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Full text of "Barzaz Breiz = Chants populaires de la Bretagne"

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CHANTS POPULAIRES 


DE LA 


BRETAGNE 


RECUEILLIS, TRADUITS ET ANNOTÉS 


PAR LE VICOMTE 


HERSART DE LA VILLEMARQUÉ 


MEMBRE DE L'INSTITUT 


OUVRAGE COURONNÉ PAR L'ACADEÉMIE FRANÇAISE 


HUITIÈME ÉDITION 





PARIS 
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE 
DIDIER ET G. LIBRAIRES.-ÉDITEURS 


39, QUAI DES AUGUSTINS, 35 


1883 


Tous droits réservés. 





MA TENDRE ET SAINTE MÈRE 


MARIE-URSULE FEYDEAU DU PLESSIX-NIZON 


COMTESSE DE LA VILLEMARQUE 


Boed a rea d'ann neb en doa naon, 
Ha louzou d'ann neb a oa klaon. 
LE TEMPS PASSÉ, p. 399. 





PRÉFACE 


Un sentiment que je n’ai pas besoin d'exprimer m'in- 
spira l’idée de ce livre où mon pays s’est peint lui-même 
et qui l'a fait aimer. En le réimprimant, peut-être pour 
la dernière fois, sans cesser d’être sous le charme des 
premiers jours, 16 le dédie à celle qui le commença, 
bien longtemps avant ma naissance, qui en enchanta 
mon enfance, qui fut pour moi une de ces bonnes fées 
que la légende place auprès des berceaux heureux. 

Ma mère, — qu'on pardonne ces redites à la piété 
d’un fils, — ma mère, qui était aussi celle des malheu- 
reux, avait rendu la santé à une pauvre chanteuse am- 
bulante de la paroisse de Melgven. Émue par les regrets 
de la pauvre femme, qui ne savait comment la remer- 
cier, n'ayant rien à lui offrir que des chansons, elle la 
pria de lui en dire une, et fut si frappée du caractère 
original de la poésie bretonne, qu’elle ambitionna 
depuis et obtint souvent ce touchant tribut du malheur. 


IV PRÉFACE. 


Plus tard elle le sollicita, mais ce n’était plus pour 
elle-même. 

Telle a été l’origine en quelque sorte domestique, j'o- 
serais dire presque pieuse, de la présente collection 
dont j'ai trouvé les plus belles pièces écrites vers les 
premières années du siècle sur des feuilles du cahier 
de recettes où ma mère puisait sa science médicale. 

Pour rendre le recueil à la fois plus complet et di- 
gne d'un intérêt vraiment littéraire et philosophique, 
aucun soin n'a été épargné. J'ai parcouru en tous 
sens, pendant bien des années, les parties de la Basse- 
Bretagne les plus riches en vieux souvenirs, passant 
de Cornouaille en Léon, de Tréguier en Goélo et en 
Vannes, assistant aux assemblées populaires comme 
aux réunions privées, aux pardons, aux foires, aux 
noces, aux grandes journées agricoles, aux fêtes du lin 
ou liniéries, aux veillées, aux fileries ; recherchant de 
préférence les mendiants, les pillaouer ou chiffonniers 
ambulants, les tisserands, les meuniers, les tailleurs, 
les sabotiers, toute la population nomade et chanteuse 
du pays; interrogeant les vieilles femmes, les nour- 
rices, les jeunes filles et les vieillards, surtout ceux des 
montagnes, qui avaient fait partie des bandes armées du 
dernier siècle, et dont la mémoire, quand elle consent 
à s'ouvrir, est le répertoire national le plus riche qu'on 
puisse consulter. Les enfants même, dans leurs jeux, 
m'ont quelquefois révélé des trésors. Le degré d’intelli- 
gence de ces personnes variait souvent mais ce que Je 


PRÉFACE. v 


puis affirmer, c’est qu'aucune d'elles ne savait lire, et 
que par conséquent pas une de leurs chansons n’avait 
pu être empruntée à des livres. 

Celles que j'ai puisées dans le portefeuille des érudits 
bretons, qui m'ont libéralement permis de compléter 
mes recherches au moyen des leurs, n'étaient pas moins 
purement orales, comme j'en ai acquis la preuve aux 
lieux mêmes où on les chante. 

Dans la masse des matériaux ainsi obtenus, et qui 
feraient bien des volumes, les uns étaient remarquables 
au point de vue de la mythologie, de l'histoire, des 
vicilles croyances ou des anciennes mœurs domestiques 
ou nationales; d’autres n'avaient qu'une valeur poé- 
tique ; quelques-uns n’en offraient sous aucun rapport. 
J'ai donc été forcé de choisir, mais je n’ai pas craint 
d'être trop sévère et de me restreindre extrêmement, 
me rappelant l'avis d'un maitre, que la discrétion, le 
choix, sont le secret de l'agrément en littérature ‘. 

Pour avoir des textes aussi complets et aussi corrects 
que possible, je me les suis fait répéter souvent par 
différentes personnes et en différents lieux. 

Les versions les plus détaillées ont toujours fixé mon 
choix ; car la pauvreté ne me semble pas le caractère des 
chants populaires originaux; je crois, au contraire, 
qu'ils sont riches et ornés dans le principe, et que le 
temps seul les dépouille. L'expérience prouve qu'on n en 


1 M. Sainte-Beuve, 


YL PRÉFACE. 


saurait trop reeueillir de versions. Tel morceau qui parait 
complet au premier abord, est reconnu tronqué lorsqu’on 
l’a entendu chanter plusieurs fois, ou présente des altéra- 
tions évidentes de style et de rhythme dont on ne s'était 
pas douté. Les versions d’un même chant s’éclairant l’une 
par l’autre, l'éditeur n’a donc rien à corriger, rien à 
suppléer, et doit suivre avec une rigoureuse exactitude 
la plus répandue. La seule licence qu'il puisse se per- 
mettre est de substituer à certaines expressions vicieuses, 
à certaines strophes moins poétiques, les stances, les 
vers ou les mots correspondants des autres leçons. Telle 
a été la méthode de Walter Scott : je ne pouvais suivre 
un meilleur guide. 

Le classement que j'ai adopté pour les textes n’est 
autre que celui des chanteurs eux-mêmes : ils ne con- 
naissent plus guère que trois espèces de cantilènes : 
des chants mythologiques, héroïques, historiques, et des 
ballades, qu'ils appellent genéralement du nom de gwers, 
et dont ils qualifiaient autrefois quelques-uns de ais ; 
des chants de fête et d'amour qu'ils nomment quelque- 
fois kentel et le plus souvent sôn ou zôn; enfin des lé- 
gendes et des chants religieux. 

Les pièces de chaque catégorie ont élé rangées, les 
unes par ordre d’idées, les autres par ordre chronolo- 
gique. Si elles contenaient un plus grand nombre d’i- 
dées et de souvenirs du passé, elles justifieraient le titre 
du recueil, qui serait véritablement alors le Barzaz Brerz, 
ou l'Histoire poétique de la Bretagne. 


PRÉFACE. VII 


L'histoire, dis-je, car ce qui frappe le plus dans cette 
suite de morceaux épisodiques, sans lien apparent, 
œuvre de plusieurs milliers de poëtes rustiques mcon- 
nus les uns aux autres et même séparés par les siècles, 
c'est le caractère commun, c’est le sentiment patrio- 
tique, c’est le drame merveilleux qui résulte de tant de 
scènes diverses, c’est l'expression énergique et fidèle 
d’une nationalité vivace que la France a eu tant de peme 
à absorber. On sent battre là le cœur d’une noble race; 
les poëtes nationaux lui ont donné une voix ; ils se sont 
faits l'organe des passions de tous ; l'opinion s’est incar- 
née en eux; ils ont chanté jour par jour les faits et gestes 
de leur pays avec l'accent du patriote et l'émotion du té- 
moin oculaire. Voilà l'histoire vivante dont ma mère a 
écrit les premières pages sous la dictée d’un contempo- 
rain de quinze siècles. 

Sans aucun doute cette histoire s’est plus d’une fois 
transfigurée; aussi l’ai-je appelée poétique. Mais combien 
de détails intimes, de particularités de mœurs qui échap- 
pent aux historiens, la poésie bretonne a sauvés! comme 
sa naïveté est précieuse et instruclive! Je ne fais que ré- 
péter ce que vingt critiques ont écrit; pour les plus 
indifférents au côté patriotique, c’est le fond même des 
chants bretons qui a paru plein d'intérêt; ce sont les 
croyances et les sentiments qui ont charmé par leur 
énergie ou leur grâce ; ce sont les coutumes, les usages 
du pays, décrits avec une vigueur si précise ; c’est l’ori- 
ginalité. c'est linfinie délicatesse, caractère même de la 


vur PRÉFACE. 


race, qu'on a signalé comme admirable, comme éclatant 
mieux là que partout ailleurs. 

Il ne s’agit done pas ici d’un intérêt purement local, 
mais bien d’un intérêt français ; car l’histoire de la Bre- 
tagne a toujours été mêlée à celle de la France, et la 
France est aussi celtique par le cœur que l’Armorique 
est française aujourd’hui sous le drapeau commun. Ne 
puis-je pas dire après Fauriel, Jacob Grimm et Ferdinand 
Wolf, qu'il s’agit d’un intérêt encore plus général ? L’ac- 
cueil fait au Romancero breton dans toute l'Europe ne 
l'a-t-il pas prouvé ? 

Un mot sur cette nouvelle édition, à laquelle donne 
lieu l’accueil sympathique dont je parle. 

Elle diffère en quelques points des  précé- 
dentes. 

Quoique resserrée dans un seul volume, on y trouve, 
outre plusieurs couplets etrefrains complémentaires, cinq 
nouvelles pièces, dont quatre d’une inspiration très-pri- 
mitive, el la cinquième toute moderne, mais bien tou- 
chante. Je les ai recueillies, avec beaucoup d'autres, sans 
me déplacer, de la bouche des femmes de l’Arèz, qui des- 
cendent tous les hivers dans la vallée pour chercher du 
chanvre à filer. Leur mémoire est une source intarissable 
qui alimente les veillées des montagnes, et elles com- 
mencent toujours par payer en chansons, aux gens 
qu'elles visitent, le don qu’ils ne manquent jamais de 
leur faire. Quantité de complaintes viennent, grâce à 
elles, jusqu'à moi tous les ans; je n’ai pu entendre 


PRÉFACE, IX 


celle qui forme l'appendice de ce recueil sans avoir les 
yeux mouillés. 

Une traduction soigneusement revue et qui serre le 
texte de très-près, est placée cette fois, non en regard, 
mais au-dessus du breton, comme dans les éditions clas- 
siques. Je n'ai pas cru manquer de respect à ma langue 
maternelle en la traitant comme on traite celle de Vir- 
gile. Une vraie faute eût été d'en atténuer les trivia- 
lités dans une traduction d’une élégance menteuse. 
Mais aucun philologue n’ignore que si idiome breton 
est rustique, il n’est jamais grossier : on sent qu'il a 
passé par la bouche des mères. 

Le commentaire dont chaque chanson est suivie offrait 
encore plus de difficultés que la traduction. Je me suis 
efforcé de le rendre digne d’une critique sérieuse et 
éclairée. J'ose espérer que les personnes vraiment versées 
dans l’histoire des idées et des faits chez les Bretons ne 
trouveront pas trop souvent la mémoire populaire de 
nos poëtes en désaccord avec cette histoire, et ne se re- 
fuseront pas à reconnaître avec moi la vraisemblance de 
certains rapports historiques qu'un scepticisme outré 
a pu seul repousser. En tout cas, je n’ai cherché que 
la vérité. Quand on sait combien elle est belle, com- 
mode même, a dit l'illustre historien du Consulat et de 
l'Empire, car elle explique tout, on ne veut, on n'aime, 
on ne poursuit qu'elle, ou du moins ce qu'on prend 
pour elle. 

Le même sentiment et le désir de répondre à des 


x PRÉFACE. 

observations aussi courtoises que fondées, m'ont conduit 
à modifier quelques assertions un peu exagérées de 
l'Introduction. J'ai voulu la mettre au niveau des progrès 
que la philologie et la poësie comparées ont faits depuis 
plusieurs années. Aller plus loin eût été courir le risque 
de tomber dans des hypothèses qui n’ont rien de scien- 
tifique. 

Pour satisfaire un dernier vœu, jai complété par 
toutes les mélodies bretonnes originales, dont j'avais 
publié seulement quelques-unes, les paroles des pièces 
de cette collection. Si air ne fait pas la chanson, quoi 
que dise le proverbe, il a son importance et les paroles 
ne sont qu'une des parties de toute chanson. Selon le 
conseil de mon savant confrère, M. Vincent, chaque 
air a été écrit tel qu'il a été entendu, sans aucun chan- 
gement et sans accompagnements, comme Tont fait 
MM. Moriz Hartmann et Ludwig Pfau à la fin de leur 
traduction en vers allemands de mon recueil’. Les 
personnes qui regretteraient les accompagnements des 
éditions précédentes en trouveront de très-convenables à 
choisir, soit dans les traductions de MM. Adalbert Keller 
et de Seckendorff?, soit dans celle de M. Tom Taylor, où 
ils admireront en même temps de beaux vers anglais 
calqués sur les paroles bretonnes”. 


T Brelonische Volsklieder. Koln, 1859. 
5 Volsklieder aus der Bretagne. Tubingue, 181. 
5 Balluds and Songs of Brillany. London, 1865, 


INTRODUCTION 


« S'il s’est conservé quelque part, en Gaule, des bardes, et 
des bardes en possession de traditions druidiques, ce n’a pu 
être que dans l’Armorique, dans cette province qui a formé, 
pendant plusieurs siècles, un État indépendant, et qui, malgré 
sa réunion à la France, est restée celtique et gauloise de phy- 
sionomie, de costume et de langue, jusqu’à nos jours!! » 

Telle est l'opinion d'un critique français trop tôt ravi à la 
science et à ses amis. Quelque peu ambitieuse qu'elle soit, elle 
eût passé, près des savants du dernier siècle, pour une hypo- 
thèse absurde; les anciens Bretons étant à leurs yeux des 
barbares « qui ne cultivaient point les muses, et leur langue, 
à en juger par celle des Bretons d'aujourd'hui, un jargon 
grossier qui ne parait pas pouvoir se prêter à la mesure. à la 
douceur et à l'harmonie des vers ?. » 

Ainsi pensaient les hommes éclairés de cette époque; ils 
mettaient de niveau, dans l’ordre des intelligences, l'Armori- 

1 J. J. Ampère, Histoire l'ttéraire TT France, t. I, p. 78. 


2 Dictionnaire Breton, préface de D. Taillandier, religieux bénédictin de la 
congrégation de Saint-Maur, p. 9. 


XH INTRODUCTION. 


cain et le sauvage du Kamtchatka: mais, en vérité, c'était 
pousser trop loin l’indulgence pour le premier, et se rendre 
coupable d'une grave injustice à l’égard du second; car le 
sauvage des glaces du Nord a une poésie qui lui est propre, 
et le Breton n'en aurait pas. 

Cette manière de voir n'était point nouvelle. Abaïlard trai- 
tait ses compatriotes de barbares; il se plaignait d'être forcé 
de vivre au milieu d'eux, et se vantait de ne pas savoir leur 
langue, qui, disait-il, le faisait rougir". Au reste, l’histoire de 
Bretagne n'offre pas seule ce phénomène; il se rencontre 
dans celle des Gallois, des Irlandais et des montagnards de 
l'Écosse, qui ont été, à l'égard de l'Angleterre, dans les 
mêmes rapports nationaux que les Armoricains à l'égard de 
la France; il doit se présenter dans l'histoire de tous les pe- 
tits peuples qu'ont fini par s’incorporer les grandes nations 
qui les avoisinent. 

Partout une espèce d’anathème a été lancée contre ces 
races malheureuses que leur fortune seule a trahies: partout, 
frappées d’ostracisme, elles ont été longtemps bannies du do- 
maine de la science; et même aujourd’hui qu’elles n’ont plus 
à gémir sous la tyrannie du glaive, le despotisme intellectuel 
ne les a pas encore délivrées de son joug sur tous les points 
de l'Europe. 

Plus juste en France qu'à l'étranger, et moins préoccupée 
d'idées d'un autre temps; plus éclairée, plus accueillante, 
et tout à fait dégagée des liens étroits d’un patriotisme exclu- 
sif, la critique moderne comprend mieux ses devoirs. Des 
hauteurs sereines où elle règne, elle jette un bienveillant et 
libre regard autour d’elle. Vainqueurs et vaincus réconciliés, 
grands et peuple, égaux à ses yeux, sont admis à sa cour. 
Comme elle a reçu avec orgueil les palmes lyriques du trou- 
badour provençal et Les lauriers épiques du trouvère français, 


3 Lingua mihi ignota et turpis. (Epist.) 


INTRODUCTION, XIII 


elle accueille gracieusement le rameau de bouleau fleuri, 
couronne des vieux bardes, que la muse bretonne, longtemps 
fugitive et proscrite, vient lui offrir à son tour. 


IT 


Quoiqu'il ne soit pas de mon sujet d'écrire l’histoire des an- 
ciens bardes, il me semble indispensable, pour l'intelligence 
des considérations dans lesquelles je vais entrer, de placer 
ici un petit nombre d'observations sommaires sur leur langue, 
leur état et leur condition dans l'ile de Bretagne, dans la 
Gaule et dans l’Armorique. 

Mais une première question se présente : 

Les hardes antérieurs à l’ère chrétienne sont-ils bien les 
ancêtres des bardes de nos jours, et leur langue est-elle 
l'aïeule de la langue de ces derniers? 

J'ai essayé de répondre ailleurs T à cette question impor- 
tante que d'autres philologues ont traitée depuis de manière 
à satisfaire les juges les plus prévenus et à fixer enfin l'opinion 
de l’Europe savante ?; on me permettra donc de ne pas rentrer 
aujourd'hui dans la discussion des faits, et de me borner à 
reproduire les conclusions de la science. 

Un certain nombre de mots cités par les écrivains grecs ou 
latins comme appartenant à la langue des bardes de la Gaule 
ou de l’île de Bretagne, à commencer par lonr nom lui-même”, 
seretrouvent, avec le sens qu'ils leur donnent, dans la bouche 


4 Essai sur l'histoire de la langue breionne depuis les temps les plus reculés 
fusqu'à nos jours, servant d'introduction aux Dictionnaires français-breton et 
breton-français et à la Grammaire de le Gonidec, 2 vol. in-4°. 

2? À l'inappréciable Grammatica celtica de Zeuss, il faut joindre les belles études 
de Jacob Grimm, de Gluck, Diefenbach, Adolphe Pictet et Whitley Stokes 

3 Bardus, gallice, cantor appellatur. (Pomponius Festus, lib. 11.) 


XIV INTRODUCTION. 


des poëtes modernes de la Bretagne française, du pays de 
Galles, de l'Irlande et de la Haute Écosse. 

Une foule de noms d'hommes, de peuples, de lieux men- 
tionnés dans les écrits des Anciens sont communs à ces diffé- 
rents pays, ou ont des racines communes. 

. Les dictionnaires bretons, gallois, irlandais et gaëliques of- 
rent une multitude de locutions semblables exprimant la 
même idée, et l’on pourrait, à l’aide de ces dictionnaires, com- 
poser un vocabulaire dont chaque expression appartiendrait à 
chacun des idiomes cités en particulier, et à tous en général. 

Enfin, leur grammaire présente des caractères fondamen- 
taux identiques. 

Donc la langue des poëtes modernes de la Bretagne, du pays 
de Galles, de l'Irlande et de la Haute Écosse représente, plus 
ou moins, quant au fond, celle des anciens hardes: elle appar- 
tient à une couche aussi évidemment celtique que les idiomes 
romans appartiennent à une couche latine. 

Les chantres fameux dont les arrière-descendants se font 
entendre encore dans les mêmes contrées, passaient pour ori- 
ginaires de la Grande-Bretagne ‘. Initiés comme les augures à 
la science divinatoire, ils partageaient avec les druides la 
puissance sacerdotale, et formaient, dans la société, une des 
classes les plus honorées ?. 

Le plus ancien monument qui en fasse mention remonte à 
quelques siècles avant l'ère chrétienne. 

Plusieurs vieux historiens, dit Diodore de Sicile, Hécatée 
entre autres, nous apprennent qu'il y a une île de l'Océan, 
opposée à la Gaule celtique et située vers le nord, où le Soleil 
est adoré par-dessus toutes les divinités. Les habitants le célè- 
brent perpétuellement dans leurs chants, lui rendent les plus 


4 Disciplina in Britannia reperta. (Cæsar, De Bello Gallico, lib. V1.) 
? Strabon, Geog., IV, p. 248. 


INTRODUCTION. SY 


grands honneurs et passent pour ses prêtres. Le dieu a dans 
cette île un magnifique bois sacré, au milieu duquel s'élève 
un temple merveilleux de forme circulaire, rempli de votives 
offrandes. La ville voisine lui est également dédiée; un grand 
nombre d’entre les habitants savent jouer de la harpe, et en 
jouent dans l’intérieur du sanctuaire, en chantant à la louange 
de leur divinité des hymnes sacrés où ils vantent ses actions 
glorieuses; le gouvernement de la cité et la garde du temple 
appartiennent aux bardos". qui héritent de cette charge par 
une succession non interrompue ?. 

Au caractère religieux, les bardes joignaient un caractère 
national et civil, qu'il n’est pas moins important de remar- 
quer. Dans la guerre, ils animaient de leurs prophétiques ac- 
cents le courage de leurs compatriotes, en leur prédisant la 
victoire; dans la paix, tout à la fois juges des mœurs et histo- 
riens, ils célébraient les nobles actions des uns, et dévouaient 
au blâme les actions coupables des autros 5. Si l’on consul- 
tait les lois de Moelmud, qui passent, près de quelques eri- 
tiques, pour un remaniement ultérieur de lois préexistantes à 
l'établissement du christianisme, mais qui, du moins, sont 
antérieures à celles de Hoel le Bon, législateur gallois du 
dixième siècle, on les trouverait assez d'accord avec les auto- 
rités anciennes que nous venons de citer. 

Selon ces lois, le devoir des bardes est de répandre et de 
maintenir toutes les connaissances de nature à étendrel’amour 
de la vertu et de la sagesse. Ils doivent tenir un registre de 
chaque action mémorable, soit de l'individu, soit de la tribu; 
de tous les événements du temps, de tous les phénomènes de 


4 Bopsd0us. Un critique allemand propose de lire Bépdous. En tout cas, ces 
ministres du Soleil ne peuvent être que des bardes. Elien le reconnait formelle- 
ment en traduisant Bopestôus par Iloftas. (XI. H. A. et Diod. Sic., ed. Petr. 
Wess., t. I, liv. II, p. 159.) 

? Diod., éb., p. 159. 

3 OÙs MAY durabat 906 05 Blaspnuobse. (Diod., liv. V.) 


XVI INTRODUCTION. 


la nature, de toutes les guerres, de toutes les victoires; ils 
sont chargés de l'éducation de la jeunesse; ils ont des fran- 
chises particulières; ils sont mis de niveau avec le chef et 
l'agriculture, et rogard es comme un des trois piliers de l'exis- 
tence sociale *, 

Quoi qu'il en soit, cette institution paraît s'être conservée 
plus longtemps et plus purement chez les Bretons insulaires 
que chez les Gaulois, parmi lesquels elle avait été importée, 
dit-on ?, puisque César nous apprend que quiconque aspirait 
à connaître à fond les mystères de la science devait aller les 
apprendre de la bouche des bardes de l'ile de Bretagne. 

L’Armorique souffrait néanmoins exception ; bien qu'elle fit 
partie de la Gaule, et qu’elle en parlât un dialecte ?, sa position 
géographique, ses forêts, ses montagnes et la mer l'avaient 
mise à l'abri des influences étrangères, et ses bardes conser- 
vaient encore au quatrième siècle de l’ère chrétienne leur ca- 
ractère primitif. 

Ausone connut l’un d'oux qui était prêtre du Soleil, comme 
les bardes insulaires dont parle Hécatée : « C'était, dit-il, un 
vieillard ; il se nommait Phœbitius; il composait et chantait 
des hymnes en l'honneur du dieu Delen: il appartenait à une 
famille de druides de la nation armoricaine. » 

Mais ces poëtes ne devaient pas tarder à dégénérer : Ausone. 
semble l'insinuer, quand il fait observer que Phœbitius 
est pauvre, malgré son illustre origine, et que son état ne l’a 
guère enrichi. 

Les bardes insulaires subissaient déjà le sort des bardes 
gaulois; quelques-uns d'entre eux prennent encore, il est 
vrai, à la fin du cinquième siècle, le triple nom de barde, de 


4 Myvyrian Archaiology of Wales, t. Ill, p. 291. 

2 In Galliam translata esse existimatur. (Cæsar, lib. VI.) 

5 Non usquequaque utuntur lingua, sed paululum variata. (Strabon, Géog.) 

X Beleni Ædiluus. Sur le sens à donner à ce mot, voy. Horace, ép. IL, I, 250. 


INTRODUCTZON. XVII 


. devin et de druide ^: ils gourmandent les rois et les peuples ; 

Hs dispensent librement le blâme et la louange; leur personne 
n’a pas cessé d’être inviolable et respectée; ils se vantent 
d'être les descendants directs des anciens bardes de l’île de 
Bretagne? ; cependant le plus grand nombre, sinon tous, n’ont 
pu se soustraire à l'influence des événements qui entraînent 
l'Europe entière vers des destinées nouvelles; ils sont tombés 
dans un état peut-être moins subalterne que celui des bardes 
gaulois, mais certainement bien inférieur à la position sociale 
qu'ils occupaient jadis. 

Leurs plus anciens monuments poétiques, contre l’authen- 
ticité desquels les objections ont complétement disparu devant 
les investigations d’une critique éclairée et impartiale, 
comme l'a très-bien dit M. Renan, nous signalent celte dé- 
cadence. Ils nous montrent les hardes pour la plupart sou$ 
le patronage des chefs nationaux. Nous les voyons s’asseoir 
à leur table, coucher dans leur palais, les accompagner 
à la guerre. Ils forment une portion régulière et constituée de 
chaque famille noble ; ils Y occupent un rang distingué, ils 
ont des droits et des privilèges, en même temps que des de- 
voirs à remplir 5. 

Or cette époque était celle où les Bretons insulaires émi- 
graient en masse en Armorique. Leur premier passage avaiteu 
lieu du plein consentement des habitants de l'ile; maintenant 
ils étaient forcés : les Bretons fuyaient la domination saxonne, 

En allant par delà les mers chercher leur nouvelle patrie, 
dit un auteur contemporain, ils chantaient sous leurs voiles, 
au lieu de la chanson des rameurs", le triste psaume des Hé- 
breux, sans doute traduit en breton pour la circonstance : 


4 Myvyrian, t. I, p. 26 et 50. Cf. Prudence : non Dardus pater aut avus augur 


Rem docuere Dei (Apoth. v. 296). 
S Ibid., p. 2%, 27, passim. 
5 Ibid.,t. I, p. 4, 19, 35, 57, passim, 
4 Celeusmatis vice sub velorum finibus cantantes. (Gildas, De Excidio Brilanniæ.) 


0 


XVII INTRODUCTION. 


« Vous nous avez livrés, Seigneur, comme des brebis pour un 
festin, et vous nous avez dispersés parmi les nations. » 

Les émigrations devinrent si fréquentes et si nombreuses 
que l'ile parut dépeuplée!, et que peu de siècles après, le 
chef saxon Ina, craignant de manquer de sujets, députa vers 
les émigrés pour les prier de revenir, leur faisant les plus 
belles promesses. Égalant, absorbant même la popula- 
tion indigène, ils eurent pas de peine à faire prévaloir 
parmi elle leurs lois et leur forme de gouvernement. Aussi 
l’Armorique se divisait-elle, au cinquième siècle, comme la 
Cambrie, en plusieurs petits États indépendants. C'étaient 
les comtés de Vannes, de Cornouaille, de Léon et de Tré- 
guier, pays celtiques par leur langage, leurs coutumes et 
leurs lois. Les peuples qui en faisaient partie, outre leur 
évêque venu de l'ile, avaient, comme les Bretons cambriens, 
leur chef particulier, quelquefois dominé par un chef su- 
prème d’abord éligible, mais qui plus tard devint héréditaire, 
et qui finit parréunir à sa couronne les comtés indépendants 
voisins de son domaine. 

Maintenant on concevra facilement pourquoi les plus an- 
ciens de ces princes dont l’histoire nous a transmis les noms : 
Riotime, ce konan ou chef couronné des Bretons, qui a pu 
être le prototype du fabuleux Conan Mériadec; Gradlon-maur, 
Budik, Houel, Fragan et les autres, sont tous des insulaires, 

Leurs bardes, qui formaient une partie essentielle de chaque 
famille noble chez les Cambriens aux cinquième et sixième 
siécles, les accompagnèrent en Armorique. 

De ce nombre fut Taliesin, à qui on donne le titre de prince 
des bardes, des prophètes et des druides de l'Occident ?. Les 
anciennes annales des Bretons du continent, comme celles de 


4 Spoliata emarcuit Britannia. (Henric, Hutindon, ap. D. Morice, preuves, L 1, 
ocl. 164.) 
5 Myvyrian, t, I. p. 26, 50, 54. 


INTRODUCTION. IX 


l'île de Bretagne, le font vivre sur la fin de sa vie au pays des 
Vénètes, près de l’émigré Gildas, ancien harde lui-même, qui 
passe pour l'avoir converti au christianisme {. 

Dans un comté voisin régnait alors le chef Jud-Fael ou 
Judes le Généreux, aussi de race cambrienne. Or Jud-Hael, 
peu de temps après l’arrivée du barde sur le continent, avait 
eu un songe ; 1l avait rêvé qu'il voyait une haute montagne au 
sommet de laquelle s'élevait, sur une base d'ivoire, une 
grande colonne dont les pieds s'enfonçaient profondément 
dans la terre, et dont le front chargé de rameaux touchait le 
ciel. La partie inférieure était de fer, brillant comme l'étain le 
plus poli et le plus épuré; tout autour étaient attachés des an- 
neaux de même métal, auxquels on voyait suspendus des cui- 
rasses, des lances, des casques, des javelots, des freins, des 
brides et des selles, des trompettes guerrières et des boucliers 
de toute forme. La partie supérieure était d’or et brillait, dit 
l'historien de Jud-Hael, comme un phare élevé sur le bord de 
la mer; tout autour étaient attachés des anneaux d'or 
auxquels pendaient des candélabres, des encensoirs, des 
étoles, des ciboires, des calices et des évangiles. Comme 
le prince admirait cette colonne, le ciel s ouvrit, une jeune 
fille d’une merveilleuse beauté en descendit, et s’approchant 
de lui : «Je te salue, dit-elle, à chef Jud-Hael : je suis celle à 
qui tu confieras pour quelque temps la garde de cette colonne 
et de tous ses ornements; J'y suis prédeslinée. » Ayant ainsi 
parlé, le ciel se ferma, et la jeune fille disparut. 

Le lendemain en s’éveillant Jud-Hael se souvint de son rêve, 
et comme personne ne pouvait lui en donner l'explication, il 
pensa qu'il fallait envoyer consulter le harde Taliésin, fils 
d’Onis, ce devin d’une si rare sagacité, dont les chants mer- 
veilleux, interprètes de l'avenir, prédisaient aux hommes leurs 


2: Venit enim noviter de partibus Armoricanis, 
Dulcia quo didicit sapieutis dogmata Gildie. 
{Vita Merlini Caledoniensis, p. 28. 


xx INTRODUCTION. 


destinées {, Taliésin, alors exilé de son pays natal, habitait, 
comme on l’a dit, de ce côté-ci de la mer, près de Gildas, au 
pays gouverné par le comte Warok?. Le messager royal se 
rendit vers lui et lui rapporta ces paroles de Jud-Hael : + 0 toi 
qui interprètes si bien toute chose ambiguë, vois et juge le 
songe merveilleux que j'ai fait, et que j'ai conté à beaucoup 
de gens sans que personne ait pu me l'expliquer. » Puis il lui 
fit part du songe de son maître. | 

« Ton seigneur Jud-Hael règne bon et heureux, répondit le 
barde, mais il aura un fils qui régnera meilleur et plus 
heureux que lui sur la terre et au ciel, et qui sera père 
des plus braves enfants de toute la nation bretonne, les- 
quels seront pères eux-mêmes de comtes royaux et de 
pontifes bienheureux, et régneront sur les successeurs du 
chef de la race, dans tout le pays, depuis le plus petit jusqu’au 
plus grand. Or ce chef de la race sera l’un des plus grands 
d’entre les guerriers de la terre et n’aura point d’égal parmi 
les guerriers du ciel : la première moitié de sa vie appar- 
tiendra au siècle, la seconde moitié à Dieu. » 

En quittant le monde, après un règne glorieux, pour entrer 
dans le cloître, Judik-Hael, fils de Jud-Hael, réalisa la prédic- 
tion de Taliésin et contribua beaucoup à étendre la renom- 
mée du poëte en Armorique. 

D’autres bardes, et en grand nombre, y émigrèrent comme 
lui. Deux des plus célèbres, saint Sulio et Hyvarnion, Y mou- 
rurent. La vocation poétique du premier, que les Gallois ap- 
pellent saint Y Sulio, et dont ils ont quelques poésies, 
se décida et fut assurée d’une maniëre assez singulière. 


4 Taliesinus, bardus, filius Onis, fatidicus præsagacissimus qui per divinationem, 
præconio mirabili forlunatas vitas et infortunatas disserebat fortunatorum hominum 
et infortunatorum per fatidica verba. (Ingomar, ap. Chron. Briocense. Biblioth. reg., 
Mss n° 6005.) 

2 Ad provinciam Waroki ad Locum Gildæ (Lok Gweltas ?) ubi erat peregrinus et 
exul. (Ibid.) 


INTRODUCTION. XXI 


Il jouait un jour avec ses frères dans les jardins de son 
père, comte de Powys, quand il entendit au dehors les sons 
d’un instrument de musique mêlés à des chants. C'étaient 
des moines qui passaient, leur abbé à leur tête, une harpe à 
la main, en chantant les louanges de Dieu. Le saint enfant fut 
si ravi de la beauté de leurs hymnes, qu'il dit à ses frères : 
« Retournez à vos jeux, vous autres; pour moi, je m'en vais 
avec ces personnes-ci, car je veux apprendre d'elles à compo- 
ser de beaux cantiques comme elles en savent faire. » Il sui- 
vit les moines, et ses frères coururent annoncer sa fuite à 
leur père, qui envoya trente hommes armés avec ordre de tuer 
l'abbé et de lui ramener son fils. Mais les religieux l'avaient 
prévenu en envoyant l'enfant dans un monastère d’Armo- 
rique, dont plus tard il devint prieur. 

Hyvarnion, d'une classe inférieure à celle de saint Sulio, 
parait n’avoir quitté l'ile de Bretagne que pour chercher sur 
le continent, où la paix la plus grande régnait, disait-on, les 
moyens d'exercer son art en pleine sécurité. 

« Comme il estoit, dit Albert le Grand, parfaict musicien et 
compositeur de balets et chansons, le roy Childebert, qui se 
délectoit à la musique, l'appointa en sa maison et lui donna 
de grands gages. » Maïs ce ne fut pas la seule cause qui le fixa 
en Armorique : une nuit, continue le naïf traducteur, il son- 
gea qu'il avoit espousé une jeune vierge du pais. Un ange lui 
estoit apparu en lui disant : Vous la rencontrerez demain, sur 
votre chemin, près de la fontaine : elle s'appelle Rivanone?. n 

Cette jeune fille était de la même profession que lui 5; il la 
rencontra en effet près de la fontaine: il l'épousa et eut d'elle 
un fils nommé Hervé, qui naquit aveugle, et chantait, 005 

1 D. Lobineau, Vie des saints de Bretagne, n. 255, 2° édit, t. I, et le Myvyrian, 
t. I, p. 200. 
2 Vie des saints de Bretagne, p. 145. Cf. La Légende celtique, 3° édition, et la 


vieille légende latine du Portefeuille des Blancs-Manteaux, t. XXX YUL, fol. 857. 
S D. Lobineau, ibid., p. 264. Cf. La Légende celtique. 


XXII INTRODUCTION. 


l’âge de cinq ans, des cantiques faits par sa mère en attendant 
qu'il en cémposât lui-mème d'admirables dont l’écho est venu 
jusqu'à nous. 

Ainsi le génie des bardes de l’île de Bretagne s’unissait à la 
muse d’Armorique, loin des villes, dans la solitude : mysté- 
rieux et poétique hymen dont l'avenir devait recueilliries fruits. 

Cette fusion des deux génies gaulois et breton s’opérait in- 
contestablement par l’action du christianisme. On se trompe- 
rait toutefois en croyant qu’elle eut lieu sans opposition, et 
que les bardes héritiers de la harpe et des secrets des anciens 
druides armoricains ne firent aucune résistance à l'invasion 
d'une croyance nouvelle qui les dépouillait de leur sacerdoce. 
SiTaliésin désabusé consacrait au Christ les fruits d’une science 
mystérieuse mürie au pied d'un autel proscrit: si les moines, 
prenant la harpe du harde, entrainaïent dans le cloître les en- 
fants des chefs; si la mère chrétienne enseignait à son fils au 
berceau à chanter le Dieu mort en croix, il y avait encore des 
âmes fidèles au culte des ancêtres; il y avait au fond des bois 
quelques débris dispersés des collèges druidiques, errants de 
cabane en cabane, comme ces druides fugitifs de l’île de Bre- 
tagne dont parle Tacite. Ils continuaient de donner aux en- 
fanits d’Armorique des leçons traditionnelles sur la Divinité, 
telle que la comprenaient leurs pères, et le faisaient avec 
assez de succès pour effrayer les missionnaires chrétiens et les 
forcer à les combattre adroitement par leurs propres armes ?. 
Devenus hommes, leurs élèves marchaient au combat en in- 
voquant le Dieu-Soleil, ou dansaient, au retour, en son hon- 
neur la chanson du glaive, roi de la bataille couronné par 
l’arc-en-ciel5. Leur connaissance des choses de la nature, 

4 Voyez le Druide et l'Enfant, p. 1. 

? Ibid., p. 15. Sur cette contre-partie chrétienne et sa popularité dans toute la 
France au moyen âge, Y. Stober, Elsassiches Volksbüchlein, p.147; Pr. Tarbé, Ro- 


mancero de Champagne, t. L. p.5; et J.Bugeaud, Chants popul. de l'Ouest, L I, p. 273. 
5 La Danse du glaive, p. 74. 


INTRODUCTION. XXII 


dont ils s'occupaient si curieusement dans les écoles, celle 
qu’ils avaient de la médecine et de l’agriculture, assurait leur 
autorité sur le peuple des campagnes, qui retenait en même 
temps et les conseils utiles et les leçons païennes. 
Parmi ces bardes rebelles au joug de la foi nouvelle, il en 
est un particulièrement fameux; c’est Kian, surnommé 
* Gwenc'hlan, ou l’homme de race sainte, nè en Armorique au 
commencement du cinquième siècle. Tahiésin, qui, dans sa 
jeunesse, le connut, dit qu’il composa en l'honneur des guer- 
-riers de sa patrie de nombreux chants d’élogest, sans doute 
du genre de ceux des anciens hardes gaulois vantés par Lu- 
cain?, et que Dieu voulut bien, à la prière des bardes ses amis, 
retarder le moment où il devait cesser de faire entendre ses 
beaux chants. La chronique de Nennius, écrite au neuvième 
siècle, le met, avec Taliésin lui-même, Aneurin et Lywarc’h- 
Henn, au nombre des bardes quiillustrèrentle plus la poésie bre- 
tonne. Au quinzième, on fit faire sur un manuscrit beaucoup 
plus ancien une copie de ses poëmes, qui se conservait encore 
au dernier siècle dans l’abbaye de Landévénec, où dom Le Pel- 
letier, qui en cite quelques vers dans son dictionnaire, les a 
sonsultés. Le père Grégoire de Rostrenen nous apprend 
qu’elles portaient le titre de Diouganou (prophéties) : « Ce 
prophète, dit-il, ou plutôt cet astrologue très-fameux encore 
de nos jours parmi les Bretons, et dont j'ai vu les prophéties 
entre les mains du R. P. dom Louis Le Pelletier, était natif du 
comté de Goëlo, en Bretagne-Armorique, et prédit, environ 
Tan 450, comme il Le dit lui-même, ce qui est arrivé depuis 
dans les deux Bretagnes *. » 


1 Myvyrian, t. I, p. 55 et 56. 
2 Laudibus in longum, vates, dimittitis ævum, 
Plurima, securi, fudistis csrmina, bardi. 
(Pharsal., lib. 1.) 
5 Simul, uno tempore, in poemate :sitannica claruerunt. (Ex Nenni Mss. Johann. 
Cott., Spect. ad geneal. suxon, ap. Gale, xv, script., vol. IL, p. 116. 
4 Dictionnaire français-brelon, p. 465. 


XXIV INTRODUCTION. 


Gwenc’hlan est toujours aussi célèbre que du temps où 
ces lignes furent écrites; mais le précieux recueil de ses poë- 
sies a disparu pendant la Révolution, et nous sommes forcés 
d’en juger par le peu de vers que la tradition populaire a sau- 
vés du naufrage. Il s'y montre sous un double aspect : comme 
agriculteur et comme barde guerrier. 

L’agriculteur, type éclairé de l’homme des champs dans les 
sociétés primitives, et pilier de l'existence sociale chez les an- 
ciens Bretons, est un pauvre vieillard aveugle; il va de pays 
en pays, assis sur un petit cheval des montagnes, que son 
jeune fils conduit par la bride. Il cherche un champ à cultiver 
et où il pourra bâtir. Comme il sait quelles plantes produit la 
bonne terre, de temps en temps il demande à l'enfant : « Mon 
fils, vois-tu verdir le trèfle? — Je ne vois que la digitale fleu- 
rir, répond l'enfant. — Alors, allons plus loin, » reprend le 
vieillard. Et il poursuit sa route. Lorsqu'il a enfin trouvé le 
terrain qu'il cherche, il s’arrête ; il descend de cheval, et, assis 
sur une pierre, au soleil, il indique à son fils Les engrais les 
plus propres à fertiliser le sol et l’ordre des travaux que la 
culture exige, selon les différentes saisons. La conclusion de 
ses leçons d'agriculture est très-encourageante : 

€ Avant la fin du monde la plus mauvaise terre pro- 
duira le meilleur blé. » 

Ses doctrines comme barde guerrier ne sont pas à beau- 
coup près aussi consolantes, et il le faut mettre, avec 
Aneurin, au nombre des bardes qui, au lieu de rester 
étrangers à la guerre, selon certains statuts que l’on attri- 
bue à leur ordre, ont rougi ie glaive de sang. Le sang des 
prêtres chrétiens, le sang des moines usurpateurs de la 
harpe bardique et ravisseurs de la jeune noblesse qu'ils 
vont élever à leur tour, est surtout celui dont Gwenc'hlan 
parait altéré. Il prédit, avec une joie féroce, qu’un jour 
les hommes du Christ seront traqués et huës comme des 


INTRODUCTION. XXY 


bêtes sauvages; qu’on les égorgera en masse; que leur sang, 
coulant à flots, fera tourner la roue du moulin, et qu'elle n’en 
tournera que mieux! Sa haine éclate avec une violence nou- 
velle quand il parle d’un prince chrétien, en guerre avec sa 
nation, et dont la brutale colère lui fit crever les yeux. Cor- 
viant, au milieu de la nuit, les aigles du ciel à un horrible 
festin de ses ennemis, il leur fait tenir ce langage : (Ce n’est 
point de la chair pourrie de chiens ou de moutons, c’est de la 
chair chrétienne qu’il nous faut. » 

Puis, à l'exemple des druides dont les hymnes guerriers 
soutenaient le courage des Gaulois compagnons de Vindex, 
en leur prédisant la victoire; à l'exemple de Taliésin et de 
Merlin pronostiquant la ruine de la race saxonne et le triom- 
pho des indigènes; Gwenc’hlan, dans une poétique imprécation 
qui rappelle les diræ preces des druides de l’île de Mona, an- 
nonce la défaite des étrangers chrétiens; il voit le chef armo- 
ricain attaquer son rival; il l’excite; l'ennemi tombe baigné 
dans son sang, il voit son cadavre abandonné sur le champ 
de bataille en pâture aux oiseaux de proie, et livre sa tête au 
corbeau, son cœur au renard, et son âme au crapaud, symbole 
du génie du malt. 

Au milieu de ces cris de vengeance, une plaïnte toute per- 
sonnelle échappe quelquefois au vieillard aveugle et malade : 
comme toujours, l'invincible nature gémit : J'étais jeune et 
superbe ! Mais bientôt le barde fait taire l’homme, en lui mon- 
trant la loi fatale des druides, et, pour consolation, le repos 
dans l’immortalité après la triple épreuve de la métempsy- 
cose, 

Les chants des poëtes gallois, contemporains de Gwenc'hlan, 
portent la même empreinte profonde de mélancolie, de fata- 
hame et d'enthousiasme; ils respirent Le même esprit prophé- 
tique et national; toutefois ils ne sont pas purement paiens; 


1 Prophéties de Gwenc'hlan, n. 20, 21 et 22. 


XXVI INTRODUCTION. 


ils offrent en général un mélange de superstitions druidiques 
et d'idées chrétiennes; les auteurs ne haïssent point l’Église 
(ils Le disent, du moins), et s'ils l’attaquent, c’est uniquement 
dans la personne de ses moines de race étrangère, qu'ils flé- 
trissent du nom de fourbes, de gloutons et de méchants. 

La victoire du christianisme était donc beaucoup moins 
avancée en Armorique que dans l’île, à la fin du cinquième 
siècle, mais dès le milieu du sixième elle était assurée. L’his- 
toire nous l’atteste, et la tradition poétique vient joindre son 
autorité à celle de l’histoire. 

Les paysans bretons en retenant les vers païens dont nous 
venons de parler, ont sauvé de l'oubli d’autres vers qui attes- 
tent la lutte du christianisme naissant contre le vieux drui- 
disme et qui présagent la défaite prochaine de celui-ci. L'un 
des morceaux conservés par la tradition nous montre le barde 
Merlin en quête d'objets sacrés pour les druides : une voix 
l'apostrophe et l’arrête impérieusement, en lui adressant ces 
belles paroles qu’on retrouve dans plusieurs chants des anciens 
bardes gallois : « Dieu seul est devint. » 

L'autre, dont l'héroïne est une magicienne, offre un éta- 
lage encore plus complet de science divinatoire et cabalis- 
tique. Taliésin passe pour avoir composé un chant dans le 
même goût, où il se vante aussi d'être le premier des devins, 
des enchanteurs, des astrologues et des bardes du monde; 
mais sa harpe est loin d’avoir la gamme lugubre, fantastique et 
sauvage de l'instrument d’airain de la magicienne bretonne. 
Toutefois, au moment où la sorcière vient de couronner son 
épouvantable apothéose, en s’écriant : « Si je passais sur terre 
encore un an ou deux, je bouleverserais l’univers, » une voix 
semblable à celle qui s’est fait entendre à Merlin lui adresse 
cette sublime apostrophe : «Jeune fille! jeune fille! prenez 


1 Merlin-devin, p. C3. 


INTRODUCTION. XXVII 


garde à votre âme; si ce monde vous appartient, l'autre ap- 
partient à Dieu! » 

La même lutte ayant eu lieu en Irlande entre le druidisme 
et le christianisme, les mêmes souvenirs en sont restés 
dans la mémoire des poëtes populaires. On a publié un 
dialogue entre Ossian et saint Patrice, où l'apôtre de l'Irlande 
s'efforce pareillement de détourner le harde de ses vieilles 
superstitions ?. 

Nous pourrons encore trouver çà et là quelques éléments 
druidiques égarés au milieu de la poésie bretonne, mais 
elle sera désormais chrétienne. Le chant de la magicienne 
semble l'anneau qui la rattache au bardisme paien, en mar- 
quant le passage des doctrines anciennes aux nouveaux ensei- 
gnements. 

La poésie chrétienne elle-même ne put se soustraire entière- 
ment à l’action du passé. De même que les évêques de la Gaule, 
ces druides chrétiens, comme les appelle Joseph de Maistre, 
conservérent, suivant l'expression du même philosophe, une 
certaine racine antique qui était bonne; de même qu'ils gref- 
fèrent la foi du Christ sur le chène des druides et qu'ils n'a- 
battirent pas tous ces arbres sacrés ; ainsi les poëtes nouveaux 
ne brisèrent point la harpe des anciens bardes, ils y changè- 
rent seulement quelques cordes. Ce fait, dont les monuments 
gallois des temps barbares nous offrent la preuve, est appuyé 
sur deux chants bretons de même date. L'auteur du premier 
met en scène un saint doué, comme les anciens druides, de 
l'esprit prophétique, et lui fait prédire au roi d'une autre So- 
dome la submersion de sa capitale5; le second fait prophétiser 
à un barde chrétien l'invasion de la peste en Bretagne“. 


1 Loëiza, p. 158. 

? Miss Brooke, Irish Poetry, p.73. Cf. ma Légende cellique, 
5 Submersion de la ville d'Is, p. 39. 

* La peste d’Elliant, p. 52. 


XXVII INTRODUCTION, 


Par une coïncidence assez remarquable, Taliésin, à la même 
époque, prédisait l’arrivée du même fiéau, en Cambrie, et en 
menaçait un puissant chef gallois! 

Les chants que nous venons de mentionner, en y ajoutant 
les pièces intitulées : l'Enfant supposé, le Vin des Gaulois, 
la Marche d'Arthur et Alain le Renard, sont le dernier souffle 
de la poésie savante des Bretons d'Armorique. Nous allons 
entrer dans le domaine de leur poësie traditionnelle plus par- 
üculièrement populaire. 


[IT 


Tandis que la muse des bardes d’Armorique chantait sur un 
mode dont l’art guidait les tons, près d'elle, mais cachée 
dans l'ombre, une autre muse chantait aussi. C'était la poésie 
populaire, poésie inculte, sauvage, ignorante; enfant de la 
nature dans toute la force du terme, sans autre règle que son 
caprice, souvent sans conscience d'elle-même, jetant comme 
l'oiseau ses notes à tout vent; née du peuple, et vivant recueil- 
lie etprotègée par le peuple; confidente intime de ses joies et 
de ses larmes, harmonieux écho de son âme, dépositaire, en- 
fin, deses croyances et de son histoire domestique ot nationals. 

Cette poésie vécut aussi dans l’ile de Bretagne. Les bardes 
lui firent la guerre. Aneurin croit devoir nous prévenir que 
ses chants sont bardiques et non populaires, tant il paraît re- 
douter qu'on les assimile aux rustiques effusions des mènes- 
trels. Chez les Bretons d’Armorique, au contraire, les ménes- 
trels finirent par vaincre les bardes. Aussi les triades galloises 
mettent-elles les Armoricains au nombre « des trois peuples 


# Myvyrian, L I, p. 27. 


INTRODUCTION. XXIX 


qui ont corrompu le bardisme primitif, en y mêlant des prin- 
cipes hétérogènes. » 

La poésie populaire avait fait déjà, du vivant de Taliésin, 
des conquêtes assez nombreuses pour qu'il crût nécessaire de 
l'attaquer à force ouverte. Le temps a respecté une satire 
pleine de verve et de colère, où le barde l’anathématise sous 
le nom de poésie de kier ou d’écoliers. 


Les kler, s'écrie-t-il : les vicieuses coutumes poétiques, ils les 
suivent ; les mélodies sans art, ils les vantent; la gloire d’insipides 
héros, ils la chantent; des nouvelles, ils ne cessent d'on forger; les 
commandements de Dieu, ils les violent; les femmes mariées, ils les 
flattent dans leurs chansons perfides, ils les séduisent par de tendres 
paroles ; les belles vierges, ils les corrompent ; toutes les fêtes pro- 
fanes, 1ls les choment: les honnêtes gens, ils les dénigrent ; leur vie 
et leur temps, ils les consument inutilement ; la nuit, ils s’enivrent ; 
le jour, ils dorment ; fainéants, ils vaguent sans rien faire ; l’église, 
ils la haïssent ; la taverne, ils la hantent ; de misérables gueux for- 
ment leur société; les cours et les plaisirs, ils les recherchent ; tout 
propos pervers, ils le tiennent ; tout péché mortel, ils le célèbrent; 
tout village, toute ville, toute terre, ils les traversent; toutes les frivo- 
lités, ils les aiment. Les commandements de la Trinité, ils s’en 
moquent ; ni les dimanches, ni les fêtes, ils ne les respectent ; le 
jour de la nécessité (de la mort), ils ne s’en inquiètent pas ; leur 
gloutonnerie, ils n’y mettent aucun frein : boire et manger à l'excès, 
voilà tout ce qu'ils veulent. 

« Les oiseaux volent, les abeilles font du miel, les poissons nagent, 
les reptiles rampent. 

«Il n’y a que les kler, les vagabonds et les mendiants qui ne se 
donnent aucune peine. 

« N’aboyez pas contre l'enseignement et l’art des vers. Silence, 
misérables faussaires, qui usurpez le nom de bardes! Vous ne savez 
pas juger, vous autres, entre la vérité et les fables. Si vous êtes les 
bardes primitifs de la foi, les ministres de l’œuvre de Dieu, prophétisez 
à votre roi les malheurs qui l’attendent. Quant à moi, je suis devin et 
chef général des bardes d'Occident 1, 


1 Myvyrian, t. I, p. 56. 


E INTRODUCTION. 


Cette curieuse diatribe, éternel cri de l’art contre la nature 
ignorante, trop violente sans doute pour être prise à la 
lettre, est cependant d'une grande valeur historique, Le 
poëte nous apprend quels étaient les auteurs des chants 
qui couraient dans la foule, et quel était le genre de leurs 
compositions au sixième siècle. 

I les divise en kler, ou écoliers-poëtes, en chanteurs am- 
bulants, et en mendiants: il leur attribue des chansons hé- 
roïques et historiques; des chansons de fêtes et d'amour, 
composées sans goût, sans art, sans critique, et dans des 
formes nouvelles; les unes sur des événements du temps, ou 
sur des personnes vivantes, les autres adressées aux femmes et 
aux jeunes filles. Une assemblée d’évèques tenue à Vannes, en 
l'année 465, défendait aux prêtres armoricains, aux diacres et 
aux sous-diacres, d'assister aux réunions profanes où l’on en- 
tendait ces chants érotiques T. et comme s'ils eussent redouté, 
jusque dans le sanctuaire, l'invasion de la musique profane, 
ou comme si elle y était déjà entrée, ils prescrivaient au 
clergé d'Armorique d’avoir une manière de chanter uni- 
forme ?. 

Gildas, en s’élevant contre les prêtres qui prennent plai- 
sir à écouter les vociférations de ces poëtes populaires, col- 
porteurs de fables et de bruits ridicules, plutôt que de 
venir entendre, de la bouche des enfants du Christ, de 
suaves et saintes mélodies, non-seulement confirme l’au- 
torité de Taliesin, lorsque le harde appelle les ménestrels des 
conteurs de nouvelles, mais encore nous révèle dans la poésie 
armoricaine du sixième siècle un troisième genre, non plus 


7 Ubi amatoria cantantur. (Conc, Ven., ap. D. Morice. Histoire de Bretagne 
pr., .J, p. 184.) 

? Ut inua provinciam, psallendi una sit consuetudo. (Ibidem, p. 184.) 

5 Præconum ore ritu bacchantium concrepante..……. ad ludicra et ineptas sæcu- 
larium fabulas strenuos et intentos.. Canora Christi, tyronum voce suaviter modu« 
Jante. (Gildas, Eyist., p. 15 et 22, ap. Gale) 


INTRODUCTION. XXX) 


l'œuvre des hardes ou des ménestrels profanes, mais des 
poëtes ecclésiastiques. 

A ce dernier genre appartenaient ces hymnes que chan- 
taient sous leurs voiles, dans la traversée, les exilés de l'ile de 
Bretagne en Armorique: les poëmes religieux de saint Sulio ; 
les cantiques que la mère de saint Hervé enseignait à son fils, 
comme ceux qu'il composa lui-même et qui le firent choisir 
pour patron par les poëtes de son pays; et enfin, ces légendes 
rimées, en l'honneur des saints, que répétait le peuple dans 
les cathédrales peu d'années après leur mort. 

Les Bretons armoricains avaient donc, au sixième siècle, 
une littérature contenant trois genres très-distincts de poësie 
populaire, à savoir : des chants mythologiques, héroïques et 
historiques; des chants de fêtes et d'amour: des chants reli- 
gieux et des vies de saints rimées. 


IV 


La poésie populaire, dans tous les temps et chez tous les 
peuples, dès sa naissance, atteint son complet développement. 
Comme la langue et avec la larigue du peuple, elle peut 
mourir, mais ne change pas de nature. Nous pensons donc 
qu'on s'égarerait en y cherchant les traces d’un progrès 
semblable à celui qui règne dans la poésie écrite et arti- 
ficielle. Elle est complète par cela même qu'elle existe, 
et il faut la juger comme un tout homogène pour en 
avoir une idée juste. Les remarques que nous allons sou- 
mettre au lecteur seront donc générales, et pourront con- 


1 Vita sancti Dubrici, ap. Joh. Price, Hist. Brit, p. 121. 


XXXIT INTRODUCTION. 


venir indifféremment à toutes les époques de l’histoire de la 
poésie bretonne, depuis les temps les plus reculés. Nous ver- 
rons plus tard, en descendant le courant des âges, quelles 
nuances particulières lui ont données les événements, les 
mœurs et les temps. 

Le principe de toute poésie populaire, c’est l'âme humaine 
dans son ignorance, dans sa bonne foi, dans sa candeur na- 
tive; l'âme, (non sophistiquée, dit Montagne, et sans cognois- 
sance d’aulcune science ni mesme descripture'; » et cepen- 
dant, pressée par un besoin instinctif de confier à quelque 
monument traditionnel le souvenir des événements qui sur- 
viennent, les émotions qu’elle éprouve, les dogmes religieux 
ou les aventures des héros. 

De ce principe découle une vérité admise par les juges les 
plus compétents en fait de poésie orale, et qui doit servir 
de base à tout ce qui suivra, savoir , que les poëtes vraiment 
populaires sont, en général, contemporains de l'événement, 
du sentiment, ou de la tradition ou croyance religieuse dont 
ils sont l'organe, et que, par conséquent, pour trouver la date 
de leurs œuvres, il faut chercher à quelle époque appar- 
tiennent soit les événements et les personnages qu'ils men- 
tionnent, soit les sentiments qu'ils expriment, soit les opinions 
ou traditions pieuses qu’ils consacrent*?. 

Le jugement de la critique s’appuie sur le témoignage des 
poëtes populaires eux-mêmes : 

« Comme je ne sais point lire, dit un chanteur grec, pour 


L Essais, Liv. I, c. Liv 54. 

2 Fauriel, Chants populaires de la Grèce moderne, Introduction, passim ; 
3.J. Ampère, Histoire litléraire de la France, t. 1, p. 21; Grimm, Dewlsche Haus 
und Kindermarchen, Introduction, passim, et Deutsche Mythol., 1844, t. 1, p. 408 et 
M6; Rüs, Edda, p. 61; Ferdinand Wolf, Uber die Lais, p. 559; Adolf Wolf, 
Volkslieder aus Venetien. M. Nigra est venu joindre son autorité à celle de ces 
maîtres : « La poesia storica, popolaree tradizionale, 6 coeva, nelle sue origini, al 
fatto per essa descritto.» (Canzoni popolari del Piemonte. Revisla contempo- 
ranea. Genn., 1858, p. 51.) 


INTRODUCTION, XXXII 


ne point oublier cette histoire, j'en ai fait une chanson, afin 
d'en conserver le souvenir T. » 

« Celui qui vous chante cette chanson, dit l’auteur de la 
Bataille de Morat, peut maintenant se nommer; il a été lui- 
même témoin de ce qu'il raconte: il s'appelle Jean Ower?. » 

Cette vérité s'applique, dans sa généralité, aux trois genres 
de compositions populaires de la Bretagne précédemment in- 
diqués; les écrivains du moyen âge la reconnaissaient comme 
nous aujourd'hui : 

« Les Bretons, disait Marie de France, au treizième siècle, 
ont coutume de faire des lais sur les aventures qui ont lieu 
pour qu'on ne les oublie pas; j'en ai rimé quelques-uns en 
français *. » 

Les auteurs anonymes des lais de Tnne" et d'Havelok®, 
tiennent le même langage. 

Leur témoignage sur l'usage breton de mettre en chanson 
les événements contemporains, reçoit une force nouvelle 
de l'examen de la poésie bretonne. 

Le poëte qui a célébré la victoire du héros Lez-Preiz (le 
Morvan de l'histoire), sur les Franks, termine de la sorte une 
des parties de son poëme national : 

« Ce chant a été composé pour garder le souvenir du com- 


1 Histoire de Georges Katoverga, Chants populaires de la Grèce moderne, t. II. 

= X. Marmier, Chants de guerre de la Suisse. (Revue des Deux Mondes, 4 série 
p. 215, 1856.) 

5 Lais, en irlandais chanson, en gallois son, voix et chant, en breton son lugubre 
{V. Rostrenon, Dact.,t. 1, p.251.) Il n’est plus en usage que dans ce dernier sens, 
mais il a dû exprimer l’idée d'une Zallade élégraque, à en juger par le morceau 
que nous possédons, et auquel Marie de France donnait ce nom. 

# Lai d'Équitan, sie de Nantes. Marie de France. (Ap. Roquefort, t, 4, p. 414 
et prologue, p. 44.) x 


5 De l'aventure que dit ai, 
Li Breton en firent un Lai. (1bid., p.580.) 
9 Li ancien, por remenhrance, 


Firent un Lai de sa victoire, 
Et que Louz jors en soit mémoire... 
Un Lai en firent li Breton. 
(Lai d'Haveiok et d'Argentille, manuscript, reg, n° 7595.) 


U 


XXXIV INTRODUCTION. 


bat : qu'il soit répété par les hommes de la Bretagne, en l’hon- 
nour du bon seigneur Lez-Breiz: qu'il soit longtemps chanté 
au loin à la ronde pour réjouir tous ceux du pays » 

Voici maintenant le début de la ballade du Rossignol, que | 
Marie de France a arrangée, et dont je publie l'original : @ La | 
jeune épouse de Saint-Malo pleurait hier à sa fenêtre. » 

Cette précision de date se retrouve au commencement ou | 
dans l’épilogue d'un grand nombre d’autres pièces : « Je fré- 
mis de tous mes membres, dit l’auteur des Trois moines 
rouges; je frémis de douleur en voyant les malheurs qui 
frappent la terre, en voyant l'événement qui vient d’avoir 
lieu près de la ville de Quimper. » 

«Moi qui ai composé cette chanson, nous fait observer à | 
son tour l’auteur de Geneviève de Rustéfan, j'ai vu le prêtre. 
dont je parle, qui est maintenant recteur de la paroisse, 
pleurer bien souvent près de la tombe de Geneviève. » | 

«Le vingt-septième jour du mois de février de l’année 1486, 
pendant les jours gras, dit le chantre du Carnaval de Rospor- 
den, est arrivé un grand malheur dans cette ville. » 

«En cette année-ci, 1693, répète mot à mot un autre chan- 
teur, est arrivé un grand malheur dans la ville de Lannion. » 

Il me serait facile de multiplier les exemples, en les emprun- 
tant à des pièces qui se rapportent sans contestation aux évé- 
nements des trois derniers siècles. 

Les chansons d'amour portent aussi invariablement la date 
du sentiment qu’elles expriment. 

Un jeune homme, trahi par sa douce et chantant sa 
rupture avec elle, se plaint de ne pas savoir écrire et d'être 
ainsi arrêté dans son poétique essor : 





« Si je savais, s’écrie-t-il, lire et écrire ainsi que je sais 
rimer, comme je ferais vite une chanson! » 

Les cantiques, expression d’une croyance ou d’un sentiment 
religieux, et les légendes, récit des aventures d'un saint per- 


INTRODUCTION XIXV 


sonnage, n'ont pu de même naitre que sous l'empire des opi- 
nions ou des traditions dont on les a faits dépositaires. 

Il serait puéril d'essayer de le démontrer à l'égard des pre- 
miers. Quant aux vies de saints, comme ceux qui les riment 
savent lire et écrire, et ont pu ne pas les emprunter à la tra- 
dition orale, il nous semble nécessaire d'insister : la légende 
de saint Efflamm nous offre un argument sans réplique. 

En terminant le récit des aventures du saint et de sa fian- 
cée, l'hagiographe populaire ajoute : 

« Afin que vous n’oubliiez pas ces choses qui n’ont encore 
été consignées en aucun livre, nous les avons tournées en 
vers pour qu'elle soient chantées dans les églises. » 

C’est dire assez que l'actualité et la bonne foi sont deux qua- 
lités inhérentes au vrai chant populaire. Le nocte de la 
nature chante ce qu'il a vu ou ce qu'on lui a rapporté, ce que 
tout le monde sait comme lui; il n’a d'autre mérite que celui 
du choix des matériaux et de la forme poëtique. Son but est 
toujours de rendre la réalité ; car les hommes très-près de Ia 
nature, selon la remarque de Chateaubriand, se contentent 
dans leurs chansons de peindre exactement ce qu'ils voient; 
l'artiste, au contraire, cherche l'idéal; l'un copie, l’autre 
crée ; l’un poursuit le vrai, l’autre la chimère; l’un ne sait pas 
mentir et doit à ses naïvetés des grâces par quoi ses œuvres 
se comparent à la principale beauté de la poésie parfaite selon 
l’art, comme l’a si bien dit Montaigne; l’autre se plait à 
feindre et réussit par la fiction. 

Cette opinion est aussi celle des frères Grimm. Nous pou- 
vons affirmer, observent-ils, que nous n'avons pu parvenir à 
découvrir un seul mensonge dans les chants du peuple?. 

Aussi, quand un paysan breton veut louer une œuvre de ce 
genre, il ne dit pas : C’est beau; il dit : C’est vrai. 


1 Essais, liv. 1, 6. iv. 
? Deutsche Haus und Kindermarchen, Introd., 2* éd. Berlin, 1819. 


ETI INTRODUCTION. 


Mais un examen détaillé de la poësie populaire de Bretagne, 
dans son état aetuel, infaillible garant de son état passé, Jettera 
un plus grand jour sur la question. Voyons donc quel est au- 
jourd’hui le mobile de cette poësie, eu égard à ses trois 
genres littéraires, et quels en sont les auteurs. 

Et d'abord, à qui s'adresse-t-elle? — À tous ceux qui par- 
lent breton, au petit peuple des villes, aux habitants des 
bourgs, des villages et des campagnes, à la masse de la popu- 
lation bretonne, à douze cent mille individus sans culture, 
sans autre science que l'instruction orale qu’ils recoivent du 
clergé, et sans autres biens que le trésor de chants et de tra- 
ditions qu'ils amassent depuis des siècles; gens avides d'émo- 
tions et de nouvelles, pleins d'imagination, de mémoire et de 
besoin de connaitre, qui vont demander aux chanteurs leurs 
plaisirs intellectuels de chaque jour. 

Chroniqueur et nouvelliste, romancier, légendaire, Iyrique 
sacré, le poëte est tout pour eux. 

Le rôle de chroniqueur est celui qu’il joue le plus habituel- 
lement. Tout événement, de quelque nature qu'il soit, pour 
peu qu'il soit récent, et qu'il ait causé une certaine rumeur, 
lui fournit la matière d’un chant; si le poëte est en renom, et 
si l'événement est propre à faire honneur à une famille, cette 
famille vient souvent le trouver pour le prier de composer un 
chant qu’elle paye généreusement : j’en ai eu maintes fois la 
preuve. C’est la foule qui lui indique les sujets qu'il doit trai- 
ter; ce sont les goûts, les instincts, les passions de la foule 
qu'il suit; il exprime ses idées, il traduit son opinion, il 
s'identifie complétement avec elle. Ceci est d’ailleurs, pour les 
chants du poëte, et par contre-coup pour sa réputation, une 
question de vie ou de mort; le peuple est juge et partie, il faut 
Jui plaire à tout prix. Si le chanteur s’avisait de traiter un su- 
jet d’une époque reculée, un sujet étranger aux idées, aux 
mœurs et aux habitudes actuelles, de prendre pour héros de 





INTRODUCTION. XXXVI 


ses poëmes des personnages avec lesquels le public ne serait 
pas déjà familiarisé, que la génération nouvelle, ou du moins 
la génération qui s’en va, ne connaitrait pas; s’il lui prenait 
envie de rimer des aventures qui n'offriraient point à la foule 
un intérêt récent, croit-on que son œuvre aurait du succès, 
qu’elle se graverait dans les esprits, en un mot, qu'elle de 
viendrait populaire et traditionnelle? Mille fois non ! 

Du reste, il n’est très-souvent que le guide d'une réunion en 
verve. Quelqu'un arrive à la veillée et raconte un fait qui vient 
de se passer : on en cause; un second visiteur se présente 
avec de nouveaux détails, les esprits s’échauffent; survient un 
troisième qui porte l'émotion à son comble, et tout le monde 
de s’écrier : « Faisons une chanson! » Le poëte en renom est 
paturellement engagé à donner le {on et à commencer; 1l se 
fait d’abord prier (c'est l'usage), puis il entonne : tous répè- 
tent après lui la strophe improvisée; son voisin continue la 
chanson : on répète encore : un troisième poursuit, avec répé- 
Lition nouvelle dela part des auditeurs; un quatrième se pique 
d'honneur; chacun des veilleurs, à tour de rôle, fait sa 
strophe ; et la pièce, œuvre de tous, répétée par tous, et aussi- 
tôt retenue que composée, vole, dès le lendemain, de paroisse 
en paroisse, sur l'aile du refrain, de veillée en veillée. La 
plupart des ballades se composent ainsi en collaboration: j'ai 
assisté plus d’une fois à leur naissance. Cette manière 
d’improviser a un nom dans la langue bretonne, on l'appelle 
diskan (répétition), et les chanteurs diskanerien; souvent 
elle est excitée par la danse; jamais il ne viendrait à l'esprit 
de personne de proposer de mettre en chanson le récit d'un 
événement qui ne serait pas nouveau. Ainsi, la popularité 
d'un chant dépend des racines plus ou moins profondes que 
l'événement, le sentiment ou la croyance qui en est le sujet, 
a jetées dans Les esprits, avant qu'on s’en soit emparé pour les 
chanter. « On ne crée pas plus un morceau de poésiepopu- 


X XXVII INTRODUCTION. 


laire, disent excellemment les frères Grimm, et surtout on ne 
le fixe pas plus dans la mémoire de tout un peuple, qu'on ne 
crée 0 priori, et qu'on ne fait parler une langue à une nation 
entière. Tenter d'improviser en pareil cas, est une entreprise 
extravagante, dans laquelle il faut désespérer de réussir. 
L'homme qui veut faire isolément de la poésie populaire, en 
ürer de son propre fonds, échoue habituellement, on pourrait 
presque dire inévitablement, dans la tâche qu'il s'est pro- 
posée. » 

Un chant existe depuis longtemps, parce qu'il s’est trouvé, 
au moment où il est né, dans les conditions les plus favorables 
à une longue existence. Dans les mêmes conditions d’être, un 
autre jouira du même privilège, mais il ne pourra s’en pas- 
ser. Réflexion naïve à force d'être juste. 

Les chants populaires ressemblent à ces plantes délicates 
qui ne se couronnent de fleurs que lorsqu'elles ont été semées 
dans un terrain préparé d'avance. 

Quoique les gens du peuple,en Basse-Bretagne, soient généra- 
lement doués d’un esprit poétique assez remarquable, et qu’on 
puisse attribuer indifféremment leurs chansons à la masse, sans 
distinction de sexe, d'âge ou d'état ; cependant, il est certains 
individus qui passent pour leurs auteurs : ce sont les meu- 
niers, les tailleurs, les pillaouers ou chiffonniers, les men- 
diants, et ces poëtes ambulants qui ont retenu le nom usurpé, 
incompris désormais, hélas! et bien déchu, de barz (barde). 

Personne, excepté les kloer, que Taliésin appelait kler, et 
les prêtres, dont nous parlerons tout à l'heure, ne se trouve 
dans une position aussi favorable au développement des facul- 
tés poétiques ; personne n’est mieux fait pour jouer le rôle de 
chroniqueur et de nouvelliste populaire. Leur vie errante, 
l'exaltation de leur esprit, qui en est la suite naturelle, leurs 
loisirs, tout les sert merveilleusement. 

La seule différence qu'il y ait entre existence du meunier 


INTRODUCTION. XXXIX 


et celle des autres chanteurs de ballades, c'est qu'il rentre 
chaque soir au moulin; comme eux, du reste, il fait le tour 
du pays; il traverse Les villes, les bourgs, les villages ; il entre 
à la ferme et au manoir, il visite le pauvre et le riche; il se 
trouve aux foires et aux marchés, 1l apprend les nouvelles, il 
les rime et les chante en cheminant; et sa chanson, répétée 
par les mendiants, les porte bientôt d’un bout de la Bretagne 
à l'autre. 

En effet, les mendiants, en cela semblables aux anciens 
rapsodes et aux jongleurs, colportent et répètent plus sou- 
vent les chansons des autres qu'ils n’en composent eux-mêmes. 
Il est très-remarquable que, méprisés ailleurs et le rebut de 
la société, ces gens soient honorés en Bretagne, et presque 
l'objet d’un culte affectueux; cette commisération toute chré- 
tienne emploie les formes les plus naïves et les plus tendres 
dans les dénominations qu'elle leur donne; on les appelle : 
bons pauvres, chers pauvres, pauvrets, pauvres chéris, ou sim- 
plement chéris; quelquefois on les désigne sous le nom 
d'amis ou de frères du bon Dieu. Nulle part le mendiant n’est 
rebuté; il est toujours sûr de trouver un asile et du pain par- 
tout, dans le manoir comme dans la chaumière. Dès qu'on l'a 
entendu réciter ses prières à la porte, ou dès que la voix de 
son chien a annoncé sa présence (car il est souvent aveugle 
et n'a généralement d'autre guide qu'un chien), on va au-de- 
vant de lui, on introduit dans la maison, on se hâte de le dé- 
barrasser de sa besace et de son bâton, on le fait asseoir au 
coin du feu, dans le fauteuil même du chef de famille, et 
prendre quelque nourriture. Après s'être reposé, il chante à 
son hôte une chanson nouvelle, et ne le quitte jamais que le 
front joyeux et la besace plus lourde. Aux noces, on le 
trouve à la place d'honneur au banquet des pauvres, où il 
célèbre l’épousée qui le sert elle-même à table 

Le barz occupe dans l'ordre (qu'on me passe cette expres- 


XL INTRODUCTION. 


sion ambitieuse), un rang plus élevé que les autres chan- 
teurs, il représente assez bien, avec le poëte mendiant, mais 
moins en laid, il faut en convenir, ces gueux et ces ménestrels 
vagabonds, ombres des bardes primitifs, à qui Taliésin don- 
nait l'injurieux sobriquet de hardes dégénèrès, et auxquels il 
faisait un crime de vivre sans travail et sans gite, de servir 
d'échos à la voix publique, de débiter les nouvelles en vogue 
parmi le peuple et de courir les fêtes et les assemblées. Au- 
cun des reproches qu'il leur adresse ne serait déplacé dans 
un sermon des missionnaires bretons ; nous en avons entendu 
plus d’un tenir, à l'égard des chanteurs populaires, un lan- 
gage peu différent de celui du satirique cambrien. 

On pourrait démêler encore, dans les traits des bars 
ambulants, quelques rayons perdus de la splendeur des anciens 
bardes. Comme eux ils célèbrent les actions et les faits dignes 
de mémoire; ils dispensent avec impartialité, à tous, aux 
grands et aux petits, le blame et la louange; comme eux ils 
sont poëtes et musiciens; dans mon enfance, ils essayaient de 
relever le mérite de leurs chants, en les accompagnant des 
sons très-peu harmonieux d’un instrument de musique à trois 
cordes, nommé rébek, que l’on touchait avec un archet, et 
qui n'était autre que la rote des hardes gallois et bretons du 
sixième siècle. 

On sait que ceux de ces poëtes qui étaient aveugles faisaient 
usage de certaines petites baguettes ou tailles, dont les coches, 
disposées d'une façon particulière, leur tenaient lieu de carac- 
tères, et fixaient dans leur mémoire les chants qu'ils voulaient 
y graver. Cette espèce de mnémonique s'appelait en Galles l'al- 
phabet des bardes?; plusieurs aveugles s’en servent encore 

1 Chrota britanna. (Venant. Forlunat., lih. NII, p. 170.) Marie de France la dit 


aussi populaire que la harpe : 


Fu Gugemer le lai trovez 
Que hom dist en harpe 6 en ro'e. (Poésies, L L p. 115.) 


? Coclbren y Beirdd. (Jones, Musical and poetical Remauns, t. II, p. 4.) 


INTRODUCTION. XLX 


aujourd’hui en Basse-Bretagne pour se rappeler le thème et les 
diverses parties de leurs ballades. 

On sait aussi qu'il était défendu aux bardes cambriens, par 
leurs propres lois, de s’introduire dans les maisons sans en 
avoir préalablement obtenu la permission, et qu'ils la deman- 
daient en chantant à la porte". C’est un usage auquel les chan- 
teurs bretons ne manquent jamais dese conformer; leur salut 
habituel est : « Dieu vous bénisse, gens de cette maison! Dieu 
vous bénisse, petits et grands! » [ls n’entrent que lorsqu'on 
leur a répondu : «Dieu vous bénisse aussi, voyageur, qui que 
vous soyez. » Si on tarde à leur répondre d'entrer, ils doivent 
passer leur chemin. 

Enfin, comme les anciens bardes domestiques chez les Gal- 
lois?, ils sont l’ornement de toutes les fètes populaires, ils 
s’assoient et chantent à la table des fermiers, ils figurent dans 
les mariages du peuple, ils fiancent les futurs époux en vertu 
de leur art, selon d’antiques et invariables rites, même avant 
que la cérémonie religieuse ait eu lieu. [ls ont leur part dans 
les présents de noces. Ils jouissent d’une grande liberté de 
parole, d’une certaine autorité morale, d’un certain empire 
sur les esprits ; ils sont aimés, recherchés, honorëés, presque 
autant que l'étaient ceux dont ils mènent à peu près la vie, 
dons une sphère moins élevée. 

De l’histoire sérieuse à la chronique légère, de la chronique 
au roman d'amour, et de celui-ci au simple récit d’une in- 
trigue amoureuse, où seulement à l’effusion d'un sentiment 
vif et personnel, la transition est facile. Nous devons même 
dire que les chants historiques dont le thème est un événe- 
ment public ou privé peu important, et les chants domesli- 
ques qui offrent quelques traits piquants par leur actualité, 
rentrent souvent les uns dans les autres. 


4 Pennant, Tour in Wales, t. I, p. 459 et <eq 
S Myvyrian, L Il, p. 557. 


XLII INTRODUCTION. 


En ce cas, les derniers sont encore l'œuvre des meuniers, 
ou, le plus souvent, des tailleurs. Le caractère particulier du 
tailleur est la causticité et la raillerie; « son oreille est longue, 
dit le proverbe breton, son œil nuit et jour ouvert, et sa lan- 
gue aiguë. » Rien ne lui échappe : il chansonne impartiale- 
ment tout le monde, disant en vers ce qu'il ne pourrait dire 
en prose. Cela le fait souvent comparer au barbier breton qui, 
ayant découvert un jour que son maitre avait des oreilles de 
cheval, comme le roi Midas, alla couper, sur la grève, un ro- 
seau dont il fit une flûte, pour répandre en tout lieu la nou- 
velle. Les chants du tailleur sont souvent des satires lors même 
qu'elles semblent l'être moins. Toute leur valeur, comme 
celle des ballades, dépend de leur actuauté. Le tailleur est au 
courant de tontes les intrigues secrètes. Il surprend parfois 
les amours au coin des bois, le soir en revenant chez lui, et 
se donne le malin plaisir d'en effeuiller la fleur. 

On en peut dire autant du meunier et du pillaouer: ils mé- 
riteraient donc assez le reproche que Taliésin adressait à cer- 
tains chanteurs populaires de son temps : toutefois, s'ils rail- 
lent la conduite du prochain, on peut leur rendre cette justice 
qu'ils ne calomnient jamais. 

Les chansons d'amour, quand elles n’ont pas pour auteurs 
les jeunes filles mêmes qui ont aimé, sont en général l'œuvre 
des kloer, qui y figurent aussi le plus souvent comme acteurs 
et comme poëtes. Cette poésie intime, personnelle et senti- 
mentale, forme dans la littérature populaire de Bretagne une 
branche très-distincte et non moins curieuse, sinon aussi 
importante, que la branche purement historique. 

On donne aujourd'huile nom de kloer (au singulier kloarek) 
aux jeunes gens qui font leurs études pour entrer dans l’état ec- 
clésiastique. Il correspond exactement au gallois kier, qui avait 
très-anciennement une des sigmfications du latin clerus dans 
la basse latinité, et du français clerc d'école, dans les vieilles 


INTRODUCTION. XLI 


chansons. Nous avons vu que déjà du temps de Taliésin, 1i se 
prenait, comme de nos jours, dans le sens de ménestrel, de 
barde d’un rang inférieur, d’écolier-poëte. 

Les kloer bretons appartiennent en général à la classe des 
paysans et quelquefois du petit peuple des villes et des bour- 
gades : les anciens sièges épiscopaux de Treguier et de Léon, 
et ceux de Quimper et de Vannes, sont les villes qui en réu- 
nissent le plus; ils y arrivent par bandes, du fond des cam- 
pagnes, avec leur costine national, leurs longs cheveux, leur 
langue et leur naïveté rustique. La plupart n’ont guère moins 
de dix-huit à vingt ans. Ils vivent ensemble dans les faubourgs ; 
le même galetas leur sert de chambre à coucher, de cuisine, 
de réfectoire et de salle d'étude. C'est une existence bien diffé- 
rente de celle qu'ils (menaient dans les champs ; une révolution 
complète ne tarde pas à s’opérer en eux; à mesure que leur 
corps s'énerve et que leurs mains blanchissent, leur intelli- 
gence se développe, leur imagination prend l'essor. L'été et 
les vacances les ramènent au village; c'est v la saison, dit un 
poëte breton, où les fleurs s'ouvrent avec le cœur des jeunes 
gens. » Comment le leur resterait-il fermé? On ne parle au- 
tour d'eux que de fêtes, de plaisirs : s'ils se promènent dans 
la campagne, pour étudier plus librement, ils sont distraits 
par les rires joyeux de fringantes jeunes filles aux costumes 
coquets, qui passent avec leurs galants pour aller à quelque 
Aire Neuve; s'ils restent prudemment au village, le verger où 
ils cherchent l'ombre et la solitude n’est pas moins tenta- 
teur : la branche de plus d'un pommier fait briller à leurs 
yeux de ces vertes pommes d'amour enveloppées d’un papier 
indiseret auquel les ciseaux d’un jeune homme ont confié un 
nom chéri, en Isissant au soleil le soin de le graver sur le 
fruit en caractères de feu. Partout des écueils; aussi, rare- 
ment les kloer reviennent à la ville sans Y rapporter le germe 
d'une première passion. Avec elle s’élève dans leur âme un 


XLIV INTRODUCTION. 


grand orage; un combat s’y livre entre Dieu et l'amour; par- 
fois l'amour est le plus fort. L’oisiveté, la réflexion, l’idée d’un 
bonheur prochain qu'on pourrait cueillir, le contraste de la 
gène, des privations, de la servitude présente avec la liberté 
des bois, l'isolement, le mal du pays, les regrets, contribuent 
à développer ce sentiment qui n'existait qu'en germe. Un 
souvenir, un mot, un air qu’on se rappelle : que sais-je ? par- 
fois Le son d’un instrument sauvage qui s’éveille au fond du 
vallon, le font éclater tout à coup; alors l’écolier jette au feu 
ses livres de classe, maudit la ville et le collége, renonce à 
l'état ecclésiastique, et revient au village. 

Mais, le plus souvent, Dieu l'emporte. En tout cas, l’éco- 
lier-poële a besoin de « soulager son cœur, » c’est son expres- 
sion; ses confidences, il les fait à la muse; c’est elle qui recoit 
ses premiers aveux, qui sourit à ses joies d'enfant, qui essuie 
ses larmes : naïves et mélancoliques existences qu'Emile 
Souvesire a peintes d'après nature en des pages charmantes. 

Ce qu'on vient de lire fera comprendre pourquoi le vieux 
satirique que nous avons cité plus haut accuse les kloer de 
son temps de flatter les femmes par des chansons perfides, et 
de corrompre les jeunes filles. 

Par un instinct naturel à tous les poëtes vraiment popu- 
laires. les kloer dont nous parlons n'écrivent jamais. On 
dirait qu'ils redoutent pour leurs œuvres le sort de ces 
chansons patoises que vendent, sous leur nom, dans les 
foires des villes, aux servantes et aux valets, les estima- 
bles libraires qui les fabriquent ou les refont. Les kloer préfè- 
rent le siège rustique, mais solide, que leur élève dans son 
cœur l'habitant des campagnes, au piédestal qu’une publicité 
banale offre à ses courtisans; et ils ont raison. La mémoire 
de oute, comme l’appellent les anciens bardes, est, en 
effet, bien autrement tenace que la memoire des lettres. Écrire 
et se faire imprimer serait pour les poëtes populaires renon- 


INTRODUCTION. XLV 
cer à voir leurs chants appris par cœur et répétés de généra- 
tion en génération. 

Devenus prêtres, les kloer brülent ce qu’ils ont adoré; ainsi 
Gildas oubliant, sous le froc du moine, que dans sa Jeunesse 
il avait fait partie du corps des bardes, déclamait contre eux. 
Kloer, les poëtes populaires dédaignaient les chants des men- 
diants et des chanteurs nomades; prêtres, ils dédaignent les 
kloer et leur art, les mendiants et leurs chansons. 

Et, cependant, ils tiennent aux uns comme aux autres par 
plus d'un lien encore. Ils empruntent aux kloer leurs effu- 
sions d'amour, et, en changeant l'objet, ils les font monter 
vers le ciel en cantiques pieux. Les sentiments qu'ils expri- 
ment étant toujours vivants dans les cœurs, leurs œuvres, 
en cela différentes des ballades et des chants domestiques, 
n'ont besoin, pour devenir populaires, que d’être faites dans 
une forme vulgaire qui les rende accessibles à l'intelligence 
et à la mémoire du peuple; elles se retiennent et se trans- 
mettent d'âge en âge, comme des prières. Il n’est donc 
possible de savoir la date de leur composition qu'en con- 
naissant l'époque précise où vivaient leurs auteurs, 

Quant aux histoires édifiantes qui sont le thème des lé- 
gendes, c'est tout différent. Ces compositions rentrent dans 
le domaine des chants historiques, et elles n’ont de gage de 
vie et de popularité du autant qu’elles sont fondées sur un en- 
semble de traditions déjà répandues dans la foule. 

Après avoir étudié les chants populaires de la Bretagne, 
quant à leur principe, montrons que, par leurs éléments con- 
stitutifs, leur forme et leur style, ils conviennent aux époques 
où vécurent les personnages qu'ils mentionnent, et où eurent 
cours les sentiments, les mœurs et les idées qu'ils nous font 
connaitre. 


ALVI INTRODUCTION. 


On trouve parmi les chants qui Yorment ce recueil : 

Des ballades dont les personnages ont existé dans inter. 
valle qui s'étend depuis le cinquième siècle jusqu'à nos jours; 

Des chansons qui se rapportent à des superstitions drui- 
diques depuis très-longtemps incomprises; à des fêtes dont 
l'origine et les cérémonies se perdent dans la nuit des temps; 
à un ordre de choses qui a cessé d’être depuis le quinzième 
siècle; à des événements sans importance qui ont eu lieu à 
la même époque; 

Enfin, des légendes de saints bretons des premiers siècles 
de l'ère chrétienne, et des cantiques qui se rattachent aux 
fètes les plus anciennes du catholicisme, ou qui ont pour 
sujet quelques-unes de ses doctrines fondamentales. 

Or, à quelle époque, si l’on ne tenait aucun compte des ca- 
ractères d'actualité de la poësie populaire indiqués plus haut, 
devrait-on attribuer les ballades et les chants domestiques 
des Bretons, car nous ne parlons ni de leurs cantiques, dont 
les auteurs probables sont connus, ni des légendes auxquelles 
s’appliqueront nos réflexions sur les chants héroïques et histo- 
riques ? 

Est-il vrai que ces poésies ne remontent pas au delà du 
seizième siècle, comme on l’a prétendu? Mais alors, autant 
vaut les croire toutes modernes, car il n’y a pas de raison 
pour qu’elles soient nées plutôt au seizième siècle qu'au qua- 
torzième ou qu’au dix-neuvième. Est-ce que l'histoire d'Arthur, 
de Merlin, de Morvan, de Noménoë, d'Alain Barbe-Torte, ces 
héros bretons des vieux âges, était de nature à intéresser 


INTRODUCTION, XUVII 


beaucoup plus les auditeurs du temps de la duchesse Anne 
que les auditeurs d'aujourd'hui, lesquels aiment cent fois 
mieux entendre la dernière chanson nouvelle? 

Est-ce que les malheurs d’un jeune Breton, prisonnier des 
hommes du Nord, ou ceux d’un autre guerrier, auxiliaire 
obscur de la conquête de l'Angleterre, expédition dont les 
paysans ne se doutaient pas plus au seizième siècle qu'à pré- 
sent, pouvaient les toucher davantage? 

Est-ce qu'Abailard et Iléloïse, la dame de Faouet ou la 
la dame de Beauvau, dont les maris partent pour la croi- 
sade, ou les Templiers, ou Jean le Conquérant, Jeanne de 
Montfort et tant d'autres sujets surannés étaient de nature 
à. stimuler bien vivement la curiosité populaire au seizième 
siècle et à faire vivre le poëte? 

On en peut dire autant des chansons domestiques. Si ces 
jeux-parties, qu'on chante en dansant autour des monu- 
ments celtiques, au solstice d'été, cérémonie qui rappelle 
d’une manière frappante celles qu'on. célébrait à la même 
époque autour de monuments semblables, dans l'ile de Bre- 
tagne, et dont les hardes gallois ont conservé le souvenir !; si 
c2s drames nuptiaux, dont le style varie au gré du chanteur, 
mais dont le thème et la forme ne changent jamais; si des clo 
gies amoureuses, composées par des malheureux attaqués de 
la lèpre, fléau dont il ne restait plus de traces en basse Bre- 
tagne à la fin du quinzième siècle; si tous ces chants datent du 
règne de la duchesse Anne, alors il faut croire que le drui- 
disme florissait encore assez à cette époque en Armorique 
pour avoir pu y établir des fêtes et inspirer des hymnes; que 
les actes du concile de Vannes, qui mentionnent au cinquième 
siècle les cérémonies et les chansons d'amour des noces ?, sont 


1 Myvyrian, t.1, p. 60, 61. 74. 
? Nuptiarum convivia.. ubi amatoria cantantur, et motu corporum choris et 
saltibus efferuvtur. (Loco supra citato.) 


LVI - INTRODUCTION, 


des titres apocryphes; que la lèpre désolait encore la Bretagne 
postérieurement à l’année 1500 ; ou bien que tous les auteurs 
des chants mentionnés sont des imposteurs du temps de la 
duchesse Anne, qui, par la force du génie, ont deviné l'histoire 
des siècles passés !. 

Mais, en supposant, nous dit-on, que les événements dont 
on vient de parler aient pu donner naissance à des chants 
quelconques, il est impossible que ces chants nous soient par- 
venus sans avoir éprouvé une transformation complète. 

A cela nous n'avons qu'une réponse à faire : c'est que les 
allusions des chanteurs populaires, soit aux événements, soit 
aux personnages de leur temps, sont généralement justifiables, 
c'est que les aventures qu'ils attribuent à leurs héros sont 
vraies, ou du moins vraisemblables; c'est que les mœurs, les 
idées, les costumes qu'ils leur prêtent, sont naturels et con- 
viennent à l’époque où se passent les faits mentionnés. Nous 
parlerons du style plus tard. 

Ainsi, quand l’auteur de la ballade de Merlin nous le reprt- 
sente, tantôt comme un devin puissant, tantôt comme un 
barde malheureux qui fuit la compagnie des hommes, quoi 
de plus naturel? Merlin n’était-1l pas surnommé chef des en- 
chanteurs? n'a-t-1l pas écril un poëme sur ses malheurs et 
sur sa vie sauvage? ? Quand le poëte fait allusion à un chef 
armoricain, qui donne à sa fille le pays de Léon en dot, 
ne refrouvons-nous pas une preuve de cette donation, avec 
le nom de la princesse, dans une charte du onzième 
siècle? Quand il fait offrir, avec des pelleteries, des 


1 L'opinion que nous combaltons ici fut d’abord celle de Raynouard. Mieux 
nformé, il reconnut son erreur et prouva qu'il en était complétement revenu en 
publiant à ses propres frais un des plus anciens monuments écrits de la poésie 
bretonne: le Mystère de sainte Nonne. 

S Myvyrian, t. I, p. 79. 

5 Carla Alani Fergan. ap. D. Morice, Hisloire de Bretagne, preuves, t. I, 
col. 707. V., plus loin, Merlin-Barde, notes, p. 71. 


INTRODUCTION. XLIX 


colliers d’or aux chefs bretons nobles, par ceite distinc- 
tion, ne les place-t-il pas, à l'exemple du barde Aneurin!, 
au-dessus des guerriers ordinaires ? 

Le poëte armoricain qui chante la vendange armée des Bre- 
tons sur le territoire des Franks n'est-il pas d'accord avec Gré- 
goire de Tours, victime de leurs pillages ? la danse du glaive, 
qu'il décrit, n'est-elle pas figurée sur des médailles celtiques 
récemment découvertes ? 

L'auteur de l’Épouse du croisé n’attache-t-l pas sur l'épaule 
de chaque chevalier cette croix rouge que les soldats bretons 
ne portèrent qu'à la première expédition ? 

Le barde ambulant à qui nous devons la Fiancée de Satan, 
ne nous apprend-il pas qu'il n'avait que douze ans quand eut 
lieu un enlèvement qu’il chante ? Pour peindre d’untrait le ra- 
visseur, ne le compare-t-il pas à un chef breton qu'il a connu et 
qui est mort en 1255? ne décrit-il pas armure d’un chevalier 
du treizième siècle comme les auteurs des poëmes de Lez-Breiz 
et de Nomenoë avaient précédemment décrit pièce à pièce des 
costumes guerriers du neuvième ? 

Le baron de Jauioz n'offre-t-il pas un certain vêtement en 
usage au treizième siècle? à la jeune Bretonne qu'il emmène 
en France? Quel poëte populaire autre qu'un contemporain 
aurait pu la vêtir ainsi? quel autre qu’un contemporain aurait 
pu savoir que du Guesclin avait la tête frisée comme un lion, que 
Jeanne de Montfort s’habillait de fer, comme Jeanne d'Are, et 
que les vainqueurs de la bataille des Trente portaient à leur 
casque, au retour de cette joûte célèbre, des fleurs de genèt 
cueillies dans une genetaie que l’histoire du temps place pré- 
cisément auprès du lieu du combat? 

Il est inutile d’insister ; la contemporanéité des auteurs res- 


1 Myvyrian, t. 1, p. 4. Cf. mes Bardes Lretons du sixième siècle. % édit., p. 275. 
S Pawisk, pavesca, « Nestis species: mantellum sine penna, et sendalo et 
fresa. » (Ducange, Statuta Massiliensia, ad ann. 1276.) 


d 


L INTRODUCTION, 


sortde la plupart des pièces héroïques ou historiques de ce re- 
cueil. Oui, leur première inspiration remonte à l’objet même 
qui à frappé les poëtes, et admettre que les chants relatifs aux 
événements des trois derniers siècles sont contemporains des 
sujets, c'est admettre implicitement le même fait pour ceux 
des époques antérieures. Qu'on prenne au hasard le premier 
venu, on y verra le siècle revivre avec le caractère et les cou- 
leurs qui lui sont propres. 

Si le temps et la circulation ont rendu moins saillant le type 
de certaines médailles poétiques, si les traits sont plus vagues 
et les lignes moins accusées qu'à l’époque où elles furent frap- 
pées, la rude main des âges n'a pu effacer complétement l’em- 
preinte primitive, toujours distincte et saisissable. 

Quant aux chansons de fêtes et d'amour, quoiqu'il soit moins 
facile de déterminer leur date d’une manière précise, les sen- 
timents qu'elles expriment n'ayant point d'âge, elles offrent 
néanmoins çà et là des caractères certains de contemporanéité. 

Le fils du lépreux se sent mourir, consumé par le mal 
affreux qui n'a cessé qu’à la fin du quinzième siècle en Bre- 
tagne : tout le monde le fuit, et même celle qu'il aimait. 

Le meunier qui chante ses amours aver la belle meunière de 
Pontaro parle, comme de son seigneur,du jeune baron Hévin de 
Kymerc’h,que la généalogie de cette maison fait vivre en 1420. 

Les légendes rentrent, en partie, comme nous l'avons re- 
marqué, dans la classe des chants historiques, et ce que nous 
disons des ballades leur est souvent applicable. 

Dans la légende rimée de saint Efflamm, Arthur n'est pas 
invincible, 1l a besoin, pour ne pas périr, d'un secours mira- 
culeux ; il n’a ni le costume, ni les mœurs empruntées que lui 
donneront les trouvères du moyen âge; ce n’est pas encore 
le roi chevalier, c’est une sorte de Thésée aux prises avec des 
monstres. Le chef armoricain Gradlon est dépeint, dans la lé- 
gende de saint Ronan, comme un monarque imprudent, témé- 


INTRODUCTION. Lt 


rare, prompt à écouter les conseils dangereux; il condamne 
l'innocence. C’est l’homme tel qu’il appartient à l'histoire, et 
nullement le héros des poëmes chevaleresques, qui lui 
prêteront « un beau corps, un cœur franc, » et qui le sur- 
nommeront pour cette raison, « Le Grand. » 

Cependant nous avons des monuments poétiques dont il est 
impossible de constater la date, au moins par les moyens pré- 
cédemment indiqués; je veux parler des chants qui appar- 
tiennent à cette portion de toute poésie populaire qui traite du 
monde invisible et de ses habitants, dans leurs rapports avec 
les humains. Nous verrons bientôt si on peut parvenir à leur 
assigner une date probable, en recourant à d'autres moyens; 
mais il nous semble nécessaire d'étudier d'abord leurs mysté- 
rieux acteurs. 


VI 


Les principaux agents surnaturels de la poésie populaire de 
Bretagne sont les fées et les nains. 

Le nom le plus commun des fées bretonnes est Korrigan, 
qu'on retrouve, bien qu'altéré par une bouche latine, sous celui 
de Garrigenæ, dans une des éditions de Pomponius Mela, et 
presque sans altération sous celui de Koridgwen, dans les 
poëmes des anciens hardes gallois. Chez l'écrivain latin, il dési- 
gne les neuf prêtresses ou sorcières armoricaines de Sein; 
chez les poëles cambriens, la principale des neuf vierges qui 
gardent le bassin bardique. 

Ce nom semble venir de korr, petit?, diminutif korrik, et 
de gwen ou gan, génie 5. 

4 Gent ot le cors 6 frane le cuer, 
Pur cou ot nom Graalent-muer. 
(Roquefort, t. I, p. 487.) 
?Arm. kor.; gall. corr.; féminin, corres; cornique cor; gaëlic gearr en grec #6p05 


(cf. xoupar, les nymphes, et xo0pnres), lat. curtus, franc. court, autrefois cort. 
5 lL signifie encore incénieux en breton, et s'y retrouve dans gan-az, astucieux, 


LIT INTRODUCTION. 


Les korrigan prédisent l'avenir; elles savent l’art de guérir 
les maladies incurables au moyen de certains charmes qu’elles 
font connaître, dit-on, à leurs amis; protées ingénieux, elles 
prennent Ja forme de tel animal qu'il leur plaît; elles se trans- 
portent, en un clin d'œil, d'un bout du monde à l’autre. Tous 
les ans, au retour du printemps, elles célèbrent une grande fête 
de nuit. Une nappe, blanche comme la neige, est étendue sur 
le gazon, au bord d'une fontaine; elle se couvre d'elle-même 
des mets les plus exquis ; au milieu brille une coupe de cristal 
quirépand une telle clarté qu'elle sert de flambeaux. A la fin 
du repas, cette coupe circule de main en main, elle renferme 
une liqueur merveilleuse, dont une seule goutte rendrait, as- 
sure-t-on, aussi savant que Dieu. Au moindre bruit humain 
tout s’évanouit. 

C'est, en effet, près des fontaines que l’on rencontre le 
plus fréquemment les korrigan, surtout des fontaines qui avoi- 
sinent des dolmen: elles en sont restées Les patronnes, dans les 
lieux solitaires d’où la sainte Vierge, qui passe pour leur plus 
grande ennemie, ne les a pas chassées, Les traditions bretonnes 
leur prêtent une grande passion pour la musique et de belles 
voix, mais elles ne les font point danser comme les traditions 
germaniques. Les chants populaires de tous les peuples les 
représentent souvent peignant leurs cheveux blonds, dont 
elles paraissent prendre un soin particulier. Leur taille est 
celle des autres fées européennes; elles n’ont pas plus de 
deux pieds de hauteur. Leur forme, admirabiement propor- 
tionnée, est aussi aérienne, aussi délicate, aussi diaphane que 
celle de la guëpe : elles n’ont d'autre parure qu'un voile blanc 
qu'elles roulent en écharpe autour de leur corps. La nuit, leur 
beauté est dans tout son éclat; le jour, on voit qu’elles ont 


dans gwazik-ganet Mor-gan, comme dans le nom gallois Gwen-dydd, en lat. du 
moyen âge Ganieda. (Cf. Canidia, genius, ganna, geniscus, geniciales feminæ.) Il 
correspond à l'alp germanique, d’où les elfes ou fées, 


INTRODUCTION. LUI 


les cheveux blancs, les yeux rouges et le visage ridé : aussi ne se 
montrent-elles que la nuit et haïssent-elles la lumière. Tout en 
leur personne annonce des intelligences déchues. Les paysans 
bretons'assurent que ce sont de grandes princesses qui, n’avant 
pas voulu embrasser le christianisme quand les apôtres vinrent 
en Armorique, furent frappées de la malédiction de Dieu. Les 
Gallois voient en elles les âmes des druidesses condamnées 
à faire pénitence. Cette coïncidence est frappante. 

Partout on les croit animées d’une haine violente contre le 
clergé et la religion, qui les a confondues avec les esprits de 
ténèbres, ce qui paraît Les irriter beaucoup. La vue d’une sou- 
tane, le son des cloches les met en fuite. Les contes popu- 
laires de toute l'Europe tendraient, du reste, à confirmer la 
croyance ecclésiastique qui en a fait des génies malfaisants. 
En Bretagne, leur souffle est mortel; comme en Galles, en 
Irlande, en Écosse et en Prusse, elles jettent des sorts; qui- 
conque a troublé l'eau de leur fontaine, ou les a surprises, soit 
peignant leurs cheveux, soit comptant leurs trésors auprès de 
leur dolmen (car elles yrecèlent, dit-on, des mines d’or et de 
diamant), est presque toujours sûr de périr, particulièrement 
si c’est un samedi, jour consacré à la Vierge, qu’elles ont en 
horreur. 

Presque toutes les traditions européennes leur attribuent 
aussi un penchant prononcé pour les enfants des hommes et 
les leur font voler. Cette croyance, comme toutes celles qui 
sont relatives aux fées, doit être fondée sur quelque événement 
réel; peut-être sur les habitudes bien connues des sorcières et 
des bohémiennes : aussi les fées sont-elles l’effroi de la pay- 
sanne des vallées de Oder. comme celui de la paysanne d’Ar- 
morique. Celle-ci met son nourrisson sous la protection de la 
sainte Vierge en lui passant au cou un chapelet ou un scapu- 
laire, préservatif certain contre toute espèce d'êtres malfai- 
sants. Les korrigan ne sont pas, au reste, les seuls génies qui 


LIV INTRODUCTION. 


dérobent les enfants; on en accuse également les Morgan où 
esprits des eaux, aussi du sexe féminin: elles entrainent, dit-on, 
au fond des mers ou des étangs, dans leurs palais d’or et de 
cristal, ceux qui viennent, comme le jeune Hylas, jouer im- 
prudemment près des eaux. 

Leur but, en volant les enfants, est, disent les paysans, de 
régénérer leur race maudite. C’est aussi pour cette raison 
qu'elles aiment à s'unir aux hommes : pour y arriver elles 
volent toutes les lois de la pudeur ! comme les prêtresses gau- 
loises ?. 

Les êtres qu’elles substituent parfois aux enfants des 
hommes sont pareillement de race naine et passent pour leur 
progéniture; comme elles, ils portent les noms de korr, korrik 
et korrigan, qui s'appliquent aux deux sexes. On les appelle 
aussi kornandon, gwaxigan et dus ou lutin. Ce dernier nom est 
celui du père de Merlin et d’une ancienne divinité adorée 
dans le comté d'York par les Bretons, qui la redoutaient 
fort, s’imaginant qu'elle pouvait surprendre les femmes 
dans leur sommeil. 

La puissance des nains est la même que celle des fées, mais 
leur forme est très-différente. Loin d’être blancs et aériens, 
ils sont généralement noirs, velus, hideux et trapus; leurs 
mains sont armées de griffes de chat et leurs pieds de cornes 
de bouc; ils ont la face ridée, les cheveux crépus, les yeux 
creux et petits, mais brillants comme des escarboucles; leur 
voix est sourde et cassée par l’âge. Ils portent toujours sur eux 
une large bourse en cuir qu'on dit pleine d’or, mais où ceux 
qui la dérobent ne trouvent que des crins sales, des poils et 
une paire de ciseaux. Ce sont les hôtes des dolmen: ils pas- 
sent pour les avoir bâtis; la nuit, ils dansent alentour, au 
clair des étoiles, une ronde dont le refrain primitif était : 


4 V.le Seigneur Nann el 1a Fée, p. A3. 
? Amédée Thierry, Histoire des Gaulois, t. I, p. 93, 


INTRODUCTION. LV 


« Lundi, mardi, mercredi, » auquel ils ont ajouté par la suite : 
« jeudi et vendredi n: mais ils se sont bien gardés d'aller jus- 
qu’au samedi et surtout jusqu'au dimanche, jours néfastes pour 
eux comme pour les fées. Malheur au voyageur attardè qui 
passe ! il est entrainé dans le cercle et doit danser parfois jus- 
qu'à ce que mort s’ensuive. Lemercredi est leur jour férié; le 
premier mercredi de mai, leur fête annuelle; ils la célèbrent 
avec de grandes réjouissances, par des chants, des danses et 
de la musique. 

Les Bretons, comme les Gallois, les Irlandais et les monta- 
snards de l'Écosse, les supposent faux monnayeurs et très- 
habiles forgerons. C'est au fond de leurs grottes de pierre qu'ils 
cachent leurs invisibles ateliers. Ce sont eüx qui ont écrit ces 
caractères cabalistiques qu'on trouve gravés sur les parois de 
plusieurs monuments celtiques duMorbihan et particulièrement 
à Gawr-iniz, ou l’île du Géant: qui viendrait à bout de déchif- 
frer leur grimoire connaitrait tous les lieux du pays où 1l y a 
des trésors cachës. Taliesin se vantait d’en avoir le secrett. 

Les nains sont sorciers, devins, prophètes, magiciens. Ils 
peuvent dire comme leur frère Alvis, de l'Edda: « J'ai été par- 
tout et je sais tout.» Les jeunes filles en ont grand'peur, et goù- 
tent peu, quoiqu'elles ne soient plus aussi dangereuses qu'au 
siècle de Merlin, leurs privautés lutines. Le paysan, en général, 
les redoute pourtant moins que les fées : illes brave volontiers et 
s’en rit s'il fait jour, ou s’il a pris la précaution de s’asperger 
d’eau bénite; il leur attribue la même haine qu'aux fées pour la 
religion ; mais cette haine prend une tournure plutôt malicieuse 
et comique que méchante. On dit, à ce sujet, qu'on les a sur- 
pris, au brun de nuit, commettant en rond et en se tenant par 
la main, avec mille éclats de rire diaboliques, certains actes 
moitié sérieux, moitié bouffons, mais toujours fort impies et 
cyniques… au pied des croix des carrefours. 


3 Myvyrian, t. I, n. 54, 


LVI INTRODUCTION, 


Telle est, d'après la tradition actuelle, la physionomie des 
nains bretons ; plusieurs des traits qu'elle présente leur sont 
communs avec les génies des autres peuples, particulièrement 
avec les Courètes et Carikines!, dont le culte, importé sans 
doute par les navigateurs phéniciens, existait encore dans la 
Gaule et dans l’île de Bretagne, au troisième siècle de notre 
ES 

La mythologie phénicienne nous ramène donc à la mytholo- 
vie celtique; les carikines et courètes de l'Asie, aux korrigan 
et korred bretons. 

Les anciens bardes, en nous faisant connaître la déesse Ko- 
ri won, associent à un personnage mystérieux qui a beau- 
coup d’affinité avec nos nains. Ils l'appellent Gwion, l'esprit, et 
le surnomment le pygmée 5. Son existence se trouva liée d’une 
facon assez étrange à celle de la déesse. Comme il veillait au 
vase mystique qui contenait l’eau du génie de la divination et 
le la science, vase qui rappelle d'une manière frappante la 
coupe des Courètes *, trois gouttes bouillantes lui étant tom- 
bées sur la main, il la porta à sa bouche, et soudain l'avenir 
et tous les mystères du monde se dévoilèrent à lui. La 
déesse irritée voulant le mettre à mort, ils’enfuit, et, pour lui 
échapper, il se changea tour à tour en lièvre, en poisson, en 
oiseau, tandis qu'elle-même devenait tour à tour levrette, 
loutre et épervier; mais le génie ayant eu l'inspiration fatale 
de se mélamorphoser en grain de froment, la déesse, changée 
tout à coup en poule noire, le distingua de son œil perçant au 
milieu du monceau de blé où il s'était blotti, le saisit du bec, 


l'avala, et grosse aussitôt, elle mit au monde, au bout de neuf 


anois, un enfant charmant, qui s’appela Taliésin, nom com- 


! Strabon, X. p. 466 et seq. 475. 

7 Idem, IV, p. 198, ct Diodore de Sicile, IV, 56 
3 Myvyrian, t. 1, p- 17% 

X Strabon,'X, p: 472. 





INTRODUCTION. LY 
mun, à ce qu'il parait, aux chefs des bardes et des devins 
bretons !. 

L'eau merveilleuse du vase magique est nommée par les 
hardes l’eau de Gwion?. L'ile d’Alwion’, ou de Gwion, dont 
on a fait Albion, et qu'un ancien poëte gallois appelle le pays 
de Mercure“, parait lui devoir son nom. Gwion a, en effet, 
beaucoup de rapport avec ce dieu *. On sait que l'Hermès cel- 
lique était la plus grande divinité des Bretons insulaires; 
qu’ils en avaient chez eux, au témoignage de César, une infi- 
nité d'idoles; qu'ils honoraient en lui l'inventeur des lettres, 
de la poésie, de la musique, de tous les arts; qu'ils linvo- 
quaient dans leurs voyages et lui attribuaïent une grande in- 
fluence sur le commerce et les marchés n. 

Un bas-relief antique, gravé par Montfaucon, le représente 
sous la figure d’un nain tenant une bourse à la main’. C'est 
précisément ainsi que les anciens bardes représentent Gwion ; 
ils appellent même «le nain à la bourse. » 

Or, les nains d'Armorique, comme nous l’avons vu, ont 
aussi une bourse. Tous les autres attributs de Gwion et de 
l'Hermès gaulois, la science magique, poétique, cabalistique, 
alchimique, métallurgique, divinatoire, ils la possèdent, et 
leur jour de fête est le jour de Mercure. Il semblerait donc 
qu'il n’y eût aucun doute à avoir sur l'identité de ces person- 

4 Myvyrian, t. I, p. 17, 18, 56, 57. 

2 Idem, t. Il, p. 17, 58, 175. 

5 Sic Eustates, et non Albion (Commentar. in Dion., p. 566). Sic Agathemerus 
{Géograph., 1, c. 1x). Le G disparaît dans les mots composés. 

X Myvyrian, t. I, p. 158. 

> Nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer aussi le rapport qui existe 
entre ce Gwion et Gigon, dieu du commerce et inventeur des arts, chez les Phé- 
niciens et les Tyriens. Dans les mystères des cabyres de Samothrace, tandis que la 
grande divinité travaille à l’œuvre du monde, il Taide dans ses opérations magiques, 

. comme Gwion aide Koridgwen. Sa taille et sa figure sont celles des Courètes : c'est 
lui qui conduit leurs danses. 

6 César, VI, 6. XVI, 


7 Montfaucon, €. IV, n. A4, 
8 Myvyrian, t. I, p. 161, 


LVIIT INTRODUCTION. 


nages; mais il y a mieux : les nonis mêmes sous lesquels on” 


les désigne sont équivalents; les habitants du pays de Galles 
appellent indifféremment « herbe de Cor et herbe de Gwion!, » 
une plante médicinale particulièrement affectionnée des nains, 
et les Gaulois, d'après une inscription trouvée à Lyon, appe- 
laient Corig (petit nain), le dieu qui présidait au commerce 
des Gaules, patronisait les bateliers de la Saône et de la Loire, 
les voituriers et les peseurs ?. 

Nous ne pousserons pas plus loin cette digression; il nous 
suffisait de faire voir que les nains bretons, aussi bien que les 
fées bretonnes, se rattachent, par leur nom et leurs principaux 
attributs, à l’ancienne mythologie celtique. 

C'est une des raisons pour lesquelles il est impossible, 
comme nous l'avons dit, de déterminer la date des chants 
dont ils sont le sujet. Mais si on ne peut les ranger par ordre 
chronologique, du moins peut-on les renfermer dans une 
certaine période, en étudiant les allusions qu’ils contien- 
nenl, et en recherchant à quelle époque elles se rapportent. 
Voyons donc si les quatre ballades mythologiques que nous 
publions, et qui forment un cycle de récits à part, datent du 
seizième siècle plutôt que de tout autre temps antérieur ou 
postérieur. 

Le premier représente un seigneur appelé Nann, qui va à la 
chasse à cheval et armé d'une lance. Nous savons qu'on se ser- 
vait de la lance et du javelot à la chasse, au moyen âge, en Bre- 
tagne ;mais qu’on en ait fait usage au seizième siècle, jusqu'ici 
nous n'avons pu en découvrir de preuve. D'ailleurs, M. Adolf 
Wolf a démontré par la comparaison que Ja donnée de la bal- 
lade remonte au berceau même des races indo-européennes, et 
est le prototype d’un récit qui s’est localisé en mille endroits 5. 


1 Owen’s Welsh Dicl., t. I, p. 126, éd. de 1832. 
? Pardessus, Histoire du commerce. 
5 Volkslieder aus Venetien, p. 61, 


2 


INTRODUCTION. LTX 


Le second, qui est relatif à la naissance de Merlin, offrant le 
germe évidemment développé par les romanciers du moyen 
âge, doit être mis hors de question. Il en doit être ainsi du 
troisième, vu qu'il est populaire à la fois en Galles, où on le 
trouve dès le douzième siècle, et en Bretagne, et qu'il pré- 
sente d’ailleurs une forme rhythmique archaïque. 

Reste le dernier qui montre les Bretons en état d’hostilité 
flagrante contre les Français et leur roi, hostilité qu'on ne 
dira pas, je suppose, avoir eu lieu au seizième siècle alors que 
le roi de France était duc de Bretagne. 

Ces chants n'étant donc pas du seizième siècle, ne datent- 
ils point de plus haut? Gette question nous conduit à exa- 
miner si la forme des poësies populaires de la Bretagne s’ac- 
corde bien avec le fond d'événements, de mœurs et d'idées 
qu'ils présentent, 


VIT 


Les poésies populaires de toutes les nations offrent des ana- 
logies frappantes ; on dirait qu’elles sortent de la même bouche 
et qu'elles peuvent se chanter sur le même air : cela se 
conçoil ; elles sont l’image de la nature dont le type se 
trouve gravé au fond des mœurs de tous les peuples, et 
dont les procédés sont partout identiques ; j'aime mieux cette 
raison, aussi admise par M. Mila y Fontanas et par M. de Puy- 
maigre, que le système celto-latin de M. Nigra, quelque sé- 
duisant qu'il soit. 

Entre les ballades vraiment originales et non empruntées 
qu’on chante en Espagne et en Italie, en Servie, en Seandi- 
navie, dans les États d'Allemagne, en Écosse et en Bretagne, 
je ne vois d'autre différence que celle du caractère des habi- 

_tants de ces contrées. 


Lx INTRODUCTION. 1 
e À 


La muse méridionale est fière, passionnée, impétueus 
et Ivrique; la muse servienne s'élève souvent à la hauteur de 
la poésie épique; les muses scandinave et danoise sont tragi-. 
ques et guerrières; le génie de la muse germanique est, selon 
Ferdinand Wolf, celui de la tragédie bourgeoise la plus tou- 
chante et la plus pathétique; le trait distinctif de la ballade 
écossaise est la mélancolie la plus douce. Quant à la musebre- 
tonne, elle me parait unir parfois à la sensibilité de la poësie 
germanique, la grandeur épique des poëtes serviens et la tris- 
tesse singulière de la poésie écossaise. Mais ce qui la caractérise 
surtout, ce qui éclate d’une manière admirable dans les chants 
bretons, c’est cette charmante pudeur, si délicatement indi- 
quée par M. Renan, ce quelque chose de voile, de sobre, d'ex- 
quis, à égale distance de la rhétorique du sentiment, trop 
familière aux races latines, et de la naïveté réfléchie de l’Alle- 
maone !. 

La manière dont composent leurs auteurs est analogue 
à celle des autres compositeurs populaires. Le poëte, ou 
plutôt l’auteur dramatique, car chacune de ses œuvres est 
ün drame, indique souvent, dès le début, le dénoûment, dans 
quelques vers qui servent de prologue; puis il dispose la 
scène, y place ses acteurs, et Les laisse discourir et agir libre- 
ment; point de réflexions, elles doivent ressortir de l’ensemble 
des discours et des aventures rien d’inutile ; tout se tient, tout 
s’enlace, tout marche droit au but. Toujours à l'écart, l’au- 
teur n'intervient qu’en de très-rares occasions, soit dans le 
courant de la pièce, lorsque le sens l’exige impérieusement, 
soit à la fin, lorsque le drame en suspens hésite au moment 
d'atteindre le but. 

Son allure brusque et sans transition est parfaitement na- 
turelle; il raconte un événement que tout le monde a présent 
à l'esprit; inutile donc qu'il entre dans de longs détails; 


4 La poésie des races celliques, Essais, p, 384, 


F 


L. Y 


INTRODUCTION. xI 


il suffit qu'il signale les traits saillants, et quil les mette 
dans un jour tel qu'ils puissent frapper l'esprit et se graver 
dans l'âme. Quelquefois la nature l’inspire à rendre l'art 
jaloux; mais le plus souvent, enfermé sans guide dans le 
dédale de la routine, il est impuissant à se faire à lui-même 
des ailes pour s'envoler. 

Homère, lui seul, en sortit. Des régions banales de la poé- 
sie vulgaire il sut s'élever jusqu'aux sommets les plus su-, 
blimes de l’art; mais encore est-il juste de remarquer qu'il 
est fort souvent monotone comme tous les poëtes populaires. 
Ainsi, que ses acteurs aient à parler ou à agir, il les met con- 
stamment en scène de la même manière. Il emploie mille fois 
la même forme, il répète mille fois le même vers entier. Ses 
hérauts rapportent littéralement les messages des chefs. Ses 
épithètes sont presque toutes tirées de la nature, et se repro- 
duisent uniformément :. Minerve a des yeux bleus, Junon des 
yeux de génisse, les Grecs de belles cenémides; la mer est tou- 
jours verte, le ciel toujours profond, la terre toujours vaste. 

Tous les poëtes populaires offrent les mêmes formes, la 
même allure, les mêmes épithètes naturelles, pour ainsi dire 
stéréotypées. Nous n’en citerons pas d'exemples, ce recueil en 
offrira un trop grand nombre. Nulle variété dans la combinai- 
son des matériaux {mis en œuvre; la Iyre rustique est un 
instrument incomplet. Le rébek breton n'avait que trois 
cordes, la guzla servienne n’en a qu'une. 

La chanson de fête et d'amour n’est ni aussi rude, ni aussi 
négligée, ni aussi décousue que le chant historique. Quelquefois 
elle revêt la forme de l’ode anacréontique, le plus souvent celle 
del'idylle ou de l'églogue. C’est le dialogue de la ballade roulant 
sur un thème d'amour, moins le prologue, le dénoûment et les 


notes incidentes. Ici le poëte est toujours en scène; il est acteur : 


ce sont le plus souvent les émotions, les craintes, les espé- 
rances, les tristesses, les mécomptes ou les joies de son cœur 


EXIT INTRODUCTION. 


qu'il tâche d'exprimer; il pense, réfléchit et conclut tout haut. 

Le cantique emprunte son allure, sa forme et son tour, 
partie aux chansons d'amour, partie aux hymnes d'église; la 
légende populaire, partie à la ballade et partie à la prose la- 
tine. La légende ne perd point complétement pour cela l'allure 
dramatique de la ballade; mais cette allure est moins brus- 
que, plus réglée, plus grave, plus cléricale; elle ne va plus 
le galop, si j'ose le dire, elle va l'amble. L'auteur s’efface 
moins, il parle plus longtemps, il raisonue; parfois il mora- 
lise; le récit tend à dominer l’action, comme dans les œuvres 
artificielles du même genre, qu'on ne chante point, mais qu'on 
lit, et qui par cela même ne sont pas populaires. 

Le chant marié à la parole est en effet l'expression de la 
seule poésie vraiment populaire. Son union avec la musique 
est si intime que si l'air d'une chanson vient à se perdre, les 
paroles se perdent également. Nous en avons fait mille fois 
l'expérience, mille fois nous avons vu le chanteur s’efforcer 
vainement de rappeler dans sa mémoire les mots du chant 
qu'il voulait nous faire connaître, et ne parvenir à les retrou- 


ver qu'en retrouvant la mélodie. Avec le berger de Virgile, il: 


aurait pu dire, en renversant le vers du poëte : Numeros 
memini, ‘si verba tenerem? 

Quelquefois l'air et les paroles naissent simultanément ; l’in- 
venteur de la poésie, dans les traditions cambriennes, est 
aussi l'inventeur de la musique. D'ordinaire l'air est ancien. 

Le rhythme est comme l'aile du poëte populaire ; le rhythme 
l'enlève et le soutient dans son essor. Il ne pourrait composer 
sans fredonner un air qui lui donne la mesure; tous, excepté 
peut-être les kloer et les prêtres, qui suivent pourtant une 
méthode semblable à celle des autres poëtes populaires, 
ignorent les règles de la versification : plusieurs me l'ont sou- 
vent avoué. Ils sentent instinctivement, disent-ils, qu'ils 
doivent se conformer au ton, sous veine de blesser l'oreille 


INTRODUCTION. LXI 


et l'harmonie; se reposer quand il se repose, s'arreter quand 
il s'arrête; faire accorder ensemble certaines finales qui 
suivent certains repos, et que l'air leur indique; leur science 
ne va pas plus loin. 

La prosodie bretonne est donc fondée sur le mètre et la 
rime. Les vers s’assemblent de manière à former des distiques 
ou des quatrains généralement de mesure égale. Ces vers ont 
trois, cinq, six, sept, huit,neuf, douze, et jusqu'à treize et quinze 
syllabes. Ceux de douze, comme en français, ont une césure 
au sixième pied; ceux de treize syllabes, tantôt au sixième, 
tantôt au septième; ceux de quinze, au huitième. Chaque 
hémistiche, chaque vers, chaque strophe, doit offrir un sens 
complet, et n'enjamber jamais sur l'hémistiche, le vers ou là 
strophe suivante. C'est bien le caractère rhythmique d'une 
poésie faite pour être entendue et retenue par cœur. Les 
rimes ne se croisent point comme dans la poésie écrite; au 
moins ne connaissons-nous aucun chant vraiment populaire 
où cela ait lieu. En général elles satisfont l'oreille ; quelque- 
fois elles ne présentent qu'une simple assonance ; on remar- 
quera qu’elles sont d'autant plus riches que le sujet du chant 
appartient à une époque plus reculée. 

Telle est aujourd’hui la prosodie bretonne; mais elle a eu 
d’autres traits qu'elle a perdus et dont plusieurs monuments 
qui nous restent portent des traces évidentes. Outre la rime, 
elle a employé l’allitération, c'est-à-dire l'accord harmonieux 
des consonnes entre elles dans un même vers !; outre des dis- 
tiques et des quatrains, elle a eu des tercets, formes artifi- 
cielles, essentiellement opposées au génie de la vraie poésie 
populaire et qu'elle tenait des anciens bardes. 


4 Homère ne l’a pas dédaigné toujours, et nous pourrions lui emprunter maint 
exemple (Odyssée, IV, v. 489; Ibid, YD, v. 104, 116 et 117); en voici un tiré de 
l’ancienne poésie italienne : 


E brava breve in eterno notturno; 
A mortali amar tale spento è spinto; 
E Capo corpi de una c diurno. 


EXIV INTRODUCTION. 


Déterminer l’époque à laquelle alteration proprement 
dite, qu'il ne faut par confondre avec le système de rimes 
symétriques intérieures des écrivains bretons du quatorzième 
siècle ! a cessé d’être en usage en Bretagne, neserait pas chose 
facile. Elle existe d’une manière assez régulière dans tout le 
chant mythologique de l'Enfant supposé, que sa grande popu- 
larité en Cambrie et en Armorique, nous a fait juger antérieur 
au dixième siècle. La Prophétie de Guwenc'hlan, la Submer- 
sion de la ville d'Is, la Marche d'Arthur, le Vin des Gaulois 
et la Danse du glaive, la Peste d'Elliant, Alain le Renard, 
mais surtout le Druide et l'Enfant, pièces dont le fonds appar- 
tient à la période savante de la poësie bretonne, sont égale- 
ment allitérées, en tout ou en }artie. L’allitération jouait un 
grand rôle dans la prosodie des bardes gallois de cette 
époque. Comme la ballade du Rossignol, qui a été traduite 
en français au treizième siècle, n’est point allitérée; comme 
celle de Bran, qui est dans le mème cas, et l'Épouse d'u croisé, 
ne le sont pas davantage, je suis porté à croire cette forme 
tombée en désuétude en Armorique au douzième siècle, 

Le tercet ou la strophe de trois vers rimant ensemble, de- 
vait aussi ne plus exister à la même époque, car les trois der- 
nières pièces que nous venons de citer n'en contiennent 
pas. Les druides paraissent s’en être servis pour transmettre 
leurs enseignements àleurs élèves ; au moins les seules de leurs 
maximes qui nous soient parvenues sont-elles renfermées dans 
des tercets. Le judicieux et savant critique Édouard Lhuyd la 
suppose Le plus ancien rhythme dont les Bretons aient jamais 
fait usage. Nous sommes complétement de son avis, oL nous le 
trouvons justifié par les monuments archaïques de leur poësie, 
Il est très-remarquable, en effet, que ce soit précisément la 
forme de ceux que nous avons tout lieu de croire antérieurs au 
dixième siècle. 


5 Lr, Le grand mystère de Jésus, Introd., p. cj et Sainle-Nonne, 





INTRODUCTION. LXV 

En supposant qu’on ait aumis ce qui précède, on pourra 
encore nous faire l’objection suivante : 

Les chants populaires de la Bretagne, s’il en est de diverses 
époques, doivent en porter le cachet dans le style; or, ils ont 
tous, à cet égard, la même teinte uniforme, ïls sont tous 
écrits dans (Idiome moderne. 

Nous allons essayer de répondre à cette objection. 


VIII 


ii existe entre la langue dont se servent les poëtes populaires 
de la Bretagne et les chants qu'ils composent, un désaccord 
singulier. La poésie est très-riche et la langue très-pauvre. 
La langue suffit tout juste à rendre, sans avoir recours aux 
formes grammaticales et aux vocabulaires étrangers, les idées 
du peuple qui la parle. Mais on peut voir qu'elle n’a pas tou- 
jours été aussi dénuée ; ses haïllons laissent briller parfois les 

» fils d’or d’une splendeur passée. 
Sans sortir de notre sujet nous indiquerons sommairement 
quelques-unes des pertes grammaticales qu’elle a subies; 
“nous en pouvons juger en comparant sa syntaxe à celle des 
autres nations celtiques. 
Ainsi, elle n'a plus de passif régulier, ä la différence du gallois; 
pour l'obtenir, elle est réduite à recourir aux auxiliaires. Ses 
substantifs n’ont conservé que deux désinences, l’une pour le 
singulier et l’autre pour le pluriel. Ses déclinaisons n’ont plus 
de cas, comme en a toujours le gaëlic; elle les remplace par 
des prépositions marquant le rapport des mots entre eux. Elle 
à perdu les préfixes ainsi que l'accord, en genre et en nombre, 
- du nom avec l'adjectif, lequel ne varie plus sa terminaison, 
. selon que le premier est du masculin ou du féminin, au siu- 


€ 


LXVI INTRODUCTION. 1 


gulier ou au pluriel; elle n'indique plus les genres que par le. 
changement des consonnes imitialesmuables; elle ne met plus 
guère qu'au singulier les substantifs précédés des noms de 
nombre cardinaux; elle a perdu la faculté précieuse de créer 
des mots nouveaux, à la manière des Gallois, à l’aide de radi- 
caux anciens et de combinaisons savantes ; enfin, elle manque 
très-souvent de liaisons grammaticales. 

Quant à son vocabulaire, s'il est évidemment peu riche, il 
offre toutefois infiniment moins d'expressions étrangères 
qu'on pourrait le croire, et le peu de mots qu'il a empruntés 
au français, comme ceux qu'il doit au latin et aux idiomes 
germaniques avec lesquels il a été en contact immédiat pen- 
dant plusieurs siècles, il les a modifiés selon son génie parti” 
culier, de manière à se les rendre propres. Cette observation 
avait frappé Fauriel, et dans son rapport au Comité historique \ 
des Monuments écrits, sur les Chants populaires de la Breta-\ 
gne, il constata que « l’ancienne langue des Bretons y est con- 
servée dans un état de pureté que l’on ne soupçonnait pas ?.» 

Augustin Thierry expliquait le fait en disant que « les 
pauvres et les paysans de la Bretagne ont tenu fidèlement à 
leur vieille langue nationale, et l'ont con-ervée à travers les 
siècles avec la ténacité de mémoire et de volonté qui est 
propre aux hommes de la race celtique. » | 

À la ténacité bretonne, comme première raison de la per 
sistance de l'antique idiome à ce singulier degré de pureté 
on en peut ajouter une autre tirée de l'histoire même de cet” 
idiome. Le mépris qu'ont affecté pour lui les savants étran- 
sers etmème bretons de presque tous les siècles; son étati} 
d'isolement, l'oubli profond dont il a été enveloppé, omt 
opposé autant de barrières aux atteintes des pms: 















1 Il va sans dire que nous ne parlons ici que du breton tel qu'il existe dans » 
bouche du peuple des campagnes et dans les poésies populaires. 
? Séance du 26 mai 1838. Procès verbaux du Comité, p. 27 et 28. Impr. Rz | 


À INTRODUCTION. LXV 
n'ayant guère été cultivé, et n'ayant eu, depuis le sixième 
siècle au moins, m1 orateurs, ni philosophes, ni académies, 
ni, en un mot, de littérature proprement dite, il est resté 
invariable, et, en quelque sorte, à l'état brut, dans la 
bouche du peuple et des chanteurs populaires. Ce n'est 
pourtant pas à dire qu'il n'ait éprouvé aucune altération, 
quelques-uns de nos chants prouveraient le contraire. Les 
plus anciens par le sujet et par le rhythme offrent çà et là 
certaines formes grammaticales, certains mots que les 
Bretons du pays de Galles ont conservés, et qui sont, ou 
bien hors d'usage aujourd'hui en Armorique, ou pris dans uno 
acception différente‘. Is contiennent surtout des idées, et 


7 Voici quelques-uns de ceux qui m'ont le plus frappé : Gre (n. 2), impér. de »r!, 
en gallois répondre.— Edrec’hit (ibid.), imp. de edryc'h, en gall. voir.— Kell 
(p. 8), prés. de Kyllyngu, en gall. décocher. — Morvarc'h {p. A), chevai de mer, 
en gall. morfarch.— Morgezeg (ibid.), chevaux marins, en gall, #20rgesyg.— Ar 
Penn-lu, (mal. imp. Par enn lu (n. 22); (recte, p. 50), le chef d'armée, en gall. 
anc. penllu. — Brenn (p.35), roi, &renin, prince (p. 485), en gall. brenin, anc. 
brenn, CL Brennus.— Pas arc'hant (p. 57), monnaie, en gall. arian baih, en corn. 
bat.— Ha glevaz-le? (p.39), as-tu entendu ? Cf. avec le début de l’anc. poëme oal- 
lois : A glyweis-li?— Arabadiat (p. 40), faire des folies, en gall. arabeddu.— hel: 
(p. M), manteau, en gall. pali (cf. pallium).— Laouer (ïbid.), pleine, auj. /eur, en 
vall, lawr.— Guwell na (15), mieux que, en gall. qw2ll na, auj. en breton gwell 
eged. — Stourmeaz (p. 48), champ de bataille. Cf. meez ar stourm (p. 127). —Kad 
(p. 48 et 193), combat, en gall. cad.— Kadour (n. 50), guerrier, gall. cadwr.— Kadir 
(n. 1211, champ de bataille.— Adan (p. 50), dessous, gall. odan, breton mod. dindan. 
—Ri (ibid.), rang, en gall. nombre.—Bre (ibid.), montagne, gall. bre.—Glan (ibid.), 
souffle, âme, auj. kalan. — Rong (ibid.), entre, gall. rhwng. — Am (ibid.), pour, gall. 
am.—As (ibid.), âne, auj. asen, gall. as. — Muel (ibid), soldat, gall. mael.—Ru freo, 
qu’il s’agite,subj. du verbe gall. /froë, auj. ffrawdduniaw.—C’houuz (ibid. à la rime), 
sueur, auj. c'houez, pall, chwys. — Edi (p. 55), est, auj. edeo, gall. ydyuw. 
— Laez=Roue (p. 58), pour Roue al laez, le roi des hauteurs : var. plus moderne, 
lez Doue, la cour de Dieu. — Diogel (p. 59), sans crainte, sie dans le Catholicon, 
dans le vocab. corn. et en gall. — Karn (p.61), brillant, gall. cain, anc. gaël., 
cain. — Gwarez (ibid.), il aide, gall. gwareiddiaw, protéger, gaël. corain. — Loufren 
(p. 70), camériste, en gall. law-forwyr(handmaid). — Diskel (p. 81), plat, gall. dysgl., 
anc. dysgyl (Gf.discus).—Turzéan (ibid.), bouclier, Large, auj. &ren, en gall. farian.— 
gwennek (ibid.) blanc, auj. gwenn, en gall. gwynig. — Lerek (1bid.), cuirasse, gall. 
lurig, gaël. lurech (Cf. lorica).—Roue-marchosi (p.94), pour marchosi ar roue, forme 
mod., l'écurie du roi.— Kadoret (p. 96), introuisé, gall. anc. cadeiriawg. —Lester 
{ibid.), vaisseau, auj. lestr, gall. lestr.— Gelen (p. 101), ennemi, anc. all. gelyn. — 
Drouk-kinnig (p. 115), tribut; de droug, fàcheux, et de kinnig, en gall. et en breton 
offrande ; dans les Actes du neuvième siècle, munus.— Maour (p. 114, à la rime) et 


LXVIN INTRODUCTION. 


parfois des strophes entières, que le peuple ne comprend pas, 
— je l'ai dit et je le maintiens, — qu'il dénature étrangement, 
et dont nous n'avons pu nous-même retrouver le sens pro- 
bable et la rédaction primitive qu’à l'aide d’un instrument 
précieux, la philologie et la poësie comparées. La comparai- 
son des chants bretons des temps barbares avec les textes 
cambriens des sixième et septième siècles, était en effet le seul 
moyen d'arriver à la solution d'une question très-délicate de 
philologie et d'histoire, l’âge des uns pouvant être déterminé 
par celui des autres, dont il existe des manuscrits du dou- 
zième siècle, et même du neuvième, ce qui nous reporte pres- 
que à la grande époque de la littérature bardique !. Or, si quel- 
que portion de la poësie traditionnelle des Armoricains rap- 
pelle l’art, le tour, le vocabulaire et la grammaire des anciens 
bardes cambriens, c’est, de avou de tous, celle qui à trait 
aux temps héroïques; et certes les analogies de mœurs, de 
croyances et de sentiments n'y contredisent pas. 

Je pense donc que, loin de pouvoir rien arguer contre l’an- 
tiquité des chants bretons, de la teinte généralement moderne 
de leur style, on trouve un argument très-fort en faveur de 
celte antiquité mème dans les traces d’archaïsme idiomatique 
non moins que dans la passion sauvage et l'accent farouche 
dont sont empreints six ou sept des premiers. 

I ne me reste plus qu'à examiner la question de savoir si les 
vor pour #or (p.123), auj. meur, gall. mawr, gaël mar. — Tiern (p. 115) chet, 
et penn-liern(p. 484) dans les Actes du neuvième siècle, mach-liern ; en gall. teyrn, 
en gaël. tigern. — Bis (p. 116), jamais; auj. biskouz, gall. byth. — Sellel-hu (n. 
418), voilà, forme arch. aujourd'hui sein et chetu.— Adar, (p. 127), à la rime, oi- 


seaux, gall. aderyn, pl. adar. — Mor-adar (ibid.) oiseaux de mer, etc. (foume 
ét mot inusilés). 

L'indication des tournures grammaticales archaïques demanderait plus de place ;. 
les philologues les ont du reste déjà notées dans les Séries, la Danse du gluive, 
la Marche d'Arthur, la Submersion de La Ville d'Is et la Tour d'Armor. 

4 Voir mes Notices des manuscrits des anciens Bretons avec fac simile (Archives 
des missions scientifiques, vol. V, p. 254). Un critique peu crédule, M. Renan, a fait 
cet aveu : « Nous touchons cette époque de leur histoire d’aussi près et avec autant, 
de certitude que l'antiquité grecque et romaine. » 


INTRODUCTION LYS 


chants populaires de la Bretagne ont subi, comme on l’a pré- 
tendu, une transformation totale quant au fond d'événements, 
de mœurs et d'idées qn'ils présentent, question dèjà à moitié 
résolue, mais qui mérite d’être complétement traitée. 


IX 


Les chanteurs populaires, dit Walter Scott, ressemblent 
aux alchimistes qui changent l'or en plomb; ils corrompent 
à dessein les œuvres de l’auteur dont ils transmettent les 
chants à la postérité, au point de leur enlever leur esprit et 
leur style originalt. 

Cette opinion nous semble bien exagérée. Les chants tradi- 
tionnels sont, il est vrai, sujets à différentes altérations, mais 
qui n'ont rien de systématique. Le plus souvent elles sont le 
résultat du défaut de mémoire ou de quelque méprise des chan- 
teurs, qui, substituent à des détails originaux d’autres traits 
empruntés à de vieilles chansons analogues tombées depuis 
longtemps dans le domaine public. Les lieux communs qu’on 
rencontre en si grand nombre dans toutes les poésies tradi- 
tionnelles, et qui semblent cosmopolites, car chaque peuple 
peut les revendiquer, n’ont pas d'autre raison. 

IL arrive aussi, en général, qu’au bout d’un certain nombre 
d'années, l'événement simple, naturel, historique que l’auteur 
a chanté, soit seul, soit en collaboration, s’est, en passant de 
bouche en bouche, singuliérement poëtisé. La mort du héros 
du poëme, pour peu qu'il soit fameux, en entourant sa mé- 
roire d'une espèce d'aurévle populaire, y contribue plus que 
toute autre cause. On recherche, on répète jusqu'aux moin- 
dres circonstances de ses aventures; les plus inconnues sont 
les plus goûtées; le noyau principal se grossit de la sorte de 


5 Minsrrecsy, Infroduclory remarks on popular poelry. 


LXX INTRODUCTION. 


traits fort souvent inexacts, mais qui passent pour vrais, et 
qu'on écoute toujours avidement. D'un autre côté, la vie du 
même personnage dans le monde des âmes, ses rapports 
avec les humains, dont le peuple ne doute pas; cette existence 
commencée sur la terre et qui se poursuit au delà du tom- 
beau, ouvrent une carrière nouvelle à l'imagination populaire. 

Que fera ia muse rustique? Elle a traduit dans la langue des 
vers la première partie de l’histoire ; elle est forcée de l’ampli- 
fier et de traiter la seconde. De là, sans doute, dans un cas, des 
substitutions, et dans l’autre, des développements et des addi- 
tions inévitables ; mais ces substitutions des continuateurs n'al- 
tèrent pas plus l'essence du chant primitif que des additions 
faites par l’auteur lui-même. Celui-ci greffe des tiges nouvelles 
sur un arbre qu'il a planté, ou accélère, par une culture plus 
soigneuse, la pousse de quelques branches moins vivaces ; 
ceux-là ressemblent à la nature, qui, par d’éternels renouvel- 
lements, remédie à ses propres pertes. L'arbre de poésie, par- 
venu à son développement complet, peut donc de temps à 
autre, quoique vigoureux et plein de sève, laisser tomber des 
rameaux morts, bientôt remplacés par d’autres; mais, {ant 
qu'il est debout, il reste inviolable et respecté. 

Pour peu qu'on se donne la peine de recueillir quelques 
versions d’un même chant populaire, après un certain laps de 
temps, et de les comparer, on acquerra la preuve de cette fidé- 
été de la tradition. Parmi ceux que je publie, il en est dont j'ai 
réuni jusqu'à vingt variantes, qui m'ont offert un fond identique 
d'événements, de mœurs ou de croyances, au bout de trente 
ans. Les unes étaient riches, détaillées et complètes, les autres 
pauvres, dépourvues d'ornements, tronquées ; tantôt elles ne 
différaient entre elles que par des strophes ajoutées, retran- 
chées ou corrompues, ou seulement par quelques vers; tantôt 
par omission du prologue ou de l’épilogue, tantôt par de 
simples locutions, surtout par des noms altérés; mais, je le 


INTRODUCTION. LXXI 


répète, elles ne m ont jamais offert ni modification intime, ni 
variation rhythmique de nature à préjudicier gravement, soit 
à leur fond, soit à leur forme. 

Si nous avons contre notre opinion le sentiment de Walter 
Scott, nous sommes heureux de pouvoir lui opposer l'autorité 
plus grande encore des frères Grimm; ils sont même allés jus- 
qu'à dire que « le peuple respecte trop ses chants populaires 
pour ne pas les laisser tels qu'ils ont élé composés et tels qu'il 
les a appris. » 

Il est pourtant une réserve dont l'expérience et les recher- 
ches comparatives font un devoir, même en présence de pareils 
maitres; le respect du peuple pour ses vieilles cantilènes, et 
la bonne foi avec laquelle il les transmet, n’excluent pas cer- 
taines confusions qui étonnent les collecteurs sous la plume 
desquels elles tombent au bout de plusieurs siècles. Je veux 
parler de l'attribution si ordinaire des aventures d'un héros 
des vieux âges à un héros venu plus tard, par suite de leur 
rapport, soit de nom, soit de caractère. C'est bien le cas de 
dire que le mort saisit le vif, mais il faut avouer que s’il lui 
doit un heureux surcroit de vie et de popularité, c’est souvent 
au détriment de sa physionomie primitive et de la tradition his- 
terique. Ai-je besoin de remarquer que les interpolations ne 
diminuent cependant en rien la considération du peuple pour 
les gens qui le passionnent par le récit des grandes choses 
d'autrefois ? 


Le peuple, en effet, écoute les chanteurs nationaux avec 
un recueillement religieux, et ceux de la Bretagne méritent 
son respect. Leur rôle n’est pas seulement d'amuser et 


LXXU INTRODUCTION. 


U 
de plaire; ils ont à remplir une autre et plus grave mission. 


Hs sont les conservateurs de la langue, des annales populaires, 
des bonnes mœurs mème, des vertus sociales, et, nous osons 
le dire, un des instruments de la civilisation, si par ce mot 
l’on veut entendre ce qui est beau, honnête et bien. Cette mus- 
sion, ils ont comprise et remplie à toutes les époques. 
Comme les bardes cambriens, leurs frères, ils ont chanté 
les destinées de leur patrie, ses malheurs et ses espérances: 
l'un d'eux fut pris par un chef étranger qui, pour le punir, 
lui fit crever les yeux et le jeta au fond d’un cachot, où il 
mourut, victime de son dévouement à la cause de son pays. 
Un autre, à qui les ennemis avaient coupé la langue, afin de 
l'empêcher d'exciter ses compatriotes au combat, se faisait 
suivre d’un ménestrel qui chantait, aux accords de la harpe 
du barde mutilé : « Les Franks lui ont coupé la langue ; mais 
il a toujours un cœur, un cœur et une main pour décocher la 
flèche de la mélodie. » Les Bretons alors étaient gouvernés 
par des chefs de leur race; ils répétaient avec leurs poëtes 
nationaux, et leur postérité, au bout de douze siècles, a rè- 
pété ce cri vaillant : « On ne meurt jamais trop tôt quand on 
meurt en faisant son devoir! » Les grands noms d'Arthur, de 
Morvan-Lez-Breiz, d'Alain Barbe-Torte, et de Noménoë, of- 
fraient, à cette première époque, un beau sujet aux inspira- 
tions du barde. Avec leurs successeurs de race étrangère 1l 
tombe, et les ménestrels populaires prennent sa place. Mais si 
la langue d’or est coupée, les nouveaux poëtes ont toujours lé 
cœur qui bat pour le pays; ils ont toujours la main qui lance 
la flèche de la mélodie nationale. Pendant tout le moyen âge, 
ils soutiennent de leurs accents patrioliques le courage des 
Bretons menacés par la Normandie, par l'Angleterre ou par la 
France ; ils célèbrent les glorieuses rencontres où leurs com- 
patriotes ont eu lieu de se signaler ; ils chantent la résistance 
des paysans bretons à l'étranger, soit normand, soit français, 


INTRODUCTION. LXXI 


la bravoure des Trente, l'héroïsme de Jeanne de Montfort, le 
retour de Jean le Conquérant, le courage de Rolland Gouiket ; 
ils marquent d'un stigmate immortel les traîtres qui préfé- 
rent, comme Rohan, le joug doré de l'ennemi à la Hberté 
pauvre et fière. Quand, plus tard, cette liberté a été glorieu- 
sement mise en gage entre les mains de la France; ils ont 
encore des chants de louanges pour ceux qui aiment et qui 
la défendent comme du Dresnay, pendant la Ligue, comme 
Pontcalec. sous la monarchie absolue : quand enfin, après 
plusieurs siècles, elle leur échappe au milieu d’une tempête 
qui ébranle l'Europe entière ; quand leur pays est envahi, leur 
territoire ravagé, leurs anciens chefs de clan persécutés, et 
leurs prêtres bannis ou condamnès à mort, leur voix, s’éveil- 
lant tout à coup avec les sons du tocsin, salue l’étendard pa- 
roissial qui flotte au sommet des clochers, enflamme les 
bandes guerrières des paysans devenus soldats, et retrouve, 
pour chanter les compagnons des Cadoudal, des Tinténiac et 
des Cornouaille, l'inspiration des anciens bardes. 

Ainsi, jamais la cause des poëtes nationaux bretons n’a été 
distincte de celle de leur pays. Soumise à des lois qui n'ont 
plus, grâce à Dieu, de privilégiés, sans rôle à jouer dans l’a- 
venir comme nation, mais non sans regret du passé, la Bre- 
tagne se recueille aujourd'hui dans le sanctuaire domestique, 
à l’abri de ses vieilles croyances, de ses mœurs et de son lan- 
gage, prêtant l'oreille à ses chanteurs dont la muse, désormais 
pacifique comme elle, n’est plus que celle du foyer. 

De même qu’elle était autrefois l'expression fidèle des sen- 
timents les plus nobles de la multitude; qu’elle faisait naître 
des arbrisseaux et chanter de blanches colombes sur la tombe 
des martyrs; qu’elle faisait sourire l'innocent au milieu des 
flammes, sauver par le dévouement chevaleresque la faiblesse 
opprimée; qu'elle célébrait la foi des serments, qu'elle 
livrait, avec une admirable impartialité, le fils coupable à 


LXXIV INTRODUCTION 


l’exécration de la postérité, en même temps qu’elle appelait 
ses bénédictions sur la mémoire de la mère et de l’aïeul; 
ainsi, toujours préoccupée du bien où du mal, toujours 
pleine de respect pour l'équité, toujours honnête, morale, 
impartiale et sérieuse, la muse populaire de la Bretagne 
marche d’un pied libre et léger dans les sentiers qu’elle aime, 
entraine tous les cœurs à elle, et conserve sur la multitude 
un empire absolu. 

J'ai connu en Cornouaille un pauvre paysan appelé Loëiz 
Gwivar, qu'une infirmité avait fait surnommer Loéiz-Kam ou 
Louis le Boiteux ; il représentait physiquement trait pour trait, 
mais au sérieux, le nain fameux du roi François lse : il était 
douc d’une intelligence remarquable; son humeur était douce, 
calme et parfaitement égale; il était poëte; il savait en outre 
par cœur un très-grand nombre de chansons dont j'ai retenu 
plusieurs, et bien qu'il passat pour un peu sorcier, ses mœurs 
avaient toujours été d’une sévérité irréprochable. Les anciens 
bardes, on s’en souvient, se vantaient aussi d'être sorciers et 
n’en étaient pas moins de fort honnêtes gens. 

Quoi qu'il en soit, les connaissances magiques, vraies ou 
supposées, de notre poëte, vieux secrets traditionnels que lui 
avait enseignés son aïeul, jointes à sa probité personnelle, 
lui avaient donné dans sa paroisse une certaine autorité 
morale ; on venait le consulter ; ses avis avaient du poids, ses 
jugements étaient en général sanctionnés par l'opinion pu- 
blique, et ses chants contenaient des enseignements utiles qui 
se gravaient dans les esprits. 

Or il est un vice auquel le paysan breton, habituellement 
sobre, se livre trop volontiers aux jours de fête. La destruc- 
tion de ce vice commun à tous les peuples de race celtique, et 
qui parait avoir été jadis autorisé par leurs lois religieuses, est 
devenue, depuis l'établissement du christianisme, lobjet des 
efforts persévérants non-seulement du clergé, mais des bardes 


INTRODUCTION. LXXV 


eux-mêmes. Ses épouvantables suites jetèrent la consternation 
dans la paroisse du poëte : témoin de l'événement, il en fit 
une ballade « pour l’enseignement de chacun, » comme 1 
nous le dit lui-même; et son œuvre produisit un effet telle- 
ment salutaire que le nombre des habituës de taverne parut 
avoir diminué dans le canton qu'il habitait. 

Je pourrais citer mille autres exemples de l'utilité pratique 
de notre poësie populaire. On sait qu’à l’époque où le choléra 
désolait la Bretagne, les médecins et l'autorité n'obtenant au- 
cun résultat de leurs circulaires imprimées, un vieux libraire 
mil avec assez de succès en rimes l'exposé des remèdes pro- 
pres à guérir de la maladie ; ses vers étaient cependant dètes- 
tables; les paysans eux-mêmes les jugeaient tels; «au fond, 
peu importe, me faisait observer naïvement l'un d'eux, l'essen- 
ticl était que le choléra fût chansonné; ül l’est : la chanson 
le fera fuir. » Bizarre superstition, sans doute, mais qui 
montre bien quel pouvoir le peuple attribue à la poësie. De là 
le proverbe breton : « La poésie est plus forte que les trois 
choses les plus fortes : le mal, le feu et la tempête. » C'est 
qu'en effet le poëte a des chants pour calmer toutes les dou- 
leurs : si la contagion a fait des orphelins; si l'incendie a dé- 
voré le toit d’un pauvre laboureur, si la barque de quelque 
pêcheur a sombré, il va, de village en village, suivi des vic- 
times du désastre, quêter pour elles, en chantant leurs mal- 
heurs. Depuis longtemps les hommes éclairés de la Bretagne 
ont vu le parti qu'on pouvait tirer pour l'amélioration du peu- 
ple de ce puissant levier moral; le clergé et l'administration 
ont souvent appelé à leur aide l’enseignement parla chanson. 

Son importance devait aussi, tôt au tard, frapper les 
hommes d'État auxquels est confiée l'instruction publique en 
France. Il était réservé à un ministre dont l'esprit élevé saisis- 
sait et exécutait vite ce qui pouvait contribuer aux progrès 
des saines doctrines de prendre l'initiative. En publiant un ar- 


LXXVI INTRODUCTION. 


rêté ! pour former une commission chargée de « réunir les poë- 
sies consacrées à la religion, à ses souvenirs, à ses préceptes, 
que chante le peuple dans chacune des provinces de France; 
toutes celles qui concernent les faits éclatants de l'histoire na- 
tionale; tous les chants traditionnels de nature à apprendre 
au peuple des villes et des campagnes à aimer Dieu, la patrie 
et ses devoirs; » en publiant cet arrêté, le comte de Salvandy 
mérita bien de son pays. Ajouterai-je qu il fit adresser à chacun 
des membres de la commission un exemplaire des Chants po- 
pulaires de la Bretagne, et décerna au jeune collecteur la seule 
récompense qu'il püt lui offrir ?Si une nouvelle révolution em- 
pécha cette commission de réaliser son projet, un autre minis- 
tre non moins ami de la muse rustique, M. Hippolyte Fortoul, 
lui donna un commencement d'exécution; sur son rapport, 
l'Empereur actuel, alors Président de la République, décréta la 
publication des Chants populaires de la France; un comité 
s'occupa de les faire recueillir, Ampère rédigea des instruc- 
tions pour les membres correspondants, et un grand nombre 
de pièces furent adressées au Ministère, que l'éminent histo- 
rien aujourd'hui placé à la tête de l'instruction publique ne 
laissera sans doute pas inédites, quoique le décret du 153 sep- 
tembre 1852 ait été rapporté?. 

Les réunions qu'on fréquente le plus en Bretagne pour en- 
tendre les chanteurs, sont les fêtes des noces et de l'agricul- 
ture, les foires, les nuits funèbres où l’on veille et prie autour 
d’un lit de mort, les linadek, où l’on tire le lin, qui, dit-on, 
deviendrait étoupe, si l’on n’y chantait pas, mais surtout les 
fileries du soir. 

Les habitants des campagnes se rassemblent principale- 
ment l'hiver à l’occasion de ces fileries. Réunis, dès six heures 
du soir, en cercle devant un large foyer dont la flamme éclaire 


1 Moniteur du 22 mai 18/5. 
? Elles trouveraient un digne éditeur en M, E. J. b, Rathery. 


e E TS 


INTRODUCTION. LXXVII 


seule la chaumière, vieillards et jeunes gens, filles et garçons, 
chantent et content tour à tour. Quelquefois un poëte ambu- 
lant, qui va chantant de ferme en ferme, comme allaient ses 
aieux de manoir en manoir, vient frapper à la porte au mi- 
lieu de la nuit, et paye en chansons à ses hôtes l'hospitalité 
qu'on lui donne. 

Mais aux foires, aux fêtes du lin et aux fileries on ne chante 
guère que des ballades; aux fètes des noces et de l'agriculture, 
que des chansons d'amour, que des cantiques aux veillées fu- 
nèbres; aux assemblées religieuses connues sous le nom de 
Pardons, qu'ils portaient déjà du temps où vivait Dante, on 
chante et des chants historiques, et des chants d'amour, et 
des cantiques et des légendes. 

Les grandes réunions nationales chez tous les peuples an- 
ciens doivent leur origine à la religion. Les Gaulois s’assem- 
blaient sous les ordres de leurs druides, dans un lieu consa- 
crét. Les vieilles lois Moelmutiennes, qui font mention de 
réunions semblables dans l'ile de Bretagne, antérieurement au 
dixième siècle, les appellent des «synodes privilégiés de fra- 
ternité et d'union, n et les disent présidées par les hardes 5. 
Le christianisme leur fit perdre leur caractère paien, mais 
il ne parait avoir changé ni leur institution fondamentale, ni 
leurs cérémonies, ni leurs usages, ni le temps, ni le lieu des 
réunions; fidèle à sa prudente manière d'agir avec les bar- 
bares, il n’abattit pas le temple, il le purifia : le menhir est 
toujours debout, mais la croix le domine. 

C'était aux solstices qu'avaient lieu en Cambrie, comme 
les assemblées druidiques, les plus grandes réunions chré- 
tiennes; c'était dans les lieux consacrés par la religion des an- 
cêtres, au sommet des tumulus, parmi les dolmen, au bord des 


1 Considunt in loco consecrato. (Cæsar, de Bello gallico, lib. VI.) 
2 Myvyrian, t. Il], p. 290. 


LXXVIIT INTRODUCTION. 


fontaines, qu'on se réunissait ; c'était à l’occasion des fêtes 
qu'on y célébrait que revenaient périodiquement ces espèces 
de jeux olympiques, où les bardes, en présence d’un concours 
immense, tenaient leurs séances solennelles, et disputaient le 
prix de la harpe et de la poésie; où les athlètes entraient en 
lice et faisaient assaut de courage, d'adresse ou de vitesse, à 
l'escrime, à la lutte, à la course et à vingt autres exercices 
semblables dont parlent les anciens auteurs; c'était à ces 
fêtes que la foule trouvait dans la danse et la musique une 
diversion, passagère aux soucis journaliers de sa misérable 
existence. Les sectaires intolérants qui divisent et dépoëtisent le 
pays de Galles, leur ont enlevé tout caractère religieux ; et il 
n'en reste que des débris sauvés à grand’ peine par les associa 
tions bardiques, ces gardiennes de la nationalité galloise, qui 
désormais ne s'appuie plus que sur les mœurs, la langue et 
les traditions. En Bretagne, elles ont conservé leur génie 
primitif, et la religion a continué d’être l'âme de touchantes 
solennités qui promettent encore à nos vieux usages, à nos 
croyances vénérables, à notre langue, à notre littérature rus- 
tique, de longues années d’existence. 

Chaque grand pardon dure au moins trois jours. Dès la 
veille, toutes les cloches sont en branle; le peuple s'occupe à 
parer la chapelle; les autels sont ornés de guirlandes et char- 
gés de vases de fleurs; on revêt les statues des saints du cos- 
tume national; le patron ou la patronne du lieu se distinguent 
comme des fiancés, l’un à un gros bouquet noué de rubans 
flottants aux couleurs éclatantes, l’autre à mille petits miroirs 
qui scintillent sur sa coiffe blanche. Vers la chute du jour, on 
balaye la chapelle, et l'on en jette les saintes poussières au 
vent, pour qu'il soit favorable aux habitants des iles qui 
doivent venir le lendemain ; chacun étale ensuite, dans le lieu 
le plus apparent de la nef, les offrandes qu'il fait au patron. 
Ce sont généralement des sacs de blé, des écheveaux de 


INTRODUCTION. LXXIX 


lin, des toisons vierges, des pains de cire, ou d’autres 
produits de l’agriculture, comme aux anciens jours!; puis 
des danses se forment au son du biniou national, de la 
bombarde et du tambourin, sur le tertre de la chapelle, au 
bord de la fontaine patronale, où quelquefois un dolmen en 
ruines, couvert d'un tapis de mousse, sert de siége aux mé- 
nétriers. Il Y a moins d’un siècle que l’on dansait dans la cha- 
pelle même, pour honorer le saint du lieu?. On soufirait 
en quantité d'endroits, dit l’auteur de la vie de Michel le No- 
bletz, que les jeunes gens des deux sexes y dansassent durant 
une parte de la nuit, et Fon eût presque cru commettre 
quelque sorte d'impiété que de les empêcher de célébrer les 
fêtes des saints d’une manière si profanes. 

En certaines occasions, on allume encore la nuit des feux 
de joie dans un but semblable, sur le tertre de la chapelle et 
sur les collines voisines. Au moment où la flamme, comme un 
long serpent, déroule, en montant, ses anneaux autour de la 
pyramide de genêts et d’ajones qu'on lui a donnée à dévorer, 
et s’élance sur le bouquet qui s'élève à la cime, on fait douze 
fois processionnellement le tour du bûcher, en récitant des 
prières ; les vieillards l’environnent d’un cerele de pierres, et 
placent au centre une chaudière, où l’on faisait cuire jadis des 
viandes pour les prêtres; aujourd’hui les enfants remplissent 
cette chaudière d’eau et de pièces de métal, et fixant quelques 
brins de jonc à ses deux parois opposées, ils en tirent des sons 
d'une harmonie, selon leur goût, tandis que les mendiants, à 
genoux à l'entour, la tête nue, ets’appuyant sur leurs bâtons, 
chantent en chœur les légendes du saint patron. Aïnsi les an- 


7 Multitudo rusticoruwmn.... exhibens lanas, vellera, formas ceræ (Gregor. Tur., 
de Gloria confes., c. n1). 

? C'était évidemment un usage païen contre lequel, à toutes les époques, se sont 
élevés les évêques: « Statuimus ne choreæ hant in ecclesiis.. quod facientes aut 
cantilenas cantantes in iisdem excommunicamus, » etc. V. Slaluta synodalia eccles. 
T'recorensis, ad ann. 1320, et Statuta-synodalia ecclesiæ Corisopitensis, ad ann. 176$. 

5 Le Parfait missionnaire, p. 155. 


LXXX INTRODUCTION. 


ciens bardes chantaient, à la clarté de ix lune, des hymnes en 
l'honneur de leurs dieux, en présence du bassin magique 
dressé au milieu du cercle de pierres, et dans lequel on ap- 
prélait le repas des braves. 

Le lendemain, au moment où l'aurore se lève, on voit arriver 
dans toutes les directions, de toutes les parties de la Basse-Lre- 
tagne, des pays de Léon, de Tréguier, de Goëlo, de Cornouaille 
etdeVannes, des bandes de pèlerins qui chantent en cheminant. 
D’aussi loin qu'ils apercoivent le clocher de l’église, ils ôtent 
leurs larges chapeaux, et s’agenouillent, en faisant le signe de 
la croix. La mer se couvre aussi de mille barques d'où partent 
des cantiques dont la cadence solennelle se règle sur celle 
des rames. Il y a des cantons entiers qui arrivent sous leurs 
bannières paroissiales, et conduits par leurs recteurs. D'aussi 
loin qu'on les aperçoit, le clergé du pardon s'avance pour les 
recevoir ; les croix, les bannières, les statues des saints se sa- 
luent en s’inchnant, au moment où ils vont se joindre, tandis 
que les cloches joyeuses se répondent à travers les airs. 

A l'issue des vêpres sort la procession. Les pèlerins s’y ran- 
gent par dialectes. On reconnait les paysans de Léon à leur 
taille élevée, à leur costume noir, vert ou brun, à leurs jambes 
nues et basanées. Les Trégorrois, dont les vètements gris n'ont 
rien d'original, se font remarquer, entre tous, par leurs voix 
harmonieuses; les Cornouaillais, par la richesse et l'élégance 
de leurs habits bleus ou violets ornés de broderies, leurs 
braies bouffantes et leurs cheveux flottants ; les Vannetais, au 
contraire, se distinguent par la couleur sombre de leurs vête- 
ments : à l'air calme et froid de ces derniers, on ne devinerait 
jamais les âmes énergiques dont ni César r1 les armées ré- 
publicaines ne purent briser la volonté. Mais il ne faut pas 
les juger sur les apparences : Corps de fer, cœurs d'acier, 
disait d'eux Napoléon. 


4 Myvyrian, L I, p. 46. 


INTRODUCTION. LXXXJ 


Quand le cortège se développe, rien de plus curieux à ob- 
server que ces rangs serrês de paysans aux costumes variés el 
bizarres, le front découvert, les yeux baissés, le chapelet à la 
main ; rien de touchant comme ces bandes de rudes matelots, 
qui viennent, nu-pieds et en chemise, pour accomplir le vœu 
qui les a sauvés du naufrage, portant sur leurs épaules les 
débris de leur navire fracassé; rien de majestueux comme 
cette multitude innombrable précédée par la croix, qui 
s'avance en priant le long des grèves, et dont les chants se 
mêlent aux roulements de l'Océan. 

Il est certaines paroisses où, avant de rentrer dans l’église, 
le cortège s'arrête dans le cimetière; là, parmi les tombeaux 
des ancêtres, le paysan le plus respectable et l’ancien sei- 
gneur du canton, la jeune paysanne la plus sage et l’une des 
demoiselles du manoir, debout sur les desrés les plus élevés 
de la croix, renouvellent solennellement, au nom de la foule 
prosternée, en étendant la main sur le livre des Évangiles, les 
saintes promesses du baptême. Ainsi, la religion confond tous 
les âges, tous les rangs, toutes les conditions, dans ces pieuses 
assemblées, qui pourraient s'appeler encore des (synodes pri- 
vilégiés de fraternité et d'union. » 

Des tentes sont dressées dans la plaine; les pèlerins y pas- 
sent la nuit; on veille fort tard, on reste pour écouter les can- 
liques que vont chantant d'une tente à l'autre les bardes po- 
pulaires. Ce jour est tout entier consacré à la religion. Les plai- 
sirs profanes renaissent avec l'aurore et les sons du hautbois. 

A midi, la lice s'ouvre; l'arbre des prix, portant ses fruits 
comme le pommier ses pommes, ainsi que cela se dit, s'élève 
triomphalement au centre; à ses pieds mugit la génisse, gage 
principal du combat, les cornes ornées de rubans. Les jeunes 
filles et les jeunes femmes, juges influents des joutes, appa- 
raissent montées sur les arbres environnants, à demi cachées, 


comme des fleurs, dans le feuillage; la foule des hommes 
f 


EXXXII INTRODUCTION. 


reflue autour de l’enceinte ; mille concurrents se présentent. 
Des luttes, des assauts de vigueur ou d'adresse, des courses, 
des danses sans repos ni trêve, remplissent la soirée. 

La veille et l’avant-veille ont appartenu aux mendiants et 
aux autres chanteurs accourus de tous les cantons de la Bre- 
tagne; cette nuit appartient aux kloer. C'est le dernier soir du 
pardon qu'ils chantent, pour les jeunes filles, leurs chansons 
d'amour les plus nouvelles et les plus douces, réunis par 
groupes sous de grands chênes, à travers les rameaux des- 
quels un rayon de la lune, qui glisse sur leur tête blonde, 
vient éclairer leur pâle et mélancolique visage. 

Telles sont les racines profondes qu'a jetées la poésie dans 
les mœurs de ce peuple. 


Au moyen âge, les Bretons Cambriens et les Bretons de l'Ar- 
morique, dans toutes leurs solenmtés, chantaient cet antique 
refrain : Non! le roi Arthur n'est pas mort! 

Le chef de guerre illustre, qui savait vaincre leurs enne- 
mis, était encore pour eux, à cette époque, un symbole de 
nationalité politique. 

HY a un certain nombre d’années, au milieu d’une fête de fa- 
mille que donnaient aux Bretons d’Armorique leurs frères du 
pays de Galles, en voyant flotter au-dessus de ma tête les vieux 
drapeaux de nos aïeux communs; enretrouvant des mœurs sem- 
blables à nos mœurs, des cœurs qui répondaient à nos cœurs; 
en prêtant l'oreille à des voix qui semblaient sortir des tom- 
beaux,éveillées comme par miracle aux accents des harpes celti- 
ques; en entendant parler une langue que je comprenais malgré 
plus de mille ans de séparation, je répétais, avec enthousiasme, 
le refrain traditionnel. Aujourd’hui, quand je détourne mes re- 
gardes vers cette poétique terre de Bretagne qui reste la même 
alors que tout changeautour d'elle, ne puis-je répéter avec les 
Bretons d'autrefois: Non ! le roi Arthur n’est pas mort! 


PREMIÈRE PARTIE 


—— 


CHANTS MYTHOLOGIQUES 


HÉROÏQUES, HISTORIQUES 


ET BALLADES 


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LES SERIES 


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LE DRUIDE ET LEN ANT 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La pièce qui ouvre ce recueil est une des plus singulières et peut- 
être la plus ancienne de la poésie bretonne. C'est un dialogue péda- 
gogique entre un Druide et un enfant. Il contient une sorte de réca- 
pitulation, en douze questions et douze réponses, des doctrines drui- 
disiques sur le destin, la cosmogonie, la géographie, la chronologie, 
l'astronomie, la magie, la médecine, la métempsvcose; l'élève demande 
au maître de lui chanter la série des nombres, depuis un jusqu’à douze, 
afin qu’illes apprenne. Chose extraordinaire, l'empire de l'habitude est si 
puissant en Basse-Bretagne, parmi le peuple des campagnes, que les nières, 
sans le comprendre, continuent d'enseigner à leurs enfants, qui ne l’en- 
tendent pas davantage, le chant mystérieux et sacré qu’enseignaient les 
druides à leurs ancêtres. Les difficultés qu’il présente sont telles, que je 
n'ose me flatter d’avoir toujours parfaitement réussi, soit dans ma tra- 
duction, scit dans les explications dont la pièce est suivie. Elle est par - 
ticulièrement populaire en Cornouaille, où je lai entendu chanter pour 
la première fois à un jeune paysan de la paroisse de Nizon. Sa mère la 
lui avait apprise, me dit-il, pour lui former la mémoire; et, en effet, le 
chant est disposé de manière à offrir un excellent exercice de ninémo- 
nique. La même observation a été faite à Brizeux, dans la paroisse de 
Scaer, où il a recueilli des variantes précieuses qu'il m'a communiquées, 


1 


2 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 






et à M. l’abbé Henry, dans celle de Saint-Urien, où la pièce est connu L 
sous le titre grotesque de Vépres des Grenouilles (Gosperou ar Raned)… 


LE DRUIDE, 
Tout beau, bel enfant du Druide ; réponds-moi; tout beau, 
que veux-tu que je te chante? 
L'ENFANT. 
— Chante-moi la série du nombre un, jusqu'à ce que je 
l’'apprenne aujourd'hui. 
LE DRUIDE. 
— Pas de série pour le nombre un : la Nécessité unique, 
le Trépas, père de la Douleur ; rien avant, rien de plus. 
Tout beau, bel enfant du Druide; réponds-moi; que veux-tu 
que je te chante? 
L'ENFANT. 
— Chante-moi la série du nombre deux, jusqu’à ce que je 
l'apprenne aujourd'hui. 
LE DRUIDE, 


— Deux bœufs attelés à une coque ; ils tirent, ils vont expi- 
rer; voyez la merveille! 





AR RANNOU 


MESNKERNES 


ANN DROUIZ. Daik, mab gwenn Drouz: ore; 
Daik. mah gwenn Drouz: otre; Daik, petra fel d’id-de? 
Daik, petra fel d'id-de? Petra ganinn-me d’1d-de? 


Petra ganinn-me d’id-de. 
AR BUGEL. 


— Knn d'in euz a zaou rann 
Ken a oufenn breman. 


AR BUGEL. 
— Kan d'in euz a eur rann, 
Ken a oufenn breman. 


ANN DROUIZ ANN DKOUIZ. 
— Heh rann ar bed heb-ken : — Danu ejenn dioc’h eur gibi; 
Ankou, tad ann Anken; 0 sachat, 0 souheti; 


Netra kent, netra ken. Edrec'hit ann estoni! 


| LES SÉRIES. 3 


Pas de sèrie pour le nombre un: la Nécessité unique; le 
Trépas, père de la Douleur: rien avant, rien de plus. 
Tout beau, bel enfant du Druide; que te chanterai-je? 


1 


L'ENFANT. 


— Chante-moi la série du nombre trois, etc. 


LE DRUIDE. 


— Îl ya trois parties dans le monde : trois commencements 
et trois fins, pour l'homme comme pour le chêne. 

Trois royaumes de Merlin, pleins de fruits d'or, de fleurs 
brillantes, de petits enfants qui rient. 

Deux bœufs attelés à une coque, etc. 

La Nécessité unique, etc. 

Tout beau, bel enfant, etc. Que te chanterai-je? 


L'ENFANT. 


— Chante-moi la série du nombre quatre, etc. 


LE DRUIDE. 

Quatre pierres à aiguiser, pierres à aiguiser de Merlin, 
qui aiguisent les épées des braves. 

Trois parties dans le monde, etc. 

Deux bœufs, etc. 

La Nécessité unique, ete. 

Tout beau, bel enfant. Que te chanterai-je? 





Heb rann ar Red heb-ken : Danu ejenn dioc'h eur gibi, etc. 
Ankou, tad ann Anken; : Heb rann ar Red heb-ken, ete. 
Netra kent, netra ken. | Daik, mah gwenn Drouiz, ore; etc. 
Daik, mab gwenn Drouz, ore: ete. ne ns 
CET — Kan d'in a bevar rann, etc. 


> LE â Y 
— Kan d'in euz a dri rann, elc. ANN DROUIZ. 


1 

ANN DROUIZ. | Pevar mean higolin, 
ri prann er hed-man a vez: | Mean higolin da Varzin 
Tri derou, ha tri divez, | Higolin klezeier vlin, 


D'ann den ha d'ann derv ivez. Tri pann er hed-man a vez, etc. 


Teir rouantelez Varzin : Daou ejenn dioc'h eur gibi, ete. 
Frouez melen ha bleun lirzin; Heb rann ar Red heb-ken, etc. 
bugaligou 0 c’hoarzin. | Daik, mal gwenn Drouià; ore; ete. 





4 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 1 
L'ENFANT. | 
— Chante-moi la série du nombre cinq, etc. 


LE DRUIDE. 





Cinq zones terrestres: cinq âges dans la durée du temps; 
cinq rochers sur notre sœur. | 

Cinq pierres à aiguiser, etc. 

Trois parties dans le monde, etc. 

Deux hus, ete. 

La Nécessité unique, etc. 

Tout beau, bel enfant... Que te chanterai-je? 


L'ENFANT. 


— Chante-moi la série du nombre six, etc. 





