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Full text of "Beautés de la poësie anglaise [tr.] par le chevalier de Chatelain"

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BEAUTES 



D£ LA 



POESIE ANGLAISE. 



>r/i,/'MU:vr. ont 4U aéy»rt'/tfirjf. 



BEAUTÉS 



DE LA 



POESIE ANGLAISE 



PAR 



LE CHEVALIER DE CHATELAIN, 

Auteur (les " Fahlea Nouvelles,^'' des ** Rnmhles 

thraugh Rome.^* — Traducteur des Fables 

de Gat/y des Contes de Caniorhéry 

de Chaucer, d*Evangéline 

de LongfelUytv^ 

dûC. &c. 

d'C. 



VOL. I. 



LONDRES : 

ROLANDI, LIBRAIllE, 20, BERNERS STREET, W 

18G0. 






LISTE DES SOUSCRIPTEURS. 



Abbott (Mrs. Montague Vernon) . . 

Abnold (Edwin, Esq.) 

AsHE (Thomas, Esq.) Peterborough 



Nombre de 
Copies. 



Ballantine (James, Esq.) Edinburgh 

Babeer (D. W. Esq.) Worcester 

Babnes (Rev. William), Dorchester 

Babtholomew (Valentine Esq.) 

Beasley (S. N. Esq.) Woodbriex 

B» • • (Madame), Paris 12 

Benedict (Monsieur Jules) 

BoiNViLLE (de A. Esq.) 

BoNJOUB (Casimir, /gw, Homme de Lettres), Paris 

BucHANAN (Robert W. Esq.) Glasgow .7 



Campbell (Thomas, Esq./ew) 

Cabnegie (Mrs.) 

Chapman (Edward J. Esq.) Toronto, Canada 

Cecil (Henry, Esq. ) Stockraarket 

CoLLETT (John, Esq.) 

CouPEB (James, Esq.) Swansea 

CuMMiNG (Messrs.) Jersey 



Dawbabn (Miss Elizabeth) 

Delepiebee (Monsieur, LL.D. F. S. A.) 

Denecoubt (Mons. A. Homme de Lettres), Fontainebleau 
DoBELL(John, Esq.) 



IX 



MON AMI THOMAS * * *. 

Il fut un jour, Ami, déjà loin de ce jour 

Où nous causions ensemble. 
Des Poëtes Anglais voilà que tout autour 

De nous, l'élite se rassemble ; 
Et Thomas Moore et Bums, Coleridge et Milton, 
Et Shakespeare et Marlow, et Prior et Fenton, 
Chaucer, Shelley, Byron, tous enfants de la gloire, 
Devisent avec nous.... grâce à votre mémoire ! 
Il me souvient qu'alors vous me dites : ^^ Ami 
Si vous faisiez un choix parmi 
Tous ces grands noms, brillants de renommée, 

Pour en composer une armée, 
Jamais, je crois, votre brave Grillon 
Sous ses ordres n'eut eu plus vaillant battdllon.*' 

J'en convins; "mais," vous dis-je, 
"Il faudrait marbre de Paros 
Pour pouvoir les sculpter vos poëtes-héros ; 
Pour les faire parler, il faudrait un prodige I 
Leur génie est si différent. 
Et si divers leur faire au demeurant. 

Qu'en Français leur donner la vie 
Certes ne serait pas pour eux objet d'envie : 

Les courber tous sous un même niveau. 
Et les faire passer sous le joug de Boileau 
Ces esprits pétillants de verve et de jeunesse. 
Serait les rabaisser jusqu'à la sécheresse.*' 

Alors vous me dites, Thomas, 
Certes mieux avisé que feu Monsieur Calchas : 
"Qui vous force à rester classique, archi- classique ? 
Sachez, quand il le faut, être un peu romantique, 

b 



X A MON AMT THOMAS * * *. 

Sachez être fougueux quand vif est le coursier, 

Simple avec la candeur, avec l'orgueil altier, 

En un mot, comme en cent, sachez, sachez sans cesse 

Sur les objets divers varier vos discours, 

Avec la gaîté gai, triste avec la tristesse. 

Profond avec la mort, tendre avec les amours." 

Ai-je bien suivi ce précepte ? 

Ne saurais en juger vraiment ; 

Point ne suis encore un adepte. 

Ai besoin d'encouragement. 
Mais puisqu' enfin il faut rompre la glace, 
A vous, Ami Thomas, à vous la dédicace 

De cet ouvrage encouragé par vous ; 
De l'avoir entrepris me tiendrai pour absous 

Si d'abord d'un œil favorable 
Vous l'accueillez ; et, soit dit entre nous, 
S'il peut donner à tous le goût bien désirable 
D'étudier à fond l'Anglais et l'Ecossais 
Et l'Irlandais aussi, pour mieux avoir accès 
Aux admirables vers de tous ces grands Génies 
Dont le Français ne peut rendre les harmonies. 

Et sur ce, mon Ami, je vous serre la main. 

Le Chevalieb de Châtelain. 



BEAUTES 



DE LA 



POESIE ANGLAISE 



Le Critique. — Ah ! ça mon cher Editeur, mon cher 
Poëte, si mieux aimez, vous êtes fou, ou pour le moins 
outrecuidant, de venir vous, Etranger, nous donner à nous 
autres Anglais un li^re intitulé : " Beautés de la Poésie 
Anglaise!" Par Jupiter! qui a pu faire entrer dans 
votre cervelle idée aussi bouffonne que celle de prétendre 
nous imposer un hare7n composé de " Beautés" exclusive- 
ment de votre choix? Encore si ces "Beautés" vous 
nous les laissiez voir dans leur costume particulier, vêtues 
à l'Anglaise, à TEcossaise, à l'Irlandaise, à l'Américaine, 
lans le charmant costume du Dorsetshire, et même avec 
le chapeau Gallois, sinon merveilleusement beau, au moins 
pittoresque, nous pourrions les juger en connaissance de 
cause, car si nous ne sommes pas entièrement initiés aux 
secrets de la Poésie Française, nous sommes présumés 
connaître, que je pense ! l'Ecossais, l'Irlandais, et voire la 
langue de Chaucer que vous avez eu l'air ces derniers 
temps de vouloir monopoliser : mais nous présenter vos 
"Beautés" toutes travesties à la Française, en nous 
laissant ignorer, et pour cause, leur vêtement primitif! 
je le répète mon cher Editeur, mon cher Poète, ce n'est 

b 2 



pim là (lu Kêir FliH/y et j Vu revieo» ^ mon dire : Tous 
bUm ton. ou bioti outrvvuidant, »i tous ne ré uniaa e i en 
voir«i 4)li<«iH> |X^nH>uuot c« i^iii serait pb enctnre^ ces devx 

l/Ki)rriB|!it.*--Crtli4Uo! tooii reepectable ami, jeerow 
ri'M'iH» tii iou, lù outrei*uidaut ; toutefois »i par bâtard 
Jf» |Hiuvaiit iH)|ii»eutir t^ plaider GMty sur le premier eàe( 
Je platilomin iH^rtaiuotucut m^t Ut^Ufy ;^ur le aecoiuL J^ai 
v(iiilii im'^M'utvr uiuiu«i au public Aziglais qui cannait 
mtoiu (|m« tiiui ti^ cbvb^^d'ijeuvre de ses poètes^ qa* an 
piitilio af hriftu au publio du Cottttiueut^ mes ^Beautés,'* 
daim l«iur (Hmiuuio prîuùtit» cWt<à-dire« dans ma pensée» 
(Iaiih Io mnil iH»»tuu)o oi\ cites sout réellement belles. 
MaU iuiutl>iv do t^lUhtfrif^ et quelques auteurs m^ont 
rofttun hi pormiimli^u d^ âùre partu^tre ces belles Bamea 
dniiM lo (Hiniutuo priuùtit\ qui c'ot^t rrai^ leur Ta si bien! 
Ihnw \ot\H^ m'a 6i^'^ ivmiue vous dites; de les traTeetûr, et 
dti Ion mHH»utivr A la If^ra^vaise; bien que je ne me 
(IIhuIiiiuIo |>ait quo la crt^tiou d^uu stvle par^itement 
applioabto à d\H» |H>u»Oi^ei étruti^^res^ originales^ souvent 
Kl^auioiHiuoii» bigarres ou tU^nées des babitudes 
(loru«»ii uo «lut uuo wuvre pleine de dilKcultés ; aussi 
fi^lt iinpriiuor bien des tbi» depuis dix ans quelque chose 
(lo totnblable à i'ette i>eu9Ôe : '^ T4a traduction d^un poème 
eut au piHNu\e oorigiual» ce qu^uue pbotogr^bîe est an 
facitus humain; ih^ que la p^^inture d^un passage telle 
vivante que soit d^ailleurs oelte peinture» est au paysage 
lui-m^mo. l^es tabU^ux des plus grands Msutres ne 
peuvent donner qu'une idée imparlàîte de la Nature : — 
la Nature elle-iuôtue étant plus belle que toutes les 
compositions humaines.'* Mais parce que les choses sont 
ainsi, s'en suit-il que nous devions nous priver du portrait 
d'une personne aimée, ou de la représentation d'un site 
auquel se rattachent nos souvenirs ? £t dans Fespèce^ 
parce que ce chef-d'œuvre de Bums» par exemple, "A 
man*8 a man for a' that/* est à peu près intraduisible, 
doit-il être condamné par le fait même du grandiose des 




l'éditeue et le ceitique. xiii 

pensées qu'il contient, à rester emprisonné dans la langue 
dans laquelle il a eu le bonheur de n^tre ? * Non, mille 
fois, non ! En faire connaître, ne fut-ce que le sens, 
partout oii la langue écossaise est incomprise, est à notre 
avis servir l'humanité en ajoutant un fleuron de plus à la 
couronne poétique de la vieille Angleterre; c'est faire 



* Notre traduction de ce beau poème de Bums, l'un de nos premiers 
essais (parue à la suite de notre ouvrage ^Rambles ihrough Rome^ publié 
en 1851) qui a été insérée dans presque tous les journaux Anglais, 
Américains et Français, a été diversement jugée. Les deux principaux 
organes de la Presse d'Ecosse, (Ëdiuburgh et Glasgow) en ont fidt un 
él(^e qui nous a été au cœur, nous l'avouerons, venant du pays même 
qui a donné naissance au Barde Ecossais. Par contre le CrUîc dans 
trois différentes occasions' a porté sur notre traduction un jugement 
tout à fait opposé : 

"■ The translation into French of Burns' * A Man's a Man for a' tbat,' 
retains Uttle or notbing of its original beauty in its new dress, (disait 
encore ce journal dans son No. du 25 Juin 1859,) indeed, we sbould 
hâve been greatly surprised if it had, seeing that it would be utterlj 
impossible for any translater, however gifted, to imitate the Doric 
sweetness and simplicity of the Scotch dialect." 

Noq» ne nous inscrivons pas contre le jugement du Critic, car ce 
jouruAl.a la bienveillance d'ajouter: "The translation, however, of 
FeMrason's * Forging of the Anchor ' is a much more successM effort, 
and reàUy does no small crédit to the Chevalier's translating powers ; " 
mids' nous préférons nécessairement le jugement des journaux Ecossais, 
et ce qtîe ^sait dans^le même mois de Juin 1859 le " Bent's Monthly 
Litenury Advertiser," en parlant du même prospectus du présent 
ouvrage: 

** Bums' * A Man's a Man for a' that,' which M. de Châtelain calls 
" Les Malgré ça du Pauvre" a most dlfficult subject, is as well rendered 
we think, as it could possibly be in any foreign language. It bas the 
air of a song of Beranger in its new dress. 

" Qui travaille ici bas peut regarder sans crainte 
Le Riche pour cda. 
D'une guinée en or le rang n'est que l'empreinte. 
Et l'homme est l'or, malgré cela!" 

La seule moralité que nous prétendions tirer de cette note, c'est que: 
" Des goûta et des couleurs point ne faut disputer!" 

Le Chevalier de Châtelain. 



xiv l'editiur £t le critique. 

aimer un pays que d'indiquer au monde les génies qui en 
ont fait, qui en font la gloire. 

" Mais, " me dites-vous, mon cher Critique, " Les 
Beautés de la Poësie Anglaise," que vous mettez en 
avant, ne sont que vos " Beautés,*' à Vous, celles de Votre 
choix et non celles du choix de tout le monde. 

A cela je répondrai que La Fontaine a dit avant nous 
cette grande vérité : 

^' On ne peut contenter tout le monde et son père." 

Or, gardez-vous de croire que mon outrecuidance 
aille viser à la réalisation de cette grande impossibilité. 
J*ai lu, j*ai lu beaucoup, aussi beaucoup admiré dans vos 
auteurs connus, dans vos auteurs oubliés, dans vos 
auteurs qui ont désiré garder Panonyme. Vous le 
dirai-je en confidence, j'ai traduit depuis dix ans quelque 
chose comme 2000 poèmes Anglais, Ecossais, Lrlandais, et 
des dialectes divers de vos provinces ; dans ce nombre — 
ma traduction des Contes de Cantorbéry, de votre grand 
Chaucer, ma traduction des Fables de Gt&j, de TEvan- 
géline de LongfeDow, et des Moines de Kilcré (Auteur 
inconnu, et d'un immense mérite cependant) comptent 
pour quatre poèmes seulement; en sorte que j*ai en 
portefeuille, non publiés, quelque chose comme 1600 
poèmes. Sur ce nombre j'en livre aujourd'hui à la publi- 
cité, la bagatelle de 400 environ, non parce que je les 
regarde comme les plus beaux écrits dans la langue 
Anglaise, mais parce que à peu près chacun d'eux est 
d'une longueur qui me permet de l'insérer in extenêo, et 
que chacun d'eux contient (dans l'original, n'oublions 
jamais que je parle toujours des poëmes originaux) des 
beautés d'un ordre élevé. 

Maintenant soit dit sans offenser personne, le Beau 
dans tout est chose qui déjà ne court pas les rues ; mais 
le Plus Beau est d'un très difficile accès ; ou plutôt le 
Plus Beau n'existe réellement que dans l'imagination de 
chacun de nous. Entrez dans un salon, vous êtes de 
suite d'accord avec le voisin que le hazard vous donne. 



l'I^ITBTTB et le CBITIQITE. XV 

pour trouver de jolies femmes, de belles femmes, mais s'il 
s'agit de donner la palme à la plus belle, — la plus belle de 
votre voisin, à parier 99 contre 1, ne sera pas la vôtre ; 
ni de celle du voisin de votre voisin, encore moins de la 
voisine de votre voisin. — Donc ne me chicanez pas trop 
sur mon assemblage de " Beautés," et dites-vous bien que 
(je parle des originaux, rien que des driginaux), il 7 a 
dans chacune d'elles un genre de beauté, — depuis le 
naïf qui n'est certes pas à dédaigner, jusqu'au .... com- 
ment dirai-je ? . . . . jusqu'au costiyne de cour, avec le 
fard, les diamants, les faux cheveux, les crinolines, les 
&UX appas, les fausses dents, les perles, et les étoffes 
précieuses qui font de ces " Beautés " là — un tout magni- 
fique éblouissant... à l'aspect duquel se pâme d'aise 

l'œil du vulgaire! 

Le Ceitiqtje. — Tout beau! tout beau!.... je vous vois 
venir Monsieur le Collecteur, — vous défendez d'avance le 
choix par vous fait. Eh ! bien, écoutez, ce qu'a écrit à 
propos de vos " Beautés " dans l' Athénaeum Français, un 
de vos compatriotes. Monsieur K. Stachel, le 31 Mars 
1855, je tiens en mains le volume de feu ce journal, ojez 
de toutes vos oreilles, oyez, et écoutez ! 

" Une Anthologie ne doit pas être un choix de poësies 
fuit au gré du traducteur, elle doit être un résumé à la 
fois historique et esthétique de la littérature d'un pays 
ou d'une époque 

"Il fiiudrait nécessairement accompagner cette tra- 
duction de notes et de commentaires philologiques et 
historiques : autrement elle ne serait qu'un objet de 
curiosité, et n'aurait pas de valeur littéraire sérieuse. 
Le traducteur de Chaucer et de Gay voudra-t-il suivre 
nos conseils ? Le choix du joli poème intitulé ' La 
Meur et la Feuille ' nous le ferait croire ; mais la singu- 
lière idée de mettre en Français les fables très médiocres 
de Gay nous en fait douter." 

Heinî... que dites-vous de cela? Voilà ce qui s'appelle 
parler, et bien parler selon moi ! 



xvi l'kditzuu et le cuitique. 

L'Editeur. — Je respecte toutes les opinions iiinceres, 
et Monsieur Stachel me paraît parler avec conviction ; 
donc, ce que je dis de cela, c'est que ce Monsieur peut 
avoir parfaitement raison; toutefois le jugement qu'il 
porto Hur (ray ne me donne pas une confiance immense 
on la sûreté de son goût, ni de sa judiciaire. En dépit 
do Monsieur Sta{:hel je persiste à croire Gtskj beaucoup 
plus original, non dans son style, mais dans ses sujets, 
que La Fontaine ; je persiste à regarder ses fables comme 
fort jolies. Je croi^, de plus, contrairement à l'opinion 
qu'il émet, qu'un traducteur a, sans conteste, le droit de 
faire le choix des morceaux qui doivent faire partie de la 
collection qu'il veut faire conmdtre. Que diable ! avec 
lo principe mis en avant par Monsieur Stachel un col- 
lecteur de peintures ou de livres n'aurait pas le libre 
arbitre de composer son cabinet ou sa bibliothèque comme 
il l'entend ! Quand aux notes et aux commentaires 
philologiques et historiques réclamés avec tant d'insis- 
tance, j'avoue que je ne suis pas du tout disposé à me 
rendre de gaité de cœur aussi ridicule que le fut feu 
Monsieur Auger de l'Académie Française qui publia en 
1826 une édition de Molière accompagnée de commen- 
taires qui avaient la prétention d'élucider des passages 
clairs comme le jour, commentaires qui excitèrent alors 
un rire homérique d'un bout de l'Europe à l'autre. Le 
but de la publication des *^ Beautés," je le crierai sur les 
toits, s'il le faut, est de faire aimer le pays dont elles 
émanent, et de créer le désir de faire connaissance avec 
elles dans leur costume primitif. Après cela, je n'ai pas 
la prétention d'élever un monument, mais de préparer 
des matériaux à un architecte futur. Mon monument à 
moi, s'il faut vous le dire, ce n'est pas le livre que je 
publie aujourd'hui, mais ma traduction des Contes de 
Cantorbéry de Chaucer, toute défectueuse d'ailleurs qu'en 
soit la première édition. 

Le Cbitiqxie. — Vos réfutations n'ont pas l'heur de me 
plaire, comme dit daus sa drôle de langue votre drôle de 




l'éditeub et le cbitique. xvii 

Pierrot ! Une autre objection encore ! . . . . A peine 
donnez-Youa nne place à Shakespeare dans le premier 
Volume de votre ouYràge, et je cherche en vain dans le 
second volume les noms d'Alexander Smitb et de 
Browning! 

L*fiDTTEtTB. — ^Shakespeare est connu et admiré en 
Fraùce par l'élite de la nation ; il ne hii a pas même 
manqué le coup de pied de l'âne adminidré au pauvre 
MoTméwr WîUiams par Tacadëmicien Ponsard, de bouf- 
fonne notoriété î Toutefois si le Ponsard a voulu insulter 
Shakespeare, si Madame Budevant àliM G-eorge Sand 
Ta défiguré,— en revanche feu A. Brugnière, Baron de 
Sarsuin, Nisard, Mèïmechet, Charles Nodier, Philareste 
Chàsles et récemment François Victor Hugo eh ont 
traduit avec grande habilité les principaux chefs-d'œuvre, 
et Shakespeare est aussi connu en France, qu' est connu 
Ifilton grâce à la magnifique traduction de son ^ Paradis 
Pterdu" par de Pongervîlle. Qu'avais-je besoin de 
^l'^étendrè au long sur des poètes tels que Shakespeare 
et jfirfilton qui ont l'univers pour temple ? sur Thomas 
Campbell dont les " Plaisirs de l'ÎEspéranoe" sont devenus 
populaires en France par la belle traduction d'Albert de 
Motttémorit, feur Gray traduit de main de maître par 
CKéûier, sur Goldsmith et tant d'autres également con- 
nus, b'est-à-dire admirés par le public Français? A 
î'^;iftrd d'Alexander Smith je m*avoue coupable d'avoir 
cfvtdÈ lie nom de ce poète duquel d'ailleurs j'ai d^à jpublié 
itttftre part là traduction de ^Barbara;" tôuietaisi mes 
dettr Volumes né iront pas façonnés comme la bouteille 
iiteicshistible de Bûbérir Houdin, ils ne sauraient cohteiiir 
l^essehcë 'fûême de tous lés Bardeis des Trois Iftoyàumes, 
ancfens et modernes ; et j'ai le regret de garder forcé- 
ment en pbrtefeuifië quelques jolis poèmes dûs à la piume 
de T. H. BaUy, L. Banks, Sir E. L. Balwer, E; C. Crcîker, 
Sir A. H. Elton, Eobert GHfiUan, Miss Jewsbûry, Sir "Wil- 
Tîata JFwies, Hie* Ifcev. ^Mahony, Miss Marshall, Tïié^ îtev. 
WS;Mà«rftt;^W. Midhel, TheSev. Ed. kor&e, Dr. î^eroy, 



xviii l'ébiteub et le critique. 

Dr. Swift, Madame Trepka, E. Thomason, J. B. Wann 
et autres, et de n*avoir pu reproduire le " Bums " de 
Fitz-G-reen Halleck donné par moi dans un des prospectus 
qui ont précédé l'apparition de cet ouvrage, ni "l'Exé- 
cution de Montrose " du professeur Ajtoun, imprimé à 
la suite de ma troisième édition des Fables de Gr&j; 
quand à Monsieur Browning, le cas est différent ; son 
nom il est vrai dans ma collection, ne brille que par son 
absence ; que voulez-yous P j'ai la mauvaise habitude de 
vouloir me rendre compte de ce que je lis, de vouloir 
comprendre surtout ce que je traduis, or si Monsieur 
Browning devient un jour accessible à l'entendement 
humain, je me promets bien de ne pas manquer de le 
présenter à mes lecteurs Français autrement qu'à l'état 
de logogriphe. Jusque là et tant que, chez lui, la lumière 
restera à l'état de chaos, je m'abstiendrai ; dans le doute 
s'abstient le sage, et je laisserai à nombre de gens le soin 
d'admirer sur parole ce Phœbus nébuleux. 

Le Critique. — Mon cher Monsieur vous n'appelez 
notre Browning nébuleux, que parce que, je le dis à 
regret, excusez ma franchise, vous n'avez pas l'esprit 
assez délié pour savourer le miel qui se cache au fond du 
calice des fleurs poétiques qu'il veut bien faire éclore à 
notre intention; j'en suis fâché pour vous. Toujours 
est-il que c'est une faute, une faute grave que de passer 
sous silence un nom si grandement admiré ; c'est colorer 
son insuffisance d'un prétexte fallacieux qui ne trompera 
personne, je vous en avertis. D'un autre côté, rien ne 
peut vous absoudre d'avoir fait quelque chose de mon- 
strueux en admettant dans votre collection des auteurs . 
sans nom. Eh ! que diable ! qu'allons-nous devenir nous 
autres de la Critique dont une des prérogatives est de 
créer des réputations ! . . 

" Quid Domini facient, audent cùm talîa fures?" 

s'il prend fantaisie à un Etranger de venir déclarer Beau 
ce dont nous n'avons pas même voulu reconnaître l'exis- 




l'éditeur et le CEITIQTJE. XIX 

tence ? Il n*y a, il ne peut y aToir de beau, comprenez bien 
cela, que les compositions de nos vrais poètes, de nos lau- 
réats par exemple : le poème de Maud a été vendu à 10,000 
exemplaires, conséquemment Maud est un chef-d'œuvre.* 
Nos poètes lauréats, à peu près les seuls, ont un talent, 
je ne dirai pas impayable, car pour cette charge souvent 
difficile à remplir, de célébrer les grandes actions de la 
Couronne, (et comme on sait, où il n'y a rien le Soi perd 
ses droits) ils doivent être forcément contents de recevoir 
£ 300. bon an, mal an, mais au moins ont-ils un talent 
sinon bien populaire, sinon bien connu, au moins reconnu, 
oui, je l'affirme, reconnu par le ministre qui leur a conféré 
leur emploi, leur charge ; ce sont des poètes célèbres en 
un mot, et qui valent dix mille fois mieux que tous vos 
poètes anonymes,t qui n'ont jamais compté dans leurs 
rangs, que je sache, le moindre poète lauréat! hein! 
qu'en dites-vous ? 

L'EniTEtTR.— Je dis, mon cher Critique, que vous avez 
raison, et comme mon brave ami Chaucer je fais ici ma 
rétractation : c'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma très 
grande faute, et pour avoir la paix avec vous, je me 
repens d'avoir fait entrer dans la collection que je livre 
aujourd'hui à la publicité les œuvres anonymes dont voici 
les titres : 



* Nous nous inscrivons contre le dire du "Critiqxhb:" Ce n'est 
pas le poème de "Maud " — qui a été vendu à 10,000 exemplaires, mais 
bien la délicieuse Idylle qui le suit (The Brook) — la plus charmante 
chose qui tût été écrite, selon nous, depuis Moschus, Bion et Théocrite. 

Le Chevalieb de Châtelain. 

f  regard des poètes anonymes nous avons sans doute amende 
honorable à faire à quelques uns d'entr'eux que nous avons pu placer 
dans le premier volume destiné aux auteurs morts, sans avoir eu aucune 
ment l'intention de les priver de la vie qu'ils peuvent airoir à l'heure où 
nous écrivons ces lignes ; nous craignons bien d'avoir ainsi mis à mort 
un poète Américain sur la foi d'un journal qui l'avait tué; de toutes 
ces imperfections bien involontaires et presqu' inévitables, nous deman- 
dons humblement pardon à ceux qui nous lisent. — C. de C. 



XI L'ÉDITKUE et le CQiTlQUE. 

Les ChangementB du Monde, 

Les Funérailles de Moïse, 

Le Vent, la Feuille et T Enlèvement, 

Le Chant de la Vapeur, 

La Chanson du Cerisier, 

La Mort et le Guerrier, 

Le Lierre, 
et autres PetiUi Chofet que j*ai eu le mauvais goût de 
trouver jolies et compréhensibles, attendu qu'elles par- 
lent en mdme temps au cœur, à Tesprit et à la raison : 

Je me repens aussi d'avoir publié à la suite de la 
troisième édition de ma traduction des Fables de Gaj : 

Le Chant du Pompier, un magnifique poème, mais qui 
est anonyme ; 

Idem Alexandre le Grand, poème entaché du même 
vice; 

Je me repens surtout d*avoir publié la traduction des 
*' Moines de Kileré," bien que cet ouvrage d'un iauteur 
anonyme, soit tout simplement un chef-d'œuvre, et pro- 
clamé tel par les principaux organes de la presse Anglaise 
et Française. 

En présence de ces rétractations que je fais avec la 
même sincérité que la rétractation que fit Chauçer, ou 
plutôt qui lui est attribuée, j'espère que la Critique me 
sera légère, bien que, dans le sanctuaire de ma pepsé^, les 
œuvres susénoncéeS) et celles de nombre d'auteur» peu 
connus, cités dand mes pages, méritent souvent marcher 
de pair avec celles de Bardes connus, et peut-être même 
avec cellei de Battes qui nous restent à connaître. 

Strt ce, cher critique, pérmettez-moi d'écrire îci un 
noni qti*^oh chercherait â bon droit et qu'on ne trouverait 
pas dàins tnon pitemier volume ; le nom de Leigh Hunt^ 
absent de ce viàuinè' paifèe qu' au domniencement de 1869 
L'ImÊviTABLE n'étant pas encore venu sommer ce poète 
de le suivre, j'avais dû placer son nom parmi les poètes 
vivants. Je choisis de préférence le morceau qui suit, ce 
morceau ayant obtenu les suffrages de Leigh Hunt dont 
le nom restera cher aux lettres. 



L EDITEUR BT LE CKITIQUE. XX4 

HTnSTT (LBIGH). 

Né le 19 Octobre 1786— Mort le 28 Août ^859. 

Aboxt-Zeid-Bbn-Abhem et L'Aides. 

ABOU-Zeid-Ben-Adhem, (sa tribu se prolonge !) 

Une nuit s'éveilla de la paix d'un doux songe, 

Et vit, au clair de lune éclairant seê lambris, 

lEt leur donnant Inédit et la blancheur des lis, ^ 

Un bel Ange ^cariyant les immortelles page» 

D'un livre d'or. Adhem, le plus Sage des Sages 

Avait la paix du cœur qui rend audacieux : 

" Qu'écris-tu là ? " dit-il au messager des cieux. 

Au son de cette voix l'Esprit leva la tête, • . . t 

Et d\m regard divin accueillant la requête : 

" J'incris/' dit-il, " le nom de chaque serviteur 

Qui fkit professicm d'adorer le Seigneur. 

Adhem de demander: " Mon nom est-il du nombre?"" 

^ Non, je ne le vois pas 1 " répondit soudain l*Omb!fe. 

" Eh bien ! " reprit Adhem, d'un ton phis bas^ maïs àotaî, 

" Eh bien 1 inscris mon nom, et, soit dit entre nous^' 

Note-moi, comme un homme, ami de tous ses.ô^res^ 

Et prêt à soulager en tous temps leurs misères !" 



L'Ange écrivit, et puis s'en fut. Après le ip 
Vînt la nuit; et d' Adhem de nouveau le s^< 



ipur 
jour 

S^éclaira cette fois d'un fEÛsceau de lumière. . .' . 
Le livre d'or parut — sur sa page prennère 
Btinoelait ee nom comme un rayon de feu t ^ 
Abou-^Zdd-Ben-Adhem, le farori de Dieu f <■ - - 

f ■ ■ ï , • . - • 

Et maintenant il ne me restç pluç qfi't^n jd^XQir à 
remplir e'est de mettre sous les jçux de. ceux (^ j^ 
lisent cette, strophe q[ue <je sais, grâcç à mon bonor^le 
ami Monsieur Garcin de Tassy, que le poète S^adi* 
plaçait en 655 (1257) à la tête de so;i poèjoae "Le 
Boston:" 



* Le Boston poème moral de Saadi, analyse et extraits pmbliés par 
M. Garcin de Ta^sy de l'Institut de France. — 1859. 



l'i 



xxii l'editeub et le crttiqi'i:. 

** O toi qui es sage et d'un heureux naturel, sache 
que je n'ai jamais ouï dire qu'un homme d'esprit 
s'évertuât à découvrir des imperfections dans autrui. 
Quoique la pelisse soit de soie ou même de brocart, 
elle ne saurait se passer d'une ouate de simple coton. 
Si tu ne trouves pas d'étoffe de soie pour ta pelisse, 
ne sois pas en colère, mais contente-toi de bonne grâce 
de la ouate. Je ne tire pas vanité du capital de 
mon mérite: en bon derviche j'avance la main pour 
mendier. On dit qu'au jour de la Crainte et de 
l'Espérance (le jour de la Résurrection), Dieu dans 
sa générosité pardonnera aux méchants en faveur des 
bons. Toi, aussi, lecteur, si tu trouves quelque chose 
de repréhensible dans mon discours, imite la bien- 
veillance du Créateur du monde. Si sur mille de 
mes vers un seul te paraît heureux, eh bien 1 au nom 
de ta générosité, ne cherche pas à me déprécier." 

A la prière de Saadi, il ne me reste à ajouter que ces 
trois mots qui n*en font qu'un, tant leur union est intime : 

Ainsi 8oit-il ! 

V 

L'EDITEUR. 




BEAUTES 



DE LA 



POESIE ANGLAISE. 



^ 



BEAUTES 



DE LA 



POESIE ANGLAISE. 



ADDISON (JOSEPH). 

Né le 1« Mai 1672— Mort le, 17 Juin 1719. 

La Voix de la Création. 

Les sublimes piliers de la voûte du ciel. 
Du ciel tout parsemé d^étoiles, 

Disent à rhonune et proclament sans voiles 
De ce vaste univers Tarchitecte étemel. 
Le soleil qui s^éteint, qui reprend sa lumière. 
Et répand le savoir sur son beau rayon d^or, 
A chaque nation vient publier encor 

Du Créateur la puissance première. 

Quand la clarté du jour a fait place à la nuit, 
La lune reprend en sous œuvre 
Du haut du ciel l'histoire du chef-d'œuvre, 
Et la dit à la terre — ^attentive et sans bruit. 
Tandis que chaque étoile en gravitant près d'elle, 
Et des astres divers la sémillante cour, 
D'un pôle à l'autre vont confirmant tour à tour 
Du Tout Puissant la splendeur étemelle I 

B 



AU COUCOU. 

Et quoique tous ces corps autour de l^orbe noir 
De la terre, fassent silence, 

Que nulle voix n^annonce leur présence, 
Ils s^éjouissent tous du matin jusqu'au soir : 
Ils ont pour tous les cœurs des accents magnifiques ; 
Ils vont parlant, chantant, et reluisant toujours, 
Embellissant les nuits, embellissant les jours. 

Et chantant Dieu dans leurs muets cantiques I 



AKENSIDE (MARK). 
Né en 1720— Mort en 1756. 

Au Coucou. 

I. 

Contemporain du doux printemps 
Dans ce yallon au frais ombrage, 
Près du ruisseau qui fait tapage. 
Que j'aime à recueillir tes chants ! 
Que j'aime tes échos dolents, 
De tes amours on doit le croire 
C'est l'oraison jaculatoire. 

Il- 
n fut un temps, je me souviens, 

Où dans les bois ta voix plaintive 

Trouvait mon oreille rétive ; 

Oh tes échos éoliens 

Semblaient nuire aux musiciens 

Qui chantent dans le vert bocage 

Et l'amour et son doux servage. 

m. 

Je me disais : ^^ H n'est pas bien 

Qu' alors que chante Philomèle, 

La voix d'un autre oiseau se mêle 

Au charme de son entretien : 

Ainsi dans le monde combien 

Ne voyons-nous pas près des belles 

De vieux beaux se brûler les ailes!" 



LES CHANGEMENTS DU MONDE. 

IV. 

Quand deux cœurs, deux cœurs amoureux 
N*ont à tous deux qu^une seule âme, 
Et que mutuelle est leur flamme, 
Qu*ils tiemient du Coucou tous ceux 
Qui vont troubler ces deux heureux 
Des grands mots prudence et sagesse 
Et des dictons de la vieillesse ! 

V. 

Et cependant tandis qu' encor 
n en est tenps, pensez jeunesse 
Qui ne vivez que de tendresse, 
Qui ne rêvez que d'un ciel d'or. 
Que le Coucou donne du cor 
Dans le mois des fleurs embaumées 
Dans Avril aux fraîches ramées. 



ANONYMES. 

Les Changements du Monde. 

L'Ombre au port solennel qui retient dans ses mains 
Le sablier, la faulx, l'avenir des humains. 
Une fois s'arrêta dans son vol sur la terre, 
Sur les créneaux poudreux d'une cité guerrière, 
Demandant au soldat veillant seul à l'écart : 
Depuis combien de temps vivait là ce rempart ? 
Et le bardé de fer qui faisait sentinelle, 
Lui dit, l'orgueil au front : — ^^ Là, cette citadelle 
Est debout depuis l'heure où le soleil a lui, 
Telle elle était jadis, telle elle est aujourd'hui. 
Et telle elle sera tant que le glas funèbre 

Du monde, n'aura pas tinté ; 
Ainsi que le dira ce narrateur célèbre 

L'Eternité!" 

Et puis après mille ans passés voilà que l'Ombre 
Aux mêmes lieux descendit sombre. 
B 2 



4 LES CHANGEMENTS DU MONDE. 

Et là n'existait plus traces d'une cité. 

Mais une immense plaine — un beau lac argenté ; 

Dans la plaine le blé rangé comme une armée, 

Au vallon le berger chantant sa bien aimée. 

" Comment," dit soudain TOmbre, " et temples et remparts 

Peuvent-ils se dissoudre ainsi qu'épais brouillards ?" 

Mais alors dégageant ses cheveux de sa tête, 

En ces mots le berger répondit à l'enquête : 

*' Le monde est tout rempli de brebis et de blé, 

Ainsi c'était jadis sous le ciel constellé. 

Ainsi c'est maintenant, ainsi sera sans cesse. 

Tant qu'à leur tour, en vérité, 
Viendront le jour la nuit ; — car la Nature qu'est-ce ? 

Une unité!" 

Et puis après mille ans passés, voilà que l'Ombre 
Aux mêmes lieux descendit sombre. 

Et voyez I oh trônaient ce lac et ces beaux blés. 
Une mer écumait sur des sables salés. 
Au midi scintillant d'une vive étincelle ; 
Un pêcheur y jetait les rets de sa nacelle ; 
Que l'Ombre était surprise t . . . " Oh donc était le lac ? 
Oh les épis dorés ?" . . . Mais lui sur le tillac 
Le pêcheur, de son front étant des flots l'écume : 
" Autour de l'univers les eaux font un volume," 
A-t-il dit, " et la mer roule, roule toujours, 
Hier comme aujourd'hui dans son vaste parcours, 
Que me chantes-tu donc et d'épis et de plaines ? 
Les nuits aussi bien que les jours, 
L'homme cherche en la mer des poissons par centaines. 

Toujours î toujours I . . . " 

Et puis après mille ans passés, voilà que l'Ombre 
Aux mêmes lieux descendit sombre. 

Et les rouges rayons d*un couchant de soleil 
D'une vaste forêt doraient l'éclat vermeil ; 
Les arbres archi-vieux d'une archi- vieille mousse 
Etaient partout vêtus à la hauteur d'un pouce ; 



LÈS CHANGEMENTS DU MONDE. 

£t colline et vallon étaient aussi couverts 
De superbes gazons, ces manteaux toujours verts ; 
Un bûcheron chantait en abattant un chêne, 
L'Ombre Finterpella de sa voix souveraine : 
" Vieux ! te rappelles-tu les traces d'une mer 
En ces lieux oh surgit l'arbre de Jupiter?" 
Mais le vieux bûcheron : '* Si l'arbre séculaire 

Fait ici bas un temps d'arrêt, 
Ce n'est parmi les mers ; car qu'est-ce que la terre ? 

Une forêt I" 

Et puis après mille ans passés, voilà que l'Ombre 
Aux mêmes lieux descendit sombre. 

Et que vit l'Ombre alors ? Encor une cité, 

Mais d'ouvriers peuplée. Et pour vitalité 

Ayant dépôts, prisons, et marchés et gendarmes, 

Et cadavres vivants suant et sang et larmes. 

Oh I le triste tableau ! se dit l'Ombre soudain, 

Puis près d'elle avisant un homme sous sa main, 

Elle voulut se mettre en quête d'aventure 

Du pourquoi, du comment de si mauvais augure 

Qui de ces lieux jadis plaine, lac et forêt, 

Faisaient maisons de jeux, ou bien maisons de prêt ; 

Mais l'homme relevant son front usé de peine : 

" Changement dà ! non pas," dit-il, 
*^ La douleur chaque jour élargit son domaine 

Depuis l'an mil." 

" Assez !" quittant ce lieu dit l'Ombre : 
^^ Sans lendemain la terre est à présent bien sombre 
Car tous ses changements ont du sort des humains 
Modifié sans cesse les destins : 

Mais ce dernier coup de baguette 
Est le dernier mot du malheur. 
Science et vérité mènent à l'aveuglette 

L'homme au temple de la douleur l" 



6 les funérailles de moïse. 

Les Funérailles de Moïse. 

De Nébos près de la montagne 

De ce côté-ci du Jourdain, 
Du pays de Moab, seul, parmi la campagne, 

Gît solitaire un tombeau souterrain. 
Ce sépulchre isolé ne le creusa nul hbmme. 

Nul homme ne le vit jamais, 
Les Anges, on le lit dans le Deutéronome, 
Firent le lit du mort — l'y couchèrent en paix. 

Sous plus illustres funérailles 

Sous plus magnifique convoi, 
La terre ne sentit tressaillir ses entrailles. 
Non plus son sein battre de plus d'émoi. 
Mais la procession ne la vit aucun homme ; 

Sans bruit tout ce convoi se fit. 
Comme lorsque le jour s'éveille de son somme. 
Et que sur l'océan le grand soleil surgit. 

Sans bruit, ainsi que la nature 

Rajeunie à chaque printemps. 
Donne la clé des champs à la fraîche verdure, 

A l'arbre en fleurs, aux bourgeons renaissants ; 
Ainsi sans bruit aucun, sans un son de musique, 

Glissa silencieusement 
Cette procession du mont mélancolique 
Jusqu' au profond du sol lentement, lentement. 

Le vieil Aigle chauve sans doute. 
Des hauteurs du gris Beth-péor, 

Lui qui domine tout, qui tout voit, tout écoute. 
Vit ce spectacle et s'en souvient encor : 

Sans doute le Lion quand il court au carnage, 
Evite passer en ce lieu, 

Car le sublime oiseau, car l'animal sauvage 

Bien qu'ignoré de l'homme ont vu l'œuvre de Dieu. 






LES FUirÉBAILLSS DE MOÏSE. 

Quand le Guerrier clôt la paupière, 

On voit à Tentour du cercueil, 
En foule se pressant ses compagnons de guerre, 
Suivre à pas lents le pompeux char de deuil. 
Les tambours sont voilés— de sa voix de tonnerre 

Le canon gronde sourdement, 
Près de Tillustre mort s'incline sa bannière, 
Et son noble coursier suit le deuil tristement. 

Parmi les premiers de la terre 

Du Sage est placé le tombeau. 
Au Barde, à l'Ecrivain, au Poète, au Trouvère 

On donne aussi le marbre le plus beau 
Qu'on adosse au transept de la plus belle église 

Sous des écussons blasonnés. 
Où les riches reflets que le soleil tamise 
Descendent glorieux sur leurs traits burinés. 

Nul ne fut qui ceignit l'épée 

Si grand et si fameux que lui, 
Nul n'écrivit jamais plus divine épopée, 

Nul du Seigneur ne fut plus ferme appui : 
Et jamais, non jamais un enfant de la terre 

Ne traça de sa plume d'or, 
Sur la page immortelle, et ce, dans aucune ère, 
D'augustes vérités im plus riche trésor. 

De combien de grandeurs étranges 

N'est-il pas témoin ce convoi? 
Sur son lit de parade est veillé par des anges 

L'illustre mort ; son unique paroi, 
C'est le versant du mont ; de plus il a pour cierges 

Les mille et un flambeaux du ciel. 
Pour plumes des sapins les branches toujours vierges, 
Et puis la main de Dieu sur lui mettant son scel. 



8 LES KÉNUPHABS. 

De cette tombe merveilleuse 

Ce grand enterre sans linceuil 
Un jour, auréolé de splendeur lumineuse, 

S^élancera rempli d^un saint orgueil, 
Puis surgissant debout enveloppé de gloire 

Sur les monts qu'il ne vit jamais. 
Des nombreux rachetés devant tout Tauditoire 
H narrera de Dieu les immenses bienfaits. 

Du Moab tombe solitaire 

sombre mont de Beth-péor ! 
A nos cœurs curieux parlez de ce mystère 

Mais juste à point arrêtez en Tessor : 
Dieu seul possède en lui des mystères de grâce 

Que ne pouvons approfondir : 
Il les cache aux humains, comme il cacha la place, 
Oh sa main mit Moïse en secret pour dormir I 



Les Nénuphars. 

Venez lutins, venez ! gentiment attifées. 
Voilà qu'en nos vallons se rassemblent les fées. 
C'est que les nénuphars ont sur tous les étangs 
Dans les coins et recoins posé leurs petits bancs. 
Et là légèrement chacun place son vase 
Sur le sein palpitant de Teau qui flotte et jase, 
Happant les chauds rayons du soleil radieux 
Qui vient les féconder ces nénuphars heureux. 
Et d'une étoile d'or s'en vient doter leur couche. 
Etoile qui bientôt elle aussi fera souche. 
Et qui le nez au vent scintillant vers l'azur, 
Semble y chercher sa sœur l'étoile au front si pur. 
Venez lutins, venez ! nos mignonnes nacelles 
Ont rames de roseaux, ont voiles de dentelles, 
Et nous ferons pour vous amuser en chemin 
Une douce musique, un chant suave enfin, 



LA CITE INVISIBLE. 9 

Le soupir de la flûte ou la voix de la^ brise, 
Ou de la goutte d'eau tîaressaut le cytise. 
Venez lutins, venez I la vie est courte, car 
Un seul coup de soleil, c'est fait du nénuphar ! 



La Cite Invisible. 

Il est une Cité, Babylone invisible, 

Où dans des trous étroits, dans un coin impossible, 

Grouillent souventefois des êtres dits humains; 

Exilés du soleil, exilés des étoiles, 

De la lune bénie, ayant toujours des voiles 

Pour leur cacher Téclat des jours les plus sereins. 

Ce ne sont des bandits qui vivent formidables 
Dans ces antres sans nom, ces taudis misérables 
Oh Taraignée en haut aime à tisser son fil, 
Ob. les rats, les souris sous le lit font patrouille, 
Oh croasse, je crois, quelquefois la grenouille, 
Tant sale est le cloaque, humide est le chenil. 

Des vivants de ces lieux quels sont-ils les visages ? 
De la folie ont-ils les traits demi-sauvages ? 
RessemHent-ils enfin aux gens sans feu ni lieu, 
Qui, paresseux toujours, se vautrent dans Timmonde? 
Ou sont-ils les débris de je ne sais quel monde, 
Hejetés à Pécart de par la main de Dieu ? 

Quelles sont-elles donc ces viles créatures? . . . 
Ce sont les bras, les mains de nos manufactures ! 
L'église, le manoir sont clos pour l'ouvrier î . . , 
Sa Cité . . . c'est la tombe ... En dernier lieu la parque 
Loin des riches qu'il fit, honteusement le parque ... 
De ce peuple le nom quel est-il donc? . . . Millier ! 



10 CHAITT DS KAISSAli^CE ET OHANT DS HOBT. 

Chant de Naissance et Chant de Mort. 

CHANT DE naissance. 

VAnge de la Bienvenue, 

Salut I ô du Grand Tout atome qui s'éveille ! 
Sur le fleuve du temps toi jeune voyageur ! 
A toi salut, âme humaine, ô merveille ! 
A toi salut I à toi bonheur ! 

Chœur de Chérubma, 

Une vie a reçu naissance, 
Une vie a reçu naissance. 
Une vie est à son début ! 

Une vie a reçu le don de Pexistence 

Pèlerin de la vie à toi trois fois salut I 

Celui qui du néant sut évoquer la terre, 
Empiler monts sur monts, creuser le fond des mers. 
Qui du soleil au jour fit don de la lumière, 
A la nuit de bijoux étincelants et clairs, 

A Touragan et de foudre et d'éclairs. 
Te fit, dans la douleur, petite créatiu*e 

D'un peu de terre et de bismuth 
Belle comme les fleurs qu'étale la nature : 

Salut à toi ! salut I trois fois salut ! 

VAnge de la Bienvenue, 

Les cieux disparaîtront ainsi qu'une ombre vaine. 
Le soleil et la terre ayant rempli leur but 

Se dissoudront ; mais toi seule. Ame humaine ! 
Seras immortelle, salut I 

Chœur de Chérubins. 

Une vie a reçu naissance. 
Une vie a reçu naissance. 
Une vie est à son début ! 

Une vie a reçu le don de l'existence 
Pèlerin de la vie à toi trois fois salut ! 



GHAKT DS NAISSANCE ET CHAKT DE KOBT. 11 

Jeune immortel, salut I Lui devant qui les trônes 
Ne sont rien que néant, dont Timmense pouvoir 
Et du ciel à la terre et par de là les zones 
S^étend, seul immuable ainsi que son vouloir, 

Qui trône au ciel, source de tout savoir. 
Lui, TEtemel te fit, heureuse créature. 

Quoique mortelle à ton début, 
Une vie immortelle et plus belle et plus pure I . . . 

Salut à toi, salut, trois fois salut ! 

> CHANT DE MORT. 

L'Ange du départ. 
Oh I ne tWaisse pas humaine créature, 
Le bras de TEtemel sera ton protecteur ; 
Jette un regard en haut, ô âragile nature, 
Mets confiance en Lui, qui mourut sans murmure. 
Et qui du tombeau fut vainqueur. 

Chœur d^ Anges ministres des voUmtés de Dieu, 
Il est presqu^ achevé le travail de sa vie ! 

Le matin, le midi, le soir ! 
Unesouârance encor, d^un long soupir suivie, 

Et tout est dit ; il nVst plus à surseoir. 
Et sans plus de douleur alors s'éteint la vie. 

Adieu la vie I adieu I 
Bons amis il s'en va vers Dieu, 
Venez, de son regard il vous appelle encore ! 
Et vous enfants chéris de son affection, 
Approchez, recevez la bénédiction 

De ce père qui vous adore I 
Et toi fais un dernier effort. 
Hâte ton pas tremblant, toi qui fus son aimée. 
Dans ses jours de bonheur ; toi de pleurs abîmée. 
Toi fidèle jusqu' à la mort, 
Viens sur son cœur, Famitié t'y convie ; 
Dans un dernier baiser reçois son dernier vœu, 

Adieu la vie ! 
Adieu ! 



12 LB YSKT ST LA FEUILLE, OU L'ENLÈYEMENT. 

L'Ange du départ, 
A toi salut, Esprit, dégagé de tes langes, 
Viens visager enfin ton divin Rédempteur, 
Viens Immortel, ta place elle est avec les anges. 
Avec les chérubins, les saints et les archanges 
Incline-toi : c*est le Seigneur ! 

Chœur d* Anges ministres des volontés de Dieu, 

C'en est fait I est fini le travail de la vie ! 

Et maintenant TEsprit joyeux 
A quitté son argile, et foule avec envie 
Du bel azur les versants lumineux, 
Qui conduisent au ciel Tâme à jamais ravie ! 

Joie à toi bienheureux ! 
Oh ! devant toi lève les yeux, 
Vois, c'est le paradis, sens-tu sa douce brise. 
De ces anges vois-tu la phalange là bas. 
Les vois-tu tous en foule accourant sur tes pas ? 
Elus de la terre promise 
Ils viennent dans un saint transport 
Toi vainqueur du péché saluer ta venue, 
Et par des hosanna chanter ta bienvenue, 
Toi fidèle jusqu' à la mort ! 
Ici la paix a son apothéose. 
Aux douleurs, aux péchés du monde on dit adieu : 

L'Esprit repose 
En Dieu I 



Le Vent et la Feuille, ou L'Enlèvement. 

SONNET. 

Mesdames, oyez moi, je vais en raccourci 
Vous narrer un roman aussi vrai que l'histoire. 

A la feuille le vent contait fleurette ainsi : 
Eveille-toi, ma chère, et sans t'en faire accroire. 
Viens de suite avec moi, j'ai passé, Dieu merci. 
Sans me laisser tenter, et c'est bien méritoire, 



l'espeit fait la noblesse. 13 

Devant un vaste champ de roses dans leur gloire, 
Mais à toi j'ai pensé; — viens donc sans nul souci I 
Tes sœurs, tes sombres sœurs dorment dans la rosée, 
Ne voudrais les frôler de mon aile alizée, 
Mais toi la belle, et moi friand de tes appas. 
Etions faits V\m pour l'autre — ainsi prenons la fuite. 

La feuille consentit. Oyez la triste suite : 

Le lendemain la vit foulée aux pieds. . . . Hélas I 



L'Esprit fait la Noblesse. 

Jadis dans les vieux temps de féodalité 
Où la force du bras était une puissance, 
Quand joutes et tournois seuls gagnaient la Beauté, 

Que le reste était impuissance : 
Qu'on n'était vertueux que quand on était fort, 
Qu'assujettir un peuple était une prouesse 
Qui vous faisait du coup héros .... triple sabord I 
Oui, la force était la noblesse I 

Mais alors que lassé du train-train Chevalier 
Le monde fut courir sus à l'amour du lucre, 
Que la force brutale et le brutal acier 

Durent tous deux se fondre en sucre ; 
Le rude travailleur, celui qui sut le mieux 
Utiliser son temps, car le temps c'est richesse. 
Obtint l'or et le rang^ — insignes précieux. . . . 

Le similor de la noblesse I 

Or la force brutale ayant son coup de bas, 
Il £ftut que l'ait aussi la stupide opulence ; 
La raison s'éveillant, de tous nos parias 

Réveillera l'intelligence : 
Et Ton verra surgir une fraternité 
Qui fondra l'univers en une seule espèce. 
Et qui fera sentir à notre humanité 

Que sang pur — vaut mieux que noblesse I 



14 LE LIT DE MORT d'uN ElTFANT. 

Au ciel porte tes yeux, Toi qui des oppresseurs 
Fus dans tous les pays la proie et la victime, 
C Vt par Taffliction que se font les grands cœurs 

Que des cieux on touche à la cime i 
Connais bien ton poi^voir t sache garder ta foi, 
L^avenir t^appartient, reçois en la promesse, 
Et ne fais le pied plat devant Seigneur ni Roi, * 

Car TEsprit seul fait la noblesse ! 



Le Lit de Mort d'un Enfant. 

Les fleurs meurent, maman, là haut sur la colline ; 
Quelque chose, ne sais, rend mon âme chagrine ; 
Elles moururent bien Pan dernier, mais aux bois 
Je ceuillis la châtaigne — ^au verger pomme et noix. 

Mais maintenant je suis trop faible, bonne mère, 
Je m'en vais oïl la fleur n'a plus rien d'éphémère : 
De mon lit cependant folâtrant j'apperçois 
La feuille que le vent vient d'enlever aux bois. 

Le cricri du foyer toute la nuit dernière 

M' empêcha de fermer un instant la paupière ; 

Bercé par le tic tac du triste balancier 

Je rêvai que la mort montait notre escalier. 

Je vois venir l'hiver avec son froid cortège, 

Moi je serai là haut à l'abri de la neige ; 

Mais vous serez bien seule alors, chère maman. 

Ah I pourquoi pleurez-vous ? . . . Vous le savez un an 

N'est pas encor passé, que mourut le grand père, 
Et j'ai pleuré sur lui quand je vis qu'en sa bière 
On lui creusait en terre un lit aussi profond, 
Et qu'il ne pourrait voir sous un si lourd plafond ; 



LA CHANSON DU CEBISIEB. 15 

Et VOUS, TOUS m^avez dit : ^^ Au delà des nuages 
Il existe un Royaume habité par les Sages, 
Dans un jour étemel gouverné par un Roi 
Bien bon, où nous irons peut-être vous et moi." 

Et dites-moi, maman, pensez-vous que grand père 
Soit dans son grand fauteuil avec ses yeux de verre, 
Sa bible et son sourire, et quHl me dise à moi, 
Petit, viens m'embrasserî comme avant son convoi? 

J ^allais aussi le voir mon petit camarade 
Alfred, il était mort, et même un peu maussade, 
Vrai I car il me bouda, moi Tami de son choix I 
Mais il sera content de me revoir, je crois 



Le vieux César aussi, mais vous m^avez dit, mare, 
Qu*un chien ne peut aller où je vais .... c^est misère I 
Ce serait si gentil de le voir caressant 
Vers moi, comme autrefois venir eu bondissant. 

Mais maman votre cœur, je le sens qui se brise, 
C^est vrai que c^est bien triste et le vent et la bise ; 
Les feuilles et les fleurs auront vécu demain : 
Mais nous en reverrpns là haut, j^en suis certain. 



La Chanson du Cerisier. 

Au réveil du printemps, Dieu dans sa bienveillance 
Dit : " Allez, préparez la table pour le Ver." 
Et sitôt qu'il a dit, le Cerisier commence 
A jeter par milliers ses feuilles en plein air. 

De son œuf protecteur soudain le Ver s^éveille, 
Point n'a senti le ûroid dans sa maison d'hiver, 
A peine encor sait-il ou s'il dort, ou s'il veille, 
Qu'il se sent faim, et ronge avec sa dent de fer. 



16 LA. CHANSON DU GERISIEB. 

Et cependant quMl ronge ou plutôt qu^il triture 
La feuille jeune et verte, appétissant trésor, 
" Qu'elle est bonne," dit-il, " cette tendre pâture ! 
Le mois de Mai pour moi c'est un vrai fructidor!" 

Et de nouveau Dieu dit : ^^ Maintenant à TAbeille ! 
Allez, et préparez pour elle un doux festin." 
Et le vert Cerisier d'étaler sa corbeille 
De blanches fleurs, doublée en superbe satin. 

Et sitôt le matin, au lever de Taurore 
La diligente Abeille à ce charmant aspect. 
Dit : ^' Voilà le café qui toujours me restaure. 
Et se présente à moi sans impôt indirect. 

Cette tasse est charmante, et blanche comme neige," 
Puis d' y plonger sa trompe et d' y boire à gogo : 
" Le sucre est bien meilleur que celui du collège," 
Dit-elle, " et le tout vaut bien mieux que le coco !" 

A peine est né l'été que soudain Dieu commande : 
** Le banquet des Moineaux servez le maintenant !" 
Soudain le Cerisier se forme une guirlande 
De superbes fruits mûrs et d'un rouge charmant. 

Et le Moineau de dire en son gentil langage : 
" C'est bien pour moi ceci, dînons et crânement. 
Cela me donnera du nerf, et mon ramage 
Aura plus de douceur indubitablement." 

L'automne arrive après, et Dieu de dire encore : 
" Allez et desservez I Tous ont été repus ! " 
Et le vent froid sévit de son souffle sonore 
Et de la plaine au mont jette ses cris confus. 

Cependant que la feuille est fanée et puis tombe ; 
L*arbre qui la porta de nouveau devient nu ; 
Tout retourne à la terre, en cette vaste tombe ; 
Tout s'engloutit hélas ! Et ni vu ni connu ! 



ATJ SQUELETTE AETTCULÉ b'tJN PIED DE FEMME. 17 

Survient enfin Thiver; encore Dieu commande : 
" Assez ! gardez le reste et bien soigneusement î " 
A cet ordre l'hiver jette sa houppelande 
Sur la Nature ... et puis s'endort complètement ! 



Au Squelette Articulé 

d*un pied de femme, exposé à l'étalage du cordonnier Doivie^ nu 
quel les vers originaux fiirent envoyés anonymement. - 

Triste fragment sans chair d'une taille de fée 
Bijou de la nature, et son dernier trophée, 
De la vie échauffé naguère par le feu, 
Quelle profane main t'infligea la parure 
D'un soulier de cristal, d'un soulier sans couture 
Pour te faire honnir, ou louer en tel lieu ? 

Du grand œuvre de Dieu l'observateur intime. 
Admire en toi le goût de l'ouvrier Sublime 
Mille fois plus cncor qu' alors que pied mignon 
Dans un salon, le fat suivait tes faits et gestes, 
Proclamait et bien haut tes entrechats . . . célestes. 
Te dardant de son œil incrusté d'un lorgnon. 

Que tous ces mirmidons dont l'art consiste à faire 

La démarcation de poussière à poussière 

Devinent si ton rang fut noble ou plébéien ? 

Ils ne le pourront prou — ^le Dieu puissant et sage 

A tous également a donné son image, 

C'est l'homme seul qui fait les Rois, les gens de rien 1 

Peut-être trônais-tu jadis en grande pompe 
Dans des salons dorés, — mais non pas! je me trompe. 
Les cadavres pourris des Grands et des Heureux 
Sont logés dans le marbre, et loin de la roture 

c 



18 PHILIPPE ! ô MON ROI ! 

De vers de qualité deviennent la pâture . . . 
Des vers de terre fi l^-c^est là le lot des gueux ! 

Peut-être foulab-tu plus modeste pelouse, 
Qu^un quidam te promit le nom sacré d^épouse 
Pour mieux te détourner du droit chemin, hélas ! 
Peut-être qu^en louant ta cambrure, ta grâce, 
H V& conduit ainsi dans un vilain impasse 
Où la vertu s^égare et tombe dans des lacs. 

Peut-être à Topera ton parfait mécanisme 

Sur le public a-t-il jeté son magnétisme, 

Lorsque tu t^escrimais avec crâne vigueur, 

Faisant vibrer les feux de ton immodestie. 

Aux regards éhontés donnant la répartie 

Lorsque des milliers d^jeux dardaient sur ta pudeur ! 

De ce pied immobile où maintenant est Fâme 
Sur cet être inconnu qui distillait sa flamme ? 
La partie immortelle en queUe région 
Est-elle en ce moment ? . . . Est-elle dans la gloire? 
Ou la mort éteint-elle à jamais la mémoire ? 
Noble et vaste sujet de méditation ! 



Philippe I 6 mon RoiI 

Avec tes yeux châtains si grands, regarde moi 

Philippe ! ô mon Roi I 
Car à Fentour de toi resplendit Fopulence 

Des dignités royales de Tenfance. 
Sur mon cou maternel pose ta douce main, 
Sceptre invisible encor d'un amour souverain ; 
Moi je suis ton Esther, à tes ordres somnise, 
Jusqu'à ce que vers toi s'avance la Promise, 

Philippe ! ô mon Roi I 



k 



A MA FILLEULE ALICE. 19 

Quand tu feras ta cour, l'œil brillante d'émoi, 

Philippe ! ô mon Roi ! 
Quand brisant les verroux, le cœur entre deux fièvres, 

Imploreront tes purpurines lèvres, 
Couronné par Tamour tu régneras vainqueur, 
Asseyant ton pouvoir sur quelque tendre cœur, 
Oh ! régis doucement, crois-moi, ton beau royaume. 
Femmes ! nous aimons tant, Tamour est notre psaume ! 

Philippe ! 6 mon Roi ! 

De ta bouche à ton front te regarde, et j'ai foi ! 

Philippe ! ô mon Roi I 
J'y découvre l'esprit qui, brûlante lumière, 
Sous son éclair subjuguera la terre; 
Mon Saul, mon David que je te voie un jour 
Des mortels le premier dominer à l'entour ; 
Et cependant ton front réclame une couronne 
Plus belle encore alors que le péril la donne . . . 

Philippe ! ô mon Roi ! 

Une couronne d'or I — ^non ! de palmes pour toi 

Philippe 1 ô mon Roi 1 
C'est le sort de fouler un sentier plein d'épines, 

Et de marcher à travers les brumes; 
Rebelles en dedans, ennemis au dehors. 
Tâcheront de happer et ton âme et ton corps ; 
Mais glorieux martyr ris-toi de ces phalanges. 
Lors au trône de Dieu viendront porter les anges 

Philippe ! le Roi ! 



A MA Filleule Alice. 

AucE, ma petite Alice, 
A peine baptisée et déjà mon délice ! 

Peut-on trouver rimes jamais 
Capables de chanter ton idéal si frais, 
Et d'exprimer les voeux que pour toi fais Alice, 
Ma perle, mon bijou, mes amours, mon délice ! 

c2 



20 A MA FILLEULE ALICE 

Certes AÛce un nom si doux 
Est charmant présage, entre nous, 
J'y vois de mélodie un admirable indice, 
Alice . . . Damoiselle Alice I 

Alice, ma petite Alice I 
Un jour puisses-tu d'or devenir un calice, 

De sainteté plein du nectar, 
Et débordant à flots, laissant couler un nard 
De bénédictions, chère petite Alice ! 
Dans ce moment alors, il faut dans le calice 

Pour moi laisser un résidu, 

A ton parrain c'est trésor dû, 
Il faut le lui donner, et ce, sans subreptice, 

Alice . . . Damoiselle Alice ! 

Alice, ma petite Alice I 
Puisses-tu devenir un sublime édifice, 

Un palais tout brillant d'azur 
Du plancher jusqu' au toit resplendissant d'or pur, 
Tandis que des pensers la divine milice 
Comme anges fi*anchiront du palais l'orifice ; 

Quand de ce, je serai témoin, 

Gkurde-moi dans ton cœur un coin, 
Ne veux qu'un petit coin, pour mon seul bénéfice 

Alice . . . Damoiselle Alice ! 

Alice, ma petite Alice ! 
Si mon vers peu d'aplomb tombe, n'en prends notice 

Les charmants échos de ton nom 
A mes humbles pensers devraient donner renom. 
Pourtant mes rimes, vrai, ce n'est pas par caprice. 
Amènent dans mes vers le gentil nom d'Alice 

Comme un nom agréable à Dieu ; 

Alice, aussi, voici mon vœu : 
Puisse en toi le bon Dieu se créer un calice, 

Jusqu' au dernier toujours . . . Alice ! 



LE LIEBBE. 21 



Le Li£RR£. 

Un gracieux, jeune et beau lierre 
D'une ruine était Fassidu protecteur, 
Contr'elle quand le vent déchaînait sa colère, 
De ses bras vigoureux il enlaçait son cœur. 

Quelque temps la vieille ruine 
Pimpante se targua de son nouveau printemps. 
Mais cœur de pierre est froid, le lierre, j'imagine, 
Vit que Ton dédaignait ses vifs embrassements. 

Cependant il passe Téponge 
Sur ce travers humain, et fort de son amour, 
Il s'y cramponne ferme, il s'étend, et s'allonge 
Lui formant de ses bras un magnifique atour. 

Un soir autour de la ruine 
(C'était au temps d'hiver), que vents et que frimas 
Soufflaient, — d'un doux esprit gémit la voix divine 
Sur cet amour si pur souriant au trépas ; 

Mais las ! cet avis prophétique 
Ne fut point entendu, ne fut d'aucun secours. 
Et plus il s'approchait le moment fatidique. 
Plus de ses bras le lierre étreignait ses amours. 

n portait la ruine encore 
Quand un son s'entendit crescendo, morendoj 
Qui filait à travers chaque voûte sonore, 
C'était son glas funèbre et dernier mémento. 

Cette chère vieille ruine 
Chancela, puis tombant, s'afiaissa tout à coup, 
Elle narguait le temps vu sa haute origine, 
Clochers et clochetons rien n'en resta debout. 



22 L£ SERMEKT DU MARIAGE. 

Et maintenant ce pauvre lierre 
Modèle des amants et des cœnrs incompris, 
Gît sous ce lourd fatras de débris, de poussière! . . . 
Puissé-je aussi mourir quand mourront mes amis! . . . 



Le Serment du Maruqe. 

Ne le fais pas légèrement ! — c^est chose sainte ; 
C'est un lien qui dure à travers de longs jours, 
Soit que flotte la joie à ton foyer toujours, 
Ou soit que du malheur tu ressentes Fétreinte, 
Là haut rinscrit pour toi Fardente charité. 
Compte en sera tenu durant Fétemité. 

Ne le fais pas légèrement !— c'est chose sainte ; 
Bien que jeimes, joyeux viennent autour de toi 
Et rire et plaisanter, garde la bien la foi 
De ce jour solennel sans y porter atteinte ; 
Et que vive et sacrée elle trouve en ton cœur 
Un tabernacle saint, un abri protecteur. 

Ce n'est pas tout soleil que l'humaine existence. 
Le jour le plus brillant a la plus sombre nuit. 
Et si le noir chagrin vient en votre réduit 
Saurez- vous tous les deux supporter sa présence. 
Saurez- vous vous aimer comme en ces premiers temps 
Oïl pour vous l'avenir n'était rien que printemps ? 

Ces yeux vifs aujourd'hui, demain les voilà ternes, 
Ce teint de rose peut perdre tout son éclat, 
La pâleur remplacer le plus bel incarnat, 
La douleur y creuser des stigmates externes : 
Alors ce front changé, naguère votre orgueil 
L'aimerez-vous encor maintenant dans son deuil ? 



L'éporsiÊs-séMOK. 28 

Si sur YOUfi la fortune aveugle se déchaîne, 

Et si votre nacelle^ encor âîngante hier, 

Aujourd'hui par les vents est jetée à la mer, 

Que vers le noir abîme un courant vous entraîne, 

Leverez-vous en haut la tête vers les cieux, 

En disant : " Aârontons le coup de vent tous deux !" 

Doucettement vient l'âge avec cheveux de neige, 
Avec rides au front, et des pas chancelants, 
Lèvre pâle, et des yeux veufs de rayons brillants, 
Et des infirmités le déplaisant cortège : 
Alors penserez-vous à vos jeunes printemps. 
Afin qu'amour pour vous triomphe encor du temps ? 

Ne le faites l^èrement ! . . . c'est chose sainte, 
Ce serment ... il n'est pas un mot vide de sens, 
Hommes, anges, voyez ! écoutent vos accents, 
Le bon Dieu les entend de son auguste enceinte : 
Agenouillez- vous donc, époux, à son autel, 
Et gardez à jamais ce serment solennel I 



L'Epousee-Dbmon.* 
Dans ces temps justement nommés la nuit des âges. 

De l'Allemagne au pays merveilleux, 
Dans une chambre obscure au plus haut des étages 
Près d'un plateau taché d'un sang cadavéreux, 
A la main le scalpel rouge de ses carnages, 

Se tient là froid le disséqueur, 
Prêt à fouiller un crâne, ou bien sonder im cœur. 

Il était déjà tard, — si que ses camarades 
Etaient partis. Seul devant le plateau 
Avec étonnement le virent les Pléiades ; 

* Trouvé dans les papiers d'un médecin. 



24 L'ÉPOUBÉS-séMOir. 

Cependant que rêveur de son front perlait Feau, 
Que des éclairs sortaient de ses regards malades , 

Reflets d*un bien cruel chagrin 
Qu^il ne permettait voir par aucun œil humiûn. 

De vers Tacre de Dieu, là bas au cimetière 

Avait été porté son seul espoir ; 
Le cœur pur de Tamante, un puits d^amour sincère, 
Avait été tué par le froid désespoir : 
Et maintenant là bas elle gisait sous terre, 

Parce que les siens orgueilleux 
Avaient refusé net le jeune honune amoureux. 

Sur ce hautain refus la pauvre DamoiseUe 

Lors s^affaissa comme ime fleur sans eau ; 
Son amour refoulé, tout dépérit en elle. 
Si qu'elle s'endormit bientôt dans le tombeau, 
Et des anges là haut devint la sœur jumelle. 

Lui, pour distraire son chagrin 
Se mit à farfouiller le détritus humain. 

Soudain le jouvencel lève la draperie 

Qui recouvrait un vol fait au tombeau ; 
Jamais près d'un cadavre il n'eut de rêverie. 
Car son cœur est d'acier, pour lui rien n'est nouveau ! 
Le voilà cependant ému, sans menterie, 
Et puis il se tient coi, c'est clair. 
Comme un ruisseau glacé par le souffle d'hiver. 

Git là devant ses yeux, morte, mais belle encore, 

Une qui fut échantillon charmant 
De la fraîche beauté qu'en ce monde on adore, 
Le bijou précieux de quelque jeune amant ; 
Sur sa face rosée était comme l'aurore 

De cet incarnat enchanteur 
Qui d'une jeune vierge annonce la pudeur. 




L'iPOUSEE-DéMON. 25 

Ses cheveux descendaient en magnifiques tresses 

Sur sa poitrine, et lui voilaient le sein. 
Ses lèvres provoquant aux plus douces caresses, 
Ivres d*amour étaient comme rouges de vin: 
Ses bagues, ses joyaux scintillaient de richesses, 

C'était de Tor, et du plus pur, 
Escarboucle éclairant, illuminant Tobscnr. 

Le cadavre était-il donc hanté d'aventure. 

Ou bien la chambre, ou ma foi tous les deux ? 
Car de ce jouvencel immobile est Fallure 
Et ses yeux flamboyants ont de singuliers feux ! 
n semble que sa chambre ait changé de nature, 

Que rétabli du disséqueur 
Soit devenu soudain un boudoir enchanteur. 

Des rideaux de damas pendaient à la fenêtre, 

On distinguait et pendule et flambeaux; 
L'âtre vrvace encore ajoutait au bien-être ; 
Le plateau paraissait un lit et des plus beaux. 
Comme ces lits anciens taillés de bois de hêtre 

Tout garais d'oreillers moelleux. 
Qu'avec tant de plaisir grimpaient les amoureux. 

Voluptueusement sur ce lit de parade 

Se prélassait la superbe beauté. 
Les yeux en feu, la bouche appelant l'accolade. 
Et le sein palpitant d'amour, de volupté. 
Le cœur du jouvencel lors battit la chamade. 

Et dans ses désirs amoureux 
Il rêva ce bonheur que l'on n'obtient qu'à deux. 

*' Du bienheureux Eden, dis, es-tu donc venue 

Pour adoucir ma cuisante douleur ? 
Toi qui fus mon amour, ô ma belle perdue ! 
Oh ! toujours désormais ser^s près de mon cœur 4 
Le ciel rend le bonheur à mon âme éperdue, 



26 LES PETITES CHOSES. 

Et les beaux anges du bon Dieu 
Célèbrent notre hymen par de là le ciel bleu ! " 

Pantelant il tomba sur son cou diaphane, 
Puis sur sa lèvre il mit baiser de feu ; 
De ses bras enchanteurs ainsi qu^une liane 
Elle Tenveloppa comme pour un adieu, 
Mais froids étaient les bras de la belle Sultane. 

Lui, sous rëmoi d^un tel bonheur 
Eperdu s^aâQsdssa, puis se fondit son cœur. 

Tjorsque le lendemain pour éclairer la terre 

Vint le soleil, — près la vierge-démon 
Raide le disséqueur, cet amant téméraire 
Gisait silencieux, — n^était plus que limon, 
Et la mort sur son front gênait son rosaire. 

Depuis ce temps le disséqueur 
Près de son épousée est, et dort cœur à cœur. 



Les Petites Choses. 

Un voyageur par un chemin poudreux 
Sur la route épandit un jour des glands de chêne. 

L'un d'eux prit germe, et poussa plantureux. 
Et devint un bel arbre, ornement de la plaine. 

L'amour, le soir sous son contour heureux, 
Vint à la dérobée y gazouiller ses vœux ; 

Vers le midi sous son puissant ombrage, 
La vieillesse se plut abriter son grand âge. 

Le loir aimait y creuser son manoir. 
Dans l'été les oiseaux y trouvaient leur dortoir, 

De son quartier c'était la gloire. 
Et chacun bénissait son ombre învitatoire. 

Un frais ruisseau, gentil et gai causeur. 
Un jour s'était perdu sous l'herbe et la fougère, 



LES PETITES CHOSES. 27 

Un étranger, — ^iin brave voyageur 
Passant par là creusa pour le besoin vulgaire 

Un puits profond, et puis il le mura, 
Et puis y suspendit cuillère et cœtera. 

Faisant ainsi ce métier de manœuvre, 
Notre homme ne pensait faire une bien belle œuvre. 

n se disait : " Peut-être au travailleur 
Ce puits pourra servir dans un jour de chaleur "... 

Eh bien ! chacun à son envie 
Y but ... à des milliers ce puits sauva la vie ! 

Un doux rêveur se promenant un jour 
Par son chemin laissa tomber une pensée. 

Par un chercheur qui*creusait son labour 
Pour le bonheur du monde elle fut ramassée; 

Elle était vraie, et forte d'argument, 
Et sa clarté servit bientôt d'enseignement : 

D'abord petite, elle grandit sublime. 
Et des monts les plus hauts illumina la cime ; 

Devint falot — phare étendit son feu 
Sur l'univers entier, ainsi que l'œil de Dieu ; 

Et son immortel météore 
Sur le système humain domine et trône encore ! 

Un inconnu, sans nom, sans feu ni lieu, 
Quotidiennement flânant son existence 

Dans le bazar ; laissa dans ce milieu 
Tomber un mot d'amour . . . d'indicible espérance : 

Chuchotement à la foule jeté, 
Un souffle passager, — mais bientôt accepté : 

Car ce doux mot, im vif jet de lumière, 
Des horreurs du péché fut relever un frère I . . . 

Par le hazard pensée éclose au jour, 
Oh ! germe ! oh I fantaisie ! oh ! parole d'amour ! 

N'aviez d'abord une coudée . . . 
Sur le monde aujourd'hui vous dominez . . • idée ! 



28 LA MOBT ST LE OUEBRIEB. 



La Mort et le Guerrier. 

" Sur un front noble et fier porte ton blanc panache, 
C'est ça, Guerrier, vite, arme-toi, 
Je suis Seigneur, — ^mais de la Tombe, Moi, 
Et ne crains ton épée, encor moins ta rondache ! 

^* Dis adieu, jeune Chef à Tobjet de ta flamme, 
Dis-lui de calmer son émoi. 
Tu viens, vois-tu, demeurer avec moi. 
Son chagrin passera comme un rêve de Tâme. 

*' Ta nef peut s'élancer sur k^mer écumante, 
A travers champ ton palefroi, 
Ils vont tous deux, fidèles à ma loi 
Te porter vers un lieu de sommeil, et d'attente!" . . . 

" Cette voix que j'entends, est-ce ta voix, ô Mort ! 
Et mon heure est-elle si proche ? 
Du champ d'honneur, alors mon cœur s'approche, 
Puis à ce cri : * Victoire!' il s'éteint sans effort. 

^' Et quand je tomberai les notes du clairon 
Sonneront fanfares guerrières, 
Et sur ma tombe on verra les bannières 
Doucement s'incliner, — majestueux fleuron. 

" Bien des cœurs valeureux envieront si beau sort. 
Et quand le barde de ma tombe 
Dira le lieu, — les yeux de ma colombe 
Verseront des pleurs ;-^va, je ne te crains pas, Mort!" 

" Tu portes, ô Guerrier le cœur hautain d'un brave . . . 
Je vais abattre ton orgueil ! — 
Peux-tu savoir quand j'ouvrirai ton deuil 
Si tu seras alors héros ou bien esclave ? 



mfE IDEE OOKSOLAjrTE. 29 

" Et ne se peut-il pas qu'au camp de l'Infidèle 
Et sous les chaînes du Tainqueur 
Je ne te prenne engourdi de douleur . . . 
Car j'ai des moyens sûrs de mater un rebelle !*' . . . 

" Oh ! s'il en est ainsi, malheureux est mon sort, 
La ûitalité le domine ; 
Mais vois ... la croix brille sur ma poitrine, 
Avec si noble signe on peut te braver, Mort ! 

" J'embrasse de tout cœur ta cause ô Saint Tombeau ! 
Sonne clairon, sonne trompette. 
De toi mon Dieu la volonté soit faite ! 
Je te défie ô Mort et nargue ton niveau ! '* 



Une Idée Consolante. 
Ne désespérons pas de l'himiaine nature. 

Un rayon de lumière pure 
Vacille malgré tout dans le plus sombre esprit : 
Le sauvage guerrier et le sage érudit 
Sont liés l'un à l'autre, et cela, sans lacune 
Par la fraternité de l'amitié commune: 
Ne désespérons pas, ne désespérons pas : 

Car dans ce monde étrange 
On ne pourrait trouver un cœur placé si bas 
Qui n'eut parfois quelque chose de l'ange. 

Au sortir de la mine elle est peu belle à l'œil 

La pierre brute en son linceuil, 
Et cependant caché dans son sein, dans ses veines 
Existe à l'état pur le marbre des Cévennes. 
n est peu de rochers qui n'aient sur leurs sommets 
Si dénudés qu'ils soient, quelques joUs duvets : 
Ne désespérons pas, car dans ce monde étrange 

Se cache à tous les yeux 
Sous le plus vil charbon le bijou précieux . . 
Nous avons tous quelque chose de l'ange. 



80 UlTE IDÉE CONSOLANTS. 

Dans toute et chaque chose est un intérieur, 

Un abîme, une profondeur 

Où Dieu cache à travers les fenêtres de Tâme, 

Des maux et des chagrins le merveilleux dictame. 

Dans chaque cœur humain il existe un accord 

Qui vibre à l'unisson, et sans le moindre effort. 

En vain le cœur pervers par une erreur étrange 

Veut-il dissimuler 

Tous ses bons sentiments ; — un rien vient dévoiler 
Qu'il est en lui quelque chose de Pange. 

Méprisés, abaissés, il est de pauvres cœurs 
Abrutis sous tous les malheurs. 
Qui vont, aveugles nés à la douce lumière 
Que le bon Dieu fait luire au de là de la sphère : 
Les pauvres ahuris ils ne devinent pas 
Que la vie est encor par de là le trépas ; 
Dieu ! puisse votre main la guider leur phalange, 

Et leur montrer bientôt 
Que la vie ici bas est un vaste entrepôt. 
Ou chacun a quelque chose de Tange. 

