traité tfe la Volonté, qu'an réwnt hii brûla.
Il BALZâC.
retenait tout, les lieux, les noms, les mots,
les choses, les figures.
Bientôt il en résulta pour cette jeune
tête un phénomèue inquiétant. Au milieu
du chaos produit par une myriade d'idées
tourbillonnantes, la raison parut tout à
coup s'éclipser.
Notre collégien, revenu à Tours, épou-
vanta sa famille.
On prenait pour de Tidiotisme la som-
nolence inévitable causée, si nous pouvons
nous exprimer de la sorte, par le travail
de classement qui s'opérait dans le cer-
veau.
Assis au festin de Tintelligence, Tenfant
avait absorbé des bibliothèques , et la di-
gestion devenait pénible.
EALZAG. 43
Ce philosophe de quatorze ans savait
tout, excepté les choses les plus banales
et les plus simples : il demandait avec
quoi ou faisait le pain, il ne distinguait
pas une vigne d*un champ de blé.
Quinte jours durant, il conserva dam
un vase, avec le soin le plus attentif et le
plus délicat, une fleur de citrouille que sa
sœur Laure lui avait donnée pour un cac-
tus des Indes.
Cette sorte d'apathie intellectuelle rap-
portée du collège se dissipa bientôt. La
mémoire avait terminé son classement;
ies ténèbres faisaient place à la lumière,
et déjà Balzac entrevoyait dans Tavenir le
splendide rayonnement de sa gloire.
— Voos verrez ! vous verrez ! disâît-il
ù ses sœur», je serai céièbre un jourl
Lf^mof lui coula clier.
 partir de ce moment, les railleuses
jeunes filles ne Fabordaient plus sans lui
prodiguer les révérences et sans lui dire
avec un ton de voix extrêmement respec-
tueux :
— Salut au grand Balzac î
En 1813, toute la famille quitta la
ïouraine pour se rendre à Paris.
M. de Balzac père venait d'être promu ù
un emploi lucratif. 11 plaça son fils dans un
des pensionnats les plus en renom de K\
capitale. Le jeune homme y compléta ses
études.
A dix-huit ans, après avoir reçu les di-
plômes de bachelier et de liceuoié «vs-
• BALZAC, 15
Ictires, il suivit simultaiiénient les cours
de l'Ecole de droit,, de Ja Sorbonnc et du
Collège de France.
Il était beau , vigoureux , plein de
santé.
L'élude la plus assidue le laissait saus
fatigue. Se^ yeux pétillaient; il avait con-
stamment le sourire aux lèvres. On trou-
vait en lui la personnification la plus com-
plète de la joie.
Rentré au logis de son père, il appre-
nait en se jouant le latin à ses sœurs, ou
bien il s*amusait à classer les livres dont
il avait fait Tacquisilion chez les libraires
du quai des Augustins, avec Targent des-
tiné à ses menus plaisirs.
Il commença dès lor^a former- celle bl-
.4$ BALZAQ. •
Uiothèque précieuse qu*il montrait fiè-
rement aux derniers jours de sa vie, c et
qu il eut léguée à sa ville natale, dit qud-
que prt le bibliophile Jacob, si cette yille
ne lui avait pas témoigùé tant d'ingé-
rence et même tant d'hostilité, n
Balzac n'a pas été, plus qunu autre^
prophète dans son pays.
Rien n'est facile à expliquer, du resté,
comme cette éternelle vérification du vieil
adage.
11 y a chez les compatriotes une jalou-
sie instinctive, un absurde orgueil qui les
poussent à mettre à 1 index les célébrités
du cru. La sottise qui a eu le même berceau
que le génie ne se résigne jamais h lui
rendre homoiage. Elle ne coinpren4 pas
BALZAC. 17
que sur le même terroir puissent naître
le peuplier superbe et Tarbuste rabougri.
Le talent d'un seul cause Thumiliation de
tous les autres. On voit la faiblesse nier la
force ; le roseau critique le chêne , et le
cèdre subit les dédains de Thysope.
(t Un tel est illustre , allons donc I
nous avons joué aux billes ensemble ! »
Ou bien : «t J'étais plus fort que lui en
thème ! » Ou mieux encore : a Son père
n'avait pas le sou! »
Nous avons entendu de nos propres
oreilles ce Idernier et sublime argument
donné pai* un Maiseillais à propos de
Méry.
Cette injustice du clocher cause aux
graitds homm&s nue aftliction sérieuse.
18 ^U,ALZAC.
il serait si doux d& caciliir des lauriers
sur la terre natale I Mais ils n^ trouvejit
que des verges. Le compatriote justifie
pour eux un double proverbe et se range
à Topiuion de leur valet de chambre.
Pour obéir aux ordres paternels, Bateac,
tout en faisant son droit, travailla chez
Tavoué Guyounet de Merville, où il ren-
contra Scribe, qui n'avait pas plus de vo-
cation que lui pour la procédure.
On nous affirme que Jules Janiti rem^
plissait alors» dans la même étude, les
fouclioas de petit clerc.
Jules, trè^-enclin h la paresse et à h
taquinerie, se serait, dit-on, montré rélif
aux courses et aurait eu l'iaconveuaucede
uarguer les clercs supérieurs, qui, ja«
BALZAC. 19
loux de leurs privilèges, lui auraient fait
exécuter plus d'une fois de brusques pi-
roDcUeS) afin de lui réftondre du bout de
h botte.
Ce mode d'apostrophe, si nous en
croyons toujours les renseignements qu'on
nous donne, aurait déplu à leur jeune
collègue. Janin se serait enfui de Tctude
de M. Guyonnet de Merville, pour s'adon-
ner no Journalisme, où son esprit querel-
leur pouvait s'exercer à coup sûr sàm
craindre une application trop directe des
réponses.
Mais n'anticipons pas sur Tordre des
faits.
Nous relrmu-mms Irop tôt pour sa
gloire celui qu'on nomme iroDiqueàafeUt
at^onudlmi h pnncse dés ciitsiittSB.
30 BALZAC.
La famille Balzac demeurait rue du
Temple, et Tainé de la maison eut, un
certain soir de novembre, à soutenir Tin*
terrogatoire solennel des auteurs de ses
jours.
— Quatre mois encore, lui dit son père,
et tu entres dans la vingt et unième année.
Quel état choisis-tu?
— Ma vocation , ré])ondit Balzac , mo
porte du côté des lettres.
— Es-tu fou ?
— Non , c'est un parti pris, je veux
être auteur.
— Il paraît, dit madame de Balzac en
excitant du regard son lu^ri à la sévérité,
que monsieur a du goût pour la misère?
— Oui, répondit le chef do la (bmille,
on voit des gens qui éprouvent le besoin
de mourir à l'hôpital.
— Honoré, dit madame de Balzac, nos
plans; sont arrêtés pour votre avenir ; nous
vous destinons au notariat *.
Le jeune homme fit un geste énergique
de dénégation.
— Hais ignores-tu, malheureui, lui
dit son père, à quoi peut te conduire le
métier d'écrivain? Dans les lettres, il
faut être roi pour n'être pas goujat.
— Eh bien, dit Balzac, je serai roi !
* On avait retiré Balzac de Télude de M. Gayonnet
de Nerviitc pour riiistaller comme cUtc chez le notaire
Passez, ami de famille, et dont il devait être le succes-
seur..
s BALlfAG.
H fiït impossible de vaincre sa résolu-
tion tenace.
Alors on eut recours au système péni-
tentiaire adopté par les familles, et qui
consiste (passez-nous la trivialité du mot)
à faire manger de la vache enragée au fils
rebelle.
M. et madame de Balzac décident qu'ils
iront avec leurs autres cs&ats habiter la
campagne.
Honoré reste seul à Paris, afin d'y exer-
cer la carrière de son choix. Sa bourse,
comme on le devine, est garnie très-mé-
diocrement : le manque de fonds seul
peut ramener à résipiscence.
Installé dans une pauvre mansarde, voi
BAliZAC. S5
sme de ïa bibliothèque [de TArsenal *, il
travaille avec un courage surnaturel, au
milieu de privations de toutes sortes et
sans rien perdre de sa gaieté. Les lettres
quHl envoie à cette époque à ses sœurs
sont des chcfs-d'çeuvre de naïveté comique
et d*enjouemcnt.