LE DRUIDE. 

— Six petits enfants de cire, vivifiés par l'énergie de Jan 
lune ; si tu l'ignores, je le sais. 

Six plantes médicinales dans le petit chaudron; le petit 
nain mêle le breuvage, son petit doigt dans sa bouche. 

Cinq zones terrestres, etc. 

Quatre pierres à aiguiser, etc. 

Trois parties dans le monde, etc. 

Deux bœufs, etc, 

La Nécessité unique, etc. 

Tout beau, bel enfant. Que te chanterai-je ? 





AR BUGEL. | ANN DROUIZ, 
— Kan d'in euz a bemp rann, etc. — C'houec'h mabik great e koar, 
Poellet gand galloud loar; 


ANN DROUIZ. : 
Ma n’ouzez-te, me oar. 


Pemp gouriz ann douar; 


Pemp darn enn hoar ; C'houec'h louzaouen er perik 

Pemp mean war hor C'hoar. Meska’r goter ra’r c’horrik; 

Pevar mean hisolin, etc. tn RE tsar em 

Tri SHE bed, etc. Pomp gouriz ann douar; etc, 1 

Daou ejenn, etc. Pevar mean higolin, etc, | 

Heb rann ar Red, etc. CEE THT | 

Daik, mal gwenn Drouiz, ore; etc. Daou ejenn, etc. | 
AR BUGEL. He rann ar Re, etc. 1 

— Kan d'in euz a c'houec'h ranp, etc. Daik, mab gwenn Drouz, ore; elec. 





— Kan d’in euz a zeiz rann, etc. 


— Seiz heol ha soiz loar, 


LES SÈRIES. 


LL 


L'ENFANT. 


— Chante-moi la série du nombre sept, etc. 


LE DRUIDE. 


. — Sept soleils et sept lunes, sept planètes, Y compris la 
Poule. Sept éléments avec la farine de l'air (les atomes), 

Six petits enfants de cire, etc. 

Cinq zones terrestres, etc. 

Quatre pierres à aiguiser, etc. 

Trois parties dans le monde, etc 

Deux bœufs, etc. 

La Nécessité unique, etc. 

Tout beau, bel enfant. Que te chanterai-Je? 


L'ENFANT. 


— Chante-moi la série du nombre huit, etc. 


LE DRUIDE. 


— Huit vents qui soufflent ; huit feux avec le Grand Feu, 
allumés au mois de mai sur la montagne de la guerre 

Huit génisses blanches comme l’écume, qui paissent 1 herhe 
de l’île profonde; les huit génisses blanches de la Dame. 
Sept soleils et sept lunes, etc 

Six petits enfants de cire, ete 

Cinq zones terrestres, etc. 





AR BUGEL. AR BUGEL, 


— Kan d'in euz a eiz rann, etc. 


ANN DROUIZ. 
ANN DROUIZ. 


qe ov 3 N E . 
Seiz planeden gand ar lar. — Eiz avel o c’houibannat ; 


Seiz elfen gand bleud ann ear. Biz tan gand,ann Tantad, 


C'houec'h mabik great e koar, etc. 


E miz mae e menez Kad. 


Pemp gouriz ann douar, etc. Eiz onner wenn-kann-eon, 

Pevar mean hisolin, etc. U puri enn enez don; 

Tri rann er bed, etc. Eiz onner wenn d'ann Itron. 

Daou eienn, etc. Seiz heol ha sciz loar, etc. 

Heh rann ar Red, etc. C'houec'h mabik great e koar, etc. 


Daik, mab gwenn Drouiz, re: etc. Pemp gouriz ann douar, elc. 


6 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Quatre pierres à aiguiser, etc. 

Trois parties dans le monde, etc. 

Deux bœufs, etc. 

La Nécessité unique, etc. 

Tout beau, bel enfant... Que te chanterai-je? 


L'ENFANT. 
— Chante-moi la série du nombre neuf, etc. 





LE DRUIDE. 


— Neuf petites mains blanches sur la table de l'aire, | 
près de la tour de Lezarmeur, et neuf mères qui gémissents 
beaucoup. 

Neuf korrigan qui dansent avec des fleurs dans les che- 
veux et des robes de laine blanche, autour de la fontaine, 
à la clarté de la pleine lune. 


faire la leçon. 
Huit vents, etc. 
Sept soleils et sept lunes, etc. 
Six petits enfants de cire, etc. 
Ginq zones terrestres, etc. 
Quatre pierres à aiguiser, etc. 
Trois parties dans le monde, etc. 








Pevar mean higolin, etc, Kelc'h ar feunteun, d'al loar-sann. 
Tri rann er bed, etc. — Gouiz hag he nao forc’hellall, 
Daou ejenn, etc. E toulhk dor ann houc'hzal, 
Heb rann ar Red, etc. 0 soroc'hal, 0 turc’hial, 
Daik, mah gwenn Drouiz, ore; etc. 0 turc’hial, o soroc'hal : 
RL Torc'h! torch! torch!l d'ar esr. 
AHT Ann houc'h koz d'ho tiorreal. À 
ANN DROUIZ. Eiz avel o c’houibannat, etc. 1) 
— Nao dornik gwenn war dol leur, Seiz heol ha seiz loar, ete. 1) 
E kichen tour Lezarmeur ; C'houec'h mabik great e koar, etc. | 
Ha nao mamm 0 keina meur. Pemp gouriz ann douar, etc, 4 
E koroll, nao c’horrigan, Pevar mean higolin, etc, 1 


Bleunvek ho bleg, gwisket gloan, Tri rann er bed, etc. 


Deux bœufs, etc. 








Huit vents, etc. 


Deux bœufs, etc. 


brisées ; 


aou ejenn, etc. 
leb rann ar Red, etc. 
aik, mah gwenn Drouiz: ore; etc. 


| AR EUGEL. 


Kan d'in euz a zek rann, etc. 


ANN DROUIZ. 

Dek lestr tud gin a welet 

tonet euz a Naoned : 

bo l c'hui ; goa! c'hui, tud Gwenned ! 


[ao dornik gwenn war dol leur, etc, 
Biz avel o c’houibannat, etc, 
ISeiz heol ha sciz loar, etc. 


La Nécessité unique, etc. 
Tout beau, bel enfant. Que te chanterai-je ? 


La Nécessité unique, etc. 
Tout beau, bel enfant. Que te chanterai-je? 


LES SÉRIES. 7 


L'ENFANT. 
— Cliante-moi la série du nombre dix 
LE DRUIDE. 


| — Dix vaisseaux ennemis qu'on a vus venant de Nantes : 
Malheur à vous! malheur à vous! hommes de Vannes! 
Neuf petites mains blanches, etc. 


Sept soleils et sept lunes, etc. 
Six petits enfants de cire, etc. 
Cinq zones terrestres, etc. 
Quatre pierres à aiguiser, etc. 
Trois parties dans le monde, etc. 


L'ENFANT. 
— Chante-moi la série du nombre onze, etc. 
LE DRUIDE, 


— Onze Prêtres armés, venant de Vannes, avec leurs épées 


C'houec'h mabik great e koar, etc. 
Pemp gouriz ann douar, etc. 
Pevar mean higolin, etc. 

Tri rann er bed, etc. 

Daou ejenn, etc. 

Heb ranu ar Red, etc. 

Daik, mab gwenn Drouiz; ore: etc. 


AR BUGEL. 
— Kan d’in euz unnek rann, etc 


ANN DROUIZ. 

— Unnek Belek houarneset, 
0 tonet euz a Wened, 

Gand ho c’hlezeier torret; 


CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 






Et leurs robes ensanglantées; et des béquilles de coud riep: 
de trois cents plus qu'eux onze. 
Dix vaisseaux ennemis, etc. 
Neuf petites mains blanches, ete. 
Huit vents, etc. 
Sept soleils, etc. 
Six petits enfants de cire, etc. 
Cinq zones terrestres, etc. 
Quatre pierres à aiguiser, etc. 
Trois parties dans le monde, etc. 
Deux bœufs, etc. 
La Nécessité unique, etc. 
Tout beau, bel enfant du druide; réponds-moi, que veux-t 
que je te chante? 


g boad 


de Ee H e Â. 


sait 


L'ENFANT. 


l’apprenne Re G 
LE DRUIDE. 


— Douze mois et douze signes‘; l’avant-dernier, le Sanil 
taire, décoche sa flèche armée d'un dard. | 


Les douze signes sont en guerre. La belle Vache, la Y ache: 


Pépouilles ; 





Ung ho rochedou goadek ; Daik, petra fel d'id-de 
Prenn-kolvez da vaz-loaek ; Petra ganinn-me d’id-de 7 

Euz a drt c'hnnt ho unnek, N 

Dek lestr tud gin, etc. LE 

Nao dornik gwenn, etc, — Kan d'in euza zaouzek rann, 
Eiz avel, etc. Ken a oufenn hreman, 


Seiz heol, etc, 

C'houec'h mabik great e koar, etc. 
Pemp gouriz aun douar, elc. 

Pevar mean hisolin, etc. 

Tri rann er bed, etc. 


ANN DROUIZ. 
Daouzek miz, daouzeg arouez, 
Ann diveza-andivez, 

Saezer, hellink flimm he zaez. 


Daou ejenn, etc. Daouzeg arouez en emzraill. 
Heh rann ar Red, etc. Ar Vuc’h gen, ar Vuc’h Zu-baill, 
Daik, mab gwenn Drouiz, ore, 0 tonet oc'h Koad-ispail; 


4 Dans le zodiaque, 


LES SÉRIES. 9 


Dans sa poitrine est le dard de la flèche; son sang coule 
à flots; elle beugle, tète levée : 
La trompe sonne ; feu et tonnerre; pluie et vent; tonnerre 
et feu ; rien; plus rien ; ni aucune série! 
Onze prêtres armés, etc. 
Dix vaisseaux ennemis, etc. 
Neuf petites mains blanches, etc. 
Huit vents, etc. 
Sept soleils, etc. 
Six petits enfants de cire, etc. 
Cinq zones terrestres, etc. 
Quatre pierres à aiguiser, etc. 
Trois parties dans le monde, etc. 
Deux bœufs, etc. 
Pas de série pour le nombre un; la Nécessité unique, le 
Trépas, père de la Douleur; rien avant, rien de plus. 


NOTES 


Les Druides. on le sait, étaient les instituteurs de la jeunesse. Ils 
avaient, dit César, un nombre immense de disciples{; l’enseignement 
qu'ils leur donnaient était oral et non écrit. Ils faisaient apprendre par 
cœur une multitude de vers sur les dieux, l’immortalité de l'âme et 
son passage d’un corps à un autre après la mort; les astres et Les révo- 
lutions sidérales; le monde, la terre, et la mesure de l’un et de l’autre; 
enfin toutes les choses de la nature *. Leurs lecons étaient traditionnelles 





Flemm ar zaez enn he c'herc'hen, EIZ avel, ete, 
He cond 0 redeg oc'hpenn: Seiz heol, etc. 
0 vlejal hi, sonn he fenn. C'houec'h mabik great e koar, etc. 


Demp gouriz ann deuar, ete, 
l'evar mean higolin, etc. 
Tri rann er bed, etc. 

Daou ejenn, etc. 


Korn o son houd : tan ha taran; 
Glao hag ave], Laran ha tan! 
Tra ken mui-ken ; tra na rann! 


Unnek belek houarneset, etc. Heb rann, ar Red heb-ken 
Dek lestr (ud gin a welet, etc, Ankou, tad ann anken, 
Nao dornik gwenn, etc. Netra kent, netra ken. 


4 Ad hos magnus adolescentium numerus disciplinæ causa concurrit. (De hello gallico ; 
lib. YL) 

2Magnum numerum versuum... Multa de sideribus et eorum motu, de mundi ac terrarum 
magnitudine, de rerum natura: etc. (Ibid.) 


30 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


et sous forme de dialogue. Diogène Laërce complète le témoignage de 
César en disant qu'ils y employaient souvent l'énigme et la figure?. Il 
nous prouve en outre, par une citation, que leur rhythme privilégié était 
le tercet, ou strophe de trois vers monorimes. Le chant armoricain offre 
donc, quant au fond et quant à la forme, les caractères généraux des 
leçons des Druides; on y retrouve les principales données de leur ensei- 
gnement ; il présente la même méthode technique, à savoir le dialogue et 
le tercet, et les énigmes n'y manquent pas; essayons de les deviner. 

LL L'Unité nécessaire, que le maître identifie avec la Mort5, pourrait 
être la divinité dont César rend le nom celtique par Dis, dieu des 
ombres chez les Romains. Les Gaulois, d’après les Druides, le regardaient 
comme le chef de leur race, et l’appelaient leur Père. C’est peut-être 
aussi le Destin, le Fatum, dieu suprême de la plupart des peuples de 
l'antiquité. 

Il. Les deux bœufs sont probablement ceux de Hu-Gadarn, divinité des 
anciens Bretons. La mythologie celtique, en partie conservée dans les 
poëmes de quelques hardes gallois, nous apprend qu'ayant traîné hors 
des eaux du déluge, au moyen de fortes chaines, un crocodile monstrueux 
qui avait été la cause de la submersion de l'univers, l’un mourut 
de fatigue, l’autre de chagrin de la perte de son compagnonë. La 
coqueS qu'ils tirent après eux avec tant d'efforts serait celle du croco- 
dile. 

IT. Les frois vies et les trois morts de l’homme semblent rentrer dans 
les trois sphères d'existence de la mythologie bardique : « Je suis né trois 
fois, » dit Taliésin ?. 

Je ne sais si, en prêtant la même destinée à l’homme et au chêne, le 
poëte armoricain n’entendrait pas plutôt parler des Druides, dont cet 
arbre était le symbole, que de l’arbre lui-même. Le témoignage de Ta- 
liésin viendrait encore à l'appui de cette opinion : « Chêne est mon nom, » 
dit-ilS. 

Les {rois royaumes de Merlin paraissent correspondre avec la troisième 
sphère mythologique des traditions galloises, celle de la Béatitude 7 

Le Merlin, auquel sont soumis les trois royaumes célestes dont il est ici 
question, n’est, on le sent bien, ni le barde guerrier, ni le devin de ce 
nom ; il est difficile de ne pas voir en lui une divinité celtique‘. 

IV. Les quatre pierres à aiquiser que le poëte armoricain lui prête 
se réduisent à une seule dans les traditions galloises, qui les met- 
tent au nombre des treize talismans dont Merlin fit présent aux Bre- 


# Disputant, et juventuti tradunt. (De bello gallico.) 

2 Præmia, p. 5, Liv. C., sect. vi. 

5 En breton, Ankou; en gallois, Angen; en cornique, Ankouir, mourir et oublier (cf. avec 
l'armoricain Ankounac'haat). 

4 Galli se omnes ch Dite paire prognatos prædicant, idque ab Druidibus proditum dieunt. 
Lib. VL.) 
5 Myvyrian, Archaiology of Wales, t. H, p. 57 et 74. 

6 Kib, boite, coque, pot (Le Gonidec, Dict., p. 89); pluriel, kibou, kibi, cercles. En gallois 
kib signilie vaisseau, coque, cosse d’un fruit, coquille. (V. Owen, Welsh dictionnary.) 

"Y Myvyrian, Arch. of Wules, t. I, p. 76. 

8 Jbidegr, p. 50. 

S Kylch y Gwynfyd (cf. l'armor. Gwenvidigez). 

10Pour les preuves je prends la liberté de renvoyer le lecteur à mon livre intitulé: Myrdhinn 
ou l'enchanteur Merlin, p. 6 et suiv. et aux fragments n° vi du présent recueil. 


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T 
L 
d 
L 


RS I CRE, 


LES SÉRIES. 14 


tons. « Cette pierre, disent-celles, vint en héritage à Tudno Tedgled, fils de 
Jud-Hael, chef armoricain. Il suffisait d’y passer légèrement les épées des 
braves pour qu’elles coupassent même l'acier ; mais, loin d’aiguiser celles 
des lâches, eile les réduisait en poussière. De plus, quiconque était 
blessé par la lame qu’elle avait aiguisée mourait subitement 1, » 

V. Les cinq zones de la terre étaient connues des anciens bardes. 
comme les trois parties du monde. Un poëme attribué à Taliésin, et qui 
présente plusieurs points d’analogie avec le chant armoricain, offre la 
preuve de ce fait «La terre, dit-il, a cinqzones et se divise en trois parties: 
la première est l'Asie; la seconde, l'Afrique; la troisième, l’Europe?. » 

Je ne vois pas qu'elle est cette sœur emprisonnée sous cinq rochers. 
Il est possible qu'il y ait quelque rapport entre elle et la personne à 
laquelle Merlin donne le même nom dans ses poésies. 

VI. Les enfants de cire jouaient un grand rôle dans la sorcellerie du 
moyen âge. Quiconque voulait faire tomber son ennemi en langueur 
fabriquait une petite figure de cette espèce et la donnait à une jeune fille, 
qui la portait emmaillottée durant neuf mois dans son giron; les neuf 
mois révolus, un mauvais prêtre baptisait l'enfant, à la clarté de la lune, 
dans l’eau courante d’un moulin. On lui écrivait au front le nom de la 
personne qu’on voulait faire mourir, au dos le mot Bélial, et le sortilége 
ne manquait jamais d'opérer. Il fut pratiqué par le comte d’Étampes, 
aidé d’un moine noir, contre le comte de Charolaïs, en 1465 5, et fait le 
sujet de plusieurs anciennes ballades bretonnes. 

Sauf la cérémonie du baptême, remplacée, dans le chant breton, far 
l’action de la lune, je ne vois rien dans ce maléfice, pas même le nom de 
Bélial, peu différent du celtique Bel, qui puisse l'empêcher de remonter 
aux Druides et de répondre au sortilége dont notre chant réveille l’idée. 
Mais pourquoi six enfants de cire plutôt que tout autre nombre? 

Je vois mieux la raison des six plantes médicinales du bassin qu'un 
nain a mission de mêler. Les plantes dont il est icl question jouaient un 
grand rôle dans la pharmacie des Druides et des anciens bardes; mais 
les historiens latins n’en comptent que cinq, savoir : le sélage, la jus- 
quiame, le samolus, la verveine et le gui de chêne, tandis que les poëmes 
mythologiques des Cambriens en nomment six, en joignant aux plantes 
désignées la primevère et le trèfle, à l'exclusion du gui, qui servait sans 
doute à d’autres usages. Selon eux, c’étaient les ingrédients d’un bassin 
pareil à celui du chant armoricain; comme lui, surveillé par un nain et 
contenant le breuvage du savoir universel. Trois gouttes du philtre ma- 
gique ayant rejailli, disent les bardes, sur la main du nain, il porta na- 
turellement le doigt à ses lèvres, et aussitôt tous les secrets de la science 
se dévoilèrent à ses yeux 4. C’est pourquoi le nain du poëme armoricain 
a aussi le doigt dans la bouche. 

VIT. La division des éléments en sept, comme les planètes, les nuits et 
les jours, offre quelque chose de surprenant; c'était celle des anciens 


1 Jones, Burdic musæum, n° 47. 

2 Myvyrian, Arch. of Wales, t. I, p. 25. 

5 Voyez, pour les détails, l'élégante et populaire Histoire des Ducs de Bourgogne, par M, de 
Barante, t. VII, p. 46. 

4 Myvyrian, Arch. of Wales, t. I, p.17 et 3« 


12 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Bretons. Taliésin, outre la terre, l’eau, l'air et le feu, y comprend les 
atomes, ainsi que notre porle, et y joint les brumes et le vent, sous- 
entendus par celui-ci !, 

VIII. Les huit feux rappellent les feux perpétuels qu'entretenaient les 
Druides dans certains temples de l'ile de Bretagne, en l'honneur d’une 
déesse que Solin, poussé par la manie d’assimiler les divinités cel- 
tiques aux dieux des Grecs et des Romains, confond avec Minerve ?; 
mais il ne mentionne pas le nombre de ces feux. Un poëme gallois, 
où l’on fait deviser Merlin et Taliésin, en nomme sept. « Il y a, dit l’au- 
teur, sept feux supérieurs, symbole de sept batailles sanglantes". Cette 
montagne de la guerre, où sont allumés les feux dont parle le poëte 
armoricain, ne parait pas sans rapport avec le témoignage du barde 
cambrien. Le huitième feu, le feu principal semble être le Bel-tan 
que les Celtes d'Irlande allumaient sur les montagres en l'honneur du 
soleil, au mois de mai, précisément à l’époque indiquée dans le potme 
breton. 

Un des plus anciens bardes gallois, Avaon, fils de Taliésin, passe pour 
avoir composé une hymne pyrolatrique où il chante le char du soleil et 
ses blonds coursiers, sous la figure du feu sacré : 

« Il s’élance impétueusement, le feu aux flammes rapides et dévo- 
rantes! Nous l’adorons plus que la terre! Le feu! le feu ! comme il morte 
d'un vol farouche ! comme il est au-dessus des chants du barde! comme 
il est supérieur à tous les autres éléments! Dans les guerres, il n’est 
point lent! Ici, dans ton sanctuaire vénéré, ta fureur est celle de la 
mer; tu t’élèves; les ombres s’enfuient! Aux équinoxes, aux solstices, 
aux quatre saisons de l'année, je te chanterai, juge brûlant, guerrier 
sublime, la colère profonde #1 » 

Les huit génisses blanches de la Dame, qui paissent l'herbe de l'ile, 
peuvent ne pas être sans rapport avec les génisses blanches consacrées 
à une déesse celtique, adorée dans L'ile de Mon, à l’époque où vivait Ta- 
cite. Si l'épithète de don, profonde, par laquelle le porte armoricain qua- 
lifie l'ile dont il parle, était une altération du mot Mon, l'identité serait 
parfaite Quoi qu’il en soit, {ais Mon signifie « l’île de la Génisse » dans 
le dialecte breton du pays de Galles. 

"X. Une antique tradition relative aux côtes d’Aber-Vrac’h, en Armo- 
rique, mentionnée par un chroniqueur du quinzième siècle, et par 
d'autres écrivains bretons, me semble de nature à éclaircir Ja 
strophe des neuf peliles mains blanches exposées sur la table de pierre, 
au pied de la tour de Lezarmeur, et des neuf mères qui geémissent. 
« Selon cette tradition, dit Pierre le Daud. on immolait jadis des enfants 
à une fausse divinité, sur un autel d’Aber-Vrac’h, dans un lieu appelé 
Forz Keinan, c'est-à-dire le Port des Lamentations, à cause des gémisse- 
ments que poussaient les mères des victimes.f » 


4 Myvyrian, L L. p. 25. 

S Solin, Polyhistor., cap. XX, 

3 ilyvyrian, ibid, p. 49. 

4 Ibidem, p. 43. 

R Owen Welsh dict., L. IT, n. 551. 

6 CI. Grégoire de Rostreuen, Dict., p. 360, et dom le Pelletier, Dict.. col. 474. 





dE and, 


_ 00 


LES StLRIES, l 45 


Les neuf Korrigan qui dansent à la clarté de la pleine lune autour de 
la fontaine sont les neuf Karrigan, ou vierges consacrées, des Armori- 
ains, que Pomponius Mela dit prêtresses de l’île de Sein. Mais pourquoi 
dansent-elles à la clarté et peut-être en l'honneur de la lune? Proba- 
blement parce que la lune était leur divinité. Arthémidore, cité par 
Strabon, assure que, dans une île voisine de l’Armorique, on lui rendait 
un culte sous le nom de Koré ou Kori. Il ne dit pas le nom de l'ile; 
mais comme, en plein dix-septième siècle, « c'était une coutume reçue 
dans l’île de Sein de se mettre à genoux devant la nouvelle lune et de 
réciler en son honneur l’oraison dominicale 5, » il y a toute raison de 
penser qu'Arilhémidore veut parler de l'ile en question. Au culte de la 
lune se rattachait peut-être celui des fontaines; ainsi s’expliquerait la 
ronde des Korrigan. Dans la même île où l’on s'agenouillait devant la 
nouvelle lune, «on avait coutume de faire, le premier jour de l'an, un 
sacrifice aux fontaines, chacun offrant un morceau de pain couvert de 
beurre à celles de son village“. » 

J'arrive à la plus bizarre série du chant armoricain : 10 laie, ses mar- 
cassins et le vieux sanglier qui les instruit sous un pommier. 

Le double symbole mythologique de cet arbre et de ces animaux re- 
monte à une époque très-reculée. Une médaille bien connue, publiée 
par Montfaucon, représente un sanglier et une laie au pied de deux 
pommiers confondant leurs rameaux. S'il faut en croire l'historien 
de la première église chrétienne élevée dans l’ile de Bretagne, la laic 
et les pommiers auraient été l’objet du culte des insulaires païens. 
v L'endroit, dit-il, où fut bâtie l’église s'appelait antique sanctuaire du 
pommier. Au milieu s'élevait un de ces arbres, et dessous une laie allai- 
tait ses petits ÿ. » 

Un autre hagiographe du douzième siècle, parlant de la conversion des 
Bretons au christianisme, ajoute : «Un ange apparut en songe à l’apôtre 
du midi de l'ile de Bretagne, et lui tint ce langage : Partout où tu 
trouveras une laie couchée avec ses petits, tu bätiras une église en 
l'honneur de la sainte Trinité 5. » 

Deux poëmes politiques attribués à Merlin éclairent encore mieux le sujet. 
Lepremier est intitulé 10 Pommeraie; le second apour titre Les Marcassins. 
Ces animaux figurent dans l’un et dans l’autre, et le barde les conseille de 
la même manière que le vieux sanglier instruit ceux du poëme armoricain. 
L’épithète d’intelligents et d’éclairés qu'il leur donne, le nom de poëte 
des sangliers, dont un harde du treizième siècle s’honore, ne permet pas de 
se méprendre sur le sens de l'expression métaphorique employée par Mer- 
lin. C’est évidemment à des disciples qu'il est censé parler 

« Pommiers élevés sur la montagne, dit-il dans une invocation aux 
arbres sous lesquels il se tient; à vous, dont j'aime à mesurer le tronc, 
la croissance et l'écorce, vous le savez, j'ai porté Le bouclier sur l'épaule 


4 F. l'Introduction de ce recueil. 

2 Strabon, lib. IV, p. 198. 

5 Vie de Michel le Nobletz, par le P. de Saint-André, p. 185 

4 Ibidem, p. 186. 

5 Guillelmus Malmesburiensis, Antiquitates Ecclesiæ Glastonbury, (Gale, p. 295.) 
€ Liber Landavensis. Vita Dubricii, p. 295. 


1% CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


et l’épée sur la cuisse; j'ai dormi mon sommeil dans la foret de Ke- 
lidon"! » - 

Puis il ajoute : « Ecoute-moi, cher petit marcassin, toi qui es doué 
d'intelligence, entends-tu les oiseaux? comme l'air de leurs chants est 
gai?!» 

Ailleurs il lui donne des conseils, et, chose digne de remarque, cha 
cune des strophes de sa leçon débute par la formule doctorale qu’on vient 
d'entendre, comme chaque partie de la leçon de notre Druide à son élève 
par l’injonctiont pédagogique qu'on a lue : 

« Ecoute-moi, cher petit marcassin, dit-il, petit marcassin intelligent, 
ne va point fouir à l’aventure, au haut de la montagne; fouis plutôt dans 
les lieux solitaires, dans les bois fourrés d’alentour... » Sans insister, je 
conclus que le symbole étrange du chant armoricain cache la même réa- 
lité humaine que la figure des poëmes gallois. 

X-XI. Avec les dix vaisseaux ennemis arrivant de Nantes dans la capi- 
tale des Vénètes, pour le malheur des habitants, avec les onze Bélek ou 
Prêtres, débris de trois cents, qui reviennent de Vannes, où ils ont été vain- 
CUS, comme atteste leur bâton de coudrier. symbole celtique de Ia défaite”, 
nous semblons quitter le domaine de la mythologie pour entrer dans ce- 
lui de l’histoire. Mais d'abord quelle est la vraiesignification du mot bélek? 
S'ilveut dire prêtre en général, aujourd’hui, il avait, au quatrième siècle, 
une signification plus precise, ilindiquait un ministre du dieu Bel. Le témoi- 
gnage d’Ausone est formel. Il croit faire honneur à un professeur de rhé- 
torique deson tempsen lui disant : « O toi, qui, néà Bayeux, descends d’une 
famille de Druides, tu tires ten origine sacrée du temple de Delen: à ce 
dieu devaient leur nom ceux qui étaient ses ministres, comme tes an- 
cêtres #, » Ce fait admis, me serait-il permis de hasarder une hypothèse? 
On sait que la flotte de César partit de la Loire 5. et peut-être de Nantes 
même, pour venir attaquer la capitale des Vénètes ; on sait qu’il anéantit 
leur puissance maritime, qu'il vendit à encan tous ceux dont il put se 
rendre maitre, qu'il fit égorger leur sénat et leurs prêtres. Les dix 
vaisseaux ennemis mentionnés par le poëte armoricain ne représente- 
raient-ils pas la flotte romaine tout entière, et les onze bélek fugitifs, les 
débris dispersés du collége druidique? César dit, à la vérité, que les 
Druides étaient étrangers à la guerre, et ceux-ci sont armés; mais il 
dit aussi qu'à la mort de l’archidruide, ils mettaient souvent l'épée à 
la main pour disputer l'autorité suprême; à plus forte raison durent- 
ils prendre les armes pour défendre leur patrie en danger. 

XII. Quoi qu’il en soit, il est curieux de voir le poëte armoricain re- 


4 Myvyrian, LL. p. 150. 
2 Ibid., p.155. 2 
5 Reddidit Alfred Machtiern filius Gestin monachiam sancti Salvaloris (quam mnjuste per vim 
tenebat), in manu abbatis cum virga corilina ante Salomonem regem totius Britanniæ magnæ- 
que partis Galliarum. (Cartularium Rotonense:; ad ann. 867 ; D. Morice, Preuves, t. L p. 508 
F. aussi sur le même symbole, dans Owen, Dictionn., t. 1, p. 254.) 
4 Tu Bajocasis stirpe Druidarum salus: 
Beleni sacratum ducis e templo genus 
Et inde vobis nomina. (Auson., Profess., 4.) 
5 Naves ædificari in flumine Ligeri jubet. (Lib. VI. 
De principatu armis contendunt. ({bid.) 





LES SERIES. 45 


garder la mort violente des prêtres du dieu Bel comme le présage de la 
révolution des douze signes du zodiaque et même de la fin du monde. 
Il est curieux de le voir donner pour présage de cet événement le meur- 
tre de la Vache sacrée des Bretons, de v la vache noire à l'étoile blanche,» 
ainsi que la désigne expressément un ancien barde gallois; de la vache 
« vigoureuse, vigilante, bonne, belle entre toutes, sans laquelle le monde 
périrait T. » Nous voyons, au quatorzième siècle, un poële cambrien, qui 
survécut à la persécution deses confrères, peindre en traits prophétiques 
le soleil détourné de sa course et perdu dans les airs, les astres déser- 
tant leur orbe et tombant, comme une conséquence de la chute des 
hardes nationaux, et nous entendons s’écrier, avec désespoir : « C’est 
la fin du monde! » Cette concordance de doctrine est frappante. Evidem- 
ment l’auteur cambrien connaissait une partie des secrets dont l’Ar- 
moricain fait un si pompeux étalage, et il avait puisé au même courant 
traditionnel. Les hardes gallois du moyen âge, il ne faut pas l’ou- 
blier, étaient les descendants convertis des Druides, prêtres du dieu 
Bel, et les paysans du Gladmorgan, sans comprendre la portée du 
terme, donnent encore à ceux d’aujourd’hui le nom très-caractéristique 
d'initiés de la vallée de Bélen?. Le harde armoricain le mériterait bien 
plus. 

Mais il est un fait qui donne à son œuvre une grande importance; c’est 
qu'il en existe une contre-partie laline et chrétienne. Je la trouve dans 
un recueil de cantiques bretons du moyen àge, réédité, en 1650, par 
Tanguy Guéguen, prêtre, le même qui publia la troisième édition du Graxo 
MYSTÈRE DE Jésus5, et on la chantait encore, il y a peu d'années, au séminaire 
de Quimper. Le fait dont je parle prouve que les premiers apôtres des Bre- 
tons firent aux monuments de la poésie paienne de ce peuple la même 
guerre habile et une guerre du même genre qu'aux monuments maté- 
riels de sa religion. On savait déjà que, dans tout ce qui n’était pas en 
opposition directe avec le dogme catholique, ils s’étaient plutôt efforcés 
de transformer que de détruire, fidèles aux instructions du pape saint 
Grégoire le Grand, qui leur avait dit : « Retrancher tout à la fois, dans 
ces esprits incultes, est une entreprise impossible, car qui veut atteindre 
le faîte doit s'élever par degrés et non par clans... Gardez-vous donc de 
détruire les temples; détruisez seulement les idoles et remplacez-les par 
des reliques. » 

Les missionnaires transportèrent donc la forme, le rhythme, l'air, 
la méthode élémentaire, toute l’enveloppe du chant paten dans la 
contre-partie chrétienne; l’enseignement seul fut changé. L’apôtre 
emprunte au Druide son système pour le combattre. Si l’un tire de 
ses poëmes sacrés la doctrine qu’il inculque à ses disciples, au moyen des 
douze premiers nombres, l’autre, adoptant les mêmes chiffres, atta- 
che à chacun d'eux une vérité tirée de l'Ancien ou du Nouveau Tes- 
tament que les jeunes néophytes retiendront aisément par l'effet 


1 Myvyrian, t. 1, p. 74,75 et 29. 

2 Ed. Williams, Poems, t. II, p. 161. 

3 An novelou ancien, etc., an ol! amantet gant Tanguy gueguen, beler. Quemper Caurentin 
MDCL, p. 105. 


10 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE 


des répétitions. Les douze points qu’il enseigne sont : qu’il y a un Dieu, 
deux Testaments, trois grands prophètes, quatre évangélistes, cinq livres 
de Moïse, six cruches qu’on porta aux noces de Cana (souvenir du premier 
miracle de Jésus-Christ), sept sacrements, huit béatitudes, neuf chœurs 
d’anges, dix commandements de Dieu, onze étoiles qui apparurent à 
Joseph, enfin, douze apôtres. 

Comme dans le breton, le disciple interroge le maitre, qui, à chaque 
nombre nouveau, répête en sens inverse les nombres précédents, savoir : 
le deux et l’un après l'unité; le trois, le deux et l'unité après le trois; le 
quatre, le trois, le deux et l’unité après le quatre, et ainsi de suite jus- 
qu’au bout, où il reprend les douze nombres sans s'arrêter, toujours en 
sens inverse. 

Voici, du reste, le texte latin, d'après une copie que je dois à M. l'abbé 
Henry, et qui est plus complète que la rédaction imprimée par Guéguen: 


— Dic mihi quid unus? 
— Unus est Deus 
Qui regnat in cœlis 1. 


— Dic mihi quid duo? 
— Duo suut testamenta, 


Unus est Deus 
Qui reenat in cœlis. 


— Dic mihi quid sunt tres? 
— Tres sunt patriarchæ; 
Duo testamenta; 

Uous est Deus 

Qui regnat in cœlis. 


— Dic mihi quid quatuor? 
— Quatuor evangelistæ ; 
Tres sunt patriarchæ, ete. 
Unus est Deus, etc. 


— Dic mihi quid quinque? 
— Quinque libri Moysis; 
Quatuor evangelistæ, etc. 
Unus est Deus, etc. 


— Dic mihi quid sunt sex? 


— Sex sunt hydriæ 
lositæ 

In Cana Galileæ. 

Quinque libri Moysis, etc. 

Unus est Deus, etc. 


— Dic mihi quid septem? 
— Septem sacramenta 5: 


1 Le refra:u, selon Tanguy Guëguen, était 
Unus est Christus 
Qui regnat Deus. 

$ Var. de Guéguen : Septem candelabra 
Ante Deum lucentia. 





LES SERIES. 17 


Sex hydriæ, etc. 
Unus est Deus, etc. 


— Dic mihi quid octo? 
— Octo beatitudines ; 
Septem sacramenta, etc, 
Unus est Deus, etc. 


— Dic mihi quid novem? 
— Novem angelorum chori ; 
Octo beatitudines, etc. 
Uanus est Deus, etc. 


— Dic mihi quid decem? 

— Decem mandata Dei ; 
Novem angelorum chori, etc, 
Unus est Leus, ete. 


— Dic mihi quid undecim? 
— Undecim stellæ 

A Josepho visæ ; 

Decem mandata Dei, etc, 
Uaus est Deus, etc. 


— Dic mihi quid duodecim ? 
— Duodecim apostoli ; 
Undecum stellæ 

A Josepho visæ; 

Decem mandata Dei, 

Novem angelorum chori, 
Etc., etc., etc. 

Unus est Deus 

Qui regnat in cælis. 


La grande idée de l'unité divine est placée au début de la pièce chré- 
tienne, et, revient à la fin de chaque strophe, jusqu'à la douzième, 
de même que le sombre dogme de la nécessité unique, de la douleur 
et de la mort, est ramené dans l'hymne païenne, comme origine et 
terme de toutes choses. Entre ces deux enseignements il y a l’immen- 
sité; le christianisme et le paganisme, la civilisation et la barbarie sont 
en présence, le Druide expose ses doctrines, et l’apôtre les combat; la 
jeune génération qui les écoute appartiendra au vainqueur. La lutte 
ayant cessé au sixième siècle, et les Armoricains étant presque tous de- 
venus chrétiens à la fin de cette époque, comme l'histoire latteste?, 
le monument païen qui nous occupe remonte à une date plus ancienne. 
Au moins la leçon du Druide à son disciple a-t-elle été donnée dans un 
temps où l’ordre avait encore des écoles en Armoridue, et probablement 
par quelque prêtre de Belen, d’une de ces familles de Druides armori- 
cains dont parle Ausone. La différence qu'il fait entre les ministres du 
culte bélénique et les Druides proprement dits, est précisément ce qui me 


1 Duodecim articuli ndei, (Guëguen.) S 
2 Procope, Ap. Scriptores rerus Galkcar., t. I, p. 51. Cf. Fin Melani, ad finem, vi sæcul 
scripta. Bolland., t. 4, n° 45, p. L. 
3 


15 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


porte à croire que notre chant remonte, quant à l'inspiration, au com- 
mencement du cinquième siècle. Toutes les doctrines qu'il contient 
n'étaient pas celles des anciens Druides; on en chercherait vainement 
quelques-unes dans les témoignages antérieurs à la conquête romaine, 
tandis qu’elles se retrouvent, pour la plupart, dans les poëmes mytho- 
logiques des hardes cambriens leurs successeurs. 

Aussi des voix tout à fait désintéressées et les plus compétentes 
en pareille matière, n’ont-elles pas hésité à ranger le dialogue armori- 
cain et les chants bretons du même genre, parmi les monuments poéti- 
ques les moins douteux d’origine païennef, 


1 Voir le rapport de M. Ampère sur les Poésies populaires de la France. (Bulletin du comilé 
des travaux historiques, année 1853, p. 253.) 





7 0 


IL 


LA PROPHÉTIE DE GWEXC'HLAN 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Comme nous l'avons dit dans l'introduction de ce recueil, ilest, parmi 
les chants populaires de la Bretagne, une pièce intitulée : Prophétie de 
Gwenc'hlan, que l’on attribue au barde du cinquième siècle de ce nom. 
Nous avons cité tout ce que les sources écrites nous ont fourni d’indica- 
tions au sujet du poëte. Voici celles que nous offre la tradition. 

Gwenc’hlan fut longtemps poursuivi par un prince étranger. Le prince. 
s'étant rendu maitre de sa personne, lui fit crever les yeux, le jeta dans 
un cachot. où il le laissa mourir, et tomba lui-même, peu de temps après, 
sur un champ de bataille, sous les coups des Bretons, victime de l’impré- 
cation prophétique du poëte. 

Cette tradition s'accorde à merveilie avec le chant suivant, recueilli en 
Melgven, que Gwenc'hlan passe pour avoir composé au fond de son ca- 
chot, quelques jours avant de mourir. 


I 


Quand le soleil se couche, quand la mer s’enfle, je chante 
sur le seuil de ma porte. 


Quand j'étais jeune, je chantais; devenu vieux, je chante 
encore. 


Je chante la nuit, je chante le jour, et je suis chagrin ce- 
pendant. 





DIOUGAN GWENC'HLAN 


— 1ES KHERNE — 


I Pa oann iaouank me à gane ; 
Pa'z onn deut Koz, me gan ive, 
Pa guz ann heol, pa goenv ar mor, Me gan enn noz, me gan enn de 


Me oar kana war dreus ma dor, Ha me keuziet koulskoude. 


20 CIHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Si j'ai la tète baissée, si je suis chagrin, ce n’est pas sans 
motif. g 
Ce n’est pas que j'aie peur; je n’ai pas peur d’être tué. 
Ce n’est pas que j'aie peur; assez longtemps j'ai vécu. 
Quand on ne me cherchera pas, on me trouvera; et quand 
on me cherche, on ne me trouve pas. 
Peu importe ce qui adviendra : ce qui doit être sera. 


Il faut que tous meurent trois fois, avant de se reposer enfin. 


IT 


Je vois le sanglier qui sort du bois; il boite beaucoup; il a 
le pied blessé, 

La gueule béante et pleine de sang, et Le cmn blanchi par 
l'âge; 

Il est entouré de ses marcassins, qui grognent de faim. 


Je vois le cheval de mer venir à sa rencontre, à faire trem- 
bler le rivage d'épouvante. 

Il est aussi blanc que la neige brillante; 1l porte au front des 
cornes d'argent. 

L'eau bouillonne sous lui, au feu du tonnerre de ses na- 
seaux, 





Mard-e0 gan-in stouet ma bek, | II 
Mar "nm euz keuz, ne ket heh abel. Me wel ann hoc’h'tont dinc'h ar c'hoad, 
Evid aoun me n’am euz ket, Hag hen gwall-gamm, gwallet he droad ; 


Meuz ked aoun da vout lazet; He vek digor ha leun a wad, 


Evid aoun me n’am euz ket ; Hag he reun louet gand ann oad; 


Amzer awalc'h ez onn-me het. Hag he voc’higou tro-war--dro j 
D o 7 

h E 

Pa vinn ket klasket vinn kavet; Gand ann naon braz 0 soc’ho. 8 

Ha pa ’z onn klasket nez onn ket. Me wel ar morvarc'h enep-tont, 1 


Na vern petra a c'hoarvezo : Ken a gren ann aot gand ar spont. 


Pez a zo dleet a vezo. Hcn ken gwenn evel ann erc'h kann ; 


E 

H U 
Red eo d'ann holl mervel teir gwes, En Me PEN IRErAQU RES { 
Kent cvid arzao enn-divez. Ann dour dindan han o virvi, L 
Gand ann tan daran euz he fri; 


LA PROPHÉTIE DE GWENCHLAN, 21 


Des chevaux marins l'entourent, aussi pressés que l'herbe 
au bord de l'étang. 

— Tiens bon! tiens bon! cheval de mer; frappe-le à la tête; 
frappe fort, frappe! 

Les pieds nus glissent dans le sang ! Plus fort encore! frappe 
donc! plus fort encore! 

Je vois le sang comme un ruisseau! Frappe fort! frappe 
donc! plus fort encore! 

Je vois le sang lui monter au genou! Je vois le sang comme 
une mare | 

Plus fort encore! frappe donc! plus fort encore! Tu te repo- 
seras demain. 

Frappe fort! frappe fort, cheval de mer! Frappe-le à la tête! 
frappe fort! frappe! — 


TT 


Comme j'étais doucement endormi dans ma tombe froide, 
j'entendis aigle appeler au milieu de la nuit. 

Il appelait ses aiglons et tous les oiseaux du ciel, 

Et il leur disait en les appelant : 

— Levez-vous vite sur vos deux ailes ! 

Ce n’est pas de la chair pourrie de chiens ou de brebis; c’est 
de la chair chrétienne qu'il nous faut ! — 


nt 


Morgezeg enn dro d'ehan ker stank 

Hag ar geot war lez ar stank. 

— Dalc'h mat'ta! dalc'h mat "La! mor- 
{varc’h; 

Darc'h gand he benn; darc'h mat ‘ta, 


Darc'h mat ‘ta! darc'h mat ’ta morvac'h, 
Darc'h gand he benn, darc'h mat ‘ta, 
[darc’h.— 


{[darc’h ! 
Ken a risk er goad ann treid noaz! 
Gwas-oc'h-was! darc'h'ta! gwas-oc'h-was! 
Me wel ar goad evel eur waz! 
Darc'h mat’ta ! darc'h ta! gwas-oc’h-was! 
Me wel ar goad hed penn he chlin! 
Me wel ar goad evel eul linn! 
Gwas-oc'h -was! darc'h ‘ta, gwas-oc'h 
Arzaoi a ri benn arc'hoaz. [-was! 


III 
Pa oann em bez ien, hunet dous, 
’Kleviz ann er "c'hervel, enn nouz. 


He erigou hen a c'halve: 

Hag ann holl evned euz ann ne; 
Ha lavare dre he c'hervel : 

— Savet prim war ho tiou-askel! 
Ne ket kik brein chas pe zenved, 
Kik kristen renkomp da gaouei! — 


22 CHANTS POPULAIRES DE LA PRETAGNE. 
— Vieux corbeau de mer, écoute; dis-moi : que tiens-tu là? 


— Je tiens la tête du Chef d'armée‘; je veux avoir ses deux 
yeux rouges. 


Je lui arrache les deux yeux, parce qu’il Ca arraché les 
tiens. 


—- Et toi, renard, dis-moi, que tiens-tu 1à? 
— Je tiens son cœur, qui était aussi faux que le mien. 
Qui à désiré ta mort, et t'a fait mourir depuis longtemps. 


— Et toi, dis-moi, crapaud, que fais-tu là, au coin de sa 
bouche ? 


— Moi, je me suis mis ici pour attendre son âme au passage. 


Elle demeurera en moi tant que je vivrai, en punition du 
crime qu'il a commis 


Contre le Barde qui n habite plus entre Roc'h-allaz et Porz- 
gwenn, — 


NOTES 


Cette pièce est, par les sentiments, les croyances, les images, un débris 
précieux de l’ancienne poésie bardique. 
Comme Taliésin, Gwenc'hlan croit aux trois cercles de l'existence et au 


— Morvran goz, c’hleo; lavar d’i-me : E deuz c'hoantaet da Jazo, 

Petra c'hoari gen-oud aze? E deuz da lazet a bell zo. 
— Tal Par enn-lu c'hoart gan-in; — Na te lavar d'i-me, tousek, 

He zaoulagad ru a fel d'in; Petra rez aze "korn he vek? 

He zaoulagad a grapann net, — Me a zo ama ’n em laket, 

Abek d'az re en deuz tennet. *C'hortoz he ene da zonet. 

— Na te, louarn, lavar d'i-me Gan-i-me vo tra vinn er bed, 

Petra c'hoarit gen-oud aze? Enn damant glan oc'h he dorted 


— He galon a c'hori gan-i E kever ar Barz na jomm ken 
Oa ken diwir ha ma hant, : Etre Roc’h-allaz ha Porz-swenn. — 


Le chef étranger qui fit prisonnier le voëte, 





LA PROPHÈTIE DE GWENCHLAN. 25 


dogme de la métempsycose : « Je suis né trois fois, dit le poëte cambrien.…. 
j'ai été mort, j'ai été vivant; je suis tel que j'étais. J'ai été biche sur la 
montagne... j'ai été coq tacheté... j'ai été daim de couleur fauve; main- 
tenant je suis Taliésin !. » 

Comme Lywarc'h-Hen, il se plaint de la vieillesse, il est triste; comme 
lui, ilest fataliste . « Si ma destinée avait été d’être heureux, s'écrie 
le barde s'adressant à son fils qui a été tué, tu aurais échappé à la 
mort... Avant que je marchasse à l’aide de béquilles, j'étais beau... je 
suis vieux, Je suis seul, je suis décrépit.. Malheureuse destinée qui a été 
infligée à Lywarc’h, la nuit de sa naissance : de longues peines sans 
Hn SL » 

De même que Gwenc’hlan représente le prince étranger sous la figure 
d’un sanglier, et le prince breton, sous celle d’un cheval marin, Taliésin 
parlant d’un chef gallois, l’appelle le « cheval de guerres. » 

L'histoire du barde aveugle d’Armorique chantant dans les ters son chant 
de mort, offre quelque analogie avec celle d’Aneurin qui, ayant été fait 
prisonnier à la bataille de Kaltraez, composa son poëme de Gododin durant 
sa captivité : « Dans cette maison souterraine, malgré la chaîne de fer 
qui lie mes deux genoux, dit-il, mon chant de Gododin n'est-il pas 
plus beau que l'aurore? » Le même poëme offre un vers qui se retrouve 
presque littéralement dans le chant armoricain : « On voit une mare 
de sang monter jusqu’au genou“. » 

Le sens des strophes 25°, 24e et 25° du chant breton est exactement le 
même que celui de deux stances d’une élégie où Lywarc’h-Hen décrit 
les suites d’un combat : 

« J'entends cette nuit les aigles d’Eli... [ls sont ensanglantés; ils sont 
dans le bois. Les aigles de Pengwern appellent au loin cette nuit; on les 
voit dans le sang humain. » 

Mais Les bardes que nous venons de citer étaient tous plus ou moins 
chrétiens, et l’on doit croire que Gwenc'hlan ne l'était guère, en voyant 
la complaisance avec laquelle il dévoue la « chair chrétienne » aux 
aigles et aux corbeaux : on se rappelle qu’une tradition populaire lui fait 
dire : « Un jour viendra où les prêtres du Christ seront poursuivis, où on 
les huera comme des bêtes fauves6. » 

Le carnage qu’on en fera, ajoute-t-il, sera tel « qu'ils mourront tous 
par bandes, sur le Menez-Bré, par bataillonsT. » 

Dans ce temps-là, dit-il engore, « la roue du moulin moulera menu : 
le sang des moines lui servira c'en, » 


1 Myvyrian, €. 1, p. 37 et 76. 

S Ibid.. p. 115 et 117 et les Bardes orelons, p.156. 
S Jhid., p. 151. 

4 lad, p. 1. 

5 Myvyrian, p. 109. Cf, les bardes bretons, p. 76. 


D Tud Jezuz-Krist a wallgasor, 
Evel souezed ho argador. 


7 M'az marvint holl a strolladou 
War menez Bre, a vagadou. 


e Rod ar vilin a valo flour, 
Gand goad ar enec’h eleac’h dour 


24 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


A l'en croire, ces choses arriveront bien avant la fin du monde; alors la); 
plus mauvaise terre rapportera le meilleur bléf, 

Enfin, la pièce, comme celles des anciens bardes gallois, était primitive- 
ment allitérée. Elle offre des traces trop multipliées de ce système rhy- 
thmique, pour que ce soit l'effet du hasard. 

Nous avons dit que le peupie l’attribue à Gwenc’hlan; les deux derniers 
vers confirmeraient cette opinion : 

« Gwenc'hlan marque au commencement de ses prédictions, dit le 
P. Grégoire de Rostrenen, qu'il demeurait entre Roc’h-allaz et le Porz- 
gwenn, au diocèse de Tréguier. » 

Mais s'il est l’auteur de la pièce, elle est évidemment fort altérée dans 
la rédaction actuelle, et très-rajeunie de langage. C’est une observation 
que J'aurai souvent lieu de faire. Quant à l'accent poétique, le temps ne 
lui a rien oté de sa vigueur première, et l’on a dit avec raison que le 
dernier cri de vengeance poussé par le vieux barde aveugle est, dans sa 
férocité sublime, presque digne du chantre d’'Ugolin. 


4 2 Abarz ma vezo fin ar bed; 
Falla douar ar gwella ed, 


Cette dernière strophe et la seconde sont citées par D. le Pelletier qui les a copiées sur le 
manuscrit original ; les deux autres apparliennent à la tradilion. 





III 


LE SEIGNEUR NANN ET LA FÉE 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


Ln indiquant précédemment le caractère général des fées chez les diffé- 
rents peuples de l'Europe, et le caractère particulier des fées bretonnes, j'ai 
essayé de prouver que celles-ci paraissent avoir emprunté aux druidesses 
gauloises, non-seulement quelques traits essentiels de leur physionomie, 
mais jusqu’à leur nom de Korrigan. La ballade du seigneur Nann peut être 
citée comme exemple, pour montrer ce qui leur est propre, et ce qu’elles 
ont de commun avec les fées des autres peuples. Elle m'a été apprise, 
ainsi que la suivante, par une paysanne Cornouaillaise, Depuis lors je l’aï 
entendue chanter plusieurs fois en Léon : ce dialecte étant plus élégant que 
celui de Cornouaille, j'ai cru devoir le suivre, 


Le seigneur Nann et son épouse ont été fiancés bien jeunes, 
bien jeunes désunis. 


Madame a mis au monde hier deux jumeaux aussi blancs 
que neige; l’un est un garçon, l’autre une fille. 


— Que désire votre cœur, pour m'avoir donné un fils? Dites, 
que je vous l'accorde à l'instant : 


Chair de bécasse de l'étang du vallon, ou chair de chevreuil 
de la forêt verte ? 





AOTROU NANN HAG AR GORRIGAN 


— ES LEON — 
Ann aotrou Nann hag he briet — Petra c'houl ho kalon a vad. 
laouankik-flamm oent dimezet, P'ec'h euz ganet eur mah d'he dad® 
Jaouankik-flamm dispartiet. Livirit, m'her ret d'hoc'h timat : 


Ann itroun e deuz ganet dec'h 
Daoù vugel ker kaer hag ann erc'h: 
Unan 27 paotr, ann all x0 merc'h, 


Kik kevelek a stank ann diaz, 
De kik karo ar forest c'hlaz? 


CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— La chair du chevreuil est celle que j'aïnerais, mais 
vous allez avoir la peine d'aller au bois. — 


Le seigneur Nann en entendant saisit sa lance de chêne, 
Et sauta sur son cheval noir, et gagna la verte forêt. 
En arrivant au bord du bois, il vit une biche blanche; 


Et lui de la poursuivre si vivement que la terre tremblait 
SOUS EUX ; 


Et lui de la poursuivre aussitôt si vivement, que l'eau ruis- 
selait de son front, 


Et des deux flancs de son cheval. Et le soir vint. 

Et il trouva un petit ruisseau près de la grotte d’une Kor- 
rigan, 

Et tout autour un gazon fin; et il descendit pour boire. 


La Korrigan était assise au bord de sa fontaine, et elle pei- 
gnait ses longs cheveux blonds, 


Et elle les peignait avec un peigne d’or (ces dames-là ne sont 
point pauvres). 

— Comment êtes-vous si téméraire que de venir troubler 
mon eau! 


Ou vous m'épouserez sur l'heure, ou, pendant sept années 
vous sécherez sur pied; ou vous mourrez dans trois jours 





— Kik karo eo a gaffenn mad ; 
Hogen poan vezo mont d'ar c'hond. — 


Ken a gavar eur waz vihan 
E-kichen ti eur Gorrigan, 
Ann aotrou Nann pa he c'hlevaz, 


Ha tro-war-dro eunn dachen flour; 
Enn he c'hoat dero a grogaz, 


ag hen da zisken d'eva dour. 
Ha war he varc'h du a lammaz, 


mr or ar E Ar Gorrig oa tal he feunten 


E | O kriba he bleo hir melen, 
War lez ar c'hoad pa ca digouet, 


Eunn heizez wenn en deuz gwelet: 
linc hen mont buhan war he zro 
Ken grene ‘nn douar dindan ho; 
Hag hen mont war he lerc'h raktal 
Ken rede ann dour diouc'h he dal, 


| Hag ho c’hribe gant eur grib aour | 
Z. . Z = 
(Nu itrounezed-ze n’int ket paour). 


| _— Penaoz oud-de ken dievez 
Da zont da stravilla va gwez ! 


Dimezi d'in brema' refet, 


Ha diouc'h he varc'h a heh kostez. 
Ken a zeuaz ann abardaez; 


Pe e-pad seiz vloaz e seac’hfet; 
Te a-benn tri deiz e varfet. 


LE SEIGNEUR NANN ET LA FÉE. PA! 
— Je ne vousépouserai point, car je suis marié depuis un an; 
Je ne sécherai point sur pied, ni ne mourrai dans trois jours ; 


Dans trois jours je ne mourrai point, mais quand il plaira 
au bon Dieu; 

Mais j'aimerais mieux mourir à l'instant que d’épouser une 
Korrigan! 

— Ma bonne mère, si vous nm aimez, faites-moi mon lit, s’il 
n'est pas fait; 

Je me sens bien malade. 


Ne dites mot à mon épouse; dans trois jours je serai mis en 
terre : 

Une Korrigan m'a jeté un sort. — 

Et, trois jours après, la jeune femme demandait 

— Diles-moi, ma belle-mère, pourquoi les cloches sonnent- 
elles? 

Pourquoi les prêtres chantent-ils en bas, vêtus de blanc. 


— Un pauvre malheureux que nous avions logé est mort 
celte nuit. 


— Ma belle-mère, dites-moi : mon seigneur Nann, où est-il 
allé ? 

— Il est allé à la ville, ma fille; dans peu de temps il vien- 
dra vous voir. 





— Dimezi d'hoc'h me na rinn ket, Gand eur Gorrigan ounn het skoet. — 
Dar eur bloaz-zo ounn dimezet; Hag-abenn tri dervez goude 
Da zizeac'hi na jomminn Ket. Ar c'hreg iaouank a c'houlennc : 


Na henn trideiz na varvinn ket ; — Livirit d'in-me, va mamm-gaer, 


Na varvinn ket a-benn tri de, Ha perag e sonn ar c'hleier ? 


Nemet pa vezo ioul Douc: Perag e kan ar veleien 


Met well eo d’in mervel hreman War al leur-zi, gwisket e wenn 7 
Get dimizi d’ eur Gorrigan! Enn noz-man mervel e deuz gret. 
— Va mammik keaz, ma am c'haret, — Eur paeur-keaz hor boa kemeret 
Aozet va gwele ma ne ket; — Va mamm-gaer d'in-me leveret, 
Gand ar c'hlenved ez ounn dalc'het. Va aotrou Nann peleac'h eo eet? 


Na livirit tra d'am friet, —E Kear va merc'hig ez eo ects 
A-beon trideiz ez vinn besiet 2 E-berr e teuio d'ho kwelet, 


28 CHANTS POPULAIRES DE LA PRETAGNE. 


— Ma chère belle-mère, dites-moi: mettrai-je ma robe 
rouge ou ma robe bleue pour aller à l’église ? 

— La mode est venue, mon enfant, d'aller vêtue de noir à 
l'église. — | 

En franchissant l’échalier du cimetière, elle vit la tombe de 
son pauvre mari. 


— Qui de notre famiüle est mort, que notre terrain a été 
fraichement bêché? 


— Hélas! ma fille, je ne puis plus vous le cacher, votre 
pauvre mari est là! — 

Elle se jeta à deux genoux, et ne se releva plus. 

Ce fut merveille de voir, la nuit qui suivit le jour où on en- 
terra la dame dans la même tombe que son mari, 


De voir deux chênes s'élever de leur tombe nouvelle dans 
les airs ; 


Et sur leurs branches, deux colombes blanches, si sautil- 
lantes et si gaies! 


Elles chantèrent là au lever de l'aurore, et prirent leur 
volée vers les cieux. 


NOTES 


La grotte auprès de laquelle le seigneur Nann rencontre la Korrigan, et 
que le poëte donne pour demeure au génie, est un de ces monuments 





— Va mamm-gaer geaz livirit d'in, War he daou-lin en em strinkaz, 
kuz pe c'hlaz d'ann iliz ez inn? Ha biken goude na zavaz. 

— Va merc'hik deuet eo ar c'hiz Burzuduz viso da welot, 

Da vont gwisket du d'ann iliz. — Ann nnz goude ma oa leket 


Ann itroun e hez he friet, 

Gwelet diou wezen derv sovel 

Diouc'h ho hez nevez d'ann uc'hel : 

Ha war ho brank diou c'houlmik wenn, 
Hag bi ken dreo ha kel laouen, 
—Sioaz! va merc'h, N'hallan nac'h mut: | Eno "kann da c'houlou de, 

Ho priet paour a zo cnn hi! — Hag o nijal d'ann nenv goude, 


Pazenn ar vered pa dreuzaz, 
Bez he friet paour a welaz. 


— Pe re hon dud-ni zo marvet, 
Pa d-e0 hon douar-ni fresket ? 


LE SEIGNEUR NANN ET LA FÉE, 29 


primitifs que l’on nomme en breton Dolmen, ou « {à ar Gorrigan, » 
et en français « Table de pierres, » ou « grotte aux Fées. » À peu de 
distance on trouve assez souvent une fontaine appelée Fontaine de la 
Fée (l'eunteun ar Gorrigan). Comme on le sait, les fontaines et les 
pierres étaient anciennement l’objet d’un culte superstitieux, que diffé- 
rents conciles, et, entre autres, celui de Nantes, tenu vers l'an 658, pro- 
scrivirent et punirent sévèrement!. 

La ballade du seigneur Nann dont le nom est un diminutif du breton 
Feunan, c'est-à-dire velu, a passé en France où on l'appelle Renaud?; 
et le peuple chante aussi son histoire dans la haute Bretagne Les frag- 
: ments que nous ayons pu recueillir sont une traduction exacte des 
stances bretonnes; on en jugera par ces couplets : 


— Oh! dites-moi, ma mère, m'amie, 
Pourquoi les sings (cloches) sonnent ainsi? 


— Ma fille, on fait la procession 
Tout à l’entour de la maison, 


— Oh! dites-moi, ma mère, m'amie, 
Quel habit mettrai-je aujourd'hui ? 


— Prenez du noir, prenez du blanc; 
Mais le noir est plus convenant. 


— Oh! dites-moi, ma mère, m’amie, 
Pourquoi la terre est rafraichie ? 


— Je ne peux plus vous le cacher : 
Votre mari est enterré. — 


On chante, en Suède et en Danemark, une chanson sur le même sujet, 
intitulée : Rire Olaf dans la danse des Elfes, dont il existe plus de quinze 
variantes; je prends la suivante comme terme de comparaison avec la 
ballade bretonne : 


« À l'aube du jour, sire Olaf est monté à cheval ; il a rencontré sur la 
route la danse brillante, le bal éclatant (des Elfes). 

— Oh! la danse! la danse! Comme on danse bien sous le bocage! — 

« Le roi des Elfes tendit la main à sire Olaf : — Sire Olaf, viens danser 
avec moi. — Oh! la danse! la danse! etc. 

— Non! non! C’est demain le jour de mes noces. Je ne veux pas danser. 

— Oh! la danse! etc. 

« La reine des Elfes tendit sa main blanche à sire Olaf : — Viens, Olaf, 
viens danser avec moi. — Oh! la danse! etc. 

— Non! non, je ne danserai pas. C’est demain le jour de mes noces, 
— Oh! la danse! etc. 

«La sœur des Elfes lui tendit sa main blanche. — Viens, sire Olaf, 
danser avec moi. — Oh! la danse! etc. 

— Oh! non, je ne danserai pas. C’est demain le jour de mes noces. — 
Oh! la danse! etc. 


1 Veneralores lapidum... excolentes sacra fontium admonimus. (Baluze, t. I, p. 150.) 
S Pr. Tarbé, Romancero de champagne, t. IE, p. 125. Cf. de Puiïmaigre, Chants populaires, p. 


30 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


« Et la fiancée disait ce jour-là : Dites-moi, pourquoi les cloches son- 
ment-elles ainsi? 

— C'est la coutume de notre île que chaque jeune amant sonne en 
l'honneur de la fiancée. — Oh! la danse! etc. 

« Mais nous n’osons te le cacher, ton fiancé, sire Olaf, est mort. Nous 
venons de ramener son cadavre. — Oh! la danse! la danse! Comme on 
danse bien sous la feuillée ! 

« Le lendemain, quand le jour parut, il y avait trois cadavres dans Ja 
maison de sire Olaf. — Oh! la danse! la danse! etc. 

« C'étaient sire Olaf, sa fiancée, et sa mère, morte de douleur 1.» 


Trois ballades smaalandaises, dont le héros s’appelle Magnus, lui font 
perdre la raison : 

— Chef Magnus, chef Magnus, dit la fée, garde-toi bien de répondre 
aon! Prends-moi pour ton épouse; ne me refuse pas, ne me refuse pas. 
Je te donnerai tant d’or et tant d'argent! 

— Je suis fils du roi, je suis jeune et brave...; je ne t’épouserai pas, 

— Oh! chef Magnus, chef Magnus, prends-moi pour épouse ; ne me dis 
pas non! ne me dis pas non! 

— Qui est-tu.. pour vouloir m’épouser? Tu n'es pas chrétienne! 

— Chef Magnus, chef Magnus, ne me dédaigne pas, ou tu deviendras 
fou. et tu resteras fou toute ta vie. Ne me dis pas n0n! — ne me dis pas 
non ! 1 

La ballade servienne de Marko et de la Wila suppose, comme Ja ballade 
bretonne, que l'on ne trouble pas impunément les eaux consacrées aux 
fées. 

« Garde-toi, crie une voix au prince Marko, qui chasse et qui a soif: 
garde-toi de troubler les eaux du lac, car la Wila du gué sommeille sur 
ses ondes, et son île flotte sur les eaux vertes. Malheur au héros qui l’é- 
veille! Malheur au cheval qui trouble les eaux de son lac! La Wila en 
exige un terrible péage : elle prend au héros ses deux yeux, et au cheval 
ses quatre pieds?. » 

Nous pourrions citer beaucoup d’autres chants populaires qui ont du 
rapport avec le nôtre; mais nous n’en avons trouvé aucun aussi complet ; 
nous le croyons ancien, car il nous paraît très-probable que chacune de 
ses strophes était primitivement composée de trois vers, comme le sont 
encore la lre. la %, la 3°, la 17°, la 29%, la 23e, la 24e et la 56e. Cette 
forme rhythmique passe, on le sait, pour le caractère certain d’une 
baute antiquité; elle a été employée par la plupart des hardes gal- 
lois du sixième siècle, et on n’en trouve que peu d'exemples depuis le 
douzième . 

Je remarque qu’elle a disparu dans la rédaction vannetaise de notre 
pièce, publiée par M. Dufilhol, à la fin de son roman de Guionvac’h, d'après 
la tradition de Ploemeur, où l'on a localisé et rajeuni l’aventure de Nan, 
en l’appliquant à la mort tragique d’Alain de la Sauldraye, poursuivant 
Ja biche de Sainte-Ninnok. Voir l’Itinéraire de Nantes à Brest, de M. Pol 
de Courcy, p. 1955. 

* Swenska Viser III, p. 158 et 165 Danske Viser I, 158. 

2 Vulks Danitza, 4° parti, p. 59. 





IV 


L'ENFANT SUPPOSE 


æ— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La tradition mentionnée dans ce chant, qui est encore relatif aux fées, est 
une des plus populaires de la Bretagne. C'est, le plus souvent, un récit 
en prose mêlé de couplets, forme accusant évidemment une modifi- 
cation postérieure. Nous avons donc recherché s’il n'existait sur le 
même thème aucune œuvre complétement en vers, et nous avons été 
assez heureux pour découvrir le précieux fragment qu'on va lire. 

Une mère perd son fils; les fées l'ont dérobé en lui substituant un nain 
hideux. Ce nain passe pour muet, etilse garde bien, en parlant, de dé- 
mentir cette opinion, car il trahirait sa voix qui est cassée comme celle 
d'un vieillard. Cependant il faut que la mère l'y contraigne pour ravoir 
son enfant. Elle feint donc de préparer à diner dans une coque d'eut 
pour dix laboureurs; le nain étonné se récrie; la jeune femme le fouette 
impitoyablement ; la fée l'entend, elle accourt pour le délivrer, et l’en- 
fant qu’elle a dérobé est rendu à sa mère. 


Marie la belle est affligée; elle a perdu son cher Loik - 
la Korrigan l’a emporté. 

— En allant à la fontaine puiser de l’eau, je laissai mon 
Loik dans son berceau; quand je revins à la maison, il était 
loin; 


AR BUGEL LAECHIET 


— lES KERNE — 


Mari goant a zo keuziet ; — Pa'z iz da vid dour d'ar stiva 
He Lok; ker e deuz kollet; Va Loik Jeziz er c'havel ; 
Gand ar Gorrigan @ ma cet. Pa zeuiz d'ar ger hen oa pel ; 


32 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Etàsa place on avait mis ce monstre; dont la face est aussi 
rousse que celle d’un crapaud, qui égratigne, qui mord sans 


dire mot; 


Et toujours demande à teter, et a sept ans passés, et n’est 


pas encore sevré. 


— Vierge Marie, sur votre trône de neige, avec votre fils 
entre vos bras, vous êles dans la joie, moi dans la tristesse. 

Votre saint enfant, vous l'avez gardé; moi, j'ai perdu le 
mien. Pitié pour moi, mère de la Pitié! 

— Ma fille, ma fille, ne vous affligez pas; votre Loik n’est 
pas perdu; votre cher Loïk sera retrouvé. 

Qui feint de préparer le repas dans une coque d’œuf pour 
dix laboureurs d’une maison, force le nain à parier. 

Quand il a parlé, fouettez-le, fouettez-le bien; quant il à 
été bien fouetté, il crie: quand il a été entendu, il est enlevé 


promptement. 


— Que faites-vous là, ma mére? disait le nain avec étonne- 
ment; que faites-vous là, ma mère? 

— Ce que je fais ici, mon fils? Je prépare à diner dans une 
coque d'œuf pour dix laboureurs de ma maison. 

— Pour dix, chère mère, dans une coque d'œufs! 

J'ai vu l'œuf avant de voir la poule blanche ; j'ai vu le gland 


avant de voir l'arbre. 





Al loen-man cnn he lec'h laket, 
He vek ken du hag cunn tousek, 

A grat, a heg, heb ger e-bet ; 

Jia bron bepret ’ma klask kaouet, 
llar enn he zeiz vloaz e ma eet 
C'hoaz ne ma keL c'honz dizonet. 
(Gwerc'hez Vari, war ho (ron erc'h, 
Gand ho kredur tre ho tiou-vrec’h, 
E levenez ’m oc'h, me enn nec'h. 
Ho mabik sakr c’hui a virez, 

Me ma bini me a gollez. 

Truez ouz-in mamm a druez! 

— Ma merc'h, ma merc'h. na nerc'hetket * 
Ho Loik ne ’d eo ket Kollet, 

Ho Loik ker a vo kavet. 


« Neb ra van virv e gloren vi 

Evid dek gonideg eunn ti, 

A Jak ar c'horrig da bregi. 

v Pa’n deuz prezeget flemm-han, flemm 1 
Pa eo bet Hemmet ken, à glemm; 

Pa eo Klevet, he lammer lemm. » 

— Petra rit-hu aze, va mamm ? 

Lavare ar c’horr gand estlamme, 

Petra rit-hu aze, va mamm ? 

— Petra rann ama va mab-mi ? 

Birvi a rann er blusken-vi, 

Vit ann dek gonidek va zi. 

—"Vit dek, mamm ger, enn eur blusken! 
Gweliz vi ken gwelet iar wenn, 


| Gweliz mez ken gwelet gwezen 


| 


E 





L'ENFANT SUPPOSÉ. 35 


J'ai vu le gland et j'ai vu la gaule; j'ai vu le chêne dans 
les bois de l’autre Bretagne, et nat jamais vu pareille chose. 


— Tu as vu trop de choses, mon fils; clic! clac! clic! clac! 
vieux gaillard, ah! je te tiens! 


— Ne le frappe pas, rends-le-moi; je ne fais pas de mal à 
ton fils; il est notre roi dans notre pays. — 


Quand Marie s’en revint à la maison, elle vit son enfant 
endormi dans son berceau, bien doucement. 


Et comme elle le regardait toute ravie, et comme elle allait 
le baiser, il ouvrit les yeux ; 


Il se leva sur son séant, et lui tendant ses deux petits bras : 
— Hé! mère, j'ai dormi bien longtemps! — 


NOTES 


Dans une tradition galloise analogue, la pauvre mère, trouvant aussi un 
nain hideux et vorace à la place de son enfant, va consulter le sorcier, et 
le sorcier lui dit : « Prenez des coques d'œufs, faites semblant d'y pré- 
parer à diner pour les moissonneurs : si le nain témoigne de l’étonne- 
ment, fouettez-le jusqu’au sang; sa mère accourra à ses cris pour le 
délivrer, en vous ramenant votre enfant; s'il n’en témoigne pas, ne lui 
faites aucun mal. » 

La mère suit le conseil, et tandis qu’elle remplit de soupe ses coques 
d'œufs, elle entend le nain se parler ainsi à lui-niême d’une voix cassée : 

« J'ai vu le gland avant de voir le chêne; j'ai vu l’œuf avant de voir 
Ja poule blanche : je Yat jamais vu pareille chose, » 


Gweliz mez ha gweliz gwial, Mari J'ar ger pa zistroaz, 

Gweliz derven e koat Breiz-all, He hugel Kousket a welaz 

Biskoaz na weliz kemend all. Enn he gavel, ha sioul eaz. 

— Re draou a welaz-te, va map; Hag out-han ker Kaer pa zelle, 

Da flap! da flip! da flip! da fiap ! Ha da voket d'ean pa ee, 

Da flip, potr koz ! hal me da grap! He zaoulagad a zigore. 

— Sko ket gant-han, lez-han gan-i; Enn he gavazez "n em zave, 

Na rann-me droug da da hini, He ziouvrec’hik d'ei astenne : 

Ma brenn er bro-ni gan-e-omp-ni. — —Gwall-bell onn betkousket,mamm-le!— 


Gwelais mes kyn gwelet derwen: 
Gwelais wy kyn gwelet iar wenn 
Ericed ni welais efelhenn. 






54% CHANSONS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Tercet curieux, unique débris de je ne sais quel antique rituel, dont 
les vers, à trois mots et au dialecte près, cadrent exactement avec. 
ceux de la ballade bretonne. Cela nous porte à croire que cette ballade” 
remonte pour le fond à une époque antérieure à la séparation délinitivem 
des Bretons insulaires et des Bretons armoricains, opinion que rien ne 
parait contredire, et que confirme, à notre avis, la forme ternaire des | 
strophes, et l’allitération régulière qu’elle présente d'un bout à l'autre. M 

Par un hasard extraordinaire, un écrivain latin du douzième siècle," 
l’auteur de la légende de Merlin, met les paroles que nous venons de | 
citer dans la bouche de son barde sorcier. | 

«Il y a dans cette forêt, dit Merlin, un chêne chargé d'années; je l'ai 
vu lorsqu'il commençait de croître. J’ai vu le gland dont il est sorti, 
vermer et s'élever en gaule... J'ai donc vécu longtemps. » 

Si cette remarquable ccincidence n’était pas L'effet du hasard, elle prou- 
verait que l'écrivain gallois, qui faisait ainsi parler Merlin, connaissait le 
chant populaire, et serait pour notre ballade une nouvelle preuve d’anti- 
quité. 


1 Vita Merlini Caledontensis, p. 47. Cf, Myrdhinn ou l'enchanteur Merlin; p. 137. 


LES NAINS 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Il en est des chants sur les Nains comme des chants dont les féessont 
l'objet; ils sont très-rares, tandis que les traditions relatives à ces êtres 
surnaturels sont multipliées à l'infini. Celui que nous donnons ici revêt 
le plus souvent la forme d’un récit; il a tout l'air d’une satire contre les 
tailleurs, cette classe vouée au ridicule en Basse-Bretagne comme dans le 
pays de Galles, en Irlande, en Ecosse, en Allemagne et ailleurs, et qui l'était 
jadis chez toutes les nations guerrières, dont la vie agitée et errante s’ac- 
cordait mal avec une existence casanière et paisible. En Basse-Bretagne 
on dit encore proverbialement, qu’il faut neut (ailleurs pour faire un 
homme, et personne jamais ne prononce leur nom, sans ôter son chapeau et 
sans ajouter : « sauf votre respect.» La Trés-ancienne Coutume de cette 
province aurait pu lesranger dans la classe des « vilains natres, ou gens 
qui s’entremettent de vilains métiers, comme être écorcheurs de chevaux, 
de viles bestes, garsailles, truandailles, pendeurs de larrons, porteurs de 
pastez et plateaux en tavernes, crieurs de vins, poissonniers ; qui s’entre- 
mettent de vendre vilaines marchandises, et qui sont ménestriers ou 
vendeurs de vent; lesquels ne sont pas dignes de eux entremettre de 
droits ni de coustume. » On en jugera par le joli badinage suivant. 


Paskou le Long, le tailleur, s’est mis à faire le voleur, dans 
Ja soirée de vendredi. 


Il ne pouvait plus faire de culottes: tous les hommes sont 
partis pour la guerre contre ceux de France et leur roi. 


AR C’HORRED 


—HNESNRERNIES 


Paskou-Hir, ar c'hemener, N'helle mui oher bragou : 
Zo eet da ober al laer, Eet ann dud d'ann armeou 
Abardae noz digwener. Ouz re Vro-C'hall hag ho rou. 


36 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


1 


il est entré dans la grotte des Nains avec sa pelle, et il s’ests 
mis à creuser pour trouver le frésor caché. 


Le bon trésor, il l’a trouvé, et il est revenu chez lui en 


toute hâte; et il s’est mis au lit. 


— Fermez la porte, fermez-la bien! Voici les petits Dus de 


la nuit. 


— « Lundi, mardi, mercredi, et jeudi, et vendredi! » — 


— Fermez la porte, mes amis : voici, voici venir les Nains! 


Les voilà qui entrent dans la cour; les voilà qui dansent à. 


perdre haleine. 


— ( Lundi, mardi, mercredi, et jeudi, et vendredi! » — 


— Les voilà qui grimpent sur ton toit; les voilà qui y font 


une trouée. 


Tu es pris, mon pauvre ami; jette vite dehors le trésor. 


Pauvre Paskou, tu es mort! Asperge-toi d’eau bénite; 


Jette ton drap sur ta tête; ne fais pas un mouvement. 


— Aïe! je les entends rire; qui s’échapperait serait fin. 


Seigneur Dieu! en voici un; sa tête s'avance par 


trou; 





Eet e "tre U ar C'horred 

Gand he ball, ha da doullet 
Da glask ann tensaour kuzet. 
Ann tensaour mad a gavaz, 
Ha P'ar ger o redek hraz ; 

H nn he wele ’n em lakaz. 

— Sarret ann nor sarret kloz!, 
Setu ann Duzigou noz. 

— « Dilun, dimeurs, dimerc'her, 
Ha diviaou ha digwener ! » — 
— $Sarret ann nor, mignoned ; 
Setu, setu ar C'horred ! 

Maint 0 tont trebarz ar porz. 
Maint eun han o tansai furs. 


— « Dilun, dimeurs, dimerc'her 
Ha diriaou ha digwener. » — 
— Maint o piguat war da dei; 
Maint ’ober eunn toull enn ei. 
Krabet oud, mignonik paour, 
Toll Kuit buhan ann tensaour. 
Paskou paour, te zo lazct) 

Toll war-n-oud dour benniget ; 
Toll da liser war da henn: 
Paskou, na fich ked a-grenn. 
— Sioaz-d’in! maint 0 c'hoarzin ; 
Neb a zidec’hfe ve fin. 

Otrou doue ! Setu’nan, 

He henn dre’nn toaull a welann ; 







D. LES NAINS. 57 
À Ses yeux brillent comme des charbons ! Il glisse le long 
. du pilier. 

Seigneur Dieu ! un, deux ettrois! les voilà en danse sur l’aire ! 


Ils bondissent et enragent. Sainte Vierge! je suis étranglé ! 


Li) 


— (« Lundi, mardi, mercredi, et jeudi, et vendredi. » — 
Deux, trois, quatre, cinq etsix!— « Lundi, mardi, mercredi! 
« Tailleur, cher petit tailleur, on dirait que tu ronfles là ! 


« Tailleur, cher petit tailleur, montre un peu le bout de 
{on nez. 


« Viens-t’en faire un tour de danse; nous t’apprendrons la 
mesure ; 


« Tailleur, cher petit tailleur! Lundi, mardi, mercredi. 
« Tailleur, tu es un fripon. Lundi, mardi, mercredi, 


« Viens-t’en nous voler encore; viens, méchant petit tail- 
leur ; 


« Nous t’apprendrons une danse qui fera craquer ton dos. 


« Monnaie des Nains ne vaut rien. » — 


NOTES 


Une autre version de la même chanson attribue l’aventure à un cer- 
tain fournier nommé Iannik-ann-Trevou. Plus fin que notre tailleur, en 


He zaoulagad ru glaou tan! « Kemener, kemenerik, 

‘Ma cnn traon gad ar peulvan. Tenn da fri mez eunn tammik 1 
Trou Doue ! unan, daon, tril « Deuz da ober eunn dro zans, 
LT AT EE Ni ziskei d'id ar c'hadans ; 


« Kemenerik, kemener ! 


Lamm a reont ha konari. 2 Ñ 
Dilun, dimeurs, dimerc'her. 


Taget onn, Gwerc'hez Vari! à Ñ 
« Kemenerik te zo laer. 
Dilun, dimeurs, dimerc'her. 


« Deuz d'hon laeraz eur wech-all, 
Deuz, koz kemenerik fall; 


— « Dilun, dimeurs, dimerc'her, 
Ha diriaou ha digweuer ! » — 


Daou, tri, pevar, pemp ha c'houec'h ! 


— « DIL i s, dimerc'her) EN Tee 
« Dilun, dimeurs, dimerc'her rte did sarihal 


« Kemenerik, kemener, A rei d’az mell-kein strakal. 
Roc'ha rez aze, lerer | Paz arc'hant Korr tra na dal. — 





38 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. L 


rentrant chez lui avec son trésor, il prend la précaution de couvrir de” 
cendres et de charbons brülants l’aire de sa maison, et quand les Nains 
arrivent au milieu de la nuit pour reprendre leur bien, ils se brülent 
tellement les pieds, qu’ils déguerpissent au plus vite, en poussant des 
cris effroyables, mais non sans avoir préalablement tiré vengeance du 
voleur, dont ils brisent toute la vaisselle; et la chanson le dit : | 

« Chez Iannik-ann-Trevou, nous avons brûlé nos pieds cornus, mais fait 
bon marché de ses pots!. » 

On remarquera que la chanson des Nains leur donne, entre autres 
noms, celui de Dz. diminutif Duzik, que portaient en Gaule ces mêmes 
génies du temps de saint Augustin?; qu’elle leur assigne pour demeure, 
comme aux Fées, les Dolmen, et qu’elle leur fait danser en chœur une 
ronde infernale, dont le refrain est toujours : « Lundi, mardi, mercredi, 
jeudi et vendredi. » 

Un voyageur, attiré, dit-on, dans leur cercle, trouvant le refrain mo- 1} 
notone, et y ayant ajouté les mots : «samedi et dimanche, » ce fut parmi 
le peuple nain une telle explosion de trépignements, de cris et de mena- 
ces, que le pauvre homme faillit mourir de peur : on assure que s’il eût 
ajouté aussitôt : « Et voilà la semaine terminée ! » la longue pénitence à la- 
quelle les Nains sont condamnés, aurait fini avec la chanson. 

Les Nains passent pour veiller, dans leurs grottes de pierres, à la garde 
d'immenses trésors; mais leur monnaie est de mauvais alo), 

La même opinion se trouve mentionnée dans un ancien recueil ma- 
nuscrit de traditions gailoises® 


4 E ti Jannik-ann-Trevou 
Hon cuz roslet hor c'harnou 
Ha gret foar gand he bodou. 


S Dæmones quos Duscios Galli nuncupant {De civit. Dei, lib. XV, c, xxtit). 
S Lyfr goc'h o Hergest, col. 705, cf. le Greul. p. 241, 


VI 


SUBMERSION DE LA VILLE DIS 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


IL existait en Armorique, aux premiers temps de l'ère chrétienne, une 
ville, aujourd’hui détruite, à laquelle anonyme de Ravenne donne le nom 
de Chris ou Keris. À la même époque, c’est-à-dire au cinquième siècle, 
régnait dans le même pays un prince appelé Gradlon et surnommé Meur, 
c'est-à-dire le Grand. Gradlon eut de pieux rapports avec un saint 
personnage, nommé Gwénnolé, fondateur et premier abbé du premier 
monastère élevé en Armorique. Voilà tout ce que l’histoire nous apprend 
de cette ville, de ce prince et de ce moine; mais les chanteurs populaires 
nous fournissent d’autres renseignements. Selon eux, Ker-is ou la ville 
d'Is, capitale du roi Gradlon, était défendue contre les invasions de la 
mer par un puits ou bassin immense, destiné à recevoir l’excédant des 
eaux, à l'époque des grandes marées. Ce puits avait une porte secrète 
dont le roi seul gardait la clef, et qu'il ouvrait et fermait, quand cela était 
nécessaire. Or, une nuit, pendant qu’il dormait, la princesse Dahut. sa 
fille, voulant couronner dignement les folies d’un banquet donné à un 
amant, déroba à son père la clef fatale, courut ouvrir l’écluse, et sub- 
mergea la ville. Saint Gwénnolé passe pour avoir prédit ce châtiment 
qui fait le sujet d'une ballade qu’on chante à Trégunc. 


I 


As-tu entendu, as-tu entendu ce qu’a dit l'homme de Dier 
au roi Gradlon qui est à Is? 





LIVADEN GERIS 


— IES KERNE — 


1 Pez a lavaraz den Doue 
Ha glevaz-te, ha glevaz-te D'ar roue Gradlon enn Is be? 


40 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. L 


Ne vous livrez point à l'amour; ne vous livrez point aux 
folies. Après le plaisir, la douleur! 


n Qui mord dans la chair des poissons, sera mordu par 
les poissons ; et qui avale sera avalé. 


« Et qui boit et mêle le vin, boira de l’eau comme un pois 
son; et qui ne sait pas, apprendra. » 


Il 
Le roi Gradlon parla : 
— Joyeux convives, je veux aller dormir un peu. 


— Vous dormirez demain matin; demeurez avec nous ee 
soir; néanmoins, qu'il soit fait comme vous le voulez. — 


Sur cela, amoureux coulait doucement, tout doucement 
ces mots à l’oreille de la fille du roi : 
— Douce Dahut, et la clef ? 


— La clef sera enlevée ; le puits sera ouvert : qu'il soit fait 
selon vos désirs! — | 


III 


Or, quiconque eût vu le vieux roi endormi, eût été saisi 
d'admiration, 





— « Arabad eo en embarat! — Da gouski afec'h antronoz, 


Arabad eo arabadiat! 

Goude levenez, kalonad! 

« Neb e heg e kig ar pesked, 
Gand ar pesked a vo peget, 

Ha nch a lonk a vo lonket. 

« Ha neb a ev, ha gwin a vesk, 
A evo dour cvcl eur pesk: 

Ha nch na oar a gavo desk. » 


Ar roue Gradlon a venne 
— Koanourien da, da eo gan-e 
Monet da gouski eur banne. 


Manet-hu gan-e-omp-ni fenoz : 
Hogen pa vennit-hu, benuoz! — 
Serc'hegs a gomze war ma oue 
Flourik-flour ouz merc'h ar roue : 
— Klouar Dahut, nar ann alc'houe? 
— Ann alc'houe a vezo tennet; 

Ar puns a vezo dibrennet : 

Pez a ioulit-hu ra vo gret! — 


III 
Hag ann neb en defe gwelet 
Ar roue koz war he gousked, 
Meurbed vije bet souezet, 


SUBMERSION DE LA VILLE D'IS. 41 


D'admiration en le voyant dans son manteau de pourpre, ses 
cheveux blancs comme neige flottant sur ses épaules, et sa 
chaîne d’or autour de son cou. 

Quiconque eût été aux aguets, eût vu la blanche jeune 
fille entrer doucement dans la chambre, pieds nus : 


Elle s'approcha du roi son père, elle se mit à genoux, et 
elle enleva chaine et clef, 


IV 
Toujours il dort, il dort le roi. Mais un cri s'élève dans la 
plaine : — L'eau est lâchée ! la ville est submergée ! 
— Seigneur roi, lève-toi! et à cheval! et loin d'ici! La mer 
débordée rompt ses digues! — 


Maudite soit la blanche jeune fille qui ouvrit, après le festin, 
la porte du puits de la ville d'Is, cette barrière de la mer! 


Y 


— Forestier, forestier, dis-moi, le cheval sauvage de Gra- 
dlon, as-tu vu passer dans cette vallée? 


— Je n’ai point vu passer par ici le cheval de Gradlon, je 
J'ai seulement entendu dans la nuit noire: Trip, trep, trip, 
trep, trip, trep, rapide comme le feu 


— Otrou roue, sav diallen! 
Ha war da varc'h) ha kuit a-crenn! 


Souezet gand he bali mouz. 
Hag he vleo gwenn-kann war he choug, 


He alc'houe aour ekerc’h'n he c'houg. 


Neb a vije het er c'heden, 

En dete gwelet ar verc'h wenn 

Goustad 0 vont tre, diarc'hen, 

Tostat re oud he zad roue, 

Ha war he daoulin "n em stoue, 
Ha ribla re sug hag alc'houe. 


IV 


Ato e hun, e hun ann ner. 
Ken a glevet hed al laouer : 
— Laosket ar puns ! beuzet ar ger!— 


Ma’r mor o redek dreist he lenn! — 
Bezet milliget ar verc'h wenn 

A zialc'houezaz, goude koen, 

Gore puns Keris, mor termen ! 


Y 
— Koadour, koadour, lavar d'i-me 
Marc'h gouez Gradlon a welaz-te 
U vont e-biou gand ar zaon-me? 
— Marc'h Gradlon dre-ma na welis 
Nemed enn nos du he gleviz 


Trip, trep, trip, trep, trip, trep; tan-tis! 


42 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— As-tu vu, pêcheur, la fille de la mer, peignant ses 
cheveux blonds comme l'or, au soleil de midi, au bord de 
l’eau ? 


— J'ai vu la blanche fille de la mer, je l’ai même entendue 
chanter : ses chants étaient plaintifs comme les flots. 


NOTES 


La tradition relative à la destruction de la ville d'Is remonte au ber- 
ceau de la race celtique, car elle est commune aux trois grands rameaux 
de cette race : les poëtes bretons, gallois et Irlandais l'ont chantée; on la 
trouve localisée en Armorique, comme en Cambrie, comme en Irlande. 
La possibilité de rapprocher ici les textes, de les compléter, de les contrà- 
ler les uns par les autres, est pour la philologie d’un intérêt extrême, dit 
très-bien M. Charles Magnin !; ils s'accordent à retracer avec une concise 
et effrayante énergie une catastrophe dont l’histoire n’a conservé qu’un 
vague et incertain souvenir. Les Armoricains font inonder la nouvelle 
Sodome par le débordement d’un puits; les Gallois et les Irlandais, d’une 
fontaine. Selon les uns et les autres, la fille du roi est la cause de l’inon- 
dation, et Dieu punit la coupable en la noyant, et en la changeant en 
sirène. Chose plus extraordinaire encore, la version galloise, qu’on a lieu 
de croire du cinquième siècle, et l'œuvre du harde Gwyddno *, mais 
dont le manuscrit du moins appartient au douzième siècle, contient deux 
strophes qu’on retrouve presque littéralement dans le poëme armoricain, 
Le barde gallois commence de la manière dont celui-ci finit; quelqu'un 
vient réveiller le roi (le poëte l’appelle Seithenin) : 


« Seithenin! lève-toi ! et regarde! la terre des guerriers, les campagnes 
de Gwyddno sont envahies par l'Océan! » 

Puis le poëte poursuit de ses malédictions la princesse : 

« Maudite soit la jeune fille qui ouvrit, après son souper, l’huis de la 
fontaine, la barrière de la mer! 

« Maudite soit l'éclusière qui ouvrit, après le péché, la porte de la 
fontaine à une mer sans frein! 

« Les gémissements des ombres se sont élevés des plus hauts sommets 
de la ville, et montent jusqu’à Dieu : le besoin suit toujours l'excès 5, » 





— Gwelaz-te morverc'h, pesketour, — Gwelout a riz ar morverc'h wenn; 
0 kriba he bieo melen-aour M'he c’hjeviz 0 kana zoken : 
Dre ann heol splaon, e ribl ann dour ? | Klemvanuz (onn ha Kanaouen 


4 Journal des savants, cahier de mai 1847, p. 268. 
2 L’Archaiology of Wales le fait vivre de 469 à SE 
3 Myvyrian, Archaiology of Wales, t. 1, p. 165. 





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L 
) 
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SUBMERSION DE LA VILLE D'IS. 45 


Les marins gallois de la baie de Cardigan, qui occupe aujourd’hui, as- 
sure-t-on, le territoire submergé, prétendent voir, sous les eaux, des 
ruines d'anciens édifices ; ceux de la baie de Douarnenez, en basse Bre- 
tagne, ont la même prétention. « Il se trouve encore aujourd'hui, disait, 
au seizième siècle, le chanoine Moreau, des personnes anciennes qui osen 
bien asseurer qu'aux basses marées, estant à la pesche, y avoir souvent 
vu des vieilles maseures de murailles T. » 

Enfin, selon Giraud de Barry, les pêcheurs irlandais du douzième siècle, 
croyaient voir briller, sous les eaux du lac qui recouvre leur ville englou- 
tie, les tours rondes des anciens jours. 

Ainsi, dit poétiquement Thomas Moore, « dans ses songes sublimes, 
«la mémoire souvent surprend un rayon du passé; ainsi, Soupirant. 
« elle admire, à travers les vagues du temps, les gloires évanouies qu'i 
« couvre. » 

Parmi les traditions relatives à Gradlon en particulier, il en est une de 
nature à éclaircir certains points du poëme; elle nous a été conservée 
par un des plus charmants trouvères du treizième siècle, et regarde le 
fidèle coursier du roi. Marie de France assure qu’en fuyant à la nage, il 
perdit son maître, dont une bonne fée sauva la vie, et qu'il devint sau- 
xage de chagrin : les Bretons, ajoute-t-elle, mirent en complainte l’épi- 
sode du cheval et du cavalier : 


Graalon pas ne s’oublia, 
Son blanc cheval fit amener. 
En l’eau entre tout à cheval, 
L'onde l'emporte contre val; 
Départi l'a de son destrier, 
Graalon fut près de noyer. 
La damoiselle (la fée) en eut pitié 
Par les flancs saisit son ami, 
Si l'en amène ensemble od li (avec elle). 
Son destrier qui d’eau échappa 
Pour son seigneur grand deuil mena, 
En la forêt HL son retour, 
Ne fut en paix ni nuit ni jour; 
Des pieds grata, fortment hennit, 
Par la contrée fut oui. 
Prendre cuident (le veulent) et retenir; 
Oncques nul d'eux ne T put saisir. 
v Il ne voulait nului (personne) atendre, 
Nul ne le put lacier ni prendre. 
Moult longtemps après ouït-on, 
Chacun an, en cette saison 
Que son sire partit de lui, 
La noise et la friente (hennissement et le cri 
Que le bon cheval demenait 
Pour son sire que perdu avait, 
L'aveuture du bon destrier, 


L Histoire de la Ligue en Bretagne, p, 1@ 


4% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


L'aventure du chevalier, 

Comme il s’en alla od (avec) sa mie, 
Fut par toute Bretagne ouïe. 

Un lai en firent les Bretons, 
Graalon-meur l'appelle t-on ?. 


Dans la tradition originale, je l’ai dit, c’est la fille de Gradlon, et non 
le prince, qui se noie. Fuyant à toute bride sa capitale envahie par les 
flots qui le poursuivaient lui-même et qui mouillaient déjà les pieds de 
son cheval, il emportait sa fille en croupe, lorsqu'une voix terrible lui 
cria par trois fois : « Repousse le démon assis derrière toi ! » Le malheureux 
pére obéit, et soudain les flots s’arrêtérent. 

Avant la révolution, on voyait à Quimper, entre les deux tours de la 
cathédrale, le roi Gradlon monté sur son fidèle coursier; mais, en 95, 
son titre de roi lui porta maiheur. Des vieillards se souviennent d’avoir 
assisté à une cérémonie populaire qui avait lieu autrefois, chaque année, 
autour de sa statue équestre. 

Le jour de la Sainte-Cécile, un ménétrier, muni d’une serviette, d’un 
broc de vin et d'un hanap d’or, offert par le chapitre de la cathédrale, 
montait en croupe derrière le roi. Il lui passait la serviette autour du 
cou, versait du vin dans la coupe, la présentait au prince, comme eût 
fait l’échanson royal, et, la vidant lui-même ensuite, jetait le hanap à la 
foule, qui s'élançait pour le saisir. Mais quand l'usage cessa, la coupe 
d’or, dit-on, w’élait plus qu’un verre. Puisqu'on a rétabli de nos jours la 
statue équestre, pourquoi pas aussi la fête primitive ? 

Une dernière particularité intéressante de l’histoire poétique de 
Gradlon, et qui peut avoir un fondement historique, c’est la mention 
de cette clef d’or qu'il portait en sautoir. Childebert, selon Grégoire de 
Tours, en portait une semblable au cou. 

Le poëme de la Submersion d'Is offre donc, par le fond, plusieurs 
preuves incontestalles d'une antiquité reculée, Sa forme accuse la même 
date ; 1l est composé, comme celui du Tarde Gwyddno, dans le rhythme 
ternaire et dans le système de l’allitération. La langue présente d'assez 
grandes difficultés ; plusieurs tournures grammaticales et plusieurs ex- 
pressions du poëme n'étant plus en usage. Quant à son mérite littéraire, 
M. Tom Taylor, qui l’a si bien traduit en anglais, s'exprime ainsi : «La 
rudesse pittoresque qu’on y remarque ne manque ni de trait, ni d'art 
dramatique, ni de vie; l’action y est vivement mise en saillie. » Et l’émi- 
nent traducteur ajoute : « Sous ce rapport, ces ballales brelonnes me 
semblent incomparables dans leur genre ?. » 


1 Le lai de Gradlon-meur, poésies de Marie de France, t. I, p. 549 et 550, 
2 Ballads and Songs of Briltany, p. 52 





VII 


LE VIN DES GAULOIS 
ET LA DANSE DU GLAIVE 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


On n'ignore pas qu’au sixième siècle, les Bretons faisaient souvent des 
coursessur le territoire de leurs voisins soumis à la domination des Franks, 
qu'ils appelaient du nom général de Gaulois. Ces expéditions, entreprises 
le plus souvent par la nécessité de défendre leur indépendance, l’étaient 
aussi quelquefois par le désir de s’approvisionner chez l'ennemi de ce 
qui leur manquait en Bretagne, principalement de vin. Aussitôt que ve- 
nait l'automne, dit Grégoire de Tours, ils partaient, suivis de chariots et 
munis d'instruments de guerre et d'agriculture, pour la vendange ar- 
mée. Les raisins étaient-ils encore sur pied, ils les cueillaient eux- 
mêmes; le vin était-il fait, ils l'emportaient. S'ils étaient trop pressés ou 
surpris par les Franks, ils le buvaient sur place, puis, emmenant captifs 
les vendangeurs, ils regagnaient joyeusement leurs hois et leurs marais. 
Le morceau qu'on va lire a élé composé, selon l’illustre auteur des 
Récits mérovingiens, au retour d’une de ces expéditions. Quelques habi- 
tués de tavernes. de la paroisse de Coray, l’entonnent, le verre en main, 
plutôt pour l'air que pour les paroles, dont ils ont cessé, grâce à Dieu, de 
saisir l'esprit primitif. 





1 


Mieux vaut vin blanc de raisin que de müre; mieux vaut 
vin blanc de raisin. 

— 0 feu! 0 feu! 0 acier! 0 acier! 6 feu! 6 feu! 6 acier et feu! 
0 chêne! 0 chène! 0 terre! 0 flots! 6 flots! 0 terre ! 0 terre et 
chêne! — 





GWIN AR C'HALLAOUED 


HA KOROL OR C'HLEZF 
— IES LÉON — 


— Tan! tan! dir! oh! dir! tan! tan! 

Gwell eo gwin gwenn bar [dir ha tan! 
Na mouar! Tann! tann! tir! ha (onn) tonn! tir ha 
Gwell eo gwin gwenn bar. [tir ha Lann" 


46 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 4 


Sang rouge et vin blanc, une rivière! sang rouge et vin. 
blanc! 
— 0 feu! 6 feu! ete. 


Mieux vaut vin nouveau que bière; mieux vaut vin nouveau. 
— 0 feu! à feu ! etc. 











Mieux vaut vin brillant u hydromel: mieux vaut vin bril- 
lant. 
— 0 feu! Ô feu! etc. 


Mieux vaut vin de Gaulois que de pommes; mieux vaut vin 
de Gaulois. 
— 0 feu! 6 feu! etc. 


Gaulois, ceps et feuille à toi, 0 fumier! Gaulois, ceps et 
feuille à toi! 
— 0 feu ! 0 feu! etc. 


Vin blanc, à toi, Breton de cœur! Vin blanc, à toi, Breton! 

— 0 feu! 0 feu! etc. 

Vin et sang coulent moles ; vin et sang coulent. 

— 0 feu! 0 feu! etc. 

Vin blanc et sang rouge, et sang gras; vin blanc et sang 
rouge. 

— 0 feu! 0 feu! etc. 


Gwell eo gwin nevez Gwin gwenn, d'id, Breton 
Oh! ua mez; A galon! 
Gwell 60 gwin nevez. Gwin gwenn, d'id, Breton. 
Tan! tan! Tan! tan! 
Gwell eo gwin a lufr Gwin ha goad a red 
Oh! na kufr ; Enn gefred; 
Gwell eo gwin a lufr. Gwin ha goad a red. 
Tan! tau!.… Tan! tan! 
Gwell eo gwin ar Gall Gwin gwenn ha goad ruz 
Nag aval; Ha goad druz; 
Gwell eo gwin ar Gall. Gwin gwenn ha goad ruz. 
Tan! tan! Tan! tan! 
Gall, d'id, kef ha deil Goad ruz ha gwin gwenn 
D'id pez-teil! Eunn aouen ! 
Gall, d’id, Ket ha deil, Gond ruz ha gwin gwern. 


Tan! tan l-es Tan ! tan! 


LE VIN DES GAULOIS. 41 


C’est le sang des Gaulois qui coule; le sang des Gaulois. 
— 0 feu! à feu! etc. 


J'ai bu sang et vin dans la rude mêlée; j'ai bu sang et vin. 
— 0 feu! 0 feu! etc. 


Vin et sang nourrissent qui en boit; vin et sang nourrissent, 
— 0 feu! 0 feu! etc. 


IT 


Sang et vin et danse, à toi, Soleil! sang et vin et danse. 
— 0 feu! 6 feu! etc. 


Et danse et chant, chant et bataille! et danse et chant. 
— 0 feu! 0 feu! etc. 


Danse du glaive, en cercle; danse du glaive. 
— 0 feu! 0 feu! etc. 


Chant du glaive bleu qui aime le meurtre; chant du glaive 


bleu. 


— 0 feu! 0 feu! etc. 


Bataille où le glaive sauvage est Roi ; bataille du glaive sau- 


vage. 


— 0 feu! 0 feu! etc. 


Goad ar C'hallaoued 
Eo a red ; 
Goad ar C'hallaoued. 
Tan ! tan !.. 


Goad ha gwin eviz 

Er wall vriz; 

Goad ha gwin eviz. 
Tan! tan !.… 


. Gwin ha goad a vev 
Neh aev; 
Gwin ha goad a vev. 
Tan! tan l. 


1 


Goad gwin ha Korol 
D'id, Heol! 


Goad gwin ha kord. 
Tan! tan! 


Ha korol ha kan, 
Kan ha kann! 
Ha korol ha kan. 
Tan ! (anl... 


Korol ar c'hleze, 
Enn eze; 
Korol ar c’hleze. 
Tan! tan! 


Kan ar c'hleze glaz 
A gar laz; 
Kan ar c'hlcze glaz. 
Tan ! (anl... 


Kann ar c'hleze coue 
Ar Roue. 
Kann ar c'hleze goue. 
Tan! tan! 


7 
48 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. K 
1 


Oglaive! 0 grand Roi du champ de bataille) 0 glaive! 0 grand. 
Roi! 
— 0 feu! 6 feu! etc. 


Que l’arc-en-ciel brille à ton front! que arc-en-ciel brille! 

—0 feu ! 0 feu! 0 acier! 0 acier! 0 feu! 0 feu! 0 acier et feu! 
0 chêne! 6 chêne! 0 terre! 0 flots! 6 flots! 0 terre! 0 terre et 
chêne! — 


NOTES 


Il est probable que l'expédition à laquelle ce chant sauvage fait allusion 
eut lieu sur le territoire des Nantais, car leur vin est blanc, comme 
celui dont parle le harde. Les différentes boissons qu'il prête aux Bre- 
tons, le vin de mire, la bière, hydromel. le vin de pommes ou le cidre, 
sont aussi celles dont ils usaient au sixième siècle. 

Sans aucun doute, nous avons ici deux chants distincts, soudés par 
l'effet du temps. Le second commence à la treizième strophe, et est un 
hymne guerrier en l'honneur du soleil,un fragment de la Ronde de l'Épée 
des anciens Bretons. Comme les Gaëls et les Germains, ils avaient l’ha- 
bitude de s'y livrer pendant leurs fêtes : elle était exécutée par des jeunes 
gens qui savaient l’art de sauter en mesure circulairement, en lançant 
en l'air et recevant dans la main leurs épées!, On la voit figurée sur 
trois médailles celtiques de la collection de M. Hucher : dans l’une, un 
guerrier bondit en brandissant d’une main sa hache de bataille, etrejetant, 
de l’autre, en arrière sa longue chevelure flottante; sur une seconde, un 
guerrier danse devant un glaive suspendu, et il répète évidemment, dit 
M. Henri Martin, l'invocation : « 0 glaive) à grand roi du champ de ba- 
taille ! à glaive ! à grand roi!» Ceci,onle voit, nous rejetterait en plein pa- 
ganisme. Il est du moins certain que la langue des sept dermières strophes 
est encore plus vieille que celle des douze autres. Quant à sa forme, la 
pièce entière est régulièrement allitérée d'un bout à l’autre, comme les 
chants des bardes primitifs, et soumise, comme eux, à la loi du rhythme 
ternaire, Je n'ai pas besoin de faire remarquer quel cliquetis d'armes 
entrechoquées elle rappelle à l'oreille et quel souffle strident respire la 
mélodie. 





Kleze ! Roue braz Kaneveden gen 
Ar stourmeaz. War da benn! 
Kleze! Roue braz. Kaneveden gen! 


— Tan! tan! dir! oh! dir! tan! tan dir ha tan! 
Tann! (nnn) tir! ha tonn! tonn! (ann! tir ha tir ha tann! 


4 Ollaus Magnus, Histor. seplent. genliu (p. 408), de chore« gladiatoria vel armifera sal- 
talione. 





VIII 


LA MARCHE D’ARTHUR 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La popularité dont jouit en Bretagne le nom d'Arthur est un des phé- 
nomènes les plus curieux de l’histoire de la fidélité bretonne. Ce nom, 
primitivement porté par une divinité guerrière, le fut, au sixième siècle, 
par un chefillustre, mort en défendant sa patrie, et auquel on attribua 
plusieurs des vertus surhumaines de son homonyme adoré. Les pères 
invoquaient le dieu en allant au combat; les fils chantèrent l’homme 
déifié, le jour de la bataille. Ni la défaite ni l'exil ne purent faire oublier 
Arthur aux Bretons. Sa renommée magique, traversant la mer avec eux, 
reçut en Armorique une vie toute nouvelle : il y devint, comme il était 
dans l'ile de Bretagne, un symbole armé de la liberté nationale; et le 
peuple, à toutes les époques, depuis le sixième siècle jusqu’à nos jours, 
y répéta, en les adaptant aux circonstances, les traditions et les bardits 
dont il était le sujet. Ainsi, toutes les fois qu’une guerre se prépare, on 
voit, en signe avant-coureur, l'armée d'Arthur défiler à l’aube du jour au 
sommet des Montagnes-Noires, et l'on y répète encore le bardit suivant, 
qui s’est retrouvé, après douze cents ans, dans la bouche des Bretons 
armés pour défendre leurs autels et leurs foyers. Je l'ai appris d’un ancien 
chouan de Leuhan, qui l’a souvent chanté, m’a-t-il dit, en marchant à 
l'ennemi, dans les dernières guerres de U Ouest. 


Allons, allons, allons au combat! allons parent, allons frère, 
allons fils, allons père! allons! allons! allons tous! allons done, 
hommes de cœur! 





BALE ARZUR 


— TES: KERNE — 


—Deomp, deomp, denmp, deomp, deomp, deomp, d'ar gad! 
Deomp, Kar, deomp, hreur, deomp, map, deomp, tad ! 
Deomp! deomp! deomp holl! deomp'ta, tud vad! 


90 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Le fils du guerrier disait à son père un matin : —- Des cava-. 
liers au sommet de la montagne! 


Des cavaliers qui passent montés sur des coursiers gris qui 


reniflent de froid! 


xangs serrés six par six; rangs serrés trois par trois; mille 


lances brillant au soleil. 


Rangs serrés deux par deux, suivant les drapeaux que ba- 


lance le vent de la Mort. 


Neuf longueurs d'un jet de fronde depuis leur tête jusqu’à 


leur queue. 


C'est l’armée d'Arthur, je le sais; Arthur marche devant 


au haut de la montagne. 


— Si c’est Arthur, vite à nos arcs et à nos flèches vives! et 
en avant à sa suite, et que le dard s'agite! — 


Il m'avait pas fini de parler que le cri de guerre retentit d’un 


bout à l’autre des montagnes : 


— « Cœur pour œil! tête pour bras! et mort pour W 2 


« dans la vallée comme sur la montagne! et père pour 


«et mère pour fille! 


Tire, 


« Étalon pour cavale, et mule pour âne! chef de guerre 
« pour soldat, et homme pour enfant! sang pour larmes, et 


« flammes pour sueurs ! 


Mab ar c'hadour a lavare, 
Lavare d'he dad, eur beure : 
— Marc'hegerien war lein ar brel 


Marc'heserien 0 vont e-hiou, 

Mirc'hed adan-he, gluz ho lou, 

Oc’h hinteal gand ar riou : 

Stank-ha-stank, c’houcc'h-h1-c'houec’h, 
Le ri; 

Skank-ha-<tank, e ri tii-ha-tri; 

Mil goaf or'h ann heol o linr: 

Stank-ha--tank, e ri, daou-ha-daou, 

0 vont da heul ar hani: laou. 

Hag a vransell glan ann Ankaou. 


Nao bon rong ann daou benn anhe; 


Bagad Arzur, e goarann, 6: 

Arzur a-rok lein ar mene. — 

— Mar ma Arzur ann hini 60, 

Prin d'hor gwarek ha d'hor gwall veo) 
Ha’rok d'he heul, ha flimm ra reg) — 


Oa ked he c'her losket a-grenn, 

Pa drouzkrozaz ar iouc’hadeun 

led ar meneziou penn-d’ar-benn 

— « Kalon am lagad! nenn am brech! 
« Ha laz am blons, ha (raon ha Krec'h: 
« Ha tad am map, ha mamm am merc'h: 
v March am kazek, ha mul am as! 

« Penn-lu am mael, ha den am goas! 

« Goad am daerou, ha tan ain c'houaz 


LA MARCHE D'ARTHUR. 51 


« Et trois pour un, c’est ce qu'il faut, dans la vallée comme 
« sur la montagne, jour et nuit, s’il se peut, jusqu’à ce que les 
« vallées roulent des flots de sang. 


« Si nous tombons percés dans le combat, nous nous bapti- 
« serons avec notre sang, et nous mourrons le cœur joyeux. 

« Si nous mourons comme doivent mourir des chrétiens, 
des Bretons, jamais nous ne mourrons trop tôt! » 


NOTES 


Cette dernière strophé, dont les généreux sentiments forment un 
étrange disparate avec le reste de la pièce et qui y a sans doute été 
ajoutée par une voix moderne, a dû contribuer à sauver de l'oubli la 
Marche d'Arthur. Elle était toujours répétée trois fois par les chanteurs, 
qu’elle enthousiasmait. Les autres ne leur offraient probablement qu’un 
sens vague; la lettre et esprit sont si loin de la manière de parler et 
de penser d’aujourd hui! Rien n'empêche de croire, comme on l'a pré- 
tendu, que le chant a passé du dialecte cambrien dans le dialecte armo- 
ricain, au septième siècle, à la séparation de l’un et de l’autre peuple. 
La pièce offre effectivement plusieurs tournures grammaticales ellip- 
tiques, un grand nombre d'expressions élrangères au dialecte du conti- 
nent et la forme ternaire et allitérée des poëmes bardiques gallois. J'ajou- 
térai que les connaisseurs s'accordent à trouver à la mélodie, qui est émi- 
nemment énergique et martiale, un caractère tout particulier d'antiquité. 








« Ha tri am unan, evid mad! « Ha laouen galon à varfomp. 
« Traon hu krec'h, noz-de, mar gell pad, | & Mar marvomp evel ma dieet 
« Ken a redo enn travniou goad! « D'ar gristenien, d'ar Vretomd, 


« Er stourmat treuzet mar kouezomp, | « Morse na varvimp re abr eg! » — 
x Gand hur goad en em badezfomp, 


IX 


LA PESTE D’ELLIANT 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La peste qui désola toute l'Europe au sixième siècle fit de grands 
ravages en Armorique : ceux qui en étaient frappés perdaient les 
cheveux, les dents et la vue, jaunissaient, languissaient et ne tar- 
daient pas à mourir. Il y eut des cantons de la Bretagne armoricaine 
dont la population fut emportée tout entière. La paroisse d’Elliant, en 
Cornouaille, fut de ce nombre. Le pays voisin, et celui de Tourc'h en par- 
ticulier, dut aux prières d'un solitaire nommé Ratian, qui y habitait, le 
bonheur d’être préservé du fléau. C’est ce que nous apprend l’auteur de 
la vie de saint Gwénnolé, écrite à cette époque et abrégée au neuvième 
siècle par Gurdestin, abbé de Landévenek. 


Entre Langolen et le Faouet, habite un saint Barde, qu’on 
appelle Père Rasian; 


I a dit aux hommes du Faouet: Faites célébrer chaque 
mois une messe, une messe dans votre église. 


La peste est partie d'Elliant, mais non pas sans fournée : 
elle emporte sept mille cent âmes! 


En vérité, la Mort est descendue daus le pays d'Elliant, tout 
le monde a péri, hormis deux personnes, 





BOSEN ELLIANT 


— IES KERNE — 
Tre Langolen bag ar Faouet Eet eo ar vosen a Elliant, 
Eur Barz santel a vez kavet ; Hogen ne Ket eet heb forniant, 
Hag hen Tad Rasian hanvet. Eet zo gat-hi seiz-mil ha kant! 
Laret en deuz d'ar Faouediz : E hro Elliant, helh laret gaou, 
Laket eunn oferen beb miz, E ma diskennet ann Ankaou, 


Eunn oferen enn hoc'h iliz. Maro ann holl dud nemed daou : 


LA PESTE D'ELLIANT, 53 

Une pauvre vieille femme de soixante ans et son fils unique. 

« La peste est au bout de ma maison, disait-elle; quand 
Pieu voudra elle entrera; lorsqu'elle entrera, nous sortirons, » 

Sur la place publique d’Elliant, on trouverait de l'herbe à 
faucher, 

Hormis dans étroite ornière de la charrette qui conduit 
les morts en terre. 

Dur eût été le cœur qui n’eût pas pleuré, au pays d'Elliant, 
quel qu'il fût, 

En voyant dix-huit charrettes pleines à la porte du cime- 
tière, et dix-huit autres y venir, 

Il y avait neuf enfants dans une même maison, un même 
tombereau les porta en terre, 

Et leur pauvre mère les trainait. 

Le père suivait en sifflant.… Il avait perdu la raison. 

Elle hurlait, elle appelait Dieu, elle était bouleversée corps 
et àme : 


— Enterrez mes neuf fils, et je vous promets un cordon de 
cire qui fera trois fois le tour de vos murs. 


Qui fera trois fois le tour de votre église, et trois fois le tour 
de votre asile. 





Eur c'hroegik kouz tri-ugent vloa Ha triouec’h all eno: tonet. 
Has eur mal heb ken e devoa, Lec'h oa nao mah enn eunn tiad, 
« Edi ar vosen ’penn ma ZL : Eent d'ann douar cnn eur c'harraa, 
Pa garo Douc ’teui enn ti; Hag ho mamm haour oc'h ho charrat. 
Ni iei "mez pa deui, » eme-z-hi. Ho zad adren o c'houibannat : 
E kretz Elliant, er marc'hallec'h. Kollet gat-han he skiand-vad, 
Geot d C satec’ d 5 
a falc'hat e katec'h, Hi a iude, galve Doue ; 
re enn hentig euz ar c'harr Reustlet e oa korf hat cnc: 
as re varù d’ann 7 

Ç S 7 DG — Laket ma nao mab enn douar, 

HZ vije "Y galon na weije, Ha me roi 0 hoc'h eur gouriz koar, 


E bro Elliant ije : 
ni E FE RR N PET A rei teir zro endro d'ho ti, 
Gwell't triouec'h c'harr tal ar vored Ha teir endro d'ho minic'hi, 


54 CIIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


J'avais neuf fils que j'avais mis au monde, et voilà que la 
Mort est venue me les prendre, 


Me les prendre sur le seuil de ma porte; plus personne 
pour me donner une petite goutte d'eau! — 


Le cimetière est plein jusqu'aux murs; l'église pleine jus: 
qu'aux degrés; 


I faut bénir les champs pour enterrer les cadavres. 


Je vois un chène dans le cimetière, avec un drap blanc à sa 
cime : la peste a emporté tout le monde. 


NOTES 


La peste d'Elliant ne se chante jamais sans qu’on y joigne l'étrange 
légende que voici : 

« C'était jour de pardon au bourg d’Elliant ; un jeune meunier, arrivant 
au gué avec ses chevaux, vit une belle dame en robe blanche, assise au 
bord de la rivière, une baguette à la main, qui le pria de lui faire passer 
l'eau. — Oh! oui, sûrement, madame, ré, liqua-t-il; et déjà elle était 
en croupe sur sa bête, et bientôt déposée sur l’autre rive. Alors, Ja bel: 
dame lui dit: — Jeune homme, vous ne savez pas qui vous venez de pas- 
ser : je suis la Peste. Je viens de faire le tour de la Bretagne, et me 
rends à l’église du bourg, où l’on sonne la messe ; lous ceux que je frap- 
perai de ma baguette mourront subitement; pour vous, ne craignez rien, 
il ne vous arrivera aucun mal, ni à votre mère non plus. » 

Et la Peste a tenu parole, me faisait observer naïvement un chanteur ; 
car la chanson le dit : 


« Tout le monde a péri, excepté deux personnes : 
Une pauvre vieille et son fils. » 


« Savez-vous, me disait un autre, comment on s’y prit pour lui faire 
quitter le pays? On la chanta. Se voyant découverte, elle s'enfuit. lL nY 
a pas plus sûr moyen de chasser la Peste que de la chanter; aussi, de- 
puis ce jour, elle n’a pas reparu. » 

Comme nous l'avons déjà dit, la Peste d’Elliant a conservé le ton pro- 





Nao mab em boa em boa ganet, | Red eo Lenniget ar parkou, 
Setu gad ann Askou int eet ; | Da lakat enn ho ar c'horvou. 


Gad ann Ankou e toull ma dour ; Me wel er vered eunn derven, 
Den da hul d’in eul lommik dour ! — Hag enn he beg eul liser wenn: 


Leun e'r vered rez ar c'hleuniou, Eet ann holl dud gad ar vosen. 


Leun ann iliz rez ann lreuzou ; 


sai 


4 15h28 


LA PESTE D'ELLIANT, R 


phétique de la poésie des anciens bardes, et quelques traces de la forme 
artificielle qu'ils donnaient à leurs chants. Par exemple, on aura remarqué 
que sept couplets sur vingt sont des tercets, et que le quatrième est 
allitéré. Si l’on se rappelle maintenant : 

1° Que dans la poésie vraiment populaire de la Bretagne, les chants 
sont généralement contemporains des faits qu’ils célèbrent; 

2% Que les chanteurs ne savent ni lire ni écrire, et n’ont par con- 
séquent aucun autre moyen de transmettre à la postérité les événe- 
ments de leur temps que de les mettre en vers aussitôt qu’ils se sont 
passés ; 


3° Que t'événem nt ici relaté a eu lieu au sixième siècle, dans la paroisse 
d'Elliant ; 

4 Que le poëte populaire nomme comme un contemporain, un saint 
personnage appelé Ratian, qui vivait effectivement à cette époque, et 
habitait entre Langolen et le Faouet. c'est-à-dire à Tourc’h#; enfin, si 
l’on examine avec une sérieuse attention l'œuvre dans toutes ses parties, 
peut-être pensera-t-on, comme nous, qu'il n’y a pas lieu de la croire pos- 
térieure à l'événement dont elle nous a conservé le souvenir. 

Ce que nous ne présentons ici que sous la forme du doute, a été pro- 
clamé comme un fait et appliqué à la plupart des chants bretons, par 
M. Ferdinand Wolf, dans un savant ouvrage où il a bien voulu donnerà 
nos idées L: poids de son autorité ?. 

Mais si nous faisons remonter jusqu'au sixième siècle la composition 
du chant breton, nous sommes loin de prétendre qu'il nous est parvenu 
danssa pureté primitive. Probablement nous ne possédons qu’un fragment 
d'un poëme beaucoup plus étendu Ce qui est certain c’e:t que le ton en 
est épique. 

Un intérêt particulier s'attache à lui : il est le premier qui ait été 
recueilli par ma mère : la pauvre veuve, sous la dictée de laquelle il fut 
écrit, habitait la paroisse de Melgven. On comprendra aisément, a dit 
M. Charles Magnin, qu’il ait vivement impressionné une imagination sen- 
sible et délicate. 


1 Sanctus Ratianus propter cladem suæ gentis deprecatus est Dom: nnm, et sic in aliis locis 
mulus ita et nnc exaudivit illum Dominus quando custodivit locum eius (Turc'h) a supra- 
dieta mortalitate. (V. Cartul. abbat. Landeven. ap. D. Morice, Hist. de Bretagne, t. 1, preuves, 
col. 17%: Cf. D. Lobineau, Vies des saints de Bretagne, Art. saint Gwennolé: et l'abbé Tresvaux, 
ibid , 2 édition, L I, p. 99.) 

2 Uber de Lays, p. 556. 


x 


MERLIN 
FRAGMENTS DE BALLADES 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


On a cru longtemps que deux bardes ont porté le nom de Merlinf ; 
l’un, qui serait né d’une vestale chrétienne?, et d’un consul romain, 
aurait vécu au cinquième siècle sous le règne d'Ambroise Aurélien, et 
passé pour le premier des devins de son temps#; 

L'autre, qui ayant eu le malheur de tuer involontairement son neveu, à 
la bataille d’Arderiz où il portait le collier d’or, marque distinctive des 
chefs cambriens, aurait perdu la raison, et se serait retiré du monde. 
(vers la fin du sixième siècle). 

Aujourd'hui les criliques s'accordent à voir dans le personnage de Mer- 
lin le héros unique d'une triple tradition, où il apparaît comme un être 
mythologique, historique et légendaire. 

Qu'il me soit permis de renvoyer le lecteur, pour les preuves, au livre 
que j'ai écrit sous le titre de Myrpminn ou l’enchanteur Merlin, son his- 
toire, Ses œuvres, son influence. 

Les Gallois possèdent des poésies de ce barde, mais malheureusement 
rajeunies et même transformées aux douxième et treizième siècles, dans 
un intérêt national. 

Les Bretons d’Armorique ont seulement quelques chants populaires qui 
le concernent. 

J'en ai retrouvé quatre, débris altérés d'un cycle poétique dont de 
nouvelles découvertes combleront sans doute les nombreuses lacunes. Le 
premier est une chanson de nourrice. Quoique Merlin n’y soit pas nommé, 
il s’agit évidemment de l’éfre merveilleux que son nom rappelle et de 
son origine mythologique ; 

Le second fragment le représente comme un magicien ou un devin; 

Dans le troisième, qui est une ballade complète, il n’est plus que barde 
et joueur de harpe; 


1 Les Gallois écrivent Myrdhin, Merdhyn et Myrdin, et prononcent à peu près Merzlin, les 
Armoricains, Marzin. 2 C 

2 Ann-ap-léan, «le fils de la nonne » (Myvyriun, t. TL. p. 78). Nennius traduit lean par 
veslalis. 

3 Unus de consulibus Romanorum pater meus est. (Nennius, éd, de Gunn, p. 72.) 
1 Prif Déwin Merddin-Emrys. (Myvyrian, t. 1, p. 78.) 


MERLIN. 57 


Le quatrième nous le montre converti par le plus aimable des saints 
bretons, le bienheureux Kadok ou Kado. 
La chanson de nourrice fait raconter à Merlin enfant sa génération 
| mystérieuse, par sa mère elle-même qui veut endormir, 


MERLIN AU BERCEAU 


Voici treize mois et trois semaines que dans le bois je 
m'endormis. 

Dors donc, mon enfant, mon enfant; dors donc, enfant, 
dors. 

J'avais oui chanter un oiseau qui chantait si bien, si dou- 
cement ! 

Dors donc, etc. 

Qui chantait si bien, si doucement, plus doucement que 
l’eau qui coule. 

Dors donc, etc. 

Tant que, sans y prendre assez garde, je le suivis l'esprit 
charmé. 

Dors donc, etc. 





MARZIN 


— IES KERNE — 


Kleviz 0 kana eul lapous, 


1 Kane ken Hour, kane ken dous. 
Oh! hun eta, etc. 
MARZIN ENN HE GAVEL. Kane ken dous, Kane ken our, 
Flouroc'h evid iboud ann our 
Brema trizek miz ha teir zun Oh! hun eta, etc. 
nap dndan ar ehbad-e hnn, Kement ma’z-iz d'he heul, dibrei 
Oh! hun eta, va mabik, va mabik ; Touellet gant-han va spered, 


Hun eta, toutouik lalla. Oh! hun eta, etc. 


58 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

Je le suivis bien loin, bien loin; hélas! hélas! que j'étais 
jeune ! 

Dors donc, etc. 

— O0 fille de roi, me disait-il, tu es belle comme la rosée du 


matin. 
Dors donc, etc. 


Le jour levant est ravi quand il te regarde; ne le sais-tu 
pas”? 
Dors donc, etc. 


Le soleil lui-même est ravi. Et qui donc sera ton époux? 
Dors donc, etc. 


— Taisez-vous, taisez-vous, vilain petit oiseau; votre petit 
bec est trop libre. 
Dors donc, etc. 


Pourvu que le Roi du ciel jette un regard sur moi, que 
m'importe le regard de l'aurore ? 
Dors donc, etc. 


Que m'importe le regard du soleil ou même de l'univers 
entier? 
Dors done, etc. 


Si vous me parlez mariage, parlez-moi du Roi du ciel 
Dors donc, etc. 





P'he heul pell, pell, pell, nell ez iz; — Tavit, tavit, koz lapousik, 
Sioaz ! sioaz d'am jiaouankiz ! Chou zo gwall lik enn ho pegik. 
Oh! hun eta, etc. Oh ! hun eta, etc. 

— Merc’hik roue, e lavare, Ma zelfe laez Roue ouz en 

Kaer oud evel gliz ar beure : Gant goulou-deiz man na lakfen. 
Oh! huu eta, etc. Oh! hun eta, etc. 

Ar goulou-deiz zo souezet Na lakfen man gand sell ann heol 
Pa zell ouz it, na ouzez ket. Kenncubeut gand sell ar bed holl. 
Oh! hun eta, etc. Ch! hun eta, etc. 

Pa bar ann heol, souezet e, Mar gomzet d'in oc'h dimizin 

Na piou a vo da bried-te? Komzet deuz Roue ann env d'in. 


Oh! hun eta, etc. Oh! hun ela, cte 


MERLIN. 59 


Et pourtant il chantait de plus en plus doucement, et moi, 
je le suivais, la tête basse. 
\ Dors donc, etc. 


| Tant que je tombai endormie de fatigue sous un chêne, 
dans un lieu écarté. 
Dors done, etc. 


Et là je fis un rêve qui me troubla au delà de tout. 
Dors done, etc. 


Je révais que j'étais dans la maison d’un petit Uis, dans le 
cercle des eaux d’une petite fontaine. 
Dors done, etc. 


Ses pierres étaient si transparentes! Ses pierres étaient 
si brillantes! Ses pierres étaient aussi diaphanes que le 
cristal! 

Dors donc, etc. 


Sur le sol, un tapis de mousse , des fleurs nouvelles semées 
dessus. 
Dors donc, etc. 


Comme le petit Dux n’était pas chez lui, j'étais sans frayeur 
et joyeuse. 
Dors donc, etc. 


Lorsque je vis venir de loin, à tire d’aile, une tourterelle. 
Dors donc, etc. 


Kana re brao-oc’h-brao alkenn; He vein ker boull! he vein ker skler! 
Ha me d'he heul, souchet va tenn, He vein ker splann evel-d-ar gwer! 
Oh ! hun eta, etc. Oh! hun eta, etc. 

Ken e koueziz skuiz-stank kousket Eur gwiskad man war al leur-zi 
Dindan eunn derven, er gwasked. Bleuniou-nevez street war-n-ezhi. 
Oh! hun eta, etc. Oh! hun eta, etc. 

Hag eno am boe eunn hunvre Ann Duzik ne oa ked er ger: 

Am sapeduaz beteg re. Ha me diogel ha seder. 

Oh! hun eta, etc. Oh! hun eta, etc. 

E oann ebarz ti eunn Duzik; Pa weliz o tont diouz a bell 

A dro-war-dro eur feuntennik, Eunn durzunel a denn-askel, 


Oh! hun eta, etc, Oh! hun eta, etc, 


60 CIHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Et elle frappa de son bec au mur transparent de la : 


grotte. 
Dors donc, etc. 


Et moi, simple, par pitié pour elle, d'aller lui ouvrir ! 


porte. 
Dors donc, etc. 


Et elle d'entrer et de voler en cercle autour de la maison. 


Dors done, etc. 


Tantôt mon épaule, tantôt mon front, tantôt elle effleu- 


rait mon sein. 
Dors donc, etc. 


Trois fois elle becqueta mon oreille, et de s’en retourner 


gaiement sous le bois vert. 
Dors donc, etc. 


Si elle était gaie, elle; moi, je ne le suis pas; maudite soit 


l'heure où je m'endormis! 
Dors donc, clc 


Les larmes coulent de mes yeux d’avoir un berceau à 


balancer. 
Dors donc, etc. 


Que ne sont-ils dans l’abime de glace, les Esprits noirs, 


tous, chair et os! 
Dors donc, etc. 


Hag e stokaz gand he begik 
Diouz moger voull ti ann Duzik. 
Oh! hun eta, etc. 


Ha me sod, gant truez out-hi, 
Mont da zigor ann nor d'ezhi. 
Oh! hun eta, etc, 


Hag hi ebarz, ha da rodal 

Tro-war-dro d'ann ti, 0 nijal. 

Oh! hun eta, etc. 

Gwech war va skoaz, gwech war va fenn, 
Gwech e nije war va c'herc'henn, 

Oh ! hun eta, etc. 


Teir gwech ouz va skoarn a bokaz 

Ha kuit dreo enn-dro d'ar c'hoat glaz. 
Oh! hun eta, etc. 

Mar oa dreo hi, me n’am onn ket ; 


Malloz d'ann heur e oann kousket. 
Oh! hun eta, etc. 

Ann dour a ver diouz va lagad 

Pa dleaun kavel luskellat. 

Oh! hun eta, etc. 

A-ioul vefe enn ifern skorn 

Ann Duarded kig hag askorn) 

Oh! hun eta, etc. 





Que n'est-il faux mon rêve! Que ne suis-je inconnue à tout 


le monde! 
Dors donc, etc. 


L'enfant, tout nouveau-né qu'il était, se mit à rire, en 


répétant : 
Dors done, etc. 


— Taisez-vous, ma mère, ne pleurez pas, jene vous causerai 


aucun chagrin. 
— Dors donc, etc. 


— Mais c'est pour moi un grand crève-cœur d'entendre 
P 9 


MERLIN. 


appeler mon père un Esprit noir. 


— Dors donc, etc. 


— Mon père, entre le ciel et la terre, est aussi brillant que 


la lune. 
— Dors donc, etc. 


— Mon père aime les pauvres gens, et, quand il le peut, il 


les aide. 
— Dors done, etc, 


— Que Dieu préserve éternellement mon père de l’abime 


de glace! 
— Dors donc, etc. 


— Mais bénie soit, au contraire, l’heure où je naquis pour 


faire le bien; 
— Dors donc, etc. 


A-ioul vefe gaou va hunvre! 
Na ouife den diouz va doare! 
Oh! hun eta, etc. 


Ar mab, hag hen nevez-ganet, 
0 c'hoarzin en deuz diskanet : 
Oh! hun eta, etc. 


Tavit, va mamm, na welet ket, 
Gan-in n'ho po preder e-bet. 
Oh ! hun eta, etc. 

Nemet am euz gwall-calonad 
Ober eunn Duard diouz va zad. 
Oh ! hun eta, etc. 


\ 





Etre ann env hag ann douar, 


| Va zad z0 ker kaen hag al loar ; 


Oh ! hun eta, etc. 


Va zad a gar ann dudou kez, 

Ha pa gav ann tu ho gwarez. 
Oh! hun eta, etc. 

Ra viro Doue da vikenn 

Va zad diouz nuns ann ifern ien! 
Oh! hun eta, etc. 

Nemet bennoz a rann "ann heur 
E oenn ganet evid ann eu:. 

Oh ! hun eta, etc. 


62 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

— Où je naquis pour faire le bien de mon pays; que Dieu 
le garde de chagrin! » 

— Dors donc, etc. 

La mère demeura stupéfaite : « Voici un Promis, s’il en 
fut jamais! 

Dors donc, mon enfant; mon enfant, dors donc; enfant, 
dors. » 


Il 


MERLIN-DEVIN 


— Merlin, Merlin, où allez-vous si matin avec votre chien 
noir ? 

— Jou! iou! ou! ioui jou! ou! jou! ou! iou! ou! 

lou l iou! ou! iou! ou! — 

— Je viens de chercher le moyen de trouver, par ici, l'œuf 
rouge, 

L'œuf rouge du serpent marin, au bord du rivage, dans le 
creux du rocher. 

Je vais chercher dans la prairie le cresson vert et l'herbe 
d'or, 


Et le guy du chêne, dans le bois, au bord de Ja fontame. 





Oenn ganet cvid eur va hro: Ken beure-ze, gand ho K du? 
Doue diouz anken J'he miro): — Jou! iou! ou! iou! jou! ou! iou 
Oh! hun eta, Lon! iou! ou 
Ar vamm a 06 souezet braz : lou! iou! ou! iou! ou! — 
v Herman zo Marz mar boc hiskoaz ! —_ Bet ann het kas kaout ann tu, 
Hun eta, va mabik, va mabik, Da gaout dreman ann ui ru, 
Hun eta, toutouik lalla ! » Ann ui ru euz ann aer-vorek, 
War lez ann od, toull ar garrek. 
IT Mont a rann da glask d'ar flouren 
MARZIN-DIVINOUR. Ar heler glaz ha ’nn aour ieoten, 


Kouls hag huel-var ann derven, 
— Marzin. Marzin. pelec'h it-hu, Ekreiz ar c'hoad" lez ar feunten. 





MERLIN. 63 

— Merlin! Merlin! convertissez-vous, laissez le guy au 
chêne, 

Et le cresson dans la prairie, comme aussi l'herbe d’or. 

Comme aussi l'œuf du serpent marin parmi l’écume dans 
le creux du rocher. 

Merlin! Merlin! convertissez-vous, il n’y a de devin que 
Dieu. — 

— lou! iou! ou! iou! iou! ou! iou! ou! jou! ou! 

Lou) iou! ou! iou! ou! — 


[II 


MERLIN-BARDE 


I 


— Ma bonne grand’mère, écoutez-moi; j'ai envie d'aller à 
la fête ; 

A la fête, aux courses nouvelles que donne le roi. 

— À la fête vous n'irez point, ni à celle-ci ni à aucune autre ; 

Vous n'irez point à la fête nouvelle; vous avez pleuré toute 
la nuit; 


Losket ar var gand ana dero, MARZIN-BARZ. 
Hag ar beler gand ar flouren, 
Kerkouls hag ann aour-ieoten, 1 

Kerkouls hag ui ann aer-vorek, Ma mamm-c0z baour, em silaouet 
Etouez ann eon toull ar garrek. D'ar fest am euz c'honnt da vonet ; 
| D'ar fest, d'ar rederez neve 


Marzin! Marzin! distroet cndro: | III 
| 


Marzin! Marzin! distroet endrou : 
Ne deuz divinour nemed Dou. — | À 20 laket sand ar roue. 
-- lou! iou! ou! iou! iou! ou! iou! D'ar rederez na iefec’h ket, 
[ou ! iou! ou! D'ar fest-man na da fest e-bed ; 
lou ! ioul ou! iou! ou! | Na iefec'h ket d'ar fest neve, 
Goela peuz gret hed ann noz-me 


6% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Vous n'irez point, s’il tient à moi; vous avez pleurè en ré- 


vant. 


Ma bonne petite mère,si vous m'aimez, vous me laisse- 


rez aller à la fête. 


— En allant à la fête vous chanterez; en revenant vous pleu- 


Terez. — 


Il a équipé son poulain rouge; il l'a ferré d'acier poli; 


H l'a bridé, et lui a jeté sur le dos une housse légère; 


Et il lui a attaché au cou un anneau, et un ruban à la queue; 


Et il est monté sur son dos, et est arrivé à la fête nouvelle. 


Comme il arrivait au champ de fête, les cornes sonnaient ; 


La foule était pressée, et tous les chevaux bondissaient, 


— Celui qui aura franchi la grande barrière du champ de 


fète au galop, 


En un bond vif, franc et parfait, aura pour épouse la fille du 


roi. — 


A ces mots, son jeune poulain rouge hennit fortement, 


Bondit et s'emporta, et souffla du feu par Les naseaux ; 


Na iefec’h ket, mar dal gan-e, 
Goela peuz gret enn ho hunvre. 


— Ma mammik paour, ma em c'haret, 
D'ar fest em lesfec’h da vonet. 


— 0 vont d'ar fest c'hui a gano, 
0 tont endro c’hui a oelo.— 


II 
He eubeul ru en deuz sternet, 
Gad diren-flamm neuz han houarnet ; 
Eur c'habestr nouz laket ’nn he benn, 
Har eunn dorchen skanv war he gein ; 
E kerc’hen he c'houg eur walen, 
ag endro d’he lost eur zeien; 


Ha war he c'hore ‘ma pignet, 

Hag er fest neve ’ma digouet, 

E park ar fest pa oa digouect, 

Où ar gern-bual 0 vonet ; 

Hag ann holl dud enn eur bagad; 
Ha: ann holl virc’hed 0 lampat. 

— Ann hini en devo treuzet 
Kleun braz park ar fest enn eur red, 
Enn eul lamm klok, distak, ha net, 
Merc’h ar rou en do da bried, — 
Ile eubeulik-ru, pa glevaz, 

War bouez he benn a c'hristillaz; 
Lammet a rez, ha konnari, 

Ja teurel c'houcz tan gad he fris 





MERLIN, 65 


Et jeta des éclairs par les yeux, et frappa du pied la terre; 


Et tous les autres étaient dépassés, et la barrière franchie 
d’un bond. 


— Seigneur roi, vous l'avez juré, votre fille Aliénor doit 
m'appartenir. 


— Vous n'aurez point ma fille Aliénor, pas plus qu'aucun 
de vos semblables ; 


Ce ne sont point des sorciers que je veux pour maris à ma 
fille. — 


Un vieil homme qui était là, et qui avait une barbe blanche, 


Une barbe blanche au menton, plus blanche que la laine 
sur le buisson de lande ; 


Et une robe de laine galonnée tout du long d'argent; 

Et qui était assis à la droite du roi, lui parla bas, alors. 

Le roi, l'ayant écouté, frappa trois coups de son sceptre, 

Trois coups de son sceptre sur la table, si bien que tout le 
monde fit silence : 


— Si tu m'apportes la harpe de Merlin, qui est tenue par 
quatre chaines d’or fin; 


Si tu m'apportes sa harpe, qui est suspendue au chevet de 
son lit; 





Ia luc'hed gad he zaoulagad, Gwennoc'h evit gloan war al lann, 
Ha darc'h enn douar gad he droad ; ag hen gwisket gad eur ze c'hloan, 
Ken a oa ar re-all (rec'het, Bordet penn-da-benn gad argant: 
Hag ar c'hleun treuzet enn eur red. Hag hen enn tu deou d'ar Roue, 
— Otrou roue, ‘vel neuz Louet. Out-han gourgomze, er pred oue. 
U x + 0 L 

Ho merc'h Linor renkann kaouet. Ar Roue pa’n deuz he glevet, 
— Ma merc'h Linor n'ho pezo ket, Dre deir gwech gand he vaz nouz skoot ; 
1 = 3 c Gn . s 
Na den evel-d-hoch ken-neubet ; Teir gwech gand he var war ann doll, 
Ne ket kelc'herien a tell d’e, Ken a lakaz selaou ann holl : 

rai E se 1 ve? ms Ç 3 
Da ret da bried d'am merc'h-me. — Mar gasez d'in telen Varzin 
Eunn ozac'h Koz a oa eno, Dalc'het gant pider sug aour fin; 
Ha gat-han eur pikol varo. Mar gasez he delen d'i-me 
Eur varo enn he chik, gwenn-kann, Lo staget e penn he wele: 


à 


DD CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Si tu viens à bout de la détacher; alors, tu auras ma fille, 
peut-être. — 


I 
— Ma bonne grand’mère, si vous m'aimez, vous me donne- 
rez un conseil; 


Ma bonne grand'mère, si vous m'aimez, car mon pauvre 
cœur est brisé. 


— Si vous m'eussiez obéi, votre cœur ne serait point brisé. 


Mon pauvre petit-fils, ne pleurez pas, la harpe sera déta- 
chée ; 


Ne pleurez pas, mon pauvre petit-fils, voici un marteau d’or; 


Rien ne résonne sous les coups de ce marteau-là. — 


IV 


— Bonheur et joie en ce palais; me voici venu derechef, 
Me voici de retour avec la harpe de Merlin. — 

Quand le fils du roi U entendit. il paria bas à son père; 
Et le roi, l'ayant écouté, répondit au jeune homme : 


— Si {u m'apportes l'anneau qu'il a à la main droite; 





Mar he distagez; aneuze | Kemet tra ma zo na drouzfe, 

Az pezo ma merc'h, martege. | Ma ve skoct gad ar morzoul-ze. — 
II IV 

— Ma mamm-g0z baour, ma em c'haret, — Eurvad ha joa harz ann ti-me; 

Eunn ali d'i-me a refet; Chetu me digouet adarre; 

Ma mamm-g07 baour, ma em c'haret, Chetu me deust adarre. 

bar ma c'halonik zo (annet. Ha telen Varzin gan-i me. — 

— Ma ho pue sentet ouz-on; Mab ar roue dal’m'he clevaz. 

Na vije rannet ho kalon. Oud he dad roue c'hourgomzaz; 

Ma mabik paour, na oelet ket, Ar roue na'n deuz he clevet ; 

Ana delen a vo distaget ; D'ann den iaouank en deuz laret : 

Na oelet ket, ma mabik paour, — Mar gasez di-me he vizou 


Setu aman eur morzoul aour; A z0 gant han cnn he zorn deou ; 


MERLIN. 67 


Si tu m'apportes son anneau, 19 te donnerai ma fille. — 

Et lui de s’en revenir, en pleurant, trouver sa grand mère 
bien vite. 

— Le seigneur roi avait dit; et voilà qu'il s’est dédit! 

— Ne vous chagrinez pas pour cela ; prenez un rameau qui 
est là ; 

Qui est là dans mon petit coffre, et où il y a douze petites 
feuilles, 

Et que j'ai été sept nuits à chercher, il y a sept ans, en sept 
bois. 


Quand le coq chantera à minuit, votre cheval rouge sera à 
vous attendre; 


N'ayez point peur, Merlin le Barde ne s’'éveillera pas. — 
Comme le coq chantait au milieu de la nuit noire, le cheval 
rouge bondissait sur le chemin ; 


Le coq n'avait pas fini de chanter, que l'anneau de Merlin 
était enlevé. 


Y 


Le matin, quand jaillit le jour, le jeune homme était près 
du roi. 


Et le roi, en le voyant, resta debout, tout stupéfait ; 





Mar gasez be vizou d'i-me Pa gano’r c'houg da hanter-noz, 

Te po ma merc'h digan-i-me. — Ho marc'h ru vo oc'h ho kortoz ; 
Hag hen da zont, o oela dru, — | P'euz ker da gaout aon e-bet, 

Pa gaout he vamm-goz dioc'h-tu. © Merlin-Barz na zihuno ket. — 

— Ann otrou roue’n doa laret, Pa gane ’r c'houg Kreiz ann nnz du, 
Ha padal en deuz dislaret ! Lainme war ann hent ar marc'h ru; 
— Na chif ket evit kement-ze ; \'endoa ked ar houg peur-ganet, 
Tap eur skoultrik a zo ae; Pa ox bizou Marzin lammel, 

A z0 aze ’barz ma arc'hik, 

Hag enn han daouzek deliennik, y 

Hag enn han daouzek delien grenn, Antronoz pa zarc'haz ann de, 

Hag hi Ker kaer hag aour melen. Oa eet da gaout ar roue. 

Hag onn bet seiz noz da gerc'hat. Hag ar roue dal’m'he welaz, 


Seiz vloa tremenet, e seiz koat. Chommaz war za0, souezet-braz; 


68 CIHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


Stupéfait, et tout le monde comme lui: — Voilà qu’il a gagné 
sa femme! — 


Et il sortit un moment avec son fils et le vieillard. 


Puis ils revinrent avec lui, l’un à sa gauche, l'autre à sa 
droite. 

— (C’est vrai, mon fils, ce que tu as entendu : 

Aujourd'hui tu as gagné ta femme. 


Mais je demande une chose encore; ce sera la dernière. 
Si tu peux faire cela, tu seras le vrai gendre du roi; 


Et tu auras ma fille, et de plus tout le pays de Léon, par 
ma race! 


C’est d'amener Merlin le Barde à ma cour pour célébrer 1e 
mariage! — 


VI 
— 0 harde Merlin, d'où viens-tu, avec tes habits en lam- 
beaux? 
Où vas-tu ainsi, tête nue et nu-pieds? 
Où vas-tu ainsi, vieux Merlin, avec ton bâton de houx? 


— Je vais chercher ma harpe, consolation de mon cœur en 
ce monde; 





Souezet, ha’nn holl evel-t-han Ann holl vro Leon, dre ma wenn) 
— Chetu gonet he c'hroc gant-han! — Digas Marzin-Barz tre em lez, 

Hag hen mont eunn tammig er mez, Da veuli ar briadelez. — 

He voh d'he heul hag ann oac'h Kez. 

Hag hi da zont gant-han endro, VI 

Unan a gleiz, unan a-ze0. Marzin-Parz, abeban e teuz, 

— Gwir eo, ma mah, pez "L euz klevet: | Touller da zillad treuz-didreuz? 
Da c'hroek hiriou e "L euz goncet. Da helec'h ez-te evelhenn? 

Hogen eunn dra c'hoaz e c'houlann, Diskabel-kaer ha dierc'hen. 
Houman a vo ann divezan. Da belec'h ez-te evelhenn, 

Mar deuz da ober Kement-ze. Marzin goz, gand da vaz kelen? 
Vezi gwir vab-kaer ar roue; — Mont a rann da glask ma delen, 


lc az po ma merc'h hag ouspenn Frealz am c'halon er bed-men; 





Un MERLIN 


| 


69 


Chercher ma harpe et mon anneau, que j'ai perdus tous 
deux. 

— Merlin, Merlin, ne vous chagrinez pas; votre harpe n'est 
pas perdue; 

Votre harpe n’est pas perdue, ni votre anneau d’or non plus. 

Entrez, Merlin, entrez; venez manger un morceau avec moi. 


— Je ne cesserai de marcher, et je ne mangerai morceau, 


Je ne mangerai morceau de ma vie, que je n’aie retrouvé 
ma harpe. 

— Merlin, Merlin, obéissez-moi; votre harpe sera re- 
trouvée. — 

Elle le pria tant, qu’il entra. 

Quand arriva, sur le soir, le jeune fils de la vieille femme ; 
r 7 le voilà dans la maison, 


Et le voilà qui tressaille d’épouvante en jetant les veux sur 
L foyer; 

En y voyant le barde Merlin assis, la tête penchée sur sa 
poitrine. 


Voyant Merlin sur le foyer, il ne savait où fuir. 


— Taisez-vous, mon enfant, ne vous effrayez pas; il dort 
d'un profond sommeil; 


Klask ma delen ha ma bizaou Ho telen a vezo kavet, — 


Pere am euz kollet ho daou. Kement ma bet pedet gant-hi, 
— Marzin, Marzin, na chifet ket, Kement e ma deut tre enn ti. 
Dn telen ne d-e0 Ket kollet; 
Ho telen ne d-e0 ket kollet, 


Nag ho pizou aour ken-neubet. 


Deut tre enn ti, dent tre, Marzin, 
Da zibri enn tamm boued gan-in. 
— Mont gant ma hent na zaleinn, 
Na tamm boued e-bet na zebrinn, 


Ken a zigouezaz, da barde, 

Mabig ar c'hroac’h goz: bag hen tre; 
Hag hen da zridal spontet braz, 
Endro d'ann oaled pa zellaz; 


0 welet Muvzin-barz kluchet, 
He, henn war he galon stouet, 


Oc'h he welet war ann oaled, 


Na zebrinn tamm boued war ar bed, 
Ken n’am bo ma delen kavet. 


— Marzin ! Marzin ! ouz-in sentet; 


N'ouie donre pelec'h tec'het, 


— Tevet, ma mab, na spontet ket, 
Gand ar mourgousk em dalc'het 


70 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Ila mangé trois pommes rouges que je lui ai cuites sous la 
cendre; 


Il a mangé mes pommes; voilà qu’il nous suivra partout. — 


NII 


La reine demandait, de son lit, à sa camériste : 


— Qu'est-il arrivé dans cette ville? qu'est-ce que ce bruit 
que j'entends? 


Quand je suis éveillée si matin; quand les colonnes de mon 
lit tremblent? 


Qu'est-il arrivé dans la cour; quand la foule y pousse des 
cris de joie? 


— C’est que toute la ville est en fête; c’est que Merlin entre 
au palais ; 


Avec lui une vieille femme, vêtue de blanc, et votre beau- 
fils à sa suite. — 


Le roi l’entendit, et sortit, et courut pour voir. 
— Lève-toi, bon crieur; lève-toi de ton lit, et vite! 


Et va publier par le pays que tous ceux qui le voudront 
viennent aux noces; 


Aux noces de la fille du roi, qui sera fiancée dans huit jours; 


Lonket en deuz tri aval ru Gand ann dud eno ’ioual fors 7 


U s . 
Am euz poaet d’ean el udu ; — C'hoari gaer a z0 er ger-ma : 


Lonket en deuz ma avalou; Gant Marzin o tont enn ti-ma; 


Setu hen d'hon heul e-peb-brou. — Eur c'hroac'hikkozgwenn-kann,raz-han, 


Hag ho mab-kaer ive gant-han. — 


vil Ar roue en deuz hi c'hlevet, 
Ar rouanez a c'houlenne Hag hen mez, ha prim da welet. 
Gand he loufren, euz hi ewele : — Sav alese, embanner mad ; 
— Petra c'hoart gand ar ger-ma ? Sav, deuz ta wele, ha msd 
Pe safar a glevann ama? Ha ke da gemenn dre ar vrp. 
Pa ’z onn dihunet ken pred-ze; Dont d'ann eured neb e garo; 
Ken a gren postou ma gwele? Dont da eured merc'h ar roue 


Petra ze digouet arz ar porz. A vo dimet a-henn eiz-te; 





MERLIN. 71 


Aux noces, gentilshommes de toutes les parties de la Bre- 
tagne ; 


Gentilshommes et juges ; gens d'église et chevaliers; 


Et d’abord les grands Comtes; et les pauvres gens et les 
riches ; 


Va vite et diligemment par le pays, messager, et reviens 
de même. — 


VII 
— Faites silence, tous, faites silence, si vous avez deux 
orcilles pour entendre! 
Faites tous silence pour écouter ce qui est ordonné : 


C’est la noce de la fille du roi; y vienne qui voudra dans 
huit jours; 


A la noce, pelits et grands qui demeurent en ce canton; 


A la noce, gentilshommes de toutes les parties de la Bre: 
tagne, 


Gentilshommes et juges, gens d'église et chevaliers; 
Et d'abord les grands Comtes, et les riches et les pauvres; 


Et les riches et les pauvres, ni or ni argent ne leur man- 


quera; 


Dont d’ann eured, tudjentiled, 
Kement zo e breiz hed-ha-hed; 


Tudienuied ha barnerien ; 
Tud a iliz ha marc'heien: 


Ha da genta ar Gonted vaour. 

Ha (ud pinvidik ha tud paour; 

Ke buhan ha skanv dre ar vro, 
Kannadour, ha deuz skanv endro. — 


VII 


— Chilaouet hol!; holl chilaouet, 
Ma oc'h euz diouskouarn da glevet! 


Chilaouet holl hag e klefet 


Ar pez a zo gourc'hemennet : 
Dont da enred merc'h ar roue, 
Neb a garo, a-benn eiz-te; 
Dont d'ann eured, braz ha bihau 
Kement a ze er c'hanton-man ; 
Dont d’ann eured, tudjentiled, 
Koment zo e breiz hed-ha-hed, 
Tudjentiled ha barnerien, 

Tud a iliz ha marc'hein; 

Ha da genta ar Gonted-vaour 
Ha re binvidik ha re baour, 
Ha re binvidik ba re haour. 

Na vanko d’he argant nag aour; 


72 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

Il ne leur manquera ni chair, ni pain; ni vin, ni hydromel 
à boire ; 

Ni escabelles pour s'asseoir, ni valets vifs pour les servir; | 

Il sera tué deux cents porcs et deux cents taureaux en- | 
oraissés ; 

Deux cents génisses et cent chevreuils de chacun des bois 
du pays; 

Deux cents bœufs, cent noirs, cent blancs, dont les peaux 
seront également partagées. 

Il y aura cent robes de laine blanche pour les prêtres; 

Et cent colliers d'or pour les beaux chevaliers ; 


Plein une salle de manteaux bleus de fête pour les demoi- 
selles ; 
Et huit cents braies neuves pour les pauvres gens; 


Et cent musiciens, sur leurs sièges, faisant de la musique | 
jour et nuit sur la place ; | 

Et Merlin le Barde, au milieu de la cour, célébrera le ma 
riage. 

Enfin, la fête sera telle, qu'il n’y en aura jamais de pa- 
reille. — 


Ha karkaniou aour a vo kant, 
A vo roct d’ar varc'heien goant; 


Na vanko d'he kik na harn, 
Na gwin, na dour-vel da eva, 


Na skabellou da azea, 

Na potred skanv d'ho servicha. 

Daou c'hant penn-moc'h a vo laet 

Ha daou c'hant penn-kole lardet: 
Daou c'hant inar, ha Kant karo, 

A gement koad à z0 er vro, 

Daou c'hant ejenn, kant du kant gwenn, 
Vo roet ho c'hrec'hin dre rann Krenn, 
Kant sae a vo, hag a c'hloan gwenn, 
Hag a vo roet d'ar veleien; 


Minteli glaz vo leiz eur zal 

Da ret d'ar merc'hed da vragal: 
Hag eiz kant bragez neve c'hret, 
Da ret d'ann dud paour da wisket ; 
Ha kant soner war ho zorchen, 

O son noz-de, war ann dachen: 
Ha Marzin-Parz e-kreiz al lez 

0 veuli ar briadelez. 

C'hoari awalc'h a vo eno; 
Kement-all birviken na vo.— 





MERLIN. . T5 


IX 


— Écoutez, cuisinier, je vous prie : est-ce que la noce est 
finie? 

— La noce est finie, ainsi que la franche lippée. 

Elle a duré quinze jours, et il y a eu du plaisir assez. 


Ils sont tous partis chargés de riches présents, avec congé 
et protection du roi; 


Et son gendre, pour le pays de Léon, avec sa femme, le 
cœur Joyeux. 
Ils sont tous partis satisfaits; le roi seul ne l’est pas; 


Merlin encore une fois est perdu, et l’on ne sait ce qu'il est 
devenu. — 


IV 
CONVERSION DE MERLIN. 


Kado allait par la forêt profonde, agitant sa clochette aux 
sons clairs ; 


Quand bondit un fantôme à la barbe grise comme la mousse, 
et aux yeux bouillants comme l’eau du bassin sur le feu; 


1X Nemed ar roue ne d-e0 Ket: 


Marzin c'honz eur wech, zo kollet. 


—Klevet, keginour, me ho ped: N'ouzer doura pelac'h ma eet. — 


Hag anu eured zo achuet ? 

— Ann eured a 70 achuet, IV 

lag ann holl draou a 20 linet, 

Pemzek devez e deuz badét, 
ee Ç 

Ha TO SRE h a zo bet; Kado 0 vont gand ar c'hont don, 

Eet int kuit holl gand profoù mad, Gant-han he gloc'hik skliut 6 son; 

Gand skoaz ar rou hag he gimiad; Ken a ziredaz eunn tasman 

. Hag he vah kaer da vro Leon, Glaz he varo evel -d-ar man; 

pau he EE he galon. Hag he zaou-lagad 0 tevi, 

Eet int holl kuit, ha laouen net; "Vel dour ar c’haoter o firvi. 


DISTRO MARZIN. 


- 74 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Kado, lesaint, se rencontrait avec Merlin le barde, ce jour-là : 
— Je te ordonne, au nom de Dieu! dis-moi qui tu es? 


— Du temps que j'étais harde dans le monde, j'étais honoré 
de tous les hommes. 


Dès mon entrée dans les palais, on entendait la foule pous- 
ser des cris de joie. 


Sitôt que ma harpe chantait, des arbres tombait Tor bril- 
lant ; 


Les rois du pays m'aimaient; les rois étrangers me crai- 
gnaient ; 

Le pauvre petit peuple disait : « Chante, Merlin, chante 
toujours. » 

Ils disaient, les Bretons : « Chante, Merlin, ce qui doit ar- 
river. ) 

Maintenant, je vis dans les bois; personne ne m'honore plus 
maintenant. 

Loups et sangliers, dans mon chemin, quand je passe, 
grincent des dents. 


Je l’ai perdue, ma harpe; ils sont coupés, les arbres d’où 
tombait l'or brillant. 


Les rois des Bretons sont morts, les rois, étrangers oppri- 
ment le pays. 


Kado, ar sant, a zigoueze Ann dudigou paour lavare: 
Gant Marzin ar bars, cnn deiz-se. — « Kan, Marzin, kan, e nel mare. 
— Kemenn a rann cnn han Done ! Laret eure ar Vretoned : 
Lavar d’i-me petra out-le? » « Kan, Marzin, ann traou da zonet, » 
— Enn amzer ma oann barz er bed, Brem® °b «’hoajou e vevann, 
Me oa gand ann holl enoret ; Den r. ad ouz in hreman, 

H 
Dioc'htu ma ’z-enn "harz ar zall, Bleizi, ha moc'h gwez, Kreiz ma hent, 
E klevet ann holl o iouc’hal. Tre ma’z-ann biou, a skrign ho dent, 
Dioc’htu ma kane va delen, Kollet eo gan-in va delen, 
Koucze d:ouz ar gwez aour melen, Pilet eo gwez ann aour melen; 
Roueou ar vro am c'hare, Roueou Breiz a zo maro. 


Rouvcou all holl am douje; Roueou all a wask ar vro; 


MERHIN. 15 


Les Bretons ne disent plus : « Chante, Merlin, les choses à 
venir. » 


Ils m’appellent Merlin le Fou, et tous me chassent à coups 
de pierre. 


— Pauvre cher innocent, revenez au Dieu qui est mort pour 
vous. 


Celui-là aura pitié de vous; à qui met sa confiance en lui, 
il donne le repos. 


— En lui j'ai mis ma confiance, en lui j’ai confiance encore, 
à lui je demande pardon. 


— Par moi (accordent pardon le Père, le Fils et l'Esprit- 
Saint! 


— Je pousserai un cri de joie en l'honneur de mon Roi, 
vrai Dieu et Homme ! 


Je chanterai ses miséricordes d’âge en âge, et au delà des 
âges. 


— Pauvre cher Merlin, que Dieu vous entende! que les 
anges de Dieu vous accompagnent! 


NOTES 


Les quatre fragments qu’on vient de lire ont grand besoin chacun de 
commentaire. Sans répéter ici ce que j'ai dit dans un ouvrage spécial, 
je me contenterai d'éclairer les hauteurs du sujet. 

I. On ne peut s'empêcher d’être frappé de l’accent païen qui éclate 
et triomphe auprès du berceau de Merlin. Il y a là un écho manifeste des 


Na lavar ken ar Yretoned : Out-han (ruez a c'houlennann. — 
« Kan, Marzin, ann traou ” net.» — Dre-z-oun oc’h euz truez gant-han, 
Hi a ra ouz-in Marzin-, Enn Tad, e'r Mah, e’r Spered Glaa! 
À daoliou mein am c'hason’ uoll. » M lo ko eur souchaden 
— Paourkez diod, distroit endro. D'am Roue, gwir Zone ha den! 
CES 1 < 
Ouz Uoue 20 ‘vid boc'h maro. Me gano he vadelezou, 
Hennez en do (ruez ouz-hoc'h: A oad da oad dreist ann oajou. — 
Da neb a Hz cnn ha ro peoc'h. — Paourkez Marzin, Doue d'ho klevo! 


— Enn ha fiziz, c'hoat e fiziann, Elez Doue d'hoc'h ambrougo) 


76 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, SE 


anciennes croyances celtiques, un souvenir vivant des superstitions de la 
Gaule, contre lesquelles la vraie religion eut à lutter. Mais à ce moment 
elles sont les plus fortes; le Duz est vainqueur par ses maléfices de la 
xierge chrétienne, et le produit merveilleux de leur umon fatale tient 
plus de son père que de sa mère; il le défend contre elle; il le bénit: il 
s’annonce lui-même comme le bon génie dela nation bretonne. , 

II. Ce bon génie est en même temps un puissant magicien, un descen- 
dant des Marses, j'allais dire un Druide. En compagnie d’un chien noir, 
ou d’un loup familier, 11 parcourt dès l'aurore les bois, les rivages et 
les prairies; il cherche « l'œuf rouge du serpent marin », talisman 
que l’on devait porter au cou, et dont rien n’égalait le pouvoir. 

Il va cueillir le cresson vert, l'herbe d’or et le guy du chène. L'herbe 
d’or est une plante médicinale; les paysans bretons en font grand cas, ils 
prétendent qu’elle brille de loin comme de l'or; de là, le nom qu'ils lui 
donnent. Si quelqu'un, par hasard, la foule aux pieds, il s'endort aus- 
sitôt, et entend la langue des chiens, des loups et des oiseaux. On ne 
rencontre ce simple que rarement et au petit point du jour : pour le 
cueillir, il faut être nu-pieds, en chemise, et tracer un cercle à l’en- 
tour ; il s'arrache et ne se coupe pas. Il n’y a, dit-on, que les saintes 
gens qui le trouvent. C’est le sélage de Pline. On le cueillait aussi 
nu-pieds, en robe blanche, à jeun, sans employer le fer, en glissant la 
main droite sous la main gauche, et dans un linge qui ne servait qu’une 
fois. 

Quant au guy, on sait combien il était vénéré des Druides. 

Mais d’où vient cette voix? Qui ose apostropher le magicien d’un pareil 
ton? Serait-ce déjà le saint évêque auquel la tradition bretonne attribue 
la conversion de Merlin? Au moins il est un fait très-curieux à constater, 
c'est que les belles paroles que le poëte met dans la bouche qui le gour- 
mande se retrouvent dans plusieurs morceaux de poésie galloise, dont 
deux de Lywarc’h-Hen : Hormis Dieu, il n'y a pas de devin (Namyn Duw 
nid oes devin), a-t-il dit en faisant une profession de foi exactement 
semblable à celle de notre pièce, et où il n’y a de changé que l’ordre de 
la phrase et le dialecte. 

IT. Merlin a-t-il perdu plus tard sa puissance magique, le devin a-t-il 
été terrassé par un simple mot sorti d'une bouche chrétienne ? 

Quoi qu'il en soit, il est encore barde, car il porte l’anneau d’or et la 
harpe?. Mais on lui dérobe cette harpe ; on lui arrache cet anneau; on 
le joue, on le charme; il marche nu-pieds, nu-tête ; il porte des vête- 
ments en lambeaux ; il pleure; il est vieux, il est homme. Et, si on le 
recherche encore, si le peuple pousse des cris de joie, des tou ! iou ! pour 
saluer sa bienvenue, s’il paraît à la cour des chefs, c’est en souverain dé- 
trôné. 

Aussi, dès qu’il le peut, s’échappe-t-il. Cette disparition est aussi con- 
statée par les poëtes gallois. « Nul ne sait où est la tombe de Merlin, » dit 
un harde dont les poésies sont antérieures au dixième siècle5, Il s'em- 


4 Les Burdes bretons, p. 195. Cf. Myvyr., 1, p. 122 et 124. 

S « Le barde de la cour reçoit du prince une harpe, eL de la reine un anneau d’or. » (Lois 
de Hoel-da, c. 19. Myvyriun, t. IT.) 

SMyvyrian, t. 1, p. 71, 


MERLIN. 17 


Parqua avec neuf autres hardes. disent les Triades, et on ne put parvenir 
- à savoir ce qu'il devint {. 11 nous apprend lui-même qu’il quitta la cour 
- ets’enfuit dans les bois?. 
Notre ballade est aussi d'accord avec les traditions galloises, en lui 
…prétant un goût tout particulier pour les pommes et en le faisant tom- 
ber dans un piége où ces fruits sont l’appâät. 11 aimait tellement l'arbre 
“qui les produit, qu'il lui a consacré un poëme : 
«0 pommier! dit-il, doux et cher arbre, je suis tout inquiet pour toi; 
“je tremble que les bücherons ne viennent, et ne creusent autour de ta 
racine, et ne corrompent ta séve, et que tu ne puisses plus porter de 
“iruits à l'avenir.» 
…. D'autre part, au douzième siècle, un poëte latin de Galles, écho de la 
“iradition de son temps, fait tenir ce langage à Merlin: « Un jour que 
nous chassions, nous arrivâmes près d’un chêne aux rameaux Lous... 
- À ses pieds coulait une fontaine bordée d’un gazon vert. Nous nous assimes 
… pour boire. Or, il y avait çà et là, parmi les herbes tendres, des pom- 
“nes odorantes, au bord du ruisseau. Je les partageai entre mes com- 
pagnons, qui les dévorèrent; mais aussitôt ils perdent la raison, ils fré- 
4 missent, ils écument, ils se roulent furieux à terre, et s’enfuient, chacun 
tie son côté, comme des loups, en remplissant l’air de déplorables hurle 
ments. 
…. «Ces fruits m'étaient destinés; je l’ai su depuis. Il y avait alors en ces 
…parages une femme qui m'avait aimé autrefois, et qui avait passé avec 
moi plusieurs années d'amour. Je la dédaignai, je repoussai ses ca- 
resses: elle voulut se venger ; et, ne le pouvant faire autrement, elle 
plaça ces dons enchantés au bord de la fontaine, où je devais revenir. 
Mais ma bonne étoile m'en préserva 4. » 
Peut-être est-ce la même sorcière que veut désigner la ballade bre- 
tonne. Merlin parle lui-même dans ses poëmes d’une certaine femme 
versée dans les sciences magiques, avec laquelle il dit avoir eu des rap- 
7 ports. 
Le roi dont la ballade semble avoir gardé le souvenir paraît être Budix, 
chefs des Bretons d’Armorique, prince d’origine cornouaillaise, émigré 
de l'ile de Bretagne. Il combattit les Franks, et défendit vaillamment 
“contre eux la liberté de sa patrie; Clovis, n’ayant pu le vaincre, le fit 
assassiner (vers 509). Budik avait marié sa fille Aliénor à un.prince 
7 qu'on ne nomme pas, CL lui avait donné en dot plusieurs droits sur les 
côtes de Léon. C'était, d’après la Charte d’'Alan Fergan, la tradition popu- 
laire du onzième siècle 7: c'était aussi celle du quinzième 6. l v a lieu 
de croire que cette Aliénor est l’héroïne de la ballade, et que le jeune 










1 Trioed inis Prydain, 41id., t. III, s. 1. 
2 Myvyriun, L. 1, p. 150. 

‘Ibid. 
# Vitu Merlini Caledoniensis, p. 55. 

Vicecomes Lesnensis protune habebat quam plurimas nobilitates quas, ut dicebatur, Bu- 
dicius, quondam rex Britanniæ, concesserat et dederat uni prædecessorum suorur in matri= 
momo. (Carta Alani Fergan, ap. D. Morice, et D. Lobineau, Hist. de Bretagne.) 

8 «Voix publique au païs est qu'iceluy debvoir (de Léon) fust par un prince baillié en dot 
ct en mariage faict d’une fille du dict prince à un des antécesseurs du vicomte de Léon. » 
Mémoire aux étals — 1478 — ap. D. Morice, Histoire de Bretagne.) 


R inlineads E T A EST 


75 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 





homme dont Merlin célèbre l’union avec elle !, et à qui il fait gagner 12% 
souveraineté du pays de Léon, n’est autre que le fils de la magicienne; « 
enfin que l’auteur de la Charte d’Alan Fergan et l'auteur du Mémoire du 
vicomte de Rohan connaissaient le poëme populaire : en ce cas, ce poëme 
serait le roman de l’histoire. L'époque où il a été composé nous semble 
assez difficile à déterminer. Tel qu'il est, il ne peut être contemporain de 
l'événement, et cependant il n’est certainement pas l'ouvrage des siècles 
de la grande chevalerie; il en porterait le costume, tandis que le sien 
se rapporte a un âge beaucoup moins civilisé.C'est ce qui nous induit à 
penser qu'il a subi les altérations qu'il présente antérieurement à cette 
époque. 

IV. Plus historique, la tradition de la conversion de Merlin remonte aux 
temps les plus reculés; elle a été chantée par les bardes chrétiens des 
clans gaëliques, gallois et armoricains; il est doux de croire, avec eux, 
que, dans son infortune et sa vieillesse, il trouva pour consolatrice Ja 
religion de sa mère; une chose que notre poëte omet de dire, c’est qu'il 
périt assassiné comme Orphée. Mais le peuple ne fait pas mourir de tels 
hommes. 

J'ai été mis sur la trace du poëme de Merlin par madame de Saint- 
Prix, qui a bien voulu m'en communiquer des fragments chantés au 
pays de Tréguier. Il serait à désirer que ceux qui existent dans la collec- 
tion de M. de l’enguern vissent aussi le jour, et vinssent, avec les pré- 
sieuses découvertes de M. Gabriel Milin, compléter le cycle poétique de 
l'Enchanteur breton. Si, par sa forme rhythmique et son style, il est 
moins aucien que d’autres, il accuse par le fond des idées une inspira- 
tion très-primitive. Quoique l'air change à chaque morceau, et même lew 
dialecte, je crois, vu l’uniformité du mètre, à l’unité de la composition 
originelle. 


l 
N 


) 



















«Les bardes célébreront dans leurs chants les mariages de la nation bretonne. 

« Le chef des bardes aura une double part dans les dons royaux et dans les largesses 
faites à l'occasion du inariage de la lille u chef, » (Lois de Moelmud et Lois de Ioel-da. (My= 
vyrian, t. LE, p. 253 et 561. 


X] 


LEZ-BREIZ 
FRAGMENTS ÉPIQUES 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Morvan, machtiern ou vicomte de Léon 1, si célèbre dans l’histoire du 
neuvième siècle, comme un des soutiens de l'indépendance bretonne, 
west pas moins fameux dans nos traditions populaires, où on le surnomme 
Lez-Breiz?. Je ne possédais qu'un fragment du cyele poétique dont ilest 
Je centre, lorsque je publiai les premières éditions des Chants populaires 
de la Bretagne, et le nom réel du héros n'yéiait pas mentionné ; denou= 
elles découvertes sont venues m'apprendre qu'il s'agissait du rival de 
Louis le Débonnaire. Dans un vers que je n'ai aucune raison de croire 
interpolé, il s'appelle lui-même Morvan et se donne pour fils d'un Konan, 
ou chef couronné. Or, les vicomtes de Léon prélendaient descendre dn fa 
buleux Konan Mériadek, et d’Argentré, rappelant que leur prétention était 
appuyée sur la tradition populaire, s'exprime ainsi : « Morvan estoit issu 
de la race, comme on disoit, de Conan 5. » 

Nous avons maintenant six fragments complets du poëme de Lez- 
Breiz : le premier roule sur son départ de la maison de sa mère, à l’âge 
où l'amour des armes s'éveille fortuitement dans son âme; le second re- 
garde son retour; les autres, ses combats et sa mort, ou, pour mieux dire, 
la péripélie étrange en laquelle le patriotisme armoricain a changé le 
dénoûment avorté de l'histoire du héros breton. Après l'avoir montré 
vainqueur d’un guerrier à qui le roi des Gaulois, c’est-à-dire des Franks, 
avait donné mission de le tuer, puis d’un géant more doué de vertus ma- 
giques, le poëte le met aux prises avec le roi lui-même, plus heureux que 
ses émissaires. Vaincu et blessé mortellement, Lez-Breiz disparait du 
milieu du monde, mais non sans espoir de retour. 

Arthur chez les anciens Bretons, Holgar chez les Danois, don Sébastien 
en Portugal, l’empereur Frédéric Barberousse chez les Allemands, et 
Marco chez les Slaves, ont eu la même destinée poétique; leur vie, qui 
appartient à l’histoire, s’est exhalée en poésies dans les traditions de leurs 
compatriotes. 