Dieu sait que quelques uns sont méchants et sont faux, 

Et cependant à leurs défauts 
Dieu toujours compatit en sa miséricorde. 
Frères, ferons-nous moins que le Dieu de concorde ? 
Le peu que nous avons, sachons le partager. 
Au pauvre ouvrir sa main n'est-ce pas ménager ? 
L'amour est un mystère, est un mystère étrange, 

n sait donner toujours, 
Et vient prouver à tous par son puissant concours 
Que nous avons quelque chose de l'ange ! 



LA BOUE DES FLEVBS. 31 



La Roue des Fleubs. 

'* Chaqae fleur sur la terre joue. 
Et sur le jour, le mois gliaee galment sa roue.*' 

VieUle chanion. 

SuB la terre les Fleurs quand vient leur jour de noce 
Savent se pavaner toutes dans leur carosse, 

Et tout d^abord d^une entière blancheur, 
Dès le jour de la Chandeleur, 
Bravant les vents et leur cortège. 
Surgit la tendre Perce-neige, 
Tandis que le Glaucus fier de son manteau d^or, 

Rapidement prend son essor 
Pour aller en conter à sa gente Glycère, 
A la naïve Primevère 

Qui fleurit le matin 
Du jour de la Saint Valentin. 
Puis vient doucement TAsphodèle 
A côté du Cresson des prés, 
Non loin de cette fête où chaque cœur fidèle 
A Notre Dame vient présenter ses souhaits; 
Puis pour Saint George alors qu'il est de Tétiquette 
De ne porter rien que du bleu, 
Du soleil sous le feu 
Bleuit soudain la gentille Clochette ; 
De même que le jour dit de la Sainte Croix, 
Le trois mai, se gaudit la Renoncule aux bois. 
A la Saint Barnabe, des jours le jour de fête, 
Où le jour sur la nuit vient asseoir sa conquête, 
Dans le foin, humblement, fleurit sous le ciel bleu 

L'Œillet de Dieu. 
Orgueil du jardinier en son genre un artiste, 

Fleurit vers la Saint Jean Baptiste 
Noble Jérusalem ta magnifique Croix 
Portant et Pécarlate et la pourpre des Rois. 



82 LA BOUE DES FLSUBS. 

Vers le temps où Swithîn des saints le plus humide 
Sur nous verse son urne et bien souvent 1& vide, 
Trône le Lis, le Roi des fleurs ; 
Et fiers de leurs rouges couleurs 
S^élance des Pavots Tëlite, 
De vertu rappelant un noble parangon, 

Le sang de Finfemal dragon 
Versé par Sainte Marguerite. 
Lors pimpante et coquette à tout donnant le ton, 
La Rose sort de son bouton, 
Devant les passants rougissante. 
Pour Madeleine . . . repentante, 
Jusqu* au jour où (je ne dis pas des riens). 

L'on fête Saint Pierre-ès-liens, 
Quand le long blé de quelqu' éclat qu'il brille 
N'en sent pas moins trop fort la Camomille. 
Quand Marie ici bas nous a fait ses adieux. 
Virginale, fleurit la blanche Clématite ; 

Cependant que du haut des cieux 
Pour Saint Barthélémy le soleil radieux 

En guise d'eau bénite, 
Verse ses rayons d'or brûlant de mille feux. 
Doucettement après quand de la couleur d'ambre 
Se pare le soleil, au début de Septembre, 
Pour rappeler à notre attention 
De la Croix 1' Exaltation, 
Fleurit la sainte fleur dont le noble calice 
Contient les instnunents de l'auguste supplice, 

La fleur du Christ et de la Passion. 
Sous un amas de morts sortant de sa guérite 
Trône et fleurit la Reine Marguerite, 
C'est le dernier enfant du ciel 
Qui sur la terre vient pour fêter Saint Michel, 
Et reste debout et vivace 
De Dieu certes de par la grâce, 
Jusqu' à Saint Jude et Saint Simon 
Qui d'Octobre tous deux enrayent le timon ; 



CHANT FUNEB&E. 33 

Hormis les Champignons et des Fongi la race 
Qui sortent de la terre, et par chaque crevasse, 
Innombrables tous les matins, 

Ponr fêter . . . Tous les Saints ! 
Bientôt on ne voit plus lorsque point Catherine 

Aucune fleur, 
Mais bien le vert Laurier, — ^le laurier du vainqueur, 

Qui sur un front savant fascine ! 
Et puis encor les grains et du Lierre et du Houx 

Qui semblent dire : "Enfants ! amusez- vous ! 
Du gai Noël voici venir la bûche, 
Sortez Fcde du muid et le pain de la huche. 
Du monde entier buvons la santë vertuchoux ! '* 



Chant Funèbre. 

Oui les plus nobles corps ne sont, chose avérée, 

Rien autre qu^argile dorée. 

DépouîUez-les de leur enduit, 
Otez-leur seulement Técorce qui reluit. 

Que reste-t-il de leur nature ? 

La pourriture ! 
Les Rois qui dans la vie osent poser en Dieux, 
Que sont-ils dans la mort ? . . . Tout comme nous des gueux ! 
Ce Roi sur mille Rois qui dominait naguère 
Est le vassal des vers qui grouillent dans sa bière, 

L^un sans façon s'escrime dans son œil, 
Cherchaut les diamants qui firent son orgueil, 

Tandis que la main Porte- sceptre 
Est forcement inerte étant la main d'un spectre! 
-L'autre s'en donne à bouche que veux-tu ? 

Sur l'endroit dévêtu 

Où l'on mit l'onction Royale, 
Parfum délicieux, et divine eau lustrale ! 
Tandis qu'un autre encor se permet de ronger 
La trouvant d'un goût fin ainsi que blanc-manger, 

D 



84 TÉBITÉS. 

Cette langue souvent frivole 
De son peuple la loi, qui plus est la boussole ! 
Oh I sots I oh I triples sots que nous sommes vraiment, 
Pour lutter entre nous à qui plus joliment 
Et dans le meilleur plat servira sa guenille 
Au ver, au ver rongeur, plus laid qu^une chenille ! 



VÉRITÉS. 



Qui jugera d^un homme à ses seules manières. 

Et qui sur ses habits le connaîtra jamais ? 

Le pauvre quelquefois a des vertus princières, 

Le prince bien souvent des vices de laquais. 

Chemise chiffonnée, et jaquette indécise, 

Enveloppent parfois tout un minerai d'or 

Des plus profonds pensers, et de morale exquise ; 

Tandis que le satin couvre le similor. 

L'eau vive du rocher se fait jour sous la pierre 

Pour porter Tabondance et la vie en tous lieux ; 

Des boutons purpurins cachés à la lumière 

Se trouvent écrasés par des fouillis nombreux. 

Dieu qui jauge le fond et non pas la surûice 

Aime et fait prospérer Vous et Moi , . . Gloire à Dieu l 

Mais que sont, dites-moi, les Rois devant sa face ? 

Poussière d'océan, de l'ouragan l'enjeu ! 

L'homme une fois hissé sur le dos de ses frères 

Les renie, et se croit supérieur à tous ; 

Tyrans ! souvenez-vous que les plus pauvres hères 

Que diable ! sont au moins des hommes comme vous ! 

Hommes par le travail, hommes par la pensée, 

Par le cœur, par l'esprit, reclamant droits égaux 

Aux rayons du soleil, lumière inéclipsée, 

Au noble titre d'homme, et non comme vassaux ! 

On voit des océans tout soutachés d'écume ; 

Par les herbes gênés de petits ruisselets ; 



b- 



l'oiseaf captif. 35 

Des arbrelets ayant répaisseor d^une plume ; 

Des cèdres qui des monts encerclent les sommets. 

Dieu qui jauge le fond et non pas la surface, 

Aime et fait propérer Vous et Moi . . . Gloire à Dieu! 

Que sont nos vanités dans ce monde où tout passe ? 

Poussière d'océan, de Touragan Tenjeu I 

De travailleuses mains seules sont architectes 

De la gloire et du nom de chaque nation ; 

Cette gloire et ce nom, parasites insectes, 

Des fainéants titrés en font absorption. 

De la sueur d'autrui s'engraissant ces vampires ! 

Tandis que du travail s'élève envain la voix, 

Et que la liberté raconte ses martyres 

Aux échos des prisons oii la cloîtrent les Rois. 

Justice et Vérité sont pourtant étemelles. 

Car ces nobles enfants ont pris naissance aux cieux, 

Les ténèbres jamais ne prévaudront contr'elles 

Tant que luira sur nous le soleil radieux. 

Dieu dont s'entend partout la voix toujours propice, 

Qui nous prêche l'amour. Dieu vainqueur de l'enfer, 

Sait de l'oppression renverser l'édifice. 

Ses titres vains pour lui sont cailloux de la mer! 



L'Oiseau Captif. 

C'ÉTAIT une Linotte enfermée et captive 
Que j'entendais se lamenter ainsi : 

" Entends, entends ma voix plaintive 
Laisse-moi m'en aller d'ici. 
Laisse-moi vers ce bois sauvage 
Aller retremper mon ramage; 
Les barreaux de cette prison 
Me feront perdre la raison; 
Laisse-moi déployer mes ailes! 
De chaque arbre n'entends-tu pas 

d2 



36 LE TOMBEAU DU OUEBBIEB. 

Tous les oiseaux prés de leurs belles 
Se livrer à de doux ébats? 
Il est vrai que je fais ripaille 
Ici) de sucre et de grenaille, 
n est vrai que ma cage est d*or . . . 
Mais ne pouvant prendre Tessor, 
Dans ma cage, pauvre captive, 
Suis assise triste et pensive : 
Oh! donne-moi la clé des champs, 
Et chaque jour, été, printemps, 
Je viendrai te chanter une chanson joyeuse, 
Et bénirai ton âme généreuse ! *^ 

A ces tant doux accents du pauvre oiseau captif, 

J'ouvris la porte de la cage. 
Lui soudain s'élança par de là le nuage 

D'un vol furtif. 
Si, qu'il devint si petit dans l'espace 
Que mon regard bientôt en eut perdu la tracée 
Moi je sentais fort bien comme ce pauvre oiseau 
Que sans la liberté rien ici bas n'est beau; 
Et que mieux vaut une simple chaumine. 

Avec la joie au cœur. 

Que des palais dorés la splendide courtine 

Abritant l'esclavage, abritant la douleur. 

Sans que jamais l'amitié ni ses charmes. 

Soient là pour étancher nos larmes ! 



Le Tobibeau du Guerrier. 

Le soleil du matin des brumes se dégage 

Il est jour; 
Plan, plan, plan, plan, plan, plan, plan, plan bat le tambour, 
Et les chefs sont debout, et l'écho du bocage 
Efirayé des sons du clairon. 
Annonce au loin la gloire au plus poltron. 



à 



L£ TOHBSAU DE eVEBBrEB. 37 

Le chef est radieux, et son brillant panache 

Flotte et lait; 
De son fougueux coursier le harnais éblouit; 
Son œil est menaçant, et fière est sa moustache; 
Et son glaive imbibé de sang 
Fume et s'enivre à la mort qu'il répand. 

£t moi je me disais, témoin de ce carnage : 

O douleur ! 
Car je songeais aux nœuds tissus de cœur à cœur, 
Que ce glaive brisait dans sa brutale rage; 
Mais on me dit: En massacrant 
Nombres sans nombre un guerrier devient grand ! 

Le héros, disait-on, était né pour la gloire. 

Et son front 
Etait fait, jeune encore et vierge d'un affiront, 
Pour être couronné des mains de la victoire; 
Voilà soudain qu'un plomb fatal, 
Le faittomber de son char triomphal. 

On le porta la nuit ^ son dernier asyle 

Aux flambeaux, 
Et puis pour honorer la cendre du héros 
Des feux de peloton labourèrent l'argile. 
Moi sur sa face je cherchais 
La gloire ... Et c'est l'horreur que j'y trouvais. 

On racontait comment dans plus de cent batailles 

Chef soldat, 
U illustra son nom; comme au dernier combat 
Il les sut conquérir ses nobles funérailles : 
Je me disais : C'est affligeant ! 
Que de vains bniits pour gagner le néant ! 



88 AIME-MOI PEU, MAIS LOirGTEMPS AIMS-HOI. 

On disait qu^on aHait décorer de sculptures 

Son tombeau, 
La renommée en pleurs éteignant son flambeau 
Sur des monceaux de morts, de canons et d'armures 
Moi) je dessinais plus humain, 
Aux deux côtés la veuve et Forphelin. 

Que sont-ils les lauriers qui parent ta poussière 

Conquérant, 
Si par ambition ainsi qu'un noir torrent 
Tu balayas le monde en ta fureur guerrière? 
Hélas 1 des lauriers imposteurs 
Rouges du sang de tes vaines grandeurs! 



Aime-Moi Peu, mais Longtemps Aime-Moi. 

Vieille Ballade (1569). 

Aime-moi peu, mais longtemps aime-moi. 
C'est le refrain de ma chanson, ma foi! 

L'amour trop chaud, trop plein de zélé, 
A pour durée une étincelle: 
Pourtant ne te voudrais trop froid. 
Ni trop revêche à mon endroit; 
L'amour qui dure après Taf^aire consonunée, 
Ne s'évanouit en fumée. 
Aime-moi peu, mais longtemps aime-moi, 
C'est le refrain de ma chanson, ma foi! 

Si m'aimes trop, cela pourrait bien quoi ! 
Ne pas durer assez longtemps par soi I 

Aime-moi peu, car je redoute 

Un amour qui de rien ne doute : 

Je me contente de peu moi; 

Et de peu si me fais l'octroi, 



AIMX-MOI PEUy MAIS LONGTEMPS JLlXE-MOI. 39 

Avec rîntentHHi tonjoun être sincère, 

CTest tout ce qnîl faut pour me plaire: 
Aime-mm peu, mais longtemps aime-moi 
C'est le refrain de ma chanson, ma foi! 

Tout ton amour fait qu*il soit bien à moi 
Durant ta vie, — et le mien est à toi; 

Et je te resterai fidèle 

Dans cette vie— et sa séquelle . . . 

Oui, morte! . . . c'est la vérité, 

Te garderai fidélité. 
Autant que maintenant dans ma verte jeunesse 

Je te la garde, le confesse. 
Aime-moi peu, mab longtemps aime-moi^ 
C'est le refrain de ma chanson, ma foi! 

L'amour constant, le seul de bon aloi. 
Est modéré toujours, . . . c'est là sa loi; 

Donne-le moi, qu^il soit sincère. 

Te le rendnd, la chose est claire: 

Qu'il soit pour moi ce vêtement 

Qui peut braver chaque élément. 

Pendant la paix, pendant la guerre, 

Et soit sur mer, et soit sur terre . . . 
Aime-moi peu, mais longtemps aime-moi, 
C'est le re&ain de ma chanson, ma foi! 

Ce vêtement dont désire l'octroi, 
Doit tout braver comme forte paroi, 

L'hiver, ses frimas, sa froidure, 

L'été, sa chaleur, sa piqûre, 

Tel est l'amour, moi que je veux, 

Obtenir de mon amoureux, 

Sinon bonsoir la compagnie ! 

Adieu l'amour et sa mégnie! 
Aime-moi peu, mais longtemps aime-moi, 
C'est le refrain de ma chanson, ma foi! 




40 les poetes. 

Les Poètes. 

shakespeare. 

A LUI la baguette magique 
Le pouvoir de tout enchaîner; 

Il riva la Nature aux plis de sa tunique, 

Et la Création a su le couronner. 

MILTON. 

Son esprit était un pactole 
Dont les flots roulaient de For pur, 
Un temple à la vertu dont la vaste coupole 
Se perdait dans les cieux au milieu de Tazur. 

THOMPSON. 

Après le jour la nuit obscure, 
Après les saisons les saisons, 
Ses chants qui sont gravés au sein de la nature 
Iront de Tavenir dorer les horizons. 

GRAY. 

D'un vol grandiose il s'élève, 
La foudre il la brave de Toeil, 
Le nuage orageux il le passe, puis s'enlève 
Ijumineuse trainée au sein de son orgueil. 

BURNS* 

De la lyre de sa patrie 
Il fit vibrer les plus doux sons^ 
Et son âme de feu, céleste rêverie 
Se fondît dans des flots d'admirables chansons. 

SOUTHEY. 

Où règne la nécromancie 
Dans les pays orientaux, 
Il aimait promener sa riche fantaisie, 
Son esprit à cheval sur les vieux fabliaux. 



LES POETES. 41 

COLERIDGE. 

Par le charme de sa magie 

Aa clair de la lune le soir 
n évoquait le preux, et du preux la vigie, 
La superstition, hôte du vieux manoir. 

W0RD8W0RTH. 

Au livre de philosophie 

U suspendit sa harpe un jour, 
Là, placé près des lacs, il chante, il magnifie 
Dans ses paisibles vers la nature et Tamour. 

CAMPBELL. 

En£Euit gâté de la nature 

L'art polit son vers enchanteur, 

U sut pincer sa lyre et gracieuse et pure, 

Pour amuser Fesprit, et réchauffer le cœur. 

SCOTT. 

n chante, et voyez! jà s^élance 
Le Roman que Ton croyait mort, 
Et la Chevalerie et la Dague et la Lance, 
Sortent de l'Arsenal poussa par son ressort! 

WTLSON. 

Son chant' conmie une hymne sacrée 

S'infiltre de l'oreille au cœur; 
On croirait qu'il vous vient de la voûte éthérée 
La voix d'un chérubin, d'un saint enûmt de chœur. 

HEMANS. 

Elle ouvre la source des larmes 

Et les fait doucemeut couler, 
La pitié dans ses vers elle a les plus doux charmes 
Et le lecteur ému s'y laisse afirioler. 



42 LE MONDE. 

SHELLET. 

Un rocher nu, bien solitaire 
Au loin par de là Focéan, 
Crevassé par le choc des volcans, da tonnerre, 
Voilà quel fut Shelley, Taudacieux Titan! 

HOGG. 

Vêtu d'un rayon de lumière 
Qu'il sut voler à Tarc-en-ciel, 
Il voit fée et lutin danser dans la clairière, 
Et faire le sabbat loin de tout œil mortel. 

BYKON. 

La tête ceinte de nuages, 
Ses pieds étaient jonchés de fleurs. 
L'ivresse et la gaité, le calme et les orages 
Trouvent en ses beaux vers un écho dans les cœurs. 

MOOBE. 

Couronné de vertes louanges 
Et pour chaque œuvre tour à tour, 
Moore dans les bosquets se plait avec les anges 
A chanter les plaisirs de son Dieu ... de l'Amour! 



BACON (FRANCIS LORD). 
Né le 22 Janvier 1561— Mort le 9 Avril 1626. 

Le Monde. 

Le monde est une bulle d'air, 
Et l'homme est bien moins qu'un éclair ;- 
Conçu dans le péché dès le sein de sa mère 
Jusqu'à la tombe il traîne sa misère; 



LE MOHSE. 48 

Maudit dès son berceaa rhomme on jour parvient-il 

Jusqu'à l'âge viril, 
Les soucis, les chagrins, le suivent par derrière, — 
Qui s'attache à la vie— écrit sur la poussière! 

Cependant tant que nous vivons 
Où peut-on mieux vivre? . . . voyons: 
A la cour? Mais la cour, c'est une école £Edte 

Pour élever niais à la brochette. 
A la campagne? ... oh! non — La campagne, entre nous, 

Est un pays de loups: 
A la ville? . . . encor moins, c'est un ^oût de vices 
Qui roule dans ses flots toutes les immondices. 

L'homme en ménage a maintefois 
Maux de tête fort discourtois: 
Qui vit seul en garçon a peine à se suffire, 

Et c'est vraiment tomber de mal en pire: 
L'un voudrait des enfants, l'autre en ayant trop jà 

Les voudrait ... à Riga! 
Avoir ou n'avoir pas de femme au bout du compte 
C'est servage pour un — ou pour deux c'est mécompte. 

Esclaves de tous nos désirs 
Nos goûts deviennent nos martyrs: 
Aller courir les mers pourquoi? . . . pour une figue! 

Foin du plaisir, c'est péril, et fatigue: 
Quand cessent à la fin guerres qui font vain bruit, 

Toujours il nous en cuit; 
Il ne nous reste donc qu'à pleurer la misère 
D'être né, pour sitôt retourner à la terre! 



44 PÉTITION d'une SOUBIS. 

BARBAULD (MRS). 
Née en Juin 1743 — Morte le 9 Mars 1825. 

PÉTITION d'une Souris* 

au Docteur Priestly. 

Oh ! daigne écouter ma prière, 
Je suis prisonnière, ô douleur! 
Que ton cœur ne soit pas de pierre 
Et prends en pitié le malheur. 

Car je suis ici seule et triste 
Dans un cachot de fil d'archal, 
Et si jusqu'à demain j'existe, 
Demain sera mon jour fatal. 

Si jamais tu sentis la fibre 
De la liberté dans ton cœur, 
Relâche-moi, je naquis libre 
Ne te fais pas mon oppresseur. 

Epargne une pauvre victime, 
La ruse est un triste métier. 
Ne va pas, par un vilain crime. 
Souiller ton seuil hospitalier. 

De ton festin les moindres restes 
Pour moi c'est la manne du ciel, 
Mais si de ces repas modestes 
Tu m'interdis le casuel. 



* Trouvée dans la souricière où la souris avait été enfermée toute 

la nuit. 



PÉTITION d'unb sorBis. 45 

Oh! souviens-toi que la lumière 
Et Faîr pur que nous respirons, 
Pour tout ce qui vit sur la terre 
D^un Dieu créateur sont les dons. 

L^esprit vraiment philosophique 
Accorde à tous compassion, 
Une sympathie angélique 
Pour tout être, est sa passion. 

Si selon la métempsycose 
Tout esprit ne s^éteint jamais, 
Et qu^à chaque métamorphose 
Il ne perde rien — que ses traits : 

En écrasant si petit être 
Que moi, — prends garde, en vérité. 
D'écraser un frère, un ancêtre 
Ou celle qui fut — ta beauté. 

Mais si le jour et la lumière 
Sont les seuil liens entre nous, 
Oh! sois sensible à ma prière 
De moi détourne ton courroux. 

Et puisse alors en ta demeure 
Se fixer la santé, la paix. 
Et puisse un plaisir à chaque heure 
Germer sous ton toit désormais. 

Alors quand viendra la camarde 
(Homme et souris y sont sujets), 
Puisse un ange t'avoir en garde, 
Et te sauver des farfadets! 



46 LE JOUB APRÈS LA BATAILLE. 

BARHAM (REV. R. H). 

Né en 1788— Mort en 1845. 

Le Jour après la Bataille. 

Oui le champ de bataille est un triste spectacle 

Aux yeux du guerrier survivant ; 
Ce champ, hier riant, aujourd'hui réceptacle 
De ceux là morts en combattant ; 
Quand on n'entend plus la voix meurtrière 
Du canon rugir, et que le vainqueur 
D'un dernier regard vient fixer la terre, 
Où dort sans rëveil plus d'un noble cœur. 

L'éclair triomphal sur ce front superbe. 
On ne le voit plus, et morne est son œil 
Alors qu'attristé se baissant sur l'herbe 
n cherche l'ami, jadi& son orgueil, 

Cet ami .... des soldats il était la merveille ! 

n gît là près de lui le héros de la veille ! 

Il gît là maintenant cadavre sombre et froid, 
Au milieu d'autres, pêle-mêle. 

Tout comme lui frappés, comme épis par la grêle 
Alors que Dieu dit : " Ainsi soit ! " 
Dans ses traits rien ne se démêle. 

Et sans puissance aucune est la fidèle main 

Qui vers lui se tendait — hier, hier matin ! 

Et puis rôdant par là voyez-vous cette veuve 
A travers la plaine humide de sang, 
Dans son désespoir errer écoutant 
Un son désiré qui vienne et l'émeuve ! 
Une plainte, un mot, un soupir pourtant 
Serait un bonheur à ne pas y croire. 

Et c'est cela mon Dieu ! qu'on appelle la gloire I 



LE TIEITX BOBIK SBAT. 47 

BARNARD, (LAD Y ANNE). 
Née le 8 Décembre 1750— Morte le 6 Mai 1825. 

Le Vieux Robin Gray. 

Quand brebis sont au parc, quand yaches sont au gîte, 
Quand le monde épuisé prend un repos licite, 
Que mon bonhonmie dort sans s'en douter ma foi, 
Tous les maux de mon cœur débordent malgré moi. 

Jeune, Jacques m'aimait, il me voulait pour femme. 
Mais sauf un seul écu Jacques n'avait rien, dame ! 
Pour en ûûre de Tor, il s'en fut en mer quoi I 
Mais cet écu, cet or mon Dieu I c'était pour moi ! 

Un an et puis un jour de ce départ, mon père 
n se cassait le bras ; malade était ma mère. 
Notre vache volée,— et lui mon Jacque, en mer. 
Et le vieux Robin Gray vint qui me dit m'aimer. 

Mes parents ne pouvaient travailler davantage, 
Je travaillai la nuit, le jour, avec courage, 
Mais ne gagnais assez, — ^pour lors le vieux Robin 
Les soutint tous les deux, puis demanda ma main. 

Hélas I mon cœur dit non, — mon cœur attendait Jacques, 
Automne, Hiver, Eté, du Printemps jusqu'à Pasques ; 
Mais les vents soufflaient fort, son vaisseau fut perdu. 
Oh I pourquoi vivre encor ! . . . Jacques pourquoi vis-tu ? 

Mon père me pressa beaucoup, — ma pauvre mère 
Son silence éloquent était une prière ! 
Ils donnèrent tous deux non mon cœur, mais ma main, 
Et le vieux Robin Gray devint notre homme enfin I 

J'avais été sa femme un mois, pas même encore, 
Quand triste sous mon porche, oh I me le remémore ! 
De Jacques je vis l'ombre, — et croyais m'abuser 
Quand lui dit : " Je reviens, amour, pour t'épouser 1" 



48 OHAKT FUNÉBAIRE. 

Oh ! combien de soupirs entre nous échangeâmes, 
Un baiser 1 rien qu^un seul, et nous nous séparâmes. 
J^appelle tous les jours la mort, mais c'est en vain. 
Car, oh je suis bien jeune, et j'ai plus d'un demain ! 

Comme un revenant j'erre, — et bien peu me soucie 
De filer ; c'est péché, qui, vrai, me supplicie 
Que de penser à Jacque ; — oh I pour Kobin je veux 
Demeurer brave femme ; il est si bon ce vieux ! 



BEDDOES, (THOMAS LOVELL). 

Né le 20 Juillet 1803— Mort le 26 Janvier 1849. 

Chant Funéraire. 

Ce jour où nous vivons et qu'aujourd'hui l'on nomme 

Est une pensée ; — et pour l'homme 
Demain est une crainte ; — ^hier un repentir^ 
Un regret, un péché qu'on ne peut ressaisir ; 
La vie est une mort où le corps est la tombe. 
Où le souffle est prison, et s'élève et retombe. 
Adonc des revenants ne prenez pas frayeur. 
Car nous sommes les morts, je vous le dis, d'honneur ! 
Les vivants sont ici dans la voleuse terre 

Très chaudement drapés dans leur suaire, 
La mort vit d'un seul souffle en sa fragilité. 
Elle accouche .... et sa fille est l'immortalité ; 
Et l'immortalité voilà la seule vie 

Où le Créateur nous convie. 
Ainsi mourir est vivre, et renaître au bonheur. 
Car la vie est un songe, un songe sans valeur. 

Donc tous tant que nous sommes. 
Ne pleurons pas la vie, et montrons-nous des hommes ! 



BIEN. 49 

BELSHAM. 

Né en 1752— Mort en 1827. 
• Rien. 

Vers adraséspar V Auteur, au Rev. LiSLE Bowles. 

Four Tobjet de mes chants n^implore pas la Muse, 
Et laisse en son doux lit sommeiller Aréthuse, 

Car Bowles comprenez le bien, 

Je serais, parole !.. une buse, 

Si comme le Géorgien 
J^allais pour une Muse enfler ma cornemuse 

Pour chanter quoi ? . . Pour chanter Rien ! 
A Tauteur de ces vers prêtez donc votre oreille, 

Et de Pami protégez la merveille ! 
Le thème ineffleuré, de mes chants le sujet, 
Du poète jamais n^augmenta le budget. 
Et n'ajouta, je ne trompe personne. 

Un seul laurier à sa couronne. 

Ces Grecs et ces Romains tant admirés jadis, 

De PHélicon ont tous à sec laissé la source, 

Ils ont su tout chanter ces bardes favoris, 
Et d'Apollon ils ont vidé la bourse. 

Aux poètes futurs qu'ont-ils laissé pour bien ? 

Rien! 
Car hormis Rien, tout fut la proie en somme 
Des beaux esprits de la Grèce et de Rome ! 

Quand les féroces Goths, quand ces damnés bandits 

Ont fait la guerre à la science, 
Ravageant l'Italie, et violant Florence, 
A sac, à sang, à feu mettant tout, les maudits ! 

Qu'échappa-t-il à la vengeance 

De ce vilain peuple païen ? 

Rien! 

E 



^ 



50 BIEN. 

Heureux celui qui pour son apanage 
Possède pour tout bien 
Rien! 
Car Rien c^est le trésor du sage. 
Aucun souci ne vient troubler ses nuits jamais, • 
Sans crainte il se met en voyage, 
Et n^est suivi d^aucun procès. 
L^espoir ne vient non plus lui chanter des sornettes, 
n n'est pas ballotté par des craintes secrètes, 
Et lorsque tons ses jours ont coulé sans émois. 

Que son avoir n'est bouffî que de dettes. 
Dans la paix, le repos, pour la dernière fois 
De ses deux yeux il peut refermer les lorgnettes. 



( 



Le ^^NU admirari^^ seul conduit au bonheur. 
Disaient jadis les philosophes; 
De Rien aussi le détenteur 
Est certes le plus sage, ou Torade est menteur, 
L'oracle d'Apollon, le grand £EÛseur de strophes. 



Celui-là qui sait pour tout bien 

Rien! 
(Vite s'apprend cette science, 
Et sans grand effort comme on pense), 
Oui dà, chaque sot babillard» 
Devient par le fait un Socrate; 
Du monde, il est bien vrai, chaque art 

A ses hauts et ses bas; ainsi qu'un acrobate 
Monte et descend; mais le brave chrétien 
Dont l'unique savoir est: Rien! 

Volt ce beau savoir là prospérer et s'étendre. 
Car Rien ne peut Rien désapprendre. 

Les Erudits, ceux-là qui, bien tant pis pour eux, 
S'escriment à faire des livres, 

Sont pauvres comme Job, à peine de leurs vivres 

Ont-ils pouvoir jamais gagner, ces malheureux, 

La sûnple équivalence; 



BIEN. 61 

Mais ceux doat Tuniqjie science 
Est de n^en avoir pas, est ce qu^ou nomme Rien, 

Prospèrent comme gens de bien. 
Elle court aiprèè Rien notre noble Jeunesse, 
Et happe ce savoir avec grand' hardiesse, 
Pour briller à la cour, pour briller an sénat. 
Dans Tarmée, au conseil, dans l'élise et Tëtat. 

Cet immortel Newton dont Tadmirable vue 

S'étendit par delà la nue. 
Qui des astres s'en fat ouvrir les cadenas, 
Et qui posa son front sur le ciel comme Atlas, 
Lui qui s'en fut soulever les doux voiles 

Et de la lune et des étoiles, 
Vers l'inconnu qui dirigea son vol 
Des secrets du Très Haut pour opérer le vol. 
Et qui, parcoiuant chaque sphère, 
Y fut chercher llmmortelle lumière 
Pour en doter la terre, 
Ce qu'il sut, certe il le sut bien; 
Mais de Newton, lumineux météore. 

Ici, je suis historien. 
Qui surpassa le vaste savoir? . . . Rien! 
Et qui lui demeura caché? . . . Mais Rien encore ! . . . 
Si ce n'est vérité, veux être une pécore! . . . 

Lorsque dans leur profond creuset. 

Cherchant la cause par l'effet, 

Travaillent les grands Alchimistes, 
Voulant multqilier ces sublimes artistes! 

JSt que du soir jusqu'au matin 

Fatiguant, harcelant l'airain 
Enveloppés d'espoir et de fumée. 
Par avance escompant l'or et la renommée. 
Gonflés d'attente, et fondant bien en vain 

Au milieu de jaunes chimères 
Dans le creuset et leur temps et leurs terres, 

£2 



52 RIEN. 

Quel est leur gaiii en comptant bien? 

Rien! 
Rien excita leurs espérances, 
Mais oublia de payer leurs dépenses; 
Et, d'un regard Stoïcien, 
Force leur est de voir qu'ils ont donné naissance 
A cet être sans consistance 
Qui de tout temps s'est nommé Rien! 

Rien! ... ce grand élixir que jadis plus d'un sage 
Voulut amadouer afin d'en faire usage 
A son profit, pour transmuter en or 
Tous les métaux de bas étage, 
En dépit de son alliage 
N'a pu produire un quelque chose encor! 
Et pourtant du matin que la vive lumière 
Qu'y a-t-il de plus beau, de plus sublime? . . . Rien! 
Qu'y a-t-il de plus doux que la brise légère 
Tempérant la chaleur du vent étésien? 

Rien ! 
Quoi de plus gracieux que la désinvolture 
Du printemps, ce magicien 
Qui fait sourire et chanter la nature? 

Rien! 

Mais je m'apperçois, chose sûre, 
Que voulant élever un monument sur Rien, 

Je risque fort ne trouver d'aventure 
Sur la terre ou sur l'air, ou sur mer nul soutien. 
Pourtant si bien fondée en fait est la sentence, 
"Tout finit par où Tout commence;" 
Ne l'est pas moins celle qui dit que Rien 
N'est sans commencement, ni sans fin, — le crois bien. 
Par delà l'univers, au delà de l'Espace 
Loge tranquillement, et se prélasse — Rien. 
Des sphères où se tient, dites-le moi de grâce 
Le pivot? ... Il se tient sur Rien! 



LE PLAT OOUVEBT. 53 

De cette vaste bille 
OïL de chacan de nous vit Thumaine guenille 

Quels sont-ils donc les supports? . . . Rien ! 
De Rien est surgi ce bas monde, 
Et ce qui grouille et vit sur la terre et sur Tonde 
Tout est sorti ... de Rien! 



BLACKER (COLONEL). 
Le Plat Couvert. 

Histoire vraie. 

Il est nombre de gens d^une vertu si rare 

Que les fautes d^autrui, voilà qui les effare ; 

^'Si vertueux!*^ ainsi que Bums nous les fait voir, 

"Qu'ils n'ont que du prochain à guigner le devoir:" 

Pour cette espèce là le barde ici raconte; 

Quand se perd le sermon, vient la place du conte. 

L'illustre Frédéric de Prusse, ce grand Roi 

Etait au champ d'honneur la terreur et l'effroi 

Des ennemis, c'était vraiment un trouble fête; 

Mais le combat fini, finissait la tempête ; 

Et cet homme au combat un héros demi-Dieu 

Trouvait plaisir causer au petit coin du feu ; 

Et c'était à savoir, au dire de Voltaire, 

Si ce guerrier vainqueur, si ce foudre de guerre. 

Préférait au canon ce brillant cliquetis 

Que fait la causerie en son langage exquis. 

Comme un Athénien ce grand et vieux monarque. 

Fût-ce au lit de la mort eut arrêté la parque 

Pour causer avec elle au bord de son tombeau; 

Il rançonnait chacun pour avoir du nouveau. 

Son esprit curieux, et sa verve féconde 

Demandait "du nouveau I n'en fut-il pliib au monde!" 



5é LE PLAT COUYSBT. 

C^était un tatillon, un monsieur Touche à tout, 
Qui voulait tout savoir pour amuser son goût; 
Il se glissait partout, interrogeait chaque âge, 
Se montrait très friand des cancans du méiage. 
Et des bruits de la ville amant peu généreux. 
Les citait à sa cour pour les divulguer mieux. 
Comme Aroun Al Raschid, jaloux de tout connaître, 
n vous sortait le soir, se glissait comme un traître, 
Drapé dans son manteau, partout en tapinois, 
Pour flairer les "ont dit'^ de ses bons Berlinois, 
Fréquentant par la nuit passages et ruelles, 
Toujours Toreille au guet, ayant soif de querelles, 
Ravi d^être auditeur, quand vigoureux poumons 
Engageait un combat à charmer les démons. 

Or un soir qu^il flânait attifé de la sorte 

Près de chaque fenêtre et prés de chaque porte, 

n avisa soudain se faisant vis-à-vis, 

Discutant, s^échaufiant, un digne couple assis. 

U fut incontinent au fait de la dispute. 

C'était d'Eve et d'Adam au sujet de la chute. 

"Ah ça! '' disait Madame en colère à Fépoux, 

" Fi de la sotte femme, entre nous, vertuchoux! 

Oui, ô de la mère Eve! — aller croire aux sornettes 

De TEsprit tentateur qui lui contait fleurettes, 

Vois où nous a conduit sa curiosité! 

A sa place, vois-tu, dame! si j'eusse été, 

Faisant fort peu de cas de tous ses beaux parlages 

J'eusse dit à Satan: "Fuis démon, tu m'outrages!'* 

Le royal écouteur entendant ce discours 
S'en retourna chez lui riant, riant toujours. 

ITn jour a fui. Voilà que le diner s'approche, 
Un fmnet tout exquis annonce un tourne-broche, 
Le couple en appétit soudain avec frayeur 
Voit entrer un gendarme à l'aspect pourfendeur, 



Ik 



LB PIiJLV OOVTEBT. 55 

Hôte peu bienTenii, mâme alors que par chance 

Sur un lit de duvet t'^dort k?|«on8ci6&ce; 

Alors que nom croyons n'ayoir contre l'état 

Ou Madame FEglise, à fouetter aucun diat. 

Avec grand sans fiiçon est entré le gendarme, 

^^ Qu'on me suive," a-t-il dit, "et sans qu'on se gendanne." 

Dieu sait oii! . . . car alors qu'on voit un baudrier, 

Une moustache, un sabre, un regard de limier, 

On ne pense pajB trop à &ire résistance; 

Mais ne pourrait-on pajB obtenir la licence 

De manger un m(Hrceau? — "Non ce n'est point un jeu, 

Il vous faut m'obéir de suite palsembleu!" 

Et donc avec la faim et la peur pour escorte. 

Les voilà tous les deux cédant à la main forte. 

Une chambre proprette était le "Dieu sait oîi?" 
Simple, mais confortable, en un mot un bijou: 
Un buffet reluisant, et garni de bouteilles 
Aux gosiers altérés promettait des merveilles; 
Tandis qu'au beau milieu de la table, un surtout 
De mets bien délicats laissait percer le goût; 
Du rôti, du^uilli l'odeur appétissante 
Provoquait délia faim la soif impatiente. 

J'ai dit que c'était l'heure où chacun dîne; — vrai 
Appétit allemand souffi*e peu de délai; 
Or, de ces plats nombreux et tous rangés en cercle, 
Un, celui du milieu, seul avait son couvercle. 
Un majordome a dit le bénédicité^ 
Puis s'adressant au couple avec bénignité: 
"Asseyez-vous, amis, asseyez-vous à table," 
Dit-il, "les mets sont bons, le vin est délectable, 
Mangez sans vous gêner, faites comme chez vous, 
Buvez de tous les vins, des plus forts, des plus doux, 
Mais . . . respectez le plat au milieu de ce cercle, 
Et gardez-vous surtout de toucher au couvercle ! " 
Puis avec un salut digne d'un courtisan, 
11 sortit en disant un: " Souvenez- vous en!" 



56 LE PLAT COUVERT. 

Notre couple averti s'approche de la table, 

Etonné, mais trouvant le dîner . . . attaquable; 

Et d'attaquer des mets succulents et nombreux 

Que n'eut pas dédaigné Jupin le roi des Dieux. 

"Tatiguéî que c'est bon! quels morceaux, Tu-Dieu! fenune 

Cette aile de poulet, tâtes-en, sur mon âme! 

C'est parfait; et puis tiens ce filet de chevreuil 

Est digne, crois le bien du plus aimable accueil, 

Il est si savoureux, arrosé de groseille, 

J'ai rarement dîné, je le dis, c'est merveille 

Aussi bien qu'aujourdhui;— mais goûte à ce pâté 

La croûte en est exquise. " — Et chacun a parte 

Au splendide diner de rendre ample justice, 

Et cela de bon cœur avec un grand délice. 

Cependant sur le front de la dame on voyait 
Certain je ne sais quoi de vague et d'inquiet : 
"Que peut donc contenir ce plat? Eh! eh!" dit-elle, 
"Qu'on le cache à nos yeux avec autant de zèle? 
Cela doit être, sûr, quelque morceau de roi 
Que ce grigou de vieux se réserve à part soi 
Pour le plus grand bonheur de sa laide mâchoire. 
Il me faut d'un coup d'œil éclairer ce grimoire; 
Parmi ces mets choisis, n'est-il pas dur, dis-moi, 
De ne pouvoir toucher à ce seul plat? Ma foi! 
Arrive que pourra, nul œil ne nous regarde, 
A le découvrir, moi, tant pis, je me hazarde." 
Le couvercle est levé : — que sort-il du logis? 
Et fringante et ravie . . . ime jeune souris. 

Voilà que soudain s'ouvre un steeple chace; 

Autour de la table on chasse on déchasse ; 

Et bref la souris guignant un matou 

A bien vitement regagné son trou, 
Pendant que Frédéric ayant poussé la porte 
Dans la chambrette entra sans bruit et sans escorte. 
Attérée, et tremblante et de honte et de peur, 
La coupable eut voulu fuir le regard frondeur 



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LE 80IB J>V MARCHÉ. 57 

De Frédéric; mais loi du trouble de la dame 

Paraissait se gaudir et de toute son âme; 

Puis rompant à la fin le silence, le Roi 

Lui dit d'un ton bien fÎEdt pour doubler son effiroi : 

"La dame aux beaux propos, vous nous la baillez belle, 

De curiosité n^avez une parcelle; 

Eve était faible, mais avez une vertu 

Qui du pied ne se mouche, et à^xm ^ Quand fuiras-tu?* 

Eut envoyé morbleu! Satan lui-même au diable, 

Et forcé le serpent à fuir au préalable. 

Vite quittez ces lieux, et souvenez-vous bien 

Que médire d*autrui ne valut jamais rien: 

Ne déblatérez plus, sans pitié ni sans trêve, 

Sur la faute commise au Paradise par Eve; 

Ayez recours au livre où sur des feuillets d'or 

La parole de Dieu pour nous tous vit encor, 

Lisez là le narré de la paille et la poutre, 

Et sans y réfléchir ne passez jamais outre; 

Et quand sur le prochain voudrez jeter mépris. 

Pensez au plat couvert;— pensez à la souris!" 



BLOOMFIELD (ROBERT). 
Né en 1766— Mort en 1823. 

Le Soir du Marché. 

VENTS ne hurlez pas si fort, si longuement. 
Ne soufflez pas la neige aussi violemment ; 
Oh I dégagez le ciel de ses funèbres voiles. 
Et laissez doucement scintiller les étoiles. 

D'impétueux torrents brisent, renversent tout. 
Dans leurs bonds furieux ne laissant rien debout. 
Etoiles brillez tôt, la lune est endormie 
Et notr' homme sans vous ne pourrait y voir mie. 



58 LE SOIB DIT MABOHÉ. 

! beaux anges gardiens ! qui vivez près des monts. 
Des bois, des chemins creux, ou des torrents profonds 
Où des esprits la nuit s^agitent les fantômes, 
Où sont de guet les nains, les lutins et les gnomes. 

Pressez-vous près de lui, soyez ses protecteurs. 
Contre Tobscurité servez-lui d'éclaireurs, 
Guidez bien sa monture à travers la bruyère 
Où le rude ouragan balaye sa colère, 

Sa colère indomptée, emportant sans remord 
Les arbres qu^il pourfend, la ruine qu'il tord. 
Animal au pied sûr, vaillante haridelle 
Que rien ne fait broncher, des amis le modèle. 

Conduis-le bien ton maître en cet étroit sentier 
Par la neige caché, car tu sais ton métier, 
Vieille I tu n'as besoin que sentir Pécurie 
Pour te frayer chemin à travers la prairie. 

De mes gentils petiots la respiration 
Donne à mon triste cœur bien douce émotion. 
Entre ces coups de vent dont le bruyant murmure 
Vient de notre vieux chêne agiter la mâture. 

Profond est leur repos : ils se doutent peu, las ! 
Que leur père pour eux affironte le trépas ; 
Mais ils rêvent peut-être, et c'est là chose exquise, 
Qu'ils pèlent près de lui leur orange promise. 

Ainsi que n'en est-il I . . Et le feu cependant 
Sur le tranchoir poli flambait, flambait gaiement ; 
Oh I comme son retour rêvé près de la flamme, 
D'im immense bonheur viendrait combler son âme ! 

Voyons donc au dehors I que le froid est perçant ! 
Quelle aflûreuse tempête ! Oh ! quel vent rugissant ! 
Cependant tout là bas s'entr'ouvre le nuage 
Et de vers l'occident se remise l'orage. 



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LE SOIB BU HABCKÉ. 59 

J*apperçoi£ une étoile ... oh ! le doux pronostic ! 
Je la Yois plus brillante illuminer le pic 

De la montagne Mais, c'était une nuit claire 

Qu'un crime fat commis dans ce lieu solitaire. 

Oh ! mon Dieu dissipez de tels pensers, hâas 1 
J'écoute et n'entends rien, ni voix, ni bruit de pas ; 
Auprès du puits hanté le cher homme est peut-être 
La vieille, par bonheur, jamais ne s'enchevêtre. 

Que l'heure de l'attente est longue à s'écouler, 
Oh ! mon Dieu viendra-t-il bientôt me consoler? 
Chut ! un bruit a soudain âdt vibrer mon oreille, 
Echo répète-le — répète-le, je veille ! 

Une minute encore et cessent mes terreurs. 

Ou plus grandes encor suigiront mes douleurs ; 

Mais non, mais non, le ciel aujourd'hui me protège, 

Oh ! c'est lui, c'est mon homme, et tout couvert de neige. 

*' Qui t'a donc retardé ? . . . Pose ici ton fardeau, 
Comment as-tu bravé tant de neige et tant d^eau? 
Que pour toi j'ai senti de vive inquiétude .... 
Et la vieille I . . elle a fait aussi service rude ! . ." 

Elle a dit, et soudiûn embrasse son mari, 
Les yeux noy^ de joie, et le cœur attendri ; 
Le vieille à l'écurie est mise, et le bonhomme 
Joyeux, de contempler ses enfants dans leur somme : 

" Quoi I tous deux endormis ! au Ésiit c'est pour le mieux," 
Dit-il ; " oh I que le vent était impétueux ! 
J'aurais bien pu mourir et sans laisser de trace. 
Mais de te voir encor Dieu m'accorde la grâce ! 

'' Chère âme de ma vie, ange, mes doux amours. 
Toi qui sais embellir et mes nuits et mes jours, 
Sachons porter les maux que le ciel nous envoie. 
Après l'inquiétude, on sent si bien la joie!" 



60 LE SOUHAIT BEVOQTJÉ. 

BODDINGTON (MRS.). 
Morte vers 1840. 

Le Souhait Révoqué. 

Oh! si j'étais une feuille d'automne 

Jaune comme peau de chagrin, 
Sèche et crispée, au-dessus du ravin 
Par la brise emportée en sa course bouffonne : 
M'est avis que j'aimerais mieux 
Que de frôler la terre, aller frôler les cieux ! 

Vers l'Orient, car peut-être conduite 

Dans ma course, je pourrais voir 
La fraîche Aurore ivre de son miroir. 
Avant qu'à se pleurer elle ne soit réduite; 

Ou suspendue en l'air, le soir. 
D'ouïr le chant des cieux pourrais avoir l'espoir. 

Ou bien encor sur le front d'une étoile 

Doucettement me faufilant. 
Je frôlerais son rayon opulent ; 
Peut-être sa beauté je la verrais sans voile; 

Et j'entendrais le chant d'amour 
Du vent, quand à l'étoile il fait un doigt de cour. 

Peut-être aussi que vers la mer houleuse 

M'emporterait un coup de vent, 
Et que soudain à mon regard rêvant 
Apparaitrait Arran, cette île merveilleuse 

Où s'abritent les purs amours. 
Dans de charmants bosquets verdoyants à toujours 

Où sur le soir on entend la coquille 

En mi bémol souffler son chant 
De vers la lune, et le soleil couchant; 
Où les étoiles font dans les cieux croix qui brille ; 



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LE MOBT DES FLEURS. 61 

Où la mer reflète les fleurs 
Qui du haut firmament descendent en lueurs. 

Oh ! pour mes yeux quel monde de lumière ! 

Mais mon cœur que penserait-il 
Tandis que moi serais dans Tair subtil? 
Il penserait à ceux par lui laissés sur terre : 

M^est avis que j ^aimerais mieux 
Frôler la terre, ô vent! qu'aller frôler les cieux! 



BOWLES (MISS CAROLINE).— [MRS. SOUTIIEY]. 

Née en 1787— Morte en 1854. 

La Mort des Fleurs. 

Comme les fleurs s'en vont, mourant doucettement ! 
Si nous pouvions ainsi retourner à la terre ! 
Vivre au soleil des jours de plaisirs, d'agrément 
Puis choir, et sans douleur redevenir poussière ! ' 

Les fleurs n'ont pas besoin de filer leurs tissus, 
Leurs robes cependant sont toutes ravissantes, 
Sans fard est leur beauté; les trésors de Crésus 
Ne valent certes pas leurs perles séduisantes. 

Jamais mêmes plaisirs ne blaseront leurs cœurs, 
Quoique communs à tous; le soleil, les ondées, 
La rosée et l'air doux, le ciel et ses splendeurs, ' 

Sont pour elles toujours des faveurs accordées. 

Sans nul souci, vivant sans s'en apercevoir. 

Elles prennent le temps conmie il vient, conmie il marche. 

Souriant au matin sans désirer le soir, 

Et le soir du matin ne hâtant pas la marche. 



62 LES EinrAKTS SKDOBMIS DE CHANTBET. 

Quand leur heure est venue, allant vers le repos, - 
Elles penchent la tête et s^émiettent poussière; 
Ne craignant pas la parque, encore moins Minos; . 
Si nous pouvions ainsi retourner à la terre! 



BOWLES (REV. W. LISLE). 

Né en 1762— Mort en 1850. 

Les Enfants Endormis de Chantrey. 

Regardez ces enfants sur le même oreiller 

Dormant; marchez tout bas pour ne gâter leur songe, 

Surtout n'approchez pas; leur mère, quand j'y songe, 

Sitôt qu'il sera jour, les doit seule éveiller 

Avec un doux baiser, une douce parole. 

Un regard bienveillant qui tous deux les cajole! 

Mais, hélas! ils sont morts! ils sont morts tous les deux. 

Dans les bras l'un de l'autre, et paraissent heureux! 

Comme si de mourir dans la verte jeunesse 

C'est rêver de printemps, de fleurs et de liesse! 

De fleurs! . . . Mais approchez, un lis est dans la main 

De ce petit enfant, de ce beau chérubin. 

Un lis brisé, mais non flétri, dont le calice 

Est imbibé d'un pleur qui brille à l'orifice. 

Ainsi dort-il l'enfant non flétri quoique mort; 

Paraissant écouter de sa sœur qui s'endort 

Le soufle délicat, la molle et douce haleine, 

Comme il les entendait se soulever sans peine. 

Alors qu'en l'embrassant avant de s'endormir 

Tout auprès de sa sœur il allait se blottir! 

Du sommeil si profond dont il dort ce bel ange 

Seule le tirera la trompe de l'archange. 

"Prenez, prenez ces fleurs qui tombent de la main 

Du petit enfant mort, prenez, prenez soudain, 

Et soupirez pour lui, pour ce doux petit être 

Un adieu pour toujours, un au revoir peut être ! 



LSB MALOBÉ ÇA BU PAUTBE. 63 

Soient en paix vos esprits, enûints gentils tous deux ! 

La paix soit avec vous qui vivez dans les cieux! 

Mais avant de quitter vos dépouilles mortelles 

Si vivantes encore, et dans la mort si belles! 

Sur vos lèvres, enfants, déposons un baiser!" 

"Mais c'est un marbre froid! je ne puis m'abuser!" 

A tdi qui dérobas son âme à la nature 

Pour en doter un marbre, un morceau de sculpture, 

A toi, Chantrey, la gloire, à toi la renommée! 

Ton cœur peut la narguer Fenvie envenimée ! 

Car ces gentils enfants qui dans un doux sommeil 

Dorment ainsi, sans craindre un importun réveil. 

Les siècles les verront, passeront sur leur tête. 

Mais sans pouvoir jamais en £ûre la conquête; 

Pour ces corps si charmants pas de corruption. 

Ils n'enfanteront point Tannihilation, 

Ce hideux ver rongeur, malveillante canaille 

Sur le corps qui fut nous, qui grouille et fait ripaille; 

Mais ce calme si doux, ce sourire enchanteur 

Qui se joue immortel sur ces yeux sans lueur, 

Attireront toujours avec de nouveaux charmes 

Des mères le regard ému de saintes larmes; 

Et les pères diront tous d'un commun accord: 

Qu'ils dorment doucement ces enfants dans la mort!" 



BURNS (ROBERT). 
Né le 26 Janvier 1759--Mort le 21 Juillet 1796. 

Les Malgré ça du Pauvre. 

Qu'un honnête homme pauvre ait le honteux caprice 
De courber le front pour cela. 
Foin du poltron, pauvreté n'est pas vice, 
Soyons pauvres, malgré cela. 
Qui travaille ici bas peut regarder sans crainte 

Le riche pour cela, 
D'une guînée en or le rang n'est que l'empreinte, 
Et l'homme est l'or, malgré cela! 



64 LES MALGRÉ ÇA DU PAUVRE. 

Avec habit de bure, avec repas modeste 
Est -on moins libre pour cela? 
La gloriole aux sots ! nargue du reste ! 
L'homme est Thonmie malgré cela ! 
De pompeux oripeaux font-ils les gentilhommes? 

Vanité tout cela! 
Quelque pauvre qu'il soit, pour moi le Roi des hommes 
C'est rhonnête homme malgré ça ! 

Regardez-moi ce paon qui pose et fait la roue. 
C'est un Lord, et rien moins que ça ; 
A le flatter voyez chacun s'enroue, 
Ce n'est qu'un sot, malgré cela. 
A montrer ses crachats son fol orgueil aspire, 

Clinquant que tout cela! 
Ce brillant paltoquet, c'est un fort pauvre sire 
Près d'un homme, malgré cela! 

Un Roi peut fabriquer un Chevalier, un Comte, 
Marquis et Ducs, et cœtera. 
Mais son vouloir ne peut faire à bon compte 
Un homme de bien malgré ça: 
Grandeurs et dignités, joyaux de la puissance 

Hochets que tout cela! 
Le bon sens, la vertu, la noble indépendance. 
Sont les vrais Rois, malgré cela! 

Prions donc tous le ciel que le jour puisse naître 
Où le bon sens et tout cela. 
Sans passeport, en se faisant connaître 
Circuleront malgré cela. 
Non le temps n'est pas loin où sur chaque hémisphère 

Malgré ci, malgré ça. 

De par l'humanité l'homme sera le frère 

De tous les hommes malgré ça! 



i 



A UNE SOURIS. 65 



A UNE SOURIS. 
En la sonlevant de son nid avec la charme. (Novembre 1785.) 

Petit animalcale au poil qui se haïsse 

Quelle crainte soudaine envahît donc ton cœur? 

Pourquoi laisser ainsi galoper ta fiiayenr 

Jusques au précipice! 
Arrête, je te prie, et calme ton émoi, 
Et surtout ne crains rien, de ma bêche on de moi. 

Je suis vraiment fâché que le pouvoir de l^homme 
Ait brisé sans retour ce contrat social 
Des êtres animés état primordial, 
Et justifie en somme 
La frayeur qui te fait si brusquement me fuir, 
Moi, né tout comme toi, pour souffiîr et mourir. 

Je le crois cependant souventefois tu voles. 
Mais quand cela serait? U faut vi\Te ici bas, 
Et d^ailleurs, ces larcins qui forment tes repas 

Pour moi sont babioles! 
Un épi te suffit sur un tas de froment, 
Encor me bâiis-tu pour ce prélèvement! 

Hélas! voilà pourtant ta chaumière en ruines. 

Le soc de ma charrue a renversé son toit, 

Ses murs si bien construits pour te garer du froid. 

Et voici les bruines! 
Et plus un brin de paille, un atome en nos champs. 
Pour te faire un abri contre les éléments. 

A Taspect de Thiver annonçant la froidure, 
Ta prudence éveillée avait vite construit 
Ce grenier d'abondance à point si bien conduit, 
Et si beau de voussure! 



66 ADIEUX 1 NEWSTEiLD ABBET. 

Mais patatras! voilà que mon coutre inhumain 
Vient briser ta demeure, et te laisser sans pain I 

Pour amasser en paix ce petit tas d^teule, 
Pour grignoter le chaume, en être le faucheur, 
Et pour^mener à bien un aussi grand labeur 

Que de pas à la meule ! 
Que de soins n'as-tu pas dû te donner, mon Dieu I 
Et te voilà pourtant par moi sans feu ni lieu! 

Mais petite souris, ô mon cher petit gnome, 
Crois-le, tu n'es pas seule à souffrir ici bas. 
Et l'homme et la souris, tous deux, en plus d'un cas, 

Poursuivent un fantôme; 
Les uns cherchent la gloire et trouvent le trépas, 
D'autres cherchent la joie et trouvent des hélas! 

Oui, crois-le bien, ton sort au mien est préférable, 
Le présent seul te touche, — au contraire en mes sens 
Tous les maux du passé, je les vois, je les sens ; 

Leur aspect formidable 
Me jette l'épouvante et m'alarme à la fois, 
Et quand à l'avenir— je crains, . . . car je prévois! 



BYRON (LORD). 

Né en 1788— Mort en 1824. 

Adieux À Newstead Abbey. 

"Why dost thon build the hall? Son of the winged days! Thou 
lookest from thy tower to day, yet a few years and the blast of the 
désert cornes; it howls in thy empty court." — Ossian. 

Il tombe, il est tombé le manoir de mes pères, 
Mon Newstead, autrefois si brillant et si beau ! 
Le vent souffle à travers ses tourelles Itères, 
Et la rose a fait place au lierre du tombeau ! 



ADTEirX À NEWSTEAD ABBET. 67 

Guerriers bardés de fer qui jusqu'en Palestine 
Poussâtes vos vassaux à des combats géants, 
Que reste-t-il de vous? . . . Un nom . . . une ruine, 
Le bruit de vos blasons agités par les vents! 

Robert, le vieux Robert ne les fait plus entendre 
Ces chants victorieux enfantant des héros : 
Près la tour d'Ascalon qui conserve la cendre 
De John de Horistan, Robert dort en repos! 

Paul et Hubert aussi, dans un jour de victoire 
Aux plaines de Cressy sont morts avec honneur, 
Edouard et l'Angleterre ont réclamé leur gloire! . . . 
Mourir pour la patrie est le plus grand bonheur! . . . 

Alliés de Rupert luttant contre des traîtres 
Quatre frères, un jour, ont défié le sort, 
Sous le nombre accablés, dignes de leurs ancêtres, 
Dans les champs de Marston ils out trouvé la mort, 

Ombres de mes héros qui peuplez ce domaine. 
De votre descendant recevez les adieux; 
De loin comme de près son cœur à vous s*enchaîne. 
Il saura conquérir un destin glorieux. 

Ne vous offensez pas qu'une larme furtive 
Mouille ses yeux émus au moment du départ, 
n vous quitte à regret, et pour une autre rive, 
Im sera-t'il donné de vous revoir plus tard? 

Mais aux Dieux mon destin! . . . Vivant de votre gloire, 
Je vivrai conune vous, ou bien saurai mourir ! 
Puissé-je, près de vous abriter ma mémoire 
Et, mort) mêler ma cendre à votre souvenir! 



f2 



68 WATERLOO. 

Waterloo. 

I. 

Non, ce n'est pas sur toi qu'il faut dire anathème, 
Waterloo! champ d'honneur de tant d'illustres deuils; 
Non, ce n'est pas sur toi, bien qu'un sanglant baptême 
Inonde tes sillons engraissés de cercueils! 
Liberté! si ton sang, fertilise ces plaines, 
n a coulé, mais il n'est pas perdu, 

Et dans la terre descendu, 
Un jour il surgira pour oxider nos chaînes! 
Tel le puissant Typhon surgit de l'océan 
Renfermant dans son sein les masses condensées 
D'impalpables vapeurs, qui par le vent lancées, 
S'agitent dans l'espace, et forment l'ouragan, 
Tel ce sang, dans les airs s'élançant sans entraves 

De chaque débris glorieux. 
Se confond et se mêle à ton sang précieux 
Labédoyère! ô toi le plus brave des braves! 
Comme un nuage rouge il monte à l'horizon, 
H s'étend, s'élargit . . . gigantesque prison. 
Sous l'éclat de ses feux il englobe la sphère, 
Mais il retombera vers les lieux d'oii naguère 
Timide il s'élevait à la cime des cieux; 
Puis crevant sous son poids, indompté, furieux, 
Ravivant tout à coup les horreurs de la guerre, 
Au milieu du fracas et du trouble des airs 

Jetant l'épouvante à la terre, 
De ses flots comprimés jaîUira le tonnerre 

Et le feu roulant des éclairs. 

II. 

n est tombé le chef, le géant des batailles! 
Mais non pas sous vos coups vil troupeau de vainqueurs! 
Quand soldat citoyen ses merveilleux labeurs 
Illustraient son pays par mille funérailles, 



WATEBLOO. 09 

Quand à travers TEorope avec ses grenadiers 
Au pas de charge il menait son armée 
A la victoire accoutumée, 

De par la liberté moissonner des lauriers, 

Qui de %us tous, ô superbes despotes ! 

Osait se mesurer au chef des sans culottes? 

Avant que le héros, foulant aux pieds la loi, 

Du trône élevé de sa gloire, 
Un jour de funeste mânoire 
Descendit . . . pour se hisser Roi! 

Mais alors il tomba Faigle qui dans sa serre 

Enlaçait Tunivers, il tomba jusqu^à terre; 

Et tombent comme lui ces rois, ces empereurs 

Qui de rhomme par Thomme ont rêvé Tesclavage, 

Qui des enûints du peuple exploitant le courage. 

Des droits de tous usurpateurs, 

Sur des monceaux de morts étayent leurs grandeurs! 

m. 

Et toi Guerrier superbe, au panache de neige, 

Qui te pavanait comme un Beau! 
Toi qui dans ton royaume attiré par un piège 

N^en obtint pas — même un tombeau;* 
Mieux eut valu pour toi que soldat prolétaire 
Tu guidasses la France à d'incessants combats 
Contre des rois du nord la horde mercenaire. 
Plutôt que d'acheter la honte et le trépas 
Au prix de ce hochet qu'un faux luxe environne. 

Au prix d'une couronne, 
Que le Bourbon de Naple indigne de son rang 
Tout souillé de forfisdts, tout dégouttant de crimes, 
Mais celui-là par Dieu l'un des Rois légitimes. 

Ramassa jusque dans ton sang!f 

* Le bruit a coum qu'on avait arraché les restes de Murât de Li 
tombe pour les brûler. — (Voir les Misceîlaneous Works of Lord Byron.^ 

t Lady Morgan nous apprend (^ItcUy, vol. II) que Ferdinand IV. 
avant d'envoyer l'ordre de ftisiller Murât, avait fait tous les prï-paratifs 



70 WATERLOO. 

Obi quand porté sur ton cheval de guerre 
Bouillant, impétueux tu criais: **En avant!" 
Et que foudroyant tout à Tégal du tonnerre 
Tu balayais la plaine ainsi qu'un fier torrent. 
Quand les casques brisés par le fer, A mitraille 

En jets de feu pleuvaient autour de toi, 
Quand les sabres rougis au fort de la bataille 
Brillaient d'éclairs, semant partout Teffiroi, 
Et quand au milieu du carnage. 

Faisant face à Porage 
Par ton sang-ôroid, par ton courage 
Tu commandais . . . même au destin 
Oh ! pensais-tu jamais quelle serait ta fin! 

Qu'est devenu ce blanc panache 
Par Tarme d'un esclave est-il donc abattu? 
Comme le flot fougueux qui des flots se détache, 
Naguère on le voyait toiyours flotter sans tache 

Partout où brillait la vertu. 
Partout où pied à pied on avait combattu. 
Lorsque de mille feux la tête auréolée 
Parmi les cris de mort, au fort de la mêlée 

L'aigle s'avançait glorieux, 
Quand la ligne enfoncée envahissant la plaine 

S'arrêtait incertaine, 
Ou bien fuyait la mort, en fuyant en tous lieux. 
Là, dans ce même instant, l'œil affîuné de gloire, 
Du plus hideux carnage affirontant le reflux. 
Murât chargeait : — Murât assurait la victoire . . . 

Là Murât ne chargera plus! 

nécessaires, pour quitter son royaume dans le cas où on aurait refusé de 
lui obéir. H suflSt d'avoir lu l'histoire de son règne pour être persuadé 
de la vérité du fait. Ferdinand IV. était un homme qui joignait à la 
cruauté de Louis XI, la perfidie de Ferdinand le Catholique, et la 
timidité d'Edouard IL II envoyait ses sujets à la mort, se jouait des 
serments les plus solennels, et tremblait devant une épouse adultère, 
devant l'amie de l'impudique maîtresse de Nelson, Lady Hamiltou. 



WATBBIXM). 71 

IV. 

Sur une gloire étante ils marchent les Barbues! 
Quand la victoire en pleurs gémit sur ses Dieux lares 

£t sor ses arcs brisés; 

Mais ^e la main sur son épée, 

A la Tyrannie écbMppéej * 

Ange consolateur de tous les cœnrs frcnsaés 

La liberté se réveille joyeuse, 
Et sur tous ces débris s^impose ^orieuse! 
Deux fois la France a vu malgré son juste orgueiL. 
Ses triomphes d*hier se changer en long deuil; 
Assez et trop longtemps elle a vécu victime 
Tantôt de ses vieux rois, tantôt d'un fou suMime; 
Ce n'est plus d'un trônant que dépend son bonheur, 

Ni d'un roi, ni d'un empereur. 
Ce roi fut-il Capet, et ce trônant suprême 

Fut-il un Napoléon mêmel 
Mais du r^ne des lois et de l'égalité, 
De l'union des cœurs, de la firatemité, 
De cette liberté que l'homme à sa naissance 
Reçut du Créateur avec son existence. 
De cette liberté dont, en dépit de Dieu, 
Les Rois du droit divin voudraient firustrer la terre, 
De cette liberté qu'ils traquent en tout lieu 

Pendant la paix, pendant la guerre, 

N'épargnant pour la terrasser 

Et pour la clouer dans sa bière. 
Ni l'or des nations, pour eux vile poussière. 

Ni le sang, s'il le faut verser. 

V. 

Mais le cœur, mais Tesprit, mais la voix étemelle 
De tout le genre humain, épurée, immortelle, 

Au creuset des revers, 
S'élevant unanime et grande et solennelle 
Contre tous les tyrans et leur vile séquelle 
Fera de ce vieux monde, un nouvel univers. 



72 LA DESTBUCTION DE SENKAOHEBIB. 

Qui pourra résister à si noble alliance? 
Le glaive a fait son temps, et ne saurait servir 
A pourfendre Tidée impalpable à saisir. 
L'Homme passe; TEsprit est devenu Puissance! 
Oui, dans ce siècle impur, il bat encor des cœurs 
Qui de la liberté généreux défenseurs, 

Acceptant le saint héritage, 
Sauront répandre au loin son esprit invaincu: 
Alors plus de tyrans, alors plus d'esclavage, 
Le despotisme aura vécu: 
Et des vertus Mère féconde, 
La Liberté, Reine du Monde 
De tous côtés voyant relever ses autels, 
Sous le niveau des lois r^ira les mortels. 



La Destruction de Sennacherib. 

COBfME un loup dévorant en veine d'appétit, 
Sur le troupeau bêlant l'Assyrien fondit ; 
Ses armes scintillaient sous la voûte étoilée. 
Comme étoiles la nuit au ciel de Galilée. 

Coname feuilles des bois lorsque vert est l'été. 
Hier cet ennemi brillait de majesté; 
Comme feuilles des bois quand a soufflé l'automne, 
Aujourd'hui sur le sol il git là monotone. 

Car l'ange de la mort a soufflé le trépas 
Sur chaqu' Assyrien, à chacun de ses pas. 
Et les yeux des dormeurs restèrent sans lumière, 
Et leur cœur palpita, mais pour la fois dernière. 

Et là le nez au vent, là gisait le coursier 
Veuf de souffle orgueilleux, veuf de regard altier; 
Et là sur le gazon son haleine posthume 
Toute froide gisait comme une blanche écume. 



LE BÊVE DU SOLDAT. 73 

Et là gisait aussi, gisait le cavalier 

Le front pâle, et la rouille à sa cotte d*acier; 

Et les tentes étaient toutes silencieuses, 

Les lances sans support, les trompettes honteuses 

De ne pouvoir sonner; et les veuves d'Ashur 
De briser de Baal le simulacre impur; 
Le pouvoir des Gentils a fondu comme neige 
Non par le glaive, mais — ^par le Dieu qui protège! 



CAMPBELL (THOMAS). 

Né le 27 Juillet 1777— Mort le 18 Juin 1844. 

Le Rêve du Soldat. 

Le clairon de la trêve a sonné le signal. 
Car on n'y voyait plus; et déjà les étoiles 
Sentinelles de nuit, et notre seul fanal 
Montaient leur garde aux cieux tout assombris de voiles. 
Sur le champ de bataille entassés par milliers, 
Gisaient morts et mourants, chevaux et cavaliers. 
Harassés, les vivants s'endormaient sur la paille, 
Les blessés, la plupart, mourraient vaille que vaille. 

Cette nuit là, couché sur mon dur havresac. 
Et non loin du falot dont la fauve lumière 
Ëpandait ses reflets tout autour du bivouac 
Pour éloigner des loups la horde carnassière 
Et préserver des morts les cadavres sanglants; 
Au milieu du silence et des cris des mourants, 
A mes sens engourdis s'oflfrit un bien doux songe. 
Et trois fois je crus vrai ce ravissant mensonge. 

Il me semblait que loin, bien loin de l'attirail 
Epouvantable, affreux de ce champ de carnage, 
Je suivais un sentier qui menait au bercail, 
Un sentier fort désert, mais qui dès mon jeune âge 



74 LE EÉVE DTJ SOLDAT. 

M'avait paru charmant — Les rayons d'un soleil 
D'automne l'éclairaient d'un éclat sans pareil, 
En hâte j'avançais, et dans ma rêverie 
Je me croyais déjà dans ma douce patrie. 

Je volai vers les champs traversés si souvent 

Alors que de la vie inaugurant l'aurore, 

Mon cœur jeune et fougueux s'élançait en avant 

Comme le feu follet qui court et s'évapore. 

Je vis brouter la chèvre, et j'entendis l'agneau 

Bêler dans la montagne, en quête d'un peu d'eau. 

Je reconnus enfin par delà dans la plaine 

Le chant du moissonneur couronné de verveine. 

Puis nous trinquâmes tous avec du bon vin vieux, 
Et je jurai tout bas, je jurai dans mon âme. 
De ne le plus quitter le toit de mes ayeux, 
Mon foyer bien aimé, ma famille, ma femme: 
Car mes gentils petits, encor mieux qu'autrefois 
M'entouraient de leurs bras, m'embrassaient mille fois: 
On eut pu tous nous croire à la douleur en proie, 
Ma femme sanglotait tant débordait sa joie« 

" Reste, reste avec nous, reste, repose-toi. 
De ton sang précieux ne sois plus si prodigue ; 
Reste, reste avec nous, ah ! reste près de moi," 
Disait ma chère femme, "reste, et plus de fatigue!" 
Et leur soldat brisé par la guerre et ses maux. 
N'eut pas demandé mieux que jouir du repos: 
Mais soudain le tambour battit la générale, 
Et s'envola du coup ma douce pastorale. 



fleuss ds8 champs. 75 

Fleubs des Champs. 

Nos jardins <»gaeîlleiix dédaignent la cohnre 
De vos chastes attraits nuTes dean des champs, 

Elnfants trouTés de la nature ! 
Mais vous êtes pour moi des objets ravissants; 
Par vous je me retrouve aux étés du jeune âge. 
Quand simple bouton dW, pâquerette sauvage. 
Plus que l'or et Pargent éblouissaient mes sens. 

Vous créez pour mon cœur les plus riants mensonger. 
Le bleu de la montagne et le vert des rameaux, 
Vous me bercez des plus doux songes. 
De la brise embaumée, et du bruit des ruisseaux. 
Du chevreuil qui s'enfuit à travers la clairière, 
Du soleil qui se couche au sein de la lumière. 
Et du chant du ramier qui roucoule ses maux. 

Il n'est pas de musique aussi douce à l'oreille^ 
Pour^moi qui vous comprend, mes fleurettes de Juin, 

Que la musique sans pareille 
Que parlez à mon cœur en langage divin: 
Vous ravivez pour moi les castels en ruines, 
Où jeune, j'admirais vos beautés enfantines, 
Quand pour moi la nature était amour sans fini 

Et même en ce moment que de douces images 
Une humble violette éveille dans mon cœur, 

Que de mirifiques mirages 
Reflète le lys d'eau dans son lac enchanteur! 
Que de sites charmants me dit la primevère, 
Que de chênes, d'ormeaux me rappelle le lierre^ 
Et de jaunes épis le bluet, simple fleur! 

Petits boutons chéris, étoiles que la terre 
A semé sans culture au début du printemps, 
Sur le plancher de notre sphère, 



76 DOKIÏB-MOI PLUS D'aMOUB. 

Vous fûtes mes amours à Taube de mes ans: 
Hélas! Ils sont passés les jours de ma jeunesse ! 
Par de doux souvenirs réchauffez ma vieillesse, 
Et sur ma tombe un jour venez braver les vents! 



CAREW (THOMAS). 
Né en 1589— Mort en 1639. 

Donne-Moi plus d'Amour ou bien plus de Dédain. 

Donne-moi plus d'amoiu* ou bien plus de dédain, 

La zone torride ou glacée 
Apportera solace à mon âme oppressée; 
Mais le juste milieu serait solace vain. 
L'extrême de l'amour, ou la haine et la guerre, 
Plutôt qu'un calme plat, ça fait mieux mon affaire ! 

Donne un orage si l'orage est de l'amour ! 
Et comme Danaé j'en boirai les délices ; 
Que si c'est du dédain, mes espoirs de vautour 
Son torrent les broiera dans ses noirs orifices : 

Celui que relâche l'enfer 
Déjà possède un fief au ciel — par Jupiter I 

Donc dans des flots de joie 
Laisse que je me noie, 
A mes sombres doulem-s ou ne mets plus de frein . . . 
Donne-moi plus d'amour, ou bien plus de dédain ! 




l'elixte de la vie. 77 

CAROLAN (TURLOGH). 

Né à Nobber en 1670— Mort en 1738. 
L^Elixir de la Vie.» 

LE BARDE (APOSTROPHANT LE WHISKET). 

Elixir de la YÎe ! ... oh 1 pourquoi t^aimer tant ! 
Puisqu'à te rencontrer, bien que je sois content, 
Je suis toujours battu, rossé par toi, pourtant! 

Si je pouvais t^imposer ma puissance! . . . 
Par toi mon seul habit est l'habit d'un grigou, 
De cravatte n'ai plus pour m'étrangler le cou. 
Pourtant je te pardonne, et t'appelle un bijou 

Si veux demain m'égayer d'importance. 

LE WHISKEY AU BARDE. 

Quand dimanche prochain tous aurez entendu 
L'office tout d'abord, — puis un sermon dodu, 
Venez au cabaret, — ça n'est plus défendu; 

Et si de fait, vous avez la migraine. 
Vous trouverez à boire au susdit cabaret; 
Au baril on mettra pour vous le robinet. 
Et moi m'arrangerai pour que ce qui vous plaît 

Vous soit donné pour calmer votre peine. 

LE BARDE AU WHISKEY. 

Whiskey! mon bel ami! je vous respecte trop 
Pour vous redire " Tu;" mais je dis au galop 
Vous êtes mon cousin, ma sœur et mon sirop. 

En un seul mot vraiment tout ce que j'aime ! 
Vous êtes fort coûteux, vous épouse malgré, 
Whiskey mon bel ami î — Mon bien est délabré. 
De mes troupeaux pour vous je fais miserere, 

Si me restez . . . vous êtes mon poème ! 

* Traduit sur la traduction Anglaise de John Daltou, M.R.S.A. 



78 LE coucou ET LE BOSSIONOL. 

Venez à moi bien vite, ô veine de'mon cœur ! 
Vous êtes mon festin, vous êtes ma liqueur, 
Mes ancêtres ont tous goûté votre bonheur, 

Leur culte était Fesprit de la montagne ! 
Usquebac ! cher amour I que j^aime ton baiser I 
Si lorsque jeune encore on vint me baptiser 
Le bassin eut été, — je ne veux pas gloser. 

Rempli de toi,— j^eusse bu ce Champagne I 

Nous avons ensemble eu mainte prise de bec. 
Vous m^avez rendu fou, vous m'avez fait échec 
Et mat;— nombre de fois vous m'avez mis à sec, 

Mais malgré ça mon cœur vous alambique I 
Vous êtes et ma femme et mon enfant chéri, 
Mon papa, ma maman, mon frère favori, 
Mon vêtement unique et mon unique abri. 

Tant que pourrai, — vous aurez ma pratique. 

Si Forgueil de famille enflait un estomac, 
J'ai pour ma parenté, non certes Teau du lac. 
Mais Vcde et le cognac, le rhum et Fusquebac, 

Quand au clairet parbleu ! je le méprise I 
Ne voulant pas d'ailleurs avoir maille à partir 
Avec le haut clergé pour ne m'en repentir. 
Je laisse à ces diseurs de messes pour loisir 

lie dit clairet . . . c'est le lot de l'élise I 



CHAUCER (GEOFFREY). 

Né en 1328— Mort en 1400. 

Le Coucou et le Rossignol. 

Chancer rêve qu'il entend le Concon et le Rossignol se disputer la 

palme du chant. 

Le Dieu d'amour — qu'il soit béni ce Dieu ! 
Est un seigneur puissant par la corbleu I 
D'un rien du tout il vous fait un grand homme. 
Puis d'un grand homme un rien du tout en somme I 
Et des cœurs durs fait des cœurs pleins de feu ! 



k 



iM €orcor mt im 

npeat de t€Bps ^ ■■ peoc 
Rendre dispos le covle 
n peut au», s ul ea se 
Rendre nalide wmcamrum i< 
Selon 



Tont mon e^nc à «firt son pocrûr 

Ne Mifllrait. tut 

D*im triple sot 3 

D'im ofgϔDeiix m hwti^ 

Bpeat en&ice qne 



An gnmd jsnaii mal n'a 

Lm dire non : ce Kiait «ne oSiaiK 

Il rend joyeux on triste à ttJ 

Tons ses désirs sont d'ut 

Mais c'est en Mai qn'cm zaade tt ^nâsuBi^.. 



Car cbaqoe coeur dans ce tcns zesdl x<:4a 
Quand il est libre, et qGaad il €s>t «Knr^.-tti. 
Sent nn tic-tac qui fan fait j«îe et pésut , . . 
Sans qnH s'en doote il court la preKsacK. 
Et malgré loi bien dbaods sont ua éawJ» : 

Car qnand on T<Mt renaître ia rerd^ire. 
Quand on f^end soupirer la nantre. 
Snayement gay4Hnllfr les oiaeanx. 
Cela TOUS fait germer d^rs noarcanx. 
Et de droits rayire la coltnre; 

Et de ce rêve airiTe one lourdeur 
Qui Yons fait mal, et qoi se glisse an cceor 
Qni devient chand tout autant qu'one braise, 
Ce qui vous cause mi bien cruel malaise. 
Du mois de Mai tant brûlante est l'ardeur ! 




80 LE COUCOU ET LE HOSSIGNOL. 

Ce que j'en dis est par expérience, 

Quoîqu' étant vieux sois moins apte, je pense, 

A ressentir ce plaisir vif et gai 

Qu'en tous les cœurs vient renouveler Mai, 

N'en ai pas moins souvent de la souffiunce. 