Sa mansarde, ouverte à tous les souffles
de riiiver, lui occasionne des maux de
denL«i affreux. Il a les joues enflées par
une fluxion perpétuelle.
< Rne Lesd(gai^rc$, n«7. Balm demcnra etisoUerae
do Roi^Doté, pais rue des Mar<iis-Sain(-Gi>nBaiii. Rn
IS27, il s'install ) rue de Tournoo, ii? 3, dans la maison
<le Mejin ^e la Touche, avec lequel il se lia d'amiii^.
En «830, il logeait rue Cassini. Ce fut là (lu'll écrivit
Goheiki'i la l'eau deChagm. Depuis, il a to"r à tour
habité h roe Saiiit-Honoié, Chaillol, ViPe-i'Avray,
Passy, ei entïn ce petit liôtel des Cham >s-ÉIy8ée
06 la mort est venue le preodie.
^ BALZAC.
c Ah ! mu pauvre Lnure, écrit-il; si lu
me voyais, tu ne me reconnaîtrais plus :
je suis un Pater dolorosa ! »
Gomme tous ceux qui débutent en lit-
térature et qui ont encore rimaginalioH
farcie des souvenirs de collège, Balzac sa
met à composer la tragédie de rigneHr. Il
dresse le plan d*un magnifique Cromwell
en cinq actes, et nous avons la chance
heureuse de pouvcnr offrir à nos lectetics
quelques extraits de ce plan curieux, écrit
on 1819 de la main de Balzac lui-même^.
c D« lietfMct, mademoiselle! [C'est toujoors à
sa chère Laure qu'il écril.) Sophocle cadet tous
parle. Écoute, ingénue I Dans la première scène
du premier acte, on voit entrer la rcioe Hcn-
riettC) accablée de fatigue et ayant dépouillé les
vôtcmenls prestige de la grandeur. Elle arrive,
soutenue par le fîls de SlrafTord, dans Westmin-
ster. StcalTord, tout en larmes» lui décrit les
nouveaux malheui's, et iînit par lui dire que
Charles est prisonnier. Tu juges Télan de la
reine, qui veut qu'on la conduise à son ^'pous
pour partager ses fers et le défendre. — Sg&ne II.
— Au moment où Straflord conduit la reine, ap-
paraissent Crorowell et son gendre Irelon. Straf-
ford fait cacher la reine. — Scène III. — Les
conjurés arrivent, et l'on discute si Ton fera
mourir ou non le roi. Cette scène sera fort vive,
fîirtrfiix (honnête frarçon] défend la vie du rot et
dévoile l'ambition de Gromwell. — Scâke IV. —
Cromwell rassure les conjurés sur les craintes
^e leur a inspirées Faii fax, et l'on convient de
faire mourir le roi. — Scëke V. — A ce moment,
la reine indignée (ulle a tout entendu) s'élance,
et tu juges!... quel discours! (Elle sort.) —
ScftvB VI. — Cromwell et ses amis sont ravis;
e'est une victime qui leur manquait. (lU iortent.)
ACTE II [toujourt dans WeUminstei).
Scène F*. — Le roi seul (dans sa prison] fait
on monologue... nh!... aux oiseaux! — Scè?(BlI.
— La reine vient trouver le roi. (C'est là où il
faut du talent !) Expansions. La reine rend compte
de ses démarches. (Que de difficultés! l'amour
ai BALZAC.
conjugal snf la scène pour tout potage ! mai^ il
fiiut qu'il embrase la pièce], » elc, etc.
Tout le reste du plan est de h même
candeur et du même style.
On aime à assister aux premiers tâton-
i\çmeuts de ce beau génie, qui, certes,
n*était pas là dans sa route. Il se fourvoyait
en essayant de parcourir le^ sentiers de;
Tait dramatique, beaueoup trop étroits
pour les allures puissantes de son imagi-
nation.
Balzac, après avoir expliqué en détail le
plan de Croniwell & sa sœur, termine de
1 sorte :
« Si tn as quelques belles pensées, commu-
nrquc-les-moi. Garde les jolies, il no me fiut
qnc du sublime. Ma trag(!'die sera le briviaire
BALZAC. 27
des rois et des peuples: je yeux dVbuter par an
cbeC^d'oeuvra qu me tprdre le cou.
« Il est déjà une heure du malin, et j'ai encore
à l'écrire. (Je ne Vinlilulc pas Charles /*' pour
lii^ pa« ernjt-oucher S. A. .B. ducliessa d'An-
gouUlme.) Si je m*écoutais, je couvrirais une
rame c% t'ccrivant.
([ Ce qui me coûte 1c p^us, c'est Texposilina. I
y a à faire le portrait de Cf omtoe,7, et Bossuet m'é-
pouvaute. Cependant j'ai des vers déjà tournés...
Ab! m.i sœur, ma sœur! si je suis un Pradju. je
me pends 1 »
A quelqties mois de là Balzac, ayant
tciininé ses cinq actes, vint les lire à s^
famille.
On avait invité quelques personnes ca-
pables de juger l'œuvre, entre autres Sta-
nislas And rieux, professeur de littérature
au Collège de France*.
i Aoiear à' Anaximandref de Junivs BrutuSt et de
frpt i huit autres pièces.
Coltii-cj, la lecture achevée, déclara,
d*un ton de pédagogue et en présence
même du jeune auteur, que la pièce ne
révélait chez celui qui Favait écrite aucun
germe de talent.
Sous le coup de cette critique brutale,
Balzac retourna dans sa mansarde, humi-
lié sans doute de voir condamner son œu-
vre, mais en appelant au travail et à son
courage pour inflrmcr la décision d'un
juge trop rigoureux, et peut-être jaloux.
Il renonça au laurier tragique et «e (tt
romancier.
Bravant la souffrance matérielle et riant
au nez de la misère, il écrivit quarante
volumes, publiés tour à (our par ces édi-
teurs-vampires qui se tiennent au berceau
BALZAC. 2»
du génie et 1 elouflent dans leurs emliras-
sements avides. Ils onl pour système de
laisser mourir un auteur de faun, Tex-
ploitent à leur aise, vendent ses livres sous
le manteau, presque toujours avec un
pseudonyme *, ou à la faveur de quelque
préface parasite, et lui enlèvent toute sa
publicité, toute sa gloire.
— Tu lo vois, dit M. de Balzac à son
fils f tes efforts sont infructueux. Un
homme qui arrive à l'âge de vingt-cinq
ans sans pouvoir gagner par son travail
* Us premiers romans de Balzac ont été publiés soub
les noms de lord R*booiie, anagramme d*Uonoré, et
d'Horace de Sainl-Aubi]. Ces romans avaient poi:r
tiire Argow le Pirttte^ la Dernière Fée, le Sorcier,
VltraéMe, Jane la pâle, le Vicaire des Afdemeit,
Jean L&uie, VHéritière de Btrague, etc., etc.
10 BALZAC.
l'argent nécessaire à sa propre subsistance
est dans une fausse route.
Le jeune homme isoupira.
Bien certaiucnieut il n*6tait pas con-
vaincu ; mais il sentait qu'il se brisait la
tète contre une muraille de bronze. Par
un suprême clïort d'énergie, il résolut
d*arriver à la fortune et à rinJé|)endance
pour avoir entifl le droit d'écrire.
Un ancien camarade de collège lui prêta
des fonds et le mit en mesure d'exploiter
une idée de librairie assez féconde. Il s'a-
gissait d'imprimer eu un seul volume
compacte les œuvres de Molière^ et, en au
second volume pareil au premier, celles
de la Fontaine. L'aiTaire présentait toutes
les chaoces de suecès possilrfes.
JikllXC, M
Balzac écrivit une iatroduclion remar-
quable en tèle de chaque volume, el les
publia.
Mais il avait compté sans le mauvais
vouloir des libraires. Aucun de ces der-
niers, pour nous servir d'une expression
reçue, ne poussa à la vente. L^édilion dé-
préciée tomba au rabais, et Balzac vit s'en-
gloutir la- somme qui lui avait été con-
fiée.
Son ami ne se découragea pas. Il lui
prêta de nouveau de Fargent pour l'aider
à se relever de cetle perte.
M. de Balzac père, heureux de voir en*
fia son fils marcher dans une autre voie,
fournil lui-même trente mille francs, des^
tiués à Tachât d'une imprimerie.
1% BALZAC.