1 Regnante domino i mperalore Hludovico, anno xxn1 regni eius, Morman Machtiern… (Car- 
tularium Redonense, ad ann, 800 ; Ap. de Courson, cf. D. Morice, preuves, t. 1, col. 265.) 

2 Lez-Breiz veut dire à la lettre: Hanche de lu Bretagne (de Lez, hanche, au figuré, soutien, 
œl de Breiz, Bretagne. V. Le Gonidec, au mot Le2). On l'appelle aussi quelquefois Lezou- 
Breiz. Lezou est le pluriel, aujourd’hui inusité, de Lez. 

S Histoire de Bretagne, p. 103% 


RU CHANTS POPULAIRES DE LA BREFACGNE, 


LE DÉPART. 


I 

Comme l'enfant Lez-Breiz était chez sa mère, il eut un jour 
une grande surprise; 

Un chevalier s’avançait dans le bois, et il était armé de 
toutes pièces. 

Et l'enfant Lez-Breiz. en le voyant, pensa que c'était saint 
Michel; 

Et il se jeta à deux genoux, et il fit vite le signe de la croix. 

— Seigneur saint Michel, au nom de Dieu, ne me faites 
point de mal! 

— Je ne suis pas plus le seigneur saint Michel, que je ne 
suis un malfaiteur ; 

Je ne suis pas saint Michel, non vraiment; chevalier or- 
donné, je ne dis pas. 

— Je n'ai jamais vu de chevaliers, pas plus que je n’ai en- 
tendu parler d'eux. 





S LEZ-BREIZ 


1 | Ja war he zaou-lin en em strinkaz 
AR P" HINT AH, Hag en em groaza prim a reaz 





— Otrou Sant Mikel, enn han Douo 

1 Na it ked da oher droug d'i-me) 
Pa oa potr Lez-Breiz e ti he vamm 1 —_ Ann otrou Sant Mikel ne d- onn ket, 
En devoe bet eur pedez estlamm : Nag eunn droug-oberour ken-neubed, 
Eur marc'hes 0 tonet gand ar c'hond. Sant Mikel, a-vad, me n'am onn koet: 
Hag hen penn-da-benn harneset mad. Marc'heg urzet, na lavarann ket. 
Hag ar polr Lez-Breiz dal m’ he welaz | Gwelet marc'hek biskoaz n'am euzgret; 
Arvar oa Saut Mike] a reaz; Na Komzet anezho ken-neubed, 





LEZ-BREIZ. 





— Un chevalier, c'est quelqu'un comme moi; en as-tu vu 
passer un? 


— Répondez-moi d’abord vous-même ; qu'est-ce que ceci? 
et qu’en faites-vous ? 
— J'en blesse tout ce que je veux; cela s'appelle une lance. 


— Mieux vaut, bien mieux vaut mon casse-tête ; on ne l’af- 
fronte pas sans mourir. 


Et qu'est-ce que ce plat de cuivre-ci que vous portez au bras? 

— Ce n’est point un plat de cuivre, mon enfant, c'est un 
blanc-bouclier. 

— Seigneur chevalier, ne raillez pas; j'ai vu plus d’une 
fois des blancs monnoyés "; 

Il en tiendrait un dans ma main, tandis que celui-ci est 
large comme la pierre d’un four. 

Mais quelle espèce d'habit portez-vous" c’est lourd comme 
du fer, plus lourd même. 

— Aussi est-ce une cuirasse de fer pour me défendre contre 
les coups d'épée. 

— Si les biches étaient ainsi enharnachées, il serait plus 
malaisé de les tuer. 

Mais, dites-moi, seigneur, êtes-vous né comme cela? — 


— Eunn den evel-d-on ann hint eou; 


Gwelaz-te unnn o vont eliou 7 


— Leveret-hu d' i-me da genta; 
Petra ze, na petra rit, gant-ha? 
— Pez am euz c'hoant a dizann gant-han: | 
Eur goaf a leverer anezan; | 
— Gwell eo gan-i, gwell eo va fenn-baz; 
Na eer ked cnn he arbenn heh laz; 
Na petra ann diskel koueveur-ma | 
A zougel-hu dioc h ho prec'h ama ? | 
(veur, | 
— Ne d-e0 ket, mah. eunn diske! koue- 
Eunn tarzian-gwennek he c’halveur. 


! — Otrou marc'hek, n'an goapeet ket: 


Meur a wennek tarzet "um euz gwelet 
Derc'hel e rafe unan em dorn, 


| Kel ledan he-man hag eur menforn. 


— Na pe seurd dillad a zo gan-e-hoc'h; 
Ken pounner hag houarn, pounneroc'h, 


| — Eul lerek houarnet eo ive 


D'an ditenn deuz toliou kleze. 


— Ma ve ’nn heized evelse sternet, 
Diesoch e vizent da dizet. 


Hogen, otrou, leveret d'i-me, 
Ha ganet em oc'h bet evelse? — 


4 11 doit y avoir ici un mot mis pour un aulre, les blancs ne datant que de l'an 1550 environ, 
Cependant il s’agit peut être de la monnaie appelée Keinioc (gwennek) dans les lois galloises du 


dixième siècle. 


0 


82 CHANIS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

Le vieux chevalier, à ces mots, partit d’un grand éclat de 
rire. 

— Qui diable vous à done habillé, si vous n'êtes pas né 
comme cela? 

— Celui qui en a le droit, c'est celui-là, mon cher enfant, 

— Mais alors qui en a le droit? 

— Personne que le seigneur Comte de Quimper. 

Maintenant, réponds-moi à ton tour; as-tu vu passer un 
homme comme moi? 


— J'ai vu passer un homme comme vous, et c’est par ce 
chemin qu'il est allé, seigneur. — 


I] 


Et l'enfant de revenir en courant à la maison; et de sauter 
sur les genoux de sa mère, et de babiller. 

— Ma mère, ina petite mère, vous ne savez pas? Je n'avais 
jamais rien vu de si beau ; 

Jamais je n'ai rien vu de si beau que ce que j'ai vu aujour- 
d'hui : 

Un plus bel homme que le seigneur Michel, l'archange, qui 
est dans notre église! 

— Iln'y a pas d'homme plus beau pourtant, plus beau, 
mon fils, que les anges de notre Dieu. 





Ar marc'hek koz, evel m he glevaz, II 


Awalc'h he galon c'hoarzin a reaz. 

— Piou, han diaoul ’ta, en deuz ho ster- 
Ma ne d- oc'h het evelse ganet? [net 
— Ann hini en deuz gwir da ober, 
Hen-nez en deuz gret, va mabik ker. 

— Ja piou neuz brema pwir da ober? 
— Den nemed ann otrou Kont Kemper. 
Lavar ive ann tol-ma d'i-me; 

Gwelazte cunn den evel-d-on-me? 

— Eunn den evel-d-hoc'h am euzgwelet : 
Ha dre-ze ire, otrou, e ma eet. — 


Har ar potr J'ar ger onn our redek : 
Ha war varlen he vamm, ha prezek : 


— Ma mammik, ma mamm, na ouzoc'h 
[ket ? 

Biskoaz tra ker brao Yarm box gwelet; 

Piskoaz netra ker brao na weliz 

Har am cuz gwelet hiriou ann deiz: 

Braoc'h den hag ann otrou Mikel 

A zo enn hon iliz, ann arc'hel) 

— N' euz den, ma map, braoc'h koul<- 

Braoc’h evid elez hon l'ou. [koude, 





LEZ-BREIZ, 85 


— Sauf votre grâce, ma mère, on en voit; ils s'appellent, 
disent-ils, chevaliers ; 

Et moi je veux aller avec eux, et devenir chevalier comme 
eux. — 


La pauvre dame, à ces mots, tomba trois fois à terre sans 
counaissance. 


Et l'enfant Lez-Breiz, sans détourner la tête, entra dans 
l'écurie ; 

Et il y trouva une méchante haquenée, et il monta vite sur 
son dos; 


Et il partit, courant après le beau chevalier, en toute hâte, 
sans dire adieu à personne ; 


Courant après le beau chevalier vers Quimper, et il quitta 
le manoir, 


IT 


LE RETOUR. 


Le chevalier Lez-Breiz fut bien surpris quand il revint au 
manoir de sa mère ; 


Quand il revint au bout de dix ans révolus, déjà fameux en- 
tre Les guerriers. 





—Sal-ho-kras, ma mamm, gwclet a reer: | Da heul ar marc'hek ken da Gemper: 
Marc'heien. emint-hi, ho hanver: Ha kuitat a eure ar maner 

Ha me a fell d'in monet gant ho, 

Ha monet da varc'heg evel-t-ho. — 

Ann itron gez. evel pa glcvaz. Il 

Teir gwerh d'ann douar a fatigaz. 
Ha potr Lez-Breiz, heb sellet adre, ANN DISTRO. 

Ebarz ar marchosi a caz tre, 

Hag eur c'hoz-inkane a gavaz, Marc'hek Lez-Breiz 0e souezet braz 
Ha prim war he c'hoare a bignaz; Da vaner he vamm pa zistroaz; 

Har hen kuit da heul ar marc'hek ken; | Pa zistroaz a-henn dek vloa Krenn, 
Kuit, ha timad, heb Kimiada den; Kenvrudet etouez ar varc'heien, 


8% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Le chevalier Lez-Breiz fut surpris en entrant dans [a cour " 
du manoir; 


En y voyant pousser les ronces et l’ortie, au seuil de la 
maison, 


Et les murs à demi ruinés et à demi couverts de lierres. 


Le seigneur Lez-Breiz voulant entrer, une pauvre vieille 
femme aveugle lui ouvrit. 


— Dites-moi, ma grand'mère, peut-on me donner l’'hospi- 
talité pour la nuit ? 


— On vous donnera assez volontiers l'hospitalité, mais elle 
ne sera pas, seigneur, des plus brillantes. 


Cette maison est allée à perte depuis que l'enfant l’a quit- 
160 pour faire à sa tête. — 


Elle avait à peine fini de parler, qu'une jeune demoiselle 
descendit. 


Et elle le regarda en dessous, et se mit à pleurer. 

— Dites-moi, jeune fille, qu’avez-vous à pleurer? 

— Seigneur chevalier, je vous dirai bien volontiers ce qui 
me fait pleurer : 

J'avais un frère de votre âge, voilà dix ans qu'il est parti 
pour mener là vie de chevalier ; 


Marc'hek Lez-Breiz a 0e souezet, | Eet co ann tiegez-ma da gel 
E porz ar maner pa 0e disouet; | Aboue ma eet ar mab enn he roll. — 


U welout eno drein o kreski, | Ne oa ked he c’homz peur-achuet 
Hag al lenad e Loull dor ann ti, | Eur plac'h jaouang a z0 diskennet, 
Hag ar mogeriou haner gouezet, Ba dam-zellet out-han à renz. 

Hag a ilio hanter c'holoet. Ha da oela dru en em lakaz. 

Ann otrou Lez-Breiz. 0 klask mont tre, 


\ l ù — Plac’hik jaouank, d'i-me leveret, 
Eur c’hragezik dall a zigore. 


Petra c'hoarvez gan-e-hoc'h pa oelet ? 





— Leveret-hu di-me, va Mamm-c0z, — Otrou marc'hek, d'hoc'h a lerinn-me 

Ha digemer a gaffenn henoz 7 Petra c’hoarv gan-in pa oclann-me : | 
> 5 1 E l 

-- Digemer awalc'h c'hui a gavo, Eur hreur enn oad gan-e-hoc’h am euz M 


Nareu, otrou, demeuz ar re vrao. 


Dek vloa 20 da varc’heg e ma eet; [bet ; 





LEZ-BREIZ. 85 
Et aussi souvent que je vois un chevalier, aussi souvent je 
pleure, seigneur. 


Aussi souvent, malheureuse que je suis! je pleure en pen- 
sant à mon pauvre petit frère ! 


— Ma belle enfant, dites-moi, n'avez-vous point d'autre 
frère? n'avez-vous point de mère ? 

— D'autre frère! je n’en ai point sur la terre; dans le ciel, 
je ne dis pas : 

Et ma pauvre mère, aussi elle, y est montée; plus per- 


sonne que moi et ma nourrice dans la maison; 


Elle s’en alla de chagrin, quand mon frère partit pour de- 
venir chevalier, je le sais ; 


Voilà encore son lit de l’autre côté de la porte, et son fau- 
teuil près du foyer, 


Et j'ai sur moi sa croix bénite, consolation de mon pauvre 
cœur en ce monde. — 


Le seigneur Lez-Breiz poussa un sourd gémissement; telle- 
ment que la jeune fille lui dit : 


— Votre mère, l’auriez-vous aussi perdue, que vous pleu- 
rez en m'écoutant ? 





Ha kelliez-gwech marc'hek "welann: 


Nemed on gant magerez enn ti; 
Kelliez-ewech, va otrou, ’oelann; 


Mont a reaz Kuit sand ar c'hlac’har, 


Kelliez-gwech, siouaz d'in, ’oelann ; 
Gand koun ouz ma breurik paour her 
[grann ! 

— Va merc'hik Koant d’i-me leveret, 
Na hreur al}, na mamm n'hoc’h euz-bu 
[ket? 
— Breur all war ann douar n'am euz 
Er haradoz. na lavarann ket : [ket; 


Ha ma mamm baour ive ez ’eet di; 


Pa eaz va hreur da varc'hek, m'her goar, 
Hi gwele c'hoaz enn-tu-all d'ann nor, 
Hag c Korn ann oaled he c'hador ; 

Ha gan-i-me he c'hroaz henniget. 
Frealz am c'halon baour war ar bed. — 
Ann otrou Lez-Breiz a hirvoude ; 

Ken a lavarat ar plac'h goude : 

— Ho marm (Ye hoc'h euz-hu Kollet, 
0 selaou ac'hanon pa welet? 


86 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

— Oui! j'ai aussi perdu ma mère, et c’est moi-même qui 
l'ai tuée! 

— Au nom du ciel! seigneur, si vous avez fait cela, qui 
êtes-vous? comment vous nommez-vous ? 


— Morvan, fils de Konan, est mon nom, et Lez-Breiz mon 
surnom, ma sœur. 


La jeune fille fut si interdite qu’elle resta sans mouvement 
el sans VOIX ; 


La jeune fille fut si interdite, qu'elle crut qu’elle allait 
mourir. 


Tant qu'à la fin il lui jeta ses deux bras autour du cou et 
approcha sa bouche de sa petite bouche. 


Et elle le sorra dans ses bras, et elle l'arrosa de ses larmes : 
— Dieu (avait éloigné, et Dieu (a ramené ! | 


Dieu soit béni, mon frère, il a eu pitié de mor. — 


II] 


LE CHEVALIER DU ROI 


I 


Entre Lorgnez et le chevalier Lez-Breiz a été convenu un 
combat en règle. S 





~ Ja! va mamm ive am euz kollet, 
Ha me ma eunn am euz hi lazet! 

-— Han Doue) otrou, m'ac'h euz her gret, 
Piou oc'h-hu, ha penoz oc'h hanvet? 

— Morvan, ap-Konan, eo va hano, 

Ha Lez-Preiz, va c'hoar, va lez-hano. — 
Ken souezet a 06 ar plac'hik 

Ken na fiche na lavare grik; 

Ken souezet a 06 ar plac'hik 

Ken a vennaz gant-hi mervel mik : 
Ken he ziou vrec'h d'he goug a dolaz, 
Hag he vek d'he begig a lakaz; 


Hag he vriata hi a reaz, 
Hag cnn he daclou hi he veuzaz : 


— Doure en devon da bellaet, 
Ha Douce en deuz da dostaet! 


Ra vezo, va breur, meulet Doue, 
Truez en deuz het ac'hanon-me, — 


1 
MARC'HEG AR ROUE. 


I 
Etre Lorgnez ha marc'hek Lez-Breiz 
À zo bet Lonket eunn emgann rei. 


LEZ-BREIZ. 87 


Que Dieu donne la victoire au Breton et de bonnes nou- 
velles à ceux qui sont au pays! 

Le seigneur Lez-Breiz disait à son jeune écuyer, un jour : 

— Éveille-toi, mon écuyer, et te lève; et va me fourbir 
mon épée ; 

Mon casque, ma lance et mon bouclier ; que Je les rougisse 
dans le sang des Franks. 

Avec l’aide de Dieu et de mes deux bras, je les ferai sauter 
encore aujourd'hui! 

— Mon bon seigneur, dites-moi : n'irai-je pas au combat à 
votre suite? 

— Que dirait ta pauvre mère, si tu ne revenais pas à la 
Hiiaison 7 

Si Lon sang venait à couler sur la terre, qui mettrait un 
terme à sa douleur ? 

— Au nom de Dieu! seigneur, si vous m'aimez, vous me 
laisserez aller au combat. 

Je n'ai pas peur des Franks; mon cœur est dur, tranchant 
mon acier. 

Qu'on y trouve à redire ou non, où vous irez, J'irai moi- 

11ème; 

Où vous irez, j'irai moi-même ; où vous combaltrez, je com- 

battrai. — 


Dour da rai gonid J'ar Breizad, 

Ha d’ar re z0 er ger kelou mad ! 
» Ann otrou Lez-Breiz a lavare 

D'he floc'hig iaouang, eunn deiz a or : 


— Ha petra lavarfe da vamm ger, 
Ma na zistrofez ket mut W'ar ger? 
Pa redfe da wad war ann douar, 

Diou lakefe Lermen d'he glac hnr ? 
— Dihun, va floc'h; ha sav alese; 
Da ke da snura d'in va c'hleze ; 


— Han Doue! otrou, ma em c'haret. 
D'ann cmgann c'hui va losko monet. 
E 


Va zokhouarn, va goaf ha va skoed, 
D'ho rusia e goad ar C’hallaoued. 
Gand skoazel houe ha ma diou-vrec'h. 
Me ho zavo c'hoaz hirio d'ann nec’h! 





— Va otrou mad, d’i-me leveret : [ket? ! 


Ha d’ann emgann d'hoc'h heu] na inn 


N'am cuz ked aoun rag ar C'hallaoued; 
Kriz eo va c'halon, va dir lemmet. 
Beza drouk gand ann nel a garo, 
Elec'h m'a eot me a eo ; 

Elec'h m'a eot me a ielo; 

"Lec'h m'a vrezelot, me ’vrezelo, — 


88 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


II 
Lez-Breiz allait au combat, son jeune page avec lui pour 
toute suite. 
Passant près de l’église de Sainte-Anne d'Armor, il y entra. 


— 0 sainte Anne, dame bénie; je vins bien jeune vous 
rendre visite ; 


Je n'avais pas vingt ans encore ; et j'avais été à vingt com- 
bats, 

Que nous avons gagnés tous par votre assistance, à dame 
hone) 

Si je retourne encore au pays, mère sainte Anne, je vous 
ferai un présent. 

Je vous ferai présent d'un cordon de cire qui fera frois fois 
le tour de vos murs; 

Et trois fois le tour de votre église, et trois fois le tour de votre 
cimetière, et trois fois le tour de votre terre, arrivé chez moi. 

Et je vous offrirai une bannière de velours et de satin 
blanc, avec un support d'ivoire poli. 

De plus, je vous donnerai sept cloches d'argent qui chante- 
ront gaiement nuit et jour sur votre tête. 

Et j'irai trois fois, à genoux, puiser de l’eau pour votre bé- 
nitier. 


II : Mar dann-mec’hoaz war va c’hiz d'ar vro, 
Mamm santez Anna, me ho kopro. 

Monet eure Lez-Breiz d'ann emgann Me a raio d'hoc’h eur gouriz koer 
Nemed he loc'hig iaouank gant-han. A rai teir zro endro d’ho moger, 
Santez Anna "Y vor pa erruaz, Ha teir d'hoc'h iliz, teir d'ho pered ; 
Tre ’barz he iliz hen a ieaz. | Ha teir d'ho (ouar: pa venn digouet ; 
— Itron santez Anna henniget: Hag eur banniel voulouz-satin-gwenn, 
laouankig e Louiz J'ho kwelet; | Eunn troad olifant flour J'ho dougen, 
Ne oann ked ugent vlonz achuet: Ha seiz kloc'h arc'hant a roinn ouspenn 
Has e ugent stourmad e oann het, A gano se, noz-dez, war ho penn. 
Bag ho holl hon euz ho gonezet, Ha teir gwech ez inn war va daouliu 





Dre ho Kennerz, itron benniget. Da gerc'hat dour eviL ho pinsin. 


si 


— Va au combat, va, chevalier Lez-Breiz; j'y vais avec 
toi. — 


LEZ-BREIZ. 89 


11] 
— Entendez-vous? voilà Lez-Breiz qui arrive; il est suivi 
sans doute d’une armée bardée de fer. 


Tiens! il monte un petit âne blanc dont la bride est un li- 
cou de chanvre; 


Il a pour toute suite un petit écuyer : mais on dit que c’est 
un terrible homme ! — 


Le jeune écuyer de Lez-Breiz, en les voyant, se serra de 
plus en plus contre son maitre. 

— Voyez-vous! c’est Lorgnez qui vient; une troupe de 
guerriers devant lui ; 


Une troupe de guerriers derrière lui; ils sont dix, et dix, et 
puis dix encore. 


Les voilà qui arrivent au bois de châtaigniers : nous aurons, 
mon pauvre maître, bien de la peine à nous défendre ! 


— Tu iras voir combien ils sont quand ils auront goûté 
mon acier. 


Frappe ton épée, enfant, contre mon épée, et marchons à 
eux. — 





— Ke d'ann emgann, ke, marc'hek Lez- 
[Breiz : 


Tost-oc’h-tost d'he vestr en em riblaz : 
— Sellet-hu ! Lorgnez 0 tont cnn hent 7 


Mont à rann-me gen-oud-de ivez. — 


IT 


— Klevet-hu? "ma Lez-Breiz 0 tonet 
Gant-han eur strollad hag hen fardet! 


Ha! dindan han eunn azenik gwenn 
Eur c'habestrik kanab enn he henn, 


Hag eur Hoc'h bihan enn he gichen ; 
Tag hen, hervez ar vrud, eur ewall-zen.— 


Floc’h bihan Lez-Breiz dal’ m'ho gwelaz, 


Eur stroll marc'heien "nn he ziagent. 
Eur stroll marc'heien adren he gein : 
Dek 70, ha deg all, ha deg ouspenn! 

Ma int o tigout gand ar c’hoad kesten : 
Deac'h a vo, mestr paour, en em zifenn! 
— Gwelet pet zo anezho rit-te, 

Pa ho devo tanvet va dir-me. 


Stok da gleze, Hoc'h, ouz va c'lñeze, 
Ha deomp-ni arog enn ho bete. — 


\ 


90 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE,. 


IV 


— Hé! bonjour à toi, chevalier Lez-Breiz. 
— Hé! bonjour à toi, chevalier Lorgnez. 
— Est-ce que tu viens seul au combat? 
— Je ne viens pas au combat seul; 


Au combat seul je ne viens pas; sainte Anne est avec 
mo1. 


— Moi, je viens t’ôter la vie par l’ordre de mon roi. 


— Retourne sur tes pas! va dire à ton roi que je me moque 
de lui comme de toi, 


Que je me moque de lui comme de toi, comme de ton épte, 
comme des tiens. 

Retourne à Paris, au milieu des femmes, y porter tes habits 
dorès ; 

Autrement, je rendrai ton sang aussi froid que le fer ou la 
pierre. 

— Chevalier Lez-Breiz. dites-moi : en quel bois avez-vous 
été mis au jour ? 

Le dernier valet de ma suite ferait sauter votre cisque de 
dessus votre tête. — 





IV — Ke war da c'hiz) lavar d'az roue 

— Ha! de-mad d'id-de, marc'hek Lez- Es ARE OUR Ge 
[Breiz | Me ra fae out-han "vel anoud--de, 

— Ha! de-mad d’id-de, marc'hek Lor- | Vel deuz da gleze, "Yel deuz da re. 
[rnez. | Ke da Baris, emesk ar merc'hed. 

— Ha deut oud da unan d'ann emganu? | Da zougcn da zillad alaouret: 

— N'onn ked deut d'ann cmgann ma | Hend-all, e likinn da wad ken ien 


[unan ; | Ha ma ’z eo ann houarn pe ar men. 
D'ann emgann ma unan ne dann ket, — Marc'hek Lez-Breiz, d’i-me leveret : 
Santez Auna z0 gan-in kevred. E pe goad e m’oc’h-hu het ganet? 
— Dont a rann-me aberz va roue Distera mevel zo em banden 


Da lemel digan-id da vuhe. | A lemfe ho tok diwar ho penn, = 


52448 


LEZ-BREIZ. 01 
A ces mots, Lez-Breiz tira sa grande épée : 


— Si tu n’as pas connu le père, je te ferai connaitre le 
fils! — 


Y 
Le vieil ermite du bois, debout sur le seuil de sa cabane, 
p-rlait ainsi doucement à l’écuyer de Lez-Preiz : 


— Vous courez bien vite à travers le bois! votre armure 
est souillée de fange et de sang. 


Venez, mon enfant, dans mon ermitage; venez vous re- 
poser et vous laver. 


— Ce n’est pas le moment de se reposer et de se laver, 
mais, certes, de trouver une fontaine ; 


De trouver de l’eau par ici pour mon jeune maitre, tombé 
au combat, épuisé de fatigue ; 


Treize guerriers tuës sous lui; le chevalier Lorgnez tué tout 
l premier ! 


Et moi, j'en ai abattu autant; les autres ont pris la fuite. - 


YI 


I n'eùt pas été Breton dans son cœur, celui qui n'aurait 
pas ri de tout son cœur, 


Lez. Breiz, da'm en deveuz he glevet, |} — Ne Ked dare diskuiz ha gwalc’hi ; 
Ie gleze braz en deuz diwennet : Nemed kaout eur feunteun, heb si; 
— Ma ne (euz ked anavet ann tad, | Kaout dour dreman d'am mestr iaouank 
Me rai d'id anaout ar mab anat ! — llag hen Kouezet cnn emgann skuiz- 
l {Stank 
Y | Trizek soudard lazet dindan han, 


Marc’hek Lorgnez lazet da gentan! 
s 
Lean koz ar c'hond war dreuz he gell, 


Doc'h Lez-Breiz a lavare hel : 
— Tiz 20 war-n-hoc'h o redeg er c'hoad! 
Sotret hoc'h harnez gand poultr ha sond: VI 
Deuet, mabik, tre em minic'hi: Breizad enn he galon na vize, 
Deuet da ziskuiz ha da walc'hi, Neh awalc'h he galon na c'hoarze, 


Ha m'em euz diskaret kement-all; 
Lammout Kuit ho deuz gret ar re-all, — 





92 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
En voyant l'herbe verte rougie du sang des Franks maudits. 


Le seigneur Lez-Breiz, assis auprès, se délassait à les re- 
garder. 


Il n'out pas été chrétien dans son cœur, celui qui n'eût pas 
pleuré à Sainte-Anne, 


En voyant l’église mouillée des larmes qui tombatent des 
yeux de Lez-Breiz. 


De Lez-Breiz pleurant, à genoux, en remerciant la vraie pa- 
tronne de la Bretagne. 


— Grâces vous soient rendues, 0 mère sainte Anne! C'est 
vous qui avez gagné cette victoire ! — 


VIT 


En bon souvenir du combat, a été composé ce chant; 


Qu'il soit chanté par les hommes de la Bretagne en l’hon- 
neur du bon seigneur Lez-Breiz ! 


Qu'il soit longtemps chanté au loin à la ronde, pour réjouir 
tous ceux du pays! 





0 welet ar ieot glaz ruiet — Trugarekat! mamm Santez Anna! 
Gand pond ar C’hallaoued milliget. C’hui hac'h euz gonezet ann tol-ma ! — 
Ann otrou Lez-Breiz, enn he gaonse, 

0 tiskuiza, out ho a zelle, VIT 

Kristen enn he galon na vize, Da zerc’hel koun mad euz ann emgann, 
E Santez Anna, neb na oelze, Eo het savet ar barzonek-man, 

0 welet ann iliz 0 leiza Ra vezo kanet gant tud a Vreis 

Gand daoulagad Lez-Breiz 0 oela, Enn enpr d'ann otrou mad Lez-Breiz!- 
War he zaoulin, o oela Lez-Breiz, Ra vezo kanet pell tro-war-dro, 


0 trngarekat gwir-warez Vreiz. Da lakat Jaouen holl dud ar vro) 


LEZ-BRELZ. 93 


LV 


LE MORE DU ROï. 


I 

Le roi des Franks disait aux seigneurs de sa cour, un 
jour : 

— Celui-là me rendra un hommage véritable qui viendra à 
bout de Lez-Breiz. 

Me combattre, il ne fait pas autre chose, et tuer mes guer- 
riers. — 

Quand le More du roi entendit ces paroles, il se leva, en 
face du roi : 

— Seigneur, je vous ai rendu un hommage sincère, et je 
vous ai souvent donné des garants ; 

Mais puisque vous le voulez, aujourd'hui, le chevalier Lez- 
Dreiz me servira de zarant nouveau. 


Si je ne vous apporte pas sa tête dès demain, je vous ap- 
porterai la mienne avec plaisir. — 


If 


Le lendemain de grand matin, le jeune écuyer de Lez-Breiz 
courait trouver son maitre, tout tremblant : 


IV Morian ar roue dal’ (m'he glevaz 
Dirag tal ar roue à zavaz : 
MORIAN AR ROUE — Otren, otrou, a riz d'hoc'h gwir feiz 
Ha testou a broliz aliez ; 





U Hogen pa veunit, hirio ann detz. 
Roue ar C’hallaoued lavare Test a brofiun c'honz marc'hek Lez-Breiz, 
Da otrounez he lez, eur mare: Ma na gasann d’hoc’h warc'hoaz he beun, 
— JHen-nez a otreo d'in gwir feiz Da eo d'in Kas ma hint laouen, — 
A zeuio ahenn eveuz Lez-Breiz. Il 
C’hoari enep d'i-me, na ra ken, Floc'hik Lez-Breiz, antronoz-beure, 


Kerkouls ha laza va marc'heien. — A rede J'he gaout aonik-tre 


9% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 
— Le More du roi est venu, et il vous a défié. 
— S'il m'a défié, il faut que je réponde a son défi. 


— Cher seigneur, vous ne savez donc pas? c’est avec les 
charmes du démon qu'il combat. 


— S'il combat avec les charmes du démon, nous combat- 
tons, nous, avec l’aide de Dieu! 

Va vite m'équiper mon cheval noir, tandis que 16 serai à 
me revêtir de mes armes. 

— Sauf votre grâce, seigneur, si vous m'en croyez, vous 
ne combattrez pas sur votre cheval noir. 

Il y a trois chevaux dans l'écurie royale; vous pourrez 
choisir entre eux trois. 

Maintenant, s'il vous plait de m'écouter, je vous appren- 
drai un secret. 


C'est un vieux clerc qui me l’a enseigné, un homme de 
Dieu, s’il en est un au monde. 


Vous ne prendrez pas le cheval hat, ni le cheval blanc non 
plus; 


Vous ne prendrez point le cheval blanc; le cheval noir, je 
ne dis pas ; 


Celui-là est placé entre les deux autres, et c’est le More 
du roi qui l'a dompté 





— Vorian ar roue à z0 deuet, 

Hag ho ticheka eu deveuz gret. 

— Mar ma dicheka en deveuz gret, 
Monet war he zicheg a ro red. 

Otrou kez, na ouzoc'h ked eta? 

Dre ardou ann diaol c'hoari a ra. 

— Mar dre ardou ann diaol e c'hoari, 
Dre gennerz Doue ’c'hoariomp-ni! 

Ke primm da sterna va marc'h du d'i, 
Keit ha ma venu oc'h am harnezi. 

— Sal-ho-kraz, otrou, ma em c'hredet 
War ho march du na c'hoariot ket. 





Tri marc'h zo er roue-marchosi; 

C'hu po ann dibab anezho zvi. 

Ha mar d- e0 da d'hoch va c'hlevet-me, 
Diskulia d'hoch eur rin à rinu-me. 
Gand eur c’hloarek koz ’m euz he elevet, 
Eunn deu Doue, mar z0, war ar bed; 
Ar balafrez gel na gemerfet, 

Nag ar balafrez gwenn ken-neubet ; 

Ar balafrez gwenn na 2emerfet, 

Ann hini du na lavarann kel; 

len-nez a 20 e-kreiz e‘re-z-he; 

Hag he zonver, Morian ar roue. 





LEZ-BREIZ. 95 


Si vous m'en croyez, prenez celui-là pour aller vous battre 
avec lui, 


Quand Le More entrera dans la salle, il jettera son manteau 
à terre. 


Pour vous, ne jetez pas votre manteau à terre, mais suspen- 
dez-le. 


Si vous meltez vos habits sous les siens, la force du noir 
géant doublera. 


Quand le noir géant s’avancera pour vous attaquer, vous 
ferez le signe de la croix avec le füt de votre lance; 


Puis, quand il fondra sur vous furieux et plein de rage, 
vous le recevrez avec le fer. 


Avec l’aide de vos deux bras et de la Trinité, votre lance ne 
se rompra pas dans vos mains. — 


11 


Sa lance ne se rompit pas dans ses mains, avec l’aide de ses 
deux bras et de la Trinité! 


Sa lance en ses mains ne branlait pas, quand ils chevau- 
chèrent l'un contre l’autre ; 


Quand ils chevauchaient dans la salle, front contre front, 
fer contre fer, leurs lances rapides-aveugles en arrêt. 





Ma em c'hredet, kemeret anean C'hui lalat ho koaf d'hen digemer, 
Evit monet d'aun emgann gant han. Dre nerz ko tiou vrec'h hag ann Drinded ; 
Pa zeuio ar Morian tre er zall, Ho konf enn ho Lorn na vreo ket. — 
E tolo d'ann douar he vantal. 

Toled ked ho mantal d'ann douar, III 


Hogen leket anezhi war var. 


He c'hont enn he zorn na vreaz ket, 
Mar laka he zilad war ho re. Dre nerz he ziou vrec'h hag ann Drinded! 
Dont à rai ar ront du kre-oth-kre. Ile c'hont cnn he zaouarn na flache, 
Ha pa zeuio war-n-hoc’h ar ront du, Pa varc'hcke "nn cil deuz egile; 

Gand prenn ho kont ho kroaza "reot hu; | Pa varc'hekent er zal, tal-oc'h-tal, 





| 


Ha neuze pa lammo foll ha ter, Beg-oc'h-besg ho goafou herrus-dall: 


96 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Rapides-aveugles leurs coursiers hennissants, s’entre-mor- 
dant à faire jaillir le sang. - 


Le rot frank, assis sur son trône, regardait avec ses nobles; 


Regardait et disait : (Tiens, tiens bon, noir corbeau de 
mer! plume-moi bien ce merle! » 


Quand le géant l’assaillait furieux, comme la tempête le 
vaisseau, 


Sa lance en ses mains ne branlait pas; ce fut celle du 
More qui se brisa. 


La lance du More vola en éclats, et il fut démonté violem- 
ment. 


Et lorsqu'ils furent à pied tous deux, ils fondirent l'un sur 
l'autre avec rage; 


Et ils se donnèrent de tels coups d'épée, que les murs trem- 
blaient d'épouvante ; 


Et que leurs armes jetaient des étincelles comme le fer rouge 
sur l’enclume. 


Tant que le Breton, trouvant le joint, enfonça son épée dans 
le cœur du géant. 


Le More du roi tomba; et sa tête rebondit sur le sol. 


Lez-Breiz, voyant cela, lui mit le pied sur le ventre; 





Herrus-dall ho c’hezeg 0 froennat, Ha pa oant war droad war al leur-zi 
O'n em danta ken a strinke goad; Diarbenna reont gand distalm kri; 
Ar roue call, bag hen kadoret, 


l Ha gard ar c'hleze en em fustont 
Gand he dudchentil-veur o sellet, 


Ken a grene "Y vuriou gand ar spout; 
9 scllet har 0 lavaret : « Dalc'h, 


x Ha ken a dole tau ho armou 
Dalc'h mad! morvran du! gra cand ar 





S Evel houarn ru war anneou, i 
[voualc’h ! » 
Pa lamme gant- han a ronf ken ter Ken a gaväz ann tu ar Breton, 
Evel ann tourmant gand al lester. Ha’ blantaz he glenv enn he galon; 
He c'hont enn he zorn na flachaz ket ; Ken à gouezaz Morian ar roue, 
Goaf ar Morian brevi e deuz gret. Hag he benn gand al leur a stoke 
Ken a oa goaf ar ronf skiriennet, Ha Lez-Dreiz, pan deveuz her awelet, 


Har hen enn eunn tol skarz divarc'het: | He droad war he gof en deuz laket; 











LEZ-BREIZ 97 


Et en retirant son épée, 1l coupa la tête du géant more. 


Et quand il eut coupé la tête du More, il l’attacha au pom- 


\ meau de sa selle. 


Il l’attacha au pommeau de sa selle par la barbe qui était 


toute grise et tressée. 


Mais voyant son épée ensanglantée, il la jeta bien loin 


de lui : 


— Moi, porter une épée souillée dans le sang du More du 


roi! — 


Puis il monta sur son cheval rapide, et il sortit, son jeune 


écuyer à sa suite ; 


Et quand il arriva chez lui, il détacha la tête du More ; 


Etil l'attacha à sa porte, afin que les Bretons la vissent. 


Hideux spectacle ! Avec sa peau noire et ses dents blanches, 
elle effrayait ceux qui passaient ; 


Ceux qui passaient et qui regardaient sa bouche ouverte qui 


bäillait !. 


Or, les guerriers disaient : — Le seigneur Lez-Breiz, voilà 


un homme! — 


Et le seigneur Lez-breiz, alors, parla lui-même ainsi : 


Hag he c'hoat digant han a dennaz ; 
Ha penn ar Marian hraz a droc’haz. 

- Ha ponn ar Moriau pa oe troc’het, 
Deuz penn he zibr en deuz he staget. 
Deuz penn he zibr en deuz he staget 
Dre he varo louet ha nezet. 

Hac he gleze goadek pa welaz, 

Pella ma ballaz hen he dolaz. 

— Fae eo gan-in dougen eur c'hleze 
Sotret c goad Morian ar roue ! — 

ag hen da bignat war he varc'h feul, 
Hac c nez, gaud he floc'hik d'he heut: 





Ha d’ar ger evel ma 06 disouet, 

Penn ar Morian eu deuz distaget; 

Hag euz he zor en deuz he staget, 

Da rei da zeilet d'ar Vretoned. 

Euzuz zel]! du he zremm, gwenn hezent; 
Ken a sponte neb a oa enn hent, 

Neb a oa cnn lent har a zelle 

Ouz he vek digor a vaduille. 

Ken a lavare ar varc'heien : 

— Ann otrou Lez-Breiz a zo cunn doen !— 
Hag ann otrou Lez-breiz, a-neuze 

A lavare ive evelse : 


1 La vue de la tête coupée de leur ennemi devait moins effrayer que réjouir les Bretons, 
Il est donc probable que l'original portait hetuz (agréable) au lieu d'euzuz, et luouenne 


{réjouissait) av lisa de 7 sponte. 


7 


98 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— J'ai assisté à vingt combats, et j'ai vaincu plus de mille 
hommes; 


Eh bien, je n'ai jamais eu autant de mal que m'en a donné 
le More. 


Dame sainte Anne, ma chère mère, que vous faites de mer- 
veilles à mon occasion! 


Je vous bâtirai une maison de prière, sur la hauteur, entre 
le Léguer et le Guindy!. — 


LV 


LE LOL, 


Ce jour-là, le seigneur Lez-Breiz marchait à l'encontre du 
roi lui-même ; 


À l'encontre du roi pour le combattre, suivi de cinq mille 
hommes d'armes à cheval. 


Or, comme il allait partir, voilà un coup de tonnerre, de 
tonnerre des plus épouvantables! 





— EL ugent stourmad em onn-me bet. | IV 
Hag oc'hpenn mil den am euz (rec'het: | 
Ha biskoaz n'an hoc Kement a boan | AR ROUE. 


Evol 0 c'hoari deuz ar Morian. | Ann otrou Lez-Breiz, eunn deiz a ou!, 


Iron santez Anna, va mamm ger, | A iee enn arbenn d'ar roue; 
| 
| 
| 


R 1 - ha 1 Ñ 
C'hui a ra hurzudou em c'henver ! | Enn arbenn d'ar roue d'ann emgann, 
Me a zavo d’hoc’h eunn ti-bedi, Pemp mil marc'hek mad a du gant han 


EL) : - EE sta 
War grec'h, etre Leger ha Gindi | Hag endra ma oa 0 kimiada, 


| Tan ann taran, tan ar foultrusa! 


1 Gwenc lan avait dit autrefois : 
Evuruz, evuruz ann li 
E-tre beg Leger ha Gindi! 


« Heureuse, heureuse la maison qui sera bâtie entre l'embouchure du Léguer et la rivière 
du Guindy!» Le poëte populaire s’est souvenn de l'antique prophétie du harde. Au lieu 
désigné, qui est en Trégastel, sainte Anne à une église presque asssi fréquentée que son grand 
sanctuaire d'Armor, près d'Auray, et offrant, dit M. du Mottay, tous les caractères de 
transition du dousième au treitième siècle. Lez-Breiz a laissé son nom au tertre voisin, 
qu'on appelle Krec'h Morvan. 


LEZ-BREIZ. 99 


Son doux écuyer, y prenant garde, en augura mal : 


— Au nom du ciel! maitre, restez à la maison; ce jour 
s'annonce sous de fâcheux auspices ! 


Rester à la maison! mon écuver; c’est impossible; j'en ai 
73 ? 


donné l’ordre, il faut marcher! 


Et je marcherai tant que la vie, que la vie sera allumée 


dans ma poitrine, 


Jusqu'à ce que je tienne le cœur du roi du pays des forèts !, 


entre la terre et mon talon. — 


La sœur de Lez-Breiz, voyant cela, sauta à la bride du che- 


val de son frère : 


— Mon frère, mon cher frère, si vous m'aimez, vous n’irez 


point aujourd’hui combattre ; 


Ce serait aller à la mort! et que deviendrons-nous après? 


Je vois sur le rivage le blanc cheval de mer?; un serpent 


monstrueux l’enlace, 


Enlace ses deux jambes de derrière de deux anneaux ter- 
ribles, et ses flancs de trois autres anneaux, 


EL sos jambes de devant et son cou de deux autres encore, 
et il monte le long de son poitrail, il le brûle, 1l l'étouffe. 


Mag he floch kloux daim arvestaz, 
Prederia cnn drouy a renz : 

—Enn han doue! mestr,chommet er ger ; 
Eur Gwall zevez hiriou a gier) 
Chomm er gcr, va floc’h, ne hallannket’ 
Pam euz laret mont, renkann monet) 
Ha monet a rinn tra vo buhez, 

Buhez enaouet ebarz am c'hreiz. 

Ken a zalc'hinn kalon roue ’nn-argoad 
E-tre ann douar ha sol va zroad.— 

C hoarLez-Breiz,kerkent ham'her gwelaz, 
Gand kabestr (marc'h he hreur a zaillaz: 





— Va breur, va breur ker, ma em c'haret, 
D'ann emgann hiriou na eot ket: 


Nemed J'ar maro na afac'h ze! 
Ila petra vo ann omp goude-ze? 


Morvarc'h gwenn war ann od a welann: 
Eunn aer vraz divent endro d’ezhan ; 


Endro d'he ziousker dren daou skoulm 
gwall, 
Hag endro d'he vouelou tri skoulm all, 
Danu endro J'he zious ker ha J'he c'hout ; 
ed he vrusk em stley, hen gor, hen 
[moug. 


4 La France, par opposition aux côtes de l’Armorique. 

S Symbole des Bretons comme habitants d'une contrée maritime, Armor, et de leur chef 
ui-méme. (V. plus baut, p. 21.) La jeune fille fait ici preuve de ce bon sens précautionneux 
naturel aux femmes, ef qui passait pour don de praphélie dans les sociétés pranitives. 


100 CIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

Et le malheureux cheval se dresse debout sur ses pieds, 
et renversant la tête de côté, il mord la gorge du monstre : 

Le monstre bâille; il agite son triple dard rouge comme 
du sang, et déroule ses anneaux en sifflant ; 

Mais ses petits l'ont entendu, ils accourent : fuis! la lutte 
est inégale, tu es seul. Oh! fuis, sain et sauf! 


— Qu'il y ait des Franks par milliers ! je ne fuis pas devant 
la mort! — 


I n'avait pas fini de parler, qu'il était déjà loin, bien loin 
de sa demeure. 


V 


L’ERMITE. 


] 
Comme L'ermite du bois d'Helléan ! dormait, on frappa trois 
coups à sa porte. 
— Bon ermite, ouvrez-moi la porte; je cherche un asile où 
me relirer, 
Le vent souffle glacé du côté du pays des Franks : c'est 


l'heure où les troupeaux et même les bêtes sauvages ont cessé 
d'errer cà et là. 


— 





Ken a zav war he dreid ar marc'h kez. Li 

Hag a-dreuz peun, e tant chig ar gwez; AL LEAN. 

Hi à vadaill, a dreflemm ru goad, E 

Ha dibuna’ ra 0 c'houi hanat ; 1 

Ken a glev he aered, hag e lamm : Pa oa kousket lenn koad Hellean, 
Tec'h kuit, dispar, unik! (ec'h dinam! Tri zol war he zor a skoaz unan. 
— Bez a C'hallaoued pez a garo! — Lean mad digoret ann nor d'in, 
Me na derc'hann ket rog ar maro ! — M'am bo minic'hi a vinic'hinn. 

Ne on ket peurlavaret he c'her. Ma ann avel kriz diwar vro-C'hall, 
Ha pa oa pellik, pell euz ar ger. Pa na vresk na loen gwez na chatal: 


1 Ce hots faisait autrelois partie de l'immense forêt de Brécilien ou Brocéliande ; 11 n'en 
reste plus que le nom, 





LÉZ-PBREIZ. 101 





Le vent souffle glacè du côté de la mer; il n’est pas bon 
d'être dehors. 


— Qui êtes-vous, qui frappez à ma porte à cette heure de 
minuit et qui demandez à entrer ? 


— La Bretagne me connaissait bien; au jour de son an- 
goisse J'étais Lex-Breix (le soutien de la Bretagne). 


— Je ne vous ouvrirai pas ma porte; vous êtes un sédi- 
tieux, je l'ai oui dire ; 

Vous êles un séditieux, je l'ai oui dire; vous êtes l'ennemi 
du roi béni. 

— Je ne suis pas un séditieux, j'en prends Dieu à témoin, 
1 un traitre non plus. 

Maudits soient les traitres, et le roi, et les Franks! 


Leur langue sue, comme la langue du chien, une sueur qui 
fait trou comme la sueur des damnèés. 


Maudits soient les traitres ! sans eux j'aurais remporté la 
victoire. 


— Fils de l’homme, garde-toi de maudire jamais ni ami, 
Li ennemi, ni personne ainsi; 


NI par-dessus tout le seigneur roi, car il est l’oint de Dieu. 


— L'oint de Dieu, il ne l’est pas! l’oint du démon, je ne dis 
pas. 





Ma ann avel garo diwar vor Va malloz a roann d'ann drubaraea, 
Ne d-e0 ket brao bout e Loull ann nor. | Ha d'ar roue ha d'ar C'hallaoued) 
— Na piou oc'h a skoit war va dor, Ho zeod a doli c'hounez evel teod ki, 
Da hanter-noz 0 c'howen digor ? C'houez a splui ’vel c'houez re 0 leski, 
Am anavout mad a eure Breiz; Va malloz a roann d'ann drubarded! 
T deiz he anken me oa Lez-breiz. Paneved-ho am be gonezet. 
— Ma dor d’hoch-hu na zigorinn ket: — Mab-den, mir na villigi morse 
Klevout oc'h eur gelen, am euz grok: Kar, na diskar, na den evelse; 
Klevout oc'h eur gelen am euz grel, Na dreist-ann-holl ann otrou roue, 
Hag enel d'ar roue benniget. Hag coliet e ma het gand Doue. 
— Gelen, Doue z0 test! n’em onn ket — Eolet gand Doue ne ma kot het: 
Na trubard a hent-all, ken-neubed. L Eolet gand ann diaol ne larann ket 
AC / 
TS +1% 
= io'a Ep -2 
ÑAS + 


102 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. d 1 


L'oint de Dieu, il ne l’est pas celui qui ravage la terre des 
Bretons. 


Mais l'argent qui vient du démon se dépense pour ferrer 
Pol '; 


Se dépense pour ferrer le vieux Pol, et toujours il est dé- 
ferré?. 
Vieil ermite, ouvrez-moi, que j'aie une pierre où m’asseoir. 


— Je ne vous ouvrirai pas ma porte ; les Franks me cher- 
cheraient querelle, 

— Viel ermite, ouvrez-moi la porte, ou je la jette dans la 
InaISOn. — 

Le vieil ermite, entendant ces paroles, sauta à bas de son lit; 

Et il alluma une petite torche de résine, et il alla ouvrir 
la porte. 


Or, quand la porte fut ouverte, il recula épouvanté, 


En voyant s’avancer un spectre tenant dans ses deux mains 


sa tête; 
Les yeux pleins de sang et de feu, tournoyants d’une ma- 
nière horrible. 


— Silence! vieux chrétien, ne vous effrayez pas; c'est le 
Seigneur Dieu qui l’a permis. 





Eolet gand Doue ne ma ket bet Al lean koz da'm: en deuz klevet 
Neb a wast douar ar Yretoned : Sevel deuz he wele en deuz gret; 
Hogen prz a zeu 2-berz ann Diaol Hag eur boudik rusken enaouaz, 
A zistro, vad, da houanra Pol, Ha da zigor ann nor a eaz. 

Da houarna Pol-goz a zistro, Hogen, pa oa ann nor digoret, 

He droad gant han dishouarn ato. Argila gand spont en deveuz gret, 
Lean koz dicoret ann nor d'in, 0 welet a tonet cunn tasman 
M'am hezo eur men hag azeinn! He benn etre he zaouarn gant-han 
— Va dor d'hoc’h-hu na zigoripn ket: Leun a wad ha ’dan he zaoulagad, 
Trouz am hete ganil ar C'hallaoued. 0 troidella euzuz anat. 

— Lean koz digoret ann nor d'i, — Tevet, kristen koz, na spontet Kot; 
P'a-hent-all m’he zol ebarz ann ti. — Ann Otrou Doue liv en deuz roet, 


4 C'est le nom qu’on donne au diable en Basse-Bretagne. 
8 C'est-à-dire : bien ma] acquis ne profile pas, 





LEZ-BREIZ. 103 


Le Seigneur Dieu a permis aux Franks de me décapiter pour 
un temps; 

Et maintenant il vous permet à vous-mème de replacer ma 
tête, si vous le voulez, 


Parce que j'ai été débonnaire et secourable à mes sujets. 


— Si le Seigneur Dieu me permet de replacer votre tête, 
selon mon bon vouloir, 


Parce que vous avez été débonnaire et secourable à vos su- 
jets; | 

Que votre tête soit replacée, mon fils, au nom de Dieu, 
Père, Fils et Esprit! — 

Et par la vertu de l’eau béuite, le fantôme devint homme, 


Quand le fantôme fut devenu homme, ermite parla de la 


sorte : 


— Maintenant vous allez faire pénitence, rude pénitence 
avec moi; 


Vous porterez pendant sept ans une robe de plomb cade- 
hassée à votre cou. 

Et chaque jour, à l'heure de midi, vous irez, à jeun, cher- 
cher de l’eau à la fontaine au sommet de la montagne. 


— Qu'il soit fait selon votre sainte volonté ; comme vous le 
dites, je le dis. — 





Ann Otrou Doue liv en deuz roet 
D'am dibenna berr, d'ar C'hallaoueu, 


| Ha liv a ra breman ive d'hoc’h 


D'an daspenna, mar plijfe gan-e-hoc’h, 
Abalamour ma oenn truezuz 


| E kever va zud ha damantuz. 
| — Mar ro d'in liv ann Otrou Douc 


D'ho taspenna, mar plij gan-i-me, 
Ahalamour e oec'h truezuz 
E kever ho (ud ha damantuz; 


Ra viot-hui, va map, daspennet 
Enn han Doue, Tad, Mab ha Spered) — 





Ia dre nerz euz ann dour benniget, 
Ann tasman da zen a z0 deuct, 

Pa oe deuet ann tasman da zen, 

AI lean a gomzaz evelhenn : 

— Breman a reot eur binijen, 

Eur binijen galet gan-i-men : 

Eur zae blom e-pad seiz vloa ’zouglet, 
Hag e kerc'hen ho koug chadennet: 


: Ha c'hui a 161 peb kreiz-tez war-iun, 


Da vid dour da feunteun-beg-ar-run. 


— Ra vezo gret hervez hoc'h ioul c'hlan 
"Yel ma leveret, hel lavarann.— 


10% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Quand les sept ans furent révolus, sa robe écorchait ses 
talons ; 


Et sa barbe, devenue grise ainsi que la chevelure de sa 
tête, descendait jusqu'à sa ceinture; 


À le voir, on eût dit d’un chene mort depuis sept ans. 
Quiconque l’eût vu ne l'eût pas reconnu ; 


Il ne le fut que par une dame vêtue de blanc qui passait 
sous le bois vert : 


Elle Le regarda et se mit à pleurer : — Lez-Breiz, mon 
cher fils, est-ce bien toi! 


Viens ici, mon pauvre enfant, viens ici que je te décharge 
bien vite de ton fardeau ; 


Que je coupe ta chaine avec mes ciseaux d’or : je suis ta 
mère, sainte Anne d'Armor. — 


Il 


Or, il y avait sept ans et un mois que son écuyer le cher- 
chait partout. 


Et son écuyer disait ainsi en cheminant par le bois d'Helléan: 


— Si j'ai tué son meurtrier, je n’en ai pas moins perdu mon 
cher seigneur. — 


Alors il entendit à l'extrémité du bois les hennissements 
plaintifs d’un cheval. 


Ha pa oe ar seiz vloa tremenet, 
Seul he dreid gand he zae oa kignet : 


M'az inn-me raktal d'az tizamma 


M'az tichadenninn cand va gwentl aour: 


Ha louet he varv ha bleo he benn, 
Hag he varv 0 tont war he varlen: 


Hag hen evel eur wezen dero 
Hag a vize sciz vloa z0 maro. 


Ann nch en divize he welet. 
N'en divize he anavezet: 


Nemed eunn itron wenn her greaz, 
0 vont ehiou dindan ar c'hont glaz : 


Hag hi sellet out-han, ha goela : 
— Lez-Breiz, va mab kez, ha te eo’ta ! 


Deuz ama, va mab paour, deuz ama, 


Me eo da vamm, santez Anna ’r vour — 


IL 
Ha breman seiz vloa hag eur miz krenn 
Oa he floch d'he glask e peh (achen. 
Hag he Hoc'h a lavare ’vel-man, 
0 vont gant he hent e koad Hellean: 
— Evid me bout lazet he lazer, 
Me am euz kollet va otrou ker.— 
Evel pa glevaz e penn ar c'hoat. 
Eur marc'h ez-kanvuz 0 c'houirinat, 


009 Fe LEZ-PREIZ. 105 


Et le sien, mettant le nez au vent, Y répondit en caracolant. 


Arrivé à l'extrémité du bois, il reconnut le cheval noir de 
Lez-Breiz. 


Il était près de la fontaine, la tête penchée, mais il ne pais- 
sait ni ne buvait ; 


Seulement il flairait le gazon vertet il grattait avec les pieds. 
Puis il levait la tête, et recommençait à hennir lugubrement. 
À hennir lugubrement : quelques-uns disent qu’il pleurait. 


— Dites-moi, 0 vous, vénérable chef de famille, qui venez 
à la fontaine, qui est-ce qui dort sous ce tertre? 


— C'est Lez-Breiz qui dort en ce lieu; tant que durera la 
Bretagne, il sera renommé; 


Il va s’éveiller tout à l'heure en criant, et va donner la 
chasse aux Franks ! — 


NOTES 


TL serait curieux de comparer le dernier chant de ce poëme avec un 
récit latin du temps, ouvrage d’un religieux frank nommé Ermold le 
Noir, qui suivit en Bretagne l’armée de Louis le Débonnaire, et qui a 
chanté sa victoire sur les Bretons. Même esprit, mêmes rôles, même 
caractères, et souvent mêmes faits. Je ne ferai qu'un rapprochement, 
mais il est frappant. Après avoir raconté le résultat de l'expédition de 
Louis le Débonnaire contre Morvan-Lez-Breiz, Ermold le Noir ajoute : 
« Quand Morvan eut été tué, on apporta sa tête toute souillée de sang 
à un moine appelé Witchar, qui connaissait bien les Bretons, et possédait 
sur les frontières une abbaye qu'il tenait des bienfaits du roi; Witchar 


Hag he varc'h kerkent ha ma fronaz, Ha c'houirinat kanvuz adarre: 
Aschouirinat, 0 fringal, a roaz. Ha c'houirinat kanvuz adarre : 

Hag e penn ar c'hont pa 0e digouet, Darn alavar penoz e oele. 

March du Lez-Breiz en deveuz gwelet. | __ Ozac'h koz, leo, o tant d'ar feunten, 
Hag hen enn he stou ‘tal ar feunten, Ha piou a gousk dindan ar voden? 


\ao 1 N U > . Z « 
Nag eva na puri n’eure grenn; — Lez-Breiz a zo dindan hi kouskot: 
Nemed musa "nn dirien c'hlaz n’eure; Tra vezo Breiz a vezo brudet; 


Ha gand karn he dreid a ziskrape. Dihun a rai e berr 0 iouc'hal, 
Ha sevel he benn goude eure, Hng a rei ho stal da’re Vro-C'hall. 


106 CIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 





la prit entre ses mains, la (romp dans l’eau, la lava, et, en ayant peigné 
et lissé les cheveux, il reconnut les traits de Morvan. » 

L’ermite du poëme populaire, qui est évidemment le même queWitchar. 
prend aussi entre ses mains, comme on l’a vu, la tête de Morvan-Lez- 
Dreiz. et il la trempe dans l'eau; mais cette eau est bénite, et sa vertu, 
jointe au signe de la croix, ressuscite le héros breton. Cependant fous les 
événements n’ont pas élé aussi compiétement transformés par le poële 
populaire, témoin la vengeance que l’écuyer de Morvan tire de la mort 
de son maître. Ici la tradition le dispute en précision à l’histoire; lune 
met le récit de cette vengeance dans la bouche de l’écuyer : « Si j'ai tué, 
dit-il, son meurtrier, je n’en ai pas moins perdu mon cher seigneur ; » 
l’autre s'exprime de le sorte, avec moins de laconisme : « Au moment 
où un guerrier frank, nommé Cosl, tranchait la tête du Breton, l’écuyer 
de Morvan le ranna lui-même par derrière d’un coup mortel?» 

La sœur de Lez-Breiz peut avoir, comme ermite et l’écuver, son proto- 
type dans l'histoire. L'écrivain frank, à la vérité, lui donne une femme 
et non une sœur ; mais n'a-t-il pas à dessein confondu l’une et l’autre 
pour rendre odieux le vaincu ? Il est permis de le penser quand on a lu 
les vers où il calomnie indignement les Bretons, sous prétexte de peindre 
leurs mœurs 5. 

Des deux guerriers mentionnés dans le poëme populaire, aucun ne :6 
retrouve chez l’auteur latin. lL nous apprend seulement, et son témoi- 
gnage est corroboré par celui d'Eginhard, que Louis le Débonnaire, ayant 
conquis Barcelone, fit prisonnier, et relint près de lui pour le servir #, 
plusieurs des Mores qui habitaient la ville #. C'était d’ailleurs la mode à 
Ja cour des rois de cette époque d'avoir pour officiers des hommes de 
race noire. Le More du poëme populaire est donc certainement un per- 
sonnage réel. L'auteur breton n'est pas moins d'accord avec tous les 
historiens du neuvième siècle, quand il suspend la tête ensanglantée du 
vaincu au pommeau de la selle de Lez-Breiz, qui l'emporte comme un 
trophée; on trouve dans les chroniques dn temps mille preuves de la 
persistance de cet usage barbare 6. 

Je n’ai pu découvrir aucune allusion à l’autre guerrier vaincu par Lez- 
Breiz, et dont le poële populaire a caché le nom sous l’injurieux sobriquet 
de Lorgnez (lu lèpre). Les nombreuses variantes que j'ai recueillies du 
chant où il figure ne m'ont rien appris de satisfaisant; mais les injures 
qu’on lui met à la bouche sont déjà trop bien celles que les écrivains de 
cette époque prêtent aux Franks dans leurs querelles avec les Bretons, 


1 Is caput extemplo latice perfundit et ornat 
Pectine; cognovit mox quoque. 
(Ermoldi Nigelli Carmen de Ludovico pio. D. Bouquet,  1,p.#7.) 


2 Coslus equo cadens stricto caput abstulit ense….. 
Murmanis ante € nes Costum percussit -undem. 
(Ibid.) 
5 Coeunt frater et ipsa soror. 
(Ermoldi Migelli, etc., p. 39.) 
4 Servitio regis. 


(Ermoldi Nigelli, ete., p. 26.) 
$ Complures Saraceni comprehensi ad præsentiam imperatoris deducti sunt. (Ezinhardi 
Annales, ibid., p. 23.) 
0 Trucidaverunt et capila seorsum posuerunt. (Vita sancti Conwoionis. Acta Benedic 
sæc. IV, p. 199:) 


LEZ-BREIZ. 107 


pour qu'il n'appartienne pas à l’histoire. Son titre de marc'hek (cheva- 
lier), souvent répété dans la pièce et commun à Lez-Breiz lui-même, ne 
serait pas une raison de douter du fait; car on le trouve employé dans 
des actes contemporains T. et il doit être pris uniquement dans le sens 
d'homme de cheval, et non de preux. Si l’on hésitait à le croire, la 
couleur blanche du bouclier que le poëte breton fait porter, selon un 
usage du neuvième siècle, constaté par Ermold le Noir, à un des cheva- 
hers qu’il nomme, trancherait toute difficulté 2. 

Parmi les faits historiques qui ont simplement servi de point de départ 
aux inventions populaires, j'indique la disparition du corps de Morvan, 
enlevé par les Franks: les rapports qu’il eut après sa mort avec le moine 
Witchar, et sa sépulture, dont l’empereur Louis crut devoir régler lui- 
même le cérémonial, sans doute afin de dérober sa tombe à la piété re- 
belle des Bretons. Ceux-ci, les plus superstitieux du moins, s’imaginèrent 
asément que, si leur défenseur avait été rappelé à la vie par le moine 
frank, comme le bruit en courait, il n'avait pu l'obtenir de lui qu’à des 
condilions aussi dures que celles auxquelles la famille de Morvan et eux- 
mêmes la recevaient du vainqueur. Ils supposèrent donc qu'il était re- 
tenu caplif par le moine dans quelque retraite écartée où il subissait 
une pénitence très-rude, à laquelle il se soumettait, comme eux-mêmes 
se soumeltaient à Ja loi de leurs conquérants. Mais, au milieu de 
leurs humiliations et de leurs souffrances, qu'ils lui faisaient partager 
avec eux en se personnifiant en lui, ils ne perdaient pas l'espoir. De 
même qu'ils croyaient au retour d'Arthur, mort en défendant son 
pays contre les Saxons, ils crurent que la servitude de Lez-Breiz. 
comme la leur, aurait un terme, et qu'il reviendrait se mettre à leur 
tête pour expulser les Franks. De là les recherches entreprises par son 
écuyer, dans le poëme populaire, et la découverte du souterrain où il 
dort: de là son prochain réveil, et le cri de guerre qu’il va pousser, 
après sept ans de servitude et de silence, c’est-à-dire, chose bien remar- 
quable! précisément sept ans après la mort de Lez-Breiz et la soumis- 
sion de la Bretagne (818), l'année même (825) où un autre vicomte de 
Léon, Gwiomarc'h, nouveau soutien des Bretons, nouveau Lez-Breiz, 
appelant son pays aux armes, recommença plus vivement que jamais la 
guerre contre l'étranger. 

Le poëme, dont cette importante circonstance fixerait l’inspiration pre- 
mière au moment où l'insurrection éclata, jouit à son apparition d’une 
telle popularité, qu'une partie passa dans le pays de Galles. Chanté 
d'abord, comme en Bretagne, il fut, avec le temps, remanié en prose 
par les Brelons d'outre-mer, et nous en retrouvons le début sous cette 
forme dans un de leurs contes nationaux, écrit avant le douzième siècle; 
mais la poésie, la naïveté, les détails charmants de l'original, l'allure 
même, si dramatique et si leste, ont disparu dans une sorte de ré- 
sumé sans vie. J'ai déjà eu occasion d? le remarquer ailleurs, cette 
dégradation est moins l’œuvre du temps que du changement de pays, 
car la tradition est encore vivante et fleurie de ce côté-ci du détroit, où 
elle a de profondes racines dans les souvenirs nationaux. L'absence de raci- 


4 Brezel-Marc'hokleslis. (Cartular. roton. ad ana. 860, D. Mcrice, t. I, col. 304, CL. de Courson. 
$ Scuta candida. (Ermoldus, ibid., p. 42.) 


408 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 






nes semblables a conduit les Gallois à un singulier moyen pour y suppléer: . 
ils l'ont greffée sur une de leurs tiges traditionnelles, attribuant à un des 
héros du pays de Galles, nommé Peredur. l’histoire de Lez-Breiz enfant. 


Le conteur gallois a fait subir aux mœurs du jeune Breton le même f 
changement qu'à la forme de l’œuvre originale; les unes, à ce qu’il pa< 
raît, lui semblaient surannées, peut-être grossières, comme l’autre, Son 
héros est plus civilisé que celui du poëte populaire. Il ne prend pas la 
fuite, en vrai petit sauvage, sans dire adieu à sa mère; il l’embrasse, au 
contraire ; il reçoit ses conseils, il part avec son agrément. Le poëme, 
dans le remaniement gallois, gagne donc en culture morale, fruit d’une 
civilisation supérieure, ce qu’il perd en forme primitive et naïve. Cette 
culture est encore plus développée et plus sensible aux douzième et 
treizième siècles, époque où il acquit par toute l'Europe une telle popu- 
larité, que Chrétien de Troyes, en France, et Wolfram d’Eschenbach, en 
Allemagne, s’en approprièrent des morceaux, qu'ils placèrent dans deux 
de leurs romans imités du conte gallois. Le départ du jeune Lez- 
Dreiz et son retour au manoir de sa mère furent les chants qui fixèrent 
surtout leur attention. Jai déjà publié le premier, d’après Chrétien de 
Troyes; le second est encore inédit et mérite d’être reproduit; mais l’am- 
plification du trouvère français n’ayant pas moins de deux cent soixante- 
dix vers, tandis que l'original en a seulement cinquante, je me permet- 
tai de l’abréger. 

Après avoir raconté l’arrivée du chevalier, dont il change le nom en 
Perceval, comme les Gallois l'avaient changé en Peredur, et comme les 
Allemands le changérent en Parcival, il rend de la manière suivante la 
reconnaissance du frère et de la sœur : 

Hors d’une belle chambre vint 

Une moult très-gente pucèle 

Blanche, com’ fleur de lys nouvelle 

Moult etait richement vetue : 

Est droit à Perceval venue. 

Par Dieu, le roi de majesté, 

La moult bonnement salué. 

Perceval son salut lui rent, 

Qui bien savait à escient 

Qu'elle etait sa germaine suer (sœur), 

Mais ne veut decouvrir son cuer (cœur) 

Mie, si tost, ainz (mais) veut atendre 

À demander et à entendre 

Combien a que mourut sa mère 

Et s'il n'a mais (plus) ne suer ne frere, 

Oncle, parent ni autre ami. 

Assis se sont illec (là) andui (tous deux). 

La damoiselle a commandé 

À un Keu (cuisinier) qu'il hast (hacha la viande, 

Et puis à Perceval demande : 

— Sire, où géutes- (couchâtes) vous ennuit (cette nuit)? 

— Là ou n'eus guères de déduit (plaisir), 

Fait Perceval, en la foret, — 

La damoiselle sans arret | 

Commença des yeux à lermer (pleurer). | 

Perceval la vit soupirer. Ç 
4 


LEZ-BREIZ 109 


Si lui dit: Qu'avez-vous, sœur belle? 

— Sire, ce dit ia damoiselle, 

Pour vous me souvient de mon frère x 
Que ne vis desque (depuis que) petite ère (j'étais), 
Et ne sais sil est vif ou mort, 

Mais en lui est tout mon confort ; 

Espérance ai qu’encor le voie. 

Je ne sais que plus en diroie ; 

Mais quand vois aucun chevalier, 

Si ne me peut le cœur changier 

Ni muer qu'il ne m'attendrie. 

— Certes, fait Perceval, amie, 

Nul hom’ ne s’en doit merveiller (étonner); 
Mais or me dites, sans tarder, 

Si vous serour (sœur) ni frère avez, 

Plus que celui que dit avez. 

— Certes, fait-elle, beau doux sire, 

Bien vous en cuit (faut) la verté (vérité) dire > 
Je n'ai plus frère ni serour ; 

J'en ai au cœur moult grand irour (chagrin), 
Pour ce que suis seule en ce bois. 

Bien dix ans (il y) a et quatre mois 

Qu'il advint que mon frère ala 

En cèle grant foret de là... 

A la cour du roi s’en ala, 

Ne sais comment il esploita (agit); 

Onques puis n’en ai oui parler, 

Quand de céans le vits aller 

Ma mère si chatt (tomba) pamée ; 

De deuil fut morte (mourut) et alinée. — 
Alors a Perceval pleuré ; 

Elle le prit à regarder, 

Si lui vit la couleur muer (changer) 

Et à larmes faire la trace 

Qui lui courent aval (au bas de) la face. 

Si Jui a dit : Parfoi, biau sire. 

Si votre nom me vouliez dire, 

Sachiez que volontiers louirais. 

Perceval dit : Je ne saurais 

Mon nom céler (cacher), ma douce sœur. 





Grand pièce (longtemps) après a répondu, 
— Suer, fait-il, en baptème fu 

Par nom Perceval appelé. — 

Quand elle ouit qu’il s'est nommé, 

Si (elle) fut si ébahie et prise 

Qu'à qui lui donût toute (la) Frise, 

Elle n'aurait pu mot sonner (dire). 
Perceval la vet (va) acoler (embrasser), 

Et lui dit qu’il etait son frère, 

Et que pour lui morte iert (était) sa mère. 
Quand elle l'entend, si (elle) le baise, 
Nule rien n’a qui lui deplaise, 

Mais moult grande Joie s'entrefont. 


1 Voir le texte non rajeuni, dans Li Romans de Perceval, par Chrestiens de Troyes, ma= 
nuscrit de la Bibliothèque impériale. Cangé, n° 7556. 





110 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. ge 


On sent ici avec évidence la périphrase et limitation, comme l’a 
remarqué un juge excellent. Le trouvère français n’est pas plus heu- 
reux que ne l’a été le conteur gallois; il ne fait, comme lui, qu'une 
{roide copie d’un modèle original et charmant. Les ornements dont il 
charge ce modèle sont de mauvais goût et manquent de naturel. Ainsi, 
pendant que le poëte populaire représente la sœur du chevalier comme 
une pauvre orpheline, passant les jours et les nuits à pleurer et à atten- 
dre son frère; n'ayant pour compagne et pour servante que sa vieille 
nourrice aveugle, habitant un manoir en ruines, au seuil duquel crois- 
cent l'ortie et les ronces, le trouvère la dépeint richement vêtue, fraiche 
comme un lys, dans un opulent château, servie par des valets nombreux 
et donnant des ordres à son cuisinier pour qu'il traite bien son frère. En 
revanche il omet les paroles les plus touchantes de la jeune fille : « Je n’ai 
pas de frère sur la terre; dans le ciel, je ne dis pas.» Ce trait plein de déli- 
catesse et de sensibilité. ce fauteuil maternel, vide, au coin du foyer ; cette 
croix consolatrice, détails charmants, mais surtout cette question si pa- 
thétique de la jeune fille au chevalier qu’elle voit pleurer lorsqu'elle lui 
parle de sa mère : « Votre mère, l’auriez-vous aussi perdue, quand vous 
pleurez en m'écoutant? » tout cela manque dans le roman, malgré sa 
prolixité. 

Ce n'est pas, au reste, la seule fois que les trouvères ont gâté, en y por- 
tant la main, des traditions rustiques; nous en verrons d’autres exemples. 
On dirait qu'il en est des souvenirs nationaux comme de ces plantes déli- 
cates qui ne peuvent vivre et fleurir qu'aux lieux où elles ont vu le jour. 

IL était réservé à un poëte français et breton de notre temps, à Brizeux, 
de venger l'injure faite au vieux barde armoricain, et de montrer com- 
ment on peut faire passer un poëme d’une langue dans une autre sans lui 
ôter son caractère et son originalité. Le morceau qu'i! a si bien traduit 
(le Chevalier du roù est le premier que J'ai entendu chanter. Il me fut 
appris à la fois par une vieille paysanne de Lokéfret et par une jeune et 
charmante femme, trop tôt ravie à ceux qui l’ainsaient, madame la com- 
tesse de Cillart. Maintenant on le répète moins souvent que la traduc- 
tion, dans les manoirs bretons. 

Tous les enfants y savent celle-ci par cœur : 

Entre deux guerriers, un Frank un Breton, 
Un combat eut lieu, combat de renom. 


Du pays breton Lez-Breiz est l'appui, 
Que Dieu le soutienne et marche avec lui! 


Le seigneur Lez-breiz, le bon chevalier, 
Eveille un matin son jeune écuyer : 


— Page, éveille-toi, car le ciel est clair; 
Page, apporte-moi mon casque de fer. 
Ma lance d'acier, il faut la fourbir, 
Dans le sang des Franks je veux la rougir.… 
Le traducteur poursuit ainsi sur l'air breton jusqu’à l’épiligue : 
Pour le souvenir de ce grand combat 
Ce chant fut rimé par un vieux soldat. 


M. Ch. Magnin, Journal des savants, 1847, p. 455. 


LEZ-BREIZ. 111 


Que dans la Bretagne il soit répété! 
Que ton nom, Lez-Breiz. partout soit chanté! 


Allez donc, mes vers, dans tous les cantons, 
Et semez la joie au cœur des Bretons "7. 


Malheureusement la mort n’a pas permis au poëte, qui semait lui- 
même la joie au cœur de ses compatrioles, de traduire Lez-Breiz jusqu’au 
bout. 

J'ai complété ou rectifié ce poëme au moyen de différentes versions 
dont je suis redevable à M. Victor Villiers de l’Isle-Adam, à M. de Pen- 
guern, à M. P. de Courcy. et à plusieurs habitants des montagnes d’Arez 
et des Montagnes Noires. Cest là qu'on chante principalement l'enfance 
de Lez-Breiz, où l’auteur met si bien en relief le penchant du génie cel- 
tique pour une certaine simplesse, plus tard glorifiée. Son retour au 
manoir se chante à Plévin, ainsi que la belle légende formée des deux 
circonstances réelles de la mort du héros breton, sujet des chants cin- 
quième et sixième, qu'Augustin Thierry a cités in extenso dans la der- 
nière édition de ses Dix ans d'études historiques (p. 911). 

Les livres, a-t-on dit, ont leur destinée; il en est ainsi des chansons 
populaires, et souvent elle est fort curieuse. La légende de Lez-Breiz 
offre un exemple remarquable de la manière dont elles se perpétuent 
en se renouvelant sans cesse. À un courant traditionnel d’une époque 
{rès-ancienne est venu se mêler un courant historique tout nouveau; le 
vieux nom de Lez-Breiz ou Lezou-Breiz, par sa ressemblance avec celui 
de Les Aubrays, que portait, au dix-septième siècle, le fameux Jean de 
Lannion, et l'analogie du caractère belliqueux et dévot des deux person- 
nages, ont produit une confusion des plus favorables au rajeuni-sement 
du héros primitif. Sans nul doute, l’un doit à l’autre d’être demeuré po- 
pulaire jusqu’à nos jours. En célébrant le dernier, après sa mort, les 
chanteurs de son pays de Gcélo, et même ceux de Cornouaille, lui ont 
attribué les aventures fantastiques du prince léonnais; et comment n’ay- 
raient-ils pas été conduits à une appropriation si natureile, quand un ar- 
chéologue breton, à qui nous devons la publication du testament ologra- 
phe du châtelain des Aubrays, daté du 21 janvier 1651, atteste avoir vu, 
dans le caveau d’une chapelle en ruines, sa tête sciée en deux, comme 
l'avait été la tête de Lez-Breiz, à côté de tibias gigantesques ?? 


4 Chant de Lez-Breiz (œuvres complètes de Brizeux). 
2 Voyez l'intéressante notice de M. Ch. de Keranflech sur la chapelle de Kermaria-Nisquit, 
4. 11 (\anles, V. Forest, 1857), 


XII 


LE TRIBUT DE NOMÉNOE 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Noménoë, le plus grand roi que la Bretagne ait eu, poursuivit l’œuvre 
de la délivrance de sa patrie, mais par d’autres moyens que <es prédéces- 
seurs. Il opposa la ruse à la force ; il feignit de se soumettre à la domina- 
tion élrangére, et cette tactique lui réussit pour arrêter un ennemi dix 
fois supérieur en nombre. L'empereur Charles, dit le Chauve, fut pris à 
ses démonstrations d’obéissance. lL ne devinait pas que le chef breton, 
comme tous les hommes politiques d’un génie supérieur, savait at- 
tendre. Quand vint le moment d'agir, Noménoë jeta le masque; 1 
chassa les Franks au delà des rivières de l’Oust et de la Vilaine, recula 
jusqu'au Poitou les frontières de la Bretagne, et, enlevant à l'ennemi les 
villes de Nantes ei de Rennes, qui, depuis, n’ont jamais cessé de faire 
partie du territoire breton, il délivra ses compatriotes du tribut qu'ils 
payaient aux Franks (841). 

« Une pièce de poésie remarquablement belle, dit Augustin Thierry, et 
remplie de détails de mœurs d'époque très-ancienne, raconte l’événe- 
ment qui détermina ce grand acte d'indépendance. » Selon l'illustre histo- 
rien français, « c’est une peinture énergiquement symbolique de l’inac- 
tion prolongée du prince patriote et de son brusque réveil, quand il jugea 
que le moment était venu. » (Dix ans d'études historiques, 6° éd., p. 519.) 


1 
L'herbe d'or est fauchée ; il a bruiné tout à coup. 
— Bataille! — 





DROUK-KINNIG NEUMENOIOU 


I 
Ann aour jeoten a 20 falc'het; 


Brumenni raktal en deuz gret, 
— Argad !— 





1 L’herbe d'or, ou le sélage, ne peut être, dit-on, atteint par le fer sans que Le ciel se voile 
et qu'il arrive un grand malheur. Cf. p. 76. 


Er 


049 LE TRIBUT DE NOMÉNOË. #15 

— Il bruine, disait le grand chef de famille du sommet des 
montagnes d’Arez; 

— Bataille! — ( 

Il bruine depuis trois semaines, de plus en plus, de plus en 
plus, du côté du pays des Franks. 

Si bien que je ne puis en aucune façon voir mon fils revc- 
IP vers moi. 

Bon marchand, qui cours le pays, sais-tu des nouvelles de 
mon fils Karo" 

— Peut-être, vieux père d'Arez: mais comment est-il, et 
que fait-11 7 

— C'est un homme de sens et de cœur; c’est lui qui est 
allé conduire les chariots à Rennes, 

Conduire à Rennes les chariots trainés par des chevaux at- 
telés trois par trois, 

Lesquels portent sans fraude le tribut de la Bretagne, di- 
visé entre eux. 

— Si votre fils est le porteur du tribut, c’est en vain que 
vous l’attendrez. 

Quand on est allé peser l'argent, il manquait trois livres 
sur cent; 

Et l'intendant a dit : — Ta tête, vassal, fera le poids, — 

Et, tirant son épée, il a coupé la tête de votre fils. 





— Brumenni ra, a lavare | Bet da Roazon gand ar c'hirri, 
Ann ozac'h-meur, euz letin Are; | Tennerien out-ho tri-ha-tri; 

— Argad L — Drouk-kinnig Breiz gant-ho, hebzu 
3rumeuni, teir zun Z0, tenval | Hag hen rannet ’tre nel luni, 


(en tenval, war zuiou bro-C’hall - 
709 L 3 Ñ — Mar d-e0 ho map ar c'hinniger, 


Ken n’hallann gwelet e nep kiz He c'hortoz a reot enn-aner : 


Ma mah 0 tonet war he giz. 
E Pa cet da boeza ann arc'hant, 


Marc'hadour mad, o vale bro, Fallout a eure tri war gant; 


Klevaz-te roud ma mab Karo? 
Ken a lavaraz ar merer; 


— Doud awalc'h, (ad koz ann Are; 





Daoust penoz eo, ha pe zoare? — Da benn, gwaz, a rai ann arfer, — 
— Den a skiant, den a galon; Ha peg enn he glenv en deuz gret, 
Let sand ar c'hirri da Roazon; Ha penn ho map en deuz troc het, 


5 





114% 


CUANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Puis il l’a prise par les cheveux, et il l’a jetée dans la ba- 


lance. — 


Le vieux chef de famille, à ces mots, pensa s’évanouir ; 


Sur le rocher il tomba rudement, en cachant son visage 


avec ses cheveux blancs ; 


Et, la tête dans la main, il s’écria en gémissant : — Karo, 
mon fils, mon pauvre cher fils! — 


Le grand chef de famille chemine, suivi de sa parenté ; 


Le grand chef de famille approche, il approche de la mai- 


son forte de Noménoë. 


— Dites-moi, chef des portiers, le maitre est-il à la mai- 


son? 


— Qu'il y soit ou qu'il n'y soit pas, que Dieu le garde en 


bonne santé ! — 


Comme il disait ces mots, le seigneur rentra au logis ; 


evenant de la chasse, précédé par ses grands chiens fo- 


lâtres ; 


Il tenait son arc à la main, et portait un sanglier sur l’é- 


paule, 





Hag cnn he vien en deuz kroget, 
Hag er skude]l neuz hen tolet. — 


Ann ozac'h koz dal’ m'he glevaz, 
Tost a oa d'enn ken na zemplaz; 
War ar garreg a gouezaz krenn, 
Kuzet he zremm gand he vleo gwcenn; 


He henn enn dorn, 0 lenva maour : 
— Karo, va mab, va mabik paour! — 


II 


Ann ozac'h-meur 0 vont cnn hent, 
Gant han war he lerc'h he gerent; 


Ann ozac'h-meur 0 vont e-biou 
E-biou ker-veur Neumenoiou, 

— Leveret-hu d'in penn-treizer 
Hag hen ma ann otrou er ger. 
— Pe ma hen, pe hen ne ma ket, 
Doue r'hen dalc'ho e iec’hed! — 
Oa ket peurlavaret he c'her. 
P'oa digouet ann otrou er ger; 
Digouet er ger euz a hersäl, 

He chas hraz a-rog 0 fragal ; 

Eun he zorn he warek gant-ha. 
Hig eur penn-moc'h gwez war he skoa, 


LE TRIBUT DE NOMÉNOË. 115 


Et le sang frais, tout vivant, coulait sur sa main blanche, 
de la gueule de l'animal. 


— Bonjour! bonjour à vous, honnêtes montagnards ; à 
vous d’abord, grand chef de famille ; 


Uu Y a-t-il de nouveau? que voulez-vous de moi? 


— Nous venons savoir de vous s’il est une justice; s’il est 
un Dieu au ciel, et un chef en Bretagne. 


— Il est un Dieu au ciel, je le crois, et un chef en Bre- 
tagne, si je puis. 

— Celui qui veut, celui-l* peut; celui qui peut, chasse le 
Frank, 

Chasse le Frank, défend son pays, et le venge et le vengera ! 

Il vengera vivants et morts, et moi, et Karo mon enfant, 

Mon pauvre fils Karo décapité par le Frank excommunié ; 


Décapité dans sa fleur, et dont la tête, blonde comme du 
mil, a été jetée dans la balance pour faire le poids! — 
| Et le vieillard de pleurer, et ses larmes coulèrent le lang de 
sa barbe grise, 
Et elles brillaient comme la rosée sur un lis, au lever du 
soleil. 


Quand le seigneur vit cela, il fit un serment terrible et san- 
glant : 





Ia fresk-beo ar goad o redek Hag evit hi ter ha tero! 
War he zorn gwenn, demeuz he vek. Kerkouls evit beo ha mara. 


— Mad-d'hoch! mad-d'hoch! meneziz da; | Evid on ha va nah Karo, 


Ha d'hoc'h, ozac'h-meur, da gcnta. Va mabik Karo dibennet 


Petra zo c'hoarvet a neve? | Gand ar Gall esgumun get; 


1 2 N 1P aD 9 
Petra gen-hoc'h digan-e-me? Dibennet, Hour, penn-melen-mell, 


— Deut omp da c'hout hag hen’zeuzreiz; | Da beurgompeza ar skudell — 
Dove enn nenv ha tiern e Breiz. 





| Hug hen da oela, ken à ieaz 
— Doue ’z euz enn nenv, a gredann, | He zaerou beteg he vary glaz, 


Ma tiern e breiz. ma her gellann. Ken a lugerne evel gliz 


— Ann neb a venn, hennez a c'hall: War vleun lili, pa strink ann deiz. 


Ann nch a chall a gas ar Gall, | Ann otrou, pa’ n deuz her gwelet 


A gas ar Gall, a harp he vro, | Toui ru spontuz en deuz grel, 





116 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 7 


— Je le jure par la tête de ce sanglier, et par la flèche aut 
l'a percé ; 

Avant que je lave le sang de ma main droite, j'aurai lavé la 
plaie du pays! — 


III 


Noménoë a fait ce qu'aucun chef ne fit Jamais : 


I est allé au bord de la mer avec des sacs pour y ramasser 
des cailloux, 


Des cailloux à offrir en tribut à intendant du roi chauve". 
Noménoë a fait ce qu'aucun chef ne fit jamais : 

Il a ferré d'argent poli son cheval, et il l'a ferré à rebours. 
Noménoë a fait ce que ne fera jamais plus aucun chef: 

Il est allé payer le tribut, en personne, tout prince qu'il est. 


— Ouvrez à deux battants les portes de Rennes, que je 
fasse mon entrée dans la ville. 


C’est Noménoë qui est ici avec des chariots pleins d'argent. 


— Descendez, seigneur; entrez au château; et laissez vos 
chariots dans la remise ; 


— Me hen toue penn ar gwez-man, | Dez na reaz bis tiern e-hed : 


Hog ar zaez a flemmaz anean, | Houarna he varc'h gand arc'hant Hn, 


Kent ma gwalc'hinn goad va dorn deco, | Hogen he houarna gin-oc’h-gin. 


AA S SE | - 
Am bo gwalc'het gouli ar vro! Ann Neumenoiou en deuz gret 


Pez na rai biken tiern e-hed : 


nl Monet da bea ar c'hinnig, 
ann Neumenoiou en deuz gret Evit-han da voud pendevik. 


Pez na ronz bis tiern e-bed : — Digoret frank persier Roazon, 


Mont gand sier war ann ochou, Ma ’z inn tre er gor war-con. 
Evit dastumi meinigou, Ann Neumenoion zo aman, 

Meinigou da gas da ginnik Kirri leunn a arc'hant gant-han. 
Da verer ar roue moalik. 





— Diskennet, otrou, dout enn ti, 


Ann Neumenoiou en deuz gret. Ha list ho kirri er c'hardi, 


L'empereur Charles surnommé le Chauve. 








LE TRIBUT DE NOMÉNOË, 417 


c 


Laissez votre cheval blanc entre les mains des écuyers, et 
venez souper là-haut. 


Venez souper, et, tout d'abord, laver; voilà que l’on corne 
l’eau; entendez-vous! ? 


— Je laverai dans un moment, seigneur, quand le tribut 
sera pesé. — 

Le premier sac que l’on porta (et il était bien ficelé), 

Le premier sac qu'on apporta, on y trouva le poids. 

Le second sac qu'on apporta, on y trouva Le poids de même. 

Le troisième sac que l’on pesa : — Ohé! ohé! le poids n’y 
est pas! — 

Lorsque l’intendant vit cela, il étendit la main sur le sac; 

Il saisit vivement les liens, s’efforçant de les dénouer. 


— Attends, attends, seigneur intendant, je vais les couper 
avec mon épée. — 


À peine il achevait ces mots, que son épée sortait du fourreau, 


Qu'elle frappait au ras des épaules la tête du Frank courbé 
e2 deux, 


Et qu'elle coupait chair et nerfs et une des chaînes de la ba- 
lance de plus. 








Ha list ho marc'h gwenn gand ar Hec'h, | Hola ! hola! fallout a ra! — 
Ha deut-hu da goania d'ann nec'h. Ar merer evel m'her gwelaz, 


Deut da goania, ’kent, da walc'hi: He zorn war ar zac'h astennaz; 


y - ki -hui? = 
Korna "reer ann dour: kievet-hui? El liammou a grogaz krenn, 


— Gwalc'hi rinn, otrou, bremaik, O klask ann tu J'ho dieren. 


Pa vezo poezet ar c'hinnig, — — Gortoz, gortoz, otrou merer; 


Kentan sac'h a oe digaset, Va C'hleze ho droc'ho e-berr! — 
Hag hen er c'hiz mad liammet, Oa ked he gomz peurlavaret, 
Kenta sac'h a oe digaset, Pa oa he gleze diwennet, 

Ar poez enn han a 06 kavet. Ha cand penn ar Gall daoubleget 
Eilved sac’h a oe digaset, bez he ziou-skoa skot en deuz gret, 
Kompez ive a 06 kavet, Ken’ droc'haz kik haz elfeien 

Tride sac'h oe poezet: — Molat Ha sug eur skudel c'hoaz oc'hpenn, 


4 On 5e lavait les mains, au son du cor, avant le repas, 


118 CDANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
La tête tomba dans le bassin, et le poids y fut bien ainsi 


Mais voilà la ville en rumeur? — Arrête, arrête Tas, 
sassin ! 


Il fuit! il fuit! portez des torches; courons vite après 
lui ! 


— Portez des torches, vous ferez bien; la nuit est noire ct 
le chemin glacé; 


Mais je crains fort que vous n'usiez vos chaussures à me 
poursuivre, 


Vos chaussures de cuir bleu doré; quant à vos balances, 
vous ne les userez plus; 


Vous n’userez plus vos balances d’or en pesant les pierres 
des Bretons. 
— Pataille ! — 


NOTES 


Ce portrait traditionnel du chef dont le génie politique sauva Pindé- 
pendance bretonne n’est pas moins fidèle, à son point de vue, que ceux 
de l'histoire elle-même. Aussi, Augustin Thierry n’a-t-il pas hésité à le 
placer dans la galerie que l’histoire contemporaine nous a conservée, 
et qu'il a si admirablement restaurée. Celle-ci justifie par son esprit 
général, sinon par aucun trait précis, l'exactitude de anecdote. Avant 
Noménoë, depuis dix ans au moins, les Bretons payaient le tribut aux 
Franks: il les en délivre : voilà le fait réel. Le ton de la ballade est au 


diapason de l’époque. Lorsque la tête du Frank chargé de recevoir 


le tribut tombe dans la balance, où le poids manque, et que ke poëte 
s'écrie avec une joie féroce : « Sa tête tomba dans le bassin, et le 


Ha Kouezet er skudel ar penn, Nemet ma usfec’h ho poutou, 

Hag hi kompez mad evelhenn. "M euz aon, 0 tont war va roud ou, 
Hogen sellet-hn trouz er ger : Ho poutou ler glaz alaouret; 

— Arz al lazer! arz al lazer! Ho skudili na uzot ket, 

Ma kuit{ ma kuit ! koset goulou ; Ho skudili aour gwech e-bet, 
Deomp timad da heul he roudou! 0 poeza mein ar Vretoned, 

— Keset goulou; mad a refet ; — Argad | — 


Du ann noz hag ann hent skornet, 


LE TRIDUT DE NOMÉNOË. 119 


poids y fut de la sorte! » on se rappelle qu’il y a peu d'années, Morvan, 
le Lez-Breiz de la tradition bretonne, disait, en frémissant de rage : « Si 
je peux le voir, il aura de moi ce qu'il me demande, ce roi des Franks, j 
lui payerai le tribut en fer L. » 

En regard de la chanson épique inspirée à la muse nationale par le 
libérateur de la Bretagne, on mettra la chanson satyrique composée dans 
l'abbaye de Saint-Florent contre Noménoë. Les moines franks des bords 
de la Loire ne purent lui pardonner la destruction de leur monastère, et 
pour se venger, ils inventèrent la fable suivante qu'ils chantaient en 
chœur : 

« En ce temps vivait certain homme qu’on appelait Noménoë; 

« [était né de parents pauvres; il charruait lui-même son champ; 

« Mais il rencontra un trésor immense caché dans la terre ; 

« Moyennant lequel il se fit beaucoup d'amis parmi les riches; 

« Puis, habile en l’art de tromper, il commença à s'élever, 


9 Si bien que, grâce à sa richesse, il finit par lout dominer. » etc. 


Quidam fuit hoc tempora 
Nomenoius nomine ; 
Pauper fuit progenie; 
Agrum colebat vomere; 
Sed reperit largissimum 
Thesaurum terra conditum; 
Quo plurimorum divitum 
Juoxit sibi solatium. 
Dehine, per artem fallere, 
Cæœpit qui mox succressere, 
Donec super cuncetos, ope 

” Transcenderet potentie, (L. 5. 


Pauvre latin, pauvres rimes, pauvre revanche. 


4 Si fortuna daret possim quo cernere regem.…. 
Froque tributali hæc ferrea donn dedissem. 
(Evmold. Nigell., ap. Scriptores rerum gull. et franc., L. VA, p. 46.) 


2 D. Morice, preuves, t. I, p. 2.8. 





XIV 


ALAIN-LE-RENARD 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Alain, surnommé Barbe-Torte par l’histoire, et le Barbu ou le Renard 
par la tradition, exerça d’abord, dans les forêts de l’ile de Bretagne, contre 
les sangliers et les ours, un courage qu'il devait faire servir plus tard à 
délivrer son pays de la tyrannie des hommes du Nord!. Ralliant autour du 
drapeau national les Bretons cachés dans les bois ou retranchés dans les 
montagnes, il surprit l'ennemi près de Dol. au milieu d'une noce, et en fit 
un grand carnage?. De Dol il s’avança vers Saint-Brieuc, où d’autres 
étrangers se trouvaient réunis, qui éprouvèrent le même sort. A cette 
nouvelle, dit un ancien historien, tous les hommes du Nord qui étaient 
en Bretagne s’enfuirent du pays, et les Bretous, accourant de toutes parts, 
reconnurent Alain pour chef (957). 

Le chant de guerre qu’on va lire, et que j'ai recueilli, comme celui qui 
précède, dans les montagnes d’Arez de la bouche d’un vieux paysan, 
Soldat de Georges Cadoudal, doit se rapporter à l’une des victoires d'Alain 
Barbe-Torte. 


Le Renard barbu glapit, glapit, glapit au bois; malheur aux 
lapins étrangers! ses yeux sont deux lames tranchantes ! 

Tranchantes sont ses dents, et rapides ses pieds, et ses on- 
gles rougis de sang; Alain-le-Renard glapit, glapit, glapit : 
guerre! guerre! 





ALAN-AL-LOUARN 


—MESMCERNIES— 


Âl Louarn barveg a slip, glip, glip, ghp, glip er c'hoad: 
Goa konikled arall-vro ! lemm-dremm he zaoulagad ! 
Lemm he zent ha skanv he dreid hag he graban ru-goad; 
Alan-al-Louarn a glip, glip, glip : argad! argad! 


4 Fortiter audax apros et ursos in silva. (Chronicon Briocen. D. Morice, Preuves, L 1. col.27.) 


2 Cum suis Britannis qui adhuc superstites erant… reperit turmam Normanorum nuplias M 


celebrantem, duam ex improviso aggrediens detruncavit omnes, (Chronicon Nunnelen. Ibid. 
Lp, 145.) 


L. 
3 


F 





ALAIN-LE-RENARD. 191 


J'ai vu les Bretons aiguiser leurs armes terribles, non sur la 
pierre de Bretagne, mais sur la cuirasse des Gaulois. 


J'ai vu les Bretons moissonner sur le champ de bataille, 
non pas avec des faucilles ébréchées, mais avec des épées 
d'acier ; 

Non pas le froment du pays, non pas notre seigle, mais les 
épis sans barbe du pays des Saxons, et les épis sans barbe du 
pays des Gaulois. 


J'ai vu les Brotons battre le blé dans l'aire foulée, j'ai vu 
voler la balle arrachée aux épis sans barbe, 


Et ce n’est point avec des fléaux de bois que battent les Bre- 
tons, mais avec des épieux ferrés et avec les pieds des chevaux. 


J'ai entendu un cri de joie, le cri de joie qu'on pousse 
quand la battue s'achève, retentir depuis le Mont-Saint-Michel 
jusqu'aux vallées d’Elorn, 


Depuis l’abbaye de Saint-Gildas, jusqu’au cap où finit la 
terre ; qu'aux quatre coins de la Bretagne le Renard soit glorifié ! 


Qu'il soit mille fois glorifié, le Renard, d'âge en âge ! qu’on 
garde la mémoire du chant, mais que l’on plaigne le chan- 
teur ! 





Ar Yretoned à weliz 0 lemm ho c'hlavier wall, 

Naren war higolen Breiz nemed houarnez ar Gall, 

Ar Yretoned a weliz o vedi er c'hadir, 

Naren gant filsier-strob nemet klezeier-dir, 

Ken-nebeud gwiniz ar vro ken-nebeud hor segal, 

Nemet pennou-blouc'h Bro-za07 ha pennou-blouc'h Bro-c'hall. 
Ar Yretoned a weliz 0 vac'h el leur e louc'h, 

Ken + lamme pellennou demeuz ar pennou-blouc’h ; 

Ha ne ket gant fustlou prenn a vac'h ar Vretoned, 
Nemet gand sparrou houarned ha gand treid ar virc'hed. 
Eur iouc’haden a gleviz. iouc'haden ar peur-zorn 

Adalek krec'h sant Mikel tre-beteg traon Elorn, 

Adalek ti sant Weltas tre-beteg Penn-arbed ; 

E pevar c'horn euz a Vreiz beet al Louarn moulet) 

Beet kanmeulet al Louarn a amzer-da-amzer ! 

Beet koun euz ar ganaouen, hect klemm ouz ar c'haner! 


199 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Celui qui a chanté ce chant pour la première fois n'a jamais 
chanté depuis; hélas! le malheureux! les Gaulois lui ont 
coupé la langue. 


Mais, s'il n’a plus de langue, il a toujours un cœur! un 
cœur, et une main pour décocher la flèche de la mélodie. 





NOTES 


On surnomme, en basse Bretagne,épis sans barbe ou têtes rases, leshom- 
mes qui coupent leurs cheveux, contre l’usage national. Ce nom, dans le 
bardit qu’on vient de lire, sert à distinguer les guerriers bretons des guer- 
riers étrangers. Les premiers, selon Ermoldle Noir, portaient, au neuvième 
siècle, les cheveux longs, comme les paysans aujourd’hui. Les Normands, 
au contraire, se rasaient les cheveux et la barbe! : Guillaume le Conqué- 
rant fit une loi de cette coutume aux Anglo-Saxons qu'il vainquit?. Notre 
poëte parle, à la vérité, de Gaulois (de Franks) et de Saxons, et non 
d'hommes du Nord; mais on ne peut douter, d’après le sujet de la pièce, 
que ces noms ne soient pour lui synonymes d’ennemis en général, ct 
qu'ils ne regardent les étrangers vaincus par Alain Barbe-Torte. 

Qui le croirait? Les Bretons modernes ont appliqué à leur chef de 
bandes le plus fameux les couplets composées en l'honneur du héros du 
neuvième siècle ! Comme je demandais au paysan qui me les chantait 
quel était ce Renard barbu dont la chanson faisait mention : « Le gé- 
néral Georges sûrement! » répondit-il sans hésiter. On donnait effecti- 
vement à Georges Cadoudal le surnom de Renard, fort bien justifié par 
sa rare finesse. 

Les poëmes des anciens bardes gallois, que celui-ci rappelle beaucoup, 
fourmillent d’interpolations semblables à celle que nous indiquons. En les 
adaptant aux événements de leur temps, les ménestrels du moyen âge 
substituèrent très-souvent des noms contemporains aux vieux noms na-- 
tionaux, et quand ils ne firent pas cette substitution, leurs auditeurs la 
supposèrent parfois: il en est d'Alain le Renard, comme de Lez-Breiz. 

Les trois strophes qui terminent la pièce ont évidemment été ajou- 
tées par quelque chanteur à l’œuvre originale, mais elles ne sont ni 
moins anciennes de langue, d'idées, et de couleur, ni moins énergiques 
que les autres; elles ont même quelque chose de touchant et d’héroique 
à la fois dont l'expression fait venir les larmes aux yeux. 





Neb à ganaz ar gan-ma na ganaz eur wech-all, 
War zigare, siouaz d'ean! dideotet gand ar Gall. 
Hogen mar d-co dideotet ne d-co ked digalon! 
Digalon, mank ken-nebeud 0 saezi saez ann ton. 

4 Augustin Thierry, Histoire de la conquête de l'Angleterre, t. 1, p. 325. 


2 Anglis barbas radere ad inslar Norinannorum præcipit, (Scriptores rer. danicar., L. UN, 
- 350.) 





XIV 


BRAN 


OU LE PRISONNIER DE GUERRE 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


La ballade suivante rappelle le souvenir d'un grand combat livré, au 
cixième siècle, non loin deKerloan, village situé sur la côte du pays de Léon, 
par Even le Grand!, aux hommes du Nord. L’illustre chef breton les frça à 
la retraite, mais ils ne s’embarquèrent pas sans emmener des prisonniers ; 
de ce nombre fut un guerrier appelé Dran, probablement petit-fils d’un 
comte du même nom, souvent mentionné dans les Actes de Bretagne?. 
Près de Kerloan, au bord de la mer, se trouve un hameau où sans doute 
il fut fait prisonnier, car ce hameau s’appelle encore aujourd’hui en bre- 
ton Ker-Vran, ou village de BranS. Dans l'église de Goulven. dont le pa- 
tron contribua à la victoire d’Even, on voit un ancien tableau repré- 
sentant les vaisseaux étrangers qui s’éloignent. Mais la poésie, je dois 
le dire, a vaincu la peinture. 


I 


Le chevalier Bran a été blessé, car il s’est trouvé au 
combat de Kerloan. 

Au combat de Kerloan, au bord de la mer, a été blessé le 
petit-fils de Bran le Grand. 

Malgré notre victoire, il a été fait prisonnier et emmené au 
delà des mers. 





BRAN 


HNESRÉEONE— 


| E kad Kerloan, etal ar mor, 
Oe Uzet mab bihan Bran-Vor, 
Marc'hek Bran a zo het tizet; | Daoust d'hor gonid oe Kemeret, 
hag e kad Kerloan e ma het. Ha glaz-aleured 06 kaset, 
4 D. Morice, Histoire de Bretagne, Preuves, t. I, col. 533. 
S Id., ibid., col. 508, 309, 515. 
5 La carte le désigne sous le nom de corps de garde de Bran. 


ni 


122 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Au delà des mers quand il arriva, enfermé dans une tour, 
il pleura. 


— Ma famille tressaille et pousse des cris de joie; et je 
suis sur mon lit : hélas! 


Je voudrais trouver un messager qui portât une lettre à ma 
mère. — 

Le messager trouvé, le guerrier lui donna ses ordres : 

— Prends un autre habit, messager, l’habit d'un mendiant, 
par précaution ; 

Et emporte ma bague, ma bague d'or, qui te fera recon- 
naître. 


Quand tu seras arrivé dans mon pays, tu la montreras à 
madame ma mère ; 


Et si ma mère vient pour me racheter, messager, tu dé- 
ploieras un pavillon blanc ; 


KL si clle ne vient pas, hélas !tu déploierasun pavillonnoir.— 


II 
Quand Le messager arriva au pays de Léon, la dame était à 
souper. 
Elle était à table avec sa famille, les joueurs de harpe à leur 
poste. 








Ha glaz-aleuret pa zeuaz, Ha d'an hro dal’ ma tigouezi, 
E-barz eunn tour, hen a oelaz: D'am mamm itron he ziskouezi. 

— Va c'herent a drid hag a iou, Ha mar deu va mamm d'arm dasprenn 
Ha me war va gwele: ah! iou! Kannader, arouezi e gwenn; 

Me garfe kaout eur c'hannader Ha, sioaz d'in, ma na zeu-hi; 

A zougfe d'am mamm cul lizer. — | Ya faotr, e du ec'h arouezi. — 

Ar c'hannader pa 0e Kavet. | 

Ar marc'heg en deuz kemennet : | II 

— Eur gwisk all, va den, a wiski, Pa zigouezaz e bro Leon, 

Gwisk eur c'hlaskour boed azevri; E oa o koania ann itron, 

Va bizou ’gemeri ivez; E oa gand he zud. diouc'h ann daol; 
Va bizou aour, enn arouez; ‘Ann delenourien enn ho rol. 


BRAN. 125 
— Bonsoir à vous, dame de ce château, voici l'anneau d'or 
de votre fils Dran: 
Son anneau d'or et une lettre : il faut la lire, la lire 
vite. 
— Joueurs de harpe, cessez de jouer, j'ai un grand cha- 
grin dans le cœur; 


Cessez vite de jouer, joueurs de harpe, mon fils est prison- 
nier, et je n'en savais rien! 


Qu'on m'équipe un vaisseau ce soir, que je passe la mer 
demain, 


III 


Le lendemain, le seigneur bran demandait, de son lit : 


— Sentinelle, sentinelle, dites-moi, ne voyez-vous venir 
aucun navire ? 


— Seigneur chevalier, je ne vois que la grande mer et que 
le ciel, — 


Le seigneur Bran demanda encore à la sentinelle, à midi : 


— Sentinelle, sentinelle, dites-moi, ne voyez-vous venir 
aucun navire ? 


— Seigneur chevalier, je ne vois que les oiseaux de mer qui 
volent. — 


Le seigneur Bran demanda à la sentinelle, le soir : 





— Nozvad d'e-hoc'h, itron ann ti-man : , Ann aotrou Pran a c'houlenne : 


Setu bizou aour ho map Bran, — Gedour, gedour, d'in livirit, 


He vizou kouls hag eul lizer : Lestr-e-bed 0 tont na welit? 


Red co he lenn, he lenn e-berr. — — Aotrou, marc'hek, na welann-me 


— Tavit, telenourien ho son; Nemed ar mor-braz hag ann ne. 


, ae 7 S 
Glac'har vraz a 20 em c'halon ; Ans aotrou Dran a c’houlennaz 


Tavit, telenourien, buhan, Gand ar gedour, da greiz-teiz c'honz : 
K E 1 1 S d 

Paket va mab, ne ouienn man! — Gedour, gedour, d'in livirit 

Ra farder eul lestr d'in fenoz, Lestr e-bed o tont na welit? 


EEZ AC fi 
Ma treuzin ar mor antronoz) — Aotrou marc'hek, na welann tra 


Nemed mor-ezned 0 nija. — 
III 5 
Ann aotrou Bran a c'houlennaz 
Antronoz, eveuz he wele, Gand ar gedour J'ar pardaez c'honz. 


h 

126 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

— Sentinelle, sentinelle, dites-moi, ne voyez-vous venir 
aucun navire? 

À ces mots, la sentinelle perfide sourit d’un air méchant : 

— Je vois au loin, bien loin, un navire battu par les vents. 

— Et quel pavillon, dites vite! est-il noir, est-il blanc? 

— Seigneur chevalier, d’après ce que je vois, il est noir, 
je Le jure par la rouge braise du feu! — 

Quand le malheureux chevalier entendit ces paroles, il ne 
dit plus rien; 

Il détourna son visage päle, et commença à trembler 1 
fièvre. 


IV 

Or, la dame demandait aux gens de la ville en abordant : 

— Uu Y a-t-il de nouveau céans, que j'entends les cloches 
sonner ? 

Un vieillard répondit à la dame, quand il l’entendit : 

— Un chevalier prisonnier, que nous avions ici, est mort 
cette nuit. — 

Il avait à peine fini de parler, que la dame montait vers la 
tour, 

En courant, en fondant en larmes, ses cheveux blancs épars; 





— Gedour, gedour, d'in livirit 1V 

Lestr e-bed 0 tont na welil? — 

Ar gedour-gaou, pa he glevaz, Hag ann itron a c'houlcnne 
C'hoarzin-droug out han a reaz : Gand ar geriz pa zouare : 

— Eul leslr a welann-me rell-pell, — Petra nevez a z0 ama 

Hag hen foetet gand ann avel. Pa glevann ar c'hleier tinsa? — 
— Na peZ arouez? livirit krenn! Eunn den Koz en deuz lavarot 
Daoust eo hi du, daoust eo hi gwenn? D'ann itron pa’n deuz he c'hlevet : 
— Aotrou marc’hek, ‘vel ma welann, — Eur ar marc'hek paket oa ama, 
Du eo, m'entoue ruz-glaou-tan! — Mervel en Jeuz gret enn noz-ma, — 
Ar marc'hek kenz. pa "n deuz klevet, Oa ked he gomz peurlavaret. 

Na mui na ken n’euz lavarct: Ann itron d'ann tour z0 pisnet. 
Distroi a reaz he zremmm c'hlaz. Enn eur redeg, 0 oela ken, 


Ha gand ann derzien a grenuz. Dispak-kaer gant-hi he bleo gwenn, 


BRAN. 121 

Si bien que les gens de la ville étaient étonnés, très-éton- 
nés de la voir, 

De voir une dame étrangère mener un tel deuil par les rues. 

Si bien que chacun se demandait : — Quelle est celle-ci, 
et de quel pays? — 

La pauvre dame dit au portier, en arrivant au pied de la 
tour : 

— Ouvre vite, ouvre-moi la porte! Mon fils! mon fils! que 
je le voie! — 

Quand la grande porte fut ouverte, elle se jeta sur le corps 
de son fils, 


Elle le serra entre ses bras, et ne se releva plus. 


V 
Sur le champ de bataille, à Kerloan, il y a un chêne qui do- 
mine le rivage, 


IL y a un chêne au lieu où les Saxons prirent la fuite devant 
la face d'Even le Grand. 


Sur ce chène, quand brille la lune, chaque nuit des oi- 
seaux s’assemblent ; 


C 
Des oiseaux de mer, au plumage blanc et noir, une petite 
tache de sang au front. 





Ken a oa ’r geriz souezet, 

Souezet hraz oc'h he welet. 

Gwelet eunn itron zivroad 

Oc'h ober kanv hed ar stread. 

Len a lavare peh unnn : 

— Piou eo houman, hag a-be-ban? — 
Aon itron haour a lavare 

Da dreizer ann tour, pa errue : 

— Digor, digor, primm ann nor d'in! 
Ma map! ma map! ra he welinn! — 
Pa oa digoret ann nor vraz. 

War gorf he map en em strinkaz; 





Hug he vriataat a reaz, 
Ha bikenn goude na zavaz. 


Y 


E meaz ar stourm, 6 Kerloan, 

Z0o eunn derven a-uz ar c’hlan, 
Eunn derven, e-leac'h m'argilaz 
Ar Zaozon raog dremm louen-Vraz, 
War ann derveu, pa bar al loar, 
Bep noz en em zastum adar, 
Mor-adar du-baill ho fleuniou, 

Eul lommig goad war ho tennan. 


128 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Avec eux, une vieille Corneille grisonnante, avec elle un 
jeune Corbeau t. 


Ils sont bien las tous deux, et leurs aïles sont mouillées : 
ils viennent de par delà les mers, de loin. 


Et les oiseaux chantent un chant si beau, que la grande 
mer fait silence. 


Ce chant-là, ils le chantent tout d’une voix, à l'exception 
de la Corneille et du Corbeau. 


Or, le Corbeau a dit : — Chantez, petits oiseaux, chantez, 


Chantez, petits oiseaux du pays, vous n'êtes pas morts loin 
de la Bretagne. — 


NOTES 


Dans les plus anciennes traditions bretonnes, les morts reparaissent 
souvent sur la terre sous la poétique forme d'oiseaux. Cette opinion était 
particulièrement en vogue au dixième siècle, époque où doit remonter 
l'inspiration de la ballade qu’on vient de lire; un barde gallois de ce 
temps nous l'atteste ?. 

La circonstance du déguisement que prend le messager de Bran pour 
traverser plus sûrement les pays étrangers ; l'anneau d’or qu'il emporte 
et qui doit le faire reconnaître, la perlidie de son geûlier, le pavillon 
noir et le pavillon blanc, tout cela a été emprunté à notre ballade par 
auteur du roman de Tristan, trouvère du douzième siècle, qui eut sou- 
vent recours aux chanteurs populaires bretons, comme il l'avoue 
lui-même. 

On voit qu'il n’a fait que substituer l’amante à la mère, Iseuit à Ja 
vieille dame bretonne, dans le dénoûment de son ouvrage, quand 





Gant-ho, eur Vranez-20z louet, Ar c'han-ze, "nn eur vouez hi he gan 
Gant-hi eur Vran jaouank kevret, Nemed ar Vronez hag ar Vran. 

Skuiz ho daou ha gleb ho eskel : Hag ar Vran en deuz lavaret : 

Q tonte glaz-aleured, ouc'h pell. — Kanet, eznedigou, kanet. 

Hag ann ezned a gan eur c'han, Kanet, eznedigou ar Yro: 

Ker kaer, ma tav ar mor ledan. Pell euz a Yreiz n'oc'h ket maro, 


1 Bran. le non du jeune guerrier, signifie corbeau dans tous les dialectes bretons. 
> Myvyrian, Archaiology of Wales, t. I, p. 175. 
> Y. Les Romans de la Table ronde. 4° édit., p. 80. 





7 
H 
2 





BRAN. 129 


on compare, avec le paragraphe cinquième de la baliade, les vers 
suivants dont 16 rajeunis un peu le style : 


Yseult est de la nef issue (sortie), 

UL (ouit) les grandes plaintes en la rue, 

Les seins (cloches) aux moustiers, aux chapelles, 
Demande aux hommes quelles nouvelles, 
Pourquoi ils font tel soneis (soneries) 

Et de quoi sont les plureis (pleurs). 

Un ancien donc lui a dit : 

Belle dame, si Dieu m'aït (m'aide) 

Nous avons ici grand’ douleur 

Ne oncques gens n’eurent maür (pius grande) 
Tristan, le preux, le franc est mort... 

D'une plaie que en son corps eut 

En son lit ore endroit (tout à l'heure) mourut. 
Oncques si grand’ chetivaison (malheur) 
N'advint en cette région. 

Dès que Yscult la nouvelle ot 

De douleur ne put sonner (dire) mot; 

De sa mort est si adolée! (désolée) 

Par la rue va désafublé… 

On s'émerveille en la cité 

D'où elle vient, ki elle soit : 

Yseuit va là ou le corps voit, 

Et se tourne vers l'Orient, 

Pour lui prie piteusement : 

« Ami Tristan, quand mort vous vois, 

Uar raison vivre puis ne dois; 

Mort êtes pour la mienne amour 

Et je meurs, ami, de terdrour (tendresse 
Quand à temps je n'ai pu venir. » 

De juste (auprès) lui va donc gésir (se coucher), 
Elle l’embrasse et puis s'étend, 

Son esperit aïtant (aussitôt) rend". 


Cette paraphrase seule attesterait l’antériorité 06 la pièce armori- 
caine. Uue autre circonstance fort intéressante, est la mention expresse 
de joueurs de harpe dans le chäteau des seigneurs bretons. La harpe 
n'est plus populaire en Armorique; on se demandait même si elle le 
fut jamais. Maintenant il n’est plus douteux qu'elle y ait été en usage. 
Nos Actes en fournissent d’ailleurs d’autres preuves que je m'étonne 
de n'avoir jamais vues citées. L'un d'eux, de l'an 1069, passé au 
château d'Auray. par le comte Hoel, prouve que ces musiciens occu- 
paient à la cour des chefs armoricains le même rang honorable que dans 
celle des princes gallois contemporains, car un joueur de harpe nommé 
Kadiou (Kadiou Citharista) signe avant sept moines. dont deux «lhs 
crossés *. 


5 Voir le texte original dans le Roman de Tris an, édit. de F. Michel, p. 85, 84 et 85. 
2 Cartular. Kemperleg., ap. D. Morice, Preuves, t. I, col. 452. 


XV 


LE FAUCON 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Ge ffroi lx. duc de Br tagne, était parti pour Rome, laissant le gou- 
vernement du pays à Ethwije, sa femme, sœur de Richard de Normandie 
Comme il revenait de son pèlerinage, le faucon qu'il portait au poing. 
suivant la coutume des seigneurs du temps, s'étant abattu sur la poule 
d’une pauvre paysanne et l’ayant étranglée, cette femme saisit une pierre 
et tua du même coup le faucon et le prince (1008). La mort du comte 
fut le signal d’une effroyable insurrection populaire !, L'histoire n’en dit 
pas la cause; la tradition l’attribue à l’enuvahissement de la Bretagne par 
les étrangers que la duchesse douairière, veuve de Geoffroi, yattira, aux vext- 
tions qu'ils exercèrent contre les paysans. et à la dureté de leurs agen's 
fiscaux. On chante encore dans les Montagnes Noires une chanson guer- 
rière sur ces événements et j'en dois une version à un sabotier du pays. 
Singulière coïncidence! je l’ai entendu pour la première fois siffler à un 
jeune bouvier qui menait sou bœuf au boucher. L'air, me dit-il, est celui 
de la circonstance, et on ne peut l'entendre sans pleurer. 


Le faucon à étranglé la poule, la paysanne a tué le comte; 
le comte tué, on a opprimé le peuple, le pauvre peuple, 
comme une bête brute. 

Le peuple a été opprimé, le pays a été foulé par des en- 
vahisseurs étrangers, par des envahisseurs des pays Gaulois, 
que la Douairière a appelés comme la vache le taureau. 





AR FALC’HON 


MES 0 


Taget ar jar gand ar falc’hon, GwaskeL ann dud, mac'het ar vra 
Gand ar gouerez lazet ar c'hon : Gand alouberien ral -vra, 

Lazet ar c'hon, gwasket ann dud, Gand alouberien broiou-C'hall, 
Ann dud paour evel loened mud. Ann Dredernerez oc'h hengial. 


1 lost mortem Gaufridi ducis;…. Brilanni in seditionem versi, bella commoverunt. Nam 
rustici insurgentes contra dominos suos congregantur. (Acta sancli Gildæ Ruynensis. D. Mo- 
rice, Histoire de Bretugne, Lreuves, L L col 355.) 


LE FAUCON. 151 


Le pays grevé, une révolte a éclaté, les jeunes se sont le- 
vés, levés se sont les vieux; par suite de la mort d’une 
poule et d’un faucon, la Bretagne est en feu, et en sang, et 
en deuil. 


Au sommet de la Montagne Noire, la veille de la fête du 
bon Jean, trente paysans étaient réunis autour du grand feu 
de joie. Or, Kado le Batailleur était là avec eux, s'appuyant 
sur sa fourche de fer. 


— Que dites-vous, mangeurs de bouillie? payerez-vous la 
taxe ! Quant à moi, je ne la payerai pas! j'aimerais mieux être 
pendu! 

— Je ne la payerai pas non plus! mes fils sont nus, mes 
troupeaux maigres ; je ne la payerai pas, je le jure par les 
charbons rouges de ce feu, par saint Kado et par saint Jean! 

— Moi, ma fortune se perd, je vais être complétement 
ruiné ; avant que l’année soit finie, il faudra que j'aille men- 
dier mon pain. 

— Mendier votre pain, vous n'irez pas; à ma suite je ne dis 
pas ; si c'est querelle et bataille qu'ils cherchent, avant qu’il 
soit jour ils seront satisfaits ! 

— Avant le jour ils auront querelle et bataille ! Nous le ju- 


rons par la mer et la foudre! nous le jurons par la lune et les 
astres! nous le jurons par le ciel et la terre! — 





Mac'het ar vro, ha savet kroz, Na rinn ket m'entoue ru-glaou-tan, 
Save jaouank, ha savet koz; Sant Kado Kerkouls ha Sant-lann ! 
War marv eur jar hag eur falc’hon, | — Me, ma danvez a ia da goll, 

Breiz e goad, e tan hog € kaon. | Da goll a eann onn holl-d’ann-hol]; 
War mene du c gwcl lann mad, | Keu na vo ar bloaz achuet, 

Tregont kouer endro d’ann tantad. Vo red d'in mont da glask ma boed. 
Ha Kado-gann, eno gant-he, — Da glask ho poed na eot ket, 
War he forc'h houarn a harpe. Enn tu gan-in ne larann ket ; 

— Petra leret-hu potred-iod, Mar d-co trouz ha kann a glaskont 
Ha paea ar gwiriou a reol? Ken na vezo de a geffont! 


Evid-on-me na bacinn ket! 


— Kent ann de keffont trouz ha kann ? 
Gwell a ve gan-1n bout krouget? 


| Nini hen toue mor ba taran! 
— Evid-on na rinn ken-neubeut! Nini hen toue stered ha loar! 
Noaz va fotred, va chatal (reud ; | Nini hen toue nenv ha douar! — 





132 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Et Kado de prendre un tison, et chacun d'en prendre un 
comme lui : — En route, enfants, en route maintenant ! et vite 
à Guerrande ! — 

Sa femme marchait à ses côtés, au premier rang, portant 
un croc sur l'épaule droite, et elle chantait en marchant : 
—— (Alerte! alerte! mes enfants! 

n Ce n’est pas pour aller demander leur pain que j'ai mis au 
monde mes trente fils; ce n’est point pour porter du hois de 
chauffage, oh! ni des pierres de taille non plus! 

« Ce n’est pas pour porter des fardeaux comme des bêtes de 
somme que leur mère les a enfantès; ce n’est pas pour piler la 
lande verte, pour piler la lande rude avec leurs pieds nus. 

« Ge n’est pas aussi pour nourrir des chevaux, des chiens 
de chasse et des oiseaux carnassiers; c’est pour tuer les op- 
presseurs que j'ai enfanté mes fils, moi! » — 

Et ils allaient d’un feu à l’autre, en suivant la mon- 
tagne : 

— Alerte! alerte! boud ! boud!!iou! iou?! Au feu, au feu, 
les valets du fisc! — 

Quand ils descendirent la montagne, ils étaient trois mille 
et cent; quand ils arrivèrent à Langoad, ils étaient neuf mille 
réunis. 





Hay hen da gemer eur skod-tan | Ne koed evit pila lann glaz, 

Ha peb eunn eur skod evel-t-han : | Pila lann krt gand ho zreid noaz; 
_ Lnn bent, potred, enn hent reman) | « Ne ked ‘’hend-all evit peuri 

Ha prim etresek Keraran. — | Ronsed, chas-red hag evned kri : 
He c'hreg gant-han er penn a-rok, Nemed da laza ’r vac'herien, 

Gant hi war he skon zeou eur c'hroz, | Em euz-me ganet va mipien! » — 
Hag hi o kana trema'iee = Ha deuz eunn eil tan d'egile 

—« Timat! timat! va bugale! | À eent, hed-ha-hed ar mene : 

« Ne ket'vit mont da clask ho bocd. —-Timat! timat! boud! houd l jou! iou! 
Em euz va zregont mab ganet ; Tan-ru war botred-ar-gwiriou! — 
Ne ked evid dougen keuneut, | O tont d'ann traon gand ar mene 
Oh! na mein-ben-rez ken-nebeutr ! Tri mil ha kant a oa anhe: 

« Ne ked evid dougen ar zamm Ha pa oant digouet e Langoad, 

E ma int bet ganet cand ho mamm, E oant nao mill enn eur bagad. 


4 C'est le son de la corne des paires. 
2 Cri de joie répondant au hourra ! des Anglais. 


K 





LE FAUCON. 133 


Quand ils arrivèrent à Guerrande, ils étaient trente mille 
trois cents, et alors Kado s’écria : 
— Allons! courage! c’est ici! — 


Il n'avait pas fini de parler, que trois cents charretées de 
lande avaient été amenées et empilées autour du fort, et que 
la flamme, ardente et folle, l'enveloppait; 


Une flamme si ardente, une flamme si folle, que les four- 
ches de fer y fondaient, que les os y craquaient comme ceux 
des damnés dans l'enfer, 


Que les agents du fisc hurlaient de rage en la nuit, comme 
des loups tombés dans la fosse, et que le lendemain, quand 
le soleil parut, ils étaient tous en cendre. 


NOTES 


Ainsi se vengeaient les campagnards bretons, forcés de se faire justice 
à eux-mêmes, à défaut de chefs nationaux de leur race pour la leur 
rendre. La sœur du duc de Normandie fit entourer, massacrer, disperser 
et poureuivre, par ses hommes d'armes, selon l'expression d’un contem- 
porain, les bandes insurgées des pauvres paysans. Mais, plus tard, le 
Joug de l'étranger s'étant adouci en Susant, comme il arrive toujours, un 
duc, plus humain et plus juste, voyant l'oppression dont le peuple était 
l'objet de la part des roturiers, que les nobles, revêtus du titre de ser- 
cents féodés, chargeaient d’exercer leurs fonctions, publia l'ordonnance 
suivante : « Pour ce que au temps passé nos sergentises ont esté données 
à personnes poy savantes et moins suffisantes, quant ad ce (c’est-à-dire 
non nobles); et quand elles ont esté données à personnes suffisantes, 
ceukx lés affermoient à aultres personnes moins suffisantes, et en tel 
nombre que ce qui pouvoit estre gouverné par un seul estoit affermé à 
deux, trois, quatre ou cinq (intermédiaires), qui tous convenoient vivre 





Pa oant digouet da Geraran, Eunn tan ken fol, eunn tan ken ter 
E oant tregont mil ha (ri c'hant: Ma teuze enn han ar ferc’hier, 
Ha Kado à vennaz neuze : Ma strake cnn han anx eskern 

— AUR) ama ‘nn hanie! — Evel re zaoned ennifern. 

N'on Ked he gomz peurla"aret, Ma iudent gant kounnæ, enn noz, 
Tri-c'hant karrad lann oa kaset Evel bleizi koezet er foz; 

Ha laket tro-war-dro d'ar ger, Ha tronoz pa zavaz ann heol, 

Dag ann tan enn hi fol ha ter; Un "Y gwiraerien luduet holl. 


1 Agmina rusticorum invadunt, Lrueidant, dispergunt, persequuntur. (Histoire de Bretagn 
Preuves, LL col. 355.) 


151 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


soubz celles sergentises; et ainxi ont esté noz dits subjetz manaiez, des- 
truils, et grandement pillez, et justice célée, et les rapports malilvesement 
et faulxement recordez... pour ce avons ordrenné et ordrennons que ceulx 
qui tendront et à qui nous donrons desoremes en avant sergentises en 
nostre duché, les serviront en leurs propres personnes, sans les bailler à 
ferme... et ne prendront ceulx sergents des subjetz de leurs sergentises, 
robes, pansions, louiers, ne aultres choses. ; vinages, bladages, gerbages, 
ne aultres exactions induës, et en ont levé plusieurs aultres et usé du 
contraire, dont nous entendons à les faire punir 1. » 

S'il n’y a pas de doute sur la cause de la Jacquerie chantée dans 
le bardit rustique, il y en a sur les premiers individus qui y prirent part, 
et le lieu où elle éclata. Malgré l’assertion du poëte, ou du moins des 
chanteurs, on ne peut croire qu'elle ait pris naissance dans les Montagnes 
Noires, car les Cornouaillais avaient leurs comtes particuliers au onzième 
siècle et n'étaient pas encore réunis au domaine ducal. L'esprit de résis- 
tance opiniätre qu'ils ont si souvent montré leur aura fait attribuer 
une levée de bàtons à laquelle ils ont dû rester étrangers, et qui regarde 
principalement les paysans vannetais, leurs voisins. Partant, ils seraient 
innocents du sac de Guerrande, que ces derniers ont fort bien pu faire, 
à imitation des Normands. 


4 Établissements de Jean Ill. (Histoire de Bretagne, preuves, t. L col. 1163 et 1164.) 





XVI 


HÉLOISE ET ABAILARD 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


L'histoire d'Héloïse et d'Abailard a fourni un sujet à notre poésie popu- 
laire; mais elle l'a chantée à sa manière. Ce ne sont ni les amours, ni les 
malheurs des deux amants qui Voc frappée. La métamorphose qu’elle a 
fait subir à cette femme célèbre est fort étrange; on voudrait pouvoir en 
douter, maïs il n’y a pas malicre à l’ombre d’un doute. Les faits sont po- 
sitifs : la charmante Héloïse est changée en affreuse sorcière. 

On sait qu’elle passa avec Abaïlard plusieurs années au bourg de Pal- 
let, près de Nantes (1099). Durant leur séjour en Bretagne, le bruit de 
son savoir se sera répandu partout; le peuple en aura été émerveillé, et 
comme, à cette époque de naïve ignorance, tout savant, sans l’orthodoxie, 
était un sorcier, on lui en aura départi les connaissances et les attributs : 
telle est la cause principale de cette transformation singulière. Mais elle 
n'eut pas lieu seulement en Bretagne; on la trouve jusqu’en Italie. 
Montrant à Ampère un débris de môle à Naples, un mendiant lui dit : 
Lo fece Petro Bailardo per una Maga, « Pierre Abaïlard a fait cela à 
Taide d’une Magicienne. » 


Je n'avais que douze ans quand je quittai la maison de mon 
père, quand je suivis mon clerc, mon bien cher Abailard. 


Quand j'allai à Nantes, avec mon doux clerc, je ne savais, 
mon Dieu, d'autre langue que le breton; 





LOIZA HAG ABALARD 


— IES KERNE — 
Ne oann nemed daouzek vloa pa guitiz ti ma zad, 
Pa oann oet gand ma c'hloarek, ma Abalardik mad, 


Pa oann-me oet da Naonet gand ma deusik kloarek 
Ne ouienn ies, ma Doue, nemed ar brezonek ; 


à 


136 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Je ne savais, mon Dieu, que dire mon Pater, quand j'é- 
tais chez mon père, petite, à la maison. 


Mais maintenant je suis instruite, fort instruite en tout 
point, je connais la langue des Franks et le latin, je sais lire 
et écrire, 


Et même lire dans le livre des Évangiles, et bien écrire, et 
parler, et consacrer hoste aussi bien que tout prêtre. 


Et empêcher le prêtre de dire sa messe, et nouer l’aiguil- 
lette par le milieu et les deux bouts; 


Je sais trouver l'or pur, l'or au milieu de la cendre, et l’ar- 
gent dans le sable, quand j'en ai le moyen : 


Je me change en chienne noire, ou en corbeau, quand je le 
veux, ou en feu follet, ou en dragon; 


Je sais une chanson qui fait fendre les cieux, et tressaillir 
la grande mer, et trembler la terre. 


Je sais, moi, tout ce qu’il y a à savoir en ce monde; tout 
ce qui a été jadis, et tout ce qui sera. 

La première drogue que je fis avec mon doux clerc, fut faite 
avec l’œil gauche d’un corbeau, et le cœur d'un crapaud ; 


Ne ouienn tra, ma Doue, met laret ma fater, 

Pa oann-me plac'hik bihan e ti ma zad er ger, 

Hogen breman, disket onn, disket onn mad a-grenn; 

Me oar Gallec ha Latin, me oar skriva ha lenn: 

Ja lenn e levr ann Aviel ha skriva mad ha preek, 

Ha sakri ar bara-kann kerkouls ha peb beïek; 

Ha miret ouz ar belek da lar he oferen, 

Ha skloumo ann alc'houilten e Kreiz hag enn daoubenn. 
Me oar kaout ann aour melen, ann aour (ouez al ludu: 
Hag ann argant touez ann drez, pa'm euz kaveL ann tu : 
Me oar mont da giez du, pe da vran, p'am ouz c'hoant: 
Pe da botrik ar skod-tan, pe da aerouant; 

Me oar eur zon harz a lak ann nenvou da frailla 

Hap ar mor hraz da zridal, hag ann douar da grena. 
Me oar me Kement tra 20 er bed-man da c'houiet, 
Kement tra zo het gwechall, kement zo da zonet, 
Kentan louzou am euz gret gant ma dousik kloarek, 
0e gand lagad klei eur vran ha kalon cunn tousek; 








HÉLOISE ET ABAILARD 157 
Et avec la graine de la fougère verte, cueillie à cent brasses 
au fond du puits, et avec la racine de l’Herbe d’or arrachée 
dans la prairie, 

Arrachée tête nue, au lever du soleil, en chemise et nu- 
pieds. 

La première épreuve que je fis de mes drogues, fut faite 
dans le champ de seigle du seigneur abbé : 

De dix-huit mesures de seigle qu'avait semées l'abbé, il ne 
recueillit que deux poignées. 

J'ai un coffret d'argent à la maison, chez mon père : qu 
l'ouvrirait s'en repentirait bien! 

Il y a là trois vipères qui couvent un œuf de dragon; si 
mon dragon vient à bien, il y aura désolation. 

Si mon dragon vient à bien, il y aura grande désolation; il 
jettera des flammes à sept lieues à la ronde. 

Ce n’est pas avec de la chair de perdrix, ni avec de la chair 
de bécasse, mais avec le sang sacré des Innocents, que je 
nourris mes vipères. 

Le premier que je tuai était dans le cimetière, sur le point 
de recevoir le baptême, et le prêtre en surplis. 





Ha gand had ar raden glaz, don ar puns kant goured, 
Ha grouiou ann aour-ieoten war ar prad dastumet ; 
Dastumet, diskabel-kaer, d'ar goulou-de a-grenn, 
Nemed ma iviz gen-in, har ouspenn dierc'henn, 
Kenta "Lolz ma louzou da c'hout hag hen oa mad, 
A oe e-kreiz park scgal ann otrou ann Ahad. 
Deuz triouec’h bigoual segal doa hadet ann Abad, 
N'en deuz het da zastumi nemed diou guichénnad, 
Me ’m euz eunn arc'hig argant er ger e ti mazad, 

. Ann hint hen digorfe en defe kalonad! 
Hag cnn han teir aer-wiber 0 c'hourt ui aerouane, 
Mar deu ma aerouant da vad. peuze vo nec'hamant, 
Mar deu ma aerouant da vad, a vo gwall nec'hamant: 
Seiz leo war-dro ac’hannen e teui da deureul tan, 
Ne ket gand kik klujiri na kik keveleged, 
Gand goad sakr ar re zinam eo int gan-in maget. 
Ar c'hentan em lon lahet oa eharz ar vered, 
0 vonet d'ar vadiant, hag ar beleg gwisket. 


158 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Quand on eut porté au carrefour, je quittai ma chaussure, 
et m'en allait le déterrer, sans bruit, sur mes bas. 


Si je reste sur terre, et ma Lumière avec moi; si nous res- 
tons en ce monde encore un an ou deux ; 


Encore deux ou trois ans, mon doux ami et moi, nous fe- 
rons tourner ce monde à rebours. 


— Prenez bien garde, jeune Loïza, prenez garde à votre 
âme; si ce monde est à vous, l’autre appartient à Dieu. — 


NOTES 


L'auteur suppose qu'Héloïse n’a que douze ans lorsqu'elle quitte la 
maison paternelle pour suivre son amant. lL y à, dans l’énumération 
qu'elle fait de ses talents, un certain orgueil qui commence par être naïf 
et finit par devenir horrible. On y trouve un bizarre mélange de pra- 
tiques druidiques et de superstitions chrétiennes. Héloïse est fort savante ; 
elle sait la langue romane et le latin. Elle lit l'Évangile; les abbesses seules, 
entre les femmes, en avaient le droit au chœur. Ce fait est important; il 
prouve qu'iléloïse était déjà retirée au Paraclet lors de la composition du 
chant. Elle n’est donc pas seulement sorcière, elle est religieuse, prétresse 
même, puisqu'elle prétend consacrer hostie. 

Elle est alchimiste: elle se métamor/hose à son gré: elle est tour à 
tour chienne noire, corbeau, dragon ou feu follet. Les armes des méchants 
empruntent toutes ces formes. 

Au pied du mont Saint-Michel, en Cornouaille, s'étend un vaste ma- 
rais; si le montagnard voit passer, sur le soir, un grand homme maicre 
et pâle, suivi d'une chienne noire, qui se dirige de ce côté, il regagne 
bien vite sa cabane, il ferme sa porte au verrou et se met en prière, car 
la tempê e approche. Bientôt les vents mugissent, le tonnerre roule avec 
fracas, la montagne tremble et paraît prête à s’écrouler; c’est le mo- 
ment où le magicien évoque les âmes des morts. 

Le porte-brandonou feu follet est un enfant qui porte à la main untison 
qu'il tourne comme une roue enflammée; c’est: lui qui incendie les villages | 


Tre ma oa oet J'ar c’hroaz-hent, e tennez ma boutou, 

Hag a iez J'he ziveia, didrouz, war ma lerou. 

Mar jommann war ann douar, ha gen-in ma Goulaou, 

Mar jommomp war ar bed-man, c'hoaz eur bloavez pe zaou; 
C'hoaz cunn danu pe dri bloavez, ma dous ha me han daou, 
Ni a lakat ar hed-man da drei war he c’hinaou. — 

— Evesait mad, Loizaik, evesait d'hoch eng, 

Mar d-eo ar bed-man d’hoc'h-hu, da Zoue egile, — 


HÉLOISE ET ABAITARD. 139 


que l’on voit brûler, la nuit, sans que personne y ait mis le feu. Le cheval 
malade qui se traîne vers l'écurie, c'est lui; on croit le tenir, il s'échappe 
en jetant son tison à la têle du pâtre qui veut le conduire à l’étable. La 
chèvre blanche égarée, qui bêle tristement, après le coucher du soleil, au 
bord de l'étang, c'est encore lui; elle fait tomber le voyageur dans l’eau 
et fuit en ricanant Esprit, lutin, démon malicieux et moqueur, le porte- 
brandon met sa joie à narguer l’homme. 

Héloïse a tout pouvoir sur la nature : elle connaît le présent, le passé, 
l'avenir ; elle chante, et la terre s’émeut. Elle sait la vertu des simples ; 
comme Merlin, elle cueille au point du jour l'herbe d’or ; elle jette des 
sorts; elle fait couver des œufs de vipères qu’elle engraisse de sang hu- 
main; elle bouleverserait le monde. Cependant il y a une limite qu’elle ne 
franchit pas ; où finit son empire commence celui de Dieu. Il est curieux 
d'entendre, au sixième siècle, le barde Taliésin faire étalage de ses con- 
naissances de la même manière qu'Héloïse. Lui aussi se vante d’avoir subi 
ou de pouvoir subir des métamorphoses élranges ; d’avoir été biche, coq 
et chien!; de connaître tous les mystères de la nature? ; d’être l’institu- 
teur du monde; de tenir enfermé dans ses livres bardiques le trésor entier 
des connaissances humaines ©. 

Le poëte est d'accord avec l’histoire en faisant vivre Héloïse et son 
amant à Nantes ou aux environs; c'était le pays classique de la sorcelle- 
rie. Le druidisme avait eu un collége de prêtresses dans une des îles si- 
tuées à l'embouchure de la Loire, et leur science avait laissé de si pro- 
fondes traces dans les esprits, qu’au milieu du quatorzième siècle, elles 
ie s'étaient point encore ef.acées. Le nombre des sorcières se multipliait 
même tellement de jour en jour, que l’évêque diocésain crut devoir ful- 
rminer contre elles une bulle d'excommunication, avec toutes les cérémo- 
: les d'usage, en pleine cathédrale, au son des cloches, en allumant, puis 
éteignant les flambeaux, et foulant aux pieds le missel et la croix 4. 

Les druidesses de la Loire, comme les vierges de l'archipel armoricain 
passaient aussi, pour être douée d’un esprit surhumain; sans doutes 
on croyait qu’elles pouvaient soulever par leurs chants la mer et 
les vents, prendre à leur gré la forme d'animaux divers, guérir de mala- 
dies incurables, connaître et prédire avenir". 

Il est facile de voir, à ces traits, que le poëte a confondu Héloïse avec 
les prêtresses du culte antique de ses pères; lui aurait-il mis dans la 
bouche quelques débris de leurs hymnes, conservés par la tradition? 
Nous sommes porté à le croire, et telle est la raison qui nous fait attri- 
buer à une partie du chant, en dépit de la langue qui est toute moderne; 
une antiquité très-reculée et bien antérieure au douzième siècle, auquel il 
semble appartenir. 

Peu de pièces sont plus populaires; celle-ci se chante avec de légères 


4 Myvyrian, L I, p. 58. 

2 Ib., ébid. ,p. 21. 

3{b.,cbid., p. 20. 

+ Sortiarias quia quotidie multiplicantur in civitate et diœcesi Nannetensi.… excommuni-, 
camus. (Statuta Ollivarii, episcopi Nannetensis, ad ann. 1554. D. Morice, Histoire de Brelugne, 
Preuves.) 

5 Traduntur maria et ventos concitare carminibus ; seque in quæ vellint animalia vertere 
sure ventura et prædicare. (P. Mela, de Situ orbis, lib. IL, c. vi.) 





140 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


variantes dans les quatre dialectes bretons. Je la publie d’après une ver- 
sion cornouaillaise, mais évidemment elle a été composée dans le dialecte 
de Vannes. Les moines de Saint-Gildas de Rhuys, dont Abaïlard était 
abbé, et qu’il traita, comme on sait, avec un tel dédain philosophique 
qu’on le chassa du pays, pourraient bien n’avoir pas été étrangers à sa 
composition, et s'être faits l'écho satyrique des croyances populaires sur 
Héloïse, pour se venger de l’insolence de leur supérieur et venger, du 
même coup, les Bretons insultés par lui. Ce qu’il y a de certain, c’est que, 
parmi des souvenirs évidemment druidiques, il s’est glissé, dans la 
pièce, quelques réminiscences toute classiques, dont les moines ont pu 
emprunter l'expression à leurs auteurs latins : sans parler de la Magi- 
cienne de Théocrite, Héloïse ne rappelle-t-elle pas, en effet, la Canidie 
d'Horace 1? 

En écrivant sa belle Listoire d’Abailard, M. Ch. de Rémusat ne pouvait 
oublier l: métamorphose de son héroïne par la poésie armoricaine?. 


1 Cœlo diripere lunam vocibus possumm meis. (Epod. XY, 78,) Cf, Virgil: : Carmina vel 
cælo possunt deducere Junam. (Eglog. VIE. 69.) 
2 Preuves et autorités de l'histoire d'Abélard, t. 1, p. AT. 





XVII 


LE RETOUR D’ANGLETERRE 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE «sm 


ARGUMENT 


Ce chant étant une épisode de la conquête de l’Angleterre par les Nor- 
mands, nous ne saurions mieux faire que d'emprunter nos prolécomènes 
à l'ouvrage d’Augustin Thierry, qui lui a donné place dans ses pièces 
justificatives. 

« Guillaume, dit le grand peintre que nous venons de nommer, fit 
publier son ban de guerre (1066). Il offrit une forte solde et le pillage 
de l'Angleterre à tout homme robuste et de haute taille qui voudrait 
le servir de la lance, de l’épée ou de l’arbalète. Il en vint une multi- 
tude, par toutes les routes, de loin et de près, du nord et du midi. IL 
en vint du Maine et de l’Anjou, du Poitou et de la Bretagne, de la France 
et de la Flandre, de l’Aquitaine et de la Bourgogne, du Piémont et des 
Lords du Rhin. Tous les aventuriers de profession, tous les enfants per- 
dus de l'Europe occidentale accoururent à grandes journées. 

« Le comtes Eudes de Bretagne envoya à Guillaume ses deux fils pour 
le servir contre les Anglais. Ces deux jeunes gens, appelés Brian et 
Alain, vinrent au rendez-vous des troupes normandes, accompagnés 
d’un corps de chevaliers de leur pays ?. » 

Parmi ces auxiliaires du duc de Normandie se trouvait un jeune Breton 
dont nos poëtes populaires nous ont conservé la touchante histoire. 





Entre la paroisse de Pouldergat et la paroisse de Plouaré”, 
il y a de jeunes gentilshommes qui lèvent une armée pour al- 





ANN DISTRO EUZ À VRO-ZAOZ 


UNIES KERNIE = 


Etre parrez Pouldergat ha parrez Plouare, 
EZ euz tudjentil iaouang 0 sovel eunn arme 


Alan, fils d'Hedwije, à laquelle le chant qu’on va lire donne le nom de Duchesse, 
T.H, liv. 111, p. 523 et 328 (5° édition). 
Uang la baie de Douarnenez, à quatre lieues de Quimper, en Cornouaille, 


ci tu œ 


119 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. a, 


ier à la guerre, sous les ordres du fils de la Duchesse, qui aras- 
semblé beaucoup de gens de tous les coins de la Bretagne; 


Pour aller à la guerre, par delà la mer, au pays des Saxons. 
J'ai mon fils Silvestik qu'ils attendent; j'ai mon fils Silvestik, 
10n unique enfant, qui part avec l’armée, à la suite des che- 
valiers du pays. 


Une nuit que j'étais couchée, et que je ne dormais pas, j’en- 
tendis les filles de Kerlaz chanter la chanson de mon fils; et 
moi de me lever aussitôt sur mon séant : — Seigneur Dieu! 
Silvestik, où es-tu maintenant? 


Peut-être es-tu à plus de trois cents lieues d'ici, ou jeté 
dans la grande mer, en pâture aux poissons. Si tu eusses 
voulu rester auprès de ta mère et de ton père, tu serais fiancé 
maintenant, bien fiancé ; 

Tu serais à présent fiancé et marié à la plus jolie fille du 
pays, à Mannaïk de Pouldergat, à Manna, ta douce belle, et tu 
serais avec nous et au milieu de tes petits enfants, faisant 
grand bruit dans la maison. 

J'ai près de ma porte une petite colombe blanche qui couve 
dans le creux du rocher de la colline ; j'attacherai à son cou, 





Evit monet d'ar brezel dindan mab ann Dukez. 
En deuz dastumet kalz tud euz a beb korn a Yreiz : 


Evit monet d'ar hrezel dreist ar mor, da Vro-z0z. 
Me’m cuz ma mab Silvestik e ma int ouz he c’hortoz; 
Me'm euz ma mah Silvestik ha n'em cuz nemet-han 
A ia da heul ar strollad, gand marc'heien ar ban. 


Eunn noz e oann em gwele, ne oann Ket kousket mad, 
Me cleve merc'hed Kerlaz a gane son ma mab; 

Ha me scvel em’ c'haonze raktal war ma gwele : 

— Otrou Doue) Silvestik, pclec'h oud-de breme? 


Marieze em oud ouspenn tric’hant leo deuz va 21 
Pe tolet barz ar mor hraz d'ar pesked da zibri; 

Mar kerez heg chommet gant da vamm ha da dad, 
Te vize bet dimezet breman, dimezet mad ; 

Te vize bet dimezet hag eureujed timat 

D'ar braoa plac'h euz ar vro, Mannaik Bonldergat 
Da Vanna da zousik-koant, ha vizez gen-omp-ni 
Ha gand da vugaligou: (rouz gant-he Kreiz ann ti. 
Me am euz eur goulmik c'haz e Kichenik ma dor, 
Hag hi e toull ar garrek war henn ar roze gor; 





LE RETOUR D’ANGLETERRE. 143 


j'attacherai une lettre avec le ruban de mes noces, et mon fils 
reviendra. 


— Lève-toi, ma petite colombe, lève-toi sur tes deux ailes; 
volerais-tu, volerais-tu loin, bien loin, par delà la grande mer. 
pour savoir si mon fils est encore en vie? 


Volerais-tu jusqu’à l’armée, et me rapporterais-tu des nou- 
velles de mon pauvre enfant? 

— Voici la petite colombe blanche de ma mère, qui chan- 
tait dans le bois; je la vois qui arrive au mât, je la vois qui 
rase les flots. 


— Bonheur à vous, Silvestik, bonheur à vous, et écoutez : 
j'ai ici une lettre pour vous. 

— Dans trois ans et un jour j'arriverai heureusement; dans 
trois ans et un jour Je serai près de mon père et de ma 
mère. — 


Deux ans s’écoulérent, trois ans s’écoulèrent.. 

— Adieu, Silvestik, jenete verrai plus! Si je trouvais tes 
pauvres petits os, jetés par la mer au rivage, ch! je les re- 
cueillerais, je les baiserais! — 


Elle n'avait pas fini de parler, qu’un vaisseau de Bretagne 


Me stago deuz he gouzouk, me stago eul lizer 
Gant seiennen va eured, ra zeui ma mab d'ar ger. 


— Sav alese, va c'houlmik. sav war da ziou-askel 

Da c'hout mar te a nichfe, mar te a nichle pell; 

Da c'hout mar te a nichfe gwall bell dreist ar mor hraz, 
Ha ouifez mar d-eo ma mah, ma mab er buhe c'hoaz 7 


Da c'hount mar te a nichfe tre-beteg ann arme, 

Ha gasfez cuz va mab paour Umat kelou d’ime? 

— Setu koulmik c'hlaz va mamm a gane "kreiz ar c'hoat, 
Me hi gwell erru d'ar gwern, me hi gwell o rezat. 

— Eurvad d'hoc'h-hu, Silvestik, eurvad d'hoc'h. ha klevet: 
Ama em euz eul lizer zo gan-in d’hoc'h kaset. 

— Benn tri bloaz hag eunn devez me erruo da vad, 

Denn tri hloaz hag cunn devez gant ma mamm ha ma rad, — 
Achuet oa ann daou vloaz, achuet oa ann tri : 

— Kenavo d'id, Silvestik, ne n'az gwelinn Ket mut: 

Mar kaffenn da eskern paour Lolet sand ar mare, 

Oh! me ho dastumele hag ho briatefe, — 


Ne oaked he c'homz gant-hi, he c'homz peuriavaret, 


144 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE Ñ 


vint se perdre à la côte ; qu’un vaisseau du pays, sans rames, 
les mâts rompus, et fracassé de l'avant à l'arrière, se brisa 
contre les rochers. 


Il était plein de morts; nul ne saurait dire ou savoir depuis 
combien de temps il n'avait vu la terre; et Silvestik était là; 
mais ni père, ni mère, hélas! ni ami n'avait aimé ses yeux! 


NOTES 


La conquête de l'Angleterre remontant au onzième siècle, il y a tout lieu 
de croire que la rédaction première de cette ballade a été faite à la 
même époque. C’est l'opinion d’Augustin Thierry, qui l’a jagée aussi inté- 
ressante au point de vue historique qu'au point de vue poétique. 

Plusieurs des chefs bretons, auxiliaires des Normands, se fixèrent dans 
les domaines qu'ils devaient à la victoire ; d’autres ne revinrent en Bre- 
tagne que longtemps après l'expédition. On comprend ainsi l’histoire de 
Silvestik. Mais qui était-il? était-il fils d’un noble ou d’un paysan ? pre- 
nait-il part à la guerre comme sergent d’armes ou comme chevalier 7 
Nous adopterions plutôt ce dernier sentiment. Mais l’histoire n’en dit rien, 
non plus que la tradition. En revanche, celle-ci nous a conservé de sin- 
guliers renseignements relatifs à un usage auquel le poëte fait allusion ; 
nous voulons parler du ruban des noces. 

Anciennement, s'il faut en croire quelques vieilles gens de la cam- 
pagne, ke jour des noces, chez les nobles, avant que l’on se rendit à 
l'église et que le fiancé füt arrivé, la nouvelle mariée descendait dans la 
salle du manoir, où les parents et les amis se trouvaient déjà réunis; elle 
allait s'asseoir sur un lit d'honneur, et le Diskared (on nommait ainsi le 
plus notable des amants supplantés) «approchait pour lui ceindre le 
ruban des noces. Ce ruban devait être blanc comme l'innocence de la 
jeune fille, rose comme sa beauté, noir comme le deuil qu'allait prendre 
le diskared. Un baiser était le prix de la tâche contre nature que lui im 
posait la coutume. 

On conservait précieusement le ruban des noces dans la cassette des 
joyaux de la famille, d’où il ne sortait qu'aux jours de fête. Les années 
venaient : le rose, le blanc et le noir du ruban passaient avec les fraîches 
couleurs de l'épouse, ses rêves naïfs de jeune fille et le chagrin de 





Pa skoaz eul lestr a Vreiz war ann ot,hen kollet, 
Pa skoaz eul lestr a vro penn-da-benn dispennet, 
Kollet gant-han he raonnou har he wernou breet, 


Leuu a oa a dud varo; den na outre lavar, 

Na gout pe geit zo amzer n'en deuz gwelet ann douar, 
Ha Silvestik oa cno, hogen na mamm na tad, 

Na mignon n'en don, siouaz! Karet he zaou-lagad! 











(7 0 LE RETOUR D'ANGLETERRE, 145 


l'amant supplanté; mais l'amour qu’elle avait juré à son mari ne passait 
pas. Elle en gardait toujours le gage, qui la suivait jusque dans la 
tombe, comme un emblème d’éternelle foi. 

La mère de Silvestik avait aussi son nœud de rubans; mais il ne lui 
ramena point son fils : la colombe messagère ne lui rapporta qu'un rameau 
d'espérance trompeuse, que la tempête devait effeuiller avec ses derniers 
beaux jours et ses dernières joies maternelles. 

Dans la poésie populaire de toutes les nations celtiques les oiseaux 
servent de messagers : j'ai entendu chanter en Galles une chanson où un 
jeune homme parle ainsi à un merle : 

« Oiseau noir au bec jaune (aderyn du beù melyn), va de ma part jus- 
qu'à la maison qui est là-bas, avec cette lettre sous ton aile : elle est 
pour la jeune fille à qui j ai donné mon amour. » 

Une ronde française recueillie, en haute Bretagne, par le docteur Fou- 
quet, n'offre le même motif, avec le rossignol à la place du merle. Sur 
les frontières du Maine l’&ouette partage leur fonction - 


M'amie reçoit de mes lettres 
Par l’alouette des champs, 
Et el'e m'envoie les siennes 
Uar le rossignol chantant. 


Mais les poésies d’origine celtique ne sont pas les seules qui confient de 
doux messages aux oiseaux; de la Normandie à la Lorraine, ils font cet 
office près des amoureux; ils le font en Italie, en Espagne et en bien 
d'autres pays. Chez nos Flamands de France (pour me borner à nous), le 
messager ailé est petit de corps et blanc de plumage, sans qu’on le dé- 
peigne autrement : « Un petit oiseau, blanc comme neige, se balançait 
sur une branche d’épine : — Veux-tu être mon messager? — Je suis 
trop petit, je ne suis qu'un petit oiseau. — lL prit le billet dans son bec, 
et l’emporta en s’envolant!. » On mesure la distance qu’il y a de ces 
petils courriers emplumés à la mére-colombe, portant suspendue à son 
cou par le lien le plus sacré le message d’une autre mère C'est la dif- 
férence qui existe entre la fiction légère et la réalité poignante; où 
June glisse l’autre appuie, et creuse jusqu'aux sources mêmes de l’émo- 
tion vraie; celle-ci ne finit-elle point par Jaillir à la vue des yeux éteints 
(que personne n'a aimes, c'est-à-dire fermés avec un baiser, à l'instant 
suprême ? 


41 Chants des Flamands, recueillis par M, de Coussemacker, 


10 


XIX 


L'ÉPOUSE DU CROISÉ 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


À quelques lieues de la jolie petite ville de Quimperlé, qui semble flotter 
sur les eaux d'Izol et d’Ellé, comme une corbeille de feuillage et de 
fleurs sur un étang, on trouve, en allant vers le nord, le gros village du 
Faouet. Les anciens seigneurs de ce nom, branche cadette de la noble et 
antique famille de Goulenn, ou Goulaine, selon l'orthographe vulgaire, 
tiennent une assez grande place dans l’histoire de Bretagne, et la poésie 
populaire les a pris pour sujet de ses chants. D’après elle, l’un d'eux. 
partant pour la terre sainte, confia sa femme aux soins de son beau- 
frère. Celui-ci promit d'avoir pour la dame tous les égards dus à son 
rang; mais à peine les croisés eurent-ils quiité le pays, qu'il essaya de 
la séduire. N'ayant pu y réussir, il la chassa de chez lui, et l’envoya 
garder les troupeaux. Une ballade très-répandue aux environs du Faouet 
et dans toute la Cornouaille conserve le souvenir du fait, qu’elle drama- 
tise comme on va le voir, 


— Pendant que je serai à la guerre pour laquelle il me faut 
part r, à qui donnerai-je ma douce amie à garder? — Condui- 
sez-la chez moi, mon beau-frère, si vous voulez : je la met- 
trai en chambre avec mes demoiselles; 


Je la mettrai en chambre avec mes demoiselles, ou dans la 
salle d'honneur avec les dames; on leur préparera leur nour- 





GREG AR C’HROAZOUR 


— IER K EHIN E 


Keit a vinu er hrezel lec'h eo red d'in monet, 
Da hiou e roinn me ma dousik da virel? 

— Digaset-hi d'am zi, va breur-kaer, mar keret 
Me hi lakat c kampr gant va zemezeled; 

Me hi lakai e kampr gant va zemezeled, 

Pe barz ar zal enor gand ann itronezed. 


Rie: 
E 


L'ÉPOUSE DU CROISÉE. 447 


riture dans le même vase; elles s’asseyeront à la même 
table. — à 


Peu de temps après, elle était belle à voir la cour du ma- 
noir du Faouet toute pleine de gentilshommes, chacun avec 
une croix rouge sur l'épaule, chacun sur un grand cheval, 
chacun précédé de sa bannière, et venant chercher le sei- 
gneur pour aller à la guerre. 


Il n'était pas encore bien loin du manoir, que déjà son 
épouse essuyait plus d’un dur propos : — Otez votre robe 
rouge et prenez-en une blanche, et allez à la lande garder les 
troupeaux. 


— Excusez-moi, mon frère; qu’ai-je donc fait? je n'ai 
gardé les moutons de ma vie! — Si vous n'avez gardé les mou- 
tons de votre vie, voici ma longue lance qui vous apprendra à 
les garder. — S 

Pendant sept ans elle ne fit que pleurer; au bout des sept 
ans, elle se mit à chanter. 


Or, un jeune chevalier, qui revenait de l'armée, ouit une 
voix douce chantant sur la montagne. 





Enn eunn heveleb poud e vo gret d'he ho bed, 
Ouz ann heveleb dol e veint azeet. — 


Penn eunn nebeut goude kaer vije da welet 

Porz maner ar Faouet leun a zuchentiled ; 

Peb kroaz ru war ho skoa, peb marc'h hraz. neh hanniel, 
Ævit klask ann otrou da vonet d'ar hrezel. 


Ne oa ked oet pell-meur er mez demeuz ann ti, 
Pa oe laret J'he c'hreg kalz a brezegou kri : 

— Diwisket ho prouz-ru, haz unan wenn gwisket, 
Red eo monet d'al lann da heurt al locned. 


— Ho tigare, va hreur: petra em euz me gret? 
Me ne m'onn het biskoaz o peuri ann denved. 

— Ma n° em-oc'h bet biskoaz 0 peuri ann denved, 
Aman zo ma goaf hir a ziskei d’hoc’h monet. — 


Bet eo epad seiz vloa. ne re nemed goela ; 

Enn divez ar seiz vloa "n em lakaz da gana. 
Hag eur marc'heg jiaouang 0 tont euz ann arme 
A glevaz eur voez dous Kana war ar mene. 


148 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Halte! mon petit page; tiens la bride de mon cheval; 
j'entends une voix d'argent chanter sur la montagne; j'entends 
une petite voix douce chanter sur la montagne. Il y a aujour- 
d'hui sept ans que je l'entendis pour la dernière fois. 


— Bonjour à vous, jeune fille de la montagne; vous avez 
bien diné, que vous chantez si gaiement? 

— Oh! oui, j'ai bien diné, grâces en soient rendues à Dieu ! 
avec un morceau de pain see que J'ai mangé ici. 

— Dites-moi, jeune fille jolie qui gardez les moutons, dans 
ce manoir que voilà, pourrai-je être logé? — Oh! oui, sûre- 
ment, monseigneur, vous y trouverez un gite et une belle 
écurie pour mettre vos chevaux. 


Vous y aurez un bon lit de plume pour vous reposer, comme 
moi autrefois quand j'avais mon mari; je ne couchais pas alors 
dans la crèche parmi les troupeaux ; je ne mangeais pas alors 
dans l’écuelle du chien. 


— Où done, mon enfant, où est votre mari? Je vois à votre 
main votre bague de noces! — Mon mari, monseigneur, est 
allé à l'armée; il avait de longs cheveux blonds, blonds 
comme les vôtres. 





— Arz, va floc’hik bihan, krog e hrd va marc’h-me; 
Me glev eur voez argant kana war ar mene; 

Me glev eur voezik flour war ar mene kann ; 

Hiriou a zo seiz vloa hi c’hleviz diveza. 


— De-mad a larann d'hoc’h, piac'h iaouang ar mené : 
Ha merniet mad hoc'h euz pa ganet ken ge se ? 

— Ja, merniet mad em euz, a drugare Doue : 

Gand eunn Lamm hara zec'h em euz dehret ame. 


— Leret d'in plachik koant 0 peuri ann denved 
Mag hen er maner-ze halfenn bout kemeret. 

— UT 14 zur, ma otrou, disemer a geffet 

Hag eur marchosi kaer da lakat ho ronsed. 


Eur gwele mad a blun ho pezo da gousket 
Evel-d-on-me gwechall pa oann gant ma fried; 
Ne gouskenn ket neuze er c'hraou gand 51 loened, 
Nar e skudel ar c'hi ne vize gret ma boed. 

— Pelec’h eta, ma merc'h, pclec'h ’ma ho pried, 
Pa welann enn ho torn liamm euz ho eured? 

— Ma fried, va otrou, a zo eet d'ann arme; 

Bleo melen hir en doa, melen evel ho re. 


L'ÉPOUSE DU CROISÉ, 149 


-— S'il avait des cheveux blonds comme moi, regardez 
bien, ma fille, serait-ce point moi-même? — Oui, je suis votre 
dame, votre amie, votre épouse; oui, c’est moi qui m'appelle 
la dame du Faouet. 


— Laissez là ces troupeaux, que nous nous rendions au ma- 
noir; j'ai hâte d’arriver. 

— Bonheur à vous, mon frère, bonheur à vous; comment 
va mon épouse, que J'avais laissée ici ? 

— Toujours vaillant et beau! Asseyez-vous, mon frère. Elle 
est allée à Quimperlé avec les dames; elle est allée à Quimperlé, 
où il y a une noce. Quand elle reviendra, vous la trouverez ici. 


— Tu mens! car tu Tas envoyée comme une mendiante 
garder les troupeaux; tu mens par tes deux yeux! car elle est 
derrière la porte, elle est là qui sanglote! 


Va-t’en cacher ta honte! va-t’en, frère maudit! Ton cœur 
est plein de mal et d'infamie! Si ce n'était ici la maison de 
ma mère, si ce n'était ici la maison de mon père, je rougirais 
mon épée de ton sang! — 





— Ma en doa bleo melen kerkouls evel-d-on-me, 
Laket evez, va merc'h. na vije me a ve? 

— Ja, me eo ho itron, ho tous hag ho pried, 

Ma hann 20, e gwir, itron euz ar Faouet. 


— Lezer al loened-ze ma ieffemp d'ar maner, 
Mall a zo gan-i-me da erruout er ger. 

* — Eurvad d’id-de, va hreur, eurvad d’jd a larann; 
Penoz ia ma fried am boa losket aman? 
— Azeet-hu, va breur kadarn ha koant bepred! 
Eet eo da Gemperle gand ann itronezed, 
Eet eo da Gemperle clec'h ma z0 euret. 
Pa zistreio ar ger aman a vo kavet. 
— Gaou a lerez d’in-me! rag t'ec’h euz he c'haset 
Evel eur glaskerez da heurt al loened; 
Gaou a lerez d’in-me e Kreiz da zaoulagad, 
Rag e ma dreon ann nour, aze, oc'h huanat! 
Tec'h tu-ze gand ar vez! (ec'h kuit, breur milliget! 
Karget eo da galon a zroug hag a bec’hed! 
Ma na ve ti ma mamm, ma na ve ti ma zad; 
Me lakefe va c'hlenv da ruia gand da wad! — 


150 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


NOTES 


La croix rouge que fait porter le norte sur l'épaule à chaque chevalier 
indique la date de la ballade, et à laquelle des guerres saintes elle se 
rapporte. La première est la scule où tous les croisés aient pris cette 
croix; aux suivantes chacun portait la couleur de son pays, et l’on sait 
que le noir était celle de l’Armorique. 

L'histoire nous apprend qu’'Alain et les chefs bretons qui le suivirent 
en Palestine revinrent au bout de cinq ans; le poëte populaire dit de 
sept: l'erreur vient sans doute des chanteurs, la mesure des mots cèiq 
et sept étant la même en breton qu’en français. 

Mais c'est la moindre des questions soulevées par la pièce qu’ils nous 
ont transmise : la question de son origine est autrement délicate. La 
retrouvant en Catalogne, en Provence et sur divers points de la France, 
M. de Puymaigre, qui en a publié une rédaction française, intitulée Ger- 
maine, n'hésite pas à croire à une imitation positive : au fait, la ressem- 
blance est telle entre l'Epouse du Croisée, Don Guillermo, la Pourcheireto, 
et Germaine, qu'on ne peut l'attribuer à des rencontres fortuites; le 
chant breton, ajoute-t-il, qui roule sur le même sujet, diffère par les 
détails du romance catalan et du romance provençal, mais tous trois ont 
certainement une origine commune. Sans se prononcer sur la question 
de priorité, entre l’œuvre néo-celtique et l’œuvre néo-latine, le prudent 
collecteur se borne à réclamer pour sa rédaclion une ancienneté jus- 
tifiée par certains détails de mœurs féodales bien connues. J'imiterai sa 
réserve, et n’entamerai pcint une discussion qui m'’entrainerait un peu 
loin. mais je renvoie le lecteur, pour la solution du prob'ème, au Roman- 
cerillo catalan, de M. Milà y Fontanals (p. 119), aux (Chants populaires 
de la Provence, de M. Damase-Arbaud, aux Chan!'s populaires du pays 
Messin, de M. de Puvmaigre lui-n1 ême 'p. 8), et enfin au recueil de 
M. Champfleury (p. 195). 


XX 


LE ROSSIGNOL 


— DIALECTE DE LEON — 


ARGUMENT 


Gette ballade étant connue de Mario de France, et déjà populaire à l'é- 
poque où vivait ce charmant trouvère, qui l’a imitée, nous n’hésitons pas à 
la croire antéricure au treizième siècle. Nous l'avons entendu chanter en 
Cornouaille, dans les montagnes d’Arez, mais elle a dû être composée en 
J ‘on, car elle appartient plus particulièrement au dialecte de ce pays. 
L'événement qui en est le snjet a peu d'importance en lui-même. Le 
c_anteur breton ne fait que l'indiquer, Marie de France le délaye. 

Une dame de Saint-Malo aime un jeune homme et en est aimée: elle 
se lève souvent la nuit pour aller causer avec lui à la fenêtre, et les rues 
-de la ville sont tellement étroites, les pignons tellement rapprochés, 
qu’elle peut lui parler à voix basse. Mais le mari, qui est un vieillard, et 
un peu jaloux, comme beaucoup le sont, se doute de quelque chose, prend 
l'éveil et interroge sa jeune femme. Celle-ci répond qu’elle se lève pour 
écouter un rossignol qui chante dans le jardin. Feignant de donner dans 
le piége, le vieux mari fait tendre des lacets, Par le plus grand hasard, 
un rossignol s'y trouve pris; il l'apporte à sa femme, l’étouffe sous ses 
yeux et lui ôte ainsi tout prétexte de se lever à l'avenir, 


La jeune épouse de Saint-Malo pleurait hier à sa fenêtre 
haute : 
— Hélas! hélas! je suis perdue! mon pauvre rossignol est 


£ 


tué! 


— Dites-moi, ma nouvelle épouse, pourquoi donc vous 
levez-vous si souvent, 





ANN EOSTIK 


s 1 ERL EH 


Greg iaouang a Zant-Malo, deac'h, Va eostik paour a 70 lazet! 
D'he frenestr a oele. d'ann neac'h : — Livirit d'in va greg nevez, 
— Sioaz! sioaz! me 20 tizet! Perak ’ta savit kelliez, 


152 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Si souvent d’auprès de moi, au milieu de la nuit, de votre lit, 
Nu-tête et nu-pieds? Pourquoi vous levez-vous ainsi? 


— Si je me lève ainsi, cher époux, au milieu de la nuit, de 
mon lit, 

C'est que j'aime à voir, tenez, les grands vaisseaux aller et 
venir. 

— Ce n’est sûrement pas pour un vaisseau que vous allez 
si souvent à la fenêtre ; 

Ce n’est point pour des vaisseaux, ni pour deux, ni pour 
(rois, 

Ce n’est point pour les regarder, non plus que la lune et les 
étoiles ; 

Madame, dites-le-moi, pourquoi chaque nuit vous levez- 
vous ? 


— Je me lève pour aller regarder mon petit enfant dans son 
berceau. 


— Ce n’est pas davantage pour regarder, pour regarder 
dormir un enfant; 


Ce ne sont point des contes qu'il me faut : pourquoi vous 
levez-vous ainsi? 


— Mon vieux petit homme, ne vous fâchez pas, je vais vous 
dire la vérité : 


Kelliez diouz va c’hostez-me, Ne d-e0 ked cvid ho gwelet, 

E kreiz ann noz, diouz ho kwele, Ken-nebeud al loar, ar stered. 
Diskabel-kaer ha diarc'henn, Va itron, d'i-me livirit, 

Perak ’ta savit evelhenn ? Da berak bep noz e savit! 

— Mar zavann, den ker, evelse, — Sevel à rann da vont da zell 
Ekreiz ann noz, diouz va gwele, Ouz va bugel enn he gavel. 

Da eo gan-in, setu, gwelet — Ne d-e0 ket ken evit sellet, 
A1 listri braz mont ha donet. Sellet ouz eur bugel kousket; 
— Ne d-e0 ket, vad, evid eul lestr, Ne d-eo ket gevier a fell d'e. 
Az it kelliez d’ar prenestr; Da berak savit evelse? 

Ne d-e0 ked evid al listri, — Va denik koz, ma na derez, 


Nag evid daou nag evit tri; Me lavaro ar wirionez : 





LE ROSSIGNOL. 155 


C’est un rossignol que j'entends chanter toutes les nuits 
dans le jardin, sur un rosier; 


C’est un rossignol que j'entends toutes les nuits ; il chante 
si gaiement, 1l chante si doucement ; 


Il chante si doucement, si merveilleusement, si harmo- 


nieusement, toutes les nuits, toutes les nuits, lorsque la mer 


s'apaise l — 


Quand le vieux seigneur entendit. il réfléchit au fond de 
son cœur; 


Quand le vieux seigneur entendit, 1l se parla ainsi à lui- 
même : 


— Que ce soit vrai, ou que ce soit faux, le rossignol sera 
pris! — 


Le lendemain matin, en se levant, il alla trouver le jardinier. 


— Bon jardinier, écoute - moi; il y a une chose qui me 
donne du souci : 


I ya dans le clos un rossignol qui ne fait que chanter, la 
nuit; 


Qui ne fait, toute la nuit, que chanter, si bien qu'il me ré- 
veille. 


Si tu l'as pris ce soir, je te donnerai un sou d’or. — 


Le jardinier, l'ayant écouté, tendit un petit lacet; 


Eunn eostig a glevann bep noz, Antronoz-beure, pa zavaz, 

Er jardin war eur bodik-roz; Da gaout ar jardinour ez eaz. 
Eunn eostik bep noz a glevann; — Jardinour mad, sentit ouz-in; 
Ken ge e kan, ken dous e kan! Eunn dra 20 a ra glac'har d'in : 
Ken dous e kan, ker kaer, ken flor, E’r c'harg a 20 eunn eostik-n0z 
Bep noz, bep noz, pa zioul ar mor! — Ne ra nemet kana enn noZ: 

Ann aotrou Koz dal’m’ he c'hlevaz. Hed ann noz ne ra met kana, 

Enn he galoun a brederiaz; Ken e ma ounn dihunet gant-ha, 
Ann aotrou koz dalm: he c'hlevaz. Mar ’ma paket fenoz gan-id, 

Enn he caloun à lavaraz : Eur gwenneg aour a roinn-me d'id. — 
— Pe mar ma gwir, pe ma ne Kot, Ar jardinour pa'n denz klevet; 


Ann eostig a vezo paket! — Eunn ulmenig en deuz stegnet, 


154 CIHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Et il prit un rossignol, et il le porta à son seigneur; 


Et le seigneur, quand il le tint, se mit à rire de tout son 
cœur, 


Etill’étouffa, etle jeta dans le blanc giron de la pauvre dame. 
— Tenez, tenez, ma jeune épouse, voici votre joli rossignol ; 


C'est pour vous que je l'ai attrapé; je suppose, ma belle, 
qu'il vous fera plaisir. — 


En apprenant la nouvelle, le jeune servant d'amour disait 
bien tristement : 


— Nous voilà pris, ma douce et moi; nous ne pourrons 
plus nous voir, 


Au clair de la lune, à la fenêtre, selon notre habitude. — 





NOTES 


« Quelle grâce ! quelle malice ! s’écrie un des plus fins critiques fran- 
çais; ne dirait-on pas une sœur de Juliette ayant laissé son Roméo dans 
le jardin?! » 

La paraphrase de cette ballade, dans Marie de France *, commence par 
12 préambule suivant : 


Une aventure vous dirai 

Dont les Bretons firent un lai; 
Eostik a nom, ce m'est avis, 

Si (ainsi) l'appellent en leur pays. 
Ce est rossignol en français, 

Et nightingale en droit anglais. 





[ag ann eostie en deuz paket, Me "m euz hen paket evid hac'h: 

Ma d'he aotrou neuz hen kaset, Me chans, va dous, e plijo d'e-hoc'h.— 
ag ann aotrou, pa hen dalc’haz, He den iaouank J'al ma klevaz, 
Awalc'h he ga'oun a c’hoarzaz, Gand glac'har vraz a lavaraz : 

Hug he vougaz. hag he daolaz, — Setu ma dons ha me Uzet ; 

War barlen wenn ann itron geaz. Ne hallomp mui en em welet. 