Suis si troublé par la fièvre de Mai 

Que dors fort peu, tant au cœur grand mal j'ai I 

Et m*est avis, qu'il n'est pas vraisemblable 

Que de dormir un être soit capable 

Lorsque l'amour lui chante un virelai. 

Donc l'autre nuit, qu'éveillé quand j'y songe, 
Je m'arrangeais un charmant petit songe. 
Je réfléchis que Messieurs les amants 
Du Rossignol aimaient bien mieux les chants 
Que du Coucou la note qui s'allonge. 

Et je me dis: Sitôt qu'il fera jour 

Me lèverai, puis je sortirai pour 

D'un Rossignol entendre le ramage. 

Car n'en ai point entendu, c'est dommage, 

Jusqu'à ce jour, le trois du mois d'amour. 

Et sitôt dà que je vis la lumière 
Du beau Phœbus éclairer ma paupière, 
Hors de mon lit je me jetai soudain. 
Et hardiment de vers un bois voisin 
M'acheminai le long de la rivière. 

Jusqu'à ce que je vis, c'était fort beau 
Je vous l'avoue, un verdoyant préau. 
Le sol était jonché de paquerettep, 
Hautes étaient les pimpantes coudrettes 
Qui s'unissant formaient un frais berceau. 



ï 



LE COUCOU ET LE BOSBIONOL. 81 

Là je m^assîs parmi les fleors nouyelles, 
Et lors je vis sontenus sur leurs ailes 
Hors de leur nid voltiger les oiseaux 
Saluant Mai des accords les plus beaux, 
Et lui chantant leurs gentes vfllanelles. 

Et cet office ils le savaient par cœur, 
Car très souvent ils le chantaient en chœur, 
Mais les aoli, de chant c^étaient des gerbes, 
Qui vers le ciel montaient, montaient superbes, 
Que estait beau! que c'était enchanteur! 

Us s*épluchaient, et faisaient leur toilette. 
Puis sautillaient, dansaient sous la coudrette, 
Et deux à deux s'assemblaient, c'est certain. 
Tout comme si le bon Saint Valentin 
Pour une année eut formé leur couchette. 

Le fleuve au bord duquel j'étais assis, 
Faisait, dirai-je, un si doux roucoulis. 
Que des oiseaux dans son léger tangage, 
Il s'accordait avec le gai ramage. 
Et produisait un chant des plus exquis. 

Ne sais comment, le dis sans périphrase. 
Mais tout à coup, me sentis en extase, 
Ne dormant pas, n'étant pas éveillé, 
Mais sous un charme étant émerveillé, 
Et de son cours étudiant la phase ; 

Lors j'entendis la note du Coucou, 

Ne fus content, car ce n'est le pérou: 

Que Jésus Christ qui mourut pour nous, dis-je, 

Vilain oiseau te donne le vertige ! 

Ton cri lascif ne me plait pas, grigou ! 

G 



82 LE OOUOOTJ ET LE EOSSIGNOL. 

Et par ainsi comme épanchais ma bile 
Sur le Concou, sm* son chant malhitbile, 
Tout prés de moi dans le buisson voisin 
Le Rossignol je Tentendis soudain 
Charmer Técho des bois de son idyle. 

Ah! dis-je alors, mon bon doux Rossignol 

Tu nous fis bien attendre ton bémol, 

Et le Coucou de sa voix peu savante 

A fait sonner la note glapissante 

Depuis longtemps. La mort le prenne au vol! 

Mais maintenant, admirez la merveille ! 
Ces chants d^oiseaux venant à mon oreille, 
Moi j'eus bientôt la clé de leur pourquoi, 
Je les compris, et j'en sus le sens . . . quoi! 
Eut-on jamais une chance pareille ! 

Lors j'entendis soudain le Rossignol 
Dire au Coucou : " Va-t-en porter ton sol 
Ailleurs, mon brave I et laisse-nous d'urgence, 
Nous, beaux chanteurs, soupirer la romance: 
De ton son creux débarasse le sol!" 

Dit le Coucou: "Quel est-il ton délire? 
Tout comme toi je chante, qu'est-ce à dire? 
Mon chant est juste, il est simple à la fois, 
Et m'est avis charme l'écho des bois 
Mieux que le tien qu'on ne saurait écrire. 

Car un chacun peut me comprendre, moi I 
On ne saurait en dire autant de toi, 
Ta note Ocy n'est qu'une gargouillade, 
En fait de chant, c'est une bambochade, 
S'en vanter est stupidité ma foi I" 



LE oorcor et le bossioitol. 83 

'^ Ah ! triple sot !^* dit soadAm en colère 
LfO Rossignol, "trêve à ton commentaire ! 
Lorsque je dis Ocy, ne sais-tu pas, 
Que yeux par là souhaiter le trépas 
A qui médit de TEnfuit de C>thère? 

Voudrais aussi qu^ils fussent tous occis 
Ceux là qui sont froids et jamais épris, 
Car de Tamour qui ne lit bien au livre, 
Moi je le tiens pour indigne de vivre. 
Voilà pourquoi lui jette mon mépris !" 

"Oui dà, mon bon î ton enfant de Cythère" 
Dit le Coucou, "faut Faimer pour te plaire ! . . . 
Moi point n'en veux du petit Dieu badin, 
Son joug pesant est beaucoup trop hautain, 
Ne veux mourir d'amoureuse chimère; 

Car des humains les amants sont les gens 
Les moins heureux, le sais depuis longtemps, 
Je ne fais point ici de médisance. 
Mais ils sont tous ennuyeux par essence, 
Et leurs chagrins leur font perdre le sens." 

— **Tu perds Tesprit ! Coucou des plus frivoles, 
En proférant de semblables paroles 
Sur mes amis les desservants d'amour ! 
Car dans ce monde et son vaste pourtour 
De l'amour seul naissent les auréoles 

Du vrai bonheur; la gentilhommerie, 
La courtoisie et la chevalerie, 
Plus la gaité, le bien-être du cœur, 
La confiance et le sublime honneur, 
Et des vertus la nombreuse série, 

a 2 



84 LE coucou ET LE BOSSIGNOL. 

L^humilité, la générosité, 
Le beau semblant, l'antique loyauté, 
L'horreur du mal, le vouloir du bien faire, 
Le noble instinct d'un noble caractère, 
Qui pour moteur a l'immortalité, 

Préférant tout, la mort même, à la honte ! . . . 

Vivrai, mourrai, je le dis à bon compte. 

Dans cette foi: — si je me parjurais 

Je n'oserais me pardonner jamais. 

Ma vie alors serait un grand mécompte ! " 

— "Beau Rossignol vraiment tu parles d'or, 
Mais tout cet or n'est que du sûnilor, 
Car ton amour . . . c'est du libertinage 
Dans le printemps, et c'est du radotage 
Lorsque l'hiver sur nous a pris l'essor. 

s 

De ton amour qui fait plus grand usage, 
. A dans la vie aussi plus grand dommage ; 
L'amour enfante et malaise et lourdeur, 
Soucis, chagrins, querelles et malheur. 
Folie, orgueil, et stupide servage. 

Aimer est donc acte de désespoir. 

Car c'est noyer dans le vide l'espoir: 

Si l'amoureux tire un peu de liesse 

De son amour, et que cet amour cesse. 

Foin du bonheur ! son cheveu n'est plus noir ! 

Beau Rossignol rabats de ton parlage, 

Car en dépit de tout ton radotage, 

De ton amie un jour que tu sois loin. 

Et de tes cris moi je serai témoin, 

Tant tu craindras pour ta couche un outrage ! " 



LS COUCOU ET LE BOSSIGKOL. 85 

— ^^ Fi sur ton nom, sur toi méchant Coucou, 
Moi Rossignol, je te déclare fou : 
Car sans Pamour, maint noble caractère 
N'eut été rien, rien du tout sur la terre; 
Du beau, du bon, Tamour est Famadou; 

Car c'est l'amour qui de mal les préserve 
Ses serviteurs: et pour peu qu'on le serve. 
Des mêmes feux il embrase les cœurs. 
Et leur octroie un tas de chauds bonheurs 
Avec pouvoir d'en user sans réser>'e." 

— "Oh! Rossignol!" repartit le Coucou, 
"Tu vas cacher ton bon sens. Dieu sait oh? 
Car ton amour, n'est besoin qu'on le beugle, 
Nul ne l'ignore, est un enfant aveugle 
Qui fait faveur bien souvent au plus fou !" 

Le Rossignol, lors j'en fis la remarque. 
Soupira fort, et dit: "Pourquoi la parque 
M'a-t-elle hélas! accordé tant de jours 
Que sois forcé d'entendre tels discours ! " 
Puis dans ses yeux d'un pleur je vis la marque. 

Puis reprenant: " Il se brise mon cœur ! " 

Ajouta-t-il," entendre ce sauteur 

Parler d'amour en si vilain langage ! " 

Et moi, me dis: "Amour te rends hommage. 

De ce Coucou-fais-moi triomphateur!" 

11 me parut alors, fut-ce un vertige, 
Qu'il s'esquivait; et j'en fus content, dis-je; 
Mais en fuyant ce méchant paltoquet 
Ce vil Coucou m'appela perroquet 
Jusqu'à trois fois, si bien me récoUige ! . . . 



86 LE coucou ET LE BOSSiaKOL. 

Alors vers moi précipitant son vol : 
"Ami, merci I" me dit le Rossignol, 
"D'être venu soudain à ma rescousse, 
Je fais le vœu, gratitude m'y pousse, 
De te chanter la si re mi fa^ sol 

Durant tout Mai, de par Tamour le jure 1" 
Je répondis: "Rossignol je t'assure 
Suis satisfait. Sur ce, le doux chanteur: 
"Ne sois vexé," dit-il," " gent écouteur : 
Si le Coucou, ce Mai, par aventure 

Bien avant moi fit entendre son lai. 
Car si je vis, vienne le prochain Mai, 
Je chanterai le premier. Mais j^y songe, 
De ce Coucou ne crois pas au mensonge !" . . 
— "Oh nenni dà! . . .jamais je n'y croirai," 

Fis-je soudain; "mais le dis sa sornette 
M'a fait du mal." — " Point ne t'en inquiète 
Si veux guérir," reprit le Rossignol, 
Avant diner, pendant Mai^ sur le sol 
Guigne de l'œil la fraîche pâquerette, 

Et tout à coup cessera ton tourment. 
Et si toujours es un fidèle amant. 
Je chanterai de ma voix la plus douce 
Jeunes chansons aussi fraîches que mousse. 
Puis il chanta délicieusement : 

"Je les maudis les amants infidèles!" 
Quand il eut dit, qu'il eut battu des ailes, 
Il ajouta: "Me faut partir, adieu, 
Le tendre amour s'il exauce mon vœu 
Te comblera de délices nouvelles." 



LB COUCOU ET I^ SOSSI6SOL. SI 

Lie Rossignol me quitu donc ainsi ; 
Que Dieu toajoors le garde du Séyati: 
Et de ramour lui procure la joie ! 
Dieu fasse aussi que ne soyons la proie 
De ce Coucou sans amooreox merci! 

Vers les oiseaux qui peuplaiem le bocage 
Et gazouillaient sous le jeune leuîllaee. 
Le Rossignol sur son aOe est allé . . . 
Pour leur donner de son ennui la clé 
Il dit ainsi dans son gentil parlage : 

— -"Je crois ici devoir vous le corner. 
Depuis le jour ne fais que disputer 
Avec Toiseau que Coucou l'on appelle. 
Voici quelle est l'objet de la querelle: 
Yenges^moi donc, et ce, sans ergoter/* 

Lors un oiseau se frayant un passage. 
Ainsi parla, c^était parler en sage: 
"Grrave est l'objet, il mérite/* dit-il, 
" Qu'on Texamine avec esprit subtil. 
Donc nous allons suivant l'antique usage 

En parlement nous ériger d'abord. 
L'Aigle sera, car l'Aigle est notre Lord, 
Le Président: le Coucou, c'est de régie, 
Sera mandé de par le Seigneur Aigle, 
Et nous verrons lequel des deux a tort. 

Et sans dédit sera faite la chose, 
Le lendemain de ton apothéose 
Saint Valentin! sous un érable vert 
Devant la Reine, et sous l'œil grand ouvert 
De la pelouse à Woodstock, et pour cause/' 



88 LE coucou ET LE ROSSIGNOL. 

Oyant ceci mon gentil Eossignol 
Sur un bel arbre aussitôt prit son vol, 
Puis il chanta: "Que m'importe la terre ! 
L'amour me tient, tout le reste est chimère!" 
• Je m'éveillai comme il brodait son sol. 

EXPLICIT. 

O livre ignorant I avec ta rudesse 
Puisque tu n'as ni beauté, ni sagesse, 
Pourquoi donc avoir si grand' hardiesse 
Que de ma Dame oser affronter le regard ? 
Suis sûr que tu sais et sa bienveillance, 
Et pour ses servants sa rare indulgence. 
Car du genre humain ma Dame est le nard 1 

Que ne peux-tu donc vilain petit livre 
Lui porter de l'or et non pas du cuivre. 
Quelque chose enfin qui de moi l'enivre 
Puisque dans son estime ai jà si grande part. 
Vraiment je m'en veux n'avoir la science 
Te rendre mieux fait pour son acceptance, 
Car du genre humain ma Dame est le nard. 

En humilité dis donc à ma Dame 
Bien que sois hélas! loin de sa belle âme. 
De se rappeler ma constante flamme, 
Et d'abréger ainsi sans un plus long retard 
Mon chagrin cuisant, ma cruelle peine. 
Par le bon vouloir de son âme humaine, 
Car du genre humain ma Dame est le nard ! 

ENVOI. 

De joyeuseté magnifique Aurore, 
Jour délicieux, Nuit plus belle encore, 
Source de beauté, par un doux regard 
Allège les soupirs que j'exhale en silence 
En m'écrivant: "Ami, c'est à vous que je pense!" 
Puisque des humains Dame êtes le nard ! 



l'enïant aveugle. S9 



CIBBER (COLLEY). 

Né en 1671— Mort en 1757. 

L'Enfant Aveugle. 

Quel est ce je ne sais, qu'on appelle lumière, 
Dont je ne puis jamais espérer de jouir? 
A votre pauvre enfant dites, dites, ma mère, 
La vue est-ce bien doux? quel en est le plaisir? 

Tout ce que vous voyez n'est pour moi que mystère. 
Le soleil est brillant ! il éclaire vos pas ! 
Je sens bien sa chaleur; mais, comment il éclaire, 
Et fait le jour, la nuit, je ne le comprends pas. 

Il est jour quand je joue, et nuit quand je sommeille; 
Si je ne dormais pas, sans cesse il serait jour. 
Ob ! dites, du soleil est-ce là la merveille? 
Fait-il ainsi le jour et la nuit tour à tour? 

Je vous entends gémir, vous plaignez mon jeune âge ; 

Ménagez des soupirs et des pleurs superflus: 

Si la vue est un bien, j'en ignore l'usage; 

On ne peut regretter que le bien qu'on n'a plus. 

Le ciel à ce que j'ai borne ma jouissance; 
Ne me dérobez point ce qu'il a mis en moi. 
Je suis un pauvre enfant, aveugle de naissance; 
Mais avec ma gaîté je chante, je suis roi ! 



90 BALLADE DU VIEUX LOUP DE MEE. 



COLERIDGE (SAMUEL TAYLOR). 

Né en 1772— Mort en 1834. 

Ballade du Vieux Loup de Mer.» 

Facile credo, plures esse natoras invisibiles quam visibîles in 
remm universitate. Sed borum omnium familiam qtiis nobis 
enarrabit, et gradns et cognationes et discrimina et singulomm 
munera? Quid agont? Quse loca habitant? Hormn remm 
notitiam semper ambivit ingenium bumannm, nunqnam attigit. 
Juvat, intereâ, non diffiteor, quando que in animo, tanquam in 
tabula, majoris et melioris mundi imaginem contemplari: ne 
mens assuefacta hodiemse vltse minutiis se contrahat nimis, et 
tota subsidat in pusillas cogitationes. Sed veritati intereâ invi- 
gilandum est, modusque servandus, est certa ab incertis, diem a 
nocte, distinguamus. T. — Bumet, Archœol. Phil.^ p. 68. 

PREMIERE PABTfE. 

Un vieux loup de mer C'EST lin vieux louD . . . c'est un vieux louD de mer, 

rencontre troia gais . 

compagnons, allant à De trois gaifl compagnons il en arrête un vite. — 
une noce, en arrête «Dq p^,. ta barbe et ton œil fauvc et clair 

Pourquoi m'arrêter dà! . . . de façon si subite? 

Du marié je suis proche parent, 
De sa bonne maison la porte est grande ouverte, 

Les conviés s'assemblent à présent, 
Tu peux entendre, vieux, joyeuse rumeur certe !" 



un. 



* Cette ballade a une grande réputation en Angleterre, voilà 
pourquoi nous avons cru devoir la traduire ; nous ferons observer 
toutefois que sans les notes marginales quelques unes des strophes 
seraient difficiles à comprendre. Dans Toriginal, la première 
strophe sans la note marginale qui l'accompagne, serait réelle- 
ment incompréhensible. A notre avis un tel mode de procéder 
annonce une grande faiblesse dans un auteur. 

Note du Tradticteur. 



i 



BALLADE DU VIEUX LOUP DE MEK. 



91 



Le loup de mer le happa de sa main : 
"Il y avait," dit-il, "un superbe navire" . . . 

"A bas la patte! à bas donc, vieux coquin!" 
La patte tout à coup retomba sur ce dire. 



n fascina de son regard d^enfer 
Le pauvre convié. Lui, soudain immobile 

Comme un enfant de trois ans, ça, c'est clair, 
Ecouta le narré de ce vieux crocodile. 



L'inTitë à 1* nooe est 
sabju^ par le regard 
du vieux loup de mer, 
et obligé d'écouter son 
histoire. 



Au convié sur une pierre assis 
Force fut d'écouter; il n'était à la noce: 

Le loup de mer sans se donner sursis 
Ainsi continua . . . son œil luisait féroce. 

" Notre navire ... il a franchi le port, 
Du canon salué par un beau tintamarre ; 

Et tout joyeux nous passons sans effort 
Et réglise du mont, et la cime du phare. 



D'abord à gauche apparut le soleil, 
n sortait de la mer aussi frais que l'aurore. 

Puis il brilla, puis à droite vermeil. 
Fut noyer ses splendeurs dans un bain de phosphore. 



Le vieux loup de mer 
raconte comme quoi le 
navire fit voile vers le 
midi avec un vent pro- 
pice, jusqu'à ce qu'il 
atteignit la ligne. 



Toujours plus haut chaque jour il monta, 
Monta, monta, monta, tant qu'advint d'aventure, 

Que vers midi, ne fais point d'errata, 
De ses beaux cheveux d'or il ceignit la mâture." 



Du convié soudain battit le cœur, 
Du basson mugissant il entendait la note . . . 

Son vif dépit, et sa mauvaise humeiu* 
A ce signal joyeux en passant je les note. 



Le convié entend la 
musique de la noce, 
mais le vieux loup de 
mer n'en continue pas 
moins son narré. 



92 BALLADE DU VIEUX LOUP DE MEE. 

La mariée, une rose en bouton, 
Brillante, s'avançait fraîche comme l'aurore; 

Les ménestrels balançant leur menton, 
Devant elle marchaient pinçant de la mandore. 

Du convié plus fort battait le cœur, 
L'infortuné garçon n'était guère à la noce . . . 

Le loup de mer, nargue de sa douleur! 
Ainsi continua . . . son œil luisait féroce. 

Le navire est pooBsë ^'Yoilà soudain qu'arrive un coup de vent 

d^i^^**'' ''^" ^^ ^^^ Impitoyable et fort; puis mugit la tempête 

Qui vers le sud, sans cesse s'aggravant 
Nous chasse en nous jetant l'eflâ-oi la trouble-fête! 

Les mâts ployant, la proue aussi plongeant, 
(Gomme dans un combat, dans une ardente lutte 

Le champion, s'il est intelligent 
Pousse tête en avant l'ennemi qu'il culbute). 

Notre navire au gré du vent changeant 
Nous roulait vprs le sud de minute en minute. 

Vinrent bientôt la neige et les brouillards. 
Et puis le froid piqua d'une façon étrange. 

Cependant que tout blancs nos deux gaillards 
De glaçons miroitants se couvraient d'une frange. 

Le pays de la glace Parmi la brume au loin les rochers nus 

on tnT.;*S Reflétaient à l'entour une lueur horrible; 
aucune créature Ti- Rien de vivant, mais un chaos confus 

De glace et de glaçons dans l'espace visible. 

La glace ici, — la glace aussi là bas, 
La glace tout partout qui s'écroule affidssée, 

Formant ces bruits, cette espèce de glas 
Que l'oreille perçoit quand s'éteint la pensée. 



▼ante. 



BALLADE DIT YIEUX LOUP DE H£B. 



93 



Enfin passa soudain un Albatros 
De sa large envergure il reploya les plumes; 

Au nom de Dieu qui donne le repos 
Nous Taccueillîmes bien ce fier géant des' brumes. 

n put manger des mets ponr Ini nouveaux, 
Selon son bon plaisir. Puis voici qu*il voltige 

Autour de nous ce vivace Albatros, 
Et crac se fend la glace, et nous marchons . . . Prodige! 



Jfmqa'keeqa'ktnmrê 
le bfoiifllard de neife 
▼inft an graad otaeMi d* 
mer, mi Albetroa, qui 
lot reça eree fnade 
joie ei grande hoepi' 
Uhté. 



Un vent du sud et propice à nos vœux 
Qui nous fait bien filer s^ëlève à notre arrière, 

Cet Albatros toujours nous suit joyeux, 
Et de nos marins vient à Tappel débonnaire. 

Soit dans les mâts, les vergues, les brouillards, 
Pendant neuf soirs durant ce digne Albatros plane, 

Quand de la nuit brillaient les ciels blafiu'ds, 
Sous ce vêtement bleu qui de la lune émane.^' 



£tmerTeaie!l'Alb«. 
troe te troare être an 
oûeen de bon magure, 
ilsoirit le neTire comme 
fl retoamnit Ter* le 
nord à tnrers le broail* 
Urd et le gbrceflottante. 



— "Que Dieu te garde! ô vilain loup de mer 
Des démons, et du sort que sur toi Satan jette! . . . 

Mais d'où te vient cet œil suant Tenfer?" . . 
— "Je tuai FAlbatros de ma bonne arbalète!" 



Le loap de mer en 
dépit de« droite Mcrén 
de l'hospitalité tue cet 
oieeea de bon aagare. 



SECONDE PARTIE. 



Du c6té droit se leva le soleil 
n sortait de la mer tout ruisselant d'écume; 

Puis il s'en fut cacher sans appareil 
A gauche, dans la mer, son front souillé de brume. 



Un vent du sud soufflait selon nos vœux 
Et très activement nous poussait par derrière, 

Mais l'Albatros ne suivait plus joyeux, 
Ni ne venait de tous à l'appel débonnaire. 



94 BALLADE DU VIBTJX LOTTP DE MER. 

Set cftmaradet •'élè- *' J*avais commis un acte bien vilain 

rent contre le loup de ^ . j .^ ^ ,, .. . 

mer pour aroir tuël'oi- Q^^ «^^vait me porter malheur sur cette terre; 
seau de bon augure. J'avais tué Toiseau doux au marin " 

Disaient-ils, **quî rendait la brise tutëlaire; 
J'avais tué l'Albatros si bénin 

Qui de notre navire était l'âme l^ère!" 

Mais quand le brouil- ^^^^^ ^l"'"'^ j^^ *"^8^ ^"® 1'®^ ^® ^^«" 

lard se dissipa, ils justi- Se leva le soleil superbe, magnifique, 

fièrent son crime, et t:i. . i ji /«• i 1.1 • 

s'en rendirent ainsi Et tous alors d'affirmer palsembleul 

complices. Qu'avaîs bien fait tuer l'oiseau cabalistique 

Qui nous donnait ce vilain brouillard bleu^ 
Et cette brume aussi pour nous faire la nique ! 

La brise favorable Souffla la brise, et creux fut le sillon, 

continue le navire en- j^^^ foulâmes bientôt l'océan pacifique; 

tre dans locëan pacifi- *^ ^ 

que, et yogne vers le Mais las! le vent perdit son aiguilloDi 

nord, jusqu'à ce qu'A jj^ tombâmes soudain dans un calme apathique. 

atteigne la ugne. -^ ^ 

Le navire éprouve un De souffle point, mais dans un ciel cuivré 

calme plat. Un soleil teint de sang, pas plus gros qu'une lune, 

Sur notre mât, c'est un fait avéré, 
A midi se tenait de façon importune. 

De jour en jour cloués sur cette mer, 
Si nous parlions c'était pour crever le silence; 

Traînant oisifs autant et plus que l'air 
Sur cet océan mort un semblant d'existence. 

Et l'Albatros com- De l'eau, de l'eau, partout de l'eau, de l'eau 

raence e veng . j,^ j^^ planches du pont craquaient de sécheresse; 

De l'eau, de l'eau par delà le vaisseau 
Et rien, non rien à boire en si grande détresse. 

Et se crispait la mer jusqu' en son lit. 
Et sur son oreiUer créatures visqueuses 

Grouillaient, rampaient, et petit à petit 
Ternissaient son cristal de leurs lèvres baveuses. 



BALLADE DIT YIEUX LOUP DB HEB. 



9o 



Autour de nous pétillant, bondissant 
Pendant la chaude nuit dansaient des feux funèbres. 

Et Tocéan huileux, phosphorescent, 
Bleu, rouge et vert brûlait éclairant les ténèbres. 



D^aucuns de nous apprirent en rêvant 
Quel il était TEsprit qui nous prenait au piège, 

Nageant profond à neuf brasses souvent, 
n nous suivait depuis le pays de la neige. 

Et chaque langue adhérant au palais, 
Ne pouvions plus parler;— on eut dit de la suie 

Nous suffoquant, s*attachant à jamais 
Au larynx desséché désirant de la pluie. 

Mais jour de Dieu! quels sinistres regards 
Sur moi ! quand ces marins venant me chanter pouilles 

Comme une croix les satanés pendards 
De PAlbatros au cou me mirent les dépouilles! 



TBOISIÈME PABTIE. 

Le temps passait tristement, tristement. 
Terne était le regard, la bouche était brûlante. 

Temps de douleur bien vive assurément, 
Oh Poeil était vitreux, et la langue béante. 

Quand j^apperçus dans le loin firmament 
Une forme sans nom qui paraissait mouvante. 



Un E«prit leva fairi. 
Un des inrmUet habi- 
UnU de c^tt« jiMoHe. 
Cet Emprit, n'nt ni 
celai de l'iue de* A?n^ 
ajaat qnttécetteteire, 
ni celai d'an %pge, sa 
«ojet desquels le aarant 
joif Joseph et le plato- 
nique Conitantiiiopoli- 
tain Michaâ TtàHuM 
pearent être consulta. 
L'Esprit en qoeiition 
est de cens là qni sont 
fort nombreux. Il n'j 
a ni élément, ni climat 
qui n'en possèdent un 
ou plusieurs. 

Les matriots dans 
leur détresse voulant 
rejeter la faute sur le 
vieux loup de mer lui 
attachent au cou r.UI>a- 
tros défunt . 



Le loap de mer 
apperçoit un quelque 
chose qui se meut k 
l'horizon an loin. 



C*était d'abord un point dans Pinfini, 
Et puis cela parut une espèce de brume; 

Ça remuait dans l^orizon jauni, 
Puis ça prit m'est avis un moins menu volume. 



i** 



O BALLADE DU VIEUX LOUP DE MEK. 

C'était un point, une brume, je dis. 
Et ce point approchait, il approchait sans cesse, 

Comme esquivant de Tonde les Esprits, 
n plongeait, il virait avec beaucoup d'adresse. 

Comme ce qadqne Lg gosier sec, aussi brûlant qu'un four 

chose appreohait lui ° ^ 

■ânbu que c'était im Nous ne pouvions nous plaindre, encor moins certes rire, 
n»™.etàfi^d'pe«e Q^r l'excès de la soif nous donnait le délire, 

il • efforça de tirer de ' 

■on goncr dcMéché Je me mordis le bras comme un autour, 

Et m'écriai soudain : "Un navire! un navire!" 



Un crie de joie ; Qes gens béants m'entendirent héler, 

Et leurs brûlants gosiers, et leurs lèvres taries 
D'un bonheur inconnu rêvèrent les féeries. 

Merci bon Dieu! fut leur muet parler. 
Bientôt boire à longs traits c'étaient leurs rêveries. 



Que snivit nn senti- "Voyez! voyez!" m'écriai-je: "Vers nous 

ment d'horrenr. Com- « i. j^ «i • j. jir*\ 1*1 • 

mentnnnavirepoavait. Sans embardée il Vient, déjà plus il ne vire, 

il Tenir de l'occident Pour nous aider, et sans vent, vertuchoux! 

sansTcntetsans marée? ^ «n ^ ^ j «^ «i • ^ 1. • • 

Sa quille toute droite il vient ce beau navire! 



A l'occident la mer était de feu, 
Le jour à son déclin expirait de vieillesse 1 

Et sur la vague en glissant un adieu 
Se posa le soleil toujours beau de jeunesse, 

Quand tout à coup entre cet œil de Dieu 
Et nous, vint ce navire avec grand' hardiesse. 

niuiparutqne c'était jjt voilà quc rayé de longs barreaux 

le squelette don navire. ^ ./ o 

(Que la mère de Dieu nous tienne dans sa grâce!) 

Fut le soleil, comme si de cachots 
Il montrait aux humains surpris sa large face. 



BALLADE DU VIEUX LOUP DE ICEB. 



97 



Hélas! (pensais-je, et le cœnr me l)attait), 
Comme il avance à nous ce fantasque naWre, 

Sont-ce donc là, dîsaîs-je, stupéfait 
Ses voiles que je vois dans le soleil reluire? 



Sont-ce donc là ses vieux flancs dénudé>. 
Que perce le soleU à travers ce grillage. 
Et cette femme donc est-ce tout Téquipage . . . 

On sont* ils deux? ce Roi des Possédés 
Le Trépas, serait-il avec elle en ménage? 

La lèvre rouge, et libre le regard, 
D^un jaune d'or était sa longue chevelure, 
Sa peau d'un dur blanc mat suait la pourriture, 

Son nom de guerre, un nom de corbillard 
Etait Grâte-la-Vie, à cette créature! 



Et Ms flancs sont mt 
comme des grQln rar 
1« face du solefl cou- 
chant. La femme spe<'- 
tre et son compa^itn 
fanèbre, et non d'au- 
tres, sont seuls sur ce 
narire. 



Tel navire, tri équi- 
pée- 



Et bord à bord, eux ils jouaient aux dés. 
Sur nous sus ! arriva la carène squelette, 

' Je Pai gagné le Roi des Possédés' 
Trois fois sifBa la femme, *oh la belle amusette!' 



Le Trépas et Oâte-la- 
Vie ont jon4^ aux dén 
l'équipage du navire, la 
dame a gagné le vieux 
loup de mer. 



Le soleil dort, Tétoile brille aux cieux. 
D'une seule enjambée arrivent les ténèbres ; 

Cependant que dans un loin vaporeux 
Fuit le navire spectre et ses voiles funèbres. 



Pas de crépuscule 
après le départ du soleil . 



Nous écoutons avides de Tobscur . . . 
J^avais la crainte au cœur, comme si d'une coupe 

Elle buvait de mon sang le plus pur. 
Des étoiles pourtant soudain s'éteint le groupe, 

Tout devint noir, complète fut la nuit, 
Du timonnier de quart seule on voyait la face 
Par sa lampe éclairée, et paraissant de glace. 

Puis le croissant de la lune sans bruit 
De l'horizon éteint vint ranimer la grâce. 

II 



Au lever de la lune, 



98 BALLADE SU YISUX LOUP DE MEB. 

L'on ^rèfl Tautre, L»un après l'autre en cette calme nuit, 

Mais trop soudainement pour gémir une plainte, 

Sur moi chacun jetant un œil qui fuit 
Me maudit du regard, et j'en sentis Tétreinte. 

Ses oompagnona tom- L^g | quatre fois cinquante hommes vivants, 

Dent morts; -rvi 

(D aucun d'eux n'entendis un soupir, une plainte, 
Mes sens pourtant n'étaient pas décevants) 
Tombèrent tour à tour sans vie en cette enceinte. 



iCais Dame Oâte-la- Leur âme à tous s'enfuirent de leurs corps 

Vie oommenoe K>n œu- y g^g le ciel OU l'enfer saus tambour ni trompette, 

yre sur le loup de mer. ^ ' 

Devant mon nez passant comme un remords, 
Comme le sifflement de ma bonne arbalète." 



QUATETÊME PAETIE. 

Le convié a pefor qne ''J'ai peur de toi vraiment vieux loup de mer 1 

Bottun^Esmit!**'" "* ^'^^ P®^ ^^^^^ ™* ^^^ ^® ^ """^ décharnée! 

Maigre, alongé, d'un teint couleur d*enfer, 

Ta peau comme le sable est jaune et basanée.* 



* Nons croyons devoir citer l'original de cette strophe; les 
deux derniers vers de laquelle sont reconnus par Coleridge 
être de Wordsworth. 

" I fear thee, ancient mariner! 
I fear thy skinny hand! 
And thou art hng^ and îank^ and brotonj 
As is tke ribbed sea-sand.^ 
La traduction de ces deux derniers vers, mot pour mot, est; 
" Et tu es maigre, alongé, et bruni 
Comme le sable côtelé du rivage." 
Regardant ce rassemblement de mots, admiré par Coleridge, 
conrnie du galimatias pur, nous avons cru devoir y substituer 
une prisée moins obscure. Honni soit qui mal en dira! 

Note du Traducteur. 



BAXLiLDE DU VIEUX LOUP DE MBB. 



99 



J^aî peur de toi, de ton œil fauve et clair 
Et j^aî peur de ta main décharnée et brunie.*' 

— " Rentre ta peur,— je suis d'os et de chair, 
Ce corps ne tomba point, — que je sois mort le nie! 



Mais le loop de mor 
lui donne l'aiMarance 
qu'il est de chair et d'os, 
et continue à lui narrer 
son horrible pénitence. 



Je restai seul, — seul sur la vaste mer, 
Pas un saint n'eut pitié de moi, de ma souffi*anco, 

Je restai seul, ô souvenir amer! 
Seul, Pâme à Pagonie, à la désespérance! 



£t tant de gens naguère encor si beaux ! 
A mes pieds gisaient morts privés de sépulture, 

Et des milliers, que dis-je des monceaux 
D'êtres visqueux, glaireux frétillaient dans l'ordure. 



n méprise lea créa- 
tures nées du calme, 



Seul survivant je contemplai la mer, 
J'en détournai les yeux . . . elle était pourissante . 

Le pont aussi pourissait, c'était clair, 
Sons ces morts entassés enfantant l'épouvante. 



Et leur enrie la vie, 
quand tant de gens sont 
morts. 



Devers le ciel je levai les regards, 
Pour prier, mais avant que surgit la prière, 

Pensers méchants s'infiltrèrent criards 
Dans mon cœur qui devint sec autant que poussière. 

Je tins fermés mes yeux appesantis, 
Mes prunelles vibraient comme un pouls frénétique, 
Car pesaient sur mes yeux comme un poids fantastique. 

Le ciel, la mer, les chagrins, les soucis. 
Et ces morts qui gisaient à mes pieds l'œil stoïque. 



De ces corps morts une froide sueur 
Horrible découlait, humide pourriture; 

Us n'exhalaient pourtant aucune odeur 
Mais sur moi leur regard restait, la chose est sûre. 



Mais la malédiction 
vivait pour lui dans le 
regard de ces hommes 
morts. 



h2 



100 BALLADE DU VIEUX LOUP DE HEB. 

De Torphelin la malédiction 
Tournerait en enfer Esprit d'ordre suprême, 

Mais plus terrible est la damnation 
Que du regard d'un mort vous jette l'anathèmc; 

Sept jours, sept nuits je vis en action 
Cet anathème aÔreux, et je vécus quand même! 

Dans sa Bolitude et Doucettement faisait sa route au ciel 

•ait*à"8uivr6 le vo^ge L'astre cliangeant des nuits, la lune débonnaire, 
de la lune et des étoiles Montant d'un air et grave et solennel 

m"uT^t!™p^ut où ^'^^ étoile escortée au plus haut de la sphère. 

le oiel bleu leur appar- 
tient, et est lenr lien de _. ./. n . -1 111^ 

repos et leur patrie, et L.es vifs reflets de sa mate blancheur 

leur» demeores natu- Narguaient la mer, d'Avril en lui jetant la neige, 

relies où elles entrent . «i • 

sans être annoncées. Mais près notre navire, effet d un sortilège! 
comme ces Seigneurs j)^ fgu Iq Aq^ préservait la rougeur 

qui certainement sont 

attendus, et cependant Et semblait conserver son ardeur sacrilège. 

reçus àleur arrivée avec 
une joie silencieuse. 

Bien au delà de l'ombre du vaisseau, 

Je guettais les serpents de mer, leur badinage 

A la clarté de la lune Traçait de blancs sillons près de leur entourage; 
il vit les créatures de j.^ ^^ ^y^^,^^^ ^Q}}! crête au-dessus l'eau, 

Dieu qn engendre le ^ ' 

grand calme. En de blafards flocons tombait leur mucilage, 

Bien en deçà de l'ombre du vaisseau 
De ces serpents de mer je guettais la toilette. 
Leurs robes bleu-d'azur, l'éclat de leur aigrette, 

Et leurs replis se. déroulant sur l'eau. 
Et d'un éclair de feu simulant la paillette. 

Leur beauté, et leur Etres heureux! vivant dans le bonheur, 

bonheur. y^g diverses beautés nul ne peut les décrire : 

Un jet d'amour découle de mon cœur, 
n les bénit dans le Et sans même y penser, je puis ici le dire, 

fond de son cœur. t i i / • -i /> 

Je les bénis avec grande ferveur; 
Bien sûr, mon Saint Patron, sur moi reprit empire! 



BALLADE DU VIEUX LOUP DE MEE. 



101 



Dès ce moment je pus enfin prier, 
De mon cou PAlbatros s^éclipsa comme une ombre, 

Ne sentis plus cet horrible collier, 
Ce cauchemar de plomb tomba dans la mer sombre. 

Cn^QUU^HE PARTIE. 

Le sommeil est oreiller de velours, 
Il est aimé partout de Tun à Tautre pôle, 
Son action sur tous est douce et bénévole; 

Reine des cieux. Dame de bon secours 
A tes soins je le dus ce baume qui console. 



Le charme commence 
à se rompre. 



Sur notre pont les sceaux restés à sec 
Et pendant si longtemps, je rêvai dans un songe 

Que de rosée il débordait leur bec! 
Je m^éveille ... il pleuvait, ce n^était un mensonge. 



Par la grAce de la 
Sainte Mère de Dieu, 
le lonp de mer est ra- 
fraîchi par la ploie. 



Tout rafraîchi mon gosier aspirait. 
Je sentais humectée et moins sèche ma lèvre. 

Tout trempé d'eau mon vêtement pleuvait, 
J'avais bu dans mon rêve et j'avais moins de fièvre. 

Je me remue — à peine je me sens, 
Tant mes membres légers avaient désinvolture; 

Je crus que mort au-dessous des haubans 
M'éveillais Revenant d'une heureuse nature! 



Soudainement un vent mugissant sourd. 
Qui n'était proche dà vint frapper mon oreille. 

Ce vent lointain en dépit de l'air lourd 
Agita la voilure et«desséchée et vieille. 



il entendit des sons 
et vit d'étranges signes 
et mouvements dans les 
cieux et dans les élé* 
meuts. 



Bientôt de l'air les hautes régions 
Eteintes jusqu' alors reprirent existence. 
Milliers de feux follets se remirent en danse 

Faisant là haut leurs évolutions 
Des étoiles parmi la paisible ordonnance. 



102 BALLABB DU TlZrX LOITP DB MZB. 

Le vent venant bien pins fort nrapKut; 
Comme faibles roseanx se balancent les ToQes, 

Et Teaa du ciel tombait, tombait, tombait 
D'un nuage tout noir où panni les étmles 

Apparaissait la lune dans un coin: 
Et toujours et tonyonrs se fondait le nuage. 
Comme un fougueux torrent qui force mu panraçr, 

L*éclair jaillit sans dentelure aa loin, 
Masse immense de feu qui rougit le cordage. 

Lm corp« de réqui- Le vent sonore il n'atteint le vaisseau.' 

page da raàmema sont 

uMpirés et le TsieMAa Le vaisseau cependant à se mouvoir commoKe, 
°**^'^' Et tous ces morts gisant là sans tcnnbeaa 

Par la lune éclairés reprennent Texistence. 

Froids, compassés, et sans tourner les yeux, 
Voyez-les se lever eux tous comme un seul b(Hmne, 

Et sans parler, chacun laborieux 
Aller à son devoir. C^est bien étrange en somme I 

Le timonier gouverne; — le vaisseau 
Marche, marche et pourtant ne souffle aucune brise; 

Des matelots notre nombreux troupeau 
Aux cordages sans bruit monte, et ne fait méprise; 

Tous ces muets travaillent à nouveau. — 
Notre équipage était de spectres . . . sans feintise. 

Pied contre pied, genou contre genou, 
Etait sur moi le corps du fils de feu mon firére. 

Le corps et moi halions non pas prou. 
Mais ne me disait rien ce marin exemplaire." 



Mais non pss par les " ^'^i peur de toi vraiment vieux loup de mer!" 

âmes des hommes, ni «^«^e crains; éteins ta peur! ce n'étaient point les âmes 

par les démons do la ^ x ^ x i • /-ii. . 

terreoudesplainesdel' I^^s pauvres morts rentrant au logis, Cherl 

air, mais parune troupe i>our les réanimer en leur soufflant leurs flammes; 



BALLADE DU VIEUX LOUP DE KEB. 

Ohl certes non! c^ét&ient de purs Esprits, 
Des Esprits bienheureux, venant je te Tatteste, 
Des plaines de Téther, du bleu séjour céleste. 

Si que du jour lorsqu* on vit les rubis, 
Ds furent vers le mât, et là, c*est manifeste. 



103 

bienhenreuM d'Esprits 
angéliqueB envoyés par 
rinyooatioii de l'ange 
gardien. 



Des sons divins sortirent de leurs corps. 
Et puis vers le soleil monta cette musique; 

Et doucement se répandit dehors 
En flots de mélodie, un doux et saint cantique. 

C^était pleuvant du plus haut de Fazur 
Quelquefois le doux chant de la gente alouette; 
De mille oiseaux c^était la douce chansonette, 

Ou bien encor le gazouillement pur 
Ou du chardonneret, ou bien de la fauvette. 

Parfois c^était comme tout un concert, 
Parfois aussi c^étaît la flûte solitaire, 

DW ange encor c^était le chant disert. 
Pour Pentendre, écoutait et le ciel et la terre. 

Puis tout cessa. Jusqu^à midi pourtant 
Les voiles en vibrant, firent un doux murmure. 

Un de ces bruits que gamine en trottant 
Le ruisseau qui se cache en Juin sous la feuillure, 

Qui dans les bois la nuit s^en va chantant 
Son refrain tout gentil qui berce la nature. 

Jusqu'à midi sans bruit, tranquillement 
Sans brise toutefois, cependant nous voguâmes, 

Notre navire allait doucettement 
Conmie poussé d*en bas par d'invisibles rames. 



Nageant profond à neuf brasses sous nous, 
Le solitaire Esprit du pays de la neige, 



L'Esprit solitaire du 
nord porte le vaisseau 



104 BALLADE DU VIEUX LOUP DE MBB. 

aiusi loin que u ligne, C'était lui seul qui faisait vertuchoux I 

pour obéir aux ordres ,, , . ^ ^ 

de U troupe angélique. Marcher notre navire et son muet cortège, 
mais réclame toiyours Devers midi SUS s'arrêta le pouls 

Des voiles, qui vibrait ainsi par sortilège. 

Droit au-dessus du grand mât le soleil 
Sur Tocéan tenait endormi le navire. 

Soudainement par un brusque réveil 
En arrière, en avant il a rué son ire, 

Et puis enfin d'un coup de son orteil 
Il bondit en avant atteint d'un fou délire; 

Comme un coursier piaffant et s^emportant 
D'obstacles dédaigneux, court sans que rien l'arrête: 

Mais sur le coup je tombai tremblottant 
Evanoui, le sang me portait à la tête. 

Les oompagnons dé- Combien de temps restai dans cet état, 

monoïques de l'Es. ;^Tg pourrais l'affirmer, ne saurais le décrire, 

pnt du pôle, invisibles *^ ' ' 

habitants de l'élément, Mais avant que revinsse à la vie, au martyre, 
prennent part à ses Distinctement j'entendis le débat 

injures, et deux d entr »' 

eux se racontent l'un à De deux voix dans les airs disant ce que vais dire : 

l'autre qu'unepénitence 
longue et dure à subir 

parle loup de mer a "Est-ce celui?" dit une de ces voix 

été accordée à l'Esprit ,, ^ . , i 

pôiairequis'en retourne Q^^ ^^ «OU arc cruel sans raison, m sans rime, 
vers le midi. Tua l'oiseau?" ...— ** Par Jésus I par sa croix! 

Oui, c'est cet homme là qui conmiit Tafireux crime. 

" L'Esprit qui vit par delà les brouillards 
Aimait cet Albatros, lui-même ami de l'homme 

Qui le tua du ciel sous les regards, 
Avec son arbalète, et méchamment en somme." 

Plus douce était la seconde des voix. 
Douce comme du miel, ou comme un doux breuvage : 

"Cet homme qui," dit-elle, "je le crois, 
Est déjà repentant, le sera davantage!" 



BALIiADE BU YIEUX LOUP DE MEB. 



105 



SIXIEME PARTIE. 



Première Voix. 



"Mais, ohl dis-moi, dis-moi, redis encor 
Renouvellaut ton chant si doux et si suave, 

A ce vaisseau qui donne ainsi Tessor? 
Et que fait l'océan, d'habitude si grave?" 



Seconde Voix. 

" Bespectueux comme un bon servitem* 
Doit toujours se montrer à l'égard de son maître 

Est l'océan, son regard et son cœur 
Se lèvent vers la lime et la guettent paraître. 

Afin d'apprendre, en voyant son lever 
La route à suivre, car dans le calme et l'orage 

Etant son guide, il lui faut l'observer, 
Tja lune en l'océan mire aussi son visage." 

Première Voix. 

" Mais Frère dis, pourquoi donc ce vaisseau 
Va-t-il si vite ainsi sans vent et sans marée?" 

Seconde Voix. 

''C'est que coupé sur le devant de l'eau 
L'air s'impose à l'arrière en marche accélérée. 

" Mon frère fuis, fuis plus haut, fuis plus haut. 
Notre aile à tel élan ne saurait pas suffire; 

Car ce vaisseau ne cessera son trot 
Que quand s'éveillera du marin le délire." 



Le loup de mer est 
demeuré dana un évui* 
ouissement prolongé; 
car le pouvoir angélique 
s fait marcher le vais- 
seau vers la mer aveo 
une vitesse plus grande 
qu'il n'est possible à la 
vie hunaine de l'en- 
durer. 



Je m'éveillai, — le navire marchait 
Tout comme s'il eut fait le plus beau temps du monde, 

Il faisait nuit; la lune éblouissait; 
Les morts étaient groupés, — tout était paix siu* Tonde. 



La course surnatu- 
relle est amoindrie, le 
loup de mer s'éveille, 
et avec le réveil re- 
trouve la conscience du 
mal qu'il a fait. 



106 BAIiLADS DU YIXUX LOUP DE MEB. 

Oui tous les morts se groupaient sur le pont. 
Un charnier, m^est avis, eut mieux été leur place, 

Ils avaient tous, sur moi leur œil profond 
Que la lune animait de son reâet de glace. 

Le désespoir, la malédiction 
Du moment, de leur mort se lisait sur leur face; 

Je ne pouvais dans mon émotion 
Eviter leurs regards, ni prier pour ma grâce. 

Le charme est enfin Enfin pourtant le charme fut rompu; 

'°°*^"' Et le vert océan je pus le voir encore, 

Et jeter un regard longtemps interrompu 
Sur l'horizon au loin du couchant à l'aurore. 

Mais je vis peu de ce qu'on eut pu voir: 
Comme celui qui sur un chemin solitaire 

Avec terreur, surtout quand il fait noir, 
Marche en n'osant jeter un regard en arrière, 

Alors qu'il sait, sans pouvoir l'entrevoir 
Qu'un démon qui le suit de le happer espère. 

Sur moi bientôt un invisible vent 
Souffla sans s'agiter, et sans laisser sa trace 

Sur l'océan, car il n'était mouvant, 
Et du flot de la mer ne ridait la surface. 

Me caressant, soulevant mes cheveux, 
Comme au printemps zéphir caresse une prairie. 

Il se mêlait à mes soucis peureux, 
Pourtant comme un accueil prenais l'espièglerie. 

Rapidement s'élança le vaisseau. 
Cependant doucement et de ûiçon précise; 

Et doucement rafraîchissant ma peau. 
Tombait sur mon visage uniquement la brise. 



BAIXABB DU TISVX LOUP DE MEB. 

Est-ce vraiment, ô rêve de bonheur! 
Et relise du mont, et la cime du phare, 

Que voifl là bas? — pays enchanteur! 
Est-ce toi mon pays? ... oh! non point ne m'égare! 



107 

Et le loup de mer 
revoit son psjs natal. 



Jà loin^ bien loin est la barre du port, 
En sanglotant mon œil de loin perçoit la grève, 

A Dieu je dis dans un soudain transport: 
Fais que je sois vivant ou que meure en ce rêve! 

Du port la baie était comme un cristal, 
Tant les sables étaient brillantes sur la dune ; 

Et sur la baie, ainsi qu^un blanc fanal 
Calme se reflétait le disque de la lune. 

Le roc était flamboyant, radieux, 
Et dominant la baie aussi la sainte église; 

Les blancs reflets baignaient mystérieux 
La vieille girouette en vain guettant la brise. 



La baie était d'une mate blancheur, 
Quelques lointains recoins étaient à peine sombres, 

Jusqu'à ce que, cramoisi de couleur, 
J'apperçus im essaim et de formes et d'ombres. 



Les Esprits angéli- 
qaes quittent les corps 
morts. 



Près de la proue — à quelques pas de là, 
Tranquilles se tenaient ces ombres cramoisies, 

Tournant les yeux lors vers le pont, voilà 
Oh! Christ, ce que je vis ! ce n'étaient fantaisies. 



Et paraissent dans 
leurs propres formes 
lumineuses. 



Sans vie, à plat, gisait, mort cette fois 
De tous ces ex-vivants le corps, un blanc squelette. 

Près chaque corps, oui, par la Sainte Croix I 
Un être lumineux se tenait en vedette. 



108 BALLADE DU TIEUX LOUP DE MEB. 

Ces saints Esprits font signe de la main, 
C^étaît un ravissant, on merveilleux spectacle! 

Servant ainsi cet admirable essaim 
De signaux au rivage au moyen d'un miracle. 

De ces Esprits nul n'entendit la voix, 
Leur main seule fit signe avec grande éloquence, 

A cet aspect mon cœur fut plein d'émois. 
Quelle douce harmonie en ce puissant silence! 

Puis j'entendis soudain clapoter Teau, 
Le pilote héler, et le bruit de la rame, 

Me retournant, j'apperçus un bateau 
Qui vite s'approchait de nous par Notre Dame! 

Je vis venir c'était sûr et certain, 
Le pilote du port, avec son petit mousse, 

Dieu du ciel! quel plaisir surhumain! 
Ils ne purent flétrir, ces morts, joie aussi douce 1 

Je vis encor, je vis encor venir 
Un troisième quelqu'un . . . c'était le bon Ermite 

Qui de sa voix qu'entendis retentir 
Au ciel faisait monter de ses hymnes l'élite; 

Il lavera, voyant mon repentir. 
Le sang de l'Albatros avec son eau bénite! 



SEPTIEME PABTIE. 

L'Ermite du bois, ^^ ^^^ Ermite habite au bord du bois 

Qui de la mer descend presque jusqu'au rivage. 
Ses prières de là vont trouver le Très Sage! 
Ce bon Ermite il se plaît maintefois 
Deviser avec ceux venant d'un long voyage. 



BALLADE DU TIBUX LOUP DE MEB. 

De bon matin, à midi, vers le soir 
Devant le Créateur s^agenouille TErmite, 

Sur un coussin de mousse on peut le voir, 
Le vieux tronçon d^un chêne est son autel d'élite. 

L'esquif approche, et moi j'entends ces mots: 
"Par ma foi, c'est étrange! oîi sont donc ces lumières 

Qui nous faisaient naguère des signaux, 
Et répandaient partout des lueurs singulières?" 

"Oh! oui vraiment! c'est étrange, ma foi!" 
A répondu l'Ermite: "Etrange est ce silence, 

Car à nos cris, chacun d'eux reste coi. 
Les planches sont à jour, les voiles sans puissance, 

Jamais ne vis rien de semblable quoi! 
Si^ce n'est toutefois, dans nos hivers, par chance 

Quand de mon bois tout le long du ruisseau 
Des feuilles vois traîner les desséchés squelettes, 
Et que hôlent au loup les hideuses chouettes 

En dévorant le jeune louveteau 
Quand le lierre est couvert de blanches collerettes," 

"Mon Dieu! mon Dieul quel satanique aspect! 
J'en suis moult effirayé," s'écria le pilote ! 

— "Avance, avance, et sois moins circonspect," 
Dit l'Ermite soudain, "vers le vaisseau pivote!" 

Voilà l'esquif plus proche du vaisseau, 
Mais ne peux me mouvoir, me bouger, ni rien dire; 

L'esquif avance, il fend et refend l'eau. 
Alors un bruit soudain que ne saurais décrire. 



109 



Approche da yaitReau 
avec surprise. 



Un craquement, au fond de l'eau gronda 
Qui plus fort et plus fort atteignit le* navire, 

Fendit la baie, et par bonds gambada : 
Bref le vaisseau sombra comme un plomb, je puis dire. 



Le vaisseaa sombre 
soudain. 



110 BAIJLA91 Dr Tixrx Lorp db xxb. 



L* kM9 i* mtr «tr T'ioT écovnii de ee bmit surhiun aîn 

' 0*11 f:iipp« en mâme tcmp* le doC et riliiioq[ihére, 
MoQ corpc dota sor Im mer, e'eit certuD, 
G 'mm« on ooTé bnrmac. aTabnl Inonde amàre, 

Depuû «ept joars: mais voilà que soudain 
Me troorai du piloce en la barque l^ère. 

Sur cet abîme oh le Taissean sombra, 
Le bateau tournoya deax« trois fois sur lui-même, 

Puis recula: — puis soudain tout rentra 
Hormis l'écho du mont, dans un calme suprême. 

Je marmottai ne sais trop quel discours; 
L^ pilote tomba foudrovë d'épouvante; 

Le bon Ennite au ciel les yeux toujours 
A Dieu ûi sa prière et d*une &me fervente. 

Je mVmparai soudain de laviron, 
Et me mis à ramer . . . cependant que le mousse 

Devenu fou riait le fonfaron! 
Et puis roulait ses veux; quand s'arrêtant, il pousse 

Ce cri fougueux de sa voix de goudron: 
'*Le diable sait ramer! le diable a la main douce!" 

Je prends enfin pied sur le sol natal. 
Oh! quel bonheur pour moi de toucher le rivage! 

Le bon Ermite à descendre eut grand mal, 
A peine pouvait-il se tenir sur la plage ! 

Le loup de mer prie ^'Confesse-moi, saint homme, vitement!*^ 

ayec instance l'Ermite Lui dis-JB tout à coup.—« Parle," me dit l'Ermite, 

de le confesser; et U "^ r ) i 

vie lui est imposée pour '^Quei homme est-tu? ... te fais commandement 

pénitence; D'avoir à me le dire, et de suite, de suite!" 

Soudainement mon être fut tordu 
D'un remords dévorant, d'une agonie horrible, 

Qui me força de narrer éperdu 
Cette histoire, grand Dieu! . . . puis redevins paisible. 



BALLADE DU TIBUX LOUP DE MEE. 



111 



Et depuis lors comme par soubresaut 
Quand me reprend soudain cette agonie horrible, 

Me sens brûlé comme par un fer chaud 
Tant que n^ai point narré cette histoire terrible. 

Comme la nuit de pays en pays 
Je passe; ma parole est d'un pouvoir étrange, 
Des écouteurs forcés moi j'en ai de rechange, 

Je sais à vue où placer mes récits. 
Et rhomme que j'empoigne il boit de ma vendange ! 

— "Quel brouhaha j'entends de ce côté, 
Tous ces gens de la noce ils font un beau tapage! 

Dans le jardin, oyez! . . . avec gaîté 
Chanter la mariée, et son fol entourage ! 

Puis écoutez . . . avec solennité 
La cloche tinte ... à Dieu vais offiir mon hommage!" 

— "0 convié! sur le vaste océan 
Seule, bien seule, oh! oui! mon âme s'est trouvée, 

Si seule, hélas! que nom d'un cabestan! 
La présence de Dieu semblait là réprouvée! 

Oh! bien plus doux! oh! bien plus doux pour moi, 
Que d'une noce aller tâter du badinage, 

Devers l'Eglise, et le cœur plein de foi 
Aller en compagnie et du bon et du sage! 

Oui de marcher vers la maison de Dieu 
YieiQards et jeunes gens pour prier tous ensemble. 
Unis tous et chacun, avec des cœurs à l'amble, 

Tous palpitant d'un seul et même feu. 
Bénissant à l'envi l'émoi qui les rassemble. 

Mon bon! enfin je vais te dire adieu. 
J'ai fini mon récit, retiens en la morale : 

Il est pieux, il est l'ami de Dieu 
Celui qui sait aimer et d'une amour égale 



Et de temps en temps 
pendant le reste de ta 
Tie une semblable ago- 
nie le sabjagae, et 1' 
obUge à voyager de 
pays en pays ; 



Et à enseigner par 
son propre exemple à 
aimer et à révérer 
toutes les choses faîtes 
et aimées par Dieu. 



u» ?.JffJ "«♦. 



_ If imm* «r _ iteatsa.— nifsiiK :i«ic «=»■"■**- 
ji '1 f.ir z^xxit a z»:^^ — si m nui: TiUS* li:^. 
I-LT Jt z*n. l'it^i yii ic '^.m: Li TicL. 

L **• T»Ln- î=ir 1"? ir J.iÇ it lli:r 

Nr irj: :iLr kti nJiï* cl 2i:irT*Li narâj?* 



Lr jtoSaot: ra=r û « 'i*ti iCi» sfcs*! 



COLLÎNS WILLIAM. 

Les PASSfr'-îf?. 

":>£- 

La Mus: |Tie fui: je:ice e: vc-znaîi sans conteste 
iMns U Grèce enivr-re i;:! accents de sa roix. 

Le* Passion? &C'aveateîoi< 
Pour rent'jD'ire. ccivczaieni sa conque enchanteresse. 
Et toute?, tour à tour, en ressentaient Tivresse. 

Un jour que ses accents yminqueurs 
Avaient des Passious électrise les cœurs, 
Sur tous ses instruments appendus avec grâce 
Aux m^Ttes du chemin, eUes fireut main basse: 
Et chacune Œolie était Tordre du jour^. 

Se crut assez sayante pour 
Faire dire à l'écho de sa voix la justesse. 

Les voila donc, dans leur présomption 
Avides de montrer et méthode et prestesse. 
Et Pacquit et le goût . . . surtout l'expression . 



LES PASSIONS. ]13 

D^abord la Peur plaça sa main tremblante 
Sur les cordes — Un son âpre, rauque, strident, 
Soudain vibra — si bien qu'en Tentendant 
La Peur recula d'épouvante. 

La Colère emportée, à Tœil fauve et hagard, 
D'un rude choc frappa la lyre, 
Et la lyre expira sous ce coup de poignard ; 
Tandis qu'en sons voilés exprimant son délire 
Le pâle Désespoir pour charmer sa douleur, 
Jetait au vent surpris un air morne et sauvage, 
A la fois impr^né de tristesse et de rage, 
Etrange, solennel et maussade, et boudeur. 

Mais Toi, douce Espérance 
Aux yeux si beaux ! 
Qui nous fais voir, même à distance 

Plaisirs nouveaux! 
Tu chantas, l'écho des vaUées, 
Des plaines, des monts et des bois, 
Comme im parfum de giroflées 
Se renvoya ta douce voix ; 
Et nous t'écoutions, Espérance, 
Le cœur charmé . . . Quand voilà la Vengeance 
Qui, les sourcils froncés, se lève avec fracas. 

Puis désarmant son bras 
De son glaive fumeux que loin d'elle elle jette 

Tout dégouttant de sang, 
Avec un regard foudroyant 
Elle embouche soudain l'éclatante trompette. 
Jamais voix de prophète annonçant le malheur 
Comme ce son fatal n'inspira la terreur, 
Et pour attiser l'épouvante 

Ainsi qu'une bacchante 
Elle frappait avec un élan furieux 

De temps en temps le Tam-tam douloureux; 

I 



114 LES PASSIONS. 

Et bien que la Pitië qui se tenait près d^elle 
Fît entendre sa voix qui subjugue les cœurs, 
Elle gardait toujours Tire de sa prunelle 

Et son front chargé de fureurs. 

Ton chant girouettant, 6 triste Jalousie 
Ne s'arrêtait à rien; car tes pensers divers 
De Tamour, de l'envie ayant la frénésie, 
Evoquaient à la fois le ciel et les enfers ! 

De sa retraite solitaire 
L'humble Mélancolie au regard inspiré 

Jetait dans l'espace azuré 
De ses tendres pensers la peine imaginaire, 
A travers le suave et mélodieux cor 
En sons plaintifs rendus plus enivrants en cor 

Et plus moelleux par la distance; 

Tandis que des rocs d'alentour 
Venaient timidement se mêler en cadence 

Des ruisseaux le soupir d'amour, 

Déversant sur la solitude 
Les charmes de la paix et de la quiétude. 

Mais combien plus vivace encor 

Devint ce son charmant du cor 
Quand la Sérénité, nymphe à santé robuste. 

Au pied léger, à l'admirable buste. 
Avec ses brodequins de rosée émaillés. 
Avec son arc jeté sur ses épaules. 
Fit résonner le cor parmi les saules. 

Parmi les bois émerveillés. 
A cet appel de chasse et Faunes et Dryades 

Satyres, Sylvains, Oréades 
Tout à coup de sortir des vallons, des forêts 

Et des fourrés les plus épais; 
L'Exercise au teint brun accourut, et la Chasse 
Javelot à la main, bientôt suivit la trace. 



LES PASSIONS. 115 

A I» fin, la Joie eut son tour. 

Elle portait pour ses insignes 

Couronne de pampres et vignes; 

Elle 4)rit d^abord du pastour 
Le chalumeau naïf, mais bientôt la viole 
Aux sept voix, dont chacune est un riant symbole, 

Fixa ses yeux, obtint son choix. 

Lorsqu'elle modulait ces voix 
On eut pu croire encore être au temps de la fable 

Dans le beau vallon de Tempe, 

Où quelqu' Orphée infatigable 

Assis sur un roc escarpé 

Présidait aux riantes fêtes 
Des Faunes, des Sylvains, et des Nymphes follettes. 
Pendant que sous ses doigts résonnaient ces accords, 

L'Amour et la Gaité, sans masque, 

Dans de vifs et brûlants transports 

Formaient une ronde fantasque, 

Elle avec ses cheveux épars 

Et sa ceinture dénouée, 

Et lui sous sa mine enjouée 

Laissant voir des yeux égrillards; 
Ayant Pair de vouloir pour payer la musique 
Secouer les parfmns de son aile lubrique. 

nile qui descend du ciel, 
Musique I ô divine Déesse, 
Toi le soutien de la sagesse ! 
Pourquoi déserter ton autel? 
Puisque dans les bosquets d'Athéne 
Ton pouvoir a su tout régir, 
Du passé renouant la chaîne 
Ne peux -tu donc nous revenir? 
Dis, où se trouve ta belle âme 
Echo de Tart, et de sa flamme? 
Lève-toi comme aux temps heureux, 
Chaude, énergique, chaste et sage, 
i2 



116 A l'abistocbate. 

Alors qu^en ce siècle des Dieux 

De Clio suppléant la page, 

Tu narrais des faits merveilleux. 

On dit, et je le crois sans peine, 

Que tes accents mélodieux 

Avaient puissance plus soudaine, 

Avaient plus absolu pouvoir 

Que dans notre siècle d*argile 

Même ne sauraient en avoir 

Les accents de Sainte Cécile? 

Qu'ils se taisent donc nos vains bruits; 

Et toi reviens-nous de la Grèce, 

Viens poétiser nos réduits 

Avec les fables du Fermesse! 



CROSSE (ANDREW). 

Né en 1784— Mort en 1855. 

A L'Aristocrate. 

Ta Charte où donc est-elle? — ehl Monsieur TOrgueilleux! 
Qu'il faille s'aplatir devant ton arrogance. 
Se garer d'approcher de tdi, beau dédaigneux! 
Et ne te parler qu'à distance? 

Que toi dans l'épaisseur de ton étroit cerveau 
Tu doives des milliers régir les destinées; 
Que l'Esprit soit réduit d'un si vilain moineau 
A ployer devant les guinées? 

Fenses-tu que ta vue atteigne au firmament, 
Et que notre mesure à nous soit la matière; 
Penses-tu que ta langue ait droit d'enseignement 
Sur nous, parias de la terre? 



A l'abistooeate. 117 

Sommes-nous donc de pierrei oui dà, tous! hoimis toi, 
Lorsque parle à nos sens tout à coup la musique; 
Le plaisir garde-t-il pour toi seul un émoi, 
Pour nous une douleur chronique? 

Que la sphère du jour soumise à ton vouloir 
Déverse pour toi seul les flots de sa lumière, 
Que sur la mer toi seul ait absolu pouvoir 
Comme sur les fruits de la terre? 

Que la nature entière attende ton fiât 
Pour, sur nos pauvres Nous, oser faire un sourire I 
Que ton sourcil froncé soit ordre immédiat 
Au destin!— de tous nous occire? 

Pour être ton jouet, Paimant de ton plaisir. 
Que soit faite par Dieu la vUe multitude/ 
Que l'enfer soit créé pour nous faire rôtir . . . 
Pour toi seul la béatitude? 

Insensé! penses-tu? . . . Mais tu ne penses pas! 
De ton épais cerveau les cloisons sont bouchées. 

De toi la convoitise a fait de boue un tas 

* 

Dont l'odeur donne des tranchées! 

Adonc que le brouillard du rang plane sur toi. 
Trace à Tentour de toi le vieux cercle mystique, 
Et que Ta Nullité Tadore avec émoi 
Des sots la misérable clique! 



118 MOV OaUB EST ES 1C088E. 



CUNNINGHAM (ALLAN). 
Né en 1784~Mort en 1842. 

Mon Cœur est en Ecosse. 

Mon cœur eit en Ecosse, il ne pent-étre id, 
Je Tai laissé chez moi dans le cœor de Jeannette; 
Quand TétoUe du soir brille an ciel obscurci 
Soudain je pense à toi ma toute joliette. 
L'espace ni le temps n'enchaînent mon esprit 
Ma pensée est à toi, ma pensée et mon âme, 
Et la terre et les mers ne les ont circonscrit . . . 
Mon cœur est en Ecosse, en Ecosse est ma flamme! 

Quand la lune s'élève an delà de la tour 
Dis-moi, viens-tu causer avec ma souvenance; 
Et le beau chèvrefeuille a-t-il de son contour 
Enlacé le bosquet près du ruisseau qui pense? 
Et puis, remarques-tu, quand tu rentres chez toi. 
Le blanc soleil des nuits suspendu dans l'espace. 
Le prends-tu pour témoin de ton amour pour moi 
Qui doit être étemel dans ce monde où tout passe? 

Bosquets muets témoins de nos soupirs d'amour, 
Et le jour et la nuit moi je les vois encore; 
Arbres, fleurs et buissons semblent s'entendre pour 
Te rendre à ma pensée, idole que j'adore; 
Lors comme s'ils étaient de ta présence fiers, 
Les moments ne fuient pas; ton étreinte m'enflanmie^ 
Tes yeux dardent sur moi le feu de leurs éclairs, 
Et tes traits enchanteurs s'incrustent dans mon âme. 

Où vous trouver jamais promenades du soir, 

Où soupirs échangés disaient sous le feuillage 

La douleur de l'adieu, le plaisir du revoir, 

Où les gloires du ciel n'avaient qu'un froid langage ? 



LE FESTIK d'aL^XANDBE. 119 

Hélas I tous ces bonheurs sont restes au paysy 
Je suis venu bien loin — bien loin de toi, chère âme, 
Quelque soit mon destin, je le nargue où je suis . . . 
Mon cœur est en Ecosse, en Ecosse est ma flamme ! 



DRYDEN (JOHN). 

Né en 1631— Mort en 1701. 

Le Festin d'Alexandre, 

ou VA PUISSANCE DE LA MUSIQUE. 

ODE 
En VhofmeHT de V Anniversaire de Sainte' Cécile. 

I. 

C^ETAiT royal festin après une victoire. 
Du vainqueur de la Perse on célébrait la gloire : 
Haut placé, le héros planait majestueux 
Sur un trône éclatant comme le roi des Dieux. 
Epars, autour de lui, les chefs de ses phalanges 
De sa gloire vivantes franges. 
Le front tout couronné de fleurs 
Comme il convient à des guerriers vainqueurs 
Se tenaient ;^t Thaïs, sa charmante maîtresse 
Dans tout Téclat de la jeunesse, 
Dans tout Torgueil de la beauté. 
Semblait à ses côtés Timmortelle Déesse 
De la divine volupté. 
Heureux, heureux, heureux le couple 
Que la gloire à Tamour accouple 
Le brave seul, le vainqueur redouté, 
Le brave seul mérite la beauté. 



( 



120 LE FBSTnr d*alexandbe. 



CUŒUR. 

Heureux, heureux, heureux le couple 
Que la gloire à Tamour accouple, 

Le brave seul, le vainqueur redouté, 

Le brave seul mérite la beauté ! 

II. 
LHllustre Timothée, un des rois de la lyre, 
De ses doigts caressants en&nta ce délire 
Qui monte, monte, monte au plus pur de Téther. 

Il chanta d^abord Jupiter 
Qui délaissa le ciel, le s^our du tonnerre, 
^Tant Tamour est puissant!) pour venir sur la terre. 

Dragon de feu 
Cachait le Dieu. 
11 chevaucha d^une façon sublime 
Sur des rayons depuis la double cîme. 
]*our la belle Olympie il daignait s^abaisser 

A recourir au piège. 
Pour mieux pouvoir se prélasser 
Sur sa gorge de neige. 
Et puis il Tentourait de ses plis amoureux. 
Et rénivrant de sa faconde, 
Lui laissait son image à jamais sous les yeux 

Lui ! ... le maître du monde! 
Et la foule émue applaudit 
Avec enthousiasme à ce chant érudit. 

Chacun admire, 
Chacun de dire: 
Le Dieu! le Dieu 
Trône en ce lieu ! 
Et récho complaissant de dire et de redire: 

Le Dieu ! le Dieu 
Trône en ce lieu ! 
Douce musique à son oreille! 



LE FESTIN d'aLEXAKDBE. 121 

11 entend le monarque-Dieu 1 
Son air protecteur est l'aveu 
Que la vanité le conseille, 
Et le voilà qui pose en Dieu ! 

CHŒUR. 

Douce musique à son oreille ! 
Il entend le monarque-Dieu! 
Son air protecteur est Paveu 
Que la vanité le conseille, 
Et le voilà qui pose en Dieu! 

m. 

Le doux musicien fit ensuite Péloge 

De Bacchus toujours jeune et beau, 

Du Dieu de la Gaîtë qui très souvent déroge, 
Car son trône, c'est un tonneau: 

Il vient ! battez tambours, sonnez, sonnez trompettes. 
Résonnez clairons et musettes. 

Il vient, à vous haut-bois! à toi doux chalumeau! 
Il montre sa bonne figure, 
A la rougeâtre enluminure 
Bacchus rétemel jouvenceau I 
Bacchus nous a donné la treille 
Boire est le plaisir du soldat. 
C'est un trésor que la liqueur vermeille I 
C'est un plaisir doux après le combat, 

Doux après la douleur que le jus de la treille! 

CHŒUR. 

Bacchus nous a donné la treille ! 

Boire est le plaisir du soldat, 
C'est un trésor que la liqueur vermeille ! 
C'est un plaisir doux après le combat, 
Doux après la douleur que le jus de la treille! 



122 LS FESTIN D*ALSXANDB£. 

IV. 

Amolli par ces chants^ ivre de vanîtë) 
Le monarque à nouveau relivra ses batailles, 
n se reput du sang de mille funérailles, 
Par trois fois culbutant Tennemi dérouté. 
L^illustre Timothée en voyant son délire 

D^un aussi fol oigueil bouffi. 
Croître et grandir, au ciel porter défi, 
Changea subitement les cordes de sa lyre, 
Modifiant leur ton, comme on mollit la cire. 
Pour mitiger Torgueil, — ^inspirer le pardon, 

Il choisit une muse austère 
Et chanta Darius grand et bon comme un père. 
Tombé, tombé, tombé, tombé dans Tabandon 
Et baigné dans son sang, — seul gisant sur la terre. 
Maintenant délaissé par ceux là qu'autrefois 
Sa bonté nourrissait, qui vivaient sous ses lois. 
Et mourant isolé, sans un ami sincère 
Pour lui fermer les yeux, à lui 1 le roi des rois ! 
Et le vainqueur ému sentait changer son âme 
A Taspect de ces jeux du hasard ici bas. 
Et de ses yeux ardents tombait Tardente flamme, 

Et ses larmes coulaient tout bas! 

CHŒUR. 

Et le vainqueur ému sentait changer son âme 
A Faspect de ces jeux du hasard ici bas. 
Et de ses yeux ardents tombait Pardente flamme. 
Et ses larmes coulaient tout bas! 

V. 

Notre chantre inspiré paya d'un doux sourire 
La tendre émotion que fit naître sa lyre. 
Car il n'ignorait pas combien peu de détour 
Il faut à la pitié pour aller à Tamour. 
Du mode lydien évoquant donc la phrase, 
Dans son âme enivrée il fit naître l'extase. 






LE TESTIK D*AL£XANDB£. 123 

La gaerre^ chantait-il, n*est que peine et labeur, 
L*honneur est un vain bruit, vaut-il donc le bonheur? 
A quoi sert de se battre? à quoi sert de s^occire? 
Et toujours, et toujours, pour n^en finir jamais: 
Le plus grand coup porté ne vaut pas un sourire, 
Et si du monde il faut priser l'empire. 

C'est pour jouir de ses bienûûts. 
La charmante Thaïs à tes côtés assise 
Est un présent des Dieux, prends ta belle promise I 
Vivat! vivat! ce cri retentit à Tentour, 
La musique a gagné la cause de Tamour. 
Ne pouvant plus celer le feu qui le dévore, 

Le prince quittant son amphore 
Enveloppa Thaos d'un regard plus fervent, 
Soupira, regarda, soupira plus souvent, 
Et le vainqueur, vaincu par sa vive prunelle, 
Ivre d'amour, tomba sur le sein de la belle. 

CHŒUR. 

Vivat! vivat 1 ce cri retentit à l'entour, 
La musique a gagné la cause de l'amour. 
Ne pouvant plus celer le feu qui le dévore, 

Le prince quittant son amphore 
Enveloppa Thaïs d'un regard plus fervent, 
Soupira, regarda, soupira plus souvent. 
Et le vainqueur, vaincu par sa vive prunelle. 
Ivre d'amour, tomba sur le sein de la belle. 

VI. 

Résonne de nouveau maintenant lyre d'or : 
Qu'ils vibrent tes accords comme le son du cor, 
Et que retentissant à l'égal du tonnerre, 
Ils éveillent soudain ses yeux à la lumière. 
Ecoutez! écoutez! l'horrible son 
A soulevé sa tête ; 
Comme le flot surgit au fort de la tempête 



124 LE TESTIK D*ALEXAKDIIE. 

U se lève en sursaut en proie au noir frisson, 
Car Timothée a dit en sa rude éloquence : 

Vengeance! vengeance! vengeance 1 
Voyez, voyez, Tinfemale Alecton 
Et ses deux sœurs Tîsyphone et Mégère, 

Toutes les trois du Phl^éton 

Viennent de passer Tonde amère ; 

Voyez donc conune en leurs cheveux 

En mille replis tortueux 
S^enlacent des serpents la hideuse cohorte, 
Voyez le feu d'enfer qui darde de leurs yeux. 

Entendez siffler leur escorte ! 
Et cette troupe hâve une torche à la main. 
Voyez là se mouvoir avec un front d'airain. 
Des Grecs morts au combat prives de sépulture 
Ce sont les noirs esprits poussant un sourd murmure. 

Donnez à leurs mânes sacrés 
Contre vous conjurés. 

Donnez, ah! donnez la vengeance! 
Voyez les brandissant leurs torches dans les airs, 

En laisser tomber des éclairs, 
Et vous montrer du doigt cette magnificence 

Des temples, des palais persans, 
Et de leurs Dieux l'impassible arrogance! 
A ces accords sur leurs cœurs si puissants, 
Les princes, d'applaudir en s'écriant: Vengeance! 

Et, plein d'un zèle destructeur. 
Le roi prend un flambeau ; pour qu'il trouve sa proie 
Thaïs le devançant, attise sa fureur, 
Hélène souriante au sort d'une autre Troie ! 

CHŒUR. 

Et, plein, d'un zèle destructeur. 
Le roi prend un flambeau; pour qu'il trouve sa proie 
Thaïs le devançant, attise sa fureur, 
Hélène soiu'iaute au sort d'une autre Troie! 




LE FESTIN d'aLEXAKDIUE. 125 

vn. 
Ainsi dans ces temps primitifs, 
Ayant que des soufflets tinssent les vents captifs, 
Avant que Porgue et son clavier magique, 
Au monde eût révélé son pouvoir énergique, 

Timothée, inspiré des Dieux, 
Sur sa flûte amoureuse et son luth belliqueux 
Savait chanter d*amour la plus douce \'ictoire. 
Ou pousser aux combats, à la mort, à la gloire 

Des guerriers valeureux. 
Enfin parut la divine Cécile 

Qui créa Torgue au large style. 
Et sut tirer du puissant arsenal 

Un nouveau monde musical, 
Mariant tout à coup, au feu de son génie, 

La mélodie à lliarmonie. 
Que le vieux Timothée, aimé des immortels, 

A sainte C^ûle abandonne 
La palme, — ou que tous deux, partagent la couronne : 
Timothée au ciel même éleva les mortels^ 
Cécile fait descendre un Dieu sur nos autels ! 

CHŒUR. 

Enfin parut la divine Cécile 

Qui créa Torgue au large style. 
Et sut tirer du puissant arsenal 

Un nouveau monde musical, 
Mariant tout à coup, au feu de son génie, 

La mélodie à Hiarmonie. 
Que le vieux Timothée, aimé des immortels, 

A sainte Cécile abandonne 
La palme,— -ou que tous deux partagent la couronne : 
Timothée au ciel même éleva les mortels, 
Cécile fait descendre un Dieu sur nos autels! 



126 SANS ALLÉGRESSE AUCUN PLAISIR NE VAUT. 



DUNBAR (WILLIAM). 
Né en 1460 — Mort en 1520. 

Sans Allégresse aucun Plaisir ne Vaut. 

Homme sois gai — ne prends pas trop à cœur 
Le va, le vient, le train train de la vie. 
Honore Dieu — sois ami sans tiédeur, 
Prête au voisin, charité t'y convie, 
Et puis d'ailleurs — son sort ou peu s'en faut 
Demain pour toi peut bien être le même . . . 
Surtout retiens des lois la loi suprême : 
^'Sans allégresse aucun plaisir ne vaut !" 

Pour vivre bien, ne sois jamais mesquin, 
Jouis gaiement de ce que Dieu t'envoie, 
Quand tu perdrais un jour ton saint frusquin 
Le grand malheur ... s'il te reste la joie ! 
Avec la joie on a tout ce qu'il faut. 
On rit de tout, même de la misère. 
On voit en beau "tout le monde et son père!" 
"Sans allégresse aucun trésor ne vaut !" 