Voilà donc notre^ romancier lancé à
corps perdu dans toutes sortes d'entrepri-
ses typographiques.
Établi rue des Marais-Sakit*Gemiain,
n* 13, il monte douze presses, organisa
une fonderie de caractères, donne à toute
sa maison l'activité la plus merveilleuse et
croit enfm sortir vainqueur de sa lutte
avec le sort.
Malheureusement, à cette époque, la
Restauration menacée croyait échapper
au péril en muselant la presse, en impo*
sant à la librairie entrave sur entrave. Un
fonds de roulement de cinquante ou
Foixante mille livres eût été nécessaire au
jeune imprimeur pour attendre des temps
moins nides. Il ne le trouva pas, et fut
ftÂLZAC. S3
obligé de céder à vil prix un matériel qui
a fait la forlune de ses successeui':^.'.
Balzac revint à la liltéraluré, non plus
seulement pour vivre, mais pour payer les •
dettes qu'il avait conlractées.
Au lieu d'abattre les grandes âmes, le
malheur double leur énergie. La foi, ches;
rarlisle comme chez le chrétien, soulève
les montagnes, ef nous allons, voir (ont à
coup resplendir^ au plus haut du ciel lit-
téraire, cette gloire si lente à son aurore.
Un libraire non vampire, II. Leva-
vasseur, édile les nouvelles œu\Tes de
Balzac.
Il l'engage à les signer dé son nom.
* M Dvberny, acquéreur de la loiulerie de cara«-
lèrcs, y a gagne plus de six teai inclle francs.
, Le Dernier Chotian, la Femme de
trente ans, les Deux Rêves^ la Maison
du Chat qui pelote, le Bal de Sceaux,
{Mibliés de 1827 à 1829, commencent à
rendre populaire notre patient écrivain» et
la Physiologie dit Mariage achève d'as-
seoir sa renommée sur une base solide.
Dès ce moment, il ne s'arrête plus .
Ses nuits et ses jours sont consacres au
travail. 11 absorbe à chaque page qu il écrit
une gorgée d'essence de café, (liasse le
sommeil et se brûle le sang; mais aussi
que de chefs-d'œuvre ! que de conceptions
admirables ! Gobseck -, la Vendetta , la
Peau de Chagrin , San^asine , Louis
Lambert, Vlllustrc Gaudissartj le Méde-
cin de Campagne, Fetragus, Eugénie
Grandet , Séraphitu , la Duchesse de
UALZAt. AS
Langeais, te Père Goriot, h Recherche
de V absolu. Un grand Iwmme de pro-
vince à Paris^ le Lys dans la Vallée, le
Curé de Village^ et vingt autres romans,
en tout plus de soixante volumes, parais-
sent dans un intervalle de six années.
Et Balzac n'a jamais eu de collabora-
teurs!
Et ses plus grands ennemis n^osent pas
soutenir qu'une ligne, une seule ligne
étrangère, soit venue, à aucune époque,
déshonorer son œuvre.
Tout lui appartient, à celui-là !
Jamais il n'a mis son nom glorieux
* T«MKlt¥r«»«fltea d'innombrables éditions et ont
U fortune de beaacoap de libraires, parmi lesquels
Boas citerons 11. Hippolyte Sooveraio.
se BALZAC.
comme estampille sur le livre d'un an-
tre, afin de TolTrir à ses lecteurs en
contrebande ; jamais il, .n'a passé avec
le journalisme de ces marchés impudents
que nous avons vu conclure à la honte des
lettres françaises. La postérité n'aura pas
à faire un triage dans les volumes signés
de lui pour les rendre aux véritables au-
teurs et venger la morale publique.
Nous répéterons ici avec Victor Hugo :
i Ce travailleur puissant et jamais fati-
gué, ce philosophe, ce penseur, ce po^te,
a vécu parmi nous d'une vie d orages, de
luttes, de querelles et de combats. »
En effet, dans tout le cours de son exis-
tence , Balzac eut constamment à se dé-
fendre.
W BALZAC.
laille jiiéHie ne voulait pas se charger; il
se traîne dans les tombeaux d*Anne Rad-
clifle) dans les blasphèmes de PigauU-
Lebi*un) dans les drôleries do Paul do
Kock ; il tourne incessamment dans le
même cercle d*aventures vulgaires et tri-
viales*. » — N*est-il pas vrai, seigneur
Jules Janin?
Cette aimable et judicieuse critique est
bien de vous.
Avant Tarticle que nous citons, vous
aviez lancé dans les jambes du fèred* Eu-
génie Grandet beaucoup d*autres phrases
< Journal des Débats da 18 février I8)1S. On n'atta-
quait pas seaiemeni Balzac au sujet de ses oeuvres, on
Ini contestait jusqu'à son nom. « Ali ! s'écria-t-il un
jour, vous prétendez qoc je ne descends pas des Balzac
d'Enlragues? eh bien, lant pis ponrPBx! »
BAÏ.ZA»; 30
du même genre ; vous préleudio;^ démoUr
Balzac (nous n'inventons pas l'expression) ;
vous grattiez le piédestal du bout de votre
plume ; vous vous dressiez aussi haut que
possible pour atteindre à la cheville du
géant, et vous lui edfonciez dans le talon
votre lance de pygmée.
Balzac se retourna, vous prit pour une
mouche, et continua d'écrire.
Il ne daigna pas même vous administrer
la correction pittoresque des anciens clercs
de réiude. Que lui importait votre senti-
ment? Pouviez-vous abaisser sa taille à la
vôtre et mettre la Peau de Chagrin au
niveau de VAne mort? Non, certes. Il
vous imposa silence, à vous et 5 la tourbe
kù^ BALZAC.
des Zoïlo$, fin prouoiiçaut ce Fiat lux su*
Lliine de sa créaliou ;
CouÉoiE iiumai:<eI
Un scnl nu)t a sufii pour vous terrasser»
ô critique imberbe et pansu I Que diublô
aussi alliez-vous faire près de ce foyer lu-
mineux, grosse phalène imprudence?
Comédie humaine ! êles-vous assez
ébloui? Le rayon vous semblc-t-il asscï
éiincelîinl? Y voyez-vous mieux? Tout est
classé, tout s'arrange, tout converge 5 un
même but avec un ensemble parfait '.
* La Cotaédie hunumeic divisi' en buit grtindes s&r
ries : i° Sciuex de la vie privée; 2° Scènea tie la vie de
province; 5° Svènea de la vie parisienae; à^ Scène f ie
l<t vie polflique; li^ Scènea de la vie miiUaire; M^ Scè-
nes de la vie de campayiie; 7<> Étude» philosophique»;
V^ Eludes analytiques.
BALZAC. 41
C'est le cercle (ïaventures triviales et
vulgaires dont vous parliez tunlôt, sei-
gneur Janin. Vous aviez mal choisi vos
épillièles, vous étiez aveugle ; votre critique
marchait à tatous dans les ténèbres, et
voici le grand jour. La société moderne
tout eniièrc est en scène. Regardez! vous
êtes au nombre des personnages.
Place au théâtre, illustre critique, et
laissez -vous passer!
Notre cadre ne nous permet malheu-
reusement |)as d*cntrer dans tous les dé-
tails qu'exigerait une sérieuse apprécialiou
des œuvres du grand i'om«incier. Un iu-oc*
tavo sufiirait à peine a la tâche. Nous
sommes donc obligé de nous restreindre
et de tracer seulement quelques-uns (ies
42 BALZAC.
f laib les plus cnractéristiqucs de ce noble
et beau lalenf.
Balzac est le Benveaulo Cellini de la
littérature moderne : il a sculpté ses livres
avec une patience admirable; toutes ses
phrases sont ciselées; il excelle, passez-
nous le mot, dans la fonte des passions et
coule ses personnages en bronze.
Depuis Molière , aucun auteur n'a plus
profondément exploré le cœur humain.
La femme, cet éternel désespoir du
peintre de mœurs, cet être fugitif et mys<»
térieux, cette fleur aux mille nuances in*
saisissables, ce gentil caméléon aux reflets
si variés et si trompeqrs, la femme a
trouvé tont à coup son naturaliste, son
historien, son poêle. Elle lui a donné le
secret de ses joies et ide- ses misères; eUe
lai permet d'expliquer ses mignardises,
ses chatterias, ses dédains, ses préférences,
ses caprices et ses bonheurs. Chacune des
phrases de ce grand livre, dont notre mère
Èye a écrit la première ligne, est traduite
fidèlement par Balzac. 11 déchiffre les hié-
roglyphes les plus obscurs du sentiment.