— Dalit, dalit, va greg iaouank ; Da sklerder loar, d'ar prenester, 

Setu aman hoc'h eostik konnt: "Vel ma oamp boazet da ober. — 


4 A. de Pontmartin, Causeries littéraires, xxx1x (1859). 
S Poésies de Marie de France, t. 1, p. 51%. 


LE 


LE ROSSIGNOL. 15 


Le trouvère termine ainsi : 


Cette aventure fut contée, 

Ne put être longtemps celée (cachée); 
Un lai en firent les Bretons, 

Et le Eostik l'appelle-t-on, 


La fidélité de l’imifation ne permet pas de douter que Marie de France 
n'ait traduit sur l'original. Les fleurs qu’elle a cru devoir y broder, et les 
traits charmants qu'elle omet, ne prouveraient pas le contraire. Si elle 
iuge nécessaire d'apprendre au lecteur que rossignol se dit eostik en bre- 
ton, et nightingale en anglais, c’est évidemment pour lui montrer qu’elle 
connait les langues bretonne et anglaise. Quand même elle n'aurait pas eu 
cette intention, on devinerait qu’elle entendait et parlait le breton à plu- 
sieurs expressions dont elle sème ses écrits, au mot enkrez (chagrin), par 
exemple, qu’elle francise en engresté, dans la pièce qui nous occupe, On 
le jugerait encore, à certaines manières de dire qu'offre très-souvent 
notre ballade, comme tous nos chants populaires, et qu’elle reproduit. 

On le verrait surtout par la forme rhythmique de sa pièce, forme iden- 
tique à celle de l'original, et dont les vers pourraient se diviser de même 
en distiques formant un sens complet, et se chanter sur l'air breton. Je 
vais plus loin {et ceci me porte a croire que notre version est bien publiée 
cans son dialecte naturel), Marie a très-probablement traduit d’après le 
dialecte de Léon, car c’est le seul où rossignol se soit toujours écrit et 
prononcé eostik; en Cornouaille, en Tréguier et en Vannes, on a con- 
stamment écrit es{ik ou est, comme en Cambrie eos. 

Cette ballade a été rajeunie de nos jours par Brizeux, d’après les deux 
pièces bretonne et française: 


XXI 


LA FIANCÉE DE SATAN 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


« Quiconque est fiancé trois fois sans se marier va brûler en enfer. » 

Cet aphorisme, qui fait le thème d’une vieille ballade, a sans doute 
son origine dans le respect que professaient autrefois les Bretons pour la 
sainteté des fiançailles; sa forme rhythmique est celle des maximes bar- 
diques, et nous ne serions pas étonné que c’en fût une rajeunie. 

Selon les bardes, les âmes avaient trois cercles à parcourir : le premier 
était le cercle de l’énfini; le second, celui de l'épreuve; le troisième, celui 
de la béatitude. C'est ce qu’établissent des documents que nous ont lais- 
sés les Gallois du moyen âge. 

L'âme, d’après nos poëtes d'Armorique, devait, avant d'arriver en enfer, 
passer par les étangs de l’Angoisse et des Ossements, les vallées du Sang, 
et enfin la Mer, au delà de laquelle s'ouvraient les bouches de Abime ; un 
poëme cambrien antérieur au dixième siècle reconnait aussi, das le 
séjour de la Mort et des Peines, une vallée nommée la « vallée des 
Eaux de l’Angoisse ?, » Il y avait de même dans le Niflyheim des Scandi- 
naves un fleuve ou lac de la Douleur. 

Voici maintenant ce que racontent Procope et Claudien : 

« Les pêcheurs et les autres habitants des côtes de la Gaule qui sont en 
face de la Grande-Bretagne, dit le premier de ces autewrs, sont chargés 
d'y passer les âmes, et, pour cela, exempts de tributs. Au milieu de la 
nuit, ils entendent frapper à leur porte; ils se lèvent : ils trouvent sur le 
rivage des barques étrangères où ils ne voient personne, et qui pourtant 
sont si chargées, qu’elles semblent sur le point de sombrer et s’élèvent 
d’un pouce à peine au-dessus aes eaux. Une heure leur suffit pour le 
trajet, quoique avec leurs propres bateaux ils puissent difficilement Le 
faire dans l’espace d’une nuit 5. » 

« Il est un lieu, poursuit Claudien, il est à l’extrémité de la Gaule, un 
lieu battu par les flots de l’Océan.., où l’on entend les plaintes des 
ombres volant avec un léger bruit. Le peuple de ces côtés voit des fan- 
tomes pâles de morts qui passent #, » 

On croit que Procope et Claudien, et les poëtes bretons, ont voulu dé- 
signer la pointe la plus reculée de Armorique, la pointe du baz et la 


1 T. la TRiADE nES CERCLES, Owen's Pugh., Dict., v, EI, p, 214, Cf, les Burdes bretons. p. 389. 
3 Myvyrian, LL. p.74. 

5 De Bell. goth., hb. IV, c. xx, 

4 Claudian., in Rufin., lib. L. 


7 


LA FIANCÉE DE SATAN. 157 


baie des Ames ou des Trépassés, qui l’avoisinent; la plage des Osse- 
ments, les vallées nues et solitaires du cap situé en face de l’ile de Sein; 
l'étang de Laoual, sur le bord duquel on voit, dit-on, errer, la nuit, 
les squelettes des naufragés, qui demandent une tombe; les bouches 
de l'Enfer de Plogoff, la ville d'Audierne: en un mot, toute cette côte 
affreuse de Cornouaille, hérissée d’écueils et couverte d'immenses 
ruines, où les tempêtes, les ravages et la désolation semblent avoir 
fixé leur empire. 

Au moins ne peut-on nier que quelques trouvères français du douzième 
siècle en aient fait le séjour des âmes et des fées. 

L'auteur du roman de Guillaume au court nez, qui travaillait à cette 
époque sur un fonds de vieilles traditions, suppose qu’un chevalier nommé 

tenoard parcourt les mers pour chercher son fils. 

Le chevalier s'endort, la rame lui échappe des mains, sa barque orre à 
l’aventure; trois fées l’aperçoivent et s’approchent en se disant : « Empor- 
tons-le bien loin d’ici 

En Odierne, la fort’ cité manant, 
Ou, si il veut, encore plus avant, 
Jusqu'en la cit de Loquifer la grand 1, 

Après avoir lu ces observations préliminaires que nous ayons crues in- 
dispensables, on comprendra mieux la ballade qui suit. 

Elle est l’œuvre d’un vieux poëte qui se qualifie de barde ambulant. Ses 
vers ont un caractère sombre et fantastique, tout à fait dans le goût des 
poëmes que l’on prêterait aux Druides; et l’on dirait d’un écho de leurs 
chants, si la foi chrétienne et les mœurs chevaleresques ne s’y mêlaient 
bizarrement aux superstilions galloises et armoricaines touchant la vie 
future, 


I 


Écoutez tous, petits et grands, le harde voyageur encore 
une fois. 


J'ai composé un chant nouveau; jeunes et vieux, venez l’en- 
tendre. 


Quand arriva ce que je vais dire, je n’avais pas douze ans finis, 





AR PLACH DIMEZET GAND SATAN 


— I1ES LEON — 
1 Eur werz nevez am euz savet; 
Koz ha iaouank, deuit d'he c’hlevet, 
Selaouit holl, bihan ha hraz. Ann dra-ma pa 09 digouezet, 
At barz-baleer eur wech c'honz. N'oann ked duouzek vlonz achuet. 


4 Selon l'orthographe bretonne, Lokifern {le lieu de l'enfer). 


158 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Je n'avais pas douze ans finis, et voilà que j'en ai soixante, 
Vienne m'écouter qui voudra, écouter le grand voyageur; 


Venez tous m'écouter, si vous voulez; dans peu, vous ne 
m'entendrez plus. 


Il 


Il y a trois nuits que 16 n’ai dormi, et ce soir encore je ne 
dormirai point, 

Car la vipère siffle ; elle siffle au bord de la rivière. 

Or, elle a dit en sifflant : — Voici encore une personne à moi! 

J'en ai eu quatre de ce lieu, dont pas une n’a été portée en 
IEN 

Deux jeunes gens de qualité avaient été fiancés ce jour-là. 


Dix-huit tailleurs avaient fait la robe de noces de Ja jeune 
fille ; 


Lui avaient fait sa robe de noces, où brillaient douze étoiles ; 
Où douze étoiles, et Le soleil et la lune étaient peints. 
Dix-huit tailleurs l'habillèrent; Satan seul la déshabilla. 


Quand la messe eut été chantée, elle revint au cimetière. 


Euz ar ger-ma "n euz bet pevar. 
Heb charrat nikun d’ann douar. — 


Daou zen jiaouang a ziaze 
A oe dimezet ann deiz-1e. 


Triouec'h Kemener a oc het 
D'aoza d’ezhi sae he eured : 


D’'aoza d’ezhi sae he eured, 


N'oann ked daouzck vloaz achuet, 
Ha setu nU erm zri-ugentvet. 

Deut d'am selaou neb a garo, 

Da zelaou vr baleer-bro; 

Deuil d’am selaou holl, mar keret; 
>enn eur pennad na reot ket. 


II 
Ter noz n'am euz kou-ket lanne. 
Nas henoz na rinn adarre, 
Gant c'houibauou ann 2er-wiber, 
U c'houibanat war lez ar ster. 


Hi lavare dre he c'houiban : 
— Selu gan-i-me c'honz unan! 


Oa enn hi daouzek a stered; 

Oa enn hi daouzek a stered. 
Har ann heol hag al loar pintet 
Triouec'h kemener d'he gwiska. 
Nemet Satan d'he diwiska. 

Ann oferen pa 0e Kanet, 

E tistroaz barz ar vered. 





LA FIANCÉE DE SATAN. 159 


En entrant dans l’église, elle était brillante comme la fleur 
du lis ; 


En repassant le seuil de la porte, elle était faible comme 
une tourterelle. 


Survint un grand seigneur paré, couvert de fer de la tête 
aux pieds ; 


Un casque d’or sur la tète, un manteau rouge sur les 
épaules ; 


Ses yeux comme des éclairs, sous son casque, en sa tête; 


Pour monture, une haquenée saxonne aussi noire que la 
nt; 


Une haquenée dont le sabot faisait jaillir du feu, somme 
celle du seigneur chevalier, 


Du seigneur Pierre qui est à Izel-vet ; Dieu lui fasse paix! 


— Donnez-moi la nouvelle mariée, que je la conduise aux 
miens pour la leur faire voir ; 


Gu'aux miens je la conduise pour la leur faire voir ; je serai 
de retour dans un moment. — 


On avait beau attendre la nouvelle mariée, la nouvelle ma- 
riée ne revenait pas. 





0 vouet tre barz ann iliz, Hag hen ken du evel ann noz, 

Oa ker kaer evel bleun al liz; Eunn iukane, tan diouc'h he drerd, 
O tont endro trezek dor-zal, Evel hini "nn aotrou marc'hek, 

Oa ker vaen hag cunn durzunäl, Ânn aotrou Piar Izel-vet, 

Setu cunn aotrou hraz chet. (Bezet Ganl Doue pardonet!) 


log hen penn-da-benn houarneset ; — Taolit d'i-me ar plac'h neve, 


Hag eunn tok-houarn aour war he benn, Da gas da welet d'am zud-rme ; 
Hag eur paltok ruz war he gein; Da gas d’am zud-me da welet ; 
Ile lagad evel luc'heden. Bremaig e vinn distroet — 


Dindan he dok-houarn cnn he henn: Kaer oa gortoz ar plac'h nevez 
La œ » 


Ex gant-ban cunn inkane sacz; Ar plac'h nevez na zistrocz 


160 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


TL) 


Comme les ménétriers de la fête s’en revenaient fort avant 
dans la nuit, 
Arriva le grand seigneur magnifiquement vêtu : 


— On s’est bien diverti à la fête? 
— On s’est assez diverti à la noce ; mais la nouvelle mariée 
est perdue. 


— La nouvelle mariée est perdue? Et seriez-vous bien aises 
de la voir? 


— Nous serions assez aises de la voir, s’il ne nous en arrive 
aucun mal. — 


Ils parlaient encore, qu'ils étaient rendus au rivage, 

Et emportés par une petite barque, et qu'ils avaient passé 
la grande mer, 

Et le lac de l’Angoisse et des Osseménts, et qu'ils étaient 
aux bouches de l'enfer. 

— Voici les ménétriers de vos noces, qui sont venus vous 
voir. 

Que donnerez-vous à ces braves gens-ci, pour être venus 
vous rendre visite? 


— Tenezle ruban de mes noces; emportez-le, si vous voulez; 





Un ked ho c'homz peurlavaret 


nl Pa oant cand ann aod digouezet; 
Pa oa sonerien ann ebad Ja gand eul lestr digemeret, 
Q tont d'ar gear noz-divezad, Hag ar mor hraz à oa treuzet, 
Setu ann aotrou hraz fichet : Lenn ann Anken hag ann Eskern, 
— C'hoari gaer er fest a zo bet? Ha pa oant e toull ann ifern. 
— C'hoari gaer awalc'h enn cured. — $Setu sonerien hoc'h cured 
Med ar piac'h nevcz zo koliet. A zo deut evid ho welet. 
— Ar lac'h nevez a z0 kollet? Petra rofac'h d'ann dud vad-ma, 
Ha c'hoant vez gan-e-hoc’h d'he gwelet? | A z0 deut d'ho kwelet ama ? 
__ (’hoant awalc'h hor be d'he gwelet, | — Dalit seizenen va eured. 


Ma n'hor be poan ra droug e-bed. — | Kasit-hi gan-e-hoc'h, mar keret; 





LA FIANCÉE DE SATAN. 161 


Tenez l'anneau d'or de mes noces; portez-le chez moi à 


mon mari. 


Dites-lui : «Ne pleure pas : elle n’a ni désir ni mal. » 


Portez-le chez moi à mon mari, qui est veuf Le jour de ses 


loces, 


Assise sur une chaise dorée, j'apprête de l'hydromel pour 


les damnés. — 


Lis n'avaient pas fait un pas, qu'ils entendirent jeter un cri : 


— Mille malédictions sur vous, ménétriersi — 


Le puits de l'enfer était sur sa tète. 


Si elle eût gardé son ruban et l'anneau d'or de ses noces, 


EL son anneau bénit, le puits de l'enfer était abimé. 


Quiconque est fiancé trois fois, trois fois sans se marier, va 


brûler en enfer; 


Là, il est aussi séparé du paradis que la feuille morte l’est 


de la rose; 


Aussi séparé du paradis de Dieu que la branche coupée l'est 


de l'arbre. 





Dalit bizou aour va cured. 

Kasit-han d'ar gear J'an ied. 

Livirit d'ezhan : « na oel ket, 

N’e deuz na c'honnt na droug e-bed. » 
Kasit-han d'ar gear d'am fried, 

A z0 intanv detz he eured. 

Me 20 enn eur gador aouret, 

U veski mez d’ar re zaonet. — 


IV 


N'ha doa ket great eur gammed grenn, 
Pa elevzont tenn’ eur iouc’hadenn : 


— Mi] malloz d'e-hoc'h-hu, sonerien — 
Puns ann ifern 09 war he eps. 


Mar defe he seizen miret 
Kouls ha bizou aour he eured, 


Kouls hng he bizou bennicet, 
Puns ann ifern oa kounfontet. 


Y 


Ann neb a ra tri dimizi, 

Tri dimizi heh eureuji, 

Ez à d’ann ifern da leski, 

Ken distak diouz at baradoz, 

Ha ma "nn delien zeach diouz ar ro7; 
Ker kuit diouz baradoz Doue, 

Ha ma'r skour trouc'het diouz ar gwe 


11 


162 CIHANTS POPULAIRES DE LA PBRETAGNE. 


NOTES 


Le fait qui a fourni le sujet de cette ballade fantastique au barde voya- 
pour se devine : c'est un enlèvement. L'enfer, tel que le décrit ici le 
poëte, n’est ni l’enfer comme le conçoivent les Bretons d'aujourd'hui, 
ni l'enfer tel que le concevaient les Gaulois, bien que les abords en 
soient les mêmes; il nous retrace des caractères empruntés à l’un et à 
l'autre; ce qui est plus inattendu, il nous fait entrevoir les mystères du 
VWalhalla des Scandinaves : les damnés boivent de l'hydromel, et la 
fianc'e, assise sur un fauteuil doré, leur sert d’échanson. Elle ne 
forme aucun vœu, elle ne souffre pas; les démons n’ont aucun pouvoir 
sur elle, tant qu'elle porte des symboles bénits; mais elle les abandonne, 
et soudain le puits de l’abime l’engloutit. 

On devait se figurer ainsi l'enfer au moyen àge, et Satan, comme un 
chevalier, avec un manteau rouge, un casque d’or et des éclairs dans les 
yeux. Le harde lui fait monter une haquenée anglaise, pareille à celle 
d'un seigneur chevalier qui repose à Izel-Vet,. 

J'ai vu dans la chapelle de Lochrist d’Izel-Vet, à quelques lieues de 
Saint-Pol-de-Léon, dans le chœur, à droite de l’au‘el, prés de la ba- 
lustrade, une tombe plate avec la figure gravée en ceux d’un cheva- 
lier tout armé, autour de laquelle est éeril en caractères gothiques : 

Hic acer ALancs DE VILLA AY AÑ 
M... Die FEsTI pYA, . Xxx Du GCL. 
AEQUIESCAT IN PACE. 


C'est la sépulture d'Alain de Kermavan !. II y a lieu de penser que 
Ja balfade fait allusion à lui; mais en l'appelant Pierre, elle change son 
non de baptême. L'on doit croire quil n'était pas mort depuis très- 
longtemps, sans quoi le barde ne l’aurail pas cité comme exemple à 
ses auditeurs. Telle est la raison qui me lait assigner à la pièce une date 
antérieure à la fin du treizième siècle. 

Je l'ai recueillie de la bouche du poëte paysan dont j'ai parlé das 
l'introduction de ce livre. 


4 La Bretagne contemporaine, p.78, et le Nobiliaire breton, de M. de Courcy, 1.11. 2° édit. 








XXII 


LE FRÈRE DE LAIT 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


Cette-ballade, qui est une des plus populaires de Bretagne, et dont je 
dois des variantes à M. l'abbé Henry, se chante, sous des titres différents, 
dans plusieurs parties de l’Europe. Fauriel l'a publiée en grec mo- 
derne: Burger l’a recueillie de la bouche d’une jeune paysanne alle- 
mande, et lui a prêté une forme artificielle; Les morts vont vite n’est que 
la reproduction artistique de la ballade danoise : Aagé et Elsé. Un sa- 
vant gallois m'a aussi assuré que ses compatriotes des montagnes du 
Nord la possédaient dans lear langue. Toutes reposent sur l'idée d’un 
devoir, l’obéissance à la religion du serment. Le héros de la ballade alle- 
mande primitive, comme le grec Constantin, comme le chevalier breton, 
a juré de revenir, et il tient parole, quoique mort. 

Nous ne savons à quelle époque remonte la composition des deux 
chants allemand et danois, ni celle de la ballade grecque; la nôtre doit 
appartenir aux belles années du moyen âge, le dévouement chevaleresque 
y brillant de son plus doux éclat. 


I 


La plus jolie fille noble qu'il y eût en ce pays-ci à la ronde 
était une jeune fille de dix-huit ans, nommée Gwennolaïk. 


Le vieux seigneur était mort, ses deux pauvres sœurs et sa 
mère; tous les siens étaient morts, hélas! exceptè sa belle- 
mère. 


AR BREUR MAGER 


MES T.H ED EH 


I 


Braoan merc'h dijentil a oa drema tro-war-dro, 
Eur plac'hik triouec'h vloa, Gwennolaik he hano. 


Maro ann otro Koz he diou c'hoanr baour. hag he mamm: 
Maro holl dud’he zi, siouaz d'et) med he lez-vamm. 


164 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


C'était pitié de la voir, pleurant amèrement, au seuil de la 
porte du manoir, si douce et si belle! 


Les yeux attachés sur la mer, y cherchant le vaisseau de 
son frère de lait, sa seule consolation au monde, et qu’elle 
attendait depuis longtemps; 


Les yeux attachés sur la mer, y cherchant le vaisseau de 
son frère de lait. Il y avait six ans passés qu'il avait quitté son 


pays. 
— Hors d'ici! ma fille, et allez chercher les bêtes; je ne 
vous nourris pas pour rester là, assise. — 


Elle la réveillait deux, trois heures avant le jour, l'hiver, 
pour allumer le feu et balayer la maison ; 


Pour aller puiser de l’eau à la fontaine du ruisseau des 
nains, avec une petite cruche fêlée et un seau fendu. 


La nuit était sombre; l’eau avait été troublée par Le pied du 
cheval d’un chevalier qui revenait de Nantes. 


— Bonne santé, jeune fille ; êtes-vous fiancée? — 
Et moi (que J'étais enfant et sotte!), je répondis : — Je 
n’en sais rien. 


True oa he gwelet war dreuzo dor ar maner, 
0 skuillan daelo dru, hac hi ker reiz ha ker kaer! 


0 sellet war ar mor, 0 klask lestr he hreur mager, 
He holl gonfort er bed, oa he c'hortoz nell amzer: 


0 sellet war ar mor, 0 kiask lestr he breur-mager; 
Achuet oa c'houec'h vloa ‘ba oa eet kuit deuz ar ger. 


— Tec’het tu-hont, ma merc'h. hag it da glask al loened; 
Ne eann ked d'ho magan evit chom aze chouket, — 


Diou teir heur kent ann de hi oa dibunet gant hi, 
Er goan, da c'houean tan, ha skuban peh Korn ann ti; 


Da vont da gcrc'hat dour da feunteun-gwer-ar-c'horred, 
Gand eur c’hoz-podik toull hag eur zeillik dizeonet, 


Ann n0Z a 01 tenval, ann dour oa het stravillet 
Gant karn marc'h eur marc'heg 0 tistrei euz a Naoned. 


— lec'hed mad d'hoc'h plac'hik: ha c'hout a zo dimezet” — 
Ha me iaouang ha sod à respontaz: — N'ouzonn ket. 


LE FRÈRE DE LAIT. 165 


— Êtes-vous fiancée? Dites-le-moi, je vous prie. 
— Sauf votre grâce, cher sire: je ne suis point encore 
fiancée. 


— Eh bien, prenez ma bague d'or, et dites à votre belle- 
mère que vous êtes fiancée à un chevalier qui revient de 
Nantes ; 

Qu'il y a eu un grand combat; que son jeune écuyer a 
été tué, là-bas; qu'il a étélui-même blessé au flanc d’un coup 
d'épée ; 

Que, dans trois semaines et trois jours, il sera guéri, et 
qu'il viendra au manoir, gaiementf et vite vous chercher. — 


Et de courir aussitôt à la maison, et de regarder l'anneau : 
c'était l'anneau que son frère de lait portait à la main 
gauche ! 


IT 
Il s'était écoulé une, deux, trois semaines, et le jeune che- 
valier n’était pas encore de retour. 


— Il faut vous marier; jy ai songé dans mon cœur, et vous 
aitrouvé, ma fille, un homme comme il faut. 





— Ha c'hout zo dimezet leveret d'in, me ho ned. 
— Sal-ho-kraz, otro Ker, dimezet c'honz n'em onn ket. 


— Dalet ma gwalen aour, ha d'ho lez-vamm lavaret 
’M oc'h dimet d’eur marc'heg o tistrei euz a Naoned; 


Gwall c'hoart a 70 het, lahet he floc’hik, du-7e; 
Hen tihet he unan er c'hort sand eunn tol kieze; 


Benn teir zun ha tri de, ha pa vo deuet da vad. 
E teuio d'ar maner, laouen ha skanv, d'ho kerc'hat. — 


Hag hi d'ar ger doc'h-tu, ha sellet ouz ar bizo : 
Bizo he breur-mager oa gant-nan enn he zorn deo! 


II 
Achuet oa eur zun, ha diou zun, hag ann deirved, 
Hag marc'heg iaouank ne oa Ket c'honz distroet. 


— Red eo d’hoc’h dimiai sonjal "nm euz gret em c'halon, 
Ha Kavet am cuz d'hoc'h, ma merc'h, eunn den a feson. 


166 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Sauf votre grâce, ma belle-mère, je ne veux d'autre 
mari que mon frère de lait, qui est arrivé. 


Il m'a donné mon anneau d’or de noces, et viendra bientôt, 
gaiement et vite, me chercher. 


— Taisez-vous, s’il vous plaît, avec votre anneau d'or de 
noces, ou je prendrai un bâton pour vous apprendre à parler. 


Bon gré, mal gré, vous épouserez Job le Lunatique, notre 
jeune valet d'écurie. 


— Épouser Job! oh! l'horreur! j'en mourrai de chagrin! 
Ma mère! ma pauvre petite mère ! si tu étais encore en vie! 


— Allez vous lamenter dans la cour, lamentez-vous-y tant 
que vous voudrez. Vous aurez beau faire des grimaces, dans 
trois jours vous serez fiancée! — 


III 


Vers ce temps-là, le vieux fossoyeur parcourait le pays, sa 
clochette à la main, pour porter la nouvelle de mort. 


— Priez pour l'âme qui a été le seigneur chevalier, de son 
vivant un homme de bien et de cœur, 


— Sal-ho-kraz, va lez-vamm, "nm euz Ker euz a zen e-bed 
Med euz ma breur-mager, hag a 20 er ger digouet. 


Bet am euz digant-han gwalennig aour ma eured. 
Ha dont à ret enn-berr laouen ha skanv d'am c'herc'het. 


— Gand gwalen hoc'h eured, me ho ped, sarret ho pek, 
Pe me dapo eur vaz hag ho tiskoo da breek. 


De dre gaer, pe dre heg. red a vo d'hoc'h dimizi 
Da Jobig Al-loarek, da botrig hor marchosi. 


— Da Jobik menargars! mervel rinn gand ar c’hlac’har! 
Ma mamm, ma mammik paour! mar vez c'hoaz war ann douar | 


— It d'en em glemm er porz. klemmit kement ma karfet, 
Kaer po ober taillo, benn tri de viot dimezet! — 


III 
Tro mare-ze a iez ar c'hleuzer Koz dre ar vra, 
Gant-han he gloc'h hihan, o Kas kannad ar maro. 


— Pedit, eid ann ene z0 bet enn otro marc'hek, 
Keit eo bet war ar bed eunn den mad ha Kalonek, 


LE FRÈRE DE LAIT. 167 


+ 


Et qui a été blessé mortellement au flanc d’un coup d'épée, 
au delà de Nantes, dans une grande bataille, là-bas. 


Demain, au coucher du soleil, commencera la veillée; et 
après on le portera de l’église blanche à la tombe. — 


LY 


— Vous vous en retournez de bien bonne heure! — Si je 
m'en retourne? Oh' oui vraiment! — Mais la fête n’est pas 
finie, ni la soirée non plus. 


— Je ne puis contenir la pitié qu’elle nr'inspire, et l'horreur 
que me fait ce gardeur de vaches, at se trouve face à face 
avec elle dans la maison! 


A l’entour de la pauvre fille, qui pleurait amèrement, tout 
le monde pleurait, et même M. le recteur; 


Dans l’église de la paroisse, ce matin, tous pleuraient; tous, 
et jeunes et vieux; tous, excepté la belle-mère. 


Plus les ménétriers, en revenant au manoir, sonnaient, plus 
on la consolait, plus son cœur était déchiré. 


On l'a conduite à table, à la place d'honneur, pour souper; 
elle n’a bu goutte d’eau ni mangé morceau de pain. 


Ha ma bet gwall tihet er c'hor gand eunn toll klere, 
Enn tu all da Naoned, Kreiz eunn emgann hraz du-ze. 


Warc’hoaz tro ar c'huz heol, e teraouo ann nozvez, 
Ha kaset vo goule deuz ann iliz wenn d'he vez. — 


IV 
— C'houi ia d'ar ger a-bred! — Ma ’z ann dar ger, oh! ia de 
— Ne ked achu ar fest, na k:n-nebeud ar parde. 
— N'onn ked evid herzel grand true am euz out-hi, 
O welet ar potr-saout tai-oc'h-tal gant-hi enn ti. 
Endro d'ar phc’hik paour a oele leis hi c'halon, 
Ann holl dud a oele na z0oken ‘nn otro person ; 
E iliz ar harrez. heure ma, ’nn holl a oele, 
Re jaouang ha re goz, nemed hi lez-vamm na re. 
Seul-vui ar zonerien, tont J'ar maner a zone, 
Seul-vui he c'honfortec'h, seul-vui he c'halon ranne, 
Kaset oc doac'h ann dol d’ar penn-kentan, da goania, 
Ne deus evet banne na debret eunn tamm bara. 


168 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Ils ont voulu la déshabiller tout à l'heure pour la mettre au 
lit; elle a jeté sa bague, déchiré son bandeau de noces; 


Elle s’est échappée de la maison, les cheveux en désordre. 
Où elle s’est allée cacher, personne ne le sait. — 


Y 


Toutes les lumières étaient éteintes, tout le monde dormait 
profondément au manoir; la pauvre jeune fille veillait, &il- 
leurs, en proie à la fièvre. 

— Qui est là? — Moi, Nola, ton frère de lait. 

— C'est toi, bien toi, vraiment! C’est toi, toi, mon cher 
frère ! — 

Et elle de sortir et de fuir en croupe sur le cheval blanc de 
son frère, entourant de son petit bras, assise derrière lui. 


— Que nous allons vite? mon frère! Nous avons fait cent 
lieues, je crois! Que je suis heureuse auprès de toi! Je ne le 
fus jamais autant. 


Elle est encore loin la maison de ta mère? Je voudrais y 
ètre arrivée. 

— Tiens-moi bien toujours, ma sœur, nous ne tarderons pas 
a y être. — 


Eet int d'he diwiskan d'he lakat enn he gwele, 
Strinket deuz he gwalen, roget he seien neve ; 


Ha Kuit mez deuz ann ti, diskabel-kaer, da vale, 
Lec'h ma eet da guhet den e-bed na oar doare. — 


Y 
Lahet ann holl c’holo, ha kousket mad tud ann ti; 
Ar plac'hik paour dihun, lec’h-all, ann derzien gant-hi. 
— Na piou a zo aze? — Me, Nola, da vreur-mager. 
— Te à 20 aze, te! Teeo, te, ma breurik ker ! — 
Hag hi da lamm er mez, ha kuit war lost he varc'h gwen, 
He brec’hig endro d'ean, enn he c’haonze dreon he gein. 
— Ni ia huhan, ma breur! Kant leo hon euz gret me gred! 
Plijadur n'euz gen-oud m'am euz-me het war ar bed. 
Pell ma c'honz ti da vamm? me garfe bean digouet. 
— Dalc'h mad, ato, ma c'honr, vo Ket pell vimp erruet, — 


LE FRÈRE DE LAIT. 169 


Le hibou fuyait, en criant, audev ant d'oux: aussi bien que 
les animaux sauvages, effrayés du bruit qu'ils faisaient, 


— Que ton cheval est souple et ton armure brillante! Je te 
trouve bien grandi, mon frère de lait! 


Je te trouve bien beau! Est-il encore loin ton manoir ? 
— Tiens-moi bien toujours, ma sœur, nous arriverons tout 
à l'heure. 


— Ton cœur est glacé; tes cheveux sont mouillés; ton 
cœur et ta main sont glacés ; je crains que tu n’aies froid. 


— Tiens-moi bien toujours, ma sœur, nous voici tout près ; 
n’entends-tu pas Les sons perçants des gais musiciens de nos 
noces ? — 


IL n'avait pas fini de parler, que son cheval s’arrêta tout à 
coup, en frémissant, et en hennissant très-fort ; 


Et ils se trouvèrent dans une île où une foule de gens dan- 
saient ; 

Où des garçons et de belles jeunes filles, se tenant par la 
main, s’ébattaient ; 


Tout autour des arbres verts chargés de pommes, et der- 
rière, le soleil levant sur les montagnes. 


Ar gaouen a dec'he, o ioual tre, dirag-he, 

Kouls hag al loened gwez, gand ann trouz a oa gant-he, 
— Da varc'h azo ker reiz; da harnez a z0 ken skler l 

Me gav anoud kresker eunn tamm mad, ma breur mager ! 
Me gav anoud ken drant: pellik ma c'hoaz da vaner ? 

— Dalc'h mad ato, ma choar: pellac'h e tigoueemp er ger. 
— Da galon a z0 ien, ha da vleo a zo glebet, 

Da galon ha da zorn; me gred e teuz anouet. 

— Dalc'h mad ato, ma c'honr: setu ni tostik meurbet, 

Na glevez ket moez skiltr sonerien drant hon eured ? — 
N'oa ked he gomz laret, he varc'h war zao a jomaz, 

Ha dridal a reaz. hag a-boez penn c’houirinaz; 

Hac he ’nn eunn enezen, kalz tud enn hi o tansal; 
Potred ha merc'hed konnt, dorn ha dorn, enn eur vragal; 
Ha gwe glaz tro-war-dro hi karget a avalo, 

Hag ann heol 0 sevel adreon war ar meneio; 


170 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Une petite fontaine claire y coulait: des âmes y buvant, re- 
venaient à la vie; 


La mère de Gwennola était avec elles, et ses deux sœurs 
aussi. 


Ce n’était là que plaisirs, chansons et cris de joie. 


VI 


Le lendemain matin, au lever du soleil, des jeunes filles 
portaient le corps sans tache de la petite Gwennola, de l'église 
blanche à la tombe. 


NOTES 


Comme on se le rappelle, la ballade allemande finit à la manière des 
histoires de l’Hilden-Buch, par une catastrophe qui engloutit les deux 
héros; il en est de même de la ballade grecque publiée par Fauriel. 

Nous avons vu que les anciens Bretons reconnaissaient plusieurs cercles 
d'existence par lesquels passaient les âmes, et que Procope place l'Elysée 
druidique au delà de l'Océan, dans une des îles Britanniques qu’il ne 
nomme pas. Les traditions galloises sont plus précises; elles désignent 
expressément cette île sous le nom d’ile d’Avalon ou des Pommes. 

C'est le séjour des héros; Arthur, blessé mortellement à la bataille de 
Camlann, y est conduit par les hardes Merlin et Taliésin, guidés par Ba- 
rinte, le nautonier sans pair. L'auteur français du roman de Guillaume 
au court nez y fait transporter par les fées son héros Renoard, avec les 
héros bretons. 

Un des lats armoricains de Marie de France y conduit de même le da- 


ag eur feunteunik skler ’tont d'ann traon gand ar gwazio ; 
Anaon oc'h eva, hag o tont adarre beo; 


Mamm Gwennola gant-ho, hag he diou c'hoar war eunn dro. 
C'hoari awalc'h eno, sonic ha iouadenno. 


YI 


Antronoz, d'ar zao heol, merc'hed jaonang a gase 
Korf glan Gwennolaik deuz ann iliz wenn d'ar be. 


4 Vita Merlini Culedoniensis, p. 57e 


LE FRÈRE DE LAIT. 171 


moiseau Lanval. C'est aussi là, on n’en peut douter, qu'abordent le frère 
de lait et sa fiancée. Mais nulle âme, dit-on, n’y était admise qu’elle n’eût 
recu les honneurs funèbres; elle restait errante sur le rivage opposé 
jusqu’à l'heure où le prêtre recueillait ses os et chantait son hymne de 
mort. Cette opinion est aussi vivace aujourd'hui en Basse-Bretagne 
qu'au moyen âge, et nous y avons vu pratiquer les cérémonies funèbres 
qui s’y pratiquaient alors. 

Dès qu'un chef de famiile a cessé de vivre, on allume un grand feu 
dans l’âtre, on brûle sa paillasse, on vide les cruches d’eau et de lait de 
sa demeure (de peur, dit-on, que l’âme du défunt ne s’y noie). Il est 
enveloppé de la tête aux pieds d’un grand drap blanc; on le couche sous 
une tente funèbre, les mains jointes sur la poitrine, le front tourné 
vers l'Orient. On place à ses pieds un petit bénitier, on allume deux 
cierges jaunes à ses côtés, et on donne ordre au bedeau, au fossoyeur, 
ou quelquefois à un pauvre, d'aller porter « la nouvelle de mort. » Cet 
homme va de village en village, vêtu, en Tréguier, d’une souquenille 
noire semée de larmes, agitant une clochette et disant à haute voix 
« Priez pour l’âme qui a été un tel; la veillée aura lieu fel jour, à telle 
heure, l'enterrement le lendemain. » 

De tous côtés, vers le coucher du soleil, on arrive au lieu indiqué. En 
entrant, chacun vient tremper dans le bénitier un rameau qu'il secoue 
sur les pieds du défunt. Lorsque la demeure est pleine, la cérémonie 
commence : on récite d’abord en commun les prières du soir et l'office 
des trépassés; puis les femmes chantent des cantiques. Le défunt reste 
toujours enveloppé. La veuve seule et ses enfants viennent soulever de 
temps à autre un coin du drap et le baiser au front. À minuit, on passe 
dans l'appartement voisin, où le « repas des âmes » est servi. Le men- 
diant s’y assoit à côté du riche : ils sont égaux devant la Mort. Au reste, 
comme nous aurons occasion de le dire encore, le pauvre est toujours 
associé aux douleurs comme aux plaisirs de tous, en Bretagne; il a sa 
place à la table de mort, comme au banquet des noces. 

Au point du jour, le recteur de la paroisse arrive, et tout le monde se 
retire, à l’exception des parents, en présence desquels le bedeau cloue le 
défunt dans la bière. Aucun membre de la famille, ni la veuve, ni les 
frères, ni les sœurs, ni même le plus petit entant, ne doit manquer à ce 
suprême et solennel adieu; c’est un devoir sacré. On cnarge ensuite le 
mort sur une charrette attelée de bœufs. Le clergé, précédé de la croix, 
ouvre la marche du cortége funèbre; ensuite vient le corbillard, que 
suivent la veuve et les femmes en coiffes jaunes et en mantelets noirs 
plissés, deuil des paysannes, et les autres parents, la tête nue et les che- 
veux au vent. On se dirige ainsi vers l’église du bourg, où l’on dépose la 
bière sur les tréteaux funèbres. La veuve reste agenouillée près de son 
mari pendant toute la cérémonie, et ne se relève que pour le suivre au 
cimetière. 

Le plus grand silence a régné jusque-là; on n'entend que la voix des 
prêtres qui chantent les hymnes, et des cloches qui sonnent les glas. 
Mais aussitôt que l’officiant, debout sur le bord de la tombe, a murmuré 
les derniers mots de la prière des morts, que le fossoyeur a laissé glisser 
la bière dans la fosse, que l’on touche à l'instant où l’on va perdre pour 


472 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


toujours celui qu’on aimait, au bruit sourd que rend la bière en tom- 
bant, un cri déchirant part de tous les cœurs; souvent la veuve et ses en- 
fants veulent s’élancer après elle. Les hommes se jettent à genoux, en 
voilant leurs visages de leurs longs cheveux, comme ils le font en signe de 
deuil ; la foule reflue épouvantée, et parfois le prêtre lui-même, quoique 
habitué à ces douloureux spectacles, ne peut retenir ses larmes. 

Quand, au sombre tableau des funérailles bretonnes, d’où l’on dirait 
l'espoir banni, on oppose les sentiments pleins de promesses d'immor- 
talité qui dictèrent le dénoûment de la ballade du Frère de lait, le 
contraste saisit l’esprit. Quel est donc ce clerc trégorrois dont l'âme 
confiante, ouverte du côté du ciel et oubliant la tombe, aspirait à la déli- 
vrance, à la vie sans fin, à Ja joie, à la pleine lumière? Ne conviennent 
ils pas bien au poëte breton les beaux vers du grand poëte français? 

On dirait que son œil qu'éclaire l'espérance 
Voit immoralité luire sur l’autre bord. 


XXIII 


LE CLERC DE ROHAN 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE -— 


ARGUMENT 


Jeanne de Rohan, fille d'Alain, cinquième du nom, vicomte de Rohan, 
et d’Aliénor de Porhoët, épousa, en Tan 1256, Mathieu, seigneur de Beau- 

Yau, fils de René, connétable de Naples T. L'histoire ne nous en dit pas da- 
vantage sur ces deux époux. Nos poëtes populaires sont moins laconiques ; 
ils racontent très-longuement les aventures de Jeanne et de son mari, 
qu'ils appellent Mazé de Traonioli, traduisant en breton les noms français 
Mathieu et Beauvau 7. La mère de celui qui écrit ces ligues entendit 
chanter, au dernier siècle, plusieurs couplets de la ballade dont ils sont 
le sujet à une vieille femme de la paroisse de Névez, et elle fut si frappée 
de la beauté de la pièce, qu’elle en fit une copie à l’aide de laquelle a été 
retrouvé le chant tout entier. 


L 


IL était une gentille enfant de la famille de Rohan; il nY 
avait plus d'autre fille qu'elle. 


Entre douze et treize ans, elle consentit à prendre un mari, 


Elle consentit à choisir entre barons et chevaliers. 


KLOAREK ROHAN 


— IES KERNE — 
Etre daouzeg ha trizek vlonz. 
Da oa ezhi Kemer eur goaz, 


Merc'hik koantig euz a Rohan; Da oa d’ezhi ober dilen 
Ne oa merc’h nemet hi unan. Tre faroned ha marc’heien, 


4 D. Morice, Histoire de Bretagne, t. 1, p. 23. 
2 Traon, val (anciennement vau), vallée, et 7011, beau, louable. « Le français joli est breton 
d’origine, ou bien resté en France d“#uis les anciens Gaulois. » (D. le Pelletier, Dictionnaire, 


col. 153.) 
\ 107 


174 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 

Entre chevaliers et barons qui venaient lui rendre visite ; 

Aucun d'oux ne lui plut, excepté le seigneur baron Mathieu, 

Le seigneur châtelain de Beauvau, homme puissant d'I- 
talie; 

Celui-là plut à son cœur par sa loyauté et sa courtoisie, 

Le bonheur des époux avait duré trois ans et demi, 

Quand fut portée à tout le monde la nouvelle du départ 
pour la guerre d'Orient. 

— Comme je suis du plus noble sang, il me faut partir le 
premier ; 

Donc, puisqu'il le faut, mon cousin, je te confie ma femme, 

Je te confie ma femme et mon cher fils; aie bien soin d’eux, 
bon clerc. — 


Le lendemain matin, comme il partait, bien monté, équipé 
et alerte, 

Voici venir la dame qui descendait, en pleurant, les degrés 
du perron ; 

Elle descendait avec son enfant dans ses bras, et sanglotait, 
la bonne dame. 

S'étant approchée de son mari, elle embrassa son genou, 


Elle embrassa son genou et l’arrosa de ses larmes. 


Tre marc'heien ha baroned 

Uar a zeue J'he darempret, 

Na blije nekun d’'ei anhe, 

Med ann otrou baron Vaze, 

Ann otrou kastel Traonioli, 
Den klog a coste ’nn Itali. 
Hennez a blijaz d'he c'halon, 
Die ma oa leal ha gwirion, 

Tri bloavez hanter e oa bet 

E plijadur ann daou bried: 

Ken oe kaset kannad d’ann loll 
Da vont d'ar brezel da zao-heol. 
— Pa "m onn deuz. ar goad huella, 
Red eo d'in monet da genta. 


Arsa ’ta! kenderv, pa eo red, 

D'id a rann karg ouz ma fried, 

Ouz ma fried, ouz ma mab ker, 
Kloarek mad, pez out-ho preder. — 
Tronoz-vintin, pa ee kuit, 

Marc'het mad, sternet, hag iskuit: 
Setu ann itron, oC'h oelo, 

0 tiskenn gand ar pazenno : 

0 tont d'ann traon gand he c'hredur, 
A hirvoude ann itron fur. 

Enn he vete pa oa digouet, 

Krog e penn he c'hin e deuz gret, 
E nenn he c’hlin e deuz kroget, 
Gant he daelou deuz ben glebet, 


LE CLERC DE ROHAN. 175 


— Mon cher seigneur, oh! je vous en supplie, au nom du 
ciel, ne me quittez pas! — 

Le seigneur, attendri, lui tendit la main, 

Et il l’enleva de terre dans ses bras, et la fit asseoir devant 
lui; 

Il la fit asseoir sur son cheval et l’'embrassa, 


— Chère petite Jeanne, cesse de pleurer; je serai de retour 
dans un an. — 


Puis il prit sôn enfant de dessus les genoux de sa douce 
épouse, 


Il le prit entre ses bras, et il le regardait avec tant d'amour! 


— N'est-ce pas, mon fils, que, lorsque tu seras grand, tu 
viendras à la guerre avec ton père? — 


Lorsqu'il sortit de la cour, grands et petits poussaient des 
Cris, 

Petits et grands, tout le noie pleurait: mais le clerc, lui, 
ne pleurait pas. 


[I 


Le clerc perfide ainsi parlait à la jeune dame, un matin : 


— Voici l'année finie, et la guerre aussi, je présume; 


— Va otrou ker, ha! me ho ped, Hag out-han ker kacr a zellaz : 


Enn han Doue! n'am lezit ket! — — Ne ket, ma mab, pa vi enn oad 


Ann otrou, gand true out-hi, A zi d'ar hrezel gand da dad? — 


A astennaz he zorn d'ezhi; Pa oa o vont ’mez deuz ar parz. 


Ha d'ann nec'h en deuz hi savet, Braz ha bihan a grie fors, 
Hag cnn he rog neuz hi laket: Bihan ha braz holl a oele; 


War he varc'h neuz hi azect, Nemed ar c'hloareg, hen na rec. 
Hag he briatat en deuz gret. 

— Jannedik kez, tao az oelo, Il 

Evid eur bloa vinn deut endro. — Ar c'hloarek trubard lavare 

Hag he vap en deuz kemeret D'ann itron iaouang, eur beure : 
Diwar barlenn he zous pried ; | — Setu ar bloavez achuet, 


| 


Tre he ziou-vrec‘h he gemeraz. | Kerkouls hag ar hrezel, me gred: 


P 
176 CIHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Voici la guerre finie, et il ne revient pas au château. 
Répondez-moi, ma sœur, ma dame, que dit votre cœur? 


Est-ce à présent la mode pour les femmes de rester veuves, 
bien que leurs maris soient vivants? 


— Tais-toi, misérable clerc! ton cœur est plein de péchés ; 

Si mon mari était ici, il te romprait les membres. — 

Quand le clerc l’entendit, il se rendit secrètement au che- 
nil, 

Où, avisant le lévrier du seigneur, il lui coupa la gorge. 

Et après l'avoir tué, il écrivit avec le sang, 

Il écrivit une lettre au seigneur, et la lui adressa à l'armée. 


Et dans cette lettre il y avait : « Votre femme, cher sei- 
gneur, est chagrine: 


(Elle est très-chagrine, votre chère petite femme, à cause 
d'un malheur qui est arrivé : 


« Elle est allée chasser la biche, et votre lévrier fauve est 


€revé. » 


Le baron, ayant lu la lettre, y fit cette réponse : 


« Dites à ma femme de ne pas se chagriner, nous avons de 


l’argent assez : 


Setu achuct ar hrezel. 

Ha na zistro ked d’ar c'hastel, 
Leveret d'in, va c'hoar itron, 
Pez a vad a venn ho kalon? 
Daoust hag eo deut ar c’hiz nevez, 
Beo ann ozac'h, chom intanvez ? 
— Boer da vek, kloarek milliget! 
Leun eo da galon a bec'hed: 
Mar ve ma fried barz ann ti, 

E dorfe d'id da izili. — 

Ar c’hloarek na'n deuz hi c'hlev 
D'ar chas-si e-kuz ma eet, 
Ki-red ann otrou neuz kavet, 

U: gouzoug en deuz kontellet. 


Ha goude m'en deuz hen lazet, 
Gand he wad en deveuz skrivet, 
Skrivet en deveuz lizeriou 

Da gas d'ann arme d'ann otrou : 
Har el lizeriou oa merket : 
« Ho kreg, otrou ker, zo nec’het, 
« ïlo kregig gez zo gwall nec'het, 
Enn abek d’eur reuz zo c'hoarvet : 
« Da hersal ann heiez ma het, 
Hag ho ki-red-gial 20 kreouet. » 
Ar baron en deuz askrivet 

D'al lzer, pa "n deuz hen lennet : 
« Laret d'arm greg ket kemer nec’h, 
Ni hon euz argant awalec'h ; 


_ LE CLERC DE ROHAN. 177 


« Si mon lévrier fauve est mort, hé bien, j'en achèterai un 
autre, à mon retour; 


« Toutefois, qu'elle n aille pas trop souvent chasser la biche, 
car les chasseurs sont dérangés. » 


IT 


Le méchant clerc vint trouver la dame une seconde fois : 

— Vous perdez, ma dame, votre beauté, à pleurer ainsi 
nuit et jour. 

— Je me soucie peu de ma beauté, quand mon mari ne 
revient pas. 

— Puisqu'il ne revient pas, votre mari, sans doute qu’il est 
remarié ou mort. 

En Orient, il y a de belles filles, qui, outre la beauté, ont 
beaucoup d'argent. 

En Orient, on fait la guerre : bien des gens, hélas! y pé- 
rissent. 

S'il est remarié, maudissez-le ; s’il est mort, oubliez-le. 

— S'il est remarié, je mourrai; je mourrai s’il est mort. 

— On ne jette pas le coffre au feu, pour en avoir perdu 
la clef, 





« Mar d-60 maro va c’hi-red-sial, — Pa na zeu ho pried endro, 
0 tont d'ar gor, me brenno ’nn all; Me chans, eo dimet pe mara. 
« Met na heuli re ann heiez, E hro sao-heol zo merc'hed koant, 
Gand aon rar helourien direiz. » Iag ouspenn ho deuz Kalz "argant. 
E hro sao-heol a zo hrezel: 
LLL Eleiz, siouaz! a renk mervel. 
Monet cure ar c’hloarek fall Mar d-e0 dimet, milliget-han, 
Da ved ann itron eur wech-all : Mar d-e0o maro, ankouait-han. 
— Kolla ret, itron, ho Kened, — Mar d-eo dimet, me a varvo, 
0 welo noz-de ’vel ma ret. Me a varvo, mar d-e0 maro. 
— Me na rann fors gand va gened, | — Ar bank enn tan na laker ket, 


Dre ma ve ann alc'houe Kollet: 


12 


Pa na zeu endro, va tied. 


178 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Une clef neuve, à mon avis, vaut bien mieux qu'une vieille 
clef. 


— Retire-toi, misérable clerc, ta langue est gangrenée par 
l'impudicité. — 
Quand le clerc entendit, il se rendit secrètement à l'écurie. 


Et là, il avisa le cheval du seigneur, le plus beau qu’il y eût 
dans tout le pays ; 


Blanc comme un œuf et plus doux encore au toucher; lé- 
ger comme un oiseau, plein de cœur et de feu, 


Qui jamais n’avait mangé d'autre fourrage que de la lande 
pilée et du seigle vert. 


Le clere, l'ayant considéré, lui enfonça son poignard dans 
le poitrail. 
Quand il l’eut abattu, il écrivit au baron : 


«Un autre malheur est arrivé au château (ne vous fâchez 
pas, cher seigneur) : 

« Au retour d’une fête de nuit, votre cheval s’est cassé 
deux jambes. » 

Le baron répondit : « Est-il possible que mon cheval se soit 
tué! 

« Mon cheval tuë! mon lévrier crevé! cousin clerc, con- 
sillez-la! 


Eunn alc'houe neo, war va mennoz, Ar c'hloarek pa ’n deuz arvestet, 

Zo gwell eged eunn alc'houe Koz. He c'hour-glen ‘nn he vrusk neuz plantet: 
— Tec’h tu-ze, kloarek reuzeudik, Ha coude ma'n deuz hen pilet, 

Goret eo da deod gand traou-lik, — D'ar baron en deveuz skrivet : 

Ar c'hloareg evel m'he c’hlevaz, « C’hoarvet eo eur reuz all er ger, 

D'ar marchosi e-kuz a eaz, (Na deret ket, va otrou ker) 

Marc'h ann otrou en deuz kavet. « O tont euz eur fest-noz J'ar ger 
Kaeran oa er vro hed-da-hed ; Torret gant ho marc'h he ziou-sker. » 
Gwenn evel vi ha flouroc’h c'hoaz; Ar baron en deuz askrivet : 

Prim evel evn, ha kas-digas; « Ha gwir eo ve va marc'h lazet! 

Ha biskoaz ieoten na beuraz « Lazet va marc'h! kreouet va c'hi) 


Nemet lann-bil ha segal glaz. Kenderv kloareg, aliet-hi! 


LE CLERC DE ROHAN. 179 
« Toutefois, ne la grondez pas, mais qu'elle n’aille plus aux 
fêtes de nuit; 


« Ge ne sont pas seulement les jambes des chevaux, ce sont 
les unions qu'on y brise. n 


IV 


Quelque temps après le clerc revint à la charge : 

— Vous m'obéirez, ma dame, ou vous allez inourir! 

— J'aime mieux mourir mille fois que d’offenser Dieu mor- 
tellement. — 

A ces mots, le clerc impudique ne se posséda plus de rage : 

Il dégaina son poignard, et le lui lança à la tête; 

Mais l’ange blanc de la dame détourna le coup, et arme 
alla frapper la muraille. 

Et la pauvre femme de s'enfuir, et de fermer la porte der- 
rière elle. 

Et lui de ressaisir son poignard, furieux comme un chien 
enragé ; 

Et de descendre les escaliers, deux à deux, trois à trois ; 


Et droit à la chambre de la nourrice, où l'enfant dormait 
doucement : 


« "Velken, ne ket red ober (rouz. Gand ar gounnar a zridallaz : 


Nemet mont mut d’ar festou-nouz ; He c’hour-glen en deuz diwennet, 


« Ne ked hebken diou-sker ronsed, Ha gant-hi en deu: hen bannet: 


To: ri priejou a ve gret. » Met he el gwenn hi diwallaz, 
Ba gand ar voger e skoaz; 


IV Hag ann itron gez d'en em dec'h: 
a x V y T 
A-benn eur pennad goude-ze, Ha da brenna "nn or war he lerc'h. 
Teuaz ar c'hoareg adarre : Ha hen da zastum he c'hour-gleon, 
— Ouz-in, itron, a zentefec'h, Ken diboelevel eur c'ht klaor; 
x K far? LE 
Pe brema raktal e varfec’h! Hac hen d'ann (raon gand ann diri. 
— Gwell eo gan-in mil gwech mervel Ha daou ha daou ha tri ha tri; 
?Vid ober eur pec'het marvel. — Ha tre ekambr ar vagerez ; 


Ar c'hloarek lik, pa he c'hlevaz, Ar bugel enn hi Kousket ez 


180 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
L'enfant y était seul, un bras hors du berceau; 
Un de ses petits bras pendant, l’autre ployé sous sa tête; 


Son petit cœur découvert. Hélas! pauvre mère, vous allez 
pleurer! 


Et puis le clerc remonta, et il écrivit en noir et en rouge, 

Il écrivit tout d’une haleine au seigneur : 

« Dépéchez-vous, dépêchez-vous de revenir ; 

« Dépêchez-vous, seigneur, de revenir au château pour y 
rétablir l'ordre : 

« Votre chien est mort, et votre coursier blanc; mais ce 
n’est pas cela qui me désole le plus, 


« Ge n’est pas cela qui vous désolera le plus vous-même : 
votre petit enfant, hélas! il est mort! 


« La grande truie l’a dévoré pendant que votre femme était 
au bal, 


« Au bal avec le meunier son galant, qui plante un rosier 
au château. » 


U 


Quand le baron reçut la lettre, il revenait du combat, 


IL revenait vers son pays, au son joyeux des trompettes. 





Enn hi he unan ar bugel, 

Eur vrec'h e-mez euz he gavel, 
Ie vrec’hig istribil a-grenn, 

Har he vrec’h all dindan he benn; 


Hag he galonik dizolo..... 

Siouaz! mamm haour, c’hui a oeio) 
Ha voude d'ann nec'h 6 pignaz, 
Hag e du ha ru e skrivaz, 

Skrivaz kena-ken d'ann otrou : 

« Hastit! hastit da zont endrou; 

« Hastit, otrou, da zont d'ar ger 
Da lakat reiz enn ho maner; 

« Lazer ho ki, hag ho marc'h glaz. 





Ne ked aze ra d'in-me was, 

«a Ne ked aze raio d'hoc'h was : 
Lazet ho pugelik, siouaz! 

« Ar wiz-vriz e deuz hon dehret 
Keit ha m'oa er bal ho pried, 

« Er bal gand he dous miliner 
Ab lant eur rozen er maner. » 


Y 
P° erruaz al lizer gant-han, 
Où o tonet deuz ann emgann, 


Oa 0 tonet trezeg he vrou; 
C'hoari-saer gand ann drompillou, 





B Z 7 
9 LE CLERC DE ROHAN. 181 


A mesure qu’il lisait la lettre, sa colère s’enflammait de plus 
en plus. 


Lorsqu'il eut achevé de la lire, il la froissa entre ses mains ; 


Et il la déchira avec les dents, et il en foula les morceaux 
aux pieds de son cheval. 


— Vite, en Bretagne! Plus vite donc, écuyer, ou je vous 
passe ma lance au travers du corps! — 


En arrivant au château, il frappa trois coups à la porte de 
la cour; 


Il frappa à la porte de la cour trois coups qui firent tressail- 
lir tout le monde. 


Quand le clerc entendit, il courut pour ouvrir : 


— Comment done, clerc maudit, ne t’avais-je pas confié 
ma femme? — 


Et il enfonça dans la bouche ouverte du clerc sa lance dont 
le fer ressortit par la nuque. ÿ 


Et de monter les escaliers, et de s’élancer dans la chambre 
de sa femme, 


Et, avant qu'elle püt parler, il la perça de son épée. 


Y) 


— Seigneur prêtre, dites-moi, qu’avez-vous vu au château? : 





Tra ma oa 6 lenn al lizer, Ar c’hloareg pvel ma klevaz. 

Teur ar baron ter-oc’h-ter; Da zigor ann nor a redaz : 

Ha pa oa al lizer lennet. — Petra ta, kloarek miliget, 

Tre he zaouarn deuz hen flastret, M'hoa ked rost d’id karg ma fried! — 
Ha gand he zent douz hen rocet, Ha planta he c'hoat eunn he vek, 

Ha gand (retd he varc'h mac'hellet. Ma teuaz dre he choug ar bek. 

— Prim! trezek Breiz; primoch-{a, | Hos hen Tann nec'h gand ann diri, 

s (ioc'h) Ha (re e-barz kampr he hini, 

Pe me blanto va goaf enn hoc’h! — Ha kent ma hellaz lavar ger, 





L _ 
Ann otrou er ger pa erruaz, Gand he glenv he zreuzaz e-berr. 


Tri zol war ann nor-borz a reaz. VI 
War ann nor-borz a reaz tri zol, — Otrou helek, d'in leveret, 
Ken a jakaz da grena ’nn holl. | Er c'hastel petra peuz gwelet, 


182 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE 


— J'ai vu une douleur telle qu'il n’en fut jamais sur la 
terre ; 


Jai vu mourir une martyre, et son bourreau près d’expi- 
rer de regret. 


— Seigneur prêtre, dites-moiï, au carrefour qu’avez-vous vu ? 


— J'ai vu une charogne déterrée, en proie aux chiens et 
aux corbeaux. 


— Et qu'avez-vous vu au cimetière, à la clarté de la lune 
et des étoiles? 


— J'ai vu une dame vêtue de blanc, assise sur une tombe 
nouvelle, 


Un bel enfant sur ses genoux, le cœur percé de part en part; 
À sa droite, un lévrier fauve; un coursier blanc, à sa gauche: 
Le premier la gorge coupée, le second le poitrail percé ; 

Et ils allongeaient la tête, et ils léchaient ses mains douces; 
Et elle les caressait l'un après l'autre, en souriant, 

Et l'enfant, comme s’il eût été jaloux, caressait lui-même sa 

mère ; 
Tant que la lune se coucha; et je ne vis plus rien; 


Mais j'entendis le rossignol de nuit chanter le chant du pe- 
radis. 





— Me am euz gwelet eur c'hlac'har . À goste deou eur c’hi-red gial, 
Mar 20 het hiskoaz war zouar; Eur marc'h gwen-kann, a goste all: 
Gwelet eur verzerez am euz, Ann etl he c'houzouk kontellet, 
Hag he merzerier ’vont gand keuz. Egile treuzet he vruched ; 

s» | 
— Otrou helek, d'in leveret, Hag ho fennou a astennent, 
Er c'hroaz-hent petra neuz gwelet ? : Hag he daounrn flour a lippent; 
— Eur c'hagn a weliz dizolo, | Hag hi a-ioul-vad, tro-e-tro, 
Ha chas ha brin war he zro. | A ree allazik d'ezho. 


Da sklerder al loar, ar stered ? A ree allazik d’ezhi ; 

Ken a eaz al loar da guhet. 

Ha netra mui n'am euz gwelet: 
Nemet klevet ann estik-noz 

A gane gwerz arbaradoz. 


— Eunn itron wenn enn he c’haonze 
A welit war eux be neve, 


Eur mabik Koant war he barlen, 


— Petra peuz gwelet er vered, | Hag he map, dre van gwarizi, 
| 
Toullet treuz-didreuz he gerc'hen, | 


LE CLERC DE ROHAN. 483 


NOTES 


Le baron, dit le poëte populaire, partit pour l'Orient après trois années 
de mariage, L'histoire nous apprend effectivement qu’en 1259, trois ans 
après l’époque où eurent lieu les noces de Matmeu de Beauvau et de 
Jeanne de Rohan, le duc Pierre Mauclerc prit la croix, accompagné d’un 
grand nombre de seigneurs bretons. La ballade ajoute qu'au bout d’un 
an, la guerre étant finie, Mathieu revint en Bretagne; et ici encore elle 
est conforme à l’histoire, qui fait conclure une trêve au commencement 
de 1241, entre les Sarrasins et les chrétiens, dont la plupart s’embar- 
quèrent immédiatement à Joppé pour revenir en Europe. La même an- 
née, nous voyons Mathieu de Beauvau cité, à la requête de l’évêque de 
Nantes, à comparaître devant l’archevêque de Bourges, pour avoir à se 
disculper d’excès dont il s’est rendu coupable !, Ces excès, que l'acte 
d’assignation ne spécifie point, parce qu’ils étaient, je suppose, assez con- 
nus, sont, à n’en pouvoir douter, le meurtre de Jeanne de Rohan et du 
clerc, son infâme calomniateur. 

Mais en admettant le fond de leur tragique histoire, je ne puis m’em- 
pêcher, je l'avoue, de concevoir des doutes sur la réalitè des détails. Je 
trouve en effet, quoiqu'un peu loin de la Bretagne, et même au bout de 
l’Europe, une ballade où une femme, jalouse de la sœur de son mari, 
et voulant le brouiller avec elle, tue successivement son cheval, son fau- 
con et son propre enfant, triple meurtre dont elle accuse sa belle-sœur. 
Le mari hésite d’abord à croire au crime; puis, à la vue d’un couteau 
sanglant qu’on lui montre caché sous l’oreiller de sa sœur, il l’attache à 
la queue d’un cheval indompté. Mais le Ciel ne veut pas que l'innocence 
soit punie : partout où tombe une goutte du sang de la victime pousse 
une fleur, et, forcée d’avouer son crime, la coupable subit la peine du 
talion. Alors, dans un tableau final, qui rappelle tout à fait l’espèce de 
transfiguration de la ballade bretonne, on voit apparaître le cheval, le 
faucon et l'enfant au berceau, sur un lac formé du sang de la belle-sœur 
jalouse, et de ce lac sort le bras armé du couteau avec lequel elle a tué 
son fils. S'il n’y a point ici d'imitation, il y a certainement un admirable 
lieu commun de poésie populaire ?. 


4 Mandamus quatenus cites vel citare facietis Bituris coram R. P. archiepiscopo Bituris 
Matheum de Belvalo, per episcopum Nannetensem super inquisitione excessuum. Datum die 
Veneris post obturam Assumptionis B. M. anno Dom. 1241 (Acta eccles. Nann., ap. D. Morice, 
Preuves, t. f, coi. 221.) 

2 Voir la traduction des Chants Serviens, de Wuk, par Madame Voïart, t. 1, p, 212. 


XXIV 


LES TROIS MOINES ROUGES 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 





ARGUMENT 


Les templiers ou moines rougés, comme les appellent les Bretons, 
n'étaient pas plus populaires en Bretagne que dans les autres parties de 
l’Europe occidentale. En Angleterre, les enfants s’en allaient criant par 
les rues : « Gardez-vous de la bouche des templiers!! » En France, on 
dit encore aujourd’hui proverbialement : « Boire comme un templier. n 
On les accusait d’initiations infâmes, d’adorer une certaine tête horrible, 
à barbe blanche, avec des yeux étincelants, qu'ils appelaient leur Sau- 
veur?. Le peuple prétendait qu'ils oignaient et sacraient cette idole de la 
‘graisse d’un enfant nouvellement né d'un templier et d’une vierge, cuit 
et rôti au feu, et qu'à leur entrée dans l’ordre, ils renonçaient au chris- 
tianisme et crachaient sur la croix. Tels furent les principaux motifs de 
leur condamnation. 

On voit, aux portes de Quimper, les ruines d’une antique commanderie 
du Temple. C'est probablement là que se passa le fait consigné dans la 
ballade suivante. Il y a lieu de croire qu’il arriva sous l'épiscopat d'Alain 
Morel, évêque de Quimper, de 1290 à 1521. 


Je frémis de tous mes membres, je frémis de douleur, en 
voyant les malheurs qui frappent la terre, 


En songeant à l'évènement horrible qui vient encore d’arri- 
ver aux environs de la ville de Quimper, il y a un an. 





ANN TRI MANAC'H LUZ 


— IES KERNE — 
Krena rann em izeli, krena gand ar c’halc’har, 
0 wclet ar gwalleurioù a sko gand ann douar, 
0 sonial d’ann tol heuzuz, zo neve c'hoarvezet 
War-dro ar ger a Gemper, eur bloa z0 tremenet, 


4 Concil. Brilann., p. 560. 
3 Raynald, p. 282;et p. 261. 


T  —  < 


ALA s 4 


LES TROIS MOINES ROUGES. 185 


La petite Catherine Moal cheminait en disant une chanson, 
quand trois moines, armés de toutes pièces, la joignirent ; 

Trois moines sur leurs grands chevaux bardés de fer de la 
tête aux pieds, au milieu du chemin, trois moines rouges. 

— Venez avec nous au couvent, venez avec nous, belle 
jeune fille; là ni or ni argent, en vérité, ne vous manquera. 

— Sauf votre grâce, messeigneurs, ce n'est pas moi qui 
irai avec vous, j'ai peur de vos épées qui pendent à votre côté. 

— Venez avec nous, jeune fille, il ne vous arrivera aucun mal. 

— Je n'irai pas, messeigneurs; on entend dire de vilaines 
choses! 

— On entend dire assez de vilaines choses aux méchants! 
Que mille fois maudites soient toutes les mauvaises langues! 

Venez avec nous, jeune fille, n’ayez pas peur. 

— Non, vraiment! je n'irai point avec vous! j'aimerais 
mieux être brülée! 

— Venez avec nous au couvent, nous vous mettrons à l'aise. 

— Je nira) point au couvent, j'aime mieux rester dehors; 


Sept jeunes filles de la campagne y sont allées, dit-on, sept 
belles jeunes filles à fiancer, et elles n’en sont point sorties. 





Katelik Moal, cand ann hent, o lavar eur c'hounar. 
Digouet gant-hi tri manac'h hag hi harneset mad; 

Har hi war no c'hezek hraz harneset a bep-tu, 

Digouet gant-hi, kreiz ann hent, digouet tri manac'h ru. 

— Deut gen-omp J'al lean-di, deut gen-omp, plac’hik Koant, 
Eno na vanko d'hoc'h-hu nag aour, vad, nag argant. 

— Sal-ho-kras, va otrounez, gen-hoc’h na inn ket me, 

Aon em euz rag ho Kleze, 206 ‘stribil d'ho koste. 

— Deut gen-omp-ni, plac’h 1aouank, n'ho nezo droug-ebed, 
— Na nn Ket, va otrounez, gwall draou a ve klevet! 

— Gwall draou awalc'h ve Klevet gant ann dud milliget 
Mil malloz J'ar gwall deodou, da gement z0 er bed! 

Deut gen-omp-ni, plac'h iaouank, peuz ker kaont aon ched. 
— Na iun Ket fe, gen-hoc'h-hu ; gwell ve d'in bout devctl 
— Deut gen-omp d’al lean-di, ni ho lakat ’nn ho ez. 

— Naïnn-ked J'al lean-di, gwell eo d'in chom e mez: 

Bet 20 het nn han, glevann, seiz plac’h diwar ar mez. 

Seiz plac'h Koant da zimizi, ha n’int ked deut e mez. 


186 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— S'il y est entrésept jeunes filles, vous serez la huitième! — 
Et eux de la jeter à cheval, et de s'enfuir au galop; 


De s'enfuir vers leur demeure, de s'enfuir rapidement avec 
la jeune fille en travers, à cheval, un bandeau sur la bouche. 


Et au bout de sept ou huit mois, ou quelque chose de plus, 
ils furent bien déconcertés en cette commanderie ; 


Au bout de sept ou huit mois, ou quelque chose de plus : 
— Que ferons-nous, mes frères, de cette fille-ci maintenant? 


— Mettons-la dans un trou deterre. — Mieux vaudrait sous 
la croix. — Mieux vaudrait encore qu’elle fût enterrée sous 
le maître-autel. 


— Eh bien! enterrons-la ce soir sous le maïitre-autel, où 
personne de sa famille ne la viendra chercher! — 


Vers la chute du jour, voilà que tout le ciel se fend! De la 
pluie, du vent, de la grêle, le tonnerre le plus épouvantable ! 


Or, un pauvre chevalier, les habits trempès par la pluie, 
voyageait tard, battu de l'orage ; 


Il voyageait par là et cherchait quelque part un asile, quand 
il arriva devant l'église de la commanderie. 


— Mar zo bet enn han seiz plac'h. c'hui a vo ann eizved l — 
Hag hi J'he zol war ho march, haz hi Kuit enn eur red; 
Hag hi Kuit trezeg ho c'her, hag hi Kuit enn eur pred, 

Ar plac'h a-dreuz war ar marc'h, he bek d’ezhi mouget, 
Hag a-henn seiz pe eiz miz, pe ’nn dra benuag goude, 

Hi a oe souezet hraz barz ann abati-ze; 

Hag a-henn seiz pe eiz-miz pe ’nn dra bennag goude : 

— Petra raimp-ni, va hreudeur, deuz ar plac'h-ma breme? 
— Boutomp hi "nn eunn (oull douar. — Gwell ve dindan ar groaz. 
— Gwell ve c'honz mar ve laket dindan ann oter vraz. 

— Na damp henoaz J'he lakat dindan ann oter vraz 

Elec'h na zeuio nikun diouz he c'herent d'he c'hlask, — 
Tro mare sarraz ann de, ann env holl da frailla! 

Glao hag avel ha grizil, ha tanfoeltr ar gwalla! 

Hogen eur paourkez marc’heg, ha glebet he zillad, 

Oa o vale divezad, ar glao oc'h he bilat ; 

O vale dre-ze o klask enn tu hennag eunn ti, 

Hag hen dont da zigouezet, gand iliz ’nn abatti, 


LES TROIS MOIN£S ROUGES. 187 

Et lui de regarder par le trou de la serrure, et de voir bril- 
ler dans l’église une petite lumière; 

Et les trois moines, à gauche, qui creusaient sous le maître- 

autel; et la jeuneille sur le côté, ses petits pieds nus attachés. 


La pauvre jeune fille se lamentait, et demandait grâce : 
— Laissez-moi ma vie, messeigneurs! au nom de Dieu! 


Messeigneurs, au nom de Dieu! laissez-moi ma vie! Je me 
promènerai la nuit et me cacherai le jour. — 

Et la lumière s’éteignit, et il restait à la porte sans bouger, 
stupéfait. 

Quand il entendit la jeune fille se plaindre au fond de son 


tombeau : 
— Je voudrais pour ma créature l'huile du baptême; 


Puis, l’extrême-onction pour moi-même, et je mourrai con- 
tente et de grand cœur après. 


— Monseigneur l'évêque de Cornouaille, éveillez-vous, éveil- 
lez-vous; vous êtes là dans votre lit, couché sur la plume molle ; 


Vous êtes là dans votre lit, sur la plume bien molle, et il y 
a une jeune fille qui gémit au fond d’un trou de terre dure, 





Hag hen monet da zellet etre (oull ann alc'houe, 
Ha awelet eur goujouig a oa c'houeet aze; 


Haz ann tri manac'h a-sleiz, o toulla ’nn oter vraz. 
Hag ar plac'h war he c'hoste, staget hi zreidik- noaz, 


Ar plac'hik panur a glemme, goulenne ors true : 
— Losket gen-in, va buhe, otrounez, han Doue: 


Otrounez enn han Doue. losket d’in va buhe, 
Me a valo deuz ann noz ha guho deuz ann de, — 


Ken à varvaz ar goulou, eur boutadik coude. 
Hag hen da jom (oull ann or, hep fichal, spontet tre, 


Ken a glevaz ar plac'hig, enn he be o tamant : 
— Me garfe d'am c'hrouadur oieo ar vadiant; 


Ha goude ar groaz-n-oen evid-onn ma unan, 
Ha mervel a rinn laouen a galon vad hreman, 


— Otrou eskop a Gerne, dihunet, dihunet ; 


C'hui zo aze "nn ho kwele war ar blun tiad Kousket: 


C'hui zo aze ’nn ho kwele, war ar blun blod meurbed, 
Hag eur plac'hig o tamant ‘nn eun toull douar kaled. 


hM, 


158 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETACNE. 


Demandant pour sa créature l'huile du baptème, et l'ex- 
trême-onction pour elle-même. — 


On creusa sous le maitre-autel par ordre du seigneur comte 
(de Quimper), et on retira la pauvre fille, au moment où l’é- 
vêque arrivait; 

On retira la pauvre jeune fille de sa fosse profonde, avec 
son petit enfant, endormi sur son sein. 


Elle avait rongé ses deux bras, elle avait déchiré sa poi- 
trine, elle avait déchiré sa blanche poitrine jusqu’à son cœur. 


Et le seigneur évêque, quand il vit cela, se jeta à deux ge- 
noux, en pleurant, sur la tombe; 


il passa trois jours et trois nuits les genoux dans la terre 
froide, vêtu d’une robe de crin et nu-pieds. 


Et au bout de la troisième nuit, tous les moines étant là, l’en- 
fant vint à bouger entre les deux flambeaux funèbres; 


Il ouvrit les yeux, il marcha droit, tout droit aux trois moines 
rouges : — Ce sont ceux-ci! — 


Ils ont été brülés vifs, et leurs cendres jetées au vent; leur 
corps a été puni à cause de leur crime. 


0 s<'houlenn d'he c'houadur oleo ar vadiant, 

Ha goude ar groaz-n-ven evit hi he unan. — 

Toullet oa ann oter vraz. dre urz ann otrou Kont, 

Ha tennet mez ar plac H paour, ann eskop 0 tigont; 
Ha tennet ar plac'hik paour emez deuz ann toull don. 
Gant-hi he mabik hihan, ssusket war he c'halan. 
Debret e doa he diou-vrec'h, didammet he diou-vron, 
Didammet he diou-vron wenn bete poul he c'halon. 
Hag ann otrou ann eskop, pa welaz kement se, 

N'em strinkaz war be zaoulin, da oela war ar be. 
Teir noz, tri de, e chomaz etouez ann douar ien, 
Gwisket gant-han eur ze reun hag he dreid dierc'hen, 
Hag a-benn ann deirved noz, ann holl yenec'h ceng, 
Teu: da fichal ar bugel, etre ann diou c'houlo, 

Da zigor he zaoulagad, da gerzet war cunn dro, 
Kerzet d'ann tri manac'h ru: — Ann tri ma ’nn hani-col — 
Enn tan ema int bet devet, hag enn avel gwentet: 

Ho c'hort laket da zamant, enn abek d'ho zorfed, 


LES TROIS MOINES ROUGES. . 189 


NOTES 


Le peuple croit voir encore, la nuit, les moines rouges : ils sont vêtus de 
manteaux blancs et portent une grande croix écarlate sur la poitrine; ils 
montent des squelettes de chevaux enveloppés dans des draps mortuaires. 
Ils poursuivaient, dit-on, jadis les voyageurs, s’attaquant de préférence 
aux petits garçons et aux jeunes filles, qu'ils enlevaient et conduisaient 
Dieu sait où, car ils ne les ramenaient point. On raconte qu'une pauvre 
femme attardée, passant près d’un cimetière, ayant vu un cheval noir, 
couvert d’un linceul, qui broutait l'herbe des tombeaux, puis tout à 
coup une forme gigantesque avec une figure verte et des yeux clairs 
venir à elle, fit le signe de la croix; qu’à l'instant ombre et cheval dispa- 
rurent dans des tourbillons de flammes, et que, depuis ce jour, les moines 
rouges (car e’en était un) ont cessé d'être redoutables en perdant le pou- 
voir de nuire. 

C’est peut être une allégorie de leùr épouvantable fin. 


XXV 


JEANNE-LA-FLAMME 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Depuis la fin du douzième siecle, la Bretagne avait cessé d’être gouver- 
née par des chefs de nom et de race bretonne. Deux partis la divisaient ; 
l’un français, qui travaillait pour établir la suprématie de la France; 
‘autre anglo-normand, qui combattait pour faire prévaloir les intérêts 
de l'Angleterre. En l’année 1541, la famille de Blois représentait le pre- 
mier, et celle de Montfort le second. Les de Blois eurent d’abord l’avan- 
tage : Jean de Montfort, troisième du nom, reconnu par les Etats pour 
légitime duc de Bretagne, assiégé dans la ville de Nantes, fut pris par le 
frère du roi de France et conduit prisonnier à Paris. Mais la captivité du 
duc ne devait pas abattre pour longtemps le courage de son parti; une 
femme, qu'on a justement surnommée la Clorinde du moyen âge, le re- 
leva. Prenant entre ses bras son fils encore enfant, et se présentant avec 
lui au milieu de ses barons consternés : « Montfort est pris, leur dit 
Jeanne de Flandre, mais rien n’est perdu, ce n’élait qu'un homme; voici 
mon fils, qui sera, s’il plait à Dieu, son restorier, et vous fera du bien 
assez. » Puis elle s’enferma dans Hennebont, que Charles de Blois attaqua 
vainement, elle fit lever le siége aux Français et rétablit les affaires de 
son mari. 

L'incroyable audace dont cette femme extraordinaire donna des preuves 
au siége d'Hennebont, en allant elle-même mettre le feu au camp en- 
nemi, l’a fait surnommer par le peuple Jeanne-la-Flamme. C'est ce qu'at 
teste le récit suivant de cette héroïque expédition. 


I 
— Qu'est-ce qui gravit la montagne? c’est un troupeau de 
moutons noirs, je Crois. 


— Ce n'est point un troupeau de moutons noirs; une ar- | 
mée, je ne dis pas, | 


| 
| 
| 
| 





JANNEDIK-FLAMM 


— ES KERNE — | 


Eur rumm meod du gredann 6: 


1 
— Eur rumm meod du n-ed eo Ket: 
— Petra a ja gad ar mene? Soudarded, ne lavarann ket, 





JEANNE-LA-FLAMME. 191 


Une armée française qui vient mettre le siège devant Hen- 
nebont. — 


il 
Tandis que la duchesse faisait processionnellement le tour 
de la ville, toutes les cloches étaient en branle; 


Tandis qu'elle chevauchait sur son palefroi blanc, avec son 
enfant sur ses genoux; 


Partout sur son passage les habitants d'Hennebont pous- 
saient des cris de joie : 


— Dieu aide le fils et la mère; et qu'il confonde les Fran- 
çais! — 
Comme la procession finissait, on ouit les Français crier : 


— C'est maintenant que nous allons prendre tout vivants, 
dans leur gite, la biche et son faon! 


Nous avons des chaînes d’or pour les attacher l’un à l’au- 
tre. — 

Jeanne-la-Flamme leur répondit alors du haut des tours : 

— Ce n’est pas la biche qui sera prise; le méchant loup!, 
je ne dis pas. 

S'il a froid cette nuit, on lui chauffera son trou. — 


Soudardet a vro-C'hall o tont Pa oa ar bale achuet, 
Da lakat seziz war Henbont. — Ar re Bro-C'hall a oa klevet : 
11 — Paket vo hreman cnn ho c'heg, 
Ann heiez hag he c’harvik hen, 
Pa oa ann dukez war vale, | Karkaniou aour 70 eviL he, 
Ar c'hleier e ker a vralle; D'ho singa "nn eil deuz egile. — 
Pa oa war he falafrez gwenn, Jannedik-flamm a responte, 
Gat hi he map war he harlen: Demeuz beg ann toural, neuze : 
Pa oa ann dukez 0 wale — Ne ked ann heiez vo paket, 
Ar re Henbont holl a ioue : Ar c’hoz-bleiz ne lavarann ket. 
— Doue skor ar mab hag ar vamm, Ma en deuz henoaz anoued, 
Ha ro d'ar C'hallaoued estlamm! — He doull d'ezhan a vo tommet, — 





4 Charles de Blois. Il y a dans le breton un jeu de mots intraduisible, qui roule sur la 
ressemblance du nom commun bleiz (loup), et du nom propre Blois. 


492 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


En achevant ces mots, elle descendit furieuse. 
Et elle se revoit d'un corset de fer, et elle se coiffa d’un 


casque noir, 

Et elle sarma d'une épée d'acier tranchant, et elle choisit 
trois cents soldats, 

Et, un tison rouge à la main, elle sortit de la ville par un 
des angles. 


IT] 


Or, les Français chantaient gaiement, assis en ce moment 
à table; | 

iéunis dans leurs tentes fermées, les Français chantaient 
dans la nuit, 

Lorsque l'on entendit au loin déchanter une voix siugulière : 

n Plus d’un qui rit ce soir, pleurera avant qu'il soit jour; 

«Plus d'un qui mange du pain blanc, mangera de la terre 
noire et froide. 

«Plus d’un qui verse du vin rouge, versera bientôt du sang 
gras; 

«Plus d’un qui fera de la cendre, fait maintenant le fan- 
faron. » 

Plus d’un penchait la tête sur la table, ivre-mort, 





Re Pro-C'hall a gane cnn nouz. 





0: ket reurlavaret he ger, 
Pa oa deut d'ann (raon, hag hi ter; | "Vel ma glevet, pell ac'hano, 
Hay eur c'horfkenn-houarn a wiskaz, | Eur vouez espar o tiskano : 
Hag eunn tok-houarn du a lakaz ; « Meur a hini a c'hoarz henoaz, 
Hag eur glenv dir lemm a dapaz. A oelo kent ha benn arc’hoaz; 
Ha tri chant den à zibabaz, a Meur à hint zehr bara gwenn, 
Har, eur skod-tan ru enn he dorn, A zebro douar du ha jen. 
A ez mez ar ger dre eur c'horn, « Meur a hint a skuill gwin ru, 
A zkuillo hremaik goad dru, 
111 +, E 
« Meur a hini a ret ludu, 
Re Bro-Chall laouen a gave, A c'hoart ’vad he zen dac'hu, » 
Ouz ann dol azeet neuze ; H there 
Gwasket enn ho zinellou klauz, War bordig ann dol, meo dal, 


JEANNE-LA-FLAMME, 493 
Quand retentit ce cri de détresse : — Le feu! Amis, le feu! 
le feu ! 


Le feu! le feu! Amis, fuyons! c’est Jeanne-la-Flamme qui 
l'a allumé! — 


Jeanne-la-Flamme est la plus intrépide qu'il y ait sur la 
terre, vraiment! 


Jeanne-la-Flamme avait mis le feu aux quatre coins du 
camp; 

Et le vent avait propagé l'incendie et illuminé la nuit 
noire; 

Et les tentes étaient brülées, et les Français grillés, 


Et trois mille d’entre eux mis en cendre, et il n’en échappa 
que cent. 


IV 


x 


Or, Jeanne-la-Flamme souriait le lendemain, à sa fenêtre, 

En jetant ses regards sur la campagne, et en voyant le 
camp détruit, 

Et la fumée qui s'élevait des tentes toutes réduites en petits 
inonceaux de cendre ; 

Jeanne-la-Flamme souriait : 


— Quelle belle écobue! mon Dieu! 


Ha pa oa losket eur glemvan: Ha tri mil anhe luduet, 
— Ann tan! potred, ann tan! ann tanl | Ha nemet kant ne o chamet, 


Ânn tan! ann tan! tec'homp, potred 1 v 
Jannedik-flamm deuz han laket | — U 


Jannedik-flamm zo ann teran 
À zo enn douar, à gredann: 


Laket e doa Jannedik-flamm 


Ann tan e pevar Korn ar c'hamp: 


Ken a oa ar flammou gwentet, 
Mag ann noz du sklerijennet ; 

Kouls hag ann dinellou devet, 
Kouls hag ar C'halloued rostet, 


Ha Jannedik-flamm a c'hoarze, 
Toull he fenestr, ar mintin-ze, 
War ar mez pe defa sellet, 

0 welet ar c'hamp distrujet, 
Ha mouged euz ann dinellou, 
Luduet holl e bernigou. 

Ha Jannedik-flamm à c aoarze : 
— Pebez maradek, ma Doue! 


13 


194 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Mon Dieu! quelle belle écobue! pour un grain nous en 
aurons dix! 


Les anciens disaient vrai : «IL n’est rien tel que des os de 
Gaulois ; 


Que des os de Gaulois, broyés, pour faire pousser la mois- 
son. n 


NOTES 


La haine du nom français éclate horriblement dans ce chant. L’ex- 
clamation de la duchesse à la vue des Français brûlés dans leurs 
tentes, est le cri de la bête fauve, longtemps traquée, qui se re- 
tourne contre le chasseur et le déchire avec joie. Froissart, le conteur 
des chevaliers, n’a rien d'aussi rudement accentué. Chose extraordi- 
naire! le poëte rustique met dans la bouche de Jeanne de Flandre, 
princesse de race étrangère, des imprécations contre les étrangers 
qui lui disputent la Bretagne. Nous en verrons bientôt un autre mau- 
dire le parti des Anglais, auquel Jeanne appartenait. Qu'en conclure, 
sinon que l'ennemi, soit Français soit Anglais, était également odieux 
au peuple breton, et que, s'il se mêlait aux querelles de l’un ou de-l’autre, 
c'était par besoin de représailles contre celui-ci ou contre celui-là, et 
non par sympathie pour aucun des deux ? Un sentiment de nationalité lui 
parlait au cœur : ne pouvaut échapper au premier sans tomber au pou- 
voir du second, placé comme il l'était entre la France et l'Angleterre, 
il comprenait instinctivement que la chute d'un des deux rivaux lui faci- 
literait les moyens de se défaire ensuite de l’autre, et qu’il devait tra- 
vailler de toutes ses forces à accélérer cette chute. 





Ma Doue! pehez maradek ! « N'euz netra Kouls hag cskern gall, 
Evid eur greun ni hor bo dek 1 Kouls has eskern Gall burzunet, 
Gwir a laret amzer gwech-all : Da lakat da zevel ann ed. » 


XXVI 


LA BATAILLE DES TRENTE 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


On connaît la cause de la bataille des Trente. Malgré la trêve conclue 
entre lcs" Francais du parti de Charles de Blois et les Anglo-Normands 
artachés à Mentfort, des aventuriers étrangers, auxiliaires de ce dernier. 
ayant à leur tête un chef de bande appelé Bembrough, ravageaient le 
pays de Bretagne. « Bembrough avait pris Ploermel, dit un poëte fran- 
çais du temps, et menait les Bretons au gré de son caprice, quand un 
jour, le troisième de mers de l’année 1550, le bon seigneur de Beaura- 
noir, commandant de Josselin pour Charles de Blois, se rendit vers les 
Anglais et leur demanda raison. Or, il fut témoin d’un spectacle qui lui fit 
grand’ pitié ; il vit de pauvres paysans, les fers aux pieds et aux mains; 
tous enchainés deux par deux, trois par trois, comme vaches et 
bœufs que l'on mène au marché. Beaumanoir vit cela, et son cœur sou- 
pira. « Chevalier d'Angleterre, dit-il à Bembrough, vous êtes bien cou- 
pable en tourmentant ainsi ceux qui sèment le blé, et qui nous procu- 
rent la viande et le vin; je vous le dis comme je le pense, s'il n’y avait pas 
de laboureurs, ce serait à nous, nobles, à travailler la terre, à manier le 
fléau et la houe. à endurer la pauvreté. Laisuez-les donc vivre en paix, 
car ils ont souffert trop longtemps. — Parlons d'autre chose, Beauma- 
noir, répondit Bembrough; les Anglais domineront, les Anglais régne- 
ront partout. » 

Beaumanoir repartit : « Toutes vos bravades n’aboutiront à rien; ceux 
qui parlent le plus agissent le moins bien. Mais, si vous le voulez, pre- 
nons jour pour nous battre; on verra bien, par le résultat de la bataille, 
qui de nous a tort ou raison. — J'y consens, » dit Bembrough. 

Ainsi fut jurée la bataille. » 

Ecoutons maintenant un poëte populaire breton du temps. 





I 
Le mois de mars, avec ses marteaux, vient frapper à nos 
portes; les bois sont courbés par la pluie qui tombe àtorrents, 
et les toits craquent sous la grêle. 





STOURM ANN TREGONT 


— LES KERNE — 
1 A zeu da skei war bon noriou; 
Ar gwe a bleg gant glao a-buill; 
Ar mZ meurs, gand he vorzoliou, Ann doen a strak) gand ar grizil, 


196 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Mais ce ne sont pas les seuls marteaux de mars qui frap- 
pent à nos portes; ce n'est pas la grêle seulement qui fait cra- 
quer les toits ; 

Ce n’est pas seulement la grêle; ce n’est pas la pluie tom- 
bant à torrents qui frappe; pire que les vents et la pluie, ce 
sont les Anglais détestables ! 


IT 


— Seigneur saint Kado, notre patron, donnez-nous force et 
courage, afin qu'aujourd'hui nous vainquions les ennemis de 
la Bretagne. 


Si nous revenons du combat, nous vous ferons présent d’une 
ceinture et d’une cotte d’or, et d'une épée, et d’un manteau 
bleu comme le ciel; 


Et tout le monde dira, en vous regardant, 0 seigneur saint 


Kado béni : 


«Au paradis, comme sur terre, saint Kado n’a pas son 


pareil! » 


III 


— Dis-moi, dis-moi, combien sont-ils, mon jeune écuyer ? 
— Combien ils sont? je vais vous le dire : un, deux, trois, 


quatre, cinq, Six; 





Hogen ne ked he vorzoliou 
Hebken, a sko war hon noriou; 
Ne d-eo ked ar grizil hehken 

A lak da strakal ann doen; 

Ne d-e0 ket hebken ar grizil; 
Ne ked ar glao a zarc'h a-buil]; 
Gwasoc'h cged avel ha glao 

Ar Zaozon fall ann hini-eol 


II 


— Otrou sant Kado, hor paeron, 


Roit-hu d'eompt-ni nerz ha kalon. 


Ma c'honeimp, hiriou aun deiz. 
War enebourien euz a Yreiz. 


Mar deomp-ni d'ar ger war hor c'hiz. 
Ni a roi d'hoc’h-hu eur gouriz, 

Har eur jupen aour, hag eur c'hlenv, 
Hag eur vantel c'hlaz liou ann nenv; 


Ma laro ann dud, 0 scllet, 

Otrou sant Kado benniget : 

« Kouls er haroz hag enn douar, 
Sant Kado n’en deuz ked he bar! — 


III 


— Lavar d’i-me, lavar d’i-me, 

Pet zo anhe. va floc'hik-me? 

— Pet 70 anhe leverinn d'hec'h : 

Unan, daou, tri, pevar, pemp, c'houec'h ; 


LA BATAILLE DES TRENTE. 497 


Combien ils sont; je vais vous le dire : combien ils sont, 
seigneur : cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, 
quatorze et quinze. 


Quinze! et d’autres encore avec eux : un, deux, trois, 
quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, 
quatorze et quinze. 


— S'ils sont trente comme nous, en avant! amis, et cou- 
rage! Droit aux chevaux avec les fauchards! Ils ne mangeront* 
plus notre seigle en herbe! — 


Les coups tombaient aussi rapides que des marteaux sur 
des enclumes; aussi gonflé coulait le sang que le ruisseau 
après l’ondée; 


Aussi délabrées étaient les armures que les haillons du 
mendiant: aussi sauvages étaient les cris des chevaliers dans 
la mêlée, que la voix de la grande mer. 


IV 


La tôte-de-blaireau (Bembrough) disait alors à Tinteniac. 
qui s’approchait : 

— Tiens, un coup de ma bonne lance, Tinteniac, et dis- 
moi si c'est un roseau vide. 


— (Ce qui sera vide dans un moment, c’est ton crâne, mon 


Pet zo anhe leverinn d'hec'h : Ker koevet a rede ar goad 

Pet zo anhe, otrou : pemp, c'houec'h, Hag ar waz goude ar barrat 

Seiz, eiz, na0, dek, unnek, daouzek, Ha ken didammet ann harnez 
Tcizek, pevarzek ha pemzek. Eget pillennou ar paourkez ; 
Pemzek! ha lod all c'hoaz war lerc'h : Ha klemm ar varc'heien er c'hloaz. 
Unan, daou, tri, pevar, pemp, c'houec'h, | Ker rust eget mouez ar mor hraz. 
Seiz, eiz, nao, dek, unnek, daouzek, 


Trizek, pevarzek ha pemzek. IV 

— Mar d-int tregont kouls evel-d-omp, Pennbroc'h a lavare neuze 

Arog! potred, ha bec'h war-n-ompl! Da Dinteniak, pa dostae; 
Prim d'ha c'hezek gand ar skoursal! — Dall tol ma goaf mad, Tinteniak; 
Na zebfont ken glaz hor segal! — Daoust har eo hen eur gorscn wak? 
Ker buhan a gouee ann toliou — Pez a vo gwag, e-berr amzer : 


Ha morzoliou war anneoïiou ; Pouden da benn, va mignon Karr: 


105 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


bel ami; plus d'un corbeau y grattera et becquètera ta cer- 
velle. — 


Il n'avait pas fini de parler, qu’il lui avait donné un coup 
de maillet tel, qu'il écrasa, comme un escargot, son casque et 
sa tête à la fois. 


Keranrais, en voyant cela, se mit à rire à grince-cœur : 

.. — S'ils restaient tous, comme celui-ci, ils conquerraient le 
pays! 

— Combien yen a-t-l de morts, bon écuyer? 

— La poussière et le sang m'empêchent de rien distinguer. 

— Combien y en a-t-il de morts, jeune écuyer? 

— En voilà cinq, six, sept, bien morts. — 


N 


Depuis le petit point du jour, ils combattirent jusqu’à 
midi; depuis midi jusqu’à la nuit, ils combattirent les Anglais. 

Et le seigneur Robert (de Beaumanoir) cria : 

— J'ai soif! oh! j'ai grand soif! — 

Lorsque du Bois lui lança ces mots : 

— Si tu as soif, ami, bois ton sang ! 


Et Robert, quand il T entendit, détourna la face de honte, 
et il tomba sur les Anglais, et il en tua cinq. 





Meur a vran à skrapai enn han | 





: Y 
Ia bekai boeden anezhan.—- | 
Oa ked he gomz peurlavaret, Adalex goulouig ann de, 
Eunn toi morzol d'ean en deuz roet, En em gannont bete kreiste ; 
Ken a flastraz, " vel eur melc'honen, | Adalek kreiste bete noz, 
H2 dok-houarn kelkouls hag he benn. | En em gannont cench ar Zaoz. 
Ha Kerarreiz, dal” m'her welaz. Ia ‘nn olrou Robart savaraz ; < 
A skrien he galon a c'hoarzaz : — Sec’hed am euz, ia, sec’het braz! 
— Mar chomfent holl, evel heman, Ken a droc'haz out-han Ar-C'hoad : 
Gonid e (afent ar vro-mian. — — Mar "L euz sec'hed, potr, év da woadi 
— Ped anhe © maro, flac’h mad? : Ha Robart, na'n deuz he glevot, 
- Ne welass "3 gand poultr ha goad, Gand ar vez tec'hi en deuz gret, 
— Ped anhe Z. :2ro, floc’hik? [mik.— Ha war ar Zavzon £ ma kouet, 


— Setu pemp, c'houec'h, seiz, maro= Ha pemp anhe en deuz lazet. 
U 


E r 
D] 
d 


Abeg da vijou ar vro-man. — 


LA BATAILLE DES TRENTE. 199 


— Dis-moi, dis-moi, mon écuyer, combien en reste-t-il en- 
core ? 

— Seigneur, je vais vous le dire : un, deux, trois, quatre, 
cinq, Six. 

— Ceux-ei auront la vie sauve, mais ils payeront cent sous 
d'or, cent sous d'or brillant chacun, pour les charges de ce 
pays. 


VI 


I n’eût pas été l'ami des Bretons, celui qui n’eût point ap- 
plaudi dans la ville de Josselin, en voyant revenir les nôtres, 
des fleurs de genêts à leurs casques ; 


Il n’eût pas été l'ami des Bretons, ni des saints de Bretagne 
non plus, celui qui n'eût pas béni saint Kado, patron des 
guerriers du pays; 

Celui qui n’eût point admiré, qui n’eût point applaudi, qui 
u’eût point béni, et qui n’eût point chanté : 

«Au paradis comme sur terre, saint Kadon’a passon pareil! » 





NOTES 


On peut lire dans Froissart (t. LIT, p. 54) une narration remarquable 
de ce fait d'armes célèbre. Les combattants, dit-il, « se maintinrent d’une 
part et d'autre aussi bien que tous fussent Rolands et Oliviers, » et il 
ajoute: «Depuis, je vis seoir à la table du roi Charles de France un che- 
valier breton qui été y avoit, messire Yvain Charuel; mais il avoit le 





— Lavar d'i-me, lavar d'i-me, | E ker Joslin neb na joue, 

Pet zo anhe c'hoaz. va floc'h-me? U welet hor re ’tont endrou, 

— Otrou, lavaret a rinn d'hec'h : Bleun banal ouz ho zok-houarnou; 
— Unan, daou, tri, pevar, pemp, | 


d SA Na vize kar d'ar Vretoned, 
Lhoucch. | Na d'ar sant a Vreiz keneubed, 

— Ar re-man a vo losket heù, | Nen na veue Ket sant Kado, 

Ha Kant gwenneg aour a baeo, | Paeron brezelourien ar vro; 


Kant gwenneg aour-flamm, peb unan Ç 2 
E S » P ? | Nel n’estlamme, neh na ioue, 


Neb na veule, neb na gane: 
VI « Kouls er haroz hag cnn douar, 


Kar d’ar Yretoned na vize, Sant Kado n'en deuz ked he barl» 


200 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE: 


viaire (visage) si détaillé et découpé qu’il montroit bien que la besogne 
fut bien combattue. 

Il ya quelques difrerences entre le récit du chanteur breton et le récit 
du poëte français. Le trouvère assure que Bembrough fut blessé à mort 
par Alain de Keranrais et achevé par Geofifroi du Bois !; selon lui encore, 
ce fut Jean de Beamanoir que Bembrough défia, et non Tinteniac, comme 
le veut le poëte populaire, qui donne à tort le nom de Robert au premier. 

La substitution du nom de Tinteniac, bas-breton, à celui de Beauma- 
noir, haut-breton, par un norte de basse Bretagne, s'explique aisément. 
Au resle, selon le trouvère, 


Tinteniac le bon était tout le premier, 
Celui de Beaumanoir que l’on doit renommer, 
Et toujours pour ce fait ouÿrons de lui parler. 


Le chanteur populaire, tout en citant le mot fameux de Geoffroi du 
Bois, omet une circonstance touchante, celle du jeûne de Beaumanoir, à 
l’occasion de la semaine sainte : 


Grande fut la bataille et longuement dura: 

Et le chapple (carnage) horrible et deçà et delà ; 
La chaleur fut moult grand’, chacun si tressua (sua); 
De sueur et de sang la terre rosoya. 

A ce bon samedi Beaumanoir si jeuna: 

Grand soif eut le baron, à boire demanda : 
Messire Geoffroy du Bois tantôt répondu a : 

— Bois ton sang, Beaumanoir, la soif le passera, 
Ce jour aurons honneur, chacun si gagnera 
Vaillante renommée, ja blâmé ne sera. — 
Beaumanoir le vaillant adonc s’évertua, 

Tel deuil eut et telle ire que la soif lui passa; 
Et d’un côté et d'autre le chapple conimença; 
Morts furent ou blessés, guères n’en échappa. 


D’après le récit populaire, les Bretons revinrent du combat le casque 
orné de rameaux de genêts fleuris; la prairie où la bataille eut lieu cou- 
rait effectivement, selon le poëte français, 


Le long d'une génetaie qui était verte et belle, 


4 La Lataille des Trente, édition de Crapelet, 


pps 


SR 


XXVII 


L'HERMINE 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La ballade allégorique connue sous le nom de Chanson à danser de 
I Hermine est un des plus singuliers monuments nationaux de la poésie 
armoricaine. Trois animaux y figurent ; un loup, un taureau et une her- 
ine. Le loup, Guillaume, poursuit Jean, le taureau; Catherine, l’her- 
mine, spectatrice du combat, les excite du bord de son trou et fait des 
vœux pour qu'ils s’entre-tuent. Guillaume le Loup, c’est le parti français 
de Charles de Blois (comme on l’a vu plus haut, le nom de ce prince si- 
gnifie loup en breton) ; Jean le Taureau, c’est le parti anglais de Jean de 
Montfort, c’est John Bull ; Hermine enfin, c’est le peuple breton. 

J'avais recueilli la pièce de la bouche de petits enfants, qui la chan- 
taient, en dansant, aux faubourgs de Chàteauneuf-du-Faou, et je n’y at- 
tachais pas grande importance, lorsque le comte de Blois de la Calande, 
avec la sagacité qui lui était particulière, me donna l’explication qu'on 
vient de lire. 


Voici les feuilles du chêne qui s'ouvrent avant celles du 
hêtre; voici le loup qui guette le taureau. 

— Oh çà, kiss! kiss! oh çà, kiss! kiss! — 

Voici le loup qui guette Le taureau : sur dix hommes il en 
mourraneuf. 


ANN ERMINIK 


— ES KERNE — 


Ann delioù ’zigor enn dero 
Kent evid digeri er fao; 
Bleiz a c'hed ann taro.… 
— Osal skes ! skes 1 


Osa! skes! skes! — 
Bieiz a c'hed ann tazo : 
Deuz dek mervel a rai na0, 


202 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Jean le Taureau et Guillaume le Loup sont deux terribles 
ennemis, sur ma foi! Voilà Guillot qui guette, du rivage, 

— Oh cà, kiss! kiss! Oh çà, kiss! kiss! 

Qui guette Jeannot arrivant à la nage. 


— Si c’est de la chair fraiche de taureau que vous cher- 
chez ; aujourd'hui vous n’en aurez pas : des cornes longues et 
aiguës, 

— Oh çà, kiss! kiss! 

Pour vous éventrer, si vous voulez. 


Catherine la fine, l'Hermine, riait, le nez hors de son petit 
irou : 

— Voyez avec quelle grâce 

— Oh çà, kiss! kiss! 

Guillaume fait la cabriole ! 


Guillaume fait la cabriole, le pauvret! sur la pointe de 
cornes dures : et moi qui croyais que tes dents... 

— Oh çà, kiss! kiss! 

Que tes dents valaient mieux que ses cornes. — 


Jeannot monte, Jeannot descend : 

— Courage donc! allons, Guillaume, cours après! tu l’at- 
leindras sans peine : 

— Oh çà, kiss! kiss! 

Il est épuisé, il boite, et tu es si leste! 





Ann ann tarv, ha Guillaou ar loeiz — Osa! skes! skes! (bis) 

A zo daou gillen, war va feiz : -C'hoari Guillaou penu-toullik, 
Laou enn od z0’ c'hedal, gang e E : 
< Uan T skes! skes! (bis) Guillaou penn-toullig a c'hoari, 


Paourik! war vegik kerniel kri. 
Me gave d'in oa gwll... 
— Osa! skes! skes ! (bis) 
Gwell da zent vid he gerniel. — 


lannig 0 tont o neuial. 


— Mar hevin fresk eo a glasket; 
Evid ann de na pezo ket : 

Med kerniel hir Lemmet, S Re T vd 
— Osa! skes ! skes ! (bis) Jann ia d'ann (rann, lann ia d'ann Her h: 
D'ho tivouella, mar keret. — — Ai-ta! dao, Guillaou, war he lerc’h! 
Difreiz vi evit-han, 

Osa! skes! skes! (Ds) 

Skuiz eo, kamm eo; te zo skanl 


Katellik fur, ann erminik 
A c’hoarze a-rez he zoullik : 
— Sellet peger soublik 


1 


L'HERMINE. 203 


— Oh oui, je lai bien épuisé; je vais le mettre à la raison. 
— Ao! ao! Jean l'Anglais; gare! 

— Oh çà, kiss! kiss! 

Le grand diable est à tes trousses! 


Dans tous les prés où ils ont passé, ils ont brûlé l'herbe; 
dans tous les champs qu'ils ont traversés, 

— Oh çà, kiss! kiss! 

Ne grainera ni avoine ni blé. 


Il ne bourgeonnera aucun arbre dans les vergers; les (yeux 
des) fleurs sont érailléés, comme si la pluie les avait frappées ; 
ah! je souhaiterais de tout mon cœur, 

— Oh çà, kiss! kiss! oh çà, kiss! kiss! 

Ah ! je souhaiterais de tout mon cœur qu'ils s’étranglassent 
l'un l’autre. 


NOTES 


Dans une légende pieuse que nous citons plus loin, le sentiment natio- 
nal du peuple, victime des querelles des grands, se révèle sous une forme 
moins satirique et plus chrétienne. 

Un pauvre paysan qui se cache est découvert par une troupe de sol- 
dats étrangers : « De quel parti es-tu ? lui demandent-ils d’un air mena- 
CHL: es-tu Blois ou Montfort ? 

— Je ne suis ni Blois ni Montfort, répond simplement le pauvre homme, 
je suis serviteur de madame Marie. Vive Mariel » 

Cette attitude du peuple breton se tenant à l'écart, et ne prenant plus 
activement parti ni pour l'Anglais ni pour le Français, mais contre tous 
deux à la fois, prouve que, désabusé par l’expérience d’une guerre de 
vingt-trois ans, dont il paya les frais de son sang et de sa fortune, il ne 
lui restait plus que la force de maudire ou de prier. Un sentiment pare) 
dut naître à la fin de la guerre. C’est ce qui me porte à faire remonter 


— Skuizet awalc'h e ma gan-in; Na c'hreunio na kerc'h nng ed. 
Bremaig he reisionniun! 

— Ao ! ao! [ann-ar zaoz, tec'h! 

— Osa! skes! skes ! (bis) 

Ma ann diaol braz war da lerc'h1— 


Na vronzo gwe el liorzao; 

Pikouz ar blun, ‘vel gand ar glao. 
Me garfe, ’m gwirione, 

Osa ! skes: skes! 


Prajou ho deuz-int tremenet, Osa! skes! skes! 
Poazi ar geod hi ho deuz gret; Me garfe, ’m gwirione, 
Parkou deuz-int treuzet, "N em dagfent ‘nn eil egilel 


Osal skes l skes! (bis) 


204 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


la date du chant populaire vers l’année 1565, où tout le monde deman- 
dait la paix : 


De la paix très-grand mestier (besoin) 
Avoit le peuple, sans nul doute; 

Car pauvres gens chacun déboute 

En temps de guerre, chacun le sait. 
Pour ce la paix on désirait 


4 Chronique de Guillaume de Saint-André, édit, de Charrière, p. 52% 








XXVIII 


LE BARON DE JAUIOZ 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Louis, baron de Jauioz, en Languedoc, était fils de Randon I: et de 
Flore de Gailus; son nom appartient à l’histoire du quatorzième siècle et 
se lie souvent aux principaux événements de la fin de cette grande 
époque. Nous le voyons sous les ordres du duc de Berry, son suzerain, com- 
battre et chasser les Anglais de France (1578); nous le retrouvons sous 
les mêmes drapeaux en Flandre, triomphant des mêmes ennemis. Il 
prend part à toutes les victoires qu’y remporte le roi de France; il est à 
Ypres, à Cassel, à Gravelines, au siége de Bourbourg. Quelques années 
plus tard, il fait son testament à Aigues-Mortes et s’'embarque pour la 
terre sainte. Son sceau, en cire rouge, porte un écusson à trois pals et 
un chef chargé de trois hydres; pour cimier, deux longues oreilles, et 
pour légende : S. Loys ne Jauiozi. S'il faut en croire les poëtes popu- 
laires bretons, et si la tradition n’a point substitué un nom à un autre 
dans leur chanson, il aurait, pendant un voyage qu'il aurait fait dans 
sa vieillesse en Bretagne, acheté à prix d’or une jeune fille du pays qui 
serait morte de chagrin en France. Le Gonidec, dont la mémoire sera 
toujours chère aux amis de la langue bretonne, m'a procuré la meilleure 
version de la ballade où sont racontés les malheurs de cette jeune fille. 


I 


Comme j'étais à la rivière à laver, j'entendis soupirer l’oi- 
seau de la Mort : 

— Bonne petite Tina, vous ne savez pas? vous êtes vendue 
au baron de Jauioz. 





BARON JAOUIOZ 


NE SRIGERNIES 


I Me gleve ’nn evn-glot huanat. 


— Tinaik mad, ne onzoc'h kel? 
Pa oann er ster gant va dillad, D'ar baron Jaouioz oc'h gwerzet. 


1 Chartes des Ordres, v. xv, f. 6955, 


206 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Est-ce vrai, ma mère, ce que j'ai appris? Est-il vrai que 
je sois vendue au vieux Jauioz? 


— Ma pauvre petite, je n’en sais rien; demandez à votre 
père. 


— Mon petit père, dites-moi, est-il vrai que je sois vendue 
à Louis de Jauioz? 


— Ma chère enfant, je n’en sus rien, demandez à votre 
frère. 


— Lannik, mon frère, dites-moi, suis-je vendue à ce sei- 
gneur-là 7 


— Oui! vous êtes vendue au baron, et vous allez partir à 
l'instant ; 


— Et vous allez partir sans tarder; le prix de la vente est 
reçu : 


Cinquante écus d'argent blanc, et autant d'or brillant. 
— Ma bonne mère, quels habits mettrai-je, s’il vous plait, 


Ma robe rouge ou ma robe de laine blanche, que m'a faite 
ma sœur Hélène? 


Ma robe rouge, ou ma robe blanche et mon petit corset de 
velours noir 7 


— Mettez les habits que vous voudrez; cela importe peu 
ma fille ; 


Gwir, eo ma mamin, pez "nm euz klevet? | Ia mont kuit heb-dale z0 roel: 


Un da Jaouioz kouz onn gwerzet ? Ho kwerz a zo digemere : 
— Ma merc'hik paour, ne ouzonn ket ; Hanter kant skoed cnn arc'hant gwen: < 
Digant ho tad her goulennet. Ha kemed-all e:n aour melen. 
E D 
— Ma zadik, d'in-me leveret, — Ma mammik, d'in-me levcret, 
Ia da Lociz Jaouioz onn gwerzet? le re dillad a vo gwisket? 
D Le] 
— Ma merc'hik ker, ne ouzonn krt: Va brouz ru, pe va brouz gloan wenn, 
U 7 D P 
Digand ho preur her goulennet. Tag e deuz gret va c'honr Élen? 
— Ma breur Lannik, d'in leveret, Va brouzik wenn, pe va hrou: ru 
Ha d'ann otrou-ze m'onn gwerzet ? Ha va c'horkennik voulouz du ? 
— Ja! d'ar baron chut zo gwerzet, — Gwisket ann dillad a gerfet, 


Ha mont kuit timad a 50 red; Va merc'h, kement-se na vern Ko : 


LE BARON DE JAUIOZ. 207 


I y a un cheval noir à la porte, attendant que la nuit 
s'ouvre, 


Attendant le moment où la nuit s'ouvrira, un cheval tout 
équipé qui vous attend. — 


[I 


Elle n’était pas loin du hameau, qu’elle entendit sonner les 
cloches. 


Alors elle se mit à pleurer : — Adieu, sainte Anne; 


Adieu, cloches de mon pays; cloches de ma paroisse, 
adieu! — 


En passant le lac de l’Angoisse, elle vit une bande de morts : 


Elle vit une bande de morts, vêtus de blanc, dans de pe. 
tites barques; 


Elle vit des morts en foule; contre sa poitrine ses dents cla- 
quaient,. 


En passant par les vallées du Sang, elle les vit s’élancer à 
sa suite ; 


Son cœur était si plein de douleur, que ses yeux se fer- 
mérent ; 


Son cœur élait si plein de douleur, qu'elle perdit connais- 
sance. 


Eur march du zo e toull ann nor, Pa dremenaz lenn ann Anken, 
0 c'hortoz ann noz da zigor, Tud varo welaz, eur vanden ; 
0 c'hortoz da zigor ann noz; Gwelaz tud varo, eur vanden, 
Eur marc'h sternet oc'h ho kortoz. — E lestrigou, gwisket e gwenn; 
Gwelaz tud varo kena-ken ; 
Il bez he c'halonn strake he dent. 
Ne oa ked ect nell euz ar ger, Pa dremenaz traoniou ar Gon). 
c KOI U at < 
Pa glevaz o son ar c’hleier. Ho swelaz J'he heul o lampat ; 
Neuze n'em lakn: da oela : Kemend e devoa kalonad, 
— Kenavo d'id santez Anna ; Ken a zarraz he daou-lagad: 
Kenavo d’hoc'h Kleier va hra, Kemend e devoa kalonad, 


Kleier va farez, kenavo ! — Ken a gollaz he skiand-vad. 


208 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


III 


— Prenez un siège, asseyez-vous, en attendant l'heure du 
repas. — 

Le seigneur était près du feu, aussi noir qu'un corbeau; 

La barbe et les cheveux tout blancs, les yeux comme deux 
tisons. 

— Voici une jeune fille que je demande depuis bien long- 
temps! 

Allons, mon enfant, allons, que je vous fasse apprécier une 
à une mes richesses. 

Venez avec moi, ma belle, de chambre en chambre, comp- 
ter mon or et mon argent. 

— J'aimerais mieux être chez ma mère, à compter les co- 
peaux à jeter au feu. 

— Descendons au cellier ensemble goûter du vin doux 
comme miel. 

— J'aimerais mieux boire de l’eau de la prairie dont boi- 
vent les chevaux de mon père. 

— Venez avec moi de boutique en boutique acheter un man- 
teau de fête. 

— J'aimerais mieux une jupe de toile si ma mère me l'avait 
faite. 





III 
— Tapet eur gador, hag azeet, 
0 c'hortoz vo dare ar boet, — 
Ann otrou oa 6 tal ann tan, 
Hag hen ken du evel eur vran, 
He varo hag he vleo gwenn-kann, 
He zaou-lagad vel Jaou skod-tan. 
— Setu ama eur femelen 
E ma onn pell-z0 oc'h hi goulenn! 
Deomp-ni, va merc'h, war ma brizou, 
Deomp-ni da ober va rannou. 


A gambr e kambr deut-hu, va c'hoant, 


Da gonta "nn aour hag ann argant. 


— Gwell ve d'in bout e ti va mamm, 
Da gonta’r skolp da dol cnn tan. 

— Deut-hu gan-in (ann traon J'ar zel 
Da danva gwin ker c'houe ha mel. 

— Gwell ve d'in eva dour ar prad 
Demeuz a ev ronsed va zad. 

— Deut-hu gan-in à stal da stal 

Da brera'r pawisk da vragal. 

— Gwell ve d'in eur vroz liennet, 

Mar va mamm e defe he gret. 


LE BARON DE JAUIOZ. 209 


— Allons maintenant au vestiaire chercher des festons 
pour orner. 


— J'aimerais mieux la tresse blanche que ma sœur Hélène 
m'ourlait. 


— Si j'en juge par vos paroles, j'ai peur que vous ne m'ai- 
miez pas. 


Que n’ai-je eu un abcès à la langue, le jour où j'ai été assez 
fou, 


Assez fou pour vous acheter, quand rien ne peut vous con- 
soler ! — 


IV 


— Chers petits oiseaux, dans votre vol, je vous en prie, 
écoutez ma Voix : 


Vous allez au village, et moi je n'y vais pas; vous êtes 
joyeux, moi bien triste. 


Faites mes compliments à tous mes compatriotes, quand 
vous les verrez; 


À la bonne mère qui m'a mise au jour, et au père qui m'a 
nourrie ; 

A la bonne mère qui m'a mise au jour, au vieux prêtre qui 
m'a baptisée. 


— Deomp-ni brema d'ar gwiskiri IV 

Klask brodou da lakat enn hi. — Diwar ho nij, evnigou kez; 

— Gwell ve d'in ann nahenen wenn Me ho ped da zelaou va moez : 

A c'hourre d'im va c'honr Elen. C'hui ia d'ar ger, me na eann ket, 
— Hervez ar c'homzou a leret, C’hui z0 laouen, me glac'haret. 
Aoun am euz (Yam c'haret ket. Va gourc’hemennou a refet 

Me gar ve bet eur gor em Zeod, D'am holl vroiz, pa ho gwelfet; 
Enn amzer e n'onn bet ker sod, U'ar vammik e deuz va ganet, 

"M oun bet ker sod euz da brena, Ha d’ann tad en deuz va magot: 
Pa n’em frealzez gant netra. — D'ar vammik e deuz va ganet, 


D'ar helek koz neuz va badeet, 


14 


210 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Vous direz adieu à tout le monde; et à mon frère que je lui 
pardonne. 


ÿ 


Deux ou trois mois après, sa famille était couchée, 

Était couchée et reposait doucement, vers minuit. 

Ni au dedans ni au dehors, aucun bruit; on entendit à la 
porte une voix douce : 

— Mon père, ma mère, pour l'amour de Dieu, faites prier 
pour moi; 

Priez aussi et prenez le deuil : votre fille est sur les tré- 
teaux funèbres. — 





NOTES 


Les poëtes bretons ne réussissent jamais mieux que lorsqu'ils peuvent se 
mettre eux-mêmes à la place de leurs acteurs, et qu'ils ont à peindre 
quelques-uns des sentiments les plus énergiques de leur race, l'amour 
du pays, par exemple. Le poëme qu'on vient de lire en est une preuve 
bien frappante. 

L'oiseau de la Mort (un oiseau gris qui chante l'hiver, dans les 
landes, d'une voix douce et triste et que je crois être l’orfraie) prédit à la 
eune fille ses malheurs, comme la corneille noire au berger de Virgile. 
Elle interroge son père, sa mère, tout le monde; personne n'ose lui ré- 
pondre. Enfin elle s'adresse à son frère, et la fatale vérité éclate comme la 
foudre; elle apprend d'un cœur résigné. Bientôt elle part sans se plain- 
dre; elle a contenu jusque-là sa douleur. Mais les cloches de la paroisse se 
font entendre ; elle n’y peut plus tenir ; son cœur se brise. Le poëte touche 
ici à une des plus chères affections du paysan breton : ses cloches; ce 
sont pour lui des sœurs. Leur baptême est une fête pour la paroisse; 


Kenavo d'ann holl a larfet, Endro demeuz a hanter-nouz. 


1 h D . 
Ha d'am breur e ma pardonet.— Na diabarz na mez, neb trouz: 
Toull ann er klevzont eur voez Jous: 


y — Va zad, va mmm, enn han Doue, 
Eunn daou pe dri miz goude-ze, Laket pedi evid on-me; 
À oa he zud enn ho gwele, Pedet ive, ha gret va c’hanv : 


L n ho gwele, ha kousket dous, Edi ho merc'h war ar vaz-kanv.— 


LE BARON DE JAUIOZ. 211 


chacun se pare de ses plus beaux habits. On chante, on boit, on danse 
jusqu’au coucher du soleil. Lorsque, durant la révolution, elles furent 
enlevées pour être jetées en fonte et faire des canons, la consternation 
fut générale ; on ne voyait au pied des clochers que des femmes et des 
enfants qui témbaient à genoux, en barrant le passage aux soldats et en 
criant miséricorde. On aurait dit qu'un grand malheur menaçait le pays. 
Aussi pleure-t-elle, la pauvre Tina, en entendant sonner, pour la der- 
nière fois, les cloches de son village, et en leur faisant ses adieux. Mais 
où va-t-elle? que veulent dire ces petites barques pleines de morts, ce 
lac de l’Angoisse et ces vallées du Sang? En quel pays l'emporte son 
cheval noir? En enfer. Ce sont les traits sous lesquels l’auteur de la 
Fiancée de Satan, et l'auteur de la ballade écossaise de Thomas le Rimeur, 
ont peint les contrées désolées qu’on traverse avant d'arriver au Tar- 
are celtique. N’est-elle donc pas un enfer, la terre étrangère, ce tom- 
beau du cœur et des joies de la patrie? 

Comme pendant à l’histoire de Tina, vendue à un riche étranger, dans 
lequel on peut voir ou ne pas voir le célèbre baron languedocien, jus- 
qu'à plus ample information ; je vais citer l’histoire d’une autre paysanne 
bretonne, victime de l'étranger anglais. 


XXIX 


LA FILLEULE DE DU GUESCLIN 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


Bertrand du Guesclin, ou Gwezklen, selon l'orthographe bretonne, a 
laissé dans les traditions populaires de la Bretagne un nom presque aussi 
célèbre que dans l’histoire. Le peuple du pays de Tréguier, au milieu 
duquel il habita et qui suivait son parti en masse, a conservé le souvenir: 
«de ses exploits chevaleresques, et redit encore de vieux chants où on 
le montre détruisant l’un après l’autre les chäteaux anglais perchés, 
comme des nids de vautours, sur nos rochers et nos montagnes. Doux de 
ces chants sont particulièrement répandus ; l’un a pour sujet la ruine du 
château de Trogoff. l’autre celle de Pestivien. Du Guesclin assiégea. 
en 1564, et enleva le premier; il prit aussi le second, qu'il rasa de 
même de fond en comble. Selon les poëtes populaires, la ruine de Tro- 
goff avait élé amenée par l’outrage que le gouverneur du château voulut 
faire à une jeune paysanne, filleule de du Guesclin; et la destruction de 
Pestivien par la félonie des Anglais à l'égard d’un des vassaux du con- 
nétable. Je dois les deux ballades dont ces événements sont le sujet, 
l’une, à une femme de la paroisse de Trégourez, l’autre à un vieillard 
de Mael-Pestivien, mais elles se chantent partout. 


I 
Le soleil parait, Le jour luit, la rosée brille sur Les épines 
blanches de la haie ; 


De la haie élevée du grand château de Trogoff, où les An- 
glais règnent encore ; 


FILLOREZ ANN AOTROU GWESKLEN 


— "MES TREGER — 


. Gliz a luc'h war spern-gwenn ar c'hart 


Garz huel Traongof ar ger vraz, 
Arn henl à bar, ann detiz a darz, Elec'h zo Saozon o ren c'honz. 


LA FILLEULE DE DUGUESCLIN 213 
La rosée brille sur les fleurs de l’épinaie ; à cette vue, le 
soleil se voile le front; 
Car, en vérité, ce n’est pas la rosée du ciel; c’est une rosée 
de sang ; 
De sang pur qu'a versé Rogerson, le plus méchant fils 
d'Anglais qu'il y ait dans la vallée. 


Il 


— Marguerite, ma belle enfant, vous êtes alerte, vous êtes 
vive ; 

Vous vous leverez demain de grand matin, pour aller porter 
du lait aux laboureurs qui travaillent à l'écobue. 

— Ma bonne petite mère, si vous m'aimez, ne m'envoyez 
: as à l’écobue, 

A l'écobue ne m’envoyez pas : vous ferez jaser les méchants. 

Envoyez-y ma sœur aînée, ou ma petite sœur Franséza ; 

Bonne petite mère, je vous en prie : Rogerson me guette. 

— Vous guettera qui voudra; vous êtes priée : vous irez ; 


Vous vous lèverez avant le jour : le seigneur sera encore au 
lit. — 


Gliz a luc’h war vleun ar spernen; — Va mammik mad, ma am c'haret, 
Ann heol, pa wel, a guz he benn. D'ar varadek n'am c'haset Ket. 
Gliz ann nenv ne d-60 ked, a-vad : N'am haset ked J'ar varadek: 
Ne d-eo ken nemet gliz ar goad; C'hui lakai ann dud da zroug-preek. 
Goad glan skuillet gand Rojerson, Laket da vont va c'honr henan, 
Gwasan mah sa0z a zo enn traon. Pe va c'hoar vihan Fransezan; 
: Va mammik mad, ha me ho ped) 
U Gand Rojerson em onn spiet. 
S Mac’haridik, va merc'hik konnt. — Be spiet gand neb a garo, 
C’houi zo huhan, ha c'hout zo drant, C'hou zo pedet : C'houl a 18103 
nr E 1 
C'houi zavo warc'hoa: beure-mad, Scvel a reot kent hag ann de: 


Da gas lez d'ann dud z0’ varat. Anu otro vo enn he wele, — 


214 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


II 


Marguerite disait à son père et à sa mère, le lendemain 
matin, 


En prenant son pot au lait, Marguerite disait : 


— Adieu, mère, adieu, père; mes veux ne vous verront 
plus ; 


Adieu, ma sœur ainée; adieu, ma petite sœur Franséza. — 


Or, comme la bonne petite fille allait au champ, le long du 
bois, 


Proprette, légère, pieds nus, son pot au lait sur la tête ; 


Rogerson, du haut de la tour du château, la vit venir de 
loin : 


— Éveille-toi, mon page, et lève-toi vite, que nous allions 
chasser un lièvre, 


Chasser un petit lèvre blanc, qui porte un pot au lait sur 
la tête. — 


IV 


Quand la jeune fille passa le long des douves, le seigneur 
était à l’attendre, 





Mistr ha mibin ha diarc'henn, 


11 Gand he foudad lez war he fenn; 
Marc'haridig a lavare Pojerson, ouz tour ar c’hastel, 
D'he zad ha d'he mamm, er beure; Hi gwelaz 0 tont euz a bell: 
Enn he foudad lez pa groge, — Dihun, va Hoc'h. ha sav timad, 
Mac’haridig a lavarc : Ma iemp-ni da hersal eur c'had, 
— Kenavo, mamm, kenavo, tad, Da hersal eur c’hadik penn-gwenn, 
N'ho kwelo mui va daou-lagad ; Gand eur podad lez war he fenn. — 
Kenavo d'hoch va c'hoar henan, 
Ha d'hoch va c'hoarik Fransezan. — IY 
Hogen, pa oa ar plac'hik mad Pa ee ar plac'h e-biou ann doz. 


U vont d'ar park e-biou ar c'hont. Oa ann otro oc'h he gortoz. 


LA FILLEULE DE DUGUESCLIN. 


A attendre auprès du pont-levis ; si bien qu'elle tressaillit 


d'épouvante, 


D’épouvante en l’apercevant, et renversa son pot au lait. 


Voyant cela, la pauv'e fille se mit à pleurer amèrement. 


215 


— Taisez-vous, ma sœur, ne pleurez pas, on vous trouvera 


un autre pot au lait; 


Approchez, et allons déjeuner, tandis qu'on le préparera. 


—Beau seigneur, je vousremercie; j'ai déjeuné,bien déjeuné. 


— Alors venez au jardin, venez cueillir de belles fleurs, 


Venez cueillir une guirlande pour orner votre pot au lait. 


—- Je ne porte point de fleurs, je suis en deuil cette année. 


— Alors venez aux vergers, venez manger des fraises rou- 


ges comme une braise. 


— Je n’irai point manger des fraises; sous les feuilles il y a 


des couleuvres. 


J'entends l'appel des laboureurs de l’écobue : ils disent que 


je suis paresseuse. 


Ils demandent où je suis restée avec mon petit pot au lait 


caillé. 


— Vous allez sortir à l'instant; quand votre pot au lait sera 


prêt; 


Oc'h he gortoz e-tal ar pont, 
Ken a lammaz-hi gand ar spont, 


Gand ar spont nre deuz hen gwelet, 


Hag he fodad lez oa skuillet. 


Ar plac'hik paour, dal” ma welaz, 


Da oela dru en em lakaz : 


— Tevet, ma c'honr, na oelet ket, 


Eur podad all a vo Kavet: 
Tostait, ha deomp-ni da leinan, 
Keid ha ma vezor d'he ozan. 

— Otro kaer, ho trugarekat, 
Leinet am euz, ha leinet mad. 
— Na deut-hu neuze d'ar jardin, 
Deut-hu da gutuill louzou-fin; 


Deut da gutuill eur garlantez, 
Da lakat war ho podad lez. 

— Na zougann ked a voukedo, 
Evid ar bloaz am cuz Kanya. 
— Deut-hu neuze d'al liorzao, 
Deut da zibri sivi ru-glaou. 
Da zibrin sivi na inn ket; 
Dindan ann @ellio zo aered. 
Me glev ar iou er varadek: 

Hi a lavar onn lezirek. 

Hi a c'houl pelec'h onn chome 
Gand va fodadik lez kaoulet. 
— Bremaik. c'hout a ielo "mez s 
Pa vo pare ko podad lez 


210 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
On s’en occupe, Marguerite; venez voir à la laiterie, — 
En franchissant le seuil du château, la jeune fille tressaillit ; 


La pauvre petite devint blanche comme la neige, quand la 
porte se ferma derrière elle. 


— Ma mignonne, n'ayez pas peur, je ne vous ferai aucun 
outrage. 

— Si vous ne songez pas à m'outrager, pourquoi changez- 
vous de couleur ? 

— Si je change de couleur, c’est que l'air du matin est vif. 

— Ce n’est point, seigneur, l'air du matin, c’est le mau- 
vais désir qui vous fait pälir. 

— Taisez-vous, petite sotte! venez au fruitier choisir un 
fruit. — 

Quand ils furent dans le fruitier, elle prit une pomme rouge : 


— Seigneur Rogerson, donnez-moi, s'il vous plait, un cou- 
teau ; 


Donnez-moi un couteau pour peler cette pomme, 


— Si vous désirez un couteau, allez à la cuisine, et vous 
en trouverez un; 


UY en a un sur la table de chêne; il a été aiguisé ce matin. 
La petite Marguerite dit au vieux cuisinier, en entrant : 





Mac’haridig, "m eer war he lerc'h: — Sarret ho pek, plachik diod l: 
Deomp-ni da welet d'al lez-lec’h, — Deut er frouez-kel da zibab lod. 
Tre'barz ar c'hastel pa int eet, Trebarz ar frouez-kel pa int cet, 
Ar plac'hig e douz dridalet, Eunn aval e deuz dihahet : 

Ar plac’hik pnour ker gwenn hag erc’h. | — Otro Rojerson, me ho ned, 

Pa frammaz ann nor war he lerc'h Eur gontel d'i-me a refet; 

— Va c'haredik, na spontet ket. Eur gontel a refet d’i-men, 

Me na rion d'hoch-hu gaou e-bet. Evit rac'han ma avalen. 

— Ma na goliet ked ober gaou, — Mar d-e0 eur gontel a c'houlet, 
Perag a zeut-hu da zench liou. LC d'ar gegin hag e kefet, 

— Mar da zench liou eo a eann, War ann dol zero eo laket; 
Gand riou ar heure eo a rann. Vid ar beure ’ma blerimet, — 

— Gand arriou, otro, ne d-eo ket, Mac’haridig a lavare 


Gand ar gwall-ioul eo a c'hlazet, D'ar c'heginour koz, pa eez tre: 


LA FILLEULE DE DU GUESCLIN. 217 


— Cher cuisinier, je vous en prie, délivrez-moi! faites- 
moi sortir! 


— Hélas! ma fille, je ne le puis; le pont du château est 
levé. 


— Si l’homme à la tête frisée comme un lion savait que je 
suis captive de Rogerson; 


U « U U U 4 
Si mon bon parrain savait cela, il ferait couler du sang. — 


N 


Cependant, Rogerson demandait à son page, à quelque 
temps de là : 


— Où donc reste Marguerite, qu’elle ne revient pas ici? 


— Elle était dans la cuisine, il n’y a qu'un moment, en sa 
p:tite main blanche un couteau; 


Et elle parlait ainsi : « Que ferai-je, Jésus, mon Dieu? 
«Mon Dieu, dites-moi, me tuerai-je oune me fuerai-je pas ? 


« À cause de vous, Vierge Marie, je mourrai vierge, sans 
s_uillure, » 


Maintenant elle est couchée sur la face, dans une mare de 
SAng ; 


Le grand couteau dans le cœur, et appelant son parrain : 


1 > 3-5 1 c L. 71 - U 
D'am lakat kuit, d'am lakat "mez 1 — Er gegin e oa, n’euz ket pell, 


— Plijet gen-hoch, keginonr kez; Pa na zeu ked endro ama”? 
Lnn he dornik gwenn eur goutel ; 


— Allaz! ma merc'h, ne hallann Koet. 


U 6 7 1 s 
Pont ar c'hastel a zo savet! lag hi a gomze evelse : 
— Ma c'houfe ar penn-grec'h-leon « Petra rinn, Jezus, ma Doce" 


» L U or L ‘ 
E m'onn dalc'het gant Rojerson; « Ma Doue, d'in-me leveret, 
Ma c'houfe va zad-paeron mad, « Pe am lazinn, pe na rinn ket? 


| 
Hen lakafe da redes goad. —- 


« Lnn abek d'hoc'h, Gwerc'hez: Var: 
- « Me a varvo gwerc'hez, heh si. 
Ma hi breman war he geno, 
Ha Rojerson a c'houlenne Goad dindann hi a boulado; 
Gand he floc'h, eur pennad goude Ar gontel vraz cnn he c'halon, 


— Pelec'h e chon Marc'harit ‘fa, Hag 0 cnervel he zad-paeron : 


218 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Le seigneur Guesclin, mon parrain, celui-là me ven- 
gera! — 


— Mon bon petit page, ne dis mot; viens me la couper par 
morceaux dans un panier, 


Et j'irai la jeter dans la rivière, demain quand chantera 
l’alouette, — 


Or, en revenant de la rivière, il rencontra le parrain de la 
jeune fille, 


Il rencontra le seigneur Guesclin, la face verte comme 
l’oseille. 


— Rogerson, dites-moi, d'où venez-vous avec ce panier? 


— Je reviens de la rivière, de noyer quelques petits 
chats. 


— Ce n’est pas le sang de chats novos, qui coule de votre 
panier ! 


Seigneur Anglais, répondez-moi, n'avez-vous pas vu Mar- 
guerite? 


— Je n'ai pas vu Marguerite depuis le Pardon de Saint-Servet. 
— Tu mens, traître, car tu l'as tuée hier soir! 
Tu déshonores la noblesse autant que la chevalerie! — 


Rogerson, à ces mots, tira son épée : 





— Ann otro Gwesklen, va faeron, Da veuin eunn nebeut kisier. 
Hennez a doro evid-on! — — Ne d-co ked da veuin kisier, 
— Va Hoc lyk mad, na lavar ger: E ma ar goad deuz ho paner! 
Deuz d'he drailla d'in ’nn eur paner, Otro ar Saoz, d'in leveret, 

Ha me ielo d'he c'has J'ar ster, Mac'haridig peuz ket gwelet? 
Warc'hoaz da gan ann alc'houider.— | _ Mac'harid n'am euz ket gwelet 
En distro demeuz ann dour-red, Abaouc pardon sant Servet,. 

He zad-paeron en deuz kavet, __ Gaou a leverez. traitour, 
Kavet neuz ann otro Gwesklen, Dag l'ech cuz hi lazet neihour! 
Hag hen ker glaz evel trichen. Dizenor d'ann noblauz a rez, 

— Rojerson d'in-me leveret, Kerkouls ha d'ar varc'hegaez, — 
Gand ho paner pelec'h oc'h het ? Rojerson, pa ’n deuz hen devet. 


— Bet onn het tu-ma trem ’ar ster, He gleze en deuz diwennet, 


LA FILLEULE DE DU GUESCLIN. 219 


— Tu vas voir, je pense, à l'instant si je déshonore la no- 
blesse ; 


Tu vas voir à l'instant, vassal, si je suis indigne du nom de 
chevalier. 


Or sus! or sus! pas de quartier! 
En garde! si tu as du loisir ! 


— J'ai eu du loisir, et j’en ai pour jouer au jeu des combats 
avec des hommes de cœur; 


Jai joué à ce jeu et y jouerai, mais je n'y joue pas avec 
des assassins de filles; 


En quelque endroit que j'en rencontre, je les assomme 
comme des chiens. — 


En achevant ces mots, il éleva sa grande épée ; 


Et il en frappa un coup sur la tête de l'Anglais, et il le fen- 
dit en deux. 


VI 


Rogerson a été tué : le château de Trogoff est détruit; 


Elle est détruite la forteresse de l'oppresseur; bonne leçon 
pour les Anglais ! 


Pour les Anglais bonne leçon! bonne nouvelle pour les 
Bretons! 


— Bremaig e weli, me chanz, Kerkent evel m'en deuz laret. 

Mar rann dizenor d'ann noblanz: He gleze praz neuz gorroet; 
Bremaik, gwaz, e weli ez Ha war benn ar Saoz en deuz skoet. 
Mar ’m onn kuit a varchegaez. Ha daou hanter out-han ’n deuz gret. 
Hore! hore! kuit a druez! 

En em ward-tel mar ’m oud dibrez! VI 

— Dibrez onn bet, ha dibrez onn Rojerson a zo het lazet : 

Da c'hoart gant tud a galon: Kastel Traongof zo dismantret ; 
C’ioari a rinn hag em euz gret. Dismantret eo ker ar mac'her: 

Na ran1 gaud lazerier merc'hel : Da ret d'ar Zaozon eviL skouer ; 

E pelec -hennag m’ ho c'havann, Da ret evit skoucr d'ar Zaozon, 


Evel Koun holl ho dispennann. — Exit kelo mad d'ar Breton! 


220 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


NOTES 


Il arrive trop souvent, on le sait, dans les poésies traditionnelles, que 
les noms propres ne s'accordent pas toujours avec ceux de l'histoire 
écrite. Ainsi l'Anglais auquel dut avoir affaire la filleule ou protégée de 
du Guesclin, au château de Trogoff, est appelé Thuomelin par les chroni- 
queurs du temps, tandis que le nom de Roger-son, ou fils de Roger, que 
lui donne la ballade, paraît désigner l’aventurier Roger, défenseur de Pes- 
tivien, fait prisonnier par du Guesclin. 

Autre difficulté : le gouverneur du chateau de Trogoff, après la prise 
de la place, put se retirer la vie sauve, au dire des chroniqueurs contem- 
porains ; du Guesclin ne le tua donc pas, comme le voudrait la ballade. 
Quant à laventurier Roger, il n'aurait pas péri davantage de la mam 
du héros breton, s’il fallait s’en rapporter à la généalogie des Rohan 
qui le fait mourir en 1372, huit ans après la destruction de sa forteresse. 
Mais la justice populaire ne connaît que les exécutions sommaires, et les 
anachronismes des chanteurs patriotes sont de l'histoire, à certains 
égards. 

La circonstance du suicide héroïque de Marguerite peut passer pour 
un lien commun touchant de poésie traditionnelle, car on la trouve dans 
vingt ballades étrangères à la Bretagne T. Cependant, elle a bien un 
cachet breton, et n'est que la mise en pratique de la devise armori- 
caine : Mieux vaut la mort que la souillure. Par une fortune assez 
étrange, {a Filleule de du Guesclin, est devenue en France la fille d'un 
pâtissier, qui ayant porté des gâteaux à son seigneur, et été retenue de 
force par lui au château, se perce le cœur avec la dague qu'il lui a 
prêtée pour couper le nœud d’un lacet. Gérard de Nerval raconte l’his- 
toire de l’infortunée pâlissière dans sa Bohême galante : ainsi un apologue 
indien est devenu le conte du Petit Chaperon rouge. 


3 De Beaurepaire, Étuge sur la poésie populaire en Normandie, p. 55. Nigra, Canzoni popu- 
lari del Piemonte, fase. Y. p. 261. De Puimaygre, Chants populuires du pays Messin, p. 94. 
Rathery, Les Chants populaires de l'Italie, p.22. 


XXX 


LE VASSAL DE DU GUESCLIN 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


l 


Un grand château s'élève au milieu des bois de Maël ; tout 
autour, une eau profonde ; à chaque angle, une tour ; 


Dans la cour d'honneur, un puits rempli d'ossements, et 
le monceau devient chaque nuit de plus en plus haut. 


Sur la barre du puits s’abattent les corbeaux, et ils descen- 
dent au fond, pour y chercher pâture, en croassant joyeusement. 


Le pont du château facilement tombe, mais encore plus fa- 
cilement se lève; quiconque entre là ne sort plus. 


Il 


À travers la terre des Anglais, chevauchait un noble 
écuyer, un jeune voyageur, appelé Jean de Pontorson. 


GWAZ AUTROU GWESKLEN 


e LES THEGER. Ct 


I 


Eur c'hastel braz ez euz, e kreizik koado Mal; 
Ha dour doun tro-war-dro, ha "neh korn eunn toural : 


Hag er porzlec'h eur puns har hon leun a eskern, 
Hag hueloc’h-huel bemnoz a gresk ar hern, 


Ha war sparl ar puns-ze ar vrini a ziskenn, 
Hag ho boed a glaskont, 0 koaga laouen. 
Pont ar ger a gouez eaz, hag a zav easoch c’hoaz; 
Piou-bennag eza tre na zeu ket mui e-meaz, 
II 


Jentillan marc'heger dre zouar ar Zozon, 
Eur baleer iaouang hanvet lann Pontorson, 


222 CIHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Comme il passait le soir près de leur forteresse, il demanda 
l'hospitalité au chef des sentinelles. 


— Descendez, cavalier, descendez et entrez au château, et 
mettez à l'écurie votre cheval hat: 


Il mangera de l'orge et du foin tout son soûl, tandis que 
vous souperez à table avec nous. — 


Or, tandis qu'il soupait à table avec les hommes d'armes, 
ils ne parlèrent pas plus que s'ils eussent été muets. 


Seulement ils dirent à une jeune fille : — Montez, Biganna, 
pour faire le ht du seigneur chevalier que voilà. — | 








Quand vint l'heure de s’aller coucher, le jeune cavalier alla 
se reposer. 


Le seigneur Jean de Pontorson chantait, dans sa chambre, 
en déposant son cor d'ivoire sur le banc de son lit : | 


— Biganna, ma gentille sœur, dites-moi une chose : Pour- | 
quoi me regardez-vous en soupirant ? 
— $i vous saviez, cher seigneur; si vous étiez à ma place, | 
vous me regarderiez de même en soupirant ; 





War ar pardez Jann noz pa'z ee e-biou ar ger, 
Disand ar penn-gedour e c’houlaz digemer. 

— Diskennet, marc’heger, diskennet deut enn ti, 

Ha laket ho marc'h gel e-harz ar marchosi : 

Hag hei ha foen he walc'h a gavo da zibrin, 

Keit ha ma viot ouz tol o koauian gan-e-omp-nin — 
Ha tre ma voa nuz Lol o koanian gand ann dud, 

Na leverzont mut ger, pvel pa vizent mud. 

Nemed d'eur plac'h iaouang : — it d'al lae, Bisanna, 
Da zevel ar gwele d'ann aotro marc’hek-ma. — 

Hag evel ma oe pred da vonet da gousket, 

Ar marc'heger iaouank da gousket e ma ccl 

Ann aotro Pontorson cnn he gambr a gane, 

Gand he gorn olifant war bankig he wele : N 
— Biganna, va c'honr Jek, livirit eunn dra d'in: 
Peras huanadet enn eur zellet ouz-in ? 

— Ma c'houfec’h, aotro kez ; ma vefec'h lec'h onn-me, 
C'houi a zellfe ouz-in hag huanadefe; 


LE VASSAL DE DU GUESCLIN. 225 


En soupirant, et vous auriez pitié de moi: dessous votre 
oreiller, il y a un poignard; 


Le sang du troisième homme qu'il a tué n’est pas encore 
séché; hélas! seigneur chevalier, vous serez le quatrième ! 


Votre argent, votre or et vos armes, tous vos effets, hormis 
votre cheval bai, sont sous clef. — 


Et lui de glisser la main sous T oreiller, et de retirer le poi- 
gnard ; or, il était rouge de sang. 


— Biganna, chère sœur, sauve-moi la vie, et je te ferai ri- 
che de cinq cents écus de rentes. 


— Je vous remercie, seigneur ; dites-moi seulement : Êtes- 
vous marié, ou ne l’êtes-vous pas? 


— Je ne veux, Biganna, vous tromper en aucune sorte : 
voilà quinze jours que je suis marié. 


Mais j'ai trois frères qui valent mieux que moi; s’il plaisait 
à votre cœur de choisir entre eux? 


— Rien ne plait à mon cœur, ni homme ni argent, à mon 
cœur rien ne plait que vous, mon beau seigneur ; 


C’houi huanadefe, hag ho pefe true : 

Eur c'hour-gleze a zo dindan penn ho kwele; 

Ne d-eo ket seac'h ar goad diouc'h boa laz ann (ride: 
Allaz! aotro marc'hek, c'hout vo ar pevare: 

Hoc'h arc'hant har hoc'h aour, hoc'h arma, hac'h holl draou, 
Nemet ho marc'h fergan, zo dindan ann alveou. — 
Hen da ruzan he zourn dindan ar penn-welead, 

Ha sacha’r c'hour-gleze hag hen ruz gand ar coad. 

— Biganna, va c'honr gez. salv d'in-me ma buhe, 

Ha m'az grai pinvidig a bemp kant skoet leve. 

— Ho trugare! aotro; nemed d'in leveret : 

Hac hen'’m oc'h dimezet? hag hen ne m'oc’h-hu-ket? 
— Ho saouzani ’neb giz, Biganna, ne tell ket: 
Tremenet pemzek deiz aboue ’m'onn dimezet, 

Hogen tri brenr am euz hag he koulsoc'h ha me; 

Mar plije d’ho kalon dibab etre re-ze? 

— D'am c'halon na blij den, na kennebeud arc'hant, 
Na blij tra d'am c'haloun, nemed hoc'h. aotro Koant: 


224: CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Suivez-moi; le pont du château ne nous arrêtera pas; il 
ne nous arrêtera pas, l'homme du guet; il est mon frère de 
lait. — 

En sortant de la cour, le seigneur disait : — Montez. ma 
sœur, en croupe derrière mon fort coursier ; 

Et allons à Guingamp trouver mon suzeraini, pour savoir 
s'il était juste que je perdisse la vie; 

Allons à Guingamp chercher mon droit seigneur Guesclin, 
qu'il vienne mettre le siége devant Pestivien. — 


III 


— Habitants de Guingamp, je vous salue, je vous salue avec 
respect : et mon seigneur Guesclin, au nom de Dieu! où est-il 
par ici ? 

— Si c’est le seigneur Guesclin que vous cherchez, cava- 
lier, vous le trouverez dans la Tour-Plate, dans la salle des 
barons. — 


En entrant dans la salle, Jean de Portorson alla droit au 
seigneur Guesclin. 

— La grâce de Dieu soit avec vous, seigneur, et que Dieu 
vous protège! et protègez vous-même qui est votre vassal. 





Deut-hu gan-in araog; na zalc'ho pont ar Ger: 
Ar £edour na zalc'ho, dre ‘ma d'in breur-mager. -- 
Ann aotro lavare pa" ee'mez ar porz: 
— Deut-hu gan-in, ma c'honr, war lost ma marc'h-emporz; 
Na deump-ni da Wengamp da gaout ma aotro-me, 
Da c'houzout har hen voa gwir d'in Koll ma buhe. 
Deomp da glask da Wengamp ma aotro-reiz Gwesklen, 
Ma teuio da lakat seziz war Bestien. — 

III 
— Gwengampiz, iec'hed d'hoc'h: iec'hed gand aza , 
Nag ann aotro Gwesklen pelec’h’ma, han Douc) 
—- Mar d-eo’nn aotro Gwesklen, marc'heger, a glaskot, 
E sall ar varoned enn tour-plad he gefot. — 
lann euz a Bontorson pa eaz tre er zall, 
Bet’ ann aotro Gwesklen a eaz diraktal : 
— Graso Doue, aotro, skoazel Douc gan-e-hoc'h! 
Har ho skoazel sand neb a zo gwaz gwirion d'hoc'h. 


ren 


LE VASSAL DE DU GUESCLIN. 225 


— La grâce de Dieu soit avec vous-même, qui parlez si 


courtoisement; celui que Dieu protège doit protéger les 


autres. 


Mais que vous faut-il donc? dites-le-moi en peu de mots. 
— [1 me faut quelqu'un qui vienne à bout de Pestivien ; 


Il y a là des Anglais qui oppriment ceux du pays, étendant 
leurs ravages à plus de sept lieues à la ronde ; 


Et quiconque y entre est tuë sans pitié; sans cette jeune 
file, J'étais tué aussi. 


J'étais aussi tué comme tant d’autres; j'ai sur moi le poi- 
saard rouge encore; le voici! — 


Du Guesclin s'écria : — Par les saints de Bretagne! tant qu’il 
Y aura un Anglais en vie, il n'y aura ni paix ni loi! 


Qu'on m'équipe mon cheval, et qu'on m'arme à l'instant; 
et en route! et voyons si cela peut durer! — 


IN 


Le gouverneur du château demandait en raillant, du haut 
des créneaux, au seigneur Guesclin : 


— Grasu Doue gan-e-hoc'h, pa brezeget leal: 

Ann nel hen skoaz Doue a renk skoazan re all; 
Na pez ezom gan-e-hoc’h? distaget ar ger Krenn, 
— Ezom ann neb a Zeu) ahenn euz Pestien; 

Enn han zo potred Zoz, hag a wask tud ar vro, 
Hag à laka trubuil ouspenn seiz leo war dro: 

Ha kement den ia tre e lazont heb true ; 

Paneved ar plac'h-ma me oa lazet ive, 


Me oa lazet ive evel meur à hini; 
M’ ar c'hour-gleze gan-in, hag hen ru, sellet-hui! — 


Gwesklen euz lavaret : m'entoue sent a Yreiz) 
Tra vezo heù eur Soz na vezo peoc’h na reiz) 


Ra sternet-c'hui ma marc'h. ha ma sterner timad : 
M'az aimp d'ezhi raktal, da c'hout hag hen hell pad! — 


IV 


Peunarger "choulenne demeuz heg ar c’hrehal 
Gand ann aotro Gwesklen, war zigare farsal : 


15 





226 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Est-e2 que vous venez au bal, quand vous êtes ainsi équi- 
pès, vous et vos soldats ? 


— Oui, par ma foi! seigneur Anglais, nous venons au bal: 
mais ce n’est pas pour danser, c’est pour faire danser ; 


Pour vous faire danser un branle qui ne finira pas de 
bonne heure; quand nous serons lassés, les démons pren- 
dront notre place. — 


Au premier assaut, les murailles tombèrent, et le château 
trembla jusqu'en ses‘ fondements; 


Au second assaut, trois des tours s'écroulérent, et deux 
cents hommes furent tués, et deux cents autres encore. 


Au troisième assaut, les portes furent enfoncées, et les 
Bretons entrèrent, et le château fut pris. 


Le château est maintenant détruit; le sol a été bien 
aplani ; et le laboureur y passe la charrue en chantant : 


« Quoique Jean FAnglais soit un méchant traitre, il ne 
vaincra pas la Bretagne, tant que seront debout les rochers 
de Maël. » 


— Daoust har hen ’m oc'h-hu deut aman d’eunn abadenu, 
Ha-pa ’m oc'h-hu sternet, hag ho (ud. evelhenn: 


— D'eunn ahadenn omp deut, aotro ar Soz, hch gao, 
Ne ked da gorolli, da zon ann hini eo; 

Da zon eur goroll d’e-hoc'h ha n’achuo abred; 
Kerkent ha ma vimp skuiz, arnodo ann disouled. — 
Abenn ar c'hentan stok ar voger z0 pilet, 

Ha tre-beteg ann doun ar ger e deuz krenet; 

Abenn ann eilved stok, dismantret teir zoural, 

Ha lazet duou chant den ha mui pegement all; 
Abenn ann deirved stok, zo pilet ar persier, 

Hag ar Vretoned tre, ha kemeret ar ger. 

Diskarret eo ar ger; ann douar kompez mad; 

Ha kanan ra ann den zo cno oc'h arat : 

« Jann ar Loz, evit-han da vezan ganaz fall, 

Na c'honezo war Yreiz tra vezo kerrek Mall s 


pare et 


LE VASSAL DE DUGUESCLIN. 297 


NOTES 


Je n'ai pu retrouver dans l’histoire le nom obscur de Jean de Pon- 
torson; mais les rapports que lui donne le poëte avec du Guesclin, la 
protection qu’il lui fait demander au héros breton, comme à son sei- 
sneur suzerain, ne permettent pas de douter de sa réalité historique. 
Du Guesclin était, en effet, capitaine des hommes d'armes de Pontor- 
son, et il possédail, près de cette ville, une terre provenant de la suc- 
cession de sa mère. Le fait du séjour de Bertrand à Cuingamp, et de la 
prière qu'on vint lui adresser pour qu'il alla détruire le repaire des 
brigands auxquels le pays de Tréguier était depuis longtemps livré, est 
de même attesté par les écrivains contemporains -. 

Il ne reste plus aucune trace ni du chateau de Trogoff ni de celui de 
Pestivien; quant aux roches celtiques du tertre de Maël, qu'invoque 
le poëte breton contre la domisation étrangère, elles sont toujours 
debout, elles dominent l’ancien bois de Coatmel et le pays environnant ; 
c'est un amas de pierres énormes superposées, dont le temps n’a pu 
ébranler la masse, et dont l'œil s'étonne comme d'une œuvre de géants. 
A quelques pas de là le laboureur, en menant sa charrue. chante encore 
les vers prophétiques que chantaient ses aïeux. 


1 En Guimgamp est veau, en la ville s'est mis, 
Et là, fut des bourgeois moult forment conjois : 
— Aï! site Bertrand, vous soyez beneiz! 
( Nous avons bien mesher de vous, ce m'est avis; 
Car 1] y a chastiax de Euglois bien remplis, 
Qui tous les soirs s'en viennent jusques à nos courlils, 
Ils nous vont ravissant vaches, moutons, brebis : 
Chastel de Peslien c'est cil qui nous fait pis. — 
Dolent en est Bertrand quand il les a ois..…, 
Quand furent aprestés du tout à leur command, 
De Guimgamp sont issus, à la trompe sonnant : 
Et furent jien six nulle bonnes gens combattant, 
A cheval et à pied, arbalestriers devant. 
re de Bertrund du Guesclin, par Cuvelier, trouvère du quaterzième siècle, €. 4, 
P: 107. 


XXXI 


LE CYGNE 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE —= 


ARGUMENT 


Charles de Blois avait péri à la bataille d'Auray (1364), et Jean de 
Montfort, son rival, était resté maître de la Bretagne. Mais l'amour de 
Jean pour les étrangers qui l'avaient aidé à conquérir le pays, l'accueil qu'il 
leur fit à sa cour, les faveurs dont il les combla au préjudice des hommes 
nés sur le sol breton, ne tardèrent pas à soulever les passions nationales: 
mis en demeure par ses barons ou de chasser les Anglais de la Bretagne, 
ou de quitter lui-même le pays, il choisit le dernier parti, et se retira 
en Angleterre. Charles V crut voir dans la conduite des barons révoltés 
une preuve de sympathie pour la France, et voulut en profiter pour 
changer en pouvoir direct le droit de suzeraineté qu’il avait sur la Bre- 
tagne. Il fit donc déclarer le pays réuni à la couronne de France, et 
y envoya une armée pour faire exécuter l'arrêt de confiscation. Le roi 
“était attendu à n’éprouver aucune résistance des Bretons : il connaissait 
inal cette race, toujours rebelle au joug des conquérants 4, comme s’ex- 
prime un vieil auteur. «Se croyant déjà maître de la Bretagne, dit un 
poëte contemporain, il avait mis sur pied d’élégantes compagnies toutes 
fraiches de gentils Français élégants, qui se réjouissaient à l’idée de 
voir les Bretons venir d'eux-mêmes se soumettre. Il pensait avoir sans 
débat la Bretagne et ses habitants, pour les tondre comme des moutons. 
lls avaient souffert tant de maux en défendant la France contre la ser- 
vitude anglaise! ils étaient si défigurés, si balafrés, si mutilés! Les uns 
étaient devenus borgnes, les autres estropiés; la peau de leur visage 
était comme une écorce; leurs habits tombaient en lambeaux; leurs che: 
vaux étaient morts, leur fortune perdue; ils étaient blessés tous, mais 
plus blessés par devant que par derrière communément. Les Français, 
au contraire, étaient bien peignés; ils avaient la peau douce et fine, et 
la barbe taillée en fourche; ils ne savaient pas de rivaux pour danser en 
salles jonchées ; ils chantaient comme des sirènes; ils étaient tout couverts 
de perles et de broderies ; ils étaient mignons et pimpants, et les Bretons, 
gros, lourds et sots : à l'avis de ceux-ci, cela n'importait guère, Mais quand 
vint le jour décisif, les Bretons, ayant tenu conseil, commencèrent à 
aiguiser leurs épées ; chacun cherchait et fer et bois, harnais, dague, 
cotte d'acier, hache, maillet ou gros bâton à tête ; chacun vendait son 
bœuf et sa vache pour acheter coursier ou cheval (ils craignaient tant 
les nouveaux maîtres!) : c’est qu'ils voulaient défendre leur liberté jus- 


1 Semper contumax regibus (cité par d'Argentré, Histoire de Bretagne, p. 87). 


kia a 


LE CYGNE. 229 


qu'à la mort! Car la liberté est une chose délectable, elle est belle, elle 
est bonne, elle est profitable! Ils avaient horreur de la servitude, quand 
ils voyaient comment elle régnait en France... Ils aimaient mieux 
mourir en guerre que de se mettre, eux et leur pays, en servitude, avec 
leurs descendants 1. » 

Le duc Jean, rappelé d'Angleterre par ses barons, chevaliers, écuyers, 
bourecois, bonnes villes et gens de commun état, s'embarqua pour venir 
se mettre à la tête du parti national. Son retour excila un enthou- 
siasme tel, qu'on vit paysans, bourgeois et nobles se jeter à la mer 
pour aller au-devant du navire qui le portait, et le vicomte de Rohan, 
autrefois l'ennemi le plus acharné de sa politique, chose plus incroyable 
encore, la veuve de Charles de Blois elle-même s’agenouiller sur la 
grève devant le libérateur du pays! «Le duc, allant à eux, les releva 
doucement, dit le poëte déjà cité; 11 Jes embrassa en soupirant, et, 
saluant tout le monde, il pleura. » Puis, sans perdre de temps, et suivi 
désormais d'hommes nés en Bretagne, il marcha à la rencontre de l'armée 
ennemie (5 août 1379). 

Le chant de guerre qu’on va lire, qui m'a été appris par un des com- 
pagnons de Tinteniac et de Georges Cadoudal, du village de kerc hoant, 
dans les montagnes d'Arez, fut certainement composé pour cette circon- 
stance. 


Un cygne, un cygne d'outre-mer, au sommet de la vieille 
tour du château d'Armor! 


Dinn, dinn, daon) au combat! au combat! Oh! dinn! 
dinn! daon! Je vais au combat. 


Heureuse nouvelle aux Bretons! et malédiction rouge aux 
Français! 

Dino, dinn, daon! au combat au combat! etc. 

Un navire est entré dans le golfe, ses blanches voiles dé- 
ployées; 





ANN ALARC'H 


— IES KEANE — 

Eunn alarc'h, eunn alarc h tre-mor, | Neventi vad d'ar Vretoned! 

War lein tour moal kastel Arvor! Ha malloz-ru d'ar C'hallaoued! 

Dinn, dinn, daon! dann emgann! dann | Dinn, dinn, daon: "ann emgann! ann 
[emgann! [emgann! etc. 


Dh! dinn, dinn, daon) d'ann emgann a | Erru eul lestr, e pleg ar mor, 
[eann! | He weliou gwenn gant han digor; 


1 Chronique du bon roy Jehan, édit. de M. Charrière, p. 514 et passim, 


250 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Le seigneur Jean est de retour, 1l vient défendre son pays ; 


Nous défendre contre les Français, qui empiètent sur les 
Bretons. 


Un cri de joie part, qui fait trembler le rivage; 


Les montagnes du Laz résonnent; la cavale blanche ‘ hen- 
nit, et bondit d’allégresse ; 


Les cloches chantent joyeusement, dans toutes les villes, à 
cent lieues à la ronde. 

L'été revient, le soleil brille; le seigneur Jean est de re- 
tour! 


Le seigneur Jean est un bon compagnon; il a le pied vif 
comme l'œil. 


IL a sucë le lait d’une Bretonne, un lait plus sain que du vin 
VICUX. 

Sa lance, quand il la balance, jette de tels éclairs, qu’elle 
éblouit tous les regards ; 

Son épée, quand il la manie, porte de tels coups, qu'il fend 
en deux homme et cheval. 


— Frappe toujours! tiens bon! seigneur duc; frappe des- 
sus! courage! lave-les (dans leur sang)! lave-les! 


Quand on hache comme tu haches, on n’a de suzerain que 
Dieu! 





Digouet ann otrou [ann endro, Ann otrou Lann a 20 potr mad; 
Digouet co da ziwall he vro: Kec prim he droad haz he lagad. 
D'hon diwall doc'h ar Challaoued, Lez eur Vreizadez a zunoz 

\ vac'hom war ar Yretoned. Eul lez ken iarc'h evel gwin koz. 
Ken a losker eur iouaden, Luc'h a dol he c'hoat pan horell. 

À ra d'ann od eur grenaden; Ken a vrumenn ann neh a zell. 

Ken a zon ar meneiou Laz; Pa c'honri klenv, ker kre e zarc'#, 
Ha froen ha drid ar gazek c'hlaz: Ken a zaou-hanter den ha marc'h. — 
Ken a gan laouen ar c'hleier, — Darc'h ato, dalc'h mad, otrou duk, 
Kant leo tro-war-dro, e peb ker, Dao war ’nhe! ai-ta! bug-ho! bug! 
Deut eo ann heol, deut eo ann han; Neb a drouc'h ’vel a drouc’hez-te, 
Peut eo endro ann otrou lann) N'en deuz otrou nemed Douel 


7 La mer, 


LE CYGNE. 251 


Tenons bon, Bretons! tenons bon! ni merci, ni trêve! sang 
pour sang ! 


0 Notre-Dame de Bretagne! viens au secours de ton pays! 
Nous fonderons un service, un service commémoratif! 


Le foin est mûr : qui fauchera? Le blé est mûr : qui mois- 
sonnera ? 


Le foin, le blé, qui les emportera? Le roi prétend que ce 
sera lui ; 
Il va venir faucher en Bretagne, avec une faux d'argent; 


Il va venir faucher nos prairies avec une faux d'argent, et 
moissonner nos champs avec une faucille d'or. 


Voudraient-ils savoir, ces Français, si les Bretons sont des 
manchots? 


Voudrait-il apprendre, le seigneur roi, s'il est homme ou 
Dieu ? 


Les loups de la basse Bretagne grincent des dents, en en- 
tendant le ban de guerre; 


En entendant les cris joyeux, ils hurlent : à l'odeur de 
l'ennemi, ils hurlent de joie. 


On verra bientôt, dans les chemins, le sang couler comme 
de l’eau ; 


Si bien que le plumage des canards et des oies blanches qui 
les passeront à la nage, deviendra rouge comme la braise. 


Dalchomp, Bretoned, dalc'homp mad! | Mar plue gand ar C’hallaoued 


\rzao na true! goad oc'h goad! Daoust hag int mank ar Vretoned? 
Itron Varia Breiz, skoaz da vro! Mar plije cand "nn otrou roue 

Fest erbedenner, test a vo! Daoust hag hen eo den pe Zoue? 
Dare’ ar foen; piou a falc’ho? Skrigna ra bleizi Breiz-izel, 

Dare: ann ed; piou a vedo? U klevet embann ar hrezel, 

MY foen, ann ed, piou ho fako? U klevet ar iou, a iudont : 

\r roue gav gant-hx raio. Gand c'houez ar C’hallaoued a rcont. 
Vont a rai a-benn eur gaouad, Enn henchou, e-berr a welour 

Gand eur falc'H arc'hant da falc'hat; 0 redeg ar goad evel dour, 

Gand eur (alc'h arc'hant er bro-ni, | Ken iei ru-glaou brusk ann houidi, 


Ha gand eur fals aour da vedi. Hag ar wazi gwenn 0 neui. 


232 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

On verra plus de tronçons de lances éparpillés qu'il ny à 
de rameaux sur la terre, après l'ouragan; 

Et plus de têtes de morts qu’il n’y en a dans les ossuaires 
du pays. 

Là, où les Français tomberont, ils resteront couchés jus- 
qu’au jour du jugement ; 


Jusqu'au jour où ils seront jugés et châtiés avec le Traitre 
qui commande l'attaque. 


L'égout des arbres sera l’eau bénite qui arrosera son tom- 
beau! 


Dinn' dinn) daon) au combat! au combat! Oh! dinn! dinn! 
daon! Je vais au combat. 





NOTES 


On voudrait pouvoir en douter, mais la chose n’est pas possible ; le 
chef de l’armée française que l’auteur de ce chant de guerre énergique 
flétrit du nom de fraître n’est autre que la fleur des preux. le héros du 
quatorzième siècle, messire Bertrand du Guesclin ! Il dut tout naturel- 
lement devenir odieux à ses compatriotes du jour où, les Anglais chas- 
sés et le pays restant exposé aux seuls envahissements de la France, il 
fit, lui Breton, cause commune avec les ennemis de la liberté bretonne, 
et commanda l'expédition dirigée contre sa patrie. « Le changement des 
siens à son égard le surprit et lui fut ‘rès-pénible, dit un contemporain. 
En vain essaya-t-il d'y porter remède : dans tous les lieux où il allait, 
les Bretons lui tournaient le dos. Ses parents mêmes étaient chagrins de 
le voir, ainsi en révolte, amener Picards ou Genevois pour combattre son 
vrai seigneur ; ce n’était pas très-noble guerre : ses propres soldats le 
quittaient, pour passer dans l’armée bretonne : tout connétable qu'il 





Muioc'h a dammoù goaf, e skient. Gand ann Trubard a ren ar rustl. 
Eged skoultrou goude barr-went; Ann deveradur euz ar gwe, 

Ha muioc'h a bennou-maro, Bai dour henniget war he ve! 

Eged e karneliou ar vro. Dinn, dimn, daon) d'ann emgann, d'ann 
Potred Gall, elec'h m'a koueint, [emgann! 
Beteg deiz ar varn a c’hourvint ; Oh! dinn, dinn, daon! d'ann emgann a 


Beteg deiz ar varn hag ar fustl, [eann! 


LE CYGNE. 233: 


était, aucun ne lui restait fidèle !. » Ce titre et les autres faveurs dont 
Charles Y l'avait comblé lui firent sacrifier au roi son pays par recon- 
naissance. «Le roi, poursuit l’auteur que je viens de citer, l'avait 
aveuglé par ses dons.» Mais du Guesclin ne recueillit pas le fruit de son 
dévouement à la France. Vaincu en tenant tête à son pays, il se vit 
soupçonner par Charles Y d’infidélité; juste châtiment de la félonie trop 
réelle qui fit exclure son image de la salle des états de Bretagne. Un 
historien de nos jours, a blame la sévérité des états. Dans son étude, 
très-remarquable d’ailleurs, mais trop empreinte des sentiments mo- 
dernes sur le connétable de France, M. de Carné a trouvé la conduite 
de du Guesclin « légitimée par la gloire. » La gloire ne légitime rien, 
mais les regrets du bon connétable lui ont assuré le pardon : ils furent 
si vifs qu'il en mourut ?. Charles Y. alors, « apprenant l’uniou, la réso- 
lution et l'audace des Bretons, se repentit amèrement, dit un chro- 
niqueur, et, craignant de plus grands désastres pour lui et son royaume, 
il offrit la paix à leur duc (1581) 5. » 


1 Guesclin partout où il alloit, 
Encoutre lui Bretons trouvait. 
Car alors qu'il fust connestable 
Nul près de lui n'estoit estable : 
Ainçois le quittoient de tous points, 
Kar à lor duc estoient inclins. 
(Guillaume de Saint-André, éd. de M. Charrière, p. 524.) 


7 Trop grand deuil en son cuer avoit, 
En voyant la dissension 
Estant entre sa nacion 
Et les Françzois que 1l aimoit 
Marri estoil; plus ne povoit. (Id., ibid.) 
5 Karolus Francorum rex, audiens unionem, voluntatem et audaciam Britonum..., doluit 


valde, et (mmt ne deteriora sibi et suo regno contingerent. (Chronicon Briocense; ap. D. Mo- 
2 e, Preuves, t. L col. 55.) 


XXXII 


LA CEINTURE DE NOCES 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE —- 





ARGUMENT 


Owenn Glendour, noble gallois, qui descendait des anciens chefs 
bretons de la Cambrie, résolu de délivrer sa patrie du joug de l’Angle- 
terre, avait mis son espoir dans l’appui de la France. Cet espoir, souvent 
conçu par ses prédécesseurs, mais toujours trompé, se réalisa enfin, 
srace à l’intervention fraternelle des Bretons d’Armorique. Une assez 
grande flotte partit de Brest, sous les ordres de Jean de Rieux, maréchal 
de Bretagne, et alla rejoindre des Gallois, réunis au nombre de dix mille 
hommes près de Caermarthen (1405). 

Après divers succès qui déterminèrent l’armée anglaise à la retraite, 
les Bretons d'Armorique revinrent dans leur pays, se vantant d’avoir fait 
une campagne que de mémoire d'homme aucun roi de France n'avait 
osé faire 1. La ballade qu’on va lire regarde cette expédition; c’est l’his- 
toire à la fois railleuse et tragique d’une femme que son inconstance 
place entre deux maris. 


l 


Le lendemain de mes fiançailles, je reçus l’ordre de mar- 
cher, de marcher à la suite du baron de Rieux; à la suite du 
seigneur baron, et de passer la mer pour aller soutenir, s’il 
y avait moyen, la branche des Bretons d'outre-mer. 





SEIZEN EURED 


1 
Antronoz ma oann dimet e oann-me kemennet; 
Da heulia baron Riek oa red d’in-me monet: 
Da heulia "nn otrou baron ha da dreuzi ar mor, 
U klask harpa, mar geller, bar Bretoned-tre-mor. 


1 Quod non attentaverant facere reges Francia: ex memoria hominum. (D. Lobineau, t.L 
Preuves. p. 366.) , 


LA CEINTURE DE NOCES. 255 


— Viens avec moi, mon page, faire un tour à la campagne ; 
il faut que je prenne aujourd'hui congé de ma fiancée; il faut 
que je prenne congé de ma fiancée ce soir même, ou bien mon 
cœur se brisera de chagrin dans ma poitrine. — 


A mesure qu'il approchait du manoir, il ne faisait que trem- 
bler; quand il entra dans la maison, son cœur battait avec 
violence. 

— Approchez, cher sire, approchez-vous du feu; je vais 
vous préparer une collation. 


— Merci, ma vieille tante, je ne veux point collationner, 
mais seulement parler à votre fille, si vous le permettez. — 

Quand la dame ouit. elle ôta ses chaussures, et monta sur 
es bas sur le banc du lit; 


Elle monta sur le banc, et se penchant au bord du lit : 

— Réveille-toi, mon Aloïda, et lève-toi: réveille-toi, ma 
fille, réveille-toi vite, et sors de ton lit; viens parler à ton 
‘’ancé qui vient d'arriver. — 


A ces mots, la jeune fille s'élançca hors du lit, ses ch. 
veux noirs de jais flottants sur ses épaules blanches comme 
neige : 


— Deuz gan-i-me, va floc’hik, war ar mez da vale; 
Me a renk-me kimiada cand ma mestrez fete; 

Me a renk-me kimiada fenoz gand ma mestrez, 

Pe ma c'halon a ranno em c'hreiz gand ann enkrez. — 


Dre ma tostae ouz ker nemet krena pa re; 

Pa eaz tre harz ann ti, he galon a bike. 

— Tostait, va otrou ker, ha deut etal ann tan; 
Me ia da oza hoc'h-hu hrenn souden askoan. 


— Sal-ho-kraz, va moerep goz, askoan ne c’houlann ket, 
Nemet komza ouz ho merc'h. mar hez d'in otreet. — 
Ann itron dal ’m'he glevaz, a dennaz he houtou, 

Ha: a lammaz war ar bank war zoliou he lerou: 


Lammout cure war ar bank war azel ar gwele : 

— Dihun, ma merc'h Loida, ha sav euz alese; 
Dihun, ma merc'h, dihun mad, ha sav euz da wele; 
Da gomz ouz da zen-iaouank 70 erruet ame. — 


Où ked ar ger achuet, hi a lammaz buhan, 
Diflasket be bleo peur-zu war he diou-skoa gwenn-kann 


236 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE 


— Hélas! ma douce chérie, hélas! Aloïda, il faut que je 
m'embarque, il faut que je vous quitte. 


Il faut que j'aille en Angleterre, que je suive l’armée du ba- 
ron: Dieu seul sait ce que j'ai de chagrin au cœur! 

— Au nom du ciel! mon fiancé, ne vous embarquez pas! 
le vent est changeant, et la mer est traitresse! 


Si vous veniez à mourir, que deviendrais-Je ? Dans l'impa- 
tience de recevoir de vos nouvelles, mon cœur se briserait; 
j'irais tout le long du rivage, d’une chaumière à l’autre : — 
Avez-vous entendu parler, mariniers, entendu parler de mon 
fiancé? — | 


La jeune fille pleurait: il essaya de la consoler : 

— Taisez-vous, taisez-vous, Aloïda, ne pleurez pas sur mot ; 
je vous rapporterai une ceinture d'au delà de la mer, une 
ceinture de noces de pourpre, étincelante de rubis. — 


On eût vu le chevalier assis près du feu, sa bien-aimée sur 
ses genoux, la tête penchée, les deux bras passés autour de son 
cou, pleurant en silence, dans l'attente du jour qui devait le 
séparer d'elle. 