§ 

Prends tes amis parmi les gens d'honneur, 
Fuis les soucis, fuis les vaines disputes. 
Sur ton avoir fais la part du malheur, 
Thésauriser ! . . . c'est le plaisir des brutes : 
Au noir chagrin donne arrêt par défaut, 
Et pauvre en biens, sois riche en patience. 
Qui vit joyeux vit conmie une puissance . . . 
"Sans allégresse aucun plaisir ne vaut !" 



LA OAYAL£RI£ LÉGÈRE. 127 



ELLESMERE (LE COMTE D'). 

Né en 1800 -Mort en 1857. 

Balaclava. 
la catalebie légère. 

On nous croyait des riens^ des petits maîtres, 
Nés, mais pour voleter insectes de la paix, 

Race avorton de nos nobles ancêtres ; 
La Presse et le Roman nous traitaient de muguets. 

On nous disait des héros de ruelles, 
Bons au plus à briller à la caserne, au bal ; 

De fiers vainqueurs, — mais de simples dentelles, 
Et ne courant qu'un jeu, — le vin çt le cheval. 

Ces "on disait" ont fondu comme neige 
Devant les beaux rayons d'un éclatant soleil ; 

Maint canon Russe est certe un galant pleige 
Qu'à leur courage altier ne fut rien de pareil. 

m 
Hélas! hélas 1 et dire que le nombre 

Etait insuffisant pour pouvoir conquérir! 

De ces grands morts la majestueuse ombre 

Planera sur l'histoire aux siècles à venir! 

Le galant chef à la brillante allure 
Quand de l'ordre de mort il arriva porteur, 

On n'eut pu voir sur sa mâle figure 
Le plus léger émoi, tant il avait grand cœur ! 

L'ordre était fou! — ^mais sans rien en démordre, 
ns furent en avant; comme dans ces tournois 

Au temps jadis, que Ton donnait par ordre, 
Qui pour public avaient un parterre de Rois. 



128 FEUILLES ET HOMMES. 

Débris cassés, brisés par la mitrame, 
Oh! de Balaclava quand on dira le nom, 

Ne craignez plus qne devant vous on raille 
Le nom de Cardigan, non plus votre renom. 

Et de Noël quand viendra la journée 
Aux murs de Beaudésert on dira près du feu, 

En entourant la vaste cheminée, 
Les leçons de valeur apprises en ce lieu. 

Ohl s^il eut pu vivre encore une année 
L^illustre et noble auteur d^un aussi digne fîls, 

n eut béni certes sa destinée 
En voyant un Paget broyer nos ennemis! 



ELLIOT (EBENEZER). 

Né en 1781— Mort en 1849. 

Feuilles et Hommes. 

Tombe, tombe dans le tombeau 

Vieille feuille ! 
Tombe, tombe dans le tombeau; 
Tes glands semés, poussés, la terre alors t^accueille 

Vieille feuille. 
Tombe, tombe dans le tombeau! 
L'ouragan de Décembre 
Etreint la forêt, la démembre 
Brin à brin, morceau par morceau. 
Tombe, tombe dans le tombeau 
Vieille feuille! 

Les oiseaux au printemps gentiment chanteront 

Que la mort seule est triste; 

L'herbe et la primevère aussi nous montreront 

Que la mort seule est triste; 



i 



FEUILLES ET HOMMES. 129 

Vieille feuille au-dessus de ton propre tombeau 

Soit dit un "Dieu t'assiste!" 

Sur le chagrin la vie épaissit son rideau, 

Car la mort seule est triste! 

Tous deux avons vécu dans d'incessants rayons 

De soleil et de pluie ; 
Et béni soit Celui de qui nous recevions 

Le soleil et la pluie ; 
Vieille feuiUe, avons eu tout le long de nos jours 

Le soleil et la pluie; 
Et Dieu gratifiera Thumanité toujours 

De soleil et de pluie. 

L'homme et la feuille auront longtemps même destin 

Dans ce monde qui passe; 
Et la vie et la mort en roulant, à la fin 

Viennent au même impasse; 
Et tant que l'océan bruyant suivra son cours 

Que l'arbre porte-feuilles 
Fleuri — se flétrira, rouleront et toujours 

Les hommes et les feuilles. 

Dis vieille feuille, dis, suis-je semblable à toi? 

Nous tomberons ensemble; 
Dis, vieille feuille, dis, es-tu semblable à moi? 

Nous tomberons ensemble; 
D'une brunette encor tu gardes les attraits, 

Mais nous marchons à l'amble : 
Or, vieille feuille, moi je suis gris à peu près, 

Nous tomberons ensemble. 

Tombe, tombe dans le tombeau 

Vieille feuille! 
Tombe, tombe dans le tombeau ! 
Tes glands semés, germes, la terre alors t'accueille 

Vieille feuille, 

K 



130 LES M0ET8 S0NT8 VIVANTS. 

Tombe, tombe dans ton tombeau ! 

L'ouragan de Décembre 
Ëtreint la forêt, la démembre 
Brin à brin, morceau par morceau ; 
Tombe, tombe dans ton tombeau 
Vieille feuille ! 



Les Morts sont Vivants. 

Ne demande pas à la tombe, 
La tombe ne répond jamais 
"Où va le vivant qui succombe 

Où sont les morts?" . . . Non, mais 
Demande à la blanche aubépine 
Qui revient à chaque printemps 
Orner le vallon, la colline. 
Demande à la âeur purpurine 
Qui vient émerveiller les sens. 
Demande à chaque créature. 
Demande à nos près, à nos champs, 
Demande à l'arbre, à la verdure, 
Aux ruisseaux toujours renaissants. 
Demande au gain, à son ivresse. 
Puis à la perte, à sa tristesse, 
A l'acte courageux du fort 
Qui toujours veille et qui jamais ne dort; 
Demande à l'océan qui sans cesse murmure. 
Demande au bleu du ciel, demande à la nature 
Prenant toujours, donnant toujours, 
Sans jamais arrêter leurs cours. 
Ils te feront cette réponse 
Que tu retiendras désormais : 
" Les morts sont vivants, tout l'annonce, 
Et ne peuvent mourir jamais ! " 



ï 



LES FLEirSS DE LA FOBÊT. 131 

ELLIOTT, OF MiNTO (Miss JANE). 
Morte en 1781. 

Les Fleubs de la Eobêt. 

En trayant les brebis j^entendais les fillettes 

Chantant gaiement du jour faire le guet ; 
Mais maintenant gémissent les pauvrettes, 

C'est qu'elles n'y sont plus les Fleurs de la forêt. 

Dans les parcs aux brebis les langues sont muettes, 
Nul jouvencel n'émet de gais propos, 
Soupirs, sanglots, point de vives causettes. 

De lait, comme autrefois, en remplissant leurs sceaux. 

Lorsque vient la moisson, ou des brebis la tonte. 
Nul gars n'est là pour cueillir le bluet ; 
LasI plus de cour, pas même un joyeux conte. 

Car elles n'y sont plus les Fleurs de la forêt. 

Le soir nul amoureux ne rôde au crépuscule 

Près de la meule, ou bien près du bosquet, 
Pour eflfrayer une amante crédule .... 

C'est qu'elles n'y sont plus les Fleurs de la forêt. 

Sur l'ordre qui porta les nôtres aux frontières. 

Malheur I malheur 1 l'Anglais pour une fois 
Par tricherie, il les vainquit nos frères. 

Et sous le sol ils sont tous ces guerriers de choix. 

Dans le parc aux brebis maintenant le silence 
A fait son nid ; l'écho reste muet. 
Nos filles n'ont plus le cœur à la danse. 

C'est qu'elles n'y sont plus les Fleurs de la forêt ! 



k2 



132 SUB MON PSEMIEB ACCES DE GOUTTE. 

FENTON (ELIJAH). 

Né en 1680— Mort en 1730. 

Sur mon premier Accès de Goutte. 

Salut à Toi qui viens te glisser sous mes lares 
De quatre-vingts hivers pour me donner les arrhc 
A Toi qui me promets et pour long-temps encor 

DeTor! 
A Toi qui seule a Theureux privilège 
D'accompagner le riche et lui faire cortège, 
Sans- du pauvre exciter Tenvie et le dësir ; 
Qui nargues Esculape et la docte science, 
Et qui selon ton bon plaisir 
En triomphe t'assieds sur des pots de faïence ! 
Je perdrais mon latin à chanter tes vertus, 
Toi que d'aucuns traitent d'olibrius, 
Parce que, disent-ils, agaçante et lutine 

Tu fais tes coups à la sourdine ; 
Toi dont divine est l'origine, 
Puisque c'est feu Monsieur Bacchus 
Qui te greffa sur Madame Vénus ! 
Je ne l'ignore pas tu fais escorte au trône, 
Et malgré leurs flatteurs aux Rois sais faire un prône ; 
Dans le conseil privé tu fais échec et mat 
Maint scion aristocratique, 
Et c'est fort bien ; sans Toi le sommeil léthargique 
Bien souvent tomberait sur les yeux de l'état. 
Au banc des magistrats tu vas trouver le juge, 
Et lui fais voir sans aucun subterfuge 

Comme en ce drôle d'univers 
Dame Thémis peut marcher de travers. 
Dans l'orteil dorloté du prélat tu courailles 
En mémento de ses longues ripailles ; 
Aux nigauds empesés encombrant la cité, 

Aldermen, shériffs, et Lord Maire, 
Troupe chamarrée et vulgaire. 



l'étudiant. 133 

Tu donnes de la gravité ; 

Tu t^assieds aux genoux des dames, 
Et de là seulement tu leur chantes tes ganmies ; 
Tu ne sais t^aôranchir onc n'importe où tu cours 

De la pantouffle de velours, 
D'oà vient donc cet honneur que tu me fais, ô Goutte! 
De venir t'établir de mon toit sous la voûte? 
Je sais que Jupiter au sommet de Tlda 
Du pauvre PhUémon vint sous le toit, oui dà. 
Et que, content du lit, de la mine, et du reste. 

Quoique le festin fut modeste, 

A Philémon il accorda 
Le vœu dont il voudrait formuler la requête. 
Ce que Philémon fit d'une façon honnête. 
Entends-moi donc, ô Goutte! et m'accorde mon vœu : 
Je veux te dorloter, t'entretenir mon Dieul 

Dans le velours et dans la soie ; 

Donnes-m'en les moyens, morbleu I 

Ou que jamais plus ne te voie! 



GEDNEY (RICHARD SOLOMON). 

Né le 15 Janvier 1838— Mort le 15 Juillet 1856. 

L'Etudiant. 
Cauchemar, 

L'Etudiant était seul dans sa chambre assis, 
Quand l'heure de minuit triste ombrageait la terre ; 
La n;iit était sans lune, et des nuages gris 
Présageaient la tempête et du ciel la colère. 
Voilà qu'en gémissant vint du marais voisin 
Et tout chargé de mort, le vent, le vent terrible, 
Le vent porte-douleur, de la Banshee* horrible 

* La Banshee, espèce de fée qui en Irlande annonce la mort par 
des gémissements surhumains. 



134 l'étudiant. 

Sonnant le glas lugubre et Peffrayant tocsin. 

Ce vent qui débordait au milieu des ténèbres, 

Etait acariâtre, avait des cris funèbres ; 

Une brume de plomb de ce marais voisin 

Fumeuse surgissait, et mettait le grappin 

Sur Pair épais et froid, semblable à l'atmosphère 

D'un caveau démuré naguère encor sous terre ; 

De cadavres parfum, la méphitique odeur 

Par Todorat surpris s'infiltrait droit au cœur. 

Sur le tout surplombait le démon de la Peste 

Ëpandant à Tentour son haleine funeste. 

L'Etudiant était seul dans sa chambre assis, 

Ses yeux noirs, pleins d'ardeur scintillaient comme braise, 

Son front était chargé d'angoisse et de soucis, 

Car le fer en son âme avait fait sa mortaise. 

L'Etudiant était dans la jeunesse encor 

Par le nombre des ans, si l'on comptait son âge ; 

Mais, par le ûiit, c'était à vrai dire un Nestor 

Car il avait bravé la tempête et l'orage ; 

Si que son cœur était usé par le chagrin. 

Tatoué de malheurs, à moitié mort enfin. 

Bien richement doté, son esprit était sombre, 

Mais de son intellect n'appercevant que l'ombre, 

Le monde l'évitait, si que seul il vivait 

De ce trop plein d'ardeur que l'on méconnaissait. 

Mais voilà qu'il advint certain jour qu'une femme 

Capricieuse autant que l'onde, ou que le vent, 

S'offiit à cet esprit sombre .... et soudain son âme 

S'ouvrit à cette femme .... à son cœur décevant. 

Elle l'aima pourtant pendant toute une année, 

A lui comme à son Dieu vouant sa destinée, 

Jusqu'à ce qu'un D'Orsay vint lui faire la cour. 

Un de ces rats musqués, beaux papillons d'un jour ; 

Il triompha le fat! fit bruit de sa conquête, 

Et par des demi-mots, des mouvements de tête 

Fit accroire à son peuple, un peuple de muguets. 

Que cette femme était tombée en ses filets. 



l'étudiakt. 135 

Le menteur! Têtre abject! le scélérat infâme! 
Sous le poids de la honte, et sous son écriteau, 

Rapidement dans le tombeau 
Elle, le cœur brisé, s^affiiissa la pauvre âme ! 

L'Etudiant était seul dans sa chambre assis, 

Ses yeux noirs, pleins d'ardeur scintillaient comme braise, 

Son front était chargé d'angoisse et de soucis, 

Car le fer en son âme avait fait sa mortaise ; 

De la terre ou du ciel il ne se souciait, 

Car son cœur déchiré mort et flétri gisait. 

Maintenant le front haut, se levant de son siège : 

"Dieu! je renonce à toi!" dit sa voix sacrilège, 

" Tu m'as abandonné .... pour trouver du secours, 

Pour trouver qui me serve à l'Enfer j'ai recours ; 

Mes efforts sérieux, mes efforts pleins de zèle 

Tu les as brisé tous au jeu de ta prunelle ; 

Pour trouver qui me serve à l'Enfer j'ai recours. 

J'ai recours à l'Enfer pour trouver du secours. 

Le sombre désespoir et me brûle et m'agite, 

Pour le mal maintenant le bien! moi, je le quitte ! 

n dédaigne mon cœur rechercher le pardon, 

Mal! sois mon bien! de moi, tiens I moi, je te fais don ! 

Holà! viens donc à moi! beau roi des félonies! 

Eblis! viens donc à moi ! bannis les bons génies ! 

Toi qui sus résister par ton sublime orgueil 

Jadis au Grand Messie, et qui dans ton fauteuil 

Domines glorieux sur ces êtres étranges 

Que dans le ciel un jour on appela des anges. 

Mais que tu sus mater à ton noble pouvoir 

Quand tu quittas le ciel pour ne plus le revoir. 

Eblis! ma volonté te somme d'apparaître! 

Par le monde outragé, je te livre mon être. 

Cet être qui naguère élevé par l'espoir 

S'élançait vers le ciel comme à son vrai manoir. 

Victime maintenant de maux de toutes sortes 

Se trouve par le fait chassé jusqu'à tes portes ! 



» 



136 l'étudiant. 

Cette blague ! le ciel I n'a plus de Dieu pour moi, 
Plus de sauveur non plus : viens I je me donne à toi ! 
Source de tous les maux ! Etoile mais fatale 
De l'homme vaniteux ! De ta nuit sépulcrale 
Arrive vite à moi Maître Esprit de l'Enfer, 
Diable ! Démon I Satan ! Eblis ou Lucifer I 
Prince du noir péché, de la mort, je t'appelle ! 
Viens, te dis-je, viens donc? que sert d'être rebelle? 
Dans ce cœur ulcéré glissa soudainement 
Certain je ne sais quoi, certain pressentiment 
D'un quelque chose qui ne serait pas tangible. 
Qui lui fit désirer visager l'invisible. 
Mais bientôt son esprit turbulent, orgueilleux, 
Secoua cet émoi de la chose inconnue, 
Et d'une voix alors stridente et résolue. 
Il dit à cette chose invisible à ses yeux : 
" Voyons I qui que tu sois, bon ou mauvais génie. 
Vite, révèle-toi, sans plus cérémonie I " 
Soudain des sons plaintifs, mais remplis de douceur, 
Qui parurent entrer au profond de son cœur, 
Comme tombant du ciel d'un ange la prière 
Touchante, vint vibrer à travers l'atmosphère. 
C'était délicieux, encor que passager. 
Comme le sont toujours choses délicieuses ; 
Et puis il s'éleva triste et pourtant léger 
Comme sont les soupirs des âmes vertueuses 
Un parler ressemblant à la brise d'été, 
Trapquille et doucereux, mais plein de majesté. 

Qui disait : ** A cette heure. 

Sur toi. Pécheur, oh! sur toi le ciel pleure!" 
Soudain de ce mauvais garçon 

Se fondit l'âme à l'état de glaçon. 
Son esprit orgueilleux amortit dans les larmes 

Le feu qui roulait dans ses yeux. 
Son front sombre, naguère encor froncé d'alarmes. 
Devint pâle, et sa lèvre elle hnplora les cieux ; 



LE YILLAGE i.Bi.NDOKKi. ' 187 

£t quand au repentir son âme fut en proie, 
Chez les anges du ciel là haut, il y eut joie! 

Au-dessus de la terre apparut lentement 

Lentement, solennellement 
L'aube du jour, et le Poëte 
S'éveilla comme l'alouette. 
Cependant qu'à travers son cœur 
Vibrait délicieux un chant plein de douceur, 

Vers le ciel apportant aux anges 
De la terre au Seigneur les vœux et les louanges, 
Humble adoration de la terre au Seigneur! 



GOLDSMITH (OLIVIER). 

Né en 1729— Mort en 1774. 

Le Village Abandonné. 

(Fragment,) 

Délicieux Aubuml ô toi charmant village, 
Le plus beau, le plus gai de tout le voisinage, 
Dont le printemps précoce, et d'été la longueur 
Assuraient le bien-être au pauvre laboureur. 
Chers et charmants bosquets de repos, d'innocence 
Séjour idolâtré de mon heureuse enfance, 
Sur ta pelouse verte ai-je souventefois 
Goûté le vrai bonheur dont m'enivrait la voix ! 
Que me plaisais souvent à la si douce vue 
De tes charmes divers, sentir mon âme émue ! 
La cabane à l'abri, la ferme à l'avenant 
Cultivée avec soin, le ruisseau badinant 
Au moulin affairé portant son onde utile. 
Sur le coteau voisin de Dieu le saint asile, 
Le buisson d'aubépine avec bancs alentour, 
Oii pense la vieillesse, où chuchote l'amour ! 




138 LE YILLi.eE ABANDONNE. 

Que j^ai béni le jour, souvent long>temps d^avance 

Oà finit le travail, où le repos commence. 

Lorsque, libres de soins, tous les gens du hameau 

Venaient endimanchés sous le plus vieil ormeau. 

Les jeunes folâtrant sous son puissant ombrage. 

Les vieux les regardant, rêvant de leur jeune âge. 

Tours d'adresse par ci, tours de force par là, 

Et grands ébattements sur ceci, sur cela. 

Composaient le menu de ces heures de joie. 

Et lorsqu'on se lassait, cherchant une autre voie 

Soudain apparaissait jeune couple luttant 

A qui rendrait plutôt son danseur impotent ; 

Ou bien encor c'était jeune gars, par malice, 

La figure noircie avec jus de réglisse. 

Par ses contorsions, faisant pouffer chacun : 

Puis une œillade au blond, puis une œillade au brun. 

Lancée en contrebande, et malgré l'œil sévère 

D'un argus, de maman, d'un tuteur, ou d'un père. 

Ces charmes si divers, ô village enchanteur I 

Savaient tout faire aimer, tout jusques au labeur ; 

Ils peuplaient tes bosquets de joyeuse influence, 

Mais de ces charmes, lasl il n'est plus d'apparence. 

Doux village riant, frais et délicieux 

Tes charmes sont détruits, las! ils ont fui tes jeux ; 

Du tyran tes bosquets sentent la main jalouse, 

Le dévastation trône sur ta pelouse : 

Un seul maître accapare et tient en son pouvoir 

Ton domaine en entier, et rogne ton terroir ; 

Autrefois beau miroir du ciel et des nuages 

Ton ruisseau maintenant dort sous les marécages; 

Hôte de tes sentiers, gardien de son trésor. 

De son nid qu'il protège, est là le lourd butor 

A la voix caverneuse ; et le vanneau volète 

En fatiguant l'écho de son cri de chouette. 

Informes, tes bosquets n'ont plus im abri sûr, 

Et la pariétaire étreint, détruit le mur. 



LE PETIT RXriSS£i.U. 189 

Tandis que tes enfants fuyant la main du maître 
Bien loin de leur pays s^en vont mourir peut-être. 

Ce pays sera mis bientôt en interdit, 

Où s'accumule Vor, où l'homme dépérit, 

Les princes, les seigneurs peuvent vivre, ou non vivre, 

Le souffle qui les fit peut les faire revivre ; 

Mais la race des bons et braves villageois 

Ne la détruisez pas, — on ne Ta qu'une fois ! 



GRANT (SIR ROBERT), The laie Rùjht lion. 
Le Petit Ruisseau. 

" Gentil ruisseau toujours coulant 
Par monts et par vaux chevauchant 
Ou bien le vallon divisant, 

Où cours-tu maintenant?" 
— " Je cours ainsi que la fortune 
Tantôt dans Tardeur importune 
De Tété . . . tantôt par la lune 

Sans m'arrêter vraiment : 
Car, de par une loi suprême, 
En quête d'un beau diadème 
Dans le sein de l'océan même 

Je m'en vais cheminant." 

— " Ton mince filet doit passer 

Parmi des rocs à transpercer, 

Par des marais à traverser, 

Songe à te reposer." 
— " Non, le marais est difficile. 

Le roc, est, il est vrai, stérile, 




14(0 LE PETIT BUISSEAV. 

Et souvent épaisse est Targile, 

Mais il faut qu^en avant 

Je file, file, file, file 

Agile et toujours plus agile . . . 

En quête d'un plus sûr asile 

Je m^en vais cheminant." 

— '' Les bosquets remplis de chanteurs! 
Sur ton chemin les tendres fleurs 
Qui sur tes yeux penchent leurs cœurs, 

Sur toi versent des pleurs." 
— " Je goûte les fleurs des vallées. 
Je réponds aux tribus ailées 
Charme divin de mes veillées, 

Sur ma route en courant ; 
Et cependant je file, file 

Agile et toujours plus agile 

Vers Tocéan plus sûr asile 

Je m'en vais cheminant." 

— *' Ecoute mon gentil ruisseau, 
L'océan que tu vois si beau ' 
Pour toi ne sera qu'un tombeau 

Bien loin d'être un joyau? " 
— " Nul ne peut dire les merveilles 

De ce monde aux fleurs sans pareilles, 
C'est à douter de ses oreilles 

A faire peur vraiment I 
Mais moi je sais que cet asile 
Est celui du bonheur tranquille .... 
Ainsi vers lui je file, file 

Et m'en vais cheminant ! " 



k 



LES YALKTBIUR. 141 



GRAY (THOMAS). 

Né en 1716— Mort en 1771. 

Les Valkyriur. 

Voilà que la tempête avance — avance — avance; 
Sœurs, il nous faut tisser au métier de Tenfer, 
La flèche obscurcit Pair, il grésille du fer 
Qui s^entrechoque en grêle, et tombe en abondance. 

Vite sœurs au métier, des fils tendons la chaîne, 
Nouons, tissons, tramons du fil fin, du fil plat ; 
Et le sort de Randver, et le sort du soldat, 
L^implacable destin au travail nous enchaîne. 

Voyez! Tœuvre va bien, tisse sœur, tisse, tisse, 
Ce tissu que tu fais de chénevis humain 
Est fait; et chaque poids jusques au moindre grain 
De tête d^homme fait, et s^abaisse et se hisse. 

Flèches teintes de sang, voilà pour tes navettes, 
Vite fais les glisser entre tes fils tremblants. 
Un glaive, hier encor, le jouet des tyrans 
Tient le tissu serré comme un faisceau de brettes. 

Voyez Mista, voyez Mista la fille noire. 

Et Sangrida la pâle, et la terrible Hilda, 

Le fuseau dans leur main court et s^agite ... ha! haï 

Elles te tissent toi — trame de la Victoire ! 

Avant que le soleil tout rouge de colère 
Soit allé de son orbe éclairer d^autres cieux. 
Boucliers, javelots et glaives furieux 
Auront en se croisant fait frémir Tatmosphère! 



142 LES VALKTBIUE. 

Tissez rouge de sang, c^est la trame des guerres ; 
Et nous vite en avant, comme des tourbillons, 
Où se choquent entr^eux les nombreux bataillons, 
Où meurent nos amis, où triomphent nos frères. 

En suivant du destin la voie impénétrable, 
En parcourant le champ où la mort ça et là 
Porte des coups certains, veille ô ma Gondula 
Sur le jeune monarque, et sois lui secourable. 

Vite à l'œuvre, mes sœurs, en mains vos cimeterres. 
C'est à nous de tuer, c'est à nous d'épargner : 
Mais qu'il vive surtout celui qui doit régner; 
Tissons rouge de sang, c'est la trame des guerres. 

Eux, que naguère encore en son étroit domaine 
La plage du désert, comme en un dur étau. 
Enserrait, voyez-les, ils plantent leur drapeau 
Sur les hauteurs, bientôt ils seront dans la plaine. 

Voyez, le vaillant Comte est jeté dans l'ornière. 
Percé de coups, il tombe, et trouve enfin la mort; 
Mais ce n'est point assez, l'impitoyable sort 
Veut d'un Royal cadavre engraisser la poussière. 

Longtemps la noble Erin dans la douleur plongée. 
Redisant dans ses chants le combat meurtrier. 
De ses larmes de sang pleurera le guerrier 
Tombé! . . quand de la gloire il touchait l'apogée! 

L'horreur! . . . elle envahit la plaine et la bruyère, 
La vapeur du sang monte et fait tache au soleil. 
Sœurs tissez de la mort l'efirayant appareil — 
Sœurs cessez. — Tout est fait:- levez votre visière! 



STJB UNE VUE LOINTAINE DU COLLÈGE D*ETOK. 143 

Salut aux fortes mainB, salut aux fortes têtes! 

Qu'ils s'élancent au ciel les chants victorieux ; 

Hourra! ... joie aux vainqueurs; ah! quel bonheur pour eux 

D'avoir au jeune Roi confirmé ses conquêtes. 

Mortel, qui que tu sois par nous apprend Thistoirei 
Et sache le pourquoi de ce chant solennel, 
Et toi puissante Ecosse au vallon, au castel 
Va reporter Técho de ce chant de victoire. 

Hourra! loin d'ici, sœurs, surpassons de vitesse 
La cavalle indomptée, et sur nos noirs coursiers 
Vers le champ du combat frayons-nous des sentiers; 
Hourra! . . . Les morts vont vite! allégresse! all^essel! 



Sur une Vue Lointaine du Collège d'Eton. 

Clochers lointains! antiques Tours! 
Qui couronnez l'allée aqueuse 
Oh. la Science tient ses cours 
De son Henry sous l'ombre heureuse ; 
Et vous nobles Tours de Windsor 
Qui de plus haut voyez encor 
Les bosquets, les vertes prairies. 
Le gazon, le ruban d'argent 
Que le fleuve en ses rêveries 
Doucement traîne en serpentant : 

Ah! quels sites délicieux! 
Ah ! quel divin, quel frais ombrage ! 
OiX mon enfance dans ses jeux 
Flânait, dépensait le bel âge! 
Alors j'ignorais le chagrin ! 
Quand votre brise en mon chemin 



144 8UB UKB TTJB LONTAINE J)U COLLÊaB d'eTON. 

"Se trouve, ... un bonheur éphémère 
Soudain s^empare de mes sens, 
Pour moi renaît un nouvel ère, 
Pour mon cœur un second printemps. 

Tamise I . . . beau fleuve, tu vis 
Plus d^une troupe aventureuse 
D'écoliers sur tes bords chéris 
Se livrer à la vie oiseuse; 
Dis-nous le nom des jouvenceaux 
Qui te parurent les plus beaux 
Alors qu'ils caressaient ton onde? 
Dis-nous de ces jeunes oisifs 
Lequel eut plus vive faconde 
Pour rendre les plaisirs plus vifs ? 

Tandis que le sage écolier 
Dans un doux loisir se délasse, 
Tout prêt à courir le premier 
Au labeur quand sonne la classe. 
Voici d'espiègles un essaim 
Ivres d'air, franchissant soudain 
Les limites de leur royaume, 
Comme ils regardent derrière eux 
Tout en courant ! — c'est qu'un fantôme 
Le maître . . . apparaît dans leurs jeux. 

Heureux enfants! à vous l'espoir 
Si doux, — surtout en perspective; 
A vous petits chagrins qu'un soir 
Voit changer en gaîté naïve; 
A vous le chaud soleil du cœur 
A vous l'esprit vif, inventeur, 
A vous cette brûlante flamme 
Qu'entretient la santé du corps, 
A vous la douce paix d'une âme 
Vierge encore de tout remords î 



fe 



SUB VISE YTJE LOINTAIITE DU COLLÈGE B'ETON. 145 

Insouciant de son destin, 
Chacun d^eux folâtre à merveille, 
Sans plus penser au lendemain 
Qu^il ne pense encore à la veille; 
Autour d^eux voyez cependant 
Comme tournoie en les guettant 
Du malheur la noire cohorte ! 
Ah ! faites-leur voir le danger, 
Afin que s^il ô*appe à leur porte 
Ils se gardent de Théberger. 

Poursuivis par d^afireux vautours, 
Par leurs passions furibondes, 
Tous ils seront dans quelques jours 
£ki proie à leurs luttes immondes; 
Aux uns la Colère et la Peur, 
Et la Honte plus qu'un malheur; 
A d'autres TEnvie implacable 
Qui grignote le fond du cœur, 
Ou la Jalousie efiroyable 
Qui fait joujou de la douleur. 

Ceux-ci mus par l'Ambition 
Hissés sur les ailes d'Icare, 
Iront chercher l'ovation 
Pour retomber dans le Ténare ; 
Ceux-là boiront l'amer mépris 
Dans le troupeau des incompris; 
Victimes de l'Ingratitude 
D'autres souffriront mille morts; 
Riant d'un rire fauve et rude. 
D'autres plieront sous le remords. 

Regardez ! dans le vol des ans 
En bas, est une troupe affreuse, 
La mort groupe sur ces divans 
Toute sa famille hideuse : 

L 



146 TBBS ADRESSES À UNE MOUETTE. 

Voyez, voyez la travaillant, 
Et de son scalpel tenaillant 
Le genre humain sur sa sellette, 
Elle en fait son souâre-douleur! 
L'Age et la Pauvreté maigrette 
Achèvent rhorrible labeur! 

Mais enfin à chacun son lot ! 
Tous sont condamnés par avance 
A soufirir ... car le dernier mot 
De la nature est la souârance. 
Hélas I pourquoi de leur destin 
Apprendraient-ils quelle est la fin, 
Puisque le bonheur fuit si vite 
Et que trop tôt vient le malheur ? 
La folie est le meilleur gîte 
Où l'ignorance est le bonheur ! 



GRIFFIN (GERALD). 

Né en 180d~Mort en 1840. 

Vers adressés à une Mouette vue au large des 
Rochers de Mohus dans le Comté: de Cl are. 

Oiseau de la tempête! oh! blanche créature 
A la gorge de neige, à la calme envergure, 
Tantôt frisant la vague, ou planant dans les airs, 
Tantôt baignant ta plume au séjour des éclairs. 
Tantôt fendant la houle, y frôlant ta poitrine. 
Et tantôt t'élevant gracieuse et mutine 

Jusqu'au plus haut du firmament ; 
Tantôt filant, filant sans un frémissement 
Comme file un rayon de soleil sur l'ombrage, 
Tantôt allant te perdre au sein d'un blanc nuage ; 



TEES A.DBES8É8 À UNE MOUETTE. 147 

Tantôt flocon d'écume, au large te tenant, 
Tantôt en équilibre et d'aplomb dominant 
Et les flots en furie et de la mer l'abîme, 
Comme la Charité dans son esprit sublime 

Domine et couve la douleur. 
Les ailes au repos, tantôt avec langueur 

Du haut des airs glissant sur l'onde, 
Comme un ange envoyé pour consoler le monde ! 
Quand au profond du ciel je te suis du regard, 
De chauds rayons drapée, ou bien dans le brouillard 

Que du ciel frangent sur la route 
De l'ouragan qui fuit les vapeurs en déroute. 
Je crois voir un esprit de pureté vêtu 
S'appuyant sur la foi, sur la seule vertu, 
Pour dominer vainqueur la vie et ses naufrages, 
La mort, les passions, les malheurs, les orages ! 

Surgis ! élève-toi sur les brises du ciel 
Vers le bleu de l'azur, ton magnifique autel ; 
Haut, bien plus haut encor jusqu'à ce que la vue 
Te cherche vainement dans l'immense étendue ; 
Comment un esprit pur te suivant dans les cieux 
N'aspirerait-il pas à ce moment heureux 
Où l'âme surgira, du sein de la matière. 
Glorieuse, épurée, au séjour de lumière. 
Pour aller saluer son Créateur et Roi ; 
Quand laissant là le corps, la prison, le convoi, 
Le drapeau du combat replié, — de la terre 
Elle ira reposer près de Dieu, — Notre Père ! 



l2 



148 BICKTTE POUB FÂntX VVE TBAOSBTB. 



HAYLEY (WILLIAM). 

Né en 1745—Mort en 1820. 

Recette pour faire une Tragédie. 

Prenez jeune beauté de la Grèce ou d'Epire, 

Fille du Roi des Rois ou d'un puissant empire ; 

Prenez pour l'écouter mouche de fine fleur, 

Toujours prête à frémir de pitié, de terreur, 

Pendant que l'héroïne ou libre ou bien captive 

S'évanouit, revient, comme la sensitîve: 

Pour le héros prenez im gaillard qu'on crut mort 

Depuis dix ans et plus; mais qui beugle et bien fort : 

Prenez un vieux gredin qui mérite la corde. 

Jetez à son visage, et sans miséricorde, 

Dussiez-vous du public assourdir le tympan. 

Dans chaque acte dix fois ces mots: "Cruel, tyran!" 

Prenez un fier-à-bras ardent comme salpêtre. 

Et puis au sang bien calme, un bon homme de prêtre ; 

Faites-les tempêter, conspirer tour à tour, 

S'accuser, se vexer; puis mettez à l'entour. 

D'esclaves, de soldats une bonne poignée. 

Faites aller, venir, jouer de la cognée. 

Puis mêlez bien le tout de grands mots, de holà! 

D'évanouissements, d'un soudain — " Me voilà! ! ! " 

Jetez à pleines mains, au milieu du tapage, 

Ces exclamations: "O désespoir! ô rage!" 

Puis complétez le tout avec l'assassinat. 

Et d'un grain de folie assaisonnez le plat; 

Et, bien que le poignard ait occis la princesse, 

Faites que sa prunelle ait encor la souplesse 

De prouver, aux Messieurs, que toute la vertu 

Qu'elle a crié bien haut ne vaut pas un fétu. 

Elle dira cela, dans un vif épilogue, 

Tout en se dandinant, en guise d'apologue. 



Afin qu'il soit compris que la moralité 
Au théâtre, jamais n'est qu'idéalité. 
Et maintenant servez an bon public la chose, 
Si la presse applaudit, il aval^ la dose. 



HEMANS (MRS. FEUCIA). 

Née en 1793 — Morte en 1835. 

Le Premier Chagrin de l'Enfance. 

"Oh ! rappelez, mon frère, et qu'il vienne à ma voix. 

Comme il venait naguère: 
Je ne puis jouer seul, sans l'ami de mon choix, 
Oii donc est-il allé, mon frère ? 

"L'été nous rend enfin ses abeilles, ses fleurs; 

Le papillon volage 
Aux rayons du soleil étale ses couleurs. 
Mais de le chasser n'ai courage. 

"Dans le jardin nos fleurs s'inclinent de sommeil, 

Lentement vers la terre; 
Notre vigne affaissée est brûlée au soleil, 

Oh! rappelez-le donc, mon frère I" 

— "11 ne peut plus t'entendre, hélas! mon cher enfant, 

Celui qui fut ton frère, 
Tu ne le verras plus ce visage charmant. 
Tu ne le verras plus sur terre. 

"Existence de rose, il n'a vécu qu'un jour. 

Un jour . . . hors de ses langes: 
Et pour jouer, enfant n'attend pas son retour, 
Car ton frère est avec les anges." 



150 AVABICE. 

— " Comment ! il a quitté ses fleurs, son bel oiseau, 

Et son gentil parterre? 
Et quand je lui dirai viens jouer au cerceau, 
Il ne reviendra pas, mon frère? 

"Et nous n'irons donc plus, heureux autant qu'un Roi, 

Jouer dans le bocage; 
Oh ! tandis que mon frère était là . . . près de moi, 
Que ne Tai-je aime davantage?" 



HERBERT (GEORGE). 
Né le 3 Avril 1693— Mort vers 1635. 

Avarice. 

Toi, fléau du bonheur! toi, source du malheur! 
Argent! D'où viens-tu, dis, avec si fraîche mine? 
Orgueilleux parvenu, qui fais le grand seigneur ! 
L'homme t'a trouve sale au fln fond d'une mine. 

Tu fus d'abord si peu, malgré ton air flambant, 
Pour ce royaume que maintenant tu gouvernes, 
Que me souviens encor du jour où, pauvre argent. 
Il te sortit chétif de tes sombres cavernes. 

Et puis bien malgré toi, te façonnant au feu. 
Il t'a rendu luisant et dur sur son enclume, — 
Fort comme un homme enfin, — il fait de toi son Dieu: 
Car vrai, l'homme c'est toi — lui n'est que ton écume ! 

Lui qui t'a rendu riche, il t'ôte son chapeau, 
Et quand il te déterre, il creuse son tombeau I 



REQUÊTE AUX PAQUEKETTES. 151 



HERRICK (ROBERT). 
Né en 1591— Mort en 1674. 

Requête 
Ai:x Pâquerettes de ne pas se fermer de si Bonne Heure, 

Ne vous fermez sitôt, gentilles Pâquerettes, 

La nuit n'a pas encor sous son manteau tout noir 

Mis le soleil aux oubliettes, 
Ni forcé la nature à nous dire bonsoir. 

Ils sont ouverts encor tous ces beaux soucis jaunes, 
Kt dans les cieux là haut on ne voit point siéger 

Scintillante au milieu des zones 
Cette Vénus de nuit, l'Etoile du Berger. 

Attendez donc au moins que ma belle maîtresse 
Ferme son œil qui fait la pluie et le beau temps ; 

Après cela, je le confesse, 
Il peut vivre ou mourir le monde et ses enfants 1 



A DES Primevères remplies de Rosée du Matin. 

Pourquoi pleurez- vous, gentilles fleurettes? 

Dans vos jolis yeux à quoi bon des pleurs? 

Vous vîntes au monde assez joliettes 

Pour ne savoir pas ses sombres douleurs? 
Vous vîntes au printemps lorsque Taurore à peine 
De ses larmes avait répandu les splendeurs; 
Et n'avez pas connu la tempête soudaine 

Qui vient et qui détruit les fleurs; 
Vous n'avez pas senti le souffle de la bise 

Non plus le vent âpre et fougueux ; 



152 LE BEBGÏfi 1 SA BEB^ÈES. 

Vous n^êtes pas non plus, en dernière analyse, 

Vieilles autant que sommes vieux; 
C'est étrange de voir des fleurs aussi jolies, 
Laisser pleuvoir ainsi tant de mélancolies 

De leurs beaux yeux. 

Parlez, parlez donc, gentilles fleurettes, 
Dites, dans vos yeux pourquoi tant de pleurs? 
Faut-il vous chanter dodo mignonnettes 
Pour les endormir vos jeunes douleurs? 
Dites, ce grand chagrin d'où vient-il? qui le cause? 
Est-ce de vous trouver seules parmi les fleurs? 
Est-ce de n'avoir pu confier quelque chose 

A l'amant qui lit dans vos cœurs? 
Mais non, cette douleur dont vos yeux ont l'empreinte, 

Et qui se traduit par des pleurs, 
Vous nous la faites voir comme une leçon sainte 

Charmants petits prédicateurs : 
C'est que tout dans la vie, et tout dans la nature, 
Conçu dans le chagrin, et s'enfante et s'épure 

Dans les douleurs! 



Le Berger à sa. Bergère. 

Mon gentil amour, viens vivre avec moi, 
Voilà les plaisirs que j'aurai pour toi. 
Le plus vert gazon sera ta couchette 
Avec oreiller de clievrefeuillette, 
A côté duquel de gentils ruisseaux 
Sauront te bercer du bruit de leurs eaux. 
Le plus pur duvet de la toison blanche, 
Fera pour t'omer robe de dimanche. 
Langues de chevreaux à chaque repas. 
Pour boisson du lait ; et tu mangeras 
En guise de pain, pâte d'avelines, 
Avec de la crème, et force pralines. 



LAMEÎîTATJiOir; DE DAV^^P SIFft 8AÛL. 153 

Tes tables s^outiiiios napnts et nos prés, 
De charmantes âeurs toujours diaprés, 
Où tu t'afi^ierae, où le Rouge-gorge 
En chantant viendra pignocher de Torge ; 
Et te donnerai chaînes et colliers 
De fleurs, que prendrai sur les églantiers. 
Si tu veux m'aimer, viens avec moi vivre, 
Tout, et plus encor, moi je te le livre. 



HINaESTON (FRANCIS). 
Né à St. Ives, Comwall, le 27 Novembre 1796— Mort le 7 Oct 1841. 

Lamentation de David sur Saul. 

" The beauty of Israël is slain upon thy high places : how are the 
mighty fallen." — // Samuelf i. 19. 

Pleure! oh! pleure Israël de ta beauté la fleur! 
Les puissants sont tombés,— en vain tombés! . . . malheur! 
Le vainqueur est vaincu, le vaillant on le dompte, 
Les guerriers de Judah ont lâché pied . . . . ô honte! 

Les montagnes l'ont vu ; mais qu'on n'en souffle mot 
Au Gentil, au Païen, de Baal au suppôt; 
Les filles d'Askalon connaissant la nouvelle 
Sur nous tous du mépris sonneraient la crécelle. 

Oh! maudite soit l'heure ! oh! honni soit le JQUr! 
Oh du brave l'écu fut broyé sans retour ; 
Puisse rien ne pousser, — vulnéraire ou dictame, 
Sur les champs où. Saiil a rendu sa grande âme! 

Que son glaive était fort aux jours de son orgueil! 
Qu'il s'est souvent grisé de victoires, de deuil! 
Que droit au but allait de Jonathan la flèche. 
Dans les rangs ennemis chaque fois faisant brèche! 



154 1 UNE FLEUB SAUTAOE FLETKIE. 

Us étaient avenants, et le père et le fils, 
Maintenant ils sont morts, leurs combats sont finis, 
Leur force et leur beautë sont de la tombe esclaves, 
La mort n'a sëparé ni les beaux ni les braves. 

filles de Salem I pleurez votre seigneur. 

Qui pour vous protéger tant de fois fut vainqueur, 

Car il est éclipsé le soleil de sa gloire! 

Sa beauté ne vit plus hormis dans la mémoire! 

Les puissants sont tombés! ... les valeureux sont morts! 
Les soldats de Saiil ont cédé sans efforts! 
Pleure! ô pleure Israël! pleure dans le silence 
L'Oint du Seigneur! . . . aussi le fils de sa puissance! 



A UNE Fleur sauvage flétrie. 

De mon pauvre cœur triste emblème, 
Tout flétri, tout fané, tout blême. 

Quelque mise aux abois 
Que tu sois. 
Cependant du matin quand voletait la brise. 
Elle n'a point couru sur odeur plus exquise 
Que sur le doux encens qui de toi, simple Fleur, 
S'exhalait vers le Créateur. 

Et maintenant tu gis flétrie! 
Non pas du vent par la furie, 

Car le vent cette fois 
Très courtois. 
Tranquille en te voyant sur ton lit endormie, 
Par la lune veillée aussi bien qu'une amie. 
Et sur l'air de la nuit épandant ton odeur, 
Ne voulut flétrir ta fraîcheur. 



l'alouette. 165 

Oh! non ce n'est pas .l'âpre bise 
Qui flétrit ta splendeur exquise, 

Car lorsque le soleil 
Tout vermeil, 
De ses rubis sur toi répandais l'étincelle, 
Tu fus cueillie, hélas I par jeune jouvencelle, 
Et sur son sein bercée— un bien doux oreiller! . . . 
Mais pour dormir — sans plus te réveiller! 



HOGG (JAMES). 
Né le 25 Janvier 1772 — Mort le 25 Novembre 1835. 

L'Alouette. 

Oiseau de lieu sauvage, 

Libre de vasselage 
Dont les chants au matin saluent le marécage ! 

Emblème de bonheur 

Est ton nid, gai causeur. 
Oh! si l'on pouvait vivre avec toi solitaire 
Sans trouver au désert les soucis de la terre ! 

Ton chant est si retentissant. 
Tout impr^né d'amour qu'il est, dans l'atmosphère, 

Que rien n'est plus puissant. 
Où vas-tu voyager sur ton aile légère? 
Ton chant est dans le ciel, ton amour sur la terre ! 

Dominant le feuillage 

Et la lande sauvage, 
Et l'azur coloré qui devance au passage 

Le char du Dieu du jour 

Cet arc-en-ciel d'amour. 
Chérubin musical en chantant vole, vole! 
Et du plus haut des cieux. effleure la coin»olc! 
Et puis lorsqu' arrive le soir 



156 L£ OHA.NT DE LA 0H£tHI8£. 

Viens demander anile aux fleurs de la bruyère 

En ton gentil dortoir. 
Oli! que ne peut-on vivre avec toi, solitaire, 
Sans trouver au désert les soucis de la terre! 



HOOD (THOMAS). 
Né en 1798— Mort le 8 Mai 1845. 

Le Chant de la Chemise. 

Avec des doigts piqués, fatigués et usés, 

De lourdes et rouges paupières, 
Une femme en haillons, aux traits couperosés, 
Travaillait à Taiguille en proie à ses misères: 

Des points! des points! encor des points! 
Et dans la faim, dans la crasse, et la bise, 
En cousant cols, goussets, manches, coins et recoins 
Elle chantait: "le Chant de la Chemise!" 

" Travailler 1 travailler! travailler! travailler! 

Dès que le chant du coq éveille; 
Travailler! travailler! encor retravailler 
Quand Tétoile du soir au firmament sommeille, 
Est-ce être libre que cela? 
Ahl mieux vaudrait du Turc être Tésclave, 
Car la femme n'a pas d^âme à sauver par là, 

Que d'être un spectre , . » une chose au teint hâve ! 

*' Travailler! travailler! travailler! travailler! 
Si bien qu'enfin tourne la tête ; 
Travailler! travailler et toujours travailler 
Tant que rœil hébété se trouble et puis s'arrête! 
Couture, gousset, et collet, 
Et pour changer collet, gousset, couture, 
Jusqu'à ce que mes doigts s'endorment au poignet 
Tout en cousant les boutons d'aventure! 



LB CHANT DE LA CHEMTSB. 157 

'' Hommes qui vous targuez de les chérir vos sœars, 
£t vos ëpouses et vos mères, 
Vous n'usez pas du linge — oh! non, mais les sueurs 
Et puis la vie aussi des pauvres ouvrières ! 

Des points! des points! toujours des points! 
Et dans la faim, dans la crasse, et la bise, 
Et cousant à la fois et d^un double fils joints 
Un noir linceuil, une blanche chemise! 

" Mais pourquoi donc vraiment parlé-je de la mort, 
De la mort à la robe osseuse? 
A peine si je crains le hideux de son port 
Tant il ressemble, hélas ! à ma taille anguleuse 
Par tous les jeûnes que je fais ! 
Dire, ô mon Dieu! qu^à la ville, au village 
Il soit si cher le paini et qu'on ofire au rabais 
La chair, le sang d'un être à ton image ! 

** Travailler I travailler! travailler! travailler! 
Et mon travail est sans relâche, 
Et quels sont ses produits? ... En guise d'oreiller 
Un lit de paille,>-un peu de pain après ma tâche, 
Et des haillons pour m'affubler! 
Un toit à jour, une chaise, une table, 
Et puîs^ mn mur si nu que de me le peupler ^ 
Je te sais gré, mon ombre charitable! 

"Travailler! travailler! travailler! travailler! 
Comme pour expier un crime ; 
Travailler! travailler! et toujours travailler ! 
Du matin jusqu'au soir, voilà notre régime ! 
Couture, gousset et collet. 
Et pour changer, collet, gouHset, couture. 
Jusqu'à ce que le cœur s'affaisse sur l'ourlet. 
Et que la main tombe de courbature! 



158 LB CHANT DE LA CHEMISE. 

"Travailler! travailler! travailler! travailler! 
Par le jour sombre de décembre, 
Travailler! travailler! puis encor travailler 
Quand on sent le temps chaud dans le froid d'une chambre ! 
Quand je vois sous les avant-toits 
Légèrement se glisser l'hirondelle, 
Me montrant le printemps avec un air narquois, 
Et devant moi faisant même la belle! 

"Oh! Dieu! si je pouvais seulement respirer 

Des jeunes fleurs la fraîche haleine, 
Sous les flots d'un ciel pur me laisser azurer 
Moi, foulant le gazon ... oh 1 Dieu la bonne aubaine! 
Ne fut-ce qu'une heure, une fois, 
Pour retrouver la souvenance chère 
De tous ces sentiments éprouvés autrefois 

Quand j'ignorais le coût de la misère! 

" Une heure, oh! rien qu'une heure, un répit, un moment . . . 
Hélas! c'est en vain que j'implore! 
Pour l'amour ou l'espoir, pour un doux sentiment, 
Il n'est pas de loisir — ^pas de soir — pas d'aurore! 
Mais du temps seul pour les douleurs : 
Pleurer un peu soulagerait mon âme, 
Mais dans leur lit saumâtre il faut laisser ses pleurs 
Pour ne mouiller l'aiguille ni la trame!" 

Avec des doigts piqués, fatigués et usés, 

De lourdes et rouges paupières. 
Une femme en haillons, aux traits décomposés. 
Travaillait à l'aiguille en disant ses misères : 

Des points! des points! toujours des points! 
Et dans la faim, dans la crasse, et la bise .... 
Oyez ! ... et comprenez, gens aux riches pourpoints . . . 
Elle chantait : " Le Chant de la Chemise!" 



À OYlîrTHIE— SIMKIN. 159 

JONSON (BEN). 

Né en 1574— Mort en 1637. 

A Cynthie. 

O CHASSERESSE et chaste et belle, 
Reine de la Nuit, le soleil est couché I 
Dans ton ârateoil dWgent trône comme Psychë, 
Car de la nuit toi seule est la lampe immortelle : 
Oh! de par Hespérus montre-nous ton miroir 

Déesse si charmante à voir! 

Ne va pas t^interposer Terre ! 
La sphère de Cynthie en son si doux éclat 
Fut ùÀte pour doter d^un reflet délicat 
Le monde, quand du jour se ferme la paupière ; 
Donc, de par Hespérus montre-nous ton miroir, 

Déesse si charmante à voir! 

De côté mets ton arc de perle, 
Et ton carquois brillant comme le pur cristal, 
A la biche permets dans ton cœur virginal 

Le temps d^arret du chant d^un m(;rlo, 
Toi qui fais de la nuit le plus joli miroir, 

Déesse si charmante à voir! 



KENRICK (D. K.) 
Mort le 10 Juin 1779. 

SlMKTN. 

Conte bleu. 

Au temps où l'on voyait les focs 

Danser gentiment attifées 

Dans la plaine, ou près du manoir 

Au clair de la lui.e, le soir, 

Dans la vallée, une fillette 

Le pot au lait en main, seulette, 



160 8IMKIN. 



Chaque jour menait son troupeau 
Ou sous Tombrage, ou près de Teau. 
Jamais plus naïf caractère 
De son pied n'eâSeura la terre, 
Mais hélas I la charmante en&nt 
Avait, c'était ébouriffîmtl 
Pour cheveux les poils d'une marte, 
Ce qui fait qu'on Ta nommait Marthe, 
Marthe la rouge 1 . . . £t que chacun 
Se moquait d'elle, blond ou brun. 

Or, il advint qu'en la prairie 
Non loin de la rive fleurie 
Où Marthe menait son troupeau, 
S'élevait un mont, vrai joyau, 
Ëmaillé d'or, de paqjneretfes, 
Et couronné de violettes, /^ 

Autour duquel plus d'un poltron 
Affirmait d'un air fanfaron, 
Avoir vu Mesdames les fées 
Folichonner fort décoiffées, 
Car ainsi qu'en courait le bruit, . 
Sous le mont était leur réduit, 
Un palais d'or et d'émeraude, 
Dont elles sortaient en maraude 
Aussitôt que sonnait minuit, 
Pour faire réveillon la nuit. 
Maintefoia déjà la fUlette 
Avait été vue en cachette 
Tous les soirs et tous les matins 
Par ces invisibles Lutins, 
Et sa coiffe toujours proprette,. 
Le bien porté de sa jaquette. 
Avaient gagné leur bon vouloir : 
Car, on n'est pas sans le savoir, 
Rien ne chiffonne tant les fées 
Que des robes mal agraffées. 



8IMKIN. 161 

Visitent d'un œil scrutateur 
Et d'un regard inquisiteur 
Chaque maison, chaque chambrette, 
Si toute chose n'est pas nette, 
S'il faut nettoyer le tranchoir, 
Ou bien balayer le dortoir, ' 
Ghire à la servante coupable ! . . . 
Elle est pincée, et misérable 
En proie à de cuisants regrets. 
Elle ne peut dormir jamais. * 
De Marthe la gente parure 
Plaida donc pour sa chevelure. 
De là la résolution 
De lui donner protection. 

Or le soir, lorsque sous l'ombrage 
Notre fillette à son laitage 
Donnait tous ses soins — un Lutin 
Gai conunis voyageur — Simkin 
Qui vexotait par habitude 
Et la paresseuse et la prude. 
Vint la trouver. — Veste d'azur 
Et transparente au clair obscur. 
Gentille et blanche gorgerette, 
Voilà qu'elle était sa toilette; 
n montait dada de vapeur 
Et sautillait comme un danseur; 
C'est cet Esprit qui sur la terre 
Vient à l'heure où tout est mystère 

Batifoler près des marais 

Qui le suit ne revient jamais. 

Mais ce soir là, tout débonnaire 
Notre Esprit ne cherchait qu'à plaire, 
Et dépouillant le farfadet 
N'était plus qu'un gai feu follet. 

M 



162 SIKKIK. 



Il endoctrina la ûllette, 
Et se fit suivre à Taveuglette 
Deçà, delà) par monts, par vaux 
Que sillonnaient gentils ruisseaux, 
L^amusant par son badinage, 
Jusqu'à ce qu'au prochain village 
Retentit lentement minuit, 
L'heure où sortent de leur réduit 
Comme des zéphirs, par bouffées, 
Les douces et gentilles fées, 
Toutes au maintien virginal. 
Toutes en toilette de bal, 
De leurs pas effleurant à peine 
£t pâquerette, et maijolaîne. 

n est trois fois béni le sol. 
Le vent y souffle en mi bémol. 
S'il est visité par les fées 
Qui s'y baignent dans ses nymphées. 
Là rien qui soit à l'abandon. 
Tout est fertile, et le chardon 
Ne s'y voit pas plus que l'ivraie. 
Pas plus que l'on n'entend l'orfraie, 
Ou que de l'oiseau de malheur, 
On n'entend la rauqne clameur. 
Mais on entend là la fauvette. 
Du merle la voix joliette. 
Puis encor le joyeux coucou 
Qui de son gosier fait joujou. 
Là se voit aussi l'églantine, 
A douce fleur, à rude épine, 
La renoncule au vif éclat, 
L'anémone au rouge incarnat, 
La rose dont l'odeur accueille, 
Le muguet et le chèvrefeuille. 
Dans un endroit bravant le vent, 
Le Lutin qui courait devant 



siissiiv. 103 



Soudain glissa de sa monture 
Qui se perdit dans la verdure; . 
Et puis aux Esprits se mêlant, 
Par un oubli fort peu galant 
Laissa Marthe dans sa surprise 
Libre de tout voir à sa guise. 

Marthe tout oreille et tout yeux 
Vit un spectacle merveilleux : 
Non loin d'elle nombre de fées 
A leur travail fort échauffées, 
Façonnaient force nouveautés 
Pour d' humaines divinités; 
L'une attifait une coiâfure, 
L'autre arrangeait une ceinture, 
(Car modiste ne dit jamais 
Que son art puise ses secrets 
Aux merveilles de Tart fémque). 
Une autre ornait une tunique ; 
D'autres disputaient chaudement 
Sur un amour de vêtement 
Pour fêter royale naissance; 
Plus loin nombreuse conférence 
Pour savoir quel ruban nouveau 
Relèverait mieux un chapeau: 
Ici se tenait vûa. conclave 
A l'air sévère, au maintien grave, 
Il fallait donner son avis 
Sur une jupe, et sans sursis ; 
Serait-ce une robe flottante, 
Ou bien serait-ce une volantef 
D'autres, Esprits plus sérieux. 
Par des contes ingénieux, 
Et que tout l'univers accepte 
Mettaient la morale en précepte ; 
Car c'est surtout à cette fin 
Qu'écrit Follet, Fée ou Lutin. 

M 2 



uil 




164 BJMKIK. 

A chaque invention nouvelle 
Fée ou Lutin, nouvel Apellc, 
De tremper «on doigt de carmin 
Dans la rosée, et ce burin 
Lui sert à léguer à Taurore 
Sur des feuilles de sycomore 
Et contes, et moralités, 
Tous illustrant des vérités; 
Puis alors survient le poète 
Qui, de la nature interprète, 
Lit couramment au point du jour 
Tous les feuillets épars autour 
Du vallon, ou de la prairie, 
Avant que chaque allégorie 
Ne B^eSsucQ au souffle du vent, 
Ou bien que le soleil levant 
N^ait pompé sans miséricorde 
Le dernier volume et Texarde; 
Puis traduisant chaque vapeur, 
Il remet l'œuvre à Timprimeur, 
Ainsi dans ce val de misère. 
Le matin chaque pauvre hèr^ 
Va cueillir le champignon nain 
Que la chaleur rendrait mal sain. 

Marthe en vit bien d'au,tres encore 
En quête de la mandragore. 
Et cela non pas sans terreur 
Non pas sans que battit son cœur; 
Cependant prés de la fillette 
Un essaim à superbe aigrette 
Conduit par le fringant Simkin 
S'approcha — puis notre Lutin 
S'inclinant pour lui rendre hommage, 
Lui parla ce gentil parlage : 

'' Aimable enfant 1 ne crains rien, mais 
Regarde ce cadeau si frais 



STMKtK. 165 



Que Bénévole, notre Reine, 
Que Bénévole, ta marraine 
Nous a prescrit de Rapporter, 
Et de te prier d'accepter. 
Crois-moi, les trésors du Pactole 
Ne sont rien près de cette phiole; 
Jamais parfumeur breveté, 
Ne fit tel baume de beauté, 
Ce sont des gouttes dîsrillées 
De fleurs toutes dépareillées 
Qui ne se montrent qu' à minuit, 
Que les Lutins trouvent la nuit; 
Ce sont reflets de clair de lune, 
Ou de ces larmes qu'à la brune 
Répand le sauvage Eglantier, 
Ou le rugueux genévrier. 
Ou l'arbre qui porte résine. 
Ou du chardon la vive épine. 
Dans la coupe du bouton d*or : 
Ce sont, te le dirai-je encor, 
Produits rares de la chimie, 
Un rayon d'étoile endormie, 
Une décoction d"" azur. 
Un extrait de l'air le plus pur: 
De ce baume, Marthe, sois prête 
A l'instant à mouiller ta tête. 
Et tes cheveux rouges — demain 
Deviendront d'un fort beau châtain, 
Et les filles de ton village 
Ne te verront plus qu' avec rage." 
Ce disant, notre ami Simkin 
Disparut — c'était le matin. 

Marthe crut Simkin sur parole, 
Vite elle eut recours à la pliiolc, 
Et de ce jour les amoureux 
De l'entourer de leurs aveux: 



166 DIALOGUE ENTRE UNE MÈRE ET SON ENFANT. 

Car elle était et belle et sage, 
Et de plus avait Tavantage 
De n'avoir plus ces cheveux roux 
Qui toujours font fuir les époux. 



LAMB (MISS). 
Morte le 20 Mai 1847. 

Dialogue entre une Mère et son Enfant. 

l'enfant. 

Noble Dame quittez ces orgueilleux atours, 
Plus ne devez porter la soie et le velours. 

LA mère. 

Pourquoi donc, mon chéri, troubles-tu mon oreille 
Avec cette chanson et si triste et si vieille? 
Je vais me marier aujourd'hui, tu le sais, 
Pourquoi donc me chanter ces vieux et tristes lais ? 

l'enfant. 
Déposez ces atours à l'éclat éphémère. 
Car vous ne pouvez onc être épouse, ma mère. 
Ce vers là ne se trouve en la vieille chanson. 

LA MÈRE. 

Pour le moment taifi-^i, mon gentil, je te prie, 
Fais joujou, sois joyeux, et plus de bouderie, 
Tu feras le bonheur d'un second père — garçon I 

l'enfant. 

Sur ses genoux hélas m'a câliné mon père, 

N'ai besoin qu'un seid père;— entendez- vous ma mère? 



À T. 8T0THABD. 167 

LAMB (CHARLES). . 

Né le 18 Terrier 1775— Mort le 27 Décembre 1834. 

1 T. Stotiiard, 

SUR LES ILLUSTRATIONS DES POÈMES DE SaMUEL RoGERS. 

Artiste consommé, ton crayon immortel 

A Rogers, le classique, improvise un autel, 

Qu'il reste ton chrf^'œuvrel— Il m'en souvient encore 

Dans ces temps déjà loin oil pointait mon aurore 

Que dé fois n*ai-je pas, admirateur naïf, 

Dévoré du regard, ton faire întellectif ? 

Le précieux Grandison, et la triste Clarisse, 

Les héros de Fielding, de Smollett, Vertu, Vice, 

S'ofiraient à mes regards, réalisés par toi; 

Mais ce qui fit surtout impression sur moi. 

Ce fut rétrangeté, les bizarres figures 

Qui de Peter Wilkins illustrent les gravures. 

L'âge qui rend moins prompt, surtout moins positif 

Le crayon de l'artiste— il rend le tien plus vif. 

Plus délicat, plus doux; tes ombres, ta lumière 

Te rendent Titienesque—Ah! puisse ta carrière 

Se prolonger longtemps, rival de Raphaël, 

Aussi beau que Watteau, tout comme eux immortel I 



LANDON (LETITIA ELIZABETH) [L.E.L.]. 
Née en 1802 — Morte en 1838. 

Le Pays des Fées. 

Cela surgit de façon fabuleuse. 
Comme alors qu'Aladin, pour embellir sou sort, 
Touche doucettement l'invisible ressort 
De son cher talisman, la lampe merveilleuse. 



1G6' L£ PAYâ I>£8 FÉE^. 

C'est un pays charmant, plaiïfaut, riant et gai, 

Un beau ciel tout d'azur, comme un beau ciel de Mai, 

Et cependant changeant, illominaut de larmes 

Fugitive» les fleurs, et rehaussant leurs charmes. 

On voit dans ce pays prospérer chaque fleur; 

La perce-neige gît où se gaudit la rose, 

Le lierre se festonne, et de son bras vainqueur 

Entrelace la vigne, et sur son sein repose; 

La violette dort, sur Tanajias doré, 

Qu'elle a lorgné longtemps d'un œil énamouré. 

C'est un pays charmant, mais souvent solitaire. 

Le seul luth de l'amant quand tout semble se taire, 

Soupire ses accords tout impr^nés d'amour, 

Et jette sa langueur aux échos d'alentour. . 

Quelquefois on y, vcât spectacles admirables^ 

Des splendeura du passé réalisant les fables. 

Ou bien les grands émois du monde troubadour: 

Des palais éclairés po^r minuit et ses fêtes. 

Et ses joyeux ébats, bien haut levant leurs têtes; 

Des cités dont les tours surgissent dans les airs. 

Et semblent défier l'orage et ses éclairs. 

Puis des processions de joyaux ruisselantes. 

Longues se promenant, noblement imposantes, 

Les bannières dehors dont les plis onduleux 

Pour les doux zéphirs sont occasion de jeux ; 

Avec, an beau milieu, surmonté d'une plume, 

Vif conune le soleil quand il perce la brume, 

Un œil de feu, — l'éclair qui jaillit de l'enclume : 

Des cuirasses ,ausBi, d'argent des boucliers, 

Révèlent un essaim de nobles chevaliers, 

Allant au champ d'honneur moissonner des lauriers, 

Mais voilà tout à coup, que ... ma foi! c'est étrange 1 

En un clin d'œil, un rien de temps, la scène change. 

Une salle de fête, ime salle de bal 

Où les pas sont légers, le luxe féodal, 

Où de graves danseurs pour une sarabande 

Entrelacent leurs mains, les forment en guirlande; 



Ife 



LE PA«TS D^BS FEES. 16^ 

OÙ la coupe de vin brilluiite de rubis 

Jette un nouvel éclat quand des yeux de houris 

Laissent tomber leurs feux dans 1^ rouge breuvage, 

Leurs feux: qui dan» les coeurs vont porter le servage. 

Puis change le décor. Un cavalier courtois 

Se fait voir tout à coup d'orangers sous un bois, 

De doux aoeenjtft d'amour lors gazouille un murmure, 

Si suave, si frais, que se tait la nature 

Pour mieux s'en régaler; et que le Rossignol 

Pour ne le troubler pas poitrine eon bémol. 

'* Dites-moi, maintenant, cher poëte, oh se pose 

Ce pays enchanteur, le berceau de la rose? 

Ne serait-ce donc pas Tîle Reine des Mers 

Où nous vivons la vie? Où noble, libre et fière. 

Sur son urne penchée épand ses flots amers 

Majestueusement notre vieille Angleterre ? 

Ou ne serait-ce pas les pays du soleil, 

L'Italie ou l'Espagne au cKmat san? pareil ? 

Ou bien quelque bijou perdu dans l'Atlantique 

Aux pays les plus beaux du doigt faisant la nique?" 

"Pour deviner, n^allez au delà de l'Atlas; 

Je le vois, vous cherchez, mais vous ne trouvez pas ; 

Eh bien ! ce beau pays où gaiement attifées 

Se plaisent à jouer, à folâtrer les Fées, 

Ce pays tout charmant, tout riant, et tout gai. 

Au ciel toujours d'azur comme un beau ciel de Mai, 

D'où découle à gràtfds flots le miel de l'ambroisie. 

C'est . . . vous ne devinez! . . . mais, c'est la poésie!'* 



170 l'amoureux BEKeEB À SA BEBGÈBE. 



MARLOW (CHRISTOPHER). 

Mort vers 1598. 

L'Amoubeux Bebgeb à sa Beboèbe. 

Viens vivre avec moi, viens sois mes amours, 
Et nous goûterons plaisirs tous les jours, 
Que peuvent donner bosquets ou vallées 
Ou monts escarpés, ou bois ou feuillées; 

Nous nous assiérons au pic des rochers, 
Et lors nous verrons de loin les bergers, 
A leurs beaux troupeaux donner la pâture 
Et les doux oiseaux chanter la nature. 

Et je te ferai, mon cœur te le dit, 
De gentils bouquets, de roses un lit, 
Un bonnet de fleurs, puis une jaquette. 
Et de myrte blanc blanche collerette; 

Et de la toison de nos chers agneaux, 
Moi je te ferai cotillons, manteaux, 
Souliers bien mignons contre la froidure. 
Avec boucles d'or pour leur fermeture: 

Et je te ferai superbe ceinture. 

De l'or de nos blés, avec émaillure . . . 

Ah I si ces plaisirs, tu les veux, .... accours, 

Viens vivre avec moi, viens sois mes amours! 

Pour chaque repas ma gente bergère 
Des vins recherchés, délicate chère. 
Sur des plats d'argent, riches, précieux 
Te seront servis, comme on sert les Dieux. 



l'alleobo. 171 

Et de nos bergers, chant, danse joyeuse 
De s'exécuter pour te rendre heureuse, 
Ah ! si ces plfûsirs, tu les veux, .... accours. 
Viens vivre avec moi, viens sois mes amours! 



MILTON (JOHN). 
Né en 1608— Mort en 1694. 

L'Allégro. 

Arrière, loin de moi, triste Mélancolie, 
» Enfant du vieux Cîerbère, et du plus noir Minuit; 
Arrière loin de moi, va dans quelque réduit 
Abandonné du Styx, chanter ton homélie, 

Oïl chante le corbeau de nuit ; 
Oh les cris ont leur antre, où pullulent les gnomes, 
Chez les Cimmériens, où jamais jour ne luit. 
Où les ombres des morts promènent leurs fantômes; 
Là, de l'obscurité sous les ombrages noirs, 
Demeure à tout jamais dans ces sombres dortoirs. 

Mais viens, accours toi fringante Déesse 
Belle Euphrosine, aimable Enchanteresse 
Que sur la terre on appelle G«ité, 
Qui fais éclore en nous la volupté ; 
Toi que Vénus, la plus belle des belles 
Au gai Bacchus avec deux sœurs jumelles 
Donna dit-on; bien que quelque diseur 
Ait raconté que Zéphir, cet oseur, 
Folichonnant un jour avec l'Aurore 
Au moi de Mai sur le doux lit de Flore, 
Avec elle eut certaine privauté 
Qui te fit naître, adorable Gaité. 
Hâte-toi, nymphe, et du gai Badina^e 
Amène-nous le vif tatillonnage, 




172 l'alleoro. 

Les mots piquants, et tous les jeux d^esprît, 
Et ces clins d^eux, ces rires faisant nid 
Dans un sourire, une lisse fossette, 
Telle qu' Hebé sur sa lèvre discrète 
Nous les fait voir ; et cet Amusement 
Qui du Souci se rit impunément, 
Et ce joufflu, cet excellent Gros-Rire 
Qui ses côtés se les tient pour mieux rire. 
Viens Euphrosine, et tout en sautillant 
Si gentiment, sur ton pied frétillant, 
Prends avec toi, retiens la pour compagne 
La Liberté, nymphe de la montagne; 
Et puis alors, si je te rends, G^îté 
Honneurs bien dus, hommage mérité, 
Ah! laisse-moi m'enrôler dans ta troupe, 
Vivre avec elle, et boire dans sa coupe. 
Et me griser, libre, de ses plaisirs? 
Et puis alors je ferai mes loisirs 
D'entendre au ciel le matin Talouette 
D'un nouveau jour levant l'espagnolette 
De ses chansons et de son charmant bruit 
Turlupiner, mettre en fuite la nuit; 
Et puis venir, en narguant la Tristesse 
A ma fenêtre apporter l'Allégresse, 
Et me glisser à travers l'églantier 
Un gai bonjour sans se faire prier. 
Cependant que le coq 6te un bécarre 
A sou gosier, pour sonner sa fanfare. 
Et se pavane, et puis donne de l'œil 
A son harem, avec certain orgueil; 
Ou bien en cor du pic de la colline 
Quand le matin est mouillé de bruine, 
Ouïr la meute et le gai son du cor. 
Qui vient troubler l'écho qui dort encor; 
Ou bien marchant à l'ombre d'une haie 
Ou quelquefois d'une haute oscraie 




l'allegko. 173 

De voir lever ce Phœ^us radieux 

Qui de ses feux illumine les cieux, 

Jetant son or, ses rubis aux nuages 

Dont les reflets tombent sur les bocages. 

Tandis qu^en bas Thonnête laboureur 

Suit sa charrue en sifflant son bonheur^ 

Que de sa voix nous charme la laitière, 

Que le faucfieur rend sa faulx meurtrière, 

Que le berger en tout na'ifs discours 

Aux doux échos raconte ses amours. 

Bientôt mon œil voit nouveau fascinage 

En mesurant le prochain paysage, 

De verts gazons, ou d'incultes terrains 

Où grignotant errent troupeaux bénins, 

Et plus au loin une vaste colline 

Où le nuage accroupi s'accoquine ; 

De gais ruisseaux qui gazouillent leurs chants, 

Ou gentes fleurs qui diaprent les champs. 

H voit encor créneaux ou bien tourelle 

Asile ombreux de quelque tourterelle, 

Aimant des cœur^, dont les piquants attrait 'i 

Sont révélés par ses amants discrets. 

Et puis non loin fume la cheminée 

D'une chaumine, et c'est pour la dinée 

De Corydon et du berger Thyrsis. 

Près d'un vieux chêne ils sont chacun assis, 

Tous deux servis par Phillis la bergère, 

De simples mets et de ôruits de la terre. 

Elle bientôt les quitte, et du logis 

Aux champs s'en va rejoindre Thestylis, 

Lier la gerbe; ou bien dans la prairie 

Traire la vache, ou bien à l'écurie. 

Souventefois l'appel des chalumeaux 

Et des rebecs descendant des hameaux 

Mêlés aux sons de la cloche joyeuse 

Vient dans la plaine éveiller l'âme heureuse, 



174 l'alleôro. 

Et mainte fille, et maints jeunes garçons, 
D^aller danser tous gais comme pinsons, 
Et les vieillards, nargue de leur vieil âge, 
Vont eux aussi, babiller sous Tombrage, 
Jusqu^à ce que, venant la lin du jour, 
Lorsque les gars glissent propos d*amour. 
Eux les vieillards savourent Vole amère, 
Tout en contant mainte et mainte chimère, 
Et les hauts faits de plus d*un dameret 
Et les mëfaits de plus d^un farfadet, 
Et comme Mab, gente reine des Fées 
De mets friands emporte des troph^s, 
Comment fillette est pincée à minuit, 
Et tiraillée, et tout ce qui s^en suit ; 
Ou bien comment amené par un moine 
A rouge trogne, à panse de chanoine. 
Certain lutin sMpuise en travaillant 
Non pour gagner le moindre sou vaillant, 
Mais pour gagner une jatte à la orême 
Que de côté, fut-ce même en carême. 
On met pour lui, — car avec son fléau. 
Fléau de spectre, il se met tout en eau. 
Et dans la nuit, il fait autant d^ouvrage 
Que dans le jour, n'en feraient pas, je gage, 
Dix ouvriers; et puis ce diablotin 
De se coucher devant Tâtre à la fin, 
De réchauffer sa poitrine velue, 
Puis jabot plein, et la face joufflue, 
De détaler, bien avant que l'écho 
De par le coq ait fait coricoco. 
Contes contés, au lit chacun se glisse, 
Et de dormir toujours avec délice. 
Souvent aussi ce sont cités, tournois 
Où Chevaliers et Barons très courtois 
Vêtus de paix, s'escriment dans la lice 
Pour s'attirer certain regard propice, 




l' ALLEGRO. 175 

Fiers d'acquérir le doux prix du vainqueur 

S'il est donné par dame de leur cœur, 

Aux jeux d'esprit, ou bien au jeu des armes, 

Car de tels prix ont toujours puissants charmes. 

Puisse l'hymen là bien souvent venir ! 

Portant safran, cierge pur et désir. 

Et gais festins, et force mascarades, 

Et plaisirs vifs, et joyeuses parades, 

Des rêves tels qu'en toute liberté 

Le barde rêve en une nuit d'été! 

Chacun sera de la scène idolâtre 

Si de Johnson apparaît le théâtre, 

Ou si Shakespeare est l'écrivain de choix 

Qui ce jour là monte sur le pavois. 

Et pour bannir toute mélancolie 

Entoure-moi toujours, je t'en supplie, 

Des airs charmants du mode Lydien, 

Qui du poète est le meilleur soutien; 

De ces doux airs qui vont jusques à l'âme, 

Qui la réveille, et qui souvent l'enflamme, 

Par la douceur de leurs suaves chants. 

Ou par le feu de leurs transports brûlants; ■ 

Livrant mon cœur à leur douce harmonie 

Et l'enivrant au souffle du génie; 

Si bien qu 'Orphée en sursaut éveillé 

De son sommeil, et l'œil écarquillé 

Croirait ouïr imprégnés de tendresse 

Ces doux accords, musique enchanteresse 

Qui de Pluton, mitigeant le vouloir 

Eurent un jour le merveilleux pouvoir 

De désarmer par heureux subreptice 

L'enfer lui-même en faveur d'Eurydice. 
Si ces plaisirs, tu peux me les donner, Gaité, 
Avec toi je veux vivre, et pour l'Eternité I 



17G IL PENSEEOSO. 



Il Pknseroso. 



Arrière, loin de moi, vaines, trompeuses joies ! 
Enfants de la Folie, et de père orphelins, 
Combien vous êtes peu pour mes futurs destins 
Futilités sans but I Stériles sont vos voies ; 

Retirez- vous chez ces mondains 
Dont la cervelle oisive est tout papillotage, 
Dont les vagues pensers sont toujours incertains, 
Dont la vie, en un mot, n*est autre qu*un nuage. 
Ou le rêve incessant de quejque songe creux 
Dont le dormeur Morphée appesantit les yeux. 

Mais viens à moi, douce Mélancolie, 
sage, ô sainte, ô déesse accomplie, 
Dont le visage est par trop radieux 
Pour des mortels ne pas blesser les yeux. 
Et qui parais à notre faible vue 
Toute grimée et tout de noir vêtue ; 
Telle autrefois du grand Prince Memnon 
Etait la sœur ; et telle, nous dit- on, 
D^Ethiopie était aussi la Reine 
Qui soutenait sa beauté souveraine 
A la beauté des nymphes de la mer. 
Toi tu descends d'un sang encor plus fier. 
Du sang des Dieux, car Vesta fut ta mère, 
Et qui plus est, Saturne fut ton père ; 
Vesta, Déesse au front pur, éclatant, 
Du bon Saturne était fille pourtant. 
Mais dans ces temps, ce n'était pas un crime 
Que de s'aimer d'amour illégitime; 
Aussi, souvent sous des ombrages verts, 
Ou de l'Ida sous les sombres couverts 
Saturne aimait à lui conter fleurettes. 
Sans de Jupin craindre en rien les sagettes. 
Viens à ma voix, réponds à mon appel. 
Religieuse, ô servante du ciel, 




IL PEsrsBsoso. 177 

De noir vêtue, avec hautes tuniques 
Pour mienx couvrir tes épaules pudiques. 
Viens à ma voix, mais de ta gravité 
Gkirde toujours Vaugnste majesté, 
Qui sur ton front de son aust&re empreinte 
Fait admirer le calme d'une sainte, 
Et ces regards révélateurs des cieux 
Qui de Textase illuminent tes yeux : 
Et puiç alors de ta douce paupière 
Laisse tomber un regard jsur la terre : 
Autour, de toi qu'en petit comité 
La calme pfiix et la Tranquillité 
Viennent s'asseoir, avec le maigre Jeûne 
Qui vit de Tair, et rarement déjeune, 
Et puis entends les Muses, le Destin 
Chanter leurs vers en Thonneur de Jupin ; 
Le doux LqiBir amant de la retraite 
Qui pren4 plaisir à la mine proprette 
De nos jardins, près de toi, je le vois ; 
Prends soin aussi de âûre Theureux choix . 
De cet Esprit qui d'une aile dorée 
Nous fait voler par delà TEmpyrée ; 
Voici son nom : La Contemplation. 
Appelle à to\ ^^^ affectation 
Avec upjpéiî^ le tranquille. silence, 
A moins pourtant qu'en sa tendre éloquence 
Plaintive voix vienne charmer la nuit. 
Lorsque Cynthie au haut des cieux reluit. 
Et doucement retient son char rebelle 
Pour mieux jouir du chant de Philomèle. 
Timide oiseau, si doux, si musical, 
Oh I que me plaît ton gosier sans égal, 
Moi dans les bois chaque soir je me glisse 
Pour savourer ton chant avec délice ; 
Et si ne puis m'énivrer de ta voix 
Inaperçu je marche toutefois 

N 



178 IL PSNSSBOSO. 

Réfléchissant et regardant la lune 

Qui dans son cours chevauche dans sa dune 

Par les sentiers non fréquentés des cieux, 

En dispersant les nuages laineux. 