Son scalpel met à nu les fibres les plus
délicates de la pensée. 11 dissèque 1q cœur
de la femme, en analyse toutes les palpita-
tions, toutes les tendresses; il nous montre
dans leur exquise et parfaite essence les
adorables qualités qui la distinguent; puis
il cherche les défauts, il les surprend tour
' à tour avec une pénétration merveilleuse.
L'ombre succède à la lumière, et, sous
Tenveloppe de range, on découvre quet
BALZAC. U
zac aux femmes de George Sand, on y
trouve toute la diflërence qui existe eufre
la saine logique et le paradoxe, entre la
vérité et le mensonge.
Balzac instruit, madame Saûd trompe .
Le premier moralisé, la seconde atlein
un but absolument coniraire.
Toutes le» Indiana et toutes le:» Va-
lentine du monde pâlissent devant limée
et Loîiise, ces t^'pes délicieux que. nous
oiïrent les Mémoires de dmix jeunes
fnariées.
On ne cherche pas longtemps la con-
clusion morale de ce livre.
Madame Sand, à qiii Balzac Ta dédie
ironiquement, a dû comprendre tout d'a-
bord que Tamour exalté de ses hérotnes
id BALZAI..
n'enfante que perdition et malheur. Renée
se sauve de Tamour pnr la malemilé et
vit heureuse, tandis que Louise est tuée
par Tamour, parce qu'elle n*a pas eu la
maternité.
Balzac n'aimait pas George Sand. Il di-
sait d'elle :
— C'est un écrivain du genre neutre. La
nature a eu des distractions à son égard :
elle aurait dû lui donner plus de culotte et
moins de style.
Dans ses relations avec la châtelaine du •
Berri , Tauteur de la Peau de Chagrin se
montrait d'une réserve et d'une froideur
extrêmes. Elle le jugeait par conséquent
très-mal. Nous sommes obligé de nous
inscrire en faux contre les phrases sui-
BALZAC. 47
vanles que nous trouvous dans une préface
signée d'elle :
« La vie de Balzac était, à Diabilude;
celle d'un anachorète, et, biep qn*il ait
écrit beaucoup de gravelures, bien qu'il
tài passé pour expert en matières de ga-
lanteries, bien qu'il ait fait la Physiologie
du mariage et les Conter drolatiques, il
était bien moins rabelaisien que bénédic-
tin. Ce grand anatpmiste de la vie laissait
voir qu'il avait tout appris, le bien et le
mal, par Tobservalion du fait et la con-
templation de ridée, nullement par Tex-
périence. »
Madame Sand trahit ses raïu^unes se-
crètes.
Nous croyons, et le plus grand nombre
48 BALZAC.
des femmes qui ont connu Balzac parta-
gent noire avis, que la contemplaliou de
ridée seule ne lui a pas donné celle science
du cœur féminin que Thomme n*acquicrt
jamais sans approfondir Tamour, sans en
cxpérimcïder les joies et les dégoûts, les
transports et les fatigues.
Puisque madame Sand se dispose à
publier ses Mémoires, ce qui nous semble
^ |)arfaitemetit inutile au point de vue de
' renseignement de la jeunesse, il e^ bon
de mettre le lecteur en garde contre les
appréciations plus ou moins injustes aux-
quelles elle pourra se livrer.
Cependant Balzac, malgré le succès de
ses livres, ne s'enrichissait pas.
11 travaillait avec trop dé conscience et
BALZAC. 49
trop dé lenteur. Jamais il n'était con-
tent de lui-même. Un de ses romans,
Pierrette, fut remis quatorze fois sur le
chantier.
— Mais, lui disait Timprimeur, vous
allez avoir pour dix-huit cents francs ou
^ deux mille francs de corrections.
. — Qu'importe? répondait Balzac; allez
toujours !
On lui obéit ; il ne s'arrêta qu'à la vingt-
septième épreuve.
Pierrette était dédiée à la charmante
femme qui devait un jour porter son nom * ;
il voulait lui envoyer tout son talent avec
tout FOU cœur. Les corrections du livre
* Madame Èvi: de Hanska.
iO 3AtZAG.
i)é|»as8èrent le prix de veale de troU ûù
quatre cents francs.
Certes, il était difficile que Balzac payât
ses dettes avec un pareil système.
« Il poussait si loin le mérite de la vé-
rité et de l'exactitude, dit le bibliophile
Jacoby qu*il ne dépeignit jamais un pays
sans l'avoir visité, et qu'il ne craignait pas
de faire un voyage pour voir une ville,
une rue, un lieu quelconque où il voulait
placer les scènes de son dmme. De là ces
merveilleux tableaux du logis Grandet à
Saumur, et de la maison Rouget à Issou-
dun. H. de Balzac était peintre à la ma-
nière de Gérard Dow, de Miéris et de
Rembrandt. »
Les voyages d*uue part et les cori«c-
ftALZAC. «I
lions de l'autre absorbaient tous les béné-
fices de la plume ; le gouffre des dettes ne
se comblait pas.
Âhun par les clameurs de ses créan-
ders, Balzac avait des moments de tris-
tesse profonde, que la douce affection des
sieiis s'appliquait à dissiper.
Presque chaque soir, il dînait chez sa
sœur Lanre, établie à Paris avec son époux
et ses deux filles.
— Voyons, mes gazelles (il appelait
ainsi ses nièces), dit-il un jour en en-
trant, prètez-moi du papier et un crayon. . .
Vile I vite î
On lui donna ce qu*il demandait.
Il passa près d'une heure, non pas à
écrire des notes, comme OL m Tmiagine
5f BALZAC.
peut-être, mais à aligner des chiffres les
uns sous les autres et à les additionner.
— Cinquante-neuf mille francs ! mur-
mura-t-il , je dois cinquante-neuf mille
francs 1 11 ne me reste plus qu à me brû-
ler la cervelle ou à me jeter à la Seine.
— Et le roman que tu as commencé
pour moi, tu ne Tachèveras donc pas * î
lui dit en pleurant sa nièce Sophie.
— Cher ange!... En effet, j'ai tort de
me décourager de la sorte. Travailler pour
toi, cela me portera bonheur. Voyons, plus
d'idées sombres ! J'achève ton roman, c'est
*
* Balzac défendait à ses nièces de lire ses œuvres.
K composa toat exprès pour elles Ursule Mirouet, on
angéliqae et chaste livre dont toutes les pages sont
empreintes da sentiment chrétien le plus par, ce qal
néanmoins n*a pu lui rendre ni M. Veuiltot ni M. de
Ponimartin favorables.
BALZAC. 55
un chef-d'œuvre, je le vends trois mille
écus, les éditeurs me proposent des traités
superbes... A merveille! Je paye en deux
ans tous mes créanciers, je vous amasse
une dot, et je suis pair de France ! Voilà
qui est convenu, dînons !
— Et les places de théâtre que tu nous
as promises^ mon oncle ?
— Tiens, justement je les ai ijlans ma
poche ! Nous irons au Gymnase.
— Mais tu n'es pas habillé.
— Surville me prêtera son habit...
N'est-ce pas, Surville?,.. A table, mes ga^
zelles, à table !
Le dîner fut d'une gaieté folle.
Balzac ne pensait plus au chifh*e de ses
U BALZAC.
dettes. On apporta du bordeaux et des
marrons aa dessert.
— HabiHe*toi donc, mon oncle l crièrent
les jeunes filles; nous serons en retard!
— C'est juste, dit Balzac, se levant de
table et passant pour faire toilette dans
une pièce voisine.
La porte restait cntr'ouverle. Au bout
de quelques minutes, il cria :
— Ehl Surville, laisse-moi du bor-
deaux!
— Diable ! fit son beau-frère, la bou-
teille est vide, nous avons tout bu ; mais
je vais descendre à la cave.
— Non, non, ne le dérange pas. S'il
n*y a plus dé bordeaux, je mangerai des
marrons en place.
BALZAC. 8»
Et toute la famille d'éclater de rire a
celle bonne et grosse naïveté.
Si nos lecteurs trouvent ces anecdotes
puériles, bien Certainement ils auront
tort, car elles peignent Balzac au naturel.