Quand l'aurore vint à paraître, le chevalier lui dit : — Le 





— Siouaz d'in, va c'haredik, siouaz d'in, Loda. 

Me a renk mont war ar mor, ma a renk kimiada. 

Me a renk mont da vro-Zaoz da heul ost ar baron, 

N'euz nemed Douc a oer mar zo Keun em c'haion, 

— Han oue) ma den-iaouank, na eet keL war ann dour: 
Ann avel a 20 edro Marg ar mor 20 traitour. 


Ma teufe d'hoc'h da vervel, petra ve ac hinon 

0 Kaout kelou ouz-hoc'h rannafe ma c'halon: 

G vonet gand ann ojou deuz ann eil loj d’e-benn : 
— Klevet hoc'h-euz, merdaidi, Klevet roud euz ma den? — 
Ar piac'h iaouang a oele; hen en deuz he reget : 

— Tevet, Levet, Loida, ouz in na oelet ket, 

Eur zeien a zasinn d'hoc'h demeuz glaz-aleuret, 

Eur zeien eured a vouk hag hi rumenluiet. — 

Neb a welze ar marc'hek ’nn he gaonze tal ann tan, 
He vuia-karet soublik war benn he c’hlin gant han, 
Gant hi e kerc'hen he c'houg he divrec'h, oc'h oela, 
Heb laret ger, o c'hortoz ann de da gimiada. 


Ha pa baraz ar goulou, ar marc'heg a lare : 


LA CEINTURE DE NOCES 231 


coq chante, ma belle, voicile jour. — Impossible! mon doux 
ami, impossible ; il nous trompe; c’est la lune qui luit sur 
la colline. 

— Sauf votre grâce, j'aperçois le soleil à travers les fentes 
de la porte ; il est temps que 16 vous quitte, 1l est temps que 
j'aille m'embarquer. — 

Et il s’éloigna; et sur son passage les pies caquetaient : (Si 
la mer est traitresse, les femmes le sont encore plus! » 


IT 


A la Saint-Jean d'automne, la jeune fiile disait : 

— J'ai vu au loin sur la mer, du haut des montagnes d’A- 
rez; j'ai vu au loin sur la mer un navire en danger ; et debout 
sur l'arrière était celui qui m'aime. 

Il tenait à la main une épée; 1l était engagé dans un combat 
terrible, 1l était entouré de morts, et sa chemise pleine de 
sang. C'en est fait de mon pauvre ami! c'en est fait! disait- 
elle. — Et aux prochaines étrennes, elle était fiancée à un 
autre. 


Cependant des nouvelles, d’heureuses nouvelles arrivèrent 
au pays : La guerre est terminée! le chevalier est de retour! 


— Kana a ra ar chillok, ma dous, setu ann de. 
— Ne C'hall) va muia Karet, ne c'hali) gaou a lavar; 
Nemed al loar war ar roz, nemed al loar a bar. — 


— Sal-ho-kraz, me wel ann heol dre volzennou ann nor; 
Dred eo d'i-me kimiada, pred eo d'in mont war vor. — 

Hag hen kuit: ha tre’ ma ee gregache ar biked : 

« Evid ar mor bout traitour, traitouroc'h ar merc'hed. » 


IT 


Da wel-lann-dibun-ann-est, ar piac'h a lavare : 

— Pell war ar mor e weliz euz beg menez ire, 

Pell war ar mor e weliz eul lestr hnv hen war var; 
Hini oa war ann aroz hennez hini aim c'har. 


Gant han eur c'hlenv nn he zorn, hag hen e gwall stourmad: 
Tud varo endro d’ezhan, he rochell leun a wad. 

Achu eo gand ma den paour! achu! e lavare. — 

Ha d'ann eginan neve on dimet darre. 

Ken a oe kaset kelou, kelou mad dre ar vro : 

— Achuet eo ar brezel! deut ar marc'heg endro: 


258 CHANTS POPULAIRES DE LA PBRETAGNE. 


Il est de retour chez lui, le cœur gai et dispos, et, dès ce 
soir, il part pour aller revoir sa fiancée. — 


Comme il approchait, il entendit le son des rotes, et vit 
rayonner le manoir de l'éclat des lumières : 

— Étrenneurs joyeux qui courez les campagnes, qu'y a-t-il 
de bon au manoir d'où vous sortez? qu'est-ce que cette mu- 
sique que j'entends? 


— Ce sont les joueurs de rote, seigneur, qui jouent deux à 
deux : « Voilà la soupe au lait (des noces) qui passe le seuil de 
la porte. » Ce sont les joueurs de rote, qui jouent trois à trois : 
« Voilà la soupe au lait qui entre en la maison! » 


[II 


Or, comme les mendiants, invités à fa noce, étaient à table, 
au manoir, arriva un pauvre truand demandant l'hospitalité. 

— Pourriez-vous me donner à manger et à coucher; voici 
la nuit, je ne sais où aller. 


— Sûrement, pauvre cher truand, on vous donnera à cou- 
cher, et, de plus, vous souperez à table avec les autres : ap- 


Deut eo endro d'ar maner, hag hen dren ha divank; 
Mont a ra enn noz genta da ved he blac’h iaouank, — 


Dre ma ’tostae ouz ker ’£leve son ar c’houitou, 
Luc'ha wele ar mner gand ar goulouennou : 

— Eginanerien laouen, ha pa m'oc'h war vale, 

Pez a vad e lec'h hoc'h bet? pe son a glevann-me? 


— Son xY c'houitourien, otrou, o sini daou ha daou: 
« Ema ar zouben dre lez 0 vont war ann treuzaou, » 
Son ar c'houitourien, a-vad. 0 sint tri a tri: 

x Ema ar zouben dre lez o vont tre harz ann ti. » — 


III 


Pa oa peorien ann cured ouz ann dol er maner. 
Erruaz eunn truant kez 0 c'houlenn digemer. 
— Ha me halte kaout boed ha bout digemeret; 
Setu ann abarde-no7, n’ouzonn pelec'h monet. 


— Eleal, paour kez truant, digemer e kerot, 
Ha kevret gand ar re all ouz ann dol e koaniot; 


LA CEINTURE DE NOCES. 939 


prochez donc, brave homme; entrez dans la maison; mon 
mari et moi nous allons vous servir. — 


Au tour de danse qui suivit le premier service, la mariée Jui 
demanda : — Qu'avez-vous, mon pauvre homme, que vous ne 
dansez pas? — Rien du tout, ma dame; si je ne danse pas, 
c’est que je suis étourdi par la fatigue du chemin. — 


Au second tour de danse, la mariée lui demanda encore : 

— Vous êtes donc toujours fatigué, brave homme, que vous 
ne dansez pas? — Oui, ma dame, je suis toujours las; je suis 
las, et de plus j'ai un poids sur le cœur. — 

Au troisième tour de danse, souriant d’une façon charmante, 
elle lui dit : Venez danser avec moi. — C'est un honneur, ma 
dame, que je ne mérite point; cependant Je l’accepte; per- 
sonne n'aurait l'impolitesse de ne pas accepter. — 

Or, tandis qu'ils dansaient, se penchant vers elle, il lui mur-- 
(nra à l'oreille, en riant d’un rire verdâtre : — Qu'avez-vous 
fait de la bague d’or que vous recçütes de moi, au seuil de la 
porte de cette salle même, il y a un an jour pour jour? — 

Elle joignit les mains, en élevant les yeux au ciel, et s’écria : 

— Mon Dieu! jusqu'ici j'avais vécu sans chagrin, je pensais 





Tostait eta, den mad, ha deut tre harz ann ti, 
Va fried Kerkent ha me ni ia d’ho servichi. —- 
Benn ar c'hentan diaze, hi e deuz goulennet: 
— l'etra c'hoarv gen-hoc'h, paour kez, ha pa na zanset ket? 
— Netra c’hoarv gan-iu, itron, pa na zansann ket-me, 
Nemet sabatuet onn gand skuizder 0 vale. — 
Benn ann eilved diaze e c’houlennaz gant han : 
— Skuiz em 'oc'h ato, den mad, pa na zanset breman ? 
- Skuiz ein onn ato, a-vad, pa na zansann, itron, 
Skuiz em onn, hig ouspenn-ze tenn eo war ma c'halon, — 
Denn ann deirved diaze, enn eur c'hoarzin eleal, 
Ai à lavaraz d’ezhan : deut gan-in da zansal. 
— Houn-nez eo d'in eunn inor ha na zelleann ket, 
llogen na ion d'ho tinac'h, na den seven e-bet. — 


Ha tra ma oant gand ar bal, war he zu o stoui, 
’Grosmolaz e pieg he skouarn, 0 c'hoarzin-glaz out hi: 
— Palce’'ma ar walen aour poa het digan-i-me, 

War dreuzou-dor ar zall-ma, bloa z0, de evid de? — 


Har hi kroaza he daounrn o sellet tre ma "nn nec'h: 
— Bete vreman, ma Doue, am boa bevet dinec’h! 


240 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


être veuve, et voilà que j'ai deux maris! — Vous pensiez mal, 
ma belle, vous n'en avez aucun! — 


Et il tira un poignard qu'il tenait caché sous sa veste, et il 
en frappa la dame au cœur si violemment, qu'elle tomba sur 
ses deux genoux, la tête en avant : — Mon Dieu! dit-elle, 
mon Dieu! — Et elle mourut. 


IV 


Dans l’église de l’abbaye de Daoulaz. il Y a une statue de la 
Vierge, portant une ceinture étincelante de rubis, venue d’au 
delà de la mer. Si tu désires savoir qui lui en a fait don, de- 
mande au moine repentant qui est prosterné à ses pieds. 


NOTES 


Cette façon de dire que le chevalier, trahi dans ses affections ter- 
restres, tourna ses pensées vers le ciel en prenant la Vierge pour dame, 
est délicate et charmante. La manière dont il apprend son malheur par 
la rencontre fortuite des joyeux éfrenneurs n’est pas moins curieuse. 
On donne le nom d’éfrenneurs à de pauvres gens qui se réunissent toutes 
les nuits par troupes, à l’époque de Noël, en plusieurs cantons des mon- 
taones et ailleurs, et vont quêter de village en village, en chantant une 
vieille chanson dialoguée dont le refrain est: Eghinanë ! eghinanè ! (dans 
le dialecte vannetais eghinaneu !) c'est-à-dire : des étrennes! des éirennes! 
lequel refrain, changé en Aguilaneuf, devait faire longtemps le déses- 
poir des étymologistes. Leur quête achevée, les pauvres la chargent sur 
un vieux cheval qui les suit, et l’apportent chez l’un d’entre eux, où ils 
se la partagent. 


Me venne bout intanvez ha hoez d'in daou hried) 

— Gwall vennet hoc'h-euz, va dous, n'hoc'h euz hint e-bet!— 
Hag hen da denn eur c’hour-glenv deuz didan he jupen, 

Ha da sket gand ann itron bete poul he c'herc'hen, 

Ken e teuaz da stoui war he daoulin soublik : 

— Ma Doue, me, ma Douel — hag hi da vervel-mik. 


IV 


E Daoulaz zo eur Werc'hez e iliz "nn abatti 

Eur zeien glaz. aleuret rumenluiet gat-hi. 

Mar L'euz-te c'honnt da c'houzout piou en deuz he gwestlet, 
Doul gand ar manac'h nec'het zo a-is hi stouet, 


LA CEINTURE DE NOCES. 241 


J'ai écrit sous la dictée du chef de la bande le dialogue traditionnel 
qu'ils chantent, dans leur tournée, à la porte de chaque maison, et je le 
donne plus loin, à sa place, parmi les Cuanrs DE FÊTES de ce recueil, 

Mais la fiancée crut-elle véritablement à la mort du chevalier? ne 
mentait-elle pas, en peignant le combat naval où il devait avoir péri? 
Ce qu'il y a de certain, c’est que, l’année même dont il est question, 
une flotte bretonne battit une flotte anglaise à quelques lieues de Brest. 
« Le combat fut terrible, dit l'historien célèbre des ducs de Bourgogne, 
et animé par la vieille haine réciproque des Anglais et des Bretons. » Le 
chevalier pouvait s’y trouver. Son séjour et celui de ses compagnons de 
ouerre chez les Bretons du pays de Galles expliqueraient aussi pourquoi 
l'on rencontre dans notre ballade une strophe tout entière d’une chanson 
nouvellement composée, et très en vogue chez les Gallois à l’époque où 
il y était. Le héros et l’auteur de la chanson galloise, qui est le barde 
Davydd-ap-Gwilym, joue un role semblable à celui du héros de la ballade 
bretonne quand ce dernier prend congé de sa maîtresse : 

« — Ma charmante, lui dit-il, à toi qui brilles comme les champs 
que blanchit le duvet des plantes, j’aperçois la lumière du jour à travers 
les fentes de ta porte. 

— C'est la nouvelle lune, et les étoiles qui scintillent, et la réflexion 
de leurs rayons sur les piliers. 

— Non, ma belle, le soleil luit; il fait grand jour. » Le génie de 
Shakspeare devait éterniser cette scène dans Roméo et Juliette : 


"Tis not the lark, it is the nightingale. 
« Ce n’est point l’alouette, c’est le rossignol. » 
Les colombes du pays de Galles, dit gracieusement M. Magnin, avaient 


gazouillé à l'oreille du grand poëte anglais les douces paroles du barde 
cambrien. 


16 


XXXJII 


AZENOR LA PAL 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Les titres généalogiques des Kermorvan nous apprennent qu’un seigneur 
de cette famille, nommé Ives, épousa, en l’année 1400, une héritière de 
la maison de Kergroadez, appelée Azénor 1; mais ces titres n’entrent dans 
aucun détail sur leur union. D’après un poëte populaire de Cornouaille, 
Azénor, qu'il surnomme la Péle, aimait un cadet de famille du manoir 
de Mezléan, qu'on destinait à l’état ecclésiastique, et elle aurait épousé, 
si ses parents, qui souhaitaient pour elle une plus riche alliance, n’y 
avaient mis obstacle en la forçant de donner sa main à Ives de Kermor- 
van. On va voir comment les projets qu’ils fondaient sur ce mariage se 
réalisérent. 


l 


La petite Azénor la Pâle est fiancée, mais elle ne l’est pas à 
son plus aimé ; 

La petite Azénor la Pale est fiancée, mais à son doux clerc 
elle ne l’est pas. 





AZENORIK-C’HLAZ 


MES KEANE 


1 Ne d-e0 ked d'he muia-karet; 


Azenorik-c'hlaz zo dimet, 
Azenorik-c'hlaz z0 dimet, D'he dousik kloarek, ne d-eo ket. 


1 Réformation de la noblesse de Bretagne; t. I, p. 68. 


Q 


AZÉNOR LA PALE, 24 


Il 


La petite Azénor était assise auprès de la fontaine, vêtue 
d’une robe de soie jaune; 

Au bord de la fontaine, toute seule, assemblant des fleurs 
de genût, 

Pour en faire un joli bouquet, un bouquet au clerc de 
Mezléan. 

Elle était assise près de la fontaine, lorsque passa le sei- 
gneur lves, 


Le seigneur [ves sur son cheval blanc, tout à coup, au grand 
galop; 

Tout à coup, au grand galop, qui la regarda du coin de 
l'œil : 

— Celle-ci sera ma femme, ou, certes, je n’en aurai point. — 


III 


Le clerc de Mezléan disait aux gens de son manoir, un jour : 
— Où ya-t-ilun messager, que j'écrive à ma douce amie? 


— Des messagers, on en trouvera, mais ils arriveront trop 
tard. 


Kerkent, enn eur redaden vraz, 
Il |: Hag out-hi dam-zellet à renz : 


— Hou-man a vezo va fried, 


"Zenorik oa tal ar feunten 
k Pe n'am ho, "vit gwir, groeg e-bedl — 


Ha gant-hi eur vroz sei melen; 
War lez ar feunten, he uuan, 


0 pakat cno bleun halan, U) 

Da oher eur boukedik koant, | Kloarek Mezlean a lavare 

Eur bouked da gloarek Mezlean, | Da dud he vaner, cnn de oc: 
Bout e oa hi tal ar feunten, — Pelec'h cuz eur e’hemengader, 


Pa dremenaz "nn otrou louen, Ma skrifenn d'am dous eul lizer 7 
’Nn otrou louen, war he varc'h glaz, — Kemengaderien vo kavet, 


Kerkent, enn eur redaden vraz: Hogen e vint re ziveed, 





(1 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


w 


— Ma petite servante, dites-moi, qu'y a-t-il d'écrit 1617 
— Azëénor, je n’en sais rien, je n'ai jamais été à l’école; 
Azénor, je n’en sais rien; ouvrez la lettre, et vous verrez. -— 
Elle la posa sur ses genoux, et se mit à lire. 


Elle n’en pouvait venir à bout, tant elle avait de larmes aux 
yeux. 


— Si cette lettre dit vrai, il est sur le point de mourir! — 


IV 


En parlant de la sorte, elle descendit au rez-de-chaus- 
sée. 

— Qu'y a-t-il de nouveau dans cette maison, que je vois au 
feu les deux broches? 


Que je vois les deux broches au feu, la grande et la pe- 
Lite? 


Qu'y a-t-il de nouveau céans, que les ménétriers arri- 
vent? 

Que les ménétriers arrivent et les petits pages de Ker- 
morvan. 


— Ce soir, il n’y a rien de nouveau céans, mais vos noces 
ont lieu demain. 


— Va matezik, d'in leveret. | LY 


Na petra zo ama skrivet? Ne oa ked he c'homz peurlaret, 


— Azenor, me na ouzonn ket, Pe d'al leur-zi oa diskennet. 


Biskoaz e skol ne onn-me bet; — Petra neve zo'enn/ti-man 
Ar 


Azenor, me na ouzonn ket, Pa welann "nn dauu ver ouz ann tann? 


Digoret-han, hag e welfet. — Pa welann "nn daou ver ouz ann tan, 


Pe oa laket war he barlen, No hint braz ha ‘nn hint bihan? 
‘’Lenorik a zeuaz d'he lenn, | Petra neve z0 enn ti-man, 

Ne oa ked evid he lenn mad, Pa erru sonerien aman? 

Gand daelou euz he daoulagad, Pa erru sonerien aman, 

— Ma lavar gwir al lizer-man, Ha pachigou à Germorvan. 

Ma-hen tost da vervel breman! — — Enn ti-man n’euz neLra henoaz, 


Nemed ho eured 20 arc'hoaz. 


AZENOR LA PALE. 2%) 


— Si mes noces ont lieu demain, je m'irai coucher de 
bonne heure, 


Et je ne me lèverai que pour être ensevelie. — 

Le lendemain, à son réveil, entra sa petite servante ; 

Sa petite servante entra et elle se mit à la fenêtre : 

— Je vois sur le chemin une grande poussière qui s’élève, 
et beaucoup de chevaux qui viennent ici : 

Messire Yves est à leur tête, puisse-t-il se casser le cou! 

A sa suite, des chevaliers et des écuyers, et une foule de 
gentilshommes le long du chemin. 


Il monte un cheval blanc, qui porte sur le poitrail un har- 
nns doré; 


Un harnais dorë tout du long, et sur le dos une housse de 
velours rouge. 


— Maudite soit l'heure qui l'amène! maudits soient mon 
père et ma mère tout les premiers! 


Jamais les jeunes gens, en ce monde, ne feront ce que leur 
cœur désire. — 


V 


La petite Azénor la Pâle pleurait en allant à l'église ce jour-là. 





Ha Kalz tudientil hed ann hent. 


Ha dindan-han "nn inkane gwenn, 
Eur stern aouret war he gerc’hen; 


— Mar d-e0 benn-arc'hoaz ma eured, 
Mont a rinn a-bred da gousket, 


Hag ac'hann ne zavinn ket, 


Ken da lienna vinn savet. — Eur stern alaouret penn-da benn, 


Tronoz beure pa zihunaz, Eunn dinr voulouz ru war he gen. 


He matezik-gambr erruaz; — Malloz d'ann heur e Leu aman) 


He matezik-gambr erruaz, 
Hag er prenestr enem lakaz : 


— Me wel ann hent, ha poultr enn han, 
Gant kalz ronsed o tont aman: 


Ann otrou louen ’penn-kentan, 
Ra vo torret he c'houg gant-han ! 


D'he heul, ha Hec'h ha marc'heien 


D'am zad, d'am mamm, ar re gentan! 


Difennet eo d'ann dud iaouank 
Da heulia, er hed-man, ho c'hoant, — 


v 


Azenorik-c'hlaz à oele 
0 vont d'ann iliz ann de-se. 


246 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


La petite Azenor demandait, en passant près de Mezléan : 


— Mon mari, s’il vous plait, j'entrerai un moment dans 
celte maison. 


— Pour aujourd'hui, vous n’entrerez pas; demain, si cela 
vous fait plaisir. — 

La petite Azénor pleurait amèrement, et personne ne la 
consolait ; | 

Et personne ne la consolait que sa petite servante : 


— Taisez-vous, madame, ne pleurez pas; le bon Dieu vous 
dédommagera. — 


La petite Azénor pleurait auprès de l'autel, à midi; 

De l'autel à la porte de l'église, on entendait son cœur se 
fendre. 

— Approchez, ma fille, que je vous passe l'anneau au doigt. 


— M'approcher me semble bien dur; je n'épouse point 
celui que j'aime. 

— Petite Azënor, vous péchez, vous épousez un homme 
comme 1l faut; 

Un homme qui a de l'or et de l'argent, et le clerc de Mez- 
léan est pauvre. 

— Quand je serais réduite à mendier avec lui mon pain, 
cela ne regarde personne! — 





Azenorig a c'houlenne, | E-tal ann oter, da greiz-te; 

A-biou Mezlean pa dremene : | Adal ‘nn oter bet "ann nor zal, 

— Va fried, mar plij gen-hoc’h-hui, : Oa kievet he c'halon strakal. 

Me iel’ eunn tammik tre cnn ti. — Tostait, ma merc'h, em c'hichen, 
— Evit fe-te na iefec’h ket ; | Lakfenn war ho pez ar walen. 
Arc'hoaz e iefec’h, mar keret.— — Poan 20 gan-in tostat aman, 
Azenorik dru a oele, | Pa n'am euz ann hini garann. 

M k . | s x 

Ne gave den he frealze; — Azenorik, pec’hi a ret, 


Ne gave den he frealze, Eunn den a-feson hoc’h euz bet; 


"Med he matezis, hi a re : | berc'hen enn arc'hant hag eun aour, 
— Tevet, itron, na oelet ket, Ha kloarek Mezlean a z0 paour. 
Gand Douo viot digollet. — — Pa Yenn gant han 0 klask ma boed, 


Azenorik c'hlaz à oele Ze na ra tra da zen e-bed! — 


» M 


AZENOR LA PALE, 247 


VI 


La petite Azénor demandait, en arrivant à Kermorvan : 
— Ma belle-mère, dites-moi, où mon lit est-il fait? 


— Près de la chambre du chevalier noir; je vais vous y con- 
duire. — 


Elle tomba violemment sur ses deux genoux, ses blonds 
cheveux épars; 


Elle tomba à terre, l’âme brisée de douleur. — Mon Dieu! 
ayez pitié de moi! — 


VII 


— Madame ma mère, s’il vous plaît, où est allée ma femme? 


— Be coucher dans la chambre haute; montez-y et conso- 
lez-la. — 


Quand il entra dans la chambre de sa femme : — Bonheur 
à vous, dit-elle, 0 veuf! 

— Par Notre-Dame et la Trinité! est-ce que vous me prenez 
pour un veuf? 


— Je ne vous prends point pour un veuf, mais dans peu 
vous le serez. 


VI 


Azenorig a c'houlennaz 

E Kermorvan pa zigoueaz: 

— Va mamm-gaer, d'in-me leveret, 
Pelec’h e ma va gwele gret. 

— Bout ma tal kambr ar marc'hek-du ; 
Me ia d’hen diskouez d’hoc’h doustu. — 
War he daou-lin n’em strinkaz krenn, 
Dispafalet he bieo melen; 

War ann douar, gant gwir enkrez: 

— Ma Douel ped ouz-in truez! — 


VII 
— Va mamm itrou, ha me ho ped, 
Pelec'h e ma oet ma fred. 
— Er gambr d'ann nec'h e ma Kousket: 
Eet-hu di hag he frealzet. — 
Pa zeuaz tre’ Kambr he hint : 
— Eur-vad d’hoc’h, intanv, eme-hi, 
— Itron Varia hag ann Drinded 1 
Evid intanv am c'hemeret? 


— 'Vid intanv n’ho kemerann ket, 
Hogen e berrig e viet, 


LA 


48 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Voici ma robe de fiancée, qui vaut, je pense, trente écus, 

Ce sera pour la petite servante, à qui j'ai donné bien des 
peines, 

Qui portait des lettres perdues... de Mezléan chez nous, 
mon mari. 

Voici un manteau tout neuf que m'a brodé ma mère; 

Celui-ci sera pour les prêtres, afin qu'ils prient Dieu pour 
mon àme. 

Quant à ma croix et à mon chapelet, ils seront pour vous, 
mon mari ; 

Gardez-les bien, je vous en prie, comme un souvenir de vos 
noces. — 


VIN 


— Qu'est-il arrivé au hameau, que les cloches sonnent en 
tintant? 

— Azénor vient de mourir, la tête sur les genoux de son 
mari. — 

Au manoir du Hénan, sur une table ronde, a été écrite 
cette ballade; 

Au manoir du Henan, près de Pont-Aven, pour être à tout 
jamais chantée. 

Le harde du vieux seigneur la composée,.et une demoi- 
selle l’a écrite. Ç 


Setu aman hroz ma eured, 
A dal, a gredann, tregont skoed ; 


Ma zalc'hec'h sonj cuz ho eured, — 


Hou-man vo d'ar vatez vihan, BIS 


E deuz bet gan-in kalzik poan, 
A zouge lizeriou Kollet... 
A Vezlean d'hon zi, va fried. 


Setu eur vantel neve flamm 
Zo bet brodet d'in gand va mamm; 


Hou-man vo roet J'ar veleien. 
Da bedi Doue’vid on-men. 


VIL va C'hroaz ha va chapeled, 
Ar re-ze vo d'hoc'h, ma red: 


Miret-ho mad, ha me ho ped, 


| — Petra zo digouet er ger-me, 
| Pa zon ar c'hloc'h war he goste? 


— Azenor mervel e deuz gret, 

He enn war harlen he (ried. — 
Maner Henan, war eunn dol grenn, 
E ma bet skrivet ar wers-men; 
Maner Henan, tal Pond-Aven, 

Da vut kanet da virviken. 

Barz ann otrou kouz he zavaz, 

Hag eunn demezel he skrivaz. 





E AZENOR LA PALE. 210 


NOTES 


J'ai vu la fontaine au bord de laquelle Azénor cueillait dés fleurs 
pour en faire un bouquet à « son doux clerc de Mezléan, » quand le 
seigneur de Kermorvan passa et flétrit d’un regard son bonheur et ses 
fleurs d'amour. Mezléan est en ruines; il n'en reste plus qu’un portail, 
défendu par une galerie à créneaux et à mâchicoulis. Mais on se de- 
mande sil ne faut pas corriger Mezléan par Kerléan. C'est la question 
que me suggère M. Pol de Courcy. à l’obligeance duquel je suis redevable 
d'une rédaction de la ballade où les noms diffèrent de la mienne. Le 
seigneur Îves, pour conduire sa femme, de Kergroadez à Kermorvan. 
devait effectivement passer plutôt devant Kerléan, qui est à une lieue 
de Kergroadez et précisément sur le chemin de Kergro adez à Kermor- 
van, que devant Mezléan, assez éloigné de là. Une question plus grave 
se présente: Azénor a-t-elle pu mourir de chagrin le jour même de ses 
noces, quand elle paraît être la source d’où découlent tous les Kermorvan, 
maintenus à la réformation de 1669? Il n'est pas jusqu'à l’épilogue qui 
ne soulève une délicate question historique : l’auteur termine sa ballade 
en nous apprenant qu'il l’a composée au château du Hénan, et qu'une 
demoiselle (peut-être une des filles du sire de Guer, à qui devait appar- 
tenir alors ce château) l’a écrite sous sa dictée. Voyageait-il dans le pays 
de Léon lorsque l'événement eut lieu? L’a-t-il appris de quelque ma- 
telot léonnais débarqué en Cornouaille ? On s’épuiserait en conjectures ; 
mais l’auteur lui-même offrirait matière à bien des suppositions. Son 
existence est un problème, Comment se trouve-t-il encore en Bretagne, 
à la fin du moyen âge, un seigneur qui a son harde domestique? Le 
poëte venait-il de Galles et fuyait-il les persécutions auxquelles les gens 
de son état se trouvaient en butte à cette époque désastreuse de U histoire 
de son pays? Édouard en avait fait emprisonner un grand nombre. Ses 
successeurs renouvelaient ses ordonnances. « Que ménestrels, bardes. 
rimeurs et autres vagabonds gallois, disaient-ils, ne soient désormais 
soufferts de surcharger le pais, comme a été devant; mais soient-ils 
outrément défendus, sous peine d'emprisonnement d’un an 4.» Et les 
cachots ne désemplissaient pas. 

« Plus d'asile pour nous, s’écrie un de ces bardes! plus de refuge! 

« Plus de voie pour fuir notre lamentable destin ? ! » 

Quelques-uns n’auraient-ils pas alors, comme autrefois leurs pères, 
cherché un asile en Armorique? Nous n’en avons aucune preuve, mais la 
chose n’est pas impossible. En tous cas, l’épilogue d’Azénor nous atteste 
qu'au commencement du quinzième siècle, comme au sixième, comme au 
dixième 5, on entretenait, à leur égard, en basse Bretagne une ombre de ce 
qui existait au pays de Galles à la même époque, fait intéressant à noter. 


4 Les Ordinances de Galles, n° vi, et Records. of Carnarvox, ne v, L 81 (S. x1vh 
2 Myvyrian, L L p. 596. 
5 Voyez plus haut, p. 125 et 129, 


XXXIV 
LES 
JEUNES HOMMES DE PLOUYÉ 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Au siècle de l’union de la Bretagne à la France éclata, en Cornouaille, 
une insurrection violente des campagnes contre les villes. Un chanoine 
de Quimper, du temps de la Ligue, est le seul historien qui nous ait 
transmis le souvenir de cet événement : il assure en avoir «trouvé mé- 
moire en certain livret de vélin et ancien manuscrit ; ce qui est pos- 
sible. Mais son amour pour sa ville natale, où les insurgés mirent le feu, 
et sa haine pour la paysantaille, comme il qualifie dédaigneusement les 
braves habitants des campagnes, ne permettent pas de douter de sa par- 
lialité, 

«En Tan 1450 on 1489 (la date lui paraît incertaine), il y eust, dit-il, 
un grand soulèvement en cet évesché (de Cornouaille) de la populace 
contre la noblesse et communauté des villes, leur intention et but estant 
de demeurer libres et affranchiz de toute subjection et tailles et pensions 
annuelles qu'ils payoient à leurs seigneurs, et de revendiquer la pro- 
priété de leurs terres. Ceste commune effrenée et en très-grand nombre 
prist sa source au terroir de Karahez, sous la conduite de trois frères 
paysans qu'on dit originaires de Plouyé, dont l’un avait nom Jahan. Or 
les rustiques, ne voyant aulcune résistance, et que tout le monde s’en- 
fuyait devant eulx, ils pensoient déjà avoir tout gaaigné, et vinrent peu à 
peu jusques à Kemper-Corantin, qu'ils osèrent bien attaquer, et y entrè- 
rent le mercredi pénultiesme jour de juillet de l’an 1450 (ou 1439). C’est 
une chose bien asseurée qu'ils la pillérent et y fisrent beaucoup d’inso- 
lences, et cela est assez croïable à ceux qui cognoissent combien une 
paysantaille qui a l’advantage est cruelle et inexorable ; ils n’espargnèrent 
pas les habitants, et firent tous les aultres actes d’hostilité qui sont 
coustumiers à ces barhares, » 

D’après un poëte paysan contemporain, dont les chants sont encore 
populaires à Plouyé et aux environs, ou j’ai recueilli celui qu’on va lire, 
la cause de l'insurrection fut la détermination prise par la noblesse fran- 
çaise des villes de Cornouaille de substituer, à l’égard des colons de ses 
domaines, la loi féodule de France au régime véritablement libéral de la 
coutume du pays En basse Bretagne, où # n'y eut jamais de serfs, 
comme M. A. de Courson l’a démontré, le contrat qui liait le propriétaire 
au colon était tout à l’avantage de celui-ci: c'était le bail à domaine 


: 


LES JEUNES HOMMES DE PLOUYÉ. 251 


congéable, que l’Assemblée constituante maintint comme non entaché de 
féodalité, Le propriétaire, en retenant la propriété du fonds, transportait 
les édifices et superfices, moyennant une certaine redevance, avec la 
faculté perpétuelle de congédier le preneur, en lui remboursant les amé- 
liorations. La redevance était généralement minime, et le fond Laillé 
très-considérable ; le colon n’était inféodé à personne, et ne devait de 
services qu’en raison des liens qui l’attachaient à la propriété. Quant au 
droit de congément, que les seigneurs bretons, fidèles à l'esprit de clan, 
n’exerçaient jamais, dans le cas où il aurait eu lieu, non pour convertir 
les domaines en fermes, comme faisaient les Français établis en Bre- 
tagne, mais pour donner les terres à d’autres tenanciers, la coutume 
voulait que l'estimation des édifices, superfices et droits convenanciers, fût 
faite aux frais du seigneur. Or, les étrangers nese contentaient pas d’user 
brutalement d'un droit dont la jouissance répugnait aux mœurs des pro- 
priétaires indigènes, ils violaient la loi du pays. Ces actes d’arbitraire 
pesèrent particulièrement sur les montagnards de l’Arez: on ne tint 
aucun compte à leur égard de la loi; on oublia trop facilement qu'ils 
étaient de la race des hardis paysans dont les fourches de fer et les bâtons 
noueux repoussèrent, au onzième siècle, la tyrannie normande, sous les 
ordres de Kado le Batailleur et de ses trente fils; on oublia qu'ils chan- 
taient encore le souvenir de la vengeance terrible de leurs aïeux; on ne 
prit pas garde que de pareils souvenirs donnent une incroyable audace 1. 
Aucun enseignement ne fut tiré de tout cela par les étrangers : aussi 
reçurent-ils une leçon nouvelle ; leurs vexations mirent les armes à la 
main des hommes des montagnes, ayant à leur tête les trois domaniers 
de Plouyé dont parle le chanoine Moreau, et elles les portèrent à la ré- 
volte autant que l'opinion erronée où plusieurs sont encore, qu’on n’avait 
L-s le droit de les chasser de l'héritage paternel. 


Maudit soit le soleil, maudite soit la lune, maudite soit la 
rosée qui tombe sur la terre ! 

Maudite soit la terre elle-même, la terre de Plouyé, qui est 
là cause de querelles terribles, 


PAOTRED PLOUIEO 


RULES IKERNES 


1 Malloz d'ar gliz 4 gouez d'ann douar! 


Malloz d'ann douar, d'ann douar-Plouieou 
Malloz d’ann heol, malloz d'al lonr, À zo kiriek da wall-strifou, 


4 Magnam audacium imprimere potest pristinæ nobilitatis memoria. (Johannes Ford un.) 


252 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
La cause de terribles querelles entre le maitre et le colon; 


Oui répand emot parmi les hommes des campagnes, qui en 
met plus d’un mal à l'aise; 


Qui fait plus d’un père sans fils, plus d’une femme veuve, 
plus d'un orphelin et d’une orpheline ; 


Qui jette sur les grands chemins plus d’un enfant qui 
pleure en suivant sa mère. 


Mais maudits soient, par-dessus tout, les nobles hommes 
des cités qui oppriment le laboureur t; 


Ces gentilshommes nouveaux, ces aventuriers français, nés 
au coin d'un champ de concis ?; 


Lesquels ne sont pas plus Bretons que n’est colombe la vi- 
père éclose au nid de la colombe. 


Il 


Le dimanche de la Pentecôte, après la grand’messe, parut 
le coq-de-ville dans le cimetière ; 


Parut T Archer de Quimper, debout sur les degrés de la 
croix, les yeux enflammés de colère, 


Les yeux de colère enflammés, comme un vase d’eau 
bouillante. 


Tre ann otrou hag ann tiek; Pere na zell ket mui ouz breiz 
A lak ar stravil war ar mez, ’Ged ouz Koulm acer deut enn he netz. 


A 20 da wall-strifou kiriek | Ganet e korn eur park banal; 
A lak meur a hini diez, | 


E > | 
Meur a zivab, hag intanvez, Il 


Meur a vinour ha minourez, Disulgwenn, goude ’nn ofern-bred, 


Meur a gredur war ann henchou Ar c'hillok Kor harz ar vered; 
Gad ho mamm, 0 skuilla daelou. War ziri "r groaz, Arser Kemper, 


Malloz ru d’ann dudjentil-ker He zaoulagad o tevi ter, 
À ra pc'h war al labourer; He zaoulagad ter 0 tevi, 
Tudjentil neo, rederien gall, Vel eur poudad dour 0 virvi. 


1 Les bourgeois de Bretagne portaient généralement; au quinzième siècle, le titre de nobles 
hommes. (A. de Courson, Essai sur l’histoire de Brelagne, p- 546.) 
2 C'est une façon de dire enfant naturel, dans la langue bretonne. 


1 
à \ 


LES JEUNES HOMMES DE PLOUYÉ. 293 


— Écoutez tous, gens de Plouyé, écoutez bien ce qui va 
être publié : 


Que dans le jour et l'an soit faite l'estimation de ce qui ap- 
partient en propre à chacun de vous : 


Vos édifices et vos fumiers; et qu'elle soit faite à vos frais; 


Et allez ailleurs, vous et les vôtres, avec votre argent neuf 
chercher un perchoir. — 


A peine il achevait ces mots, qu'une sédition éclata dans le 
cimetière ; 


Vieux et jeunes se soulevèrent; ceux-ci criaient, ceux-là 
pleuraient ; 


D’autres tombaïent à terre, le cœur brisé par la douleur. 


— Adieu, nos pères et nos mères; nous ne viendrons plus 
désormais nous agenouiller sur vos tombes! 


Nous allons errer, exilés par la force, loin des lieux où nous 
sommes nés, 


Où nous avons été nourris sur votre cœur, où nous avons 
été portés entre vos bras. 


Adieu, nos saints et nos saintes; nous ne viendrons plus 
vous rendre visite; 


Adieu, patron de notre paroisse; nous sommes sur le che- 
min de la misère. — 


/ 


— Silaouet holl, potred Plouieou, Darn all da goueza d'ann douar, 
k Silaouet mad ann embhannou : Mantret ar galon gant glac'har. 

L Evid ar bloaz hag ann de krenn, 
Ra vo prizet tra neh pert’hen; 
Ho tier kerkouls hag ho stu; 

| Ar mizou diwar ho koust-hu; 


— Kenavo, tadou ha mammoù. 
Na stouimp mui war bo peziou! 


Red eo mont breman divroet, 


Kuit deuz lec'h em omp het ganet, 
Hag it lec’h-all, chut hag ho tud, Ç k 
Gani arc'hant flamm, da glask eur Ha war boul ho kalon maget, 


[c'hlud. — Har e tre ho ti-vrec’h douget. 
. Da ked ar ger peurlavaret, Kenavo, sent ha SED 
RBuVGL siravil barz ar vered, Na zeuimp mui d’ho tarempred ; 
Tud koz ha iaouank da groza, Kenavo, patron hor parrez, 





Darn da wac’ha, darn da oels; 1 Ni zo war hcnd ar baourentez, — 





25% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Les jeunes hommes de Plouyé ont dit : 
— Taisez-vous, jeunes filles, ne pleurez pas, 


Que vous n'ayez vu le sang de chaque laboureur couler sur 
le seuil de sa porte, 


Que vous n’en ayez vu couler la dernière goutte; mais le 
sang des Français d'abord! 


Larcher, en entendant ces mots, sauta vite à bas de la 
Eroix; 

Il ne savait où chercher un refuge; il allait comme un 
homme qui a perdu la tête; 


Il s’élança dans l'ossuaire, parmi les ossements des Bre- 
tons, 


Mais écoutez l'espèce de prodige : les ossements s agitent 
comme des personnes vivantes; 


Elles se dressent droit, avec ensemble, autour de archer. 
sur leurs pieds; 


Et le voilà écrasé et enseveli sous elles. 


[1] 






Les jeunes hommes de Plouyé disaient : — Allons prendre” 
nous-mêmes des informations sur ce qui nous regarde. — 


Arrivés à Quimper, ils demandèrent à parler à leurs maîtres : 
À b 


Potred Plouieou ho deuz laret : . Hogen, Klevet eur sceurt burzud: 
— Tevet, merc'hed, na oelet ket, Ann eskern a zrask, cvel (ud: 

Ken na welfet goad peb tiek 
War dreuzou he di o redek, 


Hag a zav sonn, em unanet, 
Eneb ann arser war ho zreid ; 


Goad ar C'hallaoued da gentan. — Ia dindan ho peurzouaret. 
Ann arser, evel pa glevaz, 
Diwar zez ar groaz a lammaz, 


III 


N'ouie doare pelec'h tec’het; Potred Plouieou a lavare : 


| 

Ken na welfet al lomm divean : | Ha setu hen peurzispennet, 
| 

"Vel den rag he henn en deuz gret; — Deomp-ni da c'hout hon digare. — 


Barz ar garnel e ma lammet. E Kemper dal’ ma erruzont, 
E Louez eskern ar Vretoned. Ho otrounez a c’houlenzont: 


LES JEUNES HOMMES DE PLOUYE, 205- 

— Ouvrez à des habitants de la campagne, qui voudraient 
parler à leurs maitres. 

— ÂAllez-vous-en, vils paysans, à moins que vous ne teniez 
à sentir l'odeur de la poudre. 

— Nous nous moquons de votre poudre, tout comme de 
celui à qui vous appartenez. — 

Ils parlaient encore, que trente d’entre eux tombèrent morts; 

Trente tombèrent, mais trois mille entrèrent; et voilà la 
ville en feu, et un feu si joyeux! 

Si bien que les bourgeois criaient : «Aïe! aïe! aïe! aïe! 
grâce! grâce! hommes de Plouyé! » 

Ils ruinèrent un bon petit nombre de maisons, mais non 
celle de l'évêque de Quimper, 

Non celle de Rosmadec, le seigneur bien-aimé, qui est bon 
pour les paysans; 

Qui est du sang des rois de Bretagne, et qui maintient nos 
bonnes Coutumes. 

Le seigneur évêque disait d'un ton d'autorité, en parcou- 
rant les rues de la ville : 

— Gessez vos ravages! mes enfants; au nom de Dieu, ces- 
sez! cessez! 


Hommes de Plouyé, retournez chez vous; la Coutume ne 
sera plus violée. — 





— Digoret d'ann dud diwar’ mez, Diskarret lerzig a dier, 
Ma’ gomzint ouz ho otrounez, Nemet hini eskop Kemper, 
— Italese, koz-tieien, Hini Rosmadek, ‘on otrou Kez. 
Ma na gerit klevet poultr gwenn, A zo mad d'ann dud diwar mez; 
— Ni a ra fors gant ho poultr gwenn, | À zo den a wad roueou Dreiz. 
Kement a reomp gant ho perc'hen, — | Mag a zalc’h mad d'hor C’hiziou reiz. 
Oa ked ar gomz peurachuet, | Ann otrou eskoh a venne, 
Tregont tieg a zo lazet; | Er ruiou ker pa ’dremene : 

< « il 
Tregont lazet, ha tri mil tre; | — Dale d'ann drouz. ma bugale! 
Hag aun tan er ger, ha ker ge! | Enn han Doue) dale) dale! 
Ken a grier : « ai! aou ! ai! aou! Potred Plouieou, it war ho ki, 


True! true! potred Plouieou! » Na vo ket mui torret ar C’hiz. — 


256 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Les hommes de Plouyé ont suivi ses conseils : 
— Retournons donc chez nous! en route! — 


Mais c'a été pour leur malheur : ils ne sont pas tous arrivés 
chez eux. 


NOTES 


Ce dernier couplet, si mélancoliquement discret, cache une triste 
vérité que le chanoine de Quimper s’est chargé de nous révéler en détail : 

« Ils quittent la ville, dit-il, s'acheminant vers Pratanraz (paroisse de Pen- 
harz... où ils font halte et aux environs, où genz de cheval ne pouvoient 
que bien difficilement et sanz péril les attaquer, et se fiant aussi en leur: 
grande multitude. Et ainsi résolus en ces lieux, qui estoient montagneux, 
le dimanclie quatriesme d’aoust, qui fut quatre jours après leur entrée 
en la ville de Kemper, ils furent chargez et défaictz, premièrement 
près du dict Pratanraz ; puis, s’estant ralliez en un grand pré, près la 
Boixière, sur le chemin du Pont- (l'Abbé), s’entrecourageant les unz les 
aultres, font ferme de rechef avec une forte résolntion de vaincre; mais 
ils furent de rechef défaictz sanz beaucoup de résistance par leurs adver- 
saires, qui estoient enflez par le bon succès de la première rencontre, 
Il en fut tant tué en ce pré que, depuis ce temps, le nom de Prad-ar- 
mil-Gof, c’est-à-dire « pré de mille ventres, » lui est demeuré jusqu’à ce 
jour 1. » 

L'auteur du récit qu’on vient de lire n’est pas sûr, on l’a vu, de la date 
des événements : le poëte breton les plaçant sous l’épiscopat de Bertrand 
de Rosmadec, ils doivent remonter, ainsi que le poëme, an commen- 
cement et non à la fin du quinzième siècle, car le grand évêque dont il 
parle, élevé sur le siége de Cornouaille en 146, mourut en 1446. 


Potred Plouieou ‘zentaz out-ha : Hogen dre wall-chans’deuz int gret: 
—Deomp-ni war hor c'hiz, ac’han-ta!— : N’int ked holl d'ar ger erruet. 


4 Histoire de lu Ligue en Bretagne, par Moreau, p, 19. 








BARZAZ-BREIZ 


CHANTS POPULAIRES 


DE 


PA R L ET CNE 


1 


U Ñ 





XXXV 


LE SIÈGE DE GUINGAMP 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


La Bretagne, en l’année 1488, était tombée dans le plus déplorable 
état : attaquée au dehors, divisée au dedans, trahie par quelques-uns des 
siens, réduite à créer une monnaie de cuir marquée d’un point d'or, 
pour remédier à la ruine de ses finances, et sans autre chef qu’une 
enfant. Mais toute vaincue et misérable qu’elle était, elle pouvait se 
relever, car, bien que gouvernée, depuis plusieurs siècles, par des princes 
de race étrangère, elle n'était pas encore tombée sous l’autorité ämmé- 
diate des rois de France, et elle les repoussait toujours. A la tête des 
déserteurs de la cause nationale se trouvait le vicomte de Rohan; il vint 
assiéger Guingamp, en qualité de lieutenant général des armées du roi 
en Bretagne. 

« Mais, dit d’Argentré, les habitants de Guingamp firent response que 
de mettre la ville ny autres villes entre ses mains, 1ls ne devoient le 
faire, ne devant ignorer ledit seigneur qu’elles ne fussent à la duchesse, 
à laquelle, du vivant du feu duc son père et depuis son décès, ils avoient 
fait serment de les garder ; par ainsi le prioient de Les tenir pour excusés 
de faire autre response jusques à savoir l'intention de la duchesse, » 

Rolland Gouiket, ou Gouyquet, commandait dans la ville; la garnison 
était peu nombreuse : il arma tous les jeunes gens, les posta dans le fort 
Saint-Léonard, au faubourg de Tréguier, et le premier assaut des Fran- 
çais fut repoussé vigoureusement. Le lendemain ils revinrent à la charge, 
battirent le fort en brèche, et s’'emparèrent des faubourgs; Gouiket fit 
une sortie et les repoussa encore. Le troisième jour, le vicomte de Rohan 
donne l'assaut à la ville même; Gouiket est blessé sur la brèche; on 
l'emporte; son héroïque femme le remplace et force les assiégeants à 
demander une suspension d'armes. Le vicomte de Rohan, profitant du 
sursis, entra dans la ville par trahison et la livra au pillage. Mais il n’en 
jouit pas longtemps. Gouiket, à peine guéri de sa blessure, s'étant annoncé 
avec un renfort considérabie, les étrangers prirent l'alarme et abandon- 

_nérent la place. 

. Cet événement est le sujet d’un chant populaire très-répandu, dont il 
Lexiste diverses rédactions fort interpolées. J'ai choisi la suivante comme 
Ma moins éloignée de l'inspiration primitive. 


E 


17 


258 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Portier, ouvrez cette porte! C’est le sire de Rohan qui 
est ici, et douze mille hommes avec lui, prêts à mettre le siége 
devant Guingamp. 

— Cette porte ne sera ouverte ni à vous ni à personne, sans 
un ordre de la duchesse Anne, à qui cette ville appartient. 

— Ouvrira-t-on ces portes au prince félon qui est ici avec 
douze mille hommes, prêts à mettre le siège devant Guin- 
gamp ? 

— Mes portes sont verrouillées, mes murailles crénelées; 
je rougirais de les écouter; la ville de Guingamp ne sera point | 
prise. 

Quand ils passeraient là dix-huit mois, ils ne la prendraient | 
pas; chargez votre canon; çà! du courage! et voyons qui se 
repentira | 

— Il y a ici trente boulets, trente boulets pour le charger ; 
de poudre, nous n’en manquons pas, non plus que de plomb 
ou d'étain. — 


Comme il revenait et montait, il fut blessé d’un coup de 
feu, d'un coup de feu tiré du camp par un homme appelé 
Goazgaram. 


SEZIZ GWENGAMP 


—MESMREGIERLES 


— Porzer, digoret ann nor-man ! Fe ve gan-in deu: ho c'hlevet : 
Ann otro Rohan 20 aman, Gwengamp na vo ket kemeret. 
Ha daouzek mil soudard gant-han, Na pa vent triouec'h miz aze, 
Da lakat seziz war Wengamp. Na ve ket kemeret gant-he: 
— Ann sor-man na vo digoret Karget ho Kanol: poan ha hec'h: 
Na d'hoc'h na da zen-all e-hed. Ha gwelomp piou en devo nec'h) 
Ken na laro dukez Anna, — Tregont bolod à zo arman, 
A zo mestrez war ar ger-ma. Tregont bolod ’vit he garann: 
— Digoret vo ar persier-ma Poultr na vank, na plomb tamm e-bed, 
D'ar prens diwirion zo ama. Na stin da ober ken-neubet. — 
Le N 2 ail dt Ce gant-han, Tre m'ed'o tistroi ha pignet, 
ERL ERP NET E Gand cunn Lenn poultr-gwenn oe tihet. 
— Va dorio a z0 moraillet. Gand eunn Lenn poultr demeuz ar c'hamp, 


Va mogerio z0 krenvaet, Gaud Gunn den hanvet Goazgaram. 


LE SIÉGE DE GUINGAMP. 25) 


La duchesse Anne dit alors à l’épouse du canonnier : — 
Seigneur Dieu ! que faire? voilà votre pauvre mari blessé! 


— Quand même mon mari serait mort, je saurais bien le 
remplacer! Son canon, je le chargerai, feu et tonnerre! et 
nous verrons! — 

Comme elle disait ces mots, les murailles furent brisées, 
les portes enfoncées,; la ville était pleine de soldats. 


— À vous, soldats, les jolies filles, et à moi l'or et l'argent, 
tous les trésors de la ville de Guingamp, et de plus, la ville 
elle-même! — 

La duchesse Anne se jeta à deux genoux, en l’entendant 
parler ainsi : — Notre-Dame de Bon-Secours, je vous en sup- 
plie, venez à notre aide! — 

La duchesse Anne, en l’entendant, courut à l’église, et se 
jeta à deux genoux sur la terre froide et nue : 

— Voudriez-vous, vierge Marie! voir votre maison changée 
en écurie, votre sacristie en cellier, et votre maitre-autel en 
table de cuisine? — 

Elle parlait encore, qu'une grande épouvante s'était em- 
parée de la ville : un coup de canon venait d’êtretiré, et neuf 


cents hommes étaient tués; 


Dukez Anna a lavare 

Da c’hreg ar c'hanolier ncuze : 
— Otro Doue! petra vo gret? 
Setu ho pried paour tihet! 

— Na pa ve ma fried maro, 
Me rate ma-eunn enn he dro! 
Hag he ganol me he gargo, 
Tan ha kurun! ha ni welo! — 
Ua ked he ger peurachuet. 

Ar mogerio zo bet frezet, 

Ânn norio a z0 het torret; 

Ha leun ar ger a zoudarded. 


—D'hoch, soudarded, ar merc'hed koant, 
Ha d'in ann aour har ann argant, 

Hag holl tensorio ker Wengamp, 

Hag ouspenn ar cer he unan! — 


Dukez Anna en cm siriukuz 

War he daou-lin, pa le glevaz : 

— Jtron Varia-Gwir-zikour, 

Ma plijfe gen-hoc'h, hor sikour! — 
Dukez Anna dal’ ma glevaz. 

Trezeg anu iliz a redaz; 

a war he daou-lin ’nem stouaz, 
Ha war ann douar ien ha ronz : 

— Ha chui garfe, gwerc'hez Yari, 
Gwelet ho ti da varchos, 

Ho sakristiri da gas gwin, 

Hoc'h oter vraz da dol kegin? — 
Ne oa ket peurlaret he c'her. 

Ma teuaz eur spont braz e ker; 
Gand eunn tenn kanol oa losket 
Ha nao c'haut den a oa lazet: 


260 CIHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Et c'était le plus affreux vacarme; et les maisons trem- 
blaient, et toutes les cloches sonnaient tumultueusement, 
sonnaient d'elles-mêmes dans la ville. 

— Page, page, pelit page, tu es léger, gaillard et vif; 
monte vite au haut de la tour plate, pour voir qui met les 
cloches en branle. 

Tu portes une épée au côté; si tu trouves quelqu'un là- 
haut ; si tu trouves quelqu'un qui sonne, plonge-lui ton épée 
au cœur. — 

En montant, il chantait; en descendant, il tremblait. — Je 
suis monté jusqu'au haut de la tour plate, et je n'ai vu per- 
sonne ; 


Et je n’y ai vu personne que la Vierge hene, que la Vierge 
et son fils, vraiment; ce sont eux qui mettent les cloches en 
branle. — 


Le prince félon dit alors à ses soldats : — Sellons nos che- 
vaux, et en route! et laissons leurs maisons aux saints! — 


NOTES 


L'intention du poëte populaire n’est pas douteuse : il a voulu glorifier 
Notre-Dame de Bon Secours, patronne de Guingamp, en lui attribuant la 
levée du siége de la ville. À cette légende pieuse qui est l'âme même de 
la ballade, sont venues se joindre, avec le temps, quelques erreurs de 
détails. Si le siége fut soutenu pour la duchesse Anne, il ne le fut point 
par elle en personne, et son portier ou canonnier, comme on appelle le 


Ha gnnd àr strak ann heuzusa, 0 vont d'al lae, hen a gane, 

Ha gand ann tier 0 Kren: 0 tont d'ann traou, hen à grene : 

Ha gand son-vreil ann holl gleier, — Beg ann tour-plad ed-onn-me heL, 
U Sint ho unan e ker. Ç Ha den e-bet n’em euz gwelet; 

— Pachik, pachik, pachik bihan, Ha den eno n’em cuz gwelet, 

Te z0 prim, ha skanv ha luhan, Ncmed ar Werc'hez venmiget, 

Ke (mnd da veg ann tour-plad, Ar Werc'hez hag he mab, a-vad. 

Da c'hout piou zo 0 vransellat. Le ze a z0 0 vransellat. — 

Euz da go-te zo eur c'hleze. Ar prens diwirion lavare 

Mar kaez den-bennag aze, D'he zoudarded, pa he gleve : 

Mar kaez den bennag o son, — Sternomp hor c'herek, ha d'ann hent) 


Plant da gleze enn he galon! — a loskomp ho zier gand ar zent. — 


LE SIÈGE DE GUINGAMP, 261 


capitaine Gouiket, fut blessé d’un coup de pique et non d’un coup de 
feu. Quant à l’auteur de la blessure, qui aurait été un certain Goazga- 
ram, il nous est tout à fait inconnu; mais il n’est pas impossible de dé- 
couvrir le personnage qu'on a voulu désigner sous ce nom. Lors du 
nouveau siège de Guingamp par le prince de Dombes, en 1591, un vieux 
cavalier, appelé Cop Gourhant, tua involontairement un des siens d'un coup 
d’arquebuse, tiré non du camp, comme celui qui blessa Gouiket, mais de 
la ville, de la fenêtre d'une chambre. M. Pol de Courcy. à qui je dois la 
connaissance de ce fait intéressant, n'hésite pas à tenir Goazgaram pour 
Coëtgourant. Il va plus loin, il tient l’assiégeant félon (diwirion ou dino- 
blin) pour le prince de Dombes, et pense que la ballade, sous la forme 
actuelle, convient plus au siége de 1591 qu’à celui de 1488. Son opinion 
est consignée dans une lettre publiée par M. Ropartz à la fin de l’Héstoire 
de Guingamp. Outre les raisons qu’il allègue, en voici une tirée de deux 
couplets inédits dont il m'a fait obligeamment la communication : 

« En l’année quatre-vingt-dix, fut mis le siége devant Guingamp, et 
depuis Tan quatre-vingt-sept. la guerre est descendue en Bretagne. 

«A la porte de Saint-Michel étaient les Anglais, les Allemands à la porte 
de Rennes; à la porte de la Plomée étaient les Irlandais, et ailleurs les 
Flamands1. » 

Si telles furent en effet les positions prises devant la place par les 
auxiliaires étrangers débarqués à Paimpol, sous les ordres du général 
Norris, en 1591, on doit aux chanteurs populaires un renseignement 
précieux, et on leur pardonnera d’avoir brouillé, en les ravivant, deux 
souvenirs tout à fait distincts. 


Ebarz ar blavez dek ha pevar ugent 
E leuaz ar seziz war Wengamp, 

Hag aba blavez pevar ugent ha seiz 
Eo diskennet ar brezel war Vreiz. 


War borz Mikel oa ar Zaozon, 

Ann Allamanted war borz bouton: 
War borz ar Bloumen oa ann Irlinted 
Hag eleac'h-all ar Flimanked. 


XXXVI 


LE CARNAVAL DE ROSPORDEN 


æ DIALECTE DE CORNOUAILLE = 


ARGUMENT 


Les fêtes du carnaval étaient prohibées dès le cinquième siècle. Le 
concile de Tours punit de peines très-sévères, que les divers statuts 
synodaux de l'Eglise de Bretagne ont fait revivre, ceux qui prennent part 
à ses orgies. Les prédicateurs bretons citent, pour en détourner, mille 
faits épouvantables. Ils racontent qu’un jeune homme ne put parvenir à 
arracher son masque, et qu'il le porta toute sa vie collé sur son visage; 
qu'un autre ne put se dépouiller d’une peau de taureau dont il s'était 
revêtu, fut changé en bête, et revenait la nuit roder et mugir autour de 
sa demeure; qu'un troisième fut puni d'une manière plus épouvantable 
encore. La ballade dont son histoire fait le sujet fut chantée, dit-on, 
pour la première fois, par un moine qui arrivait de Rosporden, et 
prêchait un soir dans la cathédrale de Quimper. Il venait de tonner 
contre les plaisirs du carnaval avec une telle véhémence, et s’était exalté 
à un tel point qu'il était retombé dans son fauteuil, la tête dans les deux 
mains, épuisé de lassitude. Tout à coup il se dresse de toute sa hauteur ; 
les lumières s'éteignent comme d’elles-mêmes; la petite lampe du sanc- 
tuaire reste seule allumée. La foule, un moment immobile, lève les yeux 
vers lui, et, au milieu des ténèbres et du silence général, il chante ce 
qu'on va lire : 


Le vingt-septième jour du mois de février de l’année mil 
quatre cent quatre-vingt-six, pendant les jours gras, est ar- 
rivé un grand malheur dans la ville de Rosporden. — Écoutez, 
chrétiens! 








ENED ROSPORDEN 


—AIESNRERNER 


D'ar seizved de war-n-ugent demeuz a viz c'houever 
Euz ar bloa mil-pevar-c'hant-pevar-ugent-ha-c'houec'h, 
Enn deveziou meur-larje, e ker a Rosporden 

A 20 c'houarvet eur reuz hraz. — Silaouet, Kristenien: 


LE CARNAVAL DE ROSPORDEN. 263 


Trois jeunes débauchés étaient en une hôtellerie, où le vin 
qu'ils buvaient à plein pot faisait bouillir leur sang. Quand ils 
eurent assez bu et assez mangé : — Habillons-nous de peaux 
de bêtes, et allons courir! — 


L'un de ces garçons, le plus chour des trois, voyant ses ca- 
marades s'éloigner, s’en alla droit au cimetière, et plaça sur sa 
tête, sur sa tête le crâne d’un mort! C'était horrible à voir! 


Et dans les trous des deux yeux, il mit deux lumières, et 
s’élança comme un démon, à travers les rues. Les enfants tout 
effrayés fuyaient devant lui, et les hommes raisonnables eux- 
mêmes s'éloignaient à son approche. 


[ls avaient fait leur tour sans se rencontrer, quand ils arri- 
vèrent tous trois ensemble, dans un coin de cette ville. 

Et eux, alors, de hurler, et de bondir, et de railler tous 
trois. — Seigneur Dieu, où es-tu? Viens t'ébattre avec nous! — 


Dieu, fatigué de les voir, frappa un si grand coup, qu'il fit 
trembler toutes les maisons de la ville; tous les habitants se 
recueillrent dans leur cœur, eroyant que la fin du monde 
était venue. 


Tri den jaouank dirollet oa enn hostaliri; 

Ha gand gwin leiz ar poudou oa ho goad o virvi. 

0 veza evet awalc'h hag ho c’hofou karget: 

— Gwiskomp-ni Krec'hen loened ha deomp-ni da redek! — 


Ann trede potr anezho, ar potr ann disteran, 

U welet he vignoned o pellat diout-han, 

A iez raktal d'ar garnel, he benn en deuz laket 

He henn barz eur penn-maro: heuzuz oa da welet! 


E toullou ann daou-lagad e lakaz diou c'houlou: 
Hag e lamme ’vel eunn diaoul, e-kreiz tre ar ruiou. 
Ar vugale a dec'ho enn eur spont hraz ra-z-han, 
Hag ann dud reiz ho unan, a rede diraz-han. 


Ober a rejont ho zro helh dont da "n em gaouet, 

Enn eur c'horn euz ar ger-ze pa oant ho zri digouet, 
Neuze ioual! ha lampat! ha godisal ho zri : 

— Otrou Doue. pelec'h oud? Deuz gen-omp da c'honri, — 


Doue skuiz oc'h ho gwelet a skoaz eunn tol pouner, 
Ken a roaz eur grenaden d'ann holl dier e Kor: 
Koventi rez "nn ho c'halon ann holl vourc'hizien 
Ken na gredjont oa erru divez euz ar bed-men. 


264 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Le plus jeune, avant de s’aller coucher, revint porter Ia 
tête de mort au cimetière, et il lui dit, en lui tournant le dos: 
 — Viens donc chez moi, tête de mort; viens-t'en demain 
Isouper. — 

Alors il prit le chemin de sa maison pour se reposer; il se 
mit au lit et dormit toute la nuit; le lendemain matin, en se 
: levant, il s’en alla travailler, sans plus songer ni à la veille ni 
à la fête. 

Il saisit sa fourche, et s’en alla travailler, en chann à 
tue-tête, en chantant sans souci. 

Or, comme tout le monde soupait, vers l'heure où la nuit 
s'ouvre, on entendit quelqu'un qui frappait à la porte. 


Le valet se leva aussitôt pour ouvrir; il fut si épouvanté, 
qu'il tomba à la renverse. 

Deux autres personnes s’élancèrent à l'instant pour le rele- 
ver; elles furent si troublées, qu'elles moururent subitement. 


Le mort s'avançait lentement jusqu'au milieu de la maison : 
— Me voici venu souper, souper avec Loi. Allons donc, cher 
ami, ce n'est pas loin d'ici; allons nous asseoir ensemble à 
ma table, elle est dressée dans ma tombe. — 


Distrei rez ann disteran, arog mont da gousket, 

Da zigas ar penn-maro endro barz ar vered; 

Har hen da vont J'he hedi, "nn eur dret he cein d'ezha : 

— Deuz d'am zi ta, penn-maro, deuz arc'hoaz da goania. — 


Neuze d'he di da gemer he baouez ez eaz, 

E saillaz harz he wele hed ann noz e kouskaz. 

Tronoz vinn pa zavaz, hen mont da lahourat, 

Heb koun'het mui d'ann derc'hent ken-nebeud d'ann ebat. 


llen mont da grog cnn he torc'h, hen mont da labourat, 
U kana war boe: he henn, o Kana dizonj vad. 

Hosen, pa oa "nn dud ouz tol, war dro ann noz-digor, 
L klevzont unan-bennag a skoe war ann nor. 


Ar mevel a zavaz prim evid digor d'ezha, 
Kement e oe estlammet, ma teuaz da goueza, 
Ha daou zen-all a lammaz raktal ‘vit he zevel. 
Kemend e oent stravillet ha ma oe red mervel, 


Kerza re ann Auaon Kreiz ann  ez dale: 

— Setu me deut da goauia, da goania gen-oud-de, 
Deomp-ni ta, ma mignon kez, ne ket peil ac’hane, 
Deomp-ni hon daou d'am zol-me a 20 savet em be, — 


LE CARNAVAL DE ROSPORDEN. 265 


Hélas! il n'avait pas fini de parler, que le jeune homme 
éperdu jetait un cri épouvantable; il n'avait pas achevé, que 
la tête du malheureux frappait violemment la terre et s'ybrisait. 


NOTES 


La tradition donne au moine cité plus hant le nom de Père Morin (Arr 
Tad Morin), et lui attribue la ballade; mais nous pensons que c’est par 
erreur, car le père Morin a dû mourir vers 1480. Le peuple en a fait un 
prophète : c’est lui qui prédisait aux Bretons leur union à la France en 
punition de leurs péchés : 

« Quand le ciel est rouge le soir, s’écriait-il un jour, vous dites: La 
tempête viendra. Eh bien, regardez du côté du pays des Gaulois, l'hori- 
zon est en feu. En vérité, en vérité, je vous l’annonce, encore un peu de 
temps. et l’on verra le roi de France et le duc de Bretagne chevaucher 
en même selle et sur même cheval! » S'il est l’auteur de la ballade, ce 
qui supposerait une erreur de quelques années dans la date qu'elle 
porte, nous le soupçonnerions fort d’avoir embelli l’histoire. Nous avons 
entendu, 1l est vrai, raconter aux vieilles gens de Rosporden qu'un 
jeune homme de cette ville fût trouvé mort, un surlendemain de mardi 
gras, des suites du carnaval, pendant lequel on l'avait vu parcourir la 
ville la tête dans le crâne d’un mort; mais ils ne disent mot de l’appari- 
tion merveilleuse, qui semble appartenir à une tradition antérieure, éga- 
lement populaire en Allemagne, en kspagne et en France. Mais le caractère 
de notre don Juan en sabots ne nous paraît pas moins fortement empremt 
de puissance et d'horreur que le type élégant et poli des scènes alle- 
mande, espagnole et française. Leur création appartient à une civilisation 
avancée; la nôtre, à un peuple dans loute la vigueur de ses mœurs pri- 
mitives. Chez les uns, ce n’est qu'une statue outragée qui se meut, parle 
et punit; c’est le mort en personne, chez les autres, qui se rend à une 
sacrilége invitation pour tirer vengeance de celui qui a osé profaner son 
cräne, son crane baptisé. 





Ne oa ked he c'her gant-han, siouaz, peurachuet, 

Pa iudaz ann den iaouane, enn eur spont garv meurbet; 
Ne oa ket he comz gant-han, he gomz peurlavaret, 

Pa gouezaz Krenn war he henn ar paourkez diframmet, 


XXXVII 


GENEVIÈVE DE RUSTÉFAN 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


Au milieu de la paroisse de Nizon, près de Pont-aven, en Cornouaille, 
on voit s’élevsr le château en ruines de Rustéfan. Il est le sujet de quel- 
ques traditions qui ne sont pas sans intérêt. Ainsi le peuple dit qu’an- 
ciennement on avait coutume de danser fort tard sur le tertre du chà- 
teau, et que si l'usage a cessé, c'est que les danseurs aperçurent, un 
scir, la tête chauve d’un vieux prêtre, aux yeux étincelants, s’avançant 
pour les regarder, à 1a sucarne du donjon. On ajoute à cela qu’on voit 
vers minuit, dans la grand'salle, une bière couverte d’un drap mor- 
tuaire, dont quatre cierges blancs, comme on en faisait brûler pour les 
filles nobles, marquent les quatre coins, et qu’on voyait jadis une jeune 
demoiselle, en robe de salin vert carne de fleurs d’or, se promener au 
clair de la lune sur les murailles, chantant quelquefois, et plus souvent 
pleurant. Quel mystérieux rapport peut-il y avoir entre ces deux vagues 
figures de prêtre et de jeune fille ? La ballade qu’on va lire nous l’ap- 
prendra. 


I 


Quand le petit lannik gardait ses moutons, il ne songeait 
guère à être prêtre. 


— Je ne serai, certes, ni prêtre ni moine; j'ai mis mon 
esprit dans les jeunes filles. — 


JENOVEFA RUSTEFAN 


NES ATREGIERL= 


1 | N'en doa ket koun da vean beleget. 


a — Ne vinn, a-vad, belek na manac'h, 
Pa on potr lannik gad he zenvet Laket em euz ma spered er plac'h. — 


GENEVIÈVE DE RUSTÉFAN. 267 


Quand un jour sa mère vint lui dire : — Tu es un finaud, 
mon fils lann: 


Laisse là ces bêtes, et viens à la maison; il faut que tu 
ailles à l’école à Quimper; 

Que tu ailles étudier pour être prêtre, et que tu dises adieu 
aux jeunes filles. — 


Il 


Les plus belles filles de ce pays-là étaient alors les filles du 
seigneur du Faou ; 


Les plus belles filles qui levaient la tête, sur la place, étaient 
les filles de du Faou. 

Elles brillaient près de leurs compagnes, comme la lune 
près des étoiles. 

Chacune d'elles montait une haquenée blanche, quand elles 
venaient au pardon, à Pont-Aven; 


Quand elles venaient au pardon, à Pont-Aven, la terre et le 
pavé sonnaient; 


Chacune d’elles portait une robe de soie verte et des chaînes 
d'or autour du cou. 


La plus jeune est la plus belle; elle aime, dit-on, lannik de 
Kerblez. 





Pa zeuaz he vamm ha larez d’ean : Voa merc'hed ann Faon, war ann da- 
— Te a zo eur potr fin, ma mab [ann ; {chen. 
Lez al loened-ze, ha deuz d'ar ger, Hi a dole sked dreist ar merc'hed. 
Evit monet da skoul da Gemper; Evel ma ra’l loar dreist ar stered. 
Vit mont da skoul da vean beleget; Ha gant-he peb a inkane gwenn, 
Ha lavar Kenavo d'ar merc'hed. — 0 tont d'ar pardon da Bond-Aven; 
U tont d'ar pardon da Bond-Aven, 
11 À grene ann douar hag ar vein; 


Gant he peb a vroz c'hlaz a zeien, 
Braoan merc'hed a voa er vro-ze, Ha karkanio aour war ho c'herc'hen, 


T 
Merc'hed otro ann Faou a-neuze ; Ar iaouankan, hounez ar bravan; 


Braoan merc'hed a zave ho tenn, lannik Kervlez à gar, a glevann. 





268 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— J'ai eu pour amis quatre clercs, et tous quatre se sont 
faits prêtres; 


lannik ar Flécher est le dernier ; il me tond le cœur. — 


III 


Comme lannik allait recevoir les Ordres, Geneviève était 
sur le seuil de sa porte; 


Geneviève était sur le seuil de sa porte, et y brodait de la 
dentelle, 


De la dentelle avec du fil d'argent. (Cela couvrirait un ca- 
lice à merveille). 


—Tannik ar Flecher, croyez-moi, n'allez point recevoir les 
Ordres; 


N'allez point recevoir les Ordres, à cause du temps passé. 


— Je ne puis retourner à la maison, car je serais appelé 
parjure. 

— Vous ne vous souvenez donc plus de tous les propos qui 
ont couru sur nous deux ? 

Vous avez donc perdu l'anneau que je vous donnai en dan- 
sant? 


— Je n’ai point perdu votre anneau d’or; Dieu me l'a pris. 





— Pevar mignon kloarek am euz bet, — Iannig ar Fiecher, ouz-in sentet ; 
Bag ho fevar e ma int beleget: Da gemer ann eurzo na it ket; 
lann'g ar Flecher, ann divezan, Da gemer ann eurzo na it ket, 

A laka va c'halon da rannan: — Enn acek J'an amzer dremenet. 


— Distrei d'ar ger me ne hallann ket, 
Pe vinn hanvet ar gaouier touet. 


ms — N'hoc'h euz eta Koun euz ann holl 
Pa voa lannig 0 vont d'ann eurzo, [draou 
Jenovefa voa war he zreujo; A 20 het laret war-n-omp hon daou? 
Jenovefa voa war he zreujo, Kollet hoc'h euz eta ar waïen 
Hag a c'hrouie-hi dentelezo, "M euz roet P'hoc'h e-kreiz ann abaden? 
Hag ho brode gant neuden argant : — Ho kwalen aour n'am euz ket Koll: ; 


(Da c'holoi eur c'halir e vent koant). Doue neuz hi digan-in Lennet. 


GENEVIÈVE DE RUSTÉFAN. 269 


— Jannik ar Flécher, revenez, et je vous donnerai tous mes 
biens ; 


lannik. mon ami, revenez, et je vous suivrai partout; 


Et je prendrai des sabots, et m'en irai avec vous travail- 
ler. 


Si vous n'écoutez pas ma prière, rapportez-moi l’extrême- 
onction. 

— Hélas! je ne puis vous suivre, car je suis enchaîné par 
Dieu ; 


Car la main de Dieu me tient, et il faut que j'aille aux Or- 
dres. — 


IV 


Et, en revenant de Quimper, il repassa par le manoir. 


— Bonheur, seigneur de Rustéfan, bonheur à vous tous, 
grands et petits! 


Bonheur et joie à vous, petits ei grands, plus que je n’en 
ai, hélas. 


Je suis venu vous prier d'assister à ma messe nouvelle. 


— Oui, nous irons à votre messe, et le premier qui mettra 
à l'offrande sera moi. 


— lanmg ar Flecher, distroet cndro, 
Ha me roin d'hoc'h va holl vado: 
Iannik, va mignon, distroet endro, 
Ha me ielo d'hoc’h heul e peb hro: 
Ha me gemero boteier koat, 

Ha me 161 gen-hoc'h da labourat. 

Ma na zentet ked ouz va goulenn, 
Digaset d'i-me ar groaz-n-ouen. 

— Sivoaz! hoc'h heulian ne hallann ket, 
Rag aberz Doue onn chadennet ; 

bag gand dorn Doue em onn dalc'het, 
Ha J'ann eurzo eo red d’in monet. — 


IV 


Hag o tont endro euz a Gemper, 

E teuaz adarre J'ar maner. 

— Eurvad. otro maner Rustefan, 
Eurvad d'hoc'h holl dud, hraz ha nhan 
Eurvad ha joa d'hoc'h, bihan ha braz, 
Muioc’h evit zo gan-in, sivoaz! 

Me z0 deuet J'ho nedi, d'ann de, 

Da zonet d’am oferen neve. 

— la! d’hoc’h oteren ni a ielo, 
Kentan brofo er plad me a vo. 


270 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Je mettrai à l’offrande vingt écus, et votre marraine, ma 
dame, en mettra dix; 


Et votre marraine en mettra dix pour vous faire honneur, 
seigneur prêtre! — 


Y 


Comme j'arrivais près de Penn-al-Lenn, me rendant aussi à 
la messe, 


Je vis une foule de gens courir tout épouvantés. 


— Hé! ditesmoi donc, vous, bonne vieille, est-ce que la 
messe est finie? 


— La messe a été commencée; mais il n’a pas pu la finir; 

Mais il n’a pas pu la finir; il a pleuré sur Geneviève, 

Et, en vérité, il a mouillé trois grands livres des larmes de 
ses yeux. 

Et la jeune fille est accourue, et elle s’est précipitée aux 


genoux du prêtre : 


— Au nom de Dieu, lann, arrêtez! vous êtes la cause, la 
cause de ma mort! — 


Me a brofo er plad ugent skoed, 
Hag ho maeronez, va itron, dek; 


Nap ann oferen zo achuet? 
| — Ann oferen a 20 deraouct, 


Hag ho maeronez a brofo dek, | Hogen he achui ouz gallet; 
Da ret cnor d'hoc'h, otro belek. — He achui n’en deuz ket gallet 
U | Goelan da Jenovefa neuz gret, 


Pa oann digouet e-tal Fenn-al-lenn, 

9 Yonet ive d'ann oteren, 

E weliz kalz a dud 0 redek, 

Hag hi cnn eunn estlamm hraz meur- 
[bed. | 


— Na C'hni, gregik Koz, d’in leveret, 





Ha tri leor hraz en deuz treuzet, ‘ad, 
Gand ann daero euz he zaoulagad. 
Ken a zeuaz ar plac'h 0 rediek, 

Ha’ couezaz da zaoulin ar belek. 

— Enn han Douc) lann, distroet cndro 
C'hui zo kiriok, kiriok d’am maro! — 


GENEVIÈVE DE RUSTÉFAN. 271 


VI 


Messire Jean Flécher est recteur, recteur maintenant au 
bourg de Nizon; 

Et moi, qui ai composé ce chant, je l'ai vu pleurer mainte 
fois ; 

Mainte fois je l'ai vu pleurer près de la tombe de Gene- 
viève. 


NOTES 


Les Flécher habitent toujours la paroisse de Nizon; ce sont de bons et 
honnêtes paysans. Ils se souviennent d’avoir eu un prêtre dans leur fa- 
mille,ce qu'atteste d’ailleurs un calice sculpté sur le linteau de la porte de 
leur maison, mais ils ne connaissent rien de son histoire; ils savent seu- 
lement qu'un seigneur du pays contribua à payer son éducation cléricale. 
Ce seigneur, dont la femme était, selon notre ballade, marraine du jeune 
clerc Iannik, aura craint les suites de l'amour de sa fille pour le petit 
paysan, et y aura mis un terme en le faisant entrer dans les Ordres 
sacrés. Quant à l'héroïne de la ballade, nous manquons de documents 
qui nous permettent d'indiquer précisément l’époque où elle vivait. Un 
grand échanson de France de sa famille et de son nom possédait, en 1426. 
le château des Rustéfan; voilà tout ce que nous apprend le registre de la 
Reformation de la noblesse de Cornouaille. Mais Jean Flécher ne se trou- 
vant pas porté sur la liste des recteurs de cette paroisse, dont nous 
avons les noms depuis an 1500 jusqu'à ce jour, il y a lieu de croire 
que les événements racontés dans la ballade se sont passés antéricure- 
ment. Qu'ils aient été chantés peu d'années après être arrivés, on n’en 
pourrait douter, puisque le poëte nous assure qu’il a vu le prêtre pleurer 
près du tombeau de Geneviève. Ce poëte, né en Tréguier, comme l’atteste 
le dialecte qu’il a suivi, habitait évidemment alors en Cornouaille, et 
peut-être Nizon même, où la ballade est restée des plus populaires. 


vi Ha me am euz savet ar wers-ma, 
M'euz hen gwelet meur wech oc'h oela : 
Ann otro lann Flecher zo person, Meur wech m'euz hen gwelet oc'h oela; 
Person eo hreman, e horc'h Nizon; Tostik-tost da ve Jenovefa. 


XXXVIII 


NOTRE-DAME DU FOLGOAT 


— DIALECTE DE LEON — 


ARGUMENT 


« En l’année 1515, dit un vieil auteur, florissait en Bretagne, en sim- 
plicité et sainteté de vie, un pauvre innocent nommé Salaïün, issu de 
parents pauvres, dont les noms nous sont inconnus, d’un village d’auprès 
de LeSneven. 

« Ce jeune enfant, croissant en âge, commença, après la mort de ses 
parents, à chérir les douceurs de la solitude, choisissant pour sa retraite 
ordinaire un bois, loin d'icelle ville d’une demi-lieue, orné d’une belle 
fontaine bordée d'un très-beau vert naissant. Là, comme un passereau 
solitaire, il solfiait à sa mode les louanges de la Vierge adorable, à 
laquelle, après Dieu, il avait consacré son cœur; et de nuit, comme le 
gracieux rossignol, perché sur l’épine de l’austérité, il chantait Ave 
Maria. 

«Il était misérablement vêtu, toujours nu-pieds: n’avait pour lit, en 
ce bois, que la terre, pour chevet qu’une pierre, pour toil qu’un arbre 
tortu près de ladite fontaine. 11 allait tous les jours mendier son pauvre 
pain par la ville de Lesneven ou ès environs, n’importunant personne 
aux portes que de deux ou trois petits mots; car il disait Ave Maria, et 
puis en son langage breton: Salaün 0 zebrè bara, c'est-à-dire « Salaün 
mangerait du pain.» Il prenait tout ce qu’on lui donnait, revenait 
bellement en son petit ermitage auprès de la fontaine, en laquelle il 
trempait ses croûtes, sans autre assaisonnement que le saint nom de 
Marie. 

« Au cœur de l'hiver, il se plongeait dans cette fontaine jusqu’au 
menton, comme un beau cygne en un étang, et répétait toujours et 
mille fois Ave Maria, ou bien chantait quelque rhythme breton en l’hon- 
neur de Marie. 

« On rapporte que lorsqu'il grouait à pierre fendre, il montait en son 
arbre, et, prenant deux branches de chaque main, il se bercçait et volti- 
geait en l’air en chantant : 0 Muria ! En cette façon, et non autrement, 
il échauffait son pauvre corps. 

« C’est pourquoi, à cause de cette sienne façon de faire, l’appelait-on 
le Fou (Salaün ar Fol). Et pourtant est-il lun des plus beaux mignons 
de la reine des cieux. 

« Une fois il fut rencontré par une bande de soldats qui couraient la 
campagne, lesquels lui demandèrent : Qui vive? Auxquels il répondit 
Je ne suis ni Blois, ni Montfort, je suis le serviteur de madame Marie, 
et vive Marie! A ces paroles, les soldats se prirent à rire et le laissèrent 


NOTRE-DAME DU FOLGOAT. YO 


« Il mena cette manière de vie trente-neuf ou quarante ans, sans avoir 
jamais offensé personne. Enfin il tomba malade, et ne voulut pour cela’ 
changer de demeure. L'on tient que la sainte Vierge, qui ne manque} 
jamais à ceux qui lui sont fidèles, le consola et récréa merveilleusement 
de ses aimables visites, s’apparaissant devant lui environnée d'une! 
grande clarté, et accompagnée d’une troupe d'anges. f 

« Notre pauvre simplique, sentant bien que sa fin approchait, conune 
une tourterelle, fit résonner l'écho de sa voix, pour marquer que l'hiver : 
de sa vie était passé. Mourant, il répétait encore dévotement le doux 
nom de Marie ; après cela, il rendit heureusement son âme pure et inno- 
cente à Dieu. Son visage, qui en sa vie était tout défait par la pauvreté, 
parut si beau et si lumineux qu’il le disputait à la candeur du lis et au 
vermeil de la rose. 

«Il fut trouvé mort non loin de la fontaine, près du tronc d’arbre 
qui avait été sa retraite; et l’enterrèrent les voisins, sans bruit et sans 
parade, en ce même lieu. 

« Et l’on vit un beau lis frais et odoriférant, miraculeusement poussé 
de son tombeau, portant écrits sur ses feuilles en lettres d’or ces deux 
mots : Ave, Marta 1. » 

Les ducs de Bretagne firent bâtir sur le bord de la fontaine du pauvre 
fou du bois, sous l’invocation de Notre-Dame du Folgoat, une charmante 
église qui devint bientôt célèbre par un grand nombre de miracles. Celui 
qui fait le sujet de la ballade suivante nous a paru un des plus touchants. 
C’est l’histoire d’une jeune fille faussement accusée d’un crime horrible. 

La veille du jour où elle va être brülée vive, elle apparaît en rêve à 
son père, du fond de la prison où on l’a jetée. I] la voit au lavoir, occu- 
pée à blanchir des nappes déjà blanches, symbole de sa parfaite innocence, 
et elle le prie d'aller en pèlerinage, à son intention, à Notre-Dame du 
Folgoat. 


1 
— Santé el joie à vous, mon pére! 
— Que faites-vous là si matin? 
Pourquoi laver ces nappes plus blanches que neige? que 
faites-vous là, ma fille? 


ITROUN VARIA FOLGOAT 


—— IES LEON — 


I — Petra rit aze mintin mad? 
Gwalc'hi doalou ker gwenn hag erc'h) 


^ lec'hed ha joa gan-e-hoc’h va zad! Petra rit-c’houi aze, va merc'h? 


L 


1 Le P, Cyrille Pennec, Pêlerinage à Notre-Dame du Folgoat. 


18 


214 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAUNE. 


— Je suis venue vous prier, mon père, d'aller pour moi au 
Folgoat: 


Et J'Y aller à pied, et pieds nus, et sur vos deux genoux, si 
vous pouvez y tenir. 


Vous y trouverez les cendres du cœur que vous avez nourri. 


— Qu'avez-vous fait, ma pauvre fille, pour être ainsi ré- 
duite en cendres? 


— Un petit enfant à été tué, et l'on m'accuse, mon père, de 
l'avoir fait mourir. — 


Il 


Un jour, le sire de Pouliguen était allé chasser avant 
diner. 


— Tiens! voici un lièvre écorché, ou un petit enfant 
étranglé; 

On l’a pendu à la branche de cet arbre ; il a encore le ruban 
au Cou. — 


Et il vint trouver sa femme, en rêvant tristement dans son 
cœur. 


— Voyez! un pauvre enfant tué ! au nom du ciel, qui l’a mis 
au monde? 


— Me z0 deut d'ho pedi, va zad, 

Da vont evid-oun d'ar Folgoat; 

Ha mont diarc'hen ha war droad 

Ha war ho taoulin, mar gell pad. 

Eno c kerot ludu gret 

Diouc'h ar galoun hoc'h euz maget. 
—Petra, va merc'h paour, hoc'h euz gret, 
Pa viot evel-ze luduet? 

— Eur bugelik zo bet lazet, 

Ha d'in, va zad, eo tamallet, — 


Il 
Eunn detz ann aotrou Pouligwenn 
Oa eat da sersal ’raog he lein. 
— Setu ama eur c'had kignet, 
Pe eur bugelik gwalennet; 
Krouget eo diouc’h skour ar wezen, 
E kerc'hen he c'hour ar zeizen. — 
Hag hen da gaout he itroun, 
0 sonial du enn he galoun. 
— Sellit! eur hugel paour lazet) 
Piou, han Doue, neuz hen ganet ?— 





NUS 


NOTRE-DAME DU FOLGOAT. 275 

La dame, sans rien répondre, se rendit aussitôt à la 
ferme. 

— Vous vous portez bien, fermière? Voilà du chanvre qui 
pousse à merveille. 

— Mon chanvre ne pousse guère bien; il s'en va tout avec 
VOS pigeons. 

— Où sont allées vos filles, que je ne vois que vous? 

— Deux sont à la rivière à laver, et deux autres à préparer 
le chanvre; 

Et deux autres à préparer le chanvre; et les deux derniè- 
res à le peigner. 

Quant à Marie Fanchonik, ma nièce, elle est au lit malade; 

Elle est au lit malade, depuis huit ou neuf jours. 

— Ouvrez-moi, ma fermière, que je voie ma filleule, 

— Dites-moi, ma filleule, où avez-vous mal? 

— C'est entre mon ventre et mon cœur que j'ai mal, ma 
marraine. 

— Levez-vous, levez-vous, ma filleule, et allez vous con- 
fesser au Père François; 

Confessez-lui votre péché et prenez garde, je vous y en- 
gage. 


Ann itroun, heb lavarout ger, Hounez zo er gwele diaez: 


1. - pe 9 
Az eaz d’ar vereuri e-berr : Er gwele klanv ez eo chomet, 


— Mad ar bed gan-e-hoc'h, mereurez 
Dont ra ho kauab brao e-mez. 


— Ya c'hanab brao mez na zeu ket : 
Mont a ra holl sand ho koulmed. 


— Delen h int eat ho merc’hed-c'houi, 
Pa na welann nemed hoc’h-c’houi? 


— Diou 20 er ster gand ann diliad, 
Ha diou-all zo 0 paluc'hat: 


Ha diou-all zo 0 paluc'hat: 
Hag ann diou-all zo o kribat. 


Mari Fanchonik, va nizez, 


Eiz pe nao deiz z0 tremenet. 

— Digorit d'in, va mereurez, 

Hag e welin va fillorez. 

— Va fillorez, din hvirit, 

Peleac'h "ma "nn droug a zamantit? 
— Kreiz-tre va c'hor ha va c'haloun. 
Ema va droug, va mamm baeroun, 
— Savit, savit, va fillorez, 

It d'ann Tad Fransez da govez; 


Kovesait mad ho pec'hed 
Hag evesait, mar keret. 


276 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

— Je ne suis point une pécheresse : il y a huit jours que 
J'ai été confessée. 

— Ne me mentez pas; vous avez fait un grand-péché : 


C'est vous qui êtes allée ce matin au bois; vos sabots sont 
rougis de sang! — 


IT 
— Mon petit page, dis-moi, qui est-ce qui passe dans la 
rue ? 
— Vos métayers de Guigourvez, le bourreau et votre fil- 
leule. — 


Dur eût été celui qui n’eût pas pleuré, sur la place du 
Folgoat, quand elle arriva; 

Quand arriva la jeune fille de quinze ans, entre deux ar- 
chers, pour être pendue ; 

Une pauvre vieille femme, en avant, portait un cierge 
devant elle; 

Et la jeune fille disait en marchant : — Cet enfant-là n'était 
pas à moi! — 

Par derrière venait la dame, demandant instamment grâce 
pour sa filleule. 

— Rendez-moi ma filleule : je vous donnerai son pesant 
d'argent. 


— Evit pec’heurez, n'em ounn Ket ; Kriz vije neh ha na orle, 
Eiz-teiz 20 ounu het koveset. War dachen Folgoat, pa zeue; 
— Gevier d'in na livirit ket, Pa zeue ar plac'h pemzek vion, 
Eur pec'hed braz hoc'h euz c'hout gret: | E-kreiz daou arser da grouga; 
R'houi 20 het mintin-ma d'ar c'hont: Eur c’hrac'hik koz paour dira-z-hi, 
Puz co ho poutou gand ar goad ! — 0 terc'hel eur goulou d'ezhi; 
Hag hi, o vont, a lavare : 

111 — Ne oa Ked d'in ar bugel-ze. — 
— Pachik biban, lavar d'in-me, Ann itroun war lerc'h o c'houlenn 
Cetra ’za gand ar pae-ze? Truez J'he fillorez a-grenn : 
— Ho mereurien a Wicourvez, — Laoskit gan-in va fillorez : 


Ar c'hrouger hag ho fillorez. — Foi a rinn d'e-hoc'h, arc'hant he fouez 





NOTRE-DAME DU FOLGOAT. 271 
Et, si cela ne vous convient pas, je vous en donnerai le 
poids de ma haquenée, 
Je vous en donnerai le poids de ma haquenée, la jeune 
fille et moi dessus. 


— Votre filleule ne vous sera pas rendue; quiconque a tué, 
on le tue. — 


L 
IV 

Comme le sénéchal allait diner, le bourreau alla la pendre. 

Au bout d'un peu de temps, il vint trouver le sénéchal : 

— Monsieur le sénéchal, excusez-moi, Marie Fanchonik ne 
meurt pas; 

Quand je lui mets le pied sur l'épaule, elle se détourne 
vers moi, et rit. 

— Prenez-la, jetez-la, menez-la au bûcher. 

— Prenons-la, jetons-la, faisons du feu et de la fumée pour 
là brûler! — 

Au bout d’un peu de temps, le bourreau revenait : 


— Monsieur le sénéchal, excusez-moi, Marie Fanchonik ne 
meurt pas; 
Elle est dans Le feu jusqu'au sein, et elle rit de tout son cœur. 





Ha mar na blu d'e-hoc'h kement-ze, Mari Fanchonik na vary ket; 

Me roi d'e-hoc'h pouez va inkane, Pa daolann va zroad war he skoa, 
Me roi d'e-hoc'h pouez va inkane, Distrei da c’hoarzin ouz-in ra, 

Ar plac'h ha me war he c'horre, — — Taolit hi ha didaolit hi, 

— Ho fillorez n'ho pezo Ket, Kasit-hi d'ar fagodiri. 

Neb a lazaz a vez lazet. — Taolomp-hi ha didaolomp-hi, 


Greomp tan ha mored d'he leskil — 


V Ñ 

l Abenn eur pennadig goude, 
Paz ea’r senesal da vernia, Dont a ren "Y c'hrouger darre: 

, Le PEN Ç 
Az eaz ar c'hrouger d'he c'hrouga. — Aotrou senesal, me ho ped, 
A-bena eunn pennadic goude, Mari-Fanchonik na varv ket; 
V . . 

Dont a renz J'he gaout-he : Ma enn tan beteg he diou-vron; 


— Aotrou senesal, me ho ped, L C'hoarzin a ra Leiz he chalon, 


2178 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


— Avant que je croie ce que vous dites, ce chapon-ci aura 
chanté. 





(Un chapon rôti sur un plat, et tout mangé, hormis les 
pattes.) 
Le sénéchal resta confus : le chapon venait de chanter. 


Marie Fanchonik, pardonnez-moi, c'est moi qui ai failli et 
non vous; 


C’est moi qui ai failli et non vous : qui vous préserve de ce 
feu ? 


— Notre Dame Marie du Folgoat le balaye de dessous mes 
pieds; 

La Vierge, mère des chrétiens, le balaye d’autour de mon 
sein. 

— Qu'on envoie vite à Guigourvez, qu’on envoie vite chez 
la fermière ; 

Qu'on envoie vite chez la fermière, pour savoir qui est la 
pécheresse. — 

Ils passèrent tous à travers les flammes, et aucun d'eux ne 
sourcilla ; 


Ils passèrent tous sans sourciller ; la servante seule y resta. 





— Pa gredinn pez a leveret, Zo' skuha dindan va daoud-droad; 
Ar c'habon-ma ’n devo kanet. — Ar Werc'hez. mamm ar gristenien, 
(Eur c'habon rostet war eur plad, Zo’ skuha cndro d'arm c'herc'hen, 
Ha dehret nemet he zaoudroad.) — Red eo kas prim da Wigourvez, 
Ar senesal oa souezet : Kas prim da di ar vereurez ; 

Ar c'habon en devon kanet. Kas prim da di ar vereurez, 

— Mari Fanchonik, me ho ped, Da ch'ouzout pion eo pec’heurez. — 
Me z0 faziet, c'hout n° och ket: Tremenet oant holl dre ann tan, 
Me 70 faziet, c'hout n oc'h ket: Ha nikun na lekeaz man; 

Petra zo enn tan d'ho miret?. Tremenet holl helh lakat man : 


— Aon itroun Varia-Folgoat Nemed ar vatez he unam, 


NUTRE-DANE DU FOLGOAT 219 


NOTES 


Cette ballade est une des plus populaires de Bretagne; elle se chante 
dans les dialectes de Léon, de Cornouaille, de Tréguier et de Vannes. Elle 
n’est pas antérieure au quinzième siècle, car l’église du Folgoat n'a été 
bâtie qu’à cette époque. Il y a lieu de la croire du milieu du siècle 
suivant, le P. François, dont elle fait mention, étant probablement Maistre 
François du Fou, doyen en l’église collégiale du Folgoat, qui comparut à 
Nantes, le second jour d'octobre de l’an 1539, pour la rédaction des 
réformalions des Coutumes de Bretagne. Le petit manoir du Pouliguen 
existe encore à quelques lieues du Folgoat. Le bourg de Guigourvez est 
aussi dans les environs. La cause de l'immense popularité de notre bal- 
lade vient sans doute de l’idée sur laquelle elle repose, idée que nous 
avons déjà vue développée dans le Frère de lait, et qui fait le sujet de 
mille autres chants populaires. 

Sous l’empire d’une pareille croyance, l'épreuve devenait un moyen 
naturel de découvrir la vérité; on ne pouvait supposer que la Provi- 
dence permit la mort de Innocent. 

La légende du coq rôti qui chante sur le plat est un lieu commun de 
poésie populaire. Elle a primitivement passé d’Espagne en France; on la 
trouve racontée dans le Martyrologium hispanicum de Tormayo Salacar. 
La voici telle que la répète, à sa manière, un révérend et savant anti- 
quaire français : 

« Deux époux se rendaient à Compostelle avec leur fils, dont la beauté 
frappa la fille de l'hôte (ou une servante de l’auberge) au point de lui 
inspirer une vive passion. Le jeune homme ayant repoussé cette impu- 
dente, la tentatrice tourna bientôt en haine son amour méprisé. Elle intro- 
duisit donc un gobelet d'argent dans le paquet de l’adolescent, lorsqu'il 
allait partir, et le fit poursuivre comme voleur. Sur cette pièce de con- 
viction, le juge eut bientôt établi sa sentence et innocent fut pendu 
sans délai. Le père et la mère, désolés, voulurent au moins voir le cadavre 
de leur fils, et quand ils arrivèrent à la potence le jeune homme les 
consola lui-même, assurant que saint Dominique de la Calzada soutenait 
son corps pour empêcher la strangulation, puis les envoya demander au 
juge qu'il ne maintint pas un arrêt si clairement cassé par le ciel. Le 
magistrat, peu disposé à douter de son bien jugé ou de son bourreau, 
pensa qu’on se moquait de lui, et comme il allait se mettre à table (ou, 
selon d’autres, prenait déjà son repas), il répondit sans plus d’enquête : 
« Votre fils est vivant comme ce coq et cette poule qui sont dans le 
plat (ou à la broche.) » Les oiseaux, prenant la comparaison à leur 
avantage, se mirent immédiatement à chanter et à battre des ailes. Il n’en 
fallait pas moins pour impressionner le juge, qui alors consentit à laisser 
dépendre son condamné pour admettre un pourvoi trop hautement ap- 
puyé, d'autant plus que son diner se trouvait forcément abrégé par cet 
accident imprévu. La descendance des deux volailles paya la célébrité 
de ses ancêtres, car on la plumait pieusement pour répandre parmi les 
pélerins le gage de la protection accordée par saint Dominique à ses 


280 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


clients, et les plumes de ces malheureuses bêtes se répandirent ainsi 
.dans toute la chrétienté. » 
| Le commentateur de l’auteur espagnol continue sur un ton aussi em- 
penné de malice gauloise que de science : 
4 «On n'aura pas de peine à s'expliquer comment ce fait, raconté par 
‘es pèlerins de Compostelle à leur retour, aura fini par entrer dans la 
‘égende de saint Jacques en Galice, Ce qui semble un peu moins par- 
connable, c’est que les Bretons du Folgoët aient adjoint également aux 
. annales de leur pèlerinage. Cette prétention est constatée par les Chants 
populaires de la Bretagne. Au fond, la circonstance atténuante peut se 
plaider par cet endroit, que l’aceusé de la Calzada ayant été victime de 
sa chasteté, l'intervention de la rine des Vierges aura paru plus que 
probable dans sa libération, conformément au dicton populaire pour un 
homme sauvé d’un grand péril : «Il doit une belle chandelle à la sainte 
Vierge. » D'ailleurs saint Dominique de la Calzada avait bâti un ermitage 
dédié à la mère de Dieu, et choisi sa sépulture dans le voisinage. On 
honore encore, dans la même ville, une Notre-Dame de la Plaza, dont 
le culte remonte sans doute au saint lui-même. Partant de là, ïl est 
assez simple que dans un pèlerinage à Notre-Dame (comme celui du 
Folgoët), on ait célébré volontiers les faveurs obtenues par son mter- 
cession, même en d’autres lieux. A la suite des années et de la détermi- 
nation erronée des circonstances, amenée par des récits qui s'écartent 
de la source, des patriotes ardents auront adjugé le miracle à leur 
pays. Cest aussi le cas de rappeler un autre proverbe : Chacun prêche 
vour son saint1.» 


L Colleclion des plombs historiques, L Af, p. 199. 





XXXIX 


LES LIGUEURS 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Lorsque Louis XIT, la veille de son mariage avec Anne de Bretagne, 
signa le traité d’union du duché à la France (1499), le peuple armoricain, 
faticué d’une guerre sans fin, crut voir luire l'aurore d'un avenir 
meilleur, et, oubliant qu'il avait lutté contre la suzeraineté des rois 
franks pendant sept siècles, et contre leur autorité immédiate durant 
trois cents ans, consentit à accepter le roi pour seigneur direct; mais 
les plus clairvoyants ne se soumirent qu’à regret, ef à la mort d'Anne 
de Bretagne ils songèrent secrètement à recouvrer leur existence natio- 
nale. Chose remarquable, l'extinction de la famille ducale étrangère 
qu'Anne représentait, famille sous laquelle les Bretons avaient conservé 
leurs vieilles libertés, causa presque autant de chagrin au peuple que 
l'extinction de la race des chefs de nom et d’origine celtiques. Tomber 
sous l'autorité directe des rois de France après avoir été gouvernés par 
des ducs qui, moins dépendants de ces rois que de leurs sujets, ne pou- 
vaient promulguer aucune loi nouvelle, abroger aucune loi ancienne 
sans le consentement du baronnage de Bretagne, cette sauvegarde armée 
des intérêts nationaux, parut aux patriotes brelons une calamité réelle 
que dissimulait seulement le contrat par lequel leurs anciennes fran- 
chises leur étaient maintenues. Ils cherchérent donc l’occasion de secouer 
le joug de la France : la Ligue la leur offrit ; rattachant leur cause à celle 
du parti catholique, et prenant pour chef le duc de Mercœur, dont leurs 
vues nationales servaient les prétentions à la couronne de Bretagne, ils 
déployèrent le drapeau de l'Uruon. 

Le chant du départ des ligueurs cornouaillais de l'armée de Mercœur 
pour le siége de Craon, défendue par huit à dix mille hommes, tant 
Anglais que Français, qui furent mis en déroute sous les murs de la 
ville (mai 1592), est resté dans la mémoire belliqueuse des paysans des 
montagnes Noires ; il m'a été appris par un vieillard de Mael-Pestivien. 


Vers l'heure où le soleil se couche, un bruit s’entendit 
hicr, le bruit d’une barque descendant la rivière, et un cli- 


AR RE UNADED 


re LER KERINEL— 


Tro mare ar c'huz-heol. oe klevet trouz neihour, 
Trouz eur vag a oe Klevet o tonet sand ann dour, 


282 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


quetis d'armes, et des fanfares de. clairons, et un roulement 
de tambours tel, que les rochers en résonnaient au sommet 
des montagnes. 


Et moi d’aller voir; mais je ne vis rien que Marguerite la 
Grue, pêchant, immobile sur une patte : 

— Marguerite, Margot, qui voles haut et loin, qu’est-il donc 
arrivé de nouveau en basse Bretagne? 


— Il n'est rien arrivé de nouveau en basse Bretagne, si ce 
n'est la guerre et le trouble aux trois coins du pays; tous les 
Pretons se sont levés, paysans et gentilshommes ; et la guerre 
n'aura point de fin si Dieu ne vient en aide aux hommes. — 


On les vit rassemblés pour aller combattre aux frontières de 
la Bretagne, le jeudi de Pâques, au lever de l'aurore, sur la 
place de Kergrist-Moélou, chacun une arquebuse sur l'épaule, 
chacun un plumet rouge au chef, chacun une épée au côté, 
le drapeau de la foi en tête. 


Avant de partir, ils entrèrent dans l’église pour prendre 
congé de saint Pierre et du seigneur Christ; et, en sortant de 
l'église, ils s’'agenouillèrent dans le cimetière : 

— Or çà! haute Cornouaille, voilà vos soldats! 





Ha strap, a son ann drompill hag ann tabolinou, 
Ken a zone ar s'herreg war lein ar meneiou. 


lia me monet da welet; ha ne weliz netra 

Nemet Marc'haid ar gerc'heiz, pao-kamm, 0 pesketa : 
— Marc'haid, Marc'haidik, te nij hucl ha pell: 

Petra neve z0 digouet e-barz e Breiz-izel ? 

— Netra neve zo digouet e-barz e Breiz-izel, 

Nemed e tri c'horn ar vro zv stravill ha hrezel, 

Savet ann holl Vretoned, plouiziz ha noblanz, 

Ha na vo fin d'ar hrezel ma na gav ann dud chanz. — 


Neb ho gwele dastumet da vont da harzou Broiz. 

E tachen Kergrist-Moelou, d'ar iou fask, tarz-ann-deiz, 
Peb arkebut war ho skoa, pel blun ru euz ho zok, 
fel kleze eu: ho c'hoste, banniel ar feiz a-rok. 

Ha-pa oant 0 Yonet kuit h 20 cet d'ann iliz 

Evit kimiada sant Per kouls hag ann otrou Krists 
Hag 0 tont euz ann iliz "ncm stouont er vered : 

— Arsa ta, Kerne-huel, sctu ho soudarded! 


Le 


LES LIGUEURS. 283 


Voilà les soldats du pays, les soldats unis pour défendre la 
vraie foi contre les huguenots, pour défendre la basse Breta- 
gne contre les Anglais et Les Français et tous ceux qui rava- 
gent notre pays pire que l'incendie! — 


En quittant le cimetière, ils demandaient en foule : — Où 
trouverons-nous du drap rouge pour nous croiser présente- 
ment? — 

Le fils du manoir de Kercourtois repartit en brave : — 
Prenez exemple sur moi, et vous serez croisés ! — 


A peine il achevait ces mots, qu’il s'était ouvert une veine 
du bras, et que son sang jaillissait, et qu'il avait peint une 
croix rouge sur le devant de son pourpoint blanc; et que 
tous ils étaient croisés dans un instant. 


Comme ils étaient en route et approchaïent de Callac. ils 
entendirent les cloches de Duhot, qui sonnaient la messe, et 
eux de détourner la tête, et de dire tout d’une voix : 


— Adieu, 0 cloches de Marie! adieu, 0 cloches bien-ai- 
mées! 


Adieu donc, adieu, 0 cloches baptisées, que nous avons 
tant de fois mises en branle aux jours de fête! Plaise au 





Setu soudarded ar vro, soudarded unanet 

Evid difenn ar gwir feiz rag ann Hugunoded, 

Evid difenn Breiz-izel rak bro-Zoz ha Bro-C'hall, 
Kemend a wast hor bro-ni, gwas eged ann tangwall. 


Uag o tont euz ar vered eleiz a c’houlenne : 

— Men à gefimp mezer ru d'en emgroaza breme? — 
Ken a droc'haz kalonek potr maner Kergourtez : 

— Kemeret skouer digan-in hag e viot kroazet ezl — 
Ne oa ked he gomz gant han, he gomz achuet mad, 
Oa toullet gwien he vrec'h ken a strinkaz ar goad, 
Ha war dal he borpant wenn eur groaz ru a où gret, 
Hag abarz nemcur amzer ho holl e oant kroazet, 


Pa oant e kichen Kallak o vonet gand ann hent, 
E klevjont kleier Duhot 0 son ann ofern hred : 
Hag hi distroi war ho c'hiz enn eur laret ’nn eur vouez > 
— Kenavo kleier Mari! kenavo kleier kez! 
Kenavo ‘ta, kenavo, Kleier kristenier! 
- Aliez enn deziou-lid ni hon euz ho prallet| 


284 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Seigneur et à la Vierge sainte que nous vous sonnions encore 
quand la guerre sera finie! 


Adieu, sacrées bannières que nous avons portées proces- 
sionnellement autour de l’église, au pardon de Saint-Servet, 
Ah} puissions-nous être aussi forts pour défendre notre pays 
et la vraie foi que nous l'avons été pour vous tenir sur la 
place, au grand jour ! 


Que Dieu secoue la gelée! que le blé soit flétri, flétri dans 
le champ du Français qui trahit les Bretons! Et chantons tou- 
jours, tout d’une voix, enfants de la Bretagne : 

— «Jamais! non jamais, la génisse ne s’alliera au loup! » — 


Ce chant a été composé depuis que nous sommes en route ; 
il a été composé en l’année mil cinq cent quatre-vingt-douze, 
par un jeune paysan, sur un air facile à chanter. Répétez-le, 
hommes de Cornouaille, pour réjouir le pays. 


NOTES 


Les ravages commis en Bretagne par ceux qu'on y regardait toujours 
comme des étrangers, inspirent au poëte populaire la mème aversion pour 
eux qu'à ses prédécesseurs ; elle emprunte un accent nouveau à l’indigna- 
tion qu’il éprouve en songeant à la violation de la foi jurée, et proteste 
contre un pacte d'union qui lui paraît impraticable. Ce sentiment d’anti- 
pathie pour Le loup, comme il appelle l'ennemi Français, à l'exemple des 
poëtes nationaux du quatorzième siècle, n’était point particulier au peuple 





ka blijo pand ann Otrou, hag ar Werc'hez santel, 
Ma ho prailefimp -ni c'hoaz pa vo fin d'ar brezel! 


Kenavo, bannielou sakr, pere hon euz douget, 

Oc’h ober tro ann iliz, e pardon Sant-Servet; 

Ra vimp ker goest da zifenn hor bro hag ar gwir feiz 
Hay em omp bet d'ho terc'hel war ann dachen, enn dez) 


Pa hin Doue ar reo! da vo goenvet ann ed, 

Goenvet e douar ar Gall, trubard J'ar Vretoned! 

Ra ganomp-ni da viken, enn eur vouez, potred Breiz: 

— « Biken! hiken n’embaro ann onner hag ar bleiz. » — 


Ar ganaouen-ma Z0 gret aboe "n omp eët enn hent, 
Ebarz ar lion mil pemp kant daouzek ha poar ugent: 
Gret saud eur c’houer iaouank, war eunn ton da gano, 
Kanet-hi, potred Kerne, da laouenat ar vro, 





E 
L 
E 
E 
7 


LES LIGUEURS. 285 


iles campagnes; il était celui de toute la basse Bretagne, et même des villes: 
les Bretons s'obstinaient à ne pas vouloir devenir Français, ei traitaient 
de félons les hommes du pays dévoués au roi; c’est ce qui était arrivé à 
Châteaubriand, gouverneur de Brest, quelques années auparavant. La 
reine de Navarre écrivait alors de basse Bretagne à Henri Il: «Jay veu 
\. de Chasteaubriand.…. Il n’a regart ny à son proufist, ny à complaire à 
nulluy, pour votre service, dont ceux de la basse Bretaigne le tiennent 
pour mauvais Breton... ; ceux de Brest... ne sont pas bien confirmés 
bons Français. Vous savez de quelle importance le lieu est; il vous plaira 
y penser : car M. de Chasteaubriand en a souvent la fiebvre de peur, 
veu qu'il est en dangereuses mains, et gardé par gens mal contents T. » 

René du Dresnay, seigneur de Kercourtois, chef des Ligueurs de la 
haute Cornouaille, est un des plus beaux caractères du seizième siècle. 
A l’époque du siége de Craon, il n'avait guère que vingt-deux ans; en 
1594, il commandait une compagnie de gens d'armes de cent cinquante 
calades, «qui lui avoit esté donnée de préférence à plusieurs gentils- 
hommes et vieux soldats, lesquels néanmoins n’en furent pas jaloux, dit 
un contemporain, la voyant baïller à celui qui la méritoit si bien. Car 
c'estoit un gentilhomme rempli de belles qualités entre la noblesse, et 
plus parmi les genz de guerre : vaillant de sa personne autant qu'on 
pouvoit l’estre; discret, parlant peu mais bien à propos: ne jurant 
jamais ; ne s’adonnant pas aux femmes, comme la plupart des aultres 
recherchent si curieusement, ne manquant de remplir son devoir de 
bon chrestien, jeusnant le caresme, mesme à la campaigne ; ce qu'il 
faisoit quand il fut tué, qui fut le jeudi absolu ou le jour de devant 
459%). Mais il semble que Dieu le vouloit à lui, le trouvant disposé 
de jouir de la gloire éternelle. » 

Kercourtois eut une de ces morts glorieuses, si communes dans les 
femps modernes : il perit en gardant le pont de la Ioussaie, près de 
Pontivy, qu'il défendit seul, pendant près d’une heure, contre six ou 
sept cents arquebusiers ennemis, jusqu'à ce que, tentant un dernier 
eflort pour les chasser au delà, et «s’estant avancé de urie, dit l'his- 
torien déjà cité, son cheval eut un des pieds de derrière pris entre 
deux planches du pont, et tomba sous lui. Dans ce moment accourut 
un soldat qui lui donna, au défault de la cuirasse, de son espée au tra- 
vers du corps. Et il trespassa à cheval, sur celui même qui avoit combattu. 
Son corps fut rendu à Kemper, et enterré aux Cordeliers avec une grande 
magnificence, et beaucoup de pleurs de toutes sortes de genz, car 11 
esloit fort aimé. » 

L'antique usage de l'enlèvement de la bannière paroissiale de Saint- 
Servet, auquel fait allusion le chantre des Ligueurs, existe encore aujour- 
d'hui. La veille du jour du pardon, qui a lieu tous les ans le 15 mai, et 
qui attire une foule immense de pèlerins, non-seulement du pays de 
Cornouaille, de Tréguier et de Vannes, sur la limite desquels est bâtie la 
chapelle du saint, mais même du pays de Léon. A l'issue des vêpres, au 
moment où la procession va sortir, où croix et bannières se dressent, où 
le prètre, debout sur les degrés de autel et tourné vers le peuple, élève 


4 Lettres inédites de la reine de Navarre. Lettre xcix, p. 165 et 166. De la basse Brelagne 
— Octobre, 1557, Au Roi, 


286 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


le saint sacrement, les paysans de Vannes et ceux de Léon (car les Tré- 
gorois et les Cornouaillais restent neutres) se séparent tout à coup en 
deux camps, et, brandissant en l’air leurs terribles bâtons à tête, ils 
s’écrient d’une voix tonnante : 


Hij ar reo! io! io! 
Hij ar reo! hi ar reo! 


n Secoue la gelée! io! io! secoue la gelée! secoue la gelée! » 


C'est une prière à Dieu pour qu'il détourne des blés qui poussent les 
gelées dont ils sont menacés. La procession sort de l’église, et la mêlée 
s’engage autour de la bannière, dont les deux partis rivaux, qu’on dis- 
tingue à un morceau d’étoffe rouge ou blanc croisé sur l'épaule gauche, 
s'efforcent de disputer la possession au vigoureux Cornouaillais qui la 
porte. Les vainqueurs s’en partagent les lambeaux, et la gelée, dit-on, est 
pour les vaincus. 

L'intervention des gendarmes ne saurait arrêter le désordre; on peut 
voir, après la bataille, le lit du ruisseau qui sépare les évêchés de Quim- 
per et de Vannes encombré de tronçons de sabres. En 1766, dit un écrivain 
du dernier siècle, l'évêque de Cornouaille fit défense au recteur de Duhot 
d'ouvrir la chapelle de Saint-Servet et de célébrer le pardon. Le prêtre 
voulut obéir; mais les Vannelais, s'étant rendus au preshytère, l’enle- 
vèrent de force, le placèrent sur leurs bâtons, avec lesquels ils avaient 
formé une espèce de brancard, et le portèrent jusqu’à la chapelle, où 
ils le forcérent de chomer la fête patronale. Ainsi, comme le remarque, 
avec sa justesse d'observation habituelle, M. Alfred de Courcy, dans l'étude 
la plus piquante qui ait paru sur les Bretons, ainsi la puissance de la 
tradition est telle en Bretagne qu’elle y triomphe souvent de la religion 
elle-même. 


PP RE 


XL 


LA FONTENELLE 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


Un des plus fameux partisans deut la Ligue en Bretagne était 
la Fontenelle. 

« Guy Eder de la Fontenelle, juveigneur de la maison de Beaumanoir, 
dit le chanoine Moreau, nasquit en la paroïsse de Botoa, en Cornouaille. 
Dans le temps qu'il estoit escolier à Paris, au collége de Boncotest, où 
je le vis en 1587, il monstroit déjà des indices de sa future vie despra- 
vée, estant toujours aux mains avec ses compagnons. En 1589, il vendit 
ses livres et sa robe de classe, et, du provenu de l’argent, acheta une 
espée et un poignard, se déroba dudit collége, prit le chemin d’Or- 
léans pour aller trouver l’armée de M. le duc du Maine, lors lieute- 
nant général de l’Estat et couronne de France et chef du parti catho- 
lique, et retourna en Bretagne. Aagé de quinze à seize ans, il se mit 
parmi la populace qui estoil sous les armes pour le parti des Ligueurs, 
qui en fit estal, parce qu'il estoit de bonne maison et du pais, et, le 
voyant d’un esprit actif, lui obéissoit fort volontiers. Il se fit suivre de 
quelques domestiques de son frère aisné, et d’autres jeunes seigneurs 
de la commune, et commença à piller les bourgades, et à prendre pri- 
sonniers de quelque parti qu'ils fussent. Il donna plusieurs alarmes à 
Guingamp, dont le gouverneur tenait pour le roy, encore que la ville 
fust au seigneur de Mercœur, de la part de sa femme, duchesse de Pen- 
thièvre, qui portoit surnom de Bretagne. 

« Il fit à la sourdine une course en Léon, jusques à Mesarnou, et en- 
leva la fille de la dame du lieu (Marie de Coadelan, fille de Lancelot le 
Chevoir et de Renée de Coetlogon), héritière de mère et de père, riche de 
neuf à dix mille livres de rentes, aagée seulement de huit à neuf ans.» 

Ce dernier trait est le sujet d’une des mille chansons populaires dont 
la Fontenelle est le héros. La suivante a été recueillie, il y a plusieurs 
années, par le comte de Kergariou, ancien pair de France, dont la rare 
sagacité avait deviné la mine poétique, si exploitée aujourd’hui, longtemps 
avant que personne songeât à en tirer parti. 


288 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


La Fontenelle, de la paroisse de Prat, le plus beau fils qui 
porta jamais habits d'homme, a enlevé une héritière de 
dessus les genoux de sa nourrice. 


— Petite héritière, dites-moi, que cherchez-vous dans ce 


fossé? 





que j'aime ; 


Je cueille des fleurs d'été pour mon petit frère de lait 


Pour mon petit frère de lait que j'aime, je cueille des fleurs 
d'été, mais J'ai peur, et j'en tremble, de voir arriver La Fon- 


tenelle. 


— Petite héritière, dites-moi, connaissez-vous La Fonte- 


nelle ? 


—Je ne connais pas La Fontenelle, mais j'en aï oui parler ; 


J'en ai oui parler, j'ai oui dire que c'est un bien méchant 
homme, et qu'il enlève les jeunes filles. 
— Oui! et surtout les héritières ! — 


Il la prit dans ses bras, et l'embrassa; puis il la mit en 
croupe derrière lui, et la mena à Saint-Malo. 








FONTANELLA 


— IES TREGER — 


I 


Fontanellan, a harrez Prad, 
Pravan map a wiskas dillad, 

En deuz lammet eur benn-herez 
Diwar barlen he magerez. 

— Penn-herezik, d'in leveret, 
Petra er c'hleuz-ze a glasket? 

— Klasket a ranu boukejo han 
Uam breurik mager a garann ; 
D'am breurik mager a garann, 
Klasket a rann boukejo han, 
Hogen aon ’m ceuz, ken a grenann, 


Na erruje Fontanellan. 


— Penn-herezik, d'in leveret, 
Fontanellan à anaveet? 

— Fontanellan n’anaveann koet. 
Klevet komz anean ’m euz gret, 
Klevet komz anean "m ceuz gret, 
Laret oa gwall botr, "m euz klevet, 
Laret penoz e lamm merc'hed. 


— Ja! ha dreist-holl penn-herezed ! — 1 


Tre he ziou-vrec’h he c'hemeraz, 
liar he briatat a renz, 

Ha war lost he varc'h he zolaz, 
la da Zant Malo he c'hasaz. 


EN 


LA FONTENELLE, 289 


Il l’a menée à Saint-Malo, où il l'a mise dans un couvent, 
et quand elle a eu quatorze ans, il l’a prise pour épouse. 


IT 


Ils sont allés habiter le manoir de Coadélan; elle a mis au 
monde un petit enfant, un enfant aussi beau que le jour, res- 
semblant à son. père La Fontenelle. 

Quand arriva une lettre : il fallait se rendre à Paris. 

— Je vous laisse ici seule, je pars à l'instant pour Paris. 

— La Fontenelle, restez à la maison; je payerai un messa- 
gor: au nom de Dieu, n’y allez pas ; si vous y allez, vous n’en 
reviendrez plus. 

— Ne craignez rien; j'irai moi-même les trouver; avez 
bien soin de mon fils, pendant que je serai loin d'ici. — 

Fontenelle, en partant, disait aux jeunes gens : — Je donne- 
rai la plus belle bannière du monde à Notre-Dame du Rosaire; 

Une bannière et les plus beaux habits, si vous n'oubliez pas 
La Fontenelle, et si vous avez soin de son petit enfant, jusqu'à 
ce qu'il revienne à Coadélan. — 





Da Zant-Malo neuz hi c'haset, | Denn a rinn eur c'hannader. 

El lean -di neuz hi laket, Enn han Doue, na et Ket di; 

Ha pa oe pevarzek vloa net, Ma et di na ziztroec'h mui. 

Neuz hi c'hemeret da bried. — Peuz ker da gaout aon e-bet; 
[1 Me ja ma unan d'ho c'haouet: 

Gret ervad d’am rmabik bihan, 

Da vaner Koadelan int eet; Keit e vinn pell deuz ar ger-man. — 

Eur mab bihan e deuz ganet, TET, Res 

Eur mab ker koant evel ann han, D'ann dud iaouank, pa ziblase : 

Henvel J'he dad Fontanellan, — Me rei eur banniel ar c'haeran. 

Ken a oa eul lizer digouet : D'ann itron Vari Rozeran; 

Da Bariz e oa red monet. Banniel ha dilad ar c'haeran, 

— Ho unan, aman ho loskann, Ma po sonj ouz Fontanellan; 

Da Bariz ruktal a eann, Ha damant ouz he vab bihan, 

— Fontanellan, chamet er ger: | Ken na ziztroi da Goadelan. — 


19 


200 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


IT 


— Bonjour, roi et reine, me voici venu vous trouver dans 
votre palais. 

— Puisque vous voilà, soyez le bienvenu! vous ne sortirez 
pas d'ici. 

— Je sortirai certes d'ici, seigneur roi, ou nous verrons! 

Qu'on me selle ma haquenée, que je retourne chez moi. 

— À Coadélan vous n'irez point; en prison, je ne dis pas : 
il y a assez de chaines dans mon palais, pour enchainer deux 
ou trois hommes. 

— Page, page, mon petit page, va vite à Coadélan, et dis à 
la pauvre héritière de ne plus porter de dentelles ; 

De ne plus porter de dentelles, car son pauvre époux est en 
peine; toi, rapporte-moi une chemise à mettre, et un drap 
pour m'ensevelir. 

Rapporte-moi une chemise de toile, et un grand drap blanc, 
et de plus un plateau doré, pour qu'on Y expose ma tête aux 
regards; 

Et tiens une poignée de mes cheveux, pour attacher à à 
porte de Cond clan: afin que les gens, en allant à la messe, 
disent : Que Dieu fasse grâce au marquis! 


Ke ker skanv trezek Koadelan, 
III 5 G 
lln lavar d'ar benn-herez kez 


— Demad, roue ha rouanez, Ma na zougo mui dantelez; 


Deut onn d’ho kaout enn ho palez. 
— Pa oc'h deut, deut mad ra viet! 
Mez ac'halenn c'hout na iei ket. 
— Mez a ac'han me a ielo, 

Otro roue, pe ni welo! 

Sternet d’in-me ma inkane, 

Ma inn-me J'ar ger adarre. 

— Da Goadelan c'hont na iei kel; 
D'ar prizon, ne Javarann ket; 
Chadenno awalc'h zo em zi, 

Evit chadennan daou pe dri. 


— Pachik, pachik, pachik Tuhan, 


Ma na zouso mui dantelez, 

tag he fried paour 70 diaez; 
Kas d'in eur roched da wiskan, 
Hag cul liser d'an liennan. 
Kas d'in, te, eur roched lieu, 
Hay eul liser vraz lien gwenn, 
Hag ouspénn eur plad alaoureë, 
Da lakat va fenn da zellet; 


Dal eur guchen euz ma bleo-man, 
Da stagan ouz dor Koadelan 

Ma laro re iei d’anniliz : 

True Doue war ar markiz! 


d LA FONTENELLE. 291 


— Portez des cheveux tant que vous voudrez; pour des 
plateaux d'or c'est inutile; sa tête sera jetée sur le pavé, pour 
servir de boule aux enfants. — 


Le petit page disait, en arrivant à Coad olan: — Bonjour, bon- 
jour, héritière; meilleur jour que n’a le pauvre seigneur ! 


Il demande une chemise à mettre, et un drap pour l'ense- 
velir, et, de plus, un plateau doré pour qu’on y expose sa tête 
aux regards. —- 


IV 


ceux de Paris étaient fort surpris, et se demandaient ce qui 
pouvait être arrivé, voyant une dame d’un lointain pays me- 
nant si grand bruit par les rues. 


— Voici l'héritière de Coadélan avec une robe verte et 
flottante; si elle savait ce que Je sais, elle prendrait une robe 
noire comme de la poix. 


— Sire, Je vous en conjure, rendez-moi mon mari. — Je 
ne vous rendrai point votre mari, il y a trois jours qu'il a ét‘ 
FOUG. — 

Quiconque viendrait à Coad elan aurait le cœur navré, aurait 
le cœur navré de douleur, en voyant le feu mort au fover; 


— Kaset bleo kement ma gerfet; | © C'houzout petra oa digouet, 
Evid plado aour na vern kot: | Gwelet cunn itron a bell vro, 
Tolt vo he henn war ar pae, ! Trouz hraz gant hi, dre ar ruio. 
U ari 1. Y ——— 1 Q 7 

Da c'honri boul d'ar vugale. — Setu penn-herez Koadelan 
Ar pachik bihan lavare, | Gant hi eur ze c'haz ha ledan: 
E Koadelan pa errue : | Ma c'houfe pez a ouzonn me, 

— Demad, demad d'hoc'h penn-herez, | Eur vroz du-pek a gemerfe. 
Gwelloc'h eit zo gan "nn ot'o kez! — Gtro roue, ha me ho ped. 


Ma fried d'in-me daskoret. 
— Ho pried ("hac'h ne zasinn ket. 
Tri de zo e ma bet Larret, —- 


Eur roched a c'houl da wiskan, 
Hac eul liser d’he liennan, 
Hac ouspenn eur plad alaouret, 
Da lakat he benn da zellet — 

En defe keun ha nec'hamant. 


IV S 
En dete keun hraz 0 welet 
Re Bariz a 09 souezct, : Maro ann tan war ann oaled, 


Neb a zeufe da Goadelan, 


292 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


En voyant les orties croître sur le seuil de la porte et au 
rez-de-chaussée; au rez-de-chaussée et dans la salle, et le 
méchant monde y faire le beau ; 


Et les pauvres gens pleurer, en passant, pleurer d’an- 
goisse, hélas! en disant: — Voilà qu’elle est morte, la mère 
des pauvres! — 


NOTES 


Le chanoine Moreau assure que ce fut à l’île Tristan que la Fontenelle 
emmena l’héritière de Coadélan, après l'avoir enlevée. Le poëte la fait 
conduire à Saint-Malo, en un couvent de religieuses. Plusieurs raisons 
me feraient préférer le témoignage du poëte. La ville de Saint-Malo 
avait d'elle-même ouvert ses portes aux Ligueurs, et tenait encore pour 
eux à l’époque de l'enlèvement de l'héritière. Plus tard, elle les aban- 
donna, se révolla contre son gouverneur, qu'elle soupçonnait de rap- 
DOIS secrets avec les royalistes, et se donna un gouvernement libre. 

Il est permis de croire, avec le poëte populaire, que Marie de Coadélan 
finit par s'attacher à un homme qui l'avait enlevée par force; car la 
famille de Kergariou possède un acte passé, le 17 février 1602, en son 
nom et en celui du sieur de la Fontenelle. Après qu’inculpé dans la conspi- 
ration de Biron, il eut été roué vif, malgré sa qualité de gentilhomme, 
moins pour ce nouveau crime que pour ses déportements antérieurs, 
Marie ne rougit pas de se montrer comme sa veuve pour renoncer à la 
communauté. Rien n'empêche de penser encore qu’elle ait demandé la 
grâce de son mari, ou même qu’elle soit morte de chagrin, comme l’au- 
teur parait le donner à entendre, car, dès 1605, elle n'existait plus. 





0 welet al lenad kreski Hag ann dud paour, enn eur dremen 
Enn toull ann nor hag el Jeur-zi Oc’h oelan, sivoaz, gand anken, 
EL leur-zi har enn kreiz ar zal, Oc’h oelan, 0 Komz evelhenn : 


Hag ann dud fall eno’ vragal : — Setu maro mamm ar heorien) 


né ou 


XLI 


L'HÉRITIÈRE DE KEROULAZ 


— DIALECTE DE LEON — 


ARGUMENT 


L'histoire de Marie de Keroulaz, fille unique de François de Keroulaz. 
chevalier, seigneur de Keroulaz. eñ bas Léon, et de dame Catherine de 
Lannuzouarn, nous présente un fond d'aventures tout à fait semblables 
à celles d’Azénor de Kergroadez. Forcée par sa mère, en 1565, d'épouser 
François du Chastel, marquis de Mesle, qui fut préféré à deux jeunes 
seigneurs du pays, Kerthomaz et Salaün, dont elle recevait publiquement 
les hommages, l’héritière serait morte de chagrin. De Mesle tient dans 
l’histoire de Bretagne une place fort peu honorable. Dom Morice rapporte 
que, sous la Ligue, lors de la prise de Quimperlé, dont il était gouver- 
neur, il se sauva presque nu au milieu de la nuit, avec des femmes, 
passa la rivière et prit la route de son manoir de Châteaugal, où il se 
tint caché. Nos traditions populaires ajoutent à ce trait de lâcheté plu- 
sieurs faits d’avarice sordide : c'en était plus qu’il ne fallait pour éloigner 
de lui l'héritière. 

Mademoiselle Marie de Blois, fille du savant de ce nom, est l’auteur 
de la découverte de la ballade qu’on va lire. La version que je publie ma 
été chantée par une paysanne de la paroisse de Nizon. 


L’héritière de Keroulaz avait bien du plaisir à jouer aux 
dés avec les enfants des seigneurs. 





PENN-HEREZ KEROULAZ 


LES KSL UT 


I E devoa eunn diduel vraz 
Enn eur c’hoari diouz ann dizez, 
Ar benn-herez a Geroulaz Gant bugale ann aotrounez. 


29% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Cette année, elle n’a point joué, car ses biens ne le lui 
permettaient pas; elle est orpheline du côté de son père; l’a- 
grément de ses parents serait bon à avoir. 


— Aucun de mes parents paternels ne m'a jamais voulu de 
bien; ils ont toujours souhaité ma mort, pour hériter ensuite 
de ma fortune. — 


IT 


— L'héritière de Keroulaz est aujourd’hui bien heureuse ! 
Elle porte une robe de satin blanc et des fleurs d’or sur la 
tète. 


Ce ne sont point des souliers à lacets que l’héritière a cou- 
tume de mettre, ce sont des souliers de soie et des bas bleus, 
comme il sied à une héritière de Keroulaz. — 


Ainsi parlait-on dans la salle, quand l’héritière entra en 
danse; car le marquis de Mesle était arrivé avec sa mère et 
une suite nombreuse. 


— Je voudrais être petit pigeon bleu, sur le toit de Kerou- 
laz, pour entendre ce qui se trame entre sa mère et la 
mienne. 

Ce que je vois me fait trembler; ce n’est point sans des- 
sein qu'ils sont venus ici de Cornouaille, quand il y a dans la 
maison une héritière à marier. 





Evid ar bloaz m'e deuz Ket gret, 
Rag he danver na aotre ket; 
Emzivadez eo aberz tad; 


Grad-vad he c'herent a vez mad. 


— Va holl gerent a du va zd 
N'ho deu: hiskoaz karet va mad 
Nemet c’hoantaet va maro, 

D out war-lerc'h va mado, — 


II 


— Ar benn-herez a Geroulaz 

E Jeuz hirio plijadur vraz. 

U tougen eur zae satin gwenn, 
Ha boukedou sour war he fenn. 


Ne - eo ket botou lasenet 


Donz ar benn-herez da gaouet : 
Poteier seiz ha lerou glaz, 
Boaz eur benn-herez Keroulaz. — 


Evelse a gomzet er zal, 

Pa zeue’r benn-herez er bal; 

Rag markiz Melz oa erruet, 

Gand he vamm hag heul braz meurbet. 


— Me garje heza koulmik c'haz. 
War ann doen a Geroulaz, 

Evit Klevet ar gomplidi, 

Etre ke vamm ha va hini. 


Me a gren gant nez a welann: 
Ne ked heb sonj int deut aman, 
Euz a Gerne, pa zo enn ti, 

Zur benn-herez da zimizi, 





L'HÉRITIÈRE DE KEROULAZ. 295 


Avee son bien et son grand nom, ce marquis-là ne me plait 
pas; Kerthomaz est celui que j'aime depuis longtemps, celui 
que J'aimerai toujours. — 

Kerthomaz lui-même était tout soucieux, en voyant les per- 
sonnes qui venaient d'arriver à Keroulaz, car il aimait l'héri- 
lore, et disait souvent : 


— Je voudrais être rossignol de nuit, dans son jardin, sur 


un rosier; quand elle viendrait cueillir des fleurs, nous nous 
y verrions tous les deux. 


Je voudrais être sarcelle sur l'étang où elle lave ses robes, 
pour mouiller mes yeux dans l’eau qui mouillerait ses 
pieds. = 


LIL) 
Salaün, lui aussi, arriva le samedi soir, selon sa coutume, 
au manoir de Keroulaz, monté sur son petit cheval noir. 


Comme il frappait à la porte de la cour, l’héritière lui ou- 
vrit; l'héritière, qui sortait pour donner un morceau de pain 
à un pauvre. 

— Petite héritière, dites-moi, où est allée la compagnie? 

— Conduire les chiens à l'eau, Salaün; allez les aider. 


Gand he vad hag he hanv brudet, Gand ann dour a c’hlib he daou-droad.— 
Ar markiz-ze d'in na blij Ket: 

Hogen Kerdomaz pellik zo JIT 

A garann, a girinn ato. — Na Zalaun a zigouezaz 

Nec’het oa ivez Kerdomaz, Da zadorn-n0z e Keroulaz. 

Gand ann dud deut da Geroulaz; War he varc'hik du d'ar maner, 
Karout eure ar benn-herez, Vel ma oa boazet da ober. 

Hag a lavare aliez : War ann nor horz pa neuz skoet, 

— Me garje beza estik-noz Ar beun-herez neuz digoret; 

Er jardin war eur bodik roz, Ar benn-herez, 0 tont er meaz 

Pa zeufe da zastum bleun'aou. U rei cunn tamm boed d’eur paour keaz- 
Ni em welfe enn hon daou. — Penn-herezik, d'in leveret, 

Me garje beza krak-houad Peleac'h eo ho tudjentiled? 

War al lenn a walch he dillad, — Et int da gas ar cha: d'ann dour, 


Evit glibia va daou-lagad. Salaun ke prim d'ha sikour. 


296 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


U 0 . Q U x 3 
"e Ce n’est pour faire boire les chiens que je suis venu à 
Keroulaz, mais bien pour vous faire la cour; soyez plus gen- 
tille, héritière. — 


IV 


L'héritière disait à madame sa mère, ce jour-là : — Depuis 
que le marquis est ici, mon cœur est brisé. 

Madame ma mère, je vous en supplie, ne me donnez pas au 
marquis de Mesle: donnez-moi plutôt à Pennanrun, ou, si 
vous aimez mieux, à Salaün; 

Donnez-moi plutôt à Kerthomaz: c’est celui-là le plus ai- 
mable : il vient souvent en ce manoir; et vous le laissez me 
faire la cour. — 

— Dites-moi, Kerthomaz, êtes-vous allé à Châteaugal? 

— Je suis allé à Châteaugal; mais, ma foi, je n’y ai rien vu 
de bien; 

Je n y ai rien vu de bien; je n’y ai vu qu'une méchante 
salle enfumée, et des fenêtres à demi brisées, et de grandes 
portes qui chancellent ; 

Uu une méchante salle enfumée, où une vieille femme gri- 
sonnante hachait du foin pour ses chapons, faute d'avoine à 
leur donner. 





— Ne d- eo ket cvid doura chas Hen-nez en deuz ar muia gras, 
Ez ounn deuet da Geroulaz, Enn ti-mann e teu aliez, 
Nemed evid ober al lez; Hag he lezit d'in ober lez. — 
Ra viot furoc'h, penn-herez. — — Kerdomaz, d'in-me leveret, 
IV Da Gastelgall ha c'hou 70 bet! 


— Da Gastelgall ez ounn-me bet ; 
Ar benn-herez a lavare Mad, m'en toue, p'en euz gwelet. 
D'he mamm itroun, enn devez-ze : 
— Aboe ma ar markiz ama, 

Va c'haloun 70 deut da rann, 


Mad, m'en (one, n’em euz gwelet, 
Nemed eur goz sal mogedet, 
Ha prenestrou hanter torret, 


Va mamm jtroun, ha me ho ped, Ha dorojou braz keulusket; 
D'ar markiz Melz n'em roit ket: Nemed eur goz sal mogedet 
ni T 
V roit pe ZTE Enn han eur c'hregik koz louet, 
Ge SON CE ZEN 0 (raill foen d'he c’haboned; 


Va roit kent da Gerdomaz, Mar defe Kerc'h na rete ket. 


L'HÉRITIÈRE DE KEROULAZ. 297 


— Vous mentez Kerthomaz, le marquis est fort riche; les 
portes de son château brillent comme de l'argent, et les fe- 
nêtres comme de l'or; 


Celle-là sera honorée, que le marquis demandera. 
— Cela ne me fera aucun honneur, ma mère; aussi je ne 
le demande pas. 


— Ma fille, changez de pensées, je ne veux que votre bon- 
heur; les paroles sont données; la chose est faite : vous 
épouserez le marquis. — 


La dame de Keroulaz parlait ainsi à l’héritière, parce que 
la jalousie était au fond de son cœur, et qu’elle aimait Kertho- 
naze 


— Kerthomaz m'avait donné un anneau d’or et un sceau; 
je les acceptai le cœur gai, je les rendrai en pleurant 


Tenez, Kerthomaz, votre anneau d'or, votre sceau, vos 
chaînes d’or; on ne veut pas que je vous épouse; je ne puis 
garder ce qui vous appartient. — 


U 


Dur eût été le cœur qui n’eût pas pleuré, à Keroulaz, à voir 
la pauvre héritière embrasser la porte en sortant. 





— Gaou a livirit, Kerdomaz, | Ha oa Kerdomaz he mignoun, 
Ar markiz zo pinvidik braz; | 
He zorojon z0 arc'hant gwenn: 
He brenestrou zo aour melen; 


— Eur walen aour hag eur sined, 
: Gand Kerdomaz oent d'in roet, 

| Ho c'hemeriz enn eur gana, 
Houn-nez a vezo enoret | Me ho azroi cnn eur oela. 

A vezo gant-ha goulennet. 

— N'em bezo, mamm, enor e-bet, 
Nar ivez n'he c’houlennann Ket. 


Dall, Kerdomaz, da walen aour, 
Da sined, da garkauiou aour, 
N'ounn Ket lezet d'az kemeret, 





— Va merc'h, ankounit ann holl-ze, Miret da zraou ne dleann ket, — 
Tra Kent ho mad na zalc'hann -me; 

Roet ar geriou, ann dra 20 gret, Y 

D'ar markiz viot dimezet, — Kris vilier galoun na oelze, 
Itroun Keroulaz a gomze, E Keroulaz neb a vize, 

Ouz ar benn-herez evelse, 0 welet ar benn-herez kenz. 


Dre m’e doa erez er galoun, | 0 poket d'ann nor pa ’z ea mea. 


298 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Adieu, grande maison de Keroulaz, vous ne me verrez 
plus ; adieu, chers voisins; adieu, pour jamais! — 


Les pauvres de la paroisse pleuraient: l'héritière les con- 
solait : 

— Taisez-vous, pauvres gens, ne pleurez pas; venez me 
voir à Châteaugal. 


Je ferai l'aumône tous les jours; et, trois fois par semaine, 
une charité de dix-huit quartiers de froment, et d'orge et 
d'avoine. — 


Le marquis de Mesle dit à sa Jeune épouse, en l'entendant 
parler ainsi : 

— Pour cela, vous ne le ferez pas ; car mes biens n’y suffi- 
raient point! 


— Sans prendre sur vos biens, messire, je ferai l’aumône 
chaque jour, afin de recueillir des prières pour nos âmes, 
après notre mort. — 


Vi 


L'héritière demandait, deux mois après, étant à Château- 
gal : — Ne trouverai-jé pas un messager pour porter une 
lettre à ma mère? — 


— Kenavo, ti hraz Keroulaz, | D'he c'hreg nevez pa he c’hleve : 
Biken cnn hoc'h na rinn eur paz; | —"Vit kemend-all na refot ket, 
Kenavo, va amezeien, | Rag va madou na badfent ket. 


Kenavo breman, da viken. — | __ Va aotrou, heh kaout ho re, 
Peorien ar barrez a oele, | Me roio aluzen bemde, 

Ar benn-herez ho frealze : | Evit dastumi pedennou, 

— Tavit, poerien, na oelet ket, | Goude hor maro, d'han eneou, — 
Da Gastelgall deut d'am gwelet. 
Ma a roi aluzen bemdez; VI 

Teir gwech sizun, dre garantez, | Ar benn-herez a lavare, 

Triouec'h palevarz a winiz, E Kastelsall, daou viz coude: 

A gerc'h ivez Ker kouls hag heiz. ' Ne gaffenn ked eur c’hannader, 

Ar markiz Melz à lavare, Da zougen d'am mamm eul lizer? — 





L'HÉRITIÈRE DE KEROULAZ. 299 


Un jeune page répondit à la dame : 

— Écrivez quand vous voudrez, on trouvera des messa- 
gers. — 

Elle écrivit doncune lettre, et la remit à un page, avec ordre 
de la porter incontinent à sa mère, à Keroulaz. 


Lorsque la lettre arriva à sa mère, elle s’ébattait dans la 
salle avec quelques gentilshommes du pays, parmi lesquels 
était Kerthomaz. 


Quand elle eut lu la lettre, elle dit à Kerthomaz : 
— Faites seller promptement les chevaux, que nous nous 
rendions cette nuit à Châteaugal. — 


En arrivant à Châteaugal, madame de Keroulaz dit : —N'y 
a-t-il rien de nouveau ici, que la porte cochère est ainsi ten- 
due? 


— L'’héritière qui était venue ici est morte cette nuit. 
— Si l'héritière est morte, c’est moi qui l’ai tuée! 
Elle m'avait dit souvent : Ne me donnez pas au marquis de 


Mesle; donnez-moi plutôt à Kerthomaz; celui-là est le plus 
aimable. — 


Kerthomaz et la malheureuse mère, frappés d’un coup si 
cruel, se sont consacrés à Dieu, dans un cloître sombre, pour 
Ja vie. 


Eur pajik iaouang a gomzaz | Itroun Keroulaz choulenne, 
Ouz ann itroun pa he c'hlevaz : | E Kastelgall pa errue : 

— Skrivit lizeriou, pa gerfet, | — Netra nevez 20 enn ti-ma, 
Kannaderien a vo kavet. — | Pe’steignet ar perziertgiz ma? 
Î 


Koulskoude eul lizer skrivaz, | —— Ar benn-herez oa deut ama 


Ha d’ar paj e-berr he ronz. | À z0 maro enn nozvez-ma. 

Gant gourc'hemenn evit he gaz : — Ma eo maro ar benn-herez, 
1 . 

Raktal d’he mamm da Geroulaz. ! Me a zo he gwir lazcrez! 

Pa erruaz al lizer gant-hi, ! Meur werh e doa d'in lavaret : 


A oa er zal oc'h ebati 
Gand lod tudjentil euz ar vro, 
Ha Kerdomaz a oa eno. 


D'ar markiz Melz Yom roit ket: 
Va roit kent da Gerdomaz; 
Hen-nez en deuz ar muia graz. — 
P'e doe-hi al Uzer lennet, 

Pa Gerdomaz "deuz lavaret : 

— Likit dipra kezek raktal, 

Ma ’z aimp fenoz da Gastelgall. — 


Kerdomaz ha "Y vamm dizeuruz, 
Skoet gand cunn taol Ker truezuz, 
Zo en em westlet da Zoue, 

Er c'hlaostr du, evid ho buhe. 


a — 


300 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


NOTES 


Le statue du marquis de Mesle se voit encore dans le reliquaire de 
Landelo, à quelques lieues de Carhaix : il était petit, gros et laid; on lui 
a donné la chevelure bouffante et armure d’un seigneur du temps de 
Louis XIL Près de là s'élèvent ses trois piliers de justice; plus loin, on 
aperçoit les ruines de son château : des paysans l’ont acheté et l’occupent 
aujourd’hui. Il a dù être beau, mais peu fort; sa position sur le sommet 
d’une montagne, au-dessus d’une rivière, est d’un effet pittoresque ; le 
bâtiment principal a été en partie démoli. Les jardins d’alentour sont 
incultes et couverts de ronces, de digitales, d'aubépines et de vieux bou- 
quets de buis, peut-être contemporains de l'héritière, les avenues et les 
bois ont été coupés. 

On a oublié dans le pays les malheurs de Marie de Keroulaz, dont la 
poësie populaire a du reste un peu précipité la fin, car elle eut le temps 
d'avoir trois enfants de son mariage avec François du Chastel ; on ne se 
souvient que du marquis, de son avarice et de sa lachete. Kerthomaz et 
Salaün ont dû laisser des souvenirs tout différents. 

Un jour je vis passer, sur le chemin de Quimper à Douarnenez, un 
grand paysan de bonne mine, d’une quarantaine d'années, portant la 
double veste bleue, les larges braies plissées du canton et de longs che- 
veux blonds flottants; frappé de son air distingué, je demandai son nom : 
c'est, me répondit-on, le dernier des Keroulaz. 


XLII 


LE PAGE DE LOUIS XII 


DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Les Bretons que l'ambition et le désir de briller attirérent à la cour 
de France, comme autrefois du Guesclin, y apportèrent leurs vieilles 
préventions, et souvent ils se prirent de querelle avec les courtisans 
au point d'en venir aux mains. L’aversion qu'ils témoignaient pour 
les manières recherchées des gentils Français bien polis, comme dit 
Guillaume de Saint-André, auxquels ils semblaient lourds et grossiers, 
était généralement la cause immédiate des démêlés dont nous par- 
lons. La tradition populaire nous a conservé à ce sujet une anecdote 
intéressante. Elle prouve que les rois de France, dans les altercations 
entre leurs pages, prenant fait et cause contre les Bretons, lors même 
que ceux-ci n'avaient pas été les agresseurs et que le sort des armes 
avait loyalement tranché la question, n’hésitaient pas à jeter dans la 
balance, pour contre-poids à l'épée du vainqueur, la hache du bourreau. 
Au reste, depuis la fin du seizième siècle, ils pouvaient alléguer leurs 
ordonnances contre le duel : Dura, sed lex. 

Le roi dont il va être question est Louis XIII, et non Louis XI, comme 
le veulent mal à propos presque toutes les versions du chant, et le héros 
de la ballade est François de Rosmadec, comte des Chapelles, décapité à 
Paris, en 1627. Cette rectification est pleinement justifiée par la généa- 
logie de la maison de Rosmadec, et par une variante de la pièce commen- 
çant ainsi : 

Kont euz ar Japel, breur ar markiz, 
À zo bet dibennet e Pariz, 
Abalamour d'eunn tol diaviz. 


« Le comte de la Chapelle, le frère du marquis, a été décapfté, à 
Paris, à cause d’un coup inconsidéré. » 

11 était frère, en effet, de Sébastien, marquis de Rosmadec, gouver- 
neur de Quimper. 


302 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


1 
Le petit page du roi a été arrèté, à cause d’un coup qu'il a 
fait, E 


A cause d'un coup plein de hardiesse, il est à Paris, dais 
une dure prison. 


Là, il ne voit ni jour ni nuit : il a pour lit une poignée 
de paille; 


Pour nourriture du pain de seigle, et de l’eau de puits pour 
boisson. 


Là, personne ne vient lui rendre visite, excepté les souris 
et les rats, 


Les souris et les rats noirs; voilà sa seule distraction. 


Il 
Or, un jour, par le trou de la serrure, il disait à Penfen- 
tenyo : 
— lannik, toi mon meilleur ami, écoute-moi un peu : 


Rends-toi au manoir, chez ma sœur, et dis-lui que je suis 
en danger, 


FLOCH LOEIZ TRIZEK 


—1ES KERNE — 


1 : Med al logod hag ar raed, 
1 
Flochig ar roue a z0 paket, | Al logod har ar raed du, 
Abalamour d'eunn tol neuz gret, Deuz ar re-ze en deuz didu. 
Ahalamour d'eunn tol hardiz. II 


E ma er vac'h gri e Pariz. Hen lare, dre doull ann alc'hue, 
Eno na wel na noz na de: Da Benfeunteuniou, er c'houls-ze. 


Eunn dornad plouz evid gwele; — Jaonik, te va brasa mignon, 
Ha bara segal evid boed, Silaou cunn tammig ac'hanon : 
Ha dour puns evid he zec'hed. Ke d'ar maner bete ma c'hoar, 


Eng na zeu den J'he welet, Ha lavar d’ei em onn war var, 


LE PAGE DE LOUIS XII. | 


En grand danger de perdre la vie par les ordres du sei- 
gneur roi : 


Si ma sœur venait me voir, elle consolerait mon cœur. — 


Penfentenyo, l'ayant entendu, partit aussitôt pour Quiui- 
per. 


Il y a cent trente lieues, à peu près, de Paris à Bodigneau ; 
Cependant, il les fit, l'enfant de Cornouaille, en deux nuits 
et demie et un jour. 


Quand il entra dans là salle de Bodigneau, elle rayonnait 
de l’éclat des lumières; 


La dame donnait à souper à la haute noblesse du pays; 

Elle tenait à la main une coupe de madre pleine de vin 
rouge d'excellente grappe; 

— Gentil page de Cornouaille, quelles nouvelles apportes-tu, 


Quand tu es aussi pâle que la feuille du chardon, et aussi 
essoufflé qu'un chevreuil aux ahoïs ? 


— Les nouvelles que j'apporte, madame, vont jeter le trou- 
ble dans votre cœur ; 


Elles vont vous faire soupirer et faire pleurer vos yeux : 
Votre pauvre petit frère est en danger, s’il en fut jamais en 
ce monde ; 


War wir var da goll ma buhe, Gand tudjentil vraz euz ar vro. 


Dre gemenn ann otrou ar roue : Hag enn he dorn eunn hanaf mar 


Leun a win-ru a wella harr. 


Ma zeufe ma c'honr het enn on 


x 47. U d C ra 
Konfort a refe d’am c’halon. — Floc'hik koant demeuz a Gerne, 
Penfeunteuniou dal "m he clevaz. Pe scurt kelou 70 gen-oud-de, 
E-trezek Kemper e redaz; ! Pa "nm oud ker glaz hag ann askol, 
Kant leo ha tregont z0, war dro, | Ken diflak hag cunn iourc'h war 201,7 
Erre Pariz ha Bodinio; | — Ar C'helou zo gen-in, itron, 
C'hoaz neuz ho gret ar potr Kerne. | Lakat stralill enn ho kalon, 
E diou noz-hanter hag eunn de. | Ho lakat da huanada. 


Pa eaz tre er zall Bodinio, | Hag ho Laou lagad da oela : 
O2 goulou enn hi tro-war-dro; Ho preurik paour a zo war var, 
Ann itron a oa o koanio Mar zo het biskoaz war zouar ; 


301 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


En grand danger de perdre la vie par les ordres du sei- 
gneur roi. 


Si vous veniez le voir, madame, vous consoleriez son 
cœur. — 


En entendant prononcer ces paroles, la pauvre dame fut 
si troublée, 


Elle fut si troublée, qu’elle laissa échapper sa coupe, 


Et en répandit le vin sur la nappe. (Seigneur Dieu! quel 
fatal présage !) 

— Alerte! palefreniers! alerte! douze chevaux! et partons 
vite! 

Quand j'en devrais crever un à chaque relai, je serai cette 
nuit à Paris! 


Quand j'en devrais crever un à chaque heure, je serai cetie 
nuit près de mon frère. — 


UT 


Le petit page du roi disait, en montant le premier degré de 
l'échafaud : 

— Peu m'importerait de mourir, n'était loin du pays, n'é- 
tait sans assistance! 


War wir var da goll he vuhe, | Buhan! daouzek marc'h) ha deomp d'et L 
Dre gemenn ann olrou ar roue, Pa grefenn unan e peb poz. 

Ma iefec’h bel enn ban, itron, Me ielo da Pariz fenoz; 

C’hui refe Konfort d'he galon. — Pa grefenn unan e peb heur, 

Kement e oe bet stravillet Fenoz ez inn bete va breur. — 

Ann itron gez, oc'h he glevet, 

Kement e oe het strafillet, III 

Ken e loskaz ann hanafed ; Floc'hig ar roue a lare. 

Hag e streaz gwin war ann doal. War ar c'henta daez pa bigne: 
Trou-Doue! houman arouez fall!) __ Ne rann fors da be gouls mervel, 


— Buhan l potred ar marchosi) Pan'd divroet, pan'd diskoazel 


LE PAGE DE LOUIS XI{I. 305 


N'était loin du pays, n'était sans assistance, n’était une 
°œur que j'ai en basse Bretagne! 


Elle demandera chaque nuit son frère, elle demandera son 
petit frère à chaque heure. — 


Le petit page du roi disait, en montant le second degré de 
l'échafaud : 


— Je voudrais, avant de mourir, avoir des nouvelles de 
mon pays, 

Avoir des nouvelles de ma sœur, de ma chère petite sœur ! 
sait-elle? — 

Le petit page du roi disait, en montant sur la plate-forme 
de l’échafaud : 


— J'entends résonner le pavé des rues; c’est ma sœur et 
sa suite qui viennent ! 


C'est ma sœur qui vient me voir! au nom du ciel, attendez 
un peu! — 


Le prévôt répondit au page, quand il T entendit 
— Avant qu'elle soit arrivée, votre tête aura été coupée. — 


En ce moment-là même, la dame de Bodigneau demandait 
aux Parisiens : 

— Pourquoi cette multitude d'hommes et de femmes 
réunis ? 


Pan'd divroet, pan’d diskoazel, 
Pan'd eur c'honr meuz e Breiz izel. 
Hi vo bep noz 0 c'hervel hreur. 

0 c'hervel breurig e peb heur. — 
Floc'hig ar roue a lare, 

War ann eilved daez pa bigne : 

— Me garie, lent hag ar maro, 
Klevet kelou demeuz va bro; 
Klevet kelou demeuz va c'honr, 

Va c'hoarik kez; daoust hag hi oar? 
Floc'hig ar roue a lavare, 

War leinig ar groug pa bigne : 


— Me clev ar ruiou 0 krena, 
Gand heul va c'hoar 0 tont ama! 


Va c'honr z0 erru d'am gwelet, 
Enn hano Douel gortoet! — 


Ar penn-arser, neuz respontet 
D'ar oc luk, pan'deuz hen klevet : 


— Kent ha ma vezo erruet, 
C'hui a veza hoet dibennet. — 


Itron Bodinio 41-neuze 
Gand re Bariz a c'houlenne : 


— Petra foul zo ’touez ar wazed; 
Kement m2 zo "Louez ar merc'hed? 


20 


306 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE 

— Louis Treize, Louis le traître fait décapiter un pauvre 
page. — 

Ces mots étaient à peine prononcés, qu’elle aperçut son 
frère; 


ile aperçut son frère agenouillé, la tête penchée sur le: 


billot de mort. 

Et de s’élancer au galop de son cheval, en criant : 

— Mon frère! mon frère! laissez-le donc! 

Laissez-le-moi, archers, je vous donnerai cent écus d’or; 

Je vous donnerai, comme un denier, deux cents marcs d’ar- 
gent de Tréguier! — 

Quand elle arriva près de l’échaufaud, la tête coupée de 
son frère tombait, 


Et le sang jaillit sur son voile qu'il rougit du haut jusqu’au 
bas. 


IV 


— Je vous salue, roi et reine, puisque vous voilà réu: is 
dans votre palais : 

Quel crime a-til commis, que vous l'avez décapité? 

— Il a joué de l'épée sans l'agrément du roi; il a tué le 
plus beau de ses pages. 





— Loeiz trizek, Loeiz ann traitour Gand ar groug dal’ ma tigoueaz, 
A laka dibenn eur loc'h paour. — Fenn he hreur (rochet a goueaz, 
04 ked ar ger peurlavaret Ken a strinkaz goad war he lenn 
Evet m'e deuz he hreur gwelet: Hag hen ruiaz a-benn-da-benn. 
Gwelet he breur kez daoulinet. 

He benn war ar c'hef-laz soublet. IV 

Hag hi ha douch, enn eur hon : — lec'hed d'hoc'h, roue ha rouanez, 
— Va breur! va hreur) Josket-han ’ta! Pa (n'oc'h ho taou enn ho palez. 
Losket-han gan-in, arserien, Pe seurt torfed en deuz hen gret, 
Me rel d'hoch kant skoed aour melen: | pe ma bet gen-hoc’h dibennet? 
Me ret d'hoc'h, evel cunn diner, — C'hoari kleze hel grad ar roue; 


Daou c'hant mark argant Landreger.— | Laza kaeran Hoc'h eu devoue. 


| 





LE PAGE DE LOUIS XII. 907 

— On ne tire pas ainsi l'épée, je suppose, sans avoir de 
bonnes raisons. 

— Il a eu ses raisons, c’est clair, comme l'assassin a les 
siennes. 

— Des assassins! nous ne le sommes pas, sire, pas plus 
qu'aucun gentilhomme de Bretagne; 

Pas plus qu'aucun gentilhomme loyal; quant à ceux de 
France, je ne dis pas; 

Car je le sais bien, fils de loup ; vous aimez mieux tirer du 
sang que d'en donner. 

— Tenez votre langue, ma chère dame, si vous avez envie 
de retourner chez vous. 

— Je me soucie de rester ici tout comme de m’en retour- 
ner, quand mon malheureux frère est mort. 

Mais dut le roi cruel y trouver à redire; ses raisons, je veux 
les connaitre et je le connaitrai ! 

— Si ce sont ses raisons que vous voulez connaitre, écou- 
tez-moi, je vais vous répondre : 

Il s’est emporté et a cherché querelle à mon page favori, 

Et tout de suite, épée contre épée, pour avoir entendu le 
dicton bien connu, 


Ce vieux dicton, cette vérité : «Il n’est d'hommes en Bre- 
tagne que des pourceaux sauvages. » 


— Ar c'hleze na ziwenner ked — Ne rann fors chom pe mont endro, 
Me chans, heb kaout abeg e-bed, O veza ma hreur kez maro, 

— Abeg en deuz bet, a dra skler, Bea droug gand roue agaro, 

Evel (m'en deveuz al lazer, He abeg fell d'in, m'hen gouio! 

— Lazerien, otrou, n’em omyp ket, — Mar gout he abeg a tell d'hoc'h. 
Ne denjentil Breiz kenneubet, Silaouet ha me laro d'hoc'h: 

Na denjentil gwirion e-hed ; Mont a renz da vuanekat, 

Ar C'hallaoued, ne larann ket; Ha klask trouz d'am Hoc'h en deuz great, 
Rak me oar awalc'h. mab ar blei, Ha kleze oc'h kleze timad, 

Gwell gen-hoc'h kaout goad eged rei. 0 klevet al lavar anat, 

— Sarret ho pek, va itron ger, Al lavar Koz. ar wirione : 


Mar penz c'hoant da zistroi d’ar ger, « N'euz tud e Dreiz, nemet moc'h-gwe, » 


308 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Si c'est là une vérité, j'en sais une autre, moi : 


«Tout roi de France qu'il est, Louis n’est qu'un méchant 


railleur. » 
Mais tu verras prochainement si c’est à tort ou à raison que 
{u railles ; 


5 


U 


Quand j'aurai fait voir à mes compatriotes mon voile ensam- 


glanté, 


Alors, tu verras si la Bretagne est véritablement peuplée 
de pourceaux sauvages. — 


Y 


Or, deux ou trois semaines après, arriva un messager : 

Il arrivait du pays des Normands, apportant des lettres 
scellées, 

Des lettres scellées d'un sceau rouge, à remettre au roi 
au long nez tout de suite. 

Quand le roi les eut lues, il roula des yeux noirs, 

Ilroula des yeux aussi noirs que ceux d’un chat sauvage 
pris au piège. 

— Malédiction rouge! Si j'avais su, la Laïe ne m'eût pas 
échappé! 

Je perds plus de dix mille écus et de dix mille hommes à 
cause d'un seul. — 


— Mar d-e0 hounez eur wirione, Eur c'hannadour a zigoueze, 
Eur wirione-all ouzonn-me : ’Ligoueze deuz hra Normaned, 
« Evit-han da vout roue bro-C'hall, Gant-han lizeriou siellet, 
Ne d-e0 Loeiz med eur goaper fall. » Lizeriou siellet e ru. 
Hogen prestig e weli-te, Da roi d'ar roue fri-braz doc'htu; 
Ma well pe wase wapez-te; Ar roue pa en deuz ho lenne, 
Pa ’m bo diskoet, benn eur gaouad, Sellet ken du en deveuz gret, 
V 1 E + 
D'am broiz va lenn jeun à wad, Sellet ken du evel eur c'haz 
A-benn neuze e ouezi reiz "Vel eur c'haz-gwe tihet el las. 
1. nr U 7 H «s . 
Ma hez, e gwir, moch-gve, e Breiz!— | __ Malloz ru! m'am bije gouiet, 
y Ar Wiz na vize ket kuitet! 


Ouspenn dek mil skoed a gollann, 
Eunr diou pe deir zun goude-ze, Ia dek mil den war henn unan! —; 


PT 


LE PAGE DE LOUIS XIL 309 


NOTES 


Le dernier couplet fait allusion au siége si sanglant et si coûteux de 
la Rochelle. Commencé le 12 octobre de l’année où fut décapité François 
de Rosmadec, il a pu faire dire sans exagération au poëte populaire que 
Louis XIII y perdit plus de dix mille écus et de dix mille hommes; 
seulement ce ne fut point, comme il le prétend, en représaille de la con- 
damnation du jeune page breton. Il n’est pas plus exact en assurant 
que la nouvelle de son échec vint au roi de chez les Normands; mais 
il est possible qu'une autre version de la ballade portat Roc’helled (les 
Rochellois) au lieu de Normaned. Elle manque aussi d’exactitude quand elle 
dit que ce fut la sœur du condamné qui accourut à Paris pour demander 
sa grâce ; la version dont j'ai cité le début et dont je dois communication 
à Brizeux, fait honneur de ce dévouement à la belle-sœur du jeune 
page, à Renée de Kerhoent, dame de Bodigneau. Du reste, les belles- 
sœurs ont quelquefois de vrais cœurs de sœur; l’une d'elles l’a prouvé 
admirablement de nos jours {. 

Le fief de Bodigneau passa, en 1680, dans la famille de Penfentenyo ou 
Cheffontaines, originaire du Léon, celle-là même où le beau-frère de la 
dame de Bodigneau trouva l'ami qu’il chargea de son message; mais ce 
dernier n'était ni page du roi, ni Cornouaillais, quoique l’auteur de la 
ballade le prétende. 

En replaçant celle-ci à sa vraie date, il faut nécessairement rapporter 
à une époque antérieure plusieurs traits caractéristiques qu’elle contient, 
tels que le voile sanglant, le hanap de madre et le marc d’argent de 
Tréguier, qui accusent une poésie évidemment beaucoup plus ancienne 
que le dix-septième siècle. 


1 Lire, dans les Mémoires d'un prisonnier d'Etat, le journal émouvant de madame Pauline 
Andryane. 


XLIII 


LE MARQUIS DE GUÉRAND 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


Louis-François de Guérand était fils de Claude de Névet et de Jean du 
Parc, chevalier, seigneur de Locmaria, marquis de Guérand. Son père, 
qui avait pris part au siége de la Rochelle et aux guerres d'Allemagne, 
et présidé par élection les états généraux de Bretagne, n'existait plus 
en 1670. 

Possesseur du marquisat à cette époque, riche, violent et livré à lui- 
même, le Jeune Louis était la terreur de la paroisse et désolait sa mère, 
dont les larmes et les prières ne pouvaient rien sur lui : on dit que, lors- 
qu’il sortait, la bonne dame courait elle-même sonner la cloche du chà- 
teau pour donner l'alarme au canton. 

C’étaient chaque jour de nouvelles violences de la part de son fils, et 
des récriminations nouvelles du côté des habitants du pays : les choses 
en viurentau point qu’elle se vit forcée de lui faire quitter la Bretagne; 
voici à quelle occasion. 


l 


— Bonjour et joie dans cette maison ; où est Annaïk par ici? 


— Elle est couchée et dort d’un doux sommeil; prenez 
garde; ne faites pas de bruit ! 


Elle repose doucement ; prenez garde, ne l'éveillez pas l — 





MARKIZ GWERAND 


— IES LEON — 
— Enn he gwele "ma konsket Jous, 
Evesait ; na rit ket (rouz ) 


— Dez-mad ha 109 harz ar ger-ma; Enn he gwele e ma kousket, 
Peleac'h eo Annaik drema" Evesait Y he dihunet ket! — 


E T T 


LE MARQUIS DE GUÉRAND. 311 


Aussitôt le clerc de Garlan monta l'escalier, 

Monta lestement l'escalier, et vint s'asseoir sur le banc 
du lit de la jeune fille. 

— Lève-toi, Annaïk Kalvez, que nous allions ensemble à 
l’Aire-Neuve! 

— À l’Aire-Neuve, je n’irai point, caril ya là un méchant 
homme ; 

Le plus méchant gentilhomme du monde, qui me poursuit 
partout. 

— Quand il y aurait là cent messieurs, ils ne te feraient aucun 
raal ; 

Quand il y aurait là cent messieurs, nousirons à l’Aire-Neuve; 

Nous irons à l’Aire-Neuve, et nous danserons tout comme 
LUE == 

Elle a mis sa petite robe de laine, et elle a suivi son ami. 


Il 


Le marquis de Guérand demandait à l'hôtelier, ce jour-là : 

— Hôtelier, hôtelier, dites-moi, n’avez-vous pas vu le clerc ? 

— Seigneur marquis, excusez-moi, je ne sais qui vous de- 
inandez. 


— Vous excuser! oh! certes, non! Je demande le clerc de 
Garlan) 





Kloarek Garlan dal’ma glevaz, Ni a ielo d'al leur neve, 
War-laez gand ann diri bignaz, Ha ni zanso kerkouls hag he. — 
War laez, ha ker skanv, a bignaz, He brozik gloan e deuz leket, 
War skanv he gwele ’nem lakaz Ha da heul he mignon eo eet, 


— Sav alese, Naik Kalvez. 


Ra ’z nimp hon dao d'al leur nevez. Il 

— D'al leur nevez me n'az inn ket, Markiz Gwerand a c'houlenne 

Rag eno 20 eunn den displed; Gant ann hostiz, ann deiz a 08? 
Gwasa denjentil zo er bed, — Hostiz, hostiz, d'in leveret, 

Hac hen ato’ kas va c'haouet. N'hoc'h enz ked ar c'hloarek gwelet® 
— Na pa vez kant aotrou eno, — Aotrou markiz, em zigaret, 

N'az pezo droug e-bet gant-ho; Ne c’houzonn piou a c'houlennet, 

Na pa vez kant aotrou eno, — Ho tigarezi! me n'her grann 


D’al leur nevez ni a lelo) Kloarek Garlan a c’houlennann! 


212 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Il est allé là-bas passer la journée, jeune fille gentille au 
bras; 


Is sont allés là-bas à l’Aire-Neuve; joyeux et beau couple, 
ma foi! 


À son chapeau il a une plume de paon et une chaîne au 
COU ; 
Et au cou une chaine qui retombe sur sa poitrine. 


Elle porte un petit corset brodé, avec un velours orné d’ar- 
sent; 


Elle porte son corset de noces ; ils sont fiancés, je crois. — 


LIT 


Le marquis de Guérand, hors de lui, sauta vite sur son che- 
val rouge; 

Sur son cheval il sauta vite, et se rendit à l’Aire-Neuve. 

— Clerc, mets bas ton pourpoint, que nous nous disputions 
ces gages T. 

Clerc, mets bas ton pourpoint, que nous nous donnions un 
croc-en-jambe ou deux. 


— Sauf votre grâce, marquis, je n’en ferai rien, car vous 
êtes gentilhomme, et moi je ne le suis point; 





— Eat eo du-ze, evid ann ae, 


K 111 

Eur plac’hik koant hed he goste; 
Eat-int du-ze d'al leur neve, Markiz Gwerand, enkrezet braz, 
Koant ha drant ho daou, war va fe! Raktal war he varc'h ruz lampaz, 

D U « 
Gant han d’he dok eur blun paven, War he varc'h raktal e lampaz; 
Ha diouc'h he gerc'hen eur chaden; Ha d'al leur nevez ez eaz. 
Ha diouc'h he gerc'hen eur chaden, — Kloarek, diwisk da borpansou, 
Zo kouezet holl war he varlen. Evit gourenn war ar gwestlou. 
Gant-hi eur c’horkennik brodet, Kloarek, diwisk da borpansou, 
Hao eur voulouzen arc’hantet; - Ha ni reio eur pek pe zaou. 
Gant-hi he c'horkennig eured. — Sal-ho-kras, markiz, ne rinn Ket, 
Dimezet ez mt, me a gred. C'houi zo aotrou, me n'em ouun ket; 


1 Les Aires-Neuves sont Loujours accompagnées de luttes. Y. les Chansons de fêles. 


LE MARQUIS DE GUÉRAND. 515 

Car vous êtes le fils de madame de Guérand, et moi le fils 
d'un paysan. 

— Quoique le fils’ d’un paysan, tu as le choix des jolies 
filles. 

— Seigneur marquis, excusez-moi, ce n’est pas moi qui 
l'ai choisie ; 

Marquis de Guérand, excusez-moi, c’est Dieu qui me l’a 
donnée. — 

Annaik Kalvez tremblait, en les entendant parler ainsi : 


— Tais-toi, mon ami; allons-nous-en; celui-ci nous fera 
de la peine et du chagrin. 


— Avant de partir, dis-moi, clerc : sais-tu jouer de l'épée? 

— Jamais je n’ai porté d'épée : jouer du bâton, je ne dis pas. 

— Et en jouerais-tu avec moi? Tu es, m'assure-t-on, un 
terrible homme! 


— Seigneur gentilhomme, mon bâton ne vaut pas votre 
épée affilée et nue. 


Seigneur gentilhomme, je n’en ferai rien, car vous saliriez 
votre épée. 


— Si je salis mon épée, je la laverai dans ton sang! — 


Annaik, voyant couler le sang de son doux clerc, 


C'houi zo mab ann itroun Gwerand, Na te oar c'hoart ar c’hleze? 

Ha me zo mab eur plouezant. — Biskoaz kleze n’em euz douget 

— Evid oud mab eur plouezant, C'hoari penn-baz, lavarann ket. 

Te c'heuz dibab ar merc'hed koant. — Na te c’hoarife gan-in-me : 

— Aotrou markiz, em zigaret, Eur paotr ter, a glevaun oud-de. 

Ne ket me meuz hi dibabet; — Aotrou denjentil, va fenn-baz 

Markiz Gwerand, em zigaret, Na dal ho kleze lemm ha noaz. 

7 à r 

Gand Doue eo bet d'in roet. — Aotrou denjentil na rinn ket, 

Annaik Kalvez a grene, Ho kleze a vez saotret 

Uh ho c'hlevout o Komz giz-ze. — Mar d-e0 va c’hleze saotret , 

— Tavit, va mignon, deomp d'ar ger. Ebarz da wad a vo gwalc'het. — 
rai L + U a 

Heman a rei d'eomp poan ha nec'h. Naik p'e deuz gwelet redek, 


— Araok, kloarek, lavar d'in-me : Redek goad he mignon kloarek ; 


314 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Annaik, en grand émoiï, sauta aux cheveux du marquis, 


Sauta aux cheveux du marquis, et le traîna tout autour de 
l'Aire-Neuve. 


— Fuis loin d'ici, traître de marquis; tu as tué mon pau- 
vre clerc! — 


IV 


Annaïk Kalvez s’en revenait à la maison, les yeux remplis 
de larmes. 


— Ma bonne mère, si vous m'aimez, vous me ferez mon 
lit; 

Vous me ferez mon lit bien doux, car mon pauvre cœur va 
bien mal. 


— Vous avez trop dansé, ma fille; c’est ce qui rend votre 
cœur malade. 


— Je n'ai point trop dansé, ma mère : c’est le méchant 
marquis qui l’a tué! 

Le traître de marquis de Guérand a tuë mon pauvre clerc! 

Yous direz au fossoyeur, quand il ira Le prendre chez lui : 


« Ne jette point de terre dans sa fosse, car dans peu ma fille 
l'y suivra. » À 


Annaik, enn eur stravi] hraz, 
Da vleo ar markiz a zaillaz. 