Souventefois du pic d^une colline, 

J^entends de loin la clochette argentine 

Du couvre-feu chanter les saints Concerts, 

Et doucement se bercer dans les airs. 

Mais quand le temps est imbibé de pluie. 

Près du foyer jamais je ne m^ennuie, 

Et j^aime alors en toute liberté 

Loin des rumeurs d*une folle gaité, 

A. m'amuser, à voir le jeu des ombres < 

Que le brasier rend ou claires ou sombres, 

Jamais distrait hormis par le cricri 

Ou du veilleur par le paisible cri. 

Ou bien du haut d^une tourelle antique 

J^aime à minuit, heure cabalistique. 

Suivre le cours de la Grande Ourse aux cieux. 

Avec Hermès pour guide de mes jeux ; 

Ou de Pluton évoquant la lumière 

Faire sortir son esprit de sa sphère, 

Pour dévoiler soudain à mes regards 

Ce qui parait entouré de brouillards. 

Pour nous conter quels sont les vastes mondes, 

Les lieux secrets, les régions profondes 

Donnant asile à Tesprit immortel 

Qui tout à coup rompt son lien charnel : 

Où sont aussi ces démons prenant gîte 

Dans Fair, le feu, dans le sein d^Amphitrite, 

Dont le pouvoir s^accorde exactement 

Avec un astre, ou bien un élément. 

Parfois aussi la Tragédie antique 

Me montrera sa grandeur homérique, 

Thèbes, Pélops, et Troie et ses héros. 

Ou Rhadamante, iBacus et Minos, 




IL PENSEBOSO. 179 

Ou les hauts faits, et c^est chose assez rare 

De temps moins vieux, dont notre âge est avare. 

Mais plût à Dieu, Vierge, que ton pouvoir 

Put évoquer du céleste manoir 

L'esprit profond du sublime Musée, 

Ou bien encor Pâme du grand Orphée 

Lui dont la lyre en subjugant les cœurs 

Sut de Pluton faire couler les pleurs, 

Et se rendant ce monarque propice 

A Tenfer même, arracher Eurydice. 

Ou rendre au jour cet aimaMe conteur 

Qui nous laissa de Cambus Khan TOsem* 

Un avant-goût qui charme et qui parfume. 

Mais qui laissa lasl au bout de sa plume 

Le sort final de ce fier et grand Roi, 

Et pms aussi de ses deux fils ma foil 

De Camballo toujours prêt à combattre, 

Et d' Algarsif qui sut très bien s'ébattre 

Dans ses déduits avec Théodora; 

Et de leur sœur Canacé de Sarra 

Qui possédait cette beauté céleste. 

Le bel Anneau, le Miroir et le reste ; 

Et puis aussi de ce Cheval d'airain* 

Que conduisait toujours à fond de train 

Le Roi Tartare; et si tournois, trophées, 

Sombres forêts, ou mesdames les fées 

Furent aussi les objets solemiels 

Des lais fSuneux de nobles ménestrels. 

Amène-les, et que de leurs merveilles 

J'enivre encor mon cœur et mes oreilles. 

Tu me verras ainsi souvent, ô nuit! 

Passer le temps tant que ton flambeau luit, 

Jusqu' à ce que la matinale aurore 

Au jour naissant ouvre la porte encore, 

* Voir rhistoire dn Cheval d'airain dans le Cléomadès, traduit par 
nous d'Adénès le Roy, publié Tan dernier par Picfcering. 

n2 



180 IL PENSSBOSO. 

MaU cette fois modeste en ses atours, 

Et non pas comme au temps de ses amours, 

Mais se couvrant d^un très décent nuage 

Par les zéphirs encensée au passage, 

Ou s'annonçant par le tout petit bruit 

De gouttes d*eau qui sur le sol bruit. 

Et quand soudain nous jetant sa lumière 

Le blond Phœbus sortira de sa sphère, 

Bonne Déesse, ah! vite amène-moi 

Sous ces bosquets tout pleins d^un saint émoi. 

Que de Gratis le fils affectionne, 

Oh croît le chêne et Tarbre de Bellonne, 

Et que la hache a respecté toujours 

Pour ne troubler des nymphes les amours; 

Là, cache-moi sous Tépais du feuillage, 

Près d^un ruisseau, de son doux gazouillage. 

Loin des regards éblouissants du jour. 

Et tandis que tout bourdonne à l'entour, 

Et les ruisseaux et les gentes abeilles 

Du sein des fleurs remplissant leurs corbeilles. 

Fais que mes yeux se ferment de sonmieil. 

Et qu^un doux songe arrive tout vermeil 

Me dérouler quelque belle chimère 

Qui doucement me berce la paupière; 

Et quand mes yeux se rouvriront au jour. 

Fais que d^en haut, d'en bas ou d'alentour 

A mon oreille une douce musique 

Vienne tout bas m'effleurer d'un cantique; 

Mais fais surtout que sous ces murs épais 

Dont la voussure a la forme d'un dais. 

Je puisse errer : si noble architecture 

Emeut le cœur par sa haute stature; 

Là sous ces toits aux merveilleux arceaux. 

Sous ces parvis aux antiques vitreaux, 

A travers l'or de clarté tamisée 

Qui tombe et luit, opulente rosée, 



IL N*Y A DE PLACE POUB TROIS. 181 

Que Torgae alors gronde retentissant 

Accompagnant un chœur éblouissant 

Soit solennel, on soit d'antiennes pures 

Qui s'évapore et meurt en doux murmures, 

Faisant poser devant mes yeux le ciel, 

Et m'arrachant à ce monde réel. 

Et puisse enfin ma vieillesse épuisée 

Trouver sur terre, en façon d'Elysée, 

Un ermitage, un cilice, un auvent 

Pour m'abriter, et méditer souvent, 

Pour épeler, déchiffrer chaque étoile 

Qui dans le ciel apparaît et se voile; 

Pour demander à Therbe des forêts 

De ses secrets les car, les si, les mais, 

Jusqu' à ce que ma vieille expérience 

D'un saint prophète ait acquis la science: 
Douce Mélancholie, à moi tous ces plaisirs, 
Et je vis avec toi, sans plus amples désirs I 



MOGRIDGE (GEORGE). 

Né le 17 Février 1787 -Mort le 2 Novembre 1864. 

Il n'y a de Place pour Trois. 

C'ÉTAIT au milieu de l'année. 
Les feuilles, du soleil brillaient de tous les feux. 
Quand Catherme et moi nous fûmes en tournée, 
Jamie étant entre nous deux. 
Le pont jeté sur le torrent rustique 
Etant étroit, fus mise de côté ! 
Jamie alors me dit : ^* Jenny, c'est authentique. 
Point de place pour trois, ça, c'est la vérité!" 

— "Pas de place pour trois!" ... me dis-je, 
"Mon Dieu! pas de place pour trois!" 
Sur mes yeux se fit un vertige, 
"Pas de place pour trois!" . . . mon cœur fut 'aux abois! 



182 IL n'y a de place potjb tbois. 

Oh ! mon cœur était bien malade ! 
Alors qu^à ses cèté» je me trouvais souvent^ 
Près de sa Catherine en une promenade, 

Mais elle est sa femme à présent. 
Il ne pouvait, Teut-il voulu Jamie 
Etre à nous deux, car le défend la loi, 
Dans un ménage hélas I de tiers il ne faut mie. 
Pour un troisième il n^est jamais place ma foi 1 

Pas de place pour trois! . . . misère! 

Mon Dieu! pas de place pour trois! 

Ma vie aussi fut bien amère, 
Pas de place pour trois — ah! j^ai porté ma croix! 

Lentes ont marché les journées, 
Et moi le cœur brisé, j^ai lutté sans espoir, 
Nombreuses maintenant ont passé les années ; 

Et déjà j^apperçois le soir. 
Car de mes jours, ah! la'^trame ei^t filée, 
Je dois partir, mMmietter bientôt, 
Redonner ma poussière aux champs, à la vallée. 
Rendre le corps enfin que j^a vais en dépôt! 

Pas de place pour trois — sur terre! 

Mon Dieu! pas de place pour trois! 

Dans le lit froid du cimetière 
Pas de place pour trois! . . . oh! j^ai porté ma croix! 

Sur ton front chère Catherine 
Brillera radieux le chaud soleil d'été, 
Tandis que sur le mien Fhiver et sa bruine 

Incrusteront leur vétusté. 
Au bon — ^bon Dieu je donnerai le reste 
Des jours que j'ai, chassant le souvenir 
Du bien-aimé Jamie — un penser bien funeste, 
Qui ne me quittera qu'au jour où dois mourir. 

Pas de place pour trois sur terre! 

Mon Dieu pas de place pour trois ! 

Au ciel m'élève en ma prière, 
Il y a place au ciel pour tous ... oh ! je le crois! 



MODESTE ODE À LA EOBTVNE. 183 

MONCRIEFF (WILLIAM). 

Mort en 1857. 

Modeste Ode â la Fortune. 

Exauce ma prière ô Fortune, ô Déesse 

D^un poëte en passant écoute ici Fadressel 

Je ne demande pas un troupeau de laquais 

Pour me servir moi seul dans des maisons-palais, 

Je ne demande pas des près, des bois, des terres, 

Ni des vassaux nombreux, ni canaux, ni rivières; 

Je ne demande pas épouse d^apparat 

Bien que j'aime fort peu par goût le célibat; 

Je ne demande pas renommée ou puissance, 

Amis, rang à la cour, paresseuse indolence; 

Je ne demande pas de me frôler aux Grands, 

Argenterie ou vins, livres ou mets friands; 

Je ne demande pas bals, concerts ou liesse, 

Pas non plus les trésors d'Europe ou de la Grèce, 

La beauté, ni l'esprit, ni même le comfort 

Ni d'autres qualités qui rendent doux le sort, 

Ni l'érudition, ni l'art, ni le génie, 

Ni d'un brillant héros la valeur infinie, 

Ces choses, ô Fortune, ont de l'attrait pour moi, 

Mais point ne les demande — Et sur ce, me tiens coi: 

Je ne demande que ... de l'argent— je l'atteste, 

Car avec de l'argent on a tout — et le reste! 



MONTGOMERY (JAMES). 
Né en 1771— Mort en Avril 1854. 

Robert Burns. 

Pour l'essor, pour le chant, la beauté du plumage 
Quel oiseau pourrait-on jamais lui comparer 
A ce Barde Ecossais dont le tant doux parlage, 
Sublime si souvent, ne peut trop s'admirer? 



184 UOBEUT BUBNS. 

Selon son bon plaisir, selon sa fantaisie, 
Robert Bums avait Tart, ou plutôt le bonheur 
De varier sa voix ; et sa suprématie 
De tout oiseau rival en faisait le vainqueur. 

Sa chanson prenait-elle une allure morale, 
Soudain cMtait le Merle aux suaves accents; 
Etait-elle, au contraire, et vive et joviale, 
Lors c'était PHirondelle, oracle du printemps. 

Ou c'était rOiseau- Mouche à l'aile diaprée, 
S'abreuvant de rosée, allant de fleur en fleur; 
Ou citait le Corbeau lorsque souffle Borée; 
Ou c'était r Alcyon dans le calme rêveur. 

Ou c'était le Hibou " dans l'église en ruines 
D'Alloway,^* pendant Theure où veille le Malin; 
Ou bien c^étaît le Coq, *^prés des eaux cristallines 
De la Doon,*' saluant le soleil du matin. 

Quand il laissait trotter sa veine aventurière, 
C'était le Roitelet qui se plait dans les bois; 
A Bannockburn c'était l'Oiseau de la lumière, 
L'Oiseau de Jupiter — la foudre était sa voix. 

C'était l'Oiseau Nocturne en ses jours de tristesse; 
Et le Chardonneret en ses jours de bonheur; 
C'était aussi la Grive ivre de son ivresse. 
Prodigue de sa joie, éparpillant son cœur. 

C'était encor le Cygne à la blanche cuirasse. 
Et pensif et tranquille, et plein de majesté; 
Mais était-il lancé? jamais Faucon de chasse 
N'occit plus d'ennemis que sa causticité. 

Pour la simplicité, c'était une Fauvette, 
Une Colombe pour la naïve douceur; 
Mais il était surtout pour sa gente Nanette 
Le divin Rossignol qui gémit son bonheur! 



LA FEUILLE QUI TOMBE. 185 

Oh! si toujours sa Muse eût été chaste et pure^ 
Et n'eût point écouté la folle du logisy 
S'il eût toujours au vice infligé flétrissure, 
Il eût été pour tous TOisean de Paradis. 

Mais paix soit à sa cendre. — En notre vieille Ecosse, 
Parmi le chœur nombreux de nos vieux ménestrels, 
Bums a su conquérir le plus beau sacerdoce, 
Et Phénix, ses beaux vers resteront immortels. 



La Feuille qui Tombe. 

Rêverie à Matlock (Derbyahire) , 

Si j'étais une feuille — une feuille tremblante 

Sur cet arbre majestueux 

Condamnée à périr, à m'envoler mourante 

Après un été radieux, — 

Je désirerais peu tomber toute épuisée 

Au milieu du chemin voisin. 

Me vautrant dans la boue, et de tous méprisée 

Jusqu'à devenir terre enfin. 

Je ne voudrais mourir non plus sur la verdure, 

Fut-ce sur un lit de gazon. 

Où mes pareilles vont chercher leur sépulture 

Après leur brillante saison. 

Je n'aimerais non plus étaler ma figure 

Dans le plus bel hortua skcus, 

Daguerre n'a jamais embelli la nature. 

Je n'aime pas les traits diffus. 



186 QUESTIONS ST BÉPOITSES. 

Non, je voudrais voler bien par delà Tespace, 

Là bas, là bas, je ne sais où, 

Je voudrais aller voir le Bon Dieu face à face, 

Ou visager Tor du Pérou. 

Ou bien encor jetée au courant d'un beau fleuve, 

J'aimerais en suivre le cours. 

Comme un bateau mignon de gente fée, et veuve 

De soucis, y finir mes jours; 

Quel est Têtre qui fut un seul jour dans la vie, 

Qui peut souffirir de n'être plus? 

Qui ne voudrait pouvoir avoir droit de survie 

Pour vivre quelques jours de plus ? 

En avant, en avant toujours Tesprit de l'homme 

Ainsi veut aller en avant; 

Cela paraît mourir, il n'en est rien, c'est conune 

Le feu du ciel toujours vivant. 



MONTGOMERY (ROBERT, REV.). 
Mort en 1855. 

Questions et Réponses. 

"Fleurs! dites-moi pourquoi fleurissez-vous toujours?" 
Pour joncher ton chemin vers la tombe où tu cours. 

"Pourquoi vous levez- vous myriades d'étoiles?" 
Pour toi de l'Infini pour soulever les voiles. 

" Blanche lune pourquoi décrois-tu? dis le moil" 
Pour à nouveau recroître, et puis briller sur toi. 

"Soleil qui rend si vif ton éclat sur la terre?" 
La voix qui dit un jour: "Que naisse la lumière!" 



AU BEievsrB. 187 

*^ Temps! où vas-tu d'un pas si brusque et si hâté?*^ 
Au galop je m'en vais chercher r£termté/ 

"Etemitë qu'es-tu?'* ... Je fus avant de naître I 
Et toujours je serai ... Je suis le grand peut-être I 

** Nature d'où surgit ta sublime grandeur?" 
Ne le sais, suis venue au vœu du Créateur. 

"0 vents! d'où soufflez-vous? je voudrais le connaître I" 
Homme pour le savoir il te faudra renaître! 

"Ton flux et ton reflux qui le règle Océan?" 
Le pouvoir de celui qui commande à l'autan. 

"Planètes qui vous guide en vos nombreux voyages?" 
Une force invisible, au delà des nuages. 

"Quel est ton souffle, ô vie?" Un rien, sans nul efibrt 
Qui s'éthérise un jour dans les bras de la mort. 

"0 tombeau! dis-le nous, où donc est ta victoire?" 
Dans Celui de mon sein qui surgit dans sa gloire. 

"Mort où finit ta lutte?" . . . Au-delà du trépas. 
Dans la vie étemelle au loin là bas! là bas! 



MOORE (THOMAS). 
Mort en 1852. 

Au Seigneur. 

Là pelouse sera mon autel somptueux, 
Et mon temple, ô Seigneur! la voûte de tes cieux! 
Je prendrai pour encens les brises des montagnes, 
Pour hymnes le silence au milieu des campagnes. 



188 AU SEIGNErB. 

Et j^aorai pour mon chœur les flots de Tocëan 
Far la lune ëclairéS) berces par Touragan; 
Ou j'aurai de la mer le sublime silence 
Qui pour te proclamer a si noble éloquence. 

Le jour je chercherai quelqu' asile écarté 
Lumineux, mais muet, et plein de majesté 
A Pinstar de ton trône; et les pâles étoiles 
Seules verront le soir mon culte à toi sans voiles. 

Ton ciel, qu'on est heureux de regarder toujours, 
Sera mon livre d'or, le livre de mes jours. 
Dans les pages duquel je lirai sur mon âmel 
La gloire de ton nom en paroles de flamme. 

Je lirai ta colère en ce nuage obscur 

Qui du soleil brillant vient assombrir l'azur, 

Et ta miséricorde en la teinte azurée 

Qui vient donner la joie à la voûte éthérée. 

De la plus simple fleur aux astres radieux 
11 n'est rien de brillant ici bas comme aux cieux. 
Où mon cœur ne perçoive un rayon de lumière 
De ta Divinité, — Sublime et Divin Père I 

Et non plus, rien de sombre, ici bas comme aux cieux. 
Où je ne trouve encor ton amour merveilleux; 
Et j'attends humblement le moment où la terre 
Verra l'obscurité se fondre en ta lumière! 



LE MIROIB MAGIQUE. 189 



Le Miroir Magique. 

*' Allons, sus, vieux! voyons si ton miroir magique 
Peut nous montrer ceux-là que nous aimons à voir; 
Dans ce cas, montre-moi ma fidèle Angélique 
Dans ce bosquet témoin de nos adieux, un soir." 

Et soudain TËnchanteur de lui montrer sa dame 
Seule dans le bosquet où voyageait son âme; 
" FiUe fidèle, val" dit l'heureux Chevalier, 
Ainsi penser à moi, sous notre beau rosier!" 

Mais qu*est-ce?...A Fair joyeux un jeune et gentil page 
Tout bas vient à la Dame apporter un message; 
" C'est, " dit le Chevalier," le même fringant gars 
Qui prés de ma Vénus me menait moi son Mars!" 

Et maintenant la Dame, elle cueille une rose 
Sur le gentil arbuste, et sur son sein la pose; 
" Tel, " dit le Chevalier," tel était le guerdon 
Dont elle m'octroyait chaque matin le don. 

Et puis au jeune page, elle donne la rose 
Avec un regard vif qui d'aller vite impose. 
" Oh 1 "dit le Chevalier," elle endort sa douleur 
En rêvant son aimé, là, tout près de son cœur!" 

Mais le page revient — oh! mon Dieu quel spectacle! 
Pour un fidèle amour mon Dieu quelle débâcle ! 
Il amène au bosquet un autre Chevalier 
Comme lui jeune, aimé sous le même rosier! 

" Tel," a dit le jeune homme, " est l'amour de la femme!" 
Puis s'élançant d'un bond furieux sur l'infâme. 
D'un seul coup il pourfend avec son gant d'acier, 
Et magique Miroir, et Dame, et Chevalier. 



190 JIKKT MORBISOy. 

MORALITÉ. 

Le Chevalier croirait sa Dame encor pudique, 
L^Enchanteur montrerait sa lanterne magique 
Du matin jusqu^au soir à qui voudrait la voir, 
Si notre Chevalier n*eut voulu .... trop savoir! 



MOTHERWELL (WILLIAM). 

Né le 14 Octobre 1797— Mort le l» Novembre 1886. 

Jenny Mobrison. 

A L*£ST, à l'ouest, par maint et maint chemin 
Fatigué j'ai couru le monde ; 
Mais ne saurais jamais oublier, c'est certain, 

L'amour des jours où la vie était blonde ! 
Le feu que l'on allume à la veille de Mai,* 
Peut bien être à Noël débris, cendre et poussière ; 

Plus noir pourtant est le cœur jadis gai 
Quand du premier amour a passé la lumière. 



* The fire's that's blawn on BeUane e'en, 
May well be black 'gin Yule, 
Beîtane — de BacU, ou feu de Bel. Dans les temps reculés le pre- 
mier Mai en Ecosse les paysans avaient l'habitude de tailler une table 
dans le sol, et de creuser autour un fossé. Alors on allumait un feu, 
et l'on préparait ime sorte de bcâsson avec des œuf^ et du lait, et un 
gâteau de seigle. Le gâteau était divisé en autant de portions qu'il y 
avait de personnes présentes; une de ces portions était noircie. Toutes 
les parts étant ensuite placées dans un bonnet, chacun les yeux bandés 
tirait son morceau. Le porteur du bonnet avait droit à la dernière part. 
Celui qui tirait le morceau noir était sans pitié sacrifié à Baal. De nos 
jours celui auquel écheoit le morceau noir est condamné à faire un saut 
périlleux à travers Ira flammes, condition qn'il remplit sans qu'il lui en 
advienne le moindre maL—- M)to du traducteur. 



JENNT M0BBI80N. 191 

Bien chère enfant, ô Jenny Morrisoni 
Du temps passé la souvenance 
Jette son ombre encore ainsi qu'un noir buisson 

Sur mon sentier où n^est plus l'espérance. 
Il obscurcit mes yeux de pleurs, de pleurs amers, 
Et j*en sèche sur pied, alors que la mémoire 

BlaÊEurdement comme fauves éclairs 
Me retrace ces temps . . . devenus de l'histoire. 

C'était alors que nous nous aimions bien^ 
Alors que nous nous séparâmes ; 
Doux temps et triste temps! ... où le mien où le tien 

Se confondaient en nous dans nos deux âmes. 
C'était lors que tous deux seuls sur un banc assis. 
Cherchions en nous aidant à pouvoir mieux apprendre, 

Oui, c'était lors, du ciel sous les lambris. 
Qu'échangions ces regards vifs encor sous la cendre! 

Je me demande encore, et bien souvent 
Quand nous étions, ma Jennyette 
Tous deux ensemble assis, et la joue en avant, 

Ce que pensait notre tête follette? 
Quand tous les deux le cœur battant à Tunisson 
Sur nos genoux ayant un seul et même livre. 

Tes yeux, de fait, étaient à la leçon. 
Quand ma leçon à moi, c'était t'écouter vivre. 

Te souvient-il lorsque comme un tison 

Nos deux fronts se couvraient de honte, 
Parce que les enfants disaient qu'à la maison 

Nous en irions tous deux en on de compte? 
Et te rappelles-tu ces charmants samedis, 
(A midi ces jours-là se dispersait la classe). 

Comme tous deux, papillons étourdis, 
Nous grioe^OBS la colline et nous donnions la chasse. . 



192 JENNT M0RRI80N. 

Mon cœur est plein d^un indicible émoi, 
Ma pauvre tête a le vertige, 
Lorsque des jours d^école, et ma Jenny de toi 

Le souvenir m^apporte un seul vestige. 
O matin de la vie! ô matin de Pamour! 
O jours légers et longs^ jours charmants de Tenfance, 

De nos deux cœurs alors que tout autour 
Comme une fleur d'été s^enroulait Tespérance ! 

Te souvient-il, Amour 1 combien de fois 
Nous quittions le bruit de la ville, 
Pour errer sur le bord d'un ruisseau dans les bois 

Et l'écouter se trémousser agile? 
Les feuilles de l'été s'arrondissaient autour 
De nous, et sous nos pieds vibrait la campanule. 

Du bois épais et dans le demi-jour 
Gkizouillait le mauvis, l'oiseau du crépuscule ; 

Si gentiment gazouillait le mauvis, 
Et du ruisseau la voix si claire, 
Que gais comme pinsons à ces doux gazouillis 

Prêtions l'oreille à la nature entière. 
Et sur le monticule au-dessus du ruisseau 
Nous nous tenions assis longtemps dans le silence. 

Et pleurs de joie au frais glouglou de l'eau 
Quelquefois de nos yeux coulaient en abondance. 

Oui, chère enfant, oui Jenny Morrison, 
Sur ta joue, oui coulaient des larmes. 
Nos langues ne pouvaient articuler un son 

Mais ce silence il avait de grands charmes ! 
C'était alors un temps — certe un temps bien heureux, 
Où nos deux cœurs avaient leur fraîcheur printanière. 

Quand nos émois sortaient impétueux 
Sans se perdre aux zigzags d'école buissonière. 



k 



l'eau. 193 

Je me demande, ô Jemiy Morrison 
Si je faa à ton existence 
Entrelacé, rivé d'aussi forte façon 

Que tu le fus pour moi dès notre enfance. 
Ohl dis«moi, ma Jenny, si de tels souvenirs 
Pour ton oreille encore ont pareille musique, 
Dis-moi, Jenny, si ton cœur de soupirs 
* Se gonfle au doux penser de ce temps aurifique. 

A TEst, à rOuest, par maint et maint chemin, 
Fatigué j'ai couru le monde ; 
Mais n^oubliai jamais, pour ça, c'est bien certain ! 

Au loin, pour toi, mon amour sans seconde : 
La source d'où jaillit tout d*abord de mon cœur 
Cet amour qui toujours, partout a fait ma joie. 

Toujours aussi creuse avec plus d'amplem* 
Son sillon dans mon sein, y grave plus sa voie. 

mon Amour! ô Jenny Morrison! 
Depuis que nous nous séparâmes, 
De ta suave voix n'entendis plus le son. 

N'ai vu tes yeux où brillaient tant de flammes, 
Mais dans mes bras nerveux j'éteindrais le malheur, 
Le malheur incurable, et mourrais dans la joie, 

Si je savais seulement que ton cœur 
De moi rêvait encor .... se traînait dans ma voie ! 



L'Eau. 



L'eau I 
Parlez-moi du joyeux ruisseau 
Qui lorsque vient la nuit tranquille. 
Accorde son refrain, une charmante idylle, 
Pour en doter le village et la ville. 





194 L'BAr. 

L'eau! 
Ce gai causeur qui ne dort guère, 
Qui fait glouglou Fannëe entière. 
Et fait Taumône à sa manière 
De sou plaisir toujours nouveau. 

L*eaul 
Parlez-moi du gentil ruisseau 
Qui de la vieille pierre grise 
S*âance prés de Taulne) et soudain le baptise, 
Et puis lui passe une blanche chemise. 

L*eaul 
Cette source toujours vivace, 
Dont, enâmt, je suivais la trace 
En demandant à tous, en grâce. 
Quand en fuiirait le rouleau. 

L'eau! 
Formant gaiement ce gai ruisseau 
Qui pour me faire une amusette. 
Serpentait, se pliait ainsi que la houlette 
Que je portais de façon si coquette. 

L'eau 
Qui jour et nuit et sans lacune 
Chante au soleil, chante à la lune, 
A la fée aussi vers la brune 
Un tant harmonieux rondeau ! 

L'eau! 
Une perle fraîche, un joyau ! 
Qui tous les jours faisait causette 
Avec le lis d'argent, avec chaque fleurette 
Qui sur ses bords arrangeait sa toilette. 

L'eau! 
Qui dans ses murmures étranges 
Me chantait les chansons des anges, 
Du bon Dieu disant les louanges, 
En reflétant le ciel si beau! 



l'eau. 196 

L'eau 
Dans laquelle moi Jouvenceau, 
Resté sans amis sur la terre^ 
J'ai versé bien souvent plus d'une larme amère 
Quand attentif la voyais couler claire. 

L'eau 
Que dans d'heureuses rêveries, 
* J'inondais des fleurs des prairies, 

Voyant l'amour et ses féeries 
Dans son cours toujours jeune et beau. 

Eau! 
Mon cœur bondit comme un chevreau 
Quand je pense à ta fraîche source 
Où me d^altérais en rentrant d'une course , . . % , 
Je t'estimais plus que l'or de ma bourse! 

Eau 
De ma patrie! . . . eau sans pareille, 
Je n'entendrai plus ta merveille. 
Pourtant de loin à mon oreille 
Bruit ton chant toujours nouveau I 

Eau 
Qui berce encor dans le tombeau! 
Qu'aimerais trouver sur ta plage 
Oii vivent le genêt, et le rosier sauvage 

Un oreiller — ^pour mon dernier ancrage ! 

Eau 
Pour moi toujours objet d'envie, 
Douce musique de ma vie, 
Tu me fais rêver de survie 
Bien que ne sois qu'un vermisseau! 

L'eau! 
Qui vive longe le coteau 
De la vie, — et mélancolique 
Murmure à notre cœur de façon ironique 
De projtmdiê — ce funèbre cantique. 

o2 



196 CHAKT d'adieu DE L'AEBONArTE. 

L^eau 
Qui cependant coulait si fraîche 
Dans son Kt, ane pure crèche, 
Dont la vie était un doux prêche 
Où courait-elle? ... à son tombeau ! 



OSGOOD (MRS.) 

Née en 1808— Morte en 1850. 

Chant d'adieu de l'Aêronaute. 

C'en est fait ! le lien qui me clouait à terre 
Il est tranché, je prends mon vol vers l'atmosphère ! 
Jouet des élémens je deviens un joujou 
Que la brise mutine emporte Dieu sait où! 
Et qu'elle peut casser pour peu que ça l'amuse, 
Comme un enfant gâté, sans besoin d'une excuse. 
Oh! si les quatre vents s'assemblent aujourd'hui 
Ces géants là feront pour charmer leur ennui 

De balle une belle partie! 
Sans s'inquiéter dà dans leur folâtre humeur, 
Que leur jeu que ne puis voir avec sympathie, 
Soit cause de ma mort, et qu'ils en soient l'auteur! 
Cette balle de pied pour eux est une bulle, 
Us la peuvent crever sans le moindre scrupule; 
Et moi, comme l'enfant renonmié du soleil, 
Qui du Père Phœbus dédaignant le conseil 
Voulut du char du jour gouverner la lumière, 
Et répandre à pleins flots sur Madame la Terre, 
Mais qui ne sachant pas guider le char de feu 
Fut, de par Jupiter, très irascible Dieu, 
A bas précipité d'im coup de son tonnerre, 
Moi je puis être aussi jeté la tête en bas, 
Sans sur ma tombe avoir au moins les doux hélas, 

Non plus les jaunes sérénades 
De jeunes Héliades ! 



cHiLNT d'adief de l'aébonaxjte. 197 

Ma route dangereuse a peut-être un seul port, 

La mort ! 
Dans un instant j ^ puis toucher, non par ma faute, 

Qui ne plaindra V Aéronautel 
Pourtant le vent en poupe, et le ciel devant moi, 
Dans quelques cœurs laissant sur la terre un émoi, 
Sans trembler je confie à la brise l^ère 

Mon frêle esquif et ma bannière. 
Et je remets ma vie aux mains de Dieu, 
Le Grand Veilleur, dont le Verbe est de feu. 
Bans le vouloir duquel le passereau ne tombe, 

Qui créa tout, le tigre et la colombe. 
Content d'être emporté, soulevé dans les airs 
Jusqu'au séjour où trônent les éclairs, 

De quelques uns par la prière, 
Des sans-soucis par le rire éphémère. 
Le voyageur peut-il connaître la terreur. 

Quand des milliers de lèvres roses 
Et dont grand nombre à peine écloses, 
Sourient à son départ à lui le grand oseur! 

Lorsque les yeux purs de Tenfance 
Le suivent d'un regard surpris, 
Ou qu'une femme aimante et dont il est épris, 

Semble lui dire en sa douce éloquence : 
A ton retour ici sera le Paradis! 
Des prières, des voeux et de l'amour peut-être 
Sont pour l'Aéronaute .... et c'est un grand bien-être 
Que semblables pensers, — qu'un tel épanchement! 
Quand dans l'air en son char il est seul tristement I 

Et commç mon ballon des airs montait la côte. 
Je me dis pénétré d'un indicible émoi: 

m 

"Le monde a du bonheur pour chacun .... eh bien ! moi 
Je domine sur lui ... . Vive l'Aéronaute!" 



198 l'bbmite. 

PARNELL (THOMAS). 

Né en 1679— Mort en 1717. 

L'Ermite. 
Lom du monde et du bruit, dans un désert sauvage 
Vivait dès son en&nce un Ermite pieux. 
Son lit se composait de mousse et de feuillage, 
Sa cabane modeste avait pour toit les cieux. 
Ses mets étaient des fruits, sa boisson de Peau claire, 
Ses plaisirs chanter Dieu, son travail la prière. 

Vivre aussi saintement, c'était le Paradis; 

Quand tout à coup dans son cœur indécis 
Vint s'élever un doute — ou plutôt cette idée : 
" Que le vice devait maîtriser la vertu," 
Et son âme candide en fut intimida, 
Et dans son esprit abattu 
La nuit se fit — ^11 perdit confiance 
Dans les fins de la Providence. 

Ainsi quand dans un jour d^été 
Dans les eaux d'un beau lac la nature se mire. 
Le rivage s'incline, et chaque arbre s'admire. 

Tout fier de sa fi^îche beauté; 
Le firmament lui-même en reflétant Timage 
De tontes ses splendeurs semble y jeter ancrage: 
Mais qu'une pierre arrive en ricochet. 

Adieu le magique mirage, 
De ces enchantements soudain sMteint Tefiet, 
Le beau miroir n'est plus qu'une glace brisée, 
Où tout devient chaos, arbres, cieux et rosée. 

Pour éclaircir son doute, et juger par ses yeux. 
Des causes, des effets — ^ne connaissant le monde 
Que par jeunes bergers, ou par bouquins bien vieux, 
Notre Ermite quitta sa retraite profonde, 



l'ebmite. 199 

Et le bâton en main, la coquille au chapeau 
Un matin il partit en quête du nouveau. 

I^ désert était long à franchir; — et FErmite 

N'allait pas vite: 
Vers midi cependant, il se trouva soudain 
Hors du sentier sauvage, et près d'un grand chemin; 

Et comme 
Il regardait au loin, voici qu'un beau jeune homme 
Près de lui s'approcha. — " Père, salut à vousl" 
Dit-il. — " Salut, mon fils!" — Ces premières paroles 
Servirent de prélude à de plus bénévoles. 
Et bientôt l'entretien devint aimable et doux; 
Si bien que se trouvant au mieux de la rencontre, 
Quoique l'un fut très jeune, et l'autre déjà vieux, 

Leurs goûts n'étant pas à l'encontre, 
De voyager ensemble ils convinrent tous deux. 

Ainsi, dans les vertes campagnes 
Près de vieilles brebis on voit jeunes compagnes. 

Ainsi près des plus vieux ormeaux 
On voit le jeune lierre enlacer ses anneaux. 

Cependant le soleil a fini sa carrière, 

L'heure du soir drapée en manteau bleu 
Vient éclairer la nuit de sa pâle lumière. 
Et doucement sonner le couvre-feu. 
A la clarté de la lune indécise, 
Nos voyageurs distinguent un castel 
D'architecture exquise, 
Dont le dôme élégant semblait toucher le ciel. 

De tous côtés des arbres magnifiques 
Réhaussaient la grandeur de ses nobles portiques. 
Le maître, par hazard, était hospitalier. 

Mais son cœur n'était pas d'un ange, 
Et pour le personnifier 
Pour le bien qu'il faisait il voulait en échange 
L'encens impur de la louange. 



200 l'isbmite. 

Devant nos voyageurs les portes du manoir 
S^onvrent à deux battants, et pour les recevoir 
Le châtelain accourt, et les fait mettre à table. 
Là tous deux sont servis par des valets nombreux, 
La chair est succulente et le vin délectable; 
Et puis on les conduit à des lits somptueux, 
Où sous un océan de duvet et de soie 

Chacun d^eux s*endort dans la joie. 

A la nuit succède le jour. 
La nature s'éveille en un doux chant d'amour. 
Le zéphir plisse l'eau — le jeune oiseau voltige, 
L'arbre agite sa feuille, et le roseau sa tige. 
Nos voyageurs levés sont conduits au salon 
Tout doré, dominant l'admirable vallon. 
Un déjeuner servi dans ce lieu de plaisance 
Les attendait. Le maître hospitalier 
Dans un gobelet d'or verse un vin de Constance 
Pour leur rendre plus cher le coup de l'étrier; 
Et tous deux sont partis pleins de reconnaissance. 

Et personne en effet, 
Hormis le châtelain, n'avait droit de se plaindre; 
Car sans rien dire, habile en l'art de feindre. 
Le jeune voyageur emportait en secret 
Le magnifique gobelet. 

Tel celui qui rencontre un serpent sur sa route, 
Epouvanté s'arrête à l'aspect du danger. 

Et sentant son sang se figer, 
S'il reprend son chemin, se retourne et redoute. 

Tel, en voyant la coupe d'or 

Fut l'Ermite; et sa conscience 
Lui reprochait tout bas de garder le silence, 

Et de continuer encor 
A soufirir près de lui cet ingrat qu'un peu d'or 
Rendait sourd à la voix de la reconnaissance. 



l'ebmite. 201 

Tls marchaient cependant, devisant seul à seul, 
Quand soudain du soleil s^obscurcit la lumière. 
Les animaux cherchant Tombrage d^un tilleul 

Fuyaient la plaine, et sombre avant-courrière 
D'un ouragan prochain la foudre au loin grondait. 
Notre couple avisa sur la côte voisine 

Qui sur la plaine dominait, 
Une large maison non loin d'une ravine. 

C'était grand, mais d'un triste aspect. 
Le sol marneux et les terres incultes 
Disaient du possesseur les principes occultes. 
Il devait être avare— et de plus circonspect. 

Ils arrivent transis aux portes du domaine. 

Par rafale Tonde tombait, 

Par tourbillons le vent sifflait, 
En funèbres zigzags l'ëclah: s'ouvrait, brillait. 

Et le tonnerre avec fracas roulait. 
Ils frappent. Pan, pan, pan! Mais leur prière est vaine. 
A la fin cependant, avec bien de la peine 
A leur destin le maître a paru compatir, 

U se décide à leur ouvrir, 
Fait jouer les verroux, tire la lourde chaîne, 

Et leur dit d'un ton aigre-doux : 
" Soyez les bien venus, entrez, abritez- vous!" 

Ils sont entrés, le Pince-maille 
Leur fait un feu vaille que vaille; 

Leur donne un doigt de vin et de vin aigrelet, ♦ 

Un morceau de pain noir moisi dans le buffet, 

Puis aussitôt qu'il voit que s'apaise l'orage: 

"Il fait beau," leur dit il, "à revoir, bon voyage!" 



Quelle aflâreuse perversité! 
Se disait notre Ermite-^Etre si misérable. 
Et si riche à la fois, et si peu charitable! 

Quel esprit de sordidité! 




202 l'ebmite. 

Mais la surprise du saint homme 
S^accrut encor, quand il vit comme 

Son compagnon donnait à ce ladre vilain 

La coupe dérobée au seigneur châtelain. 

Pendant qu^il pensait, la nature 
Avait repris sa première parure, 
Les feuilles leur fraîcheur — le ciel son coloris. 
Notre avare joyeux gaiement leur fait escorte, 
Et sur eux avec soin ferme sa double porte. 
"Enfin!" dit-il, "ils sont partis!" 

Ils sont partis! .... Et notre Ermite 
Ne savait que penser d^une telle conduite. 
En vain à sa raison ûiisait-il un appel, 

11 n'osait prononcer sur son jeune acolyte 

Devait-il plaindre un fou — maudir un criminel? 

Mais de la nuit tombent les ombres 

Sombres, 
Nos voyageurs encore ont besoin d'un logis, 
Et bientôf ont trouvé non loin d'un bois taillis 

Une maison de modeste apparence. 
Ni grande, ni petite, oii respirait l'aisance. 
Le maître, par vertu, non pas par vanité 
Donnait à tout venant franche hospitalité. 

Ils ont frappé. Vite la porte s'ouvre. 

Poliment chacun se découvre. 
Et dit: "Mfi^tre salut!"— -"A vous Frères salut!" 
Reprend le maître: "Ici mon plus bel attribut 
Est d'être utile .... Entrez, ma maison n'est pas grande, 

Mais vous y trouverez l'offî-ande 

Que chacun doit au voyageur. 

n a dit : la table est dressée, 
Puis au nom du seigneur 
La faim est assouvie, et la soif apaisée; 



l'sbhite. 203 

Et le repas fini, chacun parle à son tour 

De vertu, de divin amour, 
Jusqu^à rheure où la cloche appelle à la prière 
Hôtes et gens, et la famille entière I 

Le monde est vieux d^un jour de plus. 
A son chapeau Termite a remis sa coquille. 

Ils vont partir — quand bravant les argus, 
Près de la couche où dort Pespoir de la famille 

Le jeune homme se glisse — horreur! 
Comme Tépi doré tombe sous la faucille, 
Sous son poignet de fer tombe, ainsi qu^une fleur. 

Le cher petit gentil dormeur I 

Témoin de ce forfiEÛt, et frappé d^éponvante, 

L'Ermite cherche à fuir .... Hélas I 
L'effiroi le glace, et rend sa marche lente! 
Le jeune homme poursuit tranquillement ses pas. 

Or, dans cet endroit la campagne 
Se trouvait divisée en sentiers tortueux 
Formés par les détours d^un fleuve impétueux: 

Le serviteur qui raccompagne 
Le guide vers un gué d'un accès dangereux. 
Car pour le traverser on avait mis les branches 

D'un gros chêne, en guise de pont. 
Et du torrent les étincelles blanches 

Couvraient un abîme sans fond. 

Avec un sentiment de joie, 

Le jeune homme guettait sa proie, 
Il saisit le moment où le guide imprudent 

Dédaigneux de tout accident. 
De ce pont vacillant au beau milieu se trouvB, 

Sans que nulle crainte il éprouve 
Habitué qu'il est du matin jusqu'au soir 

A traverser ce torrent noir, 
Il le pousse, il y tombe, il surnage, il tournoie, 
Et malgré ses efforts, il s'enfonce et se noie. 



204 l'ebmite. 

Par ce nouveau forfait TErmite exaspéré 

A dit: "Monstre dénaturé!!" 
Mais à peine a-t-il dit — ô Prodige! 6 Merveille I 
Soudain son compagnon n*a plus rien d^un mortel. 
Son visage est plus doux, sa bouche plus vermeille, 

Et sur les traits de ce beau jouvencel 
Se lit le bien-être étemel. 

Sur ses pieds flotte une blanche tunique, 

L'or et Tazur entourent ses cheveux 
D'une gloire apocalyptique, 
Et Tencens des parfums tombe du haut des cieux. 
Ses ailes laissant voir leurs plumes vacillantes 
Majestueusement se meuvent flamboyantes. 

Du Pèlerin la subite fureur 

A fait place à Témoi Mais bientôt le bel Auge: 

"A Dieu," dit-il, "gloire et louange, 
"Et béni soit celui que bénit le Seigneur! 

"Bon Ermite," a-t-il dit, "ta vie et tes prières 
Ont trouvé grâce devant Dieu, 
Pour toi s'abaissent les barrières 

Qui cachent aux mortels les desseins du saint lieu ! 
Oui, pour t'instruire, sur la terre 
Un Ange est descendu des cieux, 
Ecoute, voici le mystère 

Que sans voile je vais révéler à tes yeux. 

"Le divin Maître a fait le monde. 
Et le monde est son œuvre— En cela gît son droit; 

Or dans sa Sagesse profonde 
Il le gouverne seul — seul il dit : " Ainsi soit ! " 

Mais sa divine Providence 
Par des moyens secrets inconnus aux humains 
Sans contraindre leur conscience, 
Par son pouvoir de prescience 
Tient leur avenir en ses mains. 



L*£BMITE. 205 

"Qui peut plus justement exciter la surprise 
Que les événements accomplis devant toi ? 
A tes yeux étonnés je les all^orise 

Mais, voici la suprême loi. 
Quand on ne comprend pas, il faut avoir la foi ! 

Ce châtelain à la vaine arrogance, 
Qui dans des coupes d*or, en son noble castel, 
Faisait boire à longs traits le plus pur hydromel, 
Et dont la vie était une longue bombance, 
En perdant un trésor pour lui sans importance, 

A gagné, trésor plus réel. 

Expérience et défiance .... 
n reçoit ; . . . . mais depuis est plus — rationnel. 

"Ce misérable au cœur cuirassé d^avarice 
Dont la porte jamais ne s^ouvrit au malheur, 
Dans Tespoir d'un beau bénéfice 
L'ouvrira maintenant au moindre voyageur ; 
Et sera, par calcul, un moyen secondaire 
De soulager à propos la misère. 

" Pour notre ami de ce matin 
Bien long-temps il suivit le précepte divin, 
Mais voilà que son fils, Tenfant de sa vieillesse 
Lui ùdt perdre soudain la vertu, la sagesse. 
Son fils était son tout, son Dieu n'était plus rien ! 

Moi qui suis son ange gardien. 
J'ai dû frapper le coup — Ma mission remplie, 

Le pauvre père à genoux s'humilie, 
Et le séjour du ciel un jour sera le sien. 

" Et quant à ce malheureux guide, 
C'était un perfide, un voleur, 
Cette nuit, cette âme cupide 
Dévalisait son bienfaiteur. 
Et combien cet argent eut fait faute au malheur ! 
Mais se voyant dans la rivière, 



206 VV COKTE DB PÉES. 

Prêt à mourir, il s'est tout à conp^repenti, 
Son repentir était sincère, 
Le ciel a reçu sa prière, 
C'est un bon larron converti. 

" Ainsi le ciel à toi s'explique 
Et tes désirs sont satisfaits ; 
Ne pèche plus ; désormais vis en paix 
Et garde-toi de ton optique I " 

Disant ces mots, le brillant chérubin 
Laissant de sa robe de lin 

Flotter les plis aux ondes transparentes, 
Sur ses ailes d'azur aux plumes frémissantes 
S'éleva dans les airs.— Pour notre Pèlerin 
A genoux il disait cette belle prière : 

^* Toi, dont la demeure est aux cieux, 
Dieu de bonté, Dieu Puissant, notre Père ! 
Ta volonté soit faite ici bas, en tous lieux 
Et rends dignes de toi les enfants de la terre ! " 

Alors se relevant, il reprit son chemin 

Vers le désert — pour prier Dieu sans fin ! 



XJn Cottte de Fées. 

Dans l'île de Bretagne, au temps du noble Arthur, 
Quand au coup de minuit dans le castel obscur 

Riait, dansait le peuple Fée, 
Vivait un beau jeune homme, Edwin du château vert. 
Vaillant, franc, généreux, ménestrel comme Orphée, 
Mais dont le dos d'un dôme était couvert. 



UTT CONTE DE FÉES. 207 

Ce dos touffu, bombé, s'ëlevant comme un mont 
Semblait vouloir tenter Tescalade du front 

Et se hisser jnsqu^à la tête ; 
Cependant en dépit de ce hideux atour 
Edwin osa rêver une illustre conquête, 

Et qui plus est rêver tendre retour. 

n avait ressenti le charme séducteur 
De la beauté d^Edith. — Si dans Tintérieur 

Elles pouvaient ces damoiselles 
Regarder, — il eut eu chance d*être vainqueur: 
Mais certain Sir Topaz, étoumeau de ruelles 
Eblouissait; — rhabit gagna le cœur, 

Edwin le noir dans Tâme, et le chagrin au front. 
Cheminait donc la nuit, et gravissait im mont 

Eclairé par le clair de lune ; 
C*était près de la tour d^im antique castel 
Où folâtres lutins venaient tous à la brune 

Se trémousser en dansant sous Formel. 

Son cœur était navré, — son âme en désarroi. 
Il se faisait bien tard; — il savait à part soi 

Ne pouvoir retrouver sa route, 
N^ayant d^autre ressource, il a franchi Penclos 
Du castel redoutable, et sous sa sombre voûte, 
S^étend par terre, afiamé de repos. 

Mais à peine affiiissé sur ce dur oreiller 
Espérait-il enfin quelque peu sommeiller. 

Que soudain le vent qui s'engoufire 
Fait vaciller le sol par ses bruits effirayants, 
En même temps il sent certaine odeur de soufre 

Et puis il voit,— cent lustres flamboyants. 

Cent lustres flamboyants,— brillants comme un soleil 
Qui donnaient à la salle un éclat sans pareil, 

Puis il entend des voix charmantes 



208 UN CONTE DE FÉES. 

Qui chuchotent gaiement, et puis du coin de Foeil 
n voit des pieds fringants, des jambes ravissantes, 
Valsant, tournant ainsi que Pécureuil. 

Mais vous qui m^écoutez, croyez-en le conteur, 
n est très véridique et pas du tout menteur. 

Jamais plus riche masquerade 
Ne s'en vint défiler sous les yeux d'un mortel, 
Perles, plumes, parfums et blanche satinade, 

C'était si beau, — qu'il ne fut rien de tel I 

Mais tandis qu'il était tout oreilles, tout yeux. 
Voilà que des galants le plus avantageux 

S'écria d'un accent terrible : 
** Quel est le vil mortel, quel est l'audacieux 
. Dont l'haleine empestée à nos sens accessible, 

A souillé l'air qu'on respire en ces lieux?" 

— ** C'est moi," dit notre Edwin, se présentant sans peur 
Aux Esprits assemblés, " c'est moi, je suis l'auteur. 

Mais l'auteur bien involontaire 
Du trouble que j'apporte en vos nocturnes jeux, 
Mais je suis excusable, et dans ce sanctuaire 

Seul m'a conduit désespoir amoureux." 

— " Je reçois ton excuse," a répondu l'Esprit, 
"Ta franchise me plaît, et n'est point un délit 

Qui soit parmi nous punissable; 
Nous ne ressemblons point à ces trônants d'un jour v 
Pour qui le seul mensonge est monnaie acceptable, 
La vérité! — c'est là tout notre amour! 

" A moi donc d'exalter ton courage abattu, 
A moi de consoler ton chagrin, — le veux-tu ? 

Dès ce moment, tiens, prends ta chance, 
Et tandis que je danse avec ma gente Mab, 
Avec Mabille toi prends part à notre danse 
Comme jadis fit le fils de Joab I 



à 



UN GONTS JD£ F^ES. 209 

Il dit, et tout à coup des airs mélodieux 
Sur les ailes du vent vibrent harmonieux, 

Le Monarque conduit la Keine, 
Et tous les courtisans de danser de concert, 
Et Mabille gaiement de faire aussi la chaîne 

Ayant au bras Edwin du château vert. 

Après ce joyeux bal vient souper plus joyeux, 

Doux aveux, gais propos, mets choisis, vins nombreux, 

Enfin le paradis sur terre; 
Le convive est servi par d'invisibles mains : 
A-t-il soif? De sa lèvre aussitôt un plein verre 

S'approche, — il est vide, puis repris par des nains. 

Mais voilà que soudain pour complaire à leur Roi 
Sujettes et sujets simulant un tournoi 

S'escriment à coups de galoches; 
L'un de gesticuler comme un singe disert, 
Tandis que d'autres fous font assaut de bamboches 

Aux yeux surpris d'Edwin du château vert ; 

Jusqu'à ce que l'un d'eux, nommé je crois Robin, 
Un très bon diable au fond, mais espiègle et malin 

Se hisse jusqu'à la voussure. 
Soulevât avec lui notre jeune héros. 
Dont il fait un magot de vieille architecture 
En l'étendant, sur le défaut du dos. 

Edwin tout pendillant: " Assez mes bons amis. 
Assez," " leur disait-il, " la farce a bien son prix, 

Mais assez de ce sortilège, 
Je n'en puis plus !" — Soudain Obéron lui répond: 
" Edwin, résigne- toi ; — mon peuple te protège. 

Attends, — dans peu tu descendras d'un bond." 

Tout à coup ont cessé tous ces nocturnes jeux. 
Le frais du jour se glisse en ces lieux caverneux, 

Le coq jette son cri d'alarme, 



210 UN CONTE DE FIÉES. 

Le vent tourbillonnant mgit, se bat les flancs, 
Et puis poussant la porte avec un grand vacarme : 

" Allons/' dit-il, " vite aux fleurs, aux étangs !" 

Alors tous ils s^en vont en jetant de longs cris, 
Les lustres sont éteints, et du haut des lambris 

Le pauvre Edwin décroché, tombe. 
Il ne savait que faire en cet endroit obscur, 
Où r^nait un silence aussi froid que la tombe. 
Lorsque des cieux il apperçut Tazur. 

n se lève aussitôt inondé de bonheur. 

Tout dispos, tout léger, éloquent, beau diseur, 

C'est qu'il sent qu'il n'a plus de bosse; 
Sa langue véridique et son esprit sensé 
Ont ùÀt un simple dos d'un dos de carabosse. 
Et maintenant il se rit du passé. 

Il parle avec aisance, et semble en galopant 
Danser, — tant à la fois il est leste et pimpant. 

On sut bientôt son aventure; 
Tant que la belle Edith vit le jeune héros. 

Admira son courage, admira sa tournure 

Il n'avait plus de bosse sur le dos! 

Cependant Sir Topaz informé de ce fait, 
Voyant l'amour d'Edith pour cet ex -contre fait. 

Prit à deux mains tout son courage, 
Et vers la fin du jour, quitta son pavillon. 
Pour aller au castel, malgré la nuit, l'orage 
En tapinois, — ^guetter le réveillon. 

Epuisé de £Eitigue et suant sang et eau, 
Il arrive haletant à l'antique château; 

Soudain le vent de la vallée 
S'engouffre, tourbillonne, et renversant le mur 
Ouvre la même porte à la même assemblée 

Que cent flambeaux illuminent d'azur. 



UN GONTB DE FÉES. 211 

Voilà qu^en ce castel jadis abbatial 

Au son de la musique a commencé le bal; 

Mais Sir Topaz, le pauvre hère. 
Ne sait oil se cacher quand soudain Oberon : 
" Un homme est près d*ici," dit-il, avec colère; 

" Un vil mortel, — un ignoble poltron!..." 

Sur ce, le Sir Topaz ce vilain Céladon: 

" Excellences," dit- il, " accordez-moi pardon ; 

Prenez pitié d'un pauvre diable 
Qui la nuit ne pouvant retrouver son chemin. 
Est venu s'abriter, ô destin misérable! 

Dans ce séjour pour lui le plus voisin." 

^^ Oh ! le vil mécréant 1 " dirent tous à la fois 
Les Esprits, — " Voyez donc! il se croit fin matois, 

En nous débitant ces sornettes, 
Conmie si nous étions sans savoir le pourquoi 
De sa venue; — eh bien ! passe par nos baguettes 

Bel imposteur ! tiens prends voilà pour toi !" 

On le bat, on le hue, et puis le feu follet 
De tous ces farfadets Tesprit le plus finet. 

Le prend et vite le transporte 
Où notre Edwin était, — au milieu du plafond. 
Et tous les quolibets gaiement lui font escorte. 

D'autant plus vifs qu'il est plus furibond. 

Néanmoins on l'oublie, et les folâtres jeux 

Tour à tour vont leur train, rendant chacun heureux, 

On rit, on jase et l'on s'amuse 
On mange chair exquise, on boit vin pétillant. 
On danse au son du cor, ou de la cornemuse... 
Le Sir Topaz est toujours pendillant. 

Cependant voilà que tous les yeux de la nuit 
Se sont clos, — les Esprits s'envolent avec bruit, 

Et le Chevalier tombe à terre, 
p2 



212 LA COBNEILLE. 

Car jamais sortilège imposé par lutin 
N'a de son puissant charme étreint une clairière 
Plus qu'une nuit ; — il finit au matin. 

Les lustres flamboyants avaient éteint leurs feux. 
Aussi maître Topaz fut-il très malheureux 

De se trouver là sans lumière. 
Mais il se crut sauvé quand il revit le jour. 
Hélas ! que devint-il, en sentant par derrière 

Le dos d'Edwin gonflé comme un tambour. 

Ce conte, ma nourrice un beau jour me le dit, 
Et puis, me caressant, ajouta: " Mon petit 

Fais ton profit de sa morale : 
Les uns lestes sont nés pour courir au succès, 
D'autres, ont, au contraire, à vaincre la cabale 
Pour arriver, — presque toujours après : 

'^ Mais la seule vertu sait aussi tôt ou tard 
Faire au même les sots favoris du hazard 

Si vains de leur bonne fortune.... 
La vertu peut toujours l'emporter sur le sort. 
Et jetant à la mer une charge importune, 

Tranquillement s'abriter dans le port." 



POE (EDGAR A.). 
Né en Janvier 1811 — Mort en Octobre 1849. 

La Corneille. 

Un soir vers le triste minuit, 
Que tout absorbé dans ma nuit, 
Ma tête tombait affaissée 
Sur une légende passée, 
Pendant que je m'assoupissais, 
Que dans im songe voyageais, 



LA. COENEILLE. 213 

Il se fît un bruit peu sonore 

A ma porte .... et m'ëveillant .... sus! - 

Je me dis, me le remémore: 

" C'est un visiteur, rien de plus, 

Que peut-on me vouloir encore?" 

Oh ! m'en souviens distinctement 
C'était en Décembre, vraiment. 
Sur le parquet, par parenthèse, 
Jetait son ombre chaque braise. 
Je souhaitais le lendemain, 
J'avais dans mes livres en vain 
Cherché solace qui restaure 
Pour celle, ô regrets superflus! 
Que les anges nomment Lénore, 
_Qu'ici bas ne reverrai plus. 
Mais qui dans mon cœur vit encore. 

Et le firou frou tout chuchotant 
De chaque rideau tremblotant 
Remplit mon âme d'épouvante, 

Si, que jusqu' alors, je m'en vante 

N'avais eu semblable terreur; 
Et pour tranquilliser mon cœur. 
Je me dis, me le remémore : 
C'est un visiteur, un intrus 
Qui frappe à nui porte et m'implore, 
C'est un visiteur, rien de plus; 
Que peut-on me vouloir encore ? " 

Maître de mon émotion, 

Lors sans plus d'hésitation: 

" Entrez Monsieur, entrez Madame, 

Et pardonnez-moi ! sur mon âme; 

Je dormais, et profondément, 

Et vous frappifiz si doucement, 



214 LA. CORNEILLE. 

Qu'un tel petit bruit s'évapore, 
Et se perd indécis, confus." 
Sur ce, sans parler plus encore, 
J'ouvre la porte et vois .... motus! 
Quoi ? . . L'obscurité que j'abhore ! 

Plongeant dans cette obscurité 

Un regard craintif, agité, 

Je rêvai là, lorsque j'y songe 

Un long et bien bizarre songe : 

Mais seul le silence régnait, 

Et l'obscurité se taisait; 

Un chuchotement incolore 

Flotta sur le vide diffiis. 

Ce nom par moi dit bas: '^ Lénorel" 

Seulement ce nom, rien de plus; 

Et l'écho soupira: " Lénorel" 

Dans la chambre rentrant alors 
Emu d'esprit, ému de corps. 
Bientôt se fit jour, ô merveille ! 
Un bruit plus fort à mon oreiUe. 
Oh ! dis-je, ce balbutiement 
A la fenêtre est sûrement; 
Voyons, approchons-nous du store, 
Et sur nous prenons le dessus : 
Alors mon œil explore, explore. 
Mais c'est le vent, et rien de plus, 
Le vent qui pince sa mandore I 

Cependant j'ouvre le volet, 

Et que vois-je entrer s'il vous plait ? 

Se trémoussant, une Corneille 

Majestueuse, antique et vieille ; 

Elle ne fit point de salut. 

Mais comme une Reine s'en fut 




LA CORNEILLE. 215 

Se percher, je la vois encore, 
Sur ma Pallas, juste an-dessus 
De la porte, me remémore ; 
Et puis s'assit, et rien de plus 
Sans prendre un air de matamore. 

Lors par sa haute gravite 

Charmant mon sourire attriste, 

Moi je dis à Toiseau d'ébène : 

^^ Bien que ta crête soit à peine 

Couverte d'un rare duvet. 

Tu n'es pas certe un freluquet, 

Corneille toi que l'on honore 

Depuis les temps du vieux Cadmus, 

Ton nom chez Plut on ?. . .je l'implore I" 

— " Mon nom chez Pluton ? . . . .Jamais pins ! . . . 

Dis, n'est-ce pas un nom sonore?..." 

Et moult, vous pensez, m'étonnai 
D'ouïr un oiseau si peu gai 
Parler de manière aussi claire, 
Bien que peu faite à satisfaire ; 
Car vous m'accordez, n'est-ce pas. 
Qu'un être humain dans aucun cas, 
Ne vit de la nuit à l'aurore 
Sur une Pallas, par Phébus ! 
Et par-dessus sa porte encore 
Un oiseau tel que ^^ Jamais plus ! " 
Au yeux brillants comme phosphore. 

Mais la Corneille gravement 
Sur le buste assise aisément 
Comme si c'était un symbole 
Ne dit pas une autre parole ; 
Elle ne prononça plus rien. 
Et se drapa dans son maintien ; 



216 LA COBKEILLE. 

Jusqu' à ce que je dis encore : 
'^ Mes amis les plus assidus 
M'ont quitté ;— bien avant l'aurore 
L'oiseau partirai" — " Jamais plus ! " 
Dit l'oiseau de sa voix sonore. 

D'étonnement je tressaillis 

A ce mot profond, si concis ; 

Mais ce mot, me dis-je, est sans doute 

De son savoir la somme toute; 

Et c'est chez quelque meurt de faim 

Qu'elle a ramassé ce refrain : 

Quand l'espérance se déflore, 

Quand ont fui les derniers écus, 

Quand du cœur ce mot s'évapore : 

^^ Non plus jamais ! non jamais plus ! " 

Que l'on dit du soir à l'aurore. 

Mais par sa haute gravité 
Charmant mon sourire attristé, 
Moi je fais vers l'oiseau d'ébène 
Virer mon fauteuil, et sans gêne 
M'affiûssant sur le doux velours 
A travers mes pensers je cours: 
Je voulais, me le remémore, 
Savoir le mot de ce rébus 
Que croassait l'oiseau pécore 
"Et plus jamais" et "jamais plus !" 
Mots que ma foi, j'entends encore ! 

Je voulais deviner cela, 

Mais sans en rien dire, oui dà, 

Au volatile à tête chauve 

Qui dardait sur moi son œil fauve; 

Réfléchissant, j'étais assis 

Sur le dada de l'indécis. 



^ 



LA CORNEILLE. 21' 

Ayant grand besoin d'ellébore, 
Chevanchant) chevauchant dessus, 
Pressant ce coossm, que Lâiore 
Las ! ne pressera jamais plus, 
Ce pauvre ange de mon aurore! 

Lors il me sembla que plus lourd 

Devenait Pair, et qu'un pas sourd 

Comme serait le pas d'un ange 

Sur le tapis glissait étrange. 

"Ah!" m*écriai-je, "malheureux! 

Le ciel miséricordieux 

T^envoya l'oubli qui restaure, 

Qui rend les souvenirs confus, 

Tiens prends Foubli dans cette amphore . . . '* 

La Corneille dit: "Jamais plus, 

Jamais plus n^oubliras Lénore ! ** 

Dis -moi prophète de malheur 
Oiseau fatal, ou Tentateur, 
Soit que t'ait jeté la tempête 
Ici, pour abriter ta tête. 
Soit pour y fomenter l'horreur, 
Soit pour y semer la terreur, 
Dis-moi, dis-le-moi je t'implore, 
Pour soulager mes maux ardus 
N'est-il pas quelque mandragore ? 
La Corneille dit: ''Jamais plus! 
En vain tu chercherais encore ! " 

Dis-moi prophète de malheur, 
Oiseau fatal, ou Tentateur, 
Du ciel par la voûte azurée ! 
Oh ! dis à mon âme éplorée. 
Dis pour soulager sa douleur 
Si dans un Eden de bonheur, 




218 LES CLOCHES. 

Elle doit, brillant métëorCf 
Revoir au milieu des élus 
Un ange du nom de Lënore ..." 
La Corneille dit : "Jamais plus ! 
A quoi bon le chercher encore ! " 

Va ! que ce mot soit le signal 

De ton départ, oiseau fatal ! 

Tout en bondissant, m^écriai-je, 

Pars vilain démon sacrilège ! 

Pars ne laisse ici rien de toi, 

Ni ton ombre sur la paroi, 

De mon cœur afireux minotaure, 

Pars abandonne le dessus 

De ma porte ; fuis, je t^abhore ! . . 

La Corneille dit: *^ Jamais plus ! 

J'y suis bien, et j'y reste encore !" 

£t la Corneille sans bouger 
Reste assise, et sans déloger 
Sur ma Pallas au front auguste, 
Et se goberge sur son buste ; 
£t ses yeux ont le vague aussi 
D'un démon qui sent le roussi ; 
Et nui lampe d'un reflet dore 
L'oiseau devenu mon argus, 
Et son ombre gît incolore 
Sur le parquet ; et Jamais plus 
Cette ombre elle ne s'évapore I 



»» 



Les Cloches. 

Ecoutez, écoutez, écoutez les traîneaux 
Avec leurs argentins grelots, 
Drin, drin, drin, drin, drin, drin, heureuse mélodie 
Comme ils tintent gaiement, tintent à l'étourdie 



k 



LES CLOCHES. 219 

Dans Pair Racial de la nuh ! 

Pendant qu'aux deux sans voiles 
Se font les doux yeux les étoiles 
En mesure battant la chanson de minuit, 
Dans le rythme insolite, et tout à fait unique 

Du langage nmique, 
Au tintement qui s'en va crescendo 

Des cloches, des cloches, des cloches. 
Faisant sauter croches et doubles croches 
Sur le dos de Técho. 

Ecoutez les cloches de noces 
Ces cloches d'or ! 

Quel monde de bonheur roulant en beaux carosses 
Ne dit pas leur gentil essor ! 
A travers l'air qui leur sert de Pégase 

Entendez-les la nuit raconter leur extase ! 
De ces notes d'or et d'argent 
En un seul accord convergent, 

Quel virelai liquide et de joie opportune 

Monte à la tourterelle admirant du regard 

La lune ! 
De ce clocher gai babillard 
Quels flots soudains, quels torrents d'euphonie. 

Comme ils s'enflent gonflés d'amoureuse harmonie, 

Et pèsent doucement sur l'immense avenir ! 

Quelle joie, en un mot, a cette sonnerie 

Que chantent à n'en plus finir 
Par croches et par doubles croches. 
Les cloches, les cloches, les cloches 
Les cloches, les cloches, les cloches 
Les cloches, les cloches, les cloches ! 

Oyez, oyez, c'est le tocsin — 

Cloches d'airain! 
Quel monde de terreur nous dit leur turbulence ! 
Comme à la nuit qui dort dans le silence 
Elles viennent narrer leur immense frayeur I 



220 LES CLOCHES. 

Pour parler suant trop Phorreur, 
Elles ne peuvent que, dominant la tourmente, 
Crier d^une voix fausse éveillant l'épouvante : 
Au feu ! là bas le feu ! vite au feu I vite au feu ! 

Courez, courez, il est là, dans ce lieu!* 
Et puis dans leur ëlan courant comme Atalante 

Dans Tair ; sautant plus haut, plus haut encor, 
Frappant le vent, comme frappe un butor, 
Et par sauts et par bonds se disant à chacune : 
Montons, montons, montons, montons jusqu'à la lune. 
Oh ! les cloches alors que sonne leur tocsin 

Oh ! que funeste et noire 
Est leur histoire I 
De quel afireux présage est leur appel soudain ! 
Quelle sensation d'horreur elles déversent 
Lorsque toutes ainsi palpitantes conversent ! 

Cependant que notre oreille perçoit 
Par les sons glapissants ou les plus vifs murmures 

De leurs voix et rauques et dures 
Si le danger plus fort avec le vent s'accroît ; 
Cependant que notre oreille perçoit 
Par leur son qui se traîne 
Murmurant comme une âme en peine, 
Si le danger moins fort avec le vent décroît : 
Selon que par accès plus vives ou plus proches 

Tintent lugubrement les cloches, 
Ou bien que se faisant reproches sur reproches. 
Hurlent avec e&oi les cloches. 
Les cloches, les cloches, les cloches! 

Oyez, oyez le glas des cloches 

Cloches de fer I 
Quel monde de pensers, quel monde de reproches 
n a soudain pour nous évoqué de l'enfer ! 
C'est l'heure de la nuit, c'est l'heure du silence 
Nous l'entendons, et frémissons d'effroi 

Alors qu'il se balance ; 
C'est que le glas est propre à reveiller l'émoi. 



LES CLOCHES. 221 

Il tinte et chaque son tout incrusté de rouille 

Est un gémissement 
Qui filtre au coeur, le dévérouille 
Et vient tambour battant s^y camper hardiment. 

Et les gens, oui les gens d^étrange sorte 
Qui demeurent tout seuls là haut dans le beffroi, 
Qui pour sonner le glas, la chanson du convoi 

Certes ne vont pas de main morte, 
Voyez comme ils sont fiers de rouler et sans fin 

Leur pierre sur le cœur humain! 
L^air ainsi que la mer, voyez-vous a ses houles. 
Ces gens là haut ce sont des êtres tout à part, 
Animaux ni mortels . . . flairant le corbillard 

Ce sont des Goules ; 
Et qui sonne le glas, voyez-le, c'est leur Roi, 

C'est lui qui roule, et qui déroule 

Dans son effirayant désarroi 
Ce chant de mort, en bas qui va troubler la foule : 

Et son cœur se gonfle joyeux 

A chaque tintement des cloches! 

Puis il danse avec les plus proches 
Et s'enivre à leurs sons, et s'enivre à leurs jeux : 
Puis battant la mesure, et dans le rythme unique, 

Du langage runique 
Il semble de son front aller frapper les cieux 

Au chant de triomphe des cloches. 
Aux palpitations, aux sanglots douloureux 

Des cloches, des cloches, des cloches; 
Puis battant la mesure, et toujours plus heureux. 

Et toujours dans le rythme unique 
Du langage runique, 
Il se berce et s'endort comme un voluptueux 
Tout en sonnant le glas, au son mourant des cloches, 

Des cloches, des cloches, des cloches! 



222 PRIÀBB UNITEBSELLE. 



POPE (ALEXANDER). 

Né en 1688 -Mort en 1744. 

Pbiâbb Univebselle. 
deo. opt. max. 

Pere de Tous ! en qui chaque âge 
Reconnut son Sublime Auteur, 
Depuis le saint jusqu' au sauvage, 
Jebovah, Jupiter, Seigneur! 

De Tout, Toi la Clause Première 
Et la moins comprise, pourtant, 
Et qui m*apprends par ta lumière 
Que je suis aveugle et toi Grand : 

Et qui dans cet état de choses 
Veut bien me laisser entrevoir 
Le bien, le mal, la fin, les causes 
M'assurant un libre vouloir. 

Ce que dicte la conscience 
En son pouvoir surnaturel. 
Est pour rhomme une prescience, 
Est pour lui le chemin du ciel. 

Puissé-je toujours être digne 
Seigneur de tes bontés pour moi ; 
Quand tu donnes, faveur insigne. 
Jouir c'est respecter ta loi. 

Entouré de milliers de mondes 
Dont toi seul est Maître et Seigneur, 
Qui se balancent dans les ondes 
Par ton pouvoir modérateur, 



PBlàBS UNITSBBELLE 223 

N'allons pas assigner d'espace 
A ta souveraine bonté, 
Et surtout n'ayons pas Taudace 
D'usurper sur sa volonté. 

Si j'ai raison, que par ta grâce 
Je reste dans le droit chemin ; 
Si j'ai tort, dirige ma trace 
Daigne me guider de ta main. 

De l'affireuse misanthropie 
Afin de m'éviter l'écueil, 
Sauve-moi du murmure impie, 
Et sauve-moi du sot orgueil. 

Aux maux d'autrui rends-moi sensible, 
Rends mon cœur indulgent, humain. 
Et pour moi daigne être accessible 
Comme je le suis au prochain. 

Bien que je sois fort peu de chose, 
Je suis quelque chose par toi, 
Mon cœur en ta bonté repose. 
Conduis mon cœur selon ta loi. 

Pour aujourd'hui je ne souhaite 
Que le don de la paix, du pain ; 
Seigneur ta volonté soit faite! 
Tu sais pourvoir au lendemain. 

Toi qui pour Temple as l'Espace, 
Pour Autel la Terre et les Cieux, 
Nul être ici bas ne se lasse 
De clianter ton nom glorieux ! 



224 OPE 8TJB LB JOUR DE SATIETE OÉOILS. 



Ode sur le Jour de Sainte Cécile. 

I. 

Descendez, Muse&, descendez 
Aux instruments donnez une âme, 
De la Lyre éveillez les cordes, et chantez, 

De vos voix parcourez la gamme. 
Que le luth amoureux se plaigne tristement, 
De sa voix de stentor que le clairon résonne, 

£t d*un long retentissement 
Fasse vibrer Técho pom^éveiller Bellonne; 
Tandis qu'avec des sons 'filés, majestueux. 
Les orgues monteront jusqu^au plus haut des cieux. 

Ecoutons, ô merveille! 
Des accents doux et purs envahissent PoreiUe, 
Ils deviennent bientôt plus forts, encor plus forts. 
Et remplissent les airs de leurs flots d'harmonie; 

Bientôt leur puissance infinie 
D'un crescendo fougueux a redit les accords : 

Cette musique en tremblant flotte 
Comme le chant de la linotte, 
Puis par dégrés dépérissant 
SWaiblissant^ 
Comme une âme en souffirance 
Vient mourir dans une cadence. 

II. 

La musique soumet à son diapason 

Sous un égal niveau l'esprit et la raison. 

Si trop de joie un jour se remue en notre âme, 

Le calme de sa voix nous vient comme un dictame; 

Si notre âme, au contraire, est en proie aux chagrins, 

Toujours pour les calmer elle a des anodins. 

Elle a pour le guerrier des sons vibrants de gloire, 

Pour l'amant malheureux un baume péremptoire; 



ODE SUB LE JOUR DE SAINTE CECILE. 225 

Mélancolie écoute, et se calme soudain, 

Et Morphée éveillé retrouve son entrain. 

La Paresse elle-même étend ses bras, s^éveille, 

L'Envie en vain voudrait faire la sourde oreille, 

Ses serpents font joujou. — Nos passions, enfin, 

A force d'écouter ont perdu leur venin. 

m. 
Mais quand pour la patrie il faut crier aux armes! 
Combien pour tous les cœurs la musique a de charmes ! 
Ainsi, quand le premier, osant braver les mers 
Sur le vaste Océan vint glisser im navire. 
L'habitant de la Thrace, en son soudain délire 
Fit résonner l'écho de glorieux concerts, 
Tandis qu'Argos voyait de Pélion descendre 
Ses arbres étonnés, transformés en méandre. 
Les hommes en extase à ces sons belliqueux 
Devinrent des héros, bientôt des demi-Dieux, 
Et les mers, les rochers, les cieux de dire : Aux armes, 
Aux armes ! aux armes ! aux armes ! 

IV. 

Mais quand bien qu'inondé de larmes 
L'Amour aussi fort que la mort, 
Bravant du Phl^éthon la barrière infernale 
Conduisit le poète à l'endroit où Tantale 
Implore, mais en vain l'inexorable sort. 

Sur ces rivages 
Ces marécages, 
Que de visages 
Noyés de pleurs ; 
Dans ces ténèbres 
Quels cris funèbres 
Pleins de douleurs; 
Oh ! que de plaintes caverneuses 
D'ombres afireuses! 



226 ODE BUB LS JOUB D£ SAINTE CÉCILE. 

Mais chut ! il a touché la lyre d*or, 
Soudain de prendre leur essor 
Les noirs fantômes et les ombres 

Sombres. 
Oh ! Sisyphe il s'arrête à la fin ton rocher! 
Ixion croit rêver les plaisirs de Capoue, 

n se repose sur sa roue, 
Les spectres ont quitté leur infernal bûcher, 

Et voilà qu^en cadence, 
Ils se mettent en danse, 
Tandis que sur leur lit de fer 
Se pâment à Tenvi Tisiphone et Mégère, 
Et qu' Alecton, leur sœur, jure par Jupiter 
De laisser ses serpents pendiller vers la terre! 



"An nom de ces ruisseaux qui gazouillent toujours, 
Au nom des fontaines aimées, 
Qui dans FElysée ont leur cours; 
Au nom des brises parfimiées 
Qui soufflent au-dessus des fleurs; 
Au nom de ces âmes heureuses 
Qui se bercent voluptueuses 
Au milieu de douces vapeurs; 
Au nom de ces ombres guerrières 
Qui scintillent dans les clairières; 
An nom des amants morts d'amour. 
Daignez abréger mon supplice. 
Ou rendez-moi mon Eurydice, 
Ou laissez-moi perdre le jour." 
H a dit, et Tenfer propice 
Est touché par ses doux accords. 
Et la sévère Proserpine 
Que ce chant suave fascine 
Rend Eurydice à ses transports. 



OPE SUR LE JOUR DE SAINTE ciciLE. 227 

Beau triomphe de la musique ; 
Ainsi par son pouvoir imique 
Malgré le Styx, malgré le sort 
Elle put prévaloir sur Tenfer et la mort. 

VI. 

Tout glorieux de sa conquête 
Pour voir son Eurydice il retourne la tête 

Trop tôt, hélas trop tôt ! 
Elle tombe, elle meurt, elle meurt aussitôt. 
Maintenant à nouveau comment charmer la parque 

Attendrir l'infernal monarque ? 
Ton crime fut d'aimer! . . . Est-ce un crime d'aimer? 
Maintenant rien ne saurait le calmer, 

Au milieu des campagnes 
Sous le creux des montagnes 
Seul il promène ses douleurs, 
L'écho de l'Ebre 
Echo funèbre 
Kedit ses pleurs. 
Il appelle son ombre 
Et croit la voir dans la pénombre, 

Hélas ! 
Elle échappe à son cœur, elle échappe à ses bras ! 
Et dans son désespoir devenu misanthrope 

Parmi les neiges du Rhodope 
Il brûle, et puis soudain brusque comme les vents, 
Tl parcourt le désert, il franchit les torrents 

Et se rit des tourmentes. 
Chut ! Du cri des Bacchantes 
A retenti l'Hœmus. — Ah! voyez! il est mort ! 
Mais tout à l'heure encore il chantait Eurydice! 
Eurydice î ce nom dans son dernier accord 
n fit vibrer sa lyre, et l'écho son complice 
De répéter aux bois : Eurydice! Eurydice! 
Et les bois de le dire aux flots, et sans effort 
Les flots de dire aux monts: Eurydice! Eurj^dice! 

Q2 



228 l'amour i>e ta t^atttke. 

vir. 

Musique! oh! quel est ton pouvoir! 
Tu distrais le chagrin, calmes le désespoir, 
Tu sais nous émouvoir dans les jeux de Thalie 
Et nous faire trouver du charme à la folie ; 
Par tes tant doux accords tu sais nous rendre heureux, 
Et nous donner à tous un avant goût des cieux ! 

Ainsi pensa la divine Cécile 
Elle restreignit l'art à la louange utile 

Du Créateur, 
Quand l'orgue dans son plein s'unit soudain au chœur, 

Les Séraphins prêtent l'oreille, 
Vers un monde inconnu notre âme se réveille, 
Et pour mieux écouter ces chants mélodieux, 
Les Anges en extase abandonnent les cieux. 
Poètes, laissez-là les merveilles d'Orphée, 
De l'art du chant Cécile a conquis le trophée ; 
Orphée a fait surgir une ombre de l'enfer, 
Cécile élève l'âBie au plus haut de l'éther ! 



POTTS (MRS. ANNA H.). 
Morte en 1852. 

L'Amour de la Nature. 

Heureux, cent fois heureux celui dont l'âme pure 
Rêve au déclin des ans l'aube des premiers jours, 
Pour lui d'un pas égal a marché la nature 
Le souvenir lui rend la saison des amours. 

Il écoute au printemps chaque oiseau qui babille 
Avec ce même émoi qui fit battre son cœur, 
Lorsque, tout jeune encore, assis sous la charmille 
De la vie il suivait le mirage enchanteur. 



LES "POUEQUOi" d'un ENFANT. 229 

Il a connu la vie, et ses peineti amtres, 
Les soucis de la veille et ceux du lendemain, 
Du mirage il a vu s'écrouler les chimères 
Il a vu Tespérance échapper de sa main. 

Mais la douce fraîcheur de l'heure matinale 
En son cœur éprouvé fait renaître Fespoir; 
Son Jlme est épurée, et sa foi sans égale, 
Il vit . . . pour admirer le coucher d'un beau soir. 