La Providence, à côté des traverses sans
nombre et des inquiétudes dont fut semée
sa vie, lui donnait ce caractère heureux
sur lequel glissait le chagrin. Une minute
de joie effaçait che« lui des heures de dés*
espoir et lui rendait tout le ressort néces-
saire à ses travaux.
Souvent il jouait avec ses nièces pêU^
dant des jours entiers, comme Henri IV
faisait avec ses enfants. Quand sa sœur
le grondait de perdre ainsi des moments
précieux, il s'écriait :
56 BALZAC. :
. — Tais-toi , Pétrarque* ! II faut que
ma tète se soulage , sans quoi je devien-
drais cerveau!
Les douleurs de dents qu*il avait gagnées
dans sa froide mausarde de la rue Lesdi-
guières le tourmentaient encore. Il refu-
sait de se soigner , prétendant que , les
loups n'ayant jamais recours aux dentistes,
les hommes devaient ôtre comme les
loups.
— Allons donc! tu manques de cou-
rage, et tu n*oses pas te faire arracher une
dent! dit sa sœur.
— Par exemple! J'en ai là une qui
* Il lui (loniiuil plaUamment ce nom, parce quVlle
s*api>el^iU Laarc.
BALZAC. o7
branle ; douiie un bout de lil, tu verras
si je ne Textirpe pas moi-même!
Il se mit en devoir de procéder à Topé-
ralion ; mais il y allait avec tant de déli-
catesse et de mesure, que sa sœur, impa-
tientée, se précipita sur la main qui tenait
le fil et arracha, par FelTet de cette brus-
que secousse, la canine malade.
— C'est bizarre ! dit Balzac ; il paraît
que je ne tirais que moralement.
L'espril de réplique et d'à-propos ne
lui manquait jamais. Il lançait toul ce qui
lai venait aux lèvres , accompagnant ses
saillies de ce gros rire tourangeau qui l'a
fait comparer à Rabelais, son joyeux com-
patriote, avec lequel, n'en déplaise à ma-
dame Sand, il a plus d'un trait de ressem-
blance.
M- BALZAC.
Comme la litlérature ne lui fournissait
décidément pas de quoi payer ses dettes, .
Balzac se creusa Timaginatioa pour arriver
à la découTerte d*une industrie capable de
Tenrichir.
Lisant un jour Tacite, et voyant que
les Romains avaient exploité jadis en Sar-
daigne des mines d'argent, il se frappe le
front et s'écrie :
— Je suis millionnaire !
Sans plus de retard, il emprunte cinq
cents francs, court à Marseille, s' embarqua
sur un bâtiment génois et communique
son idée au capitaine , qui la trouve déli-
cieuse. Il est de toute évidence que les Ro*
mains, peu versés dans Tart de la chimie,
n'ont dû scorifier que médiocrement les
BALZAC. W
mines» Balzac s^assure du fait à son arri-
vée en Sardaigne, rapporte du minerai i
Parisr acquiert par l'analyse la preuve
qu'il renferme encore beaucoup de métal,
et demande au gouvernement sarde Tau*
torisation de glaner après les Romains.
On lui répond qu'il est trop tard.
Le capitaine du bâtiment génois a
trouvé ridée si bonne, qu'il s* est hâté de
solliciter à son profit la susdite autorisa-
tion.
Victime de cet abus de confiance, Balzac
ne se déconcerte pas et cherche d*autres
moyens de conquérir la fortune.
Si M. Dutacq, ancien gérant du Siècle y
veut y mettre de la franchise, il convien-
dra que, deux mois durant, sous un ber-
60 BALZAC.
ceau des Jardies * , loin des regards indis*
crets et dans ]e plus profond mystère ,
Fauteur de la Comédie humaine et lui se
sont torturé le cerveau pour résoudre le
vieux problème du mou vernit perpé-
tuel.
Un soir , Balzac bondit comme Ârclii-
mède en s'écriant : « Eurêka ! Je l'ai
trouvé ! »
Séance tenunte, il fait signer à Dutacq
que ia découverte leur appartient en
commun.
Celui-ci donne son parafe de grand
cœur.
Mais , hélas ! après avoir étudié plus
t, * Maison de ranipaguo que Balzac babUail alors à
ViUc-d'Avray.
BALZAC. 61
scrupuleusement le système, Balzac y re-
connaît un vice, et son associé reçoit, lo
lendemain, le billet suivant:
<( N'y comptez plus, il manque deux
chevaux à la machine. »
Un plan condamné, Balzac se rejetait
sur un autre. Tantôt il cultivait des ananas
pour se faire deux cent mille livres de
rente, oubliant que ces fruits exotiques ne
peuvent mûrir sous notre froid soleil ; taiï^
tôt il se livr«iit à des combinaisons mathé-
matiques ou ne peut plus savantes, avec
Tespoir d'en trouver une au moyen de la-
quelle il ferait sauter les banques de Bade
et de Hombours.
Jules Sandeau lui venait en aide dans
M BALZAC.
la recherche de ce paroli puissant qui de<-
vait leur*amener des montagnes d'or.
« Eurêka ! je l*ai trouvé ! cria, pour
la seconde fois Balzac, ivre d'espoir.
— Oui... mais le double zéro? vous
n'en avez pas tenu compte, lui dit San-
deau. Tout s'écroule, c'est à recommen-
cer.
Sans le double zéro, les banques d'ÀUe-
magne auraient vu leur dernier jour.
Balzac renonça définitivement à ces
fous rêves ^ On lui fit tx)m^endre qu*il
était plus simple de chercher la fortune
i Sa dernière fantaisie de ce genre fut d*aUer eu
Corse cultiver ropiom. Il élaborait avec an soin ex-
uêaw toni ces plUMécinige*, et U étitt imponible, en
0ALZAC. «S
au sein du domaine littéraire, dont il avait
la libre exploitation. ^
— Créez un journal, une revue, lui di-
saient ses amis ; votre nom seul amènera
des souscripteurs par phalanges.
Balzac suivit ce conseil.
Mais une chance fatale s'acharnait après
lui et paralysait tous ses eiïorts. Le Feuil-
leton UUérairCy la Remie parisienne et
l'écoiitant, de ne pas partager ses iUosions; il niagBé'
Usait son aadiiear, il le tenait pantelant sous Taciion
4e sa parole et de son regard. Datacq se sanva nn jottr
des Jardîes en s*écriant : « Ma parole d'honneur, il
me rendra foo comme lai ! » Edouard Oarliac, Lassailly,
Gérard de Nerval, Laurent Jan et le marqais de BeUojr
ont rac4)nté des choses merveilleuses de cette puissant;
de rascinatiou de Balzac. On ne pouvait pas coUahorer
avec lui. Son imagination vous emportait dau les es-
paces. n effrayait, il donnait 1« variife.
04 BALZAC.
la Chronique de Paris moururent entre
ses mains.
Il était trop artiste.
Quand il écrivait lui-même de bonnes
et consciencieuses pages, quand les Méry,
les Théophile Gautier, les Charles de Ber-
nard S les Ghaudesaigues , les*Gustaye
Planche répondaient à son appel et lui
prêtaient leur concours , il croyait avoir
assez fait pour le public. Il ne girardini-
sait pas ses lecteurs ; il regardait comme
indigne de lui-même et de sa gloire de
recourir à toutes les promesses menson-
gères de raffiche, à toutes les bourdes de
♦ l'annonce .
* Balzac, pour s'altacher cet écrivain, paya, trois
mille francs que celui-ci devait à la Bévue de Paritt,
alors dirigée par M. Boloz.
BALZAC^ es
.. Balzac était un de ces hommes naïfs,
faciles à duper, mais incapables de duper
I)ersonne. Il avait la confiance et la bon-
homie d\m bourgeois de province.
On lui présente, un soir, à la Chroni*
que de Paris, un très-jeune homme qui
ji^Qut, dit-on, commanditer l'entreprise.
Balzac invite ce jeune homme à dîner eu
compagnie de tous les rédacteurs de la
Revîte. Son convive est traité en prince.
Le Champagne mousse, les bouteilles, se
vident, Tesprit court en fusées d'un bout
de la table à Tautre. Après le café, le pré-
tendu commanditaire se lève et dit à Fil-
• 4
lustre rédacteur en chef :
— Eh bien , monsieur de Balzac,
5
6« BALZAC.
voilà qui est entendu, j'en parlerai à
papa !