Da vieo ar markiz a zaillaz, 
Hag endro dal leur he stlejaz. 


— Tec'h tu-ze, markiz traitour, 
Te c'heuz lazet va c'hloarek paour) 


P 
Naik Kalvez 0 tont endro, 
Leun he daoulagad a zaero. 


— Va mammik ma em ckeh ,za'et.ar 
Va gwele d’in-me a refet; 


Va gwele d’in-me refet aez; 
bag va c'halounik z0 diaez. 


— Ho kaloun a z0 diaezet, 


Va merc'h. dre m’ hoc'h euz re zanset, 


— Va mamm, n'em euz Ket re zanset. 
Markiz fall en deuz hen lazet ! 


Markiz Gwerand, ann traitour, 

En deuz lazet va c'hloarek panur! 
C'houi a lavaro Par c’hlewzier, 

Pa zeuio d'he gcrc'hat d'ar ger : 

« Na daol tamm douar war he vez: 
E berr va merc'h a iei ivez. » 


| 
| 
| 


LE MARQUIS DE GUÉRAND. 515 


Puisque nous n’avons point dormi dans la même couche, 
nous dormirons dans le même tombeau ; 


Puisque nous n'avons point été mariés en ce monde, nous 
nous marierons devant Dieu. — 


NOTES 


Voilà ce qui se chantait en Bretagne, tandis que le jeune marquis, 
«sortant de l’Académie, » dansait devant Louis XIV ces passe-pieds mer- 
veilleux qui ravissaient madame de Sévigné, « ces passe-pieds bas bretons, 
au prix desquels les violons et passe- pieds de la cour faisaient, dit-elle, 
mal au cœur 1. » Un paysan nommé Tugdual Salaün, de la paroisse de Plou- 
ber, qui assistait à la fatale Aire-Neuve, composa la chanson. Elle passa 
de Tréguier en Cornouaille et de Cornouaille en Léon, dont j'ai suivi 
le dialecte. IL paraît que le jeune clerc ne mourut pas sous le coup, 
comme semble l'indiquer l’auteur, car le marquis ne fut condamné qu’à 
l'amende civile, conformément à la Coutume de Bretagne. Cependant la 
bonne dame de Névet ne se regarda point comme libérée envers les 
parents du défunt; elle fit à la mère du jeune homme une pension 
annuelle et prit chez elle son second enfant, qu’elle se chargea d’élever 
et qu’elle établit avantageusement. Quant au marquis, sur ses vieux jours 
il devint aussi régulier dans ses mœurs qu'il avait été débauché. On 
montrait encore, il y a peu d'années, les ruines d’un hôpital fondé var 
lui pour les pauvres de sa paroisse; la tradition raconte que l’on voyait 
briller, chaque soir, bien avant dans la nuit, une petite lumière à une des 
fenêtres, et que si le voyageur surpris venait à en demander la cause, 
on lui répondait : « C’est le marquis de Guérand qui veille; il prie Dieu 
de lui pardonner sa jeunesse. » Dans une ballade intéressante sur le 
même personnage, publiée par M. Gabriel Milin, il est en effet question 
de cet hôpital : le marquis meurt en demandant pardon à sa femme, et, 
après lui avoir indiqué sept ou huit legs étrangement réparateurs, il 
ajoute : « Ma chère femme, si vous voulez exécuter ma volonté, un nouvel 
hospice sera bâti où il y aura dorénavant douze pauvres, avec un bon 
prêtre pour les instruire et tout ce qui leur sera nécessaire? » 


U 


Pa n'omp bet kousket er gwelead, Pa n'omp bet eureujet er bed, 
Ni gousko hon daou er toullad; Dirak oue vimp eureujet. — 


1 V. ses Lettres, éd. de M. Blaise, xm, ann. 1671. 
2 Maro Markiz Gwerand. (Bulletin de la Société académique de Brest, 1865.) 


XLIV 


ÉLÉGIE DE MONSIEUR DE NÉVET 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE 


ARGUMENT 


Le nom des Névet est aussi adoré du peuple des campagnes que celui 
des Guérand est impopulaire. Dans ses amours comme dans ses haines. 
le paysan breton est toujours mû par un sentiment remarquable de jus- 
tice et d’impartialité. Jamais il ne lui est arrivé d’embrasser dans un 
anathème général une famille entière, à cause du crime d’un des mem 
hras de cette famille. Ainsi, le fils coupable du marquis de Guérand peut 
être maudit, mais la mère est bénie, et l’aïeul est depuis deux sièeles 
l'objet de la vénération des habitants des campagnes. L’herbe a reverdi 
sous les larmes du pauvre autour de sa tombe; la pierre qui la recouvre 
s’est usée sous les genoux des habitants de la paroisse; son oraison 
funèbre a été composée par un mendiant, et la voici telle qu’on la chante 
encore aujourd'hui. 


— Mon pauvre homme, qu’est-il arrivé, quand vous revenez 
si consterné? 


Quand vous êtes vert comme du raisin ; mon pauvre cher 
homme, dites-moi; 


Quand vous êtes pâle comme la mort; que vous est-il arrivé? | 


MARONAD ANN AOTROU NEVET 


— IES KERNE — 
Pa ’z oc'h Ker glaz evit rejin, 
Ma denik paour, leveret d'in; 


— Ma den paour petra z6 digouet, Pa ’z oc'h Krr glaz hag ar maro: 
Pa zeut J'ar ger ker stravillet ? Petra zo digouet war ho tro? 


I 


TS TP PL TR 


ÉLÉGIE DE MONSIEUR DE NÉVET. 317 
— Vous saurez assez tôt ce qui est arrivé; 
Vous saurez assez tôt ce que j'ai vu; 


Depuis la maison jusqu’au bourg une procession s'avance, 
au son de Ja cloche : 


Monsieur le recteur en tête; devant lui une bière drapée 
de blanc, 


Que trainent deux grands bœufs, couverts de harnais d’ar- 
gent. 


Derrière, une multitude immense, la tête inclinée par une 
grande affliction. 


Il 


Saint-Jean, le valet, frappait à la porte du recteur, cette 
nuit-là. 

a Levez-vous, levez-vous, monsieur le recteur! Le seigneur 
de Névet est malade; E 


Portez avec vous l’extrême-onction, le vieux seigneur souf- 
fre beaucoup. 


— Me voici, monsieur de Névet; vous souffrez beaucoup, 
me dit-on ? 

J'ai apporté l’extrème-onction pour vous soulager, si je 
puis. 


— Abred awalac'h e klefet 
Ann doare deuz pnez zo digouet ; 


Abred awalac’h e klefet 
Ann doare deuz pez meuz gwelct. 


’Zalek ann ti heteg ar vorc'h. 


Heul hraz 0 vont, dre zon ar c'hloc'h : 


Ann otrou person penn-kentan, 
Eunn arc'h lenet wenn ra-z-han, 


Daou ejen hraz oc'h hi dougen, 


Sternou arc'hant diouc'h ho c'herc'hen. 


Ha kalz a dud 0 tont war lerc'h. 
Stouet ho tenn gand Kalz a nec'h. — 


IT 


Sant-lann, ar mervel, a skoe 

War dor ar person, enn noz-7e. 

— Savet, savét, otrou person! 

Ann otrou Nevet a zo klaon; 

Kaset gen-hoc'h ar groaz-nouen, 
War ann otrou koz a zo tenn. 

— Setu me deut, otrou Nevet 

Tenn eo war ’n hoc'h am euz klevet ? 
Ar groaz-nouen z0 gan-i-me 

D'ho konforti, mar gallann-me. 


318 -CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Je n'ai aucun soulagement à attendre à l'égard de mon 
corps en ce monde ; | 






Je n’en attends aucun à l'égard de mon corps ; à l'égard de 
mon âme, je ne dis pas. — | 


Après avoir été confessé, il dit au prêtre : 
— Ouvrez aux deux battants la porte de ma chambre, que « 
je voie tous les gens de ma maison, 


Ma femme et mes enfants tout autour de mon lit; 
Mes enfants, mes métayers et mes serviteurs aussi ; 


Que je puisse, en leur présence, recevoir Notre-Seigneur « 
avant de quitter ce monde. — 


La dame et ses enfants, et tous ceux qui étaient là, pleu- « 
raient ; | 


Et lui, si calme, les consolait et leur parlait si doucement ! 


| 
— Taisez-vous! taisez-vous ! ne pleurez pas; c’est Dieu le 

L 

maître, 0 ma chère femme! 1 


À 


Oh! taisez-vous, mes petits enfants! La sainte Vierge vous 
gardera! 

Mes métayers, ne pleurez pas; vous le savez, gens de la 
campagne, 

Quand le blé est mür, on le moissonne ; quand l’âge vient, 
il faut mourir! 


— N'em euz konfort bet da gaouet Hon Otrou'barz mont diouc’h ar bed.— 


1 E . + 
Enn tu ma c'hort e-barz ar bed; Ann itron hag he vupale, 
Enn tu ma c'horr me n'am euz ket, Ha kemend oa eno, oele; 


Enn tu ma ene, larann ket. — 


Hag hen ker reiz ho frealze, 
Goude ma oa bet koveset, Ha ker sioulig a gomze! 


U'ar beleg en deuz lavaret: — Tevet, tevet, na oelet ket 
A U 


— Digoret frank dor ar gambr-man, Doue eo ar mestr, ma fried! 


Ma welinn hoil dud ma zi-man, Ho! tevet, ma bugaligo, 
> U D 


Ma friet ha ma bugale Ar Werchez sukr ho tiwallo! 
Tro-war-dro demeuz ma gwele: Ma merourien, na oelet ket; 
Ma bugale, ma merourien Tud diwar mez, gouzout à reL, 
Kerkouls ha ma servichourien: Va ve hao ann ed, ve medet: 


Ma hellion, "nn ho zouez, kemeret Pa zeu ann oad mervel z0 red! 





ÉLÉGIE DE MONSIEUR DE NÉVET. 319 

Taisez-vous, bons habitants des campagnes; taisez-vous, 
chers pauvres de ma paroisse ; 

Comme j'ai pris soin de vous, mes fils prendront soin de 
vous. 

Ils vous aimeront comme moi; ils feront le bien de notre 
pays. 

Ne pleurez pas, 0 bons chrétiens! nous nous retrouverons 
bientôt! — 


IT 

Le jeudi au matin, lé seigneur de Carne demandait, en 
revenant de la fête de nuït, 

En revenant chez lui, sur son cheval blanc, vêtu d’un habit 
galonné, 

D'un habit de velours d’un rouge de feu, galonné d'argent 
tout du long ; 

Le jeudi matin, le seigneur de Carné, en s’en revenant, 
demandait : 

— Pourquoi, messieurs, les Névet ne sont-ils pas venus à 
la fête? 

Pourquoi, dites-le-moi, quand ils avaient été invités? 

— Le vieux seigneur, à ce qu’on dit, est au lit, malade. 

— Si le seigneur est au lit, malade, allons savoir de sos 
nouvelles. — 


Tevet, tud vad diwar ar mez, Bordet he jupen penn-da-benn, 


Tevet, peorien kez ma farrez; 


Vel em euz het soni ac'hanoc'h. 
Ma fotred delint sonj ouz hoc'h. 


Evel-d-on-me hi ho karo, 

Hag obor a rint mad hor hro. 

Na oelet ket, Kristenien vad. 

Ni’n em gavo "henn eur boutad ! — 
II 


D'ar jou vintin, otrou Karne 
Tont deuz ar fest noz, c'houlcnne. 


0 tont d'ar ger, war he varc'h gwenn, 


He jupen voulouz ru glaou-tan 
Bordet penn-da-benn gand arc'hant: 
D'ar iou vintin, otrou Karne 

U tont endro a c'houlenne: 

— Daoust perag, va zudjentiled, 

Ne ked deut dar fest re Nevet? 
Daoust perag, d'i-me leveret. 

Pe oant het pedet da zonet ? 

— Ann otrou koz. ‘vel ma glevann. 
Zo enn he wele chomet klan. 


— Mar ma "nn otrou, er gwele klan. 
Deomp da glask kannad anean, — 


520 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

Comme ils arrivaient au manoir, ils entendirent les cloches 
sonner. 

La porte de la cour était toute grande ouverte, et le ma- 
noir était désert. 

— RL vous êles venu pour lui rendre visite, vous Le trouve- 
rez dans le cimetière du bourg. 

Cest hier qu'on a allumé le feu de la mort, et qu’on a vidé 
toutes les cruches ; 


Monsieur le recteur l’a levé et l’a porté avec honneur dans 
la chapelle; 


Madame et ses enfants l’ont enseveli dans sa bière neuve. 


Voici encore toutes fraiches les traces de la charrette qui 
l'a porté en terre. — 


Et eux de presser leurs chevaux et d'arriver au cime- 
tière. 

Quand il furent arrivés au cimetière, leur cœur se fendit 
de douleur en voyant ce qui s’y passait, 


En voyant le fossoyeur le descendre dans la tombe froide 
pour jamais ; 

La dame, derrière, vêtue de noir, sur ses deux genoux 
sanglotant ; 

Et ses enfants poussant des cris lamentables, en s'arrachant 
les cheveux de la tête ; 


Pe oant o tigout gand ann ger, 
Hi a cleve son ar c'hleier. 
Digoret frank ar perzier, 

Ha den e-bed barz ar maner. 

— Mar m oC'h deuet J'he zarempret, 
E bered ar vorc'h he gaffet. 

Bet ma het dec'h tan ar maro, 
Ha skarzet mad ann holl boudo; 
Ann otrou person d'he zevel 

Ha J'he zougen kacr d’ar chape]; 
He itron hag he vugale, 

D'he lienat enn arc'h neve. 


Setu fresk, aman, roudou c'har 
A zo eet J'he gas d’ann douar. — 
Hag hi da douch war ho ronsed, 
Ha da zigout gand ar vered. 

Pa oant digouet gand ar vered, 
Ranne ho c'halon 0 welet, 

Welet ar c'hleuier he zisken 

Enn toull douar Kriz da viken; 
’Nnitron warlerc'h, gwisket e du, 
War he daou-lin, oc'h oela dru; 
Wag he lmgale ioual ken, 

Hag sachat bleo deuz ho fenn. 


ÉLÉGIE DE MONSIEUR DE NÉVET. 321 
Et dix mille personnes en faisant autant, principalement 
les pauvres gens. 
L'un d'eux, nommé Malgan, est l’auteur de ce chant de 
mort ; 0 
Il a composé ce chant en honneur du seigneur de Névet, 
Du seigneur de Névet béni, qui était le soutien des Bretons. 





NOTES 


On ne saurait faire d’un homme un plus bel éloge. Les historiens de 
Bretagne parlent de lui dans les mêmes termes que les poëtes populaires, 
Un d'eux. après être entré dans de grands détails sur l’origine de la 
famille Névet, conclut ainsi : « Cest une maison illustre, dont les sei- 
gneurs, de père en fils, ont témoigné notoirement un zèle héroïcque et 
une passion inviolable à conserver les droits et immunitez de la Bre- 
tagne. » Le même éloge convient aux Carné: + Cette dernière famille, 
cit Guy le Borgne, est assez connue pour estre une pépinière féconde de 
seigneurs braves, galands et généreux.» L’élégie qu’on vient de lire 
est une pièce à l'appui du jugement qu’a porté l’illustre auteur de l’His- 
foire de la conquête de l'Angleterre par les Normands, sur les bons 
rapports qui ont toujours existé entre l’aristocratie bretonne et les habi- 
tants de nos campagnes. 

« Les gens du peuple en basse Bretagne n’ont jamais cessé, dit-il, de 
reconnaître dans les nobles de leur pays des enfants de la terre natale; 
ils ne les ont point haïs de cette haine violente que l’on portait ailleurs 
à des seigneurs issus de race étrangère; et sous les titres féodaux de 
baron et de chevalier, le paysan breton retrouvait encore les Hern et les 
machtiern du temps de son indépendance; il leur obéissait avec zèle, 
dans le bien comme dans le mal, par le même instinct de dévouement 
qu'avaient pour leurs chefs de tribus les Gallois et les montagnards 


d'Écosse ?. » \ 

Dek mil den ober kemend-all, En deveuz ar wers-man savet 
Hag ann dui panur dreist ar re-all, Enn cnor d'ann olrou Nevet. 
Unan aneo, hanvet Malgan, D'ann otrou Nevet benniset, 
En deuz grel ar maronad-man, A oa Kendalc'h ar Vretoueu. 


4 Armoriul breton, p.43. 
? Augustin Thierry, t. IE, p. 80. Cf. Michelet, Hist, de Frunce, L IL, p. 19 et 20. 


XLV 


L'ORPHELINE DE LANNION 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


«Il y a trois sortes de personnes, dit un ancien proverbe breton, qui 
n'arriveront point au paradis, tout droit, par le grand chemin; £’est à 
savoir : les tailleurs (sauf votre respect), dont il faut neuf pour faire un 
homme, qui passent leurs journées assis, et qui ont les mains blanches. 
les sorciers, qui jettent des sorts, soufflent le mauvais vent, et ont fait 
pacte avec le diable; les maltôtiers (les percepteurs des contributions), 
qui ressemblent aux mouches aveugles, lesquelles sucent le sang des 
bêtes. » 

Le maltôtier est d'ordinaire querelleur, bavard, bel esprit, beau par- 
leur ; il est même facétieux, et assaisonne volontiers de gros sel ses vexa- 
tions légales. On rapporte qu'un cabaretier arrivait un jour à la foire avec 
deux barriques de cidre dans sa charrelte; le maltôtier se présente et exige 
le droit : l’autre résiste. « Comment, malheureux, lui dit l'employé, vous 
osez murmurer! Saint Matthieu n'était-il pas chef des mallôtiers? Ne le 
voyait-on pas, en Judée, percevoir de chacun la taxe sur le vin et le 
tabac tous les jours de l’année? » Au nom de saint Matthieu, le paysan 
resta confondu. 

Mais toutes les histoires de maltôtiers ne sont pas aussi comiques; il 
en est d’affreuses. En voici une que j'ai entendu chanter à des laveuses 
de Lannion, où l'événement s’est passé. 





En cette année mil six cent quatre vingt-heize, est arrivé 
un malheur dans la petite ville de Lannion; 





EMZIVADEZ LANNION 


Er bloavez-mu mil C'houec'h kant pevar-ugent-trizck, 
Er gerig a Lannion z0 eur gwalleur c’houarvet; 


L’ORPHELINE DE LANNION. 325 


Dans la petite ville de Lannion, en une hôtellerie, à Peri- 
naik Mignon qui y était servante. 


— Donnez-nous à souper, hôtesse : tripes fraiches, viande 
rôtie, et bon vin à boire! — 


Quand chacun d'oux eut bu et mangé tout son soûl : 
— Voici de l'argent, hôtesse, comptez blancs et deniers; 


Voici de l'argent, hôtesse, comptez blancs et deniers; votre 
servante et une lanterne pour nous reconduire chez nous! — 


Quand ils furent un peu loin sur le grand chemin, ils se mi- 
rent à se parler bas, en regardant la jeune fille : 


— Belle enfant, vos dents, votre front et vos joues sont 
blancs comme l’écume des flots, sur la rive. 

— Maltôtiers, je vous prie, laissez-moi comme je suis; lais- 
sez-moi comme Dieu m'a faite; 


Quand je serais cent fois plus belle; oui, cent fois plus 
belle encore; je ne serais pour vous, messieurs, je ne serais 
ni mieux ni pire. 

— À en juger par vos gentilles paroles, mon enfant, l'on 
dirait que vous êtes allée à l’école de ceux de Bégar, eu d'ha- 
biles clercs; 


Er gerig a Lannion cnn cunn hostaliri, 

Da Berinaik Mignon a 0e matez enn hi. 

— Aozet d'omp-ni, hostizez, peh tra evit koanian 

SUipo fresk, ha Kik rostet, ha gwin mad da evan! — 

P'ho doc debret hag evet peh hnt lez he ler : 

— Setu arc'hunt, hostizez, kontet blank ha diner; 

Setu arc’hant, hostizez, Kontet blank ha diner; 

Ho inatez gand eul letern, da zont d'hon c'has d'ar ger! — 
Pa oant-hi war ann hent hraz eur pennadik mad eet, 

Eur gomz kuz warbenn ar p'ac'h tre-n-he on bet laret, 

— Plac'hik koant, ho tentigo, ho tal hav ho tiou-jod, 

A zo gwenn evel eon ar C’hoummo, war ann oü. 

— Maltoterien, me ho ped, em lezet evel on, 

Evel laket sand Doue, laket gand Uouc on; 

Ha pa venn Kant gwech braoc’h, ia, Kant gwech braoc'h c'hnaz. 
Na vcnn ’vid hoc'h, otronez, na Yenn na well na was, 

— Hervcz ho komzo mignon, va merc’hik, me a gred, 

Em hoc'h het gand re Vegar, pe gand kloer desket ; 


324 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


A en juger par vos gentilles paroles, mon enfant, l'on dirait 
que vous êtes allée apprendre à parler avec les moines en 
leur couvent. 


— Je ne suis allée ni au couvent de Bégar apprendre à par- 
ler, ni ailleurs, croyez-moi, avec les clercs ; 


Mais chez moi, au foyer de mon père, j'ai eu, messieurs, 
bien des bonnes pensées. 


— Jetez là votre lanterne, et éteignez-en la lumière; voici 
une bourse pleine ; elle est à vous, si vous le voulez. 


— Je ne suis point de ces filles que l'on voit par les rues des 
villes, à qui l'on donne douze blanes et dix-huit deniers! 


J'ai pour frère un prêtre de la ville de Lannion; s'il ente”- 
dait ce que vous dites, son cœur se briserait. 


Je vous en prie, messieurs, faites-moi la grâce de me préci- 
piter au fond de la mer, plutôt que de me faire un pareil 
affront! 

Je vous en prie, messieurs, plutôt que de me faire un 
pareil chagrin, enterrez-moi toute vive. — 

Périna avait une maitresse pleine de bonté, qui resta sur le 
foyer à attendre sa servante; 


Hervez ho komzo mignon, va merc’hik, me a gret, 
D'ar govant 0 tiski preek gand menec'h em hoc'h het. 
— D'ar govant o tiski preeg e Begar n’em on bet, 
Na ken neheut e leac'h all, avad. gand kloarek "bed; 
Hogen, ebarz em zi-me ha war oaled va zad, 

Em euz gret, va otronez, bep seurt mennozio mad. 
— Tolet aze ho letern, ha c'houeet ho koulo; 

Setu'’r ialc’h leun a arc'hant, ma hoc'h euz c'honnt, he po. 
— Ne ket me eo'r femelen, a ve dre ruio ker, 

0 kemeret daouzek blank ha c'honz trioucc’h (iner) 
Me meuz da vreur ur beleg er ger a Lannion; 

Mar klefe pez a leret, rannafe he galon. 

Me bo ped, maltoterien, pezet ar vadelez, 

D'am zeurel e-kreiz ar mor kent ett kement c’hloez! 
Me ho ned, ma otronez, kent ett Kement c'hlac'har, 
Kemeret ar vadelez. d'am lakat beo enn douar. — 
Perinan doe eur vestrez karget a vadelez 

Aj omaz war ann oaled da c'hortoz he matez, 


Le 


L'ORPHELINE DE LANNION 325 


Elle resta sur le foyer, sans se coucher, jusqu'à ce que 
sonnèrent deux heures, deux heures avant le jour. 


— Levez-vous donc, être insouciant ! levez-vous donc, séné- 
chal, pour aller secourir une jeune fille qui nage dans son 
sang. — 

On la trouva morte près de la croix de Saint-Joseph; sa 
lanterne était auprès d'elle, et la lumière vivait toujours. 


NOTES 


L'auberge où servait la pauvre fille se nommait l'hôtellerie du Pélican 
blanc. Elle était orpheline; sa maîtresse lui tenait lieu de mère; son 
frère était vicaire dans la ville. Ce fut lui qui conduisit le cortége 
funèbre; toute la ville de Lannion assistait à l'enterrement : des jeunes 
demoiselles des premiéres familles, vètues de blane, tenaient les cordons 
du poêle. Périnaïk fut regardée comme une martyre. Le sénéchal fit 
arrêter les deux coupables, qu’on trouva ivres et endormis, le lende- 
main; ils furent condamnés à être pendus. l’un sifflait en se rendant 
au lieu du supplice, et demandait un biniou pour faire danser la foule; 
l’autre, moins audacieux, pleurait, et le peuple lui jetait des pierres, 11 
se cramponna si fortement avec le pied au pilier de la potence, que le 
Lourreau dut le lui couper d’un coup de hache. 

Longtemps après l'assassinat de Périnaïk, on voyait, dit-on, trembler à 
minuit une petite lumière près de la croix de Saint-Joseph. Une nuit, 
on vit la lumière paraître comme à l'ordinaire, et puis grandir, grandir 
encore, prendre une forme humaine, une tête, des bras, un corps vêtu 
d’une robe lumineuse, deux ailes, et s'envoler au ciel. 

Le temps où la jeune fille eût cessé de vivre, si elle fût restée sur 
la terre, était arrivé. 


À jomaz war ann oaled, heb kemeret paouez, 

Ken a zonaz ann diou heur, diou heur Kent hag ann dez, 
— Savet ta, tra dibreder, savet ta, senesal, 

Da vont da zikour eur plac'h, eun he goad o neunial, — 
E kichen kroaz Sant-Josef oa bet kavet maro; 

Be letern enn he c'hichen, ha beo he goulo, 


XL YI 


MORT DE PONTCALEC 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Les fils de ces hommes qui au seizième siècle prirent les armes pour 
affranchir leur pays de la souveraineté étrangère devaient, au dix- 
huitième, se lever deux fois pour la même cause. La conspiration de 
Cellamare eut un plus grand caractère de simplicité dans ses motifs et 
de précision dans son objet que la Ligue; elle fut purement nationale. 
Se fondant sur la violation de leurs franchises par le Régent, dont le but 
était de détruire toute résistance parlementaire, les Bretons déclarèrent 
nul T acte de leur union à la France, et envoyèrent au roi d'Espagne, 
Philippe V, des plénipotentiaires chargés d’entamer des négociations 
ayant pour base l'indépendance absolue de la Bretagne. La plus grande 
partie de la noblesse et les populations rurales se liguèrent contre la 
France ; la bourgeoisie seule resta en dehors du mouvement national. 
Elle était, dit M. Rio, entièrement dévouée au Régent et déjà presque 
toute étrangère au pays; les mots de droit et de liberté n'étaient inscrits 
que sur le gonfanon des gentilshommes 1. 

La conspiration échoua, comme on sait. Quatre des principaux chefs, 
savoir : Pontcalec, du Couëdic, Montlouis et Talhouet-le-Moine, furent 
pris et traités avec le plus dur mépris des formes judiciaires ; le Régent, 
désespérant d'obtenir un arrêt de mort de leurs juges naturels, les livra 
à une cour martiale; un étranger, un Savoyard, la présidait. Mais le 
peuple, indigné, réforma le jugement, et il fallut toutes les horreurs de 
95 pour faire oublier aux Bretons les tribunaux extraordinaires et les 
dragonnades de 1720. L’élégie du jeune Clément de Guer-Malestroit, 
marquis de Pontcalec, décapité à Nantes, à l’âge de vingt et un ans, sur la 
place du Bouffay, avec les trois braves gentilshommes que nous avons 
nommés, témoigne de l'esprit de la conjuration et de la sympathie popu- 
laire qui adoucit leurs derniers instants. 


1 Histoire d'un collége breton sous l'Empire, p. 49. 


MORT DE PONTCALEC. 52 


Un chant nouveau a été composé, il a été fait sur le mar- 
quis de Pontcalec; 

— Toi qui las trahi, sois maudit ! sois maudit! Toi qui l’as 
trahi, sois maudit! — 

Sur le jeune marquis de Pontcalee, si beau, si gai, si plein 
de cœur! 

— Toi qui l'as trahi, sois maudit! sois maudit! etc. 

Il aimait Jes Bretons, car il était né d'oux: 

— Toi qui l'as trahi, sois maudit ! sois maudit ! etc. 

Car il était né d'eux, et avait été élevé au milieu d'eux. 

Il aimait les Bretons, mais non pas les bourgeois; 

Mais non pas les bourgeois qui sont tous du parti fran- 
CIS: 

Qui sont toujours cherchant à nuire à ceux qui n’ont ni 
biens ni rentes, 


À ceux qui n’ont que la peine de leurs deux bras, jour et 
nuit, pour nourrir leurs mères. 





MARO PONTKALEK 


CHE SSKRERNE — 


L Ahalamour aneo oa deuet; 


— Traitour! ah! etc. 
Eur werzeen neve 20 savet; HQ 


War markiz Pontkalek eo gret; 
— Traitour! ah! 


Abalamour aneo oa deuet, 
Hag etre-z-ho oa bet maret. 


Malloz d'id ! Mignon a oa d'ar Yretoned. 
Malloz d’id ‘ta! U'ar vourc'hizien ne larann ket: 
Traitour! ah! D'ar vourc'hizien ne larann ket, 
Malloz d'id! ah! À zo a-du ar C'hallaoued: 

War markiz iaouank Pontkalek, A z0 alao’ kas gwaska re 

Ker koant, ken drant, ker kalonek! N'ho deuz na madou na leve, 
— Traitour! ah! etc. Nemet poan ho diou-vrec'h. n0z-de, 


Mignon a oa d'ar Vretoned, Evit maga ho mammou d'he. 


328 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Il avait formé le projet de nous décharger de notre faix; 


Grand sujet de dépit pour les bourgeois qui cherchaient 
l'occasion de le faire décapiter. 


— Seigneur marquis, cachez-vous vite, cette occasion, ils 
Tont trouvée! — 


Il 


Voilà longtemps qu'il est perdu; on a beau le chercher, 
on ne le trouve pas. 

Un gueux de la ville, qui mendiait son pain, est celui qui 
l'a dénoncé ; 

Un paysan ne Teùt pas trahi, quand on lui eût offert cinq 
cents écus. 

C'était la fête de Notre-Dame des moissons, jour pour jour ; 
les dragons étaient en campagne ! : 

— Dites-moi, dragons, n’êtes-vous pas en quête du mar- 
quis? 

— Nous sommes en quête du marquis; sais-tu comment il 
est vêtu? 

— lL ost vêtu à la mode de la campagne : surtout bleu orné 
de broderies ; 


Laket en devoa enn he benn Hennez en deuz hen diskuliet, 
Dizamma d’eomp-n1 hor horden ; Eur c'houer n'her dete ket gret, 
Gwarizi-tag d’ar vourc'hizien, Pa vije roet d'ean pemp kant skoed. 
0 klask ann tu etd hen dibenn. Gwel Maria ’nn est, de evid de, 

— Otrou markiz, et da guhet, Aun dragoned 09 war vale : 

Ann tu a z0o gant he kavetl — — Leret-hu d'i-me, dragoned. 


0 kiask ar markiz em'oc'h bet? 


LL — 0 klask ar markiz em omp bet; 
Pellik zo cma dianket: Daoust penoz ema-hen gwi-ket 7 
Evit he glask n’he gaver Ket — Er c'hiz diwar "mez ma gwisket: 
Eur panur euz ker, o klask he voed, Glaz he vorled hag hen bordet; 


1 Le Régent avait fait venir des dragons des Cévennes, 


MORT DE PONTCALEC. 329 


Soubreveste bleue et pourpoint blanc; guêtres de cuir et 
braies de toile ; 


Petit chapeau de paille tissu de fils rouges; sur ses épaules, 
de longs cheveux noirs ; 


Ceinture de cuir avec deux pistolets espagnols à deux coups. 

Ses habits sont de grosse étoffe, mais dessous il en a de 
dorés. 

Si vous voulez me donner trois écus, je vous le ferai trouver. 


— Nous ne te donnerons pas même trois sous; des coups 
de sabre, c’est différent ; 


Nous ne te donnerons pas même trois sous, et tu nous feras 
trouver Pontcalec. 


— Chers dragons, au nom de Dieu, ne me faites point de 
mal : 


Ne me faites point de mal, je vais vous mettre tout de suite 
sur ses traces : 


Il est là-bas, dans la salle du presbytère, à table, avec le 
recteur de Lignol. 


[1] 


— Seigneur marquis, fuyez! fuyez! voici les dragons qu 
arrivent ! 





Glaz he jak, ha gwenn he jupenn; Ne rimp ket zo-ken pemp gwennek, 
Bodrou-ler, ha bragou lien; Ha te ret d'omp Kaout Pontkalek, 
Eunn tokik plouz neudennet-ru; — Dragoned ker, enn han Doue! 
War he skoa, eur pennad bleo-du; Na et ked d’ober droug d'i-me : 
Eur gouiiz-ler; diou bistolenn, Na et ked d'ober droug d'i-me; 
Hag hi a Vro-Spagn, a-zaou denn : Ho hencha raktal e rinn-me : 
Gat-han dillad pillou-huan, Ma hen du-ze, er zal, ouz Lol, 
Gad unan alacuret didan. 0 leina gad person Lignol. 

Mar tell d'hoc’h-hu roi d'in tri skoct. 

Me a rei d'hoc'h-hu he gaouet. III 

— Tri gwennek zo-ken na rimp het, — Otrou markiz. tec’het, tec'hett 


Toliou sabren, ne laromp ket ; Me wel erru ann dragoned: 


N 


530 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

Voici les dragons qui arrivent : armures brillantes, habits 
rouges. 

—Je ne puis croire qu'un dragon ose porter la main sur moi; 


Je ne puis croire que l’usage soit venu que les dragons por- 
tent la main sur les marquis! — 


Il n'avait pas fini de parler, qu'ils avaient envahi la salle. 

Et lui de saisir ses pistolets : 

— Si quelqu'un s'approche, je tire! — 

Voyant cela, le vieux recteur se jeta aux genoux du mar- 
quis : 

— Au nom de Dieu, votre Sauveur, ne tirez pas, mon cher 
seigneur ! 

À ce nom de notre Sauveur, qui a souffert patiemment ; 


À cenom de notre Sauveur, ses larmes conlèrent malgré lui ; 


Contre sa poitrine ses dents claquèrent ; mais, se redres- 
sant, il s’écria : «Partons! » 

Comme il traversait la paroisse de Lignol, les pauvres 
paysans disaient, 

Ils disaient, les habitants de Lignol : — C’est grand péché 
de garrotter le marquis ! — 


Comme il passait près de Berné, arriva une bande d'enfants : 


Me wel ann dragoned erru; Na dennet ket, ma otrou ker! — 
Sternou lugernuz, dillad ru. Pa glevaz hano hor Salver 

— Me na gredann ked em c'halon, En deuz gouzanvet gand dousder; 
E krogfe cnn on cunn dragon; Hano hor Salver pa glevaz. 

Na gredann ket ve deut ar c'hnz Daoust d'he spered hen a oelaz; 
Ma krog ann dragon er markiz. — hez he galon strakaz he zent; 


Ken a droc'haz, sonn : « Dcomp "ann 


Da ked he gomz peur-achuet, [hent! » 


Tre-barz ar zal ho deuz lammet. A-dreuz parrez Lignol pa ee, 


Har hen da hec nn he bistolenn: Ar gouer paour a lavare : 

— Neh a dost ouz-in "n deto "nn tenu! | Laret a ree al Lignoliz : 

Ar person Koz dal m'her gwelaz, — Pec'hed eo cren ar markiz! — 
Dirag ar markiz ‘nem strinkaz : Pa ee ehiou parrez Berne, 


— Enn hano Douc. ho Salver, Digouet eur frapad bugale 


MORT DE PONTCALEC. 531 


— Bonjour, bonjour, monsieur le marquis : nous allons au 
bourg, au catéchisme. 


— Adieu, mes bons petits enfants, je ne vous verrai plus 
jamais! 


— Et où allez-vous donc, seigneur? est-ce que vous ne re. 
viendrez pas bientôt? 


— Je n’en sais rien, Dieu seul le sait : pauvres petits, je 
suis en danger. — 


Il eût voulu les caresser, mais ses mains étaient enchainées. 


Dur eût été le cœur qui ne se fût pas ému; les dragons 
eux-mêmes pleuraient; 


Et cependant les gens de guerre ont des cœurs durs dans 
leurs poitrines. 


Quand il arriva à Nantes, il fut jugé et condamné, 


Condamné, non pas par ses pairs, mais par des gens tom- 
hos de derrière les carrosses T". 


Ils demandèrent à Pontcalec : — Seigneur marquis, qu'’a- 
vez-vous fait? 


— J'ai fait mon devoir; faites votre métier! ? — 





— Mad-d'hoch! mad-d'hoch! otrou Re nn dragoned zo-ken a rce : 


[markiz; | Potred-a-vrezel, koulskonde. 
Ni ia d'ar vorc'h. d'ar c'hatekiz. Ho deuz kalonou kri enn he. 
DS Kenavo, bugaligou vad ; Ha-pa oa digouet e Naoned, 
N'ho kwelo mui ma daoulagad. E oa barnet ha kondaonet ; 
-- Da helec'h et etn, otrou; 


Kondaonet, naren gand tud-par, 
Ha dont na reot souden endrou? 


Nemet tud koet doc'h lost ar c'harr, 
Da Bontkalek deuz int laret : 
— Otron markiz, petra peuz gret? 


— Me na ouzon Ked. Doue "Y goar; 
Pugale baour, me 20 war var. — 


Ho cherisa en defe gret, 


Ep SET ; S 
Paneved he zaouarn ereet. Pez a oa dieet, d'in da ober; 


Dre GN Z Ha gret-hu ive ho micher. — 
Kriz vije ’r galon na ranne: 


1 C'est le nom breton des parvenus; à la lettre : de la queue des carrosses. 
2 Talmont devait plus tard faire la même réponse au tribunal révolutionnaire 


352 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


IY 


Le premier dimanche de Pâques, de cette annèe, un mes- 
sage est arrivé à Berné. 

— Bonne santé à vous tous, en ce bourg; où est le recteur 
par ici? 

— Il est à dire la grand'messe, voilà qu’il va commencer le 
prône. — 

Comme il montait en chaire, on lui remit une lettre dans 
son livre : 

Il ne pouvait la lire, tant ses yeux se remplissaient de 
larmes. 

—— Qu'est-il arrivé de nouveau, que le recteur pleure 
ainsi ? 

— Je pleure, mes enfants, pour une chose qui vous fera 
pleurer vous-mêmes : 

l cst mort, chers pauvres, celui qui vous nourrissait, qui 
vous vêtissait, qui vous soutenait ; 

Il est mort celui qui vous aimait, habitants de Berné, 
comme je vous aime ; 

Il est mort celui qui aimait son pays, et qui l’a aimé jus- 
qu'à mourir pour lui; 





IV Gad ann daelou demeuz he benn : 
— Petra zo c'hoarvet a neve, 
D'ar sul kenta pask, hevlene. Pa oel ar person er c'hiz-ze? 
Oa kaset kannad da Verne. — Goela a rann, ma bugale, 
— lec'hed mad d’hoc'h holl, er ger-ma: | War pez a refac’h-c'hui ive. 
T œ 
Pale "ma ar person drema ? Maro, poerien, neb ho mage, 
— Ma oflaret he oferen, Neb ho kwiske, neb ho harpe: 
Ma 0 Yonet gand ar bregen. — Maro ann hini ho kare, 
Pa oa 0 Yonet J'ar gador, Berneviz, kouls evel on-me, 
1 H U «x 

Oa roed d'ean eul lier el leor: Maro neb a gare he vro, 


Ne oa ket goest evid he lenn, Hag her grez beteg ar maro; 


MORT DE PONTGALEC. 333 


Il est mort à vingt-deux ans, comme meurent les martyrs 
et les saints. 

Mon Dieu, ayez pitié de son âme! le seigneur est mort! ma 
voix meurt! 

— Toi qui Tas trahi, sois maudit! sois maudit! Toi qui l’as 
trahi, sois maudit! 


NOTES 


Les traditions d'honneur, nous en avons ici la preuve, se transmettent 
de père en fils : Pontcalec descendait en ligne directe de ce fier Jean 
de Malestroit, chef de l'opposition à l'union de la Bretagne à la France, 
qui refusa le bâton de maréchal que la duchesse Anne lui offrit, pour 
vaincre une obstination qu’elle admirait tout en la blämant. Son père, 
comme ses aïeux, était resté fidèle à la cause nationale, et selon la 
magnifique expression de Louis XIV, « ceux-ci n'avaient retiré d’autre 
récompense de leurs glorieuses actions que la gloire de les avoir faites » : 
il fut digne d’eux. 

La lettre où l’on apprenait au recteur de Berné la mort du jeune 
Breton et celle de ses amis a été conservée ; elle est écrite par un des 
religieux qui assistèrent les condamnés. Même au moment de l’exécu- 
tion, l'humeur enjouée du jeune marquis ne se démentit pas un instant ; 
elle contrastait singulièrement avec la gravité de ses compagnons 
plus ägés. « Après avoir confessé M. du Couëdic, dit le religieux, je 
me retirai en le saluant. Voulant me rendre le salut : « Où est, dit-il. 
mon chapeau?— Hé! qu'avons-nous besoin de chapeaux? répondit 
M. de Pontcalec, on nous ôtera bientôt le moule des chapeaux! » En 
voyant entrer M. de Montlouis, il s’écria : « Ah! voilà un bien honnête 
homme qu'on fait mourir. » Et il vint l’embrasser en disant: « Quelle 
injustice ! » La seule plainte qu’il proféra lui fut arrachée par le sen- 
timent de la dignité humaine; quand le bourreau lia les mains de ses 
compagnons : « Lier les mains à des gentilshommes! s’écria-t-il, les con- 
damner à mort sans qu'ils aient jamais tiré l’épée contre l’État! voilà 
donc cette Chambre royale qu'on disait agir avec tant de douceur ! Quelle 
douceur! On disait que M. de Montlouis avait sa grâce; pourquoi donc lui 
lier les mains comme à nous?» L’exécuteur, en arrivant à lui, fut si 
ému, qu'il crut devoir «lui adresser une espèce de compliment ou d’ex- 
cuse.» M. de Pontcalec lui dit: « J'irai tranquillement à l’échafaud sans 
avoir les mains liées. » Il alla pour en faire autant à M. du Couëdic, 





— Traitour! ha! 
Malloz d'id! 


Malloz d'id-'ta! 
Doue, ho pet out-han truez! PER Ah 


Marv e ’nn otrou ! marv e ma mouez! Milo did) shit 


Maro da zaou vloa war-n-ugent, 
Vel ar verzerien hag ar zent; 


204 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


mais l'ayant trouvé assez serré, il ne le toucha pas. Ce fut alors que 
ce Monsieur s’écria pour la première fois : « Après vingt-huit ans de ser- 
vices, voilà donc ma récompense ! J'ai de moi-même exposé ma tête 
mille fois pour le roi, et il me la fait couper aujourd’hui sur un écha- 
faud ! » 

Pendant que les condamnés marchaient au supplice, le courage et la 
jeunesse de Pontcalec faisaient pleurer la foule. «Comme nous allions 
vers le Bouflay, continue le moine, les gémissements et les cris du peuple 
me donnèrent occasion de lui dire: «On plaint votre sort, et on ne 
« plaignit pas celui de Jésus-Christ. — Ah! quelle différence entre lui et 
« moi! » Etilrépéta plusieurs fois avec de bien pieux sentiments: « Pater. 
fiat voluntas tua. » La vue de l'échafaud ne lui ôta rien de sa fermeté. 
Malgré les instances de son confesseur, qui aurait voulu lui faire détour- 
ner les yeux, il regardait toujours l’instrument de mort, et disait : « Quel 
spectacle! mon père, quel spectacle! » Il devait y monter le dernier. 
Arrivés au pied de l’échafaud, les quatre amis se dirent au revoir ci 
s’'embrassèrent. Montlouis recut le premier le coup de la mort ; avant de 
mourir, il s’'agenouilla auprès du poteau et récita tout haut une prière à 
la sainte Vierge. «Le son de sa voix était fort, » remarque le moine. Quand 
l’exécuteur vint inviter M. de Talhouet à monter à son tour, poursuit le 
même religieux, il me dit d’un nip qui marquait également la tendresse 
et la franchise : «Allons, mon pèrel » puis aux assistants : « Priez Dieu 
pour moil » J'en vis plusieurs ôter leurs chapeaux et répondre en se 
mettant à genoux: Oui, nous le ferons. » Comme je descendais de 
l’échafaud, on m’avertit que j'avais le visage et‘la chape tout couverts 
de sang. » 

Le tour de Pontcalec étant venu, il dit à son confesseur : « Je pardonne 
de bon cœur à tous ceux qui me font mourir. » Puis il ajouta en sou- 
riant: « Voilà un compliment bien triste. » En penchant la tête sur le 
billot fatal, il répéta plusieurs fois : Cor contritum et humiliatum, Deus. 
non despicies. de l'entendis aussi, continue le religieux, prononcer à 
haute voix Jesus, Maria. Ses dernières paroles furent celle-ci: «Mon 
Dieu, je remets mon âme entre vos mains! » 

Après l'exécution, le bourreau, escorté par une troupe d'archers à 
cheval (car on avait déployé un grand appareil militaire, dans la crainte 
d’un soulèvement), emmena dans une charrette les quatre corps déca- 
pités ; l’autorité supérieure ordonna qu'ils fussent secrètement Enfé es 
sans son de cloche ni chant d'église. «On fit donc entrer la nuit même, 
dit le moine, quatre femmes dans le bas-chœur de notre chapelle pour 
ensevelir les corps, et quatre hommes pour faire quatre fosses; ils 
les creusèrent sur une même ligne au haut de la nef, pendant que les 
religieux récitaient matines-et laudes. Après qu'ils eurent fini, le Père ? 
supérieur fit les quatre enterrements, en récitant avec les autres 
religieux, mais sans chanter, la prière de l’Église pour inhumation des 
morts. » La messe des morts fut dite avec des ornements blancs. Le 
Régent avait réglé lui-même le cérémonial de l'enterrement. 

Cette grande page d'histoire a été écrite d’une manière digne du sujet par 
M. ArtLur de la Borderie à l’aide de tous les documents contemporains. 


XLVII 


LE COMBAT DE SAINT-CAST 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Au mois de septembre 1758, les Anglais firent une descente à Saint- 
Cast, au nord de la Bretagne. Cette expédition se lait à un vaste plan 
dont l’objet principal était d'assurer à l’Angleterre la navigation de la 
Manche, et d'opérer une diversion en faveur des armées d'Allemagne, 
ses alliées, en alarmant la France et en l’obligeant à employer des troupes 
considérables à la défense de ses côtes. La défaite du général Bligh et 
des huit mille hommes qu'il commandait, dont trois mille furent tués ou 
pris par le général Morel d’Aubigny, de la noble famille normande de 
ce nom, fit abandonner le système d’invasion 1, 

Le combat de Saint-Cast donna lieu à un événement peut-être unique 
dans les annales de la guerre. «Une compagnie de bas Bretons des envi- 
rons de Treguier et de Saint-Pol-de-Léon, dit le petit-fils d'un témoin 
oculaire *, marchait pour combattre un détachement de montagnards 
gallois de l’armée anglaise, qui s’avançait à quelque distance du lieu du 
combat en chantant un air national, quand tout à coup les Bretons de 
l'armée française s'arrêtérent stupéfaits : cet air était un de ceux qui 
tous les jours retentissaient dans les bruyères de la Bretagne. Électrisés 
par des accents qui parlaient à leur cœur, ils cédèrent à l’enthousiasme, 
et entonnèrent le refrain patriotique; les Gallois, à leur tour, restèrent 
immobiles. Les officiers des deux troupes commandèrent le feu; mais 
c'était dans la même langue, et leurs soldats semblaient pétrifiés. Cette 
hésitation ne dura pourtant qu'un moment; l'émotion l’'emporta bientôt 
sur la discipline : les armes tombèrent des mains, et les descendants des 
vieux Celtes renouvelèrent sur le champ de bataille les liens de fraternité 
qui unissaient jadis leurs pères, 

« Sans oser garantir ce fait, ajoute M. de Saint-Pern, nous déclarons 
qu'il nous a été raconté par plusieurs personnes dont l’opinion peut faire 
autorité, et qu'il est traditionnel dans le pays. » Le chant qu'on va lire 
le confirme. 


1 Smolett, History of England, p. 675 et 682. E 
3 Combat de Suint-Cust, par M. de Saint-Pern Couelan, député de Dinan (1836), p. 50 et 51, 


336 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


1 


Les Bretons et les Anglais sont voisins, mais (Y on sont pas 
moins ennemis ; ils ont été mis au monde pour se combattre 
à tout jamais. 


Com ^ je dormais, l’autre nuit, un son de trompe retentit, 
retentit dans le bois de la Salle : «Saxons! Saxons! maudits 
Saxons ! » 


Le lendemain, en me levant, je vis les Anglais arriver, je 
vis arriver leurs soldats : harnais dorés et habits rouges. 


Quand ils furent rangés sur la grève, j'aperçus les Français 
allant à leur rencontre, d'Aubigny à leur tête, l’épée nue à 
la main. 


— En avant! cria d’Aubigny; il ne nous en échappera au- 
cun ! Courage! allons, mes braves enfants, en avant! suivez- 
moi! et ferme! 


Les Français répondirent tout d’une voix à son appel: 
— Suivons d'Aubigny pied à pied; il est gentilhomme et bon 
compagnon. — 





EMGANN SANT-KAST 


— IES KERNE — 


l War ann od ha pa oant ledet, 


Breiz ha Bro-Zaoz enebourien, Gweliz o tont ar C'hallaoued. 

Evit-ho bout amezeien, D'Aubigny gant-he "Y penn Kenta, 

A 70 bet laket er bed-men He glenv noaz enn he zorn gant-ha. 
D'en emfibla da virviken, —— Arog! a lare D'Aubigny, 

Pa oann kouskct, enn nozve: all, Na dec'ho nekun ouz omp-ni! 

E kleviz son ar c'horn-buhal, Ai ta! va fotred doc’htu! 

Son ar c'horn-bual, e koat-Sal : Arog d'an heul) ha pegomp du! — 

— «Ho! Saozon ! Saozon! Saozon fall!» | +e C’halloued a respontaz 

Ha dal” ma saviz antrouoz, Holl war cunn dro, pa he glevaz : 
Gweliz oc'h erruout ar Saoz; — Deomp gand D'Aubigny troad-0c'b- 
Gweliz he zoudarded erru : [troad; 


Sternou alaouret, dillad ru. Denjentil eo Kouls ha potr mad! — 


LE COMBAT DE SAINT-CAST. 551: 


Quand d’Aubigny en vint aux mains, il n'y eut personne, 
rand ou petit, qui n’ouvrit de grands yeux en le voyant ver- 
ser le sang. 

Ses cheveux, son visage et ses habits étaient tout couverts 
de sang, de sang qu'il tirait aux Anglais, en leur perçant le 
cœur. 

On le voyait, sur le champ de bataille, le cœur calise, la 
tête haute, pas plus ému par les boulets que s'ils eussent été 
des bouchons. 


IL 


Alors, les hommes de la basse Bretagne venaient au combat, 
en chantant : «Celui qui à vaincu trois fois, celui-là vaincra 
« toujours ! 

« À Camaret, dans ces temps-ci, les Anglais ont fait une 
« descente; ils se pavanaient sur la mer, sous leurs blanches 
« voiles gonflées ; 

«Ils sont tombés sur le rivage, abattus par nos balles, 
«comme des ramiers; de quatre mille qui débarquèrent, il 
«n’en est pas retourné un seul dans son pays. 


« À Guidel, ils sont descendus, à Guidel, en terre de Van- 


- IL 
Pe oa D'Aubiony cnn emgann, EH 
Ne oa den, na braz na bihan, Potred Breiz-izel a gane, 
Na zigore he zaoulagad U tont war ann dachen, neuze : 
(c'h he welet o leuskel goad. — « Neb en deuz goneet teir gwech, 


> « À c’honeo n’euz fors pet kwech! 
Ile vleo, he zremm, hac he zillad Ñ 


\e oant penn-da-benn nemed goad 
Distrinket demeuz ar Zaozon, 
Drema treuze d'he ar galon. 


v E Kamared, cnn amzer-hon 

« E où diskennet ar Zaozon; 

« Bragal a reent, war ar mor, 

« Gant ho gweliou Gwenn-kann digor;, 
Hen a welet, war ann dachen, 
teiz he galon, huel he henn, 
Heb muia van d'ar bolodou 
Lvel pa vizent bet stoufou. 


« Gant tennou kouezjont war ann od, 
« Evel ma vient kudonod; 
« Deuz pevar mil e oant eno, 
« Na zistroaz hini d'he vro, 
« E Gwidel c oent diskennet. 
. « E Gwidel e douar Gwenned ; 


92 


538 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
« nes; à Guidel, ils sont enterrés, comme ils l'ont été à Ca- 
« maret. 


« Au pays de Léon, en face de l’île Verte, jadis ils descen- 
« dirent aussi; ils répandirent tant de sang, que la mer bleue 
« en devint rouge. 


y Il n’y a pas en Bretagne une butte, pas un tertre qui ne 
« soient faits de leurs ossements, que les chiens et les cor- 
« beaux se sont disputés, que la pluie et les vents ont blan- 
« chis. » — 


Les archers d'Angleterre, en entendant ces chants, restè- 
rent immobiles d'étonnement; si belles étaient la mélodie et 
les paroles, qu'ils semblaient fascinès par elles. 


— Archers d'Angleterre, dites-moi, vous êtes donc las, que 
vous vous arrêtez? 

— Sinous nous arrêtons, nous ne sommes point las; nous 
sommes Bretons comme ceux-ci. — 


[ls n'avaient pas fini de parler : — Nous sommes trahis ! 
fuyons, soldats! — 

Et les Anglais de s’enfuir au plus vite vers leurs vaisseaux; 
mais il n'en échappa que trois. 


[Il 


En cette année mil sept cent cinquante-huit, le second 





| — Arserien Bro-Zaoz, leveret. 
Skuiz oc'h eta, pa ehaned? » 
— Ne d-omp ked :kuiz, pa ebanomp, 
Kouls Ba re-hont, bretoned omp! — 


« E Gwidel int Let douaret, 

« Evel ma oent e Kamaret. 

v E hro Leon, rag enez-c’hlaz, 

« Gwech-all, e oent diskennet c'honz: 


« Kemend a wad defant losket 

« Ken à oa ar mor glaz ruiet. 

« Neuz, e Dreiz. na boden, na bern 

« E-lec'h na paver ho eskern: 

v Koun ha brini oc'h ho sachat, 

« Glao hag avel oc'h ho c'hannat. » — 
Arserien bro-Zaoz pa glevzont, 

Gand estlamm arzao a rezont; 

Ker Kaer ann tou hag ar c'homzaou, 
Ken e oant bamet o selaou. 


Ua ked ho c'homz peur lavaret : 

— Gwerzet omp! tec'homp Kuit, po 
[tred! — 

Hag ar Zaozon prim J'ho listri; 

Hogen na dec'haz nemet tri. 


LLL 


Er bloavez-ma mil-ha-seiz-kant 





Ilag eiz ouspenn har hanter-kant, 


LE COMBAT DE SAINT-CAST, 334 


lundi du mois de la paille blanche les Anglais ont été vaincus 
dans ce pays. 


En cette année, comme devant, ils ont été mis au pas. 
Toujours, comme grêle dans la mer, fondent les Anglais en 
Bretagne. 


NOTES 


Si l’on en croyait le poëte populaire, ce seraient les Bretons d’Armo- 
rique qui auraient marché au combat en chantant, et l’air ainsi que les 
paroles de leur chant qui auraient fait tomber les armes des mains de 
leurs frères les Gallois. On choisira entre la tradition recueillie par M. de 
Saint-Pern et celle de l’auteur breton. Mais ce qu'il y a de très-remar- 
quable, c'est que l'air du Combat de Saint-Cast est populaire à la fois en 
Bretagne et dans le pays de Galles. Les anciennes défaites des Anglais, 
dont le souvenir est rappelé par le poëte, se rapportent aux années 1486, 
1694 et 1746. I] paraîtrait, d’après lui, que les ofliciers anglais de la com- 
pagnie des archers gallois auraient attribué à la trahison, et non au patrio- 
tisme réveillé par l'identité de langage et d’airs nationaux, le refus de 
marcher de leurs soldats. Faut-il croire que cette détermination décida 
les ennemis à fuir? Cela n’est guère probable; mais l’armée française et 
la marée montante concoururent bien certainement à les empêcher de 
regagner leurs vaisseaux, et la plupart furent faits prisonniers. On ne 
dit pas si les Cambriens furent du nombre; dans cette hypothèse, leurs 
frères d’Armoriqué auront certainement adouci leur captivité : les Gallois 
devaient eux-mêmes, trente-cinq ans plus tard, adoucir celle des Bretons 
prisonniers des Anglais. 

Il y a plusieurs versions du Combat de Suint-Cast : Tune d'elles m'a 
été procurée par M. Joseph de Calan, arrière-neveu d’un officier breton 
qui était à la bataille. Je ne doute pas qu’elle ait été chantée par quelque 
soldat cornouaillais témoin de l'affaire. Elle le fut aussi en français par 
divers témoins, et inspira un sarcasme très-vif au procureur général 
La Chalotais, à propos du duc d’Aiguillon, gouverneur de Bretagne, où 
ce duc n’avait pas eu l'avantage de se faire aimer. Le duc d’Aiguillon 
ayant assisté à la bataille de Saint-Cast du haut d’un moulin dont il avait 
fait son observatoire, La Chalotais s'écria : « L'armée française s’est cou- 
verte de gloire, et le duc d’Aiïguillon de farine. » 





D'ann eil lun a viz gwengolo, Ema int het laket enr ho hent. 
Ua rec'het ar Zaozon er vro. Evel eur bar grizil er mor, 
Er bloavez-ma, evel agent, Ar Zaozon, bepred, enn Arvor. 


1 Cet air est le mème que celui du Siége de Guingamp. Voyez les Mélodies originales la fin 
de ce volume. 


XLVHI 


IANNIK SKOLAN 


ARGUMENT 


L'histoire de Tannik Skolan se divise en deux parties: dans Pune. le 
chanteur populaire nous apprend comment son héros fut pendu jour 
avoir assassiné une jeune fille, sa cousine, nommée Moriset; dans l’autre, 
il nous le montre venant, après sa mort, demander Ja merci de l'âme 
c'est-à-dire le pardon de ses crimes, à sa mère, qui à refusé de le lui 
:ccorder et de le bénir. Selon les idées bretonnes, le bonheur éternct 
dépend de ce pardon; celui que le prêtre dispense au nom de Dieu ne 
suffirait pas. Aussi le saint patron ou parrain du jeune homme croit-il 
devoir l’accompagner pour joindre ses prières aux siennes. 

La première moitié de la ballade se chante dans la paroisse de Mel- 
rand, au pays de Vannes, où l'événement a eu lieu, vers la fin du der- 
nier siècle; on y a élevé une croix de pierre à l'endroit même où Ja 
victime a perdu la vie. La seconde, populaire en Tréguier et en Cor- 
nouaille, est inconnue en Vannes. Un seu: paisan, auquel les trois dia- 
lectes sont familiers, a pu me les chanter réunies; c’est sa version que 
Je suivis dans les précédentes éditions de ce recueil; j'en donne une autre 
aujourd’hui que je dois en partie à M. de Penguern, en partie à un fer- 
mier de M, du Laz de Pratulo, ct en partie à une mendiante de Lokéfret. 
M. Gabriel Milin, dans le Bulletin de la Société académique de Brest pour 
186%, en a publié une variante curieuse dont j'ai également profité, 


L 
= 


IANNIK SKOLAN. 


l 
LE CRIME 


— DIALECTE DU BAS VANNES — 


1 


Comme le jour se couchait, la mendiante vint chez nous. 
Quand la mendiante entre quelque part, elle a un sourire pour 
tout ie monde : 

— Que Dieu vous bénisse en cette maison, vous, chère 
femme, et vous, enfants; me voiei venue encore une fois 
pour me promener; vous vous portez bien, ici? 

— Las! commère, cela ne va pas mal; mais le pauvre 
homme n’est pas bien; et, si sa maladie dure trop longtemps, 
Je serai forcée d'aller mendier mon pain. 

Mais prenez un escabeau, en ce coin-là, ma commère, cl 
assevez-Vous; oui, asseyez-vous là. ma commère, et contez- 
moi quelque belle nouvelle. 

— Ilya des belles nouvelles assez; je pense, ma commère, 
que vous en avez oui parler; n’avez-vous pas entendu parler, 
ma commère, de ce qui est arrivé aux environs du bourg? — 


IANNIK SKOLAN 


I 
AR GWALL-DAOL 





— EB GWENNED IZEL — 


I | Nemeit cnn oac'h peur e zou klan; 
| Ha mar bad re bell he glenued, 

ro mare e sarre enn de, Dao vo d’eing mont de glask me hoed, 
Teue enn drufereh du-me. Tapet ur skabel, korn enn ti, 
Pe za enn drufereh Hn ti, Me c'homer, euit azei; 
Doc'h enn holl defe jolori : Azeet anze, me c'homer, 
— Dour d’ho pennigai cnn ti-me, Ha Kontet d’i-men eunn dra gaer. 
C'hui, grouegeh, ha c'hui, bugale: — Traeu gaer awalc'h e zou digouet, 
Deut on eur wech hoah de vale ; Me zonl; me c'homer, peuz kleuet: 
Mad er bed geu hoc'h tro-zreme” Ne neuz ket kleuet,-me c'homer. 


— Allaz) me c'homer, ne c’huitan; Pez zou digouet endro d'er ger? —. 


\ 


342 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Alors le cher maître de maison dit: — Donnez à cette 
femme un peu de lait; un peu de lait et une crêpe, que vous 
lui mettrez sur les genoux. 


— C’est lannik Skolan qui a été pris et pendu; court pendu 
sur la place de Vannes ; il avait commis assez de crimes. 


—Je ne sais rien du tout, ma commère; je ne puis sortir d'ici, 
je ne puis aller nulle part, car j'ai mes enfants à soigner. 


— Il avait commis assez de crimes depuis qu'il était au 
monde; il avait commis assez de crimes, avant de tuer Mo- 
rised. 


IT 


En gardant les bêtes de son père, elle ne pensait qu'à bien; 
elle n'avait pleuré qu'une fois, en voyant son mouton em- 
porté par le loup; 


Rien qu'une seule fois elle n'avait pleuré; voici qu’elle a 
pleuré deux fois maintenant; elle avait pleuré et fait une chan- 
son que l’on chante dans le canton : 


«—— Hélas! hélas! mon pauvre mouton aux petites cornes 
blanches! hélas! hélas! mon pauvre mouton à petite tête 
blanche! hélas! hélas! hélas! mon pauvre petit mouton, qui 
était une si bonne petite bête! » — 


Neuze e larez enn oac'h keh : Kentoc'h de lahein Morised. 
— Reit d’er c’hrouek-ze eur banac’h leh. Il 
Eur banac’h leh hng eur grampouen, 


Rn laketacthi barlen: Pe ziwalle loned hi zad, 


Ne doa d’ei sonj nemeid de vad; 
| Ne doa goelet meid eur wec'h ’ner 
Gwelet hi daon mont ged er blei; 


— lannik Skolan zou het lapet, 
Lou bet tapet zou bet krouget, 
Krouget herr ar dachen Gwenned: 


Nemeid eur wec'h ne don goelet; 
Torfedeu "walc'h en defa groet. S G S E 


Setu diou bremen e deuz groct: 
— Me c'homer, ne glevon netra, Goelet e doa ha groet eur zon 
N'hallon Ket mont mez cnn ti-ma, E ve Kanet dre er c'hanon : 
N'hallon mont neblec’h de vale, 


5 NS — «Kaon! kaon) d'am daonik gwenn- 
Ged pridiri me bugale 





[gornik! 
— Torfedeu "walc'h en defa groet, Kann! kaon! d'arm daonik penn-gwennik ! 
Diboe e oe deut ar er bed; Kaon! siouah ! kaon, kaon) d'am danvad, 


Torfedeu "walc'h en defa groet, | Hag a 0e eul lonik Ker mad! — 


IANNIK SKOLAN. 3545 


lannik Skolan s’en revenait chez lui, son bâton crochu à la 
main : — Petite Morised, vous chantez bien gaiement; vous 
me donnerez un petit baiser. 


— Je ne vous donnerai point de baiser; vous êtes un mé- 
chant garçon, s’il en est au monde. — 

Et elle de s’enfuir bien vite; mais, hélas! il n'y avait aucun 
village près de là. 

Et lui de la poursuivre et de la frapper jusqu’à trois fois ; 

Si bien qu’elle tomba baignée dans son sang, les yeux fer- 
més. 


III 


Il y avait sept ou huit jours que son père n'était revenu à la 
maison ; vers onze heures ou midi son père arriva. 

— Pauvres enfants, dites-moi, qu'avez-vous done, quand 
vous êtes si tristes ? Et votre sœur, où est-elle allée? 

— Vous l'apprendrez assez tôt! 

Vous apprendrez assez tôt ce qui est arrivé à notre sœur 
Morised ; elle est là-bas, près de la prairie, nageant dans son 
sang. 

C’est le tisserand qui l’a tuée! Depuis votre départ, il cher- 
chait à la porter au péché; c'est lannik Skolan qui l’a tuée! 





lannik Skolan 06 tont d'er ger, Ii zad d'er ger ne oe ket bet, 
Get-hon enn dorn he grok poueher : | Ar dro uennek heur pe greiz-te, 
— Morisetik, c'hu a gan ge, Hi zad d’er ger a zigouee. 

Eur bouchig e refet d’eing-me. — Bugale beur, d'eing-me laret, 
— Eur houch d’hoc’h-hu me ns rinn ket! | Petra peuz ’ta ken glac'haret : 
Eur potr fall oc'h mar zou er bed. — Nag ho c'hoer men e ma hi oet? 
Hag hi Kuit doc’htu c redek; — Abred awalec'h e kleret) 
Allaz! ne oe Lost ker er-bed, Abred awalec’h e lefet 

Ha hon ar hi lerc'h a lammez, Doare doc'h hon c'hoer Morised; 
Ha skot get-hi teir gwech a rez; Ë ra hi tu-hont tal er prad 
Ken hi file ‘nn he foulad coed. Hag hi e neunial enn hi goad. 
Sarret get-hi hi deulaged. | Er gwiader neuz hi lahet! 


111 Diboe m'oc'h ac'han diblaset, 
0e kas hi dougen d'er nec'hed: 
Seih pe eih te oa tremenet, lannik Skoïan nouz ny lahet) 


54% CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Il cherchait à la porter au péché, et il n'a pu y réussir; c'était 
une fille de Dieu, elle n'a pas voulu perdre son âme. — 


IV 
Comme on portait la petite Morised en terre, son sang cou- 
lait de la charrette: vieux et jeunes pleuraient: son père sui- 
vait en sanglotant. 
Si vous voulez voir Morised, vous la trouverez sur le grand 
chemin de Melrand: on a élevé une croix neuve dans le lieu 
où elle a perdu la vie. 


Il 
LA MERCI DE L’AME 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


lannik Skolan et son parrain sont allés tous deux demander 
le pardon, demander la merci des âmes, demander le pardon 
des péchés. 

Jaunik Skolan disait, en entrant chez sa mère : 

— Bonne nuit et joie en cette maison; est-ce qu'on y est 
couché? 


Uc kas hi dougen d'er pec'hed, Divere hi goed doc'h er c'harr. 

Ha pedal n’en deuz ket gallet; Tud koh ha ieuang e oelein; 

Ii a oe ur plac'h diged Doue, Hi zad, arlec’h, e hirvoudein. 
Felle ket d'ei koll hi ene. Mar neuz c'hoant de wel Morised. 


Ar heut braz Meirand hi c’hefet; 


IN Sauet zou bet ur groez neue, 
E Kas Morisetik d'enn doar, Lec'h e deuz kollet hi buhe. 
II 
TRUEZI ANN ENE 
— IES TREGER — 
lannik Skolan hag he baeron | Jannik Skolan a c'houlenne, 
Zo eet ho daou da c'houl pardon, Lnn ti he vamm pa enderue : 


Da C'houl true d’ann eneo, 
Da C'houl pardon d’ar bec’hejo. 


— Noz vad ha joa, tud ann ti-man, 
Tag ed eur da gousket enn han? 


IANNIK SKOLAN. 545 

Tous vous êtes 101 couchés, il n’est resté que moi, moi seul 
je suis resté ici, pour attiser le feu. 

— Et par où êtes-vous entré ? J'avais fermé mes portes ; mes 
portes, je les avais fermées à clef, et mes fenêtres au verrou. 

— Si vous aviez fermé vos portes à clef, je sais les ouvrir 
depuis longtemps. Allumez la chandelle, soufflez le feu, et 
vous verrez deux au lieu d’un. — 

Quand la chandelle fut allumée, elle fut saisie d'épouvante, 
en voyant deux personnes dans la maison, causant avec elle à 
minuit. 

— Calmez-vous, ma mère, n'ayez pas peur; c’est moi le 
fils que vous avez mis au monde, qui suis venu encore une 
fois pour vous voir : j'ai perdu la bénédiction de ma mère. 

— Je doute que celui-ci soit mon fils; je l'avais mis dans 
un linceul blanc ; et le voilà qui vient vêtu de noir me voir; 
serait-il donc en peine? 

Ton cheval est noir, tu es tout noir toi-même; son erin est 
si rude, qu'il piquerait; je sens une odeur de cornes brûlées; 
j'ai maudit mon fils Skolan. 

— Je suis venu ici sur le cheval du diable; je m'en vais 
avec lui en enfer; je m'en vais brûler en enfer, si vous ne 
consentez à me pardonner. 


Eet oc'h holl aman da cousket. — Tevet, va mamm, na spontet ket; 
Nemet ma unan onn chomet. | Me eo ar mah hec'h euz ganet, 

Me a 20 chomet ma unnn ' Zo deut eur wech c'honz d'ho kwelet: 
Ainan, evit pakan ann tan. Beunoz va mamm am euz x*ollet. 

— Na dre helec'h oc'h-hu deuet? ! Mar d-e0o va mab ez eo he-mien; 

Ma dorojo em hon prennet; M'em boa he lianet e gwenn 

Prennet em hon ma dorojo, Hag hen deut e du d'am gwelet; 

Ha moraillet ma frenechs. | Evit doare ez eo poanie# 

— Mar poa prennet ho torojo, | Du eo da varc'h, du oud ive; 

Me voar ann doare a bell-z0. : Ker garv he reunen ma pike: 
Enaouet goulo, c'houezet tan, | C’houez karno rostet a glevann. 

Ha welec'h daou e-lec'h unan, — Va malloz gand va mab Skolan. 

Ar goulo pan oa enaouet, —War march ann diaoul onn deut aman 
Meurbed ema hi bet spontet. : Gant-han d'ann ifern ez eann; 

0 wclet daou war al Jaur-zi, Me ja d'ann ifern da leskin, 


Da hanter-noz 0 komz out-hi, Ma na geret ma fardonin. 


346 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Comment pourrais-je te pardonner? Grande est l’offense 
que tu m'as faite : tu as mis le feu dans ma boulangerie, et 
brûlé dix-huit de mes bêtes à cornes. 


— Hélas! ma mère, je sais que je l'ai fait par méchanceté 
et par malheur; mais, puisque Dieu me fait miséricorde, ma 


mère, pardonnez-moi aussi! 


— Comment pourrais-je te pardonner ? grande est l’offense 
que tu m'as faite : tu as mis le feu dans sept tas de blé, brûlé 


sept églises et sept prêtres ! 


— Ma mère, je sais bien que je l’ai fait par méchanceté et 
par malheur; mais puisque Dieu me fait miséricorde, ma 


mère, pardonnez-moi aussi. 


— Comment pourrais-je te pardonner? Grande est l’offense 
que tu m'as faite : tu as outragé trois de tes sœurs, tu as tué 


ma nièce Morised) 


— Ma mère, je sais que je l'ai tuée, hélas! par méchanceté 
et par malheur; mais puisque Dieu me fait miséricorde, ma 


mère, pardonnez-moi aussi! 


— Comment pourrais-je te pardonner? Grande est l’offense 
que tu m'as faite : tu m'as perdu mon petit livre, ma consola- 


tion dans ce monde. 


— Ma pauvre chère mère, pardonnez-moi; votre petil 


— Peroz oufenn az pardonin? 

Praz eo ann droug a (euz gret d'in : 
Laket t’euz ann tan em zi forn, 

Ha devet triouec'h loen-korn. 

Va mamm, me voar ervad am euz, 
Siouaz ! dre wall-ioul, ha dre reuz; 
Hogen, pa'm euz true Doue, 

Va mamm, ho pet ouz in true! 


Penoz oufenn az pardonin? 

Braz eo ann droug a t'euz gret d'in: 
Laket ann tan e seiz bern ed, 

Seiz iliz, seiz belek devet) 

— Va mamm, me voar ervad am euz, 
Siouaz! dre wall-ioul ha dre reuz: 
Ilogen, pa'm euz true Doue, 


Va mamm, ho pet ouz in true! 


— Penoz oufenn az pardon? 

Braz eo ann droug a l'euz gret d'in 
Gwalla teir euz da c'hoarezed, 

Lahan va nizez Morised ! 

— Va mammw, me voar ervad am euz. 
Siouaz ! dre wall-ioul ha dre rouz, 
Ilogen. pa'm euz true Doue, 

Va mamm, ho pet ouz in true 


— Penoz oufenn az pardonin ? 

Braz eo ann droug a (euz gret d'in: 
Kollet (eu: d'in va leor bihan, 

Va flijadur war ar bed-man. 


— Va mammik paour, em pardonnet; 
Ho leor hihan reo Ket Kollet: 


IANNIK SKOLAN. 347 


livre n’est pas perdu; il est à trente brasses au fond de la 
mer, gardé par un poisson doré. 


Il ne lui est arrivé aucun mal, mais seulement à trois de 
ses feuilles; l’une a souffert par l’eau, l’autre par le sang, 
l'autre par les larmes de mes yeux. — 


Alors son parrain, qui l'accompagnait, se mit à parler pour 
jui. — Tu es une mère d’un cœur bien dur, quand tu ne par- 
donnes pas à ton fils! 


Comment, mère cruelle et dénaturée, {u ne pardonneras pas 
à ta créature ! Si ton fils va en enfer, tu l’y suivras en chair et 
en os. 


— Mais avant que je te pardonne, dis-moi quelque chose de 
ce que tu as vu depuis que tu as q''itté ce monde. 


— Ma mère, ma mère, si vous m'en croyez, vous ne ferez 
point la huec le vendredi; qui fait la lessive le vendredi, cuit 
dans l’eau le sang de notre Sauveur ; 


Vous n'enlèverez point le coq à la poule, ni Jean le Rouge- 
gorge à sa compagne; le chant du coq monte jusqu’au ciel, 
1 chante quand chantent les apôtres; 


Quand chante le coq à minuit, les anges chantent au para- 
dis; quand chante le coq lorsque jaillit le jour, chantent tous 
les saints et les anges. 


Ma barz ar mor tregont goured, Eunn dra bennag e larfez d'in 

Eur pesk alaouret J'he viret. Demeuz ar pez a t'euz gwelet 

N'euz erruel droug ehet gant-han Aboe m'oud ect diwar ar bed. 

"Met gant teir feillen anean; — Va mamm, va mamm, ma em c'hre- 
Unan dre zour, un all dre wad, Koue (Dar gwener na refec'h ket: [det, 
Un-all dre zaero "m daou-lagad.— Neb a verv lug d’ar gwener. 

Neuze he baeron, oa gant-han, Paredi ra goad hor Salver: 

E deuaz da gomz evit han. Lamfet ket ’r c’houk digand ar iar 

— Te zo eur vamm kri a galon, Na lann ar-boc'hig digand par ; 

Da lezel da vap heb pardon! Ar c'hilog a gan enn uc'hel. 

Penoz, mamm gri ha diaatur, A gan pa gan ann ebestel; 


Bardonfez ket da grouadur! 
Ma ia da vugel d'ann ifern, 
Te iet ive kig hag eskern. 


Pa gan ar c'houk da hanter-noz, 
Kan ann elez er baradoz; 

Pa gau ar c'houk, pa strink ann de, 
— C'hoaz kent evit m'az pardoninn, E kanont holl, sent hag ele. 


548 CIHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Mais surtout je vous conseille une chose, et retenez la bien : 
bouclez Le porc, ou sans quoi il ravagera le champ de seigle. 


Bandez bien votre jeune taureau, ou il vous donnera du 
mal; et entravez bien votre poulain folâtre, ou il se noïera 
dans l'étang. — 

Le lendemain matin, en se levant, elle trouva percée la 
pierre du foyer; elle la trouva percée : il l'avait creusée avec 
ses genoux ; 

Et parmi les charbons, elle vit des gouttes de sang qu'il avait 
répandues avec ses larmes sur les cendres et sur le feu qu'elles 
avaient éteint. 

—- Je sens une odeur de thym et de laurier : j'ai béni mon 
fils Skolan. Son cheval est tout blane, il est tout blanc lui-même; 
la crinière de sa monture est aussi brillante que le soleil. 


Mon fils Skolan, dis-moi, où vas-tu donc avec ton parrain ? 
— Je vais en paradis avec lui, grâce à la bénédiction que 
m'a donnée ma mère. 


NOTES 


Autant était simple, précise et claire la première partie de l'histoire 
de Tannik Skolan, autant cette seconde partie est fantastique, vague et 
obscure. Nous n'osons même nous flatter d'en avoir saisi tous les traits. 
Nous ne devinons pas à quoi peuvent faire allusion ce petit livre qui a 
été jeté dans la mer, cette buée du vendredi, ce coq enlevé à la poule, 
et ce rouge-gorge. Nous savons seulement qu'un livre, surtout certain 
livre, est, pour une famille de paysans bretons, un objet du plus 
grand prix; qu'il faut, disent-ils, éviter de se souiller le vendredi, qui 


Dreist peb Ua d'hec’h c kelennann, Ha Jommo goad etoez ar glaou 

Ha dalc'het konv euz ann dra-man : En doa skuillet vand he zacraou, 
Minellet ann hoc'h. pe hend-all War al ludu ha war ann tan 
Turiellan ret ar park segal. | Hag a oa het mouget san-han. 
Mouchet mad ho kole luhan, | — C'houez tin ha lore à glevanu - 
Pe hend-all e po ponn gant han; Va bennoz gant va mal Skolan; 

Ha heudet mad ho march divauk, Gwenn eo he varc'h, gwenn eo 1ve, 
Pe en cm veunzin rei er stank, — | Ker splann hag ann heol eo he voue. 
Antrouuz-beure, pa zavaz, | Va mah Skolan, lavar d'i-me, 

Men anu 6al-d (oull à gavaz : _ Ma iz la pand da baeron-te? 

Hi à gavaz Loull ann oaled : —— D'ar baradoz ez aun gant-han, 


Gand penn he c'hun où bet toullet; Gand bennoz va mamm à gavann. 


JANNIK SKOLAN. 949 


est un jour saint, par aucune action impure; enfin, que le coq a toujours 
été pour eux le symbole de la vigilance. Il était l'oiseau du Mercure 
gaulois ; il est maintenant l'oiseau de saint l’ierre, comme Jean le Rouge- 
gorge est l'oiseau de saint Jean, et l’objet d'un respect particuher : il 
passe en effet pour avoir calmé les douleurs du Christ, à la couronne 
duquel il aurait arraché une épine. sur le Calvaire : une goutte du sang 
divin tombée sur sa gorge l’a rougie. 

Quant à la moralité de la pièce, elle est facile à saisir. 

Je ne doute pas que la seconde partie ne soit infiniment plus ancienne 
que la première et n'y ait été ajoutée: l'identité du nom du meurtrier 
de la jeune paysanne de Melrand avec celui d’un personnage célèbre d'une 
époque très-reculie aura produit la confusion. Je le trouve dans un dialo- 
gue populaire gallois composé antérieurement au douzième siècle, et copié 
de L'an 110% à l'an 1159. Mais, le croirait-on? ce personnage n’est autre 
que saint Colomban lui-même, qu’on appelle en gallois Yscolan : c’est 
done du saint irlandais que le pénitent de la ballade bretonne a recu le 
uom au baptème, c'est lui son parrain, lui qui l'accompagne et le défend 
au tribunal de sa mère. Or, la ballade offre des idées et des vers presque 
entiers du dialogue cambrien. Ici, un des interlocuteurs dit à l’autre : 

« Ton cheval est noir, noire est ta cape, {a tête est noire, tn es tout 
noir toi-même, oui, tout noir; es-tu Yscolan? » — L'autre répond : 

« C’est moi Yscolan, le savant, à l'esprit prompt, l’Ecossais. Malheur 
au néant quibrave le Seigneur ! » 

Le premier continue, en confessant trois des crimes dont s’aceuse le 
pénitent breton : « J'ai brûül® une église et volé les vaches du couvent, 
et noyé le livre sacré. J'ai une rude pénitence à faire! » 

Et il finit sa confession en demandant l’absolution : 

« U créateur des créatures! à le plus grand des miséricordieux! Par- 
donne-moi ma faute, » 

J'ai fait remarquer ailleurs que le pénitent du dialogue gallois est le 
barde Merlin. Mais je ne puis \oir en lui, avec M. Milin, le Skolan de ja 
ballade bretonne, qu'il appelle Es-kolm-wenn, d'après ses variantes, car le 
dernier nom est précisément celui que les Irlandais donnent à leur Colombe 
blanche. au grand saint dont les Cambriens ont fait un des trois confes- 
seurs de Merlin. Tout ce qu'on peut dire, c’est que la situation est 
la même et que la coïncidence est due au culte et aux traditions sem- 
blables des Bretons du pays de Galles et des Armoricains. Voici le vieux 
texte gallois : 


— Du dy varch, du dy cnnan 
Du dy pen, du du hunan ; 
Ia du; a e ti Yscolan ? 
— Mi Yscolan, yscoelheic, 
Yseawin y puill, Iscodic : 
Guae nt baul a gaut Guledic. 
— 0 loski egluys, a ludi buen yscol 
A Ilyfr rod 1 voddi ; 
YY penyd ys trum genny! 
Creacir y creaüureu, 
J'ortidon (muy), 
Kyrrau di ini vyn ceu) 
{Extrait du Livre noir de Caermarthen, fol, 40. Cf. l'édition du Myvyrian, L. L. n. 151.) 


XLIX 


LE PARDON DE SAINT-FIACRE 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Sur le devant de l’ossuaire du Faouet, parmi les petits reliquaires qu’on 
y voit rangés, il en est un plus vieux que les autres, blanchi par la pluie 
et sans croix, sur lequel on lit ces mots, grossièrement gravés : Ci-crr 14 
TETE DE Louis RAUSEHAULET. 

Loéiz ou Louis Rozaoulet, ou Raoualet, selon la prononciation de la haute 
Cornouaille, avait été fiancé dès sa naissance à une petite fille nommée 
Marianna, née, au village de Kerl, le même jour que lui. Leurs mères 
les avaient couchés dans le même berceau, coutume charmante commune 
à la Bretagne et à la Hongrie; aux fêtes, ils étaient toujours assis en 
face l’un de l’autre, à table, comme deux nouveaux mariés. Les vieux 
parents riaient en les voyant tout petits s’embrasser, et personne ne dou- 
tait qu’ils s’épousassent un jour. 

Un matin de la fête de Saint-Fiacre, quelques jeunes gens de la paroisse 
vinrent engager Louis à les accompagner au pardon. Sa mère y consentit. 
Cette fête est célèbre dans le pays; saint Fiacre est le patron des jardi- 
niers bretons. La bénédiction du bouquet qui lui est offert, la veille de 
la fête, y attire une foule de pèlerins. Ce fut aussi le désir d'assister à 
cette cérémonie qui conduisit Louis au pardon. Un poëte populaire va 
continuer l’histoire. 


I 


Approchez tous, jeunes gens, et vous vieillards aussi; et 
vous entendrez un chant nouvellement composé sur un tout 
Jeune homme de la paroisse de Langonet, qui a perdu la vie de 
la main de ses compagnons. 


PARDON SAINT-FIAKR 


e TE OHE HT Er 


L 


Tostait holl, tud jaouang, ha c’hui re goz ive, 

Hag e klefot eur gentel zo savet a neve, 

War-benn eunn den iaouank-flamm a barrez Langonnet, 
En deuz kollet he vuhe dre zorn he vignoned. 





LE PARDON DE SAINT-FIACRE. 351 


— Venez avec nous, venez, petit Louis Rozaoulet, et nous 
irons au pardon de Saint-Fiacre, au Faouet. 

— Passez votre chemin, mes amis, passez, je n'irai point : 
je me prépare à faire mes pâques avec le recteur de Langonet. 


-— Bonjour à vous, père Maurice, et à vous, Marie Fraoé ; 
laissez votre fils venir faire un tour avec nous; laissez-le ve- 
nir avec nous au pardon, s’il vous plait; nous verrons offrir 
le bouquet au recteur du Faouet. 


— Allez donc, jeunes gens, et emmenez-le avec vous, mais 
qu'avant le coucher du soleil il soit de retour ici. 

— Oh! ne craignez rien, père Maurice, ne vous craignez pas; 
le soleil ne sera pas couché, que nous serons de retour. — 


Après la messe et le sermon : — Voulez-vous venir avec 
nous à Kerli, petit Louis, souper chez ma marraine, qui nous 
a invités, lundi. 

— Allez-y seuls, allez, je n’y vais point; 

Allez-y seuls, allez, je n'y vais point, car je serais tard à la 
maison, et je serais grondé. — 

Is ont tant fait, qu'il s’est rendu; le petit Louis Rozaoulet 
les a suivis à Kerl. 


— Deuz gen-omp-ni, va mignon, deuz. Loeizik Rozaoulet, 
Ha ni ielo da bardon Sant-Fiakr ar Faouet. 

— Tremenet. va misnoned, t emenet ne d- inn ket; 

Me zo oc'h oler ma fask gant person Langonet. 


— lec'hed mad d'hoc'h. tad Moriz, ha d'hoc'h. Mari Fraoc: 
Lezet ho mal gen-omp-ni da ober eur hale: 
Lezet-han dont gen-omp-ni d'ar pardon, ni ho ped. 
Ni welo rei ar bouked da berson ar Faouet. 

--- Tremenet ta tud iaouank, gen-hoc'h a vo lezet, 
Nemet rog ar c'huz-heol J'ar ger ra vo digouet, 

— Tevet, tevet, Lad Moriz, tevet, ne chilfet ket, 

Kent a vo uhet ann heol, vemp d'ar ger erruet. — 
Pe oa achu ar bregen hag ann oferen bred : 

— Deut-hu gen-omp-ni, Loeizik, da Gerli ar F.ouct, 
Da goania, ti mamm-baeron, dilun e oamp pedet. 

— Baleit-hu ho unan, baleit ne d- ann ket; 


Baleit-hu ho unan. baleit ne d- ann Ket: 

Rag dived e venn er ger, hag e venn skandalet. — 
Koment deuz gret war-n-ean, kemend m'en deuz sentet: 
Gant-he Loeizik Rozaoulet da Gerli ema oet. 


292 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Il 


Au coin de la table, à Kerli, pleurait Louis Rozaoulel : — 
Seigneur Dieu! venez à mon aide! qu'ai-je fait? Seigneur 
Dieu ! venez à mon aide! qu'’ai-je fait? J'espérais être de bonne 
heure à la maison, et me voilà tard! 


— Taisez-vous, petit Louis, taisez-vous donc; ne pleurez 
pas ; nous sommes trois hommes avec vous ; il ne vous arrivera 
aucun mal. — Louis Rozaoulet pleurait au coin de la table, 
bien triste : — Seigneur Dieu, mou Jésus! qu'ai-je fait? — 


Et en s’en revenant ils trouvèrent, près de la croix du che- 
min, Marianna, qui courait à perdre haleine; elle avait perdu 
tous les siens, et était restée seule. — Arrêtez, chère petite, 
ne courez pas si fort. — 

Auprès de la croix de Penfel, ils trouvèrent Marianna de 
Langonet, qui aimait le petit Louis, et qui en était très-aimée ; 
ils avaient été couchés tout enfants dans le même berceau, et 
s'étaient bien souvent trouvés en face l’un de l’autre, à table. 


La jeune fille, en les voyant, trembla de tous ses membres, 
et s’élança en criant vers la eroix, qu'elle embrassa, tout en 


11 


L korn ann dol e Kerli oele Loeiz Raoualet : 

— ‘Trou Douc, em zikouret, petra em euz me gret? 
‘Trou Done, em zikouret petra em euz me gret? 
Sonj "n hou bout abred er ger, ha setu me dived! 
— Tevet, tevet ‘ta, Loeizik tevet, na oelet ket; 

Tri fotr omp-ni gen-oud-de, na pezo douv e-hed. — 
Loeiz.k Raoualet oele’ korn ann dol. Lr: sl meurbat: 
— Otrou Douc, va Jezuz! petra em euz me grel? — 
uz ac'hano, d'ann distro, etal kroazig ann heut, 

E kefjont arianna à rede kena-ken; 

Kollet gat-li he holl dud, ha chomel hi unan. 

— Arzet, va maouezik kez, na et ket ker luhan, — 
Tal kroaz Penfel c kefjont Marianna Lausonet, 

A oa mignon da Loeizik, hag hon où d'o imenrhet 
Barz cunn hevelep kavel, jaouankis oant laket, 

Hag ouz ann dol, tal-oc’h-tal, aliez e oant bet. 

Ar plac'hik, pa ho gwelaz. a grenaz spontet braz, 
Hav e lammaz 0 ioual diraktal gand ar grosz, 


LE PARDON DE SAINT-FIACRE. 393 


pleurs, de ses deux pauvres petits bras, — Mon pauvre petit 
Louis à mon secours! hélas! je suis perdue! 


— Quelle horreur! Mes amis, ce serait un péché, un très- 
grand péché. Cela ne sera pas! Laissez-la passer son chemin 
sans lui faire de mal ni d’outrage, ou le seigneur Dieu vous 
punira. 


— Qui diable te pique, petit champion des jeunes filles? — 
Et eux de le saisir par habit, et elle de s'enfuir, et eux de le 
poursuivre comme trois loups affamés. — C’est ici, cher 
petit ami, ici que tu mourras! — 


— Si vous voulez me conduire au bourg de Skeul, à la porte 
de mon père, je vous pardonnerai tout de bon cœur. —- Dites 
adieu à votre mère et à qui vous voudrez, car jamais morceau 
de pain de votre vie vous ne mangerez au bourg de Skeul. 


— Puisqu'il faut donc que je meure, mes amis, Ôlez la cou- 
ronne de sainte Barbe qui est ici cachée dans la doublure de 
mes habitst, et s’il plaît à Dieu, je mourrai ensuite. — 


Et quand ils l’eurent tué, ils le trainèrent par les pieds, ils 


Ha gad he diou-vrec'hik paour, reuzeudik, he strizaz : 
— Loeizik paour, deuz d'am zikour, me zo kollet, siouaz) 


— M'en argarz! va mignoned. kement ze ve nec'hed. 
Kement-ze ve pec'hed hraz. kement ze na vo ket: 

Lezet hi mont gand he hent, heb droug na gaou e-bed, 
Pe gand ann otrou Doue e viot kastihet. 


— Petra, han Diaoul, beg enn oud. potr hihan ar merc'hed? — 
Hag he krog enn he jupen, hag hi da ziredet; 

Hag he da vont war he lerc'h giz tri blei diboellet : 

— Aman, ma mignouik Kez, aman eo e varfet! 


— Mar ker't me c'has da vorc'h Skeul, da doull dor ti ma zad, 
Me a zistolo pel tra d'hoc h-hu a galon-vad. 

— Laret kena vo d'ho mamm ha da sement gerfet, 

Rag birviken (amm hara e borc’h Skeul na zebfet. 

— Arsa-ta, va nognoned, pe mervel e red d'e, 

Tennet kurun santez Barb, a zo kuhet em ze; 

Tennet kurun santez Barb, a zo kuhet em ze, 

Ha mar pli se gand Doue, e varvinn goudeze. — 


Ha pa 06 lahet gat-he, h ho deuzhea stlenjet, 
Stlenjet dre he dreidigou da ster vraz ar Faouet, 


Amulctle contre la mort. La chapelle de Sainte-Barbe est proche. 


55% CIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
le trainèrent par ses petits pieds à la grande rivière du Faouet, 
et arrivés à l’eau, ils lv jetèrent. 


IU 


Le vieux Maurice et sa femme pleuraient amèrement, cher- 
chant partout leur petit fils Louis. 

— Taisez-vous, Maurice, ne pleurez pas, dans peu votre 
enfant sera retrouvé. — 

Quiconque eût été là eût eu le cœur navré, en voyant 
Louis Rozaoulet couché sur le dos dans la prairie; en 
voyant le pauvre enfant mort, ses cheveux blonds épars sur 
ses VEUX ; 

Quiconque eût été là eût eu le cœur navré, en voyant le 
pauvre enfant sur le dos dans la prairie; il n'y avait là mi 
père, ni mère, ni parent, ni ami qui vint le relever, hormis 
le recteur de Langonet. 

Le recteur de Langonet disait en pleurant amèrement : — 
Adieu, mon bon petit Louis; tu vas aller en terre. Je t’attendais 
B hui dans l’église de Langonet, mais voilà que tu se- 
ras enterré dans le cimetière du Faouet. 





Suenjet dre he dreidigou da ster vraz ar Faouct, 
Ha pe oant digouet d'ann dour, kreiz ho deuz hen tolet. 


III 
Morts koz hag he hini a orle gad glac'har, 
0 kas kaont ho mab Loeizik lec'h bennag war ann douar > 
— Tevet, Moris Raoualet, tevet, na oëelet kcL, 
Penn eur pennadig amzer, ho mab a vo kavet, — 
Kernent vue het euno dije bet kalonad, 
O welet Loeiz Raoualet war he gein kreiz ar prad, 
0 welet ar bugel paour maro, e-barz ar prad, 
Dispaket he vlen melen c kreiz he zaou-lagad; 
Kement vije het cno due het kalonad, 
O welet ar bugel paour, war he gein barz ar prad. 
N'on eno na tad na mmm, na kar na mignon-bed, 
Hag a zeuje d'he zevel, "met person Langonel. 
Per-on Langonet lare, 0 oeia gad clac'har : 
— Kenavo, va Loeizik mad; mont à rez d'ann douar. 
Me oa hiou ouz da c'hortoz enn iliz Langonet, 
Ba hreman e vi laket e bered ar Faouct. — 


E LE PARDON DE SAINT-FIACRE. 305 


Je vous en prie, habitants de Langonet, quand vous vien- 
drez au Faouet, allez dire un Pater sur la tombe de Louis 
Rozaoulet; allez dire un Dater sur la tombe de Louis Ro- 
zaoulet, qui à perdu la vie par la main de ses compagnons. — 


NOTES 


La tradition, dont nous allons reprendre le fil, ajoute que le vieux Mau- 
rice, ne voyant pas reparaître son fils, le soir du pardon, passa la nuit 
dans une grande angoisse. De temps en temps, il croyait entendre frap- 
per à la porte, et se levait sur son séant pour écouter; mais son fils ne 
revenait pas. Il dit à sa femme : « Marie, dès que le jour viendra, je 
mettrai le hat sur le cheval, j'emmènerai avec moi le chien, et j'irai voir 
ce qu'est devenu Loéizik. J'ai grand'peur qu'il ne lui soit arrivé 
malheur ! » 

Le lendemain, il monta à cheval, se fit suivre de son chien, et prit le 
chemin du Faouet. A la croix de Penfel, le cheval se cabra et refusa 
d'avancer ; le chien lui-même s'était arrêté et flairait la terre en aboyant. 
Dans ce moment, l’aube, qui commençait à blanchir, laissa voir des 
traces de sang. 

Comme le malheureux vieillard, guidé par son chien, suivait ces traces 
dans un émoi impossible à peindre, il rencontra le recteur de Langonet, 
accompagné de deux paysans qui portaient le corps de son fils. 

D’après une version différente de celle du poëte, les compagnons de 
Loéizik le cachèrent d’abord sous un tas de feuilles; puis, ayant trouvé 
sur le chemin la mule égarée d’un saulnier, ils s'en emparèrent, lièrent 
sur son dos l’infortuné jeune homme et la laissèrent aller. 

L'animal, par un instinct naturel aux bêtes de somme des paludiers, 
gagna la rivière, s’y débarrassa de son fardeau et revint chez son maitre. 
Quand celui-ci apprit l’histoire du pauvre enfant assassiné, il mena sa 
mule à la foire et la vendit: mais le soir elle était de retour, conduite par 
un guide invisible. Il la vendit une seconde fois, elle reparut de nouveau; 
une troisième, elle revint encore : de sorte que, recevant loujours le prix 
de sa mule et ne la perdant jamais, il devint très-riche, et, regardant 
la chose comme une faveur du ciel, il se mit à trafiquer sans remords de 
la bête; et, le jour du marché, frappant dans la main de l'acheteur, il 
murmurait entre ses dents : 

« Soyez en repos, mon hôte; avant que la nuit soit close, ma mule 
sera à ma porte. » 





Me bo ped, Langonediz, pa zeufet dar Faouet. 
Mont da laret eur Paler war be Loeiz Raoualet; 
Mont da laret eur Pater war be Loeiz Raoualet, 
En deuz kollet he vuhe dre zorn he vignoned, — 


LA CHANSON DU PILOTE 


— DIALECTE DE LA HAUTE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


On sait quel enthousiasme excita en France la guerre d'Amérique; il 
ne fut pas moins vif en Bretagne. Le sort de trois millions d'hommes que 
l'Angleterre, leur patrie adoptive. trailait comme des esclaves, toucha les 
populations bretonnes. Toutes les classes de la société voulurent prendre 
part à l’expédition destinée à la délivrance des Américains; à aucune 
époque on ne vit le pays mettre sur pied un plus grand nombre d’auxi- 
liaires et de volontaires. Le premier combat fut livré, au mois de jan- 
vier 1780, à la hauteur de l’île d'Ouessant, entre la frégate française 
la Surveillante, armée par un équipage breton, capitaine du Couëdic de 
Kergoaler, et la frégate anglaise Ze Quebec, capitaine Farmer; il dura 
quatre heures et demie. 

« À peine les Bretons avaient mis le pied sur la frégate anglaise, dit 
M. de la Landelle, ancien officier de marine et auteur d’une intéressante 
histoire de du Dugay-Trouin, qu'une double catastrophe termina le com 
bat : un incendie se déclare à bord du Quebec, une voie d’eau à bord de 16 
Surveillante. Les Français regagnent leur navire et courent aux pompes, 
les Anglais cessent d'être des ennemis; du Couëdic ne songe plus qu'à les 
sauver. Un canot lui reste; ille met à la mer pour aller recueillir l'équi- 
page de la frégate incendiée. Heure sublime! cet équipage lui-même 
unit ses forces à celle des Français pour sauver Za Surveillante ; vain- 
queurs et vaincus sont désormais des frères. Rentré au port, du Couëdic 
mourant ne voulut pas voir dans les Anglais des captifs, mais des naufra- 
gés; ils ne furent point traités en prisonniers de guerre. » Ecoulons 
maintenant la chanson du pilote de /a Surveillante. 





A Sainte-Anne je suis allé, car je vais m'embarque.. 
— À Sainte-Anne, à Sainte-Anne, qui va prier à Sainte- 
Anne, sainte Anne ne l'oublie pas. 





KANAOUEN AL LEVIER 


— IES KERNE°HUEL — 


Da Zantez Anna, 
Da Zañtez Anna, 
Neb ia Anna 
— Da Zantez Anna, N’'ankoua. 


Da Zantez Anna e m'onn hot. 
Rak war vor e ma red monet. 


pe] 


LA CHANSON DU PILOTE. 35 


Adieu, hommes de Kervignac; je reviendrai bientôt. 
— A Sainte-Anne, etc. 


C'est moi qui suis second pilote à bord de 10 Surveillante, 
la belle frégate. 
— À Sainte-Anne, etc. 


Elle est doublée en cuivre jaune, plus brillant qu'or ou 
qu'argent blanc ; 


Aussi pimpante qu'une demoiselle qui va danser. 


N'est-il pas charmant de danser? un canonnier pou musi- 
Gien ! 


— Canonniers, sonnez bien votre air, que nous dansions, 
moi et ma dame. 


Sonnez, sonneurs, sonnez gaiement, que nous y allons ron- 
dement ma belle et moi! — 


Le Mang n'avait pas fini de parler, que le canon gronda. 
Un navire anglais s'approche qui nous lance une bordée ter- 
rible ; 


Le navire portait pavillon rouge, et avait seize canons de 
chaque côté. 


— S'ils ont trente-deux canons, nous en avons trente-deux 
nous-mêmes. — 





Kenavo d'hoc'h, Kervignagiz, — Kanolerien, sonet ho son, 


Dont à rinn souden war ma c'hiz. 
— Da Zantez Anna, etc. 


Me eo a zo ar potr-levier 
Ar Zurveillantez, al lestr Kacr. 


Da zantez Anna, etc. 


Hag hen fretet gand koeor melen, 


Splannoc'h hag aour pe argant Gwenn, 


Ken drant evid eunn demezal 
Hag a ia da oher eur bal. 

Na kaeret cunn dra hen ober? 
Eur c'hanolier da vomharder ! 





Ma imp d'et, me ha ma itron. 

Sonet, sonerien, sonet ge, 

Ma imp d'et bloc'h ma dons ha me! — 
Oa ked komz Er Mank peurlaret, 

Ar c'hanol en deuz tregornet, 

Eul lestr zoz a Zu erruet, 

Eur gwall-vordad d'eomp n'enz strinket ; 
AI lestr gant han eur banniel ru, 

Ua c'houezek Kanol a-bep tu° 

— Ma eo duou ha tregont ho deuz, 
Daou ganol ha tregont hon cuz, 


558 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

Nous lui avons lâché notre bordée; il a craqué jusqu'à ia 
quille: 

— Mon petit timon, fais bien {on devoir, ne sois point re- 
belle au timonier. 

En avant, mon bon petit timon, en avant; nous voici bord 
à bord, aux prises, — 

Les boulets tonnent; les boulets tonnent, tonnent coup sur 
COUP ! 

Les flancs des deux navires suent ; la mer bout tout autour, 

Les flancs des navires s'ouvrent; les mâts tombent dans la 
mer. 

Il y a plus de poulies sur le pont que de glands dans les 
bois après un orage. 

Nous avons reçu quatorze boulets à fleur d’eau; nous en 
avons rendu à fleur d'eau quatorze. 

Nous tirons depuis cinq heures, et le canonnier n'est pas 
lassé. 

Le canonnier n’est pas lassé, le timonier pas davantage. 

Le capitaine, je ne dis pas; le capitaine est si mal mené ! 

IL est blessé au flanc, et blessé à la joue, et blessé au front 
d’un coup de feu. 


Et pourtant il est toujours sur le gaillard d’arrière debout, 
dirigeant la manœuvre. 





Hor bordad hon euz-ni losket; Ha mez er c'honl goude barad. 


Beteg ar c'hein en deuz straket. 


— Sturik mad, gra mad da vicher, 


Na vez ked amzent J'ar sturier. 


Va sturik mad, deomp-ni a-rog; 


Setu ni hon daou krog-oc'h-krog. 


Tregorna ra ar volodao; 
Ar volodao atao, atao! 


C'houezi ra kovou al listri; 
Ar mor tro-War-dro 0 virvi. 


Kovou al listri a zigor; 
Ken a gouez ar gWerunou er mor. 
Ker stank gwelodiennou er strad 


Pouarzek bolod rez hon euz bet: 
Pouarzek rez hon euz dakoret. 


Aboe pemp heur eo a denner, 
Ia ne ket skuiz ar c'hanolier. 
Ne d- eo eL skuiz ar c'hanolier: 
Ken-nebeud ne d- eo al levier. 
Ar c'habitan ne larann ket; 

Ar c’habitan z0 gwall-ozet! 

Tiet er c'hov, tiet er Jod, 

Jiet cnn tal gand eur holoi, 
Koulskoude e ma ’tao a-rog, 
Enn he za0, 0 reno ar c’hrog. 


LA CHANSON DU PILOTE. 999 


Il ne cesse pas de faire son devoir, quoique son sang 
coule. 


Son sang coule à grands flots! Kergoaler est un homme, 
s'il en est! 


A bord, personne ne se repose, quoique nous sovons tous 
dangereusement blessés. 


Nous sommes tous blessés, excepté un : je ne le nomme pas 
dans cette chanson. 


Cinq pieds d’eau dans la cale; cinq pieds d’eau; autant de 
sang ! 

— Cher commandant, viens, viens et vois! La drisse a été 
coupée ; le pavillon est tombé! 

N'entends-tu pas l'Anglais qui dit : Ils ont amené pavillon. 


— Amener) amener ! oh! je n’en ferai rien, tant que j'aurai 
du sang dans les veines! — 


Le Mang entend, il est monté vite dans les haubans d’ar- 
{imon ; 


Au milieu des balles, la tête haute, il a déployé un mouchoir 
blanc. 


Oh! nous n'avons point amené; nous avons rehissé le pa- 
villon. 


Le Breton n’amène jamais ; Jeannot l'Anglais, je ne dis pas! 





Na ehan tamm oc'h ober mad, Klevez ked ar Soz 0 laret: 
Evit-han da redeg he wad. | — Ho zinel ho deuz diskennet. 


He wad a red à boulado! — Diskenn! diskenn! oh! na rinn ke 


Kergoualer zo eunn den mar 70! Keit a vo goad em wazied ! — 
War al lestr n’ehan den e-bed, Er Mang a glev, ha’ ma pignet 
Evid-omp holl bout gwall-diet. War ar wern-volosk, enn eur red; 
liet omp loll nemed unan: Kreiz ar bolodou, sonn he henn, 
N'her hanvann ked er zonen-man. A zisplegaz eur mouchouer gwenn. 
lemb (rontad Jour e don ar c'hal. Oh! ni n’hon euz ked diskennet; 
lPemb troatad dour, goad kement-all! Sevel ar sinel bon euz gret. 

— Kabitan ker, deuz, deuz ha sell! Ar Breton na ziskenn nepred; 

= x R Ç 

froc'het ann dris: kouet ar sinell Iannig-ar-Soz ne larann ked 


360 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Le capitaine anglais a été tué; il est mort comme un 
homme. 


Il est mort comme un homme; il a été brûlé dans sa che- 
mise ensanglantée. 


Le navire des Anglais a été brûlé par nous; et ils se sont 
sauvés tout nus, à Ja nage, vers nous. 


Les habitants de Brest poussaient des cris de joie en voyant 
rentrer nos navires, 


Tous les habitants poussaient des cris de joie, tous, excepté 
les pauvres mères. 


Quel honneur pour nous, 0 Bretons! nous avons vaincu les 
Anglais ! 


Quel honneur pour nous, hommes de Kervignae, le Mang a 
été mandé à Paris. 


Le Mang a été mandé à Paris, et on l’a fait asseoir à la table 
du roi; 


A la table du roi, avec les princes, qui font cas des 
Bretons. 


2 = 
Et il a reçu une médaille d’or, et il est fait officier. 


Mille bénédictions de Dieu au roi! au roi mille bénédictions 
de Dieu! 


Ar c'habitan soz 20 lazet; Ar Zozon a zo het trec’het! 
Vel eunn den mervel en deuz gret. pehez enor, Kervignagiz, 


Vel eunn den mervel en deuz gret: Galvet eo Er Mank da Pariz. 


Tanet enn he roched goadet. Da Bariz e ma het galvet, 


Tanet lestr ar Zozon gen-omp; Hag ouz tol ar roue azet; 


Hi noaz. 0 neuial daved-omp. Tal ar roue, gand ar brensed 


Ann dud euz a Yrest a ioue; A ra stad ouz ar Vretoned. 
0 welet hor listri mont tre. Bet en deuz eur vedalen aour, 
Ann holl dud a Yrest a ioue, Ha laket eo da ovisour 

Nemed ar mammou paour na re. Mil bennoz Doue d'ar roue! 


Pehez enor, d'e-omp, Pretoned. D'ar roue mil hennoz Doue. 


4 La surveillante et le cotre l’Expédition, qui la remorquait, après avoir soutenu lui-même 
un beau combat contre le cotre anglais 16 Rambler. 


LA CHANSON DU PILOTE. 361 


Dieu ne regarde pas à la condition; le roi n°y regarde pas 
non plus. Ç 


Nobles et peuple, chantons tous, en Bretagne, les louanges 
du roi; 


Les louanges du roi et de sainte Anne, la bonne marraine 
de ce pays. 

— À Sainte-Anne, à Saint-Anne, qui va prier à Sainte-Anne, 
sainte Anne ne l’oublie pas. 





NOTES 


« Dans cette pièce, qui est vraiment belle, a dit un critique français, et 
dont quelques strophes rappellent un chant justement célèbre, le Combat 
de la frégate la Sérieuse, par Alfred de Vigny, on est heureux de trouver 
le vieux patriotisme breton complétement rallié au sentiment de la 
grande unité française. » 

Kergoaler mourut à Brest, le 17 janvier 1780, des suites de ses bles- 
sures. Les états de Bretagne lui firent élever un monument, et son nom 
fut cité avec éloge dans l’oraison funèbre des officiers, soldats et matelots 
bretons, prononcée solennellement devant les états assemblés. Ce que dit 
Je poëte populaire relativement au brave timonier le Mang, né à Kervi- 
gnac, près d'Hennebont, est parfaitement exact. Voici comment l'abbé de 
Boisbilly, qui prononça oraison funèbre, raconte l'événement : 

« Les bornes que vous m'avez tracées, messieurs, m'interdisent ici les 
détails ; elles m'imposent le même silence sur ceux de nos compatriotes 
qui, témoins de la mort des héros et compagnons de leurs dangers, par- 
tagent ici avec eux les honneurs mêmes qu'ils leur rendent. Vos regards 
réunis préviennent mes pensées, el dérogent pour moi à la loi rigourense 
qui me défend de les exprimer. Si je pouvais moi-même y déroger. 
combien aurais-je à vous rappeler, dans tous les grades militaires, de 
noms qui vous sont chers? Je vous indiquerais des noms trop peu connus 
et bien dignes de l’être; je vous rappellerais surtout les honneurs accor- 
dés par le souverain à un homme qui semblait né pour obéir, et que son 
intrépidité a montré digne de commander. Il voit le pavillon abattu par 
les coups de l'ennemi; il le relève, le soutient seul, malgré tous les dan- 
gers, et, dans un vaisseau où il occupait le dernier rang, devient la co- 
lonne de l’honneur. » 





Doue ouz ar stad na zell ked. — Da Zantez Anna, 
Ar roue na zel kenneubed. Da Zautez \nna, 
Tudjentil ha tud ar ploue, Da Lantez Annna, 
Meulomp holl, e Breiz, ar roue. Neb ia, Anna 

Ar roue ha santez Anna. N'ankoua. 


Mamm-baeronez vad ar vro-ma. 


702 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


C'est à M. de Blois, de Morlaix, neveu de l'abbé de Boisbilly, que je 
dois la communication de ce discours, encore inédit. La ballade, qui a 
dû passer du pays de Vannes en Cornouaille, m'a été apprise par un vieux 
pêcheur de l'ile de Groix. M. Imbert, de Quimperlé, neveu du brave le 
Mang lui-même, a eu aussi l’obligeance de me communiquer des détails 
précieux, non moins honorables et lout à fait inconnus, sur son oncle. 
Quand la Convention publia le décret qui ordonnait à toutes les per- 
sonnes décorées sous l'ancien régime de remettre entre les mains du 
souvernement leurs distinctions honorifiques, l’héroïque Breton se ren- 
dit devant le Comité de saiut public, avec sa médaille et un marteau. 

«— Citoyens, dit-il, vous m'avez demandé ma médaille; mais c'est sans 
doute l'or que vous voulez : le voilà! » Et broyant la pièce sous son mar- 
teau, il la jeta aux pieds des conventionnels. « Quant à l'honneur, il m'ap- 
partient, personne ne me l’enlèvera! » En prononçant ces mots, il sortit, 
laissant le Comité stupéfait de la sublime audace de sen action. 

Le Mang est mort vice-amiral sous un gouvernement plus soucieux de, 
récompenser le mérite que n'était le régime odieux et jaloux de la Ter- 
YeUr, 


LI 


LES LABOUREURS 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


La elasse des paysans bretons, qui nous intéressent spécialement ici, se 
divise en pauvres, fermiers, domaniers et propriétaires. LG pauvre (nous 
en avons déjà parlé) n’est point, en Bretagne, le rebut de la société; il est 
aimé, estimé, honoré de tous. On sait que ses haïllons peuvent se changer 
un jour en vêtements de gloire. L habite une cabane couverte en genèts; 
il n’a qu'un verger ou courtil, dans lequel croît le chanvre dont il s ha- 
bille et l'herbe dont se nourrit sa vache, qui partage avec lui son toit; 
il mende, devenu vieux, et travaille lorsqu'il est jeune. Le fermier, comme 
partout ailleurs, laboure les terres de son mailre: le domanier en a 
l'usufruit, mais non pas la propriété; les édifices seuls lui appartiennent, 
et lui peuvent être remboursés par congément. Quelquefois il achète son 
domaine, qu'il ne croit jamais payer trop cher, si c’est le lieu de sa nais- 
sance, et il entre dans la classe des propriétaires, classe peu nombreuse, 
plus indépendante, et qui forme, dans la chaine sociale, Panneau qui lie 
le paysan au bourgeois. 

Il est triste de songer qu'à une époque où l’on parle tant d'améliorer 
le sort du peuple, on ait encore si peu fait dans l'intérêt des classes 
pauvres des campagnes bretonnes; elles sont peu à craindre, il est vrai, 
car elles sont chrétiennes, et, tandis qu'ailleurs le paysan incrédule mau- 
dit la terre qu'il travaille et le maitre qu'il faut payer, l'agriculteur 
breton, levant les yeux au ciel et voyant briller l'immortelle aurore, 
chante la touchante complainte que voici : 


Approchez tous, Bretons, pour écouter un chant qui a été 
nouvellement composé sur la vie du laboureur; 





AL LABOURERIEN 


ES B L 


Tostavit holl, Bretoned, da glevet eur gentel: 
War huhez al labourer eo het great n’euz Ket nell, 


364 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


une vie dure et pénible ; repos ni jour ni nuit! mais il la prend 
en patience, pour mériter le paradis. 


Le laboureur travaille sous tous les temps, aussi bien sous 
le froid que sous le chaud du jour; qu'il neige, qu'il grèle, 
qu'il tonne, qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il gèle, qu'il glace, vous 
le trouverez dans son champ, travaillant, courbé en deux plis. 


Lelaboureur est vêtu le plus souvent de toile ; il n’est pas beau 
sur la semaine, comme les bourgeois; ses habits sont chif- 
fonnés, tout souillés par la terre; les gens de la ville, qui 
pourtant ont besoin de lui, crachent de dégoût à sa vue. 


Il y a une grande différence entre l’état du pauvre laboureur 
et l'état des habitants des villes : ceux-ci se nourrissent de 
viande, de poisson, de pain blanc, chaque jour; le laboureur, 
lui, de bouillie, de pain sec et d’eau chaude. 

Le laboureur doit payer, payer en tout temps, payer au roi, 
par an, trois ou quatre sortes d'impôts; puis, quand il lui faut 
payer son maitre, si l'argent n'est pas prêt, on fait bon marché 
de son bien; ici le chagrin! 


Ila, en outre, à payer divers droits au recteur; la coutume 
le veut, c’est juste ; à donner leur quête aux prêtres, l’aumône 


Eur vuhez kriz ha poaniuz; paouez na deiz na noz! 
Hag a ren a galoun-vad, da vont d'ar baradoz. 


Al labourer a labour, n'euz urs e pe amzer, 

Kouls dindan ar ienien ha dindan ann domder: 

Pa vez crc'h, grizil, Kurun, avel, glao, skourn, Kazarc'h, 
Enn he bark, o labourat, daoubleget, hen gwellac'h, 


AI labourer zo gwisket peurvuia gant lien; 

Na vez ket treset hemdez. evel ar vourc'hisien, 

He zillad z0 truillennet, gand ann douar saotret, 

Re ker. a renk he gavout, a skon ouz he welet. 
Dishenvel meurbed eo stad ar paourkeaz labourer, 
Dishenvel diouc'h stad ann dud pere a chom c Ker 
Re-ma ho deuz kik, pesked, ha bara gwenn bepret; 
Al labourer tammou iod, hara seac'h, dour bervet, 
Al labourer renk pea, pea e peb amzer, 

Pea tellou d’ar roue, peb blouz, teir pe heder ; 

Ha pa renk pea he vestr, ma n’ec prest ann arc’hant 
Foar a reer gand he zanvez; aman ann nec'hamant) 
Da bea c'hoaz en deveuz obidou d'ar person, 

Evel ma’z eo ar c hus Lum, kement-se 20 gwirion; 


LES LABOUREURS. 365 


aux pauvres; et, pour qu'ils ne lui manquent point, leurs 
gages à ses serviteurs. 


Après tout cela, le laboureur sera accusé, il sera grugé avi- 
dement par les hommes de loi, dépouillé de son peu de bien ; 
et, en voyant piller sa fortune, il n'aura rien à dire 


Et s’il vient à compter son argent quelquelois, l'argent qu’il 
a amassé avec tant de peine, les citadins rient et le huent, et, 
s'ils le peuvent, ils le lui prennent en se moquant de lui. 


Enfin, quelque part qu'il aille, on dit du mal du laboureur ; 
bien des gens le méprisent; el pourtant, si l'on voulait bien y 
réfléchir, c’est le bras du laboureur qui fait vivre le monde 


entier. 


Telle est notre vie, hélas! notre très-dure vie; notre sort est 
misérable, notre étoile funeste, notre état bien pénible; repos 
ni jour ni nuit! mais prenons-le en patience pour mériter le 
paradis. 


NOTES 


De cette peinture naïve que le paysan brelon a faite de ses miséres, 
au dix-septième siècle, et qui est toujours vraie, on ne peut s'empêcher 


bet ho c'hest d’ar veleien, aluzen d'ar beorien; 
Hag, evit na faziint ket, gwir d'he zervicherien. 


Al labourer, goude-ze, a vezo tamallet ; 

Gand ann dud euz al lezen 6 vezo niz skarzet; 
Euz he nebeud a vadou e vezo dibourc'het 

Hag, he zanvez 0 vont kuit, n’euz ger da lavaret. 


Ha mar c’hoarv J'ezhan konta he arc'hant a-wechou, 
Arc hant en deuz dastumet gant kemeni a boaniou, 
C'hoarzin a ra ar geriz oc'h hual anezhan, 

Ha, mar geller, he gigner, oc'h ober goal out-han. 


Enn divez al labourer, baleet leac'h ra karo, 

E vezo drouk-prezeget, kalz tud hen disprizo; 

Ha koulskoude, ma teufe da zonjai ann dud-ma: 
Diwar breac'h al labourer m'ar bed-holl 0 veva. 

Setu hor buhez. siouaz! hor huhez kriz meurhed: 
Hor stad a 20 truezuz hor stereden kaled: 

Hor stad zo poaniuz meurbed ; paouez na deiz na nozl 
Renomp-hi a galoun-vad da vont d'ar haradoz. 


566 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


de rapprocher le célèbre tableau qu'a tracé la Bruyère du paysan fran- 
çais, à la même époque : quoique reproduit bien souvent, il a ici sa place 
marquée : 

«L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, 
répandus par la campagne, noirs, livides et tout brülés du soleil, attachés 
à la terre qu'ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniàtreté invin- 
cible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs 
pieds ils montrent une face humaine : et en effet, ils sont des hommes. 
Ils se retirent la nuit dans des tannières, où ils vivent de pan noir, d’eau 
et de racines : ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de 
labourer et de recueillir per vivre, et Lee ainsi de ne pas manquer 
de ce pain qu'ils ont semé. 

Quand le grand moraliste TERA ainsi, non sans compassion, cette 
espèce d'animaux de son pays, comment aurait-il peint ceux du même 
genre répandus dans les campagnes bretonnes? Et cependant il se fut 
trompé; là où il n'eùt plus vu même des hommes, il y avait des chré- 
tiens, et ils lui eussent offert le type de la plus admirable résignation. 
Le paysan breton porte cette vertu partout; elle se montre dans toutes les 
circonstances de sa vie, Sa chaumière est-elle la proie des flammes? il ne 
pleure point, il n'éclate point en cris, il ne maudit personne; il incline 
la tête et dit tristement comme Job : « Que la volonté de Dieu soit faite! » 
Puis, quand il ne reste plus de sa cabane que les quatre murs, il va men- 
dier de porte en porte, en chantant parfois lui-même son malheur, quelque 
argent pour la rebâtir., Cette résignation le suit jusqu'au lit de mort; il 
quitte sans regret une vie misérable qu’il a prise en patience pour mé- 
citer le ciel. 


LU 


LE PRÊTRE EXILÉ 


—— DIALECTE DE VANNES — 


ARGUMENT 


C'est une sorte de royauté que le sacerdoce en Bretagne; on dirait 
que les descendants des Celtes ont conservé aux prêtres catholiques 
la vénération que leurs pères avaient pour les druides. Mais, à ce senti- 
ment, le christianisme en joint un autre que lui seul pouvait mspirer : 
l'attachement réciproque des fidèles et du prêtre. Si, en effet, ceux-là 
aiment leur pasteur comme un père (l’expression n'est pas trop forte. 
celui-ci leur dévoue sa vie et reporte sur eux la tendresse qu'il eût 
vouée à des enfants selon la chair. Cet attachement mutuel éclata surtout 
pendant la révolution, Nous allons tout à l'heure entendre les paysans 
bretons nous dire qu'ils « se sont levés pour défendre leur pays et leurs 
prêtres; » écoutons d’abord le prêtre lui-même. 

Parmi les ecclésiastiques bretons que le refus de serment à une consti- 
tution qui était un attentat à la liberté de conscience, jeta sur les côtes 
d'Angleterre, d'Espagne ou de Portugal, se trouvait l'abbé Nourri, recteur 
de la paroisse de Bignan, dans l’évêché de Vannes; il composa, sur son 
exil et les malheurs de son pays, une élégie touchante qu'il adressa à ses 
paroissiens. Son chant n’est point, il est vrai, tout à fait concu dans la 
forme ordinaire des poésies populaires; mais, comme il jouit d'une 
extrême popularité, je ne puis l’exclure de ce recueil. 

Il m'a été chanté par une vieille femme de Bignan, 





Ecoutez un recteur de l'évêché de Vannes, exilé pour la foi, 
loin du royaume : son corps est loin de vous, mais sa pensée 
comme son cœur ne vous ont pas quittés. 


AR BELEK FORBANNET 


— ES GWENNED — 


Cheleuet ur person a eskopti Gwenned, 

Pell doh er roanteleah ett er fe forbanret : 
Pell eu à gort doh hoc'h, mes he impinion 

A zou pernet gen-hoc'h kerklous ‘el he galon. 


368 CUANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Depuis l'instant cruel où des ordres impitoyables m'ont 
éloigné de vous, je vous ai toujours devant les yeux, et je 
pleure jour et nuit en songeant à vos peines. 


0 jour plein de douleur! 0 jour plein de deuil, qui m'a sé- 
paré de vous, mes enfants! 0 désolant adieu! Tant que je vi- 
vrai, je me souviendrai de toi; je ne (oublierait jamais! 


Semblable à Jérémie ou aux malheureux Juifs, pendant leur 
longue captivité à Babylone, chaque jour, en songeant à 
toutes vos peines, je mêle mes larmes aux flots de la mer. 


Assis sur un rocher, seul au bord du rivage, je pleure amè- 
rement, et j'inonde mes joues, j'inonde, hélas! mes joues de 
larmes, en pensant à vous, qui êtes par delà les mers. 


O bon peuple bém! où est ce temps heureux où vous me 
trouviez chaque jour pour vous parler de Dieu, pour déchar- 
ger vos cœurs, et pour vous soutenir par la communion! 


Ah! mes chers enfants, dans quel état êtes-vous? Vous me 
cherchez tous les jours, et vous ne me trouvez plus; moi, je 





A oude enn amzer kri ha diskonfortuz 

Ma on pellet doh hoc’h dre urzeu trueuz, 
Dirak men deu-leged perpet holl hou kwelan, 
ag ar hou poenieu de ha noz e ouilan. 


0 de Jan a c'hlac'har. 0 de Jan a driste! 

En dez me distaget doh hoc’h, mem hugale: 
O kimiad glac’haruz! Keit ha me veveinn 
M'em bou soni aneoud; hiken ne t’ankoueinnf 


Aval doh Jeremi pe doh er geh Juived, 

Er ger a Vabilon pel amzer sklavehet, 
Bamde, enn ur zonjal e holl hou poenieu 
Get houlenneu er mor c kaijan men dareu. 


Ar ur roc'h azeet, me unon, tal enn od. 

E ouilan get glac’har, ha gluban men deu-chod, 
A gluban men deu-chod, siouah! get men dareu 
Enn ur zonj anehoc’h em oc'h trez er morieu. 


0 tud vad henniget) men ema oet arze 

Enn amzer euruz hont ha me c'havec’h bamde, 
Eit kleuet konz Doue, ha diskarg hou kalon, 
Hag eit hou konfortein dre er gomunion! 


Ha mem bugale geh ! e pe siad e oc’h-hui? 
Hui em goulen bamde ha n'em c'havet ket muis 


LE PRÊTRE EXILÉ. 369 


vous cherche aussi, mais, hélas ! vous n'avez plus de père, et 
je n’ai plus d'enfants! 

Chères petites brebis, qu'allez-vous devenir? Qui vous as- 
sistera, qui vous portera secours? 0 Jésus, bon Pasteur, ne 
les oubliez pas, et tendez-leur, en tout temps, la main. 


Esprits heureux, saints et saintes; et vous, reine du ciel, ne 
les quittez jamais; donnez-leur aide en leurs devoirs et conso- 
lation dans leurs maux. 


0 terre de basse Bretagne! 0 mon pays désolé ! dans quelle 
mer d'affliction as-tu été précipité? Autrefois tu étais beau, tu 
étais Joyeux et gai; maintenant, hélas! te voilà navré de 
douleur! 

Une troupe de traitres, sans foi ni loi, (a ébranlé et bou- 
leversé; ils t'ont ravi toutes Les joies du cœur: ils ont chassé 
évêques, moines et prêtres. 

Évèques, prêtres, moines, ont été chassés; les religieuses 
ont abandonné le pays; plus de messe, plus de sacrements; 
IS ronces croissent dans nos églises! 





M’ hou koulan à me zu; mes, oh! peh un drue! 
Nhec’h ouez ket mut a dad, na me a vugalc) 


0 keh devedigeu! petra vou a anehoc'h? 
Piue hou konfortai, piue ret sikour d'hoc'h ? 
0 Jezuz! bugul mad, hou pet sonj anehe, 
Hag astennet ho torn e bep amzer d’ehe. 


Isprideu euruz 0 sent ha sentezed, 

Ha hui, rouanez cn nean, chomet get he berper! 
Reit hu d’ehe sikour cnn hou oberieu, 

Ha reit konlort d’che e holl hou zrebileu. 


0 donr a Vreih-izel, o mem hro glac'haret) 

E pe mor a gloe e oud-de bet tolet? 

Gwech-arall e oucz brao, joiuz, ha louen: 
Bermen te zou mantret, siouah! gd enn anken! 


Ur vanden treitourion hemp fe hag hemp lezen, 
E dez de ziorblet ha laket peb-eil-benn; 
Lammet hou dez gen-id holl joieu de galon; 
Forbannet eskobed, (menec'h ha beleion. 
Eskobed, beleion ha menec’h, forbannet; 

Ged el leanezed er vro holl diiezet; 

Tamm oferen bel mui, na tamm sakramanteu, 
Hag enn drein e kreskein ebarh hun ilizieu! 


24 


310 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Les nappes d’autel, la croix et le calice ont été profanés, et 
les cloches volées dans toutes les paroisses; l’église est veuve 
et dépouillée de ses biens ; le cher Jésus a êté exilé du taber- 
nacle; 


L'église est profanée; elle est changée en écurie, et le 
maître-autel en table à manger; les vrais chrétiens, les hon- 
nêtes gens pleurent; partout, partout les méchants les op- 
priment ! 


O mon Dieu ! vous êtes irrité par nos péchés; c'est nous qui 
sommes les auteurs de tous les maux qui nous accablent. 
Quand nous vous sommes fidèles, vous nous êtes fidèle; nous 
nous sommes éloignés de vous, vous vous éloignez de nous. 


Dans votre colère pourtant, vous êtes plein de miséricorde, 
et de l’abime de nos afflictions vous faites sortir le bonheur. 
Pitié! mon Dieu ! nous sommes vos enfants ; pardonnez-nous le 
mal que nous avons fait! 


A tout le royaume, à l’Église désolée, rendez, mon Dieu, 
rendez bien vite vos hontes. Ayez pitié de nous, 0 Dieu d’a- 
mour ! Rendez-nous la paix, rendez-nous la foi! 





Licherieu enn oter, kroez ha kaliz sotret, 
Ha get-he ar c’hlehier e pep parrez leret: 
Enn iliz e begin, a he madeu forhet ; 

Ag enu arme] santel keh Jezuz forbannet; 


Sotret e enn iliz; laket de varchosi, 

Kouls ’el enn oter-vraz de ur dol a zibri; 

Er gwir grechenion, enn dud vad e ouilein, 

Hag ar re fall bep le, bep le oc'h ho goanein! 

0 men oue. fachet oc'h a-c'hoz d'hon pec’hedeul 
Ni unnn zou kiriek de holl hun poenieu; 

Fa vemp fidel d'e-hoc'h, e vec'h fidel d'e-omp, 
Pelleit omp-ni doh hoc'h, ha hui bella doh omp, 
Enn hou gourdrouz, neoah, leun oc'h a vadeleah, 
Dar e-kreih hon anken hui cenik d'imp er peah. 
True! men Doue ! truel ni zou hou pugale, 

Deuz enn droug hun ez groet distolet d'imp arzel 


D'er roanteleah holl, d'enn iliz giac'haret, 
Dakoret, o men Doue, hou madeleah, abred. 
Hou pet true doh omp, o Doue a garante, 
Dakoret d'imp er peah, dakoret d'imp er fe. 


LE PRÊTRE EXILÉ. 374 


Quand serons-nous, pasteurs et troupeau, tous réunis, 
pour chanter vos louanges? Quand viendra le jour qui sèchera 
nos larmes, et où nous pourrons chanter votre gloire au milieu 
de nos temples ? 


0 jour de félicité ! ô jour plein de douceur! je songe à toi à 
toute heure, à tout moment; 0 Dieu de bonté! hâtez l'instant 
où je pourrai revoir mes enfants! 


Va, chant de tristesse, consolation de mon cœur, va, et dis 
à mon peuple combien est grande ma douleur. Portez-le sur 
vos ailes, bons anges, et dites-leur bien que jour et nuit je 
pense à eux. 


Tourterelle, rossignol de nuit, quand revient le temps nou- 
veau, vous allez chanter à la porte de mes enfants. Ah ! que ne 
puis-je y voler comme vous! Que ne puis-je voler, par delà la 
mer, jusqu'à mon pays, comme vous! 


Ah! dites-leur au moins, comme je le ferais ; chantez-leur de 
toutes vos forces : — Conservez bien la foi; conservez votre loi; 
— et faites-leur vous répondre : — Oui! nous conserverons la 
foi! plutôt souffrir mille morts que d'oublier notre Dieu ! — 





Pe gourz e vehemp-ni, bugulion ha deved, 

Eit hou melein, men Doue, el a-gent, daslumet" 
Pe gourz e tei enn de de sehein hun dareu, 

Ha de ganein gloer d'hoc'h enn hun ilizieu ? 


0 de a eurusted ! o de lan a zouzter! 

Me sonj a zou sen-id neh heur ha peh amzer. 
0 Doue a vadeleah hastet cnn termen-ze, 

EiL ma hellinn-me hoah gwelet mem hugale) 


Ke, kanen hirvouduz, konfort a me spired, 
Ke, ha jar de me fobl, holl me giac'har kalet. 
Douget-hi, eled mad, ha leret mad d’ehe, 
E ma ha de ha noz holl me sonjeu get-he, 


Turhune}, estik-noz, ged enn amzer neue, 

E iehet de ganein doh dor mem bugale; 

Ha perak ne hallan neinjal eue gen-hoc'h, 

Eit monet. dreist er mor, bed hon hro, aval hoc'h? 


Ah! sroeit aoel em lec'h, Kanet a bouiz hou nenn : 
— Dalc'het mad doh er Fe, dalc'het doh hou lezen) 
Ha groeit d'ehe reskont: — Ni zalc'ho doh er Fe! 
Kentoc'h meruel mil gwech eid ankoucat hun Doue) = 


372 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


NOTES 


Le jour où le recteur de Bignan reparut dans son bourg fut pour le 
pays un jour de fête. Les cloches que l’on avait sauvées de la fonte furent 
mises en branle; on accourait du plus loin qu'on apprenait la nouvelle. 
Chacun le voulait voir, toucher sa soutane, lui baiser les mains; on 
s’'agenouillait sur son passage, on lui demandait sa bénédiction, comme 
à un évêque. Le bon recteur, attendri jusqu'aux larmes, s’avançait suivi 
de la foule; son front était pâle, ses joues amaigries, ses cheveux avaient 
blanchi dans l’exil. On eüt dit un de ces premiers prètres chrétiens sor- 
tant des catacombes. 

Le lendemain, il chanta la messe, L'église avait été dépavée, les saints 
décapités; les murs étaient revêtus d’un enduit verdâtre et le sol couvert 
dé débris, mais tous les fronts étaient joyeux. Tandis que le prêtre offi- 
ciait, le vent venait par les vitraux brisés agiter sa chevelure blanche; il 
portait de vieux ornements, mais il avait le front rayonnant comme ses 
paroissiens. Ceux-ci revoyaient leur père et leur consolateur ; il retrou- 
Yait son Dieu, sa patrie, ses enfants. 

Mgr Le Joubioux, dont les poésies bretonnes sont aujourd’hui l'hon- 
neur du dialecte vannetais, a consacré une intéressante notice à la mé- 
moire du saint recteur; il termine par cette pathétique apostrophe aux 
paroissiens de l'abbé Nourri, à l’élégie duquel il emprunte avec bonheur 
ue citation : 

«Habitants de Bignan, où est votre pasteur et votre père? Hélas! Son 
corps est loin de vous, mais sa pensée comme son cœur ne vous ont pas 
quittes !» 


LIII 


LES BLEUS 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Les Bretons. dont la royauté absolue avait opprimé les pères, dans sa 
force, comme indépendants, voulurent la défendre, comme royalistes, 
dans sa faiblesse, sans lui rien demander, sans rien recevoir d'elle. Leurs 
frères des montagnes du pays de Galles et de l’Ecosse, eux aussi, victimes 
d’une monarchie toute-puissante qui s’incorpora violemment les peuples 
libres de l'Angleterre, n'avaient pas servi autrement les Stuarts malheu- 
reux. Conservateurs armés de l’ordre fondé par le temps, la défense de la 
liberté religieuse, de la liberté civile et de l'institution monarchique, contre 
les parodies sanglantes de ces trois grandes choses, devint l'objet qu'ilspour- 
suivirent à travers les échafauds et les baïonnettes de la Terreur. La tyran- 
nie révolutionnaire ne lcs trouva pas plus disposés à courber la tête que 
ne les avait trouvés la tyrannie des rois; ils marchèrent le front levé au- 
devant des maîtres nouveaux, en hommes dont le cri de guerre était de- 
puis douze cents ans ; « On ne meurt jamais trop tôt, quand on meurt 
pour la liberté! » À ce cri des anciens bardes, répété et prolongé par 
tous les échos de la Bretagne, la poésie nationale s’éveilla ; elle entonna 
ses vieux chants de guerre, en saluant de chants nouveaux l'étendard de 
l'indépendance. Fille du peuple, elle n’eut guère qu'un thème : les mal- 
Leurs et les espérances du peuple. Elle fit des héros de ces paysans que 
les conventionnels traitaient d'animaux à face humaine, qu'ils ordon- 
naient de traquer et de tuer comme des bêtes fauves, ou d'échanger con- 
tre leurs bœufs, et qui les jetaient dans la stupeur par des paroles telles 
que celles-ci : « Guillotinez-nous donc bien vite pour que nous ressusci- 
tions dans trois jours !! » 

Mais laissons les poëtes populaires nous tracer encore le tableau de 
cette lamentable époque; le Prêtre exilé vient de la peindre à sa ma- 
nière ; écoutons un jeune paysan qui s’est fait soldat. 


4 Rapport de Camille Desmoulins, Histoire des Brissotins, p. 60, 


314 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


J'entends les chiens qui hurient! voilà les soldats ennemis, 
fuyons vers les bois! chassons devant nous nos troupeaux! 


Aurons-nous toujours à souffrir, hommes de Cornouaille, 
toujours à souffrir les brigands qui oppriment les laboureurs ? 


Ils ont déshonoré nos belles jeunes filles, tué la mère et 
l'enfant et l’homme ; ils ont tuë jusqu'aux pauvres malades à 
cause de leurs mains blanches". 


Ils ont incendié les maisons des pauvres; ils ont démoli 
les manoirs: ils ont brülé les blés, brûlé les foins, dans les 
champs et dans les prairies. 


Ils ont coupé les arbres fruitiers de nos vergers, et ils en 
ont fait du feu; si bien qu'il n’y aura plus ni pommes, ni cidre 
d'ici à neuf ou dix ans. 


Ils ont volé nos bœufs et nos vaches et nos génisses, hélas! 
et ils les ont conduits pêle-mêle, avec les propriétaires, dans 
les grandes villes, au boucher. 





AR RE C'HLAZ 


—HESVKERNE= 


Ar chas a glevann oc'h harzal! setù ar zoudarded C'hall! 
Tec'homp kuit trezeg ar c'hoajou! kasomp a-rog hor chatal) 


Daoust hng hen, potred Kerne, e c’houzanvimp da viken, 
E c’houzanvimp ar vac'herien a wask al labourerien ? 


Gwallet gant-he hor merc'hed Koant: lazet mamm ha mah ha den; 
Lazet zoken ann dud klan paour, balamour d'ho daouarn gwenn, 


Tanet gant he ti ar heorien: diskaret ar maneriou: 
Devet ann ed, devet ar foen, er parkou hag er prajou. 


Troc'het ar gwe el liorzou, ha laket da oher tan; 
Ken na vo avalou na zist, da nao pe zek vlonz ac’han. 


Laeret hor zaout, hon cunnered hag han ejenned, siouaz! 
Ha kaset mesk gand ho ferc’hen, d’ar c'higer d'ar c'heriou braz. 


4 On reconnaissait 4 ce signe les personnes des classes supérieures. 


LES BLEUS, 379 


Ils ont volé jusqu'aux vases sacrés des églises, abattu jus- 
qu’à nos clochers, détruit jusqu'à nos ossuaires, et dispersé les 
reliques. 


Ils ont ravagé les belles vallées de la basse Bretagne, jadis 
si grasses et si vertes! tellement qu’on n'y entend plus la voix 
ni de l’homme, ni des troupeaux. 


Encore si nos yeux pouvaient verser des larmes en toute 
liberté! mais quand il voit couler les larmes, l’homme des 
villes fait couler le sang. 


Encore si nous pouvions {trouver une croix ou nous mettre 
sur nos deux genoux, pour demander à Dieu la force qui nous 
manque | 


Mais votre croix sainte, 0 mon Dieu! a eté abattue partout, 
et la croix de la bascule ! a été dressée à sa place. 


Chaque jour on voit vos prêtres, comme vous sur le 
Calvaire, comme vous ineliner la tête en pardonnant à la 
terre. 


Ceux d’entre eux qui ont pu s’enfuir se cachent dans les 
bois; là, ils disent la messe, la nuit, parmi les rochers; en 
bateau, parfois, sur mer. 





Laeret zoken traou ann iliz; pilet zoken hon touriou; 
Straojet zoken ar garneliou, ha skignet ar relegou. 
Gwastet traoniou kacr Preiz-izel, ken dru ha ker glaz gwech-all; 
Ken na glever mui tro-war-dro mouez den kennebeut chatal. 
C'hoaz ma ve roet skuilla, hor gwalc'h, daelou dru d'hon daoulagad, 
Nemet pa wel skuilla daelou, ann den Ker a skuill ar goad. 
C'hoaz ma ve roct kaout eur groaz, e pelec'h e taoulinfemp, 
Evit goulenn digand Doue ann nerz pini a vank d'emp) 
Met ho kroaz santel, ma Doue, zo het pilet e peb-lec'h; 
Ha Kroaz ar gwinterellerez a zo savel enn he lec'h. 
Bemde "weler ho peleien evel-d-hoc’h war ar Chalvar, 
Evel-d-hoc’h o stoui ho fenn o pardoni d'ann douar. 
Re ho deuz gallet (ec'het Kuit, ea da guhet er c'hoajou; 
Eno oferniont deuz ann noZ: e bag, war vor, a-wechou, 

U 


4 La guillotine, 


316 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


D’autres, traversant l'Océan, se sont expatriés sans res- 
sources, aimant mieux servir Dieu que l'homme; 

Aimant mieux manger tranquillement du pain d'avoine en 
pays étranger que de manger du pain de froment, le pain du 
démon, avec des remords. 

Dans leurs maisons, les jureurs vivent du bien des pauvres 
gens; après avoir vendu Dieu, comme Judas, pour de l'or. 

Quiconque ne veut pas aller trouver le jureur est sûr de 
perdre la vie, qu’il soit noble ou paysan. 

Nobles et hommes d'église, hommes des champs, au front 
haut, tous les Bretons sont persécutès parce qu'ils sont chré- 
tiens. 

Tu peux maintenant, proie de l'enfer, livrer ton cœur à la 
joie, quand tu as fait pleurer nos anges dans le ciel. 

Quand tu as substituë la loi des démons à la loi de Dieu, 
quand tu as tué les prêtres, les nobles et Le roi. 

Quand tu as tué la reine, et fait rouler à terre sa tête, avec 
la tête blonde d'Élisabeth, la sainte dame, sa sœur ; 

Quand tu as jelé dans un cachot infect le fils du roi, pauvre 
enfant, et quand tu l'y retiens captif dans la boue et la fange à 
pourrir et à mourir. 


Darn ho deuz treuzet ar mor braz, divroet ha dizouten, 
Gwell gant-he senti ouz Doue, evit senti ouz ann den; 
Gwell gant-he dibri dianken, er hroiou pell, bara kerc'h, 
Eyit dibri bara gwiniz, hara ann diaoul, gand ann nec'h. 
Enn ho ziez, ann touerien a zebr danvez ann dud paour, 
Goude beza gwerzet Doue, evel Judaz, evid aour. 
Piou-bennag na Loll ket J'ezhan mont da glevet ann touer, 
Zo war var da goll he vuhe; bet denjentil pe gouer. 
Tudjentil, ba tud a iliz, (ud diwar mez, sonn ho fenn, 
Ann holl Vretoned a waner balamour ma int kristen! 
Breman hallez. boed ann ifern, ret da galon-te d'ar joa, 

Pe ’teuz laket hon elez-ni e-barz ann ne da c'hoela! 

Pe 'teuz laket lezen ann diaoul e-lec’h gwir lezen Doue, 

Pe ‘teuz lazet ar veleien, ann dudjentil, ar roue! 

Pe ’teuz lazet ar rouanez, pe ‘teuz stlapet d'ann douar 

Be onn gand penn Hour Elesbed, ann itron zantel, he c'hoar: 
Pe ’teuz tolet er c'hao hudur mah ar roue, hen bugel, 
Hag hen dalc'hez e-barz ar fank da vreigna ha da vervel, 


LES BLEUS. 317 


Voile ton front, soleil béni, à la vue de crimes dignes des 
esprits de l'enfer! 


Adieu! Jésus et Marie; vos statues ont été brisées; elles ont 
servi aux Bleus à paver les rues des villes. 


Adieu! fonts du baptème, où nous avons trouvé jadis la 
force de souffrir la mort plutôt que le joug des méchants. 


Adieu! cloches saintes, qui chantiez sur nos têtes; nous ne 
vous entendrons plus nous appeler à l’église les dimanches et 
les jours de fêtes. 


Adieu! cloches de nos paroisses, hélas! on a enlevé le bap- 
tème à vos fronts ; les hommes des villes, hélas! vous ont fondu 
pour faire des sous. 


Adieu! 0 jeunes gens qu'on appelle à l'armée, où l’on perd 
à la fois l'âme et la vie. 


— Au revoir, mon fils, au revoir dans la vallée de Josaphat : 
quand tu seras hors de la Bretagne, qui protégera ton 
père? 

Quand les hommes des villes envahiront ma demeure, 
on m'entendra dire : « Si mon fils était ici, il me défer 
drait. » 


Kuz da benn, heol benniget, enn eur welet torfejou 

T D J 
Pere na dlete heza gret nemed gand drouksperejou! 
Kenavo, Jezuz ha Mari, dispennet ho taolennou, 
Ha laket d'ober paveiou, gand ar re c'hlaz, er c'heriou, 
Kenavo, fons ar vadiant, e lec'h e gefjomp gwech-all 
Nerz evit gouzanv ar maro Kent evid 160 ann dud-fall. 
Kenavo, kleier benniget, a gane war hor pennou, 
N'ho klevimp mui enn hor gervel, sul na gwel, d’ann ilizou, 
N'ho klevimp mut o kana ge; siouaz ! divadez ho penn! 
Teuzet. siouazl gand ar geriz cvid ober gwenneien ! 
Kenavo, bretoned iaouang, e c'halver d'ann armeou, 
E-lec’h ma goller enn cunn tol ar teiz har ar vuheiou. 
— Kenavo, ma map, kenavo d'ann draoniennou Jozafut! 
Pa vei mez deuz a Vreiz-izel piou a zifenno da dad! 
PF? lammo re ker gand ma zi, me vo kevet 0 laret : 
« Ma vize bet ma mab er ger, en defe ma diwallet!» 


318 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Viens dans les bras de ta vieille mère qui l’a porté, mon 
enfant; viens sur le sein qui Ua nourri, mon pauvre cher fils, 
avant que je meure. 


Quand tu reviendras à la maison, je m'en serai allée de ce 
monde; viens ici, viens que je t'embrasse pour la dernière 
fois. 


— Ne pleurez pas, ma mère; ne pleurez pas, mon père : je 
ne vous quilterai pas; je resterai pour vous défendre, pour 
défendre la basse Bretagne. 


Il est bien douloureux d'être opprimé, mais d’être opprimé 
n’est pas honteux; il n’y a de honte qu'à se soumettre à des 
brigands comme des lâches et des coupables. 


S'il faut combattre, je combattrai; je combattrai pour le 
pays; s’il faut mourir, je mourrai; libre et joyeux à la fois, 


Je n’ai pas peur des balles : elles ne tueront pas mon âme; 
si mon corps tombe sur la terre, mon âme s’élèvera au ciel. 


En avant, enfants de la Bretagne ! mon cœur s enflamme; la 
force de mes deux bras croit; vive la religion! 


Vive qui aime son pays! vive le jeune fils du roi! et que les 
Bleus s’en aillent savoir s’il y a un Dieu! 


— Deuz etre diou vrec'h da vamm goz euz da zouget, ma hugel, 
Deuz war galon enz da vaget, ma mabik paour, Kent mervel) 


Pa zistroi endro d’ar ger, vinn eet kuit deuz ar bed man; 

Deuz aman, deuz m'az priatinn, evid ar wech divezan. 

— Tevet, ma mamm, tevet, ma zad, ne inn ked d’ho tilezel; 
Chom a rinn evid ho tifenn, evid difenn Breiz-izel. 

Reuzeudik braz eo bout gwanet ; bout gwanet ne ket mezuz; 
Nemet plega d'ar skraberien, evel tud lent ha kabluz! 

Mar d- eo red monet d’ann emgann, emgann a rinn "vid ar Yro: 
Mar d- e0 red mervel, e varvinn: kuit ha laouen war cunn dro, 
M'euz Ked aon roz ar bolodou; na lazint ket ma enc: 

Pa gouezo ma c'hort d'ann douar, ma ene savo d’ann ne, 

Arog! potred vad Breiz-izel! entana ra va c'halon : 

Kreski a ra nerz va diou-vrec'h: hevet ar relijion! 

Bevet ann neb a gar he vro) bevet mahig ar roue! 

Ha ra ielo ar botred c’hlaz da c'haout haz hen zo Doue, 


LES BLEUS. 319 


Vie pour vie! amis, tuer ou être tué; il a fallu que Dieu 
mourût pour qu’il vainquit le monde. 


Viens te mettre à notre tête, Tinténiac, vrai Breton d'à tout 
jamais ; toi qui n'as jamais détourné la face devant la gueule 
du canon. 


Venez vous mettre à notre tête, gentilshommes, sang royal 
du pays; et Dieu sera glorifié par tous les chrétiens du monde. 


À la fin, la bonne loi reviendra en Bretagne avec Dieu sur 
ses autels, avec Le roi sur son trône; 


Alors les vallées de la Cornouaille deviendront vertes de 
nouveau; alors les cœurs s’ouvriront avec les fleurs du blé et 
des arbres, x 


Alors, la croix de notre Sauveur Jésus s’élèvera rayonnante 
sur le monde; à ses pieds de beaux lis en fleur engraissés du 
sang des Bretons. 





NOTES 


On attribue généralement cette pièce à un jeune montagnard appelé 
Guillou Arvern, de Kervlézek, près Gourin, que la persécution força de 
renoncer à l’état ecclésiastique, et jeta dans les rangs des défenseurs 
armés de la liberté religieuse et nationale. Il est l’auteur des meilleurs 
chants qu’on ait faits pour soutenir le courage de son parti, et ses vers, 
qu’il chantait lui-même en allant se battre, sont dignes des vieux bardes 
guerriers de la Bretagne, dont il était l’imitateur et le représentant 
moderne. 


Buhe evit huhe! tud vad ; laza pe heza lazet! 

Red e oa da Zoue mervel evid gonid war ar bed. 

Deuz er nenn £an-e-omp, Tinteniak, gwir Vreton a holl-viskoaz, 
Te pini rog beg ar c'hanol, morse da henn na droaz. 

Peut er penn gan-e-omp, tudjentil, goal roeai demeuz ar vro; 
Ha Doue a vezo meulet gaul kement Kristen ma 20. 

Hng enn divez e teui endro e Breiz al lezen gwirion, 

Kouls ha Doue war he oter, hag ar roue war he dron; 

Hag a-neuze traoniou Kerne 6 teuio glaz adarre, 

Hag ar galon a zigoro gant bleun ann ed hag ar gwe. 

Newze, Kroaz Jezuz, hoar Salver. a zavo splann war ar bed; 
E-c'harz he zreid liliou kaer dru gand soad ar Vretoned. 


580 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


Lorsque les Blancs campaient, il charmait la veillée militaire par ses 
récits, ou menait leurs danses nocturnes autour du feu du ivar. La 
vaste cour du château de Trégarantec retentit plus d'une fois de ses 
chants; personne ne pouvait clore l'œil dans la maison quand il avait 
commencé; on y voyait les lumières se rallumer, et les dames quitter 
leurs lits et venir se mettre aux fenêtres pour l'écouter. Sa voix était 
magnifique et sa mémoire imperturbable; il savait par cœur une foule 
de chansons sur les combats livrés autrefois dans le pays, et l'on n’a 
dit souvent : « Ah! si Guillou Arvern vivait encore, il vous chanterait 
ce chant de guerre. » La facilité avec laquelle il improvisait était prodi- 
gieuse : « Il paria une fois, me disait un ancien chouan, qu'il chanterait 
« une chanson à danser de sa façon, dont le premier couplet commen- 
« cerait au lever de la lune et dont le dernier finirait au chant du coq; 
« tous les danseurs étaient rendus qu'il chantait encore : la vertu du 
« chant était en lui; sa haute taille, sa force extraordinaire, ses longs 
« cheyeux noirs qui s’échappaient de dessous son chapeau quand il se 
« battait, ses yeux qui brillaient, la nuit, comme deux vers luisants, le 
faisaient prendre par les Bleus pour. pour ce qu'il n'était pas, assuré- 
« ment, car c'était lui qui nous disait tous les jours la prière du soir. 
« Cependant il était, je crois, un peu sorcier, mais pas trop, car si le 
« roi est revenu, ainsi qu'il l’a prédit, tous les cœurs des Bretons ne se 
« sont pas rouverts. » 

Nous trouverons tout à l'heure un poëte populaire sous l'impression 
du même sentiment de désenchantement 1, que j'ai vu partagé par tous 
les chouans que j'ai connus. 


A 


4 V. Le temps passé, p. 403, 


LIV 


LES CHOUANS 


— DIALECTE DU BAS VANNES — 


ARGUMENT 


La Bretagne, obéissant aux plus nobles instincts du cœur de l'homme, 
l'amour de l'autel et du foyer, avait cent mille hommes sous les armes, 
et, suivant ses vieilles hermines nationales couchées parmi les fleurs de 
lis de France, elle commençait cette guerre que Napoléon a nommé la 
Guerre des Géants. Les principaux événements étaient chantés, selon 
l'usage, dans des ballades populaires : il en est un qui l’a été par plu- 
sieurs poëtes du temps; c’est la mort glorieuse du général Tinténiac. 

« À Coatlogon (juillet 1795), dit un témoin oculaire, Champeaux. à 
la tête de trois mille hommes, surprend les chouans; l’action s'engage, 
et ceux-ci remportent une complète victoire, due aux promptes dispo— 
sitions de Georges... Mais cet avantage leur coûta cher : ils perdirent 
leur général qui tomba mort dans les bras de Julien Cadoudal 1. » 


Les vieillards et les jeunes filles et Les petits garcons et tous 
ceux qui sont incapables d'aller se battre, diront, dans leurs 
maisons, avant de se coucher, un Pater et un Ave pour les 
chouans. 


Les chouans sont des hommes de bien, ce sont de vrais 
chrétiens; ils se sont levés pour défendre notre pays et nos 


AR CHOUANTED 


Er re goh hag er merc'hed hag er botred vihan, 
Ha re pere n’int ket goest de vonet d’en emgann, 
A laro enn ho zier, abarh mont de gousket, 

Ur pater hag eunn ave euit er chouanted. 


Er chouanted zou tud vad, hi zou gwir grechenion, 
#auet de zifenn hon hro klouz el hun beleion; 


Lotice sur Georges Cudoudal, p. 24. 


382 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


prêtres; s'ils frappent à votre porte, je vous en prie, ouvrez- 
leur; Dieu de même, mes braves gens, vous ouvrira un jour. 


Julien aux cheveux roux Y disait à sa vieille mère, un matin : 
— Je m'en vais, moi, rejoindre Tinténiac, car il me plait d’al- 
ler. — Tes deux frères m'ont abandonnée, et toi tu m’aban- 
. donnes aussi! mais, s’il te plait d'aller, va-t'en à la garde de 
Dieu! — 


Comme les chouans arrivaient de chaque partie de la Bre- 
tagne, de Tréguier, de Cornouaille, et surtout de Vannes, les 
Bleus venant du côté de la France les joignirent, au manoir de 
Coatlogon, au nombre de trois mille. 


— Voici l'heure qui sonne, voici l'heure sonnée, où nous 
en viendrons encore une fois aux mains, avec ces misérables 
soldats : du courage, enfants de la Bretagne! du courage, et 
voyons ! Si le diable est pour eux, Dieu est pour nous! — 


Quand ils en vinrent aux prises, 1l (Julien) frappait comme 
un homme : chacun d'oux avait un bon fusil; lui, il n'avait 
que son bâton, son bâton et son chapelet de Sainte Anne, et 
quiconque l'approchait était abattu à ses pieds. 


Mar skoont ar tal hou tour, m'hou ned, digouret d'e: 

Douc else, me zud vad, digorai d'hoc'h. cunn de. 

Julian bleu-ru a lare J'he vamm goh ur mitin : 

— Me ja me ged Tinteniak, pe monet a blij d’ein. 

— De deu vreur dez me losket, ha te me lo-k euel 

Mes mar plij d'id de vonet, ra de renai Doue! — 

Pe zeie er chouanted, ez a bob korn a Vreih, 

A Drever hag a Gerne, hag a Wenned ileih, 

Er re c'haz digoueh get-he, e maner Koatlogen, 

Ez a gosteeu Bro-c’hall, tri mil enn ur vanden. 

— Chetu enn heur e sonein, chetu enn heur sonet, 

Me emgafemp, eur werh c’hoah, ged er c’hoh soudarded. 
Bec’h ar-n-hoc'h, potred a Vreih, bec'h ar-n-hoc'h, ha gwelemp) 
Mar m'ann Diol enn-tu get-he, ma Dous enn tu gen-emp! — 
Ha pe oant deit de grogein, hen darc'he el un onc'h: 

Get he bop a vuzul vad, get hen meit he benn-bah, 

He benn-bah, hag he chapiet ez a Zantez-Anna, 

Ha kemed e dosteie, a oa pilet get ha. 


4 Julien Cadoudal. 


LES CHOUANS. 383 


Et tout percé était son chapeau, et percée sa veste, et une 
partie de sa chevelure avait été coupée d’un coup de sabre, et 
le sang coulait de son flanc ouvert, et il ne cessait de frapper, 
et de plus il chantait. 


Et je cessai de le voir, et puis je le revis, il s'était retiré à 
l'écart sous un chêne, et il pleurait amèrement, la tête incli- 
née, le pauvre monsieur de Tinténiac en travers sur ses ge- 
noux. 


Et quand le combat finit, vers le soir, les chouans s’appro- 
chèrent, jeunes et vieux, et ils ôtaient leurs chapeaux et ils 
disaient ainsi : — Voilà que nous avons gagné la victoire, et il 
est mort, hélas! — 


NOTES 


Le beau chant qu’on vient de lire, par un hasard assez extraordinaire, 
ne dit pas un mot de Georges, et ne consacre que deux couplets à la mort 
de Tinténiac. Cependant la victoire des Blancs était l’œuvre du premier, 
qui, ayant fait porter rapidement une colonne sur les derrières de l’ar- 
mée républicaine, y jeta le désordre et la mit en fuite‘. D'un autre côté, 
les détails de la mort de Tinténiac, frappé d’une balle en pleine poitrine, 
au moment où il s’élançait sur un Bleu qui le couchait en joue?, étaient 
poétiques, importants, de nature à inspirer le poëte populaire, et il 
semble étonnant qu'il les ait oubliés. Julien Cadoudal, le héros de la 
pièce, l’est, au reste, lui-même en cette circonstance; car, si l’auteur 


Ha toullet ker oa he dok, ha toullet he jupen, 

Ha Loud haz he vleu (roc'he ged eunn tol a zabren, 
Hag er goed a zivere demeuz toull he goste; 

Ha n’arzaoue e tarc’hout, hag oc'hpenn e Kane. 


Ken p'hen gwelez ket mui tamm, hag hen gwelez endro, 
Hag hen tennet a goste didan ur ween dero, 

E ouilein letih he galon, chouket get hon he benn, 

Enn eutreu Tinteniak por a-drez ar he varlen. 


Ha p'achiue enn emgann ar dro enn nozeoh, 

Chouanted a zidoste, re ieuang ha re goh, 

Hag a denne hou zokeu, hag a lare else: 

— Chetu ma goneit gen-emp, ha hon, siouah! marue! — 


4 Notice Sur Cadoudal, 
2 Jbid, 


384 CHANTS POPULATRES DE LA BRETAGNE. 


nous le montre pleurant sur le corps de son général, il ne nous apprend 
point qu’il l’a défendu au péril de sa vie, et qu'il a vengé sa mort!. Ces 
anomalies nous portent à croire que notre chant est incomplet. Il passe, 
près des uns, pour l’œuvre d’un jeune meunier de la paroisse de Ploé- 
meur, qui servait dans les rangs des Blancs, et périt dans un des com- 
bats qui suivirent celui de Coatlogon ; près des autres, pour avoir été 
composé par l’auteur du chant précédent sur les Bleus. En ce dernier 
cas, il aurait changé de dialecte. Il est aussi populaire en Vannes que 
sur les frontières de la Cornouaille ; je l'ai entendu chanter dans les deux 
évêchés. 

Le critique bienveillant et distingué qui a le mieux jugé ce recueil, 
sous tous les rapports, le regrettable M. Ch. Magnin, a vu avec un sen- 
timent pénible l'éditeur y donner place à des poésies relatives à la 
révolution. Après avoir bien voulu dire, avec trop d’indulgence : « La 
première chose qui nous paraît mériter l'éloge dans le romancero breton 
c’est le goût délicat de l'éditeur et sa judicieuse discrétion, » il ajoute, 
un peu séÿgrement peut-être : « Nous ne voudrions rien retrancher du 
recueil, si ce n’est trois ou quatre morceaux récents qui rappellent péni- 
blement nos troubles civils. Ces pièces (le Prêtre exilé, les Bleus, les 
Chouans) n'oflrent, à mon avis, ni assez d'intérêt historique, ni assez de 
mérite littéraire pour faire pardonner les fàcheux souvenirs qu'ils 
réveillent… Nous n’aurions perdu à leur suppression que quatre ou cinq 
belles strophes ?. » 

Nous y aurions perdu davantage, selon des juges moins susceptibles, 
parmi lesquels je citerai Augustin Thierry et le comte de Montalembert : 
Pun a vu dans ces morceaux une page d'histoire très-précieuse, comme 
document populaire, l’autre leur trouve un souffle admirable. 


4 Notice, p. 25. 
2 Journal des Savants, tnat 1847, p. 260. 


A 


LY 


UNE BONNE LEC ON 


— DIALECTE DE LA HAUTE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La pièce qu’on va lire est l’œuvre du paysan poëte dont j'ai parlé dans 
l'introduction de ce recueil. Selon la coutume des chanteurs rustiques, 
il a décrit l'événement qu'il chante avec la plus rigoureuse exactitude. 
Nous avons précédemment tiré de la méthode qu'il suit un argument 
par induction concernant celle des auteurs populaires : nous n’y re- 
viendrons pas; mais, avant d'entrer en matière, nous croyons devoir 
demander gràce pour certains traits de sa ballade, qui ne manqueront 
pas de blesser le sens délicat des personnes inaccoutumées à ce genre 
de poésie véritablement réaliste. Le poëte, s’il en était besoin, trouve- 
rait une exeuse dans son intention . Il avait une haute leçon de morale 
à donner ; il l’a fait de la manière la plus propre à frapper son rustique 
auditoire : il attire d’abord à lui la foule, il la captive par des plaisan- 
teries grossières; puis, lorsqu'il la tient en son pouvoir, il prend par 
degrés un ton sérieux, et finit par l’écraser sous le poids d’une reli- 
gieuse terreur. S'il y a de l’art en cela, le barde en sabots ne s’en est 
pas douté. Voici le fait qui a donné lieu à la pièce, 

Un vieillard très-enclin à l’ivrognerie, après avoir passé la nuit à boire, 
vint le matin travailler au champ. Plaisanté par ses camarades dont son 
état d'ivresse excitait les lazzi, et d’ailleurs incapable de prendre part à 
leurs travaux, 1l quitta bientôt son ouvrage. Mais en revenant chez lui, 
s'étant, à ce qu'il paraît, arrêté pour se reposer, en traversant un bois, 
il fut frappé d’apoplexie. Sa femme et ses enfants, ne le voyant pas 
reparaîlre, crurent qu'il était allé chercher de l'ouvrage hors de la 
commune, et ne s'inquiétaient pas de ce qu'il était devenu, quand deux 
jeunes gens d’un village voisin, qui passaient par le bois, un mois après 
l'événement, trouvèrent le corps du malheureux paysan à demi dévoré 
des loups. Sa mort fut regardée par le peuple comme une punition 
du ciel; le clergé lui refusa la sépulture ecclésiastique, et le chanteur 
Loëiz Kam, écho de l'opinion, composa la ballade suivante, 


25 


386 CIIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


Ecoutez, Bretons, je vous prie, ce qui vient d'arriver; 


Ce qui est arrivé à lann Marek, dans la paroisse de Nizon, 
vers le temps de Noël. 


Nous défrichions, ce matin-là, non loin du manoir, le champ 
neuf. 


— lann Marek, où êtes-vous allé, que vous arrivez si tard? 
Où êtes-vous allé cette nuit, boire du cidre nouveau, ainsi? 


— Feu et flamme! j'ai passé cette nuit où Dieu l’a voulu 
pour mon bien? 


Et un autre lui disait : — Vous êtes un peu ivre, lann) 


— Il est vrai que j'ai bu un pot de cidre, feu et flamme! 
qu'il était bon! 


Comme le meilleur vin-de-feu; et qu’il m'a fait de bien au 
cœur! 


—— Vous vous en allez, lui disait Loeiz Kam, vous vous en 
allez, pauvre lann, à la fleur de l’âge! — 


EUR GENTEL VAD 


I — Tankerru! bet onn enn nouz-me, 


Z + Lec'h neuz groet Dou ma mad d’i-me. — 
Kievet, Bretoned, me ho ned. 


c ; 
Ar pez z0 eve crruét; Nag unan all a lare d'ean : 


c Ç — But oc'h -hu eunn tammik meo, lann. 
Zo erruet da lann Marek 


Partez Nizon, tro Nedelck, — But em euz evet eur poudad ; 


ru , 
ipti ! hen-nez a oa mad 
Troc'ho monted, er mintin-ze, Tankerru! hen-nez a oa 5 


Tal er maner, oump, er park ne : Evel gwin-ar-dan ar gwellon! 

— linn Marek, pelec'h oc'h -hu bet, las en deuz groet vad d’am c'hal5n! — 
Pa zigouvet ken diveet? M'oc’h ‘ont kuit, a lare Loeiz-kom, 
Pelec'h oc'h-hu bet cnn nouz-me, M'oc'h ‘ont kuit, lnn haour, iaouank- 


Da evo sistr dou-, eun giz-zc? Lamm), — 


UNE BONNE LEÇON, 987 


Il avait beau lever sa houe, c'était sa tête qui frappait la 
terre. 

— Que me sert de rester ici plus longtemps? je vais 
prendre quelque nourriture. — 

Et il disait en cheminant, en s’en allant chez lui, il murmu- 
rait entre ses dents : 


— Ge cidre nouveau était si bon! j'en aurais bu dix pots! 


Il 

— Votre père n’est pas de retour? 

— Il n’est pas de retour; il sera parti pour Quimper, 

Pour Quimper ou pour Alger; il disait qu'il avait envie d'y 
aller. — 

Quatre semaines s'étaient écoulées, et il n’était pas encore 
de retour chez lui; 

lann Marek n'avait pas reparu chez lui, quand arriva le jour 
de Noël. 

Le jour de Noël, vers le soir, vinrent à la chaumiére des 
jeunes gens du village de Saint-Maudé. 

— Bonne santé, gens du logis, vous avez de la toile à vendre 
ici? 

— H n’y en a plus à vendre ici; elle a été toute vendue cett : 
année. — 





Da Gemper, pe trezck Aljer, 


Kaer en defa sevel he var, 
Hen lare ’n defa c'hoant d'ober. — 


Stoke he benn gad ann douar. 


Pider zun a oa tremenet, 


— Petra rinn ken da jomm ama? 7 x C 
Ne oa ket c'hoat er ger digouct; 


Me ia da glask eunn tamm harn. — 
Oa ket heL er ser lann Marek; 


ag e lare, henn gad ann hent, L 
Kea a zeuez de Nedelck. 


"Vont d'er ger lare tre he zent : 
De Nedelek, d'ann aberde, 


— Ar sistr dous-ze a oa ker mad! S x < 
Teuez d’ann ti potred Saut-Vode. 


Mem befe cvet dek poudad! 





— lec’hed-mad d'hoc'h. tud ann ti-ma 
II Peuz lien da werzo dre-ma? 
— Ne ket digouct ho tad er ger? — Neuz tamm mui da werzo ama; 


— Ne ket disouet; oet da Gemper; Gwerzet ma het er blavez-ma, — 


388 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Et ils sortirent de la chaumière, et s’en revinrent en folà- 
trant. 

Arrivés à l'entrée du bois : 

— Regarde donc! des traces de lièvre parmi la neige! 


— Ce ne sont point les traces d’un lièvre; les traces d'un 
renard, je re dis pas. 


Et ils suivirent les traces : 
— Voici toujours un vieux chapeau! 


Il est blanchi par la gelée; je crois que c’est le chapeau de 
lann Marek. 


—- Est-ce là le chapeau de votre père, Loranz) 
— Le chapeau de mon père? non, vraiment! 


Et ils revinrent au bois tous deux, et ils trouvèrent des 
braies, 


Des braies, plus loin, au milieu du bois, déchirées et ta- 
chées de sang. 


— Ce sont ses braies! c'était son chapeau ! — 
Et Loëiz Pilorsi courait devant. 


(Or, un vieux corbeau croassait, au haut d’un arbre, au coin 
du bois.) 


Et Loëéiz de pousser un cri d’épouvante : 
— Mon Dieu! le voilà! — 


— Tok ma zad ne ma ket, me chans. — 
Hag he d'er c'hoad endro ho daou, 
Ken defant kaet eur bragou ; 

Eur bragou, pelloc’h, kreiz er c'hoad, 
Hag hen roget hag out-han goad. 


Hag he e-mez deuz a Lonch-dall, 
Hay he d’er ger enn eur vragal. 
Pe oant 0 vont e-barz er C'hoad : 


— Sell ‘ta ’touez ann erc'h roudon "r 
[c’had! 


— Boudou "r c'had re-ze ne d- int Ket: 
Roudou louarn ne larann ket. — 


Har he mont da heul er roudao; 
— Chetu aman eunn Lok kouz tao! 
Hag hen gwenn-kann gad er reo; 
Tok lann Marek, a gredann, eo. 

— Na tok ho tad he-man, Lorans? 





— He vragou, re-man, hag he dok! — 
Ha Loeiz Pilorsi lamme rog. 

(Hag eur vran gouz 0 c’hoagat, 

E beg eur weenn, e korn ar c’hoad.) 
Ha Loeiz da ioual spontet-tre : 

— Ma Doue! chetu ma ame! 


UNE BONNE LEÇON, 389 


IT 


lann Marek était couché dans la neige, la face contre 
terre ; 


Ses deux mains jointes sur sa tête; ses cheveux blancs épars 
sur ses Yeux. 


Son ventre et sa poitrine, jusqu'aux creux de son cœur, 
avaient été dévorés par les loups; 
Son front seul avait été respecté, par la vertu du baptême. 


Il y eut un feu allumé dans le bois, pendant toute la nuit; 
sa pauvre vieille femme se tenait auprès, 


Sur ses deux genoux, pleurant: et ses enfants tout autour. 


Ils passèrent la nuit à le garder : le maire de Nizon arriva 
le lendemain matin; 

Et le vieux fossoyeur vint le chercher avec un cheval et une 
bière. 

Et il le porta au cimetière, sans son de cloche et sans 
prêtre, 

Sans son de cloche et sans prêtre, et sans croix, el sans eau 
bénite ; 

Et il le jeta dans le trou froid, le chapeau sur la tête. 





LIT 
Touez ann erc'h e oa lann Marek, 
Hag hen kouet eno war he vek; 
He zaou zorn e pleg ar he henn: 
Ar he zaoulagad he vles gwenn. 
Debret he gouf hag he ziou-vron, 
Gad er vleizi, rez he galon; 
Nemed he dal n’en doa damant,. 
Abalamour d’ar vadiant. 
Tan oa bet er c'hoad pad ann nouz: 
Eos he gicheu he c'hroegik kouz, 


Ar he daoulin, enn eur oelo; 

lag he vugale tro-var -dro. 

Bet oant J'he ziwal hed ann nouz : 
Ha maer Nizon d'ann antronouz; 
Hag ar c'hleuier kouz J'he gerc'het 
Gad eur gazeg hag cunn arched. 
Hag he zigasez d'er vered. 

Heb son kleier na belek ’bed, 

Lel son kleier na helek "hed. 

Hag heb kroaz na dour beuniget; 
Hag hen tolez barz ann toull ien, 
He dok gat-han klok war he benn, 


390 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
Loëiz Gwivar, surnommé le boiteux, a composé ce chant ; 


Ce chant, il l’a composé, en bonne leçon pour chacun. 


NOTES 


Après avoir étudié dans cette rude ballade la manière dont composent 
les poëtes populaires bretons, il sera curieux de rechercher un jour 
quelles altérations aura subies et quels développements aura éprouvés 
l'œuvre du chanteur, en passant de bouche en bouche. Déjà l'histoire 
du malheureux ivrogne est enveloppée de nuages merveilleux. Sa femme 
l’a entendu gémir, au milieu d’une nuit d'orage, à la porte de sa chau- 
mière, Une jeune fille en revenant le 8oir, avec sa vache, l’a vu à tra- 
vers le feuillage, assis sur l'herbe, le dos tourné; de temps en temps, il 
joignait ses deux mains sur sa tête, comme un homme au désespoir, et 
s'écriait d’une voix déchirante : « Mon Dieu! mon Dieu! ayez pitié de 
moi! » Enfin on voit trembler, la nuit, une petite lumière au lieu où 
il est mort. Mais sans doute l'imagination populaire ne se contentera 
pas de cela : elle ajoutera à la ballade des strophes de sa façon; elle 
dira comment le haion et les sabots du mort sont restés au bord du 
champ où il travaillait, et comment les voleurs redoutaient d'y toucher ; 
comment tout le monde craignait de passer près du bois lorsque le solei 
était couché, et comment les propriétaires de ce bois n'osaient plus en 
ratisser les feuilles, de peur de ratisser les os de l’infortuné paysan : 
traits plus ou moins frappants que le chanteur a négligés, n'ayant d'autre 
but que de donner au peuple des campagnes une leçon de morale. 


Loeiz Gwivar, Loeiz-kam lezanvet Savet en deveuz ar werz-man Z 
En deveu ar werz-man savet; Eur gentel vad da bep unan. 


LVI 


LES FLEURS DE MAI 


— DIALECTE DE LA HAUTE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Un poëtique et gracieux usage existe sur la limite de la Cornouaille et 
du pays de Vannes : on sème de fleurs la couche des jeunes filles qui 
meurent au mois de mai. Ces prémices du printemps sont regardées 
comme un présage d’éternel bonheur pour celles qui peuvent en jouir, et 
il n’est pas une jeune malade dont les vœux ne hâtent le retour de la 
saison des fleurs, si les fleurs sont près d’éclore, ou l’instant de sa déli- 
vrance, si elles doivent bientôt se flétrir. 