Tel celui qui d'un roc dominant la nature 
Se plait à contempler un rivage lointain. 
Sans que des flots émus l'occupe le murmure, 
Mais bercé par ce bruit monotone et sans fin. 



Les '* Pourquoi" d'un Enfant. 

Enfance, il sort souvent de tes lèvres naïves 

De ces hardis "Pourquoi" qu'on veut résoudre en vain; 

Tu parles, et ta voix a fait jaillir soudain 

Le fiel de la mémoire en larmes fugitives. 

Je vis un jour une jolie enfant 
Sur les genoux d'un père appuyée, écoutatit, 
Sans paraître écouter, les leçons du bon père. 
Jamais à son auteur fiUe ne fut plus chère, 
Aussi jamais tableau ne fut plus ravissant. 
Tout entière au bonheur, la gente créature, 
Exempte de soucis, riait à la nature; 
Elle ignorait encore, en cet heureux printemps, 
Nos crimes et nos maux, nos plaisirs décevants. 
Ses mains, ses douces mains, par de tendres caresses, 
Des cheveux du vieillard lissaient les blanches tresses i 
Mais tandis qu'à ce jeu se complaisait son cœur. 
Soudain le front ridé la frappa de stupeur. 
^'Qu'est-ce donc," dit l'enfant, "que ces lignes livides? 



230 L'BNPAlfCE ET SES YISITEUBS. 

Dis, mon papa, pourquoi 

Ton iront n^a pas du mien le velouté dis-moi 

Pourquoi ces plis si laids? . . ." — "Ces plis? ... ce sont 

des rides! . . ." 
— "Des rides! ... qui les cause?. . ." — "Enfant, c'est la 

douleur, 
Les soucis, les chagrins, en un mot, le malheur !'* 

Alors laissant tomber ses paupières humides, 
La pauvre enfant voila ses yeux bleus si limpides, 
Puis elle dit: "Papa, quel est donc le malheur?'* 
Lui ne répondit point, mais pressa sur son cœur 

L'enfant aimé, ne voulant pas lui dire 
Que les pleurs sont voisins du plus riant sourire, 
Que les plus belles fleurs durent à peine un jour, 
Et que trop vite, hélas I les chagrins ont leur tour. 

Oh! béni soit le ciel qui de la tendre enfance 

A voulu pour un temps éloigner la 80uffi*ance. 

Pourquoi donc irions-nous, devançant le destin, 

De l'orage du soir efi&ayer le matin 

Le lis au blanc plumage, orgueil de la vallée. 

Pourquoi faire incliner sa tête désolée? 

Ne se peut-U donc pas qu'au moment du danger 

Quelqu'arbre bienfaisant lui prête son ombrage, 

Ou que Celui qui soigna son jeune âge, 
Ne lui trouve un abri fait pour le protéger? 



PRAED. 

Né en 1802— Mort en 1839. 

L'Enfance et ses Visiteurs. 

Mai venait d'essuyer les larmes 
Qu'un mois plus tôt versait Avrils 
Quand je vis l'Enfance aux doux charme» 
S'amuser à jeu puéril; 



L'BNPANC£ bt sbb tisiteubs. 281 

Sans savoir pourquoi, souriante, 
Heureuse, portant front joyeux, 
Pour moi sa vue était charmante, 
Car TEnfance a si jolis yeuxl 

Le temps dans sa rude colère 
Balaya Therbe du vallon, 
\\ tarit Peau, vive naguère, 
Broya le lis sous son talon; 
Mais il courait, courait si vite 
(Il allait détruire un tombeau), 
Que FEnfance . . . elle soit bénite! 
N^entendit rien . . . que son cerceau. 

Le crime à la lèvre moqueuse, 
Au front rugueux, à Toeil chafouin, 
A la démarche tortueuse, 
De cette scène fut témoin, 
Mais le- regard pur de TEnfance 
Mit en fuite ce noir démon. 
Qui s^en fut cacher sa jactance 
Dans la fange de son limon. 

Pour lors sous la forme d'un gnome 

Conmie on en rencontre à minuit, 

Surgit, redoutable fantôme 

La pâle fille de la nuit : 

" Bois ceci ! " lui dit la mégère : 

— "Mais quel est ton nom? " . . . — " La Douleur!" 

— "Je joue, et point n'ai soif, ma chère. 

Garde pour demain ta liqueur!" 

Puis après arriva la Muse 
Fière de ses talents divers, 
Qui coquette comme Aréthuse 
Fit jaillir tout l'or de ses vers; 



W2 LJL riBITÉ BT LA FOUBBEBIS. 

Mais malgré son brillant nmage 
L'EuûuAce lui tourna le dos, 
Saluant tout son verbiage, 
D^un superbe . . . neseio voet 

Puis après survint la Sagesse 
Qui lui confisquant son volant, 
Lui dit comment avec prestesse 
Surgit le grain, tombe le gland ; 
Puis le pourquoi de toutes choses. 
Qui sont sur terre, et même aux cieux ; 
Mais TËnlknce parmi les roses 
Déjà dormait de ses deux yeux* 

Sommeille en paix ô chère Enfance, 
Va, rhomme est moins heureux que toi^ 
Lui ne rêve qu'à Fopulence, 
A tous les plaisirs de son — '^Moi I'* 
Mab sur la couche où tu reposes^ 
Les songes descendent d'en haut 
Avec des fleurs fraîches écloses 
Ou doux souvenir qui prévaut I 



PRIOR (MATTHEW). 
Né en 1664— Mort en 1721. 

La Vjéeite et la Poubbebie. 

CONTE» 

Cebtaii} jour qu'il faisait *^ le plus beau temps du monde 
Pour aller à cheocd sw la terre et mr Vonde^'' 
La Fourberie et Dame Vérité 
Malgré la singularité 
Se promenaient ensemble à travers les prairies, 
Admirant tour à tour les bois, les bergeries, 



LA. T£BIT£ ET LA FOUABEKIE. 283 

Quand toutes deux pràs d^un ruisseau 
Arrivèrent enfin. — L'onde en son doux murmure 
D'un frais tapis de fleurs rehaussait la parure, 

£t les arbres penchés sur Teau 
Se miraient en silence épris de leur voussure. 
A l'aspect fortuit d'un si gentil tableau 
Ce fut un cri de joie, et nos deux voyageuses 
Près d'un hêtre touffii s'étendirent joyeuses. 
Là, selon leur instinct, gardant ou peu s'en fiiut, 

La qualité de leur défaut. 

Dans leur intime causerie 
L'une était Vérité — l'autre était Fourberie 1 
Tout à coup celle-ci: "Veux-tu, sœur Vérité," 

Car depuis son jeune âge 

Elle avait pris la liberté 
De l'appeler sa sœur; — "Veux-tu, dans ce bocage 

Sous ce tranquille ombrage 
Toutes deux nous baigner? L'onde est si claire ici: 
Et puis point de berger indiscret" — "M'y voici!" 
Dit la nymphe, et bientôt de sa robe de neige 
Se dépouillant, sans se douter du piège, 

D'im bond elle fut dans les eaux. 
Soudain la Fourberie ôtant ses oripeaux, 
Prit de la Vérité les blanches draperies. 
Et s'enfuit en riant à travers les prairies. 

C'est depuis ce fatal moment 
Que chez nous Vérité n'est plus que tromperie, 
Aussi de jour en jour voit-on la Fourberie 
S'implanter dans nos mœurs et plus profondément. 
Elle affiche partout faux soupirs, fausses larmes. 
Et recule de peur à de feintes alarmes; 
Au salon elle aura tout l'esprit d'un démon, 
La sainteté d'un ange à l'église — au sermon. 
Parlant avec aplomb, surtout faisant sans cesse 

Mille cancans aventureux, 
Par ses propos fallacieux 



284 LE 8BBIN-CHABD0NNBBET. 

Elle fait à la bourse et la hausse et la baisse. 
Et puis, désappointe, la poussez-vons à bout? 
Elle feint l'innocence et vous révèle tout. 
Ce qui n^empéche pas que bientôt à sa guise 
Et de Pierre et de Paul, et d^Emma, de Louise 

Des gens même les plus discrets 
Révélant— ou plutôt fabriquant les secrets, 

Toujours elle démonétise 
Qui passe sous sa langue, et rit de ses décrets. 

Tantôt selon sa fantaisie 
Abusant de l'esprit et de la charité, 

Elle feindra les pleurs, Tanxiété, 
Pour mieux vous égarer par son hypocrisie. 
Soufflant le chaud, le froid, parlant et contre et pour 
Mais parlant toujours faux, et la nuit et le jour. 

C'est ainsi que la Fourberie 

Dépouilla par un vol la pauvre Vérité 

De son unique et blanche draperie. 

Maintenant elle est nue à perpétuité, 

N'étant digne d'amour que poiur ceux dont la vue, 

Je le dis sans détour, ^ 

Est assez chaste pour 

Aimer la Vérité quoiqu' aussi peu vêtue I 



QU IL LIN AN (EDWARD). 

Né en 1791— Mort en 1851. 

Le Serin-Chardonneret. 

C'ÉTAIT au mois de Juin, à Parb, d'une cage 

Sur la Place du Carrousel, 

Notre oreille entendit sortir si doux ramage 

Que vrai, c'était surnaturel. 



LE SSBIK-CHABPONNEBET. 285 

Cent et quelques chanteurs entonnaient leur cantique 
.9 Car c'était la foire aux oiseaux, 

Mais un hybride brun de sa voix magnifique 

Mettait à néant ses rivaux. 

Il régnait souverain de par sa voix puissante 

Sur tous ces oiseaux à la fois, 

Son gosier sur eux tous tenait la dominante, 

C'était pour eux le Roi des Rois. 

Souventefois leurs chants sortaient comme une meute 

Pour dominer son chant rival. 

Notre chardonneret se riait de Témeute, 

Son rondeau vibrait sans égal. 

Son trône se trouvait au milieu de sa cage 

C'était une perche ma foi ! 

Son aile l'y portait, et ce trône je gage, 

Valait celui du Bourbon-Roi. 

Mais les oiseaux chanteurs aussi bien que les hommes 

A Paris ont même destin, 

Notre gloire d'un jour à tous tant que nous sommes 

N'a souvent pas de lendemain. 

Ce grand seigneur du chant, ce Dieu de la musique 

Le voilà contraint d'abdiquer, 

Et conduit de par nous en exil, notre Epique 

Dans nos monts se fait enfroquer. 

Comment s'en trouva-t-il ? Au changement peut-être 

D'abord son goût se révolta; 

Ces rochers, ces vallons, tout ce train-train champêtre, 

Et ces calmes bords du Rotha, 



286 LS SEBlV-CUi.BDONN£BST. 

Ne devaient certes pas lui rappeler la Seine; 

Mais n*étant pas Ovidéen, 
Pour pleurer à la fois, et le Tibre et sa scène, 

U chanta de nouveau sans frein. 

C'est qu'il avait trouvé dans sa gente nmîtresse 

Un cœur sympathique à son cœur, 

C'est qu'il avait trouvé cette délicatesse * 

Qui console de tout malheur. 

£t pourtant une fois comme au délire en proie 

Il s'en fut vers les pics aigus, 

Et la moitié du jour, s'énivrant de sa joie, 

Notre oiseau ne reparut plus. 

Nous le crûmes perdu,— car par delà la cime 

Des monts, planent les éperviers. 

Ils plongent bien souvent sur le profond abîme 

I^urs regards ardents, carnassiers. 

Ignorer le danger, c'est ignorer la crainte : 

Aussi fûmes-nous bien surpris 

Db l'entendre le soir s'annoncer sans contrainte 

Sur le mur, par son chant exquis. 

L'attente d'un moment, puis un mouvement d'aile 

Et zest ! il était encor pris! 

Il ne pouvait rester bien longtemps loin de celle 

Qui lui fit oublier Paris. 

Mais alors que sa voix ne se lit plus entendre. 

Que son sourire également 

Plus ne se vit, alors le gazouilleur si tendre 

Disparut insensiblement. 



BÉPOirSE A L*AMOTJBEUX BKHOER. 287 

Et puis de jour en jour, de semaine en semaine, 

En cherchant son amie en vain, 

Il languit de tristesse absorbé dans sa peine 

Dédaignant et millet et grain; 

Bien que de temps en temps il s^efTorça de plaire. 

Et de nous faire des mamours, 

Comme un remercîment de ce soin tutélaire 

Qui voulait prolonger ses jours. 

Enfin lorsqu^il mourut, c'était ce matin même. 

De mousse lui fis un linceuil, 

Et dût un Puritain me jeter l'anathème 

Je l'enterrai dans son cercueil. 



RALEIGH (SIR WALTER). 
Né en l552--Mort en 1618. 

RépoNSE A l'Amoureux Berger.» 

Si Pamour était jeune autant que sage, 
Si chaque berger avait ton parlage. 
Ces gentils plaisirs auraient mon concours 
Pour vivre avec toi comme tes amours. 

Mais le temps changeant du pic des montagnes 
Chasse les troupeaux, blanchit les campagnes, 
Quand mugit Fautan, quand le Rossignol 
Grelottant de firoid a perdu son sol. 

Quand périt la fleur, et que les prairies 
Au souffle d'hiver succombent flétries ; 
Ton si doux printemps, berger beau parleur, 
Soi^in disparait ; reste la froideur. 

* Voir " L'Amoureux Berger à sa Bergère," par C. Marlow, page 170 
du présent volume. 



288 LA TRAGÉDIE DE LA VIE. 

£t tes cotillons, et tes lits de roses, 
Tes souliers mignons, tes apothéoses, 
Pourris dans le vrai, de faux viciés. 
Se fanent bientôt, sont vite oubliés. 

£t For de tes blés, ta belle ceinture, 
Et tes boucles d*or, et ton émaillure. 
Tous ces plaisirs là sur moi n^ont pas cours 
Four aller vers toi comme tes amours, 

A quoi bon berger parler friandises, 

Et de plats d'argent ? ... ce sont des bêtises ; 

Cela seul est bon que le Créateur 

A su nous donner pour notre labeur. 

Si pouvait toujours durer la jeunesse. 
Si Tamour jamais n'avait de vieillesse, 
Je pourrais, berger, consacrer mes jours 
A vivre avec toi comme tes amours! 



La Tragédie de la Vie. 

De chaque homme la vie est une tragédie. 

De sa mère le sein est le commun foyer. 

Le monde est le théâtre où sa tête étudie, 

La scène est le pays oti grouille son fumier. 

Les rudes passions, la folie et le vice 
Sont les acteurs de ce drame-immondice. 

Le prologue est un cri qui n'a rien de charmant. 
Le premier acte assurément 
N'est qu'une froide pantomime. 
Ou passablement mal il mime ; 

Au second acte il pousse, et devient plus parfait, 
Au troisième acte il est homme, de fait, 
Joue au péché, parfois au crime ; 

Dans le quatrième acte il penche vers l'abîme : 



LE GAHiliEON. 239 

Au cinquième il est impuissant, 
Hargneux, malade, languissant, 
Puis la mort est son épilogue, 
Il finit par un cri, tout comme à son prologue. 



BAMSAY (ALLAN), 
Né en 1686— Mort en 1757. 

Le Caméléon. 

Deux voyageurs qui cheminaient 

Sur le Caméléon causaient. 

(Il est parmi nous bien des hommes 

Prétendant au nom de Prud'hommes 

Qui s'imaginent qu'avoir vu 

Est un brevet pour être cru) ; 

" C'est bien un animal étrange" 

Dit l'un, " et qui n'a rien d'un ange, 

Petit corps, tête de poisson, 

Quatre pattes et longue queue, 

Marchant moins bien qu'un limaçon, 

Et puis en sus de couleur bleue." 

— " De couleur bleue? . . oh que non ça," 

Dit l'autre, " sa couleur est verte, 

Je l'ai vu de mes yeux, oui-dà, 

Et je puis bien l'affirmer certe, 

n se prélassait au soleil 

Et dînait d'air et de sommeil." 

— " Faites excuse, mon compère, 

Dans l'ombre je l'ai vu naguère. 

Et je le répète. ..il est bleu." 

— " Il est vert, j'en suis sûr, morbleu I " 

— " Vous en avez menti, canaille l " 

— " TaiS'toi, fils d'une rien qui vaille.! " 



240 LE CAMÉLÉON. 

Des paroles nos deux vilains 

Etaient prêts d'en venir aux mains, 

N'était que dans la conjoncture 

Un tiers arriva d'aventure, 

Qui les hélant d'un : " Hé là bas ! 

Cessez donc cette kyrielle, 

Animaux ne vous cognez pas 

Avant que de votre querelle 

Je puisse apprendre le motif. "^ 

— " Par ma foi, je vais vous le dire." 

Dit l'un, "je ne suis pas fautif, 

Je prétends, voyez vous, Messire, 

Que le Caméléon est bleu. 

Et lui veut qu'il soit couleur verte, 

Tant est que pour ce désaveu 

Entre nous la guerre est ouverte. 

Et maintenant que dites- vous ? 

Lequel a raison ? jugez-nous." 

— " Vous juger ! " répondit l'arbitre, 

" A moins d'être sot comme une huitre 

La chose est facile — Il est noir ! 

Hier, moi je l'ai vu le soir 

Et fort bien je me le rappelle, 

A la clarté d'une chandelle, 

Ainsi vous avez tort tous deux. 

Ne craignez anguille sous roche, 

Vous dirai -je, ici dans ma poche 

J'en possède un, c'est curieux. 

Alors vous en croirez vos yeux ?" 

— " Ah bah ! je refuse d'y croire, 

Tout cela n'est que du grimoire," 

Dit le second des disputeurs, 

** Allez chercher dupes ailleurs ; 

Moi je gagerais mes oreilles 

Qu'il est vert, et vert de bouteilles." 

— " Et moi, mon âme pour enjeu 

Que le Caméléon est bleu ! " 



LA VIE HUMAINE. 241 

— " Il est noir ! entêtés," vous dis-je, 
Répond le juge aux deux plaideurs, 
" Tenez, yoyez plutôt. Messieurs, 
n est noir !".... Mais non ô prodige ! 
Le Caméléon était blanc. 

Notre animal d^un parler franc 

Les apostropha de la sorte : 

*^ Vous raisonnez comme un cloporte, 

Vous avez tort, et tort tous trois. 

Et tort et raison à la fois, 

Allez plus loin faire tapage 

Et ne criez pas davantage : 

Car sachez-le, Tceil du prochain 

Peut être aussi vif, aussi sain, 

Aussi clairvoyant que le vôtre. 

Pourquoi jouant le bon apôtre, 

S^imaginer que le voisin 

Baissera pavillon soudain 

Devant votre judiciaire 

S'il croit avoir vu le contraire ? 

Chacun de vous voit à son point, 

Or, c'est commettre une bévue 

Que croire à chacun même vue .... 

Ne voit bien que qui voit à point !" 



R0GER8 (SAMUEL). 

Né en 1762— Mort en 1855. 

La Vie Humaine. 

Il est midi. L'abeUle a déjà clos ses yeux 
Et l'alouette a dit sa chanson dans les cieux. 
Le vallon retentit des cloches du village, 
Et dans le vieux castel tout est joie et tapage, 
Car la coupe au brauei ûiit sa ronde à Tentour, 
Et de joyeux propos circulent tour à tour ; 

R 



242 LA TI£ HUKAIKE. 

Au berceau de Tenfant on fait une prière, 

De l'enfant endormi, douce image du père. 

Encore quelques ans, il redira ce bruit 

Et bien-yenue au jour et liesse à la nuit, 

Tant vite, impatient de fournir sa carrière, 

L*enfant devient jeune homme, et puis époux et père. 

Alors rénorme bœuf offiîra Taloyau, 

Et Vole sortira mousseuse du tonneau, 

Tandis que se chauâant au vaste feu de Pâtre, 

De son ancien poupon la nourrice idolâtre, 

A tous les écouteurs et d^un air triomphant 

Racontera les faits et gestes de Tenfant, 

Comment il souriait, ou disait la prière, 

Et comment il Taimait, conmie il aimait sa mère ! 

Mais bientôt la musique aux plaines, aux vallons 

Ira porter les sons si gais des violons, 

Et soudain du château sortira le cortège, 

Et du blanc nuptial les vêtements de neige, 

Et des chants de bonheur s^élèveront aux cieux, 

Et partout Ton verra les jeunes et les vieux 

De fleurs joncher la terre en joyeuses offrandes, 

Puis à leurs toits de chaume enlacer des guirlandes. 

Et puis de regarder ce spectacle si beau 

De jeunes mariés, pour eux toujours nouveau ; 

Tandis que ses beaux yeux inclinés vers la terre, 

La jeune épouse à Dieu murmure une prière. 

Un jour qui n^est pas loin, de la tour du beâroi 

Hélas I une autre voix fera naître Témoi, 

Lorsque chaque habitant à la douleur en proie. 

Par de nombreux sanglots couvrira cette joie, 

Lorsque de son castel il passera le seuil 

Porté par ses enfants qui conduiront le deuil, 

Pour aller à jamais dormir avec ses pères. 

Et dans la terre sainte oublier nos chimères. 

Telle est la vie humaine, elle s'écoule ainsi. 
Météore elle brille, et puis s'éclipse aussi ! 



OD£ SUE LA SOLITUDE. 243 

R08C0MM0N (COMTE DE). 

Né en 1633— Mort en 1684. 
Ode sur la Solitude. 

I. 

Salut à toi Solitude sacrée 
De ce tranquille port à Tabri de Borée, 
Moi je prends en pitié le monde et ses grandeurs, 
Sensible aux maux d^autrui, sensible à ses douleurs, 
Je plains ces malheureux de tout rang, de tout âge, 
Qui remplis de vigueur font cependant naufrage, 
Les uns sur les rochers d^Espérance, de Peur, 
Les autres sur les rocs de Folie ou Malheur, 
Ballotés tout d'abord, puis dans un précipice 
Tous perdus sans retour sur Tabîme du Vice. 
La malice des Grands, quelque fatal destin 
Les firent dévier un jour du droit chemin. 
Mais de ces malheureux, certes, le plus grand nombre 
D'une firagile excuse, hélas! ils n'ont pas l'ombre, 
La vertu leur parlait et leur dictait un choix. 
Mais d'appétits brutaux étant sous le servage. 
Les entêtés! ils font jabot de leur naufrage. 
Et sont autant que sourds aveugles à la fois. 

n. 

Salut à toi Solitude sacrée, 
Que l'on goûte si bien sous la voûte azurée! 
Tu rends l'âme plus forte, et plus calme le cœur, 
Tu sais dompter l'orgueil, et mater la douleur. 
Ton repos étemel, ta douce quiétude 
Donnent on avant-goût de la béatitude; 
Jamais l'amour ne vient de ses transports fougueux 
Troubler l'aimable paix de ces paisibles lieux. 
Jamais on n'y connut ce funeste alliage 

R 2 



244 ODE XIII DE JOHN SCOTT. 

De crainte ou jalousie ; on y vit, mais en sage ; 

Et cependant j'admire aussi ce noble amour 

Qui par delà le ciel va chercher un séjour, 

J*admire Tamitié, sa platonique flamme 

Emeut toujours mon cœur, et réchauffe mon âme, 

Car avec mon ami je suis un, toujours un, 

L'amour voluptueux multiplie au contraire, 

On peut dire de lui que les deux font la paire. 

Biais nos deux cœurs sont un^en eux tout est commun. 



1 
III. 



Dans ton repos, Solitude sacrée 
Sans cesse coule à flots, à puissante marée 
Tout le bonheur que Thomme ici bas peut rêver. 
Tout ce qui peut charmer Tesprit, le captiver, 
Tout ce qui peut nous mettre à Tabri des orages. 
Tout ce qui peut enfin nous rendre heureux et sages. 
Et puissé-je toujours sur ce mol édredon 
Passer en paix mes jours dans un doux abandon. 
Jusqu'au moment promis où seule et sans escorte 
L'inévitable mort viendra pousser ma porte. 
Et sans plus de façon soulevant le loquet. 
M'emportera soudain^ dans plus riant bosquet. 



SCOTT (JOHN). 

Né en 1730— Mort en 1783. 

Ode Xin. 

Je hais le bruit discordant des tambours 
Qui vont roulant, roulant, roulant toujours, 
De la jeunesse à peu prés sans cervelle 
Leurs roulements vont stimuler le zèle. 



CHAIfT DU SOMMEIL. 245 

Et de la ville et des champs les nigauds 
Pour du galon vendent soudain leurs peaux, 
Puis quand la voix de leur chef le commande 
Loin du pays ils vont mourir par bande. 

Je hais le bruit discordant des tambours 
Qui vont roulant) roulant, roulant toujours ; 
Car il me montre en son affi-eux langage 
Destruction, incendie, et pillage. 
Membres broyés, gémissements et cris, 
Pleurs incessants de veuves et de fils. 
En tout ce que ce grand fléau, la guerre, 
Peut enfanter d'horreur et de misère! 



SCOTT (SIR WALTER). 
Né en 1771~Mort en 1832. 

Chant du Sommeil. 

une nourrice a son nourisson orphelin. 

Oh I sois tranquille, enfant, dors cher petit enfant, 

Vois-tu ton père était Chevalier guerroyant. 

Et ta mère une grande et belle Châtelaine, 

Et ce château, ces bois, c'est pourtant ton domaine ! 

Cher petit, fais dodo. 
Tout dort, tout jusqu'à l'écho, 
Fais dodo, 
A gogo. 
Sur mes genoux fais dodo. 

Que le bruit du clairon no te mette en émoi. 
S'il résonne si fort, c'est pour veiller sur toi ; 



246 CHAUTS d'abiel. 

Les arcs seraient tendus, rougis seraient les g^tes, 
Ayant qu^on ennemi puisse troubler tes rè^es. 

Cher petit, £ûs dodo. 
Tout dort, tout jusqu^à Técho, 
Fais dodo, 
A gogo, 
Sur mes genoux fais dodo. 

Sois tranquille £eui£eu[i, bientôt viendra le jour 
Où ton sommeil sera troublé par le tambour, 
Sois tranquille, mignon, dors avec quiétude, 
Plus tard viendra la guerre, et son labeur si rude 1 

Cher petit, fais dodo. 
Tout dort, tout jusqu'à Técho, 

Fais dodo, 
A gogo, 
Sur mes genoux fais dodo 1 



SHAKESPEARE (WILLIAM). 

Né en 1564— Mort en 1616. 

Chants d'Abiel. 

From the " Tempest^ 

Venez vers ces sables d'or, 
Prenez-vous la main encor, 
Puis avant d'entrer en danse, 
Faites- vous la révérence, 
Embrassez-vous, la vague aux échos le dira 
Alors dansez gentiment en cadence, 
Tralaridera— Tralaridera ! 



k 



LA JEOTESSS ET LA VIEILLESSE. 2é7 

Et VOUS tous doux Esprits jetez à Tatmosphère 
Le refi-am. Ecoutez ! — écoutez: ^^ Ouaah, ouaah, ouiuJi I " 
Les chiens abojent. — Chut! écoutez : '^ Ouaah, ouaah, ouaahl ^^ 
Chut I écoutez, vous dis-je : ah! voici la lumière, 
Le chant du coq fait retentir Técho— 

" Coricoco ! " 



Ton père gît au fin fond de Fabîme, 
Ses os sont du plus dur corail 
Ses yeux des perles ont rémail, 
Rien de lui ne périt, sous le flux maritime 
Son corps devenu cristallin 
Comme un écrin éblouit sa demeure. 
Les nymphes de la mer chaque jour, à chaque heure 
donnent son glas. — Chut I chut ! — entends-les : " Drin, drin, 
drin ! " 



OÙ Tabeille gourmande aime à sucer, je suce. 

Dans le sein de la rose aussi je me blottis, 

Quand volent les hiboux ; et par gentille astuce 

Je vole sur le dos de la chauve-souris 

Al Taffût de Tété. — Puis comme elle je fuis . . . 

Et gaîment, bien gaîment, je vis comme un bon drille, 

Sans souci, sous la fleur qui sur Tarbre pendille I 



La Jeunesse et la Vieillesse. 

La Vieillesse chagrine et la Jeunesse ardente 
Ne sauraient vivre ensemble un jour ; 
La Jeunesse est toute à Tamour, 
Et la Vieillesse à l'épouvante ; 

La Jeimesse ressemble à Tété radieux, 

La Vieillesse au temps hiverneux. 




248 LE NUAGE. 

Comme Tété la Jeunesse est pimpante, 
CoDune rhiver la Vieillesse est dolente. 
La Jeunesse est folâtre et de tout se fait jeu, 

La Vieillesse manque de feu. 
Jeunesse est fort ingambe et Vieillesse est boiteuse ; 
La Jeunesse hardie est de plus chaleureuse, 

La Vieillesse en tout temps a froid, 

La Jeunesse est impétueuse. 
Mais la Vieillesse est flasque et son esprit décroît. 

Vieillesse va ! je te déteste I 
Je t'adore Jeunesse, en mon cœur tout Fatteste ! 
Oh ! mon amour pourquoi t^être éloigné de moi I 
Du haut de ma grandeur Vieillesse te regarde, 

Et je t^envoie à la Camarde 1 
Oh ! tu tardes Berger I je t*attends, hâte-toi 1 



SHELLEY (PERCY BYSSHE). 

Né en 1792--Mort en 1822. 

Le Nuage. 

I. 

Des ruisseaux et des mers 
J'apporte un bain de pleurs à la fleur embaumée ; 

De mes hauts belvéders 
Je porte une ombre douce à la feuille pâmée. 

J'éveîUe le bouton 

Quand dans le molleton 
Sur le sein de sa mère il berce sa pensée, 
En tombant goutte à goutte en humide rosée. 
Je fouette la grêle et par monts et par vaux, 

Et soudain je blanchis la terre. 
Et puis me ravisant, j'en forme des ruisseaux 
Et lui rends sa verdure en dépit du tonnerre. 



LE iniAGE. 249 



II. 



Bien au-dessus de moi 
Je tamise la neige, et les hauts pins gémissent ; 

Et la nuit, comme un Roi 
Sur cet oreiller blanc mes membres s^assoupissent. 

Dans les castels de Pair 

Mon pilote, Téclair, 
Se tient, muet sublime, observant le tonnerre 
Qui s^agite en dessous comme un foudre de guerre ; 
Lors à travers la terre, à travers Tocéan 

Bien doucement mon pilote me guide. 
Prenant quelquefois son élan, 
Soit vers les rocs aigus, soit vers quelqu' Atlantide, 
En quête où les Esprits assemblent leur divan, 

Où plane leur fluide ; 
Jusqu^ à ce qu^il soit sûr, sous un torrent, un mont, 

D'avoir trouvé l'Esprit qu'il aime ; 
Et moi, pendant ce temps, je me chauffe au plafond 
Du ciel bleu ; — cependant qu'il se dissout lui-même I 



III. 

Le lever du soleil 
Avec ses réseaux d'or, ses yeux de météore. 

M'arrache à mon sonmieil. 
Quand l'étoile au matin dans l'azur s'évapore. 

Tel sans craindre aucun choc 

L'aigle peut sur un roc 
Ebranlé par la terre, asseoir son envergure. 
Et de son œil de feu visager la nature. 
Et lorsque fatigué de sa course du jour 
Le soleil radieux dans l'océan se plonge. 
Exhalant ses ardeurs de repos et d'amour, 

Et que le soir vient et s'allonge, 
Moi, faisant de mon aile im suave abat-jour. 
Je dors comme un oiseau bercé par un doux songe. 



250 LE KtTAOB. 



IV. 



Cette vierge aux feux blancs 
Que rhomme, en son jargon, appelle ainsi — la lune, 

Se glissant sur mes flancs 
£ki tapinois, parcourt ma transparente dune ; 

Et partout où bruït 

De ses pas le doux bruit, 
De mon toit de vapeurs brisant la contexture 
Les étoiles soudain de montrer leur figure ; 
Et je ris de les voir chacune cligner Toeil 

Comme feraient franches coquettes, 
Et pour les exciter j^ëlargis mon linceuil, 

Et laisse passer les pauvrettes, 
Jusqu^ à ce que les lacs, et la mer, et recueil. 
Tout soit enfin pavé de brillantes facettes. 

y. 

Avec chaînons d'or pur 
J'attache le soleil à la zone brûlante. 

Et la lune à l'azur 
En roulant en anneaux la perle éblouissante ; 

Les volcans sont blafards, 

Les étoiles brouillards. 
Lorsque les tourbillons déployant ma bannière. 
Comme un soudain typhon je voile l'atmosphère. 
Oh I quand je marche ainsi, j'ai pour char triomphal 
Les Puissances de l'air. Neige, Grêle, Tonnerre, 
De mon fougueux coursier l'univers est vassal ; 

Mais bientôt renaît la lumière, 
L'arc aux mille couleurs allumant son fanal 
Vient éblouir le ciel et riyeunir la terre. 

VI. 

De la terre et de l'eau 
Je suis fils ; — mais au ciel j'ai fixé ma demeure ; 

Et semblable à l'oiseau 



SUB LA CHUTE PB BONAFABTE. 251 

Dans les couches de Tair je me baigne à toute heure. 

Je change à chaque instant 
Et sans mourir pourtant^ 
Car alors que, brillant, le ciel après la pluie 
S^empresse de sécher mes larmes qu^il essuie, 
Et qu*il bâtit soudain le dôme bleu de Tair, 

Soudain aussi comme un vampire 
Je sors de mon tombeau. — Puis plus prompt que Téclair, 
Je jette à bas le dôme... au milieu d^un fou rire 1 



Sentiments d'un Républicain sur la Chute de Bonaparte. 

(1816.) 

^ Her safetj sits not on a throue, 
With Capet or Napoléon; 
But in eqnal rights and laws, 
Hearts and hands in one great cause.'* 

BTBON. 

A TOI tyran tombé ! . . . — Je t'abhorrai toujours, 
Et toujours j'ai gémi de te voir, vil esclave. 
Souiller la Liberté de ta sanglante bave. 
Et danser sur sa tombe au bruit de tes tambours. 
Tu pouvais de ton trône assurer la durée. 
Sur les droits de chacun faire asseoir tes drapeaux. 
Monstre! tu préféras déchirer en lambeaux 
La Liberté, ta mère ... et sonner la curée. 
Moi, je priais le ciel que pendant ton. sommeil 
Eapine, Trahison, Massacre, Peur, Luxure 
Vinssent à ton chevet pour pimir ton parjure, 
Et sous leurs pieds vengeurs étouffer ton réveil. 
Mais je sais aujourd'hui que tu descends du trône, 
Et que d'une île au loin nous te jetons l'aumône, 
Que la vertu finit par triompher du mal. 
Et prévaut sur la force et le crime légal ! 



252 L* AUTOMNE. 



L'Automne. 



V 



CHANT FUNEBRE, 

Le chaud soleil n^est plus; froide gémit la bise, 
La fleur pâle se meurt, et la branche agonise ; 

Le vieil An 
Enfonce en son linceuil sa tête déjà grise, 
Et sous la feuille morte, en demiôre analyse, 
Se laisse ensevelir au souffle de Tautan. 

Oh ! Mois venez- vous en, 
Et Novembre et Décembre, 
Janvier, Février, Mars, Avril jusques à Mai, 
Venez, et vous couvrant de cendre. 
Sur le corps du défunt chantez un triste lai: 
Des ombres de vos jours faites triple hécatombe. 
Et que leurs spectres froids veillent près de sa tombe. 

Le vent froid souffle, souffle, et le ver en rampant 
Se traîne sur le sol, et va clopin, dopant. 

Le Tonnerre 
Pour le vieil An défunt s'en va partout frappant 
Son glas funèbre, et court galopant, galopant 
Eveiller, effrayer les échos de la terre. 

En sursaut les happant. 

Plus aucune hirondelle. 
Plus de gentils lézards; venez Mois, tous les Six 

Au deuil que chacun soit fidèle. 
Sur le corps du vieil An chanter Deprofundis; 
Vous rendrez verts, de pleurs si votre œil n'est pas sobre, 
Mai, Juin, Juillet, Août, Septembre et même Octobre! 



A riTE ALOITETTE. 253 

A UNE Alouette, 

Salct Eéprit joyeux! 
Car d^im oiseaa ta n*as qae rapparence, 
Qm nous verse des deux 
Avec tant d abondance 
Des torrents dliarmonie et des flots de cadence. 

Pins hant, plus hant encor 
D^nn bond, d*an vol ta t'élances de terre, 
Comme on noage d^or, 
Et Fazar est la sphère 
D^où ta Yoîx en chantant nous jette nne prière. 

Dans Téclat flamboyant 
De ces rayons qm dorent les noages. 
Toi tu coars en favant 

m 

Parmi tons ces rivages, 
Comme on éclair de joie à travers les orages. 

La limiière dn soir 
Se fond aotoor de ton vol qni se voile; 
Comme sons on ciel noir 

S'étiole rétofle 
Invisible à l'œil na, — ton doax chant se dévoile. 

Ton doux chant pénétrant 
Comme la flèche il monte, il monte et file, 
Dans son cours ascendant 
Agile et pins agile 
An plus haut de la sphère oik tiens ton domicile. 

Le ciel, la terre et Tair 
Ta les remplis de tes sons si soaves, 
Ainsi par un temps clair 
La lune sans entraves 
De ses reflets d'argent rend les ombres esclaves. 




254 A UNE ALOUETTE. 

Quelle es-tu? ... Ne le sais, 
A quoi peux-tu ressembler davantage? 
Au bel arc-en-ciel? . . . Mais 
n ne pleut du nuage 
Perles plus pures que celles de ton ramage! 

Comme l'esprit divin 
De ce poëte aux profondes pensées, 
Improvise sans fin 
Des chants, des Odyssées, 
Pour exciter Tëmoi des âmes affaissées : 

Comme en un vieux castel 
On voit souvent fille de haut lignage 
Pour un beau damoisel 
Soupirer doux langage. 
Pour charmer les ennuis d'un long et dur servage : 

Comme un beau ver luisant 
Dans un vallon, de sa voûte boisée 
Répand, resplendissant, 
Sa lumière irisée 
Parmi fleurs et gazon humides de rosée : 

Comme dans un bosquet 
Sous les doux plis d'un manteau vert, la rose 
Laisse ouvrir son bonnet 
Par le vent qui tout ose, 
Jusqu'à ce qu'écœuré le gourmand se repose : 

Le son délicieux 
Des gouttes d'eau que le printemps déverse, 
Qui descend tout joyeux 
Sur la fleur et la berce 
Ne vaut pas la chanson que ton gosier nous verse. 



A UNE ALOUETTE. 266 

Esprit, Oiseau, Lutin 
Donne-nous donc la clé de ton ramage : 
Jamais du Dieu du vin 
Ni de Tamour, je gage, 
Je n^entendis Pâoge en si gentil langage. 

De rhyménée un chœur, 
Ou bien encore un beau chant de victoire, 
Ne satisfont le cœur 
D'un nombreux auditoire. 
Comme les chants divins de ton gai répertoire. 

Dis! quels sont les objets 
Qui de tes chants inspirent les cantiques? 
La fraîcheur des bosquets 
Et leurs ombres mystiques 
En£Euitent-elles, disi tes gammes chromatiques? 

Sans chagrins, sans soucis, 
De la langueur ignorant la soufirance, 
Dans ton doux gazouillis 
Tu chautes Tespérance, 
Jamais pour toi Famour n^ent trop longue existence. 

Tu connais sur la mort 
Lorsque tu dors, on bien lorsque tu veilles. 
Bien plus que nous le fort 
De ses tristes merveilles, 
C'est ce qui rend ton chant strident à nos oreilles. 

En arrière, en avant, 
Nous regardons pour percer un mystère 
Qui nous fuit bien souvent; 
Notre rire éphémère 
Alourdi de douleur, est parfois léthifère ; 



256 LA PHILOSOPHIE DE l'aMOUB. 

Pourtant si notre cœur 
Pouvait n*avoir orgueil, ni peur, ni haine, 
Et si notre œil d'un pleur 
Méconnaissait la peine, 
Tu serais de la joie encor la Souveraine! 

Oui, ton rhythme enchanteur 
Pour le poëte aurait mieux de quoi plaire, 
De quoi charmer le cœur, 
Que tout le luminaire 
Qu'on trouve épars parmi les auteurs de la terre! 

Bien vite enseigne moi 
Rien que moitié de ta verte allégresse. 
Alors dans mon émoi 
Bondissant de liesse, 
Le monde admirera mes chants et leur richesse ! 



La Philosophie de l'Amour. 

L'eau va toujours à la rivière, 
Et la rivière aussi va s'unir à la mer; 

Du sommet de leur belvéder 
Les vents du ciel se font la cour à leur manière. 
Rien au monde n'est seul; à chacun un lien, 

Et tout, par une loi divine. 

Vers un quelque chose s'incline, 
Voilà pourquoi mon mien veut se fondre en ton tien. 

Regarde comme les montagnes 
Baisottent le ciel pur, et mutuellement, 

Comme les vagues tendrement 
S'étreignent tour à tour : — et comme à ses compagnes 
La fleur fait les doux yeux. Le soleil tout de feu 

De ses rayons baise la terre, 

La lune baise la rivière, 
Puisque tout est baiser, — il m'en faut un morbleu! 



CAUSERIE AVEC LE TEMPS. 267 



SIGOURNEY (MRS. LYDIA HUNTLEY). 



Causerie avec le Temps. 



I. 

^^ Vieux bon homme de Temps à la mèche grisâtre 

Viens ça, mon pauvre vieux, viens ça près de mon âtre, 

Sur ce clou dans le coin là bas suspends ta faux, 

Et tandis que Tannée argenté ses cristaux, 

Sous ce ciel hivemeux raconte moi Thistoire 

Des derniers douze mois, je te promets d*y croire.'* 



II. 

— "J'ai pris le jeune enfant bercé sur les genoux, 
Et la nouvelle épouse aux bras de son époux; 
Me trouvant un beau jour d'une humeur joviale 
D'un superbe vaisseau moi j'ai troué la cale 
Et je l'ai submergé pour mes menus plaisirs; 
J'ai couché le vieillard épuisé de soupirs. 



III. 

" J'ai fait courber le fort, j'ai secoué la pierre 
D'un fier et vieux donjon qui se drapait de lien*e; 
En mêlant de la neige à l'or de ses cheveux 
De la vierge soudain j'ai fait rougir les yeux; 
J'ai fait disperser l'or que le riche accapare, 
Et donner à des gueux les trésors de l'avare." 



s 



258 CAUSEJITE AYEO LE TEMPS. 



IV. 

— "Est-ce tout ton budget? — Derrière ton rideau 
N'est-il que cœurs brisés, que marbres de tombeau?'* 
— "Non. J'ai fait pour Tamour et ses métamorphoses 
Surgir de bien doux chants, de beaux bosquets de roses; 
J'ai créé le laurier pour le front du vainqueur, 
Et pavé le chemin tracé par la vapeur. 

V. 

"Tenez, voyez l'enfant, il sut par moi naguère 
Ce doux mot qu'il bégaye aux genoux de sa mère ! 
Tenez, voyez le sage, il puisa dans mes yeux 
Ces généreux pensers qui l'emportent aux cieux! 
Tenez, voyez le saint, plus je marche, ô miracle! 
Plus il s'approche lui du très saint tabernacle! 

VI. 

"J'ai semé dans les cœurs le germe des vertus 
Qui porteront leurs fruits au séjour des élus; 
J'ai pris soin d'essuyer au chagrin mainte larme, 
Et j'ai su le bercer et souvent avec charme, 
Est-il rien de plus beau j'en appelle à ton cœur, 
Qu'adoucir le chagrin, qu'amoindrir la douleur?" 

VII. 

Soudain sonna minuit au clocher du village, 
Prenant son sablier sans poser davantage. 
Il s'en fut à grands pas reprendre son chemin ; 
Je le laissai partir sans lui presser la main. 
Car il serrait sa faux d'une nerveuse étreinte. 
Et son œil du destin avait la triste empreinte. 



IiES ELEUBS DES ALPES. 259 



Les Fleurs des Alpes. 

BuR ces rocs escarpés où logent les terreurs, 
Vous qui vivez là haut simples et gentes fleurs. 
Dites, d'où venez- vous? . . . Un ange aux ailes blanches 
En ce séjour affi*eux des avalanches 
A-t-il exprès placé votre berceau? 
Ou par un prodige nouveau 
Rendant à la pitié le glaçon accessible 
Lui dit-il, de par Dieu, d'être pour vous sensible, 
Et de vous bercer de ses pleurs ? 
Dans ce palais de marbre 
Nul arbuste, nul arbre 
N'oseraient essayer de braver les rigoeim 
D'une si terrible atmosphère; 
Même le pin polaire 
N'y lève pas son front de vétéran, 

Et vous malgré Tautao, 
Appuyant votre jooe à la glace brillante. 
Vous élevés au ciel votre tète charmante. 

Pour regarder le Grand Ordonnateur 
Qui vous dît de fleurir dans ces lieux sans chaleur. 
L'homme qui, haletant, sur ces pics s'aventure 
Vers ces gouffres pissants où siège la froidure, 

Où l'cail épouvanté 
Considère l'abîme où dort l'Eternité, 

S'il lève au del sa paupière fébrile, 
Lors apperçott votre beauté tranquille, 
Fragile, mais sans crainte; — aussi n'a-t-il plus fieur; 
Dans peu, malgré le frx)id, il atteint la hauteur 

Où vous vous étalez brillantes, 
n se penche ver* vous, vomi cueille étincelantes, 
Vous presse sur son cœur, pois humant votre esprit, 
Du ciel son penser libre a touché le zénith ! 



8 2 



260 DAVID. 



SMART (CHRISTOPHER). 

Né en 1722— Mort en 1778. 

David. 

Noos insérons le poëme qn'on va lire dans le présent volume pour 
racheter la promesse par nous faite dans un de nos prospectus de com- 
prendre David dans les " Beautés." 

Smart connu par quelques odes très remarquables sur l'Omniscience 
de Dieu, sur l'Eternité, et par quelques fables d'un tour original, com- 
posa le poëme de David alors qu'atteint d'aliénation mentale, il avait 
été placé par sa famille dans une maison d'aliénés. N'ayant à sa 
disposition ni papier, ni plume, ni encre, il en inscrivit les principales 
strophes sur les vitraux de sa cellule avec une sorte de poinçon qui 
avait échappé aux recherches de ses gardiens. Plus tard revenu à la 
raison, U coordonna son œuvre placée très haut dans l'estime de 
quelques critiques Anglais, et très bas dans l'estime de quelques autres. 
C'eut été pour nous rendre aux avis à nous donnés, très bénévolement 
nous aimons à le constater, par ces derniers critiques, que nous eussions 
écarté ce poëme de notre collection; — mais Promesse oblige! Et nous 
savons que l'absence du David de Smart serait regardée comme une 
perte par quelques uns de nos souscripteurs. Or c'est à nos quelques 
souscripteurs que nous sommes redevables de pouvoir publier le présent 
ouvrage, et nous ne sommes pas du tout disposé à nous montrer ingrat 
envers eux. 

GRAND prophète ! ô Toi qui sièges sur un trône, 
Avec ta, harpe au ton de la c^este zone 

Pour célébrer le Roi des rois! 
Et dont la voix toujours sublime, harmonieuse, 
S'en va par Punivers résonner glorieuse 

Comme le cor au fond des bois: 

Afin de vous bénir vallons, forets et plaines, 
Et rassembler aussi les anges par centaines 

Autour des célestes lambris; 
Et de tenir les jours sur la sainte montagne, 
Et renvoyer Tannée en fin de sa campagne 

Avec danses et chants exquis: 



i 



DAVID. 261 

O serviteur de Dieu! ministre des louanges 
Que chantent au Seigneur et la terre et les anges, 

Qu'à présent tu peux recevoir ! 
Ecoute des hauteurs de ta maison sublime 
Des cieux superposés qui domine la cime, 

Le chant qu'envoie à ton manoir. 

Grand, vaillant et pieux, bon et pur d'alliage. 
Contemplatif, serein, constant, aimable et sage, 

Et dans le péril prompt et fort; 
Vive émanation d'une grâce suprême. 
Des hommes le meilleur, et le plus noble emblème 

Du labeur menant l'homme au port : 

Grand — ^par l'éclat du trône — éclat souvent sans borne. 
Du sage Samuel aussi de par la corne. 

Du peuple et de Dieu par la voix : 
Car la troupe en entier avant, arrière-garde 
Applaudit, étreignit en toi l'homme et le barde 

Dont Dieu lui-même avait fait choix. 

Vaillant — un mot, un seul enflammait ton courage. 
Un combat suffisait pour porter le ravage 

De Dieu parmi les ennemis; 
Tu t'annais d'une fronde et d'une foi superbe, 
Et contre le vantard d'un caillou pris dans l'herbe, 

Et le vantard était occis. 

Pieux — généreux, grand — ^grand surtout par l'exemple, 
Ce fut lui, le premier, qui fit le plan du temple, 

(Séraphin qu'il était de cœur !) 
Le premier à bénir les heureuses nouvelles, 
Le premier à gémir de saintes kyrielles, 

Puis à rendre hommage au Seigneur. 



262 DAVID. 

Bon — foncièrement, — d^excellente nature, 
Et du meilleur limon que Dieu fit, chose sûre, 

Oui, certes^ tel il fut toujours; 
Plaindre et puis pardonner, sauver fut sa morale, 
Témoin de Seméï la flèche peu brutale, 

Et d^Engaddi le loi^ parcours» 

Pur — si la pureté provient de la prière .... 
Pur et rempli d^amour — et qui du jeûne austère 

Savait supporter la rigueur; 
Pur de gestes, de mains, très habile à la danse, 
A jouer de Tépée^ à manier la lanoe 

Surtout à chanter le Seigneur! 

Sublime — d'un âian de géante éloquence. 
D'une conception d'une immense puissance) 

Son étemel thème étant Dieu 1 
Aux extases d'en haut des notes dârobées» 
Belles étoiles d'or sur la terre tombées 

Brillant d'un long rayon de feu» 

Contemplatif — ^afin de fixer ses pensées 

Sur Dieu, sur ses faveurs présentes et passées, 

n bénit le septième jour; 
Ce fut lors que de lui resté vainqueur suprême, 
Il accorda son cœur au diapason même 

Qui de Dieu célébrait l'amour. 

Serein — se souvenant de ce temps d'aventure 
Où, pasteur de troupeaux, de Kidron le murmure 

Doucement le berçait en paix; 
Il cherchait le savoir pour réduire au silence 
Le vice et les péchés, et semer par avance 

Les germes de nouveaux bienfaits. 



DAVID. 263 

Fort— oui^ dans le Seigneur; — mettant à défiance 
Satan, ses mirmidons, et toute leur engeance, 

Tant ferme il était son vouloir 1 
L'enfer et ses horreurs et sa nuit effiroyable, 
Ck>mme un lion vaincu que la douleur accable 

Se crispait devant son pouvoir. 

Constant— en son amour pour Dieu, pour la vieillesse, 
Pour le vrai, Tâge mûr, Penfance et la jeunesse. 

Et pour Jonathan son ami; 
Oui, constant — de la mort au delà les limites, 
Ziba, Mëphibosheth racontent ses mérites, 

Et s'il obligeait à demi I 

Aimable — et varié comme Fan le peut être. 
Homme, ange sans égal, âme, champion, prêtre, 

Sage, il montrait un noble cœur ; 
Et soit qu'il revêtit Péphod ou bien l'armure. 
Sa piété, sa pompe égalaient sa droiture, 

Sa joie avait de la grandeur. 

Sage — en se relevant plus sage de sa chute. 
Ce qui fit qu'il trôna le premier, sans dispute. 

Après être tombé si bas! 
La clarté d'Israël illumina sa voie. 
De son peuple il sut être et l'exemple et la joie, 

Et de son fils guider les pas. 

Sa muse de ses vers l'ange, ou plutôt la flamme, 

A tous comme à chacun donne un baume, un dictame 

Pour guérir les douleurs toujours; 
Bienheureuse lumière, et qui fut pour ce sage 
Bien plus que la Michol de la fleur de son âge, 

Et l'Abishag de ses vieux jours. 



264 DATID. 

Il chanta Dieu d^abord, — Dieu la fin et la cause,* 
Le pouvoir immuable, imposant, grandiose, 

D'où découle la force en tout; 
Sous le bras droit duquel, sous Pœil plein de puissance 
Pouvoir, emprise ou temps quand il lui plaît commuée 

Règne — prend fin, se tient debout 1 



* Dans son Essai biographique sur Thistùire littéraire des FouSj'pBXVL 
au commencement de 1859, Monsienr Octave Delepierre dit, page 59 
du dit essai : 

" M. le Chevalier de Chatelaio, traducteur de Chancer et de Gray 
en vers français, se propose de publier la traduction complète de ce 
poème de Smart, difficile à trouver, parce qu'il ne fait pas partie des 
œuvres du poète. Nous donnerons quelques unes des strophes tra- 
duites, en y fesant de légers changements atin DE SBRRBB LB texte 

DE PLUS PRès/ 

Or Tune des strophes changées par Monsieur Delepierre, afin de 
SERREE LE TEXTE DE PLUS PRÀ8, cst celle-ci dont voicl Toriginal : 

He sang of God — the mighty source 
Of ail things — the stupeudous force 

On which ail strength dépends ; 
From whose right arm, beneath whose eyes, 
Ail period, power, and enterprise 

Commences, reigns, and ends. 

Monsieur Delepierre a donné comme Notre traduction les quatre 
derniers vers suivants dont le dernier n'est pas même un vers, il lui 
manque un pied : 

n chanta Dieu d'abord,— Dieu, la fin et la cause, 
Le pouvoir immuable, imposant, grandiose, 

Etemel et toujours divers^ 
Dont le hras nous soutient, dont Vœil perqant nous guide, 
Qui par sa volonté, d'un mot, pétale le vide 
Et règne sur Vunivers. 

Nous protestons énergiquement sur cette manière de citer un tra- 
ducteur ; c'est là de la contrefaçon belge que nous ne saurions accepter. 
Les quatre derniers vers de cette strophe refaits par Monsieur Dele- 
pierre, et que Monsieur le secrétaire de légation de .S. M. le Roi des 
Belges, a eu l'inconcevable mauvais goût, pour ne pas dire l'impudeur 



fe 



DAVID. 265 

Traits-d^union charmants entre Pair et la terre, 
Des Anges il chanta Taimable ministère, 

Des anges — ces Pages de Dieu I 
De Michel il chanta les milices nombreuses 
Chérubins, séraphins, phalanges glorieuses 

Toutes entourant le ciel bleu. 

n chanta Thomme encore, et Peffet et Timage 
D'un Dieu rempli d'amour; — élu, s'il reste sage, 

Pour vivre à jamais au saint lieu; 
Pour enchaîner la mer, pour gouverner la t«rre, 
Pour épandre partout le savoir, la lumière, 

Héros en la cause de Dieu. 

Le monde il le chanta : l'admirable lumière. 
L'ombrage adoucissant, le vallon, la clairière, 

La plaine jaune et le bosquet; 
n chanta le soleil, la montagne et sa cime, 
Les profondeurs des bois et cet immense abîme 

Oii la nature a son creuset. 



de mettre sous notre nom, sont un contresens et ne rendent nnlle- 
ment le texte ainsi que nos lecteurs peuvent s'en convaincre par 
eux-mêmes. 

Nous donnons plus loin sous les strophes traduites par nous la con- 
trefaçon de Monsieur Delepierre. Dans notre vie littéraire déjà quelque 
peu longue, nous n'avons jamais vu d'exemples d'un fait semblable à 
celui que nous croyons devoir signaler ici. La notoriété de ce fait 
aura l'effet, nous l'espérons du moins, d'une injunction à Monsieur 
Delepierre de ne pas martyriser ainsi à l'avenir les écrits de nos 
conirères es lettres; nous engageons ce Monsieur à se rapeler la devise 
des billets de banque de France : 

'' La loi punit de mort le contrefacteur! " 

Dans l'espèce la prétention de Monsieur Delepierre de mettre ses non 
sens sur le compte d'autrtd, le couvrira au moins d'un ridicule indé- 
lébile. C'est le moins que nous puissions lui souhaiter. 

Le Chevalier de Châtelain. 



266 DATIS. 

Il chanta tour à tour arbres, plantes snperbeS) 
L'hysope ce joyau des plus petites herbes, 

Donnant des fruits, donnant des fleurs: 
Des parfums du vallon il prit la quintessence, 
Du psaume en enrichit Tadmirable ordonnance. 

Pour en augmenter les grandeurs. 

Il chanta les oiseaux de tout bec et toute aile, 
Le vautour destructeur, la colombe fidèle. 

Oiseaux de proie, oiseaux de paix; 
Ceux qui pour nous charmer nous font de la musique, 
La caille, la corneille et le coq domestique, 

Les cygnes, les paons et les geais. 

Il chanta les poissons gros, moyens et minimes, 
Que Nature souvent rend très pusillanimes 

Afin que de Thonmie ils aient peur; 
De rimmense ocëan il chanta les coquilles^ 
£t des poissons volants les nombreuses fisonilles 

Du soleil cherchant la chaleur. 

Il chanta le castor construisant sa chaumine. 
Le tigre grassouillet qui se roule et rumine 

Sans encore éveiller les bois; 
Tandis que le lapin comme un bon mineur mine 
La montagne escarpée oin sera sa cuisine^ 

Et que folâtrent les chamois. 

Il chanta les joyaux, les pierres précieuses 

Au fond du sol cachant leurs lampes merveilleuses 

De rhomme aux regards curieux; 
Le jaspe d'orient portant le sceau du maître, 
La topaze brillante aux yeux faisant paraître 

Une immense gerbe de feux. 



DATID. 267 

Pour sa harpe elle fat bien vive sa tendresse, 
Lorsque s'agenouillant près d^elle en sa détresse 

Il y passa ses doigts vainqueurs; 
Quand tout à coup il vit Satan fuir en déroute, 
Quand au cœur de Satil son art se frayait route, 

£2n suspens tenant ses fureurs. 

Ses ennemis alors cessaient leurs perfidies 
Quand il laissait couler ses belles mélodies 

Tenant captifs les sens, le cœur; 
Tantôt faisant vibrer des gammes électriques, 
Tantôt plus doucement des gammes chromatiques 

Amortissant sa propre ardeur. 

Alors qu^il empilait jusqu^au ciel ses pensées, 
La charmante Michol, les lèvres amorcées 

Souriait tout en rougissant; 
Puis elle se choisit pour la Reine elle-même, 
"Il était si vaillant — si grand était son thème, 

Son chant était si ravissant I" 

Au nombre de sept sont du Seigneur les pilastres. 
Qui de la terre vont jusqu'au plus haut des astres, 

Sa sagesse en traça Tesprit; 
Sa parole accomplit ce monument sublime, 
Depuis le fondement jusqu'à sa double cime 

Et depuis l'homme jusqu'au Christ. 

Alpha — premier en rang, ou la cause des causes, 
La source d'où découle et provient toutes choses, 

La lumière, en un mot, du jour; 
D'oîi l'entreprise part, et crânement s'avance. 
Prenant le mouvement, la vie, et l'ordonnance, 

Aussi la forme et le contour. 



268 DATID. 

Granmia — qui, lui, sontient Tarche admirable, nnique. 
Sur laquelle sVtend la phalange angélique, 

Cette arche . . . da plus beau saphir; 
De là sont enyoyés du bleu séjour des anges 
Ces frissons, ces émois qui soulèvent les franges 

Du sûnt lieu qu'on ne doit franchir. ^ 

Eta — se fait honneur de sculptures vivantes, 
De belles fleurs en bois sans cesse verdoyantes, 

Qui ne se flétrissent januûs; 
De nombreux bas-reliefs, du labeur les histoires, 
Où Ton voit par milliers instruments aratoires 

Râteau, bêche, truelle et nds. 

Apr&s Eta, Thêta se tient près du Suprême 
Qui forma ces signaux qu^il attacha lui-même 

Au superbe plafond des cieux; 
L'un vêtu de safran, l'autre de blanche ermine. 
D'autres ayant des yeux couleur aventurine. 

Dominant tout silencieux. 

Iota — fut choisi pour incruster Pimage 

Des différents oiseaux : puis du poisson qui nage 

Représenté dans le flot bleu; 
Puis du soubassement jusques à la corniche, 
Parmi les chapiteaux, voire dans chaque niche 

On grava les œuvres de Dieu. 

Sigma — représentait au milieu de savanes 
Ou le voyageur seul, ou bien des caravanes 

Sur tout rhomme se posant chef; 
L'homme que le Seigneur a fait à son image, 
Qu'il a doué d'amour, de force et de courage, 

Qu'il a fait son chef-d'œuvre bref I 



DATTD. 269 

Oméga !.. le plu» grand, et le plus saint des étre&. 
Qui pour l*hamamte fut le meilleur des maitrei. 

Dont le nom à chacmi est cher: 
Qoi doué par le ciel de sagesse profonde 
Offiit à Dieu son sang pour racheter le monde 

Et sous son pied br.>ya IVuftr. 

Elève du Seigneur ! David, puit£ de zicience, 
Le Seigneur te donna son appui, sa pmssanoe. 

Et sa sainte protection; 
La force et la douceur, tel il fut ton symbole, 
La harpe fut de Dieu sous tes doigts la parole, 

Ton type est abeille et lion. 

Un seul fut — qui jamais ne se prit de révolte, 
Contre les passions qui n*eut besoin de volte, 

Et qu^onc ne leurra le plaisir; 
Lui sur terre envoya Timage de lui-même, 
Du péché pour résoudre enfin le grand problème 

Dieu dans le Christ voulut mourir. 

Dites-leur que ''Je suis'^ dit un jour à Moîse 
Jehovah; — et la Terre à ce verbe surprise 

Soudain s^émut frappée au cœur: 
Au-dessus, au-dessous, à Tentour la Nature 
D*une unanime voix, à la fois, sans murmure 

A dit: "Oui, Vous Etes Seigneur!" 

Vous êtes le Seigneur! ... et nous le croyons ferme, 
Pour donner à chacun son talent et son terme ^ 

Tout homme a part à vos bontés: 
Car vous nous avez dit : '^N^appelles pas ton frère 
Eaccaj — ^mais que toujours soit humble ta prière, 

Ne conmiets pas d-imquités ! " 



270 DAVID. 

Car vous nous avez dit: ^^Sois toujours nu d^offense. 
L'homme plein de candeur est pétri d^innocencei 

Dans son âme est la charité; 
Sois bon envers le bœuf qui tire ta charrue, 
De ta vache prends soin; il n^est rien sous la nue 

Qui de Dieu soit déshérité. 

Prends soin de te lever devant la tête grise; 
Crains ce commandement de Dieu, ne fais méprise, 

Il dit: ^'L'homme ne mourra pas!*^ 
'^Ohl que ta volonté, non la mienne, soit faite!'* 
Pria celui qui fut d'une vertu parfaite; 

Suis ce saint exemple en tous cas. 

Sers-toi des passions que Dieu mit en ton âme« 
Et Tamour et la joie y distillent leur flamme, 

Ton cœur thésaurise l'espoir; 
Le souci vit en toi pour museler d'avance 
Les malheureux instincts de ta concupiscence, 

Et te préparer un beau soirl 

Agis tout simplement, mets ton vin mûr d'urgence 
Dans des tonneaux fort bien assaisonnés d'avance, 

Ne laboure avec le taureau, 
Avec l'âne à la fois; surtout abstiens-toi, peste! 
De mélanges d'amours^ et ne commets l'inceste. 

Ne te conduis comme un pourceau ! 

Sois juste et bienfaisant; paie au Seigneur sa dîme, 
Que consoler la veuve aussi soit ta maxime, 

Il est doux d'essuyer les pleurs ! 
Et selon ton avoir et selon ta puissance, 
Dirige ton amour; soulager l'indigence 

C'est mériter tous les bonheurs ! 



DAVID, 271 

Du calomniateur et de la calomnie 

Fais fil... propage, Toi, Téloge . . . wie hannonie 

Qui plaît à rhomme ainsi qu^à Dieu! 
Laisse le vieil Adam pour la nouvelle essence . . . 
Oui, poursuis Tavenir ... il est dans Fespâ'ance: 

Que le passé n^ait point ton vœu. 

Applaudis au succès; à ton œil sois sévère ; 
Honore le plus sage, aussi le plus prospère, 

Sympathise avec le prochain; 
Far rémulation avance ta science, 
Le culte de Mammon te soit en abhorrence! v 

Rejettes en jusqu'au levain! 

Des sages, ô David^ le plus haut sur la liste. 

Sur les sentiers de Dieu, fSeûs-nous voir, ô Fsahniste 

Le verbe dans sa pureté! 
Vains sont nos documents à tous tant que nous sommes, 
Et le paraphe aussi de la plupart des hommes 

C'est le sceau de la vanité! 

Empilez jusqu'au ciel des monceaux de louanges 
La louange est d'or pur, c'est le parler des anges. 

C'est un encens qui plait à Dieu; 
Jésus aime l'élan d'une âme généreuse. 
Mais il hait le venin qu'une bouche grondeuse 

Répand pour attiser le feu. 

Four l'adoration, dans tous les rangs, les anges 
Aux pieds de l'Etemel font monter les louanges 

Et David est au milieu d'eux : 
Avec tous ces chétifs, pauvres aux yeux des hommes, 
Que ta bonté convie au festin des Frud'hommes 

nouvel époux bienheureux! 



272 DAVID. 

Pour Tadoration les saisons se succèdent, 

Et Tordre et la beauté se suivent, se précèdent. 

Jetant au ciel leurs chants d*amour: 
La blanche pâquerette étend son dos sur Fherbe, 
Et le porphyre, lui, se reflète superbe 

Dans le frais ruisseau d*alentour. 

Pour Tadoration les amandiers fleurissent, 

La vigne-vierge étreint les murs qui s^en tapissent, 

Les arbres s'élancent aux cieux; 
L*oiseau sacré, Tlbis, avec sa veste unique, 
Elève pour ses œufs un nid tout artistique. 

Les clochettes baissent leurs yeux. 

Pour Tadoration le cèdre dans sa joie 
Distille son sirop, le ver flle sa soie. 

Et le roc fait couler son miel; 
Pour Tadoration la Nature se pare, 
Et la Nymphe de mer de son sein n^est avare 

Quand ses petiots lui font appel ! 

Pour Tadoration court Fonce mouchetée 
Avec tous ses petits, se frôlant la futée, 

A tous les arbustes des bois; 
Pour Tadoration le lézard dans la mousse 
Vit; et les animaux dans Tarche, sans secousse. 

S'en vont deux à deux, trois à trois ! 

Cependant qu'Israël assis sous l'arbre à figue 
Comme le voyageur accablé de fatigue 

Tranquille aime à goûter le frais. 
Pour Tadoration sous la légère feuille 
Où se joue à l'envi jasmin ou chèvrefeuille 

Ija brise inaugure la paix. 



DAVID. 273 

Les jours vont s^augmentant, au pinacle est leur règne. 
Sous la voûte rosée a fleuri la châtaigne^ 

Les vents entr'eux ne joutent plus ; 
Pour Tadoration les poissons multiplient, 
Carpes d^or et d^argent sur le lac se rallient 

Pour mieux chanter leurs oremits. 



Pour Tadoration blanchit la canne à sucre, 
Et le coco retient gratis et non par lucre, 

Son lait espoir du pèlerin, 
Où la pluie enfermée au sein de vastes branches 
Forme un berceau riant étoile de pervenches. 

Salle à manger pour le festin. 

Maintenant le travail reçoit des prix superbes, 
Car Tadoration énumère les gerbes 

Devant sa Majesté la Paix ; 
Le brugnon violet gentiment se colore, 
La pomme d^incamat pudiquement se dore, 

Et le coing de jaunes reflets. 

Pour l'adoration croît Tarbre de la vie. 
Les récoltes de riz, le bosquet où convie 

Le tranquille ombrage des bois ; 
Et des fiers grenadiers les magnifiques lignes 
Disputant aux pêchers les prix dûs aux plus dignes, 

Où brillent les œillets de choix. 

Pour Padoration des lauriers la verdure 
Lnprovise un printemps donnant moins triste allure 

Au jardin dans le temps neigeux ; 
Pour l'adoration le crocus se colore. 
Les myrtes d'un beau vert gardent leur robe encore, 

Pour charmer plus long-temps les yeux. 

T 



274 DAYID. 

Pour Fadoration le ÊEtisan se prélasse, 

La blanche ermine aussi qui jamais ne se lasse 

De soigner scm manteau si pur ; 
La zibeline avec sa robe reluisante 
Où soufflent les frimas se pavane charmante 

Pour Tadoration, c^est sûr I 

Pour Tadoration la blanche et sainte épine. 
Renouvelle chaque an sa parure d^ermine, 

LMcureuil entasse ses noLL; 
Pour Tadoration Tlf^ cet arbre des larmes, 
Et le houx si joyeux, prennent de nouveaux ciuunsies, 
* La nature a plus doux émois. 

Pour Tadoration de David les maximes 

Portent, guident les cœurs vers des actes sublimes 

Et d^amnône et de charité ; 
Celui qui de sa vie en fait le saint programme. 
Dompte ses passions, et rend digne son âme 

De voir la céleste clarté. 



Pour Tadoration le bouvreuil, c'est notoire. 
Sait imiter la flûte, et sa touche d^ivoire, 

Et charmer Técho des halliers ; 
Le rouge-gorge aussi, qui nargue la fillette, 
Quand, gourmande, elle vient pour cueillir la noisette 

Dans les étroits petits sentiers. 

Pour Tadoration le philosophe austère 

Va chercher dans les cieux tout brillants de lumière, 

Le Chien, le Bélier, les Gémeaux, 
OrioD, son épée, et Panneau de Saturne, 
Aquarius aussi qui penché sur son urne 

Verse le trop plein de ses eaux, 



DATTD. 275 

Et tronre U giaDdeur de Dien non moiiis soblime 
En voyant à ses {neds le ver Imsant infime 

Prêter Bon étofle anx taillis ; 
Pour Tadoration les cordes de la briae 
Pour charmer one oreille ont la mosiqne exquise 

Qui £ût rêver du Paradis. 

Pour Padoradon vibre chaqae mnrmure 
De joie on de chagrin par lequel la Nature 

Soupire on chante son émoi ; 
Oyez ! c^est une voix et menue et petite, 
Qui dit à Peau du ciel :^ " En torrents tombe vite ! '* 

Ou qui dit à la mer : " Tais-toi ! " 

Pour Padoratîon vient l'encens de Lybie, 
Celui de bezoar, les gommes d^ Arabie, 

De la civette le parfum ; 
Mais mieux que galbanum, mieux que la myrrhe encore 
Et mieux que tout encens qui monte et s*évapore 

Est la prière d'un chacun. 

Pour Tadoration est le duvet des pêches, 
L'ëpi de Fananas, et les haleines fraîches 

De tous les beaux fruits du bon Dieu ; 
Tandis que leur odeur, aussi leur vue aiguise 
Les instincts du pëché qu^on nomme gourmandise ; 

Cîhasteté dit : *• Mangez-en peu î !" 

Pour Tadoration jamais Dieu ne se lasse 

De laisser grands ouverts les sentiers de la grâce. 

Et tous les bains de pureté ; 
Pour rhomme qui de Dieu garde en lui la mémoire, 
Rayonnent à Tenvi tous les rayons de gloire 

Du soleil de rEtemité ! 

T 2 



276 DATID. 

Pour radoration du Christ sous la coupole 

Le plus petit moineau trouve un nid, puis il yole 

De Tolive ^éner la fleur ; 
Homme dliumilitë toujours à Dieu fidèle, 
Avec toi, c^est certain, demeure Thirondelle 

Dans réglise de ton Sauveur. 

Sur les tilleuls feuillus oh ! douce est la rosëe * 
Qui tomhe en temps utile, et fraîche et tamisée ; 

Doux est Tair parfumé d^Hermon ; 
Doux est Faspect du lis, et de ses senteurs vierges, 
Et doux pour la prière est Todorat des cierges, 

A leur éclat fuit le démon I 

* Cette strophe est une de celles que Monsieur Delepierre a cm 
devoir rectifier toujours afin de serrer le texte de pku près. Voici 
Toriginal : 

Sweet is the dew that falls betimes, 
And drops npon the leafy limes; 
Sweet Hermon's fragrant air: 
Sweet is the lily*s silver bell, 
And sweet the wakeiiil tapera smell 
That watch for earlt pratbr I 

Voici la version de Monsieur Delepierre: 

Sur les épais tilleuls, ah! douce est la rosée 
Qui tombe le matin, et fraîche et tamisée 

Doux est Tair parfumé d' Hermon / 
Doux à l'œil est du lis le beau calice vierge I 
Et doux pour la prière est le parfum du cierge 

De la matinale oraison. 

Le lecteur voudra bien remarquer que Monsieur Delepierre traduit 
* that falls betimes* par * qui tombe le matin,' — au lieu de: * qui tombe 
en temps utile ;' et qu'il fait rimer Hemum avec Oraison — ^rimes bouf- 
fonnes qui seraient justement mises à l'index dans l'opéra-comique le 
plus mal écrit. Il est vrai que Monsieur Delepierre abrite sa modestie 
d'auteur- versificateur sous notre nom, et qu'il nous fiait endosser nolens 
volens cette rime drôlichonne, afin, sans doute, de serrer 2e texte de plus 
près. Nous déclinons le présent que vous avez la méchanceté de nous 
faire, Monsieur Delepierre! 

Le Chevalier de Châtelain, 



DATID. 277 

Douce est la femme qui, dans Tamour affermie, 
Veille dans son berceau Pinnocence endormie ; 

Doux est le retour au bercail : 
Doux du musicien certe est le fruit des veilles, 
Lorsque de son esprit, une ruche d'abeilles, 

Harmonieux sort un travail. 



Plus doux sont les accents, les tendres villanelles, 
Le langage d^amour des gentes tourterelles 

Au printemps unissant leur cœur ; 
Mais bien plus doux encore est le profond hommage 
Porté par la prière au plus haut du nuage 

Auprès du trône du Seigneur. 

Fort est le fier coursier au galop prenant fuite. 
Fort le milan happant dans sa vive poursuite 

Le gibier qui n'en peut hélas I 
Forte est la grande autruche à la course rapide. 
Et fort, de l'océan sur la plaine liquide, 

Est l'Empereur, le Xyphias. 

Fort aussi le lion, sa prunelle est ardente,* 
Et comme un bastion sa poitrine géante 

Tient à distance l'ennemi ; 
Fort le vautour cruel espionnant la plaine. 
Et forte dans la mer est l'énorme baleine 

Réveillant le flot endormi. 



* Voici les deux dernières strophes qne Monsieur Delepierre a cru 
devoir citer de Notbs traduction ; cette fois comme il n'y a pas de 
contresens dans la version qu'il nous prête nous nous dispensons de 
citer l'(»nginal, nous soulignons seulement les mots changés par 
Monsieur Delepierre, un vrai touche- à -tout, la mouche du coche ! . . . 

Fort est lejier lion, sa prunelle est ardente, 
Et comme un bastion sa poitrine puissante 
Tient à distance Tennemi ; 



278 DAVLD. 

Mais bien plus fort encor que les forts de la terre, 
De Pair et de la mer est Thomme de prière, 

Sa force est son espoir en Dieu ; 
La foi, c^est un avoir qui soudain lui procure 
Les trésors précieux promis à Pftme pure 
A son retour vers le del bleu. 



Belle est la flotte enflée au souffle de la brise. 
Belle une troupe armée en fer pour une emprise, 

Belles sont têtes à cimiers ; 
Des arbres des jardins beaux sont les doux ombrages^ 
Les parterres fleuris, beaux sont les lieux sauvages, 

Et beaux aussi sont les sentiers. 

Belle est la lune à pic planant sur la pelouse. 
Belle aux yeux de Tépoux est la nouvelle épouse 

Tombé le voile virginal I 
Beau le temple de Dieu quand des flots de prière 
Montent, montent toujours, et vont au divin père. 

Porter un encens filial. 



Fort le vautour cmol planant dessus 2a j>2ame, 
Et forte dans la mer est Ténorme baleine 
Réveillant le flot endormi. 

Mais bien plus fort encorn que les forts de la terre, 
De Tair et de la mer, est llionmie de prière, 

Sa force est son espoir en Dieu ; 
La foi, c'est un trésor qui toujours lui procure 
Les déUees sans fin, promis à l'àme pure, 

A son retour vers le ciel bleu. 

(Conclusion : A notre avis si Monsieur Delepierre ne réserve pas 
pour lui une niche dans le Paradis qu'il élève aux Fous plus on mcâns 
littéraires, son ouvrage restera incomplet. 

Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas ! 

Le Chevalier de Chapelain, 



DATID. 279 

Mais plus beau certe enoore est de voir vers la terre 
Ce Berger-Roi, David ! embrasser la poussière 

Avec profonde humilité : 
Lui, dont tous les souhaits de portée infinie 
Ont eu pour but moral la parfaite harmonie 

Et le bien de rhumanîtél 



Précieux est toujours le denier de la veuve, 
Et de Tavare aussi le don, filet d^un fleuve 

Qui coule à sec dans un caveau ; 
Précieux le rubis du jour rappelant Taube, 
Et le rayonnement de la blanche et simple aube ; 

Précieux Tazur du joyau. 

Précieux est l'émoi du repentir austère, 
Précieux vers le ciel est le soupir sincère, 

Soupir très acceptable à Dieu ; 
Précieuses les fleurs rappelant les miracles 
En faveur d'Israël, quiand les saints tabernacles 

S'ouvraient devant le peuple hébreu. 

Plus précieuse encor cette divine essence 
Qui du cœur de David réhaussait la puissance. 

Il était grande neuf, généreux : 
Dans chaque événement il entrait d'un pas ferme, 
Vrai, fidèle toujours, droit il marchait au terme, 

Puis en sortait victorieux. 



Magnifique est le jour et le soleil sans voiles, 
Magnifique la nuit et l'éclat des étoiles, 

Magnifique le char de feu ; 
Magnifique le son des clairons, des trompettes, 
Magnifique de Dieu les fleurs et les fleurettes, 

Magnifique l'océan bleu : 



280 la. EOB£ ]>S BBOOABT 

Magnifique du nord la lumière .... un sourire ! 
Magnifique le chant que le Seigneur inspire ! 

Magnifique Tire défi cieux I 
Magnifique le cri, rhosannah du repaire, 
Magnifique Vamm de relise en prière. 

Le sang du martyr glorieux : 

Mab bien plus magnifique encore est la couronne 
Qui brille sur le front de la sainte personne 

De ton Divin Fils, ô Seigneur ! 
De ton Fils dont David entrevit la venue, 
Lorsque dans son extase, il bénissait la nue 

Qui devait pleuvoir le Sauveur I 



La Robe de Bbocabt et le Chiffon de Toile* 

FABLE. . 

De brocart une Robe exhalant encor Tambre, 
Descendit d^une Dame à sa femme de chambre. 
— Une Robe Française ? — Oui dà î . . née à Paris, 
C^est titre de noblesse, au moins à mon avis. 

Par accident ou bien par aventure 
Ne sais exactement la cause, je vous jure, 

Non loin de ce brocart 
Sur un crochet voisin pendillait à Técart 
Un vieux Chiffon de ToUe atrocement jaunâtre. 
Qui naguère à son maître avait servi d^emplâtre. 
La Robe dédaigneuse à l'aspect du Chiffon 

Haussa Vépaule à la Française, 
Et renfrognant ses plis, s'agitant sur sa chaise. 
Avec le frôlement hargneux d'un vieux griffon. 
Lança sur le Chiffon du haut de sa colère 
De son noble dédain Texpression vulgaire: 



^ 



ET LE CHI¥FOK DE TOILE. 281 

*^ Mauvais Chiffon, affreux bohémien, 
Toi qui n^es bon à rien, 

Ni pour amadou ni charpie, 

Toi dont le nez porte roupie, 

Et que, c^est plus étrange encor. 

Vient de répudier naguère 

Le dos de ton propriétaire, 
Oses-tu bien t*attaquer à de For? 
Décampe va-nu-pieds, quitte à Tinstant la place 
Ou tu vas recevoir de moi le coup de grâce !" 

Le Chiffon,— un Chiffon d'esprit, 
A ce discours féroce en ces mots répondit : 

'* Bien que dW moulinet ta langue ait la vitesse, 
Robe ma mie, à la pauvre richesse, 
n glisse sur moi ton dédain, 
Objet d'occasion et de seconde main ! 