Cefen parh^ai à papa produisit sur
les dîneurs Teffet du mané tliécel phares.
Balzac avait pris le collégien candide pour
un bailleur de fonds sérieux. On lui eût
affirmé, dans ses moments de gène, qu'un
sac d*or lui descendrait de la lune, à mi^
nuit, qu'il aurait tendu les deux mains
pour le recevoir.
La Chronique perdait des, abonnés cha-
que jour. Elle publiait en vain des chefs-
d'œuvre ' ; il y avait autour d'elle, dans la
presse parisienne, une légion de charla-*
* Balzac donna dans cette revue le Cabinet det An-
tiquen, Ecce Homo^ Vlnterd'iclion et la Verle brisée.
BALZAC. 67
tans qui faisaient rage sur teurs tréteaux
et vendaient, à grand renfort de coups de
tam-tam, leurs drogues politiques et lit-
téraires, au détriment des saines élucubra-
lions de Balzac et de ses amis.
L'auteur du Lys dans la Vallée tra-
vailla dix-huit mois pour ajouter vingt-
cinq mille francs de plus au chiffre de son
passif.
Il en devait dix mille à Faucien pro-
priétaire du journal *.
Celui-ci, gêné lui-même, fut obligé de
poursuivre rigoureusement son débiteur et
le menaça de la contrainte par corps.
* M. DnckcK, aujoard'bai rédact4!ur en chef du Die-
tioHttoire de la Convenûlion,
es BALZAC.
filais Balzac était introuvable.
i
ê
Le garde du commerce chargé de le
prendre venait de passer trois semaines en
courses inutiles, quand une Ariane vindi*
cative (elle mériterait bien de voir écrire
ici son nom eu toutes lettres) se présenta
chez le créancier et lui dit :
— Monsieur, vous faites chercher M. de
Balzac. Or j'ai un intérêt très-grand à
ce que M. de Balzac soit conduit en prison
(charmante femme!), et je vais vous faire
connaître le lieu de sa retraite : il demeure
aux Champs-Elysées, à Thotel de madame
Visconti.
Rien n*était plus exact que ce rensei-
gt ement.
IJALZAC: 69
Deux heures après, Thôtel était cerné*
Balzac, interrompu au milieu d'un cha-
pitre de roman, vit entrer deux recors,
armés du gourdin traditionnel. Ils lui si-
gnifièrent qu'un fiacre attendait à la porte.
Une femme avait trahi notre écrivain^
ce fut une femme qui le sauva.
loyalement hospitalière, madame Vîs-
conti jeta dix mille francs au nez des re*
cors et leur montra la porte.
Guéri à tout jamais des entreprises in*
dustrielles, Balzac se remit au travail avec
cette énergie victorieuse et cette passion
du heau qui sont les deux traits les plus
saillants de sa nature.
Outre les œuvres mentionnées précé-
70 BALZAC.
demment, il publia, de 1837 à 1845, la
Vieille Fille, le Cabinet des Antiques,
César Birotteau, la Filandière, Une
Fille d'Eve, Mércadet, Vautrin *, les
Ressources de Quinola , Une Ténébreuse
Affaire, Béatrix, Albert Savants, Un
Début dans la Vie, Honorine, et celte
admirable Monographie de la Presse pa-
risienne *, qui le vengea d*uu seul cbup
de tant d'agressions odieuses.
' Drame en cinq actes, dont Frederick Lemattre joua
le principal rôle. Le ministère prétendit que i*actear
s'était grimé de manière à ressembler à Loais-Pbilippe.
On défendit la pièce.
' Noos ne citons que les principanx oavrages impri-
més alors. Ou trouvera ia liste complète des œuvres de
M. de Balzac en tète de la magnifique édition Hoas-
siaux. Cet'.e édition contient quatre-vingt-dix romans
ou nouvelles, et représente plus de cent vingt vo-
lumes ordinaires de cabinet de lecture. M. Dutacq
prépare une édition spéciale des Conlet drolatiques.
DALZÂC. 71
Comme tous les hommes d'un talent
supérieur et qui se trouvent, par cela
même, au-dessus de Tinjure, comme le
soleil se trouve au-dessus des nuages, Bal-
zac méprisait profondément cette tourbe
d'écrivassiers qui s'agitent dans les limbes
du petit journalisme.
— Ce sont les punaises de la littérature,
disait-il ; on les écrase quelquefois, parce
qu'elles mordent, mais on ne se met pas
en colère contre elles.
avec illustrations de Doré. N'oablions pas de dire
qu'an investigateur patient vient de réunir en une
sorte de faisceau lumineux toutes les Pensées de
Balzac^ recueillies pieusement dans ses œuvres com-
plètes. Un autre a dressé la liste de tons les personna-
ges de la Comédie humaine; ils sont an nombre de cinq
mille.
7B BALZAC.
Harcelé sans cesse , il se défendait avec
calme, sans descendre de la hauteur de
son génie. L*introducliou du Lys dans la
Vallée est une preuve de ce que nous
avançons. Balzac récrivit à Fépoque de
son procès avec M. Buloz ^. Aujourd'hui
que les passions sont éteintes et que la
mort a séparé les adversaires, le survivant
peut dire si une seule page de celte intro-
duction est tachée de fiel.
En 1834, on décida Fauteur du Père
Goriot à sonder le terrain académique.
C^était grave. Il avait de ce côté-là plus
' 1856. — * M. Baloz avait fait paraître one édition is-
complète du Lys de la Vallée dans le Journal de Saint"
Pétershurg^ sans i'aven de M. de Balzac.
BALZAC. -iS
de jakmx enoore et plus d'ennemis que
partout ailleurs.
Ne voulant pas s'exposer direclement à
des rebuffades, il fit pressentir sur sa can-
didature trois académiciens qui passaient
pour de chauds meneurs en matière d'é-
lections. Ceux-ci ne parurent pas décidés
le moins du monde à lui ouvrir les portes
du temple. Le plus influent des trois ap-
puya son refus de cette magnifique raison :
— Que voulez-vous? M. de Balzac n'est
pas dans un état de fortune convenable.
A cela Balzac répondit :
— Puisque FAcadémie ne veut pas de
mon honorable pauvreté, plus tard elle se
passera de ma richesse.
74 BALZAC.
Il élait convaincu que la forlune allait
enfin lui sourire.
Hélas! il la vit efTectivement appa-
raître , mais derrière elle se tenait la
mort !
Balzac devait être la victime du raau*
vais goût de son époque. Il fut assassiné
par le mercantilisme littéraire, auquel, de
jour en jour, la complicité de certains
journaux donnait plus de force.
On mettait à la mode les romans dialo-
gues et accidentés, œuvres rapides et folles
qui se pliaient aux exigences de la colonne,
tenaient le lecteur en suspens par des com-
binaisons slupidcs de chandelle éteinte, de
porte close ou de chausse-trappe béante
BALZAC. 75
renonçaient aux détails de mœurs, à la
peinture de caractères, tiraient à ligne,
encombraient la place et s'étalaient d'un
bout du journalisme à l'autre en flasques
et désolantes tartines.
Balzac Youlut lutter contre cet enva-
hissement et rester lui-même.
Il eût été de force à le faire, si ses en-
nemis eussent combattu à armes cour-
toises, c'est-à-dire en opposant plume à
plume, travail à travail.
Mais ils avaient juré de lui fermer la
lice et de rendre le combat impossible.
C'est alors que nous avons vu marcher
eu plein soleil et en plein scandale ces
marchand^ éhontés qui trafiquaient de
n BALZAC.
rhonneur des letlves, établissaient à tous
les coins des fabriques de romans, faisaient
travailler des esclaves, et signaient sans
' bonté, en face du public, les produits d'une
plume anonyme.
Et vous croyez, pirates, avoir impuné-
ment écume l'océan littéraire? Non ! non !
rheure de la justice arrive.
A genoux, et rendez gorge I car votre
gloire est volée. Nous le crions bien haut,
afin que chacun le sache.
Vous avez à vous seuls absorbé Théritage
commun.