On chante en Cornouaille une élégie composée sur ce doux et triste 
sujet par deux sœurs paysannes, auteurs d’une Geo qu’on lira plus 
trd, les Hirondelles. 


I 


Qui aurait vu Jeffsur la grève, les yeux brillants et les joues 
roses ; 

Qui aurait vu Jeff au Pardon aurait eu le cœur réjoui. 

Mais qui l'aurait vue sur son lit eût pleuré de pitié pour 
elle ; 

Pour la pauvre fille malade, aussi pâle qu'un lis d'été. 





BLEUNIOU MAE 


— IES KERNE HUEL — 


A deue joa enn he galon. 

Neh he gwele ar he gwele, 
Ncb a wele Jeff ar ann ot, Gant true out hi a oele. 
Drant he lagad. ru he diou chot: Gand true deuz ar plac'hik Kian: 
Neb a wele Jeff er Pardon, Ker gwenn evel eu! lilien han. 


T 


392 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 
Elle disait à ses compagnes assises sur le banc de son lit : 


— Mes compagnes, si vous m’aimez, au nom de Dieu, ne 
pleurez pas; 


Vous savez bien, il faut mourir : Dieu lui-même est mort, 
mort en Croix. — 


Il 


Comme j'allais puiser de l’eau à la fontaine, Le rossignol de 
nuit chantait d’une voix douce : 


— « Voilà le mois de mai qui passe, et les fleurs des haies 
avec lui; 


Heureuses les jeunes personnes qui meurent au printemps! 


Comme la rose quitte la branche du rosier, la jeunesse quitte 
la vie. 


Celles qui mourront avant huit jours, on les couvrira de 
fleurs nouvelles, 


Et, du milieu de ces fleurs, elles s’élèveront vers le ciel, 
comme le passe-vole du calice des roses. — » 


LT 


Jeffik, Jeffik, vous ne savez pas ce que le rossignol a dit : 





Hi lare d'he mignonezed Euruz eo ann Jud iaouank-ze 

War bankig he gwele chouket : Hag a varv enn amzer neve ! 

— Mignonezed. ma em haret, Evel ar rozen deuz ar brank, 

Enn han Doue, na oelet ked ; E tisparti ann dud jaouank; 

C'hui oar a-vad, mervei 20 red : Re ’nhe a ret arog e1z-te, 

Doue war ar groaz en deuz gret. — E vo roet d'he bleuniou neve; 

II Hag int deuz a-greiz, J'ar baroz, 

L ee à Vel bivik-doue, deuz ar roz. — 

P'az iz d'ar feunten da vid dour : 

Ann estik-n0z a gane Hour : III 

— Ma ar miz mae 0 vont e hiou, — Jeffik, Jefik, ne ouzoc'h ked 


Gad ar bleuniou war ar c'hleuniou; Pez en deuz ann estik laret : 


LES FLEURS DE MAI 393 


« Voilà le mois de mai qui passe, et les fleurs des haies avec 
lui. » 


Quand la pauvre fille entendit cela, elle mit ses deux mains 
en Croix : 

— Je vais dire un Ave Maria en votre honneur, dame 
Marie ; 

Pour qu'il plaise à Dieu, votre fils, d’avoir pitié de moi; 


Pour que j'aille, sans tarder, attendre mes compagnes dans 
le paradis. — 


Sa prière était à peine finie, qu'elle pencha la tête; 
Elle pencha la tête et puis ferma les yeux. 


En ce moment, on entendit Le rossignol qui chantait encore 
au courtil : 


« Heureuses les jeunes personnes qui meurent au prin- 
temps! 


n Heureuses les jeunes personnes que l’on couvre de fleurs 
nouvelles! » _ 





NOTES 


Les Bretons Gallois du midi ont conservé, comme ceux de quelques 
cantons de la basse Bretagne, l'usage de semer de fleurs le lit des 
jeunes filles qui meurent dans le mois de mai; cet usage doit donc 
remonter au cercueil des vierges celtiques. Un barde moderne y fait 
allusion : 

« Son lit funèbre, blanc comme la neige de la montagne, fut jonché 


Ma ar miz mae o vont e biou, Oa ked he Ave achuet 
« Gad ar bleuniou war ar c'hleuniou, x Stoui he fenn hi e deuz gret; 
Ar plac'hik dal’ m’ e deuz klevet, Stoui he fenn hi e deuz gret, 
He daouarn e Kroaz ’deuz laket : He daoulagad e deuz sarret. 
— Me laro eunn Ave Maria Neuze oe klevet ann estik, 
Eon ho enor, itron Varia, O kann c'honz el liorzik : 
Ma plijo gad ho mab Doue, « Euruz eo ann dud iaouank-ze 
Da gaout dioun-me true; « Hug a varv enn armzer-reve! 
Ma ’z inn, bremaik, da c’horloz « Euruz eo ann dud iaouank-7e 


Va mignonezed er baroz. — « À ve roet d'he bleuniou nevel » 


39% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


de fleurs suaves : ces témoignages de sincère amour, arrosés de larmes, 
l’accompagnèrent dans la tombe. » 

Chaque année, au retour du printemps, les amies de celle qui & vécu 
ce que vivent les roses lui portent de nouvelles guirlandes. Shakspeare, 
auquel les traditions et les coutumes celtiques fournirent plus d’un vers 
charmant, a enchâssé ce dernier trait, comme un joyau, dans son drame 
sur le Gallois Cymbeline. Arviragus dit à Imogène. 

« Tant que dureront les beaux jours et tant que je vivrai, je viendrai 
fidèle, parfumer ta tombe des plus belles fleurs de l'été : la fleur qui res- 
semble à ce qu'était ton visage, la pâle primevère, ne te manquera pas; ni 
la jacinthe, azurée comme étaient tes veines, ni la feuille de l’églantier 
fleuri, moins embaumé que n’était ta suave haleine. » 

On a rapproché, non sans raison, les Fleurs de mai de la Chute des 
feuilles de Millevoie, et trouvé la fraîche et douce cantilène bretonne 
dans le même ton. Il en naît tous les ans des milliers du même genre, 
et une Jeune couturière de la paroisse de Guidel, où la coutume per- 
siste plus que partout ailleurs, m'a dit avoir entendu chanter au der- 
nier Pardon de Notre-Dame des Fleurs, — celui-là même où Jeff était si 
gaie, — quelque chose de comparable à l’élégie de la pauvre enfant. Par 
malheur, ces ballades modernes sont presque aussi insaisissables que les 
notes du rossignol et le parfum des fleurs nouvelles, 


LVIT 


LE TEMPS PASSÉ 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Les regrets que nourrissent encore les plus énergiques des Bretons 
modernes, principalement parmi le peuple des montagnes, ne se tradui- 
sent plus guère aujourd'hui qu’en rustiques effusions ; l'esprit national 
qui portait les pères à la révolte ne fait plus insurger les fils, mais 
1l les maintient dans une sorte d'opposition contre le présent. Il ne s’est 
pas encore allié chez les paysans, comme chez les Bretons des classes 
supérieures, aux idées larges et élevées qu'ont partout éveillées les pro- 
crès de la haute civilisation. Le flambeau de ces idées n’éclaire pas 
encore d'un jour vrai, pour les montagnards. les ruines d’un passé 
qu'ils apprécient moins bien que leurs compatriotes instruits, en les 
aimant autant : gràce aux bienfaits d’une instruction donnée avec intel- 
ligence, discernement et patriotisme, et adaptée à leur idiome, à leurs 
croyances, à leurs mœurs, ils pourront bientôt allier eux-mêmes les 
lumières aux sentiments. En attendant cette union désirable, ils con- 
servent une partie des idées nationales de leurs ancêtres, moins toutefois 
l'espoir de les réaliser. Les hommes qui ont assez vécu pour assister aux 
dernières luttes des libertés bretonnes contre l'autorité royale ; ceux qui 
ont défendu leurs autels et leur foyer contre la tyrannie révolutionnaire ; 
ceux qui ont résisté au despotisme impérial; ceux dont les ministres de 
la Restauration ont payé les sacrifices par l’ingratitude, et la fidélité par 
la défiance, en arrachant de leurs mains des armes rougies d’un sang 
versé pour la royauté : toute cette masse de mécontents, trompée dans 
ses espérances, et qu'impatiente le joug nouveau de la loi générale, 
entretient dans le cœur du paysan des montagnes, par les récits tradi- 
tionnels, par les conversations journalières et par les chants nationaux, 
le vieil esprit patriotique. 

J'ai eu occasion de voir moi-même, dans ma jeunesse, quel enthou- 
siasme donne au peuple, comme le remarque un ancien auteur, le sou- 
venir de l'indépendance primitive. 

C'était la veille de la fête de Notre-Dame du Porzou, si vénérée dans 
les Montagnes Noires. Plusieurs des pèlerins, accourus à grandes jour- 
nées de toutes les parties de la basse Bretagne, se trouvaient réunis, à 
table, dans une métairie, au fond de la vallée, où ils devaient passer la 
nuit. J'y fus conduit par un jeune paysan de mes amis, neveu des mé- 
tayers. La conversation roulait sur le temps passé, la dureté des impôts, 
la misère présente, et elle était fort animée. 


396 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Le souper fini, les pèlerins quittèrent la table; douze d’entre eux sor- 
tirent, et, passant la rivière, ils gravirent la montagne opposée, au som- 
met de laquelle s'élève la chapelle patronale, et allèrent danser aux 
chansons, suivant la coutume, sur le tertre, jusqu’à la nuit. Le lieu et 
l'heure eussent été choisis à dessein qu'ils n'auraient pas mieux convenu 
aux sentiments sous l'impression desquels les avait laissés leur conver- 
sation. Derrière eux, la chapelle aux murailles blanches, avec son cime- 
tière sombre, ses tombes au milieu des herbes, ses mille petites croix 
en bois noir, ses grands ormeaux pleins de mystère et d'ombre, son reli- 
quaire isolé, aux ogives festonnées de lierre, dont les vertes draperies, 
légèrement soulevées par le vent, laissaient entrevoir les os vénérés des 
ancêtres ; au fond de la vallée, le pont, au parapet duquel s’adossaient 
des mendiants assis dans la poussière, étalant à l'œil des passants leurs 
plaies, ou leurs membres difformes; la rivière, comme eux, plaintive, 
baignant d’un côté la montagne, de l'autre des prairies bordées d'un 
sentier serpentant, comme un long ruban de satin jaune, au milieu du 
gazon; au loin, pieds nus, le laton à la main, dans les costumes les 
plus variés de couleur et de forme, des pèlerins harassés de fatigue, se 
découvrant le front et s’agenouillant aussitôt qu'ils voyaient les murs 
blancs de la sainte chapelle apparaître à travers les arbres ; pour horizon 
enfin, la chaine arrondie des Montagnes Noires, dont le soleil couchant 
dorait le pic le plus élevé, couronné de bois sombres, en colorant au loin, 
de ses derniers rayons, les eaux fuyantes de la rivière. 

Ce soleil près de disparaître, image d’un autre soleil disparu ; cette terre 
sacrée qu'ils foulaient, ces tombes des aïeux morts le fer à la main, cette 
nature triste et sublime parlait-elle au cœur des montagnards, ou leur 
émotion venait-elle seulement de la conversation animée à laquelle ils 
avaient pris part? Je ne sais, mais elle était forte; et, comme toutes 
les grandes passions des races primitives, elle se traduisit instinctive- 
ment en une de ces chansons de danse improvisée, véritables ballades, 
malheureusement trop rares aujourd’hui. 

Un maitre meunier, qu'on me dit être le plus célèbre chanteur de noces 
des montagnes, menait le branle et la chanson; pour collaborateurs, il 
avait le premier valet de son moulin, sept laboureurs, et trois pillaouer 
ou chiffonniers ambulants. Sa méthode de composition me donna une idée 
exacte de celle des improvisateurs bretons. Le premier vers de chaque 
distique de la ballade une fois trouvé, il le répétait à plusieurs reprises ; 
ses compagnons, le répétant de même, lui laissaient le temps de trouver 
le second, qu'ils reprenaient pareillement après lui. Quand un distique 
était achevé, il commençait généralement le suivant par les derniers 
mots, souvent par le dernier vers de ce distique, de manière que les 
couplets s’engrenaient les uns dans les autres. La voix ou l'inspiration 
venant à manquer au principal chanteur, son voisin de droite poursui- 
vait ; à celui-ci succédait le troisième; puis le quatrième continuait, et 
tous les autres ainsi de suite, à tour de rôle, jusqu’au premier, auquel la 
chaîne recommençait. 

Comparant les Bretons trompés dans leurs espérances à un père de- 
venu fou qui berce en chantant son enfant mort depuis longtemps, le 
maître meunier des montagnes débuta de la sorte : 


LE TEMPS PASSÉ. 597 


PREMIER MEUNIER. 
Bretons, faisons une chanson sur les hommes de la basse 
Pretagne. 


— Venez entendre, entendre, Ô peuple; venez entendre 
entendre chanter. — 


Les hommes de la basse Bretagne ont fait un joli berceau, 
un berceau finement travaillé; 
Venez entendre, etc. 


Un beau berceau d'ivoire, orné de clous d’or et d'argent, 

De clous d’or et d'argent orné, et ils le balancent mainte- 
nant le cœur triste; 

Maintenant, en le balançant, les larmes coulent de leurs yeux; 


Les larmes coulent, des larmes amères : celui qui est de- 
dans est mort! 

Il est mort, mort depuis longtemps; et ils le bercent tou- 
jours en chantant. 

Et ils le bercent, ils le bercent toujours, car ils ont perdu la 
raison. 

La raison, ils l'ont perdue; ils ont perdu les joies du 
monde. 


ANN AMZER DREMENET 


MES KR ERINIES = 





KENTA MELINER. À luskellont gand nec'h hreman, 
Bretoned, savomp eur gentel Ha hreman, oc'h he luskellat, 
Diwarbenn potred Breiz-izel. Daelou ver euz ho daoulagad. 
—Deut da glevet, da glevet, gwitibunan; | Daelou a ver, daclou c'houero : 
Deut da glevet, da glevet ar c'han, — Neb a zo enn han zo maro! 
Potred Breiz-ize] ho deuz gret Zo maro, zo maro pell-z0, 
Eur c'havel koant hag hen treset. Hag hi luskel, 0 kana ‘to, 
— Deut da glevet, etc. Har hi Juskel, luskel ato, 
Eur c'havel kaer karn olifant, Kollet ar skiand-vad gant-ho. 
War-n-han tachou aour haz arc'hant. Ar skiand-vad ho deuz kollet: 
Tachou aour hag arc'hant war-n-han, Kollet ho deuz joaiou ar bed, 


598 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


Le monde n’a plus pour les Bretons que regrets et peines 
de cœur; 


Que regrets et peines d'esprit lorsqu'ils pensent au temps 
passé. 
SECOND MEUNIER. 


Dans le vieux temps on ne voyait pas se promener ici cer- 
tains oiseaux ; 


Certains oiseaux verts du fisc!; la tête haute, la bouche 
grande ouverte. 


Le pays ne devait d'impôt, ni pour le sel, ni pour le 
tabac. 


Sel et tabac coûtent bien cher, ils coûtaient moitié moins 
jadis. 

Jadis on ne voyait point sur la place les maltôtiers ac- 
courir, 

Accourir, comme des mouches, à l'odeur du cidre aux bar- 
riques. 


Toute barrique paye aujourd'hui l'impôt, hormis celle 
des ménétriers?, 1 


PREMIER PILLAOUER. 


On n’envoyait pas autrefois nos jeunes gens dans 165 pays 
étrangers ; 


N'euz er bed evid ar Breton Putun hac hoalen a cost Ker 
Le] o U 
Nemed nec'h ha poaniou kalon: Na gouste, gwechall, ann hanter. 
Nemed nec'h ha poaniou spered Gwechall na welec'h d’ann dachen 
D P 
Pa zonj d'ann amzer dremenet, 0 redeg ar valtoterien; 
J D U 
EIL MELINER. 0 redeg, evel ar c'helien, 
& | T - 2 107 BO É 
Enn amzer goz, na welec'h ket, Uuc'h c'houcz ar zist d T varriken. 
U vale Jreman laboused; Gwir a Z0 war bep barriken, 
Koz-laboused c'hlaz ar gwiriou 1 Med war hini ar zonerien. 
Sonn ho fenn ha braz ho c'henon. KENTA PILLAOUEKI, 
Ne oaer vro gwiriou nikun, Na gasec'h ked, amzer gwechall. 
Na war hoalen, na war vutun. Jon tud jaouank d'ar broiou-all, 


4 Les agents du fisc, dont l'uniforme est vert. 
2 Les ménétriers bretons ont pour siéges des barriques vides. 


LE TEMPS PASSÉ. 599 


Dans les pays étrangers — entendez-le! — pour mourir, 
hélas! loin de la basse Bretagne. 


PREMIER LABOUREUR. 


En basce Bretagne, dans les manoirs. il y avait des hommes 
de bien qui soutenaient le pays; 


Maintenant on y voit assis, au haut bout de la table, l’an- 
cien gardeur de vaches du manoir. 


Au manoir, quand venait un pauvre, on ne le laissait pas 
longtemps à la porte; 


La bonne dame allant au grand coffre, lui versait de la fa- 
rine d'avoine plein sa besace ; 


Elle donnait du pain à ceux qui avaient faim, et des remèdes 
à ceux qui étaient malades. 


Pain et remèdes aujourd'hui manquent; les pauvres s’éloï 
gnent du manoir ; 


Tête basse, s'éloignent les pauvres, par la peur du chien 
qui est à la porte; 


Par la peur du chien qui s'élance sur les paysans comme 
sur leurs mères. 
SECOND LABOUREUR. 


L'année où ma mère devint veuve, fut pour ma mère une 
mauvaise année. 





D'ar broiou-all, — ho! — da vervel; Poed a rea d'ann neh en doa naon 
x a L 
Pell, siouaz! euz a Vreiz-izel! Ia louzou d'ann ncl a oa klaon, 
KENTA LABOURER. Boet na louzou mui na roer, 


E Proiz-izel er maneriou Re baour a dec'h ouz ar maner; 


Oa tud vad 0 difenn ar vrou; Penn-izel, a dec'h ann dud paour, 


< He S 
Brema, penn-ann-dol, e weler, Gand aoun ar c'h e toull ann nour: 


Neb a vire saoul ar maner, Gand aoun ar c'hi pint a lamm 


,, dl c cc 
Er maner, pi oa Yn den paour, Gand ar c'houer ha gand he vamm. 


N'hel loskec'h ket pell toull ann nour: EIL LABOURER. 
Ann itron vad, u vout d'ann arc'h, Ar bloaz oe ma marmm intanvez, 
Diskarge bleud kere'h leiz he zarc'h; oe d'am mamm eur gwall vloavez. 


300 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


Elle avait neuf enfants, et n'avait pas de pain à leur 
donner. 


Celui qui a, celui-là donnera; je vais le trouver, dit-elle; 


Je vais trouver l'étranger : que Dieu le garde en bonne 
santé ! 


— Bonne santé à vous, maître de ce manoir, je suis venue 
ici pour savoir une chose ; 


Pour savoir si vous auriez la bonté de donner du pain à mes 
enfants, 


Du pain à mes neuf petits enfants, monsieur, qui n’ont pas 
mangé depuis trois jours. — 

L’étranger répondit à ma pauvre mère quand il entendit : 

— Va-ien du seuil de ma porte, ou je lache sur toi 
mon chien. — 

Le chien lui fit peur, elle sortit et s’en allait pleurant le 
long du grand chemin. 


La pauvre veuve pleurait: — Que donnerai-je à mes en- 
fants? 


A mes enfants que donnerai-je, quand ils me diront: « Mère, 
j'ai faim! » 


Elle ne voyait pas bien son chemin, tant elle avait de larmes 
dans les yeux. | 





Dez e doa nao a vugale, 
Ha n'e doa bara da ret J'he. 


Ann neb en deuz hennez a rei, 
Mont a rann d'he gavout, emei; 
Da gavout ann den divroet : 
Doue r'hen dalc'ho e iec'hed! 


— lec'hed d'hoc’h, otrou ann ti-ma, 
Deut onn aman da c'hout eunn dra: 


Da c'hout hag hen d'hoc’h a blijfe 
het cunn tamm hoed J'an bugale: 


Doel d'am na0 a vugaligou 
N'euz-int het, tri dez-z0o, otrou. — 


Ann divroad a respontaz 

D'am mamm baour Kent ba m'he c’hle- 
[vaz : 

— Kers alese, deuz treuz va zi, 

Pe me losko war-n-out va c’hi. — 

Gand aoun ar c'hi, kuit a eaz, 

0 c’hoela a-hed ann hent hraz. 

Ann intanvez baour a oele : 

— Petra roinn-me d'am bugale? 

D'am bugale petra roinn-me 

Palerint: « mamm, naoun am euz-me !» 

Na wele ked he hent ervad, 

Gand ann daelou cnn he lagad. 


LE TEMPS PASSE. 401 


A mi-chemin de chez elle, elle rencontra le seigneur comte; 

Le seigneur comte du manoir de Pratuloh, allant chasser la 
biche au bois du Loh: 

Allant au bois du Loh chasser la biche, monté sur son che- 
val bai. 

— Ma bonne chère femme, dites-moi, pourquoi donc, pour- 
quoi pleurez-vous ? 

— Je pleure à cause de mes enfants, je n'ai pas de pain à 
leur donner. 

— Ma petite femme, ne pleurez pas; voici de l'argent, 
allez en acheter. — 

Que Dieu bénisse le seigneur comte! Voilà des hommes, sur 
ma parole! 

Quand je devrais aller à la mort, j'irai pour lui, quandil 
voudra. 

TROISIÈME LABOUREUR. 

Voilà des hommes qui ont bon cœur : ceux-là écoutent les 

gens de toute condition; 


Geux-là écoutent les gens de toute condition; ceux-là sont 
bons pour tout le monde. 


QUATRIÈME LABOUREUR. 


Ceux-là sont bons pour les malheureux laboureurs: ce n’est 
pas eux qui les chasseraient ; 


Enn hanter-hent pa oe digouet, Bennoz Doue d'ann otrou kont) 
Ann otron Kont e deuz kavet; Seurt-se à zo tud, me respont) 
Otrou Kont maner Pratuloc’h, Pa ve red d'in mont d'ar maro, 
O vont da heizal da Goatloc’h; Me iei evit-han, pa garo. 

U vont da Goatloc’h da heza), TRIDE LABOURER, 
ag heu pignet war he varc'h geal. Seurt-se 20 tud a galon-vad, 

— Va c'hregik vad, d'in leveret, Pere a glev ouz a peb stad: 
Perak ’ta, perag a oelet? Pere a glev ouz a bep stad, 

— Goela rann war ma bugale, Pere d'ann holl dud a zo mad, 


N'am euz ket hara da roi d'he. — PEVARE LADOURER 
— Va chregik, ne ket red goela; Zo mad d'al lahourerien gez, 
Dalit argant ; it da brena, — Ha n'ho lakafe ked e mez; 


26 


402 CHANTS POPULAIRES DE LA RRETAGNE, 


Qui les chasseraient comme les nouveaux maîtres, pour 
accroitre leur fortune; 
Leur fortune ; sans penser que celui qui l’accroît de la sorte, 
la diminue certainement pour l’autre monde. 
CINQUIÈME LABOUREUR. 
Ce ne sont pas ceux-là qui font vendre le lit d’un fermier 
avec ses meubles. 
SECOND PILLAOUER. 
Ce ne sont pas ceux-là qui font payer deux écus d'amende à 
une femme qui cherche son pain; 
Deux écus pour ce que sa vache a mangé d'herbe dans lc 
lieu où sa bête a toujours pâturé. 
TROISIÈME PILLAOUER. 
Ce ne sont pas ceux-là qui défendent de chasser ; quand ils 
vont au bois ils mandent tout le monde. 
‘ SIXIÈME LABOUREUR. 
Ce ne sont pas ceux-là qui nieraient ce qu’ils doivent; leur 
parole vaut un contrat. 
Ge ne sont pas ceux-là qui sont malades de ladrerie; ce sont 
les nouveaux gentilshommes. 
SEPTIÈME LABOUREUR. 


Les gentilshommes nouveaux sont durs; les anciens étaient 
meilleurs maitres. 


L mez vel ar vistri neve, 

Gand c'hoant da griski ho leve; 
Ho leve; heb sonjal neb ra, 
Er bed all, zur, he nebeuta. 


TRIDE PILLAOUER, 


Ne ked seurt-se ’zifenn sersal; 
Pa eont d'ar c'hoad. hi c’halv re all, 


, 
PEMVED LABOURER. C HOUERVED LABOURER. 


Nez ked seurt-se lak da werza Ne ked seurt-se nac’hfe eunn dle; 
Gwele eur merour gand he dra, Eur skrid, avad, a dall ho le. 
N'int-ho ked kian gand al lorgnez; 


EIL PILLAOUER. 9 À 
Nemed ann dud entil ncvez. 


Ne ked seurt-se a lak pea 

Daou skoed d'eur c'hreg o klask hara ; SEIZVED LABOURER. 
Daou skoed evid pez a buraz Ann dudjentil novez 20 Kri: 
He bioc'h lec'h eaz a-holl-viskoaz. Gwell a oa re goz da vistri. 


LE TEMPS PASSE, 403 


Les anciens, s’ils ont la tête chaude, aiment les paysans de 
tout leur cœur. 


Mais les anciens, malheureusement pour le monde! ne sont 
plus aussi nombreux qu'ils l'ont été. 


Plus nombreux sont les mangeurs, que les hommes bons 
pour les pauvres. 
TROISIÈME PILLAOUER. 
Les pauvres seront toujours pauvres; ceux des villes les 
mangeront toujours. 
PREMIER MEUNIER, 


Toujours! pourtant on avait dit : « La plus mauvaise terre 
rapportera le meilleur blèt; 


« Le meilleur blé, quand reviendront les vieux rois, pour 
gouverner le pays. » 


Les vieux rois sont revenus, le vieux temps ne l’est pas. 


Le vieux temps ne reviendra plus; on nous a trompés, 
malheureux ! 


Malheureux, on nous a trompés! Le blé est mauvais dans la 
terre mauvaise. 


De mal en pis va le monde; il devient de plus en plus dur; 
celui qui ne voit pas cela est fou. 


Re goz, evit-ho da vout ter, « Falla douar ar gwella ed; 

A gar, a galon, ar c’houer. « Ar gwella cd, pa deut endro 

Hogen re goz, siouaz d'ar bed! « Ar roueou goz, da rena Tr vro, » 

N'int Ket mut Ker stank ha ma int bet. | Ar roueou goz 20 distract, 

Stankoc'h e gaver debrerien Aun amzer goz ne deuz ket gret. 

x U ni > 

Evid ann dud mad d’ar beorien. Ann amzer goz na deui ket mui; 
TRIDE PILLAOUER. Trubardet omp, siouaz d’e-omp-uni | 

Ar beorien a vo paour ato, Siouaz d'e-omp! trubardet omp bet! 

Ha re ker ato ho debro. Enn douar fall, "ma fall ann ed. 
KENTA MELINER. Gwas-oc'h-gwas, kriz-oc’h-kriz ar bed 

Ato! koulskoude oe laret. Diskiant eo neb n'her gwel ket. 


4Prédiction de Gwenc'hlan, voir plus haut, p, 2, 


404 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 

Il est fou celui qui a cru que les corbeaux deviendraient 
colombes ; 

Qui a cru que la fleur du lis sortira jamais de la racine de 
la fougère; 

Qui a cru que l'or brillant tombe du haut des arbres !. 

Du haut des arbres il ne tombe rien que des feuilles sèches; 

Il ne tombe que des feuilles sèches qui font place à des 
feuilles nouvelles; 

Que des feuilles jaunes comme l'or, pour faire le lit des 
pauvres gens. 

Chers pauvres, consolez-vous, vous aurez un jour des lits 
de plume; 

Vous aurez, au lieu de lits de branches, des lits d'ivoire 
dans l’autre monde. 

SECOND MEUNIER. 

Ce chant a été composé la veille de la fête de la Vierge, 
après souper. 

Il a été composé par douze Far dansant sur le tertre 
de la chapelle : 

Trois font métier de chercher des chiffons, sept sèment le 
seigle, deux le moulent menu. 

— Et voilà faite, voilà faite, 0 peuple; et voilà faite, voilà 
faite la chanson. — 





Diskiant nch eaz da gredi 
E teui da c'houlmed ar brini; 


Da gredi e vleunio hikcn 
Liliou war gouriou raden; 


Neb a eaz da gredi a goue, 


Ann «our melen dcuz beg ar gwe. 


Deuz beg ar gwo na goue netra, 
Nemed ann deliou scc'h na ra; 


Nemed ann deliou sec’h na goue, 
Da ober lcc'h d’ar re neve. 


Nemed ann deliou melen aour, 
Da oher gwele d’ann dud paour. 


En em gonfortet, peorien geiz, 


4 Merlin, voir plus haut, p. 74. 





Gweleou plun ho po eunn deiz; 
C'houi po, elec'h gwele gwial, 
Gwele olifant er bed-all. 

EIL MELINER. 
Save! eo bet ar gentel-man 
Da c'houel Maria, soude koan; 
Savet 60 het gand daouzek den, 
Enn eur zansal war ann dachen : 
Tri glask pillou, seiz had segal, 
He vala Hour a ra ‘nn daou all. 
— Ha setu gret, setu gret, gwilibunan; 
Ua sctu pret, setu gret ar C'han — 


LE TEMPS PASSÉ. 405 


NOTES 


Ainsi chantaient les montagnards, se tenant par la main, et décrivant 
perpétuellement un demi-cerele de gauche à droite et de droite à gauche, 
en élevant et baïissant à la fois leurs bras en cadence, et sautant à la 
ritournelle. x 

J'ai déjà fait observer dans l'introduction de ce recueil que la plupart 
des chants populaires se composent de cette manière, en collaboration. 
Une conversation a ému les esprits; quelqu'un dit: « Faisons une 
chanson! » et l'on se met à l'œuvre. Le tissu, résultat de l’impres- 
sion de tous, a naturellement de l'unité, mais il est varié : chacun y 
brode sa fleur, selon sa fantaisie, son humeur et sa profession. Ces 
nuances de caractère se distinguent facilement dans la pièce qu'on vient 
de lire, une des plus caractéristiques de la poésie bretonne moderne, a- 
t-on dit avec beaucoup de justesse, où les tristesses populaires serévèlent 
d’une manière tantôt sublime et tantôt naïve, mais toujours frappante f. 

Le pillaouer, qui court le monde sur sa méchante haquenée, sait 
combien est amer le pain de l'étranger, et il accuse la loi d'envoyer 
les enfants des montagnes mourir loin du pays natal. Il fréquente 
les villes; il va y vendre ses chiffons ; il sait ce qu’ils lui ont coûté de 
peines à recueillir et combien on les lui a payés ; etil accuse les bourgeois. 
LIL a oui dire en voyageant qu’un spéculateur étranger, Anglais ou Alle- 
mand, attiré dans les Montagnes Noires par l’appât des terres en friche, 
a fait verbaliser sans pitié contre la vache du pauvre, errante au milieu 
des bruvères, ou contre le chien du paysan à la poursuite d’un sanglier 
qui dévastait les champs des laboureurs voisins; et il accuse encore. 

Le domanier, chassé de l'héritage de ses pères, dont il se croyait pro- 
priétaire incommutable parce qu’il le possède de temps immémorial, et 
que les anciens chefs de clan ne songeaient pas à Uen bannir; celui qu'on 
va en expulser, ou qui a vu le nouveau maitre venir, la loi française en 
main, ordonner de sortir à un de ses parents; le fermier ruiné, au terme 
du payement, par son propriétaire, auquel les traditions de la famille et 
du pays n’ont pas encore appris la maxime bretonne : « Qui n’est que 
juste est dur; » le fils au cœur reconnaissant de la veuve brutalisée par 
l'impitoyable acquéreur ; le garçon meunier, homme positif et rieur, qui 
ne regrette le vieux temps que parce qu’on avait alors le sel, Le tabac et 
le cidre à meilleur marché, qui prend toute chose par la pointe, nargue 
les oiseaux verts, se moque des maltôtiers, et vient, fidèle à son métieret 
à son caractère, terminer la pièce par un compte; enfin le maître meu- 
nier, ce choréographe rustique, si supérieur de toute manière à ses com- 
pagnons, lui aussi regrettant avec eux le passé, avec eux pleurant sur ie 
présent, mais plein d’une résignation sublime et mettant son espoir 
ailleurs : — tous ces gens victimes de la légalité qui tue, maudissent et 
bénissent tour à tour la main blanche ouverte ou fermée. 

Un jour viendra, sans doute, où les esprits se calmeront. Alors la loi 
sera moins rigoureuse, l'homme des villes moins exigeant, l'étranger 


4 Les Celtes au XIX° siècle, par M. Cn. de Gaulle, p. 20. Paris, Aubry, ëd., 1865, 


406 CIIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


naturalisé moins dur, l'habitant des campagnes lui-même plus pénétré 
du sentiment de ses devoirs. Tout cœur qui bat pour son pays doit sou= 
hater cet heureux progrès. Le temps seul pourra le réaliser compléte- 
ment, mais il est du devoir de l’homme de lui venir en aide. Des efforts 
généreux, couronnés du succès, ont déjà été tentés. Les anciens proprié- 
taires du sol se sont crus obligés de donner l'exemple. Un d'eux, celui-là 
même dont la chanson qu'on vient de lire fait un si juste éloge, arrêta 
par son influence une sédition moins légitime dans ses motifs, mais qui 
aurait pu devenir aussi déplorable dans ses suites que celle dont l’ex- 
plosion ensanglanta, il y a quatre siècles, la paroisse de Plouyé 1. Cette 
anecdote est curieuse, même au point de vue de l’histoire; on me per- 
mettra de la citer. 

Comme au quinzième siècle, un habitant des villes, voulant exercer son 
droit de congément, éprouva la résistance la plus vive de la part de ses 
domaniers. 

Le jour où l’expropriation devait avoir lieu, le comte du Laz, se pro- 
menant de grand matin dans la campagne, vit passer au bout de ses 
avenues cinq ou six cents paysans des montagnes, armés de leurs bâtons 
noueux. 

— Et où allez-vous donc ainsi, mes amis, à cette heure? leur demanda- 
t-il en les abordant. 

— Comment, vous ne le savez pas? répondit le chef de la bande; mais 
c'est par vos ordres que nous sommes sur pied! 

— Par mes ordres! Que voulez-vous dire ? 

— Oui, monsieur le comte, par vos ordres! nous nous rendons au bourg 
de Spezet; on y va sonner le tocsin pour appeler tous les hommes du 
pays, et mettre à la raison le notaire Déjars, qui a juré, comme vous savez, 
la ruine de ses domaniers. 

— Ah! je comprends! dit M. du Laz, aussi étonné de l’audace avec 
laquelle on avait abusé de l'autorité de son nom que surpris du profond 
mystère dont les paysans, qui, d'ordinaire, n'avaient pas de secrets pour 
lui, avaient enveloppé leur projet. 

— Mes amis, continua-t-il, vous êtes toujours disposés à m'obéir, 
n'est-il pas vrai? 

— Toujours ! crièrent avec force les montagnards. 

— Vous savez que je ne vous veux que du bien? 

— Nous le savons. 

— Hé bien, retournez tous tranquillement chez vous, jusqu’à nouvel 
ordre de moi. — 

Puis prenant à part deux des chefs de la bande : 

— Toi, dit-il au premier, va trouver l’adjoint; qu’il se mette en plan- 
ton au passage du gué, et qu'il arrête tous les montagnards qui vont Y 
arriver pour se rendre à Spezet... Et toi, poursuivit-il en s'adressant à 
l'autre, cours vite donner ordre au bedeau de cacher la clef du clocher, 
afin que personne n’y monte et qu’on ne sonne pas le tocsin. — 

Chacun se hata d'obéir. 

Cepen ant les paysans les plus voisins du bourg y étaient déjà rendus 
au nombre d’une centaine, attendant impatiemment le signal du tocsin 


4 V. plus haut, p. 251. 


LE TEMPS PASSÉE. 407 


et l’arrivée de leurs camarades. Mais le tocsin ne sonnait pas; le bedeau 
avait disparu avec la clef de la tour, et aucun des chefs du complot 


warrivait. Tout à coup d’affreux hurlements s’élevèrent du milieu de la 
foule : le notaire, son fils et les hommes de loi paraissaient à l’entrée 
du bourg, escortés par une brigade de gendarmerie à cheval, le sabre 
au poing. Dans le tumulte général, une femme du peuple, qui demande 
aujourd’hui l’'aumône, s’avançant au-devant de M. Déjars, lui présenta sa 
tabatière ouverte. Soit prudence, soit déférence, le notaire n’osa la re- 
pousser. Alors, montrant du doigt la douve du chemin : « Aussi vrai, 
s'écria la paysanne, que tu mets la main dans la tabatière d’une Bre- 
tonne, si tu chasses ton domanier de la maison de sa mère, tes os blan- 
chiront au fond de cette douve jusqu’au jour du dernier jugement! » 
Comme la menace n’ébranlait pas le notaire, les paysans voulurent le 
vaincre par la pitié : une seconde femme en haillons, décoiffée, les che- 
veux épars, suivie de quatre petits enfants à demi nus, vint se jeter à ses 
genoux, criant miséricorde. Mais il demeura impassible; et les gen- 
darmes, qui avançaient toujours, allaient fouler aux pieds de leurs che- 
vaux les enfants et la mère, quand les montagnards, indignés, poussant 
un nouveau cri de fureur, et en agitant dans l’air leurs terribles penn- 
baz, se ruèrent sur eux avec rage. En vain les agents de l'autorité 
voulurent résister; leurs chevaux s’emportèrent, leurs sabres furent 
brisés, eux-mêmes démontés et repoussés, les hommes de loi mis en 
fuite, et le notaire emmené prisonnier avec son fils dans une maison 
voisine, où on le força de signer sur l'heure une renonciation à son projet 
de congément. Il jugea prudent de céder à la violence, et la foule se 
dissipa, satisfaite et calmée. 

Le soir, quelques-uns des paysans qui revenaient du bourg se rendirent 
au château. 

— Hé bien, tout est fini, dirent-ils triomphants 
avons gagné la partie : nous avons bien su le forcer 
signé, son fils aussi. Voilà le contrat! — 

Pour toute réponse, M. du Laz alla prendre le Code civil, et leur 
traduisit en breton l’article 1113 de la loi: La violence est une cause de 
nullité de contrat. 

Les montagnards restèrent confondus, et prièrent le bon gentilhomme 
d’intercéder pour eux auprés de la justice. 

— J'essayerai, leur répondit-il; mais le cas est grave : vons êtes cou- 
pables, et méritez d’être punis. — 

Quatre des principaux chefs du complot furent en effet mis en prison 
pour faire comprendre la loi; les autres furent acquittés 

Quelques mois après, M. du Laz, étant allé à la ville un jour de marché, 
vit venir à lui un vieillard dont la belle tète blanche et l'air vénérable 
inspiraient le respect. 

— Je n’ai pas l'honneur d’être connu de vous, lui dit le vieillard en le 
saluant ; cependant j'ai une dette sacrée qu'il me tardait de vous payer : 
je vous dois la conservation de ma fortune et peut-être la vie, sans votre 
ingénieuse et puissante intervention, j'étais ruiné ou tué par mes doma- 
niers. Je suisle notaire Déjars. 

— Je n'ai fait que mon devoir, monsieur, répondit simplement le 


M. du Laz; nous 


à 
à se désister : il a 


408 CHANTS P OPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


comte du Laz : il m'’obligeait à défendre la propriété et les proprié- 
aires. — 

Puisse une aussi belle conduite trouver beaucoup d’imitateurs! 

Le temps, en fiançant la Bretagne à la France, a fait perdre aux aînés 
des fils de l’Armorique le noble privilége de verser leur sang pour leur 
pays natal; mais il leur reste encore un beau rôle à remplir : qu'ils sou- 
tiennent, en les éclairant, leurs frères des classes populaires; qu'ils les 
rendent meilleurs en les rendant heureux. 

Si les révolutions les ont dépouillés de quelques vains titres, ils en 
acquerront de réels à l'estime des honnêtes gens. 


DEUXIÈME PARTIE 


CHANTS DE FÊTES 


CHANTS D'AMOUR 





LES CHANTS DES NOCES 


ARGUMENT 


C’est, en général, un tailleur qui est le bazvalan, ou messager d'amour 
du jeune homme, près des parents de la jeune fille; il a souvent pour ca- 
ducée, dans l'exercice de ses fonctions, une branche de genêt fleuri, sym- 
bole d'amour et d'union: de là vient le nom qu’on lui donne, Tout 
bazvalan doit allier à une grande éloquence un fonds de bonne humeur 
et d'inépuisable gaieté. Il doit savoir l’histoire de la famille de son 
client de manière à pouvoir citer, au besoin, quelques traits honora- 
bles. lL doit pouvoir dire combien ses étables contiennent de chevaux, 
ses pâturages de bêtes à cornes, ses greniers et ses granges de boisseaux 
de blé; il doit savoir l’art de mettre en relief ses moindres avantages 
personnels, et avoir des réponses toutes prêtes à opposer aux objections 
qu'on pourra lui faire. 11 possédait chez les anciens Bretons un caractère 
si respectable, qu’il passait sans danger d’un camp dans un autre au 
moyen de sa baguette fleurie; la science de mener à bien une ambassade 
d'amour était même alors tellement appréciée, qu’on la regardait comme 
indispensable à un jeune homme bien clevé". 

Lorsque le bazvalan se présente quelque part, et qu’il souhaite le bon- 
jour du seuil de la porte, si on tarde à le faire entrer, si les tisons se 
trouvent debout dans la cheminée lorsqu'il paraît, ou si la maîtresse du 
logis, prenant avec lenteur une crêpe, l'approche du feu du bout des 
doigts en lui tournant le dos, c’est d’un mauvais augure, et il n’a qu’à 
s’en retourner. Il doit également revenir sur ses pas s'il rencontre en 
chemin une pie ou un corbeau. Mais si quelque tourterelle a roucoulé 
dans le taillis, à son passage; si, lorsqu'il arrive, avant qu’il ait fini de 
parler, on lui crie joyeusemsnt : Entrez! si chacun lui fait fête; si l’on 
s’empresse de couvrir, en son honneur, la table de la nappe blanche des 
grands jours, tout va bien. 

Après s'être assis un moment, il adresse à voix basse quelques paroles à 
la mère, qui sort pour délibérer avec lui; puis elle revient exposer les 
choses à sa fille déjà prévenue, et l’accord est fait. 

Dans un mois auront lieu les noces; en attendant, les marchands ne 
cessent de vendre aux prétendus, les tailleurs de coudre dans les granges, 
les menuisiers de raboter dans l'aire, les laveuses de blanchir le linge, 
les servantes de cirer les Lits, les tables, les armoires, et de fourbir les 
vases de cuivre, de manière à les faire briller comme de l'or. 

Quand les garçons et filles d'honneur ont été choisis, on se rend chez le 


4 Baz, bagueite. balan, de genet, 
2 Cambrian register, t. IL, p. 59. 


412 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


recteur, un samedi au soir; les fiançailles ont lieu, puis le souper 
d'usage, et le lendemain, à la grand’messe, les publications, suivies bientôt 
des invitations aux noces, qui se font en vers. Cet office appartient encore 
au bazvalan. Accompagné d'un des plus proches parents du futur, il fait 
le tour du pays, ayant toujours soin d’arriver, dans les bonnes maisons, 
au moment où l’on se met à table. Pour annoncer sa présence, il frappe 
trois coups à la porte, et entonne le salut ordinaire ; « Bonheur et joie 
en ce logis; voici le messager des noces. » Lorsqu'il a été introduit, il 
explique le motif de sa visite, indique les noms des prétendus, le lieu et 
le jour de la fête, et prend place à table. 

Le jour marqué, au lever du soleil, la cour de la fiancée se remplit 
d’une foule joyeuse à cheval, qui vient la chercher pour la conduire à 
l'église. Le fiancé est à leur tête, le garçon d'honneur à ses côtés. À un 
signal convenu, son bazvalan descend de cheval, monte les degrés du 
perron, et déclame à la porte de la future, sur un thème mvariable, mais 
arbitrairement modulé, un chant improvisé, auquel doit répondre un 
autre chanteur de la maison, qui fait près de la jeune fille, comme le 
bazvalan près du jeune homme, l'office d'avocat, et que l'on nomme 
breutaer. L'un et l’autre ont droit, pour présent de noces, à une ceinture 
de laine rouge et à une paire de bas blanes marqués d'un coin jaune. 

Comme je viens de le dire, le thème et la forme de leurs chants sont 
toujours les mêmes; j'en ai eu la preuve plusieurs fois à différentes 
noces. Un manuscrit du seizième siècle, possédé par un riche paysan de 
Trégourez, m'en a également donné la certitude; la version en prose 
française qu'a publiée Cambry dans son Finistère, si bien traduite en 
vers par Brizeux, et que Souvestre a reproduite, atteste le même fait. 
Seulement Cambry, en analysant une partie du dialogue qu'il ne traduit 
pas, nous révèle un détail curieux relatif aux deux poëtes rivaux, et 
tombé en désuétude. Selon lui, dès le début, le demandeur (il donne ce 
nom à l'avocat du jeune homme) se pose en personnage important ; il ne 
raconte que des exploits : « C’est moi, dit-il, par exemple, c'est moi qui 
suis Samson et qui ai tué les Philistins;» et il brode sur ce canevas. 
L'avocat de la jeune fille répond : « La science est au-dessus de la force 
des armes: c’est moi qui reçus de Dieu la loi sur le mont Sinaï. Je 
suis Moïse; c’est moi qui ai rétabli les Livres saints perdus à la prise de 
Jérusalem; c’est moi qui ai fait les vers qu'on prête à Théocrite. J'étais 
Virgile près d'Auguste". » etc. Au premier moment, cette assimilation 
du porte à des personnages de l'antiquité paraît bizarre; mais on s’en 
étonne encore bien plus en entendant Taliésin, qui croyait à la métem- 
psycose, tenir le même langage, et dire sérieusement : « C’est moi qui ai 
donné à Moïse la force de passer l’eau du Jourdain; j'ai vu détruire So- 
dome et Gomorrhe. J'ai été le norte-étendard d'Alexandre. Je sais le nom 
des étoiles du couchant à aurore... Le savoir vaut mieux que la force 5, » 
Le nocte populaire ne parodie-t-il pas le barde? 

Maintenant écoutons-le parler de son protégé, 


4 Cambry, Voyage dans le Finistère, t. ILE, p. 101 
2 M vysan,t, 1, p. 20. 
3 Jbid., p. 36. 


I 


LA DEMANDE EN MARIAGE 


— DIALECTE DE LA HAUTE CORNOUAILLE — 


LE BAZVALAN. 

Au nom du Père tout-puissant, du Fils et de l’Esprit-Saint, 
bénédiction dans cette maison, et joie plus que je n’en ai. 

LE BREUTAER!, 
Et qu’as-tu donc, mon ami, que ton cœur n’est pas joyeux? 
LE BAZVALAN. 

J'avais une petite colombe dans mon colombier avec mon 
pigeon, et voilà que l’épervier est accouru, aussi prompt 
qu'un coup de vent, et il a effrayé ma petite colombe, et l'on 
re sait ce qu'elle est devenue. 

LE BREUTAER. 

Je te trouve bien requinqué pour un homme si affligé, tu 
as peigné tes blonds cheveux, comme si tu te rendais à la 
danse, 





AR GOULENN 


— IES KERNE-HUEL — 


AR DAZVALAN. Hag eur gudon em boa gat li, 

Ha setu digouet ar sparfel 

Enn han ann Ta Il-calloudek ; LR L 
"aeS, Ker prim har eur barrad avel, 


Ar Mab hag ar Spered-Menlet, 
Bennoz ha joa barz ann ti-me 
Muioc’h evit zo gan-i-me. 


Ha ma c'houlmig en deuz spontet. 
N'ouier doare pelec'h ma ost,. 


AR BREUTAER. AR BREUTAER. 
Na petra ’teuz’ta, ma mignon, 
Pa ne d- eo joauz da galon? Meurbed da gavann kempennet 
Evit bea ker glac'haret: 
LTE Kribet e teuz da vleo melen, 
Eur goulming em ho em c'houldri, "Vel ma iefez d'ann abaden. 


4 Avocat, plaideur, défenseur. 


A13 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
LE BAZVALAN. 


Mon ami, ne me raillez pas; n’avez-vous pas vu ma petite 
colombe blanche? Je n’aurai de bonheur au monde que je 
n’aie retrouvé ma petite colombe. 

LE BREUTAER. 


Je n'ai point vu ta petite colombe, ni ton pigeon blanc non 
plus. 
LE BAZVALAN, 


Jeune homme, tu dis un mensonge; les gens du dehors l'ont 
vue voler du côté de ta cour, et descendre dans ton verger. 


LE BREUTAER. 


Je n'ai point vu ta petite colombe, ni ton pigeon blanc non 
plus. 


LE BAZVALAN. 
Mon pigeon blanc sera trouvé mort, si sa compagne ne re- 


vient pas; il mourra, mon pauvre pigeon : je vais voir à tra- 
vers la vorte. 
LE BREUTAER. 
Halte-lä! l'ami, on ne passe pas; je vais voir moi-même. 
(I entre dans la maison, et revient un moment après.) 


Je suis allé dans mon courtil, mon ami, et je n’y ai point 
trouvé de colombe, mais quantité de fleurs, des lilas et des 





AR BAZVALAN. AR BREUTAER. 
Ma mignon, n’em godiset ket: Da goulmik n'em euz ket gwelet, 
Ma c'houlmik wenn p'euz ket gwelet? Na da gudon wenn ken-neubed. 
Ur P e L U 
N'em bo, a-vad, plijadur ’bed, AR BAZVALAN. 


Ken Yam bo ma c'houlmik Kavet. 
Ma c'hudon vo Kay et maro, 


AR BREUTAER. Ma ua zeu ked he far endro; 
Da goulmik, n'em euz ket gwelet, Mervel a rei ma c’hudon baour : 
Na da gudon wenn ken-neubed. Me ia da we!et dre ann nour. 


AR BREUTAER. 


Harz! ma mignon, na iaffec’h ket, 
Me 14 ma unan da welet. 


AR BAZVALAN. 


Den iaouang, eur gaou a lerez. 
Gwelet e het gand re oa mez, 

Hag 0 nijal trezek da bors, D'am liorz, ma mignon, onn het 
Hag o tiskenn barz da liors. Na koulmik ‘bed n’em euz Kavet 


LA DEMANDE EN MARIAGE. 415 


églantines, et surtout une gentille petite rose qui fleurit au 
coin du hallier; je vais vous la chercher, si vous le voulez, 
pour rendre joyeux votre esprit. 
UL entre une seconde fois dans la maison, puis revient 
en tenant une petite fille par la main.) 


LE BAZVALAN. 


Charmante fleur vraiment! gentille et comme il faut pour 
rendre un cœur joyeux! si mon pigeon était une goutte de 
rosée, il se laisserait tomber sur elle. 

Je vais monter au grenier, peut-être y est-elle entrée en 
volant. 


(Après une pause :} 


LE BREUTAER. 


Restez, bel ami; un moment, j'y vais moi-même. 
(I revient avec la maîtresse de maison.) 
Je suis monté au grenier, et je n’y ai point trouvé de co- 
lombe, je n’y ai trouvé que cet épi abandonné après la moisson. 
Mets-le à ton chapeau, si tu veux, pour te consoler. 


LE BAZVALAN. 
Autant Tent a de grains, autant de petits aura ma colombe 
blanche sous ses ailes, dans son nid, elle au milieu, tout dou- 


cement. 
Je vais voir au champ. 


(Après une pause :} 


Nemed eur frapad boukedou, RE 


Bleuniou lila ha rozennou, 
Ha dreist-holl eur rozennik gacr, 
Savet e kornig ar voger; 


Me ia d'he c'hlask d'hoch mar keret, 
Da lakat laouen ho spered. 


AR BAZVALAN. 


braoik fe! konnt hag a feson 
Da lakat laouen eur galon! 

Ma ve ma c'hudon ar c'hlizin, 
Teufe da gouea war-n-ezhin, 


Me ia da bignat d'ar c'hreunial; 
Marse ma eet di, 0 nijal. 


Chomet, mignon kaer, gortoet, 
Me ia ma unan da welet, 


D'ar c’hreunial d’al lae onn het, 
Na koulm e-hed n'em euz Kavet, 
Nemed ann damoezennik-man, 
Hi chomet warlec'h he unan: 
Lak-hi deuz do dok mar kerez, 
Da gaout frealzidigez. 


AR BAZVALAN, 


Kemend a c'hreun zo enn damoen, 
Kelliez evn gnnd ma c’houlm wenn, 
Dindan he eskel, enn he neiz. 
Hag hi ker goustadik e kreiz. 


Mont a rann d'ar park da welet, 


416 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
LE BREUTAER. 


Arrêtez, mon ami, vous n'irez point; vous saliriez vos beaux 
souliers; j'y vais moi-même pour vous. 

(Il revient avec la grand'mère.) 

Je ne trouve de colombe en aucune façon; je n’ai trouvé 
qu’une pomme, que cette pomme ridée depuis longtemps, sous 
l'arbre, parmi les feuilles, mettez-la dans votre pochette, et 
donnez-la à manger à votre pigeon, et il ne gémira plus. 


LE BAZVALAN. 


Merci, mon ami; pour être ride. un bon fruit ne perd pas 
son parfum; mais je n'ai que faire de votre pomme, de votre 
fleur ni de votre épi, c’est ma petite colombe que je veux; je 
vais moi-même la chercher. 


LE BREUTAER. 


Seigneur Dieu! que celui-ci est fin! Viens donc, mon ami, 
viens avec moi; {a petite colombe n’est pas perdue : c’est moi- 
même qui l'at gardée, dans ma chambre, en une cage d'ivoire, 
dont les’ barreaux sont d’or et d'argent; elle est là toute gaie, 
toute gentille, toute belle, et magnifiquement parée. 


(Le Bazvalan est introduit; il s’assoit un moment à table, puis va 
prendre le fiancé. Aussitôt que celui-ci paraît, le père de famille lui 
remet une sangle de cheval qu'il passe à la ceinture de sa future. 


Tandis qu'il boucle et qu'il délie la sangle, le Breutaer chante :) 


AR BREUTAER. 
Dart. ma mignon, na jaffec’h ket, 
Sotra refec’h ho potou ler; 

Me ja ma unan enn ho lec'h. 

Ne gavann koulmik mod e-bed 
Nered cunn aval "meuz Kavet, 
"Xn aval-ma, krizet a bell-z0, 
Dindan ar worn, "Louez arn delio. 
Enn ho jakouk Jikit hi, 

Da ret d'ho kudon da zibri, 

Ha ncuze na oelo ket mui. 


AR BAZVALAN. 


Ma mignon, ho trugarekat; 
"VIL ma krizet, eunn aval mad 


Ne d- eo ket kollet he c'houez-vad ; 
Met n’em cuz c'hoant deuz aval'bed, 
Deuz bleun na deuz tamoen e-bed, 
Ma c'houlmik renkann da gaouet, 
Me ja ma uuan d'he c'herc'het, 


AR BREUTAER. 


Trou Douc) he-man zo potr fin! 
Deuz ’ta, ma mignon, deuz gan-in; 
Da goulmik wenn ne ket kollet, 

Me ma un em euz hi miret, 

Em c'hambr, eon eur gaoud olifant, 
Ar biri a aour hag arc'hant, 

Hag hi dreoig enn hi meurbed, 

Ker probik, Ker braù, Ker chet, 


IT 


LA CEINTURE 


J'ai vu dans une prairie une jeune cavale joyeuse. 


— Écoutez ! — Fais ce que tu fais; couvre quand tu bâtis 
maison; fais ce que tu fais, fais ce que tu fais, fais-le bien.— 


Elle ne songeait qu'à bien, qu’à s’ébattre dans la prairie; 

— Écoutez! — Fais ce que tu fais, etc. 

Uu 3 paitre l'herbe verte et qu’à s’abreuver au ruisseau. 

Mais par le chemin a passé un jeune cavalier si beau! 

Si beau, si bien fait et si vif! les habits brillants d’or et 
d'argent. 

Et la cavale, en le voyant, est restée immobile d’étonnement; 

Et elle s’est approchée doucement, et elle a allongé le cou à 
la barrière; 

Et le cavalier l’a caressée, et il a approché sa tête de la sienne; 

Et puis après il l'a baisée, etelle en a été bien aise; 

Et puis après il l’a bridée, et puis après il l’a sanglée. 

— Écoutez ! — Fais ce que tu fais, etc. 


AR GOURIZ 


Gwelet em euz enn eur flouren 
Eur gazek vihan, hi laouen. 


— Oh! — Gra, pa ri tra, 
To, pa ri ti; 
Gra, pa ri; 
Gra, pa ri, 
Pa ri tra, 
Ne oa sonj d'et nemed da vad. 
Nemed da vragal barz ar prad, 
— Oh! — Gra, pa ri tra, etc. 
Nemed da buri ar ieod glaz, 
Ha da eva dour deuz ar waz. 


Ken a zeuaz benn gand ann hent 
Eur marc'hek iaouank, har hen ken! 


Hag hen ken ampait ha ken drant) 
He zillad a aour hag arc’hant. 

Hag ar gazek dal” m'he welaz. 
Enn he sao souet a jomaz; 


Ia goustadig a dostaaz, 
Hag he tenn d'ar gleud astennaz; 


Hig ar marc'hec he likaouaz, 
Hag he vek J'he bek a lakaz ; 
Ha goudeze he briataz, 

Hag h: "n em gavaz enn he eaz, 


Ha goule "0 deuz he c’habestret, 
Ha goude en deuz he senklet, 


— Oh! — Gra, pa ri tra, etc. 


27 


418 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


NOTES 


Après cette cérémonie vraiment primitive, le poële appelle sur la fiancée 
la bénédiction de Dieu, de la sainte Vierge, des anges, de tous les aïeux, 
de génération en génération jusqu'au grand-père, aux picds duquel elle 
sanglote agenouillée. La fille d'honneur la relève; le breutaer lui met la 
main dans celle de son fiancé, leur fait échanger leurs anneaux, et se jurer 
d’être unis sur la terre comme le doigt l’est à la bague, afin de l'être dans 
le ciel. Il récite ensuite à haute voix le Pater, l’Ave, le De profundis. Peu 
d'instants après, la fiancée paraît sur le seuil de la porte, conduite par le 
garçon d'honneur, les bras entourés d'autant de galons d'argent qu'elle 
reçoit de mille livres en dot. Le fiancé vient après avec la tille d’hon- 
neur, les parents les suivent ; le bazvalan va prendre le cheval du futur, 
l’amène au bas du perron, et le lui tient par la bride tandis qu'il monte; 
le breutaer prend la fiancée dans ses bras, et la fait asseoir derrière son 
futur. Les valets amènent ainsi successivement leur cheval à chacune des 
personnes de la maison; puis les barrières s'ouvrent, et tout le monde 
part au galop pour l'église du bourg. Le premier rendu à un but fixé doit 
gagner un mouton, le second des rubans. 

En certains cantons, quand le recteur quitte l’autel pour se rendre à 
la sacristie, les époux et les parents l'y suivent; le garcon d'honneur 
porte au bras un panier couvert d’une serviette blanche. Le prêtre entire 
un pain blanc, sur lequel il fait le signe de la croix avec la pointe d’un 
couteau, en coupe un morceau, le rompt et le partage entre les époux. 
Ensuite il prend dans le même panier une bouteille de vin, en verse 
dans un hanap d'argent un bon coup au mari, qui boit, et passe le hanap 
à sa femme. 

C'est un reste des cérémonies religieuses du moyen âge. Un missel de 
l'église de Léon, imprimé en 1526, les contient toutes. Sous le litre de 
Ordo ad sponsam benedicendam, on y lit les instructions suivantes, rédi- 
gées en latin et en breton : 

« Aprés avoir aspergé d'eau bénite et encensé l'époux et l'épouse, le 
prêtre dira : Autronez, great eo 001 eomp ann embannou leir quez an 
lud man; ha hoaz en greomp, equyt mar deux den 0 goufje ampechemant 
na galhe an eyl caffout eguile c dimiziff, en lavaro.» Ce qui signifie : 
«Seigneurs, nous avons fait trois fois les publications de ces gens-ci, mais 
nous le faisons de nouveau afin que s’il y a quelqu'un connaissant un 
empêchement de nature à mettre obstacle à ce que l’un épouse l'autre, 
il le dise. » Les assistants ayant répondu : Ne gouzomp nemet mat, « Nous 
ne savons rien que de bien, » le prêtre prendra la main droite de 
l'épouse et la placera dans celle de l'époux en leur adressant ces paroles : 
Huy, N. ha huy N. a diogan an eil de quile delchell compainunez leal en 
sacramant a priadelez, e yechet hag c clefvet, bete ann marv, evel ma zeu 
gant Doe gourchemmennet ha gant an ylis ordonnet. « Nous, un tel, et 
vous, une telle, promettez de vous tenir l’un à l’autre fidèle compagnie 
dans le sacrement de mariage, en santé et en maladie, jusqu'à la mort, 
comme il a été commandé par Dieu et ordonné par l'lglise. » 

« Alors le prêtre remettra l’anneau nuptial à l'époux, qui le passera au 


125% 


LA CEINTURE. 419 


doigt de l'épouse en répétant es mots après l'officiant : Gant an besou 
man ez demeza dit, hay am corff ez henoriff, hag am madou ez vezo 
queffrann, hag enebarz evel ma zeo custum an bro. « Par cet anneau je 
munis à toi, et de mon corps je t’honorerai, et à mes biens tu auras part, 
et un douaire seloa la coutume du pays. Au nom du Père t, » etc. 

Après la messe avait lieu le partage du pain et du vin entre les époux 
tel que le prêtre le fait encore aujourd'hui. 

Au sortir de l’église, les gens de la noce sont salés par cent coups de 
fusil, et regagnent, au son des bombardes, des biniou et du tambourin, 
la demeure de la mariée, où les attend le gala. Les chambres sont pa- 
voisées de draps blancs ornés de bouquets et de guirlandes; des tables 
sans nombre sont dressées au dedans et au dehors. La mariée est placée, 
au bout de l’une d’elles, sous une niche de verdure et de fleurs ; on la 
prendrait pour une sainte dans ses habits de fète. Au moment de se 
mettre à table, un vieillard récite le Benedicite ; chaque service est pré- 
cédé d’un air de biniou et suivi de danses. Au dessert, les convives ne se 
lèvent plus, et passent la nuit à table. 

On aura remarqué le rôle que joue le poëte populaire dans la céré- 
monie nupliale; nous avons vu que les anciens bardes figuraient dans les 
Mariages : c’élait sans doute un des attributs de leur caractère sacerdotal 
primitif, les lois galloises leur donnent une part double dans les présents 
de noces. Au quatorzième siècle, ils bénissaient encore des unions. Dafydd 
ab Gwylim nous apprend qu’il fut marié par son ami le barde Madoc Pen- 
vraz. Ces usages sont maintenant (ombés en désuétude chez les Gallois; 
mais la cérémonie principale, la lutte poétique des bardes, y avait encore 
lieu, il y a cent ans. Au moment où la suite du fiancé arrivait au galop 
à la demeure de la future, dans l'intention de l’enlever, les gens de la 
maison se hàtaient de fermer la porte; alors un barde, se détachant du 
corlége, improvisait, comme en Armorique, un chant auquel répondait 
un autre harde du logis, qui ne lardai, pas à être vaineu, et à voir Le seuil 
de la demeure forcé par la puissance des vers de son antagoniste?. 

On chante, aux repas de noces, une chanson très en vogue, que nous 
avons retenue. 


4 Édition d’Ives Quillévéré (Bibliothèque de M. Pol de Courcy). 
CL le cérémonial du mariage en France au moyenâge, extrait d’un ms français du xv° siècle 
(Magasin pitloresque, annee 1859 p. 155). 

4 Cambrian register, ALL, p. 59. 


LL 


LA CHANSON DE TABLE 


— 0 Notre-Dame de Plévin! le soir et le matin, et le matin 
quand je me lève, Je vois la cheminée de ma douce; 

Je vois s'élever la fumée de la cheminée de ma douce belle 
qui me fait bien du chagrin. Il faut que j'aille jusque chez elle 
pour lui parler encore une fois. — 

Loïzaik Alan chantait en conduisant ses vaches, ce matin-là ; 
en menant ses vaches au champ neuf, Loïzaïk Alan chantait 
gaiement. 

Elle avait relevé sa coiffe blanche : son œil est bleu, ses 
cheveux blonds, sa joue rose comme la fleur de l'érable; elle 
dédaigne tous ses galants. 

Elle était montée sur l’échalier pour ouvrir la barrière à ses 
bêtes, quandelle vit Piarik, son amoureux, qui cheminait dans 
la vallée. 





SON ANN DAOL 


Vont gand he saoud, ar mintin-Ze ; 
"Vont gand he saoud J'ar park neve, 
— 0 itron Varia Blevin! Loizaig Uan gane ge. 
Deuz ann noz ha deuz ar mintin, 
Ha deuz ar mintin pa zavann, 
Siminal ma dous a welann: 


Tronset gant-h1 he joblinen : 

Glaz he lagad, he bleo melen, 

B He chod ru evel bleun skao-grac'h; 
Moged siminal ma dous koant Ie galanted a zistol rac'h. 

A ra d’i-me kalzig a boan. 

Red eo d'in mont beteg he zi. 

Evit komz eur wech c'hoaz out-h. — 


War ar bazen e oa pignet 

Da zigor ar gleud J'he loened, 

Pa welaz Piarik, he mignon, 

Loizaig Alau a gane Tout gand ann hent trezeg ann traon. 


LA CHANSON DE TABLE. 221 


PIARIK. 
Ma douce belle, j'allais chez vous pour vous demander en 
mariage; failes-moi une réponse favorable, comme celle que 
fit autrefois votre mère à votre père. 


LOIZAIK. 

Je vous ferai une réponse, jeune homme, puisque vous me 

la demandez d’une manière si polie et si gentille; je ne veux 
point vous mentir du tout : c’est jeudi Le jour de mes noces. 


J'ai au village, sur la place, des ouvriers qui font des tables 
et des escabeaux pour donner aux gens de la noce jeudi pro- 
chain; 

Jeudi est lé jour de mes noces; vous êtes arrivé trop tard; 
un autre a semé dans mon courtil la fleur d'amour. 


PIARIK, 

C’est moi qui TY avais semée, et vous l'en avez arrachée, et 
maintenant elle est flétrie; mais mon cœur ne l’est pas. 

Je vous aime pourtant toujours; nuit et jour je ne pense 
qu’à vous: votre haleine, par le trou de la serrure, vient me 
réveiller quand je dors. 

J'ai passé cinquante nuits à votre porte, et vous n'en saviez 
ren, tellement battu de la pluie et du vent, que l’eau dégout 
tait de mes habits. 


PIARIK. Re ziveed em oc’h digouet, 
Ma dousik konnt, pa eann d'ho ti lag unan all en deu: hadet 
Vit ho koulenn da zimizi, Em liorz bleun ar garanted. 
Roet-hu d’in-me eur respont vad. PIARIK. 
"Vel reaz gwechall ho mamm d’ho tad. Gan-in-me hadet e oa bet, 


Ha c'hui hoc'h euz hen displantet; 


Ñ n 0 1 Ha setu hen breman sec’het, 
Respont a rinn d'hoc'h den iaouank, Hogen ma c'halan ne ma Ket: 


Pa c'houiet ker soubl ha ker Koant: 
Ne fell d'in laret gaou e-bed, 
A-benn diriou eo ma eured, 


LOIZAIK. 


Jo karout a rann koulskoude, 
Enn hoc'h e sonjann noz ha de, 
Ho alan, dre doull ann alc'houe, 
Tro ma c'her-ma, war ann dachen, A zeu d'am dihun em gwele. 

À 20 gan-in mecherourien 
Oc’h oher soliou, skabellou, 
Da rei d'am zud a-henn diriou; 


Hanter kant nozvez em onu bet, 
Toulhg ho tour, ne ouiec'h Koet, 
Ar glao, ann avel o m' filat, 
A-henn diriou 60 ma eured: Ken vere dour dcuz ma dillad. 


429 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


J'ai usé trois paires de souliers, ma douce, à vous faire la 
cour; voici la quatrième, et je n'ai point encore votre dernier 
mot. 


K 
LOIZAIK. 
Si vous voulez avoir mon dernier mot, écoutez-moi bien, le 
voici : trois sentiers conduisent chez vous, prenez-en un et ne 
revenez plus. — 


Et Piarik de s’en revenir aussi triste que la mort : 
—‘Je pensais cueillir du bouleau, et n’ai eu que du coudrier. 





NOTES 


Dans quelques cantons de Cornouaille, si une jeune fille agrée le 
j une homme qui lui fait la cour, elle lui offre une branche de bouleau ; 
si elle le refuse, un rameau de coudrier: le même usage existe en 
Galles T. 

Autrefois le coudrier était le symbole de la défaite par l'épée ?. 

Le jour de la noce, à minuit, on déshabille la mariée et on la couche; 
son mari se place auprès d'elle; on leur sert une soupe au lait symbo- 
lique dont les tranches de pain sont liées par un fil des plus incommo- 
des, et qu'ils mangent avecdes cuillers percées, aux franes éclats de rire 
des témoins; quelquefois on remplit le lit nuptial de petits enfants, doux 
anges qui doivent voiler leurs amours. 

Pendant cette joyeuse et naïve scène, biniou et bombarde jouent l'air 
de la soupe au lait, dont les jeunes gens et les jeunes filles chantent les 
paroles, en partie reproduites dans une ballade qu’on a pu lire plus haut 5, 
et que Brizeux a imitées avec son bonheur ordinaire : 

Chantons la soupe blanche, amis, chantons encor 
Le lait et son bassin plus jaune que de l'or. 


Tri re voutou em euz uzet Teir gwenojen a gas d'ho ti; 
Va dous, oc'h ho tarampredet; Kemert unan hep distroi mui. — 
Setu me gand ar pevare, 


À à 4 Ua Piarik da zistroi endro 
C'hoaz n'ouzonn ket ma digare. 


Ker kallu: evel ar maro: 

LOIS AL K- — Bezo am boa sonj da gaouet, 
Mar gout ho tigare fell d'hoc’h, Ha padal kelvez am euz bet. — 
Silaouet mad, m'hel laro ("hoc'h > 


1 Owen, Welsh Dict., L.L. p. 153, 

2 V. p. 14. Son nom (kolvez) signifie arbre de la perle (de kol, perte, corrompu en kel 
chez les Bretons, et de gwez, arbre, en construction we ou vez). 

3 La CEINTURE DE NOCES, V. p. 258. 


LA CHANSON DE TABLE. 425 


Près du lit des époux chantons la soupe blanche, 
La voilà sur le feu qui bout dans son bassin, 
Comme les flots de joie et d'amour dans leur sein, 
La voilà sur le feu qui déborde et s’épanche. 
Chantons, etc. 

3ien! le lait jusqu'aux bords dans les écuelles fume, 
Dans un seul vase offrons leur part aux deux époux, 
Pour qu'ils boivent toujours, ainsi que ce lait doux, 
Dans un vase commun le miel et l'amertume. 
Chantons, etc, 

Assez ! les mariés ont bu la soupe blanche. 
L’épouse rougissante est pleine d'embarras; 

Elle voudrait cacher sa tête sous son bras; 

L'époux attire à lui cette fleur qui se penche, 
Chantons la soupe blanche, amis, chantons encor 

Le lait et son bassin plus jaune que de or 3. 


Au moyen âge, les imposantes cérémonies de l'Eglise se continuaient 
le soir, à la maison, Le recteur de la paroisse venait alors bénir le lit 
nuptial : « Les époux, dit le cérémonial déjà cité, étant assis ou même 
couchés » (sedentes vel jacentes in lecto suo), le prêtre les encensait en 
prononçant ces mots : « Seigneur, bénissez ce lit et ceux quis’y trouvent; 
bénissez ces chers enfants comme vous avez béni Tobie et Sara ; daignez 
les bénir ainsi, Seigneur; afin qu’en votre nom ils vivent et vieillissent, 
et multiplient longtemps, par le Christ Notre-Seigneur. Ainsi soit-il. » 


4 Les Breions, ch. xiv. 


IV 


LE CHANT DES PAUVRES 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


Le lendemain de la noce est le jour des pauvres : il en arrive par cen- 
taines, la cour et l’aire en sont remplies. Ils se sont revêtus non pas de 
leurs beaux habits, mais de leurs haillons les plus blancs Ils mangent 
es restes du festin de la veille; la nouvelle mariée, la jupe relroussée, 
sert elle-même les femmes, et son mari les hommes, Au second service, 
celui-ci ofire le bras à la mendiante la plus respectable, la jeune femme 
donne le sien au mendiant le plus considéré de l'assemblée, et ils vont 
danser avec eux. 

Il faut voir de quel air se trémoussent ces pauvres gens | les uns sont 
nu-pieds, les merveilleux portent des sabots; il y en a nu-tête, d’autres 
ont des chapeaux tellement percés, que leurs cheveux s’échappent par les 
crevasses ; tous les haillons volent au vent; maine ouverture trahit la 
misère, mais laisse voir battre le cœur; les pieds s’agitent dans la fange, 
mais l'âme est dans le ciel. On commence en général par une ronde en 
l'honneur de l’épousée. 

J'ai entendu chanter à cette occasion une naïve légende allégorique qui 
est un appel délicat à la charité. 


Saint Pierre disait à Jésus : [rez-vous en basse Bretagne, 
mon Dieu? 

— Pierre, je n'irai point en basse Bretagne; les hommes 
n'y sont pas estropiés, Pierre, et l’eau y est légère. — 

Saint Jean disait à la Vierge : 

— Irez-vous en basse Bretagne, chère dame? 





KENTEL AR BEORTEN 


e IER LEON 


Sant Per da Jezuz lavare : Tud divac’han, Per, ha dour skan. — 


— Da Vreiz-izel it, va Doue? Sant lann lavare d’ar Werc'hez : 
— Per, da Vreiz-izel me ne dann : — Da Vreiz-izel it, itron gez? 


LE CHANT DES PAUVRES. 425 


— En basse Bretagne, j'irai demain; un grand ami m'a in- 
vitée. — 


Le lendemain, dans la paroisse de Plouigneau, on entendit 
des chants et des cris de joie, on entendit le ménétrier sonner 
chez un digne chef de famille ; 


Chez un riche chef de famille qui était bon pour les misé- 
rables, et dont les biens allaient croissant à mesure qu'il fai- 
sait l'aumône. 


Or, il avait un fils unique, un vaillant garcon de dix-huit 
ans, et il donnait en son honneur un banquet; un superbe 
banquet de noces où il avait invité tous ses parents, et aussi 
les pauvres, qui sont les amis des saints. 


Comme ils étaient à table très-avant dans la nuit, voici 
venir une pauvre femme en retard, les habits en lambeaux, 
pieds nus, et un petit enfant suspendu à son sein. 


— Quoique vous arriviez bien tard, pauvre chère femme, 
soyez la bienvenue. — 
Et il la prit par la main, et la conduisit près du feu. 


Près du feu, pour se réconforter aussi bien que son petit 
enfant. Et l'enfant souriait aux gens de la maison ; mais elle ne 
voulait pas manger. 





— Da Vreiz-izel ez ann warc’hoaz; 


He holl gerent en doa pedet, 
Pedet ounn gand va mignon hraz. — 


Pedet en doa he holl gerent, 


Antronoz, e Parrez Plouigneou, 

Oa levet ar c'han hag ar iou; 

Oa Klevet ar soner o son, 

E ti eunn ozac'h afeson; 

E ti eunn ozac’h pinvidik 

Hag hen mad ouc’h peb reuzeudik ; 
Seul-vui roe aluzennou, 

Seul-vui e kreske he vadou. 


Hag eur mab hep-ken en devoa, 


Eur paotr dibill a dric’houec’h vloa; 


Hag enn he benn en doa laket 
Da ober gant ha eur banked, 


Eur banked kaer hag cunn cured: 


Hag ar heorien ho c'har ar zent. 


Pa oant ouc’h taol divezad-mad, 
Erru eur baourez divezad ; 

Hag hi truillek ha diarc'hen, 
Gant hi he mab ouz he c'herc'hen, 


—’Vid hoc'h da veza divezad, 
Paourez gez, bezit deuet mad. — 
Dre ann dorn e oc kemeret 

Da dal ann tan e 0e kaset, 

Da dal ann tan da repui, 

He mabik kerkouls evel-t-hi; 

Hag a c'hoarze ouc'h tud ann (2 
Nemet na brize ket dibri. 


426 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Mangez et buvez à votre aise ; c’est avec plaisir qu'on vous 
sert. 1 
— Je n'ai ni faim nisoif, mais une grande amitié pour vous; 


Mais une tendre amitié pour vous qui m'avez invitée de bon 
cœur, qui m'avez invitée tendrement à venir aux noces de 
votre fils. 


Mon cœur ne se sent pas de joie de voir toute votre compa- 
gnie: il ne se sent pas de joie, mon nls Jésus, de voir des gens 
si charitables! 

Personne ne nous reconnait hors celui qui a fait l’aumône. 

Mille fois bénie soit cette maison! À vous revoir en pa- 
radis !— 


Ce chant a été fait au ciel, dans le palais de la Trinité, sous 
un buisson chargé de roses qui embaument le paradis. 


NOTES 


La nuit venue, les pauvres, avant de quitter les époux, leur souhaitent 
toute sorte de prospérités, toute sorte de grâces de Dieu, autant d’enfants 
qu'il y a de grillons dans le foyer de la cheminée, d’années que les pa- 
triarches, et le paradis après leur mort. Puis le plus âgé prend la pa- 
role, et, agenouillé au milieu de l'aire à battre, et s'appuyant sur son 
bâton, il commence de longues prières pour les trépassés de la famille, 
qu'on n'oublie jamais dans les fêtes. Les prières achevées, les pauvres se 
lèvent et se retirent en continuant de prier. Le murmure monotone de 
leurs voix se fait entendre encore quelque temps au dehors, à mesure 
qu'ils s'éloignent, et meurt insensiblement dans les bois, tandis que les 
époux, dont ils ont sanctifié l'union par leur présence, commencent une 
vie nouvelle sous les auspices de la Charité. 


— Dibrit hag evit a gerfet, Mil vad a ra d'am mab Jezuz, 
Dira-z-hoc'h, gand grad, eo laket, Gwelet tud ker karantezuz. 
— Me H'an euz na naoun na sec'hed. 


S Ne d-omp gand hint anavet 
Nemed eur garantez barfed. 7 2 


Med hint neuz aluzennet. 


Nemed eur garantez wirion, War ann ti-ma Kant mil bennoz! 
Pa-3-ounn pedet a wir galon, Kenavezo d'ar baradoz! — 
Pa-z-ounn pedet a galon vad, Ar gentel-ma z0 heL savet 

Da zonet da eured ho map. Enn nenv, e palez ann Drindet, 
Mil vad a ra d'am c'halon gez Dindan eur bod boukedon roz 


Gwelet hoc'h holl gompainunez; A dol c'houez vad er baradoz. 


Y 


CHANT DE LA FÊTE DE L'ARMOIRE 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


Les cérémonies des noces sont à peu près les mêmes en Tréguier qu’en 
Cornouaille. Les mœurs sont plus graves en Léon; ici, le jour le plus 
gai des noces est le troisième, où l’on porte chez le mari l'armoire de la 
jeune femme. Cette armoire est en noyer; elle est luisante à s’y mirer; 
les ferrures sont de cuivre et brillent comme de l'or; quatre bouquets 
en relèvent les quatre coins. Elle est placée sur une charrette traînée 
par des chevaux dont la crinière est tressée et ornée de rubans. 

Mais lorsque les parents de la mariée veulent faire entrer le meuble 
dans la demeure du mari, les gens de la maison le repoussent. et une 
longue lutte s'établit entre eux. Enfin on fait la paix, la maîtresse 
du logis couvre l’armoire d’une nappe blanche, y pose deux piles de 
crêpes, un broc de vin et un hanap d'argent. Le plus vénérable des pa- 
rents du mari remplit la coupe, la présente au plus âgé des parents de 
l’épousée, puis l'invite à manger : l’autre trempe ses lèvres dans la 
coupe, et la lui repasse, en lui offrant pareillement des crêpes. Chacun 
des parents des deux côtés les imite ; et l’armoire est placée, au milieu 
des bravos, dans le lieu le plus apparent de la demeure. 

On chante moins en Léon qu'ailleurs; la fête de armoire souffre 
cependant exception. Il y a une chanson que j'ai entendue au banquet qui 
suit la cérémonie que je viens de décrire : c’est un dialogue entre une 
veuve et un jeune homme qui la demande en mariage. 


LE JEUNE HOMME. 


Écoutez, ma douce veuve, je viens vous faire ma cour; voici 
le temps de prendre un parti. 





SON FEST ANN ARVEL 


— IES LEON — 


+ Deut-ounn d'ho ti d’ober al lez; 
Mk E LAL Breman digouezet ann amzer 
Selaouit, va dous intanvez, Da zilezel pe da ober. 


428 CIIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 
LA VEUVE. 


Pour cette année, je ne me marierai point, ni ne quitterai 
Jamais mon deuil; il faut que je parte pour le cloître où Dieu 
m'attend. 

LE JEUNE HOMME. 


Pour le cloître, vous ne partirez point, en vérité; mais pour 
mon village, je ne dis pas; la rose et toutes les fines fleurs 
sont nées pour les jardins. 


LA VEUVE. 
La rose est née pour le jardin et l’if pour le cimetière ; j'ai 
choisi pour époux celui qui a créé le monde. 


LE JEUNE HOMME, 


Tenez, tenez, ma douce belle, tenez mon anneau d’argent; 
passez-le à votre doigt, où je vous TY passerai moi-même. 


LA VEUVE. 
À mon doigt, jamais je ne passerai d'autre anneau que 
celui de Dieu ; c’est lui qui a reçu ma foi. 


LE JEUNE HOMME. 


Vous voulez donc, vous voulez donc me faire mourir sans 
retard! 


se 1. 
here Ann hint neuz Krouet ar be 


Er bloavez-ma na zimezinn, ANN DEN IAOUANK. 


Na biken va c’hanv na dorrinn; Dalit, dalit, va dousik koant; 
D'ar govant eo red d'in monet Dalit va gwalennig arc'hant: 
Leac'h ounn gand Doue gortozet. Likit-hi war ho tourn breman, 


Pe n'he lakat d'e-hoc'h va unan. 
ANN (NTANYEL, 


ANN DEN IAOUANK. 
D'ar govant c'hout na ielo ket, 


D'am c’hear-ma ne lavarann ket: Biken gwalen na gemerinn, 

Ar rozen bag al louzou fin Na biken d'am biz na likinn, 

Zo mad da lakat er jardin. Nemed gwalen diouz dorn Doue 
ANN INTANVEZ. Pehini en deuz bet va fe. 

Ar rozen zo mad d’ar jardin, ENNEDENPEONIENSS 

D'ar vered ar wezen ivin; C'hoant hoc'h euz eta d’am lakat, 


Kemeret am euz da bried D'am lakat da vervel timad? 


CHANT DE LA FÊTE DE L'ARMOIRE 429 
LA VEUVE, 


Jeune homme, je vous tiendrai compte du temps que vous 
perdez à me faire la cour; 


Du temps que vous avez perdu dans l'espoir de l'anneau des 
noces : 

Je prierai Dieu, nuit et Jour, pour que nous nous trouvions 
réunis dans le paradis. 





NOTES 


Singulier motif de chanson de noces ! Que signifie cette veuve? Au- 
rait-on voulu faire songer à la nouvelle mariée qu’elle pourra bien en 
jour porter le mantelet noir et la coiffe passée au safran? \-t-on eu 
l'idée d’'inspirer aux époux de graves et saintes réflexions au moment 
où ils entrent en ménage; de leur montrer que la vie de l’homme, 
comme l’a dit un Bazvalan, « est toujours entremêlée de joies et de 
peines; que le mariage est un vaisseau qui vogue, exposé à toutes sor- 
tes de tempêtes, bien qu'au sortir du port la mer soit calme et belle ? » 

N’avons-nous pas dans ce dernier dialogue une scène perdue des an- 
ciens jeux poétiques des noces, la suite de celles qui se jouent ailleurs 
le matin du premier jour ? Nous sommes porté à le croire; et c’est pour- 
quoi nous l'avons inséré dans notre recueil, quoique nous n’en possé- 
dions plus sans doute qu'un fragment. 





Diouz ar pred hoc’h euz-hu kollet, 
0 c’hedal gwalen ann eured; 

Den iaouank, me ho tigol.o Me lelo Douc deiz ha nnz. 

Diouz ar pred kollet war va zro; Ma em givimp er haradoz. 


ANN INTANVEZ. 


Il 


CHANT DE LA FÊTE DE JUIN 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La fête du mois de juin est une des fêtes les plus anciennes de la Bre- 
tagne, malheureusement elle ne se célèbre plus guère que dans quelques 
cantons du pays de Vannes et dans quelques hameaux des montagnes de 
la Cornouaille, où chaque année elle renaît avec les feuilles. 

C'est près d’un dolmen qu'on se réunit et qu'on danse. Elle doit être 
un débris des cérémonies religieuses qui se célébraient, chez les anciens 
Bretons, au solstice d'été. 

Des vieillards nous ont appris que, de leur temps, on n'était admis à 
la fête qu'à l’âge de seize ans; une fois marié, on perdait le droit d'y 
assister. 

Les garçons avaient coutume de porter à leurs chapeaux des épis verts, 
et les jeunes filles, dans leur sein, des fleurs qu'elles déposaient, en 
arrivant, sur la pierre du dolmen. Ces bouquets v restaient des semaines 
entières-aussi frais, dit-on, que le matin où ils avaient été cueillis si les 
amants étaient fidèles, mais se flétrissaient dès l'instant où ils cessaient 
de l'être. 

On se souvient que les monuments celtiques servaient de moyen d’é- 
preuve, et qu'on les appelle « pierres de la vérité. » Un concile tenu à 
Nantes, en 658, défend J'Y déposer aucune offrande, et ordonne aux 
évêques de les détruire de fond en comble f, 

La fête de juin a lieu chaque samedi de ce mois, à quatre heures de 
l'aprés-midi. 

En arrivant au lieu de l’assemblée, on voit circuler dans la foule un 
jeune homuwne plus beau, plus grand, plus endimanché que les autres, qui 
porte un nœud de rubans bleu, vert et blanc à la boutonnière : c’est le 
patron de la fête; les couleurs de ses rubans, chose très-remarquable, 
étaient celles des druides. des bardes et des augures cambriens, pour 
lesquels elles étaient, comme dans la pièce qu'on va lire, l'emblème de 
la paix, de la sincérité et de la candeur ?. 

Celui qui présidait la fête précédente a transmis son titre et sa charge 
au patron de la fête nouvelle, en lui accrochant par surprise, à la bou- 
tonnière, le nœud de rubans qu'il portait. Le nouveau patron se procu- 
rera de la même manière un successeur. En attendant, il choisit une 


1 Lapides quos in ruinosis locis et silvestribus dæmonum ludificationibus decepli Yene 
rantur ubi et vota vovent et deferunt, funditus effodiantur. (Concil. Nannet., ap. D. Morice 
Preuves de l'histoire de Bretugne, 1. 1, col 229.) 

2 William Owen’s, Bardism, p. 37, 59, 42. 


CHANT DE LA FÊTE DE JUIN. 451 


commère, au doigt de laquelle il passe une bague d'argent, puis ils 
ouvrent tous deux la danse, aux applaudissements de la foule. 

Les paysans ont conservé un vague mais précieux souvenir üe l’ori- 
gine païenne de cette fête : 

« J'ai entendu les anciens raconter, me disait un cultivateur des envi- 
rons de la Feuillée, qu'autrefois, avant de venir danser, garçons et 
jeunes filles se réunissaient dans l’église de la paroisse, et qu’on y chan- 
tait vêpres. Les vêpres finies, on se rendait processionnellement, clergé 
en tête, au lieu convenu. Mais alors ce n’était pas comme aujourd’hui : 
le patron de la fête ne se contentait pas de porter des rubans bleus, 
|verts et blancs à la boutonnière, il était habillé de ces couleurs de la 
jtête aux pieds; au lieu de notre costume brun des montagnes, il prenait, 
comme dans la plaine, la veste bleue et la braie blanche, avec la guêtre 
verte de certains cantons. Ce qu'il y a de plus singulier, c’est que les 
prêtres portaient les mêmes couleurs; on va même jusqu’à prétendre que 
le recteur ouvrait la danse, et que le curé {le vicaire) jouait oc la mu- 
sique : il est vrai qu'il en jouait, dit-on, sur un instrument d'ivoire, 
ayant des cordes d'or; mais je ne puis croire cela, car jamais aucun curé 
n’a fait le métier de sonneur {de ménétrier), excepté dans les contes. » 

Je cite ces paroles vraiment curieuses, par ce que la vérité s’y trahit 
sous l'expression naïve et la tournure bizarre des idées Un barde aurait 
donc mené autrefois les danses sacrées de la {ête au son de la harpe. Elles 
n'offrent plus rien de particulier aujourd’hui que la ronde finale autour du 
dolmen; les paroles et air se sont conservés. C'est une églogue, un débat 
amoureux entre le patron et la patronne de la dernière fête, qu'inter- 
rompt tout à coup gaiement le patron de la fête nouvelle. 


L'ANCIEN PATRON. 
Bonjour à vous, ma belle commère, bonjour à vous; c'est 
un amour sincère qui m'amène ici. 
L'ANCIENNE PATRONNE. 
Ne pensez pas, jeune homme, que je sois votre fiancée, 
pour une bague d'argent que j'ai reçue de vous. 





SON FEST MIZ EVEN 


AUESRÉERINE = 


ANN TAD-PAERON KOZ, 


De-mad d'hoc’h, komerez koant, de-mad d’hoc’h a larann: 
Gand kalzig a garantcz onn deut hirio arman. 


AR VAMM-BALRON. 
Na veunet ked, den iaouang, em onn dimezet d'hoc'h, 
Evid eur walen argand am euz bet digen-hoc’h, 


452 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Reprenez votre bague d'argent et emportez-la; je n'ai plus 
d'amour ni pour vous ni pour elle. 


Il a été un temps, mais ce temps est passé pour moi, où, 
pour un sourire, je donnais mon cœur. 


Mais voilà que le temps me vient chercher querelle, me sou- 
rira qui voudra, je ne rirai plus. 


L'ANCIEN PATRON, 


Autrefois, quand j'étais jeune homme, je portais trois ru- 
bans, un vert, un bleu, et un troisième, qui était blanc. 


Le vert, je le portais en l'honneur de ma commère; car je 
l'aimais dans mon cœur, et bien sincèrement. 


Le blane, je le portais à la face du soleil et de l'aurore, ea 
signe de l’amour pur qui était entre elle et moi. 


Le bleu, je le portais, car je voulais toujours vivre en paix 
avec elle; et quand je le regarde, je pousse des soupirs. 


Hélas! hélas! je suis abandonné maintenant par elle, comme 
le vieux colombier par la petite colombe volage. 


Dalet ho kwalen argant ha gen-hoc'h kaset-hi, 
N'em euz mui a garantez na ’vid hoc'h na ‘vit hi. 


Dez" em euz bet ann amzer a z0 d’in tremenet, 
Neb a vousc'hoarze d'in-me me he gare meurhed. 


Hogen deut eo ann amzer rendaela ouz-in, 

C'hoarzo d'in neb a garo, evid-on na c’hoarzinn. 
ANN TAD-PAERON KOZ. 

Gwech-all, pa oann den iaouank, me zouge teir zeien, 

Unan wer hag unnn c’hlaz hag chen a où gwenn. 

Ann hini wer a zougenn ’nn inor d'am c’homerez, 

Oc'h he c'harout em c'haion, hag e peb gwirionez. 

Ann hini wenn a zougenn, rag heol ha goulou de, 

E merk dar c'hlan-varantez oa etre hi ha me. 

Ann hint c'hlaz a zougenn da gaout peuc'h atao; 

Ua pa zellann me out-hi tennann huanadennao, 

Dilezet em onn, siouaz! siouaz! breman gant-hi, 

"Vel ga "d ar goulmik skanbeun e ma ar c'ha: Kouldri, 


CHANT DE LA FETE DE JUIN. 455 
LE NOUVEAU PATRON A LA NOUVELLE PATRONNE. 


Voici le temps nouveau de retour avec le mois de juin, le 
temps où les jeunes gens s’en vont partout se promener 
ensemble. 


Les fleurs sont ouvertes aujourd'hui dans les prés, et les 
cœurs des jeunes gens aussi, en tous les coins du monde. 


Voici que les aubépines fleurissent et répandent une douce 
odeur, et que les petits oiseaux s’accoupient. 


Venez avec moi, douce belle, vous promener dans les bois; 
nous entendrons le vent frémir dans les feuilles, 


Et l’eau du ruisseau murmurer entre les petits cailloux, et 
les oiseaux chanter gaiement à la cime des arbres ; 


Chanter chacun sa chansonnette, chacun à sa manière; ils 
charmeront notre esprit et réjouiront notre cœur. 


NOTES 


Au coucher du soleil, filles et garçons reviennent par les bois et les 
prés, en se tenant par le petit doigt, et l’on répète en chœur les der- 
nières strophes de la chanson. 

Il semble qu'à ce moment l’odeur des aubépines qui bordent la route 
est plus suave, le frémissement du vent dans le feuillage plus doux, le 
bruissement du ruisseau du bois plus harmonieux, et le chant des oiseaux 
plus gai. 


1 
ANN TAD-PAERON-ALL D'AR VAMM-BAERON=ALL. 


Erru ann amzer neve endro gand miz even, 
Has e Leu ann dud iaouauk da vale "nol: tachen. 


Ar bleuniou harz ar prajou hirio zo digoret, 
Kalonou ann dud iaouang ive’ peb korn ar bed. 


Setu ar bleun er spern-gwenn, ha gant-han c'houez ker mad, 
Hag al labouzed bihan a zeu d’en em barat. 


Deut-hu gan-in, dousik-koant, da vale J'ar c'hoajou, 
Ni a glevo ann avel kreno ’touez ann deliou, 


Hav ann dour oc'h hiboudo etouez ar veinigo, 
Hag ann holl eined ker kaer beg ar gwe 0 kano; 
Peb hini enn he zonik, peb hinienn he don : 

A rei frealz d'hor spered, levenez d'hor c'halon, 


28 


111 


LA CHANSON DE L’AIRE NEUVE 


— DIALECTE DE HAUTE CCRNOUAILLE — 


ARGUMENT 


L’aire neuve est par excellence la fête de l’agriculture. Lorsque la sur- 
face de l’aire n’est plus unie, et que les cailloux et les crevasses défendent 
au rouleau qui doit y recueillir le blé de glisser aisément, le laboureur 
fait publier une aire neuve. La veille du jour indiqué, quelques heures 
avant minuit, on voit des charettes, chargées de terre glaise et de barriques 
d'eau, se diriger en silence vers son habitation, et chercher derrière les 
arbres une position telle, qu’elles puissent, au coup de minuit, s'élancer 
dans l'aire, et gagner des rubans qui sont destinés aux premiers rendus. 

Dès que l’aurore se lève, chaque cultivateur vient, à tour de rôle, dé- 
poser sur l'aire la terre dont sa charette est pleine; puis on y verse de 
l’eau, et l'on fait galoper en cercle, parmi le mortier que produit ce mé- 
lange, des chevaux dont les crins sont ornés de rubans aux couleurs écla- 
tantes. lL est des cantons où l’on dresse une table au centre de l’aire; 
sur celle table on place un fauteuil; on enlève la plus belle jeune fille de 
l'assemblée; on l'y fait asseoir, et on ne la délivre que sur la promesse de 
quelque gracieuse rançon. 

Huit jours après, quand l'aire, suffisamment foulée par les pieds des 
chevaux, est séchée, on y danse pour l’aplanir, et la fête recommence, 
Quelquefois des jeunes filles, portant sur la tête des vases remplis de lait 
ou de fleurs, ouvrent ces danses par une ronde; puis le biniou sonne, la 
bombarde y mêle ses notes plus sonores, et les chaînes des danseurs ne 
tardent pas à se mouvoir. Ces chaines s’allongent insensiblement, se dé- 
ploient, se croisent, au gré des instruments, s’enlacent, se replient sur 
elles-mêmes, se fuient, reviennent, se fuient encore, se déroulent ets’élan- 
cent avec une mesure parfaite. 

Vers le soir, on se rend, au son de la musique, dans le verger voisin, 
pour assister aux luttes. Le fils aîné du paysan qui donne l'aire neuve 
marche en tête en élevant triomphalement une croix que domine un cha- 
peau neuf orné de velours, de brillants et dechenille, et d’où flottent au 
vent des rubans et des ceintures de laine de mille couleurs : ce sont les 
prix; souvent on y ajoute un mouton. La croix est plantée au milieu du 
verger, le mouton est couché à ses pieds; on forme une enceinte au moyen 
depieux et de cordes; les juges du combat s’y placent; la foulereste à l’exté- 
rieur, Si quelques personnes osent franchir l'enceinte, le fouet d’un jeune 
garçon, aux yeux bandés, comme la Justice, ou la poêle noire qu’il promène 
circulairement avec l’impartialité d’un aveugle, les force vite à reculer. 

Un premier champion se présente ; il a les cheveux noués sur le der- 
rière de la tète, un simple caleçon et les pieds nus, Les enfants de douze 


LA CHANSON DE L’AIRE NEUVE. 455 


à quinze ans luttent d’abord, puis les jeunes gens, et enfin les hommes. 
Le lutteur, en entrant en lice, s'empare de l’un des prix, fait le tour de 
l'enceinte en le tenant élevé, et si personne ne se présente pour le lui 
disputer, il lui appartient. Mais on ne tarde pas à répondre au défi : les 
lutteurs s'approchent: ils commencent par se frapper dans la main en 
preuve de bonne amitié, ils s'adressent quelques mots à voix basse, font 
le signe de la croix, puis ils se saisissent mutuellement, ils se pressent, 
ils s’épient. ils essayent de se donner le croc-en-jambe, ils s’enlacent 
parfois et tombent ensemble : mais pour qu’il y ait victoire proclamée, 
il faut que l’un des deux champions renverse l’autre sur le dos. Alors un 
des juges s’élance, prend le vainqueur dans ses bras, et le montre à la 
foule qui le salue de ses bravos. J'ai vu, dans ces moments de triomphe, 
des mères franchir l'enceinte des luttes et offrir elles-mêmes leurs fils 
aux applaudissements du peuple. 

Les lutteurs de Bretagne ont toujours été célèbres. Ils étaient autrefois 
entretenus aux frais de l'Etat; le connétable de Richemont, duc de Bre- 
tagne, en menait à sa suite lors de son voyage à Tours, et les fit jouter 
devant la cour de Charles VIT. 

Les seigneurs avaient aussi leurs lutteurs, qu’ils faisaient combattre les 
uns contre les autres dans les grandes cérémonies. Du Guesclin, dans sa 
jeunesse, ne dédaigna pas de se mesurer avec eux, à Rennes. 

Les luttes terminées, on revient danser. 

Il est rare que Taire neuve ne fournisse pas aux poëtes bretons le sujet 
d’une chanson nouvelle ; nous en avons vu un exemple aussi triste que 
dramatique dans la ballade du marquis de Guérand. Nous allons en conner 
une autre, mais d’une nature moins tragique ; elle se chante en haute 
Cornouaille, et, si j'en juge par le refrain, elle a du être faite à Nizon. 


Les miens étaient allés à l'aire neuve; et moi d'aller aussi 
avec eux, à la fête! 


— Sonne, cloche de Nizon, sonne, sonne ; sonne, cloche de 
Nizon, sonne, <onne ! 


Ils étaient allés à une aire neuve, au manoir; ce n’est pas 
moi qui serais resté à la maison! 


— Sonne, cloche de Nizon, etc. 


SON AL LEUR-NEVEZ 


NE S HEE NTE HI HEI 


Ma zud oa oet J'al leur-neve; Son, son! 
1 T y _ 1 ’ 
Ha me d'ho heul d'ar fest ive! D'al leur-ne oant oet J'ar mner, 
— Son, Kloc'h Nizon, Fe vie bet gan-in chom er ger! 
Son, son, — Son, Kloc'h Nizon, ete. 


Son Kloc'h Nizon 


436 


CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Les jeunes garçons n'y manquaient point, —sachez-le, — ni 


les jolies filles non plus. 


Mon cœur bondissait d'entendre les ménétriers sonner. 


Alors je vis danser une jeune fille. Elle était aussi éveïllée 


qu'une tourterelle ; 


Ses yeux brillaient comme des gouttes de rosée sur une 
fleur d'épine blanche, à l'aurore, 


Et ils étaient bleus comme la fleur du lin ; ses dents aussi 


belles que des pierres fines; 


Son air vif et joyeux; et elle de me regarder, 


Et moi de la regarder, et moi d’aller, un peu après, l'in- 


viter, 


L'inviter pour un jabadao, et nous voilà en danse! 


Comme nous dansions, je pressai sa petite main blanche; 


Et elle de sourire, de sourire aussi doucement qu'un ange 


du paradis ; 


Et moi de lui sourire; et je n'aime plus qu’elle. 


J'irai la voir, ce soir, et lui porterai un velours et une 


Croix, 


Ua velours noir avec sa croix, que j'ai achetés à la foire de 


Saint-Nicolas, 





[neubed. 
— ken- 


Potred eno na vanke ket, 
Na merc’ked Koant, — ho! 


Dridal a ree ma c'halon 
0 kleout ar zonerien son. 


Pa weliz eur plac'h o tansal, 
Ken drant evel eunn durzunal ; 


He daoulagad evel glizin 
War ar bleun spern-gwenn, da vintin, 


Hag he ker glaz evel bleun-lin ; 
He dent ker kacr cvel mein-fin ; 


Ile neuz ken drant ha ker laoucn : 
ag hi mont da zellet ouz-en, 


Ha me mont da zellet out-hi. 





Ha me mont goude d’hi fedi, 

D'hi fedi’vid eur jabadaou, 

Ha ni war ann dachen hon daou! 
Trema oamp gand ann abalen, 

Me waske war hi dornik gwenn ; 
Hag hi c'hoarzin, c’hoarzin ken dous, 
ag eunn el euz ar baradouz; 

Ha me mont da c’hoarzin out-hi; 
a ne garann mui nemet-hi. 

Me iela d’hi gwelet henoaz, 

Eur voulouz gan-in, hag eur groaz; 
Eur voulouzen du hag he c’hroaz, 
Prenet e foar Sant-Nikolaz, 


LA CHANSON DE L’AIRE NEUVE. 457 


De Saint-Nicolas, notre grand patron; cela fera bien sur son 
petit cou nu; 

Et de plus je lui porterai une bague d'argent pour mettre à 
son joli petit doigt, 

Pour passer à son doigt, afin qu’elle pense à moi quelque- 
fois. 


En m'en revenant de chez ma douce le vieux tailleur m'a 
rencontré; 


J'ai rencontré le tailleur, et il a fait cette chanson. 


— Sonne, cloche de Nizon, sonne, sonne! 


NOTES 


Saint Nicolas, patron des enfants dans toute la France, l’est en Pre- 
tagne des amoureux : ceux-ci lui font mille neuvaines pour qu'il les 
exauce ; ils lui enfoncent aussi, par dévotion, des épingles sans nombre 
dans les pieds, et ils ont l'habitude d'en remplir sa fontaine le jour de 
ca fête. 

Le bon saint n’accepterait d'eux aucun présent plus considérable, car 
il sait, disent de vieilles rimes bretonnes, « que leur bourse est aussi vide 
d'argent que leur cœur plein d'amour.» D'ailleurs, leur épingle a bien 
quelque valeur : sans elle, comme le remarque naïvement un poëte popu- 
laire, le jeune homme ne peut souvent fumer sa pipe, le seul bien qu'il 
ait en ce monde; et, quant à la jeune fille, l’épingle qu'elle offre ferme 
sa collerette. 

La chanson qu’on vient de lire n’est autre chose qu'une satire, 
quoïqu'elle n’ait pas l'air d'en être une; le vieux tailleur fait narguer 
par le jeune fou, coureur d’aires neuves, la cioche grave de la paroisse, 
qui l'appelle peut-être au catéchisme. Mais les traits malicieux de l’au- 
teur sont trop légers pour faire de profondes blessures. 


Sant-Nicolaz, hor patron hraz. 0 tont endro a di ma dous. 

A vo brao war hi gougik noaz Digouet gan-e "r c'hemener kouz; 
Hag ouspen, eur walen argant Ar c'hemener em euz Kavet, 

Da lakat war he bezik koant, Hag ar zon-man en deuz savet. 
Da lakat war-n-han da vezou, — Son, Kloc'h Nizon, 


Ma zonjo enn on wechigou. Son, son! 


IV 


LA CHANSON DE FÊTE 
LES PETITS PATRES 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Comme l’âge mûr et la jeunesse, l'enfance a sa fête en Basse-Bretagne; 
elle se célèbre, principalement dans les montagnes, à la fin de l'automne, 
et se nomme la Fée des petits Pâtres. 

Les parents amènent leurs enfants des deux sexes, de neuf à douze ans, 
au lieu du rendez-vous, qui est, en général, la lande la plus vaste de la 
paroisse, celle où les petits pâtres mènent d'ordinaire leurs troupeaux. 
Chacun porte avec soi du beurre, des vases de lait, des fruits, des crêpes, 
des gâteaux, tout ce qui peut flatter davantage le goût des enfants; on 
êtend une nappe blanche sur la bruyère, et on leur sert une belle colla- 
tion. A la fin du repas, quelque vieillard leur chante une chanson morale 
que j'ai entendu attribuer à saint Hervé, patron des bergers et des chan- 
teurs bretons, mais qui à été sans doute bien remaniée, rajeunie et 
aliongée depuis son (emps. Ensuite, les enfants dansent jusqu’au coucher 
du soleil sous les yeux de leurs parents, avec lesquels ils reviennent alors 
en répétant eux-mêmes un autre chant intitulé Hol'aïika ou l Appel des 
Pâtres. La première pièce est tel ement répandue, que les nourrices des 
châteaux, même dans la partie de la Bretagne où l'on parle français, 
apprennent aux enfants à dire, après leurs prières, quelques-uns des 
enseignements qu’elle contient : je la fais suivre de l’Hollaika : mais l'écho 
des montagnes leur manque à toutes les deux 


Approchez, mes enfants; venez entendre un chant nouveau 
qui a été fait pour vous. Mettez bien votre peine afin de le 
retenir. 





KENTEL FEST AR VUGALE 


Didostait ama, bugale, A z0 bet savet evid hoc'h: 
Da glevet eur gentel neve Kemeret roan d'hs ziski lioc'h, 


LA CHANSON DE FÊTE DES PETITS PATRES, 43) 


Quand vous vous éveillez dans votre lit, offrez votre cœur 
C 


au bon Dieu; faites le signe de la croix, et dites avec foi, 097 
pérance et amour : 


Dites : « Mon Dieu, je vous donne mon corps, mon cœur et 
n mon âme : faites que je sois un honnête homme, mon Dieu, 
« où que Je meure avant le temps. n 


Le bénédicité, avant le repas, et les grâces, après, dites-les : 
peut-être n'aurez-vous pas toujours à manger, si vous oubliez 
de les réciter. 


Is les récitent bien, les petits oiseaux perchés dans les bois 
sur les branches, pour un grain de blé, pour un petit ver; 
oui, pour une goutte de rosée, une toute petite goutte. 


Quand vous allez garder vos troupeaux, prenez une gaule de 
saule ; et quand il est temps de les ramener, le soir, ramenez- 
les, de peur du loup. 


Ne jurez jamais contre eux : s'il faut gronder, dites- 
leur : «Allez, allez, bêtes méchantes, ne volez pas l'herbe du 
recteur ! 


n Pâture à renard, pâture à cormoran, votre ventre n’est 
jamais plein! 

« Ah! si je peux vous attraper, je vous vendrai chèrement 
mes pas. » 


Pa zihunet enn ho kwele, 

Roet ho kalon da Zoue, 

Gret sin-ar-groaz, laret coude 

Gant fe, ha spi ha karante : 

Laret: « Me ro d'hoc'h. ma Doue, 

« Ma c'halon, ma c'hort, ma ene : 
« Gret ma vinn den mad, ma Doue, 
« Pe mervel kent ma teui ann de, » 


Benedicite, Kent ar pred. 

Ha grasou, goude, leveret ; 

Marteze ne po boed bepred, 

Ma n’hoc'h euz koun deuz ho laret. 


Laret a ra ann evnigou, 
Kludet er c'hond war ar hrankou, 


*Vid eur groun ed, ’videur prenvik, 
Ia, vid eul lomm gliz, eul lommik, 
Ha pa eet da warn bo loened. 
Kemeret eur wialen red ; 

Ha pa eo pred noz J'ho distrei, 
Distroit-he gand aon rag ar blei. 
Na wall-bedet morse gat-he : 

Mar d-e0 red gourdrouz, leret d'he: 
« Boit-hu ! boit-hu! locn divergon, 
Na laeret ked ieod ar person! 

« Boed al louarn, hoed ar morvrar, 
Da gorf-1e ne ve morse lan 

Ah! mar gellann erru gen-hoc’h. 
Me werzo ker ma fazou d'hoc'h, » 


EE CIIANTS POPULAIRES DE LA PRETAGNE. 


Quand vous voyez voler un corbeau, pensez que le démon 
est aussi noir, aussi méchant; quand vous voyez une petite 
colombe blanche, pensez que votre ange est aussi doux, aussi 
blanc. 


Pensez que Dieu vous regarde comme le soleil du haut du 
ciel; pensez que Dieu vous fait fleurir comme le soleil les 
roses sauvages de Comana. 


Quand vous parlez aux personnes de votre maison, dites : 
Mon frère, ma sœur ; dites : Vous. Parlez-vous les uns aux 
autres avec civilité et amitié. 


Portez, enfants, honneur et respect à la noblesse et aux 
gentilshommes; respectez les gens d'Église , répondez-leur 
bien poliment. 


Ne passez par aucun bourg, par aucun village où sera notre 
Sauveur Jésus, sans l’adorer de tout votre cœur, et vous 
gagnerez vingt jours d'indulgences. 


Quand vous rencontrerez le saint Sacrement, suivez-le pas à 
pas : vous aurez été vraiment ce jour-là dans la compagnie du 
roi des hommes et des anges. 


À la Fête-Dieu, ceux qui seront bien sages seront choisis 
pour jeter des fleurs sur ses pas, en attendant qu'ils en jet- 
tent devant lui, au ciel. 





Pa welet eur vran o nijal, Enoret ann dud a iliz, 

Sonjet enn diaoul ken du, ker fall; Komzet out-ho gand honestiz, 
Ha pa weiet eur goulmig wenn, Na dremenet na borc'h na Ker 
Sonjet enn el ker mad, ker gwenn. Lec'h a vo Jezuz, har Salver, 
Sonjet a zell ouz hoc'h Doue Heb he adori a galon, 

Evel ann heol Jeuz lcin ann ne; Hag ugent de po à bardon. 
Sonjet ho laka da vleunia Ar Zukramant, pa he sefet, 

Vel ann heol roz-gwe Komana. Heuliet-han kammed-ha-kamme 
Ia pa gomzet oc'h (ud ho ti, Gand roue ar zent hag ann ele, 
Laret: ma breur, ma c'honr: ha, c'hui. Viec'h bet G gwir cun de-se. 
Komzet ann oil ouz egile Da c'houel ar Zakramant meulet, 
Gand bonestiz ha karante. Ar revofuravo liket 

Enoret, bugale, doujet Da dol’t hleuniou Kaer dirag hen, 


Ann noblanz, ann dudjentiled ; 0 c'hortoz ma toilint enn ncn, 


LA CHANSON DE FÊTE DES PETITS PATRES. as 


Le soir, avant de vous mettre au lit, récitez toujours vos 
prières, afin qu'un ange blanc vienne du ciel pour vous gar- 
der jusqu'à l'aurore. 

Voilà, mes enfants, le vrai moyen de vivre en bons chré- 
tiens. Mettez donc mon chant en pratique. et vous mènerez 
une sainte vie. 


Enn noz, abarz mont da gousket, Setu, bugale, ann dro-vad 
Laret ho pedernou bepred, Da veva e kristenien vad. 

Ma teui eunn el Gwenn deuz ann ne, Sentet ela diouc'h ma c'hentel, 
9'ho (wall ken na zeui ann de. Ha c'hu ret eur vuhe zantel, 


L'APPEL DES PATRES 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


Dimanche matin, en me levant, pour aller conduire mes va- 
ches dans Les champs, j'entendis ma douce chanter, et je la 
reconnus à sa voix; j'entendis ma douce chanter, chanter 
gaiement sur la montagne, et moi de faire une chanson pour 
chanter avec elle aussi. 


— La première fois que j'ai vu la petite Marguerite, ma 
gentille amie, elle faisait ses premières pâques, dans l’église 
de la paroisse, dans l’église de Fouesnant, avec les enfants 
de son âge : elle avait douze ans alors, et j'avais douze ans 
aussi. 


Comme la fleur jaune du genêt, ou comme la petite 
églantine, comme l’églantine au milieu du buisson de lande, 


ANN HOLLAIKA 


STE KEANE 


Disul vintin a-ba zaviz mont da gas ma zaoud er mez, 
Me gleve va Jous 0 kana hag he anaiz diouc'h he moez, 
Me gleve va dous 0 kana, kana ge war er menez, 

Ma me mont da zevel eur zon da gaua gant-hi ivez. 


— Ar c’henta gwech em euz gwelet Mac’haïdik Koant, va mestrez, 
Ua oc'h ober he fask kenta ebarziliz ar parrez, 7 
Ekreiïz tre harz iliz Fouesnant etouez ar vugale: 

D'ar pred-ze c dod daouzek vloaz, ha me daouzek vlonz ive. 


Evel ar bleun melen balan, pe ’vel ar rozennik-gwez, 
Vel ar rozen gwez 'touez al lan, oa etre-z-ho, va mestrez: 


L’APPEL DES PATRES. 413 


ma belle brillait parmi eux; pendant tout le temps de la 
messe je ne fis que la regarder; plus je la regardais, plus elle 
me plaisait! 

J'ai dans le courtil de ma mère un pommier chargé de 
fruits, à ses pieds un gazon vert et un bosquet à l’entour; 
quand viendra ma douce belle, ma plus aimée pour me voir, 
nous irons, ma douce et moi, nous mettre à l'ombre dessous. 


Et la pomme la plus rouge, je la cueillerai pour elle, et je 
lui ferai un bouquet où je mettrai un souci dont j'aime la 
fleur ; un souci tout flétri, car je suis bien affligé, car je n'ai 
point encore eu d’elle un baiser d'amour sincère. 


— Taisez-vous, ne chantez plus, mon ami, taisez-vous bien 
vite: les gens qui vont à la messe nous écoutent dans la val- 
lée. Une autre fois, quand nous viendrons à la lande, et que 
nous serons tous deux seuls, un petit baiser d'amour sincère 
je vous donnerai... un, ou deux. — 


NOTES 


Ce qui à fait donner à cette chanson le nom de Hollaïka, c’est qu'avant 
de la commencer, les petits pâtres, montés sur des arbres, se jettent par 
trois fois ce mot, d’une montagne à l’autre, en gardant leurs troupeaux. 
Le garçon prend le premier la parole de la sorte, sur un ton lent, mono- 
tone et prolongé : 


Hollaika! hollaika! hollaika! 





Tra oann bet gand ann oteren met sellet out-hi na renn; 

Seul vui-oc’h-vui out-yi zellenr, seul vui-oc’h-vui plije d'en. 

Me ’m euz eur ween e lorz va mamm à +0 xarget avalou, 

Hag cunn dachennik c'hlaz dindan, hag eur voden tro-war-drou: 
Pa zeuio va dousik-koantik, va muia-karet d'am z1, 

Ni a ielo da zisheolia, va dous ha me, dindan hi. 

Ann aval ruan a dapiun, hag eur boked riun ’vit hi, 

Hag eur rozinil a garann e likinn ivez enn hi, 

Eur rozinihk gwall c’hoenvet, ahalamour d'arm enkrez. 

Rag n’em euz Ket het c'honz gaut-hi eur bouch à wir garantez. 
— Tavit gand ho son, va mignon, tavit prim, gand ho komzaou ; 
Ann dud o vont d'ann ofercn zo cnn traon ouz hor silaou. 

Eur wech-all pa zeufiemp d'al lann, ha vemp hon unan hon daou, 
Eur bouchig a wir garantez a roinn d'hoc'h, unan, pe zaou, — 


151 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Et y ajoutant le nom de la jeune fille qu’il veut appeler, — le nom de 
Tina, par exemple, au cas où elle aurait pour patron saint Corentin ; —il 
lui crie : 

Tinaïik:-la! 
Deuz ama! 


« Petite Tina! viens ici! » 
Sielle ne veut pas l'écouter, elle répond sur le même ton mélanco- 
lique : 
N'inn ket, da! 


n Non, je n'irai pas! » 
Si au contraire elle veut bien l'entendre, elle chante moins lentement : 


Me in! ia! 


« Oui! j'y vais!» 

Et aussitôt son jeune compagnon entonne la chanson qu’on vient de 
lire, jusqu'à la dernière stroplhe que la petite fille chante seule avec telle 
variante qui lui plaît. 

Brizeux a rendu à ravir cette situation dans la chanson de Lok : 


Oh! sur un air plaintif et tendre 
Qu'il est doux au loin de s'entendre, 
Sans même avoir 
L'heur ce se voir! 


De la montagne à la vallée, 

La voix par li voix appelée, 
Semnbie un soupir, 

Nele d'ennuis el de plaisir, 


MI 


LA TOURNÉE DE L’AGUILANEUF 


OU DES ÉTRENNES 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Quand chaque condition comme chaque âge a ses plaisirs, dans les 
campagnes bretonnes, les pauvres gens pourraient-ils ne pas avoir les 
leurs? Ils les ont, et leur fête est celle du Dieu né dans l’étable. J’ai eu 
occasion de dire précédemment qu'ils vont par bandes, le lendemain de 
Noël, de village en village, précédés par un vieux cheval, orné de rubans 
et de lauriers, pour chercher leurs étrennes. Ils les demandent dans un 
chant dont le thème ne varie guère, mais que les chanteurs modifient au 
gré de leur inspiration. Faisant halte devant chaque porte un peu riche, 
le chef de la troupe entreprend avec un des habitants de la maison une 
joyeuse lutte en vers, qui se termine toujours, après une longue résis- 
tance, à son plus grand profit. J'ai recueilli, en Spezet, de la bouche 
même des montagnards de U Arez, le dialogue suivant, où l’on trouvera 
tn modèle de ce badinage rustique. 


In nomine Patris et Filii, Dieu vous bénisse en cette mai- 
son ! 
— Des étrennes! des étrennes ! 


C'est celle-ei une maison belle et haute ! et comme on la 
voit de loin! 
— Des étrennes! des étrennes! 


TROAD ANN EGINANE 


MES KERNE. 


In nom'ne Pairis et Fil, Heman eunn ti kaer har huell! 
Doue d’ho pennigo enn ti! Ha: he weleur demeuz a bell! 
— Eginane! Eginane! —Eginane! Eginane! 


446 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Encore on la verrait de plus loin sans les grands arbres qui 
l'entourent. 


— Des étrennes! des étrennes! 


Nous sommes venus à votre porte chercher de la viande 
pour tromper l'eau. 

— Des étrennes! etc. 

— Vous êtes arrivés de bien bonne heure ; le porc est en- 
core sur ses pieds. 


— Nous sommes dix-huit bons gaillards ; nous le tiendrons 
pendant qu'on le saignera. 


— Mon chien dort au bout du tas de paille, allez le tuer, 
vils bouchers. 


— Nous ne sommes pas des malfaiteurs pour tuer celui qui 
vous défend. 


— Si vous êtes les Étrenneurs où sont donc les ménétriers? 


— En sautant par-dessus le ruisseau, le sac du biniou s’est 
crevé. 


— Ma viande est au grenier, là-haut, et où est l'échelle on 
ne sait. 


— Le chat n’a pas besoin d'échelle pour attraper souris ou 





rats. 

— La ménagère est à Saint-Divy, et elle a emporté la clef, 
C'hoaz he weleur a belloc’h c'honz. — Neket ni eo torfetourien 
Paneved enn he dro koat braz. Evit laza neb ho tifenn. 

— Eginane: Eginane! — Mar d-oc'h-hu Eginanerien, 
Ni zo deuet da doull ho tour Pelec'h e ma ar zonerien? 
Da gerc’hat kik da drompa "nn dour. — nn eur lammet a-dreuz ar az, 
— Eginane) etc, Ema het kreouet ar zac’h hraz. 
— Abredik mad em’ oc'h deuct, — Ma c'hik zo d’al lae, er zelier, 
Ma c'honz ar penn moc'h war he dreid. | Ha pelec'h ma'r skeul na c’houier, 
— Ni z0 triouec'h a botred vad — Ne ket red knout skeul d'ar c'haz, 
Har hcn dalc'ho da doll he wad. Evit pakat logod pe raz. 


— Ma c'h gousk e pcnn ar hern plouz, ! — Oet eo ar c'hrouer da Zant-Divi 
Et d'hen laza, Kigerien louz. | Ha oct ann alc'houeou gat-hi; 


LA TOURNÉE DE L'AGUILANEUF, 4:T 


La clef de la viande, la clef du lait, la clef de tout ce qu'il y 
a dans la maison. 

— Nous avons amené un serrurier qui est un maitre en son 
état. 

— Avant que vous entriez dans la maison le verglas vous 
pendra au nez. 

— Au nom de Dieu, parlez poliment; la nuit est noire et le 
vent froid ; 

Le vent souffle du côté du Relec; ni vache, ni jument 
n'errent plus çà et là. 

Pour Dieu, hâtez-vous, bonnes gens, il nous reste sept lieues 
à faire. 

— Si vous êtes bien embouchés, parlons peu, mais parlons 
bien. 

Avant d'entrer dans cette maison, dénouez-moi les nœuds 
que voici : 

Dites-le-moi, là, rondement : qui porte sa chair sur sa 
peau ? 

— C'est le vieux guéret retourné par le soc qui porte sa 
chair sur sa peau. 

— Qui va le premier au marché avec des larmes dans les 
yeux ? 

— C'est, je le sais fort bien, la tête du grand chemin, dont 
les yeux brillent de rosée. 





Alc’houe ar c'hik, alc'houe al lez, — Mar d-oc'h potred hag ho deuz heg. 
Alc’houe pez z0 cnn tiegez. Komzomp nebeud ha Komzomp c'huek. 
— Gen-omp 20 deut cunn alc’houeer, | Abarz dont tre ’barz ann ti-man, 

Dag hen eur maill enn he vicher. | Diskolmet skolmou zo aman ; 

— Abarz ma teufec’h ’barz ann ti, Distaget d’in enn eur ger Krenn: 
Skorno ar glao euz beg ho fri. Piou zoug he gik war he groc’hen? 

— Enn han Doue Komzet seven ; — Ann havrek Koz warierc'h ann denn, 
Ann n0z Z0 du, ann avel ien. A zoug he gik war he groc'hen. 

Ma ann avel diwar Relek, — Piou a ia kenta d'ar marc'had. 

Pa na vresk na hioc'h na kazel. Ann daelou enn he zaou lagad? 

Enn han Douc, hastet, (ud ker, — Penn ann hent meur co, me oar’vad, 


Ni neuz c'honz seiz leo da ober. Ar glouiz war he zaou-lagad. 


448 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Puisque vous savez tant de choses, combien de plumes 
a la poule ? 

— La poule a autant de plumes que la lune d'étoiles au- 
tour d’elle. 

— Dites-moi, de par votre étrenne, quelle vertu possède la 
pleine lune. 

— La pleine lune vers le temps de Noël met du lin dans 
chaque sillon. 

— Puisque vous avez si bon nez, qui furète et furète 
toujours dans la maison? 

Quelle est la dame devenue servante, et qui a perdu fleurs 
et perles? 

— Celle-là est un balai (de genêt) dépouillé de ses fleurs 
dorées. 

— J'ai dans mon courtil un petit arbre dont l'écorce vaut 
mieux que la tige ? 

— Son écorce fait du linge blanc, celui-là est un plant 
de chanvre. 

— J'ai un autre arbre auprès de l'étang, avec un petit nid 
sur chaque branche ; 

Et un petit œuf dans chaque nid, et cent mille sont éclos le 
même jour. 

Si vous pouvez dire ce que c’est, votre demande sera bien 
reçue. 


— Pa d-oc’bh-hu potred hag a oar, — Hounez a zo eur valaen, 

Leret pet pluen 20 er jar. Kollet gant-hi he hleun melen, 

— Kemet a blan a 20 er iar — M'em beuz eur weenig em liorz 
Ma 0 stered endro d'al loar. Gwelloc’h he rusken hag he c'horz 7 
— Leret d'in, dre hoc'h eginan, — HG rusken a ra lien gwenn; 

Pe seurt galloud 20 el loar-gan. Hounez a zo eur ganaben. 

— Al loar-gan, war dro Nedelek, — M'em beuz eur ween all tal ar stank, 
A laka linn c pel havrek. llnr cunn aeizik zo war bep brank, 
— Pa d-oc'h potred hag ho deuz fri, ag eur viik zo e peb neiz, 

Diou zo furch difurch dre ann ti? Ha kant mil dort enn cunn deiïz; 
Piou ann itron oet da vatez, Mar d-oc’h ‘vit laret petra hi, 


Kollet gat-hi bleun ba perlez? C'hui po grad-vad ha kefridi. 


LA TOURNÉE DE L'AGUILANEUF. 419 


— je vais vous le dire à pleine bouche : pour celui-là, c’est 
un chêne, c’est un chène tout chargé de glands. 

— J'ai encore, étrenneurs, une maisonnette couverte en 
chaume, avec un petit seuil de pierre, 


Et elle a plus de cent mille chambres où il y a plus de cent 
mille demoiselles; 


Si vous savez dire ce qu’elles font, votre demande sera bien- 
venue. 

— Notre demande sera donc bienvenue et nous allons en- 
rer chez vous : 

Ces demoiseles-là sont vos abeilles qui veulent qu’on nous 
donne notre étrenne. 

Je vois la lumière qui court à travers la maison, et la ména- 
gère qui lient un couteau ; 

Qui tient un couteau à la main, et je pense qu'elle va au 
charnier. 


— Nous ne vous donnerons pas un seul morceau de viande, 
tant que vous ne nous aurez pas apporté l'Herbe d'or. 


— Quand viendra la moisson, quand viendront les foins, 
nous vous apporterons l'Ierbe d’or. 


— Nous ne vous donnerons pas un seul morceau de viande 
tant que le recteur ne sera pas avec vous. 


— Me laro d’hoc’h enn eur begad : 
Hounez zo eur ween dero ’vad, 
Hounez a zo eur ween dero 

Nemet mez razarc'h dioc’h he zro. 
— Eunn ik plouz eur saoik mein, 
Am heu: c'honz. Eginanerien, 

Hag cnn han oc’hpenn Kant mil kel, 
Hav eun ho kant nil demezel. 

Mar d-oc'h vit gout petra reont-hi, 
C'hu) po sred-vad ha kefridi. 

— Gand ho krad-vad ha kefridi, 

Ni ielo tre "harz cnn ho ti; 


Ar re-ze a zo ho kwenan, 

A c'houl rei d’e-omp hon eginan. 

Me wel ar goulou dre ann ti, 

Hag ar c'hroueg eur gontel gat-hi,. 
Gat-hi eur gontel cnn he dorn ; 

Ha me gav d'in 1a d'ar c’helorn. 

— Ni na roimp tamm kig ebed d'hoc'h, 
Ma n’ema ’un aour ieoten gen-hoc'h. 

— Pa zeui ann eost, pa zeui ar foen, 
N: zaso d'hoc'h ann aour ieoten. 

— Ni na roimp (amm kig ched d'hoc’h, 
Ma n’ema ar person gen-hoc'h. 


29 


450 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Quoique le recteur soit un homme excellent, c’est au 
nom de Dieu que nous vous prions. 


— Approchez done, fils de sorcière, venez ici avec votre sac. 


Approche aussi, toi, cheval de la viande, que nous te char- 
gions comme il faut. 


Avant que tu arrives chez toi ton dos sera cuit dans la 
saumure, 


— Poussons un cri de joie maintenant que nous avons reçu 
notre étrenne; 


Que nous avons reçu du lard d’un pied de long et en sus 
du seigle et de l’avoine. 


Un crt de joie en l'honneur de la mère et du pére, et des 
enfants de la famille ! 


Que vos garçons respirent la santé! que vos filles sentent 
la lavande ! 


Année de scarabées, année de rosée, année d'avoine et 
de froment pour vous! 


Dans votre courtil du chanvre gai, lorsque viendra le mois 
de mai! 


En mai la fleur, en juin le grain, et en Juillet la galette 
blanche! 


En juillet la galette blanche, et nous alors à votre service ! 





— Evit han da vezn den tre, Eur iouc'haden d'ar vamm, d'ann tad, 
NI a c’houlenn enn ban Doue. Ha da vugale ann tiad ! 
— Didoitait ’ta ma, mah ar wrac'h, C'houez ar iec’hed gad ho potred! 
Didostait arna gad ho sac'h: C'houez al lavan gad ho merc’hed ! 
Didosta ive, marc'h ar c’hik, Bloavez c’huilled, bloavez glouiz, 
Ma vezi sammet manevik. Bloavez kerc'h ha bloavez gwiniz! 
Abarz ma tigouezi d’az ti, Ebarz ho liorz Kanal gae 
Ve broud du gein gad ann ili. Abenn ma teuio ar nZ mae ! 
— Loskomp eur iouc'haden breman, Mae e bleun, even e greunen, 

P + Ñ 
Pa deuzomp bet hon eginan; Har c gouere ar wastel wenn! 

D G 3 Co 


Pa deuzomp bet eunn troatad swenn, llag e goucre ar wastel wenn, 
a kerc'h ha segal c'honz oc'hpenn. Ha ni neuze'nn ho kourc’hemenn! 


LA TOURNÉE DE L'AGUILANEUF. 451 


Pons compagnons, continuons notre tournée jusqu'au 
jour. 

Mais nous ne trouverons jamais, ni maison pareille à 
celle-ci, ni pareille étrenne. 

— Des étrennes! des étrennes! 


NOTES 


On sent que l’agrément de ce débat poétique, où la bonne humeur 
pourrait facilement dégénérer en farce, est surtout dans le tact des inter- 
locuteurs ; ils justifient bien le mot du poëte breton: 

Chez nous des laboureurs rustiques, point de rustres! 


S'il fallait en croire Noël du Fail, conseiller au parlement de Rennes, 
l’Aguilaneuf aurait pris un caractère différent dans la Bretagne française 
au seizième siècle, et se serait fort ressenti du voisinage de l'esprit gau- 
lois. Pour ce Rabelais de l'Ouest, les sens qui voulaient, je premier jour 
de an, comme est l'ancienne coutume, remarque-t-il, aller à l’Agui- 
laneuf, étaient de véritables truands. Au jour dit, + ils s'équipoient 
honnestement de bons bastons de pommier, fourches, vouges, et quel- 
ques vieilles espées rouillées, avecques une forte arbaleste ‘de passe, 
Devant tous marchoit un compagnon avec un lambourin de suisse ; un 
autre sonnoit du fiffre, ainsi qu'il disoit, ayant sa rapière sous le 
bras, en faisant du bon compagnon, disant qu'il ne la portoit pour faire 
mal, mais pour piquer les limax. » Un troisième «portoit une grande 
et large poche pour mettre les andouilles et autres émoluments de la 
queste.. » et aussi la bourse. Un quatrièmie portait la broche pour le 
lard. Et «ainsi bien enharnachés et bien échauffés, ils marchoïent lon- 
guement, » chantant une chanson que le chef de la troupe «leur appre- 
noit, comme de sa façon, pour ce que très-bon estoit rimasseur, et esloit 
voluntiers apellé à tous jeux qui se faisoient.» Leur cri était: «Ha! 
Dieu te gard, or ça, compain, donune-nous Aguilaneuf ! » 

Tels sont les curieux détails aue fournit sur eux le facétieux seigneur 
de la Hérissaye, dans le sixième chapitre de ses Propos rustiques, où il 
raconte comment les Vindellois furent punis pour avoir battu quelqu'un 
en allant à l'Aguilaneuf, et comment ils laissèrent, pour mieux courir, 
«tabourin, broches, poches, lard, pièces de bœuf salé, jambons, oreilles, 
pieds, andouilles, saucisses. ete., lespauvres aguilanneuf, pensant d’as- 
seurance estre morts.» Leur joyeuse confrérie n'existait pas seulement 
en Basse et Haute Bretagne, mais dans un grand nombre de provinces de 
France, et même en Ecosse; elle s’est plus ou moins conser\ée çà et li 
jusqu’à nos jours, et l’ancien Comité de la langue, de l'histoire et des aïts 


Na deomp-ni cndro da vale, Nemed enn ti evel heman, 
Potred vad, ken na zeui ann de, Ne gavimp ket Koulz egiran, 
—Eginane! eginane ! 


452 CHANTS POFULAIRES DE LA BRETAGNE. 


a reçu une cinquantaine de leurs chants. Mais le caractère de la plupart 
est une jovialilé triviale. Ceux du Limousin et du Poitou sont les moins 
burlesques, ils rappellent par la tenue, sinon par la poésie, la pièce 
bretonne. La chanson limousine fait explosion à la manière des trou- 
badours : « Arrivés! nous sommes arrivés! (Arribas! som arribas!) 
s’'écrient les chanteurs devant chaque porte, et ils continuent dans leur 
patois, que M. le baron d’Aigueperse a traduit ainsi: « Le guillaneu 
nous faut donner, gentil seigneur, le guillaneu donnez-le-nous, à nous 
compagnons.» Le guillaneu qu'ils demandent consiste, disent-ils, en 
pommes, poires, châtaignes, noix et noisettes, en argent blanc et en sous. 
Une fois satisfaits, ils forment mille vœux pour leur bienfaiteur, sans 
oublier ni son bouvier, qui fournit de blé le grenier, ni son porcher, 
qui garnit le charnier de lard. 

En Poitou, et aussi dans la Saintonge et l’Angoumois, leur chanson 
commence à peu près à la façon bretonne : 

Messieurs et mesdames de cette maison, 


Ouvrez-nous la porte, nous vous saluerons. 
Notre guilanea nous vous le demanlons. 


Guiettez dans la nann", guiettez tout au long, 
Donnez-nous la miche et gardez lyrison. 
Notre guillaneu nous vous le demandons, etc. G 

M. Bugcaud vient de publier six morceaux sur le même thème; le 
mieux tourné est l'œuvre d’un jovial curé poitevin, et concu dans l’es- 
prit indiqué par Noël du Fail. Le gentilhomme breton assure que « les 
sorciers de Rétiers {en Bretagne) cherchoïent du trèfle à quatre feuilles 
pour aller à l’Aguilaneuf. » Ce simple merveilleux devait sans doute 
rendre leur tournée plus fructueuse. Comme on l’a vu, on demande 
encore aujourd'hui la fameuse {lerbe d'or aux Etrenneurs, dans le dia- 
logue breton, maisil n’y est pas question du Gui. Une mauvaise étymo- 
logie l'aura fait introduire, avec les druides et leur prétendu cri pour 
expliquer une coutume où il n’a rien à voir. Le mot celtique egènan, 
(pluriel eu, e, ai, ou et 0. selon les différents dialectes), qu'on retrouve 
par toute la France sous les formes de guillanné, quilanneu, quilloneou, 
guilloné, héquinano, la quillona, etc., en Espagne de aguinaldo et en 
Écosse de Logmanay, se retrouve aussi dans le gallois eginyn et eginad, 
l'irlandais eigean et le gaël-écossais eigin. Sa racine semble être eg, 
force, pousse, germe, et ce n’est qu'avec le temps qu'il a pis la signifi- 
calion de prémices, d'étrenne. 

Mon opinion, déjà ancienne à cet égard, a reçu la consécration de la 
plus grande autorité philologique de l’Europe, l'illustre Jacob Grimm, 
qui m'écrivait le 3 août 1856: « Vos recherches ont mis en pleine 
lumière que votre éginané ne peut avoir rien de commun avec le gui 
celtique. » Je vois avec plaisir son jugement adopté par mon savant 
confrère M. le comte Jaubert1. 


1 Glossaire du centre de la France, 2° édit., 1864, p."554 


VIT 


LE LÉPREUX 


— DIALECTE DE TREGUIER— 


ARGUMENT 


La lèpre parut en Bretagne vers la fin du douzième siècle; tous ceux 
qu'elle frappait étaient retranchés de la compagnie des hommes; on les 
renfermait dans des villes particulières : ils avaient leurs prêtres, leurs 
églises, leur cimetière, et formaient au milieu du monde une société à 
part, dont la douleur était le partage, et l'horreur la sauvecarde. Plus 
tard,squand le mal devint moins commun, on permit aux malades d’ha- 
hiter à la porte des villes, d'y faire le commerce de fil ou de chanvre et 
le métier de cordier : mais on leur assigna des demeures à l'écart. 

Dès que les premiers symptômes du mal se manifestaient, on se ren- 
dait processionnellement chez le lépreux, comme s’il eût été réellement 
mort. 

Un ecclésiastique, en surplis et en étole, lui adressait quelques pa- 
roles de consolation, l’exhortait à se résigner à la volonté de Dieu, le 
dépouillait de ses vêtements pour le revêlir d’une casaque noire, l’asper- 
geait d'eau bénite et le conduisait à l’église. 

Le chœur était tendu de noir comme pour les enterrements; le 
prêtre, revêtu d’ornements de même couleur, montait à l’antel; le 
malade entendail la messe à genoux, la tête couverte du drap mortuaire, 
à la lueur des cierges funèbres. 

Après l’office, le prêtre l’aspergeait de nouveau d’eau bénite, chantait 
le Libera et le menait à la demeure qu’on lui destinait, qui avait pour 
meubles un lit, un bahut, une table, une chaise, une cruche et une 
petite lampe. On donnait en outre au malade un capuchon, une robe, 
une housse, un barillet, un entonnoir, des cliquettes, une ceinture de 
cuir et une baguette de bouleau. 

Arrivé au seuil de la porte, le prêtre, en présence du peuple, l’exhor- 
tait encore à la patience, le consulait de nouveau, l’engageait à ne 
jamais sortir sans avoir son capuchon noir sur la tête et sa croix rouge 
sur l’épaule ; à n’entrer ni dans les églises, ni dans les maisons particu- 
lières, ni dans les tavernes pour acheter du vin; à n’aller ni au moulin 
ni au four banal, à ne laver ni ses mains ni ses vêtements dans les fon- 
taines ou dans le courant des ruisseaux, à ne paraître ni aux fêtes, ni aux 
pardons, ni aux autres assemblées publiques; à ne toucher aux denrées 
dans les marchés qu'avec le bout de sa baguette et sans parler, à ne 
répondre que sous le vent, À ne point errer le soir dans les chemins 
creux, à ne point caresser les enfants... à ne leur rien offrir — eruelle 


25% CIIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


defense pour plus d'un! — puis il lui jetait sur les pieds une pelletée 
de terre, le bénissait au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et 
revenait avec la foule. 

Si le malade se (mariait et avait des enfants, ils n'étaient point bap- 
tisés sur les fonts sacrés, et l'eau qui avait coulé sur leur tête était 
jetée comme impure; s’il mourait, on l’enterrait dans sa demeure f. 

En Bretagne, on donnait à ces malheureux le nom de kakous, qu'y 
portent encore aujourd'hui les cordiers et les tonneliers, gens pour 
lesqueis le peuple a conservé une sorte d'aversion et de mépris hérédi- 
laires. 

Les kakous sont le sujet de plusieurs chansons populaires, toutes 
antérieures au quinzième siècle, époque où le fiéau ccssa de régner en 
Bretagne. M. Prosper Proux m'en a procuré une assez curieuse que je 
regrette de ne pouvoir publier ici, n'ayant pu en contrôler le texte par 
aucune version différente de la sienne. 

Le sujet de cette pièce est un jeune paysan, si beau, que lorsqu'il passe 
le dimanche pour aller à la messe, ses cheveux blonds flottants sur ses 
épaules, on entend plus d’une jolie fille soupirer doucement. Le cœur de 
l’une d'elles, appelée Marie, est pris; celui du jeune paysan ne tarde pas 
à répondre à l'amour de Marie; mais, par malheur, elle a la lèpre; et 
lorsqu'elle se présente chez le père de son amoureux, et qu’elle dit : 
« Donnez-moi un siége pour m asseoir, et un linge pour m'essuver le 
front, car votre fils m'a promis de me prendre pour femme,» Îe vieillard 
assis au coin du feu lui répond d'un ton railleur : «Soit dit sans vous 
cher, la belle, vous vous abusez : vous n'aurez point mon fils, ni vous, 
ni aucune fille de lépreux comme vous! » Marie sort en pleurant et jure 
«le se venger. En cffet, elle se fend un doigt, et avec son sang elle 
donne la lèpre à quatorze personnes de la famille qui l'a repoussée, et 
son Jeune amoureux en meurt. 

La pièce suivante est moins tragique; elle nous a conservé les tou- 
chantes et poétiques doléances d’un pauvre kloarek atteint de la lèpre, 
el qui se voit délaissé par la jeune fille qu'il aime, 


LE JEUNE HOMME. 

Créateur du ciel et de la terre! mon cœur est accablé de 

douleur; je passe mes jours et mes nuits à songer à ma douce 
belle, à mon amour. 





AR C’HAKOUS 


— IES TREGER — 


Mantret va c’halon gant clac'har. 
O kounan cnn noz hag cnn de 
Krouer ann nenv hag ann douar ! D'am dousfk koant, d’am c'harante. 


ANN DEN IAOUANE 


1 V. Sauvageau, Coutumes de Bretagne, L IL, |. XII, c. xeyir, et Ogée, Dict. géograph. de 
Bretagne, t. 1, Introduction. 


LE LÉPREUX. 455 


La maladie, hélas! me tient cloué sur mon grabat; si ma 
douce belle venait, elle me consolerait bientôt. 


Comme l’étoile du matin, après une nuit d'angoisse, si ma 
douce me venait voir, elle me soulagerait. 


Si elle touchait du bout des lèvres les bords du vase de ma 
tisane, en buvant après elle je serais guéri à l'instant. 


Le cœur que tu m'avais donné, ma bien-aimée, à garder, 
je ne l'ai perdu, ni distrait, ni mis à nul mauvais usage ; 


Le cœur que tu m'avais donné, 0 ma douce belle, à garder, 
je l'ai mêlé avec le mien ; quel est le tien? quel est le mien ? 
LA JEUNE FILLE. 
Qui est-ce qui me parle de la sorte, à moi, qui suis aussi 
noire qu’un corbeau. 
LE JEUNE HOMME. 
Quand vous seriez plus noire qu'une müre, vous seriez blan- 
che pour qui vous aime. 
LA JEUNE FILLE. 


Jeune homme, vous en avez menti! je ne vous ai point 
donné mon cœur; Je ne veux plus de vous, vous êtes lépreux, 
je le sais bien! 


Me zo war va gwele chomet, | Ar Galon az poa d'in roet, 
Dalc'het, sioaz! cand ar c’hlenved ; | O va dousik koant, da viret, 
Ma ve va dousik a deufe, Em euz mesket gand va hini ; 
E berr-umzer am frealzfe. Pini da hini va hini? 

Evel gand ar werelaouen, AR pL AC'H 


Goude eunn nozvez a anken:; 
Mar deute ma dous d'am gwelet, 
E venn gant hi dizoaniet. 


Piou a gomz ouz-in evel-se. 
Ia me ken du hag eur vran ve? 


ANN DEN IAOUAK 
Ma lakafe beg he geno fu 


War bordik skudel va louzo, Pa vec'h ken du hag ar mouar, 

Da evan soude pa 1efenn Gwenn-kann oc'h d'ann hint ho kart! 
Gwelleet raktal e vizenn. AR PLAC" I 

Ar galon az poa d’in roet, Den iaouang, eur gaou a leret) 

Va muian karet, da viret, Va C'halon d'hac’h, n’em cuz roet; 
N'em euz Kollet na distroet, N'om euz Ker mut ac’hanoc’h, 


Na laket da uz fall e-bed; Eur c’hakous a ouzonn-me oc'h) 


456 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


LE JEUNE HOMME, 


À une pomme au bout de l'arbre ressemble le cœur de la 
femme ; la pomme est belle à voir, mais elle cache un ver 


dans son sein. 


A une feuille sur la branche ressemble la beauté de la jeune 
fille ; la feuille tombe à terre; ainsi déchoit la beauté. 


À la fleur bleue du bord de l'étang ressemble l'amour de la 


jeune fille; 


La petite fleur tourne parfois; la petite fleur tourne et re- 


tourne ; 


La petite fleur tourne parfois, l'amour de la jeune fille 


tourne toujours. 


L'eau entrainera la fleur, et l'oubli la mémoire du traitre. 


Je suis un pauvre jeune clerc; je suis fils de lann Kaour; 
J'ai passé trois ans à l’école, mais maintenant je n’y retour- 


nerai plus. 


Dans un peu de temps je m'en irai encore, je m'en irai en- 
core loin du pays; dans un peu de temps je serai mort, et 


m'eu irai en purgatoire. 





ANN DEN IAOUANK 
Vel eunn aval e beg ar ween 
E ma kalon ar femelen; 
Kaer ve ann aval da welet, 
Uag eur prenv e Kreiz 20 kuet. 
Evel eunn delien war ar brank, 
E ma gened ar plac’h iaouank : 
Ann delien gouez war ann douar, 
Ar c'hened (ve a ziskar, 
Vel ar blenn glaz diouz lez ar stank, 
Ma karante ar p'ac'h iaouauk; 
Ar bleunis a dro wechigo, 
Ar bleunig a dro, a zistro; 


Ar bleunig a dro wechigo, 

Karante ar plac'h tro ato. 

Ar bleun a ielo cand ann dour 

Ha gand ann ankoun ann traitour. 


Me a z0 eur c’hloaregik paour, 
Me à zo mal da lann Kaour; 
*eann onn het tri bloa o studi, 
Hogen hreman na inn ket mui. 


*enn eur pennad me iei cndro, 
Meiïei endro kouit deuz ar Yro: 
Benn eur pennadik vinn maro, 

Ha J'ar purkator me ielo. 


VIII 


LA MEUNIÈRE DE PONTARO 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Hévin, baron de Kymerc’h, était, en l’année 1420, seigneur du château 
de ce nom et propriétaire du moulin de Pontaro, charmante chaumière 
à demi perdue dans un bouquet d’aunes et de saules, au fond d’un val- 
lon, sur les limites de la paroisse de Bannalec, en Cornouaille, La chanson 
satirique qu'en va lire, et qui est, de toutes nos chansons d'amour un 
peu anciennes, presque la seule à laquelle on puisse assigner une date, 
parle expressément de ce baron. Elle a pour sujet un meunier de Pontaro, 
qui enleva méchamment la belle d'un petit tailleur contrefait, la con- 
duisit dans le moulin et l'y retint sous la protection de son seigneur. 


À Bannalec il y a un beau pardon, où l’on vole les jolies 
filles. | 


Ah! mon moulin tournera, 
Diga-diga-di, 

Ah! mon moulin va, 
Diga-diga-da. 


C'est là qu'on voit les jeunes gens sur de grands chevaux 
harnachés, 


MELINEREZ PONTARO 


MES EE H N E 


E Bannalek z0 ’r pardon kaer Ha! ma mell a ia 
Lec'h ia’r merc'hed koant gad al lacr, Diga-diga-da. 
Hal ma meil a drel, Eno e weler ar botred, 


Diga-d'ga-di, Gat he kezek braz ha sternet, 


458 LA MEUNIÈRE DE PONTARO. 

Avec des plumes à leurs chapeaux, pour séduire les jeunes 
filles. 

Gwillaouik le bossu est bien affligé; sa jolie Fantik, il l'a 
perdue. 

— Petit tailleur, consolez-vous, votre jolie Fantik se re- 
trouvera. 

Elle est là-bas au moulin de Pontaro, en compagnie du jeune 
baron. 

— Toc, toc, toc! écoute, meunier, ramène-moi ma douce 
Fantik! 

— Je n'ai vu votre douce Fanchon qu'une seule fois, au 
moulin du baron, 

Qu'une fois, ici près du pont, avec une petite rose sur le 
cœur, 

Et une coiffe plus blanche que neige, que vous ne lui avez 
pas donnée, 

Et un corset de velours noir, galonné d'argent blanc; 

Elle avait au bras une corbeille, pleine de fruits, si dorës et 
si beaux! 

De fruits du jardin du manoir, 0 tailleur! avec de fines 
fleurs par-dessus. 


Et elle se mirait dans la rivière, et vraiment elle n’était ni 
lude ni à dédaigner! 


ag ho zokou a 20 bluniet, Eur wech ama e-tal ar pont, | 
Evit dirollo ar merc'hed. Eur rozennig ar he c'halon, 1 
Gwillaouik kromm 20 glac’haret, Gat hi eur c'hoef ker gwenn bagerc'h ! 
Hi Fantik koont en deuz Kollet, A n'h: fa Ket bet digan-hec’h, 

— Kemenerik, "nem gonfortet, Eur c'hort voulouz du ’nn hi c'herc'hen, 
Ho Fanuk koant a vo kaet. Hag hen bordet gad argant gwenn; 

Ma du-ze 6 meil Pontaro, Gat hi deuz hi brec’h eur paner L 
Ar baron iaouang ar hi zro. Frezou ker melen ha ker kaer! 1 
— Tok, tok, tok ! — oh! — meliner, Frezou deuz jardin ar maner, 

Digas ma dous Fantik d'ar cer) Bleuniou fin ar ’nn he, kemener: 

— N'om eu gwelet ho tous Fanchon, En em zell a re barz ar ster; 


Med eur wech e meil ar baron; Ne oa vil, enn dail, na dister! 


CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 459 


Etelle ne faisait que chanter: — Je voudrais être meunière ; 

Je voudrais bien être meunière, meunière du jeune baron.— 

— Meunier, ne vous moquez pas de moi; rendez-moi ma 
jolie Fantik. 

— Quand vous me donneriez cinq cents écus, vous n'auriez 
point votre Fantik, 

Vous n'aurez point votre Fanchon ; elle restera dans le mou- 
lin du baron ; 

Votre Fantik point vous n'aurez : je lui ai mis au doigt mon 
anneau ; 

Elle restera dans le moulin du seigneur Hévin qui est un 
parfait chrétien d'homme ! — 

Comme les garçons meuniers sont gais ! ils ne faisaient plus 
que chanter ; 

Ils chantaient et sifflaient toujours : 

— Des crêpes et du beurre, c’est bon! 


Des crêpes et du beurre, c’est bon, et un peu du sac de 
chacun ; 


Et un peu du sac de chacun; mais les jolies filles surtout! 
Ah! mon moulin tournera, 
Diga-diga-di, 
Ah! mon moulin va, 
Diga-diga-da. 





Hag a gane ken aliez : 
— Me garfe but milinerez, 


A z0 eur c'hrisien mad a zen.— 


Milinerien zo potred ge! 


Me garfe but, a greiz kalon, 

Milinerez meil ar baron. — 

— Miliner, n'em godiset ket : 

Ma Fantik konnt d’in daskoret. 

— Ha pa rofec’h Jin pemp Kant skocd, 
Ho tous Fantik n’ho pezo Ker, 


N'ho pezo ked ho tous Fanchon, 
Chom a rei e meil ar baron; 


Ho tous Fantik n'ho pezo ket, 
Rag e ma gan-in gwalennet ; 
Chom a rei gad ’nn otrou Louenn 


Ne reant mui nemed kana "nhe: 


Hi a lare ’nn eur c'huitellat: 
— Krampouez hag aman a zo mad! 


Krampouez hap aman a z0 mad! 
Ha nebeudig euz peb sac'had. 


Ha nebeudig euz peb sac’had; 
Hag ar morc'hed kempenn a-vad) 


Ha ma mil a drei, 
Diga-disa-di, 

Ja ma mil a ia, 
Diga-diga-da, 


IX 


LE MAL DU PAYS 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Un jeune paysan des montagnes d’Arez, embarqué comme matelot à 
bord d’un bâtiment de guerre, fut atteint du mal du pays, et l’on fut 
contraint de le laisser à quelques lieues de Bordeaux, où il mourut de 
chagrin et de misère, sur la paille, dans une étable. 

Cet amour pour le lieu natal est un des sentiments qui inspirent le 
plus, chaque jour, nos poëtes populaires Il n’est pas de conserit qui ne 
fasse composer sa chanson d’adieu en quittant la Bretagne : il y en a des 
milliers sur ce sujet; toutes sont pleines de cœur, mais non de poésie, 
Le matelot des montagnes fit lui-même la sienne; c’est un de ses cama- 
rodes de bord qui l’a conservée et répandue dans le pays. 

Je tiens ces détails d’un paysan de la paroisse de la leuillée, sous 
la dictée duquel je l'ai écrite; il l'avait apprise lui-même d’un vieux 
garçon meunier, ami d'enfance du matelot, qui, s’il vivait encore, aurait 
plus de cent soixante-dix ans. 


Les ancres sont levées; veici le flik-flok ; le vent devient 
plus fort ; nous filons rapidement ; les voiles s’enflent ; la terre 
s'éloigne; hélas! mon cœur ne fait que soupirer. 


Adieu à quiconque m'aime, dans ma paroisse et aux 
environs; adieu, pauvre Chérie, Linaïk, adieu! je te fais 


ANN DROUG-HIRNEZ 


— LES KERNE — 


Ann eoriou zo savet, setu ar fik-ha-flok; 
Krenvat ra ann avel, mont a reomp kaer a-rog; 
Stegna reeur ar #weliou, ann douar a bella : 
Va c'halon, siouaz d'in! ne ra med huanada, 


Kenavo nel am c'har em parrez tro war-dro; 
Kenavo, dousik paour, Linaik, kenavo, 


LE MAL DU PAYS. 461 


ces adieux en te quittant; peut-être, hélas! est-ce pour tou- 
jours. 

Comme un petit oiseau enlevé dans le bois par un épervier 
aupres de sa compagne, dans la saison des nids, je n'ai 
guère le temps de songer à l’étendue de mon malheur, si 
vite on m'enlève à qui m'aime ! 


Comme un petit agneau éloigné de sa mère, je ne cesse de 
pleurer et de pousser des gémissements, les yeux toujours 
tournés vers le lieu où tu es restée, 0 ma très-douce amie! 


Bientôt mes yeux ne verront plus que la mer, qui tremble 
sous moi, qui bondit qui s'entrouvre, et qui, lorsque je pense 
que tout est fini pour moi, et que je suis au fond de l’abime, 
me lance vers le ciel. 


Quand j'entrai dans le vaisseau, mon étonnement fut grand 
de voir une espèce de château balancé sur la mer bleue ; qua- 
tre-vingts canons, quarante sur chaque bord, tachetés de blanc 
et peints en noir ; 


Le rivage comme un cercle, à l'entour, loin de moi, séparant 
en deux la grande mer et le ciel; et l'extrémité des mâts, 


Ar c'himiad ma rnn d'id, ken evid da guitat, 
Marteze, siouaz-d’in, da viken, evit mad. 


"Vel eunn evnik lammet gand eur sparfel, er c'hond. 
Deuz a gichen he far pa oant d'en em larat. 

Meuz ket kalz a amzer da zonjal d’am glac'har, 

Ker luhan am lammer digand ann nch 4m c'hat, 


Evel eunn oan à zen, pelleet deuz he vamm, 
N’ehanann da oela, da deurl klemmou estlamm; 
Ma daou-lagad bepred troet trezrg ar plas 
Elec'h oud-de chomet, va mignonez k vraz. 
Pelloc’h va daou-lagad na weljont nemet mor, 
A gren azindan on, a lamm hag a zigor; 

Ha pa’z ann da zonjil ma ar huet gan-e, 

Ha me c gweled mor, em striuka ra d’ann ne. 


Pa zeuiz tre el leslr va estlamm a na b'az 
Gwelet eur seuri kastel o vralla war mor glaz; 
Pevar-ugent kanol, daou-ugent a bep tu, 

Ho c'hort briziet cnn gwenn livet gand livach 


Ann od evel eur c'helc'h, endro, nell diouz-en, 
0 ranna enn daou du ar mor braz hag ann nen, 


462 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


plus élevée au-dessus de l’eau que ne l’est le bout de la 
tour la plus haute du sol du cimetière. 


Vous avez vu sur la colline, autour de la fougère verte, des 
fils sans nombre croisés en long et en travers; il y a plus de 
cordages autour d'un mât qu'il n'y a de fils autour d'un pied 
de fougère. 


Hélas! les Bretons sont pleins de tristesse ! Ma tête tourne; 
je ne puis penser plus longtemps; mon cœur s'ouvre; c’est 
en vain que je fais cette chanson; peut-être, hélas! ne me 
l'entendrez-vous jamais chanter! 


NOTES 


Hétas ! les Bretons sont pleins de tristesse! 


« Loin de leur patrie, — disent MM. Benoiston de Chäteauneuf et Villermé, 
dans unécrit aussi impartial que judicieux surlaBretagne,— loin de leur 
patrie les Bretons n'existent qu'à moitié. Souvent ils meurent du regret 
de ne plus la voir. On raconte que l’ancienne Compagnie des Indes, frap- 
pée des pertes nombreuses qu'éprouvaient les équipages de ses vaisseaux 
presque tous composés de matelots nés en Bretagne, et qui, transportés 
sur les bords du Gange, y pleuraient la patrie absente et mouraient de 
douleur, prit le parti d'embarquer sur chacun de ses navires un joueur 
de biniou. Le son de cet instrument chéri du Breton, en lui rendant les 
airs et les danses de son pays, adoucissait la longueur de son exil et 
diminuait l’'amertume de ses regrets 1, » 


Ha begig ar gwernou, huelloc’h deu z ann dour 
Ha Yen deuz ar vered beg ann huella tour. 


Gwel’t hoc'h euz war ar roz endro d'ar raden glaz, 
Ho deuz koulmou awalc'h Koulz a-hed hag e kroaz, 
Endro d'eur wern ez euz liesoc'h a funen 

Evid a neuden 20 endro d'ar radenen. 


Allaz! ar Vretoned 20 leun a velkoni! 

Meveli ra va fenn, ne hallann sonial mui. 
Va c'halon a zigor; "nn aner rann ar zon-ma ; 
Marteze, siouaz-d'in! n'en c’hlefot he c'hana) 


4 Rapport d'un voyage fait dans les cinq départements de la Brelugne, en 1840 el en 1811, par 
MM, Benoiston de Chäteauneuf et Villermé, membres de l'Académie des sciences morales et 
politiques. 


X 


LE PAUVRE CLERC 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


Le lieu où a été rèvée cette douce chanson lui donne un prix de plus. 
Dans l'épilogue de la version la plus complète, le poëte nous apprend 
qu'il l’a composée en traversant la grève de Saint-Michel, près de Lan- 
nion. Tout le monde sait combien la grève en question est dangereuse. 
Mais une croix la domine, et tant que le signe du Salut étend ses deux 
bras au-dessus des eaux qui montent, la plage est sûre: La croit nous 
voit, disait un jeune paysan à Emile Souvestre ; nous pouvons passer. 
Et l’auteur des Derniers Bretons fait remarquer cette idée vraiment chré- 
tienne qui avertit les hommes que là où la croix a disparu Dieu est absent. 
et qu'il n’y a plus à compter sur lui Pour être plus profane, l'idée du 
Pauvre clerc txégorrois n'est pas moins émouvante; on en va juger. 


J'ai perdu mes sabots et déchiré mes pauvres pieds à suivre 
ma douce dans les champs, dans les bois ; la pluie, le grésil 
et la glace ne sont point un obstacle à l'amour. 


Ma douce est jeune comme moi; elle n'a pas encore dix- 
sept ans; elle est fraiche et jolie; ses regards sont pleins de 
feu, ses paroles charmantes; c’est une prison où j'ai enfermé 
mon cœur. 





AR C’HLOAREK PAOUR 


NES SRREGERE— 


Va boto-koad'm euz kollet, roget va zreidigo, 

O vont da heul va douzik d'ar parko, d'ar c’hoajo; 

Pa ve ar glao, ar grizil, ann erc'h war ann douar, 
Kement-ze ne ked eunn harz da zaou zen a "n em gar. 


Va dousik a zo eur plac'h iaouank-flamm evel-d-en, 

Ne Jeuz Ket c'honz seiztek vloa, eur plac'h koant ha ru-benn ; 
He sello zo lcun a dan, har he c’homzo mignon; 

Meuz Kemeret eur prizon da lakat va c'halon, 


46% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Je ne saurais à quoi la comparer; sera-ce à la petite rose 
blanche, qu'on appelle rose-Marie? petite perle des jeunes 
filles, fleur de lis entre les fleurs qui s'ouvrent aujourd’hui et 
qui se fermeront demain. 


En vous faisant la cour, ma douce, j'ai ressemblé au rossi- 
gnol perché sur le rameau d’aubépine ; quand il veut s’en- 
dormir, les épines le piquent, alors il s'élève à la cime de 
l'arbre et se met à chanter. 


Je suis comme le rossignol; ou bien encore comme une 
âme dans les flammes du purgaloire, qui attend sa délivrance ; 
le terme est arrivé et le jour venu où j'entrerai dans votre 
maison, en Compagnie des Bazvalan. 


Mon étoile est fatale, mon état est contre nature ; je n’ai eu 
dans ce monde que des peines à endurer ; je n'ai ni parents, 
ni amis, hélas ! nt Ucro, ni mère ; nul chrétien sur la terre qui 
me veuille du bien! 


Il n'y a personne qui ait eu autant à souffrir à votre sujet 
que moi depuis ma naissance; aussi je vous supplie à deux 
. genoux, et au nom de Dieu, d'avoir ptié de votre clerc! 


Ne c'houfenn me da hetra he hevelebeket, 

Mar d-e0 d'ar rozennik-ewenn 20 roz-Mari hanvet? 
Perlezennig ar merc'hed, bleun li ar bleunio, 
Iirio ma o tigorin ha warc'houz e serro. 


Me a zo bet, va dousik, oc'h ho tarempredet, 
Evel ma ve ann estik war ar spern-gwenn Kludet: 
Va fell d'ean paouean teu ann rein d'he hikan, 
Neuze sav war beg ar brank hag e teu da ganan. 
Me zo evol ann estik; pe ’vel ann anaon 

E kreiz lan ar purkator o c hortoz he levon; 
Achuet eo ann termen hay ann devez deuet 

Ma ienn-me ‘tre barz ho ti, gand ar Vazvalaned. 


Va stereden z0 kaled. va stad z0 dinatur, 

N'en cuz bet war ar bed-ma nemed displijadur, 

N'em euz na kar na mignon, sioaz! na mamm na tad, 
Na kristen war ann douar hag a garfe va mad. 


Ne deuz den harz ar bed-ma abaou’ ed onn deuet, 
A 20 bet diwar ho nenn, kel liez tamallet; 

Rak-se war benn va daou lin, hag enn hano Doue, 
lo p'dann-me da gaout ouz ho klourek true! 


LE PAUVRE CLERC. 465 


Cette chansonnette a été composée en suivant la grève, au 
retour du pardon de Saint-Michel, où était mon amie. Quand 
la mer que je vois monter m’engloutirait, peu m'importerait, 
si je n'étais pas écouté. 





Ar zonik man oa savet cnn eur dont, gand ann trez, 

Euz a bardon Sant Mikel, lec'h ma où ma mestrez 
welann 0 tont ar mor, ne roffenn man e-bed 

Da vezan beuzet enn han, ma p'am silaouer ket. 


P 
LU 


XI 


LES MIROIRS D'ARGENT 


— DIALECTE DU BAS-VANNES — 


ARGUMENT 


C’est l'usage en Passe-Bretagne de consteller de petits miroirs encadrés 
d'argent les coiffes des nouvelles mariées. La crainte de ne jamais les 
voir briller pour elle tourmentait la jeune Marguerite : voici le testa- 
ment coquet et triste dont elle fit part à sa mère, en souriant à travers 
ses larmes, et même en menaçant un peu. La Jeune fille du Pays Messin, 
dans le recueil de M. de Puymaigre, la Jeune Piémontaise de M. Nigra, 
la Pernette de Lyon et la Fanfarneto de Provence ne sont pas si sombres 
que la petite Bretonne; celle-ci a plû pourtant davantage. 


Écoutez tous, écoutez! Voici une nouvelle chansonnette. 
Elle a été faite sur Marguerite de Kerglujar, la plus gen- 
ülle fille qui fût au monde. 


Et sa mère lui disait : 
— Chère Marguerite, comme vous êtes jolie! 


— Eh! que me sert d’être si jolie, puisque vous ne me ma- 
riez pas? 

Quand la pomme est rouge, il faut qu’on la cueille sans 
retard ! 


MELLEZOUROU ARCHANT 


— IES GWENNED-IZEL— 


Seleuet holl, ho! seleuetl — Marc'haid geh, koantik oc'h-hui! 

Ur zonik neue zou sauet. — Ha petra vern d’eing bout ken brao, 
Ar Varc’haid doc'h Kergluj:r, Pe n’em zimeet ked atao? 

Probikan piac'h oa onr enn Joar. Pe ve deit ann avalen ru, 


Hag he mamm a lare d’ehi: Red eu he gutuillein doc’htu! 


CP 


LES MIROIRS D'ARGENT. 467 

La pomme tombe de l'arbre et se gâte, si on ne la cueille 
pas. 

— Mon enfant, consolez-vous, dans un an je vous ma- 
rierai. 
.. — Et si je meurs avant un an?... Vous aurez bien du cha- 
grin après ? 

Si je meurs avant un an, mettez-moi dans une tombe nou- 
velle. 

Placez trois bouquets sur ma tombe, un de rose et deux de 
laurier. 


Quand les jeunes clercs sortiront du cimetière, ils prendront 
chacun un bouquet, 


Etils se diront l’un à l’autre : — Voici la tombe d’une jeune 
fille 


Qui est morte du désir de porter les miroirs d'argent. — 


Creusez plutôt ma fosse ou bord du grand chemin; cloche 
pour moi ne sonnera ; 


Cloche pour moi ne sonnera sur terre; prêtre ne viendra 
me chercher. — 


Koei ra doc'h er wern ann aval: Pe zeui ar gloer ag er vered 

Ma n'hen kutuiller, ia da fall. E kemerint bep ur bouked, 

— Me merc’hik, en em gonfortet, Hag e larint’nn erl d’egile : 
Abenn ur ble e vec'h dimet. — Setu ur plac'h 1euang ame 

— Ha mar varvann arog ur hie... Har a zou marue enn hi c'hoant, 
Hut po glac'har vraz goude-zel De zougenn mirouereu argant. — 
Ma varvann-me arog ur ble, Ar ann hent braz kent me laket, 
Me laket enn ur be neue. Kloc'h avoid on ne zono ket: 
Laket tri bouked ar me be, Kloc'h ar enn donr ne zono ket, 


Unan a roz, daou a lore, Belek J'an c'herc'het ne zeui ket. — 


XII 


LA CROIX DU CHEMIN 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La croix dont il va être question est celle du bord de la route de Quim- 
perlé à Riee. Le jeune Kloarek, auteur de la chanson qui en parle, était de 
cette dernière paroisse, et renonça à la robe noire pour reprendre, comme 
on dit, l'habit blanchi de farine ; son père en c fet était meunier du marquis 
de Pontcalec et avait son moulin sur un cours d’eau, non loin du manoir 
seigneurial : il rimait force zones en piquant sa meule, et peut-être faut-il 
Jui attribuer la belle élégie de son seigneur. Quoi qu'il en soit, la pièce 
suivante est digne du même poëte, j'allais dire du chantre de Laure. 


Un petit oiseau chante au grand bois ; jaunes sont ses peti- 
tes ailes, son cœur rouge, sa tête bleue un petit oiseau 
chante à la cime du grand arbre. 

Il est descendu de bien bonne heure sur le bord de notre 
foyer, comme je disais mes prières ; 

— Bon petit oiseau, que cherchez-vous ? — 

Il m'a tenu autant de doux propos qu'il y a de roses dans 
le buisson. — Prenez une compagne, mon ami, qui réjouisse 
votre cœur. — 


KROAZ ANN HENT 


IE SRE H NIE 


Evnig a gan er c'hoad hucl, Keit ha ma oann gant ma fater : 
Ha meïenig he ziou askel; — Evuik mad, petra a glasker? — 
He galonik ru, he benn glaz; Kemend a c'herioù neuz laret, 
Evnig a gan heg ar ween vraz. M'ez euz rozennou er boched : 
Abredik mad eo diskennet —- Kemeret chan dnus, va mignon, 
War lezen treuzou hon oaled, A lakat laouen ho kalon. — 


D A dd 


LA CROIX DU CHEMIN, 469 


J'ai vu près de la croix du chemin, lundi, une jeune fille 
belle comme les saints ; dimanche j'irai à la messe, et je la 
reverrai sur la place. 


Ses yeux sont plus clairs que l’eau dans un verre ; ses dents 
blanches et pures, plus brillantes que des perles; 


Et ses mains et ses joues fraiches, sont plus blanches que le 
lait dans le vase noir ; oui, si vous la voyiez, doux ami, elle 
charmerait votre cœur. 


Quand j'aurais autant de mille écus qu’en a le marquis de 
Pontcalec; quand j'aurais une mine d’or, sans la jeune fille, 
je serais pauvre. 


Quand même 11 croitrait au seuil de ma porte, au lieu de 
fougère verte, des fleurs d’or ; quand j'en aurais plein mon 
courtil, peu m'importerait sans ma douce. 


Chaque chose a sa loi nécessaire : l’eau coule de la fontaine ; 
l'eau descend au creux du vallon; le feu s'élève et monte au 
ciel ; 

La colombe demande un petit nid bien clos, le corps la 
tombe, l'âme le paradis, et moi votre cœur, chère amie. 


J'irai tous les lundis matin, sur mes deux genoux, à la croix 
du chemin; j'irai à la croix nouvelle, en l'honneur de ma bien- 
aimée. 


Gwelet em ouz tal kroaz ann hoent, 
Dilun, eur plac'h evel ar zent; 

Me iei disul d'ann oteren, 

Hag he gwelinn war ann dachen, 


Ma he daou-lagad enn he fenn 
Skleroc'h eved dour er weren, 
Hag he dentigou net ha gwenn, 
Zo kaeroc'h eget perlezen. 


He daou-zorn hag he diou-chod ru, 
Gwennoc'h eged lez er pod du; 

Ia! mar he gwelfec'h, va mignon, 
Laouen a zeufe ho Kalon. 


P'am befe kemend a vil skoed, 

Hag en deuz markiz Pontkalek ; 

Ha p'am befe eur vein-gleuz aour, 
Ma Yem euz ar plac'h me z0 paour, 


Na pa zafje war dreuz hon nour, 
E-lec'h radeu glaz. bleuniou aour; 
Na pa zafjent leiz ma liorz, 

Ma in’em cuz ma dous, ne rann forz, 
Kement tra deuz he lezen red; 

Ann dour deuz ar feunten a red, 
Ann dour ia d'ann (raon, d'ann izel, 
Ann tan d’anr nenv ha d'ann uc'hel: 


Ar goulm à c'houl eunn neizik klouz, 
Ar c'hort maro a c'houl ar four, 

Hag ann cne ar baradouz. 

Ha me ho kalonik, va dous. 


Me a ielo peb lun vintin, 

Da gronz ann hoent, war ma dgouhn; 
Me a ielo d’ar gronz neve. 
Ahalamour d'am c’harante, 


XIII 


LA RUPTURE 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


Avec autant de fraicheur et de chasteté dans l’expression que les trois 
cantilènes précédentes, celle du jeune paysan léonard qui chante ses illu- 
sions trompées a plus de gravité et de philosophie : s’il ne sait ni lire ni 
écrire, selon son propre aveu, il ne tardera pas à s’instruire en devenant 
kloarek ou clerc d'école, comme on disait autrefois en France, et plus 
tard clerc d'église; mais a-t-il lieu de regretter une ignorance qui lu 
inspire des accents dont la grâce rustique charme le goût le plus dé- 
lical? 


Si je savais lire et écrire comme je sais rimer, je ferais une 
chanson nouvelle, une chanson, et dans peu de temps. 

Voici venir ma petite amie, elle se dirige vers notre maison ; 
si j'en puis trouver l’occasion, je lui parlerai. 

— Vous me paraissez changée, ma jolie petite amie, bien 
changée, depuis la dernière fois que je vous vis au pardon du 
mois de juin. 


— Et quand cela serait, jeune homme, et quand je serais 
changée! j'ai eu une grosse fièvre depuis le pardon du Folgoat. 
D D Le) 





ANN DROUK-RANS 


— [ES LÉON — 
Ma oufenn-me lenn ha skriva, evel a ouzounn rimel, 
Me a rete eur zon nevez, eur zon, ha na venn ket pell. 
Me wel erru, va mestrezik, dont a ra trezek hon ti; 
Mar gellann-me kaout ann tu, me a brezego out-hi. 
— Drouklivet, va mestrezik koant, drouklivet-braz ho kavann, 
Aboe m’ho kweliz er pardon, e miz even divezan, 
— Ha pa venn-me ’ta, den iaouang, ha pa venn-me drouklivet) 
Ann derzien vraz zo bet gan-in, abaoe pardon Folgoet. 


LA RUPTURE, 471 


— Venez avec moi, ma douce, entrons ensemble dans le 
courtil, je vous y ferai voir une rose parmi les herbes fleuries ; 


Elle brillait là si gaie et si belle sur sa tige! jeudi matin, 
quand je la trouvai, elle était fraiche comme vos joues. 


Je vous avais dit, mon amie, de bien fermer la porte de vo- 
tre cœur, afin que personne n’y entrât, au milieu des fleurs 
et des fruits ; 


Et vous ne m'avez pas écouté, et vous l’avez laissée ouverte ; 
et voilà que la fleur est flétrie, que votre beauté est détruite. 