Je me moque de tes gourmades. 
Autant que de tes gasconnades ; 
Mais je veux m'abstenir de mots injurieux, 
Et rester grave et sérieux, 
Quoique suivant le précepte d'Horace, 
Avec le rire on puisse allier la raison. 

Et les unir tous les deux non sans grâce 
D'un vers Alexandrin dans la noble prison. 
Sache donc, et comprends Robe aujourd'hui graisseuse, 
Quand tu lances sur moi ta bave venimeuse. 
Que ne suis pas ce que voyent tes yeux jaloux. 
Bientôt, te le dis entre nous, 
De l'océan la plus charmante fille 
La Medway dans ses eaux lavera ma guenille. 
Et par l'action du moulin 
Raffinant plus encor mon grain, 
Sera pour moi fontaine de Jouvence, 
En m' octroyant nouvelle et plus noble existence. 



282 LA BOBE DE BBOCABT. 

Peut-être alors si le permet le ciel 
L^ex-chiffon pourra bien devenir immortel 
Si de Murray sur lui découle Téloquence 
Des Romains et des Grecs combinant la puissance, 
Forte avec Dëmosthène, âectrisaiit le cœur, 
Douce avec Cicéron, — le suave orateur ! 
Qui le sait ? Akenside avec un trait de plume 

M*empêchera d^étre jamais posthume ; 
Peut-être aussi CoUins me fera-t-il Thonneur 
D^incruster sur mon âme un^ëlan de son cœur ; 
Ou bien encor que Gray le sublime lyrique 
M^embellira d'un poème dorique ; 
Ou peut-être à Mason devrais-je le bonheur 
De servir d'interprète à sa noble douleur, 
A Mason dont la belle vie 
De la vipère a détourné l'envie. 
Voilà ce qui m'attend, humble que soit mon sort. 
Quand d'un monde meilleur aurai t(mché le port ; 
Entends cela, vilaine gourgandine. 
Et baisse d'un cran ton orgueil, 
Tu sens le ver et la vermine. 
Et n'es pas loin de ton cercueil : 
Tout d'abord d^aissée et puis ensuite teinte. 
Si tu n'es pas brûlée ou tout à fait éteinte. 

Tu seras tournée à l'envers. 
Puis de robe en jupon, de revers en revers 
Tu tomberas ma pauvre sotte 
Et dans la boue et dans la crotte. 
Et toi qu'on renommait jadis pour ton bon goût. 
Tu finiras dans un ^oût I 



Oir EST L£ TISOKKISB? 288 

Otr EST LE TlSOÎTNIEH? 

FABLE. 

Le tisonnier perdu ! . • Voilà Suzon qui rage, 
Et qui crie et qui beugle et qui ùli grand tapage : 
''Dans quel temps vivons-nous?" dit-elle en ses fureurs, 
" Ce monde n^est peuplé que d^indignes voleurs ! 
Ce tisonnier si je ne le recouvre 

Demain sitôt que le jour s^ouvre, 
A mon Maître, c'est sûr, je donnerai congé. 

n ferait mieux cet enragé 

De fermer son cœur et sa porte 

A femmes de certaine sorte, 
Que les garder au gîte. — Où ces vilains oiseaux 
Nichent, c'est fait de nous trop vertueux agneaux I '' 
Cette pauvre Suzon n'a pas sujet de rire, 
Les malheurs, comme un jour. Ta dit le grand Shakespeare, 
Ne viennent jamais seuls, mais bien en bataillons. 
Pour nous faire sentir à vif leurs aiguillons. 
Le lendemain Suzon donc perdit les pincettes, 

Le surlendemain les mouchettes, 
£t puis les jours d'après le rouleau, le tamis, 

Et la marmite et la salière 
Tous avaient fait école buissonnière 

Loin du logis. 
fin vain dépensa-t-elle et pourboires et gages 
A donner aux objets perdus des successeurs, 
Tous ces objets nouveaux comme l^ers nuages 
S'éclipsant, du logis vont trouver les voleurs. 
A l'en croire, le diable, ou bien une sorcière 
Etaient dans la cuisine, et s'y donnaient carrière. 
Un soir qu'elle exhalait ainsi son aigre humeur 

Contre le satané voleur. 

Elle s'en fut dans sa chambrette. 
(Or, depuis un grand mois, entre nous, Suzinette 

Avait déserté sa couchette, 



284 MADAMX ET LA PIS. 

Car du voleur ayant frayeur, 

Elle avait abrité sa peur 

Et cherché le bien-être 

Auprès de son honoré Maître.) 
*^ Oh ! malédiction 1 " dit-elle en sa fureur, 
*'' Sur ce maudit Thomas ! sur cet oiseux âurceur ! ^* 

Dans son propre lit la Suzette 
Trouvait le tisonnier voisinant la pincette, 
Le rouleau, la salière, ainsi que le tamis, 
Tous les engins enfin en congé du logis; 

Apprenez de cette fillette 
Servantes, qui d^amour faites trop la cueillette, 
A garder votre chasteté. 
Si ne voulez en vérité 
Avoir un jour les tracas de Sucette 1 



Madame et la Pie. 



FABLE. 



Roulez tonnerre . . . Océan mugissez. 
Et d^échos en échos vite retentissez, 

Réveillez le rugueux rivage; 
Tonnez, tonnez canons, des bruits de votre rage 

Férocement de toutes parts 
Ebranlez les remparts; 
Gonfle ta gueule, et souffle vieux Borée, 

Et que ta musique ait durée; 
Gentes cloches de Bow, sonnez, carillonnez, 
Crécelles fendez Pair, tambours tambourinez, 
Abîmez les tympans comme vingt mille foires 
Du vieux bourg de Southwark racontant les histoires, 
Mugissez fiers taureaux ! criez chauves-souris, 
Chattes, chats amoureux miaulez bis! bis! bis! 
Vous êtes des pauvrets menus et transitoires 



L 



MADAME DT LA FIE. 286 

Bruits de charivari, Vous ! les bruits les plus fous î 
La tant douce Sylvie elle a le pas sur vous, 

Elle en pince, ellel de la langue! 
Jamais, oh! non jamais de trêve à sa harangue. 
Elle parle, elle parle, elle parle toujours; 
Elle vient, la voici: bienheureux sont les sourds! 

"Une I*ie! une Pie! oui, c'est bien une PicI 

Mais vous êtes donc fou, mon cher! 
Apporter une Pie, ici, de par Tenfer! 
Peut-être, selon vous, est-ce faire œuvre pie? 
Une bavarde Pie, un joujou caquetant t . . . * 

C'est que, c'est un objet tentant! 
Vous savez pourtant bien dà que votre Sylvie 
A le bruit en horreur, qu'il chiffonne sa vie! 
Vous m'avez appcHrt^, bien sûr, ce beau cadeân 

Pour le guérir mon rhume de cerveau! 
Voyons faites entrer votre adorable bête, 

Afin qu'elle en fasse à sa tête, 
Et que sur ma toilette, et sur mon oreiller 
Elle vienne à son gré sautiller, mordiller ; 
La Pie est un oiseau si charmant et si propre 

Qu'il ne fait jamais rien d'impropre ; 
Seulement, c'est certain, il me fera mourir. 
Ouf! respirons, 6 ciel! c'est à s'évanouir! 
A la rancune, on sait, jamais ne m'abandonne, 
Je suis si patiente, et si bonne personne ! 
Sans cela, cher mari, satané paltoquet ! 

Je te le dis, tiens, vois- tu bien ta Pie 
Je lui ferais passer pour toujours la pépie, 
En lui tordant le cou, puis de son corps fluet. 
Je bourrerais ta gueule en guise de poulet. * 

n me faudra mettre au plus vite 
Mes bagues, mes bijoux, et tous mes riens d'élite 

Sous clé, dans un affi-eux tiroir. 
Si que ne pourrai plus à chaque instant les voir! 



286 MADAME ET LA PIE. 

Au diable vont aller et mes chinoiseries, 
Et mes chers similors, toutes mes YielUeries; 
Car la Pie est certe un oiseau voleur, 
Et destructeur, autant au moins que procureur. 
Vous êtes bien heureux, je le dis sur mon âme, 

D'aYoir trouvé quand cherchiez femme 
Ma parole d'honneur I une Job en jupon, 
Un modèle d^amour, de paix et de concorde, 
A vos péchés nombreux qui fait miséricorde. 
Autrement vous seriez à plaindre, mon poupon! 
Seigneur! voyez- vous cette bête vilaine 
' M^occasionnera migraine. 

Mordra, se battra, grattera 
A tout enfin s^agripera. 
Monstre va! . . dépenser sa vie 
A faire mon malheur à moi pauvre Sylvie! 

Oui, vantez-vous en, c^est du beau 
De me perdre par un cadean, 
Vrai cadeau de jésuite! 
Elle est belle votre conduite ! 
Est-ce donc agir en chrétien 
Rendre ainsi le mal pour le bien 1 
Envers moi qui vous ai (Vous aimiez la pécune), 
Apporté si belle fortune! 
Envers moi, gringalet obscur, 
Qui bien que de grande £Eimille 
Et portant dans un champ d'azur. 
Cela n*est pas une vétille, 
Un beau Lion rampant, vous ai pris pour futur ! 
Envers moi, qui n^avais, au Royaume de Tendre 
Qu'à me baisser dà pour en prendre. 
Tant il était cossu, tant il était nombreux 

Le troupeau de mes amoureux. 
Las I est-ce donc ainsi, Monsieur, qu'à mon mérite 

On rend justice Oh ! je me trouve mal I . . 

Marie !.. à ma rescousse, accourez et bien vite. 
Du citron, du clary, de suite un cordial I" 



MADAME ET LA FIE. 287 

Le pauvre cher époux ainsi mis en charpie, 
Qui par pure bonté, par amour conjugal 

Avait dans un moment ûital, 
Eveillé la discorde en achetant la Pie, 

A cette attaque cib hoc, ab hâc, 
Resta muet. Ainsi quand Roubillac 
De son ciseau sublime enfante une statue, 
Elle rougit parfois d*être trop peu vêtue. 
Mais ne peut exprimer ce sentiment divin 
Sous son marbre vivant dans le langage humain. 

Au discours de la dame, ah 1 mais que dit la Pie ? 
" A vous salut I" dit-eUe, " ô beUe GrisDdis ! 
Votre époux ferait acte impie. 
Vous ayant, tel est mon avis. 
De chercher à donner asyle en son logis 

A mes pareilles. 
Car il possède en vous un guêpier de Corneilles. 
Que reste ici long-temps n'ayez donc pas frayeur, 

Douce, avenante et bien gentille Dame ! 
Vous avez de tapage im assez beau programme : 
L'augmenter ! à quoi bon ! ce serait un malheur ! 

Puis écoutez. Moi, quoique Pie 
Aimant à répéter les propos que j'entends. 
Entre nous, ne suis point harpie, 
Ne saurais comme vous égratigner les gens : 
Bien qu'oiseaux de même plumage, 
Ne nous ressemblons pas ; Vous, vous aimez la paix 
Et vous la demandez avec tant de tapage 
Et des accents si pleins de rage, 
Que ne pourrions nous accorder jamais. 
Vous proclamez de façon si hargneuse. 

Que jamais vous n'êtes grondeuse, 
Qu'il ferait beau ne pas vous croire dà I 
Enfourchez donc votre dada ; 
De l'injure et du bruit avez le monopole 
Vous êtes Reine enfin de la parole, 



J 



288 l'hoblooe de flore. 

Or une Reine, ainsi qu^un Roi 
Ne peuvent faire mal, tous régnez par ma foi 1 
Mais ne vous étonnez à votre clapotage 
Si votre époux ne répond pas ; 
De répondre à vain bruit la voix n^a pas Tusage, 
Mais voici ce qu^advient dans de semblables cas : 
Quand un mari ne peut plus supporter les rages, 

De caractères au verjus, 
Et que pour les guérir ses soins sont 8iq>erflus, 
Les meilleurs médecins, ça se sait mordicus 1 

Sont bâtons de pommiers sauvages I *^ 



SMITH (CHARLOTTE). 

Née en 1749 — Morte en 1806. 
L^HOBLOQB DE FLORB. 

Dans chaque taillis et vallée 
Se laisse voir sans voile à Tœil observateur 

Des plantes parmi rassemblée 
Des saisons le Cadran, du jour le Moniteur. 

Ses petiots parés de verdure 
Disent en se jouant la marche du printemps. 

Enfants gâtés de la nature 
Ils entourent de fleurs le sablier du Temps. 

Sur le miroir des eaux limpides 
Bercé dans le courant, de Vénus sur le char. 

Voyez comme sur ces fluides 
Repose doucement le charmant Nénuphar. 

Du matin ayant conscience, 
De son humide nid il surgit au soleil, 

Et de Teau dans la transparence 
Voit réfléchi son sein dans le rayon vermeil. 



à. 



l'horloge de flobe. 289 

Jusqu'à ce que Tastre céleste 
Se baigne en déclinant au vaste sein des mers, 

Lors dans son vêtement modeste 
Sur la vague il sommeille en embaumant les airs. 

Regardez les fleurs radiées 
De THieracium; leurs belles floraisons 

Disent les heures variées 
Du sommeil, de Téveil, et le cours des saisons. 

An-dessus de sa large coupe 
L'orgueilleux Salsifis étend ses rayons d'or, 

Mais prudemment rentre la troupe 
De ses pétales, quand midi prend son essor. 

De Bethléem la pâle Etoile 
Sitôt que le soleil se montre sur le mont. 

Devers le ciel lève son voile 
Mais le baisse aussitôt que ses rayons s'en vont. 

Dans les sables mouvants, ahdes 
Rampe l'Herbe Sabline, et lentement TAster 

Y laisse voir ses fleurs splendides 
Qui sommeillent bientôt au vif contact de l'air. 

La simple et fraîche Campanule 
Si gentiment rayée en plein midi reluit^ 

Même an fort de la canicule, 
Mais ferme ses volets sitôt que vient la nuit. 

Quand sur les monts la Chicorée 
Vers l'alouette au ciel lève ses yeux d'azur, 

Les bergers savent la durée 
Du Temps exactement, pour eux c'est Cadran sûri 

u 



290 A LA POESIE. 

De Borns 6 mignonne fleurette! 
Quand arrÎTe la nuit, des plis de ton manteau 

Tu te fais gentille chambrette, 
Et nargue la rosée et le firoid de son eau; 

Peu semblable à TAttrape-Mouche, 
Qui dédaigne Téclat du midi qui trop luit. 

Mais qui le soir sort de sa couche 
Et donne son parfum aux heures de la nuit. 

Ainsi chaque fleur ou clochette 
Foulée aux pieds qui git étoilant nos chemins, 

Nous dit dans sa langue muette 
Combien rapidement s^envolent nos destins. 



SMITH. 

(BAROM OF THE IRISH EXCHEQUER.) 
Né en 1766— Mort en 1836. 

A LA Poésie. 

Charhante vision! Plus je ne m'agenouille 

Devant ton trône rayonnant ; — 
Contre un monde à mes yeux à jamais avenant 

H le faut, las! je me vérouille! 
Me voilà seul : de ce monde sevré 
Où nait la fantaisie, où tout est diapré, 
Où Tespérance chante avec son luth sacré 

Les doux émois de Texistence. 
Tout est passé pour moi comme une souvenance, 

Ou comme un rêve de minuit 
Qui vient spontanément, et qui vite s'enfuit. 

Charmante vision I oh ! dans ma verte enfance 
Aux premiers jours de liberté, 



EL LA POËSIS. 201 

Lorsque pour te trouver comme un enfant gâté 

J^erraiB dans mon impatience, . 
Je me souviens, oh ! fort bien de ce temps ! 
Le zéphir nouveau né jetait son aile aux vents, 
Le ciel était tout bleu, neuf était le printemps ; 

Dans les airs montait Talouette 
Pour aller dire à Dieu sa firaîche chansonnette ; 

J'enviais Paile de Toiseau 
Pour voler avec lui vers cet azur si beau! 

Charmante vision ! A ton délire en proie, 

Je longeais un jour un ruisseau. 
Qui buvant du soleil le rayon doux et beau 

Sautait et bondissait de joie : 
Comme un en£Emt fatigué de son jeu, 
Courant de fleur en fleur, s'inquiëtant de peu 
Du soleil me couchai dans le rayon de feu, 

Et m'endormis de nonchalance ; 
Lorsqu' un gentil Esprit ayant ton apparence 

Me baisa pendant mon sommeil, 
Et m'éveillai soudain. Que de pleurs au réveil! 

Charmante vision! Depuis ce tant doux songe, 

Combien n'ai-je pas vu de fois 
Folâtrer ton image au beau milieu des bois, 

Et parmi les fleurs, quand j'y songe : 
Dès le matin de la rosée aux fleurs, 
A midi quand les vents nous soufflent leurs langueurs, 
Le soir lorsque les monts de leurs nobles hauteurs 

Font voir les magnifiques ombres ; 
La nuit lorsque la lune au-dessus des bois sombres 

Projette sa chaine d'argent 
Sur le vaste océan et sur son flot changeant. 

Charmante vision! Suave Poésie! 

Il faut me séparer de toi, 
Ne puis plus désormais avec tant doux émoi 

M'énivrer de ton ambroisie, 
u 2 



292 HTMNE AUX FLEURS. 

Mon luth aimé je t^abandonne en pleurs. 
Ne pourrai plus hélas ! cueillir tes gentes fleurs, 
Non plus boire à longs traits ce miel et ces douceurs 

Qui m'apportaient dans ma retraite 
Tous ces enivrements que goûte le poëte; 
Le tendre amour, le doux espoir, 
Et ces nombreux lutins que ne pourrai plus voir ! 



SMITH (HORACE). 

Né en 1780— Mort en 1849. 

Hymne aux Fleurs. 

Astres brillants du jour qui r'ouvrez vos beaux yeux 
Avec rhomme, et cela, pour égayer la terre, 
Et dont les doux parfums montant jusques aux cieux 
Nous pleuvent rosée éphémère : 

Naïfs adorateurs du soleil, pour vous Dieu ! 
Qui penchés devant lui murmurez vos prières, 
D^un doux et pur encens lui présentant le feu 
Dans vos calices solitaires. 

Fouillis mystérieux dont l'immense beauté 
EmaiUe le plancher si frais de la Nature, 
Que de devoirs nombreux votre fragilité 

Inculque à l'homme d'aventure! 

Sous les arceaux fleuris frôlés par les zéphirs. 
Four la fleur, chaque jour est un joyeux Dimanche, 
Le glas de son parfum appelle les soupirs, 
La prière de chaque branche; 

Non sous ces murs construits par la main des mortels 
Attestant de leurs plans l'insigne petitesse. 
Mais sous ces dômes bleus ou Dieu de ses autels 
Montre l'indicible richesse; 



HYM^E AUX TLEUBS. 29^ 

Sous ce Temple sublime ayant nom Tlnfini, 
Brillant de deux clartés le soleil et la lune, 
Dont Torgue est le tonnerre, et le chœur rajeuni 
Les vents se ruant sur la dune. 



Là lorsque j^erre seul sous ces lambris du ciel, 
Ecoutant mes pensers, écoutant le silence, 
Ou bien assis jetant un regard solennel 

De Dieu sous la coupole immense ; 

Fleurs, vos lèvres sans voix sont des prédicateurs 
Dont le prêche éloquent et me charme et m^enivre. 
Je trouve en vous voyant de nombreux précepteurs, 
Un calice, une chaire, un livre. 

Doux apôtres floraux aux si fraîches couleurs, 
Qui pleurez sans chagrin, et rougissez sans crime, 
Puîssé-je apprendre à fond à l'aspect de vos pleurs 
A bénir votre amour sublime! 

"Tu notais, Salomon! dans toutes tes splendeurs 
Vêtu," disent les lis, " de robes aussi belles 
Que nos robes à nous! . . . Ah! les humaines fleurs 
Passent plus vite qu'étincelles ! " 

Artiste Créateur! . . . dans ces tableaux divins 
Aux parfums les plus doux dont tu peins la Nature, 
Quelle leçon d'amour partout sur ses chemins 
Tu donnes à la Créature. 

Vous n'êtes pas, ô Fleurs, sans une utilité. 

Vous qui le jour, la nuit sur les champs, la rivière, 

Florissez; car par vous j'apprends la vérité 

Des plaisirs innocents sur terre. 



2d4 DES ÉGLISES POURQUOI EEBlTES LA FOBTS? 

Sages d^un jour! par FÀge un professenr mûri 

A tant de grands pensers pent-îl donner naissance? 

Dans votre calice est un mémento mon 

Fleurs 1 fontaines d'Espérance! 

Gloires des Temps passés et filles du cercueil, 
DHme bulbe ou d'un grain renaissant à la vie, 
Fleurs I vous êtes pour moi types de fin de deuil 
Et d'une étemelle survie! 

Si je devais, ô Dieu, vivre dans un pays 

Sans un lieu pour ton culte, Auteur de toutes Grâces ! 

Sans prêtres,— dans les fleurs je trouverais gratis, 

Temples, Prêtres, Sermons et Châsses!' 



Des Eglises sur nous pourquoi fermer là Porte? 

Pourquoi barricader avec un soin jaloux 
Du bon Dieu les Maisons— excepté le Dimanche? 
Est-ce pour empêcher que notre cœur s'épanche 
Pendant six jours sur sept, qu'on les ferme à verroux? 
Des Eglises sur nous pourquoi fermer la porte ? 
Répondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte! 

Que si désarçonnés par le travail du jour, 

Des dissipations ou lassés du caprice. 

Nous cherchons à happer un court moment propice 

Pour faire en notre cœur un utile retour: 

Des Eglises sur nous pourquoi fermer la porte ? 

Répondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte! 

L'Eglise n'étant plus qu'un bâtiment fermé, 
Donnera-t-elle avis que c'est fort inutile 
Pendant six jours prier pour patrie et famille. 
Dieu ne restant chez lui qu'un jour à point nommé? 
Des Eglises sur nous pourquoi fermer la porte? 
Répondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte! 



BBS ieLISES POUBQUOI ÏBSMEB LA POBTEP 296 

N'est-il pomt de pécheur qui dans un bon transport 
Ija semaine dniant, ne youlnt dans T Eglise 
Venir sonder son oœnr? ... Ne serait-il de mise 

Y porter nos douleurs quand chez nous vient la mort? 
Des Eglises sur nous pourquoi fermer la porte? 
Répondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte! 

N^est-îl donc point hëlasl d'héritiers du chagrin, 
De malades d'esprit qui voulussent, c'est sage, 
Près des autels de Dieu retremper leur courage 
Lorsque le désespoir sur eux met son grapin? 
Des Elises sur nous pourquoi fermer la porte? 
Bépondez, beaux Messieurs de la Sainte Cohorte! 

N'est -il pas des méchants qui s'ils pouvaient aussi 
A toute heure du jour entrer dans une Eglise, 

Y trouveraient parfois l'arme qui cautérise 

Les lèpres de leur cœur? . . . S'il peut en être ainsi 
Des Eglises sur eux pourquoi fermer la porte? 
Bépondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte! 

A l'étranger, partout, en quittant son labeur 
Vous voyez l'ouvrier entrer dans une Eglise, 

Y prier le bon Dieu tous les jours à sa guise 
Sans attendre qu'il soit le jour dit du Seigneur. 
Des Eglises sur nous pourquoi fermer la porte? 
Répondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte I 

En le voyant entrer l'air triste et plein d'ennui, 
Puis le voyant sortir l'œil brillant de lumière. 
Bien souvent j'ai gémi que dans notre Angleterre 
L'ouvrier ne put pas être heureux comme lui : 
Des Eglises sur lui pourquoi fermer la porte? 
Bépondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte! 



296 DES ieLiSEs poukquoi febmeu la porte? 

Car lequel d^entre nous sans éprouver d^émoi, 
Peut dans sa solitude et dans sou vide auguste 
Parcourir une Eglise et n^être un peu plus juste, 
£t ne sentir son cœur se réouvrir à la foi? 
Des Eglises sur nous pourquoi fermer la porte? 
Répondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte 1 

Les bancs inoccupés, et la nef et le chœur 
Déserts, tous deux drapés du lincenil du silence, 
Inspirent un émoi mille fois plus intense 
Que le bruit de la foule au saint jour du Seigneur: 
Des Eglises sur nous pourquoi fermer la porte? 
Répondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte 1 

Quand foulons des tombeaux, les échos de nos pas 
Deviennent tout à coup des voix spirituelles 
Chantant bas à nos cœurs de saintes kyrielles, 
Nous parlant à la fois de vie et de trépas: 
Des Eglises sur nous pourquoi fermer la porte? 
Répondez beaux Messieurs de la Sainte Cohorte! 

Que s'il n'était qu'un seul, — qu'un seul, entendez-vous. 
Qui dut se convertir si vous laissiez ouvertes 
Tous les jours du bon Dieu les Eglises, oui, certes. 
De par Dieu, vous dirai-je, ôtez en les verrouxl 
Des Eglises, mes Beaux, ne fermez plus la porte. 
Un seul cœur converti vaut Saints de votre sorte! 



EPITAPHES. 297 



SNOW (ROBERT). 
Mort en 1863. 

Epitaphes. 

C'ÉTAIT par un beau jour dans le champ du repos, ' 

L'enfeint allait, venait, léger, vif et dispos, 

Et s'amusait à lire en sa joyeuse allure 

L'épitaphe du mort sur chaque sépulture. 

Ces morts avaient été, disaient les monuments, 

Pères, mères, époux^ femmes, amis, parents — 

L'enfjEUit lut comme quoi modestes et sincères. 

Ces nombreux ex- vivants furent entr' eux des frères, 

Des Chrétiens ne rêvant que des choses d'en haut, 

Ayant force vertus, pas le moindre défaut. 

Et tous ayant été si parfaits sur la terre, 

Qu'ils reposent en paix avec Dieu — notre Père ! 

Les yeux du jeime enfant rencontrèrent ici 

Le regard maternel qui l'épiait aussi. 

" Mère," fit-il, " j'ai lu de bien charmantes choses 

Sur ces tombeaux ornés de cyprès et de roses ;" 

Et puis il s'arrêta comme à moitié craintif. 

Puis reprenant courage, et d'un ton décisif: 

" Tu m'as dit, maintefois, n'est-ce pas, bonne mère. 

Que les méchants, les bons, tous passent sur la terre ; 

Que chacun doit mourir. — Ces tombeaux, je le sais. 

Sont tous peuplés de morts qui sont dans les cieux . . . Mais 

Oh I dis-moi donc, maman ? où se trouve la place. 

Où dorment les méchants ? .... je n'en vois pas de trace !" 

La mère caressant les cheveux de l'enfant 
S'apprêtait à parler, quand soudain décoiffant 
Sa tombe de cristal poiu* naître à la lumière, 
Un brillant papillon sur son aile légère 



298 hÉL JJBn9E FILLE AYEUGLB. 

S^élança dans Pespace .... Ardent à le chasser 
L^enfant courut après pour le mieux terrasser, 
Avant que la maman à sa naïve enquête : 
" Où dorment les méchants ?^* eut eu réponse prête. 
Ce qui ne parut pas du tout la courroucer ! 



La Jeune Fille Aveugle. 

J'ai souvent soupçonné ma sœur 
Qu'en ta douce mélancolie 
Sur moi s'appitoyait ton cœur, 
Ce secret ta main le publie. 

Moi qui suis étrangère aux pleurs, 
Comment puis-je exciter tes larmes ? 
Quand je dors j'ai tous les bonheurs, 
Au réveil pour moi tout est charmes! 

J'aime le glouglou du ruisseau 
Qui donne frais à l'atmosphère, 
£t le soleil qui du coteau 
M'apporte un parfum de bruyère : 

£t tandis que pour leur éclat 
Chacun vante les fleurs qu'il aime, 
Moi par le sens de l'odorat 
Je sais où le bon Dieu les sème. 

Une fois t'en souviens -tu, sœur, 
Que j'écoutais sous notre treille 
Gazouiller l'eau de si bon cœur, 
Tu me dis voir une merveille, 

Tu l'appelais un arc-en-ciel 
Descendant du ciel à la terre, 
Et d'un éclat surnaturel 
Illuminant notre atmosphère ; 





Gt ont TOBr uaanse: gwyprnifc. 
^ perroi!- ce ^imsuosisiiiaL 






J'enuaàt vmnKr on» pus cm. s» 

L'or ÂB CDpVfSlSL ÔfSt 'VSCZ Jft **■""—* 

EeooBBMaasMiÈDt kJicrtaîSBm '. 
Ainsi que la lonâiE; l^«c 
D*im ciftTier. i&an àfôçi bcnnsuoii 
Peut preomÎT kr f Jairi^f ihène, 

La scioice dn gai aaToir 
Pour moi n'a plus aucun mystère. 
Et j*ai, quand je veux, le pouvoir 
D'obtenir sur tout la lumière: 



SOCi L4^ BATAILLE DE BLENUEIIA. 

Ou réfléchissant dans mon cœur 
Sur les dogmes de T Ecriture, 
J'apprends du divin Rédempteur 
Comment sa loi nous advint pure ! - 

Sœur î ne va pas t'émerveiller, 

Ni croire qu'ici je m'égare, 

Pour comprendre ce mot ** briller " 

J'ai des sens, eux seuls sont mon phare. 

Un jour viendra, jour de splendeur, 
Ou par une grâce efficace 
Vêtus d'immuable blancheur 
Nous verrons tous Dieu face à face ! 



SOUTHEY (KOBERT). 

Né en 1774— Mort en 1843. 
La Bataille de Blenheim. 

C'ÉTAIT par un beau soir d'été, 
Le vieux Kaspar après l'ouvrage 
Sous sou porche à l'épais feuillage 
Humait le doux /ar niente. 
Tandis que près de la charmille 
S'ébattait sa petite fille. 

L'enfant n'avait pas assez d'yeux 
Pour voir une espèce de boule 
Que voilà son frère qui roule. 
Roule, roule d'un air joyeux ; 
Lui le garçon, le petit Pierre 
Venait demander à Grand-père 



LA BATAILLE DE 6LEKHEIM. 301 

Ce que c'était que ce joujou. 
Easpar prît de ses mains la chose, 
Puis il dit, après une pause : 
** Oh I cela vient je sais bien d'où; 
C'est le crâne, imbibé de gloire, 
D'un mort de la grande victoire. 

Cela je le trouve au jardin 

Ici, partout il en foisonne, 

Et mon soc souvent en moissonne 

Quand il retourne le terrain, 

C'est que des milliers, c'est notoire. 

Sont morts dans la grande victoire ! " 

" Pour qui, pourquoi se battaient- ils?" 

Dit tout à coup le petit Pierre, 

Et sa sœur leva sa paupière 

Laissant là ses jeux puérils : 

" Dites-Bous, dites-nous grand-père 

Quel fut le pourquoi de la guerre ?" 

" Les Anglais," répondit Kaspar, 
"Mirent les Français en déroute ; 
Pourquoi s'égorgeaient-ils? . . . j'en doute 
Ceci pour moi n'est que brouillard : 
Mais on le dit, c'est de l'histoire 
Ce fut une fière victoire! 

" Tout près de ce petit ruisseau 
Vivait alors mon pauvre père, 
On incendia sa chaumière. 
Et l'on mit à sac le hameau. 
Ne sachant où porter sa tête 
Il s'enfuit devant la conquête 



302 LA BATAILLE DE BLEKHEIM. 

" Avec ma mère et ses enfants. 
Le pays ëtait au pillage, 
Et rien^ ni le sexe ni Tâge, 
Rien n^arrêtait les triomphants. 
Mais tout cela c'est Taccessoire 
De chaque célèbre victoire. 

^^ C^étaît, dit-on, spectacle affîreux 
Après la sanglante bataille, 
De voir gisant, vaille que vaille, 
Nombre de cadavres hideux. 
Mais tout cela, c^est Faccessoire 
De chaque célèbre victoire. 

^^ Le Duc Marlbro* gagna pardieu ! 
Renom, aussi le Prince Eugène ! " • . . 
— " Ohl que tout ça m*eut fait de peine I ' 
Dit Wilhelmine : " Oh I non, mon Dieu ! 
Enfant, tout ça, c'est de la gloire ! 
Ce fut une fière victoire I 

" Et le Duc devint un Bayard 

Un héros" — " Mais alors," dit Pierre 

" Fûtes-vous plus heureux, grand-père?* 

— " Oh que nenni ! "... dit le vieillard : 

" Toujours est-il, et c'est notoire. 

Ce fut une fière victoire II î * 



I, 



LA. CATABACTI DE LODOBl. 308 

LA Cataracte de Lodore. 

Comment le flot descend-il à Lodore f 

Il descend tout éblouigsant, 
Sombre parfois, et mugissant ; 
Ici fumant, là frémissant, 
Filant vite, vite, et luttant, 
Renversant presque son amphore ; 
Puis de temps en temps tempêtant, 
Et sévissant, et sanglotant 
Avec des cris de minotaure. 

Et surgissant, et bondissant, 

Et se traînant, et s'affaissant. 

Et se gonflant, se dégonflant 

Et 8*ondoyant, se d^erlant. 

Et tournoyant et jaillissant, 

Et folâtrant, et blanchissant. 

Et se tournant, se retournant 
Que c'est merveille I 

Se rassemblant, puis s'inclinant 
Avec ces doux glouglous que fait une bouteille ! 

Et puis frappant, puis se pâmant, 

Puis s'endormaut, toujours charmant. 

Se confondant, se reformant 
Et donnant un vertige, une peur à Foreille I 

Se retirant, et s'avançant' 

Et se brisant, et se berçant. 

Se séparant, et s^élançant. 

Et serpentant, et s'étalant, 

Et bourdonnant, ou bien siôlant, 

Et frétillant, et frémissant, 

Et se tordant, s* entortillant, 

Se secouant, se bousculant, 

Et tremblotant, et mugissant. 

Frappant, fendant, se trémoussant, 



W* lA MïiiATï >X Lft»>RE. 






±£ iMTrTTiinr ic 




.:• 



v!n iuoL m riàwr en bÔBi Kn&ant. 
•>x. jun. i^*aiiÀinBU£. ^« $« pwfhiwiiif. 

•>i 'rôEit jrTTflTHÎiias. cKib» c^uetant. 

ChfçcssuuL j>rofr-''a.Tt. -^^ygârT. p ir ooe itt ni. 
S'Anxriau»s. fcuL^rftzt. oc l«c£ se rctîmit« 

S< ke^Lrac:, «« xoctulu oa bien nelwiidissant, 
Tr^T^ùldi::;. r.^svvoUBt. pîirpant. ^tincclant. 
Crùu3t« ev'iAbocssan:. dv4eat oq ntrimleiu. 
Ou bî^^n <» cihfvmnchdkBt dkeseecdaiit, descendant, 
OiKtiouUnt, n>aUnt« tonroïiis plus abondant, 
Av«^r un bnin stritient. àes éclairs de phosphore.. 



Voêlà comment U lioi riftit i Lodort ! 



LES FUNERAILLES D^UN SOLDAT. .^5 



Les Funérailles d'un Soldat. 

C'est la marche funèbre. Ecoutons, écoutons I 
Moi je ne pensais pas qu'en ces lugubres tons 

Il exista tant de magie. 

Mais silence, écoutons : 
La timbale voilée a gémi l'élégie, 
Et voilà que les fronts se sont courbés soudain 

Devant cet ambulant chagrin ; 

Et même de la populace 
La masse 

Silencieuse,— avec émoi 
Suit ce convoi. 
Et ce n'est point ici l'énorme mise-en-scène 

Que se permet un riche mort. 
Qui par le faste encor domine souveraine. 
Et soumet' la raison — même d'un esprit fort ; 
Non, ce n'est point ici cette troupe muette 
De noirs muets loués pour singer la douleur, 
Qui tous, de l'héritier, ou bien du fossoyeur 
Dissimulant la joie un peu trop indiscrète 
D'un chagrin de commande endossent l'étiquette ; 
Non, ce n'est point ici cette superbe aigrette 
Ondoyant au-dessus du noble corbillard. 
Cette pompe eut bien pu, sans capter im regard 
Passer — ^peut-être même un dédaigneux sourire 
Du pauvre eut salué la cendre du Messire 

Qui drapé dans son sot orgueil, 
Fait encore jabot, juché sur son cercueil. 
Mais ces sons mesurés, universel langage, 
Parlent de suite au cœur du jeune et du vieil âge, 
Et n'impriment qu'un seul et même sentiment 
Au vieillard, à l'enfant dans un pareil moment. 

X 



d06 LES EUNÉBAILLES d'UN SOLDAT. 

Mais de telles pensées 
Elles seront vite efiàcées. 
Tous ces soldats qui vont suivre jusqu'au tombeau 
Leur camarade mort, conmie on suit le drapeau, 
Avant la fin du jour auront dans une orgie 

Noyë cette élégie. 
Et par le fait qui peut le regretter ce mort ? 
Des liens sociaux sevré contre nature, 
Il ne connut jamais ni repos, ni confort. 
Ni le charme si doux d'admirer la figure 
De ses jeunes enfants, dont le malheureux sort 
Sera de ne jamais avoir connu leur père. 
Cet homme avant la mort d'avance anéanti. 

Cet homme le voilà parti, 
Parti de ce val de misère, 
Sans plus laisser de trace ici bas — que le vent 
Qui balaye la feuille et l'emporte en avant. 
Celle qui l'a porté, — celle qui fut sa mère 
N'apprendra pas sa mort... ah! pauvre cœur dolent I 
Sur son enfant elle a répandu bien des larmes. 
Le jour cil, la quittant, pour le métier des armes, 

H endossa l'uniforme sanglant. 

En vérité, nous autres hommes 
Nous sommes 

De l'argile aux mains du potier. 
Et comment ? Un esprit presque l'égal des anges 
Pourra s'approprier comme Arago, Cuvier, 
De la terre et des cieux les merveilles étranges, 
Tandis que son semblable, aussi créé par Dieu, 
Tout aussi bien doué restera dans ses langes. 
Devra traîner la vie errant sans feu ni lieu 

Comme ce soldat d'aventure. 

Tout ilotisme, et tout armure ; 
Ses nobles facultés en vain il les reçut, 
Puisqu'elles devaient être éteintes pour qu'il fût 



LES rUNÀR AILLES D*UK SOLDAT. 307 

Une vivante carabine, 
Un trépas portatif — un sabre— une machine î 

Et notez qu^il j a des geas 
Assez pervers, sinon assez peu clairvoyants 
Qui vont vous soutenir que tout ce beau désordre 

C'est Tordre ; 
Et que le Créateur pour l'homme et son plaisir 
Ayant fait toute chose, ainsi l'heureux loisir 
Sur les masses a droit d'asseoir son privilège ! 
Moralistes de cour 1 il est grossier le piège! 
Permis à vous de dire, ô Révérends Blagueurs 
Une fois par semaine à vos chers auditeurs : 
" Les pauvres sont bénis, car malgré leur détresse 
Bs goûteront aux cieux l'éternelle richesse ; 
S'ils ont faim, s'ils ont soif, s'ils ont froid ici bas^ 
Là haut, le pain, le vin ne leur manqueront pas, 
Ils se reposeront, le ciel n'est pas avare, 
Dans le sein d'Abraham avec le bon Lazare!" 
Eux-mêmes, cependant, ces éloquents prêcheurs 
Font main basse sur tout, sur l'argent, les honneurs. 

Ils s'emparent des bonnes choses^ 
Ils dînent de l'autel, et soupent de leurs gloses. 
Tels sont pourtant, Seigneur, tels sont ceux ici bas 
Qui s'imaginent voir tant et tant de mystères 
Dans ton simple Evangile — et qui n'y voyent pas 
Que les hommes devraient tous se traiter en frères ; 
Qu'ils devraient pratiquer cette si douce paix 

Qui serait le ciel sur la terre ; 
Mais qui n'y voyent pas : '^ Anathème à jamais 

Sur qui répand le sang d'un frère ! " 
Ayant des yeux de lynx, mais dans l'obscurité, 
Hiboux, mais à midi — déniant la clarté ! 

O mon Dieu! moi je te rends grâces 
(Ne suis Pharisien en te disant cela), 

x2 



806 MABIE, LA FILLI DE L'ACBneS. 



U avoir sauvé non eœv de lembUblet dugrâces, 

De nètn pas de ces gens-là: 

Mais de m'aroir donné l'oefl qui Toit et découvre, 

La Toix qui sait parler, le cœur qui sait sentir, 

Une bouche qui toigours s'ouvre 

Contre Tiniquité prompte à tout subvertir ! 



Maris, la Fille de l'Auberge. 
BaUade. 

Quelle est cette insensée à l'œil triste et hagard, 

Dont le front sucGombe à la peine? 
Ellle ne pleure pas, mais morne est son regard. 
Elle ne se plaint pas, mais soupire à Técart, 

Pour elle respérance est vaine. 

Elle ne dit jamais : ** Faites-moi charité, 

Donnez-moi de la nourriture ; " 

A travers ses haillons de son aspérité 

Le vent souffle l'hiver, — malgré sa nudité 

Elle n*en sent pas la piqûre. 

Et pourtant il n'est pas déjà si loin le jour 

Oii la pauvre folle Marie, 
Etait heureuse et gaie — ^11 n*était à Tentour 
Servante plus honnête, et meilleure en&nt pour 

Prendre à bien la plaisanterie. 

Son maintien avenant plaisait au voyageur, 

Pour tous elle avait un sourire ; 

Elle était courageuse, ignorait la frayeur ; 

Le soir à Tabbaye elle eut été sans peur 

Quand le vent la faisait bruire. 



MABIE, LA FILLE DE l'aUBEBOS. 309 

Elle aimait; et Richard avait fixé son choix, 

Elle espérait bien être heureuse, 

Mais las ! Richard était paresseux et sournois, 

Et chacun la plaignait parmi les villageois 

D^nne union si peu chanceuse. 

On était en automne, et sombre était la nuit. 

Toutes les portes étaient closes. 

Deux voyageurs assis, dans leur joyeux déduit 

Devisaient, en fumant, attendant le minuit 

Pour mettre sourdine à leurs gloses. 

" C'est amusant," dit Tun, attablé près du feu, 

" Au dehors d'entendre la bise !" 

** Dans l'abbaye," dit l'autre, " Oh! quelle nuit, bon Dieu! 

Ce serait courageux que de se faire un jeu 

D'aller y cneillir le cytise?... 

" Moi-même j'aurais peur — ^peur comme un écolier 

D'entendre frissonner le Herre, 
Je m'imaginerais voir surgir du charnier 
Ou quelque moine austère or quelque chevalier 

Tout à coup sortant de leur bière." 

— " Je parie un dîner," s'écria le premier, 

" Que Marie irait à cette heure." 
— ** Pariez, et surtout soyez prêt à payer," 
Dit l'autre ; "je suis sûr que de peur au moustier 

Marie y périrait sur l'heure." 

— " Permettras-tu, Marie," a dit le voyageur, 

" Qu'on mette en doute ton courage? 

" Je suis sûr de gagner, j'ai foi dans ton grand cœur. 

Tiens, va, tu gagneras un bonnet de valeur 

En rapportant de ce voyage 



810 MARIE, LA FILLE DE l'aUBESOE. 

Un rameau dn sureau qui pousse dans le choeur/* 

Sans émoi, Marie est partie* 
La nuit était obscure, et le vent tapageur 
Grondant, sifflant, soufflant, distillant sa fureur. 

De firoid faisait trembler Marie. 

Elle va cependant connaissant le chemin 

Droit à Tabbaye ; et sa vue 
A peine à distinguer le porche ... mais enfin 
Elle entre sans frayeur, bien que le noir sapin 

Râlât ballotté par la nue. 

Tout autour d'elle était morne et silencieux. 

Excepté quand la rude bise 

Fai^it trembler le sol de ses sons caverneux. 

Elle écarte, elle écrase yeuses et joncs poreux 

Jusqu'au chœur de la vieille église. 

C'était en cet endroit que croissait le sureau ; 

Contente, elle en approche vite, 
Et se met à cueillir le précieux rameau, 
Quand le son d'une voix vibrant sur le préàu 

La remplit de terreur subite. 

Elle s'arrête émue — et seul le bruit du vent 

D'abord semble agiter le lierre. 
Soudain le vent s'appaise, alors en écoutant 
Elle entend clairement les pas d'hommes venant 

Troubler la paix du cimetière. 

En entendant ces pas tout contre un monument 

Elle se blottit haletante. 
Taudis que d'un nuage au haut du firmament 
La lune s'échappant fait voir à ce moment 

Un tableau hideux d'épouvante. 



MABIE, LA FILLB DE l'aUBEBOE. 811 

Deux meurtriers portaient un cadavre sanglant ; 

Le vent soufflant avec furie, 
E^eva le chapeau de Tun, qui fut roulant 
Roulant, roulant, roulant, mais enfin s^arrêtant 

Aux pieds de la pauvre Marie. 

" Maudit soit ce chapeau! " — " Vétille par ma foi ! 

Portons d^abord le diable en terre!" 
Tout près d^elle, elle voit passer Taffireux convoi, 
Elle prend le chapeau, puis dans son juste effi*oi 

Court prompte comme le tonnerre. 

Elle court, elle court, elle arrive bientôt 

A Pauberge, entre dans la salle. 

Jette tout autour d^elle un regard idiot, 

Et sans même pouvoir articuler un mot, 

Froide elle tombe sur la dalle. 

C'est qu'un nom bien connu gravé dans le chapeau 

Avait soudain frappé sa vue, 
Le nom de son Richard, de lliomme du préau. 
C'est que ce nom si cher fit frémir son cerveau 

D'une douleur tout imprévue. 

******* 

****** 
*♦♦♦♦*♦ 

Sur la commune, près de Tantique manoir 

Où surgit la vieille abbaye. 

Le gibet de Richard on peut encor le voir : 

Le voyageur ému quand il passe le soir 

Donne un pleur au sort de Marie! 






312. le temps toubwe toujours. 

L'Hiver. 

SONNET. 

On te dépeint toujours comme ud vieillard morose 

Et rîdë, vieil hiver! Et portant au menton 

Une barbe mousseuse, — à la main un bâton, 

Avec un nez pointu d'où descend quelque chose, 

Ou neige, ou glace, ou pluie en s^ métamorphose; 

Affublé d'un manteau, monumental piéton 

Parmi neige et verglas tu parcours le canton. 

Il fallait te dépeindre avec une autre pose. 

Assis dans un fauteuil ainsi qu^un demi-Dieu 

Vieil Hiver 1 Et trônant le Roi du Coin du Feu, 

Tout entouré d'enfants comme un bon vieux grand père, 

Leur disant conte bleu, — quelque joyeuseté, 

Ou d'un vampire afireux l'horrible atrocité, 

Et tout en tisonnant et buvant Vole amère. 



SOUTHWELL (ROBERT). 

Né en 1650 -Mort en 1595. 

Le Temps tourne Toujours. 

L'Arbre court émondé peut reprendre croissance, 
La plante avec le temps renouveller ses fleurs, 
L'âme en peine trouver un baume à ses douleurs. 
Et le sol le plus sec une humide abondance : 
Le temps tourne toujours, et change en son parcours 
Les hazards de la vie en bons et mauvais jours. 

Elle n'est pas toujours sur le pic de sa roue 
La Fortime; elle tourne, a ses hauts et ses bas» 
Femme, elle fait souvent métier de ses appas ; 
Se jette au cou de l'un, et l'autre le bafoue : 
Il n'est si grand bonheur qui n'ait pas son déclin, 
Non plus malheur si grand qui ne s'amende enfin. 



S? 






SONNET xxyi. 318 

Ce n^est toujours Tétë, ni sans cesse i^automne, 
Point dMtemelle nuit, point de jour étemel, 
L^oiseau le moins chanteur un jour chante Noël, 
La plus rude tempête au calme monotone 
Cède soudainement: ainsi Dieu tour à tour 
Ajuste tout, la crainte et Tespoir en retour. 

Ce qu^un hazard fit perdre, un hazard le répare ; 
Filet qui ne prend pas gros poisson, prend fretin; 
Chacun a ses ennuis, personne ennuis sans fin ; 
Nul n^a tout ce qu^il veut, quelques uns, c'est plus rare. 
Sont contents de leur sort ; bref nul être ici bas 
N^a plaisirs sans mélange, et sans quelqu* embarras! 



SPENCER (EDMUND). 

Né en 1553— Mort en 1599. 

Sonnet XXVI. 

Douce est la Rose, mais son bois est épineux; 
Doux le Grenièvre, mais son acreté mordante; 
Doux est l'Eglantier, mais son écorce est piquante; 
Douce est la fleur du Pin, mais rudes ses cheveux; 
Doux encor le Cyprès, mais son front souffreteux; 
Douce est aussi la Noix, mais l'écale irritante; 
Douce est la fleur d'Ajonc, mais l'odeur suffoquante; 
Doux est l'Ail en sa fleur, mais son sentir fâcheux: 
Ainsi toutes douceurs se greffent d'amertume. 
Ce qui donne à leur fruit l'éclat, et le parfume; 
Car tout ce qu'ici bas l'homme obtient sans effort, 
Loin de le rechercher, il n'en tâtera mie. 
Pourquoi donc de me plaindre avoir la bonhomie 
Quand si peu de douleur doit nous conduire au port? 



814 B£yD8-M0I DOVÔ MON CŒUR, JE TB PRIE. 



SUCKLING (SIR JOHN). 
Né en 1608— Mort en 1661. 

Rends-Moi donc mon Cœur, je te Prie. 

Rends-moi donc mon cœur, je te prie, 
Puisque ne puis avoir le tien. 
Si tu gardes ton cœur, chërie, 
Pourquoi, lors, aurais-tu le mien ? 

Mais bastel à quoi bon me le rendre? 
Ne le pourrais garder mon cœur! 
Car pour bientôt me le reprendre 
Dans ton œil se cache un voleur 1 

Pourquoi dans une auberge hiunaine 
Deux cœurs ne logeraient-ils pas? 
Amour ta sympathie est vaine 
Ou bien impuissants sont tes lacs! 

Mais l'amour est un tel mystère, 
Que je ne le puis découvrir; 
C'est quand on se croit sûr de plaire 
Qu'il s'empresse de déguerpir. 

Adonc chagrins, soucis arriére! 
Je ne veux plus sécher sur pié; 
Je veux croire qu'ai su lui. plaire. 
Et que nos cœurs sont de moitié! 



k 



BALLAJ>£ SUK UNS N00£. 315 



Ballade sur une Noce. 

Je te dirai, Richard, où moi je suis allë, 

Oii j^ai vu les plus rares choses, 
Oii parmi les fleurs et les roses 
J'ai vu curieux défilé, 
Vois-tu fiichardy vois^tu, mon cher, un tel spectacle 
Sur notre sol anglais est vraiment un miracle. 

A Channg Cross non loin de notre halle au foin 
Est une maison assez vieille. 
Comme il en est peu de pareille, 
Qui se pavane dans un coin; 
Là je vis des d^és d'un beau perron descendre 
Quarante individus,— de plus un beau Léandre, 

Il était celui là diablement ficelé, 

(Sa barbe était comme la tienne), 
Allant devant, comme une antienne, 
D marchait droit fort ampoulé. 
Près de lui notre Lord ce serait un fétiche, 
Pour se mettre aussi bien le Roi n'est assez riche! 

Richard sans aucun doute, à ce jeu '^e Partner," 
Toutes les filles du village 
L'eussent choisi, vu son plumage, 
Il eut eu pour lui chaque Ësther, 
Nargue du gros Roger, de George qui chansonne, 
Ou bien du vigoureux Vincent de la Couronne! 

Mais devines- tu pas? — Le jeune gars allait 
En ce magnifique équipage, 
Faire une fin, — un mariage, 
Bre^le chapelain l'attendait: 
Cependant, et malgré son désir d'aller vite, 
Moins que la jeune fille il convoitait leur gîte. 



316 BALLADE 8VB UNE NOCE. 

La jeune fille! (Ahl c'est toute une histoire dà! 
Jamais d*Adam plus gente côte, 
Jamais aie de Pentecôte, 
N^ont produit plus joli que ça!) 
Non, jamais en un mot, la plus féconde vigne 
Ne fit voir un raisin plus doux et plus insigne. 

Son gentil doigt était si petit, que Tanneau 

Trop large un brin, c'était cocasse. 
Ne pouvait y rester en place: 
Est-ce qu^il n'était pas nouveau? 
Cela m'avait tout l'air, admire ma bêtise 
Du grand collier qu'on met quelquefois à la Grise. 

Sous sa jupe ses pieds, ses pieds d'un moule exquis, 
Allaient en avant, en arrière. 
Comme s'ils craignaient la lumière; 
On eut dit deux jeunes souris; 
Mais va! quand elle danse, ah! c'est de par Saint Jacques 
Plus beau que le soleil en un beau jour de Pâques! 

Il aurait bien voulu lui donner un baiser 

Deux fois, trois fois, quatre fois même, 
Tant était son ardeur extrême: 
Mais devant tous, comment oser? 
Elle eut refusé net; mais disait son silence: 
A moi le jour! ... A vous ce soir après la danse! 

Un blanc si beau, si pur sur son visage était 
Que la plus blanche pâquerette 
Malgré sa gente colerette, 
Devant elle n'eut eu d'effet. 
Ajoute deux filets de couleur purpurine 
Tels qu'on en voit aux fruits de Sainte Catherine. 



BALLADE SUE TNB NOCB. 817 

Ses deux lèvres étaient d'un charmant incarnat^ 

L'une avait dû par une abeille 

Etre piquée, et c'est merveille 

Avoir commis tel attentat ! 
Car ils veillent si bien ses yeux sur sa figure, 
Que moi de les fixer n'eut osé, je te jurel 

Sa bouche est si petite alors qu'elle s'en sert 
Pour faire son gentil parlage. 
Que vrai, je craignais qu'au passage 
Le mot, sous si joli couvert 
Ne s'arrêta soudain, mais sa douce parole 
Coule bénignement comme l'eau d'une phiole. 

Si des souhaits formés sont réputés péchés. 
Certes le prêtre fut coupable. 
Mais c'est qu'elle eut damné le diable I 
Et si dans des mots bien touchés. 
L'époux a, ce soir là, déboutonné son âme. 
Comme un chacun en rêve, — ^il a dû perdre iiamme. 

Mais Dieu de Dieu vraiment je m'en donne Richard ! 

Et n'est-ce pas billevesée? 

M'est avis qu'outre l'épousée 

Il est d'autres choses à part. 
Grand est le brouhaha qu'on fait dans la cuisine, 
Car l'homme doit manger, et tiens voilà qu'on dîne. 

Tout juste à point nommé, le Chef frappe trois fois : 
Au fait de ce soudain langage. 
Voilà les servants de tout âge 
Chacun plat en main, l'air courtois. 
Marchant comme soldats, puis présentant les armes, 
Et puis se retirant en rang comme des carmes. 



818 BALLABS BVn VWR KOOE. 

Quand 8ur Ténorme table on eut placé les mets, 
Quel homme, je te le demande, 
D*une nature un peu gounnande 
Eut attendu les si, les mais 

Pour manger; — aussi bien, et c^est un fait notable 

Sans Benedicùe chacun se mit à table. 

Et maintenant des fronts se lèvent les chapeaux, 
Et la jeunesse fait bombance, 
On boit les santés d^abondance, 
A tous, puis aux époux nouveaux ; 
Et puis tout haut, tout bas, à la belle épousée, 
Enfin de toasts divers c^était une fusée! 

On se lève à la hâte, on danse tout à coup. 
Puis on s'assied près de sa belle. 
On cause, on fait de la prunelle, 
Et Ton s^embrasse coup sur coup. 
Ainsi passa le temps, si bien que, c'était drôle, 
Des mariés chacun enviait Thenreux rôle! 

Voilà que par ce temps tous et furtivement 
A pas de loup quittent la salle 
Pour déshabiller la vestale. 
Et veiller au dernier moment. 
Lui ne doit rien savoir; mais il sait par avance 
Qu*il en a pour une heure à rêver d'espérance. 

Dans la chambre à coucher quand il entra, Richard, 
Elle était dans un lit de neige 
Comme une vierge du Corrège: 
On s'en fut, c'était déjà tard: 
Les baisers trop longtemps restés en sentinelles 
Quittaient déjà leur poste et froissaient les dentelles. 



k 



AUCUN AGE »*EST CONTENT DE BON SORT. 819 

Mais au même moment comme pour Temiuyer 
Yoilà-t-il pas les demoîselleB 
De la noce, apportant entr^elles 
Le Possei — soudain sans crier 

Il le but; sans cela ces dignes filles d^Eve 

A leur malignité n'eussent donné de trêve. 

La coupe est vide enfin. — N — I ni, c'est fini; 
Et de cet instant à Taurore, 
Ils font ce que n'avaient encore 
Fait — avec plaisir infini. 
Et qu'est ce? vas-tu dire; — "Ah bien î ce quelque chose, 
Qu'avec Nelly tu fis, que je fis avec Rose ! " 



SURREY (COMTE DE). 

Né en 1516— Mort en 1547. 

Aucun Age n'est Content de son Sort., 

Comme je méditais dans mon lit solitaire 
Laissant à mes pensers tout l'heur de me distraire, 
Leur magique reflet passa devant mes yeux 
Si bien — que tour à tour j'étais triste ou joyeux. 

Je voyais l'homme enfant, — et puis je pensais comme 
Pour esquiver le fouet, il désirait être homme — 
Je voyais le jeune homme en quête du confort 
Contre l'or du vieillard prêt à troquer son sort. 

Je voyais le vieillard flairant une fin proche 
Chercher de son jeune âge à remonter le coche. 
Pour vivre autant de plus, — et riais à la fois 
De les voir mal contents, — chacun et tous les trois. 



820 LA PEBCE-KETGE. 

£t je me demandais s^il n'était pas étrange 

De nous voir ce désir qoi change et toujours change, 

Et tout gîsant pensif j'appercevais soudain 

Mon front jaune et boueux et ma débile main; 

Et mes lèvres aussi — portes qui d'elles-mêmes 
S'ouvrent lorsque je parle — ont dit ces mots suprêmes: 
*'Yois donc tes cheveux blancs, messagers du destin, 
Ne te disent-ils pas: ta vie est à sa fin ? 

Orateurs éloquents eu leur muet silence, 
Ils disent que pour toi TEtemité commence I 
Arrière donc à tout ce qui fut du Printemps, 
Vieillard nous diras-tu quel fut ton heureux temps?" 

Et sur ce je me dis: '*A chacun sa marotte, 
Fais ton paquet ma Muse, et va-t-en ma vieillotte 
Aux tout petits enfants dire... que Tâge heureux 
Serait leur â&:e si —tous ils le savaient mieux!" 



TATHAM (MISS EMMA). 
Né en 1829— Mort en 1855. 

La Perce-Neige. 

Tremblante au vent de la tempête, 
Sous son souffle courbant la tête 
Vers la terre penchée . . . ô Fleur 
Première enfant de la Naturel 
A qui ressembles-tu sous la robe si pure 
Qui cache si bien ta pudeur? 

Serais tu pas une fillette 
Hardie, et s'élançant coquette 
Toute pimpante du boudoir? 
Oh ! non ta naïve figure 
pu péché de Torgueil ne sentit la morsure 
Jamais; cela se peut bien voir! 



k 



LA PEBCE-NEIOE. 321 

Nouvelle éelose sur la terre 
D^à serais-tu pas sans mère, 
Jetëe au monde, à ses mépris, 
Qui les pétrifiera tes larmes ? 
Non pas I un cœur joyeux s'apperçoit dans tes charmes, 
Sous ton voile blanc tu souris I 



" Sainte Nonne " est ton nom peut-être ? 
N'ayant rien du chaud de notre être, 
A toute humaine passion 
Est vérouîllé ton cœur de glace I 
Non pas! Tamour profond il se lit sur ta face 
Empreinte de componction. 

Ton emblème te le dirai-je ? 
Sous ton bonnet de perce-neige 
Je vois la fenune au noble cœur 
Du Christ arborant la bannière 
Non dans son doux climat, mais parmi la bruyère 
D*un pays lointain sans chaleur. 

Au Grroënland, chez les Moraves, 
Chez ces frères si bons, si braves, 
Sous ton cénotaphe, ô JudsonI 
Fleurit cette fleur humble et chère, 
La Sainte Charité la fit en Angleterre 
S'acclimater même en prison. 

Du désespoir dans les repaires 
Oh grouillent toutes les misères, 
Fleurit encor la douce Fleur. 
A tous les maux c'est un dictame, 
Elle adoucit la haine, et rend la vie à Pâme 
Qu'accablait le poids du malheur. 

Y 



322 LE BANC BU SEIOyEUB DU VILLAGE. 

ma suave Perce-neige I 
Dieu sait que c'est sans sacril^, 
Que je te compare à la fleur 
Unique enfant de Tinnocence, 
Qui vécut sans péché, — sans commettre une offense 
Et n'eut qu'un parfum... la candeur! 

Lui, le Christ, le Sauveur du monde 
Quand il vint sur ce sol immonde 
Dût être en proie à l'ouragan ; 
Et pour mieux racheter le pleige , 
Qu'il fit de nous sauver, comme la Perce*-neige 
Brava les fureurs de l'i^utau ! 



TAYLOR (MISS JANE). 
Née en 1783 — Morte en 1823. 

Le Banc du Seigneur du Village. 

Un oblique rayon de la clarté du soir 

Filtre à travers le châssis jaune. 
Et donne un reflet d'anémone 

Au cramoisi fané qui tire sur le noir. 

Le gothique châssis entouré de grisailles 

Projette sa grande ombre à l'entour des murailles. 

Et depuis le moment où tous ces beaux atours 
Avaient la firaîcheur du jeune âge, 
Oh ! combien de jours sans nuage 

Sont venus dérober sa couleur au velours. 

Et combien de soleils ont laissé leur empreinte 

Sur ces murs déjà vieux d'ui^e si riche teinte. 



LX BANC Dr SEIGKEUB DU VILLAGE. 323 

Sous ce beau tertre vert elle doit, m^est avis, 

S'être émiettée en poussière 

La main habile et roturière 
Qui fit ce gland de chêne, et cette fleur-de-lis ; 
Et maintenant le ver, cet artiste émérite 
Contrefait le ciseau du sculpteur, et Timite. 

Lorsque Jacque était roi (dans les jours d'autrefois 

Comme nous disons dans cet âge) 

Le noble Seigneur du village 
Amenait du manoir tout un peuple de choix 
Autour de lui rangé, brillant comme escarboucles 
Avec habits brodes et beaux souliers à boucles. 

Sur coussins de damas chacun à deux genoux 
Ouvrait son livre de prières 
Que d'airain fermaient des charnières, 

Et priait le bon Dieu d'un air pieux et doux, 

Ayant pour le verset une réponse prête 

Lorsque l'officiant en faisait la requête. 

Au rayon de soleil qui sur les bas côtés 

S'infiltre long et solitaire. 

Voyez reluire sur la pierre 
Caractères d'airain dans le marbre incrustés; 
Là gît dans le tombeau, le Seigneur du village. 
Le puissant Chevalier, et son noble entourage. 

Sa Dame et lui, tous deux, voyez-les étendus 
Près l'tm de l'autre sur la pierre, 
Les mains jointes, comme en prière. 

Depuis que dans la mort tous deux sont descendus : 

Lui, le corps tout bardé de fer, en son armure ; 

Elle, en longs vêtements tout garnis de guipure. 

Y 2 



324 LE BAXC DU SEieifEUB DU TILLAOE. 

Ennmérés selon Tordre où les prit la mort, 

Sonf leurs enfants ; grand est leur nombre, 
Ils s'inclinent devant leur ombre 
Comme s'ils essayaient dans un dernier effort 
D'expier leurs péchés , d'expier leur misère, 
Par un meâ culpâ sans fin gravé sur pierre. 

Ces jours sont déjà loin ; —des générations 
Ainsi qu'épis de blé nombreuses 
Sous ces voûtes silencieuses 
Ont occupé le banc dans leurs dévotions: 
Et s'en vont tour à tour, et sans cesse et sans cesse. 
Occuper le caveau d'en bas, par droit d'aînesse. 

Et de nos jours encor le Seigneur du manoir 
Gentilhomme aux grandes manières, 
Avec de riches héritières 

Vient, pendant la saison, au même banc s'asseoir ; 

Remplissant le saint lieu de son bruit, de son faste, 

De belles et de beaux, cortège de sa caste : 

Sans penser en foulant les dalles au son creux 

A cet asyle du silence 

Par où l'éternité conmience, 
Où reposent en paix ses parents, ses ayeux ; 
Qui devra recevoir dans un jour, dans une heure 
Le Seigneur Châtelain de sa noble demeure. 

Voyez î le char funèbre et la procession 

Parmi les arbres et l'ombrage 

Ils ont traversé le village, 
Pour s'arrêter ici, dernière station. 
De loin, de tout là bas, ils viennent à la terre 
Rendre ce Grand d'un jour qui n'est plus que poussière! 



LS YOYAGEUB PEBDU DANS LES NEIGES. 325 

Et quand sa race enfin dans ce dernier dortoir 

Reposera toute en silence, 

Un rayon de soleil, par chance, 
Viendra sur ces tombeaux glisser Tadieu du soir; 
Tandis que de nouveaux venus, au frais visage 
Occuperont le banc du Seigneur du village. 



THOMSON (JAMES). 

Né en 1699— Mort en 1746. 

Le Voyageur Perdu dans les Neiges. 

Quand dans Tair obscurci sévit le rude hiver 

Qu'il balaye la neige au plus haut de l*éther, 

Le paysan transi de froid et de misère 

A l'aspect de ses champs pleure et se désespère : 

H voit surgir des monts jusqu'alors inconnus, 

Disparaître la plaine et ses sentiers connus. 

Son œil inquisiteur ne voit plus la rivière, 

Ni le chemin plus court qui mène à la clairière; 

A travers les flocons de neige, et l'aquilon, 

Il erre impatient de colline en vallon, 

Le penser du chez soi lui redonne courage, 

Et par de vains efforts il fait face à l'orage. 

Mais Dieu! quel désespoir, quel sentiment d'horreur 

Vient émouvoir son âme, et vient navrer son cœur, 

Quand au lieu du clocher de son humble village 

Dont son œil abusé caressait le mirage, 

Il se voit tout à coup perdu dans un désert 

Où l'invisible sol de neige est recouvert; 

Loin de route tracée et du moindre vestige 

De pas humains — oh! c'est à donner le vertige! 

Surtout lorsque la nuit l'enlace de ses plis, 

Que mugit la tempête et son affreux roulis, 



326 LES TBOIS AY£BTI8S£HBNTS. 

Rendant ce lieu désert encor bien plus sauvage. 
A son esprit troublé lors grandit cette image 
D^abîmes recouverts, de crevasses sans fond, 
De perfides marais, ou bien du lac profond, 
Tous ces dangers cachés sous ce manteau de neige 
Sans un moyen, un seul, de se garer du piège: 
Ses subites frayeurs paralysent ses pas, 
Ira-t-il donc braver ces multiples trépas? 
Non; il se laisse cheoir sur ce monceau de glace. 
Et tout à coup la mort vient lui montrer sa face, 
La mort, si triste, hélas I lorsque loin de son toit 
Sans revoir femme, enfants, on doit mourir de froid. 
En vain pour son retour sa digne ménagère, 
Prépare un feu flambant, flanelle et bonne chère, 
En vain ses chers petits affrontant le verglas 
D^un œil guettent papa, papa qui ne vient pas, 
Demandant avec pleurs d^innocence ingénue 
Celui dont tant de cœurs appellent la venue. 
Las! le cher appelé, lui ne doit plus revoir 
Amis, enfants ou femme. En proie au désespoir 
L'hiver, le dur hiver dans sa neige le cloue, 
Glisse jusqu'à son cœur, dans un glaçon Técroue, 
Puis cadavre raidi, sous la brise du nord 
Dans son linceuil tout blanc, il le pousse et Tendort ! 



THRALE (MRS. HESTER LYNCH). 

Née en 1739— Morte en 1821. 

Les trois Avertissements. 

Pour qui lit couranmient au livre de nature 

Il est constant que l'arbre le plus vieux. 
Celui qui dans le sol étend sa chevelure 
Le plus profondément en fibres plantureux. 



I 



LIS TBOIS ATEBTISBXlCEirrB 327 

Est Tarbre qui de tous tient le plus à la terre. 
Aussi chez les anciens un dicton populaire 
Disait: '^Plus on vieillit, plus on aime à vieillir, 
Et Phomme le plus sage est rétif à mourir ! " 
Or si ce vieux dicton ne sait pas vous convaincre, 
Oyez tous mon histoire, et tâchez de vous vaincre. 

On riait, on dansait chez le voisin Dobson, 

On perçait nombre de futailles, 
C'était le jour des épousailles, 
La joie avait atteint le haut diapason; 
Lorsque Dame la Mort pimpante et radieuse. 
Vint trouver notre époux, et le prenant à part : 
"De ton décès, mon cher, je viens te faire part — " 

Dit-elle de sa voix moqueuse, 
"Il faut quitter Suzette, et me suivre . . . je parsl*' 
— "Quoi I . . . quitter ma Suzette, et pour vous suivre encote?" 
S'écria notre ^oux "... à peine à mon aurore! 
Quoi me traiter ainsi, sans les moindres égards. 
Ne le sayez-vous pas, c'est la nuit de mes noces. 
Entre nous, j'ai d'ailleurs d'autres chats à fouetter 
Ma foi ! que de vous suivre et qu'ainsi m'absenter 
Juste au moment où . . . — Mais, vos aurons sont atroces ..." 
Je ne puis dire ici la fin de ce discours. 
Ni les beaux arguments auxquels on eut recours. 
Ce que je sais c'est que la Mort fut débonnaire. 
Et laissa ce jour là vivre son adversaire ; 

Mais cependant, avant de le quitter 
Prenant son air atrabilaire: 
"Je ne veux plus," dit-elle, "avec toi discuter 
Mon bon!" et sur son front se lisait la colère, 
"Plus je ne veux non plus taquiner tes plaisirs. 

Ni chiffonner ta joie, 
Pour une fois je suis prête à lâcher ma proie. 
Et j'accorde un sursis à tes nombreux désirs! 

Bien mieux, afin d'éviter tout reproche, 
Lorsque ton heure sera proche 



828 LES TBOIS AYEBTISSEMEKTS. 

Ta recevras de moi trois avertissements, 
Ce que vos ''gueux d'huissiers" nonmient commandements, 

Avant que pour toujours la tombe 

Sur toi ne tombe; 
Espérant bien qu'alors tu seras tout dispos 
A sortir de ce monde, et sans nescio vosf^' 
Sur ce, contents tous deux, sans plus de patenôtre 
La Mort tira de ça, Dobson tira de Tautre. 

Maintenant veut-on, entre nous, 
Savoir ce qu'il advint de Dobson, notre époux. 
S'il vécut de longs jours, avec quelle sagesse, 
Et comment en un mot, il mena sa jeunesse? 
Tja muse complaisante aura bientôt écrit: " 

Dobson fit le conmierce, acquit et puis vendit. 
Sans penser un instant qu'arrivait la vieillesse. 
Que la mort approchait. — Il avait des amis 
Pas trop faux, — une fenmie à peu près ménagère. 

De grands profits, 
Des enfants peu nombreux, un sort vraiment prospère; 
Ses heures s'écoulaient doucement, lentement, 
Ses biens s'accumulaient prodigieusement. 
Mais tandis qu'il suivait le train train de la vie 

Sans trouble aucun, à peu près sans envie, 
Le Temps, ce Juif Errant, qui seul marche toujours, 
Jusqu'à quatre-vingts ans aggloméra ses jours. 
Or, un soir qu'il donnait audience aux pensées 

Passées, 
Advint la Mort. — "Sitôt de retour? . . ." dit Dobson. 
— "Sitôt, dis-tu? . . . C'est à mourir de rire" 
Reprit la Mort; — "Allons pas de façon. 
Depuis trente-six ans, moi je t'attends, vieux sire I 
Et tu fais le rétif, même à quatre-vingts ans ! " 
— "Tout beau! Vous devriez ménager mon grand âge," 
Reprit Dobson, " Je suis le doyen du village 

Ne doit-on pas respect aux cheveux blancs? 



LES TBOIS AYEBT18SEMENT8. 329 

Mais voyons si votre requête 
£&t bien fondée en droit, en équité. 
Je puis me rendre à la légalité, 
Mais préalablement il me faut une enquête ; 

Et d'ailleurs m'est avis 
Que vous m'aviez promis 
Avant que je ne meure 
Trois avertissements pour me mettre en demeure. 

Chaque jour, du soir au matin, 
J'attendis ces avis, ou plutôt ces messages, 

IhmquA]*9À droit à des dommages 
Pour ce manque de foi digne au plus d'un robin." 
— "Je le sais," dit la Mort, "et veux prendre la chose 

Du bon côté — Ma venue indispose ; 
Mais ne chicanons point. — Dis, pouvais-je prévoir 

Mon vieux Dobson que tu serais capable 
De clopiner encor de la ferme à Tétable 

Malgré tes ans, du matin jusqu'au soir ? 
Mes compliments, au moins, on n'est pas plus ingambe I" 
— " Minute," dit Dobson, "je boite d'une jambe 
Depuis tantôt quatre ans." — " Vraiment !" reprit la Mort, 
"Ce n'est pas étonnant; mais ils sont bons encore 
Tes yeux, et quand on peut posséder le confort 
De voir ceux qu'on chérit, de voir lever l'aurore. 
Cela compense bien de la perte d'un pié." 
— "Sans doute I . . . Mais hélas! Et cela fait pitié 

Admirez ma déconvenue. 
Il y a quelques jours que j'ai perdu la vue." 

— "C'est assez triste, par ma foi; 
Et vrai, je te plains beaucoup, moi!" 
Fit la Mort, " mais chacun s'empresse ici, je gage, 
A te tenir au fait des cancans du village?" 

— "Hélas! depuis longtemps 
Le village est veuf de cancans. 
On n'en fait plus — D'ailleurs, je le confesse," 



380 LE DETOIB ET LE PLAISTB. 

Reprit notre fermier ''rien ne m^amuse plus, 

Car avec la vieillesse 
Je sois devenu sonrd, et rien ne m^intéresse, 
A peine ai-je plaisir à compter mes écnsl^^ 

"Eh bien donc Insensé! Cadavre dans la vie, 
Qaels regrets sont les tiens? Qu'est pour toi la survie? 
Sourd, aveugle et boiteui — Ils sont donc superflus 
Ces trois avis donnés? — Que fallait-il de plus?" 
Dit la Mort^-Et soudain sur ce réquisitoire, 
EUe occit le Dobson. — Ainsi finit Thistoire! 



Le Devoir et le Plaisir. 

Le Devoir, le Plaisir depuis long-temps en guerre, 

Par hazard un jour sur la terre 
Se trouvèrent tous deux. — " Ne me dérangez pas, 

Allez voir si j'y suis là bas," 
Dit le Devoir avec impatience, 
Et puis se ravisant, et d'un ton radouci : 

" Mon cher tenez-vous à distance, 
Et ne me forcez pas de vous traiter ainsi." 

— " Vous avez, cher Monsieur, un fort bel accent grave," 
Dit le Plaisir, " Soyez de vous-même l'esclave. 
Permis à vous ; mais là pourquoi nous chamailler ? 
S'il vous plaît, vous pouvez devenir méthodiste 

Sans que je songe à vous railler, 
Puis-je trouver mauvais qu'il vous plaise être triste ? 
Mais ne m'arrêtez pas au moins dans mon chemin ; 
Cependant vous pourriez sans trop manquer au code 

Etre un peu moins bénédictin. 
Dérober un instant pour l'actrice à la mode, 
Donner une heure aux récréations, 

Une heure ou deux pour un peu vivre. 
Pour regarder l'oiseau dans ses ascensions, 
Ou respirer la fleur dont le parfum enivre. 



l 



SYMPATHIE. 331 

Croyez moi, cher Devoir, àXiet plus lentemetit»" 
*' Du matin je n'ai pas £ût moitié de ma tâche/' 
Dit le Devoir avec un sourd gémissement, 

^^ Contre moi-même je me fâche, 
Sous de fausses couleurs se montrent les objets, 
Et ne sais plus d'où je viens, où je vais. 
Vos plaisirs tant vantés ?... C'est de la boursouflure, 
A dada sur le vent qu'en reste-t-il? — piqûre I... 
Mais où donc êtes-vous? "... — " Envolé I " dit l'écho. 

" Le Plaisir est parti presto^ 

Car il voyait s'avancer l'âge, 
Maladie, et douleur et le noir sarcophage. 
Ne perdez pas de temps en regrets superflus^ 
Devoir ! encore un pas, vous touchez à l'ancrage, 
Et les portes du ciel s'ouvrant pour les élus 
Un éternel bonheur sera votre partage ; 
Car au ciel seul on voit auprès du doux Jésus 
Le Plaisir, le Devoir faire entr' eux bon ménage I " 



TIGHE (MRS). 

Née en 1773 — Morte en 1810. 

SïlfPATHIE. 

Si la tristesse envahissait ton cœur, 
Par mon chant tâcherais. Ami, de te distraire ; 
Que si, tout au contraire, étais de bonne humeur, 
Avec toi je rirais une journée entière. 

Si tu sentais le besoin de dormir, 
A veiller près de toi trouverais un grand charme ; 
Si le malheur sur toi venait s'appesantir, 
Pour chacun de tes pleurs donnerais une larme. 

Pas un soupir émané de ton cœur 
Qui ne trouve aussitôt un écho dans mon âme ; 
Et qu'un seul souci vienne altérer ton bonheur 
Mon repos est perdu; coupée en est la trame. 



i 



832 TEBB ÉGBITS DAKS LA TOUB. 

Puis à la fin, de ton dernier soupir 
Quand Timplacable mort viendra clamer la dette, 
Je prierai le bon Dieu de me laisser mourir 
Pour aller partager le froid de ta couchette ! 



TYCHBORN (CHIDICK). 

Mort en 1586. 

Vers 

Ecrits par Chidick Ttcuborn (encore jeune et en prison dans la 
tour) la nuit avant son exécution (1586). 

La fleur de ma jeunesse est un faisceau d^épines, 
Et mon festin de joie — un festin de douleur; 
Ma récolte de blé, c'est un champ en ruines, 
Et tout mon bien, — de gain un espoir imposteur: 
Le jour fuit; — du soleil point n'ai vu la lumière. 
Je vis, — et maintenant finit ma vie entière! 

Le printemps a passé, mais il n'a pas fleuri. 

Le fruit est mort, pourtant l'arbre a les feuilles vertes, 

Elle a fui ma jeunesse et ses fleurs sont inertes. 

Je vis le monde et lui ne me vit dépéri; 

n est coupé mon fil, et sa trame est entière, 

Je vis, et maintenant jà s'éteint ma lumière. 

Moi je cherchai la mort, — elle était dans mon sein; 
Moi je cherchai la vie, — et sus qu'elle est une ombre; 
Moi je foulai la terre ... et son argile sombre ; 
Moi je vis mon tombeau, mon tombeau de demain: 
Le sablier est plein, il marque ma carrière. 
Je vis, — et maintenant finit ma vie entière ! 



LES B RATES DU KENT. 333 



URFEY— d'— (TOM). 
Mort en 1723. 

Les Braves du Kent. 

Quoique vaillant de Ba personne 
Quand Harold eut perdu sa vie et sa couronne, 

Et que Guillaume le Normand 
Sur de sanglants débris vint s'asseoir Conquérant ; 
Quand des comtés afin de conserver leurs terres 

Se courbaient devant le vainqueur, 
Le Kent hardi ne fit pas de prières, 

Insoumis resta son grand cœur. 
Aux cœurs d'acier du Kent portons bon témoignage, 
Es sont braves, loyaux et remplis d'un beau feu, 
Où, parmi les Bretons, se plaît mieux le courage ? 

Dans le comté de Kent morbleu ! 

Du nouveau tyran à l'approche 
Les fiers franc-tenanciers sans peur et sans reproche. 

Mirent sur leur dos vigom^eux 
Une immense forêt de lances et d'épieux ; 
Et quand le Conquérant en ordre de bataille 

Les vit rangés ces valeureux ! 
Il s'assura cette noble muraille 

Par un traitement généreux : 
Les cœurs d'acier du Kent chantons les d'âge en âge. 
Ils sont braves, loyaux et remplis d'un beau feu. 
Où, parmi les Bretons, se plaît mieux le courage ? 

Dans le comté de Kent morbleu ! 

Et quand la paix de l'Angleterre 
Par le fait des Barons devint une chimère, 

Et qu'une chaude faction 
Laissa la porte ouverte à toute ambition. 