Non-seulement, par vos manœuvres in-
dignes, les jeunes talents qui voulaient
grandir fiirent étouffés dans leur berceau,
BALZAC. 97
mais encore sur la route du génie vain*
queur, du mérite incontestable, du pre*
mier des fils de l'art, sur la route do
Balzac enfin, vous avez semé'de criminelles '
entraves. Quand il portait ses livres à un
journal, il se heurtait contre vos intermi-
nables et insolents traités avec le charla-
tanisme des directions. Se tournait-il du
côté des libraires, il trouvait là, comme
partout, votre littérature au rabais. Vous
anéantissiez son travail, vous brisiez ses
espérances, vous lui voliez sa part dans le
budget des lettres.
Il est mort à la peine, sachez-le bien,
eé grand homme, ce puissant génie !
Car il travaillait toujours, il tenait à
eoinpiéter son ceuvre, il ne pouvait croire
78 BALZAC.
à une dépravation littéraire aussi générale
et aussi profonde.
A présent l'opinion le venge, oui, sans
doute.
Mais vous n^étes pas assez punis ; mais
écoutez bien ce que nous allons vous dire.
Un jour viendra, ce jour est proche, où
vous tomberez dans la déconsidération la
plus absolue. Le public tout entier, rendu
malade par votre impure cuisine, ne
pourra plus ni la sentir ni la manger sans
dégoiU.
Voyez Jpnc, est-ce que déjà le châti-
ment n*a pas commencé ?
Balzac triomphe sur sou glorieux pié«
BALZAC. 70
destal, et vous descendez la pente rapide
qui mène aux abîmes de Toubli.
Pendant cette période honteuse où
Mercure était devenu le dieu des lettres,
Balzac imprima des livres qui pas-
sèrent presque inaperçus *. Nous cite-
rons Eve et David, Splendeurs et mi- .
sères des courtisanes, Modeste Mignon,
les Comédiens sans le savoir, et les Pa-
rents pauvres. Ce dernier ouvrage surtout
prouve que le talent de Fauteur grandis*
sait encore. i
On ne s'imagine pas combien Balzac
* On doit dire, à la louange de réditeur Hippoiyie
Souverain, que, malgré rindifTéreoce du public, il s'a!»-
liliqna constamment à maintenir Balzac à la hauteur d6
sa rénottimée. •
M BALZAC.
était hamilié quand un éditeur étaUissait
un point de comparaison qudcouque entre
ses romans et ceux du mousquetaire Du-
mas ou du socialiste Eugène Sue.
Voici un fait dont nous avons été té-
nom.
•
C'était pendant l'hiver de i 845.
MM. Maulde et Renou publiaient un
Tableau de la Grande Ville, dont Marc
Fournier, directeur actuel de la Porte-
Saint-Martin, surveillait la rédaction.
Balzac entre, un soir, dans le cabinet
des éditeurs et leur dit :
— Nous sommes convenus» messieurs,
que là Monographie de la presse pari-
BALZAC. 81
sienne me serait payée à raison de cinq
cents francs la feuille.
— C'est vrai, répondirent-ils.
— J'ai reçu quinze cents francs ; il y a
Quatre feuilles, c'est donc cinq cents francs
que vous restez me devcnr.
— Mais vos corrections, monsieur de
Balzac, savez-vous à quel chiffre elles
montent? ^
— Il n'a pas été dit que je payerais les
corrections.
*- Sans doute, répliqua M. Renou»
Pourtant je dois vous dire que l'article
d'Alexandre Dumas, Filles, Lorettes et
Courtisanes, a produit également quatre
6
82 BALZAC.
feuilles. Nous n'avons pas donné un cen^
time de plus.
Balzac tressaillit et deviut pâle. Évidem*
ment, pour faire une pareille démarche,
il se trouvait dans une grande pénurie
financière. Mais il oublia tout devant les
paroles qu'il venait d'entendre, n'insista
plus, se leva, prit son chapeau, et dit avec
un accent de ^gnité solennelle :
— A partir du moment où vous me
comparez à ce nègre-là, j'ai bien Thon-
ncur de vous saluer!
Il sortit. Le nom seul d'Alexandre Du-
mas fit gagner cinq cents francs à la caisse
de la iiranie ville.
Balzac et Dumas étaient ennemis. De
BALZAC. 8S.
son vivant, r^Nrteœr des Parents pauvres
a pu quelquefctts manquer de charité chré-
tienne envers un homme dont il n'esti-
mait ni le talent ni les œuvres. Que sa
rancune ait été juste ou non*, peu nous,
importe. II est mort, et son ennemi, qui
ne Test pas, sonne bruyamment de la
trompette pour lui élever un tombeau.
Quelle magnanimité! quelle noble et
généreuse initiative !
Des méchants prétendent que le Mous-
qtietaire languissait, qu'une réclame mons-
tre, un vacarme infernal, un ouragan de
publicité, devenaient indispensables pour
lui rendre un peu de nerf et de vigueur..
Hais nous n^en croyons rien.
Tout le monde a eu tort dans cette af-
faire, tout le monde, excepté M. Dumas. .
M BALZAC.
La yeuve de Tillustre romancier ne de-
vait pas se plaindre*, et M. Nogent-Saint-
Laurens devait refuser à madame de Bal-
zac, devant les tribunaux, Tappui de son
éloquence. Pourquoi donc empêcher ce
bon Mousquetaire de vivre? Ne voyez-
vous pas qu'il redresse les abus, qu'il si-
gnale de condamnables oublis, qu'il se
drape (ô merveille!) dans un pan du man-
teau de saint Vincent de Paul?
* Un article de M. de Fiennes, dans le f«nilléton da
Siècle, reprodait' avec empressement par le Uùusque-
/air^f afOrmaii qae Therbe croissait sur la tombe de
Balzac. Or M. de Fiennes s'était trompé. Ce qu'il avait
pris pour de Tberbe était du laurier-thym, de TalatéDe
et du jasmin blanc. La tombe de Balzac a été coDStam~
ment ei religieusement entretenue par sa veuve. On
peut interroger là-dessus tons les jardiniers du Père-
Lachaise. Balzac repose à côté de Charles Nodier et de
Casimir Delavignc. Son buste en bronze, œuvre de
David d'AngerSf couronne le latie du monument.
BALZAC. M
Sancte Dumas, ora pro nobis! Saiut
Dumas, priez pour nous !
Oui, d'Àrtagnati, tu as raison, mille
fois raison. Tu es entré dans une sublime
fureur quand un tiers officieux a osé fa-
postropher ainsi au sujet du tombeau :
« Vous vous méprenez, mon cher Dumas. Ce
que vous faites là manque de délicatesse. Ma-
dame de Balzac n'a donné et ne Teut laisser à
personne le soin de faire le monument de son
mari. Elle est assez riche pour le payer elle-même;
elle s'en occupe. Cessez, de grâce, d'imprimer le
nom de M. de Balzac. Il le faut, même dans voire
intérêt : des médisants vont jusqu'à dire queVest
une spéculation, une a (Taire de commerce; que
tout ce bruit est au bénéfice du Mousquetaire
bien plus qu'au bénéfice de je ne sais quel tom-
beau problématique, » etc., etc.
Jià-dessus d'Artagnan se place un poing
88 BALZAC.
sur la hanche, relève les crocs de sa mous-
tache et s'écrie :
— Par le sang ! par h mort ! vous
me la donnez belle I Balzac a été mon en-
nemi; son talent m'est antipathique, et
je ferai son tombeau comme je Tentendrai.
Voilà ma vengeance! L'inscription sera
celle-ci : c A Bdzac, Dumas son rival! »
(Textuel).
Bravo ! d'Artagnan, bravo !
Mais, aimable mousquetaire, où eu est
le monument? quand loffrirez-vous à nos
regards? Après tant de bruit, tant d'es-
clandre, tant d'articles, tant de concours
offerts, tant de lettres sympathiques, tant
de dévouements aussi admirables que le
BALZAC. m
vôtre, la caisse de souscriplions doit être
pleine.
Où en sommes-nous? Voyons les comp-
tes.
Il est bon de s'entendre. L'ombre de
Balzac est pressée... devoir la Comédie
humaine s'achever sur sa tombe.
D'Artagnan-Dumas a coupé notre fil
biographique, rattachons-le. Nous avons
laissé Balzac en lutte avec les contreban-
diers et les pirates littéraires. Ce noble
Christ de Tart avait, comme le Christ du
Golgotha, des larrons à sa droite et à sa
gauche. Par malheur, ceux-K^i n'étaient
pas crucifiés ; leurs mains étaient libres,
ils s'en servaient pour tout prendre.