L'amour et la jeunesse sont les plus belles choses de ce 
monde; elles fleurissent et se fanent l’une comme l’autre bien 
vite. 


Le temps où nous nous sommes aimés n’a pas duré bien 
longtemps ; il a passé, jeune fille, comme un coup de vent. 





— Deuit-c'houi gan-in, va dousik, deuit tre el liors gan-in, 
Me ziskouezo d'e-hoc'h eur rozen cno (ouez all louzou fin; 
Ker gae ha ker brao oa eno, hag hi savet war ar bod! 

Diziou heure pa he c'haviz oc Ker ruz hag ho tiouchod. 
D'e-hoc’h e liviriz serra mad tor ho kaloun, va mestrez. 

Na vize eat ann dud e-harz, ’touez al louzou hag ar rez: 

Ha n'hoc'h euz Ket sentet ouz-in, hag hoc'h euz hen digoret, 
Ha setu gwenvet ar vleuzven, kollet gan-e-hoc'h ho kened, 
Ar garantez, ar iaouankiz, kaera traou zo er hed-man: 
Bleuzvi a reont ha koenvi ann eil hag ehen buhan. 

Amzer omp het o’n em garout ne deuz ket padet gwall bells 
Tremen e deuz great, plac'h iaouang, cvel eur barrad avel, 


XIV 


LES HIRONDELLES 


— DIALECTE DE HAUTE-CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


On attribue cette discrète élégie à deux jeunes paysannes, deux sœurs. 
Toutes deux pourtant, si on les interroge, se défendent d’abord vivement 
de l'avoir composée; puis, si on continue de les presser, elles s’en font 
honneur l’une à l’autre, et, si on insiste davantage, elles finissent par 
avouer en rougissant qu’elles l'ont faite ensemble. Certes, à l’occasion 
d’un si doux aveu poëtique, remarque M. Magnin avec son tact habituel, 
une telle collaboration, vraie ou supposée, est un délicat subterfuge de 
pudeur et de modestie. On ne saurait trop admirer leur œuvre, ajoute un 
éminent poëte anglais; elle semble une espèce de reproche délicat fait à 
un fils de famille qui va chercher des plaisirs, et peut-être former des 
liens loin du pays natal, 


Il y a un petit sentier qui conduit du manoir à mon vil- 
lage, 


Un sentier blanc sur le bord duquel on trouve un buisson 
d’aubépine, 
Un buisson chargé de fleurs qui plaisent à l'enfant du manoir. 


Je voudrais être fleur d’aubépine, qu'il me cueillit de sa 
main blanche, 


AR GWENNILIED 


— MES KERNE-HUIEL— 


Tre ma c'herig hag ar maner. Hag hi karget a voukedou 

Eur wenojemz à gaver; Hag a blij da vab ann otron, 

A gaver eur weno en wenn Me garfe but bleun e spern-gwenn, 
A z0 cnn hi eur ween spern-gwenn; Ha but tapet gand he zorn gwenn, 


4 Le Dr Milmann, Quarterly Re'ier, June, 1855, p. 57. 


LES HIRONDELLES ATS 


Qu'il me cueillit de sa petite main blanche, plus blanche 
que la fleur d’aubépine. 

Je voudrais être fleur d'aubépine. pour qu'il me plaçät sur 
son Cœur. 


Il s'éloigne de nous, quand l'hiver entre dans la maison; 
Il s’en va vers la France, comme hirondelle qui s'envole. 
Quand revient le temps nouveau, il revient aussi vers nous; 


Quand les bluets naissent dans les près, et aue l’avoine 
fleurit dans les champs ; 


Quand chantent les pinsons et les petits linots; 
Il revient avec les fêtes ; il revient à nos pardons. 


Je voudrais voir des fleurs et des fêtes chez nous en chaque 
saison, 


Et voir les hirondelles volliger par ici, toujours; 


Je voudrais les voir voltiger toujours au bout de notre che- 
minée. 





NOTES 


Presque tous les zones qu’on vient de lire ont eu une bonne fortune 
à laquelle, certes, leurs obscurs auteurs étaient loin de prétendre : 
comme les anciens lais bretons imités par Marie de France, ils ont fait 
le tour de l’Europe. Aux traducteurs allemands, anglais et suédois de 
nos Liebeslieder, ainsi qu’on Les nomme dans le Nord, sont venus se 
joindre plusieurs poëtes français de talent, dont l’un couronné par 


But tapet gand he zornik gwenn, Hag ar bleun kerc'h harz ar parkou; 


U 7 1 P H 5 . « 
Gwennoc’h evit bleun e spern-sgwenn; Ha pa gan ar pinterigou, 
Me garfe but bleun e spern-gwenn, Kerkouls harz al linerigou; 
Ha but laket ar he varlen. Dont a ra da heul ar festou, 
Mont a ra kuit digen omp-ni, Dont à ra c'honz d'hon pardoniou, 
Pa za ar goan tre barz ann ti; Me garfe gwelt e pel amzer 
Mont a ra kuit trezek Bro-c’hall, Eleuniou ha lestou barz ar ger, 
9 gwennili ijal. : 
Vel ar gwennili o nijal Ha gwelet ar gwennilied 
Pa zistro ann amzer neve, U nijal tro zreman bepred; 





Distroi ra dreman adarre; Me garfe ho gwelet nijal 


Pa zav ar bleun ial er prajou, Bepred e heg hon chininal, 


414 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


l’Académie française pour un heureux rapprochement entre les anti- 
ques pastorales de la Grèce et les pastorales sans art, mais plus sincères, 
de l’Armorique; les Hirondelles ont particulièrement exercé ces poëtes: 
depuis longtemps chantées par madame Sabatier sur un air de made- 
moiselle Loïsa Puget, auquel je préfère toutefois la mélodie originale, 
elles ont trouvé récemment dans madame Auguste Penquer leur Marie 
de France ?. Ai-je besoin de dire que l’habile artiste a conservé à la chan- 
son bretonne ce cachet de timide réserve qui est le caractère même de 
la race? Mais je ne puis m'empêcher de réclamer, avec tous les égards 
dus aux dames, contre l’origine et les traits que lui a prêtés lady Geor- 
gina Fullerton : pour en rehausser la valeur, elle l’a attribuée aux pay- 
sannes des environs de Rome qui en font, dit-elle, retentir la campagne; 
pour lui donner un air méridional, elle a changé le manoir en palais, 
l'enfant du manoir en fils du maître du palais, la fleur d'aubépine en 
fleur d'oranger, les bluets en anémones et les avoines en amandiers, 
Qu'on juge de ses embellissements : «Il y a un petit sentier qui conduit 
du palais au village, un sentier blanc sur le bord duquel on trouve un 
oranger chargé de fleurs qui plaisent au fils du maître du palais. Je 
voudrais être fleur d'oranger pour qu'il me cueil it de sa main blan- 
che, » etc. Ceci est assurément plus noble, et fort bien placé dans la 
bouche d’une virtuose italienne chantant dans le palais d'un pacha de 
Constantinople; mais pourquoi dépouiller les pauvres Bretonnes au profit 
des paysannes d’Albano? Le Midi est assez riche par lui-même; on est 
d’ailleurs trop disposé à lui faire honneur de tout ce qu’il y a de beau 
pour que l’Ouest ne défende pas ses droits, quand il en a. 


1 Rusr.Ques, par M. Louis Maignen. — Chants brelons, 2° partie, p. 111. 1860. 
2 Révélutions poétiques, p.95. 1 68, 


TROISIÈME PARTIE 


LÉGENDES 


CHANTS RELIGIEUX 










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LÉGENDE DE SAINT RONAN 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


La tradition de l’église de Léon s'accorde avec celle de l’église de Cor- 
nouaille pour faire naître Ronan en Irlande, où il aurait, par humilité, 
quitté un siége épiscopal. Elles le font passer en Armorique sous le règne 
du roi Gradlon, à la fin du cinquième siècle, Un bréviaire léonnais im- 
primé en 1516, et un bréviaire de Quimper reproduit par Bollandus, 
donnent sa légende abrégée, que les bénédictins ont transcrite presque 
en entier, d'après de très-anciens manuscrits latins, dans le trente- 
huitième volume de leur précieux recueil des Blancs-Manteaux. Quand 
on compare avec elle la légende bretonne du saint, on reste convaincu 
de leur commune origine populaire. Mais celle-ci, comme on va le voir, 
doit au courant traditionnel où elle n'a jamais cessé de se retremper une 
fraicheur et une saveur qui indiquent la source même, 


Le bienheureux seigneur Ronan reçut le jour dans l'ile 
d'Irlande, au pays des Saxons, au delà de la mer bleue, de 


chefs de famille puissants. 
Un jour qu'il était en prière, 1l vit une clarté et un bel ange 
vêtu de blanc, qui lui paria ainsi: 


— Ronan, Ronan, quitte ce lieu ; Dieu (ordonne, pour sau- 
ver ton âme, d'aller habiter dans la terre de Cornouaille. — 





BUHEZ SANT RONAN 


eee LES KERN Ee 


Ann otrou Ronan benniget Hag eunn el kaer gwisket e gwenn, 
. | 

Enez Iverni a oa ganet, A gomzaz out-han evelhenn: 

Bro-za0z, fn tu-all d’ar mor glaz, — Ronan, Ronan, Kerz alese; 

Demeuz a bentieien vraz. Gourc'hemennet eo sand Doue, 

Eur wech ma oa enn he beden, Evit savetei da ene, 


En doa gwelet eur sklerijen ont da chom e douar Kerne, — 


478 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


Ronan obéit à l'ange, et vint demeurer en Bretagne, non 
loin du rivage, d’abord dans une vallée de Léon, puis dans la 
Forêt Sacrée du pays de Cornouaille. 


Il y avait deux ou trois ans ou davantage qu'il faisait en ces 
lieux pénitence, lorsque, étant un soir sur le seuil de sa 
porte, à deux genoux devant la mer, 


Un loup bondit dans la forêt, avec un mouton en travers 
dans la gueule, et à sa poursuite, un homme haletant et 


pleurant de douleur. 


Ronan eut pitié de cet homme, et pria Dieu pour lui : 
— Seigneur Dieu, je vous prie, faites que le mouton ne 


soit pas'étranglé ! — 


Sa prière n'était pas finie, que le mouton avait étè déposé, 
sans aucun mal, sur le seuil de la porte, aux pieds de Ronan 


et du pauvre propriétaire. 


Depuis ce jour, le cher homme venait souvent le voir : il 
venait avec grand plaisir l'entendre parler de Dieu. 


Mais il avait une épouse, une méchante femme, nommée 
Kéban, qui prit en haine Ronan, au sujet de son mari. 


Un jour elle vint le trouver, et l’accabla d’injures : 
— Vous avez ensorcelé les gens de ma maison, mon mari 


aussi bien que mes enfants : 


Ronan oud ann el a zentaz, 
Ha da chomn e Breiz e teuaz, 
Kent e traon Leon, ha goude, 
E Koat Nevet, e hra Kerne. 


Dan pe dri bloa oa pe ouspenn, 
M'oa eno ober pinijen, 

Pa oa eur pardae (oull he zor, 
War he zaoulin, dirag ar mor; 
Ken a lammaz eur bleiz er c'hoad. 
Adreuz enn he veg eunn danvad; 
Ha war he lerc'h eunn den, timad, 
Hag a oele, gand kalonad: 


Ha Ronan gant true out han, 

A bedaz Doue evit-han : 

— Otrou Doue. ha me ho ped: 
Grit na vo ann danvad taget! — 


Ne oa ked he beden laret, 

Pa oa ann danvad digaset, 

Heb droug e-bed, war dreuz ann nour, 
Dirag Ronan hag ann onc'h paour 


Ac'hano da zont ann den Kez. 
Deue d'he welet aliez: 

Gant plijadur hraz e teue 
Evit klevet komzou Doue, 


Hogen eur c'hreg a oa gant-han, 
Hag hi gwall-bez, hanvet Keban, 
Hag hi a zeuaz d'argarzi, 

Ronan enn abeg J'he hini. 

Eunn deiz a oa Let J'he gaouet 

Ha (rouz d'enn hi devon gret : 

— Chalmet hoc'h euz tud ma zi-me, 
Ma goaz kouls ha ma bugale. 


2, 0 


LÉGENDE DE SAINT RONAN. 479 
Is ne font tous que vous rendre visite, et mon ménage en 


souffre. Si vous ne faites pas plus attention à mes paroles, 
vous aurez beau japer, je vous châtierai! — 


Alors elle forma le projet d’opprimer le saint homme de 
Dieu, et elle alla trouver le roi Gradlon, de l’autre côté de la 


montagne : 

— Seigneur roi, Je viens vous demander justice : ma petite 
fille a été étranglée; c'est Ronan qui en a fait le coup, dans la 
Forêt Sacrée; je l'ai vu se changer en loup. — 

Sur cette accusation, Ronan fut conduit à la ville de Quim- 
per, et jeté dans un cachot profond, par ordre du seigneur 
roi Gradlon. 


On le tira de là, on l’attacha à un arbre, et on lâcha sur lui 
deux chiens sauvages affamès. 


Sans s'émouvoir et sans avoir peur, il fit un signe de croix 
sur son cœur, et les chiens reculèrent tout d'un coup, en 
hurlant lamentablement, comme s'ils eussent mis le pied 
dans le feu. 


Quand Gradlon vit cela, il dit à l'homme de Dieu : 
— Que voulez-vous que je vous donne, puisque Dieu est 


avec vous ? 


Ne reont med ho tarempred holl, Ha tolet eharz eur c'hao don, 
Ha ma danvez a ia da goll. Aberz otrou roue Gradlon. 

Ma na zentet ouz-in muioc'h, Mez ac'hane pa oa Lennet, 

Kaer po chilpat, me ret gen-hoc'h) — | piac'h eur wezen e 0e staget, 
Enn he fenn e lakaz neuze, Ha daou gi gwez ha diboellet 
Da c’hoana den santel Doue. War-n-ezhan Umad oa losket. 
Hag hi mont da ES Roue, Hag hen heb man na kaout aon, 
Gradlon, enn-tu-all J'ar mene: A reaz eur groaz war he galon: 
— Otrou Roue, ha me ho ped: Ken a dec’haz ar chas raktal 

Ma flac’hik-me 20 het taget : Evel dioc’h ann tan, oc'h harzal. 
Ronan Koad Neved deuz her gret; Gradlon pa welaz kement-se, 

O vont da vleiz meuz hen gwelet — Abe Tr neue 

Evel ma où bet tamallet — Na petra vad a rinn-me d'hoch 


Ronan da Gemper oa kaset, P’e ma Doue enn tu gen-hoc'h? 


480 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Je ne vous demande rien que la grâce de la femme Ké- 
ban; son petit enfant n'était pas mort, elle l'avait enfermé 
tout vivant dans un coffre. — 

On apporta le coffre, et on Y trouva l'enfant : il était couché 
sur le côté, et était mort: saint Ronan le ressuscita. 


Le seigneur Gradlon et ses gens, stupéfaits de ce miracle, 
se jetèrent aux genoux de saint Ronan pour lui demander 
pardon. 

Et il revint à la forêt, et y resta jusqu'à sa mort, faisant 
pénitence, une pierre dure pour oreiller; 

Pour vêtement, la peau d’une génisse tachetée, une branche 
tordue pour ceinture ; pour boisson, l'eau noire de la mare; 
pour nourriture, du pain cuit sous la’cendre. 

Lorsque sa dernière heure fut venue, et qu'il eut quitté ce 
monde, deux buffles blancs sauvages furent attelés à une 
charrette, et trois évêques menèrent le deuil; 

Arrivés sur le bord d’un lavoir, ils trouvèrent Kéban, dé- 
coiffée, qui faisait la huec Le vendredi, sans égard pour le sang 
de Jésus, notre Sauveur. 

Et elle de lever son battoir, et d'en frapper un des buffles 
à la corne, si bien que le buffle bondit épouvanté, et eut la 
corne arrachée du coup. 





— Netra vad me na c'houlennan, 
Nemed true d'ar c'hreg Keban; 
He bugelik ne ket mara, 


Gant-han krogen eunn ounnar vriz, 
Eur skoultrik gweet da c'hourz, 
Ha da eva dour ar poull du, 


Gant-h1 enn arc'h oc klozet beo. — 


Ann arc'h a oa het digaset, 

Ar bug l enn hi oc Kavet, 

Hug hen war he goste maro; 

Ha sant Ronan he lakaz beo. 
Ann otrou (Gradlon har he dud, 
Souezet-braz gand ar burzud, 

"N em strinkaz dirak sant Ronan, 
U c'houlenn trugarez out-han, 
llar hen e mez. d'ar c'hoad cndro, 
Pa chom di beteg he varo; 

Eno oc'h ober pimjen 

Eur men kaled dindan he bcnn: 


Ha bara poazet el ludu. 

Pa zeuaz he dremen divea, 

Pa eaz kuit deuz ar bed-ma, 

Daou ejen gwez kaen dioc'h ar-charr, 
Tri eskoh d'he gas d'ann douar. 
Hag hi digouezet gand ar ster, 
Ha kaout Keban diskabel-kaer, 
Oc'n ober liziou d'ar gwener, 
Daoust da wad Jezuz, hor Salver; 
ag hi sevel he golvaz prenn, 

Ha darc'ha gant korn ennn eienn. 
Ken a zilammaz gwall-spontet, 
He corn gand ann tol diframmet. 


LÉGENDE DE SAINT RONAN. 481 


— Retourne, charogne, retourne à ton trou! va pourrir 
avec les chiens morts! on nete verra plus, à cette heure, te 
moquer de nous. — 


Elle avait encore la bouche ouverte, que la terre l’engloutit 
parmi des flammes et de la fumée, au lieu qu’on nomme {a 
tombe de Kéban. 


Le convoi poursuivait sa marche, lorsque les deux buffles 
s'arrêtèrent tout court, sans vouloir avancer ni reculer. 


C'est là qu'on enterra le saint — c'était sans doute sa vo- 
lonté — là, dans le bois vert, au sommet de la montagne, 
face à face avec la grande mer. 


NOTES 


La légende latine, tout en donnant aussi pour plus grande ennemie au 
saint ermite cette Koban. qu’elle qualifie justement de mulier malefica 
et représente pour ainsi dire comme la reine de la Forêt Sacrée, ne lui 
fait point pousser la haine contre le elrétien mort jusqu’au paroxysme de 
la fureur et de l'impiété. Mais pour errer très-probablement quant au 
fait, la légende rustique n’en est pas moins, je crois, dans le vrai par 
l'idée, et elle me semble peindre au vif la résistance opiniàtre, désespé- 
rée, furieuse d’un certain paganisme sauvage contre la foi nouvelle qui 
triomphe. De même, l’histoire des deux buffles et des trois personnages 
menant le deuil du saint est racontée différemment par le légendaire 
latin, qui a confondu les funérailles de Ronan avec la translation de ses 
reliques faite depuis le neuvième siècle. Mais la narration monacale offre 
un souffle presque épique que n’a point le rustique récit, et elle mérite 
d'être mise en regard de l’esquisse populaire, assez maigre et même in- 
suffisante en cet endroit. 

Chassé par son humilité du pays de Cornouaille, comme il Tavait été 
prmitivement de sa patrie, puis des côtes du Léon, et caché sur ses vieux 
jours soit dans la forêt de Loudéac, soit dans celle de la Noüé, Ronan y 
mourut, et les trois comtes de Rennes, de Vannes et de Cornouaille, aux 





— Ke, map-gaign, ke d'az (oull endro! 1: Mont a eure ato ar c'harr. 


Ke da vreina gand chas maro! O kns sant Ronan d'ann douar; 

Ne vei ket kavet hrema mut Pa chomaz sonn ann daou ejen, 

Oc’h oher goah ac'hanomp-ni, — Heh kerzet mui na rog na dren. 

N'on kel he genou peur-sarret, Eno e oe laket ar sant, 

Pa oa sand ann douar lonket Evel ma kreder oa he c'honnt: 
Etouez mored ha flammou-tan, E penn-anu-nec'h cuz ar c'honl glaz, 
E lec'h ma c'helver Bez-Keban. Eeunn-hag-eeunn dirag ar mor-braz. 


51 


482 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


territoires de qui elles confinaient, prétendirent posséder son corps. Pour 
terminer le différent, ils consultèrent un vieillard vénéreble, qui leur 
donna ce conseil : «Faites chercher dans la forêt deux buffles sauvages, 
attelez-les à un char, placez-y le corps du saint et laissez-les aller; le 
lieu où ils s'arrêleront sera celui qu'il a choisi pour sa sépulture. » Les 
deux buffles trouvés et mis de force sous le joug, le comte de Rennes, sur 
l'avis du vieillard, sapprocha pour enlever le corps de terre, mais malgré 
l’aide de ses guerriers, il n’en put venir à bout. Après lui le comte de 
Vannes tenta l'aventure avec aussi peu de succès. Restait le comte 
de Cornouaille, et il hésitait à renouveller l'expérience, car ayant été 
blessé au bras droit dans une bataille, il était demeuré perclus. Cepen- 
dant il finit par céder aux instances qu'on lui fit de toutes parts, et, 
pour lui prouver sa faveur, non-seulement le saint se laissa enlever fa- 
cilement de terre et placer sur le char, mais il rendit au bras du comte 
la vigueur qu'il avait perdue. Aussitôt les buffles sauvages se mirent en 
marche avec l'ensemble et la douceur de deux bonnes bêtes de labour, 
et, après avoir parcouru une grande élendue de pays, ils arrivèrent en 
Cornouaille, dans une vallée, à un mille de l’oratoire de Ronan, et s’y 
arrêlèrent avec leur précieux fardeau. Voyant cela, le comte, transporté 
de joie, fit don au bivnheureux à perpétuité de toute la terre comprise 
entre la vallée et l’oratoire, plus d'autant à un mille à la ronde; et la 
donat:on faite, les deux buffles reprirent lcur marche jusqu’à la porte de 
l’oratoire, devant lequel ils s’arrètérent de nouveau pour se reposer enfin. 

Avec le temps, une église, d’abord en bois, puis en pierre, remplaça 
l’humble chapelle où les reliques du saint avaient été placées, Tous les 
sept ans, le second dimanche de juillet, elles en sortent portées 
en triomphe à la tête d'une longue file de pèlerins, qu décrivent autour 
de l’ancienne Forêt Sacrée un circuit de lois lieues, en suivant les limites 
de la terre autrefois donnée à saint Ronan après sa mort. Cette proces- 
sion s'appelle Ann Drovreni, c'est-à-dire le four de l'Asie, en mémoire 
du droit d'asile dont y jouissaient les malheureux. De grandes indul- 
sences y ont été attachées. De son côté, l'imagination populaire s'est plu 
à orner de merveilles. J'ai entendu chanter par un aveugle, pendant 
une des stations, le couplet que voici, qui, pour être moderne, n’en à pas 
INOiNS SON prix : 

« Un jour que le temps était défavorable et qu'il empêchait la pro- 
cession de sortir, on vit les reliques du saint, les croix et les bannières 
se mettre en marche toutes seules, au sou des cloches sonnant d’elles- 
mêmes. » 


SAINT EFFLAMM ET LE ROI ARTHUR 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


L'église de Treguier n’a pas de saint plus populaire du Kamm, et en 
le donnant pour patron à un hôpital de Morlaix, on n’en pouvait choisir 
aucun qui fût aussi agréable aux malades de la contrée, si ce n’est 
sainte Enora, sa femme, la patronne des nourrices bretonnes. Les ser- 
vices que l’un et l’autre ont rendu au pays de Tréguier, pendant leur 
vie, et les consolations qu'ils ne cessent de procurer à ses plus humbles 
habitants depuis leur mort, voilà tout ce qu’il y a de certain dans ce qui 
les regarde. 

A leur légende, que l’austère bénédictin dom Denis Briant traitait 
d’extravagante et où il ne voyait a qu'un monument de l'esprit de fable du 
quatorzième siècle, » au lieu d’y voir un monument de poésie charmante, 
la tradition a associé le héros breton par excellence, le fameux roi Arthur, 
dont nul pays plus longtemps que celui de Tréguier n’a chéri la mémoie 
et attendu le retour. 


l 


Un roi d'Irlande avait une fille à marier : c'était la plus 
belle des princesses; elle se nommait Enora. 

Beaucoup l'avaient demandée, et elle avait refusé tous les 
partis, à l'exception du grand seigneur Lamm, fils d’un roi 
étranger, et qui était jeune et beau. 





SANT EFFLAMM HAG AR ROUE ARZUR 


LES L HEG EH 


Hag hi he hang Enoran. 


I 
Gand leiz e oa bet goulennet, 
Eur brenin euz a Iverni, ag holl e oant het distolet, 
En doa eur verc'h da zimizi, Nemed ann otro braz Efflamm, 


Euz ar brensezed ar vraoan, Mal d’eur brenin all, ha drant-flamm, 


484 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE 


Mais il avait formé le projet d'aller faire pènitence en un 
ermitage, au fond de quelque bois, et de quitter sa chère 
femme. 


Au milieu de la nuit même des noces, comme tout le 
monde était couché et dormait d'un profond sommeil, il se 
leva d’auprès d'elle, et sortit de la chambre sans faire de 
bruit ; 


Et il sortit du palais sans éveiller personne, et s’éloigna 
rapidement sans autre compagnon que son lévrier; 


Et il vint au rivage, et chercha un vaisseau ; mais il avait 
beau regarder de tout côté, il n’en voyait aucun, car la nuit 
était noire. 

Quand la lune se leva dans le ciel, il aperçut auprès de lui 
un petit coffre percé, perdu et ballotté par les flots. 


Il l'attira à lui et y monta incontinent; et le jour n'était pas 
levé, qu'il était sur le point d'arriver en Bretagne. 
La Bretagne était alors ravagée par des animaux sauvages 


et des dragons qui désolaient tout le canton, et surtout le pays 
de Lannion. 


Beaucoup d’entre eux avaient été tuës par le chef suprême 
des Bretons, Arthur, qui n’a pas encore trouvé son pareil de- 
puis qu'il est sur la terre. 


Met laket e doa enn he benn 

Monet da ob:r p'nijen, 

Enn eur minic'hi. enn eur c'hoand. 

Ha mont kuit digand he c'hroueg vad. 


Ken a zavaz al loar enn nen, 

- Hag e welaz cnn he gichen 
Eunn arc'hik toull hag hi kollet, 
Hag hi tolet ha distolet. 


Deiz ann eured, e-kreiz ann noz, Efflamm a grogaz enn ezhi, 


Ann holl er gwele kousket kloz. 
beuz he c'hichen c oa lammet, 


Ha mez deuz ar gampr, didrouz net; 


Ha mez deuz ar palez eaz, 

Na den e-bed na zihunaz; 

Ha pell deuz ar gev skanv ha feul, 
Nemed he gi-red env he heul: 
Hag hen digouezet gand ann treaz, 
Ha kla-k eul lestr bennag a reaz : 
Kacr en doa sellet a bep-tu, 

Wele nikun gand ann noz du. 


Hag a biguaz kerkent enn hi, 
Ha n’oa Ket c'hont savet ann deiz, 
Pa oa tostik-tost ouz a Vreiz. 


Breiz neuze a oa trubuillet 

Gand loenel gwez ha dragoned, 
Hag à wall-gase ar c’hanton 

Ha, dreist ann holl, hro Lannion. 
Kaiz aneo a oa bet lazet, 

Gand penn-tiern ar Vretoned 
Arzur, a n'euz Kavet he bar, 
Abaoe ma war ann douar. 


SAINT EFFLAMM ET LE ROI ARTHUR. 485 


Quand saint Efflamm prit terre, il vit Le roi qui combattait, 
son cheval, à ses côtés, étranglé, renversé sur le dos, ren- 
dant le sang par les naseaux ; 


Devant lui face à face un animal sauvage avec un œil rouge 
au milieu du front, des écailles vertes autour des épaules, et 
la taille d’un taureau de deux ans; 


La queue tordue comme une vis de fer, la gueule fendue 
jusqu'aux oreilles, et armée, dans toute son étendue, de dé- 
fenses blanches et aiguës, comme celles du sanglier. 


Il y avait trois jours qu'ils combattaient ainsi sans pouvoir 
se vaincre l'un l’autre; et le roi allait s’évanouir, lorsque ar- 
riva Efflamm. 


Quand le roi Arthur vit saint Efflamm, il lui dit : 
— Voudriez-vous, seigneur pèlerin, me donner une goutte 
d’eau? 


— Avec l’aide du Seigneur, Dieu béni, je vous trouverai de 
l'eau. — 

Et lui de frapper du bout de son bourdon, par trois fois, 
la roche verte à son sommet, 


Si bien qu'une source jaillit à l’instant du sommet du ro- 
cher, qui désaltéra Arthur et lui rendit force et santé. 


Pa zouareaz sant Efflamm, Hag ar roue mont da fatan, 
Ar roue welaz oc'h cmgann, Pa zigoueaz Efflamm gant-han. 
He varc'h taget enn he gichen, rod Ar are 
Goad deuz he fri, ha war he gein; Da zant Elflimm, dal’ m he welaz: 
Eul locn gwez gant han tal-oc'h-tal, — Plife d'hoc’h, otro pirchindour, 
Eul lagad ru e-kreiz he dal, Digas d’i-me eul lommik dour? 

U H r xs . 
Skanto glaz endro d he ziou skoa, — Mar plij d’ann Otro benniget, 
Kemend hag eur c'hole daou vloa; Dour awalch a vezo kavet. — 
He lost evel eur vins houarn, Hug hen da skot gant penn he vaz. 
He vek digor rez he ziou-skouarn, Dre deir gwech, war beg ar roc’h-c’hlaz, 
Skilfo enn han gwenn ha lemmet Ken a zilammaz eur vammen 
Evel ann hoc'h gwcz. hed-ha-hed. Dioc'h beg ar garrek, rag-ann-nen, 
Tri deiz oant enn kann evel-se, A dorraz d’Arzur he zec'hed. 


Hel bea nn eil ’vid egile; Hag a roaz d'ean nerz ha iec'hed 
D U D 


486 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Et lui de fondre de nouveau sur le dragon, et de lui en- 
foncer son épée dans la gueule, si bien, que le monstre jeta 
un cri et roula dans la mer, la tête la première. 

Le roi, après l'avoir tué, dit à l’homme de Dieu : 

— Suivez-moi, je vous prie, au palais d'Arthur; je veux 
faire votre bonheur. 

— Sauf votre grâce, seigneur, je ne vous suivrai point; Je 
désire me faire ermite. Si vous le permettez, je passerai toute 
ma vie sur cette colline. — 


il 


Enora fut bien surprise, le lendemain matin à son réveil, 
demandant ce qui était arrivé et ce qu'était devenu son mari. 


Comme l’eau coule dans les ruisseaux, les larmes coulaient 
de ses yeux, délaissée qu'elle était, hélas! par son ami et son 
époux. 

Elle pleura pendant toute la journée, sans trouver de con- 
solation à son âme ; la nuit elle pleura sans que l’on pot la 
consoler. 


Enfin elle s’endormit de lassitude, et eut un songe. Elle vit 
son mari debout près d'elle, aussi beau que le blond soleil, 


Hag hen d'ann dragon adarre, Tronoz-beure, pa zihunaz, 

Ha planta nn he vek he gleze: 0 c'houzout petra 09 digouet, 

Ken a loskaz eur skrijaden, Na pelec'h oa eet he tred. 

Ha ’kouezaz er mor war he benn. Evel ma red dour er gwazio, 

Ar roue pa'n deuz hen lazet. E ro he daou-lagad daelo, 

D'anu den Douc en deuz laret : Dre ma oa, siouaz d'ei! losket, 

— Deut, (m'ho ped, da balez Arzur, Gand he mignon, hag he fried. 

T £ H TE U 

M'ho lakai enn ho plijadur. Goelan devoa gret pad ann de, 

— $Sal-ho-kraz, otro, na inn ket, Heb kavout frealz J'he ene. 

D'al Jean am euz sonj monet. Goelan goude koan devoa gret, 

Mar pli gan-e-hoc'h, me a jomo llel gallout bean diboanniet. 

Er roz-man, keid ha ma vinn beo. — Ken a goueaz kousket skuiz tre, 
11 Hag a zeuaz d’ei eunn hunvre : 


Gwelet he goaz cnn he c'hichen 
Enoran 04 souezet braz, Ker kaer evel ann heol melen, 


SAINT EFFLAMM ET LE ROI ARTHUR. LRT 


Et il lut disait : — Suivez-moi, si vous voulez ne pas perdre 
votre âme, suivez-moi sans retard dans la solitude pour tra- 


vailler à votre salut. — 


Et elle de répliquer dans son sommeil : — Je vous suivrai, 
mon ami, où vous voudrez; je me ferai religieuse pour tra- 
vailler à mon salut. — 


Les vieillards ont dit comment les anges la portèrent, en- 
dormie dans leurs bras, par delà la grande mer, et la dépo- 
sèrent sur le seuil de ermitage de son mari. 


Quand elle se réveilla au seuil de l’ermitage de son mari, 
elle frappa trois coups à la porte : 

— Je suis votre douce et votre femme, que Dieu a amenée 
ici. — 

Et lui de la reconnaitre à sa voix, et de se lever bien vite, 
et de sortir; et, avec de belles paroles sur Dieu, il mit sa 
main dans sa main. 


Puis il lui éleva une petite cabane près de la sienne, à gau- 
che, au bord de la fontaine, couverte de genêts verts, à l'abri, 
derrière la roche verte. 


Ils restèrent là longtemps; enfin, le bruit des miracles 
qu'ils faisaient se répandit dans le pays, et on venait chaque 
jour les visiter. 





Hag e lare: — Deut-hu gan-e, — Me z0 ho tous hag ho pried 
Mar fell d’hoc’h miret ho ene: A z0 gant Doue digaset. — 
Deut, hel dale: bed, war ar mez. 


SE Hnc hen J'he anaout dioc'h he mouez, 
Da ober ho silvidigez. — 


Ha da zevel kerkent, ha mez; 

Hag hi, dre hun, da lavaret : Hag he zorn ’nn he dorn e lake, 
— Mont a rinn gan-c-hoc'h, va fried; Gand komzo kacr demeu: Douc. 
Lec'h a gerfet, da leanez, 


’s lojik d'et 
Da ober va zilvidigez. — R S QE 


Tal he hini, a goste kleï, 

Ar re goz ho deuz lavaret Tal ar feunteun, sand balan glaz 
Penoz e oa hi het douget, Enn eur wasked, dren ar roc'h c'hlaz. 
Hag hi kousket, dreist ar mor braz, 


Pellik meur e jomzont eno, 
Gand ann clez. da zor he goaz. 


Ken a ieaz hrud dre ar Yro 
Toull dor he goaz pa zihunar, Euz ar burzudo devoant gret, 
Tri zol war ann nor a reaz: Ila vant hemde darempredet, 


488 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


Une nuit, les hommes qui étaient sur la mer virent le ciel 
s'ouvrir ; et ils entendirent des concerts qui les ravirent de 
bonheur. 


Le lendemain matin, une pauvre femme qui avait perdu 
son lait vint trouver Enora, portant son petit enfant sur le point 
de mourir. 


Elle avait beau appeler à la porte, Enora ne venait point 
ouvrir; alors elle regarda par un petit trou, et vit la dame 
étendue morte, 


Aussi belle que le blond soleil, et toute la cabane éclairée; 
et près d'elle à genoux, un petit garçon vêtu de blanc. 


Et elle de courir pour avertir le bienheureux Efflamm ; 
mais la porte de l’ermitage était grande ouverte, et il était 
mort comme sa femme. 


Afin qu'on n'oublie point ces choses, qui n'ont jamais été 
consignées dans aucun livre, on les a mises en vers, pour être 
chantées dans les églises. 





NOTES 


Les églises dont il est ici question sont probablement celle de Ples- 
tin, où l’on voit le tombeau d'Efflamm, monument du seizième siècle 
qui en a remplacé un autre du dixième, et celle de Perroz-Guirec, 
au portail de laquelle un sculpteur des premières années du douzième 
siècle, peut-être même du onzième, selon les meilleures autorités T. a re- 


——_—_————————————————— 


Eunn noz ann dud oa war ar mor Hi ker kaer hag ann heol melen; 
A welaz ann envo digor, Hag al loj leun a sklerijen; 
Hag e kiefzont meuleudio, Hag eur potrik gwisket e gwenn, 
Ken a oant bamet 0 selao. War he zaou-lin enn he c'hichen. 
Hag antronoz eur baourez-gez, Hag hi da ziblas. enn eur red 
Hag hi Kollet gant hi he lez, Da gavout Efflamm benniget : 

He bugel o vont da zemplan Disor karr oa dor ar mini, 

A zeuaz da gaout Enoran. Ha: hen marù ’vel he hini. 

Kaer e doa gervel toull ann nor Ann traou-man ma n’ankounac’hor, 
Na deue gour evid digor, Ne rua int bet biskoaz e neb leor, 
Ken a welaz tre eunn toullik Lekeat int bet e gwerzo, 
Annitron stouet maro-mik, Da vean kanet ennilizo. 


4 Ch. de la Monneraye. Essai sur l'histoire de Varchitecture religieuse en Brelagne, p: 123. 


SAINT EFFLAMM ET LE ROI ARTHUR. 489 


présenté la victoire que le roi Arthur remporta sur le dragon de la grève 
de Saint-Michel, grâce à l'intervention du saint : on figurait ainsi au 
dehors ce qu’on chantait au dedans, devant la châsse du patron de 
l’église, pendant la messe, le jour de sa fête, après l’épitre, coutume 
très-usitée au onzième et au douzième siècle. 

Le bas-relief de Perroz montre Efflamm s'avancent et plongeant sa 
crosse dans la gueule du monstre, tandis que le roi, fatigué, se tient der 
rière lui, tenant à la main une épée qui semble prête à lui échapper, 

Moins sincère que le poëte breton, le rédacteur de la légende latine 
prétend que la vie du saint a été écrite après sa mort, et même qu'on en 
a trouvé la lettre dans son tombeau. Cette découverte aurait été faite par 
un pieux ermite qui balayait par dévotion et ornait tous les dimanches 
la grotte où priait le bienheureux : des gouttes de sang jaillirent un 
jour de terre devant lui à l'endroit où se trouvait le corps d’Efflamm et le 
lui indiquèrent 1. Cest de là qu'il fut transporté dans l’église de Plestin 
par l’évêque de Treguier. le 6 novembre de l'an 999, dit-on, avec une 
pompe digne d’un saint et d’un fils de roi. 

La célèbre croix de la grève, que la mer recouvre à chaque marée et 
dont on lui attribue l'érection, peut très-bien être un monument de sa 
foi et de sa sollicitude pour le salut des voyageurs. 

On voit dans le sable, après les temyêtes, des débris de chênes et de 
bouleaux, reste de la grande forêt où il habitait, Les arbres de cette fo- 
rêt étaient encore en telle vénération du temps où fut écrite sa légende 
latine, que l’auteur assure qu’on n'aurait pas osé en couper un seul, ni 
même en ramasser à terre une branche pourrie ?. Selon lui, c’est au saint 
qu'il faudrait attribuer le culte dont elle est l’objet et les merveilles qui 
s’y passent, mais Lucain, par sa description de la fameuse forêt drui- 
dique de Marseille, et les conciles des Gaules, par leurs anathèmes contre 
tous les bois sacrés, nous apprennent à quoi nous en tenir, 


1 Porte-feuille des Blancs-Manteaux, Bibl. imp., n° 38, fol. 709, 
2 Ibidem. 


III 


LA TOUR D'AR YOL 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


On ne sait absolument rien d'historique sur Azénor, sinon qu'elle eut 
pour père Audren, chef des Bretons Armoricains, fondateur supposé de 
la ville de Châtel-Audren, mort vers Tan 464, et pour fils Budok, que 
la tradition populaire a canonisé, comine sa mère, L'ancien bréviaire de 
Léon, dans l’office qu’il lui a consacré, fait naître le saint d’un comte de 
Goélo. IL est très-vénéré en basse Bretagne, particulièrement sur les 
côtes : on y célèbre tous les ans sa fête avec une grande solennité; les 
mariniers, dont il est le patron, chantent sa légende, dans la tempête, 
et en se rendant au Pardon. Cette légende doit être très ancienne, car 
elle a la forme rhythmique de certaines pièces de Lywarc’h-hen, barde 
gallois du sixième siècle, forme que n'offre, à ma connaissance, aucun 
autre poëme armoricain. 

La strophe, qui est de quatre vers octo-syllabiques, rimant deux par 
deux, présente régulièrement à la fin du premier vers deux pieds de su- 
rérogation sans rime. Tout dans la pièce. costumes, mœurs et usages, 
la langue même, çà et là, o'fre un caractère d’antiquité parfaitement en 
harmonie avec cette forme singulière, 


1 
— Qui d’entre vous, hommes de mer, a vu, au haut de la 
tour qui s'élève au bord du rivage, au haut de la tour ronde 
du château d'Armor, madame Azénor agenouillée? 





TOUR ANN ARVOR 


I 


— Diou ac'hanoc'h-hu a welaz, — mordud, 
E-beg ann tour, e-ribl ann treaz; 

E-bez tour krenn kastel Arvor 

Daoulinet itron Azenor? 


LA TOUR D’ARMOR. 491 


— Nous avons vu madame agenouillée, seigneur, à la fe- 
nêtre de la tour; ses joues étaient pâles, sa robe noire, et son 
cœur calme cependant. — 


U 


Un jour d'été, arrivèrent des ambassadeurs du plus noble 
sang de la Bretagne; harnais d'argent, habits jaunes; chevaux 
gris aux larges narines rouges. 


La sentinelle, dès qu’elle les vit venir, alla trouver le roi. 
— En voici douze qui montent, les portes leur seront-elles 
ouvertes ? 


— Que les portes leur soient ouvertes, sentinelle; qu'ils 
soient gracieusement reçus; que la table soit à l'instant dres- 
sée : quant à recevoir, il faut recevoir bien. 


— Nous venons de la part du fils de notre roi, seigneur, 
demander votre fille en mariage, demander, avec révérence, 
en mariage votre fille Azénor. 


— Ann itron hon euz-ni gwelet, — otrou, — 
E prenestr ann tour daoulinet 

Drouglivet he chod, du he zae, 

Sioul he c'halon koulskoude, — 


Il 


Arr kannadourien eun deiz, — enn hanv, — 
Iluela goad demeuz a Vreiz, 

Sternou arc'hant, dillad melen: 

Kezek glaz, frank ha ruz ho froen. 

Ar gedour aha ho gwelaz, — 0 tout, — 

Da gaout ar roue a eaz : 

— Setu daouzeg 0 tont d'al lae, 

Digoret vo ar persier J'he 

— Ra vo ar persier digoret, —- gedour, — 
Ra vint seder disemeret; 

Ra vo savet ann dol timad; 

Pa zigemer, digemer mad. 


— A-berz mah hor roue "m omp deut, — otrou, — 
Da c'houlenn ho merc'h da hried. 

Da c'houlenn ho merc'h gand enor, 

Da bried ho merc'h Azenor. 


492 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Ma fille lui sera accordée avec plaisir ; il est grand et 
beau, me dit-on; belle et grande est aussi ma fille, douce 
comme un oiseau, blanche comme du lait, — 

L’évêque d'is célébra joyeusement les noces, et elles du- 
rérent quinze jours, quinze Jours de festins et de danses; 
les joueurs de harpe à leur poste. 

— Maintenant, ma gentille épouse, voulez-vous que nous 
retournions chez moi? 

— Cela m'est égal, mon jeune époux, partout où vous irez, 
j'irai avec plaisir. — 

Quand sa belle-mère la vit arriver, elle étrangla, elle 
étouffa d'envie : 

— Maintenant tout le monde va s'enorgueillir de ce bec 
jaune-ci ! 

Les clefs nouvelles on les aime, — voilà; — les vieilles clefs 
on les dédaigne, et cependant le plus souvent les vieilles clefs 
sont les plus commodes. — 


Huit mois nes’étaient pas écoulés, je crois, qu’elle dit à son 
beau-fils : 





— Losket awalc'h a vo gant-han, — va merc'h, — 
Potr huel ha koant, a glevann; 

Koant hag huel va merc'h ivez, 

Kun evel evn, gwenn evel lez. — 


Eskob Is eured a lidaz, — laouen — 

Ha pemzek deiz Krenn a hadaz : 

Pemzek deiz banvez ha koroll; 

Ann delenourien enn ho roll. 

— Da eo gan-hec’h va greg ioliz, — breman, — 
Ma ’z aimp-ni d’ar ger war hor c'hiz? 

— Ne rann forz, va fried nevez, 

Lec'h a iefec’h me iei ivez. — 


He mamm-gaer cvel m'he gwelaz — arru — 
Gand ann erez-tag a vougaz; 

— Ober a rai ann holl breman 

Fouge gand ar beg melen-man! 


Ann alc'houez nevcz a garer, — setul — 
Ann alc'houez goz a zisprizer, 

Ha koulskoude peur-liesa 

Ann alc'houez goz zo ann esa. — 


Ne oa ked eiz miz achuet, — me gret, — 
D'he lez-vab e deuz lavaret: 


LA TOUR D'ARMOR. 495 


— Aimeriez-vous, fils de la Bretagne, à défendre la lune 
du loup ‘? 


Prenez garde, si vous m'en croyez, tenez, si cela ne vous 
est pas encore arrivé, cela vous arrivera; prenez garde à votre 
réputation, seigneur, préservez votre nid du coucou. 


— Si votre conseil est loyal, madame, on va l'emprisonner 
sur l'heure; l'emprisonner dans la tour ronde, et dans trois 
jours elle sera brülée vive. — 


II 


Quand le vieux roi apprit la nouvelle, il versa d’abondantes 
larmes, et arrachant ses cheveux blancs : — Malheur à moi! 
malheur à moi! j'ai trop vécu ! — 


Le vieux roi demandait — pauvre roi! — aux mariniers 
alors : 

— Mariniers, ne me cachez rien : ma fille est-elle brû- 
lée? 





— Da ve gen-hoc’h-hu, potr a Yreiz 
Diwall al loar demeuz ar bleiz 7 

Leket evez, ma em c'hredet, — sellet, — 
Ober à reot mar Y hec'h euz gret: 
Leket evez J'ho prud, otrou, 

Miret ho nelz deuz ar goukou, 


— Ma e-leal am c'helennet, — itron — 
Bremaig hi a vo bac’het; 

E-barz ann tour krenn vo laket, 

Hag a-henn (ride vo devet, 


III 


Ar roue koz dal ‘m'a glevaz — ar vrud — 
Leiz he galon goela ’reaz 

Ha sachat deuz bleo swenn he henn : 

— Goa me! goa me! dre ma onn hen! — 
Ar roue Koz a c’houlenne — paour-kez! — 
Gand ar verdaidi neuze : 

— Merdaïdi, na nac'het ket : 

Daoust hag erma va merc'h devet? 


4 À passer la nuit à la belle étoile, à être mis à la porte. 


49% CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


— Votre fille n’est pas brûlée encore, seigneur; elle sera 
brûlée demain : elle est toujours au haut de la tour, je l'ai 
entendue chanter hier au soir. 


Hier au soir, je Tai entendue chanter, seigneur, chanter, 
d’une voix tranquille, — sachez-le, — d’une voix veloutée : 
« Ayez, avez pitié, pitié d'eux, 0 mon Dieu! » 


IV 


Azénor, ce jour-là, se rendait au bûcher, aussi sans souci 
qu'un agneau; en robe blanche et pieds nus; ses cheveux 
blonds flottants sur ses épaules. 


Azëénor allant au bûcher, — pauvrette, — petits et grands, 
tous répétaient : C’est un crime, un grand crime, de brûler 
une femme prète d’accoucher! — 


Tous sanglotaient, grands et petits, sur son passage, ex- 
cepté sa belle-mère : 

— Ce n'est point un crime, disait-elle, mais une bonne 
action, d’étouffer la vipère et sa portée. 





= Ho merc'h ne d-e0 ket devet c'honz, — otrou — 
Devet a vo a-benn warc'hoaz; 

Ma hi ato e beg ann tour, 

0 Kann he c'hleviz neizour. 

0 kann he c'hleviz neizour, — otrou — 

Kana sioul, — oh! — kana Hour : 

« Ho pezet, ho pezet true, 

True out-ho, 0 va Douet » 


IV 


Azenor 0 vonet d'ann tan, — ann deiz — 
Ken dibreder evel eunn oan, 

Gwenn he dillad, ha diarc'henn 

Flak war he skoa he bleo melen. 


Azenor 0 vonet d'ann tan — paourez — 

Holl a lare hraz ha bihan: 

Pec'hed eo, zur, pec'hed marvel 

Devi eur c'hreg (osL da c’henel! — 

Holl hirvoude braz ha hihan, — enn hent — 
Nemed he mamm-gaer he unan: 

— Ne d-eo ket pec'hed nemet mad, 

Mouga ann aer gand he c hoad. 


LA TOUR D'ARMOR. 495 


Soufflez, joyeux chauffeurs, soufflez, que le feu prenne 
rouge et vif! — Soulfflons, enfants, soufflons bien, que ce feu 
prenne comme il faut! — 


Ils avaient beau souffler et s’essouffler et souffler, Le feu ne 
prenait pas sous elle; souffler et s’essouffler, s’essouffler et 
souffler, le feu ne venait point à prendre. 


Quand le chef des juges vit la difficulté, il demeura tout 
stupéfait : 

— Elle a ensorcelé le feu sans doute; puisqu'elle ne brûle 
pas, il faut la noyer. — 


Y 


— Qu'as-tu vu, marin, sur la mer? 

— Une barque sans rames et sans voiles; et sur l’arrière, 
pour pilote, un ange debout les ailes étendues. 

J'ai vu, seigneur, au loin sur la mer, une barque, et dans 
celte barque, une femme avec son enfant, son enfant nou- 





Plantet c'houez, tanourien seder, — plantet.— 
Ma pego ann tan ruz ha ter! 

— Plantomp c'houez. patred, d’ann tiz-vad, 
Ma pego ann tan-ma ervad! — 


Kaer en devoant c'houea ha c'haouet — c'houen, — 
Na bege ann tan dindan hi; 

C'houei, c'houea, c'houea, c’houei, 

Na zeue ann tan da bei. 


Ar penn-barnour dal ma welaz — ar bec'h — 
Souezet a-grenn a jomaz: 

— Boemet, me chans, ann tan gant-hi; 

Pa na zev ket, red’ he beuzi) 


Y 


— Petra war vor hec'h euz gwelet? — merdead, 
— Eur vag heb roenv na gwel e-het; 

Ha war ann aroz, da sturier, 

Eunn eal he eskell digor-kaer. 

Eur vag war vor a weliz pell, — otrou; — 

Eur c'hreg enn hi gant he bugel, 


496 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


veau-né suspendu à son sein blanc, comme une colombe au 
bord d’une conque marine. 


Elle baisait et rebaisait son petit dos nu, et lui chantait 
d’une voix si douce : — Dors, dors, mon petit enfant, dors 
donc, mon pauvre petit! 


Siton père te voyait, mon fils, comme il serait fier de toi! 
mais hélas! il ne te verra jamais; ton père, pauvre enfant, 
est perdu. — 


VI 


Le château d'Armor est, en vérité, dans un effroi tel que 
n’en eut jamais nul château; la consternation règne au chàä- 
teau: la belle-mère va mourir. 


— Je vois l'enfer à mes côtés ouvert, beau-fils, au nom de 
Dieu, venez à mon secours! venez à mon secours, je suis 
damnée! votre sainte épouse, je Tat deshonoréel — 


———————————————— 


He bugelik deuz he bronn wenn, 
"Vel eur goulm ouc'h ribl eur gregen. 


Deuz he geinik noaz a boke, — boke — 
Ha d’ezha Ker Kacr a gane: 

— Toutouik-lalla, va mabik: 
Toutouik-lalla ta, paourik. 


Mar ve da dad ha da welfe, — va mab, — 
Gen-oud-de fouge en defe! 

Mes siouaz! n'az kwelo nepred. 

Da dad. paourik, a zo kollet, — 


VI 


Kastel Arvor 20 saouzauet — a-vad — 

Ma eo het biskoaz kastel bet, 

Stravil hraz a z0 er c'hastel: 

Ar vamm-gaer zo’ vont da vervel. 

— Ann ilern em c'harz 20 digor, — lez-vab, — 
Enn han Doue) deut hu d’am skor) 

Deut-hu d'am skor me zo daonet! 

Ho pried c'hlan am cuz gwallet! — 


-4 


LA TOUR D'ARMOR. 457 

Elle n'avait pas fermé la bouche, que voilà qu'on en vit 
sortir en rampant un serpent armé d'un dard et sifflant, qui 
la piqua et l'étouffa. 

Aussitôt son beau-fils de sortir et de partir; il partit pour 
les pays étrangers; il parcourut la terre et les mers, cher- 
chant des nouvelles d'Azénor. 

Il avait cherché sa femme au levant ; il l'avait cherchée au 
couchant, il l'avait cherchée au midi; maintenant il la cher- 
chait au nord. 

Tant qu'il prit terre aux environs de la grande tle". Un petit 
garçon se trouvait sur le rivage, s'amusant, au bord de l’eau 
courante, à ramasser des coquillages dans un pan de sa robe. 

Ses cheveux étaient blonds, ses yeux bleus, bleus comme 
la mer, bleus comme ceux d’Azénor, vraiment; si bien qu'en 
le voyant, le cœur du fils de la Bretagne se mit à soupirer 
profondément. 

— Qui est ton père, mon enfant, qui est-ce? 

— Je n'en ai point d'autre que Dieu; voilà trois ans qu'il 





Ne oa ked he genou sarret — setu — 

Setu 0 tont eunn aer flemmet 

U c'houibanat, stlejaz e menz 

Hag he flemmaz hag he mougaz. 

Ilnc he lez-vab e-meaz raktal, — ha kuit — 
Ha kuit trezeg ar broiou-al|; 

Hav hen war zouar ha war vor, 

0 kla-k kelon deuz Azenor. 

Klasket en doa war-zu zav-heol — he c'hreg: — 
Klasket en doa war-zu c'huz-heol ; 

Klasket en doa war-zu c'hreiz-te, 

Er c'holern (vez he c'hlaske. 

Pa zouare cnn enez vraz, — wra-dro, — 

Eur potrik eno war ann treaz, 

Hag hen o c'hoart tal ar red, 

U tastum kregin ’nn he roched. 

Melen he vleo, glaz he lagad, — glaz-mor, — 
Henvel ouz Azenor, a-vad ; 

Ken a lak kalon mab a Vreiz 

Da huanada cnn he greiz. 

— Piou eo da dad, va bugel-me, — piou eo? — 
— N'am euz hin nemed Dauc: 


L'ile de Bretagne, ou l'Islande, selon les légendaires latins. 


498 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


est perdu celui qui l'était : ma mère pleure quand elle pense 
à cela. 

— Et qui est ta mère, et où est-elle, mon petit enfant? 

— C'est laveuse qu'elle est, seigneur; elle est là-bas avec 
les nappes. 

— Allons donc la trouver tous deux. — 

Et lui de prendre l'enfant par la main, et celui-ci lui servait 
de guide; et ils se dirigèrent vers le lavoir; or, en marchant, 
le sang bouillait dans la main du fils au contact de la main 
du père. 

— Chère petite mère, lève-toi et regarde : voici mon père! 
il est retrouvé! voici mon père qui était perdu; Dieu soit 
mille fois béni! — 

Et ils bénirent mille fois Dieu qui est si bon, qui rend le 
père à ses enfants; et ils revinrent joyeux en Bretagne. 

Que la Trinité protège les navigateurs! 


NOTES 


Le nom du fils de sainte Azénor (Budok, puis Buzok et aujourd'hui 
Beuzek) signifie le noyé : son nom à elle-même veut dire honneur re- 
trouvé : à la lettre, re-honneur. 





Kol'et tri bloa zo neb a oue; 
Va mamtn a oel o koun da ze. 


— Na piou da vamm, na pelec'h eo? — mabik. — 
— Kannerez. otrou, "nn hant eo, 

Ma h: du-ze gand ann doaliou. 

— Na deomp-ni d'he c'havout hon daou. — 

Ha da hec e dorn ar bugel — a-rok — 

Hag he da zont trem'ar stivel; 

Hag 0 tont e verve ar goad, 

E dorn ar mab ouz dorn ann tad. 


— Va mammik kez, sav alese, — ha sell : — 
Setu va zad! askavet el 

Setu va zad a oa kollet; 

Pa vezo Douc kanmeulet! — 


Kanmeulet gant-ho oe Done, — Ker mad, — 
A zas ann tad d’ar Yugale: 

Distroi reont laouen da Yreiz. 

Bennoz ann Drinded gand ann (reiz) 


LA TOUR D'ARMOR, 499 


Les légendes latines diffèrent en quelques points de cette ravissante 
version populaire, où l’on sent passer un vrai souffle bardique. 

Ainsi, ce n’est .pas dans un bateau sans rames et sans voile que la 
princesse de Léon est livrée à la merci des vagues, mais dans un 
tonneau !, Il fallait le talent charmant du bon père Albert le Grand 
pour poétiser cet étrange véhicule : « Ayant échoué, dit-il, sur une grève 
d'Irlande, les riverains allaient y donner du guimbelet (le mettre en perce), 
croyant que ce fust un tonneau de vin, que les lioules et marées auraient 
poussé au rivage, il s’y trouva une belle jeune femme, qui tenait un petit 
enfant de deux jours, lequel, de son sourire, et par ses gestes enfantins, 
sembloit courtoisement saluer, n 

Les artistes bretons, comme les légendaires et les poëtes, ont été heu- 
reusement inspirés par Azénor : on voit dans la chapelle du Tertre à 
Châtel-Audren, petite ville dont on attribue, je lai déjà dit, la fondation 
au père de la sainte, un curieux lambris du quinzième siècle, qui le d'spute 

naïveté aux doux récits de son histoire. Elle est représentée affaissée 
dans un tonneau au-dessus duquel voltige un ange portant une bande- 
role où mon savant ami, M. Pol de Courcy, a lu: Audita est oratio tua. 


1 Blancs-Manteaux, n° 38, fol. 716, 


IV 


LE DÉPART DE L'AME 


S DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


Le moment solennel où l'âme quitte le corps pour aller rendre compte 
à Dieu de ses vertus ou de ses crimes a souveni été le suje: des médita- 
tions du philosophe et des rèveries du poëte. Il devait surtout frapper 
l'imagination d’un peuple dans le cœur duquel la religion tient une 
grande place, Aussi, peu de sujets ont été plus souvent traités, et avec plus 
de bonheur, par les poëtes populaires bretons; peu de sujets leur plai- 
sent davantage. Ils aiment, en leur naïve et touchante simplicité, à se 
représenter l'âme arrivant au tribunal de Dieu, chargée de ses œuvres 
bonnes où mauvaises, comme une pauvre fermière qui vient, au terme, 
payer son maître; ils voient l’archange saint Michel, l'intendant du Sei- 
gneur, prenant eu main, pour peser leurs mérites, ses balances d'or; ils 
tremblent que le poids n'y soit pas. Mais voici la scène qui. selon eux, 
précède ce jugement; elle se passe entre le ciel et la terre. 


Venez entendre chanter le départ de ame bienheureuse au 
moment où elle quitte sa demeure. 


Elle abaisse un peu son regard, son regard vers la terre, 
pour parler à son pauvre corps, qui est au lit malade. 





KIMIAD ANN ENE 


— LES KERNE — 
Didostait da glevet kana ann disparti 
A ra ann ene mad pa ea mez deuz ann ti. 


Hen a ra eur zellig, eur zellik ouz ann traon, 
Da gomz ouz he gort paour zo war he wele klaon, 


Duels 





LE DEPART DE L’AME, 201 


L'AME, 
Hélas! mon corps, voici l'heure dernière venue; il faut 
que je te quite et que je quitte ce monde. 


J'entends les coups du petit marteau de la Mort : ta tête 
tourne ; tes lèvres sont froides comme glace. 


Ton visage est horrible; tes yeux sont verdâtres; hélas! 
mon pauvre corps, il faut que je te quitte. 
LE CORPS: 


Si mon visage est horrible, si mes yeux sont verdâtres, 
vous dites vrai, il faut que vous me quittiez. 


Vous ne reconnaissez plus, vous méprisez votre pauvre 
ami; hélas! je suis si défiguré. 


La ressemblance est mère de l'amour; puisque vous n’en 
avez plus avec moi, laissez-moi à l'écart. 
LANE, 


Non, cher ami, je ne vous méprise pas; de tous les com- 
mandements vous n’avez violé aucun; 





ANN ENE. 
Siouaz ! deut eo, va c'hort, ann Lermen divezas 
Red eo d'in az Kuitat, ha kuitat ar bed-ma, 


Klevet à rann toliou morzolig ann Ankou 
Mevelet co da lenn, ien-sklas da vuzellou, 


Ken euzuz eo da zremm, ker glaz da zaoulagad; 
Siouaz d’id-de! va c'hart, red eo d’in az Kuitat. 


AR C'HORF. 


Mar d-eo euzuz ma dremm, ha glaz ma daoulagad, 
Gwir a lavaret-hu, red eo d'hoc'h ma c'huitat. 


Dispriz ha dizanao e kavit ho mignon; 
Karget a ziou fall, siouaz! evel ma 'z onn, 


Ann heveledigez zo mamm ar garante; 
Pa n he c'havit gan-in, em lezet a goste. 
ANN EXE, 


Sal-ho-kraz, mignon ker, me n'ho tisprizann ket 
Euz ar c'hourc'hemennou p'hoc'h euz hint torret, 


902 CIA STS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Mais Dieu veut (bénissons sa bonté), Dieu veut mettre un 
terme à mon autorité et à votre sujétion. 


Nous voilà désunis par la mort sans pitié; me voilà toute 
seule entre ciel et la terre, 


Entre le ciel et la terre, comme la petite colombe bleue 
qui s’envola de l'arche pour aller voir si l'orage durait en- 
core. 

LE CORPS. 

Oui; mais la petite colombe bleue revint à l'arche, et vous 

ne reviendrez pas vers moi. 
LANE, 

Je reviendrai, vraiment, je te le jure ; je me retrouverai 
avec toi au jour du jugement; 

Je me retrouverai avec toi, aussi vrai que je vais maintenant 
paraîlre au jugement particulier,ce qui me fait hélas! trembler! 

Aïe confiance, ami; après le vent du nord-ouest, la mer 
devient calme; je viendrai te donner la main; 

Et quand même tu serais aussi lourd que du fer, lorsque 
j'aurai été dans le ciel, je t'attirerai vers moi comme un 
aimant. 





Hogen Doue a ven, meulomp he drugarez, 
Lakat fin d'am c'halloud ha d’ho sujedigez. 


Setu ni disparet gand ar maro digar, 
Setu me unanik tre ’n nenv har ann douar, 


Tre "n nenv hag ann douar cvel ar goulmik c’hlez 
À eaz mez euz ann arc'h da c'hout ha glao oa c'honz. 


AR C'HORF. 


Hngen ar goulmik c'haz endro oa distroet 
D'ann arc'h lec'h ma oa kent, ha c'hui na reot ket. 


ANN ENE. 
Ober a rinn a-vad, toui a rann-me d’id, 
benn ar varn diveza-me’nem gavo gen-id. 
M'e ncm gavo gen-id, Ker gwir ma’ z ann hreman 
Dirag ar Yarn genta, siouaz) ken a grenann) 
Bez fisianz, va mignon; mor-blen goude gwalorn; 
Dont à rinn-me neuze da begi enn da zorn; 
Pa vefez ‘vel houarn, pa vinn me beL cnn nen, 
Evel eur meanik-tenn me az tenno gan-en. 





LE DÉPART DE L'AME, 503 


LE CORPS. 

Quand je serai, chère âme, étendu dans la tombe et détruit 
en terre par la corruption; 

Quand je n'aurai ni doigt, ni main, ni pied, ni bras, ce 
sera vainement que vous essayerez de m'’élever à vous. 

L'AME, 

Celui qui a créé le monde, sans modèle ni matière, a le pou- 
voir de te rendre ta première forme ; 

Celui qui t’a connu lorsque tu n'étais pas, pourra bien te 
trouver où tu ne seras pas. 

Nous nous reverrons alors, aussi vrai que je me rends 
maintenant devant le terrible tribunal; aussi vrai, hélas! 
que j'en tremble! 

Aussi vrai que j'en tremble, hélas ! aussi faible, aussi frêle 
que la feuille emportée par un coup de vent. — 

Mais Dieu entend l'âme; Dieu lui répond bien vite : — Cou- 
rage, pauvre âme, tu ne seras pas longtemps en peine; 

Tu m'as servi pendant que tu étais au monde; maintenant 
tu vas avoir part à mes félicités. — 





AR C’HORF. 
Pa vinn-me, ene kez, enn eur bez astennet 
Ha dre vreignadurez enn douar dispennet; 
Pa n'am hezo na biz, na dorn, na troad, na brec'h: 
Divezad a vo d'e-hoc'h fallout ma c'has ouz krec'h, 
ANN ENE, 
Neb a grouaz a bed, heb skouer na danvez, 
En deveuz ar c'halloud d'az oher a nevez. 
Neb az anaveze, enn amzer na oaz keL. 
A hello da gavout e-lec'h na vezi ket. 
Ni ’n em gavo Ker gwir, Ker gwir ma ’z ann breman, 
Dirag ar Yarn c'haro, siouaz! ken a grenannl 
Ken à grenann, siouaz ! ken ven ha ken dister 
Bag ann dellien lammet cand eur barrad-amzer. — 
Doue glev anezhan, Doue respont buhan; 
— Ai ta, ene paour, ne vi Ked nell e poan: 
Te peuz ma zervichet dre "m out het war ar bed, 
Ha hreman te po lod eveuz ma joausded. — 


504 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


Et l'âme, toujours s’élevant, de jeter encore un regard 
vers en bas, et de voir son pauvre corps couché sur les tré- 
teaux funèbres. 


L'AME, 
Bonjour, mon pauvre corps, bonjour, je retourne la tête, 
par grand'pitié pour toi. 
LE CORPS. 
Cessez, chère âme, cessez de m'adresser des paroles dorées; 
poussière et corruption sont indignes de pitié. 


L’AME. 


Sauve ta grâce, Ô mon corps, tu en es vraiment digne, 
digne comme le vase de terre qui a renfermé des parfums. 


LE CORPS. 
Adieu donc, 0 ma vie, adieu, puisqu'il le faut; que Dieu 
vous mène aux lieux où vous souhaitez d'ailer. 
Vous serez toujours éveillée; mais, hélas! je dormirai! ne 
m'oubliez pas, et hâtez l'heure du retour. 


Mais comment êtes-vous, dites-moi? Vous paraissez si gaie 
de me quitter, et moi je suis si triste ! 





Hen d'ober, o pignat, eur zell c'honz ouz ann traon, 
Ha gwelet he gorf paour stegnet war ar vaz-kaon. 


ANN EXE, 
— Demad-d'id-de, va c'hort. demad a larann d'id, 
Distroi a rann endro, gand kalz truez ouz-id. 

AR C'HORF. 


— Tevet, 0 enc kez, gond komzoù alaourel, 
Poultr ha breignadurez n'euz keer truez ebed. 


ANN ENE. 


— Sal-ho-kraz, o va c'hoart, dellezout a rez "vaj 
Kerkouls hag ar podpri oe enn han louzou-mad, — 


AR C'IHORF. 
Kenavo ’ta, buhez, kenavo pa ’z co red! 
Dou: d'ho c'has d'al lec'h m'hoc'h euz c'honnt da vonct 
C'hui vo dihun bepred, me, siouaz! a gousko ! 
N'am ankounac'hit ked, hav hastit ann distro. 
Na penoz a rit-hu, livirit-hu d'i-me? 
Ken drant ouz ma c’uitat, ken digonfort onn-me) 


LE DÉPART DE L'AME. 505 
L’AME. 


J'ai échangé des ronces contre des roses, et du fiel très- 
amer contre du miel très-doux. — 


Alors, gaie et vive comme une alouette, l'âme monte, 
monte, monte encore vers le ciel. 


Une fois arrivée, elle frappe à la porte, et demande à entrer 
à monseigneur saint Pierre, 


L'AME. 


U vous, seigneur saint Pierre, vous qui êtes si bon, vous 
me recevrez, n'est-ce pas, dans le paradis de Jésus” 


SAINT PIERRE. 


Oui, tu seras reçue dans Le paradis de Jésus, car lorsque tu 
étais au monde, tu l'as reçu chez toi. — 


L'âme, au moment d'entrer, détourne encore la tête, et 
voit son pauvre Corps, comme une taupinée. 


L’AME. 


Au revoir, mon corps, et merci! Au revoir, au revoir, dans 
la vallée de Josaphat. 





ANN ENE. 
- Eskemina drein garo gand rozennou ’m euz pret 


Ha ganl mel meurhed dous, eur vestl c'huero meurbed. — |, 


Neuze, laoven ha skanv evel cunn alc'hueder, 
Ann ene zav, e sav, e save-bar ann er. 


Har cvel m'en" digouet, Skort à ra war ann nor, 
Ba d'ann otrou Sant Per hi a c'houlenn digor. 


ANN ENE. 
Oh! c'hui, otrou Sant Per, a zo karantezuz, 
C'hui am digemero e baradoz Jezuz? 


SANT-PER. 


E baradoz Jezuz e vi digemeret, 
Dang tra ma oaz er bed he zigemer cleuz gret. — 


Hag cnn eur vonet tre hen a zislro endro, 
Hag a wel he gort paour vel eur hern douar-ge. 


ANN ENE. 
Kenavo d’id, va c'hort, ha da drugarekat; 
Kenavo, kenavo da draonien Jozatat 


506 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


J'entends des concerts, tels que je n’en entendis jamais; 
les nuages fuient, le jour brille! 


Me voilà fleurissant comme un rosier au bord du ruisseau 
de la Vie, dans le jardin du paradis. 


NOTES 


Les paysans bretons, se figurent que l’âme monte au ciel sous la forme 
d’un oiseau. Comme je suivais un jour de l’œil une alouette qui s'élevait 
en chantant dans les airs, un vieux laboureur trégorrois qui charruait 
à quelques pas de moi, s'arrêta; et, s'appuyant sur la fourche de son 
instrument aratoire, il me regardait en silence. 

— Elle chante bien gaiement, n'est-ce pas? me dit-il enfin; mais je 
parie que vous ne comprenez pas sa chanson? — Je l'avouai. 

— Eh bien, continua-t-il, voici ce qu’elle chante : 

Per, digor ann nor d'in; 
Birviken na bec'hinn, 
Na bec'hinn, na bec'hinn! — 


« Saint Pierre, ouvre moi la porte; je ne pécherai plus jamais, plus 
jamais, plus jamais! » 

— Nous allons voir si on lui ouvre, — continua le paysan. 

Au bout de quelques minutes, comme l'oiseau descendait, il < écria : 

— Non! elle a trop péché. Voyez comme elle est de mauvaise humeur! 
l’entendez-vous, la méchante, l’endurcie? 


Pec’hinn! pec’hinn! pec'hinn! — 


« Je pécherai! je pécherail je pécherail! » 


Le depart de l'âme a conservé l’accent naïf de ceux qui partagent cette 
singulière croyance, et quelques autres marques d'une origine toute 
populaire; je me borne à citer, parce qu’il demande explication, le Petit 
marteau de la mort, nom d’un ver qui s’engendre dans le bois, et y fait 
un léger bruit qu'on regarde comme l’annonce de la mort de quelqu'un. 
Un bénédictin de Quimperlé, nommé Guillaume Aline, qui vivait en 
1476, a fait disparaitre, y voyant des superstitions, ces prétendues taches 
dans une version qu'il a remaniée et embellie à sa manière, 





Me glev eur veuleudi "vel na gleviz he far, 
Tiz zo war ar c'hoummoul, ar goulou-de a bar! 


Setu me o vleunia evel eur boudik roz 
A-hed gwaz ar Vuhez e liorz ar baroz. 


Y 


LE CHANT DES TRÉPASSÉS 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


ARGUMENT 


C'est le mois noir (novembre) que l’Église a choisi pour songer aux 
morts et prier pour eux, Le soir de la Toussaint, le cimetière est envahi 
par la foule, qui vient s'agenouiller tête nue sur l'herbe mouillée, près 
de la tombe de ses parents défunts, remplir d’eau bénite le creux de leur 
pierre funèbre, et dans quelques localités, y faire des libations de lait. 
Cependant l'office commence et se prolonge; les cloches ne cessent de 
tinter durant toute la nuit, et parfois, à l'issue des vêpres, le rec- 
teur, suivi de son clergé, fait processionnellement, à la lueur des 
flambeaux, le tour du cimetière en bénissant chaque tombe, Dans aucun 
ménage, cette nuit, la nappe n’est ôtée de dessus la table ni le souper 
desservi, car les âmes viendront en prendre leur part; on se garde bien 
aussi d’éteindre le feu du foyer : elles doivent s’y chauffer comme durant 
leur vie. 

Lorsque l'office du soir est terminé, que chacun a regagné sa demeure, 
qu'on a quitté la table pour l’abandonner aux morts, et qu’on se met 
au lit, on entend retentir à la porte des chants Iugubres mêlés au bruit 
du vent. Ces chants sont ceux des trépassés qui empruntent la voix des 
pauvres de la paroisse pour demander des prières. 


Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, bonne santé 
à vous, gens de cette maison; bonne santé nous vous souhai- 
tons : nous venons vous mettre en prière. 





KANAOUEN ANN ANAON 


re IER KERNE — 


Han Tad ar Mab ar Spered-glan, Lec hed mar d'hoc'h war boez hor pcnn 
lec'hed mad d’hoc’h, tud ann ti-man, Deut omp d'ho lakat er heden, 


DUS CIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Quand la Mort frappe à la porte, tous les cœurs sont frap- 
pés d’effroi; quand à la porte se présente la Mort, qui la 
Mort doit-elle emporter? 

Mais, vous, ne soyez pas surpris si nous sommes venus à 
votre porte : c’est Jésus qui nous envoie pour vous éveiller, 
si vous dormez ; 

Vous éveiller, gens de cette maison; vous éveiller, grands 
et petits; s'ilest encore, hélas! de la pitié dans le monde, au 
nom de Dieu! secourez-nous. 

Frères, parents, amis, au nom de Dieu! écoutez-nous! au 
nom de Dieu ! priez ! priez! car les enfants, eux, ne prient pas. 

Ceux que nous avons nourris nous ont depuis longtemps 
oubliés; ceux que nous avons aimés nous ont sans pitié dé- 
laissés. 

Mon fils, ma fille, vous êtes couchés sur des lits de plume 
bien doux, et moi, votre père, et moi, votre mère, dans les 
flammes du purgatoire. 

Vous reposez là mollement, les pauvres morts sont bien 
mal; vous dormez là d’un doux sommeil, les pauvres morts 
sont dans la souffrance. 

Un drap blanc et cinq planches, un bourrelet de paille sous 
Ja tête et cinq pieds de terre par-dessus, voilà les seuls biens 
de ce monde qu’on emporte au tombeau. 





Pa sko ar Maro war ann nor, Gand ar re hon euz-ni maget, 

Stok er c'halonnou ar c'hren-mor; Ed omp pell-zo ankounac'het, 

Da doull ann nor pa zeu "Y maro, Gand ar re hon euz-ni Karet, 

Piou gand ar maro a ielo? Hep truez, cz omp dilezet. 

Hogen, na vec'h ket souczet. | Ma map, ma mcrc'h, chui zo kousket 
Da doull ho tor mar d-omp digouet: | War ar plun dous ha hlod meurhed, 
Jezuz en deuz hon digaset, Ha me ho (ad, ha me ho mamm, 
D'ho tihuna mar d-oc'h kousket; Er purkator e-kreiz ar flamm, 

D'ho tihuna, tud ann ü-man, C'hui 20 er gwele kousket aez, 

Uha (hunn, hraz ha bihan : Ann anaon paour 20 diaez, 

Mar ’z euz, siouaz, truez er bed, C'hui zo er gwele kousket mad, 

Lnn han Doue! hor zikouret. + Ann anaon paour z0 divad. 
Breudeur, kerent ha mignoned, Eul linser wenn ha pemp planken, 
Enn han Douc) hor zilaouet ! Eunn dorchen blouz dindan ho penn, 
Lnn han Doue pedet! pedett Pemp troated douar war c’horre, 


lag ur vugale na rennt kot, Setu madou ar bed er be. 


LE CHANT DES AMES. 209 


Nous sommes dans le feu et l'angoisse; feu sur nos (êtes, 
feu sous nos pieds, feu en haut et feu en bas; priez pour les 
répassés ! 
trépassées | 
Jadis, quand nous étions au monde, nous avions parents et 
amis; aujourd'hui, que nous sommes morts, nous n'avons 


plus de parents ni d'amis. 


Au nom de Dieu! secourez-nous! Priez la Vierge bénie de 
répandre une goutte de son lait, une seule goutte sur les 
pauvres trépassés. 

Sautez vite hors de votre lit, jetez-vous sur vos deux ge- 
noux; à MOINS que vous ne soyez malades ou appelès déjà par 
la mort. 


NOTES 


En entendant ces voix lamentables, tout le monde se léve dans les chau— 
mières; tout le monde se jette à genoux, et l’on prie en commun pour 
les trépassés, sans oublier de faire une abondante aumône aux pau- 
vres qui sont à la porte et qui les représentent, Ceux-ci alors poursui- 
vent leur promenade nocturne à travers les bois et les landes, au son des 
glas funèbres et au murmure du vent dans les feuilles flétries, moins 
pressées, dit-on, sur la terre au 1015 noir, que ne le sont les âmes, cette 
nuit, dans les airs. 





Ni zo enn tan hac enn anken; Enn han Douc. hoar zikouret! 

Tan dindan-omp, tan war hor nenn, Pedet ar Werc'hez benniget 

Ha tan war lue, ha tan d'aun traon; Da skuilla eul lomm ouz he lez, 
Pedet evid ann anaon! Eul lomm war ann anaon kez. 
Gwechall pa oamp e-harz ar bed, Euz ho kwele prim dilammet, 

N boa Kerent ha mignoned: War ho taou-lin en em strinket, 
Hozen hreman, red omp marvet, Nemet kouet e voec'h er c’hlenved, 


Kerent, mignoned, n'hon euz Ket. Pe gand ar maro kent galvet. 


VI 


L'ENFER 


— DIALECTE DE LÉON — 


ARGUMENT 


Pour trouver la société chrétienne telle qu’elle existait autrefois, une 
réunion d'hommes à natures énergiques, à organisation puissante, à ima- 
gination de feu; pour trouver un prêtre que la foule comprenne, qu’elle 
aime, et qui soit de force à lutter corps à corps avec elle, à la terrasser, 
il n’est pas nécessaire de remonter le cours du temps et d'aller jusqu’au. 
moyen âge; on n'a qu'à venir en Basse-Bretagne. Les cantiques qu'y 
chante le peuple sont en harmonie avec ses mœurs, ses mâles croyances 
et les doctrines qu'on lui prêche : il a un secret penchant pour les sujets 
qui traitent des vérités les plus effrayantes de la religion, comme s’il avait 
gardé l'esprit dont les druides remplissaient ses ancêtres au fond de la 
forêt sacrée ; le cantique de l’enfer, l'un des plus anciens et peut-être 
le plus populaire de tous ceux que nous possédons, me paraît en être 
une preuve. On l’attribue {antôt au père Morin, qui vivait au quinzième 
siècle, tantôt au père Maunoir. jésuite du dix-septième; toutefois il ne se 
retrouve pas dans la collection des cantiques de ce dernier, mais dans 
un recueil du père Martin, imprimé en 1650, où il diffère beaucoup de la 
version orale que nows publions : la langue en est moins pure, l'allure 
moins franche, l’ensemble moins cmpreint de rudesse. J'ai donc cru de- 
voir suivre la version traditionnelle. 


Descendons tous, chrétiens, en enfer, pour voir quel sup- 
plice effroyable endurent les âmes damnées que la justice de 
Dieu tient enchainées au milieu des flammes, pour avoir abusé 
de ses gràces en ce monde. 





ANN IFERN 


— JES LÉON — 


Diskennomp holl, kristenien, enn ifern da welet 
Ar wanerez estlammuz euz ann eneou daonet 

Pe re z0 dre wir Doue dalc'het e-barz ann tan, 

0 veza gret gwallzispign ouz he c'hraz er bed-man, 


L'ENFER, ol 


L'enfer est un abime profond plein de ténèbres, où ne luit 
jamais la plus petite clarté; les portes ont été fermées et ver- 
rouillées par Dieu, et il ne les ouvrira jamais; la clef en est 
perdue! 


Un four rougi à blanc ici-bas n’est que fumée, au prix du 
feu de l'enfer, du feu qui dévore les âmes damnées; mieux 
vaudrait brûler, en ce four, jusqu'à la fin du monde, que 
d'être, pendant une heure, tourmenté en enfer. 


Ils hurlent à tue-tête, comme des chiens enragés; ils ne sa- 
vent où fuir; partout des flammes! des flammes sur leur tête, 
des flammes sous leurs pieds, des flammes de tous côtés, qui 
les dévoreront à jamais. 


Le fils s’élance sur son père, et la fille sur sa mère, et ils 
les trainent par les cheveux, au milieu des flammes, avec 
mille malédictions : 


— Soyez maudite, femme perdue, qui nous avez mis au 
monde; soyez maudit, homme insouciant, qui êtes la cause de 
notre damnation. — 


Ce sera Satan qui leur préparera à manger, et les ordures 
des monstres de l'enfer, ramassées dans les ruisseaux de feu, 


Ann ifern zo eunn toull don leun a devalijen, 
Elec'h ua weler morse bihana sklerijen, 

Ann norioù zo bet sarret ha prennet gand Doue, 
H n'ho digoro biken: Kollet eo ann alc'houe) 


Eur forn c'horet er bed-ma ne d-co nemed moged, 
E-kever tan ann ifern, tan eneou daonet, 

Gwell e ve devi enn hi ac'han da fin ar bed 

Eget beza enn ifern e-pad cunn heur gwanet. 


Judal reont a-boez penn, evel chas Kounnaret: 
Ne ouzont pclec'h (ec'het, peb-lec’h ez-int losket ; 
Ann tan Z0 war ho Gorre, ann tan zo dindan ho, 
Ann tan z0 a bep kostez hag ho devo ato. 


Ar mab a lamm gand he dad, hag ar verc'h gand he mamm, 
D'ho stleja, gand mil malloz, dre ho bleo, kreiz ar flamm. 
— Malloz d'hoc'h, greg diaket, hag hoc'h euz hon ganet; 
Malloz d’hoc'h, tad didalvez, kiriok oc'h omp daonet ! — 
Ho magadurez a vo da viken gand Satan 

Kaezour ann dragoned, etouez ar gwaziou tan; 


512 CHANTS POPULAIRES DE LA PRRETAGNE. 


qu'il leur servira; et pour boisson, ils auront leurs larmes, 
mêlées de mille et mille immondices et de sang de crapaud. 


Et leur peau sera écorchée et leur chair déchirée par la 
dent des serpents et des démons; et leur chair et leurs os 
seront jetés au feu, pour alimenter la fournaise immense de 
l'enfer. 

Après qu'ils auront été laissés quelque temps dans les flam- 
mes, ils seront plongés, par Satan, dans un lac de glace; et 
du lac de glace replongés dans les flammes, et des flammes 
dans l’eau, comme la barre de fer en forge. 


Alors ils se mettront à pleurer, à pleurer amèrement : 

— Ayez pitié, mon Dieu, ayez pitié de nous! — 

Mais ce sera en vain qu'ils pleureront, car tant que Dieu 
durera, dureront leurs tourments et leurs maux. 


Le feu qui les brûlera en enfer sera si vif que leur moelle 
bouillira dans leurs os; plus ils demanderont grâce, plus ils 
seront tourmentés ; ils auront beau hurler, ils brüleront éter- 
nellement. 


Ce feu-là, c’est la colère de Dieu qui l'entretient ; et il ne 
pourrait l'éteindre, quand même il le voudrait ; jamais 





Hag ho evach ho daelou, har a vezo mesket 

Gand mil ha mil seurt villanz ha goad ann touseged. 
Ha kignet vo ho c'hroc'hen, hag ho chug difreuzet, 
Gand beg ann aered-wiber, ha gand dent ann diaouled, 
Hag eun tan e vo ruillet ho c’hig hag ho eskern, 

Evit ma tevo kreoc'h forn vraz euz ann ifern. 


Coude ma vezint losket eur boutadis enn tan, 

E vint tolet eun cul lenn leun a skorn gand Satan, 

Ha deuz al lenn barz ann tan adarre vint tolet 

Ha deuz ann tan harz ann dour, ‘vel al loc’h-houarn goelict. 


Neuze teuint da oela, da oela gand enkrez: 

— Ho pet ouz omp, ma Doue, ho pet ouz omp (ruez) — 
Hogen enn auer oelint; rag tra bado Doue 

E pado ho ankeniou hag ho eukrez 1ve. 

“en ter a vezo ann tan ho lesko cnn ifern, 

Ma teui ar mel da virvi, penn-da-benn d’ ho eskern, 
Seul-vui c'houlenvint true, seul-vui e vint gwanet; 
Kaer ho devezo iudal, lesket e vint bepret. 

Ann tan-ze a z0 c'houezet dre vuancgez Doue, 

Ha n’helfe ked hen laza zoken pa her c'harfe; 


L’ENFER. 513 


il ne jettera de fumée, et jamais il ne consumera; il les brû- 
lera éternellement, sans jamais les détruire. 


NOTES 


L’imagination de Michel-Ange est-elle allée plus loin? pour que rien 
ne manque à la réalité du tableau, certains passages poussent l'horreur 
jusqu’au dégoût, comme ces mystérieux recoins du Jugement dernier du 
grand maître italien. Qu'on se rappelle maintenant que ce cantique est 
chanté fréquemment par des chrétiens de tout âge en Bretagne. Quel trou- 
ble, quel terreur profonde ne doit-il pas jeter dans Tame des enfants, des 
jeunes filles et des vieillards! Mais, comme je Tat remarqué, le paysan 
breton ne hatt pas les peintures sombres; la tournure de son esprit UY 
invite au contraire, et son calme intérieur n’en est point troublé. J'ai dit 
aussi précédemment que la pièce était fort interpolée dans les versions 
imprimées : croirait-on, par exemple, que les éditeurs ont reculé 
devant la clef perdue de l'enfer, ce trait digne de Dante, et qu'ils l'ont 
remplacée par le mot banal élernité. J'ignôre si c’est le résultat d'un 
scrupule théologique ; mais il n’a point été partagé par un prélat romain 
de nos jours, chez qui la science s’unit à la critique et à une connais- 
sance profonde de la langue et de l'esprit du peuple breton. En mettant 
le cantiquedans le dialecte de Vannes, Monseigneur Le Joubioux a eu garde 
de lui faire subir aucune mutilation, 





Biken na dolo moved. ha biken na devo, 
Heh ehana d'ho leski hiken n'ha distrujc, 


LL, 


LE PARADIS 


— DIALECTE DE TRÉGUIER — 


ARGUMENT 


Autant Je cantique de l'Enfer est terrible, autant celui du Paradis 
est charmant. On l'attribue généralement à Michel le Nobletz de 
Kerodern, missionnaire breton du seizième siècle, mais les poëtes popu- 
laires le réclament pour saint Hervé, leur patron, ct la légende latine 
du saint parait leur donner raison. Il est dit en effet dans cette légende, 
rédigée vers le onzième siècle, que saint Hervé composa sur le Paradis 
un cantique breton, dont les vers pour avoir passé dans la bouche du 
vulgaire n'en sont pas moins vénérables et authentiques!. Ce qu'on 
peut croire, c’est que emre du bienheureux larde. telle que nous 
l'avons, à reçu sa forme moderne du dernier apôtre des Armoricains, 
et une nouvelle vogue, gräce aux Missions : un curé de Plougonven, 
M. Kernau, la fit imprimer, en 1816, pour y être distribuée. Mais je 
ne croirai jamais qu'on doive en chercher le modèle dans les col- 
lections imprimées. Outre qu'on en trouve autant de variantes qu’il 
Y en a eu d'éditions, ces variantes qui s'accordent plus ou moins, 
quant au fond, avec les versions orales, en diffèrent notablement par 
certains détails; elles ont perdu des strophes entières, des ornements 
pleins de gräce et de poésie que celles-ci offrent encore; enfin elles ont 
subi, sous le rapport du langage, des altérations nombreuses. Je n'ai 
done pas hésité à suivre encore ici la version traditionnelle. 


Jésus! combien est grand le bonheur des âmes, quand 
elles sont devant Dieu, et dans son amour! 


Je trouve le temps court, et légères les peines, en songeant 
nuit et jour à la gloire du Paradis. 


AR BARADOZ 


ALES ARHIEGEIRNRES 


Jezuz! peger liraz eo Derr gavann ann amzer, 
Pijadur ann eneo, Hag ar poanio âister, 

Pa "Z: nL dirag Douce, 0 soujal deiz ha noz. 
lag cuu he garante! L gloar ar baradoz. 


1 Quanvs sit vulgariter edilum, est venerabiliter authenticum (Blancs-Manteaux n° 38, 
fol. 857. Cf. La légende cellique, 5* partie, saint Hervé. 


LE PARADIS, 515 


Quand je lève les yeux vers le ciel, vers le ciel ma patrie, 
je voudrais y voler comme une petite colombe blanche. 


Quand viendra l'heure de la mort, alors je quitterai cette 
chair douloureuse, l’ennemie de Jésus. 

J'attends avec joie le dernier passage, j'ai hâte de voir 
Jésus, mon véritable époux. 

Aussitôt que mes chaînes seront brisées, je m’élèverai dans 
les airs comme une alouette. 

Je passerai la lune pour aller à la gloire, je foulerai aux 
pieds le soleil et les étoiles. 

Quand je serai loin de la terre, cette vallée de larmes, alors 
je jetterai un regard à mon pays de Basse-Bretagne : 

Alors je dirai : — Adieu, à toi, mon pays, adieu, à toi, 
monde de souffrances et à tes douloureux fardeaux ; 

Adicu, pauvreté, adieu, affliction, adieu, troubles, adieu, 
péchés ! 


Je ne craindrai plus les ruses du malin esprit; maintenant 
que l'heure de ma mort est passée, je ne me perdrai plus. 





Pa zellann enn envo, Dreist ann heol, ar stered, 


Hag entreze va bro, Me à vezo douget. 

Nijal di a garenn, Pa vinn pell diouz ann douar, 
Eel eur Goulmig wenn. Traonien leun a c'hlac'har. 
l'a vo pred ar maro, Neuze me rai eur zell 

Neuze me gimiado Ouz va 1 ro Breiz-izel. 

Ouz ar C'hig ankeniuz, Neuzeme lavaro: 

Enebour da Jezuz. — Kenavo d'id, va hra, 


Gand joa e c'hortoann Kenavo, bed doaniuz, 
Ann tremen divezan; Gand da veac’hiou poaniuz; 


Hast am euz da welet Kenavo, paourentez. 


Jezuz, va gwir hried. 


Kerkent ha ma vezo 
Torret va chadenno, 
M'en em zavo enn er 
Evel eunn alc'houeder. 


Tremen a rinn al lonr 
Evit monet d'ar c'hloar 


Kenavo, goanerez, 
Kenavo, trubuillo, 
Kenavo, pec’hejo ! 
Pelloc’h ne zoujinn ket 
Ardo ann drouk-spered; 
Biken me n'em golo 
Goude pred ar maro. 


RII CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Comme un vaisseau perdu, mon corps, m'a conduitici, mal-. 
gré le vent, la pluie et le brouillard glacé ; 

U trépas, tu es le portier qui m'ouvre le château contre les 
écueils duquel les flots ont brisé mon navire. — 

De quelque côté que Je me tournerai, tont ce que je verrai 
remplira mes yeux et mon cœur de mille félicités : 

de verrai les portes du paradis ouvertes pour m'attendre, 
et les saints et les saintes prêts à me recevoir. 

Je serai recu dans le palais de la Trinité au milieu d’hon- 
neurs et d'harmonies; 

Et là, en vérité, je verrai Dieu le Père avec son Fils et 
l'Esprit saint. 

Je verrai Jésus, d'un air plein de bonté, placer sur mon 
front une belle couronne. 

— Vos corps heureux, dira Jésus, étaient des trésors cachés 
en une terre bénie. 

Vous êtes en ma cour comme des pieds de rosiers blancs, 
de lis, ou d’aubépines, dans Tangle d’un jardin; 

Vous êtes dans mon paradis comme des rosiers qui per- 
dent leur fleur dans la saison, et fleurissent de nouveau. — 





Evel eur vag gollet, 
Va C'horr deuz va c'haset 
Ama, dre ann avel, 
Ar glao har ar riel. 


Hag eno, evit mad, 

Welinn Doue ann Tad 
Gand he Yah benniget 
Hag ar Spered meulet. 


Maro, te ann treizer Me a welo Jczuz. 

A ziger d'in ar ger, Enn eur c'hiz dudiuz, 
Pa vruzun gand ann her 0 lakat war va fenn 
Va lestr oud he rec’hier. — Ar Capri kurunen : 


Abep-tu pa zellinn, — Ho korfou evuruz, 
Kement tra a welinn A lavaro Jezuz, 

À rai d'am daculagad, Un tensario kuzet 
Ha d’am c'halon mil vad : Enn douar benniget. 
Perc'her ar baradoz 
D gor ouz va gortoz, 


Evel grizio roz-gwenn, 
Pe lili pe spern-gwenn, 


Ar zent, ar sentezed, 
Tost d'am disemerel. 


Me vo digemeret 

E palez ann Drinded. 
E-kreiz ann enorio 
Uar ar meuleudio; 


E kornig eul liorz, 

Em’ oc’h e-kreiz va forz; 
C'houi zo em haradoz 
Evel bokedo roz 

À zivleun d'ar mare, 
Har a vleun adarre, — 





LE PARADIS, RIN 


Pour de légères souffrances, pour de courtes angoisses, 
nous serons bien payés par Dieu, notre véritable père. 

Elle sera belle à voir, la Vierge bénie, avec les douze étoiles 
qui forment sa couronne. 


Nous verrons aussi les légions des archanges, qui chantent 
les louanges de Dieu, chacun une harpe à la main; 


Nous verrons encore, pleins de gloire et de grâce, nos 
pères, nos mères, nos frères, les hommes de notre pays; 


Des vierges de tout âge, des saintes de toute condition, des 
femmes, des veuves couronnées par Dieu. 


Des chœurs de petits anges, portés sur leurs petites ailes, si 
gentils et si roses, volligeront au-dessus de nos têtes; 

Voltigeront au-dessus de nos têtes, comme un essaim d’a- 
beilles harmonieuses et embaumées dans un champ de fleurs. 


O bonheur sans pareil! en pensant à vous, je vous aime | 
vous consolez mon cœur dans les peines de cette vie! 


Evit poanio dister 

Evid ankenio berr, 

Ni vezo paet mad 

Gand Douc. hor gwir dad. 


Kaer a vezo gwelet 

Ar Werc'hez benniget, 
Gand daouzek stereden 
A ra he c'hurunen, 
Gwe!let a rimp ouspean 
Gant-ho peb a delen, 
Aele hag arc'haele 

Holl o veuli Doue; 


Gwelet a raimp-ni c'honz 
Leun a c'hloar, leun a c'hraz. 
Hon tado, hor mammo; 

Hor breudeur, tud hor bro. 


Gwerc'hezed a bep oad, 
Sentezed a bep stad, 
Gragez, intanvezed, 
Gand Donc kurunet. 


Ann holl eledigo 

War ho eskeligo 

Ker mignon. ker ru-benn, 
A nijo dreist hor penn; 

A uijo dreist hor penn, 
Evel eunn hed gwenen, 
Enn eur parkad bleunio, 
Son ha c'houez-vad gant-ho, 
Eurusded heb he far! 

0 sonjal me ho Kar: 

C'hui a ro d'in dizoan 

E poanio ar bed-man) 


f 


518 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, 


NOTES 


Le cantique du Paradis m'a été chanté, dans mon enfance, par 
une mendiante assise au pied d’une croix, au bord d'un chemin. La 
pauvre femme pleurait en le chantant. Dieu me donnait en elle une 
image touchante de la piété des Bretons. Leur façon de comprendre le 
bonheur du ciel se distingue avec une délicate originalité de la manière 
vulgaire, et rappelle celle d'Orcagna, quand il peint le ciel des mères et 
des enfants. Elle a été remarquée d'un philosophe chrétien de nos jours, 
auquel linée ne Dieu a inspiré les pages les plus éloquentes, et d'un 
critique d'une tout autre école, dont le cœur s’attendrit, malgré lui, 
aux réminiscences qui lui viennent de son enfance et de son pays, ces 
réminiscences poétiques où se croisent à la fois, dit-il délicieusement, 
toutes les sensations de la vie, si vagues, si profondes, si pénétrantes, 
que pour peu qu'elles vinssent à se prolonger, on en mourrait, sans 
qu'on püût dire si c'est d'amertume ou de douceur. 


APPENDICE 


COMPLAINTE DE LA DAME DE NIZON 


— DIALECTE DE CORNOUAILLE — 


1] ny a pas longtemps, par une froide matinée de janvier, s'arrè- 
taient à ma porte deux pauvres paysannes des montagnes: c'étaient 
de ces filles de l’Arèz qui vont tous les ans quêter au loin du chanvre 
qu’elles emportent chez elles pour le filer, au coin du feu, pendant les 
longues veillées d'hiver, Debout, devant chaque maison, leur baguette 
blanche à la main et leur besace en toile sur l'épaule, elles annoncent 
leur arrivée par des complaintes, seules fleurs dont elles puissent orner le 
seuil qui les reçoit en cette dure saison. Aucune n'ignore que parmi 
leurs chants de bienvenue, ceux-là me plaisent entre tous qui gardent le 
parfum du passé; et cependant elles chantaient une complainte nou- 
velle. Mais les couplets, — elles le voyaient bien, — tombaient comme des 
larmes sur mon cœur. 


Hélas! hélas! elle est morte la dame du Plessix-Nizon! Je 
vois comme un nuage noir qui cache entièrement le soleil. 


— 0 notre bonne petite mère, quand vous n’êtes plus, qui 
apaisera notre faim? Qui nous donnera des vêtements et des 
remèdes ? Qui guérira nos plaies? 


KLEMVAN ITRON NIZON 


HU ES KERNE 


Allaz! allaz! maro itron —Ior mammik paour, pa n'em oc'h mui, 
Mauer ar Geukiz-a-Nizon! Piou dorro pelloc'h hon naon-n1? 
Me wel evel ar c'hoummoul du Dion roi d'e-omp dillad ha louzou? 


A guz ann heol a bep tu. Piou bareo hor gouliou? 


520 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


Depuis la ville de Quimperlé jusqu’à Nizon, nous pleurions ; 
agenouillés au bord du chemin, pendant quatre lieues nous 
avons pleuré. 


Nous avons pleuré, en suivant la charrette qui vous a con- 
duite à la terre; nous avons pleuré près de votre tombe, nous 
pleurerons pendant toute notre vie. 

Quel deuil, hélas! au manoir! Quel deuil au pays, chère 
dame ! Adieu, notre mère douce et bonne, pourquoi nous avez- 
vous quittés? — 

— Pauvres, pauvres chéris! vos pleurs sont au-dessus de 
toutes les louanges ; mais il ne faut pas pleurer quand notre 
mère est dans le bonheur ; 

Quand elle est avec la sainte Vierge, avec Jésus et les ap- 
- tres, avec le saints et les saintes, avec ses deux filles, et son 
époux. 

Le prêtre qui était près de son lit parlait pour elle d’une 
voix douce: 

« Saints et saintes du ciel, venez recevoir mon âme; 

v Oh! venez, afin que je puisse pour tout de bon aimer, 
avec vous, Dieu notre père, dans le Paradis, pendant l'éter- 
nité. » 

C’est à ces mots qu’elle a passé. 





Adal ar ger a Gemperle Koulskoude ne ket red goela 

Pete Nizon ni a oele, Pa ‘ma hor mamm eharz ar joa. 

E bordig ann hent daoulinet Pa’ ma gand ar Werc’hez santel, 
Hej pedeir leo hon cu: goelet; Gand Jezuz hac ann Ebestel 

Goelet hon euz da heul ar c'harr Gand ar Zent hag ar Seutezed, 

Zo bet ouz ho kas d'ann douar ; Gand he dou verc'h, gand he tried. 
Goelet hon euz etal ho pez Ar beleg etal he gwele 

Goela raimp epad hor buhez. Gand eur vou”z dous a lavare: 
Pehez Kaon, siouaz, er mancr l F « Sent ha sentezed euz ann ne, 
Pehez Kaon er vro, itron ger! Deud da zigemer va ene; 

Kenavo, hor mamm dous ha mad; Deut ’ta, ma hellinn evid mad 
Perag oc'h-hu deud d'hor c’huitat? — Karout, gan-e-hoc'h, Doue hon Tad, 
— Peorieu, prorien geiz, ho taelou Er Baradoz da virviken. » 


Zo dreist ann holl meuleudiou; Neuzc e teuaz da dremenn, 


COMPLAINTE DE LA DAME DE NIZON. 921 


Elle a passé doucement, comme en souriant, notre chère 
mère, comme si elle eût vu la porte du Paradis ouverte de- 
vant elle. 

C'était la fête de Notre-Dame du Carmel, une belle fête 
pour mourir! C'était le soir du vendredi, ce grand Jour où 
mourut Le Sauveur. 

Gessez donc, chers pauvres, cessez de gémir; ne pleurez 
pas, si vous l’aimez; le blé était mûr, les anges l'ont coupé. 

Le vieil arbre est tombé, le Maitre a emporté son bien; mais 
beaucoup de jeunes rejetons restent après lui très-serrés. 

Les petits oiseaux pourront encore faire leurs nids sous 
les feuilles vertes, et chanter les louanges de Dieu qui ne 
laisse ni l'oiseau, ni l'homme dans le besoin. 

Disons le De Profundis près de la tombe de la dame du Ples- 
six, et qu'on écrive sur sa pierre : [cr REPOSE LA MÈRE DES 
PAUVRES. — 

L'auteur de cette complainte est un prêtre autrefois vicaire 
de la paroisse de Riec, qui aimait et aimera toujours la dame 
qui n'est plus. 

Tant qu'il vivra il dira chaque matin un Memento pour sa 
vieille mère; puisse-t-1l aller la rejoindre dans le Paradis! 








Tremenn e deuz gret gand dousder, 
Evel o c’hoarzin, hor (mamm gor: 
Evel m'e defe gwelet dor 

Ar Baradoz d’ezhi disor. 

Edo gouel Maria-Garmel 

Gouel duiiuz cviL mervel, 

Edo abardaez ar gwener, 

Deiz braz ma varvaz ar Zalver. 
Tavit ’ta, peorien geiz, tavit, 

Na oelit ket, ma he c'harit: 

Mad da vedi a oa ann ed 

Ann elez ho deuz len medet, 


Ar wezen g0z a Zo pilet, 
He dra gand ar Meztr a 20 et, 
Koulskoude meur a blant iaouank 


A jomm war he lcrc'h stank-ha-stank. 


Ann evuigou a hello c'honz 
Neizia dindan ann deliou glaz, 
Ia kana meuleudi Doue 

Na losk evn na den dibourve. — 


Leveromp ann De profundis 

Etal bez itron ar Genkiz. 

Ha ra vo skrivet war he men : 
AMAN EMA MAMM AR BÉORIEN. 

Ar wers 70 gret sand eur belek, 
Bet kure e parrez Riek, 

Iag à sare, haga garo 

Da viken ann itron varo. 

Endra ma jommo e buhez 

E livaro pch miniinvez 

Eux Memento ’vid he vamm £ozz 
Ma "2 ai gant hi d'ar Baradoz! 


522 CIIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE 


NOTES 


Ne méritait-elle pas d'être ainsi chantée, de l'être par un prêtre et 
par les pauvres gens de la Bretagne, celle dont la tendresse, au moment 
suprême, s’épuisa dans ce cri suppliant : « Mes enfants, si vous avez 
souvenir de ma mémoire, n’abandonnez jamais les pauvres ; secourez les 
affligés, les malades ; ayez compassion de la veuve et des petits orphe- 
lins: mes chers enfants, pensez aux peines des laboureurs: regardez le 
ciel plutôt que la terre, l'éternité plutôt que le temps. » 

Son élégie n’avait-elle pas droit à une place parmi les chants dont 
elle a recueilli la fleur ? 

L'auteur, l’ancien vicaire de Riec, le bon et vénérable curé d’Eskibien, 
M. Stanguénec, qui a prêté son cœur aux malheureux pour pleurer ma 
mère et la leur, me pardonnera d’avoir trahi sa reconnaissance : j'ai 
voulu lui prouver la mienne, 


ÉPILOGUE 


Arrivé à la fin de cette publication, une réflexion me frappe qui 
m'impose un dernier devoir. Si les chants qu'on vient de lire offrent 
quelque intérêt poétique ou historique, ils ne sont ni moins 
précieux ni moins instructifs, au point de vue philosophique et 
moral. Ils retracent, en effet, le tableau fidèle des mœurs, des idées, 
des croyances, des opinions, des goûts, des plaisirs et des peines du 
peuple breton, aux différentes époques de sa vie. Il s'y peint d’après 
nature, avec ses vertus et ses vices, sans s'inquiéter de certaines dif- 
formités qu'il n’aperçoit pas, et que l’art apprend à dissimuler par 
la manière de les éclairer. Le portrait n'est qu'ébauché, sans doute, 
mais il est frappant de vérité. 

L'homme y paraît sous trois aspects qui correspondent aux trois 
catégories du Romancero de la Bretagne, savoir : aux poésies mytho- 
logiques, héroïques, historiques et aux ballades; aux chansons de 
fêtes et d'amour; aux légendes et aux chants religieux. 

Les premières nous l'ont montré enfant, puis adolescent, puis 
parvenant à l'âge mür; les autres nous ont inilié à sa vie domes- 
tique, les dernières à sa vie religieuse. 

Résumons les traits saillants d’un caractère et d’une physionomie 
remarquables. 

On se souvient de cet enfant, debout près d’un vieillard austère qui 
lui répète sa leçon : c’est Armoricain au début de l'existence so- 
ciale, et qu'un druide instruit. Or, l'homme est un être enseigné : 
la semence morale déposée dans son âme n'y meurt point; elle s’y 
développe, elle fructifie, et l'on peut, encore, après bien des 


524 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGXNE,. 


siècles, juger de la semence par les fruits. L'expérience le prouve, 
et le sujet qui nous occupe confirme les observations de l’expé- 
rience. 

L'enseignement que le prêtre païen donne à son élève est sérieux, 
grave, sombre, et, avant tout, religieux. À peine celui-ci est 
né, qu'il voit autour de son berceau la Mort, la Douleur et la Néces- 
sité, divinités terribles qu'on lui dit d’adorer : soumis à la loi du 
destin, il les adore; mais si le maitre lui montre la souffrance 
comme le lot de l'humanité ici-bas, il fait en même temps bril- 
ler à ses yeux un royaume enchanté « plein de fruits d'or, de 
fleurs et de petits enfants qui rient; » et le cœur du jeune néo- 
phyte, fermé pour la terre, s'ouvre avec l'espérance pour un monde 
meilleur. 

La même voie fleurie le mêne à l'amour du merveilleux ; son in- 
stituteur donne un aliment à ce penchant naturel à l'homme en 
l'entretenant d'un monde mitoyen, peuplé d'esprits mystérieux des 
deux sexes, les uns nains, comjosant des breuvages magiques; les 
autres naines, dansant avec des fleurs dans les cheveux et des robes 
blanches, autour des fontaines, à la clarté de la lune. Frappé par ces 
fraiches images, l'enfant croira aux esprits, aux sorciers, aux fées, 
à l'influence des astres; il sera superstilieux et crédule. 

Passant à un autre ordre d'idées, le maître apprend à son élève 
qu'un jour des vaisseaux étrangers descendirent sur les rivages de la 
patrie, et qu'ils la dévastèrent; que les prêtres, pères et chefs du 
peuple, furent égorgés, hormis un petit nombre qu'on voyait 
errer, fugitifs, avec des épées brisées, des robes ensanglantées, des 
béquilles. Et, devant ce tableau plus saisissant que celui devant 
lequel fit serment le jeune Annibal, l'enfant va jurer haine à mort 
aux étrangers, et protester qu'il défendra éternellement contre eux 
le culte de ses pères, les lois de son pays et son indépendance. De là 
naît dans son cœur, comme un doux fruit sur une tige amère, 
cet amour du sol natal et de la liberté, cel esprit de rési-tance opi- 
niâtre, ce dévouement aux chefs nationaux, et cet instinct con- 
servateur qu'il ne perdra jamais. 

La suite des siècles nous l’a fait voir mettant en pratique les di- 
vers enseignements du maître. 

Un prince, ennemi et chrétien, le prend, l’enchaine, lui crève les 
yeux, et il chante: « Je n'ai pas peur d’être tué; j'ai assez vécu; 
peu importe ce qui arrivera, ce qui doit être sera: il faut que tous 
meurent trois fois avant de se reposer pour jamais ?. » Puis il pour- 
suit d'imprécations l'étranger, oppresseur de son culte et tyran de 
son pays. C'est le barbare aux passions effrénées, inspiré par une 


4 Les séries, prge 2 et suiv. N 
2 La prophétie de Gwenc'hlan, page 20 et suiv. 


ÉPILOGUE, 525 


haine aveugle que la raison ne peut ni blämer ni ab:oudre, Ses 
vices ont le même caractère d'énergie sauvage que ses vertus. Chose 
Strange! ils ont un mobile semblable, ils sont sacrés comme elles. 
Les sens grossiers qu'il a reçus de Ja nature, le ciel froid et pluvieux 
sous lequel il couche, la vie guerrière et rude qu'il mêne, le dé- 
nûment presque complet où il se trouve des choses les plus né- 
cessaires au bien-être, la rareté des occasions qu'il a de se distraire 
des soucis de sa misérable existence, tout le pousse à chercher les 
‘moyens les plus violents pour assouvir ses penchants brutaux : le 
pillage, l'ivresse et la danse les lui fournissent. Il pille donc, 
il danse et il boit’; et, en satisfaisant ainsi d’un même coup ses 
trois vices, l'amour du gain, l'amour des liqueurs fermentées et 
l'amour de la danse, il croit sérieusement s'acquitter d'un double 
devoir envers ses dieux et son pays; car, d'une part, c’est le terri- 
toire ennemi qu'il ravage ; c'est le vin de l'étranger qu'il boit, et il 
le boit (chose horrible à dire!) mêlé au sang de l'étranger lui-même; 
d'autre part, les rondes auxquelles il se livre sont saintes ; et ces 
rondes, ce vin, ce sang, il les offre en holocauste au Dieu-soleil 
qui le bénit et lui sourit. 

Pour qu'il puisse distinguer un jour le bien du mal, il faudra qu’un 
autre soleil l'éclaire, qu'un enseignement nouveau modifie celui qu'il 
a reçu, qu'une nouvelle loi vienne régler ses nobles instincts et met- 
tre un frein à ses passions mauvaises. 

Cette loi, il la subit, et le premier cri qui s'échappe au jour de la 
bataille, de son cœur où la foi du Christ commence de germer, est 
un défi jeté à la mort, du milieu des eaux sanglantes du baptême, 
une hymne où la résignation chrétienne triomphe déjà du fatalisme 
paien?. Le même sentiment éclate en ses paroles, quand la peste 
désole sa patrie : « La peste est an bout de ma maison, lorsque Dieu 
voudra, elle entrera, dit-il; lorsqu'elle entrera, je sortirai 5. n Toute- 
fois, le christianisme pratique n’a pas encore pénétré dans ses 
mœurs; les Hébreux étaient moins éloignés de la doctrine évangé- 
lique; ils disaient : «œil pour œil, et dent pour dent ; » lui, le dis- 
ciple des druides, il s’écrie, tout chrétien qu'il semble : « Cœur pour 
œil, et tête pour bras ^. » 

Ce langage atroce, justifié à ses yeux par l'amour du pays, il le 
tient et le traduit en actions pendant toute son enfance et pendant 
toute sa jeunesse. «Il voudrait, dit-il, écraser le cœur du roi en- 
nemi entre la terre et son talon n: et, bravant une mort certaine, il 
marche seul contre mille; il suspend en trophée, au pommeau de la 


1 Le vin des Gaulois et la danse du glaive, page 43 
2 La marche d'Arthur, page 51. 

5 La peste d'Elliant, page 53. 

4 Page 50. 


026 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


selle de son cheval, comme à la porte de sa maison, la tête de l'étran- 
ger vaincu; il rit (et serait blâmé de ne pas rire), il rit de bon- 
heur en voyant l'herbe rougie du sang des oppresseurs de sa nation; 
il se couche parmi leurs cadavres comme un lion rassasié au milieu 
d'un troupeau de daims égorgés, et 1l se délasse en les regar- 
dant !. Mais quel changement soudain s'est opéré en lui? Voilà que 
ces mêmes yeux qu'un spectacle aussi effroyable a charmés versent 
des larmes de reconnaissance et de piété! Le barbare tombe à ge- 
noux devant le Dieu qu'il a invoqué, et auquel il doit la victoire ; il 
lui élève des autels comme au soutien de son pays, comme à son 
protecteur, et la religion remporte sur Jui un nouveau triomphe. Elle 
l'a rendu modeste au milieu du succès, elle lui inspirera la rési- 
gnation dans les fers, elle le consolera, eile lui donnera l'espoir; et 
un jour que tout le monde l'aura oublié, que personne ne le recon- 
nailra plus sous la casaque de plomb dont l'étranger l'aura chargé; 
un jour que sa barbe, devenue grise, descendra jusqu'à sa ceinture, 
et qu'il réssemblera à un chène mort depuis sept ans, alors la foi 
passera sous les traits de la sainte patronne du pays; elle le regar- 
dera, elle le reconnaitra, elle pleurera, elle coupera ses chaines, et 
lui, poussant son cri de guerre, il appellera son pays aux «rmies ?,— 
Aux armes! — répondent les guerriers. Et pour tribut, il offre aux 
ennemis la tête du gouverneur chargé de percevoir la taxe 5; il les 
moissonne comme le blé dans les champs, il les bat comme la paille 
sur l'aire; et, toujours dévoué, 1l chante en l'honneur de ses chefs 
pationaux un chant de triomphe qui s'étend depuis le mont Saint- 
Michel jusqu'aux vallées d'Elorn #. Mais malheur au fils de ses 
princes que les étrangers, tout vaincus qu'ils sont, emmènent 
prisonnier au delà des mers! L'infortuné meurt de chagrin loin 
du pays natal; et la nuit, lorsque les âmes des martyrs du dé- 
vouement à la patrie viennent, à la clarté de la lune, sous la forme 
d'oiseaux blancs et noirs, avec une tache rouge au front, se percher 
sur un chène au bord de la mer, et chanter, 11 re chante pas : 
« Chantez, petits oiseaux, dit-il d’une voix douce et triste, vous n'êtes 
pas morts loin de la Bretagne ° ! » 

Malheur bientôt au peuple lui-même! ses chefs de race dispa- 
raissent, sa Jeunesse commence, rude, à l'école de princes étran- 
gers. Les envahisseurs qu'ils attirent près d’eux lui fournissent 
l'occasion de montrer cruellement qu'il n’a rien perdu de son amour 
pour la patrie, de sa première audace, de son esprit d'indépendance, 


4 Lez-Breiz. 

2 Ibid., pages 10% et 105. 

5 Le tribut de Noménoë, page 118. 
À Aluin-le-Renard. p. 121. 

5 Brun, p. 128. 


ÉPILOGUE. 527 


de sa haine pour la tyrannie, et que, s’il engendre encore des fils, 
c’est pour tuer les oppresseurs!. Plus il avance dans la vie, et plus 
se renouvellent ces terribles et sanglantes épreuves imposées à son 
patriotisme; quelquefois la religion vient, comme par le passé, en 
modérer les fanatiques écarts, et donner à sa foi guerrière un carac- 
tère touchant de naïveté. Au moment d'aller combattre, il s'age- 
nouille avec une contiance aveugle, mais charmante, devant la statue 
du patron des hommes de guerre du pays, et il le tente en lui pro- 
mettant des présents et des louanges si le bon saint veut bien donner 
la victoire à ses armes. Vainqueur, il accomplit fidèlement son 
vœu, et pousse la reconnaissance jusqu’à appeler ennemi de la pa- 
trie et de Dieu quiconque ne bénit pas le patron des guerriers bre- 
tons, quiconque ne le proclame pas le premier d’entre tous les 
saints de la terre et du ciel. Mais, par une anomalie bizarre qui tient 
aux vices de son enfance orageuse et brutale, la vue du sang versé et 
des têtes broyées continue à le faire rire à grince-cœur, — lerire du 
loup; — il insulte à l'ennemi mort, à l'exemple des héros d'Homère ; 
et si un de ses compatriotes, si même un de ses chefs ose avoir 
soif, le malheureux! après avoir jeûné et s'être battu (out un 
jour, il lui lance comme un coup d'épée, ces mots terribles : 
Bois ton sang®. On dirait souvent que la victoire remportée, 
ou qu'il attend, réveille au fond de sa mémoire les imprécations 
paiennes qu'il vomissait jadis contre les étrangers : tandis que 
ceux-ci chantent joyeusement à table au milieu de la nuit, il croit 
ouir une voix mystérieuse murmurant lugubrement au loin : «Plus 
d'un qui verse du vin rouge, versera bientôt du sang gras : 
plus d'un fera de la cendre, qui fait maintenant le fantaron. » Et 
quand l'événement a réalisé la prédiction, le lendemain, au lever 
du jour, accoudé à une fenêtre, et voyant les ennemis et leurs 
tentes consumés par les flammes qu'il a allumées, il s’écrie avec une 
joie féroce : « Nous aurons une belle récolte. Les anciens disaient 
vrai: « Rien n’est tel que des os d'ennemis broyés pour faire 
pousser le blé5.» Sans frein dans ses amours comme :l l’est dans 
ses haines, alors même qu'il maudit les étrangers qui l’attaquent, 1l 
bénit ceux d'entre eux qui se sont faits Bretous pour le défendre; il 
les sert fidèlement par le même esprit de dévouement qu'il avait pour 
ses anciens chefs de clan, dût-il les chasser, s'il les voit vioier la 
loi du pays, et les rappeler, s'il a de nouveau besoin d'eux 4. Toujours 
un mobile unique le dirige : le plus ardent patriotisme. Mais comme 
si le cœur de l’homme ne sutfisait pas à célébrer les espérances de 


1 Le Faucon, page 152. 
2 La butaille des Trente 
5 Jerne-la-Flamme. 

4 Le Cygne. 


528 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


la patrie, espérances souvent déçues, jamais abandonnées, au pre- 
mier rayon quil voit luire, il appelle à son aide les oiseaux du ciel, 
la voix des montagnes, les hennissements joyeux de la blanche cavale 
(la mer), le carillon des cloches, le soleil de l'été, et jusqu'aux 
loups des bois qu'il croit entendre hurler et grincer des dents de 
bonheur en sentant venir les ennemis dont l'égoût des arbres, en 
guise d'eau bénite, arrosera la tombe. Toujours aussi, toujours 
il s’arme de constance, d'opiniätreté, de haine implacable; tou- 
jours sa foi nationale s'unit à sa foi rehgieuse : « Tenons bon, 
Bretons! tenons bon! Ni merci ni trêve! Sang pour sang! O Notre- 
Dane de Bretagne, viens au secours de ton pays! » Cependant, on le 
voit, le guerrier s’humanise ; il ne veut plus de sang pour des lar- 
mes, comme autrefois, il demande du sang pour du sang. Désormais 
nous sentirons son cœur battre de plus en plus humain. Son âge 
héroïque est près de finir, son âge historique va commencer. 

La première phase est marquée par une éclatante action qui tient 
à lun et à l'autre, et qui nous le montre invariable dans son amour 
des lois, son indépendance, sa bravoure, son attachement aux fils des 
anciens chefs de race, et aussi dans son anlipathie violente pour les 
étrangers. Ceux-ci, « vipères écloses au nid de la colombe, » sont 
venus habiter ses villes ; 1ls l’oppriment, ils violent ses coutumes na- 
tionales ; les ombres de ses ancêtres en frémissent d'indignation, 
leurs ossements gardés dans les reliquaires du pays retrouvent, pour 
un instant, la vie par miracle; ils s'avancent, comme une armée, 
au-devant du ministre des iniquités étrangères, et dans leur sublime 
fureur ils mettent en pièces l'ennemi de leur petit-fils. Mais lui, 
formé par l’âge, veut agir avec modération, et, s’il est possible, pré- 
venir la guerre. On ne l'écoute pas, on l'insulte, on veut le tuer; 
alors sa fierté naturelle se révolte, il appelle, comme jadis ses pères, 
l'incendie à son aide, et va mettre le feu aux villes des violateurs de 
ses lois. Un seul homme conserve assez d'influence sur lui pour 
l'arrêter, c'est un évêque de sa race, de sa langue, « du sang des 
vieux rois de Bretagne, et qui maintient les bonnes coutumes du 
pays; » au premier mot du prêtre, il jette la torche qu'il tenait à la 
main, et se laisse égorger !. 

l cest opprimé de la même manière à la cour des rois, quand 
le sort Fy conduit; mais en lui déniant justice, les rois ne ren- 
dent que plus suave le parfum de ses vertus modestes, comme 
le pied brutal, en écrasant la (leur des bois, lui fait exhaler ses plus 
douces senteurs. Agenouillé sur l'échafaud : « Peu lui importerait, 
dit-il, de mourir, n'était loin de la patrie! » Mais si sa tête tombe, 
si son sang rougit le voile de cette patrie bien-aimée accourue, 


4 Les jeunes hommes de Plouyé, page 252. 


ÉPILOGUE. E 529 


sous les traits d’une sœur, pour le délivrer, le voile sanglant ex- 
posé aux regards de ses compatriotes, comme autrefois la vue de la 
robe des onze druides fugitifs, produira, il l'espère du moins, le 
même effet sur eux L) 

Cependant plus de haines nationales; elles s’effacent de jour en 
jour à mesure que la religion épure et adoucit ses mœurs. La 
religion lui a même fait déjà contracter volontairement une al- 
lance honorable qu'il repoussait forcée. Il en goûte les fruits, 


pendant cent ans de paix, sous la sauvegarde d’un pacte so- 


lennel qui lui maintient sa constitution particulière et ses chères 
hbertés nationales. Leur conservation est en effet l’invariable objet 
de sa sollicitude; il les a fait respecter pendant mille ans de tous 
ses princes, il veut les défendre jusqu'à la mort contre ses nou- 
veaux maitres, car il a toujours eu horreur de la servitude, en 
voyant de quelle manière elle régnait chez ses voisins. Du reste, 
si sa défiance naturelle s'alarme du moindre danger, ce n’est 
pas sans raison : l'union est depuis longtemps consommée, et, 
victime des querelles religieuses de la nation à laquelle son sort 
est uni, il faut qu’il se lève pour défendre ses autels et ses foyers 
contre ses terribles alliés « qui ravagent la Bretagne, pire qu'un 
incendie ; » il crie à la trahison, il appelle contre eux la vengeance 
du ciel; il chante en ailant les combattre : «Jamais, non jamais, 
la génisse ne s'alliera au loup ©. » 

Bientôt nouvelle violation du pacte d'union et nouvelles plaintes 
de sa part; mais on ne tient plus aucun compte de ses réclamations, 
car on est le plus fort. Il résiste : on accuse de pousser le patrio- 
tisme jusqu'à la fureur ; on le traite comme un rebelle; on le livre 
à une cour martiale; on l'interroge avec dédain, on veut qu'il avoue 
lâchement qu'il a commis un crime; il répond aux juges vendus : 
« Jai fait mon devoir, faites votre métier. » Puis il porte sur l’écha- 
faud sa tête rayonnante, et meurt pour son pays et pour la liberté, 
« comme savent mourir les martyrs et les saints 5. » 

Fidèle à sa nouvelle patrie, il la servait pourtant depuis deux siècles 
avec courage et dévouement; «il avait exposé sa têle mille fois pour 
le roi, » il ne demandait ni places, ni argent, ni honneurs; il n’exi- 
geait qu'une seule chose : le respect de ses libertés solennellement 
garanties. Mais la fidélité à Ja foi jurée et la reconnaissance sont- 
elles toujours les vertus des princes ? Elles continuèrent à être les 
siennes. Rien ne put corrompre sa loyauté, rien ne rebuta son abné- 
gation, rien ne lassa ses sacrifices. Moins d'un siècle après, un jour 
que le roi de France avait daigné le faire asseoir à sa table pour 


1 Pages 50*et 305. 
Les ligueurs. 
Mort de Pontcalec. 


2 
5 


D30 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


avoir relevé le drapeau national au milieu des balles ennemies, On 
l'entendit chanter dans la vieille langue de ses bardes : « Le roi nous 
estime ! Mille bénédictions de Dieu au roi! Nobles et peuple, en Bre- 
tagne, chantons tous les louanges du roi! » Et, unissant au nom du 
prince le nom étonné de la patronne de la Bretagne, il s'écriait d'un 
accent enthousiaste qui confondait dans un même culte Dieu, le pays 
. pL la royauté : «Chantons les louanges du roi et de sainte Anne, 
notre bonne marraine T. » 

Il allait être le héros et le martyr de ce culte nouveau. Après avoir 
longtemps souffert par la royauté, il allait avoir à souffrir pour elle 
un nouveau surcroit d'oppression. Sa foi sincère, son patriotisme, son 
esprit d'indépendance, son dévouement à toute épreuve aux fils de 
ses anciens chefs nationaux, sa fidélité aux rois, défenseurs naturels, 
sinon constants, de sa religion, de son pays et de sa liberté, bril- 
lèrent d’un nouvel éclat au milieu des persécutions d’une époque 
d’odieuse mémoire. Son cœur alors laissa échapper ce chant sublime, 
qu'il mit en action pendant douze ans, et dont l'histoire tiendra 
compte comme d'une révélation précieuse : 

v Il est douloureux d’être opprimé, mais ce n’est pas honteux ; 1 
n'ya de honte qu'à se soumettre à des brigands comme des lâches 
et des coupables. 

« S'il faut combattre, nous combattrons; nous combattrons pour 
le pays; s'il faut mourir, nous mourrons libres et joyeux à la fois. 

« Je n'ai pas peur des balles : elles ne tueront pas mon âme; 
si mon corps tombe sur la terre, mon âme s’élévera au ciel. 

« En avant, enfants de la Bretagne! nos cœurs s'enflamment; la 
force de nos deux bras croît. Vive la religion! 

« Vive qui aime son pays! vive le jeune fils du roi! et que les 
Bleus s’en aillent savoir s'il y a un Dieu! 

« Vie pour vie! amis; tuer ou être tué! il a fallu que Dieu mou- 
rût pour qu'il vainquit le monde. 

« Venez vous mettre à notre tête, gentilshommes, sang royal du 
pays; et Dieu sera glorifié par tous les chrétiens de la terre ?. » 

Dieu l’a été en efet: peut-on en dire autant de la royauté? Du 
reste, elle a fourni aux Bretons l'occasion de mettre en pratique leur 
plus belle vertu, la résignation; et l'histoire leur adressera l'éloge 
qu'adressait Louis XIV à leurs ancêtres : «Ils n’ont retiré de leurs gé- 
néreuses actions d'autre récompense que la gloire de les avoir faites.» 
Aujourd'hui qu'ils ont tout perdu, leur existence nationale, leurs in- 
stitutions, leurs libertés, si larges et si nombreuses, que leur pays 
était le seul de France, selon la remarque de M. Thiers, qui n’eût 
rien à gagner à la Révolution ; auiourd’hui qu'ils balancent en 


4 La chanson du pilote, page 560. 
2 Les Bleus 


ÉPILOGUE. 551 


pleurant le berceau de l'humaine espérance morte, pour me servir 
de leur sublime et mélancolique image, ils demeurent indif- 
férents à tous les changements politiques : ils savent qu'ils n’en 
profiteront pas: « les pauvres seront toujours pauvres, disent-ils ; 
les vieux rois ont pu revenir, le vieux temps ne reviendra pas; le 
blé est toujours mauvais dans la terre mauvaise : bien fou est 
celui qui croit que la fougère portera jamais des fleurs de lis, 
ou que l'or tombe du haut des arbres. Du haut des arbres il ne 
tombe rien que des feuilles sèches, que des feuilles jaunies pour faire 
le lit des pauvres gens. » Et ils ajoutent, en élevant leurs yeux au 
ciel : « Chers pauvres, consolez-vous, vous aurez un jour, au lieu 
de lits de branches, des lits d'ivoire et de plumes, dans un monde 
meilleur 1. n 

Telle est la conclusion de tous leurs discours; ils la reproduisent 
sous mille formes ; ils ne passent guère de jour sans la répéter, ou 
sans chanter ces autres paroles si poignantes et si belles : v Hélas! 
les cœurs bretons sont remplis de tristesse! Notre sort est misé- 
rable: notre étoile, funeste; notre état, bien pénible : repos ni jour 
ni nuit! mais prenons-le en patience pour mériter le paradis. » 

Le paradis! voilà en effet le but de leurs désirs, comme de ceux 
du chrétien; voilà le mot magique qui leur enseigne la patience, la 
confiance en Dieu, la pitié pour les misères d'autrui, l'obéissance à 
toute loi juste, fût-elle dure, l'espoir d'une récompense éternelle. Ce 
mot, qui est pour eux toute la religion, calme leur douleur, et l'on 
dirait, à la sérénité de leurs regards, qu'il lui prête des charmes. 

La religion seule embellit quelque peu leur vie de chaque jour : 
elle les rend gais, d'une gaieté calme et tempérée; elle les rend bons 
et sociables; elle vient, comme un ami grave et honoré qui partage 
les goûts de la famille, s’asseoir à leur foyer; elle prend les enfants 
sur ses genoux, et, joignant leurs petites maius, elle l’ur enseigne 
à prier ainsi : 

« Mon Dieu, faites-moi la grâce d'être un honnête homme, ou faites 
que je meure avant l'âge 2!» E 

Elle leur prêche le respect pour les gens d'Église, pour les pro- 
priétaires, pour toutes les personnes d'une condition supérieure ; 
l'amitié pour toutes celles de leur rang. Elle leur inspire la con- 
fiance en Dieu, et leur promet une belle récompense dès 1ci-bas, et 
une plus belle encore dans l’autre vie. 

«Pensez, chers petits, leur dit-elle, que Dieu vous regarde, 
comme le soleil, du haut du ciel; pensez qu'il vous fait fleurir, 
comme le soleil, les roses sauvages des montagnes... Quand viendra 


4 Le temps passé, page 104. 
2 La chanson des pelats pûtres. 


532 CITANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


la Fête-Dieu, ceux d’entre vous qui auront été bien sages seront choi- 
sis pour jeter des fleurs sur les pas du Sauveur, en attendant qu'ils 
en jettent devant lui au ciel. » 

Bientôt la religion les conduit pour faire leurs premières pâques, 
dans l’église de la paroisse, avec de petites filles de leur âge, qui 
seront ieurs femmes un jour. Elle sanctifia d’abord leurs jeux par 
sa présence: si, lorsqu'ils ont grandi, elle se tient à l'écart et ne se 
mêle plus à leurs bruyants plaisirs, la réserve des jeunes garçons, la 
modestie des jeunes filles, la retenue et la candeur de tous font de- 
viner qu'elle n’est pas loin. Mais elle revient le soir de la fête avec 
eux ; et les fêtes nouvelles, les fêtes graves de l'âge mür, auxquelles 
celle-là n’est qu'un acheminement, elle les préside et leur donne sa 
consécration divine : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, » 
dit-elle en franchissant le seuil de la porte des fiancés. Plus tard, 
le même seuil la revoit, mais agenouillée comme une veuve, avec le 
mantelet noir et la coiffe passée au safran: elle y reparaît pour Imspi- 
rer à celui qui reste la confiance et la résignation; elle lui donne la 
force de dire ; « La rose est née pour le jardin; l'if, pour le cime- 
tière : Je prierai Dieu jour et nuit, afin que nous nous retrouvions 
dans le paradis. n 

Toujours cette pensée consolante d’immortalité! L'imagination du 
peuple la revêt sans doute, avec trop de complaisance, de mille for- 
mes merveilleuses que la religion et la raison proscrivent comme 
superstitieuses; qu'importe, si elle le rend meilleur en le rendant 
heureux? Sa foi est crédule, à coup sûr, mais elle est sincère, elle 
est inébranlable, elle est pratique, et fait la règle de ses mœurs. 
D'ailleurs, aucune de ses croyances ne peut avoir de conséquences 
fâcheuses ; aucune ne ravale la dignité de l'homme; toutes, au con- 
traire, sont de nature à élever l'esprit et le cœur. Les saints dont il 
accueille les yeux fermés tous les miracles sont les héros à la fois 
de sa religion et de sa patrie; c'est lui-même qui les a canonisés pour 
la plupart : ils lui ont été bons et secourables pendant leur vie; il 
espère en eux après leur mort. L'un défend ses fils sur le champ de 
bataille; l'autre, ses frères dans la tempête. Les âmes dont 1l peuple 
l'air, et dont la voix gémit par la bouche des vents de la nuit, sont 
celles de son père, de sa mère, de ses amis en peine, qui demandent 
qu'il les délivre par ses aumônes et ses prières. 

N'y at-il pas un vif aiguillon pour la sensibilité, pour la recon- 
naissance, pour l'amitié, pour le dévouement, pour la pitié, pour 
tous les sentiments les plus nobles du cœur, dans laccomplisse- 
ment même superstitieux des devoirs envers les parents et les amis 
qui ne sont plus? N'est-ce pas un bonheur que de les pleurer? 
N'est-ce pas s’oublier soi-même que les oublier? Ah! l'on ferait 
un bien cruel et bien triste usage de la raison en l'employant à 


EPILOGUE. 033 


détruire ces douces croyances qui entretiennent l'amour de Dieu, 
le culte des bienfaiteurs de la patrie, et le souvenir trois fois saint 
de ceux qui ont dévoué leur vie au salut ou au bien-être de l'hu- 
manité ! 

De même, la forme souvent bizarre que le peuple breton donne aux 
croyances les plus terribles de sa religion ne doit pas rebuter; il voit la 
justice divine à son point de vue; on peut la voir à un autre; mais 
qu'on l’environne de symboles différents, ou qu'on l'en dépouille tout 
à fait, c'est toujours la vérité, la vérité qui mène au ciel. 

Si pour peindre les images sombres de la foi chrétienne, il pousse 
jusqu'à l'horreur l’exagération poétique, il épuise, pour pemdre le 
terme de ses espérances célestes, le trésor de la plus tendre ima- 
gination. 

Dans son enfance païenne, il faisait du ciel un grand jardin plein 
de fruits d’or, de fleurs brillantes et de petits enfants rieurs ! ; dans 
sa jeunesse, une ile verte éclairée par aurore, ou de jeunes garçons 
et de belles jeunes filles se livrent au plaisir de la danse, qu'il aimera 
toujours, à l'ombre de hosquets de pommiers dont les fruits 
promettent la liqueur qu'il aimera longtemps?; maintenant, ses 
sens, moins grossiers, permettent à son esprit de rêver des plai- 
sirs plus purs: « Les nuages fuient, le jour brille. » Vive et 
gaie comme une alouette, son âme monte vers le ciel. Quelque 
amer qu'ait été pour lui tout ce qu'il quitte, il ne peut s’em- 
pêcher de jeter trois fois à la dérobée « un petit regard vers en 
bas 5. » On dirait que son aversion pour tout changement, que son 
instinct de l'habitude le suit au delà du tombeau; on dirait que la 
résignation est devenue tellement sa nature, qu'au moment de partir 
il hésite à échanger sa misérable vie contre le bonheur même. Il re- 
garde son corps, il lui fait les plus touchants adieux; il honore en 
lui, «un vase de terre qui a contenu des parfums. n Il regarde avec 
amour son pays de Basse-Bretagne, où cependant il n’a trouvé le plus 
souvent que gène, pauvreté, misère et peines d'esprit. Il prend 
congé de lui presque à regret : son amour ardent pour le sol natal 
diminue presque la joie qu'il éprouve en montant vers la vraie pa- 
trie. Au moment où il va y être reçu, il détourne encore furtive- 
ment la tête vers sa chère Bretagne. Pour lui donner la force de se 
vaincre une dernière fois, il faut que Dieu lui crie : « Courage ! » 
Alors, il reprend son essor, «et foulant aux pieds le soleil et les 
étoiles, » il entre enfin au ciel. « Son corps, comme un vaisseau 
perdu, l’a jeté au port, à travers les vents, la pluie et la tempête; 
son vaisseau s’est brisé contre les rochers du château de la Vie, dont 
la mort lui ouvre les portes, n Les saints et les saintes s'avancent 

1 Les séries. 


S Le frère de lait. 
5 Le départ de l'âme. 


534 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE. 


pour le recevoir ; on le conduit devant le trône de la Trinité. Jésus le 
couronne ét lui dit : « Vous êtes semblable au rosier qui perd ses 
fleurs l'hiver, et refleurit l'été. » Immortel rosier, il s'élève «au 
bord du ruisseau de la Vie dans le jardin du paradis ; » désormais il 
fleurit toujours, et «de petits anges au teint frais et rose voltigent 
au-dessus de sa tête, comme un essaim d’abeilles barmonieuses 
et embaumées dans un champ de fleurs. » 

Devant ce gracieux tableau dont la religion luia fourni les couleurs 
et que son cœur a peint, 1l répète son exclamation habituelle : 

v U bonheur sans pareil! en pensant à vous, je vous aime! Vous 
consolez mon cœur dans les peines de celte vie! » 


Ainsi, retranché dans ses mœurs nationales comme dans sa 
presqu'ile; défendu par sa langue et par son caractère; dévoué 
à son Dieu et à sa patrie jusqu'au martyre; fidèle aux souvenirs 
et aux tradilions du passé jusqu'à la superstition; coulumier jus- 
qu'à la routine, qui perpétue le mal, à la vérité, mais qui rend le 
bien éternel, sans rendre le mieux impossible; enfin, de plus en 
plus humain, moral, honnête et sociable, à mesure que la religion 
et que l'éducation l'éclairent et le perfectionnent, toujours le même 
par le cœur, depuis douze siècles, toujours le front calme et serein, 
il s'avance d’un pas ferme et sûr au milieu des tombeaux, pleins 
d'échos, de ses pères, vers un point rayonnant du ciel que lui mon- 
ttenr au loin l'Espérance et la Foi. 


FIN 





TABLE DES MATIÈRES 


Pages 
[pS 9 RUE eme lie re atelier e DIE rieur I 
ANAHODEC TION HE LME Mende ste SO ct le ee fee CORNE RANEXR 


I. — Injustice des historiens du dernier siècle envers la poésie celtique. 
DEV ET LGT OIT T te. ee eV ec er 67 ie tas EXT 


IL Des anciens bardes dans l’île de Bretagne : nécessité d'en parler 
au moins sommairement; leur langue et la langue celtique, — leur 
caractère, religieux, national et civil, — leurs droits et leurs devoirs, 
leurs rapports avec les bardes gallois et armoricains, — leur décadence. 
— Bardes domestiques; — ils émigrent, avec leurs chefs nationaux, en 
Armorique, aux cinquième et sixième siècles.—Du bardisme en Armori- 
que pendant l’émigration, et postérieurement.—Taliésin.— Saint Sulio. 
— Hyvarnion. — Saint Hervé. — Gwenc'hlan, — Recherches sur l'his- 
toire et les ouvrages de ce dernier. — Poésie druidique, poésie chré- 
tlenne—"ArtetCultUPe POETIQUES. Le CMS NOR TITI 


{IL — Des bardes populaires au sixième siècle; — attaqués par Taliésin, 
— Sa satire contre eux. — Divisés en ler, chanteurs 2mbulants, men- 
diants, poëtes ecclésiastiques. — Auteurs : 1° de chants mythologiques, 
héroïques, historiques et de ballades ; 2° de chants de fêtes et d'amour ; 
DB E H RHS, 7. a EE IL INA SA EE AE NX 1 


[V. — De la poésie populaire en général, — et de celle de la Bretagne en 
particulier. — Dans son principe; — contemporaine, soit des événe- 
ments, dans les chants héroïques et historiques, soit des sentiments, 
dans les chants domestiques et d'amour, soit des croyances, dans les 
légendes et les chants religieux. — Bonne foi des poëtes populaires 
— État actuel de la poésie populaire en Bretagne, garant de son éta 
passé.— Quels sont les auteurs des chants historiques et des ballades ;— 
les meuniers, les tailleurs, les pillaouer, ou chiffonniers, les meniliants, 
les bardes ambulants; — leur vie; — leurs rapports avec les bardes 
populaires du sixième siècle et avec les bardes primitifs.—Quels sont les 


536 TABLE DES MATIÈRES. 


auteurs des chants d'amour :— les tailleurs, les meuniers. les filles du 
peuple en général et surtout les Xloer ; —leur vie, — leur identité avec 
les Æler du sixième siècle. — Quels sont les auteurs des chants reli- 
gieux : — les ecclésiastiques; — leurs rapports avec les kloer. . xXx 


V. — De la poésie populaire de la Bretagne dans ses éléments constitutifs. 
— Les chants historiques, les chants d'amour et les chants religieux 
conviennent généralement aux époquesoüvécurent les personnages qu’ils 
mentionnent, — où eurent cours les sentiments qu’ils contiennent, —où 
régnèrent les croyances qu'ils révèlent. — Discussion et preuves. xLvr 


VI. — Du merveilleux dans la poésie populaire de la Bretagne, — Mytho- 
logie bretonne. — Principaux agents surnaturels de la poésie populaire 
de Ja Bretagne, —les fées et les nains; — leurs noms, leur nature, 
leurs attributs, leur forme, leurs costumes, leurs habitations, leur 
manière de vivre, leurs rapports avec les humains; — leur analogie 
avec les fées et les nains des autres peuples; — avec les anciennes 
divinités des peuples de race celtique et de l'Orient. . . + . . L 


VIL.— De la poésie populaire dans ses formes. —Chants historiques, 
chants de fêtes et d'amour, chants religieux. — Analogie de ses 
formes avec celles des poésies populaires des autres nations. — Union 
intime de la poésie et de la musique dans les chants populaires. — 
Versification bretonne,— fondée sur le mètre et la rime;— anciennes 
formes perdues. — Concordance parfaite de la forme rhythmique des 
chants populaires avec le principe et les éléments constitutifs de ces 
CHANTS EME LCR MN NERO Me LIX 

VIII. — De la langue des poëtes populaires.— Grammaire et vocabulaire des 
Bretons. — Teinte moderne, sauf archaïsmes exceptionnels, du style des 
poésies populaires ;—on n’en peutrienarguer contre leur antiquité. LXV 

IX. —Des diverses altérations que subissent les poésies populaires.— Du 
respect du peuple pour ses vieilles traditions.. . . . . .. , I LxIX 

X.— Du rôle et de la mission des poëtes populaires bretons aux différentes 
époques de l’histoire de Bretagne. Utilité pratique de la poésie popu- 
laire.— Théâtre habituel des chants des poëtes populaires. — Fêtes 
profanestetéreligieuses. Ne E IT 


PREMIÈRE PARTIE. 


CHANTS MYTHOLOGIQUES, HÉROÏQUES, HISTORIQUES ET BALLADES. 


Texte Airs 

A et traduction. notés. 

Les Séries, oule Druide et l'enfant... 1... 10000 1 I 
LaProphétie delGwenchlan Me ETIT Il 


Le Seigneur Nanniet la Fée... ee chose ee 2 Il 


TABLE DES MATIÈRES. 55 


Texte Airs 
et traduction. notés. 


(IY Birari TTT] 2 old sec saleté aesralole Husials 141 11 
TT ae IE 2 erza aoùr 79 S PRT TIER Ta T 11T 
ZTE pS TSR] TA 9: 1 La T ASE Le) IV 
Le Vin des Gaulois et la Danse du glaive. Ear ne ete one 21 IV 
PaMarehe d'Arthur. Le P S Y 
HRERS nE TE N e PEN PT Lu MEL Eaz Y 
Merlin, fragments de ballades. . . . . . . . . . . SO YI 
1. — Merlin au berceau. . . . 7 9 SPEARS De tonte si RH VI 
II. — Merlin-Devin . . . . . on NN NN 02 VI 
= Mentinebarde HN. L G. MALE I T 65 VI 
19. =Conyersion de Merlin... CRAN SEE TE VII 
Lez-Breiz, ou Morvan, fragments épiques. . . . . . . . 19 VII 
be Dépirtduimanoirete A 80 vil 
== De Retours: Om RTS ET TS CENT R 215 NII 
TH Ve Chevalier du roi. 0.0... 0... SIE VII 
Ve LeMore.du roles TT ana lan tant 95 vi 
NYSE NN DE NO OL LAN TS EEE LARG SG E 98 VIL 
METRE ee 2 Le EN EE A R U 26100 VII 
ITE GN GTGT GET a ET Ea L E 412 VIII 
Alain le Renard, ou Alain Barbe-torte.. . ., . , . . . 120 VIN 
Bran, ou le Prisonnier de guerre. . . . . , .. SHARE IX 
ON AUCON NES La IE SN UT Al TS ot 150 IX 
Héloïse et Ad SRE AE SLA NE EET 154 5 . 135 x 
Lehétour d'Angleterre: . 0.0.1 naine LE X 
L'Épouse du croisé.. . . . . . D elle A 140 XL 
HHS TEO] r al ya T T E SATA XII 
HOT lG R TTI a 2 11 EE RP CIRE DTD XII 
Pethrére de laitsne te T 2 L 1 RUE 109 XII 
Deitlercide Rohan: RENE D SE OR SAIS L XIII 
Les Trois Moines rouges, ou les Templiers. RUN EE TEE XIV 
Jeanne-la-Flamme, ou Jeanne de Montfort, . . ., DT O0 XV 
Earle 0 ee Trente 7 Z S L A 195 XIV 
ATOME PAR SA 20 our rase AT L 1 bo PAU XV 
enad anO s: a 570 10 gl T 205 XVI 
La Filleule de du Guesclin, . . . . . . HSE TRI XVI 
Dessert es Cle Là EURE ME XVII 
Ele Cygne, ou le Retour de Jean le Conquérant,. . , . . 298 XVII 
TET TE ITO HIE L C XVIII 
T la PAle se APRES Et D Be VE vb XIX 
Bes Jeunes hommes de Plouyé.. . « . > 12 + 250 XIX 
LLe Siége de Guingamp. . . . ............ 957 xx 
Me CarnavalidesRosporden... . S 2. + aT Le COMME) xx 
BGeneviève de Rustéfan. . . . , , . + + + 0 + « « « 266 xxI 
LA 


| 
b 


538 TABLE DES MATIÈRES, : 


Notre-Dame du Folgoat., . , . 
Les /HetuenEs. 7.0. 0, be 
alRontenele me MEME 
L’Héritière de Keroulaz.. . 
Le Page de Louis XIII. . , 2 
Le Marquis de Guérand. . . . , . . 
Élégie de monsieur de Névet. . . . 
Torpheline de Lannion. .). . ...".. 
Mort de Pontcalec. . . . . . 00.6 à 
Le Combat de Saint-Cast. . . . 
Tannik SkOlan CU En 


K. 16. w 
. 
. 
< 
. 


< 
. 
a “ei. se re le 


Te Crime ere et ANNEE 
II. — La Merci de l'âme. . . . 
Le Pardon de Saint-Fiacre 


La Chanson du pilote, ou le Combat de 10 Surveillante. . 


DeSTANOULEUrS 127 EN 0... S 
ORG TEE] a A Z 3 NASI S H 
MES BIS 0 E a E 

Les CHOTANS: Z: 5 3 A T 2 OE 


Une Bonne leçon.. . . . . 
Les Fleurs ride Mas. TS EM 
DÉMOS IPASSÉ Me Dee lee te onaile 


DEUXIÈME PARTIE. 


CHANTS DE FÊTES ET CHARTS D’AMOUR, 


Chants des Noces. . . . 


I. — La Demande en mariage. . s s . . 
IL Tafeiniure MATE RC 
III. — La Chanson de table. , . s . . . . 


œ œ 


IY. Le Chant des pauvres, ou la Leçon de charité. . 


V. — Chant de la fête de l’'Armoire. . . < 


Chant de la Fête de Juin. 0... 
La chanson de l’Aire-neuve. . . . . e . . 9 
La chanson de fête des petits pâtres. . . 
L’Appel des pâtres, ou le Hollaïka. . . ... . 
La Tournée de l’Aguilaneuf, ou des Etrennes. 
R EOST ER EN nelle reel 


L 
U 
U 

U 


Texte 
et traduction. 


272 
281 
287 
293 
301 
310 
316 
322 
326 
339 
340 
341 
344 
990 
396 
365 
967 
315 
381 
385 
391 
395 


311 
413 
17 
420 
424 
427 


430 
434 
438 
442 
445 
453 


Air 
notés 
XXI 
XXII 
XXII 
XXIIE 
XXIV 
XIV 
XXIV 
XXIV 
XXV 
XXV 
XXVI 
XXVI 
XXVI 
* XXVI 
XXVII 
XX VIII 
XIX 
XXIX 
XXX 
XXX 
XXXI 
XXXI 


XXXII 
XXXIT 
XXXIII 
XXXIIE 
XXXIV 
XXXIV 


XXXV 
XXXV 
XXXVI 
XXXVI 
ZXXXVI 
ZXXXVII 


TABLE DES MATIERES. 


Texte 


539 


Airs 


el traduction. notés. 


ITE EHO PontaTo Ne RS 9 aO Da) - 1591 
on. bR 1 TTT A 1 
Ea TDR TE C 19 THT Ne Re lte Me Aolre Co be 465 
FesMiromSEarsent, AM MS Re Ne aR, 2 400 
LST LEHTE; 010 (9 EMUT, Te M RE RU M AE A GS 
La Rupture. . SDK R LOL LOI LI 470 
liss goma E ES TN OP IG 


TROISIÈME PARTIE. 


LÉGENDES ET CHANTS RELIGIEUX, 


TG GGH Saint RONA eee ce II 
Santibitinm elle to ATIEUr EN RE M A8 
La Tour d'Armor, ou Sainte Azénor. . . . ., . . + « . 490 
Le Départide lames Va M H I UU 
EG Ha OS: TEH SSG R S R T TE A E E UBU 
LST L E K L TU 


hs RW] s N 0 OIT EL, Rh 


APPENDICE. 


Complainte de la dame de Nizon.. . . . . . . . . , . 519 


PETE S c Mettetet de Veneto e HK BS 


rrr rnn 
PARIS, — IMP, SIMON RAÇON ET COMP., RUE D'ERFURTH, 4, 


XXX YILI 
XXXVIII 
XXXVIIT 
XXXIX 
XXXIX 
XL 

XL 


XLI 
XLI 
XLII 
XLII 
XLIIL 
XLIII 
XLIV 


VLIV 





CHANTS POPULAIRES 
DE LA BRETAGNE 


MUSIQUE 






Y 
LIRE Ft 


fnrm tout, CAES 


TT 





ah hh fs 





























11T - UW HOM +7 Iu K 1144 LDC 4 
ar: KL V FOR 
DOUTE Gt 
y l yt D 





LES SERIES 
(AR RANNOU) 





Da-ik,mab gwenn Fu o- re; Fi pe-tra 





rell d'id-de®”  pe-tra ga-ninn -me d'id-de? 





—Kan d'in euz à eur Yann, Ken a ouf - enn 





bre-man. — Heh rann ar Red heh ken: An- 





-kou, tad ann An ken; Ne - tra kent - ne 





— Kan d'ineuz 3 zaourann.Ken aouf-enn bre-man. 


LA PROPHETIE DE GWENC'HLAN. 
{ DIOUGAN GWENC'HLAN) 


Maestoso. 





Pa guz ann heol, pa goenv ar 





mor, Me oar ka-na War dreuz ma dor. Pa 





guz ann heol,pa goenv ar mor; ne 





our ka-na War dreuz ma dor, 


LE SEIGNEUR NANN ET LA FÉE 
(AOTROU NANN HAG AR GORRIGAN.) 


Andantino. 





Ann ao-trou Nann lhag he bri - 





L'ENFANT SUPPOSE 
(AR BUGEL LAECHIET.) 


Andantino 


PU As ECS DR EN NRA 
2 CS D MEN ESS SE CSS SES SES 
où COUT PE ET Eu ES CE ST ns 
STRESS EE RUN CN ED ON ES 





-et he Lo _,ik ker e deuz kol - let; 


PEINE SERRES ET TE ESS 
S 2 EEE 9 ER EU SRE 7 EN 





2" -b] : G 
a T RE EN) DEN GS RS EU ET PE 25 RE LLE 
TDR LR TS TS ES ES BE 


gand ar Gor-ri-gan e ma eet. 


LES NAINS 
(AR C'HORRED.) 


Scherzando. 





Pas - kou-hir, ar che - me - ner. 





Ait aou tal ai! aou ta! ail aou ta! ai! 





A- bar - dae - noz di - gwe- - ner. 


SUBMERSION DE LA VILLE 015 
(LIVADEN GERIZ.) 


Asdante. 





a la” va - raz den Dou - e D'ar 





rou - e braù - lon enn Is be? 


LE VIN DES GAULOIS 
(GWIN AR C'HALLAOUED) 


Aïlegrette 





Gwell eo gwin gwenn bar Na mou - ar, 






Gwell cogwin gwenn bar. Tan) tan! dir! oh! dr! 





tau) tanl dirl ha tan! Tann! tann! ür ba 





tonn! tonn! (spal tir ha tir ha tann) 


LA MARCHE D’ARTHUR 
(BALE ARZUR) 


Encrgico 











LA PESTE D'ELLIANT 
(BOSEN ELLIANT.) 


Maestoso.” 











Tre Lab = go - Len  hus ar Fa - 





-ouet, Eur Barz st + tel. vez ka- 








=vet: Eur  Barz san - tel a vez ka - 





-vet; Mas den Tuai Ba < si - an hap-vet. 


X) 


-MERL1IN 


MERLIN AU BERCEAU 
(MARZIN ENN HE GAVEL) 


Andantino 













Bre-ma tri-zek miz ha teir zun, Bre. 


-Mäa tri-zek miz ha teir Zun E oann din-dan ar 





Bun Pe S (OU AIO ik lal- Ja 


MERLIN-DEVIN-MERLIN-BARDE 
(MAR ZIN-DIVINOUR-MARZIN-BARZ) 


Allegro. 





Mar-zin Mur-zin, pe lec'h it - hu, Ken 


s d P > 1 
lou! sonl ouliou! ou! ioul au! inl tanl ca! iou! au! 


VII 


CONVERSION DE MERLIN. 
(DISTRO MARZIN) 


Andante. 





Ka - do o vont gand ar C'hoat 


Gant han he gloc’hik sklint o sun. 


LEZ - BREIZ. 


Marziale. 





Pa oa potr Lez - Breiz e 





- de - voe het eur pe - dez est - lamm, 


v111 
LE TRIBUT nE NOMÉNOE. 


(DROUK KINNIG NEUMENOIOU) 


Andante 





Ann aour ieo-ten à Z0 fale et; Bru 


ES] ER 
E 
TE T ET 


men-nmi rak-tal en deuz gret.— Ar - gad! — Bru 








meu - HL  rak - tal en deuz -gret. 


-ALAIN-LE-RENARD. 
(ALAN AL LOUARN) 


Allegro mu HO, Lotu. 





AI Lou -arn bas veg a  glip, dir. Glin, glip, 


Z 


glip er choad;glip,glip,glip, ain er c'houd; Goa 






























-Eo-ni-kled à - rall - vrol  Lemmdremmhe zaou -la- 








LX 


BRAN. 


Beligioso. 





Maires chekabran--#a tr 20 





e ma bet,Rag e Kad Ker lonn e ma bet. 


LE FAUCON.. 
(AR FALC'HON.) 


Andante. 














gand ar golle - rez la - zet ar 








Ç A G 

RES SN LEE SES ESS LOS SN B SRE Ke 

1 1 LRE DRE En SL) DE” RS DL Em 

Ç P PET ba EN AE G. C2 =. 





Au. dud paour e-vel l0-e - ned mud. 


HÉLOISE ET ABAILARD. 
{LCIZA HAG ABALARD) 


Andaritino. 






Ne oann -ne - met daou -zek vloa pa 
l 





(era Zad. Pa oann oet 





gund ma c'hloa- rek, La la lan 





Chloa-rek, mai A5 - "ha -lard tt ik% = mad; 


LE RETOUR D'ANGLETERRE. 
{DISTRO EUZ A VRO-ZA0Z.) 


Andante 





par - vez Plou = a - re, R euz tud- jen-til 





dan mab ann Dr - Kez, En deuz das tu met 





CRE 7/9 
kalz tud  euz à beb korn a Yreiz. 
L'EPOUSE DU CROISE. 
(GREG AR C'HROZZOUR.) 


#llegretto 
















m mouet, Da biou e ro-inn-me ma dou-sik 






EE R ESS Er | 
L] Em 








EE CES UN ES 
Fe Ta 5 
C 3 EE 

E 





da vi-ret? Di - ga- set: hi d'a 





LE ROSSIGNOL. 
(ANN EOSTIK.) 


Allegro Virace. 





Greg iaou - ang à Zant - 





- Ma - lo, deac'hGreg lagu - ang a 








fe - - nestr d 06 le, d'unn poear'h. 


LA FIANCEE DE SATAN. 
{AR PLACH DIMEZET GAND SATAN) 


Msestoso. 





Se Laouit holl, bi-han ha-braz, ‘r Dar 






erenrvech g'hoar.bz harz bal 





Lade, 


XI 


LE FRÈRE DE LAIT. 
(AR BREUR MAGER) 


Andante 





Bra utt merc'h di - Jen - til a 





ea dre - (mn tro - war - dro, eur 





ha 0, eur pla c'h tri - ouec’}h 





vloa, Gwen-no la - :k he ha Do. 


LE CLERC DE ROHAN. 
(KLOAREK ROHAN) 


Maesloso 












Ep S A 
G E = 






Merc'hik koantig enz a Ro-han:Aïlaz Merc'hik koau- 





-tigeu? à Rohan Ne oamerc'hnemet hi w-man 


KIS 


LES TROIS MOIRES ROUGES 
(ANN TRI MANACH RUZ) 


Andaute. 





Kre - na rann em ju fe ZE li, 





Z O s0nu - jal dmn tol heu-zuz 70 





ger 8 Gem per, eur hloa zo tre- me - net. 


LE COMBAT DES TRENTE. 
(STOURM ANN TREGONT.) 


£Zaergico. 





Ar mis meurs gard he vor-20-Hou, Á 2e Ga 


XV 






Ske) War lon no-riou: Ar ge a blegpgant rian  a- 





buill; Anndoen a strakl gand ar gri - sn 
JEANNE-LA-FLAMME se chante sur le même air. 
UHERMINE. 


(ANN ERMINIK.) 





Ann de - linn 21 - gnr emn de - ru Kent 





e - vid di ge - ri erfao; Ann de-lion 71 - gnr 





enn de-ro Kent e-Vid di ge- ri er fa0. 





Bleiz a c'hed ann ta - ro. o-sa skes l skes) 





o - sa skes! skes) Bleiz a c'hed amn ta - ro: 





Deuz dek mer -+ vel a rai Hn. 


LU 
LE BARUN pE 130107 
(BARON JAOUICZ) 


Andante. 





Pa oann er ster gant Va dil -lad: Pa 





oanin ef ster gant va  dil - lad: Ale - 





gle-ve'nnevn glod hu-a-nat; me - gle - - Yenn 





evn glod du - a - nat. 


LA FILLEULE DE DUGUESCLIN. 
(FILLOREZ AOTROU GWESKLEN) 


Allegro ma non troppo. 





S 
Gliz aluc'h war spern gwenn ar c'harz, 





Ghz aluc’h war spern gwenn ar c'harz.. 


XVII 
LE VASSAL DE DUGUESCLIN 
(GWAZ AOTROU GWESKLEN) 


Maustuso 3 7 






ral Ha dour douu tromar dro ha pebkorneunntoural 


LE CYGNE 
(AMN ALARC'H) 


Tempo di marcia. 





Ennn a-lurch. euun a arch tre 








Dinn.dinn,daon! d'ann em gann + enn 


vif 


LA CEINTURE DE NOCES 
(SEIZEN EURED.) 





An -tro 107 ina oann di 





met, € oann-me ke - men - uet, Da 


LES 


Br = 
SAR ET, T E RSS G) CORRE RAR 3 





red d'in -me mn - uet;: Da hen-lia 





‘un otran ba - ron ha da dren - Zi - ar 





mor, 0 Klask har - pa, mar gel- 





XIX 
AZENOR-LA-PALE 


(AZENORIK E'HLAZ) 


Andante Triste 









Né - deoket d'he mu + 14 - k4 - ret 


LES JEUNES HOMMES DE PLOUYE 
(PAOTRED PLOUIEO) 





Mal Joz d'aun  Heul. mal - loz “dial 





gouez d'ann douar ho! Mal Loz d'ar 





TE) a goue7 d'aun dunar! 


LE SIEGE DE GUINGAMP 
(SEZIZ GWENGAMP) 


Evergicu 





Por-zer, di. go - ret ann uormau! Ann © tro 





ES mil sohidard gant 
> Kad = 


Ro an 70 a man, Ha 





SEE 7IZ War ygvengamp. 


LE CARNAVAL DE ROSPORDEN. 
(ENED ROSPORDEN) 


Audaute triste. 











T 


ar bloa mil pe-var C'hant pe var u gent Ha 





ver eux 





A 20 c'honurveteur reuz hraz Si-la-uct,Rristepién: 


den 


XXI 


GENEVIEVE DE RUSTEFAN. 
(JENOVEFA RUSTEFAN) 


Andante. 





he zen - ved N'eu doa ket koun 





dou Ket Koun da vean be - le get. 


NOTRE DAME DU FOLGOAT. 
4 4ITROUN VARIA FOLGOAT.) 









“tin mad? A! ahl Petra rita.zomin-tin mad? 


XXII 


LES LIGUEURS. 
(AR RE UNANED) 


Allegretto. 





à 
ar C luz 


Tro- ma - re 





trouz neih our; 


kle - vet 





vag 


eur 





Dour, 


gand ann 





- DOU, 


bo - li - 


ann ta - 


hag 


drom - pU) 





a 





lein 


FA 


LA FONTENELLE, 
(FONTANELLA) 





- Van map à YS az dil-lad En deuz limmet eur 





henn -he-rez Di war bar-len he ma-ge-rez,. 


L'HERITIERE DE KEROULAZ. 
(PENN-HEREZ KEROULAZ) 


Andante. 





Ar benn-he -rez a Ge-rou- laz e de voa 





-zez Gand bu-ga - le ann ao - trou - nez, 


LE MARQUIS DE GUERAND, 
(MARKIZ GWERAND) 


se chante sur l'air du BARON pE JAUIOZ Page XVI 


XLV 
LE PAGE HE LOUIS XIII 
(FLOCH LOEIZ TRIZEK.) 





Lol Heuz gret__ Rekedak ta ln Larilari lari la 


L'ÉLÉGIE DE MONSIEUR DE REVET 
(MARONAD ANN AOTROU NEVET) 


se chante sur le même air que LE SEIGNEUR NANN Page Ù 


L'ORPHELINE GE LANNION. 
(EMZIVADEZ LANNION) 


Beligioso 





















Haut pe-var 0 - gent tri-zek Er ge-rig a Lanni- 





- UD fo eur  gvvall - eur c'housr - vet Er- 





ge iE a Een-ni-cn 20 eur gvvail . eur C’houarvet. 


XEV 


MORT DE PONTCALEK 
(MARO PONTKALEK) 


Scherzando 





Eur Wer-Zzeen mne-Ve 70 sa Yet: 


U 





Trai-tour! ahl mal-loz d'id - ta! Var 





mar - kiz Pont - ka - lek eu Kret: 






Trai-tour! ah! mal-loz  d’idl mal-loz did! 





Trai- tour ahf mal - loz d'ia! ah! 


LE COMBAT DE SL CAST. 
(EMGANN S' KAST) 


se chante sur l'air du SIÈGE DE GUIREAMP. Page XX. 


XXVI 


[ANNIK SKOLAN 





Tro ma ie e sat - re enn de 





Teu -’e eun deun - "fe = “reh du - "me: 





Pe-7a enn dru - fe - reh eun ti 





Doc'h  enn holl de-fe jo - do - ri. 


LE PARDON DE S' FIACRE. 
(PARDON S' FIAKR)) 


Tos + tait holl, (ud 19 Y ouang 








e klefot eur gentel 20 sa-Vet a ne - ve War 











A L [A 

RS | RS À OR 28 ER RSS VERS SR VS 6 A ER B A À VERS LR EEE R) 
PR — Eee — Bx mK T 9 
C 2 — #0 — 
SET EE 0 - S SDS 






beun eunn den ia owank flamm a bar-rez Langonet En 





deuz Kollet he vuhe dre zorn he YL - guo - ued. 


LA CHANSON DU PILOTE 
ie AL LEVIER.) 


Allegretto 





Ke - na - vo d'hoc'h, Ker - Vig - na- 





giz, ke - na - vo d'hoc'h, Ker - vig - na. 





-giz; Dont à rinn sou-den War ma c'hiz. Da zau- 





-tez - Au - na, Da - zan - tez - An - na, Da Zan - 





-tez - An- na Neb ‘ia An - na LA - à.. 


XXVII) 
LES LABOGUREURS. 


(AL LABOUREKIEN) 


Religioso. 








- ued, du gle vel eur gen - 





- rer eo het great  n’euz Kei 





Eur vu - hez kriz ha 





noz! lng a - ren a - - ga - 





XXIX 


LE PRETRE EXILE. 
(AR BELEK FORBANNET) 


se chante sur l'air de L'ÉPQUSE pU CROISÉE Page XI 


LES BLEUS. 
(AR RE C'HLAZ.) 


Trina di marcia. 





Ar chas à gle-vann oc’h harzal! See 
G 





T TET TE har- za se - tn ar 





sou- dar- ded c’haltl Tec’ homyp Kurt tre -zeg 





ar c'hon - jou! Ka somp a-rog dhor eha- 





-tul Terc "hoump  kuit tre - zeg ar c’hoa- 





- jou! Ka S0mp à - Frog hoar cha = (al. 


XXX 
LES CHOUANS. 
(AR CHOUANTED.) 


Religioso. 





Er re goh hag er mer-c'hed hag 





er botred vi-han, Ha re pe-re wint 





Kot goest de vo-net d'ou em - gann, A - 








la - ro enn ho ZL - er, a-bärh mont de gous- 





- ket Ur pa - ter hng eunn. 





a - ve e uit er chou- an < ted. 


UNE BONNE LECON 
(EUR GENTEL VAD.) 


se chante sur l'air de LA FIANCEE DE SATAN Page XII. 


XXXL ^ 


LES FLEURS DE MAI. 
(BLEUNIOU MAE) 


se chante sur l'air DU ROSSIGNDL Paye XII. 


LE TEMPS PASSE. 
(ANN AMZER DREMENET) 


Scherzando. 
= L à 
FRS RES G ESS ASE GE GRR RS 
a dE + 5 po 
NE E NET LE E 















Bre - to - ned, sa  Vomp eur gen - 





- tel Di-war-benn po -tred Breiz - i - zcl. 





-vet, da gle - vet ar c’han. 


XXII 


LA DEMANDE EN MARIAGE. 
(AR GOULENN.) 


Religicso. 





Eun han ann Tad holl gal lou dek ar 


SER 
| 
LE —— + 





han aun Tad holl  gal - lou - dek. Ar 





mal hag ar Spered menu - let Bennoz ha 





joa barz ann ti - me Muioc’h e - 





-vit 20 gan- i - me Ben - noz ha 


SRE c 
M (Ear Kr ES) K el LE n 
E Es) RE LE 
ARR EE EE 


SRE DRE EREE TTC " EREE T OMR VS KES RESF. 





joa barz ann ti - me muioc’ h e - 


Ls 1.30 


LA CEINTURE 
(AR GOURIZ) 





we - let em euz enn eur flou-ren 


ASE RER 6 E QUELS 2 | 
BAS e ARE EPS Er 


LEE 
EE _ PA PSS EP RE LL | 
PE 


to,pariti,gra, pa ri gra,pa ri, pa-ri-tra. 





LA CHANSON DE TABLE. 
(SON ANN DAUL) 


Andäntino. 


A à LC 
HR S K L E T B R RE 
SL L ES L V2 O es 


7 





pM < 7a-vann si-mi-u2lmadous a we - A93. 


XXXIV 


LE CHANT DES PAUVRES. 
(KENTEL AR BEORIEN) 


And: intino. 


ARE ” 
N L E E L 
TET. SE 7 4 





- re: Da Yreiz iz - él it ma Doue? 


CHANT DE LA FÊTE DE L'ARMOIRE. 
(SOUN FEST ANN ARVEL) 


Be me 





Se - E - ouit va dous in - tan 


E 








2 = 
vez, Deut onn d'ho ti d'o her al lez, Breman; 


XXXV 


CHANT DE LA FÊTE DE JUIN. 
(SON FEST AR MIZ EVEN) 


Allegro. 





De mad d'hoc’h hu, ko - me - 





-ran < tez onn deut hi - rio 4 < manu 


LA CHANSON DE AIRE NEUVE. 
(SON AL LEUR NEVEZ) 


animalto. 






son,son Koc'h Ti - 


XXXVI 
LA CHANSON DE FÊTE DES PETITS PÂTRES 
(KENTEL FEST AR VUGALE) 


a Andantino. 
Lt... U 





Di - dos-tait a - ma. bu- Lis - se Da 


1 ie == 
ES fr) EE Ps 





e - vid hoc'h; Ke-me-retpoan die. zis-ki -bloc'h.. 


L'APPEL DES PATRES. 
(HOLLAÏTK A) 


Allegret. 





Di-sul vin - tin a - ba ZA - Viz 





LE 
dous u kan - a, hag he rte diouz he 





XXXVIT 





da ga-ma gant - hi LG 


LA TOURNEE DE L'AGUILANEUF 
(TROAD ANN EGINANE) 


Allegro. 










NB AE AS QT VS RIRE SE AE E 






In nom'ne Patris et fi- li, Doue d'in 


U 8 Nes = e 
"TET LEE E KE T C bT DE E Es 
C [7 4 6 — + + 





penni-go enn ti! E- gi-uane! E-gi-na - ue! 


LE LÉPREUX. 
(AR C’HAKOUS) 





Krou er ann nenv hag 


ann dou - 










"BP manstret va c'ha - lon gant  glac’h- 





® am dous-ik koant, d'aun cha - ran - te. 


LA MEUNIERE DE PONTARO 
(MELINEREZ PONTARO) 


» Animalo. 





LE MAL OU PAYS 
(ANN DROUG HIRNEZ. 


U U 
se chante sur l'air de L'EPOUSE DU CROISE Page XI. 


LE PAUVRE CLERC. 
(AR C'HLOAREK PAOUR) 


se chante sur l'air DES LABOUREURS Page YUL 


XXXIX 
LES MIROIRS D'ARGENT 


(MELLEZOUROU ARC'HANT) 


Triste. 












à à LX d 
[LEE LEE 2 L E À 9 ESS Pea CR ER SSSR E R.T 
ES D E ESS 0 E LEN ESP BS EE EE FL 
HB E RR PET BEEN E CROSS HEE RS E S E 
E E LZ 







ho, ho! Se-leu - et! Ur zo-mik ne - ue zou sa 


fa 





d R LE AE RE LEE 
2 B A E E e 4 






LA CROIX DU CHEMIN, 
(KROAZ ANN HENT) 


Allegro. 


EV - nig à gan er c’hoad hu - 






el Ha me le"is he Ziou as'"#",Kkel; He 





ga-lo-mik ru, he leun glaz; Ev - 





XL 


LA AUPTURE. 
(ANN DROUKRANS) 





zounB ri - mel Me a re - fe eur zon 





eut zon ue- vez, tir Z0n,ha né Yeun ket pell. 


LES HIRONDELLES. 
(AR GWENNILIED 1 


se chante sur l'air DU ROSSIGNOL Page XIL 


XLI 
LA LEGENDE DE sY RONAN. 
(BUHEZ SANT RONAN) 


Maestoso . 








R 







Ann o-trou Ro- nan be -  ni- get E - 





- nez I-ver-ni oa - ga-net Rro - 2902 eun tu all 





d'ur mor ghz de meuz + hemm <H < ei - en vraz. 


ST EFFLAMM ET LE ROI ARTHUR 
(SANT EFFLAMM HAG AR ROUE AKZUR) 


Andante. 





Eur bre:nin euz a | ver - 





XLD 


LA TOUR D’ARMOR 
(TOUR ANN ARVOR) 






Piou ach - a: - noch - hu. a wel- 


Re | 
SRE CE 





LE DEPART DE L’AME. 
(KIMIAD ANN ENE) 





Di - dos-tait da gle - Yet Ka-na ann 





= : L L 
dis - par-ti a ra ann e-ne mad Pa ea mez 





LU 
LE CHANT DES TREPASSES. 
(KANAOUEN ANN ANAON) 


Maestoso. 















mad d'hoc'h tud annti-man, lec’hedmadd’hochwar boez 





hor penn: Deud omp d'ho la Kat er be - den 
L’ENFER. 


(ANN IFERN) 


d s N > à 
e K E a D A ÊTRE A 





i - fern da Wwe - let Ar wa-nerez est. lammuz euz 





Lu 
ann e-neou däo-net Pe-re zo dre wir Dou-e dal- 





2 B = à = 
ZIS - PIgu euz he c hraz er bed - man. 


XLIV 
LE PARADIS. 


(AR BARADOZ) 


Macstoso. 





Pli - ja - dur ann e - neo, Pa - 





vint di-rak Dou- e Hag eu he 








Re 
+ — 






ga - ran - te; Pa  Zint di - rak Dou - 





-e Bag enn he ga - ran - te. 


APPENDICE. 


LA COMPLAINTE DE LA DAME DE NIZON. 
(KLEMVAN ITRON NIZON) 


se chante sur l'air de LA PESTE Q'ELLIANT Page Y 











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