384 LES BBAYBS DU KENT. 

Tous les hommes du Kent furent comme un seul homme 

Batailler, changer le destin, 
Puis avec York ils surent mettre en somme 

L^œuvre bientôt à bonne fin. 
Les cœurs d^acier du Kent chantons les d^âge en âge, 
Ils sont braves, loyaux et remplis d^un beau feu. 
Où, parmi les Bretons, se plaît mieux le courage ? 

Dans le comté de Kent morbleu! 

Les bons, les généreux, les braves 
Dans le comté de Kent se trouvent sans entraves. 

Si de TEglise basse ils sont. 
Ils sont de la meilleure espèce ... et puis ils font 
Pour le Koi, pour les lois, non pour la haiete Eglise, 

Cause commune assurément ; 
Aimant le droit mesuré, sans méprise. 

Et les Cavaliers crânement! 
Les cœurs d'acier du Kent chantons les d'âge en âge. 
Ils sont braves, loyaux et remplis d'un beau feu. 
Où, parmi les Bretons, se plaît mieux le courage? 

Dans le comté de Kent morbleu! 

L'Eden, ou la Terre Promise 
Des Bénédictions, où tout se fertilise. 

Est maintenant à qui de droit; 
Car Canaan était le Kent ; — cela, se voit ! 
La Coupole de KnoU inscrite dans l'histoire, 

L'Eglise de Cantorbéry 
Les beaux Houblons sa richesse et sa gloire. 

Font du Kent un lieu favori : 
Donc les grands cœurs du Kent chantons les d'âge en âge. 
Us sont braves, loyaux et remplis d'un beau feu. 
Où, parmi les Bretons, se plaît mieux le courage? 

Dans le comté de Kent morbleu! 



MON ŒIL MOULT IL SOUPIRE. 335 



WALKER (WILLIAM SIDNEY). 

Né en 1795— Mort en 1846. 

Mon Œil Moult il Soupire. 

Mon œil moult il soupire — après cette rosée 
Mouillant de ses doux pleurs les feuilles du Printemps, 
Et mon oreille est bien mal avisée 

Quand elle n^entend, la rusée, 
De nouveau le matin des oiseaux les accents. 

Je me sens transporté vers ces vieilles praines 
Où l*orgueilleux pavot scintille dans le blé, 

Ou les maisons sont les blanches féeries 
Que le soir ofire aux rêveries, 
Oh le mont parait bleu sous le ciel étoile. 

Avec ténacité notre esprit se cramponne 
A la vieille façon des objets bien aimés; 

Profondément il sent, il s^abandonne 

Au doux souvenir qui rayonne, 
On bien à Tavenir . . . aux plaisirs innommés! 



Un Poème san8 Titre. 

ScENB— ^n« vcdlée peu fréquentée (si on peut en irouoer une) ntr les 
bords du Teign dans le Devonshire. — Heukb — Minuit. 

l'étranger. 

Eh I dis-moi. Vision, là dis-moi, sois sincère, 
Dis, d'où viens-tu? — Pourquoi de tes pas la lumière? 
Pourquoi te présenter ainsi dans mon sentier 
Avec ton œU railleur, et ton sourire altier? 



386 UN PO£ME SANS TITRE. 

Es-tu, dis, uu Esprit de malheur ou de joie? 
Sylphide ou Fée? Ou bien vêtu d'or et de soie 
Un Esprit noir ou blanc, un Esprit gris ou bleu? 
Dis, Merveille . . . Dis-moi la vérité morbleu 1 

l'apparition. 

De rOcéan je suis une Nymphe, et mon Sire 
De la mer sous ses lois retient le vaste empire. 
De mon roc escarpé je descends à la nuit 
Devers le peuple Fée à l'heure de minuit 
Pour folâtrer . . . partout oii l'herbe est verdoyante, 
Du Teign qui me connaît sur la rive attrayante. 
Mais toi, qui donc es-tu? — qui viens ici la nuit 
Profaner de ton pied ce tranquille réduit? 

l'étranger. 

Pardon, à vous pardon, ô Beauté radieuse! 
Pauvre Magicien d'humeur aventureuse 
Suis parti pour aller à l'occident là bas. 
Devers une sorcière, et sans égale, hélas ! 
Mais signes étoiles, et sinistre présage 
Sont venus me traquer au milieu du voyage. 
Et maintenant me faut aller quêter abri 
Aux grottes de la Nymphe, au puits de la Pixy, 
Jusqu'à ce que la nuit ait fait place à l'aurore. — 
Bonne chance Beauté! Pardon à vous encore! 

l'apparition. 

Homme artificieux! Par la conque d'azur 
Du Triton, j'ai percé soudain ton masque impur. 
Tu dois être, vois-tu, j'en ai la certitude, 
Cet infâme Sorcier qui dans la solitude 
A l'orient là bas, près d'un ruisseau traînard. 
Pour préparer des sorts, vit tout seul à l'écart 
Aujourd' hui de ton vilain gîte 
Tu viens de ton souffle hypocrite 



r 

i 



LA KOSE. 337 

Nieller nos berceaux, annihiler leurs tieurs, 

Sur nos arbres épandre et brouillards et vapeurs, 

DesB^her nos vallons et nos vertes collines, 

Et sur tous ces débris étager tes ruines: 

Ohl ne marmotte pas ton grimoire assassin, 

De plus puissants que toi m'ont bravé — mais en vain. 

Par mes lèvres, mes yeux, vieux Sorcier je te cloue, 

Oui je te cloue au sol, et souffleté ta joue; 

Et de plus te condamne, et cela sans appel. 

Ici, pendant sept jours à regarder le ciel. 

Méprisant la grandeur, — faisant fi de la grâce, 

Souhaitant, mais en vain, ton noir repaire en place. 

J'ai lancé mon regard, — dit mon dire, — suffit ! . . . 

Maintenant je m'en vais vers l'océan, mon lit. 

l'étranger. 
Malheur I malheur à moi ! car ce simple sourire 
A dispersé, détruit soudain mon point de mire; 
Mon livre de grimoire, ô hoote sur mon art I 
A perdu tout pouvoir au feu de son regard; 
Et je fonds doucement ainsi que le nuage 
De nuit, quand le soleil lui montre son image. 
Vade rétro lutin, mignonne Vision, 
Sur toi voilà quelle est ma malédiction: 
"Puisse-tu sans souci passer la fleur de l'âge 
Sans trouver la sagesse au terme du voyage!" 
Va-t-en dans ta gaité, — dans ton mépris, — mutin! 
Et ne me reviens pas,— jusqu'à demain matin ! " 



WATTS (THE REV. ISAAC). 

Né en 1672— Mort en 1717. 

La Rose. 

Quelle est belle la Rose! oh! la charmante fleur! 

Mai la rend un objet d'envie! 
Mais sa feuille en ime heure a perdu sa fraîcheur, 

Un beau matin . . . Voilà sa vie ! 
z 



338 LA FOUBHT. 

Et cependant la Rose a sur toutes les fleurs 

Le plus suave privilège: 
Pour s^imposer à nous quand ont fui tes couleurs 

Le plus doux parfum la prot^el 

Ainsi Beauté, Jeunesse ont la fragilité 
Ainsi que Téclat de la Rose; 

Vouloir les préserver pour Phomme est vanité, 
Le Temps dans sa marche en dispose. 

Puisque tout passe donc, pourquoi mMnorgueillir 

De ma beauté, de ma jeunesse? 
La fleur d*un bon renom je saurai la cueillir 
■ Pour sauvegarder ma vieillesse! 



La Fourmi. 



Ces Fourmis! quelles sont petites à nos yeux! 
Nous les foulons aux pieds. — Et nos pieds dédaigneux 
Sont sans pitié pour leur détresse ; 
Tout sages que nous soyons cependant, 
A leur école un sot, ça c'est bien évident. 
Pourrait souvent puiser des leçons de sagesse. 

Usent-elles leur temps rien qu'à faire joujou ? 
Non : — quand il fait soleil, elles vont à leur trou 
Porter provisions de bouche : 
Sages toujours, prévoyant les frimas. 
Et connaissant le prix de chacun de leurs pas. 
Elles rentrent à temps et le grain et la mouche. 

Mais j'aurais moLos de sens que la pauvre Fourmi 
Moi! si je gaspillais, paresseux, endormi, 

La fleur de ma jeune existence: 
Et quand viendrait le vieil âge ou la mort. 
Oh! qu'il serait affreux mon misérable sort 
Si n'avais su d'abord user de prévoyance. 



LE tAnrtANT. 339 

IXmc tandis qu* aujourd'hui je suis jeune et snis fort 
Pour mes jours éloignés amassons un confort^ 

£t prions Dieu qu'il me pardonne ; 
Lire arec fruit, obéir, avoir foi, 
C'est le passe-partout du bien meilleur chez soi 
Que le bon Dieu là haut auprès de lui nous donne. 



Le Fainéant. 

Du fainéant j'entends la voix gémir : 
" Trop tôt vous m'éveillez ! oh I laissez-moi dormir ! " 
Et conune sur ses gonds la porte tourne et crie, 
Lui tourne sur son lit sa lourde rêverie. 

" Encore un peu, rien qu'un peu de sommeil: " — 
Ainsi dit-il, alors qu'il fait déjà soleil ; 
Et puis quand à la fin il se lève, il badaude. 
Ou reste assis, ou bien se meut et baguenaude. 

Dans son jardin tout vit à l'abandon. 
Hors l'épine et la ronce, et l'énorme chardon ; 
Les vêtements pendus sur lui tournent en loques, 
Et son argent s'épuise en achats équivoques. 

Je fus le voir, désireux de savoir 
Si d'orner son esprit il avait eu vouloir : 
Mais lui de me parler rêves, manger et boire, 
Quant à lire la Bible autre histoire! autre histoire 1... 

Lors je me dis : ^^ Grâce à mes bons parents 
Qui m'ont appris l'emploi, surtout le prix du temps, 
Cet homme n'est pour moi qu'une leçon vivante 
De ce que pour toujours fainéantise enfante. 



z 2 



340 COKTBE L'OISIVlfiTé XT LA MALICE. 



Contre l'Oisiveté et la Malice. 

Oh! comme la petite abeille 
Le jour travaille avec ardeur, 
Allant quêter pour sa corbeille 
A la porte de chaque fleur. 

Avec quel art de sa cellule 
Elle établit les fondements! 
Avec quel soin elle accumule 
Ses trésors, ses cbers aliments ! 

De travaux de force ou d^adresse 
Moi je veux aussi m'occuper ; 
Car c^est aux mains de la Paresse 
Que Satan aime à s'agripper. 

Puisse s'écouler ma jeunesse 
Avec bons livres, bon travail. 
Afin qu'aux jours de la vieillesse 
Je la reconstruise en détail I 



WHITE (HENRY KIRKE). 

Né en 1785— Mort en 1806. 

A TJIOÎ Peimetèee Peécoce. 

CHER et doux enfant du plus sombre des pères! 
Aux modestes contours si fins, si délicats, 

Toi qui grandis au milieu des colères 
Du vent, bercé par les frimaa. 



PBIMETiRB PBicOCB. Ml 



Quand le jeune Printemps nn beau jour mit en doute 
Le pouvoir de Thiver, de ce rude jouteur, 
n te jeta sans façon sur sa route 

Pour prouver qu'il était vainqueur. 

Espoir de jours meilleurs, sur la pelouse verte 
Sereine tu parais laissant voir à Tautan 

Ta colerette un instant entr' ouverte, 
Que relève un gentil ruban. 

Ainsi de la vertu! — C'est souvent dans l'orage 
Qu'elle naît et fleurit au vent d'adversité, 

Mais la Constance à la fin la d^age, 
A l'Hiver succède l'Eté. 

Chaque nouvel assaut la retrempe plus forte, 
Et de son sein sans tache épurant la candeur, 
La rend plus ferme afin qu'elle supporte 
Plus patiemment la douleur I 



VERS 



Faits à l'école par un beau jour de printemps où il avait été mis 

en pénitence.* 

Du soleil du matin les rayons enchanteurs 

De chaque oiseau réclament les louanges ; 
L'Alouette au ciel va porter ses chants vainqueurs 

Aux chérubins, aux anges, aux archanges. 
Tandis que gazouillant sous l'ombre des bosquets, 

Les gentils oiseaux du bocage 
Chantent la liberté sous ce jeune feuillage 

Dans des chants aussi doux que frais. 



♦ L'auteur avait alors 13 ans. 



342 T£BS EAITS À l'eCOLE. 

Mais pour moi nulle voix salubre I 
Le chant de Talouette il se perd dans les cieux, 

Car en prison dans Técole lugubre, 
Par ordre du pédant, sous son joug odieux 

Je dois âéehir, et loin du frais ombrage 

Où des oiseaux s^entend le gai ramage 
Je dois dans la captivité 

User le temps, courber ma volonté 

Sous les fourches du scholiaste, 
Dont rérudition rocailleuse et peu vaste 

Rendrait Tesprit le plus subtil balourd; 

Oii le génie est absent par contraste, 
Tandis que le printemps joyeux rit à Tentour; 
Que mon âme pour faire école buissonnière, 
Goûter chaque matin les pompes de la terre, 
Pour errer sans contrainte au lever du soleil 
Par taillis et forêts, j courtiser la Muse, 
Laisserait volontiers ce clinquant tout vermeil 

Appelé *^ La Science incise ! ^' 
Mais hélas 1 ce bonheur, cet avant-goût du ciel 
Il ne sera jamais pour moi qu^un doux mensonge, 
Et s^il vient me montrer son prisme d'arc-en-ciel 

n s'effiicera comme un songe. 

Oh ! que ne suis-je, hélas 1 le petit roitelet 
Là bas qui chuchète à cœur joie. 

Je m'en irais au loin dans quelque vert bosquet 
Filer des jours d'or et de soie ; 

Là je sautillerais en toute liberté, 

Loin du monde, ne vous déplaise, 
Ek je chanterais à mon aise 

Jusqu'à ce que la mort arrête ma gaîté. 



KV BOMAfilN. 343 



Au Romarin. 

Fleur à la douce odeur qui fleuris tous les ans 

Quand de Janvier mugît le souffle rude, 
Qui viens charmer Thiver et sa décrépitude, 

Et prodiguer ton parfum aux autans! 
Viens, tu seras pour moi des fleurs la favorite, 

Et de toi je ceindrai mon front. 
Et tout en te tressant je chanterai non vite 

Un lai funèbre, un lai profond, 
La chanson de la mort, lugubre mélodie 

Que sur la tombe on psalmodie. 

Viens Fleur mélancolique, amante des tombeaux. 

Toi qui te plais plaintive et solitaire 
A jeter ton parfum qui sent le cimetière 

Aux vents émufi, aux vallons, aux hameaux. 
Viens coucher avec moi, viens sur ma lèvre humide. 

Nous dormirons d^un doux sommeil. 
Sous Taune rabourgri nous humerons le vide, 

Le vide, il n'est rien de pareil I 
Et rien ne troublera le silence de marbre 

Que nous goûterons sous cet arbre. 

Mais chut ! le Dieu du vent à travers les forêts 

Gémit ses chants d'une voix caverneuse, 
La brise les redit triste, mystérieuse 

Aux froids vallons, aux échos, aux guérets. 
C'est pour moi, douce fleur, ce requiem sauvage, 

Cela me prédit le tombeau. 
Et l'humide gazon sous l'humide feuillage 

De ton verdoyant arbrisseau. 
Ton parfum. Fleur, là bas vers moi &is le descendre 

Quand y reposera ma cendre ! 



Z%Ê l'CFF^ITT mm LOKD ttOiriXD. 



wiLsoN ;jOHîr. 

X« es 1785— Ji«t CA 1854. 

L'Entant de Lobd Rosald. 

L'Entajtt de Lûni Ronftld de psr les monts saavages 
QiftBtah, il uj a pas trois joim» 

Tandis qae car le sol i arensc des Buges 

D«icc»daît ci prenait son coun. 

Loi BKMtnat 1 arc-cn-oel et sa vire Inmière, 
£t £ûsam naitie sons ses pas 
Uaint et maint '^Ke m'ooUiez pas," 

Et cène sente âeiir. étoile de la terre 

Q«e no&s appelons la bmjère. 

Mais le s^niffle da soir loi causa, quel malheur ! 

Un r^£rv]âdis£ement qui loi glaça le oœur. 

Avec peine die fut chez elle la pauvrette, 

Et maintenant sur sa coachette 
IXmt eDe ne doit plus surgir, 

L'œil éteint, elle gît : elle rient de mourir. 

Elle est froide, immobile autant qu*im corps de pierre 
Qui git à tout jamais dans quelque sanctuaire 

Oublié depuis bien longtemps; 

Se$ pâles mains jointes sur sa poitrine 

Comme priant eneor dans sa grâce enfantine 

Le bon Dieu des petits en&nts. 

Des pieds mignons gravissent la tourelle. 
Oh ! quelle vision mélancolique et belle! 

Portant toutes vêtement blanc, 
Deux à deux, chacune à son rang, 
S^avance un essaim d^orphelines, 
Les yeux baissés, et bien chagrines, 

Avec des pas 
Qu'on n*entend pas, 



l'ENPANT de lord RONALD. 345 

Pour conduire en silence à son dernier chez elle, 
La gracieuse et noble Damoiselle 
Leur protectrice du castel; 

Car la miséricorde est remontée au ciel: 

Si que des pauvres orphelines 
Coulent les larmes cristallineR. 

Du chèvrefeuille en pleine floraison 
Dans la chambre épandant sa triste exhalaison, 
Elles cueillent la fleur, aussi la rose blanche 
Grimpant au mur, et qui sur la morte se penche 

Comme un tribut de deuil et de regrets 
Devant des yeux qui plus ne s'ouvriront jamais. 

Elles placent ces fleurs prises à la croisée 
Encore humides de rosée, 
De la morte sur le beau front; 
Et là gisent ces fleurs au parfum éphémère. 
Qui vont bientôt cacher leur doux baume sous terre 
Dans un lieu de repos plus calme et plus profond! 

Du jour à la grande lumière 
Par cette jeune troupe est conduite la bière. 

Et d'arbres sous un frais bosquet 
Tamisant le soleil et créant des ténèbres. 

Elle est posée; — on fait un temps d'arrêt 
Pour y psalmodier les offices funèbres, 
Jeunes gens et vieillards ont le front découvert. 

Puis tout à coup devant la morte 
Les vassaux du castel réunis en cohorte 
Se mettent à genoux auprès du tertre vert. 

Le défilé d'Etive, et ses hautes montagnes 

Dominant les campagne» 
Dans le silence gît, comme la profondeur 
Immense de ce ciel sans aucune vapeur; 



3é6 l'snïavt db lobd bokald. 

A peine bruît-il le son mékacoliqne 
Défi eaux laisatnt glûser lecur dolente mBfiique, 
£t paraÎMant sur ai jeune trépas 
Chanter tout bas: bélafil hâasl hëlaal 
Quittant alors la troupe juvénile 
Une charmanie enfant, firaîche comme une idylle, 
S^en vint prendre place en pleurant 
Prèa des pieds de la Damoiâelle, 

Fuis soupirant, 
Ayant humide la prunelle, 
Elle chanta, les yeui fixés sur le linceuîl 

Ce chant de deuil. 



HYMNE. 

Qu^ils sont beaux les nmaeaux coulant dans nos prairies, 

Que doucee sont leurs rêveries! 

Et que pimpante est leur gaité 
Quand ils dansent joyeux au soleil de l'été. 

Las ! le plus beau de tous, de ces recoins féeriques 

A quitté les charmes magiques, 

La cascade n^a plus de son, 
Elle a perdu soudain sa plus douce chanson. 

Là haut parmi les monts, fraîdie et délicieuse, 

Est une cellule mousseuse. 

Les fleurs sauvages en ce lieu 
Vivent près de la source ... un des bienfaits de Dieu. 

La rose du désert, Reine de la féerie 

Au souffle du veut s'est flétrie; 

Et les bergers, c'est vérité. 
Dans les fleurs leur restant ne trouvent de beauté. 



I^'En^AITT DE LOBJ) SOJT^XD. Sé7 

LeA oiseaux de nos bois dUpreut le feuillage 

De maint et maint joli plumage; 

Oh! dans le mois de leurs amours. 
Qu'ils sont divins leurs chants et tendres lenrs discours 1 

• 
Dominant tous ces chants, une voix jouvencelle 

Fut entendue, et bien plus belle! 

Mais elle a cessé cette voix, 
Et ne Fentendront plus les échos de nos boisi 

Je vis une colombe à travers les ifs sombres 

Doucement dormant sous leurs ombres, 
Sur son beau plumage argentin 

Le soleil épandait un rayon purpurin. 

Le bosquet entourant sa poitrine admirable, 

Semblait son domaine durable. 

Mais la colombe a pris, hélas ! 
Son vol au loin — son nid ne la reverra pas. 

De la vaste for^t sous les épais feuillages 

Est un troupeau de cerfs sauvages. 
Dans leurs doux yeux est la beauté, 

Et tout respire en eux candeur et majestél 

La mort, ce noir chasseur, qui triche et toujours triche, 
A, la nuit, emporté la biche 
Du nombreux troupeau noble orgueil. 

Si que le troupeau veuf est plongé dans le deuil. 

Les étoiles du ciel versent sur notre terre 

Far mille et milliers leur lumière, 

Si que tant que dure la nuit 
Sur tous nos monts du nord on croit que le jour luit. 



1 



848 L'eFF AVT DE LORD SOITALD; 

Mais videfl sont ces cieuz illuminéi d^éioiles, < 

Car de nuages noirs les yoiles 

Ont couvert Tétoile du soir. 
Et terni son éclat qu^il faisait si beau voir! 

■ . ■■ ' 
Ce chant triste et dolent s^éteint sous la feuillée, 

Et tout à coup la foule agenouillée 

A donné libre cours aux sanglots, aux soupirs, 

Comme alors que les vents succèdent aux zépbirs, 

Et par des rafales soudaines 

Le long des défilés font firissonner les chênes. 

Chut I chut t le chant de deuil 
N'est pas fini — voyez I vers le cercueil 
La plus jeune des orphelines 
La joue aux couleurs purpurines, 
S'avance avec un regard souriant 
Aussi clair que Pazur d*un beau ciel sans nuages, 
Quand le matin sans tache il point de Torient 
Imposant sa lumière aux plus épais ombrages; 

• Et d'un son de voix enchanteur 
Ecartant avec soin les funèbres images, 
Ainsi que l'Espérance aux célestes mirages 
Donnant relique à la Douleur. 
Elle répond, l'œil humide d'un pleur: 

Eh ! quoi I bien qu'il soit mort le ruisseau d'eau si pure, 
Que n'entendions plus son murmuré, 
Il n'en coule pas moins plus beau 

Dans les bosquets du ciel par delà le tombeau? 

Hé! quoi! bien que la rose ici bas notre Reine, 
La perle de ce beau domaine. 
Ait dû mourir, malgré nos vœux. 

N'est-elle pas déjà dans le jardin des cieux? 



LS8 IBDIS SAISONS DI I.'jLMOrB. 9é9 

H^! quoi ! faies que ToiseiMi lamineax de plimaee 

Ait poor no» c«ssé son numn^, 

N^eet-il pM; moi je tous le dis, 
Deyenn ômob le ciel oiMao de Pandis. 



Bien qne sur son sommeil ne se penche plus Tarbre, 
Bien qne ce sonmieil soit de marbrer 
La colombe n*est-elle pas 

Dans la fiaicbe oasis que Dieu noos fait là bas! 

Hélas! il est bien Trai qae notre gente biche 

A déserté son nid si riche, 

Mais n^a-t-elle pas gagné plus 
Paisqu*elle est maintenant aox pieds du doux Jésu>«! 

Ah ! belle et pure Etoile éclipsée avant Thenn;. 

Inutfle que Ton te pleure ! 

Ta TÎe a su yaincre Tenfer. 
Ta couronne surgît au-dessus de la mer! 



Les Trois Saisons de l'Amour. 

Avec tendre sourire en ton oeil pétillant 

Qui trahissait Tentrain joyeux de la jeunesse ; 

Avec ce mouvement si vif, m sémillant 

De rhirondelle en sa vitesse ; 
Avec de gais accents, comme le mois de mai 
En trouve pour chanter son tant doux virelai, 
De joie auréolée, et toute scintillante 
Conmie cette planète à la robe brillante 
Qui sourit à la terre, et du plus haut des cienx, 
Tel était autrefois ton portrait gracieux, 
Alors que, dans la fleur de ton adolescence 
G-entiment tu m^appris, moi te faisant la cour, 
A rêver le ciel pur dans le ciel de l'amour, 
Toi qui réunissais la raison à Tenfance. 



350 LES TBOIB SAISOlfS Di: L'AMOrR. 

Le cours des ans, Marie, a donné sans ^ard 

Une grâce pensiy^ à ta d6ace fîgnre, 

Et quoiqu^ heureuse encore, un chagrin de hasard 

Y laisse trace de blessure ! 
L'imagination n^est plus un conte bleu, 
Tu trouves le bonheur à notre coin du feu I 
Tes sourires moins vifs, mais remplis de tendresse 
De notre cher enfant caressent la jeunesse ; 
Tes mouvements sont lents, et ton pas est muet, 
De peur de le troubler son sommeil joliet, 
Et quand ta douce voix et d^épouse et de mère 
Me dit si gentiment que ton cœur est à moi, 
Son timbre si touchant, fait naître mon émoi. 
Après un si long-temps, comme la fois première! 

Moi, je puis, rassuré par deux saisons d^amour, 
Du Temps qui vient, narguer la blanche chevelure ; 
Car tu récolteras dans ta vieillesse un jour 

Le doux calme de la nature, 
Calme que la sagesse ^ène du chagrin ; 
Et cet orgueil sacré que toujours à la jGin 
D'avoir fait ce qu'on doit donne la conscience. 
La paix derrière toi, devant toi TEspérance, 
Tu rendras ta belle âme à Dieu ton créateiûf 
Non souillée au contact de ce monde trompeur ; 
Alors rhymne sacré sur la harpe légère 
Retentissant chanté par les célestes chœurs, 
T'endormira parmi tes séraphîqUes sœurs, 
Pour t'éveiller au ciel — ^ta demeure naguère I ! 



, I 




A UN OBRF SAUTAGB. 35^1 

A UN Cerf sauvage lœ la Poret de Dalnes» dans 

L'ARaTLLSHIRE. 

Créature superbe I imposante et splendide ! 

Qui jusqu^ aux pics aigus suis ta course rapide ; 

Car enfant du désert où tu domines Roi 

Qui pourrait t'effirayer, te causer de Fémoi, 

Quand tu portes ta tête au plus haut' des monfagtaeé 

Ou comme un tourbillon plonges dans les campagnes ? 

Salut Monarque-Eoî du Sauvage et du Beau, 

De Suprême Grandeur toi qui portes le sceau, 

Si que le Pèlerin qui s'en va solitaire 

Errant par monts, par vaux ou bien sur la bruyère, 

Peut sans être blâmé t^adorer comme un Dieu, 

Tant sublime est ton port, tant t<Hi oail a de feu, 

Car des heureux la joie et la force des libres, 

Tel il est le milieu qui fait vibrer tes fibres I 

Sur ce pic escarpé dominant la forêt 

Où s'asseoit le silence, où tout dort et se tait. 

Va de ton pied léger, va trôner sur l'espace, 

L'Aigle ne viendra pas te disputer la place. 

La bruyère en ces lieux croît pour te caresser, 

Et voyez ! tout à coup, voyez les vents cesser, 

Puis au profond du ciel reposer les nuages, 

Comme un superbe amas de superbes plumages ! 

Dans la paix de ces monts reposez andouillers. 

Bien que vos fiers rameaux, admirables cimiers ! 

Comme les bras du pin à l'ouragan en proie 

S'agitent maintenant et frémissent de joie. 

Arrête un seul moment brillante Vision! 

Puis te perds dans les rocs Fantôme ! . . . Illusion ! . . . 

Perché sur un rayon, dédaigneux de la terre, 
Majestueux Esprit suspendu sur la sphère 
Au-dessus de Tabîme, et du danger vainqueur. 
En se jouant le Cerf bondit dans son bonheur. 



362 ▲ trS OSRF SArYAGE. 

D^tin indicible élan fournissant sa carrière 
Comme fuit sur la mer une voile lëgére ! 
Et puis se retournant, de son r^ard de feu 
Il laissa de son front descendre un fier adieu, 
Cependant que ses bois inondes de lumière 
Scintillaient au soleil ainsi qu^une bannière. 

Sur le yent emporté le vaisseau du désert 
Derrière lui des monts laissant Tocéan vert, 
Comme un songe a passé ; mais perçante est ma vue, 
Mon esprit le suivra jusques de par la nue, 
Jusqu^à ce qu^il s^arrête enfin dans quelque port 
Ceinturonné de rocs d^un difiicile abord. 

Dans ce vaste alentour que de magnificence ! 

Quel spectacle sublime I aussi que de puissance ! 

Au milieu des torrents comme des songes creux 

Se reposent les monts, cependant qu^autour d^eux 

S^ouvrent des défilés et sinueux et sombres, 

Sur des eaux en courroux laissant tomber leurs ombres, 

Tandis que leur sommet tout rayonnant d^azur 

Fait admirer à Toeil la beauté d'un ciel pur. 

Ici de la nature est complète la gloire, 
Bien que le Temps un jour ait broyé, c'est notoire, 
Ces beaux bois sur le mont autrefois suspendus. 
Dont gisent aâ^issés les nombreux détritus. 
Alors tout est parti quand passa la tempête, 
Des Rois de la forêt on voit encor la tête 
Se tenir accroupie, et se cacher sous l'eau, 
Gigantesques débris troublés dans leur tombeau. 

Même à l'heure qu'il est ces forêts séculaires 
De l'homme, enfant d'un jour, sublimes sanctuaires, 
Surplombant le désert d'un plantureux essor 
Par les yeux de l'esprit, je les contemple encor ! 



A U!l CEBF SAUTAOE. 353 

Léon ombrages ép^is, Itan dômes de Terdore 

Sembleraient démontrer qae leur architectm^ 

De U Toûte des cienx s U solidité 

Et la perfection ; surtout Tétemité ! 

Le soleil de ses flots de lunière les dore, 

Et les fait scintiller comme nn beau météore. 

On comme la laeor qni glisse le matin 

Sur le flot endormi de Tocéan serein. 

Tont à coup la tempête an dcâle d'Etive 

S*engoa£fre en tonmovant, et puis eoadaine arrive 

Avec nn bmît strident an cœur de la forêt 

Qu'elle tord, qa'eUe écrase, annihile d'un trait. 

Pois im moment après la montagne tonnante 

Est de nonyean tranquille, est de nouveau charmante, 

Nul souffle ne gémit, tout est calme, tout dort, 

Tont est sflencîenx, grave comme la mort. 

Mais TAî^ avec son cri s'élançant de sou aire 
Me rérdlle en sursaut sur le roc solitaire. 
Vaillant fils dn désert où donc est maintenant 
La clarté qui luisait sur ton front rayonnant ? 
An dessus de ce pic tu reviens à ma vue 
Conune la nuit la lune au sortir de la nue ! 
Pour gravir le torrent, escalader le mont, 
Dans tes excursions tu n*as besoin de pont ; 
La forêt de sapins voit en toi sa lumière, 
Et par toi Tantre obscur s^umine et s'éclaire. 
A travers Farc-en-ciel qui traverse le roc, 
A travers le brouillard des eaux naissant du choc, 
Tu jettes ta beauté, Créature Sublime, 
Qui s'épanouit libre, an-dessus de Tabîme. 

Son voyage est fini. Lors comme ensorcelé 
Immobile il se tient dans Tétroit défilé, 
Puis là doucettement avec grâce il s'affidsse, 
Friand d*un doux repos, et se met à son aise ; 



A A 



354 A VS CEBF SAUTAOE. 

C*e8t an gentil ruisseau qui finit dans un lac, 
Un rajon de soleil mourant sur un hamac, 
Un nuage poussé vers un abri d^élite, 
C*e8t un tourbillon quoi! frappé de mort subite. 

Couchette de repos pleine de majesté, 

Digne d'un Pèlerin d'une telle fierté! 

Magnifique prison renfermant Têtre libre 

Par un mur de rochers tenus en équilibre 

Par la main du Très Ilaut, nuûs qu'il saurait franchir 

D'un bond, au moindre bruit qui se ferait sentir. 

C'est parmi la fougère ainsi, que la nature 

Prépare une oasis pimpante de verdure 

A son cher favori; tout près de cet abri 

Gît un frais petit lac au cadre tout fleuri. 

C'est dans ce beau miroir à Tonde toujours pure 

Que peut se contempler la noble Créature. 

Quel solitaire lieu! que c'est sauvage et beau! 

Quel calme heureux respire en ce charmant tableau ! 

Que de silence austère, et pourtant que de vie ! 

Que l'aspect de tels lieux vous rend l'âme ravie ! 

Voyez! le gai poisson s'éjouit dans le lac. 

Sous l'herbe le cricri fait son gentil tic tac. 

Cependant qu'à cheval sur un brin de fougère 

La cigale nous dit sa chanson printanière, 

Puis sans plus s'occuper pardi! de son efi*et, 

Sautille au beau milieu de son vif rondelet, 

Tandis que dame Abeille en courant la bruyère. 

Butinant, fredonnant, sait faire son affaire, 

Et puis quittant d'un bond son incessant travail, 

Et formant de son aile un subtil éventail. 

Elle vole à la ruche, au ciel en rendant grâce 

Du butin prélevé qu'au grenier elle entasse. 

Cependant que là haut tout auprès du ciel bleu, 

Dans le silence igné, du soleil sous le feu, 

Dans cet espace étroit dominant les campagnes, 

Au pic le plus aigu des plus hautes montagnes, 



A UN CERF SAUVAGE. 355 

On entend répéter partant d'on ne sait d*oîi 
En des accents plaîntiifs, la note du coucou, 
Que récho par les monts va porter invisible, 
Et qu^au plus loin il rend parfaitement audible. 
C^est là, dans ce milieu, parmi ces doux échos 
Avec ses andouillers repliés, qu'en repos 
S'abrite mollement la fauve Créature, 
Parmi cette splendeur de la bonne nature ; 
Fière au fond de son cœur d'un spectacle si beau, 
Elle lève son œil vers l'Aigle ou le Corbeau 
Parfois venant au lac sur leurs ailes rapides, 
Ou montant vers leur nid reporter leurs subsides, 
Tout comme si de là le superbe animal 
A ces amis des cieux, à l'Aigle son égal, 
• Souriait, enchanté de voir sa solitude 
Se peupler tour à tour de leur béatitude ! 

Oui, ta nature est fauve ... et même en son repos ! 
Alors qu'en ton désert tu ne crains pas d'assauts, 
Tes hardis andouillers d'un défi téméraire 
Paraissent provoquer le chasseur à la guerre. 
Qu'est la guerre pour toi ? ... Le clairon des combats 
Semble éveiller en toi la verve des ébats. 
Quand sur l'aile du vent portant ton cou superbe 
De tes pieds dédaigneux à peine effleurant l'herbe, 
Tu laisses loin de toi le lévrier traînard 
Se trémousser honteux d'avoir perdu ton nard. 
Dans les plis de ton front qui portent la menace, 
La menace et la mort, dans ces vainqueurs d'espace 
Dans tes pieds vigoureux qui te lancent soudain 
D'un torrent pantelant dans un loin surhumain. 
Dans le pic élevé que tu gravis sans peine, 
Et qui dans un instant rend ta poursuite vaine, 
Tu places ton espoir! . . . Vivre libre ou mourir, 
Jj& voilà ta pensée, et tu sais l'accomplir! 
Qu'en sera-t-il? voyons! en fin de la campagne 
Si le Cerf est occis sur l'aride montagne ? 

A A 2 



35Ç A UN CEBF SAUTAGE. 

Sur le bord du rocher il regarde à Pentour 
Comme un vainqueur qui tombe à la chute du jour; 
Tandis que le chasseur, et que les chiens de chasse 
Se retirent émus, en lui laissant la place, 
Effi^yés de la mort que dans ses derniers bonds 
Infligeraient à tous ses jarrets furibonds ; 
Et quand le fauve fils de la nature expire, 
Jusques aux cieux s^en va le râle de son ire. 
Vie émouvante, dà! que celle du chasseur. 
Du jour qui se réveille \1 perçoit la lueur ; 
Et lorsque du matin parait la blanche flamme, 
Dans le silence il sent sVthériser son âme. 
H arpente les monts ainsi qu'un revenant 
Dans un linceuil de brume, et voyez maintenant 
Qu'au-dessus du brouillard il lève la paupière! 
Torrents, vallons, hauteurs dans des flots de lumière 
Tout à coup sont baignés, et sans plus de retard, 
Le soleil se déploie ainsi qu'un étendard 
Dont les plis radieux de splendeur sans seconde 
Semblent se balancer sur un plus jeune monde. 
C'est affaire au chasseur de tenir, c'est réel. 
Sous l'ombre de son pied l'éclair strident du ciel. 
Pendant que le tonnerre avec un bruit sauvage 
Bien au-dessous de lui déchire le nuage. 
A l'heure de midi quand la lourde chaleur 
Remplit des défilés l'immense profondeur, 
Quand la terre et le ciel agglomérés ensemble 
Tous les deux ne font qu'un, et que même le tremble 
Reste coname incrusté dans l'immobilité. 
Que la nature enfin se pâme en sa beauté. 
Sans pousser un soupir, lors dans la solitude 
Sous un roc du désert, ivre de quiétude. 
Dans un émoi sans nom, dans un repos rêveur, 
S'endort doucettement l'intrépide chasseur. 
Et pendant son sonuneil des visions semblables 
Aux vieilles visions, aux merveilleuses fables 



m. 



A UK OEEF SAUVAGE. 357 

Dont on berça souvent son enfance autrefois, 
Passent devant ses yeux, font entendre leurs voix, 
Et voilà qu'A admire au-dessus des montagnes 
Mille et mille cliasseurs et leurs belles compagnes 
Fuyant, fuyant toujours, encor, encor, encor. 
Jusqu'à ce que réveille en tressaillant le cor. 
Noble* enfant du désert! digne objet de conquête 

* En stricte justice, nous devons citer ici les vers originaux du 
poëme, parce que dans les vers qui terminent ce paragraphe, nous noua 
sommes écartés de la lettre même de l'original ; suivant pour ainsi dire 
malgré nous, le train train de nos pensées plutôt que les pensées de 
Tanteur. Nous plaidons guilty; un traducteur ne doit pas s'écarter de 
son modèle ; mais quand il s'en écarte, il doit avouer le péché qu'il 
commet, nous faisons donc ici notre acte de contrition. Comme circon. 
stances atténuantes d'une faute dont nous ne croyons avoir été coupable 
que dans le présent poëme, nous avons à dire qu'il existe en notre 
nature un dégoût tellement profond pour les hideux exploits, disons 
mieux, pour les hideux massacres perpétrés depuis des annéof aux 
environs de Balmoral sur les Cerfs — ces belles Créatures du bon Dieu, 
que nous n'avons pu résister à l'élan de notre cœur qui nous faisait une 
loi de flétrir ces chasses Royales indignes du XIXéme siècle, réhabilitées 
pour ainsi dire par le charme des vers du professeur Wilson ; 

Yesl child of the désert! fit quarry wert thou 

For the hunter that came with a crown on his brow, — 

By princes attended with arrow and spear, 

In their white-tented camp, for the warfare of deer. 

In splendour the tents on the green summit stood. 

And brightly they shone from the glade in the wood, 

And, silently built by a magical spell, 

The pyramid rose in the depth of the dell. 

Ail mute was the palace of Lochy that day, 

When the king and his nobles— a gallant array — 

To Gleno or Glen-Etive came forth in their pride, 

And a hundred fierce stags in their solitude diod. 

Not lonely and single they passed o'er the height — 

But thousands swept by in their hurricane flight; 

And bowed to the dust in their trampling tread 

Was the plumage on many a warrior's head. 

— " Fall down on your faces!— the herd is at hand!" 

— And onwards they came likc the sea o'er the Aand ; 



858 A VN C£KÏ SAUVAGE. 

Pour le chasseur Royal qui vient, couronne en tête, 

Traînant à sa rescousse un tas de ces valets 

Princes et va-nu-pieds, qui hantent les palais, 

Armés de pied en cap de flèches et de lances 

Pour faire guerre . . . aux Cerfs. Ces superbes vaillances 

S'abritaient dans un camp improvisé par Tart, 

Vaste tente où flottait le Royal étendard. 

Muet resta Locky pendant cette journée 

Où le Roi se ruait avec sa maisonnée 

Sur les fils du désert, monarques des forêts 

Qui vivaient sous leur dôme avec le monde en paix. 

Plus de cent cerfs occis, nous dit la renommée, 

Tel fut le bulletin de la Royale armée ; 

Maint panache pourtant sous le pied des chassés 

Fut broyé ; maints chasseurs horriblements blessés ; 

Car souvent on ouït au défilé d'Etive : 

" Face à terre, chasseurs! le troupeau vous arrive!" 

Et soudain en eôet comme fiots de la mer 

Arrivait au galop, au galop de Penfer 

Un ouragan de cerfs broyant sur son passage 

Tout ce qui s'y trouvait la peur et le courage, 

Comme la neige fond et roule avec fracas. 

Avalanche soudaine enfantant des trépas, 



Like the snow from the mountain when loosened by rain, 

And rolling along with a crash to the plaîu ; 

Like a thunder-split oak-tree, that falls with one shock 

With his hundred wide arms from the top of the rock, 

Like the voice of the sky when the black cloud is near, 

So sudden, so loud, came the tempest of deer. 

Wild mirth of the désert I fit pastime for kings I 

Which still the rude bard in his solitude sings. 

Oh reign of magnificence I vanished for ever! 

Like music dried up in the bed of a river, 

Whose course hath been changed ! yet my soûl can survey 

The clear cloudless mom of that glorious day. 

Yes! the wide silent forest is loud as of yore, 

And the far-ebbèd grandeur rolls back to the shore. 



A UN CERF SAUTAOE. 3Ô9 

Comme un chêne fêlé frappé par le tonnerre 
Qui tombe sou» le choc et fait trembler la terre, 
Comme la voix du ciel quand descend l'ouragan, 
Et que rien ne résiste à son terrible élan. 
Doux passe-temps des Rois ! plaisir abominable 
Bien digne de ces temps descendus dans la fable I 
Vous trouvez cependant de rudes ménestrels 
Qui de nos jours voudraient vous dresser des autels. 
Oh ! de fausse splendeur, fausse magnificence I 
Temps absurde oîi le droit était la violence, 
Us sont passés tes jeux, ou plutôt tes méfaits, 
Ils sont évanouis, radiés à jamais, 
Comme le doux glouglou, la suave musique 
Du ruisseau desséché, veuf de son frais cantique. 
Et cependant aux yeux subtils de mon esprit 
Apparaît cette chasse ... ou ce Royal délit I 
Du mémorable jour je vois encor l'aurore. 
Le soleil se levant sur la forêt qu'il dore. 
J'entends le brouhaha de ces fauves chasseurs. 
Des malheureux chassés les sauvages clameurs. 
Et ces bruits discordants, et le clairon sonore 
Retentissent confus à mon oreille encore ! 

De cette vision mais je m'éveille enfin ! 
Le soleil j à décline à l'horison lointain. 
Le Mont Noir resplendit sous un feu qui recule. 
Oh! que je voie encore avant le crépuscule 
La lumière dorée, et puis je descendrai 
Dans la vallée obscure, et m'acheminerai 
Vers la cabane où chante une gente fillette. 
Ou sous son pied léger le gai plancher craquette, 
En bas, oui tout en bas comme un oiseau le soir 
Dans le fond du vallon regagne son dortoir. 
— Des forêts la clarté. Créature Sauvage, 
Adieu! te dis adieu! j'emporte ton image ! 



MO LU TOIX PU FBUfTXMPB. 



Les Voix du Printemps. 

Ac DEHOBst aa dehors! il fait un temps superbe ! 
Rester à la maison, ce serait un péché! 
Viens ça, viens dans les bois, yite allons fouler l*herbe, 
J*ai soif d^air, yiens ça ma Psyché I 

Les longs brins de gazon sont émaillés de perles, 
Viens, la luzerne a mis son tapis sur le sol, 
Viens ça, nous entendrons chanter les joyeux merles. 
Et du Coucou le frais bémol. 

Dans le ciel d^un bleu vif, seuls, quelques blancs nuages 
Se pourchassent gaîment au doux souffle du vent. 
Pour la journée, Amour, il n^est crainte d'orages, 
Viens! c'est plaisir être vivant I 

Regarde maintenant 1 vois notre Pimprenelle, — 
Un baromètre sûr ! . . . nous dit qu'il fera beau I 
Ses doigts sont écartés, vois elle fait la belle. 

Preuve que nous n'aurons pas d'eau! 

L'arbre a mis son habit nouveau de couleur verte, 
Il est tout gai, tout vif, tout pimpant, tout coquet; 
Pour les abeilles l'orme a, déjà, table ouverte. 
Elles font honneur au banquet. 

Le verger resplendit de ses dentelles blanches, 
Et de flocons neigeux diapré le gazon, 
L'oiseau vient sous son ombre en béqueter les branc 
Tout en gazouillant sa chanson. 

C'est là notre bouquet jusqu'à présent, ma mie, 
Car la branche dorée est joyau précieux, 
Quand sous le sol encor gît la fleur endormie 
Qui doit bientôt charmer nos yeux. 



l'bktbkskicbkt de sir johv moore. 361 

Mais nons avoDS partout de gentes pâquerettes 
Qui surgissent ainsi que Tamour ou Tespoir, 
Des primeyères qui se penchent les pauvrettes 
Gomme sous un chagrin bien noir. 

Car trop près de la neige elles ont pris naissance) 
£t soupirent après la brise du midi. 
Dont elles ne pourront savourer Texistence 
Tant faible leur fil est ourdi. 

G^est trop tôt, je le sais, pour un épais ombrage, 
Mais en suivant de près la lisière du bois. 
Des nids nous entendrons TA, B. G, du langage, 
Des petiots le premier patois. 

Au dehors! au dehors I il fait un temps superbe! 
Amour I ne tarde plus! rester serait péché! 
J*ai trop de joie au cœur tout seul pour fouler Therbe, 
Viens au dehors, viens ma Psyché! 



WOLFE (REV. JOHN). 

Né en 1791— -Mort en 1823. 

L'Enterrement de Sir John Moore. 

Point d'adieux du soldat, de tambour funéraire, 
Quand du héros, porté par nous sur un brancard, 
Nous vinmes confier derrière le rempart 
Furtivement le cadavre à la terre. 

Nous le mîmes en terre à Pheure de minuit. 
En retournant le sol avec nos baïonnettes. 
Un ciel noir et brumeux cachait nos silhouettes, 
Un seul falot éclaircissait la nuit. 



862 L*BKT£BREM£17T DE SIB JOHK liOOBl. 

Son corps, il ne fut pas roulé dans un suaire, 
Il ne fut pas non plus fermé dans un cercueil, 
Son manteau de soldat, drapé, fut son linceuil 
Et lui servit de lange mortuaire. 

Nulle oraison funèbre^ aucun discours soudain 
Ne vint de ce grand mort illustrer la poussière, 
Mais en le regardant une courte prière 
Tout en pensant au triste lendemain. 

Nous pensions en creusant son étroite couchette, 
Que lorsque nous serions tous au loin sur la mer. 
L'ennemi, Tétranger, ô penser bien amerl 
Viendrait fouler cette cendre muette : 

Et peut-être parler légèrement du mort. 
Et peut-être insulter à sa froide poussière^ 
Mais cela glissera sur son âme guerrière 

Si pour toujours, dans notre tombe il dort ! 

La moitié seulement de notre lourde tâche 
Etait remplie — alors que sonna le signal 
De la retraite — au loin im coup de feu brutal 
De Tennemi s'enfuyait comme un lâche. 

Nous le couchâmes, las! et sans nul monument 
Qui put à tous un jour conserver sa mémoire, 
Nous le laissâmes seul tout sanglant dans sa gloire. 
Nous éloignant lentement — lentement! 



SONNETS. 863 

WORDSWOIITH (W.) 

Né en 1770— Mort le 23 Avril, 1850. 

Sonnet. 

Censeur, ne dites pas, haro sur le sonnet ! 

De plus d^un grand génie il inspira la lyre : 

Le sonnet fut la clé du grand cœur de Shakespeare ; 

Pétrarque en fit l'écho de son amour discret ; 

Le Tasse mille fois y blottit son sujet ; 

Camoëns y cacha ce qu'il n'eut osé dire ; 

Le Dante y mit son âme et son brûlant délire; 

Spenser avec k fée y courait le guéret ; 

Mais du front de Milton quand tombait la tristesse, 

En vers étincelants étalant sa richesse. 

Le poëte immortel en fit un chant vainqueur, 

Qui retentit au loin semblable à la trompette 

Qui de nobles accents généreuse interprète, 

Va réveiller la gloire, et réchauffer le cœuri 



Sonnet. 
Composé sur le Pont de Westminster. 

La terre ne saurait rien montrer de plus beau! 

Et qui resterait froid devant si grande scène 

Et tant de majesté, n'aurait pas âme humaine. 

Cette cité revêt maintenant pour manteau 

La beauté du matin ; quel lever de rideau! 

Muets et dévêtus voyez, et par centaine 

Vaisseaux, dômes et tours, et le temple et l'arène 

Ouverts sous l'œil de Dieu devant le jour nouveau, 

Se dessiner brillants dans l'éther sans fumée ! 

Non jamais le soleil sur la colline aimée 

Avec autant d'éclat ne versa sa splendeur; 

One ne vis, ne sentis une paix aussi neuve ; 

Selon son bon plaisir se promène le fleuve, 

Bon Dieu! les maisons même ont clos l'œil et le cœur! 



864 Li soKei BU pélbbik. 

Le Songe du Pèlerin ; ou l'Etoile et le Ver Luisant. 

Bien fatigué, le soir d'un jour d'été 

Un voyageur, un bon Ermite 
Au seuil d'un vieux castel vint demander un gîte, 

MaLs par le veilleur rebuté, 

Force lui fut de se remettre en route 

En quête d'un taillis de bruyère, ou d'un bois 

Dont la vodte 
L'abrita de la pluie et du vent à la fois. 

Il marchait donc, cheminant tout pensif, 
Quand il avisa d'aventure 
Un magnifique hêtre à la vaste envergure. 

Et s'étendit sous son massif. 
Son œil d'abord vit cligner la lumière 
D'une étoile au ciel bleu, — mais baissant son regard 

Vers la terre, 
Il vit un Ver luisant qui brillait à l'écart. 

Un gai ruisseau près de là folâtrant 

Provoqua par son doux murmure 
Un songe gros de faits, et dans sa oontcxture 

Et sous un voile transparent, 
n reconnut l'étoile de la terre 
Ei celle de là haut— de l'orbe radieux 

De sa sphère, 
Elle laissait tomber des mots prodigieux. 

Elle raillait le pauvre Ver luisant 

De faire briller sa prunelle 
Lorsque la nuit du jour éteignant la chandelle 

Laissait le monde assoupissant. 
Pourquoi montrer sa lanterne magique? 
Un vil reptile oser faire le glorieux, 

Et la nique 
A celle assise en Reine au pavillon des cieux. 



Lx 80^ei DU PÉLEmnr. 366 

*• Belle Eloignée î " a répondu le Ver 

^ Dépose cet orgueil stnpide, 
Oa £uâ que ton éclat soit un peu plus solide... 

Tu t'évanouis dans Téther 
Dés que le ciel se couvre d^un nuage ; 
Brame, nuage; vent, et les convulsions 

De l'orage, 
Jamais n'ont le pouvoir d'obscurcir mes rayons. 

^ Et ne crois pas que moi, méchant flambeau, 
Je compare cette étincelle 
Que je porte avec moi sur la mousse nouvelle 

A ton éclat ; — non! mais tout beau ! 
M'est avis que je puis de ma demeure 
Faire aussi l'étalage étant raillé par toi. 

Jusqu'à l'heure 
Où l'aurore viendra t'éteindre ainsi que moi !" 

Le Ter luisant a dît. Soudain des cieux 
Descendit un son prophétique, 
Et les monts de trembler, les fleuves de panique 

Frappés, de bondir furieux. 
On vit alors l'Etoile pâle et blême 
Chanceler, pms filer, se perdre dans l'éther. 

Bientôt même 
Elle roula meurtrie an fin fond de l'enfer. 

Le feu sévit. Et lorsque du vieux ciel 
Tomba la croûte calcinée, 
Un nouveau ciel se fit sur nouvelle donnée, 

Un Paradis surnaturel 
Où les heureux de la nouvelle Sphère 
Humbles et confiants avaient brillé jadis 

Sur la terre, 

Et comme Vers luisants gagné le Paradis. 




3M l'habitaitte de la chaitmiâre à son enfattt. 

Un tel avis qui lui tombait du ciel 

Réjouit le cœur de rErmite, 
A son réveil il sut en goûter le mérite, 

Et remercia PEternel. 
Et jusqu'à l'heure où finit sa carrière, 
Elle resta toujours chère à son souvenir 

La bruyère 
Où 9008 l'ombre d'un hêtre il rêva l'avenir! 



L'Habitante de la Chaumière a son Enfant. 

Le jour est froid, longue est la nuit ; 

La brise fait un triste bruit, 
Fais dodo de nouveau sur le sein de ta mère. 
Tous les êtres joyeux ont fermé leur paupière. 

Excepté toi, gentil garçon I 

Le chat dort en colimaçon 

Et le cricri, cher nourrisson, 
A cessé son tic tac ; ici tout est silence. 
Hormis une souris qui gruge sa substance... 

Qu'as-tu donc, mon enfant chéri ? 

Pourquoi donc sembles-tu marri 
De voir sous notre pauvre abri 
Cette vive lumière?... Eh! c'est le clair de lune 
Qui reluit sur la vitre, et c'est chose opportune... 
Dors, et jusqu'à demain, chéri! 



Au Coucou. 



Joyeux nouveau venu ! m'éjouis de t'entendre 
Gentil Coucou, t'appelerai-je oiseau, 

Ou seulement une voix tendre 
Qui vient jouter avec l'écho ? 



k 



AU COUCOU. 96 

Tandis que suis gisant sur la pelouse verte 

J'entends ta voix qui deux fois £ût coucou, 
Alerte et toujours plus alerte. 
De près, de loin, on ne sait d'où. 

Bien qu'avec le vallon ne causant, c'est notoire, 
Que du printemps, des âeurs et du soleil, 
Tu m'apportes toute une histoire 
D'un songe ... ou plutôt d'un réveil. 

Sois trois fois bien- venu! favori de la terre! 

Vois-tu pour moi tu n'es pas un oiseau. 
Mais xme voix, mais xm mystère 
Qui happe mes sens à nouveau ; 

Comme en ces jours lointains oii j'étais à l'école, 
Lorsque ce cri : Coucou! coucou! coucou! 
Me fEÛsant perdre ma boussole 
Pour toi courrais le guilledou. 

Pour te trouver souvent j'ai perdu patience . . . 
A travers bois toi tu m'apparaissais 

Toujours à l'état d'espérance. 
Toujours entrevu — vu jamais! 

Et je t'écoute encor sur la pelouse verte 

Et je bénis toujours ta voix Coucou ! 

Tandis que ma mémoire alerte 
Avec mon passé fait joujou. 

Oh! bienheureux oiseau! quand s'entend ton cantique, 
Notre " Ici bas " par lui rendu joyeux, 
Redevient un palais féerique, 
Et nous pouvons rêver des cieux ! 



r* 



368 LE CARAortei d'uits vie hexireusi. 

WOTTON (SIR HENRY). 

Né en 1586 — Mort en 1640. 

Le Caractère d'une Vie Heureuse. 

Qu'il est né celui-là sous une heureuse étoile, 

Qui ne sert pas la Tolonté d'autrui ; 
Dont l'unique adresse est la vérité sans voile, 

L'honnêteté la défense et l'appui. 

Qui de ses passions reste toujours le maître ; 

Qui sans émoi peut visager la mort, 
Des humaines grandeurs dédaignant le bien-être 

De peu content, humble que soit son sort. 

Qoi d'un cœur simple et bon, jamais ne porte envie 

Aux fiivoris du vice ou du hasard ; 
Qui ne comprend les lois que pour régler la vie, 

Qui de l'éloge onc ne fit un poignard. 

Qui ne compte pour rien tous les vains bruits du monde. 
De qui le cœur est, à vrai dire, un fort ; 

Qui des flatteurs ne peut soudoyer la faconde, 
Des oppresseurs non plus grandir le sort. 

Qui le matin, le soir demande en sa prière 
A Dieu sa grâce et non pas le bonheur ; 

Qui sait passer le jour d'innocente manière 
Avec la Bible ou quelqu' ami de cœur. 

Un tel homme est, ma foi, maître au moins de lui-même; 

Or liberté vaut mieux que vieux manoir, 
n ne craint pas de choir, n'aspire au diadème 

Et n'ayant rien — il a tout — son vouloir! 



WYATT BK PRISON 1 BBYAN. 369 



WYATT (SIR THOMAS). 
Né en 1503— Mort en 1542. 

Wyatt en Prison à Bryan. 

Nourri de mes soupirs, de mes pleurs je m^abreuve, 
Dans cet affi'eux cachot tel est mon seul festin! 
L^air fétide et malsain de Taccusé sans preuve 
Dans un temps rapproché viendra hâter la fin. 
N*ai nouvelles du temps ou qu'il vente, ou qu'il pleuve, 
Que par ToreiUe... encore est-ce en écoutant bien 
Des éléments quel est Tétat quotidien. 
Victime des méchants, cher Bryan, ma blessure 
Se cicatrisera mais j'en aurai l'injure ! 



A Savoir si l'on doit préférer la Liberté en perdant 
LA Vie, à la Vie en Prison et en Esclavage. 

Tel que le pauvre oiseau captif dans une cage 
Voyant la grille ouverte, au dehors l'épervier 
Qui le guette des yeux pour l'occire au passage, 
Ne sait dans ce dilemme à quoi s'ingénier. 
Et s'il doit préférer la mort à l'esclavage. 
De même je ne sais, s'il me faut mieux choisir 
Mourir libre . . . plutôt qu'en prison de croupir. 

Abîme que peut seul combler un autre abîme, 
En de longs jours faut-il donc traîner sa douleur? 
Non ; plutôt de la mort il faut tomber victime, 
Qu'esclave de la vie y souder le malheur I 
Donc voilà mon avis, et ma pensée intime : 
Avec la liberté sachons plutôt mourir. 
Qu'en esclavage vivre en prison pour souffrir. 

B B 



870 aoinrsT — li CBUciPixiiBirT 



El pourtant, m'est avis, que tant qu'on rit la vie, 

n ne ûrat qnhm instant pour conjurer le sort, 

Un oljet de pitié devient objet d'envie 

Sonvent en mmns d'one heore et sans le moindre effort; 

Mais la mort tne en nous Tappétit de survie . . . 

Alors ce ne serait que de la démison 

De se sevrer d*espoir . . . Mieux la vie en prison I 

Mais la mcHrt c'est la vie, et vaut mieux que la cage 

Où notre pauvre oiseau prolonge sa douleur ; 

Mort il est délivré de son triste esclavage ! 

De ces deux maux, amants, dites-nous le meilleur? 

De Tépervier Toiseau doit-il braver la rage. 

Ou rester dans sa cage . . . enfin faut-il choisir 

Mourir libre . . . plutôt qu'en prison de croupir ? 



YOUNG (REV. DR. E.) 
Né en 1681— Mort en 1765. 

SONNET 

A rOccasion du Fameux Tableau de Michel- Ange :* 

Le Crucifiement. 

Tandis que sur la toile il meurt son Rédempteur, 
Dans un sang froid cruel drapé, l'artiste oseur 
Voit gisant à ses pieds et poignardé son ôrére, 
Et suit de l'oeil sur lui le jeu de chaque artère, 



* Michel- Ange si on ajoute foi à un ^'on dit" auquel nous refusons 
de croire, obtint permission de traiter comme il le voudrait un malBûteur, 
condanmé à ôtre roué vif. L'homme étant étendu sur une croix Téton- 
nant artiste donna ordre qu*il fut frappé dans telle partie du corps qu'il 
pensait devoir produire les soufifrances les plus affreuses, afin de rendre 
le plus naturellement possible les douleurs et agonies de la mort. 



SOKNET — LK OUVOIFIEMENT. 371 

Goutte à goutte épandant la vie et la douleur. 
Nul «anglot ne Témeut, il cherche la couleur. 
Nageant en pleines eaux dans Tangoisse mortelle^ 
Superbe indifférent, de ses coups il harcèle 
Bon patient, pour mieux exprimer la douleur, 
Et rendre plus mourant le front de son Sauveur, 
sublime larcin ! Dessin vrai, mais livide, 
Où chaque trait révèle une main homicide! 
Si large est le dessin, si belle est la couleur, 
Que devant cette page, il recule d'horreur! 




B 6 2 



f 



TABLE DES MATIÈRES. 



FàQB 
LiSTS D£S SOUSGBIPTEURS ui 

MjmJjICJLCS «■• ••• «•• .., .»• •>• #•• ••• VU 

L'Editeub et le Critique x 



BEAUTÉS DE LA POÉSIE ANGLAISE. 

Addison (Joseph) — 

La Voix de la Création {The Voke of Creationi) 1 

Akenside (Mark) — 

Au Coucou (TV) the Cuckoo) ... ... 2 

Anonymes — 

Les Changements du Monde {The Worîd^s Changes) ... 3 

Les Funérailles de Moïse {Burial of Moaes) ... ... 6 

Les Nénuphars ( TFater Z^Yïw) , S 

La Cité Livisible {The Unseen City) 9 

Chant de Naissance et Chant de Mort {Birth Song and 

JLJxryej ... ... ... ... ... ... ... Xv 

Le Vent et la Feuille, ou l'Enlèvement {The Wmdand Leof) 12 

L'Esprit fait la Noblesse (Tis Mvnd that makes NobiUty) ... 13 

Le Lit de Mort d'un Enfant {The ChilcFs Death-Bed) ... 14 

La Chanson du Cerisier {The Song ofthe Cherry-Tree) ... 15 
Au Squelette articulé d'un Pied de Femme {To the Skeleton 

ofaFoof) ... ... ... ... ... ... 17 

Philippe ! ô mon Roi î {PhiUp, my King /) 18 

A ma Filleule Alice {To my God-Child Alice) 19 

1^6 Liierre yjivy) ... ... ... ... ... ... *1 

Le Serment du Mariage {The Ma/rriage Vow) 22 

L'Epousée -Démon {The Démon Bride) 23 

Les Petites Choses {Small Things) ... ... 26 

La Mort et le Guerrier {Death and the Warrior) 28 



374 TABLE DES MATIÈRES. 

AkomYMEs— vam 

Une Idée Consolante (\Ve*ife (Ul our Anget nde) 29 

La Roue des Fleurs (^The Wheel of Flowers) 31 

Chant Funèbre (Dir^e) 33 

Vérités {Trutha) 34 

L'Oiseau Captif (TAe Cop^tve J?»r(f) 35 

Le Tombeau du Guerrier (JThe Soldier^s Grate) ... ... 36 

Aim^-moi peu, mais longtemps Aime'moi ÇLove me Littîe, 

Love me Long) ... ... ... ... ... ... 38 

Les Poètes (JThe PœUi) 40 

Bacon (Fkancis, Lobd)— 

Le Monde (r^ TTor^i) ... ... ... 42 

Babbâuld (Mbs.) — 

Pétition d'une Souris (^The Moui^ê Pétition) 44 

Babham (Rbv. R. h.)— 

Le Jour après la Bataille (The Day afler the B€Utle) ... 46 

Babnabd (Ladt Anne) — 

Le Vieux Robin Gray {Auld Rébin Gray) .. 47 

BsDDOBs (Thomas Lovell)— 

Chant Funéraire {A Dvrge) 48 

Bblsham (Rbv. Thomas)— 

Rien {Noihing) 49 

Blaokbb (Colonel)— 

Le Plat Couvert (ÎTAe Corered i>wA) 53 

Bloomfield (Robebt)— 

Le Soir du Marché {TheMaorhet Night) ... ... ... 57 

BoDDiNOTON (Mes.) 

Le Souhait Révoqué (The With tfnwished) 60 

BowLES (Miss Cabolinb) — Mbs. Southbt — 

La Mort des Fleurs (The Death oftke Flowers) 61 

BowLES (Rbv. W. Lislb)— 

Les Enfants Endormis de Chantrey (Chantreifs Sïeeping 

Chtldren) ... ... ... ... ... «.« 62 

BUBNS (ROBEBT) — 

Les Malgré ça du Pauvre (Is tkere,/or Honeêt Povertg) ... 63 
A une Souris (To a Mouse) 65 



TABLI DES HATlilBES. 375 

Btbon (Lord) — p^b 

Adieux à Newstead Abbey (^Adieu to Newstead Ahhey) ... ^66 

W&b6rl00 ... •(■ ... ... ,.. ... a,, QO 

La Destruction de Sennacherib {The Destruction of Senna- 

cfiefwOj ... ... ... ... ... ... .., 1 m 

Campbell (Thomas) — 

Le Rêve du Soldat {T?ie SolcUer's Drecm) ... ... ... 73 

Fleurs des Champs (Fie W -F/atrer«) 75 

Cabew (Thomas)— 

Donne-moi plus d'Amour, &c. {Give me more Love, ^.) ... 76 

Cabolan (Tublooh) — 

L'Elixir de la Vie {Why Liquor ofLife f) ... 77 

Chauceb (Gboffrey) — 

Le Coucou et le Rossignol ÇThe Cuckoo and tke Nightmgàle) 78 

CiBBEB (Collbt) — 

L'Enfant Aveugle {The Blind Boy) 89 

CoLERiDOE (Samuel Tatlob) — 

Ballade du vieux Loup de Mer {The Rhyme of the Ancient 

Mariner),,» ... ... ... ... ... ... 90 

CoLLiNS (William) — 

Les Passions (r^ Pflwmf») ... ... 112 

Cbosse (Andbew)— 

A l'Aristocrate (To ^Ae ^ ris tocra^) 116 

CumoNOHAM (Allan) — 

Mon Cœur est en Ecosse {My Heart is in Scotîand) ... 118 

Dbyden (John) 

Le Festin d'Alexandre {Alexander^s Feast) ... ... 119 

DuNBAB (William) — 

Sans Allégresse aucun Plaisir ne Vaut {Ifo Treasure withouit 

Gladness) ... ... ... ... ... ••• 126 

Ellesmbbe (Le Comte d') — 

Balaclava ... ... ... ••• ••• ••• ••• 127 

Elliot (Ebenezeb)— 

Feuilles et Hommes (Z^at;etf afMi if en) ... 128 

Les Morts sont Vivants {The Dead are Living) 130 



876 TABLE BBS KATLÈBEB. 

Elliot, op Minto (Miss Jane)— taox 

. Les Fleurs de la Forêt {The Flowers o/tke Forest) ... 131 

Fenton (Elijah) — 

Sur mon premier Accès de Groutte {On my Jirst Fit of the 

ixvUfj t.. «.• .a, ,,, ,,, ,,, ,,, 1 32 

Gbdney (Richasd Solomon) — 

L'Etudiant (TAe 5ft«cfenO 133 

Ck>LD8MITH (OlIVBK)— 

Le Village Abandonné (The Deserted ViUage) 137 

G&ANT (Snt Robebt) — 

Le Petit Ruisseau (The BrooUet) 139 

Grat (Thomas) — 

Les Valkyriur (TAe /VïtoZ 5wter0 141 

Sur une Vue lointaine du Collège d'Eton (^On a distant 

Prospect of Eton Collège ... 143 

Gbiffin (Gbeald) — 

A une Mouette (To a Seo^^ 146 

Hatlbt (William) — 

Recette pour faire une Tragédie {A Receipt to maJee a 

Tra^edy) ... ... .. .*• ... ..• 148 

Hemans (Mbs. Felicia) — 

Le premier Chagrin de l'Enfance (Jhe CMlds first Grief) 149 

Hebbebt (Geoboe) — 

Avance ... ••• ••• ••• ••• ••• ••• 150 

Hebbick (Robebt) — 

Aux Pâquerettes {To Daisies) 151 

A des Primevères ÇTo Primroses) ... 151 

Le Berger à sa Bergère {The Shepherd to his Fair One) ... 152 

HlKGBSTON (FBANCIS)— 

Lamentation de David {The Lamentation o/Damd) ... 153 

A une Fleur sauvage flétrie {To a Faded Flower) ... 154 

HoGO (James) — 

\J ÀXouQtXA {The Shy-Lœrlc) ... ... ... ... ... 165 

HooD (Thomas) — 

Lo Chant de la Chemise {The Song ofthe Shirt) ... ... 156 



TABLE BSS MATIÈBES. 877 

JcwsoN (Ben.)— vAes 

A Cynthie (7V> C^^ia) ... ... ... ... ... 159 

Kenbick (D. K.) 

OxIXXJK^U ••• ••• t** ta* ••• ••• ••• aOv 

Lamb (Miss)— 

Dialogue entre une Mère et sou Enfant {Dialogue) ... 166 

Lahb (Chables) — 

A T. Stothard {To T, Stothard) 167 

Landon (L. E. L.) — 

Le Pays des Fées (/V»*ry ZfOfMf) 167 

Mablow (Christopher)— 

L'Amoureux Berger à sa Bergère (^The Passionate Shepherd 

to his Love) ... ... ... ... ... ... 170 

MiLTON (John) — 

jLd ^vLiegro ... ... ... ... ... a. ..• A/^ 

Il Penseroso ... ... ... ... ... ... ... 176 

MooRiDOE (George)— 

n n'y a de Place pour Trois {There's no Roomfor Ttoa) ... 181 

MoNCBiEFF (William)— 

Modeste Ode à la Fortune QModest Ode to Fortune) ... 183 

MONTGOHEBY (JaMES) — 

Robert Bums ... ... ... ... ... ... ... 183 

Ia ¥em\lQ qui Tomhe (^The FaUing Leaf) 185 

MONTGOMEBY (RoBEBT) — 

Questions et Réponses (^Questions and Ânaw&rs) ... ... 186 

MooBE (Thomas) — 

Au Seigneur {The TurfshaU he my Frayant Shrine) ... 187 
Le Miroir Magique {The Magic Mirror) 189 



MOTHEBWELL (WiLLIAM] 

Jenny Morrison {Jeanie Morison) 190 

L'Eau {The Water! The Water!) 193 

OsGOOD (Mrs.) — 

Chant d'Adieu de l'Aéronaute {The Farewell Song of the 

Aeronaut) 196 



378 TABLE DSS MATIÂBSS. 

PaRKELLL (ThOMAB) — PAfM 

L'Ermite (TAe Hermit) 198 

Un Conte de Fées (A Faêry Taie) 206 

POB (Edoab a.) — 

La Corneille (rAe iZaven) 212 

Les Cloches (rAe jBe/b) 218 

Pope (Alexandeb) — 

Prière Universelle (rA« f/nwcria/ Prayer) 222 

Ode sur le Jour de Ste. Cécile {Ode on St. Cecilic^s Day) ... 224 

PoTTS (Mbs. Anna H.) — 

L'Amour de la Nature {The Love of Nature) 228 

Les '< Pourquoi " d'im Enfant (Jhe ChUtTs Question) ... 229 

Pbàbd— 

L'En&nce et ses Visiteurs {ChUdhood and its VisUors) ... 230 

Pbiob (Matthew) — 

La Vérité et la Fourberie (TVtf^A ami FoZfeAoocO 232 

QUILUNAN (EdWABD) — 

Le Serin-Chardonneret {The Canary-Goldfinoh) 234 

Raleioh (Sib Walteb) — 

Réponse a l'Amoureux Berger {Ansuoer ta the PeusiontUe 

Shepherd).., ... ... ... ... ••• ... 237 

La Tragédie de la Vie (The Tragedy of Life) 238 

Ramsay (Allan) — 

Le Caméléon {The Caméléon) 239 

RooEBS (Samuel) — 

La Vie Humaine (fftimaf» /4/è) 241 

RosGOMMON (Comte de)— 

Ode sur la Solitude {Ode upon Solitude) 243 

SooTT (John) — 

Ode XnL (/ hâte that DrunCa discordant Sound) 244 

Scott (Sir Walteb)— 

Chant du Sommeil {Lullaby on an Infant Chief) 245 

Shakespeare (William) — 

Chants d'Ariel (^rier« Sbfi^«) 246 

La Jeunesse et la Vieillesse {Youth and Age) 247 



TABLE D£B MATIÈRES. 379 

Sbbllst (Psrct Btsshe) — y^S, 

Le Nuage (rA« Cfourf) ., 248 

Sentiments d'un Républicain (^Feelings of a Republican) ... 251 

L'Automne {Autumn) 252 

A xme Alouette {To a Sky-Lark) 253 

La Philosophie de T Amour {Love's Pkiîosophy) 256 

SiGOUBNBY (Mb8. LtDIA HuNTLEY)— 

Causerie avec le Temps (^Taîk with Time) 257 

Les Fleurs des Alpes (TAe Alpine Flowers) 259 

Smabt (Christopher) — 

L/avicl ••• ••• ••• ••• ••• ••• ••• ••• 260 

La Robe de Brocart et le Chiffon de Toile {The Brocade 

Crovm and lÂnen Rag) ... ... ... ... ... 280 

Où est le Tisonnier ? ( Where is the Poker t) 282 

Madame et la Pie (^Madam and the Magpie) 284 

Smith (Charlotte) — 

L'Horloge de Flore (On -F^o'* iToroïo^e) 288 

Smith (Baron op the Irish Excbequer) — 

A la Poësie (Xr»n6« to Poe^) 290 

Smith (Horace)— 

Hymne aux Fleurs (JSymn to the Flowers) ... ... 292 

Des Eglises sur nous pourquoi Fermer la Porte? (1F% are 

they Shut) ... ... ... . • • • t • • t « 294 

Skow (Robert)— 

iiipitapnes ••. ... ... ... .<< <•• **• jsvi 

La Jeune Fille Aveugle {The Blind Girl) 298 

SoiTTHEY (Robert) — 

La Bataille de Blenheim (TAe BaM2e q/'B2enAetm) 300 

La Cataracte de Lodore {The Cataract o/Lodore) 303 

Les Funérailles d'un Soldat {The Soldier's FuneroT) ... 805 

Marie, la Fille de l'Auberge {Mary, the Maid ofthe Inn) ... 308 

L'Hiver (TFÏnter) 312 

Southwell (Robert) — 

Le Temps Tourne Toujours {Times go hy Twns) 312 

Spencer (Edmund) — 

Sonnet XXVI (5ttJee< w *Ac iZwc) 313 



380 TABLE DES ICATIÀBES. 

SncKLiNO (SiB John)— taq» 
Rends-Moi donc mon Cœur, Je te Prie (/ Prithee, Send me 

haekmy Heari) 314 

Ballade sur une Noce (jBaUad on a Wedding) 315 

SusHBT (Comte db) — 

Aucun Age n'est content de son Sort (No Age content loith 

hU own Eatate) 319 

Tatham (Miss Emma)— 

La Perce-Neige {The Snowdrop) ... 320 

Tatlob (Miss Jakb)— 

Le Banc du Seigneur du Village {The Squire^s Pew) ... 322 

Thomson (James) — 

Le Voyageur perdu dans les Neiges (^The WkUer Traveller 

lost in the Snow) 325 

Thbalb (Mbs. h. L.)— 

Les Trois Avertissements {The Three Wamingê) 326 

Le Devoir et le Plaisir {Duty and Pleatwre) 330 

TiOHB (Mbs.)— 

Sympathie {Sympaihy) 331 

Ttchbobh (Chidick) — 

Vers écrits dans la tour {Lines toritUn the nigkt before hia 

Execution) 332 

Ubfby— D*— (Tom) — 

Les Braves du Kent {The Brave Men of Kent) 333 

Walkbb (William Sidnet) — 

Mon Œil moult il Soupire {Mine Eye ig Athirtt) 335 

Un Poëme sans Titre {A Poem loithout Title) 335 

Watts (The Rbv. Isaac) — 

La Bx)se {The Jioee) 337 

La Fourmi {The Ant) 338 

Le Fsànésoït {The Sluggard) 339 

Contre l'Oisiveté et la Malice {Against Idleness and Mis- 

CM^-j j ••• ••. ••• ... .,, ,., ,,, «34U 

Whitb (Heiœt Kibeb) — 

A une Primevère Précoce {To an early Primrose) 340 

Vers faits à l'école {On being Confined to School) 341 

AxLRomsina{To the Herb Rosemarg) 343 



TABLE DES MATlàBES. 3S1 

WiLSON (John)— pagk 

L'Enfant de Lord Ronald (^L<yrd Ronald: s ChUd) 344 

Les Trois Saisons de l'Amour {The Three Secutmi of Love) 349 

A un Cerf Sauvage {To a Wild Deer) 361 

Les Voix du Printemps (^prnwp roic€«) 360 

WoLPB (Rbv. John) — 

L'Enterrement de Sir .lohn Moore (The Burial of Sir John 

Moot'ej ... ... ... ... ... ..« ... ool 

WORDSWOBTH (W.)— 

donne v8 ... ... ... ... ... ... ... oo!) 

Le Songe du Pèlerin {The Pilgrim's Dream) 364 

L'Habitante de la Chaumière à son Enfant {The CoUager 

to her Infant") ... ... ... ... ... ... 866 

Au Coucou {To the Cttckoo) 366 

WoTTON (Sir Henry) — 

Le Caractère d'une Vie Heureuse {The Character of a Happy 

ijtjej ... ... ■.. ... .. ... ••« obo 

Wtatt (Sir Thomas) — 

Wyatt en Prison à Bryan {Wyatt in Prison to Bryan) ... 369 
A Savoir si {Whether Liberty by Lots of Life, or Life wi 

Prison and Thraldom, be to be Preferred) ... ... 369 

YouNG (Rev. Dr. E.) — 

oonnet ... ... ... ... ... ... ... 370 

Ouvrages du Chevalier de Châtelain publiés en France 383 



FIN DU PREMIER VOLUME. 



Londres : Imprimerie de J. Davt et Fus, 137, Long Acre. 



/ 



OUVEAGES DU CHEVALIER DE CHATELAIN, 

PUBLIES EN FRANCE. 



PAULINE ET MARCELIN. 

NOUVELLES DE L'AUTRE MONDE ET SOUVENIRS DE 
CELUI-CL 

Nous sommes inondés de recueils de poésies, et nous avons très 
peu de poètes. Quand un jeune homme a péniblement 
compté sur ses doigts les syllabes d'un vers, il se croit im 
Voltaire ou un Casimir Delavigne, et pourvu qu'il le dise, que 
quelques journaux le répètent, le facile public partage une 
erreur si grossière. Mais cela dure peu, et d'un grand 
succès usurpé naît infailliblement une grande honte. 

La muse de M. Châtelain riche de ses agréments, ne veut 
rien devoir à la flatterie : sa gloire sera moins rapide, mais 
elle sera durable. Tous ceux que le charme des beaux vers 
touche encore liront avec plaisir les Nouvelles de TatUre 
Monde; on regrettera peut-être que la brillante imagination 
de l'auteur ne se soit pas exercée sur un sujet moins frivole. 

Les Souvenirs sont presqu' autant de modèles de grâce et de 
sentiment. Plusieurs traductions décèlent une grande intelli- 
gence des anciens. 

Ce recueil fait partie de la Collection des Poètes Français du 
XIXème Siècle, parmi lesquels, dès ses débuts, M. Châtelain 
prend une très belle place. — {La Pandore^ 18 Février, 1824.) 

ETRENNES A LA JEUNESSE. 

LETTRES A MA SŒUR. 

PROMÉTHÉIDES (Les). Revue en vers du Salon de Pemtur« 
de 1833 (en collaboration avec feu Félix Auvray, peintre 
d'histoire) 

STATISTIQUE DE LA CHAMBRE DES DEPUTES, 1833, 
1834, 1835. 

SEPT ANS DE RÈGNE, ffistoire des Sept Premières Années du 
Règne de Louis-Philippe. 1 vol. in 8vo. de 400 pages, avec 
tableaux. 

PETITE HISTOIRE DES GRANDS HOMMES. 

LE VERROU. 

ROME PAPALE. (Pontificat de Léon XII ) 2 vol. in 8vo. 



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