Non-seulement ils repoussaient Balzac
88 BALZAC.
au seuil des journaux, mais ils parvcnaieut
à lui fermer la pprle du théâtre.
On sait que, de ce côté-là, beaucoup de
succès se font à la main, et que, par con-
tre, les chutes s*organisent avec la facilité
la plus grande.
Depuis la mort de Balzac, M^rca^f^^ a eu
les honneurs de la rampe. Jouez aujour-
d'hui les Ressources de Quinda, Vau»
trln, Paînélu Giraud, la Marâtre, ils
obtiendront également un triomphe pos-
thume.
On ne ment plus en présence d'une
tombe* Les envieux se taisent quand la
postérité parle*
Balzac a été le plus grand travailleur
des temps modernes. Il faut remonter jus-
'^
BALZAC. 80
qu*aux moines du moyen âge pour trouver
le même zèle^ la même assiduité, lu mémo
patience «
II se couchait tous les soirs à cinq
heures et demie, après son dîner, se levait
à onze heures ou minuit, s'enveloppait du *
froc monacal qu'il avait adopté pour robe
de ciiambre, et travaillait sans désempa-
rer jusqu'à neuf heures du matin.
Son domestique François lui apportait
alors à déjeuner, prenait en même temps
les épreuves attendues par Timprimeur,
et Balzac, tirant sa montre, lui disait avec
im sérieux imperturbable :
— Je te donne dix minutes pour porter
cela à Charenton.
L'imprimerie était extra muros , et
90 BALZAC.
réci ivain restait rue Saint-Honoré , c*est-
à-dire à une distance de près de deux
lieues, ce qui n empêchait pas François
de répondre :
— Dix minutes, soit. Je pars.
Balzac, après son déjeuner, reprenait la
plume jusqu*à trois heures, faisait une
promenade dans les champs jusqu'au dî-
ner, se couchait ensuite, et recommençait
le même train de vie tous les jours.
Quand on songe à la manière dont il
écrivait ses romans, on est eiïrayé de la
force de ce génie, assez sûr de lui-même
pour ne pas craindre de perdre ses élé-
ments créateurs et pour appliquer aux
lettres le procédé que les peintres adop-
tent pour leurs toiles.
BALZAC. M
Balzac ébauchait un roman comme on
ébauche un tableau.
Son premier jet, même en écrivant ses
livres les plus longs, n*a jamais dépassé
trente ou quarante pages. Il lançait cha-
que feuillet derrière lui sans le numéro-
ter, afin d'échapper à la tentation de re-
lire, et, le lendemain, on lui donnait,
avec des marges énormes, les épreuves
de son manuscrit.
Les quarante pages en formaient cent
sur la seconde épreuve, deux cents sur la
troisième, et ainsi de suite jusqu'à la fin
de l'ouvrage.
Cette manière d'écrire faisait le déses-
poir des compositeurs d'imprimerie.
Retrouvant avec une multitude prodi-
Oa BALZAC.
gieuse de renvois et de surcharges teur
travail de la veille, ils se croyaient en face
du chaos. C'était un rayonnement bizarre,
un véritable feu d'artifice , dont les fu^
sées se croisaient, s'enchevêtraient, tour-
naient à droite, revenaient à gauche, des-
cendaient, montaient, se heurtaient et
leur donnaient le vertige.
Dans chaque traité qu'ils passaient avec
leurs patrons , ils spécifiaient , comme
clause rigoureuse , qu'ils n'auraient pas,
journée commune, plus de deux heures
de Balzac.
Toutes ces épreuves du maître ont été
conservées et se vendent à prix d'or.
Nous ne terminerons pas celte biogra*
phie sans mettre le lecteur en garde contre
DALZAC. 93
les fausses anecdotes et les calomnies in-
décentes que les ennemis de Balzac ont
invitées à toutes les époques pour atta«
quer sa réputation ou le tourner en ridicule.
H y a des gens qui se plaisent à déposer
des immondices au pied des pyramides.
Quand les journaux de France n'osaient
pas imprimer tel ou tel mensonge, on
l'expédiait sous enveloppe aux feuilles
étrangères, et la presse parisienne, déga-
gée de toute responsabilité, faisait écho
sans scrupule'.
* Ce fat ainsi qa*on aecosa M. de Balzac d*enfoair
des millions au liea de payer ses ddies. Les ans sou-
tenaient qa*<prè8 la pablicaiion du livre de M. de Cos-
tine sor la Rassie, Taniear du ?ère Goriot s'était hilé
de prendre la poste pour aller offrir sa pinme aa czar,
et qao le ciar Pavait honteusement cbassé de Saint-
Pétersbourg. D'autres. iai: reprocbaieui d'avoir laissé
mourir une de ses sœurs à l'bdpital. C'était un concert
M BALZAC. '^>
Balzac ne daignait pas répondre à ces *
attaques déloyales. Il rLiit ou haussait les
épaules en écoulant toutes ces grenouilles,
coassant dans les marais de la critique.
Après avoir terminé les Parents pau^
vres^ il ressentit les premières atteintes de
la maladie cruelle qui devait remporter,
juste au moment où lui arrivaient la for-*
tune et le bonheur.
Le 18 août 1850. quatre mois après
son hymen avec la comtesse de Hanska, il
mourut à Paris dans sa maison de la rue
Fortunée * .
de calomnies plas infâmes tes ones que les aotres, et
dont la Gaiettt tTAugabourg on la Gautte de Mile»
prenaient tour à tour l'initiative. Théophile Gantier
seul avait le coarage de défendre M. de Balzac, son.
premier proiectenr et son matire.
* Aojonrd'hni me de Balzac.
BALZAC. 91
Cette mort fut un deuil public.
Balzac arrivait à peine au milieu de la
carrière. Une large moisson de gloire était
encore debout devant ce faucheur intré-
pide, qui avait déjà amassé tant de gerbes
glorieuses.^ Hais^ tout inachevée que soit
son oeuvre, elle n*ett est pas moins gi'
gantesque.
Il y a trois choses contre lesquelles la
rage des passions humaines devient im-
puissante : Dieu, la lumière et le génie.
Quand un esprit supérieur se révèle,
quand un flambeau s'allume au foyer de
rintelligence, il est aussi impossible de
souffler dessus et de Téleindre qu'il est
impossible d'empêcher Dieu d'être et le
soleil de rayonner aux cieux.
96' BALZAC.
Créez des entraves, suscitez des obsta-
cles, amassez en nuages autour de Tastre
les plus noires émanations de Teuvie et de
la haine, le rayon dissipera les ombres, la
flamme percera toiqonrs.
Vous tuerez Thon^e. peut-être, mats
Fintelligence alira sa manifestation ra-
dieuse.
L'enveloppe sera brisée, mais le génie
éclatera.
Tous vos efforts, toutes vos colères, ne
réussiront qu'à 'donner à votre victime
deux auréoles ^u lieu d'une ; la gloire
sera doublée du martyre.
Fra.
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PARIS
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Béraiiger.
Déjazet.
Alfred de Musset.
C^rard de TÊeanrmJL,
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Pierre l#ap»R4-
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Ve IBar-*» Ta^/ '^r
SODS PRESSE :
THIERS. - LOUIS DESNOYERS. — RASPAIL.
RAUL DE KOGK. ~ JULES JANtlI.
PDNSARD. - HYPPOLITE FORTOOL. - PERSWNV.
U GUÉRONNIÈRE. - EUOInE OaftCROH. - HORACE VCMirr.
ECfiÊNE SUE. - CAVAIfiNAC. - FEUX PTAt.
PRO0DHON. -'rose CHÉRI. - FRÈDÉRICK^LERAITilE.
RAGHEL. - ROSSINI. - ALFRED DE VNSNY. ~ FRANCIS WEY.
THÉOPHILE OAUTIER. - LOUIS VEUIUOT. - 6AVARNI.
FRANÇOIS ARACO. - SARSON. - SAINTE-BEUVE.
ARSÈNE HOUSSAYE. - LE P. UCORDAIRE - LÉON SOOftlI.
MONTALEMBERT. - ALOANDRE DURAS.
ALPHONSE KARR. — LE D' VÉRON. - ROTHSCHILD.
ETC., ETC., ETC.
PARIS. — INP. SIHOIf nAÇOIt RT COMP., ROR o'iïDFfTRTII, I.
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